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HISTOIRE
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TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
DE PARIS
HISTOIRE
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TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
DE PARIS
940— PARIS, IMPRIMERIE A. LAHUKE
Rue de Fleurut, 'J.
HISTOIRE
DU
TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
DE PARIS
AVEC LE JOURNAL DE SES ACTES
PAR H. WALLON
Membre de llnrtitut
TOME TROISIÈME
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1881
DruiU àt ftvftiéU «t d« IradocUoo
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L I B R A R Y
OF THê
LCLANO STANrORO JUNIOR
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LE
TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAffiE
DE PARIS
CHAPITRE XXV
PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCÈS DE G£RM1>AL
I
Les enragés et les modérés.
L*élablisscmenl du gouvernement révolutionnaire avait
aflermi la domination du Comité de salut public ; mais
autour de cet empire qui eût voulu se fixer s'étaient
formés deux courants en sens contraire : d'une part, il
y avait les hommes qui avaient toujours été à Tavant-
garde de la Révolution et qui voulaient pousser plus
loin encore; et d'autre part, ceux qui trouvaient
qu'on avait été bien loin déjà et qui auraient volon-
tiers reculé.
Comment le Comité de salut public se maintiendra-
l-il contre ce double choc?
Par le tribunal révolutionnaire.
Le tribunal va Taider à se défaire de ceux qui, de l'un
TRiB. nivoL. m t
2 CHAP. XXY. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCÈS.
et de l'autre côté, inquiètent le plus sa politique. C'est
. le moment de revenir sur ces hommes qui vont être bien
surpris d'être traduits comme contre-révolutionnaires au
tribunal où ils ont envoyé eux-mêmes tant de monde ;
c'est le moment de signaler les actes par lesquels ils
avaient donné prise à cette accusation inattendue et les
manœuvres habiles et perfides qui les amènent les uns
après les autres sous la faux des réquisitoires de Fou-
quier-Tinville. Ce sont les vrais préliminaires des grands
procès qui vont s'engager.
Au premier rang des violents, des enragés, comme on
disait, se trouvait Hébert, ancien contrôleur du théâtre
des Variélés, qui s'en fit chasser pour vol, qui vola, dit-
on, les matelas et le linge d'un ami chez lequel il avait
été recueilli, qui vola enfin le titre du journal dont il a
retenu le nom, le Père Duchesnej et en fit cet instru-
ment d'injures grossières et de diffamations d'où il tirait
sa puissance ^
Ronsin, fils de cultivateur, ayant débuté aussi par le
théâtre, mais comme auteur et sans y avoir réussi ; ora-
teur des clubs, dès que la Révolution lui ouvrit cette arène,
ce qui le fit nommer commissaire ordonnateur à l'armée
de Dumouriez, puis général d'armée lui-même : en qua-
tre jours, il devint capitaine, chef d'escadron, général,
adjoint au ministre de la guerre. C'est avec le titre de
général-ministre qu'il fut envoyé faire la guerre en Ven-
dée, un théâtre où Ton appliquait volontiers ce prin-
cipe que tout bon patriote était bon général ; où l'on vil
avec lui , portant les grosses épauletles, le brasseur
Sanlerre, l'orfèvre Rossignol, et enfin le fameux élat^
i. Des Essarts, Procès fameux depuis la révolution^ t. II, page 1 cl suif.
Cf. Michelet, Histoire de la Révolution, t. VI, p. 199 et suiv.
LES ENRAGÉS : HÉBERT, RONSIN, VINCENT. 3
major de Saumur qui valut à la République tant de hon-
teux échecs ^
Le jeune Vincent, clerc de procureur, nommé par
Pachc, chef de bureau au ministère de la guerre, ren-
voyé par Beurnonville, rappelé par Bouchotte qui le fît
secrétaire-général. Au ministère, agent insensé de ce
despotisme aveugle qui livrait les ressources de l'État à
des dilapidations effroyables, tandis que les armées man-
quaient de tout (on a vu par Custine et par les autres
comment on y savait faire taire les généraux qui s^en
plaignaient). Dans les clubs, prédicateur de l'assassinat,
ce « petit tigre * » avait trouvé mieux que le massacre des
prisons, c'était le massacre à domicile. « Je demande,
avait-il dit un jour au club des Cordeliers, que nous ar-
rêtions une fête civique pour un jour déterminé ; que
tout le peuple, que tous les patriotes y soient appelés ;
que le cortège parcoure les rues, précédé d'une bannière
noire suivie des citoyens les plus énergiques de la so-
ciété, et que, dès qu'il sera arrivé devant la maison d'un
aristocrate, le drapeau noir y soit planté, qu'on se sai-
sisse des conspirateurs et qu'on en délivre la Républi-
que ' . » — C'était simplifier le rôle de Fouquier-Tinville
et réduire de beaucoup la besogne du tribunal.
1. Des Essarts, t. H, page 0. Cf. la Correêpondance de Ronêin^ commis»
êaire ordonnateur de Formée de Belgique ^ avec les commissaires de la Con»
pcniion nationale^ le ministre de la guerre, etc., Paris, 1795. (Bibliothèque
naUooale, Lb«S 2091).
Le 7* jour du deuxième mois (28 octobre), il écrivait au Comité de sûreté gé-
nérale, de concert avec Parein et Boulanger, ses collègues dans Tannée révolu-
tioonaire, proposant de faire une campagne dans les environs de Paris et se fai«
nnt fort de les purger dans les huit jours < de la horde aristocratique qui l'agite
en tous sens pour briser les ressorts de la République. » (Archives, F 7, 4436 et
Coariois, Papiers trouvés cheiRotfespierre, n* 36, p. 172).
2. C'est la qualification que lui donne M. Michelet, t. VI, p. 202.
5. Beaulieu, Diurnal, lundi 23 décembre (3 nivôse). Daubtn, La Démagogie
à Paris en 1793» p. 376.
 CHàP. XXY. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCÈS.
Chaumelle, aussi clerc de procureur à Torigine, pro-
cureur syndic de la Commune ; qui sut renchérir, on l'a
vu, sur la loi des suspects et demandait que l'armée ré-
volutionnaire fût suivie de la guilloline ; au demeurant
administrateur sévère, la terreur des prostituées, des
vendeurs de livres impudiques et de gravures obscènes,
mais aussi l'instrument le plus actif de la puissance qui,
sans prétendre renverser précisément la Convention,
entendait bien la faire marcher ^
Momoro, né à Besançon, d'origine espagnole, admis
avant la révolution dans la corporation des libraires-
imprimeurs, membre exalté du club des jacobins, puis
des cordeliers ; au premier rang dans toutes les émeutes
et le premier à souscrire à toules les mesures violentes.
Hanriot% le général du 31 mai', plus habile que les
autres, et qui saura durer jusqu'au 9 thermidor. L'ob-
servateur de police Dutard en faisait, même après sa vic-
toire, — le 24 juin, — le portrait suivant au ministre de
l'intérieur Garât.
M. Henriot est une espèce d'artisan de bas rang, qui m'a
paru avoir été soldai. Sa taille est de cinq pieds trois pouces
tout au plus.
11 a à peu près quarante (ans).
Il a une figure très-dure et grimacière; il fait de ce genre
de grimaces qui désignent un vilain homme : coléreux par
caractère, un peu réfléchi et très-grossier.
1. Sur Chaumclte, voy. M. L. Blanc, t. IX, pages 466 et suiv. Il lui est fafo-
rable. — Cf. De» Essarts, t. Il, page 215.
2. On l'appelle généralement Henriot. Il signe, lui, Hanriot. Après cela, il ne
sâfait peut-être pas comment fon nom devait s'écrire.
3. Commandant de sa section i cette époque, pris pourchefdans Tinsurrection
et a la suite porté au commandement de la garde nationale de Paris. Ce Tut bien-
tôt un signe indicateur de suspect et une cause de proacription que d'aToir ? oté
pour Raffet son compétiteur.
CHÂDMEnE, HANRIOT, aOOTZ. $
Quand il parle, on entend des yociféralions semblables à
celles des hommes qui ont le scorbut; une voix sépulcralo
sort de sa bouche, et quand il a parlé sa figure ne reprend
son assiette ordinaire qu'après des vibrations dans les traits
de sa figure ; il donne de fœil par trois fois et sa figure se
met en équilibre.
n m'a paru n'avoir fréquenté que des hommes désordon-
nés; je suis sûr qu'on trouverait en lui l'amour du jeu,
du vin, des femmes, et tout ce qui peut constituer un mau«
vais sujets
■
Tout difTérenl était un autre complice de cette bande,
le baron allemand Clootz, Ânacharsis Cloolz, a l'orateur
du genre humain >, citoyen de l'univers, matérialiste
enthousiaste, ne connaissant d'Éternel que le monde et
de Dieu que le Peuple. Pour lui, la France était le point
de ralliement du peuple -Dieu, Paris une Assemblée na-
tionale, le Vatican de la raison*. C'étaient ces doctrines
qu'il venait prêcher dans les clubs, et il faut dire qu'il
ne montait jamais à la tribune sans y provoquer des
murmures ou des éclats de rire : homme inoffensif dans
ses rêveries, si l'on peut, sans faire de mal, bouleverser
les fondements de la société, et si d'ailleurs il n'était
pas sorti quelquefois de ces rêves, comme au 3 septem-
bre, pour approuver les massacres*.
C'est dans le domaine religieux qu'ils montrèrent jus-
1. Scbmidt, Tableaux de la Révolution française, publiée sur les papiers
inédits du département et de la police secrète de Paris, t. II, page 85.
2. Yoj. Louu Blanc, t. IX, page 470. Des Essarts, t. II, pages 10 et sui?.
3. Il fut de ceux qui dînaient chez Roland le 3 septembre, a Les événements du
joar, dit Mme Roland, (lisaient le sujet de la conversation. Clootz prétendit prou-
ver que c'était une mesure indispensable et saluLnire. 11 débila beaucoup de lieux
eommuDS sur les droits des peuples, la juslice de leur vengeance et l'ulilité dont
elle était pour le bonbeur de l'espèce. Il parla longtemps et très baut, mangea
davantage et ennuya plus d'un auditeur. > {Mémoires de Urne Roland, p. 267).
— On aurait pu éprouver un autre sentiment que l'ennui ce jour*liJ . .
6 GHAP. XXV. — PRÉLQONAIRES DES GRANDS PROCÈS.
qu'où ils pouvaient porter leurs excès, et ici Ciootz était
naturellement au premier rang.
C'était peu que d'avoir porté le schisme dans l'Église;
c'était peu que d'avoir chassé, déporté, guillotiné les
prêtres réfractaires. Même cette église révolutionnaire,
ces prêtres apostats, ces prêtres mariés ofTusquaient la
Révolution. Elle y trouvait encore l'ombre de la croix.
On voulut s'en délivrer et créer un culte digne de ses
sectateurs. Chaumette y avait préludé en décidant Té-
vêque constitutionnel de Paris, Gobel et ses vicaires, à
venir abjurer devant la Convention (1 7 brumaire, 7 no-
vembre 1793). Trois jours après (20 brumaire) le culte
de la Raison était établi dans Notre-Dame ; et la nouvelle
divinité, représentée par une comédienne, daigna quitter
ses autels pour venir recevoir les hommages de la Con-
vention et la ramener à sa suite, dans son temple « ré-
généré'».
1. Voy. les textes qae j*ai réunis dans La Terreur, 1. 1, page 254 et sui?. ;
j*y ajoute cette citation de Des Essarts {Proche fameux^ t. \l, pages 231 et 223):
c Qui pourrait croire, en effet, qu'on a promené dans toutes les mes de Paris,
des femmes et des filles, souvent perdues de mœurs, revêtues d'habits de théâtre,
tantôt grecs, tantôt romains, et que des hommes les portaient sur des espèces
de palanquins, comme les Chinois portent leurs pagodes ? Chaque section a eu sa
déesse de la raison, et cette déesse a reçu pendant un jour entier les hommages
d'une multitude égarée dont il serait difÎBcile de peindre les folies. On peut dire
que la raicon ne fut jamais plus méconnue que lorsqu'on voulait fonder son culte.
Quel était ordinairement son cortège ? Il était formé d'une longue procession où
l'on vopit figurer successivement l'enfance, l'adolescence, l'âge viril et la vieillesse.
Des vociférations aiguës plutôt que des chants annonçaient l'approche de la
déesse. En voyant dâKler ce cortège, les yeux étaient affligés par le spectacle
hideux d'hommes qui affectaient la plus grande malpropreté dans leurs habille-
ments, et qui, sous prétexte qu'ils étaient républicains sévères, affichaient un
air barbare. Des jurements sortaient de leur bouche, et les pas chancelants des
nouveaux prêtres de U Raison annonçaient leur intempérance. C'est au milieu de
ees bandes de forcenés qu'une femme, connue souvent par ses mauvaises mœura,
essayait grotesquement de représenter la déesse de la Raison. La plupart de ces
déeûes outrageaient la décence par leurs costumes et par leure gestes. Pour
imiter les usages des anciens peuples, on avait persuadé à ces créatures déboutées
qu'elles devaient se montrer, la gorge et les épaules nues, et que leura vêlements
retroussés devaient laisser voir leurs jambes et leurs cuisses : c'est sous ce ridi-
LES NOUVEAUX MODÉRÉS : DANTON. 7
Ces manifestations honteuses et les orgies qui sui-
virent devaient donner force au parti qui inclinait vers
la modération.
Dans ce parti se rangeaient maintenant des hommes
qui avaient figuré parmi les plus violents : Danton,
Camille Desmoulins et d'autres qui avaient aussi des
titres dans le parti révolutionnaire; Lacroix, Tami de
Danton, Philippeaux qui, lors de rétablissement du tri-
bunal'révolutionnaire, voulait en bannir les jurés, crai-
gnantqu'ils ne gâtassent c cette belle institution > ; le beau,
jeune, riche et noble Hérault de Séchelles, avocat général
au Châtelet, présenté à la reine par sa cousine, la du-
chesse de Polignac, mais dès lors opposant et tout prêt
à se jeter dans la Révolution; combattant du 14 juillet,
juge au tribunal de Paris, au tribunal de cassation, mem-
bre de la législative et de la Convention qui le fit entrer
au Comité de salut public*. Joignons-leur Westermann,
commandant des sections révolutionnaires le 10 août.
Après la mort de VAmi du peuple^ on avait dit de
Danton : t C'est un orateur qui aspire à la survivance de
Marat* ». On se trompait; Danton si violent était prêt à
laisser la place aux habiles^. Il s'était remarié à une
cule tnTcstissement que les déesses de la Raison se promenaient dans Paris.
Pour inspirer le dégoût et révolter les gens délicats, il suffisait de jeter un coup
d'œtl rapide sur cette réunion biziirre d'hommes et de femmes ; mais si l'obser-
Tateur roulait suivre tous les degrés de la folie des sectateurs de la Raison, il
devait aller au temple où la déesse devait dicter ses oracles. C'est là que la joie
la plus grossière, les propos les plus indécents et les postures les plus lascives et
les plus dégoûtantes soulevaient son âme. Une voix rauque sortait ordinairement
de la bouche de la déesse, et l'odeur des liqueurs fortes, dont la Raison s'était
enÎTréc, annonçait la présence de la débauche et de In crapule, et non celle
d'une divinité.
1. Des Essarta, t. VU, p. 8 et J. Clarctie, Camille Desmoulim, p. 317.
2. Notes de Courtois, publiées par M. J. Clarctie, Camille Desmoulins, p. 475.
5. Sur les antécédents de Danton : avait-il accepté, sous diverses formes, rem-
boursement de charge ou autrement, de l'argent de la cour, pour des engage-
ments qu'il ne tint pas ? Voyez les témoignages de Bertrand de MoUeville, de
8 CHAP. XXV. - PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCÈS.
jeune fille de seize ans; il se retirait volontiers du souci
des affaires publiques. < Il aurait bien désiré pouvoir
sortir du tourbillon, dit Courtois; mais le moyen, après
avoir joué un tel rôleM » La mort des Girondins put déjà
lui donner à réfléchir. Après avoir, dans un dernier re-
tour d'effervescence révolutionnaire, demandé une tête
d'aristocrate par jour', on le voyait ému de la fermeté
avec laquelle ces victimes quotidiennes bravaientle trépas,
et plutôt désireux d'arrêler le cours des exécutions. Il
disait c que quand on allait en riant au supplice, il était
temps de briser la faux de la mort' >. 11 commençait à
douter de la Révolution et se demandait pourquoi l'Eu-
rope avait pris tant de peine à la combattre : c Les puis-
sances de l'Europe, disail-il, n'ont pas vu que la Révo-
lution ressemble à un grand procès qui n'enrichit pas
souvent celui qui le gagne et qui consomme la ruine de
celui qui le perd*. »
Il disait encore, selon Courtois, c que les révolutions
sont des navigations pénibles de long cours pendant les-
quelles il faut s'attendre à voir souffler le vent de toutes
les parties de l'horizon à la fois, et que la pleine mer
était souvent moins dangereuse que le port vers lequel
Larayelle, de Brissol, de Rœdercr, de Robespierre, de Garai, de Mirabeau, réunis
par M. Louis ULaiic : il soutient, non sniis autorité, l'accusation, contre M. Despois
qui la conteste. (Histoire de la Hèvolulion, t. X, pages 406 et suiv.]. — On
prétendait qu'il avait reçu de l'argent d'autres mains encore, et David, dont on
verra plus bas racharnement contre Danton, avait voulu consacrer cette accu-
sation par son pincoau : t David, dit Courtois, aida le citoyen Lesueur, peintre,
son élève, à faire le tableau de la décollation de Louis XYf. C'est lui [et tous les
artistes ont reconnu son pinceau) qui y plaça la figure du duc d'Orléans (Égalité).
Danton était placé di*rricre, les mains passées sur son épaule et recevant une
bourse que lui reniellait le ci-devant duc. (Notes de Courtois, publiées par M. J.
Claretie, Camille Desmoulins, itage 475.)
1. J. Claretie, Camille DesmoulinSy page 475.
2. Séance du 5 septembre, Moniteur du 7. Voy. ci dessus, t.I, page 281.
5. Courtois, i6t</., page 473.
4. J. Claretie, Camille Detmoulins, page 475.
DANTON. 9
on voguait à pleines Toiles, sans s'occuper du léger écueil
contre lequel le vaisseau vient quelquefois se briser \ »
Mais s'il doulail de la Révolution, il augurait bien plus
mal encore de celui qui en était le coryphée : <x Je lui ai
entendu dire, ajoute Courtois, que Robespierre pourrait
bien conduire la pièce jusqu'au 4"^ acte, mais infailli-
blement, comme ambitieux, il raterait au 5* son dénoue-
ment'. » — C'est en effet au 5* acte qu'il faut attendre
c^s premiers rôles.
Il avait été surtout choqué des scènes d'apostasie que
l'exemple de Gobel avait mises à la mode au sein de la
Convention elle-même, et de ces c mascarades antireli-
gieuses > : c'est le mot dont il se servit pour couper court
à ces scandaleuses processions qui venaient devant l'As-
semblée faire trophée des dépouilles des églises\ Dans ce
même discours, tout en demandant un rapport sur la
conspiration de l'étranger, tout en approuvant la Terreur,
il avait prononcé des mots qui furent relevés comme un
appel à l'indulgence^; et pour qu'on ne leur donnât pas
plus de portée qu'il ne voulait, il avait fallu qu'il les
reprît après son interloculeur, qu'il les expliquât, qu'il
s'écriât en finissant :
1. c II est faux, disait-il encore, que les révolutions soient faites quand on n'en
c sait pas profiter. > (Jules Claretie, Camille ùesmoiilins, p. 474 et 475.)
2. « Comme Uobespierre afTeclait quelquefois de mépriser les grandes me-
sures politiques dont il n'étnit pas l'inventeur, Danton disait : c Ce mépris pour les
« grandes conceptions qui ne viennent pas de lui ne nous présage pas de grands
« suecès pour l'avenir, i» (Ibid.^ p. 474).
3. Séance du 6 frimaire (26 novembre). Yoy. La Terreur, t. I, page 268 et
ci-dessus, t. II, p. 7.
4. c Le peuple veut, et il a ra'son, que la Terreur soit à l'ordre du jour ; mais
il veut que la Terreur soit reportée à son vrai but ; c'est-à-dire, contre les aris-
tocrates, contre les égoïstes, contre les conspirateurs, contre Irs traîtres, amis de
Tétranser. Le peuple ne veut pas que celui qui n'a pas reçu de la nature une
grande force d'énergie, mais qui sert la patrie de tous ses moyens, quelque
faibles qu'ils soient, non, le peuple ne veut pas qu'il tremble. » (Séance du 6fri-
intire (26 novembre), Moniteur du 8.)
iO GHAP. XXV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCÈS.
« Et moi aussi je suis républicain, républicain impc-
« rissable! >
Mais il n'avait pas désarmé la défiance. Elle croissait
contre lui aux Jacobins. Quand il y disait, quelques jours
après : a La constitution doit être endormie pendant
que le peuple s'occupe de frapper ses ennemis et de les
épouvanter par ses opérations révolutionnaires; »...
s'il y faisait une réserve contre « ceux qui veulent por-
ter le peuple au delà des bornes de la Révolution, »
il rencontrait Couppé, de l'Oise, demandant t que la
société n'écoule pas toutes les propositions tendant à
diminuer la vigueur du mouvement révolutionnaire; »
et, quand il remontait à la tribune, il y était accueilli par
des murmures :
« Ai-je donc perdu ces traits qui caractérisent la
figure d'un homme libre? s'écria-t-il indigné. Ne suis-jc
plus ce même homme qui s'est trouvé à vos cotés dans
tous les moments de crise?... » Et il se plaçait sous le
patronage de Marat : c J'ai été un des plus intrépides
défenseurs de Marat; j'évoquerai l'ombre de l'Ami du
peuple pour ma justification... >
Ce n'était point assez. Il fallut qu'il fût défendu par
Robespierre* !
Camille Desmoulins' avait marqué d'une façon bien
plus expresse encore son retour à des idées plus modérées.
Il commença une campagne en règle contre les violents,
en publiant le Vieux Cordelier : le 1" numéro en
parut le 15 frimaire (5 décembre 1795), le lendemain
du jour où le gouvernement révolutionnaire était con-
1. séance des Jacobins du 13 frimaire (3 décembre 1703). Moniteur du 16.
2. M. Cuvillier-Flcury l'a peint sur le vif dans ses Portrait» politique» et
révolutionnaire».
GAIOLLE DESMOULINS. il
stitué. Robespierre, bien qu'il y fût flatté, s*en mon-
tra peu content, et ce fut, dit-on, pour lui complaire, ce
fut même sous son inspiration que Camille fit de son
numéro II une attaque contre la dernière manifesta-
lion ultra-révolutionnaire, contre l'étalage d'apostasie des
prêtres, contre GlootzetChaumette, Anacharsis etÂnaxa-
goraSy les deux metteurs en œuvre de la scène de Gobel et
les deux hommes que Robespierre haïssait le plus.
Mais le IIP numéro (25 frimaire, 15 septembre)
reprit ses libres allures; et c'est là que Camille, prenant
à partie, par une allusion historique trop facile à saisir,
le régime même dont Robespierre était l'âme, la Terreur
et tous ses instruments, le tribunal révolutionnaire et la
loi des suspects^ le flagella du fouet de Tacite :
.. .Bientôt ce fut un crime de lèse-majesté ou de contre-révo-
lution à la ville de Nursia, d'avoir élevé un monument à ses
habitants, morts au siège de Modène, en combattant cepen-
dant sous Auguste lui-même, mais parce qu*alors Auguste
combattait avec Brutus, et Nursia eut le sort de Pérouse.
Crime de contre-révolution à Libon Drusus d'avoir demanda
aux diseurs de bonne aventure s'il ne posséderait pas un jour
de grandes richesses. Crime de contre-révolution au journa-
liste Crémutius Cordus, d'avoir appelé Brutus et Cassius les
derniers des Romains. Crime de contre-révolution à un des
descendants de Cassius, d'avoir chez lui un portrait de son
bisaïeul. Crime de contre-révolution à Mamercus Scaurus,
d'avoir fait une tragédie où il y avait tel vers à qui l'on pou-
vait donner deux sens. Crime de contre-révolution à Tor-
quatus Silanus, de faire de la dépense. Crime de contre-révo-
lution à Pétreius, d'avoir eu un songe sur Claude. Crime de
contre-révolution à Appius Silanus de ce que la femme de
Claude avait eu un songe sur lui. Crime de contre-révolution
à Pomponius, parce qu'un ami de Séjan était venu chercher
UD asile dans une de ses maisons de campagne. Crime de
13 CUâP. XXV. - PRÉLIMINAmES DES GRANDS PROCES.
coalre-révolution d^ètrc allé à la garde-robe sans avoir vidé
ses poches, et en conservant dans son gilet un jeton à face
royale, ce qui était un manque de respect a la figure sacrée
des tyrans. Crime de contre-révolution, de se plaindre des
malheurs du temps, car c*était faire le procès du gouverne-
ment. Crime de contre-révolution de ne pas invoquer le génie
divin de Caligula : pour y avoir manqué, grand nombre de
citoyens furent déchirés de coups, condamnés aux mines et
aux bétes, quelques-uns même sciés par le milieu du corps.
Crime de contre-révolution à la mère du consul Fusius Ge-
minus, d^avoir pleuré la mort funeste de son fils.
Il fallait montrer de la joie de la mort de son ami, de son
parent, si Ton ne voulait s'exposer a périr S(â-méme. Sous
Néron, plusieurs dont il avait fait mourir les proches allaient
en rendre grâces aux dieux; ils illuminaient. Du moins il
fallait avoir un air de contentement, un air ouvert et calme.
On avait peur que la peur même ne rendît coupable.
Tout donnait de Tombrnge au tyran. Un citoyen avait-il de
la popularité : c'était un rival du prince, qui pouvait susciter
une guerre civile. Studia civium in se verteret^ et si multi
idem audeant^ bellum esse. Suspect.
Fuyait-on au contraire la popularité, et se tenait-on au
coin de son feu : cette vie retirée vous avait fait remarquer,
vous avait donné de la considération. Quanlo metu occultior^
tanto plus famœ adeptus. Suspect.
Étiez-vous riche : il y avait un péril imminent que le peuple
ne fût corrompu par vos largesses. Auri vim aique opes
Plauti principi infensas. Suspect.
Étiez-vous pauvre ; comment donc ! invincible empereur,
il faut surveiller de plus près cet homme. Il n'y a personne
d'entreprenant comme celui qui n*a rien. Syllam inopem,
unde prœcipuam audaciam. Suspect.
Étiez-vous d'un caractère sombre, mélancolique, ou mis
en négligé : ce qui vous affligeait, c'est que les affaires pu-
bliques allaient bien... Uominem bonis publias mœslum.
Suspect.
in« NDMÉRO DU VŒUX CORDEUER. it
Si, au contraire, un citoyen se donnait du bon temps et
des indigestions, il ne se divertissait que parce que Fempc-
reur avait eu cette attaque de goutte qui heureusement ne
serait rien; il fallait lui faire sentir que sa majesté était
encore dans la vigueur de l'âge. Reddendam pro inlempes-
iiva licentia mœstam et funebrem noclem qua sentiat vi-
vere VUellium et imperare ! Suspect.
Était-il vertueux et austère; bon! nouveau Brutus, qui
prétendait par sa pâleur et sa perruque de jacobin faire la
censure d'une cour aimable et bien frisée. Gliscere œmulos
Brutorum vultûs rigidi et tristis quo tibi lasciviam exprth
brent. Suspect.
Ëtait-ce un philosophe, un orateur ou un poète : il lui con<
venait bien d'avoir plus de renommée que ceux qui gouver-
naient! Pouvait-on souffrir qu'on lit plus d'attention à l'au-
teur, aux quatrièmes, qu*à l'empereur dans sa loge grillée?
Virginium et Rufum claritudo nominis. Suspect.
Enûn, s'ctait-on acquis de la réputation à la guerre : on
n'en était que plus dangereux par son talent. 11 y a de la
ressource avec un général inepte. S'il est traître, il ne peut
pas si bien livrer une armée à l'ennemi, qu'il n'en revienne
quelqu'un. Mais un officier du mérite de Corbulon ou d'A-
gricoia, s*il trahissait, il ne s'en sauverait pas un seul. Le
mieux était de s*en défaire. Au moins, seigneur, ne pouvez-
vous vous dispenser de l'éloigner promptement de l'armée.
MuUâ mililari famâ metum fecerat. Suspect.
On peut croire que c*était bien pis, si on était petit-fils ou
allié d'Auguste : on pouvait avoir un jour des prétentions au
trône. Nobilem et quod tune spectaretur e Cœsarum posteris !
Suspect.
Et tous ces suspects, sous les empereurs, n'en étaient pas
quittes, comme chez nous, pour aller aux Madelonnettes,
aux Irlandais, ou à Sainte-Pélagie. Le prince leur envoyait
l'ordre de faire venir leur médecin ou leur apothicaire, et de
choisir, dans les vingt-quatre heures, le genre de mort qui
leur plairait le plus. Missus centurio qui maturaret eum.
i4 GUÂP. XXY. - PRËUBimÂlRES DES GRANDS PROCÈS.
C'est ainsi qu'il n'était pas possible d'avoir aucune qualité,
à moins qu'on n'en eût fait un instrument de la tyrannie,
sans éveiller la jalousie du despote, et sans s'exposer à une
perte certaine. C'était un crime d'avoir une grande place, ou
d'en donner sa démission; mais le plus grand de tous les
crimes était d'être incorruptible. Néron avait tellement dé-
truit tout ce qu'il y avait de gens de bien, qu'après s'être
défait de Thrasca et de Soranus il se vantait d'avoir aboli
jusqu'au nom de la vertu sur la terre. Quand le sénat les
avait condamnés, l'empereur lui écrivait une lettre de remer-
ciment de ce qu'il avait fait périr un ennemi de la Répu-
blique; de même qu'on avait vu le tribun Clodius élever un
antel à la liberté sur l'emplacement de la maison rasée de
Cicéron, et le peuple crier : Vive la liberté 1
L'un était frappe à cause de son nom ou de celui de ses
ancêtres; un autre, à cause de sa belle maison d'Albe ; Yalé-
rius Asiaticus, à cause que ses jardins avaient plu à l'impé-
ratrice; Statilius, à cause que son visage lui avait déplu; et
une multitude, sans qu'on en pût deviner la cause. Toranius,
le tuteur, le vieux ami d'Auguste, était proscrit par son pu-
pille, sans qu'on sût pourquoi, sinon qu'il était homme de
probité, et qu'il aimait sa patrie. Ni la préture, ni son inno-
cence, ne purent garantir Quintus Gellius des mains sanglantes
de l'exécuteur ; et cet Auguste, dont on a tant vanté la clé-
mence, lui arrachait les yeux de ses propres mains. On était
trahi et poignardé par ses esclaves, ses ennemis ; et si on
n'avait point d'ennemi, on trouvait pour assassin un hôte, un
ami, un fils. En un mot, sous ces règnes, la mort naturelle
d'un homme célèbre, ou seulement en place, était si rare,
que cela était mis dans les gazettes comme un événement, et
transmis par l'historien à la mémoire des siècles, a Sous ce
<c consulat, dit notre annaliste, il y eut un pontife, Pison,
(X qui mourut dans son lit, ce qui parut tenir du prodige. »
La mort de tant de citoyens itlnocents et recommandables
semblait une moindre calamité que l'insolence et la fortune
scandaleuse de leurs meurtriers et de leurs dénonciateurs*
m* NUMÉRO DU VIEUX CORDELIER. 15
Chaque jour, le délateur sacré et inviolable faisait son entrée
triomphale dans le palais des morts, en recueillait quelque
riche succession.
Tous ces dénonciateurs se paraient des plus beaux noms, se
faisaient appeler Cotta, Scipion, Régulus, Cassius, Sévérus.
La délation était le seul moyen de parvenir, et Régulus fut
fait trois fois consul pour ses dénonciations. Aussi tout le
monde se jetait-il dans une carrière des dignités si large et
facile et pour se signaler par un début illustre, et faire ses
caravanes de délateur, le marquis Sérénus intentait une accu-
sation de contre-révolution contre son vieux père, déjà exilé ;
après quoi, il se faisait appeler fièrement Brutus.
Tels accusateurs, tels juges. Les tribunaux, protecteurs
de la vie et des propriétés, étaient devenus des boucheries
où ce qui portait le nom de supplice et de confiscation n'était
que vol et assassinat.
S'il n'y avait pas moyen d'envoyer un homme au tribunal,
on avait recours à l'assassinat et au poison. Celer, iElius, la
fameuse Locuste, le médecin Anicet, étaient des empoison-
neurs de profession, patentés, voyageant à la suite de la cour,
et une espèce de grands officiers de la couronne. Quand ces
demi-mesures ne suffisaient pas, le tyran recourait à une
proscription générale. C'est ainsi que Caracalla, après avoir
tué de ses mains son frère Géta, déclarait ennemis de la
République tous ses amis et partisans au nombre de vingt
mille, et Tibère, ennemis de la République tous les amis et
partisans de Séjan au nombre de trente mille. C'est ainsi
que Sylla, dans un seul jour, avait interdit le feu et l'eau à
soixante-dix mille Romains. Si un lion empereur avait eu
une cour et une garde prétorienne de tigres et de panthères,
ils n'eussent pas mis plus de personnes en pièces que les déla-
teurs, les affranchis, les empoisonneurs et les coupe-jarrets
des Césars; car la cruauté causée par la faim cesse avec la
faim, au lieu que celle causée par la crainte, la cupidité et
les soupçons des tyrans, n'a point de bornes. Jusqu'à quel
degré d'avilissement et de bassesse l'espèce humaine ne peut-
16 CHiP. Iir. -. PRÉLDONAIRES DES GRàHDS PROCÈS.
elle donc pas descendre, quand on pense que Rome a souffert
le gouvernement d'un monstre qui se plaignait que son règne
ne fût point signalé par quelque calamité, peste» famine,
tremblement de terre; qui enviait à Auguste le bonheur d'a-
voir eu, sous son empire, une armée taillée en pièces; et au
règne de Tibère, les désastres de l'amphithéâtre de Fidène,
où il avait péri cinquante mille personnes, et, pour tout dire
en un mot, qui souhaitait que le peuple romain n'eût qu'une
seule tète, pour le mettre en masse à la fenêtre [la guillo-
tine].
Manifeste éclatant, dont le succès parut effrayer Tau-
tcur lui-même; et toutefois dans son numéro IV (30 fri-
maire, 10 décembre), tout en se défendant contre les
conclusions que tout le monde en avait tirées, il en repro-
duisait en deux mots la pensée quand il demandait un
Comité de clémence. Ces deux mots étaient la condam-
nation de la Terreur, et il eut beau les expliquer, les
affaiblir, ils étaient dès lors sa propre condamnation. Dès
le 1" nivôse, Nicolas disait à la tribune des Jacobins que
Camille frisait la guillotine ^ Imprimeur du tribunal
révolutionnaire et juré, il s'y connaissait.
Dans ce premier procès, qui lui fut fait aux Jacobins,
Robespierre essaya d'assez mauvaise grâce de l'excuser, en
disant qu'il ne fallait pas trop le prendre au sérieux,
qu'il fallait user d'indulgence à son égard, comme envers
un enfant étourdi; qu'il suffirait, pour donner une juste
satisfaction aux plaintes des montagnards contre le fâ-
cheux numéro, de le brûler. — Brûler n'est pas répon-
dre, répliqua brusquement Camille*, et par cette vive
1. Moniteur du 4 nivôse (24 décembre 1703).
2. Séance des Jacobins du 18 nivôse, Moniteur du 21 (10 janvier 179i). — Le
n* V du Vieux Cordelier^ daté du 5 nivôse, avait paru le 16 (5 janvier 1704).
Le n* VI| daté par erreur du 10 nivôse (il porte dès lc< premières lignes la date
PHIUPPEAUX. 17
boutade il fil de l'irascible oraleur son inexorable en-
nemi.
Philippeaux* avait précédé Camille dans celte réac-
tion contre le parti des violents par une attaque de fronts
conduite avec un courage auquel l'éloquent écrivain se
plait à rendre hommage dans son numéro III du Vietix
Cordelier. Envoyé en mission dans la Vendée (juillet
1795), il avait vu, il avait signalé dans quatre mémoires
les désordi*es, le gaspillage, l'ignorance et la lâcheté du
fameux état-major de SaumurV Rappelé à Paris par
Tinfluence de ceux dont dont il troublait la politique, il
avait repris le fond de ses mémoires dans une lettre
adressée au Comité de salut public, le lendemain du jour
où paraissait le premier numéro du Vieux Cordelier
(16 frimaire, 6 décembre)'; et le Comité n'en ayant pas
du i4), ne parut que le 15 pluTiôsc. Quant au n* YII, l'auteur en corrigeait les
épreuves lorsqu'il fut arrêté. Le numéro ne parut qu'en prairiul an lU (juin
17^). Voj. Jules Claretie, Camille Desmoulhis, page 284, et les Œuvres de
Camille Desmoulins, publiées par E. Despois, t. III, page 111.
1. Né en 1759, juge au préâdia] du Mans avant la Révolution.
2. Voyez déjà sa lettre du 19 juillet 1793 à la Convention où il parle de cet état-
major si dispendieux, qu'on aurait pu croire à rexistence d'un camp de 20 ou
50 000 hommes; et ils étaient 1000 ou 1200! « Il existe à Tours, dit-il, encore
une armée d'ofûciers de tout grade, qui vont le jour dans les cafés et caracoler le
soir sur de superbes coursiers, mais pas un seul qui se donne la peine d'aller au
camp, t [Legros, Im Révolution telle qu'elle est. Correspondance du Comité de
salut public, t. I, p. 275-277.) — Voyez encore la lettre qu*il écrit avec son col-
lègue Gilet à la Convention : Nantes, le 19 du premier mois, Moniteur du 21
(li octobre 1793).
3. « Philippeaux, représentant du peuple au Comité de salut public.
c Pari^, le 16 de frimaire, l'an II.
• Vous rpconnaissez enfin, citoyens collègues, que mon rapport sur la Vendée
n'éioit ni un roman, ni une hyperbole...
«Si la commission décrétée lel" brumaire pour examiner In conduite des agents
de Sauniur eût pu remplir son objet, nous n'aurions pas à gémir dans ce mo-
ment sur tant de désastres ; nous eussions conservé à la République 20 000 pa-
triotes de plus, une artillerie formidable que Téternel Rossignol a encore livrée
aux brigands, et les trésors immenses qui se trouvent dévorés dans le goaffrc.
c II signale les fautes et les excès de Rossignol, do Ronsin, de Léchelle ; le bu-
reaucrate Vincent, a cet impudent petit coquin», etc.
TRIB. RiTOL. lU 2
i8 GHAP. IXV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCES.
tenu compte» il reprit ses griefs dans un nouveau mé-
moire qui incriminait celte fois le Comité lui-même,
comme coupable de négligence, et qu'il adressait non
plus au Comité, mais a à ses collègues et à ses conci-
toyens t (6 nivôse, 26 décembre 1793) * : accusation qu'il
reprit et formula en vingt-six points contre Ronsin et
Rossignol dans la séance du 18 nivôse\ Camille Des-
moulins, étranger à toute jalousie d'auteur, oubliant
son Vieva Cordelier^ allait partout, disant : t Avez-vous
lu Philippeaux'?» — Les Jacobins l'avaient lu, et Ro-
bespierre aussi, et il ne l'oublia pas.
Westermann ^, soldat à quinze ans, arrêté d'assez bonne
heure dans sa carrière par des incidents très fâcheux
(trois accusations de vol !), mais réhabilité par la jour-
née du 10 août, avait servi sous Dumouriez avant sa
trahison et obtenu un commandement en Vendée'. Il
n'avait pas marché avec les hommes que dénonçait Phi-
lippeaux. Rendu par là suspect aux patriotes, il avait été
renvoyé devant un conseil de guerre à la suite de la dé-
i. Voyei l'appendice n* I à la fin du Tolume.
2. Moniteur du 19 (8 janvier 1704). Voyez aussi la lettre de Rossignol, après
aft>ir reçu le mémoire. Nantes 19 nivôse. (Monitettr du 29 (18 janvier 1794).
C'est Choudieu qui s'était surtout chargé de répondre k Philippeaux : Rapport
ait dans la séance du i% pluviôse. Moniteur du 21 (9 février 1794) et jours
suivants : débat qui se videra deux mois plus tard devant le tribunal.
3. L. Blanc, flistoire de la Révolution, t. X, page 226. — M. Michelet pro-
fesse une vive admiration pour Philippeaux : < De tous les Dantonistes, dit-il ^ le
meilleur sans comparaison Tut l'infortuné Philippeaux. Seul pur, irréprochable,
il est mort avec eux, non comme eux par ses fautes, mais martyr du devoir, vic-
time de sa véracité courageuse, de son éloquence héroïque et de sa vertu. » (His-
toire de la Révolution, t. VI, page 133.) — Voyez tout ce qu'il ajoute dans les
pages suivantes à Tappui des dénonciations de Philippeaux contre Ronsin et ses
pareils.
4. Né à Molsheim (Alsace) le 5 septembre 1751. Son acle de baptême, à la
date du lendemain 5 septembre, est au dossier W 342, dossier 648, l** partie,
pièce 25. Voyez les détails précis donnés sur ses antécédents par M. J. Claretie,
Camille Desmoulins^ pages 237 et suiv.
5. Colonel, 27 septembre 1792; général de brigade, 15 manl793. (Archives,
W 342, doss. 648, partie l^*, pièce 57.)
^ËSTERMÂI^N. 19
route de Ghâlillon, et, acquittés il était retourné à son
ancienne armée' où, malgré les obstacles mis d'abord à
sa réintégration '9 il avait pris part, comme commandant
la cavalerie, à la destruction de la grande armée ven-
déenne, notamment à la bataille du Mans^. Mais cela ne
pouvait pas le relever auprès de ceux dont les généraux
ne s'étaient signalés dans toute cette guerre que par les
plus honteux échecs; et il fut destitué (17 nivôse, 6 jan-
vier 1794) 'sans qu'il en pût connaître les motifs, comme
ou le voit par la lettre où il s'en plaignait à la Convention
(séance du 30 pluviôse, 18 février) '.
1. Décret de la Couvention qui le renvoie detant les tribunaux mililairos,
30 juillet 1793. (Archives, W 342, dossier 648, partie 1'% pièce 70). — Juge-
meot qui l'acquitte, 29 août 1793, (ibid,, pièce 69). Il vint l'annoncer i la
Cooveotion dans la séance du 2 septembre 1795, en lui présenlaiit un drapeau pris
sur les Vendéens. (Moniteur du 3 septembre 1793.)
2. Dans la séance du 19 du premier mois, par une lettre du 1" octobre, datée
de la Châtaigneraie, il annonce les opérations qu'il a dirigées, villages brûlés k
trois lieues à la ronde, etc. (Moniteur du 21 du premier mois, 12 octobre 1793 )
3. Le citoyen Jourdeuil, adjoint de la 5* division de la guerre, écrivait au
c général en chefs Rossignol, à la date du 17 septembre 1794 :
c Le ministre de la guerre me charge de répoudre à votre lettre du 14, qu'il
c ne pense pas qu*aucun décret ait renvoyé Westermann à ses fonctions ; qu'un
c jugement a bien pu déclarer qu'il n'y avait pas un délit national dans son af-
c faire, mais non le renvoyer à son poste, a (/6t(i., 2* partie, pièce 15.)
Et la lettre fut transmise par Rossignol à Chalbos, en l'invitant à enjoindre à
Westermann de se conformer aux lois relatives aux officiers démissionnaires ou
destitués, (20 septembre, ibid., pièce 17).
Néanmoins un arrêté des représentants Fayau et Bellcgarde, c considérant
c qu'il ne leur était parvenu de décret qui suspende Westermann de ses fonctions;
c qu'il a seulement été renvoyé par la Convention devant un tribunal militaire
c qui a reconnu son innocence; considérant que sa conduite était celle d'un bon
c républicain », — le renvoya à l'armée (24 septembre, i6t</., Impartie, pièce 66).
4. Les représentants Turreau, Prieur (de la Marne) et Bourbotle écrivaient i
la Convention, du Mans, le 23 frimaire, 7 heures du soir :
c Moreau, général en chef, Tilly, commandant dn division à Cherbourg, Wes-
termann, qui commande la cavalerie depuis notre départ de Rennes, ont eu, par
leur bravoure et leur valeur, grande part au succès de celte journée. Ce dernier
a eu deux chevaux tués sous lui, a reçu deux blessures dans le combat et n'a pas
voulu quitter son poste. Dans cet instant même, il est encore à la poursuite des
brigands et son intrépide cavalerie jonche la terre de leura cadavres, a Séance du
35 frimaire. Moniteur du 27 (17 décembre 1793.)
5. Moniteur du 18 et Archives, W 342, doss. 648, partie l'*, pièce 71.
G. Moniteur du 2 ventftse (20 février 1794).
SO CHAP. XIV. - PRÉLIMINAIRES D£S GRANDS PROCÈS.
En pluviôse, on l'invitait à rendre compte de sommes
quilui avaient été remises pour Dumouriez, sommes dont
il avait reçu décharge de ce général ; il en avait envoyé
les pièces au ministre'. En ventôse, Hébert Taltaquait
violemment aux Jacobins : c Un Weslermann, ce mons-
tre couvert d'opprobre»*. En germinal, après Hébert,
il allait trouver de plus redoutables ennemis.
II
Premières escarmouches contre les enragés. Premier manifeste contre
les deui partis : rapport de Saint-Just, 8 Tent6se.
Placé entre les deux partis, menacé par Tun et seule-
ment effleuré par Ta'itre, le Comité devait se porter du
côté où était pour lui le plus grand péril ; et eu atta-
quant les ultra -révolutionnaires il pouvait compter
un peu sur le concours des modérés : Camille Desmou-
lins, Philippeaux, lui avaient, à cet égard, donné des
gages.
Fort du décret du 14 frimaire, le Comité se sentait
mieux armé pour la lutte, el quelques escarmouches an-
nonçaient rimminence de la bataille. Ronsin, le général-
ministre de Vendée, devenu général de Tarmée révolu-
tionnaire, et le jeune Vincent, le second du ministre
de la guerre Boucholte, furent arrêtés (27 frimaire, 17
décembre) : grand étonnement dans les prisons, grande
alarme, dans les clubs ! Partout dans les sections des
pétitions se signent. Les 2 et 3 nivôse (22 et 23 dé-
1. Archives, W 542, doss. 648, 2* partie, pièce 5 : 18 pluviôse, réponse de Wes*
termann & une lettre du 17 ; pièce 4:24 pluviôse, lettre de Bouchotte.
2. Séance des Jacobins du 14 octobre. Moniteur au 17 (7 mars 1794).
RONSm ET VINCENT ARRÊTÉS/JREUCHÉS. 21
cembre), on vient les apporter à rAssemblée*. La Con-
vention tint bon quelque temps ; mais le tribunal révolu-
tionnaire n'eut pas cette fois laproiequi lui était promise.
Dans le mois suivant, 14 pluviôse (2 février 1794,) les
deux captifs furent remis en liberté.
Cette libération était pour les violents une victoire,
et la reculade de leurs adversaires pouvait les exciter à
marcher en avant. Le moment semblait d'autant plus fa-
vorable qu'en face de la Commune ainsi placée tout en-
tière sous leur main, ils savaient la Convention divisée.
Si Danton avait demandé <c un rapport sur les moyens de
donner une action grande et forte au gouvernement pro-
visoire" », ce n'était pas, on le peut croire, un rapport
tel que le fit Saint-Just, ni des moyens semblables à ceux
que la loi du 14 frimaire mettait aux mains de Robes-
pierre et de ses amis ; et le n"* V du Vieux Cordelier^
cette charge à fond contre le Père Duchesne, ne dimi-
nuait en rien l'ineffaçable impression du n"" IIL Robes-
1. Moniteur dn 5 nivôse. Voyez ce que Philippeaux raconte dans son mémoire
des manœuTres qui aboutirent à cette démarche :
c Un seul trait peut caractériser le génie souple de leura complices. Quand le
27 frimaire on apprit aux Jacobins leur arrestation, ils n'osèrent attaquer directe-
meut cet acte de justice ; mais le f** nivôse, quand ils savent que tous les dé-
putés sont retenus au sein de la GooTcntion et que la séance des Jacobins
sera presque déserte, ils y font aflluer tous les commis de la guerre, tous (es
éptuletiere de Tarmée révolutionnaire et tous les coupe-jarrets dévoués à leur
cause. On débute par des coups de théâti*e, qui disposent l'auditoire i des im-
pressions favorables. Hébert monte à la tribune, où il vocifère contre moi et trois
de mes collègues un torrent d'imprécations.
c On délivre un brevet de patriotisme à ces deux détenus, une députation est
envoyée à la Convention pour exiger leur élargissement. » (P. 35)*
La séance du 3 nivôse aux Jacobins fut parliculièrement agitée : Levasseury
attaque Philippeaux qui ripo&te. Danton se porte médiateur et Robespierre se
montre déjà en ennemi. Une commission est nommée pour juger les dénonciations
de Philippeaux contre Ronsin. C'est l'origine du procès de Philippeaux. {Moniteur
du 6 nivôse, 26 décembre 1793.)
2. Vo)es son discoura entier du 6 frimaire, dont j'ai donné plut haat quel-
ques fragments.
22 CBAP. XXY. — PRÉLlMINidRES DES GRANDS PROCES.
pierre et Saînt-Just, qui gouvernaient avec Coulhon le
grand Comité, sentaient le péril. Menacés par Hébert,
c'était de leur part se donnera Danton que de l'appeler à
soi pour se défendre ; et pourtant il ne semblait pas qu'il
y eût un autre moyen de combattre les violents que de
s'appuyer des modérés.
La situation se dessinait de plus en plus. Trois jours
après la mise en liberté de Ronsin et de Vincent, le 17
pluviôse (5 février 1794), Robespierre avait lu à la Con-
vention son fameux rapport sur les principes de morale
qui devaient la diriger dans l'administration intérieure
de la République, La faction dont Hébert était l'organe
populaire se montrait contraire aux tendances du Comité.
Elle demandait son renvoi, le renouvellement de la re-
présentation nationale (moyen d'arriver pour ceux qui
étaient dehors) et l'organisation du pouvoir exécutif : en
d'autre termes, la substitution d'une autre dictature à
celle du Comité desalut public. Quand Robespierre avait
pour lui la Convention, c'est-à-dire les représentants
du peuple, quelle ressource la Commune avait-elle pour
le combattre? Le peuple peut-être. Un grand mouvement
semblait se produire, précurseur de l'insurrection. Le
peuple — je parle du peuple. des journées révolution-
naires — était de sa nature plus disposé à en croire les
violents; et d'autre part il y avait dans la foule des ma-
nifestations qui semblaient donner raison à Danton, in-
criminant la dureté du gouvernement et la marche du
tribunal révolutionnaire. Un rapport d'un observateur
de police, Latour-la-Monlagne, sur le 7 ventôse, disait :
<x On conduisait ce soir dix-sept criminels au supplice,
parmi lesquels on distinguait particulièrement un vieillard
presque nonagénaire, et si faible qu'il a fallu, dit-on, le
i- RAPPOPT DE SAINT-JOST (8 VENTOSE)/ 23
porter sur Téchafaud*. Le peuple a paru très touché de ce
spectacle. Quel crime, disaient plusieurs personnes, a donc
pu commettre un homme dans cet état de décrépitude ? Pour-
quoi la caducité, qui approche si près de l'enfance, n'en
partage-t-elie pas tous les privilèges? Cette opinion a pani
générale. »
Le Comité voulut faire face à ses deux ennemis à la
fois, les indulgents et les violents : tombant sur les uns
comme sur les autres, mais attaquant surtout en paroles
les indulgents, parce que c'étaient les violents qu'eu fait
il voulait frapper les premiers.
Le 4 ventôse (22 février), la Convention avait décrété
que les deux comités de salut public et de sûreté géné-
rale feraient un rapport a sur les détentions, sur les
moyens les plus courts de mettre l'innocent en liberté
et de punir le coupable. >
Le 8 (26 février), Saint-Just vint lui lire ce rapport.
C'est la vraie définition de la justice révolutionnaire, de
la justice mise au service de la Terreur ; et, par consé^
quent, celte pièce a un double intérêt ici, comme nous
révélant l'inspiration qui dirigeait le tribunal, et pré-
parant les grands procès politiques dont il allait inces-
samment être saisi.
Abordant sans détour son sujet, les détentions, Saint-
Just se place en dehors du droit commun :
Je ne veux point traiter cette question devant vous
comme si j'étais accusatenr et défenseur, ou comme si vous
étiez juges ; car les détentions n'ont point pris leur source
dans des relations judiciaires, mais dans la sûreté du peuple
et du gouvernement. Je ne veux point parler des orages d'une
1. II 8*agit des prélendas conspirateurs de Sarrelibre (Sarrelouis) et du TÎeux
GuilUanie Schmitt, âgé de quatre-Tingts ans. (Voj. ci-dessus, t. H, p. 442.)
A ClIAP. XXV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCES.
rcvolufion comme d'une dispute de rhéteurs, et vous n'êtes
point juges, et vous n'avez point à vous déterminer par l'in-
térct civil, mais par le salut du peuple, placé au-dessus de
nous. Toutefois, il faut être juste : mais au lieu de Tétre con-
séquemment à Tintérét particulier, il faut Tétre conséquom-
ment à l'intérêt public.
Et il fait des détentions tout un système de gouverne-
ment :
Les détentions embrassent plusieurs questions politiques;
elles tiennent à la complexion et à la solidité du souverain ;
elles tiennent aux mœurs républicaines, aux vertus ou aux
vices, au bonheur ou au malheur des générations futures.
Les détentions tiennent au progrès de la raison et de la
justice. Parcourez les périodes qui les ont amenées ; on a
passé, par rapport à la minorité rebelle, du mépris à la dé-
fiance, de la défiance aux exemples, des exemples à la ter-
reur.
Il dépeint la situation présente et ce que la République,
comme il Tentend, réclame, à son avis, pour durer :
Vous avez voulu une republique ; si vous ne vouliez point
en même temps ce qui la constitue, elle ensevelirait le peuple
sous ses débris. Ce qui constitue une république, c'est la des-
truction totale de ce qui lui est opposé. On se plaint des me-
sures révolutionnaires ; mais nous sommes des modérés en
comparaison de tous les autres gouvernements.
Et, pour preuve, faisant l'histoire à la façon de son
parti, il cite Louis XVI, en 1788, faisant «immoler 8000
personnes de tout âge, de tout sexe, dans Paris, dans la
rue Mêlée et sur le Pont-Neuf, etc. ; l'Europe comptant
quatre millions de prisonniers, etc. > :
Citoyens, par quelle illusion persuaderait-on que vous
êtes inhumains? Votre tribunal révolutionnaire a fait périr
1" RAPPORT DE SAINT-JDST (8 VENTOSE). 25
(rois cents scélérats depuis un an ; quel est le tribunal de
TAnglcterre qui n'en ait fait plus?
La monarchie, jalouse de son autorité, nageait dans le
sang de trente générations, et vous balanceriez à vous mon-
trer sévères contre une poignée de coupables? Ceux qui de-
mandent la liberté des aristocrates ne veulent point la répu-
blique et craignent pour eux. C'est un signe éclatant de
trahison que la pitié que Ton fait paraître pour le crime, dans
une république qui ne peut être assise que sur l'inflexibilité.
Après celle déclaration de principes, il en arrive à ses
adversaires, et s'en prenant d^abord aux indulgents :
Soit que les partisans de l'indulgence se ménagent quel-
que reconnaissance de la part de la tyrannie si la République
élait subjuguée, soit qu'ils craignent qu'un degré de plus de
chaleur et de sévérité dans l'opinion et dans les principes ne
les consume, il est certain qu'il y a quelqu'un qui, dans son
cœur, conduit le dessein de nous faire rétrograder ou de
nous opprimer ; et nous nous gouvernons comme si jamais
nous n'avions été trahis, comme si nous ne pouvions plus l'être.
La confiance de nos ennemis nous avertit de nous préparer à
tout et d*étre inflexibles
Éprouvons-nous des revers, les indulgents prophétisent
des malheurs ; sommes -nous vainqueurs, on en parle à
peine. Dernièrement on s'est moins occupé des victoires de
la République que de quelques pamphlets', et tandis qu'on
détourne le peuple des mâles objets, les auteurs des complots
criminels respirent et s'enhardissent
L'indulgence est pour les conspirateurs, et la rigueur est
pour le peuple. On semble ne compter pour rien le sang de
deux cent mille patriotes répandu et oublié. On a fait un
mémoire*, on est vertueux par écrit, il suffit; on i^^exempte
f . Le Vieux Cordelier de Camille Desmoulins, dont le premier numéro avait
para le 15 frimaire ; les deux lettres de Philippeaux, 16 frimaire et 6 nivôae.
2. Les mémoires de Philippeau^, antérieurs à ses deux lettres.
26 CHÀP. XXV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCÈS.
de probité, on s'engraisse des dépouilles du peuple, on en re-
gorge et on rinsulte, et Ton marche en triomphe, traîné par
le crime pour lequel on prétend exciter votre compassion ;
car enfin, on ne peut garder le silence sur l'impunité des
plus grands coupables qui veulent briser Téchafaud parce
qu'ils craignent d'y monter.
Et il fait appel à ce sentiment égoïste de la misère pré-
sente qui pouvait pousser le peuple à en sortir à tout
prix :
C'est le relâchement de ces maximes, dont l'âpreté né-
cessaire est chaque jour combattue, qui cause les malheurs
publics
C'est ce relâchement qui vous demande Touverture des pri-
sons, et vous demande en même temps la misère, Thumilia-
tion du peuple et d'autres Yendées.
Au sortir des prisons, ils prendront les armes. Si l'on
eût arrêté, il y a un an, tous les royalistes, vous n'auriez point
eu de guerre civile.
La même conjuration semble s'ourdir pour les sauver,
qui s*ourdit autrefois pour sauver le roi. Je parle ici dans la
sincérité de mon cœur ; rien ne m'a jamais paru si sensible
que ce rapprochement. La monarchie n'est point un roi, elle
est le crime ; la république n'est point un sénat, elle est la
vertu ; quiconque ménage le crime veut rétablir la monarchie
et immoler la liberté.
Il montre ce que l'indulgence avait coûté au commen-
cement :
Cette indulgence qui ménagea pour lors quelques cou-
pables, a depuis coûté la vie à 200 000 hommes ; cette in-
dulgence nous a mis dans la nécessité de raser des villes,
elle a exposé la patrie à une ruine totale ; et si aujourd'hui
vous vous laissiez aller à la même faiblesse, elle vous coûte-
rait un jour trente ans de guerre civile.
i- RAPPORT DE SAINT-JDST (8 VENTOSE). 27
Il signale le rétablissement de la fortune publique par
la Terreur et le péril où les nouveaux indulgents la ra-
mènent :
L'essor du gouvernement révolutionnaire qui avait établi
la dictature de la justice est tombé : on croirait que les cœurs
des coupables et des juges, effrayés de la rapidité des exem-
ples, ont transigé tout bas pour glacer la justice et lui échap-
per. On croirait que chacun, épouvanté de sa conscience et
de l'inflexibilité des lois, s'est dit à lui-même : « Nous ne
a sommes pas assez vertueux pour être si terribles : législa-
« leurs, philosophes, compatissez à ma faiblesse, je n'ose pas
« vous dire : Je suis vicieux. J'aime mieux ^ous dire : Vous
<x êtes cruels. »
Ce n'est pas avec ces maximes que vous acquerrez de la
stabilité.
Après avoir ainsi fait le procès aux indulgents, notam-
ment à Danton, mis personnellement en scène par ces
paroles : Je n'ose pas vous dire: Je suis vicieuxy il va se
tourner contre l'autre parti : mais auparavant, il faut
se gagner le bas peuple, il faut Tavoir à soi en excitant
ses convoitises par l'appât des dépouilles qu'on veut lui
livrer en proie :
Je vous ai dit qu*à la détention de l'aristocratie le sys-
tème de la République était lié.
En effet la force des choses nous conduit peut-être à des
résultats auxquels nous n'avons point pensé. L'opulence est
dans les mains d'un assez grand nombre d'ennemis. Conce-
vez-vous qu'un empire puisse exister si les rappoi'ts civils
aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouverne-
ment ? Ceux qui font des révolutions à moitié n'ont fait que
se creuser un tombeau. La Révolution nous conduit à recon-
naître ce principe que celui qui s'est montré l'ennemi de son
pays n'y peut être propriétaire. Serait-ce donc pour ménager
28 CHAP. XXV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCES.
des jouissances à ses tyrans que le peuple verse son sang sur
les frontières, et que toutes les familles portent le deuil de
leurs enfants ? Vous reconnaîtrez ce principe : que celui-là
seul a des droits dans notre patrie, qui a coopéré à l'affran-
chir. Abolissez la mendicité qui déshonore un État libre ; les
propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des con-
spirateurs sonl là pour tous les malheureux. Les malheureux
sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en
maîtres aux gouvernements qui les négligent. Ces principes
sont éversifs des gouvernements corrompus ; ils détruiraient
le vôtre si vous le laissiez corrompre \ immolez donc Tinjus-
tice et le crime, si vous ne voulez point qu'ils vous im-
molent.
C'est alors qu'il en vient aux terroristes de la Com-
mune; et dans ce qui suit ce n'est pas la Terreur qu'il at-
taque, il ne répudie point la théorie de Robespierre sur
la Terreur : car sa justice est-elle autre chose? De la
Terreur, il ne rejette que les hommes qui ne la voulaient
pas faire formaliste comme lui :
Que rien de mal ne soit pardonné ni impuni dans le gou-
vernement ; la justice est plus redoutable pour les ennemis
de la République que la terreur seule. Que de traîtres ont
échappe à la terreur qui parle, ctn^échnpperaient pas à la jus-
tice qui pèse les crimes dans sa main ! La justice condamne
les ennemis du peuple et les partisans de la tyrannie parmi
nous à un esclavage éternel ; la terreur leur en laisse espérer
la fin; car toutes les tempêtes finissent, et vous l'avez vu. La
justice condamne les fonctionnaires à la probité ; la justice
rend le peuple heureux et consolide le nouvel ordre de choses:
la terreur est une arme à deux tranchants dont les uns se
sont servis à venger le peuple et d'autres à servir la tyrannie ;
la terreur a rempli les maisons d'arrêt, mais on ne punit
point les coupables ; la terreur a passé comme un orage. N'at-
tendez de sévérité durable dans le caractère public que de la
DÉCRET DU 8 YENTOSE. S9
force des institutions. Un calme affreux suit toujours nos
iempéles, et nous sommes aussi toujours plus indulgents après
qu*avant la terreur.
Puis se tournant encore, pour terminer, contre les
indulgents :
Jusqu'à quand serons-nous dupes de nos ennemis inté-
rieurs par l'indulgence déplacée, et des ennemis du dehors
dont nous favorisons les projets par notre faiblesse ?
Épargnez l'aristocratie, et vous préparez cinquante ans
de troubles. Osez ! ce mot renferme toute la politique de notre
révolution. L'étranger veut régner chez nous par la discorde :
étouiïons-la en séquestrant nos ennemis et leurs partisans ;
rendons guerre pour guerre ; nos ennemis ne peuvent plus
nous résister longtemps.
Ce rapport aboutissait au décret suivant, que la Con-
vention vola d'enthousiasme :
Art. 1. Le Comité de sûreté générale est investi du pou-
voir de mettre en liberté les patriotes détenus. Toute per-
sonne qui réclamera sa liberté rendra compte de sa conduite
depuis le 1" mai 1789.
Art. 2. Les propriétés des patriotes seront inviolables et
sacrées. Les biens des personnes reconnues ennemies de la ré-
Tolution seront séquestrés au profit de la République ; elles se-
ront détenues jusqu'à la paix, et bannies ensuite à perpétuité'.
C'était l'appât ofTert aux passions et aux appétits
populaires, les conclusions publiques du rapport; mais
il y en avait d'autres. Le rapport tout entier tendait à la
proscription des deux partis dont le Comité de salut
public voulait se défaire. On y procéda sans retard, à
commencer par les hommes de la Commune.
1. Moniteur du 9.
30 CHAP. XIV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCES.
III
Attaques plus directes contre les enragés. Nouveau rapport de Saiot-Just,
suivi du décret du 23 ventAse.
Les indulgents, si expressément menacés dans le rap-
port de Saint-Just, faisaient alors le jeu de Robespierre
en attaquant les violents. Philippeaux avait pris Hébert
à partie, de la facjon la plus périlleuse pour le déma-
gogue, en démasquant le rafûné de luxe et de plaisir
qui se cachait sous les dehors grossiers du Père Duchesne :
Le muscadin Ilébcrt, qui a su se travestir d'une manière si
originalement grotesque dans sa feuille du Père Duchesne^
est un de ceux qui puisent à discrétion dans le trésor national
sous les bienveillants auspices du monarque Bouchotte. Dans
le seul mois de septembre, il en a reçu 60000 livres pour
faire son éloge et celui de ses commis. Il est naturel que
M. Uébert gagne son argent, mais le peuple ne sera pas dupe
longtemps de ce jongleur hypocrite.
... Les voiles horribles se déchireront, et M. Uébert ira à
la guillotine ^
Et Camille Desmoulins, dans le n"* V du Vieux Cor-
délier (5 nivôse, 25 décembre), avait porté au déma-
gogue de la Commune, « le plus insensé des patriotes,
s'il n'est pas le plus rusé des aristocrates », un coup si
rude, qullébert, ne se sentant plus suflisamment défendu
contre une semblable attaque par sa feuille ordurière,
avait dû prendre, pour la riposte, le ton et le langage des
honnêtes gens*. Mais Robespierre avait, par sa police,
d'autres moyens de préparer la ruine du Père Duchesne.
1. Philippeaux..,. à tes collègues ^ à set concitoyens, p. 35, note •
2. Voyes l'appendice n" H i la fin du volume.
HÉBERT ACCAPAREUR. LES CORDELIERS. 31
Des rumeurs, habilement répandues dans le peuple,
rumeurs terribles en ce temps de disette, se fondant sur
ce qu'on savait des fins soupers d*Hébert quand il avait
quitté ce qu'il appelait ses fourneaux^ montraient en
lui un accapareur. Cette famine qu'il exploitait dans
sa feuille pour exciter les mouvements populaires, c'était
lui qui en devenait un des auteurs principaux, a On
faisait courir le bruit qu'un commissaire de police avait
trouvé chez lui près de cent livres de petit-salé, et que
malgré ses réclamations il l'avait fait distribuer devant
sa porte à raison de quinze sous la livre \ » 11 était donc
lui-même un de ces maudits qui affamaient le peuple !
Hébert dut comprendre, à plus d'un signe, les périls
que ces fausses nouvelles, s'accrédilantdans le peuple, lui
préparaient, et la nécessite de les prévenir en prenant
l'offensive. Il couvrit les murs de Paris d'un placard
par lequel il répondait au reproche qu'on lui faisait
d'être un accapareur; et ses émissaires le commentaient
dans le public :
Des hommes qui paraissaient être familiers avec le langage
du Père Duchesne (dit Tobsei^vateur de police qui a consigné
ce dernier fait dans son rapport) disaient énergiquement qu'il
était malheureux qu'il n'eut voulu être ministre,... mais que
tous les ministres, excepté celui de la guerre, étaient des
Philippotins qu'il fallait faire jouer à la main chaude (guil-
lotiner)'.
Cependant les Cordeliers avaient commencé à prendre
l'offensive. Le lendemain du rapport de Saint-Just, le
9 ventôse (27 février 1794), ils avaient reçu commu-
nication du procès-verbal d'une séance tenue par la
1. Rapport de police, voy. Dauban, Paris en 1794, p. 181.
2. Schmidt, U U, p. 144*
SS CHAP. XX¥. — PRÉLIMINAIRES DES QKÈMS PROCÈS.
Société populaire des défenseurs des droits de Vhomme
et du citoyen^ séant dans le temple de la Raison, section
de la Maison commune; séance dans laquelle la Société,
considérant « que Fabre d'Églantine, Philippeaux,
Bourdon de TOise, Camille Desmoulins (vieux cordelier,
selon lui^ mais selon nous, jeune modéré, disait le rap-
port), ont, par leurs abominables écrits et leurs actions
criminelles, entrepris et prétendent faire exécuter le
plan de conjuration que la société jacobine-girondine a
imaginé, » etc., les déclarait « traîtres et indignes de
siéger dans le sein de la représentation nationale » ; et la
Société des Cordeliers, adhérant à cette résolution,
décidait à l'unanimité, avec des considérants menaçants
pour tous les mandataires infidèles, qu'elle serait im-
primée et affichée à ses frais *. Ce n'était là que le parti
de Danton, moins son chef, et il était évident qu'on
ne voulait pas s'arrêter à Danton. Le 12 ventôse (2 mars),
un patriote, nommé Marchand, ayant été incarcéré pour
la liberté, disait-on, avec laquelle il s'était exprimé à
la tribune du club des Cordeliers, on décidait qu'une
députation serait envoyée pour le réclamer au Comité
de sûreté générale; et le 14, la démarche n'ayant point
abouti, (c que le tableau des Droits de l'homme serait
couvert d'un crêpe noir et resterait voilé jusqu'à ce que
le peuple eût recouvré ses droits sacrés, par l'anéantis-
sement de la faction* ».
Pour arriver à cette fin, on avait parlé de la création
d'un journal faisant suite à celui de Marat, et reprenant
avec le môme titre, VAmi du peuple^ le même esprit.
Mais n'avait-on pas le Père Duchesne? Et qu'était-ce que
1. Moniteur du 17 ventôse (7 mars 1704).
2. Ibid.
CiRRIER AUX œRDELIERS, 14 VENTOSE. 35
la polémique d'un journal, si l'action ne suivait? La
politique d'action trouva un interprète à la hauteur du
but à atteindre. Carrier, qui était revenu de Nantes et
qui avait reparu à la Convention sans inspirer l'horreur,
ne doutait pas que tout ne dût se mettre à l'unisson de
son abominable dictature. Il trouvait que la Révolution
rétrogradait, qu'on était devenu bien tiède. On avait
parlé de clémence !
« Les monstres, s'écriait-il I ils voudraient briser les
échafaudsl Mais, citoyens, ne l'oublions jamais, ceux-là
ne veulent pas de guillotine qui sentent qu'ils sont
dignes de la guillotine. >
Il ne combattait pas l'idée d'un nouveau journal,
mais il voulait autre chose :
« Cordeliers, vous voulez faire un journal maratiste,
j'applaudis à votre idée et à votre entreprise ; mais celte
digue contre les efforts de ceux qui veulent tuer la
République, est de bien faible résistance; l'insurrection,
une sainte insurrection, voilà ce que vous devez opposer
aux scélérats ! >
Hébert, bien moins soucieux encore que l'on fît con-
currence au Père Diichesne et qu'on le déclarât insuf-
ûsant, ramena l'attention sur la faction qu'il s'agis-
sait de combattre. On avait visé les comités quand on
avait voilé les Droits de l'homme, comme en deuil de la
liberté violée; il ne craignit pas de faire une allusion
plus directe à Robespierre, quand il disait :
« Cette faction est celle qui veut sauver les complices
deBrissot, les soixante et un royalistes qui ont commis
les mêmes crimes », — les soixante et un, restant des
soixante-quatorze chassés de l'Assemblée pour avoir
prolesté secrètement contre la proscription des Giron-
TRIB. REVOL. UI. 5
34 CHAP. IXV. — mËUNlNAIRES DES GRANDS PROCfiS.
dins, et que Robespierre, on s'en souvient, avait em-
pêche de comprendre dans le même décret d'accusation S
— « Pourquoi veut-on les soustraire au supplice? conti-
nuait-il. C'est que les intrigants se sentent dans le cas
de la même punition; c'est que d'autres intrigants veu-
lent rallier autour d'eux ces royalistes, aGn de régner
sur eux-mêmes et d'avoir autant de créatures. »
Et après une sortie contre les fripons et les voleurs (il
osait en parler 1) :
c Les voleurs, ajoutait-il, ne sont pas les plus à
craindre ; mais les ambitieux, les ambitieux ! Ces hom-
mes qui mettent tous les autres en avant, qui se tiennent
derrière la toile ; qui, plus ils ont de pouvoir, moins ils
sont rassasiables ; qui veulent régner, mais les Gorde-
liers ne le souffriront pas [Plusieurs voix : Non, non,
non !); ces hommes, qui ont fermé la bouche aux pa-
triotes dans les sociétés populaires, je vous les nom-
merai ; depuis deux mois, je me retiens, je me suis
imposé la loi d'être circonspect ; mais mon cœur ne peut
plus y tenir. En vain voudraient-ils attenter à ma
liberté ! Je sais ce qu'ils ont tramé, mais je trouverai
des défenseurs. [Toutes les voix : Oui, oui!) >
Et les défenseurs se produisirent aussitôt :
Boulanger. « Père Ducbesne, parle et ne crains rien;
nous serons, nous, les Père Duchesne qui frapperont.
Momoro. « Je le ferai le reproche que tu t'es fait à
toi-même, Ilëbert. C'est que depuis deux mois tu crains
de dire la vérité. Parle, nous le soutiendrons. »
Et Vincent, insistant sur le même reproche provoca-
teur : a J'aurais cru que le Père Duchesne était mortl >
1. Voy. 1. 1, p. 370.
HÉBERT AUX CQBDEUERS, 14 VENTOSE. 35
c Frères et amis, reprit Hébert, soutenu par ces mani-
festations énergiques, vous me reprochez avec raison la
prudence que j'ai été forcé d'employer depuis trois
mois. Mais avez-vous remarqué quel système d'oppres-
sion on avait dirigé contre moi? Vous vous rappelez
comme, dans une société très connue, je me vis trois ou
quatre fois refuser la parole et comme on étouffa ma
voix. Et pour vous montrer que ce Camille Desmoulins
n'est pas seulement un être vendu ,à Pitt et à Cobourg,
mais encore un instrument dans la main de ceux qui
veulent le mouvoir uniquement pour s'en servir, rap-
pelez-vous qu'il fut chassé, rayé par les patriotes, et
qa*un homme, égaré sans doute, — autrement je ne
saurais comment le qualifier, — se trouva là fort à pro-
pos pour le faire réintégrer, malgré la volonté du peuple
qui s'était exprimée sur ce traître. »
Puis, après une défense du ministre de la guerre, à
qui on reprochait d'acheter par milliers les numéros de
son journal, affaire non pas d'argent pour lui, — < moi
qui me soucie, disait-il, de l'argent comme de rien! » —
mais de pure propagande des bons principes; après une
sortie contre les ministres et contre celui qu'on voulait
sobslituer au patriote Bouchotte, revenant au fond de son
aocasation :
c J'aurais à tous ces faits beaucoup d'autres à ajouter ;
mais quand soixante et un coupables et leurs compa-
gnons sont impunis et ne tombent pas sous le glaive,
douteriez- vous encore qu'il existe une faction qui veut
anéantir les droits du peuple? Non, sans doute. Eh bieni
puisqu'elle existe, puisque nous le voyons, quels sont
les moyens de nous en délivrer? L'insurrection. Oui,
riûsurrection, et les Gordeliers ne seront point les der«
39 CHAP. XXV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCÈS.
uiers à donner le signal qui doit frapper à mort les
oppresseurs. » {Vifs applaudissements^)
C'était une déclaration de guerre; on s'en émut aux
Jacobins (16 ventôse, 6 mars). Carrier et Momoro, qui
s'y trouvaient, durent protester qu'on avait mal entendu
l'appel à l'insurrection. Collot d'IIerbois qui tenait aux
deux sociétés, plus cordelier que jacobin d'ailleurs, dé-
termina les Jacobins à faire une démarche de concilia-
tion auprès des Cordeliers, et se lit auprès d'eux, le
lendemain, l'orateur de la députation. Les Cordeliers
commençaient-ils à voir qu'une tentative d'insurrection
ne serait pas soutenue? Une démarche faite auprès de la
Commune le jour même, pour l'engager à voiler aussi
les Droits de l'homme, avait montré qu'on ne l'entraî-
nerait pas dans pareille aventure*.
Les Cordeliers applaudirent Collot-d'Herbois et pro-
testèrent qu'ils ne voulaient pas rompre avec les Jaco-
bins. Hébert lui-même dit qu'on avait été trompé dans
Paris par des récits infidèles sur la séance du 14. Il
expliqua à son tour ce que lui et ses amis avaient
entendu par insurrection : c C'était une union plus
intime avec les vrais Montagnards de la Convention, avec
les Jacobins et tous les bons patriotes, pour obtenir
justice contre les traîtres et les persécuteurs impunis. »
— Et le voile qui recouvrait les Droits de l'homme fut
déchiré et remis aux Jacobins, en signe de fraternité et
de concorde'*. Mais contre qui voulait-il sceller cette
union? Contre les traîtres et les persécuteurs impunis,
sans doute; et qui étaient ces persécuteurs impunis,
1. séance du 14 ventôse. Moniteur du 17 (7 mars 1794).
2. Moniteur du 19 ventôse (9 mars 1794).
3. Sûancedc« Cordeliers du 17 ventôse, Moniteur du 21 ventôse (11 mai*8 1794).
RAPPROCHEMENT DES CORDELIERS ET DES JACOBINS. 37
sinon ceux qui étaient au pouvoir? L'attilude des Cor-
deliersy malgré toutes ces protestations, restait donc
menaçante.
Le 19, tandis qu'Hébert s'élevait contre ceux qui
attribuaient aux Cordelïers la pensée de dissoudre la
représentation nationale, de faire schisme avec les Jaco-
bins, de renvei'ser le gouvernement existant, V enragé
Vincent, se plaignant toujours que Ton eût épargné le
plus grand nombre des Brissolins, dénonçait encore la
faction sur laquelle on s'entendait bien, sans qu'il eût
besoin d'en dire davantage ^ Quant aux Jacobins, on ne
songeait qu'à se relier plus étroitement à eux. Une
députation des Cordeliers vint à son tour dans leur
réunion, le 22 ventôse (12 mars), renouvelant les assu-
rances de la fraternité la plus intime ; et le président
des Jacobins, témoignant de leur joie pour cet accord en
vue du salut de la chose publique, donna Taccolade
fraternelle à l'orateur, et fit aux députés les honneurs
de la séance*.
Les Cordeliers allaient-ils arriver à leurs fins par
cette voie? Robespierre ne leur en laissa pas le temps.
Le 16, Barère avait fait un rapport sur la conjuration
de l'étranger. 11 en avait découvert quatre foyers : au
Havre, à Lille, à Maubeuge, à Landrecies; il en signalait
un autre plus dangereux dans Paris même, à propos
des affiches et des pamphlets répandus dans les halles,
qui imputaient au gouvernement la famine : manœuvres
contre lesquelles Taccusateur public du tribunal révo-
lutionnaire fut chargé d'informer sans délai. Ce n'était
qu'un prélude.
1. Moniteur du 22 yenlftse (12 mars 1794).
2. Moniteur du %1 yentôse (17 mars 1794).
58 CHAP. XXV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS fHOCÈS.
Le lendemain de la visite des Cordeliers aux Jacobins,
Saint-Just vint lire à la Convention un nouveau rapport:
Des conjurations œntre le peuple français et la liberté.
Ce rapport, dans ses longs replis, enserrait plus étroi-
tement ceux que menaçait déjà le rapport du 8 : les
corrompus et les violents, dénoncés comme vendus à
l'étranger pour ruiner la Révolution par le mépris, et
le peuple par la famine; les fanatiques du vice, et les
Marats contre-révolutionnaires; la faction des indulgents
qui veulent sauver des criminels, et la faction de Tétran-
ger qui se montre sévère, parce qu'elle ne peut faire
autrement sans se démasquer, mais qui tourne sa sévé-
rité contre les défenseurs du peuple.
...Où donc, s'écriait-il, est la roche Tarpéienne ? Et n'avez-
vous pas le courage d'en précipiter Taristocrate, de quelque
masque qu'il couvre son front d'airain?
... Il est tel homme qui, comme Érostrate le fit à Delphes
(lisez Éphèse), brûlerait plutôt le temple de la liberté que de
ne point faire parler de lui ; de là, ces orages soudain for-
més. L'un est le meilleur et le plus utile des patriotes : il
prétend que la révolution est finie, qu'il faut donner une am-
nistie à tous les scélérats ; une proposition si officieuse est
accueillie par tous les intéressés, et voilà un héros. L'autre
prétend que la révolution n'est point à sa hauteur. Chaque
folie a ses tréteaux. L'un porte le gouvernement à l'inertie,
l'autre veut le porter à l'extravagance, et le dessein de tous
les deux est de devenir chef d'opinion et d'arriver à la renom-
mée suprême.
Mais l'un et l'autre sont des agents de l'étranger:
C'est l'étranger qui attire ces factions, qui les fait se dé-
chirer par un jeu de sa politique et pour tromper l'œil obser-
vateur de la justice populaire.
s* RAPPORT DE SÂINT-JUST. 33 YEM'OSE. 59
Et après avoir développé ce thème jusqu'à satiété,
sortant de ces considérations banales, il annonçait les
conclusions pratiques qu'elles allaient recevoir :
U vous sera fait dans quelques jours un rapport sur les
personnes qui ont conjuré contre la patrie. L'intérêt du
peuple ne permet pas qu'on vous en dise davantage et ne
permettait pas qu'on vous en dit moins, parce que la loi que
je vais vous proposer est instante et motivée.
Et il proposait en effet un projet de décret qui don-
nait le moyen de livrer, indistinctement, au tribunal
révolutionnaire tous ceux dont le comité voulait se
débarrasser dans Tun comme dans l'autre parti :
Le tribunal révolutionnaire continuera d'informer contre
les auteurs et complices de la conjuration ourdie contre le
peuple français et sa liberté ; il fera promptement arrêter les
détenus et les mettra en juge ntnt.
Sont déclarés traîtres à la patrie et seront punis comme
tels, ceux qui seront convaincus d'avoir, de quelque manière
que ce soit, favorisé dans la République le p) m de corruption
des citoyens, de la subversion des pouvoirs et de l'esprit pu-
blic, d'avoir excité des inquiétudes à dessein d'empêcher l'ar-
rivage des denrées à Paris ; d'avoir donné asile aux émigrés ;
ceux qui auront tenté d'ouvrir les prisons ; ceux qui auront
introduit des armes dans Paris, dans le dessein d'assassiner
le peuple et la liberté ; ceux qui auront tenté d'ébranler ou
d'altérer la forme du gouvernement républicain.
La Convention nationale étant investie par le peuple fran-
çais de l'autorilé nationale, quiconque usurpe son pouvoir,
quiconque attente à sa sûreté ou à sa dignité, directement ou
indirectement, est ennemi du peuple "et sera puni de mort.
La résistance au gouvernement républicain dont la Con-
vention nationale est le centre, est un attentat contre la liberté
publique : quiconque s'en sera rendu coupable, quiconque
4a CHAP. XXV. — PRÉLIMINAIRES DES GRANDS PROCÈS.
tentera, par quelque acte que ce soit, de Tavilir, de le détruire
ou de Fentraver, sera puni de mort
Les autorités constituées ne peuvent déléguer leurs pou-
voirs
Il sera nommé six commissions populaires pour juger
promptement les ennemis de la révolution défenus dans les
prisons
Les prévenus de conspiration contre la république qui se
seront soustraits à Texamcn de la justice sont mis hors de la
loi..
Tout citoyen est tenu de découvrir les conspirateurs et les
individus mis hors la loi, lorsqu'il a connaissance du lieu où
ils se trouvent.
Quiconque les recèlera chez lui ou ailleurs sera regardé et
puni comme leur complice^
Saint-Just annonçait pour le lendemain un rapport
sur les conspirateurs à poursuivre; mais on était résolu
à ne pas attendre jusque-là pour les saisir. On commença
par ceux qu'on avait le plus à craindre, les violents.
Dans la même nuit, Hébert, Momoro, Ronsin, Vin-
cent, etc., étaient arrêtés. Carrier ne Tétait pas! On
craignait de soulever tous les représentants en mission
et leurs amis; et Saint-Just, d'ailleurs, n'avait-il pas
été du nombre des représentants en mission?
1. Séance du 25 ventôse. Moniteur du 24 (14 mars 179i).
CHAPITRE XXVI
PROCÈS d'hÉDERT (le PÈRE DVCHESNE) ET DES VI0L!:NT3
I
Dispositions des esprits è l'égard d'Hébert et consorts.
L'arrestation d'Hébert et des chefs du parti violent
élait un véritable coup d'État.
On a vu que des bruits habilement semés dans la
foule en avaient préparé le succès, succès plus facile
qu^on ne l'eût alors supposé : il faut bien le dire, les
coups de force frappent la multitude, Télonnent d'abord,
mais bientôt Tentrainent. Les bruits faisaient mainte-
nant leur chemin tout seuls et grossissaient en se répan-
dant. On parlait d'une grande conjuration découverte.
Hébert et les autres avaient-ils conspiré? Peut-être, et
même très probablement, on le peut dire : car ils ne
faisaient guère autre chose. Ils ne parlaient, on Ta vu,
que d'insurrection, et qu'y avait-il au bout? Quelque
dictature assurément, peut-être ce que soupçonnait Vi-
lale, un des séides de Robespierre : « On vit paraître
ridée de la conspiration des hébertistes, dont le système
effroyable était l'institution du régime municipal de la
Commune de Paris, à l'exemple de Rome, sur toute la
France', — une première ébauche de la Commune. —
Mais il fallait donner un caractère particulièrement
1. Coûtes ucrèies du 9 Thermidor , p. 23.
42 CHÀP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
odieux à cette conspiration. On disait donc qu'ils con-
spiraient pour aflamer le peuple, et qu'ils conspiraient
avecPilt et Cobourg. Or, le peuple, depuis que la Terreur,
les violences et le pillage aux barrières (le maximum
aidant) faisaient fuir les paysans des marchés, souf-
frait de la famine, et la faim est aveugle. Elle est cré-
dule et, dans ces dispositions, la multitude était toute
prête à croire que son Père Duchesne était un infâme
accapareur, acheté par l'or de l'étranger.
Rien n'est plus curieux et plus instructif à la fois
que ce revirement soudain des esprits. Les rapports de
police, en recueillant les paroles échangées dans les
groupes, nous donnent comme les préliminaires de
l'acte d'accusation que Fouquier-Tinville est en train
de rédiger contre les prévenus :
24 venlôse. L'arrestation d'Hébert, Ronsin, Vincent, Mo-
moro, a été le sujet des conversations de tous les groupes et
de tous les cafés. Partout cette mesure a été approuvée; mais,
comme leur conspiration n'était pas encore connue» on ne les
honorait que du titre d'intrigants.
La guillotine semblait un supplice trop doux pour
eux:
26 ventôse. Dans un groupe, sur la place de la Révolution,
plusieurs citoyens des deux sexes disaient hautement que la
Convention devrait décréter un supplice particulier pour des
crimes de ce genre. «Cela serait contraire à la Constitution,
a répliqué un citoyen; la Constitution n'admet qu'un genre
de supplice. — Cela est vrai, a répondu un sans-culotte; mais les
dangers de la patrie ne nous permettent pas de jouir encore
de tous les avantages de la Constitution. La Convention a été
forcée de décréter un gouvernement révolutionnaire ; qu'elle
décrète aussi des supplices révolutionnaires pour tous les
DISPOSITIONS DU PUBUG Â LEl]K ÉGARD. 43
scélérats qui yeulent égorger le peuple. » On a applaudi à
œ propos, et on a témoigné surtout la plus vive impatience
de Yoir terminer le grand procès ^
Rien que leur arrestation semblait déjà changer la
face des choses :
« Cétaity disait-on, le coquin d*Hébert et sa clique qui
avaient cherché à nous faire mourir de faim ; il y a tout à espérer
que la chute de cette faction infernale va faire renaître la
tranquillité et Fabondance*. d
Et encore dans un rapport du 29 :
On dit que Paris va être sous peu de jours abondamment
pourvu de toutes sortes de denrées. — oc Voyez-vous, disait une
femme dans un groupe où on tenait ce propos, depuis que
ces coquins-là sont arrêtés, l'abondance renaît. »
Le peuple n*avait donc plus qu'une pensée, qu'un
désir : c'est que l'on en finît au plus vite avec eux. C'est
un sentiment qui osait se produire môme aux Corde-
liers. Dans un rapport sur leur séance du 27, l'obser-
vateur de police dit :
L'esprit de la société et des tribunes paraît être entièrement
changé; des membres qui n'osaient plus parler depuis un
mois ont repris courage. On se fait une fête de voir conduire
à l'échafaud les mêmes hommes que Ton idolâtrait il y a sept
ou huit jours.
Et il ajoute :
Ce n'est pas seulement à la tribune des Cordelicrs que se
manifestent ces sentiments. Dans toutes les rues, dans tous
les lieux publics, partout où deux ou trois personnes se
1. Scbmidt, tome II, p. 158. — Yoyei des détailf sur Tarrestation de Vincent
et de Ronsin, ibid,, p. 159.
2. IbiiL, p. 160.
AA CIIAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
rencontrent, on parle des conspirateui^, et leur mort est
volée unanimement.
S'il en était ainsi dans Paris, on peut deviner ce qu'il
en devait être au dehors :
Dans les campagnes, on n'entend que des imprécations
contre eux. « Le Père Duchesne est-il exécuté? » — c'est la
première chose que l'on demande à tous ceux qui viennent
de Paris.
Ils étaient jugés avant de comparaître au tribunal.
On se pressait aux abords du Palais de Justice; on se
disputait déjà les places autour de l'échafaud :
« La place de la Révolution est tous les jours couverte
d'une foule prodigieuse de citoyens qui y affluent dans l'es-
péraucc de voir le Père Duchesne ^
On avait arrêté Hébert, Vincent, Ronsin, Momoro, etc.
Ce n'était point assez : on suspectait (et non sans raison)
Hanriot, leur ami, commandant de la force armée, et
Pache, lui-même, le maire de Paris :
(Le 26.) Le citoyen Henriot, commandant général, se pro-
menait dans Paris d'un air rêveur et pensif. « Oh! il sait bien
l'affaire, lui, disait un citoyen dans un groupe au Palais de
Justice ; oui, il la sait bien : car on Ta vu très souvent diner
à Passy chez le banquier hollandais, on l'y a vu même sou-
vent de nuit*. »
Le bruit commun dans Paris est que les citoyens Pache et
Ilenriot sont pour quelque chose dans la conspiration".
1. Rapports du 27 et du 28 ventôse; Schmidt, t. II, p. 162 et 168, Cf. rap-
port du 1»' germinal, iOid., p. 174.
2. Rapport sur la situation du 26, p. 160; de même dans les rapports sur
le 27, p. 165, et sur le 8 germinal, p. 198.
3. Rapport sur ie30 Tcntôse, ibid., p. 174. Cf. Saladin, Rapport au nom de la
Commûiion de* XXI, pièces 15 et 16 et diverses pièces relatives a Pache, aux
Archives nat., F. 7, 4438.
OUVERTURE DES DÉBATS. 45
Rossignol, Santerre, autres généraux de la sortedeRon-
sin, étaient Tobjet de rumeurs diverses dans les groupes * .
Chaumette eut son tour :
On répand dans les marches le bruit que Chaumette est
arrêté ; on le soupçonne violemment d*étre du complot '.
Et le bruit se réalisa pour Chaumetie, pour Oobel :
€ Ce fui, à celte nouvelle, une grande joie, » dit l'obser-
vateur de police; on comptait voir toutes ces puis-
sances y passer Tune après l'autre. On parlait de Bou-
chotte, le ministre de la guerre. Robespierre lui-même,
qui faisait arrêter les autres, le bruit courut dans le
faubourg Saint-Antoine qu^il était arrêté'.
Enfîn, le jour de Touverlure des débats est fixé :
On a appris avec transport que primidi prochain les con-
spirateurs paraîtront devant] le tribunal redoutable qui doit
prononcer sur leur sort. Quelques voix s'élèvent encore en leur
faveur et disent qu'il faut encore attendre la décision du jury.
« Les Comités de salut public et de sûreté générale, disait
un sans culotte, voilà mon jury. Il ne m'a jamais trompé \ o
II
OuYerture des débals.
Les débats s'ouvrirent, en effet, le 1" germinal. Vingt
prévenus prirent place sur les bancs des accusés :
1. Charles-Philippe Ronsin (quarante-deux ans), général de
Tarmée révolutionnaire ;
1. Rapport sur le 1*' et sur le 5 germinal, Schmidt, t. II, p. 175 et 185.
2. Rapport sur le 27 Tcntôse, ibid.^ p. 165.
5. Rapport sur le 28, ibid.t p. 168.
4. Situation dp Paris du 29 yent^, Schmidt, ibid,^ p. 170.
46 CHAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
2. Jacques-René Hébert (trente-cinq ans), substitut de
Tagent national près la commune de Paris ;
3. François-Nicolas Vincent (vingt-sept ans), secrétaire
général du département de la guerre;
4. Antoine-François Momoro (trente-huit ans), imprimeur-
libraire, administrateur du département de Paris :
5. Frédéric-Pierre Dugroquet (trente et un ans), ci-devant
perruquier-coiffeur et commissaire aux accaparements ;
6. Jean-Conrad Kock (trente-huit ans), né à Heusden, en
Hollande, banquier ;
7. Michel Laumur (soixante-trois ans), ci-devant colonel
d'infanterie, gouverneur de Pondichéry, et enGn général de
brigade.
8. Jean-Charles Bourgeois (vingt-six ans), employé dans
les bureaux de la guerre, commandant la force armée de sa
section.
9. Jean-Baptiste Mazuel (vingt-huit ans), ancien cordon-
nier, chef d'escadron de l'armée révolutionnaire;
10. Jean-Baptiste Laboureau (quarante et un ans), médecin
et premier commis au conseil de santé (un rapport de lui,
trouvé dans les papiers de Robespierre, fait croire qu'il a
joué le rôle d'espion dans cette affaire) ;
11. Jean-Baptiste Ancard (cinquante-deux ans), employé au
département, au bureau des recherches des émigrés ;
12. Amand-Hubert Leclerc, ci -devant chef de division au
bureau de la guerre ;
13. Jacob Peretra (cinquante et un ans), manufacturier
de tabac;
14. Marie-Anne Latreille, femme Qiétineau (trente-quatre
ans);
15. Anacharsis Clootz (trente-huit ans), né à Clèves, ci*
devant député à la Convention nationale, homme de lettres;.
16. François Desfieux (trente-neuf ans), marchand de vins
de Bordeaux;
17. Antoine Descoubes (vingt-neuf ans), ancien garçon
épicier, secrétaire gi*eC6er de la section des Droits de Thommei
ACTE D'ACCUSATION. 47
18. Jean-Antoine-Florent Armand (vingt-six ans), élève en
chirurgie ;
19. Pierre-Ulrich Dubuisson (quarante-huit ans), homme
de lettres;
20. Pierre- Jean-Berthold Prolt (quarante-deux ans), né à
Bruxelles, ci-devant négociant, actuellement sans état.
* L'acte d'accusation disait :
Qu'examen fait tant des interrogatoires subis par les pré-
Tenus que des pièces et charges S il en résulte que jamais il
n*a existé contre la souveraineté du peuple français et sa li-
berté de conjuration plus atroce dans son objet, plus vaste,
plus immense dans ses rapports et ses détails.
En effet, celte exécrable conspiration, dirigée par des
individus qui avaient trompé la nation entière par les
dehors les plus spécieux du patriotisme, avait pour objet
principal d'anéantir à jamais la souveraineté du peuple,
la liberté française, et de rétablir le despotisme et la
tyrannie, en usant de tous les moyens pour priver ce
même peuple des subsistances et en projetant de mas-
sacrer et faire massacrer les représentants du peuple,
les plus énergiques et les plus zélés défenseurs de la
liberté.
Le tyran nouveau allait prendre le titre de grand
juge. La représentation nationale devait être anéantie.
Le gouvernement anglais et les puissances coalisées
étaient les chefs de la conjuration, et ils avaient pour
instruments les Ronsin, les Hébert, les Momoro, les
Vincent; des corrupteurs par état et des banquiers
étrangers : Kock, Proly, etc. Les rôles étaient partagés.
Ronsin et Mazuel, son lieutenant, visitaient les pri-
i. Le dottier (ArchiTe$, W 339, dossier 617) ne contient aucun interrogatoire
des préTenas.
48 CUAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
sons el dressaient la liste des détenus qui les pouvaient
seconder; Hébert et Vincent dénonçaient les patriotes :
On Toit CCS mêmes conjurés et leurs complices, Momoro,
Ducroquet, Laboureau, Ancard et Bourgeois, proposer de
porter une main parricide sur ce qu'il y a de plus sacré, sur
les Droits de l'homme, de les couvrir d'un voile funèbre. On
les voit enGn dans tous les lieux publics et particuliers avilir
la Convention nationale en calomniant les patriotes les plus
énergiques, oser même les qualiGer d'hommes usés...; ca-
lomnier également, et avec un acharnement criminel, les
membres des comités de salut public et de sûreté générale
et se permettre, en un mol, de demander le renouvellement
de l'Assemblée nationale.
Et, insistant sur le point qui soulevait le plus les
ressentiments populaires :
C'est à ce plan de conjuration qu'il faut attribuer les ma-
nœuvres employées par Ducroquet, ses agents et ses complices
pour empêcher, parlions les genres d'oppression, les appro-
visionnements : soit en dépouillant les vendeurs, soit en arra-
chant des mains des acheteurs, soit en laissant corrompre
une partie des denrées qu'ils avaient indûment saisies, soit
en s'appropriant les autres.
Affamer Paris, tel était pour les conjurés le premier
moyen de le dompter; et, pour le tenir, Ronsin, se cher-
chant des satellites, voulait porter l'armée révolution-
naire de 6000 à 100 000 hommes; car c il manifestait
le désir d'être un Cromwell, ne fût-ce que pour vingt-
quatre heures i>. I^es autres travaillaient à la même
fin, par l'avilissement de l'Assemblée nationale. Vincent
disait qu'il habillerait des mannequins en représentants
du peuple, qu'il les placerait dans les Tuileries et
dirait au peuple, apj)clé à ce spectacle : Voyez les beaux
ACTE D'ACCUSATIOiN. 49
représe^Uants que vous avez; tk vom prêchent la sim-
plicité^ et voilà comme ils se harnachent. Les Desfleux,
les Pereyra, les Proly, les Descombes, recouraient à des
moyens analogues pour arriver à la dissolution : dis-
corde semée entre les deux Sociétés populaires, placards
incendiaires, affiches dans les communes voisines, pam-
phlets distribués dans les halles et marchés, provo-
quant le peuple au retour de la tyrannie :
Us demandaient Touverture des prisons pour renforcer le
nombre de leurs complices et arriver plus promptement et
plus sûrement au massacre des représentants du peuple. A
celte fin, de fausses patrouilles devaient égorger les citoyens
de garde aux maisons d'arrêt; le Trésor public et la maison
de la Monnaie devaient devenir la première proie des con-
jurés et de leurs complices.
L'accusation faisait encore remarquer, — [et l'on voit à
qui s'adressait la remarque :
c Que le moment où cette conspiration a éclaté est celui où
la Convention avait rendu un décret sévère contre les conspi
râleurs et assurait leurs biens aux malheureux ; c'est ainsi
que ces conspirateurs, dont les forfaits devaient surpasser
ceux mêmes des despotes coalisés contre le peuple français,
se proposaient de rétablir la tyrannie et d'anéantir, s'il était
jamais possible, la liberté, qu'ils n'avaient paru défendre que
pour l'assassiner plus sûrement. »
Suivaient les conclusions.
Rien de plus atroce qu'un pareil complot, sans doute;
mais rien de plus vide que les preuves au moyen des-
quelles on prétendait l'établir, et les débats n'y ajoutè-
rentricnde décisif ^ Des conciliabules, des conversations,
1. Le Bulletin du tribunal révolutionnaire ^ bien qu*il commence avec ce
prooèt une nouTelle série (qualiièiue partie) et y consacre sept numéros, est
TRII. RÉTOL. lU A
50 CHAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
des écrits où Ton parlait mal des hommes au pouvoir,
c'était plus qu'il n'en fallait, sans doute, pour envoyer
chaque jour des aristocrates à Téchafaud. Mais des pa-
triotes! On reprochait bien à Vincent, le secrétaire
général de Bouchotte, d'avoir reçu un pot-de-vin de
40 000 livres, pour laisser passer de mauvaises fourni-
tures à la guerre, même d'avoir volé des couverts d'ar-
gent et fait jeter en prison celui qui l'en avait accusé',
et à Hébert d'avoir mis au Mont-de-Piété des chemises,
des cols (il l'avouait) et des matelas qu'on lui avait
prêtés aux jours de sa détresse*. Mais ce n'est pas pour
cela qu'ils étaient en jugement; c'est pour faits poli-
tiques et pour délits contre-révolutionnaires, eux qui ne
songeaient qu'à pousser plus loin la Révolution !
On imputait à Ronsin et à Vincent d'avoir dit qu'il y
avait des factions dans l'Assemblée'. Mais qui ne le disait
pas? Vincent répondait qu'il avait nommé Philippeaux
et Fabre d'Églantine. Ronsin voulait qu'on se ralliât
pour faire guillotiner Fabre d'Églantine et Philippeaux :
or, c'est précisément ce que Robespierre allait faire quel-
ques jours plus tard.
Ronsin avait dit encore qu'il faudrait recourir à l'in-
surrection^ ; mais on ne parlait jamais que d'insur*
rection comme remède à tous les maux dans les clubs;
c'était Vultima ratioj consacrée par un article de cette
fort incomplet. Une publication spéciale, sortie de rimprimerie du Tribanal,
répare ces lacunes (Procès cT Hébert, 1 vol. in-8, Bibl. Nat. Lb*S 1032). On y
marque le partage des séances et on y donne les témoins dans leur suite. On a
en outre aux Archives un résumé des dépositions des témoins, F 7, 4438,
cote 145.
1. Claude Fiquet, vingt-troisième témoin; Cliarles Lavau, imprimeur, cin-
quième témoin; Bulletin^ p. 24.
2i Victoire Quingret, femme Dubois, dixième témoin, Procès, p. 83.
3. Legendre, premier témoin, ibid., p. 33.
4é Brochet, juré, dix-huitième témoin, ibid,^ p. 92.
DÉBATS : RONSIN, VINCENT, MOMORO, ANCARD. 51
Déclaration des Droits qu'on reprochait, comme un sacri-
l^e, aux accusés d'avoir couvert d'un voile aux Corde-
liers.
Ronsin avait accusé Robespierre d'avoir donné tête
baissée dans différents complots et de régner en sou-
verain.
Vincent avait dit qu'il fallait des lois révolution-
naires; — mais on avait un gouvernement révolution-
naire. — Il est vrai qu'il le trouvait insuffisant : la loi
du 17 septembre, le tribunal devant lequel il compa-
raissait, les formes sommaires instituées pour les Giron-
dins et qu'il allait subir à son tour, rien de tout cela, à
son avis, n'était assez.
Ronsin et Vincent voulaient, selon le témoin Dufourny,
assassiner la patrie. Us ne différaient que sur le mode
et sur le temps. Vincent aurait voulu qu'on attendit que
les patriotes fussent dépouillés de tout pouvoir; qu'alors
on les prendrait l'un après l'autre, on leur demanderait
ce qu'ils avaient fait pour la Révolution ; que rien ne
serait plus aisé que d'établir leur coupabilitéj parce que
tous avaient mis la main dans le sac S Ronsin, exprimait
le vœu d'être Cromwell pour vingt-quatre heures*.
Momoro, président des Cordeliers, soutenait Vincent
dans toutes ses violences'. Ancard aurait voulu pro-
céder plus vite. Il avait annoncé que, dans trois se-
maines, il fallait qu'il y eût 80 000 têtes à bas
pour y voir clair; et, sur l'observation que ce serait
bien difficile par la voie du tribunal révolutionnaire, il
avait répondu : « Peu importe, pourvu qu'elles tom-
1. Dafourny, deuxième témoin, Bulletin, p. 30.
2. Le Doéme Dufourny et Jaubert, septième témoin ^
3. Brochet, juré, dix-huitième témoin.
52 CHAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
bent. » Il ne parlait que de sang. Il menaçait de poi-
gnarder tous ceux qui ne seraient pas pour l'insurrection,
et, par insurrection, il entendait un 2 septembre*. Il
crut s'excuser en disant que jamais il n'avait parlé de
verser le sang des patriotes, mais seulement des aristo-
crates; qu'au surplus il avait un tempérament si ardent
qu'il lui donnait la fièvre; mais, à la fin, il dit qu'il
détestait toute espèce de sang '.
Pereyra, se vantant d'avoir fait le 31 mai, regrettait
qu'on l'eût fait incomplet et comptait bien qu'on en
ferait un autre'.
Laumur, à qui on parlait de l'union à établir entre
les patriotes, avait dit: a En coupant cinq ou six têtes. »
Il répond qu'il a parlé de cinq ou six têtes comme
d'autre chose *.
Desfleux, à qui on faisait un crime d'avoir reçu de
l'argent de Lebrun, tout en disant : « // faut recevoir
Pargent des intrigants et se moquer d'eux^ » rend
compte de l'argent et avoue le propos : « Je n'y vois,
dit-il, rien de criminel*. » Il est vrai, si Ton en croit les
témoins, qu'il trouvait bien d'autres choses légitimes.
<c Un jour, dit le témoin Jacquemier, il fut question du
gouvernement républicain : le déposant soutenait que ce
gouvernement purifierait les momrs et les porterait à un
point qu'elles n'avaient jamais atteint. — Bahl lui
répondit Dcsfieux, les mœurs ne sont rien. » La suite de
la déclaration prouve qu'il n'aspirait qu'à la liberté de
1. Brochetf dix-huitième témoin ; Joséphine BcUedame, vingt-unième témoin;
Marguerite Evrard, quarante-troisième témoin.
2. Procès, p. 97-98 et 103.
3. Jacquemier, sixième témoin, et BuUetin, p. 22.
4. Verminet, douzième témoin; Gombeau, treizième témoin, et BulleUtit p. 23*
5. Bulletin, p. 18 et 19.
PEREYRA, UDMUR, DESFIEDX, CLOOTZ, DESCOMBES. 55
la brute, et que Tidéal de sa république, c'était la bes-
tialité'.
Glootz s'était chargé de s'enquérir auprès de Dufourny
si une femme, qui était allée en Angleterre dans la
pensée de contracter un mariage, devait se considérer
comme émigrée : Dufourny prétendait qu'en lui faisant
cette demande dans un diner où il l'avait invité, il avait
eu la pensée de le corrompre*. Mais Glootz éJait, de plus,
l'homme de la République universelle. Un juré, Re-
naudin, descendit dans l'arène à ce propos, et lui fit
observer « que son système de République universelle
était une perfidie profondément méditée et donnait un
prétexte à la coalition des têtes couronnées contre la
France ».
Clootz répondit :
Que la République universelle est dans le système naturel;
qu'il a pu en parler comme Tabbo de Saint-Pierre de la
paix universelle; qu'au surplus, on ne peut le suspecter d*étre
le partisan des rois et qu'il serait bien extraordinaire que
rhomme brûlablc à Rome, pendable à Londres, rouable à
Vienne, fût guillotiné à Paris ^.
On le lui fit bien voir.
Signalons encore Descombes, commissaire de la com-
mune de Paris pour les subsistances, qui, se trouvant à
Provins en même temps que le représentant Ch. Gar-
nier, avait osé traiter d'égal à égal avec lui, disant :
« Tu es un homme, et j'en suis un autre*; » et Ducro-
queJ, commissaire aux accaparements (il était bon qu'il
i Jacqaemier, sixième témoin, Procht^ p. 67.
2. Dufourny, deuxième témoin ; Bulletin^ p. 15.
3. Procèi, p. 123.
4. Garnier, huilième témoin ; — Taulrc s'excuse en disant qu'il ne savait pas
qu'U fût député.
54 CHAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
y en eût un dans un procès contre de prétendus acca-
pareurs), Ducroquet était accusé d'avoir arrêté une voi-
ture et d'en avoir tiré trente-six œufs, un lapin, un
dindon et du poisson, et de les avoir fait vendre *.
Proly était coupable d'avoir pris part aux concilia-
bules des autres. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est
qu'on allait jusqu'à reprocher à lui, à Dubuisson et à
Pereyra une démarche dont ils pouvaient revendiquer
l'accomplissement comme un service signalé. A leur
retour de Hollande, dans une entrevue avec Dumouriez,
ayant surpris les intentions du général, ils étaient venus
en toute hâte les faire connaître aux comités. On les
accusait d'avoir eu la pensée d'effrayer la Convention
en disant que Dumouriez voulait marcher sur Paris ; —
comme si Dumouriez pouvait avoir eu l'audace de mar-
cher sur Paris; comme si les patriotes n'eussent pas été
là pour lui barrer le chemin* ! Dans cette crise, Proly et
Dubuisson avaient recommandé l'union des partis et
dit qu'il fallait proscrire les dénominations de brisso-
tins et de girondins. Us étaient donc complices des
brissolins'.
Le témoin qui déposa avec le plus d'autorité et d'im-
partialité, ce fut Westermann. Son témoignage fut
même plutôt à la décharge de Laumur et de Kock.
Laumur lui avait parlé d'une conspiration, sans avoir
l'air de l'approuver. Il avait connu Kock en Belgique, et
attestait qu'il s*y était bien conduit. Kock avait voulu
lui faire faire la connaissance d'Hébert, et Westermann
i. Lohier, dix-neuvième témoin. — Ducroquet renvoie le crime aux membres
du comité révolutionnaire Je son quartier.
2. Sur Proly, Dubuisson et Pereyra : Moine, troisième témoin ; Bulietirif
p. 14 et suivantes.
3. Sambat, peintre en portrait et juré, quatrième témoin, Bulletin, p. 18.
DUCROQDET, PROLY, PEREYRA, KOCK. 55
n'ayant point paru s'en soucier, Kock lui avait donné
le secret de ses relations avec le Père Duchesne : « Il est
méchant et puissant, je le ménage. » Le témoignage de
Westermann était accablant, au contraire, contre Ron-
sin. Il parlait par ouï-dire, sans doute, de l'armée révo-
lutionnaire qu'il s'agissait de faire marcher sur Paris et
des fonctions de grand juge réservées à Pache; mais il
parlait en témoin de la guerre de Vendée. Il disait
que c'était une guerre d'intrigues; que, si elle durait
encore, c'est que les généraux n'avaient pas voulu la
flnir et que ces intrigants étaient Ronsin et Rossignol.
A cet égard, pourtant, l'accusation pouvait remonter
plus haut et toucher au sacrilège. Ne nous étonnons pas
si les accusateurs vont figurer parmi les accusés.
Le grand complot affirmé par l'accusateur public se
trouvait donc, en somme, fort mal clayé par les dépo-
sitions des témoins. Ce qui était certain, c'est que plu-
sieurs des accusés avaient échangé l'expression de leur
ressentiment dans leur vie commune en prison ; ce qui
est probable, c'est qu'ils désiraient en sortir à tout prix,
et que, s'ils en sortaient et pouvaient arriver à leur tour
au pouvoir, leurs persécuteurs ne devaient pas être fort
ménagés. Mais, avant ou depuis leur emprisonnement, y
avait-il eu complot? Complot pour affamer Paris, com-
plot pour accomplir les desseins de l'étranger? Non,
assurément. Complot pour arriver à s'emparer du pou-
voir? Je me garderai bien de le nier. A cet égard, mon-
tagnards de toute nuance, ils étaient tous en étal de
conspiration permanente ; et les membres du Comité de
salut public avaient conscience de ne pouvoir se tromper
1. WestennanDy quatorzième témoin; Bulletin^ p. 23.
56 CHAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
beaucoup en prenant la fleur des Cordcliers. Mais com-
ment trouve-t-on dans cette compagnie la veuve du
colonel Quétineau, condamné le 26 ventôse, et un élève
en chirurgie, Jean-Antoine Armand, tous deux demeu-
rant rue et maison de Bussy? L'acte d'accusation n'en
dit rien. Ce qu'on apprend par la déposition de la maî-
tresse de leur hôtel \ c'est que la femme du colonel se
plaignait du décret qui interdisait toute communication
avec les détenus accusés de conspiration, décret qui la
privait de voir son mari, alors enfermé à l'Abbaye.
Mme Quétineau protestait qu'elle n'avait eu connais-
sance d'aucun complot ayant pour objet l'évasion des
prisonniers. Mais, s'il y en avait un, elle y devait être
sans doute favorable. Or, on affirmait qu'il y en avait
un. Ajoutez que l'accusé Armand, recueillant, comme un
autre, ces bruits de conspiration que l'on faisait courir
dans le public, les avaient répétés à Whindil, ofûcier
dans la légion germanique, lequel en déposa ; c'est le
seul témoignage où Ton retrouve toutes ces rumeurs sur
les projets des prétendus conjurés : fausses patrouilles,
assassinat d'Hanriot et de son état-major, la porte de
l'Abbaye forcée, les prisons ouvertes, la Monnaie envahie,
le Pont-Neuf, la Maison commune occupés, etc.', toutes
choses qu'Armand, d'ailleurs, niait d'une manière
absolue.
— Et Hanriot, qu'on disait menacé par le poignard
des accusés, était par d'autres indices fort suspecté d'êlre
de leur bande, ainsi que Pache. Ils n'avaient échappé
au môme sort que par une haute intervention, t Fou-
quier, Fleuriot, Dumas et Herman, dit le greffier Paris,
1. Quarante-unième témoin,
2. Dé|)08ilion de Whindil, dernier témoin.
HANHIOT ET PÂCHC MÉNAGÉS. HÉBERT. 57
au procès de Fouquier-Tinville, furent semonces par le
Comité de salut public pour avoir eu un inslant Tidce
de les poui^uivre. » Ils se le tinrent pour dit. <x Toutes
les fois que leur nom venait dans les dépositions, dit le
même témoin, Dumas interrompait, disant qu'il ne
pouvait être question d*eux, ou faisait leur éloge \ » Le
compte rendu du procès témoigne de cette intervention
du président :
« Le président parle de la haine perfide qui mettait le
nom de Pache en avant, pour un motif dont on doit
sentir toute la noirceur et toute Tatrocilé, ainsi que le
projet d'assassiner Ilenriot, que Ton calculait ne pou-
voir gagner {applaudissemenlsy .
Il est bien possible qu'on ail fait courir le bruit de
ce projet d^assassinat par les accusés, pour détourner
ridée qu'Hanriot ait pu être leur complice.
Parmi les accusés, il y en avait un sinon plus étonné
de sa position, au moins plus que tout autre embarrassé
de sa personne : c'était Hébert. Dans le coui*s des débats,
Taccusateur public avait déjà montré combien ce c fol-
liculaire » s'était rendu coupable de vouloir avilir les
autorités constituées en écrivant : «Les b qui nous
gouvernent sont des dévoraleurs. » A quoi il répondit :
« Dans une République, tout le monde gouverne\ )>
Pour lui, on n'en était pas réduit à recueillir des ru-
meurs. On le pouvait juger sur pièces aulhenliques. On
n'avait qu'à lire les pages de son journal ; mais que
choisit-on dans son journal?
1. Procès Fouqtùer, n» 25» p. 3.
2. Cf. Procès, p. 89, à propos df; la déposition de h femme Marquis, quin-
zième témoin, et vers la fin des débats, p. 30.
3. Procès, p. 123-124.
58 CHAP. XXYI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
Prenons les citations au compte rendu de son
procès.
N"" 269. Qu*ont fait les trois Assemblées? Rien.
On yeutf à force de malheur, forcer le peuple à demander
l'ancien régime. On veut tout tenter pour fatiguer le soldat.
Que faut-il faire? Renouveler la Convention, organiser un
pouvoir exécutif et ne pas réunir les pouvoirs dans les mêmes
mains. La contre-révolution sera faite si on laisse le comité
de salut public tel qu'il est aujourd'hui. Les ministres obéis-
sent comme des esclaves à ce comité.
N° 275. Montagnards, tant que les comités usurperont
tous les pouvoirs, nous n^aurons jamais de gouvernement
ou nous en aurons un détestable. Pourquoi les rois ont-ils
fait tant de mal sur la terre? C'est que rien ne s'opposait à
leui^ volontés, pas plus qu'à celles de vos comités.
Nous n'aurons jamais de liberté, notre constitution ne
sera qu'une chimère tant que les ministres ne seront que
des galopins aux ordres des derniers balayeurs de la Conven-
tion. La République, dévorée par tant d'insectes, deviendra
étique et périra. La liberté estf... quand tous les pouvoirs
sont confiés à des hommes inviolables.
A part quelques expressions du dernier paragraphe,
où l'on retrouve le Père Duchéne, un modéré aurait pu
signer cela. Mais Hébert n'était pas capable de se dé-
fendre. Il alléguait a qu'il était bien aise de perdre un
homme en décomposant ses phrases et en ne tenant
pas compte des circonstances dans lesquelles il avait
écrit : — il en savait quelque chose, comme journa-
liste. — Le président lui répliqua :
« Vos journaux n'ont été examinés qu'après et depuis les
journées des 31 mai, 1*^' et 2 juin, et on n'en reconnaît pas
moins que votre projet était de désorganiser toutes les auto-
rités constituées et de mettre tout en combustion. Dénoncé
LE PROCÈS DANS U RUE. 59
comme tel au département, c'est par des sorties encore plus
indécentes et beaucoup plus répréhensibles que les premières,
que vous prétendez tous justifier. Est-ce votre désintéresse-
ment qui vous a fait recevoir cent mille livres de la tréso-
rerie nationale pour remplir une mission dont les patriotes
se sont acquittés pour rien^? »
III
Le procès dans U rue.
Le procès engagé devant le tribunal se débattait aussi
dans la rue, et rien n'est plus curieux que les échos
qui nous en sont arrives. Dès avant la première audience,
le peuple se portait au Palais de Justice, voire même
vers la place de la Révolution. Pendant les trois jours
que les débats durèrent, la cour du Palais et les rues
avoisinantes ne désemplirent pas. Belle occasion, pour
les observateurs de police, de recueillir les propos
échangés et d'en faire leur rapport !
l*' germinal. On ne s'occupe on ne parle que de ce qui
se passe au tribunal révolutionnaire. Hébert occupe aujour-
d'hui le fauteuil. Il est le président de vingt et un conspira-
teurs qui vont être jugés avec lui. Il a paru extrêmement
abattu. Dix mois de prison ne l'auraient pas plus changé.
Proly, dont l'astuce était connue, Défieux son digne émule,
portent la consternation sur leurs visages. Mais Vincent,
Momoro et Ronsin ont toujours cet air insolent qu'on leur a
si souvent reproché. Au surplus, huit témoins ont été seule-
ment entendus aujourd'hui ; Dufoumy et Legendrc ont été du
nombre et les ont vigoureusement chargés.
Le peuple ne peut pardonner à Hébert de l'avoir trompé.
1. BulUtin, n* 6, p. 24.
60 CIIAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
a Vous rappelcz-YOUs son discours, disait-on dans un groupe,
lorsqu'il sortit de l'Abbaye et que le peuple, allant au-devant
de lui, voulut poser sur sa tête une couronne de chêne : « Je
« ne mérite pas ces honneurs, disait-il, on ne doit les rendre
a à un citoyen que vingt ans après sa mort, je veux mourir
« pour le peuple. » 0 l'hypocrite, ô le scélérat, s'écriait-on
de toutes parts. « EtRonsin, disait une autre personne, vous
souvenez-vous lorsqu'il disait aux Jacobins : a Je ne rcvien-
« drai qu'après avoir exterminé les ennemis. » « J'ai entendu
Momoro, disait un autre citoyen, s'écrier en parlant de la
réquisition : « Il faudra bien qu'ils partent, ces scélérats;
« nous monterons jusque dans leurs chambres et s'ils re-
a fusent de marcher, nous les égorgerons; » toute la section
Marat peut attester que ce sont les propres expressions de
Momoro. » Tous ces détails aigrissaient encore plus le peuple
contre les conspirateurs*.
Il n'était pas bon de paraître s'apitoyer sur eux :
2 germinal. Dans un groupe, sur la place de la Révolution,
quelques citoyens s'entretenaient de la manière dont le tri-
bunal procède à l'interrogatoire des accusés Hébert, etc. « On
ne leur laisse pas, disaient-ils, la liberté de se défendre ; le
président leur parle avec beaucoup de dureté : a C'est oui
« ou non que je vous demande, » leur dit-il à chaque instant ;
« il n'est pas question ici de phrases, etc. » Le peuple,
ajoutaient ces citoyens, tout indigné qu'il est contre les
conspirateurs, voit avec peine le tribunal suivre une marche
aussi contraire aux lois de l'humanité et de la justice. » Ici
l'orateur a été interrompu par les murmures de plusieurs
sans-culottes, dont l'un s'est écrié : « Voilà les premières
plaintes que j'entends faire contre le tribunal, et il est fort
singulier qu'on ait tardé si longtemps à se plaindre de lui.
Celui qui trouve en ce moment le tribunal si rigoureux
applaudirait peut-être h sa sévérité, si la Convention tout
i. Schmidt, t. II, p. 176.
LE PROCÈS DANS U RUE. 61
entière et les Jacobins tenaient la place d'Hébert et de ses
complices. » Cette réplique a été fort applaudie et l'individu
qui s'était attiré cette réplique n'a point tardé ii disparaître ^
Le bruit qui courait déjà qu'un autre parti pourrait
bien être poursuivi, était signalé comme une manœuvre
en faveur des accuses :
L'opinion parait bien prononcée contre Hébert et sa
clique. Au café du Caveau, Palais-Égalité (Palais-Royal),
comme ailleurs, on s'entretenait de manière à ne laisser
aucun doute sur cet objet. « Ce sont sans doute ceux du
même parti, disait-on, qui, pour faire diversion, font circuler
dans le public qu'il existe une autre conspiration dont les
chefs sont Bourdon de l'Oise, Philippeaux, etc. » Cette
nouvelle, dont la fausseté est évidente, parait affecter les
bons citoyens.
On paraissait d'avis que Santerre, Rossignol et autres
personnages fussent présentes aux accusés; ce serait, di-
sait-on, un moyen pour [découvrir le reste de la conjura-
tion *.
A défaut d'accusés nouveaux, chaque jour apportait
quelque nouveau grief :
3 germinal. On lisait au peuple dans une des rues qui
conduisent au Palais une longue liste des chefs d'accusation
des conjurés; on accusait Vincent d'avoir fait un relevé de
tous les prisonniers patriotes dans toute l'étendue de la répu-
blique pour les livrer au fer des assassins.
Mais Hébert était toujours le plus accablé :
On dit qu'Hébert sur le fauteuil ne s'exprime, comme les
membres du parlement britannique, que par des oui et des
i. SiUialion de Paris du 2 germiaal an II. Schmidt, t. II, p. 178.
2. Ibid., p. 179.]
62 CHAP. XXYI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
non tout seuls et qu'il a plutôt l'air d'un sot que d'un homme
d'esprit. Le Contraste de l'indignation publique qui Taccable
aujourd'hui et de cet amour presque universel dont il avait
été l'objet, mais surtout la honte de devenir celui de ses
propres sarcasmes contre l'aristocratie et le chagrin de s'être
perdu lui-même après avoir perdu tant de monde, tout cela
est bien fait pour le frapper d'une sorte de stupidité. Sur les
deux heures, la cour et les escaliers du Palais n'étaient occu-
pés que par les gardes qui repoussaient la foule dans les
rues adjacentes ^
La prolongation des débats avait cependant rendu cou-
rage sur quelques points aux amis des accusés. On lit
dans un des rapports, à la date du 3 germinal :
C'est demain, dit-on, que le tribunal prononcera le juge-
ment dllébert et de ses complices. Les uns se réjouissent de
voir cette affaire promptement terminée ; les autres, au con-
traire, se plaignent de ce qu'elle n'est pas assez discutée. Les
défenseurs d'Hébert vont jusqu*à dire que c'est un nouveau
martyr de la liberté et que le procès n'a encore ofTert aucune
preuve décisive contre lui. « Ce qui prouve l'embarras, ajou-
taient-ils, de le convaincre, c'est qu'on l'accuse de faits anté-
rieurs et totalement étrangers à la Uévolution ; par exemple,
d'avoir volé des chemises, matelas, etc.... » Ces réflexions,
insinuées avec art, augmentent le nombre de ses partisans,
dont quelques-uns osent même dire aujourd'hui ouvertement
que le tribunal ne peut s'empêcher de l'absoudre...
Mais ceux-là se rendaient suspects d'être des aristo-
crates :
i.. On a remarqué au Gros -Caillou que l'affaire d'Hébert
attristait les riches et réjouissait les pauvres ^.
1. Schmidt, tome U, p. 182.
2. Ibid., p. 184.
GOIfaUSION DD PROCÈS. 63
IV
Gorièlanon da procès.
Les débats duraient donc depuis trois jours, et les
accusés faisaient assez bonne contenance, excepté un, le
plus cynique de tous, et le rédacteur du Bulletin^ témoin
des débats, confirme ce qu'on en disait dans la rue :
Rien ne ressemble moins au Père Duchesne que l'accusé
Kbert, qui n'a jusqu'à ce moment montré aucune énergie,
mais dont la figure prononce, au contraire, contre lui et fait
réellement pièce à conviction.
Le quatrième jour , 4 germinal, au début de la séance,
le président, conformément à la loi rendue lors du procès
des Girondins, demanda au jury s'il était suffisamment
éclairé; et, sur sa réponse négative, le débat continua.
Mais, après Taudition du témoin Whindil, réservé
sans doute pour la fin, il fut interrompu par une sortie
du président :
n n'y a point eu de conspiration !.. N^avez-vous pas
formé le projet barbare d'affamer le peuple, organisé une
disette factice et redouté dans vos fureurs le retour de l'a-
bondance?.. N'avez- vous pas, par vos écrits, vos discours et
vos manœuvres, tenté d'avilir la représentation nationale, les
comités de salut public et de sûreté générale?... N'avez-vous
pas préparé des armes, rassemblé des troupes, enrôlé des
conjurés jusque dans les prisons?
Il n'y a point eu de conspiration!... N'avez-vous pas voilé
la Déclaration des droits de l'homme, provoqué dans les
•ections, dans les sociétés, la révolte, sous le nom d'insur-
rection, affiché des placards pour soulever le peuple et le
porter à demander un maitre en lui offrant à ce prix Tabon-
04 CUAP. XXVI. — PROCÈS D'HÉBERT ET DbS VIOLENTS.
dance?.. Ne voit-on pas vos fausses patrouilles préparées
pour égorger les gardes, ouvrir les prisons, réunir tous les
traîtres, etc. ?
Il n'y a point eu de conspiration!-... Vos intelligences avec
l'étranger sont-elles donc douteuses lorsque vous employez
son langage, ses moyens?... Ames viles, féroces esclaves,
n'est-ce pas pour un maître que vous prépariez tant de crimes?
N'avez-vous pas annoncé ce maître, sous le nom de roi;
dans vos discours, dans vos placards, sous le nom d*un
Cromwell? dans vos combinaisons, sous le nom d'un grand
juge? N'avez-vous pas médité sous quels titres Ton pourrait
déguiser un roi, un dictateur, un tyran?.. Infâmes, vous
périrez, c'est trop longtemps rétarder votre supplice ^..
