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LA
FASCINATION DE GULFI
(GYLFA GINiNING)
Droits de traduction et de reproduction réservés.
STRASBOURG , IMPRIMERIE DE VEUVE BEROER-LEVRAULT.
LA
FASCINATION DE GDLFI
(GYLFA GINNING)
TRAITÉ DE MYTHOLOGIE SCANDINAVE
COMPOSÉ PAR
SNORRI FILS DE STURLA
TRADUIT DD TEXTE NORRAIN EN FRANÇAIS ET EXPLIQUÉ DANS UNE INTRODUCTION
ET UN COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL
PAR
FRÉDÉRIC-GUILLAUME BERGMANN
PROFESSEUR DK LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE ET DOYEN DE LA TACULTÉ DES LETTRES DE STRASBOURe
CHEVALIER DE l'oRDRE DE l'ÉTOILE POLAIRE DE SDÈDB , DE l'oRDRE DE SAINT-MAURICE
ET DE SAINT-LAZARE d'iTALIE ET DE l'oRDRE DE LA LÉGION D'hoNNEUR DE FRANCE
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DES ANTIQUAIRES DU NORD A COPENHAGUE, DE l'aCADÉMIE DE STANISLAS
A NANCY, DE LA SOCIÉTÉ DBS SCIENCES A LILLE, ETC.
Mythologid ah und disce omnes
2e EDITION
Augmentée de Notes additionnelles et d'un Répertoire général alphabétique
des mots et des choses expliqués dans l'ouvrage
STRASBOURG & PARIS . PARIS & GENÈVE
CHEZ TREUTTEL ET WURTZ | CHEZ J. CHERBULIEZ
LEIPZIG, CHEZ F. A. BROCKHAUS
BDINBURGH, CHEZ EDMONSTON ET DOUGLAS
MDCGCLXXI
Digitized by the Internet Archive
in 2009 witin funding from
University of Ottawa
V
http://www.archive.org/details/lafascinationdegOOberguoft
AVIS.
La première édition de cet ouvrage a paru en 1861.
Un critique distingué, M. le professeur Liebrecht, a dit
qu'il était à regretter que ce livre , qui renferme « une
masse de faits et d'idées ï>, ne soit pas suivi d'une table de
matières plus explicite et plus complète. J'ai acquis de-
puis la conviction que , dans l'intérêt de la lecture et de
l'appréciation critique, tous les ouvrages, quels qu'en
soient le sujet et l'étendue, devraient toujours être ac-
compagnés d un répertoire alphabétique. Aussi cette se-
conde édition, outre qu'elle est augmentée de notes addi-
tionnelles , a-t-elle encore été pourvue d'un répertoire
général des noms et des choses expliqués dans l'ouvrage.
Je corrigeais la dernière feuille de ce livre , quand , le
25 août dernier, un obus est tombé dans mon cabinet de
travail. Ce grand dérangement ainsi que les pénibles évé-
nements d'une guerre cruelle et désastreuse ont retardé
la publication de cette édition que je comptais pouvoir
mettre au jour dès le mois de septembre dernier.
Cet ouvrage se vend au profit de la Bibliothèque de
Strasbourg qui, entièrement brûlée, est à reconstituer.
Strasbourg, le 15 décembre 1870.
L'Auteur.
A
l'illustre mémoire
de mes savants maitres
ELGÈNE BURNOLF FRÉDÉRIC CHRISTOPHE DAHLMAIN'IN
CLAl DE FAIÎRIEL BENJAMIN GLÉRARD THÉODORE JOLFFROY
FINN MAGNLSEN KARL OTFRID MLLLER
ET SYLVESTRE DE SACY
DONT j'ai AIMÉ LE CARACTÈRE ET AMRITIONNÉ LE SAVOIR
QUI m'ont ENCOURAGÉ DANS LES ASPIRATIONS DE MA JEUNESSE ET M'oNT
DONNÉ DES TÉMOIGNAGES PRÉCIEUX
DE LEUR ESTIME ET DE
LEUR AMITIÉ
F. G. DERGMANN.
PLAN , DH ISIOKS ET TABLE DES MATIÈRES.
Exposinoir.
Pages.
i 1. Sujet, but et division de cet ouvrage 1
1.
PREMIÈRE PARTIE DE L OIVRAGE.
INTRODUCTION.
g 2. Sujet, but et division de cette introduction 2
CHAPITRE PREMIER.
ORIGINE ET TRANSFORMATION DES MYTHOLOGIES OC DES RELIGIONS NATURELLES.
g 3. Origine des Religions et des Mythologies 3
g 4. Transformations des Religions et des Mythologies 4
g 5. Transformations de la Mythologie Scandinave depuis son origine
jusqu'à sa dissolution G
g 6. Nature et caractères des Religions dans la période de Tlntuition . . 7
g 7. Nature et caractères des Religions dans la période de la Raison , . 10
g 8. Nature et caractères des Religions dans ia période de l'Intelligence . 14
CHAPITRE II.
LA SCIENCE DE LA MYTHOLOGIE DANS l'aNTIQLITÉ ET AD MOYEN AGE.
g 9. Origine du système evhémériste lö
§ 10. L'Evhémérisme chez les peuples de la branche gète 18
g 1 1 . Systèmes mythico-historiques des savants au Moyen âge .... 19
g 1 2. Odinn supposé d'origine thrâke et roi des Thrâkes 21
g 13. Odinn supposé d'origine turke et roi des Turks 23
g 14. Odinn réputé d'origine troyenne et roi des Troyens 27
CHAPITRE IIÍ.
SNORRI, SA VIE, ET l'hISTOIRE DE SES OUVRAGES.
g 15, Vie, éducation et ouvrages de Snorri 29
g 16. Snorri est l'auteur de la Fascination de Gulii 31
g 17. La Fascination de Gulfi composée avant le Heims-Kringla .... 33
g 18. L'Intégrité du texte du Gylfa-ginning 35
g 1 9. Comment le Gylfa-ginning se trouve dans TEdda en prose 38
CHAPITRE IV.
le fond HISTORICO-MYTHOLOGIQLE et la DISPOSITION DEá MATÉRIAUX DANS LE
TRAITÉ DE SNORRI.
g 20. Formation du système historico-mythologique de Snorri .... 41
g 21. D'après Snorri, les Ases sont originaires de l'Asie 43
g 22. L'âge où les Ases ont vécu 45
g 23. Snorri expose les Mythes dans leur succession prétendue historique. 46
g 24. But plutôt scientiötiue que littéraire du Traité de Snorri .... 49
CHAPITRE V.
FORMES LITTÉRAIRES, ENCADREMENT ET TITRE DU TRAITÉ DE SNORRI.
g 25. La Poésie et la Science confondues ensemble 50
g 26. Le Dialogue, la Discussion et les Joutes scientifiques 52
g 27. Joute entre Vafthrûdnir et Odinn ; Guerre de la Wartbourg ... 54
VIII
Pages.
g 28, La forme catéchétiqne de Plinseignement 58
§ 29. Origine et raisons des encadrements littéraires 61
g 30. Origine de l'Encadrement du Traité de Snorri 65
g 31. Titres d'ouvrages dans l'Antiquité, en Orient, et au Moyen âge . . 71
fi 32. Titres d'ouvrages norrains et du Traité mythologique de Snorri . . 78
II.
DEUXIÈME PARTIE DE L'OUVRAGE.
LA FASCINATION DE GULFI.
Traduction 77-138
III.
TROISIÈME PARTIE DE L'OUVRAGE.
COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
N° (1) CCLFI ET GXFION.
g 1. Gulfi, roi de la Marche-finne Í39
g 2. Origine du nom de Séeland . . . . • 140
g 3. Mythe géologique et hiératique sur le Séeland 140
g 4. Bragi le Vieux et le style skaldique 142
g 5. Le Mythe de Gâfion fait partie intégrante de r Encadrement . . . 144
N" (2) GUr.Fl VIENT A ODINSEY.
g 6. Voyage aérien de Gulfi 144
g 7. Forme extérieure de la Halle-des-Occis 145
g 8. La Halle-des-Occis, d'après Snorri 147
îi° (3) GULFI ENTRE DANS LA HALLE-DES-OCCIS.
g 9. L'Intérieur de la Halle-des-Occis 148
g 10. Le Portier de la Halle-des-Occis . ' 149
g 11. Les Allées de la Halle-des-Occis 149
g 12. Les Portes ensorcelées de la Halle-des-Occis 150
N° (4) GULFI DEVANT LES TROIS CHEFS.
g 13. Les Dieux Trinaires 150
g 14. Sublime, Équi-Sublime, et Troisième 151
g 15. Gulfi en présence des trois Chefs 152
g 16. Gulfi provoque les trois Chefs 153
N*» (5) PÈRE UNIVERSEL ET SES DIFFÉRENTS NOMS.
g 17. Les Divinités suprêmes 154
g 18. Origine des noms propres et des noms épithétiques des Divinités . 156
g 19. Explication des douze noms épithétiques d'Odinn 158
N° (6) ODINN DIEU ÉTERNEL ET CRÉATEUR DE L'UNIVERS.
g 20. Odinn dieu éternel et dieu conservateur 162
g 21. Odinn dieu créateur 163
g 22. L'homme, l'œuvre principale du Créateur 163
g 23. Séjour de l'homme après sa mort 164
N° (7) LE MONDE AVANT LE CRÉATEUR.
g 24. L'origine de Père-Universel 165
g 25. Les Thurses-Givreux et les latnes 166
g 26. Ordre de formation des parties de la Mythologie 168
I
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27.
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32.
§
33.
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34.
§
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36.
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37.
g
38.
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39.
^
40.
Pages.
H° (8) LA COSMOGONIE.
Le BâilIeraent-des-Mâchoires 169
Le Séjour-Brumeux et les Vagues-Tempétueuses 170
Le Séjour de Gâte-Monde 173
N° (9) LE MONDE AVANT LES THCRSES-GIVREUX.
La Matière morte est vivifiée 174
Nature, Caractère et i\oms épithétiquesd'Ymir 17G
Époque glaciale du Monde primitif .176
N" (10) VMIR, PÈRE DES THURSES-GIVREUX.
Ymir n'est pas un Dieu 177
La Génération spontanée, et l'immutabilité des espèces .... 178
Comment Ymir engendre les Parents des Thurses-Givreux ... 180
N» (11) LA VACHE ADDHDMLA.
Le nom de la vache Âudhumia . ^ 181
Origine de la vache Audhumla 181
N" (12) bCrI et SA RACE.
Naissance de Bûri 182
Bör le père d'Odinn 183
Les trois fils de Bör 185
N» (13) LES TROIS GÉNÉRATIONS DES THDRSES-GIVRECX.
g 41. Les Représentants des trois générations primitives 186
g 42. Les Thurses-Givreux de la première race sont détruits . . . . 187
N° (14) CRÉATION DU MONDE ACTUEL.
g 43. Formation de la terre 188
g 44. Formation des mers 189
l 45. L'Arrangement du Ciel 190
N» (15) ARRANGEMENT DE LA TERRE.
'i 46. Le Séjour des lotnes 191
g 47. L'Enclos-Mitoyen, et la Ferté Céleste 192
N° (16) l'anthropogonie mythique.
g 48. L'Ethnogonie des Scythes 193
g 49. Arbres métamorphosés en hommes 194
g 50. Comment Snorri conçoit ce mythe anthropogonique 196
g 51. Hors-d'œuvre dans la réponse de Sublime 196
N" (17) NÖRVI et ses DESCENDANTS.
g 52. Norvi et sa fille Nôlt 197
g 53. Nôtt, épouse de Naglfari et de Onarr 199
^. 54. Delling, troisième époux de Nôtt 200
N° (18) MYTHES COSMOGONO-ÉPiyUES SUR SÔL Ct MANI.
g 55. Mundilfari , père de Soi et de Mâni 201
g 56. Soi , la fiancée de Glèn ; ses deux chevaux 203
g 57. Les phases et les taches de la lune 203
g 58. Soleil et Lune , dans lorigine divinités zoomorphes 204
N° (19) LA FUITE DE SÔL ET DE MANI.
? 59. Un mythe de la période primitive 207
X
Pages.
N° (20) LES ENNEMIS Dli SÔL ET DE MAM.
g 60. Les lotnes zoomorphes 208
g Cl. Les loups iotniques Skoll et Hali 209
N° (21) LES GÉANTES MÈRES ET NOURRICIÈRES DES LOUPS.
g 62. Les Géantes zoomorphes 209
g 63. Le Bois de Fer, et Mâna-Garinr 210
N° (22) LA NATURE DE l'aRC-EN-CIEL.
g 64. La Voie-Tremblotante, et les Bains de Bassin 211
g 65. Comment Snorri conçoit Bifröst 212
N° (23) PREMIER AGE DES ASES ; LES DVERGS..
g &6. Jeunesse des Ases 213
g 67. Le prétendu Age d'or des Ases 214
g 68. Les Kvarkes des Scythes et des Gètes 217
g 69. Les Dvergs dans la Mythologie norraine 218
g 70. Origine et races des Dvergs, d'après Snorii 222
N*» (24) LE FRÊNE d'yGGDRASILL ; LA FONTAINE DE MIMIR.
g 71. Le Frêne dYggdrasill, Arbre d'Établissement et de Jugement . . 223
g 72. Le Frêne dTggdrasill . Arbre de Vie 225
g 73. Le Frêne d'Yggdrasill, d'après Snorri 227
g 74. La Fontaine de Mîmir 228
N° (25) LES NORNES; LA FONTAINE DURDUR.
g 75. La Prédiction du Destin 230
g 76. Les Nornes, Arbitres de la Destinée . . .• 232
g 77. Les Nornes épiques 233
N" (26) LES MERVEILLES ET LES SOUFFRANCES DU FRÊNE DYGGDRASILL.
g 78. L'Aigle, et le Dragon i\idhogg 234
g 79. L'Écureuil Batakostr, et le Cerf broutant 235
g 80. La Tombée de miel , et les Cygnes de la Fontaine d'Urdur . . . 237
N° (27) LES DEMEURES CELESTES.
g 81. Le Séjour des Allés; Large-Éclat; Étincelant 238
g 82. Boches -Célestes; Chaumine de Vali ; Chaumine aux l'ortes; et
Brillant 240
N° (28) ORIGINE DES VENTS ET DES SAISONS.
g 83. L'Aigle Hræsvelg 242
g 84. L'origine des Saisons 242
N" (29) LES ASES ET LES ASYNIES ; ODINN ET FRIGG.
g 85. Signification du nom d'Ase et d'Asynie 243
g 86. Les attributions d'Odinn 244
g 87. Les noms épithétiqucs d'Odinn 246
g 88. Conception et attributions de Frigg 250
N<> (30) CONCEPTION DU DIEU THÔR , ET SES ATTRIBUTIONS.
g 89. Pirkunis, Firgunis, Fiörgynn 251
g 90. Les noms de Thôr, de Thôr au Char, de Thôr aux Ases ... 253
g 91. La Demeure de Thôr 254
g 92. Les Houes de Thôr 256
g 93. Le Marteau de Thôr; ses Gantelets de fer, et sa Ceinture de Force . 256
XI
Pages.
N° (31) BALDUR^ niördur; skadi ; fhkyr; et fbeyia.
g 94. Baldur , dédoublement et héritier du dieu Soleil 258
g 95. Niördur, dédoublement du Dieu du Soleil . 260
g 96. Skadi , héritière de la Déesse Vrindus 262
g 97. Freyr, dédoublement et héritier du Dieu du Soleil 265
g 98. Freyia , dédoublement et héritière de la Déesse de la Lune . . . 266
N° (32) TYR ; BRAGl ; ET IDUNN.
'i 99. Tyr, originairement le dieu Ciel 268
g 100. Bragi , dédoublement et héritière de la Lune 272
g 101. Idunn, rÉpouse de Bragi 273
N» (33) heimdall; hödlr; vidaí» ; ullr; forseti.
g 102. Origine stellaire de Heimdall 274
g 103. Origine solaire de Vidarr . • 277
g 104. Hödur, ancien Dieu du Combat 280
g 105. Origine solaire du Dieu-héros Ullr 282
g 106. Vali , ancien Dieu de la Mort 283
g 107. Forseti , dédoublement de Baldur 284
N" (34) LOKI , HEL ET LE SERPENT DE l'ENCLOS-MITOYEN.
g 108. Loki , Symbole de TAstre du Soir 284
g 109. Le Serpent de l'Enclos-Mitoyen , Symbole de rOcéan .... 286
g 110. Hel , originairement Déesse de la Lune 287
N° (35) LE LOUP DE FENRIR.
g 111. Signification symbolique du Loup de Fenrir . . . . . . . 298
g J12. Les Ases enchaînent le Loup de Fenrir 288
N° (36) LES ASYNIES.
g 113. L'Asynie Saga, spécialisation de la Norne Urdur 290
g 114. Cure , dédoublement de Freyia 291
g 115. Gâfion , dédoublement de Freyia 291
g 116. Fulla , dédoublement de Frigg 292
g 117. Freyia , héritière de Rindur et de Frigg 293
N" (37) S1ÖFN; lofn; vör; syn; hlîn ; snotra; gnâ.
g 118. Siöfn, dédoublement de la Déesse Thiuth 29-i
g 119. Lofn, dédoublement de Freyia 295
g 120. Vör, dédoublement de la Déesse Taviti . 295
g 121. Syn , dédoublement de la Déesse Taviti 296
g 122. Hlln , dédoublement de Frigg 297
g 123. Snotra , spécialisation de Freyia . 297
g 124. Gnâ , dédoublement de Freyia 297
N» (38) LES VALKYRIES ; LES ASYNIES 1ÖRD ET RINDUR.
g 125. Les Valkyries conçues d'après les Alhi-runes historiques ... 298
g 126. Les Asynies lord et Rindur 300
N» (39) hymir; les fiançailles de freyr et de gerdlr.
g 127. Gymir , Örboda et Gerdur 302
g 128. Les fiançailles de Freyr et de Gerdur 304
g 129. Les éléments épiques ajoutés au mythe symbolique 305
XII
Pages.
N" (40) l/oRDINAIftE d'oDINN ET DES TROl'PIERS-UMQUES ; LES LOUPS ET LES
COIIBEAUX d'oDINN.
g 1 30. Sæhrimnir , Andhrimnir et Eldhrimnir 306
§131. Odinn boit du vin 308
§ 132. Les Loups Geri et Freki 308
§ 133. Les Corbeaux Huginn et Muninn 309
îi^ (41) LA CHÈVRE HEIDRUNE, l'ARBRE LÆRAD, ET LE CERF EIKTHYRNIR.
§ 134. La Chèvre Heidrûne 309
§ 135. L'Arbre merveilleux Lærad 310
§ 136. Le Cerf Eikthyrnir 311
N<'(42) LA HALLE-DES-OCCIS; LES TROUPIERS-UNIQUES 5 TYPES DES CHOSES , AU CIEL.
§ 137. Grandeur de la Halle-des-Occis ,312
§ 138. Jeux des Troupiers-Uniques 312
§ 139. Les Idéaux des Choses et des Êtres, au ciel 312
N° (43) l'iotne constructeur; svadilfari; sleipnirj skid-bladnir.
§ 140. Le Géant- des-Montagnes, architecte 313
§ 141. Svadilfari et Sleipnir 314
§ 142. Le navire Skîdbladnir 314
N" (44) aventures de thôr dans le séjour des iotnes et dans l'enclos-
EXTÉUIEUR.
§ 143. Thôr sadjoint Thialfi et Röskva 315
§ 144. Thôr et Skrymir 317
§ 145. Thôr chez Loki de TEnclos-Extérieur 319
N° (45) THÔR PÊCHE AVEC HYMIR, ET COMBAT LE SERPENT-DE-MER.
§ 146. Thôr et le Géant Hymir 326
g 147. Lutte de Thôr contre le Serpent-de-Mer 326
N" (46) PRESSENTIMENTS, MORT, ET FUNERAILLES DE BALDUR.
g 148. MortdeBaldur 327
g 149. Funérailles de Baldur 329
g 150. Baldur ne peut revenir de Hel 331
N® (47) FUITE, prise ET PUNITION DE LOKI.
g 151. Loki pris par les Ases 332
g 152. Punition de Loki 334
N" (48) LE CRÉPUSCULE DES GRANDEURS.
g 153. Le terrible Hiver 335
g 154. Les scènes successives du Drame terrible 337
N° (49) LA RENAISSANCE DU CIEL, DE LA TERRE, DES DIEUX, ET DES HOMMES.
g 155. Renaissance de la Terre 339
g 156. Restauration du Ciel 340
g 157. La nouvelle race humaine ; le nouveau Soleil 341
N" (50) ÉPILOGUE DE SUBLIME. REPRISE ET FIN DE l'HISTOIRE DE l'ENCADREMENT.
g 158. L'Épilogue de Sublime 342
g 159. Gulti enseigne en Suède ce qu'il a appris de Sublime .... 342
LA FASCINATION DE GULFI
EXPOSITION.
§ 1. Sujet, but et division de cet ouvrage. — Le traité in-
titulé : La Fascination de Gulfi fait partie du Recueil appelé VEdda
de Snorri. C'est un traité de Mythologie norraine, composé par
Snorri, iils de Sturla; il est, depuis longtemps, la source principale
de nos connaissances en cette matière , et il a été jusqu'ici le fon-
dement et la seule autorité de tous les ouvrages publiés sur ce sujet.
Notre but est non-seulement d'expliquer ce traité , mais aussi d'en
soumettre le contenu à un examen critique. Pour l'expliquer , il ne
suffit pas de le traduire du norrain en français , il faut encore faire
comprendre tout ce qui en constitue le fond et la forme. Or , pour
faire comprendre la manière dont la Mythologie norraine a été
conçue et exposée par Snorri, il est indispensable de traiter ces
questions dans une introduction à la fois philosophique , historique
et littéraire. Notre travail se divisera donc en trois parties : 1° Vin-
troduclion , destinée à expliquer le mode particulier adopté , par
Snorri^ dans la conception du fond scientifique et dans la composi-
tion ou forme littéraire de son traité ; 2° la Traduction, que nous
avons tâché de rendre aussi fidèle que possible , afin qu'on puisse
faire sur elle toutes les études qu'on ferait sur le texte original ;
3** le Commentaire critique , servant à expliquer, à compléter, à con-
trôler et à rectifier, d'après les données de la science moderne,
l'exposé de la Mythologie norraine fait par Snorri.
If
INTRODUCTION.
1.
PREMIÈRE PARTIE DE L OUVRAGE.
INTRODUCTION.
§2. Sujet, but et division de cette Introduction. — La
Fascination de Gulfi renferme la Mythologie norraine telle que
Snorri la savait ou l'avait comprise , quant au fond , et telle qu'il a
cru devoir l'exposer, quant à la forme. Le sujet et le but de cette
Introduction est d'expliquer et d'apprécier la conception du fond et
la forme de ce traité de mythologie. Or , d'abord , pour apprécier la
valeur scientifique de ce traité ou pour savoir jusqu'à quel point cet
exposé est complet et conforme à la vérité , il est nécessaire de
bien connaître la nature de la Mythologie , en général , et l'histoire
de la formation et du développement interne de la Mythologie nor-
raine , en particulier. Ensuite, pour comprendre la forme et tout ce
qui tient à la composition de ce traité , il est indispensable de con-
naître les procédés littéraires, qui étaient en usage du temps de
Snorri, et qui ont, plus ou moins, déterminé la forme que cet auteur
a adoptée dans son ouvrage. Cette introduction comprendra cinq
chapitres. Le premier traitera de l'origine et du développement in-
terne ou logique et du développement externe ou historique et géo-
graphique de la religion des Scandinaves et de leurs ancêtres. On y
démontrera ce que cette mythologie était en réalité , du moins à en
juger d'après l'état actuel de la Science ; et le résultat de cette dé-
monstration nous servira ensuite de règle pour juger et apprécier
en détail , dans le Commentaire critique , les idées que Snorri s'est
faites des différents mythes qu'il expose dans son traité. Le second
chapitre traitera des notions scientifiques que les érudits de l'Anti-
quité et du Moyen âge, qui ont été les prédécesseurs de Snorri^ se
sont formées soit de la Mythologie, en général , soit de la Mythologie
norraine, en particulier; nous y puiserons la connaissance des
notions sur l'Histoire et la Mythologie qui avaient cours dans le
ORIGINE DES RELIGIONS. ,1
monde savant, antérieurement à Snorri. Dans le troisième chapitre
il sera question de Snorri, de sa vie et de l'histoire de ses ouvrages.
Le quatrième chapitre exposera la manière dont Snorri, d'après sa
science mythico-historique , a compris la Mythologie et l'ordre dans
lequel il a disposé les matières dans son traité. Enfin, le cinquième
chapitre expliquera l'origine et la raison de la forme dialoguée, de
l'encadrement historique , et du titre de La Fascination de Gulfî.
CHAPITRE PREMIER.
ORIGINE ET TRANSFORMATIONS DES MYTHOLOGIES OU DES RELIGIONS
NATURELLES.
§ 3. Origine des Religions et des Mythologies. — On dé-
signe, habituellement, sous le nom de Mythologies les anciennes
religions naturelles, qui ne passent pas pour avoir été révélées, et qui,
par conséquent , au point de vue des religions positives et supposées
révélées , sont considérées comme une doctrine humaine et partant
erronée , soit comme un exposé ou un recueil de fables (gr. mutho-
logia). Mais, au point de vue de la Science^ toutes les Religions, comme
toutes les Mythologies, sont é%úeme\\i naturelles ^ c'esi-à-dire d'ori-
gine humaine. Car, dans le monde métaphysique aussi bien que
dans le monde physique^ tout ce qui existe a une origine naturelle^
c'est-à-dire que tout existe en vertu des lois de la nature physique
ou métaphysique qui sont, en quelque sorte, la volonté immuable de
Dieu. Ce qu'on appelle surnaturel^ ou bien n'a d'existence que dans
notre conception erronée , ou bien , s'il a une existence réelle , il
porte improprement le nom de surnaturel, qui devrait être échangé
contre celui de métaphysique. Toutes les religions , quelles qu'elles
soient, ne sauraient donc être autre chose que des religions natu-
relles, car toutes sont les produits de la nature intellectuelle et
morale des sociétés humaines ; les hommes les ont conçues et créées
naturellement, spontanément, successivement, pour y trouver les
moyens de satisfaire leurs besoins religieux. L'Homme est porté
invinciblement à la religion par tout son Être , c'est-à-dire par toutes
les facultés de son Âme : d'abord par le sentiment inévitable qu'il a
de son insuffisance physique, pour se protéger lui-même contre les
forces ennemies , brutales et inexorables de la Nature et contre les
hasards et les accidents de la vie ; ensuite par le sentiment de sa
4 INTRODDCTION.
faiblesse intellectuelle pour comprendre la réalité , la vie et le monde
dans leur essence et leurs causes; enfin, par le sentiment de son
impuissance morale pour satisfaire à la loi de justice qui s'annonce
impérieusement dans sa conscience. Il éprouve donc le besoin de
s'appuyer sur quelque Être qui soit physiquement plus puissant que
lui-même, qui soit la clef de voûte de son système plus ou moins
scientifique, et qui soit, enfin , la sanction des lois qui se révèlent
dans sa conscience morale. Aussi longtemps qu'il y aura des hommes ,
ils aspireront -^evsV Absolu; et dans ce sens la Religion est éternelle
comme l'Absolu lui-même. Les religions appelées naturelles ne
diffèrent, quant à leur origine, des religions appelées positives ou
révélées , qu'en ce qu'elles sont nées par la coopération des masses
et des générations successives et ne s'appuyent que sur la tradition
nationale , tandis que les religions dites révélées sont conçues par
des hommes supérieurs dont les inspirations religieuses ont passé
pour des révélations surnaturelles et qui ont transmis leur vie et
leur foi religieuses à des disciples, ou ont consigné leurs dogmes et
leurs préceptes dans des livres considérés comme sacrés , fondant
ainsi des religions appelées positives, parce qu'elles ne sont pas
spontanées , mais imposées et basées sur la foi en l'autorité du ré-
vélateur. La vérité et la justice étant d'essence divine^ les religions
naturelles, comme les religions pos?/i>es, sont plus on moïn?, divines,
selon qu'elles renferment plus ou moins de vérité et de justice.
§ 4. Transformations des Religions et des Mythologies. —
Il n'y a d'immuable que Y Absolu. Tout ce qui existe, dans le monde
physique, intellectuel et moral, est sujet, tant qu'il vit, au dévelop-
pement, et par suite au changement. L'âme humaine, toute la pre-
mière , plus elle est douée d'une vie énergique , plus son dévelop-
pen^ent sera progressif et plus ses facultés subiront des métamor-
phoses incessantes. La Religion, étant le produit naturel de l'âme
aspirant d'une manière plus ou moins consciente vers V Absolu ,
participe aussi , si elle vit , au développement progressif de l'âme et
subit, s'il n'y a pas d'empêchement, les métamorphoses incessantes
des idées et des sentiments qui sont ses principes générateurs. Il
est vrai que, ï immutabilité éiani l'attribut de l'Absolu, des castes
sacerdotales ont cru imprimer ii la religion un caractère plus divin ,
en la rendant immobile, du moins autant que cela pouvait dépendre
d'elles; mais en agissant ainsi , par un zèle inintelligent, elles n'ont
HISTOIKE DES RELIGIONS. 5
fait que discréditer la religion positive dans l'intelligence et dans le
cœur des hommes religieux. La religion , abandonnée à son dévelop-
pement spontané et naturel, déploira toutes les ressources de sa
riche nature , dans les différentes phases de son développement in-
cessant.
La Science ne connaît la nature d'une religion que quand elle
en connaît entièrement toutes les différentes phases de son déve-
loppement historique. Par conséquent , pour connaître , d'une ma-
nière complète, la Religion ou la Mythologie Scandinave, il faudra
l'étudier dans toutes les périodes de son existence, depuis son ori-
gine jusqu'à son extinction. Mais où trouver, dans l'histoire, les
origines de la religion des Scandinaves ? Cette religion n'est pas née
chez les peuples du Nord ; ces peuples l'ont reçue traditionnelle-
ment de leurs ancêtres , chez lesquels, par conséquent, il faut en
chercher les origines. Quels sont les ancêtres des peuples Scandi-
naves? Nous avons prouvé* que les Scandinaves sont issus des
peuples du rameau gète, qui était sorti lui-même de la branche
Scythe, laquelle se rattachait , dans l'origine , à la souche iafétique.
Il y avait donc une filiation généalogique des Scythes aux Gètes et
des Gètes aux Scandinaves , de sorte que Scythes , Gètes et Scandi-
naves n'ont formé proprement qu'une seule nation dont les géné-
rations successives , se continuant les unes les autres , ont porté
ces différents noms de peuple , aux différentes époques de leur
existence. Mais si ces peuples n'ont formé qu'une seule lignée con-
tinue, qu'une seule nation, il n'y a eu également en eux qu'une
seule vie morale , intellectuelle et religieuse , qui , tout en se déve-
loppant et en se spécialisant dans chacun d'eux, a fait de cette
race une unité , une individualité , une personne, et a produit les
phénomènes qui sont les expressions de cette vie morale , intellec-
tuelle et religieuse et constituent les caractères individuels de cette
personne. Or , s'il y a eu continuité généalogique entre les Scythes ,
les Gètes et les Scandinaves , il y a eu aussi continuité organique
entre eux par rapport à leur religion , de sorte que la religion des
Scythes a trouvé sa continuation naturelle dans celle des Gètes et
que la religion des Gètes a été , à son tour , continuée par celle des
Scandinaves. La Mythologie des Scythes , des Gètes et des Scandi-
1 . Voir Les Gètes ou la filiation généalogique des Scythes aux Gètes et des Gètes
aux Germains et aux Scandinaves , etc.
b INTRODUCTION.
iiaves forme donc une seule et même religion , qui a eu son origine
dans la religion des pères des Scythes, s'est ensuite continuée dans
la religion des Gètes, et enfin a trouvé sa fin à l'époque de la
conversion des Scandinaves au Christianisme. Pour faire connaître
la Mythologie Scandinave depuis son origine jusqu'à son extinction»
nous aurons donc à retracer les différentes phases par lesquelles
elle a passé successivement dans la religion primitive de la souche
iafétique et dans celle des Scythes , des Gètes et des Scandinaves
jusqu'à l'époque de l'introduction de l'Évangile dans le Nord.
§ 5. Transformations de la Mythologie Scandinave depuis
son origine jusqu'à sa dissolution. — Pour faire connaître la
nature de la Mythologie Scandinave , il est nécessaire de montrer
quelles sont les principales phases par lesquelles cette religion a
passé depuis ses commencements primitifs jusqu'à l'époque de sa
dissolution. Or, comme la Religion est un produit de l'esprit humain
(voir p. 3), les phases qui se manifestent en elle sont déterminées
par les diverses formes de cet esprit humain qui l'engendre. C'est
donc d'après ces formes , qui déterminent et modifient successive-
ment les caractères de la Mythologie , qu'on divisera l'histoire du
développement de ces religions anciennes. Nous partagerons l'his-
toire de la religion Scandinave en trois périodes, d'après les trois
modes de conception qui se révèlent dans toutes les manifestations
de l'esprit humain, et marquent le commencement, le milieu et la
fin de son développement. Ces trois modes de conception sont Vin-
tuition qui conçoit , la Raison qui développe , et V Intelligence qui
épure la Religion; ce sont ces modes qui déterminent les trois
phases ou trois périodes principales par lesquelles passe la Religion,
savoir la première période, appelée la période de V Intuition, pen-
dant laquelle la Religion prend naissance et se forme ; la seconde,
appelée la période de la Raison , où la Religion atteint son dévelop-
pement logique le plus complet, et, enfin, la troisième période,
appelée la période de V Intelligence, où telle ou telle Religion tombe
en décadence , parce que l'Intelligence substitue aux anciennes con-
ceptions religieuses des conceptions nouvelles plus vraies et d'un
ordre plus élevé. Cependant, ni dans les individus. ni dans les races,
l'esprit humain ne passe, d'une manière absolue et en quelque sorte
abrupte, d'un mode de conception à un autre.
L'Esprit humain n'est jamais uniquement Intuition ou Raison ou
HISTOIRE DES RELIGIONS. 7
Intelligence; mais l'Intuition primitive est modifiée par la Raison
qui se développe , et l'Intuition et la Raison sont modifiées par l'In-
telligence, qui vient dominer l'une et l'autre. Ces différents modes
de conception se succèdent donc l'un à l'autre, non pour s'effacer
et s'exclure absolument, mais plutôt pour se limiter réciproque-
ment et se compléter l'un l'autre ; ils ne sont pas seulement éma-
nents l'un de l'autre , mais aussi immanents l'un dans l'autre. Ce-
pendant, comme chacun de ces modes de conception prédomine sur
les deux autres, dans une des trois périodes indiquées , il est juste
de nommer chacune de celles-ci d'après le mode de conception qui
y est prédominant. On conçoit ensuite qu'il ne puisse pas y avoir
de limite rigoureusement tracée entre ces trois périodes, et qu'on
ne saurait assigner au commencement et à la fin de chacune une
date précise. Mais on peut indiquer d'une manière approximative les
limites de ces périodes et leur assigner, en conséquence, jusqu'à
des dates chronologiques. Pour la Mythologie Scandinave, la période
de l'Intuition, ou la période de l'origine et de la formation première,
commence à l'origine de la souche scythique et s'étend à peu près
depuis l'an 2500 jusque vers Tan 700 avant notre ère ; elle com-
prend l'histoire de cette religion telle qu'elle s'est formée chez les
ancêtres des Scythes et chez les Scythes eux-mêmes , jusqu'à l'é-
poque ci-dessus indiquée. La période de la Raison, ou la période du
développement logique de cette religion , s'étend à peu près depuis
l'an 700 avant notre ère jusqi^e vers l'an 500 après Jésus-Christ, et
comprend l'histoire de cette religion telle qu'elle s'est développée,
d'abord chez les Scythes depuis l'époque indiquée , ensuite chez les
peuples de la branche gète, et chez les peuples Scandinaves, jusque
vers l'an 500 après Jésus-Christ. Enfin, la troisième période , celle
de V Intelligence, ou la période de la décadence, comprend l'histoire
de la religion Scandinave, qui, depuis le septième siècle, tombe en
décadence, et est remplacée, vers l'an iOOO, par la religion chré-
tienne. Telle est la division que nous suivrons dans l'exposé que
nous avons à faire de l'histoire des métamorphoses subies par la
religion Scandinave , depuis son origine en Asie jusqu'à son extinc-
tion en Europe.
§ 6. Nature et Caractères des Religions dans la période
de l'Intuition. — Dans l'âge primitif de l'individu ou des races,
l'âme, encore ignorante ou vide de notions, observe d'abord seule-
8 INTRODUCTION.
ment les objets visibles, dont elle ne perçoit que les qualités les plus
générales et les plus extérieures. Comme ce mode de perception
s'opère principalement par le sens de la vue , on peut l'appeler con-
venablement y Intuition. Par cette Intuition extérieure (qui est en-
core séparée par un abîme de l'Intuition intérieure de l'Intelligence)
les objets visibles sont perçus de manière à laisser dans l'Esprit (qui
se spécialise peu à peu et se différencie dans l'âme) , leurs images
vagues et superficielles; et comme ces images sont tout ce que
l'Esprit perçoit et connaît de ces objets , elles tiennent lieu primi-
tivement de ce qui, plus tard , dans la période de la Raison, con-
stituera les notions , de sorte que l'Esprit lui-même se manifeste
presque uniquement en sa qualité à' Imagination passive.
On peut établir, en général , trois degrés consécutifs dans les per-
ceptions de l'âme avant qu'elle arrive à Y Intuition. Le premier degré
est celui où l'âme éprouve des sensations ou des impressions phy-
siques causées par les objets visibles, sans cependant avoir la vue ou
l'intuition des objets qui les produisent. Ce premier degré nous
l'appelerons le degré de la Sensation; à ce degré, l'objet, qui est la
cause de la sensation, existe bien pour lui-même, mais il n'existe pas
encore pour l'esprit, parce que celui-ci ne le perçoit pas par la vue. Le
second degré est celui où, par le moyen de la vue, l'âme frappée par
un objet extérieur réagit sur cette impression, c'est-à-dire acquiert
la conscience de la présence ou de l'existence de l'objet perçu par la
vue. Cette impression n'est plus simplement une sensation renfermée
dans le sujet , c'est la vue vague d'un objet présent qui existe et dont
l'existence est perçue par l'esprit : c'est pourquoi nous nommerons
ce second degré le degré de la Perception. L'image qui dans l'âme
résulte ainsi de la perception de l'existence d'un objet, est néces-
sairement vague, puisque le sujet n'y distingue encore aucune qua-
lité ni caractère ; il ne remarque que la présence et tout au plus la
forme générale de l'objet qui frappe la vue. Après la Perception
vient le troisième degré, où l'esprit n'est pas seulement frappé par la
présence d'un objet, mais encore par une de ses particularités, soit
qualités ou caractères. Ces caractères remarqués sont, pour l'esprit,
les signes caractéristiques de l'objet, de sorte que l'idée d'un de ces
caractères et celle de l'objet aperçu, auquel il est inhérent, se confon-
dent entièrement dans l'âme, au point qu'en exprimant ce caractère,
l'homme entend désigner l'objet lui-même, et exprime, eiTectivement,
LES RELIGIONS DE L INTUITION. \f
tout ce qu'il sait de la nature de cet objet. Ainsi , par exemple , en
voyant le soleil, l'homme primitif en remarque le caractère d'être
éclatant, et comme ce caractère constitue tout ce qu'il sail du soleil ,
éclatant est, pour lui, synonyme de soleil. Ce troisième degré, nous
l'appellerons le degré de la notion ou de Vidée.
Les notions se rapportant à la Religion se forment exactement de
la même manière que les autres notions et en portent , par consé-
quent, tous les caractères distinctifs. Les Scythes primitifs ou leurs
ancêtres, qui ne concevaient encore que par V Intuition des sens
ou par l'imagination, et dont la pensée ne s'élevait guère au-dessus
de la vie matérielle, ne pouvaient concevoir la divinité autrement
que comme un être puissant, visible et physique. Aussi les objets
de la nature, tels que le ciel, la terre, le soleil, la lune, le feu, l'eau
et l'océan passaient-ils pour des puissances surhumaines, c'est-à-dire
pour des divinités.
Comme V Intuition ne perçoit que les objets qui, par leur mouve-
ment ou leurs changements, attirent sur eux l'attention, et passent,
à cause de leurs changements et mouvements, pour des objets vivants,
les divinités conçues, dans cette période, étaient des objets considérés
comme Êtres vivants.
Ces êtres vivants (gr. zôa), étant naturellement d'abord conçus
sous la forme qu'ils ont réellement dans la nature, et ces formes
diverses se rapprochant des formes variées du règne animal plutôt
que de la forme unique de l'espèce humaine, il se fit que les divinités
dans la période de l'Intuition, ne fussent pas d'abord conçues comme
anthropomorphes (sous figure humaine), mais comme womorphes
(sous forme animale).
Gomme, dans ces divinités zoomorphes, l'Intuition pouvait déjà
admettre, ainsi que dans les animaux, la différence áe^ sexes, elle a
aussi su établir cette différence entre ces divinités, et c'est pourquoi
il y avait des divinités mâles et des divinités femelles déjà à l'époque
où ces divinités n'étaient encore que zoomorphes. Mais ces divinités
zoomorphes , ayant des formes différentes , ne pouvaient pas être
conçues comme appartenant à une seule espèce, soit race, ou famille;
par conséquent, les rapports, résultant du mariage, de la génération
et de la parenté, n'existaient pas encore entre les divinités de cette
période primitive.
Dans l'idée qu'on se faisait de l'objet physique considéré comme
10 INTRODUCTION.
divinité, ce qu'il y avait d'essentiel c'était le caractère ou le phénomène
qui, dans l'objet physique divinisé, avait principalement frappé l'ima-
gination, et, par cette impression sur l'âme humaine, avait donné de
cette divinité l'idée d'une puissance surhumaine. Ce phénomène ou
caractère devint le trait caractéristique de l'idée qu'on se faisait de
cette divinité, et, comme elle passait pour un être vivant, ce phéno-
mène de l'objet ou ce trait caractéristique de la divinité fut considéré
comme son action volontaire. Mais, comme l'Intuition, qui est l'op-
posé de l'analyse, ne parvient jamais à séparer, dans la pensée,
Vétre du phénomène, elle ne put non plus séparer le dieu de V action
qu'on lui attribuait, de sorte que l'idée du dieu se confondait avec
celle de son action caractéristique, et, par conséquent, désigner cette
action, c'était désigner le dieu lui-même. Aussi le nom primitif que
portait le dieu exprimait-il uniquement cette qualité caractéristique.
Ainsi, par exemple, le Ciel, c'était le Brillant; l'Océan, c'était le
Terrifiant, etc. Comme cette action était considérée comme résultant
d'une puissance surhumaine ou divine , c'était précisément et uni-
quement à elle que les dieux, ses représentants, devaient non-
seulement leur nom individuel et primitivement limgîte, mais en- ^
core le caractère divin qu'on leur attribuait.
L'Intuition, ne pouvant encore concevoir rien d'absolu, les dieux
n'étaient pas non plus adorés, parce qu'on leur aurait supposé une
puissance absolue; on ne leur supposait qu'une puissance surhumaine
et seulement dans la sphère de leur action ou dans leur spécialité.
Ensuite leur action n'était pas encore considérée au point de vue de
la morale, et l'action surhumaine nuisible ou terrible était tout aussi
bien réputée divine que l'action bienfaisante et conforme à ce que
plus tard on a appelé h Morale. Pour gagner la faveur de la-divinité,
l'unique moyen employé dans cette période, c'était l'Invocation qui
était , ou bien conjuration pour demander du secours, ou déprécation,
c'est-à-dire prière pour éloigner le mal ou le malheur. Le culte des
dieux était encore peu développé; il n'y avait, non plus, ni fêtes, ni
cérémonies, ni sacrifices, ni temples, ni images ou statues des dieux.
(Voy. /.es Gaies, p. 263-301.)
Tels étaient, dans la période de l'Intuition, les principaux carac-
tères distinctifs de la Religion en général et de la Mythologie des an-
cêtres des Scandinaves en particulier.
§ 7. Nature et caractères des Religions dans la période de
I
LES RELIGIONS DE LA RAISON. Il
la Raison. — Dans la seconde période, celle de la Raison, l'Esprit,
en possession des images de ïlntuition, ne perçoit pas seulement
Vexislence des objets physiques avec un de leurs phénomènes exté-
rieurs; il perçoit encore quelques-unes de leurs qualités ^Xn^ on
moins invisibles ; i\ ne se contente plus de connaître les choses seule-
ment d'après leur image et leur forme ou par un de leurs phénomènes
extérieurs, il veut les connaître encore d'après leurs qualités et leurs
attributs. Aussi, la Raison, s'appuyant sur des notions plus complètes,
qu'elle acquiert en combinant logiquement les attributs d'un objet
perçus par l'Intuition, parvient-elle, peu à peu, d'un côté à prédominer
sur l'imagination qu'elle modère et qu'elle corrige, et, de l'autre,
à éveiller l'intelligence dont le germe , sous l'influence du raisonne-
ment, commence alors à se féconder et à se développer. Aussi le
mode de conception de la Raison est-il cause que la Religion ou la
Mythologie prend maintenant des caractères tout à fait opposés à
ceux qu'elle avait dans la période de Vlntuition.
La Raison , reconnaissant nettement la différence entre les êtres
physiques ou choses et les êtres spirituelles ou personnes, les Divi-
nités traditionnelles, savoir les objets divinisés, tels que le Ciel,
l'Océan, le Soleil, etc., descendent du rang d'Êtres vivants zoo^
morphes à celui de Choses divines qui «e sont plus elles-mêmes des
divinités , mais auxquelles président des Divinités conçues mainte-
nant comme personnes anthropomorphes. Cette distinction entre la
í/mn/í^ anthropomorphe et l'oíy^í physique, auquel elle préside, une
fois établie, il arrive naturellement que le dieu et l'objet physique
divin, qui dans la perception étaient autrefois identiques l'un avec
l'autre, se séparent maintenant, de plus en plus, l'un de l'autre, dans
la pensée des hommes, et finissent même par devenir entièrement
étrangers l'un à l'autre. Cette séparation , entre la divinité et l'objet
physique auquel elle était sensée présider, s'étant établie, la Raison,
considérant la divinité surtout comme une personne anthropomorphe
et anthropopathe , détermine et précise, de plus en plus, les caractères
ou attributs de cette divinité , sans songer aux rapports existant tra-
ditionnellement entre elle et l'objet physique auquel elle présidait.
Ce rapport tombant, de plus en plus, en oubli, on attribue au dieu
anthropomorphe non-seulement les différentes qualités empruntées
à la nature humaine en général , mais encore des qualités qui n'ont
plus de rapport avec la spécialité traditionnelle du dieu , et qui même
12 INTRODUCTION.
sont en contradiction manifeste avec son caractère ou attribut pri-
mitif. Aussi, au lieu d'avoir, comme autrefois, un nom unique, ex-
primant son action caractéristique, le dieu, par suite de ses qualités
et attributs multiples, prend -il maintenant, dans la période de la
Raison, un grand nombre de noms épithétiques.
Les divinités étant devenues anthropomorphes, il devient possible
de les considérer comme formant une espèce, une race, une famille;
on suppose par conséquent aussi entre elles des rapports généalogiques
et hiérarchiques. On assigne à cette famille divine pour demeure le ciel
et ils prennent dès lors le nom commun général de Célestes (sansc.
daivâs, gr. theoï, p. teifoï, lat. dîvt, norr. tîvar). Les actions attri-
buées aux dieux n'étant plus déterminées exclusivement , comme
autrefois, par leur nature particulière primitive, ne sont pas non
plus considérées simplement comme des attributions individuelles
et nécessaires, mais prennent maintenant la forme et le caractère
des actions humaines volontaires. On ne considère donc plus leurs
actions comme l'expression symbolique de leur nature particulière
ou comme des symboles de leurs qualités individuelles, on les en-
visage comme des faits ou événements historiques plus ou moins
fortuits, et on les rapporte, comme tels, dans les mythes, de sorte
que ces mythes, de symboliques qu'ils étaient primitivement, de-
viennent donc maintenant historiques ou épiques. Le Mythe n'étant
plus l'expression d'une idée ou intuition, mais le récit d'une action
volontaire, entre dès lors, de plus en plus, dans le domaine de l'ima-
gination et de la poésie narratives, et passe, par conséquent, par les
phases successives que, d'après sa nature, la poésie narrative par-
court, chez les différents peuples, d'une manière plus ou moins
complète, depuis les rhapsodies, éléments constitutifs de l'épopée,
jusqu'à l'anecdote.
La Raison étant, de sa nature, désireuse de posséder un ensemble
complet de connaissances ou un système théologique , mythologique
et dogmatique, elle détermine et précise, moyennant l'imagination,
à défaut d'un savoir suffisant, et suivant la méthode de V analogie, les
différentes parties de la Religion, lesquelles, jusqu'ici, étaient encore
ou inconnues ou vagues et indéterminées. Ainsi, après avoir imaginé
des rapports hiérarchiques et généalogiques entre les dieux et les
demi-dieux ou héros, la Raison, appuyée sur l'imagination, conçoit,
à priori, par antithèse et par analogie avec les divinités du culte,
LES RELIGIONS DE LA RAISON. 13
des Êtres allégoriques cosmiques ou des Génies présidant aux diffé-
rentes forces et phénomènes du monde physique. La Démonologie se
forme et prend place dans la Mythologie. Ensuite, déterminant l'ori-
gine ou la naissance des différentes Divinités , la Raison les fait sortir
ou naître des forces gigantesques supposées primitives de la Nature :
la Théogonie vient s'ajouter à la Mythologie. Puis, par analogie avec
ce qu'on observe dans la formation des choses , la Raison conçoit
un système, plus ou moins rationnel ou imaginaire, pour exphquer
Voriginc du Monde : la Cosmogonie s'ajoute à la Théogonie. Puis la
Raison se rend compte, à sa manière et d'après l'état de la science
d'alors, de Y origine et de la création du Genre humain qu'elle con-
sidère d'abord comme créé par les dieux, et, ensuite, comme issu
généalogiquement des Dieux : V Anthropogonie^''diio\x\,Q à la Théogonie
et à la Cosmogonie. Enfin , suivant toujours l'analogie avec ce qu'elle
voit dans les choses de ce monde qui dépérissent et renaissent, la
Raison se crée un système sur la fin du Monde {Eschatologie) et sur
la Renaissance des choses, des hommes et des dieux (Palingénésie,
VApokatastase). C'est ainsi que, dans cette période de la Raison, tous
les cadres de la Mythologie sont dressés et remplis, peu à peu, par
des systèmes cosmogoniques, théogoniques , anthropogoniques et
eschatologiques. Comme, ensuite, tout ce que l'homme sait, sent et
fait se rattache, dans cette "période, à la Religion, parce que tout,
dans l'état intellectuel, moral et social d'alors, est censé se faire sous
l'inspiration, sous les auspices et avec le concours et l'intervention
des Divinités, il arrive aussi naturellement, à cette époque, qu'on
songe à faire entrer dans la Mythologie toute tradition qui se rattache,
par quelque côté que ce soit, à la présence, à l'influence, à l'inter-
vention ou à l'action directe des dieux. La Mythologie embrasse donc,
dans cette période, non-seulement les traditions religieuses propre-
ment dites, mais tout le domaine de l'esprit humain, la poésie, la
science et l'histoire traditionnelle de la nation. Comme c'est le propre
de la Raison de concevoir les choses dans leur ensemble et leur en-^
chaînement , la Mythologie , dans cette période de la Raison , tend
également, de plus en plus, au système, c'est-à-dire à un ensemble
ordonné. Mais comme elle ignore complètement le système naturel
des choses, elle s'en tient seulement, comme toute science novice,
à l'ordre logique, tel qu'il est donné par la narration ou par la suc-
cession présumée naturelle des faits rapportés dans les mythes, de
14 INTRODUCTION.
sorte que la Mythologie devient une espèce de tableau général de
l'histoire du monde, des dieux et des hommes. La Mythologie étant,
dans cette période de la Raison, à la fois Science ou ce qu'on croit être
vrai, et Poésie ou ce qu'on ^'imagine être vrai, reste ce qu'elle a été,
dans l'origine, objet de foi, pour ceux du moins, chez lesquels cette
foi n'est pas ébranlée par une science supérieure ou par un mode
de conception plus parfait, tel que celui qui naît, à cette époque, du
développement progressif et de la prédominance définitive de Vin-
telligence.
§ 8. Nature et caractères des Religions dans la période de
l'Intelligence. — L'esprit humain, une fois en possession des nom-
breuses images perçues par V Intuition et des différentes notions
conçues par la Raison^ tend plus haut et ne se contente plus seule-
ment de concevoir des images fortuites et des attributs accidentels et
extérieurs, il parvient encore à concevoir de plus en plus l'essence
intime, le prototype parfait ou l'idée des choses. Ce mode de concep-
tion, qui fait comprendre (lat. intelligere) l'essence des choses, mérite
le nom d'Intelligence , et la période dans laquelle il prédomine sur
l'Intuition et sur la Raison se nomme la période de V Intelligence.
La Religion, telle qu'elle est conçue par l'Intelligence, est directe-
ment opposée à la Religion delà Raison, comme celle-ci était l'op-
posé de la Religion de V Intuition. Ainsi , à la pluralité des dieux de
l'intuition et de la Raison, l'Intelligence oppose le Dieu unique qui
n'a pas de semblable ni d'associé. Au lieu des divinités anthropo-
morphes de l'Intuition et des Dieux-hommes de la Raison, l'Intelli-
gence ne conçoit qu'un \)ieu Esprit pur ou Substance qui ne demanae
pas des sacrifices et les vaines cérémonies d'un culte matérialiste,
mais qui veut être adoré dans l'espni et dans la i;^n7^. L'Intelligence,
en examinant, au point de vue de la vérité, les divinités de la Religion
traditionnelle, les trouve insuffisantes, immorales, mesquines; elle
commence à soupçonner qu'elles soient de fausses divinités, et elle
finit par les pénétrer, et, dès lors, elle les rejette complètement et
sans retour. Cependant la Religion polythéiste et mythologique, par
cela même qu'elle est la Religion des pères et qu'elle est enracinée
dans la tradition et par suite dans les habitudes, les mœurs et les
intérêts matériels de la nation, continue encore à se maintenir dans
la croyance de la majorité ou du vulgaire de bas et de haut étage,
chez lequel l'Intelligence est toujours subordonnée à Vlntuition et h
LA RELIGION DE l'iNTELLIGENCE. 15
la Raison. Mais, tout en se maintenant telle quelle, cette Religion
des pères et de la tradition ne peut se soustraire à la loi générale
et fatale du développement. Or, dans la période de l'Intelligence,
la Religion de l'Intuition et de la Raison continue à vivre, c'est-
à - dire a se développer ; mais elle se développe dans un sens
opposé aux principes qui ont présidé à sa formation; c'est-à-dire
qu'en se développant elle se décompose ^ et la tradition, expliquée et
appréciée à sa valeur par l'Intelligence, est obligée de céder à la
puissance invincible de la Science. Enfin , quand le moment arrive
où, sous la pression de circonstances impérieuses, soit politiques,
soit philosophiques, l'ancienne Religion est forcée d'abdiquer, de
céder sa place à une nouvelle Foi scientifique, plus conforme aux
conceptions de l'Intelligence ou aux intérêts du siècle, la Religion
de V Intuition et de la Raison disparaît et ne laisse plus , dans la
croyance du peuple converti à la nouvelle foi, que ses éléments dés-
agrégés. Ces anciens éléments se propagent, en partie, dans la nouvelle
Religion sous forme de superstitions (lat. superstitio, reste de la re-
ligion antérieure), et même l'ancienne Religion se maintient quel-
quefois indéfiniment chez des hommes qui, par intérêt ou par faiblesse
d'esprit, se contentent de la tradition surannée, ou ne sentent pas
le besoin de s'élever à la Religion de l'Intelligence.
Tels sont les traits principaux de l'histoire de la formation, de la
transformation et de la décomposition de toute Religion ou Mytho-
logie, lorsqu'elle n'a pas été empêchée, par des causes extérieures,
dans son développement spontané et normal'. Ce développement, il
faut le connaître pour comprendre la nature, l'essence et les phé-
nomènes de la Mythologie ; car, sans cette connaissance, toute Reli-
gion restera nécessairement un mystère et une lettre close. Or,
cette connaissance n'est devenue possible que de nos jours, à la
suite de longues études préliminaires en Philologie, en Histoire et
en Psychologie.
Cette science n'existait encore ni dans l'Antiquité , ni au Moyen
âge, pas même dans les plus grands philosophes, ni dans les érudits
les plus distingués. Snorri ne pouvait donc, non plus, donner dans La
Fascination de Gulfi l'explication véritable de la Mythologie nor-
1. Cette histoire sera retracée avec pius de détails mythologiques dans un ouvrage
que nous nous proposons de publier sous le titre de : Formation et transformationf:
des Mythologies, ou Lois du développement interne des religions naturelles.
10 INTRODUCTION.
raine. Il s'était formé sur celte mythologie un système scientifique,
basé sur celui de ses prédécesseurs. Or, pour juger ce système et
pour pouvoir corriger le faux .point de vue où se tient Snorri dans
son exposé de la Mythologie norraine, il importe de faire connaître
les idées qu'on s'était faites de la Mythologie en général, dans l'Anti-
quité et au Moyen âge.
CHAPITRE II.
LA SCIENCE DE LA MYTHOLOGIE DANS L^ANTIQUITÉ ET AU MOYEN ÂGE.
§ 9. Origine du système évhémériste. — A mesure que les
divinités zoomorphes de la période de V Intuition furent conçues,
dans la période de la Raison, comme des divinités anthropomorphes
(voy. § 7) , la Mythologie , devenant ainsi le tableau épique de l'his-
toire des dieux, se rapprocha aussi de plus en plus, dans toutes ses
parties , de l'histoire proprement dite ou de l'histoire des hommes.
Il est vrai, la Raison était mieux en état que V Intuition, d'établir
une distinction nette entre la tradition religieuse (gr. muthos) ou
mythologique et la tradition historique (gr. logos) \ mais ce qui
prouve, entre autres, que, même à cette époque, dans la Science
aussi bien que dans la Religion, cette distinction, à peine établie,
s'effaça bientôt de nouveau, c'est que les Zy0^o//rojt?/ies de l'Ionie, qui
auraient dû surtout la maintenir, furent les premiers à faire entrer
la Mythologie dans la Logographie , et à ne voir dans l'histoire my-
thologique des dieux que des faits défigurés de l'histoire proprement
dite. C'est ainsi que déjà Dionusios de Milet essaya d'arriver, par
son explication de certains mythes , à des faits prétendus historiques
qu'il croyait y être renfermés. D'un autre côté, les héros ou demi-
dieux (par cela même que quelques-uns d'entre eux étaient considérés
et représentés , dans la tradition religieuse elle-même , comme des
mortels qui ont été apothéoses ou élevés au rang des dieux), devaient
favoriser singulièrement la supposition que les dieux traditionnels
de la Mythologie aient été également, dans l'origine, des mortels
qui, par des circonstances favorables ou par différents moyens par
eux employés, fussent parvenus à se faire passer, de leur vivant ou
après leur mort, pour des êtres surhumains ou pour des dieux.
Aussi, c'est d'après ce point de vue qu'un philosophe de l'école ku-
rénaïque , Evhèmeros (qui vécut vers le commencement du qua-
l'evhémérisme. i 7
trième siècle avant Jésus-Christ), expliqua , d'une manière hardie
mais erronée, l'origine des dieux traditionnels, et forma ainsi le
système d'interprétation de la Mythologie grecque, auquel on peut
donner le nom d'Evhémérisme. Cette explication de l'origine des
dieux et des mythologies parut, dans la suite, d'autant plus plau-
sible, et mériter la préférence sur l'interprétation morale et allégo-
rique adoptée par l'école stoïcienne, que, vers le temps de la déca-
dence et de la chute du Paganisme gréco-romain, l'usage devint
plus fréquent, en imitation des héros apothéoses de la Mythologie,
de rendre des honneurs divins , de leur vivant ou après leur mort ,
à des empereurs ou à d'autres hommes plus ou moins marquants et
distingués. Lorsque, enfin, le Christianisme eut remplacé les religions
polythéistes du Monde ancien, il nia, il est vrai, décidément le ca-
ractère prétendu divin des dieux du Paganisme vaincu ; mais la théo-
logie chrétienne ne s'avisa pas de nier la réalité de ces prétendus
dieux ou leur existence comme êtres réels; et, au lieu de déclarer,
comme elle aurait été en droit de le faire, que ces dieux anthropo-
morphes n'ont jamais eu une existence réelle , qu'ils étaient seule-
ment, dans l'origine, les personnifications de certains phénomènes
ou objets réels de la Nature, et que quelques-uns d'entre eux n'é-
taient même que les produits de l'Allégorie et de l'Imagination
poétique; en un mot, au lieu de dire que ces dieux n'ont existé que
dans la pensée , ou ddns l'imagination et dans la croyance erronée
des hommes, les théologiens et les apologètes chrétiens, déjà du
temps des premiers Pères de l'Eglise, adoptèrent le système evhé-
mériste, et crurent avoir assez fait, pour détruire le Culte des dieux
mythologiques, en prouvant à leurs adversaires que , de l'aveu même
des philosophes païens, les dieux du Polythéisme n'avaient été, dans
l'origine, que de simples mortels. Cependant, tout en admettant, par
rapport aux dieux mythologiques, le système evhémériste, la théo-
logie chrétienne ne pouvait pas également admettre, avec les philo-
sophes evhéméristes païens, que les nations eussent rendu des hon-
neurs divins à des mortels , en reconnaissance de leurs vertus et de
leurs bienfaits; elle admettait, au contraire, que ces mortels fussent
parvenus à s'élever au rang de dieux , en trompant les peuples par
les artifices de la Magie ; elle voyait même en eux des incarnations
du Diable, ou du moins les instruments dont Satan s'était servi pour
induire en erreur la pauvre humanité. En cela , elle fit, à peu de
2
iS INTRODUCTION.
choses ppès, ce que déjà, antérieurement, la théologie juive avait fait
par rapport aux dieux des Gentils. Car, de même que la théologie juive,
jtout en se moquant de l'adoration des statues de bois et de pierre ,
n'a jamais nié , comme l'ont fait positivement-quelques prophètes
d'Israël, la réalité personnelle d'^rframm^M, de Kemosch, de Baal-
Péor, de Baal-Seboub , etc., mais les a seulement ravalés au rang de
mauvais Génies, opposés au seul dieu véritable Jehovah, de même
la théologie chrétienne, elle aussi, ne voyait le plus souvent, dans
les dieux du Paganisme vaincu, que des Démons ou des fds de Sa-
tan, ayant induit en erreur les hommes qui les onj; adorés.
§ 10. L'Evhémérisme chez les peuples de la branche gète.
— Après la conversion des peuples du Nord au Christianisme , les
idées evhéméristes de la Théologie chrétienne passèrent également,
peu à peu, dans le domaine de la science de ces peuples, et les
clercs les appliquèrent aussi aux divinités des nations de la branche
gète. C'est ainsi que le moine anglo-saxon Aethelweard, vers 970,
en parlant d'Odinn dans sa chronique, l'appelait «un ancien roi de
peuple barbare, que les Païens trompés du Nord, lesDanes,les
Normands et les Suèdes, adorent encore aujourd'hui comme Dieu.»
Comme on admettait que l'erreur du Paganisme était née de ce
qu'on avait divinisé des hommes, plusieurs chroniqueurs du Moyen
âge crurent retrouver la vérité en faisant l'inverse de ce qu'ils sup-
posaient avoir été fait par les peuples trompés, c'est-à-dire qu'ils
considéraient les dieux mythologiques comme ayant été , dans l'ori-
gine, de simples hommes appartenant à l'histoire. C'est ainsi, par
exemple, que Saxon le Savant (Grammaticus), vers l'an 1200, re-
présenta, dans son Historia danica, les dieux du Nord comme des
Chefs puissants qui excellaient dans la magie, et qui, après avoir
régné à Byzance, passèrent dans les Pays Scandinaves , où ils réus-
sirent à se faire adorer.
Ces idées paraissaient d'autant plus plausibles que, d'après les tra-
ditions des peuples de la branche gète, les Prophètes et les Inspirés
eux-mêmes étaient considérés comme les fils des dieux (voy. Les Gètes,
p. 297). Les érudits du Moyen âge, prenant donc au pied de la
lettre ces traditions, se les expliquèrent tout naturellement en con-
sidérant les pères de ces Prophètes ou les dieux comme n'ayant été
également, en réalité, que des hommes. 11 y a plus: chez les peuples
de la branche gète, non-seulement les Prophètes et les Inspirés ,
SYSTÈMES MYTHICO-HISTORIQUES. 49
mais aussi les Rois et les Chefs do tribus et les Tribus elles-mêmes,
prétendaient remonter, par leur origine, à quelque divinilé {\o^ . Lefi
Gètes, p. 272). Les érudits, d'après leur système evhémériste, ne
voyaient rien d'invraisemblable dans ces généalogies divines, et ils
croyaient même trouver dans ces généalogies mythologiques et dans
ces traditions épiques , des preuves nombreuses de la vérité de leur
système. De cette manière, la ligne de démarcation entre la tradi-
tion mythologique ou épique et la tradition historique, étant complè-
tement méconnue ou effacée. Mythologie et Histoire se confondirent
ensemble. Les érudits et les chroniqueurs du Moyen âge crurent
donc pouvoir trouver, dans les traditions mythologiques et épiques
sur les dieux et les héros, des données historiques, pour établir l'o-
rigine de leur nation, qui avait adoré ces dieux et vénéré ces héros;
et réciproquement , ils crurent pouvoir rattacher les traditions sur
l'origine épique de leur nation aux traditions mythiques sur leurs
dieux , pour reconstruire ainsi l'histoire de leur berceau, soit de leurs
ancêtres primitifs ou premiers rois. Ils firent , sous ce rapport, ce qu'a-
vaient fait, déjà dans l'Antiquité, les Logographes et les Mythographes
des Egyptiens, des Assyriens , des Phéniciens, des Perses, des Grecs,
etc. , qui avaient placé au commencement de l'histoire de leurs na-
tions respectives, le règne des dieux, qu'ils considéraient comme
leurs premiers rois y et qui avaient représenté la tradition mytholo-
gique de ces dieux changés en rois, comme l'histoire des périodes
primitives de leur race. La Mythologie ayant donc été considérée au
Moyen âge, ainsi que dans l'Antiquité, comme faisant partie inté-
grante de l'Histoire, il importe de savoir comment les érudits et les
chroniqueurs chrétiens des peuples de la branche gète, ont combiné
ou mis en rapport les traditions mythologiques et épiques de leurs
ancêtres païens, avec les données de l'histoire universelle ou avec
le système historique orthodoxe adopté par l'Église chrétienne.
§ 11. Systèmes mythico-historiques des Savants au Moyen
âge. — Le Polythéisme, partant du point de vue que chaque peuple
avait une origine différente et formait une race à part, ne pouvait arri-
ver à l'idée d'une histoire universelle, et, n'ayant aucun intérêt ni
matériel, ni intellectuel, ni moral de le faire, ne songeait pas même
à y arriver; il se contentait de l'histoire nationale, parce que chaque
nation se considérait comme la première de toutes, comme le centre
et de la création et des événements de ce monde. L'Antiquité païenne
áO INTRODUCTION.
ne s'étant élevée que jusqu'à l'idée de VÉtat, n'a pas dépassé le
point de vue historique de Titus Livius^ qui, dans son Histoire ro-
maine , représente le peuple romain comme le centre autour duquel
gravite, de plus en plus, le monde entier. Le Monothéisme, plus
porté à considérer les diverses nations comme des membres d'une
même famille, et tous les hommes comme des fils plus ou moins
dignes et distingués du Dieu unique, s'élève au-dessus de l'idée de
VEtat, et arrive à l'idée plus compréhensive de VEglise, qui n'est pas
seulement, comme l'Etat, une communauté d'intérêts sociaux, mais
qui doit être une communauté libre d'intérêts intellectuels et mo-
raux, devant réunir tous les peuples, et par conséquent engendrant
seule les idées de VHumanité et de l'Histoire universelle. Avec le
Christianisme, qui ne vise pas à fonder des États, mais invite toutes
les nations à entrer dans l'Église invisible, est née la possibilité
d'une histoire universelle et d'un système scientifique de l'histoire
du Monde. Comme c'est l'idée de la communauté religieuse ou de
l'Eglise qui a engendré celle de l'histoire universelle, le système
scientifique de l'histoire, qui se forme dans l'Église et qu'elle recon-
naît comme orthodoxe, porte donc aussi un caractère théologique ou
religieux. La chrétienté, se composant de l'élément judaïque, numé-
riquement faible, et de l'élément païen, numériquement prédomi-
nant, trouva dans la doctrine religieuse des juifs, bien plus que
dans la science historique des païens, des idées propres à former
un commencement de système scientifique de l'histoire universelle;
et quelque faible et insuffisant que soit ce système, au point de vue
de la Science moderne, il était cependant plus près de la vérité que
le système purement politique des meilleurs historiens grecs et ro-
mains. Or, voici les éléments dont se compose le système historique
qui s'est formé dans l'Église, à commencer du deuxième siècle, et qui
s'est maintenu, avec peu de modifications, jusque dans le Discours
sur l'histoire universelle de Bossuet. D'abord un livre de l'Ancien
Testament, la Genèse, a fourni l'histoire de V origine du Monde et
l'histoire des temps primitifs. Ensuite ce livre rattache à la disper-
sion des trois fils de Noah, Sem, Hham et Idfèl, l'origine de toutes
les Nations de la terre. Il montre qu'au milieu de ces Nations, tom-
bées dans le Polythéisme , se distinguent les descendants de Sem et
plus particulièrement les fils à' Abraham, qui, gardant la religion de
Jéhovah, deviennent le Peuple élu de Dieu et forment l'Église dans
ODINN, ROI DES THRÀKES. 24
laquelle doivent rentrer plus tard toutes les autres Nations, comme
le présument les traditions historiques , et comme le prédisent
les livres prophétiques de l'Ancien Testament. Puis, autour de
l'histoire sainte du Peuple de Dieu, continuée dans celle de
l'Église chrétienne, est venue se grouper l'histoire profane des
Peuples païens, laquelle est résumée dans l'histoire dçs Quatre Monar-
chies figurées par les quatre Bètes de la vision de Daniel (Daniel ,
chap. 7), qui désignaient, d'après l'interprétation postérieure taci-
tement admise : 1° l'empire assyro-babylonien , 2° l'empire médo-
perse, S*' V emi^ire gre'co-macédonien, et 4° l'empire romain. Tel était
le système de l'histoire universelle, formé par les premiers docteurs
de l'Église. Ce système était suffisant pour l'horizon borné de l'Anti-
quité et du Moyen âge , et aussi longtemps que subsistait l'Empire
romain ; mais il devint un cadre trop étroit après la chute de cet
empire; cependant il s'est maintenu, dans tout le cours du Moyen
âge et jusque dans les temps modernes, à cause de son caractère
théologique et orthodoxe. 11 fut naturellement adopté par les érudits
et chroniqueurs des peuples de la branche gète convertis au Chris-
tianisme, et adopté d'autant plus facilement que ces érudits pouvaient
faire entrer, dans ce cadre donné, l'histoire ou les traditions mythico-
épiques de leur propre nation. En effet , la table ethnologique de la
Genèse étant supposée indiquer l'origine de tous les Peuples de la
terre, il suffisait que le chroniqueur choisît parmi les fils de lâfêt ,
énumérés dans cette table, quelqu'un qui, pour quelque raison plau-
sible, pût passer pour le père éponyme de sa nation. Dans l'impossi-
bilité où ils étaient de trouver toujours le père éponyme véritable,
les érudits du Moyen âge , en désespoir de cause ou par ignorance
et manque de toute critique historique, choisirent à tout hasard, et
arrivèrent ainsi, pour la plupart, à des combinaisons historiques
qui sont curieuses par leurs singularités, et dont il nous importe
ici de connaître les raisons plausibles, afin d'arriver à distinguer
l'erreur de la vérité dans les traditions nationales, et, par suite, dans
les ouvrages historiques des prédécesseurs de Snorri.
% 12. Odinn supposé d'origine thrâke et roi des Thrâkes.—
Si les connaissances philologiques, linguistiques, historiques, géo-
graphiques et physiognomiques , qui sont nécessaires pour établir la
généalogie des nations , avaient été aussi avancées au Moyen âge
comme elles le sont de nos jours , on aurait pu reconnaître , déjà à
22 INTRODUCTION.
cette époque, que les peuples Scandinaves se rattachaient tout d'a-
bord, par leur origine immédiate, à la branche gèle, qui elle-même
se rattachait à la souche scythe. Mais , dans l'état imparfait de ces
connaissances , ef dans l'absence de toute critique historique , on
dut se contenter de combiner, tant bien que mal, les traditions de
la nation avec les données que fournissait au chroniqueur le hasard
de son érudition historique. D'après les idées evhéméristes en
vogue, on admettait que Odinn et les ^ses avaient été non-seulement
les ims et les chefs, mais aussi les fondateurs de leur nation; de
sorte que les Scandinaves, qu'on considérait comme les descendants
des compagnons des Ases, passaient pour être précisément de la
race du peuple, dont les Ases avaient été autrefois les rois et les
chefs. Or, c'était une tradition généralement répandue chez les
peuples Scandinaves, que leurs ancêtres, soit Odinn et les Ases ,
étaient venus du swif-es/ de l'Europe dans le Nord; et cette tradition
était conforme à la vérité. Il s'agissait donc pour les chroniqueurs
de découvrir quel était le peuple, au sud-est de l'Europe, sur lequel
Odinn et les Ases avaient autrefois régné dans ces contrées. Les
Gantes de la Suède rattachaient leur origine aux Gètes, qui autrefois
habitaient la Thrace. Les Dânes (Dacines) se reconnaissaient comme
les descendants des Dakes, et donnaient à leur pays le nom de Dacie,
en souvenir de leur mère-patrie , la Dacie de la Thrace. La Thrace
était donc désignée , dans les traditions des Scandinaves , comme le
pays d'où étaient sortis autrefois leurs ancêtres; ce qui, d'après la
manière de voir des érudits au Moyen âge, équivalait à dire que
Odinn, le fondateur de la nation , était Thrake d'origine , et avait
régné, comme roi, sur les Thrâkes. Ensuite, ayant appris que, de
leur temps, la Thrace faisait partie de l'Empire grec, et sachant que
la ville de Constantinople ou de Byzance était située sur le Bosphore
de Thrace, les chroniqueurs du Moyen âge, peu instruits en his-
toire et en géographie , crurent que les Grecs de leur temps étaient
les descendants des anciens Thrâkes , et ils prirent, par conséquent,
le nom de Grèce comme synonyme de Thrace. Voilà pourquoi un
chroniqueur norrain dit: «Tiras, Tracta , c'est tout un avec Grèce
(norr. Tiras, Tracia that er ail eitt ok Grikland). » Aussi Paul le
diacre, iils de Warnfrid (f 800), dans son ouvrage intitulé: Gestes
des Langobardes, ènonce-t-il qn Odinn (dont il fait naturellement
un roi) a régné en Grèce, avant d'avoir Plé adoré comme dieu en
ODINN, R0I DES TURKS. 2^
Germanie et dans le Nord de l'Europe. Saxon le Savant (Grainmati-
cus), se figurait également qu' Odinn avait eu le siège de son gou-
vernement à Byzance , d'où il serait ensuite venu s'établir à Upsala,
en Suède. D'après la Genèse, Tiras était fils de lâfet, et le père et
le représentant ethnique des Thrâkes (voy. Les Peuples primitifs,
p. 58); or, comme père des Thrâkes, il dut être considéré comme
l'un des ancêtres du roi des Thrâkes Odinn, de sorte que l'histoire
des Ases ou des peuples du Nord put être rattachée, par l'intermé-
diaire (l'Odinn, en tant que descendant de Tîrâs issu de Mfet, au sys-
tème historique orthodoxe qui avait cours au Moyen âge.
§ 13. Odinn supposé d'origine turke et roi des Turks. —
Les aiicêtres des Scandinaves ou les tribus scythes de la branche
gète, se disaient issus ou fils du Soleil. Le Soleil portait différents
noms épithétiques; et, à l'époque où ces tribus n'avaient pas encore
de statues des divinités, il fut représenté par un Arbre symbolique,
un chêne ou un frêne; voilà pourquoi le Dieu du soleil eut, entre
autres noms épithétiques, celui de Arbre {Taru, Tiru, Triu, voy.
Les Gétes, p. 193). Or, il y avait , sur les bords orientaux de la mer
Caspienne, une tribu scythe qui se disait issue du dieu Tiru, et qui
se donnait, par conséquent, le nom de Tiruinkai (Issus de Tiru),
dont les Grecs ont fait Derbinkai, et les Latins Dervîcœ (cf Tavin-
kai, Dâvîkoi, Dàkoi). Quelques familles de celte tribu se sont trans-
portées sans doute enThrace, et c'est pourquoi on trouve, parmi les
tribus des Gotes établis dans ce pays, la famille des Thervingai, qui
portaient le même non} que leurs ancêtres scythes les Tiruinkai.
Cette famille gote a probablement donné naissance à une tribu qui
s'est établie dans la Germanie orientale, et dont provinrent les tribus
des Dures, des Hermun-dures et des Thuringes. De même que, de
Tiruinkai, les Latins ont formé Dervicæ, et que Tavinkoi s' est changé
en Dâkoi, de même le nom de Thuring s'est changé en Turk ou
Durk (cf Durk-heim p. During-heim). Les Scandinaves savaient, par
leurs traditions, que leurs pères, avant de venir dans le Nord, étaient
établis en Germanie, principalement en Saxe, appelée aussi Pays des
Turks (Thuringes), et c'est pourquoi les chroniqueurs ont pu dire
(\\jl Odinn était d'origine turke et roi des Turks. Plus tard, la signi-
fication véritable et primitive du nom de Turk , comme synonyme de
Thuring s'effaça, et ce nom fut confondu avec celui de Thrak et même
avec celui de Tare. Kn effet, Odinn étant nommé roi des Trakes et
^^ INTRODUCTION.
roi des Turks, quelques érudits se sont imaginé que Turk (Thu-
ring) était le même nom que Trak (Thrace); par la même raison, la
confusion dut s'établir encore entre le nom de Turk (Thuring) et
celui de Turk (Turc); et cela d'autant plus facilement, que cette cod-
fusion fut confirmée, en grande partie, par la fausse combinaison
historique que voici :
D'après une tradition, qui porte tous les caractères de la vérité,
une tribu tatare était établie, vers le quatrième siècle, en Asie au
pied d'une montagne, qui, à cause de sa forme de casque, avait dans
la langue tatare, le nom de Terk (heaume); le nom de la montagne
devint également le nom ethnique de la tribu établie à ses pieds. Les
Terks ou Turks étant devenus puissants et renommés, leurs parents,
les Ourgs ou Ouigurs (chinois Hiong-niu), les lazugs, \ès Avars ,
les Madjars, etc., aimaient aussi 9 se donner le nom de Tz^f^s (chinois
Thou-Kiu), soit comme nom ethnique emprunté à celui des Turks,
soit comme nom honorifique guerrier, signifiant Heaumes, Protec-
teurs ou Porie-.casques (turk Terk-ûslân, Casque). Aa cinquième
siècle, les Turks véritables, unis à leurs parents, les Avars ou
Madjars, passèrent le Volga et entrèrent en Europe. Dans la suite,
ces deux peuples frères, les Tarks et les Madjars (Hongrois) ou'
Huns, furent confondus sous la dénomination générale de Turcs.
Lorsque, au milieu du cinquièn)e siècle, Ethele (Attila) eut fondé
son vaste empire, qui s'étendait depuis le Volga jusqu'au Rhin, et
depuis la Baltique jusqu'à la mer Caspienne, tout cet empire fut
désigné par les peuples germaniques et Scandinaves sous le nom de
Pays des Huns (norr. Huna-land); et, par conséquent les sujets
d'AltUa, à quelque race qu'ils appartinssent, furent compris sous
le nom général de Huns. Les Gotes , appelés aussi Thrakes par
les érudits (voy. p. 22), ayant été soumis à la domination d'At-
tila, furent également appelés Huns, et cela d'autant plus facile-
ment que des peuples tatars, tels que les Alains, s'étaient réelle-
ment formés par le mélange des Gotes avec les Huns. Quelques
chroniqueurs substituèrent donc le nom de Huns à celui de Gotes ,
de Gètes ou de Thrakes. D'autres érudits ne confondirent , sous la
dénomination générale de Turks, que les Turcs proprement dits et
les Hongrois. C'est ainsi que Constantin Porphyrogénète {De adm.
hnp., c. 38) a donné à Arpad, premier roi des Madjars, le litre de
roi des Turks. Selon Adam de Brème, 1056, les Skutes (Scythes,
ODINN, ROI DES TURKS. 25
Slaves) et les Turks (Turks et Madjars) s'étendaient , de son temps ,
jusqu'à la Ruzzia (Russie méridionale) ; et suivant V Histoire abrégée
des dynasties (arabe Târîkh moktassar ad-daul) , de Grégoire , sur-
nommé Père de la Joie (ar. Abou-'l-faradji), les pays grecs (Bas-
Empire) étaient séparés des pays romans (Italie) , par les peuples
turcs, c'est-à-dire par les Hongrois ou Madjars. Les Hongrois eux-
mêmes , tenant à honneur de porterie nom de Turks, firent graver
en caractères grecs , sur la couronne de Hongrie, comme titre des
rois madjars, les mots de Kralès Tourkias (Prince de Turquie). Les
Huns, ayant succédé aux Goths dans l'ancienne Thrace, et les Mad-
jars, appelés Turks, ayant succédé dans ces contrées aux Huns, on
conçoit comment quelques chroniqueurs , partant de l'idée que les
Scandinaves descendaient des Gètes appelés Thrâkes, ont pu dire
également qu'ils descendaient des Turks (norr. Tyrkir).
Une autre combinaison historique contribua encore à faire don-
ner aux ancêtres des Scandinaves le nom de Turks.
Les Turcs, qui entrèrent en Europe avec les Madjars, étaient sortis
des vastes steppes à l'est de la Sarmatie ou des contrées qu'on dé-
signait, dans l'Antiquité et encore au Moyen âge,. sous le nom géné-
ral de Scythie. On donnait donc également aux Turcs et aux Madjars
le nom de Scythes , d'autant plus que les érudits ou chroniqueurs au
Moyen âge , affectaient de désigner les peuples par leur nom géo-
graphique, archaïque et synecdochique, plutôt que par le nom de
race ou leur nom national, alors même qu'ils connaissaient celui-ci.
C'est au point que Kanlakuzène, dans ses Mémoires, donnait aux
Bulgares le nom de Myses, aux Serbes celui de Trihalles et aux Turcs
de l'Asie-Mineure celui de Perses. Le nom de Turks, étant ainsi de-
venu synonyme de Scythes, on appliquait aussi aux Turcs, ce qui
dans l'histoire ancienne était attribué aux Scythes. \\ arriva donc
tout d'abord que les Turks, après avoir été appelés Scythes, furent
confondus avec les Thrâkes, qui, eux aussi, avaient été confondus
avec les Scythes. Car, non-seulement le nom de Scythes (c'est-à-dire
de Habitants de la Scythie), que les auteurs grecs Numphodôros ,,
Agtoitas, Herodôros et Timon ont donné mal à propos aux peuples
Kimméro- Thrâkes qui habitaient le littoral tout autour de la mer
Noire , a amené cette confusion (voy. Les Amazones , p. 1 7) , mais
l'identité des Scythes et des Thrâkes semblait encore être confirmée
par le nom archaigue de Scythes, qu'on donnait souvent aux Gète%
2(^
INTRODUCTION.
appelés Thrâkes, leurs descendants. D'un autre côté, l'identité des
Thrâkes et des Turks semblait prouvée aux chroniqueurs du Moyen
âge, d'abord par l'homonymie des noms de Terkeiát Irak, ensuite
par la circonstance que les Turks ou Huns étaient sortis de la Scy-
Ihie, considérée comme la patrie primitive des Thrâkes , autrement
appelés Scythes; enfin, par l'identité des lieux occupés, en Asie, par
des peuples thrâkes^ et plus tard, par les Turcs Seldjoukides, et en
Europe, d'abord par les Thrâkes proprement dits, et plus tard par
les Madjars appelés Turks. Les Turks ou Scythes ayant été ainsi
confondus, au Moyen âge, avec les Thrâkes^ on assignait aussi aux
Turks la même origine qu'aux Thrâkes. En effet , les géographes et
historiens arabes islamites, ayant appris (sans doute dans des livres
écrits en syriaque par des juifs ou des chrétiens) que, selon la généa-
logie de la Genèse, Tîrâs , fils de lâfèt, passait pour le père des
Thrâkes (voy. p. 22), le prirent également, ainsi que lâfèt, pour la
souche de leurs coreligionnaires les Turks ; et , dès lors , changeant
le nom de Tiras en celui de Terk, ils considérèrent Terk , le fils de
lâfèt , comme le Père des Turks et des Gentils (arabe abou'l Terki
ifal-adjimi). Ensuite, les érudits turcs ont adopté des arabes
cette généalogie fictive; mais pour satisfaire davantage leur vanité
nationale, ils ont considéré Turk comme Vaine ou comme le plus
distingué parmi les fils de lâfèt, et c'est pourquoi ils l'ont appelé
simplement le Fils de lâfèt (turc Yâfith ôglân) , et ont désigné lâfèt
par l'expression honorifique de Père de la race de Turk ( turc abou
âli Turk).
Le nom de Turc ayant été si généralement substitué à celui de
Thrâke et de Scythe, on donnait aussi ce même nom aux ancêtres
des Scandinaves ou aux compagnons d'Odinn, parce qu'on considé-
rait ceux-ci comme les descendants des Thrâkes (voy. p. 23) ou des
Scythes. Aussi, au treizième siècle, les chroniqueurs, surtout les
Anglo-Saxons, et, d'après ceux-ci, les Scandinaves, admettaient-ils
([Me les Normands fussent les descendants des Turks (Langebek,
Script. Rer. danic, II, p. 35, 36). Enfin, l'idée que les Gotes , et,
par suite, les Germains et les Scandinaves, descendaient des Turks,
fut cause que l'on a substitué le nom de Turks ou de Turcilings (Issus
des Turks) au nom homonyme de Turings (Thuringes), et (jue l'on
a attribué, dans les chroniques, aux Turcs, ce que la tradition rap
portait, nu sujet des Thuringes de l'Allemagne.
i
ODINN, ROI DES TROYENS. 27
§ 14. Odinn réputé d'origine troyenne et roi des Troyens.
— L'identification du nom de Turks avec celui de Thrdkes amena ,
au Moyen âge, une nouvelle combinaison historique et ethnologique,
d'après laquelle les Scandinaves furent considérés comme descen-
dants des anciens Troyens, Plusieurs raisons plus ou moins plau-
sibles, contribuèrent à faire adopter cette idée singulière. D'abord,
en s'appuyant sur l'homonymie ou ressemblance des noms de
Thrdkes et de Teukres , on arriva à se persuader que les Troyens ,
fils de Teucer, étaient Thrâkes d'origine. Ensuite, les pays de la mer
Noire , que l'on se figurait comme occupés anciennement par l'Em-
pire des Troyens, étaient désignés vaguement, au Moyen âge , sous le
nom de Turquie et de Thrace. Or, comme suivant la tradition , beau-
coup de tribus gotes et germaniques se disaient originaires de ces
pays ou de l'ancienne Thrace, et l'étaient effectivement, on pouvait
aussi dire qu'elles étaient sorties de la Turquie ou de l'Empire des
Troyens; ce qui fit supposer qu'elles rfgscmí/fl/ewí généalogiquement
des Troyens. Enfin, ce fut surtout la vanité nationale des peuples de
l'Europe au Moyen âge, qui trouvait de quoi se satisfaire, en s'attri-
buant une origine aussi héroïque que l'était leur prétendue parenté
avec les Troyens. En effet, les peuples keltes et germaines, longtemps
en lutte avec les Romains, avaient appris à estimer dans ce peuple
vainqueur, sa puissance et sa bravoure; et, lorsqu'ils entrèrent plus
étroitement en rapport avec lui, ils préféraient plutôt passer pour les
frères de ce peuple , que d'être considérés simplement comme ses su-
jets, appartenant à une autre race. V Enéide de Virgile, le seul poème
latin généralement connu au Moyen âge, répandait chez les peuples
d'origine kelte et germaine, les traditions, réputées historiques, sur
la guerre de Troie et la fondation de Rome par les Troyens, et four-
nissait ainsi aux chroniqueurs , le moyen de faire également passer
leurs compatriotes pour les frères des Romains , en tant qu'issus ,
comme eux, de quelque héros troyen fugitif, venu en Europe après
le sac de Troie. C'est ainsi que les Arvernes se glorifiaient de leur
origine troyenne (Pharsal. 4 , 427); les Vénètes (Énètes), selon la
tradition , étaient venus en Italie sous la conduite d'Anténor le
Troyen (Plin., 6,22); Prosper d'Aquitaine, au cinquième siècle,
Fredegem le Scolastique, f 658, Grégoire de Tours, et, d'après eux,
beaucoup de chroniqueurs rapportaient qu'après la prise de Troie ,
Priant s'établit en France, qyie Franco, fils de Hector, se retira
28 INTRODUCTION.
d'abord dans la Scythie, où il fonda la ville des Sicambres; que, dans
la suite, les Sicambres se sont divisés, sur les bords du Danube ou
en Thrace, en deux branches: en Turches (Turks, Thuringes), ainsi
nommés d'après leur roi Turchot, et en Francs, nommés ainsi d'a-
près leur fondateur Franco ; que les Francs se sont établis ensuite
sur le Rhin, où ils ont fondé la ville de Xanten, dont le nom devait
d'abord rappeler celui de la rivière du Xanthe, et qui, ensuite, por-
tait encore le nom plus significatif de Petite-Troie. Gailfrid de Mon-
mouth rattacha l'origine des Bretons à un prétendu descendant
d'Énée, à Brut, le fondateur présumé de la ville de Tours. Les
chroniqueurs Scandinaves, imitant les chroniqueurs anglo-saxons,
établirent la généalogie de leurs nations depuis Adam et lâfèt , et
firent descendre leurs rois, et par suite, leurs nations, de Tros
(cf. Tirds) ou TVor, fils de Memnon, le gendre de Priam (voy. Ættar
Harallds frà Adami). D'après les chroniques normandes (voy. Du
Chesne, Hist. norm. script., p. 63), les Danes se disaient issus,
comme les Vénètes , d'Anténor. Il semble même que, pour indiquer
l'origine troyenne des peuples européens, quelque géographe du
Moyen âge ait employé exprès le nom archaïque de Enea, pour dé-
signer V Europe, en donnant à ce nom la signification de Terre d'Enée,
soit Terre des Énéades ou des descendants d'Énée. Ce nom, qu'on ne
retrouve plus dans aucun des auteurs anciens présentement connus,
répond au nom grec Aïneia, et désignait, sans doute, dans l'origine,
le Pays où se trouvait la ville d'^mos, qui existait déjà du temps des
Homérides. Or, le nom de Aïneia (District d'Ainos) paraît avoir été
employé, par quelque poète ionien, pour désigner la Thrace h rocci-
dent de l'Ionie , et il fut étendu ensuite à tout l'Occident en général,
ou à l'Europe , situé à l'occident , par rapport à l'Ionie asiatique.
Bien que Snorri, on ne sait d'après quel auteur de l'Antiquité ou
du Moyen âge, donne, dans son ouvrage intitulé Z/e Cercle du Monde,
à l'Europe le nom de Enea , il n'a cependant jamais considéré les
Scandinaves comme issus des Troyens. Il semble même avoir com-
plètement ignoré l'existence des Troyens, Il n'en parle pas dans son
ouvrage historique , bien que l'occasion de le faire se fût naturelle-
ment présentée. L'idée de la parenté entre les Scandinaves et les
Troyens s'est formée seulement à la fin du treizième siècle, après
la mort de Snorri. L'auteur du Prologue et de l'Épilogue de VEdda
de Snorri, que ce soit Hvitaskald ou quelque autre érudit, s'ingénia
VIE DE SNORRI. 29
beaucoup à démontrer que le dieu Scandinave Thôr était identique à
Tror (p. Tros) le troyen ; et dans VEnumération des AncMres (norr.
Langfedga tâl\ les dieux mythologiques et les héros épiques des
Norrains sont tous identifiés avec quelque héros Troyen , au point
que toute la Mythologie Scandinave est représentée comme n'étant
autre chose que l'Histoire de la guerre et du sac de Troie.
Nous venons d'énumérer les principaux systèmes historico-evhé-
méristes qui, la plupart, avaient été adoptés au Moyen âge, déjà
avant la naissance de Snorri. Il importe de faire voir maintenant ce
que cet auteur a conservé de ces systèmes, et ce qu'il y a ajouté ou
quelles modifications il y a apportées.
CHAPITRE III.
SNORRI, SA VIE ET L^HISTOIRE DE SES OUVRAGES.
S 15. Vie , éducation et ouvrages de Snorri. ~ Snorri naquit
dans l'île d'Islande , en 1178. Par son père Sturla, fils de Thôrdr,
et par sa mère Gudny, fille de Bödvar, il tenait à la fois, par parenté
ou alliance, aux familles les plus puissantes de la Norvège, la mère-
patrie, et aux premières familles immigrées en Islande. Il se trou-
vait donc déjà , par sa naissance , dans une position favorable , soit
pour connaître les anciennes traditions norraines , qui se transmet-
taient principalement dans le sein des familles nobles (qui seules
avaient intérêt à les conserver), soit pour jouer un rôle politique, par
la puissance et l'influence que lui procuraient ses relations de fa-
mille. Sturla, le père de Snorri, était, par droit d'hérédité, revêtu
des fonctions de Chef de district (norr. hêrads höfdingi) ; et à cette
dignité, suivant l'antique usage datant du Paganisme, était attachée
l'administration des affaires religieuses ou ecclésiastiques, ou la
fonction de Divin (norr. godi). Aussi le jeune Snorri, dans l'expec-
tative où il était de succéder un jour à son père dans les doubles
fonctions de l'administration civile et ecclésiastique, reçut ^ il une
éducation qui lui fit prendre intérêt aux traditions , tant historiques
que religieuses, de ses ancêtres. Dans le Nord il était d'usage de faire
élever les enfants de bonne famille chez quelque ami de la maison,
d'un rang quelque peu inférieur. D'après cet usage , Snorri, dès sa
troisième année, entra comme fils adoptif dans la maison de lôn^
qui était fils de Lopt et petit-fils du prêtre Sœmund , surnommé le
90 INTRODUCTION.
Savant, lôn, le père adoplilde Snorri, était à la fois riche, le plus
grand érndit de son temps en Islande , et possesseur d'une belle
collection de manuscrits provenant de son aïeul Sœmund. C'est
dans la maison et sous la direction de lôn, que iSwomput satisfaire
son goût pour l'étude des antiquités et de l'histoire norraines. Il
apprit à connaître les traditions des grandes familles nobles , l'his-
toire politique et ecclésiastique de sa race, les anciens poëmes mytho-
logiques et épiques du Nord, et les travaux historiques de Sœmund
(f 1 133) et de son contemporain Art (f 1 14-8), également surnommé le
Savant. C'est sans doute déjà dans son adolescence que Snorri con-
çut le projet d'écrire l'histoire ou les traditions historiques (norr.
sögur) de la Norvège, la mère-patrie de l'Islande. Il réalisa, dans un
âge plus avancé , ce projet , par sou ouvrage où il réunit , dans un
ordre à peu près chronologique, à des sagas de sa propre compo-
sition, d'autres sagas déjà existantes, qu'il retoucha et remania en
partie, pour former de leur ensemble ce recueil si remarquable , qui
plus tard , a été intitulé Cercle du Monde (norr. Heims-Kringla ;
lat. Orhis mundï). Or, pour préparer les matériaux de cet ouvrage,
il lui fallut étudier les chants nombreux des Skaldes , qui , dans le
Nord , étaient les principales sources de l'histoire. Car ces Skaldes ,
qui, semblables aux Poètes cycliques des Grecs ou aux Bairdd des
Keltes, accompagnaient partout les rois ou les princes, leurs maî-
tres, chantaient, dans leurs poèmes épico-lyriques, les actions et les
hauts faits dont ils avaient été les témoins oculaires. Comme la plu-
part de ces Skaldes appartenaient au Paganisme, leurs poésies ren-
fermaient des expressions et des allusions mythologiques ; et même
les Skaldes chrétiens, imitant leurs devanciers, faisaient de nom-
breux emprunts aux différentes traditions mythologiques et héroïques
du Paganisme Scandinave. La connaissance de la Mythologie norraine
était donc indispensable à Snorri pour comprendre les poëmes
skaldiques, qu'il consultait comme sources de l'histoire. D'ailleurs ,
étant jeune , il dut s'intéresser à la Mythologie pour elle-même.
Aussi, voyant que, de son temps, la connaissance de la Mythologie nor-
raine se perdait de plus en plus, il entreprit d'exposer celle-ci dans son
ensemble ; et c'est là ce qui lui donna l'idée de composer son trailé, in-
titulé la Fascination de Gulfi. Outre ce traité et les Sagas de la Heims-
Kringla, Snorri a encortï laissé les ouvrages suivants : 1° Entreliens de
Bragi (Bragarœdur) , ouvrage qui élait destiné à servir îV encadre'
OUVRAGES DE SNORRI 31
ment à un traité du Langage poétique (norr. Skaldskaparmâl)^ (ians
lequel le dieu de la Poésie , Bragi, devait énumérer et expliquer les
termes et locutions usités par les Skaldes. Snorri n'a pas achevé cet
ouvrage; il n'a laissé, outre le Bragarœdur ou l'Encadrement for-
mant y introduction au traité , qu'un certain nombre de paragraphes
du Skaldskaparmâl, auxquels on a fait, aux quinzième et seizième
siècles, d'assez nombreuses interpolations; 2" deux poëmes en
l'honneur du roi Hakon et du duc Skuli, et dont chacune des
strophes, en tout au nombre de iOi2,est composée dans un mode de
versification différent , de sorte que ces deux poëmes forment ,
comme on les a intitulés plus tard, une Enumération des Modes
(norr. Hâtta-tâl) ou une Clef des Modes (norr. Hâtta-lykill).
% 16. Snorri est l'auteur de La Fascination de Gulfi. — Avant
d'examiner de plus près le traité de Snorri, la question préalable
qui se présente tout d'abord, et qui devra être résolue péremptoi-
rement , est celle de savoir si SnonH est réellement ï auteur de cet
ouvrage, qui lui est attribué par la tradition. Dans l'Antiquité, en
Orient, et au Moyen âge, les auteurs n'ont eu soin qu'exceptionnel-
lement , d'ajouter leur nom à leurs écrits. Aussi , les manuscrits
de La Fascination de Gulfi ne portent-ils pas le nom de Snorri. Mais
ce nom s'y trouverait, que la Critique serait toujours appelée à exa-
miner ce titre d'authenticité, basé sur la tradition vulgaire. C'est
pourquoi nous avons à peser les témoignages positifs qui viennent
confirmer cet énoncé de la tradition orale ou écrite. Ces témoignages
sont de deux espèces : ce sont , 1° des témoignages extrinsèques
fournis par des livres composés en Islande , dans le quatorzième et
le quinzième siècle ; ce sont , 2° des témoignages intrinsèques ou
des raisons de probabilité tirées du fond et de la forme du traité de
La Fascination de Gulfi. Le plus ancien témoignage écrit que nous
ayons sur l'auteur de ce traité, se trouve dans les quelques mots
inscrits en tète du manuscrit d'Upsal, qui date du commencement
du quatorzième siècle, et qui a été apporté d'Islande en Suède, et
donné à l'université d'Upsal par le comte de La Gardie, chancelier
de Suède. Voici ces mots: «Ce livre est appelé Edda; Snorri, fi,ls de
« Sturla , l'a composé de la manière dont il est rédigé ici , traitant
<kdes Ases et d'Ymir, ensuite de l'Elocution poétique et des noms
(( des différents objets , enfin , de la série des modes que Snorri a
(( composés sur le roi Hakon et le duc Skuli.>> Ces paroles énoncent
32
INTRODUCTION.
qifà l'époque de laquelle date le manuscrit d'Upsal, savoir au com-
mencement du quatorzième siècle, il existait un livre intitulé Edda,
renfermant trois espèces d'écrits , tous attribués à Snorrl : savoir ,
d'abord, un écrit mythologique ; ensuite , un traité d'élocution poé-
tique, qui est l'ouvrage intitulé Langage poétique (norr. Skaldska-
parmdl ) ou Entretiens de Bragi (norr. Braga-rœdur) ; enfin , un traité
de versification, c'est-à-dire les Poëmes intitulés Clef des Modes
(norr. Hâtta-lyTcill). La partie mythologique ^ qui seule nous inté-
resse ici, se composait,- déjà à cette époque, comme le prouve le
manuscrit lui-même , d'une Préface (norr. Formâli), faussement at-
tribuée à Snorri, et ensuite d'un traité, qui ne peut être autre que
celui de La Fascination de Gulfi. L'auteur du manuscrit d'Upsal con-
naissait ce titre, puisque, dans ce manuscrit, ce traité porte en tête
ces mots: «Ici commence La Fascination de Gulfi. y> En tête de son
manuscrit, l'auteur a mis, pour désigner le traité, le titre plus géné-
ral Des Ases et d'Ymir, parée qu'il voulait désigner, d'une manière
générale, la partie mythologique de son manuscrit, et que la désigna-
tion employée convenait bien dans ce but. Il résulte donc de ce té-
moignage, qu'au commencement du quatorzième siècle, un clerc
islandais a attribué positivement à Snorri le traité de La Fascination
de Gulfi , qu'il a désigné sous le titre général de : Des Ases et
d'Ymir.
A ce témoignage extrinsèque , le plus ancien que nous ayons et
qui nous dispense d'en citer de postérieurs , viennent se joindre
plusieurs témoignages intrinsèques.
1" Il est hors de doute que parmi les sagas dont se compose le
Heims-Kringla , la première dans la série, savoir VYnglinga saga,
est certainement de la composition de Snorri. Or, il y a certains
détails particuliers qui sont rapportés, presque dans les mêmes
termes, et dans VYnglinga saga et dans La Fascination de Gulfi, et
qui font par conséquent supposer, avec une grande probabilité, que
ces deux ouvrages ont eu le même auteur. Ainsi, par exemple, dans
La Fascination de Gulfi, lorsqu'il est question de Freyia (voy. N° 24),
il est dit: «D'après son nom, c'est un nom honorifique pour les
«femmes de qualité d'être appelées dames (norr. freyior)^, et dans
VYnglinga saga (chap. XII), il est dit: «Elle (Freyia) devint si
«illustre que, d'après son nom, les femmes de qualité sont appelées
« maintenant dames.'t>
LA FASCINATION DE GULFI. 33
â*» D'après une idée particulière à Snoni (voy. p. 44), les Ases du
Nord proviennent d'ancêtres , qui ont habité ce qu'il appelle VAn-
cien Enclos des Ases (norr. hinn forn Asgardr). Cette même idée et
cette expression se retrouvent également dans La Fascination de Gulfi.
3" Dsins VYugliiiga saga , il est dit, à propos de Odr et de Freyia:
((Leurs filles sont nommées Joyau (norr. Hnoss) et Bijou (norr.
« Gersemi)\ elles étaient très-belles; par leurs noms on désigne les
((joyaux les plus précieux», et dans La Fascination de Gulfi, il est
dit: ((Leur fille s'appelle Joyau; elle est si belle, que par son nom
« on désigne ce qui est brillant et précieux.»
4° La tradition mythologique sur l'origine de l'île de Se'eland se
trouve racontée , d'une manière tout à fait semblable , dans La Fasci-
nation de Gulfi, et dans l' Ynglinga saga.
5" Dans V Ynglinga saga, Snorri a l'habitude de citer les poésies
des Skaldes comme documents à l'appui des faits qu'il raconte, et
même comme sources uniques où il a puisé la connaissance de ces
faits. Le même système est suivi dans La Fascination de Gulfi,, où les
anciens chants mythologiques sont également cités comme docu-
ments et comme sources des récits de la Mythologie.
6° Ajoutons que l'on trouve, dans l'un et dans l'autre ouvrage, le
même art de se ménager des transitions d'un sujet à l'autre , et les
mêmes qualités de style, qui distinguent Snorri comme narrateur.
7° Disons, en terminant, que, ne trouvant absolument aucune
raison qui nous fasse croire que La Fascination de Gulfi ne soit pas
de la composition de Snorri , et ayant de plus des raisons suffisantes
de croire le contraire, nous conclurons, de l'ensemble des témoi-
gnages cités et rapportés , que Snorri est réellement , comme l'é-
nonce la tradition , l'auteur de La Fascination de Gulfi.
§ 17. La Fascination de Gulfi composé avant le Heims-
Kringla. — Dans l'Antiquité, en Orient, et au Moyen âge, les ou-
vrages se publiaient par les copies que l'auteur faisait ou laissait
prendre de son manuscrit. Ces copies ne s'achevant ordinairement
qu'après de longues années, il n'est guère possible de savoir l'époque
de la publication d'un ouvrage , c'est-à-dire l'année où la première
copie a été commencée et achevée. Tout ce qu'on peut établir au
sujet de La Fascination de Gulfi, c'est que ce traité de Mythologie a
été composé et achevé avant qlie Snorri ait commencé et achevé la
composition du Heims-Kringla. En effet , plusieurs raisons confir-
3
34 INTRODUCTION.
ment l'opinion que le Traité de Mythologie a été un travail prépara-
toire pour l'ouvrage historique, et que Snorri a composé le premier
ouvrage en Islande, dans son âge mûr, avant 1225, et le second ,
en grande partie en Norvège, et dans sa vieillesse, après 1234. Car,
ce qui prouve que la composition du Traité de Mythologie a pré-
cédé celle de l'ouvrage historique, c'est 1° que la théorie evhémériste
de Snorri est beaucoup plus développée dans le second travail que
dans le premier, et cela , parce que l'auteur avait eu le temps de
fortifier et de compléter son système par des études plus étendues.
2" Certains mythes, quoique les mêmes, dans les deux ouvrages ,
sont plus explicites^ plus développés dans le Heims-Kringla que
dans le Oplfa-ginning. Ainsi, par exemple, dans l'ouvrage mytholo-
gique, il n'est question que d'une seule fille de Freyia, à savoir de
Hnoss; dans l'ouvrage historique, au contraire , figurent deux filles
de Freyia, savoir Hnoss et Gersemi. La tradition sur l'origine de
l'île de Séeland est aussi racontée , d'une manière plus explicite , dans
VYnglinga saga que dans Gylfa-ginning. Or, en fait de connaissances
historiques , il est naturel d'admettre que le moins ait précédé le
plus; et, par conséquent, nous en conclurons que l'ouvrage mytho-
logique , moins explicite , est antérieur à l'ouvrage historique , qui
renferme, sur le même sujet, des données plus nombreuses. 3° L'or-
thodoxie de Snorri ayant augmenté avec l'âge, cet auteur a, dans son
ouvrage historique, une tendance plus marquée de représenter la re-
ligion d'Odinn d'une manière défavorable. Dans La Fascination de
Gulfi, il est vrai, les Ases sont déjà considérés comme des magiciens
et des aventuriers; mais, dans VYnglinga saga, Snorri manifeste le
mépris qu'il a pour eux jusque dans les titres qu'il met en tète des
chapitres. Ainsi , le chapitre VII porte le titre de : Des Artifices
d'Odinn; le chapitre X, celui de: La mort d'Odinn; le chapitre XII,
celui de : La Mort de Freyia, etc. Évidemment, Snorri, devenu vieux,
n'aimait plus autant, comme dans sa jeunesse , la Poésie et les fic-
tions du Paganisme; et, à mesure que son esprit s'occupait davan-
tage de travaux historiques , il devint plus positif, et perdit, de plus
en plus, le goût pour les traditions purement mythologiques, de sorte
qu'il est vrai de dire que, s'il n'avait pas déjà composé La Fascina-
tion de Gulfi dans son âge mûr, il n'aurait plus senti en lui le be-
soin ou la volonté de le faire dans sa vieillesse.
4" Une autre preuve de l'antériorité de la composition du Traité
INTÉGRITÉ DU TEXTE. 35
de Mythologie , c'est que Sïiorri a corrigé^ dans son ouvrage liisto-
rique postérieur, quelques inadvertances qu'il avait commises dans
son ouvrage mythologique. Ainsi , 1° dans Gylfa-ginning , il avait dit,
contrairement à la tradition mythologique , que Odinn chevaucha à
la Fontaine de Mimir, pour consulter ce sage lotne. Dans VYnglinga
saga, Snorriy mieux renseigné , dit, conformément à la tradition,
que Odinn consulta la Tête de Mimir qu'il avait chez lui. 2° C'est
par erreur que Snorri attribue, dans Gylfa-ginning, les vers sur les
tuiles dorées de Valhöll, au skalde Thiodolf de Hven ; dans le Heims-
Kringla, cette erreur est corrigée, et ces vers sont attribués à qui
ils appartiennent effectivement, savoir au skalde Hornktofi (cf. Saga
de Haralld harfagr, chap. 49). En fait de connaissances historiques,
il est plus naturel d'admettre que l'erreur ait existé avant la vérité,
que de supposer le contraire. Il est donc aussi plus que probable
que le Gylfa-ginning, où il y a encore plusieurs erreurs , a été com-
posé avant le Heims-Kringla, où plusieurs de ces erreurs se trouvent
corrigées. Ajoutons que les inadvertances, qui subsistent dans La
Fascination de Gulfi, mais qui ont disparu de l'ouvrage historique,
prouvent que Snorri, ou bien n'a plus ptù corriger son Traité de
Mythologie, puisque les copies en avaient déjà été prises et répan-
dues, et que la connaissance de la vérité lui est venue trop tard,
ou bien qu'il n'a pas voulu\e corriger, parce que, arrivé à un certain
âge, il n'avait plus de goût pour les traditions mythologiques (voy.
p. 34-). Quoi qu'il en soit , toujours est-il que Snorri n'a pas mis la
dernière main à son traité de Mythologie norraine.
§ 18. L'Intégrité du texte du Gylfa-ginning. — Avant l'in-
vention de l'imprimerie, le texte des ouvrages était sujet à de nom-
breuses altérations. D'abord , comme il n'y avait pas d'édition faite
à époque fixe (voy. § 17), l'auteur lui-même changeait quelquefois,
par des additions, par des retranchements ou par des corrections,
le texte de son manuscrit, pendant qu'on en prenait des copies. En-
suite , comme , de la copie d'un texte, on pouvait faire un usage tout
individuel, en y ajoutant des notes, des observations, des faits, ou
en y effaçant ce ^ qui déplaisait ou paraissait inutile et inexact, ces
changements faits au texte par le copiste ou le propriétaire d'une
copie, furent maintenus, quelquefois, par un nouveau copiste,
comme appartenant au texte original de l'auteur. Il importe donc
toujours d'examiney Voriginalité du texte des ouvrages qui datent
36 INTRODUCTION.
des époques antérieures à l'Imprimerie. Par originalité du texte,
nous entendons ici sa conformité avec Y original ou avec le Manus-
crit primitif, tel que l'entendait publier l'auteur. \j' originalité im-
plique à la fois l'intégrité et la pureté du texte. Le texte est intègre^
quand on n'y a fait aucun retranchement; et il estpf^r, quand on n'y
a fait aucune addition ou interpolation. En examinant, sous ce rap-
port, XeieyiieàQ La Fascination de Gulfi^{Q\([u'\\ a été publié d'après
les manuscrits, par Rask, dans la Snorra-Edda (Stockholm, 1818)',
on reconnaît que Snorri a fait une première rédaction du Gylfa-gin-
ning, qu'il a gardée longtemps par devers lui, sans la publier. Mais,
dans la suite, il s'est aperçu qu'il avait oublié de parler de certains
mythes importants. C'est ainsi, par exemple, qu'il n'avait pas parlé,
dans sa première rédaction, ni de l'origine de la Nuit et du Jour, ni de
Soi et de Mâni, ni des Loups qui poursuivent Soi eiMâ?ii, ni de lord et
de Rindur, ni de Gerdur et de ses fiançailles avec Freyr, etc. Il ré-
digea donc ces mythes supplémentaires sur des feuilles séparées du
Manuscrit original , et sans se soucier de les fondre dans le texte pri-
mitif, ce qu'il aurait pu faire sans peine, en ajoutant quelques mots
servant de transition ou de liaison entre ce texte et les nouveaux pa-
ragraphes ajoutés. Ces paragraphes additionnels, rédigés sur des
feuilles séparées, ont été insérés, dans la suite, purement et sim-
plement, dans le texte, soit par ^Sw^m lui-même , agissant avec une
certaine nonchalance (voy. p. 34), soit après sa mort, par le premier
copiste et éditeur du texte. Ils ont été insérés à l'endroit qui parais-
sait le plus convenable. C'est ainsi , par exemple , que les para-
graphes additionnels, qui portent aujourd'hui les Numéros 18 et 19,
et qui traitent du Vent et des Saisons , ont été insérés après le pa-
ragraphe 17, traitant du Ciel. Les paragraphes additionnels. Numé-
ros 36 et 37, qui traitent des Valkyries et de Gerdur, ont été insérés
après le paragraphe 35, traitant des Asynies. Mais, comme la plu-
part des paragraphes ajoutés, n'ont été rattachés, à ce qui précède
et à ce qui suit, par aucune transition, ni liaison, on est tenté de
supposer, à première vue, que ce manque de transition et de liaison
provient, soit de lacunes, soit d'interpolations existant dans le texte.
C'est ainsi, par exemple, que dans la rédaction primitive, le para-
graphe 9 , traitant de l'établissement des Ases dans Asgard , et se
1. Ceci a été écrit, il y a 18 ans; nous avions fait notre traduction sur l'édition
de Rask; depuis, nous l'avons revue sur l'édition de CopenHague , 184-8.
INTÉGRITÉ DU TEXTE. 37
terminant par les mots : « Aussi mérite - 1 - il d'être appelé Père
({universel, puisqu'il est le père de tous les dieux, des hommes et
<f.de tout ce qui a été accompli par lui et par son énergie, » était
suivi immédiatement du paragraphe 14, qui commence par la ques-
tion de Piétonneur: c<.qu'a entrepris Père- Universel y quand l'Enclos
«des Ases fut achevé?. » Mais, dans la suite, on plaça le paragraphe
additionnel 11 , traitant de Sol et de Mâni, immédiatement après le
paragraphe 9, traitant de l'établissement des Ases dans Asgard. Aussi,
dans la question de Piétonneur: « Comment dirige-t-z7 la marche du
soleil et de la lune?», le mot // se rapporte, directement et sans
peine , à Odinn dont il était question à la fin du paragraphe 9. En-
suite , Snorri ayant encore rédigé des paragraphes complémentaires
sur lord et NôU et sur Bifrost, ces paragraphes furent insérés , les
deux premiers, après le paragraphe 9, et, le dernier, après le para-
graphe additionnel sur Sol et Mâni. Ces insertions faites postérieu-
rement , et sans que rien ne fût changé à la rédaction primitive de
Snorri, expliquent: 1° le manque de liaison, dans le fond et dans
la forme, entre le paragraphe 10 et le paragraphe 9; 2° l'absence,
au commencement du paragraphe 10 de la formule ordinaire:
« alors Piétonneur dit » ; 3) la contradiction entre ce que Snorri
dit, au paragraphe 9, de la terre (norr. iord), fille et femme d'Odinn,
et ce qui est dit de Terre (norr. lord), au paragraphe 10; 4° le
manque de liaison entre le paragraphe 10 et le paragraphe 11 ,
où le mot il, dans la question de Piétonneur, ne se rapporte pas,
comme on devrait le supposer, à Skinfaxi, dont il est question à la
fin du paragraphe 10 , mais à Odinn, dont il est question à la fin du
paragraphe 9. Il faut expliquer, de la même manière, les lacunes ap-
parentes qui semblent exister entre les paragraphes 13 et 14-, 17
et 18 , 19 et 20 , 36 et 37 , 37 et 38.
Comme les additions faites à la rédaction première avaient pour
but de compléter celle-ci, le texte vulgaire présente plusieurs addi-
tions postérieures , mais n'a subi aucun retranchement. Ces additions
ayant été faites par Snorri lui-même, et peut-être même insérées par
lui , on ne saurait les taxer à' interpolations. La seule interpolation
que nous ayons dû retrancher du texte et de notre traduction, con-
siste dans les mots : that köllum vè'r Troja (nous l'appelons Troie)
qui ont été insérés dans le paragraphe 9 , pour dire que l'ancien
Asgardr n'était autre que la ville de Troie. Ces paroles ne sauraient
INTRODUCTION.
provenir de Snorri , ni appartenir soit à sa première rédaction , soit à
ses additions, puisqu'il ne connaissait ni Troie ni les Troyens (voy . p. 28).
Cette interpolation date du commencement du quatorzième siècle;
car c'est à cette époque seulement que la tradition, sur la pré-
tendue origine troyenne de plusieurs peuples de l'Europe, s'est ré-
pandue aussi en Islande et fut appliquée aux Ases par l'auteur du
Prologue (Formdli) et de V Epilogue (Eptir-mâli) de l'Edda en prose.
C'est même à cet auteur qu'il faut, sans doute, attribuer l'interpo-
lation en question. Une interpolation bien plus considérable semble, à
première vue , se trouver au commencement du Traité. L'histoire
de Gefion ne semble avoir aucun rapport avec le sujet du Gylfa-
ginning. Aussi, dans le manuscrit d'Upsal, toute cette introduction a
été retranchée du texte. Mais , quand nous aurons expliqué l'intime
liaison qu'il y a entre cette histoire de Gejion et le voyage de Gulfi ,
on comprendra que , loin d'être une interpolation , ce premier pa-
ragraphe fait , au contraire , partie intégrante et nécessaire de l'En-
cadrement de l'ouvrage de Snorri.
Ajoutons que, dans le paragraphe 5, le texte vulgaire présente
une transposition d'une partie de phrase, transposition que nous
avons fait disparaître dans notre traduction , en rétablissant la véri-
table leçon que nous justifierons dans le Commentaire (voy. N" 5).
§ 19. Comment le Gylfa-ginning se trouve dans l'Edda en
prose. — Si, comme il est probable, la première rédaction du
Gylfa-ginning di été achevée avant 1225, il a dû se passer encore
quelque temps, jusqu'à ce que l'auteur eût ajouté à son ouvrage les
paragraphes additionnels. Il paraît donc probable que Snorri, de son
vivant, n'a pas laissé prendre copie de sa première rédaction : car,
autrement, cette rédaction se serait propagée par quelques copies.
Or, il ne reste que le texte de la première rédaction, augmentée déjà des
additions ; ce qui fait supposer que cet ouvrage ainsi composé n'a guère
été publié avant la mort de Snorri en 1241. A cette époque, les ma-
nuscrits et ouvrages de cet auteur paraissent avoir passé dans les
mains de son neveu Olafr^ fils de Thôrdr. Dans la seconde moitié
du treizième siècle, on a commencé, en Islande, à former des Recueils
composés d'ouvrages de même nature. Ce fut sans doute Olafr, sur-
nommé le Skalde blond (norr. Hvita-skald) , et mort en 1259, qui
publia les ouvrages de son oncle Snorri , dont probablement il avait
formé deux Recueils, savoir un Recueil historique, le Heimskringla,
l'edda de snorri. 39
composé des sagas des rois de Norvège, et un Recueil didactique , à
l'usage des Skaldes, et composé du Gylfa-ginning , du Skaldskapar-
mâl et du Hâtta-idl. Ce fut sans doute aussi Olafr qui donna à ce
dernier Recueil le titre de Edda (Aïeule), ce mot pris dans le sens de
Vieille Narratrice (voy. Chants de Soi, p. 20). Il choisit ce titre
uniquement en vue du traité de Gylfa-ginning , qui , se trouvant en
tête de la collection , et racontant les anciennes traditions mytholo-
giques, justifiait, par cela même, le choix de ce titre. Ce fut donc
proprement le Gylfaginning qui, seul, a fait choisir ce titre de Edda,
jusqu'alors inconnu. Au commencement du quatorzième siècle vivait
en Islande un clerc érudit , dont le nom est resté inconnu, et qui pu-
blia une seconde édition de VEdda, en en faisant une copie, et en y
ajoutant, au commencement, au milieu et à la fin, des morceaux de
sa composition. Dans ces morceaux, que Rask a intitulés Prologue
(Formàli), Epilogue (Eptirmàli) et Épilogue de VEdda (Eptermâli
Eddu), l'auteur s'efforça de rattacher l'histoire des Ases à l'histoire
de l'Ancien Testament (voy. p. 21), et de prouver que les Ases pro-
venaient des anciens Troyens (voy. p. 29). Le manuscrit de ce clerc
renfermait, outre ces morceaux, la copie des trois ouvrages suivants :
i" le Gylfa-ginning, désigné sous le titre de : Des Ases etd'Ymir (voy.
p. 32) ; 2*» le Skaldskap armai, et 3° le Hâttatâl. Comme Snorri, l'au-
teur de ces trois ouvrages, était de la famille des Sturlungs, le copiste
et éditeur ajouta à son manuscrit la généalogie des Sturlungs, et, de
plus, une Enumération des Skaldes {Skaldatâl), servant de complé-
ment et au Skaldskaparmâl (Langage skaldique) et au Hâtlatâl (Enu-
mération des modes). Ce manuscrit paraît avoir été terminé vers
1310, comme le prouvent la Généalogie des Sturlungs et V Enumé-
ration des Skaldes, qui s'arrêtent à cette époque (cf. Sn.Edda, 1848
Il y vu). L'auteur de ce Manuscrit n'a pas imaginé le titre à' Edda-, il
le reproduit , au commencement de sa copie , comme un titre déjà
existant et reçu de son temps , car il dit : « Ce livre est appelé Edda. »
II croit même que ce titre a été donné par Snorri, qu'il suppose
être l'auteur du Recueil. Vers le milieu du dix-huitième siècle, ce
Manuscrit passa de l'Islande en Suède ; il vint en la possession du
chancelier Gabriel de la Gardie , qui en fit présent à la bibliothèque
de l'université d'Upsal , où il est conservé aujourd'hui et connu sous
le nom de Edda Upsalienne.
Vers 1320 fut achevée, en Islande , une autre copie de VEdda. Le
40 INTRODUCTION.
copiste suivit un texte autre que celui de VEdda Upsalienne, mais il em-
prunta à celle-ci le Prologue elles Epilogues, composés par l'auteur de
ce Manuscrit. Cette copie, faite postérieurement à la précédente, fut
achetée en 1640 par Bryniulfr Sveinsson, évêque de Skalholt, et envoyée
au roi de Danemarc Frédéric III , qui la remit à la bibliothèque royale
de Copenhague , où elle est désignée sous le nom de Codex Regius.
Vers 4360 une troisième édition du Recueil de VEdda fut faite, en
Islande, par un ecclésiastique érudit, dont le nom est également in-
connu. Au quatorzième úecle, VEdda était devenue tellement le Manuel
par excellence, pour étudier la Mythologie, la Poésie et la Versification
anciennes , que , dans le poëme intitulé Lilia (Le Lis), composé vers
1360 par Eystein, fils d'Arngrim , les préceptes de Poésie sont ap-
pelés simplement Règles de VEdda (norr. Eddu-reglur), et que , dans
un autre poëme, composé vers 1370, par Amas, fils de lôn , l'art
poétique est appelé Vart de VEdda (norr. Eddu-list). L'auteur de
cette troisième édition crut donc perfectionner et compléter ce
Manuel de VEdda , en y ajoutant encore d'autres écrits philologiques
sur l'alphabet latin , la grammaire et le langage poétique. Or , il
existait, sur l'alphabet, deux traités composés par des Maîtres-ès-runes
{norr. Rûna-meistari); l'un rédigé vers 1160 par Thoroddr, surnommé
Je Maître-ès-rûnes, l'autre composé vers 1200 par un érudit inconnu.
Ces deux traités furent ajoutés au Recueil par l'auteur de la troi-
sième édition, lequel mit en tête de ces traités une préface, par
laquelle il les rattacha au Skaldskaparmdl et au Hâttatâl de l'Edda.
Il considéra le Prologue et les Epilogues comme la première partie
de son édition; le Gylfa-ginning , qu'il désignait sous le nom de
Récits (norr. FrasÖgnar), forma h seconde, et le Skaldskaparmdl avec
le Hâttatâl, la troisième partie de l'Edda. Puis, à ces trois anciennes
parties du Recueil, il en ajouta deux nouvelles, un€ quatrième et
une cinquième. La quatrième comprenait les deux Traités des
Maîtres-ès-rûnes avec la Préface. La cinquième se composait égale-
ment de deux traités: le premier, intitulé Fondement de la Gram-
maire (norr. Mâl-frœdinnar Grund-völlr), avait pour auteur le neveu
de Snorri, Olafle skalde blond (voy. Snorra Æ'í/íífl, Copenhague,
II, p. 63); le second, intitulé Connaissance du Langage orné (norr.
Mâl-skrûds-frœdi) , traite des figures de mot et de pensée ; il est la
continuation du précédent, et a été, sans doute, composé par le
même érudit qui est l'auteur de cette troisième édition de VEdda.
i/edda de snorri. m
Cette copie ou édition, découverte en Islande par Arngrim, vint
en la possession du célèbre scandinaviste danois Ole Wo7'm^ dont le
iils la vendit à Arni Magnusen : elle se trouve aujourd'hui à la biblio-
thèque de l'université de Copenhague, et est désignée sous le nom
de Manuscrit de Worm. Ce manuscrit renferme la collection la plus
complète des ouvrages dont on a composé l'Edda en prose.
Aux quatorzième, quinzième et seizième siècles, le nom de Edda
n'a jamais désigné autre chose que le Recueil appelé aujourd'hui
VEdda de Snorri. Le nom de Edda était inconnu à Sœmund et à
Snorri (voy. Chants de Sol, p. 18-22) ; le premier n'a jamais composé
le Recueil de poèmes qu'on lui attribue et qu'on appelle aujour-
d'hui VEdda de Sœmund; le second n'a jamais eu entre les mains
un tel recueil, composé par Sœmund. En effet, ce Recueil d'anciens
poëmes mythologiques et héroïques a été formé seulement au com-
mencement du quatorzième siècle. C'est de cette époque que date
le plus ancien Manuscrit de ce Recueil. Ce Manuscrit, conservé à
la bibliothèque royale de Copenhague et appelé Codex regius, ne
porte ni le nom de Sœmund, ni le titre de Edda. Il a été découvert
en Islande par Bryniulf, fils de Svein et évèque de Skalholt, qui, le
premier, sans aucune raison suffisante, mais de sa seule autorité,
a donné à la copie qu'il en a fait faire , le titre de Edda de Sœmund.
Si l'on considère l'âge des poëmes renfermés dans ce Recueil , il
faut avouer qu'ils sont tous antérieurs aux écrits dont se compose
l'Edda en prose , appelée aujourd'hui VEdda de Snorri. Mais quant
à la formation même de ce Recueil , il est hors de doute que la
formation de VEdda de Snorri est antérieure, d'un demi -siècle, à
celle de VEdda de Sœmund. Enfin, quant au titre à'Edda que portent
aujourd'hui l'un et l'autre Recueils, il faut dire que ce titre a été
donné, dans la seconde moitié du treizième siècle , à VEdda de Snorri,
et que c'est seulement au dix-septième siècle, qu'il a aussi été
attaché, avec le nom de Sœmund, au Recueil qui porte aujourd'hui
le titre de Edda de Sœmund.
CHAPITRE IV.
LE FOND HISTORICO-MYTHOLOGIQUE ET LA DISPOSITION DES MATÉRIAUX
DANS LE TRAITÉ DE SNORRL
S 20. Formation du système historico - mythologique de
Snorri. — Pour composer un Traité de Mythologie norraine, Snorri
-42 INTRODUCTION.
pouvait puiser la connaissance des mythes à trois sources, savoir:
1° dans les anciens poëmes mythologiques et épiques, composés à
commencer du septième siècle ; 2** dans les poëmes lyrico-épiques
des Skaldes ; et 3° dans la tradition orale du peuple de son temps ,
tradition qui s'estpropagée, en partie, jusqu'à nos jours'. Or, du temps
de Snorri, le Recueil de poëmes mythologiques et épiques, que nous
possédons sous le titre de Edda de Sœmund, n'existait pas encore.
Si Sæmund avait laissé une collection semblable, Snorri l'aurait
connue, d'autant plus facilement, qu'il avait à sa disposition, chez
son père adoptif lôn^ la bibliothèque provenant de Sœmund, l'aïeul
de lôn. Mais ce qui prouve que Snorri n'a jamais eu en main ce que
nous appelons VEdda de Sœmund , c'est que d'abord les citations ,
qu'il fait des anciennes poésies mythologiques, présentent générale-
ment des leçons toutes différentes de celles qu'on trouve dans ce
Recueil. Il y a plus ; Snorri ignore même l'existence du plus grand
nombre des poëmes contenus dans VEdda de Sœmund. Des trente-
neuf poëmes que nous possédons dans ce Recueil , Snoni n'en
connaît que six, savoir: 1° Quelques fragments de la Vision delà
Louve (norr. Volu-spâ) ; 2° le Chant de Hundla (norr. Hyndlu-liôd)
ou la Petite Vision de la Louve (norr. Voluspâ hin skamma); 3° les
Dits de Sublime (norr. Hâva-mâl)\ -4° les Dits de Grimnir (norr.