C^en fut assez. L^accusaleur public n'avait rien à dire
de plus, et les défenseurs n'eurent pas l'occasion de
remplir leur ofGce. Le jury se déclara sufQsamment
éclairé. liC président prononça donc la clôture des débats
et soumit au jury les questions suivantes :
A-t-il existé une conspiration contre la liberté et la sûreté
du peuple français, tendant à troubler l'État par une guerre
civile en armant les citoyens les uns contre les autres, et
contre l'exercice de l'autorité légitime, par suite de laquelle,
dans le courant de ventôse dernier, des conjurés devaient dis-
soudre la représentation nationale, assassiner ses membres et
les patriotes, détruire le gouvernement républicain, s'emparer
de la souveraineté du peuple et donner un tyran à l'État?
Suivaient les questions qui y impliquaient les divers
accusés*.
Le jury se retira dans la salle de ses délibérations et
en sortit avec une réponse affirmative sur toutes les
questions» excepté celle qui concernait Laboureau.
1. Procès contre Hébert, etc. (in-8'), p. i4î-U8.
2. Archiyes, \\ 559, doss. Cl 7, pièce 23.
GONaUSlON DU PROCÈS. C5
Celait Tespion rangé parinî les accusés pour surpren-
dre en prison leurs secrets.
On fit rentrer d'abord Laboureau. Le président le
déclare acquitté, lui donne l'accolade, et les juges et les
jurés après le président; puis, le faisant asseoir à ses
côtés : c La justice, dit-il, voit avec plaisir Tinnocence
s'asseoir à côté d'elle. »
Alors on ramena les autres. Quand ils furent rangés
sur leurs bancs, le président leur fit connaître la déclara-
lion du jury, et l'accusateur public prit ses conclusions.
« Mazuel et la femme Quéiineau veulent parler; Du-
croquet dit qu'il est innocent. Clootz en appelle au
genre humain et dit qu'il boira la ciguë avec volupté.
Les juges opinent. Le président pronouce. Les accusés
veulent parler. Leur voix est étouffée par les cris de :
Vive la Répuidiqml Les gendarmes les emmènent, et ils
sont presque obligés de porter le Père Uuchêne\ »
Sauf pour la veuve du colonel Quélineau, qui s'était
déclarée enceinte et qui l'était, l'exécution suivit de près
le jugement*.
Fouquier-Tinville avait cru devoir l'entourer de quel-
ques précautions. Il avait écrit à Hanriot (qui aurait pu
se trouver sur la charrette) c de prendre toutes les me-
sures que sa prudence lui indiquera, a(in que la tran-
quillité publique ne soit point compromise par les com-
plices des conspirateurs^ ».
\, Procès cotUre Hébert, etc. (in-8), p. 140.
'i. Archives, W 339, doss. 617, pièce 31 (déclaration des médecins] ; pièce
S9 (urdounance de stmis). Elle lit une Tausse couche et, sur le rapport des mé-
decioi, le trihanal ordonna, le 2!2 floréal (11 mai 1704), qu'elle lût exécuioe dans
les vingt-quatre heures. (Archives, W 345, dossier 076 (dossier de Ghauniette,
etc.), 5* pirtie, pièces 51 et 52.)
3. Archives, A F, ii, 48, n* 176 (trmoire de fer).
1A1B. &ivOL. 'M 5
C6 CUAP. XXVI. — PROCÈS D*HÉBERT ET DES VIOLENTS.
Hais c*était bien inutile :
La joie du peuple, dit notre observateur de police, était
univeraelle en voyant conduire à réchafaud les conspirateurs.
C*étaient partout les mêmes démonstrations d^allégresse. Un
sans-culotte sautait en disant : a J'illuminerais ce soir mes
croisées, si la chandelle n'était pas si rare. » Le soir, dans
tous les groupes et cafés, on parlait de la mort de ces con-
jurés; le récit de leurs derniers moments était Tunique objet
des contersations. On disait dans plusieurs endroits qu'Hébert
avait dénoncé une quarantaine de députés. H était temps,
lyoutait-on, que cette conspiration fût découverte, car on
croyait dans plusieurs départements que Paris était à feu et
à sang. On mettait au rang des conspirateurs Lhuillier, mal-
gré le placard qu'il a fait afficher et où il a fini par dire que,
pour attaquer la conspiration jusque dans ses derniers retran-
chements, il fallait renouveler la Commune.
Mais le peuple ne s'arrêtait pas là dans ses soupçons :
Dans plusieurs groupes du Jardin national il était question
du ministre de la guerre, et chacun témoignait sa surprise
de ce qu'il avait gardé si longtemps Vincent dans le secré-
tariat
On a assuré que Chabot occupait déjà le fauteuil et qu'il
allait être jugé avec ses complices. On a paru généralement
d'accord, malgré tous les bruits que Ton a fait courir, que
Pache n'était pour rien dans la conspiration. On assurait
aussi que Bouchotte n'y avait pas trempé ; cependant on disait
à voix basse, rue Saint- Honoré, en attendant les conspira-
teurs, que Pache avait d'abord été du complot et qu'en-
suite il avait éventé la mèche. On a également dit que
Santerre était un des conjurés ; l'esprit public ne lui est pas
favorable.
L^observaleur de police ajoute sur rexécution :
Pendant qu'on guillotinait les dix-neuf conjurés, le peuple
a resté muet ; mais lorsque le tour d'Hébert est venu, on a
EXÉCUTION. PAMPHLETS CONTRE HÉBERT. 67
TU paraître une nuée de chapeaux et tout le monde a crié :
« Vive la République ! » Voilà une grande leçon pour les
gens en place que dévore l'ambition ; les intrigants ont beau
faire; les comités de s(alut) p(ublic) et de s(ûreté) g(énérale)
viendront à bout de les découvrir et ça ira^
RioufTe, qui était en prison, assigne un rôle particu-
lier à Glootz (un triste rôle) dans les derniers moments
des condamnés :
« L'orateur du genre humain, Tennemi personnel de
Jésus-Ghristy Glootz, est mort comme il avait vécu, mais
avec un courage que je ne lui eusse jamais soupçonné.
11 était avec la tourbe Hébert. Ces misérables se repi*o-
chaient leur mort. Cloolz prit la parole et, d'une voix
haute, leur cita tout au long ces vers si connus :
Je révais cette nuit que de mal consumé
Côte à côte d'un gueux on m'avait inhumé
Et que blessé pour moi d*un pareil voisinage
En mort de qualité je lui tins ce langage.
« L'apologue eut son effet, on redevint amis, et Glootz,
qui se mourait de peur qu'un d'eux ne crût en Dieu,
prit la parole et leur prêcha le matérialisme jusqu'au
dernier soupir*. >
Le ressentiment populaire poursuivit Hébert au delà
de l'échafaud. 11 y a sur lui une biographie intitulée :
Vie privée et politique de J.-R. Héberty auteur du Père
Duchêne^ l'an II de la République (36 pages in-S^), où
l'on étale avec exagération, je le veux croire, ses vols et
ses infamies depuis son enfance. Il y a aussi un autre
petit pamphlet du même temps, en cinq ou six pages,
i . Schmidt, tome U, p. 186.
2. Néiboires d'un détenu (Riouffe) dans les Mémoireê sur les priioni^ t. U
G8 CUAP. XXYi. — PROCÈS D'HÉBERT ET DES VIOLENTS.
qui a pour dire : Comparutioriy interrogatoire et juge-
ment d'Hébert, dit le Père DuchênCy au tribunal de
l'Éternel.
L'auteur s'inspire de Job, des prophètes et du club
des Jacobins. Son Père Éternel est évidemment coiffé
du bonnet rouge. Voici comme il débute :
Il est aussi dans la République des morts un tribunal révo-
lutionnaire ; c*est là que TEternel, debout sur une montagne
d'où s'élance de temps en temps un volcan qui dévore les
trônes d'ici-bas, rend à la face des nations une justice écla-
tante, terrible, irrévocable. Les jurés de ce tribunal sont la
justice, la liberté, Tégalité, la raison, toutes les vertus. Là
paraît Hébert, sortant de Téchafaud.
Ce n*est pas cet audacieux Prêtée, etc.
Et l'Éternel, l'interpellant :
Oîi élais-tu quand je posais les fondements de l'univers?
... Est-ce toi qui, las des crimes des tyrans, préparas la
plus sublime des révolutions, sonnas le tocsin d'une insur-
rection générale, réveillas une nation généreuse encore esclave,
fis crouler sous ses premiers coups le premier fort de la ty-
rannie, détruisis l'hydre nobiliaire et sacerdotale, abattis le
premier trône des préjugés, lanças le dernier tyran des Fran-
çais sur l'échafaud ? etc.
Pour qui cette fête auguste et solennelle ? Regarde cette
montagne I tu cherchas à l'abattre ! Ah ! tu ne songeais pas
que c'est TÊternel qui en a posé les fondements! etc.
Allez, race ingrate et dénaturée, allez, vous avez feint de
méconnaiti*e rÉternel. L'Éternel ne vous connaît point...
— L'Éternel ou l'Être suprême, et son pontife Robes-
pierre !
CHAPITRE XXVII
GERMINAL (eNTRE HÉBERT ET DANTOn)
I
Le curé Poitou; le citoyen Moulin, ci-Hc^ant Leroy ; la famille Rou^ne.
La condanin<ition d'Hébert et des violents n*avait pas
changé les allures du tribunal. Il continua de Frapper
chaque jour ceux que le Père Duchesne avait l'habitude
de réclamer pour la guillotine.
Fouquîer-Tinville prévoyait même [(et il en était sûr)
un redoublement dans les travaux^du tribunal. Pour ne
le^ point ralentir, il avait conçu l'idée d'un partage du
service entre la gendarmerie et la garde nationale
d'Hanriot. La gendarmerie escortait les condamnés»
vivants, du tribunal à la guillotine, et morts, de la guillo-
tine au cimetière qui, de la Madeleine, avait été reporté
à Monceaux. Désormais la gendarmerie conduirait les
condamnés en vie, du tribunal à la guillotine, et les
cavaliers d'Hanriot, les cadavres, de la guillotine à Mon-
ceaux; tel était l'objet de la lettre suivante :
Paris, ce 5 germ. de Tan II de la République une et indivisible.
L*accùsateur public du tribunal révolutionnaire au citoyen
Henriot, commandant général de la garde parisienne.
Citoyen,
Le lieu de la sépulture des condamnés étant transporté à
Mousseaux, comme la gendarmerie près les tribunaux est
70 CUAP. XXVIÏ. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
insuffisante pour ce service journalier et continuel du tri-
bunal, ne conviendrait-il pas que tu donnasses des ordres à
quatre cavaliers d'accompagner du lieu de l'exécution jusqu'à
celui où ces cadavres sont déposés ? De cette manière la
gendarmerie retournerait incontinent à son poste, et les tra-
vaux du tribunal ne ralentiraient pas. Je t'invite à prendre
ces objets en considération.
Salut et fraternité,
A. Q. FOUQUIER*.
Le procès d'Hébert et de ses complices avait absorbé
le tribunal les quatre premiers jours de germinal. Le 5
pourtant le service quotidien recommence; et nous
allons voir les crimes inventés par la Révolution, surtout
les délits de correspondance ou de parole, amener cha-
que jour de nouvelles victimes à ses jugements.
Le 5 germinal (23 mars), nous trouvons en deux au-
diences distinctes Antoine-François Poitou, ancien curé
de Vaux, district de Montagne-du-Bon-Air (Saint-Ger-
main-en-Laye) et Jean-Nicolas Moulin, directeur de la
posle aux lettres à Cherbourg.
Le curé Poitou était accusé d*avoir dit a qu'on avait
fait mourir le roi innocemment (innocent) ; que tôt ou
tard nous payerions le tribut; que les puissances étran-
gères allaient fondre sur nous. »
Dans son interrogatoire devant le conseil de surveil-
lance du district (19 pluviôse) il dit qu'il avait prêté le
serment. — Pourquoi? — Pour être tranquille et rester
dans sa paroisse. Il n* avait point tenu de propos contre-
révolutionnaires, toujours soumis à ce qui a été décrété' :
1. Archives, A F, ii, 48, n* 177 (ce numéro est dans Tarmoire de fer).
2. ArchiTes, W 330, dossier ($15, et Bulletin, 4* partie, n* 7. Disons une fois
pour toutes que la partie du Bulletin à laquelle nous renTerrons par numéros
cn'germinai et en floréal est la quatrième.
LE CURÉ porrolj. 71
D. Ce qu'il ayait pensé sur le jugement de Louis Capet, le
dernier des tyrans ?
R. Que nous étions les maîtres, qu'apparemment on atait
trouTé des motifs p«ur le faire mourir et qu'il fallait se sou-
mettre aux autorités constituées.
D. S'il avait le sentiment que Louis Capet fût coupable ?
R. Qu'il n'en savait rien et qu'il n'avait pas connaissance
de son aflaire.
A lui dit qu'il avait dit qu'on l'avait fait mourir inno-
cent, et que tous les Français étaient des gueux qui avaient
bit meurir leur père, et que tôt ou tard ils en paieraient le
tribut.
R. Que cela était faux^
Pour son honneur, autant vaut croire — même avec
le tribunal — que cela était vrai.
11 explique les autres propos :
D. Ce qu'il pensait de la liberté?
Sa réponse est topique :
R. Qu'il n'en jouissait pas et qu'il n'en pouvait pas juger.
D. S'il pensait que le peuple français était digne de la
liberté?
R. Qu'il n'en savait rien.
D. Quelles étaient les maximes qu'il prêchait dans sa
conunune?
R. Qu'il avait cessé de prêcher [parce] qu'il avait élé insulté
dans la chaire lorsqu'il priait pour le pape.
D. Pourquoi il priait toujours pour le pape qui était tin
ennemi déclaré pour la France?
R. Qu'il a prié pour le pape comme chef de l'Église ca-
lliolique, apostolique et romaine, et non comme prince sé-
culier*.
1. Archires, W 339, dossier 615, pièce 8.
S. Ibid.
72 CIIAP. XXVIl. — GKRMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
Il persista dans ces réponses devant le juge commis par
le tribunal (23 ventôse)* et aussi devant le tribunal qui
l'envoya à l'échafaud*.
Jean-Nicolas Moulin était traduit devant le tribunal
pour avoir vendu à son profit personnel des bulletins,
rapports, etc., qui étaient envoyés aux fonctionnaires
publics*.
Le Quré Poitou avait prêté le serment. Moulin avait
donné un autre gage de son adhésion au régime nouveau.
Il s'appelait Le Roy, et c'est le nom qui figure dans
un mémoire imprimé, adressé c au représentant du
peuple Lecarpenlier, au Comité de surveillance et à ses
concitoyens » ; mais ce nom y est raturé et remplacé par
celui de Moulin avec cette note :
Le 7 brumaire dernier, antérieurement à mon affaire, j'ai
abjuré le nom de Le Roy^.
Cet acte de patriotisme ne lui servit de rien. En vain
dit-il qu'il avait vendu seulement quelques vieux bulletins
à l'adresse des représentants détenus à Caen, ajoutant
qu'il avait cru a devoir cesser ces envois, attendu qu'ils
seraient tombés entre les mains des infâmes fédéra-
listes' ». Il fut déclaré a constant qu'il a été de cette
manière conspiré contre l'unité, l'indivisibilité de la
république, la liberté et la sûreté du peuple français » ;
et pour ce détournement qui, à la rigueur, eût pu le
faire traduire en police correctionnelle, il fut envoyé à
l'échafaud.
i. ArchiTes W339, do6s. 615, pièce 7.
2. Bulletin du tribunal révolutionnaire^ n* 7.
3. Archives, W 339, dossier 610, Bulletin, n* 7.
4. Archives, ibid,
5. Ibid., pièce 34.
LES ROUGANE. 75
Le 4 germinal (24 mars), conclusions du procès
d*Hcbert; relâche dans l'autre salle.
liC 5 (25 mars) trois membres d'une même famille :
Jacques Rocgatse de Yiciit, ancien receveur des traites, et
depuis inspecteur et contrôleur à Dunkerque; Pierre
RouGANE DE Beu^bat, SOU nevcu, et Jean Rougaine de
Baroditie, ex-chevalier de Saint-Louis et gendarme de la
garde du roi^ Ils avaient, selon l'accusation, regretté le
roi, et, selon un témoin, bu à la santé du roi de Prusse;
dit : c On emprisonne les honnêtes gens; on donne
c toute autorité aux brigands, notamment à Marat » ; ou
encore : c Nous sommes dans une anarchie si grande
« que ce sera le plus fort qui commandera au plus
c faible et qui nous gouvernera, etc. » ^ Ils niaient ces
propos etRouganede Barodine, en particulier, afCrmait
son patriotisme. Il disait qu'après la suppression des
curés, il avait prêché pendant deux décades dans l'église
de la Chapelle, en faveur delà Raison'; et l'on a encore
au dossier son sermon tout à fait laïque où il dit : c Vous
avez chassé votre curé : c'est la plus sage et la plus
louable de vos actions \ »
Dans un autre interrogatoire, comme on lui demande
c s'il aime bien la constitution, » il répond : c Oui, et
que même il la signerait de son sang. »
On les envoya tous les trois à l'échafaud.
i. Archives, W 389, donîer 618; et Bulletin du tribunal révolutionnaire,
n- 7 cl 8.
2. Archires, ihid, , piices 48, 28 et 20.
3. Ibid.^ pièce 13.
4. /6ic/., pièce 14.
74 CHAP. XXVn. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
II
L*abbé Goutte, ex-constituant; les deui frères Balleray et le faussaire Thiry,
dit Beauit>zier.
Le 6 (26 mars) un personnage, non de Tancien régime
comme les trois précédents, mais delà révolution, Tabbé
Jean-Louis Goutte, ex-c^nstituant et évoque constitu-
tionnel de Saône-et-Loire *.
Il trouvait la Législative inférieure à la Constituante,
et la Convention à la Législative ; il vantait la constitu-
tion de 1791; estimait que lar France était trop grande
pour être république, et traitait les autorités constituées,
c*est-à-dire le comité révolutionnaire d'Autun, avec
mépris. L'abbé Goutte, pour prouver son civisme, allé-
guait qu'il avait acheté des biens nationaux :
Je dois dire au tribunal, ajoutait-il, que la cause de mon
arrestation prend sa source dans mon refus de donner ma
démission d'évèque. Je ne Tai pas donnée cette démiMion,
parce que j'aurais cru insulter le peuple en prévenant son
vœu, parce que lui seul m'ayant nommé, lui seul pouvait
me renvoyer. Son opinion une fois connue, tout contrat
cessait entre nous et il en eût été de moi comme du valet
renvoyé' par son maître^.
— Un évéque constitutionnel défini par lui-même !
Parmi les témoins deux déposèrent en sa faveur : son
ancien grand-vicaire, Simon Laplace, et un ancien curé,
Jean-Pierre Davaux. Ils en faisaient un républicain ; mais
on retourna contre eux le témoignage des autres : ils
1. Archives, W 5i0, dossier 625, Bulletin, n*> 9.
2. Bulletin, n" 9, p. 54.
L'ABBË GOUnE ; LES FRÈRES DE BALLKROT. 75
furent mis en arrestation et l'abbé Goutte envoyé à la
mort*.
L'ancien régime eut aussi ses victimes ce jour-là :
les deux frères Charles-Auguste et François-Auguste
Lacour DE Ballerot ; lepremier» âgé de soixante^uatorze
ans, ci-devant lieutenant général ; le second, de soixante-
sept ans, maréchal de camp, pour des lettres et des
écrits contre-révolutionnaires trouvés chez eux *. L'accu*
sateur public inférait :
Qu'en considérant que leurs parents les plus proches,
comme femmes, enfants, frères et gendres sont émigrés, on
doit demeurer convaincu que lesdits frères Balleroy auraient
eux-mêmes émigré, si Tutilité commune ne les avait engagés
à rester sur le territoire de la République pour saper au
dedans les fondements de la liberté de concert avec le reste
de leur famille.
Parmi les lettres incriminées il en est une d'un homme
qui prend part à la lutte contre les Vendéens, mais qui
gémit des horreurs de la guerre et qui a fait mettre en
liberté un ex-président de la Chambre des comptes de
Bretagne, arrêté comme suspect (12 avril 1795).
On peut citer encore cette autre d'un constituant,
écrivant au comte de Balleroy sur le ton de l'ironie
(50 septembre 1791) :
Le roi, en homme bien élevé, vient aujourd'hui nous faire
ses adieux et nous remercier d'avoir bien voulu prendre sa
place et le débarrasser des soins de la Royauté et même des
prérogatives de la ci-devant couronne. On ne peut porter
1. ArchÎTes, /. /., pièce i bis (procès-verbal d*audiencc]. Les deux témoins
furent depuis*guillotinés, selon Grandpré, cinquante-unième témoin au procès de
Fouquier-TinYille, n* 19. — Je n*en ai cependant pas trouvé trace dans
les dofsiers.
2. Archives, W 340, dossier 621, Bulletin, n* 9.
76 CHAP. XXYU. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
rhonnéteté plus loin. Aussi nous proposons-nous de le rece-
voir avec transport et de lui accorder un fauteuil ^•.
Cela suffisait pour faire envoyer ces deux anciens
soldats, ces deux nobles vieillards à la mort.
A côté d'eux un jeune aventurier Etienne Thiry dit
Beaurozter qui, s'étant fabriqué de faux pouvoirs, avait
parcouru les départements et^ se faisant escorter de gen-
darmes, commettait mille exactions dont il mangeait les
produits avec une actrice de Nancy, Catherine Niemann,
âgée de vingt et un ans, sa maîtresseMl allait par exemple
dans les municipalités, s^informait si la loi du maximum
était observée, s'il n'y existait pas d'aristocrates, d'ac-
capareurs, de fanatiques. Dans une de ces communes,
il avait imposé à deux individus, à lui dénoncés comme
suspects et aristocrates, une amendede 600 livres chacun :
ordonnant que ces sommes lui fussent payées dans les
vingt-quatre heures, à défaut de quoi la municipalité
devait être arrêtée. Il entretenait du reste généreusement
son gendarme à ses frais, pour ne pas ruiner, disait-il,
la nation, et il montrait des paquets d'assignats, chacun
de 18000 livres, qu'il destinait au soulagement des pau-
vres, objet essentiel de sa mission : ce qui ne l'empêchait
pas de commencer par s'acheter des pistolets, des mou-
choirs et trois montres d'argent dont l'une de 600 livres.
C'est son gendarme Joseph Chaudron qui en dépose*.
Il ne pouvait nier le faux : il ne savait même pas
l'orthographe des noms qu'il contrefaisait : il avait signé
Barer pour Barère.
i. Archives, /. /., pièce 6.
2. Bulletin, A' partie, n* iO, Archives, W 340, dossier 622. — ' Elle signe
NiifMAifT (pièce 14).
3. Ibid., pièce 5.
ET. THIRY; M- VILLEMAIN; MARIE GIAMBORAN. 77
Il osait dire pourtant : « Je n'ai ni trompé le peuple ni
commis d'exactions ^ » Quant à raclrice» elle dit qu'elle
avait pensé qu'il était commissaire : il y en avait comme
cela ; qu'elle avait cru avoir affaire à un honnéle
homme; qu'elle était sans parents et qu'elle espérait
s'établir avec lui. Elle fut acquittée, mais détenue, et lui
condamné à mort\
III
Madeleine Viilemain el Marie Cliaaiboran ; Jacques Pernct; l'ex-cApuciii Peussdet
el le jeune Derillars ; L. F. Puiré et les trois religieux de Cluny.
Le 7 (27 mars) deux femmes nobles, l'une mariée,
l'autre religieuse : Madeleine de Lambertye, femme de
ViLLEUAiN, ancien secrétaire du roi, accusée d'avoir favo-
risé l'émigration de ses frères', entretenu une corres-
pondance avec eux et soustrait à la confiscation l'argen-
terie de la famille de Polignac, avec laquelle elle était
liée, et même celle du comte d'Artois \ Elle niait d'avoir
fourni de l'argent à ses frères pour leur émigration ;
elle avait reçu d'eux des lettres et elle avouait qu'elle
leur en avait adressé quelques-unes pour les détourner
de lui écrire. Elle avouait encore qu'elle avait reçu en
dépôt de l'argenterie de Polignac et qu'elle l'avait cachée
dans une chambre murée pour la soustraire au pillage,
ignorant d'ailleurs qu'il y en eût aussi du comte d'Âr-
i. Aroliives, /. /., pièce 13 (interrogat.).
2. Ibid., pièces 18 et 19.
3. Le cooite de Lamberlye, ci-devant coleuel au régiment de Normandie et
Emmanuel de Lambertye, sous-liculenant réformé des gardes du corps.
4. Archives, W 340, dossier G25. — L'accusation avance qu'elle avait des
relations toutes particulières avec le comte de l'olignac.
78 GUiLP. XXYU. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
lois. Mais ce qu'elle avouait était bien plus que sufGsant
pour entraîner sa perte*.
Marie-Catherine-Gabrielle Chamboran, ex-noble et
religieuse carmélite*, avait correspondu avec les émi-
grés. On avait trouvé dans ses papiers une lettre du
7 mars 1793 où on lui disait :
Je ne me proposois de vous écrire que la semaine pro-
chaine, mais les nouvelles sont si bonnes que je ne veux pas
vous les /esse ignora plus longtemps. Le prince de Cobour^
viens de battre à £a;ce-la-Chapelle, et pandant toute la route
d'£xce-la-Chapelle à Mastrect, les François. Dans ces deux
affaires il y a eue au moins quinze^ milles hommes de tu^
ou blessd ou h\t prisonnier, etc., etc. ^
Et elle écrivait elle-même dans une lettre du 15 du
même mois :
Je suis toujours dans l'espérance que nos maux finirons.
Il y a bien du monde qui change et qui déteste l'assamblée.
Prions et confions-nous en Dieu, lui seul peut renvercer les
projets des impies, des gens sans religion, qui ne cherchent
qu'à piter et à voUer tout le monde. Il n*y a plus de justice,
ny polisse. Les pauvres jens le disent tout au dans les rues.
Les François sont détesta partout. Il y a ccpendans des ville
qui ce sont déclarée pour nos princes et qui vculle l'ancien
gouvernement*.
Elle ne reniait rien ; elle ne pouvait qu'être con-
damnée.
Le crime d'Henri Morgau était d'une autre sorte :
homme du Midi (Montpellier), établi dans le Nord où il
1. Archives, W 340, does. 025, pièce 8.
2. Ibid., doftsier 028.
3. Ibid,, pièce 15.
4. Ibid.y pièce 13.
HBI«RI MOREâU; JACQUES PËRNET. 79
fut ofQcier municipal de Lille, puis accusateur public
près le tribunal criminel militaire de Tarmée du Nord S
il avait, lors du procès du roi, imprimédansie Courrier
de r Égalité (10 janvier 1793) un avis motivé où il
établissait que le peuple souverain pouvait seul le juger.
Arrêté et dénoncé au Comité de salut public, il était
dans les prisons d'Ârras quand Lebon, s'indignant de
j*y trouver encore, prit un arrêté qui Tenvoya devant le
tribunal révolutionnaire (14 ventôse)'* Le 22 il fut in-
terrogé par Dumas^ ; il avoua son article. L'aclc d'accusa-
tion suivit et la condamnation.
Le 8 (28 mars) un incident de procédure qui montre
comment, sans être cour d'appel, les juges savaient
redresser les causes dont ils faisaient Tinstruction.
Jacques Pernet, chevalier dcSaint-T^uis, ancien capi-
taine de dragons, général dans le Palatinat et rentré en
France en 1787*, avait élé dénoncé pour avoir dit, en
montrant une image qui représentait la mort de Gharles?%
roi d'Angleterre : « Et les scélérats de la France vont en
faire autant à notre bon roi : » et encore d'un député
qui allait acheter pour 900 000 francs de biens : c Où
les a-t-il pris, s'il ne les a pas volés depuis cinq ou six
1. Archives, Vr 340, dossier 626, Bulletin, n** 10.
2. Consîdcrant qu'en yain peul-^tre il atlendroit longtemps une réponse du
Comité de salut public sur le compte du nommé Moreau, dé:enu à Arras, que
Ia bcsop^e de ce comité est énorme ; que d'ailleurs ce seroit lui faire injure que
de croire qu'il pût prendre la défense d*un homme s'aYouant lui-même auteur
d'un écrit qui tcndoit à l'appel au peuple dans l'affaire de Gapet et à soulever
les citoyens du nord contre la Convention nationale,
Arrête, etc.
Arras, 14 ventôse, Tan 2 de la République une et indivisible.
(Archives, ibid., pièce 2.)
3. Ibid., pièce 8.
4. Ai-chivcs, Vi 341, dossier 033; Bulletin^ 4* partie, n^ il et 12.
80 CHAP. XXYII. — GERMLXAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
mois qu'il est à la Convenlion'? » «njoutant a qu'on ne
mettait jamais d'iionnéte homme en place ».
Une information eut lieu devant le comité de Tran-
caut, district de Nogent-sur-Seine*; la dénonciation fui
reconnue fausse. Les dénonciateurs Jean Marquot et Jean
Louis Ijaury ne tenaient les propos que d'un tiers; et
l'un d'eux ajoutait qu'il n'avait signé que sur les ins-
tances de l'autre et sanssavoirce qu'il faisait, étant ivre«
On les envoya donc, avec les pièces, au tribunal révolu-
tionnaire pour répondre de leur fausse dénonciation \
Mais là tout changea de face. Le tribunal avait cepen-
dant commencé à procéder selon les règles. Pernet fut
entendu dans sa déclaration par le juge Deliège (6 ven-
tôse)* et le même jour les deux prévenus furent inter-
rogés par le même juge. Là chacun d'eux garda son rôle.
Le juge demande à Laury :
S*il n'a pas dit que Pernct, propriétaire à Trancault, avait
dit.... qu'on ne mettait jamais d'honnêtes gens en place.
R. Qu'il était pris de vin et a été forcé par Marcaut de dire
qu'il avait entendu le propos de la bouche d'un nommé
Choiselat qui en accusait ledit Pernct; qu'il a été tellement
sollicité par Marcault qu^l a dit qu'il avait en effet entendu
le propos de la bouche de Choisat («te).
D. Comment il connaît Pcrnet, s'il le regarde comme un
bon patriote ?
R. Qu'il sait qu'il s'est bien montré dans la révolution.
D. Pourquoi il a [eu] la facilité [faiblesse] de se laisser sé-
duire quand il s'agit de compromettre l'honneur d'un citoyen?
R. Qu'étant pris de vin, il ne savait ce qu'il faisoit ^.
1. Archives, \V 341, dossier 055, pièce 1 bis.
2. Ibid.y pièce 2.
5. Ibid,^ pièce 4 oi 5.
4. Ibid,^ pièce 7.
5. i6û/., pièce 8.
JACQUES PERMET ET LES DEUX FAUX TÉMOINS. 81
Il ajoutait qu'il avait signé la dénonciation sous la
pression de Marquot et sans savoir ce qu'il faisait*
Marquot interrogé ensuite ne put dire qu'une chose ;
c*est qu'il avait entendu Ghoiselat imputer à Pemct le
propos incriminé. Ainsi point de témoin direct I et il
avouait qu'il était redevable envers Pernet d'une rente
dont sa maison était chargée.
L'interrogatoire de Paris confirmait donc l'enquête
de Trancaut, et la ligne de l'accusateur public était
toute tracée. Les deux délateurs n'avaient parlé que par
oui-dire : le premier sous l'inspiration d'un intérêt
tout personnel, le second sous la pression du premier et
dans l'ivresse ; voilà ce qui résultait le plus clairement
des interrogatoires. Mais Fouquier-Tinville remarqua
que les propos étaient bien graves et les dénonciateurs
des gens bien importants : membres du comité de sur-
veillance de leur commune ! Il trouva donc, malgré tous
les aveux et les désaveux de Laury, qu'il y avait là quel-
que chose a éclaircir devant le tribunal, et il y renvoya
le plaignant comme accusé et les deux prévenus comme
témoins ^ ! Le tour ainsi joué, les débals suivirent la
marche qu'on pouvait croire. Tous les propos imputés à
Pernet furent accueillis comme authentiques : il avait
voulu ameuter le peuple pour la cause du roi. De plus
Pernet était riche, gros contribuable par conséquent, et
il avait pu réclamer contre des charges trop fortes : —
« refus concertés avec les malveillants de la commune de
Trancaut pour fomenter des troubles et frustrer le Irésor
national des rentrées qui lui sont nécessaires pour
acquitter les charges de la République '. »
1. Acte d*accus3tion [6 gcnuinal). Archives, W 541, doss. GC5, \\imi 25.
TIUD. RtVOL. III <>
8S CHAP. XXYII. - GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
Le jury le déclara convaincu et il fut condamne à mort \
J.-'B. Peussefet dit ÉmeriCy ci-devant capucin, était
accusé de tentative d'embauchage*. Quatre jeunes volon-
taires lui avaient offert de Targent pour dire des messes.
Il leur avait demandé s'ils étaient beaucoup de leur
village. --^ Quarante. — Il s^était permis d'ajouter
que sMls partaient tous, la culture en souffrirait et il
leur avait demandé encore s'ils étaient autorisés de
leurs parents. -— Oui.
Rien de plus. Dans son interrogatoire à Gray,
9 mars i793% il désavouait tout autre propos.
Le tribunal criminel de la Haute-Saône se jugea in-
compétent et Taccusateur public près ce tribunal déféra
Taffaire à Fouquier-Tinville (14 frimaire) \
L'ex«capucin parut devant Lanne, juge du tribunal
révolutionnaire (12 nivôse) : il protesta quMl n'avait
point détourné les jeunes gens de s'enrôler; qu'il leur
avait toujours prêché le devoir^ il fut jugé et condamné
sur pièces. Point de témoins '•
Ce jour même un homme illustre dans la révolution
et dans les sciences morales, Caritat de Gondorget,
échappait au tribunal par le poison.
Il avait été le principal rédacteur de la constitution
dite des Girondins ; il osa la préférer à celle que les
montagnards rédigèrent, en huit jours, après le 31 mai,
et quMls firent reconnaître de toute la France, sous peine
de mort, sauf à ne pas s'en servir ; et la broehure qu'il
i* Bulletin, n* 12.
2. Archires, Vi 340, dossier <>5l.
34 Ibid,, pièce 7.
4. Ibid., pièce 1 bis.
5. Ibid.y pièce 23.
6. Ibid.i pièce 26, procès-verbal d'aadiooce.
PKU88BTKT. -- MORT DE GONDORCET. 83
publia à ce sujet fut le prétexte de raccusation déposée
par Chabot contre lui^ Il parvint à se soustraire à
l'arrestation et fut, en conséquence, compris en qualité
de contumace dans le décret rendu le 3 octobre contre
les Girondins. Il avait été recueilli, rue Servandoni,
n* 21, par une dame veuve de Yernet, sculpteur, et
parente du grand peintre ; et ce fut dans la solitude de
oel asile qu'il composa son ouvrage sur les Progrèi de
tespril kumain^ témoignage bien éclatant do sa foi
philosophique à une époque où elle était sur ce point-
là si cruellement mise à Tépreuve. Peut*étre aurait-il pu
rester plus longtemps ignoré dans cette retraite et gagner
de meilleurs jours, s'il n'eût craint d'exposer aux
rigueurs de la loi rendue contre ceux qui recelaient les
proscrits, la femme généreuse qui le cachait dans sa
demeure. Il se déroba à sa sollicitude en s'enfuyant le
6 germinal (26 mars 1794) ; il se rendit à Fontenay-aux-
Roses et alla frapper à la porte d'un ami (Suard), qu'il
ne trouva pas ou qui ne le reçut point; il erra deux
jours dans les bois de Glamart : la faim le contraignit
à entrer dans quelque auberge. Ses demandes étranges,
le contraste facile à remarquer entre ce qu'il se disait
et ce qu'il paraissait être, le dénonçaient pour le moins
comme suspect. On le conduisit, sans le connaître autre-
ment, au comité de surveillance de la commune, où l'on
dressa procès-verbal de son arrestation sous le nom
de Pierre-Simon, qu'il s'était donné (7 germinal,
27 mars 1794) ; puis on le mena à la maison d'arrôt
du district. Bourg- r£galité (Bourg-Ia-Reine), Le lende^
main, quand on ouvrit la porte pour le reprendre
i. Séance du S juiUet 1793, Moniteur du 10.
84 CHAP. XXVII. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
et rinterroger plus au long, on le trouva mort*.
Mais tout le monde n'avait pas ou ne voulait pas em-
ployer la recelte de Cabanis.
Un cas singulier de correspondance à 1 étranger.
Louis-François Poiré, ancien domestique de Talley-
rand-Périgord, puis de Diane de Polignac, était, lors de
son arrestation (singulier changement de fortune!),
huissier de la Convention nationale' (mais les députés
aussi étaient arrêtés) ; el cette nouvelle place lui offrait
des facilités où il trouva sa perle. Là en effet il était en
mesure d'être, un des premiers, instruit de ce qui se
passait. Un Anglais qui signe H. Knight, peut-être un
rédacteur de feuille publique, lui offrit d'entrer en cor-
respondance avec lui (4 décembre 1792), moyennant une
gratification régulière, avec supplément en raison de
l'importance des nouvel les. Il lui signalait les sujets aux-
quels il attachait le plus d'intérêt :
Les subsistances, les affaires de la Hollande, l'ouverture de
TEscaut, les probabilités de guerre avec la Hollande et
1. François Arago, dans la notice qu'il a faite sur Condorcet (Mém. de VAcad,
des êciencet, tome XX, 1849) et dans la biographie qu'il a mise en tête de
ses œuYres, rapporte sa mort au 8 avril 1794. La personne qui lui a transmis
cette date aura traduit germinal par avril, comme si les deux mois coïncidaient
de bout en bout. Le procès-T<»rbal de l'arrestation de Condorcet, qu'on peut voir
au Musée des archives (vitrine 218, n" 1399), porte la date du 7 germinal an U;
et Ton ne peut pas dire qu'on a écrit par erreur 7 germinal au lieu de 17 ger-
minal (qui serait le 6 avril) : car le décès du prisonnier est enregistré dans les
actes de l'état civil de Bourg-l'Égalité à la date du 10 germinal 1793 (par erreur
pour 1794) l'an II* de la République française. Gela est constaté par une lettre
du maire de Bourg-la-Rcine à la famille, lettre qui se trouve parmi les papiers
de Condorcet, conservés à l'Institut. Il importait de rectifier Terreur d'Arago sur
ce point. L'autorité de l'illustre astronome devait paraître décisive en matiéra
de calciuii ior ; aussi la dite erronée a-t-^Ue été acceptée, sans plus d'examen, par
Taulcur de rartirle Condorcet dans la Biographie générale de MM. Didot, et
elle peut l'avoir, été par beaucoup d'autres.
2. Archi/cs, \V 541, dossier 038 ; Duiielin, 4» partie, n" 12 et 13.
POIRÉ; LES BÉNÉDICTINS COURTIN, ETC. 85
l'Angleterre; s'il y a apparence de cessation d'armes pour cet
hjrer; les actes officiels du pouvoir exécutif; quel est l'esprit
des membres du conseil actueP.
IjCs dépêches devaient être adressées à Calais, d'où on
les lui ferait parvenir.
Cette lettre fut saisie et le fit arrêter lui-même. Il
avoua sa correspondance : il affirmait d'ailleurs qu'il
n'avait correspondu qu'avec des journaux anglais avant la
guerre, jamais avec les émigrés et toujours pour la cause
de la liberté*.
Mais son correspondant le prévenait <c qu'il serait
quelquefois obligé de lui écrire en termes mystérieux,
énigma tiques, pour ne donner aucune prise au gouverne-
ment qui ne se faisait pas scrupule de violer les secrets
de la poste' ». Ce mystère avait un air de conspiration.
Poiré paya de sa tête.
Avec riiuissier nouvelliste, trois religieux :
François Courtin, supérieur général de l'ordre de
Cluny; Joseph-Antoine Maffre, maître des novices, et
Jacques-Nicolas Adam, sacristain, qui avaient transporté
chez eux une Vierge miraculeuse de la rue aux Ours et
difTérenles reliques déposées en l'église Saint-Martin \
Citons quelques traits du procès- verbal, rédigé par le
comité de surveillance de la section des Gravilliere
(22 nivôse) :
Ensuite le comité a été chercher toutes les reliques qui
étoient dans leur logement duquel il y en avoit plein hotte
tant qu'un homme pouvoit porter.
1. Archives, W 341, dossier 638, pièce 27.
2. Ibid., pièces 32 et 35.
3. Ibid., pièce 39.
4. Archives, W 341, dossier 654; Bulletin, n* 13.
86 GllAP. Wni. — 6KRNINAL (ENTRE HÉBERT ET DilNTON).
Le comité,
Après avoir passé une partie de la nuit à développer
toutes ces saloperies de soi-disant reliques,
mit les moines en arrestation^ et adressa son procès*
verbal à Taccusaleur public du tribunal révolutionnaire*.
Voici maintenant quelques parties de Tinterrogatoiro
que Denizot fit subir aux prévenus :
J*-N. Adam, trente-six ans, sacristain.
D. Lorsque la loi vous a donné une pleine et entière Iibârté«
malgré les vœux que vous aviez prononcés dans votre état
religieux, quelles ont élé vos occupations?
R. La prière vocale et mentale, l'étude de rÉcriture sainte
et quelques notes d'après cette étude.
On lui demande s'il n'avait pas :
Des images de confrérie représentant une certaine Vierge
de la rue aux Ours et sur lesquelles étaient dessinées les
armes du ci-devant tyran ?
R. Oui, environ deux.
D. Quel usage prétendiez- vous faire de ces deux images,
surtout avec les armes du despote proscrit par la nation?
R. J'avois gardé ces images afin que les inscriptions qui
parloient du miracle arrivé à certaines époques pussent me
servir relativement à la vénération que j'ai à la Vierge. Quant
aux armes, je n'y faisais pas attention.
D. Dans quelle intention aussi avez-vous conservé dans
votre chambre la Vierge même de la rue aux Ours ?
R. Comme un mémorial d'un événement célèbre et mira-
culeux et de la sainte Vierge dont elle était l'image.
On lui demande encore :
i. ArchiYe«, W 541, dossier 634, pièce 1 bis.
2. Ibid.t pièce 3.
POmÉ ; LES BËNÉDICTDiS GOURTIN, ETC. 87
Quelles personnes il recevait chez lui? — Quelques pa-
rents, peu d'amis, dont il refuse de dire les noms.
S*il a célébré la messe?
II a dit la messe dans une maison particulière qu'il refuse
d'indiquer ^
J.-B. GoDRTiif, soixante-dix-neuf ans, ci-devant supé-
rieur général de Tordre de Cluny.
D. Quelles ont été vos occupations depuis que, par suite
des bienfaits de notre révolution, vous êtes devenu libre et
dégagé des vœux qui vous liaient?
R. J*ai été député à la commune de Paris en 1789; depuis
ce temps j'ai rempli les devoirs de bon patriote en me sou-
mettant aux lois et en les respectant.
Il a dit la messe sans assistants dans la chapelle que
les moines ont été autorisés à construire.
Quant au serment, il n'a prêté que celui de liberté et
d'^alité.
Joseph-Antoine Meffre (cinquante^sept ans).
Il a dit la messe, mais non en secret; il connaît la
Vierge miraculeuse ; il a aidé à la porter dans la chambre
d'Adam, avec la permission des autorités constituées.
On lui demande si elle continuait d'ôtre véoérée chet
Adam.
— Il n'en sait rien.
L'acte d'accusation développe tous ces griefs comme
savait le faire Fouquier-Tinville. La question posée au
jury les résume et les condense ; c'est l'œuvre de
Dumas :
Est-il constant qu'en 1792, à Paris, particulièrement rue
Saint-Hartin, il a été pratiqué des manœuvres fanatiques,
i. Archifet, W 341, dotiicr 6S4, pîèc« S.
88 CHAP XXVlï. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
tendant à ébranler la fidélité des citoyens envers la nation,
à provoquer la guerre civile en les armant les uns contre les
autres et contre Tautorité légitime; principalement en i*e-
cueillant, celant et montrant dans le secret des objets de
superstition, des signes de royauté, des brevets du pape, et
abusant de ces objets pour égarer et enflammer par le fana-
tisme royal et religieux des rassemblements avec lesquels
Ton célébroit de prétendus mystères?
Le jury répondit aflirmativement et sur cette question
générale et sur la culpabilité de chacun des trois accusés,
qui furent condamnés à mort.
IV
Le commandant Lavergnc et m femme
La seconde décade de germinal commence par un pro-
cès important, celui de Louis-François Lavergme, dit
Champlorier (50 ans), lieutenant-colonel, commandant
militaire de Longwy. Il était accusé d'avoir traîtreuse-
ment livré la place, parce qu*il avait dû capituler
(23 août 1792) : une ville française ne pouvait être prise
que par trahison, et c'était au gouverneur d'en répondre.
Une lettre du maréclial Luckner, communiquée le
26 août à l'Assemblée nationale par le ministre de la
guerre, aurait pu venir à la décharge du malheui'eux
commandant. Il y était dit que l'ennemi s'était présenté
au nombre de 60 à 70 000 hommes devant Longwy le
21, et qu'après une canonnade et un bombardement de
quinze heures, la bourgeoisie et les corps administratifs
avaient pressé M- Lavcrgnedc se rendre ; ce à quoi il avait
dft consentir, en stipulant dans la capitulation la retraite
UYERGNE, COMMANDANT DE LONGWY. 89
de la garnison ^ Il était sorti avec armes et bagages, il
avait même soustrait la caisse militaire à l'ennemi; et
c'est ce qui Tavait fait arrêter peu de jours après par
une compagnie d'artilleurs de St-Thiébaud (28 août)'
qui tint pour suspecte cette grande quantité de numé-
raire : on verra le parti qu'en saura tirer Taccusation
plus tard. Pour le moment, l'Assemblée nationale»
avertie de son arrestation, la confirma', et après une
courte information sur les pièces saisies dans sa voiture
(d'une part, une lettre d'un émigré qui le pressait de
rendre la place, d'autre part une déclaration des admi-
nistrateurs et ofliciers municipaux, attestant que c'était
à leur demande qu'il l'avait fait), elle rendit un décret
qui le renvoyait devant une cour martiale et ordonnait
que, quand Longwy serait rentré au pouvoir de la France,
toutes les maisons des habitants seraient rasées (31 aoftt) \
Quand la bataille de Valmy (20 septembre) eut déter-
miné la retraite des Prussiens, les habitants de Longwy,
menacés par le décret du 51 août, ne manquèrent pas de
dire qu'on les avait livrés à l'ennemi (22 septembre).
Mais Lavergne avait de son côté songé à sa défense ; il
avait composé un mémoire justificatif, et sa jeune femme
i. Mamiteur da 39 août 1793.
3. ArretUtion maintenue par le Gonietl du département de la llautc-Narue.
(AfcbÎYes, W 341. dossier 540, pièce 9.)
3. Séance da 30 août. Moniteur du 1" septembre.
4. Momievr du 3 septembre 1793. Voyei le rap|K>rt de Guadet, qui repru-
la lettre de l'émigré et la déclaration des administrateurs, conçue en ces
c Noos, administrateurs et officiers municipaux de Longwy, certifions et at-
lesliwf que, H. Larergnc n'a accepté ta capitulation que sur la demande qui a
été faite par nous, d'après la certitude du bombardement et des préparations
bottilet dirigées contre notre yiDe.»
— Le 6 septembre rassemblée rendit un décret qui le fit transférer des pri-
sons de Bourmoot dans celles de Langres jugées plus sûtes. (Êiomteur du
8 leptembre).
90 GHÂP. XXVn. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
vint à Paris pour le présenter à rAssemblée et aux
Jacobins ^ Elle le fit accueillir au moins du Moniteur \
Lavergne allait comparaître devant la cour martiale ;
mais en présence des pièces contradictoires qui furent
1. Dans une lettre écrite le 5 octobre à Lacroix, qui présidait alors les Jacobins
et la Convention, elle lui déclare qu'elle n'avait osé s*y présenter elle-même,
de peur d'être mise en pièces par les gens des tribunes ; non qu'elle craignit la
mort, mais, dit-elle, c je vous avoue que je ne pouvais me faire à la pensée
déchirante de laisser sans assistance mon infortuné mari dans les fers et un
enfant à la mamelle. » (Archives, W 541, doss. 640, pièce 7.)
c Je vous denuinde, ajoute-trelle, d'obtenir de la Convention que mon mari
aura la ville de Langres pour prison, s'il ne peut obtenir un élargissement pro-
visoire, et la délivrance d'une somme quelconque pour son entretien et ses
aliments et les langes de son enfant, ou.... de m'accorder dans la prison où est
détenu mon mari un cachot qui ne soit pas tellement étroit que je ne puisse
pas y loger en sa compagnie, le reste de mes jours a%ec mon enfant à la
mamelle : jours malheureux qui certainement ne peuvent avoir un plus long
terme que ceux de mon infortuné mari, victime de la révolution, que contre
toute justice, il va peut-être terminer bientôt sous le fer d*un bourreau.
c RBonnii Lavebqrb. s
La lettre fut transmise par un officier municipal an nom du maire de Paris au
Comité de sûreté générale, 10 octobre 1793 {ibid,, pièce 0).
2. Lavergne y exposait sommairement le rôle qu'il avait eu a remplir dans ce
triste épisode : les circonstances de son envoi à Longwy et le dénùment où il
avait trouvé cette place (Ben'uyer, msrécbal de camp, qui avait othri d'en
prendre la défense, s'en était fait relever dans les 84 heures, disant qu'il ne
voulait pas se déshonorer et compromettre par un échec certain 42 ans de
services) ; les secours dont il s'était fait donner l'assurance et qui lui firent dé-
fiiut, rindiscipline de ses troupes, les sorties heureuses qu'il opéra, sa réponse
aux sommations de l'ennemi ; et il citait lui-même la lettre qu'il avait reçue
d'un émigré, lettre qu'il avait montrée à ceux qui l'entouraient, pour les pren«
dre à témoin de sa résolution de n'y pas condescendre. Nais le trouble jeté dans
la ville par le bombardement, et l'avis du conseil de guerre lui-même, qui,
déclarant la résistance impossible, s'était uni aux corps administratifs» l'avaient
forcé de capituler 1 {Moniteur du 30 septembre 1703). Cf. Archives, doiiier dté
pièce 69 : Récit exact et Maillé du bloeui et du bombardement do Longwy t
par un citoyen qui en a été témoin oculaire : il est à la décharge de Ltvergne.
« Lavergne, y est^il dit, n'a cédé que sur les instances des adminiatrateurs. i
A ce mémoire étaient joints la réponse qu'il avait fkite à la sommation du duc
de Erunswick et le certificst par lequel les administrateurs de Longwy attta*
talent qu'en acceptant la capitulation, il n'avait fait que céder à leurs instances,
certificat dont Guadet avait reproduit lui-même l'original devant la Gonventioo»
Avec oe mémoire et ces pièces, Mme La vergue fit insérer au Moniteur une lettre
en réponse à celle par laquelle les ofliciersi sous-officiers et soldats du 3* bt^
taillon des Ardennes avaient tenté de se justifier aux dépens de Lavergne leur
ebef, accusation lue devant l'Assemblée législative dans la séanee du 29 aoùtet
insérée au Moniteur du 31.
UYERGIfB, œMMANDANT DE LONGWY 01
produites S ie jury d'accusation déclara qu'il ne pouvait
prononcer s'il y ayait lieu de mettre le prévenu en juge-
ment \ déclaration qui empêchait que la cour le jugeât,
mais ne le fît pas mettre en liberté*; et Lavergne, sûr
de son innocence, réclamait d'autres juges \ L'afTaire
revint devant la Convention, où elle fut reprise au point
de vue et du droit et du fait (21 février 1703)*. On
i. Le procureur syndic soutenait que c'était Larergne qui, réunissant les
eorps tddiiniftretifk de U ville, leur avait proposé de capituler [23 octobre,
mkÊf dossier, pièce 6)» assertion démentie par la pièce eitiSe à l'AsMinblée hê^
tkmale. Le dépsrtement de la Moselle fit faire une enquête (36 octobre, ibid.,
pièee 4). Mail de son eôl4 Latergne produisit en sa fsteur deui attestations, l'une
des officiers, l'antre des sous-officiers et soldats du 58* régiment où il avait
sorti. (Même dossier, pièces 95 et 54).
9. Décision rendue dans la dernière Mmaine d'octobre . Dans si lettre du
S décembre, Larergne dit qu'il y a six semaines que le jury rassemblé & Troyes
ra déclaré innocent. (Même dossier, pièce 59.)
S. Le ministre de la guerre soumit la question i la ;Convention (octobre i70S,
nlme dossier, pièce 25), mais la question demeura pour le moment sans réponse.
4. Lettre de Latergne à Gsrat, ministre de la justice (0 décembre, même
dossier, pièce 59). Garât presse son collègue de la guerre de répondre à cet ap-
pel. (19 décembre, ibid., pièce 40.)
Le 27 décembre, Latergne écrivait à son tour su secrétaire général de ce
mjmstère une longue lettre, qui était un exposé des faits et comme un nouveau
aéoMiire justificatif. C'est la pièce imprimée sous ce titre : Esepoêé de Im eon-
dmte du citoyen Lavergne, pendant son commandement à Longwy, Biblio-
tbèque nationale, Lb*« 2551.
L'affaire donna lieu à un noutel échange de dépêches entre les deux ministres.
La ministre de la guerre éprouvait sans doute de la répugnance & renvoyer
l'acevaé devant un nouveau jury d'aocusstiou ; et Garst, traitant la chose au point
de vue légal, prétendait qu'il n'y avait pas eu décision du jury ; que le jury est
temi de i^pondre par oui ou par non, et que s'il se borne & dire qu'il n'est pas
iBiiÉminent éclairé, il n'a pas rempli son office (15 janvier 1795, ibid,, p. 21).
Aatrs difficulté, le ministre de la guerre disait que, dans l'affaire de Lavcrgne,
il y avait double délit : crime de trahison et détournement ; le délit citil joint
au délit militaire n'entrainait-il pas l'accusé devant les tribunaux ordinaires?
(15 janvier 1795, ibid», pièce 51.) Mais Garât soutenait qu'il n'y avait qu'un dé-
lit militaire. Ce n'était qu'après l'apurement des comptes rendus par Lavergne que
roo pourrait savoir si le délit civil était fondé. (25 janvier 1795, ibid,, pièce 52.)
5. Ce fut sur une démsrche des habitants de ta ville d'Angoulême, d'où il ti-
rait son origine. Il était toujours en prison, dévoré par une maladie, qui fîiisait
que Boo oorpa entier n'était qu'une plaie. (Attestation du médecin Aubry, 26 jan-
vier 1795, ibid,, pièce 47.) Le:i habitants d'Ango>;lômc envoyèrent en ss ftiveur
me adresse à la dÎMivention, demandant si, en retenant ainsi des accusés en pri-
son, on ne craignait pas de renouveler les etemples du despotisme (2 janvier
1795, ibid., pièce 29).
92 CHAP. XXVIÏ. - GERMINAL (EMRK HÉBERT ET DANTON).
inclinait à la mise en liberté ^ Mais Choudieu, tout en
souscrivant à la mise en liberté provisoire, insista pour
qu'un débat judiciaire fît connaître les vrais coupables
de la reddition de Longwy. Et la Convention, sans ré-
soudre la question, ordonna au moins que Lavergne
aurait pour prison la ville où il était alors retenu*.
Cette demi-liberté et cet ajournement devaient être
funestes à Lavergne. Quinze jours environ après ces dé-
bats était établi le tribunal révolutionnaire, juge naturel
de toutes les trahisons, et, au premier chef, des trahi-
sons militaires; mais dans ces premiers temps on était
en présence du crime de Dumouriez. Les généraux firent
négliger les officiers inférieurs et plus d'une année
s'écoula sans qu'on reprit l'affaire de Longwy. Mais
Lavergne, suivant une inspiration malheureuse, peut-
être celle de sa femme, qui dans une lettre à Lacroix
avait déjà manifesté pour lui ce dessein, eut la pensée
d'aller rejoindre, aux frontières, des parents (les généraux
Régnier et Gouet) pour se réhabiliter par de nouveaux
1. Roussel, rapporteur du Comilé de législation, lappelant que le jury d'uccu-
ration du tribunal de la Haute-Marne (c'est à Troyes que le jury s'était réuni :
voy. ArchivAs, /. /., pièce 45] n'avait trouvé aucune chaige contre Lavergne, et
qu'il dépérissait dans la prison, demandait qu'il fût mis en liberté et que le mi-
nistre de la guerre noininàt une cour martiale pour juger la question au point
de vue militaire. Un membre ayant proposé que la Convention ne décidât rien
sur Lavergne, avant d'avoir entendu le rapport général sur la reddition de
Longwy, Goupilleau s'éleva contre ce nouvel ijournement, soutenant d'ailleurs
que Lavergne devait être mis en liberté, puisque le jury d'accusation n'avait
trouvé aucune cbarge contre lui ; et Pbilippeaux reprenant la question au
fond :
c Je rappelle, dit-il, quelques faits : Lavergne n'a commandé à Longwy que
pendant trenle-sÛL heures. Celle place était sans défense. Lavergne demanda du
secours à Luckner qui ne lui çn donna pas. Lavergne, avant de se rendre â
Longwy, commandait à Sierk : je vous atteste que là il s*est conduit en bon mi-
litaire patriote. »
Et il rappela comment, menacé par un ennemi supérieur, il avait proposé aux
habitants de se faire sauter plutôt que de se rendre.
2. 3éance du 21 février, Moniteur du 22.
LâYëRGNE, commandant de LONGWY. 95
services*. Il en avait, dit-il, prévenu lui-même Barère et
Robespierre. On Farréta dès le premier pas, et cette fois
c'était pour ne plus le lâcher. Vainement essaya-t-il
d'intéresser Fouquier-Tinville à son sort en prenant l'at-
titude d'un patriote persécuté, d'un montagnard de la
veille :
Pont-sur-Rohre, 4 Tentôse, Tan II.
Je vais paroitre devant toi. Sans les craintes d*une femme
bien chérie, depuis longtemps j'aurois offert à la justice la
conduite d'un patriote des plus hardis, traîtreusement sacrifié
par deux généraux perfides qui n'ont jamais pu lui pardonner
de le trouver toujours opposée à leurs sourdes menées. Si tu
fais tomber les traîtres à la République une et indivisible,
ceux qui n'ont jamais varié, qui ont été les précurseurs de la
Montagne, doivent trouver en toi un prolecteur dans leur
malheur, etc*.
Le mois de ventôse s'écoula encore tout entier et le
commencement de germinal. Enfin entre Hébert et Dan-
ton on trouva un jour pour le malheureux officier.
Le 10 germinal, il subit devant Foucault l'interrogatoire
préliminaire à son jugement. Il fallait des traîtres au
tribunal : il essaya de montrer à son juge qu'il avait été
lui, simple officier patriote, victime de la trahison de
deux hommes, déjà jugés comme traîtres, soit par l'opi-
nion publique, soit par le tribunal lui-même, Wimpfen
clLuckner. C'est pour le perdre qu'ils l'ont envoyé à
Longwy et qu'ils l'y ont laissé sans secours. Quand on l'a
1. < Il n'avoit d'autre motif, en demandant sa liberté, dit Mme Lavergne à
Lacroix, que d'être à même de profiter de toutes les occasions possibles de com-
battre, vaincre et renvci'ser à la tétc de son bataillon ou d'une poignée de sol-
dats, amis de la liberté, les armées des barbares qui combattent pour ropprimcr.
(Lettre citée plus haut, pièce 7) .
3. Archives, môme dossier, pièce ^.2.
04 CHAP. XXVII. — GERMINAL (ENTRE HfiBERT ET DANTON).
arrêtés il « filait > sur le Rhône, Youlant gagner Perpi-
gnan où il avait deux oncles (Régnier et Gouet), officiers
généraux, auprès desquels il voulait gagner, l*épée à la
main, un pardon bien mérité *.
De l'argent qu'il avait emporté de Longwy pas un mot
dans cet interrogatoire. Mais l'accusateur public ne
manquera pas de le faire reparaître pour ajouter la
flétriasure du vol à Taccusation trop commune de tra-
hison; et cela ne fait môme plus quertion dans le ver-
dict demandé au jury : c'est un fait, un fait constant.
La position des questions par le président est déjà un
coup de hache porté à Taccusé :
Il a existé une conspiration contre le peuple français, en
entretenant des intelligences avec les ennemis de la France
pour leur livrer les villes frontières, notamment Longwy, et
favoriser par là Finvasion du territoire français ; et encore en
dilapidant, emportant et s*appropriant les fonds de la caisse
militaire appartenant à la République.
Question.
Louis-François Lavergne-Champlaurier, ci-devant capitaine
au 50* régiment, ensuite lieutenant-colonel et commandant
militaire à Longwy, est-il auteur ou complice de cette conspi-
ration ?
DOBSENT '.
Le jury n'avait plus qu'à souscrire sur le second point
à l'affirmation du juge, et le tribunal prononça la sen-
tence de mort *.
A peine ce mot était-il prononcé qu'on entendit dans
i. Ea deniMr Keu, à It suite de sa détention à Langres«
9. Archives, même dossier, pièce K.
5. Ibid., pièce 80.
4. Ibid.t pièce 82 (ju^ment).
MADAMB LAYERGNE. 95
la salle une jeune femme crier qu'il fallait un roi. c Oui,
il faut un roi > ; et se tournant vers le tribunal : « Les
monstres ! les bourreaux ! ils assassinent le monde ! ils
assassinent le monde ! je veux aller à la guillotine avec
mon mari^ > On Tarréta. On la conduisit aux adminis-
trateurs de police qui lui demandèrent son nom, son âge
et le nom de son mari :
Victoire Resnier, âgée de vingt-six ans, femme de La-
?ergne, capitaine au ci-devant régiment de Rouergue.
C'est tout ce qu'elle put dire dans l'afTaissement qui
succédait à la surexcitation dont elle était animée tout à
l'heure :
D. Si elle sait pourquoi elle a été arrêtée ?
R. Qu'elle n'en sait rien.
A elle observé que les citoyens gendarmes qui l'ont arrêtée,
ont dit qu'elle avoit demandé un roy, qu'elle vouloit être guil-
lotinée, que l'on alloit assassiner son mary.
R. Qu'elle n'en sait rien.
1. Voyti les déclarations dea témoins :
L. Ph, Th, Porquett trente-trois ans, commis négociant. Étant de service au
p(»te, il a TU une femme criant : < Qu'il faut un roi, oui, qu'il en faut un », et a
prononcé les mots de moustres et d'assassins, en paraissant les diri^r contre
les membres du tribunal.
Claude Adnet, quarante-cinq ans, capitaine de la gendarmerie nationale :
a Qu'il falloit un roi, oui, qu'il falloit un roi. a
Parlant du tribunal révolutionnaire, cUc a ajouté : c Ils assassinent le monde,
c ils assassinent le monde. »
Rosalie Trottier, vingt-trois ans, couturière :
a Qu'elle a vu une femme vêtue d'un déshabillé brun jeaune, jeune et assez
bien de Ggure, laquelle ayant vu passer un prévenu que l'on eonduisoil à Tau-
dience, a fait plusieurs cris et a dit qu'il falloit un roi, et a ajouté les mots
c de bourreaux et d'assassins », qu'elle Touloit aller à la guillotine avec son
mari. »
P. JavoUt trente-deux ans, gendarme : A entendu une jeune femme, criant
avec rage et affectation : et Qu'il falloit un roi » ; ce qu'elle a répété à plusieurs
fois, ajoutant, paroissant adresser la parole au tribunal : c Ce sont des gueux,
c des voleurs, des bourreaux, ils vont assassiner mon mari ; ce sont des coquins,
a etc. » (Même dossier, pièce 5.)
96 CHAP. XXVn. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
D. Si elle a tenu d'autres propos que ceux dont on lui fait
reproche ?
R. Qu'elle ne le sait pas, qu'elle a seulement besoin de so
coucher.
A elle demandé pour quelle raison elle nous a dit elle-même
en entrant qu'elle vouloit un roy, que l'on alloit assassiner son
mari et qu'elle vouloit être guillotinée, que nous étions des
bourreaux.
R. Qu'elle n'en sait rien.
Lecture à elle faite de son interrogatoire, a dit qu'elle ne
sait ce qu'on luy a demandé ni ce qu'elle a répondu et signé
avec nous.
(Signature à peine lisible :) Resnier-Lavergne^.
L'affaire fut bientôt instruite ; à rinterrogaloire des
administrateurs de police succède rinterrogaloire pré-
liminaire au jugement. C'est Dumas qui interrogea la
malheureuse en présence de Fouquier-Tinville. Le même
trouble la possède, mais aussi la même volonté de
mourir : ' ;^
(c  dit ne vouloir faire aucune déclaration : qu'elle a dit
qu'il falloit un Roi, qu'elle le répétoit et le soutiendroitjus-
1. Dossier 643, pièce 3.
Ënumération des objets trouvés sur clic :
Dix ossignats de cinq livres,
Trois de cinquante tous,
Quatre de quinze sous,
Un petit bout de fil blanc,
Le tout renfermé dans un petit iMrlcfcuille rouge.
Une petite tabatière d*écaillc,
Un élui avec des aiguilles,
Une bonbonnière en paille,
Un reliquaire en argent.
Un cbapelel de coco.
Une petite clef.
Deux gros sous, deux liards.
Deux fuiires de gants.
Sept tant de carrés que de petits morceaux de papier, cotés et para*
phés, par première cl d'ornière, etc. {Ibiei., pièce 4.)
M«- LAYERGxNE. 97
qu*à ce qu'elle n*ait plus de langue, et interpellée de nouveau
a dit ne youloir se nommer ou ne savoir signer. »
(Signé: Fouquet, Dumas, Thiéry.)
C'est sur ces paroles, et sans tenir autrement compte
des sentiments qui agitaient la pauvre femme et égaraient
son esprit, que Fouquier-Tinville rédigea, séance tenante,
son acte d'accusation ; et reprenant sa formule ordinaire,
il ose devant le public ému de ce spectacle, dire qu'elle
a conspiré :
Conspiré contre le peuple français, en provoquant aujour-
d'hui à la porte extérieure de la salle d'audience du tribunal,
dite de la Liberté, le rétablissement de la royauté, et en vou-
lant exciter la guerre civile entre les citoyens !
IjCs jures, les juges qui venaient de condamner Laver-
gne étaient encore sur leurs sièges. On conduit la jeune
femme à la place que venait d'occuper son mari ; et les
jurés déclarent qu'elle a conspiré, et le tribunal la con-
damne à la mort ^ I
Alors enfin elle put rejoindre son mari.
< On dit, rapporte Des Essarts, que depuis cet instant, une
douce sérénité reparut sur son front et qu'elle se disposa à
lamortavec le plus grandcalme.MmeLavergne en montant
la première dans la charrette, demanda d'èlre placée de
manière à pouvoir contempler son mari. Ce dernier, au
moment du départ, était tombé en faiblesse. 11 fut étendu
presque sans vie sur de la paille et sa tête tombait sur
les pieds de son épouse infortunée. Pendant le trajet, le
mouvement de la voiture fil entr'ouvrir sa chemise et
laissa son estomac exposé aux rayons d'un soleil brûlant,
1. Ibid., pièces 10 et 11.
TRIB. RÉVOL. III 7
98 CHVP. XXVII. — GERMINilL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
MmeLavergnes*adressa à Texéculeur et le pria de prendre
une des épingles qui retenaient son fichu et de Tattacher
à la chemise de son mari. Cependant une lueur de raison
et de sentiment revint au mari. Mme Lavergne, pro-
fitant de cet instant Tappelle. Au son de cette voix tou-
chante, Lavergne fixa ses regards sur elle. — Ne t'alarme
pas» lui dit son épouse, c'est ton amie qui te parle ; tu
sais que je n'aurais pu vivre sans toi ; nous allons mourir
ensemble. — Des larmes abondantes remplirent à ces
mots les yeux de Lavergne ; et quelques instants après il
eut assez de force pour exprimer à sa courageuse épouse
la reconnaissance et l'admiration dont il était pénétré.
c Arrivés au pied de l'échafaud, les deux époux se firent
les plus tendres adieux. Mme Lavergne montra jusqu'au
dernier instant le plus grand courage et reçut la mort
comme une faveur ^ »
Trois autres affaires fort intéressantes occupèrent
encore ce jour-là le tribunal. Nous en renvoyons deux au
Journal, mais il en est une qu'il est bon de garder ici :
car elle montre ce que faisait la Convention des juge-
ments qui ne lui convenaient pas.
Joseph -Clair Carris de Barbotan, ex - constituant
(75 ans) et Joseph Nègre, son fermier (61 ans), étaient
accusés d'envoi d'argent aux émigrés*.
Barbotan avait en effet écrit à son petit- fils émigre.
Au tribunal criminel du Gère', où il fut traduit d'abord
1. Des Essarls, Procèê fameux^ t. X, pages 114, 115.
Le peuple, dit un autre récit, blessé de ce spectacle, la suivit jusqu'à l'éclia-
faad, criant : c Elle n'a pas mérité la mort, a — c Mes amis, lear dit-elle» c'es^
ma faute, j'ai voulu mourir avec mon mari.» (Hél. -Marie Williams, Lettrée
p. 172.)
2. Archives, W 542, dossier 644 ; Bulletin, n» 14.
3. Voy. leur intcrrog. par le président du tribunal, Archives ihid., pièces 24
et 37.
CÂRRIS DE BARBOTAN KT JOS. KÈGRE. 99
ainsi que Nègre, le jury répondit qu'il était constant
qu'une lettre avait été écrite le 1*' juin 1792 à l'adresse
de M. Barbotan, officier de cavalerie à Berg, près de
Maycnce; qu'elle avait été écrite par Barbotan à son
petit-fils; mais qu'il n'était pas convaincu de l'avoir
fait pour favoriser les projets hostiles des émigrés ou
d'un émigré. On écartait aussi la question d'envoi d'ar-
gent postérieur au 9 mars 1792 et les deux accusés
furent acquittés ^
Gela ne devait pas se passer ainsi. Le malheureux fer*
mier en avait eu le pressentiment quand il écrivait à
son vieux maître (26 juillet 1792) :
Je puis vous assurer que tout ceci me fait bien de la peine,
ie voudrois être libre pour me retirer chez moi. Se qui me
tranquillise, c'est que vous m^avez dit que tout «a rangerait
bien taut (bientôt), alors les affaires changeront de fa^^e*.
Le 12 pluviôse (51 janvier 1794) la Convention
annula le jugement du tribunal du Gers qui acquittait
Barbotan et Nègre et ordonna qu'ils seraient traduits
devant le tribunal révolutionnaire \ Là l'interrogatoire,
devant le juge-commissaire (7 germinal), porta princi-
palement sur un émigré Julhiac, dont les biens avaient
été administrés par Barbotan et pris à ferme par Nègre.
Les deux prévenus nièrent tout envoi d'argent à l'émi-
gré : mais il y avait un homme influent qui pressait
l'affaire, Youlland; et ce n'était pas pour les mettre
plus tôt en liberté qu'il écrivait à Fouquier-Tinville a la
même date, l'invitant à mettre la plus grande activité
1. 18 nivôse (7 janvier 1794) Arciiivei, ibid., pièces 30 et 51.
2. Ibid., pièce 05.
5. Ihid., pièce 48.
100 CllilP. XXYII. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
dans ce jugement'. Quatre jours après ils comparais-
saient devant le tribunal. La réponse du jury fut affirma-
tive sur toutes les questions, et les deux vieillaitls
furent envoyés ensemble à Téchafaud *.
Salaberry ; Brochet de Saiiit-Prest ; Colivel ; Euloge Schneider.
Le lendemain 12 germinal {V avril 1794) quatre
autres procèsqui méritent d'attirer Tattenlion du lecteur.
Les trois premiers étaient d'aristocrates de diverse
sorte :
1" Ch.-Vict.-François Salaberry (62 ans), président de
la chambre des comptes pendant 54 ans, jusqu'à la sup-
pression de la compagnie, et depuis juge de paix, ofGcier
municipal du canton et de la commune de Blois^. Il avait
été en correspondance avec le marquis de Rome, son cou-
sin, qui jouissait de la chasse du parc de Cbambord et
qui l'avait prié de faire prolonger le terme marqué pour
la destruction de ce parc, jusqu'à ce que la vente projetée
de la terre fût décidée ou abandonnée (février 1792)*.
Mais de plus, on avait trouvé dans ses papiers certaines
lettres qui montraient peu d'enthousiasme pour la révo-
lution. On lui parlait des désordres de la rue, par
exemple, d'un abbé à qui on voulait faire prendre le
bonnet rouge, de femmes insultées aux Tuileries*. Rome
lui annonçait le 14 mars 1792 que l'on voulait suspendre
le pouvoir exécutif, nommer douze dictateurs, dénoncer
1. Archives, ibid., pièce 60» — 2. Ibid,^ pièces 58 et 50.
5 Archives, W 542, dossier 045 ; Bufletin, 4* partie, n* 15.
4. Und., pièce iZ. — 5. Ibid., pièce 7.
SilABERRY, BROCHET DE SilNT-PlŒST. 101
la reine comme auteur de tous les maux S etc. Dans une
lettre plus récente (on est alors en république), son cor-
respondant lui disait qu'on allait faire le procès aux
généraux du nord ;
Sans doute qu'ils recruteront des généraux dans les sans-
culottes. Oh ! ça ira, n'est-ce pas, pas loin !... Tout le monde
quitte Paris'.
Il avait été arrêté à Blois dès le mois de juillet et eut
à subir dès lors plusieurs interrogatoires'. Ce ne fut que
le 8 ventôse (26 février 1 7 94) que Garnier de Saintes l'en-
voya au tribunal révolutionnaire : il voulait y traduire
avec lui son fils qui avait voyagé en Allemagne en 1790
et 1791 ; mais sans doute on ne le trouva pas. Le père
seul eut à répondre au juge qui rinterrogea sur l'affaire
de la terre de Chambord, et sur le lieu où il était le
10 août : — il était dans sa terre \ On ne pouvait donc
en faire un des complices du château. Mais les lettres que
Ion a vues offraient matière suffisante au tribunal. La
question porta sur cette correspondance à laquelle on
prétait l'intention «délivrer la ville de Blois aux rebelles
de la Vendée' ». II fut condamné sur pièces et sans
témoins*.
2* Antoine Brochet de Saint-Prest, 25 ans, ex-noble, ci-
devant sous-lieutenant dans la garde de Capel, accusé de
complicité dans le c massacre du 10 août^>. 11 était parti
le 9 août de Châteaudun pour revenir à Paris. On sup-
1. ArchiTes, ibid,, pièce 11.
î. Ibid,, pièce 6.
3. Ibid., pièce 10.
4. Ibid., pièce 2.
5. Ibid., pièce 58.
6. Ibid., pièce 60.
7. Archives, Yi 343, doMier 662.
m GIIÂP. XXYU. - GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
posait, non sans raison pouMtre, que c*étail pour dé-
fendre le roi. Dans Tinterrogatoire qu'il subit le 5 ven«
tôse à Chàteaudun il s'en excuse comme il peut. Il n'était
arrivé à Paris que le 10 août, entre midi 1/2 et une
heure. Il s'était rendu auprès de sa grand'mère <c qui
rendait les derniers soupirs >, et il était reparti le 11, la
laissant sans connaissance : elle mourut le 14,
On lui demande pourquoi étant venu à Paris voir sa
grand'mère, il y est resté si peu et en est reparti le len-
demain du c massacre » ?
U répond que sa grand-mère étant sans connaissance
et au milieu de tous ses enfants, il s'y crut inutile et est
revenu pour dissiper les inquiétudes de sa femme,
D. Quelle était son opinion quand il était de la garde de
Capet ; lui étaitril plus attaché qu'à sa patrie même ?
R. Qu'à cette époque le roi était chef du royaume et que
par son serment il devait lui rester fidèlement attaché, et
qu'en cela il servait fidèlement sa patrie.
On lui fait observer que sa réponse est fausse, la sou^
vcraineté appartenant au peuple, et on lui demande ce
qu'il eût fait s'il se fût trouvé dans le massacre du
10 août.
R. Ne connaissant pas à cette époque quel était le bon parti,
a*jl s'y fût trouvé, il ne sait pas celui qu'il aurait prii^
Il s'en référa à ces réponses dans le nouvel interroga-
toire qu'il subit à Paris où Bentabolc l'avait envoyé pour
être jugé* ; et il est probable qu'on s'en tint là au tribu-
nal. Le Bulletin ne donne qu'une analyse de l'interroga-
toire primitif qu'il résume en ces termes :
i. Ai'chtTes, Yf 343, dossier 662, pièce 9.
2. Ibid,, pièce 6.
SIMON COLIYET. i03
La journée du 10 août, selon Taccuiéi n'avait produit qu'un
bouleyersement général ; il croyait de son devoir de demeurer
fidèle au roi plutôt qu'à la patrie. Il n^avait aucune opinion
de la Révolution et ne savait lequel du gouvernement répu-
blicain ou monarchien devait avoir la préférence ; il deman-
dait du temps pour se décider et connaître lequel des deux
devait opérer le bonheur du peuple pour lequel il disait faire
des vœux^
On peut voir par le texte de l'interrogatoire cité
plus haut combien le rédacteur en altère la pensée.
Les royalistes ne surent pas toujours concilier la cause
du roi et celle de la patrie ; mais ils ne prétendirent
jamais les opposer. Pour faire son choix a-t-il demandé
du temps? Je n'en trouve non plus aucune trace. Du
reste on l'envoya sans plus attendre à l'échafaud.
5* Simon Coliyet, garçon épicier à Paris depuis 1784
€ et toujours garçon épicier >, accusé aussi de complicité
dans les journées du 20 juin et du 10 août : — car la
journée du 20 juin elle-même, l'invasion des Tuileries
par la foule, était devenue un complot de la cour. On lui
reprochait en outre d'avoir déclamé contre le jugement
du roi*.
Dans son interrogatoire il proteste, dit qu'il a toujours
pensé que la journée du 20 juin et du 10 août et le ju-
gement du roi ont été pour le bien du peuple.
On lui demande où il était le 10 août. ^- Dans la cour
du château avec son bataillon.
D. Si lorsque Capet descendit du château et passa ce ba^
taillon en revue, lui, prévenu, ne fut pas de ceux qui crièrent
Vive le roi.
i. Bulletin, nMO, page 61.
a. ArchÏYes, W 343, dossier 600; Bulleiin^ 4« {Nirtie, n* 15.
104 CUAP. XXYU. — GERMiNilL (ENTRli: HÉBERT ET DANTON).
R. Que non, et qu'il a crié au contraire Vive la nation
(l'une voix faible, attendu qu*il étoit enrhumé, ayant passé
deux fois vingt-quatre heures de garde ^
// était enrhvmé I Dans l'antre de Sa Majesté lionne,
le renard s'en tira sur cette excuse. On ne se tirait pas
à si peu de frais des griffes du tribunal.
A ces procès d'aristocrates, nobles ou non, faisait pen-
dant, le 12 germinal, un accusé de tout autre nature, le
bourreau de l'Alsace, Euloge Schneider'.
Ancien prêtre allemand, réfugié à Strasbourg et de-
venu vicaire épiscopal de l'évoque constitutionnel, il avait
renoncé à ces fonctions pour celieis d'accusateur public
près le tribunal criminel, fonctions qui convenaiisnt
mieux à son humeur. De là il avait passé de plein droit
dans une commission révolutionnaire ambulante, établie
le 24 vendémiaire par les représentants du peuple, pour
promener la justice, avec son appareil sanglant, dans les
campagnes et dans les villes; el il avait commis de tels
excès, mêlant le luxe et la débauche à l'effusion du sang,
que Saint-Jusl, alors commissaire près l'armée du
Rhin, le fit arrêter, exposer sur un échafaud en face de
la guillotine'; après quoi il l'envoya au tribunal révolu-
tionnaire pour la lui faire voir de plus près \
i. Archives, t6û/., piàce 2.
2. Arohivet, W 343, dossier 662 ; Bulletin n* 15.
5. Ibid.^ pike 3.
4. Voici les termes de rarrété :
Les représentants du peuple, envoyés extraordinairemcnt aux armées du
Rhin et de la Moselle, informés que Schneider, accusateur près le tribunal ré-
volutionnaire, ci-devant prêtre, et né sujet de Temperear, s'est pi*ésenté au-
jourd'hui dans Strasbourg avec un faste insolent, traîné par six chevaux et en-
▼ironné de gardes le sabre nu.
Arrêtent, que ledit Schneider sera exposé demain, depuis dix heures du ma-
tin jusqu'à deux heures après midi sur l'échafaud de la guillotine, à la vue du
peuple, pour expier rinaulte faite aux mœurs de la République naissante, et sera
ËULOGË SCHNEIDER. 105
Les pièees recueillies dans son dossier peuvent déjà
donner une idée de ce qu*é(ail la justice révolutionnaire
en province et quelles basses passions elle était appelée
à satisfaire: chevaux d'un condamné à mort gardes pour
le service de son tribunal, portefeuille pris sous prétexte
d*en tirer le passeport, amende à un malheureux qui
payait 4 sols de tabac en numéraire : ce n'étaient là que
peccadilles*. Dans les Observations générales^ présentées
sur les actes de cette commission par Taccusateur public
du tribunal criminel du département du Bas-Rhin, il est
dit:
De tous les jugements rendus parla commission révolution-
naire, il n'y en a pas un qui ait trait à l'objet principal dont
elle était spécialement chargée : Tapprovisionnement de
Tannée.
De tous ces jugements, il n'y en a pas un où toutes les
formes établies par les lois révolutionnaires n'aient été violées
de la manière la plus réprchensible.
De tous ces jugements, il n'y en a pas un qui soit fondé sur
la loi ou sur des arrêtés des représentants du peuple.
Parmi ces jugements, il y en a un grand nombre où, sans
preuves légales acquises, elle a prononcé la peine de mort,
déportation ou autre.
Parmi ces jugements, il y en a un gi*and nombre qu'elle a
rendus sur des délits qui n'étaient pas de sa compétence.
Enfin, des juges incompétents ont concouru à ces juge-
ments, tels que Taffm (le président) prêtre, ci-devant curé à
ensuite conduit de brigade en brigade tu Comité de salut publie de la ConTeo-
tion nationale.
Le commandiint de la pince est chargé de rexécution du présent arrêté, et en
rendra compte demain à trois beures après midi.
A Strasbour-:, 24 frimaire, l'an II de la République une et îudirisible.
Signé: Lbbas, Saint-Just.
{Hecueil de pièces de la Révolution à Slrathourg^ 1. 1, p. 63, dernière pièce.)
1. Archives, ibid.^ pièces 6 et suiy.
106 CHAP. XXYIL — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
Haguenau, vicaire épiscopal à Strasbourg et puis président
du district de Strasbourg, et A. Probst, prêtre, officier muni-
cipal à Schelestadt ; ni l'un ni l'autre n'ont jamais été juges
d'un tribunal quelconque.
F. Neumann*.
Dans le registre où étaient inscrites ses opérations,
on trouve des notes comme celle-ci :
Arrivé à Oberenheim, nous avons consigné tous les habi-
tants de cette ville, sous peine d'être regardés comme émigrés
^t punis comme tels.
Nous avons enjoint à la municipalité de nous fournir jus-
qu'à demain à neuf heures du matin une liste des personnes
contre-révolutionnaires.
Un des accusés fut condamné à mort pour avoir dit :
« L'ennemi viendra encore chez nous ; la guerre ne finira
pas sitôt \ >
Cela n'était pas de nature à choquer Saint-Just ni le
tribunal révolutionnaire de Paris. Ce qui avait surtout
irrité le représentant, c'étaient des actes de despotisme
personnel qui semblaient une usurpation sur une autorité
plus haute. Les prévarications d'Euloge Schneider étaient
en quelque sorte décuplées par toutes celles qui se com-
mettaient sous son patronage. L'accusateur public du
département du Bas-Rhin cité plus haut, Neumann, dans
des observations sur sa conduite, nous montre ses agents,
anciens prêtres autrichiens, envoyés dans les communes,
infligeant des amendes arbitraires dont ils ne tenaient
pas registre; des impositions de 1000 francs dont ils
exemptaient ensuite, à la condition qu'on leur remît une
somme en numéraire quMls gardaient pour eux sans
1. Archives, W 343, dossier 662, pièce il.
2. Ibid., pièce 12.
EULOGË SCHNEIDER. 107
quillance; la clientèlo d'Euloge Schneider rattachée à lui
parla crainte; des réjouissances à son approche com-
mandées par la terreur, témoin les illuminations faites à
Schelestadt et à Barr; les mets les plus exquis, les vins
les plus fins apportés sur sa table. Quand il entra dans
Strasbourg, il était dans une voiture à six chevaux,
escorté de cavaliers qui, à l'approche de la ville, dé^
ployèrent leur drapeau et mirent le sabre au clair *. «Je
ne parlerai point de son entrée à Strasbourg, ajoute à ce
propos Neumann, elle est connue. Saint-Just et Le Bas
ont vengé la simplicité des mœurs républicaines, insul-
tée par son faste insolent, en le faisant exposer à la
guillotine '. »
Un double incident assez curieux dans cette vie de
prôtre renégat, c'est la façon dont il mariait et dotait ses
pareils, et se maria lui-même. Citons les textes.
1. Indé|)endammenl de l'arrêté de Saint-Just et Lebas, eité plus haut, voioi
sur l'entrée triomphale de Schneider à Strasbourg un témoignage curieux ;
c Le soussigné déclare, qu'ayant été envoyé par le maire de Strasbourg à Sche-
lestadt, pour porter une lettre au tribunal révolutionnaire, il s'est arrêté à son
retour à Ensicfieim pour rafTratchir son chcTal. En même temps sont arrivés, le
citoyen Barlh, commandant de cavalerie de Lampertheim, avec d'autres ofQoiert
et cavaliers nationaux de Barr. Peu de moments après venait un autre cavalier
de Barr leur annoncer que Schneider était arrivé. Le nommé Barih a fait lever
de table tous les cavaliers, en leur disant : « Ne faites pas que Schneider passe
sans que nous (nous en) apercevions, parce que si nous (ne) sommes pus tvec
lui en partant d'ici, nous risquons d'être mis au pont couvert ou avoir d'autres
histoires. » Schneider arriva dans une voiture attelée de six chevaux, tout le
monde partit pour l'accompagner. Le soussigné est aussi parti. Il a remarqué
que les cavaliers montaient le drapeau à peu de distance de la ville, à It tour
nomniée Gr{in-^Varth, qu'en entrant en ville ils ont tiré les sabres et ont ao-
oompngné la voiture sur la place Snint-Picrre-le-Jeune à Strasbourg.
a Ce 28 frimaire, l'an U de la République une et indivisible.
Signé : Creitzeb,
inspecteur de police, t
(Archives, ibid., pièce 42 (24 nrimaire). Cf. pièce S6, où il y a moins de détails.)
2. Une gravure du temps, qu'on peut voir dans h collection historique di|
Cabinet des estampes, représente cette scène ; le carrosse i six chevaux capara-
çonnés dont avait fait usage Euloge Schneider est au pied de l'écliafaud. C'est pro-
bablement dans cette voiture qu'on avait trouvé piquant de Vj conduire.
108 CHAP. XXVII. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
On célébrait la fête de la Raison à Barr, on la célé-
brait par des abjurations de prêtres catholiques et de
ministres protestants, renonciations qui donnèrent lieu
de parler du mariage des prêtres; et de ce nombre était
le vicaire de Barr c qui disait vouloir prendre femme
sur-le-champ i». Le procureur syndic ajoute dans son
rapport :
Sur ce, le citoyen Schneider disait qu'il devait choisir une
fille parmi celles qui se trouvaient au temple, et que celle
qui refuserait serait regardée comme suspecte, cependant
d'un air que lui déclarant prenait la chose comme un badi-
nage ; le soir la société populah*e a tenu séance dans laquelle le
vicaire de Barr s'est présenté avec une fille, en disant qu'il
voulait l'épouser; les nouveaux conjoints n'ayant point de
fortune on propose à la société de faire pour eux une collecte ;
et sur ce, le citoyen Schneider dit qu'il fallait faire une
liste qui serait approuvée par le district,., et la remettre
au tribunal révolutionnaire qui doit connaître ceux qui ont
donnée
Et en conséquence l'administration du district prit
l'arrêté suivant :
Du 17 frimaire l'an H de la République une et indivisible.
Les administrateurs composant la direction du district de
Barr, voulant donner des preuves de son amour pour la Ré-
publique et concourir par tous ses efforts au bonheur des ci-
toyens qui se rendent dignes de l'attachement des vrais sans-
culottes par des actes aussi expressifs de leurs sentiments
civiques,
Invitent la municipalité de son arrondissement d'assister
de tous leurs pouvoirs les commissaires nommés par la société
républicaine de la commune de Barr, à l'effet de faire une
i. Rapport du procureur syndic, Archives, W 545, do6s. 662, pièce 53.
EULOGË SCHNEIDER. 109
collecte dans cet arrondissement pour le citoyen Funck, ci-
devant vicaire de cette ville.
L'administration ne peut s'empêcher de dire à tous ses con-
citoyens qu'elle regardera comme vrais frères sans-culottes
ceux qui donneront des preuves dans cette occasion. Elle
arrête que, conformément au vœu de ladite société, appuyé
de celui des juges dudit tribunal révolutionnaire, la liste des
dons qui seront faits, ainsi que les noms des contribuauo; sera
remise au tribunal révolutionnaire à telles fins que de
raison... K
Un don gratuit sous le contrôle du tribunal révolu-
tionnaire ! On comprend que quand l'accusateur public
liii-mème de ce tribunal voulut se marier, il ne pou-
vait trouver nulle part de résistance. Il faut lire le récit
du père de la fille à qui fut réservé cet honneur :
Je déclare que j'ai fait la connoissance du citoyen Schneider
quelque temps après son installation en qualité de vicaire de
Tévcque du département du Bas-Rliin. dans un club que je
fréquentois.
Citoyen Schneider arrive à Barr avec le tribunal révolution-
naire.... On fit une fête de la Raison au temple.... C'est à
cette fête que citoyen Schneider renouvela la connoissance
avec ma famille. J'arrive le lendemain et je fis une visite aux
juges du tribunal révolutionnaire. Citoyen Schneider me dit
qu'avant de partir il me verroit dans ma vallée.... Effective-
ment, quelques jours après il vint me voir pour inviter ma
famille d'a$<ister à un jugement (on n'est pas plus galant') et
de loger avec lui : j*accompagnai ma fille, nous soupâmes
chez lui avec sa suite.
Le lendemain 19 frimaire le tribunal partit pour Epfig.
1. Archives, ibid., piùce 31. On a une liste de souscription qui monte k 2241.
10 s. certifiée Schweighâuser. (Ibid., pièce 44 bis.) Mais dans une note (pièce 46)
il est dit que les époux ont reçu, grâce à ces moyens collectifs, passé vingt mille
livres.
2. Diafoirus se borniiil à oflVir le régal d'une autopsie.
iiO CUAP. XXVII. - GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
Le 30 frimaire, à une heure et demie du malin on frappa
à ma porte. Mon épouse se leva, et apparut dans la rue un
cavalier qui escortoit une chaise. Elle demanda quelles sont
les personnes qu*il escorte ; il lui donna pour réponse : le
tribunal révolutionnaire. Là-dessus mon épouse vint dans
ma chambre m'éveiller ; je me levai tranquillement et des-
cendis dans la cour. On dételoit déjà les chevaux. Citoyen Taf-
fin, président et citoyen Wolff, juge dudit tribunal, me dirent
très honétement qu'ils étoient chargés d'une commission de
la part du citoyen Schneider.
Nous montâmes et je convins que je tâch(er)ois de les
amuser en fumant une pipe, pour découvrir les motifs qui
les amenoient à faire une visite à une heure inattendue, afln
d*y préparer ma famille ; mais il n*y avoit pas moyen d'y
réussir. Enfin citoyen Tafiin me pria d'appeler ma femme et
ma fille aînée et me remit une lettre conçue en ces termes ;
Epfig, le 10 frimaire» Tao H de la République une et indiYÛible.
Chers amis.
Je suis déterminé à épouser votre fille atnée. Consentez-y,
je tâcherai de faire son bonheur.
Signé : Euloge Schneider.
La lettre adressée à ma fille est conçue en ces termes :
Aimable citoyenne,
Je t^aime, je sollicite ta main.
Signé : Euloge Scumeider.
Je remerciai les négociateurs de la préférence que citoyen
Schneider donnoit à ma famille, leur avouant franchement
que je n*avois pas de fortune qu'une fille vertueuse à lui oiTrir;
que je suis un sans-culotte dans tous les principes, et que
j'étois bien persuadé que citoyen Schneider ne mettoit pas en
balance la fortune avec ma fille ; que cependant, avant de
nous décider, cette recherche exigeoit des réflexions et que
je ne voulois pas manquer à la confiance que j'avois inspirée
EULOGE SCHNEIDER. ili
à mes enfants et que ma belle-mère méritoit à tou6 égards.
On m'accorda un jour et en même temps on m'invita de
partir avec eux pour assister à la fête de la Raison à EpGg.
Après, m'étant adressé à ma fille pour connoitre ses senti-
ments que mes enfants n'ont jamais cachés devant moi, leur
ayant donné une éducation libre ; elle a témoigné qu'elle
n'avoit pas de répugnance pour Schneider, qu'elle croit pou-
voir vivre heureuse avec lui, et consentit de lui donner sa
main.
Réflexions qui le déterminèrent lui-même :
Schneider est un homme d'esprit à talents, d'un caractère
égal, qui a beaucoup fait pour la Révolution et particulièi*e-
ment pour ce département, etc.
— Il prévoit tout, — excepté la guillotine.
Le matin à neuf heures ma famille partit avec les négocia-
teurs pour Epfjg. L'escorte devançoit la chaise. Près d*Epfig
ma famille aperçut une procession, comme ci-devant à Cérès.
En approchant elle reconnut Schneider avec sa suite, qui les
a reçus et à laquelle il présenta sa future épouse. R monta en
chaise et entrèrent à Epfig, et de là, au temple pour célébrer
la fcte.
J'arrivai une heure après, croyant que ce jour étoit sacré
à la réflexion. Je fus surpris de me voir entouré et compli-
menté. Je pardonnai celte précipitation à l'ardeur d'un
amant qui vouloit assurer son bonheur. Puis Schneider me
dit que se sachant heureux par la possession de ma fille, il
continueroit plus tranquillement sa course, qui durera encore
deux mois, il ne craindroit plus qu'elle lui scroit enlevée par
d'autres qui ont jeté les yeux sur elle.
La proclamation se fil à Rarr le 22 frimaire. J'ignore si
elle a eu lieu à Strasbourg*.
l. Le mariage avait eu lieu le 2^, la rentrée k Strasbourg et Tarrcstation de
Schneider le '2i frimaire.
114 CHAP. XXVU. — GERMINAL (ENTRE HÉBERT ET DANTON).
— On a VU que le père et la jeune fille elle-même ne
s'y étaient pas trop refusés.
Le président Dumas résuma toute l'affaire dans cette
question posée au jury :
Estril constant que dans le département du Bas-Rhin depuis
1791 et notamment en 1793, il a élé pratiqué des manœuvres
et particulièrement en ébranlant la fidélité des citoyens envers
la nation et les portant à la révolte contre l'autorité légitime,
par des manœuvres criminelles concertées avec le contre-révo-
lutionnaire Dietrich et des prêtres allemands, par des vexa-
tionSf des concussions immorales et cruelles envers les citoyens;
par Tabus le plus révoltant et le plus sanguinaire du nom et
des pouvoirs d'une commission révolutionnaire pour oppri-
mer, voler et assassiner des patriotes, ravir Thonneur, la
fortune et la tranquillité des familles paisibles ?
Euloge Schneider, etc. S
La réponse du jury fut affirmative, et Euloge Schnei-
der alla rejoindre le Père Duchesne, en attendant qu'il fût
rejoint, lui-même par son accusateur et par ses juges \
Le lendemain 15 (2 avril) commençait un procès bien
plus considérable. Le Comité de salut public achevait
Tœuvre ébauchée par le rapport du 23 ventôse. Après
avoir frappé ceux qui le devançaient, il frappait ceux
qui ne le suivaient plus ; après les enragés, les indul-
gents.
1. Archives, W 343, dossier 662, pièce 48.
2. Un révolutionnaire poursuivi par Saint-Just ne peut être aisément défendu,
et ne l'a été du moins jusqu'à pré>ent par personne. Voyez sur E. Schneider, Louis
Blanc, Hiêl, de la RévoL, t. X, p. 141 et 147, et Ernest Uamel, Saint-Jutt,
livre lU, p. 327 et suiv.
t
i
r
CHAPITRE XXV m
DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
(arrestation)
I
Mouvement de Topinion contre les enragés à U suite du procès d'Hébert.
On a vu, par les rapports de police cités plus haut,
à quel point l'opinion publique avait été poussée contre
les démagogues de la Commune. L'immolation d'Hébert
et de ses compagnons n'avait point satisfait le peuple.
Ghaumette, Gobel, etc., étaient en prison, et on les atten-
dait ailleurs ; mais il y en avait beaucoup d'autres qu'on
y aurait voulu voir avec eux, tous de la même faction.
Un violent courant entraînait les esprits dans cette
voie. L'observateur de police disait le 5 germinal
(25 mars) :
Près les Champs-Elysées, comme on lisait un journal dans
lequel il était parlé de Chaumette, presque toutes les femmes
qui écoutaient ont dit : « Oh ! pour celui-là, j'irai le voir
guillotiner, c'est un fripon qui avec ses beaux discours vou-
lait affamer Paris. » Chabot y a aussi été traité de scélérat,
et une jeune fille a ajouté qu'il avait abusé et trompé uue
couturière de dix-neuf ans.
Bouchotte, Lhuillier, Chaumette, Pache, Santerre, ont fait
l'occupation de plusieurs groupes ; on y disait a qu'ils passe-
raient par le tribunal révolutionnaire, ainsi que le général
Uenriot qui, avec ses aides de camp, a brisé les scellés qui
étaient dans la maison de Saint-Agnan [Aignan] . o
116 CHAP. XXVlll. — DANTON, CAMILLE DESMOULLNS, ETC.
El le 6 :
On attend toujours avec impatience que les complices
d'Hébert soient connus pour les voir guillotiner; mais on
dit que pour sauver d^autres grands coupables on a excepte
de celte conjuration Santerre, Pache, Boucliotte et Henriot.
La Commune tout entière était devenue suspecte :
Il est bien étonnant, disait-on, dans un groupe sur le
boulevard des Italiens, que la Convention, après les trahisons
et les complots qui viennent d'être découverts, ne scrute pas
la conduite de la Commune ; il est difficile à croire qu'il n'y
ait pas de membre véreux, Chaumet et Hébert en ayant été
les meneurs. » « Qui sait, a répliqué un citoyen, si elle est
bien pure, d'après tout ce qui s'est passé? — J'appuie la
motion, a répondu un troisième, et je vois parmi elle certains
individus qui, ayant plus de poumon ou d'astuce que les
autres, cherchent à tout désorganisera »
La défiance s'attaquait aux idoles les plus vénérées
de la foule. On commençait à douter de la divinité de
Marat :
Dans les cafés, chez les restaurateurs, et même dans les
groupes, on répand que Marat n'était pas un si bon patriote
que le peuple l'a cru et le croit encore ; que l'on a découvert
qu'il avait trempé dans cette dernière conspiration ; que sa
femme même était arrêtée'.
L'armée révolutionnaire, dont le chef venait de périr
sur réchafaud, était appelée dans les groupes c une
1. Rapports sur les 5 et 6 germinal, Schmîdt, t. II, p. 189-195. Un rapport sur
le 2 enregistrait ce bruit : c On accuse Ghaumette d'avoir fait incarcérer plusieurs
femmes vivant de leurs rentes, sous prétexte qu'elles étaient publiques, — parce
qu'elles n'avaient pas voulu céder à ses instances et à celles de ses agents. »
(Ibid., t. II, page 180.)
2. Rapport du 6 germinal. Schmidt, t. II, page 192. Cf. un rapport sur le 28
venlftse : « Marat est maintenant désigné comme chef de la conspiration qui vient
d'être découverte. >
L*OPINION PUBLIQUE ET LE COMITÉ. 117
armée de coquins \ » Les Comités révolutionnaires
ne se voyaient pas plus épargnés'; et la Convention elle-
même était publiquement menacée dans la foule, sans
que la foule prit fait et cause pour elle :
Dans les groupes et sur les places publiques des malveil-
lants, proBtant des trahisons [de ceux] en qui nous avions
toute confiance, ont l'impudence de chercher à inspirer au
peuple une défiance qui ne tend à rien moins qu'à Tavilisse-
ment des autorités constituées et de la Convention elle-même.
On se plaît à répéter avec un sourire d'aristocrate ces mots :
« Ils y passeront tous, ces scélérats. » La foule était si grande
qu'on n'a pu parvenir à arrêter ou faire arrêter ceux qui
tenaient ces infâmes propos'.
Il y avait péril, pour le Comité de salut public, à
laisser Topinion s'engager plus avant dans celte voie.
S'il avait frappé les violents, ce n'était pas pour faire
triompher les modérés.
Saint-Just, à la fin de son rapport du 23 ventôse,
lançant un dernier coup au parti des Indulgents, avait
repris pour l'en accabler, le mot de Danton : Osez.
Danton dédaigna son adversaire, comme incapable
d'armer son bras d'un si lourd ceste. // n'oserait^ dit-il,
à ses amis inquiets. Et la journée du lendemain sembla
lui donner raison : Danton était libre; ce sont les hom-
mes de la Commune qui se virent arrêtés. Mais le mou-
1. Schmidt, t. IT, page 196 : < On continue à faire dans le public des dénoncia-
tions contre Tarmée révolutionnaire qui est dans les départements. Partout on
assure qu'elle jette la terreur dans Tâmc des patriotes en les Taisant contribuer
de p-é ou de force. Enfin dans plusieurs départements on l'appelle l'armée de
coquins dont le chef vient de périr sur l'échafaud. »
2. c On continue de dire que la majeure partie des comités révolutionnaires
est dans les principes d'Hébert et qu'il est instant de porter sur eux l'œil le plus
attentif. » (Rapport sur le 9 germinal. Schmidt, ibid., p. 200 ; cf. p. 198, sur le 8.)
5. Situation du 6 germinal, ilnd,^ t. H, page 194«
118 CHAP. XXVin. - DANTON, CAMILLE DESIIOULINS, ETC.
vement imprimé par cette arrestation, avait dépassé la
limite. Le Comité lui-même pouvait être emporté. Le
danger le poussait à Taudace. L'arme qui avait frappé
les premiers, il résolut de la tourner, sans plus tarder,
contre les autres.
H
Réaction des Comités contre les indulgenls. Arrestation de Danton,
Camille Desmoulins, Lacroix et Pbilippeaui.
L'exécution se fit avec le même secret et par les
mêmes moyens.
Dans la nuit du 10 au 11 germinal, Danton, Camille
Desmoulins, Philippeaux* et Lacroix* furent arrêtés chez
eux.
Trois Comités s'étaient réunis pour signer l'ordre d'ar-
restation % on pourrait dire l'arrêt de mort : Merlin de
Douai, Cambacérès, Treilhard, Berlier, du Comité de lé-
gislation; Vadier, Lebas, Louis, Jagot, Youlland, Dubar-
ran, Élie Lacoste, Amar, Moyse Bayle, Lavicomterie,
David, Héron, du Comité de sûreté générale; Billaud-
Yarennes, Carnot, Collot d'Herbois, Barère, Saint-Just,
Prieur, Cou thon, Robespierre, du Comitéde salut public \
1. Dès le 9 germinal, Garnier de Saintes écrivait du Mans au Comité de salut
public, qu'il suspectait Phiiippcaux de conspiration : c II est possible, disait-il,
qu'il soit innocent, mais en fait de conjuration la défiance seule commande les
précautions. » (Archives, W 342, dossier 648, 3* partie, pièce 37.)
2. Il est toujours nommé ainsi, mais il sif^ne Delacroix dans son interrogatoire.
(Ibtd.f 3* partie, pièce 45. — Deux membres du comité révolutionnaire de la
commune d*Anet, Revey et Lecomte, l'avaient accusé d'avoir recelé un prêtre ré-
fractaire chassé de la commune. (Archives, même dossier, 1'* partie, pièce 46.)
3. c Le mandat d'arrestation contre Danton, dit Baladin, est sans motif ex-
primé, écrit négligemment (précipitamment?) au haut d'une feuille de papier à
enveloppe. (Baladin, Rapport^ pièce n* 70.V i — La pièce est exposée au Musée
des archives, vitrine 218, n* 1401.
4. Bougeart, Danton^ p. 352.
DANTON, ETC. ËGROUÉS AU LUXEMBOURG. iiO
Les prévenus furent écroués au Luxembourg.
Ce fut, parmi les prisonniers, un grand sujet d'éton-
nement; et le moins étonné n'était pas Danton lui-
même : «c A son arrivée, Lacroix ne parla point; les
prisonniers un peu distingués jouissaient infiniment, et
Tun d'eux, appelé La Roche du Maine, qui était fort
goguenard, dit, en le voyant passer : ce Voilà de quoi
faire un bon cocher. > Camille et Philippeaux n'ou-
vrirent pas la bouche : mais lorsqu'on conduisit Danton,
celui-ci dit, en affectant un rire forcé : c Quand les
« hommes font des sottises, il faut savoir rire. Je vous
c plains tous, si la raison ne revient pas promptement,
« vous n'avez encore vu que des roses*. » Puis, rencon-
trant l'Anglais Payne, il lui dit bonjour en sa langue et
ajouta : < Ce que tu as fait pour le bonheur et la liberté
•c de ton pays, j'ai en vain essayé de le faire pour le
« mien; j'ai été moins heureux, mais non pas plus
c< coupable... On m'envoie à l'échafaud; eh bien! mes
« amis, j'irai gaiement*. »
La stupeur fut plus grande encore dans la Conven-
tion, quand le 11, au matin, on apprit les événements
de la nuit. C'était pour beaucoup, qui se trouvaient
1. «J'étais, dit Beaulieu, à la porte de la prison, lorsqu'il entra; il se présenta
assez bien : a Messieurs, nous dit-il, je comptais bientôt pouvoir tous faire sortir
c d'ici ; mais malheureusement m'y voilà renferme avec vous ; je ne sais plus quel
« sera le terme de tout ceci, s (Estais, t. V, p. 341.)
2. Mémoires sur les prisons, t. II, page 153. — Le décret de la Convention
ayant été adressé au tribunal, Fouquier-Tinville fit le réquisitoire sui-
vant :
c L'accusateur public, vu l'accusation portée par la Convention..., requiert
qu'attendu le décret d'accusation susdaté et en exécution d'icelui il soit ordonné
par ce tribunal assemblé que Danton, etc., soient appréhendés et écroués au
Luxembourg. » (Archives, W 342, dossier 648, 1** pai*tie, pièce 25.) Quand le
tribunal, sur ce réquisitoire, ordonna leur arrestation, il savait bien qu'ils étaient
déjà enfermés au Luxembourg, et c'est pour cela que le Luxembourg fut choisi,
pour qu'ils y demeurassent < comme en maison de justice ••
iâO CUAP. XXYin. - DANTON, CAMILLE DKSlIOULiNS, ETC.
libres encore, un réveil terrible. Mais leurs langues
restèrent enchaînées. Un seul des amis de Danton osa
élever la voix, le boucher Legendre :
« Citoyens, dit-il, quatre membres de cette assem-
blée sont arrêtés de cette nuit. Je sais que Danton en
est un. J'ignore les noms des aulres. Qu'importe les
noms, s'ils sont coupables? Mais, citoyens, je viens
demander que les membres arrêtés soient traduits à la
barre où vous les entendrez, et où ils seront accusés ou
absous par vous.
« Citoyens, je le déclare, je crois Danton aussi pur
que moi, et je ne pense pas que qui que ce soit me
puisse reprocher un acte qui blesse la probité la plus
scrupuleuse. >
Des murmures interrompent l'orateur. Mais Clausel
crie :
« Président, maintiens la liberté des opinions. »
Le président Tallien ayant rétabli le silence, Legendre
reprit la parole, et après avoir rappelé les services de
Danton :
« Il est dans les fers depuis cette nuit, ajouta-t-il. On
a craint, sans doute, que ses réponses ne détruisissent
les accusations dirigées contre lui. Je demande en con-
séquence, qu^avant que vous entendiez aucun rapport,
les détenus soient mandés et entendus. »
Rien ne semblait plus équitable qu'une telle récla-
mation. Il ne faut pas juger sans entendre : l'oubli
d'une telle règle de droit commun et de sens commun,
était un danger pour tout le monde. Quelques-uns
disaient : < C'est nous faire assassiner les uns les autres. »
Et Fayau, qui avait recueilli ce propos autour de lui,
avait peine à le réfuter en s'efforçant de prouver que la
DÉBAT SUR LEUR ARRESTATION. 121
loi ordonnait d'entendre les rapports et n'obligeait pas
h entendre les accusés. Mais mander Danton, entendre
Danlon au sein de la Convention, c'eût été ramener le
lion réveillé et furieux dans l'arène; et qu'eussent fait
les chacals qui venaient de le faire tomber dans ce filet?
Les amis de Danton reprenaient courage; ils semblaient
prêts à sortir de leur stupeur. Robespierre se précipite
à la tribune :
« A ce trouble depuis longtemps inconnu qui rogne
dans cette assemblée, aux agitations qu'ont produites les
premières paroles de celui qui a parlé, il est aisé de
s'apercevoir en effet, qu'il s'agit ici d'un grand intérêt,
qu'il s'agit de savoir si quelques hommes aujourd'hui
doivent l'emporter sur la patrie. >
Et c'est au nom de l'égalité qu'il demandait que cette
arrestation clandestine et sans défense, approuvée par la
Convention pour Bazire, Chabot et Fabre d'Églanline,
fût appliquée à Danton :
« Legendre paraît ignorer, continu e-t-il, les noms
de ceux qui sont arrêtés. Toute la Convention les sait.
Son ami Lacroix est du nombre de ces détenus. Pour-
quoi feint-il de l'ignorer? parce qu'il sait bien qu'on
ne peut sans impudeur défendre Lacroix. Il a parlé de
Danton, parce qu'il croit sans doute qu'à ce nom est
attaché un privilège; non, nous n'en voulons point de
privilèges ; non, nous n'en voulons point d'idoles. [Onap*
plaudit à plusieurs reprises.) Nous verrons dans ce
jour, si la Convention saura briser une prétendue idole
pourrie depuis longtemps, ou si dans sa chute elle
écrasera la Convention et le peuple français. Ce qu'on a
dit de Danton, ne pouvait-il pas s'appliquer à Brissot, à
Pétion, à Chabot, à Hébert même et à tant d'autres.
122 CHAP. XXVin. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
qui ont rempli la France du bruit de leur patriotisme
trompeur? Quel privilège aurait-il donc? En quoi Danton
est-il supérieur à ses collègues, à Chabot, à Fabre
d'Églantine, son ami et son confident, dont il a été
Tardent défenseur? En quoi est-il supérieur à ses con-
citoyens? Est-ce parce que quelques individus trom-
pés, et d'autres qui ne Tétaient pas, se sont groupés
autour de lui pour marcher à sa suite à la fortune et
au pouvoir? Plus il a trompé les patriotes qui avaient
eu confiance en lui, plus il doit éprouver la sévérité des
amis de la liberté. >
Puis prenant une attitude toute défensive, il se plai-
gnit de la défiance qui atteignait les Comités, la justice
nationale, la Convention elle-même. Il fallait du cou-
rage pour c défendre la pureté des principes contre les
efforts de Tintrigue. » Il y avait péril à le faire, il le
savait bien. On le lui a dit, on le lui a écrit à lui-même;
il aurait dû plutôt s'attacher à Danton : c'était pour lui
un bouclier, un rempart qui, une fois renversé, le laisse-
rait à découvert.
« Mais, ajoutait-il^ que m'importent les dangers. Ma
vie est à la patrie, mon cœur est exempt de craintes, et
si je mourais, ce serait sans reproche et sans ignominie.
(On applaudit à plusieurs reprises.)
« Et moi aussi, continua-t-il, j'ai été ami de Pétion;
dès qu'il s'est démasqué je l'ai abandonné. J'ai eu aussi
des liaisons avec Roland : il a trahi, je l'ai dénoncé.
Danton veut prendre leur place; il n'(.*st plus qu'un
ennemi de la patrie. » {Applaudissements.)
Et, prenant de plus en plus la pose d'un homme qui
se sacrifie, en demandant la tête de son prochain :
« C'est ici, sans doute, qu'il nous faut quelque cou-
DÉBAT SUR LEUR ARRESTATION. 123
rage et quelque gi^andeur d'âme. Les âmes vulgaires
ou les hommes coupables craignent toujours de voir
tomber leurs semblables, parce que n'ayant plus devant
eux une barrière de coupables, ils restent plus exposés
au jour de la vérité; mais, s'il existe des âmes vul-
gaires, il en est d'héroïques dans cette assemblée, puis-
qu'elle dirige les destinées de la terre et anéantit les
factions. »
Les membres de l'Assemblée allaient-ils prendre place
parmi les âmes vulgaires et coupables, ou parmi les
âmes héroïques ? c'était à eux de choisir, et pour ras-
surer ceux qui eussent pu être entraînés à l'indulgence
de peur d'être frappés à leur tour, il ajoutait :
c Le nombre des coupables n'est pas si grand. Le
patriotisme, la Convention nationale, ont su distinguer
Terreur du crime, et la faiblesse des conspirations. On
voit bien que Topinion publique, que la Convention
nationale marchent droit aux chefs de partis et qu'elles
ne frappent pas sans discernement. »
Qu'on frappe donc Danton sans crainte pour soi-
même; qu'on le frappe surtout si on craint pour soi :
car parler pour lui, c'est déjà une atteinte coupable
portée à la liberté et à l'égalité.
Ce discours, violent dans son hypocrisie, maîtrisa
l'Assemblée. Ceux qui s'étaient tus se renfermèrent plus
que jamais dans leur silence, et Legendre vint humble-
ment s'excuser d'avoir parlé :
« Robespierre me connaît bien mal, dit-il, s'il ne me
croit pas capable de sacrifier un individu à la liberté. »
Danton n'est déjà plus pour lui qu'un individul
« Citoyens, est-il un d'entre vous qui me croie com-
plice d'une seule mauvaise action? J'aime mon pays, et
124 CHAP. XXVIII. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
je déclare que mon sang, que ma vie lui appartiennent.
Si j'ai fait la proposition que le préopinant a combattue,
c'est qu'il ne m'est pas démontré encore que les détenus
soient coupables, comme cela peut être démontré à ceux
qui ont leis preuves sous les yeux. Au reste, je n'entends
défendre ici aucun individu. »
Le boucher Legendre aussi craignait d'être mis au
rang des indulgents !
La motion étant ainsi désertée par son auteur, Barèrc
se donna l'honneur d'un triomphe facile (il les aimait
ainsi) en demandant qu'elle fut rejetée par la question
préalable, a Barère et Chabot avaient été livrés au tri-
bunal sans être entendus. Y aurait-il un privilège pour
Danton? Yaurait-il des privilégies dans la République?»
— Et qu'aurait pu répondre Danton? Lors de l'arres-
tation de Fabre d'Églantine, tout en demandant qu'il
fût entendu, n'avait-il pas dit : « Sans doute, il peut se
trouver des occasions où le peuple soit pressé de punir...
Brissot et ses consorts ne pouvaient être entendus :
ils étaient condamnés \ »
Il s'était condamné lui-même.
La question préalable fut votée au milieu des applau-
dissements, dit le Journal des débats et décrets^.
C'est donc au milieu de l'Assemblée servilement
résignée*, qu'après Robespierre qui avait fait entendre
la parole du maître, Saint-Just vint, comme accusateur,
1. Séance «lu 24 nivôse (13 janvier 1794). Moniteur du 26 (15 janvier).
2. W 558, p. 187.
3. Saiddin fait sa propre confession, en même temps que celle des autres,
quand il dit de celle séance : « Le silence, la stupeur qui régnèrent dans l'As-
semblée quand Robespierre et Barère eurent parlé, tout, jusqu'à l'adhésion pas-
sive que vous donnâtes à cette question préalable qui rejctoit la motion de Le-
gendre, tout prouve Toppression dans laquelle vous étiez. » {Rapport au nom de
la commitêion des XXI , p. 82.)
RAPPORT DE SAINT-JUST i35
parler au nom des deux Comités. Son rapport élait déjà
I acte d'accusation.
« La Révolution est dans le peuple et non dans la re-
nommée de quelques personnages x), disait Saint-Just, rédui-
sant, dès le début de son rapport, en axiome le principe
d'oslracisme qui était la loi de son parti. Cette idée Traie est
la source de la justice et de Tégalité dans un Ëtat libre; elle
est la garantie du peuple contre les homnies artificieux qui
s'érigent, en quelque sorte, en patriciens par leur audace
et leur impunité.
Il y a quelque chose de terrible dans l'amour sacré de
la patrie ; il est tellement exclusif qu'il immole tout , sans
pitié, sans frayeur, sans respect humain à l'intérêt public...
Vos comités de salut public et de sâreté générale, pleins
de ce sentiment, m'ont chargé de vous demander justice, au
nom de la patrie, des hommes qui trahissent depuis long-
temps la cause populaire; qui vous ont fait la guerre avec
tous les conjurés, avec d'Orléans, avec Brissot, avec Hébert,
avec Hérault et leurs complices et conspirent en ce moment
avec les rois ligués contre la République...
Si Danton était censé avoir conspiré avec les rois,
qui, dans la Convention pouvait se croire à Tabri du
soupçon? C'est une crainte qu'il importait à l'orateur
de détruire, avant tout, pour se faire écouter. Il faut
qu'on sache que c'est la nécessité seule qui le presse :
Puisse cet exemple, ajoutait-il, être le dernier que vous
donnerez de votre inflexibilité envers vous-mêmes. Puissiez-
vous, après les avoir réprimées, voir toutes les factions éteintes
et jouir en paix de la plénitude de votre puissance législative
cl du respect que vous inspirez.
Mais il faut un dernier exemple, et le rapporteur
sent des résistances sourdes dans cet auditoire silen-
cieux.
126 GHiP. XXYin. - DANTON, CAMILLE DESHOULINS, ETC.
Il faut quelque courage pour vous parler encore de sévé-
rité après tant de sévérité. L'aristocratie dit : « Us vont
a 8*entre-détruire. » — Mais Taristocratie ment à son propre
cœur : c'est elle que nous détruisons. La liberté ne fut pas
compromise par le supplice de Brissot et de Ronsin reconnus
royalistes.
Recannm royalistes! cela ne fait plus un doute.
N'écoutez point la voix de ceux qui, tremblant devant la
justice, s'efforcent de lier leur cause à l'illusion du patrio-
tisme. La justice ne peut jamais vous comprometti^e en rien :
Findolgenoe doit vous perdre.
Après cet exorde, il entre dans son sujet :
Je viens vous dénoncer les derniers partisans du roya-
lisme, ceux qui depuis cinq ans ont servi les factions et n'ont
suivi la liberté que comme un tigre suit sa proie.
Il refait longuement et assez péniblement, à ce point
de vue, rhistoire des partis qu'il présente comme obéis-
sant tousy orléanistes, brissotins, hcbertistes, à Tim-
pulsion de l'étranger, ennemis déclarés de la religion
comme de la liberté elle-même :
On attaqua l'immortalité de l'âme qui consolait Socrate
mourant ; on prétendait plus : on s'efforça d'ériger l'athéisme
en un culte plus intolérant que la superstition. On attaqua
l'idée de la Providence éternelle qui, sans doute, a veillé sur
nous.
Mais ils n'ont pas seulement attaqué la religion ; ils
ont attaque la Convention aussi :
Us ont voulu renverser la liberté, en vous renouvelant.
Et, donnant alors une forme plus vive à son argu^*
mentation :
RAPPORT DE SAINT-JUST. 127
C'est ici que la patience échappe au juste courroux de la
vérité. Quoi! quand toute TEurope, excepté nous qui sommes
aveugles, est convaincue que Lacroix et Danton ont stipulé
pour la royauté ; quoi ! quand les renseignements pris sur
Fabre d'Églantine, le complice de Danton, ne laissent plus de
doute sur sa trahison ; lorsque Tambassadcur du peuple fran-
çais en Suisse nous mande la consternation des émigrés de-
puis la mise en jugement de Fabre, ami de Danton, nos yeux
refuseraient encore à s'ouvrir!... Danton, tu répondras à la
justice inévitable, inflexible. Voyons ta conduite passée et
montrons que depuis le premier jour, complice de tous les
attentats, tu fus toujours contraire au parti de la liberté et
que tu conspirais avec Mirabeau et Dumouriez, avec Hébert,
avec Hérault-Séchelles.
Danton, tu as servi la tyrannie...
Et il refait toute l'histoire de la vie de Danton sur ce
thème, le prenant à partie, et pour ainsi dire corps à
corps, dans une interpellation toute personnelle où les
faits imputés aux autres semblent ne venir qu'acces-
soirement (tant ridée de Danton le domine dans ce
procès commun !) ; et l'interpellation se poursuit ainsi
en longues colonnes au Moniteur : elle ne se serait point
développée aussi commodément, une heure durant, à la
tribune, si Danton eût été là 1
Mais personne n'ouvrit la bouche, et, dominant son
auditoire muet, n'ayant plus que faire des précautions
oratoires de son exorde, Saint-Just conclut :
Les jours du crime sont passes; malheur à ceux qui sou-
tiendraient sa cause! sa politique est démasquée. Que tout ce
qui fut criminel périsse. On ne fait point des républiques avec
des ménagements, mais avec la rigueur farouche, inflexible
envers tous ceux qui ont trahi. Que les complices se dé-
noncent en se rangeant du côté des forfaits ; ce que nous
128 CHAP. XXVm. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
avons dit ne sera jamais perdu sur la terre. On peut arracher
à la vie les hommes qui, comme nous, ont tout osé pour la
vérité; on ne peut point leur arracher les cœurs ni le tom-
beau hospitalier sous lequel ils se dérobent à Tesclavage et
à la honte de voir laisser triompher les méchants.
Lui aussi il se pose en victime, en demandant des
tètes!
Cela dit, il lut le projet de décret qui mettait en
accusation Camille Desmoulins, Hérault, Danton, Phi-
lippeaux, Lacroix, prévenus de complicité avec d'Or-
léans et Dumouriez, avec Fabre d'Églantine et les enne-
mis de la République. Personne n*eut garde de se
dénoncer comme complice soi<mêmc, en se rangeant,
par un vote contraire, du côté des accusés.
Le décret, dit le Moniteur ^ est adopté à l'unanimité
et au milieu des plus vifs applaudissements^
La Convention avait détruit la royauté dansijouis XYI;
elle avait frappé à mort la République dans les Giron-
dins. Ce jour-là, c'est la Révolution elle-même qu'elle
reniait. Elle se vouait à la dictature. En livrant Danton,
elle se déclarait digne de Robespierre.
Lu le matin à la Convention, le rapport de Saint-
Just le fut le soir aux Jacobins, et il y reçut les mêmes
applaudissements serviles. Couthon approuva hautement
la fermeté de la Convention et son impartialité dans
son refus d'accorder pour Danton une faveur qu'elle
avait refusée on d'autres cas; et Legendre renouvela
platement ses excuses. C'est avec la sanction des deux
1. Moniteur du 12 germinal (1" avril 1791). Cf. Archives, W 342« dos. 648,
1** partie, pièce 20.
HÉRAULT DE SÊCIIFXLES. 129
assemblées presque égales en puissance, que ce rapport
allait venir devant les juges, pour servir d'acte d'accu-
sation avec un autre rapport, rédigé par Amar. sur
une autre série d'accusés.
ni
Hérault de Séchelles et Fabrc d'Églanline.
Le procès en effet ne comprenait pas seulement
Danton, Camille Desmoulins, Lacroix et Philippeaux ^ ;
Hérault de ^échelles, Fabre d'Églanline et plusieurs
autres étaient l'objet d'autres poursuites que l'on pré-
tendait relier ensemble, mais qu'il importe d'examiner
h part avant d'en venir aux débals.
Hérault de Séchelles, membre du Comité de salut
public, un des maîtres du gouvernement, mais d'autant
plus importun s'il ne marchait pas aveuglément à la
suite de Robespierre, était depuis longtemps suspect à ses
collègues. Chargé spécialement des affaires élrangères,
il n'avait pas l'air de croire à la conspiration de l'étran-
ger : il était donc bien près d'en êlre censé complice.
Depuis quatre mois, le Comité avait résolu de ne plus
délibérer en sa présence el on lui en avait dit les mo-
tifs. On lui reprochait d'avoir <c compromis les papiers
diplomatiques du Comité, de manière qu'ils avaient été
imprimés dans les journaux et répandus au dehors ».
Ou le tenait pour suspect, parce qu'il avait, lors d'une
première arrestation, réclamé avec instance, a les
1. Voyez aux Appendices n* UI le réquisitoire de Frunuier-TinviHe et
l'arrêt conforme du tribunal, & la date du 12 gercinal, relativement à Danton
et aux trois autres.
TRIB. RévOL. 111 0
130 CH\P. XXVIIL — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
larmes aux yeux », la mise en liberté de Proly^, ce
bâtard du prince de Kaunitz, devenu lui aussi jaco-
bin et plus que jacobin, dénoncé à deux reprises aux
Jacobins, comme un des enragés, par Robespierre qui
le soupçonnait de l'avoir fait passer lui-même pour
un soutien des prêtres et un défenseur de la reli-
gion cathoKque *, — inde irx ; et nous en avons vu le
résultat dans le procès d'Hébert où il fut enveloppé. —
Déjà, pendant une mission qu'il remplissait dans le
Bas-Rhin, Hérault avait été dénoncé, pour ces relations,
à la Convention par Bourdon de l'Oise, le dénonciateur
appuyant sur ses anciens titres, « ex-avocat général,
ex-noble, » qui allaient assez bien avec la qualification
d'ami de l'étranger. Mais Bentabole et Coulhon lui-
même avaient prolesté contre cette façon d'incriminer
un absent', et, dès son retour, le député, rendant compte
de sa mission, dissipa ces insinuations et ces reproches
dont ses derniers actes en Alsace étaient, disait-il, le
démenti le plus formel : son dénonciateur, présent à la
séance, n'osa pas même ouvrir la bouche. Quand Hérault
termina son discours en offrant sa démission de membre
du Comité de salut public, la Convention la refusa, en
passant à l'ordre du jour, et lui fit l'honneur d'ordonner
l'impression de son compte rendu *. Le Comité ne se
regarda pourtant pas comme battu et l'on trouve parmi
ses papiers cette lettre écrite de la main de Robespierre
et où l'on sent toute sa colère :
i. Voyez le rapport de Saint-Just du 27 venlôse (12 mars 1794). Moniteur
du 29.
2. Séance des Jacobins, des 1*' et 8 frimaire (21 cl 28 novembre 1793}
Moniteur des 6 et 11 frimaire.
3. Séance du 26 i'rimaire (16 novembre). Moniteur du 28.
4. Séance du 9 nivôse (29 décembre). Moniteur du 10.
HÉRAULT DE SÉCHELLES. 151
Paris, 11 nivôse, 2* année de la République française.
LE COMITÉ DE SALUT PUBUC A HÉRAULT
Citoïen collègue,
Tu avois été dénoncé à la Convention nationale qui nous
avoit renvoyé cette dénonciation. Nous avons besoin de savoir
si tu pei'sistes dans la démission que tu as, dit-on, offerte hier
à la Convention nationale. Nous te prions d'opter entre la
persévérance dans ta démission et un rapport du Comité sur
la dénonciation dont tu as été Tobjet : car nous avons ici un
devoir indispensable à remplir. Nous attendrons ta réponse
écrite dans ce jour ou demain au plus tard.
Signé : Robespierre, Collot d'Herbois,
Billaud-Varennes, Carnot, B. Barère^
Mais Hérault ne se laissa point intimider. Il ne renou-
vela pas sa démission et le Comité ne déposa point de
rapport. Le terrain était mal choisi. Hérault était con-
venu qu'il avait connu Proly, « beaucoup moins pour-
tant, ajoutait-il, que plusieurs excellents patriotes dont
la vertu républicaine est aussi notoire qu'irrépro-
chable. » C'eût été faire le procès à trop de monde que
de l'accuser sur ce motif-là : on en prit un autre.
Un homme prévenu d'émigration avait été arrêté, le
25 ventôse, dans l'appartement d'Hérault.
Ce dernier, qui sans doute ne croyait pas au fondement
de la prévention, s'était présenté le jour même avec
Simond, son collègue, au lieu où on l'avait déposé, et tous
deux, s'autorisantdeleurtitrede députés, pénétrèrent jus-
qu'à lui. Aussitôt on les fit arrêter, et Saint-Just vint, au
nom des deux Comités de salut public et de sûreté géné-
rale, demander à la Convention d'approuver cette arros-
1. Archives, AF ii. 22, doss. 69, pièce ^
132 CHAP. XXVIII. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
talion de ses deux membres, comme complices du
conspirateur poursuivi :
€ Le Sénat de Rome, ajoulait-il, fut honoré pour la
vertu avec laquelle il foudroya Catilina, sénateur lui-
même. >
Et la Convention, ne voulant pas moins faire, ap-
prouva l'arrestation, en attendant Tacte d'accusation qui
était annoncé*.
Quant à Fabre d'Églantine, Robespierre avait contre
lui des griefs plus personnels*. Ce député, auteur de
pièces de théâtre, avait Tair d'assister aux débats de la
Convention comme à un spectacle. Robespierre était
agacé de le voir toujours à l'assemblée sa lorgnette à la
main. L'auteur dramatique avait l'air de suivre le jeu des
acteui^, d'étudier le caractère des personnages pour les
mettre en scène à son tour dans quelque comédie peut-
être ; si Camille Desmoulins s'appuyait de Tacite, un
autre ne saurait-il pas s'inspirer d'Aristophane? Fabre
avait sur le métier une pièce dont Robespierre se défiait
beaucoup. On pouvait mettre la main dessus en l'arrêtant
lui-même; et les prétextes ne devaient pas manquer à
un moment où modérés et enragés allaient être également
envoyés au tribunal révolutionnaire, comme ennemis
de la Révolution, où l'étranger était signalé comme
remuante la même fin les uns et les autres. C'est le
thème que Robespierre avait choisi dans cette séance du
19 nivôse (8 janvier), aux Jacobins où il imputait à ces
deux sortes d'ennemis, si opposés les uns aux autres, « de
s'entendre comme dans une forêt. » Tout en accusant et
excusant Camille, il visait un adversaire plus dangereux
1. Séance du 27 ventôse (12 murs). Moniteur du 29.
2. Voyez Micliclet, t. VII, pages 46 et suiv.
HÉRAULT DE SÉGHELLËS. 133
pour lui. Il signalait dans le conflit des partis ces
« quelques meneui^ adroits qui font mouvoir la machine
et se tiennent cachés dans les coulisses» ; — a Au fond,
ajoutait-il poursuivant sa métaphore qui était déjà une
trop visible personnalité, c*est la même faction que celle
de la Gironde : seulement les acteurs sont changés ; mais
ce sont toujours les mêmes acteurs avec un masque
différent. La même scène, la même action théâtrale
subsistent loujours. Pittet Cobourg, » etc.
Et il continua sa charge contre les ultra-révolution-
naires et les citra-révolulionnaireSy travaillant au même
but tout en se combattant, les contre-révolutionnaires
masqués, les hypocriles et scélérats à gage, les fripons,
les intrigants de toute couleur : — si verbeusement, selon
son habitude, que Fabre d'Églantine qui prévenu de ses
inlenlionsétait venu se placer devant lui avec sa lorgnette,
se leva pour s'en aller.
C'eut été ôter au discours sa conclusion.
Robespierre, le voyant partir, pria la société de
l'inviter à rester en séance. Fabre, ainsi pris à partie, se
dirigeait vers la tribune:
c Si Fabre d'Églantine a son thème tout prêt, dit
Robespierre, le mien n'est pas encore fini, je le prie
d'attendre. »
Et reprenant sa théorie du double complot, de ces
deux partis qui se donnent l'air de s'attaquer pour
ruiner également la République :
« Je déclare aux vrais Montagnards, ajouta-t-il, que
la victoire est dans leurs mains, qu'il n'y a plus que
quelques serpents à écraser, t
(On applaudit : on s'écrie de toutes les parties de la
salle : Us le seront.)
134 CH\P. XXYUL DiNTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
S'appuyant de ce mot el précisant son attaque sous le
voile de généralités qui ne cachaient plus personne :
c Ne nous occupons d'aucun individu, dit-il , mais
seulement de la patrie. J'invite la société à ne s'atta-
cher qu'à la conjuration, et je demande que cet homme
qu'on ne voit jamais qu'une lorgnette à la main et qui
sait si bien exposer les intrigues de théâtre veuille bien
venir s'expliquer : nous verrons comment il sortira de
celle-ci. »
Fabre ne se fit pas prier. « Je suis prêt, dit-il à répondre
à tout, quaud Robespierre voudra préciscrses accusations ;
mais n'étant accusé d'aucuns faits particuliers je garde-
rai le silence jusqu'à ce que je sache ce sur quoi je dois
m'expliquer ; » et il se déclara complètement étranger aux
inspirations comme aux écrits de Philippeaux et de
Camille Desmoulins que l'on venait de discuter. Mais
Robespierre l'avait accusé ; pour plusieurs il était dès
lors condamné, et l'un d'eux cria : à la guillotine.
(1 Robespierre, dit le compte rendu, fit mettre Tin-
ierrupteur à la porte*. » Lui-môme allait acheminer
Fabre vers le terme que lui avait marqué ce cri de mort.
Il en trouva l'occasion dans une circonsUnice où plu-
sieurs autres, tant de la Convention que du dehors, se
trouvèrent incriminés; cela se rattache à un des faits les
plus étranges et les plus audacieux de Thistoire de la
Convention.
1 Moniteur du 23 nivôse (12 janvier 1794^
AFFAIRE DE LA COMPAGNIE DES INDES. 135
IV
Affaire de la Compagnie des Indes : Fabre d'Ëglantine, Delaunay, Chabot, Bazire,
Junius et Emmanuel Frey, Diedericbsen, Gusman et l'abbé d*Espagnac.
Tout n*étaitpas pur parmi les purs. L'agiotage, provo-
qué par la dépréciation des valeurs en ces temps orageux,
avait pénétré jusqu'au sein de la Convention nationale.
Âmar, dans son rapport, en fait une conspiration de
l'étranger à la tête de laquelle il place le baron de Batz,
ancien constituant que l'on retrouvera plus tard encore
dans des conspirations d'une autre sorte. C'est chez lui,
à Cliaronne, que se trouvèrent un jour réunis dans un
dîner Julien de Toulouse, Chabot, Bazire et Delaunay
d'Angers. On s'y eucourageaitpar l'exemple des membres
du parlement anglais qui ne se faisaient nul scrupule de
trafiquer de leur vote ; et Delaunay indiquait à Bazire
un moyen qu'il trouvait très simple : « Il ne s'agit que
de faire baisser tous les effets des compagnies financières,
profiler de cette baisse pour acheter, provoquer ensuite
une hausse subite pour remettre ces mêmesactions sur la
place. — Mais, dit Bazire, avec quels fonds faire ces
acquisitions? — Rien de plus facile que de s'en procurer,
répond Delaunay. L'abbé d'Espagnac [fournisseur des
armées] réclame quatre millions : il en abandonnera pour
un certain temps la jouissance, si on lui procure son paie-
ment. » Amar, qui reproduit celte conversation dans son
rapport, ajoute : < Julien de Toulouse disait à Bazire que
tandis que Delaunay présenterait des mémoires pour
faire baisser les effets publics, lui, Julien, ferait peur
aux administrateurs, aux banquiers, pour favoriser l'as-
sociation et ses profits; qu'on ne demandait à Bazire que
i3« CUAP. XXYIII. — DANTON, CAMILLE DESMODLINS, ETC.
de se laire et délaisser faire, et queDelaunay ferait exac-
tement à tous leur part du bénélice\ >
Les choses se passèrent à peu près ainsi. L'abbé d'Es-
pagnac eut ses quatre millions, et Ton s'occupa de faire
la baisse sur les titres des compagnies financières. Ces
compagnies étaient fondées sur des privilèges : c*éUiit
dôjh un crime d'Élat; et plusieurs avaient donné lieu à
de nombreux abus, la Compagnie des Indes, par exemple.
11 n'était donc pas étonnant qu'elles eussent des adver-
saires dans la Convention, et parmi les plus ardents était
Fabre d'ÉgIantine>. Un jour Delaunay passant auprès de
lui et c( le caressant de Tœil > lui dit : c Tu vas être bien
content, je vais écraser la Compagnie des Indes; i* et
en efiet il monta à la tribune, et fit un exposé accablant
des origines de cette compagnie, des abus dont elle avait
profité, des toris qu'elle avait faits au trésor, en échap-
pant, par des transferts, aux droits de mutation imposés
par la loi à la vente des effets au porteur. Les 40000
actions avaient changé trois fois de mains en moins d'une
année. Tous les actionnaires étaient donc coupables. Il
terminait en proposant la suppression de toutes les com-
pagnies financières, sous quelque dénomination qu'elles
fussent. J^ reste du décret contenait des détails relatifs
à la liquidation de leurs créances, liquidation dont elles
restaient chargées.
Son discours avait été si violent contre les compagnies
que Fabre d'Églantine, lui succédant à la tribune, se
montra étonné qu'il n'eût pas proposé de les supprimer
immédiatement, au lieu de leur laisser le soin de se li-
1. Rapport d*Amar, 26 vcntAsc. Moniteur du 28.
2. Voyez Fabre (TEglantine à ies concitoyens, cité par M. L. Blanc, Uitt.
de la Révol., t. X, page 285.
DELAUNAY, CBABOT ET FABRE DtGLANTINE. 137
quider elles-mêmes : car c'était leur prolonger une exis-
tence à laquelle le décret annonçait Tintenlion de mettre
(in :
€ Vous ne sauriez prendre des mesures assez fortes,
a jon tait-il, contre des gens qui ont volé cinquante millions
à la République. Je demande que le gouvernement mette
la main sur toutes les marchandises qui appartiennent à
la Compagnie des Indes et qu'il les fasse vendre par ses
agents. S'il y a quelque chose de reste après la liquida-
tion, on le lui remettra. Je demande en outre qu^à l'ins-
tant les scellés soient apposés sur les papiers de tous les
administrateurs, afin de trouver de nouvelles preuves
de leur friponnerie. »
Cambon combattit cet amendement : il craignait qu'en
se chargeant de vendre par ses propres agents, le gouver-
nement ne pût devenir responsable du déficit de la Com-
pagnie. Mais Fabre insista et son amendement, appuyé par
Robespierre, fut adopté avec ce sous-amendement de Cam-
bon : c que la nation ne se chargerait pas du déficit. x>
C'est dans ces termes que le décret fut adopté et ren-
voyé à une commission qui en devait arrêter la rédaction
définitive'. Fabre d'Églantine, Cambon, Ramel, Chabot
en firent partie avec Delaunay, le rapporteur du projet
de décret.
Cette conclusion inattendue dérangeait tous les plans
de Delaunay. Il avait compté faire la baisse par son
décret et racheter ainsi les actions à vil prix ; mais il es-
pérait, en laissant à la Compagnie elle-même le soin de
la liquidation, se ménager le moyen de relever les cours
et par suite de revendie avec bénéfice : et voici que la
1. Séance du 17 du premier mois. Moniteur du 19 (10 octobre 1793).
138 CHAP. XXVUI. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
compagnie était non pas menacée, mais supprimée ! C'est
aloi's qu'il conçut, avec ses complices, le projet de rédiger
et de publier le décret, non comme l'Assemblée l'avait
voté y mais comme il convenait à leurs spéculations
infâmes.
Fabre d'Églantine était de la commission et c'était lui
qui avait fait adopter à l'Assemblée les modifications si
contraires aux vues de cet agiotage. Delaunay et Chabot
résolurent de le gagner, comptant bien, au moyen deson
nom, tromper les autres. Chabot le vint trouver avec
un paquet de 100 000 livres en assignats ; mais s'étant
aperçu, aux premières paroles, que ses ouvertures ne pour-
raient que perdre la chose, il se contenta de lui remettre
le projet de décret, en le priant d'y faire les modifications
qui répondraient à la pensée de son amendement, et
Fabre d'Égiantine les fit au crayon sur la pièce qui existe
encore aux Archives*.
1. Voici reproduiles en italique les modifications écrites au crayon de la main
de Fabre d'Égiantine et signées de ses initiales F. D.
Art. 3.
Les scellés apposés sur les effets el mai*cliandises de la Compagnie des Indes
ne pourront ôlrc levés que lorsque le mode de liquidation aura été décrété et
organisé. Les commissaires liquidateurs seront chargés de liquider les sommes
dues a la nation et d*en faire verser le montant au trésor public.
La liquidation des sommes dues à la nation terminée, les commissaires
liquidateurs continueront d'inspecter et de presser la liquidation de la ci-
devant Compagnie des Indes , jusqu'à parfait complément de l'opération,
F. D.
Art. 5.
Le remboursement des sommes dues à la nation ne pourra être fait que
par le produit immédiat de la vente des marchandises et effets de la ci-devant
Compagnie des Indes ou par ces marchandises en nature.
Art. 7.
La vente et liquidation de ladite Compagnie seront achevées dans le délai de
trois mois... (en interligne : ni (sans) interruption).
Et à la fin :
Avant qu'il puisse être procédé à aucune des opérations mentionnées dans
les articles ci-dessus, il sera fait par une commission spéciale, prise dans le
LE FAUX DÉCRET. 139
Le lendemain Chabot revint, lui apportant le projet
tiré au net en lui disant qu'il était tel qu'il l'avait arrêté
la veille. Fabre signa. Dès qu'on eut sa signature, on
altéra le texte tout à loisir. A l'article 2 qui parlait du
triple droit encouru à raison des transferts on ajouta
faits en fraude^ ce qui semblait en exempter tous ceux
pour lesquels on pourrait alléguer la bonne foi*; on
bâlonna tout un paragraphe et on le remplaça en marge
par un autre sans nul le approbation. On changea par une
simple surcharge le délai de trois mois fixé pour la liqui-
dation à Tarticle 7 en délai àe quatre mois. Puis Delau-
nay (car c'est sa main que l'on retrouve ici) écrivit en
interligne au-dessus de la signature de Fabre d'Églan-
line les mots : Ont signé; et à la suite de cette même
signature les noms de Cambon fils aîné, Chabot, Julien
de Toiilmise, Delaunay d'Angers, et Ramel qui ne sont pas
des signatures, après quoi il signa lui-même : Delaunay
d'Angers, rapporteur. La pièce portait pour titre : Pro-
jet de décret : on y ratura les deux premiers mots
{projet de) et, sous cette forme, sans passer autrement
devant la Convention, elle fut remise comme un décret
parfait au secrétaire du Comité qui écrivit en tête :
Bon à expédier ce 6 de brumaire l'an 2 de la Repu-
blifjuc une et indivisible. (Signé) Louis du Bas-Rhin,
secrétaire^.
nein de la Convention, un état des sommes qui peuvent être dues à la nation
par la ci-devant Compagnie des IndeSy comme aussi de tous les effets con^
cédés à ladilf Compagnie, laguelle commission se fera représenter à cet
effet tous les registres et actes nécessaires.
F. D.
(Archives, >V 342, dossier 648 (dossier'de Danton, etc.), 3* partie, pièce 10.)
i. Art. 2.... et les percepteurs du droit d'enregistrement feront verser au tré-
sor public les sommes déjà dues à la nation pour le triple droit encouru à rai-
son de leurs transferts faits en fraude.
•?. Ibid., pièce 14.
140 aiAK XXMII. — DANTOiN, CAMILLE DESMOULLNS, ETC.
Onavailvuàlafin de larépubliqueromainedeux consuls
supposer un décret du Sénat qui n'avait pas été rendu et
produire à l*appui l'attestation d'une assemblée curiate
qui n'avait pas été réunie*. C'est quelque chose d'aussi
fort qu'on venait de voir sous notre jeune république. Le
faux décret figure à sa date dans la collection du Louvre
sous le numéro 1792*. On se demande encore comment
ceux qui l'ont certifié pour l'impression conformée l'ori-
ginal n'ont pas été choqués des irrégularités de l'origi-
nal. Mais la chose ne devait pas rester impunie. A quelque
temps de là, Fabrc d'Églanline, rencontrant Delaunay à
la Convention, lui dit comme par occasion : c Ëh bien,
quand présentes-tu le projet de décret? » et il passa sans
bien entendre sa réponse; il resta seulement frappé de
l'embarras de sa parole et de l'air de surprise qui se
peignit sur ses traits. Delaunay, comme le croit Fabre,
supposait-il que celui-ci avait reçu les 100 000 francs
de Chabot, et Chabot ayant renoncé à séduire Fabre, avait-
il gardé les 100 000 francs pour lui, fraudant ses com-
plices? Toujours est-il qu'il dut y avoir alors une expli-
cation avec Chabot, et Chabot, se sentant perdu, essaya
de se sauver en se faisant dénonciateur. 11 alla trouver
un membre du Comité de salut public (Robespierre qui
en fait le récit), lui dit qu'il existait un grand complot ;
que pour le faire réussir, il s'agissait de corrompre un
membre de la Montagne; que pour entrer plus avant
i. Consules flagrant infamia qtuxi C Memmius canditatus pactionem
in êenatu recitavit quant ipte et iuu8 competitor Domiliuê cum consulibuê
fecittent, uti ambo H Squadragena contulibu» darentet eitent ipsi consule*
factiy niai très augures deditaent qui te adfuiste dicerent quum lex curiata
ferretur quœ lata non etset ; et duo consulares qui dicerent omandis pro-
vincii* consularibus scribendo adfuiêse^ quum omnino ne senatut quidem
fuùtet. Cic, AU., IV, 18.
S. T. XVI, p. 79.
CHABOT, BAZIRE ET DELADKAY ARRÊTÉS. \M
dans le secret des conjurés, il avait accepté la mission,
se réservant de dénoncer les traîtres, et pour preuve il
monirait son paquet d'assignats. L^autre lui dit de por-
ter sa dénonciation au Comité de 3Ûre(é générale : c^est
par là qu'il aurait dû commencer, en effet, s'il n'avait
tenu à se ménager un premier garant de ses bonnes in-
tentions dans le Comité de salut public. Suivant l'avis
qui lui était donné, il s'y rendit, fit sa déclaration ; et
Bazire, son ami, qui avait connu les plans d'agiotage,
à qui Chabot révéla peut-être alors l'histoire du faux
décret, Gt de même.
Le Comité de sûreté générale crut que ce qu'il avait de
mieux à faire c'était d'arrêter, avec les dénoncés, les
dénonciateurs, puisqu'ils avaient au moins Gctivement
trempé dans le complot. On crut même bon de s'assurer
d'eux tout d'abord. Chabot avait dit qu'on trouverait les
conjurés chez lui à 8 heures du soir. On l'arrêta à
8 heures du mâtiné Bazire et Deiaunay furent pris
ensuite. Mais Julien de Toulouse échappa, et avec lui le
baron deBatz et d'autresque Chabot voulait faire prendre.
L'arrestation des quatre députés (y compris Julien qu'on
espérait prendre plus tard), fut approuvée par un décret
de la Convention du 28 brumaire'.
1. Il y a au dossier (1" partie, pièce 4) une note non signée sur les iOO 000
livres extorquées par Chabot à des actionnaires de la Compagnie des Indes, sous
prétexte de les remettre à Fabre d'Ëglantine et de le désarmer. Sur les rapports
de Chalx>t avec un chevalier Dejean, qui « le soûlait deux ou trois fois par se-
maine 9 en compagnie de quelques femmes du monde, voyez une lettre anonyme
d'Amiens, 26 ventôse. (Archives, ibid.j 1" partie, pièce 54.)
2. Moniteur du 50 (20 novembre 1795). — Une perquisition fut faite chez De-
iaunay le 29 brumaire (19 novembre). On interrogea une citoyenne Descoings,
qui vivait avec lui depuis 16 à 17 mois et qui, dans une lettre à VouUand, prési-
dent de la Convention, où elle récrimine contre Chabot, signe Descoings-De-
launny. (Archives, /. /., 1" partie, pièce 50.) Dans cet interrogatoire elle dit qu'elle
a vu chez lui Ramel, Chénier et Julien de Toulouse, mais jamais Chabot et Bazire ;
que Deiaunay les évitait à cause des dénonciations dont ils étaient l'objet, ne von-
1
142 CHAP. XXVm. — DANTON, CAMILLE DESMOULLNS, ETC.
Fabre d'Églantine n'était pas dénoncé par Chabot.
Mais dans le cours des interrogatoires que les trois
députés détenus subirent au Luxembourg, Delaunay
ayant dit qu'il y avait parmi ses papiers, sous le scellé,
une pièce qui ferait découvrir le vrai coupable, on y
trouva le premier projet de décret avec les notes et les
initiales de Fabre d'Églantine, et, sans y regarder da-
vantage, on le tint pour Tauteur des falsifications et on
l'arrêta.
Rien ne prouve mieux la légèreté ou la mauvaise foi
de cette imputation que le rapport par lequel Amar
vint annoncer et faire approuver par la Convention le
24 nivôse (13 janvier 1794) l'arrestation deFabre, opérée
dans la nuit. Il confond de la manière la plus étrange
les deux pièces que nous avons mentionnées tout à
l'heure. Il parle du premier projet trouvé dans les
papiers de Delaunay comme du décret original, et signale
les modifications que Fabre y apporta comme constituant
le crime de faux, quand au contraire cette pièce n'est
que le projet primitif de Delaunay, remanié par Fabre :
remanié, comme c'était son droit et son devoir en qualité
de membre de la commission, pour le rendre conforme
aux amendements volés par la Convention. Il n'y a de faux
dans ce premier projet que ces mots faits en fraude qui
y ont été ajoutés, comme dans le second, par une main
lant donner aucune prise contre lui-même. (/A<V/., pièce 49.) — Dans un autre
intcrrogaloire (25 nivôse), 14 janvier 1794, elle dit:
1* Que Chabot a écrit à Delaunay pour un rendez-vous que celui-ci a rerusé.
2* Que le lendemain de l'arrestation de Delaunay, un capitaine des charrois a
parlé des intérêts que Julien de Toulouse avait dans les mai'chcs de Despagnac
depuis le commencement de la guerre.
3** Que la femme avec laquelle vivait Chabot, nvant son mariage, a parlé aux
Jacobins de ha fortune et notamment de la gran<le quantité d*argenterie qu'*'
avait ches lui. (/6iV/., pièce 51.)
FABRE D*ÉGLANT1NE ARRÊTÉ. SES EXPLICATIONS. 143
étrangère, non par Fabre et sans nul doute après les
modifications faites par lui au crayon \
Il suppose que la pièce, envoyée aux procès-verbaux
avec le bon à expédier n'est que la copie de ce prétendu
original, quand au contraire c'est sur cette pièce (pièce
14) que se trouvent les altérations constituant le crime
de faux, et (|uand c'est là qu'on trouve exclusivement le
second point incriminé, savoir « que la vente des objets
appartenant à la compagnie se ferait selon ses statuts et
règlements ».
Lorsque Fabre, ainsi arrêté, fut interrogé, on dut lui
présenter, avec le projet modifié par lui, l'acte d'après
lequel le décret avait été imprimé, et il n'eut pas de
peine à signaler l'erreur où l'on était sur le caractère de
ces deux pièces, à montrer où était vraiment la fraude :
le premier projet (pièce 1 0), texte primitif avec les modifi-
cations qu'il y proposa, conformément à ses amende-
ments votés par la Convention ; le second projet (pièce 14)
portant avec sa signature des traces d'altération qui,
visiblement, ne lui étaient pas imputables. Sa signature
y est; il l'y a mise (il le déclare) parce qu'on lui avait
dit que cette pièce était la mise au net de la première,
et on peut lui reprocher, sans doute, de n'y avoir pas
regardé davantage ; mais c'est après l'apposition de sa
signature, et par conséquent sans qu'il en ait rien su,
qu'on y a fait les additions ou retranchements frauduleux
signalés tout à l'heure, additions d'une autre encre et
d'une main qui n'a rien de commun avec la sienne.
1. Ils sont écrits non au crayon comme les modifications de Fabre, mais i
l'encre, d'une toute autre encre que le corps du projet et d'une toute autre main
que c»'lle de Kabre, lr»s cerlainenient après que Fabre eut corrigé le projet.
(Archives, l. /., pièce 10.)
146 GlAP. XXYJU. — DANTON, GAMlUiE DESMOULINS, ETC.
5 livres par jour environ. Diederichscn parlait de son
bienfaiteur avec éloge. Il disait que Frey avait gagné
beaucoup d'argent dans les approvisionnements des
armées autrichiennes contre les Turcs; qu'il avait été
mandé plusieurs fois par les empereurs Joseph II et
Léopold^; mais cela ne le recommandait pas beaucoup
au Comité de sûreté générale. QiiantàGusman l'Espagnol ,
un dénonciateur le signalait comme s'étant fait passer,
il y avait vingt ans, pour un baron allemand, sous le
nom de baron Defrey'.
I.e ci-devant abbé d'Ëspagnac s'était fait fournisseur;
et on a vu comment, de l'argent que le trésor avait dû
lui payer% il devait être bailleur de fonds des autres.
Westcrmann. — Dftnlon, Lacroix, Hérault de Séchclles, et Camille DeaniouUiis
au Luxembourg.
Toutes les malversations que l'on était plus ou moins
fondé à reprocher à ces hommes se résumaient en un
mot : conspiration. C'est la seule question qui leur avait
été posée le 12 germinal (1"^' avril 1794) parTun des juges
du tribunal révolu lionnaire, Deliège, dans son interroga-
toire préalable \ Conspirateur aussi était Westermann,
ce général que l'on avait naguère appelé comme témoin
contre Hébert et Ronsin et qui allait à son tour figurer
1. ArchÎTes, W 342» dossier 6i8, > partie, pièce *28. — Interrogatoire au Co-
mité de sAreté générale, 20 brumaire (19 novembre 1795).
2. Ibid., 1"* partie, pièce 43.
3. Gambon le rappelle dans la discussion sur le rapport de Delaunay, relatif à
la Compagnie des Indes. Séance du 17 du premier mois. Moniteur du i9 (10 oc-
tubie 1793).
4. Archives, ibid.t 5* partie, piice 46.
LKS ACCUSÉS AU LUXEMBOURG. 147
Gommc accusé, n'étant pas plus ami de Rossignol que de
Ronsin et par conséquent pas moins odieux aux Jacobins,
dont il avait brisé les idoles dans la guerre de Vendée.
Que Weslerman ait été rapproché de Danton, on le
pouvait comprendre; mais que l'affaire de Danton,
Camille Desmoulins, Lacroix et Philippeaux ait été
jointe et comme subordonnée à celle de Chabot,
Bazire, etc., qui était parfaitement définie, cela ne pou»
vait venir que de la pensée de déshonorer la cause des
premiers par cette association avec un acte de friponnene;
en un mot de faire du procès des uns et des autres
un procès de corrompus. 11 y en a une autre raison qui
n'a pas été signalée, mais qui ressort de la marche des
débats : c'est qu'on ne pouvait juger tant d'accusés en
même temps sans faire à chacun sa part, et l'affaire de
la Compagnie des Indes pouvait tenir par ses complica-
tions une très gi*ande place. Or on commençait par elle,
et les débats, d'après la loi rendue à propos des Girondins,
pouvaient être clos après trois jours! Tout cela était
évidemment combiné pour étouffer la voix de Danton.
Fabre d'Égianline et ses co-accusés' avaient précédé,
on Ta vu, Danton et ses trois collègues en prison. Ils y
étaient en communication libre avec le reste des prison-
niers. Danton, au contraire, et les trois autres avaient été,
à leur arrivée, mis au secret ; mais les chambres de Dan-
ton et de Lacroix étaient voisines, et ils pouvaient, en
élevant la voix, échanger leurs pensées : ce qui a fait que
leurs paroles ont pu être recueillies par d'autres détenus :
i. Leur interrogatoire est du 6 germinal (26 mars 1794). Archives, W 342,
dossier 648, 3* partie, pièces 41^4. — L*arrêt de prise de corps, confonnémenl
au décret de la Convention du 29 ventôse (19 mars), est de U mcuie date (ibid.,
pièce 51).
148 GHAP. XXVIU. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
a Oh! si j'avais SU qu'ils voulaientm'arréter! s'écriait
« Lacroix. — Je le savais, répliqua Danton ; on m'en
« avait prévenu, et je n'avais pu le croire. — Ouoi !
c Danton était prévenu, et Danton s'est laissé arrêter !
« C'est bien ta nonchalance et ta mollesse qui t'ont
« perdu. Combien te Ta-t-on prédit de foisM »
C'est du Luxembourg que Camille Desmoulins écrivit
à sa femme ces lettres où le politique s'est entièrement
oublié, où l'homme seul apparaît avec toutes ses
faiblesses sous le coup du malheur, et on ne peut s'em-
pêcher de penser alors avec quelle légèreté lui-même il
avait provoqué, avec quelle indifférence, même avec
quelle joie cruelle il avait contemplé le malheur des
autres! Mais il y a là des accents do tendresse qui nous
émeuvent bien justement, surtout quand on pense que
ce n'est point pour ses excès révolutionnaires, comme
Hébert et consorts, mais pour avoir pris, bien tard sans
doute, contre les bourreaux la cause des victimes qu'à
son tour il allait partager leur fortune :
Ma Lucile, ma Vesta, mon ange, lui dit^il, la destinée
ramène dans ma prison mes yeux sur ce jardin où je passai
huit années de ma vie à te suivre. Un coin de vue sur le
Luxembourg me rappelle une foule de souvenirs de nos
amours. Je suis au secret, mais jamais je n*ai été par la
pensée, par Tima^^ination, presque par le toucher plus près
de toi, de ta mère, de mon petit Horace...
Je ne t'écris ce premier billet que pour te demander les
choses de première nécessité. Mais je vais passer tout le
temps de ma prison à décrire : car je n*ai pas besoin de
prendre ma plume pour autre chose ; et pour ma défense,
1. Mémoires sur les prisons, (. II, page 155; Beaulioii, Essais^ t. V,
pages 541-342. — J'ai cité ces tczlcâ dans la Terreur, 1. 11, pages Itt5-1G4.
LEHRES DE CANILLE A SA FEMME. 149
ma justiBcatioa est tout entière dans mes huit volumes répu-
blicains. C'est un bon oreiller sur lequel ma conscience s'en-
dort dans l'attente du tribunal et de la postérité. 0 ma bonne
Lolotte, parlons d'autre chose. Je me jette à genoux, j'étends
les bras pour t'embrasser, je ne trouve plus mon pauvre
Loulou (ici la trace d'une larme) et cette pauvre Baronne^..
Sasecondelettreestun simple billet. Dans la troisième
il s'épanche davantage :
Duodi [2* décade] germinal (l** aTrîl).
Le sommeil bienfaisant a suspendu mes maux. On est
libre quand on dort ; on n'a point le sentiment de sa captivité ;
le ciel a eu pitié de moi. Il n'y a qu'un moment, jeté voyais
en songe» je vous embrassais tour à tour, toi et Horace; mais'
notre petit avait perdu un œil par une humeur qui venait de
se jeter dessus, et la douleur de cet accident m'a réveillé.
Je me suis retrouvé dans mon cachot; il faisait un peu de
jour. Ne pouvant plus te voir et entendre tes réponses, car
toi et ta mère vous me parliez, je me suis levé au moins
pour te parler et l'écrire. Mais, ouvrant mes fenêtres, la
pensée de ma solitude, les affreux barreaux, les verroux qui
me séparent de toi, ont vaincu toute ma fermeté d'âme. J'ai
fondu en larmes, ou plutôt j'ai sangloté en criant dans mon
tombeau : Lucilel Lucile! où es-tu'?
Ce jour-là, 12 germinal (1*' avril), les cinq accusés
avaient subi l'interrogaloire qui précédait l'acte d'accu-
sation et le renvoi devant le tribunal. Le juge Denizot
les fait appeler l'un après Tautre et pose à chacun
cette question :
D. S'il a conspiré contre la nation française en voulant
rétablir la monarchie, détruire le gouvernement républicain?
1. Nom familier de Mme Dupletsis, sa belle-mère.
2. \oyes la lettr.^ entière aui appendicei, n* lY, et aa n* Y lea trois lettres
de Philippeaux i sa Femme.
150 GUàP. XXVm. - DANTON, CAMILLE DfiSMOOLINS, ETC.
Ils répondirent :
Camille Desmoulins :
Non.
Danton :
Qu'il avait été républicain et qu'il mourrait tel.
Philippeaux :
Qu'il a constamment conspiré contre la tyrannie en faveur
de la liberté et jamais contre la Convention nationale.
Delacroix :
Jamais.
Hérault :
Que ces horribles pensées ne sont jamais entrées ni dans
son esprit ni dans son cœur.
Question unique couronnée pour chacun d'eux par la
question finale.
S'il a un défenseur?
A quoi Danton répond :
Qu'il se suffit à lui-même \
1. ArchÎTM, W 342, dossier 648, 3* partie, pièce 45. — Cf. les interrogatoires
des deux Frey, de Gusman, de Diederichsen et de Sahuguet d'Espagnac, par
le juge Deliège, même jour, ibid,^ pièce 40, et diverses pièces concernant les
Frey, ibid.^ 1'* partie, pièces 5-8.
CHAPITRE XXIX
DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
(pROcis)
I
Danton, Camille Deamoulins, PhiHppeiux et Laeroix
i la Conciergerie.
Ce fut le 12 germinali à 11 heures 1/2 du soir,
qu'on fit descendre les quatre prisonniers au greffe pour
leur remettre leur acte d*accusation ; et on leur dit
qu'ils allaient partir immédiatement pour la Concierge-
rie. Camille écumait de rage, se promenant à grands pas
dans la chambre. Philippeaux n'exprima aucune plainte :
il joignit les mains et leva les yeux au ciel. Danton plai*
santa Camille Desmoulins ; puis il dit à Lacroix :
a Eh bien ! Lacroix, qu'en dis-tu? — Que je vais me
couper les cheveux pour que Sanson n'y touche pas. •»
Ce sera bien une autre cérémonie quand Sanson nous
démantibulera les vertèbres du cou. — Je pense qu'il ne
faut rien répondre qu'en présence des deux Comités. —
Tuas raison; il faut tâcher d'émouvoir le peuple ^ »
« Quand ils partirent pour le tribunal (pour la Concier-
gerie), continue Beaulieu, Danton et Lacroix affectèrent
une gaieté extraordinaire : Philippeaux descendit avec
1. Beaulieu parait croire que les prisonniers remontèrent encore dane leur
chambre, et c'est là qu'il place la scène. Il est plus probable qu'elle se passa au
greffe de le prison. Cf. Des Essarts, t. I, page 233, qui d'ailleurs ne perle pu
du greffe, et Flcury, CamUle Deimoulinê,i . II, page S22.
i52 GIIAP. XMX. - DANTON, CAMILLE DESMODLINS, ETC.
un visage calme el serein ; Camille Desmoulins, avec un
air rêveur et affligé. Il dit, avant d'entrer chez le con-
cierge : a Je vais k Téchafaud pour avoir verse quelques
larmes sur le sort des malheureux ; mon seul regret, en
mourant^ est de n'avoir pu les servir. »
Ce fut probablement en arrivant à la Conciergerie que
Camille jeta sur le papier ces phrases vraiment animées
du souffle de son indignation :
Si je pouvois imprimer à mon tour ; si on ne m'avoil pas
mis au secret ; si on avoit levé mes scellés et que j'eusse les
papiers nécessaires pour établir ma défense ; si on me laissoit
seulement deux jours pour faire un numéro Sept, comme je
confondrois M. le chevalier Saint-Jusl, comme je le convain-
croisde la plus atroce calomnie! Saint-Just écrit à loisir dans
son bain, dans son boudoir et médite pendant quinze jours
mon assassinat ; et moi je n*ai point où poser mon écritoire;
je n'ai que quelques heures pour défendre ma vie. Qu'est-ce
autre chose que le duel de l'empereur Commode qui, armé
d'une excellente lame forçoit son ennemi à se battre avec un
simple fleuret garni de liège?
Suivent quelques pages de notes où il veut retourner
l'accusation de complot contre ses accusateurs, prenant
surtout à partie Saint-Just, Vadier, Àmar, Voulland,
Barère*.
On a sur le séjour de Danton à la Conciergerie le récit
d'un homme qui était là et qui a pu recueillir soit par
lui-même^ soit par quelque autre prisonnier plusieurs
de ses paroles :
€ Danton, dit-il, placé dans un cachot à côté de Wes-
1. Matton, Correspondance inédite de Camille Desmoulins, pages 231-258.
— Cette pièce avait dcji été donnée dans le recueil intitulé : Papier* inédits
trouvés chez Robespierre, Saint-Jttstf Payan, etc., et omis ou supprimés par
Courtois, t. I, page 2d0.
DANTON A LA CONCIERGERIE. 155
termann, ne cessait de parler, moins pour é(re entendu
de Weslermann que de nous. Ce terrible Danton fut
véritablement escamoté par Robespierre. 11 en était un
peu honteux. Il disait, en regardante travers ses barreaux,
beaucoup de choses que peut-être il ne pensait pas;
toutes ses phrases étaient entremêlées de jurements ou
d*expressions ordurières.
c En voici quelques-unes que j*ai retenues :
« C'est à pareil jour que j'ai fait instituer le tribunal
c révolutionnaire : mais j'en demande pardon à Dieu et
c aux hommes; ce n'était pas pour qu'il fût le fléau de
« l'humanité; c'élait pour prévenir le renouvellement
« des massacres du 2 septembre. » Étrange langagedans
la bouche de Danton !
c Je laisse tout dans un gâchis épouvantable : il n'y
c en a pas un qui s'entende en gouvernement. Au milieu
« de tant de fureurs, je ne suis pas fâché d'avoir attaché
« mon nom à quelques décrets qui feront voir que je ne
« les partageais pas.
c Si je laissais mes jambes à Couthon, on pourrait
c encore aller quelque temps au Comité de Salut public.
« Ce sont tous mes frères Caîn. Brissot m'aurait fait
ff guillotiner comme Robespierre.
ff J*avais un espion qui ne me quittait pas.
« Je savais que je devais être arrêté.
« Ce qui prouve que Robespierre est un Néron, c'est
c qu'il n'avait jamais parlé à Camille Desmoulins avec
c tant d'amitié que la veille de son arrestation.
a Dans les révolutions, l'autorité reste aux plus scélé-
c rats.
c II vaut mieux être un pauvre pécheur que de gou-
c verner les hommes.
154 CHÂP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMOUUNS, ETC.
« Les f . • • bétes, ils crieront : Vive la République I en
<x me voyant passer. »
c II parlait sans cesse des arbres, de la campagne et de
la nature \ »
RioufTe parle ainsi des autres accusés :
a Lacroix, fort embarrassé de son maintien, semblait,
plus que tous les autres, tourmenté de la conscience que
tous les malheureux qu'il voyait, c'était lui qui les avait
faits. Il affectait un étonnement qui, ne pouvant être réel,
remplissait d'indignation ceux qui en étaient témoins.
Il avait Tair de s'attendrir sur le sort de tant de vic-
times, c Pourquoi cette foule de jeunes filles dans les
c fei^? > s'ccriait-il. Tout le surprenait, et la forme du
tribunal, et le régime si dur des prisons, et le nombre des
prisonniers. « Quoi ! lui dit l'un d'entre eux ; jamais des
c charretées de victimes, se rencontrant sur vos pas, ne
c vous ont appris qu'il y avait dans Paris une boucherie
€ d'hommes? — Non, répondit-il, je n'ai jamais ren-
c contré des charrettes. » Il avait été un des plus ardents
promoteurs des institutions révolutionnaires. Si son
ignorance n'eût pas été feinte, elle n'en eût pas été
moins odieuse. Génies destructeurs qui lancent des fléaux
parmi les hommes, et ne daignent pas s'informer de
leurs progrès !
a Honte d'avoir été trahis par leur parti, honte de se
trouver au milieu de leurs victimes dont ils ne pouvaient
comprendre la modération à leur égard, telle était l'ex-
pression générale de leur figure : peu ou point de solli-
citude pour la patrie. Ils mouraient en cherchant à démê-
ler le fil des intrigues qui les avaient perdus, et comment
1. Mémoire» ttun détenu (RioufTe), dans les Mémoire» »ur les prisons, L I,
pages 06-<i8.
OUVERTURE DU t>ROGËS. 155
il était arrivé qu'ils ne fussent pas restés les plus forts.
« Danton, le ?éri table géant de ce parti, et qu'il ne
faut confondre avec aucun d'eux, généralisait davantage
ses idées.
« Fabre d'Églantine, malade et faible, n'était occupé
que d'une comédie en cinq actes qu'il disait avoir
laissée entre les mains du Comité de salut public, et de la
crainte que Billaut-Yarennes ne la lui volftt^ »
II
iS germiiutl. — OoTerture du proeès, acte d'accuMtion. ^estermann
joint aux accusés. Débat sur raffSiire de la CompagnU det Indet.
Au moment où le procès allait commencer, y avait-il
quelque doute sur les deux hommes entre les mains des-
quels était tout ce jugement?
On trouve parmi les papiers du Comité de salut pu-
blic cette note bien extraordinaire :
Écrire a Henriot de mettre à l'ordre qu'on ne fasse point
arrêter le président et Taccusateur public du tribunal révolu-
tionnaire.
D'une autre main :
Faire signer par quatre membres.
D'une autre main :
13 germinal.
(La lettre a été envoyée le même jour par un gendarme*.)
Les débats s'ouvrirent ce même jour (2 avril 1794).
Quatorze accusés prirent place sur les bancs qui leur
1. Mémoires tTun détenu^ dans les Mém» ntr Ui priêtmêt t, I, pages 08-69.
2. ArchÎTes AF ii, SS/dost. 7i, pièce 9.
J56 CHAP. XXIX. - DANTON, CAMILLE DESMOULINS, LTC.
étaient réservés : en tête non pas Danton mais Chai>ot,
Bazire, Fabre d*Églantine ; c'était, je Tai dit, à cette
affaire de falsification de décret et de concussion que
Ton voulait subordonner tout le reste; puis Lacroix et
Danton ; après eux Delaunay et Hérault de Séchelles,
complices des premiers, puis Camille Desmoulins et à la
suite, dans la môme confusion, Gusman, Diederichsen ,
Philippeaux, d'Espagnac, Junius et Emmanuel Frey.
Les jurés étaient en face. D'ordinaire, quand las accu-
sés sont nombreux et que l'affaire peut étœ longue, on
augmente le nombre des jurés. Ici il n'y en avait que
sept : Renaudin, Desboisseaux, Trinchard, Dix-août,
Lumière, Ganney, Souberbielle*. N'y avait-il que ceux-là
sur qui Ton pût compter? On tirait au sort les jurés, il
est vrai ; et le tirage avait été fait par Fleuriot et Fouquier
dans la chambre du conseil, c Le tirage ou le triage? »
Il avait été fait en présence de quelques juges, — mais
en l'absence du greffier qui aurait dû être là et qui en
dépose au procès de Fouquier. Camille Desmoulins
récusa Renaudin, et l'on ne tint pas compte .de sa ré-
cusation'.
VouUand et Vadier. du Comité de sûreté générale,
s'étaient placés dans un lieu retiré derrière les juges
pour jouir du spectacle de leurs victimes, rangées sur
les gradins".
Dans rappel des accusés, Camille Desmoulins, inter-
terrogé sur son âge, dit :
J'ai Tâge du sans-culotte Jésus, "trente-trois ans.
i. Archives, W 342, doMÎer 648, 3* partie, pièce 55 (procèf-Terbal d'au-
dience}.
2. Déposition de Paris (Fabricius). Procès Fouquier, n«25.
3. Vilale, Caujtes secrètes du 9 thermidor, continuation, page 31.
RAPPORT D'AMAR. 157
Danton, sur son nom et sur sa demeure :
Ma demeure sera bientôt dans le néant ; quant à mon nom,
vous le trouverez dans le Panthéon de l'histoire.
Hérault de Séchelles, sur son nom et sur son état
avant la révolution :
Je m'appelle Marie-Jean, nom peu saillant même parmi les
saints^ Je siégeais dans cette salle où j'étais détesté des par-
lementaires '.
Selon le plan qui avait été arrêté, raccusateur public
lit lire par le greffier, comme première partie de son
acte d'accusation, le rapport d*Amar sur 1 affaire de la
Compagnie des Indes, rapport à la suite duquel Chabot,
Delaunay d*Angei^, Julien de Toulouse (contumace),
Fabre d'Églanline, Chabot et Bazire avaient été renvoyés
devant le tribunal révolutionnaire. I/accusateur public
y impliquait même Hérault de Séchelles, comme n'étant
étranger ni à la falsification du décret, ni aux trames
ourdies on faveur de la Compagnie des Indes, et il allait
jusqu'à y rattacher Camille Desmoulins, parce qu'il
avait dit qu'il ne concevait pas comment en France on ne
gagnait pas d'argent; que pour lui, il n'avait que l'em-
barras du choix'.
Mais c'él'iit peu qu'il y eût faux et concussion, fût-ce
un faux renouvelé de l'antiquité comme celui qu'on
signalait ici. On y voulait voir un complot, et il y au-
rait manqué, on l'a vu, quelque chose, si on n'y eût mêlé
les puissances étrangères : à cet égard quelques étran-
gers faisaient bien parmi les conjurés. L'accusation com-
1. C'est sur un Um ironique qu*il pirlait sans aucun doute.
2. Moniteur du 15 germinal.
3. Bulletin, n« 17, pag. 05-67.
158 CHAP. XXIX. ~ DANTON, CAMILLE DESMOULLNS, ETC.
prenait donc à ce titre les deux Frey» beaux-frères de
Chabot. Les deux Frey, <c venus en France presque tout
nus >, avaient donné leur sœur» avec 200000 francs de
dot, au capucin Chabot ; d'où tenaient-ils ces 200 000 fr.?
Le Danois Diederichsen, l'Espagnol Gusman, liés avec
l'introuvable baron de fialz, agioteurs ou intrigants,
achevaient de donner à cette conspiration de l'étran-
ger une certaine apparence; l'ex-abbé d'Espagnac lui-
même, accepté du Comité des marchés, grâce aux in-
telligences qu'il avait dans la place, comme fournisseur
des armées de la République, était, selon Taccusation,
d'accord avec ces mêmes puissances pour perdre nos
soldats.
On reliait par Camille Desmoulins le premier groupe
au second ; on les reliait l'un et l'autre, par Chabot et les
Frey, à la conspiration de Ronsin, d'Hébert, etc. On les
reliait par Fabre d'Églantine à la conspiration des Gi-
rondins ; on les reliait même par Danton à la conspira-
tion de Dumouriez. Ici l'accusateur public pouvait puiser
à pleines mains dans le rapport de SaintJust. Danton q
servi la tyrannie (la royauté) ; il a conspiré avec les
Lamelh, il a attiré le peuple dans le guct-apens du
Champ-de-Mars (17 juillet 1791). Danton s'est éloigné
de Paris aux jours de péril ; il n'y est revenu le 9 août
que pour aller se coucher dans la nuit du 10; il a fait,
après le 10 août, une alliance intime avec Dumouriez;
il flattait les Girondins, il était dans des conciliabules
avec Wimpfen et d'Orléans; on le soupçonnait d'avoir eu
des conférences en France avec la reine, d'après des let-
tres de l'ambassadeur d'Espagne à Venise*. Il dînait chez
1. (31 juillet 1793.) c Le 3 de ce mois, la Reine a été séparée du Dauphin. La
Commune de Paris prtétend qu'un agent du prince de Cobourg a des intelligences
WËSTKRNANN MIS EN ACCUSATION. 159
Gusman. Il était sans doute en relation avec les Espagnols.
La lecture du rapport d'Àmar sur TafTaire de la Com-
pagnie des Indes, puis des décrets de renvoi au tribunal
occupa toute la première séance (13 germinal). La
seconde commença par la lecture d'un décret nouveau,
décret rendu la veille, qui renvoyait au iribanal révolu-
tionnaire un nouvel accusé, Westermann, « écLevin de
Sti^sbourg, soldat dès son enfance, » comme il répondit
à rappel de son nom ^ : il prit place immédiatement sur
les bancs auprès des autres'.
avec la Reine, que Danton et Lacroix, qui étaient du parti de la Montagne, sont
devenus Girondina et ont eu des intelligences avec Sa Majesté.
< RenouTellement du Comité de sûreté générale : neuf des principaux chefs
du parti maratiste en sont les membres.
f On espère cependant qu'il s'y troufera un espion royaliste déguisé tous
le masque maratiste, etc.
« Signé: Clembste db Campos. i
(Archives, W 542, dossier 648, 3* partie, pièce 35.)
Joignez-y une déclaration de Rheydellet, lieutenant de raisseau, arrêté, contre
le droit des gens, étant parlementaire et incarcéré à Cagliari. Il a appris du
major de la place, avant les événements, la trahison de Dumouriez, la rébellion
de Lyon, de Marseille, de Toulon et de la Vendée, le complot des fédéralistes.
On lui a*dit, sur la fin de mars, que tous devaient se réunir aux puiisaacet cot-
Usées, ayant à leur tête Danton et Dumouriez. 14 germinal. [Ibid,, 1** partie,
pièce 46.)
1. Notes de TopinO' Lebrun, juré du tribunal révolutionnaire, publiées par
M. J. Claretie, Camille Desmoulins, page 468. — Sur sa mise en accusation.
Moniteur du 14 gettninal et procès-verbal d'audience. (Archives, W 542, dossier
648, 5* partie, pièce 55).
2. Vnici en quoi consista rinterrogatoire que lui avait fait subir le juge Deniiot
le matin même :
D. Son nom, son âge ?
R. François-Joseph Westermann, quarante ans ; militaire à l'âge de quinze (ans),
puiséchevin de la ville de Strasbourg et depuis la révolution envoyé comme oom-
uiissairc du pouvoir exécutif pour arrêter Lafayette, et général de brigade.
D. S'il a conspiré contre le peuple français en voulant rétablir la monarchie,
détruire la Convention nationale et le gouvernement républicain ?
H. Qu'il n'a jamais eu l'idée de pareils forfaits; que les bulletins de la Con-
vention nationale prouvent qu'il a toujours bien servi son pays.
D. S'il a fait choix d'un défenseur ?
(Archives, ibid., 5* partie, pièce 47.)
Ce même jour, un nommé Patou communiquait à sa charge trois lettres (24 juil-
let, 2 et '27 août 1795) à lui adressées par son fiU, volontaire qui servait en Yen*
dée et qui avait à se plaindre de son général. (Ibid,, 1" partie, pièces 55-38.)
160 CHAP. XXIX. - DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
L'accusateur public fit lire par le greffier Tacle som-
maire rédigé contre lui S puis celui qu'il avait dressé
contre Chabot, Fabre d'Ëglantine et les autres, comme
complément du rapport d'Amar, et enfin pour tout acte
d'accusation contre Danton, Hérault-Séchelles, Camille
Desmoulins, Lacroix etPhilippeaux, le rapport de Saint-
Just. C'est alors seulement que les débats s'ouvrirent par
l'interrogatoire des témoins *.
Comme dans l'acte d'accusation, c'est l'afTaire de la
Compagnie des Indes que l'on attaqua d'abord dans les
débats.
Le premier témoin appelé, Cambon, rappela les amen-
dements qu*il avait fait adopter au décret relatif à la
Compagnie des Indes el les altérations qu'ils avaient subies
dans la ré Jaction officielle. Fabre réclama la production
de l'original qu'on l'accusait d'avoir altéré, et n'ayant
pu l'obtenir, il expliqua la part qu'il avait prise à la
discussion de la loi, les modifications qu'il avait faites
au texte proposé par Delaunay pour le ramènera la forme
volée par la Convention, désavouant les changements
tout autres que l'on y avait introduits frauduleusement :
désaveu dont nous avons prouvé ci-dessus la parfaite
exactitude, ayant sous les yeux les pièces qu'on lui a re-
fusées. Mais sa défense chargeait d'autant plus Chabot,
Delaunay el leurs amis. Delaunay niait tout; Chabot et
Bazire soutenaient qu'ils n'étaient entrés dans cette in-
trigue que pour en connaître les détails et la faire
échouer. Hérault de Séchelles avait eu vent des bruits
divers qui couraient sur le sort des compagnies finan-
cières. Il avait demandé à fiazire <c s'il connaissait quelque
1. Archives, W 3i2, dossier 648, 3* ptrtie, pièce 59.
2. Ibid.^ 3* partie, pièce 55. (Procès- verbal d'audience.)
LES DÉBATS; AFFAniE DE LA COMPAGNIE DES INDES. 161
chose à lout ce galimalliias », et Bazirc lui avait répon-
du : c C'est mon secret el dans peu je le dévoilerai au
Comité de sûreté générale. > D'Espagnac convenait bien
qu'il avait rendu quelques services à la Compagnie des
Indes et qu'il lui en avait promis d'autres, en tout hon-
neur; mais on lui cilait cette letlre qu'il avait écrite à
Julien :
Cher ami,
Je n'ai encore rien fait pour vous et cepcndaut je n'ai point
oublié toutes les obligations que je vous ai.
Vous auriez de la peine à vous faire une juste idée des sa-
crifices que j'ai faits pour nombre de scélérats qui siègent à
côté de vous et qui ne m'ont pas tenu parole, etc. ^
Pendant ces tristes débats, Lacroix, Danton, murmu-
raient : Qu'élait-il besoin de notre présence ù une ins-
truction sur un vol de portefeuille, à une procédure avi-
lissante pour notre caractère? — « Passe d'aller dans la
même voiture, > disait Danton, etc.'.
III
lDlerix>gatoire de Danton (14 germinal). — Nules du juré Tupi no-Lebrun.
C'est après avoir longtemps traîné l'audience dans
ces sales affaires, que le président Herman en vint à
Danton.
1 . Plusieurs pièces concernant d'Espignac se trouvent dans un autre carton
desarchires, W515.
2. Notes prises à l'audience, Archires, W 545, dossier 676, (doss. de Ghau-
metic), 1** partie, pièces 22 et 23. — De la môme main qu'un réquisitoire contre
0»&clm (pièce 25) qui parait être de Naulin. Ce n'est pourUmt pas Naulin qui
siégea dans rarfair*). — Cr. Moniltur du 15 germinal (4 avril 1704)i
TRIB. lÉVOL. lU il
163 CIIAP. XXIX. — DAI^TOiN, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
Le président. — Danton, la Convention nationale voua
accuse d'avoir favorisé Dumouriez, de ne Tavoir pas fait con-
naître tel qu'il était, d'avoir partagé ses projets liberticides,
tels que de faire marcher une force armée sur Pari?, pour
détruire le gouvernement républicain et rétablir la royauté.
Dam ON. — Ma voix, qui tant de fois s'est fait entendre pour
la cause du peuple, pour appuyer et défendre ses intérêts,
n'aura pas de peine à repousser la calomnie.
Les lâches qui me calomnient oseraient-ils me parler en
face ? Qu'ils se montrent, et bientôt je les couvrirai eux-mêmes
de Tignominie, de l'opprobre qui les caractérisent ! Je l'ai dit
et je le répète : mon domicile est bientôt dans le néant et mon
nom est au Panthéon !... Ma tête est là : elle répond de tout!
La vie m'est à charge, il me tarde d'en être délivré.
Le président. — Danlon, l'audace est le propre du crime et
le calme est celui de l'innocence ; sans doute, la défense est
de droit légitime, mais c'est une défense qui sait se renfermer
dans les bornes de la décence et de la modération , qui sait
tout respecter, même jusqu'à ses accusateurs ' .
Danton. — L'audace individuelle est sans doute réprimable
et jamais elle ne put m'étre reprochée ; mais l'audace natio-
nale, dont j'ai tant de fois donné l'exemple, dont j'ai tant de
fois servi la chose publique, ce genre d'audace est permis; il
est même nécessaire en révolution, et c'est de cette audace
que je m'honore. Lorsque je me vois si grièvement^ si injuste-
ment inculpe, suis-je le mailre de commander au sentiment
d'indignation qui me soulève^contre mes détracteurs? Est-ce
d'un révolutionnaire comme moi, aussi fortement prononcé,
qu'il faut attendre une défense froide? Les hommes de ma
ti'cmpe sont impayables ; c'est sur leur front qu'est imprimé
en caractères ineftaçables le sceau de la liberté, le génie ré-
|)ubr(cain ; et c'est moi que Ton accuse d'avoir rampé aux
pieds des vils despotes, d*avoir toujours été contraire au parti
de la liberté, d'avoir conspiré avec Mirabeau et Dumouriez 1
1. Cf. les noUt d'tiidienee cittoj)lus haut*
INTERROGATOIRE DE DANTON. 163
et c'est moi que Ton somme de répondre à la justice inévi-
table, inflexible !... Et toi, Saint Just, tu répondras à la pos-
térité de la diffamalion lancée contre le meilleur ami du
peuple, contre son plus ardent défenseur !... En parcourant
cette liste d'horreurs, je sens toute mon existence frémira
Danton allait continuer ainsi : le président le rappela
encore au respect de la représentation nationale, da tri-
bunal et du peuple souverain, et il lui cila l'exemple de
Marat (quel type de convenance et de douceur!), Marat
qui, accusé comme lui, « établit son innocence en ter-
mes respectueux. Je ne puis, ajouta-t-il, vous proposer
de meilleur modèle >.
Danton se résigna donc à discuter le rapport de Saint-
Just. Mais il ne se contint pas longtemps :
Moi, vendu à Mirabeau, à d'Orléans, à Dumouriez! moi,
le partisan des royalistes et de la royauté!... N'ai-je point
fait afficher au district des Cordeliers la nécessité de s'insur-
ger? J*ai toute la plénitude de ma tête lorsque je provoque
mes accusateurs, lorsque je demande à me mesurer avec
eux.... Que l'on me les produise et je les replonge dans le
néant dont ils n'auraient jamais dû sortir!... Vils impos-
teurs, paraissez, et je vais vous arracher le masque qui vous
dérobe à la vindicte publique'!...
Le président, sous prétexte de le calmer, trouva le
moyen de l'irriter davantage :
Danton, ce n'est pas par des sorties indécentes contre vos
accusateurs que vous parviendrez à convaincre le jury de
votre innocence. Parlez-lui un langage qu'il puisse entendre.
Danton. — Un accuse comme moi, qui connaît les mots
et les choses, répond devant le jury mais ne lui parle pas.
1. Bulletin n"* 21, pages 83-S4.
2. Ibid., n* 22, page 85.
104 CUAP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
Jamais rambition ni la cupidité n'eurent de puissance sur
moi.... Tout entier à ma patrie, je lui ai fait le généreux
sacrifice de toute mon existence.
C*est dans cet esprit que j'ai combattu Tinràme Pastoret,
Lafayctte, Bailiy et tous les conspirateurs qui Youlaient s'in-
troduire dans les postes les plus importants pour mieux et
plus facilement assassiner la liberté. Il faut que je parle de
trois plats coquins qui ont perdu Robespierre. J'ai des
choses essentielles à révéler; je demande à être entendu
paisiblement, le salut de la patrie en fait une loi.
Le président l'invite à se défendre lui-même avant
d'attaquer personne.
Dantok. — Je reviens à ma défense. C'est une chose bien
étrange que ravcuglemcnt de la Convention nationale jus-
qu'à ce jour sur mon compte, c'est une chose vraiment mira-
culeuse que son illumination subite!
Le président. — L'ironie à laquelle vous avez recours ne
détruit pas le reproche à vous fait de vous être couvert en
public du masque du patriotisme pour tromper yos collègues
et favoriser secrètement la royauté.
Rien de plus ordinaire que la plaisanterie, les jeux de
mots, aux accusés qui se sentent pressés et accablés de leurs
propres faits, sans pouvoir les détruire.
Danton. — Je me souviens effectivement d'avoir provoqué
le rétablissement de la royauté, la résurrection de toute la
puissance monarchique, d'avoir protégé la fuite du tyran,
en m'opposant de toutes mes forces à son voyage de Saint-
Cloud, et faisant hérisser de piques et de bayonnetles son
passage, en enchaînant, en quelque sorte, ses coursiers fou-
gueux ! Si c'est là se déclarer le partisan de la royauté, s'en
montrer l'ami, si à ces traits on peut reconnaître l'homme
favorisant la tyrannie, dans cette hypothèse, j'avoue être
coupable de ce crime....
Puis il s'explique sur l'aiïairc du Ghamp-de-Mars,
INTERROGATOIRE DE DANTOiN. 165
(17 juillet 1791), sur sa retraite à Arcis-sur-Aube, sur
son voyage en Angleterre, le 17 juillet 1789 (presque au
lendemain de la prise de la Bastille), voyage où l'on
voulait voir comme un premier symptôme d'émigration,
sur sa nouvelle retraite à Arcis-sur-ÀuLe en 1792 :
On m'accuse de m'étre retiré à Arcis-sur-Aube au moment
où la journée du 10 août était prévue, où le combat des
hommes libres devait s'engager avec les esclaves.
A cette inculpation, je réponds avoir déclaré à cette
époque que le peuple français serait victorieux, ou que je
serais mort; je demande à produire pour témoin de ce fait le
citoyen Paycn (Payan) : il me faut, ai-je ajouté, des lauriers
ou la mort.
Où sont donc les hommes qui ont eu besoin de presser
Danton pour l'engager à se montrer dans cette journée? où
sont donc ces êtres privilégiés dont il a emprunté l'énergie?
Depuis deux jours, le tribunal connaît Danton; demain
il espère s*endormir dans le sein de la gloire : jamais il n'a
demandé grâce, et on le verra voler à l'échafaud, avec la
sérénité ordinaire au calme de la conscience.
Et il rend compte de ce qu'il a fait au 10 août, des
actes de son ministère, des sommes qui ont été mises à
sa disposition, de ses 40.0000 francs de fonds secrets :
Je n'ai dépensé à bureau ouvert que 200000 livres.
Ces fonds ont été les leviers avec lesquels j'ai électrisé les
départements.
Il parle ensuite de ses relations avec Dumouriez, avec
Westermann.
Un juré lui demande pourquoi Dumouriez n'a pas
poursuivi les Prussiens dans leur retraite; pourquoi
Billaud-Varennes, qu'il avait chargé de surveiller Du-
mouriez, n'a pas pressenti ses trahisons.
'\
106 CIIAP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMODLINS, ETC.
Danton répond qu'il est bien facile de juger après
coup et renvoie au rapport de Billaud-Yarennes.
Un des jurés, Topino-Lebrun, dans des notes prises à
Taudience, a gardé sous cette forme tronquée, mais évi-
demment originale, plusieurs des traits de la défense de
Danton :
Moi vendu? un homme de ma trempe est impayable.
La preuve : me taisais-jeMorsque j'ai défendu Marat, lorsque
j*ai été décrété deux fois sous Mirabeau, lorsque j'ai lutté
contre Lafayctte? — Mon affiche pour insurger aux 5 et 6 oc«
tobre. Que Taccusateur qui m'accuse d'après la Convention
administre la preuve, les semi-preuves, les indices de ma
vénalité. J'ai trop servi; ma vie m'est à charge, je demande
des commissaires de la Convention pour recevoir ma dénon-
ciation sur le système de dictature.
... J'ai empêché le voyage de Saint-Cloud; j'ai été décrété
de prise de corps pour le Champ-de-Mars.
Les assassins furent envoyés pour m'assassiner à Arcis.
Je me sauvai à Londres ; je suis revenu lorsque Garant fut
nommé. On oiTrit à Legcndre 50000 écus pour m'assassiner.
... Quelle proposition avez-vous faite contre les Brissotins?
— La loi dePublicoIa. Je portai le cartel à Louvet, qui refusa.
Je manquai d*étre assassiné à la Commune. J'ai dit à Bris-
sot : a Tu porteras ta tète sur l'échafaud », et je l'ai rappelé ici
à Lebrun. J'avais préparé le 10 août et je fus à Arcis, parce
que Danton est bon fils, passer trois jours à faire mes adieux
à ma mère et régler mes affaires. Il y a des témoins. On m'a
revu solidement. Je ne me suis point couché. J'étais aux
Cordeliers, quoique substitut de la Commune. Je dis au
ministre Clavière, qui venait de la part de la Commune, que
nous allions sonner l'insurrection. Après en avoir réglé
toutes les opérations et le moment de l'attaque, je me suis
mis nu lit comme un soldat, avec l'ordre de m'averlir. Je
sortis à une heure, et je fus à la Commune devenue révolu-
tionnaire. Je fis l'arrêt de mort contre Mandat — (il ose s'en
INTERROGATOIRE DE DANTON. 167
vanter!) — qui ayait Tordre de tirer sur le peuple. On mit le
maire en arrestation, et j'y restai suivant l'avis des patriotes. . . .
J*eus 400 000 fr. sur 2 millions pour faire la révolution,
200 000 livres pour choses secrètes.
(Compte sommaire.)
Ministre de la justice, j'ai fait exécuter les lois.
Marat avait son caractère volcanisc, celui de Robespierre
tenace et ferme, et moi je servais à ma manière.
Je ne vis qu'une fois Dumouriez qui me tâta pour le
ministère. Je répondis que je ne le serais qu'au bruit des
canons....
Le piège de Brissot était de faire voir que nous désorga-
nisions les armées de Belgique.
On me refuse des témoins : allons, je ne me défends plus.
Je vous fais d'ailleurs mes excuses de ce qu'il y a de trop
chaud, c'est mon caractère.
Le peuple déchirera par morceaux mes ennemis avant trois
mois^
« Danton, dit le rédacteur du Bulletiriy parlait depuis
longtemps avec cette véhémence, cette énergie qu'il a tant
déployée dans les assemblées.
a En parcourant la série des accusations qui lui étaient
personnelles, il avait peine à se défendre de certains
mouvements de fureur qui l'animaient; sa voix altérée
indiquait assez qu'il avait besoin de repos.
c Cette position pénible fut sentie de tous ses juges,
qui l'invitèrent à suspendre ses moyens de justification
pour les reprendre avec plus de calme et de tranquillité.
Danton se rendit à l'invitation et se tut*. >
Plusieurs témoins au procès de Fouquier-Tinville,
d'Herman et d'autres membres, juges ou jurés, du tribu-
1. Notes de Topino-Lebrun. J. Claretie, Camille Jkêmoulini^ p. 465-467.
2. Bulletin, n* 23, p. 89.
168 CHAP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
nal révolutionnaire, prétendent que celte invitation était
un piège :
Les débats s'ouvrirent, dit le représentant du peuple Tlii-
rion, 132' témoin. Danton commença. Au milieu de sa dé-
fense, Herman qui présidait, lui dit : a Tu es fatigué, cède
la parole à un autre, je te la redonnerai quand tu seras
reposé. »
Danton voulait continuer, le président insista; la parole
fut ôtée à Danton et elle ne lui fut plus rendue.
Cette affirmation donna lieu à un débat animé dans
le procès où elle se produisit, et Herman ne put s'en
défendre qu'à demi :
D'AuBiGNY. — J'affirme que la 'parole a été retirée à
Danton.
Herman. — Je le nie : d'ailleurs celte affaire était un pro-
cès extraordinaire et politique (violents murmures, — Il n'y
a pas de procès politique, s'écrie Tauditoirc.)
Paris. — Je le répète : Danton ne fut pas entendu, non
plus que les autres accusés. On craignait même les témoins à
charge. Un seul fut produit; encore parla-t-il à la décharge
de Danton. Il n'était pas aisé de trouver des témoins contre
de pareils hommes ^
Pendant le discours de Danton, un colloque par écrit
s'était engagé entre le président Herman et Fouquier-
Tinville, sur un petit carré de papier qu'ils se renvoyaient
de l'un à l'autre et qui est resté aux Archives :
(Herman.) — Dans une demi-heure, je ferai suspendre la
défense de Danton, il faudra prendre quelques-uns de détail.
(FouQciER-TiN VILLE.) — J'ay une interpellation (il avait écrit
objection) à faire à Danton, relativement à la Belgique, lors-
que tu cesseras les tiennes.
i . Procès fie Fouquier, n* 46, page 5.
LDUILLIER: HERAULT-SÊCHËLLES; CAMILLE DESMOULLXS. 169
. (Herman.) — 11 ne faut: pas entamer relativement à d'autres
que Lacroix et Danton Taffaire de Belgique, et quand nous
en serons là, il faut avancer '.
IV
15 gerniin:il. — Lhuillicr mis en accusalion. Interrogatoire de Camille De»moulins,
de Giisman, de Lacroix, de Pliilippeaux, de Westermann, de Diederichsen,
des deux Frey.
Le 15, troisième jour des débats, un nouvel accusé,
Lliuillier, ex-procurenr général syndic du département
de Paris, fut réuni aux autres accusés sur le réquisitoire
de Fouquier-Tinville, comme complice de Chabot, etc. *.
Après lui, après Hérault de Séchelles, qui eutà répondre,
comme membre du comité diplomatique, sur ses rapports
avec Proly, et sur cel abus des papiers relatifs aux affaires
étrangères et ces intelligences avec l'ennemi dont le Co-
mité de salut public l'avait accusé^, le président inter-
rogea Camille De<^moulins. Ses écrits étaient au fond ce
qui le faisait mettre en jugement, et le président lui
opposa sans détour celle page fameuse du numéro Ul du
Vieux Cordelier :
Crime de contre-révolution au descendant de Cassius, pour
avoir gardé les portraits de ses ayeux.
1. Archi?e8| V^ 342, dossier 648, 1" partie, pièce 34.
2. Archires, ibid., 3* partie, pièce 55 (procès-verbal d*tadience).
3 Voici ce qu'en rapportent les notes de Topino-Lebrun :
« Hérault^ sur le petit cofTret/nie le Tait. U fut nommé pour la partie diplo-
matique nvec Darère. Déclare que jamais il ne 8*est mêlé des négociations, nie
n'avoir jamais fait imprimer aucune chose diplomatique.
c Je ne conçois rien à ce galimatbias.
ff J'ai sauvé à la Republique une armée de 60 000 hommes. Travaille avec Bar-
c tbélemy à la neutralité de la Suisse.
« Jamais rien communiqué à Proly en politique; au surplus, il fallait mecon-
c fronler avec lui. i (J. Glarede, CamiUe Desmoulmi, pages 467-468).
i
170 CHAP. X\1X. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
Autre crime de contre-révolution : avoir été aux commo-
dités sans avoir vidé ses poches d'effigies royales, et cela
pour les avilir, etc.
Le Bulletin n'en donne pas davantage. Si le président
aussi s'en est tenu là, il a craint sans doute de réveiller
dans l'auditoire, par une plus longue citation, l'impres-
sion que le numéro III du] Vieux Cordelier avait faite
dans le public ^
Camille Desmoulins avait plus d'esprit que de carac-
tère. Il ne soutint pas dans les débats son rôle de vieux
Cordeliery et sembla désavouer cette ironie vengeresse
qui avait mis au pilori de l'opinion publique et la loi
des suspects et tout ce que le président appelait c les
décrets les plus salutaires >. Dans les notes du juré cité
plus haut on trouve ces fragments de ses répliques :
... J'ai dénoncé Dumouriez avant Marat, d'Orléans le pre-
mier. J*ai ouvert la révolution, et ma mort va la fermer.
Marat s'est trompé sur Proly. Quel est l'homme qui n'a pas
eu son Dillon? Depuis le numéro IV je n'ai écrit que pour me
rétracter. J'ai attaché le grelot à toutes les factions, on m'a
encouragé, écrit, etc. Démasqué le faste d'Hébert. Il est bon
que quelqu'un le fasse'.
Gusman avoua qu'il était grand d'Espagne de pre-
mière classe, mais il dit quMl n^en soupirait pas moins
pour la liberté et qu'il était venu en France pour en
jouir. I/infortunél C'est à cela qu'aurait pu justement
s'appliquer cette parole de Danton, plaisantant sur les
•
1. Nons en avons reproduit ci-dessus la partie principale.
9. Jules Clarctie, /. /., page 469. — Le général Dillon, ami de Camille Dès-
moulins, étant accusé devant la Convention d'un complot royaliste, Camille Des
moulins avait voulu le défendre à la tribune. Il publia en sa faveur une bro
cbure: Réponte de Camille Desmoulint à ArUiur Dillon, (Voyez L. Blanc,
t. TX, pages 77 et 78.)
GUSMAN; LACROIX. 171
longues explica lions de son coaccusé : « Il fait des châ-
teaux en Espagne ^ »
Lacroix rendit compte de sa mission en Belgique ; il
nia qu'il eût provoqué ie renouvellement de la représen-
tation nationale, et pour sa défense en général il demanda
que Ton entendit ses témoins :
Depuis trois jours, dit-il, je revendique inutilement le
droit sacré de la défense pour un accusé, mes moyens de
rétablir; depuis trois joui*s, j'ai remis la liste de mes témoins
justificatifs, et cependant aucun d'eux n'est encore assigné.
Je somme l'accusateur public de me déclarer, en face du
peuple, témoin de mes efforts pour me justifier, pourquoi cette
satisfaction si légitime m^est refusée.
L'accusateur public. — L'appel de vos témoins m'est tota-
lement étranger ; ils doivent être produits à votre requête et à
votre diligence; je ne me suis point opposé à leur citation, et
déclare encore ne point m'y opposer.
Lacroix. — Mais ne pas vous opposer à l'appel de mes té-
moins ne me suffit pas ; rien ne se fait sans la permission de
l'accusateur public, sans ses ordres : c'est donc cette permis-
sion, ca sont donc ces ordres que je sollicite.
L'accusateur PUBLIC — Puisque vous exigez une déclaration
formelle de ma part, je déclare permettre que vos témoins
soient appelés, autres toutefois que ceux par vous désignés
dans la Convention ; et à cet égard j'observe que l'accusation
portée contre vous émanant de toute la Convention en masse,
aucun de ses membres ne peut vous servir de témoin justi-
ficatif; car rien ne serait plus ridicule que de prétendre avoir
le droit de faire concourir à votre justification vos propres
accusateurs, et surtout des corps constitués, dépositaires du
pouvoir suprême, qui ont droit de Texercer pour le plus grand
avantage du peuple et n'en doivent compte qu'à lui.
1. y aies de Topino-Î^brun, Jules Claretie, /. /., p. 470. « On lui fait, diatil-il
v'ncore de la condescendance du président Herman sur ces longueurs, on lui fait
poiiiesM; comme étranger. » (Ihid,, p. 470.)
\n CHAP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
Lacroix. — Et des assertions par vous posées j'en conclus,
comme je le dois, qu*il est permis à mes collègues de m'as-
sassiner, et à moi défendu de démasquer, de confondre ces
vils assassins dans les derniers moments de mon existence.
Il importe cependant bien essentiellement au peuple d'être
éclairé sur certains individus qui le représentent, et dont
.tout le mérite consiste à se créer des prôneurs, des adula-
teurs en assez grand nombre pour écraser les hommes ver-
tueux et altiers qui refusent d'encenser leur idole et d'adopter
leurs opinions erronées.
Le président. — Vous êtes accusé de conspiration ; vous
vous en défendez, vous vous prétendez irréprochable, et c'est
même jusque dans Ténceinte de ce tribunal que vous osez
conspirer, calomnier la représentation nationale et jeter sur
elle les soupçons les plus odieux.
Lacroix. — Je ne suis donc ici que pour la forme, puisque
Ton veut me réduire à y jouer un rôle muet.
Le président. — Votie défense n'est entravée par personne;
mais les invectives, les diffamations ne sont point des moyens,
et ce n'est pas ainsi qu'on parvient à démontrer son inno-
cence.
Lacroix. — J'insiste pour que les témoins par moi proposés
soient admise et je demande, en cas de difGculté, que la
Convention soit consultée à cet égard.
L'accusateur public — Il est temps de faire cesser cette
lutte, tout à la fois scandaleuse, et pour le tribunal, et pour
tous ceux qui vous entendent ; je vais écrire à la Convention
pour connaître son avis, il sera bien exactement suivi.
Celle déclaration avait une portée redoutable. Les
accusés ne parurent pas s'en apercevoir.
Rien d'insolite ne s'était encore produit dans le procès.
Danton disait :
i . On a au dossier des listes des témoins à assigner à la requête de Hérault,
d'Espagnac, de Danton, de Lacroix. (Arcliifes, ^V 342, dossier 648, 1'* partie,
pièces 41 et 4C.)
SUITE DES DÉBATS : DANTON, CAMILLE, ETC. ilo
Pourvu qn*on nous donne la parole et largement, je suis
sûr de confondre mes accusateurs, et si le peuple français
est ce qu'il doit être, je serai obligé de demander leur grâce.
El Camille :
Âh ! nous aurons la parole : c'est tout ce que nous deman-
dons. (Grande et sincère gaieté de tous les députés accusés.)
Puis Danton encore :
C'est Barère qui est patriote à présent; n'est-ce pas? Et
Danton aristocrate ! La France ne croira pas cela longtemps.
Et interpellant Cambon qu'il voyait parmi les témoins :
Nous crois-tu conspirateurs? Voyez, il rit, il ne croit pas.
Écrivez qu'il a ri.
Puis s'adressant aux jurés :
C'est moi qui ai fait instituer le tribunal, je dois m'y
connaître ' !
Cependant le président continuait l'interrogatoii^e.
On accusait Danton et Lacroix d'avoir été contraires à la
révolution du 31 mai; d'avoir incriminé Hanriot pour
le rôle qu'il y avait joué, d'avoir demandé sa tête.
Cela se rattachait à l'accusation de fédéralisme et de
faveur pour les Girondins. Lacroix répond :
J'ai dit à Henriot : Tiens ferme, sans cela nous sonunes
perdus. 11 faut qu'aujourd'hui le peuple et la Convention
aient satisfaction de tous les aristocrates.
Et Danton :
Je n'ai point [demandé l'arrestation d'Henript, et je fus un
de ses plus forts appuis.
1. Noies de Topmo- Lebrun, Jules CUretie, Camille DetmoulinMf piges 408-
470.
174 CUAP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMOULLNS, ETC.
D^autre part on reprochait à Lacroix d'avoir demandé
Tarrestation des vingt-deux et de tous les appelants, —
dans l'intention il est vrai, de soulever les départemenls
contre Paris ; et il répondait :
Je n*ai point eu les intentions perfides que l'on me prête,
je n'avais d'autre but que de délivrer la Convention des
membres qui obstruaient ses opéralions.
Parmi ces hommes sur lesquels, à part les griefs
politiques de l'accusation, il y avait tant à dire, celui
qui méritait le plus de considération, c^est assurément
Philippeaux : toute Taccusation à son égard se résumait
dans ces paroles du président :
Philippeaux, vous êtes accusé d'avoir attaqué le gouverne-
ment par vos écrits, d'avoir voté l'appel au peuple, d'avoir
calomnié Marat et de vous être déclaré défenseur de Roland.
Il se défendait en disant qu*il avait été d'abord pour
l'appel au peuple, mais qu^ensuite il Pavait rejeté;
qu'il avait pu être trompé sur Roland, mais qu'il avait
démasqué, six mois à l'avance, la faction des Girondins ;
qu'il avait été des soixant-dix-huit opposés à la mise
en jugement de Marat. Que restait-il donc? ses écrits :
mais c'était là ce qu'on ne lui pardonnait pas. Envoyé
en Vendée, il avait dénoncé au Comité de salut public
les horreurs et les turpitudes qui s'y commettaient,
dénoncé Ronsin, Rossignol^; puis, ses démarches étant
1. Goupilleau de Fontcnay, envoyé en Vendée en qualité de commissaire, osa
pourtant destituer Rossignol. — « Si c'était, lui dit Darèrc, un généml comme
Turcnne que tu eusses destitué, on te le pardonnerait aisément ; mais quand il
est question d'un patriote comme Rossignolf c'est un crime. »
a Qu'on pèse bien ce mot, dit Courtois dans ses notes, et qu'on le rapproche
du cluncre politique à entretenir en Vendée. »
(yoteê de Courtois» Jules Clarelic. CMmiUe DesmouUtiê, page 473.)
PHILIPPEAUX; WESTERMANN. 175
restées sans résuUat, il avail dénoncé à la Convention le
Comité de salut public lui-même :
J'ai connu mes devoirs, dit-il fermement, et je les ai rem-
plis, je n'ai point avili la représentation nationale.
Et comme l'accusateur public lui répondait avec
aigreur :
Il ne manque à ce que vous dites que les actions.
11 répliqua :
Il vous est permis de me faire périr, mais de m'outrager
je vous le défends ^
Westermann ne montra pas moins d'énergie en faisant
le tableau de ses services dansTarmée de Dumouriez,
à Jemmapcs et plus tard :
Lorsque Dumouriez était en Belgique, dit-il, j'étais en
Hollande, abandonné entre les ennemis. J*ai conduit ma
lé|(ion à Anvers.
Il ne lui fut pas plus difficile de prouver combien il
s'était montré contraire aux manœuvres qui préparèrent
la rébellion de Dumouriez; et quant au commandement
qu'il avait par la suite exercé en Vendée, comme on
rinvitail à se justifier des mauvais traitements dont se
plaignaient les volontaires (tous, disait-on, s'accordaient
à lui reprocher des actes d'inhumanité), il dit :
Les bons soldats se louent de moi et me rendent justice ;
le blâme des lâches qui se plaignent de moi et qui m'accusent
ne peut que concourir à ma justification.
A un autre moment, comme le président l'interrom-
pait en disant a qu'il divaguait et qu'il perdait son
i. Bulletin, p. 98.
176 CHAP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
temps : — Je ne puis mieux l'employer qu'à défendre
mes jours, » dit-il brusquement*.
Des traits divers de cette défense le juré Topino-Lebrun
a conservé ce déû tout soldatesque du général à ses
lâches accusateurs :
Je demanderai à me mettre tout nu devant le peuple pour
qu*on me voie : j*ai reçu sept blessures, toutes par devant;
je n'en ai reçu qu'une par derrière, mon acte d'accusation*.
Le président interrogea encore Diederichsen qui rendit
témoignage des services dont il était redevable aux deux
Frey. Il interrogea Junius Frey, qui exposa sa situation
de fortune et son expulsion de Vienne comme ami des
Jacobins; Emmanuel Frey, qui n'avait fait que suivre
son frère et qui s'en faisait gloire, se déclarant prôt à
mourir avec lui ; mais Tinlérêt était ailleurs.
Inquiétude du tribunal sur la suite des débats. — Lettre de Fouquier-Tinville
à la Convention. — Discours de Saint-Just. — Décret du 15 germinal.
Le Comité de salut public n'était pas rassuré sur
l'issue du procès. L'opinion publique n'avait pas été
soulevée contre Danton comme elle l'avait été contre
Hébert; et l'attitude audacieuse, menaçante, de l'élo-
quent tribunaux débals, ses rugissements qui remuaient
la salle et retentissaient à travers les fenêtres jusqu'au
i. D'Aubigny, témoin au Procès de Fouquier-Tinville^ n*40, p. 3.
ï. Notes de Topino-Lebrun^ publiées p.ir M. J. Clarctie à la fin de son livre sur
Camille Desmoulins, pages 4C8 et 470. Le propos est confirma par Bnlicur.
«Moi conspirateur! Je demande à me dépouiller tout nu devant le peuple;
j*ai reçu sept blessures par devant, je n'en ai qu'une par derrière ; c'est mon
acte d'nccusntion. s {f)u système de d^jwpulation ou la vie et les crimes de
Carrier^ page 55.)
iPPEL DU TRIBUNAL A LA CONVENTION. 177
milieu du peuple de la rue pouvaient provoquer des
manifestations en sa faveur ; et qu'eût-ce été s'il avait
fallu déférer à Ténergique réclamation de Lacroix et faire
descendre devant le tribunal la Convention où ils
n'avaient pas été entendus? La lettre que Fouquier-
Tinville avait promis d'écrire à l'assemblée comme poui*
lui donner satisfaction était ainsi conçue :
Citoyens représentants,
Un orage horrible gronde depuis que la séance est com-
mencée ; les accusés, en forcenés, réclament Taudition des
témoins à décharge, des citoyens dé|)utés Simon, Courtois,
Laignelot, Fréron, Panis, Lindct, Calon, Merlin de Douai,
Gossuin, Legendre, Robin, Goupilleau de Montaigu, Robert
Lindet, Lecointre de Versailles, Brival et Merlin de Thion-
ville; ils en appellent au peuple du refus qu'ils prétendent
éprouver. Malgré la fermeté du président et du tribunal en-
tier, leurs réclamations multipliées troublent la séance, et ils
annoncent hautement qu'ils ne se tairont pas que leurs témoins
ne soient entendus et sans un décret; nous vous invitons à
nous tracer défmitivement notre conduite sur cette réclama-
tion. Tordre judiciaire ne nous fournissant aucun moyen de
motiver ce refus. ^. .^^^ . ^ .q Fouquier ; Herman *.
1. L'original est au Musée des archives, vitrine 219, n* ii04. Voici la première
forme que Fouquier-Tinville avait donnée à sa lettre. Le préaident Herman, qui
signa après lui la seconde, contribua sans doute à l'adoucir un peu :
c Un orage horrible gronde depuis l'instant que la séance est terminée. Des
c voix effroyables réclament la comparution et l'audition des députés Simon, Gos-
c suin, Legendre, Fréron, Panis, Lindet, Calon, Merlin de Douai, Courtois, Lai-
c gnelot, Robert Lindet, Robin, Goupilleau de Montaigu, Lecointre de Versailles,
« Brival et Merlin de Thionvillc.
c Les accusés en appellent au peuple entier, du refus qui lui seroit fait de citer
c ces témoins : il est impossible de vous tracer l'élat d'agitation des esprits. Mal-
c gré la fermeté du tribunal, il est instant que vous vouliez bien nous indiquer
c notre règle de conduite et le seul moyen seroit un décret i ce que nous pré-
c voyons. » Signé: Fouqïïœr.
(Cite par le substitut Cambon au Procès Fouquier, n* 24, p. 2. H donne
ensuite l'autre, signée Fouquier et Herman, président.)
TRIB. RÉVOL. m 12
178 CHAP. XXIX. — DAiNTON, CAMILLE DESMOUUNS, ETC.
Dans la séance du 15 germinal (4 avril) Sainl-Just
monta à la tribune, fit voir cette lettre qu'il tenait à la
main, mais au lieu de la lire, il prononça ce violent
réquisitoire :
a. L'accusateur public du tribunal révolutionnaire a
mandé que la révolte des coupables avait fait suspendre
les débats de la justice jusqu'à ce que la Convention ait
pris des mesures. Vous avez échappé au danger le plus
grand qui ait menacé la liberté. Maintenant tous les
complices sont découverts et la révolte des criminels au
pied de la justice même, intimidés par la loi, explique le
secret de leur conscience ; leur désespoir, leur fureur,
tout annonce que la bonhomie qu'ils faisaient paraître
était le piège le plus hypocrite qui ait été tendu à la
Révolution.
« Quel innocent s'est jamais révolté devant la loi?Il ne
faut plus d'autres preuves de leurs attentats que leur
audace...
« Non, la liberté ne reculera pas devant ses ennemis;
leur coalition est découverte. Dillon, qui ordonna à son
armée de marcher sur Paris, a déclaré que la femme de
Desmoulins avait louché de l'argent pour exciter un
mouvement pour assassiner les patriotes et le tribunal
révolutionnaire. Nous vous remercions de nous avoir
placés au poste d'honneur; comme vous, nous couvri-
rons la patrie de nos corps.
«Mourirn'estrien, pourvu que la Révolution triomphe.
Voilà le jour de gloire ; voilà le jour où le Sénat romain
lutta contre Catilina ; voilà le jour de consolider pour
jamais la liberté publique. Vos comités vous répondent
d'une surveillance héroïque. Qui peut vous refuser sa
vénération dans ce moment terrible où vous combattez
SilNT-JUST A LA CONVENTION (15 GERMINAL). 179
pour la dernière fois contre la faction qui fut indulgente
pour vos ennemis et qui aujourd'hui retrouve sa fureur
pour combattre la liberté.
« Vos comilés estiment peu la vie; ils font cas de
rhonneur. Peuple, tu triompheras; mais puisse celte
expérience te faire aimer la Révolution par les périls
auxquels elle expose tes amis ^.. »
Toujours le même jeu de se poser en victime pour
immoler les autres ! Et il proposait le décret suivant :
La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de
ses Comités de salut public et de sûreté générale, décrète que
le tribunal révolutionnaire continuera rinsiruction relative
à la conjuration de Lacroix, Danton, Chabot et autres; que
le président emploiera tous les moyens que la loi lui donne
pour faire respecter son autorité et celle du tribunal révolu-
tionnaire, et pour réprimer toute tentative de la part des
accusés pour troubler la tranquillité publique et entraver la
marche de la justice.
Décrète que tout prévenu de conspiration qui résistera ou
insultera à la justice nationale sera mis hors des débats sur-
le-champ *.
La Convention allait voler : mais, pour faire accueillir
le décret du public, il fallait quelque chose qui agit
plus fortement sur Tesprit de la foule. On imagina donc
une conspiration, et Billaud-Varennes succédant à Saint-
Jus t :
« Avant de rendre ce décret, dit-il, je demande que
la Convention entende la lecture de la lettre que les
comités ont reçue de l'administration de police : elle
verra quel péril menace la liberté et quelle intimité
1. Moniteur du 16 germinal (7 avril 1704).
2. Moniteur, ibid.
180 CUàP. XXIX. — DANTON, aMILLE DfiSMOULINS, ETC.
règne entre les conspirateurs traduits au tribunal et
ceux des prisons. Cette lettre contient le récit de leurs
attentats.
Il fit lire par un secrétaire la lettre dont voici la
substance :
« Un citoyen Laflotte, ci-devant ministre de la Républi-
que à Florence, détenu depuis environ six jours dans la
maison du Luxembourg, a vu le général Arthur Dillon,
détenu comme lui, qui lui a parlé de la séance du tri-
bunal révolutionnaire. Danton et Lacroix avaient déclaré
ne vouloir parler qu'en présence de Robespierre, Saint-
Justet autres; le peuple avait applaudi, et le jury em-
barrassé avait écrit à la Convention : mais la Convention
ayant passé à l'ordre du jour, le décret avait été accueilli
dans le peuple par des murmures. Cela étant, il y avait
à craindre que, devant cette menace d'insurrection, les
deux Comités ne fissent égorger les prisonniers détenus
à la Conciergerie et que le massacre ne s'étendît aux
autres prisons; qu'il fallait résister. Dillon lui avait
dit encore qu'il avait concerlé un projet avec le député
Simond*, qu'il le lui ferait connaître et lui amènerait
en même temps Simond et Thouret ; puis il remit à un
porte-clef une lettre à l'adresse de la femme de Camille
Desmoulins qui mettait à sa disposition mille écus pour
ameuter la foule autour du tribunal révolutionnaire.
Dillon était revenu le trouver le soir avec Simond, et
Laflotte feignit d'entrer dans leur complot ; mais dès
le matin il l'avait dénoncé, et il se mettait à la disposi-
tion du Comité de salut public pour lui en révéler les
détails. »
1. C'est ainsi qu'il signe. On trouve généralement Simon dans les ioiprimés.
DÉCRET DU 15 GERMINAL. 481
— Voilà le germe de ce qui porta tant de fruits de
mort, sous le nom de « conspiration des prisons*. »
Le décret fut voté à Tunanimité. Robespierre demanda
que la lettre lue à la Convention et le rapport de Saint-
Just fussent envoyés en même temps au tribunal révolu-
tionnaire, avec injonction de les lire à l'audience, et la
proposition fut adoptée*.
Les juges, le jury, l'auditoire devaient être ainsi placés
sous le poids de la terreur qui avait dicté le décret.
J^e Bulletin du tribunal révolutionnaire j qu'on pourrait
être tenté de prendre pour un document officiel en cette
matière, place la scène de la lecture du décret à l'ouver-
ture de la troisième séance qui est le 15 germinal
(4 avril) et c'est dans cetle même séance qu'il fait clore
les débats, le jury ayant répondu à la demande du pré-
sident, qu'il était suffisamment instruit \ Il y a là une
double erreur : le délai de trois jours, après lequel cette
question pouvait être posée, n'expirait que le 16, et c'est
le 16, on ne le conteste pas, que la sentence a été pro-
i. Il y avait eu contre Diilon une dénonciation d'Amans, aide de cam^), prison-
nier au Luxembourg, dénonciation contenue dans une lettre écrite auparavant à
Robespierre (25 ventôse, 14 janvier 1794), le lendemain de l'arrestation de Fabre
d'Ëglantine. (Courtois, Papiers trouvés chez Robespierre, n' xxx, p. 143.)
2. Séance du 15 germinal. Moniteur du 16 (5 avril 1794).
(}ollot d'JIerbois s*ernpressa d'en informer le président du tribunal par celle
lettre qui est restée dans les papiers du Comité de salut public :
15 germinal,
Au président du tribunal révolutionnaire,
Ciloyen,
La Convention a rendu un décret dont tu recevras tout à l'heure Texpédiiion.
Ce décret réprimera l'clrange désordre qui a eu lieu au tribunal et l'empochera de
le renouveler. On te portera aussi des pièces dont la Convention a ordonné la lec-
ture, qui éclaireront l'opinion publique sur toute la profondeur de la conspiia-
tion.
COLLOT d'HeRBOIS.
(Archives, A F n, 22, dossier 71, pièce 3.)
5. bulletin, 5« partie, u« 26.
182 CHAP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
noncée. D'autre part le décret n'a été rendu par la Con-
vention que dans la séance du 15 ; et ce n'est qu'à la fin
de l'audience du 15 qu'il a été apporté au tribunal. Sur
ce grave événement il y a une autorité plus considérable
que le Bulletin^ c'est le procès-verbal d'audience*, et
tel est aussi le témoignage du greffier Paris. Voici
comme il en a déposé au procès de Fouquier-Tinville.
Après avoir dit que le décret fut apporté (le 15) par
Amar, accompagné de Voulland :
J'étais, dit-il, dans la salle des témoins lorsqu'ils arri-
vèrent. Je les vis pâles : la colère et TelTroi étaient peints sur
leur visage, tant ils paraissaient craindre de voir échapper
à la mort leurs victimes. Us me saluèrent. Voulant savoir
ce qu'il pouvait y avoir de nouveau, je les abordai. VouUaud
me dit : « Nous les tenons, les scélérats, ils conspirent dans
« la maison du Luxembourg. » Us envoyèrent appeler Fouquier
qui était à l'audience; il parut à Tinstant. Amar le voyant,
lui dit : c( Voilà ce que tu demandes, » c'était le décret qui
mettait les accusés hors des débats. Voulland dit : « Voilà
« lie quoi vous mettre à votre aise ; » Fouquier répondit en
souriant : « Ma foi, nous en avons besoin; » il entra avec
un air de satisfaction dans la salle d'audience, donna lecture
du décret et de la déclaration du scélérat Ladotte que tout
le monde connaît.
Les accusés, continue-t-il, frémirent d'horreur au récit de
pareilles calomnies. Le malheureux Camille en entendant
prononcer le nom de sa femme, poussa des cris de douleur, et
dit : « Les scélérats, non contents de m'assassiner, ils veulent
encore assassiner ma femme. » Pendant cette scène déchirante
pour les âmes honnêtes et sensibles, des membres du Comité
de sûreté générale, placés sous les gradins et derrière Fou-
i. Il mentionne le 15 la lecture du décret; \i séance levée et renvoyée au
lendemain 16, à dix heures; et le 16, à Touvcrlure de la séance, le président con-
sultant les jurés s'ils sont suffisamment instruits. (Archives, W 342, dossier
648, 3* partie, pièce 55.)
DÉCRET DU 15 GERMINAL. 183
quier, et les juges jouissaient du plaisir barbare du désespoir
des mallieureux qu'ils faisaient immoler. Danton les apergut,
et les faisant voir à ses malheureux compagnons d'infortune,
dit : « Voyez ces lâches assassins, ils nous suivront jusqu'à la
mort*. »
Un autre témoin aumême procès, Dufourny, confirme
un des traits de celte déposition; et ici le grand peintre
David est encore mêlé à cette scène d'anthropophages
(comment appeler d'un autre nom ces hommes qui se
dévorent entre eux !)
David, dit le témoin, me dit avec frénésie : ic Ehl bien,
nous les tenons enfin, ces scélérats'. »
Le représentant Thirion, témoin aussi dans le procès
de Fouquier-Tinville, ditqu'il était quatre heures quand
arriva le décret de la Convention. Il atteste qu'il n'y eut
de la part des accusés ni révolte, ni insulte envers per-
sonne; et que le lendemain, quand il se rendit au tribu-
nal, il y apprit qu'ils venaient d'être mis hors des débats*.
Un autre témoin, D'Aubigny, confirme le fait de la
lecture du décret le jour même qu'il avait été rendu
(c'est d'ailleurs ce que la Convention avait décidé sur la
proposition de Robespierre). Il ajoute que les juges, les
jurés, le peuple et les accusés en restèrent stupéfaits :
ils se regardaient, dit-il, et ne savaient ce que cela vouiait
dire. Mais bientôt la réaction se produisit :
Danton s'élève avec véhémence contre la perfidie employée
par ses lâches ennemis qu'il indique nominativement (Robes-
pierre, Billaud, Saint-Just, Couthon, Barère, Vadier, Amaret
1. Procès de Fouquier, n»« 25 et 26.
2. Ibid., n* 41, p. 1-2.
3. Procèi de Fouquier, n» 46, pirce 3. — Voy. Archives, F 7, 4458, n* 14
(Procès de Dnnton).
184 CHAP. XXIX. — DANTON, CAMILLE DESMOUUNS, ETC.
Youliand : il fait l'éloge des autres membres de ces Comités)
pour arracher à la Convention ce décret de mort. Il somme
les juges, les jurés et le peuple de déclarer si le fait qu'on
leur impute est vrai. Le peuple crie à la trahison^ à la per-
fidie, il est ému, il est attendri, il s'agite, le président fait
lever la séance ^
VI
16 germinal : La parole retirée aux accusés. — Les juré.s circonTenus :
application du décret du 15 germinal. — Jugement.
Le lendemain, 16 germinal, au dire du même témoin,
la séance s'ouvrit à huit heures et demie du matin quoi
qu'ordinairement elle ne commençai qu'à dix heures".
Danton, Lacroix renouvelaient leurs instances pour que
leurs témoins fussent entendus. « On voyait, dit le
Bulletin du tribunal rédigé sous l'inspiralion de
Fouquier-Tinville, que leur but étail de soulever l'audi-
toire et d'exciter quelque mouvement, a Fouquier,
pour y couper court, ordonna au greflîer de donner
lecture du décret rendu la veille; la lecture achevée,
par un surcroit de dérision, il dit à Danlon et à
Lacroix qu'il avait, lui aussi, « une foule de témoins à
produire contre eux et qui tous tendaient à les confondre;
mais qu'en se conformant aux ordres de la Convention,
il s'abslicndrait de les faire entendre, et qu'eux accusés
devaient aussi renoncer aux leurs; qu'ils ne seraient
jugés que sur des preuves écrites et n'avaient à se dé-
fendre que contre ce genre de preuves". »
1. Procts Fouquier f ibid., n» 10, p. 3.
2. Le procès-verbal d'audience porte qu'elle commença à dix heures. (Archives,
même dossier , pièce 55.)
3. Bulletin, n» 26, p. 102.
BRUSQDE CLOTURE DES DÉBATS. 16 6ËRMINÂL. 185
Les preuves écrites contre Philippeaux, contre Camille
Desmoulins, cela se comprend, puisqu'ils étaient pour-
suivis surtout pour leurs écrits ; mais les preuves écrites
contre Danton, qu'était-ce autre chose que l'acte d'accu-
sation? Le président voulut reprendre l'interrogatoire
de Diederichsen, des deux Frey ; mais Danton, Lacroix
protestaient avec force contre la façon dont on les voulait
juger, réclamant leurs témoins, disant que Ton voulait
étouffer leur défense. Fouquier-Tinville alors recourut
à l'arme que Lacroix et Danton et les députés actuelle-
ment accusés (ils pouvaient s'en souvenir) avaient créée
contre les Girondins.
On était au quatrième jour des débats. Il invita les
jurés à déclarer s'ils étaient suffisamment instruits; et
le jury se retira pour en délibérer*.
Les accusés ne pouvaient point douter du résultat. Ils
s'emportèrent avec plus de violence, criant : a A l'injus-
tice ! à la tyrannie ! Nous allons être jugés sans être enten-
dus... Point de délibération (Ici on va reconnaître la voix
de Danton) : Nous avons assez vécu pour nous endormir
dans le sein de la gloire; que Ton nous conduise à
l'échafaud! »
Ces clameurs donnèrent lieu à l'application du décret
nouveau que l'on venait de faire exprès pour eux. Le
tribunal ordonna que les accusés fussent ramenés en
prison *.
1. Voyez aux Appendices n** VI.
2. Voici la suite du procès-verbal d'audience :
c A rinstant, l'accusateur public expose que l'indécence avec laquelle les ac-
c cusés se sont défendus dans le cours des débats, les brocards, les blasphèmes
a qu'ils ont eu l'impudeur de prononcer contre le tribunal, doivent le déter-
c miner à prendre des mesures proportionnées i la ^vité des circonstances.
« En conséquence, il requiert et le tribunal ordonne que les questions seront
186 CHAP. XXIX. DANTON, CAMILLE DESMOULLNS, ETC.
Pendant les trois jours écoulés depuis Touverture du
procès, les membres du Comité de sûreté générale
n'avaient pas quitté le tribunal : le greffîer Paris, dans
sa déposition au procès de Fouquier-Tinville, nous
montre Amar, Voulland, Vadier, David, allant, venant,
s*agitant^ parlant aux juges, jurés et témoins, disant à
tous venants, que les accusés étaient des scélérats, des
conspirateurs, particulièrement Danton; et de là corres-
pondant avec le Comité de salut public. Us étaient là
encore au moment suprême; bien plus, quand les
jurés furent assemblés le président et Taccusaieur public
se rendirent dans leur salle : le greffier Paris les en
vit sortir ^
Fouquier ne le nia pas dans son procès, etTopino-Le-
brun convint que le président et l'accusateur public pres-
sèrent les jures de se déclarer suffisamment informés*.
« posées et le jufremenl à intervenir sera prononcé en l'absence des accusés.
c De suite le président soumet ses questions à la décision du juré qui se retire
c dans la chambre pour délibérer.
« Le juré e^t rentré et ont donné leur déclaration à haute voix et individuel -
c lemcnt ; ce fuit, l'accusateur public a été entendu dans ses conclusions sur
a l'application de la loi. Après quoi le président a prononcé l'ordonnance d'ac-
« quit de Lullier, l'ua des accusés. En rab.«ence des autres accusés le tribunal a
a opiné à haute voix et a prononcé le jugement de condamnation et ordonné
c qu'il leur serait notifié entre les deux guichets de la maison d'arrêt de la Gon-
a ciergerie par le greHier du tribunal. »
Signé: IIerman, Dlcbay, commis-grelTier.
1 . a Le lendemain qui était le quatrième jour, les membres du Comité de sûreté
générale étaient au tribunal avant nrut' heures: ils se rendirent au cabinet de
Fouquier et lorsque les jurés furent assemblés, je vis Herman, président, avec Fou-
quier, sortir de in chambre des jurés. Pendant ce temps, Amar, Voulland, Vadier,
David et autres députés qu'il (Paris) reconnut pour être membres du Comité de
sûreté générale étaient à la buvette. (Procès Fouquier, n* 26, p. 1.)
2. a Pourquoi, le quatrième jour, s'est-il trouvé avec Hei man dans la chambre
des jurés, pour les engager à déclarer être suffisamment instruits ? » {Notes de
Topino-Lebrutif publiées par H. J. Claretie, Camille Desmoulins, p. 469.)
Paris, au procès de Fouquier-Tinville, dit qu'il ti( nt le l'ait de Topino-Lebrun lui-
même (n"46, p. 3) et le texte précédent confirme sa déclaration. Renaudin, qui
était sur le banc des accusés, convient d*une autre visite d'JIerman et de Fou-
quier, celte fois dans la chambre des jurés. Ilerman reconnaît qu'il y est allé le
RÉPONSE DU JURY; œNDAMNATlON. 487
C'est ce que flt le jury, en rentrant à l'audience. Le prési-
dent lui posa donc les questions.
La première était une aflirmalion :
Citoyens jurés,
Il a existé une conspiration tendant à dilTamer et avilir
la représentation nationale et à détruire par la corruption le
gouvernement républicain.
Les autres en faisaient l'application à chacun des
accusés :
Jean-François Lacroix, homme de lettre, député à la Con-
vention nationale est-il convaincu d'avoir trempé dans cette
conspiration? etc^
Le jury répondit affirmativement sur toutes, excepté
celle qui était relative à Lhuillier.
En conséquence tous, excepté Lhuillier, furent con-
damnés à mort*.
troisième jour (Ib'ul,^ n* 20, p. 5). Fouqtiier avoue enfin qu'il 8*y est rendu le
quatrième : « C'était ilit-il, pourcommuniquer aux jures la léponse du Comité. ■
— c Vous auriez pu le f:iire à Taudieiice, > répartit le président. (Ibid., p. 4.)
i. Archives, même dossier, pièce 02. — Voici comment le Bulletin du /rt-
bunal révolu donna ire^ n* 2(^ pré^enlc, pour simpliiicr, le verdict, reproduisant
les questions sous forme de réponse :
i* Qu'il a existé une conspiration tendant à rétablir la monarchie, i détruire
la représentation nationale et le gouvernement républicain ;
2* Que leadits Lacroix, Danton, Hérault, Philippeaux, Westermann et Oesmou-
lins sont convaincus d'avoir trempé dans cette conspiration;
5* Qu'il a existé une conspiration tendant à avilir la représentation nationale,
et à détruire pnr la corruption le gouvernement républicain ;
Que lesdit» Fabre, Chabot, Dclaiinay, sont convaincus d'avoir trafiqué de leur
opinion comme représentants du peuple ;
4* Que ledit Razire e>t complice dc^dits Delaunay et Chabot, en ayant gardé le
silence, soit sur les révélations qui lui ont été faites de leurs manœuvres crimi-
nelles, foit sur les propositions intéressées qui lui ont été faites ;
5* Que lesdits d Espa^^nac, Juniiis et Emmanuel Frey, Gusman et Diederich-
scn sont convaincus d'avoir trempé dans cette conspiration.
2. Le 20 germinal la Convention décUra faux et supposé le décret qui supprime
les compagnies financières, inséré dans le procès-verbal du 17 du premier mois et
le remplaça par un décret rectifié. {Moniteur du 28 germinal, 17 avril 1791.)
188 CHAP. XXIX. — DA.MON, CAMILLE DESMOULINS, ETC.
Ils étaient absents.
Reconduits à la Conciergerie comme on Ta. vu, ils y
attendaient qu'on les ramenât au tribunal pour y enten-
dre leur sentence. On les fit passer au greffe où elle leur
fut signifiée sans autre forme. À côté était la salle où
l'exécuteur prenait les condamnés. Les gendarmes qui les
avaient amenés au greffe avaient ordre de les lui livrer du
même coup*.
VII
Derniers moments des condamnés.
Danton, si passionné aux débats, ne pouvait pas rester
muet devant cet inqualifiable procédé inventé pour lui
fermer la bouche. « Il se livra, dit le récit de DesEssarts,
aux déclamations les plus violentes. Ses yeux étaient
enflammés, sa bouche écumait de rage et il n'en sortait
que des sons aigus et mal articulés. » Mais ensuite il céda
devant la fatalité et voulut montrer, se dominant lui-
même, qu'il était fort. On prête beaucoup de mots aux
hommes comme lui en de pareils moments. On lui a fait
dire : « J'ai la douce consolation de croire que l'homme
qui mourut comme chef de la faction des indulgents
trouvera grâce devant la postérité*. » On lui a prêté cette
autre parole aussi (traduction triviale et grossière de
l'inscription de Sardanapale) : « Qu'importe si je meurs?
J'ai bien dépensé, bien riboUé, bien caressé les filles,
allons dormir ^ I » Philippeaux dit avec un sourire
1. Dans sa réquisition à Ilanriot pour l'exécution des condamnés, Fouquier-
Tinyllle ne prescrit aucune mesure particulière. (Archives, A F n, 48, pièce 185 :
armoire de fer.) Voy. aussi les MgniGcations du jugement. Archives W, 526.
2. Notes de Courtois : Jules Clarelie, Camille Desmoulùu^ page 473.
3. Mémoiret de Sénart publiés par A. Dumesnil, cli. xii.
DERNIERS MO^iENTS DES COxNDAMNÉS. i89
amer : a Cette fia est digne du commencement de mon
procès ; x> et pendant qu'on lui coupait les cheveux il
s'écria plusieurs fois, selon Des Essarls : c Ma femme I
ma femme! mon fils! je ne vous reverrai donc plus ! »
Mais il domina son émotion, « monta d'un pas ferme
sur la fatale charrette et n'offrit pendant toute la roule
jusqu'au lieu de l'exécution , aucun signe d'altération
dans ses traits ^ »
Hérault de Séchelles ne perdit rien non plus de la
sérénité qu'il avait montrée dans tout le cours du pro-
cès. Ce n'est pas lui qui eût donné l'ombre d'un pré-
texte au décret rendu par la Convention sur le cri
d'alarme de Fouquier-Tinville. Quand on avait prononcé
la mise hors des débats, il avait dit : « Cette tactique ne
m'étonne point : elle est digne de ceux qui ont soif de
notre sang ; » et quand on lui signifia sa condamna-
tion : « Je m'y attendais. x> Il n'en fut pas de même de
Camille Desmoulins Le pauvre Camille qui avait tant
applaudi, raillé même au supplice des autres, mais qui
mourait pour avoir abdiqué sa charge de a procureur
général de la lanterne », Camille n'avait pas su donner
pour épilogue à sa belle et noble page inspirée de Tacite,
une attitude imitée de ces Romains dont Tacite avait
retracé aussi la mort. Garrotté à son tour, il criait en
écumant de rage : « Les monstres, les scélérats! Faut-il
que j'aie été dupe de Robespierre* ! Hérault s'approchant
lui dit : € Mon ami, montrons que nous savons mourir ;»
1 . Des Essarls, 1. 1, page 239.
2. Son pareni Matlon, éditeur de sa correspondance, dit dans sa notice que,
ramené à la Conciergerie après sa condamnation, il lut quelques pages des Nuits
d'Young et des Méditations de llervey. — Il est dit qu*il apporta avec lui ces
Uyrcs au Luxembourg ; mais il est certain qu'il n'était pas en disposition d'en
faire usage a celte heure suprême.
i90 GHiP. XXIX. — DÂlsmN, CAMILLE DESMOULLNS, ETC.
mais voyant que ses consolations ne servaient à rien, il
se recueillit en lui-même.
L'heure du départ venue, Hérault monta avec assu-
rance dans Tune des charrettes : « Il était placé seul sur
la dernière banquette : il portait la tête haute mais sans
aucune affectation : les plus belles couleurs brillaient
sur son visage. Rien n'annonçait la moindre agitation
dans son âme : ses regards étaient doux et modestes, il
les promenait autour de lui sans chercher à Gxer l'atten-
tion ni à inspirer l'intérêt. On eût dit, en le voyant, que
des idées riantes occupaient son imagination; » et il
mourait dans la fleur de la jeunesse et de la beauté,
sans paraître donner aucun regret à cette immense
fortune qu'il laissait par sa condamnation à ses bour-
reaux. Quant à Camille (ils étaient du même âge),
lorsqu'il fallut monter sur la charrette, il fit des
efforts incroyables pour s'arracher des mains des exécu-
teurs : « Aussi le vit-on, lorsqu'on le conduisait au
supplice, ayant les épaules nues : sa chemise déchirée
était descendue en lambeaux jusqu'à sa ceinture. » Il
avait les traits boulevei^sés les yeux étincelants de fureur
« et ses mouvemenls étaient à peine contenus par les liens
qui l'attachaient à la charrelte\ » Danton au milieu de
ces contrastes gardait son caractère. « Danton, dit un au-
teur, mourut avec un courage el une fermeté héroïques ;
sa gaieté ne l'abandonna point. Il consolait Lacroix que
l'idée de sa femme et de ses enfants jetait dans une
douleur extrême. Il plaisantait Fabre d'Églanline qui
était enveloppé d'une mélancolie dont on ne pouvait le
distraire*. » Il s'apitoyait sur Camille qu'il voyait avec
1. Des Essarta f ibid., p. 184.
2. Histoire de la Révolution par deux amis de la liberté, citée par M. Bou-
DERNIERS MOMENTS DES CONDAMNÉS. 191
peine, les vêtements en désordre, la poitrine découverte,
se donner ainsi en spectacle à cette multitude qui brisait
toutes ses idoles et insultait à toutes les infortunes.
Camille, se faisant encore illusion sur ce peuple qui
s'était jadis soulevé à sa voix, criait : a Peuple, peuple,
on te trompe ! » Mais Danton : « Reste donc tranquille
et laisse là celte vile canaille'. » Faut- il croire que dans
celte vile canaille on doive ranger David, si ardent à les
poursuivre, comme membre du Comité de sûreté géné-
rale, jusqu'au seuil de la chambre des jurés? «Homme
de sang, s'écrie Courtois le prenant à partie dans son
rapport, tu l'as bien mérité ce mot qui t'échappa en pré-
sence de plusieurs artistes connus : « que si tu aimais le
<c sang, c'est que la nature t'avait fait naître pour Tai-
a mer. » Poursuis, âme atroce, poursuis tes projets homi-
cides; va, cours attendre au coin du café de la Régence,
la fatale charrette qui conduira au supplice tes anciens
amis Desmoulins et Danton ; jouis de leur mommt
suprême, trace, d'après leurs traits flétris parla douleur,
les caricatures les plus indécentes; insulte encore à ce
dernier en l'indiquant du doigt, et en criant de toutes
tes forces : « Le voilà le scélérat I C'est ce scélérat qui est
« le grand juge*. »
Arrivés à la place de la Révolution, Hérault de Séchelles
geirl, Danton, p. 366. — Après les scènes de la prison, Des EssarU dit de lui :
« Il ne sortit plus aucune plainte de sa bouche et il se laissa conduire sur la fa-
tale charrette sans montrer la moindre opposition. On le vit sur le devant, assis
à côté de Lacroix qui paraissait accablé de son sort. Danton, au contraire, portait
la této haute. Ses regards étaient pleins de fit'rté. En le voyant passer on eût dit
qu'il commandait à la foule innombrable qui l'entourait. Pendant le long tr^et
de la Conciergerie à la place de la Révolution, on n'aperçut aucun changement
sur son visage. Plus il approchait du terme, moins il paraissait s'occuper du sort
qui l'attendait, b (Des Essarta, t VI, page 275.)
1 Natton aîné, Correspondance de Camille Detmoulint.
'2. Rap|)ort de Courtois (Bougeart, Danton, page 367).
19â CHAP. XXIX. — DAMON, CAMILLE DESMOULLNS, ETC.
et Philippeaux gardèrent le calme dont ils avaient fait
preuve jusque-là. Hérault commença le lugubre déGlé.
On dit qu'avant de monter à récinfaud, il voulut em-
brasser Danton et comme les aides du bourreau l'en
séparaient : « Misérables, dit Danton, vous n'empéchercz
pas nos deux têtes de s'embrasser dans le panier ! » Selon
un autre récit il s'élança avec rapidité et reçut la mort
avec courage. A la vue de l'écbafaud Camille reprit ses
lamentations : a Voilà donc la récompense réservée au
premier apôtre de la liberté, c'est donc ainsi que l'ami
le plus chaud de la République est traité! La mort est
un bienfait, on ne peut la recevoir assez vite. — Liberté
dont j'ai été, dont je suis idolâtre ; liberté, tes pieds vont
être arrosés par le sang d'un de tes enfants ! Les monstres
qui m'assassinent ne me survivront pas longtemps *. »
On dit que jusqu'au dernier moment il serrait dans
la main des cheveux de sa pauvre Lucile.
Danton comme Camille laissait une jeune femme dont
le souvenir ne pouvait pas, à cette dernière heure, être
banni de son âme. On rapporte qu'au pied de l'écbafaud
il ne lui échappa que ces mots ! ce 0 ma femme, ma
bien aimée, je ne te reverrai donc plus. * — Et s'inter-
rompant brusquement : < Danton point de faiblesse ; »
puis il gravit avec fermeté les marches de l'échafaud et
reçut la mort*.
i. Des Efsarts, t. I, page 185.
2. Des Essarts, t. Yl, p. 275.
CHAPITRE XXX
CHAUMETTE, 60BEL, LES VEUVES d'uÉBERT ET DE CAMILLE
DESMOULINS, ETC. SECONDE MOITIÉ DE GERMINAL
I
Moyens employés pour tromper l'opinion publique sur le procès de Danton.
A peine Danton, Camille Desmoulins et les autres
élaient-ils condamnés, que leurs bourreaux sentaient le
besoin de se raffermir dans l'opinion publique contre
les suites de leur victoire. Le jour même de leur con-
damnation et de leur mort, Payan disait dans le conseil
général de la Commune de Paris :
€ Neuf députés qui, après avoir joui de la confiance
du peuple Tout perdue, vont bientôt tomber sous le
glaive de la loi. »
11 les énumérait, les gratifiant chacun d'une injure;
puis, les reprenant en masse :
ce Ces scélérats ont montré une audace, une insolence
qui prouvent leur lâcheté. S'ils eussent été patriotes,
ils eussent montré du calme, de la dignité, parce qu'au-
tant le tribunal est sévère contre les coupables, autant
il est juste pour les innocents. Ils ont parlé avec impu-
dence et le peuple a frémi d'indignation, en voyant que
ces conspirateurs osaient braver les organes de la loi,
qu'eux-mêmes avaient nommés. » [On applaudit\)
1. Séance du 16 germinal, Moniteur du 18 (7 avril 1794).
TRiB. névoL. ui 13
194 CUAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL. ETC. ; FIN DE GERMINAL.
Le même jour, Vadier défigurait dans la Conveation
ces débals (où il n'avait pas laissé que d'avoir un rôle) ,
calomniant ceux qu'il avait fait condamner :
€ Au moment, dit-il, où la justice et la probité sont
à l'ordre du jour, j'éprouve le besoin d'épancher mon
cœur dans le sein de mes vertueux collègues. Hier, j'ai
été témoin, sans être vu, des débats scandaleux qui ont
eu lieu au tribunal révolutionnaire : j'y ai vu les cons-
pirateurs conspirer en face de la justice; j'y ai entendu
les propos les plus atroces ; j'ai entendu dire à ces cri-
minels : a Rien de plus glorieux que de conspirer contre
d un gouvernement qui conspire. y> Danton dit que ses
ennemis les Comités de salut public et de sûreté générale
et la Convention elle-même seraient déchirés dans peu
de jours. Quoi ! Danton, le seul homme que j'aie craint
pour la liberté, dont les formes robustes, l'éloquence
colossale, la figure hideuse, effrayaient l'image de la
Liberté!... J'ai vu, citoyens, les conspirateurs lancer
des boulettes aux juges et aux jurés et les insulter avec
une audace qu'on a peine à croire. »
Puis, pour sanctionner par quelque chose de plus
sérieux leur supplice, reprenant la fable qui avait été
inventée pour obtenir leur condamnation :
« Dans ce moment même, Dillon et Simon notre
collègue, conspiraient dans leur prison. Ils avaient or-
ganisé une cohorte de scélérats qui devaient sortir du
Luxembourg avec un mot d'ordre, s'emparer des avenues
des Comités de salut public et de sûreté générale, tom-
ber sur les membres qui les composent et les immoler à
leur fureur. »
Et Cou thon venant à son tour prendre eo thème pour
l'amplifier ;
CALOMNIES POSTHUMES CONTRE DANTON, ETC. 195
« Dans la nuit d'hier, les portes des prisons devaient
être ouvertes à ces monstres par les soins d'un concierge
qu'ils avaient gagné. Tous les prisonniers et leui*s com-
plices du dehors devaient se réunir sous le comman-
dement de Dillon et se porter d'abord au Comité de salut
public dont ils savaient bien que les membres étaient
en permanence continuelle, pour égorger avec le sang-
froid du crime, ces membres. Ils devaient ensuite déli-
vrer les conjurés, immoler les juges du tribunal révo-
lutionnaire, s'emparer des avenues de la Convention et
des Jacobins, massacrer tous les députés et les patriotes
les plus ardents, se porter ensuite au Temple, en extraire
l'enfant Capet et le remettre aux mains de cet infâme
Danton dont le peuple et nous avons été si longtemps
dupes, pour que ce fût Danton qui le présentât au peuple
et proclamât la tyrannie qu'il a affecté de combattre
avec une hypocrisie si perfide*. »
— a Ai-je donc la face d'un hypocrite, » avait dit
Danton, en montrant dans son aspect terrible à ses juges
cette figure qui, selon la pittoresque expression de Vadier,
« effrayait l'image de la Liberté? »
C'était le germe d'un nouvel acte d'accusation et
comme les préliminaires d'un procès qui devait con-
firmer l'autre. Et le Moniteur qui s'essayait déjà à son
rôle de journal officiel, rendant compte de l'exécution des
condamnés, prenait acte des acclamations de la foule à
l'appui de l'arrêt rendu « par le grand jury national; »
et il promettait de nouvelles révélations et de nouvelles
victimes :
« Garnier de Saintes, disait-il, Arthur et plusieurs
1. Sciincc du 10 geriuiiial (ô avril 179i). Moniteur du 17.
196 CUàP. XXX. — GUâUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMIXÂL.
autres membres ont énoncé les faits les plus grayes et
les plus positifs sur Danton, Lacroix, Philippeaux, etc.
Des preuves authentiques, les rapprochements les plus
frappants se trouvent accumulés dans ces dépositions
que nous nous empressons de faire connaître.
c( L'ex-général Dillon, Thouret, ex-constituant, doivent
être mis incessamment en jugement.
€ La veuve de Camille Desmoulins a été conduite à
Sain te- Pélagie *. »
Avec la femme de C. Desmoulins, nous retrouverons la
femme d'Hébert : ce sera, avant que le mois soit écoulé,
le complément et, dans le plan du Comité, comme la con-
sécration des deux grands procès de germinal.
II
rrcleiuluc conspiration des prisons où l'on rciinit Dillon, Cliaumctlc, Gobel, etc.
En attendant ce troisième et dernier acte du drame
commencé avec Hébert et poursuivi avec Danton, quel-
ques affaires avaient occupé le tribunal. Nous en parle-
rons ci-après. L'allenlc d'ailleurs ne fut pas longue.
Dès le 21 germinal (10 avril 1794), tout est prêt pour
le nouveau procès qui devait justifier, au prix de quel-
ques têtes, les procédés violents mis par la Convention
à la disposition du tribunal pour étouffer la voix du re-
doutable tribun.
La prétendue conspiration où l'on voulait envelopper
1. Moitil. (lu 19 gnrminal (8 avril). — L'arrestation eut lieu le 15 germinal,
la veille de la mort de Camille. L'ordre, au nom des deux Comités, est signé :
Gouthon, Dubarran, Carnol, Voulland, Barcre, Robespierre. (Voy. Natton, Corres-
pondance inédite de Cam. Detmoulim^ p. 228.)
PROCES œMMUN A DILLON, CHAUMETTE, ETC. 197
les nouvelles victimes, ne faisait plus de doute pour
personne*; et Legendre, qui avait eu un moment de cou-
rage lorsqu'il avait protesté contre l'arrestation de
Danton, Legendre, ne se senlant pas assez couvert devant
le ressentiment de Robespierre et de Saint-Just par la
promptitude avec laquelle il avait abandonné son ami,
venait maintenant souscrire à sa condamnation par une
démarche significative.
Le 18 germinal (7 avril 1794), prenant la parole pour
appuyer la requête de Fouquier-Tinville contre le député
Simond, associé à Arthur Dillon dans le fameux projet
de délivrance des accusés :
€ Je demande, dit-il, le décret d^accusation contre
Simon. Une lettre anonyme qui m'a été envoyée, ne me
laissant point de doute que les coupables qui ont péri
sur Tcchafaud n'eussent des complices dans la prison du
Luxembourg pour exciter un mouvement. J'ai remis au
Comité de salut public cette lettre, dans laquelle des
hommes qui se disaient patriotes, en flattant mon
amour- propre et mon ambition, m'invitaient à porter le
premier coup à la Convention, à m'armer de deux pisto-
lets et à assassiner dans le sein de la Convention, Robes-
pierre et Saint-Just.
a D'après celte lettre, les destinées de la France étaient
remises dans mes mains; j'étais le seul homme capable
de la sauver. Je ne me suis pas laissé séduire par ces
belles paroles, mais j'ai regardé le Comité de salut
public comme seul capable de garantir la liberté du
1. On trouve au dossier des notes de police comme celle-ci : t Une foule de
(«ens à moustaches, à grands sabres et à bonnets à poil reparoit depuis deux
jours. Leurs gestes ont un air mystérieux. On remarque surtout un mouvement
d*indication de main et d'œil qui sembleroit annoncer des projets contre des
individus. (Archives, W 345, dossier 076, !'• partie, pièce 31.)
198 CliAP. XXX. — CHAUMETTE, COREL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
naufrage. {On applaudit,) Je demande le décret d'accu-
sation contre Simon *. »
Cette lettre, selon loute apparence, était une ma-
nœuvre inventée pour faire croire à la réalité du com-
plot : Bourdon de l'Oise en avait reçu une pareille et il
le dit; mais personne n'était disposé à y voir un piège,
encore moins une mystification. Le décret fut donc
rendu contre Simond, et trois jours après le député pros-
crit comparaissait avec les autres devant le tribunal.