Grimnis-mâl) ; 5° \esDits de Vafthrûdnir (norr. Vaflhrûdnis-7nâl) ;
et 6" le Voyage de Skirnir (norr. Skirnis-fÖr). Enfin Snorri a ignoré
jusqu'au nom de Edda , qu'on ne trouve dans aucun de ses écrits ,
ni même dans aucun écrit norrain ou islandais antérieur au qua-
torzième siècle. Ce n'était donc pas la Collection complète de VEdda
que nous avons aujourd'hui , mais seulement quelques poëmes , re-
cueillis peut-être par Sœmund, que Snorri put mettre à contribu-
tion pour composer son Traité de Mythologie. Cependant il connais-
sait encore quelques poëmes, que nous ne possédons plus dans VEdda
de Sœmund; tels sont i^^V Incantation de Heimdall (norr. Heimdallar-
Galdr) ; 2° un Poëme sur les Vanes ; 3° un autre Poëme sur Loki.
Outre les chants mythologiques, Snorri pouvait encore consulter
les poëmes skaldiques, dont il connaissait un très-grand nombre,
mais où il ne trouvait que peu de renseignements sur les anciens
mythes. Enfin 5wom pouvait, en outre, recourir à la tradition orale et
aux récits en prose, qui, de son temps, avaient encore cours parmi
1. Voy. Maurer, /slândische Volkssagen der Gegenwarl. 1860.
l'evhémérisme de snorri. -Í3
le peuple. Mais, de même que, depuis l'introduction du Christianisme,
beaucoup de poèmes mythologiques s'étaient perdus de la mémoire
des Norrains , de même la connaissance d'un grand nombre de
mythes avait disparu chez le peuple du temps de Snorri ^ de sorte
que cet auteur n'avait plus tous les documents nécessaires pour
connaître l'ensemble complet de la Mythologie norraine. Cependant
les matériaux dont il disposait, tout incomplets qu'ils fussent, étaient
encore suffisants pour rendre possible à Snorri la composition d'un
Traité de Mythologie.
Comment les matériaux, recueillis par Snorri pour son ouvrage,
furent-ils conçus par cet auteur, et quel fut, en Mythologie, le
point de vue, où il dut se placer d'après la science historico-mytholo-
gique, telle qu'elle lui avait été transmise par ses prédécesseurs, ou
telle qu'il se l'était acquise par ses propres études et réflexions?. Snorri
n'avait pas une science supérieure à celle soit de ses prédécesseurs ,
soit des érudits de son époque. Imbu de l'evhémérisme, comme tous les
autres savants , il considéra la Mythologie norraine comme l'histoire
des Ases, et rattacha cette histoire à celle des Suèdes et des Normands.
Voici les éléments qui lui ont été fournis, soit par la Mythologie, soit
par les traditions nationales, et qu'il a combinés, d'une manière
plus ou moins ingénieuse ou arbitraire , pour en former son système
mythico-historique.
§ 21. D'après Snorri, les Ases sont originaires de l'Asie. — Le
nom d'/4se était, pour Snorri, la preuve de l'origine asiatique d'Odinn,
et, par conséquent, de la population Scandinave, issue des fils, des
compagnons et des sujets du roi Odinn. Cependant le mot norrain
as, contracté de la forme plus ancienne ans, qui signifiait soutien,
aide, protecteur, n'avait absolument aucun rapport avec le nom de
VAsie. En effet, le nom d'Asie, dont l'étymologie ne se trouve dans
aucune langue asiatique, est évidemment d'origine grecque, et signifie
Humide. C'est que, dès le huitième siècle avant notre ère, les lônes
ont désigné, sous le nom de Humide (gr. Asia), la contrée basse ar-
rosée par le Kailstros, et ils l'ont appelée ainsi, par opposition à la
contrée plus élevée , nommée Pays sec (pélasge Turs-àbia), qui était
habitée autrefois par les Pélasges nommés Turrhèbes (Ceux de la
Tursàbie), dont des colonies s'établirent, plus tard, dans quelques
parties de la Hellade et de l'Italie. Le nom de cette Asie primitive ,
voisine de la Turrhèbie, fut étendu , par les Grecs, peu à peu , d'abord
44 INTRODUCTION.
à la Lydie et à l'Ionie, puis à l'Asie mineure en général , et enfin à tout
le vaste continent dont l'Europe est l'appendice occidental. D'après
cela , bien qu'il soit vrai que les ancêtres des Scandinaves sont réel-
lement originaires de l'Asie, le nom d'Ases ne saurait cependant
fournir, comme le croyait Snorri, la preuve de cette vérité historique.
Snorri admettait, ensuite , comme ses prédécesseurs , que les an-
cêtres des Scandinaves , c'est-à-dire Odinn et les Ases^ avaient régné
autrefois, pendant quelque temps, dans Byzance; il appuyait cette
assertion sur une preuve aussi singulière que l'était cette assertion
elle-même. En effet , dans son ouvrage d'histoire Le Cercle du
Monde, il dit que les statues, qui, dans la Grand' Ville (norr. Mikli-
gardr, Constantinople) ornueni le Padreim (p. Hip-/?orfrome), étaient
les effigies des Ases^ c'est-à-dire des anciens héros, qui auraient régné
autrefois dans cette ville, et dont les fils émigrés seraient allés se faire
adorer dans le Nord. Cependant Snorri ne donne, nulle part dans ses
écrits, à ces ancêtres des Ases ou des Scandinaves, le nom de Thrâkes
ou de Grecs (v. p. 22). Mais, chose remarquable, il les désigne sous
le nom de Tyrkir, qui, dans sa pensée, désignait évidemment les
Turcs. Car, comme, de son temps, les Turcs ne s'étaient pas encore
emparés du Bas-Empire, cet auteur n'a pas pu employer ce nom
comme nom géographique substitué à celui de Grecs, à peu près
comme Dante a désigné Virgile, XeMantouan, par le nom géographique
anticipé de Le Lombard. Ensuite, Snorri (Ynglinga-saga, chap. 5) dit
qu' Odinn SL\aii de grandes possessions en Turquie (norr. Tyrkland);
et il se figurait ce pays, vaguement, comme situé à l'est de Mikli-
gardr (Constantinople), et à l'ouest du Pays des Vanes (norr. Vana-
land). Or, avoir des possessions en Turquie était, dans le langage
emprunté au système féodal , synonyme de régner en Turquie ; et
régner en Turquie signifiait , dans le langage des chroniqueurs ev-
héméristes du Nord, régner sur des Turcs , être le père, la souche
des Turcs , et être Turc soi-même. Aussi un chroniqueur norrain
donne-t-il directement à OdinnletiiredeRoides Turcs{yoY.Langebek,
I, p.3); et d'après cela, Snorri pouvait également désigner comme
Turcs Odinn et les Ases. C'était donc dans la Turquie d'Asie que
Snorri supposait placé primitivement V Enclos des Ases (norr. Asgardr)-,
et comme on donnait à la Turquie , à cette prétendue patrie primitive
des Ases, le nom archaïque et savant de Scythie (norr. Cythia,^\oy.
p. 25), Snorri semble vouloir indiquer (Ynglinga-saga , chap. 15) que
l'evhémérisme de snorri. 45
les Scythes, au moins en partie, étaient originaires de la Turquie. Mais,
sous le nom deScythie, on comprenait, du temps de Snorri, encore
la Sarmatie et la Slavonie , pays que les Suèdes (qui, dans l'origine,
les avaient habités, avant de passer en Scandinavie) appelaient
Grande- Suède (norr. Svt-thiod hin mikla), c'est-à-dire la Suède-
Mère, par opposition à la Suède proprement dite , considérée, en
quelque sorte , comme la Petite-Suèôe ou la Suède-Fille. Voilà pour-
quoi Snorri emploie encore le nom de Grande-Suède, comme syno-
nyme à la fois de Turquie, de Scythie et d'Ancien Enclos des Ases
(norr. forn As-gardr).
% 22. L'âge, où les Ases ont vécu. — Pour s'expliquer, ensuite,
comment les Ases, originaires du Pays turc en Asie, sont parvenus
à se faire adorer en Scandinavie , Snorri admettait que les Fils des
Ases asiatiques, après avoir succédé à leurs pères et les avoir imités
en tout , au point de prendre , eux aussi, les noms propres d'Odinn,
de Thor, deFreyr, etc., sont sortis de la Scythie sous la conduite de
leur chef Odinn, le successeur de l'Odinn primitif, et se sont établis
successivement en Saxe , en Danemark et enfin en Suède ; que ces
Ases, magiciens et imposteurs comme leurs pères, dont ils sui-
vaient en tout les errements , ont régné en Scandinavie, principale-
ment à Upsal ; qu'ils y ont établi leur résidence, et se sont fait adorer
en Suède ; qu'ils y sont morts et ont transmis leur domination et
leur religion à leurs descendants , les rois de Suède , appelés les
Ynglings (Issus d'Angul , Petit-Fils de Sublime). Cherchant, enfin, à
déterminer V époque, à laquelle les Ases ont quitté l'Asie, pour
s'établir dans le Nord de l'Europe , Snorri crut pouvoir arriver à le
faire par la combinaison historique suivante.
Sachant que, d'après les traditions nationales , les rois des peuples
Scandinaves tiraient leur origine d' Odinn et de ses fils , et prenant,
comme tous les chroniqueurs du Moyen âge , ces généalogies my-
thico-épiques pour des généalogies historiques , il en fit la base de
ses calculs chronologiques. En conséquence , calculant approxima-
tivement la durée du règne des rois , en remontant des princes de
son époque jusqu'au roi Odinn, considéré comme leur père et leur
souche , Snorri trouva que ce chef des Ases a dû vivre du temps de
la naissance de Jésus-Christ. Ensuite la tradition norraine , ayant
signalé le règne du roi Frôdi (Sage) , d'un des successeurs d'Odinn ,
à la fois comme un règne heureux, par une longue -paix, et comme
46 ÍNTRODUCTION.
une époque de grands bouleversements dans la nature, Snorri crut
trouver, dans les données de cette tradition, une indication chrono-
logique encore plus précise. En effet , il s'imagina que Frôdi a dû
être le contemporain de l'empereur Auguste, parce que, pendant le
règne de ce prince, le monde entier, d'un côté, a joui d'une longue
paix, à laquelle pouvait correspondre ce qu'on appelait, dans le Nord,
la Paix de Frôdi (norr. Frôda-fridr), et qu'il a éprouvé, de l'autre,
(du moins à ce qu'on croyait au Moyen âge) de grandes catastrophes,
savoir les bouleversements, qui sont arrivés le Vendredi-Saint, le
jour, où Jésus mourut sur la croix (Cf. Dante, Inf. 12, 12). Frôdi
ayant été, d'après cela, le contemporain d'Auguste, Odinn, l'aïeul de
Frôdi, devait avoir vécu du temps de Jules César. Snorri s'imagina
donc que ce chef des Ases a dû avoir été chassé de l'Asie, et dépossédé
de son royaume par le capitaine romain Pompejus. Les Ases, vaincus,
mais grands sorciers, arrivèrent, par leurs sortilèges, à découvrir
que leur puissance serait rétablie plus forte dans le Nord. C'est pour-
quoi ils quittèrent l'Asie et allèrent s'établir en Scandinavie.
Telle était la combinaison historique , par laquelle Snorri parvint
à s'expliquer l'arrivée des Ases dans la Suède, et à rattacher les trfi-
ditions mythico-épiques des Scandinaves sur l'origine de leur race,
à ce qu'il savait de l'histoire ancienne ou de l'histoire du monde.
Si, d'un côté, d'après ses idées evhéméristes, Snorri considérait la
Mythologie comme faisant partie de l'Histoire , il dut , d'un autre
côté , d'après le dogme chrétien , n'y voir qu'un récit trompeur , ou
l'histoire mensongère des actions accomplies , soit par les Ases du
Nord, soit par leurs ancêtres, les Ases du Pays turc en Asie. Aussi
n'avait-il pas à s'embarrasser beaucoup des nombreuses contradic-
tions qu'il devait nécessairement rencontrer entre les mythes nor-
rains et sa manière historique de les concevoir ou de les expliquer.
Il se sentait , du reste , d'autant moins engagé à lever ou à concilier
ces contradictions (si , toutefois , elles se sont présentées à son
esprit) que, de son temps, et surtout dans son pays , la Critique, ou
la science historique et philosophique, était chose inconnue, et qu'au-
cun de ses contemporains n'était à même, ni de présenter des ob-
jections sérieuses à son système mythico-historique , ni de redresser
les erreurs qu'il commettait dans la conception et l'explication des
mythes.
S 23. Snorri, expose les mythes dans leur succession pré-
LA MYTHOLOGIE EXPOSÉE COMME UNE HISTOIRE. 47
tendue historique. — La disposition des matériaux, dans un
ouvrage, tient à la fois du fond, ou de la science impliquant un
ordre naturel, et de la forme ou de l'arrangement choisi pour mettre
ce fond en lumière. Si la Science consiste dans l'intelligence profonde
et complète qu'on a et de la nature de ses éléments et des rapports de
ceux-ci entre eux, la disposition des matériaux, dans le but d'exposer
cette science, sera la reproduction de l'ordre et de la suite, dans les-
quels se sont produits soit les phénomènes, s'il s'agit d'une science
physique^ soit les faits, s'il s'agit de l'histoire, soit les rapports et
les idées, s'il s'agit de philosophie. La disposition des matériaux,
c'est-à-dire le plan , le dessin et l'ordonnance , sera d'autant plus
scientifique et conforme à la vérité et à la nature, que l'auteur pos-
sédera une connaissance plus profonde et plus étendue du sujet qu'il
traite. Aussi cet ordre et cet enchaînement naturels des matières,
qui sont l'expression de la science consommée , ne sauraient être
appliqués, ni même entrevus, aussi longtemps que la Science est
encore superficielle et incomplète. Si donc l'intelligence scientifique
de la nature soit de la Mythologie, en général, soit de la Mythologie
norraine , en particulier, avait été possible du temps de Snorri, cet
auteur aurait disposé les matériaux dans le même ordre naturel d'a-
près lequel ils se sont produits successivement dans la réalité.
Cet ordre naturel , génétique et historique, aurait, en même temps,
expliqué la nature des mythes, en montrant de quelle manière ils se
sont formés les uns des autres. Mais Snorri n'était pas en mesure
de donner une explication , tant soit peu scientifique de la Mytholo-
gie norraine, pas plus que les philosophes et savants hindous ou grecs
n'ont été en état de le faire par rapport à la Mythologie de l'Inde ou
de la Grèce. C'est que dans l'Antiquité, et jusqu'au Moyen âge, la
Mythologie, lorsque la Science s'en est occupée , s'était déjà telle-
ment transformée , qu'on n'y soupçonnait plus ce qu'elle avait ren-
fermé dans l'origine , savoir des Intuitions, des Notions et des Idées,
(voy. § 5-8) , mais qu'on y voyait seulement des faits traditionnels ,
un vaste tableau de l'histoire des dieux et des choses religieuses.
A moins que la signification ne fût par trop évidente , Snorri ne soup-
çonnait pas même que les mythes, sous leur forme épique ou narrative,
exprimassent un sens symbolique. Il est vrai que déjà l'étymologie des
noms propres mythologiques aurait pu le mettre sur la voie , pour lui
faire entrevoir la signification primitive d'un grand nombre de ces
48 INTRODUCTION.
conceptions symboliques. Mais la connaissance exacte de la signi-
fication primitive des noms propres ne s'acquiert que par les études
profondes et difficiles de la Haute Philologie ; et cette Science , on
le conçoit, est restée une lettre close pour l'Antiquité, l'Orient et
le Moyen âge, tout comme elle l'est encore aujourd'hui, générale-
ment, pour la plupart des lecteurs et même pour le plus grand
nombre des savants.
Les Mythographes anciens avaient envisagé la Mythologie comme
une grande Epopée avec d'innombrables épisodes. Snorri n'y voyait,
également, qu'un Ensemble de fables ou du moins de faits historiques
défigurés par le mensonge ; et il a cru devoir , en conséquence , la
traiter comme une espèce de grande Saga (Histoire traditionnelle).
Dès lors n'ayant pas , d'après ce point de vue , à expliquer les mythes
(parce qu'il les prenait pour des faits, et non pour des symboles),
mais seulement à les exposer, Snorri, avec le talent de narrateur , et
avec l'esprit historique qu'il possédait, ne pouvait être incertain sur la
meilleure manière de disposer les matériaux de sa narration, ni sur le
meilleur ordre à suivre dans le récit de cette grande Saga mytholo-
gique. Aussi, après avoir brièvement retracé l'histoire qui fait V En-
cadrement de son ouvrage (voy. § 30), a-t-il suivi, dans son Traité,
l'ordre chronologique, c'est-à-dire, non pas l'ordre chronologique
de la formation et de l'âge relatif des mythes , mais l'ordre présumé
chronologique des événements , supposés réels , exposés dans ces
mythes. C'est pourquoi iSwom, au lieu de commencer par les mythes
les plus anciens, c'est-à-dire par ceux concernant les Divinités, qui
sont ce qu'il y a de plus primitif dans toute religion, et dont la con-
ception est bien antérieure aux idées de création et de cosmogonie,
commence son Traité par les mythes sur Y origine du Monde, et sur les
premiers Êtres cosmî^M^s ; puis il passe aux mythes qui racontent les
actions , les aventures , les œuvres des Dieux , et il termine par les
mythes sur la fin et le renouvellement du Monde. Si Snorri n'avait
pas trouvé, par lui-même, cet ordre chronologique, celui-ci lui aurait
été suggéré et indiqué par l'exemple du poëme intitulé La Vision de
la Louve. En effet, ce poëme eddique, qui, par son origine, appartient
à une époque où la Mythologie norraine avait déjà dépassé son apogée,
et avait pris, au détriment de sa signification primitivement symbo-
lique, une forme purement épique^ était un premier essai de retracer,
dans son ensemble, le tableau prétendu historique de cette Mythologie.
BUT DU TRAITÉ DE SNORRI. 49
Mais l'ordre chronologique^ pour être logique et naturel en histoire,
n'est pas encore V ordre génétique , lequel est l'ordre scientifique par
excellence , tant dans le domaine des faits que dans celui des idées.
Snorri^ qui ne savait s'élever au-dessus du point de vue réputé
historique, en fait de Mythologie, n'en savait pas, non plus, dis-
poser les matériaux dans leur ordre génétique, mais dut se con-
tenter de les exposer dans un ordre présumé chronologique.
§ 24. But plutôt scientifique que littéraire du Traité de
Snorri. — U ordonnsince scientifique, qui est basée sur l'intelligence
complète et parfaite du sujet, diffère, non-seulement, de l'ordre chro-
nologique, appliqué à des faits réputés historiques, elle diffère aussi et
du plan qui convient dans la Poésie^ et de la disposition qui serait
bien choisie dans un but oratoire. En effet , tandis que la Science ,
visant uniquement au Vrai , tend à comprendre la vérité , et à l'ex-
poser dans l'ordre génétique , la Poésie vise plutôt au Beau et préfère
représenter les choses, non pas tant, comme elles sont, mais comme
elles pourraient ou devraient être ; enfin, V Eloquence, tenant le milieu
entre la Science et la Poésie , quant au fond et quant à la forme, ne
vise pas au Vrai quel qu'il soit, mais seulement au Vrai que l'orateur
juge être utile à sa cause.
L'ordonnance est donc faite , dans la Science , au point de vue du
Vrai , en Poésie, au point de vue du Beau , et en Eloquence, au point
de vue de l' Utile. 11 se pourrait donc qu'un auteur , tel que Snorri ,
ne suivît pas l'ordonnance strictement scientifique , non parce qu'il
l'ignorerait , mais parce qu'il croirait devoir l'abandonner ou le sa-
crifier à son intention de produire une œuvre de Poésie ou d'Elo-
quence. Mais le but de Snorri , en rédigeant La Fascination de Gulfi ,
n'était pas de composer une œuvre de Poésie ou d'Eloquence ; il ne
voulait pas, en poète épique, exposer la Mythologie norraine sous
forme d'épopée ou de roman, ni établir, en orateur, sa thèse sur des
moyens de persuasion : son but était essentiellement scientifique ; il
voulait conserver les traditions qui allaient se perdre de la mémoire
du peuple et des érudits , et faire connaître, dans son Exposé, ce
qu'il croyait savoir de cette Mythologie. Si donc , travaillant dans ce
but , il n'a pas adopté , dans son Traité , la disposition véritablement
scientifique des matériaux, c'est que, n'ayant pas la connaissance
vraie, approfondie et complète du sujet, il était aussi impuissant de
trouver et d'appliquer cette ordonnance scientifique. Comme il est
4
50 INTRODUCTION.
bien plus facile d'arranger les choses au gré de l'imagination, et de les
placer, à la façon de certains poètes , dans un ordre logique, il est vrai ,
mais arbitraire et systématique, que d'en concevoir l'ordonnance natu-
relle et les rapports réels , il se fait que, partout et toujours, dnns les
ouvrages de Philosophie et de Science, on suit longtemps une dis-
position de matériaux arbitraire et artificielle^ avant qu'on n'arrive
à trouver enfin le système véritable et naturel des choses. L'Intelli-
gence se développant après les Passions et après l'imagination , la
Science demande beaucoup plus de maturité d'esprit , et de fermeté
de tête, que les arts d'imagination et de sentiment. Comme en géné-
ral, la majorité des hommes vit plutôt de la vie de l'Imagination et du
Sentiment, que de celle de l'Intelligence et de la Science, la plupart ne
s'intéressentguère à la 2;<^nï^pour elle-même; et, à toutes les époques,
on a préféré les littérateurs et les artistes aux savants et aux philosophes .
A toutes les époques les auteurs ont tiré vanité plutôt de leur habi-
lité d'artiste que de leur puissance et de leur génie de savant, et ont
souvent caché, par des dehors littéraires et oratoires, leur impuis-
sance scientifique. Y a-t-il à s'étonner, si le Traité de Snorri, comme
beaucoup d'ouvrages semblables de l'Antiquité, de l'Orient, du Moyen
âge et des Temps modernes, bien qu'il dût être , d'après l'intention
de l'auteur, un ouvrage essentiellement scientifique, ressemble ce-
pendant , dans la disposition des matériaux et dans sa forme exté-
rieure, plutôt à une œuvre littéraire de son époque, qu'à un ouvrage
de science.
CHAPITRE V.
FORMES LlTTÉRAiaES, ENCADREMENT ET TITRE DU TRAITÉ DE SNORRI.
§ 25. La Poésie et la Science confondues ensemble. — Dans
l'Antiquité , en Orient , au Moyen âge , et , en général , à toutes les
époques , et chez tous les peuples qui ne sont pas encore parvenus
à reconnaître les caractères différentiels qui séparent le Vrai du
Beau, la Science et la Poésie se trouvent plus ou moins confondues
et mêlées ensemble , de sorte qu'il est impossible de dire , de cer-
tains ouvrages , s'ils appartiennent plutôt à la Science ou à la Poésie
de leur temps. Dans les ouvrages de cette espèce, le but de l'auteur
est quelquefois purement scientifique^ puisqu'il s'y propose d'ex-
poser ses idées, ses vues, son système, en un mot, ce qu'il croit
être la Vérité; mais l'exécution et surtout la forme de l'ouvrage se
LA FORME SCIENTIFIQUE. 5i
rapprochent encore de l'exécution et de la forme poétiques, parce que
l'auteur, semblable au poëte, ne donne, pour de la Science, que les
conceptions de son imagination. Tels sont généralement , aux époques
indiquées, les ouvrages de Théogonie , de Cosmogonie, de Philoso-
phie et de Science, et même plus tard encore, par imitation, les
œuvres appartenant au genre appelé la Poésie didactique, genre qui,
par son caractère ambigu , se maintient dans le domaine littéraire
jusqu'à ce qu'on parvienne enfin à reconnaître que l'enseignement
poétique , par son hermaphrodisme impuissant , ne saurait ni rem-
plir les conditions sévères de la Science, ni satisfaire aux exi-
gences artistiques de la Poésie.
La forme d'un ouvrage étant déterminée par le fond , soit scienti-
fique , soit littéraire, on conçoit que cette forme ne saurait être en-
tièrement/î^rg, comme elle devra l'être, qu'autant qu'on aura séparé
nettement, l'une de l'autre, la Science et la Poésie. Aussi le mélange
de l'une avec l'autre aura toujours pour conséquence l'emploi de
formes impropres, ambiguës et même discordantes.
Le but de la Science étant d'exposer ou d'enseigner ce qu'on croit
être vrai , la meilleure forme d'exposition ou d'enseignement scienti-
fique, c'est la forme directe ou discursive, employée déjà par Aris-
totélès exposant les résultats de la Science, par opposition à la forme
indirecte et dialoguée ou à la discussion , employée par Platon expo-
sant la méthode de la Science. La Science se compose non-seulement
de la connaissance des choses, des faits et des phénomènes visibles,
mais aussi d'idées générales et de raisonnements plus ou moins
abstraits ; elle aura d'autant plus de valeur qu'elle sera plus complète,
quant aux faits et quant aux idées expliquant ces faits. L'enseignement
vraiment scientifique, s'adressant à des esprits mûrs , sera donc direct
et complet, et ne supprimera rien d'essentiel dans les faits, ni dans
les idées générales et abstraites, pas même sous prétexte ou par
crainte de n'être plus agréable aux esprits faibles. En effet, la Science,
ne devant plaire et intéresser que par les vérités qu'elle renferme,
et ayant à s'adresser principalement à la Raison et à l'Intelligence ,
n'hésitera pas de se servir même d'une forme sévère pour faire res-
sortir et saisir ces vérités^ elle s'abstiendra de recourir, comme
doivent le faire la Poésie et l'Eloquence, aux moyens de plaire
à l'Imagination ou de flatter la Sensibilité et la Passion. Mais ces
formes, essentielles à l'Enseignement scientifique, n*ont pas pu
52 INTRODUCTION.
se produire aux époques , où la Science était encore trop superfi-
cielle et incomplète, où, par cela même, elle était confondue avec la
Poésie , et où l'Enseignement , s'adressant à des esprits peu mûrs ,
avait encore besoin d'amuser l'Imagination pour captiver l'attention
et pour intéresser, de cette manière, la Raison et l'Intelligence.
Dans ces temps , on dut donc généralement s'en tenir, dans les ou-
vrages scientifiques , à une forme plus populaire , plus concrète et
plus rapprochée de celle des ouvrages littéraires proprement dits.
On dut surtout employer, au lieu de la forme directe ou discursive,
la forme dialoguée, laquelle était empruntée à la manière même
dont la Science s'était formée et transmise dans l'origine.
§ 26. Le Dialogue, la Discussion et les Joutes scientifiques.
— Avant de pouvoir songer à exposer, directement et continûment,
un Ensemble systématique de connaissances , il fallait trouver d'abord
cet ensemble, rassembler les matériaux pour construire, en quelque
sorte, l'édifice de la Science. Or, la Science fut créée peu à peu par
la communication qu'on se faisait réciproquement des faits, des
observations et des idées qu'on avait recueillies; elle fut donc créée
par l'entretien et la discussion; et, par conséquent , la forme dm-
logiiée, employée dans les ouvrages didactiques, n'était au fond que
l'imitation du dialogue, qui , dans l'origine , avait réellement mis au
jour et transmis les faits et les idées de la Science. Ajoutons que la
manière dont on envisageait la Science, par rapport à celui qui la
possédait, devait aussi contribuer à donner, encore pour longtemps,
la préférence à la forme dialoguée sur la forme akroamatique. En
effet, la Science, telle qu'elle doit être, et envisagée comme elle doit
l'être, semblable à l'Intelligence dont elle est l'expression formulée,
est , de sa nature , essentiellement impersonnelle et désintéressée ;
ainsi que la Raison et le Langage, elle appartient, non à l'individu,
mais à V espèce humaine ; elle est le produit de l'Intelligence géné-
rale ou des efforts intellectuels de l'humanité, plutôt que le produit
de l'individu, lequel, par son travail personnel , et moyennant un
instrument qui n'est pas individuel , savoir la Raison ou l'Intelligence ,
ne fait, tout au plus, qu'agrandir le domaine de la vérité , dont il a pu
profiter par suite de sa communication intellectuelle avec ses contem-
porains et avec les générations qui l'ont précédé. La Science , étant
impersonnelle, n'a donc de signification et de valeur, qu'autant
qu'elle se communique au plus grand nombre d'intelligences; d'après
LA THÉORIE ET LA PRATIQUE. 53
cette idée, elle devrait, comme la vie physique , être reçue et donnée
gratuitement. Celui qui la possède , peut , sans doute , légitimement
la faire tourner à son avantage individuel, mais elle ne saurait de-
venir, raisonnablement, ni un privilège, ni une propriété. Si, de nos
jours , la Science est encore considérée comme un avantage j^ersomie/,
que celui, qui la possède, exploite à son profit, avec plus ou moins
de bonne foi , et quelquefois même avec plus ou moins de charlata-
nisme, et si l'on fait valoir ce fonds, comme un capital, un bien ou une
qualité , en un mot , comme une propriété qu'on n'obtient et qu'on
ne donne pas gratis, il faut se rappeler que, dans l'Antiquité , la
Science avait, sous tous les rapports, un caractère encore de beaucoup
plus personnel et égoïstique , parce qu'elle était encore plus étroite-
ment liée à la Pratique, qui est toujours moins désintéressée que la
Théorie. C'est pourquoi, bien que la Science soit essentiellement con-
ception, par la pensée, de ce qui est, ou de la Vérité, et qu'elle porte,
par cela même , un caractère purement théorique , étranger à toute
application et à tout but pratique et utile, cependant, dans l'Anti-
quité, on ne s'y est généralement intéressé, que parce qu'on y
cherchait et trouvait sojtun moyen à' action, soit des résultats pratiques
et des avantages matériels. Aussi, dans les Langues anciennes, le mot
savoir était-il originairement synonyme de j^owvofr*; et encore, chez
les Grecs, la différence entre la Science ou la Théorie , et l'Art ou la
Pratique , était si peu tranchée, que le même mot Technè (art, pra-
tique) désignait, le plus souvent aussi bien la Science pure que
l'Art proprement dit. Dès lors la Science, étant considérée comme
un pouvoir, on la recherchait aussi et on l'estimait, pour les mêmes
raisons , pour lesquelles l'on recherchait et estimait la Force et la
Puissance; par conséquent, chose digne de remarque!, elle donnait
sur l'ignorant les mêmes droits , que la force physique donnait sur le
faible, savoir le droit du plus fort, lequel pouvait aller jusqu'au droit de
vie et de mort. De là les luttes , les joutes , les assauts de science, d'éru-
dition et de sagacité, tels, par exemple, que se les donnaient, entre
eux, suivant la tradition arabe, Soleimân (Salomon le Sage), le roi
Hiram, de Tyr , et la Reine de Saba; de là les combats scientifiques
à outrance , où celui qui succombait était mis à mort par le vainqueur,
1. Exemple. En sanscrit, iZjaw (pouvoir) et djnâ (savoir), en latin gfnafwi (produit)
et gnôtus (connu) , en allemand, kiinnen (pouvoir) et kennen (savoir), dérivent de
la même racine.
54 INTRODUCTION.
comme un ennemi à la guerre , ou un adversaire vaincu dans un
champ clos.
Les Hindous avaient une si haute opinion des droits que conférait
la supériorité scientifique, c'est-à-dire de la puissance et de l'em-
pire absolu que donnait la Sagesse ou la Science , qu'ils étaient con-
vaincus qu'Indras même , le Chef des dieux inférieurs , serait obligé
de céder son trône céleste au Philosophe pénitent qui lui serait
supérieur par l'Intelligence. Or, on croyait que par la pénitence
contemplative (sansc. tapas , ferveur) on parviendrait à la Sagesse
suprême. C'est pourquoi les terribles austérités que s'imposèrent
certains Sages-pénitents (sansc. mounaïas) faisaient trembler, pour sa
puissance, le Dieu Indras ; et pour ne pas perdre son Empire, il eut
souvent recours au moyen extrême. Ce moyen était d'envoyer au
Mouni une charmante Apsaras, espèce de Naïade, de Nymphe ou de
Houri du ciel ou paradis hindou, laquelle , en inspirant à ce sage un
amour violent , le détournait de sa pénitence et de ses contempla-
tions, et lui faisait ainsi perdre le fruit et les droits de sa Sagesse
(voy. Les Chants de Soi, p. 156 - 158).
S 27. Joute entre Vafthrûdnir et Odinn ;. Guerre de la Wart-
bourg. — Suivant la Mythologie norraine , Odinn n'était pas moins
jaloux qu'Indras de la sagesse et du savoir d'autrui ; il craignait la
supériorité d'esprit des Vanes (voy. Comm. § 95) , qui étaient les
rivaux des Ases , et celle des Jotnes (voy. Comm. § 25) , qui étaient leurs
ennemis. Ces derniers surtout lui inspiraient, sans cesse , de vives in-
quiétudes. C'est pourquoi, pour renforcer sa Science, il allait boire
souvent h la Fontaine de Sagesse, gardée par l'Iotne Mimir (voy. Comm.,
§ 74), et, plus tard, il allait consulter la Tête de ce géant dans les circon-
stances difficiles (voy. Pomesîs/., p. 202). 11 faisait de fréquents voyages
dans le Pays deslotnes, pour mettre leur Sagesse à l'épreuve, et
afin de constater, par lui-même, sa supériorité intellectuelle. Dans ces
épreuves, il y allait toujours de la vie de celui qui était vaincu. Telle
était la lutte ou l'assaut de science auquel nous fait assister le Poëme
eddique intitulé : Dits de Vafthrûdnir (Vafthrûdnismâl). Voici l'ana-
lyse rapide de ce poëme qu'il importe de connaître particulièrement,
parce qu'il a servi de modèle à Snorri, pour la composition de l'En-
cadrement de La Fascination de Gulfl.
Odinn ^ s'entretenant avec son épouse Frigg^ lui exprime le désir
d'aller voir Vafthrûdnir, et il lui donne à entendre qu'il a résolu de
LES JOUTES DE SCIENCE. 55
faire ce voyage, pour se mesurer, avec ce puissant lolne, dans la Science.
Frigg voudrait retenir son mari; car elle connaît, sinon la supério-
rité intellectuelle, du moins la grande force corporelle de Vafthrûd-
nir. Mais Odinn persiste dans sa résolution; et, pour tranquilliser son
épouse , il lui rappelle , qu'il est toujours resté vainqueur dans ces
joutes périlleuses. Frigg ^ voyant qu'elle ne pourra pas détourner
Odinn Aq son projet, consente ce qu'il parte ; mais, dans ses adieux,
elle trahit son inquiétude , par les vœux qu'elle fait pour le succès
et le retour heureux de son mari.
Odinn ^ déguisé en voyageur, et ayant pris le nom de Pourvoit-au-
voyage (norr. Gâng-râdr) synonyme de Voyageur^ se présente dans
la demeure de Vafthrûdnir ; il se tient debout dans l'allée (norr. golf),
et dès qu'il se trouve en face de cet lotne, il lui déclare qu'il est
venu exprès pour éprouver son savoir. Vafthrûdnir, étonné qu'un
étranger doute de sa science, et vienne le provoquer brusquement
dans sa propre demeure , accepte le défi , en déclarant , avec colère ,
que l'étranger ne sortira plus de chez lui , à moins qu'il n'ait prouvé
sa supériorité en sagesse. Odinn, pour apaiser la colère de son hôte,
le rappelle aux devoirs de l'hospitalité , en faisant connaître son nom
de Pourvoit-au-voyage et sa qualité de voyageur. Vafthrûdnir, fidèle
à ces devoirs sacrés , dit à l'étranger de monter sur l'estrade et d'y
prendre place. Mais Pourvoit-au-voyage , avant de jouir des avan-
tages de l'hospitalité , voudrait donner une preuve de son mérite et
de son savoir, et gagner ainsi, tout d'abord, sinon la bienveillance,
du moins l'estime et le respect de son hôte. Car, comme tous les
étrangers, sans distinction, avaient droit à une réception hospitalière,
les hommes supérieurs , pour ne pas être confondus avec la foule ,
tenaient à se faire connaître comme hommes de mérite , dès leur
entrée dans une maison , et à mériter le respect de leur hôte par la
sagesse de leurs discours. C'est pourquoi Pourvoit-au-voyage garde
sa place dans l'allée, et, à l'invitation de son hôte, qui l'engage à
monter sur l'estrade , il répond qu'un étranger doit avant tout se faire
estimer, surtout s'il est pauvre et s'il se trouve chez un homme, qui
n'est pas précisément prévenu en sa faveur. Vafthrûdnir, voyant que
Pourvoit-au-voyage ne veut jouir des droits de l'hospitalité qu'après
avoir prouvé qu'il n'est pas un homme ordinaire , et, se doutant qu'il
s'agira d'une lutte de science , lui adresse successivement quatre
questions, dont la dernière est la plus difficile, parce qu'elle se rap-
56 INTRODUCTION.
porte aux choses à venir. L'étranger sachant répondre à toutes ces
questions, Vafthrûdnir lui témoigne de l'estime, le fait asseoir au-
près de lui, et l'engage à commencer le grand assaut â! érudition,
auquel il l'a provoqué , et où il y ira de la vie du jouteur vaincu.
Comme Pourvoit- au-voy âge a pY'ovoqué cette joute , c'est à lui à
interroger son hôte; il lui adresse trois séries de questions, chacune
renfermant six demandes, soit en tout dix-huit questions , toutes plus
difficiles les unes que les autres; les deux premières séries, ou les
douze premières questions, se rapportent à l'origine de différents
Êtres mythologiques , ou au passé du Monde; la troisième série, au
contraire, soit les six dernières questions, se rapportent à l'avenir ou
à la destinée future des Dieux et des hommes et à la fin du Monde.
Vafthrûdnir ayant su répondre aux dix-sept premières questions.
Pourvoit- au-voy âge lui adresse, enfin, la dix-huitième, à laquelle,
comme il en est convaincu , l'Iotne ne saura pas répondre , parce
qu'elle se rapporte à un mystère qui n'était connu que d'Odinn et
de Baldur. En même temps qu'il propose cette question fatale, Pour-
voit-au-voyage sort de son déguisement. L'Iotne intelligent recon-
naît Odinn, non-seulement à sa figure , mais aussi à la question qu'il
vient de lui adresser; car il n'y avait (\\xOdinn qui pût faire cette
question, concernant un mystère dont lui-même était l'auleur et le
seul initié vivant. Vafthrûdnir avoue donc qu'il est vaincu ; il déplore
son imprudence d'avoir voulu rivaliser avec le plus sage des héros ,
et il se soumet , avec résignation , à son sort malheureux.
Comme dernier exemple de ces luttes à outrance, nous citerons
encore la tradition moitié historique , moitié légendaire, sur la joute
poétique qui doit avoir eu lieu, de l'année 1206 -à 1207, dans la
résidence des Margraves de Thuringe, au château de Wartbourg,
près de Eisenach. Cette joute est célébrée dans deux poèmes frag-
mentaires, soudés ensemble et connus sous le titre de Guerre des
Poêles à la Wartbourg (Der Singerkriec uf Wartburc). La première
partie du poème ressemble à un Tournoyetnent y c'est-à-dire à une
composition poétique, où plusieurs poëtes-jouteurs prennent, chacun
à son tour, la parole pour soutenir, en vers, leur opinion sur une
question litigieuse.
Heinrich d' Ofterdingen commence par élever, au-dessus de tous
les princes, son Maître, le généreux Léopold, septième duc d'Au-
triche. Après lui, Walther de la Vogelweide ^ loue, au contraire, le
LES JOUTES DE SCIENCE. 57
roi de France ; et Heinrich de Risbach donne la palme au Margrave
Hemnann de Thuringe , leur hôte à la Wartbourg. Comme la lutte
se dessine entre Risbach et Ofterdingen, celui-ci engage le combat
à outrance, et désigne juges de la lutte Reinmar de Zweier et Walther
de la Vogelweide. Alors Riterolf entre dans le Tournoyement , en
chantant la louange du Comte deHenneberg ; Ofterdingen fléchit dans
son plaidoyer pour Léopold, et se met à louer,outre le duc d'Autriche ,
encore le Prince de Rrandebourg. Mais le puissant poëte Wolfram de
Eschenbach, ayant pris la parole, se déclare hautement pour le Mar-
grave Herrmann ; Ofterdingen faiblit dans la lutte poétique , et tous
les assistants, juges et jouteurs, le déclarent vaincu, et, conformé-
ment aux conditions du combat, décident de le livrer à Maître
Stempfel, le bourreau d'Eisenach. Mais sur les instances de la Land-
grave Sophie , on permet à Ofterdingen , de se faire remplacer, dans
la lutte, par Klingsor de Hongrie, et l'on arrête que la question de
la préférence à accorder à Léopold d'Autriche ou à Herrmann de
Thuringe , soit décidée par l'issue de la lutte poétique ou de l'espèce
de Tenson , qui va avoir lieu entre Klingsor et Wolfram d'Eschen-
bach. Wolfram , quoique laïque , est le plus pieux , le plus mystique ,
et le plus savant des poètes de son temps. Klingsor, quoique clerc,
hait le clergé ; il est négromant, et a pour protecteur le démon Rasiant
ou Nasian^ de Constantinople. Tous deux illustres poètes, luttent,
cette fois-ci , puissamment l'un contre l'autre , non en chantant la
louange des Princes, qu'ils admirent personnellement, mais en se
proposant réciproquement des énigmes à résoudre (voy. Les Chants de
Sôl^ p. 159). Ces énigmes plus ou moins difficiles, proposées sur des
sujets appartenant à la Philosophie ou Théologie allégorico-mystique
de l'époque, sont expliquées avec une sagacité victorieuse par l'un et
par l'autre jouteur, de sorte que, à ce qu'il semble (car le poëme , qui
est tronqué à la fin, ne l'énonce pas directement), la joute a dû
être considérée comme une partie remise.
Ces combats scientifiques à outrance , dont nous venons de citer
des exemples, bien qu'ils soient en partie fictifs, prouvent cependant
que, dans l'Antiquité, la Science était considérée comme un moyen de
puissance et de domination ; aussi , à ce titre, était-elle à la fois objet
d'ambition et de jalousie ; on s'en réservait, autant que possible, la
propriété exclusive , et on ne la communiquait qu'à regret à d'autres.
Voilà pourquoi il est dit qu'il fallait contraindre, par la force, Protée,
58 INTRODUCTION.
les Sibylles , les Pythies à Delphes , les Valas Scandinaves , etc. , à
rendre leurs oracles. La Science, au lieu de tendre à se divulguer,
se changea, au contraire, en une espèce de Doctrine secrète^ qu'on
gardait soigneusement, et qu'on transmettait seulement, ainsi qu'on
le faisait pour la richesse et la propriété , aux membres de sa famille,
et à ceux qu'on aimait ou qu'on favorisait spécialement. C'est ainsi
que, dans l'origine, l'initiation aux Mystères chez les Grecs, était
considérée comme une faveur extrême, qui ne fut accordée qu'à
des hommes privilégiés, et après de longues épreuves. C'est ainsi que,
selon la Mythologie norraine , Odinn , sous le nom de Grimnir, com-
munique sa science à Agndr , son protégé (voy. Grimnismdl); que
Hundla révèle ses secrets à Ottar (voy. Hyndlu-lioth) , son favori ;
que Gripir donne des instructions à Sigurd (voy. Gripis-spâ) , son
neveu , etc.
§ 28. La forme catéchétique de l'Enseignement. — En même
temps que la jalousie donna à la Science le caractère d'une Doctrine
secrète^ elle lui donna également la forme du Mystère^ en évitant,
dans l'Enseignement, l'exposition claire et intelligible pour tout le
monde , et en affectionnant , dans la Tradition , les formulas mysté-
rieuses , mystiques et énigmatiques. Telle est la cause principale de
l'obscurité , dans laquelle les Sibylles, les Pythies, les Valas enve-
loppaient leurs oracles. Voilà pourquoi, chez les Scandinaves, le mot
rune{hrûna, rûna; sansc. cravanâ^ audition, auscultation, com-
munication, tradition), qui, dans l'origine, signifiait simplement
tradition , prit , de plus en plus , à mesure que la tradition devenait
mystérieuse, la signification de Tradition secrète et de Mystère. Voilà
pourquoi enfin, la forme obscure, alambiquée, énigmatique, qui
aurait dû répugner à l'Enseignement, fut néanmoins employée, de
préférence , dans la Tradition , de sorte que, dans l'Antiquité et au
Moyen âge, Y Énigme (goth. frisahts, épreuve d'attention; norr. getur,
devinations; vieux-allem. tunchli, obscurité; moyen-ail. /iû/"/, retenue)
devint une forme littéraire très-usitée , favorisée encore , en Occi-
dent, par le genre allégorique , introduit par l'Exégèse et la Théologie
mystique des docteurs chrétiens.
De même que les Mystères ne furent communiqués qu'à des
hommes privilégiés , de même la Science proprement dite ne fut
transmise, par le Maître, qu'à ceux qu'il considérait comme ses dis-
ciples, ses enfants spirituels. Aussi l'Enseigiioment était-il générale-
LA FORME DIALOGUÉE. 59
ment ésotérique , et , encore , le Maître ne communiquait-il , directe-
ment, ni sans retenue, sa Science, pas même à ses disciples ; il ne la
révéla que d'une manière plus ou moins aphoristique , et seulement
lorsqu'il était sollicité et provoqué à l'enseignement par les ques-
tions, que les disciples lui adressaient en lui indiquant les points
qui , seuls , les intéressaient spécialement ou sur lesquels ils dési-
raient particulièrement avoir des éclaircissements. C'est ainsi que
l'alternance des questions du Disciple et des réponses du Maître est
devenue la forme didactique la plus ancienne , et celle qui fut employée,
soit dans les discussions , soit dans les ouvrages philosophiques et
scientifiques , longtemps avant la forme directe ou discursive.
Cette forme dialoguée de l'Enseignement se retrouve jusque dans
la Poésie épique et dans l'exposé didactique des anciennes tradi-
tions. C'est ainsi que , dans le Mahâhhârata et le Ramâyana, le récit
n'est pas supposé se faire directement et d'une manière continue
par le poéïe tout seul, comme cela se voit dans l'Iliade et dans
l'Odyssée, mais les histoires, dont se composent les épopées hindoues,
sont racontées successivement par différents personnages, qui sont
censés avoir été invités , par leurs interlocuteurs , à faire ces récits ,
de sorte que , malgré la longueur des discours ou des récits , ces
poëmes ressemblent à un Entretien ou à un long et gigantesque
Dialogue. Comme les traditions épiques sont antérieures aux tradi-
tions scientifiques, on doit même admettre que la forme dialoguée
a existé dans les ouvrages épiques , avant d'avoir été employée dans
les ouvrages philosophiques ou scientifiques.
La forme dialoguée se trouve dans la plupart des plus anciens
livres philosophiques des Chinois , depuis les Lun-yu (Sentences) de
Kkong-fou-tsö (Confucius), jusqu'aux Entretiens de Meng-tso (Men-
cius). Elle se fait remarquer dans les discours philosophiques,
insérés, sous forme d'épisodes , dans le Mahâhhârata, tel que , par
exemple, le dialogue, connu sous le nom de Chant du Bienheu-
reux (sansc. Bhagavad-gîtâ), et qui est supposé avoir eu lieu entre
Bhagavan et Ardjounas. La forme dialoguée se trouve généralement
adoptée dans les Dialogues philosophiques de Platon , d'autant plus
qu'elle était exigée à la fois par la méthode socratique et par la méthode
dialectique , adoptée par ce philosophe'. Par imitation des dialogues
de Platon, cette forme passa également dans les ouvrages philoso-
1 . Voy. P. Janet, Essai sur la Dialectique de Platon.
60 INTRODUCTION.
phiques de Cicéron , notamment dans les QuœsHones Academicœ ,
les QuœsHones Tusculanœ, le De finibus bonorum et malorum , etc.
Aristotélès lui-même descendit à cette forme dans les développe-
ments exotériques , qu'il adressa aux gens du monde , bien qu'il se
servît de la forme directe , discursive ou akroamatique dans l'En-
seignement ésotérique, qu'il adressait à ses disciples, plus avancés
dans la Science.
La forme dialoguée, parce qu'elle était plus populaire et plus
appropriée à l'Enseignement élémentaire , donna naissance à la
Méthode catéchétique , qui, dès le troisième siècle de notre ère, fut
adoptée, par l'Eglise, pour l'Enseignement religieux. Plus tard, au
Moyen âge , la forme dialoguée catéchétique fut encore employée dans
toutes sortes d'ouvrages scientifiques, se rapportant au Trivium (Gram-
maire, Dialectique etRhétorique) et au Quadrivium (Musique, Arith-
métique, Géométrie et Astronomie). La méthode catéchétique prit,
dans ces ouvrages , selon la capacité et l'avancement de l'élève ,
soit la forme répétitoire , quand l'élève ne faisait que répéter ver-
balement les paroles du Maître, comme, par exemple , dans le Credo
et dans \a Renonciation^, soit la forme examinatoire, quand le Maître
interrogeait l'élève pour savoir, s'il avait retenu les matières de
l'Enseignement , soit , enfin , la forme catéchétique proprement dite
ou la (orme socratique , quand, discutant avec le disciple, le Maître
l'amenait à trouver , par lui-même , les vérités qu'il fallait apprendre.
Snorri voyait la forme dialoguée (dont nous venons d'indiquer ,
ici, l'origine, la raison d'être et les caractères essentiels), usitée de
son temps, non-seulement dans l'Enseignement oral, mais encore
dans les ouvrages didactiques et même dans les ouvrages de poésie.
Il la voyait adoptée également dans les quelques poèmes de VEdda
qu'il connaissait (voy. p. 42), tels que les Dits de Grimnir, les Dits
de Vafthrûdnir, le Voyage de Skirnir. Il jugea donc aussi conve-
nable de l'adopter, à son tour, dans son ouvrage scientifique sur la
Mythologie norraine. C'est pourquoi , au lieu d'exposer cette Mytho-
logie sous forme narrative ou directe , comme l'a fait, par exemple,
pour la Mythologie grecque , Apollodôros , fils d'Asklèpiadès , dans
son ouvrage intitulé Sur les dieux et appelé aujourd'hui sa Biblio-
1. Exemple. Dem. : Crois-tu en Dieu, le Père tout -puissant? Rép. : Je crois en
Dieu, le Père tout-puissant. — Dem. : Renonces-tu au diable? Rép. : Je renonce
au diable , etc.
LES ENCADREMENTS LITTÉRAIRES. 64
thèque, Snorri rédigea son Traité sous forme catéchétique , ou sous
forme de questions et de réponses. Mais il lui répugnait d'employer
la forme entièrement abstraite d'un Questionnaire, c'est-à-dire de
présenter les questions et les réponses, sans désigner les person-
nages par lesquels les unes et les autres étaient faites ; il ne se con-
tenta pas même, comme cela se voit dans une foule d'écrits du
Moyen âge, d'établir le dialogue entre deux personnages, pour ainsi
dire, stéréotypes, nommés l'un le Maître (Magister), l'autre le Dis-
ciple (Discipulus) ; Snorri voulut donner au dialogue à la fois une
forme plus animée et un à propos plausible plus direct. Il l'attribuait,
par conséquent, à des personnages, supposés réels ou historiques, et
ayant un intérêt particulier et immédiat , à se faire des questions et
des réponses sur la Mythologie Scandinave. Voilà pourquoi il imagina
une histoire, dans laquelle l'exposé des mythes fût, en quelque
sorte, enchâssé, ou qui pût servir d'Encadrement, pour y placer le
dialogue ou le fond même de son ouvrage.
Nous sommes donc amené, maintenant, à traiter, d'abord, des^i-
cadrements littéraires qu'on trouve dans la plupart des ouvrages de
l'Orient, de l'Antiquité classique, du Moyen âge, et, même, par imi-
tation , dans plusieurs ouvrages des temps modernes. Nous expli-
querons, ensuite, en détail, comment s'est formé l'Encadrement
dans lequel Snorri a enchâssé son exposé de la Mythologie norraine.
S 29. Origine et raisons des Encadrements littéraires. —
Nous avons vu (§ 26) qu'anciennemeiit on envisageait généralement
la Science non comme impersonnelle, mais comme inféodée, en
quelque sorte , à la personne du savant. Il y avait donc aussi ten-
dance de lui donner, pour base unique , l'autorité personnelle. La
vérité n'était pas jugée en elle-même , et pour elle-même , mais
d'après la foi qu'on avait en celui qui l'énonçait; et au lieu d'exa-
miner quelle était la puissance intrinsèque de la Science pour com-
mander notre conviction ou notre approbation , abstraction faite de
toute autorité et même contrairement à toute autorité, on s'enquit,
généralement, de tout ce qu'on considérait comme pouvant lui im-
primer ce caractère d'autorité personnelle. De là, ce soin puéril
d'indiquer la personne qui avait dit telle ou telle chose , plus ou
moins sensée , et de rappeler les circonstances dans lesquelles cette
chose avait été dite , ainsi que toute la série des personnes qui l'ont
tenue, l'une de l'autre, par tradition orale. De là dans les livres des
62 INTRODUCTION.
Arabes, cette formule si fréquente : tel a dit (kâla), lequel l'a appris
de tel, qui le tenait de tel, etc.; de là, dans la théologie rabbinique,
et surtout dansleTalmoud, cette énumération si ridiculement mini-
tieuse de toutes les circonstances, dans lesquelles un fait, une idée
ont été exposés; de là encore, chez les Hindous, cette manie de
rapporter la valeur d'une règle médicale ou juridique , à l'autorité
d'un dévarchis (Saint céleste) , ou la valeur d'une règle de gram-
maire, à l'autorité du grammairien céleste Panini. Or , de cette ha-
bitude d'appuyer la vérité sur des raisons d'autorité extérieure, est
résulté l'usage, généralement adopté par les auteurs, de rattacher le
sujet de leur ouvrage à l'exposé des circonstances , dans lesquelles
ce sujet est censé avoir été traité. Dans la plupart des cas, ne
pouvant rappeler des circonstances réelles , on en imagina de fictives,
et l'on tâcha ensuite de rendre ces fictions aussi intéressantes , cir-
constanciées et vraisemblables que possible ; de sorte que l'histoire
fictive, qui était ainsi racontée en tête d'un livre, d'abord unique-
ment pour l'accréditer auprès du lecteur, devint encore, et surtout
dans les ouvrages de littérature, un Encadrement, ayant pour but
de rendre cet ouvrage d'autant plus intéressant ou amusant.
Comme, en littérature, on a d'abord composé des ouvrages expo-
sant des /««ïs plus ou moins historiques, avant de composer. des
ouvrages exposant des notions plus ou moins scientifiques , les En-
cadrements se font remarquer, d'abord, dans la poésie épique; aussi
les trouve-t-on généralement dans les épopéesdel'Inde. C'est ainsi,
par exemple , que, dans le Mahdbhârata, le récit du Déluge est en-
châssé dans un encadrement , consistant en une histoire épique tra-
ditionnelle ou fictive , d'après laquelle les fils de Pandous ou les
Pandouïdes (sansc. Pândavâs), savoir tes cinq frères Youdhischthiras ,
Bhimas,Ardjounas, Nakoulas et Sahadaivas, \i\aient exilés dans une
forêt solitaire, où le Brahmane Markhandêyas est venu les visiter,
et pour leur faire oublier leurs chagrins, leur a raconté d'anciennes
histoires ou traditions épiques. Unjour l'aîné des frères, Youdhisch-
thiras, l'ayant prié de leur raconter la vie de Manous , fds de Vi vas-
van, le Brahmane leur fit le récit du Déluge. Ce récit est donc
renfermé dans l'encadrement formé par l'histoire du Séjour des
Pandouïdes dans la Forêt, et il se trouve dans la troisième partie
du Mahâbhârata, intitulée, d'après cet encadrement môme, le Cha-
pitre de la Forêt (sansc. Vana-parvvan). Les encadrements furent ,
LES ENCADREMENTS LITTÉRAIRES. 63
à plus forte raison , adoptés aussi dans presque tous les ouvrages
didactiques des Hindous. Gomme exemple nous citerons l'ouvrage
intitulé Enseignement salutaire (sansc. Hitaiipadaiças). C'est pro-
prement un Recueil d'apologues ou de fables. Mais ces apologues
ne nous sont pas présentés , l'un après l'autre , sans lien extérieur
entre eux, comme, par exemple, les fables à' Esope ^ deLokmân, de
Phèdre ou de La Fontaine. Tous ensemble sont enchâssés dans un
Récit général, qui expose comment cette collection s'est successi-
vement formée , et dans lequel, s'emboîtent d'autres narrations par-
ticulières, qui font voir, dans quelles circonstances les différents
apologues ont été débités. Ainsi l'Encadrement général de ce livre
consiste dans un récit exposant que Soudarçanas, roi de Patalipoutra ,
sentit la nécessité de faire instruire ses fds ignorants et méchants;
que, pour trouver un précepteur, il assembla les brahmanes; que
Vichnousarmas s'offrit d'instruire les princes en six mois, et qu'ef-
fectivement, après ce laps de temps, ce sage présenta à leur père les
princes complètement changés quant à leur conduite et à leur in-
struction. Dans cet Encadrement général se trouvent emboîtés les
encadrements particuliers, qui consistent à exposer comment le pré-
cepteur s'y prit , pour instruire les princes ; comment il leur a
débité des vers, renfermant des maximes de morale et des allusions
à des fables , et comment , sur le désir exprimé par ces princes de
connaître ces fables , auxquelles le Maître avait fait allusion , celui-ci
les leur a ensuite racontées. Ce même système d'encadrement et d'em-
boîtement se trouve dans la plupart des ouvrages narratifs et didac-
tiques des littératures persane et arabe.
Nous ne parlerons pas des ouvrages philosophiques de Platon , ni
de ceux de Cicéron, dans lesquels on trouve une histoire fictive,
servant d'Encadrement au dialogue, et destinée à faire connaître les
interlocuteurs , le temps , le lieu , les circonstances et les incidents
de ces discussions philosophiques. Quant aux ouvrages appartenant
au Moyen âge de l'Orient et de l'Occident , nous rappellerons seule-
ment les Contes des mille et une nuits et le Décamerone de Boccacio,
deux Recueils de contes , qui appartiennent déjà presque aux temps
modernes, mais qui résument, en quelque sorte , le système d'en-
cadrement usité dans la plupart des ouvrages narratifs et didactiques
du Moyen âge, en x\sie et en Europe. La Scandinavie, elle aussi ,
avait adopté cet usage littéraire , presque dès le commencement de
64 INTRODUCTION.
la littérature norraine. C'est ainsi , par exemple , que l'auteur du
poëme eddique Vafthrûdnismâl s'est servi du Mythe sur la lutte entre
Odinn et l'Iotne Vafthrûdnir , comme d'un cadre, dans lequel il a
enchâssé l'exposé sommaire de plusieurs traditions mythologiques .
Le même procédé a été suivi , dans un but semblable , par l'auteur
du poème eddique, intitulé Dits de Grimnir (norr, Grimnismâl).
Ajoutons encore que l'auteur du poëme eddique, intitulé Dits d'Al-
vîs (norr. Alvîs-mâï) a formé également , du Mythe sur Thôr trom-
pant le Dverg Alvîs, l'Encadrement dans lequel il a renfermé un
petit Traité du Langage poétique, qui est, en quelque sorte , le germe
du Skaldskaparmdl dans l'Edda de Snorri (voy. p. 31).
On le voit, l'usage des Encadrements littéraires était généralement
adopté pour la plupart des ouvrages narratifs et didactiques , dans
l'Antiquité et au Moyen âge, en Orient et dans l'Occident. Ces En-
cadrements ne servaient pas seulement à réunir, entre elles, par un
lien extérieur, des productions littéraires de la même espèce, telles
que , par exemple , des fables ou des contes , comme cela se voit
dans V Hitaupadaiça ^ ni à motiver, en quelque sorte, les dialogues,
en indiquant les interlocuteurs et les circonstances qui les ont fait
naître, comme cela s'est fait dans les Traités philosophiques de
Platon , ils servaient encore , et surtout dans les ouvrages litté-
raires proprement dits, comme, par exemple, dans le Décamerone^
à ajouter un agrément de plus , celui d'une histoire intéressante qui
encadrait tout l'ouvrage. Aussi, pour renforcer l'intérêt, qui , de la
forme extérieure d'un ouvrage, rejaiUissait naturellement sur le fond
même , on employait souvent l'Encadrement comme un moyen propre
à produire ce résultat. Ensuite, pour donner un intérêt plus drama-
tique à cette histoire servant d'Encadrement , on y représentait quel-
quefois le dialogue , non pas comme un simple entretien ou une
discussion scientifique, mais comme une lutte d'esprit, une tenson,
un tournoiement , une joute de science , un assaut d'érudition et de
sagacité (voy. p. 54). Puis , pour augmenter encore l'intérêt drama-
tique qui s'attachait à une telle joute , on en agrandissait , dans cer-
tains cas, l'importance qu'elle avait, par son issue, en montrant que
cette issue n'entraînera pas seulement l'humiliation morale, mais la
mort du vaincu, lesjouteurs ayant mis leur vie en enjeu. Enfin, pour
rendre la joute encore plus difficile, plus chanceuse et par conséquent
plus remplie d'émotion, les questions que s'adressaient lesjouteurs
L*ENCADREMENT DU GYLFAGINNING. 65
étaient quelquefois présentées sous forme â^énigmes, comme par
exemple, dans la joute poétique à la Wartbourg (voy. § 27).
S 30. Origine de l'Encadrement du Traité de Snorri. —
Comme ces différentes espèces d'encadrements se faisaient remar-
quer dans la plupart des ouvrages littéraires et didactiques de son
temps, Snorri songea aussi^naturellement, à revêtir son ouvrage scien-
tifique de cette forme si généralement admise. Il s'agissait donc, pour
lui, de trouver une histoire qui pût servir d'Encadrement à son Exposé
de la Mythologie norraine. Cet Encadrement pouvait être, soit une
histoire fournie directement par la Mythologie elle-même, comme,
par exemple, dans le Vafthrûdnismâl, le Grimnismdl et VAMsmdl,
soit une histoire imaginée par l'auteur, et arrangée avec des éléments
empruntés à la tradition mythologique, comme, par exemple, dans la
Tradition de rHôte des Nomes (norr. Norna Gests Saga), où l'histoire
mythico-épique de Sigurd et des Volsungs est supposée être racontée,
au roi Olaf, par VHôte des Nomes, qui est dit âgé de 300 ans, et dont
les aventures forment l'Encadrement de cette Saga.
Snorri ayant adopté, pour exposer la Mythologie norraine, la forme
de dialogue, il fallait, pour que les questions et les réponses fussent
coïwenablement motivées, que l'histoire, qui devait servir d'Encadre-
ment, mît en scène, principalement, deux Interlocuteurs, l'un inter-
rogeant , parce qu'il ignorait complètement la Mythologie norraine,
et l'autre répondant, parce qu'il la savait à fond. Or, comme, chez
les Norrains, tout le monde était censé connaître cette Mythologie,
depuis que l'Odinisme se fut répandu dans le Nord, il fallait, pour
trouver quelqu'un qui pût l'ignorer, remonter à l'époque où, selon les
idées evhéméristes de Snorri (v. § 22) , Odinn venait seulement de
quitter l'Asie, et après s'être établi, successivement, dans V Empire
des Enceintes (norr. Garda-riki) en Russie , puis au Pays de Saxe
(norr. Saœland), s'était enfin fixé , depuis peu , à Odinsey, en Fionie.
A cette époque, qui, d'après le calcul de Snorri, correspondait à
peu près au commencement de notre ère (v. § 22) , Odinn et ses
sectateurs , c'est-à-dire les Peuples Scandinaves proprement dits ,
n'avaient pas encore pénétré en Suède. Ce pays était donc encore
uniquement occupé par des peuples finnes, qui, n'ayant pas adopté
la religion &' Odinn, ignoraient complètement la Mythologie Scandi-
nave. C'est donc parmi les personnages mythiques des Finnes, établis
en Suède, que Snorri choisit le personnage dont il fit le premier In-
5
66 INTRODUCTION.
terlocuteur dans le dialogue de son ouvrage. Ce personnage choisi
était le roi mythique Gulfi (norr. Gylfi). Pour second Interlocuteur, qui
avait à répondre aux questions faites par GxUfi, SnorriávX naturelle-
ment choisir Odinn lui-même, le contemporain de Gulp., l'auteur
de la religion Scandinave, celui qui, d'après la Mythologie norraine,
passait pour le plus savant, le plus intelligent et le plus rusé des Ases,
et qui était déjà représenté, comme tel, dans le poëme eddique : Les
Bits de Vafthrûdnir, (v. p.55), que Snorri prit précisément, comme
modèle, pour composer certaines parties de l'Encadrement de son
Traité. D'après les idées evhéméristes de Snorri (v. p. 4-5), Odinn
était à la fois Roi et Père des Scandinaves; par des supercheries, et
moyennant des pratiques de magie, il était parvenu à faire passer,
lui et les siens, pour des dieux. Avant qu'il eût pris possession de
tous les Pays du Nord et qu'il y eût introduit son culte, il était, comme
le supposait Snorri, établi en Danemark , et résidait à Odins-ey (lie
d'Odinn; danois Odenso)^ en Fionie (norr. Fiôn\ cf.gaël. fi,onn, brillant,
oriental). C'est là qu'eut donc lieu, selon Snorri, l'entrevue et le
dialogue entre Gulfi , le roi fmne , venu de la Suède , et Odinn , le
roi de la Marche dane (norr. Dan-mork).
Pour amener ensuite, et pour motiver, en quelque sorte, l'entrevue
et le dialogue en question, Snorri imagina ou dut supposer que Gulfi
avait un intérêt tout particulier d'apprendre à connaître la Mytholo-
gie norraine. Ce ne pouvait être un intérêt purement scientifique, qui
r«ût poussé à venir en Fionie ; puisque, dans ces temps, on ne s'inté-
ressait pas à la Science pour elle-même , mais seulement pour les avan-
tages qui en résultaient (v. p. 53). Gulfi voulait donc connaître la re-
ligion d' Odinn, uniquement, parce qu'il espérait y trouver le moyen de
se maintenir comme roi de Suède, ou le moyen de s'opposer à l'envahis-
sement dont le menaçait Odinn. En effet, Gulfi avait appris à con-
naître la puissance prodigieuse des Ases, par un événement extraor-
dinaire, qui, rapporté parla tradition mythologique , fournit à Snorri
un récit qu'il fit entrer, comme partie intégrante, dans la composition de
l'Encadrement de son Traité. Cette tradition , que Snorri a encore ra-
contée dans son ouvrage historique, le Cercle du Monde (Ynglinga-saga,
chap. 5), énonçait qu'Odmn, après avoir soumis beaucoup de princi-
pautés, dans le Gardariki et en Saxe, et après les avoir données à gouver-
ner à ses nombreux fils, s'établit à ödmsey en Fionie. Mais comme il lui
restait encore d'autres fils à établir, il dut songer à faire de nouvelles
l'encadrement du gylfaginning. ÔT
conquêtes dans le Nord, principalement en Suède. Il envoya donc,
pour reconnaître ce pays, Gàfion, l'épouse de Skioldr, la déesse
adorée en Fionie. Cette femme d'Ase, ou Asynie, pour bien remplir
son rôle d'espionne , et afin de ne pas éveiller les soupçons du roi
Gulfi, prit, moyennant la magie, dont elle disposait en sa qualité
d' Asynie, l'extérieur d'une Femme ambulante (norr. farandi kona),
c'est-à-dire d'une Devineresse (norr. Spâkona\ ou d'une Prophétesse
ou Magicienne, appelée aussi Fille de Loup chez les Slaves (s\.Volchova)
et chez les Scandinaves (norr. Volvo). Ce déguisement lui facilita
beaucoup sa mission; car il était d'usage, dans l'Antiquité et au Moyen
âge, d'envoyer en ambassade des Prophélesses, aussi bien que desDevins
et des Poètes (v. Les Gèles, p. 128). Ces femmes étaient donc toujours
et partout bien reçues, et d'autant mieux accueillies, que non-seule-
ment elles étaient à même de prédire l'avenir aux personnes qui les
recevaient, mais aussi de les amuser, soit en leur racontant les
histoires des pays qu'elles avaient parcourus , soit en chantant des
poésies mythologiques (norr. kvœdi; gr. mulhoï; sansc. çrouti), ou des
traditions épiques (norr. sogu liôth; ^r.logoï; sansc. smiii). Aussi ce
fut par ses récits et ses chants que la déesse Gàfion, déguisée en
femme ambulante , gagna la faveur du roi finne Gulfi , lequel , pour
la récompenser du passe-temps (norr. skemtun) ou du divertissement
qu'elle lui avait procuré, lui concéda, suivant la tradition, dans son
domaine , quatre journaux de terre , c'est-à-dire autant de terrain
qu'elle en pourrait labourer en quatre journées , avec une charrue
attelée de deux bœufs, ou bien autant qu'elle en labourerait avec
quatre bœufs, en deux journées, c'est-à-dire en un jour et une nuit.
Gàfion, acceptant cette concession, et usant de ruse (laquelle passait
pour très-légitime dans l'Antiquité; voy. Les Gètes, p. 115), se rendit
dans le Séjour deslotnes, au Nord de la Finlande ou de la Suède. Elle y
conçut d'un lotne et mit au monde quatre fils , qui avaient la force
titanique de leur père; elle les métamorphosa en taureaux, moyen-
nantla magie qu'elle savait pratiquer, comme Asynie et comme Femme
de vision ; puis, les ayant attelés à une charrue gigantesque, elle en-
leva , du sol de la Suède , en un tour de labour , une partie du ter-
rain, qu'elle poussa dans la mer, et dont elle forma son domaine, l'île
continentale appelée aujourd'hui la Sélande, entre la Fionie et la
Suède. C'est, par ce Mi prodigieux, qu'elle donna à Gulfi, une haute
opinion de la puissance de la race des Ases, à laquelle elle apparte-
68 INTRODUCTION.
nait, et éveilla en lui la crainte de se voir enlever son royaume de
Suède, par renvahissement de ces puissants voisins. Gulfi avisa donc
aux moyens de leur tenir tête, en prévenant le danger; et il jugea
qu'il serait naturellement aussi puissant qu'eux, s'il pouvait disposer,
comme eux , de ce qui était la cause de leur supériorité. Or , selon
l'opinion des peuples polythéistes, la puissance des hommes avait
pour cause ou bien leur nature supérieure, en tant qu'ils étaient issus
de quelque divinité, ou bien le culte des dieux qu'ils adoraient, et
qui , pour prix ou en échange de cette adoration , leur donnaient la
grandeur et la puissance, ou bien, enfin, les moyens ou pratiques de
magie dont ils savaient user, et par lesquels ils pouvaient se rendre
les égaux des dieux, ou même se passer d'eux (voy. Les Gètes, p. 151).
D'après ses idées evhéméristes, Snorri dut penser que (rw/^ prenait,
comme lui-même, les Ases pour des mortels, et qu'il ne supposait
pas que leur puissance extraordinaire pût provenir de leur nature
divine, à laquelle, lui-même, ne croyait pas. D'un autre côté,
Gulfi dut se croire capable de lutter , en fait de magie , avec les Ases,
puisqu'il appartenait à la race des Finnes, qui, de tout temps, excel-
laient dans ces pratiques, au point que leurs voisins , les Scandi-
naves, ont appris d'eux cet art, et que les Russes leur ont donné le
nom de Merveilleux (Tchoud), ou de Magiciens (russ. Tchoukhonsi).
Gulfi, dut donc supposer que la puissance extraordinaire des Ases leur
venait uniquement des dieux qu'ils adoraient et auxquels ils sacri-
fiaient, et il pensa que s'il parvenait à connaître ces dieux, il pourrait,
en les^adorant, obtenir d'eux une puissance égale à celle des Ases,
ses rivaux. C'est donc pour apprendre à connaître ces divinités et la
manière de les adorer, qu'il entreprit le voyage au nouvel Enclos-
des-Ases (voy. p. 45) , situé à Odinsey , en Fionie , où résidait alors
Odinn et sa bande.
La connaissance des dieux, de leurs noms, de leur caractère, de
la manière traditionnelle de les adorer, et des prières qu'il fallait
leur adresser, dans les différentes circonstances, où l'on avait besoin
de leur intervention et de leur secours, constituait une partie prin-
cipale et essentielle de ce qu'on appelait, dans le Nord, les Mystères,
ou Secrets traditionnels (norr. rûnar, voy. p. 58) ou les Antiquités
(norr. fomirstafir; sansc. pouràna ; lat. antiqua). Comme la con-
naissance de ces Mystères procurait de si grands avantages à ceux
qui la possédaient, on ne les révélait guère qu'à ses meilleurs amis,
ir
l'encadrement du gylfaginning. 69
on à ceux qu'on voulait particulièrement favoriser (voy. p. 58). Gulfi
n'étant pas l'ami des Ases , ne pouvait pas espérer qu'ils voulussent,
par une faveur spéciale, lui apprendre ces mystères; il ne pouvait
pas, non plus , contraindre Odlnn, par la force (voy. p. 57), à lui révéler
ses secrets ; il ne lui restait donc , pour arriver à ses fins , d'autre
moyen que d'avoir recours à la ruse. En conséquence , il s'avisa de
l'expédient suivant. En allant provoquer Odinn à une joute scienti-
fique, au sujet de la Mythologie, il était sûr, en piquant d'honneur
cet Ase, de se faire donner par lui des réponses à toutes les ques-
tions qu'il lui adresserait ; et ainsi , sans rien savoir lui-même des
matières sur lesquelles il interrogeait, seulement en se posant comme
examinateur d'Odirm, et comme son rival dans la connaissance de la
Mythologie , il pouvait se faire révéler par cet Ase tous les secrets
qu'il jlui importait de connaître. Mais pour réussir dans l'exécution
de ce plan , il était nécessaire que Gulfi restât parfaitement inconnu
aux Ases , afin qu'ils ne soupçonnassent pas qu'il fût leur rival et
que son but pût être de se mettre en possession des secrets, qui
étaient la cause supposée de leur puissance. Aussi, pour ne pas être
reconnu par Gàfioîi et par les Ases , Gulfi , par le moyen de la tnagie ,
qu'il possédait par suite de son origine finne , revêtit l'extérieur d'un
vieillard, ayant l'air d'être plein de science, de sagesse et d'expérience,
et capable de se mesurer , en cela , avec les plus savants et les plus
expérimentés. Ensuite , suivant l'usage des magiciens , qui quelque-
fois allaient en espions (norr. niosnar menn , hommes d'exploration),
reconnaître certains pays, et qui s'y transportaient, d'une manière
surnaturelle, en un clin d'oeil (norr. svip.), à travers les airs, Gulfi
se rendit également, en un instant, par le transport instantané
(norr. svip-för) , du lieu de sa résidence en Suède , à Odinsey , où
résidait Odinn. Ce qui lui arriva , en entrant dans cette résidence ,
Snorri le raconte en imitant quelques traits qu'il copie en partie des
Dits de Vafthrûdnir, en partie du récit populaire de l'arrivée de Thôr
chez Loki de r Enclos-Extérieur , récit que Snorri a reproduit encore
dans le corps même de son ouvrage La Fascination de Gulft (voy. Comm.
§ 145). Ainsi, de même que, dans les Dits de Vafthrûdnir, Odinn ^ qui
vient dans la demeure de cetlotne pour lutter avec lui, se fait passer
pour un voyageur nommé Pourvoit-au-voyage (norr. Gangrâdr), de
même Gulfi s'annonce aussi comme un voyageur nommé Piétonneur
(norr. Gangleri); et, dans le paragraphe 5, Snorri confond même
70 INTRODUCTION.
Gangrâdrasec Gangleri, Ensuite, de même que Loki de l' Enclos-Ex-
térieur ^ à l'approche de Tliôr, prépare, pour fasciner son hôte,
toutes sortes d'illusions magiques , de même ici, dans l'Encadrement
du Traité , les As€S , prévoyant, par suite de leur science surhumaine,
l'arrivée de Ctt/^, préparèrent, par la magie, des moyens de fascina-
tion, qui mirent cet hôte tout d'abord dans l'étonneraent et dans la'
perplexité.
Piétonneur ayant provoqué le Maître des Ases à une joute scien-
tifique, le dialogue (voy. p. 52) commence, et les questions et les
réponses se suivent de côté et d'autre. Comme l'intention réelle de
Gulfi est de s'informer sur la Mythologie , le dialogue est proprement
du genre interrogatoire-^ mais, comme Gulfi a besoin de se donner
l'air d'un examinateur savant, le dialogue a, extérieurement, la forme
examinatoire (voy. p. 60). Ce dialogue, bien qu'il présente quelquefois
ce qu'on appelle un intérêt dramatique, n'est cependant jamais drama-
tique à proprement parler. En effet, ce qui distingue essentiellement
le dialogue du drame , des dialogues tels que nous les trouvons dans
les ouvrages didactiques et narratifs de l'Antiquité , de l'Orient et
du Moyen âge, c'est que , dans le drame, nous sommes censés enten-
dre directement les paroles de la bouche même des interlocuteurs ,
tandis que, dans l'ouvrage de Snorri, comme dans tous les ouvrages
du même genre , nous n'avons qu'un dialogue rapporté, c'est-à-dire
que nous entendons seulement la relation, ou, en quelque sorte, le
procès-verbal des paroles échangées entre les interlocuteurs. Voilà
pourquoi, dans les narrations épiques, par exemple, des Hindous,
le discours ou le récit des différents interlocuteurs , est toujours
précédé des mots: Tel dit (sansc. ouvâtcha). Dans la Divine Comédie
de Dante, qui est un poëme essentiellement didactique, et où il y a
un grand nombre de dialogues , ces dialogues sont tous relatés. Dans
le poëme eddique, intitulé Les Sarcasmes de Loki (voy. Poèmes is-
landais), et qui est entièrement dialogué, les paroles de chaque in-
terlocuteur sont aussi relatées après la formule : Tel dit (norr. kvad).
Il en est de même ici dans l'ouvrage de Snorri, où les questions et
les réponses sont relatées après les formules usitées et, en quelque
sorte, stéréotypes de: Alors Piétonneur dit; alors Sublime répond
etc. Aussi , comme le dialogue de La Fascination de Gulfi n'est pas,
à proprement parler, dramatique ^ mais est toujours rattaché à la
forme narrative, les paroles des Interlocuteurs sont, en quelque
DES TITRES D'OUVRAGES. 71
sorte , des citations faites par l'auteur, et c'est pourquoi nous avons
cru devoir lesguillemeter, comme cela se fait toutes les fois qu'on
rapporte les paroles d'autrui.
Le Chef des Ases sachant toujours répondre aux questions qui
lui étaient adressées, et Gulfi, pouvant toujours adresser de nou-
velles questions indéfiniment, la victoire ne pouvait se déclarer, non
plus, ni pour l'un ni pour l'autre des deux jouteurs. La joute devait
donc être considérée comme une partie remise, et c'était à celui qui
répondait, à terminer brusquement l'examen, qui^ sans cela, se serait
prolongé à l'infini. Les Ases finirent , comme ils avaient commencé,
par un acte de magie , ou d'enchantement ; et c'est à cet acte de
magie, opéré au commencement et à la fin de l'histoire qui forme
l'Encadrement du Traité , que se rapporte le titre de Fascination de
Gulfi, choisi par Snorri pour cet ouvrage scientifique.
§ 31. Titres d'ouvrages dans rAntiquité, en Orient et au
Moyen âge. — Dans l'Antiquité , au Moyen âge et en Orient , les titres
qu'on donnait aux ouvrages n'exprimaient que rarement le contenu
ou la nature du livre : le plus souvent c'étaient des titres de fantaisie,
empruntés à différentes circonstances fortuites et accessoires. Quel-
quefois, comme, par exemple, pour plusieurs écrits de l'Ancien
Testament, le titre n'était autre que le premier mot par lequell'ouvrage
commençait; ainsi Beréschit (Au commencement) désignait la Genèse
ou le premier livre du Pentateuque ; Vayikrâ (Et il appela) devint le
titre du Lévitique ou du troisième livre du Pentateuque, etc. Quelque-
fois les ouvrages étaient nommés d'après l'endroit où ils étaient censés
avoir été composés : tels étaient les Contes Milésiens (gr. Milèsiaka ;
lat. Milesii sermones), composés ipar Aristidès de Milet; les Nuits at-
tiques {Noctes atticœ)^ Mélanges rédigés par Aulus Gellius, à Athènes^
durant les longues veillées d'hiver; les Discussions Tusculanes (Quœs-
tiones Tusculanœ) , entretiens philosophiques , qui sont supposés
avoir eu lieu à la maison de campagne de Cicéron, à Tusculum.
Quelquefois aussi le titre était une allusion à une circonstance tout à fait
fortuite, rapportée dans le livre. Ainsi, par exemple, un drame sanscrit,
attribué à Soudrakas, roi d'Oudjaïni, vers 180 de notre ère, est in-
titulé : Chariot de glaise (sansc. Mritchakatika) , parce qu'il y est dit,
par hasard , que là femme Vasantaséna a fait cadeau d'un joujou, d'un
petit chariot de glaise, à l'enfant de sa rivale. Tantôt le titre de l'ouvrage
fait allusion , en guise de charade , au nom propre de l'auteur ; c'est
72 INTRODUCTION.
ainsi, parexemple, qu'un poërneidylliquedialogué,danslequel, comme
dans le Nuage Messager (sansc. Megha-douta), de Kàlidàsas, une jeune
femme regrette l'absence de son mari volage, est intitulé Cruche brisée
(Ghata karparam), par la raison que Ghala karparas était le nom
de l'auteur , qui vivait à la cour du roi Vikramâdityas. A la fin de ce
poëme, l'auteur énonce son nom, en disant qu'il s'engage, envers
celui qui le surpasserait dans l'artifice du langage poétique, à porter
de l'eau dans une cruche brisée^ ou, comme aurait dit un Grec, à remplir
le tonneau des Danaïdes. Néanmoins Ghatakarparas, à ce que rapporte
la tradition, fut vaincu, dans cette joute poétique (voy. p. 56), par
son collègue, le poëte Kâliddsas, l'auteur du poëme épique intitulé La
Splendeur de Nalas (sansc. Nalaudayas). Quelquefois le titre désigne,
par une expression exagérée, l'étendue et la grandeur de l'ouvrage.
Ainsi, par exemple, un Recueil de contes, composé par Saumadaivas^
porte le titre de Mer des fleuves du récit (sansc. Kdtha-sarit-sâgara).
Un dictionnaire arabe, renfermant 60,000 mots et composé par
Medjd-eddin-Mohammed^ né àFirouzabàd, en Perse, et mort en 14-14 de
notre ère , porte le titre pompeux de Océan (arab. Al-Kâmous) ; et le
dictionnaire persan, que le sultan d'Oude a fait imprimer en 1822 et
qui comprend 7 tomes, porte le titre plus pompeux encore de l'Ö-
céan septuple (pers. Heft kolsoum). Un livre classique des Chinois ,
renfermant à peu près 10,000 mots, est Intitulé le Livre des 10,000
mots (chin. Wan-yen-yu). Quelquefois le titre est l'expression exa-
gérée de Ve/fet que doit produire l'ouvrage sur le lecteur. Ainsi, par
exemple, une comédie attribuée à Kdliddsas, et qui est un persif-
fïage des Princes et de leurs parasites les Brahmanes , est intitulée
Mer du rire (sansc. Hâsyarnava). Ou bien le titre est l'expression
indirecte de l'utilité et du mérite du livre; ainsi, par exemple, un
Recueil bien connu de sentences morales et de fables, en sanscrit,
est intitulé Enseignement salutaire (sansc. Hitaupadaiças). Un ouvrage
de morale de Sankaras Atcharyas est intitulé Pilon de V Ignorance
(sansc. Mauha-moudgaras ; cf. lat. Maliens hœreticorum). Une dis-
sertation philosophique, en pehlevi, sur l'origine du mal et sur les
devoirs moraux , est intitulée Destruction du doute (pehl. Chekcnd-
goumani). Un dictionnaire d'extraits des différents auteurs chinois,
porte le litre de Précieux Miroir pour éclairer l'esprit (chin. Ming-
sing-pao-kien). Un ouvrage sanscrit sur la Mythologie hindoue , est
'\n\\[\x\é Miroir des trois mondes (sansc. Traïlôkya-darpanas). L'en-
DES TITRES d'OUVRAGES. 73
cyclopédie composée, au treizième siècle, par le savant Dominicain
Vincent de Beauvais, porte le titre de Grand miroir {Spéculum majus).
Le Recueil de contes moraux et allégoriques, composé par Moïn-
Eddîn- el'Djouvaïni y vers 1660, est intitulé Galerie des images
(pers. Nigarislan). Enfin, pour citer un dernier exemple, l'édition
complète des œuvres du poëte persan Cheikh Moslih Eddîn Saadi ,
a été publiée à Calcutta , en 1 791 , sous le titre de Salière poétique.
§ 32. Titres d'ouvrages norrains et du Traité mytholo-
gique de Snorri. — Les différentes manières d'intituler les livres
se retrouvent également dans la littérature norraine. En langue nor-
raine, \e moi bôk (v.h.all. bôh; anglos. hôk; ^oúi. boka), qui signifie
livre^ dérive de hôka (v.h.all. hôha; anglos. hece; ^T.fègos;\sLi.fagus;
cf. sansc. hhourdjas; pol. brzoza; russ. bereza)^ signifiant hêtre ou
bouleau^ parce que, originairement, on traçait des caractères sur le bois,
ou sur l'écorce ou le liber de cet arbre. Or ce mot bôk est du genre fé-
minin. C'est pourquoi la plupart des livres norrains portent un nom
ou un titre féminin. Ainsi le neveu de Snorri y Olaf, surnommé le
Poëte blanc (norr. Hvita-skald) , a donné au Recueil des écrits de
son oncle, qu'il avait composé, et dont le premier exposait d'anciennes
histoires mythologiques , le titre de Grand'mère (norr. Edda ; voy.
p. 39), parce que ce premier écrit, qui est le G?///(5f^m/imi7, renferme des
récits comme en faisaient ordinairement les personnes âgées. Le plus
ancien Code de lois des Islandais, recueilli d'abord en 1118 par
l'homme de loi (norr. Lag-madr) Bergthôr, fils de Rafn, et ensuite
revu et augmenté , de 1123 à 1135 , par le successeur de Bergthôr^
le savant Gudmund, fils de Thôrgeir, fut intitulé V Oie grise (norr.
Grâ-gâs), parce que ce recueil renfermait, à ce qu'on prétendait , des
lois et des coutumes très-anciennes, et que l'oie grise , à laquelle on
attribuait, dans le Nord, une /ow^<^íí;//e plus grande encore qu'au cor-
beau , y passait naturellement pour le symbole de la vieillesse ou de
l'ancienneté. La courte biographie des cinq premiers évêques rési-
dant à Skalholt, en Islande, [wi'múixúéQ Excite-appétit (novr. Hungí'-
vaka), parce que cet ouvrage devait, en quelque sorte, donner
envie de connaître la suite de cette histoire (voy. Biskupa-sogur 1, 57 -
86). Un recueil encyclopédique du douzième siècle, renfermant des
curiosités physiques et géographiques , et des règles de conduite
pour les hommes de cour, porte le titre de Miroir royal (norr. Ko-
niuigs-skuggsid). L'ouvrage historique de Snorri, qui traite des rois
74 INTRODUCTION.
de Suède et des rois de Norvège, depuis les temps mythiques jusqu'à
Magnus, fils d'Erling, vers 1176, et qui, dans les manuscrits, porte
le titre de Vies des Rois de Norvège (Æfi Noregs konunga), ou His-
toires des Rois de Norvège (Noregs konunga sögur)^ a reçu plus tard,
peut-être du neveu de Snorri, le titre de Heimskringla {Cercle du
Monde), soit parce que cet ouvrage, après la préface, commence
par les mots : « // est dit que dans ce Cercle du Monde, etc., » soit
qu'on voulût exprimer, parce titre, que cet ouvrage renfermait une
grande partie de l'histoire du Monde.
Le titre de Fascination de Gulfi, que porte le Traité mythologique
de Snorri , ne se rapporte pas au fond de l'ouvrage , mais seulement
à une particularité de ï Encadrement. Les Ases étant , selon l'opinion
de Snorri, des imposteurs et de grands magiciens (voy. p. 46), ils
purent prévoir, par leur science surnaturelle, l'arrivée de Gulli et en
connaître d'avance le motif véritable. Aussi se mirent-ils en mesure
de lui en imposer et de se jouer de lui, en le recevant dans un château
merveilleux, qu'ils créèrent exprès par enchantement. Gulfi, dès
son entrée dans ce château , et jusqu'à la fin de son entretien avec
Odinn (Sublime), était fasciné et dans une complète illusion sur la
réalité des choses merveilleuses qu'il y voyait. Mais ce qui lui prouva,
à la fin, qu'il avait eu à faire à la magie et à l'enchantement, et qu'il
avait été dans l'illusion ou dans h fascination, c'est que, tout à coup,
les objets et les personnes, dont il avait été entouré jusqu'alors, dispa-
rurent en un clin d'œil. C'est à celte fascination , à laquelle Gulfi
avait été en butte , que se rapporte le titre de Fascination de Gulfi.
Ce titre a été choisi probablement par Snorri lui-même ; cependant
il n'a pas été transmis par tous les manuscrits , ni même connu gé-
néralement au quatorzième siècle , puisque le Manuscrit d'Upsal ,
qui date de ce siècle , désigne le Traité de Snorri vaguement par les
mois Des Ases etd'Ýmir, bien que, du reste, il renferme aussi le titre
de La Fascination de Gulfi (voy. p. 32). C'est sans doute déjà dans ce
même siècle, qu'on a ajouté d'abord, comme second titre, etsubstitué
ensuite exclusivement, au titre primitif de La Fascination de Gulfi, un
autre titre, savoir celui de Mensonge de Sublime (norr. Hdrslygï). Ce der-
nier ne se rapportait pas, comme celuideZ/«FûScmfl//o/iaeGM//i, à l'En-
cadrement, mais au fond même du traité et aux mythes qui y étaient ex-
posés. C'est que le dogmatisme théologique de cette époque s'expliqua
l'ancien litre, choisi par Snorri, comme exprimant, non pas Villusion
LE TITRE DE FASCINATION DE GULFI. Í5
à laquelle Giilfi avait été en butte dans l'Enclos-des-Ases à Odinsey ,
mais plutôt la fascination diabolique dans laquelle le tenait le magi-
cien Odinn, surnommé le Sublime (norr. Hdr)^ fascination qui fut
cause que Gulfi a ajouté foi aux mensonges abominables de la Mytho-
logie païenne, ou aux mensonges débités par Sublime. Aussi a-t-on cru
devoir encore donner à ces mythes le titre de Mensonge de Sublime.
Si l'on appelle Fables des récils inventés exprès dans un but didactique
ou littéraire, les Mythes, qui expriment des Intuitions et des Con-
ceptions qu'on croyait vraies., ne sauraient être appelées des fables
(bien qu'on leur ait donné faussement ce nom) ; ils sont plutôt des In-
tuitions et des Conceptions plus ou moins erronées, ou des Erreurs
qu'on supposait être des vérités. La Fable, autrement appelée V Apo-
logue, diffère de la Parabole ou Similitude, en ce que laParabole est le
récit d'un fait imaginé, qui , par saressemblance avec le fait ou la vérité à
enseigner, doit d'autant mieux faire ressortir les caractères de ce fait
ou de cette vérité. C'est ainsi, par exemple , que Jésus, pour faire res-
sortir les résultats divers de l'Enseignement , montre la ressemblance
qui existe entre l'enseignement et l'ensemencement, et, à cet effet, il
raconte la Similitude ou la Parabole du Semeur. L'Apologue, au con-
traire, ne repose pas sur la conclusion à tirer de la similitude existant
entre deux faits , mais sur la morale à tirer, en général, du récit d'un
fait particulier. Il ne faut pas croire les flatteurs, voilà la vérité géné-
rale à tirer du fait particulier raconté dans l'apologue : Le Renard et
le Corbeau. La Parabole diffère encore de l'Apologue en ce que le
récit de la Parabole a toute la vraisemblance de la vie réelle, tandis
que le récit de l'Apologue est loin de rejeter le merveilleux ou
d'exclure le surnaturel et l'impossible.
Les anciens peuples de la branche gète , les Germains et les Scan-
dinaves, distinguaient, au moins quant aux termes, entre les 3/^/te
et les Fables. Les Scandinaves employaient encore le nom de Mal
(Dit) pour désigner une tradition mythologique en prose, et le
nom de Soguliôth (Chant de tradition) pour désigner un Mythe en
z;ers. Les Fables , soit Apologues ou Paraboles, étaient désignées, par
les Goths, sous les noms de Ga-juko (Gon -jointe, Com- parée,
Semblable), qui signifiait Similitude, et de Fris-ahts (Épreuve d'at-
tention) , qui signifiait Enigme et Parabole.
Après l'introduction du Christianisme dans les pays du Nord, la
Parabole , dont on trouvait plusieurs exemples parfaits dans le Nou-
76 INTRODUCTION.
veau Testament, absorba presque entièrement l'Apologue proprement
dit, de sorte que, dans la langue norraine, le nom de Dœmi-saga
(Récit-Exemple) , qui désignait originairement la Parabole ou la Si-
militude, devint un nom générique, servant à désigner également
V Apologue ou la Fable. Or, comme, depuis la Renaissance, les éru-
dits de l'Europe méridionale avaient appelé Fables (lat. Fabulœ) la
Mythologie classique , il arriva que , dans le Nord , on désignait aussi
la Mythologie Scandinave sous le nom de Dœmi-sögur (Récits-Fables) ;
et c'est pourquoi, dès le seizième siècle, on donnait aussi au Traité
de La Fascination de Gulfi, ou du Mensonge de Sublime, le titre plus
général et plus abstrait de Dœmi-sögur (Récits fabuleux ; Mythes).
^«oîOîo
TRADUCTION DU GYLFAGINNTNG. 77
IL
DEUXIÈME PARTIE DE L'OIVRAGE.
LA FASCINATION DE GULFI.
1. Un roi, Gulfi (norr. Gylfi), gouverna des contrées là où est
ce qu'on appelle maintenant la Nation -Svie. On rapporte de lui
qu'à une Femme-ambulante, il abandonna, en récompense de son
divertissement, autant de terre labourable, dans son domaine, que
quatre bœufs laboureraient en un jour et une nuit. Or, cette femme
en était une de la race des Ases; elle est nommée Gàfion (norr. Ge-
fiun, Aime - l'Abîme) ' ; elle prit au Nord, au Séjour-des-Iotnes
(norr. lötun-heim), quatre bœufs, issus d'un lotne et d'elle-même,
et les attela à la charrue. Mais la charrue alla si fortement et si pro-
fondément, que le terrain fut arraché. Les bœufs entraînèrent ce
terrain dehors, dans la Mer, vers l'ouest, et ils firent halte dans un
détroit. Là , Gàfion fixa ce terrain et lui donna un nom, et l'appela
Bocage-de-Mer (norr. Sœlund). Et à l'endroit où le terrain avait été
arraché , il y eut , après, de l'eau ; c'est ce qu'on appelle maintenant
le Lac (norr. Logr) chez la Nation-Svie ; et , dans cp lac , les enfon-
cements correspondent aux promontoires dans Bocage-de-Mer. Voici
ce qu'énonce le skalde Bragi le Vieux :
«A Gulfi, libéral de son Roux de l'Abîme, Gâfîun , enleva, joyeuse,
«L'Accrue de la Marche-Dane, si bien qu'ardents à courrir ils fumaient,
«(En trottant devant la vaste Dépouille, matière de l'Ile agréable)
«Ces bœufs, portant, avec huit lunes-frontales, quatre têtes.» (1)
1. Notre traduction, devant être la reproduction fidèle du texte norrain, évitera,
par rapport à l'explication des noms propres, de faire paraître Snorri ni plus savant,
ni moins savant qu'il n'a été réellement. C'est pourquoi toutes les fois que nous
jugeons que cet auteur a connu la signification d'un nom propie, nous mettons Vex-
plication de ce nom dans notre traduction, et nous ajoutons, entre parenthèse , le
nom norrain. Au contraire , lorsque nous avons lieu de croire que Snorri a ignoré la
signification d'un nom propre , nous maintenons à sa place le nom norrain et nous
ajoutons, entre parenthèse , notre explication de ce ïiom.
78 LA FASCINATION DE GULFI.
2. Le roi Gulfi était un homme avisé et versé en magie. Il s'é-
tonnait beaucoup que la bande des Ases fût tellement versée , que
toutes choses leur allaient à souhait. Il examina en lui-même si cela
tenait à leur propre nature, ou si les Divinités puissantes, auxquelles
ils sacrifiaient , en étaient la cause. Il entreprit un voyage à Enclos-
des-Ases (norr. Asgardr), et il partit en secret, et revêtit l'extérieur
d'un homme vieux, et se déguisa ainsi. Mais les Ases étaient d'au-
tant plus prévoyants qu'ils usaient de divination , et ils s'aperçurent
de son voyage avant que lui-même ne fût arrivé ; et ils préparèrent
contre lui des illusions de vue. Aussi, quand il entra dans l'Enceinte,
il y vit une halle tellement haute , qu'à peine il put voir jusqu'au-
dessus d'elle; le toit en était formé de boucliers d'or, à l'instar d'un
toit de bardeau. Voici comment Thiôdôlf de Hvin énonce que la
Halle-des-Occis (norr. Valhöll) était couverte de boucliers :
«Attaqués, qu'ils étaient à coups de pierres, les Héros précautionnés,
«Firent reluire , sur leur dos , les Écorces de Bouleau de la Salle de
Svafnir. » (2)
Gulfi vit, sous la porte de la Halle, un homme qui jouait avec des
couteaux à main, dont il avait en l'air sept à la fois. Celui-ci, tout
d'abord, lui demanda son nom. Il déclara se nommer Piétonneur
(norr. Gangleri) et arriver des Sentiers détournés (norr. Rœfilsstigur).
Il demanda qu'on lui assignât un gîte pour la nuit, et il s'informa à
qui appartenait cette halle. L'autre répond : que c'était à leur Roi.
«Je puis même t'accompagner pour te le faire voir; alors, toi-même,
«tu pourras lui demander son nom.» Là-dessus, cet homme, se
retournant, alla, devant lui, dans l'intérieur de la halle, et l'autre le
suivit; et aussitôt les portes se fermèrent sur son talon. Là, celui-
ci vit mainte allée et mainte bande; les uns jouaient, les autres bu-
vaient, quelques-uns étaient en armes et combattaient. Alors il
examina tout, autour de lui; et maintes choses, qu'il vit, lui parurent
incroyables; alors il se dit :
«Toutes les entrées, avant qu'on n'avance,
«Doivent être explorées ;
«Car on ne peut savoir , pour sûr, s'il n'y a pas d'ennemis
«Embusqués dans la demeure. » (3)
Il vit trois sièges élevés et placés l'un au delà de l'autre, et trois
hommes y siégeaient, un dans chacun. Alors il demanda quels étaient
GULFi; sublime; père universel. 79
les noms de ces Chefs, Celui qui l'introduisit répond : que celui qui
est assis dans le siège élevé le plus proche, était le Roi; qu'il se
nomme Sublime (norr. Hdr) ; que celui qui est le plus près de lui
se nomme Equi-Suhlime (norr. lafnhâr) , et que le plus éloigné se
nomme Troisième (norr. Thridi). — Alors Sublime demande à l'Ar-
rivé quelle est, principalement, son affaixe, puisque le manger et le boire
lui reviennent de droit comme à tout le monde, ici dans la Halle du
Très-haut (norr. Hâvi). Celui-ci déclare qu'il veut surtout examiner
s'il y a ici quelque homme savant. Sublime lui déclare qu'il ne sor-
tira pas sain et sauf, à moins qu'il ne soit le plus savant, et:
«Tiens-toi debout, pendant que tu interroges;
«Celui qui répond restera assis.» (4)
3. Piétonneur commence ainsi son interrogation :
(( Quel est le plus grand et le plus ancien des dieux ? »
Sublime répond :
«Il se nomme Père Universel (norr. AllfÖdr), dans notre langage;
«mais dans l'ancien Enclos-des-Ases, il avait 12 noms : le premier
«en est Père Universel, le second Herran ou Herian (Aime-Troupe),
« le troisième est Nikar ou Hnikar (Hennisseur) ; le quatrième est
« Nikuz ou Hnikudr (Vent-Hennissant) ; le cinquième Fiölnir (Ca-
« ché) ; le sixième Oski (A-souhait) ; le septième Omi (Chuchoteur);
« le huitième Bif-ltdi ou ////"-/mrf^XLéger-Frémissement); le neuvième
iiSvidur (Fascination); le dixième Svidrir (Magicien) ; le onzième
« Firfnr (Tempétueux) ; le douzième lalg onlalkr (Effervescent). » (5).
Alors Piétonneur demande :
«Où est ce dieu?; et que peut-il?; et quelles œuvres de distinction
«a-t-il accomplies?»
Sublimée répond :
«11 vit dans tous les âges et gouverne tout son Empire, et prend
« soin de toutes choses grandes et petites. »
Alors Equi-Sublime ajoute :
«Il a confectionné le ciel et la terre et l'air, et tout ce qui leur
« appartient. »
Alors Troisième ajouta :
«Le principal est qu'il a fait l'homme, et lui a donné l'âme qui
« vivra et jamais ne périra , bien que le corps se dissolve en pous-
« sière ou soit brûlé à cendre : et tous les hommes convenablement
80 LA FASCINATION DE GULFI.
« moraux vivront, et seront, auprès de sa personne , là où est ce que
(( qu'on appelle Y Etincelant (norr. Gimli) ou Y Allée Agréable (norr.
i( Vingolf); mais les hommes intraitables descendent chez fíel^ et, de
«là, dans le Hel-Brumeuæ (norr. Niflhel), qui est, en bas, dans le
c( neuvième Séjour. » (6)
Alors Piélonneur demanda :.
«De quoi s'occupait-il avant que le ciel et la terre fussent faits?»
Alors Sublime répond :
« Il était alors avec les Thurses-Givreux (norr. Hrimihursai\)yt (7)
4. Piétonneur demanda :
« Quel était le Commencement?; et comment celaa-t-il commencé?;
« et qu'y avait-il antérieurement?»
Sublime répond :
« Ainsi qu'il est dit dans la Vision de la Louve (norr. Volnspâ) :
«((C'était à l'Aurore des âges que Rien n'était;
««Il n'y avait ni Sable, ni Mer, ni Ondes fraîches;
««Il ne se trouvait pas de Terre ni de Ciel élevé;
««Il y avait le Bâillement-des-Mâchoires, mais de l'herbe nulle part.»»
Alors Equi- Sublime ajouta :
« Maints âges avant que la terre fut créée , il existait déjà le Sé-
i( jour-Brumeux (norr. Niflheimr)^ au milieu duquel se trouve le Puits
«qui est appelé Bassin-Bruyant (norr. Hver Gelmir)^ et de là se
« projettent les Eaux qui sont ainsi nommées : Svöl (Froide) , Gun-
« thra (Belliqueuse), Fiorm (Chargée), Fimbul (Étourdissante) , Thul
a (Murmurante) , Slidur (Lente) , et Hrtth (Brusque) , Sylgur (En-
« gloutissante) et Ylgur (Hurlante) , Vîd (Large) , Leiptur (Jaillis-
« santé) et Giöll (Retentissante), laquelle est le plus près des Grilles
« de Hel (norr. Helgrind). »
Alors Troisième ajouta :
«Antérieurement, cependant, existait dans la Section du sud, le
«Séjour qui est nommé Muspell (Gâte-Monde); il est brillant et
« chaud , au point qu'il est flambant et brûlant : aussi est-il inacces-
« sible à ceux qui lui sont étrangers et n'y ont pas leur séjour héré-
« ditaire. C'est le nommé Surtur (Noirci) qui réside à l'extrémité du
«Pays, pour la défense du Pays; il a une épée flambante; et, à la fin
«du monde, il s'avancera pour tout ravager et pour vaincre tous les
« Dieux et consumer le Séjour entier par le feu : ainsi est-il dit dans
« la Vision de la Louve :
LE SÉJOUR BRUMEUX ; LE BÂILLEMENT DES MÂCHOIRES. 81
««Surtur s'élance du Sud avec le Feu des glaives,
«((Le soleil resplendit sur Fépée des Héros d'occision;
«(( Les montagnes de roche s'écroulent, les Géantes se précipitent;
<i« Les Ombres foulent le chemin de Hel ; puis , le ciel se fend. »» (8)
5. Piétonneur demanda :
c( Comment cela était-il arrangé avant que les Races eussent pris
(( naissance et que la foule des hommes se fût multipliée ? »
Alors Sublime répondit :
«Les Eaux qui sont appelées Vagues Tempétueuses (norr. Elivâ-
ff^gar), lorsqu'elles se furent tellement éloignées de leur source que
(de ferment venimeux liquide, qui s'y trouvait, s'endurcit, il s'en
(( forma de la glace ; et quand cette glace se fixa et ne coula plus , alors
(d'humidité qui provenait du venin, se répandit par-dessus, et se
(( congela en givre ; et les givres s'amoncelèrent les uns au-dessus
((des autres, dans le Bâillement-des-Mâchoires (Ginnunga-gap). »
Alors Équi-Sublime ajouta.*
(( Le Bâillement-des-MâchoireSy du côté tourné vers la région du Nord,
(( se remplit d'une masse épaisse et lourde de glace et de givre , et ,
«en dedans, d'humidité et de vents froids; ensuite la partie méri-
(( dionale du Bâillement-des-Mâchoires se dégela à la rencontre des
«étincelles et des paillettes qui s'envolaient du Séjour-de-Mu^pell
« (norr. Muspellskeimr , Séjour de Gâte-Monde). »
Alors Troisième ajouta :
€ De même que du Séjour-Brumeux provenait le Froid et toutes
«les Choses glacées, de même, ce qui était tourné vers le voisi-
« nage de Muspell (Gâte-Monde) , était chaud et luisant. Aussi le
« Bâillement-des-Mâchoires était-il tiède, comme l'air calme , là où le
«souffle de la chaleur atteignit le givre, de sorte qu'il s'amollit et
« se fondit en gouttes ; et par ces gouttes vives il fut vivifié avec la
« puissance du souffle qu'envoya la chaleur , et il se forma une figure
« d'homme ; et ce fut le nommé Ymir (Murmurant), le même que les
« Thurses-Givreux appellent Or-Gelmir (Très-Bruyant) ; et les races
«des Thurses-Givreux en sont provenues, ainsi qu'il est dit dans la
« Petite Vision de la Louve :
««Toutes les Louves proviennent de Loup-du-Bois (Vid-olfr);
««Tous les Sorciers de Bois-de- Malheur (Vil-meidr);
««Mais les Porte-Crible de Tête-Noire (Svart-höfthi),
««iîi tous les Jotnes de Ymir.))M
6
82 . LA FASCINATION DE GULFI.
«Voici encore ce que répondit l'Iotne Vafihrûdnir, lorsque Mar-
« cheur (Gangleri) lui demanda :
«D'où est-il venu, Or-Gelmir^ parmi les Fils des lotnes,
«Au commencement? lotne savant!» :
««Lorsque des Vagues-Tempétueuses jaillirent les Gouttes de venin ,
««Cela grandit jusqu'à ce qu'il en sortit un lotne ;
«« A lui remontent ensemble toutes nos Races;
««C'est pourquoi , toutes, sont toujours par trop féroces.»» (9)
Alors Piétonneur demanda :
«Comment les Races s'augmentèrent - elles ensemble après?
« Comment s'est-il fait qu'il y eût plusieurs individus? — et le crois-
« tu Dieu celui dont tu viens de parler ? »
Alors Sublime répondit :
«D'aucune façon nous n'affirmons qu'il soit Dieu ; il était méchant,
«de même que tous les individus de sa race, que nous appelons
« Thurses-Givreux ; et il est dit que, lorsqu'il dormit, il lui prit une
«sueur; alors il lui naquit, sous la main gauche, un Homme et une
«Femme ; et un pied engendra, avec l'autre, un Fils; et de là pro-
« vinrent les Races; ce sont les Thurses-Givreux; le vieux Thurse-
« Givreux, c'est celui que nous appelons Ymir (Murmurant).» (10)
,6. Alors Piétonneur demanda :
«Où s'établit Ymir? et de quoi vivait-il?»
Alors Sublime répondit :
,« Lorsque le Givre fondit en gouttes, il arriva aussitôt qu'il en na-
« quit la Vache qui est appelée Aud-humla (Bourdonne-du-Désert) ;
« quatre torrents de lait coulèrent de ses trayons, et elle nourrit Ymir
(Murmurant). »(11)
Alors Piétonneur demanda :
« De quoi se nourrissait la Vache ? » •
Sublime répond :
«Elle léchait les roches de givre qui étaient salées; et, le premier
«jour qu'elle lécha ces roches , il sortit d'une roche, sur le soir, la
«chevelure d'un homme; le jour suivant, la tête de l'homme; le
«troisième jour, il y avait l'homme tout entier: c'est le nommé
« Buri (Manant) ; il était beau de visage , grand et puissant. Il en-
«gendra le fils qui s'appelait Bor (Fils); celui-ci épousa la femme
«qui s'appelait Beitsla (Pousse-Grain), la fille de l'Iotne Böl-Thorn
«(Épine Malfaisante; Malespine); et ils eurent ensemble trois fils :
AUDHUMLA ; BURi; BÖR ET SES FILS. 83
« l'un s'appelait Odinn (Agitant), l'autre Vili (Désiré), le troisième Vê
«c (Sacré) ; et c'est là ma croyance que cet Odinn-c\, avec ses frères,
c(va être le Gouverneur du Ciel et de la Terre; nous pensons qu'il
(Í puisse être ainsi appelé ; ainsi est appelé l'Homme que nous con-
« sidérons comme le plus grand et le plus illustre; — et on peut bien
ce lui laisser ce nom. » (12)
7. Alors Piétonneur demanda :
« Qu'est-ce qui maintint alors la paix entre eux? ; ou bien lesquels
« furent les plus puissants ? »
Alors Sublime répond :
«Les Fils de Bör frappèrent à mort l'Iotne Ymir (Murmurant) ; et
(( lorsqu'il tomba , il découla de ses blessures tant de sang , qu'ils y
« noyèrent toute la race des Thurses-Givreux , à l'exception d'un seul,
«qui échappa avec sa femme; les lotnes le nomment Ber-Gelmir
c( (Entièrement-Bruyant) ; il monta sur une outre, avec sa femme, et
« se sauva là-dessus , si bien que de lui sont provenues les Races des
a Thurses-Givreux , ainsi qu'il est dit ici :
««Dans la rigueur des hivers , avant que la terre fût formée,
««Ber-Gelmir fut engendré ;
««Mon plus ancien souvenir, c'est que cet lotne intelligent
««Fut placé sur une outre.»» (13)
8. Alors Piétonneur reprend :
a Qu'entreprirent alors les Fils de Bor, si tu crois qu'ils sont des
(( dieux ? »
Sublime dit :
« Il n'y a pas peu de choses à dire d'eux : ils prirent Ymir (Mur-
ce murant) et le traînèrent au milieu du Bâillement-des-Mâchoires ,
c( et firent de lui la Terre , et de son sang la Mer et les lacs ; la terre
c( fut faite de sa chair , les rochers de ses os ; les pierres et les mo-
« raines , ils les firent de ses dents, et de ses molaires, et de ses os qui
«avaient été brisés.»
Alors Equi-Sublime ajouta :
« Du sang qui s'échappa des blessures et coula librement , ils en
« firent la Mer , avec laquelle ils ceignirent et continrent ensemble
«la Terre; et ils placèrent cette Mer en anneau autour d'elle; à la
« plupart des hommes il doit paraître impossible de la franchir. »
Alors Troisième ajouta :
« Ils prirent aussi son crâne el en firent le Ciel , qu'ils placèrent
84 LA FASCINATION DE GULFI.
« au-dessus de la Terre , sur quatre bouts ; et , dans chaque coin , ils
c( placèrent un Dverg (Nain) ; ceux-ci se nomment ainsi : Oriental
«(Austri), Occidental (Vestri), Septentrional (Northri), Méridional
« (Suthri). Alors ils prirent les paillettes et les étincelles qui volti-
ge geaient librement et avaient été lancées du Séjour - de - Muspell
<L(Muspels-heimr, Séjour de Gâte-Monde), et ils les placèrent vers
«le milieu de l'Abîme, au ciel, tant en haut qu'en bas, pour
« éclairer le Ciel et la Terre. Ils assignèrent une demeure à tous ces
«Feux; à quelques-uns dans le ciel; d'autres erraient librement
« sous le ciel ; ils leur assignèrent aussi une demeure et détermi-
« nèrent leur course. Ceci est dit dans les anciens documents que ,
« par là , les journées et le nombre des années furent distingués ;
« ainsi qu'il est dit dans la Vision de la Louve :
««SOI ne le savait pas où elle avait sa demeure ;
««Mâni ne le savait pas, quel côté il occuperait;
««Les Étoiles ne le savaient pas où elles auraient leur place.»»
«Voilà comme c'était avant qu'on n'eût arrangé la Terre.» (14)
Alors Piétonneur dit :
« Ce sont de grandes Merveilles que je viens d'entendre ; c'est une
« Œuvre prodigieusement grande et faite avec habileté. »
« Comment la Terre fut-elle arrangée ? »
Alors Sublime répond :
«Elle est circulaire extérieurement, et autour d'elle se trouve la Mer
« profonde ; et les pays près de la rive de la mer , ils les donnèrent
«à habiter aux races des lotnes; mais en deçà, sur la terre , ils con-
«struisirent, autour du Séjour, une Enceinte contre l'hostilité des
« lotnes ; et pour cette Enceinte ils employèrent les sourcils de l'Iotne
« Ymir (Murmurant) ; et ils appelèrent cette Enceinte YEnclos Mi-
(itoyen (Mid-gardr). Ils prirent aussi sa cervelle et la jetèrent dans
«l'air , et en firent les Nuages, ainsi qu'il est dit ici :
« «De la chair d'Ymir, la Terre fut formée ; ,
««Du sang, la Mer;
««Des os, les Rochers; des cheveux, les Arbres;
««Et du crâne , le Ciel :
naMais de ses sourcils, les Grandeurs bénignes firent
i( nL' Enclos-Mitoyen ^ pour les fils des hommes ;
naEtde sa cervelle, ces sombres Nuages
««Furent tous formés. (15)
CRÉATION DU CIEL, DE LA TERRE, DE LA MER, ET DE l'hOMME. 85
9. Alors Piétonneur dit :
«ill me semble qu'il y avait alors une grande besogne de faite
« quand la Terre eut été créée , et que le Soleil et les Astres du ciel
« eurent été placés, et les journées distinguées. —
« Mais d'où sont venus les hommes qui habitent ce Séjour-ci ? »
Alors Sublime répond :
«Lorsque les Fils de Bor marchèrent le long de la rive de la Mer,
« ils trouvèrent deux troncs d'arbre ; et ils relevèrent ces troncs , et
(( en formèrent des hommes. Le Premier donna l'âme et la vie ; le
«Second, l'intelligence et le mouvement; le Troisième, la parole,
« l'ouïe et la vue; ils leur donnèrent des habits et des noms. L'homme
i( fut nommé Ask (Frêne) , et la femme Embla (Orme) ; et d'eux na-
« quit le Genre humain , auquel fut donné une habitation au dedans
a de l'Enclos-Mitoyen (Mid-gardr).
«; Après cela ils se construisirent, au milieu du Séjour, une En-
« ceinte qui est appelée Enclos-des-Ases (As-gardr). Là se sont établis
(c les Dieux et leurs races ; et là eurent lieu beaucoup d'aventures et
« de disputes , tant sur terre que dans l'air. Il y a un Endroit qui est
« nommé Hlid-skialf (Chaumineaux Portes) ; et toutes les fois qu'ö-
« dinn était assis là , dans le siège élevé , il voyait tous les Séjours ,
<k et l'occupation de tout homme; et il savait toutes les choses qu'il
i< avait vues. Sa femme s'appelait Frigg (Pluie) , la fille de Fiorg-vin
« {Aime-Pluie) ; et de leur race est provenue cette Génération que
<i nous appelons les Familles des Ases (Soutiens), qui ont habité l'an-
« cien Enclos-des-Ases et les Empires qui en font partie ; et toute cette
« Famille est de race divine. Aussi mérite-t-il qu'on l'appelle Père
« Universel, puisqu'il est le Père de tous les Dieux, des hommes et
« de tout ce qui a été accompli par lui et par son énergie. Cette Terre
<i {lord) était sa fille et sa femme ; et il se fit d'elle son premier fils ,
<.( qui est Thôr-des-Ases ; il fut doué de force et de vigueur ; par
<i là il vainc tous les vivants. » (16)
10. iiNörvi ou Narvi (Crépusculaire) était le nom d'un lotne qui
<i habitait les Séjours-des-Iotnes. Il avait une Fille qui s'appelait Nuil
a (Nôtt). Elle était noire et sombre comme la race dont elle prove-
« venait ; elle fut mariée à l'homme qui s'appelait Naglfari (Au JNa-
(i vire d'Ongles); leur fils s'appelait ^Máwr (Inculte). Après cela, elle fut
« mariée à un nommé Onar (Épouvantable) ; Terre (lord) était le nom
« de leur fille. En dernier lieu elle épousa Dellingr (Issu de l'Arbre),
86 LA FASCINATION DE GULFI.
«de la race des Ases; leur fils était Jour (Dagr); il était luisant
«et beau, par son père. Alors Père- Universel prit iVm7 et le Fils
«de celle-ci, Jotir, et leur donna deux chevaux et deux chariots , et
« les plaça au ciel, afin qu'ils fissent, chaque fois , en un jour et une
« nuit, le tour de la terre. Nuit chevauche au devant, sur le cheval qui
« est nommé Crin-Givreux (Hrimfaxi), et qui, chaque matin , arrose la
«terre des gouttes de son mors. Le cheval que Jour possède est
« appelé Crin-Luisant (Skinfaxi) , et il éclaire de sa crinière l'air
« entier et la terre. » (17)
11. Alors Piétonneur demanda:
«Comment dirige-t-// la marche du soleil et de la lune?»
Sublime répond :
« L'homme qui est nommé Mundilfori (Faisant le Tour), avait deux
« enfants. Ils étaient si beaux et si agréables , qu'il appela l'un Mâni
«(Lune) et sa fille iSd/ (Soleil), et fiança celle-ci à l'homme qui
« s'appelait Glenr (Bijou). Mais les Dieux furent irrités de cette ou-
« trecuidance ; et ils prirent le frère et la sœur et les placèrent au
« ciel. Ils chargèrent Soi de pousser les chevaux qui traînaient le
«char du soleil, que les Dieux, pour éclairer les Séjours, avaient
«formé d'une paillette qui s'était envolé du Séjour de Muspell
«(Gâte -Monde). Ces chevaux s'appellent §insi: Matinal (Ar-vakr)
«et Tout- Alerte (M-s\iàr); et, sous les épaules de ces chevaux, les
« Dieux placèrent deux soufflets pour les rafraîchir ; et , dans quel-
«ques documents, cela est nommé Fer- Réfrigérant (hsirn-kol).
« Mâni dirige la marche de la lune, et préside aux Renouvellements
« et aux Décours. Il enleva de la terre deux enfants, qui s'appelaient
« ainsi : Bil (Nuée) et Hiuki (Neigeux) , lorsqu'ils revinrent du Puits
« qui est nommé Byrgir (Assuré), et qu'ils portèrent sur leurs épaules
« le seau appelé Sœgr (Affïuence) et la perche Simul (Joug). Vidfinn
« (Finne des Bois) est le nom de leur père : ces enfants suivent
« Mâni y ainsi qu'on peut le voir de la terre. » (18)
12. Alors Piétonneur dit:
a Soi court vite, et presque comme si elle était effrayée; et elle
«craindrait sa mort, qu'elle ne pourrait accélérer davantage sa
« course. »
Alors Sublime répond :
«Cela n'est pas étonnant qu'elle coure précipitamment; Celui qui
NôTT ; sôL ; MÂNi ; mânagarmur. 87
«la poursuit est peu éloigné; et elle n'a pas d'autre moyen que
«d'échapper en courant.» (19)
Alors Piétonneur demanda :
« Qui est-ce qui lui cause ce désagrément?»
Sublime répond :
« Ce sont deux loups ; et celui qui court après elle s'appelle Sköli
« (Ricaneur) ; elle le redoute , et il l'atteindra ; mais c'est le nommé
« Hati (Haineux), le fils de Hrôd-vitnir (Présage de Dévastation), qui
c( court devant elle , et il veut atteindre la lune ; — et cela arrivera
<i ainsi. » (20)
Alors Piétonneur demanda :
ce Quelle est la race de ces Loups? »
Sublime dit :
«Une Gygur (Ensorcelée) habite à l'orient de V Enclos-Mitoyen^
« dans la Forêt qui est nommée Bois-de-Fer (larn-vidr). Dans cette
«Forêt habitent ces Femmes-Fantômes (norr. Tröll-konur) , qu'on
«nomme Celles du Bois-de-Fer (larnvidiar). Cette vieille gygur
«eut pour fils beaucoup d'Iotnes, tous avec des corps de loup; et
«c'est d'elle que sont aussi provenus ces loups-là; et il a été prédit
«que, de cette race, celui qui est appelé Mâna-Garmur (Hurleur
« de Mâni) sera le plus puissant. H se gorge de la vie de tous les
« hommes qui dépérissent; et il avale la Lune, et asperge de sang le
« Ciel et l'Air entier : par là le Soleil perd son éclat, et les Vents sont
« alors déchaînés et mugissent à gauche et à droite. Ainsi il est dit
« dans la Vision de la Louve :
««A l'Orient habite la Vieille dans le Bois-de-Fer,
««Et y engendre des parents de Fenrir;
««Parmi eux, se distingue, entre tous,
««L'Avaleur du Disque, sous la dépouille de loup.
««H se gorge de la vie des hommes lâches :
««n rougit de sang rouge les Habitations des Grandeurs;
««Les splendeurs du Soleil deviennent sombres, l'été suivant;
««LesTempêtesseronttoutesféroces.Savez-vous encore quoi?» »(21)
13. Alors Piétonneur demanda?
« Quel est le chemin de la terre au ciel ? »
Alors Sublime répond en souriant :
« Ce n'est pas là questionner en sage. — Ne t'a-t-on pas dit que
88 LA FASCINATION DE GULFI.
«les Dieux ont fait un Pont, de la terre au ciel, et qu'il est nommé
c( Bif~rö8t (Voie-Tremblotante) ? Tu dois l'avoir vu ; peut-être que ,
« toi , tu l'appelles Arc-en-ciel. Il a trois couleurs ; et il est très-so-
ft lide , et fait avec plus d'art et d'habileté que les autres ouvrages :
« et, bien qu'il soit solide, il se rompra pourtant, quand les Fils de
c( Muspell (Gâte-Monde) y passeront à cheval ; leurs chevaux traver-
« sent aussi, en nageant, les grands Fleuves; c'est ainsi qu'ils poussent
(( en avant. »
Alors Piétonneur dit :
«Les Dieux, ce me semble, n'ont pas construit de bonne foi ce
« pont , puisqu'il pourra se rompre , eux qui peuvent faire comme
« ils veulent. »
Alors Sublime dit :
« Les Dieux ne méritent pas ce reproche pour cet ouvrage. Bif-
« rost est un excellent pont ; mais , dans ce Séjour , il n'y a rien sur
« quoi l'on puisse faire fond , lorsque les Fils de Muspell feront ir-
« ruption. y> (22)
14. Alors Piétonneur dit :
«Qu'a entrepris Père-Universel ([Md^naV Enclos des Asesî\xX2iC\iQyQ'ÎTi
Alors Sublime dit :
« Au commencement, il établit des Gouverneurs, et leur ordonna
«de décréter la Destinée des hommes, et de se concerter sur l'ar-
« rangement de cette Enceinte. Cela se fit dans ce qu'on appelle la
a Plaine d'Idi (Ida-völlr), au milieu de l'Enceinte. Leur premier
«ouvrage ce fut de construire un Temple (norr.^o/), où sont placés
«leurs sièges, douze, outre le siège é\e\é qu'occui^e Père- Universel,
« Cet édifice est ce qu'on a fait de mieux, sur terre, et de plus grand :
« on dirait que tout en est, extérieurement et intérieurement, rien
« que de l'or; c'est dans l'Endroit que les hommes appellent Sé-
<i jour- Joyeux (Gladsheimr). Ils construisirent une seconde Salle ;
« s'était là un Sanctuaire (norr. hörgr) , qu'occupèrent les Déesses ;
«elle était aussi toute belle. Cet édifice, les hommes l'appellent
« Allée- Agréable (Vin-golf). Ce qu'ils firent après cela , c'est qu'ils
«placèrent des fours; et, en même temps, ils fabriquèrent des
« marteaux, des tenailles et des enclumes, et, moyennant cela,
« tous les autres instruments : ensuite ils façonnèrent le métal , les
«pierres et le bois, et, en si grande quantité, le métal qui s'ap-
« pelle or, qu'ils eurent, en or, tous les ustensiles déménage; aussi
bifröst; idavöllr; les dvergs. 89
t( cet Age est-il nommé l' Age d* or, jusqu' h ce qu'il fut gâté par l'ar-
c( rivée des Femmes qui vinrent des Séjours-des-lotnes.
« Après cela les Dieux se placèrent sur leur sièges et prononcèrent
c( leurs jugements : ils se rappelèrent aussi par quoi les Dvergs (Nains)
« avaient été vivifiés dans la poussière et en bas dans la terre , comme
a des vers dans la chair. Ces Dvergs avaient d'abord pris forme et vie
«dans la chair d'Ymir (Murmurant), et ils étaient alors des vers.
(( Mais , par décision des Dieux , ils furent doués d'intelligence hu-
it maine , et ils eurent la forme humaine. Ils habitent cependant en-
ce core dans la terre et dans les rochers. Modsognir (Moraine) fut le
« Premier Dverg, et ZÎMrmit (Sommeillant) le Second. Voici ce qui est
« dit dans la Vision de la Louve :
««Alors les Grandeurs allèrent toutes aux Sièges-nébuleux;
««Les Dieux très-saints ceci encore se rappelèrent,
««Qu'il fallait former le Peuple des Dvergs,
««Du sanglant Brimir (Frémissant) et des cuisses de Blaînn (Bleui).
««Alors mainte forme humaine fut achevée,
««Les Dvergs, dans la terre, comme Durinn l'avait indiqué.
« Elle énonce aussi les noms de ces Dvergs :
naNyi (Renouvelé), Nidi (Décursif)^ Nordri (Septentrional), Sudri (Méri-
dional),
(kv^Austri (Oriental), Fgííre (Occidental), Althiofr (Très-voleur), Dvalinn
(Défaillant),
v^ikNâr (Incliné), Nâinn (S'inclinant), Nipingr{Usn de Nep), Dâinn{ks-
soupi)?
iiuBivorr (Bièvre), Bavurr (Favre), Bumburr (Bombé), Nori (Crépuscu-
laire).
««^w(Peiné),^?iar(Deuxieme),^mw(Craintif),Móí?-v2íw2>(IndiqueMieI),
««Fez^r (Vigueur), Gand-alfr (Alfe-Sorcier), Vind-alfr (Alfe-Vent),
Thorinn (Osé),
««/ï/e (Caché), Kili (Frappé), Fundinn (Trouvé), Vali (Mortuaire),
««rArdr (Soutenant), Thrâinn (Persistant), T^eMr (Accepté), Litr
(Couleur), Vitr (Prévoyant),
««iVyr (Nouvel), Nyradr (Renouvelant), Regin (Puissance), Râdsvidr
(Prompt-Conseil.)»»