Dans ce procès allaient se rencontrer vingl-six accusés,
dont plusieurs devaient être étonnés de se trouver en-
semble : d'abord le général Arthur Dillo.n, ami de Ca-
mille Dosinoulins', et le député Simond, dénoncés comme
les premiers auteurs du complot; puis des hommes de
loute origine dont on voulait se débarrasser du même
coup : en premier lieu, Chaumette, l'agent national, et
GoBEL, l'évêque apostat de Paris, et tous ceux qu'on
pouvait appeler la queue du Père Duchesne : l'acteur
Nourry Grammont, devenu adjudant-général, et son fils
Alexandre Grammont, officier dans la cavalerie révolu-
tionnaire; trois autres jeunes démagogues de vingt-cinq
à vingt-six ans, Guill. -Nicolas Lasalle, Jean-Marie La-
PALUE et Sébastien Lacroix, membres de comités révo-
lutionnaires; Jean Lebrasse, lieutenant de gendarmerie
(il avait été, comme gendarme, dans la voiture qui con-
duisit Louis XVI à réchafaud)^ protégé de Ronsin ;
Marie-Marc-Anloine Barras, ancien administrateur du
district de Toulouse, ami d'Hébert; L. -Barthélémy Ciie-
1. Séanc« du 18 germinal (7 avril), Mmit. du 20.
2. Il était arrêté depuis le !•' juillet 1793, Archives. AF ii 22, 69, pièces 7
et 8, et lo mandat d'.imcnor, Archives, \V345, dossier 676, 2* partie, pièce 25.
3. Campardon, Marie-Antoinette (\ la Conciergerie, p. 29.
CHENAUX, CLAUDE DUMAS, BARBE. 190
NAL'x, membre de la Commune; Claude Dumas, caporal-
fourrier, el René-Antoine Barbe, sergent dans l'armée
révolutionnaire; Jacques Moutin-Lambin, employé au
département de Paris; Prudent-Antoine Prangey, commis
principal de Thabillement des troupes.
Chenaux, lors du premier emprisonnement d'Hébert,
lui écrivait :
Paris, 27 mai, 2* de la République.
Chenaux, membre du conseil général de la Commune, à
Hébert, substitut de la Commune, détenu illégalement à
TAbbaye,
Hébert, je ne visite jamais les hommes en place; je les
surveille.
Tu es^ un moment oprimé, ton sort m'intéresse, permet
que si je ne puis te voir librement que je te visite spirituelle-
ment et de cœur.
L'on s'occupe de toi. Le peuple sent l'injustice du procédés
que Ton a exercée envers toi.
Tu Va servie, il te défendra.
Que n'ai-je autant de talent que de zèle, j'écraserais de ma
plume tes ennemis, que dt-je, ceux de la liberté.
Ton collègue,
Chenaux'.
Claude Dumas était accusé d'avoir dit, à Étampes,
le 21 ou 22 ventôse, « qu'avant douze jours on verrait
du nouveau et auquel on ne s'attendait pas; » et en
même temps il se passait la main sur le cou. Il avait nié
le geste et expliqué le propos : il voulait parler du
maximum^.
René-Antoine Barbe, accusé du même propos, l'avait
expliqué de la m(^me sorte*.
1. Archives, NV 545, dossier 676, 1»« partie, pièce 16.
2. Ibid., pièce 57.
5. Ihid.^ pit^ce 5K,
200 CHAP. XXX. — CHAUMETTE. GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
Lambin était si jaloux du bonnet rouge, qu'il avait
écrit au Père Duchesne pour qu'on ne le laissât point
porter par de faux patriotes*. Il avait été dénoncé comme
ayant blâmé l'arrestation d'Hébert, de Ronsin et des
autres, et il en avait donné pour raison qu'il avait
d'abord cru l'insurrection favorable au peuple et que,
tout en l'approuvant, il la trouvait prématurée* : raison
qui ne l'excusait guère et qui se trouvait aggravée par
la lettre ci-après écrite à son frère, au moment où les
violents préparaient leur campagne :
Paris, le 4 yenlôse, l'an U de la République une et indÎTisible.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.
Tu nous avois prévenu, mon frère, de l'arrivée de ta
femme.... Tu sauras en attendant que les mesures révolution-
naires vont toujours leur train et que leur multiplicités ne
laisse pas que de donner quelques pratiques à la sainte guil-
lotine. Néanmoins les genres d'intrigues ce suxèdent à un
tel point qu'il faudra, quoiqu'en disent les modérés et les
fédéralistes perfides, donner à la machine révolutionnaire
une nouvelle force qui, jointe au premières, exterminera
ceux qui oseroient les amender en douceur. Ici c'est une
guerre qui va commencer : ou tu sera révolutionnaire ou je
te combats. Tous doivent aimer et deffendrc la même cause
ou être terrassés. Aprends à ceux des ennemis de la Répu-
blique que tu peux connoitre que le pa^s de charge sonne
dans tous les cœurs des jacobins de Paris. Dis-leur« que la
République sera universelle, dis-leurs que tous les sans-
culottes de bonne foi n'entendent point composer avec aucun
tirant, et que nous saurons, non les faire obéir, mais bien
les écraser. Leur aiTét de mort est prononcé ; en vain vou-
droient-ils se rendren^; en vain voudroient-ils composer; non,
1 . Archives, W 345, dossier 676, pièce 50.
2. Ibid,, pièce 46.
MONTIN-LAMBIN; PRANGEY. 201
leur« salut est dans la fuiUe, qu'ils se hantent donc, qu'ils se
ha/tent : car nous partons pour ne nous arrêter qu'à la der-
nière borne de l'Univers. Vive la République ! Vive la Montagne !
Pour moi, mon cher camarade, ma santé délabrée ne me
permet plus de courir aux armes : mais j'ai une plume cou-
rageuse dans sa marche. J'ai des sans-culottes qui, lorsque
je ne puis plus marcher me portent à la tribune de ma
section ; et là, grâce aux principes de notre sublime révolu-
tion, je remplis ma tâche révolutionnaire*....
Il pouvait ajouter d^arte : « Sans exposer ma peau. »
Et encore au même, le 18 venlôse :
Paris est toujours à la merci des intrigues ; la plus grande
surveillance est toujours en activité ; c'est à peu près mon
travail ordinaire que de déinasquer les traîtres, de proposer
des moyens de vigueur contre toutes les classes modérantincs
et cruelles, vampires acharnés pour nous diviser et nous
perdre; mais encore un moment et nous prendrons les armes
et gare aux soixante et un royalistes perfides ! Notre ministère
est on ne saurait plus mal composé : un Paré, un Desfor-
gues, un Destournelles. Âh! puissenk tous les patriotes aper-
cevoir la tâche qu'ils ont à remplir, et ça ira aussi vite que
bien. Mon ami! le crêpe noir doit couvrir les droits de
l'homme dans le moment que je te parle et nous n'en sommes
cependant pas plus inquiets sur le sort de notre bonne mère
la République. Elle est ce qu'elle sera, si ce n'est qu'elle
finira par être universelle. J'ai affaire, adieu*.
Prangey, sous les ordres de Lequêne, beau-père de
Ronsin, était préposé à la caisse de rhabillement où un
vol de deux cent mille livres venait d'être signalé :
J'ai réfléchi, écrivait le représentant Piorry sur le vol des
200 000 livres. N'auroit-il point été exécuté dans le dessein
1. Ibid., pièce 48.
2. Ilnd,, pièce 49, Cf. iVnW., pièce 40, son interrogatoire.
202 CHAP. XXX. — CHAÏIMETTE, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
d'employer la corruption pour faciliter Tévasion du traître
Ronsin ? *
Cela fit arrêter Prangey*.
Venaient ensuite le général Jean-Michel Beysser et
Tadjudant-général Antoine Duret, Jean-Baptiste-Ernest
BuGiiER, Edme Rameau, Charles-Jean-Baptisle Lagombe,
Jean-François Bereytter et Charles Chardin, formant
l'appoint contre-révolutionnaire.
Beysser, général de brigade à l'armée de l'Ouest, mis
hors la loi le 17 juillet 1795, comme favorable à l'in-
surrection du Calvados, avec une précipita lion lolle,
qu'on dut révoquer le décret le lendemain ; mais resté
suspect aux Jacobins, mandé alors à la barre, renvajé
après ses explications au Comité de sûreté générale
(7 août) et rétabli sur l'avis du Comité dans ses fonc-
tions (19 août) * : « Plus général que politique, » disaient
ses défenseurs. Mais à l'armée de l'Ouest il fallait être
plus politique que général, témoin Rossignol : aussi
n'avait-il pas tardé à être destitué; et le comité révolu-
tionnaire de Nantes, le poursuivant dans sa retraite,
l'accusait d'avoir fait élargir le nommé Descombes,
ex-noble; — de ne s'être laissé entraîner à cet acte liber-
ticide que par la vile séduction d'une femme Lefebvre,
intrigante autant que belle, actuellement détenue dans
les prisons de Nantes pour écrits contre-révolutionnaires ;
— d'avoir dîné chez Descombes le lendemain de son
1. Archives, W 345, dossier 676, !'• partie, pièce 2.
2. Ibid.^ pièce 4.
3. Voy. les Registres du Comité de salut public. Archives, ÂF ii 455, regis-
tre I, pages 202, 290 et 206, et les séances de la Convention, 17 et 18 juillet et
10 août 1795 (Moniteur des 20 juillet et 20 août). Sur l'énergie quil avait
montré avec Coustard (autre proscrit!) dans 1.1 défense de Nantes, voy. Micholcl,
Uist. de fa Hévol.y t. M, p. 112 et suivantes.
LE GKISKRAL BEYSSER, DURET, BUCHER. 205
élargissement et d'avoir porté des toasts indignes d'un
républicain; — d'avoir pris part et apposé sa signature
à l'acte fédéraliste du 5 juillet; — d'avoir dit que t s'il
connaissait un individu qui professât les principes de
Marat, il le chasserait à vingt lieues du territoire fran-
çais; » — d'avoir dit « que cette fameuse montagne
n'accoucherait jamais que d'une souris; > — d'avoir fait
afficher sur les murs de Nantes, une proclamation dans
laquelle il livrait au mépris du peuple et les Parisiens et
les représentants montagnards et la représentation na-
tionale elle-même ^
Duret, adjudant-général de l'armée des Alpes, figurait
avec Beysser comme modérantiste en face des enragés '.
De même Ernest Bûcher, que diverses pièces présentent
comme noble d'origine sous le nom de Lépinois". Il avait
servi comme dragon au ci-devant régiment de la reine,
jusqu'au grade de maréchal des logis, de 1765 à 1774,
et en élait sorti avec le grade de sous-lieutenant à la
suite*. Il avait formé beaucoup de projets, écrit des
réflexions sur beaucoup de matières : sur les impôts,
sur l'agriculture et le commerce, l'art militaire, les
cultes et la réorganisation de l'Église, la peine de mort\
La peine de mort, selon lui, avait perdu sa raison depuis
que par la substitution de la guillotine, une mort instan-
tanée, aux anciens supplices, la roue, etc., elle avait
1. Archives, W 121, pièce 193. Voyez a la justification de Beysser, qui fut
accusé par tous les partis, une note de M. Dauban dans les Mémoires de Pétioii,
p. 174.
2. Archives, W 3-45, dossier 676.
3. Entre autre une pièce portant retenue de garde du corps de Mgr le comte
d'Artois pour le S. Ainetle de i'Épinois, 2 août 1776, ibid., 4* partie, pièce 5.
4. Ibid., 5* partie, pièces 1-45 et en particulier l'attestation des officiers et
des sous-oflicicrs du régiment. Tongres, 8 février 1793 (ibid.^ 5* partie, pièce 21).
r>. Ibid., 2" partie, pièces 43, 46, 49.
204 CHAP. XXX. — CHÂUMETTE, GOBEL, ETC. ; FLN DE GERMINAL.
cessé d'être un objet d'effroi. Il proposait donc de
Tabolir en y substituant les galères, les coups de fouet,
le nez ou les oreilles coupés et la marque selon les cas*.
La plupart de ces réflexions indiquent une cervelle mal
équilibrée. Il avait parlé à Castellane d'un complot ou
Marat devait délivrer Louis XVII et supprimer la Conven-
tion*. Il avait projeté de fonder un escadron de vengeurs
de la patrie pour courir sus aux traîtres '. Idée plus
pratique ; il s'était fait recommander par le même Cas-
tellane à Dillon, pour qu'il le prît comme aide de camp*;
c'est ce qui le perdit.
Edme Rameau, prêtre assermenté de Saint-Laurent,
ne donnait guère de motif à l'impliquer dans ce procès
que par les rapports qu'il avait eus avec Bûcher *.
Le rentier Lacombe avait été déjà dénoncé avec Armand
et la veuve du colonel Quétineau, co-accusés d'Hébert.
Bereytler, banquier et marchand de tableaux, et Char-
din, brocanteur de livres (deux métiers fort achalandés
dans cette spoliation et cette dispersion des plus belles
galeries et des plus riches bibliothèques), pouvaient,
en raison des rapports qu'ils avaient eus avec l'étranger
par leur commerce, donner au complot ce caractère
d'intelligence avec Pitt et Cobourg que l'on avait voulu
imprimer aux deux grands prétendus complots précé-
dents.
Marie-Marguerile-Françoise Goupil, veuve d'Hébert,
et Lucile Duplessis, veuve de Camille Desmoulins, for-
maient le trait d'union sensible de ce nouveau procès
1. Archives, W 345, dossier 676, 2* partie, pièce 46.
2. Ibid., pièce 27.
3. Ibid,, pièce 50.
4. Ibid,^ pièce 51.
5. Ibid,, pièce 28, Cf. pièces 19 et 33.
RAMEAU, BEREYTTER. ETC.; INTERROGATOIRES. 205
avec les deux autres. Jean-François Lambert, porte-clefs
au Luxembourg, était un comparse nécessaire dans une
affaire de conspiration des prisons.
On a vu combien vive était la curiosité du public
dans raltente de ce procès ; et les spéculateurs se tenaient
prêts à la satisfaire. L'éditeur du Procès du Père Du-
cheme s'était mis en mesure de donner ce supplément
à sa publication. 11 disait en la terminant, pour en rele-
ver la haute moralité :
Nota. Les mêmes rédacteurs s'occuperont de recueillir les
débats lors du jugement des complices d'Hébert. Leur but est
de prémunir leurs concitoyens pour les élections futures.
Les mœurs sont la base d'un gouvernement républicain et
chaque tache d'immoralité recèle l'embouchure d'un canal
de corruption.
L'interrogatoire préliminaire des prévenus fut des
plus sommaires :
D. Avez-vous conspiré contre l'unité et l'indivisibilité de
la République,
R. Non.
D. Avez-vous un défenseur?
Telles sont les deux questions faites à Simond et après
lui à tous les autres, malgré la diversité et des personnes
interrogées et des juges interrogateurs : c'était un mot
d'ordre pour tous*.
L'acte d'accusation n'était guère moins bref et sur
l'ensemble de la conspiration et sur chacun des pré-
tendus conjurés.
Chaumettc et Gobel avaient été d'accord avec Hébert
i. Ibid,, 5« partie, pièces 55-10, Cf. iOid,^ i** partie, pièces 6 et 14.
206 CHAP. XXX. - CHADMETTE, GOBEL, ETC. ; FLN DE GERMLNAL.
■
et Cloolz pour effacer toute idée de la divinité, fonder
le gouvernement français sur Ta théisme et donner con-
sistance aux calomnies des despotes coalisés contre la
nation française.
Le massacre des représentants du peuple et des pa-
triotes était aussi, disait-on, un des moyens d'exécution
de ce complot : Chaumette, Savard (absent), Lasalle,
Beysser, t agent de l'infâme faction des fédéralistes d,
Lacroix, Lebrasse, à qui Ronsin avait promis le grade de
colonel de gendarmerie, Barras, les Grammont père et
fils, aides de camp du même Ronsin, Lapalue et Duret,
détenus, devaient concourir à cet assassinat. La veuve
d'Hébert dans la prison, Lambin dans la section Chal-
lier; Dumas et Barbe, dans l'armée révolutionnaire;
VoUand qui plaçait le fruit des déprédations de Ronsin';
Prangey qui soustrayait au profit des conjurés, sous le
couvert d'un vol de 200 000 livres à la caisse de Tadmi-
nislration de l'habillement dont il avait la garde*;
Chardin, le brocanteur de livres, commissionné par l'An-
glais Bedford, et Bereytter, le marchand de tableaux qui
applaudissait au pillage (il avait ses raisons pour cela), s'y
rattachaient aussi, selon les rôles qui leurélaientmarqués.
A cette conspiration dérivée de celle d'Hébert et de
Ronsin, l'accusation joignait celledeDillonetdeSimond,
conspiration royaliste qui devait procéder par les mêmes
i. Valland ou VoUnnd, qui est désigné comme agent de Ron$in dans l'acte
d'accusation et compris dans la liste reproduite en tète du jugement (Archives,
W 545, dussier 070, 5° partie, pièce 74) ne figure ni dans le procès- verlial
d*audiencc (il est d'ailleurs incomplet), ni dans les questions posées au jury, ni
dans la reproduction de son verdict au jugement. On ne le trouve pas non plus
dans la liste du Bulletin du tribunal révolutionunirc. Probidtlement il n'avait
pas été arrêté et ne fut pas jugé.
2. Voyez diverses pièces qui le concernent et son interrogatoire plus circon-
stancié que les autres à la date «lu 4 germinal, (\rcliives, dossier cité. 2* partie,
pièces 3, 5, iô, li et 17.)
ACTE D*ACCUSATION. DÉBATS. 207
moyens, le soulèvement des prisons. Ernest Ducher
était le second de Dillon, Rameau, le confident de Bû-
cher. Le porte-clefs Lambert, dans la prison, la veuve
de Camille Desmoulins, au dehors, y avaient prêté leur
concours; et l'accusateur public y signalait un com-
mencement d'exécution : « Dans la nuit dernière, il s'est
manifesté dans différentes maisons d'arrêt de Paris, des
mouvements de sédition et de révolte dans lesquels on a
crié vive le roi * /
III
DcboUdu procès. Brouillon du réquisiloirc. Jugcinenl. Lettres de la uièie du
Lucile Desmoulins à Robespierre et de Lucilc à sa mère.
Le témoin principal était le dénonciateur, le patriole
Laflotte, qui, détenu, avait donné un caractère de con-
spiration aux sentiments dont il avait recueilli l'expres-
sion plus ou moins mesurée dans les prisons : haine
I)our les persécuteurs, résolution de résister en cas du
renouvellement des massacres, espoirde délivrance depuis
que Ton voyait les diverses factions s'entre-égorger '.
Dillon convenait qu'il avait parlé des résistances de
Danton devant le tribunal : c'était le bruit public; mais
il niait qu'il eût rien rapporté de la fermentation de la
rue. Il avouait qu'il avait dit qu'un homme de cœur
devait se défendre en cas de nouveaux massacres de
septembre; mais il affirmait qu'il n'avait riet^ demandé
que des juges pour sortir de prison. Il avait écrit une
1. Dullelin du Irib. révol., 4« partie, n» 29, page 115-115.
'2. Nuus avons elle aussi plus haut la lettre d'Amans, écrite dès le ^25 nivùse
( 1 4 janvier) de la prison du Luxcniljourg à Robespierre. Courtois, Papiers
trouves chez RoOofjf terre t n" 50, p. 145,
208 CHAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN Df GERMINAL.
lettre d'encouragement à la femme de Camille, ce n'était
pas conspirer.
Simond niait tous les plans de soulèvement qu^on lui
prêtait.
De nombreux témoignages signalaient le rôle de Chau-
mette dans la Commune, l'importance qu'il s'y donnait,
son mépris pour les aulorités, pour la Convention même
au-dessus de laquelle il se mettait : c Ce que la Conven-
tion ne fait pas, disait-il, c'est à nous à le faire. » Tout
le monde connaissait son impudence, et il n'en était pas
le souvenir en se faisant maintenant si humble et si
petit. On pouvait aussi lui reprocher d'avoir, par son
système d'administration, causé la famine dans Paris;
mais on aurait pu s'en prendre à d'autres qu'à lui, et on
lui donnait beau jeu quand on prétendait qu'il avait
fermé les églises à la veille de la messe de minuit, pour
provoquer des soulèvements*.
Gobel, à ce propos, disait qu'il n'avait pas abjuré,
mais abdiqué, ayant l'assurance qu'on ne lui demandait
qu'une démission : il avait dit : « Le peuple m'a demandé,
le peuple me renvoie : c'est le sort du domestique aux
ordres de son maître. » Il avait pris l'avis de son conseil
épiscopal, et sur cet avis, rendu à la majorité de quatorze
voix contre trois, il avait déposé ses pouvoirs ; mais
quand il ajoutait, <c qu'il ne pouvait y avoir d'autre culte
que celui de la liberté, » il abjurait bien celte fois et en
pure perle : le président lui déniait aigrement le droit
1. Voy. la dénonciation de Louis Koulx [30 vcnlôse an II, 15 mars 179i)
qui implii|uait Chaumcttc avec Hébert dans cette accusation d'avoir provoqué
des émeutes en causant la famine, etc. : seiie griefs [Archives, W 545, dossier
670, 1'* partie, pièce 41); et une autre (ibid.^ 42) signée de Marchand dans le
même sens : i Que Chauniette, au 51 mai, a cherché à entraver cette glorieuse
révolution, etc.
LES GRAMMONT, LASALLE, LACROIX, LUCILE DDPLESSIS. 209
d'être novateur, disant qu'il devait attendre Tordre d'en
haut, c'est-à-dire de la Convention ; et pour sa manière
de vivre, il lui reprochait de n'avoir pas été bien pénétré
de sa mission ci-devant évangélique.
Il n'était pas plus difficile au président de signaler les
excès des patriotes comme les Grammont, Lacroix,
Lasalle, etc. : Lacroix qui demandait un million de poi-
gnards pour en percer les contre-révolutionnaires [Aux
grands mauxy les grands remèdes I c'était le litre de sa
brochure); qui ne mofionrmif jamais qu'un poignard à
la ceinture, mais qui, nommé procureur général à Châ-
lons, et averti de l'approche de l'ennemi, chercha son
salut dans la fuite et ne reparut plus, comme le lui dit
le président. On leur faisait un crime d'avoir, au 31 mai,
failli passer la ligne où la révolution s'était arrêtée. « Qui
est trop pour moi est contre moi, » voilà l'axiome que les
pontifes de la secte dominante avaient résolu d'inscrire
en lettres de sang dans le code de leur tribunal.
Le procès dura trois jours, une séance par jour ; et
Ton entendit trente-sept témoins, parmi lesquels Louis
Baraguey d'HilliersS que l'on retrouvera encore comme
témoin, et même comme accusé, mais accusé acquitté
dans une des grandes fournées des conspirations des
prisons. Dans le cours des débals la veuve d'Hébert,
adressa, dit-on, à la veuve de Camille Desmoulins cette
parole : « Tu es bien heureuse, toi! il n'y pas eu hier
une seule déposition contre toi, nulle ombre de soupçon
jetée sur ta conduite. Tu vas sortir sans doute par le
grand escalier, et moi, je vais aller à l'échafaud*. »
Lucile Duplessis semblait indifférente à ce qui se pas-
1. Archives, W 345, dossior 676, 5« partie, pièce 72.
2. Real, témoin au Procès Fouquier, n» 19, p. 3.
TRIB. RÉvoL. ni U
310 CHÂP. XXX. — GHAUMETTE, GOBEL, ETC.; Fl^ DE GERMINAL.
sait autour d'elle : a La femme Camille, dit le même
témoin, pénétrée sans doule de l'atrocité des juges, ne
leva pas les yeux, ne manifesta ni crainte ni espérance,
mais attendit modestement son jugement. »
On trouve au dossier la pièce suivante qui parait être le
brouillon du réquisitoire de l'accusateur public et peut
donner une idée de l'éloquence judiciaire à ce tribunal :
L'ordre de la Révolution, les événements qui en sont insé-
parables ont confondu dans la même masse le patriote pur,
qui veut sincèrement le bien général et qui professe de cœur
l'abnégation de lui-même, avec Tintrigant ou l'égoïste, qui ne
voient qu'eux seuls dans la marche des événements publics.
Cette masse de vertus, de crimes et d'insouciance cou-
pable bouillonne bientôt sur le brasier du patriotisme. Une
portion immonde s'évapore d'elle-même par l'ébullition. La
raison et la vertu écument ce que l'évaporation n'a pu pur-
ger, et bientôt un résidu pur et limpide présente un miroir
consolant à ceux qui ont su se dire : J'achèterai par tous les
sacrifices, par toutes les privations la liberté, l'égalité, qui
assureront le bonheur de la génération naissante, qui seule
doit recueillir les sueurs et les travaux de celle actuelle.
(Suit un paragraphe barré : Citoyens jurés, j'ai à partager
avec vous une tâche pénible et rigoureuse ; mais, ainsi que
vous, je laisse l'homme à la porte de cette enceinte sacrée;
mon cœur, mon cœur seul dévoré du brûlant amour de la
liberté, essaie de faire retentir ces voûtes redoutables, et
c'est avec l'impassibilité du marbre que je vais reti^acer ces
preuves qu'ont, selon moi, fournies les débats.)
Né bon, confiant et généreux, le peuple français n'a pas
même conçu de soupçon contre les loups et les vautours qui
se sont par instinct rassemblés autour du cadavre du despo-
tisme et qui, saturés de son sang immonde, ont bientôt voulu
s'abreuver de celui de la liberté.
(Autre paragraphe barré sur les lions qu'il avait d'abord
mis au lieu des loups.)
BROUILLON DU RÉQUISITOIRE; QUESTIONS. 211
Diverses factions se montrèrenl et dans toutes Ton trouva
des renards. Les lions sommeillaient; étrangers aux crimes,
ils ne pouvaient même le soupçonner. Un léger frémisse-
ment de chaînes les réveille et bientôt Brissot et l'astucieuse
Gironde ont cessé d'exister, etc.
Je ne salirai pas vos oreilles du nom de conspiratears
déjà punis et de ceux qu'attend la justice nationale.
1 . L'opinion publique a frappé Chaumette. Ses intrigues
sont dévoilées. Ses réponses aux débats vous ont laissé en-
trevoir son âme....
2. Gobel suit de bien près Chaumette, s'il ne marche sur
la même ligne, etc.
3. La veuve Hébert a, je ne dis pas perverti son mari dont
l'immoralité vous a été démontrée, mais secondé de tous ses
moyens les projets liberticides de ce monstre.
4. Dillon, dont l'âme contre-révolutionnaire n'a cessé (sic).
5. Ernest Bûcher, son complice au dehors.
6. Simon, député.
Suivent les autres noms jusqu'à
26. Veuve Camille *.
Ce réquisitoire fut-il prononcé? 11 paraît avoir été
inutile. Le quatrième jour des débats, le jury, consulté
selon la loi, s'étanl déclaré suffisamment instruit, le
président lui posa les questions en cette forme :
FAIT CONST.VNT.
n est constant qu'il a existé une conspiration contre la
liberté, la sûreté et la souveraineté du peuple, tendante à
troubler l'État par une guerre civile, en armant les citoyens
les uns contre les autres et contre l'exercice de l'autorité
légitime, par suite de laquelle, dans le courant de ventôse
dernier, des conjurés devaient dissoudre la Convention natio-
l. Archives, \\ 345, dossier 070, 1" partie, pièce 20.
âlS CiUP. XXX. — GUAUMËTTË, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
nale, assassiner ses membres et les patriotes, détruire le
gouvernement républicain, s'emparer de la souveraineté du
peuple, rétablir la monarchie et donner un tyran à TEtat.
l'* question.
P. Gaspard Chaumet, agent national près la commune de
Paris est-il auteur ou complice de cette conspiration?
Et ainsi de suite pour chacun des vingt-cinq autres ^
Le verdict du jury fut affîrmatif pour dix-neuf, néga-
tif pour sept.
Les dix-neuf qui parsuitefurentcondamncs à mort sont :
Ghaumette, Gubel, Dillon, Grammont père et fils, Si-
mond, Beysser, Lucombe, Lacroix, Lapalue, Lebrassc,
Barras, Ernest Bûcher, les veuves Hébert et Desmoulins,
Lambert, Lasalle, Durey et Rameau*. Les sept acquittés :
Lambin, Barbe, Dumas et Ghenaux, révolutionnaires
dont le jury crut que Ton pouvait faire encore quelque
chose; Prangey qui n'avait pas été convaincu du vol; et
Bereytter et Ghardin, les deux brocanteurs de livres et de
tableaux'.
Fouquier-Tinville ne remit pas au lendemain, et il prit
ses précautions en vue de celte grande fournée. 11 écrit
lemémejourà Hanriot d'une main singulièrement hâtée :
Paris, ce !24 germinal....
L'accusateur public, etc., au citoyen Henriot.
Citoyen,
Gomme il y aura une exécution sur les quatre heures de
relevée de ce jour, je t'invite à donner des ordres pour qu'il y
ait une force armée nécessaire en cet [sic).
Salut et fraternité,
A. Q. FOUQUIER.
1. Archives, W 345, dossier 676, 5* partie, pièce 72.
2. Ibid., 5* partie, p. 74.
3. Ihid,, 5* partie, pièce 73.
LETTRE DE M- DUPLESSIS A ROBESPIERRE. 215
La veuve d'Hébert s'était déclarée enceinte, mais sur le
rapport des médecins on passa outre. L'examen des méde-
cins qui est négatif, et l'arrêt du tribunal ordonnantrexé-
culionsontdu même jour, 24 germinaP. Lajeunefemme
de Camille Desmoulins n'imagina pas un tel prétexte pour
retarder le moment d'aller rejoindre son mari. Sa mère
tenta de la ravir 5 la mort par un autre moyen. On a vu
dans quelle intimité avaient autrefois vécu Camille
Desmoulins et Robespierre. Robespierre n'avait pas été
moins bien accueilli dans la famille de sa femme. Un
instant même on avait pu croire que Lucile épouserait
Robespierre et non Camille Desmoulins. A la nouvelle
de la condamnation de Lucile, Mme Duplessis adressa à
Robespierre une lettre qu'elle voulut faire suppliante,
mais où la prière prenait l'accent de la menace et de
l'injure, comme on peut l'attendre d'une mère qui voit
sa fille traînée à l'échafaud*.
Citoyen Robespierre,
Ce n'est pas assez d'avoir assassiné ton meilleur ami ; tu
veux encore le sang de sa femme. Ton monstre de Fouquier-
Tinville vient de donner Tordre de l'emmener à l'échafaud;
deux heures encore et elle n'existera plus. Robespierre, si tu
n'es pas un tigre à face humaine, si le sang de Camille ne
t'a pas enivré au point de perdre tout à fait la raison, si tu
te rappelles encore nos soirées d'intimité, si tu te rappelles
les caresses que tu prodiguais au petit Horace que tu te
plaisais à tenir sur tes genoux, si tu te rappelles que tu
devais être mon gendre, épargne une victime innocenta.
Mais si ta fureur est celle du lion, viens nous prendre aussi,
moi, Adèle et Horace, viens nous déchirer tous trois de tes
1. Archives, /. /., pièces 75 et 76. Elle n'y gagna même pas les 24 heures.
2. Correspondance inédite de Cam. Desmotdint, publiée par Katton aîné
(iSÔO), p. 238.
214 CeAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
mains encore fumantes du sang de Camille, viens, viens,
qu*un seul tombeau nous réunisse.
F. DOPLESSIS.
Si cette lettre arriva à son adresse, elle fut sans consé-
quence pour la mère et pour la fille : elle ne perdit pas
Tune et ne sauva pas l'autre. Lucile avait écrit aussi à
Robespierre quand il s'agissait de sauver son mari. Pour
elle-même, elle n'en eut pas la pensée. Elle écrivit à sa
mère ce simple billet auprès duquel la dernière lettre de
Camille, si éloquente qu'elle soit, n'est plus rien :
Bonsoir^ chère maman, une larme s'échappe de mes yeux;
elle est pour toi. Je vais m'endormir dans le calme de l'in-
nocence*.
a Le même jour, dit le récit donné par Des Essarts, on
vit au supplice vingt-deux accusés*. Gobel et Chaumette
qui étaient de ce nombre furent placés sur la première
charrette, Tun à côté de l'autre. L'évêque de Paris avait
les yeux baissés, l'air contrit et humilié. On apercevait
que ses lèvres remuaient avec une grande rapidité, et
Ton assure qu'il récitait les prières des agonisants. Le
procureur de la Commune avait la fureur et la rage
peintes sur le visage. Ses yeux étaient enflammés, il par-
lait sans cesse au peuple et lui disait : c( Voilà le sort
€ qu'on réserve à tes amis ! Les scélérats ! Les monstres 1
« Les cannibales ! ils périront dans peu ! C'est moi qui vous
« le dis, citoyens ! Vous le verrez I » C'est en déclamant
ainsi contre ses ennemis, que Chaumette parvint à la
1. Cette lettre est donnée en fac-similé dans le livre de Matlon : Correspon"
dance inédite de Camille Demioulins.
2. Avec les 19» les condamnés de l'autre section du 23 et du 24 : le général
Souchon dit Cbauron, condamné le 23; L.-G.-A. Brossardet Et. Ragondet, con-
damnés le 24.
PROCÈS DIVERS : HANAPPIER DESORMES, REIGNÉ, BARON. 215
place de la Révolution. Gobel pafut recevoir la mort
avec la résignation d'un pénitent, Chaumette la reçut en
homme furieux de se voir sacrifié à la vengeance et à la
jalousie de la faction dominante ^ »
IV
Procès divers qui ont occupé le tribunal entre Danton et Chaumette : 17 germi-
nal : Ilanappier Desormes, P. Reigné, Baron; — 18 germinal : le marquis
d'Apchon et la veuve D. Péricard, le marquis et la marquise Lamotte de
Senones; mort de Condorcet; — 19 germinal : Gath. Boiry, femme Bonfant, le
curé Gaudron ; la famille Danquechin-Dorval ; la veuve de Chevilly. — Le
cavalier révolutionnaire Borsat.
Le procès de Chaumette, Gobel, Dillon, etc., avait réuni
les enragés et les modérés dans le même sort. Les con-
damnations se succédaient indistinctement aussi pour les
uns comme pour les autres, et nous en donnerons encore
quelques exemples pour la seconde moitié de germinal.
Remontonsau lendemain delacondamnation de Danton.
Le 17 (6 avril 1794) quatre jugements, trois condam-
nations.
Louis IIanappier Desormes, ci-devant maître particu-
lier des eaux et forêts, accusé d'avoir dit, le 19 mai
1793, qu'il fallait un roi* :
R. Qu'il a dit que Dumouriez désorganisait son armée,
qu'il menait à la royauté.
D. S'il a un conseiP?....
1. Des Essarts, tome II, p. 250. Il faut se déGer des gravures, même des gra-
vures du temps, comme pièce historique. Une estampe de la collection Hennin
représente le supplice de Gobel, évéque de Paris, Hébert, Vincent Chaumette (le
4 et le 24 germinal réunis) sous une même date non moins fantastique :
14 mars 1794 ou le 24 ventôse an II de la République (Bibl. nat.. Cabinet des
EsUmpes, QblOl).
2. Archives, W 342, dossier 651, Bulletin, 4* partie, n* !^6,
n. Archives, tbid., pièce 9.
216 CHAP. XXX. — CHàUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
Pierre Reigné, tailleur d'habits à Pontoise* : ici Tin-
terrogatoire est plus bref encore. Le juge Ârdouin se
borne à la question finale : S'il a un conseil*.
Il était accusé d'avoir dit à un jeune homme, partant
pour la Vendée, qu'il ferait mieux de passer du côté des
autres ; qu'ils ont de l'argent ; d'avoir manifesté de la
joie à la prise de Toulon par les Anglais, et d'avoir dit
« qu'il planterait des potences dans toutes les rues de
Ponloise pour pendre le district et la municipalité' », —
propos qu'il avait niés devant l'agent national du district
de Pontoise *. — Cela méritait bien qu'on le questionnât.
Philippe Baron dit Channoir (66 ans), envoyé d'a-
bord au tribunal d'Indre-et Loire, puis au tribunal à
Paris*. On soupçonnait son fils d'avoir émigré et on l'ac-
cusait lui-même d'avoir tenu des propos contre le recrute-
ment. Il niait les propos, et disait que son fils était parti
pour l'Inde, et n'avait reçu de lui aucun argent •. Mais
on lui opposait une lettre de change, de la valeur de
402 livres, tirée sur lui d'Aix-la-Chapelle, 24 novembre
1792, avec ces mots ; bon pour 400 livres^ signé Norba;
et on lui demande si le tireur n'est pas son fils, qui a
interverti les lettres de son nom (Baron) \ Il le nia,
comme aussi d'avoir payé cette lettre de change, — sans
convaincre ni juges ni jurés.
François -Thomas Fouqoerel, ancien capucin, puis
vicaire de l'évêque constitutionnel et officier municipal
de Verdun, accusé de propos contre-révolutionnaires :
1. Archives, W 342, dossier 650, Bulletin, 4- partie, n' 57.
2. Archives, ibid., pièce 6.
5. Ibid.f pièce 16.
4. Ibid.f pièce 2.
5. Bulletin, 4* partie, n* 26, Archives, W .'U2, dossier 649, pièces 3 et 16.
6. Ibid., pièce 14.
7. Ibid., pièce 17.
LE MARQUIS D'APCHON, LA VEUVE DE PÉRICARD. 217
« que dans Paris tout serait bientôt confondu, qu'il
n'existerait pas pierre sur pierre, que la Convention était
une bande de scélérats. » Il les niait et ne fut pas con-
vaincu : car il fut acquitté, mais retenu comme suspect'.
Le 18 (7 avril) un premier jugement frappant quatre
accusés, et un autre deux*.
Un troisième fit aussi deux victimes: A.-L. Claude de
Saint-Germain, marquis d'ApciiON, ancien maréchal de
camp, et Elisabeth-Thérèse' Lacorée , veuve de Pericard
(70 ans), pour correspondance avec émigrés'.
Le marquis d'Apchon avait écrit au nom de sa belle-
mère à l'archevêque de Paris, retiré à Chambéry, pour
une autorisation que le prélat, dans une lettre où il le
remercie de ses marques d'attachement, lui donna en
ces termes :
Mme votre belle-mère pourra continuer de faire dire la
sainte messe dans le château de Saint-Oucn, quand le plafond
sera raccommodé*.
C'est la pièce saisie, et elle était du 25 mai 1791 ! Le
marquis d'Apchon affirmait qu'il n'avait adressé à l'ar-
chevêque aucune autre lettre; qu'il n'avait envoyé aucun
secours d'argent aux émigrés (il n'y en avait pas trace);
qu'il ne partageait en aucune sorte les sentiments expri-
més par Mme de Résy à Mme de Pericard, sa belle-sœur *,
dans des lettres peu révolutionnaires sans doute*, mais
1. Archive*», \V 042, dossier 652. C'est par erreur que le Bulletin, 4" pnrtie,
n** 26, le donne comme condamné.
2. Voyez au Journal à la fin de ce volume.
r>. Archives, W 543, dossier 657.
4. Ihid.^ pièce 13.
5. Ibid.f pièce 11.
0. Ibid., pièces 18 et suivantes.
218 CHAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
que Ton ne pouvait imputer qu'à Mme de Résy. Mme de
Péricard faisait observer que ces lettres étaient toutes
d'amitié; que les nouvelles qu'elles donnaient étaient
extraites des papiers publics ; qu'elle-même n'y avait pas
répondu, et elle réclamait contre sa détention (15 ven-
tôse); elle ne fit que hâter sa condamnation ^
Un quatrième jugement atteignait deux accusés d'é-
migration :
François-Pierre de la Motte, marquis de Senones, et
sa femme, Suzanne Brouillard'.
La Motte était allé en Allemagne le 25 décembre 1 791 ,
comme amateur de tableaux, dans la pensée d'en ache-
ter; il avait passé par Goblentz et il était revenu, se
confiant à la loi à laquelle il obéissait par son retour en
France. Il avouait avoir faitenlerrerpar son jardinier une
caisse contenant ses titres et papiers de famille. Un cou-
teau de chasse, portant l'inscription : « Vive le roi » et
deux pistolets avaient été jetés dans un puits. Pour-
quoi? c'était par ordre de sa femme, dans un mo-
ment de frayeur. Il niait d'ailleurs les propos attri-
bués à sa femme sur le prochain séjour des étrangers
dans Paris \
La femme confirmait les déclarations de son mari sur
le voyage en Allemagne : elle niait les propos, même les
paroles qu'elle aurait dites les larmes aux yeux, en appre-
nant la mort du roi, « que notre père était mort ». Elle
avait reçu une lettre de Jersey où on l'invitait à donner
de ses nouvelles , une lettre de sa sœur qui, de Saint-
Malo, se proposait de partir pour Saint-Domingue : et
1. Archives W 345, dossier 657, pièce 3.
2. Archives, ibid.* dossier 054.
3. /frtV/., pièce?.
LE MiRQllIS DE SENONES, ETC. 219
c'était tout. Mais ils avaient passé par Coblentz, ils avaient
dû voir les émigrés*.
19 germinal (8 avril) six jugements et sept condamnés
à mort*.
Angélique-Catherine Boiry, femme de P. Ant. Bonfakt,
qui était de la maison de l'ancien ministre Breteuil et
avait émigré avec lui en 1789\ Elle-même avait servi
chez Mme de Flaour, chez Mme d'Hervilly, et, dans
rinlervalle, avait voyagé, de mai 1790 à mai 1792, avec
l'enfant d'un américain, nommé Morel. Elle n'avait pas
fait constater sa rentrée en France, ni ne s'était procuré
de certificat de résidence, « n'ayant que ses gages * » :
voyage suspect, rapports avec des familles émigrées, plus
suspects encore ; et on avait trouvé chez elle une image
du roi, en forme de médaillon, portant en légende : une
foi, um loi^ un roi; et en exergue ordre de famille; une
autre, encore en forme de médaillon, contenant le couplet:
0 Louis, ô mon roi, notre amour t'environne, etc.,
et en légende :
Domine salvos fac regem^ reginam et fUios eorum. —
Pro rege et regina semper*.
Le juge lui dit :
Vous avez donc bien de la confiance dans le dernier tyran
et en sa méchante femme, puisque vous conservez si soigneu-
sement leur effigie.
1. Archives, W 343, dossier 654, pièces 8 et 13. — On trouTe divers papiers
relatifs à leur famille dans deux autres cartons des Archives, W 513 et 526.
2. Bulletin, n- 27 et 28.
r>. Archives, W 343, dossier 659.
4. ïbi'd., pièce 1 bis.
r>. Ihid.y pièces 19 et 20.
220 CIIAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL. ETC. ; FIN DE GERMINAL.
Elle répond naïvement que si elle avait cru que cela
eût pu la compromettre, elle Taurait brûlée*.
Coffînhal, qui présidait, en posant les questions au
jury, les assaisonne d'épithètes étrangères à l'acxusée,
mais propres à irriter contre elle les nerfs du jury :
Angélique-Catherine Boiry, femme de P. Ant. Bonfant,
ofBcier de bouche de t infâme Breteuil et émigré avec lui^
est-elle convaincue d'avoir entretenu les dites intelligences et
correspondances * ?
La réponse fut telle qu'il l'attendait.
Joseph-Louis Gaudron (27 ans), ex-curé constitutionnel
de Négron, près Am boise \
Dans une lettre qu'il avait écrite au député Bodin sur
son arrestation, il lui dit que les citoyens de Négron lui
ont demandé 200 livres pour l'exempter de tirer au sort :
il ne les avait pas; il en a offert 150. Refus; et le len-
demain on fait courir le bruit qu'il ne veut rien donner
et on le dénonce pour des infamies qu'il n'a pas dites*.
Son interrogatoire fait connaître les propos dont on
l'accusait :
D. S'il n'a pas dit que la Convention nationale et les admi-
nistrations étoient composées de scélérats et de voleurs ; que
bientôt, puisqu'on faisoit enrôler les prêtres, les hommes
seroient semblables aux brutes et qu'il désiroit que les émi-
grés eussent le dessus.
R. Qu'il n'a rien à se reprocher parce qu'un patriote
ne se reproche jamais le zèle qu'il a emporté (apporté) dans
différentes circonstances; que voilà la vérité et les propos
i. Aitihives, W 543, dossier 659, pièce 12.
2. Ihid.t pièce 18.
5. Archives, W !S44, dossier 067.
4. Ihid., pièce 22.
LE CURE Gi^l'DROiN, DiNQUECHIN IK)RVAL. ETC. 221
qu'il a tenus, guidé par un pur patriotisme : Oui, il avoue
avoir dit plusieurs fois que dans rAssemblée nationale, les
autorités constituées et les armées, il y avoit des scélérats.
11 laisse à juger s'il étoit le seul de cet avis.... Il nie a^oir
dit qu'il désireroit que les émigrés eussent le dessus, mais
bien, une fois que ses paroissiens le maltraitoient, a dit qu'il
n'auroit pas été autant (fait) quand les émigrés auroient le
dessus
D. S'il a un conseil^?...
Vainement produisit-il des attestations des habitants
« du faubourg du bout du pont d'Amboise », affirmant
qu'il avait toujours été ami de la Révolution et de la
liberté (7 avril 1793) et une pétition des habitants de la
paroisse même de Négron, contre les calomnies dont il
était Tobjet, calomnies rapportées à trois ou quatre dé-
nonciateurs*. La calomnie l'emporta.
3" Trois victimes d'une dénonciation de parent, dictée
par l'intérêt sans doute :
Jean-Pierre Danquechin Dorval (40 ans), ex-noble,
cultivateur et ofOcier public de la commune de Mon-
treuil, département de Paris ;
Pierre-Saturnin Laroin (31 ans), vigneron;
Et Louise-Adélaïde Danquechln, sœur du premier,
femme du second, accusés de propos contre-révolution-
naires \ Le principal dénonciateur était Nicolas Lardin^.
Le juge demande à Pierre Lardin :
D. S'il n'a pas dit que la Convention étoit composée do
gueux et que si l'on faisoit bien, on f.... la s..,. République
sens dessus dessous ?
1. Archives, >V 344, dossier 667, pièce 15.
'1. Ibid., pièces 4, 6, 20.
5. Ibid.f dossier 008.
4. Même dossier, pièce 16.
222 CHAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC. ; FliN DE GERMINAL.
R. Qu'il n'a jamais tenu ces propos et que c'est sans
doute quelqu'un qui lui en veut.
D. S'il a un défenseur ?
À la femme Lardin :
D. Si son père n'était pas noble ?
R. Qu'oui y mais qu'avant sa mort, arrivée il y a onze
ans, il était vigneron et jardinier à Montreuil^
Mémo question sur* le propos ci-dessus qu'elle nie.
Pour Danquechin Dorval, on se borne à lui lire l'inter-
rogatoire qu'il a subi le 27 ventôse où il niait le propos,
et il y persiste*.
On avait opéré chez eux des perquisitions qui n'avaient
rien fait découvrir de suspect. Dans celte visite chez Lar-
din, on lui demande où est sa femme. Cette fille de noble
était allée à Monlreuil vendre son lait'.
¥ Jeanne Agron de Margilly, veuve de Chevilly
(45 ans) \
Chevilly avait été assassiné à Versailles en 1787. Sa
veuve, âgée d'une quarantaine d'années alors, avait eu
des relations amicales avec le chevalier Piroreau, garde
du corps, chargé de sa procuration et qui voulut l'é-
pouser.
Dans sa correspondance avec lui, à cette époque, on
trouve une lettre (23 octobre 1789) :
A M. le chevalier de Piroreau, capitaine de cavalerie à
l'hôtel des Gardes du corps, à Versailles,
avec ce Post-scriptum :
1. Archives, W 544, dossier 068, pièce 9.
2. Ibid., pièce 8, Cf. pièce 17 (enquête, 24-27 Teulôse). 11 y dit quo Nicolas
Lardin est brouillé depuis dix mois avec P. Sal. Lardin.
3. Ibid., pièce 10.
4. W 541, dossier 665. |
U VEUVE DE CHEVILLY. 223
P. S. — Si vous aviez des bas noirs que vous ne puis-
siez plus porter, je vous serai obligée de me les apporter
pour me les donner. Il m'en resterait toujours assez pour
pouvoir m'en servir*.
Il était émigré depuis 1791 et ces relations conti-
nuèrent. Il y en avait chez la veuve de Chevilly des
preuves nombreuses dans des lettres reçues comme dans
les copies de ses propres lettres, que Ton saisit chez
elle en Tarrêlant (9 avril 1793), et qu'on lui représenta
dans son interrogatoire (13 avril) ; une, datée deCoblentz,
12 novembre 1 791 , où Piroreau (il signe Labressonnière)
lui dit qu'il ne peut quitter son corps à cause du règle-
ment qui porte que ceux qui le quitteront seront dégra-
dés et incapables de servir * ; une autre où, parlant par
figure, il dit :
11 arrive ici des médecins en grand nombre. La boul/e se
grossi alainfiny [à l'infini]. Les médecins Ru^es et le Sedois
[Suédois] arive ainsy que ceux de tenpereur pour faire la
consultastion.
A Cohelains, le 14 octobre 1791'.
On demande à la prévenue lors de son arrestation :
U. Ce que pense la dite dame de la Révolution.
R. Qu'elle en éloit bien contente.
D. Ce qu'elle pense de la République.
R. Qu'elle n'avoit pas assez de lumière pour entrer dans
aucun détail, mais qu'elle la voyoit avec plaisir.
Il était permis d'en douter. Le juge du tribunal (c'était
le président Montané) se borna à lui demander (6 juin),
1. Archives, W 5U, dossier 005, pièce 24.
2. Ibid., pièce 32.
5. Ibid,, pièce 47. CI. d'autres lettres du même, pièces 33 35, etc.
2U CHAP. XXX. — CBÀUMETTE, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
si elle persistait dans son précédent interrogatoire^ et
elle était dans une telle illusion qu'elle écrivit de la Force
au ministre de la justice pour hâter son procès (29 juin).
La date peut expliquer jusqu'à un certain point cette
téméraire confiance, et Gohier ne lui voulait point de
mal, écrivant à Taccusnteur public pour qu'il accueillit
sa demande'. L'affaire traîna près de dix mois. En ger-
minal (avril 1794) il n'y avait plus rien à espérer.
Le 23 (12 avril), en la chambre du Conseil, le tribu-
nal prononçait sur le sort de Pierre-Louis Borsat, qui
signe : « cavalier révolutionnaire, ci-devant officier des
chasseurs à cheval », au bas d'une lettre à Fouquier-
Tinville, ainsi conçue :
Depuis six mois, je suis incarcéré injustement. Tu es
républicain. Je suis patriote. Rends-moi à ma patrie (8 ven-
tôse').
Il était accusé de propos inciviques.
Son frère, à la date du 7 germinal, avait écrit à Fou-
quier-Tinville une lettre où, tout en justifiant l'accusé,
vif et étourdi, disait-il, mais qu'il ne pouvait croire inci-
vique, il ajoutait :
.... S'il est coupable, la loi le punira, elle est juste, et on
ne sauroit être trop sévère dans ce moment. Mais, citoyen,
rends le service à une famille nombreuse et révolutionnaire
de faire juger ce jeune homme dans la huitaine et de me dire
(si ton temps le permet) s'il est regardé comme noble et ce
dont il est accuse. Tu me rendras un service d'autant plus
grand en me répondant et en hâtant ce jugement qu'étant
1. Archives, W 344, dossier 665, pièce 5.
2. Ibid.. pièce 16.
3. Ibid.f dossier 671» pièce 6,
LE CAVALIER BORSAT; L. BROSSARD. 225
venu ici pour me marier, mon future beau-père refuse son
consentement accause qu'il croit mon frère très coupable et
noble; et n'ayant plus que 17 jours à rester ici, il serait
instant, pour hâter mon mariage, que mon frère fût jugé dans
la huitaine. Je te le répète, ren(Z ce service à un républicain
de la 1" classe et connu par les faits et non les paroles sans
faits. Je connais beaucoup Gouly, Gentil, Gauthier, Duboulé,
tous députés, mais je n'emploie personne pour obtenir jus-
tice. Je l'attends de toi et d'après ce que j'ai écri mon bon-
heur dépend de l'innocence de mon frère et surtout de son
prompt jugement ^
Cet empressement du frère à se marier ne tourna pas
contre le prévenu. Il fui mis en liberté par une ordon*
nancc de non-lieu *.
Procès qui suivirent la condamnation de Cliaumetlc : 24 germinal : Brossard et
Ragondct; — 25 : Morisset et Bossu; le marquis de Rcssuveille; le libraire
Gallcy; — 26 : Claudine Gallcy.
Le jour même où Ghaumetle et ses compagnons dMn-
fortune étaient condamnés, deux accusés subissaient le
même sort dans l'autre section.
1° Louis-Guillaumc-Antoine Brossard, dont les états de
service révolutionnaires dataient de 1789^ : il élait
membre du comité révolutionnaire de Terrasson en
septembre 1789; juge de paix du même lieu en 1790,
1. Archives, ^V 121, pièce 40. Il cite des députés et ne nomme pas Borsat,
député de l'Ain. Vouiail-il ou nvait-il ordre de dissimuler cette parenté? Le
dépuic était poiirtatil bien de la famille. Il y a au dossier une lettre de raccus6
qui fait cuiinuUrc à ce dernier les motifs de son arrestation et l'assure de son inno-
cence. « .Vu citoyen Borsnt {député de la Convention du département de l'Ain ;
ces mots sont barrés), ma Siiut-Honoré, vis-à-vis la rue de l'Échelle, hftlcl du
parfumeur, au !•' (Archives, W 344, dossier 671, pièce 2).
2. Arcliives, W4ii, dossier 671.
3. Archives, W 3 i5, dossier 675.
Tr.iB. uÉvoL., m I.*;
226 CHAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC. ; PIN DE GERMINAL.
administrateur du département de la Dordogne et mem-
bre du directoire, 1791-1792. Revenu à Terrasson, il y
fut membre de la municipalité et le tribunal de Ter-
rasson ayant été supprimé, il élait venu à Périgueux
comme défenseur offlcieux, et il était secrétaire-greffier
du comité de surveillance de cette ville*. Avec tout cela,
il avait paru peu empressé à prendre les armes. On a de
lui une lettre (lettre plus que tendre) à une jeune ci-
toyenne qu'il presse de l'épouser, parce que de cette
sorte il se mettrait dans le cas d'exception des hommes
mariés à l'égard de la réquisition*. Mais de plus, géné-
ralisant volontiers les exemptions au profit des autres, il
avait dit à trois jeunes gens qu'ils feraient mieux d'aller
moissonner en Limousin, et que pendant ce temps- là les
affaires s'accommoderaient'.
Le 23 avril 1793 le conseil général de la Dordogne
où il comptait des amis, considérant qu'il avait été arrête
sur des allégations sans fondement, l'avait fait mettre en
liberté*. Mais on le reprit, et malgré les certificats
favorables de la commune de Terrasson, on l'avait envoyé
au tribunal révolutionnaire. Quatre mois s'écoulèrent
avant la remise de ses pièces au tribunal, sans qu'on
parût s'occuper de lui \ Mais le 5 germinal, le Comité do
sûreté générale le rappela au souvenir de l'accusateur
public^ et le 24 il était condamné.
2° Etienne Ragondet, chef de bataillon du quartier
du Roule, peu ami de la journée du 20 juin : il avait
i, Ardiives, W 545, dossier G75, pièce 4G.
2. Périgueux, 0 octobre 1795. lOifl,, pièce 27.
5. Ibid,^ pièce 51.
4. Ibid., pièce 21.
5. Sauf toutefois pour riiiten-ogcr. Son interrogatoire est du 21 pluviôse
(ibid,, pièce 46).
G» Ibid.f pièce 5().
iÏTIENNE RAGONDET. 227
dit, selon un dénonciateur, le 21 : » Il est malheureux
que je n'ai pas d'ordre ; » et il était signataire de la
pétition des 20000*.
Arrélc à Chantilly, il fut renvoyé par le Comité de
sûreté générale devant le tribunal révolutionnaire (4 ger-
minal, 22 mars) '. Dans son interrogatoire (8 germinal)
il nie les propos. Il explique sa conduite au 10 août et
rend compte des positions qu'il a occupées. Il n'a pas élé
cassé de son grade la veille du 10 août; c'est lui qui,
huit jours après, a donné sa démission, malgré les ins-
tances faites pour le retenir.
Le jugement n'en eut pas moins lieu, et CoilGnhal posa
ainsi la question :
Il est constant que le 20 juin et le 10 août (vieux style), il
a existé une conspiralion....
Car la conspiration du château le 20 juin, quand il
fut si brutalement envahi, est devenue aussi un fait
constant.
Etienne Ragondet, avant la Révolution maréchal des logis
du régiment ci-devant Meslre de camp de dragons, depuis la
Révolution marchand de chevaux, aide-niajor, puis comman-
dant du bataillon du Roule, actuellement de la République,
cl depuis le 10 août 1792 inspecteur des charrois de l'ar-
mée, a-l-il participé à la dite conspiration en se récriant
contie la suspension de l'état-major formé par rinfànic
Lafayetle et vendu à la cour, en annonçant qu'on ibrmeroit
des pétitions qui anéanliroient les patriotes et rétabliroient
rétal-major; en se transportant aux Tuileries le 21 juin 1792
et se plaignant de n'avoir pas d'ordre pour tirer sur le peu-
ple; on allant le 10 (août) avant cinq heures du matin au
i. Arcliivos, \V "ÎT), dossier 67i, pièce 2.
"2. Ihiff., pièce 5.
'm CUiP. X\X. — CHAUNETTE, GOBEL, ETC.; FIN Dfi GERMINAL.
château avec une portion de son bataillon, Tinvitant à se
ranger du côté du tiran et criant : Vive le Roy; ensuite,
voulant faire entrer les citoyens qu'il commandoit dans le
château pour assassiner les patriotes qui vouloient défendre
leur patrie contre la tirannie ?
Signé : Coffimial.
Le jury répondit : Oui.
Le 25 (14 avril) une affaire de fournitures réunissait
d'une manière assez bizarre Henri Morisset, juge au tri-
bunal de Monlargis, et Pierre Bossu, chapelier et agent
national de la commune de Château-Renarde
Il s'agissait d'une fourniture de souliers.
Comment un chapelier, comment un juge pouvaient-
ils être impliqués dans celle affaire? C'est qu'il y avait
de l'argent à gagner, et que, sous ce règne du bonnet
rouge, on avait à fournirplus de souliers que dechapeaux.
Le chapelier étaitfournissenrct le juge bailleur de fonds.
Bossu disait que Morisset lui avait prêté d'abord
2000 francs à 6 pour 100, puis était entré en partage
des bénéiices ; Morisset soutenait qu'il n'était pas intéressé
aux fournitures: que seuleinenl « ayant eu un rembour-
sement de la dot de sa femme, et Bossu l'ayant prié de
lui prêter de l'argent pour son commerce il lui avait
prêté cette somme, à moitié perte et à moitié profit*. »
Cela se rapprochait fort de ce que Bossu avait dit. Les
souliers étaient défectueux. Bossu protestait qu'il n'en
savait rien; Morisset en savait moins encore sans doute.
Mais les souliers étaient mauvais, les deux fournisseurs,
responsables et solvables : ils furent condamnés à mort
le même jour, pour crime d'infidélité.
i. Bulletin, n« 38. Archives, \V345, dossier 079.
2. Ibid., pièce 3.
LABARBERIE DE RESSUYEILLE, LE LIBRAIRE GATTEY, ETC. 229
Jacques-Augustin Labaroerie, marquis de Ressuveille
(60 ans), ci-dcvanl capitaine au régiment des gardes. On
lui demande :
Pourquoi il a conservé à son château de Yillers-Bermont
des signes de royauté et de féodalité?
Depuis deux ans il n'a pas été dans cette habitation,
et il a ordonné de les détruire : ce qui a été exécuté.
S'il en resle quelques-uns, c'est à son insu, puisqu'il n'a
pas été à perlée de les voir.
Mais il avait gardé aussi des titres, des parcheminé. On
lui en présente tout un paquet; et avec ces papiers, trois
pièces royalistes : Vœu des bons français ; — Discours au
roi; la copie d'une Lettre de Lally-Tollendal à un ami\
— Condamné comme ayant conservé des signes de féo-
dalité et de royauté, et des écrits liberticides et révolu-
tionnaires*.
Enfin un de ces procès de presse, toujours mortels
sous ce régime de liberté, — mais de liberté suspendue,
— amenait devant le tribunal François Charles Gattey,
libraire au Palais-Égalité ;
Denis- Alexandre Benard, imprimeur, autrefois libraire
à Paris, établi au Cap français.
Thomas-Jean Massot, dit Grandmaison, commis do
Benard, cl Augustin Hébert, colporteur, garçon de bou-
tique de Gattey''.
Benard se faisait expédier des livres au Havre-Marat
(Le Havre-de-Grace ! pour remplacer le mot grâce on
n'avait pas trouvé mieux que Marat!) et il les faisnit
1. Archives, Vf 545, dossier 679, pièce 12 (inlerr. 12 germinal), Cf. pièces 20,
23 et 19.
2. Ibid., pièce 10.
5. Archives, >V 345, dossier 678.
230 CUAP. XXX. — CIJAUMETTE, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
passer à St-Domingue. Il demandait à ses libraires des
nouveautés*. On l'accusait de faire surtout le commerce
de livres contre-révolutionnaires ; et en fait, parmi les
ivres saisis à son adresse, on trouvait :
13 (exemplaires) Défense de Louis Capet par^P^sèze; —
12 Almanach des honnêtes gens; — 13 la République en
vaudeville; — 2 LAmi des lois, par Laya; — fi Dernières
réflexions de Necker sur Louis XVI; — i Avis à la Con"
vention nationale sur le procès de Louis XVI; — fi Bienfaits
de Louis XVI ; — 4 Mémoire pour le Roi:
Avec quelques autres livres qui n'avaient rien de
politique :
G Histoire de V Empire ottoman, etc.*.
Gattey le libraire avait fourni des livres, mais ne s'en
rappelait pas les litres ; Hébert, son garçon de boutique,
encore moins; Grandmaison n'avait pas même déûcelé
les ballots'.
Ce fut Gatley, le fournisseur, qui paya pour tous les au-
tres. Ceux-ci furent acquittés, et lui condamné à mort*.
Mais sa mort devait faire une autre victime.
En entendant cette sentence, la sœur de Gatley, éper-
due, comme autrefois Mme Lavergne, crie vive le Roiy
et elle se précipite vers son frère. On l'arrête, et l'enquête
est ouverte sans délai :
Déposition d'Agathe Duchemin, femme Bucquet.
Que le jourd*hui elle a assisté à la séance tenue salle de
FEgalitc, dans laquelle on procédait au jugement du nommé
i. Archives, W 345, dossier 678, pièce 5.
2. Ihid., pièce G.
3. Voyez leurs interrog. i0,20, 22 veniôse; 4 et 5 germinal. Ibid., pièces 8,
9, 10, 12, 21 et 2r>.
4. Ihid.f pièce 55.
MARIE-CLAUDINE GATTEY. 2r>l
Galray (Gattey), et coaccusés; qu'au moment où Ton pro-
nonçoit le jugement de mort contre Gatray, elle ne fut pas
peu surprise d'entendre une femme, qui étoit derrière elle»
crier de toutes ses forces u/yg le Roy; qu'émue de ces cris,
elle saisit à l'instant celte femme qui, au même moment,
répéta encore le même cri : Owi, vive le Roy ; qu'elle s'est
échappée de ses mains, a fendu la presse pour aller au-devant
de celui qui venoii d'être condamné, mais qu'elle fut incon-
tinent arrêtée par la gendarmerie*.
Une autre dit qu'après le deuxième cri,
Une citoyenne qui, comme elle, étoit présente au juge-
ment, Tarrcta en lui disant : Que fais-tu, malheureuse! et
que, pour toute réponse, elle dit tout bas : Hé bien, vive le
roi.
Les forces lui faisaient défaut, mais non la yolonté.
La prévenue fut amenée à son tour devant le juge
Ardouin :
A répondu se nommer Marie Claudine Galtey, âgée de
Irenle-neuf ans.
A elle demandé où elle est allée aujourd'hui.
A répondu au tribunal révolutionnaire où elle a assisté à
1.1 séance de la salle Egalité.
I). Si dans cette salle elle n'a pas crié Vive le Roy?
R. Qu'elle avoit trois fois crié Vive le Roy, parce qu'elle
aimoit son frère.
Elle a crié vive le roi, parce qu'elle aimait son frère I
Cela ne touche pas le juge. Il en a assez. Il clôt son
interrogatoire :
D. Si elle a un conseil*?
1. Archives W 347, dossier 684, p. 7. Le procès-verbal perle 26 germinal,
mais les termes de la déposition impliquent qu*elle eut lieu le 25.
2. MciTie ohservnlion que ci-dessus sur la date 26 germinal.
i
232 CHAP. XXX. — CHAIMETTE, GOBEL, ETC.; FÏN DE GERMINAL.
Fouquicr-Tinville eut bientôt fait de rédiger son acie
d'accusation :
Expose que le 25 de ce mois Marie-Claudine Gattey a été
mise en arrestation comme prévenue d'avoir crié à plusieurs
reprises vive le Roy I Qu'examen fait de l'interrogatoire subi
par la dite fille Gattey et de différentes déclarations reçues
par le tribunal, il en résulte que la fille Gattey a, le 25 de ce
mois, sur les deux heures et demie de relevée, crié vive le
Roy^ dans Tune des salles du tribunal dite de TÉgalité, au
milieu de tous les citoyens qui assistaient à Taudience.
A l'audience! et il ne dit pas que Ton venait de con-
damner son frère.
Pour quoi Paccusateur public a dressé la présente accusation
contre Marie Claudine Gattey pour avoir conspiré contre la
République, etc.
Le jugement eut lieu le lendemain du délit, 26 ger-
minal.
La position des questions fut digne de l'acte de Fou-
quier-TinvilIe.
Est-il constant que le 25 germinal courant» dans Taudience
du tribunal et ensuite dans Tenceinte du palais, il a été
poussé des cris et tenu des propos tendant à provoquer le
rétablissement de la royauté?
Marie Claudine Galtey, ex-religieuse au couvent de Saint-
Lazare, est-elle convaincue d'avoir poussé ces cris et tenu
ces propos*?
Et le président Subleyras ne pose même pas la ques-
tion d'inlenlion criminelle qui eût pu provoquer l'in-
dulgence!
La réponse fut affirmative.
1. Archives, N\347. dossier C84, pièco 4.
JUGEMENTS IRRÉGUIJERS : CH. D'ALENÇON, ETC. 253
Nommons les juges : Subleyras, Bravet, Foucault; et
les jurés: Lumière, Trinchard,. Didier, Desboisseaux,
Devèze, Topino-Lebrun, Fauvetty, Frey, Ganney, Gra-
vier, Laporte*.
Vi
Jugements irr^guliers : 26 germinal, Ch. d'Alençon, etc., Larcvellière, etc.; —
27 : Ca«segraiii, Laville, etc. — J. Narino, acquitté ; — 27 : les prêtres Dccous,
Baudot et Chalot.
Ce jugement est monstrueux, comme nous en verrons
bien d'autres par la suite. A la même date nous trou-
vons deux sentences où se rencontre une monstruosité
d'une autre sorte : je veux parler de ces nullités qui
n'empêchaient pas l'exécution de l'accusé non condamné,
de ces irrégularités de formes qui devinrent si com-
munes à mesure que les procès se multipliaient, et que
s'entassaient dans une même affaire tant d'accusés
étrangers les uns aux autres.
Ch. Mathias d'ÂLENçoN (67 ans), ex-noble, demeurant
à Ncuvi Ile-su r-Orne, Gaspard Rogé (38 ans), salpêlrier,
Victoire Lescale, sa femme (40 ans), et Marie-Jeanne
Lescale (52 ans), Nicolas Morin et François-Rémy Fica-
TiER (54 et 30 ans), cultivateurs, étaient accusés de pro-
pos contre-révolutionnaires, de rapports avec les ennemis
extérieurs de l'Etat', etc.
D'Alençon, leprincipal accusé, interrogé sur sa famille,
déclara qu'il avait quatre enfants, « deux mâles et deux
femelles », comme on le lui fait dire au procès-verbal.
Sa fille aînée, mariée malgré lui, avait suivi son mari il
1. Archives, >V 347, dussier 684, pièce Ti.
2. Archives, W M7, do5Mer 683.
254 CIIAP. XXX. - CnAUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
ne savait où ; la seconde, encore fille, vivait de son
bien à Nancy; l'un de ses fils était profès dans Tordre
de Malle, Taiilre avait quitté le déparlement de la Marne
pour aller à Châlons, et de là il ne savait où. Il avait
correspondu avec son fils de Malte, mais par les voies
légales, point avec son autre fils, ni avec sa fille aînée
depuis 27 mois : quand il lui a écrit, il l'avait pressée
de rentrer en France, comme il l'avait pressée de n'eu
point sortir. Il n'avait rien envoyé à son fils émigré, ni
chargé Rogé de lui porlcr des nouvelles ou de l'argent*.
Rogé avouait avoir traité Charles Joseph Baudin de
coquin et de scélérat, parce qu'il Tavait fait porlcr sur
la liste des émigrés, et il niait tout propos contre-révolu-
tionnaire, comme tout rapport avec les ennemis au temps
où les Prussiens avaient envahi la Champagne. Victoire
Lescale, sa femme, avait demeuré chez d'Âlençon et,
depuis sa détention, était chargée d'affaires de sa maison;
mais elle niait, ainsi que Marguerite Lescale, de s'être
chargée d'aucun message illicite. Morin et Ficatier n'a-
vaient eu de rapports avec d'Alençon que pour lui
acheter du foin ou de l'avoine.
Le jury répondit négativement pour ces deux derniers,
affirmativement pour les quatre autres'. C'est ici que
Ton peut voii* la négligence apportée à la rédaction des
jugements dès ce temps là. Le jugement de condamnation
n'applique la réponse du jury qu'à d'Alençon et à Rogé';
le jugement d'acquittement se réduit comme il le devait
à Morin et à Ficatier*. Rien de la condamnation, ni de
1. Archives, W 748, dossier 080, !'• partie, pièce 75.
2. //;iV/. , pièce 77.
5. Ihid. , pi(»cc 80.
4. Ibid., pièce 70.
JUGEMENTS IRRÉGULIERS : UREVELLIÈRE, ETC. 235
racquitlcment des deux femmes. Dans les questions
posées au jury (pièce 77) la réponse est pourtant affirma-
tive pour elles ; et on les tint on effet pour condamnées,
malgré le silence du jugement. Une noie du procès-ver-
bal d'audience dit que, vu Tétat de grossesse de Victoire
Lescale, femme Rogé, le tribunal, sur le réquisitoire de
l'accusateur public, a ordonné que son jugement ne lui
serait pas signifié à l'audience \
Même irrégularité dans les pièces du jugement rendu
le même jour contre sept accusés : J. B. Larevellière^
président du tribunal criminel de Maine-et-Loire ; Pierre
Despujolz, muilre d'armes; Louis Dieusie; J.-B. -Louis
Maillocheau, médecin; Aimé Conrandin, juge au tri-
bunal du district d'Angers; Étienne-Louis Brevet dit
Beaujour^ commissaire national près le tribunal du
district; Joseph-François-Alexandre Tessier, ex-admi-
nistraleur du département de Maine-et-Loire, qui
avaient signé, plus ou moins sciemment, une adresse
qualifiée fédéraliste le 30 mai, à la veille de l'insur-
rection de Paris contre les Girondins*.
La déclaration du jury est affirmative pour tous les
sept', et cependant le jugement de condamnation ne la
relate comme telle que pour cinq*; et l'arrêt d'acquit-
tement dit qu'elle fut négative pour J.-B. Maillochaux
et P. Despujols*. Le président était Coflinhal : estrce
erreur du greffier dans la note du verdict (elle est pour-
tant signée Coffinhal) ou faux et indulgence de Goffinhal
1. Archives, W 548, dossier 085, pièce 78. La femme Rogé étant accouchée à
ternie, elle fut exécutée eu vertu d'un jugement nouveau rendu le 22 floréal
(Archives, dossier 5-45, 5* partie, pièces 51 et 52).
2. Archives >V 546, dossier 682. Voy. leurs interrogatoires, ibift.^ pièces 5-10
(22 germinal).
.". Wid., pièce 75. — 4. Ibid., pièce 78. — 5. Ibid., pièce 77.
236 CIFAP. XXX. - CIIAUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
dans le jugement? On n'a pas lieu de croire que CofGnhal
se soit compromis pour sauver deux fédéralistes.
Pour le 27 germinal (16 avril), bornons-nous à citer :
François-Claude Cassegrain, ci-devant curé de Pilhi-
viers, accusé de propos contre-révolutionnaires* : on
l'envoya de Pilhiviers à Élampes entre deux gendarmes ^
On avait trouvé dans ses papiers une réponse, sans signa-
ture et sans date, à une question qu'il avait dû faire :
« Si le serment était légitime? — Qu'il était contraire
à la foi. »
Il avait reçu, il y avait environ un an, une leltrc d'un
curé déporté qui lui écrivait de Londres, et il lui avait
répondu aussitôt : il ne le dissimulait pas, il afGrmait
seulement qu'il ne lui avait pas envoyé d'argent.
On avait encore trouvé chez lui le brouillon d'un ser-
mon sur la mort du roi. Il le reconnut comme de lui,
disant seulement qu'il ne l'avait pas prononce» comme il
était écrit :
Mais, ajoutait-il, il est vrai que la mort du tiran [est-ce lui
ou le greffier qui emploie ce mot?] ayant fait beaucoup de
sensation dans ma commune et en étant aiïceté moi-même,
j'ai dit à Téglise que le sort malheureux du prince étoit
déplorable; qu'au reste j'avois ajouté : Mes enfants, puisque
la nation ne veut plus de gouvernement monarchique, il faut
nous soumettre à celui que la nation jugera convenable,
D. S'il a un défenseur^?
Il fut condamné comme coupable de manœuvres tra-
mées à Pithiviers depuis le 4 décembre 1792\
i. Bulletin, n»* 7)9 et 40. Arcliivcs W 747, dossier 088.
2. Archives, ibid.f pièce 44. — T». Ihid., pièce 45.
4. Ihid,, pièce 47 et 49.
TROIS AGENTS RÉVOLUTIONNAIRES; MARI.NO. 257
Trois agents révolutionnaires, Pierre La ville, trente
ans, cordonnier; Pierre Lapeyre, trente ans, chirurgien,
tous deux commissaires du comité révolutionnaire des
Tuileries, et Jean Huet, Irente-deux ans, perruquier,
qui abusaient de leurs fonctions pour commettre des
escroqueries *.
Laville, par exemple, ayant été chargé d'un mandat
d'arrêt contre le mari d'une dame Lafosse, s'était offert
à l'aider pour le faire élargir; il s'était fait donner de
l'argent à cette fin, dînait chez elle et expliquait les re-
lards, en disant du président du Comité de salut public :
« Cette vieille perruque ne veut pas nous écouler. » Il
reconnaissait, ainsi que Lapeyre et Huet, qu'ils avaient
dîné chez Mme Lafosse, mais ils niaient l'argent reçu. Ixî
tribunal les traita comme de simples contre-révolution-
naires',
Un aulre agent plus officiel, Jacques Marino, com-
missaire-inspecteur des maisons garnies, si connu des
pnsons\ avait à répondre du crime d'attentat à la repré-
sentation nationale, pour avoir arrêté et conduit au
poste un représentant qui lui exhibait sa carte. 11 donna
pour excuse qu'il ne connaissait pas les cartes de député
et qu'il y avait à Paris maint étranger, prenant celle
qualité pour se soustraire à la police*. 11 fut acquitté,
mais détenu. On le retrouvera au 29 prairial.
Le 28 germinal (17 avril), trois ecclésiastiques jugés
séparément et dans des circonstances assez différentes* :
1. Archives, \V 547, dossior 085.
2. Ibid.f \iU'CCi 9, 10, 13 cl 14.
Ti. Voyez ta Terreur, t. II, p. 55 et suivanlcs.
4. Arcliivos, W. 547, dossier 087, pièce 5.
:>. bulletin^ n» 40.
238 CHAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
Un vieux prêtre qui avait refusé le serment cl blâmé
son frère de l'avoir prêté, Jean Decous, soixante-dix ans,
ancien curé de Neuvy, Irouvé caché dans le grenier de
ce frère, curé de Saint-Fayre*. Le frère fut condamné
pour ce fait à deux mois de prison, par le tribunal cri-
minel de la Creuse, et Jean Decous renvoyé au tribunal
de Tulle auquel il ressortissait, puis de là au tribunal
révolutionnaire de Paris. Il expliqua sa présence chez
son frère, où il était de pas âge, et se défendit de n'avoir
pas prêté le serment, n'élant pas fonclionnairc public.
Il ne reniait pas d'ailleurs la lettre par laquelle il avait
détourné son frère de s'y obliger.
Joseph Baudot, quarante-quatre ans, ci-devant béné-
dictin, administrant la cure de Tremblecourt, dépar-
tement de la Meiirthc, accusé d'avoir injurié les com-
missaires qui venaient confisquer les signes du culte.
Il nia les injures.
D. S'il n'a pas fait prêter à ses paroissiens le serment de
maintenir la religion catholique, apostolique et romaine?
R. Qu'après avoir récité le Credo^ il a dit à ses parois-
siens : a Je suis né dans la religion catholique, apostolique,
romaine, j*ai promis d'y vivre et d'y mourir, » et leur a dit
ensuite : « Vous promettez la même chose? » Ils ont répondu
amen.
D. Dans quelles intentions il avait fait faire ces promesses?
R. Dans les intentions de les maintenir dans la religion
de leurs pères, mais sans violence*.
Il affirmait qu'il s'était abstenu d'exciter les esprils
lors de son arrestation :
1. Arcliivcs, W 547, dossier 602.
'2. Ibiâ^y pièce 17.
LES PRÊTRES DECOUS, BAUDOT ET CUALOT. îo9
a Qu'au contraire il a dit à des notables qu'il ne falloit faire
aucune démarche, de peur qu'on ne dise qu'il les avoit fana-
tisés*. »
Voici en quels termes le représentant du peuple en
mission dans la Meurthe remettait son aiTaire aux
mains de Fouquier-Tinville :
Nancy, 15 frimaire.
Je t'envoie, citoyen, les pièces qui doivent établir l'accu-
sation contre Joseph Baudot, coquin de prêtre que j'envoie au
tribunal révolutionnaire; il est déjà en marche.
Faure*.
Jean-Pierre Giialot, vingt-sept ans, administrateur de la
paroisse de MarsaP. Il avait remis ses lettres de prêtrise
à roceasion de la fêle de la Raison, mais il avait repris
ses fonctions de ministre catholique, le 9 nivôse. Cela
amena une rixe : ses adversaires forcèrent les porles de
la sacristie et prirent les ornements sacerdotaux ; ses
partisans survinrent et chassèrent les autres. Chalot fut
accusé d'être cause des troubles* ; et le même représen-
tant Faure, dont on vient de voir la lettre, écrivit encore
à Fouquier-Tinville :
Je t'adresse, citoyen, les pièces relatives à l'arrestation de
deux prêtres fanatiques du district de Salins-Libre. Les deux
personnages suivront de près. J'ai pris un arrêté en consé-
(|uence.
Bilchc, 15 nivôse^.
Interrogé par le juge Ilarny, 12 pluviôse (31 jan-
vier 1794), il dit qu'il avait prêté serment.
1. Archives, W 347, dossier 092, pièce 15.
2. Ibid., pièce 10.
r>. Archives \V, 547, dossier GO."».
4. Ibid., pièces 3, 4 et G.
5. lOui., pièce 1 l»ii>.
240 ClIAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC.; FfN DE GERMLNVL.
D. Lors de la fête de la Raison à Marsal, n'avez-vous pas
remis vos lettres de prêtrise?
H. Oui, mais je n'ai entendu les remettre que comme
signe de féodalité.
À la suite de ce scandale, il avait été élu curé par les
habitants qui voulaient le culte catholique : il avait ob-
tenu quarante-sept voix sur soixante-six votants et la
réunion était valable ; elle avait été convoquée par la
municipalité.
Avait-il un concurrent? Il l'ignorait :
Ayant été instruit, continue-t-il, que le 9 nivôse il y a eu
du trouble à Theure des vêpres, j*ai envoyé le lendemain au
districtmadcmission, n'ayant jamais eu Tintention d'intriguer
pour avoir cette place et de causer du trouble, et lorsque j'ai
été arrêté trois jours après, tout était disposé pour mon dé-
part, comptant retourner chez mon père^
Il fut condamné comme les deux autres*.
Plusieurs ordonnances de non-lieu mirent en liberté :
Etienne Leseurre, envoyé au tribunal par le comité de
surveillance de Bar-sur Aube, pour une lettre qui n'était
qu'une lettre d'affaires^.
François Carterey, gendarme, accusé de propos sédi-
tieux*, et BouLARD, porteur de faux passeports*.
Guillaume-Pierre-Nicolas Maze, trente-trois ans, cure
constitutionnel de Brice-Libre (Saint-Brice), dénoncé
« par des aristocrates » pour avoir voulu influencer les
électeurs dans une assemblée électorale tenue à Emile
1. Archives, \S 347, dossier 095, inècc 6,
2. lOid.f pièce 10,
5. Archives, W348, dossier 0'J5.
4. Ihid.y dossier 696.
5. Ibid., dossier 705.
FORCE PUBLIQUE REQUISE À L'AYANGE. S4i
(Montmorency), mais défendu par son comité révolution-
naire, comme patriote *.
Ânne-Suzanne Cameun, femme Diely, coiffeuse.
Il s'agit ici d'une pauvre femme qui, selon le procès-
verbal, était ivre et a dit qu'elle se f... des lois et des
décades'.
N. Renard, blanchisseur, accusé de propos séditieux
qui ne parurent pas avoir ce caractère chez un homme
bien famé dans sa section '•
Quant à l'audience publique, elle fut marquée dans
chacune des deux sections par des procès d'inégale im-
portance : d'une part, un soldat intrigant et un pauvre
égaré; d'aulre part, une véritable fournée de nobles, de
bourgeois, de simples domestiques comme on en verra
en messidor. Aussi Fouquier-Tinville, pressentant le
résultat et marquant à l'avance l'heure du supplice,
écrivait-il à Ilanriot de sa propre main, en lui adressant
l'imprimé ordinaire de réquisition:
Paris, ce 29 germinal, Tan II de la République.
L'accusateur public... au citoyen Henriot.
Citoyen,
Je te donne avis qu'il y aura ce soir, cinq heures demie, une
exécution qui exigerait une force armée plus imposante que
dans les exécutions habituelles, je t*invite à prendre les
mesures nécessaires.
Salut et fraternité. ^ .q. Fouoîtier*.
Commençons par la moins chargée des deux sections.
François Magny, vingt-quatre ans, soldat du 6* de hus-
1. Archives, W, dos.-icrOOT.
2. Ibid.^ dossier 698.
r». Ibid.t dossier G!)9.
4. Archives, AF u 48.
TRIB. RÉ VOL. lU t6
242 CHAP. XXX. - CHADMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
sards, avait pris la qualité de représentant du peu-
ple et, grâce à l'impunité que ce litre assurait, il avait
vexé les citoyens, destitué, remplacé les ofticiers muni-
cipaux et commis, notamment dans le district de Vier-
zon, des crimes de tout genre ^ Il élude la question sur
ses autres acles à Vierzon, mais il convient
Qu'il a en effet eu le malheur de prendre cette qualité
qu'il n'avait pas reçue, mais qu'il était ivre et qu'il avait pour
objet de faire prêter serment aux prêtres de toutes les com-
munes des environs.
D. S'il n'est pas allé en outre à la commune de Noan-
Fusillier et s'il ne s'est pas fait remettre l'argenterie de
l'église de cette commune ?
R. Qu'il ne s'est point fait remettre l'argenterie ; que ce
furent les ofBciers municipaux de la commune qui voulurent
la lui remettre dans sa voilure pour la conduire à la Conven-
tion nationale.
D. Ce qu'il a fait de cette argenterie?
R. Que lors de son arrestation à la Ferté, les gendarmes,
en s'emparant de sa personne, se sont aussi emparés de l'ar-
genterie.
Brice Prévost, vingt-huit ans, garçon chapelier,
accusé de tout ce qui pouvait constituer le crime de
contre-révolution'
Le 7 germinal, trois canonniers de la section Chalier
étaient venus déclarer au commissaire de police de la sec-
tion des Gravilliers, que ce jour même ils étaient à boire
chez un marchand de vin, carré Saint-Martin, quand un
particulier vint s'asseoira côté de leur table, demandant
un demi->setier de vin. Comme ils parlaient de leur cer^
1. Archives, W MS, dossier 700.
2. ArchiTes, W 548, dossier 701
UN YRAI CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE : ERIGE PRÉVOST. 843
liGcat, il dit qu'il n'avait rien de tout cela, qu'il s'en
f..., et tournant son chapeau, il leur montra qu'il n'avait
pas de cocarde, ni envie d'en porter, a Mais si elle était
blanche? — Peut-être. » Lescanonniers allèrent chercher
la force armée, et pendant ce temps il cria : Vive le roil
Le commissaire de la section le 6t venir, l'interrogea
et en obtint les mêmes réponses avec d'autres plus aggra-
vantes encore. Il les consigna dans son rapport et le
renvoya lui-même devant le comité de surveillance de la
section qui, séance tenante, lui fit subir un nouvel in-
terrogatoire :
S'il avoit un passeport ?
A répondu oui : mais qu'il avoit fait le patriote pour
l'avoir et bien malgré lui.
A lui demandé pourquoi le passeport ne luiconvenoit pas?
A répondu que c'est parce qu'il n'y avoit pas après les
mots la nation et la loi celui du roi.
A lui demandé pourquoi il ne portoil pas la cocarde?
R. Qu'il y avoit longtemps qu'il la portoit malgré lui et
qu'aujourd'hui il s'étoil déterminé à la jeter et qu'il aimeroit
mieux porter la blanche.
D. SMl n'avoit pas dit qu'il aimeroit un roi, et particu-
lièrement Louis XVI ?
R. Qu'il l'avoit dit.
D. S'il n'avoit pas dit que Custine avoit été victime?
R. Qu'il l'avoit été de la mauvaise République.
D. S'il n'avoit pas dit quUl avoit servi la République mal-
gré lui?
R. Qu'il l'avoit dit et que s'il avoit su la langue alle-
mande, il eût déserté.
D. Dans quel corps il avoit servi ?
R. Dans les chasseurs de la République, mais que c'étoit
malgré lui.
D. S'il n'avoit pas dit qu'il aimoit mieux l'ancien régime
âii CHAP. XXX. — CUAUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
que la République et qu'il périroit pour conserver l'ancien
gouvernement, dans lequel il étoit plus heureux, et que s'il
étoit passé chez les ennemis, il eût tiré de bon cœur sur les
patriotes ?
R. Que oui.
Après ces déclarations, le commissaire se donne le
délassement de lui faire subir un examen de conscience
sur les principaux événements de la Révolution :
D. Quelle étoit son opinion sur Marat?
R. Qu'il le détestoit lorsqu'il parloit de la République et
qu'il a élé content de son assassinat.
R. Quelle étoit son opinion quand les Lyonnois ont fait
périr Chalier.
R. Qu'il(s) avoi(en)l bien fait, que c'étoit un brigand cX
que ceux qui l'avoient fait mourir étoient des honnêtes gens.
D. S'il avoit été content quand les François avoient repris
Toulon?
R. Non et qu'il désircroit que les ennemis viennent jus-
qu'à Paris.
D. Quel étoit son espoir ?
R. Que cela auroit ramené l'ancien régime.
D. Son opinion sur les coupables qui viennent d'être sup-
pliciés^ et s'il étoit content?
R. Non.
D. De quel œil il voyoit la guerre dans la Vendée.
R. Avec plaisir et que s'il avoit pu passer avec les rebelles,
il l'auroit fait volontiers.
D. S'il avoit été fâché de la mort d'Antoinette?
R. Que s'il avoit pu l'empêcher, il l'auroit fait.
D. S'il avoit publié les sentiments qu'il montre aujour-
d'hui dans plusieurs endroits et depuis quel temps ?
R. Qu'il les scntoit depuis longtemps, et que c'étoit d'au-
1 Hébert, etc.
UN VRAI CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE : BRICE PRÉVOST. 245
jourd'hui seulement qu'il s'étoit décidé à les publier et qu'il
le fcroit toujours ; qu'il en ayoit quelquefois parlé à ses cama-
rades, mais qu'il avoit cessé parce qu'ils ne vouloient pas
entendre raison.
Lecture à lui faite, il a persisté dans son dire.
Ces déclarations étaient si extraordinaires, qu'on les
soumit le lendemain à un nouveau contrôle.
On lui demande de nouveau
S'il persistoit dans son opinion avant que de l'envoyer au
tribunal révolutionnaire, voulant s'assurer si ce n'étoit pas le
désespoir ou quelque maladie qui Tavoit déterminé à mani*
fester une opinion si criminelle.
Il y persiste. — On lui dit :
S*il vouloit, qu'on alloit lui donner une cocarde tricolore
et que s'il juroit de la porter toute sa vie et de la respecter,
on lui feroit grâce.
R. Qu'il n'en vouloit pas et qu'il ne la porteroit jamais de
bon cœur.
Il dégageait par là le comité d'une promesse qu'il lui
eût été difficile de tenir. Alors on le ramène à plaisir
sur plusieurs des points les plus compromettants ;
Le comité voyant qu'il persistoit encore dans les mêmes
principes, le président lui a dit que la Convention avoit
décrété que tous les brigands de la Vendée seroieut détruits
entièrement, leurs foyers brûlés jusqu'au dernier de leur
repaire. En conséquence à lui demandé ce qu'il pensoit de la
Convention nationale, s'il l'approuvoit ?
R. Qu'elle avoit mal fait et qu'il désapprouvoit sa conduite.
D. A lui observé que c'étoit aussi la Convention qui, au nom
du peuple françois, avoit condamné le tiran Capet à mort et
à porter sa tète sur Téchaffaud ; à lui demandé ce qu'il en
pensoit ?
346 CHiP. XXI. — GHAUMEHE, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERïmAL.
R. Que la Convention avoit eu tort.
D. S'il regrettoit la ci-deyant reine, femme Capet, et qu*il
ait à nous dire s'il Tavoit bien aimée?
R. Qu'elle ne lui avoit jamais fait de mal, et qu'il ne
pouvoit pas la haïr.
D. S'il seroit bien aise de voir le petit Capet proclamé
Louis XVII?
R. Que oui.
D. S'il aimoit les prêtres ?
R. Que oui.
D. S'il avoit été à confesse et s'il y alloit encore ?
R. Qu'il y avoit été autrefois, mais qu'il ne pouvoit plus
y aller, attendu qpe l'on avoit détruit les églises.
D. S'il persistoit à demander un roi ?
R. Que oui.
A lui observé qu'il y avoit une loi formelle qui le tradui-
roit au tribunal révolutionnaire et de là à la guillotine.
R. Que cela lui étoit égal et qu'il étoit tout prêt à y aller
Lecture faite, etc.
Le comité arrête qu'il sera envoyé dans une maison d'ar-
rêt et le procès-verbal adressé au Comité de sûreté générale
pour être envoyé au tribunal révolutionnaire ^
Devant le juge du tribunal révolutionnaire, son lan-
gage fut bien différent. Interrogé (18 germinal) sur ses
précédentes déclarations, il dit :
R. Qu'il ne se rappelle absolument point d'avoir été dans
le cabaret indiqué ni dans la section des Gravilliers ni de
tout ce qu'il a pu y dire; qu'il s'est passé quatre jours que
sa tête étoit tellement pris.o qu'il n'a pas su ce qu'il a fait
ni ce qu'il a dit'.
Où était la vérité et quelle était la cause de ce chan-
gement subit? Le juge ne s'en inquiéta point et ne
1. Archives, W 348, dossier 701, pièce 12.
2. Ibid.f pièce 7.
LE MARQUIS DE LABORDE ET SES COACCUSÉS. 347
poussa pas plus loin Tinterrogatoire. Les réponses pré-
cédentes donnaient suffisamment à Fouquier-Tinville de
quoi accomplir sa besogne.
L'affaire qui fut jugée dans l'autre section nous montre
en pleine activité la méthode qu'après les trois grands
procès d'Hébert, de Danton, de Chaumette, on allait d^
plus en plus pratiquer au tribunal.
Une condamnation pouvait en entraîner plusieurs
autres. Telle personne avait été condamnée pour cette
banale accusation de complot contre l'unité et l'indivi-
sibilité de la République, la liberté, etc. Ceux qui
avaient été en rapport avec elle ne devaient-ils pas être
présumés ses complices? et ceux-là, à leur tour, n'a-
vaienl-ils pas des amis, des complices? On comprend jus-
qu'où les poursuites, avec ce raisonnement, pouvaient
s'étendre ; et Ton en eut un exemple frappant dans la
cause dont il s'agit.
Le 11 pluviôse, la baronne de Billens et la marquise de
Charras avaient été condamnées pour intelligences avec
les émigrés. Ces deux dames avaient eu des relations
d'intérêt ou même simplement de société, avec un assez
grand nombre de personnes. C'est ce qui fit traduire, le
29 germinal, dix-huit d'entre elles, tant maîtres que
domestiques, devant le tribunal révolutionnaire.
Voici leurs noms tels que les donne l'acte d'accu-
sation :
1. Joseph Laborde, âgé de 72 ans, natif de Juca, en
Espagne, fils de père et de mère béarnais, ci-devant banquier
du gouvernement.
2. Antoine-Henri Geneste (27 ans), banquier.
3. Pierre Hariague DEGuiBEvaLE (72 ans), ex-président au
ci-devant parlement de Paris.
248 CUAP. XXX. - CHAUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
4. liarie-Claude-Émilie Hariague (45 ans), veuve de Bon-
NAiRE, ci-devant maître des requêtes.
5. Marie-Charlotte de Bonnaire (21 ans), femme divorcée
de Louis-François Lepelletier, ex-ofGcierdu tyran.
6. Marie Lalaurengie-Charras (42 ans), ex-noble.
7. Didier-René-François Mesnard de Chousy (64 ans : lire
74 ans 1|2), avant la Révolution ministre plénipotentiaire.
8. JeanDidier-René Mesnard de Chousy, fils (35 ans),
commiaiaire général de la bouche de Capet.
9. Marie-Adrienne Gonnel, veuve de Verville (49 ans).
10. Adélaïde-Marguerite de Merle, femme divorcée de
DucHiLLEAU (41 ans).
11. Louis-Georges Gougenot (36 ans), ex- syndic de la ci-
devant compagnie des Indes, ex-maitre d'hôtel du ci-devant
roi, enfin employé à la liquidation de la régie générale en
qualité d'ancien receveur.
12. Angélique-Michel d'ËsTAT-BELLECouR (33 ans).
13. Jeanne-Marie Nogué (36 ans), veuve de Rolin d*Ivry
et femme du précédent.
14. Sébastien Rollat, ex-noble (52 ans).
15. René Rollat (32 ans), fils du précédent, ancien offi-
cier à la suite de Colonel-général des dragons.
16. Jean Rorin (43 ans), officier de maison chez le nommé
Hariague-Guibeville.
17. François-Michel Paymal (29 ans), domestique de la
nommée Hariague.
18. Jean Dupont (28 ans), domestique de Mesnard de
Chousy *.
Une des questions qu'on leur pose à presque tous tend
à savoir s'ils se sont connus les uns les autres, ou s'ils
ont connu quelques personnes déjà condamnées. Plu-
sieurs, en effet, quoique compris dans le même procès
et assis sur les mêmes bancs, n'avaient aucun rapport
i. Archives y W 54S, dossier 702 bis.
LE MARQUIS DE LÂBORDE ET SES GOAGGUSËS. â49
avec leurs coaccusés : et c'est encore un des procédés
monstrueux de ce tribunal; procédé qu'on aurait pu
signaler déjà dans les affaires de Danton et de Chau-
melte, mais qui deviendra habituel et Ton peut dire
journalier par la suite.
Le marquis de Laborde, par exemple, n'était en rela-
tion ni avec la baronne de Billens, ni avec aucun de ceux
qui figuraient avec lui sur les mêmes bancs, le 29 ger-
minal. Il avait été dénoncé le 4 ventôse (22 février), par
le président du Conseil général du département de la
Marne, à l'accusateur public du tribunal criminel de
Paris, comme complice d'émigration, pour avoir favo-
risé le départ de son fils*. Laborde fils avait acheté des
tableaux et pour les payer il avait vendu ses propriétés
à son père. Les tableaux avaient été expédiés en Angle-
terre et le propriétaire avait suivi. On soupçonnait le
fils de n'avoir échangé ses terres contre des tableaux,
que pour faire passer ainsi sa fortune en pays étranger,
et le père de n'avoir acheté ces propriétés que pour se
préler à cette manœuvre. Le délit de complicité d'émi-
gration était du ressort des tribunaux criminels de dé-
partement; et le marquis de Laborde s'était expliqué
devant le président du tribunal de Paris sur le fond de
l'affaire. Le contrat de vente était du 9 avril 1792*. La
vente de la propriété n'avait pour objet que de le cou-
vrir de ses avances : il avait donné à son fils douze cent
mille livres comptant, et avait accepté, pour une somme
égale, des billets à diverseséchéancesdont les trois quarts
étaient payés. L'achat des tableaux n'avait pas été fait
en vue de l'émigration; les billets souscrits pour les
1. Archives, ibid.^2.* partie, pièce 04.
'2. Voyez ce contrat, ibid., pièce 92 (copie).
250 CHAP. XXX. * CHâUMEHE, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
payer étaient tous de 1789, et il n'avait pas acheté un
bien d'émigré : son fils était présent ^ Qu'était^il de-
venu? il n'en avait pas de nouvelles depuis huit ou neuf
mois. Tout ce qu'il savait, c'e^t qu'il se trouvait vere
cette époque à Dunkerque, où il frétait un bateau pour
l'Amérique ; et son opinion était qu'il avait bien pu s'y
rendre, vu les relations qu'il y avait gardées depuis la
guerre de l'indépendance. Mais il ne le savait que par
conjecture, s'étant fait un devoir d'observer le décret
relatif aux correspondances de l'étranger et ayant pris
soin d'écrire à tous ceux qui pouvaient l'intéresser, de
s'y conformer. Quant aux tableaux, il croyait savoir
qu'ils étaient encore dans leurs caisses en Angleterre,
et son fils lui avait donné l'assurance qu'il se proposait
de les faire revenir à Paris, quand la France aurait re-
trouvé son calme*. Mais ces explications furent peu
goûtées, et l'accusateur public du tribunal criminel de
Paris, Cicéron Lebois (c'est Lebois qui s'était modes-
tement appelé Cicéron, comme tant d'autres, Brutus),
trouva même que le délit excédait la compétence de son
tribunal. Un homme qui avait eu tant de relations
avec les gens de cour, dont le fils avait <x contracté des
liaisons suspectes avec le ci-devant duc d'Orléans » et
qui, lui-môme, en aidant ce fils dans cet achat de
tableaux transportés ainsi en Angleterre, avait contri-
bué à enlever à la France cette richesse nationale,
avait plus fait que favoriser l'émigration, il avait servi
les projets des conspirateurs : il relevait de Fouquier-
Tinville, et il lui fut renvoyé, 21 germinal (10 avril)'.
1. Archives, ibid., 2* partie, pièce 07 : note explicative sur les 1235 329 livres
de billets, et p. 96, note additionnelle.
2. Ibid. , pièce 15. — 3. Ibid,, 2* partie, pièce 99.
M. D'ESTÀT-BELLEœUR ET SA FEMME. 25i
Fouquier-Tinville n'eut garde de se récuser.
Le 25^ le marquis de Laborde était interrogé par un
juge du tribunal révolutionnaire, Scellier. Il s'en référa à
rinterrogatoire qu'il avait subi devant le président du
tribunal criminel, disant que son fils avait 32 ans, qu'il
était maître de ses volontés et quMl était parti sans prendre
avis; il ajoutait que c'était pour l'empêcher de manquer
à des engagements d'honneur qu'il avait acheté sa terre
et qu'il n'avait eu aucune part ni à l'achat, ni à l'embar-
quement des tableaux \ Mais le juge coupa court à toute
autre explication en lui demandant s'il avait un défen-
seur, et sans plus de formes on le mit en la compagnie
de dix-sept autres qui devaient être jugés le 29 ger-
minal (18 avril)'.
Quant aux autres, indépendamment de ce lien commun
dont on les avait enveloppés pour les perdre tous ensem-
ble, il y avait quelques griefs spéciaux à chacun d'eux :
ils se manifestèrent dans leurs interrogatoires.
Angélique - Michel d'EsTAT Bellecour, frère de la
baronnede Billens, avait servi en Russie de 1783 à 1791 .
Il était revenu alors et n'y était pas retourné, et il se dé-
fendait de toute correspondance au dehors, excepté avec
quelques amis de Russie en 1 791 ' ; mais l'accusation affir-
mait qu'il n'était revenu de Russie en France, en 1792,
que « pour servir cette despote ambitieuse (l'impératrice
i. Archives, ibid.t pièce 107.
2. L'accuFaleur public, amplifiant les griefs qu'on a tus, y ajoute qu'il était
tellement en correspondance avec les émigrés, qu'il avait enfoui en terre des
statues de gramitte et autres objets précieux. — La Biographie universelle de
Mîcliaud (nouvelle édition) a sur le marquis de Laborde un article fort étendu,
fait sur des documents authentiques. Le fils aîné dont il est parlé dans le procès
mourut à Londres en 1801. La famille s'est continuée par le quatrième fils, Joseph-
Alexandre, qui fut membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres et y
eut pour successeur son fils M. Léon de Laborde.
3. Ibid.f i** partie, pièce 4.
252 CHAP. XXX. — CHAUMETTB, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
de Russie), dont il était pensionné, disant que la Con-
vention n'était composée que de scélérats et la garde
nationale de brigands. »
Jeanne-Marie Nogué, veuve de Rolin d'Ivry, était de-
venue femme d'EsTAT-BELLEcouR ; et elle conGrme dans
son interrogatoire ce qu'avait dit son mari \ A elle-même
on ne pouvait reprocher que d'être sa femme.
Marie Lalaurencie-Gharas, était belle-sœur de Mme de
Cliarras; elle avait des frères émigrés, mais ne leur avait
pas écrit.
Elle n'avait rien écrit : mais en pensait-elle moins?
A elle observé qu'ayant plusieurs parents émigrés et
qu'ayant fréquenté la femme Billens, Guibeville, cy-devant
président et le cy-devant marquis Corberon, que les susdits,
reconnus pour être aristocrates, ne nous laissent aucun doute
qu'elle déclarante étoit de leur avis.
1^^ R. Qu'elle u'étoit pas de leur avis*.
L'accusateur public lui donne la réplique :
La fille Charras étoit, selon même les contre-révolution-
naires, de l'aristocratie la plus puante. Elle avoit porté le
deuil de Capct et manifesté le désir de voir ce juste châti-
ment vengé par nos ennemis.
Ce qu'elle avait nié dans son interrogatoire.
Sébastien Rollat (52 ans), et René Rollat son fils
(52 ans), ancien officier à la suite de colonel-général
des dragons, avaient vu en société la baronne de Billens
et la marquise de Charras ; et c'est pour cela que lo
comité révolutionnaire de la section du Mont-Blanc avait
pris, le 15 venlôse (5 mars), un arrêté où, considérant
i. Archives, ibid,., l'* partie, pièce 6.
2. Ibid,, 2* partie, pièce 20«
LES ROLLAT. M- DUCHILLEAU, HÀR. DE GUIBEVILLE. 253
qu'ils étaient < intimement liés avec les nommées Billens
et Charras toutes guiotinées » , il envoyait leurs personnes
à la Conciergerie et leurs papiers au tribunal révolution-
naire* ; mais on ne trouva rien qui pût fonder en aucune
sorte l'accusation ni d'émigration, ni de rapports avec
les émigrés*.
Adélaïde-Marguerite de Merle, femme divorcée de
DiXHiLLEAU, avait vu les Rollat en société, et était liée
d'amitié avecHariague de Guibeville. Elle n'avait d'autre
correspondance qu'avec son mari émigré, mais elle ne
lui avait pas écrit depuis six mois' : ce n'était pas assez
ou plutôt c'en était trop.
Pierre Hariague de Guibeville, vieillard de 72 ans, dé-
clarait de son côté qu'il avait entre les mains un écrin
dont la garde lui avait été confiée par Mme Duchilleau et
contenant, selon ce qu'elle lui avait dit, environ 18000
francs de diamants \ Mais il avait en outre plusieurs
cartons que l'on ouvrit devant lui et d'où l'on tira des
parchemins, des brochures contre-révolutionnaires, des
images satiriques^ : c'était plus qu'il n'en fallait pour
le perdre lui et toute la maison.
i. ArcliivcSt ibitl.f 2" partie, pièce 15.
^. Voyez leur intcrrog. par Dumas le 19 venlôsc, ibid., i'* partie, pièces il
cl 12. — Voici un fragment de l'interrogatoire un peu plus étendu de Rollat
lils devant le comité de la section du Mont-Blanc :
A lui demandé s'il n*a p is été embarrassé du parti qu'il devoit prendi'C loi'squc
Capet s*est cnrui nuitamment, et si ce n'est pas au contraire lorsque le ci-deTanl
roi a trahi ses serments qu'il a changé de sentiments en se livrant au patriotisme.
A répondu que c'est bien l'époque où il a été persuadé qu'il était impossible
de conserver le chef du pouvoir exécutif et que, préalablement, il avait à la vérité
été embarrassé lorsqu'il s'est fuit des partis royaliste, Rolantin et l^afayette, mais
qu'il s'e^t toujours conformé à l'obéissance des décrets et qu'il a été persuade
qu*il falloit se reserer pour maintenir l'indivisibilité. (Ibid., 2* partie, pièce 16.)
3. Ibid,, l'« partie, pièce IG et 2* partie , pièce 55 (interrog. du 27 brumaire).
4. lbid,y 1'* partie, pièce 12.
5. Ibid.f pièce tô, Manifeste et protestation de bOO(ÏO Français fidèles, etc.
(Camp de Jalès, octobre 1 790); pièce 86, La chute du ministre Linotte (caricature).
254 CUAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC. ; FIN DE GERMINAL.
On Taccusait en outre, sur le témoignage de Jeanne
Catherine Carouge, ancienne domestique de Mme de
Billens, d'avoir apporté chez cette dame et remis à Ker,
banquier anglais, un carton contenant de Torque Rerem-
porta, quittant la France, à l'époque où l'on proscrivit
tous ceux de sa nation, et que Taccusation crut destiné
aux émigrés \ Marie-Claude-Émilie Hariague, sa fille,
veuve DE BoNNAiRE, était accusée d'avoir ficelé ce carton
(la même Jeanne-Cath. Carouge disait qu'elle-même y
avait aidé). Marie-Charlotte de Bonnaire (21 ans), femme
divorcée de Louis Lepelletier, avait sans doute aidé
aussi sa mère. On ne se donne même pas la peine de les
questionner sur ces points dans leur interrogatoire*.
Louis-Georges Gougenot convenait qu'il connaissait
plusieurs de ces personnes dont l'amitié donnait la mort*
Mais lui-même était un ce ancien maître d'hôtel de Ca-
pet », charge qu'avait laissée son frère en mourant et
qu'il n'avait reprise que pour la garder aux enfants de ce
frère. Il se trouvait auprès de la voiture du roi, lors du
voyage projeté pour Saint-Cloud en avril 1790. Après
cela rien ne lui servait de dire ce qu'il ne fréquentait pas
la Billens » ; qu'il a avait du mépris pour Ker qu'il ne
connaissait que de vue x> ; que le 10 août < il était
auprès de sa femme » et qu'il avait a signé la consti-
tution' ».
Antoine-Grégoire Geneste* était entré en qualité de
commis dans la banque de Ker ; et il allait prendre la
direction de la maison quand parut le décret qui frappait
i. Archives, W 548, dossier 702 bis, 2* partie, pièce 30.
2. Ibid., i** partie, pièce 15.
3. Ibid., et 2* partie, pièce 23.
4. Ibid., 1'* partie, pièce 15. Dans un autre interrogatoire (pièee iS), il est
appelé Antoine Griouard Geneste.
L. GOUGENOT, A. GENESTE. 255
les Anglais. Il avait voulu profiter des relations qu'il y
avait formées pour faire des aflaires en son propre nom :
il se trouva par là en correspondance avec Londres,
Bruxelles, Barcelone, Livourne, Amsterdam. Indépen-
damment de ces lettres qui remplissaient un carton, il
y en avait d'autres de sa femme, jeune Belge qu'il avait
épousée à Bruxelles en février 1 793, quand Bruxelles
était aux mains des Français, et qui y était retournée
à la mort de sa mère. Elle y était encore, sollicitant
en vain un passeport pour revenir. Ses lettres sont en-
tièrement étrangères à la politique. Mais si on la regar-
dait comme en émigration, Genesie pouvait difGcilement
se défendre de correspondre avec une émigrée : car la
jeune femme se plaint qu'il ne lui réponde pas exacte-
ment, lettre pour lettre, comme il le lui avait promis,
qu'il s'arrange pour ne le faire qu'à deux à la fois * ; et
du reste on pouvait lui faire le compte de sa correspon-
dance, ses lettres, comme celles de sa femme étant nu-
mérotées. Elle lui dit dans son numéro 37 : « Je réponds
sur-le-champ à ton numéro 33*. » En outre, elle lui pro-
met de ne plus lui envoyer de lettres pour d'autres
personnes : a Je serais désespérée, dit-elle, de te causer
le moindre désagrément* : promesse qui était une révé-
lation et une dénonciation contre lui. Enfin elle lui fait
passer des assignats (qu'on lui vole à la poste*). Elle-
même ne recevait-elle pas de lui de l'argent?
L'acte d'accusation s'arme contre le malheureux
Geneste de l'absence de sa femme qui dans chaque lettre
i. Archives, ibid,, 1" partie, pièce 40.
2. Ibid., pièce 57.
3. Ibid.. pièces 34 et 37.
4. Ibid. y pièce 55.
256 CHAP. XXX. — CHAUMETTE, GOBEL, ETC.; FIN DE GERMINAL.
exprime son désir de revenir : « Il envoyait, y lit-on,
des lingots d'argent à sa femme émigrée, afin d'épuiser
tout le numéraire et de discréditer les assignats. x> On le
rattachait d'ailleurs à l'affaire de Mme de Billens qui
était en relations avec Ker, et à laquelle, à ce titre, il
avait été amené à prêter 1 500 livres*.
Il nous reste deux groupes à signaler encore dans cette
fournée.
Dans le premier groupe : 1« le vénérable D. François
Mesnard de Chousy (74 ans et demi) qui, en 1780, était
« commissaire général de la dépense du ci-devant roi » :
et J. D. René Mesinard de Chousy, son fils, <x commissaire
général de la bouche de Capet ». Le père reconnaissait
qu'il avait plusieurs de ses enfants émigrés : deux filles
et un petit-fils ; pour le dernier, il n'en répondait pas.
11 avait en outre un fils prêtre dont il ignorait l'existence ;
il avait été lui-même deux jours àTournai, auprèsd^une
fille malade; mais, depuis 1791, il ne correspondait
plus avec ses enfants ; et comme on lui demandait où il
était le 20 juin et le 10 août, il répondit que le 20 juin
il était à Paris avec la goutte ; et depuis le 15 juillet à la
Fortelle, jusqu'au 10 août*.
Quant à René son fils, il était ce jour-là au château, et
ne s'en était échappé que sous un déguisement. Il eut
beau dire qu'il était tout à ses fonctions, dans les
offices et dans les cuisines^, on le rangea parmi les
chevaliers du poignard. Joignons-leur Marie -Adriennc
GoNNEL, veuve de Verville, qui était de leur intimité el
confirme leur témoignage. Pour elle, elle n'avait qu'à
i. Archives, ihid., i'* partie, pièce 10. Instr. surTafTaire de Genesle.
2. Ibid.^ pièce 15.
3. i6û/., pièce 17.
LES DOMESTIQUES : JUGEMENT. 257
répondre à ces questions banales retenues au proeè?
malgré toute dénégation*.
L'autre groupe est celui des hommes de charge ou de
service : J. Robin, officier de maison de Guibeville; Fr.
Paymal, domestique de la femme Hariague, veuve Bon-
naire, et J. Dupont, serviteur de Mesnard de Chousy. Inter-
rogés sur la manière d'être de leurs maîtres, sur leurs
propos contre-révolutionnaires, sur les gens suspects
qu'ils recevaient à leur table, les correspondances, les
envois d'argent au dehors, ils n'avaient rien dit qui don-
nât satisfaction à l'accusateur public*. Aussi Robin et
Paymal sont-ils présentés dans l'acte d'accusation comme
des (c domestiques de la tyrannie, pénétrés des sentiments
de leurs maîtres et disant qu'ils aimeroient mieux voir
le feu aux quatre coins de Paris que de voir la République
tenir. »
Dupont, qui ne fut pas compris dans cet anathème de
Fouquier-Tinville, fut acquitté; tous les dix-sept autres,
hommes et femmes, maîires et domestiques, furent
déclarés convaincus « de corruption et de trahison, de
complots et manœuvres pour exciter la guerre civile,
affamer le peuple, détruire la fortune publique, assassi-
ner les patriotes et dissoudre la représentation nationale »,
et condamnés à mort'.
Disons pourtant que, contrairement à cet exemple de
fidélité si commun alors parmi les serviteurs des grandes
familles, quelques-uns déposèrent de faits dont s'empara
l'accusation. Ace prix on échappait au sort des maîtres.
Honneur à ceux qui aimèrent mieux le partager!
i. Archives, W 348, dossier 702 bîs, 2* partie, pièce 15.
2. Voy. ibid., pièce 14, interr. de Robin; pièce 15, de Paymal et de Dupont.
3. Ibid., !• partie, pièces i08, Hl et 112.
TRIB. RKYOL. III 17
CHAPITRE XXXI
LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL ET LE BUREAU DE
LA SURVEILLANCE ADMISISTIUTIVE ET DE LA POLICE
I
Lois des 12 et 27 gcrmiual.
Après le supplice d'Hébert on avait pu croire à un
temps d'arrêt dans la Terreur, à un retour vers un
régime moins violent. Après la mort de Danton toute
illusion devenait impossible. Danton seul était capable
de contenir Robespierre. Danton abattu, Robespierre se
sentit plus maître et on en éprouva immédiatement le
contre-coup dans les prisons \
Secondé par Saint-Just et par Couthon, il forme avec
eux, au sein du Comité de salut public, un triumvirat
dont il est incontestablement le chef. Rien désormais ne
parait capable de faire obstacle à ses desseins et par ses
derniers actes on peut voir où ils tendent. En frappant
Hébert et consorts, il avait répudié les révolutionnaires
violents et grossiers. En frappant Danton, il avait montré
que l'immolation des exagérés n'était point un pas vers
les indulgents; et dans la dernière grande exécution du
24 germinal il avait fait comprendre avec Chaumette et
Gobel, Dillon et Simond, avec la veuve d'Hébert la
veuve de Camille Desmoulins. Ils entendait donc bien ne
i. Voyez les faits que j'ai réunis dans la TerreuTy t. II, p. 105 et suivantes.
LOI DU 12 GERMINAL AN IL 359
point s'arrêter dans la voie de la Terreur, et c'est depuis
lors en effet qu'il y avance avec le plus de résolution.
Le lendemain de l'arrestation de Danton, la veille de
son procès le 12 germinal (!*' avril 1794), le conseil
exécutif et les six ministères, sur le rapport de Carnot,
sont supprimés et remplacés par douze Commissions
subordonnées au Comité de salut public \ La plus im-
portante, la Commission des administrations civiles,
police et tribunaux, composée d'un commissaire et de
deux adjoints, va recevoir pour commissaire Herman*, le
i. Voycx le rapport de Cariiot et le décret du 12 germinal (Moniteur du
14 germinal, 5 avril] : a Les six ministres et le conseil exécutoire provisoire
supprimés et remplacés par douze commissions rattachées au comité de salut
public sous Tautorité de la Convention, voilà, dit Carnot, tout le système : > et
c'est ce que règlent les articles 17-22 du décret :
Art. 17. Ces douze commissions correspondront avec le comité de salut
public auquel elles sont subordonnées» Elles lui rendront compte de la série
et des motifs de leurs opérations respectives.
Le comité annulera ou modifiera celles de ces opérations qu'il trouvera con-
traires aux lois ou à l'intérêt public.
Art. 18. Chacune des commissions remettra jour par jour au comité de salut
public Tétai de situation sommaire de son département....
Art. 19. Tous les emplois ou commissions, tant civils que militaires, seront
donnés an nom de la Convention nationale sur la présentation du comité de
salut public.
Art. 20. Les membres des commissions et leurs adjoints seront nommés par
la Convention nationale sur la présentation du comité de êalui public»
Ce projet de décret, dit le Moniteur, est adopté à l'unanimité et au milieu des
applaudissements.
2. Il fut chargé d'abord des fonctions de ministre de l'intérieur et des afTaires
étningères, 19 germinal (Mon. du 20) et nommé commissaire des administrations
civiles, police et tribunaux, à la première organisation des douie commissions
établies par le décret du 12 germinal, le 29 du même mois, 18 avril 1794
(Moniteur du i*' floréal, 20 aviil).
La môme décision du Comité qui, le 18 germinal, la veille de la nomination
par la Convention, désigne Herman pour remplir les fonctions de ministre de
l'intérieur et lui donne Lanne, juge du tribunal, comme adjoint, nomme Dumas
président du tribunal révolutionnaire, et Subleyras, et. CoHinhal, vice-prési-
dents (Archives, AF ii 22, dossier 69, pièce 62). Subleyras, qui fut nommé le
25 floréal présid mt de la commission populaire, créée conformément à la loi du
23 vcnlôse, fut remplacé le 1*' prairial comme vice-président par Scellier
{ibid., pièce 98).
Ileriiian signe mic dernière fois, comme ayant jugé, le 18 germinal, dans l'arrêt
d'acquittement de Silvain Grouard. A partir de sa délégation au ministère da
260 CHAP. XXXI. — LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL, ETC.
président du tribunal révolutionnaire : c'est le prix de
la condamnation de Danton. Par Herman toute l'admi-
nistration, la police et l'action judiciaire, sont aux mains
de Robespierre; et le tribunal révolutionnaire ne lui est
pas moins inféodé : car Herman y a pour successeur
Dumas, qui débute parle procès de Dillon, deChaumette,
des veuves d'Hébert et de Camille Desmoulins : la pre-
mière « conspiration des prisons. »
J'ai dit que le tribunal révolutionnaire avec Dumas
pour président allait être plus que jamais aux ordres
du Comité : mais pour répondre à ses vues il fallait
que le niveau sanglant de cette justice passât sur toute la
surface de la France. Ce n'était point assez d'avoir établi
le gouvernement révolutionnaire, et ramené toutes les
autorités constituées dans des limites où elles n'avaient
plus qu'à s'incliner devant les agents nationaux, organes
directs des Comités ; ce n'était point assez d'avoir sous
l'œil de ces agents et sous la main des représentants du
peuple, délégués en province, des juges de toute sorte,
commissions judiciaires, tribunaux criminels ordi-
naires jugeant révolutionnairement (nous y reviendrons
plus tard) : il fallait donner plus d'unité à la justice
révolutionnaire, et Saint-Just fut encore chargé par les
rintérieur, on ne trouve plas Herman; le 19 il a cessé de figurer parmi les
juges; mais on le retrouve encore dans les jugements imprimés alternant avec
Dumas, président, ou tel autre juge remplissant les fonctions de président, pour
signer la formule qni rend le jugement exécutoire, comme, par exemple, le
23 prairial dans raffaire Chaput-Dulwst, où Dumas avait présidé :
Au nom du peuple français, il est ordonné à tous Imissiei's sur ce requis de
faire mettre le présent jugement à exécution, et aux commandants et oflicicrs
de la force publique d'y prêter main forte lorsqu'ils en seront requis, et aux
commissaires du pouvoir exécutif d'y tenir la main, en foi de quoi, le présent
jugement a été signé par le président et le greffier.
Signé : Herman, président.
J.-C. lifcRrvAîN. greffier.
RAPPORT DE SÂINT-JUST, 26 GERMINAL. 261
deux Comités de salut public et de sûreté générale d^en
exposer les motifs devant la Convention.
Le décret à rendre était présenté comme une mesure
de police générale. C*élait comme la sanction par la loi
de l'acte que la Convention avait accompli par le tri-
bunal révolutionnaire en frappant les factions d'Hébert
et de Danton :
Il ne suffit pas, citoyens, dit-il, d'avoir détruit les factions,
il faut encore réparer le mal qu'elles ont fait à la patrie....
Nous vous avons dévoilé les factions : elles ne sont plus,
mais elles ont passé comme des orages et nous ont laissé
des plaies douloureuses et qu'il nous faut guérir.
Il reprend le thème convenu qui les faisait respon-
sables de la misère publique. Ce sont elles qui ont
accaparé les denrées, amené le discrédit des assignats,
neutralisé par la spéculation les effets que Ton atten-
dait de la vente des biens nationaux.
Mais il en restait une à qui l'on aimait à s'en prendre
de ces maux subsistants, le fédéralisme, c*est-à dire la
masse de ceux qui dans les provinces ne paraissaient
pas heureux de ce régime :
Si vous voulez que l'abondance reparaisse, disait-il, il faut
éteindre le fédéralisme par une police sévère, par le rappel
à l'ordre de toutes les autorités, de tous les magistrats, il
faut rechercher dans toute l'étendue de la République les
instruments et les complices des factions.
Toute la suite de ce long rapport, à travers ses divaga-
tions de toute sorte, aboutissait à ces conclusions. La
police en province a manqué d'énergie :
Dans ces derniers temps le relâchement des tribunaux
s'était accru dans la République au point que les attentats
262 CHAP. XXXI. — LES LOIS DU 12 ET DD 27 GERMINAL, ETC.
contre la liberté demeuraient impunis. La faiblesse criminelle
des juges avait enhardi les complots et diminué votre auto-
rité en laissant violer la dignité de vos décrets.
n fallait des juges que Ton eût sous la main pour
faire respecter ces décrets, et à celte fin rien de plus
sûr que de tout ramener au tribunal révolutionnaire
de Paris.
Ce fut le principal objet de la loi qui fut votée une
première fois, séance tenante, conformément au rapport
de Saint-Just, et définitivement le lendemain, 27 germi-
nal (16 avril 1794), avec quelques modifications propo-
sées par Cou thon au nom des deux Comités et appuyées
par Robespierre * .
Art. 1. Les prévenus de conspiration seront traduits de
tous les points de la République au tribunal révolutionnaire
de Paris.
Art. 2. Les comités de salut public et de sûreté générale
rechercheront promptement les complices des conjurés et
les feront traduire au tribunal révolutionnaire.
Art. 3. Les commissions populaires* seront établies pour le
15 floréal.
Le reste concernait principalement la résidence des
ex-nobles et des étrangers, sous la surveillance suprême
des Comités de salut public et de sûreté générale.
i. Moniteur du 27 et du 28 germinal (16 et 17 avril 1704).
2. Décrétées e 23 ventAsc (13 mars 1794).
LE COMIlfî DE SALUT PUBLIC ET SA POLICE. SC3
II
Accroissement du pouvoir du Comité de salut public. — Bureau de la surveil-
lance générale et de la police : Rapports du mois de floréal.
Dès ce moment la Terreur a reçu son organisalion la
plus redoutable.
En même temps que le tribunal révolutionnaire de
Paris, composé plus particulièrement des affidés du
Comité de salut public et dirigé par sa volonté suprême,
devenait, on le peut dire, l'exécuteur de ses hautes
œuvres pour la France entière*, le Comité se créait, à
côté du Comité de sûreté générale, charge de la police,
et pour le remplacer, sans le supprimer, un bureau
spécial qui, recevant les dénonciations de tous les points
du territoire, les plaçait sous ses yeux : c'est le bureau
de la surveillance administrative et de la police. Il a ses
dénonciateurs à gages, il a ses dénonciateurs volontaires.
Car la dénonciation est devenue un des ressorts de l'État,
une des vertus prêchées à ses fidèles. Quand chaque jour
le tribunal révolutionnaire établit comme fait constant
et prétend prouver par de sanglants exemples qu'il
existe une conspiration contre la liberté et le bonheur
du peuple français*, dénoncer est un devoir public, ne
1. On fit toutefois quelques exceptions pour des tribunaux ou des commif-
sions qui donnaient toute garantie : la commission révolutionnaire d'Arras
(Lebon était là), 10 floréal (Archives. AF ii 22. dossier 69. pièce 82); la com-
mission révolutionnaire de Bordeaux. 25 floréal (i6irf.. pièce 93); la commission
révolutionnaire de Nîmes, 26 floréal (i6/rf., pièce 94) ; la commission révolu-
tionnaire de Noirmoutiers, 28 floréal [ibid., pièce 96).
2. C'est le premier point, en quelque sorte stéréotypé, de tous les jugements.
Quelquefois on y intercale un nom de lieu, une date, qui font ressortir plus
forlemcnl encore le conti*aste entre l'énormité de l'imputation et le fait incri-
miné. Voyez, par exemple, une affaire de fournitures inhdèles du 25 germinal
[RiiflHin, A* partie, n* :>«, p. 150).
264 CHAP. XXXI. — LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL, ETC.
pas dénoncer est un acle de complicilé dans Tatleutat.
Nous avons non pas seulement des spécimen nom-
breux de ces dénonciations dans les pièces qui font
partie des dossiers du tribunal, mais un monument
curieux du système lui-même dans les registres tenus
nu bureau de la surveillance générale et de la police,
registres où les dépositions sont résumées jour par jour
pour être placées sous les yeux du Comité, conformément
au décret du 12 germinal ; et on y trouve Tordre du
membre du Comité qui les a vues et, d'une autre plume,
la mention d'exécution*. La main qui donne Tordre est
le plus souvent la main de Robespierre. Citons en quel-
ques exemples pour le premier mois qui suivit. La
chose nous intéresse : car ce sont les préliminaires de nos
procès : plusieurs des questions posées là iront se ré-
soudre devant le tribunal.
A floréal.
Le comité de surveillance de Chalais, même district,
département Vengé (Vendée), a fait mettre en arrestation les
personnes qui suivent et sur le compte desquelles il demande
ce qu'il doit faire.
(Une page et demie de noms), tous pillards, amis, défen-
seurs ou complices des brigands de la Vendée.
En marge (non de la main de Robespierre) :
Les faire traduire à Paris de brigade en brigade avec les
pièces de conviction.
Les rapports signalent des troubles, et des bruits qui
pourraient en amener d'autres :
9 floréah
L'agent national du district de Josseliu, département du
Morbihan, mande que la majeure partie des habitants du
1. Archives, F 7, 4437.
LA POLICE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC (FLORÉAL). 265
canton de Quesgou, ennemis de la révolution depuis long-
temps, sont en insurrection.
— Faire arrêter sur-le-champ tous les auteurs de troubles
quels qu'ils soient et les envoyer à Paris de brigade en
brigade.
10 floréal.
Les administrateurs du district de Tarbes mandent que les
méchants font courir le bruit dans les campagnes qu'on va
guillotiner les vieillards et les enfants, parce qu'on manque
de pain. Les subsistances inquiètent beaucoup.