«Voici encore des Dvergs; et ceux-ci habitent dans des rochers,
« mais les précédents dans la terre :
90 LA FASCINATION DE GDLFI.
«« Draupnîr (Dégouttant), Dolg-thvari (Repousse-Ennemi),
« «/i^ar (Sublime), /Taiig'spoW (Foule-Butte), ^/eraw^riPré-Clair), Gloînn
(Luisant),
<i(iDori (Endormi), Ori (Nouveau), Dûfr (Plongeur), Andvari (Vigilant),
»((Heptî (Piège), Fili (Trompeur), Hanar (Enchanteur), Svîarr (Ra-
pide).»»
d Voici ceux qui sont venus de la Butte-de-Svarinn jusqu'à Aur-
« vangs (Prés Humides) , dans la Plaine de lora ; et de là ils sont
c( venus à Lofarr ; voici leurs noms :
«•SkirviriSk\r\\re), Virvir (Virvire), i'Æa^í/r (Façonné), Ai (Aquatique),
((v^Alfr (Brillant), Ingi (Issu de Sublime), Eikin-skialldi{\\^\ie^-0\èïi€)>,
««F/a/ar (Montagnard), Frosie (Froidure), Fmwr(Finne), Gmwarr(Fasci-
nateur). (23)
15. Alors Piétonnetir dit :
c( Où est le Lieu principal et le Lieu sacré des Dieux ? »
Sublime répond :
c( C'est auprès du Frêne d' Yggdrasill ; là les Dieux prononceront
« leurs jugements tous les jours. »
Alors Piétonneur dit :
« Qu'y a-t-il à dire de ce lieu ?»
kXov?, Equi-Sublime SiioniQ:
« Ce frêne est de tous les arbres le plus grand et le meilleur : ses
« branches s'étendent par-dessus le Séjour entier, et s'élèvent au-
-dessus du ciel. Les trois racines de cet arbre le soutiennent, et
« s'étendent bien au large. L'une est chez les Ases^ l'autre chez les
a Thurses- Givreux, là où antérieurement était \e Bâillement-des-
« Mâchoires, et la troisième se trouve au-dessus du Séjour-Brumeux:
«et sous cette racine est le Bassin- Bruyant (Ewer-Gelmir), et
« Nid-hÖgg (Frappe de Colère) ronge en bas cette racine. Mais sous
((la racine, qui est dirigée vers les Thurses-Givreux , se trouve la
«Fontaine deMimir, où l'Intelligence et la Sagesse humaine sont
(( renfermées ; et celui qui possède cette Fontaine s'appelle Mîmir
(( (Ruisselant) ; il est plein de connaissances, parce qu'il boit , à cette
«Fontaine, dans la Corne appelée Corne de Gíó7/ (Giallar-horn).
a Père- Universel y vint aussi et demanda à boire un coup de cette
MiMiR ; urdur; bifröst. 91
« Fontaine ; mais il n'obtint rien avant qu'il n'eût placé on gage son
« œil. Voici ce qui est dit dans la Vision de la Louve :
««Je sais tout, Odinn ! où tu as caché l'œil,
« «Dans cette illustre Fontaine de Mimir ;
««Chaque matin Mimir boit l'hydromel
««Dans le gage du Père-des-Occis. Mais savez-vous encore quoi? »» (24)
« La troisième racine de ce Frêne se trouve au ciel ; et sous cette
« racine est la Fontaine qui est éminemment sacrée et qu'on appelle
« la Fontaine d' Urdur. C'est là que les Dieux ont leur Lieu de Juge-
ce ment. Chaque jour les Ases s'y rendent à cheval par Bifröst (Voie-
« Tremblotante), qui est encore nommé Pont-des-Ases. Les Chevaux
« de ces Ases sont ainsi nommés : Sleipnir (Coulant) est le meil-
(deur; il appartient à Odinn, et il a huit jambes; le second est
« Joyeux (norr. Gladr) ; le troisième Doré (norr. Gyllir) ; le quatrième
(( Clair (norr. Gler)\ le cinquième Skeid-brimir (Frémit-à-Courir);
« le sixième Queue d'Argent (norr. SUfrin-toppr) ; le septième Sinir
« (Nerveux) ; le huitième Gisl (Fouet) ; le neuvième Fal-hôfnir (Sa-
« bot-Jaune) ; le dixième Queue Dorée (norr. Gull-toppr) ; le onzième
i{ Pied Léger (norr. Lett-feti); le cheval de Baldur fut brûlé avec
(( lui; et Thôr va à pied au Tribunal; et il traverse à gué les Eaux qui
« sont ainsi nommées :
« Kormt et Örmt et les deux Bains de Bassin ,
« Thôr doit les passer à gué ,
a Chaque jour, qu'il ira siéger
(( Auprès du Frêne d'Yggdrasill ;
d Car le Pont-des-Ases jette partout des flammes;
« Les Eaux sacrées bouillonnent. »
Alors Piétonneur dit :
« Un feu brùle-t-il sur Bif-rost (Voie-Tremblotante) ? »
Sublime répond :
« Ce que tu vois de rouge dans l'Arc-en-ciel , c'est du feu brûlant.
« Les Thurses-Givreux et les Géants des Montagnes (norr. Bergrisar)
«monteraient au ciel, si le passage était libre, sur Bif-rost ^ à tous
c( ceux qui voudraient passer. Il y a , au ciel, beaucoup de beaux En-
ce droits ; et tout y est bien garanti. Il y a là une belle Salle , sous le
ce Frêne, près de la Fontaine ; et de cette Salle sortent les trois Vierges
ce qui s'appellent ainsi : Passée (norr. Vrdr) , Présente (norr. Vërdandt),
92 LA FASCINATION DE GULFI.
« Future (norr. Skuld). Ces Vierges déterminent aux hommes la durée
« de la vie ; nous les appelons Nomes (Salutaires). Il y a différentes
« Nomes ; elles se rendent auprès de chaque homme qui vient de
c( naître, pour déterminer la durée de sa vie ; et les unes sont de la race
c( des Dieux; les autres, de la famille des Alfes; les troisièmes, de la
<i famille des Dvergs ; ainsi qu'il est dit ci-dessous :
«« Les Nornes , je pense, sont très-différemment nées;
((«Elles n'ont pas, ensemble, la même famille;
((((Qui sont parentes des Ases; qui sont parentes des Alfes;
«(( Qui sont filles de Dvalinn.»))
Alors Piétonneur dit :
<i Si les Nornes président aux destinées des hommes , elles font le
((partage immensément inégal, puisque les uns ont la vie opulente
(( et considérée , les autres ont un fief et un renom petits ; les uns, la
(( vie longue , les autres , brève. »
Sublime répond :
(( Les Nornes bienveillantes et d'une race bonne , procurent la vie
(( bonne ; mais quand les hommes tombent dans le malheur, alors les
(( Nornes malveillantes en sont la cause. » (25)
16. Alors Piétonneur dit:
(( Y a-t-il encore d'autres Merveilles à raconter du Frêne ? »
Sublime répond :
« Il y en a beaucoup à raconter. Un Aigle est assis, solitaire, sur les
(( branches de ce Frêne ; et il sait mainte chose ; et entre ses yeux
(( lui est assis l'Autour qui est nommé Vethur-folnir (Redouté des
« Tempêtes). L'Écureuil, qui est nommé Ratakostr (Camarade du Rat),
<i monte et descend le long du Frêne, et rapporte les paroles haineuses
«entre l'Aigle et Nidhogg (Frappe de Colère). De plus, quatre Cerfs
«courent sur les branches du Frêne, et en broutent le feuillage. Ils
«s'appellent ainsi : Ddinn (Assoupi), Dvalinn (Défaillant), Dunn-eir
«(Apaise-Bruit), Dura-thrôr (Somnolent). De plus, il y a des Ser-
« pents tellement nombreux dans Hvergelmir (Bassin-Bruyant) , au-
«près de Nidhogg, qu'aucune langue ne saurait les compter. Voici
« ce qui est dit :
««Le Frêne d'Yggdrasil endure une souffrance
«« Plus grande qu'on ne le sait;
««Le Cerf le broute d'en haut, de plus il pourrit sur les côtés;
««Nidhogg l'endommage d'en bas.»»
LES NORNES ; LE FRÊNE d'YGGDRASIL ;• LES ALFES. 93
« II est encore dit ainsi :
««Sous le Frêne d'Yggdrasiï gisent plus de Serpents
««Que ne l'imagine quelqu'un des fous ignorants:
« « Gôinn et Môinn , qui sont les fils de Graf-vitnir ,
««Dos-gris et Peau-grise,
«« Ofnir et Svafnir rongeront , j'imagine, toujours
««Les rameaux de l'Arbre. »»
« 11 est encore dit que les Nomes, qui habitent auprès de la Fon-
« taine-de- Passée, prennent, chaque jour, à cette Fontaine, de l'eau ,
«ainsi que l'humidité qui se trouve autour de la Fontaine, et les ré-
« pandent sur le Frêne , afin que les branches n'en dessèchent et ne
« pourrissent. Et cette eau est si sacrée que toutes les choses , qui
« entrent dans cette Fontaine, deviennent aussi blanches que la pel-
«licule appelée périgone, qui recouvre intérieurement la coque des
« œufs. C'est ce qui est dit ici :
««Je sais un Frêne nommé d'Yggdrasil,
««Un saint Arbre blanchi par l'humidité brillante ;
««De là proviennent les rosées qui tombent dans les vallons ;
«« Il se dresse, toujours vert, au-dessus de la Fontaine-de-Passée.»»
« La rosée qui en tombe à terre , on la nomme la Tombée de miel
« (norr. Hunangs-fall) , et les mouches à miel s'en nourrissent.
« Deux oiseaux sont nourris dans la Fontaine-de-Passée ; on les
« appelle Cygnes; et de ces oiseaux provient cette espèce d'oiseau
« qui s'appelle ainsi. (26) »
17. Alors Piétonneur dit :
« Tu sais donner beaucoup de renseignements sur le ciel : y a-t-il
« encore d'autres Endroits principaux outre celui près de la Fontaine-
<i de-Passéel y>
Sublime répond :
« Il y a là plusieurs Endroits célèbres ; tel est l'Endroit particulier
« situé dans ce qu'on appelle le Séjour des Alfes (norr. Alfheimr) ;
« là habite le Peuple qui se nomme Alfes-Lumineux (norr. Lios-alfar);
« les Alfes-Sombres (norr. Dock-alfar) , au contraire , habitent plus
«bas, dans la terre; et ils diffèrent des autres par l'extérieur ; ils en
« diffèrent plus encore par les talents. Les Alfes-Lumineux ont un
« aspect plus beau que le soleil , mais les Alfes-Sombres sont plus
« noirs que la poix.
94 LA FASCINATION DE GULFI,
« Il y a là principalement un Endroit qu'on appelle Large-Éclat
<( (norr. Breidablik) ; et nul endroit n'y est plus beau.
« Il y a encore celui qui est nommé Etincelant (norr. Glilnir) ; et
« les parois et les étais et les piliers en sont d'or rouge , et le toit en
(( est d'argent.
« Il y a encore l'Endroit qui est nommé Roches du Ciel (norr. Himin-
(( hiorg) ; il se trouve à l'extrémité du ciel , près de la tête du pont ,
« là où Bif-rost (Voie-Tremblotante) touche au ciel.
« Il y a encore un Endroit considérable qui est nommé Vala-skialf
(((Chaumine deVali); cet Endroit appartient à Odinn; les Dieux l'ont
«construit et couvert d'argent pur; c'est encore dans cette Salle
«que se trouve Hlid-skialf (Chaumine aux Portes), ce siège élevé
c( qui porte ce nom ; et quand Père- Universel est assis sur ce siège ,
(( il a vue sur le Séjour entier.
c(A l'extrémité méridionale du ciel est la Salle la plus belle de
c( toutes, et qui est plus brillante que le soleil; elle est nommée Gm/i
c( (Brillant) ; elle restera debout encore que le ciel et la terre auront
«passé; et les hommes justes et de bonne conduite habiteront cet
« Endroit , pour toujours. Voici ce qui est dit dans la Vision de la
« Louve :
««Je sais une Salle qui s'élève, plus brillante que le Soleil
««Et plus riche que l'or, dans le sublime Gimli :
«c< Là des Peuples vigoureux devront habiter,
««Et , pour l'éternité , jouir d'agréments. »»
Alors Piétonneur dit :
« Qu'est-ce qui préserve cet Endroit quand la Flamme de Surti
(( (Noirci) brûle le ciel et la terre? »
Sublime répond :
«Il est dit que, à côté de ce ciel-là, il y a un second ciel, et que
«ce ciel-ci est nommé And-lang (Allongé); et qu'il y a encore, à
«côté de ceux-ci, un troisième ciel, et que celui-ci est nommé Vîd-
« blainn (Bleu-au-Large) ; et dans ce ciel-ci nous pensons que se
« trouve cet Endroit ; et nous pensons que les Al f es- Lumineux seuls
« habitent maintenant ces lieux. » (27)
18. Alors Piétonneur dit :
« D'où vient le Vent ? — il est tellement fort qu'il remue de grandes
«mers et qu'il excite le feu; et tout fort qu'il est, personne ne peut
«le voir, parce il est merveilleusement conformé.»
LES ENDROITS CÉLESTES ; HRÆSVELG ; LES ÂSES. 95
Alors Sublime répond :
« Je sais bien te dire cela. A l'extrémité septentrionale du ciel est
«assis VIotne qui se nomme /?/'œ-sî;e/^r (Dévore-Charogne) ; ilestre-
« vêtu de la robe d'aigle : quand il renforce les coups de penne, alors
(( les vents Portent de dessous ses ailes. Voici ce qui est dit ici :
«((Hræsvelg est nommé celui qui est assis à l'extrémité du ciel,
««L'Iotne en robe d'aigle :
«((De ses ailes passe, dit-on, le Vent
««Sur tous les hommes.»»
19. Alors Piétonneur' dit :
« Par quoi s'est faite une différence telle que l'Été soit devenu
c( chaud, et l'Hiver froid?»
Sublime répond :
« Un savant ne ferait pas cette question , puisque tous savent ex-
« pliquer cela. Mais, bien que tu sois si peu instruit que tu n'aies pas
« compris cela , je tiens cependant à honorer ceci que tu préfères
« adresser une fois une question peu sage, plutôt que de rester plus
« longtemps ignorant sur ce qu'on devrait savoir. — Souffle-Doux
« (norr. Svas-udr) est nommé celui qui est le père d'^/^(norr. Sumar);
« et il mène une vie heureuse, au point que, d'après son nom, on
« appelle doux (norr. svasligt) ce qui est agréable. Mais le père d'Hiver
« (norr. Vetr) est différemment appelé , ou Messager des Vents (norr.
« Vind-liôni) ou Vent-Frais (norr. Vind-svalr) ; il est le fds de Souffle-
if. Frais (norr. Vasudr) ; et tous ceux de cette race sont violents et ont
« l'haleine froide ; et VHiver a aussi leur caractère. » (28)
20. Alors Piétonneur dit :
« Quels sont les Ases (Soutiens) en qui les hommes doivent croire?»
Sublime répond :
« Il y a douze Ases de race divine. »
Alors Equi' Sublime dit :
« Les Amies-des-Ases (Asyniur) ne sont ni moins saintes ni moins
« puissantes. »
Alors Troisième dit :
« Odinn (Agitant) est le premier et le plus ancien des Ases ; il pré-
« side à toutes choses , et, bien que les autres Dieux soient puissants,
« ils le servent comme des enfants leur père. Frigg (Pluie) est sa
« femme ; et elle connaît les destinées des hommes , bien qu'elle ne
96 LA FASCINATION DE GULFI.
« proclame pas ses visions. Voici comme il est dit qu'öí/érm lui-même
« parla à VAse qui se nomme Loki :
««Tu es fou, Loki! et hors de sens; —
««Pourquoi ne cesses-tu pas, Loki ! : ^
««Les destinées, Frigg les connaît, je pense, toutes,
««Bien qu'elle ne les proclame pas elle-même.»»
« Odinn est nommé Père- Universel, parce qu'il est le père de tous
«les Dieux. Il est aussi nommé Père-des-Occis (norr. Val-födr),
«parce que tous ceux, qui tombent dans Toccision, sont ses Fils-
« Adoptifs ; il leur assigne la Halle-des- Occis (norr. Val-höll) et V Allée
a Agréable (norr. Vin-gôlf), et alors ils sont nommés Troupiers- Uni-
« ques (norr. Einheriar). Il est aussi nommé Dieu-des-Suspendus
« (norr. Hanga-gud) , Dieu-des-Liens (norr. Hapta-gud) , Dieu-des-
« Cargaisons (norr. Farma-gud), et il s'est encore nommé de diffé-
« rentes manières , lorsqu'il fut venu chez le roi Geirrödur :
««J'ai été appelé Effrayant (Grîmr), Piétonneur (Gangleri),
«« Troupier (Hérian), Porte-Heaume (Hialm-beri) ,
im Agréable (Thekkr), Troisième (Thridi), Calme (Thudr), Humide (Udr),
«« Ténébreux comme Hel (Helblindi), Sublime (Hâr).
((.(.{Équitable (Sannr), Farouche (Svipall), Devine-Juste (Sanngetall),
(i(i Joyeux-des-Troupes (RQvieiiv), Hnikar (Hennisseur),
« « Œil-Nuageux (Bileygr), Œil Enflammé (Baleygr), Malfaisant (Bol-
verkr), Multiple (Fiölnir),
na Sanglier (Grimnir), Prompt-à- Tromper (Glapsvidur).
(dd Chapeau- Rabattu (Sidhöttr), Barbe- Pendante (Sidskeggr), Père-
de- Victoire (Sigfödr) ,
<íii Père- Universel (Allfödr), Décisif (ktridr) , Hnikudr (Vent-
Hennissant) ,
«« Oski (A-Souhait), Omi (Bruyant), Équi-Sublime {lainh^r), Biflindi
(Frémit-doux) ,
(KiGondler (Embrouillant), Barbe-Velue (Harbardr).
(i(L Fascinant (Svidur), Fascinateur (Svidrir)
««. . . lalkr (Vigoureux) ...
«« Kialar (Tire-Traineau) ....
«« Thrôr (Persévérant) ....
NOMS ÉPITHKTIQUES d'oDINN. 97
«« Yggr (Ombrageux) ....
<i<L Cuirassé (Thundr) ....
«<íí Alerte (Vakr), Escrimeur {^V\\ïm^v\ Agile (Vafudr), Dieu d Alarme
(Hropta-tyr),
«« Perspicace (Gautr) , Dieu des Guerriers (Vera-tyr). »» (29)
««
Alors Piétonneur dit :
«Vous lui avez donné prodigieusement beaucoup de noms; et je
« sais , ma foi!, que ce doit être une grande érudition que celle qui
« en connaît la raison, et explique quels événements ont occasionné
(( chacun de ces noms. »
Alors Sublime répond :
c( Il faut beaucoup d'intelligence pour s'expliquer cela exactement;
c( cependant on peut très-rapidement te dire ceci, que la plupart des
«noms ont été donnés par suite de cette circonstance, que, selon
« les nombreuses différences des langues qu'il y avait dans le monde,
«tous les peuples ont cru nécessaire, à l'invocation et à la prière
«pour leur personne, de changer le nom de Celui-là d'après leur
c( propre langue : quelques occasions pour ces noms se sont encore
c< produites dans ses voyages : cela est rapporté dans les histoires; et
«tu ne saurais passer pour un homme savant, si tu ne sais pas ra-
« conter ces grandes aventures. »
21. Alors Piétonneur dit :
« Quels sont les noms des autres ^scs .^; et de quoi s'occupent-ils ;
« — et qu'ont-ils fait pour se distinguer ? »
Sublime répond :
« Thôr (Tonnerre)^ est le plus distingué d'entre eux; c'est lui qu'on
«appelle Thôr-des-Ases et Thôr-au-Char (norr. Ôku-Thôr); il est le
« plus fort de tous, des Dieux et des hommes. Il possède son Empire
« à l'Endroit nommé Thrûd-vângar (Champs-d'Énergie), et sa Halle
« est nommée Bil-skirnir (Éclaircit-Grain). Dans cette Salle, il y a
« cinq cents et quarante allées; et cet Édifice est le plus grand que
« les hommes sachent avoir été construit. Voici comment s'énoncent
«les Dits de Grimnir:
«« Cinq cents plus environ quarante allées
««Sont, je pense, dans Bilskirnir, avec des' voûtes;
««De tous les Couverts, que je connais, lambrissés,
««Je tiens celui du Fils pour le plus grand.»»
7
98 LA FASCINATION DE GULFI.
« Thôr a deux Boucs, dont les noms sont Tann-gniostur (Craque-
(( Dent) et Tann-grisnir (Grince-Dent) , et une voiture dans laquelle
(( il s'avance ; les Boucs traînent cette voiture ; c'est pourquoi il est
«appelé Tkôr-au-Char. 11 possède aussi trois objets précieux : l'un
«d'eux est le Marteau Meunier (norr. Miölnir), que connaissent les
« Thurses- Givreux et les Géants des Montagnes, quand il est lancé dans
« l'air: et cela n'est pas surprenant ; il a fracassé maint crâne de leurs
« ancêtres et de leurs parents. Comme second objet de grand prix il
«possède la Ceinture de force (norr. Megingiardar) \ quand il la
« serre autour de lui , sa force di'Ase s'accroît du double. Il possède
« un troisième objet de grand prix : ce sont les Gantelets-de-fer (norr.
a larn-glôfar) , dont il ne peut pas se passer, vu le manche du Mar-
«teau. Mais personne n'est si savant qu'il puisse raconter tous ses
« hauts faits. Cependant je saurais te raconter de lui tant d'histoires
« que les heures s'écouleraient avant que j'eusse dit tout ce que j'en
« sais. » (30)
22. Alors Piétonneur dit :
« Je voudrais avoir des renseignements sur les autres Ases. »
Sublime répond :
«Le second fils d'Odinn est Baldur (Distingué); et il y a sur lui
« beaucoup à dire. Il est le meilleur de tous, et tous l'aiment. Il est
«si beau de visage et si brillant, qu'il en resplendit au loin: aussi
« une seule herbe est si blanche qu'elle soit comparable aux sourcils
« de Baldur ; c'est la plus blanche de toutes les herbes ; et d'après
« cela tu peux juger de sa beauté , tant pour la chevelure que pour le
« corps. Il est le plus sage des Ases, et le plus beau parleur, et le plus
« clément. Mais la particularité qui lui est attachée, c'est que rien de
« ce qui est décidé sur lui, ne saurait être fléchi. Il habite l'Endroit
«nommé Large-Eclat (norr. Breidablik) et qui est au ciel; daps ce
« lieu , rien ne saurait être impur : voici ce qui est dit ici :
««Large-Éclat est nommé l'Endroit où Baldur
««S'est préparé ses demeures,
««Dans ce pays, où je sais qu'il existe
«« Le moins de choses pernicieuses. ))»
23. « Le troisième Ase est celui qui est appelé Niordur (Jaillis-
« sant) ; il demeure au ciel, à l'Endroit nommé Enclos-de-Nôi (norr.
((Nôa-iûn). Il préside au mouvement du Vent, et modère la Mer et le
thôr; baldur; niördur; skadi. 99
«Feu; c'est lui qu'il faut invoquer pour la navigation et la pêche. Il
«possède tant de propriétés et tant de richesses, qu'il peut donner
«des propriétés territoriales et des biens mobiliers à ceux qui
« l'invoquent pour cela. Il a été élevé dans le Séjour-des-Vanes (norr.
« Vanaheimr) ; mais les Vanes l'ont envoyé en otage aux Dieux, et ont
«pris en échange, comme otage des Ases^ le nommé Hœnir (Utile);
« il servit à la réconciliation des Dieux avec les Vanes. Niördur a
« épousé la femme qui est nommée Skadi (Pernicieuse) , la fille de
« riotne Thiassi (Querelleur). Skadi veut avoir sa résidence là où
«l'a eue son père, à savoir sur certaines montagnes, à l'Endroit
« appelé Séjour-du-Bruissement (norr. Thrymheimr) ; mais Niördur
« veut être près de la mer. Ils sont convenus ensemble de ceci, qu'ils
« passeraient neuf nuits à Séjour-de-Bruissement, et les trois autres
« à Enclos-de-Nôi (Enclos du Nocher). Lorsque Niördur revint des
« montagnes , il prononça ceci :
iv«Les Montagnes me déplaisent; j'y ai été trop longtemps,
««Neuf nuits consécutives; —
««Le hurlement des loups ma' semblé détestable
««Auprès du chant des cygnes. »»
« Alors Skadi prononça ceci :
««Je ne pouvais pas dormir aux lits près de la Mer,
« « A cause des cris d'oiseau ; —
««Elle m'éveille, quand elle vient de la plage ,
«« Chaque matin , la mouette. ))»
« Alors Skadi remonta dans les Montagnes, et résida à Séjour-de-
« Bruissement. Elle court beaucoup sur les barres et avec l'arc, et elle
« tire sur les bêtes; on la nomme Divinité aux Barres (norr. Öndur-
« gud), ou Déesse-aux-Barres (norr. Ondur-dîs). Voici ce qui est dit :
« « Séjour-de-Bruissement est nommé le lieu qu'habitait Thiassi ,
«« Cet impétueux lotne.
«« Mais maintenant Skadi , la brillante fiancée des Dieux, habite
« « Les anciens Enclos du père. »>>
24. (íNiördur, dans Enclos-de-Nôi , eut, depuis, deux enfants; le
« fils fut nommé Frey (Maître), et la fille Freyia (Maîtresse); tous
« les deux étaient beaux de visage et puissants. Frey est le plus illus-
« tre des Ases ; il préside à la pluie , et aux effets du soleil, et , avec
«cela, à la production de la terre; et il est bon de lui adresser des
KM) LA FASCINATION DE (iVLFI.
« vœux pour la moisson et pour la paix. Il préside encore à la fortune
c( nf)obiliaire des hommes. Freyia est aussi la plus respectée des Amies-
« des-Ases. Elle a , au ciel , la Résidence nommée Champs-d'Assem-
ahlée (norr. Fôlkvangar)-, et, aussi souvent qu'elle chevauche au
«combat, elle obtient la moitié des occis, et Odinn l'autre moitié,
<i comme il est dit ici :
«« Champ-d'Assemblée est-il nommé ; et là Freyia préside
««Aux choix des sièges dans la Salle;
«« Chaque jour elle choisit la moitié des occis ;
««L'autre moitié est à Odinn.»»
«Sa demeure est nomméeContieni-les-Siéges (norr. Sessrymnir);
«elle est grande et belle. Quand elle sort, elle est traînée par deux
«chats, et elle est assise dans un char. C'est à elle qu'il convient le
« mieux aux hommes d'adresser leurs vœux. De son nom provient
«aussi le nom honorifique par lequel les femmes de qualité sont
« appelés Freyias (Dames , Maîtresses). Elle aimait beaucoup les
« chants d'amour; il est bon de lui adresser les vœux pour les incli-
« nations. » (34)
25. Alors Piétonneur dit :
« Ces Ases^ ils me semblent grands par eux-mêmes ; et il n'est pas
«étonnant qu'une grande force vous accompagne, vous qui connais-
«sez naturellement le caractère des Dieux, et savez quelle prière il
« faut adresser à chacun d'eux. Mais y a-t-il encore d'autres Dieux?»
Sublme répond :
«11 y a encore VAse qui est nommé Tyr (Brillant); il est le plus
« hardi et le plus courageux : aussi préside-t-il souvent à la victoire.
« dans les guerres ; les hommes vaillants font bien de lui adresser
«leurs vœux. Il est d'usage de dire que tel est vaillant comme
« Tyr (norr. Ty-hraustr) , quand il surpasse les autres hommes et
«qu'il ne s'épouvante de rien. Il était encore intelligent, de sorte
«qu'on dit de celui qui est intelligent, qu'il est sage comme Tyr
« (norr. Ty-spakr). Voici seulement une preuve de sa hardiesse. —
« Lorsque les Ases cajolèrent le Loup de Fenrir pour lui attacher le lien
« Gleipnir (Étranglant) , celui-ci ne voulait leur croire qu'ils le relâ-
« cheraient, jusqu'à ce qu'ils eussent mis , comme gage, la main de
« fýj' , dans sa gueule : et lorsque les Ases ne voulurent plus le relâ-
«cher, celui-là lui coupa, avec ses dents, la main à l'endroit qu'on
freyia; tyr; bragi; idunn; heimdall. iOl
rappelle maintenant le Joini-du-Loup (norr. Ulflidr). Aussi est-il
«manchot; et il n'est nullement appelé le Pacificateur des hommes
a (norr. Sœtlir manna). »
26. « Un autre est nommé Braffi (Parler) ; il est distingué par son
«intelligence et principalement par la volubilité de son élocution et
«sa facilité de s'exprimer; il s'entend le mieux en poésie; aussi,
«d'après lui , la Poésie est-elle appelée Bragur (Parole); et, d'après
«son nom , la personne, homme ou femme, qui surpasse les autres
«en facilité d'élocution, est appelée Parole (norr. Bragur) des
« hommes ou des femmes. Son épouse est Idunn (Aime-l' Activité) ;
« elle garde , dans son écrin, les pommes dans lesquelles les Dieux
«doivent mordre, quand ils vieillissent, pour redevenir, ainsi, tous
«jeunes: et ainsi il arrivera jusqu'au Crépuscule -des -Grandeurs
« (norr. Bagna-rockur). »
Alors Piétonneur dit :
«Très-important est, ce me semble, ce que les Dieux confient à
«la garde et à la fidélité à' Idunn. y>
Alors Sublime dit en souriant :
« Une fois il serait presque arrivé un malheur ; je saurais te le ra-
« conter , mais tu dois maintenant d'abord apprendre les noms des
« autres Ases. (32)
27. Il y en a un , nommé Heimdall (Arbre du Séjour) ; il est appelé
« VAse Blanc; il est grand et saint; neuf vierges, toutes des sœurs,
«l'ont mis au monde comme leur fils. Il se nomme aussi Halliti-
« skidi (Bois-Retors) et Dent-d' Or {norr. Giillintanni)\ ses dentsétaient
« d'or. Son cheval est nommé Qxieue-d^Or (norr. Gulltoppr). Il de-
« meure à l'Endroit nommé Boches- Célestes (norr. Hin\inbiörg)^ près
« de Bífröst (Voie-Temblotante). Il est le Gardien des Dieux : aussi
« est-il assis-là, à l'extrémité du ciel, pour garder le Pont contre les
« Géants des Montagnes (norr. Bergrisar). Il lui faut moins de som-
« meil qu'à un oiseau ; il voit, également, de nuit comme de jour, à
«une distance de cent milles; il entend aussi croître l'herbe sur la
« terre, et la laine sur les brebis , et tout ce qui bruit plus fort. Il a
« la Trompe qui est nommée Corne-de-Gioll (norr. Giallar-horn) ; et
«s'il y souffle, on l'entend dans tous les Séjours. Voici ce qui est
« dit ici :
««C'est nommé Roches-Célestes; et là Heimdall
«« Préside , dit-on , aux Sanctuaires ;
102 LA FASCINATION DE GULFI.
««flLà , dans ce beau Couvert, le Gardien des Dieux boit,
((c( Gaîment, l'excellent hydromel. »»
« Et Lui-même dit encore dans V Enchantement-de-Heimdall :
«« De neuf mères je suis le garçon ,
c(c( De neuf sœurs je suis le fils , etc. »»
28. (íHödur (Combat) est le nom d'un autre Ase; il est aveugle, et
« il est passablement fort : mais les Dieux voudraient n'avoir pas
(( besoin de nommer cet Ase , puisque l'œuvre de sa main restera
« longtemps dans la mémoire des Dieux et des hommes. »
29. « Fiííör (Auguste duLarge) estle nom d'un autre ; c'est Z'^sg Taci-
« turne : il a le Soulier Épais. Il est presque aussi fort que Thôr ; en
a lui les Dieux trouvent un puissant recours dans tous les dangers. »
30. iiAli ou Vali (Effrayant) est le nom d'un autre; c'est le fils
« d'Odinn et de Rindur (Jaillissante); il est hardi dans les guerres, et
<L très-habile tireur. »
31. « Ullr (Éclat) est le nom d'un autre; c'est le fils de Sif (Pa-
c( rente) et le beau-fils de Thôr ; il est si bon archer et coureur sur
c( barres , que personne ne peut lutter avec lui. Il est beau de visage;
« et il a les manières d'un homme d'armes ; il est bon de lui adres-
c( ser des vœux dans le combat singulier. »
32. (iProposant (norr. Forseti) est le nom du fils de Baldur et de Nanna
(( (Vigoureuse), fille de Nep (Saillie). Il possède, au ciel, la Salle nommée
<nEtincelante(norr.Glitmr); et tous ceux qui viennent, chez lui, pour
c( des litiges difficiles, s'en retournent tous réconciliés : c'est le meil-
« leur Tribunal chez les Dieux et chez les hommes , ainsi qu'il est
« dit ici :
((« Cette Salle est nommée Étincelante ; elle est étayée d'or,
«((Et couverte également d'argent;
((((Et là Proposant réside la plupart des jours
((((Et assoupit tous les litiges.»» (33)
33. « On compte aussi parmi les Ases celui que quelques-uns ap-
« pellentle Détracteur des Ases, et le Conseiller de Perfidies, et leDéshon-
(( neur de Tous, Dieux et hommes. C'est le nommé Loki (Clôtureur), ou
(( Loptur {kérïen) , fils áeViotneFarbauti{Buie\oysí§e); sa mère est
<( Lauf-ey (Ile de Feuillage), ou Nâl (Aiguille) ; ses frères sont Byleistr
«(Pousse Grain) et Hel-blindi(ïvh^-^omhve). //OÂ;iestagréableetbeau
« de forme, méchant de caractère, et très-variable dans sa conduite ; il
hödur; vidar; vali; ullr; forseti; loki; hel. 103
ii avait, plus quepersonne, cette intelligence qu'on nommeastudfe, et des
« ruses pour toutes choses. Il entraînait toujours les-4sesdans des diffi-
« cultes complètes ; souvent aussi il les en a tirés par des moyens de
«ruse. Sa femme se nomme Sigyn (Aime -Chute), leur fils, Ndri
« (Crépusculaire) ou Narvi.
34. (fLoki avait encore plusieurs autres enfants. Angur-bodi
a (Signal d'Angoisse) était le nom d'une Géante dans Séjour-des-Iotnes
«(norr. lotunheimr); avec elle, Loki a eu trois enfants: l'un était
c( Loup de Fenrir ; l'autre lormungand (Charmeur-Solaire) , c'est le
c( Serpent de V Enclos-Mitoyen (norr. Midgardr) ; le troisième est Hel
<i (Mort). Lorsque les Dieux s'aperçurent que ces trois, les frères et la
c( sœur, étaient élevés dans les Séjours-des-Iotnes, et quand les Dieux
c( se rappelèrent les prédictions, d'après lesquelles un grand dommage
« et malheur proviendraient de ces frères et sœur , et que tous crurent
«devoir s'attendre, dans eux, à beaucoup de méchanceté, d'abord
« du côté de leur mère, et plus encore de celui de leur père, alors
« Père- Universel y envoya les Dieux pour enlever ces enfants et les
«amener devant lui. Et quand ceux-ci furent venus chez lui, il
«jeta le Serpent dans la Mer profonde qui entoure tous les conti-
«nents; et ce Serpent grandit tellement, que, gisant au milieu de la
« Haute Mer, il entoure tous les continents , et qu'il se mord la queue.
«Il jeta Hel (Mort) dans le Séjour- Brumeux (norr. Niflheim), et lui
« donna l'empire sur le neuvième Séjour, afin qu'elle distribuât tous
« les logis entre ceux qui lui seraient envoyés , à savoir les hommes
« morts de maladie ou morts de vieillesse. Là elle possède de grands
« Manoirs; et ses Enceintes sont prodigieusement hautes et les Grilles
«élevées; sa Salle est nommée Espace-de- Tempêtes (norr. Elitidnir) ,
« sonÉcueWe, Faim (norr. Hungr), son Couteau, Inamtion{norr.Sultr),
« son SerÎ, Marche- Lent (norr. Ganglati), sa Serve, Marche-Lente (norr,
« Gang-lot), sa Grille, Calamiié-Tombante(norr. Fallanda-forat) , son
« Seuil, Fati g ant-de- Souffrance (norr. Thol-modnir) , sa Couche, Gra-
« bat-de-Malade (norr. Kör), son Rideau, Mal- Perçant {norr. Blikianda-
« bol). Elle est à moitié bleue et à moitié couleur de chair; par là , elle
«est reconnaissable; et elle a le visage fort décharné et sinistre. (34)
« Les Ases élevèrent le Loup chez eux, et Tyr seul avait la hardiesse
« d'aller auprès du Loup pour lui donner à manger. Mais lorsque les
« Dieux virent combien il grandissait chaque jour , et que les oracles
« énoncèrent qu'il était destiné à leur nuire , les Ases prirent alors
104 LA FASCINATION DE GULFI,
<i le pari de faire un lien très-fort qu'ils appelaient insinuant (norr.
« Lœthingr) ; et ils le portèrent au Loup et l'invitèrent à essayer sa
« force contre ce lien. Celui-ci ne paraissait pas excessivement fort
c( au Loup ; et il les laissa donc faire avec lui comme ils le voulaient.
« La première fois que le Loup se piéta, le Lien se brisa ; et il se dé-
« gagea ainsi de Y Insinuant. Après cela les Ases firent un autre lien^
« d'une force double , qu'ils appelèrent Seirant (norr. Drômi) , et ils
« invitèrent encore le Loup à essayer ce lien ; et ils lui dirent qu'il
c( deviendra célèbre par sa force , si un semblable ouvrage extraor-
« dinaire ne pourra le retenir. Le Loup , de son côté , prit en con-
« sidération que ce lien était très-fort, mais, en même temps, que,
«depuis qu'il avait brisé Insinuant, sa force avait augmenté. Il lui
« vint dans la pensée qu'il était obligé de s'exposer au danger , s'il
«voulait devenir célèbre , et il se laissa attacher le lien. Et lorsque
« les Ases dirent qu'ils avaient fini , le Loup s'agita , se piéta , et fit
« tomber à terre le lien brisé , au point que les débris en furent lancés
«au loin. C'est ainsi qu'il s'arracha au Serrant, Il est d'usage, de-
« puis, de dire : se dégager de V Insinuant, ou s'arracher au Serrant ,
« quand, pour une chose, on s'efforce ardemment. Après cela , les
a Ases craignirent qu'ils ne parvinssent plus à enchaîner le Loup.
« Père-Universel envoya alors le varlet qui est nommé Skirnir (Eclair-
«cit), le Messager de Freij , au Séjour- des -Alfes- Noirs ^ chez cer-
« tains Dvergs, et fit faire le Lien qui est nommé Etranglant (norr.
« Gleipnir). Celui-ci était fait de six choses : de bruit de pas de chat,
«de barbe de femme, de racines de montagnes, de tendons d'ours,
« d'haleine de poisson , et de salive d'oiseau; et, bien que tu n'aies
«pas connu, antérieurement, ces détails, tu vas bientôt trouver ici
« la preuve certaine qu'on ne t'a pas fait de mensonges : tu peux bien
«avoir remarqué que la femme n'a pas de barbe, et qu'il ne résulte
« pas de bruit du trot d'un chat , et qu'il n'y a pas de racines sous
« les montagnes ; mais je sais , ma foi ! que tout ce que je t'ai dit n'en
« est pas moins vrai , bien qu'il y en ait des choses que tu ne puisses
« pas expérimenter. »
Alors Piétonneur dit :
«Je pourrai me convaincre pleinement que cela est vrai, quand
« je verrai les résultats que tu viens d'invoquer comme preuve : mais
«ce Lien, ainsi confectionné, comment devint-il?»
Sublime répond :
LES ASES ENCHAINENT LE LOUP DE FENRIR. i05
« C'est ce que je puis bien te dire ; ce Lien devint lisse et souple
« comme un lacet de soie, et si solide et fort comme tu vas mainte-
« nant l'apprendre. Quand le Lien fut apporté aux Ases , ils remer-
«cièrent beaucoup le Messager de -sa commission. Ensuite les Ases
«se rendirent sur le Lac nommé Amsvartnir (Noirci de Peine), dans
« un îlot qui est appelé Bruyère (norr. Lyngvi) ; et ils appelèrent à
« eux le Loup , lui montrèrent le lacet de soie et l'invitèrent à le
« rompre; et ils dirent qu'il était un peu plus solide qu'il n'en avait
(( l'air, à en juger d'après l'épaisseur ; et chacun le passa à l'autre et y
(( éprouva la force de ses mains , et il ne fut pas rompu : néanmoins
a. ils dirent que le Loup le romprait. Alors le Loup répond :
«« Il me semble, à voir ce filet, que je ne pourrai pas acquérir
«€de la gloire en rompant un lacet aussi mince : mais, s'il est fait
«(c avec artifice et avec perfidie , bien que cela n'y paraisse guère , ce
«((lacet ne touchera pas à mes pieds. »))
((Alors les Ases dirent quïl pourrait facilement rompre ce mince
(( lacet de soie , lui qui avait auparavant brisé de grandes chaînes de
(( fer, et ((« si tu ne parviens pas à rompre ce lacet, alors tu ne saurais
((((être redoutable aux Dieux, et, par conséquent , nous pourrons
(((( alors te relâcher.»»
(( Le Loup répond :
((« Si vous me liiez de manière que je ne parvinsse plus à me dé-
((« livrer moi-même, vous vous ririez de moi, de sorte que j'aurais
((((à attendre longtemps que vous me vinssiez en aide. Je n'ai donc
((«aucune envie de me laisser attacher ce Lien. Mais pour que vous
««ne doutiez pas de mon courage , que l'un de vous mette sa main
«« dans ma gueule, pour garantie que ce Lien est fait sans perfidie. »»
« Mais chacun des Ases regarda l'autre , et il leur semblait qu'il y
« avait maintenant double embarras ; nul ne voulait sacrifier sa main.
« Enfin Tyr étendit sa main droite et la mit dans la gueule du Loup.
«Quand le Loup se piéta , le Lien se raidit; et plus il faisait des ef-
« forts pour le rompre, plus le Lien se serrait. Alors tous se mirent à
«rire, excepté Tyr, qui y laissa sa main. Quand les Ases virent que
« le Loup était parfaitement lié , ils prirent la Corde nommée Pati-
<ibulaire (norr. Gelgia), qui était attachée au Lien, et ils la passèrent
« à travers une grande Roche nommée Bruyante (norr. GiÖU) , et
«fixèrent cette Roche profondément dans la terre; puis ils prirent
« une énorme Pierre , nommée Traverse (norr. ThvUi) , qu'ils enfon-
106 LA FASCINATION DE GULFI.
« çèrent encore plus avant dans la terre , et ils employèrent celte
« pierre en guise de croc d'attache. Le Loup ouvrit violemment la
« gueule , se démena beaucoup, et voulut les mordre. Ils lui lancèrent
(( un glaive dans la bouche; la poignée se fixa dans le palais inférieur,
«et la pointe à stylet dans le palais supérieur; c'est là son Dilata-
c( teur de palais (norr. gôm-sparri). Il hurle effroyablement, et la sa-
c( live lui coule de la bouche : c'est là la Rivière qu'on nomme Regret
« (norr. Von). Là, il restera jusqu'au Crépuscule-des-Grandeurs. »
Alors Piétonneur dit :
<(.Loki a engendré des enfants prodigieusement méchants; et tous,
«ces frères et sœur, sont puissants de leur nature; mais pourquoi
« les Ases n'ont-ils pas tué le Loup duquel ils ne s'attendaient qu'à
« du mal ? »
Sublime répond :
« Les Dieux respectaient tant leurs Sanctuaires et leurs Asyles ,
« qu'ils ne voulaient pas les souiller du sang de ce Loup , bien que
« les visions annonçassent qu'il donnerait la mort à Odinn. » (35)
35. Alors Piétonneur dit :
«Quelles sont les Amies-des-Ases?y>
Sublime répond :
aFrigg (Pluie) est la première; elle possède la Résidence qui est
« nommée Salles d'Écume (norr. Fensalir) et qui est très-splendide. »
« La seconde est Tradition (norr. Saga) : elle réside à Sockvabeck,
« (Banc de Submergé), qui est aussi un endroit remarquable. »
« La troisième est Cure (norr. Eir) ; elle est le meilleur Médecin. »
« La quatrième est Geftun (Aime-l'Abîme) ; elle est vierge , et celles
« qui meurent vierges la servent.
«La cinquième est Abonde (norr. Fulla)\ elle aussi est vierge, et
« a les cheveux flottants et un bandeau doré autour de la tête. Elle
« porte l'écrin de Frigg , et a soin de la chaussure de celle-ci ; et elle
« est initiée à ses conseils secrets.
nFreyia (Maîtresse) est, avec Frigg , la plus distinguée; elle fut
« mariée à l'homme nommé Odr (Impétueux) ; leur fille est nommée
n Joyau (norr. Hnoss); celle-ci est si belle que, d'après son nom,
« on appelle joyau ce qui est beau et précieux. Odr partit pour de
«longs voyages, et Freyia pleure après lui; et ses larmes sont de
« For rouge.
« Freyia a plusieurs noms , et la raison en est qu'elle s'est donné
LES TREIZE ASYNIES ; SÔL ; BIL. 407
«différents noms, quand elle a voyagé chez des peuples inconnus,
« pour chercher Odr: elle est nommée Mar-dÖll (Pin-de-Mer), Höm
(((Pluie), Gefn (Abîme), Syr (Truie).
« Freyia possédait le Bijou des issus de Brisi (norr. Brisingc^men);
(( elle est aussi appelée Déesse Vane. » (36)
La septième est Affection (norr. Siofn) ; elle s'efforce beaucoup à
« tourner les pensées des humains vers l'amour pour la femme ou
«pour l'homme: d'après son nom, l'amant est appelé X Affectionné
« (norr. Siafni).
« La huitième est Permission (norr. Lofn) ; elle est si bénigne et
« si favorable aux vœux qu'on lui adresse , qu'elle obtient de Père-
<i Universel et de Frigg, la permission (norr. leyfi) pour la réunion
((de l'homme et de la femme, bien que celle-ci ait été antérieure-
« ment défendue ou empêchée : c'est pourquoi son nom désigne aussi
(( V amour (norr. /o/), et ce qui est très-/ott^ (norr. lofât) des hommes.»
((La neuvième est Assurance (norr. Vor); elle écoute les serments
«des humains et les promesses que se font entre eux, femmes et
« hommes : aussi ces promesses sont-elles nommées assurances (norr.
(Lvarar). Elle se venge aussi sur ceux qui se dédisent. Assurance est
« instruite et enquérante, au point qu'on ne peut rien lui cacher; il
« est usité de dire d'une femme qu'elle est assurée (norr. vor) d'une
«chose, quand elle en est instruite.
«La dixième est Dénégation (norr. Syn~)\ elle garde les portes de
« la Halle et les ferme à ceux qui ne doivent pas entrer. Elle est
« aussi employée , dans l'assemblée judiciaire, pour la défense contre
« les accusations dont elle conteste la vérité ; de là il est d'usage de
« dire qu'on oppose une dénégation (norr. syn) , quand on nie.
«La onzième esi Protection (norr. Hlin); elle est chargée de veiller
« sur les hommes que Frigg veut préserver de quelque danger; de là
« l'usage de dire être protégé (norr. hleinir) , pour être préservé.
« La douzième est Elégante (norr. Snotra) ; elle est instruite et
«polie; et, d'après son nom, on appelle Élégant (norr. Snotr) tout
« individu , femme ou homme , qui sait les convenances.
« La treizième est Planeuse (norr. Gnâ) ; Frigg l'envoie dans les
« différents Séjours , pour ses commissions. Elle possède le cheval
« qui traverse l'air et la mer et qui est nommé Lance-Sabot (norr.
a Hôfvarpnir). Une fois, qu'elle chevaucha, il arriva que quelques
« Vanes la virent chevaucher dans l'air; alors un d'eux dit :
108 LA FASCINATION DE GULFI.
«((Qui est-ce qui vole là? qui est-ce qui s'avance là,
«« Et passe dans l'air?»»
« Elle répond : »
((«Je ne vole pas, bien que j'avance et que
<(((Je passe dans l'air,
((«Sur Lance-Sabot, que Eamsker^ïr (Gerce- Peau)
«« A engendré avec Gardrôfa {Brise-Enclos). »»
« D'après le nom de Flâneuse^ on dit qu'une chose plane (norr.
agnœfi) quand elle se meut dans l'air. (37)
« SOI et BU sont aussi comptées parmi les Amies-des-Ases et on a
«parlé ci-dessus de ce qui leur est propre. »
36. « Il y a encore les Femmes chargées de servir dans la Halle-
iides-Occis (norr. Valholl)^ de présenter à boire, et de soigner les
« ustensiles de table et les accessoires du festin. Voici comme elles
« sont nommées dans les Dits de Grimnir :
«« Je veux que Hrist (Secousse) eiMist (Brume) me présententla corne,
««Ainsi que Skeggiold (Manie-h-Rache) etSkogul (Hérissée);
«« Hildur (Lutte), Thrudur (Force), Hlock (Chaîne), Herfiotur (Lien de
troupe),
«« Göll (Perte) et Geirahod (Lutte aux Framées),
«« Bandgrid (Fureur d'Écus), Badgrid (Fureur Résolue) et Beginleif
(Targe des Dieux),
««Ce sont elles qui présentent l'ail aux Troupiers-Uniques,»»
«Elles sont nommées Choisit-les-Occis (norr. Valkyriur): Odinn
«les envoie à chaque combat; elles choisissent les hommes destinés
« à mourir et président à la victoire, úuerre (norr. Gudr) et Alarme
«(norr. Bota), et la plus jeune des Nomes, nommée Future (norr.
« Skulld), chevauchent, continuellement, pour choisir les Occis, 'et
« elles président à la bataille.
« Terre (norr. lord) , la mère de Thôr (Tonnerre) , et Bindur (Jail-
« lissante), mère de Fö/i (Effrayant) , sont comptées parmi les y4mi>s-
<ides-Ases.y) (38)
37. « Un homme se nommait Gymir, et sa femme Örboda qui était
« de la race des Géants-des-Montagnes : Gerdur est leur fille , qui
« est la plus belle de toutes les femmes. Il est arrivé un jour que Frey
« est allé dans HUdskialf (Chaumine-aux-Porles) et a parcouru, du
« regard , tous les Stijours : et lorsqu'il regarda dans la Région du
LES VALKYRIES; FREY ET GERDI R ; RELI. 109
<!( Nord , il vit dans un enclos une grande et belle maison ; et vers
« cette maison se dirigeait unefemme.; et lorsqu'elle leva ses mains
« et ouvrit la porte devant elle , ses mains jetèrent de l'éclat dans
«l'air et sur l'eau, et tous les Séjours furent éclairés par elle.
«Aussi il fut tellement puni de sa grande présomption de s'être
«assis sur ce siège sacré, que, plein de chagrin, il se retira. Et
«lorsqu'il rentra chez lui, il ne parla à personne; il ne dormait
« plus , il ne buvait plus ; personne non plus n'osait l'engager à s'ex-
« pliquer. Alors Niordur fit appeler auprès de lui Eclaircit (norr.
« Skirnir), le valet de chaussure de Frey, et le pria d'aller chez Frey,
« de l'engager à s'expliquer, et de lui demander contre qui il était
« tellement courroucé qu'il ne parlait plus à personne. Eclaircit dé-
«clara qu'il irait, encore que ce fût contre son gré; et il dit qu'il
« s'attendait, de lui , à une réponse désagréable. Lorsqu'il vint chez
« Frey^ il lui demanda pourquoi Frey était si abattu et ne parlait
« plus à personne. Alors Frey lui répondit et dit qu'il avait vu une
« belle femme , et qu'à cause d'elle il était si plein de chagrin qu'il
«ne vivra plus longtemps s'il ne la pourra pas obtenir, et, «« main-
«« tenant tu dois partir et demander pour moi sa main , et l'amener
««ici au logis, que son père veuille ou non; et je te récompenserai
««bien pour cela. »»
«Alors Eclaircit répondit, déclarant qu'il partirait pour ce mes-
«sage , mais que Frey devait lui donner son épée. Cette épée était si
« bonne qu'elle se brandissait d'elle-même ; cependaiH Frey voulut
« agir largement, et il lui donna cette épée. Alors Eclaircit partit; et
« il demanda, pour l'autre, cette femme; et il obtint d'elle le consen-
« tement ; et après neuf nuits elle voulait se rendre à l'Endroit nommé
« lle-de-Feuillage (norr. Barr-ey), et aller alors aux finançailles avec
« Frey. Lorsque Eclaircit annonça à Frey son message , celui-ci ré-
« cita ceci :
«« Une nuit est longue ; elle est longue la deuxième ;
«« Comment supporterai-je de languir pendant trois? ; *
«« Souvent un mois m'a semblé plus court
«Í. Que la moitié d'une telle nuit d'union.»»
«Voilà la raison pourquoi Frey s'est trouvé tellement sans armes,
« lorsqu'il combattit contre Beli (Beugleur), et qu'il le frappa à mort
« avec une corne de cerf. »
Alors Piétonneur dit :
110 LA FASCINATION DE GULFI.
c( C'est bien étonnant qu'un chef pareil, comme l'est Frey^ ait con-
« senti à donner son épée , sans qu'il en eût une autre également
«bonne. Cela devint pour lui un immense désavantage, lorsqu'il
«combattit contre le nommé Beli; et je crois, ma foi!, qu'alors il
« s'est repenti d'avoir fait ce don. »
Alors Sublime répond :
« Ce fut de peu d'importance , alors que lui et Beli se rencontrè-
« rent : Frey pouvait le frapper à mort avec sa main. Mais il arrivera
«que Frey se trouvera dans une plus mauvaise rencontre, quand
«cette épée lui manque, lorsque les Fils de Muspell s'avanceront
« pour faire l'irruption. » (39)
38. Alors Piétonneur dit :
« Tu prétends que tous les hommes qui sont tombés à la guerre ,
« depuis le commencement du monde, se trouvent maintenant chez
« Odinn , dans la Halle-des-Occis (norr. Valhöll) : qu'a-t-il donc à
« leur donner pour leur subsistance ; je pense qu'il doit y avoir là
« une bien grande multitude d'hommes. »
Alors Sublime répond :
« Ce que tu dis est vrai ; il y a là une bien grande multitude d'hommes ;
« il y en aura encore une bien plus grande, et cependant elle paraîtra
« encore trop petite , lorsque le Loup s'avance. Mais jamais la foule
« n'est tellement grande, dans la Halle-des-Occis, que le lard du Ver-
«rat, nommé Sœhrimnir (Frimas de Mer), ne puisse plus leur suf-
« fire. Celui-ci est cuit chaque jour, et, le soir, il redevient entier.
« Cette question que tu m'adresses est telle qu'il me semble plus que
« probable qu'il n'y ait que peu d'hommes assez érudits pour savoir
« dire la vérité là-dessus. — Le Cuisinier est nommé And-hrimnir
« (Frimas d'Haleine), et la Marmite, Eld-hrimnir (Frimas de Suie) :
« c'est ce qui est dit ici :
««Dans Eldhrimnir, Andhrimnir fait
««Bouillir Sæhrimnir
««Le meilleur lard; cependant Peu le savent
««Avec quoi se nourrissent les Troupiers-Uniques.»»
Alors Piétonneur dit :
«Est-ce (\vl Odinn a le même ordinaire que les Troupiers- Uniques
« (norr. Ein-heriar) ? »
Sublime répond :
I
sæhrimnir; les loups et les corbeaux d'odinn. 111
« Le mets qui se trouve sur sa table, il le donne à ses deux Loups,
« qui sont nommés Avide (norr. Geri) et Effronté (norr. Frekï) ; lui, il
« n'a besoin d'aucun mets ; le vin lui est , à la fois , boisson et nom-
«riture; ainsi qu'on l'énonce ici :
««Avide et Effronté, il les rassasie, l'Habitué-à-la-Guerre ,
«« L'illustre Père-des-Combattants ;
««Et avec du vin seul, le Glorieux-des- Armes ,
«« Odinn , se soutient continuellement. »»
«Deux Corbeaux lui sont assis sur les épaules, et lui disent àl'o-
« reille tous les événements qu'ils voient ou qu'ils entendent : ils
« sont nommés /?^M^îwri (Penser) et Muninn (Désir.) «Il les envoie, à
«la pointe du jour, voler par le Monde entier; et, au repas du
«soir, ils reviennent; par là, il est instruit de beaucoup d'événe-
«ments ; et, pour cela, les hommes l'appellent Dieu-aux- Corbeaux
« (norr. Hrafna-gud). Voici ce qui est énoncé :
««Huginn et Muninn volent chaque jour
«« Par dessus la Plaine éclairée du Soleil;
««De Huginn, je crains qu'il ne revienne plus;
««Je l'appréhende encore plus de Muninn. »» (40)
39. Alors Piétonneur dit :
« Qu'est-ce que les Troupiers- Uniques ont à boire qui puisse leur
« suffire aussi abondamment que leur nourriture?; ou est-ce qu'on y
«boit de l'eau?»
Alors Sublime répond :
« C'est singulier ce que tu dis là , que Père Universel veuille inviter
« chez lui des Rois et des Comtes et d'autres hommes de Gouverne-
« ment, et qu'il songe à leur présenter de l'eau à boire! — Je sais,
«ma foi! que maint homme va à la Halle-des- Occis , qui, s'il n'y
« avait pas là de meilleure réception , croirait payer cher cette eau ,
« lui qui vient d'endurer les blessures et la fièvre qui ont amené sa
« mort ! — Je puis te donner là-dessus d'autres renseignements. La
«Chèvre qui est nommée Heidrûne (Compagne de Richesse), se tient
«dressée contre la Halle-des- Occis ^ et broute la pousse de l'Arbre
« tant renommé , qu'on appelle Lœrad (Illuminé); et, de ses trayons,
« coule l'Hydromel dont elle remplit chaque jour le Vase à anse, qui
«est si grand que tous les Troupiers- Uniques y trouvent de quoi
« boire à satiété. »
112 LA FASníNATION DE GULFT.
Alors Piétonnenr dit :
C'est pour eux une chèvre excessivement commode; et il doit être
« prodigieusement excellent l'Arbre dont elle broute. »
Alors Sublime dit :
«Il est encore d'une plus grande importance-, par rapport au Cerf
« Eïkthyrnir (Cornu de l'Arbre), qui se tient près de hHalle-des-Occis^
« et broute aux branches de cet arbre ; . et , de ses cornes , il se fait
«un si grand écoulement, qu'il se répand dans le Bassin-Bruyant
« (norr. Hvergelmir) ; et de là descendent les Eaux qui sont ainsi
« nommées : Sîd (Languissante), Vîd (Large), Sekin (Poursuivante),
«Mm (Attaquante), Svol (Froide), Gîm/i-ZArd (Belliqueuse) , FiÖrm
« (Chargée), /iim6íí/-/Aít/(Murmure-Étourdissant), G//?íí/ (Béante), GÖ-
apul (Pleine-d'abîmes), GOmii/ (Vieille) , Ger-vimul (Pleine-Confu-
« sion) ; celles-là coulent près des Habitations des Ases. Il y en a en-
« core d'autres , nommées : Thyn (Profonde), Vin (Désir), Thöll (Ra-
«mifiée), Holl (Déclive), Grâd (Avide), Gunn-thrâin (Belliqueuse),
aNyt (Violente), Nöt (Frémissante), Nonn (Vigoureuse), Hrönn
«•(Ondoyante), Fmö (Amie), Veg-svinn (Voyageuse), Thiôd-numa
« (Connue du Monde). » (-il)
40. « Alors Piétonnenr dit :
« Ce sont de merveilleuses nouvelles que tu me dis là ; ce doit être
« une maison immensément grande que cette Halle-des- Occis; il doit
« y avoir souvent presse aux portes ? »
Alors Sublime dit :
« Pourquoi ne demandes-tu pas combien il y a de portes à la Halle-
iides-Occis, et de quelle dimension?; quand tu l'auras appris, tu
« avoueras qu'il serait étonnant que l'on ne pût y entrer et en sortir,
« toutes les fois qu'on le veut ; il est encore vrai de dire qu'il n'y a
« pas plus de difficulté pour sortir que pour entrer. Voici ce que tu
« peux apprendre dans les Dits de Grimnir :
«Cinq centaines, plus environ quatre dizaines de portes,
«Tant, j'estime , se trouvent à la Halle-des-Occis ;
«Huit centaines de Troupiers-Uniques sortent, à la fois, par chaque porte,
«Lorsqu'ils vont combattre contre Présage.»
41. Alors Piétonnenr dit :
« Elle est très-grande la foule des hommes dans la Halle-des-Occis,
« de sorte que je suis également persuadé qu' Odinn est un très-grand
«Chef, puisqu'il gouverne une si grande armée; mais quel est donc
LES troupiers-uniques; l'iOTNE architecte ; SVADILFARI. 113
«le passe-temps des Troupiers- Uniques , quand ils ne sont pas oc-
« cupés à boire ? »
Sublime répond :
« Chaque jour, après qu'ils se sont habillés, ils s'arment et sortent
ddans la cour, et se battent et se renversent l'un l'autre; c'est là
«leur jeu. Et quand le temps du souper est venu, ils rentrent à
«cheval dans la Halle-des- Occis , et s'assoient au festin, ainsi qu'il
« est dit ici :
««Tous les Troupiers-Iniques^ dans les Enclos d'Odinn,
««Se battent chaque jour;
««Ils choisissent les victimes^ et quittent à cheval le combat;
««Et ensuite s'assoient réconciliés ensemble.
« Ce que tu as dit est encore vrai , Odinn est grand par lui-même ;
« on trouverait beaucoup de preuves de cela. Voici ce qui est énoncé
« dans les paroles des Àses eux-mêmes :
«Le Frêne d'Yggdrasill, c'est le premier parmi les arbres,
«Comme Skîdbladnir parmi les navires,
« Odin7i parmi les Ases , et Sleipnir parmi les chevaux ,
«Et Bifröst parmi les ponts,
«Et Bragi parmi les poètes, et Haute-Braie parmi les faucons,
«Et Garmur parmi les chiens. » (42)
42. Alors Piétonneur dit :
«A qui appartient l'étalon Sleipnir, et qu'y a-t-il à en dire?»
Sublime répond :
« Tu n'as donc pas de renseignements sur Sleipnir, et tu ne sais
«pas à quel accident il doit sa naissance'?; cela va te paraître digne
« d'être rapporté. — Tout de suite après le premier établissement
« des Dieux , quand les Dieux eurent élevé Y Enclos-Mitoyen (Mid-
«gardr) et construit h Halle-des-Occis (Valholl), il y vint un artisan
« et offrit de leur construire, dans l'espace de trois semestres , une
« forteresse si excellente qu'on y serait en sûreté, sans crainte devant
«les Géants des Montagnes {Bergvisair) et les TJmrses-Givreux (Hrim-
« thursar), même quand ils seraient déjà entrés dans V Enclos-Mitoyen;
« et il demanda, pour prix , qu'il serait mis en possession de Freyia;
« de plus, il voulait avoir le Soleil et la Lune. Là-dessus les Ases al-
« lèrent délibérer et se concerter sur la résolution à prendre ; et
« l'on conclut ce marché avec l'artisan, qu'il serait mis en possession
«de ce qu'il demandait, s'il parvenait à construire la forteresse dans
8
114 LA FASCINATION DE GULFI.
(( l'espace d'un hiver. Mais si , le premier jour d'été , il restait encore
« quelque chose à faire à la forteresse , il perdrait le prix. Il devait,
« pour cet ouvrage , ne recevoir le secours de personne. Quand ils
« lui annoncèrent ces conditions , il les pria de lui permettre d'avoir
« l'aide de son cheval , nommé Svadilfari (Vole-sur-Glace) ; et Loki
« (Clôtureur) fut cause que cela lui fut accordé. Il commença, dès
«le premier jour d'hiver, à construire la forteresse; et, pendant les
« nuits , il y transporta les pierres sur son cheval ; et cela parut
« très-étonnant aux Ases , que ce cheval pût porter de si grands ro-
« chers, et que le cheval fît deux fois plus de besogne que l'artisan.
(( Mais le marché entre eux avait été confirmé par des témoignages
« solides et par beaucoup de serments , parce que VIotne ne se serait
c( pas cru en sûreté auprès des Ases, s'il eût été sans garantie lorsque
« Thôr (Tonnerre) serait rentré. Celui-ci était alors allé dans la Ré-
c( gion d'Orient (norr. Austurvegr) combattre les démons (norr. troll).
(( Lorsque l'hiver tira à sa fin , la construction de la forteresse fut
« vivement poussée ; et celle-ci était déjà si haute et si solide , qu'on
c( ne pouvait pas l'attaquer. Et lorsqu'il n'y eut plus que trois jours
«jusqu'à l'été, le travail aux portes de la forteresse était déjà très-
« avancé. Alors les Dieux s'assirent sur leurs sièges de jugement et
« cherchèrent conseil ; et chacun demanda à l'autre qui avait conseillé •
«de marier Freyia dans \e Séjour-des-Iotnes , et d'endommager l'Air
« et le Ciel, de manière à en enlever le Soleil et la Lune, pour les
« donner aux lotnes ; et tous tombèrent d'accord que ce conseil a dû
« être donné par celui qui cause la plupart des malheurs , par Loki,
« le fils d' Ile-de-Feuillage (Laufey) ; et ils le déclarèrent digne d'une
« mort misérable , s'il ne trouvait pas moyen de faire perdre la ré-
« tribution à l'artisan , et ils menacèrent Loki de lui courir sus.
« Lorsqu'il fut intimidé, il fit le serment que, quoi qu'il lui en coûtât,
« il arrangerait la chose de manière que l'artisan perdrait la rétribu-
«tion. Et, le même soir, lorsque l'artisan sortit chercher des pierres
« avec son cheval Svadilfari, voici que, d'une forêt, accourt une jument
« vers le cheval et hennit vers lui. Quand l'étalon reconnut que c'é-
«tait une jument, il entra en rut, rompit le licou et courut vers la
«jument. Celle-ci rentra dans la forêt, et l'artisan courut après pour
«rattraper son cheval; et ces hennisseurs coururent toute la nuit,
t et la construction chôma cette nuit; et le lendemain , il ne se fit pas
«autant de travail comme cela s'était fait antérieurement. Et quand
sleipnir; skîdbladnir; naglfari. 115
« l'artisan vit que l'ouvrage ne serait pas achevé , il entra en rage
« d'Iotne ; et lorsque les Dieux reconnurent, pour certain , que c'était
a un Géant-des-Montagnes qui était venu chez eux , on n'eut aucun
<L égard aux serments , et ils nommèrent Thôr et aussitôt celui-ci arriva,
«et, de suite, le Marteau Meunier (Miôlnir) s'élança dans l'air. Ce-
«lui-ci lui paya la rétribution de l'ouvrage, mais non avec le soleil
« et la lune ; il lui refusa même d'habiter les Séjours-des-Ioines ; il
« le frappa d'un seul coup, qui lui brisa le crâne en petits morceaux, et
<.( l'envoya en bas , au-dessous de Hel-Brumeux (Niflhel). — Loki avait
« eu avec Svadilfari un tel rapprochement, que , quelque temps après,
«il mit bas un poulain; c'était un petit étalon, et il avait huit pieds;
« et c'est le meilleur cheval chez les Dieux et chez les hommes. Voici
« ce qui est dit dans la Vision de la Louve :
«« Alors les Grandeurs allèrent toutes sur les sièges originaires,
««Les Dieux très-saints encore sur ceci discutèrent:
««Qui avait porté la désolation dans l'air entier,
««Et, à la race de l'Iotne, fiancé la Vierge d'Odur.
«« Transgressés sont les serments , les promesses et les jurements,
«« Toutes les fortes assurances qu'on avait fait intervenir;
«« Thôr seul obtint cela , enflé de rage;
««Rarement il reste assis, quand il apprend pareille chose. »»
43. Alors Piétonneur dit :
« Qu'y a-t-il à raconter de Skîdbladnir ? puisque c'est le meilleur
«des navires; n'y a-t-il pas de navire aussi bon que lui ou aussi
« grand ? »
Sublime répond :
Skîdbladnir est le meilleur des navires et fait avec le plus d'art;
« mais le plus grand navire est Naglfari (Navire d'Ongles) , qui est
« dans Muspell (Gâte-Monde). Certains Z)ygr^s, fils d'/M/<f (Très- Actif),
« ont construit Skîdbladnir (Bois-Feuilleté), et ont donné ce navire à
« Frey. Il est si grand que tous les^sespeuvent s'y embarquer, avec leurs
« armes et l'appareil guerrier; et, aussitôt que la voile est hissée, il
« a le vent favorable pour aller où il doit ; et quand il ne faut pas
« aller avec lui sur mer , il est fait d'un si grand nombre de choses
« et avec un si grand art, qu'on peut le plier comme du drap et le
« porter dans sa poche. » (43)
110 LA FASCINATION DE GULFI.
44. Alors Piétonneur dit :
(( SMdbladnir est un excellent navire , et une magie très-puissante
<i a dû être employée pour parvenir à le faire ainsi. — Est-ce qu'il
(( n'est arrivé nulle part à Thôr (Tonnerre) de rencontrer quelque
« chose qui, de sa nature, fût tellement puissante et tellement forte
c( qu'il y reconnût la supériorité sur lui, par la force ou par la magie?»
Alors Sublime dit :
a Peu d'hommes , je présume , savent raconter de cela ; cependant
c( mainte chose lui a paru difficile à exécuter. Mais, bien qu'il sôit arrivé
« que certaines choses ont été tellement fortes ou tellement solides
« que Thôr n'en a pas pu remporter la victoire , il ne convient cepen-
« dant pas d'en parler, parce qu'il y a d'autres exemples qui prou-
ve vent, ce qui convient à tous de croire, que Thôr est le plus puissant. »
Alors Piétonneur dit :
« Il me semble que je vous ai interrogé sur une chose qu'il n'est
« pas permis de raconter. »
Alors Equi-Sublime dit :
((Nous avons entendu parler d'événements qui nous semblent trop
«incroyables pour pouvoir être vrais: mais ici, auprès, est assis
(( Celui qui doit savoir en raconter l'histoire véritable ; et tu dois le
(( croire , car il ne mentira pas, cette première fois , lui qui n'a jamais
(( menti antérieurement. »
Alors Piétonneur dit :
(( Je vais me tenir ici et écouter si j'obtiens quelque renseigne-
(( ments à ce sujet; mais, dans l'autre cas, je vous déclare vaincus
« si vous ne savez pas me raconter ce dont je m'^nquiers. »
Alors Troisième dit : *
«11 est évident que celui-ci veut savoir cette histoire, bien qu'il
« ne nous paraisse pas convenable de la raconter. — Cependant ' va
« maintenant écouter. —
«Le commencement de ce récit, c'est que Thôr-au-Char était en
« route avec ses Boucs et sa voiture ; et avec lui était VAse qui est
« appelé Loki. Vers le soir ils viennent chez un Manant , et obtiennent
«Ik le gîte de nuit. Puis, le soir, Thôr prit ses Boucs et les abattit
« tous les deux ; après cela ils furent écorchés et mis dans la marmite.
«Quand tout fut cuit, Thôr s'assit pour souper, ainsi que ses com-
«pagnons. Thô,r invita le Manant et sa femme et leurs enfants à
1. S'adressant à SubUme et à Equi-Sublime. — 2. S'adressant à Piétonneur.
THÔR ACQUIERT THIÂLFI ET RÖSKVA. 117
« partager ce repas avec lui : le fils du Manant se nommait Thiâlfi
<.( (Fouilleur) , et la fille Röskva (Alerte). Thôr alors mit les peaux des
« boucs à quelque distance du feu et dit que le Manant et ceux de sa
«maison devaient jeter les os sur ces peaux. Thidlfi, le fils du Ma-
rnant, tint l'os de la cuisse d'un des boucs et le perça avec le cou-
ce teau , et pénétra jusqu'à la moelle. Thôr passa là la nuit : et au
«crépuscule, avant le jour, il se leva et s'habilla; prit le Marteau
((.Meunier, le souleva en l'air et consacra les peaux des boucs. Aus-
(( sitôt les Boucs se levèrent ; mais l'un des deux se trouva être boi-
« teux à une jambe de derrière. Thôr s'en aperçut et déclara que le
« Manant ou quelqu'un de sa maison n'en aura pas usé avec précau-
« tion avec les os de ce bouc ; qu'il reconnaissait que l'os de la cuisse
«avait été brisé. Il n'est pas besoin de le dire longuement, tout le
« monde peut se figurer que le Manant a dû être effrayé, lorsqu'il vit
« Thôr baisser ses sourcils sur les yeux , et qu'il pensa , en voyant ses
«yeux, qu'il allait être foudroyé, rien que par son regard. Celui-ci
« serra si fortement, de ses mains, le manche du Marteau, que les nœuds
« des doigts en blanchirent. Le Manant , comme on pouvait s'y atten-
« dre, fit tant que tous ceux de sa maison se lamentèrent, demandèrent
«d'être épargnés et offrirent, comme indemnité, tout ce qu'ils pos-
« sédaient. Quand il vit leur frayeur, sa colère s'en alla, et il s'apaisa;
«et il prit d'eux, pour accommodement, leurs deux enfants, Thidlfi,
« et Röskva, qui devinrent dès lors les serviteurs-liges de Thôr; et,
« depuis, tous deux le suivent continuellement. »
45. « Il laissa ensuite ses Boucs en cet endroit, et dirigea son voyage
« vers l'Orient , vers les Séjours-des-lotnes et jusqu'à l'Océan. Il tra-
« versa alors la haute Mer ; et quand il arriva au bord , il remonta
«dans le Pays, et, avec lui, Loki et Thidlfi, et Röskva. Quand ils
«eurent marché une petite traite, il se trouva, devant eux, une
« grande forêt ; ils y marchèrent toute la journée , jusqu'à ce qu'il fit
« sombre. Thidlfi était , de tous les hommes, le plus infatigable mar-
« cheur ; il portait le sac de Thôr. Quant à trouver un logement , ce
« n'était pas facile. Lorsqu'il fit sombre , ils cherchèrent un gîte pour
« la nuit ; ils trouvèrent devant eux une baraque considérablement
« grande ; l'entrée en était à l'extrémité , et aussi large que la baraque
« elle-même : c'est là qu'ils cherchèrent à coucher , pour la nuit.
«Mais, au milieu de la nuit, il se fit un grand tremblement de terre;
« la terre fut ébranlée, sous eux, par des mouvements brusques, et
118 LA FASCINATION DE GULFÍ.
« la maison trembla. Thôr se leva alors et appela ses compagnons ;
« ils s'avancèrent à tâtons et trouvèrent une arrière-pièce à droite ,
«vers le milieu de la baraque, et ils y entrèrent. Thôr s'assit à la
«porte; les autres se tenaient, derrière lui, dans l'intérieur; ils
« étaient effrayés , et Thôr tenait le manche du Marteau et songeait
« à se défendre. Alors il entendirent un grand bruissement et fra-
ie cas. Quand la pointe du jour arriva, Thôr sortit : et il vit un homme
c( couché , tout près de lui , dans la forêt; et celui-ci n'était, certes,
« pas petit ; il dormait et ronflait solidement. Alors Thôr crut pou-
«voir s'expliquer le bruit qui s'était fait dans la nuit; il serra au-
«tour de lui sa Ceinture-de-force et sa Force d'Ase s'en accrut.
«En ce moment l'Homme se réveilla et se leva aussitôt: et on ra-
« conte que, cette fois-ci, 7%dr, ne se sentit pas le courage de le
« frapper avec le Marteau ; mais il lui demanda son nom , et celui-
«ci déclara se nommer ASA;rym/r (Brailleur), et, ««je n'ai pas besoin,
««dit-il, de te demander ton nom; je sais que tu es Thôr-des-
aaAses — mais pourquoi m'as-tu éloigné ma mouffïe?»». Skrymir
« étendit alors le bras et releva de terre sa mouffle ; Thôr vit alors
K que celle-ci lui avait servi de chambre pour la nuit , et que l'arrière-
« pièce était le pouce de la mouffïe. Skrymir demanda si Thôr vou-
« lait accepter sa compagnie en route , et Thôr dit qu'oui. Skrymir
« alors saisit et ouvrit son sac aux vivres et se disposa à prendre son
«déjeuner; et Thôr, à une autre place, fit de même avec ses com-
« pagnons. Skrymir proposa ensuite de mettre ensemble leurs provi-
« sions , et Thôr dit qu'oui. Alors Skrymir lia toute leur provende
«dans un sac et se le mit sur le dos. Il marcha ^ en avant, toute la
«journée, en faisant des pas passablement grands. Ensuite, vers le
« soir , Skrymir leur chercha un gîte , pour la nuit , sous un grand
« chêne. Skrymir dit alors à Thôr qu'il voulait se coucher pour dor-
«mir : ««vous! prenez le sac à provende et mettez-vous à souper.»»
« Après quoi Skrymir s'endormit et ronfla fortement. Thôr ensuite
«prit le sac à provende et voulut l'ouvrir; mais, il faut dire, quel-
•«que incroyable que cela paraisse, il ne parvint pas à délier un seul
« nœud , ni à desserrer seulement un bout du cordon , de manière
«qu'il fût moins serré qu'auparavant. Quand il vit que ses efforts
«étaient inutiles, il se fâcha; il saisit, des deux mains, le Marteau
« Meunier , avança d'un pas vers l'endroit où gisait Skrymir , et lui
« frappa sur la tète. Mais Skrymir se réveilla et demanda si quelque
skrymir; loki de l'enclos extérieur. 119
«feuille détachée lui serait tombée sur la tête, et s'ils avaient main-
« tenant fait leur repas, et seraient prêts à se coucher. Tliôr dit qu'ils
<i voulaient maintenant aller dormir. Ils allèrent alors sous un autre
«chêne; et il faut le dire , en vérité , qu'on n'osait pas alors dormir
<i sans crainte. Vers minuit , Thôr entendit Skrymir ronfler et dormir
a si profondément , que la forêt en retentit. Il se leva alors et alla
d vers lui, brandit le Marteau rapidement et fortement, et lui frappa
c( sur le sommet de la tête. Il s'aperçoit que le museau du Marteau
(.(s'était enfoncé profondément dans la tête. En ce moment, Skrymir
<i se réveilla et dit : «« Qu'y a-t-il donc? un gland me serait-il tombé
««sur la tête? qu'y a-t-il avec toi, Thôr?y>-h Mais Thôr avait reculé
«rapidement, et il répondit qu'il venait de se réveiller à l'instant;
« il dit qu'il était minuit et qu'il y avait encore du temps pour dor-
«mir. Thôr pensa alors que s'il trouvait, encore une fois , l'occasion
«de porter un troisième coup, cet homme-ci ne lèverait plus jamais
«ses yeux sur lui. Il se coucha donc, et attendit que Skymir fût
« profondément endormi. Un peu avant le crépuscule , il juge que
« Skrymir doit s'être endormi ; il se lève donc , court vers lui, bran-
« dit alors le Marteau de toute sa force , et le frappe sur la mandi-
«bule qui était tournée en haut. Le Marteau s'enfonce jusqu'au
« manche. Mais Skrymir se mit sur son séant, et passa la main sur la •
«joue et dit: «« Des oiseaux se seraient-ils perchés sur l'arbre, au-
*j.« dessus de moi? il me semble que , quand je me suis réveillé, de
«« la fiente m'était tombée des branches sur la tête. — Pourquoi es-tu
««éveillé, Thôr? — Il va être temps de se lever et de s'habiller! —
««Mais vous n'avez plus maintenant de long chemin d'ici au château
««qu'on appelle V Enclos-Extérieur . — Je vous ai entendu chuchot-
««ter, entre vous, que je n'étais pas un homme de petite taille;
««mais quand vous serez entrés à Y Enclos-Extérieur , vous y verrez
««des hommes plus grands encore. Je veux maintenant vous donner
«« un conseil salutaire : ne manifestez pas une trop haute opinion de
««vous-mêmes; les hommes de la suite de Loki de V Enclos-Exté-
«« rieur ne souffriraient pas des paroles audacieuses dans des varlets
««porte-queue comme vous. Si vous voulez faire autrement, re-
«« tournez-vous-en; c'est, selon moi, le parti qui serait pour vous
««le meilleur à prendre. Si cependant vous voulez continuer votre
««voyage, dirigez-vous vers l'Orient; moi, j'ai maintenant à faire
««route au Nord, vers ces montagnes que vous pouvez maintenant
120 LA FASCINATION DE GULFI.
(««apercevoir. »)) Skrymir prend le sac à provende , se le jette sur le
«dos, et il s'éloigne d'eux, à droite dans la forêt; et il n'est pas dit
« que les Ases lui aient alors souhaité de le revoir sain et sauf. »
46. « Thôr alla son chemin avec ses compagnons , et il marcha
«jusqu'à midi. Alors ils virent un château s'élevant dans une plaine,
«et il leur fallut renverser la nuque sur le dos pour atteindre du
« regard jusqu'en haut. Ils s'avancent vers le château. Devant la porte
« du château il y»avait une grille en bois qui était fermée. 7%dr alla
«à la grille et ne réussit pas à l'ouvrir; et comme ils voulaient de
« toute force entrer au château , ils se glissèrent entre les palis et
« entrèrent ainsi. Ils virent alors une grande halle et s'en approchè-
«rent; les portes étaient ouvertes; ils entrèrent et ils virent, sur
« deux bancs , beaucoup d'hommes , dont la plupart étaient passable-
« ment grands. Après cela , ils se présentèrent devant le roi Loki de
<iY Enclos-Exlérieur et le saluèrent. Mais celui-ci dirigea uégligem-
«ment son regard sur eux, et, souriant du bouL des dents, il dit:
«« C'est fastidieux de s'enquérir longuement de vos histoires. — En
««serait-il autrement que je ne pense, que ce petit valet serf est
«« Thôr-aU'Char ? — Serais-tu par hasard plus fort que tu n'en a
««l'air? — Et quel est le talent avec lequel, toi et tes compagnons,
««vous pensez pouvoir vous produire? Nul ne peut rester avec nous,
««qui ne possède quelque art ou quelque connaissance d'une ma-
««nière supérieure à la plupart des hommes.»» Alors le nommé
(.iLoki (Clôtureur), qui marchait le dernier, dit: ««Je possède un
«« art , et je suis prêt à en donner des preuves : c'est qu'il n'y a per-
«« sonne ici qui puisse manger sa portion plus vite que moi. »» Alors
« Loki de V Enclos-Extérieur répondit : ««Cela est un art, si tu l'exerces
«« effectivement ; et on va éprouver cet art. »» Il cria vers le banc que
«le nommé Feu (Logi) devait s'avancer dans .l'allée et se mesurer
«contre Loki. Alors une auge fut prise et portée dans l'allée de la
« halle et remplie de grosse viande. Loki s'assit à un bout et Feu à
« l'autre. Tous deux mangèrent le plus vite possible ; et ils se ren-
« contrèrent au milieu de l'auge. Loki avait mangé toute la viande
« sur les os ; mais Feu avait mangé toute la viande avec les os et de
«plus l'auge; et il semblait dès lors à tous que Loki avait perdu la
«partie.
«Alors Loki de V Enclos- Extérieur demande dans quel jeu excelle
«ce jeune homme-là. Thidlfi déclare qu'il pense s'éprouver à courir
THÔR CHEZ LOKI DE l'ENCLOS EXTÉRIEUR. 121
«une carrière quelconque avec tout homme que Loki de VEnclos-
ii extérieur choisirait pour cela. klovsLoki de Y Enclos-Extérieur dii y
(( que c'est un excellent art , et il s'écrie que s'il ose se produire dans
(( un tel art , il est à présumer qu'il soit personnellement bien exercé
c( à la vitesse. ««Néanmoins , dit-il , nous allons tout de suite éprouver
«« cela.»)) Alors Loki de ï Enclos-Extérieur se lève et sort; et il y avait
« là une carrière propre à la course , sur un terrain uni. Alors Loki
«de V Enclos-Extérieur appelle à lui un petit valet serf nommé Penser
«(Hugi), et lui dit de lutter, à la course, avec Thiâlfi. Ils entrer
« prennent donc la première course ; et Penser a une telle avance
«qu'à l'extrémité de la carrière, il parvient à s'en retourner à la
«rencontre de l'autre. Alors Loki de V Enclos-Extérieur dit: ««Il
««faudra que tu te mettes davantage en avant, Thiâlfi! si tu veux
««gagner la partie. Il est cependant vrai que personne encore n'est
««venu ici qui m'ait paru plus léger de jambe que toi.)))) Alors ils
« entreprennent une seconde course ; et quand Penser est arrivé à
«l'extrémité de la carrière, et qu'il s'en retourne, voilà qu'il y avait
«encore une portée de flèche jusqu'à Thiâlfi. Mots Loki de VEnclos-
a. Extérieur dit : ««Tous deux vous me semblez parcourir, bien la
««carrière ; mais je ne m'attends plus , de celui-ci , à ce qu'il gagne
««la partie; et cela devra se décider maintenant que vous ferez la
««troisième course.))» Alors ils entreprennent encore une fois la
«course; et quand Penser est arrivé à l'extrémitée de la carrière et
«s'en retourne, et que Thiâlfi n'a pas seulement parcouru la moitié
«de la carrière, alors tous disent que c'est décidé, quant à ce jeu.
« Alors Loki de V Enclos-Extérieur demande à Thôr quel est, parmi
«ses talents, celui qu'il voudra faire briller devant eux, conformé-
« ment aux grands récits que les hommes ont déjà faits de ses ac-
« lions d'éclat. Alors Thôr dit qu'il préfère se prendre à lutter avec
,«qui que ce soit, à qui boira le mieux. Loki de V Enclos-Extérieur
«dit que c'est bien; et il rentre dans la halle et appelle son garçon
« d'écuelle et lui commande d'aller prendre la Corne de Punition que
«les hommes de la garde ont coutume de vider. Bientôt après le
«garçon d'écuelle arriva avec la corne et la remit dans la main à
« Thôr. Alors Loki de r Enclos-Extérieur dit : ««On passe pour savoir
««bien boire dans cette corne, si on la vide d'uîi seul coup; quel-
«« ques-uns encore la vident seulement en deux traits ; mais nul n'est
««si mauvais buveur qu'il ne la vide en trois.»» Thôr regarde la
122 LA FASCINATION DE GULFI.
«corne; elle ne lui semble pas large, mais bien longue. Cependant,
«lui, il a beaucoup soif; il se met à boire , à bien grands traits; et
«il pense qu'il n'aura plus besoin, pour lors, d'incliner davantage
«la corne. Lorsqu'il n'en peut plus, qu'il a redressé la corne, et
«qu'il voit ce qui s'était en allé au trait , et qu'il lui semble qu'il n'y
« a qu'un tout petit soupçon que la corne soit moins pleine qu'au-
« paravant, alors Loki de V Enclos-Extérieur dit : ««Tu as bien bu ;
««mais cependant pas ce qu'on appelle fortement. Je ne l'aurais pas
«« cru, si on me l'avait dit, que Thôr-des-Ases ne boirait pas un plus
««grand coup. Cependant je sais que tu voudras vider au second
«« trait. ))» Thôr ne répond pas ; il porte la corne à la bouche et pense
«maintenant boire un plus grand coup ; et il s'efforce à boire autant
« qu'il lui est possible. Cependant il voit encore que la pointe de la
« corne ne s'élève pas autant qu'il le désire ; et quand il a éloigné la
« corne de la bouche , il lui semble qu'il y manque maintenant moins
« que la première fois : maintenant c'est tout au plus qu'on peut
« porter çà et là la corne sans répandre. Alors Loki de V Enclos-Ex-
ii térieur dit: ««Qu'ya-t-il, 7%dr? Tu ne voudras, certes, pasmain-
«« tenant refuser de prendre encore un coup en plus de ce que tu
««aurais envie? S'il t'arrive de vider maintenant la corne , au troi-
«« sième coup , il faudra bien , ce me semble , que celui-ci soit réel-
«« lement grand. Cependant jamais tu ne pourrais passer , chez nous,
««pour un homme fort, comme les Ases t'appellent, si, personnel-
«« lement, tu ne fais pas mieux dans d'autres jeux, que ce dont je
««te juge capable d'après celui-là.))» Alors Thôr entre en colère; il
«porte la corne à la bouche et y boit aussi fortement qu'il peut, et
« s'efforce à prendre un aussi long coup que possible. Cependant, lors-
« qu'il regarda dans la corne, une différence quelque peu plus sen-
«sible avait été obtenue cette fois-ci; et alors il rend la cqrne et ne
«veut pas boire davantage. Alors Loki de V Enclos-Extérieur dit: ««Il ,
«« est maintenant évident que ta force n'est pas aussi grande que
«« nous le pensions. — Veux-tu encore t'essayer dans d'autres jeux?
«« On a pu voir tout à l'heure que tu ne vaux rien dans celui-là. ))»
« 7%dr répondit : ««Je puis encore m'essayer dans d'autres jeux ;
««toutefois ça me paraîtrait étonnant si j'étais avec les Ases et que
«« de semblables ct)ups passassent pour tellement petits ! — Mais
««quel jeu voulez-vous maintenant me proposer? »)) Alors Loki do
« V Enclos-extérieur dit : «« Les jeunes varlels ici font ce qui paraîtra
THÔR CHEZ LOKI DE l'ENCLOS EXTÉRIEUR. 423
««peu de chose; ils soulèvent de terre mon chat. Aussi je ne pour-
««rais pas le gagner sur moi de proposer chose pareille à Thôr-des-
(iii Âses, si je n'avais pas vu tout à l'heure que tu es, personnelle-
««ment, beaucoup plus faible que je ne pensais.»» Bientôt après
ff accourut dans l'ailée de la halle un chat gris et fort grand. Thôr s'en
«approcha et lui mit la main sous le milieu du ventre, et la souleva.
« Mais le chat arrondit son dos à mesure que Thôr porta la main en
« haut ; et lorsque Thôr étendit son bras aussi haut et aussi long qu'il
«pouvait, le chat lâcha terre seulement d'une patte; et J^drnepar-
« vint pas à pousser plus loin ce jeu. Alors Loki de V Enclos-Exté-
« rieur dit : «« Ce jeu s'est passé comme je m'y attendais. L*e chat
«« est trop grand , et Thôr est court et petit auprès des gens de haute
««taille qui sont ici, chez nous.»» Alors Thôr dit: ««Quelque petit
««que vous me nommiez, que quelqu'un, qui que ce soit, s'avance
« « maintenant et se prenne à moi ! — maintenant je suis en colère !» »
« Alors Loki de V^nclos- Extérieur , répondant et regardant autour
« sur les bancs , dit : «« Je ne vois ici aucun homme qui ne jugeât un
«badinage de se prendre à toi.»» Ensuite il dit encore: ««Voyons
««d'abord, appelez-moi ici Vieillesse (Elli), ma nourrice âgée; que
«« Thôr lutte contre elle s'il veut; elle a renversé des hommes qui
««ne m'ont pas paru moins vigoureux que 7%dr.»» Bientôt après
« entra dans la halle une vieille femme courbée. Alors Loki de VEn-
<i clos-Exlérieur dit qu'elle devait se prendre à lutter avec Thôr-des-
iiAses. Inutile de faire un long récit; la lutte se passa de telle sorte
«que plus Thôr l'assaillit en luttant, plus elle tint ferme. Alors la
« vieille se prit à recourir à des supplantations , et aussitôt Thôr chan-
« cela sur ses pieds. 11 y eut encore des secousses très-rudes , et
« Thôr ne tarda pas à tomber à genou , d'une jambe. Alors Loki de
« V Enclos-Extérieur s'approcha pour les engager à cesser la lutte ,
« et il dit que Thôr n'aura pas besoin de proposer la lutte encqre à
« d'autres personnes dans sa halle. 11 commençait aussi alors à faire
« nuit. Loki de Y Enclos-Exténeur assigna leurs places à Thôr et à ses
« compagnons ; et ils passèrent la nuit , en ce lieu , en bonne hos-
« pitalité. »
47. «Le lendemain, dès le point du jour, Thôr se lève, ainsi que
«ses compagnons; ils s'habillent et sont prêts à s'en aller, quand
« Loki de y Enclos-Extérieur vint à eux et fit dresser une table pour
« eux. Il n'épargna rien au bon traitement , quant aux mets et à la
124 LA FASCINATION DE GULFI.
c( boisson. Lorsqu'ils ont pris le repas, ils se mettent en route. Loki
c( de V Enclos-Extérieur sort avec eux et les accompagne jusqu'au de-
<( hors du château ; et avant de se séparer d'eux , Loki de V Enclos-
c( Extérieur s'adresse à Thôr et lui demande comment il pense que
« son voyage a tourné , et s'il a jamais rencontré quelque homme
«plus puissant que lui. Thôr répond, qu'il ne saurait dire qu'il
(( n'ait pas gagné un grand déshonneur dans ses relations avec lui. »
««Aussi je sais encore que vous allez m'appeler un homme person-
««nellement faible; ce qui ne me réjouit aucunement.»» Alors Loki
«de V Enclos-Extérieur dit: ««Maintenant que tu as quitté le châ-
«« teaH, il faut te dire la vérité que, tant que je vivrai et que cela dé-
«« pendra de moi , tu n'y rentreras plus dorénavant. Et je sais, ma
«« foi ! que tu n'y serais jamais entré , si j'avais su que tu possèdes
««personnellement une telle force et que tu nous exposerais si près
««à un grand danger. J'ai aussi usé de prestiges contre toi, la pre-
««mière fois, lorsqjue je t'ai trouvé dans la forêt, .quand je suis venu
«« me rencontrer avec vous, et, ensuite, lorsque tu as voulu délier le
«« sac à provende. C'est que je l'avais noué avec une aiguillette de
««fer, et tu n'as pas trouvé à quel endroit il fallait l'ouvrir. Bientôt
««après tu m'as frappé avec le Marteau, de trois coups : le premier
««était le moindre, et cependant assez fort qu'il eût pu me tuer,
«« s'il m'avait atteint à la tête. Mais là où tu as vu , auprès de ma
««halle, la montagne de roches, et où tu as pu voir d'en haut dans
««trois vallées ou enfoncements carrés, dont un surtout Irès-pro-
««fond, c'étaient là des traces de ton Marteau. Avec cette montagne
««de roches j'ai paré à tes coups ; mais tu ne l'as pas remarqué. Il
««en a été de même pour les joutes dans lesquelles vous avez lutté
««contre les hommes de ma garde. Le commencement en fut fait
«« par Loki. 11 était très-affamé et il a mangé très-vite. Mais le nommé
«« Feu c'était le feu sauvage, et il a consumé en même temps l'auge
««et la grosse viande. Ensuite, lorsque Thidlfi a lutté à la course
««contre le nommé Penser, c'était mon penser, et Thià/fi n'était
««pas habitué à se mesurer avec lui en vitesse. Ensuite, lorsque tu
««as bu dans la corne et qu'il t'a semblé qu'elle se vidait lentement
««je sais , ma foi ! qu'il s'est fait un prodige que je n'aurais pas cru
««possible. Le fond de la corne était placé dans la haute mer, sans
««que tu l'aies remarqué. Mais maintenant que tu t'approches de
««l'Océan , tu pourras voir combien, en buvant, tu as enlevé à la
THÔR CHEZ LOKI DE l'ENCLOS EXTÉRIEUR, 125
«« mer: c'est ce qu'on appelle maintenant le reflux. ))» cdl dit ensuite
«encore :;» ««Je ne fais pas moins de cas de ce que tu as soulevé
«« le chat ; et pour te dire toute la vérité , tous se sont effrayés , lors-
«« qu'ils ont vu que tu as fait perdre terre à une patte. C'est que ce
««chat n'était pas ce qu'il te semblait être; c'était le iSerjomi de
^i<iV Enclos-Mitoyen^ qui entoure toutes les terres fermes; et cepen-
««dant sa longueur ne lui suffisait presque pas pour lui faire tou-
««cher la terre de sa tête et de sa queue ; et tu l'as soulevé si haut
««qu'il fut tout près du ciel. Ce fut encore un grand prodige que,
«« dans la lutte où tu t'es engagé avec' Vieillesse, tu aies pu tenir ferme
««aussi longtemps, et que tu ne sois tombé cfue sur un genou ; car
««nul |n'a existé et nul n'existera jamais, tellement fort que, s'ils
««arrivent à l'âge où la vieillesse les attend , la vieillesse ne les fasse
««tous succomber. Et maintenant il est encore vrai de dire qu'il
««importe de nous séparer, et qu'il sera préférable pour l'un et
««l'autre parti que vous ne reveniez plus me trouver. Je tâcherai
««même une autre fois de défendre mon château par des prestiges
«« comme ceux-là, et par d'autres encore, de sorte que vous ne puis-
««siez prendre aucun pouvoir sur moi. »)) Lorsque 7%or eut entendu
«ces paroles, il saisit son Marteau, et le brandit dans l'air. Mais
« lorsqu'il veut le lancer , il ne voit plus nulle part Loki de V Enclos-
« Extérieur ; et alors il s'en retourne vers le château et se propose
«de le démolir. Voilà qu'il aperçoit, à l'endroit, une grande et belle
«plaine, mais de château, point !. Alors il s'en retourne , et continue
«sa route jusqu'à ce qu'il arriva à Thrûdvangar (Ghamps-d'Énergie).
« Ceci est encore vrai de dire que dès lors il a résolu, en lui-même,
« de rechercher l'occasion d'avoir une rencontre avec le Serpent de
aV Enclos-Mitoyen^ comme cela est depuis effectivement arrivé.
« — Maintenant , personne , je pense , ne saura te raconter davan-
« tage de cette expédition de Thôr. » (44)
48. « Alors Piétonneur dit :
«Il est personnellement très-puissant ce Loki de V Enclos-Extérieur,
«bien qu'il use fortement de tromperies et de magie; cependant, ce
« qui fait voir qu'il est personnellement puissant, c'est qu'il avait des
«hommes de garde, possédant une grande force. — Mais est-ce que
« Thôr ne s'est pas revanche de cela? »
Sublime répond :
« On n'ignore pas, lors même qu'on n'est pas un homme de savoir.
i26 LA FASCINATION DE GULFI.
«que Thôr a réparé le mal de l'expédition qui vient d'être racontée;
« et il ne demeura pas longtemps chez lui avant de se remettre en
« voyage ; c'est ce qu'il fit en si grande hâte, qu'il ne prit avec lui ni
(( char , ni boucs , ni compagnie de route. Il sortit de VEnclos-Mi-
(Ltoyen sous l'extérieur d'un jeune aventurier; et il vint, un soir, au
«crépuscule, chez un lotne nommé Hymir (Ténébreux). Thôr
(( resta là , en hôte , pendant la nuit. Puis , à l'aurore , Hymir se leva
« et s'apprêta à aller ramer sur mer pour la pêche. Thôr aussi se
«leva vite et fut bientôt prêt, et pria Hymir de lui permettre de
(( ramer avec lui sur mer. Mais Hymir dit qu'il trouverait en lui peu
«d'assistance, puisquiil était de petite taille et une jeunesse, et ««tu
«« serais pris de froid, quand je resterais aussi longtemps et aussi loin
««du rivage que de coutume.»» Mais 7%or dit qu'il supporterait bien
«de ramer tellement loin du rivage, qu'il serait incertain qui, des
«deux, demanderait le premier, à en revenir; et Thôr fut irrité
«contre le géant, au point qu'il allait à l'instant lui faire goûter le
« Marteau : mais il n'en fit rien , parce qu'alors il se proposa d'éprou-
«ver sa force dans une autre place. Il demanda à Hymir ce qu'ils
« prendraient pour amorce , et Hymir lui dit de se chercher lui-même
«une amorce. Alors Thôr se dirigea vers l'endroit où il voyait un
«troupeau de bœufs que possédait Hymir; il saisit le plus grand bœuf
«nommé Brise-Ciel (Himin-briotr), et lui arracha la tête qu'il em-
« porta à la mer. Hymir avait déjà lancé son embarcation birême.
« Thôr entra dans la barque et s'assit dans la cale d'arrière, prit deux
« rames et rama ; et il sembla à Hymir que ses rames produisaient un
«bon sillage. Hymir ramait sur l'avant, et la course fut poussée rapi-
« dément. Hymir dit alors qu'ils étaient arrivés dans les eaux où il avait
« coutume de s'arrêter et de prendre des poissons plats. Mais Thôr
« déclara qu'il voulait ramer beaucoup plus loin ; et ils firent encore
«une traite à rames battantes. Alors Hymir dit qu'ils s'étaient telle-
« ment «avancés qu'il serait dangereux de pousser plus loin , à cause
«du Serpent de Y Enclos-Mitoyen; mais Thôr déclara qu'il voulait
«ramer encore un temps; ce qu'il fit, et Hymir s'en inquiéta beau-
« coup. Et quand Thôr eut déposé les rames , il déroula un câble
«très-fort, et l'hameçon n'était pas non plus petit ni moins fort.
« Thôr attacha ensuite la tête de bœuf à l'hameçon et la jeta par
« dessus le bord , et l'hameçon alla au fond ; et il est vrai de dire que,
pour lors , Thôr trompa le Serpent de V Enclos-Mitoyen tout autant
RENCONTRE DE THÔR AVEC LE SERPENT; RÊVES DE RALDUR. 127
« que Loki de V Enclos Extérieur s'était moqué de Thôr. lorsque celui-
« ci souleva le Serpent dans sa main. Le Serpent de V Enclos-Mitoyen
« ouvrit sa gueule pour avaler la tête de bœuf, et l'hameçon lui entra
« dans le palais. Lorsque le Serpent s'en aperçut, il s'agita si forte-
ce ment , que les deux poings de Thôr se heurtèrent contre le bord.
c( Aussi Thôr en fut-il irrité , et il revêtit sa force-d'Ase : il piéta si
«fort que ses deux jambes passèrent à travers la barque; et il piéta
«sur le fond de la mer, et tira alors le Serpent à bord. Or, on peut
«dire qu'on n'a pas vu de spectacle terrible, si l'on n'a pas vu com-
«ment Thôr fixa ses yeux ardents sur le Serpent, et comment le
«Serpent lança, d'en bas, un regard farouche sur lui et souffla son
«venin. Il est dit que l'Iotne Hymir changea de couleur, pâlit et
« trembla, lorsqu'il vit le Serpent, et la mer entrant et sortant pardessus
« les bords de la birême. Et au moment où Thôr prit le Marteau et le
«souleva en l'air, l'Iotne saisit un couteau de pêcheur et coupa le
«câble de 7%dr, près du bord; et le Serpent replongea dans la mer,
« et Thôr lança son Marteau après lui ; et on dit qu'il lui fracassa la
« tête, au fond de la mer ; mais je crois qu'il est vrai de dire que le
« Serpent de V Enclos-Mitoyen vit encore , couché dans la mer. Et
« Thôr fit un tour de bras et donna à Hymir sur l'oreille un coup de
« poing tel , que celui-ci fut culbuté par dessus le bord et qu'on lui
« vit les plantes des pieds ; puis Thôr revint à gué au rivage. » (45)
49. Alors Piétonneur dit :
«D'autres événements se sont-ils encore passés chez les Asesf
« Thôr a accompli un très-grand exploit dans ce voyage. »
Sublime répond :
« 11 faudra raconter les événements qui ont paru avoir bien plus
« d'importance pour les Ases.
« Le commencement de cette relation-ci c'est que Baldur (Ex-
« cellent), eut des rêves pénibles et de mauvais augure pour sa vie.
« Lorsqu'il eut raconté ses rêves aux ^sís, ceux-ci conférèrent entre
«eux; et on résolut de demander, pour Baldur, V invulnérabilité de
« toute espèce d'endommagement. Aussi Frigg fit-elle prêter le ser-
« ment d'épargner Baldur , au Feu , et à l'Eau , au Fer et au Métal
« de toute espèce, aux Pierres, à la Terre, aux Arbres, aux Mala-
« dies , aux Quadrupèdes , aux Oiseaux et aux Serpents venimeux.
« Quand cela fut fait et connu , c'était pour Baldur et les Ases un
« passe-temps que , lui , se tenait debout dans l'assemblée , tandis
128 LA FASCINATION DE GULFI.
«que tous les autres se mettaient, qui , à tirer sur lui, qui, à lui
(( donner des coups de sabre , qui , à lui lancer des pierres. Et quoi
« qu'on fît, rien ne put nuire; et cela parut à tous être un grand
«avantage. Mais lorsque Loki, fils de Laufey^ vit cela, il ne lui plut
« guère que rien ne nuisît à Baldur. Il se dirigea vers Salle d'Écume
(i.{noTT. Fensalr)^ chez Frigg , et revêtit l'extérieur d'une femme.
« Frigq s'informa si cette femme savait de quoi les Ases s'occupaient
« à l'assemblée. Celle-ci dit que tous tiraient sur Baldur, et que cela
« ne le blessait aucunement. Alors Frigg dit : «« Ni les armes, ni les
««instruments de bois ne nuiront à Baldur; c'est que de tous j'ai
««obtenu le serment.^» Alors la Femme demande: ««Est-ce que
««toutes les choses ont prêté serment d'épargner Baldur? y>y> Alors
a Frigg répond : ««Un seul Rejeton d'arbre croît à l'occident de la
an Halle-des- Occis : c'est le nommé Bejeton- de- Gîii (Mistil-teinn) ; il
«« m'a paru trop jeune pour exiger de lui le serment. »» Sur cela la
« Femme s'en retourna ; et Loki saisit le Bejeton-de-Gui et l'arracha-,
«et revint à l'assemblée. Cependant Hodur (Combat) se tenait en
« dehors du cercle des jouteurs , parce qu'il était aveugle. Alors Loki
« lui dit : «« Pourquoi ne tires-tu pas sur Baldur ?»)) L'autre répond :
««Parce que je ne vois pas où est placé Baldur, et ensuite parce
««que je suis sans armes.»» Alors Loki dit: ««Fais cependant à
««l'exemple des autres , et rends honneur à Baldur comme les au-
«« très ; je veux í 'indiquer dans quelle direction il est placé ; — lance
««sur lui cette baguette.»» Hodur prit le Rejelon-de-Gui et le lança
«sur Baldur, selon l'indication de Loki. — Le trait le traversa, et
«il tomba mort à terre; — et cela a été le plus grand désastre qui
« soit jamais arrivé chez les Dieux et chez les hommes. »
« Lorsque Baldur fut tombé , les Ases perdirent l'usage de la
«parole et des bras, au point de ne pas pouvoir les relever. Ils se
« regardèrent entre eux , et tous furent animés du même esprit contre
« celui qui avait commis le crime. Mais personne ne pouvait en tirer
«vengeance , tant ce Lieu était un endroit inviolable. Alors même
«que les Ases essayèrent de parler, les sanglots néanmoins éclatè-
«rent d'abord au point, que nul ne pouvait à autrui exprimer son
« chagrin en paroles. Odinn ressentit encore ce malheur d'autant plus
« vivement qu'il connaissait le mieux les raisons pourquoi il résul-
« terait du trépas de Baldur une grande perte et privation pour les
« Ases. Lorsque les Dieux furent revenus à soi , Frigg parla et de-
FUNÉRAILLES DE BALDUR ; HERMÔDR. 129
« manda qui parmi les Ases serait celui qui voudrait acquérir toute
(( sa faveur et bienveillance , en s'offrant pour chevaucher sur la
«route de Hel, et pour essayer d'obtenir une entrevue avec Baldur,
«et d'offrir une rançon à Hel, afin qu'elle laissât Baldur revenir
« chez lui à VEnclos-des-Ases. Et ce fut le nommé Cour age-de- Troupe
(((Hermôdr), l'ardent jouvenceau d'Odinn, qui s'offrit pour ce voyage.
«On prit donc Sleipnir , le cheval d'Odinn; on l'amena, et Courage-
a de-Troupe monta sur ce cheval, et s'éloigna rapidement.
« Les Ases ensuite prirent le corps de Baldur et le portèrent à la
«mer. Hringhorni (Corne-Recourbée) était le nom du navire de Bal-
a dur; c'était le plus grand de tous les navires. Les Dieux voulurent
« le mettre a flot et le préparer pour le bûcher flottant de Baldur.
« Mais le navire ne bougea pas. Pour lors on envoya , à Séjour-des-
« lotnes y quérir la géante nommée Hyr-rockin (Enfumée-de-Feu).
«Lorsqu'elle arriva, montée sur un Loup et ayant pour bride un
« serpent venimeux, elle sauta de sa monture ; et Odinn appela quatre
« Ptires-iSer^es (Ber-serkir) , pour garder cette monture; et ils ne
«parvinrent à la contenir que lorsqu'ils l'eurent jetée à terre. Alors
« Æ^/í^m(^e-ág-/^^?í s'approcha de l'avant de la birème, et, du premier
1;coup, la poussa si rudement en avant, que le feu jaillit des rou-
« leaux, et qu'il y eut des tremblements de terre. Tliôr en fut irrité,
«et il saisit le Marteau; et il lui aurait brisé la tète, si les Dieux
« n'eussent pas demandé l'inviolabilité pour elle. On porta ensuite le
« corps de Baldur sur le navire. Et lorsque sa femme Nanna (Vi-
« goureuse) , fille de Nep (Nuage) , vit cela , elle fut brisée de dou-
« leur, et mourut. Elle fut portée sur le bûcher, et entourée de feu.
«Alors Thôr s'approcha et consacra le bûcher avec \q Meunier (Miöl-
« nir). Et à ses pieds courut un dverg nommé Couleur (norr. Lilr) ;
« et Thôr y d'un coup de pied, le lança dans le feu , et il fut brûlé. A
« ce brûlement assistaient des gens de race différente. Il faut com-
«mencer par Odinn ^ accompagné de Frigg, et des Choisit-les- Occis
« (Valkyriur) , et de ses Corbeaux. Frey aussi y vint, en voiture, avec
« le Verrat nommé Soie d'Or (Gullinborsti) ou Slidrugtanni (Défenses.
« Crochues). Heimdall aussi y alla, monté sur le cheval nommé Queue-
ii d'Or (Gulltoppr). Freyia aussi y était avec ses Matous. Il y avait
« encore une grande foule de Thurses-Givreux et de Géants-des-Mon-
« tagnes. Odinn déposa sur le bûcher l'Anneau d'or nommé Dégoui-
«íaíií (Draupnir), auquel s'attacha , depuis, la propriété que, chaque
9
130 LA FASCINATION DE GULFI.
«neuvième nuit, il en dégoutta huit anneaux d'or du même poids.
<( — Le cheval de Baldur, avec tout son équipement, fut aussi con-
((duit au bûcher.
«Quant à Courage-de-Troupe ^ il faut dire qu'il chevaucha, neuf
« nuits , par des vallées sombres et profondes , au point qu'il ne vit
« rien , avant d'arriver à la rivière de Retentissante (Giöll). 11 passa
« ensuite à cheval le Pont de Retentissante , lequel est couvert d'or
« luisant. Lutte- Courageuse (norr. Môdgûdr) est le nom de la Vierge
«qui garde ce pont; elle lui demanda son nom et sa famille, et elle
« dit que , la veille , cinq pelotons d'hommes morts avaient passé sur
«ce pont : ««mais le pont ne résonne pas moins sous toi tout seul;
««et tu n'as pas l'extérieur d'un homme mort; — pourquoi chevau-
««ches-tuici sur le chemin àeHelfy»} L'autre répond: ««Je vais, che-
««vauchant, auprès de Hel pour chercher Baldur; — est-ce que
««tu l'as déjà vu sur le chemin de Hel?))y> Elle ait que Baldur ai\aú
«déjà passé sur le Pont de Retentissante. ««Le chemin de Hel est
««plus bas et vers le Nord. ))» Alors Courage-de~ Troupe continua à
« chevaucher, jusqu'à ce qu'il arriva aux Grilles-de-Hel. Alors il des-
« cendit du cheval, et lui serra fortement la sangle ; remonta sur le che-
« val et le piqua des éperons ; et le cheval sauta si vigoureusement par-
« dessus les grilles , qu'il n'y toucha nulle part. Alors Courage-de-
« Troupe chevaucha vers la Halle ; et il descendit de cheval, et entra
«dans la Halle. Là il vit assis, à la place d'honneur, Baldur son
«frère. Et Courage-de-Troupe passa la nuit dans ce lieu. Et le len-
« demain Courage-de-Troupe demanda de Hel que Baldur pût s'en
«retourner avec lui; et il lui dit combien la lamentation était grande
« chez les vises. Et Hel dit qu'on allait éprouver si Baldur était réel-
«lement aussi regretté qu'on le disait, et ««si tous les êtres vivants
««ou morts des différents Séjours le déplorent, alors il pourra s'en
««retourner chez les Ases; mais il sera retenu auprès de Hel, s'il y
««en a un seul qui s'y refuse et ne veuille pas pleurer. >)»
«Alors Courage-de-Troupe se leva, et Baldur l'accompagna hors
« de la Halle; et il prit l'Anneau Dégouttant, et l'envoya , comme sou-
« venir, à Odinn. Et Nanna envoya à Frigg un vêtement, et encore
« plusieurs dons, et à Fulla une bague d'or. Alors Courage-de-Troupe
«s'en revint par son chemin; et il arriva dans ï Enclos-des-Ases , et
« raconta toutes les nouvelles qu'il avait vues et apprises.
«Bientôt après, les Ases envoyèrent, dans tous les Séjours, des
PUNITION DE LOKI. 131
«messagers, pour inviter tout le monde à pleurer, afin de délivrer
« Baldur de Hel. Tous le firent , les Hommes et les Animaux , et la
«Terre et les Pierres, et le Bois et le Métal de toute espèce, ainsi
«que tu as pu remarquer que ces objets pleurent, quand ils passent
« du froid dans le chaud. Lorsque les envoyés retournèrent chez eux,
« après s'être bien acquittés de leur commission , ils remarquent que,
« dans une caverne, il y a encore une Géante qui se nommait Thöckt
(Épaissie) ; ils la prièrent de pleurer Baldur pour le délivrer de
(S. Hel; elle répond :
«« Thöckt déplorera , avec des larmes sèches ,
«« Les funérailles de Baldur :
«« Ni vif, ni mort, il ne m'intéresse, ce fils ennemi; —
«« Que Hel garde ce qu'elle tient! »»
«Et l'on suppose que ce fut là Lokiy le fils de Laufey, quia causé
« tant de mal auprès des Ases. » (46)
50. Alors Piétonneur dit :
« Loki a commis une chose très-grave en ce qu'il a été cause que ,
a d'abord, Baldur îui frappé à mort, et, ensuite, qu'il ne fut pas dé-
« délivré de Hel ! — En a-t-on tiré vengeance sur lui de quelque
« manière ?»
Sublime répond :
«H en a été récompensé au point qu'il s'en souviendra longtemps.
« Lorsque l'irritation des Dieux contre lui , comme on devait s'y at-
« tendre, fut venu au comble , il s'enfuit et se cacha sur une mon-
« tagne. H y construisit une maison avec quatre portes, afin d'avoir,
« de cette maison , la vue dans toutes les directions. Souvent aussi ,
« pendant le jour, il s'aííubla du corps d'un saumon, et se tint caché
«dans l'endroit nommé la Cataracte Franângur (Brille-Resserré).
«Là il méditait, en lui-même, quelle ruse les Ases pourraient in-
« venter pour le prendre sous cette cataracte. Un jour qu'il fut assis
« dans sa maison , il prit du lin , et avec le fil il forma des mailles ,
« comme sont, depuis, les filets : un feu brûlait devant lui. Alors il vit
«que les ^ses, déjà tout près, se dirigeaient sur lui. Odinn, du haut
«de Hlidskialf {Chaumine aux Portes), avait vu où celui-ci se te-
« nait. Aussitôt il se précipita dehors et dans l'eau , après avoir jeté
«au feu le filet. Lorsque les Ases arrivèrent auprès de la maison,
« le nommé Qvasir (Fermentant) , le plus perspicace d'entre eux , y
«entra le premier; et lorsqu'il vit les cendres dans le feu qui avait
i32 LA FASCINATION DE GULFI.
« consumé le filet , il comprit que quelque chose comme cela pour-
« rait servir d'engin pour prendre les poissons ; et il en parla aux
nAses. Aussitôt ils se mirent à confectionner un filet, d'après ce
« qu'ils voyaient dans les cendres , et que Loki avait confectionné.
«Et lorsque le filet fut prêt, les Ases allèrent à la rivière et jetèrent
c( le filet, près de la cataracte ; Thôr le tenait par un bout, et h l'autre
<i tenaient les Ases ensemble ; puis ils tirèrent le filet. Mais Loki se
« retira toujours au devant; puis il se glissa au fond entre deux pierres ;
«le filet qu'ils tirèrentpassapar-dessuslui; ils sentirentcependantqu'il
«y avait là quelque chose de vivant. Aussi ils remontent, une seconde
« fois , à la cataracte, et jettent le filet, après y avoir attaché un poids
«tel que rien ne pût glisser en dessous. Loki se retire encore devant
« le filet ; et lorsqu'il voit qu'il n'y a plus loin jusqu'à la mer , il saute
« en l'air par-dessus l'extenseur et remonte à la cataracte. Les Ases
« surent maintenant où il avait passé : ils reviennent encore à la
«cataracte; ils distribuent la bande sur les deux côtés, et Thôr
« marche dans le milieu de la rivière en aval ; et ainsi ils descendent
« vers la mer. Loki ne voit plus que deux expédients : il y avait danger
« pour sa vie à se jeter à la mer , et il y en avait, également , à sauter
« par-dessus le filet : cependant il prit ce dernier parti ; il sauta aussi
<i vite que possible par-dessus l'extenseur du filet. Thôr porta la main
«sur lui et le saisit; mais il s'amincit dans la main, de sorte que la
«main n'eut de prise que près de la queue; et c'est là la raison
« pourquoi le saumon est mince vers la queue.
nLoki était donc pris, sans même avoir droit à merci ; et on le
«transporta dans une caverne. Puis ils prirent trois rochers qu'on
« dressa sur leur pointe ; et ils firent une entaille dans chacun de
«ces rochers. Ensuite furent saisis les fils de Loki: Vali (Frappant)
«et Ndri (Crépusculaire) ou Narvi. Les Ases métamorphosèrent
« Vali en loup , et il déchira son frère Narvi. Les Ases prirent alors
« ses boyaux pour attacher Loki sur ces trois rochers , dont le pre-
« mier était sous ses épaules , le second sous ses reins , et le troisième
« sous ses jarrets ; et ces liens se changèrent en fer. Alors Skadi
« (Nuisible) prit un serpent venimeux et le suspendit au-dessus de
«lui, de manière que le venin pût dégoutter, du serpent, sur sa
« figure. Mais Sigyne (Aime-Chute) , la femme de Loki , est debout
«près de lui , et tient un bassin pour recevoir les gouttes; et, lors-
«que le bassin est rempli, elle sort pour le vider du venin. Dans
l'approche DU CRÉPUSCULE DES GRANDEURS. 433
(( l'intervalle , des gouttes de venin lui tombent sur la figure ; et il
c( en éprouve de si fortes commotions que toute la terre en tremble ;
a c'est ce que vous appelez tremblement de terre. — Loki reste couché
c( avec ses liens jusqu'au Crépuscule- des-Grandeur s. » (47)
51. Alors Piétonneur dit :
« Quelles histoires y a-t-il à raconter sur le Crépuscule-des-Gran-
« deurs ; je n'ai pas encore entendu parler de cela. »
Sublime répond :
(( De grandes et de nombreuses histoires peuvent en être racontées;
«et le commencement en est que d'abord vient l'Hiver, qui est
« nommé le Terrible-Hiver (Fimbulvetr). Alors la neige vole de tous
« côtés ; la froidure est alors grande et les vents piquants ; on ne jouit
c( plus du soleil ; trois de ces hivers se suivent , et il n'y a pas d'été
c( entre eux. Ils sont encore précédés de trois autres hivers , pendant
c( lesquels il y a , dans tout le genre humain , de grandes guerres ;
(( alors les frères s'entretuent pour cause de cupidité, et nul n'épargne
c( ni père , ni fils , dans ces meurtres d'hommes et ces violations de
c( parenté. Voici ce qui est dit dans la Vision de la Louve :
«« Les frères se battront et deviendront meurtriers ;
« « Les fils de sœurs violeront leurs parentés ;
«« On est cruel avec les tenanciers; la paillardise est grande ;
« « C'est l'Age des haches ! l'Age des framées ! que de boucliers fendus !
« « C'est l'Age des tempêtes, l'Age des loups !; après, le Monde s'affaisse. » »
c( Alors arrive , ce qui passe pour un grand événement , que le
c( Loup avale le soleil ; et les hommes regardent cela comme une
*i grande perte. Alors l'autre Loup saisit la lune, et, lui aussi , il cause
c( un grand dommage ; — les étoiles tombent du ciel. — Alors il
(t arrive encore que la terre entière et les montagnes tremblent , au
c( point que les arbres sortent de la terre , que les montagnes s'écrou-
(dent, que tous les liens et chaînes se brisent et se rompent. —
«Alors le Loup de Fenrir est relâché. Alors la mer débordera sur les
«terres fermes, parce que le Serpent de Y Enclos-Mitoyen se roule,
«dans sa rage d'Iotne, et tâche de monter sur la terre ferme. Alors
«il arrive aussi que Navire d' Ongles (Naglfar) est lancé; le navire
« qui porte ce nom est fait des ongles des trépassés ; et , pour cette
«raison , il est bon d'être averti que, si quelqu'un trépasse et qu'on
« ne lui coupe pas les ongles , cet individu augmente les matériaux
« pour le vaisseau iVöz;//'^ d'Ongles, que les Dieux et les hommes dé-
134 LA FASCINATION DE GULFI.
« sirent de ne jamais voir achevé. Cependant , dans ce débordement
« de la mer, Navire (T Ongles est mis à flot. Un géant, nommé Hryme
a (Fracas) le gouverne. Le Loup de Fenrir s'avance, la bouche béante;
<i. sa mâchoire supérieure touche au ciel, et l'inférieure à la terre ; il
('. l'ouvrirait encore davantage s'il y avait encore de l'espace; des feux
« sortent de ses yeux et de ses narines. Le Serpent áe V Enclos-Mitoyen
«souffle tant de venin qu'il en infecte partout l'air et la mer; il est
«aussi fort terrible, et il se tient à côté du Loup. Dans ce fracas, le
« ciel se fend ; les Fils de Muspell (Gâte-Monde) s'avancent à cheval.
(( Noirci (Surtur) chevauche en tête , et il est précédé et suivi d'un
« feu flamboyant ; son glaive est très-bon , l'éclat en est plus brillant
« que celui du soleil. Lorsqu'ils passent à cheval sur Bifrost (Voie-
« Tremblotante) , elle s'écroule , comme il a été dit ci-dessus. Les
(iFils de Mîispell pénètrent en avant, vers le champ d'assemblée,
«nommé Tremble- aid"- Combat (W^riàr). C'est la que viendra alors
«aussi le Loup de Fenrir, et le Serpent de V Enclos- Mitoyen ; là est
« encore arrivé Loki (Clôtureur), et Hryme (Fracas) , et, avec lui, tous
«les Thurses-Givreux ; et Loki est suivi de tous les Compagnons de
^iHel; les Fils de Muspell forment, à eux seuls, une phalange qui
« est très-brillante. La plaine Tremble-au- Combat a cent journées
« d'étendue en tout sens.
«Lorsque ces événements arrivent, alors Heimdall (Arbre du Sé-
«jour) se lève, et souffle avec force dans la Corne- de-Retentissante ,
« et réveille tous les Dieux : et ils tiennent assemblée ensemble. Alors
« Odinn chevauche à la Fontaine-de-Mimir ; et il prend conseil chez
aMimir pour lui-même et pour sa suite. Alors le Frêne d'Yggdî^asil
« tremble , et nulle chose , sur la terre et dans le ciel , n'est alors
« sans frayeur. Les Ases s'arment , de même que tous les Troupiers-
« Uniques (Einheriar), et ils poussent en avant vers la Plaine. Odinn
« chevauche en tête , avec le Heaume d'or et la belle Cotte de mailles
« et sa Lance nommée Gungnir (Effrayant) ; il va à la rencontre du
«Loup de Fenrir; Thôr s'avance à son côté; mais il ne peut pas lui
<i prêter secours, car il a pleinement à lutter pour combattre le Ser-
« pent de V Enclos-Mitoyen. Frey se porte contre Noirci (Surtur) ; et
« il se fait un rude combat avant que Frey succombe. Ce qui cause
«sa mort, c'est qu'il lui manque la bonne épée qu'il a donnée à
« Skirnir (Éclaircit). Alors parvient aussi à se détacher le Chien Gar^
amur (Hurleur) , qui était attaché l\ la Caverne de Gnipi (Menaçant);
LE CRÉPUSCULE DES GRANDEURS. 435
«c'est là le plus grand désastre; il soutient le combat contre Tyr^ et
« chacun d'eux devient la perte de l'autre. Thôr a la gloire de tuer
«le Serpent de V Enclos-Mitoyen; il s'en éloigne, neuf pas, et alors
« il tombe mort à terre par suite du venin que le Serpent a soufflé
«sur lui. Le Loup engloutit Odinn; c'est ainsi que celui-ci périt.
«Mais aussitôt se précipite en avant Vîdarr (Auguste du Large); il
« place un pied sur la mâchoire inférieure du Loup, (c'est à ce pied
«qu'il a le soulier, dont, de toute éternité, on a rassemblé la ma-
«tière qui provient des rognures que les hommes coupent à la pointe
«et au talon de leurs souliers; aussi faut-il jeter ces rognures, si l'on
«veut avoir soin de venir en aide aux ^s^s) et, d'une main, il saisit
« la mâchoire supérieure du Loup et lui fend la gueule — et c'est
« ainsi que périt le Loup. Loki combat contre Heimdall; et ils se don-
« nent réciproquement la mort. Bientôt après Noirci (Surtur) lance
« du feu sur la terre, et il brûle le Séjour entief.
«Voici ce qui est dit dans la Vision de la Louve :
««Heimdall, le cor en l'air, sonne hautement l'alarme;
«« Odinn consulte la Tête de Mimir.
«« Il tremble, le Frêne élevé d'Yggdrasil !
«« Il frissonne , ce vieil Arbre !. L'Iotne ensuite est relâché.
« « Que font les Ases ? que font les Alfes ?
«« Le Séjour entier des lotnes mugit; les Ases sont en assemblée :
u« Ils gémissent aux portes des cavernes , les Dvergs,
«« Les sages des montagnes sacrées. Savez-vous encore quoi?
«« Hryme vogue de l'Orient; un bouclier pend devant lui :
«« Le Serpent de l'Enclos-Mitoyen se roule, dans sa rage d'Iotne ,
«« Le Ver soulève les flots ; l'Aigle bat de ses ailes ;
«« Le Bec-Jaune déchire les trépassés; — Navire d'Ongles est lancé.
««Le Navire vogue de l'Orient (l'Armée de Muspell
<(« Va venir par mer) , et Loki tient le gouvernail :
«« Les Fils de Fifl naviguent tous avec Fréki;
«« Le Frère de Byleyst est à bord avec eux.
«« Surtur s'élance du Sud , avec le feu des glaives;
«« Le soleil resplendit sur l'épée des Héros-d'occision ;
«« Les montagnes de roche s'écroulent , les Géantes se précipitent.
«« Les Ombres foulent le chemin de Hel ; puis le ciel se fend.
«« Alors l'aflliction de Hline se renouvelle,
«« Quand Odinn part pour combattre le Loup;
í 36 LA FASCINATION DE GULFI.
«« Et le glorieux Meurtrier de Beli , pour s'attaquer à Noirci; —
«M Alors va succomber le Héros chéri de Frigg.
«« Il vient, le Fils d'Odinn , combattre contre le Loup,
«« Vidarr lutte contre la Bête-d'occision —
«« 11 laisse dans la gueule du Rejeton de Hvedrung
«« L'acier plongé jusqu'au cœur. — Ainsi le père est vengé! —
«« Il s'approche , l'illustre Fils de Hlôdyne ;
«« Il est mordu par la Couleuvre intrépide de colère ,
(i(( Et qui frappe, dans sa rage, le Défenseur de l'Enclos-Mitoyen.
« « Les Héros vont tous ensanglanter la Colonne du monde.
« « Le soleil commence à se noircir , le continent s'affaisse dans la mer ;
((« Elles disparaissent du ciel, les étoiles brillantes; —
««La fumée tourbillonne autour du Destructeur du monde; —
«« La flamme élevée joue contre le ciel même.
c( Voici ce qui est -encore dit ici :
« M Tremble-au-Combat est le nom de la plaine où se rencontrent au combat
«« Noirci et les Dieux bienveillants ;
«« Elle a cent journées en toute direction; —
«« Tel est le champ qui leur est assigné. »»
52. Alors Piétonneur dit :
«Qu'arrive-t-il alors que sont brûlés le ciel et la terre, et le Séjour
« entier, et que sont morts tous les Dieux et tous les Troupiers-
<i Uniques, et toute la foule des hommes ? — Tu as aussi dit, aupa-
« ravant , que tout homme vivra , dans quelque Séjour , à travers tous
(( les âges. »
Alors Sublime répond :
(( Il y aura alors beaucoup de bons Logements et beaucoup de mau-
<ivais. Le mieux ce sera alors d'être dans íím//(Étincelant), au ciel.
c( On sera aussi très-bien , pour la bonne boisson , si l'on trouve
(Í plaisir à cela, dans la Halle nommée Frémissant (Brimir); elle est
« aussi placée au ciel. C'est encore une bonne Halle que celle qui est
c( placée aux Monts-de-Nidi (Nida-íiöU) et faite d'or rouge ; elle est
« nommée Sindri (Étincelant). C'est dans ces Salles que seront logés
c( les hommes bons et de mœurs douces. Aux Rives-des-Cadavres
«(Nâstrond), il y a une Salle grande, mais affreuse; les portes en
<i sont tournées au Nord ; elle est entièrement lissue de dos de ser-
«pents, en guise d'une maison do claies; et toutes les têtes de ser-
LA RENAISSANCE DU MONDE. 137
c( pents sont dirigées vers l'intérieur de la maison et y soufflent du
« venin, de sorte que le long de la Salle coulent des Fleuves de venin,
«et dans ces Fleuves se trouvent les parjures et les assassins, ainsi
(( qu'il est dit ici :
«« Je connais une Salle , qui s'élève plus loin du soleil ,
«« Aux Rives-des-Cadavres ; les portes en sont tournées au Nord :
« « Des gouttes de venin y tombent par les lucarnes :
««Cette Salle est un tissu de dos de serpents.
««Là, dans les courants épais, se traîneront
«« Les hommes parjures et les exilés pour meurtre. »»
« Cependant on est le plus mal dans Hver-Gelmir (Bassin-Bruyant);
«« Là, Nid-högg tourmente les cadavres des trépassés. »» (48)
53. Alors Piétonneur dit :
«Est-ce qu'alors il y aura encore quelques Dieux en vie? — y
« aura-t-il encore une Terre et un Ciel ?