(Robespierre.) A^rvèier que les administrateurs du district de
Tarbes feront arrêter les auteurs des bruits et les enverront
sous bonne garde à la Conciergerie à Paris. Ils rendront compte
dans le plus bref délai de l'exécution.
Fait le \'ô floréal.
On accueillait des dénonciations de soldats contre
leurs officiers, et cela se faisait sans le couvert de
l'anonyme :
13 floréal.
Le citoyen Cahaure, chasseur au 21^ régiment, 11^ com-
pagnie, prévient que les oflicicrs de son corps ne sont pas
patriotes, excepté les deux premiers chefs, Dupré et Beaugard.
(Robespierre.) Envoyé au commissaire du mouvement des
armées, avec ordre de vérifier le fait et de changer les officiersi
si la dénonciation est fondée.
Autres dénonciations plus ofGcielles :
18 floréal.
L'agent national du district de Dinant dénonce quatre
détenus qui ont pris dans les maisons d'arrêt des mesures
pour se soustraire à la loi.
Il annonce qu'il a dans les mains plusieurs pièces aristo-
cratiques trouvées chez les détenus.
Il dénonce Noiseville et Erlaut, émigrés, qui ont obtenu
des cerlificals de résidence dans des communes près Paris.
266 CHAP. XXXI. — LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL, ETC.
(Robespierre.) Ordonner à l'agent national de faire trans-
férer tous ces détenus et émigrés sous bonne garde à Paris,
et d'envoyer au comité de salut public les pièces qui les con-
cernent.
19 flcréal.
La municipalité de Passy demande quelle conduite elle
doit tenir à l'égard de Reine Vende, veuve Lagace, ex-noble,
dont l'esprit est aliéné.
La municipalité observe que les folies de cette femme peu-
vent nuire à la tranquillité publique.
{Robespierre.) On enferme les fous.
Des dénonciations de Nanlua, d'Orléans, sont suivies
les 20 et 21 floréal d'ordre d'arrêter et de transférer à
Paris.
Les propos inciviques sont toujours un crime impar-
donnable :
25 floréal.
Le comité de la section du midi de la commune de Luné-
ville dénonce Claude Michel, cordonnier, pour avoir tenu des
propos très inciviques devant 200 personnes.
(Robespierre.) Pourquoi dénoncer les gens suspects au lieu
de les arrêter? Réponse sur ce point.
Ecrit le 26.
Le fédéralisme était le mal du temps :
25 floréal.
Les membres de la société populaire du Mans dénoncent
au comité de salut public l'administration entière du dé-
partement de la Sarthe comme gangrenée de fédéralisme,
de brissotismc, comme ayant toujours agi avec l'astuce
de Yergniaud et de Gensonné, le charlatanisme de Ro-
land, le sophisme doucereux de Pétion, l'impudeur de Bar-
baroux, etc.
(Robespierre.) Communiquer au comité de sûreté générale
avec invitation de les faire arrêter sur-le-champ.
LA POLICE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC (FLORÉAL). 267
On poursuivait dans les provinces les complices delà
grande conspiration qu'on supposait tramée à Paris :
27 Ûoréal.
Les citoyens Rousseville et Collier, commissaires du con-
seil exécutif et agents des représentants du peuple Lacoste et
Baudot^ chargés d'examiner et de rendre compte de l'esprit
public à Strasbourg, ont rerais au comité de salut public
deux rapports datés des 22 et 27 germinal et une liasse de
pièces à l'appui.
Rousseville et Gollier disent au comité qu'il a résulté que
ce n'est pas sans fondement qu'ils ont pensé que la conspira-
tion ourdie à Paris contre la Représentation nationale et la sû-
reté des prisons avait des ramifications jusque dans Strasbourg.
Ils fondent leur opinion sur ce que, à l'instant marqué par
les chefs pour la ruine du peuple et de ses représentants, La
ligne du Rhin a été attaquée par l'ennemi et les nouveaux
émigrés ont cherché à nous apporter une nouvelle Vendée.
La société populaire n'a plus été qu'une espèce de théâtre
destiné à des lamentations sur le sort des détenus et à des
réclamations contre les mesures de vigueur.
Les assignats ont perdu une partie de leur confiance.
Les prisons ont été agitées, tantôt par des craintes, tantôt
par des espérances.
Ils dénoncent Yung, Vogt, Michelot père, Monnet,
prêtre de Besançon, les deux Edelman, et Massé, re-
connus pour avoir émigré.
Robespierre : Faire arrêter les dénommés.
Michelot fut acquité ; Yung, Monnet et les deux Edelman
furent condamnés et exécutés à Paris le 29 messidor.
On ne négligeait pas ce qui restait de châteaux et
surtout de châtelains :
28 floréal.
Barandier, citoyen voyageur, dans une lettre sans date,
instruit le Comité de salut public que le cy-devant comte de
268 CHAP. XXXl. — LES LOIS DU 12 ET DD 27 GERMINAL, ETC.
Durfort est toujours dans son cy-devant château de Chiveray
(district de Blois, département du Loiret) où les signes féo-
daux existent encore.
A Chaumont, 4 lieues de Blois, un cy-devant Dorcy est
dans un château qui semble une forteresse.
A Herbaut (district de Blois), un cy-devant nommé Ran-
çonne, aussi sa mère à Saint-Lubin (district de Dreux, dépar-
tement d'Eure-et-Loir), aristocrate et fanatique.
Tous ces cy-devants sont parents d'émigrés et d'hommes
punis par la loi : ils habitent les environs de Blois (départe-
ment du Loiret).
(Robespierre.) Faire arrêter tous ces individus.
(Suit la mention de trois arrêtés du 30 floréal ordon-
nant ces arrestations.)
On surveillait aussi d'autre part la queue du Père
Duchesne.
30 floréal.
Rassal, substitut de l'agent national près la commune de
Nevers (Nièvre), accuse Bonpoids, apo^icaire, d'avoir tenu les
propos suivants : Quoique le comité de salut public et le tri-
bunal révolutionnaire aient jugé Hébert et autres, ils les
connoissoient innocents y et que le comité de sûreté générale
et de salut public avoient joué à pair ou impair, et que
s'ils n'eussent point fait guillotiner les autres^ ilsVauroient
été eux-mêmes. (Plusieurs autres sont dénoncés.)
(Robespierre.) Ordonner à l'agent national de faire arrêter
les dénommés et de faire transférer à Paris sous sûre garde
le nommé Bonpoids au comité de salut public.
Fait le 1*' prairial.
Les écrits contre-révolutionnaires :
30 floréal.
La municipalité de Rennes envoie au Comité de salut
public deux écrits anonymes qui lui sont parvenus :
1*» Le philosophe embarrassé; 2** Conversation entre un
LA POLICE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC (FLORÉAL). 269
Prussien et un Autrichien sur le système politique des
François.
Le premier était un écrit théologique, soutenant que
la religion naturelle ne suflit pas, qu'elle mène à
l'athéisme. Il attaquait Robespierre et les membres de
la Convention, leur appliquant les paroles de saint
Paul : Dicentes se esse sapientes^ stulti facti sunt ; l'au-
tre, une diatribe contre le gouvernement français.
(Robespierre,) Il faudra me rappeler cet objet.
Le 29 floréal on avait signalé un plus long rapport
de Rousseville, chargé de la surveillance des malveillants
et des ci-devant nobles aux environs de Paris. Passy,
Auteuil, Boulogne, Suresnes, Puteaux, Courbevoie, Co-
lombe, Gennevilliers, Neuilly, Franciade (Saint-Denis),
La Chapelle, sont passés en revue et donnent lieu à plu-
sieurs ordres de Robespierre. Sur Neuilly, par exemple,
il est dit :
Les habitants de cette commune s*apitoyent sur le sort des
cy-devants nobles qui s'y trouvent. Ils disent qu'ils valent
mieux que ceux qui les persécutent. Bonnard, cy-de?ant
avocat, a agité et agite encore la commune par ses agents.
(Suivent six noms de journaliers).... Le maire de la com-
mune regarde la femme du milord Walpold, qui se dit sépa-
rée de son mari qui n'est plus en France, comme suspecte.
(Robespierre,) Demander l'adresse de Bonnard, faire arrêter
la femme Walpold et les gens suspects.
Le citoyen Rousseville voulait s'acquitter de sa beso-
gne en conscience. L'analyse de son rapport en date du
29 floréal se termine par cette note :
Le citoyen Rousseville désire avoir un double de la liste
des cy-dcvant nobles ou étrangers dans le cas de la loi, qui
270 CHAP. XXXI. — LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL, ETC.
sont dans les environs de Paris, celle de tous les cy-devant
nobles, anciennement domiciliés dans les mêmes lieux; celle
de tous les cy-devant bourgeois, cy devant prêtres, reli-
gieux, religieuses, cy-devant banquiers et hommes d'affaires.
Il désirerait que les communes et les comités de surveillance
les interrogeassent sur leurs moyens d'existence, leur con-
duite depuis 1789, et le lieu où ils étaient à Tépoque du
10 août et du 31 mai.
III
Rapports du mois de prairial.
C'est par d'autres rapports du même Rousseville que
commence le mois de prairial :
Du 2.
Vaugirard. II y a dans cette commune des partisans de
Monmoro (trois sont signalés).
En marye : Arrêter les trois individus dénoncés.
Versailles, Les habitants regardent comme avantageux la
résidence des cy-devant nobles et étrangers qui y sont au
nombre de 400.
Rongis. Douze religieuses forment une espèce de couvent
chez un nommé Verniquet, cy-devant architecte du tyran et
juge du tribunal criminel du département de Paris.
Le cy-devant curé est assez mauvais sujet.
En marge : Arrêter Yerniquet.
On avait ajouté : et le ci-devant curé; mais les mots
ont été rayés. Est-ce la qualification du ci-devant cure
qui lui a fait trouver grâce?
Du 5.
Bercy, Blol, marchand épicier rue de la Verrerie, s'est
mal conduit lors de la journée du 10 août et de la trahison
de Dumouriez, et fait uu commerce clandestin.
Santerre, frère de l'ex-général, est soupçonné d'accaparé-
LA POLICE DL COMITÉ DE SALUT PUBLIC (PKAÏRIAL). 271
ment de sucre; il s'est beaucoup enrichi depuis la Révolution.
Le maire de Bercy, traiteur, est riche de 30 000 livres de
rentes, tient des discours inciviques et agiote sur les biens
nationaux. Il s*est servi de son influence pour faire exempter
son fils de la réquisition.
Michel, ci-devant cocher d'Antoinette, est toujours direc-
teur en chef des charrois établis a Bercy.
En marge : Faire arrêter Blot, le maire de Bercy, son (ils
et Michel. Faire part à Lindet de l'arrestation de ce dernier.
Et au-dessous : Écrit le 6 prairial.
Nous reviendrons sur Blot.
Du 6.
Canisy, demeurant à Yilliers, commune de Ncuilly, arrêté
trois fois depuis la Révolution, qui a eu deux fils émigrés et
une brue punie de mort par la loi, jouit encore de sa liberté.
En marge : Arrêter.
Fait le H prairial.
Du 10.
Le citoyen Leblond, demeurant rue Galande, section du
Panthéon, dénonce la femme Gerlet comme tenant des propos
inciviques et faisant dire à sa fille, âgée de cinq à six ans,
qu'elle n*est ni citoyenne ni patriote, parce que les patriotes
sont des scélérats qui tuent et massacrent tout le monde.
Chose remarquable : aucun ordre ni contre Tenfimt,
ni contre la mère !
Du 12.
Fontenaij'SOuS'Bois, Le ci-devant comte de Bontemps, né
en Westphalie, réside toujours dans cette commune avec dix
domestiques dont cinq sont étrangers. Le ci-devant curé va tou-
jours chez lui; il a causé des troubles religieux. R est suspect.
En marge : Arrêter tous ces individus.
Fait le 13 prairial.
11 n'était pas besoin de motifs exprimés pour que
Tordre d'arrestation suivît la délation :
272 CHÂP. XXXI. — LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL, ETC.
1 5 prairial.
Un anonyme dénonce trois individus de la commune d'Es-
touilly près Ham, département de la Somme....
En marge : Faire arrêter ces trois individus.
Du 15.
Houdry, ancien fermier général, détenu à Quingey
(Doubs), représente qu'il est inspecteur général des salines
du Jura et qu'en cette qualité le comité Ta mis en réquisi-
tion, le 25 floréal, pour continuer ses fonctions.
Le citoyen Uerman demande si ce Iloudry doit être rendu
à ses fonctions sous la garde d'un gendarme, ou s'il doit être
traduit au tribunal révolutionnaire.
En marge : Le traduire et en faire part à Lindet pour le
remplacer.
Fait le 18 prairial.
Le talent aimable de Florian ne lui fit pas trouver
grâce :
Sceaux, le 29 prairial.
La Société populaire, malgré la réclamation des patriotes,
a laissé monter et chanter à la tribune le nommé Florian,
cy-devant gentilhomme du cy-devant Penthièvre.
RobespieiTe : Arrêter Florian et le transférer dans une
maison d'arrêt à Paris.
Fait le 14 messidor.
Le 19 Portalis fait robjet d'une note commune à lui
et à Hannequin, qui provoque cet ordre redoutable :
Faire venir Portalis et Hannequin.
Le même jour, J. Davout, père, garde-général des
forêts (le père du futur maréchal) :
Arrêter le dénoncé.
Fait le 7 messidor.
Ik POLICE DU COMITÉ DK SALOT PUBLIC (PRAIRIAL). 273
Les change*ments de nom rendaient suspects, alors
qu'on pouvait invoquer l'exemple des plus fameux dé-
mocrates :
Le citoyen Verinalle se plaint au comité de ce que le
nommé Rivarolle, demeurant rue des Victoires n® 18, a quitté
son nom el se fait appeler Lezcau.
Il demande qu'on s'informe des motifs qui l'ont porté
à cela.
L'enquête ne fut pas longue; on lit en marge :
Arrêter Rivarol se disant Lezcau.
Fait le 25 prairial.
En marge de ce même rapport où il était question de
deux détenus, Michel et Blot, Robespierre avait écrit :
Mettre Blot et Michel en liberté.
On lit au-dessous :
Michel a élc mis en liberté. Biotest mort ; — 25 prai
rial.
— Il avait été guillotiné le 22 !
L'exécution ne suivit pas toujours Tordre d'arrêter :
Du 22 :
Rome, Le cardinal Maury, dans une lettre à l'abbé Broal,
résidant à Montigny, en Valais, lui mande qu'il est impos-
sible (le lui donner auejin secours (quoi qu'il manque du
nécessaire) mais qu'à si rentrée en France il le dédomma-
gera du refus qu'il lui fait.
En marge : Arrêter Broal.
Mais on lit au-dessous :
On observe que Broal est à Montigny, en Suisse, dont le
Valais fait partie.
TRIB. RÉVOL. III ^8
274 CHAP. XXXI. - LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL, ETC.
Et encore du 23 :
La commune de Faucon envoyé au comité la liste des
ci-devant nobles d'après le décret des 27 et 28 germinal.
Il n'y en a qu'un seul qui se nommoit jadis Paul-Henri de
Mouret de Rcviglias^ chevalier du Barroux.
(Robespierre), Transférer cet ex-noble à Paris.
(Le Secrétaire). Il n'a pas été possible de trouver le dépar-
tement où existe Faucon.
Cela s'était présenté souvent, quand les villes avaient
changé leurs noms (ce qu'avaient fait la plupart de
celles qui portaient des noms de saints); et le comité
avait dû leur faire des recommandations pour qu'elles se
rendissent trouvables. Mais ce n'était point le cas ici. Il
s'agit probablement d'un village près de Barcelonnette
département des Basses-Alpes. Son obscurité trahit le
zèle de la municipalité.
25 prairiaL
Garnier de Xantes (nom poétique et républicain de Saintes);
commissaire de la Convention près Tarmée de l'Ouest, témoi-
gne au comité son indignation sur l'assassinat des citoyens
Robespierre et Collot-d'Herbois, prévient que Philippeaux a
encore des partisans dans les sociétés populaires.
La commune du Mans est agitée par les conspirateurs
acquittés par le tribunal révolutionnaire.
Il demande que le comité prenne des mesures.
(Robespiei^^e) , Charger Garnier défaire transférer les cons-
pirateurs à Paris.
Voici une forme de dénonciation plus sommaire : c'est
une simple indication d'adresse.
25 prairial.
Département de Seine-et-Oise. Le cy-devant marquis de
Biron-Gontaut et sa femme, demeurent près Saint-Assise,
district de Melun.
LA POLICE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC (PRAIRIAL). 275
Déparlemeijt de Paris. La cy-devant marquise de Montes-
son, veuve du cy-devant duc d'Orléans père, parent de l'ex-
général Valence, demeure à Neuilly-sur-Seine.
Département de Seine -et-Oise. Thury Beauvoir et sa
femme, d'abord émigrés, rentrés en France trois mois après
le délai, ont obtenu les papiers nécessaires par la protection
de Lacroix, ex-député. Ils demeurent au cy-devant château
d'Arse, près Oudant, département de Seinc-et-Oise, apparte-
nant au banquier Leieu que Lacroix a fait mettre en liberté.
(Ces notes sont signées de Brault.)
En marge. Arrêter les individus indiqués dans Tarticle.
Les frontières surtout étaient suspectes :
25 prairial,
Les agents du bureau de surveillance sur les passeports
écrivent de Bourg-Libre, département du Haut-Rhin.
Ils informent le comité qu'on vient d'arrêter quarante
individus, tant hommes que femmes qui alloient en Suisse.
Ils sont livrés au tribunal.
[Robespierre), Quel tribunal? Que le commissaire de la
police générale prenne do promptes informations sur ce fait.
On comprend l'émotion de Robespierre. Le cas était fré-
quent. Les paysans d'Alsace allaient chercher en Suisse
les secours religieux qu'ils ne trouvaient plus chez eux.
Los réquisitions qui pressuraient les habitants des
campagnes provoquaient des résistances qui ne faisaient
que livrer de plus nombreuses victimes au tribunal. En
prairial des manifestations de ce genre éclatèrent dans
les communes de Sepleuil, d'Ormoy et de Saint-Martin-
des-champs, à l'occasion du blé qu'on voulait mettre en
réquisition pour Versailles :
26 prairiaL
A Saint-Martin, on demande s'il y a un ordre de la Cou*
vention ; qu'on se f.... du district, du département, etc.
276 CUAP. XXXI. — LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL, ETC.
Un nommé Rageau, membre du comité de surveillance de
la dite commune, a pris lecture d'une lettre du comité de
salut public relative à cette opération, déclare qu*il se f.... de
cela, que le comité de salut public n'étoit pas la Convention
et qu'il faisoit ce qu'il n'avoit pas le droit de faire.
A Ormoy, un individu a monté au clocher pour sonner le
tocsin contre l(;s commissaires qui curent la sagesse de
remonter en voilure.
Nota, Quatorze accusés sont traduits au tribunal révolu-
tionnaire.
Autres exemples :
ii7 prairial.
Garnerin, agent du comité du salut public, a rencontré
a Colmar le représentant Lacoste. Ils sont convaincus de la
protection qu'accordent les petites municipalités aux émigrés
et à leurs parents ainsi que Je l'urgence de déployer des
mesures rigoureuses pour amener dans ce département l'ac-
tion du gouvernement révolutionnaire qui y est tout à fait
méconnu.
Ils en donnent un exemple pour la municipalité
d'Otlmarsheim à roccasion de l'émigré Mulsheim, ou
Mulskeim el de sa femme.
En marge : Arrêter et transférer à Paris les individus
composant la municipalité deMulskhoim.
On prend ici le nom de l'homme pour celui du
village.
Ensisheim. Toutes les denrées ne se vendent que pour de
l'argent.
On a refusé à souper et à coucher au citoyen Garnerin,
sous prétexte qu'il est françois, c'est-à-dire qu'il ne parle pas
allemand et que par conséquent il ne payeroît pas en argent.
Le président d'un comité a dit à ce citoyen qu'il attendoit
la loi officiellement pour faire arrêter les gens suspects.
LA POLICE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC (PRAIRIAL). S77
Aussi dans cette municipalité les parents des émigrés, les
ci-devant nobles, les aristocrates prononcés sont en liberté.
Les prêti'cs sujets à la déportation se promènent à ce qu'on
assure, dans celte ville.
Le président du comité révolutionnaire, ivrogne et débau-
ché, a chez lui un cy-devant jésuite qui lui a donné son bien
pour le soustraire à la confiscation.
(Robespierre) : Arrêter les membres composant la muni-
cipalité d'Ensisheim ; arrêter les émigrés et prêtres sujets à
la déportation de ce pays, ainsi que le jésuite et le président
du comité révolutionnaire indiqués dans rarticlc.
— Fait le 9 messidor*.
Il est curieux de voir sur ce chapitre le contraste qu'il
y a entre les faits que l'on constate et ce que Ton dit de
l'opinion publique :
L'esprit public, est à la hauteur de la révolution.
Il règne un contentement général sur nos succès et une
grande confiance dans le comité de salut public.
— Renvoie au commissaire de la police générale.
Et immédiatement après :
L'agent national de Chàteau-Landon a refusé une lettre de
voiture au citoyen Charon, marchand de beurre^ pour con-
duire des marchandises à Paris. Il favorise quantité de mar-
chands qui enlèvent douze à quinze cents livres de beurre
qu'ils n'apportent point à Paris.
Les fermiers n'apportent rien et ne veulent pas exécuter la
loi du maximum.
— Communiquer à Lindet.
Les arresta lions continuent:
1. Le mandat d'arrêt des membres de la municipalité d'Ensishcim, daté du
27 piairial, jiorlo It^ signatures de Robespierre et de Billaud-Varenncs (Archi-
ves, F. 7, 4437, pièce 58.
278 CUAP. XXXI, — LKS LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL, ETC.
Le comité révolutionnaire de Saint-Maur a mis en arres-
tation chez lui le citoyen Foiirnier, selon les ordres qu'il a
reçus du comité; le scellé est sur ses papiers.
(Robespierre) : Renvoie au commissaire de la police géné-
rale qui écrira au comité de Saint-Maur qu'on ne met point
les suspects en arrestation chez eux, mais dans une maison
d'arrêt; faire apporter les papiers de Fournier chez le com-
missaire de la police générale qui \e^ fera examiner.
Rapport de Roussoville :
Du 29.
A Vaugirard, Guillaume, qui habitoit autrefois Montrouge
et qui étoit maître de pension a dit :
Qu'il falloit écraser les Jacobins ;
Que si les Autrichiens venoient, il mettrait un mouchoir
blanc au bout de sa canne.
Son fils et sa fille paroissent avoir les mêmes principes.
Robespierre. Arrêter Guillaume, son fils et sa fille.
Conforain, le maire de Montrouge, à la fête de l'Être
suprême, a dit, en voyant les danses des citoyens : « Cette
canaille n'a pas de chemises, voyez comme elle danse, »
Mais personne n'a osé le dénoncer.
(Robespierre) : Arrêter le maire de Montrouge et le faire
interroger par le commissaire de la police générale.
Une femme qui allait de venir célèbre, ThérèsaCabarus,
femmedivorcée de Devins, ci-devant conseiller (M^^Tallien)
avait été signalée comme arrivant de Bordeaux, lieu
suspect (23 prairial). On l'arrêta et les scellés furent
mis sur ses papiers. Une note du 29 ordonna de les
apporter au comité.
Quand les arrestations se multipliaient partout grâce
à cet appareil de dénonciation et d^espionnage, les renvois
L:V POLICE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC (PRAIRIAL). 279
au tribunal et les condamnations devaient suivre une
progression analogue. Les fournées qui étaient Texcep-
lion vont devenir la règle, et il y en eut de fameuses
dans le mois dont le tableau funèbre va être placé sous
les yeux du lecteur.
CHAPITRE XXXIl
FLOHÉAL (première DÉCADE)
I
Uapporldc Billau<l-Yarcnncs (1-' floréal).
Le mois de floréal commençait par une déclaration de
principes qui annonçait un redoublement de rigueur
dans la justice révolutionnaire. Cette fois c'était Billaud-
Varennes « un Poignard sur la langue, p dit Courtois*,
qui venait à la tribune de la Convention porter la parole
au nom du comité. Il semblait qu'on n'eut rien fait
encore :
Citoyens, dit-il, à rouverlure d'une campagne qui sera
terrible, car il est temps de terminer cette lutte révoltante de
la royauté contre la République, le comité de salut public a
senti la nécessité de fixer enfin les bases du système qui doit
régler notre politique.... Trop longtemps nous avons marché
au hasard. Qui n'a ni système arrêté, ni plan tracé, se rend le
jouet des événements....
Quand Rome brisa le trône et chassa les Tarquins, Rome,
pour assurer celte révolution, n'eut que des ennemis exté-
rieurs à combattre et à vaincre.... Mais vous, fondateurs de
la République française, vous en avez jeté les bases sous des
auspices bien autrement défavorables.... A Touvcrture de
votre session, tandis que les Prussiens se répandaient comme
un torrent fougueux dans les plaines de la ci-devant Ciiam-
pagne, que Léopold assiégeait Lille et Thionville, Pitt mar-
i. Notes publiées par M. J. Clarelic, Camille Desmoulin*, p. 471.
RAPPORT DE BILLALID-VARENNES (!•' FLORÉAL). 281
chandail Toulon et soulevait Lyon et Marseille. Enfin la
superstition, remuant le limon impur des marais de la Ven-
dée, réalisait dans les départements maritimes de TOuest la
fable deGédéon.
La Révolution a vaincu. Mais il s'agit de fonder la
démocratie :
11 faut, pour ainsi dire, recréer le peuple qu'on veut ren-
dre à la liberté, puisqu'il faut détruire d'nnciens préjugés,
... restreindre des besoins superflus, extirper des vices invé-
térés. 11 faut donc une action forte.
Toujours la force et la destruction pour commencer!
*
Citoyens, Tinflexible austérité de Lycurgue devint à Sparte
la base inébranlable de la République; le caractère faible et
conliant de Solou replongea Athènes dans Tesclavage.
Suit une revue de Thistoire grecque et de l'histoire
romaine dans leurs actes de répression les plus fameux,
avec application aux temps présents :
Le consul Ihutus, en condamnant à la mort ses deux fils
coupables de trahison, prévit bien qu'une telle sévérité, frap-
pant à la fois d'admiration et de terreur, étoufferait pour
longtemps tout germe de conspiration Quels flots de sang
on eût épargnés si, le 14 juillet, la massue du peuple eût exter-
miné Todieux Capet et ses infinnes courtisans! Les révolu-
tions sont un état de guerre politique entre une nation
poussée à bout et les dominateurs qui l'ont opprimée. Ceux-
ci dans leur rage ne méditent que massacres et dévasta-
tions.... C'est le meurtre prémédité du corps social qu'on ne
peut j)révenir que par la mort des conjurés; c'est l'assassin
qu'on tue, pour ne pas tomber sous ses propres coups.
X'écliafaud de Calilina (il aurait volontiers dit la guillotine)
sauva la vie au peuple romain et à des milliers de victimes.
Avoir happé les chefs de deux conspirations également puis-
282 FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
santés [le Père Duchcsne et Danton] , c'est avoir évité la perte
des hommes qu'ils égaraient, c'est avoir soustrait au carnage
le peuple et ses rcprésentanls, etc.
Il signale les effets de la malveillance, soit que le
gouvernement se relâche, soit qu'il serre le frein, mais
le plus grand péril est dans le relâchement :
Ainsi, tant qu'il existera une race impie prolongeant les
crises de la Révolution pour les faire tourner à son profit, ne
craignez point de vous montrer sévères.
Et il exalte la justice comme l'entendait Herman et
Fouquier-Tinville :
La justice est dans le supplice de Manlius qui invoque en
vain trente victoires effacées par la ti*ahison...
Avis aux généraux.
La justice appelle deux fois en jugement Pausanias...
La justice s'indigne de la fierté et de l'avarice de Coriolan
et le condamne à l'exil....
C'est bien peu!
La justice est Torgane de la vérité et la foudre qui pulvé-
rise l'imposture.
La justice ahhorre la cruauté, et son glaive ne frappe les
têtes coupables que pour soustraire le peuple aux poignards
assassins.
Et foudroyant les indulgents :
Malheur donc à ceux pour qui le règne de la justice
devient un signal de stupeur! Ceux-là sont les ennemis de
tout ordre social, puisqu'il n'existe ni gouvemement, ni
liberté, ni prospérité puhlique sans ce mobile coercitif qui
règle tous les mouvements du corps politique....
Si vous craignez l'échafaud, sachez qu'on y arrive a grands
n APPORT DE BILLAID-VARENNES (l- FLORÉAL). 283
pas en marchant crcrreurs en écarts, et bientôt de délits en
forfaits....
Le sang qu'a fait couler la trahison de Montesquiou est
déjà retombé sur la léle de Vergniaud et de ses complices qui
surprirent le rapport du premier décret d'accusation lancé
contre ce général.
Il n'avait pas attendu le second.
Ce fut la longue impunité accordée à ce conspirateur qui
enhardit rinfàme Brunet «à suivre son exemple, qui inspira
tant d'audace au scélérat Custine, qui permit au fourbe IIou-
chard de nous ravir les fruits d'une victoire qui pouvait
terminer la guerre par le cernement de l'année anglaise et
par la prise de son duc d'York *.
Périssent comme ces traîtres tous les généraux qui les
imitent.
Si les émigrés ont été au désespoir en apprenant le sup-
plice d'Hébert et de Ronsin, les rois ligués contre nous pâli-
ront, ils seroi?t perdus, le jour où les états-majors de nos
armées auront été enfin complètement épurés.
On sait comment on pratiquait l'épuration en ce
temps-là !
Nous frapperons sans pitié ceux dont les masques pour-
ront tomber successivement. C'est Thécatombe la plus pro-
pice qu'on puisse offrir à la victoire.
Car la victoire peut avoir des périls qu'il faut conju-
rer. Si les généraux vaincus étaient frappés comme
traîtres, un général vainqueur ne pourrait-il pas, à
son tour, avoir la pensée de trahir? L'orateur en a déjà
l'intuition ; celle pensée le poursuit :
I. Voyez ci-dessus, t. H, p. 82 et soiv.
284 FLORÉAL (PREMIÈRE: DÉCADE).
Quand on a douze armées sous la tente, ce ne sont pas
seulement les défections qu'on doit craindre, prévenir; l'in-
fluence militaire et l'ambition d'un chef entreprenant sont
également à redouter. L'histoire nous apprend que c'est par
là que toutes les républiques ont péri ! et, dans une monarchie,
la force armée est le premier instrument et la première
victime du dtspolisme; dans un Etat libre, les chefs qui la
commandent sont toujours inquiétants. 11 faut appréhender
quelquefois jusqu'à leurs exploits....
Exemple de Dumouriez.
Tout peuple jaloux de la liberté doit se tenir en garde
contre les vertus mêmes des hommes qui occupent des postes
éminents.... Le fourbe Périclès se servit de couleurs popu-
laires pour couvrir les chaînes qu'il forgea aux Alhéniens.
N'oubliez pas que le premier tyran de Rome, parti de celte
cité avec le tilre de simple général, y rentra, après la con-
quête des Gaules, en vainqueur et en maître; n'oubliez pas
que l'armée de Fairfax appuya l'usurpation de Cromwell.
N'oubliez pas les tentatives de Lafayette pour faire marcher
le camp retranché de Sedan sur Paris.
Il faut cependant des généraux : car il a beau s'écrier :
Cédant anna toyœ;
il a beau vanter les victoires remportées sur l'ennemi
du dehors par le tribunal révolutionnaire :
Les prétentions de la Prusse et de l'Angleterre sont ren-
trées dans le néant avec Brissot, Carra, Hébert, Danton et
Fabre d'Eglantine ;
c'est toujours la guerre qui doit se continuer au
dehors : la Prusse, les deux maisons d'Autriche et de
Hourbon, l'Angleterre (Albion !) sont encore debout, et
la guerre doit se poursuivre aussi à l'intérieur. Le « ta-
LES PARLEMENTAIRES DE PARIS ET DE TOULOUSE. 285
bleau ravissant p qu'il retrace de la France régénérée,
« la justice et la vertu » mises « h Tordre du jour »,
l'instruction répandue partout, étendue à tous les âges,
c( l'épuration du cœur, p l'égoïsme détrui , la mendicilé
éteinte, le travail à tous, le bicn-etnî pour tous, le
triomphe du civisme et de la « sensibilité », tout cela
vient aboutir à ce décret voté d'enthousiasme :
La Convention nationale, après avoir entendu le rapport
du comité de salut public, déclare, qu'appuyée des vertus
du peuple français, elle fera triompher la République démo-
cratique et punira sans pitié tous ses ennemis^
H
1"' floréal : 1" journée des parlemenlniros de Paris et de Toulouse.
Ce jour-là même (1'"'' floréal), le tribunal révolution-
naire,qui devait avoir une part si large dans l'application
de ce décret, donnait la preuve que Ton n'avait pas
compté en vain sur lui. Aux dix-sept victimes du 29
germinal, il en joignit vingt-cinq autres (et je ne parle
que d'une seule section).
C'est la grande fournée des parlementaires de Paris et
de Toulouse, vingt-quatre magistrats auxquels fut ad-
joint par occasion un colonel descolonies*. Voici comme
ils sont énumérés dans les pièces de la procédure :
1. Louis Le Peletier RozANBo (46 ans), ex-président
à mortier au ci-devant parlement de Paris.
2. Etienne Pasquier (58 ans), conseiller de grand*
chambre.
1. Séance du 1'' floréal, Moniteur du 2 (21 avril 1795).
2. Archives, W 549, dossier 705 bis.
286 FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
3. J.-B.-Louis Ounsjx de Bure (i8 ans), conseiller aux
requêtes du Palais.
4. Henri-Guy Sallier-Rouiiette (60 ans), ex-président
de la cour des aides.
5. Pierre-Daniel Boorrée-Corberon (77 ans), président
de la première chambre des enquèles.
6. François-Mathieu Duport (70 ans), conseiller de
grand'chambre.
7. Barthélémy-Gabriel Rolland (64 ans), président
aux re(|uêtes du Palais.
8. Charles-Jean-Picrre Dupiiis de Marge (69 ans), con-
seiller de grand'chambre.
9. Léonard-Louis-FAGMER de iMardeuil (59 ans), con-
seiller et procureur du roi au bureau des finances et
chambre des domaines de Champagne et Brie.
lu. Henri Louis Frédy (74 ans), conseiller de grand'
chambre.
11. J.-B. Gaspard Bochaut de Saron de Gourgue
(64 ans), 1"'' présidtmt du parlement de Paris.
12. Armand-Guillaume-François Degourgues (67 ans),
président à mortier.
15. Anne-Louis-François-Paul Lefèvre d'OrmessOxN
(4'2 ans), président du parlement, commissaire aux mo-
numents publics et bibliothécaire nalional.
14. Édouard-François-Mathieu Mole de Cuamplatreux
(54 ans), président à morlier.
15. Jean-Louis Camus de Laguidourgère (46 ans),
conseiller de grand'chambre.
16. Michel-Etienne Lenoui (51 ans), conseiller aux
enquêtes de la 1'** chambre.
17. Anloine-Louis-Hyacinlhe llocQUART (55 ans), pre-
mier président de la cour des aides.
LES PARLEMKNÏAIHES DE PARIS ET DE TOULOUSE. 287
18. NicolaS'Agiiès-François Nort (68 ans), ancien
comte, colonel d'infanterie, demeurant aux Invalides.
19. Philip.-Jos.-Marie Cues\c (67 ans) j
20. J. -François Mojntégut (64 ans) i conseillers
51. Ant.-Joseph Lafom (60 ans) ( au parle-
22. J.-J. -Balsa de Fjrmy (00 ans) [ ment de
25. Jos.-Julien-HonoréRjGAULT(45 ans) i Toulouse.
24. Urbain-Elisabeth Segla (57 ans) )
25. J.-François-Michel Rouiiette (27 ans), conseiller
aux requêtes du palais
C'est à l'occasion de cette belle fournée de parlemen-
Unires que le juré Trinchard écrivait à sa femme cetillet
si rempli d'attentions (et de ftmtes d'orthographe) :
Si tu n'est pas toute seulle et que le compagnion soit a
travaher, tu peus ma chaire amie venir voir juger 24 me-
sieui*s tous si deven président ou conselies au parlement de
Paris et de Toulouse. Je t'ainvitc a prendre quelque choge
aven de venir parcheque nous naurons pas fini de 5 hures.
Je teinbrase ma chaire amie et epouge.
Ton mari,
TlUNCHARD.
On les accusait d'avoir protesté contre plusieurs dé-
crets rendus par l'Assemblée constituante.
Le parlement de Toulouse l'avait fait avec éclat par
ses arrêtés des 25 et 27 septembre 1790, et plusieurs de
ses membres avaient été renvoyés, par décret du 8 octobre,
devant le tj-ibunal institué pour juger les crimes de lèse-
nation ; mais ils s'étaient dérobés au jugement et étaient
rentrés en France à la faveur de l'amnistie.
L'amnistie couvrait leur protestation. Couvrait-elle
aussi leur sortie de France? On eût bien voulu les re-
prendre comme émigrés. Mais ceux qui étaient sortis de
288 FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
France prouvaient qu'ils y étnicnt rcnlrés avant le terme
inarqué par la loi'.
Le parlement de Paris avait proteste en secret et re-
nouvelé ses protestations quand il dut inscririi sur ses
regisires les décrets qui le supprimaient*. Plusieurs qui
n'avaient pu y apposer leurs signatures y adhérèrent par
des lettres, entre autres Sallier. Le tout, mis sous enve-
loppe, fut confié à Le Peletier de Rosambo ; en cas de
mort, il désignait ceux qui, après lui, devaient en rece-
voir le dépôt.
Ces pièces avaient été saisies et ne pouvaient manquer
de donner lieu à une information contre les signataires.
Ils expliquèrent dans Tinstruction du procès le vrai ca-
ractère de leur protestation, el, à cet égard, rien de plus
net que la déclaration faite par le président Le Peletier
de Rosanbo dans son interrogatoire :
I). S'il n'a pas signé et engngé à signer des protestations
contre-révolutionnaires.
R. Qu'il a signé les protestations des mois de novembre
1789 et oclobre 1790, tels que le ei-devant parlement étoit
en usage d'en faire, mais que ces protestations n'ont pas été
souscrites par lui dans des intentions contre-révolution-
naires; que loin d'avoir engagé personne à les signer, il ne
les a signées lui-même que quand elles ont été arrêtées par
la Chambre'.
Tous maintiennent après lui que ces sortes de pro-
testations étaient d'usage, et qu'en les signant ils n'ont
1. Intcrix>fc. de Rigaud, de Balsa-Firmy, de Cuesac, de Monlcgiit, de LaronI,
Archives, 540, dossier 703 bis, 3» partie, pièces 9-14.
2. Piotcslalion de la Cliainbre dos vacaliuns, 5 novembre 1780. Ibi'l.,
4* partie, pi«''ce 52 (au musée des Archives); '2« proteslation, ibid.^ pièce 55.
3. Ibici.^ 5* pîirlie, (jÎlcc 1.
SALUER PRIS SCIEMMENT POUR SON FILS. 28y
eu aucune intention contre-révolutionnaire. Pasquier
fait observer que d'ailleurs elles n'ont point été enre-
gistrées, et plusieurs déclarent qu'ils ne les ont pas
signées, et qu'ils ne les ont même pas connues : De-
gourge, Bocharl de Saron, d'Orraesson, etc.
Il en est un qui était bien plus fondé à le dire: c'est
Henri-Guy Sallier, « ex-président de la ci-devant cour
des aides. > L'arrêté du Comité de sûreté générale, en
vertu duquel se faisait ce procès, portait que Le Peletier
Rosanbo, Sallier et plusieurs autres ex-présidents ou
conseillers du parlement de Paris, seraient traduits au
tribunal révolutionnaire comme ayant signé ou adhéré
aux protestations de la Chambre des vacations du parle-
ment de Paris. En même temps les pièces avaient élé
envoyées à l'accusateur public. C'était, en ce qui touchait
Sallier, la lettre d'adhésion trouvée chez Le Pelelier de
Rosanbo, dont j'ai parlé tout à l'heure. Le mandat d'arrêt,
décerné en conséquence parFouquier-Tinville, fut remis
à Henri Sallier, détenu à Saint-Lazare. Interrogé le
même jour devant l'accusateur public, il déclara se notn-
mer Henri-Guy Sallier, ci-desani président à la cour des
aides : et c'est à un Sallier, conseiller au parlement,
que s'appliquait l'arrêté du Comité de sûreté générale.
L'accusation ne le concernait donc pas, et le fait fut
rendu évident par la lettre qu'on lui présenta comme
pièce à conviction :
Représenté une lettre datée du château de la Roche-cn-
Breny, le 25 octobre 1790*....
1. Voici un extrait de cette lettre, écrite par Sallier fils au président Le Pe-
lelier :
a Uni plus particulièrement à ceux de Messieurs qui ont servi la Chambre
des vacations, c'est un devoir pour moi, à celle époque de séparation, de rendre
TRIB. RÉVOL. m 19
290 CHAP. XXXII. - FLORÉAL (PREBIIÈRE DÉCADE).
A répondu ne pas reconnaître cette lettre pour être de lui,
mais bien de Guy-Marie Sallicr, son fils, ci-devant conseiller
au parlement, dont il n'a pas de nouvelles depuis un an, et
ce autant qu'il peut le croire ^
La lettre qui faisait le corps de raccusation était donc
de son fils et ne pouvait être que de lui, bien que Henri
Sallier ne s'exprimât l\ cet égard qu'avec une réserve
toute paternelle. C'était bien le fils qui était décrété
d'accusation par le Comité de sûreté générale. Mais on
ne l'avait pas sous la main, et le père était là. On ne lui
en dit pas davantage ; on le fit descendre à la Concier-
gerie et on le porta sur la liste des accusés avec ses
prénoms véritables, son âge et sa vraie qualité !
Il en était un autre qui devait être bien étonné de se
trouver parmi tant de magistrats dans cette affaire :
c'était le comte Nort, ancien colonel. Il y était par affinité.
Il avait connu les Sallier; il connaissait Hocquart qui
était l'oncle de sa femme ; il lui avait écrit diverses lettres
en 1789 et 1790, et en avait reçu de lui plusieurs qui
étaient au nombre des griefs allégués contre Hocquart.
Dans ces lettres Hocquart ne désapprouvait pas l'émi-
gration; il s'inquiétait de l'avenir :
Heureux, écrivait-il à la dale du 5 mai 1790, heureux
ceux qui pourront se sauver de ce naufrage général, même
en abandonnant une partie de leur fortune. Qui peut prévoir
hommage à la pureté des sentiments, à l'attachement aux vrais principes de la
monarchie, à l'innUôrnhle fidélité envers le roi et à la sagesse, qui dans ces
muinenis si diificiles ont dicté toutes leurs démarches. Si mon nom ne se trouve
point dans leurs délibérations, il m'«'st permis au moins de m'honorer de ce que
je puis me regarder comme ayant pris part implicitement à tous les actes émanés
de la Chambre, etc.
La lettre originale se trouve au dossier, \V 349, 700 bis, 4* partie, pièce 60.
Il est facile de voir que ni l'écriture ni la signature n'est celle du père. Voyez
la signature de ce dernier dans sou interrogatoire. 5* partie, pièce 30
1. Ibifi., 3* partie, pièce 30 (â9 germinal).
Lli: COLONEL NORT ET IIOCQUART. 291
ce que tout ceci deviendra? On ne dit rien de nouveau.
L'Assemblée décrète, décrète, comme l'abbé Trublet compi
loit, compiloit^
Nort reconnaissait toutes ses lettres ; il ne se pronon-
çait pas sur celles de son parent qu'on lui représentait*,
et Ilocquart ne les avait pas reconnues non plus de-
vant le Comilé de sûreté générale^. Mais il ne persista
point d.ins cette dénégation devant le juge du tribunal
révolutionnaire. Il crat plus sage de les expliquer.
Dans ces loi très de la fin de 89 et du commencement
de 90, il avait ouvert son âme au citoyen Nort. « A
cetle époque, disait-il, il comprenoit que ceux qui étoient
affligés de la situation présente, quittassent momentané-
ment leur patrie; et la déclaration des droits de
rhomme permettoit d'exprimer librement son opinion;
mais la situation étoit changée depuis le 10 août et Téta-
blissemcjit de la République. Son intention d'ailleurs
n'avoit jamais été d'exciter le citoyen Nort. à sortir de
France; et quant à lui, il s'étoit montré fidèle aux
principes de la Révolution, puisqu'il avoit employé une
grande partie de sa fortune à acheter des biens natio-
naux*. »
Les parlementaires trouvèrent un défenseur dans celui
qui avait défendu Louis XVf, Lamoignon-Malesherbes,
captif lui-même : mais il s'oubliait volontiers pour ne
songer qu'à son gendre, le principal inculpé dans cette
affaire, I^ Peletier de Rosanbo.
11 écrivit à Fouquier-Tinville :
1. buUetin, 4" partie, p. 170.
'i. Archives, VV 549, dossier 703 bit, 4* partie, pièce 3'2.
3. Ibid.y 3* partie, pièce 2^2.
i. /6iV/., pièce 17.
29'i CUAP. XXXII. - FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
A Paris, le 30 germinal an II de la République une et indivisible.
Citoyen,
Je ne suis pas connu de vous. Cependant je prends la
liberté de vous envoyer un mémoire pour le citoyen Ro-
sanbo, mon gendre et mon ami intime, à présent accusé et
traduit au tribunal.
Son affaire m'intéresse autant que ma \ie; je ne doute
pas que vous n'y ayez grande influence et c'est en vous que
je mets toute ma confiance.
Je sais que ce n'est pas vous qui jugez, mais étant aussi
éclairé que vous Tctes, c'est à vous à mellre sous les yeux
des juges les explications qui sont k la décharge des accusés
comme celles qui sont à leur charge.
Je suis très-fraternellement, citoyen,
Votre concitoyen.
Lamoigkon-Maleshehbes '.
Et le lendemain il était condamné!
Dans ce mémoire il disait :
11 n'existoit, en 1790, époque de ladite protestation, ni
République, ni liberté. Je le dirai même avec franchise, tel
étoit le but déjà trop connu d'une faction dominante dans
TAssemblée constituante, qu'il ne s'agissoit de rien moins
alors, comme Fa dernièrement déclaré Samt-Just dans un
rapport fait au nom du Comité de salut public, que d'ôtcr la
couronne au cy-devant Roi pour la mettre sur la tête de
d'Orléans. Dans cet état de choses, les membres de la cham-
bre des vacations, placés en quelque sorte entre l'usurpateur
et l'ancien monarque, se rangèrent du parti de ce dernier et
crurent devoir protester en sa faveur. Les protestations
étoient d'un usage constant et passoient mériie pour très
populaires sous l'ancien régime qui n'étoit pas encore
détruit.
i. Archives, W. 549, dossier 703 bUj S" partie, pièce 38, Cf. pièce 39, une
lettre de la teniiiie cl du fils de Le Pelelier à la niérue date.
MÉMOIRE DE MALESIIERBES l»OUR LES ACCUSÉS. 295
Il expliquait ensuite que le dépôt en avait élé fait chez
Rosanbo parce qu'il n*y avait plus de greffe. Pareils
dépôts s'étaient opérés lors de la suppression des cours
souveraines par le chancelier Maupeou. Il y aurait eu
faute s'il y avait eu publicité. Mais les protestations
étaient restées secrètes : nul lien à établir entre elles
et les actes faits par les magistrats, qui s'étaient réfu-
giés en pays étranger; nuls rapports avec Gilbert Des
Voisins par exemple. En déposant leurs fonctions, les
protestataires s'étaient renfermés dans les devoirs de la
vie privée * .
Le 1" floréal les vingt-cinq comparurent devant le
tribunal' :
c< D'Ormesson deNoiseau, dit le commis-greffier Wolff%
fut apporté dans une civière, empaqueté par les jambes
et la tOte, de manière qu'il ne pouvoit être vu de personne.
On lui lit deux ou trois interpellations sans qu'on pût
savoir s'il les avoit entendues. Il articula quelques mots
qu'on ne put comprendre; » et tout fut dit pour lui.
Les débats n'avaient lieu que pour la forme. Le jeune
Rouhetle allégua qu'il n'avait que vingt-deux ans lors de
son admission en 1789 aux requêtes du palais :
Moi, disait-il, qui ai essuyé toutes les chicanes, toutes les
contradictions possibles pour me faire admettre dans ce
corps, moi dont la voix ne comptait pour rien dans les déli-
bérations, qui n'avais même pas droit d'émettre mon vœu,
je ne puis, par une adhésion aveugle, être considéré comme
ayant voulu attenter à la souveraineté du peuple^.
1. Archives, W, 349, dossier 703 ftw, 3* partie, pièce 40.
2. L'accusateur public était Liendoii, ibid,^ 5* partie, pièce 93 (procès-Terbil
<raudiencc.
3. Procès Fouquier, n* 22, p. 4.
4. Bulletin, n* 43, p. 171
294 ClIAP. XXXn. - FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
Mais l'accusateur public lit remarquer qu'il avait
plusieurs parents émigrés, notamment un frère, et qu'il
n'était pas vraisemblable, comme lui et quelques autres
le prétendaient, qu'ils eussent ignoré le contenu des dites
protestations.»
Le premier-président Bochart de Saron n'était pas
seulement estimé dans la magistrature à l'égal de son
titre : il élait membre de l'Académie des sciences,
mécanicien et astronome tout à la fois, mettant libéra-
lement au service des autres les meilleurs instruments
qu'il se procurait à grands frais, qu'il savait perfeclion-
ner de ses propres mains, sachant en user lui-même
mieux que personne pour le calcul des comètes : c'est un
témoignage que Lalande lui a rendu*. Il n'observait
plus guère, mais il calculait jusque dans sa prison. Ses
jetons de l'Académie des sciences, qu'il gardaitdans une
bourse, furent saisis avec un étui de sa femme, d'où ses
armoiries n'élaient pas effacées, et on les emporta au
greffe comme signe d'aristocratie. Il ne se faisait pas
illusion sur son sort; mais il ne voulait point paraître
désespérer de l'empire de la justice jusque dans ce tri-
bunal. Comme après son interrogatoire on lui deman-
dait, suivant la formule, s'il n'avait rien à ajouter pour
sa défense, il répondit : « i't n'ai que deux mois à vous
dire : vous êtes des juges et je suis innocent*. »
Mais ce qui fut vraiment inouï, c'est ce qui regarde
Henri Sallier. Si Fouquier-Tinville, on substituant le
père au fils, l'eût accusé comme père, s'il l'eût pour-
suivi comme président de la cour des aides, s'il eût
dit : « La cour des aides n'a pas protesté, mais elle aurait
1. Connaissance des temps de l'an VU.
2. Des Essarts, t. IX, p. 106.
BOCHART DE SARON; SALUER PÈRE. 295
pu le faire, » s'il eût demandé sa tête pour cela, on le
compi'endrail encore après ce qu'on a vu déjà de cet
accusateur public et de ce tribunal. Mais non. Henri
Sallier est là avec ses prénoms et ^a qualité d'ex-prési-
dent de la cour des aides, et l'acte d'accusation porte à
sa charge le fait imputé à son fils* ; et on lui représente
encore devant le tribunal comme étant de lui, la lettre de
son fils le conseiller de parlement, lettre qui ne pou-
vait êlre écrite que par un conseiller du parlement!
Que faire? 11 renouvela sa déclaration et fournil la
preuve qui établissait sa non-identité avec le prévenu
mis en cause par le Comité de sûreté générale. Mais
Coffinhal le président ne lui permit pas d'en dire davan-
tage; et Liendon, qui remplaçait Fouquier-Tinville, per-
sista à requérir sa condamnation*. Ainsi ce tiibunal
substitua arbitrairement le nom du père au nom du fils,
ot condamna le père sur une pièce signée du fils et qui
ne pouvait être que de lui. Le fils lui-même au procès de
Fouquier-Tinville, comme le juge Dobsent*, en porta lé-
1. Archives, W, 7}V.), dossier 700 bis, pièce 91. C'est aui^i avec son nom, ton
à,'(» et sa qu.ililé qu'il ligure au proeès-verhal d'audience dans les quc>tions posées
:i<i juryold.msle jujçeuii'nl, i6/V/., pièces 92.93 el 9i.
'1. Le liulletin du trib. révolui. [W* 42-44) garde le silence sur l'incident.
.). Dol>seiit. qui Taisait partie du tribunal révolutionnaire dans ce temps-là, en
dépose ainsi au pn)cès de Fou*|uicr-Tinville :
« A l'époipic de l'instruction de ce procès, un huissier, la liste mortuaire à la
main, appela «luis hîs prisons Sallier et autres. Sallier père s'y trouva cl
répun lit à l'appel. Sallier lils depuis dcui ans étoit absent. On op{)osa à Sallier
père la lettre de Sallier lils, dont je viens de parler. Il iiffirma qu'elle n'cloit
pas de lui. mai^ de son (ils; n'importe, il fut mis impiloyablemml en jugement,
l/arrèté du comité du salut public, en vertu duquel les signataires de ces pro-
testations éioicnt traduits au tribunal révolutionnaire, ne ix)rloit que con'rc
les membres du parlement qui avoient protesté contre les décrets. Sallier, qui
rtoit pré<ident à la cour des aides, ne pouYoit avoir signé ces protestations, puis-
qu'il n'étoil pas mendire du }>:irlement de Paris. En vain ce respectable vieillard
dit que la lettre ({ui lui étoit présentée n'éloit pas de lui, mais de son fils, en
vain il observa que les prénoms de son fils étoient ditféients des siens; en vain
argua-t-il qu'il ne pouvoit avoir écrit cette lettre, qu'il étoit étranger au parle-
200 CllÂP. WXIl. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
moignage : « Ces fails, dit-il, sont prouvés nolammenl
par rarnHé du Comité de sûrelé générale en date du
9 germinal, par l'interrogatoire subi le 29 du même
mois par Henri Sallicr, par la lettre trouvée chez
Rosanbo et transcrite en entier dans l'inventaire des-
dites jûèces, et enfin par l'acte d'accusation et le juge-
ment : toutes lesquelles pièces existent au greffe du
tribunal révolutionnaire*. »
Ce qu'il affirmait alors on peut le vérifier encore aux
Archives nationales aujourd'hui.
Ils furent tous condamnés à mort.
Fouquier-Tinville n'avait pas mis un seul moment en
doute le résultat du jugement, et cette fois encore il en
fixe l'heure. Il écrit le malin à Hanriot :
Citoyen,
Je te donne avis qu'il y a maintenant en jugement au tri-
bunal vingt-cinq individus composés des ex-présidents à
mortier et conseillers au cy-devant parlement de Paris et six
conseillers du cy-devant parlement de Toulouse. Des hom-
mes de cette espèce peuvent donner lieu à un rassemblement
considérable. Je t'invite en conséquence à prendre dans ta
sagesse les mesures que tu croiras nécessaires, d'autant
mieux que le jugement aura lieu aujourd'hui trois heures de
relevée.
Salut et fraternité,
A.-Q. FoUQUiER*.
mciil. Vaincnienl denianda-l-îl la confrontation de celle lellre ; inulilement
demanda-l-il à prouver qu'elle n'éloit pas de lui : malgré toutes ces réclama-
tions qui eussent dû le taire retirer des débata, ou plutôt empêcher quM ne tût
mis en jugement, puisque déjà dans ses interrogatoires il avoit donné tous ces
renseignements et toutes ces explications, il fut condamné à mort et traîné au
supplice {Proct>s Fouquirr, n* 41, p. 4). Les pièces relatives à celte affaire sont
ritéespar le subititul Ardouin, ibid., n* 42, p. i.
1. Archives, W 500. — La Lhle trè* exacte des guillotinée le porte avec
son nom, mais avec l'âge de 48 aus, qui est l'âge de son fils.
2. Archives, AF ii 4X, n«200 (armoire de fer).
MADAME DE BOULLENC. 297
Un des pins jeunes conseillers de Toulouse, Honoré
Rigaud, avant de marcher au supplice, eut le temps d'é-
crire à sa femme une lettre pleine des sentiments de
tendresse et de piété qu'il renfermait dans son âme. Il
lui envoyait un souvenir. On ne se donna pas la peine
de faire parvenir à la malheureuse ce dernier gage de
Taffeclion de son mari. La lettre est encore aux Archives*.
m
2 flor<^ni : Mme de Buullenc; nellepaume et Descamps; 3 floréal : Maleslierbe;
et sa famille, etc.
I^ 2 floréal (21 avril) deux prêtres* et une femme,
Marie Lemesle, femme de J.-Jos. Boullenc, maréchal
des logis de la maison de Louis XV et de Louis XVI : elle
recevait des nobles et des prêtres, disait que sa sensi-
bilité ne se familiarisait pas avec le sang qu'on ne ces-
sait de verser, correspondait avec les déportés et leur
envoyait de l'argent \
Les lettres écrites, l'argent envoyé, elle confesse tout
avec une franchise entière*. Elle reconnaît, par exemple,
une lettre dans laquelle, à propos de l'insurrection des
déparlements, ejle écrivait à un prêtre déporté : « La
boule grossit; la liberté d'écrire est décrétée, mais il
faut en user avec prudence. » Elle recommandait de ne
1. Voyez aux Appendices, n* VH.
2. Voyez au Jouinal à cette date.
3. Archives, \S 350, dossier 709.
4. Ibid.y pièce 7.
298 ClIAP. XXXll. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
nommer personne et elle-même nommait plusieurs
prêtres déportés à qui elle demandait qu'on la rap-
pelîit :
Votre lettre m'est parvenue, ajoutait-elle, mon cher ami,
et je ne sais comment d'après son style. CVst une preuve
qu'elle n*a pas été décachetée ^
Mais elle fui saisie et contribua à la faire con-
damner.
Avec elle, un prêtre, Alexandre Beaugrand, curé d'Or-
veau-Bellesauve, qui n'aurait pas pu renier davantage ses
sentiments royalistes. On avait saisi chez lui des écrits
où il déplorait la mort du roi et manifestait, dans les
termes les plus vifs, la haine qui l'animait contre ses
bourreaux*. On y avait trouvé aussi des extraits de jour-
naux publiés à l'étranger, qui se rattachaient au même
événement ; par exemple, un extrait du Mercure français,
du 8 février 1795, contenant c^4te lettre adressée au
procureur de la commune de Paris :
Il vous est enjoint de la part de tous les honnêtes François,
notamment de Monsieur, Régent, et du futur roi Louis XVIL...
de faire arrêter et écrouer.... tous les membres composant
la soi-disant Convention nationale, etc.^.
Et un autre extrait du même journal, du vendredi
25 février 1795, mentionnant, sous la rubrique Wil-
lingsen, 29 janvier, le service funèbre célébré à la mé-
moire de Louis XVI, avec Tinscription placée sur le
fronton du catafalque :
\. Bulletin, n" 44. p. 76.
2. Archives, >V 550. <lo>sicr 700, pièce 6, ol son iiiUTrogaloîrc du 15 j^crminal;
pièce 14.
7i, Ibt'd,, doss. 712, pièce 7.
LE CURÉ BEAUGRAND; BELLEPAUME. 299
Plis MAMni'S
DlLECTISSIMI GaLLIAE REGIS
LUD. AuG. DECIMI SEXTI
DIK 21 JAN. 1793
CRUDELITER ET IMQUE
AB IMPIIS
TRl'CIDATI
CONDAEUS
SeRENISSIMI PRINCEPS (sic) BORBOMÏ
ET NORIUUM Tl'RMAE
MOERENTES
El il l'avait fait suivre de ces mots :
L'on pourrait ajouter :
PROBiQui Galm
KECIS REGIS INNOXII
DOLENTES*.
C'était une confession de sa foi politique qui ne pou-
vait manquer de l'envoyer rejoindre son roi.
Le même jour et par denv jugements différents :
André-Guillaume Bellepalme et Joseph Descamps, pour
des écrils ou publications contre-révolutionnaires, délit
(jui diîvenait rare, car on n'imprimait plus; mais on
reprenait, pour les incriminer, des écrits imprimés de
vieille date.
lîellej)aume, ancien mercier*, s'était contenté d'en en-
voyer a Cl.-J. Ogier, condamné le 15 pluviôse : on trouve
au dossier le manifeste du duc de Brunswick, la liste
des curés de Paris qui n'ont pas prêté le serment (1791) •
« vinj^t-sipt sur cinquante-deux; vingt-cinq ont plié; »
1. Archives, ^V 550, dossier 712, pièce 5.
i>. Archives, \V, 350, dossier 705.
300 CHAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
une chanson contre d'Orléans (octobre 1791), et des
extraits de diverses gazettes*.
Interrogé, il dit qu'il avait avec.Ogier des relations
d'affaires, ayant à lui faire j3asser une petite renie. Il
convient qu'Ogier Ini témoignait quelquefois dans ses
lettres du mécontentement sur les affaires publiques.
Il le priait, lui, de ne pas lui écrire ainsi; mais
on avait de lui-même une lettre adressée à Ogier, à
la date du 16 mars 1793, où il parlait de l'anarchie
et du retour espéré du bon ordre. En fait d'imprimés,
ce qu'on pouvait établir c'est qu'il en avait envoyé pour
six livres : quant aux pièces qu'on lui présentait, il ne
les reconnaissait pas*.
Dans les questions posées au jury, on établissait en
fait qu'Ogier avait été condamné pour écrits et corres-
pondances contre-révolutionnaires. Bellepaume avait-il
été son correspondant et par suite son complice? Le jury
répondit afflrmativement'\
Joseph Descamps* était un imprimeur, et il avait im-
primé des ouvrages de sa composition : I** le Médiateur;
2* le Nouveau Médiateur; 3"* Mémoire justificatif pour
M. J.-F. DescatyipSy et Mélange de poésies^ par M. J.-F.
Descamps^,
Son Mémoire justificatifs imprimé en 1791, avait
en 1794, grandement besoin d'être justifié. On y lisait
(et ces parties sont notées au crayon rouge dans l'exem-
plaire du dossier) :
1. Archives W, 550, dossier 705, 1" partie, pièces 1 bis, 13, 14.
2. Ibid.j pièce 36.
3. Ihid.f V* partie, pièce 52. — La seconde partie comprend des lettres
diverses.
4. Archives W, 350, dossier 711.
5. Ibid., pièce 11.
L'IMPRIMEUR DESCAMPS. 301
Je conseille la modération comme un attribut inséparable
de la sagesse.
Je gémis de voir tant d'exaltés décrier et vexer les reli-
gieux non-conformistes, tandis que la liberté d'opinion même
religieuse a élé consacrée par TAssemblée nationale. Je ne
blâme ni ceux qui prélont le serment ni ceux qui le refusent.
Je dis qu'en fait de religion, notre conscience doit être notre
seul législateur.
Il est vrai que j'oiïre un roi sujet, des sujets souverains, la
vraie religion persécutée Mais il faut observer qu'à
l'instant où je trace ce tableau, un parti de factieux,
excité par dos philosophes égarés, lente de détrôner le roi
et que la multitude fait un crime à qui ose embrasser leur
défense ^
Il n'avait fait que coopérer au Médiateur et il avait
imprimé son Nouveau Médiateur pour calmer les esprits.
Quant au Mélange de poésies, n'ayant rien à imprimer,
il avait eu Tidée de publier, en février 1792, un recueil
de chansons, mais il en avait brûlé tous les exemplaires
après le 10 août*. Le Bulletin du tribunal révolution-
naire cite, comme échantillon, ce couplet qui, sans
doute, eut les hoimeurs du débat :
Le peuple, \iclime qu'on pare,
Est conduit au trépas.
Au sort qu'on lui prépare
Il ne s'attend pas.
Tiès méchants vers qui ne méritaient pourtant pas la
mort. En v;iin, la société populaire et la garde nationale
de Douai envoyèrent-ils des attestations en faveur de
leur compatriole\ En vain sollicita-til lui-même l'in-
\. Arcliives, ihid., pièce 6.
!2. Ihitt., pure 1 1.
r>. Ihtd.. pii'ccs l) el 10.
302 CII\P. XXMI. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
lervcnlioQ de son concitoyen Merlin de Douai*. Il se
défendit avec une habileté et une force auxquelles le
rédacteur du Bulletin rend hommage. « Il a fait re-
gretter à ses auditeurs et à ses juges, dit-il, de ne pas
reconnaître en lui l'ami de la liberté*. »
Pierre Lafahgue, brocanteur, ci-dcvaiit fermier, accu'é
de correspondîmces tendant à ciilomnior les mouvemenls
du peuple : ces correspondances, ajoute l'accusation,
étaient toutes relatives au '20 juin! Il av.ât écrit en effet
à Antoine Devalois, son ami, et par suite son coaccusé,
qui lui avait demandé son sentiment sur Taffaire du
20 juin. Dans sa lettre (11 juillet 1792), il lui mani-
festait aussi des craintes sur les ennemis du dehors,
vantait Lafayette et redoutait que des brigands ne se
mêlassent à la fête de la fédération qui allait avoir lieu'.
On lui demande pourquoi il s'est absenté de son domi-
cile quand les scellés y furent apposés. « N'était-ce pas par
peur des arrêts? — Non, c'étaitpour en savoir les motifs.»
Les motifs connus, il ne s'était pas sans doute pressé
d'y retourner, car depuis loi's il avait logé tantôt chez
l'un, tantôt chez l'autre \
Il était donc bien coupable! On le condamna; son
ami Devalois,qui n'avait fait d'ailleurs que lui demander
un renseignement et se vantait de ne lui avoir jamais
écrit que dans un sens patriotique % fut acquitté.
Le 3 (22 avril), un autre procès qui était le complé-
ment de celui du P' floréal, en ce sens qu'il allait
1. Les archives de Douai conlieiincnt plusieurs pièces rclalives à celle alTairc.
2. Bulletin, ir 45, p. 179.
5. Arcliives, ihi<{., pièce 3 et pièce 42 (jugement).
4. Ibid., pièce 36.
5. Ibid., pièce 57.
MALESilERBES ET SA FAMILLE; D'EPRÉMESNIL, ETC. 505
réunir par la morl plusieurs de ceux que la mort venait
de séparer. Il comprenait le vénérable défenseur de
Louis XVI, Guillaume Lamoignon-Malesiierbes, ancien
premier président de la cour des aides, ancien ministre;
sa fille, Antoinette-Thérèse, veuve depuis deux jours de
Le Peletieh de Rosanbo; une sœur de Le Peletier de
Rosanbo, Anne-Thérèse, marquise de Cuateaubuiant
(vingt-trois ans), et le marquis de Ciiateaubrjant, son
mari; trois anciens constituants: Duval d'Éprémesnu.,
conseiller à la grand'chambre, si populaire à la veille
des États-généraux, Le Chapelier etTHOuuET; François
IIell, ex-noble, procureur général syndic de la ci-devant
province d'Alsace, puis administrateur du département
du Ifaut-Rlun; Marie-Victoire Boucher, veuve de Roche-
chouaut-Pontville, ancien mousquetaire et brigadier des
armées du roi ; Diane-Adélaïde de Rocuechouabt, veuve
du duc du Chatelet et deux autres nobles femmes :
Béalrix de Ciioiseul, duchesse de Grammokt et la prin-
cesse LuBOMïHSKA (vingt-lrois ans*).
Ce n'est point ici le lieu de retracer la vie de Males-
lierbes, âgé alors de soixante-douze ans : il était né le
0 décembre 1 72 1 , « le jour, dit Des Essarts, (curieux con-
traste dans la sériedeses procès) , où Cartouche fut pendu. »
Disons seulement qu'investi fort jeune par son père, le
chancelier de Lamoignon, des fonctions de directeur de
la librairie, il aurait dû, pour sa tolérance, trouver grâce
auprès des disciples de Jean-Jacques qui étaient au pou-
voir. Mais on ne se rappelait ni V Encyclopédie, publiée
en quelque sorte sous son patronage, ni les mesures
libérales de son ministère, ni sa paisible retraite pen-
1. Archives, \V 551, dossier 715.
504 CHAP. XXXII. - FLORÉAL (PREMIÈRE DËGADE).
(lant les premiers orages de la révolution : on ne voyait
que celui qui avait eu le courage de se porter comme
défenseur de Louis XVI; et c'est le titre qu'il revendique
lorsque, dans son interrogatoire, on lui demande son nom
et ses qualités : < Chrétien-Guillaume Lamoignon-
Malesherbes, âgé de soixante-douze ans, ci-devant noble,
ex-ministre d'État, et en dernier lieu défenseur officieux
de celui qui a régné sous le nom de Louis XVI*. » 1!
trouva dans les prisons, chez des gens qu'il n'y avait
pas envoyés sans doute, le souvenir du bien qu'il y avait
fait. Riouffe, un des détenus de la Terreur, en a rendu
témoignage : « Un citoyen, dit-il, l'aperçoit dans un
endroit écarlé au fond de l'infirmerie; il tombe à ses
pieds, d'attendrissement et d'admiration : < Je me suis
avisé vers mes vieux ans d'être un mauvais sujet et de
me faire mettre en prison, » lui dit le vieux Malesherbes
en le relevant. Il conservait beaucoup de sérénité et
même de gaieté. Apres avoir lu son acte d'accusation, il
dit : « Mais si cela avait an moins le sens commun ! »
En descendant l'escalier pour aller au tribunal, il fit un
faux pas. c( C'est de mauvais augure, dit-il, un Romain
serait rentré chez lui*. »
L'imputation commune à tous les accusés, c'était celle
de conspiration : on sait que pour eti*e regardé comme
conspirateur, il suffisait d'avoir été en correspondance
avec un émigré. On trouve au dossier, à la charge de
Malesherbes, des lettres d'une de ses filles, sortie de
France et qui, à la date du 7 octobre 1792, vient d'y
i. Archive!), W 351, dossier 713, 4* parlie, piàce 42. La lettre de Malesherbes
demandant au président de la Convention d'informer Louis XVI qu'il est prêta Icdé-
fcudre (IT) dôcrnibrojaii I)esl cxpoéc au musée des Archives, vitrine 208, n* 1527.
2. Mém. sur irs pimmi, t. 11, p. )$G.
LÀ FAMILLE MâLESHËRBES. 505
rentrer et lui écrit de Boulogne : « Enfin, me voici
arrivée à 1res bon port, mon père*; — la copie d'une
lettre de La Luserne (sans signature), qui, à la date du
2:2 avril 1793, lui annonce l'intention d'aller en pays
neutre, à Venise ou plus au nord*; et une lettre qui lui
annonce (5 novembre 1790) qu'on a trouvé aux archives
l'extrait de baptême de Robespierre :
Maximilicn-Marie-Isidore, né le 6 mai 1758, de M. Maxi-
iiiilien-Barthélemy-François de Robespierre, avocat au Conseil
d'Artois, et de demoiselle Jacqueline Carraut. Son pan*ain
M. Maximilien de Robespierre, aussi avocat au Conseil d'Ar-
tois, son grand-père paternel, et sa marraine, demoiselle
Marie-Marguerite Cornu, femme de Jacques-François Carraut,
sa grand-mère maternelle. » J'ignore absolument, ajoute-t-on
méchamment, si les Carraut tiennent par quelque côté à
Damicn^.
Sa fille, Mme Le Peletier de Rosanbo, dit qu'elle n'a
eu de correspondance qu'avec sa sœur et le mari de
cette sœur retirés à Lausanne, correspondance qui n'avait
d'autre objet que de se donner réciproquement des nou-
velles de leur santé \ On lit pourtant dans une lettre de
son beau-frère Monbossier, datée de Londres, 22 jan-
vier 1792 :
A tout prix ceux qui sont dehors doivent rester dehors
jusqu'à la fin de la crise actuelle*.
Les lettres écrites à la jeune marquise de Chateau-
briant sont aussi des lettres de famille, mais plus vives
1. Archives, \\ 551, dossier 713, A' partie, pièces 54 cl suiv.
2. Ibid., pircc 57.
5. Ihtd.^ pièce 59.
i. Arclûves, W r>49, dossier 705 bis (dossier de son mari), 5« partie, pièce H.
Cr. c.irlon 551, dossier 715, pièce 4(» et suiv,
5. Ibid,, pièce 4r>.
TRIB. RÉ VOL. lU tM
306 CIIâP. XXXn. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
quelquefois dans leurs allusions à la situation présente.
En voici quelques passages :
Je voudrois bien vous voir aussi, ma chère petite, sous-
traite au pouvoir national; vous vous trouveriez fort bien
d'habiter un pays d'esclavage où règne encore le fanatisme
et les préjugés. Il arrive du monde tous les jours; le nombre
des François qui est ici ne se conçoit pas...
Nous avons eu des redoutes tout ce carnaval. Elles ne
sont pas fort agréables. Il y a un monde afTreux et l'usage
immodéré que les Flamands font des punchs et des bis-
chops rend fâcheux de danser avec eux ; mais comme
nous sommes beaucoup de François on peut éviter cet in-
convénients
Je ne suis pas persuadée autant qu'on l'est à Paris qu'il
soit possible de revenir bientôt. J'espère néanmoins qu'on
vous laissera le temps de faire vos couches tranquillement.
Les événements ne me paroissent pas pouvoir être très pro-
chains*.
Je vous trouve heureuse de ne pas être sortie de France. 11
n'y a rien de pire que d'être obligé d'y rentrer ; et cependant
tôt ou tard, il faudra linir par là, si nous ne sommes promp-
tement secourus, ce qui, quoi qu'on en dise, me paroit difficile
à espérer.
Il y a beaucoup d'hommes qui partent ces jours-ci pour
Paris. MM. de Montmorency s'en vont mercredi ou jeudi.
Voire société va être augmentée pendant quelque temps*.
Dans une autre lettre datée de Bruxelles, 17 avril
(1792), sa correspondanle lui reprocheses plaisanteries à
l'égard des émigrants :
1. Archives, W 351, dossier 715, pièce 49«
2. îbid., pièce 51 .
ôi Ibid., 3* partie^ piw-e *2\h
M. ET MADAME DE GHATEAUBRIANT. 507
Je conviens que le succès n'a pas, jusqu'à présent, répondu
à leur courage et à leur dévouement, mais ils n'en sont pas
moins estimables, et il est indigne à ceux qui habitent Paris
et qui n'ont pensé qu'à conserver leur fortune et à se diver-
tir, d'oser insulter à leur malheur....
Je ne vous accuse pas, ma chère petite, de partager cette
insensibilité, mais je voudrois ne vous voir adopter aucun
des travers de Paris ; malheureusement l'air qu'on y respire
est empoisonné; car les gens qui pensoient le mieux y per-
dent leur opinion et s'accoutument à l'idée de plier sous
le joug*.
Et encore :
Bruxelles, ce 14 juin 179â.
Mon Dieu, ma chère Aline, qu'il y a donc longtemps que
je n'ai eu de vos nouvelles!....
C'est très bien fait de se soumettre nu décret de l'Assem-
blée dite nationai/e et de peu communiquer avec les pauvres
émigrés; mais il n'y a pas encore de décret rendu ou du
moins je ne le connois pas, qui ordonne d'abandonner tout à
fait ses amis^.
Mme de Chateaubriant^ dans son interrogatoire» dit
que les lettres qu'elle-même a écrites sont antérieures
à la loi qui les défendait, et que cette correspondance
n'a eu lieu qu'entre femmes \ M. de Chateaubriand
affirma également qu'il n'avait entretenu avec les émi-
grés aucune correspondance criminelle ou contraire aux
intérêts de la République depuis la loi qui l'interdisait ^;
i. Archives, \S 351, dossier 7i3, pièce 30.
2. Ibid., pièce 39.
3. Ibid.f 4* partie, pièce 70.
4. Ibid., 3** partie, pièce 43. Toute celte correspondance de la famille Males'
1icrbe> est pleine d'intérêt et de charme. Elle nous fait rivre dans cet intérieur
calme cl honnête, que la Terreur ravagea si cruellement. Aux piâees réunies
dans le dossier de Ualesherbcs, il faut joindre les lettres pins nomlnrettses eneore
qui tiennent une si grande place dans la 4* et la 5* partie du dossier de Le Pelé-*
tier de Uosanbo et des parlementaires, Archives, W, 340« dossier 703 bis<
508 CILVP. XXXll. - FLOREAL (PREMIÈRE DÉCADK).
et Ton n'avait aucune pièce à lui opposer. Mais qu'im-
porte !
Marie-Victoire Boucher, veuve Rochechouart-Pontvillc
avait voulu soustraire à la destruction cinq caisses rem-
plies (le titres féodaux*; elle était de plus accusée de
correspondance avec les émigrés. Elle avait un fils, que
l'on supposait émigré*. On la soupçonnait de lui en-
voyer de l'argent; et on croyait en avoir trouvé la preuve
dans une lellre datée de Dusseldorf, contenant ces mots :
J'ai reçu le remède que vous m'avez adressé... C'est un
opiat dont on fait le plus grand cas ici. Vous nous marquez
que vous m'en envoyez deux cent quarante grains, mais je
n'en ai reçu que cent quatre-vingt-dix-huit et demi, le por-
teur ayant été obligé d'employer le surplus pour se tirer
d'une crise dangereuse où il se trouvoit en route; il fut
obligé d'employer jusqu'à quarante-deux grains 1/2 pour
sortir d'affaire.
tt il est évident, dit l'accusateur public (et il paraît
bien avoir raison) que les grains d'opiat ne sont autres
que du numéraire en or''. »
Thouret, Le Chapelier, d'Éprémesnil et Hell étaient
signjilés comme ayant participé aux trames et complots
formés par Capet. Hell se croyait fort contre une pareille
accusation : Loin d'avoir conspiré, disait-il dans son in-
terrogatoire, il avait travaillé à faire reconnaître le gou-
vernement républicain. Il avait dénoncé dos tr.iîlres,
comme le prouvaient ses lettres aux Jacobins, établi
des clubs, prêché contre le fédéralisme et contre la
1. Arcliives, W 351, dossier 713, i" parlic, pièce 3.
2. /6«V/., pièce 48.
3. Bullethiy hr parlic, ii" 47, p. 185. — J'ai corrij»é quelques mots «l'apics
l'original de la lettre datée de DusscldorlT 15 mars 171)3, Archives, uièiue du5-
sier, !'• partie, pièce 24.
THOUKKT, LE CHAPELIER, D'ÉPRÉMESNIL, HELL. 309
levée (les forces déparlcmentales. Il déflait qu'on le sur-
prît en COI respondance avec les ennemis de la République,
n'ayant eu de correspondance suivie qu'avec les Jacobins.
— « Âvez-vousun défenseur?» luidit le juge*.Etilen
avait grand besoin; car il oubliait que cette justice
poussait loin son enquête sur les antécédents d'un
homme. Or il avait été constituant. Et quel constituant
n'avait pas été royaliste! On avait contre lui au dossier
cette lettre (probablement de 1791) à Malesherbes :
Je prends la liberté de présenter à M. de Malesherbes une
pnrtic des opinions que j'ai mises sur le bureau de TÂssem-
blée nationale constituante, que j'ai fait imprimer et distri- .
huer aux députés dans le temps.
Si M. de Malesherbes daignoit y jeter les yeux, il verroit
que je n'ai jamais varie dans mes principes.
Député du peuple, je me suis oublié moi-même; je n'ai eu
en vue que son salut. Mais j'ai toujours pensé qu'il n'y avoil
point de salut a espérer sans la justice et sans la force abso-
lue dans les mains du roi. J'ai toujours professé cette doc-
trine et j'en suis si pénétré, que si je le pouvois, je ferois
croire au peuple que le roi qui fait exécuter la loi est infail-
lible; que 'c'est un Dieu auquel on ne peut désobéir sans
encourir des peines dans ce monde et dans l'autre.
Hell*.
Et cette lettre à Custine :
4 octobre Tan 1*' de la République.
Salut, honneur et gloire, amour et reconnaissance au
lirave citoyen général Custine de la part de Fr. Hcll, son an-
cien collègue à l'Assemblée constituante.
Je vous adresse, mon cher général, le citoyen Hcrzog', etc.
1. Anliivcs, W 351, dossier 713, 2« partie, pièce 22.
2. Ihif/., pièce 51.
r». Ihift., 2* pnrlie, pièce 1.
310 CHAP. XIXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
Ajoutez (les caricatures : un jacobin à double face et
un feuillant, chacun à une potence avec cette légende :
Pas de deux entre un jacobin et un feuillant^.
Et encore :
Grand convoi funèbre de leurs majestés les jacobins, en
leur vivant nos seigneurs et maîtres, décédés en leur
palais de la rue Saint-Honoré * .
«
Le Chapelier à qui le juge demandait a quel était son
état avant la Révolution > s'écria avec humeur : « Qu'im-
porte ! » puis il ajouta qu'il était défenseur de la veuve
et de l'orphelin, c'est-à-dire avocat'. Ce qu'il avait été
pendant la Révolution tout le monde le savait. Mais
l'accusateur public le traduisait à sa manière.
Le Chapelier était principalement rendu responsable
de cette a prétendue constitution qui devoit rendre le
despotisme plus pesant que jamais sur le peuple et lui
donner des fers qu'il n'auroit jamais pu briser, t —
C'est ainsi que Ton parlait des actes de 89 en l'an II.
Thouret avait répondu au juge dans son interrogatoire
qu'il n'avait jamais conspiré contre la République et
que son premier désir était que la Révolution démo-
cratique s'achevât*. Mais l'accusateur public, tournant
contre lui les honneurs qu'il avait reçus de l'Assemblée,
répliquait : « Thouret ne fut continué président de
l'Assemblée constituante jusqu'à la clôture que pour
récompenser des services par lui rendus au despote lors
du travail de la révision ». Il avait demandé à être son
1. Archives, \V 351, dossier 713, pièce 20.
2. Ibid., pièce 24.
3. /6iV/., 2* partie, pièce 67.
4. Ibid,, pièce 71.
LA DUCHESSE DE GRAMMÛNT, LA PRINCESSE LUBOMIRSKA. 511
défenseur, « il n'avoit pas cessé d'être son esclave. »
D'Éprémesnil avait à répondre comme les autres à
Taccusation de conspiration ^ Révolutionnaire en quel-
que sorte avant la Révolution, il avait bien changé de-
puis; et l'accusateur public le transformait encore
davantage :
D'Éprémesnil n'avait cherché « qu'à contrarier les
opérations de l'Assemblée constituante dans tout ce
qui intéressoit le bonheur du peuple ». Il était le
28 février 1791 au nombre des chevaliers du poignard
et le 20 juin 1792 parmi les défenseurs du roi.
Hell avait écrit à Malesherbes la lettre que Ton a vue.
Lamoignon-Malesherbes présentait tous les caractères
d'un conspirateur et d'un conlre-révoiutionnaire. « Il
étoit le centre autour duquel se réunissoient les conspi-
rateur qui venoient d'être frappés par la loi » ; et c'est
« par l'effet d'une intrigue ourdie dans le cabinet de
Pitl avec ses parents émigrés à Londres » qu'il s'était
proposé et avait été accepté pour défenseur du roi.
Tous les autres, parents d'émigrés, étaient en corres-
pondance avec des émigrés et leur envoyaient de l'argent.
Béatrice de Choiseul, duchesse de Grammont (soixante-
quatre ans) et Rosalie Ghodkiewicz, femme d'Alexandre
Lubomirski (vingt-trois ans) étaient à d'autres titres, sans
doute, accusées aussi de conspirer. La duchesse de Gram-
mont répondit par une simple dénégation • ;
La princesse Lubomirska :
R. Que bien loin d'avoir conspiré, elle a fui son pays pour
respirer un air libre et qu'elle a même été chassée de la
i. Archives, W 351, dossier 713, pièce 70.
2. Ibid. , pièce 69
512 CHAP. XXXIl. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
Suisse pour cause de démocratie, et que depuis qu'elle est
en France, elle s'est plu à vivre au milieu des artistes *.
Respirer un air libre! — Mais elle avait aussi respiré
l'air de la cour. Elle avait connu Mme Du Barry. Dans
l'interrogatoire de cette dernière il avait été fait allusion
à une lettre de la princesse, aujourd'hui accusée, où
se trouvaient ces mots :
Je ne vous dirai rien de bien intéressant sur les nouvelles
du jour. La fête qui a eu^ lieu hier rappelle singulièrement
la majesté du peuple, etc.
La reine est encore à la Conciergerie; il est faux que l'on
aye le projet de la ramena au Temple. Cependant je suis
tranquille sur son sort. Nos souverains sont las de gloire et
voudront, je présume, se reposa sur leurs lauri^s*.
« Preuve évidente, ajoute l'accusation, qu'elle comptoit
sur le succès des trames formées alors par l'archidu-
chesse d'Autriche pourTarracher des bras de la justice
et lui assurer l'impunité de ses crimes". »
La princesse essaya de détourner d'elle les induc-
tions que Ton voulait tirer de celte lettre. Elle écrivit k
Fouquier-Tinville, le matin même du jugement :
Citoyen,
En relisant mon acte d'accusation, j'ai eu lieu d'être sur-
prise d'être confondue avec une personne qui n'a rien de
commun avec moi que la ressemblance du nom que je porte.
Je demande donc, citoyen, un répit de quelques jours pour
constante mon innocence et prouver à des juges éclaires que
je ne suis pas indigne de leur intérêt.
Salut et fraternité.
Ce 3 floréal, des prisons de la Conciergerie*.
1. Archives, ^V 551, dossior 713, 2* partie, piiHîc 35.
2. /6iV/., 2* partie, pièce 31.
3. Buiielin, n*» 47, p. 185. — 4. IbûL, pièce 30.
TÉMOIN RÉUNI AUX ACCUSÉS ET CONDAMNÉ. 513
Mais on avait d'autres pièces signées d'elle qui, par
la conformité de récriture devaient lui faire attribuer la
lettre récusée; par exemple ce billet à Mme Du Barry :
Je viens d'apprendre, madame, et votre retour à Lucienncs,
et l'injuste persécution que Ton vous fait éprouver.
Et elle lui offre ses services.
Quoi qu'il en soit de ces lettres, un séjour parmi les
émigrés avant les lois sur Témigration (car pourquoi ne
la Iraite-t-on pas comme émigrée elle-même?) une parole
d'espérance sur le sort de la reine, voilà tout ce dont
on l'accusait ! El son défenseur officieux ne trouve rien
d'autre à dire pour elle que ces mots, les seuls au moins
que l'on trouve au Bulletin :
On a remarqué beaucoup de franchise dans la justification
de l'accusée que je suis charge de défendre , et elle s'est
annoncée l'amie invariable de la vérité, puisqu'elle vous a
déclaré ne vouloir pas défendre sa vie aux dépens d'un men-
songe, et c'est la remarque la plus favorable que je puisse
présenter en sa faveur*.
Tous les accusés furent condamnés à mort : tous,
plus un, si je puis dire. Pierre Parmentier, âgé de vingt-
neuf ans, commis du « ci-devant Dumont», receveur des
rentes, entendu comme témoin, fut joint aux accusés
comme leur complice dans les envois d'argent, et com-
pris, sans plus déformes, dans le jugement*.
1. Bulletin, 4- partie, n* 47, p, 187.
2. Archives, /. /., 4* parlie, pièce 85. Le procès-verbal d'exécution marqueté
r» floréal 5 heures Çs\ 527). M. Michclet fait observer que beaucoup de condamna-
tions furent l'application très dure mais très littérale des lois, a H. de Malcshcrbes,
ajoutc-t-il, périt pour awir envoyé fie l'argent aux émigrét, ce qui entraînait
la peine de mort (Hist. de la Péwl.^ t. Vil, p. 347). ■ — Assurément les juge-
ments du tribunal étaient motivés, mais les motifs, quand il s'agissait d'un père,
d'une nit''re, adressant une lettre ou même de l'argent à un enfant émigré,
étaient odieux, et les lois qui, poar de pareils motifs, punissaient de mort, atroces.
514 CHAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
Parmi les papiers trouvés chez Robespierre, il y a
une leKre omise par Courtois dans son recueil et que,
pour l'honneur de Le Chapelier, on aurait pu laisser
aussi de côte dans la publication complémentaire faite
beaucoup plus tard. Il reconnaît qu'il n'est qu'un répu-
blicain du lendemain (et Robespierre, Tétait-il de la
veille?) mais il déclare qu'il n'en a pas moins accepté
la République. La France est menacée par l'étranger.
Il demande qu'on l'autorise secrètement à se rendre en
Angleterre. Il n'inspirera de défiance à personne et,
sans réclamer du gouvernement aucune confidence, il
pourra l'éclairer par ses informations (24 pluviôse
an II) *. — Mais ses offres furent dédaignées. On l'envoya
avec les autres à l'écliafaud. On lui prête cette parole
à D'Espréménil : <k Monsieur D'Espréménil on nous
donne dans nos derniers moments un terrible problème
à résoudre. — Quel problème? — C'est de savoir, quand
nous serons dans la charrette, à qui de nous deux s'a-
dresseront les huées. — A tous les deux'. »
La princesse Lubomirska ne fut pas exécutée avec les
autres : elle s'était dite enceinte et les médecins avaient
suspendu leur jugement; mais le 12 messidor ils décla-
rèrent qu'elle ne l'était pas, et le même jour le tribunal
ordonna que la sentence fût exécutée *.
i. Papien iiu'dits trouvés chez Robespierre et omis par Courtois^ tome I,
p. 27i.
2. Mt^m. sur les prisons, t. I, p. 86; Cf., Des Ëssarts, t. VI, p. 107.
3. An'IuTos, /. /., 4* partie, pièces 87 et 88.
œNSPIRATION PAR PROPOS ISOLÉS. 315
IV
4 (loréal : accusés élrangcrs les uns aux autres réunis dans le même jugement.
Marie-Louise Coutelet, tcuvc Ncuvéglise.
Le 4 (23 avril) un procès où Ton trouve réunis dix
accusés qui n'ont d'autre lien entre eux que d'avoir
tenu, chacun pour son compte, des propos conlre-révolu-
tionnaires :
Louis-Benjamin Calmer avait distribué des médailles
de Lafayette;
François Gallay, garçon frotteur, Suisse d'origine,
entendant le tocsin le 10 août, avait dit : «t Voilà
la musique des honnêtes gens! » et c il s'éloit per-
mis d'improuvcr la fêle des Suisses de Château-
Vieux ;
Marguerite Horion, femme Farizol « le jour de la puni-
tion d'Hébert, upplaudissoit à la mort de ces gens comme
ayant volé la mort du roi, et annonçoit que tous ces
votants auraient le même sort; »
Jean Chemin avait « traité les marchands de coquins et
les Parisiens de scélérats parce (ju'il avoient fait mourir
le roi ; »
Louis Roux avait présenté la journée du 10 août
comme un véritable assassinat du roi et de la reine; il
disait « que, si tout le monde lui ressembloit, la Républi-
que ne dureroit pas longtemps, et qu'il avoit un moyen
sûr pour rétablir la royauté; » c'était de distribuer
aux citoyens des pois blancs et des pois noirs, en leur
enjoignant de les déposer dans un tronc public. On
déciderait ainsi entre la continuation du gouverne-
ment républicain ou du gouvernement monarchi-
516 CUAP. XXMI. - FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
que. — On se passa de son procédé plébiscitaire*.
Une femme qui, dans le nombre, excite plus particu-
lièrement rintérét, c'est Marie-Louise Coutelet, \e\\vQ
Neuvéglise, (trente-six ans), chef de Tatelier de filature
des Jacobins, rue Sainl-Jacques*, déjà depuis cinq ou
six mois suspecte : c'est en voulant faire une perqui-
sition chez elle qu'on était allé par erreur chez sa sœur
Madeleine Coutelet et que l'on y trouva ce brouillon de
lettre qui suffit pour faire envoyer la malheureuse à
l'échafaud (14 brumaire)*. La veuve Neuvéglise avait
toutefois gardé sa place dans cette maison. Mais elle y
élait surveillée et on l'accusa de propos dont on a peine
à la défendre : car que de gens devaient alors penser
ainsi ! Un de ses dénonciateurs déclarait qu'il y avait
quinze ou dix-huit mois il avait vu chez elle un nommé
Lacombe, ancien garde du corps, lequel disait que
les biens que l'on ôtait aux nobles et au clergé pro-
venaient de dons qui leur avaient été faits par le roi
et la noblesse ; que l'Assemblée se composait de scé-
lérats ; qu'ils le paieraient : et la veuve Neuvéglise en
était tombée d'accord. Un autre, que la veuve Neuvé-
glise, le voyant rentrer en costume de garde national,
avait dit : » Quand est-ce que je ne verrai plus d'habits
bleus? » que la présence d'un homme comme Lacombe
était un scandale dans une maison de piété comme la
filature. Une femme, définissant ce scandale, disaitque la
1. Voyez l'aclc d'accusation repitMiuit au jugement : Archives, \V 351, dos-
sier 717, picee 101, et leurs interrogatoires, pièces 95, 105, 5i, 18 et 43. A
j)ropos de la Temme Farizol, l'administrateur de police Godard fait preuve de
z«de. La chose était du 4. 11 écrit à Fouquier-Tinvillc que la prévenue ne lui a été
amenée que le 0, et il renvoie les pièces le 7, afin que prompte» justice soit faite
dos conspirateurs. Archives, W 500, 4* dossier, pièce 22.
2. Archives, W 351, dossier 717.
3. Voyez ci-dussus, t. II, p. 175-178.
M\RIE-LOUISE COUTELET, VEUVE NEUVfiCLÏSE. 317
ciloyciine Ncuvéglisc avail de Lacombc un cnfanl de
deux ans; qu'elle avait approuve les massacres du
Champ de Mars; qu'elle avait dit sur le 20 juin a qu'un
tas de gueux étoicnt entrés chez le ci-devant roi pour
le voler; » et sur le 10 août « que les Marseillois éloient
des scélérats, des échappés de galères » qu'elle avait
plaint le sori du roi enfermé au Temple, et qu'à propos
de l'assassinat de Marat elle s'était écrié : « C'est un
scélérat de moins >. Elle aurait dit encore : « Voilà votre
liberté ! voilà votre République! Vive la nation ! il n'y a
pas de pain à la maison^ ».
La veuve Neuvéglise, interrogée devant la section
régénérée de Beaurepaire, dit qu'en 1790 elleétait resiée
veuve avec cinq enfants ; elle avait placé l'aîné, âgé de
sept ans, dans une maison d'éducation à Popincourt, où
elle avait connu Lacombe et sa femme qui avaient trois
enfants dans cet établissement. Au mois d'août 1790,
elle avait obtenu la direction de la filature, comme mère
de cinq enfants sans soutien. Lacombe et sa femme
avaient continué de la venir voir. Kn 1791, ils étaient
relournés en Limoisin et elle ne savait ce qu'ils étaient
devenus. Elle repoussa toute imputation de relations
d'une autre sorte avec Lacombe. Personne ne demeu-
rait dans la filature après dix heures ; son père couchait
à coté de son lit. Elle soutint que tous les propos dont
elle était accusée étaient faux :
Que personne n'avoit plus qu^elle regretté Marat du fond
de son cœur.
La pauvre femme! — Elle ne fréquentait que les
1. Aichivo, >V :ù}\. .I.ssier 717, piicc 11, Cf., pièce» 10 et 24. Trois signa-
laires «iil vu Lacombe en «avatcs dans le Jardiii de la filature.
518 CMAP. XXXIÏ. - FLORÉAL (PREMifeRE DÉCADE).
personnes de la maison. On se communiquait les jour-
naux; pas de réflexions:
Elle a trois enfants à faire souper et coucher ainsi que
son père.
Les ouvriers et les ouvrières de la filature rédigèrent
une protestalion en sa faveur. Il y a deux pages et
demie de signatures à quatre colonnes pour les ouvriers,
une page et demie pour les femmes, avec déclaration
que beaucoup d'autres regrettent de ne savoir signer ;
et quand le juge du tribunal, Masson, l'interrogea à son
tour et lui cita les noms des témoins, elle dit que son
atelier était composé de douze cents femmes, et que
toutes pourraientrépondre de ses principes civiques ainsi
que tous les chefs de la maison ^ Mais un témoin à
charge valait bien plus que cent témoins à décharge.
Elle fut condamnée comme les cinq précédents. Quatre
autres furent acquittés.
Le lendemain, 5 iloréal, venait l'aftaire de la capitu-
lation de Verdun.
V
5 floréal (24 avril) : les victimes de Vcriluii.
La capitulation de Longwy avait eu sa victime dans
celui qui l'avait signée, le malheureux Lavergne, et dans
Mme Lavergne qui voulut partager le sort de son mari
sur l'échafaud. La capitulation de Verdun devait donner
lieu à un plus sanglant sacrifice : ce n'est pas seulement
le dernier commandant de la place qui devait y figurer,
1. Archives, \V 551, dossier 717, pièce 7.
LES VICTIMES DE VERDUN. 5i9
c*cst la ville elle-même par Télite de sa population :
anciens militaires, prêtres, bourgeois, femmes, et jusqu^à
sept jeunes fliles*.
On sait la vive impression que la perte de celte ville
avait faite dans Paris. Rien que la nouvelle, facile à pré-
voir, qu'elle allait succomber, avait donné prétexte aux
journées de septembre. C'est le 2 septembre, au moment
où la place était livrée, que les massacres (on n'en savait
rien encore) commencèrent dansles prisons. Lorsqu'on eut
reçu les pièces de la capitulation, et que l'on sut que
le capitaine Beaurepaire, commandant par ancienneté
de grade, s'était brûlé la cervelle pour ne pas la signer,
rirritiition fut grande et contre celui à qui était échu le
droit fatal de commander quand il fallait se rendre, et
contre les habitants que la garnison, sortie de la place
avec tous les honneurs de la guerre, accusait volontiers
d'à voi r pesé sur la déterm i nation de ses officiersMJn décret
du 7 septembre autorisa les commandants de place à
raser les maisons et à brûler les meubles de tout bour-
geoisqui, la ville étant assiégée, parlerait de se rendre;
et un autre du 14 suspendit les effets de la loi du rem-
boursement des ofGces pour tout habitant de Verdun et
de Longwy \ Mais la ville de Verdun avait dû tout parti-
culièrement exciter l'indignation publique. Les journaux
avaient publié l'adresse, anonyme d'ailleurs, présentée
au roi de Prusse sous les murs de laplaceS et l'on parlait
1. Archives, Vf 552, dossier 718.
2. Sur les actes qui préccdeal la capitulation, voyez ibid,, 1** partie, pièces
23-45.
5. Séances des 7 et li septembre 1792, Moniteur du 9 et du 16.
4. Sire,
Le Dieu par qui régnent tous les rois, ses plus parfaites images sur It terre,
a choisi votre majesté pour rétablir sur son trône notre bfortuné monarque
320 CHAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
d'une députalion de dames et déjeunes filles qui éUiient
allées lui offrir des dragées dans son camp; on parlait
même d'un bal qu'elles y auraient donné aux officiers en-
nemis. Aussi lorsqu'après la bataille de Valmy, les Prus-
siens firent retraite, et que leur garnison de Verdun cul
capitulé à son tour, une enquête fut immédiatement
ouverte pour chercher les coupables.
Les documents recueillis dans celte enquête, en oc-
tobre et novembre, par la commission municipale pro-
visoire de la ville reconquise* furent envoyés au Comité
de sûreté générale, et c'est au nom de ce Comité que le
représentant Cavaignac fit son rapport devant la Conven-
tion, dans la séance du9 février 1795*. 1/ irritation contre
la population de Verdun était tombée. On avait reconnu
que la ville n'était pas en état de résister; belle occasion
d'incriminer la négligence du pouvoir exécutif, qui l'avait
laissée sans défense, et la trahison de Lafayette, (jui n'a-
vait pas renforcé la garnison, voulant, disait le rapport,
« frayer jusqu'à Paris une route facile aux armées com-
binées de la Prusse et de l'Autriche. » C'est contrôles
membres du pouvoir exécutif et contre Lafayette que por-
tait donc surtout le réquisitoire de Cavaignac; mais on
cl pour rendre à la couronne et à toute In Franco son ancienne splendeur.
Oui, Sire, nous nous faisons gloire d'ôlrc les p!us fidèles sujets do notre bon
roi, cl nous regarderons comme le plus beau de nos jours celui qui nous rendra^
à la suite do votre armée triomphante, no$ princes, nos paslerirs el nof braves
émijjrds, etc. {Ihhi., i'* pjrlie, pièce 34, Cf., Moniteur du 5 octobre 17112).
I. C'est dans cette enquête que l'on trouve le plus de détails sur les faits qui
donnent lieu à Tacciisation. Voyez /7»iV/., 2" el T\* parties. Notons ce trait do l'in-
toiTOgatoirc de Noyon (."* novembre 1792) : Lors de la première sonnnation, le
héraut d'armes demanda des dragées : elles étaient renommées! L'oflicier de
gendannerie en iil venir pour 12 livres et en refusa le paiement : — on allait
envoyer des boulets en échange. A la deuxième sommation le héraut d'armes,
atîriandé, demanda des liqueurs. Le lieulenanl-culonel du bataillon de la Charente
lui en lit donner aus^i gratuitement (Archives, même dossier, 1'* partie, pièce 35).
"l. Monilvur du 11 février 17<J3.
RAPPORT DE CAVAIGNAC. 321
ne les avail pas sous la main, el il fallait des victimes
expiatoires. Le rapporteur signalait l'administration du
district el la municipalité qui étaient restées en fonctions
sous la domination étrangère; le commissaire Pichon,
radjudant-gcnéral Brunelly* et plusieurs gendarmes qui
avaient aussi continué leur service; les prêtres qui étaient
revenus, les chanoines qui étaient rentrés en possession
de leurs bénéfices, les religieuses qui avaient obtenu le
rétablissement de leur monastère, et les femmes qui
avaient fait un si scandaleux accueil à l'ennemi. Il faisait
de tous ces prévenus deux catégories :
l"" Ceux qui ont contribué directement ou indirectement à
la contre-révolution dans Verdun ;
2'' Ceux qui, avant la redlition, ont excité le peuple à for-
mer des attroupements séditieux, et ceux qui, après la reddi-
tion, ont manifeslc leur joie sur les succès des Prussiens par
quelque acte répréliensible.
Après rétablissement du tribunal révolutionnaire, on
n'eût pas eu besoin de distinguer; mais on n'était qu'en
février 1795. Le Comité de sûreté générale estimait que
les premiers devaient être traités comme criminels de
lèse-nation et se bornait à renvoyer les autres devant
les tribunaux ordinaires.
Dans la seconde catégorie se trouvaient « les femmes
qui furent offrir des bonbons au roi de Prusse, t Sans
estimer alors leur crime digne de mort, le rapporteur en
prenait au moins occasion de faire contre les femmes, en
général, un réquisitoire qui plus tard devait aboutir à
tant de sanglantes conclusions :
1. Voyez rinlciTogatoiredc Bruntîlly, 21 octobre 1792, môme dossier, 3* partie,
pièce 5.
TRiB. RÉvoL. m )l
822 CItAP. XXXU. — FLORÉAL (PREMIÈRE DfiCADË).
« Jusqu'ici, disait-il, ce sexe en général a hautement
insulté à la liberté. La prise de Longwy fut célébrée par un
bal scandaleux. Les flammes qui embrasaient Lille éclairaient
aussi les danses et les jeux.
Ce sont les femmes surtout qui ont provoqué rémigration
des Français; ce sont elles qui, d'accord avec les prêtres,
entretiennent l'esprit de fanatisme dans toute la République,
et appellent la contre-révolution.
Cependant, citoyens, c'est aux mères que la nature et nos
usages ont confié le soin de l'enfance des citoyens, cet âge où
leur cœur doit se former à toutes les vertus civiques. Si vous
laissez impuni l'incivisme des mères, elles inspireront à
leurs enfants, elles leur prêcheront d'exemple la haine de la
liberté et l'amour de l'esclavage.
Il faut donc que la loi cesse de les épargner, et que des
exemples de sévérité les avertissent que l'œil du magistrat
les surveille, et que le glaive de la loi est levé pour les frap-
per, si elles se rendent coupables. »
Les conclusions du rapport furent pourtant amendées
dans la discussion. Pons (de Verdun), prenant la cause
de ses concitoyens, fit déclarer d'abord qu'ils n'avaient
point démérité de la patrie, et il présenta les excuses des
corps administratifs : si, après l'occupation, ils étaient
restés dans la ville, c'était, disait-il, pour le bien des
habitants. On acceptait encore ces raisons alors, et on se
borna à déclarer qu'ils seraient inéligibles aux fonctions
publiques tout le temps de la guerre. On maintint l'ac-
cusation contre les gendarmes qui avaient continué leur
service sous les Prussiens ; contre l'ancien évoque que
l'ennemi avait ramené; contre quelques chanoines et
quelques religieuses rentrés avec lui ; contre Neyon, le
commandant de la place, ainsi que plusieurs autres per-
sonnes particulièrement compromises et nommément
DÉCRET DU 9 FÉVRIER 1793. ENQUÊTE. 325
désignées dans le môme article. Ils étaient, au nombre do
vingt-cinq, renvoyés devant les tribunaux compétents.
L'information commencée devait se continuer aussi
par les mêmes tribunaux <c pour le procès être fait et
parfait aux accusés qui y sont dénoncés, et notamment
à ceux qui se portèrent en attroupement à l'hôtel de la
commune pour presser la capitulation et aux femmes
qui furent au camp de Bar haranguer le roi de Prusse et
lui offrir des présents ; » et tous les autres, chanoines,
religieux, ecclésiastiques ou fonctionnaires publics,
rentrés à la suite des Prussiens, mais non compris dans le
décret d'accusation, étaient simplement expulsés*.
L'information avait donc élé reprise par le tribunal
criminel de la Meuse; mais il n'y mit pas une grande
activité. C'est après plus de neuf mois, le 29 brumaire
seulement (19 novembre 1793), que l'accusateur public
requit la mise en accusation des prévenus ; et pour éviter
les frais de transport d'un si grand nombre de personnes,
il proposa de transférer le tribunal à Verdun même, sauf
à mettre les prévenus en arrestation provisoire jusqu'à
ce que le ministre de la justice consulté y eût
donné son assentiment*. Mais à Paris on n'était pas si
ménager des deniers de l'Étal en cette matière. Le mi-
nistre Gohier répondit en invitant le tribunal de la Meuse
non pas à faire venir les prévenus devant lui à Verdun,
mais, ce qui élait tout autre chose, à les renvoyer devant
le tribunal révolutionnaire (1*' nivôse)'. Ce fut pour pré-
parer cet envoi que le tribunal nomma deux délégués,
1. Décret du 9 février 1795, Moniteur du 11. Voyei le décret aux Appen-
dices, n« VIII.
2. Archives, W 552, dossier 718, 5* partie, pièce 64.
3. Ibid. . pièce 65.
324 CUAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
avec mission d'aller à Verdun rechercher les coupables
(18 nivôse) *, et ce fut en vertu de cette délégation que le
président et l'accusateur public s'y rendirent de leur
personne et y firent cetle enquête (21 nivôse)'.
Les prévenus n'avaient donc pas gagné beaucoup à
attendre. Le 25 nivôse (14 janvier) Ilerbillon, G. Lefebvrc
et La Corbière s'adressèrent aux représentants du peuple
dans le département de la iMeuse, réclamant contre la
décision minislérielle, si contraire au décret du 9 février
qui les avait renvoyés devant le tribunal criminel du
département'. Le représentant Mallarmé prit quelques
informations sur leur compte, et il en est qui, par suite
decesrenseigncmenis, furent laissés provisoirement dans
leur prison (16 ventôse) *. L'enquête touchait alors à son
terme. Le 24 ventôse le tribunal arrêta la liste et de ceux
qu'il envoyait au tribunal révolutionnaire et de ceux qui
seraientmisprovisoirementen liberté. Ces derniers étaient
les moins compromis des habitants qui avaient été à la
maison commune, demandant la reddition de la place.
Dans la première catégorie se rangeaient ceux qui étaient
nominativement compris dans le décret du 9 février
1793, les gendarmes et de plus les femmes prévenues
d'avoir été au camp prussien. Comme plusieurs n'étaient
pas désignées par leurs prénoms et qu'il y avait plus
d'une personne du môme nom à Verdun, le président et
un juge du tribunal étaient autorisés à faire, après un
supplément d'enquête, les rectifications nécessaires".
i. Archives, même dossier, 5* parlic, pièce 02.
2. Ibid.^ !'• partie, pièce 2K.
3. Ibid.^ p. Cl.
4. L'arrêté est cité dans la pièce suivante.
5. Ibid,, 2» partie, pièce 67. Cf. pièce 68 (29 vcniôsc) la lettre du pi-ésident à
l'accusateur public du tribunal révolutionnaire, en lui envoyant les prévenus, et
pour la liste des prévenus, l'appendice n"" IX à la fin du volume.
LES PRÉVEiNUS DE VERDU.N ENVOYÉS A PARIS. 325
Toutes les pièces recueillies parle tribunal furent donc
renvoyées à Paris, et les prévenus s'étaient empressés
d'y faire parvenir à leur tour nombre de mémoires ten-
dant à les défendre*. Eux-mêmes ne tardèrent pas à
suivre. On a le récit du voyage dans quelques pages d'un
mémoire qu'une jeune femme, jeune fille alors de seize
ans, Tune des deux survivantes de la catastrophe, rédigea
plus lard pour sa propre fille, et qu'un éloquent écri-
vain a conservé dans un écrit destiné à venger contre
d'indignes mépris les vierges de Verdun*.
« Le 10 mars au matin (20 ventôse) des charriots
découverts arrivèrent devant la prison; nous y mon-
tâmes toutes trois avec les trois sœurs Vatrin, ma
tante, la baronne de Lalance, Sophie Tabouillot avec
sa mère, et vingt-sept autres, lant hommes que femmes,
que l'on acheminait tous ensemble vers Paris sous
l'escorte d'un fort détachement de gendarmerie.
c< Le voyage se fit assez gaiement ; nous savions bien le
sort qui nous était réservé, et cependant nous n'en étions
pas troublées. Le voyage va faire pleuvoir sur nous des
insultes, des vexalionsde tout genre, et nous sommes pai-
siblement résignées à tout ceque le Seigneur permettra...
1. Voyez ibid., ô" partie, pièce 49 (3 pluviôse), dt'position contre Grîinoard
(il a injurié un gendarme national ; on Ta vu aller, à l'heure de la parade, voir
le camp prussien, s'entretenir avec des ofliciers prussiens^; — pièce 66, dénon-
ciation pnr lettre contie Drench; — pièce 00 (30 germinnl), dénonciation contre
Margueiitc Croule : qu'cliccsl souvent dans l'ivresse et que dans ce moment elle
ne cesse de s'étcnilrc en propos, incmc contre la Convention nationale; — p. 02,
autre de l.i même date contre la même.
Pièce 08, ménioiic justificatif, par Hcrbillon; — pièce 69 : Nie. Martin, ci-
devant chanoine de la Magdcleinc de Verdun, aux représentants du peuple dans le
département de la Meuse ; — pièce 70, mémoire justificatif de Claude de La Cor^
bière; — pièce 7i, lettre de Grimoard aux représentants du peuple; — pièce 72.
mémoire justificatif pour Barlhe cl Lamèie*;— et pièces 73-82, attestations de
plusieurs lialiitanls de Verdun en faveur de Thuillcux.
2. Cuvillicr-Fleury, Porlraifn politiques et rivolutiounaireu (Pans, 1851).
326 GUAP. XX\n. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
« Les gendarmes, pendant la route, se conduisii^nl
envers tous les prisonniers avec autant d'égards et
d'humaniléque la crainte de se compromettre et de nous
compromettre nous-mêmes le permettait. . . »
— Ce n'est pas la seule circonstance où la conduite
des hommes de ce corps d'élite ait fait contraste avec
celle des agents même les plus élevés de cette justice.
« Quelquefois, lorsqu'ils étaient assurés qu'aucun
danger ne nous menaçait, ils nous laissaient sortir pour
nous délasser de la fatigue que nous occasionnaient les
cahots des chariots sur lesquels nous étions montées.
Comme tous les jours on en changeait, nous ne trou-
vions jamais de paille pour nous asseoir. Quelques-unes
étaient assises sur les petits paquets qui renfermaient le
peu de linge que nous avions emporté ; mais les autres
étaient obligées de rester droites et seulement appuyées
sur les côtés des chariots. Cependant nos conducteurs
faisaient ce qu'ils pouvaient pour nous : mais tout le
monde sait qu'en Champagne il est difûcile de se pro-
curer du fourrage, surtout au printemps*. »
Dès leur arrivée les prévenus avaient été conduits à la
Conciergerie : c'est un sîgne qu'on ne voulait plus les
faire longtemps attendre. Quatre autres les y vinrent
rejoindre par suite d'un arrêté de Mallarmé du 6 germi-
nal': Fortin, Chotin, Petit et la fille Croûte, une fille
publique presque toujours ivre : elle avait tenu des pro-
pos injurieux pour la milice qu'elle appelait « crapauds
bleus; » rien de commun avec l'affaire de Verdun; mais
i . Cuvillier-Fleury, PortraiU politiques et révolutionnairei, append. n» IV,
p. 440.
2. Arr^lé pris à la suite d'une information faite par le conseil général de
Venlun le 23 ventôse. (Archives, même dossier, l"* partie, pièces 12 et 16.)
INFORMATION AU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE. 327
il ne déplaisait pas de la joindre aux dames el aux jeunes
filles qui allaient paraître devant le tribunal : c'était,
en souillant les autres par cette association, une bonne
occasion de s'en débarrasser.
Quant à Fouquier-Tinville, dès le 9 germinal, son
siège était fait. Un mandat d'arrêt, lancé contre trente des
prévenus, marqua le commencement des nouvelles
procédures*, et le 12 les interrogatoires commencèrent
devant les juges du tribunal.
Le commandant de la place Joseph de Neyon retraça
le tableau de la détresse qui l'avait forcé à capituler'. Le
capitaine de gendarmerie Pelegrin avait d'autres excuses.
[1 n'était pas compris dans la capitulation, et il en vou-
lait proGter comme le reste des troupes ; mais quand il
sortit avec ses gendarmes il fut rencontré par un déta-
chement ennemi, ramené de force et contraint au ser-
ment de ne rien entreprendre contre le roi de Prusse et
de rester fidèle au ci-devant Louis XVP. Il en convenait,
ainsi que les quatre gendarmes arrêtés avec lui et con-
traints au même serment : Joulin, Milly, Leclerc, Des-
prezMJn cinquième gendarme, P. Thuilleux, était incri-
miné pour un autre fait : il avait porté une lettre de
l'émigré Breteuil, alors à Verdun, à d'autres émigrés;
mais il ne l'avait fait que sous la menace d'être pendu,
— et pour cela il était menacé de la guillottino\ Le
vieux Grimoard (70 ans), ancien colonel d'artillerie,
signalé comme ayant porté l'écharpe blanche après Toc-
cupation, disait qu'il ne l'avait portée que comme insigne
1. Ai-cliivcs, W 352, dossier 718, 2« partie, pièce 50.
2. ibid., !'• partie, pièce 31. Cf. son interrogatoire à Verdun» 3 novembre
1792, ibid.y pièce 33. — 3. Ibid., 2* partie, pièce 50.
4. Ibid., 2- partie, p. 50-53.
5. Ibid.t pièce 56.
328 CHAP. XXXn. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
de vétéran et qu'il l'avait ainsi portée pendant le siège *.
Daubermesnil, plus âgé encore (75 ans), major de la cita-
delle de Verdun, de 1765 au l"août 1791, époque où la
charge fut supprimée, afGrmait qu'il n'avait pas repris
de service sous la domination prussienne; mais il recon-
naissait qu'il avait été employé à délivrer aux habitants
des permis d'entrer dans la citadelle, sur la réquisition
expresse du gouverneur, M. deCourbière*. H.-Fr. Croyé,
capitaine d'ouvriers d'artillerie, qui ne se trouvait pas
à Verdun pendant le siège, mais à Regret, protestait
contre l'accusation d'avoir aidé les ennemis à établir une
batterie à Saint-Barthélémy contre la citadelle'.
Indépendamment de ces militciires plusieurs bourgeois
étaient impliqués dans les événements qui avaient amené
la capitulation ou qui Tavaienl suivie :
Philippe Périn, droguiste, signalé comme le principal
promoteur du rassemblement qui pesa sur les détermi-
nations du-Conseil de défense* ; Jacques Petit, vigneron;
François Fortin, marchand cirier, accusés de l'avoir
secondé'.
Chotin fils, perruquier, suspect d'avoir été en relation
avec les émigrés : il était en quelque sorte trahi par son
état*.
Nicolas Lamèles, receveur du district, et J.-B. Barthe,
receveur de la commune et juge de paix, avaient, après la
capitulation, reçu ordre du maire, au nom du gouverne-
ment prussien, de se rendre au conseil général de la
1. Archives, Vf 352, dossier 718, 2* partie, pièce 54, cf. son interrogatoire du
21 octobre 1702.
2. Ibid., pièce 58. — 3. Ibid,, pièce 54.
4. Ibid., p. 31.
5. Ibid., 1" partie, pièces 19 et 20.
0. Ibid,, pièce 21.
LES MILITAIRES, LES HABITANTS, LES ECCLÉSIASTIQUES. 329
commune pour y remplir leurs fondions d*adjoinls.
Dans l'enquôtc faile en octobre 1792, à Verdun, La mêles
avait dit qu'il avait prolesté, refusant de reconnaître
rautorilé prussienne et d'exercer aucune fonction; et il
afGrmail qu'en effet il n'en avait rempli aucune *. Barlhe
avouait qu'il s'était rendu commo Lamèles à la munici-
palité, où sa présence était requise pour assister à toutes
lesopérationsenmatièred'administration et d'imposition,
à peine de nullité. 11 l'a fait pour ne pas être cause d'un
retard ou d'une inexécution préjudiciable à la ville', et
le 18 germinal il dit qu'il a su tirer parti de sa position
pour lui rendre des services. Il est allé chez le comman-
dant prussien pour obtenir des réductions sur les contri-
butions exigées et a fait plusieurs autres démarches en
faveur de ses concitoyens*.
Puis les chanoines ou ecclésiastiques, religieux ou re-
ligieuses, compromis à divers litres pendant l'occupa-
tion :
Jean Gossin (69 ans), chanoine de la Magdeleine à
Verdun, y était resté pendant le bombardement et s'était
borné, après le siège, à faire visite à l'évêque qui venait
de rentrer à la suite de l'ennemi*; Jean-Miçhel Colloz
(72 ans), ci-devant bénédictin, prieur de Saint-Fïéry,
archiviste et bibliothécaire de Verdun, se défendait d'a-
voir fait cette visite. S'il avait vu l'évêque, c'élait mandé
par son ordre, pour lui rendre compte de l'état des ar-
chives de sa maison '. Claude-Elisabeth Lacorbière, ci-
1. Archives, W 352, dossier 718, 2* partie, pièce 60.
2. Ibid., pièce 62.
3. Ibid., pièce 63. Voyez en outre les mémoires justificatirs de Bartlic et de
Lamèles, ibid., i'* partie, pièce 60.
4. Ibid., 2» partie, p. 32.
5. Ibtd., pièce 33.
330 CHAP. XXXH. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
devant doyen du chapitre de la cathédrale, interrogé s'il
avait reçu Tévèque chez lui, disait qu'il l'avait vu dans
sa voiture sur une place. L'évêque lui avait dit qu'il
venait chez lui <c en vertu d'une lettre de logement. »
C'est à ce titre qu'il l'avait logé en effet'. C'est par la mu-
nicipalité et le district qu'il avait été rétabli le 14 septem-
bre dans ses fonctions à la cathédrale. C'est de la mémo
sorte que Christophe Herbillon (76 ans), curé de Saint-
Médard, avait été réintégré dans son église; Guillaume
Lefèbvro, bénédictin, était resté ce qu'il était lors de la
prise de Verdun '.
Quant aux femmes, il y en avait un premier groupe,
signalé comme ayant porté au camp prussien les trop
fameuses dragées de Verdun: Mme Lalance et la veuve
Masson, qui les avaient achetées chez le conûseur Tous-
saint ; MmeTabouillot et sa fille Claire Tabouillot, et les
trois demoiselles Henry (Suzanne, Gabrielle et Barbe).
Dans leur premier interrogatoire, à la fin d'octobre, de-
vant la commission municipale provisoire, Mme Lalance
et Mme veuve Masson avaient reconnu qu'elles avaient
acheté des dragées chez le confiseur Toussaint, qu'elles
les avaient déposées dans la voiture pour aller au camp
prussien avec l'intention de les offrir au roi et aux offi-
ciers, ajoutant toutefois qu'en route elles avaient changé
de résolution et s'étaient abstenues de les offrir'.
Mme Tabouillot et sa fille avaient avoué qu'elles avaient
accompagné Mmes Lalance et Masson, et confirmaient
leurs déclarations sur les dragées^ ; les demoiselles Henry
1. Archives, \V 352, dossier 7iK. 2« partie, pii'ceSD.
2. Ihid., pii'ce 34.
3. /fciV/., pièce 28 (30 oclobrc 1702).
4. !bid. (27 octobre).
LES FEMMES ET LES JEUNES FflXES. 531
n'avaient su qu'il y avait des dragées qu'en voyant lo
panier dans la voiture*.
Devant le juge du tribunal révolutionnaire (12 ger-
minal), sachant à qui elles avaient afCaire maintenant et
comment la moindre inconséquence devenait crime ca-
pital, elle essayèrent de revenir sur ces déclarations'.
Claire Tabouillot seule avoua qu'il y avait, avec les rafraî-
chissements contenus dans un panier, quelques livres
de dragées qu'on avait eu l'intention d'offrir aux ofGciers
logés chez elle; mais elle maintenait qu'on n*y donna
pas suite et qu'on rapporta les dragées à Verdun*.
Un autre groupe de femmes étaient allées au camp
une autre fois et sans dragées: c'étaient la demoiselle
Lagirouzicre et les trois demoiselles Vatrin (les dames
qu'elles avaient accompagnées, et qui avouèrent en oc-
tobre leur visite au roi de Prusse, ne figurent pas au
procès) et avec elles une veuve Brigand qui niait même
sa visite au camp\ La demoiselle Lagirouzière et les
demoiselles Vatrin ne nièrent pas cette imprudence;
elles étaient allées au camp par curiosité et comme tout
le monde, sans doute dans l'espoir de voir ces batteries
dont les projectiles les avaient tant effrayées*. Hélène
Vatrin, la plus jeune des trois sœurs, avouait même
c( qu'elle avoit parlé au roi de Prusse qui lui demanda
s'il y avoit comédie à Verdun, et qu'elle lui avoit répondu
que non » ; elle ajoutait que « c'étoit à cela que s'étoit
bornée toute la conversation®. > Le prétendu bal où les
1. Archives, W 552, dossier 718, 2* partie, pièce 28 (27 octobre 1792).
2. Ibid., y^'ièccs 41,46,40.
5. Ibîd.^ pièce 4.'5.
4. Ibid., pièce 40.
5. Ibid., p. 40 et 57-50.
Ti. //>/>/., pièce 57.
352 aiAP. XXXÏI. — FLORÉAL (PREMIÈRE DfXADE).
femmes de Verdun avaient dansé avec les Prussiens, il
n'en était même plus question alors. Mais le juge veut
grossir la conspiration. On ne peut que lever les épaules
de pitié quand on Tentend demander à la jeune Bari)e
Henry :
Si pendant le siège de la ville elle n*a pas, par ses intri-
gues, forcé les autorités constiiuées et la garnison à rendre
cetle place aux ennemis de la France * ?
Elle avait alors quinze ans!
A cette même question, Anne Vatrin répond ingénu-
ment :
Qu'elle avoit trop peur pour cela; qu'elle s'étoit cachée
dans son jardin pour voir tomber les bombes*.
La curiosité plus forte que la peur ! Sans doute, quand
elle en voyait une, elle se cachait les yeux de ses deux
mains pour en éviter les éclats!
L'accusateur public, dans son réquisitoire, divisa les
accusés en trois classes :
La première comprenant d'abord les militaires : le
lieutenant-colonel Neyon, commandant de Verdun; Gni-
MOARD, ancien colonel du régiment provincial de l'artil-
lerie de Metz; Pelegiun, capitaine de gendarmerie, avec
les cinq gendarmes Îiiuilleux, Jodlln, Milly, Leclerc et
Gérard Desprez ; puis ceux dont les manifestations avaient
hiUé la capitulation de la ville ou qui y avaient rempli des
fonctions pendant l'occupation prussienne: Crové, capi-
taine d'ouvriers d'artillerie; Daubermesnil, major de la
place, qui était resté dans la citadelle pendant l'occupa-
1. Arrliivcs, \V rjr)2, dossier 718, 2* partie, pièce 40.
2. Ibû/., pièce 39.
ACTE D'ACCUSATION. 353
lion; Lamèles et Bahtiie, adjoints à la municipalilé dans
le même temps; Periun, droguiste, signalé comme l'in-
stigateur du mouvement populaire ; enfin les trois indi-
vidus associés par Mallarmé au funèbre convoi, pour des
sentiments ou des propos anti-civiques : François Foutin,
marchand; François Ciiotin, perruquier; Petit, vi-
gneron.
La seconde classe où se rangeaient les cinq ecclésias-
tiques qui, bien qu'insermentés, avaient repris à Verdun
l'exercice de leur état : Cl. Lacorbière, doyen du chapi-
tre; CoLLOz (72 ans), et G. Lefebvre, anciens bénédictins;
Chr. FIerbillon (76 ans), curé de Saint-Médard, et J. Gos-
siN (69 ans), chanoine de la Magdeleine. « Si nous consi-
dérons la conduite des prêtres, dit l'accusateur public
dans son réquisitoire, nous ne voyons pas qu'ils aient
attaqué la liberté à force ouverte, mais au moins nous
connoissons toutes leurs intrigues, toutes leurs menaces,
leurs efforts pour ressusciter leur charlatanisme* ; » —
et c'était assez.
La 3* classe comprenait les femmes, « un sexe foible,
comme dit Taccusnteur public, parmi lequel se trouvent
des femmes que l'âge a mûries, et d'autres qui sont en-
core dans loute l'ingénuité de la nature et qui devraient
en avoir la vérité, » phrase à effet qui répond à la fois
à ceux qui ont exagéré ou qui ont voulu réduire à rien
l'histoire des ce vierges de Verdun »; et la liste des accu-
sées y répond mieux encore : on y compte sept femmes* et
sept jeunes ûlles : les trois sœurs, Suzanne, Gabrielle et
1. Bullclin^nr 50, p. 200.
*i. Gcncvièvc-Elisabelh Dauphin, feiiiine Brigand, 50 ans; — Margucrile-An-
géliquc Ij^ GiRooziÈRE; 48 an»; — Anne Grandfebvre, femme Tabouillot; —
Tlicrcsc PiERsoN, Temnic Bestel ; — Maric-Fraiiçuisc Ue.nrt, femme Lala5ce ;
— Franijoisc Herbilu». veuve K asson ; — Marguerite Croûte, 48 ans.
S34 CIIAP. XXXlî. — FLORÉ\L (PREMIÈRE DÉCADE).