Sublime répond :
«Une Terre sortira alors de la Mer; et elle est verte et belle ;
«les champs, alors, produisent sans être ensemencés. Vidarr (Au-
« guste du Large) et Vali (Frappant) vivent , puisque ni la Mer ni la
«Flamme de Noirci ne leur ont nui; et ils habitent la Plaine-d'Idi
«(Idavöllr), l'endroit oii était, autrefois, VEnclos-des-Ases. Là vien-
«nent alors encore les Fils de Thôr^ Courage (Môdi) et Pouvoir
« (Magni) , qui y apportent Meunier (Miölnir). Après cela viennent
uBaldur et Hodur, de chez Hel: ils sont alors tous assis ensemble
«et s'entretiennent, et se rappellent leurs mystères {novv.rûnar), et
« discutent sur les événements qui se sont passés antérieurement ,
« et sur le Serpent de Y Enclos-Mitoyen, et sur le Loup de Fenrir. Ils
« trouvent alors dans l'herbe les jetons d'or qu'avaient possédés les
« Ases. Voici ce qui est dit ici :
««Vidarr et Vali habitent les Sanctuaires des Dieux
« « Quand la Flamme de Noirci sera éteinte :
«« Courage et Pouvoir posséderont Meunier ,
«M Quand le combat de Vingnir sera terminé. »»)
«Et dans l'Endroit nommé Butte-de-Hoddmimir se tiennent, à l'abri
« de la Flamme de Noirci, deux humains, Lif (Vie) et Lifthrâsir (Dé-
«sir de vie); et ils auront, pour nourriture, les rosées du matin; et
« de ces humains proviendra une famille si nombreuse , que le Sé-
« jour entier en sera peuplé, ainsi qu'il est dit ici :
i38 LA FASCINATION DE GULFI.
«« Lif et Lifthrâsir se tiendront encore à l'abri
« « Dans la Butte de Hoddmirair ;
«« Ils ont les rosées du matin pour leur nourriture ;
«« Et d'eux descendent les générations. »»
«Ce qui doit encore te paraître prodigieux, c'est que ^Sd/ aura mis
(( au monde une Fille qui n'est pas moins belle qu'elle-même , et qui
«parcourt les sentiers de sa mère , ainsi qu'il est dit ici :
«« Rousse-des-Alfes met au monde une Fille unique,
«« Avant qu'elle soit atteinte par Fenrir;
«« Quand les Grandeurs auront péri, cette Vierge
«« Parcourra les chemins de sa mère. »» (49)
«Et maintenant, si tu peux encore adresser d'autres questions,
«je ne saurais d'où cela te viendrait; car jamais je n'ai entendu à
«personne pousser plus loin le récit sur les destinées du monde; —
«jouis donc maintenant de ce que tu as appris.»
54. Après cela Piétonneur entendit un grand fracas , tout autour
de lui; et il porta son regard à ses côtés; et lorsqu'il s'examina da-
vantage, le voilà placé dehors dans une plaine déserte; il ne voit
plus ni halle, ni ferté. Il passe alors son chemin , et rentre dans son
royaume, et raconte les nouvelles qu'il a vues et apprises; et,
d'après lui, chacun a raconté, l'un à l'autre, ces histoires. (50)
NUMÉRO (1) (page 77) ; GULFI ET GÂFION. 139
m.
TROISIÈME PARTIE DE L OIVRAGE.
COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
(1) GULFI ET GAFION.
1 1. Gulfi, roi de la Marche-finne. — Lorsque les émigrés de la branche
gète arrivèrent dans les îles et sur le continent [de la Scandinavie , ils y
trouvèrent établies des peuplades de race kelto-kiminque ^ et principale-
ment des tribus de race sabméenne ou fmne. Les Finnes qui occupaient
les contrées où s'établit, après eux, \q Peuple-Svi {^\'\-\h\bd) ^ adoraient,
entre autres divinités, le dieu Kaleva, qui passait pour être le Père des
héros, des rois et des familles riches. Aussi Kaleva^ devint-il, dans la
tradition, le représentant des rois finnes qui régnaient sur les contrées
appelées plus tard \^ Suède. Le dieu Kaleva., étant devenu un héros
épique, figurait, dans les traditions norraines, sous le nom correspondant
dé Gulfi., que les Suèdes s'expliquaient comme signifiant le Brumeux
(norr. gulpr, brume ; cf. gufa et gull, brouillard). A l'aide de quelques
mythes symboliques et allégoriques, appartenant en partie aux traditions
finnes., en partie aux traditions g êtes , on établit, pour Gulfi, la généa-
logie mythique suivante. Gulfi (Brumeux) , le frère de Glamri (Nuage
Blanc), était fils de Geitir (Fervescent) , lequel était fils de Gôr (Frimas-^
cf. finne^wî/ra), lequel était fils de T'A orW (Gelée-sèche), lequel était
fils de Snier (Neigeux), lequel était fils de lökiil (Gladier) , lequel était fils
de A'ar/ (Aquilon), lequel était fils de /br-yizoi;-, qui correspondait jadis au
dieu u'iCsÇ^Porenut, et au dieu scytheFr/7?iM5. Chez les peuples norrains, les
Chefs qui avaient été vaincus et dépossédés de leur territoire , se faisaient
ordinairement Rois de mer (Sækonungar; voy. Les Gètes , p. 109). Gulfi.,
le représentant des rois finnes , ayant été dépossédé de son royaume par
le Peuple-Svî, fut aussi représenté , dans la tradition norraine , comme
un ancien roi de mer (voy. Skaldskaparmâl., p. 208). Or, comme beau-
coup de ces rois de mer parvinrent à se créer de nouvelles royautés à
l'étranger , dans les pays maritimes , les familles princières de ces pays
rattachaient fréquemment leur généalogie à l'un de ces rois Scandinaves.
C'est ainsi , par exemple , qu'il se forma . à commencer du 7« siècle de
140 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
notre ère, la tradition épique, d'après laquelle Heid, la fille de Gulji,
épousa l'un des fils á'Odinn , Sigurlami, roi de Gardarîki (voy. Herva-
rar-saga , p. 8).
§ 2. Origine du nom de Séeland. — Vers le cinquième siècle avant notre
ère , des émigrés de la branche gète , ayant quitté les bords méridionaux
de la mer Baltique ^ ont passé dans l'île appelée aujourd'hui Bornholm
(Borgundar-holm , Ile des Burgondes) , et de là ont abordé dans la partie
la plus méridionale de la presqu'île , appelée, plus tard, \2i Scandinavie.
Frappés d'admiration à la vue d'épaisses forêts de hêtre, ces émigrés ont
donné au pays, où ils avaient débarqué, le nom de Skadvinavia (Pays
d'ombrage ou lie ombreuse) , qui , plus tard , s'est changé en Skân-ey
(Scanie). Ces émigrés formèrent deux peuplades: les Svtes, qui se sont
établis plus au Nord-Est, et les Gautes, qui occupèrent le Nord-Ouest
près des lacs Vasnir et Veitvr. Les Gautes , comme leurs frères les Svîes,
adoraient principalement Frey et Freyia , sous les noms de Skiöld et
de Gefn. Us avaient consacré à ces divinités un bois sacré, situé dans la
Scanie et appelé le Bocage (Lundr) , auprès duquel s'éleva, dans la suite,
la ville portant encore aujourd'hui le nom de Lund. Des émigrés Gautes
passèrent de la Scanie dans l'île située au Sud-Ouest et séparée du con-
tinent par le détroit appelé Sund. Ils trouvèrent dans cette île , comme
en Scanie , de belles forêts de hêtre , et ils consacrèrent à leurs divinités,
Skiold et Gefn , un bois sacré qu'ils nommèrent, également, le Bocage.,
(Lundr) , mais qu'ils distinguèrent , de celui de leur mère-patrie ou du
continent, par le nom plus précis de Bocage-de-Mer (Sæ-lundr). Ce nom
servit bientôt à désigner l'île tout entière. Dès le premier siècle de notre
ère , des émigrés de la branche dane , sœur de la branche gète , quittè-
rent leurs établissements sur les bords sud-occidentaux de la Baltique, et
dans la presqu'île de lôtland (Jutland) , et passèrent dans l'île de Fíón
(Fionie), et de là dans celle de Sælund. Des rivalités et des inimitiés s'y
établirent entre l'ancienne population gante et les nouveaux venus de la
branche dane. Les Danes finirent par dominer dans l'île ; ils s'emparèrent
du sanctuaire de Sælund et en adoptèrent les divinités qu'ils nommèrent,
dans leur dialecte , Skiold et Gejion. Plus tard le nom de Sælund (Bocage
de Mer) s'étant confondu , dans la prononciation des Danes , avec celui
de Sælönd (Pays de Mer), il fut aussi remplacé , peu à peu , par celui-ci ;
et , enfin , Sælönd fut remplacé , à son tour , par le nom danois actuel de
Sæland (Pays de Mer).
g 3. Mythe géologique et hiératique sur le Séeland. — Au point de vue
géologique, l'île continentale de Séeland fait proprement partie de la
Suède, dont elle a été détachée par un aiTaissement du sol, qui a eu pour
conséquence sa séparation du continent de ce pays par le détroit appelé
le Sund (Transnatation '). Cet affaissement du sol eut lieu à peu près à la
même époque que l'affaissement du terrain qui a donné naissance au lac
de Vænir, de sorte que la tradition mit en relation , l'un avec l'autre ,
ces deux accidents géologiques. Cette observation sur l'origine ou la for-
(1) Le nom de Transnatation signifie que le détroit est d'une largeur telle qu'on
peut encore faire la traversée à la nage.
NUMÉRO (1) (page 77); GULFI ET GÂFION. 441
mation géologique de cette île, ayant été faite déjà dans l'Antiquité, on
a énoncé , d'abord , d'une manière générale , que l'île de Sielmid a été ,
par la mer , détachée du sol de la Suède ; et cette observation , s'étant
transmise par la tradition , prit ensuite de plus en plus une forme épico-
mythique. Dès lors, comme l'Antiquité voyait, dans les forces de la Nature,
des Puissances ou des Personnes divines , au lieu d'interpréter cette tra-
dition géologique comme signifiant que Sælund a été séparé de la Suède
par un accident physique ou géologique , on rapportait que cette île avait
été enlevée du sol du continent ou de la Scanie par un Personnage divin
ou mythologique. Ensuite, comme le lac de Vænir s'était formé à l'é-
poque à laquelle l'île de Sælund s'était détachée de la Scanie , on allait
jusqu'à supposer que le sol de l'île avait été formé avec le terrain enlevé
au lac de Fænir. On se confirma dans cette supposition lorsqu'on crut
reconnaître que le bassin de ce lac avait une grandeur à peu près égale à
la superficie de Sælund^ et que les enfoncements de ce lac, à ce qu'on pré-
tendait, correspondaient exactement aux pointes déterre de cette île. Ju-
geant, enfin, que ce déplacement de terrain a dû être principalement eifec-
tué par les forces surhumaines de l'Océan , qui semblait tenir sans cesse
Sælund séparé de la Scanie, la tradition, tournant de plus en plus au
mythe, avait plusieurs raisons d'attribuer cet enlèvement de terrain à la
déesse Gafion , aidée de ses bœufs iotniques. En efl'et, Gàfion, plus que
toute autre divinité , était jugée capable d'opérer cet enlèvement ou dé-
placement de terrain. Car, d'abord, elle était une Déesse ou ^5yme ,
ayant, comme telle, une puissance 5z<r/m>/ia2?ie; ensuite elle était une
divinité qui, comme l'indique son nom de Gejion (Aime-F Abîme), formé
de celui de la déesse Ge/w (Abîme , Mer), présidait aussi à laii/er (anglos.
Geofon) ; enfin , elle était la divinité principale adorée dans Sæland , où,
selon la tradition , elle avait épousé Skîoldr (Bouclier), un des fils d'O-
dinn; elle devait donc aussi être considérée comme Propriétaire de
Sæland , où elle était adorée , et , par conséquent , passer pour avoir ac-
quis elle-même , dans l'origine , la possession de cette île , qui lui était
consacrée au même titre que , par exemple , l'île de Delos l'était , d'après
la mythologie grecque , à la déesse Latone. Ensuite d'autres traditions ,
ayant déjà établi des rapports entre les Jses et Gulfi, le mythe, qui con-
sidérait ce roi des Svîes comme le Représentant de la Suède , put substi-
tuer le nom de Gw/^ à celui de cette contrée, et dire, par conséquent, que
Sælund^ Y\\tAc^SkiöldQiAes,Danes, fut enlevée par Go/to/i, kGulJi ou
à la Suède. Plus tard les Danes , qui avaient conquis l'île de Sæland sur
les Gautes et les Svîes, eurent un motif ou un intérêt, soit moral, soit
politique , à présenter cet enlèvement comme une acquisition légitime y
faite sans aucune violence ; et comme ils ne pouvaient cependant pas faire
passer l'enlèvement de cette charmante île (vin-ey) , au continent de la
Scanie , pour un don volontaire fait à Gâjion par le roi Gulji, on s'avisa
de représenter , dans le mythe , cet enlèvement comme la conséquence
d'une concession, qui avait été faite par le roi, et dont Gàfion y par une
ruse (c'est-à-dire par un moyen légitime , selon la morale de l'époque) ,
sut tirer parti bien au delà de l'intention et des prévisions de Gulfi. Plus
tard encore la tradition (suivant ses habitudes de changer souvent ja base
14-2 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
locale du mythe , quand les circonstances extérieures favorisent ce chan-
gement) a substitué le lac de Mælar au lac de Vænir , et a rapporté de
celui-là ce qui, originairement, vu la forme de l'île de Sæland et du lac
de Vænir , n'a pu s'appliquer qu'à celui-ci. C'est que , aussi longtemps
que les rois des Svîes furent en possession de la Scanie et du Verma-
land^ où se trouvait le lac Vænir , la tradition continua à rattacher le
mythe à ce lac. Mais lorsque , dans la suite , la Scanie et le Vermaland
firent partie des possessions des Danes et des Narrains , l'ancienne tra-
dition, répandue chez les Danes ^ ne put conserver quelque sens qu'en
substituant au Vænir, devenu lac danois^ un autre lac situé encore dans le
domaine des rois de Suède. Or, comme les rois des Svîes résidaient alors,
soit à Sîgtûn soit à Uppsalir, et que la tradition dut supposer que Gulji^
comme roi des Svîes , se tenait dans l'une de ces deux résidences , situées
dans le voisinage du lac de Mælar , le mythe , faisant une substitution
exigée par les circonstances , et sans se soucier de ce que la forme du lac
de Mælar ne cadrait nullement avec la forme du sol de l'île de Sæland,
énonça que cette île fut arrachée au terrain de la Suède , à l'endroit où
se forma alors le Lac (Lögr), c'est-à-dire leMœlar, qui, à cette époque,
était le lac par excellence de la Suède. — Comme le mythe , sur V ori-
gine de l'île de Sæland^ repose, non sur un objet capable d'être saisi
par V Intuition (voy. p. 91), mais sur une induction, ou une prétendue
explication historique , il ne fait pas partie des mythes symboliques , qui
expriment des intuitioíis, mais c'est une mythe scientifique, et plus par-
ticulièrement un mythe de géographie politique. Aussi ne saurait-il
appartenir à Vmicien fond de la Mythologie , qui a été importée de l'Asie
dans la Scandinavie; il s'est formé seulement dans le Nord, sur les lieux
mêmes auxquels il se rattache , et à une époque comparativement très-
postérieure, savoir à l'époque où les Z)a?ie5prirent possession de l'île de
Sælund, entre le troisième et le cinquième siècle de notre ère. Mais la forme
actuelle du mythe , après ses différentes transformations , ne date proba-
blement que du septième siècle. Cette tradition était si bien connue et si
généralement répandue du temps de Snorri, que cet auteur put déjà in-
voquer, à l'appui de son récit, le témoignage d'un Skalde, de Bragi le
Vieux , dont les expressions énigmatiques n'auraient pas pu être com-
prises , si , dans ce temps , l'on n'avait plus connu parfaitement les détails
du mythe , auxquels ce poète fait allusion dans ses vers.
§. 4. Bragi le Vieux et le style skaldique. — Le Skalde Bragi, fils de
Boddi, était, suivant la tradition vulgaire, contemporain et du roi da-
XioM Ragnar Br aie- Velue (Lôd-brôk), et du roi Suédois Zi'ysiem le ^ew-
gleur (Beli), et de Biörii à la Butte [atHaugi). 11 vivait par conséquent
dans la première moitié du septième siècle ; on le surnommait le Vieux ,
pour le distinguer d'un autre Skalde, nommé également Bragi, qui était
fils de Hallur et qui a vécu sous Sverri et sous Hakon , fils de Sverri.
Mais de deux choses l'une , ou bien Bragi le Vieux vivait à une époque
qui est postérieure à celle que lui assigne la tradition vulgaire, ou bien
les vers, que Snorri lui attribue ici , ne sont pas de sa composition. Car
ces vers sont composés à la fois dans un langage recherché et d'après
une versification artificielle , qui . l'une et l'autre, n'étaient pas encore
NUMÉRO (i) (page 77); GULFI ET GÀFION. 145
formées et développées à cette époque, dans la poésie iiorraine. Ces vers,
attribués à ^rap'/, peuvent servir ici comme échantillon de la poésie artifi-
cielle lyrico-épique des Skaldes , laquelle diffère essentiellement de l'an-
cienne poésie 7nythico-épique , au point qu'elle est, le plus souvent, très-
difficile à comprendre , et toujours extrêmement difficile àtraduire , surtout
dans un idiome aussi analytique que l'est la langue française. En effets
cette poésie se fait remarquer non-seulement par la construction con-
tournée et tourmentée des phrases , et par les formes artificielles et re-
cherchées de la versification, mais encore par des expressions et des
locutions qui sont quelquefois doublement métaphoriques. Ainsi , par
exemple, dans les vers de Bragi, cités par Snorri, la construction de
la phrase , dans l'original norrain , est la suivante :
Gafion enleva à GuJfi, la Joyeuse, au Libéral de Roux d'Abime —
(Si bien qu'ardents à courrir ils fumaient) l'Accrue de la Marche daae;
Ces bœufs portaient (avec huit Lunes-frontales) (en trottant
Devant la vaste Dépouille du Sol de l'Ile agréable) quatre têtes.
Quant à la versification , les vers cités forment , dans le texte , une
strophe [visa) , du genre nommé Chant du Peuple (Drottkvædi) et com-
posée de quatre vers ou Quarts de strophe í^\s\]í-^ovA\íxí^2íV). Le premier
et le deuxième Quarts de strophe , et le troisième et le quatrième , sont liés
ensemble par le sens, et forment deux Hémistrophes (Visu-helmingar).
Chaque Quart de strophe se divise en deux hémistiches (Visu-ord) , et
chaque hémistiche se compose de six syllabes. Dans chaque Quart de
strophe , le second hémistiche commence par un mot dont la lettre ini-
tiale , nommée Lettre capitale (Höfud-stafr) , forme allitération avec
deux lettres initiales semblables , placées dans des mots du premier hé-
mistiche , et appelé(;s Étais (Studlar) ; exemple :
Gefion drô frà Gylfa, — - ^löd , diuprödull ödla.
Enfin , dans chaque deuxième hémistiche , se trouvent deux syllabes
assonnantes , appelées Correspondantes (hending) ; exemple :
%\öd diuprödull óí/la.
Voici maintenant l'explication des expressions énigmatiques ou locu-
tions poétiques , renfermées dans la strophe :
i. Le /îowa7i/e/'^6me est une expression figurée pour dire /'or^car, d'a-
bord, l'expression^ôfwe sert à désigner l'Océan; et le Roux désigne le Soleil,
à cause de son éclat rougeâtre. Ensuite Roux de l'Abîme (Soleil de l'O-
céan) , est une expression skaldique pour dire or; car, suivant la Mytho-
logie norraine, Œgir , le Dieu de l'Océan , emploie, en guise de feu ou
de soleil, l'or brillant , pour éclairer sa demeure sous-marine. 2. L'Accrue
de la Marche dane, c'est l'île de Sæland , dont le terrain, qui a été
arraché à la Suède par Gafion , sert d'agrandissement ou d'accrue au Da-
nemark. Cette expression prouve |que ces vers ont été composés à une
époque où l'île deSéeland n'appartenait plus à la Suède , mais faisait déjà
partie du Danemark. 3. La vaste Dépouille , matière de l'Ile agréable s
désigne métaphoriquement le terrain arraché par Gafion à la Suède,
comme un butin ou une dépouille enlevée; c'est de cette dépouille que
se forma l'île de Séeland , appelée, à cause de ses magnifiques forêts de
hêtres et de son Bois sacré, Vile agréable. 4. Les huit lunes frontales
144 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
désignent les huit yeux des quatre bœufs ; car l'expression lune est em-
ployée ici pour dire astre ou étoile; et étoile du front est une expres-
sion skaldique pour désigner l'œil. 5. Quatre têtes indique qu'il s'agit
de quatre bœufs; car les peuples germaniques désignaient le bétail par
l'expression de tête (norr. höfud); de là aussi, en basse latinité , le mot
de capitale (tête de bétail) , dont les Anglais ont fait cattle (bétail).
§ 5. Le Mythe de Gâfion fait partie intégrante de l'Encadrement. —
Nous avons vu que la tradition a fourni à Snorri les mythes sur Gulji ,
sur Gafion et sur les rapports des Ases avec GulJi. Snorri n'a donc rien
inventé sous ce rapport ; il a pris la tradition telle qu'elle existait encore
de son temps. Sans en connaître ni la signification primitive , ni l'origine*
il la prit purement et simplement pour une tradition mythico-épique. Il
l'utilisa, d'une manière ingénieuse, en en faisant une histoire devant servir
d'encadrement à son Traité. On comprend facilement pourquoi Snorri
parle ici, au commencement, de GulJi, qui est la cause première de ce que
les différents mythes norrains seront exposés ou racontés (voy. p. 66). Mais
on ne saisit pas aussi facilement la raison pour laquelle il raconte, tout
d'abord, l'histoire de l'enlèvement et de la formation de l'île de Sæland;
ce qui semble ici n'être qu'un hors-d'œuvre. Aussi a-t-on souvent con-
sidéré ce récit comme ne faisant pas partie de ce Traité , mais comme y
ayant été ajouté, après coup, sans doute, à propos du roi Gulji^ auquel le fond
de ce récit se rapportait. Déjà, dans le Manuscrit d'Upsal, ce récit est omis
comme ne faisant pas partie intégrante du texte. Mais quand on se rap-
pelle que Snorri , en bon historien , aime à tout motiver dans sa narra-
tion , on reconnaît qu'il y a un rapport intime et nécessaire entre le récit
sur l'origine de l'île de Sæland et le reste de l'histoire qui forme l'Enca-
drement du Traité. En eifet , nous l'avons dit (p. 67) , en racontant le
mythe sur l'enlèvement de Sæland, par Gafion, óViorr/ a voulu énoncer
que cet enlèvement merveilleux a éveillé et attiré l'attention de Gulfi
sur la puissance surhumaine et sur l'esprit d'envahissement des Ases ,
et que, dès lors, ce roi résolut d'aller les trouver pour apprendre à con-
naître la cause de leur puissance extraordinaire. Sa présence au milieu
d'eux amena , de la sorte , le dialogue, et, par suite, l'exposé des mythes
norrains, but pour lequel le Traité de la Fascination de Gulfi a été com-
posé.
(2) GULFI VIENT A ODINSEY.
l 6. Voyage aérien de Gulfi. — On croyait, dans l'Antiquité, quela sagesse
et la prévoyance étaient produites et entretenues dans les Dieux et dans
les hommes , par des moyens extérieurs. Parmi ces moyens, le plus effi-
cace était , à ce qu'on supposait , la Magie , qui portait , chez les Hindous,
le nom ^^ Science par excellence (sansc. vidya, science, magie), chez les
Latins le nom de grand Art (lat. ars magna) , et chez les Norrains celui
de grand Pouvoir (fiölkyngi). Les Finnes passaient pour être de grands
magiciens (v. p. 68). Gulfi étant supposé roi des Finnes , Snorri dut le
représenter comme un homme avisé et versé en magie. Ce roi prévoyait
que , s'il ne se mettait pas sur ses gardes , la race des Ases parviendrait
à s'emparer de son royaume. Déjà son attention avait été éveillée et attirée
NUMÉRO (2) (page 78); gulfi a odinsey. U5
sur cette race par l'enlèvement merveilleux de l'ile de Sæland. Cet enlè-
vement lui prouva que les Âses étaient doués de forces surnaturelles. Or,
d'après les idées de l'Antiquité , les forces surnaturelles que possédait
une race , ne pouvaient lui venir que de deux causes , ou bien de sa propre
nature divine , ou bien de la puissance des Dieux qu'elle adorait. Pour
pouvoir se mettre en garde contre Xe^sAses , Giilfi avait donc besoin de sa-
voir s'ils étaient eux-mêmes des Dieux, ou s'ils n'étaient forts que par la
puissance de leurs divinités. Dans le premier cas, il lui fallait lutter contre
eux par le pouvoir divin de la magie ; dans l'autre cas , il espérait d'égaler
sa puissance à celle des Âses , en se mettant sous la protection des mêmes
Dieux qu'eux ils adoraient. En tout cas, il fallait apprendre à connaître,
soit les Ases eux-mêmes , soit leurs divinifés. Pour acquérir cette con-
naissance, Gulfi aurait pu se contenter d'envoyer, auprès des Ases^ des
espions appelés , par les Norrains , hommes d'exploitation (niosnar menn).
On choisissaitpour espions ordinairement des hommesquisavaientpratiquer
la magie; car c'est par des opérations magiques que ceux-ci, d'abord, se
transportaient, comme on croyait, en un clin d'œil, ou moyennant le iraws-
/jor^ciec/m (svip-far), auprès des personnes qu'ils devaient espionner, et,
ensuite, se rendaient invisibles , ou bien prenaient les déguisements néces-
saires. Gulji voulut faire la reconnaissance lui-même. Il ne voyagea pas
à pied ; mais, mettant à profit la science qu'il avait de la magie, il se rendit,
en un clin d'œil, auprès des Ases , en volant à travers les airs, par le trans-
port de clin. Snorri , d'après ses idées évhéméristes et ses combinaisons
historiques, se figurait les Ases^ et les représentait, comme des imposteurs
et des magiciens, qui, après avoir quitté l'Asie, où avaient régné leurs
pères, les véritables Ases ou Asiatiques, s'étaient établis successive-
ment dans la Thrace (Pays des Dakes et des Gètes) , dans le Pays-Saxe
(Germanie) et dans la iVarche-dane. Stiorri supposa qu'avant de s'établir
dans l'île de Sæla?id et en Suède , les Ases habitaient l'île de Fion (Fio-
nie). Les Danes de Fion avaient fondé , dans un îlot appelé Odinsey (Ile
d'Odinn), un sanctuaire qui était consacré à Odinn, et qui, dans la suite,
donna naissance à la ville d'Odensé. C'est là , d'après la supposition de
Snorri, que se trouvait, du temps de Gulfi , la Demeure ou le Nouvel
Enclos des Ases. C'est donc à Odinsey ., en Fion, que vint ce roi finne
pour espionner ses ennemis. Les Ases , qui étaient de grands magiciens,
et qui usaient de divination , s'aperçurent du voyage de GulJi avant que
lui-même ne fut arrivé chez eux. Pour lui donner tout d'abord une haute
opinion de leur puissance , ils lui préparèrent , par des opérations magi-
ques, des illusions de vue, de sorte que tout ce que Gulfi vit, chez les
Ases , était non pas la réalité , mais une pure vision produite par la fascina-
tion qui le trompait (voy. p. 74). Comme le sanctuaire d'Odinsey était
consacré à Odinn ^ qui, d'après Snorri, était le Roi des Ases, ceux-ci
formèrent, selon lui, par enchantement, une demeure qui put passer pour
le Palais d'Odinn, et il imagina qu'elle fut faite en imitation de Isi Halle-
des-Occis ^ qui ^ autrefois, avait été la Demeure du véritable Odinn, dans
l'ancien Enclos des Ases en Asie.
g 7. Forme extérieure de la HalIe-des-Occis. — Aussi longtemps que
les Dieux étaient encore zoomorphes (voy. p. 9), on ne songea pas à
10
14-6 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
leur assigner un domicile ou une habitation ; mais lorsqu'ils furent devenus
anthropomorphes , il fallait aussi, comme aux hommes, leur trouver des
demeures. Lorsque les hommes étaient encore nomades et vivaient sur
des chars ou sous des tentes , le sanctuaire ou la demeure assignée aux
divinités , était également soit sur un char, soit dans une tente. Les ancêtres
des Scandinaves , les tribus de la branche gète, n'ayant échangé la vie no-
made contre l'état agricole , qu'à commencer du quatrième siècle avant
notre ère, c'est aussi seulement vers cette époque qu'ils songèrent à
consacrer , à leurs divinités , à la fois des demeures fixes et des sanctuaires
ou des temples. Les divinités anthropomorphes , formant une race , une
famille , étaient censées habiter non-seulement des sanctuaires ou des
temples sur la terre, mais encore des demeures placées dans le ciel. On se
figurait ces demeures ceïe.ç^é'o-, à l'instar soit des temples ou sanctuaires, soit
des habitations des princes ; seulement on se les figurait plus grandioses,
plus belles et plus riches. Comme les habitations des hommes diiféraient
entre elles , selon les conditions de leurs maîtres , on concevait aussi ,
autant que possible , les demeures célestes des divinités d'une manière
quelque peu diiférente , selon leurs qualités et leurs attributions.
Odinn, étant devenu, chez les tribus de la branche gète^ le dieu su-
prême, il fut aussi le premier pour lequel on ait imaginé une demeure
céleste en rapport avec ses attributions. Odinn, comme dédoublement et
héritier de l'ancien dieu Ciel (Tins) , fut d'abord considéré comme Dieu
du ciel , et l'on se figurait sa demeure céleste comme une vaste halle (norr.
höll)^ ayant, pour toiture, la voûte céleste ornée d'étoiles. Odinn, comme
dédoublement du dieu Ciel, jadis considéré comme Père des vents, était ori-
ginairement le Dieu des vents fougueux; et, c'est pourquoi, on se figurait
sa demeure céleste comme une Halle des vents, c'est-à-dire comme une
halle carrée , ouverte des quatre côtés, et d'où sortaient les quatre vents
cardinaux. Lorsque , dans la suite , au lieu de quatre points cardinaux ,
en en distingua huit , la halle des vents carrée devint octogone , comme
l'était, à Athènes, la tour horologique des vents, construite par ^wrfro-
nikos Kurrhestès. Plus tard encore, lorsqu'on conçut une espèce de rose
des vents , la Halle d'Odinn prit tout à fait la forme ÓLnne Rotonde ayant
des portes dans toutes les directions.
L'ancien dieu i7ze/(Tius), comme Dieu des vents tempétueux, et comme.
Dieu Suprême, était, par cela même, aussi considéré comme Dieu des
tempêtes du combat, ou comme Dieu de la guerre. Son dédoublement
et son héritier Odinn y était donc également adoré comme Dieu des
Combats. En cette qualité , Odinn était censé recevoir chez lui les héros ,
qui avaient été occis dans les combats ; et c'est pourquoi la Halle céleste
d'Odinn eut le nom de Halle-des-Occis (norr. Val-höll).
Les guerriers germains ou Scandinaves formaient quelquefois , dans le
combat , ce qu'on appelait le Fort-de-Boucliers (norr. Skiald-borg) ou
le Cozivert-de-Boucliers (norr. Skiald-thak) \ c'était quelque chose
d'analogue à la tortut romaine (lat. testudo) , et peut-être même une
imitation de celle-ci. Autour du Chef qui portait l'enseigne (norr. merki)
se plaçaient, d'abord, ses fils et ses parents (voy. Ynglinga-saga^ c.25) ,
Duis les r litres guerriers de la troune ; et tous tenaient au-dessus de leur
NUMÉRO (2) (page 78) ; gulfi a odinsey. 147
tt'le leur bouclier, qu'ils serraient l'un contre l'autre , de manière à for-
mer une voûte de boucliers , au milieu de laquelle s'élevait l'enseigne du
chef. Les Scandinaves aimaient à donner au tertre tumulaire des chefs
qui avaient succombé dans le combat, la forme d'un Fort-de-boucliers.
On couvrait alors ce tertre d'un dôme de boucliers , au sommet duquel
on plantait l'enseigne du chef occis (cf. Sigurdrifn-mál , Introd.). A ces
tombeaux ainsi ornés , on donnait plus particulièrement le nom de Pro-
tège-Cadavre {norr.H?'æ-borg). Comme ^ d'un côté, lenomde Halle-des-
Occis avait quelque analogie avec celui de Protège-Cadavre, et comme,
de l'autre, on croyait trouver quelques ressemblances entre la Halle du
Chef des Occis et les tombeaux des Chefs des combattants, on aimait
aussi se figurer la Halle-des-Occis comme un magnifique Coiivert-de-
Boucliers. On imagina donc que la demeure céleste d'Odinn était une
Halle-Rotonde avec un toit de boucliers d'or , lequel remplaçait la voûte
ornée d'étoiles , dont , dans la conception primitive , cette halle était an-
ciennement couverte. Les Scandinaves couvraient leurs maisons de gazons,
ou á'écorce de bouleau, ou de chaume^ ou de bardeaux. Les boucliers
de ce peuple avaient, comme les bardeaux , la forme d'un carré oblong,
de sorte qu'une toiture formée par des boucliers d'or superposés les uns
aux autres , ressemblait assez à un toit formé de bardeaux. L'idée que la
Halle-des-Occis était couverte de boucliers d'or, était déjà générale-
ment admise en Mythologie, dès le neuvième siècle. Aussi le Skalde Thor-
biör?i, surnommé Pour/e7ideur-de-Co?'7ies {Uorn-kloiï)^ y fait-il allusion,
dans un chant de victoire composé en l'honneur de Haralld, Beau-de-
Cheveux (Hàr-fagr), sur le combat de Hafurs-Jiörd. Ce poète, adoptant
le style précieux et alambiqué de la poésie skaldique de son époque, em-
ploie , pour désigner les boucliers , l'expression de Écorces-de-bouleau
de la Salle de Flambant. Le nom de Flambant^ qui désigne le feu , le
serpent, etl'épée, est ici unnomépithétiqued'Oi//ww,, considéré sous la
formed'unSerpent. Laóa//e ö^'Orfmw, c'est la//a//e-</e5-Occ2s, et £^corce«
de bouleau, est une expression skaldique pour dire tuiles. Or les tuiles
de la Halle-des-Occis étant des boucliers, le poète, pour désigner des
boucliers, a pu emploier l'expression de Écorces-de-bouleau delà
Salle de Flambant.
\ 8. La Halle-des-Occis, d'après Snorri. — Snorri avait à donner une
idée de la demeure d'Odinn que les Ases avaient construite par enchan-
tement. D'après lui , cette Demeure était faite en imitation de l'ancienne
Halle-des-Occis , où avait résidé autrefois le véritable Odinn asiatique;
et il se figura la forme extérieure de cette Halle d'après quelques données
mythologiques ou traditionnelles, qu'il avait recueillies. D'abord, il se xè-
présenta la nouvelle -iTa/Ze-i/e^-Occ/o-, créée par la magie des Ases, comme
étant d'une élévation tellement prodigieuse que Gulji., bien qu'il rejetât
sa tête dans le dos , ne put atteindre du regard le couronnement de l'édi-
fice. Cette particularité merveilleuse est empruntée, sans doute, à-un
conte populaire sur la Demeure de Loki de \ Enclos-Extérieur , que
Snorri a lui-même raconté dans La Fascination de Gulji (voy. p. 120).
S'appuyant, ensuite, sur une autre donnée traditionnelle, Snorri se figure
et représente la Halle-des-Occis comme un immense Fort-de-boucliers
148
ou comme une vaste Rotonde couverte d'un toit de boucliers ; et, bien que
notre auteur dise, que, vu son élévation , on n'en pouvait pas voir le toit,
il ajoute cependant , d'après la tradition , que l'édifice avait un toit de
boucliers d'or. Comme cette dernière particularité n'était plus générale-
ment connue de son temps , il croit devoir apporter une preuve à l'appui
de son dire. Cette preuve , il la trouve dans les vers composés par Thor--
hiörn^ le Pourfendeur-de-Cornes (Hornklofi), vers qu'il attribue, par
erreur (cf. Fornmanna-sögur \0^ 491 ; Fagr-skinna) ^ au Skalde Tliio-
dolf^ qui était surnommé le domicilié de Hvin (norr. Hvin-verski) ,
parce qu'il était né à Hvin, en Norvège , et qui vivait , comme Thorhiörn,
à la cour de Haralld Beau- de- Cheveux. Plus tard Snorri, mieux in-
formé, lorsqu'il composa \Si Saga-de-Haralld [chsip. 19), restitua ces
vers à leur véritable auteur. Ces vers n'ayant aucun rapport direct avec
le récit qu'il avait à faire, Snorri aurait dû les citer seulement sous forme
de note, ajoutée au bas du texte. Mais les auteurs de l'Antiquité, de
l'Orient et du Moyen âge , ne savaient et ne pouvaient pas encore faire ,
dans leurs ouvrages , la distinction entre ce qui appartenait au texte et ce
qui devait être rejeté dans les Notes. Snorri a donc également inséré sa
citation dans le texte même , où elle fait, naturellement, disparate avec le
récit.
(3) GULFI ENTRE DANS LA HALLE-DES-OCCIS.
§. 9. L'Intérieur de la Halle-des-Occis. — Les traditions mythologiques
auraient pu fournir à Snorri des données sur l'intérieur, aussi bien que
sur l'extérieur de la demeure d'Odinn. Mais, soit que cet auteur les ait
ignorées , ou qu'il ait préféré à ces renseignements ses conceptions libres
et indépendantes , il a imaginé et représenté l'intérieur de la Halle-des-
Occis d'une manière qui cadrait avec l'ensemble de son récit. Sachant
qu'à toutes les époques les demeures des Dieux étaient conçues en imi-
tation soit des temples , soit des demeures des princes , Sno?^ri crut pou-
voir représenter l'intérieur de la Demeure d'Odinn d'après le spectacle
et l'arrangement que présentaient, de son temps, les temples les plus
remarquables du Paganisme Scandinave ou slave, et les châteaux des plus
puissants seigneurs féodaux. Comme les conceptions mythologiques se
modifient incessamment avec le temps, et prennent rang et autorité parmi
les traditions , les conceptions plus récentes font tout aussi bien partie
de la Mythologie , que les conceptions plus anciennes , devenues depuis
longtemps traditionnelles. Si donc le Paganisme norrain eût encore été
en vigueur en Islande, et que Snorri n'eût pas été chrétien , la manière
dont cet auteur a représenté l'intérieur de la llalIe-des-Occis, aurait
pour cette époque tout autant d'autorité en Mythologie , que les concep-
tions des poètes mythologues antérieurs. Mais comme SnoriH n'est plus
païen , ses conceptions mythologiques ne peuvent pas être considérées
comme appartenant au domaine de la Mythologie proprement dite. Aussi
le tableau qu'il fait du spectacle qui s'off'rait à Gulfi dans la Ilalle-des-
Occis, et qui ressemblait à ce qu'on voyait encore, du temps de l'auteur,
dans quelques temples païens et dans certains châteaux féodaux, a-t-il
pour nous plutôt une valeur scientifique ou archéologiifue. (\\w l'autorilé
d'une conception mythologique.
NUMÉRO (3) (page 78); gulfi dans la HALLE-DES- occis. 449
§10. Le Portier de la Halle-des-Occis. — A la principale porte d'en-
trée de la Halle-des-Occis , Gulfi rencontra un homme jouant aux cou-
teaux. Cet homme était le portier de la Halle, tel qu'il y en avait toujours,
du temps de Snorri ^ dans les châteaux, ayant pour emploi de héler,
d'annoncer et d'introduire les arrivants ou les étrangers. Ces portiers ,
ayant du temps de reste , s'exerçaient à des tours de force et d'adresse .
et remplissaient ainsi encore le rôle de maître de plaisir ou d^ joueur
(norr. leikari) du manoir féodal. Jouer aux couteaux de manière qu'il y
en avait toujours trois à la fois de lancés en l'air, cela passait déjà pour
une grande adresse ; mais faire voler ainsi en l'air jusqu'à sept couteaux,
il n'y avait , on le conçoit, que le portier A'Odinn qui pût en être capable.
Gulji ^ ayant ses raisons pour ne pas se faire connaître (voy. p. 69),
déclare au portier se nommer Piétonneur , c'est-à-dire Voyageur à pied.
La finesse normande savait ne pas dire la vérité sans précisément men-
tir. En effet, Giilfi pouvait bien se nommer Piéton7ieur , puisqu'il avait
l'air d'avoir fait le voyage à pied , bien qu'il l'eût fait d'une manière sur-
naturelle , en volant , en un clin d'oeil , à travers les airs. Il pouvait
également dire qu'il venait d'une contrée appelée Sentiers -Détournés
(norr. Rœfill-stigr) , parce qu'il avait passé, dans' sa traversée aérienne
(v. p. 144) , par des chemins qui étaient détournés des routes ordinaires.
D'ailleurs l'expression de ræfUl-stigr prêtait encore au quiproquo ; elle
pouvait être prise dans le sens de Sentier-de-Ræfill ^ et désigner ainsi
poétiquement la mer; car Ræfill était le nom d'un roi de mer (Sækonung),
et Sentier ou Chemin de Ræfill était , par conséquent , une expression
skaldique pour désigner l'Océan , sur lequel avait si souvent cheminé ce
roi de mer. Or, Gulfi pouvait bien dire qu'il venait de l'Océan ou du
Sentier-de-Ræfill , puisque , effectivement , il fallait traverser la mer pour
venir de la Suède, à Odinsey, dans l'île de Fionie, où, d'après Snorri,
Odinn est supposé avoir sa résidence.
§. 11. Les Allées de la Halle-des-Occis. — Les ancêtres des tribus de
la branche gète^ savoir les Scythes nomades , ne pouvant avoir des de-
meures fixes , avaient des habitations mobiles , espèce de cabanes de ber-
gers , c'est-à-dire des chars à quatre roues , surmontés d'une tente en
berceau et récouverte d'écorce de bouleau ou de peaux (voy. Les Gètes .
p. 98). Les Scythes laboureurs et les Gètes, étant devenus sédentaires en
s'adonnant àl'agriculture, échangèrent leurs chars contre des maisons, qui,
dans l'origine , n'étaient autre chose que des cabanes de bergers placées ,
non plus sur des roues , mais à terre. C'étaient, plus tard, des espèces de
blokhaus construits avec des fûts d'arbres superposés les uns aux autres,
formant un carré oblong et couverts d'un toit de chaume , d'écorce ou de
peaux. Ces blokhaus (norr. budir) étaient assez semblables à ceux que
construisent encore aujourd'hui les paysans russes, suédois, norvégiens,
suisses et islandais. Dans les pays Scandinaves, ces maisons furent con-
struites plus spacieuses. Comme elles étaient toutes orientées (voy. Les
Gètes , p. 94) , l'entrée se trouvait au bas du pignon oriental. En face
de cette entrée était le siège d'honneur , adossé contre le pignon occi-
dental, et élevé au-dessus du sol sur une espèce d'estrade qui longeait le
bas de ce pignon, ainsi que les longs murs de l'édifice. Dans la longueur
150 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
de la maison^ depuis l'entrée jusqu'à ce siège d'honneur, placé au fond, se
trouvait Vallée entre les deux longues estrades. L'allée étant plus bas que
le niveau des estrades , était , en quelque sorte , comme le lit d'une rivière ,
par rapport aux bords ; et, c'est pourquoi, on lui donnait aussi le nom de
cours ou de couloir (gète galauf; norr. golf). Comme cette allée était
ordinairement dans la direction de l'est à l'ouest, et qu'elle aboutissait
au siège d'honneur , devant lequel elle s'étendait jusqu'à l'entrée de la
porte à forient, elle avait aussi le nom de chemin ^en/ace (norr. önd-
vegi) ; et les deux mâts entre lesquels se trouvait placé le siège d'hon-
neur, et qui sortaient au-dessus du toit (voy. Les Gèles , p. 99) , portaient,
comme symboles de la demeure, le nom de Colonnes duChemin en face
(norr. öndvegis-súlur). Les salles très-grandes étaient divisées en plu-
sieurs compartiments, placés sous le même toit, réunis par des couloirs
transversaux, et ayant chacun son allée ; toutes ces allées aboutissaient à
l'estrade du siège d'honneur. Ces compartiments portaient eux-mêmes le
nom de allées. Depuis le septième siècle , les traditions épico-mythiques
représentaient la ilalle-des-Occis comme renfermant un grand nombre
à' allées. Snorri , pour donner une haute idée de la grandeur de la de-
meure d'Odinn à Odinsc-y , dit que Gidjî y vit mainte allée, et , dans cha-
cune , des gens de la garde, qui faisaient ce qu'on voyait ordinairement
faire aux hommes dans les châteaux féodaux ; les uns jouaient, les autres
buvaient, d'autres encore faisaient des armes.
g. 12. Les Portes ensorcelées de la Halle-des-Occis. — La circonstance
que les portes se ferment sur le talon de Gulji, est empruntée à des tra-
ditions populaires, et doit énoncer, ici, indirectement, que l'entrée des
Salles d'Odinn ou de la Halle-des-Occis n'est pas ouverte ou permise à
tout venant , mais seulement à ceux auxquels le Destin {örlög) et Odinn le
permettent. C'est pourquoi les portes s'ouvrent et se ferment d'elles-
mêmes, par un effet de magie ou d'enchantement. Lorsque GulJi se vit
empêché de ressortir à volonté, et se trouva en présence de maintes choses
qui lui firent reconnaître qu'il avait à faire à la magie, alors il se rappela,
mais trop tard , il est vrai , certains vers du chant eddique , intitulé Dits
du Très-Haut (Hâva-màl), lesquels recommandent la prudence, cette vertu
cardinale , si indispensable dans ces siècles de barbarie , où la vie de
l'homme était, à chaque instant , menacée par des ennemis nombreux, qui
ajoutaient encore, quelquefois, au danger provenant de leur violence et de
leur perfidie , celui des forces pernicieuses de la magie. Les vers du Hdva-
mdl rappellent un passage analogue du Bhaghavat- Pouranam (éd.
Burnovf , I , p. 57) , où il est dit :
« Le plus beau des descendants de Manou , quoique désireux de voir
«la ville de ses ennemis , n'y entra pas cependant; en effet, disait-il.
(W homme ne connaît Jamais les desseins de ceuæ qui disposent de
« moyens magiques. »
(4) GULFI DEVANT LES TROIS CHEFS.
g 13. Les Dieux Trinaires. — Dans l'origine, les divinités étaient seule-
ment particulières à la famille et à la tribu. Chaque famille ou tribu
n'adorait qit'une divinité. Or, si l'on appelle monothéisme celle religion
NUMÉRO (A) (page 79) ; gulfi devaînt les trois chefs. 151
des familles et des tribus primitives, qui toutes n'adoraient d'abord qu'une
seule divinité , sans que pour cela elles aient nié l'existence et la puis-
sance de divinités autres que celles qu'elles adoraient, il faut dire que le
Monothéisme, chez toutes les races primitives, 2i précédé le Polythéisme;
mais si l'on appelle Monothéiyme la religion qui aflBrme qu'il n'y a qu'w?i
Dieu , quel qu'il soit, et qu'il ne peut pas y avoir plusieurs Dieux, alors le
Monothéisme, ;pris dans son sens véritable, n'a pas été la religion /îrme-
tive , mais il a succédé plus tard à la religion primitive polythéiste , après
que l'idée d'un Dieu national sw^jrewe se fut formée dans le Polythéisme,
et que ce Dieu suprême, au lieu de rester simplement Dieu national,
comme il l'a été dans l'origine , fut considéré comme Dieu universel, à côté
duquel toutes les autres Divinités polythéistes durent s'effacer ou passer
pour ûe/aiisses divinités. Lorsque , dans la suite , plusieurs tribus se furent
réunies pour former une nation, chacune des tribus conservant sa Divinité
primitive, le Polythéisme, c'est-à-dire l'adoration de plusieurs divinités,
s'établit naturellement au sein de cette nation ; seulement, dans le nombre
plus ou moins grand de ces Divinités , l'une d'entre elles , pour diverses
raisons, devint la Divinité suprême. A cette divinité suprême on en as-
socia souvent une seconde., quelquefois aussi une troisième. Les Dieux
trinaires devinrent même assez fréquents dans les religions, parce qu'on
aimait naturellement considérer , comme des divinités du premier rang ,
celles qui présidaient au Ciel , à la Terre et en l'Enfer, ou bien celles qui
présidaient à l'Air, au Feu et à l'Eau. Les trinités s'établirent donc par suite
du nombre ternaire des choses, auxquelles ces Divinités étaientcensées pré-
sider , et non par suite d'une idée de sainteté qu'on aurait ajoutée , dès
l'origine , au nombre trois , qu'on eût considéré comme nombre sacré. C'est
seulement plus tard qu'on établit un rapport mystique entre les divinités
suprêmes et le nombre trois ; et , par suite des tendances au fétichisme,
qui se manifestent plus ou moins dans toutes les religions , on appliqua
l'idée de saint et de sacré non-seulement aux divinités auxquelles seules
cette idée peut être appliquée , mais encore à des objets inanimés , parla rai-
son qu'ils étaient censés appartenir à ces divinités. Voilà pourquoi on con-
sidérait le nombre trois, qui passait pour être un attribut des divinités
suprêmes, comme un nombre sacré. Enfin, les théologiens et les philo-
sophes, tels que Pythagore, commencèrent à attribuer des propriétés mys-
tiques aux nombres en général ; et dès lors , trois étant surtout considéré
comme un nombre sacré , on aimait aussi à se figurer que des Personnes
ou des Choses sacrées étaient précisément au nombre de trois.
§ 14. Sublime, Équi-Sublime et Troisième. — Chez les ancêtres des
Scandinaves ou chez les tribus de la branche gète , le Dieu suprême Fd-
thans, appelé plus tard Odinn, formait une espèce de Trinité , avec les
divinités qui étaient les plus importantes après lui, avec le Dieu des eaux
et du soled, nommé Chaguneis (norr. Hœnir) ou Vili^ et avec le Dieu
de la foudre , nommé Chlôdurs (norr. Hlôdu7'r) ou Veihs (norr. Vê).
Les Scandinaves de la Suède et de la Norvège considéraient, comme Dieux
suprêmes, les dieux trinaires Odinn (substitué à Tyr) , Freyr (substitué
à Hœnií') et Thor (substitué à Hlôdurr). Snorri , d'après ses idées évhé-
méristes, ne voyait dans les Ases du iNord que des imposteurs qui,
152 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
moyennamt la magie , s'étaient fait passer pour les Ases (asiatiques) vé-
ritables. Il se figurait que parmi ces prétendus dieux établis en Fionie , il
y en avait aussi trois Chefs suprêmes, qui remplissaient les rôles des trois
anciennes divinités suprêmes, Odinn, Freijr et Jhôr. Soit qu'il ait voulu
exprimer que ces trois Chefs ont usurpé des noms qui ne leur apparte-
naient pas, soit qu'il ait jugé convenable que ces Chefs aient déguisé leurs
noms pour mieux tromper ou fasciner Gulji, Snorri ne leur a pas donné
les noms de Odinn, de Freyr et de Thôr^ mais ceux de Hâr (Sublime),
A^lafnhâr (Équi-Sublime) et de Thridi (Troisième). Il est vrai que Hâr
était déjà un nom épithétique traditionnel á'Odinn, considéré comme
dieu suprême; mais la/nhâr n'a jamais été un nom épithétique de Fj^eyr,
ni Thridi^ un nom épithétique de Thôr. lafnhâr était , comme //ar, un
nom épithétique A' Odinn ^ considéré comme ayant un caractère aussi su-_
blime que celui des deux autres divinités trinaires , Vili et Fe, qui lui
étaient associées, ou qui passaient pour ses frères. Enfin, Thridi était
également un nom épithétique de Odinn , considéré comme le troisième,
par rapport à' Hœnir et à Hlodur^ ou à Vili et à Vê ^ ou à Freyr et à
Thôr. C'est pour une raison analogue que, dans la Mythologie védique,
le fils du dieu Indras eut le nom de Tritas (Troisième); et dans le Rig-
vêda (105, Comment. , v. 9), trois Saints (R'chayas) sont appelés, l'un
Maias (Unième), l'autre Z)t*eYa.ç (Deuxième), et le dernier Tritas (Troi-
sième). Snorri choisit les trois noms de Sublime, de Équi-Sublime et de
Troisième, pour indiquer que les trois chefs des Ases, dans Fionie, se
valaient tous l'un l'autre en dignité et en puissance, et, peut-être même,
qu'ils étaient tous également des imposteurs.
l 15. Gulfi en présence des trois Chefs. — Dans les temples Scandina-
ves , les Statues des Divinités se trouvaient placées à l'endroit où , dans
les habitations ordinaires, se voyait la place d'honneur, entre les Co-
lonnes du Chemin en face (voy. p. 150). La statue de la Divinité était
donc placée au fond du sanctuaire, en face de l'entrée, et le visage tourné
au soleil levant. Quelquefois le temple renfermait, non pas seulement la
statue d'une seule divinité , mais les images des deux et même des trois
divinités principales de la religion norraine , savoir, â' Odinn, áe Freyr et
de Thôr. Comme dans le Paganisme on évitait avec soin de marquer exté-
rieurement une préférence pour telle ou telle divinité , afin de ne pas
éveiller des susceptibilités jalouses dans celles qui se seraient vues relé-
guées à une place réputée inférieure , on plaça, dans le temple, les statues
des divinités l'une à côté de l'autre. Cependant, comme entre des per-
sonnes supposées du même rang et de la même dignité , il y avait cepen-
dant à tenir compte de la différence d'âge , qui établissait un certain droit
de préséance , la première place dans le temple était donnée , ou bien à
la divinité locale , qu'on adorait de préférence comme divinité protectrice
de l'endroit ou de la tribu, ou bien à Odinn, qui passait pour le Dieu
suprême , ou pour le Père et le Chef des Ases. Mais quelle était la place
réputée la première ? On considérait comme la première place , celle où
la personne, qui y était assise, n'avait pas une autre personne à sa droite.
La personne qui occupait la première place , avait donc à sa gauche les
aiftres places réputées /w/'ér/eî/rg.ç , la gauche passant généralement, chez
NUMÉRO (4) (page 79) ; gulfi devant les trois chefs. 153
les peuples de la branche gète , pour le côté inférieur; aussi portait-elle,
dans les idiomes de ces peuples , un nom qui exprimait cette infériorité.
(Voy. Grimm , Geschichte d. d. Spr. , p. 989^ suiv.)
Snorri, supposant que, du temps de Gul/i, les Ases du Nord n'ont
pas encore eu, chacun, sa demeure particulière ou son temple à part,
imagina que Odinn, Freyr et Thôr, habitaient ensemble, avec les autres
Ases et \s^mes^\2iHalle-des-0ccis , que, par enchantement, ils avaient
élevée , plus magnifique dans Odînseij en Fionie (v. p. \ 45) ; et se rappelant
la disposition des statues d'Odinn , de Freyr et de Thôr, dans les anciens
temples norrains, il imagina aussi que , dans cette Halle-des-Occis , Odinn^
Freyr et Thôr occupaient, comme Chefs, les trois places honorifiques,
de manière que Sublime , jouant le rôle d'Odimi le père , eut à sa gauche
son fils Équi-Subli77ie ^ qui représentait Fre?/r^ et qui avait également, à
sa gauche, son frère Troisième^ le représentant de l'ancien Thôr.
Gulfi, voulant se présenter au Roi ou au Maître de la Halle-des-Occis ,
dans laquelle il est entré, traverse l'enfilade des salles, et enfin, toujours
en suivant l'allée (norr. golf) ou le couloir du milieu , il arrive dans la
dernière salle , où siègent les trois Chefs. Gulfi , allant au bout du cou-
loir, s'arrête devant la personne de Sublime, qui est placé sur le siège
d'honneur, entre les Colonnes du Chemin d'en face ; les deux autres sièges,
où sont assis Èqui-Sublime et Troisième, se trouvent , l'un et l'autre ,
à gauche de celui de Sublime. Or, comme Gidfi se tient en face de ce
dernier siège , ceux à' Équi- Sublime et de Troisième se trouvent plus
éloignés de lui à sa droite, et, par conséquent, placés l'un au delà (norr.
uppfrd) de l'autre. Cette expression de au delà ayant été généralement
prise dans le sens de au-dessus (norr. yfir) , il en est résulté que l'on
s'est figuré les trois sièges de Sublime, de Équi-Sublime et de Troisième
comme placés l'un au-dessus de l'autre. Un ancien dessin, qui, à en juger
d'après le style , date du seizième siècle, et qui est reproduit dans l'Edda
de Resenius .et de Bartholinus , représente Gulfi placé en face des trois
Chefs , qui siègent sur trois trônes , dont le premier est moins élevé que
le second, et le second moins élevé que le troisième. Par cette fausse in-
terprétation du texte et cette représentation inexacte de la scène , on a
introduit dans le récit de Snorri des difiicultés inextricables et des con-
tradictions absurdes. On ne s'est pas aperçu qu'en admettant une diff'érence
dans l'élévation des sièges , cette différence n'aurait de sens qu'autant
qu'elle exprimerait symboliquement la différence de puissance et de dignité
qui serait supposée exister entre les personnes occupant ces sièges. Mais
ce qui prouve, tout d'abord, que Snorri ne voulait pas exprimer une iné-
galité entre les trois chefs , c'est qu'il a choisi exprès pour eux des noms
qui , tout au contraire , expriment leur égalité quant au rang et à la dignité.
Ensuite , en admettant , par impossible , qu'il ait voulu exprimer par la
différente élévation des sièges , une inégalité entre les personnages, il ne
se serait pas avisé d'assigner le siège le plus élevé à Troisième, comme
cela résulte cependant de cette fausse interprétation : il aurait, du moins,
donné la préséance ou le siège le plus élevé à Sublime , qui est repré-
senlé comme le Père et le Chef des Ases.
g 16. Gulfi provoque les trois Chefs. — Dans l'Antiquité, les lois de
154- COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
riiospilalité défendaient de s'informer des affaires du nouvel arrivé ou de
riiôte, avant de lui avoir fourni tout ce qui était nécessaire pour son en-
tretien. Aussi Sublime ne demande pas , tout d'aljord , à Gulfi , quel but
l'amène ici chez lui ; il ne lui adresse cette question qu'après lui avoir
déclaré que le manger et le boire lui revenaient de droit comme à tous
les hôtes , dans la Halle-des-Occis , où , du reste , nul n'est traité chi-
chement. Piétonneur^ sachant bien que c'est seulement en gardant le se-
cret (voy. p. 69) , qu'il arriverait au but qui l'avait amené à Odinsey ,
déclare qu'il vient voir s'il y a ici quelqu'un qui, par son savoir , puisse
se mesurer avec lui. Sublime, ainsi provoqué à une joute scientifique,
répond , en son nom et en celui de ses assesseurs , qu'il accepte le défi ;
et, en répétant les paroles renfermées dans \esDits de Fa/thrûdnir {\oy.
Poèmes islandais, p. 263) : « Ttt Qie sortiras jjcis, » etc. , il déclare que^
cette joute de science sera une joute à outrance ou à la mort (voy. p. 56).
Piétonneur ayant provoqué au combat 5w6/me, dans sa propre demeure ,
s'est déclaré, par cela même, son ennemi. Il a rompu la paix domes-
tique (norr. heimfridr) , qui, chez les peuples de la branche gète, pas-
sait pour ce qu'il y avait de plus inviolable et de j)lus sacré. Dès lors
Piétonneur ne peut plus être considéré , dans la Halle-des-Occis , comme
un hôte, devant jouir du bénéfice de l'hospitalité; il ne peut pas même
demander , pour sa personne , les égards dus à un étranger qu'on respecte
et qu'on honore ; et, c'est pourquoi , il ne peut pas invoquer le droit de
prendre place comme hôte du logis ; il est obligé de se tenir debout dans
l'allée {gol^) pendant qu'il adresse ses questions aux trois Chefs dont il
vient de faire ses adversaires. Sublime, étant supposé être le substitut
de l'ancien Odinn, qui connaissait le mieux les traditions (runes) et les
mystères (v. p. 58) , est aussi le principal jouteur dans la lutte qui va
s'engager; et , parmi les trois Chefs, c'est lui qui répond le plus souvent
aux questions posées par Gulji. Equi-Sublime, étant considéré par Snorri
comme le substitut de l'ancien Freyr, répond toutes les fois que les ques-
tions de Piétonneur concernent plus particulièrement l'Ase Freyr. Enfin
Troisième, qui est, selon Snorri, le subsitut de l'ancien Tliôr, ne prend
la parole que lorsque les questions adressées par Piétonneur se rappor-
tent aux actions et à la personne de Thôr , son prototype.
(5) PÈRE-UNIVERSEL ET SES DIFFÉRENTS NOMS.
1 17. Les Bivinités suprêmes. — Les Religions primitives ont commencé
par la conception et l'adoration Aq^ Dieux, qui étaient des objets divini-
sés de la nature, tels que le soleil, la lune, le ciel, la terre , le feu et
l'eau , etc. Ces divinités , d'abord particulières à chaque famille ou tribu
(v. p. 150), furent adorées, dans la suite, par la nation entière, et for-
mèrent ensemble une famille de Dieux. C'est alors seulement qu'on put
songer à mettre entre elles des rapports de parenté et de hiérarchie pa-
triarchale, et dès lors il y eut un Dieu suprême. L'idée d'un Dieu suprême
est donc postérieure à la conception de la plupart des Dieux subordon-
nés. Ce n'était pas ordinairement la divinité la plus anciennement adorée
(|ui devint Divinité suprême. Ce premier rang fut assigné à tel ou tel Dltiu
pour des raisons très-diverses. Le plus souvent ce fut la Divinité adorée
NUMÉRO (5) (page 79); père-universel; ses différents noms. 155
par la tribu prédominante au point de vue social , qui ^tint ce premier
rang. L'idée de Dieu siqwême impliqua ensuite celle de Père des Dieux
et , par suite , encore celle de Père de la Nation. Chez les Scythes ou les
ancêtres des Scandinaves, l'idée d'un Dieu suprême se fixa dans la période
entre l'an 1000 et l'an 600 avant notre ère. Le dieu Tivus (Ciel) devint le
Dieu suprême., et , en cette qualUé, il fut aussi considéré comme le Père
des dieux et comme r.//iezi /des nations scy thés. Aussi Tivus eut-il le nom
épithétique de Aïeul (scythe Pappaïus , nom adjectif formé de Pappa ,
père). Chez les tribus de la branche gète, entre le cinquième et le pre-
mier siècle avant notre ère, Tius, l'ancien Tivus des Scythes, fut rem-
placé, comme Dieu suprême, par Vâthans^ qui, comme Père des Dieux
et des hommes et comme Protecteur de l'univers, eut le nom épithétique
de All-Vatar (Père universel). Chez les Scandinaves , à commencer du
premier sièHe de notre ère, ce nom, sous la forme de Allfödur, est
resté, comme nom épithétique, au Dieu suprême Odinn.^ l'héritier de
l'ancien Vâthans.
Dans l'exposition d'une Mythologie quelconque, le meilleur ordre à
suivre c'est l'ordre naturel, c'est-à-dire Tordre qui a été suivi dans la
formation et le développement même de la Mythologie (voy. p. 47). Mais
pour pouvoir reproduire cet ordre naturel , il faut d'abord le connaître;
il faut savoir quelles sont les lois d'après lesquelles se fait le développe-
ment inte?'ne ou logique de la Mythologie, et comment se succèdent
chronologiquement les phénomènes externes ou les mythes, qui sont l'ex-
pression de ce développement interne. Snorri., ayant pour but de donner,
dans La Fascination de Gulji, un exposé méthodique de la Mythologie
norraine, aurait dû suivre, dans ce traité , l'ordre naturel des matières,
le seul qui soit scientifique. Mais cet auteur ne savait et ne pouvait pas
savoir quel était cet ordre naturel ou génétique , et c'est pourquoi il a
suivi, dans la disposition des matières, une marche qui lui était indiquée par
un prétendu point de vue historique, étranger au sujet. Déjà les anciens,
consiáérííni les Divinités suprêmes comme les Créateurs du Monde, ex-
pliquèrent l'histoire de l'univers en remontant jusqu'à elles ou en com-
mençantpar elles; a Jove principium. Snorri, portant dans la Mythologie
norraine son idée chrétienne d'un Dieu absolu. Père de l'univers., et
rencontrant, dans cette Mythologie, Odinn, qui était surnommé Père- f/'/i/-
versel (Allfodur) , crut devoir commencer son exposé mythologique par
ce Dieu suprême. Ensuite , d'après le dogme chrétien, le Paganisme n'est
que l'aberration des païens , ou leur déviation de l'Orthodoxie ou du Mono-
théisme primitif, de sorte que Shori-i fut, sans doute, porté à voir dans
Allfodur une réminiscence obscurcie et défigurée de la Religion de Jéhova ;
il ramena donc, par la pensée, cette divinité suprême des Norrains, à son
type véritable, ou au Dieu des chrétiens. Ce qui a encore déterminé 5?iorr2
à commencer son traité par le Père-Universel^ c'est qu'il s'est laissé in-
fluencer, non par les exigences de la science mythologique, mais par celles
des données fictives , choisies pour l'Encadrement de son Traité. En effet,
le but que se propose Gulji en venant à Odinsey , c'est d'apprendre des
Ases quelles sont les Divinités qu'ils adorent , et qui sont la cause présji-
mée de leur puissance extraordinaire (voy. p. 68). Aussi Gw//î est-il parfai-
156 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
tement dans son rôle en s'empressant de poser, comme toute première
question, celle concernant le Dieu Suprême , le plus puissant de ces divi-
nités. Mais si &iiorri a réellement cru devoir ainsi satisfaire aux exigences
épiques de l'Encadrement, il ne se sera pas aperçu qu'en donnant, dès le
commencement du Traité , une réponse à la question la plus importante
que pût adresser Gulji, ce roi ne pouvait plus, dès lors, avoir un
autre intérêt que celui de la simple curiosité , en adressant encore , dans
la suite, d'autres questions ayant une moindre importance. Quoi qu'il en soit,
au point de vue de la science, Snorri a eu tort de commencer son Traité
par IÇiPèî'e-Universel, au lieu de le commencer par le fonds primitif de toute
Mythologie , par la conception et l'adoration des Divinités , qui , seule-
ment plus tard , ont été hiérarchisées ou considérées comme subordon-
nées à une divinité suiyréme. 11 a tort de croire que le dieu suprême est
aussi le plus ancien. 11 est encore dans [l'erreur en croyant que Père- Uni-
versel signifiait , chez les Scandinaves , également Créateur des hommes
et de l'univers, tandis que ce nom ne signifiait que Père des Dieux et des
hommes , et Protecteur du monde. Enfin il a tort de croire ou de faire
croire que Allfodur est le véritable nom iwo'pre du Dieu suprême,
tandis que ce dieu était nommé Odinn, et que Père- Universel n'était
qu'un de ses nombreux noms épithétiques et l'un des plus récents.
g 18. Origine des noms propres et des noms épithétiques des Divinités.