Barbe Uenuy (26, 25 et 17 ans); les trois sœurs Anne,
Henriette et Hélène Vatrin (25, 25 et 22 ans), et Claire
Tabouillot (17 ans), les six premières, orphelines de père
et mère*; la septième, orpheline de père, voyait sa mère
(Anne Grandfebvre) , auprès d'elle, sur les bancs des ac-
cusés. Ceux, du reste, qui de nos jours ont voulu vieillir
ces pauvres jeunes ûlles, pour diminuer l'intérêt que
leur âge inspire, peuvent se recommander de l'exemple
de ce président du Comité révolutionnaire de Verdun,
moine défroqué, qui, interrogeant la plus jeune, lui
disait :
Comment t'appelles-tu? — Barbe Henry. — Quel àgc as-
tu ? — Seize ans. — (S'adrcssant au greffier :) — Écris : fille
majeure, — Non, citoyen, je ne suis pas majeure, puisque
je n'ai que seize ans. — Tais-toi. Tu aimes les Capcts, puisque
tu as offert des dragées et des fleurs au tyran prussien. (Au
greffier :) Citoyen, écris fille majeure I
Elle eut grand'peine à faire écrire son àgc véritable.
On l'écrivit pourtant. Respect enfin pour le procès-ver-
bal!
L'accusateur public reprenait les griefs sur les(iuels
les accusés de ces trois classes avaient eu à répondre dans
leurs précédenls interrogatoires.
Quant aux femmes, ce qu'on leur reprochait surtout,
c'était leur démarche solennelle au camp des Prussiens,
et les présents qu'elles y auraient portés. A cet égard la
légende s'évanouissait devant le témoignage fort grossier
et malveillant d^ailleursdu charretier qui les avait con*
duites au camp :
1. La mère des demoiselles Henry, qui ligure dans riiifurniation de 170^,
était morte depuis.
LA VISITE AU CAMP PRUSSIEN. 3S5
J. N. Bourguignon a dit et dépose que, quelques jours après
le hoinhardemcnt de ladite commune, il lui a été ordonné de
mettre les chevaux au charc/ de triomphe pour conduire au
camp du ttran, Roy de Prusse, à Bras les nommées femme
Tabouillotet sa fille, la femme et la fille Lalance de Mongaut,
les trois demoiselles Henry, Dcspondrian (Bcrmont d'Espon-
deilhan), la femme Lalance qui a son mari émigré et la Sam-
son, ayant accompagné derrière le char, à pied; lesquelles
dénommées ont été au camp du roi de Prusse à Bras, distance
d'une lieue, avec deux chevaux attelés, et beaucoup d'autres
qui ne connolt pas; dans ledit chard de triomphe il y avoit
un panier, qui a été pris chez (la) nommée Lalance de Fromc-
rcville ; a dit aussi que le nommé Despondrian, qui a été
invité à faire la même partie, a monté sur le dit char et s*est
laissé conduire jusqu'au front de bandière du dit camp ouïes
factionnaires du liran prussien ont fait arrêter la dite voiture;
par ordre ou non, il n'a été permis qu'aux femelles scélérates
d'entrer et parcourir dans le camp et non au scélérat du sexe
masculine
Et raccusateur public lui-même confirmait le carac-
tère fort peu solennel de celte visite quand, usant d'une
image beaucoup moins flatteuse pour le sexe faible dont
il parlait plus haut, il ajoute :
« On vous a dit que ce char n'était autre chose qu'une
misérable charrette ouverte de tous côtes, un char à fu-
mier. Eh bien ! en appréciant à leur juste valeur ces
femmes rampantes, montées dans leur voiture à fumier,
je dis que jamais cette charrette «'en voitura tant que
lorsque ces femmes allèrent visiter le tyran. »
Il était pourtant difficile de les comprendre toutes dans
celte prétendue procession, portant, en cet équipage, au
roi de Prusse des compliments et des dragées: des trois
1. Archives W 3524 dossier 718, 3* partici pièce 48 (23 pluviôse).
356 CUAP. XXXÏI. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉaDE).
demoiselles Vatrin, par exemple, l'une n'était pas allée
au camp et les deux autres y étaient allées un autre jour
que les demoiselles Henry et Tabouillot. Mais deux des
trois sœurs, Anne et Henriette, étaient convenues que,
pendant l'occupation, elles avaient donné 4000 livres
à un ancien ami de leur famille, Rodes, ci-devant pré-
sident au parlement de Metz, qui revenait sans ressour-
ces^ Elles renouvelèrent leurs déclarations, chacune des
deux revendiquant pour soi ce que l'on qualifiait crime
dans cet acte de générosité, afin d'en décharger Taiitrc.
On aurait voulu obtenir des autres des déclarations qui
leur servissent d'excuse, en rejetant la faule sur leurs
parentes qu'elles se seraient bornées à suivre. Mais elles
refusiTenl de sauver leur vie à ce prix; et ce noble^dé-
vouement laissa les juges insensibles :
« Malheureusement pour le triomphe de rinnocence, dit
le Bulletin du tribunal, ces jeunes personnes, soit par une
opiniâtreté mal entendue, soit par attachement pour leurs
mères et leurs coaccusées, n'ont point seconde le tribunal qui
s'eiTorçoit de les soustraire au glaive de la loi. »
Le verdict du jury fut aflirmatif contre tous les accu-
sés. Seulement, vu le jeune âge de Barbe Henry cl de
Glaire Tabouillot, le tribunal se borna à les condamner
à vingt ans de réclusion et à six heures d'exposition sur
l'échafaud.
Les trente-cinq autres furent condamnés à mort*.
Les feuilles du temps ont enregistré celte sanglante
hécatombe comme tant d'autres qui désormais se succé-
1. Archives, W 352, dossier 718, 2« partie, pièce 28 (30 et 31 octobre 1792).
2. Ibifi., 5* partie, pièces 100 et 102. Cf. Moniteur du 13 Horéal (2 mai
1794). — Procès-verbal d'exécution, 5 floréal, 7 heures de relevée. (Archives,
W 527.)
LES VICTIMES DE VERDUN. 537
daicnt journellement sans s'y arrêter davantage. Le sou-
venir pourtant en était demeuré et la poésie n'y est pas
restée insensible. Bornons-nous à citer les vers de Delille *
et Tode de Victor Hugo. Quand aux beaux-arts, peut-on
y songer sans se rappeler qu'un grand sculpteur, s'in-
spirant trop ici du grand peintre, son homonyme, a osé
toucher non pas comme artiste, grâce à Dieu! mais
comme journaliste ou chroniqueur, à cette page d'histoire
pour justifier les hommes de la Terreur? Ne nous en
plaignons que pour lui-même, puisque cette tentative
malheureuse a provoqué une réplique aussi décisive.
M. Cuvillier-Fleury ne paraît pas avoir connu le dossier
qui confirme irrévocablement ses assertions. Mais il a
publié ces pages touchantes où nous retrouvons le souve-
nir de ces jeunes filles conservé par une des deux qui
furent soustraites à la guillotine, sinon entièrement à
réchafaud. L'une des deux, celle précisément qui écrit,
faillit bien, malgré le jugement, y accompagner les
autres. Comme elle était restée avec ses deux sœurs dans
leurs derniers moments, un des aides du bourreau, ne
distinguant pas les condamnées, s'apprêtait à lui couper
les cheveux, quand l'aînée des deux qui allaient mourir
l'arracha de ses mains.
Le sacrifice s'accomplit sans elle ; et son récit ne peut
aller au delà de cette lugubre séparation. Mais on peut
conjecturer que le public ne partagea point contre les
condamnées les sentiments que Fouquier-Tinville avait
cherché à exciter par son réquisitoire. Lorsque le lende-
main elles furent, elle et Claire Tabouillot, exposées sur
l'échafaud pendant six heures, en face de celui où
1. Malheur cl Pilié, chanl I1I«.
TRIB. RÉVOL. III 22
338 CHAP. XXXn. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
avaient péri la veille la mère de l'une et les sœurs de
Tautre, on avait alûché au-dessus de leur tétc un écriteau
qui les accusait c d'avoir livré la ville de Verdun à V en-
nemi en lui fournissant de l'argent^ des vivres et des
munitions de guerre. »
a Nous ne pouvions, dil-elle, lire cette inscription, et
ce ne fut que longtemps après que nous avons connu ce
ridicule libelle. Les spectateurs, en le parcourant, haus-
saient les épaules de pitié et, malgré la foule du peuple
qui environnait Téchafaud, nous ne reçûmes pas d'in-
sultes*. >
VI
5 floréal : amalgame pour propos ou écrits; 6 floréal : Anisson-Dupcrron.
Ce n'était pas assez des trente-cinq victimes. Le même
jour, une autre fournée de neuf comparaissait devant le
tribunal pour propos ou écrits contre-révolutionnaires*.
Des accusés de toute origine se trouvaient encore réunis
là, sans autre rapport que ceci : les propos étant contre-
révolutionnaires, ils faisaient donc partie de la grande
conspiration contre la Révolution.
Ainsi la femme Bertheaux avait trouvé une prétendue
lettre de Fouquier-Tinville à Robespierre, l'avait ouverte,
puis communiquée à d'autres personnes, parce qu'elle
ne pouvait pas la déchiffrer : la lettre fut portée au comité
révolutionnaire du Panthéon. On l'accusa de l'avoir écrite
et colportée'. Or, dans cette lettre, Robespierre était
accusé de conspiration : « Robespierre, le plus ferme
i. Cuvillier-Fleury, Portrait t politiques et révolutionnaires , p. 401.
2. Archives W 351, dossier 719. Dulletin, n"- 51 cl 52.
3. Archives, ibid.^ pièce 53.
ATTAUUES CONTRE ROBESPIERRE. 330
appui de la liberlé ut l'clTroi des eoiispiraleurs ; »
quand « c'est à lui principalement que la République est
redevable de la découverte des complots sans nombre
formés pour rétablir la tyrannie. »
François Bomnin, ouvrier imprimeur, avait dit que t les
complots de Robespierre ne tarderoient pas à être dévoi-
lés. » L'accusateur public, de peur de blasphème, n'ose
pas citer sa phrase. Il avait dit, selon un témoin, que < ia
tétc de Robespierre ne tarderoit pas à passer à la fenêtre
(la guillotine !] ; a que dans peu la tèle de Robespierre
tomberait ou qu'il y perdrait son nom de Bonnin'; et
lui-même interrogé s'il l'adil, il répond :
Que oui et qu'il étoit(;ris.
Griii ou non, évidemment il faisait partie du même
complot que la femme Bertheaux, et on y pouvait rat-
tacher encore Malh. Schweyer, un Autrichien, établi
depuis quinze ans à Paris, qui avait écrit et qui avait
placardé sur un arbre des Tuileries cette affiche forte-
ment timpmnte de son origine germanique :
Ropcrspicre membre de
la Convention national
voleur publiquement
du gabine secret complis
avec du baignier • [du vol) de
diamant, procureur
du Roy de Brusse*, etc.
Qui avait pu luiiuspii'er celte audace? Le juge ilarny
le i-clourne de toute façon dans son interrogatoire :
I. Veut-il dire Depegroaf
3. Arehivei, W 351, dosiier 719, piècâ 17. A celte tfGche reate ippliqud un
340 aiAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈUE DÉCADE).
D. Lisez-vous souvent les journaux?
R. Très-peu.
D. Allez-vous souvent dans les cafés?
R. Je ne sors guère.
D. Allez-vous souvent à votre section?
R. Je n*y vais point.
D. Je vous observe comment cst-il possible que ne lisant
point les journaux, ne sachant pas le François, ne connoissant
personne, vous avez pu imaginer ce qui est dans le placard et
pourquoi avez -vous dit spécialement que Robespierre éloit
un voleur?
R. C'est qu'on m'a fait du tort.
D. Est-ce Robespierre qui vous a fait du tort ?
R. Oui.
D. Comment vous a-t-il fait du tort?
R. Parce qu'ayant fait ma déclaration pour me mettre en
règle, je n'ai pas eu ma carte de citoyen et j'ai été eu arresta-
tion deux jours.
D. Ce n'est point Robespierre qui est cause de votre
arrestation. Pourquoi l'avez-vous attaqué, pourquoi avez-vous
écrit qu'il étoit un voleur, qui vous a dit qu'il l'étoit?
R. Personne ne m'a dit qu'il fût un voleur, mais je persibte
à dire qu'il m'a fait du tort.
D. Avez-vous été engagé par quelqu'un à faire le placard
que vous avez affiché?
R. Non.
D. Est-ce vous qui l'avez écrit?
R. Oui.
D. Avez-vous fait plusieurs copies de ce placard?
R. Je n'ai fait que celle-là?
D. Pourquoi Tavcz-vous affiché plutôt aux Tuileries?
R. C'étoit mon idée, etc. *.
Un facteur de clavecins, Adam Fintzel, qui passait par
les Tuileries pour aller accorder un de ces instruments,
1. Archives, W 351, dossier 719, pièce 23.
ANISSON-DUPERRON. 541
se trouvant près de là quand on arrêlait Schweyer, fut
arrêté lui-même comme son complice. On avait rais dans
la même fournée Jean Pommeraye, canonnier, perruquier
de son état, accusé d'avoir voulu soulever les prisonniers
à TAbbaye; Jean-François Noël, potier d'étain,qui avait
tourné en dérision la fête civique célébrée à Meaux pour
l'acceptation de la Constitution, et trois autres, Jacques-
Louis Gelis dit Pellissier, J.-B. Philipp, et Antoine Cos-
TREJEAN, pour propos plus ou moins malsonnants tenus
dans l'ivresse*. Les trois ivrognes et Fintzel furent acquit-
tés, les cinq autres condamnés *.
Le procès d'AjvissoN-DcPERRON, directeur de l'impri-
merie nationale du Louvre, qui eut lieu le lendemain
6 floréal (25 avril'), est an des plus grands scandales
judiciaires de cette époque. On voit les habitants de la
commune dont il avait été seigneur profiter de ce qu'il
est en prison pour le rançonner, et le tribunal saisir le
prétexte de l'abandon qu'il a dû faire d'une partie de ses
biens pour lui prendre le reste avec sa tête.
Anisson-Duperron, seigneur de Ris, aurait pu croire
qu'en raison de ses grands biens et du libéral usage qu'il
en faisait il garderait de l'influence dans sa commune,
même après qu'elle venait de prendre le nom de Brutus.
Lors de la constitution des municipalités et de la nomi-
nation des officiers municipaux, le corps municipal se
composa de ses partisans (6 décembre 1789); mais
il y eut protestation, nomination d'une municipalité
nouvelle. L'Assemblée constituante les cassa Tune et
i. Même dossier, pièces 72, 50 et 62.
2. Ibid., pièce 77.
3. Archives, W 355, dossier 723, Bulletin, n- 52 et 53.
342 CHAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DfiCADE).
Tautre, et en fit nommer une troisième où Anisson tenta
vainement de faire arriver ses amis (24 mai 1790). II
n'avait pas mieux réussi à se faire nommer commandant
de la garde nationale du district, et dès loi^ il renonça
à ses vues politiques. Ses adversaires ne s'en tinrent pas
pour satisfaits. On lui chercha chicane pour les réserves
de bois qu'il avait chez lui. Il avait 283 arpents de bois.
Il avait cru, au lieu de vendre sur place comme faisait
son père, pouvoir garder le produit de ses coupes pour
ses ateliers et ses manufactures. On l'accusa d'accaparer^
Il n'était pas marchand. 11 ne se croyait pas tenu à des
déclarations; néanmoins le maire (son régisseur J.-B.
Lebault insistant) en ût une approximative. On la jugea
insuffisante et le propriétaire fut cité devant le tribunal
de Corbeil. Mais le tribunal le renvoya par un arrêt de
non-lieu*.
Alors on reprit contre lui l'affaire des élections muni-
cipales. Ces élections, faites, cassées et refaites, ne s'étaient
point passées sans quelque agitation. On l'en rendit res*
pensable, et les autorités de Corbeil le firent metti*e en
arrestation, quatre ans après les faits incriminés'.
C'est ici que commencent les viles intrigues dont il
devint la victime.
Pour désarmer les animosités de sa commune, Anisson-
Duperron n'avait négligé aucune occasion de s'y montrer
généreux. On allait y célébrer une fête patriotique : il
l'apprend (il était détenu depuis six semaines) et il y
1. Voyez pour tous ces faiU les deux pièces 25 et 27. Cette dernière du
14 Tentôse est la dénonciation du comité de surveillance du district de Corbeil
contre Auisson-DupeiTon.
2. Môme dossier, pièces 31 et 33 (interrogatoire d'Anissou-Dupcrron, 25
venlôsc) ; pièce 19 (interrogatoire de Lebault).
5. Ibid., pièce 27, comité de surveillance de Corbeil, 14 vcntâse an H
(4 mars 1794).
ANISSON-DDPERRON. 343
envoie pour sa contribution 10000 livres. Son ami
Jacquetavaitctéchargé de porter son offrande et il espérait
qu'à ce prix Jacquet, dont il connaissait Thumeur conci-
liante, saurait obtenir le désistement de la commune, la
rendre même favorableà son élargissement. Mais ce n'était
point par ces libéralités d'une portée générale qu'il pou-
vait triompher des intérêts particuliers. Il ne faisait même
par là qu'exciter les convoitises.
Jacquet avait pu s'en convaincre, et à son retour il fit
connaître au détenu la vérité de la situation. Il y avait
à Ris des gens qui avaient subi des pertes par d'anciens
procès avec son père ; d'autres étaient ou voulaient être
ses fermiers et réclamaient des baux à long terme. Jac-
quet lui dit que le désistement pourrait bien tenir à des
concessions^ Anissonnes'y refusa'point. Jacquet retourna
à Ris, je veux dire à Brutus, et il a raconté lui-même
l'histoire de son message*. Une réunion des principaux
de la commune eut lieu chez le maire; ils lui déclarèrent
que, a si Anisson, qui avait eu tort de ne pas fraterniser
avec eux (il leur avait envoyé 10 000 fr. pour une fête !),
voulait restituer les terres dont il les avait privés en les
cédant aux habitants à rente perpétuelle, et donner à la
commune une somme de 10000 livres payées comptant,
ils viendraient tous réclamer son élargissement. » Jacquet
accueillit la proposition, et Raby, un des meneurs, se
chargea de lui apporter le lendemain l'état des terres. Il
fut exact à remettre cet état et ajouta lui-même au dos
la désignation des terres qu'il réclamait en son propre
nom c comme ayant perdu 20 000 livres avec [par le
fait d'I Anisson. >
1. Munie (la<«ici\ pièces 51 et 33 (interrogatoire d'AiûssoD-Doperron).
2. Ibid.f pièce 44 (interrogatoire de Jacquet).
544 aiAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
La note fut remise à l'ancien seigneur prisonnier. Il
n*y avait pas à marchander; Jacquet apporta les
10 000 livres réclamées par la commune. 11 ne s'agissait
plus que de s'entendre pour le reste : des terres ne se
donnent pas comme de l'argent. C'est une réflexion
qu'avait faite aussi Raby, et deux jours après il vint dire
à Jacquet « qu'un député du Comité de sûreté générale
lui avait conseillé de ne pas accepter des promesses du
détenu. » En conséquence il lui demandait en numéraire
les 20 000 liv. auxquelles il avait évalué son dommage ;
c'était 20 000 liv. à ajouter aux 10 000 déjà données.
Anisson s'exécuta encore: il envoya les200001ivres^
Rendez-vous fut pris à l'auberge de l'Égalité. Raby y
conduisit dix ou douze des chefs de la commune. Us re-
çurent 20 000 livres et prirent une délibération pour venir
le lendemain au Comité réclamer l'élargissement de Du-
perron. Dans cette réunion, Raby et le maire, tirant à part
Jacquet, lui dirent que les autres 10 000 liv. — leslO 000
liv. réclamées pour la commune — « étoient pour indem-
niser les autres habitants qui avoicntle plus souffert. >
Jacquet avait regagné Paris, peu édifié sans doute de
ce tripotage, quand, le lendemain, il vit venir trois habi-
tants de la commune, se disant commissaires et excusant
Raby qui n'avait pu se joindre à eux comme quatrième.
Us dirent qu'ils voulaient être payés pour leurs frais par-
ticuliers et demandèrent chacun 1000 livres. Ils se
rabattirent à 500 que Jacquet leur donna*.
Ces choses étant connues, que lit le Comité de sûreté
générale? Renvoya-t-il ces escrocs, maire et autres, au
tribunal criminel qui devait les punir? Non, ce fut Anis-
1 . Même '22 000, craignant, sans doute, quelque nouvelle chicane. M(^mc
dossier, pièce 44 (interrogatoire de Jacquet). — 2. Ihùf.
ANISSON-DDPERRON, JACQUET, ETC. 345
son-Duperron qui fut traduit au tribunal révolutionnaire
avec Jean-Claude Jacquet, son ami, J.-B. Lebault, son
régisseur, Emmanuel Escoffier, qui avait été 55 ans
concierge et économe de la terre de Ris ; François Gou-
RON, lié d'affaires avec Duperron, et Louis Gouffé de
Beauregard qui connaissait Jacquet.
Devant le juge du tribunal, Anisson-Duperron n'eut pas
de peine à dissiper les prétendues raisons de son arresta-
tion. 11 y avait eu à Ris partage d'opinion sur son
droit à l'éligibilité ; il n'y avait pas eu de trouble, et
pour la question d'accaparement l'ordonnance de non-
lieu du tribunal de son district y avait répondu. On
l'accusait d'avoir cherché à gouverner en despote dans
sa commune ; et c'étaient les officiers de cette commune
qui le faisaient détenir sans raison ! Quant à l'affaire
d'argent, il l'exposa dans toute sa sincérité. Ce n'étaient
pas des geôliers qu'il avait tenté de corrompre, c'était
une persécution injuste qu'il avait tâché de désarmer à
ses propres dépens*. Jacquet complétait par les détails
qu'on a vus plus haut le récit d' Anisson-Duperron, en ce
qui lui était personnel, affirmant « qu'il ne s'était chargé
de celle commission que pour un bien de paix, et qu'il se
glorifiait d'avoir concilié les esprits*. > Lebault soutenait
qu'il n'y avait pas eu de troubles à Ris, d'octobre 1791
à août 1792, époque où il s'y trouvait\ Escoffier n'avait
contre lui que son vieil attachement à la maison de son
maître. On l'accusait d'avoir intrigué pour le faire nom-
mer commandant de la garde nationale du canton : il
dit que ceux qui le chargeaient étaient ses ennemis
1. 25 ventôse, même dossier, pièces 31 et 33.
2. Ibid.f pièce 44.
7k Ibùl., pièce 19.
3iC CIIAP. XXXll. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
déclarés, et qu'il leur répondrait aux débats *. Malheureux
qui ne savait pas que d'aller jusqu'aux débats c'était
courir au précipice! Gouron était étranger à tout, excepté
à une manufacture où Ânisson avait des fonds et que
lui-même administrait*. Gouffé de Beauregard ne con-
naissait même pas Anisson-Duperron. Il n'avait été mis
en cause que parce que Jacquet l'avait désigné comme
lui ayant fait connaître plusieurs des habitants de Ris'.
Plusieurs comités ou sociétés populaires étaient inter-
venus en sa faveur*: il fut acquitté, et encore y eut-il
dans le jury quatre voix pour l'envoyer à léeliafaud*.
Ânisson et les quatre autres furent condamnés*. Ce qui
perdait ces derniers, c'étaient leurs relations avec Anis-
son; ce qui perdit Anisson, ce fut surtout son magni-
fique domaine de Ris dont sa condamnation faisaitla pro-
priété de la République. 0 ma terre (VAlhel C'est tou-
jours le mot du proscrit de Sylla.
VII
7 florénl : Mme de Rcllecise ; le onpilaine Tiinquelague; le cocher Mangin,
8 floréal : ouvriers et paysans.
A chaque jour son crime — et s'il n'y en avay, qu'un !
Le 7 floréal (26 avril), une jeune femme de 18 ans,
Armande de Troussebois, femme de Bellecise, ex-nobic,
était condamnée comme complice, disons plutôt comme
1 . Archives, \V 351 , dossier 725, pièce 45.
2. Ibid., pièce 43.
3. Ibid., pièce 101, interrogatoire.
4. Jbid.f pièce 83, etc.
5. Ihicl., pièce G, questions posées au jury.
C. Ibid.t pièces 3 et 4.
MADAME D£ BELLEGISE, TRINQUKLAGUE. 547
fille de son père déjà condamné. Son dossier ne porte
aucune trace d'interrogatoire, et les questions sont ainsi
posées :
11 est constant par la déclaration du jury, en date du
19 pluviôse dernier, qu il a été entretenu des inlelligencei
contre-révolutionnaires avec les ennemis extérieurs de la
République, notamment par la famille Troussebois avec les
émigrés et les ci-devant princes à Turin.
Armande-Amédée- Victoire Raillard Troussebois, femme
Bellecise, a-t-elle été complice de ces intelligences en émigrant
avec son père au mois d'avril 1791, en communiquant avec
les émigrés, avec les conspirateurs, avec la cour du ttran
sarde, avec la femme du traître d'Artois, et rentrant en France
en novembre 1792*?
Réponse affirmative et envoi à Téchafaud.
Gabriel Tiunquelague, capitaine au 34*^ régiment d'in-
fanterie, était accusé d'avoir voulu, après la capitulation
de Longwy, entraîner ses soldats à la désertion*. Voici
comment il raconte lui-même la chose :
En sortant de Longwi nous avons été escortés par Tar-
méc autrichienne et prussienne. Au bout d'une ou deux
heures de marche je vis un officier prussien dans le dépôt de
Lauzen, lequel étoit prisonnier comme nous. Je demandai à
haute voix à Simon trompette : Que vous dit cet officier? — Il
nous propose de passer de l'autre côté. — Qu'est-ce que vous
lui avez répondu ? — Que nous étions tous bons patriotes et
qu'il n'en amèneroit aucun avec lui. — Vous êtes un brave
soldat; il seroit à désirer que tous les soldats françois pensas-
sent comme vous.
C'est alors qu'il eut l'idée de mettre ses compagnons à
l'épreuve, et, pourqu'on ne se méprît pas sur ses inten-
1. Archives, NV 55i, Jos^. 733, pièce 3. Bulletin, n" .55.
2. Archives, W 353, dossier 730 (et non 530).
348 GHAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
lions, il en avait parlé à d'autres officiers. Il demande à
ses soldats s'ils veulent passera l'ennemi? — Non ; —
s'ils veulent laisser leur capitaine passerseul?et il affecle
de prendre son porle-manteau pour rester avec les Prus-
siens. Mais immédiatement il rejoint les autres*.
C'était jouer un jeu fort dangereux, et il en fit
Texpérience. Accusé de tentative d'embauchage, il
fut rendu à la liberté par une ordonnance de non-
lieu du jury d'accusation tenu à Rennes', mais repris et
condamné à mort par le tribunal révolutionnaire de
Paris*.
François-Albert Mangin, cocher.
D. S'il n'a pas dit à un jeune homme qu'il étoit bien
sot de partir?
R. Non.
D. S'il n'a pas dit en montrant un gros bâton : « Voilà un
juge de paix qui servira à casser la barre du col à tous les
Jacobins?
R. Non*.
Condamné à mort.
Le 7 floréal Arthur Mangin avait prouvé par son
exemple que les prolétaires avaient leur place auprès
de la noblesse dans les jugements du tribunal. Le 8 (27
avril) ce sont eux qui ont tous les honneurs de la séance.
Six ouvriers ou cultivateurs comparaissaient, accusés
de propos contre-révolutionnaires* :
Claude-Toussaint Leclerc, vigneron, aurait dit en
voyant les dégâts commis dans les propriétés que
i. Archives, W 355, dossier 700, pièce 7.
2. Ibid., pièce 19.
3. Ibid., pièce 3.
4. /6tW., dossier 735 bis, pièce 1 bis.
5. Archives, W 354, dossier 734.
PROPOS TENUS DANS L'IVRESSE. 349
« Tarbre de la liberté, au lieu de proléger les honnêtes
gens, encourageoit les libertins. »
On Taccusait de ne s'en être point tenu là :
D. S'il a dit qu'à la Convention nationale c'étoient tous
voleurs ?
R. J'ai dit que l'on disoit tout cela à Paris.
D. S'il s'est permis de dire en parlant d'un fonctionnaire
public que, s'il ne pouvoit pas venir, il enverroit son cheval à
sa place?
R. C'est une plaisanterie que je me suis permise à l'égard
de mon neveu*.
Jean-Pierre Lambert, garçon boucher, était accusé
d'avoir crié Vwe le roi^ la reine et la famille royale :
Il n'en a aucun souvenir. Il dit :
Qu'il a été arrêté un jour qu'il étoit très pris de boisson,
mais qu'il ne conçoit pas comment il a pu tenir des propos
qui ne sont pas dans son àme".
Des témoins rapportaient pourtant qu'avant de crier
Vive le roil il avait crié vive la République! association
de vivats qui du moins aurait pu conflrmer son dire
qu'il était ivre. Il aurait dit encore que le roi n'était
pas mort, que c'était un prisonnier qui avait été guillo-
tiné à sa place' : ceci était plus grave et on en pouvait
induire qu'il le regrettait.
Pierre Guenot, autre vigneron : <c queMarat et Lepelle-
ticr étoient des coquins et que sous quinze jours leurs
bustes seroient détruits ». — Il répond qu'il était tellement
ivre qu'il ne s'en souvient plus*.
1. Même dossier, pièce 14
'2. Ibid., pièce 6.
3. Ibid. y pièce 2.
4. Ibid.j pièce 2.
350 CUAP. XXXU. — FLOKÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
François-Germain Savoye en dit autant pour les propos
qu'on lui attribue ^
Tous quatre pourtant furent condamnés à mort. Les
deux autres, Aug. Cotet et P. Censjer, ivrognes aussi,
mais estimés bons patriotes, furent acquittés*.
VIII
0 floréal : grande fournée lie trcntc-lrois : hommes de cour et lionmies du
peuple, arislocralcs et sans-c'uloUes; aristocrates presque sans-culotlcs : le
duc de Yilleroy, l'amiral d'Estaing.
Le 9 (28 avril), fournée considérable et comptant des
noms plus illustres ; elle comprenait trente-trois accusés :
En tête Louis-Gabriel deNEUFviLLE, ducde Villeroy, IV
miral Charles-Henri D'Estaing, le comte Jean-Frédéric
de LvTOUR-DupiN, et le marquis Philippe-Antoine de La-
TouR-DupiN-GouvERNEY, le premier ancien ministre de la
guerre, tous deux anciens lieutenants généraux;
Puis Charles Grangier la Fekrière, général de brigade;
Marie-Marguerite Bragelongne, veuve de Paris-Mom-
BRUN, et Marie-Nicole Bragelongne, ancienne religieuse ;
Catherine - Louise Lamoignon, veuve Destourelles
(soixanle-dix-huit ans);
Le comte Armand de BétiiuiNe-Charost (vingt-trois ans);
Le vénérable Aymar de Nicolaï (soixante-sept ans),
ci-devant président du grand Conseil ;
Louis TniROUX de Crosne, ex-lieutenant de police,
Denis Angran d*ALLERAY, ex-lieutenant civil : et plusieurs
autres résidant en divers lieux :
i. Archives, ^V r>a4, dossier ITtAf pièce M.
2. Ibifi, , pièce 5i-55. BuUelin, n** 50 et 57.
LE DUC DEIVÏLLEROY, ETC. 351
Gharles-Picrre Mergot-Momergo (cinquante ans),
ancien garde du roi ;
Nicolas Despallières, chanoine de Montpellier;
Madeleine Tourret, de Moulins, ancienne religieuse;
Thomas Gouffé, ancien avocat ;
Charles-Hyacinthe Humbert, ancien sous-lieutenant;
Jean-Louis Bravards-Deissat, comte Duprat;
François-Joseph Feydeau, ancien capitaine dans le
régiment ci-devant Dauphin ;
François-Jean Piciiarddu Page, homme de loi et pro-
cureur général syndic du département de la Vendée;
Claude Le Melletier, chirurgien de Trévoux;
Jean-Marie Gabet, membre du tribunal de Trévoux;
Jean Chopinet dit Chevalier (vingt-trois ans), maré-
chal des logis au 1^ hussards;
Pierre-Louis Deveyle, ex-noble, cultivateur;
Charles Jardin (soixante et onze ans) ex-greffier du
Châtelet ;
Alexandre-Benjamin Ropiquet, marchand de toile cl
de tabac;
Jacques-Joseph Jocaille, fabricant de linon;
Pierre Martin, cuisinier;
Marie-Louise-Victoire Sourciies, veuve de Vallière;
Joseph-Fidèle Ginot, ancien avocat;
Louise-Antoinette Fahgeon, veuve du comte de Bussy;
Antoine-Jean Terray, ex-intendant de Lyon, et Marie-
Nicole Peurney, sa femme \
On devine quel devait être le crime de semblable
compagnie : <k complicité dans les trames et complots
du traître Capet et de Marie-Antoinette > , et tout au moins
1 , Archives, W 35i, dossier 737.
352 CIIAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
intelligences et correspondances avec les ennemis de
la République; propos tendant à la dissolution de la
Convention nationale et au rétablissement de la royauté.
Pour un grand nombre des prévenus, l'interrogatoire
qui précédait encore la mise en accusation se bornait à
Tune ou l'autre de ces questions : « Avez-vous émigré,
avcz-vous entretenu, écrit ou envoyé de l'argent à des
émigrés ?» ou d'une manière plus générale: «Avez-vous
conspiré? » Latour-Dupin , ancien ministre, Latour-
Dupin-Gouverney, Bétliune-Cliarrost, Jardin, Deveyle,
Nicolaï, Mme de Yallière, Ginot, Thiroux de Crosne,
Angran d'Alleray, la comtesse de Bussy, Ant. Tcrray
et sa femme, M.-Marg. Bragelongne, veuve deParis-Mont-
brun, cl sa sœur Marie-Nicole Bragelongne, ex-religieusc,
J.-L. Bravards-Dcissat-Dupral, Grangier La Ferrièrc,
Mergot-Moiitergon, Madeleine Tourret, Thomas Gouffé,
n'eurent guère à répondre sur autre chose*.
Us le nient. « Mais, dira Fouquier-Tinville, la femme
Vallière croyait si bien à la contre-révolution qu'elle
avait conservé soigneusement tous les attributs dislinc-
tifs de la noblesse et de la féodalité. Mme de Montbru]i
avait avoué qu'elle n'avait jamais pu se persuader que
Louis XVI eût mérité son supplice; et Ton avait trouvé
chez sa sœur, la religieuse, outre ses papiers et ses
argenteries armoriées qu'elle y avait mis en dépôt, une
prière à J.-C., une prière pour le roi, le bref du pape
à tous les cardinaux Charitas qux docente Paulo apomtolo
(Rome, 12 avril 1791)* et une lollrc de M. le curé du
bourg d'Argenteuil, adressée i\ la municipalité de ladite
paroisse sur le serment qu'il devait faire le dimanche
1. Archives, \\ 554, dos>icr 757, 1" partie, pièces '20-4*J, 48, 49.
2, Ibitt.t pièce 07.
IIUMBERT, JOGAnXE, MARTIN, DESPALLIÈRES. 555
50 janvier 1791 », lettre très ferme et très courageuse
dont Vexesse religieuse, comme il est écrit dans une
autre pièce, partageait sans doute les sentiments^
D'autres purent un peu plus se défendre, qui n*en
eurent guère plus d'avantage.
Humbert était sorti du service en 1791 « parce qu'il
avait vu qu'on n'avait plus confiance dans les ci-devant. »
Après sa démission il s'était retiré dans sa famille jus-
qu'en septembre de la même année, puis il était allé au
Fay, près de Mons, domaine qui lui appartenait, pour
toucher un remboursement; mais il était rentré en
France dès le mois de décembre et avait ses certificats de
résidence en règle depuis lors. Feydeau, frère utérin
d'Humbert, n'avait pu empêcher l'émigration d'un frère
de ce dernier et de son cousin; mais il n'avait eu, non
plus qu'Humbert, aucune correspondance avec eux".
A ces deux « ci-devant » qui avaient touché de près à
l'émigration, l'accusation joignait deux roturiers sus-
pects de crime analogue : l'un, Jocaille, fabricant de
linon, qui voyageait souvent, pour son commerce, de
Cambrai à Valenciennes (Valenciennes était alors occupée
par les Autrichiens) ; l'autre, Martin, cuisinier, congédié
comme révolutionnaire de la maison anglaise où il ser-
vait, et qui s'était vu arrêté, lorsqu'il revenait de
Londres afin de se placer en France après dix ans
d'absencc\ Il fut fort étonné d'apprendre qu'il était
émigré et qu'il n'y avait plus de place pour lui que sur
la charrette menant à l'échafaud.
Le chanoine Despallières, qui avait été mis sur la liste
1. Archives, W 554, dossier 737, ibid., 1" partie, pièces 65-70.
t2. Ibid , pi.Vcs46 et 47.
3. Ibid., pièce 52.
TRID. RivoL. III ^
%4 CUAP. XXXII. — FLORÉAL (PREMIÈRE DËCADE).
des émigrés, avait plus de raison de ne pas savoir pour-
quoi : il avait quitté Montpellier le 25 ou le 26 juin, sé-
journé huit jours à Lyon pour se reposer et gagné Paris
le 15 juillet : il avait fourni des certificats de i*ésidence.
Que pouvait-on vouloir de plus? — J. Pichard du Page
connaissait moins bien encore les motifs de sa mise
en jugement. Procureur général syndic de la Vendée
en 1791, il avait donné sa démission pour raison de
santé et vivait dans la retraite. Il saura, quand lui
viendra son acte d'accusation, et en ce moment-là seule-
ment, que c'est parce qu'on l'accuse d'avoir livré
Fontenai.
Chopinet dit Chevalier et le gendarme Ropiquet de-
vaient être moins rassurés. Cliopinet avait pris la qualité
d'aide de camp du ministre de la guerre et distribuait des
congés; et Ropiquet avait quille son corps, démission-
naire, dil-il, mais, il ne pouvait le nier, sans autre pièce
qu'un de ces congés distribués par Chopinet. Toute son
excuse, c'est qu'il le croyait bon, Chopinet lui ayant dit
qu'il le tenait du ministre de la guerre \
Plusieurs, en raison des fonctions qu'ils avaient exer-
cées, pouvaient savoir, sans attendre leur acte d'accusa-
tion, à quel titre ils étaient poursuivis.
Thiroux de Crosne, qui avait été lieutenant de police
jusqu'à la i)rise de la Bastille, aurait vainement renié
ses rapports avec l'ancien régime; il était spécialement
accusé d'avoir été le complice de Berlicr et deFlosselles :
on voulait se dédommager de ce qu'il n'avait pas été
mis à la lanterne avec eux. Rien ne lui servait de s'être
effacé depuis le 14 juillet, de ne s'être signalé que par
i. Arcllivcj, W 351, dossier 737, 1'' partie, pièces 43 et 53.
TUIROUX DE CROSNE; VEUVE PARIS-MONTBRUN ; YILLEROY. 555
des dons pralrioliques : « L'expérience, disait Fouquier-
Tinville, ne nous prouve-t-elle pas tons les jours que les
contre-révolutionnaires les plus dangereux sont les plus
patriotes en apparence, les plus familiers avec les sacri-
fices pour la chose publique '7 »
Ce raisonnement de Fouquier-Tinville aurait pu dé-
terminer les rojalistes bien connus à chercher moins à
se dérendre. Quelques femmes dédaignèrent de rien
dissimuler dans les débats :
Le président à la veuve Paris. Reconnoissez-vou9 cette
lettre corrnne émanée de vous ?
II. Je la rcconnois comme Tayant écrite le 21 juin 1793.
Le Président, Voici ce que vous écriviez à celte éfioquc :
i( Louis XVI a souffert le martyre sur la place de la Révo-
lution. Dieu veuille le récompenser des maux qu'il a soufferts
et du jugement injuste que les représentants de la nation ont
prononcé contre lui. Dieu veuille nous délivrer des turbu-
lents, favoriser le suca*s des armes de nos princes et ramener
Tordre et la Iranquillilé. »
R. Je croyois au martyre de Louis XVI, et mon opinion étoit
fondée sur ses vertus*.
Quelques hommes, les plus en honneur auprès du
roi, n'avaient pas eu dans leur interrogatoire prélimi-
naire la même simplicité ni la même franchise.
Le duc de Villeroy dit et pouvait dire qu'il n'avait ni
émigré ni con^^piré : il avait résidé continuellement à
sa campagne d'Kssonncs ou à Paris depuis la Révolution,
et avant cette époque il passait annuellement trois mois
à Vei'sailles, à raison de son service. Qu'avait-il besoin
d'ajouter :
i. 1)l's EssarU, t. X, p. 85.
ïi. liuUclin, 11' j8, p. 251.
556 CHAP. XXXn. — FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
Qu*'\l partoit, deux heures après minuit, de son quartier
pour deux raisons : la première, c'est qu'il étoit mal vu par
icî cy-devant [il n'ose pas dire roi et répugne à dire fyran],
ctla seconde, c'est qu'il n'en partageoit aucunement les senti-
ments; qu'au surplus il s*cn rapporte aux sentiments de sa
section dans le sein de laquelle il a toujours vécu calme et
paisible; qu'il n'a entretenu ni activement ni passivement
aucune correspondance ni intelligences avec les ennemis de
ce pays de telle qualité qu'ils soient *.
L'amiral d'Estaing, dans un interrogatoire plus pro-
longé, tient un plus triste langage * :
D. Depuis la révolution et lors du séjour du tyran à Ver-
sailles fréqucnliez-vous la cour du despote Louis XVI?
R. Je Tai fré(]ucntéc autant que ma place de commandant
de la garde nationale l'exigeoit.
D. Assistiez-vous quelquefois au conseil de Capet et de ses
ministres ?
R. Jamais.
D. Avez-vous été invité, avez-vous assisté aux orgies des
gardes du tyran les jours qui ont précédé ceux des 5 et 6
octobre 1789 (V. st.)"?
R. J'ai assisté à un des grands repas des gardes du corps,
après m'y être opposé, autant qu'il éloit en moi, et seule-
ment en ma qualité de commandant de la garde nationale.
D. A ce repas vous aperçùtes-vous de quelques outrages faits
à la souveraineté du peuple?
R. J'eus le chagrin de voir qu'on n'yavoitpas bu à la santé
de la nation, malgré la demande expresse que j'en avois faite
avant de m'y rendre, et que lorsque les ci-devant roi et reine
et la ci-devant famille parurent, avec enthousiasme on but h
leur santé; ce qui augmenta mon chagrin, attendu qu'on
étoit convenu de ne boire à la santé de personne, sinon des
convives entre eux.
X. Archi\c:», W 554, doss.757, 1"' |).irilc, [)icce 47. —2 Ibid., pii^cc 51»
L'AMIRAL D'ESTAING. 357
D. Lors (le la descente des bons citoyens de Paris à Yersaillcs,
le 5 octobre 89, prîtes-vous, en votre qualité de commandant
de la garde nationale versaillaise, toutes les mesures néces-
saires, et donnàles-vous en même temps les ordres convenables
pour que le peuple insurgé n'éprouvât aucune atteinte contraire
à ses droits et pour favoriser une cour perfide et corrompue?
La réponse est honteuse :
R. Je pris les ordres de la municipalité; je fis ranger les
troupes vis-à-vis Tune de l'autre présentant leur flanc, bor-
dant la haie et dans la position dans laquelle on voit passer :
je pris, tout le temps que j'eus le commandement, toutes les
précautions qui étoient en mon pouvoir pour empocher qu'il
ne fût fait aucune opposition à l'intention du peuple. Lafayettc,
à son arrivée, exigea que mon commandement cessât, et
depuis cet instant je ne repris mon activité que pour la con-
duite du ci-devant roy et sa famille à Paris, et ce par l'ordre
de la municipalité.
D. Âvcz-vous quelquefois fait visite à Capet et à sa famille
durant son séjour aux Tuileries?
R. Oui, environ une fois par semaine, à ce que Ton appelle
son lever.
D. Depuis la destruction du tyran et de la tyrannie à quel
dessein conserviez-vous les effigies des ci-devant Roy, Reine,
d'Artois et Monsieur, qui se sont trouvés dans votre domicile
lors de la perquisition qu'on y a faite?
R. Je ne les conservois pas, je les ai oubliés ; ils étoient
mêlés avec de vieilles clefs. Toute ma conduite a prouvé ma
haine pour ces individus ; ce qui étoitécrit dès 1790 sur la
porte de ce même domicile annonçoit à tout le monde combien
mon opinion étoit prononcée : le nom sacré de l'égalité y
étoit écrit; et le lis, symbole de la royauté, y étoit désigne
comme appartenant dès lors à la nation.
D. Avcz-vous un défenseur?
Il en aurait grand besoin devant l'histoire !
358 aiAP. XXXn. - FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
J.-B. Begclv-Peuceval, ancien aide de camp de d'Es-
taing, ne conserve guère plus de dignité ! Il n'était pas
du repas des gardes du corps, mais il est entré dans la
salle. Voyant qu'on y chantait 0 Richard, ô mon roil
il est parti immédiatement par un escalier dérobé.
On lui demande où il était les 5 et 6 octobre. — A
Versailles, à son poste, prenant les ordres de d'Estaing
qui ne lui en donna pas.
Le jour du massacre du Champ de Mars (17 juil-
let 1791) ? — Rue St-IIonoré, où il dînait.
Le 10 août? — xVvec les sans-culottes, place de la
Révolution.
Les 51 mai et 2 juin î — Do garde à la Monnaie, avec
son bataillon.
Est-il attaché à Lalayelle? — Il est son ennemi juré.
Avec quels députés est-il lié? — Avec Albert Lccoinlre,
(le Versailles, et Reauharnais, qui l'ont fait nommer ce
qu'il est devenu, commissaire des ports ^
A côté de ces déclarations d'hommes de cour qui s'effa-
cent on trouve cet interrogatoire d'un homme obscur :
Claude Le Melletier, trente-sept ans, natif de Com-
mune affranchie (fjyon), demeurant à Trévoux.
D. S'il n'a pas employé tous ses soins pour faire remettre
à la fille du tyran, détenue au Temple, une lettre datée du
25 ventôse.
R. Oui.
D. S'il n'a pas également fiut ses efforts pour lui faire
remettre avec cette lettre vingt-quatre louis de quarante-huit
livres chacun et deux de vingt-quatre.
i. Archives, i7;tV/., piôcc 50.— Il mérita do ne pas cire rais en jugement. U
parait, di$|>araît, reparaît tour à tour et disparaît enfin dans l'acte d'accusation,
et on ne le trouve plus ni dans le pi*ocès-vcrbal d'audience, ni dans les questions
posées au jury, ni dans la sentence (ihnf., 2* partie, pit'Ci's 1 10, il7 et 118).
CLAUDE LE MELLETIER. 550
R. Oui, dans un gant de couleur yiolette.
D. Si cet envoi n'avoit pas pour objet de mettre la fille du
tyran dans le cas de corrompre ses gardiens et de lui procurer
son évasion ?
R. Oui, si cela avoit été possible.
D. S'il n'avoit pas l'intention, en supposant- la réussite de
ses projets, de conduire la iillc du tyran aux puissances coali-
sées contre la Republique?
R. Que pensant que la République n'étoit pas l'ordre de
choses qui pût convenir aux François, il Tauroit fait.
D. Quelles sont les pci*sonncs qui lui ont donné le conseil
de tenter rexéculion de ce projet?
R. Qu'il a pris conseil de lui-même, mais qu'il a cru voir
que c etoit Tintcntion des personnes qu'il fréqncntoit.
D. Si le nommé Gabet ne l'a pas aidé dans ses desseins et
tentatives ?
R. Oui.
Dcciaralion qui avait fait arrêter Gabet avec lui.
Il est vrai que c'était un de ces hommes dont les
grandes catastrophes de la Révolution avaient troublé la
tôtc, comme on le peut voir par la déposition du capo-
ral do garde au Temple, à qui il s'était adressé pour
faire parvenir la lettre et Targenl 5 leur destination dans
la Tour.
n lui dit que c*étoit Tamour qu'il avoit pour la fille de
Capot qui le portoit à ce point. Le dit déclarant lui demanda
s'il étoitdc la noblesse ; ledit particulier lui répondit qu'il
ctoit sans-culottes comme lui. Ledit déclarant lui dit qu'il
étoit surpris qu'un individu comme lui voulût épouser la
fille d'un Roy. Sur quoi ledit déclarant lui demanda s'il
aimoit les pieds de veau fricassés, et ledit déclarant à cet
instant descendit prévenir le traiteur qu'il avoit chez lui un
homme suspect dont il lui avoit remis cinquante louis d'or et une
lettre pour remettre à la fille de Capet, et ledit déclarant
560 CUAP. XUII. - FLORÉAL (PREMIERE DÉCADE).
invita sur-le-champ le marchand de vin à aller chercher la
garde; c'est ce qu'il fit^
Le Melletier lui-môme, dans l'interrogatoire qui suivit
immédiatement son arrestation, avait montré quelle
était sa folie :
A lui demandé (pour) quelle raison il avoit cherché à sur-
prendre un homme de garde au Temple pour faire remettre
à la fille Capet cinquante louis et une lettre ?
A répondu que, s'intéressent à son malheur, il vouloit lui
faire la cour comme tout homme a droit de faire à une femme.
A lui demandé s'il avoit précédemment cherché à lui écrire?
A répondu que oui, et qu'il ne savoit pas si les lettres lui
étoient parvenues.
D. Quels étoient les moyens qu'il s'étoit servi pour lui faire
parvenir?
R. Par la voie de la poste.
D. Pourquoi il lui trouvoit son sort malheureux?
R. Ayant perdu son père et sa mère et la voyant récluse.
D. S'il ne s'étoitpas servi d'autres voies que celles ci dessus
indiquées par lui pour lui faire par\'enir ces lettres?
R. Qu'il s'informoit (de) temps eu temps à la sentinelle
de ce qui se passoit.
D. Quelle étoit la proposition qu'il avoit faite au caporal
ci-dénommé pour lui faire parvenir cette lettre et les cinquante
louis d'or?
R. Qu'il le croyoit au-dessus de toute récompense.
Après diverses questions sur ses moyens d'existence :
s'il avait eu une place avant la République? depuis
quand il était à Paris'? où il avait résidé jusque-là? on
lui demande encore :
i. Ardiivcs, W 354, dossier 737, i" partie, pièce 55.
2. ■ lly élail depuis cinq ou six jours pour rélahlir s.i sanlu et conlinuerson
instruction et la démarche qu'il fait en ce moment. »
CLAUDE LE MELLETŒR. 361
D. Quelles étoient ses opinions sur le moment actuel?
R. Qu'il croyoit avoir vu que Topinion générale étoit
d'avoir un chef pour qu'il (y) eût un bon ordre de choses.
D. S*il a fait des propositions à plusieurs personnes pour
porter sa lettre ?
R. Oui.
Et il désigna un jeune homme qui lui avait opposé un
refus.
Ce qui montre le plus combien son cerveau était dé-
traqué, c'est cette lettre elle-même dont on retrouva chez
lui plusieurs brouillons*, outre l'original ainsi conçu :
L'amour armé de ses ailes, son carquoî garni de nom-
breuses flèches, complètement aveugle, reçut des ordres pour
courir à l'aventure faire des conquêtes. Arrivé dans l'isle de
Cithère, maintes beautés le séduisirent. Le champ libre
partout où il vit des appas où il reconnut sa mère se jet/er
dans ses bras. S'il parut inconstant, ce ne fut que pour grossir
son escorte. A l'ombre de ses lauriei*s, lui surprenant une
anne en main dont il faignit de se saisir, d'un vol se porta
à sa hauteur, sourit de se trouver son égal; s'entre serrant
ils promirent de ne former qu'un, de faire partager leur sort
à ceux qui voudroient en jouir. Mon récit vous egaye;
recevez-le en bouquet. Je vous envoie ce que je possède de
plus cher; s'il est quelque chose de plus noble, il n'est
point à ma disposition, vous connoltrez mes intentions.
COITLET :
L'on dit qu'à quinze ans Ton plaît Ton se marie-
J'ai plus dû trente ans, c'est bien éloigné. de quinze ans.
Dites moi je vous prie, comment on abrège le temps
Car j'aurais grande envie de presser les instants.
Je suis.
Votre frère de cœur et d'armes, Melletier.
i. Archives, i6iV/., pièces 50 cl 0(K
362 CHAP. XXXn. - FLORÉAL (PREMIÈRE DÉCADE).
Et pour adresse :
A Madame,
Madame, fille du ci-devant,
à la tour du Temple,
à Paris*.
Le malheureux fou entraînait après lui un de ses
compatriotes qu'il avait signalé comme ayant connu et
approuvé ses projets, ce dont Tautrc se défendit avec
énergie, mais sans succès*.
Il n'était pas facile à Fouquier-Tinville de se recon-
naître parmi tant d'accusés, et par le (ait, il savait si
peu ce qui revenait à chacun dans cette foule qu'il lui
arriva d'en confondre deux en un seul :
« Pichard-Despallièrcs et Laferrièrc, dit-il, en excitant l'un
et l'autre des troubles dans les départements, le premier
dans la ville de Montpellier, le second dans le département
de rAvcvron. »
Or ce Pichard-Dcspallières se compose : l°de Pichard-
Dupage, qui figure au n° 15 de la liste (quaranle-fjuatre
ans, natif de Fontenay-le-Peuple, Vendée), et 2** d'Olivier
Despaillères, au n*' 7 (soixante et un ans, ci-devant cha-
noine de Montpellier) : donc, deux accusés en un; ce qui
n'en fit pas moins tomberdeux tétes\
Mais ce qui le mettait à l'aise, c'est que dans sa pensée,
tous, quelle que fut la diversité de leur origine et de
leur mise en cause, étaient réunis dans un même senti-
ment contraire à la Uévolution. Aussi concluait-il avec
confiance :
1. Archive:*, WHSi, dossior 7û7, l'*" parlie, i>iècc 59.
^2. Ihid.^ pièce i5.
5. Voyez le buUdin. i' partie, n* 58, p. 2l>0. "ITt, et les pièces 55 et 3i,
I ^ parlie, \V 354, dossier 757.
CONDAMNATION. IMPRESSION DANS LE PUBLIC. 36S
Citoyens jurés, Tliorloge patriotique a sonné le trépas de
tous les contre-rcvolutionaires, et c^cst ici le cas de n*cn
épargner aucun, de les frapper tous du glaive de la loi.
Aucun ne fut épai'gné en effet. Tous les trente-trois,
même les vieillards de soixaute-quinzc ans, Mme Des-
tournelles, Angran d'Alleray, furent condamnes à mort.
Angrun d'Alleray qui, comme lieutenant civil du Châ-
tclet de Paris, avait la pratique des jugements criminels,
voyant qu'à peine on prenait les noms et qualités des
accusés, n'en pouvait croire à ses yeux : « Est-ce ainsi »,
disait-il à l'un des compagnons d'infortune assis près
de lui, cf est-ce ainsi qu'on rend à présent la justice? »
et quand il fut condamné : « Je n'ai d'autre regret que de
voir ma patrie livrée aux forfaits les plus inouïs. » Il
conserva en allant au supplice sa ferme contenance et
la sérénité que lui inspirait sa foi. Il disait à ceux qui
étaient dans la même charrette : « Prenons courage,
dans quelques instants nous recevrons la récompense du
bien que nous aurons pu faire '. »
Cette grande exécution" fit, selon un rapport de la
police, une impression profonde ; mais le rapporteur y
applaudit d'autant plus :
La plus grande consternation régnoit hier dans différents
caf/ës et notannnent dans ceux de la maison nommée mal à
propos Égalité: dos soupirs [qui] ontéchappéinvolontaireTncntà
quelques individus faisoient Tcloge du tribunal révolution-
naire.
Le sans-culotte au contraire é(oit au comble de la joie.
Ça ira, vive la Republique ! Vive la Convention ! nous ne
serons plus trahis. Voilà le refrain de chaque républicain".
i. De^ EssnrU. t. X, p. I"2à. 1*20.
2. EIlo eul lieu \o. joui- iiM*'ine à 4 liciircs^ do relevée (ApcIiîvm. AV 5*27 u
.". ArcliivL'*', W l'jl, h'ilco IIV.
CHAPITRE XXXIII
FLOUÉAL (deuxième DÉCADe)
iO (lorual : Indemnité au bourrcmi ; 11 : Montagnards incompris; 12 : une four,
née de famille (famille de Pomnieuse), et une fournée par amalgame; 13
et 14 : Diacon, Gorbilli.'t et le curé Pctra ; les bataillons des Filles Saint-Tho-
mas et des Petits-r%cs au 10 août.
Le 9 floréal Fouquier-Tinville fit une démarche signi-
ficative. Il adressait au Comité de salut public les doléances
de Sanson. Comme exécuteur des jugements du tri-
bunal criminel de Paris, Sanson recevait « une somme
annuellement. » Mais on n'avait pas prévu qu'il serait
l'exécuteur des jugements du tribunal révolutionnaire:
Suivant les mémoires fournis par le réclamant, ajoutait
Fouquier, c'est lui qui est chargé de pourvoir à tous les
uslcnsiles nécessaires aux exécutions tels que charrettes,
chevaux, etc. Depuis un an et plus qu'il est chargé de l'exé-
cution des jugements du tribunal révolutionnaire il ne lui a
encore été alloué aucune indemnité.
Il convient vous observer, citoyens, que les individus
qu'il emploie lui coûtent fort cher, d'après son rapport. Celte
partie, toute désagréable qu'il soit de s'en occuper, mérite d&
n'être pas négligée à raison de son utilité.
J'appelle en conséquence votre attention, citoyens, sur
l'indemnité provisoire et par forme d'à-compte que l'exécu-
teur reclame.
Le métier allait si bien qu'on s'y ruinait !
INDEMNITÉ AU BOUKREAU; PATRIOTES ACQUrTTËS. 365
Fouquier-Tinviile demandait donc pour Sanson une
indemnité de 15 à 20000 livres*.
I^ Comité accorda 20000 livres sans marchîinder".
Si le tribunal avait des rigueurs, it y avait pourtant
des accusés à l'égard desquels le jury se sentait plus
d'indulgence : c'étaient ceux qui appartenaient à cette
classe de prétendus contre-révolutionnaires, où Ton
avait rangé Hébert et Chaumette, et avec laquelle plus
d'un juré se sentait quelque affinité. On en vit un exemple
le premier jour de cette nouvelle décade (50 avril). L'ac-
cusation poursuivait des patriotes évidemment méconnus
et des fournisseui^ plus ou moins infidèles.
Les premiers étaient dix citoyens de la Sarllic,
membres de la Société populaire : Pierre Turbat, ex-
moine (vingt-deux ans); Bazix, agent national (vingt-
trois ans); Louis Sallet, ci-devant noble et ancien pro-
fessiîurde philosophie; René Guesdon-Dubourg, ex-prêtre;
Jacques Jourdain, ex-prùtre, etc. ; accusés de complot
pour avoir lait l'éloge de Philippeaux, Tami de Danton'.
Mais c'étaient d'ardents montagnards : à tel point qu'on
les donnait comme unis d'intention à la faction d'Hébert
et de Chaumette ; car ils n'avaient pas fait seulement
l'éloge de Philip|)eaux : témoin l'ex-prctre,' non plus
1. ArchiTcs», AF ii'22, dossier 09, pièces 81.
2. Du 10 llurcal au 2 rép. fr. et indiv.
U' Comité de salut public, sur la réclamation présentée par l'accusateur public
du tribunal révolulionnuirc pour le payement de« dépenses extraordinaires de
rexécutiun des jugements criminels de ce tribunal, arrête, d*apr6s les mémoires
produits i raccusatcur public, qu'il sera payé à l'exécuteur des jugements
criminels la somme de vin^t mille livres pour l'indemniser des ayances et frais
exlraui-tltnaircs qu'il a faits depuis treize mois.
CoLLOT it'IlERDois, B. Barjiae, Billacd-Vabexscs, Cahnot.
(Archives, AF n 22, dossier 00, pièce 80.)
5. Aicliives, \\ 350, doss. 744.
366 GILVP. XWHI. ^ FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
Jacques, mais Marat-Cincinnatus Jourdain, qui, le dé-
cadi 10 pluviôse, avait prononce ces paroles : ce Liberté,
fille de la nature, nous t'adorons. Dans ce temple où
le mensonge et Teneur ont eu longtemps leurs prêtres
et leurs victimes, » etc. *.
Le jury les acquitta.
Le 12 (l"mai), Langlois de Pommeuse, ancien conseiller
de la grand'chambre au Parlement do Paris, sa femme
Sophie CiiuPLN, son frère La.nglois de Resy, son chape-
lain Etienne Vioé, son fermier Claude-Louis Dklignt,
son domestique Gen'ais Seurre dit Joinville et six
aulres personnes attachées à sa maison, étaient traduits
au tribunal comme fanatiques, contre-révolutionnaires,
receleurs d'or, enfouisscurs de bijoux et accapareurs,
parce qu'ils avaient pris certaines mesures de précaution
afin de n'être pas dépouillés de leurs biens*. Ces mesures,
il est vrai, étaient Iroj) compliquées et avaient employé
trop de bras pour avoir la chance de rester secrètes.
Tout s'y rencontrait à la fois : objets précieux mis dans
une cache bien maçonnée, argenterie d'église ou de
maison enveloppée de plomb, serrée dans une boîte et
jetée à la rivière; malles emportées; assignats distribués
par forme de dépôt entre plusieurs dos domestiques^.
Quelques-uns avaient parlé : la cache fut ouverte, la ri-
vière fouillée au lieu désigné, et avec les objets de prix
on avait trouvé dos papiers d'une grande valeur pour
l'accusateur j)ublic; aw c'étaient des titres certains à
la confiscation de tout le reste : leltres ou écrits contro
1. ArcbÎTCs, \V 3564 dossier 744, *2' partie, pièce 23; 3* partie, pièce 79. Pour
les autres, Toycz le Juurnal à In fin de ce volume.
S. Archives, AV 356, dossier 745.
5. Ibid.f pièce 4. (Pix>cès-verl)ul {général de pcrtpii^ilioii.)
LA FAMILLE LANGLOIS DE POldMEUSE. 567
rcvolulionnaircs et, par exemple, cette inscri|)tion de
style antique, mais d'un accent amèrement actuel :
nUNCIPIBlTS F[T.ATIS
FIDE MILITARI CORHITTA
PLEBE AHMATA DIPElLVrSTE
VECTIGALinrS NEGATIS
VACrO AEHARIO
INCERTA ET IMPEDITA AN>0>A
CASTELLIS NOItILICM INCENSIS
SACE1U)0TIBLIS MISERRIMO LUDIBRK) TRADITIS
CONFL'SIS oRDr.xrBis
JURIBTS ADAEQUATIS
PERMLXTIS PHOVINCIIS
STUPE>iTE AC DETESTANTE EIROPA
IMER SUSPENDrA, LM:EM)IA, C AEDES
GALLIA DELIHAME ET LAETABUNDA
FELICITAS PI.BLICA
1789».
Après cela rinterrogatoire paraissait inutile. Ou ne
parle même plus des objets enfouis. Le prévenu a-t-il été
en intelligence ou en correspondance avec les ennemis?
C'est pour tous les onze, même pour les jardiniers et
le cocher, la môme question. Et à l'audience publique,
pas de témoins* : les accusés en tiendront lieu '.
Six dont les révélations avaient aidé ou désarmé la
justice : deux jardiniers, une domestique, un charpen-
i. An-lÛTcs, \V ù^iC}, dossier 745, 1'* parlic, pièce i 8. (Extrait des registres
du comité de surveillance de Crécy.) En voici la traduction :
Les princes chassés, — la foi militaire corrompue, — la plèbe armée régnant,
— les impôts refusés, — le ti-ésor vide, — les subsistances incertaines et entra-
vées, — les châteaux des nobles incendiés, — les piètres livrés aux plus odieux
outrages, — les ordi-es confondus, — les droits nivelés, — les provinces mêlées
ensemble, — l'Europe stupéfaite ot détestant, — au milieu des penderies, des
incendies et des meurtres, — la France délirante et folle de joie,
Bonheur pdblic.
1789.
2. Ibid., pièce 39.
Tt, Ibid,, 2* partie, pièce 102.
568 CHAP. XXXIII. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
lier, un garde-chasse et le cocher, furent acquittés. Les
sixautreSv nommés plus haut, condamnés à mort'.
Le môme jour, l'accusation réunissait devant le tri-
bunal comme auteurs d'une même conjuration : Chal-
METON, d'Uzès; Bernard, Poulet et Nogaret, de Besançon ;
MouTiiON, du Mont-Blanc, et IUbact, de Marseille. Gom-
ment avaient-ils conspiré à ces distances les uns des
autres? Ils étaient accusés d'avoir pris part au mouve-
ment de réaction provoqué dans toule la France par la
révolution du 31 mai*.
François-Joseph Mouthon, « ex-garde du tyran sarde»,
lieutenant de gendarmerie, avait imprimé un discours
très violent contre la rovauté, contre les Bourbons et
d'Orléans, mais aussi contre Marat et Robespierre:
Oui, frères et amis, le parti d'Orléans, Marat et Robes-
pierre et autres leurs vils adhérents, est le plus terrible
ennemi de notre libcrlc '* !
Louis-Joseph-Ignace Ghalmeton, ex-procureur syndic
du district d'Uzès, était signalé comme « bon catho-
lique » et n'ayant jamais siégé dans la Société popu-
laire; Glaude-Anloine Bernard, ex-juge au tribunal de
commerce de Besançon; Jean-Antoine Poulet et Jean-
Guillaume NoGARET étaient accusés d'avoir signé la lettre
de l'assemblée générale des sections de Besançon*; Jac-
ques Rabaud, armateur, d'avoir prêté cinq canons 5 la
municipalité de Marseille*. Il le niait et les autres pré-
sentaient (les excuses. Mais leurs sentiments étaient con-
nus. G'est un des holocaustes que le fédéralisme devait
i. Archives, ï7;/rf., pièce 104-106.
2. Archivos. SV 557, dossier 740.
5. Ihid.y pièce 35.
4. Ibid., pièces 2 et 15.
5. Ihid., p. 17.
LE CIRÉ PÉTRA. 369
fournir à la justice révolulionnaire. Ici, aucun des
accusés n'y fil défaut : ils furent (ous condamnés à mort\
Le même jour, chose rare, une condamnation jus-
tifiée, — sauf la disproportion de la peine au délit.
Jean Glutron, entrepreneur de convois militaires, et
Pierre Landois, huissier, son homme d'affaires, furent
convaincus de prévarication : des feuilles de route pré-
sentaient des surcharges dont Landois se reconnaissait
Tauteur, disant qu'il les avait faites à la demande de
Glulron*.
Pierre Diacon (cinquante ans), ancien militaire charge
de l'inspection des armes à feu à Tarsenal» était accusé
d'avoir tiré dans l'affaire du Champ de Mars (il avait
tiré deux coups en l'air)'; et Denis Corbillet (cinquante-
deux ans), menuisier, d'avoir été au fameux dîner des
Champs-Elysées (50 juillet 1792), dîner où Ton pré-
tendait que « les suppôts de la tyrannie » avaient projelé
le massacre des Marseillais, venus pour le 10 août et
qui banquetaient au voisinage \ Mais on reprochait de
plus à Tun et à l'autre d'avoir outragé la Convention et
les autorités constituées, en représentant la Convention
« comme composée d'une troupe de scélérats, et les
autorités constituées comme des intrigants qui n'étoient
parvenus à ces places qu'à force de bassesse et de dénon-
ciations plus fausses les unes que les autres; comme un
tas de gens sans principes, sans éducation, sans aucune
i. Anhivcs W 55S, dossier 740, pièce 51.
2. Archives W 357, dossier 747, pièce 40 (interrog.) et pièce 44 (jugement).
On peut noter déjà dans ce jugement ccnnio dans beaucoup d'autres que la
formule de condamnation € fait et prononcé », etc., a été rédigée à ravauce.—
Nous approchons des jugements en blanc.
3. Archives ^Y 357, dossier 748, pièce 4.
4. ////</., pièce 7.
TRIB. KÉVOL. m 94
370 ClIAP. XXXin — FLORÉAL (DEUXIÈME DECADE).
aptitude pour les fonclions qui leur étaient confîées. »
Apres eux Laurent Petra, curé de Levemont, qui
n'avait été ni aux Champs-Elysées ni au Champ de Mars.
On Taccusait d'avoir arraché les placards affichés à la
porte de son église et d'avoir provoqué ses paroissiens à
la résistance contre la loi qui ordonnait de faire l'inven-
taire des objets sacrés. Il niait ce dernier point. Quant
aux placards, il avouait les avoir arrachés le 4 novem-
bre 1792, mais sans violence, c ayant invité les officiers
municipaux à le faire eux-mêmes, parce qu'on inter-
rompait l'office. »
On lui demanda si, après la mort du roi, il n'avait
pas proposé de dire la messe pour lui.
R. Qu'en priant pour les trépassés il avoit ajouté : «r Et
aussi pour Tàmc du dernier roi des François; » qu'en disant
cela, il ravoit dit expressément pour faire entendre à ses
paroissiens qu'il n'y auroit plus d'autre roi et que nous se-
rions républicains à l'avenir*.
Comme un exemple de son mépris pour les autorités,
on lui opposait encore cette lettre :
Dans un moment de violence la plus impudente qui ait
encore eu lieu de la part du sieur Charles Fontaine, officier
municipal, Duhautpas, greffier, et Duhamel, chirurgien, en
présence de François Petit, sa femme, la femme de Denis Fon-
taine et Catherine Martin, le citoyen Petra, curé de Levemont,
déclare qu'il se moque et se moquera toujours des susdits et
de leurs adhérents. Ce jourd'hui, 12 novembre 1792.
Petra, curé*.
Ce Petit, tailleur, et sa femme Elisabeth Leleu, qu'il
prenait à témoin, avaient été accusés, ainsi que lui, d'in-
1. Arcliivos W r>57, dossier 748, pièce 28.
2. Ibid.f piccc 31.
LES BATAILLONS DES FILLES S. THOMAS ET DES P. PÈRES. 371
jures envers les autorités établies. Petit, à qui on de-
mande s'il cs( lié avec le curé, répond :
Oui, comme tailleur et comme paroissien ^
Lui et sa femme niaient d'ailleurs les injures dont on
les accusait. Ils furent acquittés; mais le curé Petra et
les deux autres condamnés à mort*.
Les 13 et 14 floréal un procès nous ramène au
10 août et nous montre le triste rôle qu'y a joué la
garde nationale, même dans ses bataillons les plus fidèles.
Mais cette quasi-fidélité était une cause de condamnation
et de mort. Il s'agissait de quatorze officiers, sous-offi-
cicrs et soldats des bataillons des Filles Saint-Thomas et
des Petits-Pères : Gabriel Tassin de Létak g, Daniel Tassin,
Joseph-Louis Maulgué, Thomas-Simon Bérard, Jean-
Philippe Wenmaring, Simon Piquet, Pierre-Etienne Angi-
BAULT, François-IIenri Laurent, François Parizot, Charles-
J.-B. Desciiamps-Tresfontaine, Pierre-Jacques Perree,
Louis-Gabriel d'HANGEsr, Étienne-Jean-Àrmand Rouge-
nont, François Salneuve'. Ils étaient accusés d'avoir dé-
fendu le roi dans la journée du 10 août.
C'était leur devoir : chacun s'en excuse. Bérard\qui
se trouvait alors capitaine de la 3* compagnie du ba-
taillon des Filles Saint-Thomas, rejette tout sur le com-
mandant Tassin. C'est Tassin qui a reçu l'ordre de
Mandat, et qui harangua les compagnies; qui, lors de la
i. ArchÎTCS, W 357, dossier 748, pièce 28.
% Bulletin, n«* 67 cl 68.
5. Archives, W 357, doss. 750. Bulletin, n** 63-65.
4. Il avait figuré comme témoin dans raiïaire de Menard de Cboasy, etc.
(29 germinal), et l'accusateur public Tarait fait mettre en arrestation à Tao-
diencc («our les faits dont il eut à répondre les 13 et 14 fkiréal (ArchÎTes, W 348,
dossier 7'J^ /'i«, ^ partie, pièce 112, procès-Tcrbal d'audience).
372 CHAI». XXXllI. - FLORÉAL (DEUXIÈME DÉaDE).
revue du bataillon aux Tuileries, se trouvait auprès de
« Gapet ». Il déclare que c'est avec répugnance qu'il
était allé aux Tuileries :
Que sur les cinq heures du matin, toujours inquiet, il
est sorti sur la place du Carrousel pour voir s*il trouveroit
des patriotes auxquels il pût faire connoître sa situation ; que
n'ayant trouvé personne, il étoit revenu à son poste.
C'est alors que Louis XVI avait passé en revue la garde
nationale. Bérard ajoute :
Que le bataillon, quelques instants après, est rentré dans
la cour des Princes et (s'est) divisé en différents pelotons;
qu'une partie des grenadiers sont sortis du bataillon sans
savoir où ils alloient; que, les grenadiers partis, le reste du
bataillon s'est rapproché de la porte où il est resté quelque
temps ; que là, il prit la résolution de se joindre aux patriotes
qui étoient déjà aux portes et y heurtoient et d'essuyer même
leur feu sans le rendre; qu'au reste, il s'expliquera plus
au long aux débats.
D. S'il a tourné les armes contre les patriotes, ainsi que le
bataillon ?
R. Qu'il les auroit plutôt tournées contre lui-même et qu'il
n'a pas de connoissance que le bataillon en eût fait autre-
ment; qu'au surplus, Tassin et lui frayoient mal ensemble
depuis le principe de la révolution, et qu'il est le seul officier
du bataillon qui ait été conservé après le 10 août.
G. Tassin, chargé comme on l'a vu, aurait dû être
hors de cause : il avait été mis en liberté par arrêt du
tribunal du 17 août, établi précisément pour frapper ce
que l'on appelait la conspiration du 10 août. Mais
qu'est-ce que cela, aux yeux du tribunal révolution-
naire? Il avait donc été repris et longuement interrogé
(4 ventôse). Il répéta sans doute les raisons qui avaient
LKS BATAILLONS DES FILLKS S. THOMAS ET DES P. PÈRES. 575
décidé en sa faveur les premiers juges. I^e bataillon
n'avait pas tiré sur le peuple, puisqu'au moment de la
lutte il se trouvait à TÂssemblée nationale^ ; et le lende-
main de son interrogatoire, il écrit à Fouquier-Tinville.
11 lui rappelle (Fargument devait toucher Thomme) que
ce jury qui l'acquitta au tribunal du 17 août, c'est
Fouquier-Tinville qui le présidait. Aucun fait nouveau
ne s'est produit : qu'il se fasse représenter les pièces et
qu'il jugeV
Le capitaine du bataillon des Petits-Pères, P.-J. Perrée,
trouvait moyen de réduire son rôle bien plus encore.
C*est aussi à l'Assemblée nationale que son bataillon
était allé. Il ajoutait :
Qu'une très petite portion s'étoit placée avec une seule pièce
de canon dans la cour de Marsan; que lorsqu'ils avoient vu
monter les Suisses au château et qu'ils n'aperçurent plus per-
sonne dans les cours, il s'étoit retiré et étoit allé se coucher.
Salneuve, sous-lieutenant des grenadiers des Filles-
Saint-Thomas, avait été envoyé en détachement dans
Tune des salles. Il n'avait rien vu, ni entendu. Laurent,
autre sous-lieutcnant, dit comme les autres qu'on n'a
pas tiré, puisque le bataillon s'en est allé à l'Assemblée
nationale avec le roi.
Armand Rougcmont déclare que, quand il a vu qu'on
voulait faire feu sur le peuple, il s'est retiré*.
Mais ce n'est pas seulement d'avoir tiré sur le peuple,
c'est d'avoir reconnu Louis XYI comme roi, le 10 août,
avant la déchéance, d'avoir crié : c Vive le roi! » de
lui avoir rendu les honneurs dus au roi, qu'on fait un
1. Archives, \V 357, dossier 750, pièce 27.
2. Ibid,, pièce 25.
7t. Jhid.^ pièce 39.
374 GHAP. XXXllI. — FLORËÂL (DEUXIÈME DÉCADE).
crime alors. Aussi tous s'ea défendent. Wenmaring, capi
taine des grenadiers, dit :
Qu'au moment de la revue le bataillon étoit sous les
armes, mais qu'elles n'ont pas été présentées; qu'il a véri-
tablement entendu crier Vive le roi ! que sur-le-champ il a
imposé silence à la compagnie et que personne des grena-
diers n'a crié Vive le roi! non plus que le bataillon \
Bérardy autre capitaine, avait tenu le même langage;
le sous-lieutenant Laurent avait ajouté à sa déclaration :
Qu'aucun de la section qu'il commandoit n'a présenté les
armes et n'a crié Vive le Roy ! et qu'il leur a dit qu'il ne
falloit flagorner personne '.
C'est ce que confirme Angibault, simple grenadier,
qui, lui, <K étant sorti sur les neuf heures et ayant vu un
gendarme blessé sur la place de la Révolution, l'avoit
conduit au garde-meuble, et de là à l'hôpital du Gros-
Caillou D : — bon moyen pour n'être pas à la bataille :
D. Si lorsque le dernier des tyrans de la France a passé sa
revue dans la matinée du 10, le répondant n'étoit pas du
nombre de ces lâches qui lui présentèrent les armes et crièrent
Vive le roi ?
R. Que bien loin de là, il avoit les armes aux pieds ^.
Pour les autres, Piquet, Maulgué, Parizot, d*Hangest,
ils étaient ou absents de Paris, ou retenus chez eux par
quelque maladie. Deschamps-Tresfontaines était démis-
sionnaire depuis douze jours»
On trouve au dossier le plan du réquisitoire que se
proposait de prononcer le substitut Naulin et, ce qui est
1. Archives, Yf 357, dossier 750, pièce 53.
2. Ibid., pièce 28.
%. Ibtd. pièce 29.
LES BATAILLONS DES FILLES S. THOMAS ET DES P. PÈRES. 575
plus curieux, les notes qu'il a prises au cours du débat
sur les deux principaux accusés, Tassin et Perrée. Ses
notes s'arrêtent au milieu de la déposition des témoins
qui, interrompue le 13, se continua le lendemain.
Résultat du débat sur Tassin de t Étang.
Intelligences avec la cour. A côté du petit Capet lors de la
journée du 20 juin. Improbation de la démarche du peuple à
cette époque, dans le café de Chrétien ; participation indirecte
au repas des Champs-Elysées et complicité des suites de ce
dîner, prouvées par sa démarche à la section où il provoqua
rinsurrection, en criant : « Que les Marseillois viennent
égorger les grenadiers. » Fermeture des boutiques, canons
braqués, etc.
A la journée du 10 août, concert avec Mandat et tous les
agents de la cour. Bataillon assemblé le 9 au soir, marche
aux Tuileries, d'après l'ordre de Tassin, qui s'excuse sur
ceiui du traître Mandat. Harangues de Tassin, qui ne pouvoit
ignorer ce projet d'insurrection populaire et parce que Pélion
Favoit annoncé, et d'après ses démarches au château où il
conduisoit des patrouilles joumalici*es, depuis l'événement
du 20 juin. — Rapport deColotsur la déchéance ; conduitede
Tassin qui conduit Capet à cette époque. Cris de Vive le roi!
Yenmaring, affidé de Capet, déchire les feuillets du registre
— (d'une autre encre : adresse). Perret, commandant du
bataillon des Petits-Pères, imite la conduite de Tassin dans le
sien. Ordre pour porter le corps de Duhamel à l'Assemblée.
Conférences à cette époque avec Capet. Quitte son lit pour se
mettre à la tête du bataillon, le 9 août, d'après l'ordre de
Mandat. — L'un des provocateurs du diner aux Champs-Elysées,
mène son bataillon aux Tuileries, le 9 août au soir. Dispa-
raît. Joue au billard avec l'Autrichienne, selon le bruit public.
— Candeur du témoin Blouette^
i. Archives, W 357, dossier 750, pièce 51. Blouet est le douzième témoin,
▼oyez procès-verbal d'audience, ibid.t pièce 32.
376 CHÂP. XXXIII. — FLORÉAL (DEUXIEME DÉCADE).
CequeNaulin a pu dire, à Tappui de raccusalion.
Sur la constitution monarchique, sur les principes et les
motifs des reviseurs, sur le système de Lafayettc, voulant le
gouvernement militaire, sur l'état de la majorité des accusés,
tels que Tassin de TÉtang, L.-Dan. Tassin, Venmaring, Pic-
quet, Parizot, Rougemont, Perret, tous tenant directement
ou indirectement à la finance ; sur d*IIangest, ex-mousquetaire:
ce qu'il a pu dire après ces « réflexions générales, »
Sur la conduite révolutionnaire de chacun des accusés,
notamment aux époques marquantes de la révolution,
comme ce que purent dire, après ce réquisitoire, les dé-
fenseurs officieux en leur faveur, tout cela fut probable-
ment sans influence sur la détermination du jury. La
défense (et quelle défense!) du château des Tuileries,
au 10 août, réclamait des victimes expiatoires. Tous^
excepté Salneuve, dont l'alibi fut sans doute constaté,
furent condamnés à mort.
II
15 iloréal : fourni** aristdcraliqiio et fuurnéo populnirc.
Le 15 (4 mai), dix accusés, dix condamnés : Claude-
Antoine Clkriag, marquis de Cuoiseul-Ladaume, ancien
lieutenant-général, Antoine Dutailly, homme de loi h
Besançon, et Philippe Monmotte (soixante-treize ans),
juge du tribunal de cette ville, accusés de royalisme et
de correspondance avec les émigrés*.
c Choiseul était un des agents de Capet et de sa
1. Apchivfts, W 558, «losRÎer 755, ïiufUtin, n" 08-71.
CHOISEUL-LABAUME, DUTAILLY, MQNNIOTTE. 377
femme. Le tyran n'a pas formé un plan de conspiration
dont Choiseul n'ait été le complice et ^instrument^ »
Dutailly, agent de Choiseul-Labaume, était venu à
Paris en avril 1791 pour suivre un procès de Choiseul
et de Mme de Ligncville, sa sœur, contre Durfort de
Lorges ; il y était resté jusqu'en octobre, et pendant ce
temps il avait entretenu avec Faure, procureur au par-
lement de Besançon, une correspondance qui, selon lui,
était toute d'affaires, mais dans laquelle il donnait aussi
les nouvelles répandues par les papiers publics ; et Tac-
cusation y signalait (les extraits qu'elle en donne en
témoignent) un grand mépris et une grande haine pour
le régime nouveau; il avait pu calomnier même la
journée du 10 août*.
Monniotte ne parlait pas mieux des clubs, notam-
ment dans sa correspondance avec Dulailly. Il donne
pour excuse qu'il a dit ce qu'il entendait dire, mais il
avait aussi exprimé son opinion personnelle sur diverses
choses. Le juge lui demanda comment il avait envisagé
le voyage de Varennes :
R. Que vivant ci-devant dans un état monarchique, il avoit
cru être obligé d'aimer et de respecter son souverain; que du
moment qu'il a appris sa trahison et son arrestation h Va-
rennes, il Ta autant détesté, ainsi que tout son sang, qu'il se
croyoit auparavant obligé de les aimer et respecter.
Mais on lui opposa une de ses lettres où il parlait tout
autrement du départ du roi et de son retour forcé*.
i Voyez l'acte d'accusation (Archives, W 358, dossier 753, 4* partie, pièee lOi);
ses lettres, ibid,, Z" partie, pièce 29, et 4* partie , pièces i-25, et son interroga-
toire, ibid., pièce 91.
2. Ibid.f 4* partie, pièce i04; pièce 20 (interrof?.) et les lettres qui lui aoot
représentas et qu'il reconnaît.
3. Ibid., pièce 17.
378 CHAP. XlXm. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
Au nombre des accusés se trouvaient encore :
Jacques-Louis Lebègue (I'Oyseville et François liEBè-
GUE BoYS^ frères de Tancien ministre Duportail : c'était
déjà un grief; on les accusait d'avoir correspondu avec
lui^
Autre client de Fouquier-Tinville : Marie-Pierre-Tho-
mas Mauviel, qui n'accordait pas une confiance illimitée
au régime nouveau, autant qu'on en peut juger par
une lettre du 19 juillet 1792, où, faisant allusion aux
bandes armées qui arrivaient à Paris (les futurs héros
du 10 août), il écrivait : « Gare aux poches et fermez les
boutiques; » ajoutant que, «si de pareilles troupes se por-
taient au Palais-Royal, ce serait une belle occasion pour
les escrocs. » Ailleurs, il faisait des Jacobins un portrait
peu flatté. Mais quand on lui demande pourquoi ces
diatribes contre les patriotes, il répond : c Parce que ce
n'étoient pas de vrais patriotes. J'ai toujours regretté,
ajoute-t-il, que l'avis de Brissot ait prévalu aux Jacobins
et fait décider la guerre contre le sentiment de Robes-
pierre qui ne la vouloit pas*; et Mauviel est de l'avis de
Robespierre ! > Malheureusement pour ce nouveau cham-
pion de Robespierre, on avait trouvé chez lui des prières
à la sainte Vierge et un gobelet portant cette inscription :
Dieu et le roi^.
Georges Le Bensais de Wiéval (le Bulletin l'appelle à
tort Jouvencet Laviéval), ancien lieutenant colonel de
cavalerie, âgé de soixante-seize ans, qui avait deux en-
fants nés en Pologne et demeurés au service de ce
royaume. Ils n'étaient donc pas des émigrés, et il n'a-
1. Archives, ibid,^ i'* partie, pièces i biê et 107.
2. Ibid.^ 2* partie, pièce 47.
3. Ibid,y pièce 24.
LES FRÈRES LEBÈGUE, MAUYIEL, ETC. 579
vail d'ailleurs jamais eu avec eux qu'une correspondance
toule paternelle; mais il élail chevalier de Saint-Louis et
on n'avait trouvé chez lui que le ruban de l'ordre.
Qu'avait-il fait de la croix? Il l'avait cachée sans doute
dans l'espoir de s'en parer encore bientôt. Il allégua en
vain que, donnée à raccommoder avant la révolution,
elle s'était trouvée égarée par suite de la mort du bi-
joutier*.
Le comte Marc-Antoine de Levis Laviéval, maréchal
de camp et constituant, avait protesté contre la consti-
tution de 1791, c protestation, dit Taccusateur public,
qui n'avoit pas pour objet d'étendre les droits du peuple
et de propager sa liberté, mais bien au contraire de res-
serrer ses chaînes, d'augmenter son esclavage. > Et
pourtant Levis avait dit dans son interrogatoire :
J'ai protesté, la croyant contraire au bien du peuple, classe
à laquelle j'ai toujours été attaché, et me suis empressé de
reconnoitre la constitution républicaine.
Il avait voyagé en Allemagne, d'octobre 1791 à
mars 1792, avant Fépoque où il aurait été tenu pour
émigré, et dans tout son voyage il affirmait qu'il n'avait
pas vu d'émigrés*.
Théodose-Joseph Boissard, procureur de la commune
de Pontarlier, faisait l'objet d'un acte d'accusation spé-
cial et motiva aussi, quoique jugé avec les autres, un
jugement particulier. Suspendu provisoirement, le 25
avril 1796, parles représentants Michaud et Siblot, il
avait répondu à cet acte par quatre libelles dirigés contre
1. Archives, W 358, dottier 753, ihid., 4* partie, pièce 18.
2- Ibid., 4* partie, pièce 93.
380 CHAP. XWni. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
les deux conventionnels. C'était engager trop forte partie.
Ceux qu'il traitait de Verres et de triumvirs raccusèrent
de fédéralisme, ce qui était un bien autre monstre! Le
tribunal révolutionnaire le lui flt bien voir.
L'audience n'avait commencé qu'avec neuf accusés.
Elle en compta dix à la fm et autant de victimes. Le
notaire Jérôme Martin, entendu comme témoin, ayant
paru, par la suite des débats, c avoir reçu une procu-
ration donnée par Duporlail à ses deux frères, à l'effet
de percevoir ses revenus », se trouva convaincu d'avoir
contribué à frustrer la nation des sommes qui lui appar-
tenaient par suite de l'émigration de Duportail, et, sur
le réquisitoire de Taccusateur public, il fut c rangé au
nombre des accusés, pour son procès lui être fait et par-
fait conjointement avec eux*. » Venu paisiblement de sa
maison au tribunal pour déposer^ il en sortait quelques
heures après pour aller, avec les neuf autres, à Técha-
faud".
Le même jour, dans l'autre section (salle de l'Éga-
lité), une fournée beaucoup moins titrée : un employé
à la loterie nationale, une limeuse de clous, un mar-
chand de chevaux, un instituteur, un gendarme et un
aubergiste \ tous étrangers les uns aux autres.
Trois étaient particulièrement accusés d'avoir crié
Vice le roi I C'étaient Jean-François Durand (vingt-
quatre ans), François Lacroix (cinquante-deux ans) et
Auguste-Joseph Salntenoy (dix-huit ans et demi).
Durand, conduit devant le commissaire de police
pour un autre fait, était accusé d'avoir dit : « qu'il
1. Archives, ibid.^ A" partie, pii^ce 97 (procès-verbal d'audience).
2. Ibid., pièces 103 et 104.
5. Archive**, W 559, dossier 754.
J. DURAND; FR. LACROIX; A. SALNTENOY. 381
ne changerait pas de sentiment : Vive le roil vive Condél
vive le comte d'Artois !
Il le nie*.
Lesdeux autres ne s'en souviennent pas : ilsétaient ivres.
Lacroix était dans un café où sa femme était venue le
chercher : le langage qu'on lui prête est bien d'un
homme saoul :
Qu'il feroit sortir les boyaux du ventre à la nation, qu'il
crieroit Vive le roi! quand même il auroit la tcte sur la
guillotine, que tous ceux qui alloient combattre les rebelles
étoient des gens f..., et Vive le roi* !
Saintenoy, lui, était en prison :
D. Si, étant dans la maison d'arrêt des Madelonnettes, il
n'a pas dit qu'il avoit son père et son frère émigrés; s'il ne
sVst pas plaint de la nourriture de cette maison et s'il n'a
pas crié Vive le roi!
K. Qu'il ne le croit pas, que le jour en question il avoit
bu considérablement du vin et deux bouteilles d'eau-de-vie ;
qu'il se rappelle qu'il chautoit le refrain de la chanson qui
dit : En détestant les rois^ etc.
1). Si, lors de son premier interrogatoire, il n'a pas dit
qu'il se f... autant du roy que de la république?*
R. Qu'il n'y avoit pas une heure qu'il étoit sur son lit
pour se dégriser, et qu'il ne se rappelle pas d'avoir fait une
pareille réponse^.
Tous les trois furent condamnés à mort\
Unequatrième,Marianne-ÂntoinetteDupRESsoiR,femme
Meurlne, déclarée coupable, mais acquittée sur la ques-
tion intentionnelle, vu son patriotisme habituel et son
i. Archives, W 559, dossier 754, pièce 7i
2. Ibid.^ pièce 43.
3. Ibid., pièce 4.
4. Ibid., p. 40.
382 CHAP. XXXra. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
état d'ivresse constaté, fut renvoyée en prison pour y
rester jusqu'à la paix : trois autres, Anne-Françoise
FnÉviLLE^Paul Pinson, et Toussaint Bluet, accusés d'inG-
déiités dans les fournitures, mais dont la fraude n'avait
pasélé prouvée, furent acquittés*.
III
Une prolcsUition publique contre la guillotine : Françoise Loissillier; Marie-
Madeleine Yirolle et Mélanie Enouf (16 floréal).
Le spectacle de ces hécatombes journalières attirail
encore une foule hébétée sur le théâtre des exécutions.
Mais il y eut aussi des âmes généreuses, des femmes, de
simples jeunes filles, qui ne purent réprimer leurs sen-
timents d'horreur et éprouvèrent le besoin de les mani-
fesler même au prix de leur vie.
Le 11 floréal une c faiseuse de modes », Claude-Fran-
çoise lioissillicr (quarante-sept ans), voulut faire appel
à la population de Paris pour mettre un terme à ce
régime de sang, et elle afficha un placard miinuscrit
ainsi conçu :
Peuple, habitants de Paris, armez-vous donc de courage
pour sauver la vie à ces innocentes victimes que Ton fait
périr tous les jours, et faire finir la guillotine. C'est attaquer
tout à la fois le Créateur et la créature : le Créateur, en
détruisant son ouvrage ; la créature, en la privant du bienfait
de Dieu. — Craignez surtout que cela n'attire sur vous et sur
cette grande ville les grands fléaux de Dieu, en laissant faire
cela plus longtemps. Allez dans les prisons en faire sortir
les innocentes victimes*.
i. Archives, \V350, dossier 754, pièces 22, 31, 34 et 50.
2. Nous en reproduisons Torlhographe : < Peuples ahitcn de Parie armé tous
FEMMES PROTESTANT CONTRE LA GUILLOTINE. 585
Suit une exhortation à désarmer le courroux de Dieu
par la prière, le jeûne et Taumône. Elle finit ainsi :
Vous voyez les grands maux de la guerre. Craignez surtout
les autres. Car il est un Dieu vengeur des innocents oppri-
mes qui vous traiterait comme vous laissez traiter les au-
tres : car TOUS manquez d'humanité ^
Elle avait préparé un autre placard qu'elle destinait
sans doute au lieu où était enfoui Louis XVI :
Au Ceimetiere de la Madelaine de la Yillevéque.
Ame juste isy repeausse le innocent opprimé le plus grand
des rois chrétiens. Dieu, écoute la voix du sang innocent si
cruellement répandu! etc.*.
On trouva encore chez elle plusieurs versions ou répé-
titions du même thème'; une exhortation au peuple
d'aller à la guerre en chrétien à l'exemple de Clovis*, etc.
Un procès-verbal du comité révolutionnaire de la
section de la Maison commune constatait qu'elle avait
été arrêtée comme elle venait d'afficher un placard
qu'elle avait enlevé aussitôt. Le comité l'interrogea sur
ses parents et connaissances, puis sur le fait principal :
D. Pourquoi elle a affiché ce papier?
R. Qu'elle Ta fait par mouvement d'humanité et parce
qu'elle voyoit que Ton répandoit trop de sang.
D. Si elle n'a pas été conseillée ou payée?
donc de courage pou sauré la rie a set innocente Tictimcs qoe Ton fct periro
tout les jour, de Ter finira la guillotine.... Set attaqué tout à la fois le créateur
et la créature. Le créateur en détruisant son ourrage, la créature en la prÎTant
du bienrait de Dieu.... Craingé sur tou que sa natire sur tous et sur set grand
Tilles les grend ffleauz de Dieu en lèsent fer sa plu lonten. Aie dans les prisoo
en fer sorlire ces innocentes Tictimes ....
i. Archives, W 359, dossier 759, pièce 49, Cf. pièoe51, même thème ; pièces
48, 65, 66, autres afCches avec même commencement.
2. Ibid.f pièce 44.
r». Wid.t pièces 45, 46. ^4. Ibid., pièce 47.
384 GHAP. XXXIII. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
R. Je n'ai été conseillée par personne, ce n'est que par un
mouTcment du sang que Ton répand, tant sur la place de la
Résolution que dans les combats qui se font aux armées. Et
que cela est bien fait pour que Ton gémisse sur le sort de
ceux qui en sont les victimes.
Une telle hardiese trahissait des principes religieux.
On lui demande s'il y a longtemps qu'elle a été à la messe
ou à confesse. — Elle s'est confessée à Pâques 1792; elle a
été à la messe en novembre 1792; elle ajoute que d'ail-
leurs on n'y peut plus aller.
A elle demandé pourquoi elle regrette le tyran?
R. Je n'ai d'autre motif que le regret de voir répandre le
sang et j'ai grand'peur que cela ne cause bien des maux à
l'État.
A elle demandé ce qu'elle a pensé de la liberté que l'on a
donnée aux ci-devant religieux et religieuses du culte qu'elle
professoit?
R. J'en ai été très satisfaite ^
Le 15 floréal, veille du jugement, c*est le juge Deliège
qui rinterroge :
D. Si elle n'a pas affiché des placards contre-révolution-
naires ?
R. Que oui.
D. Qui l'a engagée à faire ces affiches?
R. Elle seule, folie qui lui a pris dans des moments
d'ennui '.
Et des témoins avaient déclaré qu'elle leur avait paru
avoir l'esprit aliéné'.
Deux autres femmes^ deux jeunes filles^ Marie-Made^
i. Archives, ibid., pièce 55.
2; Ibid,, pièce 58.
3. Ibid., pi(H:c 35*
MARIE-MADELECSE VÏROLLE ET MÉLANIE ENOUF. 385
leinc ViROLLE, coiffeuse (vingt-cinq ans), et Félicilé-
Mélanie Enouf (vingt-un ans), arrêtées dans des circon-
stances analogues, ne pouvaient pas être censées avoir
agi par hallucination, et elles n'en cherchèrent pas l'ex-
cuse, lue rapport du commissaire de police sur leur
arrestation au poste des Feuillants portait :
Que le citoyen Clérambault étoit en faction environ les onze
heures et demi du soir; il a crié Qui vive! sur les deux par-
ticulières ici présentes ; que ces deux particulières ont pré-
senté au citoyen Mas, aubergiste, marché des Quinze-Vingts,
sergent de garde au susdit poste, un papier, en annonçant
que c'éloit leur carie de citoyen; qu'ayant examiné cedit
papier, ils ont reconnu que ledit papier manifestoit le désir
du rétablissement de la royauté*.
Et il donnait les extraits des deux pièces écrites par
chacune des deux femmes :
La première de Mélanie Enouf, dont voici la trans-
cription :
Vive Louis XVII! Il faut qu'il soit avant peu sur le trône.
Peuple, ouvrez les yeux. Ne vous laissez pas induire en erreur
plus longtemps par les brigands qui sont à la tête du gouver-
nement : car c'est pour régner, et vous serez malheureux.
Ceux que Ton vous dit qui sont des malveillants sont pour la
bonne cause. Tournez vers eux et vous serez heureux. J'aime
mon Roy, je le regrette tous les jours et veux le suivre et me
jeter dans les mains de ces vils sarrasins. Ils aiment les vic-
times : qu'ils s'abreuvent du sang pur des agneaux.
Félicité Mélanie*.
1. Archives, W 359, dossier 759, pièce 26.
2. Viv Louis 17 il Taut qu'il soit avan peut sur le trânc. Peuple ourrô les
sieiix ne vous lesses pas en duire en nerreur plus longtemps par les brigans qui
son n la téic du gouvernement,* c^ir c'est pour régné et vous seres toujour
nulcureuz. Ceux que l'on vous di qui sont des malveyanls sont pour la bonne
TRIB. RÉVOL. m t5
3$6 CUâP. XXXUI. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
Quant à Tautre, j'aime autant ne la donner que dans
son orthographe :
Yoisi ma carte de citoyen. Toute la con ven sion est un tas
de se lé ras, un tas de gueus. Robes pier est un a boyeur ; dan
les tri bune il fais son bon re publi quain; mai la re pu blique
aist une chauje in famé. Se pauvre roi qui feses le bone ur de
la Fran se; aujour d^hui ce son des jacobin qui son les roi.
Ce pan dan il i en nora un a^en qui sois lonten. Ces jacobain
qui son des vanupic on lair dé tre des jans honaite Ce ne son
que des selera. Ye nés, mes cher conte et marquis, vene aves
46 canon charjes a mi tra le pour ba li xes toute se te canales;
que les de puté jetés de la poudre dans les sieuy du pau vre
peu pies : il fos faire dan sais la con van sion a cous de canon
ém aitre Louis (sci se ^) 17 il faus un roi il le faus ces né se re
poin le salut publis tans que ses tas de jacobin insi que tous
ces cochon de dé pute ; au foutre la re publi que é vive mon
bon roi! Je son portrait dans mon sain, je le con serverejus
que a la mor ! vive louis 1 7 ! vive louis 16. Vene, ran tre prandre
toute vau propietes qui son dan des main de séleras. Fai par
moi moimaime. You aite tous des pla bougre des mâchoire
dane
(Sans signature.*)
Dans rinterrogaloire qu'on lui fit subir le lendemain
Félicité-Mélanie refusa de donner son nom et sa de-
meure; elle dit que depuis deux mois elle habitait
dans les bois. Elle reconnut le papier signé d'elle : il
a été écrit dans un café qu'elle ne veut pas indiquer.
— Quelle a été son intention? — De se faire arrêter.
eose. Tournez vers eux et vous seras seureux. J'emmc mon Roy, je le regrette
tou les jours et veux le suivre et me gcté dcn les nien de ses villes Sarasen. U
•emme les victimes : qu'ille s'abreuve du scn pur des agnos.
Félicité MiUNii.
(Archives, W 559, do6;iier759, pièce 29.)
i. Elle avait écrit disait (dix-sept).
2. Ibid,, pièce 30.
MARIË-MADELËLNË YIROLLE ET MÉLANIE ËNOUF. 387
D. Qu'est-ce qui vous a excilé à tracer ces expressions
contre-révolutionnaires ?
R. Que c'étoit d'elle-même, parce qu'elle vouloit un roi,
et pour réponse a crié Vive le Roi!
Interpellée de dire son nom, déclare s'appeler Fuone et
signe ainsi.
Mais le lendemain, 15 floréal, rappelée devant le
juge, elle dit qu'elle se nommait Félicité-Mélanie Enouf,
vingt-un ans, ouvrière en modes, chez la citoyenne
Poulain ; que la nommée Virolle a couché avec elle la
nuit du 12 au 13. C'est chez elle que les deux écrits
ont été faits. Elle persiste à dire que c'est d'elle-même,
non par désespoir, et refuse un défenseur. — On lui
donne pour conseil Chauveau-Laga^de^
Quant à Marie-Madeleine Virolle, elle dit dès le pre-
mier jour son nom, son âge et ses qualités : qu'elle
a servi chez le ci-devant comte de Galla, comme
femme de chambre; qu'elle a quitté cette maison depuis
deux ans et a voyage au service de plusieurs autres
personnes ; qu'elle a été chez le marquis Gheverlai jus-
qu'en germinal ; depuis elle a couché avec la personne
qui a été arrêtée en même temps qu'elle.
D. Si depuis environ deux mois elle parcourt tous les
bois environnant Paris avec sa camarade?
R. Que non.
On lui demande quelle a été son intention.
R. Que leur intention étoit de se faire arrêter, ne pouvant
pas souffrir le régime actuql ; que l'effigie du tyran (c'est le
greffier évidemment qui écrit tyran) et de sa famille qu'elle
i . Archives, AV 55U, dossier 750, pièce 28.
388 GHâP. XXXm. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
reconnoit avoir eue sur elle, ainsi qu'un papier, démontre aisé-
ment quelle étoit son intention.
A elle observé qu^à tort elle persiste à tiire sa véritable
qualité; car on ne persuadera jamais qu'une femme née dans
la classe qu'elle se donne ait manifesté encore l'intention
d'avoir un roy, lorsqu'il est évident que les malheurs qu'a
essuyés la France viennent des faits des tyrans qui Tout
dominée pendant tant de siècles.
R. Qu'elle persiste à en vouloir toujours un, parce que la
France seroil plus heureuse et qu'on ne tveroit pas tant de
monde^ .
C'est le cri public étouffé par la Terreur, mais qui
suffoque les âmes généreuses. Qu'il retentisse une fois,
même au prix de leur sang I
Avec ces trois femmes comparaissait une autre jeune
fille de vingt-un ans, Jeanne Jarny, cuisinière chez
le citoyen Bouvier, qui avait crié Vive le roi I Elle l'avoue,
et elle s'en excuse.
D. Qui a pu l'engager à le faire?
R. Le désespoir d'avoir quitté ses maîtres, d'après une
querelle qu'elle a eue avec la femme de Bouvier.
Elle ajoute qu'elle se garderait bien de le faire aujour-
d'hui et qu'elle est bien fâchée d'avoir occasionné ce
scandale.
Deux hommes étaient compris avec ces quatre femmes
dans la même poursuite.
Jacques Duchesne, accusé d'avoir dit que, s'il tenait
tous les députés, il les couperait par morceaux ; que la
commune était composée de scélérats. — Il alléguait
qu'il avait diné à la Maison-Rouge avec deux amis, qu'il
était ivre avant le dîner; qu'il ne se rappelait rien :
1. Arcliifes, ibid,, pièce 27.
JEANNE JARNY, J. DUCHESNT, J. SAUVAGE. 389
A lui observé qu'il n'a pas pu, même dans l'ivresse, tenir
de pareils propos, sans les avoir enlendu dire auparavant?
Qu'il ne les a entendu dire à personne.
Et il ajoute qu'il dépassait toutes les sections en
civisme*.
Jean Sauvage (trente^quatreans), canonnier de la sec*
tion du Panthéon, parti pour la Vendée avec son bataillon
et revenu sans congé. Cela était fort commun ; mais on
l'accusait d'avoir dit que, pour se soustraire à la révolu-
tion, il irait en Angleterre; qu'il aimerait mieux être
guillotiné que de partir.
D. S'il n'a pas dit, en mettant la main sur un bonnet
blanc qui étoit sur la tète d'un citoyen : « Voilà le bonnet
que j'aime; quant au bonnet rouge, je n'en veux pas »?
R. Que loin d'avoir tenu ces propos, il en portoit un rouge
journellement, etc.*
L'interrogatoire de Sauvage est du 1 3 septembre 1 793 ;
celui de Duchesne du 17 ventôse (7 mars 1794). On ne
s'était donc pas beaucoup pressé pour eux, surtout pour
le premier. L'incident de la femme Loissillier et des trois
jeunes fllles les remit en mémoire; et pour elles on
n'avait pas perdu de temps. C'est le 13 floréal que
Félicité Enouf et Marie-Madeleine ViroUe avaient été
arrêtées; le 14 et le 15 on les interroge, et le 16 hommes
et femmes comparaissent devant le tribunal.
La jeune Jarny n'avait agi que dans un moment d'éga-
rement et elle s'en était excusée tout d'abord.
La femme Loissillier avait laissé entrevoir ce dont les
témoins avaient déposé sur l'état de son esprit, et c'était
1 . Archives, W 359, dossier 759, pièce 10.
2. Ibid, y pièce 14.
390 CHAP. XXXm. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
aussi une excuse. Les deux jeunes filles Félicité-Mélanîe
Enouf et Marie-Madeleine Virolle n'avaient jamais pré-
tendu se justifier; et telles elles s'étaient montrées dans
l'instruction, telles elles parurent aux débats. Il faut
citer leur interrogatoire d'après le Bulletin lui-même :
Vdccusateur public à ladite Henouf. Reconnoissez-vous
cet écrit?
R. Je suis Tauteur de cet écrit.
Vaccusdteur public. Les sentiments contenus dans cet
écrit sont-ils bien les vôtres, et jouissiez-vous de toute votre
présence d'esprit lorsque vous vous êtes permis de critiquer
le gouvernement républicain et de manifester vos regrets sur
la destruction de cette famille qui a fait le malheur de la
France?
R. Mes sentiments n*ont jamais varié et je jouissois de
toute ma présence d*esprit, lorsque je les ai déposés dans
récrit qui m'est représenté.
D. Quelles sont les disgrâces qui ont pu vous affecter, au
point de devenir l'ennemie déclarée de votre patrie et de
calomnier les représentants du peuple qui s'occupent de
poser les bases de sa félicité?
R. Il est vrai que j'ai éprouvé quelques disgrâces, mais
elles n'ont jamais influé sur les opinions que je devois avoir
de ma patrie, et ces disgrâces sont mon secret avec lequel je
dois mourir.
Vaccusateur public à la fille Virolle. Reconnoissez-vous
cet écrit comme étant émané de vous?
R. C'est moi qui l'ai écrit.
D. Qui vous a suggéré les opinions dans lesquelles il est
conçu, et sont-ce bien les vôtres?
R. Ces opinions sont les miennes, elles ont toujours été
les miennes et je n'en suis redevable à personne.
D. De qui étes-vous née?
R. Celui qui m'a donné le jourétoit un perruquier et je
ne compte aucun noble dans ma famille.
MÉLVME ENOUF ET MARIE-M. VIROLLE AD TRIBUNAL. 39i
D. Quels sujets aviez-vous de vous plaindre de la Conven
tioQ nationale et des autorités constituées pour leur prodi-
guer, comme tous Tavez fait, les épithèles odieuses et réToI-
tantes de gueux et de scélérats,^ et quels ont pu être vos
motifs pour demeurer si constamment attachée au roya-
lisme?
R. J'ai vu sacrifier des personnes qui m'étoient chères et
je n'ai pu voir de bon œil une révolution qui m*en privoit.
D'ailleurs, je ne dois compte de mes sentiments qu'à moi-
même.
D. Le premier sentiment, celui qui doit faire taire tous les
autres, ou au moins avoir la préférence, c'est Tamour de la
patrie : comment avez-vous donc pu cesser d'aimer votre
patrie, parce qu'elle a été forcée de retrancher de son sein
des êtres qui lui étoient nuisibles, et qualifier de gueux, de
scélérats, ceux qui ont renversé le trône, et calomnier d'une
manière aussi atroce Robespierre et autres représentants du
peuple, continuellement occupés des intérêts de la chose
publique?
R. J'ai détesté Robespierre depuis le commencement de la
révolution. J'abhorre ses principes et je ne reconnois aucune
autorité légitime que celle du roi.
D. Vous n'ignorez pas sans doute quelle est la récompense
réservée à de pareils sentiments?
R. J'ai fait le sacrifice de mon existence ; elle m'est odieuse
et je bénirai la main qui saura m'en délivrer*.
L'audience était présidée par Subleyras. Ce juge, un
des moins compromis, voulant préparer les voies à Tin-
dulgence, posa pour chacune des quatre femmes la ques-
tion subsidiaire :
L'a-t-elle fait sciemment et jouissant de la plénitude de
sa raison?
1. Bulletin, 4* ptrtie,In« 72, p. 285-286.
3dS GHAP. XXXIH. FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
Pour les femmes et non pour les hommes dont un était
notoirement ivre.
Le jury n'y répondit négativement que pour une seule,
la jeune cuisinière Jeanne Jarny , qui avait crié Vive le roit
dans un moment de désespoir. Pour les autres comme
pour les hommes la réponse fut affirmative sur toutes les
questions, et le tribunal prononça la peine de mort. —
La fille Jarry acquittée fut néanmoins détenue comme
suspecte et envoyée à l'hospice de la Salpêtrière «jusqu'à
ce qu'il en ait été autrement ordonné \ »
IV
17 floréal: les administrateurs de la Moselle, les prisonniers de Dijon;
18 floréal : nouvelles fournées; défenseurs du Château, et abus de pouvoir
dans les prisons ; l'ancien député Rameau, etc. — Témoins confondus avec les
accusés.
Les condamnations en masse allaient se succédant
sans interruption.
Le 17 floréal on en compta deux : Tune de onze; l'autre
de treize victimes; le 18, deux autres : dix-huit accusés
d'une part, et sept de l'autre.
Quelques mots seulement sur chacune de ces deux
fournées :
La première comprenait Henri-Jacques Poulet, pro-
cureur syndic du département de la Moselle, et dix admi-
nistrateurs ou membres du directoire du département',
1. Archives, W 359, dossier 759, pièces 71, 73 et 74.
2. Michel Wagner, Jacques-^tfrr^ (jadis Louis sans doute) Dbund, Jean-Bap*
tiste-Micolas Flossb, Jean-Jacqucs-Lt^r^ Pieraon, Alexandre Courtois, Matthieu
Séqubrt, Jean-Christophc Thibault, Martin Boler, Jean-Claude Géafit, François
CoLLiN (Archives, W 360, doss. 7(Ki). La plupart des pièces sont au dossier 772
(1~, 2* et 3* partie), carton 301, sous le titre Affaire Fcrret. La protestation
est dans la 3* partie, pièce* 14.
ADMINISTRATEURS DE LA MOSELLE; PRISONNIERS DE DIJON. 395
coupables d'avoir suspendu, en 1791 et 1792,rexécution
de la loi de confiscation à Tégard de l'abbayede Wadgasse,
confiscation qui pouvait soulever un conflit avec le prince
de Nassau-Saarbruck ; et en outre, plusieurs avaient
signé une protestation contre la journée du 20 juin.
Le second jugement frappait Le Jolivet, archi-
tecte, ingénieur du roi, le marquis de Jaucourt et onze
autres personnes* : Pioche-Fer* Bernard les avait expédiés
des prisons de Dijon au tribunal révolutionnaire, pour
faire pendant à la conjuration des Hébert, des Dan-
ton, etc. Ils furent condamnés sans interrogatoire préa-
lable (il n'y en a aucune trace au dossier) sur ce chef
d'accusation qui est résumé dans la première question
posée au jury :
Est-il constant que dans les maisons de détention de Dijon
il a été formé des complots et pratiqué des manœuvres ten-
dant à la dissolution de la représentation nationale, au réta-
blissement en France de la royauté et de tout autre pouvoir
attentatoire à la souveraineté du peuple'?
Le 18 (7 mai), dans la première section, François-
Louis-René CiiEVANDiER, natif de Valdrôme, lieutenant
de gendarmerie, et cinq autres, accusés : le premier,
d'avoir secrètement protégé, les cinq autres, d'avoir ou-
vertement défendu le château de Besignan que les pa-
triotes voulaient incendier dans la nuit du 9 au 10 août*.
i. Denis LAMAGuiÈnE(76 ans), Etieone Guellaud, troué, Joseph Galleton, Claude
JoDDRiER et Jcan-Baptisle Tuierrt, tous trois perruquiers; Jacques Tistaro, an-
cien procureur; François Bille, perruquier; Jean- Baptiste Sallez, limonadier;
Jean-Baplislc Guenot, buraliste; Claude Cuaossibr, marchand de bois, et Char-
lolle IUmoiseau, femme de Tex-noble Montherault (Archires, >V 360, doss. 765).
2. Pioc/ie et Fer étaient, on l'a tu, les noureaux patrons qu*il avait pris dans
le calendrier républicain.
3. Archives, W 500, dossier 765, pièce 3.
4. Wid., dossier 767. Voyez leur interrogatoire. pitVc» 40.
394 CHAP. XXXm. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
lis furent coadamnés à mort^ Les douze autres amenés
avec eux sur les mêmes bancs étaient accusés de tout
autre chose. Il s'agissait d*une conspiration de prisons
à Paris. L'un, Gency, s'était introduit à la Salpêtrière
et aux Anglaises, a abusant du signe caractéristique de
la magistrature pour y faire des menaces et y commettre
des violences, des indécences'; > les autres étaient encore
une queue de la conspiration d'Hébert; mais Gency fut
acquitté comme bon patriote', et à l'égard des autres les
charges n'étaient pas encore arrivées à l'accusateur pu-
blic. Comment donc les avait-il mis en jugement? Ils
furent renvoyés en prison *.
La seconde section comprenait deux séries d'accusés :
dans la première Jean-François Rameau, ancien député à
l'Assemblée législative; Jean-Louis Rameau, son frère,
assesseur du juge de paix; Jean-François Guillaumot,
juge de paix à Cosne (Nièvre), et la belle-mère de ce
dernier, Françoise-Perpétue Foing, veuve Guillaumot*.
« Pétitions incendiaires au Corps législatif; éloge outré
ou révoltant du scélérat Lafayette; défense du gouver-
nement monarchique, comme le plus stable, le plus
solide, le moins susceptible de variations et de secousses
violentes; propos royalistes, > etc.; tels furent les prin-
cipaux chefs d'accusation de cette série : ils concer-
naient principalement l'ancien député qui, pourtant,
dans son interrogatoire, avait dit :
J*ai voté contre le premier décret d*accusation qui fut pro-
posé contre Lafayette, et j'ai voté pour le second décret d'ac-
1. Archives, ibid,^ pièce i05, et Bulletin, n» 76.
2. Ibid., pièce 88. Cf. la déposition d*une tille Marguerite Duplessis, pièce 90.
3. Ibid,, pièce 104.
4. Ibid.f pièce 106 (procès-rerbal d'audience).
5. Archives, W 360, dossier 768.
L. CHEVJLNDIER, ETC. LES FRÈRES RAMEAU, ETC. 395
cusation onze jours après, parce qu'alors il étoit reconnu
traître à la patrie.
J'ai regardé la journée du 20 juin comme une réclamation
du peuple qui m'a rendu plus suspectes les intentions de Capet^
À Jean-Louis Rameau, le juge s'était contenté de de-
mander :
N'avez-vous pas dit que, si Ton en vouloit à votre frère,
cx-Iégislateur, c'est qu'il n'avoit jamais fréquenté les coquin»
de jacobins?
Et le prévenu l'avait nié.
Pour Guillaumot, voici le grief auquel on Tinvitait à
répondre :
D. S'il n'a point molesté et vexé le citoyen Martin, dénon-
ciateur de la fille Lacour, qui avoit dit que ceux qui avoient
jugé Capet étoient tous des coquins.
Il répondit qu'il n'avait molesté personne. La ûlle
Lacour avait été mise en liberté faute de preuves, et dans
l'ordonnance qu'il avait rendue, il était assisté de ses
quatre assesseurs. On l'avait lui-môme arrêté déjà pour
divers propos, et le tribunal de Nevers l'avait aussi ren-
voyé faute de preuves*.
C'est cette première arrestation qui avait amené celle
de sa belle-mère, la veuve Guillaumot. On accusait
celle-ci de l'avoir voulu faire enlever de vive force. Elle
s'était borné à prier quelques jeunes gens, partant pour
la défense de la République, de demander aux corps
constitués la liberté de GuilIaumot\
i. Archives, W 360, dossier 768, ibid., pièce 28.
2. /6iV/., pièce 16.
5. Ibid., pièce 3. '
396 CHAP. XXXUl. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCADE).
La veuve Guiilaumot seule fut acquittée.
Nicolas LouAULT, ex-curé de Saint-Âmand-en-Puisaye,
et Jean-François Magnier, maître d'école et chantre de
Saint-Thomas, formaient Tautre série. On les accusait
de propos séditieux et fanatiques. L'ancien curé s'en
défendait \ le chantre, maître d'école, avouait qu'il avait
pris part à une réunion tenue dans la maison commune
de Saint-Âmand :
D. Avez-vous eu la parole dans cette assemblée ?
R. Oui, d'après Tagrémcnt du maire, président-né de pa-
reille assemblée : j'ai dit que, s*il nous étoit libre comme par
le passé d'assister à la messe, d'avoir un curé, et que si la
nation ne le payoit plus, la commune se proposoit de le payer
à ses frais*.
Dans les débats, au rapport du Bulletin^ ils réussirent
à faire prévaloir un autre système. Ils prouvèrent que,
loin d'avoir soulevé le peuple pour avoir des messes, ils
avaient cherché à lui persuader que <c l'Être suprême
n'exigcoit pas de sa créature un culte extérieur'. »
Ils furent acquittés*.
Un incident qui se rattache à ce procès montre à quel
péril étaient exposés les témoins envoyés avec les pré-
venus de la pi'ovince, pour obéir à la loi du 27 ger-
minal .
Il y avait eu quatre témoins dans l'affaire de Louault
et Magnier. On a une feuille de roule portant pour en-
tête : Liberté, égalitéy inort mix traîtres I qui ordonne
de conduire ces quatre témoins avec les deux accusés,
1. Archives, ibid.., pièce 65.
2. Ibid.^ piî'ce 8i.
5. Bulletin du tribunal révolutionnaire, 4* partie, n* 77, p. 305.
4. Archives, ibid.^ pièces 60 et 01.
DANGER DES TÉMOINS AMENÉS A PARIS. 397
(le brigade en brigade, au tribunal révolutionnaire.
Les témoins avaient été logés avec les accusés dans la
prison et ils y étaient restés. Il s'agissait de les en faire
sortir : c'est l'objet d'un Mémoire trè$ snccincl sur la
détention de quatre sans-culottes de la commune de
Saint'Amandy district de Cosne * :
Louault, curé de Saint-Amand, et Magnier, son maître
d*école, ayant été traduits au tribunal révolutionnaire pour
cause de fanatisme, y ont été acquittés le 18 de ce mois. Ce-
pendant J.-B. Bichereauy cultivateur, Fr. Gourdet, tanneur,
Foutrier, laboureur et Plançon, bûcheron, de la même com-
mune, continuent de languir dans les fers, malgré leur inno-
cence. Ils ne sont pas les complices du curé et de son maître
d^école et n'ont été traduits à Paris pour paroître dans leur
aiïaire que comme témoins nécessaires et non comme des
accusés. Cependant, lors du jugement de ces derniers, ils
n'ont pas été entendus, et, quoique l'acquittement du curé ci
de son maître d'école dût leur procurer la liberté, ils ont pour-
tant été transférés de la Conciergerie à la maison d'arrêt du
Plessis, sans qu'on ait pu en savoir le motif et la durée de
leur détention.
Leur innocence les rend tranquilles, mais le désagrément
qu'ils éprouvent dans les chaînes et le besoin qu'ils ont de se
rendre dans leur famille, qui ne subsiste que de leur travail,
leur font réclamer leur liberté.
Jamais leur patriotisme n'a^été douteux; ils ont^contribué vo-
lontairement à tous les sacriGces des sans-culottes de la Nièvre.
Ainsi les accusés étaient libres; et les témoins, dé-
tenus (on ne savait pourquoi), couraient la chance d'être
enveloppés dans la première conspiration des prisons.
Un jugement du 22 floréal les fît mettre en liberté*.
1. Archives, Vi 565, dossier 700, pièce 2.
3. Ibid., pièce 3.
398 CUAP. XXim. — FLORÉAL (DEUXIÈIIIE DÉCADE).
19 floréal : La?ois1er et les fermiers généraux.
Le 19 floréal (8 mai) avait lieu le procès des fer-
miers généraux, au nombre de vingt-huit :
Clément Delaage père (70 ans);
Louis-Balthasar Dângers-Bagkeux;
Jacques Pauue (71 ans);
Antoine-Laurent Lavoisier, âgé de 5U ans, natif de Paris,
ex-noble, membre de la ci-devant Académie des sciences,
régisseur des poudres et salpêtres, député suppléant à l'As-
semblée constituante;
François Puissant;
Alexandre-Victor SAîNT-AMA^D (74 ans);
Georges Gilbert Montcloux (08 ans) ;
Antoine-François Parcel Saint-Cristan ;
Louis-Marie Lebas-Courmont ;
Jean-Baptiste Boullomgne ;
Cliarles-René Parceval-Frileitse ;
Nicolas-Jacques Papillon d'Alteroche (Ci ans) ;
Jean-Germain Maubert-Neuillv (iii ans) ;
Jacques-Joseph Brac-Laperrière (68 ans) ;
Claude-Franck Rougeot (75 ans) ;
François-Jean Vente ;
Denis-IIenry Fabus-Vernand ; •
Nicolas Devisle ;
Louis-Antoine Prévost-d'Arlincourt ;
Claude Cugnot-Lépinay ;
Jérôme-François-IIector Saleure de Giuzieux (64 ans) ;
Êtienne-Marie Delahaie ;
François Ménage de Pressigny (61 ans) ;
Guillaume Coititrier;
Louis-Philippe Duvaugel ;
Alexandre-Philiberl-Pierre Parseval ;
LES FERMIERS GÉNÉRAUX, LAYOISIER, ETC. 399
Jean-François Didelot;
Jean-Louis Loiseau-Berenger (62 ans).
Et trois adjoints :
René-Âlbert Saulot ; Clément-François-Philippe Delaage fils
et É tienne-Marie Delahante ^
L'acte d'accusation produisait contre eux le rapport
des réviseurs chargés d'examiner leurs comptes*. Il eût
été diflicile d'entrer dans cet examen sans y découvrir
bien des abus; mais cela n'eût exposé les accusés qu'à
une poursuite devant les tribunaux criminels. Pour les
amener au tribunal révolutionnaire, pour les frapper de
mort — et de confiscation, — il fallait un complot, et
voici le biais que Ton trouva :
Si lesdits fermi'ers généraux n'avoient pas attendu avec
impatience le retour de Tancien régime, auroient-ils difTéré
pendant deux ans à obéir à vos décrets en s'occupant sérieu-
sement de la reddition de leurs comptes?
C'est celte résistance à la loi qui amena la Convention à
rendre le 4 frimaire un décret de rigueur contre eux^.
Ils avaient été consignés (on peut dire détenus) à
l'hôtel des Fermes, sous prétexte de se mieux concerter,
ainsi réunis, pour rendre leurs comptes; et les commis-
saires de la comptabilité n'ayant point été plus satisfaits
des pièces qu'ils leur fournissaient, on les traduisit
devant le tribunal révolutionnaire : c'était une manière
expédilive et sûre d'en finir. Le fait est que le décret ne
i. Archives, W 362, dossier 785. Bulletin, n" 7S-81.
3. Voyez ce rapport présenté par Dupin dans la séance du 16 floréal (5 mai
1794) et le décret rendu en conséquence qui renfoio les fermiers généraux
devant le tribunal révolutionnaire (Moniteur du 17). Fouquier-Tinville, on le
voit, n'avait pas perdu de tjinps.
3. Bulirtin, n» 81, p. 320.
400 CUÀP. XXXm. — FLORÉAL (DEUXIÈME DÉCilDE).
simplifiait pas ces comptes. Pour satisfaire aux plus
grandes exigences, ils avaient offert deux millions sur
leurs biens ^ : mais on aimait mieux tous leui*s biens.
Au nombre des vexations dont on les accusait, il y
avait une fraude sur laquelle on comptait pour ameuter
contre eux la multitude : c'était « d'avoir introduit dans
le tabac de l'eau et des ingrédients nuisibles à la santé
des citoyens qui en faisaient usage. >
Les fermiers généraux avaient répondu aux griefs
articulés contre eux par de nombreux mémoires. Mais
le tribunal révolutionnaire n'entrait pas dans de pa-
reilles discussions. Les juges qui les interrogèrent avant
les débats (Scellier et Dobsent) se bornent à leur deman-
der où était leur ferme*. Quelques-uns en profilent pour
montrer à quoi se réduit leur participation. Duvaucel
n'a aucun emploi, n'étant que depuis peu de temps dans
le corps''. Fabus a été pendant deux mois seulement
chargé de la correspondance avec l'Anjou*. Boullongne
n'a aucun département et n'a fait aucune tournée*. La-
voisier, qui avait pour département la Lorraine, les
ci-devant évêchéset le domaine de Flandre, dit que quand
il a cx)nnu quelques abus il les a annoncés au ministère
des finances, notamment relativement au tabac, ce qu'il
est en état de prouver par pièces authenliques *.
Mais la cause était entendue. On s'en référait à ces
amas de dossiers où personne ne serait tenté d'aller
voir :
i. Des Ëssarts, t. X, p. 88.
2. Archives, W 302, dossier 785, pièces 0-1 1 .
3. Ibid.^ pièce 0.
4. Ihid.^ pièce 8.
5. Ihid., pièce H.
0. Ibid.f pièce 0.
SURSIS DEMANDÉ PAR UYOISIER. 401
c( Tous les différents chefs d'accusation portés contre
les ci-devant fermiers généraux, dit le Butletirij étoient
établis d'une manière incontestable et complètement
prouvés par des preuves écrites, émanées même desdits
fermiers.
c< En conséquence, les débats ont été fermés. »
Dans le cours de l'audience, le greffier lut un décret
qui venait d'être rendu par la Convention le jour même*
et qui mettait hors des débats (il était temps) trois des
accusés, simples adjoints : Saulot, Delaage-Bellefaye et
Delahante, et les faisait provisoirement réintégrer dans
leur prison*.
Pour les autres, le jury déclara :
1® Qu'il est constant qu'il a existé un complot contre le
peuple frangois, tendant à favoriser par tous les moyens pos-
sibles les succès des ennemis de la France, notamment en
mêlant au tabac de l'eau et des ingrédients nuisibles à la
santé de ceux qui en faisoient usage, etc.
El tous furent condamnés à mort.
J'ai dit que « le jury déclara : » du moins il faut le
croire, car on a bien les questions signées de GofHnhal,
mais on n'a pas la réponse. Pour la réponse, Coffinhal
avait signé en blanc au bas de la pièce et le blanc n'a pas
été rempli'. Légalement, la réponse n'existe pas.
Lavoisier, prévoyant son arrêt, avait demandé un
délai de quinze jours : a J'ai besoin, dit-il, de ce temps
pour terminer des expériences nécessaires à un travail
important dont je m'occupe depuis plusieurs années. Je
i. Moniieufdn !21 (10 man 1704).
2. Procès-verbal d'audience, ibid,, pièce 2. Cf. Procès Fouquier, n* 45, dépo*
sillon de Dobsen.
3. Ibid., pièce 16.
•
Tr.iB. BivoL. m iG
402 CHAP. XVXIY. - FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
ne regretterai point alors la vie. J'en ferai le sacrifice à
ma patrie. >
Mais Goffinhal qui présidait lui fit cette fière réponse :
m La République n'a pas besoin de savants ni de chi-
mistes : le cours de la justice ne peut être suspendue )»
Et ils furent tous exécutés le même jour*.
1. Des EssarU, t. lY, p. 201. — < Lafoisier, dit M. Louis Blanc, fut frappa,
quoique savant, i une époque qui poussa jusqu'au fanatisme le culte du principe
de régalilé {Hist. de la Révolution^ t. X, p. 407). » — La chose est vraie, mais
l'excuse est médiocre.
2. Le bulletin de lexécution de La?oisier est aux Archives, W 527, n* 2073.
Grand nombre de pièces relatives aux fermiers généraux sont au carton 521.
CHAPITRE XXXIV
FLORÉAL (troisième DÉCÀDE)
I
Proclamation de l'existence de Dieu et de l'immortalilé de l'ftme : fétct annuelles
fêtes décadaires ; — fête journalière : la guillotine.
La troisième décade de floréal s'ouvrait sous des aus-
pices qui devaient donner de grandes espérances. La
République était triomphante. La victoire avait repoussé
l'étranger de nos frontières, et à l'intérieur ceux qu'on
avait signalés comme les derniers ennemis de la Consti-
tution avaient succombé. Une ère nouvelle allait donc
s'ouvrir, et le 18 floréal, Robespierre, montant à la tri-
bune, en devait faire la proclamation. Que venait-il pro-
poser en effet? A la suite d'un rapport où il exaltait
l'empire de la raison et de la vertu, constatant les pi*o-
grès accomplis depuis les hiéroglyphes jusqu'aux miracles
de l'imprimerie, depuis c le voyage des Argonautes »
jusqu'à « celui de La Pérouse », — accomplis, par les
Français qui semblaient avoir devancé le reste de l'espèce
humaine de deux mille ans ; — après. de longs développe-
ments, tirés de la situation de l'Europe, à l'appui de cette
thèse, il venait proposer de proclamer, au nom du peuple
français, l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme et
tout un ensemble de fêtes propres à consacrer tout ce
qui est bon et honnête, tous les dévouements, toutes les
vertus. Quelle plus magniûque occasion de couvrir lo
404 GilÀP. XXXIY. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉaDË).
passé du manteau de Toubli (pour prendre le style du
temps), ou, selon notre langage, de faire une entière
amnistie; de fermer le tribunal révolutionnaire et d'en
finir du même coup avec cette fantastique conspiration
du 10 août, au nom de laquelle tant de victimes conti-
nuaient d'être chaque jour envoyées par lui à Técha-
faud? Mais il y avait plus d'un passage dans le rapport
où Ton sentait que les haines du passé restaient toujours
vivantes dans Tâme de l'orateur. Il ne lui suffit pas que ses
ennemis soient abattus, il refait leur procès, il veut se
donner la joie de les condamner encore et d'exécuter
leur mémoire. Lafayette, Dumouriez, qui lui ont échappé,
Brissot et les Girondins dont il a fait tomber les tètes,
sont ainsi ramenés devant ce grand jury qui a immolé
liOuis XYl; et la faction d'Hébert, et Danton dont il ose
dire : « Danton qui eût été le plus dangereux des
ennemis de la patrie, s'il n'en avait été le pluslâche^ ! >
Il ne les accable pas seulement comme politiques ; de
la haute position qu'il a prise il les foudroie comme
penseurs : et « l'académicien Condorcet, jadis grand géo-
mètre, dit*on,au jugement des littérateurs, et grand litté-
rateur, au dire des géomètres, depuis conspirateur timide,
méprisé de tous les partis >, qui a travaillait sans cesse à
obscurcir la lumière de la philosophie par le perûde
fatras de ses rapsodies mercenaires; > et les Girondins
(parmi lesquels il mèïelléheri.lii Père Dtichesnel), nom-
mément Yergniaud,Gensonné, « qui pérorèrent avec cha-
leur pour bannir du préambule de la Constitution le
nom de l'Être suprême que vous y avez placé », dit-il;
i. Danton, tgoute-t-il, ménageant tous les crimes, lié à tous les complots,
promettant aux scélérats sa protection « aux patriotes sa fidélité; habile à expli-
quer ses traliisons par des prétextes de bien public, à juslilier ses vices.
PROCLAMATION DE L'EXISTENCE DE DIEU. 405
et Danton sur lequel il revient avec un acharnement par-
ticulier :
Danton, qui souriait de pitié aux mots de vertu, de gloire,
de postérité; Danton dont le système était d'avilir ce qui
peut élever l'âme; Danton, qui était froid et muet dans les
plus grands dangers de la liberté....
Avec de tels retours sur le passé, on ne pouvait guère
compter qu'il désarmerait dans le présent; et il le décla-
rait dans son rapport :
Ennemis du peuple, qui que vous soyez, jamais la Con-
vention nationale ne favorisera votre perversité. Aristocrates,
de quelque dehors spécieux que vous veuillez vous couvrir
aujourd'hui, en vain chercheriez-vous à vous prévaloir de
notre censure contre les auteurs d'une trame criminelle
[Hébert et Chaumette] : vous n'avez pas le droit d'accuser, et
la justice nationale, dans les orages suscités par les factions,
sait discerner les erreurs des conspirations ; elle saisira d'une
main sûre tous les intrigants pervers et ne frappera pas un seul
homme de bien.
Fanatiques, n'attendez rien de nous.. .
Tels étaient les préambules du fameux décret :
Art. 1 . Le peuple français reconnaît l'existence de l'Être
suprême et l'immortalité de l'âme.
Le décret sanctionnait sur d'autres points la pensée
qui s'était fait jour dans le rapport :
Art. 3. 11 met au rang de ces devoirs de détester la mau-
vaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres.
Déclaration irréprochable en soi, mais qui permettait
de tout comprendre sous le nom de traîtres. Il instituait
des fêtes :
406 CHAP. XXXIV. - FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
Art. 6. La République française célébrera tous les ans les
fêtes du 14 juillet 1789 — [nous y sommes], — du 10 août
1792 _ [on y va], — du 21 janvier 1793, du 31 mai 1793
— [on y viendra].
Dans ce décret qui proclamait TEtre suprême, la
liberté des cultes était consacrée d'une manière vrai-
ment formidable :
Art. 11 . La liberté des cultes est maintenue conformément
au décret du 18 frimaire.
Art. 12. Tout rassemblement aristocratique et contraire à
Tordre public sera réprimé.
Art, 13. En cas de troubles dont un culte quelconque
serait l'occasion ou le motif, ceux qui les exciteraient par
des prédications fanatiques ou par des insinuations contre-
révolutionnaires, ceux qui les provoqueraient par des vio-
lences injustes et gratuites, seront également punis selon la
rigueur des lois.
La rigueur des lois, c'est l'idée qui persiste; punis
selon la rigueur des lois : décidément, le tribunal révo-
lutionnaire n'était pas à la veille d'être supprimé.
Quelques jours auparavant, Fouquier-Tinville avait
adressé au Comité de salut public la lettre suivante :
Paris, ce 14 floréal de Tan H.
Citoyens représentants,
Je crois devoir vous rappeler que verbalement et par écrit
je vous ai exposé que les affaires dévolues au tribunal, no-
tamment d'après le décret du 27 germinal dernier, se multi-
plioient malgré la rapidité du travail du tribunal, et que
pour les expédier avec la même rapidité il devenoit indispen-
sable que les employés au parquet fussent augmentés de
quatre, savoir : deux, capables de rédiger et de suivre la
correspondance, aussi active qu'étendue, avec tous les dépar-
NOUVEAUX AGENTS DONNÉS A FOUQUIER-TINVILLE. 407
tements, à raison de 3000 liv., et les deux autres, copistes et
expéditionnaires des actes d'accusation et autres objets néces«
saires, à raison de 2000 livres*.
Il demandait, en outre, que le nombre des copistes ou
expéditionnaires au grefle et aussi celui des huissiers
fussent portés de huit à dix. £t le Comité avait pris un
arrêté conforme (16 floréal)*.
Le tribunal avait justifié déjà et les déclarations de
son accusateur public et la confiance du Comité. Le 19,
le lendemain du rapport de Robespierre et de son décret
sur l'Être suprême, il avait envoyé en une fois à la mort
vingt-cinq fermiers généraux, y compris Lavoisier. Le
21 , la nouvelle décade s'ouvrit par une aussi nom-
breuse hécatombe, et pour relever l'éclat du sacrifice le
sang royal y était mêlé au sang des plébéiens comme
au sang des plus nobles familles : Madame Elisabeth
allait rejoindre son frère et sa sœur.
II
21 floréal : Madame Elisabeth et ses compagnons et compagnes.]
Les ressentiments qui avaient amené la mort du roi
étaient bien plus violents encore contre la reine, et Ton
comprend qu'elle en ait été aussi la victime. Pour
Madame Elisabeth, la sœur de Louis XVI, qu'avait-on à lui
reprocher? Mais quand l'attachement au roi et à la reine,
le regret de leur mort et l'affection pour leurs enfants
étaient un crime, qui plus qu'elle pouvait en être tenue
1 . Archives, AF ii 22, dossier 69, pièce 87.
"2. Ihid., pike W'».
408 CUAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DËCàIffi).
coupable? Elle n'avait pas voulu, lorsqu'elle le pouvait,
quitter son frère. Elle avait partagé sa prison, elle y était
restée la consolation de sa veuve, elle demeurait, après
la mort de Marie-Antoinette, le soutien de sa fille; elle
ne cessait pas de témoigner de la sollicitude pour son
fils, ce ûls voué à la mort par la fatalité de sa naissance,
et pis qu'à la mort, à ces traitements ignominieux qui,
pour ravaler dans l'héritier du roi le caractère royal,
allaient jusqu'à corrompre (crime inexpiable 1) la pu-
reté du corps et de l'âme dans l'enfant!
Hébert avait été l'instigateur de cette infernale poli-
tique, et il avait cherché, on s'en souvient, à rejeter cette
accusation de corruption sur cette (ille angélique. Il avait
vu, lui, Hébert, l'atrocité de son âme peinte dans de»
traits d'elle, qu'il se chargeait de reproduire. Dès le
7 brumaire (28 octobre), douze jours après le supplice de
la reine, il exprimait aux Jacobins son indignation qu'elle
fût encore en vie. H la précéda pourtant à l'échafaud.
Mais Robespierre devait bien cette victime à ses mânes.
On ne différa pas davantage. Aussi bien, son emprison-
nement au Temple était un privilège qui, depuis trop
longtemps, violait le principe de l'égalité républicaine,
et qui coûtait trop à la nation.
« Jusqu'au 9 mai, » dit la ûllede Louis XVI, dernier
témoin des vertus de la princesse dans cette prison qu'elle
partageait avec elle, «il ne se passa rien de remarqua-
ble\ Ce jour-là, au moment où nous al lions nous mettre
1. Elle raconte dans les pages qui prÀ:èdent les vexations misérables aux-
quelles on soumettait l'auguste captive qui voulait, sous l'empire même de ses
geôliers, observer les lois de sa religion : « N'ayant pas de poisson, elle de-
manda des œufs ou d'autres plats pour les jours maigres; on les lui refusa eo
disant que pour l'égalité il n'y avait pas de difTcrence dans les jours; qu'il n*y
Qvnit plus de semaines^ mais des décades. On nous apporta un nouvel almanach ï
MADAME ELISABETH : — l** INTERROGATOIRE. iO
au lit, on ouvrit les verrous et on vint frapper à notre
porte. Ma tante dit qu'elle passait sa robe; on lui ré-
pondit que cela ne pouvait pas être si long, et on frap-
pa si fort, qu'on pensa enfoncer la porte. Elle ouvrit
quand elle fut habillée. On lui dit : a Citoyenne, veux-
« tu bien descendre? — Et ma nièce? — On s'en occupera
a après. > Ma tante m'embrassa et me dit de me cal-
mer, qu'elle allait remonter, ce Non, citoyenne, tu ne
m remonteras pas, lui dit-on; prends ton bonnet et
« descends. »
c On l'accabla alors d'injures et de grossièretés; elle
les souffrit avec patience, prit son bonnet, m'embrassa
encore, et me dit d'avoir du courage et de la fermeté,
d'espérer toujours en Dieu, de me servir des bons prin-
cipes de religion que mes parents m'avaient donnés, et
de ne point manquer aux dernières recommandations de
mon père et de ma mère. Elle sortit : arrivée en bas,
on lui demanda ses poches, où il n'y avait rien; cela
dura longtemps, parce que les municipaux ûrent
un procès-verbal pour se décharger de sa personne.
Enfin, après mille injures, elle partit avec l'huissier
du tribunal, monta dans un fiacre, et arriva à la Con-
ciergerie où elle passa la nuit* » (9 mai, 20 floréal).
11 ne lui fut pas donné de prendre si vite son repos.
nous n'y regardâmes pas. » {Récit des évétiemenU arrivé» au Temple^ p. 238.)
Et encore :
c Elle fit son caréoïc entier, quoique privée d'aliments maigres ; elle ne
dé'eunail pas ; elle prenait à dincr une écuelle de café au lait (c'était son déjeu-
ner qu'elle gardait), et le soir elle ne mangeait que du pain. Elle m'ordonnait de
manger ce qu'on m'apportait, n'ayant pas l'âge porté pour faire abstinence ; mais
pour elle, rien n'était plus édifiant : depuis le temps où on lui avait refusé du
maigre, elle n'avait pas pour cela interrompu les devoirs prescrits par la religion,
Au commencement du printemps on nous 6ta la chandelle, et nous nous cou-
chions lorsqu'on n'y voyait plus. » (Ibid,, p. 243.)
\ . Récit deê événementê arrivé» au Temple, p. 246.
410 CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
Arrivée à la Conciergerie à huil heures et déposée au
greffe, elle fut menée à dix heures au tribunal dans la
salle du Conseil, où elle subit devant le juge Deliège son
premier interrogatoire.
Après les questions d'usage, le juge lui dit :
Avez-Yous, avec le dernier tyran, conspiré contre la sûreté
et la liberté du peuple français?
R. J'ignore à qui vous donnez ce titre, mais je n'ai jamais
désiré que le bonheur des Français.
D. Avez-vous entretenu des correspondances et des intelli-
gences avec les ennemis extérieurs et intérieurs de la Repu-
bUque, notamment avec les frères de Capet et les vôtres, et
ne leur avez-vous pas fourni des secours en argent?
R. Je n'ai jamais connu que des amis des Français. Jamais
je n'ai fourni de secours à mes frères, et depuis le mois
d'août 1792 je n'ai reçu de leurs nouvelles ni ne leur ai
donné des miennes.
D. Ne leur avez-vous pas fait passer des diamants?
R. Non.
On l'interroge ensuite sur le projet de voyage à Saint-
Cloud, sur la fuite à Varennes :
R. N'est-ce pas pareillement à votre sollicitation et à celle de
Marie-Antoinette, votre belle-sœur, que Capet, votre frère, a
fui de Paris, dans la nuit du 20 au 21 juin 1791 ?
R. J'ai appris dans la journée du 20 que nous devions
tous partir la nuit suivante et je me suis, à cet égard, con-
formé aux ordres de mon frère.
D. Le motif de ce voyage n'était-il pas de sortir de France
et de vous réunir aux émigrés et aux autres ennemis du peu-
ple français?
R. Jamais mon frère ni moi n'avions eu l'intention de
quitter notre pays.
D. Avez-vous connaissance qu'il ait été tenu des concilia-
MADAME ELISABETH ; — !•' INTERROGATOIRE. 4ii
bules secrets chez Marie-Antoinelte, ci-devant reine, lesquels
s'appelaient conciliabules autrichiens?
R. J'ai parfaite connaissance qu'il n'y en a jamais eu.
D. N'étiez-vous pas aux Tuileries le 28 février 1791,
20 juin et 10 août 1792?
R. J'étais au château ces trois jours, et notamment le
10 août 1792, jusqu'au moment où je me suis rendue avec
mon frère à l'Assemblée nationale.
D. Ledit jour, 28 février, n'avez-vous pas eu connaissance
que le rassemblement des ci-devant marquis, chevaliers et
autres, armés de sabres et de pistolets, était encore pour
favoriser une nouvelle évasion de votre frère et de toute la
famille, et que FafTaire de Yincennes, arrivée le même jour,
n'a été imaginée que pour faire diversion ?
R. Je n'en ai aucune connaissance.
D. Qu'avez-vous fait dans la nuit du 9 au 10 août?
R. Je suis restée dans la chambre de mon frère, et nous
avons veillé.
D. Je vous observe qu'ayant chacun vos appartements, il
parait étrange que vous vous soyez réunis dans celui de votre
frère ; et sans doute cette réunion avait un motif que je vous
interpelle d'expliquer.
R. Je n'avais (l'autre motif que celui de me réunir tou-
jours chez mon frère lorsqu'il y avait du mouvement dans
Paris.
D. Et cette même nuit n'avez-vous pas été avec Marie*An<-
toinette dans la salle où les Suisses étaient occupés à faire
des cartouches, et notamment n'y avez-vous pas été de neuf
heures et demie à dix heures du soir?
R. Je n'y ai pas été et n'ai nulle connaissance de cette
salle.
D. Je vous observe que cette réponse n'est point exacte,
car il est encore établi dans différents procès qui ont eu lieu
au tribunal du 17 août 1792 que Marie-Antoinelte et vous
aviez été plusieurs fois dans la nuit trouver les gardes
41 s GHAP. XXXIY. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
suisses, que vous les aviez fait boire et les aviez engagés à
confectionner des cartouches dont Marie-Antoinette avait
mordu plusieurs.
R. Cela n'a pas existé et je n'en ai aucune connaissance.
D. Lors de l'évasion du 20 juin, n'est-ce pas vous qui
avez amené les enfants?
R. Non, je suis sortie seule.
D. Avez-vous un défenseur ou voulez- vous en nommer un?
R. Je n'en connais pas.
Pour quoi lui avons donné le citoyen Chauveau pour
conseil K
Voilà tout le procès de Madame Elisabeth. Les pièces, ce
sont celles qui ont été fournies contre le roi et la reine;
les témoignages, ceux qui ont été entendus « dans diffé-
rents procès qui ont eu lieu au tribunal du 17 août. »
Et sans plus d'information, elle est traduite le lende-
main devant le tribunal.
Quant au défenseur qu'on lui octroyait si généreuse-
ment, voici ce qu'il en dit lui-même :
« Sept mois après le jugement de la Reine, je fus
instruit de la part de Madame Elisabeth de France
que j'étais nommé pour la défendre; et je n'en fus pré-
venu, comme cela était arrivé pour la Reine, que
la veille même de son jugement^ c'est-à-dire le 9 mai
1794.
(X Je me présentai à l'instant à la prison, pour m'en-
tretenir avec elle de son acte d'accusation. On ne voulait
pas que je lui parlasse. Fouquier-Tinville eut la perGdie
de me tromper, en m'assurant qu'elle ne serait pas jugée
de sitôt, et il me refusa l'autorisation de conférer avec elle.
c( Le lendemain, quelle fut ma surprise, lorsque, m'é-
i. Procèê des Baurbom, t. II, p. 396-402.
MADAME ÉLIZABETH ET SES œAGGUSÉS. 413
tant rendu au tribunal, j^aperçus Madame Elisabeth, en-
vironnée d'une foule d'autres accusés, sur le haut des
gradins, où on l'avait placée tout exprès la première,
pour la mettre plus en évidence* ! »
Ces coaccusés étaient au nombre de vingt-quatre :
Anne Duvair, veuve de L'Aigle ;
Le comte Leneuf-Sourdeval ;
Anne-Nicole Lamoignon, sœur de Malesherbas et veuve
du marquis de Senozan ;
La marquise de Grussol d'AMBOise (Angélique Bessin);
Cinq membres de la famille de Loménie : Louis de
[>0MÉNiE, ancien ministre de la guerre; le comte Alexan-
dre de Loménie, ancien colonel de chasseurs; Martial de
LoMÉME, ancien coadjuteur de Farchevêque de Sens;
Chnrles de Loméme et Charlotte de Loménie (vingt-neuf
ans), épouse divorcée de Canisy, émigré ;
Françoise de Canisy, veuve de Montmorin, Tancien mi-
nistre, acquitté par le tribunal du 17 août et massacré
dans sa prison, aux journées de septembre, et son fils
Antoine de Montmorin (vingt-deux ans), sous-lieutenant
de chasseurs ;
Antoine Mégret-Sérilly, ancien trésorier-général de
la guerre, et Antoine Mégret-Détigny, ancien aide-major
des gardes françaises;
Les dames de Rosset (Elisabeth Luermitte), et de
Rosset-Cercy (Marie-Anne Rosset) ;
Mme de Sérilly (Anne Thomas, trente et un ans) ;
Denise Buard;
Louis-Claude Lhermitte de Chambertrand, chanoine
de Sens ;
1. Chaiivcaii-Lagardc, Note httlortoue êur lr$ Procèê de Mane-Anfoinetie et
de Madame Éli$atfeth, p. 50.
AU CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIEME DÉCADE).
Georges Follope, ancien officier municipal de la com-
mune de Paris;
Louis-Pierre-Marcel LETELUER,dit Bultier (vingt-deux
ans), ex-noble, ci-devant employé à Thabillement des
troupes;
Charles Cresst-Champmillom, ancien sous-lieutenant de
marine (trente-trois ans);
Théodore Halle, négociant (vingt-six ans) ;
Jean-Baptiste Lhost, domestique de Mégret-Sérilly, et
Antoine Dubois, domestique de Mégret-Détigny*.
Fouquier-Tinville, devant cette angélique figure de
Madame Elisabeth, devait se surpasser en violence :
.... Expose que c'est à la famille de Capet que le peuple
françois doit tous les maux sous le poids desquels il a gémi de-
puis tant de siècles. C'est au moment où l'excès de l'oppres-
sion a forcé le peuple de briser ses chaînes que toute cette
famille s'est réunie pour le plonger dans Tesclavage plus
cruel encore que celui d'où il vouloit sortir. Les crimes de
tout genre, les forfaits amoncelés de Capet, de la Messaline
Antoinette, des deux frères Capet et d'Elisabeth, sont trop
connus pour qu'il soit nécessaire d'en retracer ici l'horrible
tableau ; ils sont écrits en caractères de sang dans les annales
de la Révolution, et les atrocités inouïes exercées par les bar-
bares émigrés ou les sanguinaires satellites des despotes, les
meurtres, les incendies, les ravages, enfin ces assassinats
inconnus aux monstres les plus féroces, qu'ils commettent
sur le territoire françois, sont encore commandés par cette
détestable famille.,.
Elisabeth a partagé tous ces crimes.
Elle a coopéré à toutes les trames, à tous les complots
formés par ses infâmes frères, par la scélérate et impudique
1. Archives, \V 363, dossier 787 (armoire de fer). Builetin, n« 81-83.
MADAME ELISABETH : — ACTE D'ACCUSATION. 415
Antoinette, et toute la horde des conspirateurs qui s'étoit
réunie autour d*eux ; elle est associée à tous leurs projets ;
elle encourage les assassins de la patrie ; les complots de
juillet 1789, la conjuration du 6 octobre suivant..., enfin
toute cette chaîne non interrompue de conspirations pendant
quatre ans entiers ont été suivis et secondés de tous les
moyens qui étoient au pouvoir d'Elisabeth. C'est elle qui, au
mois de juin 1791, fait passer les diamants, qui étoient une
propriété nationale, à cet infâme d'Artois, spn frère, pour le
mettre en état d'exécuter les projets concertés avec lui et
soudoyer des assassins contre la patrie ; c'est elle qui entre-
tient avec son autre frère devenu aujourd'hui l'objet de la
dérision, du mépris des despotes coalisés chez lesquels il est
allé déposer son imbécile et lourde nullité, la corres-
pondance la plus active;... c'est elle enfin qui prodiguoit des
soins aux assassins envoyés aux Champs-Elysées par le
despote [pour] provoquer les braves Marseillois, et pansoil les
blessures qu'ils (les assassins?) avoient reçues dans leur fuite
précipitée.
Elisabeth avoit médité avec Capet et Antoinette le mas-
sacre des citoyens de Paris dans l'immortelle journée du
10 août. Elle veilloit dans l'espoir d'être témoin de ce car-
nage nocturne ; elle aidoit la barbare Antoinette à mordre
les balles et encourageoit par ses discours des jeunes person-
nes que des prêtres fanatiques avoient conduit[es] au château
pour cette horrible occupation. Enfin, trompée dans l'espoir
que toute cette horde de conspirateurs avoit..., elle fuit au
jour avec le tyran et sa femme et va attendre dans le temple
de la souveraineté nationale que la horde des esclaves sou-
doyés et dévoués aux forfaits de cette cour parricide ait noyé
dans le sang des citoyens la liberté et lui ait fourni les
moyens d'égorger ensuite ses représentants au milieu desquels
ils avoient été chercher un asile.
Enfin on l'a vue, depuis le supplice mérité du plus coupable
des tyrans qui ont déshonoré la nature humaine, provoquer le
rétablissement de la tyrannie, en prodiguant avec Antoinette
-416 CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
au fils de Capet les hommages de la royauté et les prétendus
honneurs du trône^
Les autres, parents, amis ou serviteurs d'émigrés,
devaient naturellement souhaiter la (in du régime nou-
veau et être en correspondance avec les émigrés : c'est
ce que Fouquier voulait établir dans le reste de son acte
d'accusation.
L'interrogatoire commença par Madame Elisabeth : ce
sont les violences et les monstruosités de l'acte d'accu-
sation mises en forme de demandes* :
D. Où étiez-vous dans les journées des 12, 13 et 14 juil-
let? Avcz-vous eu connaissance des complots?
R. J'étois dans le sein de ma famille. Je n'ai connu aucun
des complots dont vous me parlez, et ce sont des événements
que j'étois bien loin de prévoir et de seconder.
D. Lors de la fuite du tyran, votre frère, à Varennes, ne
Tavez-vous pas accompagné?
R. Tout m*ordonnoit de suivre mon frère, et je m'en suis
fait un devoir dans cette occasion, comme dans toute autre.
D. N'avez- vous pas figuré dans Torgie infâme et scanda-
leuse des gardes du corps, et n'avez-vous pas fait le tour de
la table avec Marie-Antoinette pour faire répéter à chacun
des convives le serment affreux d'exterminer tous les patrio-
tes, pour étouffer la liberté dans sa naissance et rétablir le
trône chancelant?
R. J'ignore absolument si l'orgie dont il s^agit a eu lieu,
mais je déclare n'en avoir été aucunement instruite et n'y
avoir pris part en aucune manière.
D. Vous ne dites pas la vérité, et votre dénégation ne peut
vous être d'aucune utilité lorsqu'elle est démentie d'une part
par la notoriété publique, et de l'autre par la vraisemblance.
i. ArchiTes, W 363, dossier 787, pièce 7. Bulletin, m 82, p. 323-324.
1. Bulletin, n* 83, p.^328-330. Cf., Procès des Bourbons, t. U, p. 408.
MADAME ÉLÎSABETU AU TRIBUNAL. -417
qui persuade à tout homme sensé qu'une femme aussi inti-
mement lice que vous l'étiez avec Marie-Antoinette, et par
les liens du sang et par ceux de Tamitié la plus étroite, n'a
pu se dispenser de partager ses machinations, d'en avoir eu
communication et de les avoir favorisées de tout son pouvoir.
Vous avez nécessairement, d'accord avec la femme du tyran,
provoqué le serment abominable, prêté par les satellites de
la cour, d'assassiner et anéantir la liberté dans son principe;
vous avez également provoqué les outrages sanglants faits au
signe précieux de la liberté, la cocarde tricolore, en la fai-
sant fouler aux pieds par tous vos complices.
R. J'ai déjà dit que tous ces faits m'étoient étrangers; je
n'y dois pas d'autre réponse.
D. Où étiez-vous dans la journée du 10 août 1792?
R. J'étois au château, ma résidence ordinaire et naturelle
depuis quelque temps.
D. N'avez-vous pas passé la nuit du 9 au 10 août dans la
chambre de votre frère, et n'avez-vous pas eu avec lui des
conférences secrètes qui vous ont expliqué le but, les motifs
de tous les mouvements et préparatifs qui se faisoient sous
vos yeux?
R. ,rai passé chez mon frère la nuit dont vous parlez.
Jamais je ne l'ai quitté ; il avoit beaucoup de confiance en
moi, et cependant je n'ai rien remarqué, ni dans sa con-
duite, ni dans ses discours, qui pût m'annoncer ce qui s'est
passé.
D. Votre réponse blesse tout à la fois la vérité et la vrai-
semblance, et une femme comme vous, qui a manifesté,
dans le cours de la Révolution, une opposition aussi frappante
au nouvel ordre de choses, ne peut être crue lorsqu'elle veut
faire croire qu'elle ignore la cause des rassemblements de
toute espèce qui se faisoient au château la veille du 10 août.
Voudriez-vous nous dire ce qui vous a empêché de vous cou-
cher dans la nuit du 9 au 10 août?
R. Je ne me suis pas couchée parce que les corps consti-
tués étoient venus faire part à mon frère de l'agitation, de la
TRIE. RÉ VOL. m tt
448 CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
fermentation des habitants de Paris et des dangers qui pou-
Yoient en résulter.
D. Vous dissimulez en vain, surtout d*après les différents
aveux de la femme Capet qui vous a désignée comme ayant
assisté à Torgie des gardes du corps, comme l'ayant soutenue
dans ses craintes et ses alarmes du 10 août sur les jours de
Capet, et de tout ce qui pouvait Fintéresser. Mais ce que vous
nieriez infructueusement, c'est la part active que vous avez
prise à l'action qui s'est engagée entre les patriotes et les
satellites de la tyrannie : c'est votre zèle et votre ardeur à
servir les ennemis du peuple, à leur fournir des balles que
vous preniez la peine de. mâcher comme devant être dirigées
contre les patriotes, comme destinées à les moissonner; ce
sont les vœux bien publics que vous faisiez pour que la vic-
toire demeurât au pouvoir des partisans de votre frère ; les
encouragements en tout genre que vous donniez aux
assassins de la patrie : que répondez-vous à ces derniers
faits?
R. Tous ces faits qui me sont imputés sont autant d'indi-
gnités dont je suis bien loin de m'étre souillée.
Il en vient ensuite aux diamants de la couronne : les
mettre en sûreté à la veille de la fuite de Varennes était,
selon raccusation, un vol; et la suite montra s'il était
superflu de les mettre en sûreté! mais le zèle aveugle du
juge devait lui ménager à elle, comme à Marie-Antoi-
nette autrefois, une réponse triomphante :
D. N'avez-vous pas donné des soins, pansé vous-même les
blessures des assassins envoyés aux Champs-Elysées contre
les braves Marseillois?
R. Je n'ai jamais su que mon frère eût envoyé des assas-
sins contre qui que ce soit. S'il m'est arrivé de donner des
secours à quelques blessés, l'humanité seule a pu me con-
duire dans le pansement de leurs blessures. Je n'ai point eu
besoin de m'informer de la cause de leurs maux pour mW
INTERROGATOIRE SOMHAIRE SES AUTRES. 4)9
cuper de leur soulagement. Je ne m'en fais point un mérite
et je n'imagine pas que l'on puisse m'en faire un crime.
Le président n'est pas louché par la simplicité sublime
de celte réponse. Il insiste :
Il est difTicile d'accorder ces sentiments d'humanité dont
vous vous parez avec cette joie ci'uelle que tous avez mon-
trée en \oyant couler des flots de sang dans la journée du
10 août. Tout nous autorise à croire que vous n'êtes humaine
que pour les assassins du peuple et que vous avez toute la
férocité des animaux les plus sanguinaires pour les défen-
seurs de la liberté. Loin de secourir ces derniers, vous pro-
voquiez leur massacre par vos applaudissements; loin de
désarmer les meurtriers du peuple, voua leur prodiguiez à
pleines mains les instruments de la mort à l'aide desquels
vous vous tlaltiez, vous et vos complices, de rcliiblir le des*
potisme et la tyrannie. Voilà l'humanité des dominateurs des
nations qui, de tout temps, ont sacrifié des millions d'hom-
mes à leurs caprices, à leur ambition ou à leur cupidité.
Puis, prenant le ton de l'ironie :
L'accusée Elisabeth, dont le plan de défense est de nier
tout ce qui est à sa charge, aura-t-elle la bonne foi de conve-
nir qu'elle a bercé le petit Capet de l'espoir de succéder au
trône de son père, et qu'elle a ainsi provoqué la royauté?
n. Je causois familièrement avec cet infortuné qui m'étoit
cher à plus d'un titre, et je lui administrois, sans consé-
quence, les consolations qui me paroissoient capables de le
dédommager de la perte de ceux qui lui avoient donné le
jour.
1^ président s'empare de cette parole pour clore triom-
phalement l'interrogatoire :
C'est convenir en d'autres termes que vous nourrissiez le
petit Capet des projets de vengeance que vous et les -vdlre»
420 CUAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
n'ont cessé de faire contre la liberté et que vous vous flattiez
de relever les débris d*un trône brisé, en Tinondant de tout
le sang des patriotes^
L'acte d'accusation avait procédé sommairement à
l'égard des autres accusés. L'interrogatoire public ne les
retint guère davantage. « Dumas reprocha à l'ex-comtc
de Brienne d'avoir été ministre en 1788, de s'être fait
nommer maire de sa commune et réclamer par qua-
rante communes environnantes' : » tournant contre lui
les sympathies nombreuses que lui avaient valu ses bien-
faits\ » Il n'était pas besoin qu'aucune lettre eût été
saisie de leur part; les lettres qui leur étaient écrites,
même les rapports qu'ils avaient pu avoir avec des gens
suspects, suffisaient pour les rendre criminels :
Dans un temps de révolution, où chacun doit prendre un
parti, disait le président à une des accusées, on est fondé à
présumer que les opinions, bien plus que les convenances,
déterminent les rapports sociaux, et ce seroit blesser la vérité
et la vraisemblance que de vouloir admettre les liaisons
entre le patriote et le royaliste, qui sont aussi opposés Tun à
Tautre que le protestant avec Tultramontain^.
Un seul témoin avait été assigné, une femme qui con-
naissait M™* de L'Aigle* ; on aurait pu se dispenser de
l'entendre, quand on se passait de témoignages pour les
vingt-trois autres accusés. L'accusateur public et les
défenseurs remplirent ensuite leur oflice; peine super-
flue : l'opinion du jury était faite.
i. BulUtin, n"* 83, p. 228-330.
2. Leclerc, 49* témoin, Procèê Fouquier^ n* 18, p. 3.
3. Voyez Beugnot, Mémoires, t. I, p. 267-272.
4. Duffelhi, n» 85, p. 335.
5. Arcbives, W 363, doss. 787, pièce 0. (Procès-TCihal cCaiidience.)
PLAIDOIERIE DE CHAUYEâU-LAGâRDE. 421
c Ici, dil Chauveau-Lagarde, le Moniteur, ci après lui
les historiens, ne parlant point de la défense de Madame
Elisabeth, semblent annoncer par leur silence qu'elle
n'aurait pas été défendue. Et cependant, quoique le
débat n'eût duré qu'un insUint, et qu'on m'eût interdit
toute conférence avec elle, je pris la parole; et voici en
substance quelle fut ma plaidoirie :
€ Je fis observer qu'il n'y avait au procès qu'un pro*
tocole banal d' accusation j sans pièces j sans interroga-
toire^ sans témoins; et que par conséquent, là, où, il
n'existait aucfun élément légal de conviction, il ne sau-
rait y avoir de conviction légale.
(( J'ajoutai qu'on ne pouvait donc opposer à l'auguste
accusée que ses réponses aux questions qu'on venait de
lui faire; puisque c'était dans ces réponses, elles seules,
que tous les débats consistaient ; mais que ces réponses
elles-mêmes, loin de la condamner, devaient, au con-
traire, l'honorer à tous les yeux, puisqu'elles ne prou-
vaient rien autre chose que la bonté de son cœur et
l'héroïsme de son amitié.
« Puis, après avoir développé ces premières idées, je
finis en disant : qu'au lieu d'une défense, je n'aurais
plus à présenter pour Madame Elisabeth que son apolo-
gie; mais, que dans l'impuissance où j'étais d'en trouver
une qui fût digne d'elle, il ne me restait plus qu'une
seule observation à faire : c'est que la princesse, qui
avait été à la cour de France le plus parfait modèle de
toutes les vertus, ne pouvait pas être l'ennemie des
Français.
€ Il est impossible de peindre la fureur avec laquelle
Dumas, qui présidait le tribunal, m'apostropha, en me
reprochant d'avoir eu Vaudace de parler de ce qu'il
\n CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
appelait les prétendues vertus de Vaccmée^ et d^avoir
ainsi corrompu la morale publique : il fut aisé de s'aper-
cevoir que Madame Elisabeth qui, jusqu'alors était restée
calme et comme insensible à ses propres dangers, fut
émue de ceux auxquels je venais de m'exposer : et après
avoir, comme la Reine, entendu sans s'émouvoir son
arrêt de mort, elle a consommé paisiblement le grand
sacrifice de sa vie*, r
L'espace qui sépare, dans l'original du jugement de
condamnation, le corps de l'acte de la formule finale,
fait et prononcéy suivie de la signature des juges', prouve
que ce jugement, comme beaucoup d'autres, avait été
signé en blanc.
Après la condamnation, Fouquier-Tinville ayant dit
de Madame Elisabeth au président : a II faut avouer
qu'elle n'a pas pousse une plainte. — De quoi se plain-
droit-elle donc, Elisabeth de France, dit Dumas en accen-
tuant cette qualification, ne lui avons-nous pas formé
une cour d'aristocrates digne d'elle? Et rien ne l'em-
pêchera de se croire encore dans les salons de Versailles,
quand elle va se voir au pied de la sainte guillotine,
entourée de toute cette noblesse fidèle. »
À défaut de récit officiel, bien des bruits ont été
recueillis sur les derniers moments de Madame Elisa-
beth' : pieux souvenirs que l'histoire ne peut enregistrer
qu'avec réserve. A toutes ces traditions, si touchantes
qu'elles soient, je préfère le témoignage d'un homme qui'
avait connu Madame Elisabeth au Temple et qui la vit
allant à l'échafaud : je veux parler de Moelle, membre
1. Chauveau-Lagarde, /. /., p. 56-58. fLes italiques sont dans le texte).
2. Archives, W 363, dofsier 787. pièce 2.
T). Voir A. de Beauchosne, Vir de Madame Élifaheth, t. U, p. 226.
MADAME ELISABETH : EXËCimON. 435
de la Commune provisoire qui remplaça celle du lOaoûtf
et, à ce litre, commissaire au Temple, et compromis
plus lard avec Michonis dans la conspiration dite de
V Œillet'.
« Le iO mai i 794, dit-il, on apprit avec la plus vive
surprise que Madame Elisabeth, Iransfcrce la veille, à
dix heures du soir, du Temple à la Conciergerie, venait
d'être condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire
et allait être exéculée avec vingt-trois personnes arrêtées
aux environs de Sens. Comme je demeurais dans le quar-
tier du palais, cette nouvelle me parvînt aussildt. En-
traîné par mille mouvements confus que je ne pouvais
définir et où se mêlait je ne sais quelle espérance, je
sors de chez moi et je me trouve à la descente du Pont-
Ncur, du côté du quai de l'Ëcote, au moment qu'un
mouchoir blanc qui couvrait la tête de la princesse,
vint à s'en détacher et tomba aux pieds de rcxécuteur,
debout à côté d'elle, qui te ramassa : au refus de la prin-
cesse qu'il le replaçât sur sa tête, je le vis se saisir de
celte dépouille sacrée et se l'approprier. La lête nue et
dislinguéc par celte circonstance fortuite de plusieurs
femmes qui partageaient son sort, rien n'a pu dérober
à la multitude le culme modeste el la pieuse sérénité de
Madame Elisabeth en allant à la mort.
< Toujours entraîné par les mêmes mouvements, je
tâche en vain d'être aperçu de la princesse et de lui
montrer ma douleur. Je la suis jusqu'à l'échafaud. Là,
les satellites el les victimes s'arrêtent. Détachée aussitôt
de la planche où elle avait été fixée pendant le trajet et
debout la première, la vierge auguste, jusqu'alors re-
1 . Sojn ïi-desnii, 1. 1, p. SQA el t. H. p. SOfl.
424 CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
cueillie en elle-même, répand un sourire angélique sur
les compagnons de sa mort, lève les yeux vers le ciel, les
reporte sur eux et leur dit ainsi, que c'est au ciel qu'ils
vont se réunir... C'est tout ce que j'ai pu saisir de cette
scène sublime et funeste... Je n'en ai pas vu davantage...
L'histoire ajoutera que, par une recherche barbare, la
fille et la sœur de nos rois fut réservée pour mourir la
dernière, mais qu'au nombre des victimes se trouvait
un prêtre, ancien chanoine de Sens, qui put lui admi-
nistrer les consolations suprêmes de la religion et qui
la précéda immédiatement dans le sein d'un Dieu rému-
nérateur... Touchant et saint exemple de deux martyrs
qui scellèrent ainsi de leur sang un dernier acte de rési-
gnation et d'espérance*. »
Parmi les condamnés de ce jour, enregistrés après
l'exécution sur les actes de décès, était Mme de Sérilly.
Elle comparut, son extrait mortuaire à la main, au
procès de Fouquier-Tinville. C'était comme une appa-
rition de l'autre monde, venant témoigner, au nom des
victimes, contre l'accusateur public et les juges qui se
trouvaient à leur tour sur les bancs des accusés.
1. Moelle (cuniinissaire de la Commune), Six journées putêéei au Temple
et autres détaits sur ta famille royale qui y a été retenue (Paris, 1820,
p. 75-77). Ajoutons-y ce dernier liommage de celle qui perd-iit une seconde mère
en la perdant : « Marie-Philippine-Élizabelh-Hélène, sœur du roi Louis XVI,
mourut le iO mai 1794, âgée de trente ans, après avoir toujours été un mo-
dèle de vertus. Depuis l'âge de quinze ans, elle s'était donnée à Dieu, et ne
songeait qu'A son salut. Depuis 1790, que j'ai été plus en état de l'apprécier, je
n'ai vu en elle que religion, amour de Dieu, horreur du péché, douceur, pitHé,
modestie, et grand attachement à sa famille, pour qui elle a sacrifié sa vie,
n'ayant jamais voulu quitter le Uoi et la Reine. Enfin, ce fut une princesse digne
du sang dont elle sortait. Je n'en puis dire assez de bien pour les bontés qu'elle
a eues pour moi, et qui n'ont fini qu'avec sa vie. Elle me regarda et me soigna
comme S3 fille, et mo*. je l'honorai comme une seconde mère; je lui en ai voué
tous les sentiments. » (Récit des événements arrivés au Temple (par Mme la
duchesse d'Au^ouir'jno). (Inllcction de mémoires relatifs à la Hévolulion française*
I. XIX, p. t>4(».
UN REVENANT : M- DE SÉRILLY. -425
(( Le 21 floréal, dit-elle, mon mari et moi et vingt-
trois autres personnes avons été ici condamnés à mort.
a II étoit dit dans l'acte d'accusation que mon mari et
moi étions complices des conspirations du 28 février, du
20 juin et du 10 août. On se borna à demander nos
noms, nos âges et nos qualités : tels furent les débats
qui eurent lieu dans notre jugement. Dumas coupait la
parole aux accusés. Aucun ne fut entendu.
« Je n'ai conservé la vie que parce que je déclarai
que j'étois enceinte et que les chirurgiens l'attestèrent.
a J'ai vu là mon mari; j'y vois aujourd'hui ses assas-
sins et ses bourreaux.
« Voici mon extrait mortuaire, il est du 21 floréal,
jour de notre jugement à mort; il m'a été délivré par la
police administrative*. »
Dans les pièces du procès, on trouve en effet sa décla-
ration de grossesse; l'attestation du médecin qui en re-
connaît les symptômes, quoique douteux encore; l'ordre
de sursis; la translation de la condamnée à l'évôché et
un dernier acte qui constate tout à la fois son élargis-
sement et son inscription sur le registre des morts*. Les
procès-verbaux d'exécution étant individuels', on aura
cru sans doute à la commune qu'il en manquait un et
on y aura suppléé d'après le texte du jugement.
1. Ardmne (le substitut) dit sur cette déposition : c Je désire que Fouquier
me dise pourquoi la citoyenne Sérilly se trouve inscrite sur les registres dei
dcct's de la municipalité de Paris.
Fouquier. Je l'ignore. C'étoient les huissiers qui ooustatoient les exécutions. »
— C'est Fouquier-Tinville qui dressa l'acte d'accusation; mais c'est Liendon qui le
remplaça à l'audience. [Procèt Fouquier^ n* 38, p. 3.)
% Archives, >V 363, dossier 787 (armoire de fer), pièces 3, 4, 5, iO et 31.
5. \a procè»-verbal d'exécution de Hadame Elisabeth, du 21 floréal an H,
porte : c Marie- Elisabeth Ca|)ct.... A six heures de relevée. Enregistré gratis le
îi.T floréal. » {Ibid., pi^ce 24. Cf. Archive!», W 527 )
436 GUAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
III
22 floréal : la demoiselle Goyon, etc.
Les fournées se succédaient avec des caractères divers.
Le 22 floréal (11 mai), c'étaient trois anciens prêtres :
Antoine Desmougeaux, (trente-sept ans), Louis Lecointre,
(soixante-treize ans) et Louis àuger, (cinquante-trois ans),
et deux anciennes religieuses : Angélique Desmarets et
Anne Aurert, accusés d'être restés fidèles aux pratiques
de leur religion ; ajoutez une vieille fille de soixante-dix-
sept ans, Geneviève GoyoxN, qui logeait les deux reli-
gieuses et, de plus, avait recelé chez elle c des ornements
d^église et autres instruments de fanatisme* », preuve
qu'elle avait aussi reçu des prêtres.
Les réponses d'Auger, dans son interrogatoire, sont
d'un véritable confesseur:
D. S'il avoit remis ses lettres de prêtrise?
R. Que non.... Que sa conscience s'y refusoit et qu'il de-
voit obéir à sa conscience.
D. Quels sont les motifs que lui dicte sa conscience?
R. Qu'il n'entendoit pas convenir d'avoir trompé le peuple
et parce qu'il croyoit que sa religion étoit la véritable.
D. Sur quoi il la fondoit véritable?
Comme Pilate, celui qui l'interroge lui demande :
« Qu'est-ce que la vérité? » Mais du moins, il attend la
réponse :
R. Que la vérité de la religion étoit établie sur les pro-
phéties qui ont annoncé le Messie, les unes 1000 et 1500
ans, les autres 600 ans avant la venue du Messie, sur les
I. Archives, W 363, dossier 789.
GENEVIÈVE GOYON, ET SES COACCOSÉS. 427
miracles qui ont accompagné la naissance, la vie, la mort et
la résurrection du Messie.
D. S'il avait continué de chanter la grand'messe^ ? Etc.
Louis liecoîntre avait prêté le serment de citoyen, et
non de prêtre, comme le voulait la constitution civile du
' clergé. Il n*était pas noble, mais il portait des armes don-
nées par Louis XLV à son bisaïeul. Il les avait effacées, mais
on avait trouvé chez lui des lettres de ses fermiers où le
peuple était appelé populace, et il ne les avait pas blâmées* !
Desmouceaux, ex-vicaire de Saint-Paul, était prévenu
d'avoir conservé et recelé c des armoiries d'évéque ».
Mais on ne pouvait supposer qu'il se les voulût attri-
buer, et il disait qu'il se proposait de les couvrir et
d'en faire des écrans. On Taccusait aussi d'avoir gardé
€ un extrait d'arrêtés de l'assemblée du clergé contenant
des principes monarchiques et destructifs de la liberté! »
Mais il dit qu'il ne savait pas qu'il l'eût, et il avait
donné des gages de son civisme : il avait prêté serment à
In constitution civile du clergé; s'il n'avait pas renvoyé
ses lettres de prêtrise, c'est que cela ne lui avait pas été
ordonné. Il les avait gardées, répète-t-il ailleurs, parce
que cela n'avait pas été défendu et depuis il les avait
remises à sa section '.
Quant aux femmes, elles avaient été arrêtées à la suite
d'une perquisition faite dans la maison où la vieille
demoiselle Goyon les hébergeait, rueNeuveSaint-Étienne.
Le procès-verbal d'apposition des scellés énumère, entre
autres objets religieux qu'on y a trouvés :
1. Archives, W 363, dossier 789, pièce 2 (18 pluviôse), devant le conseil gé
néi-al du district de Beauvais. Il y persiste dans son interrogatoire du 9 ger-
minal devant le juge du tribunal révolutionnaire. [Ibid., pièce 15.)
2. Ibid., pièces 31 et 43.
3. 76tV/., pièces 44 et 48.
4â8 CHÂP. XIXIY. ~ FLORÉAL (TROISIÈME DÉaDE).
Deux boites en hyvoire, une toute blanche et l'autre bor-
dée de filets d'écaillé dans laquelle elles renfermoient de
petites hosties dont elles ont portées beaucoup de vénération
pour elles et ont laissées échapper des laimes de leurs yeux
lorsque nous touchions lesdites hosties ^
Dans son interrogatoire devant le comité de la section
des sans-culottes, la généreuse vieille fille convient de
tout, sans autre souci que de prendre tout sur elle et de
ne compromettre personne. Les objets religieux trouvés
dans sa demeure annonçaient la présence ou du moins la
visite de quelque prêtre.
D. Si elle a reçu quelque prêtre réfractaire?
R. Qu'elle en a reçu un.
(Cela est marqué au crayon rouge par l'accusateur
public). — Elle refuse de dire quand, ni de donner son
nom.
D. S'il n'avoit pas couché chez elle?
R. Qu'elle n'avoit rien à dire, mais que cependant dans
les trois c'éioit elle qui donnoit l'hospitalité.
D. S'il y a longtemps qu'elle a vu le prêtre pour la der-
nière fois?
R. Il y a ce qu'il y a.
D. A qui appartenoient les ornements qui ont été trouvés
chez elle.
R. Qu'ils appartenoient au dit prêtre.
D. D'où lui provenoient ces prétendues reliques que nous
avons trouvées chez elle et dont la liste y étoit, et dont il y
avoit entre autres de M. Gi*os, curé de Saint-Nicolas du Char-
donnet et des martyrs des journées des 2 et 3 septembre.
R. Aux prêtres que nous savons bien.
1 . Archives, ibid. , pièce 50.
INTERROGATOIRE DES ACCUSES. 429
On rinterroge aussi sur le pain tout coupé, trouvé
chez elle.
— C'était pour faire de la soupe ^
On était intrigué de ce pain. On y soupçonnait du
pain bénit, comme on le peut voir par cette autre ques-
tion faite à un témoin (presque à un accusé) entendu
dans cette enquête :
D. D*où venoit le petit morceau de pain bénit qu'il tcnoit
en sa main enveloppé d'un morceau de papier en entrant
chez la citoyenne?
II. Que c'étoit du pain pour boire un coup.
Devant le juge du Iribunal, Geneviève Goyon montra
la même résolution comme la mémo franchise. C'est
elle qui loge les deux religieuses :
D. D'où provenoient tous les ustensiles catholiques qui ont
été trouvés chez vous?
R. Ils appartenoicnt à celui qui disoit la messe.
D. Comment s'appeloit celui qui disoit la messe?
R. Il s'appeloit comme il s'appeloit. (Et elle refuse de
signer*.)
Les deux religieuses répondent avec la même simpli-
citéy le même mépris de la mort.
Anne-Catherine Aubert, religieuse de Saint-Thomas-
d'Aquin, n'a pas prêté serment, sa conscience ne le per-
mettant pas.
D. Si elle connott le prêtre qui a dit la messe chez la
citoyenne Goyon?
R. Oui.
1. Archives Vi 363, dots. 780, pièce 51.
2. Ibid., pièce 53.
430 CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
Et elle refuse de dire son nom *.
Angélique Desmarais a élé aussi religieuse des Filles
Saint-Thomas. Elle n'a pas non plus prôté serment :
D. Si elle a reçu la visite de quelque prêtre réfractaire?
R. Il y a quinze jours ou trois semaines, et elle le nomme
(ce n'était pas le livrer) : le P. Agramelle, des Grands et Petits
Augustins^.
Les questions postées par Dobsent, qui présidait, étaient
dignes du réquisitoire de Fouquier-Tin ville.
Il a existé depuis le commencement de la Révolution^ de la
part des ennemis du peuple et de la liberté, des conspirations
tendant à troubler et à fanatiser le peuple, allumer la guerre
civile et anéantir le nouveau gouvernement.
Il affirme et il ne soumet même pas au jury la ques-
tion intentionnelle!
Les réponses du jury furent afûrmatives pour tous,
excepté pour Auger'.
Qu'est-ce qui lui avait mérité cette faveur?
Le tribunal eut soin de la tempérer en prononçant
qu'il serait retenu en prison jusqu'à la paix\
IV
23 floréal : le curé Voillerault et le surnuméraire Lambert ; quatre autres groupes
d'accusés étrangers les uns aux autres et jugés en même temps.
Deux audiences contenant chacune plusieurs accusés
entièrement étrangers les uns aux autres :
1. Archives, ibtd., pièces 51 et 55.
2. Ibid., pièce 51. Cf. pièce 54.
3. Ibid,, pièce 58.
4. Ibid., p. 50.
LE CURÉ VOILLERAULT ; J.-B. LAMBERT. 451
1. Joseph -Didier Voillerault, ex-curé de Montargis
et J.-B. Lambert (vingt-lrois ans), surnuméraire au bu-
reau d'enregistrement à Dieppe, pour des faits qui n*ont
pas plus de connexitéque Dieppe avec Montargis, ou la di-
rection d'une paroisse avec un bureau d'enregistrement*.
Lambert avait signé plusieurs pétitions au roi, ten-
dant à ce qu'il refusât la sanction à plusieurs décrets; il
n'y avait d'ailleurs engagé personne. On l'accusait
d'avoir prononcé des imprécations contre les juges du
roi. Il le niait*.
Voillerault avait eu affaire, non pas à un représentant
en mission, mais, ce qui était bien pis encore, à un dé-
légué de représentant en mission. Pignon, qui avait reçu
cette délégation pour Montargis, avait accumulé contre
lui une masse de griefs que l'on retrouve dans son inter-
rogatoire :
Voillerault avait exposé une nappe d'autel déchirée
pour irriter ses paroissiens contre les patriotes;
Il avait continué de tenir note des mariages, etc.,
depuis que l'état civil était retiré à l'Église ;
Il avait fait la procession de l'Assomption pour
l'accomplissement du vœu de Louis XIII.
Autre grief :
D. Si le jour de la bénédiction du drapeau de la garde
nationale, il n'a point parlé contre les ennemis de la royauté
et les défenseurs de la République?
R. Que lors de la bénédiction de ce drapeau, la royauté
existoit encore; que dans le discours qu'il a prononcé à Toc-
casion de cette cérémonie, il n'a exprimé son vœu que pour
la prospérité de ses armes.
1. ArchiYes, W 365, dossier 792. Bulletin, n* 86.
2. /6ù/., pièce 25.
43i CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
Après le 20 juin, il a signé une lettre de félicita tion
au roi ou à la reine. A-t-il accepté la Constitution? —
Non, il n'était pas présent h l'assemblée; mais il ajoute :
Qu'il s'étoit bien promis de jurer, le 10 août, en masse, la
République une et indivisible, comme il Ta fait.
Quant aux offrandes, il dit qu'il ne recevait rien aux
sépultures ;
c( Qu'aux mariages il y avoit quelques sous, quelques
liards et toujours peu de chose. »
Cela étant. Pignon prit cet arrêté :
Nous, délégué, etc.
Considérant que le fanatisme et la superstition sont la pre-
mière cause des malheurs du peuple ;
Considérant combien il importe au salut public d'arracher
à des yeux fascinés le bandeau qui leur couvre le beau jour
de la régénération française....
Yoillerault était destitué, envoyé à la maison de la
Croix à Orléans pour y rester jusqu'à ce qu'il en fût
autrement ordonné par le citoyen Laplanche.
Le citoyen Laplanche ne le laissa pas là. Il l'envoya
au tribunal révolutionnaire^ où il se rencontra le
23 floréal avec Lambert venu de Dieppe et même avec
un certain Deligny accusé de propos contre-révolution-
naires et venu de Rouen. Deligny fut mis hors des débats
pendant l'audience '; l'employé de Dieppe et le curé
de Montargis, condamnés à mort'.
1. Son interrogatoire devant le juge du tribunal révolutionnaire ett insigni-
fiant. Archives, ibid.y pièce 12 (14 floréal).
2. Ibid., pièce 28. Nous le retrouverons le 28, Toy. p. 451.
3. Ibid., pièce 30.
JEAN FOUGERET, U. LASTIC, N. SGHEMËL, ETC. 433
La seconde audience ne comprend pas moins de quatre
groupes.
1. Ilugue Lastic,- cx-noble, cx-comle, agriculteur :
D. Aimez-vous la Révolution et adoptez-vous le gouverne-
ment républicain?
R. Oui.
D. N'avez-vous pas refusé du grain au peuple qui manquoit
de subsistance
R. Jamais de ma vic\
Ces deux questions avec celle des intelligences cri^
minelles à Tintérieur ou au dehors, forment toute la
base de Taccusation de conspiration contre la souve*
raineté du peuple, à laquelle il aura à répondre, c On
lui reprochoil,dit le Bulletin yd'di\oir fait garnir de pierres
son donjon et ce, au moment où le peuple s'étoit pré-
senté chez lui pour avoir du blé dont ses greniers regor-
geoient'. » N'avait-il pas manifesté par là l'intention,
si on l'attaquait, de se défendre?
2. Jean Fougeret, receveur des finances, ancien sei-
gneur do Châteaurenard.
On trouve contre lui cette pièce :
section de l'homme armé
COMITÉ RÉVOLUTIOKHÀIRK
Extrait des registres de la Société populaire de Réunion-sur-Ouamte,
ci-devant ChateaU' Renard,
Plan d'accusation contre Fougerct, ttran et oppresseur du
peuple.
Celui qui constamment sh montre l'ennemi du peuple ;
Celui enfin dont chaque partie du corps est un mo[nu]menl
1. Afchives, W 503, dossier 793, 2" pai'lic, pièce 131.
2. Bulletin, n" 87.
TRIB. RévOL. lu 28
434 CIIAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DËGAD£).
de honte pour la nature, doitril survivre à la génération qui
s'opère?
La réponse ne sauroit être négative ^
Il prolestait qu'il n'avait jamais exercé aucune espèce
de despotisme à Châteaurenard avant la révolution,
et depuis il n'y avait pas été. — Mais depuis c'est lui
qui y aurait trouvé ses maîtres! Son gendre et sa fille
avaient émigré : cependant il ne correspondait pas avec
eux, et sa correspondance avec Le Coy, son régisseur, était
toute d'affaires*.
3. Nicolas Scuehel, apothicaire chimiste, agent des
poudres et salpêtres, Augustin Hugard, employé dans le
salpêtre sous ses ordres, et Madeleine Witu, fille d'un
ouvrier salpêtrier, étaient impliqués dans une aiîaire
qui n'avait rien de commun avec les poudres et les sal-
pêtres. Schemel élait accusé d'avoir emporté dans une
malle, en fraude du fisc, de l'argenterie des émigrés';
Hugard était censé l'avoir connu, et aussi la jeune fille
qui, confiée à Schemel par son père pour aller de Schc-
lestadt à Paris apprendre le commerce de la librairie»
avait pris place dans sa voiture, ne sachant pas que cette
voiture la conduisait au tribunal révolu tiojmaire et au-
rait pu la mener plus loin. Heureusement le fait ne fut
1. Archives, \V 303, doss. 793, !'• partie, pièce 119.
2. Ibid.^ i'* partie, pièce 123. Le Coy avait été aussi arrête de très bonne
heure, dans les premiers mois de 1793. Son interrogatoire qui est au dossier
{ibid.y 2* partie, pièce 16) est du 23 mai 1793. Le 26 juin il avait écrit aux
président, accusateur public et juges du tribunal révolutionnaire, leur représcn^
tant, qu'il était le plus fort cultivateur de la commune, que son blé risquait de se
gâter dans ses greniers, que ses bois étaient livrés au pillage, que tous ses tra-
vaux de culture étaient suspendus. Il demandait son élargissement provisoire,
offrant deux cautions et s'engageant à se présenter toutes les fois qu'il en sc^
rait requis (ibid., pièce 39). 11 fut mis en hberté le 12 juillet et ne fut pas
rappelé.
3. Voyez son interrogatoire (18 floréal), ibid., 1'' partie, pièce 110.
A. TBOMASSI^I ET SA FEHNE, RACLET. BOCQUE:^ET. 435
établi DÎ pour Schemel ni par conséquent pour ses pré-
tendus complices.
4. AlcxandrcTiiouASSiM, Alcxandrinc- Claudine-Félicité
Mandat, sa fcminc, < lilledc Mandat, ofTicicr au régiment
des gardes françaises », Pierre Raclet (soixante-dixans),
ex-directeur de ta régie de Paris, el Nicolas-François
BocQt3EPiET, accusés de correspondance contre-révolution-
naire.
Mme Thotnassin avait un père, une mère, trois frères
et une sœur que l'on disait émigrés ; mais on n'avait pas
de preuve qu'elle eâl correspondu avec eux. On la prend
sur un autre chapitre :
D. N'avez-vous pas reçu de Paris dilTérentcs lettres, datées
des premiers jours du moin d'août 1792, et dont le style
rcspiroit te plus grand attachement pour le tyran et le régime
infâme du despotisme, et donnez-nous le nom de la personne
qui TOUS écrivoil à cette époque?
R. Je me souviens imparfaitement d'avoir reçu les lettres,
mais il répugne à mon cœur de désigner les personnes qui
m'ont écrit'....
Raclet avait été en correspondance avec le mari et la
femme; mais, « comme il avoit loujours- été, disait-il,
danslesensde la Révolution, ses lettres n'avaient pu res-
pirer que le même sentiment*. »
BocQUENET niait toute correspondance.
Les débats n'établirent pas davantage le fait de cette
correspondance pouraucundes accusés, mais on se pas-
sait de preuves :
- «t \ regard de la femme Thomassin, dit le Bulletin^
quoique l'on n'ait pas trouve chez elle des correspon*
I . AKbircs, W M5, douicr 193, l" jpirtJa, piè» 3B.
456 GHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
dances, Ton ne peut raisonnablement la regarder commo
Tamie de la Révolution, parce qu'elle est sœur et fille
d'émigrés, et que toute sa famille sert sous les drapeaux
des despotes. Cette jeune femme n'a pas senti combien
la Révolution pouvoit lui être favorable : car ce qui doit
combler les vœux d'une mère, c'est de donner des
citoyens à la République et de multiplier le nombre des
bommes libres. » — C'est pour cela qu'on l'envoyait à
l'échafaud !
Elle y alla avec son mari et ses deux autres co-accusés,
avec Fougère t, avec Lastic ; — Schemel, Uugard et Made-
leine With ayant été acquittés ^
24 floi-éal : accusés de divers d(5|)ai*temcnts ; 25': trois fermiers génénux
oubliés. Mme Douel appelée comme témoin et jugée, séance tenante, comme
coupable. Un bussard peu républicain ; 26 : précipitation des mises en
jugement.
Le 24 floréal (15 mai) une fournée de province des
plus mêlées : Jacques-Amable-Gilbert Rollkt d'âvaux,
ancien-président de la sénéchaussée de Riom, et sa
femme Adrienne-Françoise de Yillâine, André Louher,
de Puyredan (Allier); Jean-Raptiste Ubelski, de Dieppe;
Joseph Lanloup, des Cdles-du-Nord : sans aucun rapport
les uns avec les autres; ils sont accusés de « manœu-
vres et de correspondances révolutionnaires et d'avoir
conservé tous les signes et hochets du fanatisme'. )>
L'instruction avait dû réunir les pièces les plus dis-
parates.
1. Archives, W 363, dossier 703, 2* partie, pièces 138-140.
2. Archives, W 364, dossier 790. Bulletin, n*>* 88 et 80.
ROLLET D'AVAUX ET SA FEMME, LOUHER, UBELSKI. 437
On demande à Rollet d'Avaux s'il a correspondu avec
Bonnal, ex-évêque de Clermont, émigré? — Non, et
Donnai n*est pas émigré.
S'il n*a pas voulu allumer le feu de la guerre civile
par le fanalisme dans son département? — Non, d'autant
plus que, depuis le mois de novembre 1791, il en est
parti et n'y est pas retourné.
Mais on avait contre lui et contre sa femme des lettres
que l'on se proposait d'exploiler *.
Louher était aussi en cause pour des lettres qu'il avait
reçues. Dans Tune on lui demande un certain nombre
d'exemplaires de l'addition au catéchisme de Bourges :
Tous ne lisent pas les écrits lumineux de nos évoques (et
n'ont pas les) moyens de se les procurer (4 mai....)*.
Dans une autre :
Nous voilà donc avec des pasteurs qui, sans doute, recon-
noissent Tévéque intrus. Âh ! Monsieur, que va devenir la foi
catholique? Le présent est bien affligeant, mais la suite'!...
Ubelski avait correspondu avec Forester, domicilié en
Angleterre, a pour la régie de ses biens, comme citoyen
françoisel son parent» : il ne lui avait pas envoyé défends^.
Joseph Lanloup (soixante-cinq ans), ex-noble de Bre-
tagne, réduit un peu à la portion congrue, prit tant de
soucis de ses moyens de vivre, qu'il en perdit la vie :
Et propter Yilain yitaï perdere causas.
11 avait écrit à sa ménagère :
1. Archives, Vf 5G4, dossier 796, pikc 5a.
2. /6t<f., pièce 69.
3. Ibid.f pièce 102.
4. Ibid,^ pièce 103.
458 CDAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
Je vous recommande, ma chère Jeannette, de continuer
d'avoir bien soin de Tintéricur de ma cabane, de garder par
devers vous toutes les clefs, de ne les confier à personne.
Jean m'a mandé que vous aviez élevé beaucoup de volailles
et de canards. Vendez tous ces animaux, ils sont trop dispen.
dieux.... Vous pouvez seulement garder six poules et un
coq, trois canes et un canard pour entretenir la race, mais
rien de plus, parce que mon blé noir me produira quelques
moyens de subsistance dont j'ai plus de besoin que de poules
ou de canards.
Je vous recommande de donner à la nourrice, dès qu'elle
le requerra, ce dont elle pourra avoir besoin de la maison,
sMl s'y trouve.
Il ajoute des recommandations pour son blé :
Ne vous pressez pas ; attendez que le temps en améliore
le prix.
Je vous recommande expressément d'avoir les yeux bien
ouverts dans tout ce que vous ferez, et surtout de chasser de
vous toute distraction....
Je finis, ma chère Jeannette, en vous priant de m*aider
aussi de vos bonnes prières, nous avons tous besoin de la
protection de la divinité, car les temps sont mauvais et le
deviendront encore plus. Ainsi, prenons patience et recou-
rons à Dieu.
Croyez-moi votre serviteur. De Lanloup*.
Il lui avait écrit encore pour son blé :
En général, vous vendrez pour de l'argent comptant le plus
que vous pourrez, et ceux qui payeront en papier payeront le
double (Paris, ce 2 novembre 1793').
Il avait donné pareils ordres à un de ses laboureurs,
Yves Lebihon, maire de sa commune, qui faillit lui être
1. Ardiivcs, ibid,, pièce C. Cf. pièce 5 : Recomuiandations analogues à la
citoyenne Martin, cuisinière nu manoir de Lanloup, près Saint-Brieuc.
2. Ibid.f pièce 1 .
JOSEPH DE LANLOUP. 439
associé comme complice pour dépréciation des assignats
et pour une autre chose encore :
Tu qualifiois Lanloup de comte, lui dit le juge du tribunal
de Saint-Bricuc ; puisque tu étois maire de la commune, tu
n'as pas pu ignorer les lois * .
L'accusateur public tonne contre tous ces grands cou-
pables.
Parmi les lettres trouvées chez d'Avaux il y en avait
une sous forme de lettre de change ainsi conçue :
A vingt jours de date» je payerai au roi de France la
somme de tout mon sang pour le recouvrement de sa liberté
et de sa personne, sans préjudice aux droits contre les.
coquins qui l'ont humilié, les scélérats qui l'ont outragé et
les Jacobins qui ont voulu l'assassiner.
Bruxelles, ce 25 mai 1791.
« Cette échéance, dit l'accusation, forçant un peu la
date, était bien pour le 20 juin, époque de la fuite du
tyran ; » et puis on avait trouvé chez d'Avaux «c le signe
de la Vendée, ce cœur, que tous les conspirateurs avoient,
et autres emblèmes de contre- révolution. »
Ubelski, malgré ses dénégations, restait accusé d'avoir
envoyé des fonds à un parent, en Angleterre.
Lanloup (c'était incontestable) préférait vendre son blé
argent comptant et à bas prix, qu'à prix meilleur contre
des assignats.
Louher, étant sur le point de marier son fils, avait
reçu d'un prêtre émigré une lettre où on lui disait:
tf Je désire que celte union soit faite par un prêtre
intact » , et encore : » Ne soyez pas inquiet de l'avenir; il y
i. Archives, W 564, dossier 796, pièce 8.
440 CIIAP. XXXIV. — FU)RKAL (TROISIÈME DfXADE).
a apparence que .le système actuel touche à sa fin ; »
et puis on avait trouvé chez lui des ouvrages contre-
révolutionnaires.
En vain prétend-il, dit raccusateur public dans son réqui-
sitoiret qu'il les tenoit de ses frères, qu'il ne croyoit plus à
leur existence, que le lieu (les commodités) où ces ouvrages
avoient été découverts désignoit assez le peu de cas qu'il fait
de ces écrits. Le vin de Malaga, les bulles du pape, qui
accompagnoient ces productions contre-révolutionnaires ,
annoncent assez que ces écrits étoient en réserve pour en
faire usage lorsque les circonstances y autoriseroient*.
Est-il besoin de dire que tous furent condamnés l\
mort?
Quatre accusés dans Tautre salle : deux acquittés,
deux condamnés ^
L'audience du 25 (14 mai) fut marquée par un inci-
dent caractéristique.
Trois fermiers généraux, Charles- Adrien Prévost-
d'Arlincourt, Jean-Claude Douet et Louis Mercier, qui
avaient échappé à la fournée du 19, étant dans d'autres
prisons, mais qui avaient été bientôt découverts ot
repris, comparaissaient devant le tribunal, et avec eux
Jacques Yel, procureur au parlement de Paris, et Louis-
Antoine Caterxeau, ditCASTELNAULT, ex-clcrc de notaire,
employé au bureau de la liquidition'.
Yel niait toute correspondance criminelle. Cependant,
ajoutait-il, c il avait écrit une lettre au nommé Chabron
de Bigny, ex-marquis, dans laquelle il doit se trouver
1. Bulletin, n» 89, p. 350.
2. Voyez «u Journal à la fin de ce Toliiine.
3. ArchÎTCs, W 365. dossier 800; Bulletin, n»» 80 et 00.
TROIS FERMIERS GÉNÉRAUX, DOUET, ETC. 441
plusieurs termes aristocratiques qu'il n'y avait insérés
que pour le sonder et paraître conforme à ses prin-
cipes. » Le prochain retour de Condé dont il lui disait
tenir la nouvelle de Castelnault, son beau-frère, n'était
a qu'un fagot de sa part » ; son beau-frère ne lui avait
rien écrit de semblable. Castelnault (de son vrai nom,
Caterneau) disait en effet n'avoir écrit à Ycl que des
lettres de famille; maison le soupçonnait d'avoir servi
les émigrés dans son bureau.
Pour les trois fermiers généraux il ne s'agissait que
de les associer au sort de leurs collègues ; et pour cela
cette simple note était remise au juge instructeur, avec
les noms de chacun d'eux :
1. Demander s'il n'a pas été du bail de David ,
2. S'il n'a pas participe aux dilapidations des finances
conjointement avec ses collègues;
5. S'il n'a pas participé à la falsification du tabac ^
L'accusateur public eut bientôt dressé son acte. Les
fermiers généraux étaient c ennemis de l'égalité par
état et par principes », « sangsues du peuple », « char-
gés de tous les crimes possibles : vol, assassinat, empoi-
sonnement du peuple, » etc. Caterneau avait sollicité
le payement de sommes dues à des émigrés; Yel, dans
une lettre où l'accusateur public ne voulait voir ni
flagorneries feintes ni c fagot », s'associait à un doute
qu'une opération fût terminée avant le retour de M. le
prince de Condé à Paris, et il saluait en terminant
par cette formule : c Je suis^ malgré les principes de
notre nouvelle constitution, M. le marquis , votre très-
humble serviteur j Yel. »
i. ArfliiTe!«. W 3(15, dossier SOO, piêc« 3.
4i-2 CllAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
En outre, c< des chapelets, des christs, des reliques de
saints, des fleurs de lys, réservés dans un pot trouvé dans
le domicile des accusés, indiquoient assez quelles étoient
leurs opinions et combien elles contrastoient avec les prin-
cipes révolutionnaires. » Mais voici l'incident sur lequel
le procès de Fouquier-Tinville a donné plusieurs détails.
Pendant le cours du débat on interrogea M. Douet sur
un fait qu'il ignorait. Il répondit que sa femme, détenue
à la Force, pourrait peut-être donner quelques instruc-
tions sur ce point. On l'envoya chercher ; elle fut enten-
due, rangée au nombre des accusés et guillotinée avec
eux. Mme Douet avait eu la pensée de laisser par un
testament, dont on trouva copie sur elle, quelques legs
à Dietrich, maire de Strasbourg, condamné par le tri-
bunal révolutionnaire le 8 nivôse an H, et au duc du
Châtelet, également condamné le 23 frimaire an IP.
Laissons le fait : que dire de cette mise en jugement?
La voici telle qu'elle nous est donnée par le procès-
verbal d'audience :
Attendu encore qu'il résulte des pièces lues par Tacllisa-
teur public que Douet, l'un des accusés, non content des
dilapidations, etc., cntrctenoit encore une correspondance
criminelle avec les ennemis extérieurs de la République,
dans laquelle correspondance il paroit que sa femme avoit la
plus grande part, Taccusateur public requiert et le tribunal
ordonne que mandat d'aiTét sera à l'instant décerné contre
la femme Douet.
La femme Douet, amenée au tribunal, est interrogée sur
son âge, etc.:
Marie-Claude Batailhé-Francès , femme Douet, âgée de
soixante ans.
1. Procès Fouquiei\ n* 41, 3* déposition de Thirriet-Grandpré.
Madame douet, témoin, accusée, condamnée. 445
L'accusateur public requiert et le tribunal ordonne qu'at-
tendu qu'il résulte de l'instruction du procès que la femme
Douet a entretenu des intelligences et correspondances avec
plusieurs cimemis intérieurs et extérieurs de la République,
et notamment avec les infâmes Dietrich et du Châtelet...
ordonne qu'elle sera à l'instant classée au nombre des autres
co-accusés pour être jugée avec eux par un seul et même
jugement \
Fouquier-Tinville savait ménager le travail de ses
agents et le temps du tribunal !
Caterneau ou CaslelnauU seul fut acquitté.
Dans Tautre section, parmi des accusés fort divers, et
fort diversement inculpés, citons seulement ce militaire
et son interrogatoire :
1. Archifos, W 365, dossier 809, pièce 42. CF. Bulletin, n«« 89 et 90, p.
550 et 360. — Voici, avec un billet du 26 novembre, insignifiant, les deux
seules lettres que l'on ait au dossier à la charge de Mme Douet :
Ce 8 avril 1790.
J*ay reçu avant bicr, ma chère et bonne amie, les trois rescriptions que vous
avci eu la bonté de m'envoyer, montant ensemble à la somme de 5552 livres.
Que de peines j*ai données à II. Douet et à vous, et que de remerciements je
vous dois à Tun et à l'autre ! Aussi voulois-je vous les éviter : car j'avois mandé
à ma fille de m'envoyer mon argent par la poste, ne croyant pas qu'il fût possi-
ble de l'avoir par Paris. U a fallu l'activité de l'amitié pour me le faire passer sans
qu'il m'en coûte rien.
.... Je ne suis pas assez habile pour voir si la constitution nouvelle rendra les
générations futures plus heureuses que celles qui nous ont devancées, mais il me
paroît bien certain que la génération actuelle sera aussi malheureuse qu'on
peut l'être, parce que le grand ébranlement qu'elle a eu se fera sentir pendant
longues années (t6id., pièce 8).
Ce 11 juin 1790.
Sans plume, sans encre, il faut, mon amie, que du château mal en ordre de
mon mari je vous témoigne combien je suis fichée de vous avoir causé de l'in-
quiétude.
.... Je vais mander au sieur Vinct de vous renvoyer les quittances et même
les lettres où vous lui annonces la réception de l'ai*gent que vous avei eu la
bonté de recevoir pour moi. Cette manière qui ne laissera pas de trace sera la
meilleure.
Que de maux je prévois pour la France I je plains le Roi, je plains M. Necker
de tout mon cœur. Les papiers publics sont effrayants {ibid,, pièce 7).
444 CHAP. XXXIY. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
Picrre-Agricol Sagny, vingt-huit ans, hussard au
6' régiment.
D. Le 29 germinal dernier n'a-t-il pas dit que le roy de
Prusse alloit venir, qu'il ëpouseroit Elisabeth? S*il n'a pas
crié Vive le roi et chante la chanson 0 Richard^ d mon
Roy y et ce à Noyon et pourquoi il y alloit?
R. Qu'il alloit à Noyon pour retirer un enfant qu'il y
avoit à l'hôpital et qu'il y a tenu les propos ci-dessus énon-
ces et chanté la chanson.
D. Pourquoi il a tenu ces propos?
R. Parce qu'il a toujours été royaliste et qu'il n'a jamais
été républicain.
D. S'il a un défenseur?
Il n*en avait guère besoin après cet aveu.
Le 26 (15 mai), autre fournée comprenant des accusés
les uns de Bitche, les autres d'Arles ou de Nîmes*. Mais
ce que je veux signaler ici, ce n'est pas seulement cet
amalgame de gens qui ne se sont jamais vus, réunis sur
les mêmes bancs pour des faits qui leur sont réciproque-
ment étrangers : cela est devenu habituel et comme
forcé depuis celte loi de germinal qui envoie au tribu-
nal révolutionnaire de Paris des prévenus de tous les
points de la France. Ce que je veux signaler, ce sont
les bizarreries et les irrégularités de la procédure.
L'acte d'accusation comprenait neuf accusés : huit des
deux principales origines marquées plus haut; et le
neuvième, P. J. Perrin, fonctionnaire public, né dans les
Bouches-du-Rhône, et résidant à Annecy. Il fut présent
avec les huit autres à l'audience; mais le procès-verbal
1. Archives, W 366, dossier 814 (815), et Bulletin, n** 91 et 93. Voyez pour
le âèinW au Journal, à la fin du yoliime.
1" PROCÈS DE FRETTEAU, LE CURÉ ROUSSELET, ETC. AAb
constate qu'il fut retiré du procès, les pièces n'étant pas
arrivées* : et il n'en avait pas moins été mis en juge-
ment. Les huit autres, malgré leur diversité d'origine,
furent compris dans la même déclaration du jury. L'un
fut acquitté; les sept autres condamnés par deux juge-
ments distincts : le premier rendu contre ceux de Bitche,
les second contre ceux d'Arles et de Nîmes*.
VI
27 floréal : acquittement de l'ancien conseiller Frelleau, du curé I^ebvre, de la
Teu?e Brochant; 28 : Tartisan Dcligny et le prêtre Rougane; 29 : un ennemi
du divorce; ce qu*il en coûtait pour avoir préféré Raiïet à Hanriot.
1. Salle de la Liberté : neuf accusés pour les motifs
les plus divers :
Emmanuel-Marie-Michel-Philippe Fretteau , ancien
conseiller au parlement de Paris, député aux Ëtats géné-
raux, puis juge au tribunal du II"" arrondissement de
Paris, domicilié à Vaux-le-Penil, dont il était jadis sei-
gneur, et Onuphre Lefebvre, curé de cetle paroisse,
étaient accusés à l'occasion de rassemblements excités
en ce lieu par la clôlurc des églises, ce 2 à 3000 fanati-
ques » des environs, dont les églises avaient été proba-
blement fermées, s'étaient réunis à Vaux, dont l'église
était encore ouverte. Fretteau réduisait ce rassemble-
ment à environ 1200 personnes, femmes et ûlles sur-
tout : un rassemblement « sans tumulte et sans bruit »,
cela en dit le caractère. Loin d'y provoquer, il avait;
donné un conseil de natureàréviterpourl'avenir: c'était
i. Archives, W366, dossier 814 (815), pièce 72.
2. Jbid. , pièces 74 et 75.
3. /6iV/., dossier 815 (81G], Bulletin, n«' 93 et 94.
440 CDAP. XXXIY. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
de ne plus sonner les cloches et de faire les offices à
d'autres heures pour dérouter les élrangers*.
Le cure de Vaux ne les attirait pas davantage : vrai
curé constitutionnel, fonctionnaire public, et ne se sou-
ciant pas de faire plus que sa besogne, il afGrmait
qu'il n^avait administré les sacrements qu^à ceux de sa
paroisse ; on peut même se demander s'il avait fait toute
sa besogne : il déclarait qu'en 1794 il n'avait pas fait
faire la première communion*.
Pierre-Louis Rousselet, ex-bénédiclin, curé de Danne-
ma rie-des-Fou laines (Seine-et-Marne), ne se diminuait pas
à ce point-là. Il avait fait faire la première communion
aux enfants de sa paroisse, et quant aux étrangers, sur
lesquels on l'interrogeait aussi, il répondait qu'il avait
pu lui en venir à Pâques; qu'en leur administrant les
sacrements, il ne leur avait pas demandé qui ils étaient*.
Antoine-Louis Lautigue, curé de Fontcnay-aux-Roses,
et Pierre Gravier, « ancien secrétaire du tyran », se trou-
vaient rapprochés dans ce procès commun par les senti-
ments ou les propos contre-révolutionnaires qu'on leur
prêtait. On les accusait d'avoir dit que les Autrichiens
auraient raison des volontaires avec des pommes cuites.
Us niaient ces propos : et Larligue déchargeait Gravier
en disant qu'il ne l'avait entendu, ni lui ni ses Glies,
chanter des chansons inciviques ; il ajoutait du reste qu'il
ne les avait pas vus depuis trois ans ; et comme on lui
demandait si depuis le 10 août il avait dit des prières
pour le « ci-devant» tyran, il répondit négativement*.
1. Arcliivcs, ibûi., !'• partie, pièce 20.
2. Ibid., pièce 24.
3. Ibid.
4. Ibid., 2« pvlie, pièce 18.
MOREÂU, AUBISSE, BÉZARD, LA VEUVE BROCHANT. 447
Théodore Moreau avait à se défendre d'avoir été un
des agents de Dumouriez. Enrôlé au S"" bataillon des vo-
lontaires de Seine-et-Oise, nommé capitaine, adjoint aux
adjudants généraux à l'armée du Nord, il y était reslé
jusqu'au moment où le général Houchard lui signiGa
son congé. Il en demanda les raisons au ministère : on
n'en savait rien, on l'invita à relourncr à son poste. 11
allait s'y rendre quand on l'arrêta.
Les raisons de son congé étaient sans doute celles qui
le Orent renvoyer devant le tribunal révolutionnaire. On
soupçonnait qu'au moment de la trahison de Dumouriez
il avait eu la pensée de fuir avec lui. Il s'en expliqua
dans son interrogatoire S el plus au long dans un précis
où il expose loute l'affaire*. Restait à faire agréer l'expli-
cation du tribunal.
J.-B. AcBissE, ci-devant feudisle, était accusé d'in-
trigues aristocratiques et de complicité avec la faction
Brissot*.
Charles Bëzard avait fait passer de l'argent à Montpel-
lier. Il possédait depuis trente-cinq ans une maison de
commerce qui avait son siège en cette ville et un
comptoir à Barcelonne. Depuis dix ans qu'il était à Paris,
il ne s'en occupait plus, mais il y avait des intérêts. La
connexité des deux maisons de Montpellier et de Barce*
lonne faisait que des fonds étaient fréquemment envoyés
de l'une à l'autre. Ce n'est pas lui qui avait fait le der-
nier envoi, qui était incriminé.
En dernier lieu, une vieille femme de soixante-dix-huit
ans, Ëlisa Le Chanteur, veuve de BroghaxNT, ancien notaire.
1. Archives, W 566, dossier 815 (816), pièce 40.
2. Jlfid. f^ihce 41.
3. Ibid., pièce 42.
448 aiAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
On avait Irouvé chez elle des écrits fanatiques (livres de
piété) et ce qu'on appelait des « signes de royauté »,
quelques images ou autres objets de caractère royaliste,
provenant de son mari et oublies, disait-elle, dans quel-
que coin' : cela suffisait cependant pour la perdre, et
Dumas écrivait de sa main sur la chemise de son dossier
qu'il adressait à Taccusateur public :
En accusation^ et promplement.
DuaiAS*.
Soixante-dix-huit ansl II fallait se presser.
Néanmoins, on trouve dans ce dossier cette autre note :
La veuve Brochand, âgée de 78 ans, est janséniste et fana-
tique, mais ne me pnroit point contre-révolutionnaire.
Elle est fort estimée dans sa section, où elle fait beaucoup
de bien.
Le citoyen Corfinal pense de même.
Les pièces à conviction ne disent rien'.
Entre tous ces accusés il en est un que Fouquier-
Tinville poursuivit tout particulièrement dans son acte
d^accusation, c'était Fretleau, si populaire quand, avec
d'Éprémesnil, le 19 novembre i 787, il appuyait le duc
d'Orléans qui protestait contre les nouveaux impôts et
réclamait pour les états généraux seuls le droit de les
voter, mais devenu constituant depuis. L'accusateur
public (Naulin, qui remplaçait Fouquier-Tinville*) le
reprit sur ces rassemblements des fanatiques, disons
des fidèles des environs qui venaient chercher la messe
1. Archives, ibid., !'• parlic, pièces 74 et 75.
2. Ibid., pièce 75.
3. Ibid., pièce 84.
4. Ibid.i pièce 20.
ACQUITTEMENTS ET CONDAMNATIONS. 449
à Vaux-le-Penil, et lui demanda ce qu'il avait fait pour
rempécher ; et lui, ajoutant un trait nouveau aux expli-
cations qu'il avait données devant le juge instructeur,
répondit qu'il avait < conseillé de dire roffice à cinq
heures du matin, au soleil levant, comme cela se prati-
quoit dans la naissance du catholicisme»; et Taccusaleur
public répliquait :
(( Mais toutes les mesures dont vous nous entretenez ne
sont que des modifications de fanatisme: c'étoit la suppres-
sion entière du culte dont il falloit s'occuper et qu'en citoyen
soumis aux lois de votre patrie vous deviez provoquer. En
travaillant à la destruction du culte catholique, vous exécu-
tiez les décrets salutaires de la Convention, vous attaquiez le
mal dans sa source et tout trouble cessoit avec la cause'. »
Et comme Fretteau alléguait < qu'il y a sept ans, à
la place des jurés, il dcmandoit une conslitution libre
et républicaine, » un juré, intervenant, dit :
a Avoir demandé il y a sept ans une constitution républi-
caine ne prouveroit pas que vous fussiez l'ami de la constitu-
tion sanctionnée par le peuple; et en vous en supposant le
partisan, il n'en résulte pas moins, de votre aveu, que vous
avez apitoyé les habitants de votre commune sur la piété
naissante de la primitive église *• »
Toutefois, comme il affirmait qu'il avait été « le pre-
mier à blâmer le charlatanisme de cette religion et les
fables ridicules et absurdes par lesquelles les prêtres
s'efforçoient de la dégrader et déshonorer, » on l'ac-
quitta'. On acquitta de même le curé de son village,
Onuphre Lefebvre, accusé d'avoir provoqué les rassemble-
1. i^M/Ze/iii, n* 93. p. 371.
2. Ibid., n« 93. p. 572.
3. Archives, tbid.y l" partie, pièces 27 cl_30.
TRIB. RÉVOL. lU 29
450 GHAP. IXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
menls que Ton a vus : et vraiment, à le voir tel qu'il
s'est montré dans Tinterrogatoire on peut jurer qu'il
n'était pas coupable. On acquitta aussi la vieille veuve
Brochant. La recommandation de Coffinhal l'emporta
sur l'impatience homicide de Dumas. Ces signes de fa-
natisme qu'on l'accusait d'avoir conservés en sa posses-
sion, c'étaient comme l'accusateur public en convint
€ des livres anciens de religion, ornés de planches pré-
cieuses, représentant les absurdités du fanatisme; »
mais il y avait celte circonstance (et ici on reconnaît
Tinfluence de la note visée ci-dessus) : < Outre que
l'accusée est d'un âge avancé et qu'elle a pu ignorer
avoir en sa possession de semblables gravures, elle jouit
dans sa section de la moralité la plus révolutionnaire \ »
Les six autres furent condamnés'. Leur condamna-
lion ne compensa point pour Fouquier-Tinville ci.^s
acquittements. Il en fut profondément irrité, surtout à
l'égard de Fretteau : il se promit bien de le rattraper
une autre fois % et le jugement du tribunal le servait à
souhait : Fretteau avait été détenu par mesure de sûreté ;
le tribunal ordonna « qu'il fût reconduit dans la maison
d'arrêt jusqu'à la paix > ; et quant à la veuve Brochant
comme il ordonnait qu'elle fût « renvoyée sous la sur-
veillance de sa section chez elle, où elle étoit détenue à ses
frais, avant de passer en jugement, i» c'était encore une
bonne aubaine pour les sans-culottes.
Le procès jugé dans la seconde section (salle de
l'Égalité) nous offre une irrégularité analogue à celle qui
1. Bulletin, ¥ partie, n' 94, p. 376*
2. Archives, W 366, dossier 815 (816), l'* partie, pièces 27, 30 et 72. — Selon la
déposition deBeaulieu au Procès deFonquier-Tinyille (u« 48), la haine personnelle
du juré Girard (et non Gérard) fut pour beaucoup dans la condaiBDation de Bezard.
3. Procèt Fouquier, n* 22, p. 2*
UN COLLKUR TROP AMI DE L'UNITÉ DU POUVOIR. 451
a élé signalée à la date du 19 ûoréal, dans le procès des
fermiers généraux, et c'est sur le même président qu'elle
retombe.
Il s^agissait surtout de propos contre-révolutionnaires ^ ;
il y avait cinq accusés: J.-B. Buret, envoyé par l'accusa*
tour public du déparlement de l'Indre'; les deux frères
Jean-Baptiste et François Toulon, par le comité de sur-
veillance de Montluçon'; Augustin-Marie Morand, par
les administrateurs d'Avallon* et un ex-bénédictin, Phi-
libert Pjllet, curé constitutionnel de Pougues (Nièvre) ^
Les questions posées au jury sont signées Coffinal;
mais la réponse fait défaut*. — 11 faut croire qu'elle
fut afGrmative pour trois, Buret et les deux frères Tou-
lon, car ils furent condamnés.
Le 28 (17 mai), même sorte d'affaires, mêmes procé-
dés, mêmes résul tats : six d'un côté, cinq de l'autre; tous
de diverses provenances \ Bornons-nous, à noter ici un
condamné de chacune des deux audiences :
Dans la salle de l'Égalité, Timothée Deligiiiy, colleur
de papier à Rouen.
Un des témoins, le citoyen La Roche, peintre, dépose :
Qu'il y a environ deux ou trois jours, étant à travailler au
théâtre de la République et causant avec ses camarades où il
fut récité entre eux les conquêtes qu'avoient &ites nos
armées, le citoyen Deligny auroit dit que cela ne pouvoit pas
durer comme cela, que le territoire de la République étoit
trop grand pour n'avoir pas un chef; qu'un de ses camara-
i. Bulletin, n»« 02 et 93.
± Archives, W 366, dossier 817, pièces 32 et 38.
3. Ibid,, pièces 47, 60 et 67. — 4. /ftiW., pièces 1 bis, 9 et 12.
5. Ibid., pièce 25. — 6. Ibid., pièce 81.
7. Archives, W 366, dossier 818 et W 367, dossier 819. DulUUn, n'^iKici 00,
45^ CIIAP. XXXIV. - FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
des lui auroit observé que dans une république, il n*y avoit
pas d'autres chefs que des commandants de bataillons, à quoi
ledit Deligny n'auroit rien répondu K
C'était assurément beaucoup que de ne pas répondre;
mais Deligny, dans son interrogatoire, dit :
« N'avoir pas tenu ces propos, mais avoir dit qu'il croyoit
qu'il seroit difGcile que la République Françoise fût régie
sans que le pouvoir exécutif fût délégué dans la main d'un
seul, sans cependant lui laisser l'inviolabilité \
Dans la salle de la Liberté, Claude Rougane, ancien
curé de Ciermont-Ferrand, âgé de soixante-dix ans, « un
des plus forcenés fanatiques contre-révolutionnaires qui
existent au sein de la République >, dit Fouquicr-Tin-
villeMlse reconnaissait Tauteur d'un écrit intitulé : Le
7iouveau cas de conscience ; il avouait qu'il Favait fait im-
primer et distribuer, et il affirmait que ses ouvrages et
sa conduite n^avaient jamais tendu qu'à autoriser le
serment d'égalité et de liberté. — Mais le premier
serment?
R. Que l'Assemblée constituante et la Législative n'ayant
proposé le premier serment que comme une condition pour
être fonctionnaire public, son opinion a été de vive voix et
par écrit qu'on ne pouvoit pas le préler.
D. Quel a été le motif des différents voyages qu'il a faits
à Paris depuis la Révolution et quelles senties pei^onnes qu'il
a fréquentées?
R. Que comme bon patriote il y venoit pour s'instruire de
nouvelles et d'ailleurs pour faire imprimer différents écrits
1. Archives, W 367, dossier 810, pièce 3.
2. Jbid., pièce 4.
5. Archives, W 3G6, dwtiér 818.
LE CURÉ CLAUDE ROUGANE. 455
qu'il a composés relativement aux affaires politiques; que
pendant TAssemblée constituante il voyoit diiîérents évéques
et autres députés; que pendant les Assombices Législative et
Convention, il a continué à voir plusieurs députés.
Interpellé de nous désigner les ouvrages qu'il a com-
posés.
R. Observations réfléchies. Extraits importants. Le
décret du 13 avril mal justifié. V insuffisance de la décla-
ration de M. Vévèque de Clermont. Ne vous y fiez pas. Le
masque se lève. Adresse aux évêques. Plainte à M. Buck,
Propositions erronées, extraites de différents ouvrages.
Difficultés proposées. Lettre à M. Condorcet^ écrite par son
ordrCy etc. Tous lesquels ouvrages, ainsi que Le nouveau
cas de conscience dont a été parlé ci-dessus, portent son
nom et ont été imprimés, à l'exception de Ventés hardies^
qui ne portent pas son nom.
D. S'il n'a pas calomnié la Révolution?
R. Non, que son intention n'a jamais été que de dire des
vérités utiles, sans ménagement pour personne.
D. Si, dans le courant de cette seconde année républicaine,
lorsque la raison reprenant ses droits a porté une foule de
prêtres à abjurer leur charlatanisme, le prévenu n'a composé
un ouvrage ayant pour but de calomnier cet élan de la raison
et de prévenir ses lecteurs contre la liberté, l'égalité et la
souveraineté du peuple?
R. Que depuis l'époque qu'on vient de lui rappeler il n'a
rien écrit sur ce sujet.
A lui exhibé une pièce formant les deux feuillets inférieurs
d'une plus grande feuille écrite en entier.
Le prévenu, après l'avoir examinée, a reconnu qu'elle étoit
de son écriture et déclaré que c'étoit le fragment d'une lettre
qu'il se proposoit d'écrire à Chaumettc, procureur de la Com-
mune, d'après un discours prononcé par ce dernier, où il
avoit dit que le peuple seroit notre Dieu et qu'il ne dcvoit
pas y en avoir un autre.
D. Si dans le mois de juin 1793 il n'a pas envoyé (au
454 CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
citoyen Racine)' une lettre contenant une prédiction conli'o-
révolutionnaire pour insérer dans son journal?
R. Que la prédiction dont il s'agit est la pièce en vers qui
se trouve à la quatrième page du fragment de lettre.
A lui observé que lorsqu'il nous assure être patriote il ré-
sulte de ce fragment et d'une autre pièce intitulée : Règle de
conduite sur le serment de la République, et qu'il a reconnu
dans ce moment être aussi de son écriture, qu'il s'élève d'une
manière indécente contre les droits du peuple et l'égalité, en
ajoutant à ce dernier mot le nom a d'infâme » et en disant
après en avoir énoncé le principe : u Tous les hommes nais-
sent et demeurent égaux : quelle bassesse impie' ! »
R. Que c'est une méprise de notre part ; que le mot infâme,
joint à celui d'égalité, s'applique à d'Orléans qui avait pris
ce nom — [explication trop ingénieuse] — et qu'au surplus
son objet en écrivant cette lettre n'étoit que de faire sentir à
Chaumette le ridicule de son discours, ajoutant que le mot
de bassesse impie tomboit sur Chaumette et sur ce qu'il avoit
dit qu'il n'y avoit d'autre Dieu que le peuple*.
Donnons un échantillon de ces doctrines qui menaient
^1 IVîchafaud :
Règles de conduite sur le serment de la République,
Ne consulter que des personnes prudentes et modérées.
Ne point se décider, d'après des répugnances vagues,
i. Rédacteur d'un journal intitulé VAbrévialeur (voyez même dossier,
pièce 72), lettre où il lui rcfube a l'insertion de la prédiction, ne se souciant p.itt
d'en venir aux prises avec les grands meneui-s et faiseurs.... » 15 juin 1793.
2. Voici ce fragment : Tous les hommes naissent et demeurent égaux. Quelio
Iiassesse impie, quel sot et dégoûtant blasphème 1 N'aurez-vous tant fait contre
l'aristocratie que pour lui substituer une théocratie si terrible; et pourrez-vous
n'en avoir rien à craindre?
La partie supérieure de la page est déchirée : et au-dessus de ces lignes on lit
en surcharge :
Et qui donc aurait pu concourir avec vous pour lu lui procurer? en sorte qu'un
|H)urrd dire : Chaumette et compagnie disposent de la divinité. Le prupfe serti
notre Dieu », etc. (Airhivcs, W r>66, dossier 818, pière 00).
3. Ibifi.f pièce 07.
LE CmÈ CLAUDE ROUGANE. 455
d'après les déclamalions de quelques personnes plus sélùes,
plus ardentes qu'elles ne sont instruites.
On peut promettre la fldélité à la République. La révolte
est criminelle ; les révoltés et leurs complices sont inexcu-
sables.
Mais enfin la République est établie : la résistance dans les
lieux au moins où cette République domine seroit inutile,
seroit pernicieuse; on peut et on doit donc s'y soumettre pro-
visoirement.
Les droits des gens reçus surtout en Europe autorisent les
sujets à se soumettre aux conquérants, même aux usurpa-
teurs, à leur prêter le serment de fidélité. On cède à la foi ce;
on reconnoit qu'il faut un gouvernement. Le plus défectueux
est préférable à l'anarchie, source intarissable de crimes, de
désordres et d'excès. Reconnoitre la République une et indi-
visible, c'est reconnoitre que la France ne sera pas divisée en
plusieurs républiques.
Ëvidemment il en avait assez d'une !
Quant à la liberté et à l'égalité il faut se refuser de la
reconnoitre, s'il étoit question de l'égalité religieuse et de la
liberté dans l'ordre de la religion, non de la liberté civile
pour le choix d'une religion. Mais il paroit certain qu'il s'agit
uniquement de la liberté et de régalité civiles et politiques.
Il le confirme d'après la Déclaration des droits de
l'homme et les aflirmalions des rédacteurs de la formule
(lu serment, et il continue :
Le pape a déclaré qu'on pouvoit prêter le serment^ s^il étoit
purement civique.
Il semble qu'on doit se déterminer d'après ces principes
et non d'après des conséquences et des raisonnements hasar-
dés de quelques hommes outrés qui avancent et qui n*ont
jamais prouvé et ne prouveront jamais que ce serment a pour
objet la religion.
456 CHAP. XXXIV. -- FIX)RÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
Lors du serment, il ne faut faire ni question, ni exception,
ni demander d'éclaircissement.
On ne doit point se permettre d'invectives contre les per-
sonnes qui pensent diiTéremment; il faut attendre en esprit
de paix et de charité le moment marqué par la Providence
pour le rétablissement de Tordre et delà religion. Faisons pé-
nitence, gémissons, prions, donnons exemple de la patience ^
et de la résignation. Rougane *.
Notons ce point, et nous en trouverons maint autre
exemple. Le président, posant les questions au jury, réu-
nissait dans la première les faits divers reprochés à
chacun, comme éléments d'une même conspiration;
puis, énumérant les accusés, il leur appliquait cette ac-
colade : c( Sont-ils auteurs ou complices de celte conspira-
tion* »? Le jury pouvait toujours se prononcer sur
chacun, mais c'était à lui de faire la distinction des
griefs qui dans la forme s'appliquaient tous à tous.
Tous d'ailleurs furent condamnés.
Le 29 (18 mai), deux séries : l'une de neuf dont six
condamnés; l'autre de huit : quatre condamnés, quatre
acquittés'.
Parmi les condamnés de la première audience (salle
de la Liberlé), citons un malheureux Jean-Henri Dippre,
accusé d'avoir mal parlé du divorce : sa femme voulait
divorcer d'avec lui. On lui imputait d'avoir dit que « la
loi du divorce était une loi des hommes contraire à celle
de Dieu d, ce qu'il niait :
D. S'il n'a pas menacé sa femme de la punir de demander
le divorce en vendant ses biens?
i. ArchiTCs, W 366, dossier 818, pièce 70. — 2. Jhid., pièce 57.
3. Voyez au Journal, à la fin du volume.
LA QUESTION DU DIVORCE. ET LA QUESTION HANRIOT. 457
R. Qu'il n'a pas menacé sa femme, mais qu'il a vendu des
biens, croyant pouvoir le faire avant que le divorce fût pro-
noncé V
On ne voit pas en effet qu'il y eût là crime capital. Et
cependant il était envoyé par le district d'Amiens devant
le tribunal révolutionnaire, avec Jean-François Seclet,
meunier, qui avait acheté de lui quelques terres pendant
l'instance du divorce.
Seclet fut acquitté ; Dippre et tous les autres con-
damnés à mort*.
Dans la deuxième série^ une victime des élections de
la garde nationale :
Louis-Claude Cezeron (vingt-cinq ans), accusé d'avoir
cabale dans sa section, avec le parti contre-révolution-
naire, pour la nomination de Raffet qui était en concur-
rence avec Hanriot.
— Il nie les discours qu'on lui prête :
R. A dit que les sans-culottes avaient besoin des riches et
les riches des sans-culottes ; que dans ces circonstances il
falloit être unis.
11 n'a été dénoncé qu'après sept mois.
D. Que désiriez- vous pour commandant?
R. Le meilleur.
D. Avez-vous demandé le citoyen Raffet?
R. J*ai dit que je ne connoissois ni Hanriot ni Raffet; que
je voyois que la nomination de l'un ou de Tautre excitoit des
divisions et je n'ai point émis mon vœu.
Et il était condamné à mort'.
1. Archives, W 367. dossier 821, pitVe 04.
2. Ibid., pièces 96-99.
5. Archives, W 567, dossier 820, pièce 74.
IS8 CHAP. XXXIV. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
IV
Mt^siircs prifieiï pour liâter les jugements. Applicaliou du décrel du 2*» voniù.<«o :
Les ari'ôtôs du Comité de salut public des 24 et 25 floréal.
Avant de clore ce mois il importe de signaler deux
arrêtés qui s*y rapportent : arrêtés d'une haute signi-
fication pour la marche du tribunal révolutionnaire.
Le Comité de salut public n'avait rien négligé pour
donner du travail au tribunal révolutionnaire et le
mettre en mesure de s'en acquitter prompltMiicnl. Ap-
puyé sur les lois du 17 septembre et du 30 frimaire et
sur rinlerprétation si large qui leur avait été donnée, il
œmplissait les prisons de suspects, et il les vidait pour
les remplir encore, grâce à l'invention d'une foule de
crimes nouveaux rattachés à la compétence du tribunal
par diverses lois qui ne lui laissaient que l'embarras du
choix dans les motifs de ses condamnations : comme lo
décret du 25 ventôse dont chaque mot porte la mort. Ce
déci^t, nous l'avons vu, prévoyait en même temps la
création de six commissions populaires pour juger
promptement les ennemis de la révolution détenus dans
les prisons : il fallait faire place à d'autres. La loi du
27 germinal avait prescrit qu'elles fussent établies pour
le 15 floréal (art. 2). Les deux Comités de salut public
et de sûreté générale se réunirent et décidèrent qu'il y
en aurait une siégeant à Paris. Cette commission, créée
par un arrêté du 24 floréal, et doublée par un autre
du lendemain 25, ne faisait pas concurrence au tribunal
révolutionnaire; elle simpIiUait sa tâche et hâtait son
travail en désignant par une opération préliminaire
ceux qui devaient être ou déportés ou renvoyés devant
ARRÊTÉS DES 24 ET 25 FLORÉAL AN II. 459
le iribunar. Mais celte commission elle-même n'agis-
saitque sous la surveillanceetpar conséquent dans respril
du Comité de salut public. Un arrêté du même jour,
25, imposait à elle et à tous les tribunaux et com-
missions de même sorle, même au tribunal révolution-
naire, une obligation qui les soumettait lous au contrôle
du Gomilé :
Le Comité de salut public arrête que les tribunaux et com-
missions populaires établies pour réprimer les ennemis de la
République enverront chaque jour au Comité de salut public la
notice de tous les jugements qu'ils rendront, de mai.ière qn*il
puisse connaître les personnes jugées et la nature des affaires.
L'accusateur public du tribunal révolutionnaire, établi h
Paris, remettra en outre au Comité, au commencement de
chaque décade, la note des affaires qu'il se proposera de
porter au tribunal dans le courant de la décade'.
1. Arrélé du 24 floréni porlantlcst slgnalui«s de Robespierre, Garnolf Aiiiar, oh*.
Archives F 7, 4438, n<*39, et Saladin, Bapport, etc., n<* xxxti. Les cinq nienibrcx
désignés sont Trinebard, Charigny, Ghapel, Raudement et Loppin. Dans rni-rél*^
du 25, Subleyras, vice-président au tribunal révolutionnaire est placé à la lôlc dt*
la liste, qui compte de plus Thibolot, Laveyron, Degalonniei* et Fourncrul. (Ar-
chives AF II 22, dossier 09, pièce 92. Voyex cet arrêté tus appendices, n" X.
Les deux groupes de membres nommés par ces deux arrêtés fonctionnent
lunlôt seuls, tantôt réunis et se considèrent alors comme membres d'une m(Mii«*
i-c»mnii$sion : témoin cette liste du 19 prairial ainsi signée :
Ln membres de la commission :
Loppin, Thibaulot, Trinchard, Laviroo, Cbarigny Cha|>clli\
Baudement, Subleyras, Fourncrau (Foumeret), j.-D. Guin-
nand, secrétaire (Saladin, Rapport^ etc., p. 108, n» IX. — Lt»
sei ré ta ire de la conimissiunnonimce le 24 floréal était llarteau).
2. Archives, ibid.t pièce 90, et Saladin, Happori, etc., pièce ii* xxv. Le texte
de cet arrêté prouve qu'indépendamment de la double conniiissioo, éLiblic
pour Paris, on en prévoyait d'autres, résidant ailleurs. Une note d*llerman du
20 floréal invitait le comité i détei-mincr rarroudissement des conmiissions |>o-
pulaires et le mode des jugements. Seront-ils secrets ou publics? (Archives F 7.
4437.) On trouve dans le cai'tou suivant (F 7, 4438) une lettre adressée le 2
prairial au secrétaire de Robespierre, par laquelle il lui transmettait un projet
d'arrélé en le priant de le placer sous les yeux de son terrible chef :
Paris, le 2 prairial.
Je te prie, citoïen, de mettre sous les yeux de Robespierre le projet d'an'élé
<Mi forme d'instruction pour les commissions populaires: cela est très pressant «
460 CHAP. XXXIY. — FLORÉAL (TROISIÈME DÉCADE).
Ainsi, c'était le Comité qui arnHait la liste des accusés
et s'assurait si justice en était faite! L'accusateur public
n'était plus que son pourvoyeur* ; et les lettres de Fou-
quier-Tinville encore existantes marquent avec quelle
ponclualilé il s'acquittait de ce devoir. Il ne faisait
qu'une réserve : c'élait d'être autorisé à remplir les vides
qu'au dernier moment un accident pouvait amener dans
la liste approuvée du Comité : il ne fallait pas laisser
chômer le tribunal. A cet égard, on pouvait s'en fier à
lui*. Chaque décade, les noms des accusés à traduire
Je me rappelle que j'ai oublié un article pour l'impression des jugements. Il
faudra ajouter pour dernier article : ies jugements seront imprimée,
a Je te prie aussi, comme ma correspondance est d'un grand intérêt et que je
ftuis très court dans mes lettres ou rapports, de les mcttref autant que possible,
sous les yeux de Robespierre.
Salut et fraternité, Hernait
Commissaire des administrations civiles.
Le citoyen Lojeune, secrétaire de Robespierre, au Comité de salut public.
1. Un arrêté du môme jour accordait à l'accusateur public un logement nu
Palais de justice. (Archiyes, AF ii 2i, dossier 69, pièce 90. Il y était assez occupé
pour qu'on lui épargnât la peine et le temps d'un déplacement.
2. Voyez plusieurs lettres de Fouquier-Tinville (20 prairial, !•' messidor,
11 messidor) au Comité de salut public, lui envoyant, conformément à l'aiTêtc :
1** la li>le des condamnés à mort dans la décade précédente ; 2* celle des accusée
qu'il se propose de mettre en jugement dans la décade qui commence (Arcliivos,
F 7, carton 4438). En voici un échantillon pour la 3* décade de prairial :
État dos affaires indiquées au tribunal révolutionnaire pour la 3^ décade de
praiiial, non comprises les affaires arrivantes chaque jour dans lesquelles il
peut exister des preuves matérielles telles qu'elles ne sont susceptibles d'aucuns
retnrd^^ singulièrement à raison de la qualité des preuves.
OBSERVATIONS.
I** Parmi les affaires indiquées, il y en a dans lesquelles il arrive quelquefois
des obstacles qui empêchent de les mettre en jugement; alors on en substitue
d'autres;
2«» Il est une foule d'affaires qui ne jHîuvent être mises en jugement sitAt
qu'on le voudroit, attendu que dans les unes les prévenus ne sont point arrivés,
que dans d'autres on ne les trouve point dans les maisons de Paris, et que dans
d'autres enlin les pièces ne sont point amvées, ce qui exige une cf*rrespondancc
très active et occasionne des l'etards.
ÉTAT.
(Suivent deux cent trente-liuil noms non compris les vingt-huit qui figurent
dans la conspiration de Batz, et sur lesquels un rapport particulier t promis.)
LE CONiTÉ DE SALUT PIBLIG IMITANT CALIGULA. 461
devant les juges étaient donc soumis au Comité. Robes-
pierre, Saint-Just, Caruot ou tout autre membre, y
apposaient leur signature, suivant à la letlre, comme le
remarque Courtois, Texemple de Caligula dont Suétone
a dit que tous les dix jours il apurait ainsi ses comptes:
Dedmo quoque die numerum puniendorum ex cmtodia
subscribens^ rationem se purgare dicebal : car avec la
marche que suivait le tribunal, c'était déjà un arrêt de
mort.
Un attentat, un coup manqué, qui se rattache aux
premiers jours du mois suivant allait armer la justice
révolutionnaire de pouvoirs après lesquels il n'y avait
plus rien à inventer pour assurer l'empire de la Terreur.
JOURNAL
DU TRIBUNAL UÉVOLUTlOiS NAIIU:
DU 1" GtiRMlNAL AU 1" PRAIKIAL AN il
(21 mars— 20 mai 1794) >.
GerniiBal
1-i (21 -24 mars).
llKOtJiT, (lit \t Père Duchesne^ etc. Yoy. p. H et suiv.
5 (25 mars).
Aiitoiae-François Poitou et Jean-Nicolas Moulin. Voy. p. 70.
i (2i mars).
Conclusion du pi*ocès cI'IIébert et consorts.
5 (25 mars).
Les trois Rougane. Voy. p. 73.
Françoi&Jeaa-Marie Cordiku, homme de loi, accuné de
propos contre-révolutionnaires '. Mais tous les témoins dépo-
saient en sa faveur, un seul excepté, Jean-Gabriel Montrichard,
officier de santé et maire de sa commune, qui fut, par là, con-
1. Nous réuuisflons tous les noms, condamnés ou acquittés, dans une mciiic
suite, en indiquant eipressément ceux qui, de moins en moins nombreux, uiit
été Toljel d'arrêts d'aequiUeaient oa de non-lieu.
3. Archives, W 530, dossier 619; Bulletin^ 4" partie, n* 8. Nous prévenons
une fuis pour toutes que les numéros du Bulletin, en germinal et floréal, te
rapportent à la 4* partie.
464 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
vaincu de faux témoignage. — Il fut acquitté et le faux
témoin mis en arrestation.
6 (26 mars).
L*abbé Goutte. Voy. p. 74.
Les deux frères de Balleroy. Voy. p. 75.
Etienne Thiry, dit Beaurozier et la fille Catherine Niemann.
Voy. p. 76.
Denis Joisel, jadis au service de Monsieur, depuis garde
des bois de la nation : pour des propos fort grossiers à Tégard
des autorités municipales, dont il relevait maintenant. (Ar-
chives, W 540, dossier 624. Bulletin n"* 9.) Il était encore
accusé d'avoir dit qu'il ne serait jamais répul)licain, parce
(juc dans une république il y avait trop de maîtres, et qu'il
retournerait avec les princes, quand ils seraient rentrés. Il
niait ces paroles, disant qu'il connaissait et aimait trop bien
la Constitution pour tenir de pareils propos, et il ajoutait que
du reste, ce jour-là, il était pris de vin. (Archives /. /. pièce 4.)
Cela ne lui fut point une excuse.
— Le même jour, une ordonnance de non-lieu faisait mettre
en liberté un ancien curé, Jean-Nicolas Beurdouche, devenu
cultivateur et débitant son vin en gros et en détail, accusé à
tort de violer la loi du maximum, (Archives, W 339, dos-
sier 620.)
7 (27 mars).
Madeleine Lambehtye, femme Villemaln. Voy. p. 77.
Marie-Catherine-Gabrielle Chamboran. Voy. p. 78.
Henri Moreau. Voy. p. 78.
Trois marchands de tabac, Pierre-Joseph Pavy, Jean Momel
et Nicolas Thomas, « convaincus d'avoir acheté du numéraire
de la République, à un prix plus haut que les assignats et
d'avoir estimé à un prix plus haut les pièces de monnaie
qui portent l'effigie du tyran que celles qui portaient les
empreintes républicaines. » — Le premier était condamné à
six ans de fer; les deux autres, « attendu qu'ils ne l'avaient
GEtlMINAL AN H. 465
pas fait avec riiitenlion de les faire passer aux ennemis de
a Republique, pour favoriser le succès de leurs armes,
cquittcs. (Archives, ibid,, doss. 629.)
— Bernard-Richard Bourdet, directeur de la poste aux
lettres, à Pont-Audemer, chez (|ui Ton avai( trouve des paquets
de bulletins et des lettres non inscrites au rebut : traduit au
tribunal, il fut acquitte sur la question des intentions crimi-
nelles. {Ibid. dossier 627).
8 (28 mars).
Jacques Permet. Voy. p. 79.
J.-B. Peussetet, ex-capucin. Voy. p. 82.
— Claude Devu^lars, acquitte. Voy. p. 82.
9 (29 mars).
Louis-François PomÉ. Voy. p. 84.
Fr. CouRTiN, J.-A. Meffre et J.-M. Adam, moines. Voy. p. 85.
Jean-Valery-Marie Harelle jeune, négociant et agent de
Desacres de l'Aigle, accusé d'avoir fait passer de Targent au
fils de ce dernier ^ 11 affirma en vain qu^il n'avait eu aucune
relation avec lui depuis son émigration ^ Sa cause, dans les
questions posées au jury, fut liée à celle du père déjà con-
damné de la même sorte'.
Jean-Baptiste Collignon, imprimeur à Metz, accusé d'avoir
imprimédes ouvrages contre-révolutionnaires « quirespiroient
Taristocratie la plus dégoûtante », et d'avoir envoyé de l'a r-
gent au dehors. (Arch.,W 341, dossier 636. Bulletin, n® 13.)
On avait saisi chez lui deux lettres de l'évéque de Verdun
(il et 14 mars 1791) ; dans la dernière, l'évéque lui accusait
réception de ses instructions pastorales et lui disait :
a H me suffit, pour le moment, d'apprendre de vous-
1. Archiyes, W 541, dossier 635. Bulletin, n* 13 : rimprimeur, dans le titre,
fait un personnage distinct des deux premiers prénoms de l'accusé.
*2. Archives, ibid., pièce 7.
3. Ibid., pièce 14 et 16.
TRIB. RKVOL. lU 30
466 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
même que vous êtes dans la disposition d'imprimer tout ce
que nous vous enverrons pour appuyer la vérité et soutenir
rÉglise chancelante ; »
De plus, une épreuve de la Lettro de Tévéquc de Nancy au
clergé de son diocèse, sur Tinstruction de TAsscmblée natio-
nale concernant la constitution civile du clergé. (Trêves,
février 1791. Archives, ibid., pièce 9.)
CoUignon affirma qu'on ne lui avait pas envoyé d^ouvrage
à imprimer depuis 1791. Il nia toute correspondance et tout
envoi d'argent au dehors. S'il avait échangé des assignats
contre de l'argent, c'était pour solder ses papetiers à qui il
était obligé de payer un quart en argent ; et il ne l'avait plus
fait depuis que c'était défendu (ifrid., p. 37).
Condamné.
— Le même jour, Jean-Pierre Pellerin, dit Chanteraine,
contrôleur au garde-meuble, et Pierre Pothier, employé au
même lieu, accusés d'intelligences, étaient ac^juitlés, mais le
premier, détenu jusqu'à la paix. (Archives, W541, doss. G59.)
— Jean-Louis Lorry, cultivateur, et J.-B. Margot, cordon-
nier, arrêtés pour fausse dénonciation contre Pernet, furent
mis eu liberté, Pernet ayant été condamné. (Archives ibid.,
dossier 637.)
11 (31 mars).
Lavërgne-Champloiuer, et Victoire Resnier, sa femme. Voy. p.
88 et suiv.
Joseph-Clair Carris de Barbottan, ex-constituant, et Joseph
Nègre. Voy. p. 98.
Jean-François Hollet, accusé avec un jeune garçon de
quinze ans, nommé Pierre René Perdereau, d'avoir tenu des
propos contre-révolutionnaires. Il avait dit : a Que nous avions
dix-sept couronnes contre nous, que nous n'étions pas sûrs
de gagner; qu'il s'appeloit d'Artois, frère du roi et qu'il se
fcroit guillotiner pour la vie de Capet. » (Archives W 341,
dossier G41.) C'était dans un cabaret de la Courtille !
llollet n'avouait qu'une chose et ne savait qu'une chose,
GERMINAL AN 11. 167
c'est qu'il était allé boire avec Perdereau à la Courtillc {ibid.,
pièce 14). L'inlerpogatoire de Perdereau {Ibid.) n'en fit guèra
savoir davantage :
D. Si son [>ère est patriote?
R. Que oui.
D. Si le 50 brumaire ii n'a point été dans un cabaret à la
Cuurtillc, au Grand Saint-Nicolas, avec un nommé Hollet?
R. Que oui.
D. S'il n'a point tenu des propos contre-révolutionnaires?
n. Qu'il se rappelle s'être complètement saoulé dans ce ca-
baret, maisqu'étantpatrioteilnepeut croire avoir tenu aucun
mauvais propos, el se ressouvient en effet n'en avoir pas tenu.
D. S'il a entendu Hollet tenir des propos oontre- révolu-
tionnaires?
R. Qu'il ne s'en rappelle nullement.
D. S'il a un conseil?
Le père de Perdereau était en effet patriote. Dans une lettre
au président de la Convention nationale, écrite en son nom et
au nom de sa femme, pour que leur dh qui, de la Concier-
gerie a été transféré aux Carmes, et des Carmes, comme ma-
lade, à Bicétre, soit ramené à la Conciergene, ils demandent :
« Que l'accusateur public prés le tribunal révolutionnaire
a veuille bien ordonner celte translation et s'occuper de son
« alfaire, afin de faire tomber sa tète, s'il est coupable, ou le
a rendre à ses parents, s'il est innocent, pour leur aider à se
« procurer une chétive existence (9 ventôse). »
Le jeune Perdereau fut acquitté et Hollet condamné à mort.
B.-Sim. Gaillard, vingt-cinq ans, garçon papetier; pour
propos tendant à empêcher le recrutement' : une parole qui lui
était échappée, qu'il avouait, mais qui ne s'appliquait qu'à
lui-même :
D. Si au moment du rassemblement des jeunes gens pour
la levée du département de l'Eure, il n'a pas dit qu'on lui
f... plutât un coup de fusil que de partir et de tirer au sort?
1. Archiret, W Hl, dooisr 012. BulUUa n- U al 19.
468 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
R. Qu'il l'a effectivement dit, et que sortant d'apprcntis-
sage, étant attaché à son état et que son père avait perdu le
sien, il préférait continuer que de partir ^
Il avait d'ailleurs servi déjà, comme on le voit par son
nouvel interrogatoire devant le juge du tribunal révolution-
naire où il fut renvoyé (18 nivôse) ;
D. S'il n'a pas servi dans les troupes de la République?
R. Qu'oui; qu'il est parti au mois de septembre 1792 et
en est revenu au mois d'avril suivant.
D. Pourquoi, lors du recrutement pour le département de
l'Eure, il a dit qu'on lui f... plutôt un coup de fusil que
de partir, pourquoi il l'a dit devant témoins, ce qui était
s'opposer à la levée?
R. Qu'il y auroit été volontiers, mais qu'il demandoit que
chacun y allât à son tour ; que dans un moment de violence,
il tint le propos ci-dessus, mais qu'il n'a jamais eu l'inten-
tion de s'opposer au recrutement, qu'au contraire.
On lui reprochait aussi d'être allé prêter la main à im bou-
langer, nommé Grégois, afm d'en obtenir un ou plusieurs
pains ; d'avoir mal parlé de Pache, maire de Paris :
D. S'il n'a pas murmuré contre la garde nationale qui lui
faisait des représentations; et s'il n'a pas dit que tant que les
boulangers ne feroient pas leurs provisions eux-mêmes, le
pain manqueroit dans Paris?
R. Que non.
D. S'il a fait souvent cette distribution de pain chez Grégois ?
R. Continuellement, depuis près de six mois.
Et il avoue qu'il y allait afin d'avoir du pain pour la maison
où il travaillait. La distribution unissait à sept heures; il
allait alors à son ouvrage*.
Était-ce un crime? et la parole incriminée, quand il avait
servi lui-même, avait-elle détourné personne de servir? Le cas
méritait au moins que le président posât la question inten-
1. Archites, >V 341, dossier 642, pièce 1 bis. Interrogatoire (25 frimaire) de-
vant le comité de surveillance de la section de Beaurepaire.
2. Archives, ibid., pièce 18.
GEFtHDiiL AN II. 469
tionnelle. Le président (Ilerman) ne le fit pas*, et les jurés
condamnèrent : c'étaient Renaudin, Lumière, Desboisseaux,
Dix-Août, Frey, Topino-Lebrun, Fauvetty, Ganney, Gravier,
Didier et Laporle'.
12 (i" avril).
Ch.-Vict.-Fr. Salabehrt. Voy. p. 100.
Ant. Brochetde Saint-Prest. Voy. p. 101.
L.-S. CoLivET. Voy. p. 105.
ICuloge ScuffEiDER. Voy. p. 104.
— Hcnri-Gabriel'Bonaventure Boctenot, lieutenant de gen-
darmerie, accusé de participation à une réunion fédérale du
Doubs, fut déclaré non coupable et acquitté. (Archives W 5 i2,
dossier G46,et Bulletin n" 1.5.)
13 (2 avrU).
C'est le premier jour du procès de Dahtoh et de ses coac-
cusés. Voy. p. 115 el suiv.
La seconde section du tribunal ne laissa pas que de remplit'
son office. Danton avait demandé une têle d'aristocrate par
jour. On comptait lui offrir deux tètes de prolétaires ce jour-là:
Pierre Montazet, boucher, et Jean Mabquet, marchand de
boeufs, étaient accusés de manœuvres pour faire hausser les
prix^. Le boucher s'en défendait. II vendait la viande en
raison du prix qu'il achetait les bœufs. Le marchand s'excu-
sait en disant qu'il était forcé d'acheter les bœufs plus cher
chez les éleveurs, parce que les fournisseurs des armées lui
faisaient concurrence. Mais on lui reprochait d'avoir gagné
222 lîv. 10 sous sur un bœuf, de telle sorte que le bou-
cher avait perdu, lui, 424 liv. 19 sous en le vendant, selon la
loi du maximum*. Il fut condamne et son coaccusé acquitté*.
1. Archioea, ibid., [HÙce 13.
3. Ibid.. pttm 14.
3. ArchÎTei, W 343, dentier 047.
4. Ibid., pUixSO.
5. Ibid., piècei 35 et 36. Wontuet Ait repris sur d'autre! pièce» rcaiiacs
470 JOURNiL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
Les 14, 15 et 16, grands jours du procès de Danton dans la
première section du tribunal ; la seconde n'essaya pas de lui
faire concurrence. Mais le lendemain, le travail recommence
dans les deux salles en même temps.
17 (6 avril).
Louis Uannapier-Désormes ; voy. p. 215.
Pierre Reigné ;
Philippe Baron, dit Channois;
François-Thomas Fouquerel. Voy. p. 216.
— Le même jour, une ordonnance de non-lieu mettait en
liberté François-Louis Thomassïn, Jean-Pierre Maffioli, Marie-
Jeanne Frobient, femme Maffiou, Dominique Clément, Nicolas
Frobient, Jeanne Yacquier, femme Froment, Humbert Cric,
Marguerite Callot, femme Cric et Marie-Cécile Pernet, im-
pliqués dans une accusation de vol d'argent pour lequel on
retint Louis-Alexis Laurent, directeur des messageries, qui
fut acquitté plus tard (7 floréal). (Archives W 345, dos-
sier 655.)
— Même jour, autre arrêt de non-lieu en faveur d'Antoine
BoiROT, homme de loi. (Archives, W 343, doss. 663.)
18 (7 avril).
Anl.-L.-Claude Saint-Germain marquis d'Apchox, etElisa-
octh-Thérèse Lacorée, veuve de Péricard. Voy. p. 217.
François-Pierre La Motte marquis de Senones, et Suzanne
Drouillard, sa femme. Voy. p. 218.
Jean-François Jullien (60 ans), ex-oflîcier municipal de
Monlargis; Marie-Joseph-IIippolyte Pelée-Varenne (57 ans),
receveur particulier des finances du même district; Fran-
çois-Joseph Beot (50 ans), ingénieur, ex-maire de Montargis;
contre lui à Fouquier-Tin ville (29 germinal). Il eut à répondre à l'accusation
d'avoir entretenu une corrcspondamje pour empêcher Tapprovisionnement des
marchés. Interrogé le 13 floréal, il gagna thermidor et fut acquitté le 22. (Ibid.^
pièce 47.)
GERMINAL AN H. 471
et Charles-Léonard Lavillette (45 ans), ci-devant président
de l'élection de la même ville.
lis avaient, antérieurement au 10 août, signé une adresse
au roi à l'occasion de la journée du 20 juin. (Archives, W
343, dossier 658. Bulletin n" 27.)
Bernard Perruchot (35 ans), et Jean-Joseph Mouzin (23 ans),
tous deux anciens notaires à Dijon, renvoyés par arrêt du
tribunal criminel de la Côte-d'Or au tribunal révolutionnaire
(14 ventôse), comme accusés d'intelligences avec les Lyon-
nais (Archives ibid., dossier 655, pièce 13). Ils n'avaient fait
qu'échanger entre eux des lettres où ils manifestaient peu
de confiance et de sympathie à l'égard de la situation présente
{ibid.y pièce 14).
— Par un cinquième jugement, Sylvain Gouard, soldat de
marine, puis gendarme, accusé de propos tendant au réta-
blissement de la royauté, était acquitté. (Ibid.^ dossier 656:
cf. BuUetin n<» 26.)
Et le même jour, Jean-Louis Faure, imprimeur, à qui le
faussaire Imbert, député suppléant (condamné le 18 nivôse),
avait proposé d'imprimer des passeports en blanc, était mis
en liberté par ordonnance rendue en chambre du conseil
(W 344, doss. 670.)
19 (8 avril).
Angélique^atherine Boiry, femme Bonfant. Voy. p. 219.
Joseph-Louis Gaudron. Voy. p. 220.
J.-P. Danquechin-Dorval ; Pierre-Saturnin Laroin et L.-Adél.
Damquechin, femme Lardin. Yoy. p. 221.
Jeanne-Agron de March^ly, veuve de Chevillt. Voy. p. 222.
Guillaume Gemptel, compris dans l'accusation des frères
Mangin, pour achat de numéraire (4 ventôse'). Son affaire
ajournée n'en eut pas moins la même issue*.
— Michel Thierry, garde-magasin des fourrages, accusé de
malversations, était acquitté. (Âid., dossier 666.)
1. Arcliives, W 328, dossier 540. C'est 1.^ qu'est son interrogatoire, pièce 8.
2. ArchÎTcs, AV 3 44, dossier 604.
472 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNA IRE,
20 (9 avril).
Jean-Baptiste Longpré, accusé de propos tenus à la porte
d'un boucher, obtint une ordonnance de non-lieu. (Archives,
W 544, dossier 669.)
21 (10 avrU).
Le 21, commença le procès de Chaumette, de Gobel, de la
veuve de Camille Desmoullns et de la veuve Hébert, etc. ;
complément des deux grands procès d*Hébert et de Danton,
qui se prolongea jusqu'au 24. Les deux derniers joui^ furent
consacrés par la seconde section du tribunal à d'autres procès.
23 (12 avril).
Claude Souchon, dit Chanson, général de brigade de l'ar-
mée des Pyrénées orientales (66 ans)*. Destitué, il avait réuni
un corps de 4 000 hommes avec de l'artillerie, et l'on disait
que c'était pour se joindre aux rebelles fédéralistes, dans l'in-
tention de marcher sur Paris. Dans son iîiterrogatoire, il
prétend avoir réuni ces troupes par ordre des représen-
tants du peuple qui regardaient sa destitution comme non
avenue :
D. S'il a été invité de se rendre au prétendu comité de
salut public de Nimes et s'il s'y est rendu?
R. Oui, sur le tout.
D. Quel étoit l'objet pour lequel il fut mandé?
R. Pour donner des renseignements.
Il a brûlé ses papiers. — C'étoit pour désinfecter sa
chambre.
Il a dit que les Marseillais étaient dans les bons principes.
— Il le croyait et le désirait.
S'est-il uni aux rebelles? — Non*.
On n'hésita point à le condamner.
\, Archives, W 344, dossier 672. Bulletin, n« 37.
2. Ibid., pièce 10.
GERMINAL AN II. 473
— Le même jour, le tribunal acquittait Honoré Gosset,
accusé de propos contre-révolutionnaires et innocenté par lo
jury comme étant ivre. (Archives 344, dossier 673.)
II mettait en liberté Pierre-Louis Borsat. Yoy. p. 224.
24 (15 avril).
Louis-Guillaume-André Brossard. Yoy. p. 225.
Etienne Ragondet. Voy. p. 226.
25 (14 arril).
Henri Morisset et Pierre Bossu. Yoy. p. 228.
Jacques-Augustin Labarberie, marquis de Ressuveille. Yoy.
p. 229.
François-Charles Gattey et consorts. Yoy. p. 229.
— Furent acquittés :
1** Pierre Yayron, ex-vicaire général (constitutionnel), an-
cien membre de l'Assemblée législative, accusé de correspon-
dances contre-révolutionnaires. (Arch,,W 345, dossier 677.)
2° François-Nicolas Thomassin, curé constitutionnel, rem-
plissant les fonctions de greffier dans sa commune, accusé
de fanatisme et de manœuvres, (/frtd., dossier 681.)
26 (15 avj^).
Marie-Claudine Gattey. Yoy. p. 230.
^ Ch.-Mathias Dalekçon, etc. Yoy. p. 233.
^ Jean-Baptiste Larevellière, etc. Yoy. p. 235.
— Acquittés ; Nicolas Morin et François-Remi Ficatier :
intelligences avec l'ennemi.
Mis en liberté : J.-B.-Joseph Mau^locheau et Pierre Despu-
joLs : conspiration non prouvée.
27 (16 avril).
François-Clément Cassegrain, ancien curé de Pithiviers.
Yoy. p. 256,
474 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
Pierre Laville , Pierre Lapeyhe et Jean IIuet. Voy.
p. 257.
Hugues-Louis- Jean Pelletier-Chambure (57 ans), avant la
révolution directeur des postes et entreposeur des tabacs,
et depuis employé en qualité de sous-directeur dans les sub-
sistances militaires, à Arras. On l'accusait de s'être apitoyé
sur le sort du roi et d'avoir dit que ceux qui avaient livré
Longwyet Verdun avaient bien fait : ce qu'il niait. (Archives
W 547, dossier 090, pièce 16.)
Nicolas SuixEROT (55 ans), qui, arrêté porteur «c des signes
de i*alliement des Vendéens » et de faux passeports, s'était
vanté, selon l'accusation, d'avoir servi sous Charette et avait
crié dans sa prison, à Chàteaudun : Vive le roil (Ibid., dos-
sier 689, pièce 54.)
— Jacques Marino, administrateur de police, acquitté pour
cette fois. Voy. p. 257.
Acquittés aussi et rendus libres deux gardes-chasse :
Guillaume Chaveroche et Pierre Barrot, accusés de propos
contre le recrutement. {Ibid., dossier 680.)
28 (17 avrU).
Jean Decous, Joseph Baudot, Jean-Pierre Chali.ot, anciens
prêtres. Voy. p. 258.
Hyacinthe Mermin (50 ans), frotteur; Pierre-Louis Heisry
(57 ans), marchand de toiles; Hyacinthe Simille (28 ans),
frotteur; Louis Pautone, garçon pâtisssier; Charles Accault,
dit Thibaud (25 ans), marchand de vin, accusés d'avoir
acheté 400 pièces d'or de 24 livres, à raison de 59 livres,
avec l'intention (présumée) de les faire passer à l'ennemi,
étaient condamnés à mort
— Un gendarme, Louis Maillot, acquitte. (Ibid.^ doss.091.)
29 (18 avril).
François Magny. Voy. p. 241 .
Brice Prévost. Voy. p. 242.
FLORÉAL AN II. 475
Jean-Joseph de Laborde et dix-sept autres accuses. Yoy.
p. 247.
— Mis en liberté par arrêt de non-lieu :
Etienne Leseurre, ancien procureur; François Carteret,
gendarme; Guillaume -Pierre -Nicolas Mazè, ancien curé;
Anne-Suzanne Cahelus, femme Diely, coiffeuse; Nicolas Re-
nard, blanchisseur. Yoy. p. 240.
Guillaume et Jean-François de Neef, natifs de Louvain,
étaient renvoyés aux tribunaux ordinaires. (Archives, ibid.^
702.)
Floréal.
1 (20 avril 1794).
Louis Le Peletier de Rosakdo et les parlementaires de
Paris et de Toulouse (première fournée), au nombre de
vingt-cinq, jugés dans l'ancienne salle du Parlement. Yoy.
p. 285.
Nicolas Saint-Bun, « marquis et laboureur »; Auguste-
Louis-Zacharie Espiard de Dalleray ; Théophile Berlier, grand
marteau de la maîtrise des eaux; Charles-Joseph Jdllien,
ci-devant cordelier, ex-curé d'Autricourt, et deux jeunes
gens, Pierre-Jacques-Barthélemy Guenichot (27 ans), Pierre
GuiLLEMiiN (29 ans), avaient été envoyés de Dijon au tribunal
révolutionnaire par le représentant Pioche-Fer Bernard (un
dur représentant comme l'indiquent les prénoms qu'il choisit),
pour des propos tenus dans la prison où ils étaient renfermés^
propos dont on fît une conspiration de prison. On cherchait
des pendants à l'affaire d'Hébert. Ils eurent beau nier*. L'ac-
cusateur public les présenta comme de « dignes émules des
Yincent, Ronsin, Dillon, et autres conspirateurs, x> et ils furent
condamnés.
1. ArchÎTes, Yi 350, dossier 704, Bulleiifi, n» 44.
2. Ihiti., pièces 13 et 18.
476 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
. 2 (21 avril).
Marie-Marguerite-Geneviève-Victoire Lebiesle, femme Boul-
LEKc. Voy. p. 297.
Alexandre Beaugrand, prêtre. Voy. p. 298.
Ândré-GuilIaume Bellepaume. Voy. p. 299.
Jean-Joseph Descamps. Voy. p. 300.
Pierre Lafargue, brocanteur (son ami et coaccusé Deva-
Lois, acquitté). Voy. p. 302.
François-Philippe Decaux, 54 ans, simple prêtre à Brestot^
On lui demande :
Si quoique insermenté il ne s'est pas permis d'exercer les
fonctions publiques d'ecclésiastique?
R. (C'était) à la requête du district et de la municipalité.
D. Pourquoi ayant depuis prêté le serment il a employé
la formule suivante : <k Je jure la liberté de faire le bien ;
je jure l'égalité, sauf le respect et l'honneur dus aux puissants,
tant laïques qu'ecclésiastiques et à tous ceux à qui Dieu le
commande, forme jésuitique et contre-révolutionnaire?
R. Qu'il n'y étoit pas obligé alors, et que depuis il l'a
prêté dans la forme exigée*.
On ne l'accusait pas seulement de fanatisme. On l'accus^iit
encore de fédéralisme et de royalisme : il avait lu, comme
secrétaire de l'Assemblée, par ordre de la municipalité, le
décret fédéraliste du département de l'Eure. — Les patriotes
ne s'y étaient pas opposés; et il n'avait rien fait de plus.
C'était assez.
5 (22 avril).
\ b Lamoignon-Malesherbes, sa famille, et toute une grande
et noble compagnie. Voy. p. 305.
Dans l'autre salle, un simple manœuvre :
Louis-Pierre Mousset, éclusier du canal d'Orléans, accusé
1. Archives, >V 355, dossier 710; Bulletin n«44,
2. Archives, ibid.^ pièce 13.
FLORÉAL AN H. *77
d'avoir provoqué à la guerre civile à Donnery, où il était
procureur de la commune'. Le curé ayant déclaré qu'il ne
croyait pas devoir, dorénavant, exercer le culte d'une manière
extérieure, il lui aurait dit qu'il était un làctie; qu'il aban-
donnait sa religion; qu'il se ferait fort de le faire accompa-
gner par quatre fusilliers, quand il irait porter les sacre-
ments; et d'autre part, comme on annon<:ait que de Saint-
Denis on devait venir chercher du blé dans sa commune, il
s'était écrié : « Eh bien ! s'ils viennent, on sonnera les
cloches'. »
Il avouait ce propos : les boulangers de Donnery avaient dit
que si l'on venait chercher du blé dans la commune, ils ne
pourraient plus faire de pain ; mais il s'était repenli de sa
vivacité, et quand, deu\ jours après, on vint chercher son blé,
il ne dit rien à l'envoyé et but avec lui deux bouteilles.
Quant au culte, il reconnaissait que les habitants de la com-
[uunc étaient attachés à leur religion ; mais lorsque, [lar une
lettre du 25 nivôse, l'administration du district fit cnnnaitro
ses intentions à cet égard, il avait été le premier à engager
SCS concitoyens à s'y conformer, à renvoyer les ornemenis
sacerdotaux, à faire sortir les prélres du presbytère et à y
établir la société populaire'.
Même cette abjuration ne trouva pas grâce devant le tri-
liunal.
— Le même jour, Picrre-Aimc-Joseph Dokteups et François
PbnREn', accusés d'inlidélité dans la fourniture d'effets d'c-
qntpcmenl, étaient acquittés. (Archives W 550, doss. 707.)
4 (23 avril).
Condanmés par des jugements distincts :
Antoine Barthélkuv, ex-commissaire du roi près le tri-
bunjl du district, cl depuis agent national î) Gannat (Ailier).
i. AreliiïM, W 350, ilu>.î«i- 708.
a. Ibid., pi^cc 2.
3. Ibid.. fiico 2t.
478 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
II avait afiichc une proclamalion du roi, en date de juin 1792,
à propos de la journée du 20, « une proclamation contre-révo-
lutionnaire » (dit le Bulletin), et poursuivi les patriotes qui
voulaient Tarracher^ Il dit que Taflichc arrachée était rela-
tive, non à la journée du 20 juin, mais à la déclaration de
la patrie en danger, et que cela était avoué par la personne
même poursuivie pour ce délit. Accusé aussi d'avoir protégé
les aristocrates et discrédité la société populaire de Gannat,
il répond qu'il a fait respecter les lois ; qu'il est un des fon-
dateurs de la société populaire et que s'il a dénoncé le co-
mité de surveillance, c'est qu'il existait sous une forme con-
traire à la loi du 14 frimaire*.
François-Abraham de Reglesme, du même pays.
On lui demande s'il a un enfant dans l'ordre de Malte? —
Oui, et il lui a écrit pour avoir de ses nouvelles.
S'il a des parents émigrés? — Il n'en sait rien.
S'il n'a pas dit avec emportement au comité de Gannat
qu'on ne pouvait ôler h son fils la qualité de noble et de
maltais? — Non, mais simplement le nom de Reclesmc'*.
Mais de plus on lui attribuait divers propos :
« Qu'il était impossible que le gouvernement républi-
cain se maintint encore longtemps; qu'il fallait une autorité
indépendante; que dans un gouvernement populaire les
autorités s'entre -choquaient et se nuisaient réciproque-
ment. »
C'est pour ces propos plus ou moins établis qu'il fut cou-
damné^. La question relative aux correspondances n'est pas
posée au jury.
Marie-Louise Coutelet, veuve Neuveglise ; Louis-Benjamin
Calmer; François Gattey; Marguerite Horion, femme Farizol;
et Jean Chemin. Voy. p. 515.
— Quatre autres furent plus heureux ;
1. Archives, >V 551, dossici' 71i, Builclin u* 4S.
2. Aixhives, ihid,, pièce 9.
5. Ibid.^ dussicr 715.
4» Ibid.i pièces 11 cl 15*
FLORÉAL AN IL 479
André Nessimg, accusé pour propos gro8sici*s contre la
nation, tenus au cabaret. — Il n*en avait point mémoire.
(Archives W 551, dossier 717, pièce 58.)
Michel Pagmest : il avait dit que si tout le monde le vou-
lait, le tyran ne serait pas guillotiné; et il avait fait Téloge
de Roland. — Il était gris. (Ibid., pièce 85.)
Eioy GiLLERON, accusé d'avoir manifesté le désir de voii*
assassiner Marat, Robespierre, etc., ce qu'il nie avec énergie.
(Ibid.f pièce 07.)
Nicolas-Guillaume Denis, fondeur, qui, interrogé sur tes
causes de son arrestation, dit que c'est une dispute chez un
marchand de vin, « par la raison qu'étant dans l'ivresse, il
avoit dit que ça ne sauroit aller comme ça, et qu'on auroil
beau faire, il falloit un chef.
D. Ce qu'il entend par ce mot « un chef? »
R. Qu'il n'entend pas un roi, mais un homme qui auroil
la confiance publique et qui dirigeroit les affaires.
D. Et par ces mots : « Ça ne sauroit aller comme ça? »
R. Qu'il entendoit par là un ordre de choses plus tran-
quille et dans lequel son commerce puisse reprendre de l'ac-
tivité. (Ibid,, pièce 75.)
Ils furent tous les quatre acquittés ; mais Gilleron détenu
jusqu'à la paix.
Libérés par ordonnance de non-lieu :
François-Emmanuel Tuorin et Michel-Benoist Beaumé, ac-
cusés sans preuve d'avoir tenu des conciliabules. (Ibid.y dos>
sier 716.)
5 (24 avril).
^ ^ Alexandre-Joseph de Neton, commandant de place, et les
victimes de Verdun. Voy. p. 318.
Jeanne-Elisabeth Bertault, François Bomnin, Mathieu
Schweter. Voy. p. 338.
— Adam Fintzel, Antoine Costejean, J.-B. Philippe et Jac-
ques-Louis Gelis, dit Pélissiery accusés de conspiration, etc.^
furent acquittés*
480 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
6 (25 avril).
Amsson-Duperron, ctc.Voy. p. 341.
Jean-Nicolas Lallemant (41 ans), cx-minimc et ancien curé
de Uendeimont, prévenu d'avoir exercé ses fonctions après
les avoir abdiquées ^ Il avait en effet déposé ses lettres de
prêtrise le 30 brumaire, et il avouait qu'il les avait reprises
à la sollicitation de ses paroissien?. On ne s'explique pas
trop comment, après cela, il ajoute qu'il n'a pas dit la messe
depuis qu'il avait renoncé à ses fonctions*. Que faisait-il donc
depuis qu'il les avait reprises? Mais on l'accusait de discours
fanatiques où il montrait les fondements de l'ordre et de la
tranquillité publique détruits; les temples, les autels ren-
versés n'annonçant plus en France que des hommes sans
mœurs, sans principes. « Ce prêtre astucieux, disait l'accu-
sation, dans le moment même qu'il feignoit de renoncer a
son ministère de prêtre, travailloit les consciences timorées,
éveilloit le fanatisme de toutes les manières, et sous le cruel
prétexte de défendre les intérêts du ciel, selon lui compromis,
il soulevoit les habitants de sa commune et tentoit d'exciter
la guerre civile. »
— Jean-Marie Daudé, Rose Deconclois et Marie Delage,
condamnés à six ans de fer pour vente et achat de numé-
raire. (Ibid.y dossier 721. Bulletin n^ 54.)
— Jean IIéraud, maire de la commune de Daufant, district
de La Rochefoucauld, accusé de fédéralisme, mais ayant su
convaincre le jury que ses ennemis étaient des égoïstes et
des fanatiques, fut acquitté. (Archives, i6îd., dossier 722.)
7 (26 avril).
Armande de Troussebois, femme deBELLECisE. Voy. p. 346.
Gabriel Trinquelague. Voy. p. 347.
1. Archives, W 351, dossier 721. Bulletin, n« 53.
2. Ibid^t pièce 8.
FLORËAL AN II. 481
Francois-Àlbert Ma>-gl>. Voy. p. 548.
Quatre habîtanls du département du Monl-Blanc : Jean-
Joseph Duc, Claude-Fi-ançoia Pralos, Joseph-Philibert Cdrtok
el J.-B. Boso?iET, accusés d'avoir entretenu des intelligences
aTec l'ennemi pendant l'inTasion du territoire, el porté les
jeunes gens â prendre les armes contre la République. Tous
les quatre niaient ce second point. Quant au premier, Duc
avait été forcé d'obéir aux envahisseurs, sous menace de feu
et de sang, et c'est aussi par force que Pralon et Bosonet avaient
repris leur poste au conseil de la commune. Curton protes-
tait qu'il avait refusé de proclamer les ordres de l'ennemi et
d'àtcr sa cocarde. Ils n'en furent pas moins tous les quatre
également condamnés. (Archives W353, dossier 751, pièces
23-26. Bulletinn' U.)
La même audience se terminait par un procès, oà dix
accusés avaient d'abord été mis en cause' : il s'agissait d'un
Tol de 200 992 livres, opéré avec effraction dans la caisse
de Laurent, directeur des messageries h Nancy. Le volé était
suspect d'être le voleur, et il avait été retenu, tandis que lo
tribunal prononçait une ordonnance de non-lieu en faveur des
neuf autres sur lesquels des soupçons s'étaient égarés (7 ger-
minal). Laurent comparaissait seul, un mois après, devant le
jury. Mais il présentait de si bons certilîcats de civisme ! Fou-
quicr-Tin ville, tout en relevant les indices accusateurs, ne
se crut pas dispensé de les rappeler aussi aus jurés. Laurent
fut acquitté'.
— Le même jour, Salomon Bocirë, accusé de propos contre-
révolutionnaires, fut l'objet d'une ordonnance de non-lieu,
les propos ne paraissant pas suflisamment caractérisés, mais
détenu jusqu'à la paix. (Archives, W 553, dossier 727.)
Plusieurs autres ordonnances de non-lieu mirent en liberté
pour des délits analogues : Jean-Fran<;ois Gérard, journalier,
el J.-B. Dedohse, serrurier; Jeao-Alexis Altroy, menuisier;
!r 73!, et Bulletin, n* 51.
482 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
J.-Bapiiste Bourgeois, cordonnier; J.-B. Vingternier; Henri
Caillet; J.-B. Bavelier et J.-L. -Henri Martin, gendarmes. (Ar-
chives, W 553, dossiers 724-729.)
8 (27 avril).
Leglerg, vigneron, et cinq autres. Voy. p. 348.
— Augustin Cotel, paveur, et Pascal Sensier, sous-officier,
invalide, acquittés.
Le même jour, vingt-quatre habitants du quartier des Inva-
lides : Philippe-Cyprien Duverger, J.-Baptistc Roche, Claude-
François DuFRASNE, Pierre-François Bissot, Pierre Bon>y, etc.,
étaient traduits devant le tribunal commo ayant signé de
faux certificats de résidence en faveur de deux émigrés,
Mortet et Maussion^, condamnés les 3 et 6 ventôse. C'est une
industrie parasite qui était née des lois rigoureuses contre
l'émigration. Cinq (les cinq nommés ci-dessus) furent con-
damnés à six ans de prison avec exposition, et dix-neuf acquit-
tés : Pierre Vier, Antoine Hanot, Jos.-Simon Hanot, Pierre
Bo.ME, J.-N. -Geoffroy Delarue, M. Cazot, M.-Joseph Maguerre,
J.-J. Feuillet, Maret, A. -F. Ajssot, J. Avrillon, N. Rodier,
A. Dalzon, Blevard, A. Choulaire, J.-A. Chevalier, F. Maré-
CIL\L, F. BORDET, J.-L. ChRÉTIEN.
9 (28 avril)
0'/ Le duc de Villeroy, d'Estaing, etc. Voy. p. 350.
Le même jour avaient été jugés, dans l'autre salle, deux
pauvres ouvriers, Pierre-Jean Je^un, tisseur en toiles, et Jean-
Nicolas Nicolas, cordonnier, pour infidélités dans une four-
niture de fourrages*. Qu'allaient-ils faire dans les fourrages?
Ne sutor ultra crepidain !
Ils rejoignirent dans les charrettes les nobles condamnés
de la première section.
1. Archives, Yi 354, dossier 733, Bulletin^ n" 55.
2. Ibid., dossier 736.
FLORÉAL AN IL 4S3
— Victor-Pierre Houy, garde magasin, impliqué dans la
même affaire, fut acquitté.
Acquittés dans une affaire analogue :
Charles-François -Honoré Salle, garde magasin; Mathias
Steinmetz, cultivateur. (Bulletin n"" 61.)
H (30 avril).
Pierre Tdrbat et neuf autres patriotes de la Sartiie, ac-
quittés. Voy. p. 365.
Furent acquittés aussi :
1^ Charles Massion, inspecteur des vivres de Tarmée de
l'ouest, accusé de fraudes, (Archives, W 356, dossier 742) ;
2** Guillaume-Jean Pyron, ex-curé, membre du directoire du
département de la Nièvre, et Abraham Rodot, membre du
Conseil général du mémedéparlement : fédéralisme (Ibid. ,liS).
Quatre ordonnances de non-lieu mirent en liberté un plus
fi^rand nombre encore de prévenus : Gabriel Montrichâud,
Hyppolyle Bourgeois, Dupuis, Pierre et Etienne Rmour, Fran-
çois Madeleine. (Archives, W 355, dossier 728-741 )•
12 (l*'' mai).
Auguste-Henri Lakglois de Pommeuse et les gens de sa mai-
son. Voy. p. 366.
Louis-Joseph-Ignace Chalmeton et autres coaccusés. Voy. p.
568.
Jean GlutrOiN et Etienne Landois. Voy. p. 569.
— Acquittés : plusieurs de la maison de Pommeuse :
Guillaume Villecot, Jean-Baptiste-Etienne Cordelier, Anne
CoRis'EissE, Jean-Baptiste Charrox, Jean Guv dit Dumaine^
Louis-François-Sauveur Chapelle.
13 (2 mai).
Pierre Diacon, Denis Corbillet, et le curé Laurent Petra.
Voy. p. 369.
— Acquittés : François-Joseph Petit et Elisabeth Leleu,
484 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉYOLUTIONNAIRE.
14 (3 mai).
Tassin de Létang, Bérard et autres officiers, sous-officiers
ou soldats des bataillons des Filles-Saint-Tbomas et des
Petits-Pères. Voy. p. 371.
Denis REPOux-CnEVAGMT (74 ans)^ auditeur de la Chambre
des comptes de Dole, et depuis la révolution officier muni-
cipal à Lancry (Nièvre).
On lui demande, dans son interrogatoire, s'il est vrai qu'il
ait dit « qu'il se faisoit honneur d'être aristocrate)», et, lors
de l'invasion de la Champagne, a que l'on tenoit la canaille
de Paris; — que s'il étoit plus jeune, il se joindroit aux
émigrés; » — s'il a chanté le « Ça ira, les démocrates à la
lanterne*. »
Il nie tout et il est condamné.
— Plus heureux, Louis-Germain Blandi.h (17 ans), et J.-B.-
Nicolas Epert (28 ans), accusés de sévices dans la cérémonie
de la prise de Toulon, furent acquiltés^
Georges-Louis Moucbelet, architecte, avait été renvoyé de-
vant le tribunal pour un portefeuille marqué de fleurs de lis
avec ce titre : Mouchelet, architecte du roi, les mots du roi
étant recouverts d'une bande de cuir noir. Mais il prouva qu'il
avait toujours servi la République avec zèle, et il fut mis en
liberté par arrêt de non-lieu'.
13 (4 mai).
Choiseul-Labaume, etc. Voy. p. 376.
Durand, Lacroix, Saiistenoy, etc. Voy. p. 580.
— Acquittés dans cette affaire :
Marie-Anne Ditressoir, femme de Jean-Baptiste Meurine,
Annc-François-Joachim Fréville et Paul Pinson : propos; et
Toussaint Bluet, étapier: infidélités. La femme Meurine n'étant
1. Archives, >V 357, dossier 751.
2. Ibid., Vf 358, dossier 752.
3. Ibid., Vi 357, dossier 749.
FLOREAL AN U. 485
pas censée jouir de sa raison dut être gardée dans une
maison de détention jusqu'à ce qu'il en fût autrement or-
donné.
16 (5 mai).
Les femmes Claude-Françoise Loissillier, Félicité-Mélanie
Enouf, Marie-Madeleine Virolle, etc. Voy. p. 382.
Dans l'autre section, une petite fournée d'anciens nobles :
Jacques-Jean Labussière (53 ans), ancien capitaine au régi-
ment d' Auvergne ; Lucie-Marie-Caroline-Joseph-Thomassine
DuvERNE (36 ans) ; Jeanne Derville, femme Lichy (62 ans) ;
Marie-Florence Valory, veuve Mazin * ; et l'on va voir pour
quels motifs.
Labussière avait signé une protestation contre les décrets
qui abolissaient la noblesse; mais il avait, deux ou trois mois
après, retiré sa signature. Seulement il était venu à Paris,
du 27 juillet au 4 septembre 1792; et l'on aurait voulu
savoir où il était le 10 août*, ou plutôt on prétendait le
savoir; car il avait entendu le rappel et n'avait pas été re-
joindre tt les amis de la liberté », disait l'accusateur public :
<c Lorsqu'un ennemi-né de la Révolution, comme Labussière,
ne peut prouver qu'à une époque où la liberté étoit menacée
il étoit avec les patriotes, on doit croire et tout autorise à
penser qu'il figuroit parmi les assassins du peuple et secon-
doit les projets du tyran. »
Marie Yalory, veuve Mazin, avait un fils qui était elle ne
savait où (donc émigré) ; elle n'avait aucune correspondance
avec lui. Mlle Duverne avait cinq frères dont elle ignorait
aussi la résidence, excepté un qui était dans l'armée du
midi. Elle était de plus en correspondance avec des détenus
ci-devant nobles et autres personnes suspectes, notamment
avec Mme Lichy.
Mme Lichy, femme d'un ancien maréchal des logis aux
chevau-légers , avait trois fils dont elle ne pouvait pas
1 . Archives, W 359, dossier 756.
3. Ibid», pièce 27 (iaterrogatoire).
486 JOUILNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
dire la résidence ; elle avait trois filles aussi, et elle avait écrit
à l'une d'elles pour lui peindre les misères et les vexations
de la prison : la table commune dont elle parlait mal, son
argent enlevé, etc.
« Prenez toujours vos précautions, ajoutait-elle, au cas où
on vous incarcérât, d'avoir quelque argent que l'on ne puisse
vous trouver. »
Et elle ajoutait :
<K Nos rois ne se prodiguent pas, ils ne viennent jamais
nous voir*. »
Elle parlait sans doute de ses geôliers ou de ses juges. La
phrase est relevée dans son interrogatoire. C'est, je suppose,
son plus grand crime, et cela suffit pour l'envoyer avec les
autres à l'échafaud.
— Ce même jour, 16 floréal, le tribunal, en chambre de
conseil, ordonna un certain nombre de mises en liberté :
Charles Martin, accaparements. (Archives, W 359, dos-
sier 755.)
Pierre-François-Xavier Ch.uuun, « patriote persécuté par des
hommes suspects » (note de Dumas sur la chemise de son
dossier). (Archives, ibid.y dossier 757);
Barthélémy Coupé, François Pothier, Pierre BERTiN,JeanMo-
THivoN, J.-B.-Chrislophe Soleil, Médard Grémy et René Michel
Révérend, accusés d'avoir fait des visites domiciliaires (752);
Pierre-Abraham Charmentier, d'avoir mis empêchement à
l'arrivée des subsistances (760) ;
Joseph Solet: propos non expressément contre -révolution-
naires (761);
Jacques-Noël Nouvellon : paroles mal entendues ; il avait dit :
au nom de la loi et non du roi (762) ;
Antoine Germain, accusé sans preuve de complicité avec Mau-
duit et Blanchelande (Archives W 960, dossier 763) ;
François Morie : propos sans caractère contre-révolutionnaire
(f6id.,764).
1. Archives, >Y 559, dossier 756, pièce 28.
17 (6 mai).
Henri-Jacques Poulet et dix administrateurs de la Moselle ;
Le JoLLivET, le marquis de jAi'couRTct onze autres détenus de
Dijon. Voy. p. 392.
18 (7 mai).
François Louis-René Cheundier ; Vincent Ferrier, chirur-
gien; Jos. Sllpice, domestique; J.4I. Gl'i>trai;d, Jos. Fm et
Fr. Pascal, simples ouvriers. Voy. p. 593.
— Dans cette affaire, Antoine Genct, acquitté.
Jean-François ItAHEAU, Jean-Louis Rameau, elc. Voy. p. 394.
— Furent acquittés dans ce procès : Jean-Francoîs Ma-
«NIER et Françoise -Perpétue Fowet, ïcuve Glillaumot.
Acquitlcs aussi: N. Lolault. curé, et J.-Fr. Mag»is, maître
d'école. Voj. p. 596.
Au 18 floréal se rattache un dernier jugement. François
Petit-jea>, commissaire ordonnateur à l'armée du Nord, était
accusé de complicité avec Dumouricz et de malversations. I|
s'agissait d'une livraison de fusils, et il prétendait que,
comme commissaire ordonnateur, ce n'était pas à lui de les
vérifier. Nulle pi'euve de la complicité avec Dumuuriez; et
une chose qui aurait dû lui faire trouver grâce, c'est ce qu'il
avançait de ses relations avecCusIine : il avait été, disail-il, si
maltraité par ce général qu'il avait prié les représentants du
peuple près l'armée du Nord de le dispenser d'aller chez lui.
Il fut condamné. (Archives, W 560, dossier 769, pièce 45.)
Il y a des pièces nombreuses au dossier.
19 (8 mai).
Delaage, Lavoisieh et les fermiers généraux. Voy. p. 398.
Dans l'autre salle, Louis-Henri Brun et François Lapierre
étaient accusés de propos de nature à ébranler la fidélité des
soldats.
La réponse du jury fut négative à l'unanimité. (W 360,
dossier 771.)
488 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE,
Ce même jour, un grand nombre d'ordonnances de non-
lieu, qui prouvent avec quelle légèreté on renvoyait devant
le tribunal :
Lazare Bouffechoux {\V 362, dossier 773) ;
Madeleine Gallet, femme Boudot (774);
Charles Forest (775);
Catherine Chevalier, femme Sipart (776);
François Mommessix (777);
Françoise Beaudelot, veuve M.vn>'etrois (778);
Jean Nivelle (779);
Thomas Pelletier (780) ;
François Suiet (781);
Jean-François Noël et Pierre Gosset (782);
Pierre Duval (783) ;
Julienne Bourdoi?î, femme Richard (784);
Jean Dcboucuet et Anne-Madeleine Ledrun, femme Moreau
(785).
Pierre-Joseph Blien (778 bis), ajourné à six mois et détenu.
21 (10 mai).
Madame Elisabeth et ses vingt-quatre coaccusés. Voy. p.
407.
— Le même jour Charles-Emmanuel Harolard, Jacques
Frelon, et Antoine Préaux, accusés de propos tenus au cabaret
quand ils étaient échauffés par le vin, furent acquittés en
raison de leur civisme; mais Préaux qui était en prison pour
une aulre cause y fut renvoyé (Archives, W 363, doss. 786.)
Le Bulletin du tribunal l'évolutionnaire (n® 86) leur associe
dans la poursuite et dans l'acquittement J.-B. Hyer qui ne
figure ni au dossier ni au registre du tribunal.
22 (11 mai),
Geneviève-Barbe Goyon, les deux religieuses Angélique Des-
MARAis et Anne-Catherine Aubert : Antoine Desmougeaux et Louis
Lecointre, prêtres. Voy. p. 426.
TW&îkL KS U. 18»
Acquitté : Louis Auger, prêtre (ibid.).
Le même jour Jos. Saiht-Germai» de Vilplat (66 ans),
ancien fermier général, et Marie-Marguerito Péricaro (72
ans), es-noble, veuve d'Auguste Lahglois de Rezt, ancien
conseiller au parlement (Archives, W 363, dossier 78S) :
le premier frappé d'avance par la condamnation de ses
collègues; la seconde, accusée de correspondance contre-révo-
lutionnaire {ibid., pièces 25 et 29, inteirog.). Elle avait
reçu une lettre d'une femme dont les parents avaient été
immoles par le tribunal {ibid., pièce 5).
Celait assez pour accompagner l'ancien fermier général à
l'échafaud.
— Mis en liberté par arrêt de non-lieu :
Charles Foutrier, Plakçoh dit Fickoi, J.-B. BECHEREAt et
François Gourdet, de Saint-Amand (Nièvre), accusés d'avoir
pris part à un rassemblement jugé inoffensif (Archives,
W 563, dossier 790).
25(12mni).
Joseph-Didier VouLEHAULT et J.-B.-Benjamin Lambert. Voycx
p. 430.
Hugues Lastic, Fodgeret, Thosiassin, etc. Voyez p. 435.
— Acquittés : Augustin IIuuard, Nicolas Schemel et Made-
leine WlTH.
— Le même jour, Gabriel Bouchard, accusé de faux témoi-
gnage dans l'affaire Masson, était mis en hberté (Archives,
W 363, dossier 791).
24 (13 mat).
Jacques-Amable-Gilbert Rollet d' A vaux et Adrienne-Fran-
{oise de Villaincs d'Atadx, sa femme; André Louher, J.-B.
Ubeleski et La^loup. Voy. p. 436.
Dans l'autre audience (salle de l'Ëgalîté), l'accusation réu-
nissait deuï postillons, François Farde et Félix Peiom, pour
outrage à la représentation nationale et aux corps administra-
490 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
tifs, qu'ils avaient traités de gueux, de coquins, de scélérats,
d'hypocrites; et deux autres, un maréchal de logis Gilles
Jouet, et un bénédictin Etienne Mauger, professeur de phy-
sique expérimentale à la ci-devant université de Caen, depuis
la Révolution curé constitutionnel d'une paroisse de campa-
gne: accusés d'avoir pris part, l'un comme soldat, l'autre
comme commissaire, au mouvement fédéraliste de Caen*.
L'ancien bénédictin reconnaissait qu'il avait été membre
de la députation nommée par le département du Calvados
pour aller trouver la Convention ' ; le soldat, qu'il avait mar-
ché à la tête d'un détachement de la Manche* contre la garde
nationale de Paris. Il croyait s'excuser en disant que c'était
par ordre de Puisaye et qu'il croyait marcher contre les bri-
{▼ands^. Quant aux deux autres, une dispute s'était élevée
entre eux et deux voyageurs sur le prix des chevaux ; un repré-
sentant du peuple, qui se trouvait dans la voilure, était inter-
venu. L'un des deux postillons, Peton, l'injuria, le menaça;
l'autre, Farde, le laissa faire. L'Assemblée nationale avait
été outragée; il est vrai qu'elle n'avait pas été reconnue et
Peton était ivre*. Les deux postillons furent acquittés; les
deux fédéralistes condamnés*.
— Un certain nombre d'arrêts de non-lieu furent rendus le
même jour :
Dossier 794, Molssieh, juge de paix, accusé par erreur;
797, Jean-Louis Lenoir, sa femme Marie-Claude Gauthier et
Anne Lekoik, leur fille (troubles dans la commune de Chelles) ;
799 , Louis-François-Boniface Dupuis ;
798, Charles-Emmanuel Lefout , emprisonné depuis mai
1791 pour avoir frappé un officier suisse : il était accusé
d'avoir dit dans sa prison qu'il avait été arrêté pendant qu'il
y avait un roi jusqu'à ce qu'il y en ait un autre. Il nie le
1. Archives, W 304, dossier 703, BuUclin, n» 80.
"2. Archives, ibid., pièce 12.
3. Ibid,^ pièces 17 et 22.
4. Ibid.f pièce 20.
5. Ibid.^ pièce 3i.
FLORÉAL AN IL 49i
propos et raconte comme il a frappé I*officier suisse, le traitant
d'écrevisse rouge: — il avait devancé le 10 août;
800, Pierre-François Coquet, renvoyé à Bicétre, où il était
détenu ;
802, Pierre-Noël Vhèsot, item;
801, Jacques Gaujean, item;
805, Pierre Touzey, Pierre Bhisset et Thomas Guillot (du
Calvados), les deux premiers compromis comme témoins dans
l'affaire Penon ;
804, Louis Perrin, bûcheron, accusé de propos contre-
révolutionnaires.
805, Alexandre Mes.nard, propos;
806, Pierre Quemln et sa femme Marie-Jeanne Aly;
807, Jean Durand, renvoyé à Bicétre comme vagabond
dangereux.
25 (14 mai).
Prévost d'AuuNCOURT, Louis Mercier, Claude Douet, fermiers
généraux, Mme Douet, etc. Voyez p. 440.
Le même jour, dans l'autre salle : Pierre-Agricol Sagny,
hussard. Voy. p. 444.
François-Dominique Mory D'Elwange, et son fils, Léopold-
Rémy-François, âgé de 18 ans, accusés d'avoir dit que la
représentation nationale était à moitié composée de coquins^ ;
cl Ton avait trouvé chez eux deux cocardes blanches qui sont
au dossier*.
Benoît Palnteau à\i Bournet (24 ans), capitaine au 13* ré-
giment d*infanterie, accusé de vol d'étapes, de suppositions
de qualités, feuilles de route militaires fausses, embauchage'.
— Pierre-Vincent-François Destor, Pierre-Gabriel Delaage,
Guillaume Hubert, accusés d*avoir bu, dans un repas en
1792, « à la santé de la nation, la loi, le roi. » La question
était de savoir si c'était en juin ou en septembre. Une décla-
1. Archives. Vi 369, dossier 808. Bulletin, n" 90 et 91.
2. Archive?, ibid., pièces 10 et 11, et leur inlerrog., piccc i.
3. Ibid., pièce 28, cl son inlcrrog., pièce 42.
492 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
ration portait que c'était en août et fin d'août (Archives, W
569, dossier 808, pièces 15, 16 et 19); ils furent néanmoins
acquittés (ibid,^ pièce 53).
Ordonnances de non-lieu pour François Lefort, J.-B. Lou-
VET, François Pitoy et Pierre Rousseau (i6id., dossiers 810,
811, 812 et 814).
26 (15 mai).
Salie de la liberté : une fournée de huit, lesunsdeBttche,
les autres d'Arles ou de Nîmes (Bulletin, n"* 91 et 92).
Les premiers, accusés d'avoir fait et signé une adresse ten-
dante à détruire les sociétés populaires et à anéantir la
liberté. C'était un arrêté du 2 août 1792, portant adhésion à
l'adresse des administrateurs de la Moselle contre la violation
des Tuileries le 20 juin. Pierre Henry, greffier du tribunal,
s'excuse sur ses bonnes intentions; Dominique Knopffler,
déplore son erreur; Alexandre Fennar, procureur syndic de
la commune, n'avoue que le réquisitoire placé en tète de
l'arrêté; Matthieu Blass ne l'a pas signé et le répudie comme
contraire à ses principes (Archives, W 366, dossier 814
(815), pièce 68).
Etienne Meynier, ancien constituant, président du départe-
ment du Gard et ancien maire de Nimes, avait été mêlé
au mouvement fédéraliste qui fut si vif dans cette contrée ;
AntoninJoseph Chiavari et Antoine-Jean-Baptiste Fassix
étaient désignés comme les chefs de la ChifTone d'Arles,
parti opposé aux Montagnards, et notamment accusés d'avoir
pris part à l'arrestation d'Antonelle alors maire d'Arles et
depuis juré au tribunal révolutionnaire. Chiavari affirmait
qu'il n'y avait été pour rien ; Fassin ne se rappelait même
pas qu'Antonelle eût été arrêté. Il niait qu'il eût jamais formé
aucun projet contre les patriotes. Chiavari était à Paris
depuis le 8 avril 1792. Il avait été noble; mais il soutenait
qu'il avait toujours aimé la liberté,
Ces sept furent condamnés.
— Le huitième, Jacques Briga:«d, notaire, accusé d'avoir
FLORÉAL AN K. 495
public en 1700 un ccrit contre-révolutionnaire {Réflexion»
êur les décrets), Tut acquitté, grâce au peu d'intérêt qu'on
portait alors à cc^ choses et au regret qu'il en exprimait.
Un neuvième, Pierre-Jacques Perris, fut retiré des débats
pendant l'audience, les piècesn'clant pas arrivées. Voy. p. 444.
Le même jour (salle de l'Égalité), François Bertraidd était
condamné pour avoir fourni aux troupes des boissons frela-
tées; Romain Bwerel, agent national, qui avait suspendu son
arrestation, ayant é!c autrefois son associé, fut estinîe son
complice, mais la peine ne frappa que Bertrand {VV 306,
dossier 814, Bulletin, w 92).
— Dansune audience distincte, Jacques-Louis DiTOKT, Marie-
Barbe Pardoknier, femme Victor Quioel, Catherine Joncleir
dite Foi'Los, et Rose Vielxrled, veuve Nasse, suspects d'inteU
ligences avec les détenus, furent aussi acquittés (Archives
ïbid., pièces 31 et 26).
27 (10 mat).
Freiteau (premier procès, où il fut acquitté), Rousselet,
etc. Voy. p. 445.
J.-B, BrRET,les deux frères Too-os, etc. Vny. p. 451.
28 (17 mai).
Salle de la Liberté. Claude Rougane, voy. p. 452.
Avec lui cinq autres de diverses provenances :
François Périllat (vingt-deux ans), journalier, sorti de
France avec d'autres en mars 1793, n'ayant pas d'ouvrage.
Les autres s'engagèrent dans un bataillon de Genève. Pourlui,
il refusa, mais il fut contraint de se mettre, comme domesti-
que, au service d'un capitaine. Il s'évada au bout de deux
mois, fut arrêté comme déserteur par les Sardes et mis aux
fers au Petit-Saint-Bcrnard. 11 s'en dégagea et revint en
France, et les administrateurs du district d'Annecy l'en-
voyaient au tribunal révolutionnaire (Archives, W 360, dos-
sier 81S, pièce 3).
494 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
Jacques-François-Sixte Isnard (29 ans), qui avait pris part
au mouTement des Marseillais :
(( J'ai marche, dit-il, comme tous les citoyens de ma com-
mune : nous ne savions pas que c*étoit contre Tarmée de la
République. »
Et il s'était retiré après trois heures de route. (Archives, W
366, dossier 818, pièces 5 et 7.)
Louis MiLLAXGEs, quarticr-maîtrc trésorier du 1" régiment
des hussards de la Liberté, accusé d'avoir passé des marchés
en son nom et reçu le sou pour livre; il avait été acquitté
pour ce fait le 19 février 1793 par le tribunal de Saint-Ger-
main-en-Laye (ibid.y pièce 18).
Avec ces trois premiers, deux nobles d'origine :
Raimond-Gabriel du Saunier (72 ans), accusé d'avoir
offert de parier qu'avant peu il y aurait une contre-révolu-
tion; et il avait écrit, le 10 janvier 1793, une lettre portant
cette adresse ; « A Monsieur le comte de Bourbon Busset^
lieutenant-général des aimées du Roy y dans son château de
Busset.
D. « Pourquoi ce titre quand il n'y avoit plus de roi î
R. « Par erreur et par habitude. » (/6id., pièce 32.)
Guillaume-Jérôme Rome (46 ans), ancien capitaine au régi-
ment de Beauvoisis, retiré de l'armée dc)>uis 1793. A partir
de cette époque il faisait son service dans la garde natio-
nale : il était resté chez lui le 10 août. Les administrateurs
de police de Paris supposaient qu'il était allé au château, et
le rangeaient parmi les « chevaliers du poignard ».
Dans l'autre section, avec Timothée Delicny (voy.p. 451),
Antoine Labatut, cordonnier et François Ledet, son asso-
cié, à Franciade (Saint-Denis)*. Il s'est trouvé des rebuts dans
leurs souliers; mais, disent-ils, ils en fournissent une si
grande quantité que cela n'a rien d'étonnant ^.
François Leroy, tondeur de draps à Orléans, et Bertrand
1. Archives, W 3C7, dossier 819, Bulletin, n»» 95 et 96.
2. Archives, ibid, , pièces 23, 24 et 05.
FLORÉAL IN n. 495
Dera, tailleur d*habits, notables de la commune, pour infi-
délités aussi dans leurs fournitures.
Tous les accusés des deux séries furent condamnés.
29 (18 mai).
Salle de la Liberté : huit accusés, sept condamnés (Ar-
chives, W 367, dossier 821, Bulletin, n" 96) :
H. DiPPRE, Tennerai du divorce. Voy. p. 456.
Philibert-Pierre-Catherine Bourrée - Cohberon et Claude-
François Colliez, son régisseur, accusés de correspondance
avec les émigrés.
Bourrée-Corberon courait le risque d'être accusé d'émigra-
tion lui-même. Il protestait qu'il n'avait pas émigré et qu'il
en avait détourné les autres. Il était allé à Dusseldorf, en octo-
bre 1 791 ,pour engager son frère, émigré, à revenir. Son voyage
avait duré six semaines à peine, il avait profité de l'occasion
pour voir plusieurs villes d'Allemagne, Francfort, Mayence
et autres. C'est de Dusseldorf qu'il avait écrit à Colliez, et
c'est à Mayence que Colliez lui avait répondu •.
Pierre-André Teissère avait été l'agent d'un émigré. Il
avait cessé toute correspondance avec lui depuis le 27 mars
1792, et ne lui avait pas envoyé d'argent. Il avait seulement
adressé, par commission, du vin à une personne de Francfort,
de qui il avait reçu 1200 liv. en assignat^; et cette personne
lui écrivait : « Que ceux qui ont des dettes à présent sont
heureux I ils peuvent les acquitter à bon marché. » De ces
assignats, deux de 200 livres étaient faux, et on s'en prenait
à celui qui les avait reçus'.
J.-B.-Félix Blanquet était envoyé de Dieppe comme coupa-
ble aussi de correspondance au dehors. Il était armateur.
Dans son interrogatoire à Dieppe, il avait avoué qu'il avait
1. ArcliÎTCS, >V 567, dossier 819, pièces 09 el 93.
2. Ibid.f dossier 821, pièce 14.
5. Ibid.f pièce 9i.
496 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉYOLUTIONNAffiE.
fait passer en deux fois 1240 iiv. en Angleterre ^ Il chercha à
revenir, devant le juge du tribunal révolutionnaire, sur cet
aveu, alléguant son trouble ; il convenait seulement qu'il
avait éciit à son frère, déporté comme ci-devant curé. Il n'a-
vait reçu d'Angleterre que des lettres relatives à un de ses
vaisseaux, pris par les Anglais, lettres où il n'était pas ques-
tion de la Révolution* ; mais, indépendamment de ses aveux
on avait une lettre de lui où il disait :
a Enfin je commence à Tespérer, mes fils en seront quittes
pour entendre la harangue virulente des représentants du
peuple qui, pour parvenir à compléter le recrutement, ne
prêchent que sang et carnage, et vous immolent de gaieté de
cœur père, mère et enfants, pour le prétendu bonheur du
peuple et le soutien de ses droits'. »
Denis-Joseph Clerc, fileur de laine, s'était vanté d'être en
correspondance avec les émigrés. Il se vantait, car il ne
savait ni lire ni écrire^; mais il parlait beaucoup. 11 se disait
aristocrate. L'accusateur public le représente sous les traits les
plus noirs : a Souillé de tous les crimes qui tout à la fois font
rougir la probité et portent atteinte à la liberté. » Il le donne
comme coalisé avec les fanatiques de sa commune : a Convaincu
de fabrication de faux assignats, de s'être introduit chez quel-
ques habitants des campagnes, de s'y être rendu maître par
force et de les avoir voulu empoisonner dans de la soupe, »
Rien de pareil n'avait été allégué dans Tinterrogatoire qu'il
avait eu à subir.
Louis Pacot (33 ans), vicaire de paroisse, envoyé par le
comité de surveillance de Givet au tribunal, était originaire
du pays de Liège. Il était venu en France en 1780 pour se
faire dominicain. Il avait quitté l'habit religieux après la
suppression de son couvent en 1790; il le portait cependant
de temps à autre a pour l'user. » Il n'avait pas prêté le ser-
1. Archives, \Y 307, dossier 821, pièce 25.
2. Ibid., pièce 56, cf. pièces 28 et 27, lellres des 5 et 2 mars 1793.
3. Ibid., pièce 33 et Bulletin, n» 96, p. 383.
4. Archives, /. /., pièce 79.
FLORÉAL AN H. 191
ineiil ni reçu de pouvoii-s de l'évèque constitutionnel de
Sedan ; il tenait se^ pouvoirs de l'évèque de Liège. — Pour-
quoi pas de l'évèque de Sedan'.' — Il ignorait la loi et ne
savait pas que l'évèque de Liège fût ennemi de la France'.
On avait trouvé cliez lui trois lettres que lui avait adressées
son ancien supérieur, le P. Pribozta, et deux sermons qu'il
reconnut comme de son écriture. Dans l'un on incriminait cette
phrase : « Que les intérêts de Dieu.... sont d'un ordre si re-
levé qu'ils ne peuvent jamais être balances par aucun autre
intérêt. » Et encore ; n Non, le Seigneur ne laissera pas tou-
jours les verges des méchants étendues sur l'héritage des
justes. »
Le juge lui fait remarquer « que ces différents passages
soûl contraires à maintenir la paix publique, a
R. « Que ne connaissant que l'ancien régime, it ne pou-
voit se conformer au nouveau qui lui étoit inconnu', o
— Jeim -François Seclet, meunier, fut acquitte.
Salle de l'Ëgalité : huit accusés pour divers propos ou
actes contre-révolutionnatres ;
Ixiuis-Claude Cf:sERON. Voy. p. 457.
André Sabalêrt, « fanatique et contre-révolutionnaire' »,
accusé par le comité de surveilbnce de Vairéas, district
d'Orange, d'avoir enlevé des lois afllchces :
It. Qu'il a arraché une affiche incomplèleeta fait assem-
bler le' conseil pour décider s'il n'était pas plus convenable
de publier cette loi en écharpe et avec solennité, ainsi que de
l'afficlier tout entière.
D. S'il ne s'est pas opposé à ce que les piédestaux des
croix abolies servissent à construire une tribune, au pied de
l'arbre de la liberté?
It. Qu'il a dit son opinion à la société populaire, laquelle
opinion consistait à faire enlever les pierres ayant servi de
cniix, attendu que le fanatisme qui existe dans cette com-
I. A^l^lljves, ibiiL. [»i-ce» 15<17.
'1. Ibiil-, piùce Ï3.
5. Arehire». W 307. .lotsier KÏO. lla'IHh,. r." l»6 «l 97.
498 JOURNAL DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.
mune était attisé par la prétendue profanation de ces signes
du culte.
D. S'il a un défenseur*?
Antoine Mathii^u (50 ans), emballeur au magasin de la
caserne (à Franciade ou Saint-Denis), accusé par le district
de Franciade de propos contre-révolutionnaires :
D, S'il n'a pas dit que, s'il étoit requis pour aller aux fron-
tières, il passeroit de l'autre côté; que Lyon ne seroit pas
bombardé, mais bien ceux qui l'assiégeoient; que le patriote
étoit elui qui égorgeoit au Champ de Mars et a Nancy? »
Il nie tout.
Jean Porta (24 ans), natif de Brescia, résidant en France
depuis le 18 juin 1793, déserteur de l'armée autrichienne;
accusé de propos grossiers contre les Français : il était ivre*.
— Avec ces quatre, Louis Quenet, maréchal des logis nu
lO"" régiment des chasseurs, sortant de l'hôpital de Senlis et
allant rejoindre son corps en Vendée. Le district de Fran-
ciade l'avait fait arrêter comme ayant dit que la Convention
nationale était composée de tous gueux ainsi que les trois
quarts des municipalités. Propos pas trop militaire qu'il nie
énergiquement'.
Barthélémy Pomel, brocanteur, qui aurait dit : « Coupe/ la
tète aux commissaires, et vous aurez ce dont vous avez
besoin. » Il ne se le rappelle pas; il avait bu\
Et deux autres, Joseph Serre et Gilbert-Bardet Frome^teau,
pour d'autres propos tenus, disait-on, au cap Français (Saint-
Domingue).
Les quatre derniers furent acquittés, les quatre premiers
condamnés'.
1. Arcliiycs, W 367, doMÎcr 820, pièce 8.
2. Ibid., pièce 68.
5. Ibid,t pièce 59.
4. Ibid,, pièce 69.
5. Ibid., pièces 74 et 75.
AIM'ENDICES
L««(r« «e Phllipprani.
l'hilipiieimx, reprittntanl du peuple, à t.ft colligue*
et à Kl eoncitoyent.
ti nivôse, l'an II de la République française,
une, indivisible et impërisEable.
DaiH une noie préliminaire, l'auteur rappelle sa lettre du
16 rrimairc au Comité de salut public, où îl résumait les
faits consignés dans ses quatre rapports sur la Vendée, cl il
explique pourquoi il revient sur le même sujet.
«Je Irémissaisde voir que, depuis mon retour, une nouvelle
boucherie de 40 000 patriotes, et la dévastation de quatre
nouveaux départements eussent été la suite d'une opiniâtreté
cruelle, d'un système atroce. Je voulus ouvrir les yeux à la
Convention nationale sur les désastres trop prolongés dont
on lui déguisait l'affreux talileau, et tel lui l'objet de ma
lettre du 16. J'y révélai tout snns ménagement et sans flat-
terie;., mais je voulus que la Convention seule fût initiée à
CCS horribles mystères, parcequ'elle seule, à mon sens, de-
vait avoir la main haute sur son Comité de salut public...
k'w9\ donc pour ne pas fournir des armes à la malveillance,
je ne fis tirer ma lettre que à 1000 exemplaires, » — et la
planche fut rompue.
(-; Le Comité de salut public ne m'a tenu aucun compte
tie ma délicatesse. Dans sou rapport du 25 frimaire, il m'a ou-
500 APPENDICES.
tragé d'une manière peu républicaine... Mais, je serai plus
juste que lui... Je Taccuse seulement de faiblesse et d^une
crédulité trop aveugle envers une ligue de fripons et de jon-
gleurs hypocrites, qui ont mis la République à deux doigts
de sa perte... Mais comme j'aperçois qu'on cherche à égarer
le peuple, à ourdir des trames perfides pour assurer aux cou-
pables la plus révoltante impunité, je dois fouler aux pieds le
manteau de la circonspection, pour dévoiler au public les
pièces de ce grand procès qui intéresse la France entière. Le
peuple est un juge impartial... Je détache de ma lettre pour
son instruction les faits principaux ; la masse des crimes que
j'ai dénoncés à la Convention est si énorme, qu'il faudrait un
volume pour les détailler tous. »
Suit répitre elle-même, dont je citerai quelques passages :
a Les amis de la République attendent avec inquiétude
quelle sera l'issue de cette lutte odieuse qui s'élève entre le
crime et la vertu. Aussi opiniâtre dans ses eiforis, que perfide
dans ses moyens, la ligue des tyrans se revêt de tous les cos-
tumes pour arriver à son but atroce. Naguères elle dirigeait
les mouvements d'une faction conspiratrice, qui voulait nous
abimer dans les déchirements du fédéralisme. Aujourd'hui
que cette faction est foudroyée, elle nous en suscite une nou-
velle qui, sous un autre masque, vise à des résultats non
moins détestables. Plusieurs de ses agents sont dans les bu-
reaux de la guerre, au parquet de la commune, dans l'élat-
niajor de l'armée révolutionnaire. Je vais mettre le lecteur
à même de les juger, par une simple exposition des faits dont
je défie le plus effronté d'entre eux, d'oser combattre la
moindre circonstance.
« La guerre de Vendée, si longtemps un labyrinthe de mys-
tères et de prestiges, tour à tour un sujet d'espérances et
de terreur, a moissonné plus de 100000 patriotes; elle a
ravi au peuple plus de subsistances, au trésor national pli. s
de millions, à uos arsenaux plus d'artillerie que les autres
guerres toutes ensemble. »
Il accuse les premiers généraux, Rerruyer, Marcé, Ligon-
I. PHILIPPEAUX A SES COLLÈGUES ET A SES CONCfTOYENS. 50!
nier, Quétineau. Mais il tombe surtout sur ceux qui leur ont
succédé :
« Ronsin, qui sous Dumouriez avait rempli ses poches d'or
à Liège, et affiché dans la Belgique un luxe scandaleux
comme commissaire ordonnateur, vint, sur ces entrefaites,
exercer sa funeste influence dans les régions de l'Ouest. Le
ministre lui avait confié, avec des sommes considérables et
des lettres de cachet en blanc, une sorte de dictature sur la
guerre de la Vendée qu'il dirigeait sous le titre de général
ministre, Qu'a-t-il fait avec Rossignol et la phalange d'états-
majors, d'histrions et de catins qu'ils s'adjoignirent? Au
lieu d'exercer nos soldats à la tactique et à la discipline
militaire, ils leur offrirent tous les exemples de dissolution
et de brigandage, pour en faire une cohue d'hommes effrénés,
non moins redoutables à l'habitant paisible, que les rebelles
eux mêmes. Aussi les résultats furent dignes de cette mé-
thode funeste. Les déroutes éternelles de Saumur, Yihiers,
Coron, Doué, etc., en furent les suites naturelles; 40 ou
50000 patriotes fuyaient périodiquement devant une poi-
gnée de rebelles, abandonnant fusils, munitions, canons,
bagages : nous n'avions d'armée dans ce pays que pour attes-
ter notre opprobre. Il est de fait que les généraux de Saumur,
dans leurs prouesses successives , ont fourni aux rebelles
plus de 200 canons. »
Tunck, qui répare ces désastres, est destitué parRonsin,
rétabli par Bourdon et Goupilleau avec Tapprobation do la
Convention. « Mais une puissance rivale de la Convention,
l'oblige par une lettre de cachet du 3 septembre à quitter
l'armée, et le 5, les brigands, qui, sans doute, avaient le mot
d'ordre, furent victorieux.
Ray, général divisionnaire, est arrêté de même dans ses
succès par Rossignol. « Cet homme va trop grand train :
« il faut s'en défaire. » On le destitue le 8 octobre, et il est
jeté à la Conciergerie, où il attend ce qu'il plaira à ses enne-
mis.
« Ainsi donc, sur le très nombreux ^tat-major des côtes delà
502 APPENDICES.
Rochelle, deux géiicraux seuls ont fait leur devoir et Taincu les
brigands ; ces deux généraux sont destitués et proscrits. Tous
les autres sont des scélérats, ou des rrî|>ons, ou de parfaits
înibcciles qui sans cesse ont déchiré la République ; ils sont
au fuite des honneurs. Louis Capet, ou Pitt ou Cobourg tien-
draient-ils une conduite plus signiGcative? »
Apres deux mois de séjour sur le théâtre de la guerre,
Philippcaux était revenu à Paris et avait soumis au Comilé
de salut public un plan de campagne qui à sou avis devait
infailliblement roussir :
a II s'agissait de faii-e descendre à Nantes Tarniée de
Maycnce, d'interdire aux brigands toute communication avec
la mer et la ci-devant Bretagne» et de les écraser d*un seul
coup par une attaque brusque et simultanée de toutes les
colonnes, qui n'avaient agi jusqu'alors qu'en sens contraire.
L'évidence de ce projet fixa l'assentiment unanime du comité;
il l'approuva par un arrêté formel, et je ropartis le 25 août
pour son exécution. Arrivé à Tours le 27, je trouvai les
états-majors de Saumur en insurrection contre cette mesure ;
elle était décisive, ils en frémissaient. Comment s>e résoudre
à perdre 40, 50 et 100 000 livres de traitement, avec le tour
du bâton? On nie lani;ait des regards étincelants. J*étais un
conlre-révolulioniiaire ; vite on dépcelie un courrier extraor-
dinaire au comité de salut public, pour faire rétracter cet
arrêt si terrible. Déjà lionsin et Rossignol sont à Paris, les
intrigues se multiplient, j'écris de mon côté une lettre ful-
minante contre ces manœuvres. Le comité tint ferme ; il ne
donna que son adhésion a la tenue d'un conseil de guerre ; on le
convoqua à Saumur. Ronsin et Rossignol y arrivent triom-
phants, h
C'est le plan de Philippoaux pourtant qui l'eniporta; mais
il s'agissait de l'appliquer, et quand Philippcaux se mit en
action, quand des succès connnenvaient à justifier ses vues.
Rossignol donne contre-ordre et l'arrête. 11 ne tint pas à
Ronsin que les braves soldats de Mayence. victorieux la
veille, ne fussent écrasés.
I. PHUIPPEAUX A SES COLLÈGUES ET A SES CONCITOYENS. 503
« Tout entre dans un système contre-révolutionnaire :
5 000 hommes au milieu de tous les obstacles écrasent
25 000 brigands : ces héros sont traités de royalistes, frappés
d*anathème, et privés de leurs chefs (Canclaux et Dubayet);
90000 patriotes sous Ronsin et Rossignol sont accablés par
3000 brigands. Ces deux bourreaux, pour récompense, sont
nommés, Tun général de Tannée révolutionnaire, et l'autre
général de Tarméedes côtes de Brest. »
Pour combler la mesure, Léchelle était nommé général de
l'armée de l'Ouest, en remplacement de Rossignol. Il n'y
avait plus rien à faire. Philippeaux, voyant ses protestations
inutiles, sollicita et obtint son rappel.
De retour à Paris, il se trouva en face de ceux dont il avait
dénoncé les amis : Vincent, Hébert qui jurèrent sa perte, qui
le lui dirent. Les circonstances pourtant semblaient lui
donner raison. Léchelle et Rossignol continuaient leurs
exploits. Si les Vendéens, au retour de leur hardie campa-
gne de Granville, furent écrasés au Mans, ce ne fut point
par eux^
Ronsin, Vincent, faillirent une première fois succomber
eux-mêmes, quand on les arrêta le 27 frimaire; mais ils
avaient trop de gens liés à leur fortune pour qu'on les
laissât en prison ; Levasseur se fît aux Jacobins leur dé-
fenseur contre Philippeaux (3 nivôse), et quand Philippeaux
voulut répliquer, les clameui^s, les trépignements couvrirent
sa voix.
C'est contre cette audacieuse faction qu*il proteste dans
sa lettre :
<x Une puissance, dit-il en unissant, qui a pu causer tous
ces désastres , qui dispose d'un millier de places et de
300 millions par mois, a des phalanges d'avocats et de ca-
lomniateurs à ses ordres. Si elle a élevé ses prétentions j us-
qu'à rivaliser avec le Sénat, si même elle a tenté de l'avilir
i. Rossignol, attaqué par Philippeaux, ne se faisait pas du reste illusion sur
son mérite : «c Je ne suis pas f... pour commander une armép, s disait-il
après des échecs qui étaient vraiment tout mérite à cet aveui
504 APPENDICES.
et de le dissoudre, que ne fera-t-elle point contre un simple
membre de la représentation nationale? Je ne me dissimule
point le péril que j*ai couru en attaquant un tel colosse de
moyens, lorsque Topinion publique semblait être opprimée
par les conspirateurs que je poursuis; mais quoiqu'ils fas-
sent, je serai plus fort qu'eux avec ma conscience, mon cou-
rage et la vérité. Jacobins, écoutez-la, celte vérité sacrée ;
levez-vous à la hauteur des circonstances; prouvez à l'Uni-
vers que vous êtes des amis de la justice, protecteurs de la
vertu, et vengeurs du crime. Ecrasez ces vils insectes qui
essaient de vous subjuguer pour vous faire partager leur in-
famie, et ne souffrez pas qu'on dise que les grands coupa-
bles peuvent demeurer impunis sous votre égide, comme
ils l'étaient sous l'ancien régime avec la protection de la
cour.
« Convention nationale! Maintenez cette altitude ferme et
imposante qui terrasse les conspirateurs, encourage la vertu
et ranime Tespérance du peuple ; qu'aucun de vous ne soit
accessible à cette fausse prudence qui est la vertu des lâches,
qui permet tout aux audacieux et accable les hommes de
bien. Quand nos braves défenseurs sont en présence de Ten-
nemi, calculent-ils froidement les chances périlleuses avant
de s'élancer au combat, et de remplir leurs serments? Ils se
dévouent et ils triomphent. Ne soyons pas moins magnani.
mes, et tous les vils égoïstes, les intrigants et les fripons ren-
treront dans la poussière.
« Comité de salut public ! tu viens d'avoir de beaux mo-
ments; mais redoute l'ivresse des succès; presque toujours
elle est perfide. Surveille plus que jamais, redouble de zèle
et de vigilance; pénètre avec des yeux de lynx les hommes
qui t'entourent, et crois bien que tes Qatleurs ne sont pas tes
meilleurs amis; ceux-là crieraient demain Vive le roi! si la
République pouvait s'anéantir. Sache surtout que nous som-
mes environnés de machinateurs et d'hommes pervers, plus
dangereux peut-être que l'ennemi du dehors; que tu dois
donner à l'opinion publique une direction forte et généreuse
II. LUTTE DU VIEUX CORDELIER ET DU P, DUCHESNE 505
pour écraser ces téméraires, qui ne sont puissants que de notre
faiblesse ou de notre apathie. Il est temps de faire jouer contre
eux la massue que nous t'avons déposée (remise); si lu tardes
un mois, une décade, un jour peut-être, les rênes du Gouvei -
nenient t'échappent, et le peuple dans les fers ne nous cou-
vrira plus que de malédictions et d'infamie. Que si au con-
traire tu fais respecter sa puissance, si tu le sauves, si tu
obliges tous les personnages à se prosterner devant elle, tu
acquiers une gloire impérissable et la vénération universelle.
Pnn.ippEAUx. »
11
(Page 30.)
LuMe do c Vieux C^ordelier » et du Père Dneheiine.
Nous n'extrayons du n** Y du Vieux Cordelier que ces
deux passages :
« Est-ce loi qui oses parler de ma fortune, toi que tout Paris
a vu, il y a deux ans, vendeur de contre-marques à la porte des
Variétés, dont tu as été rayé pour cause dont tu ne peux
avoir perdu le souvenir? Est-ce toi qui oses me parler de mes
4000 livres de rente, toi qui, sans-culotte et sous une mau-
vaise perruque de crin dans ta feuille hypocrite, dans ta
maison loges aussi luxurieusement qu'un homme suspect,
reçois i 20 000 livres de traitement du ministre Bouchotte,
pour soutenir les motions des Clootz, des Proly, de ton journal
officiellement contre-révolutionnaire comme je le prouverai...
« Penses-tu que j'ignore que c'est avec l'intime de Dumou-
riez, le banquier hollandais Kocke, que le grand patriote
Hébert, après avoir calomnié dans sa feuille les hommes les
plus purs de la République, allait dans sa grande joie, lui et
sa Jacqueline, boire le vin de Pitt et porter des toasts à la
ruine des réputations des fondateurs de la liberté? » etc.
C'est à ce numéro que le Père Duchesne fit sa réplique.
r,06 APPENDICES.
J; /}. Hébert à Camille Desmoulins et Cie.
a Braves Sans-culoltes !
c( Il est un grand homme que vous avez oublié; il faul que
vous soyez bien ingrats ; car il prétend que, sans lui, il n'y
aurait jamais eu de révolution. Il s'appelait autrefois le procu-
reur général do. la Lanterne ; vous rr.)yez que je vous parle de
ce fameux coupe-tcte dont la barbo si célèbre faisait fuir tous
les aristocrates; non, celui dont il s'agit se vanto au contraire
d'être le plus pacifique des humains. A Fen croire, il n'a pas
plus de fiel qu'un pigeon ; il est si sensible qu'il n'entend
jamais parler de guillotine sans frissonner jusques nnx os;
c'est un grand docteur qui, à lui seul, a plus d'esprit que tous
les patriotes ensemble, et plus de jugement que la Convention
entière ; c'est grand dommage qu'il ne puisse pas parler,
pour prouver à la Montagne et au Comité de salut public
qu'ils n'ont pas le sens commun. Mais s'il ne parle pas,
maître Camille, en revanche il écrit au grand contentement
des modérés, des feuillants, des royalistes et des aristocrates.
« Vous ne connaissez pas. Sans Culottes, un nouveau journal
de sa façon intitulé le Vieux CordelierlJe vous plains. Si vous
aviez lu cette feuille, vous sauriez que vous n'êtes que des im-
béciles, et que toutes les mesures révolutionnaires qui vous
ont sauvé n'ont au contraire d'autre but que de vous perdre.
Cet écrit salutaire vous prouverait qu'un auteur fameux
nommé Tacite, et qui vivait il y a environ 1600 ans, a dit
que vous êtes des bourreaux et des cannibales ; que plqs
vous tuez d'aristocrates, plus il en renaît; qu'au lieu de rem-
plir les prisons comme vous le faites, vous les devez ouvrir,
et demander excuse à ceux que vous appelez si impoliment
des gens suspects, des maux que vous leur avez fait souHrir.
C'est le seul moyen d'avoir la paix, dit le Vieux Cordelier^
et de vivre heureux et libres. Ainsi donc, il ne reste plus de
ressource que de nous faire tous aristocrates^ pour que tout
le monde soit d'accord.
« Ce langage m'a indigné coitime tous les bons citoyens.
111. MISE EN JUGEMENT DE DANTON, ETC. 507
« J'avais pour luoi la raison ; Camille a cherché à mettre
les rieurs de son côté, mais rira bien qui rira le dernier. »
II passe ensuite aux accusations de Camille contre lui :
« vendeur de contre-marques, voleur ; »
... « Il est vrai qu'après avoir présenté an ci-devant specta-
cle des Variétés, maintenant théâtre de la République, quel-
ques essais dramatiques, je fus employé par les entrepre-
neurs dans leur administration. Je quittai cette occupation à
la Rn de 1788. »
Et il cite une lettre de regret que lui adressa le citoyen
Guillard, entrepreneur de ce théâtre, du 15 novembre 1788.
Il répond encore à d'autres imputations, par exemple les
souscriptions du ministre de la guerre au Père Ducliesne. On
lui a pris d'abord 5000 exemplaires, puis 6000 et jusqu'à
12 000 sur les demandes des représentants du peuple dans les
armées. Il les a vendus au tiers du prix des autres abonnés, etc.
ill
(l*age n9.)
MîMe en Jugement de t^niille Deaniouliiis, llér«nll, DAnlon,
PhilippeAux et Laeroix.
Atw citoyens président et juges du tribunal révolutionnaire.
L'accusaleur public, vu l'accusation portée par la Conven-
tion nationale, par son décret du il germinal, présent mois,
contre les nommés Camille Desmoulins, Hérault, Danton,
Phelippeaux et Lacroix, députés, ledit décret portant accusa-
tion contre les susnommés, comme prévenus de complicité
avec d'Orléans et Dumouriez, avec Fabi*e d'Ëglantine, et les
ennemis de la République, d'avoir trempé dans la conspira-
tion tendante à rétablir la monarchie et détruire la représen-
tation nationale et le gouvernement républicain. Ledit décret
ordonnait en conséquence leur mise en jugement avec Fabre
d'Églantine.
508 AFI»ENDICES.
a Requiert, qu'attendu le décret d'accusation susdaté et en
exécution d'icelui, il soit ordonné par le tribunal assemblé
qu'à sa diligence, et par un huissier du tribunal porteur de
l'ordonnance à intervenir, Camille Desmoulins, Hérault,
Danton, Phclippeaux et Lacroix, députés à la Ck)nvention na-
tionale et décrétés d'accusation par le décret susdaté, seront
appréhendés, pris au corps et arrêtés partout où ils se trou-
veront, et écroués sur les registres de la maison d'arrêt du
Luxembourg, pour y rester comme en maison de justice,
comme aussi que ladite ordonnance à intervenir sera noti-
fiée tant aux accusés qu'à la municipalité de Paris.
• Fait au cabinet de Taccusateur public, ce 12 germinal de
Tan II de la République française une et indivisible.
L. Q. FOUQUIER.
a Le tribunal, faisant droit sur le réquisitoire de l'accusateur
public, luy donne acte de ses diligences. En conséquence,
ordonne qu'à la diligence du requérant, en exécution du dé-
cret de la Convention nationale du H germinal présent mois,
et par un huissier du tribunal, porteur de la présente ordon-
nance, Camille Desmoulins, Hérault, Danton, Phdippcaux et
Lacroix, députés à la Convention nationale, décrétés d'accu-
sation par le décret susdaté, seront appréhendés, pris au
corps et arrêtés partout où ils se trouveront, et écroués sur
les registres de la maison d'arrêt du Luxembourg, pour y
rester comme en maison de justice, comme aussi que la pré-
sente ordonnance sera notifiée, tant aux accusés qu'à la
municipalité de Paris.
« Fait et jugé au tribunal le 12 germinal de l'an H de la
République française une et indivisible, par les citoyens Anne-
Martial Herman, président; Antoine-Marie Maire, Etienne
Foucault, Gabriel Deliège et Claude-Emmanuel Dobsent, juges,
qui ont signé. »
Suivent les signatures \
1. \V 542, dossier 648, !'• partie, pièce 25.
IV. DERNIÈRE LETTRE DE C. DESMODLfNS A SA FEMME. 50.1
IV
(Page 142.)
Dernière lettre de €«iuille DesnioulioM à Quelle (•« remme).
Duodi, germinal, [2« décade'] (1" avril).
Le sommeil bienfaisant a suspendu mes maux. On est libre
quand on dort ; on n'a point le sentiment de sa captivité ; le
ciel a eu pitié de moi.
Il n'y a qu'un moment, je te voyais en songe, je vous em-
brassais tour à tour, toi et Horace ; mais notre petit avait
perdu un œil par une bumeur qui venait de se jeter dessus,
et la douleur de cet accident m'a réveillé.
Je me suis retrouvé dans mon cachot; il faisait un peu de
jour.
Ne pouvant plus te voir et entendre tes réponses, car toi
et ta mère vous me parliez, je me suis levé au moins pour te
parler et l'écrire. iMais, ouvrant mes fenêtres, la pensée de
ma solitude, les affreux barreaux, les verrous qui me sépa-
rent de toi, ont vaincu toute ma fermeté d'àme.
J'ai fondu en larmes, ou plutôt j'ai sangloté en criant dans
mon tombeau : Lucile! Lucile! où es-tu ?...
Hier au soir, j'ai eu un pareil moment, et mon cœur s'est
également fendu quand j'ai aperçu dans le jardin ta mère.
Un mouvement machinal m'a jeté à genoux contre les bar-
reaux; j'ai joint les mains comme implorant sa pitié, elle qui
gémit, j'en suis bien sûr, dans ton sein. J'ai vu hier sa dou-
leur à son mouchoir, et à son voile qu'elle a baissé, ne pou-
1. MaUon, cil puiiliiinl cetlc Ictlrc. oiikl <]'iiidii|uci' que c'c^l le 2 jour de la
2* décade, cVsl-à-dirc le 12 (1" avril). Il dil (p. 25) que la IcUro fut aclicvi'c à
la Couciergerio après la première audience du procès. C'est une erreur. Tout
indique qu'elle est du Luxembourg, que Camille n'a pas encore reçu son acle
d'aciusation. L'uilcrrogiloire qu'il a subi est devant le juge délégué du tribunal
révolutionnaire (Deni/ol), et non devant le Irihmial. Il ne l'ail .'uicune allusion
à une sjance du tribun li.
510 APPENWCKS.
vaut tenir à ce speclaclc. Quand vous viendrez, qu'elle s'as-
seye un peu plus près avec toi, afin que je vous voie mieux.
Il n'y a pas de danger, à ce qu'il me semble. Ma lunette
n'est pas bien bonne. Je voudrais que tu m'achetasses de ces
lunettes comme j'en avais une paire il y a six mois, non pas
d'argent, mais d'acier, qui ont deux branches et qui s'atta-
chent à la léte. Tu demanderas du n^ 15... Mais surtout, je
t'en conjure, envoie-moi ton portrait; que ton peintre ait
compassion de moi qui ne souffre que pour avoir eu trop
compassion des autres ; qu'il te donne deux séances par jour.
Dans l'horreur de ma prison, ce sera pour moi une fête, un
jour d'ivresse et de ravissement, celui oij je recevrai ton
portrait. En attendant, envoie-moi de tes cheveux, que je les
mette contre mon cœur.
Ma chère Lucile! me voilà revenu au temps de mes premiè-
res amours, où quelqu'un m'intéressait par cela seul qu'il
sortait de chez toi. Hier, quand le ciloyen qui t'a porté ma
lettre fut revenu : « Eh bien! vous l'avez-vue? lui dis-je. »
Comme je disais autrefois à cet abbé Landrevillc, et je me
surprenais à le regarder comme s'il fût resté sur ses habits,
sur toute sa personne, quelque chose de toi. C'est une àme cha-
ritable, puisqu'il t'a remis ma lettre sans retard. Je le verrai,
à ce qu'il paraît, deux fois par jour, le matin et le soir. Ce mes-
sager de mes douleurs me devient aussi cher que l'aurait
été autrefois celui de nos plaisirs. J'ai découvert une fente
dans mon appartement; j'ai appliqué mon oreille; j'ai en-
tendu gémir; j'ai hasardé quelques paroles, j'ai entendu la
voix d'un malade qui souffrait. Il m'a demandé mon nom, je
le lui ai dit: « 0 mon Dieu! » s'est-il écrié à ce nom, en
retombant sur son lit d'où il s'était levé, et j'ai reconnu dis-
tinctement la voix de Fabre d'Églantine. « Oui , je suis
Fabre , m'a-t-il dit; mais toi ici! la contre-révolution est
donc faite? » Nous n'osons cependant nous parler, de peur
que la haine ne nous envie cette faible consolation, et que, si
on venait à nous entendre, nous ne fussions séparés et res-
serrés plus étroitement; car il a une chambre à feu, et la
IV. DERNIÈRE LETTRE DE C. DESMOULLNS A SA FEMME. 511
mienne serait assez belle si un cachot pouvait Tctre. Mais,
chère amie, tu n'imagines pas ce que c'est que d*étre au
secrotf sans savoir pour quelle raison, sans avoir été inter-
rogé, sans recevoir un seul journal ! c'est vivre et être mort
tout ensemble ; c'est n'exister que pour sentir que l'on est
dans un cercueil ! On dit que Tinnocence est calme, coura-
geuse. Ah! ma chère Lucile ! ma bien-nimée ! Souvent
mon innocence est faible comme celle d'un mari, celle d'un
père, celle d'un fils! Si c'était Pitt ou Cobourg qui me trai-
tassent si durement; mais mes collègues! mais Robespierre
qui a signé l'ordre de mon cachot, mais la République après
tout ce que j'ai fait pour elle ! C'est là le prix que je reçois
de tant de vertus et de sacrifices! En entrant ici, j'ai vu Hé-
rault-Séchelles, Simon, Ferreux, Chaumette, Antonelle; ils
sont moins malheureux, aucun n'est au secret.
C'est moi qui me suis dévoué depuis cinq ans à tant de
haines et de périls pour la République, moi qui ai conservé
ma pauvreté au milieu de la Révolution, moi qui n'ai de par-
don à demander qu'à toi seule au monde, ma chère Lolotte,
et à qui tu l'as accordé, parce que tu sais que mon cœur,
malgré ses faiblesses, n'est pas indigne de toi ; c'est moi que
des hommes qui se disaient mes amis, qui se disaient répu-
blicains, jettent dans un cachot, au secret, comme si j'étais
un conspirateur. Socrate but la ciguë; mais au moins il voyait
dans sa prison ses amis et sa femme. Combien il est plus
dur d'être séparé de toil Le plus grand criminel serait trop
puni s'il était aiTaché à une Lucile autrement que par la
mort, qui ne fait sentir au moins qu'un moment la douleur
d'une telle séparation ; mais un coupable n'aurait point été
ton époux, et tu ne m'as aimé que parce que je ne respirais
que pour le bonheur de mes concitoyens. On m'appelle...
Dans ce moment les commissaires du tribunal révolution-
naire viennent de m'interroger. Il ne me fut fait que cette ques-
tion : Si j'avais conspiré contre la République. Quelle dérision I
et peut-on insulter ainsi au républicanisme le plus pur I Je
vois le sort qui m'attend* Adieu.
512 APPENDICES.
Tu vois en moi un exemple de la barbarie et de Tingrati-
lude des hommes. Mes derniers moments ne te déshonoreront
pas. Tu vois que ma crainte était fondée, que mes pressenti-
ments furent toujours vrais. J'ai épousé une femme céleste
pour ses vertus ; j'ai été bon mari, bon fils ; j'aurais été
aussi bon père. J'emporte l'estime et les regrets de tous les
vrais républicains, de tous les hommes, la vertu et la liberté.
Je meurs à trente-quatre ans, mais c'est un phénomène que
j'aie traversé depuis cinq ans tant de précipices de la Révo-
lution sans y tomber et que j'existe encore, et que j'appuie
ma tête avec calme sur l'oreiller de mes écrits trop nom-
breux, mais qui respirent tous la même philanthropie, le même
désir de rendre mes concitoyens heureux et libres, et que la
hache des tyrans ne frappera pas. Je vois bien que la puis-
sance enivre tous les hommes, et que tous disent comme
Denis de Syracuse : « La tyrannie est une belle épitaphe. »
Mais, console-loi, veuve désolée! l'épitaphe de ton pauvre
Camille est plus glorieuse, c'est celle des Brutus et des Caton
les tyrannicides. 0 ma chère Lucilel j'étais né pour faire des
vers, pour défendre les malheureux, pour te rendre heu-
reuse, pour composer avec ta mère et mon père, et quelques
personnes selon notre cœur, un Otaïli. J'avais rêvé une répu-
blique que tout le monde eût adorée. Je n'ai pu croire que
les hommes fussent si féroces et si injustes. Comment penser
que quelques plaisanteries, dans mes écrits, contre des collè-
gues qui m'avaient provoqué, effaceraient le souvenir de mes
services! Je ne me dissimule point que je meurs victime de
ces plaisanteries et de mon amitié pour Danton. Je remercie
mes assassins de me faire mourir avec lui et Philippeaux; et
puisque mes collègues ont été assez lâches pour nous aban-
donner et pour prêter l'oreille à des calomnies que je ne
connais point, mais à coup sûr les plus grossières, je puis
dire que nous mourons victimes de notre courage à dénoncer
deux traîtres et de notre amour pour la vérité. Nous pouvons
bien emporter avec nous ce témoignage, que nous périssons
les derniers des républicains. Tardon, chère amie, ma véri-
IV. DERMÈRE LETTRE DE C. DESHOULINS A SA FEHHE. M5
table vie, que j'ai ptxdue du moment qu'on nous a séparés,
je m'occupe de ma mémoire.
Je devrais bien plutôt m'occuper de te la faire oublier. Ma
Lucile, mon bon Louloul ma poule à Cachant', je t'en con-
jure, ne reste pas sur la branche, ne m'appelle point par tes
cris : ils me déchireraient au fond du tombeau. Va gratter
pour ton petit, vis pour mon Horace, parle-lui de moi. Tu
lui diras ce qu'il ne peut entendre, que je l'aurais bien aime!
Malgré mon supplice, je crois qu'il y a un Dieu. Mon sang
effacera mes fautes, les faiblesses de l'Iiumanitc ; et ce que
j'ai eu de bon, mes vertus, mon amour de la liberté. Dieu le
récompensera. Je te reverrai un jour, ô Lucilel ô Ânnette!
Sensible comme je l'étais, la mort, qui me délivre de la vue
de tant de crimes, est^elle un si grand malheur? Adieu,
Loulou, ma vie, mon âme, ma divinité sur la terre. Je te
laisse de bons amis, tout ce qu'il y a d'hommes vcriueui et
sensibles. Adieu Lucile, ma Lucile, ma chère Lucile, adieu
Horace, Annette, Adèle! adieu mon père! Je sens fuir devant
moi le rivage de ta vie. Je vois encore Lucile ! je la vois ma
bien-aimée! ma Lucile! mes mains liées t'embrassent, et ma
tête séparée repose encore sur toi ses yeux mourants.
— Cette lettre évidemment n'était pas seulement pour sa
femme ; il lui parle, mais il veut être entendu du dehors. La
lettre a été rendue pulilique en effet; mais sans avoir passé
d'abord par les mains de Lucile. Lucile avait suivi son épous
i la mort, avant que celui à qui le message était confié eût eu
le temps de le lui remettre. Elle fut transmise à un ami de
Danton qui en resta possesseur. Voy. Matton, Corresp. inMite
de Camille Desmoulins, p. 21.
1. t Cacliint est an petit village qui »c trouve pri's de Paris lur te clicniin
de Bourg- la-Itc'iae, ou Umc Du|ilcj«i9 avait uiie maiMn de rniiipagnc. Cimille ot
LuciJe, en sllanl voir Urne Du|ilessl9. oraiont «luvent l'ciiiarijui- à Cachant uns
poule qui, ineonso1al!e d'avoir ponlii fou cm], rotait jrjiir cl nuit sur la aiimû
braaclieet poussait des cria qui déchiraient l'imi'j elli' ne voulaïi plus prendre de
nourriture et demandait la mort. C'est i celte poule que DcimauJiiu bil ici
alluikn. > {KoU de J». Halton.)
514 APPENDICES.
V
(Page 142.)
Ijedre de Philippeaux à mi remme.
Pliilippeaux se troiivail dans la même situation que Camille
Desmoulins, ayant une jeune femme et un fils. On a aussi
trois lettres de lui à sa femme qui, elle au moins, lui survécut.
Elles sont d'un ton plus ferme (un peu compassé), plus ré-
signé, plus résolu, selon la différence des deux caractères.
La première lettre est du lendemain de son arrivée au
Luxembourg (11 germinal) :
« Je te conjure, lui disait-il, ma tendre et vertueuse amie,
de soutenir le coup qui nous frappe, avec autant de calme et
de sécurité que j*en éprouve dans ma nouvelle demeure : je
crois y être aussi bien que peut Tétre un prisonnier. La cause
qui m'a procuré cet acte de vengeance doit élever et agrandir
nos âmes. Sois digne d'elle et de moi, en repoussant toute
atteinte de douleur et d'accablement, il est beau de souffrir
pour la République et le bonheur du peuple.
« Je te salue et te presse contre mon cœur.
« Je viens d'apprendre que Danton, Camille et Lacroix sont
également arrêtés; j'en ignore la cause. »
Dans une seconde lettre datée du jour suivant, 12 germi-
nal (l*^ avril 1794), il lui écrivait encore :
« J'ai reçu hier, ma vertueuse et tendre amie, le paquet de
linge et ustensiles que tu m'as envoyés.
« Je t'engage d'aller à li Convention avec mon fils, et de lui
demander pour quel crime je suis arrêté, séquestré de la
société entière, et réduit à ne pouvoir pas même lire un jour-
nal ; tu connais mon cœur, jamais il n'eut rien de mystérieux
pour toi, et tu sais que le plus ardent amour de la Répu-
blique, le plus pur dévouement à son salut, est mon unique
passion, il y a dans mon arrestation une bien fatale méprise,
ou une grande scélératesse. Je voudrais que cette énigme me
V. LETTRE DE PUILIPPEAUX A SA FEMME. 515
fût expliquée, pour connaître au moins mon sort. Au surplus,
du courage et de la dignité. La femme d'un martyr et d'un
homme vertueux ne doit prendre le ton suppliant vis-à-vis de
personne.
« Si vous êtes justes, brisez les fers de la vertu outragée :
si vous êtes des lâches et des méchants, je n'ai plus rien à
vous dire.
« Envoie-moi, je te prie, une demi-livre de tabac : car j'en
manque depuis hier au soir, et je dirai presque comme le bon
Suisse que c'est comme si on manquait de pain. Au reste,
tous les égards de l'humanité me sont offerts, et si tu obtiens
la permission de me venir voir, tu seras contente de mon
pelit logement.
a Embrasse mon Auguste. »
La troisième est du 13 au malin, lorsquMl va être conduit
au tribunal :
« Enfm, ma vertueuse et respectable amie, je n*ai plus le
tourment du doute sur le genre de crime dont les ennemis
de toute vertu ont jugé convenable à leur politique de m'ac-
cuser. Hier, à onze heures du soir, un huissier du tribunal
révolutionnaire est venu me signifier Tacte d'accusation, avec
la liste des jurés et témoins en présence desquels je devais
paraître à neuf heures. Je me nourrissais en ces moments
des réflexions d'IIelvétius sur la probité, la gloire et la vertu.
Sans admettre les sophismes ingénieux de ce philosophe sur
le principe matériel et périssable de nos facultés intellec-
tuelles, j'ai toujours été son disciple sur la morale et le tendre
amour de l'humanité; j'avais malheureusement oublié les
dialogues du bon Jean-Jacques Rousseau qui avait fortifié
mon âme et versé un baume consolateur sur les blessures
que lui ontfait[es], depuis trois mois, la noire méchanceté de
mes implacables ennemis.... Je me suis couché à minuit, non
sans agitation. Un sommeil paisible de cinq heures me rendit
frais et dispos pour la grande épreuve que je vais subir. Mon
cœur et ma conscience m'assurent qu'elle n'aura rien de
fatal.... Cependant; mon amie, comme la justice des hommes
516 APPENDICES.
est soumise à tant de passions et d'erreurs, je suis résigné à
tout ; s*il faut à la patrie une victime bien pure et bien
dévouée, j'éprouve un certain orgueil à lui servir d'holo-
causte : le sacrifice injuste d'un homme de bien avance quel-
quefois plus une révolution que celui de mille scélérats.
J'aime à croire que tu te pénétreras de ces grandes idées, et
te raidiras contre toute faiblesse indigne de la cause sublime
pour laquelle je suis proscrit. Porcia et Cornélie doivent être
tes modèles, comme j'ai toujours évoqué Tàme de Brulus et
celle de Caton. Je laisse auprès de toi une tige précieuse,
digne de la République; tu te dois tout entière à l'éducation
de cet être intéressant. Communique- lui ton âme et la
mienne; les exemples de son père le porteront à la vertu.
Quand il sera d'un âge à pouvoir s'élever aux idées sublimes,
pénèlrc-Ie du sentiment de l'Être suprême et de l'immorta-
lité de l'àme. Ce dogme consolateur est le seul refuge de la
vertu flétrie et opprimée. J'espère qu'alors la République
sera bien affermie, car je la crois impérissable, malgré les
horreurs dont on la souille. Qu'il se contente de dire : Mon
père a concouru de tout son être à cimenter le bonheur de
ses semblables ; mais point de ressentiments ni de vengeances
contre mes oppresseurs : ne seront-ils pas assez punis par
leurs remords? Que jamais aucune passion odieuse ne désho-
nore la gloire de mon sacrifice. Quand on a tout fait pour la
patrie, c'est elle-même qui doit nous venger, sans y être pro-
voquée.,.. Une loi bien dure et qui seule a le pouvoir de me
troubler, confisque tout mon juste avoir à la République;
elle n'y gagnera pas beaucoup, car. Dieu merci, je n'ai
jamais possédé, avec un travail opiniâtre, que le pur néces-
saire, et je suis du petit nombre de ceux qui sortent de la
Convention avec la même indigence qu'ils y sont entrés. Si
on exécute celte loi à la rigueur pour t'enlever le peu qui me
reste, supporte avec fermeté ce nouveau désastre.... La même
loi charge la patrie de pourvoir à l'existence des familles des
condamnés qui n'ont pas de quoi vivre, elle te procurera
nécessairement plus qu'on ne peut t'ôter. Attends que les
V. LEHRE DE PHILÏPPEAUX A SA FEMME. 517
préventions cruelles soient amorties, et alors lu diras au
Sénat des Français que je t'épousai, il y a dix ans, sans autre
dot que celle de tes vertus, et qu'il y va de sa gloire de ne
pas te réduire aux horreurs de la misère.... Je n'ai pas
besoin de te recommander ma mémoire : si quelques mains
barbares essayaient encore de la flétrir, tu as dans la con-
naissance intime de mes sentiments et de mes actions, depuis
que nous sommes ensemble, de quoi confondre la calomnie;
et puis j'espère qu'on ne poussera pas la tyrannie jusqu'à
t'enlever mes ouvrages sur la Vendée. Un manuscrit pré-
cieux est sur mon bureau ; je l'avais retiré deux fois de l'im-
pression, persuadé que l'intérêt de la chose publique n'en
avait plus désormais besoin. Tous mes persécuteurs y sont
complètement confondus; mais comme la publication de cet
ouvrage eût pu occasionner de nouvelles dissentions, je
sacrifiai l'intérêt de ma gloire personnelle et ma réputation
même à l'intérêt beaucoup plus éminent de la chose pu-
blique. Cependant, comme c'est une propriété sacrée où je
démontre que je n'ai jamais eu une seule pensée, un seul
mouvement iqui ne tendit au bonheur du peuple, ce serait
un attentat sacrilège que de t'en dépouiller : le ravisseur en
serait garant aux dieux et aux hommes.
Adieu, ma charmante et infortunée amie ; si cette lettre
est mon testament et' mon dernier baiser conjugal sur la
terre, il est un autre séjour où les âmes vertueuses et ai-
mantes doivent se rencontrer. Fasse le Ciel que ce terme n'ar-
rive que quand mon Auguste n'aura plus besoin de toi. Je
vous envoyé, à l'un et à Tautre, la bénédiction du juste.
(Des Essarts, tomel, p. 231-256.)
518 APPENDICES.
VI
(Page 185.)
Témoisnas^* divem «ur les prineipaas ineidents
du procès de Danton.
ft C*cst dans cette affaire, dit le greffier Paris (Fabricius),
que j'ai vu les comités de salut public et de sûreté générale
employer le machiavélisme le plus raffiné, et Fouquier ainsi
que Dumas se prêter lâchement et complaisamment aux pro-
jets perfides des deux comités. »
Il signale la tactique du président qui, le deuxième et le
troisième jour, fait commencer très lard la séance afin d'ar-
river d'autant plus sûrement, en abrégeant les débats, au
terme où ils pourront élre clos par décision du jury; la parole
retirée à Danton le deuxième jour et refusée le troisième, sous
le prétexte qu'il fallait interroger les autres; et comme les ac-
cusés insistaient pour la comparution des témoins qu'ils in-
diquaient, la lettre de Fouquier-Tinville les présentant comme
en état de révolte et demandant à la Convention un décret:
« C'étoitun décret de mise hors des débats que demandoit
Fouquier, comme on le verra par la suite; et il en avoit
besoin, car pour cette fois seulement, et pendant un instant,
on a vu la vertu et Tinnoccnce faire pâlir le crime. Fouquier
et son digne ami Fleuriol, tout atroces (|u'ils étoient, juges
et jurés, étoient anéantis devant de tels hommes, et j*ai cru
un inslant qu'ils n'auroient pas Taudace de les sacrifier;
j'ignorois alors les moyens odieux qu'on emploNoit pour y
parvenir, et qu'on fabriquoit une conspiration au Luxem-
bourg à l'aide de laquelle, et de la lettre de Fouquier-Tinville,
on a surpris la religion de la Convention nationale, en lui
arrachant un décret qui meltoit les autres hors des débats. »
Et il raconte, ainsi qu'on Ta vu plus haut, comment Amar
apporta, comment Fouquier-Tinville reçut le décret homicide
et le dénouement que nous avons exposé en partie d'ajirès lui.
Vf. INCIDENTS DU PROCÈS DE DANTON. 519
(( Les accusés demandèrent la parole pour démontrer l'ab-
surdité et rinvraiseniblance de cette conspiration ; on leur
répondit en levant la séance. Pendant les trois jours qui
s'étoicnt écoulés depuis le commencement de cette affaire,
les membres du comité de sûreté générale et particulière-
ment Amar, Vouland, Yadier et David n'avoient point quitté
le tribunal : ils alloient^ venoient, s'agitoient, parloient aux
juges, jurés et témoins, disoient à tous venants que les
accusés étoient des scélérats, des conspirateurs, et particu-
lièrement Danlon. Dumas, Arthur et Nicolas en faisoient
autant. Les membres du comité de sûreté générale corres-
pondoient de là avec le comité de salut public. Le lende-
main, qui éloit le quatrième jour, les membres du comité de
sûreté générale étoient au tribunal avant neuf heures; ils se
lendirent au cabinet de Fouquier; et lorsque les jurés furent
assemblés, je vis Ilerman, président, avec Fouquier sortir de
la chambre des jurc*s. Pendant ce temps Amar, Vouland,
Vadier, David et autres députés qu'il reconnut pour être
membres du comité de sûreté générale, étoient à la buvette. »
{Procès de Fouquier-Tinville, n* 25 et 20.)
Le commis greftier Wolf dit dans le même procès (n» 2î) :
« Loi*s de Taffaire de Danton, Camille, Philippeaux et autres,
on avoit surpris un décret de mise hors des débals, sous
prétexte que les accusés « étoient en rébellion ouverle »,
quoiqu'ils n'eussent pas manqué de respect au tribunal.
Dans ce procès, ces accusés ne furent point entendus sur le
fond de l'affaire, mais seulement sur des interlocutoires.
Quand ils vouloient s'expliquer sur un fait on les arré!oit en
leur disant qu'ils développeroient tous leurs moyens dans
leur défense générale. C'est de colle manière que se passèrent
trois séances de débats. Le quatrième jour, les jurés se reti-
rèrent pour la forme dans leur chambre, et vinrent dire au
tribunal qu'ils étoient suffisamment instruits, quoiqu'ils
n'eussent entendu ni les accusés ni les défenseurs dans leur
défense. Ils furent sur le champ reconduits à la Conciergerie,
520 APPENDICES.
où on envoya le greffier leur lire le jugement qui les con-
damnoit à mort. (Procès Fouquier, n*» 25, p. 2.)
a Le jour que la mort de Danton fut décidée au tribunal
révolutionnaire, dit Courtois dans ses notes, trois jurés»
Topino-Lebrun, Trinchard et Sambat, vinrent trouver David
pour lui demander conseil sur la position difficile oii ils se
trouvaient. Ils ajoulèrcnt qu'ils ne voyaient pas que Danton
fût coupable. — « Comment, reprit avec force cet homme
sanguinaire, il n'est pas coupable? Est-ce que l'opinion
publique ne Ta pas déjà jugé? Qu'attendez-vous? Il n'y a que
des lâches qui puissent se conduire ainsi? » Et la mort de ce
fondateur de la liberté fut résolue. » (J. Claretie, Camille
Desmoulins, p. 471.)
A la suite du 9 thermidor, Lecointre de Versailles, ami de
Danton, voulut avoir satisfaction de ceux qui, après Robes-
pierre et Saint-Just, avaient le plus contribué à le perdre,
et il accusa en particulier Billaud-Yarennes, Collot d'Herbois
et Barère du Comité de salut public; Yadier, Amar, Voul-
land et David, du Comité de sûreté générale. Billaud-Varennes
accepta hautement la responsabilité de la mort de Danton :
« Si le supplice de Danton est un crime, dit-il, je m'en
accuse. J*ai dit que si cet homme existait, la liberté était
perdue, » et il osa ajouter : « Danton était le complice de
Robespierre. »
Amar et Voulland se défendirent beaucoup plus timidement
des faits qui leur étaient imputés et que l'on a vus plus haut :
« Je déclare, dit le premier, à la Convention et à la France
entière, que les faits qui me sont imputés ainsi qu'à Voulland
sont des calomnies atroces. Nous étions, Voulland et moi, au
tribunal, derrière les juges et les jurés, dans un espace très
étroit et très resserré, au moment où Ton apporta le décret
dont on parle ; conséquemment ce n'est pas nous qui l'avions
apporté. Il est également faux de dire que Voulland et moi
ayons voulu influencer le président et les jurés, car aucun
Vn. LETTRE DE RIGâUD â SA FEMME. 521
de nous ne leur parla et nous ne vîmes même pas Fabricius. »
Duhem. « Fabricius était le chien courant de Danton. »
Voulland prend ensuite la parole, protestant qu'il n'a pas
porte le décret; il a seulement été chargé par le Comité de por-
ter au tribunal la déclaration de Laflottc qu'il remit au prési-
dent Herman. — C'est déjà quelque chose : mais à peine a-t-il
fini, qu'Amar, reprenant la parole, est forcé de se démentir :
Amar. « Tallien vient de me faire observer que j'ai commis
une erreur. J'étais au comité des procès-verbaux lorsqu'on
vint y expédier le décret. // est vrai que je le portai au,
tribunal; mais il est faux que je menaçai les juges.
Mais les Thermidoriens n'en étaient pas encore à se man-
ger les uns et les autres ; et il eût été périlleux de faire le pro-
cès à ceux qui avaient sacrifié Danton. La Convention décréta
que les accusations étaient calomnieuses. (Séance du 13 fruc-
tidor, Moniteur du 15 et du 16 (1" et 2 septembre 1794.)
VU
(Page 297.)
Le lire de WLlgmuû^ eonseiller «a parlemenl de Toaloa«e9
à 0« femme.
(!•' floréal)
C*cst au moment de paroitre devant Dieu mon souverain
mètre, ma chère et digne épouse, que j'ai encore la force et
le courage de t'écrire pour te faire mes tendres et éternels
adieus, quoique ma plume tremble dans ma main, quoique
mon cœur soit opressé et que mes larmes couvrent le papier,
je me sens encore assez de courage pour te prier de te sou-
venir de moi, je te demande mille pardons de tout ce que je
puis tavoir fait depuis que jai eu le bonheur dctre uni à
toi. Je demande pardon a mon père de tous les manquements
que je puis avoir eu envers lui^ pardonnés-moi lun et lautre,
et souvenés-vous que quand vous recevrés ces traits gravés
522 APPENDICES.
sur ce papier, j'aurai déjà rendu compte au juge des juges de
toutes les actions de ma vie; j'espère quil me fera miséri-
corde, je te prie par l'attachement que tu m'as toujours
témoigné de conserver ta santé pour avoir soin de mon
respectable père et de mes enfants, dis a ces derniers que
mes dernières volontés sont quils respectent mon père, quils
ayent pour toi tous les égards et toutes les attentions quils
doivent pour une tendre mère, quils aiment Dieu par dessus
tout, dis leur que je pardonne du meilleur de mon cœur a
tous mes ennemis, quels quils soient, que je leur defens
dans quelle position quils puissent se trouver de rechercher
directement ni indirectement ceux quils pouroient croire
mavoir entrené dans ma perte, que cest la loi de Dieu^ quils
doivent la suivre et que dans ces tristes moments, cest un
père qui parle, sils laiment ils lui obéiront avec plaisir; quils
se souviennent quelquefois de moi comme dun père qui les
a bien aimés et qui regrete plus la vie par raport à eux que
par rapporta lui ; je suis au desespoir des événements qui vont
suivre ma triste destinée, mais Dieu qui nabandonne jamais
ses enfants aura pitié des miens, quils soient braves gens
il leur donnera de quoi vivre ; je tenvoye, ma chère femme,
le seul bien qui me reste, que tu trouveras dans ma lettre,
cest une toupe de mes cheveux, quand tu les regarderas tu
penseras quelquefois a quelquun qui ta bien aimé, quand a
Auguste je lui envoyé la seule chose quon mait laissée, cest
la boucle de mon col que jenferme dans ma lettre je le prie
de la porter tout le temps quil ne maura pas oublié, te dire
ce que jai souffert jusques a ce moment il est impossible de
te lexprimer, Dieu peut être men tiendra compte. Adieu
mille fois, adieu pour la vie, prie Dieu quil me reçoive en
son saint paradis. Mon cœur est sufoqué, je n'en puis dire
davantage. Adieu, oui adieu.
El au dos :
A la citoyenne Rigaud, rue du Temple, a Toulouse*.
1. Archives, \V 1*21, pièce 110.
VIIL DÉCRET RELATIF A VERDON (9 FÉVRIER 1795). 523
VIII
(Page 325.)
Déerel relMif à Verdun.
(9 FÉVRIER 1795)
La Convention nationale...
Considérant les circonstances dans lesquelles se sont trou-
ves les habitants de cette ville, décrète ce qui suit :
Art. 1". La Convention nationale rapporte les dccrels
qu'elle a rendus relativement aux habitants de Verdun,
déclare qu'ils n'ont pas démérité de la patrie.
Art. 2. Les membres du directoire du district et ceux de
la municipalité, les citoyens Lépine, Georgia et Clément
Pons exceptés, ont encouru la peine de la destitution, et sont
déclarés inéligibles, pendant tout le temps que durera la
guerre.
Art. 5. Il y a lieu à accusation contre les gendarmes
nationaux qui résidaient à Verdun, et qui ont continué leur
service sous les Prussiens.
Art. 4. La Convention nationale décrète d'accusation Bru-
neliy, ci-devant adjudant-major de Verdun; Neyon, lieute-
nant-colonel; Desnos, ci-devant évèque; Lacorbière, ci-devant
doyen de la cathédrale; Dépréville, ci-devant vicaire-général;
Nicolas-j.ouis Fournicr, Coster, Guilain, Lcfebvre, Martin,
ci-devant prieur de Saint-Paul ; Oueauv, llerbillon, ci-devant
curé de Sainl-Médard; Baudot, ci-devant curé de Sjint-
Pierre; Leroux, ci-devant curé de Saint-Pierre-Lechery; Bau-
get, ci-devant vicaire de Saint-Sauveur; Marguerite Robillard,
Collox, Bousmard, Pichon, Drèche, Lamèle, juge de paix;
Barthe, avoué; GrimoarJ, Martin et Gossin, ci-devant cha-
noines.
Art. r). L'information faite par les commissaires munici-
paux provisoires, et les pièces qui y sont jointes, seront
envoyées sans délai aux tribunaux compétents, pour le pro-
521 APPENDICES.
ces être fait et parfait aux accusés qui y sont dénoncés, et
notamment à ceux qui se portèrent en attroupement à l'hôtel
de la commune pour presser la capitulation, et aux femmes
qui furent au camp de Bar, haranguer le roi de Prusse et
lui offrir des présents.
Art. 6. Tous les ci-devant chanoines de la cathédrale et de
la collégiale, religieux et autres ecclésiastiques, non fonc-
tionnaires publics, non compris dans le décret d'accusation,
qui, sous la domination prussienne, sont rentrés dans leur
ancien bénéfice ou monastère, sortiront hors du territoire de
la République dans le délai de trois jours, à compter de la
publication du présent décret; et il leur est défendu d'y ren-
trer, à peine de mort.
Les membres du district, ceux de la municipalité seront
mis en liberté.
Art. 7. Le pouvoir exécutif rendra compte à la Convention
de l'exécution du présent décret.
IX
(Page 324.)
Iji0le« arrêtées par le tribunal criminel de la Blense'.
fiomenclalure des personne» comprises dans le décret du 9 février 1793
(vieux style), relatif à la reddition de Verdun,
Neyon, arrêté; Bousmard, émigré; Pichon, émigré; Drèche,
mort; Denos, émigré; Henry Grimoire, arrêté; Lacorbière,
arrêté; Guilain-Lefebvre, arrêté; Depréville, émigré; Coster,
émigré ; Martin, émigré ; Martin, ci-devant chanoine, décapité ;
Ilerbillon, ci-devant curé de Saint-Médard, arrêté; Beaudot,
émigré; Leroux, émigré; Beanjette, émigré; Colox, ci-devant
i . Je garde l'orUiograpkc souvent inexacle du texte.
IX. LISTES DES PRÉVENUS DE VERDUN. 525
bénédictin et Gossin, ci-dcYant chanoine, arrêtés ; Barde,
juge de paix et Lamelle, avoué, aussi arrêtés.
Nomê de ceux et celles qui te eotit portés en attroupement à la maison
commune pour presser la reddition et qui ont été au camp de Bar haran^
guer le tyran prussien,
Périn, droguiste; Henri-François Croyet; Lemoine Dauber-
minil, ci -devant major de la citadelle; Marie-Françoise Henry,
femme Lalance de Mongo; la nommée Lestrade; Marie-Jeanne
Grandvoir Watrouville; la nommée Despondaillan , morte;
Anne Watrin; Hélène Watrin; Louise-Henriette Watrin;
Françoise Herbillon, femme Masson; la nommée Brégcot,
femme Nonancourt; la nommée Longcliamp, absente, incon-
nue; Marie-Anloinelte-Yictoire Renaud, absente; Suzanne
Henry; Gabrielle Henry ; Barbe Henry ; la nommée Grandfebvre,
femme Tabouillot et sa fille; TLérèse Pierson, femme Bestel,
et la nommée Lagirousière, tous de Verdun.
Gendarmes qui ont continué leur service,
Pelgrin, capitaine ; Tuilleur, Depré, Leclerc, Joulin et Myly
amc;
Lesquels, ainsi que les dénommés ci-dessus et d'autre part,
ont été envoyés au tribunal extraordinaire comme prévenus
de crime de lèse-nation.
Verdun, ce 29 ventôse. Tan 2""* de la république fran-
çaise une et indivisible.
Les président et juge du tribunal du département de la
Meuse,
Lemau, Gu.un.
(Archives, W 552, dossier 718, V partie, pièce 29.)
526 APPENDICES.
X
(PaKC 459.) .
Arrêté du tft floréal.
Exlrail deê regisiret du comité de «altU public de la Convention nationale,
du vingt-cinquiènie jour de floréal^ l'an II" de la République française
une et indivisible.
Les Comités de snlut public et de sûreté générale, cii
vertu de la loi du 23 veutôse, arrêtent :
Qu'il sera ctibli une commission populaire composée de
cinq membres, qui sont les citoyens Soubleyras, vice-prési-
dent du tribunal révolutionnaire; Thibolot, greffier de la
municipalité de Vilry, près Paris; Laveyron, cultivateur à
Crcteil; Degalomsier, membre du comité de surveillance de
la section des Gardes-Françaises; Fourneuot, membre du
Comité de surveillance du département de Paris.
Celte commission fera le recensement de tous les gens
suspects et déportés, conformément à la loi des 8 et 13 ven-
tôse.
Si elle découvre des citoyens qui lui paroissent injustement
arrêtes, elle en formera la liste, et l'enverra au Comité de
salut public et au Comité de sûreté générale, qui prononce-
ront définitivement sur leur mise en liberté.
Les détenus qui ne seront pas compris dans ces deux
classes seront envoyés au tribunal révolutionnaire.
Cette commis>ion résidera à Paris et exercera ses fonctions
à regard des personnes détenues dans les maisons d'arrêt de
cette commune.
Sou arrondissement sera déterminé plus particulièrement,
ainsi que pour les autres commissions qui pourroicnt être
établies à Paris pour le même objet.
Le commissaire de la police générale, administrations et
tribunaux, est chargé de Tinstaller sans délai.
Les membres de la commission tiendront une conduite
X. ARRÊTÉ DU 25 FLORÉAL AN If. 527
digne du ministère imposant qu'ils ont à remplir; ils ne per-
dront jamais de vue le salut de la patrie qui leur est confié,
et qui doit être la règle suprême de leurs décisions. Ils
vivront dans cet isolement salutaire qui concilie aux juges le
respect et la conGance publique et qui est le garant de l'in-
tégrité des jugements; ils seront inaccessibles à toutes solli-
citations et fuiront toutes les relations particulières qui peu-
vent influencer la conscience, et affaiblir l'énergie des défen-
seurs de la liberté.
Signé au registre :B. Barère, R. Lim)et, Carnot,
Billaud-Varennes , CoLLOT d'IIerbois , C.-A.
Prieur, Coutiion, Yadier, Rorespierre, ëlic
Lacoste, Dldarra.n.
(Cf. Archives, AF ii 22, dossier 69, pièce 92.)
Pour Tarrêté du 24 floréal, nous avons renvoyé à Saladin«
{Rapport, etc., p. 201-202, n° xxxvi). Cet arrêté, écrit entiè-
rement de la main de Billaud-Yarennes, est signé de la plu-
part des même noms : Voulland, Amar, Élie Lax:oste^ Robes-
pierre, Billaud'Varennes. Dubarran, D, Barère, C-A.
Prieur, Couthon, Louis du Bas-Rhin, Jagot, Caimot^ Vadier.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TROISIÈME VOLUME
CHAPITRE XXY
PRÉLIMlNAiRES DBS GRANDS PROCÈS DE GERMIHAL.
I Pas«
les enragés et les modérés 1
II
Premières escarmouches contre les enragés. Premier manifeste contre les
deux {Mirtis : rapport de Saint-Just, 8 ventôse 20
m
Attaques plus directes contre les enragés. Nouveau rapport 'de Saint-Ju^tt,
suivi du décret du 23 ventôse 30
CHAPITRE IIYI
PROCÈS D*HÉB£RT (lS PÈRE DCGHBSKk) ET DES VIOLEATS.
I
Disposition des esprits à l'égard d*Uébcrt et consorts 41
II
Ouverture des débats 45
III
lie procès dans la rue... 59
lY
Conclusion du procès 03
TR1B« RÉTOL. 111 34
550 TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE XXVIIl
GERHIHAL (ENTRE HEBERT ET DANTON )
Le curé Poitou; le citoyen Moulin, ci-devant Lemy ; la tamille Rougane.. 69
11
L'abbé Goutte, ex-constituant; les deux frère» Balleroy ei le faussaire
Thiry, dit Bcaurozicr 74
III
Madeleine Yillemain et Mnrie Chainboran ; Jacques Pernet; l'ex-capucin
Peussetet ; niorl de Condurcel ; L. F. Puiré cl les trois religieux de Cluny. 77
IV
Le commandant Lavcrgne cl sa l'eninie 88
Y
Salabcrry ; Brochet Saiiil-Prcst ; Culivct : Ëiilogc Schneider 100
CIIAPITRK XXVllI
DAMON, CAMILLE DESMOULINS, ETC. (aUUESTATKKn)
I
Mouvement de l'opinion contre les enragés à la suite du procès d'Hébert.. 115
II
Réaction des CotniU'^s contre les indulgenis. ArrcsUiliuiJ df r)anton« Camille
Desmoulins, Lacroix et Pbilippcaux 118
m
Hérault de Séchelles et Fabre d'Êglautine 129
IV
Affaire de la Compagnie des Indes : Fabre d'Ëglantine, Delaunay, Chabot,
Bazire, Junius et Emmanuel Frey, Dicdericlisen, Gusman et l'abbé d'Ës-
pagnac 135
V
AVcstermann. — Danton, Lacroix, Hérault de Séchelles, et CamiHe Det-
ujouluui au Luxembourg « 140
TABLE DES MATIÈRES. 531
CHAPITRE XXII
DA!fTOIf, CAMILLE DESMOULINS, ETC. (pROCÈS)
I P«««*
Danton, Camille Desmoulios, Philippeaux et Lacroix à la Conciergerie. ... 151
II
13 germintl. — Ouverture du procès, acte d'accusation. 'Westermann joint
aux accusés. Débat sur TafTaire de la Compagnie des Indes 155
III
Intcrgatoire de Danton (14 germinal). — Notes du juré Topino-Lcbrun. . • 101
lY
15 germinal. — Lhuillier mis en accusation. Interrogatoire de Camille
Desmoulins, de Gusman, de Lacroix, de Philippeaux, de Westermann,
de Diederichscn, âes deux Frey • 109
V
Inquiétude du tribunal sur la suite dos débats. — Lettre de Fouquier-
tinville à la Convention. — Discours de Sainl-Just. — Décret du 15 ger-
minal 176
VI
16 germinal : La parole retirée aux accusés. — Les jurés circonvenus.
Application du décret du 15 germin.ii. *— Jugement 184
VU
Derniers moments dea condamnés 188
CIIAPITUK XXX
CHAUMETTE, GOBEL, LES VEUTES d'hÉBERT ET DE CAMILLE DESMOULIRS, ETC. —
SECONDE MOITIÉ DE GEBMUfAL
I
Moyens employés pour tromper l'opinion publique sur le procès de Dan-
ton 195
H
Prétendue conspiration des prisons où l'on réunit Dillon, Cbaumette,
Gobcl, elc 196
532 TABLE DES MATIÈRES.
m
Délais da procès. Brouillon du réquisitoire. Jugement. Lettres de la mère
de Lucile Desmoulins à Robespierre et de Lucile à sa mère.. 207
IV
Procès divers qui ont occupé le tribunal entre Danton et Ghaumette :
17 germinal : Ilanappicr Desormes, P. Reigné, Baron ; — 18 germinal :
le marquis d'Apclion et la veuve D. Péricard, le marquis et la marquise
Lamotte de Senones. — 19 germinal : Cath. Boiry, femme Bonfant, le
curé Gaudron; la famille Danqucchin-Dorval ; la veuve de Chevilly. —
Le cavalier révolutionnaire Borsat 215
V
Procès qui suivirent la condamnation de Gbaumette : 24 germinal : Bros-
sard et Ragondet; — 25 : Morisset et Bossu; le marquis de Ressu veille;
le libraire Gattey ; — 26 : Claudine Gattey 225
VI
Jugements irréguliers : 26 germinal, Gb. d'Âlençon, etc., Larevellière, etc.;
— 27 : Gassegrain, Laville, etc. — J. Marino, acquitté ; — 28 : les prêtres
Decous, Baudot et Ghalot 253
CHAPITRE XXXI
LES LOIS DU 12 ET DU 27 GERMINAL ET LE BUREAU DE LA. SURYBILLAlfCB
ADMINISTRATIVE ET DE LA POUCE
I
Lois des 12 et 27 germinal 258
II
Accroissement du pouvoir du Comité de salut public. — Bureau de la
surveillance générale et de la police : Rapports du mois de floréal 263
III
Rapports du mois de prairial 970
CHAPITRE XXXII
FLORÉAL (première DÉCADE]
I
Rapport de Billaud-Varenncs (1" floréal) 280
II
!•' floréal : !'• fournée des parlementaires de Paris et de Toulouse 283
TABLE DES MATIÈRES. 555
ni
2 floréal : Mme de Boullene; Bellepaume et Detcamps; 3 floréal : Ma-
lesherbes et sa famille, etc 297
n
A floréal : accusés étrangers les uns aux autres et réunis dans le même
jugement. Marie-Louise Goutelet, veuve Neuvéglise 315
V
5 floréal (24 avril) : les victimes de Verdun 318
VI
5 floréal : amalgame pour propos ou écrits ; 6 floréal : Anisson-Duperron. . 338
VII
7 floréal : Mme de Bellecise ; le capitaine Trinquelague; le cocher Mangin.
8 floréal : ouvriers et paysans 346
vm
9 floréal : grande fournée de trente-trois : hommes de cour et hommes
du peuple, aristocrates et sans-culottes; aristocrates presque sans-
culottes : le duc de Villeroy, Tamiral d'Estaing 350
CHAPITRE XXim
FLORiAL (dEUXIÀMB DéciDS)
I
10 floréal : indemnité au bourreau; 11 : Montagnards incompris; 12 : une
fournée de famille (Famille de Pommeuse), et une fournée par amal-
game ; 13 et 14 : Diacon, Gorbillet et o curé Petra, les bataillons des
Filles Saint-Thomas et des Petits-Pères au 10 août 364
II
1 & floréal : fournée aristocratique et fournée populaire 376
m
Une protestation publique contre U guillotine : Françoise Loiisillier;
Marie-Madeleine Virolle et Mélanie Enouf (16 floréal) 382
IV
17 floréal : les administrateurs de la Moselle, les prisonniers de Dijon ;
18 floréal : nouvelles fournées ; défenseurs du Château ; abus de pou-
534 TABLE DES MATIÈRES.
Toir dans les prisons ; l'ancien député Hameau, elc. — Témoins confondus
avec les accusés . « 592
Y
19 floréal : Lavoisier et les fermiers généraux 398
CHAPITRE XXXIV
FLORÉAL (troisième DÉCADE)
1
Proclamation de l'existence de Dieu et de Timmorlalité de Tâme : idtes
annuelles ; fêtes décadaires ; — fête journalière : la guillotine 403
II
21 floréal : Madame Ëlisabetli et ses compagnons et ses compagnes 407
m
2*2 floréal : la demoiselle Goyon, cto 426
IV
23 floréal : le curé Voillcrault et le surnuméraire Lamiiert ; quatre autres
groupes d'accusés clran«j[ers les uns aux au(res et jugés en même temps. . 430
24 floréal : accusés de divei-s départements ; 25 : trois fermiers généraux
oubliés. Mme Douet appelée comme témoin -et jugée, séance tenante,
comme coupable. Un hussard peu républicain ; 26 : précipitation des
mises en jugement, 436
VI
27 floréal : acquittement de l'nncien conseiller Frettcau, du curé Lcfebvre,
delà veuve Brochant; 28 : l'artisan Deligny et le prêtre Rougane ; 29 ;
un ennemi du divorce ; ce qu'il en coûtait pour avoir préféré Raffet à
Hanriot 445
vn
Mesures prisses pour bâter les jugements. Application du décret du 23 ven-
tôse. Les arrêtés du Comité de salut public des 24 et 25 floréal 457
Journal du Tribuxal rkvoldtioxxaire 4^1
Appexuicks 499
Kl\ DK I.A TARI.R.
SUPPLÉMENT A VERRATA DU TOME II
Page 74, I. 11, au liou de Duberuiion, lisez: Dumerbion.
187, 1. 9, — Dans la même audience, lisez : le 13 Irimaire.
19tî, 1. 12, — 4 octobre, lisez : 5 octobre.
312, 1. 9» — On sut bientôt pourquoi, lisez : On sut bien-
tôt sou vrai nom, Uosalie Dalberl, et pour-
quoi, etc.
306, 1. 10, — 13 uivôse (2 janvier 1753), lisez : 13 nivôse
(2 janvier 1794).
372, 1. 4, — 21 janvier (2 nivôse), lisez : 21 janvier
(2 pluviôse).
430, 1. 14, — soutenir le peuple, /ûea : soulever le peuple.
481, 1. 31, — avant Joacliim Pichelin, ajoutez : 20 (17).
550, 1. 22, — Denis Ghivklbt, le curé Osseun, etc., à re^
porter du 15 brumaire au 15 frimaire,
544, 1. 30, — adjudant aux adjudants, lisez : adjoint aux
adjudants.
ERRATA DU TOME lil.
Page 405, 1. 12, après Claude Devillarst acquitté, au lieu de Voyez p. 82,
lisez : Bulletin n* 12, p. 47.
479, 1. 31, au lieu de Bertault, lisez : Bertbeaux.
blU. — Typographie A. Lahure, rue de FluurUs, 9, à l'an».
-^»,W.'V/i7,**l*k^vVS^
.v,3i^-
ti