— Dans l'origine , les dieux primitifs étant des objets de la nature apo-
théoses , chacune de ces divinités n'avait, comme ces objets eux-mêmes,
qu'un seul nom , qui devint son nom p7'opre\ de sorte que le nom propre
'primitif de la divinité était le même que le nom qu'on donnait à l'objet
dont cette divinité était l'apothéose. Aussi longtemps que la divinité n'a-
vait qu'un seul nom , elle n'avait aussi qu'une seule attribution, savoir celle
qui était exprimée par son nom ou par celui de l'objet qu'elle représentait. Ce
nom propre unique et primitif, étant le plus ancien, avait aussi une forme
grammaticale ancienne ; c'était un nom d'une forme simple et primitive.,
c'est-à-dire qu'il n'était ni un nom dérivé, ni un nom composé. Ainsi,
par exemple, chez les Scythes, un des dieux primitifs avait le nom propre
de Tivus (Ciel), nom simple de forme , et identique au nom primitif qui, dans
la langue Scythe , désignait le ciel. Encore dans les temps postérieurs , on
reconnaît, dans les Mythologies des peuples lafétiques , les noms propres
primitifs des dieux, à leur forme simple. C'est ainsi, par exemple, que,
chez les peuples de la branche gète, le dieu qui a été l'héritier du dieu
Tivus , eut le nom de Vâthans (plus tard Odinn) , nom propre simple
signifiant Impétueux , c'est-à-dire désignant la qualité principale oîi
unique qu'on attribuait au Vent, dont Oc?mw était la personnification. Mais
à mesure que les divinités primitives , outre leur attribution unique , expri-
mée par leur nom propre, eurent encore d'autres attributions ou des
qualités physiques, morales ou intellectuelles, plus ou moins en rapport
avec leur attribution primitive, elles prirent aussi, chacune, plusieurs
noms, qui, à côté de leur i\om2)ropre primitif, étaient des noms épithé-
tiques , exprimant les diiTérentes qualités attribuées à cette seule et même
divinité. Ces noms épithétiques , s'étant formés postérieurement aux noms
propres primitifs, ont aussi r/énéra/cmcntnm' forme grammaticale /jo.v-
NUMÉRO (5) (page 79) ; les noms épithétiques d'odinn. 157
térieure, à laquelle ils sont reconnaissables , savoir la forme de noms
dérivés et de noms comjwsés. r/est ainsi , par exemple , que le dieu
Odinn, outre son nom propre simple, a eu plusieurs noms épithétiques,
entre autres , le nom épithétique de All-födur , dont la forme composée
indique sa formation relativement postérieure. Cependant, comme cer-
taines attributions peuvent être exprimées par des adjectifs ayant une
forme simple, il se trouve aussi, parmi les noms épithétiques , des noms
qui ne sont pas composés. D'un autre côté , comme certaines divinités
sont nées du dédoublement des divinités antérieures, c'est-à-dire qu'une
divinité s'est spécialisée en autant de divinités qu'elle avait d'attributions,
de sorte que les noms épithétiques et composés de cette divinité sont
devenus les noms propres d'autant de divinités dédoublées ou distinctes,
il est arrivé naturellement que, parmi les nomsjiirojores de ces divinités,
dont quelques-unes sont assez anciennes , il s'en trouve aussi plusieurs
qui sont des noms composés. Ainsi le dieu 'Soleil ayant chez les Scythes
le nom épithétique de Targifavus (Brillant par la large), la plupart des
tribus Scythes, en dédoublant le dieu Soleil (Svalius) , distinguèrent entre
ce dieu et le dieu appelé Brillant par la Targe^ ou bien adorèrent le
soleil à la fois comme dieu Svalius et comme dieu Targitavus.
Comme , en général , la formation des mythes ne s'est pas faite d'une
manière systématique ou réfléchie, mais d'une manière spontanée ou invo-
lontaire , le nombre des attributions et, par suite, des noms épithétiques
donnés à une divinité, dépendait d'une foule de circonstances fortuites, et
n'était pas déterminé d'avance par un système religieux quelconque. C'est
ainsi , par exemple , que les noms épithétiques du Dieu suprême Odinn
étaient très-nombreux; mais leur nombre n'était ni invariablement rap-
porté dans les Poèmes eddiques , ou dans les Sagas traditionnelles , ni sys-
tématiquement limité et déterminé dans aucun document mythologique. Il
est vrai que, dans certaines Religions jt)os2Ï2fe5 , l'autorité, soit du Fon-
dateur, soit du Sacerdoce, a pu déterminer d'une manière fixe et arbi-
traire, le nombre des noms épithétiques à donner à la Divinité. C'est ainsi
que la doctrine de l'Islam a établi , d'après le Koran , que Dieu avait cent
noms , ni plus ni moins. Mais semblable chose n'a pu avoir lieu chez les
peuples de la branche grèie , qui n'avaient ni prêtres formant caste, ni
doctrine sacerdotale, ni religion positive.
Snorri savait que le Dieu suprême de la Mythologie norraine se nom-
mait Odinn. Mais , d'après son système historico-mythologique , les Ases
du Nord n'étaient que les imitateurs des anciens Ases , des Ases vérita-
bles , ou des Ases asiatiques. Ensuite , comme il avait une prédilection
marquée pour le nombre rond douze , et comme , sans doute , il avait
entendu parler des douze dieux de la Mythologie grecque et de la Mytho-
logie romaine, il se figura que , dans l'ancien Enclos-des-Ases, il y avait
eu aussi douze Divins (norr. Dîar) ou Devins, ayant, pour Chef , le Dieu
ou Magicien suprême, Odinn. Ensuite, comme il y avait, selon lui,
douze dieux , il s'imagina , dans son esprit systématique , que l'ancien dieu
suprême Odinn avait porté également douz-e noms. C'est pourquoi il fait
dire à Gulfi par l'imposteur Sublime (qui contrefaisait , dans le Nord ,
l'ancien Odinn). que le Dieu suprême, nommé, dans la langue norraine,
158 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
All-födur^ avait, anciennemoiit douze noms; ot pour pouvoir indiquer
ces douze noms, il choisit, parmi les noms épithétiques d'Odimi^ ceux
qu'il ne savait pas s'expliquer, et qui, pour cette raison, lui semblaient
être les plus anciens ou appartenir à la langue parlée dans l'ancien Js-
gard. Il connaissait bien encore un plus grand nombre des noms épithé-
tiques ù'Odinn (voy. p. 96), mais il semble croire que ces autres noms
ne sont pas aussi anciens que les douze qu'il énumère dans ce paragraphe.
1 19. Explication de douze noms épithétiques d'Odinn. — Il est sur-
prenant que Snorri ne cite pas , parmi les douze noms du Dieu suprême,
celui á'Odinn, qui était cependant le nom qu'il aurait dû énumérertout le
premier, comme étant le seul nomjaropre primitif de ce dieu suprême;
car tous les autres noms, même les douze qu'il cite, ne sont que des
^om^ épithétiques. ?om les raisons que nous avons indiquées (v. p. 155),
Snorri a préféré substituer au nom d'Odinn celui de Père- Universel.
Yoicî la signification et l'explication de ces \% noms épithétiques :
1° All-fodur. A l'époque très-antienne, lorsque, dans la race blanche,
les rameaux iafétique et sémitique ne s'étaient pas encore séparés l'un
de l'autre, on désignait le père par le monosyllabe labial ^íæ, dont le son
n'exprimait encore aucune notion particulière , mais était une simple
exclamation empruntée au langage enfantin, qui, pour la facilité d'émis-
sion , préfère tout d'abord les articulations labiales. Pa (père) était mis
en antithèse avec ma (mère), autre son labial. Lorsque , dans la suite, les
deux rameaux indiqués de la race blanche se furent spécialisés , les mots Pa
et Ma se conservèrent dans les langues sémitiques, sous la forme trans-
posée de ab (père) et de am, em, um (mère). Ils se conservèrent égale-
ment dans les langues iafétiques^ sous la forme de api{cf. lat. avus, norr.
a/i, qui, originairement, signifiaient père), et sous la forme réduplicative
de papa (dorien appha; cf. Théok. Fisc. 26), et de marna. D^papa (père)
s'est formé , dans la langue scythe^ l'adjectif pajöa-/w5 (appartenant au
père, ou père du père) signifiant aïeul. Aussi , comme les Scythes se di-
saient les fils de Targitavus (Soleil), et comme Targitavus était le fils
de Tivus (Ciel), Tivus , comme aïeul des Scythes , eut le nom épithé-
tique de Papaïus. Par le changement postérieur de la labiale en une den-
tale , un peu plus difficile à prononcer , il se forma de bonne heure, à côté de
l'ancien mot api (père), le mot similaire et synonyme de ati^ qui n'exprimait
pas plus que a/j/une notion particulière , mais qui prit, comme lui, la signi-
fication de jðére et de aïeul ^ en grec (attique atta., père, tetta\ dor. dâ
p. dada , aïeule ; ion. Dè-mèter^ Yieille-Mère , Terre) , en latin [at-avus.,
l'aïeul du père), et en scythe, où il a dû exister avant que la race scythe
se fût divisée en deux branches , la branche sarmate (slave) et la branche
gète (gote) ; car ce mot existe , sous différentes formes , dans les langues
d'origine sarmate et d'origine gète. Dans les idiomes de la branche sar-
mate , la forme réduplicative a produit le lithuanien dêdas (le vieux) ,
l'illyrien dëda (la vieille), etc. ; l'ancienne forme diminutive otiek (petit-
père , père) , a produit le russe otets , le bohème otez , le polonais oit-
chets, etc. Pour les idiomes de la branche gète , le mot se trouve dans le
gothique {atta^ père), dans le vieux-frison {atta), dans le vieux allemand
(affo), dans le norrain {edda . aïeule), etc. Les f.oths ont formé de a fia
NUMÉRO (5) (PAGE 79); LES NOMS ÉPITHÉTIQUES d'oDINN. 45U
(père) le diminutif a^f//«s (petit-père, ours), qui devint, entre autres, le nom
propre du roi des Huns'. Les Norrains formèrent également les diminu-
tifs Atli (petit-père , petit vieux) et Jtla (petite-vieille) , qui furent fré-
quemment employés, comme noms caritatifs, pour désigner Y ours et
V ourse, d'après les idées des peuples de la branche gète^ le roi et la reine
des animaux. Aussi le nom á'Attilas , donné au roi des Huns , celui à'Jfli^
donné comme nom épithétique à Thôr, et ceM à' Jtla, donné à l'une
des neuf mères de Heimdall, impliquèrent-ils, les deux premiers, la
signiiication Amours, et le dernier , celle A' ourse.
Postérieurement à l'époque où se sont formés ces noms primitifs de
papa et de atta, mais antérieurement à la dispersion des peuples de la race
iafttique ,S\. s'est formé le m^lpatar, qui n'était pas simplement, comme
papa et atta, une articulation du langage enfantin , mais un mot propre-
ment dit , exprimant par son radical et par sa forme grammaticale , la no-
tion Oie protecteur, ou du^jère considéré comme protecteur. En effet, le
radical jm. désignait , par la nature même de ce son , d'abord le rapport
locatif 52<r, etpar suite, l'idée de couvrir, Ae protéger; de sorte que la forme
grammaticale patar énonçait naturellement l'agent de la protection, ou la
notion de protecteur. Ce mot nouveau s'est maintenu , sous difTérentes
formes, dans presque toutes les langues de la famille lafétique ; et comme,
peu à peu , il s'est substitué aux anciens noms primitifs de papa et de
atta , il est arrivé quelquefois que ces noms , quoique plus anciens, n'ont
pu autrement se maintenir , dans la langue , à côté du moi patar, qu'en
laissant à ce mot nouveau la signification propre de j^ère, et en pre-
nant celle, plus dérivée, à' aïeul (cf. lat. avîis; norr. aji).
Le dieu suprême , Tivus , qui , comme ^?ère des dieux et comme aïeul
de la nation , avait eu , chez les peuples scythes , le nom épithétique de
Papaïus , prit , chez les tribus de la branche gète , celui de Al-fadvr ,
qui devint un des noms épithétiques de Vâtans (l'héritier de Tins, l'an-
cien Tivus) , et fut attribué , chez les tribus Scandinaves , à Odinn (l'an-
cien Fâtans) , sous la forme de All-födur , et avec la signification de
Père-universel , pris dans le sens de Protecteur-universel.
2« Herran ou Herian. — Chez les tribus de la branche gfè^e , Vâtans
(appelé plus tard Odinn) ^ le dieu de l'agitation des vents tempétueux ,
fut substitué à l'ancien Dieu du vent Vâtus (norr. Odr) , et se confondit
(1) Le nom du roi hun était £"/6/ (Libéral) que les Goths, ses sujets (voy. p. 24),
ont rendu et ont expliqué par leur mot, à peu près homonyme, de atiilas (Petit-Père,
Ours). Ils ont confondu, de la même manière, le nom tatare de Huns avec le mot
goth hûn (ours, ourson). Chez les Scandinaves ou les descendants des Goths, le mot
milith (miel) fut remplacé par l'expression de Hûn-angan ou Hiln-ang (délice d'our-
son), qui fut adoptée aussi par les Allemands (Ex. Honing). Chez les peuples norrains
le nom le plus usité pour désigner l'ours était celui de Biörn (norm. Biron, Bijron);
et il était tellement honorifique et affectionné qu'on en a encore exprimé la significa-
tion par plusieurs noms épithétiques, tels que, par exemple, celui de Miöd-Vitnir
(russe Merf-yî/ede , Présage de Miel ; la présence de l'ours présageant celle d'une
ruche) et de Beo-Vulf (Loup -d'Abeilles; synonyme de Biörn, l'ours étant le Loup
ou le Persécuteur des Abeilles) etc.
160 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
avec Tins (norr. Tyr)^ considéré comme Dieu du Combat. Car suivant
une association d'idées assez commune dans l'Antiquité, et d'après la-
quelle l'agitation et la fureur d'une tempête étaient assimilées à l'agita-
tion et à la fureur d'une lutte ou d'un combat, le Dieu des tempêtes prit
naturellement aussi les attributions du Dieu des combats. Odinn^ comme
Dieu du Combat^ était l'ami du troupier (norr. heiH) , et eut, par consé-
quent, le nom épithétique de Jime- Troupier (norr. lieria-ann, Heriân^
Herran).
3" Hnikarr ou Nikar. — Chez les tribus de la branche gète, Vâtus ,
le Dieu du vent rapide et bruyant, était représenté symboliquement par
un cheval /fe/messa/ii (knagi; cf. slav. konie^ p. knoïe, cheval). Odinn,
substitué à Odr ou Vdr (l'ancien Vâtus) , et considéré , chez les peuples
Scandinaves , comme Dieu des vents tempétueux sur mer^ fut aussi conçu ,
<*,omme tel , sous la forme d'un cheval inarin hennissant , et eut le nom
épithétique de Hennisseur (norr. Hnikar , Nikar) , nom emprunté au
dialecte germanique ou anglo-saxon , et dont la signification n'était plus
connue en Scandinavie longtemps avant Snorri. C'est de Nikar que dé-
rive, sans doute, le nom de la rivière Neckar, qui se jette dans le Rhin.
Les érudits anglo-saxons se sont servis du nom de Nikor (cheval marin) ,
pour désigner l'hippopotame ou le crocodile, ou même un monstre marin
quelconque. LesNorrains ont ensuite emprunté à l'anglo-saxon le mot ny-
kor ou nykr , avec la signification de monstre , surtout de monstre marin ,
changeant.de forme comme Protée. C'est pourquoi les Skaldes ont dérivé ,
de ce nom, le verbe nykra, signifiant changer déforme comme Protée,
et ont ensuite formée de ce verbe, un participe passif neutre ?i//Æmí,
pour désigner l'Incohérence (gr. kakemphaton) , c'est-à-dire l'emploi
d'une métaphore ou comparaison incohérente, quand , par exemple , dans
la même phrase ou dans la même strophe, la comparaison change une ou
plusieurs fois (voy. Su. Edda, 1852, II, p. 122). Le Nikar ùe la Mytho-
logie norraine s'étant , peu à peu , rapetissé dans la croyance et dans la
légende populaires, il se confondit avec le Nyk (considéré comme un cheval
marin, pouvant prendre plusieurs formes) et devint même , dans les pays
du Nord , à commencer du quatorzième siècle , un simple Génie ondin
nommé Neck, qui avait d'abord la forme d'un cheval marin, et ensuite
celle d'un homme aquatique, qu'on reconnaissait à son hennissement,
ou , comme on disait, à son rire de cheval (angl. horse-laugh).
4« Nikuz ou Hnikudr. — L'ancien Dieu du Vent {Vâtus, plus tard
U.ds, Udr, Odr) et, dans la suite, Odinn, qui lui fut substitué , étant
symbolisés, l'un et l'autre, par le cheval hennissant , eurent, chez les
peuples de la branche gète, le nom épithétique de Vent- Hennisseur (gète
Knagi-vatus; gote Knaggi-ûds ; norr. Kneggi-ôdr , Hnik-ûdr; cf.
Svas-udr). L'ancienne forme gote se conserva, en partie, dans Htiikuds,
qui, dans le Nord, se changea en iV/Æws , et, dans quelques dialectes
germains, en Nichus. Le Nichus des Allemands, comme personnage
mythologique, se confondit avec le Nikar des Scandinaves ; comme lui ,
ce mot prit la signification de hippopotame, de crocodile, de monstre , de
Protée ; et de même que Nykar était devenu , sous le nom de Neck, un
simple Génie ondin , de même Nichus , sous le nom de Nichs, Nix . ne
)
NUMÉRO (5) (page 79); noms épithétiques d'odinn. 161
fut plus , dans la légende populaire postérieure , qu'un Génie aquatique ,
d'après le nom duquel les Naïades et les Ondines prirent , plus tard , dans
la langue allemande, le nom de Nixen ou Nisseii.
ô" Fiölnir. — D'après la tradition mythologique, le dieu suprême
Odhw. se montre , dans beaucoup de circonstances , à ses ennemis et à
ses amis ; mais il ne se montre pas sous sa forme véritable , il est tou-
jours métamorphosé ou déguisé ou caché. C'est pourquoi les peuples de
la branche gète lui ont donné le nom épithétique de Caché (gète Filhans,
Filhins; norr. Filinn, ou Fîlnir, Fiölnir).
6° Oski. — Odinn, comme Dieu suprême, passait pour le dieu le plus
puissant, qui pouvait remplir le mieux le désir, l'attente ou le souhait
(norr. vân) des hommes. C'est pourquoi il eut le nom épithétique de
Fân-ski (A-souhait) , nom formé comme Skalmo-skis (gr. Zalmoksis)^
et qui se changea, dans l'idiome norrain, en Onski, Oski. C'est ainsi,
par exemple , que Oska-byr (brise d'Oski ou d'Odinn) signifie le vent-
à-souhait, ou le vent favorable.
7*» 0??ii. — Les peuples primitifs comparaient l'action du vent invi-
sible à l'action de l'âme également invisible ; ils donnaient , par consé-
quent, à l'esprit (lat. spiritus; héb. rouach) et à l'âme (lat. animus)^ le
même nom qu'au souflle du vent (gr. anemos). Chez les peuples de la
branche gète, Odinn, le dieu de l'agitation des vents, devint également
le dieu de l'agitation , du mouvement de l'Ame et de l'Esprit , le dieu du
Courage et de l'Intelligence , le dieu de la Prudence et de la Science. Or,
à cette époque , la science était un trésor qu'on tenait caché comme un
mystère, et qu'on ne communiquait qu'à ses amis et favoris, sous le sceau
du secret (voy. p. 58). Odinn , comme Dieu de la Science , est donc le
Dieu des Mystères ; et il ne proclame pas ces mystères à haute voix , mais
les transmet seulement, dans certains cas , à ses favoris, à voix basse,
en chuchotant. C'est pourquoi il eut le nom épithétique de Chuchoteur
(norr. Omi).
8° Bîf-lindi, Bîf-lidi. — Ce nom épithétique semble avoir signifié,
dans l'origine. Léger (cf. ail. linde) de Frémissement (norr. bîf) et avoir
désigné Odinn comme la Personnification de l'air légèrement agité. Plus
tard , Bîf- lidi semble avoir été expliqué comme signifiant Tilleul (ou
Arhre) fré?nissant , expression skaldique, employée pour dire Bouclier
agité dans le combat (cf. riorr. Skiöldr, Bouclier, Fils d'Odinn).
9° Svîdur et 40° Svîdrir. — Lorsque les tribus gotes, appelées plus
tard les Svèdes, eurent appris la magie , de leurs voisins les Vanes (Slaves)
et les Finnes , elles considéraient aussi Odinn, leur Dieu suprême, comme
le Dieu de la Magie., et c'est pourquoi elles lui donnèrent le nomépithé-
thique de Sviha (Fascination ; nom formé d'un thème primitif signifiant
lier , fasciner , trompe?-) , et elles-mêmes prirent le nom de Svî-thiod
(Peuple de Svî) , pour indiquer qu'elles se considéraient comme issues de
Sviha ou à! Odinn. Plus tard , du verbe svîa (fasciner) s'est formé le par-
ticipe présent sviands (fascinant , trompant ; norr. svinnr , svîdr) et le
substantif svîandus (le trompeur , la fascination) , qui s'est changé en
svîdr ou svîdur, et est devenu un des noms épithétiques à' Odinn. Du
substantif ^íjícíwr (Fascination) , s'est formé l'adjectif dérivé Svîdrir (Fas-
11
162 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
cinateur , Magicien) , dont on a formé également un nom épithétique
d'Odinn.
11° Vîdrir. — Comme la tempête ne diffère du vent que par sa vitesse
(22 mètres par seconde), le mot qui signifie tempête, dans les langues
germaniques (norr. vedur) , dérive du même thème dont dérive le nom
signifiant vent (norr. vindr^. vahinds). Or, du substantif î;ei/wr (tem-
pête) s'est formé l'adjectif dérivé Vidrir (Tempétueux) , dont on a fait un
nom épithétique, attribué au dieu suprême Odinn, considéré comme
Génie des Tempêtes.
12« lalg ou lalgr. — Les peuplades scythes^ qui ont formé la branche
sarniate, ayant appris à connaître, dans leur nouveau pays, l'eYa/i, ont
donné à cet animal le nom de a/Æ2í5(Strabon, Æo/o^ pour o/Æo5;lith. alkis;
russe hlos, los) , qui signifie ardent, effervescent. Ce nom s'est trans-
mis , plus tard , aux peuplades de la branche gète (germ. alks; vieux-ail.
elaho\ anglos. elch; norr. elgr) et aux Romains (lat. alces). Comme
alkus signifiait effervescent , ce nom servait aussi, chez les peuples sar-
mates et germains , à désigner le jeune homme à l'âge de puberté. De là,
chez les Serbes (Svares, Spores , Svales , Slaves) , le nom de holec , signi-
fiant gars. Chez les Nahar-Vales (Vales de la rivière Nahar) , en Ger-
manie , on adorait, dans un bois sacré, deux jouvenceaux qui présidaient
aux vents, et que , pour cette raison , les Romains ont comparés à Castor
et à Pollux. Ces deux Génies portaient, l'un et l'autre , le nom de Alks
{Tacit. Germ. 43) , qui signifiait à la fois élan ^i jouvenceau. De même
que les anciens Scythes avaient comparé les vents tempétueux à des che-
vaux ardents, de même, leurs descendants, les peuples de la branche
gète, comparèrent les tempêtes à des élans, et, les symbolisant par ces
animaux , leur donnèrent également le même nom qu'à ceux-ci (norr. eli
p. elhi, élan , tempête). Odinn, le Dieu des Tempêtes, eut, par consé-
quent, encore le nom épithétique de lalkr ou lalg (Élan, Tempête).
(6) ODINN DIEU ÉTERNEL ET CREATEUR DE L'uNIVERS.
§ 20. Odinn dieu éternel et dieu conservateur. — L'éternité de la di-
vinité , c'est-à-dire l'idée qu'un Dieu a existé de tout temps , ne se trouve
et n'a pu se trouver exprimée dans aucune Mythologie populaire ; car cette
idée est, comme celle d'infinitude , un postulé de la Raison théorique et
n'a pu être conçue que dans des religions devenues philosophiques , ou
dans les religions strictement monothéistes, qui seules considèrent Dieu
comme l'Être absolu et, partant, éternel. La Mythologie norraine repré-
sente Odinn, le Dieu suprême, comme étant né, ainsi que les autres
divinités, à une certaine époque, et comme devant périr, ainsi que les
autres Dieux, à l'expiration du temps, ou au Crépuscule des Gran-
deurs. Si donc Snorri, à la question de Piétonneur : Où est Père-Uni-
versel? idM répondre par Sublime , qu'il vit dans tous les âges, il con-
fond l'idée d'existence éternelle de Dieu, telle qu'elle existe dans le
Christianisme, avec l'idée d'une vie très- longue , que la Mythologie nor-
raine attribuait à Odinn , et il est en contradiction manifeste avec cette
Mythologie, qui, en parlant de l'origine d'Odinn , dit positivement qu'il y
a eu des âges où ce Dieu n'existait pas. Si ensuite^ pour répondre à la
question : «Que peut Père- Universel? Stiorri fait dire à Subli^ne que ce
N<*(6) (p. 80); ODINN DIEU ÉTERNEL ET CRÉATEUR DE L'uNIVERS. 163
(lieu prend soin de toutes choses grandes et petites , cet auteur prête à la
religion norraine une idée qu'elle n'avait pas non plus , à savoir l'idée
chrétienne d'une providence nnivei^selle. Les Scandinaves , quelque dé-
veloppée que fût dans la suite l'idée qu'ils se faisaient de leur Dieu su-
prême, ne voyaient cependant en lui que ce qu'était nécessairement tout
dieu du Polythéisme, savoir un dieu qui a sa spécialité^ et qui, selon son
rang plus ou moins élevé, préside à un plus ou moins grand nombre de
choses , mais qui n'était jamais conçu comme présidant à toutes choses.
g 21. Odinn dieu créateur. — L'idée que Dieu est le créateur de toutes
choses , dérive de celle de l'existence absolue et éternelle que les religions
philosophiques lui attribuent. Les Mythologies anciennes , ne pouvant
concevoir les divinités comme ayant une existence absolue, ne purent
pas non plus les considérer comme les créateurs de toutes choses. Tout
au contraire , elles considéraient la matière comme ayant existé anté-
rieurement à toutes les divinités, et comme leur ayant donné naissance.
C'est pourquoi, si les Divinités polythéistes sont représentées comme
créatrices, elles le sont uniquement en ce sens qu'elles ont seulement
façonné, comme le font les hommes, telles ou telles choses, ou qu'elles ont
transformé ou métamorphosé la matière qui existait avant elles. Ainsi ,
Odinn, suivant la Cosmogonie norraine, 2i façonné le Monde , c'est-à-dire
que , dans le Monde primitif qui existait avant lui , ce dieu a confectionné
les trois Séjours qui renferment tout ce qui intéresse les hommes, savoir:
1» le ciel, contenant tous les astres visibles, qu'on croyait y être fixés
comme sur une voûte mobile ; 2° la terre , qui comprend la mer et tout
ce qui vit sur la terre et dans la mer , et 3° l'air , qui est entre le ciel et
la terre , et comprend tout ce que nous désignons sous le nom général dQ
phénomènes météorologiques. Si donc Snorri , à la question de Piéton-
neur: « quelles œuvres de distinction Père-Universel a-t-il achevées ? »
fait répondre par Equi-Suhlime, que ce dieu a confectionné le ciel et la terre
et l'air, et tout ce qui leur appartient, cette réponse, si elle est conforme
à la Mythologie norraine , n'énonce pas que Odinn est le Créateur de la
matière, aussi bien que de la forme du ciel , de la terre et de l'air ; elle
énonce seulement que ce dieu a fabriqué, avec la matière ^t\2i existante,
le ciel , la terre et l'air , ainsi que nombre de choses qu'ils renferment.
g 22. L'homme , l'œuvre principale du Créateur. — On juge de la
grandeur d'une divinité \ d'après ses œuvres ; et c'est pourquoi Piéton-
neur adresse la question : « quelles œuvres de distinction Père- Universel
« a-t-il accomplies?.») Les peuples primitifs et leurs ascendants, par cela
même qu'ils voyaient dans les grands objets de la ISature , tels que le ciel,
la terre, l'air, le feu, etc. , des Puissances surhumaines, qu'ils adoraient
comme des divinités , plaçaient naturellement ces objets bien au-dessus
de l'espèce humaine. Ce n'est que bien tard que l'idée philosophique,
pénétrant dans les religions anciennes , a assigné la première place , parmi
les objets de la création, à V homme, en tant qu'il possède une âme im-
mortelle. Par conséquent, si Snorri, à la question de Piétonneur , fait
répondre par Troisième, que \^ principale œuvre de Père-Universel ,
c'est qu'il a fait V homme , cet auteur parle , non pas dans le sens de la
Mythologie norraine , mais dans celui du dogme chrétien. D'après le mythe
i64 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
norrain (voy. Poèmes Islandais, p. 188), Thomme n'a pas été créé par
Odinn seul ; mais le premier Homme (Jskr) et la première Femme [Emblà)
ont été originairement deux troncs d'arbre , qui ont été transformés en
êtres humains par les trois Ases Odinn , Hœnir et Elodurr. Ce mythe
ajoute que Odinn a donné, aux premiers hommes, l'awe; mais il ne dit
pas que. cette âme ^XsiVrimmortelle et libre. Les peuples de la branche
gkte, comme leurs ancêtres et comme presque tous les peuples de l'Anti-
quité , croyaient , il est vrai , à une vie future , à une existence après la
mort; car cette croyance est tellement dans l'intérêt personnel de l'homme,
qu'elle est partagée par tous les peuples , même les plus barbares. Mais
en admettant une y\& future , plus ou moins semblable à l'existence ter-
restre , ces peuples confondaient volontiers le corps avec l'âme , ou plu-
tôt , leurs idées sur la différence entre l'une et l'autre n'étant pas déve-
loppées , ils n'établissaient pas , comme le fait le Christianisme , une
distinction très-marquée entre le corps périssable et l'âme immortelle, et
ne considéraient pas, non plus, l'immortalité de l'âme comme une pré-
rogative de l'espèce humaine, ni comme une preuve de la dignité, de
l'excellence et de la supériorité de sa nature. Le Christianisme , au con-
traire , établit la dignité et la supériorité de l'espèce humaine sur l'im-
mortalité et la liberté de l'âme , qui font que les hommes sont les enfants
de Dieu , que Dieu s'intéresse au salut de leur âme , et qu'il aime l'hu-
manité au point que , pour la sauver, il a établi l'œuvre de la Rédemption.
Snorri, guidé par les dogmes chrétiens, fait dire à Troisième, contrai-
rement aux données de la Mythologie norraine, que Père- Universel 21
fait de l'homme son œu\re principale , en lui donnant une âme immor-
telle. Allant ensuite au devant des objections qu'on pourrait lui faire au
sujet de la mort et de la disparition des hommes , Snorri se laisse entraî-
ner à une digression qui le fait sortir du cercle des idées où il aurait dû
renfermer la réponse à faire par Troisième. Il démontre que les hommes
sont immortels , bien que leurs corps soient réduits en pourriture dans
la tombe , ou en cendres sur le bûcher, puisque leurs âmes, continuant à
vivre, vont, les unes au Ciel , les autres aux Enfers.
g 23. Séjour de l'homme après sa mort. — D'après la Mythologie nor-
raine, V Allée- Agréable (Vin-Gôlf) était la demeure de Frigg , l'épouse
d'Odinn , où elle recevait , après leur mort sanglante, les guerriers qui ,
ainsi que les héros reçus par Odinn dans la Halle-des-Occis , devinrent
les Fils-Adoptifs (Osk-megir) ou les Troupiers-Uniques (Einheriar) du
Dieu des tempêtes et des combats. h'Etincelant (Gimli) est un Endroit ,
dans les régions supérieures, au sud-est du Ciel. C'est là que s'élèvera,
lors du Renouvellement du Monde, une Salle où séjourneront les peuples
fidèles et jouiront d'une félicité éternelle. VÉtincelant n'est donc pas ,
comme le ait Snorri, identique avec V Allée-Agréable; il n'est pas , non
plus , le séjour ordinaire des Justes, comme l'est le Paradis chrétien. On
pourrait plutôt le comparer à la Nouvelle Jérusalem , qui , selon la
doctrine chrétienne , se formera lors de la Consommation des Temps, et
renfermera les Justes après le Jugement dernier. D'ailleurs , il y a une
différence essentielle entre lesJJeux de félicité de la Théologie chrétienne
et ceux de la Mythologie norraine ; c'est que dans ceux-ci le bonheur n'est
N° (6) (p. 80) ; ODINN DIEU ÉTERNEL ET CRÉATEUR DE l'uNIVERS. 165
pas départi d'après les mêmes principes et aux mêmes conditions que
dans ceux-là. En effet , les Scandinaves obtenaient la félicité dans la vie
future , non , comme les chrétiens , par des qualités morales , par la
charité , la justice , la mansuétude , mais par des qualités tout opposées ,
par la force physique, la valeur, la violence, la mort sanglante, et, tout
au plus par \^ fidélité à observer les engagements contractés.
D'après le mythe norrain , il se trouve , au Nord de la Terre et plus bas
qu'elle, le Séjour-de-Hel ^ lieu qu'on peut comparer à \ Or eus ou aux
Enfers des Anciens. Le Hel-Bmmeux est situé plus au Nord et plus bas
encore ; c'est une dépendance du Séjour-de-Hel ou du huitième Séjour ,
à peu près comme , dans la Mythologie hindoue , le lieu de supplice , Nâ-
raka {voy. Chants de Sol , p. 102), est une dépendance des PaM/a*
(Enfers). Dans Hel-Brmneux , il y a un Endroit nommé Rives-aux- Ca-
davres (Nâ-strendr), qui s'étend jusqu'au neuvième Séjour, appelé Séjour-
Bru?neux {NiÛ-he'im), et qui est le lieu de supplice pour les parjures, pour
les hommes de mauvaise foi , et pour les lâches assassins. En eifet , c'est
là qu'habite le Bec-Jaune (iNef-fölr)ou le Dragon volant Nidhögg (Frappe-
de-Colère) , qui ronge l'une des racines de l'Arbre-du-Monde. C'est là
qu'il suce les cadavres des décédés qui arrivent du Séjour-de-Hel, et
qu'il déchire les trépassés , sans doute , afin de fournir les ongles qui
doivent servir, dans le Hel-Brumeux , à la construction dii Navire-d' On-
gles (Nagl-far). C'est à tort que Snorri identifie , ou , du moins, compare
le Hel-Brumeux à \ Enfer chrétien. Car ce n'étaient pas seulement les
méchants qui descendaient dans le Séjour-de-Hel et dans le Hel-Bru-
meux, mais aussi les faibles, les enfants, les femmes, les vieillards, et
les esclaves , tandis que \ Enfer chrétien , à l'exception des Limbes , ne
recevait que ceux qui, pour leurs péchés, méritaient d'y descendre.
(7) LE MONDE AVANT LE CRÉATEUR.
g 24. L'origine de Pére-Universel. — D'après la philosophie spécula-
tive , Dieu est l'Ame du Monde , il est la Vie infinie , c'est-à-dire la Source
et l'Ensemble infinis de toutes les forces physiques et métaphysiques. Le
Monde ou la matière est l'ensemble infini des forces qui manifestent
la Vie divine , sous des formes innombrables , il est vrai , mais finies. La
matière physique ne saurait être autre chose que des forces plus ou
moins simples , plus ou moins combinées ; si la chimie savait et pouvait
décomposer entièrement les corps , elle les décomposerait en leurs élé-
ments 'primitifs, c'est-à-dire en forces simples. La matière étant la
manifestation, sous forme finie, de la Vie infinie de Dieu, et cette Vie
infinie ayant nécessairement dû se manifester de toiíí temps, la matière
a dû aussi exister de tout temps , sous une forme ou sous une autre. La
manifestation de la Vie infinie de Dieu , sous une infinité de formes ^/«'co-,
étant précisément ce qu'on appelle création, la création est un acte
éternel, qui n'a jamais commencé et qui ne cessera jamais. Dieu ayant créé
de tout temps , la question de savoir ce que Dieu a fait avant\2L création,
n'a pas de sens dans la Philosophie spéculative. Mais cette question a dû
se présenter nécessairement dans toutes les Religions et dans tous les
Systèmes philosophiques , qui considèrent la création comme un acte
166 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
unique , accompli par Dieu dans un espace de temps déterminé plus ou
moins long. Les Religions polythéistes de l'Antiquité , après avoir réuni
en une famille divine et hiérarchisé entre elles les divinités originaire-
ment adorées séparément, et après avoir imaginé une Généalogie des
Dieux et un Dieu suprême, et considéré ce Dieu suprême comme le Créa-
teur du monde , ont dû ensuite se poser la question : qu'est-ce que le
Dieu suprême a fait avant qu'il se soit mis à créer? C'est cette question
que Snorri fait faire à Piétonneur; et comme il avait commencé son Traité
par Odinn, considéré comme Père- Universel , bien que, d'après la My-
thologie norraine , ce dieu ne fût pas l'Être premier, notre auteur, comme
pour se tirer de ce mauvais pas , profite de cette question proposée, comme
d'un moyen favorable de transition, pour arriver aux mythes qui se rap-
portent à la Cosmogonie ou à l'état du Monde tel qu'il était, avant la nais-
sance á'Odinn considéré comme le Dieu suprême.
Les Religions polythéistes , ne pouvant concevoir les divinités comme
des Êtres absolus, existant de toute éternité, ont dû se demander com-
ment les Dieux suprêmes ou les Pères des dieux ont pris naissance dans
le temps. Cette question , n'ayant été soulevée qu'à l'époque où l'on était
déjà parvenu à considérer les divinités comme les causes et les principes
et de l'ordre physique dans le monde et de l'ordre moral dans l'humanité,
on a aussi conçu la naissance des Dieux suprêmes de la même manière
que la pensée spéculative s'est expliqué , à cette époque, la naissance, ou
l'entrée dans le monde, de l'ordre physique et moral. Or, d'après l'idée du
progrès, qui commençait alors à émerger pour la première fois dans le
domaine religieux et philosophique , on imagina, sans peine , qu'en toutes
choses l'état imparfait précédait et engendrait, en quelque sorte, l'état
plus parfait, et que, par conséquent, les Dieux, les représentants de l'ordre
et de la loi, étaient issus d'Êtres surhumains, qui étaient les personnifica-
tions des forces encore désordonnées et aveugles de la Nature primitive.
Voilà pourquoi, dans toutes les Théogonies, les Dieux sont considérés
comme fils d'Êtres titaniques , gigantesques , monstrueux et méchants.
Aussi , s'appuyant sur les données théogoniques de la Mythologie nor-
raine , Snorri fait-il dire à Troisième que , avant la création , Odinn se
trouvait avec les 'Hrimthurses , c'est-à-dire qu'il a passé son enfance et
sa jeunesse au milieu des Thurses-Givreuæ , dont il est issu.
g 25. Les Thurses-Givreux et les lotnes. — Les Divinités adorées
étaient, originairement, pour la plupart, les représentants des objets et
des phénomènes bienfaisants de la Nature , et passaient , par consé-
quent , pour les Protecteurs des hommes et du monde. A côté des Dieux
qu'ils adoraient , les Scythes , ainsi que les autres branches de la Race
iafétique, conçurent des Êtres doués d'une force surhumaine^ et qui,
plus (Ml moins zoomorphesou anthropomorphes , représentaient les forces
gigantesques terribles et pernicieuses de la Nature, et passaient, par con-
séquent, pour être les Ennemis des Dieux et de l'ordre et du bonheur
du Monde. Comme, dans l'origine, les Scythes, les ancêtres des Scandi-
naves , habitaient, dans l'Asie, des plateaux élevés, où la pluie tombait rare-
ment et était , pour eux, un bienfait, autant que la sécheresse était une cala-
mité, ils durent considérer comme des Démons malfaisants rosReprésen-
N° (7) (p. 80) ; ODINN D lEU ÉTERNEL ET CRÉATEUR DE l'uNIVERS. 167
tants ou ces Personnifications mythologiques des vents secs, brûlants et im-
pétueux, qui, dans ces contrées, chassaient, consumaient ou mangeaient,
comme on disait , les nuages fécondateurs rassemblés par Perkunis (Aime-
Pluie), le dieu bienfaisant de la pluie et de l'orage. Aussi ces démons
avaient-ils le nom de r«r5e5(Secs, Arides; cf. goth. thaursus; dW.dUrr)
et de Itanes ou Itunes (Mangeurs , Consumeurs ; cf. gr. aitna , fém. de
aitnos brûlant; aitliôn, brûlant; cf. sansc. indli). Le nom propre du
roi ^ií^ih^ Itun-tursus (scytho-gr. Ithan-thursos\ Justin: I-aii-dy s sus;
norr. löhm-thurs) , prouve que les Turses et les Itanes étaient déjà
connus , sous ces noms , dans la religion des Scythes (voy. Les Gètes ,
p. 256). Les traces de la foudre que l'on montrait, en Scythie, par exem-
ple , sur les bords du Tyras , étaient , sans doute, les marques du combat
que le Dieu du Tonnerre, Pei^kunis, avait livré, en cet endroit, à ses
ennemis, les Turses ouïes Itanes. Dans les langues gétiques, le mot
thurs, tout en conservant la signification de sec , par opposition à
mouillé, prit encore la signification métaphorique de raide, rigide , et
de hardi (cf. gr. thrasus et Jga-thursoî, Très-hardis) , par opposition
au mot signifiant wozi, qui prit, également, la signification métaphorique
de lâche. Les traits que lés Gètes tiraient, avec leurs arcs, contre le ciel ,
toutes les fois qu'il y.avait un orage, étaient dirigés contre les Turses, que
le Dieu du Tonnerre , Skalmoskis (substitué à Firgunis., l'ancien Pirku-
nis) , était supposé combattre ; et cette habitude , qu'Hérodote considé-
rait comme une injure sac7'ilége faite à Zevs, n'était au fond, c'est-à-
dire aux yeux des Gètes, qu'un acte pieux et méritoire, ayant pour but
de prêter assistance au Dieu de l'orage , dans sa lutte contre les Turses
et les Itunes.
Lorsque des tribus de la branche gète s'établirent dans la Scandina-
vie , où ce ne sont pas les vents brûlants et secs , mais les froids exces-
sifs de l'hiver qui sont nuisibles ou pernicieux , les Secs (Thurses) et les
Consumeurs (Itunes) , de Géants de Sécheresse qu'ils avaient été origi-
nairement et jusqu'ici, devinrent dès lors, dans le Nord , des Géants de
Glace. Leur nom de Thurses (Secs , Raides) , désigna maintenant soit la
raideur des corps transis de froid, soit la sécheresse , ou le manque d'eau
des régions polaires , soit l'aridité de la nature manquant de sève en hiver.
De même que , dans l'ancien slave , Suchi (le Sec) , était le nom du mois
de Mars, à cause de sa sécheresse , de même Thorrii^. Thursi, l'Aride)
devint, dans la langue norraine, le nom du mois de Janvier, le plus
froid de l'hiver dans le Nord. Pour indiquer encore plus particulièrement
la nature glaciale des Thurses (Raides) , on ajouta à leur nom , comme
déterminatif , le mot de hrîm^ qui désigne toute congélation ayant pris,
par la cristallisation , une forme déterminée , tels que le givre , les flocons
de neige , les glaçons et même les glaciers (norr. iöklar). Dans la l,angue
norraine , qui aime les concrétifs insérés entre le i et la consonne radi-
cale suivante (voy. Poèmes islandais , p. 53) , l'ancienne forme du nom
de Ituns , se changea régulièrement en lötunn (p. lötun-r) ; mais , par
suite de ce changement, aucun peuple Scandinave ni germanique^ issu de
la branche gète, n'a gardé la conscience ou le souvenir de la signification
de Mangeur , qu'avait eue dans l'origine ce nom propre.
168 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
g 26. Ordre de formation des parties de la Mythologie. — Par les rai-
sons que nous avons indiquées ci-dessus (p. 1 66) , les Thurfies qui , dans
l'origine, étaient considérés seulement comme les ennemis des Dieux,
furent encore considérés comme les Pères des principaux Ases, par les
peuples de la branche gète, qui agitèrent, pour la première fois , la ques-
tion sur l'origine du Dieu suprême et commencèrent à rattacher la Théo-
gonie (ou les conceptions sur la naissance des dieux) à la Titanologie
(ou Doctrine sur les Démons). C'est là la marche qui a été suivie dans
toutes les Mythologies iafétiques, puisque c'est l'ordre naturel qu'a suivi
le développement interne ou logique des idées mythologiques. En effet ,
les conceptions qui se forment et se fixent les premières, et qui consti-
tuent le fonds primitif de la Mythologie , ce sont les idées sur les divinités
adorées , ou ce qu'on pourrait appeler la Théologie. Les conceptions qui
se forment après , et qui constituent la seconde partie de la Mythologie ,
ce sont les idées sur les Ennemis des dieux , savoir les Démons ou les
Titans; ces conceptions constituent ce qu'on peut appeler la Titanologie
dans la Mythologie. Après les idées mythologiques sur les Ennemis des
dieux , se sont formées celles sur la Théogonie ou Y origine des Dieux ,
et sur la Titanogonie ou V origine des Démons. Enfin , la Titanogonie
a été suivie et complétée par une dernière partie de la Mythologie , savoir
la Cosmogonie , renfermant les idées de l'époque sur l'origine du Monde.
Quant à la Mythologie norraine , sa Théologie remonte environ vers l'an
3000 avant notre ère , à une époque où les Scythes, les ancêtres des Scan-
dinaves , étaient encore confondus avec les autres membres de la famille
iafétique. Aussi, quelques divinités de cette Théologie, mais un très-
petit nombre seulement , et seulement les plus anciennes , se retrouvent-
elles dans la Théologie de toutes les Mythologies iafétiques. La Tita-
nologie s'est formée dans la période comprise entre environ l'an 2500 et
l'an 800 avant notre ère. Dans cette période , les Scythes s'étaient déjà
séparés des autres branches de la famille iafétique; et c'est pourquoi leur
Titanologie s'est formée séparément de celle des autres peuples iaféti-
ques , mais elle forme le fonds primitif commun aux deux branches de la
souche Scythe, savoir à la branche sar??2aieet"à la branche ^ç'èie. La Théo-
gonie s'est formée dans la période entre environ l'an 600 et l'an 200 avant
notre ère. Dans cette période , la branche sarmate s'étant différenciée
de la branche gète , la Théogonie ne saurait se retrouver identique dans
l'une et dans l'autre branche; mais comme , dans le cours de cette période ,
les différents peuples de' la branche gète ne s'étaient pas encore complè-
tement séparés les uns des autres , la Théogonie se retrouve , quant au
fonds primitif, dans la Mythologie de tous les peuples de la branche gète
en Germanie et en Scandinavie. La Titanogonie s'est formée dans la
période entre environ l'an 200 avant notre ère et l'an 100 après Jésus-
Christ. Comme, dans cette période, les peuples de la branche Scandi-
nave s'étaient déjà séparés et différenciés de ceux de la branche germa-
nique, la Titanogonie Scandinave ne saurait se retrouver identique
dans la Mythologie germanique. Enfin , la Cosmogonie s'est formée ,
en Scandinavie, dans la période entre environ l'an 100 et l'an 500 de
notre ère, et porte dans la Mythologie norraine un caractère original,
N°(7)(P.80); ODINN DIEU ÉTERNEL ET CBÉATEUR DE l'univers. 469
individuel, conforme à la nature du pays et au caractère des Scandi-
naves.
Comme la Science consiste à mettre chaque chose à la place qui lui
appartient naturellement, et à reproduire la suite naturelle dans l'exposé
des faits , l'exposé scientifique de la Mythologie norraine , comme de toute
Mythologie iafétique , devrait traiter des différents mythes dans l'ordre
naturel indiqué ci-dessus. Mais pour pouvoir suivre cet ordre naturel , il
faut d'abord le connaître , il faut savoir quelle est la marche que suit le
développement interne ou logique des mythes dans la production des dif-
férentes parties de la Mythologie. Quand on ignore les lois de ce déve-
loppement logique, et, par conséquent, l'ordre /iaft^re/ dans lequel se
succèdent les conceptions mythologiques , on suivra , dans l'exposé de la
Mythologie , un ordre purement extérieur , savoir la série supposée his-
torique des faits épico-mythiques ; on suivra la marche inverse de celle
qui est l'ordre génétique et scientifique ; on fera , comme Snorri , com-
mençant son Exposé par la Cosmogonie , qui cependant ne s'est formée
qu'en dernier lieu, après toutes les autres parties de la Mythologie.
(8) LA COSMOGONIE.
l 27. Le BâilIement-des-Mâchoires. — Bien que la raison spéculative
ne puisse pas comprendre Yinjini , soit l'éternité ou l'absence de com-
mencement (preuve évidente que l'intelligence humaine n'est pas iden-
tique à l'intelligence de Dieu ou de l'Être), elle n'en est pas moins nécessai-
rement forcée d'admettre l'existence éternelle , non-seulement de Dieu ,
mais aussi du monde, qui est sa création ou la manifestation de sa Vie
(voy. p. 165). Cependant les hommes , dont l'intelligence s'en tient encore
à l'intuition physique , voyant que toutes choses commencent et finissent,
et ne pouvant pas même concevoir qu'une chose puisse avoir existé de
toute éternité , considèrent le Monde et même la Divinité , non comme
éternels, mais comme ayant eu un commencement, une origine. Or la rai-
son intuitive peut bien concevoir \sLfor?nation d'une chose, c'est-à-dire,
comme l'indique ce mot, le revêtement d'une /onwe, qui antérieurement
n'a pas existé ; mais elle ne peut comprendre qu'une chose, sans avoir
le moindre commencement de donné , puisse sortir absolument du néant.
Comme cependant l'idée de la création de la Matière implique que la chose
créée sorte du néant, et comme le néant absolu n'est pas concevable ,
les Scandinaves , comme d'autres peuples de l'Antiquité , se sont fait du
Néant primitif l'image la plus abstraite qu'ils pussent concevoir dans
leur imagination, savoir l'image d'un Espace immense vide. Mais l'Espace
ou le Vide infini et absolu étant encore inconcevable , l'imagination s'est
figuré le néant primitif comme un espace immense , vide , renfermé entre
des limites matérielles immensément distantes les unes des autres ; elle
se l'est figuré comme une espèce de Bâille?nent (norr. gaj); lat. hiatus;
gr. cha/ios ; fr. chaos), ou á'Jbi?ne (Genèse, i, 2), ou de Bouche (goth.
munths ; lat. mundus , creux ; anglos. mud , bouche , abîme) , ou de
Gouffre (gr. barathron ; sansc. vritras) , ou de Creux (lat. orcus p.
horcus; ail. kimg , cruche), ou A' Entonnoir (cf. Dante, Inferno) , etc.
Par analogie avec ces images , à la fois sublimes et terribles , l'intuition
170 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
philosophique et mythologique des Norrains, a comparé ce Bâillement à
une immense Gueule ouverte ou Gueule bée', et l'a appelé , pour cela , le
Bâillement-des-Mâchoires (Ginnunga-gap). Ensuite on s'est figuré ce
BdillemeQit-des-Mâchoires comme la gueule immense (gr. beretkron ,
dévorant , abîme ; cf. lat. voYago)^ d'un Loup gigantesque, qui , dans la My-
thologie sanscrite et zende, portait lui-même le nom de Dévorateur ou
A' Abîme (sansc. Vritras: zend. Verethra). C'est dans cette gueule ou
dans cette bouche , qui peut aussi être envisagée comme une Matrice im-
mense , que se sont formés ou qu'existaient, dans l'origine , d'après la
Cosmogonie du Nord , les deux Mondes ou les deux Séjours primitifs , le
Séjour-Brumeux (Nifl-heimr) et le Séjour de Gâte-Monde (Muspel-
heimr).
Du temps de Snorri , on n'avait plus une idée exacte du BâUlernent-
des- Mâchoires. D'abord, d'après les indications tout à fait vagues et gé-
nérales qu'il trouvait dans la Vision de la Louve, ensuite , peut-être ,
par analogie avec les Eaux primitives dont parle la Genèse, et, enfin,
d'après ce qu'on appelait, de son temps , le Ginnunga-Gap , qui était
le détroit de mer entre le Grœnland et l'Amérique septentrionale, Snorri
a cru , sans doute, que ce nom de Ginnunga-Gap désignait la Mer pri-
mitive, dans laquelle venaient se jeter les Vagues- Tempétueuses , en sui-
vant , toutes , la même direction parallèle.
l 28. Le Séjour-Brumeux et les Vagues-Tempétueuses. — La conception
des deux Séjours primitifs s'est faite par analogie avec ce qu'on voyait se
passer dans la Nature en hiver et au printemps. Sachant, par expérience,
que la Nature, morte en hiver, est vivifiée, au printemps, par la chaleur
du soleil ; voyant , de plus , que dans le corps humain la chaleur est un
signe de vie, comme la froideur un signe de mort , on a considéré \efeu,
le principe , ou le représentant de la chaleur, comme la cause qui a aussi en-
gendré la vie dans la matière primitive , à la fois froide et informe. De là,
d'abord l'idée d'un Monde ou Séjour primitif contenant la Matière pri-
mitive , froide et informe, et ensuite l'idée d'un Séjour primitif , d'où
sort originairement le feu qui vivifie la Matière froide et lui donne la forme
avec la vie. L'idée que, dans l'origine , il n'y avait, dans l'Espace immense
vide, que de la Matière sans forme et sans vie {rudis indigestaque ino-
les), mais susceptible de prendre une forme, et d'être vivifiée, cette idée,
conçue comme une image intuitive, produisit le mythe cosmogonique
d'après lequel on se figurait , suspendu aux Parois du Bâillement-des-
Mâchoires , un Séiour pri7nitif, qui a fourni la matière dont se sont
ensuite formés toutes les choses et êtres du Monde. Dans ce Séjour pri-
mitif il n'y a encore ni forme (lumière) ni vie (chaleur) ; c'est un Séjour
obscur, humide et froid. Aussi porte-il le nom Ae Séjour-Brumeux et se
trouve-t-il placé dans les parties septentrionales de l'Abîme ou au nord-
ouest dans le Bâillement-des-Mâchoires. Au milieu de ce Séjour pri-
mitif est un cratère (norr. hver)., ou un bassin appelé le Bassin-Bruyant
(norr. Ilver-Gelmir). Ce nom de Brmjant exprime le bruit sourd, confus
et strident qui provient d'un phénomène particulier qu'on remarque dans
les glaciers Scandinaves, et dont le Bassin-Bruyant est le symbole my-
thologique. Ce phénomène consiste dans un brouillard épais «descen-
NUMÉRO (8) (page 81) ; LA COSMOGONIE. 171
« dant des nuages sombres en forme de lambeaux blancs , et qui est
« accompagné d'un sifflement continuel , comme si l'on entendait de loin
« une immense quantité de fusées serpenter dans les airs. » Peut-être y
a-t-il encore quelque rapport étymologique entre le Hver-Gelmir Scan-
dinave et le lac Gelmer, qui est situé entre les deux glaciers de la Suisse,
le Gelmer-Horn et le Stral-Horn, et d'où sort une rivière nommée le
Gelmer-Bach (rivière de Gelmer). C'est dans le Bassin-Bruyant que se
trouve la Matière primitive. Cette matière primitive , ou la mère des
choses {dA2X. 7naterîes , maternelle, matière), n'est encore qu'une sub-
stance sans forme , sans consistance , sans vie et sans chaleur , telle enfin
qu'on la retrouve, de nouveau, lorsque, la forme et la vie se séparant des
corps vivants ou organiques , ceux-ci meurent et se dissolvent. On se
figurait donc cette matière primitive comme quelque chose de semblable
^ \2i poîirritvre , à une mer pulmoneuse [cf. Pfjtkcas) ^ ou comme un
brouillard de pus. Aussi lui donnait-on le nom de pus (norr. eitar) ,
comme , encore aujourd'hui*, dans le langage populaire , en Allemagne et
en France, matière est synonyme Atpus. Or, dans les langues du Nord,
pus , ou matière en dissolution , est encore synonyme de venin , ou de
matière ew fermentation (cf. ail. <////, gischt)\ ensuite, comme \e fer-
ment, en produisant la chaleur, est un principe de vie, le venin ou fer-
ment passait pour être à la fois froid et brûlant, dissolvant et vivifiant;
et c'est pourquoi Snorri désigne la matière primitive sous le nom de
venin vivifiant (norr. eitur qvikia). D'après ces idées, on conçoit com-
ment le mythe cosmogonique a pu énoncer que la Matière primitive
sortie du Bassin-Bruyant éi^ii du venin. Ensuite pour expliquer l'ori-
gine de ce venin, un mythe, conçu postérieurement, s'est basé sur la
supposition qu'au fond du Bassiji-Bruyant il y avait des serpents veni-
meux innombrables , qui vomissaient ce pus ou ce venin. Ensuite ce venin
ayant débordé dans le Bassin-Bruyant, des fleuves venimeux s'en sont
projetés. Ces fleuves , d'après les documents mythologiques , sont d'un
nombre indéterminé; mais Snorri, suivant son système habituel (voy.
p. 157), et s'appuyant sans doute sur une indication renfermée dans le
poëme eddique les Dits de Grimnir , prétend qu'ils étaient au nombre
de douze; et il n'en cite qu'une douzaine, bien qu'il en connaisse un
plus grand nombre (voy. p. 11 2). Ces fleuves sont appelés Vagues-Tem-
pétueuses (norr. Eli-vogar; eiip. elgi, voy. p. 162); ils sont formés, en
partie, de l'eau glaciale qui dégoutte du glacier Eikthyrnir (voy.
p. 112), en partie du venin vomi par les serpents innombrables qui se
trouvent au fond du Bassin-Bruyant. Ces eaux venimeuses sont natu-
rellement sans aucune chaleur vitale; car le venin, qui donne , comme
on disait, la movi froide, était considéré comme étant lui-même très-
froid ; aussi une rivière de la Norvège porte-t-elle encore aujourd'hui le
nom de rivière de venin (eitar-â) , à cause de Vexcesshe froideur de
ses eaux. Les Fagues- Tempétueuses, qui roulent cette matière brumeuse,
glaciale et venimeuse , et qui sortent du Bassin-Bruyant comme d'un
volcan boueux, grossissent comme des fleuves et se jettent dans toutes
les directions. Leurs noms mythologiques expriment les différents carac-
tères ou les qualités qu'on leurattribuait. Ainsi .Vró7(Froide) désigne la froi-
172 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
deur de leur eau glaciale et venimeuse; Gmm-thrd (Belliqueuse) en ex-
prime l'impétuosité belliqueuse; Fiorm (Chargée) en désigne les eaux
chargées et épaissies par le venin ; Fimbul (Étourdissante) , l'aspect et le
bruit terrible des vagues ; Thul (Murmurante) , le bruissement sourd des
flots ; Slidnr (Lente) , les eaux fangeuses et croupissantes ; Hrid (Brusque),
les bourrasques soulevant les vagues; i'y/g'wr (Engloutissante), les eaux qui
débordent ; y/^z^r (Hurlante) , les bruits plaintifs des vagues; Ftoi (Large),
la largeur des rivières; Leiptur (Jaillissante), l'éruption des Vagues-Tem-
pétueuses ; Giöll (Retentissante), le fracas des glaces que charrient les
flots. Les noms cités de ces Vagues- Tempétueuses figurent, tous^ dans les
documents mythologiques ; mais on en trouve énuméré un bien plus grand
nombre dans un poëme eddique postérieur , dans les Dits de Grimnir
(voy. p. M 2) , où ces Vagues sont rangées en deux séries. Les unes de ces ri-
vières , au nombre de douze , coulent autour du Trésor-des-Dieux
(norr. hodd Gotha) , c'est-à-dire autour de la terre , qui est appelée ici
le trésor des Dieux (mais que Snorri prend improprement pour l'habita-
tion des Jses , qui , selon lui , habitent sur la terre) ; les autres coulent
près des Compagnons (norr. Gumnar)^ c'est-à-dire près des/oiwes,
les Compagnons de Loki) , au bord extérieur et austro-septentrional de
la Terre. Comme ces fleuves mythologiques ne correspondent à rien de
réel, mais ont été imaginés d'après l'analogie, ils ont, tous, la même signi-
fication symbolique, et jouent, 'tous, le même rôle épique; ils sont donc
aussi cités indifl'éremment les uns pour les autres , et la poésie mytholo-
gique a pu en imaginer et en énumérer un nombre indéterminé. Aussi la
poésie épique en énumère-t-elle un plus ou moins grand nombre, selon
le besoin de ses narrations , et elle les présente dans tel ou tel ordre ,
uniquement selon les exigences de l'allitération. Il n'y a que Slidur et
Giiill, dont la Mythologie s'occupe plus spécialement. Ces deux fleuves
sont dits sortir du Bassin-Bruyant et se diriger vers le sud-est , où ils
entrent dans le Hel-Brumeux. Slidur y entre au nord-est et se jette ,
là, dans les Fallées-Fcfiimeuses. Gioll pousse plus loin , vers le sud ;
elle coule tout autour du Séjour-de-Hel , au sud duquel se trouve le Pont-
de-Giöll, que passent le^ Ombres qui , venant de la partie septentrio-
nale de la terre , descendent dans ce Séjour-de-Hel et y entrent par la
porte méridionale appelée les Grilles de Hel. Snorri parle ici des Grilles
de Help2ir anticipation; car à l'époque primitive dont il s'agit ici, ces
grilles sont censées ne pas encore exister.
Les Fagues- Tempétueuses, bien que froides , n'étaient cependant pas
gelées à glace. La matière ou le fer tnent \en'meux ^ qu'elles roulaient ,
était moitié brumeux ou aériforme, et moitié liquide, c'est-à-dire que
cette matière n'avait pas encore de forme ni régulière ni organique , mais
qu'elle était cependant susceptible d'en prendre une , en gelant ou en se
cristallisant. En s'éloignant, dans leur cours, de plus en plus, du Bas-
sin-Bruyant, et au contact avec la froidure du Séjo^ir- Brumeux , les
Vagues- Tempétueuses se refroidirent de plus en plus, au point qu'arri-
vées aux extrémités ou "aux bords áw Séjour-Brumeux , et tombant de là
dans le Bâillement-des-Mâclioires , elles gelèrent; et les glaçons s'a-
moncelèrent, les uns sur les aulres, dans cet abîme, comme au pied
NUMÉRO (8) (PAGE 81); LA COSMOGONIE. i73
d'une chute d'eau en hiver. Ainsi' le mythe énonce que la Matière primi-
tive , d'abord liquide , sans consistance et sans forme , prit , en tombant
dans le Bâillement-des-Mâchoires et en s'y cristallisant, vm^ première
forme déterminée.
g 29. Le Séjonr de Gâte-Monde. — La matière, en se cristallisant, avait
pris une première forme, mais une forme encore sans vie; pour conce-
voir qu'elle pût être vivifiée et produire les êtres de la nature , il fallait
admettre, outre \q Séjour-Brumeux , l'existence d'un Monde de Feu pri-
mitif, agissant par sa chaleur vivifiante sur cette matière froide , cristallisée
il est vrai, mais encore inerte. Or, comme ce qui donne la vie, est sup-
posé antérieur à ce qui la reçoit, le Monde du Feu, placé dans le Bail-
lement-des-Mâchoires , fut aussi considéré comme plus ancien que le
Monde d'où sortait la matière brumeuse. Les Scandinaves considéraient le
feu comme l'élément yrimiiif'^ de là les locutions proverbiales de : plus
ancien que le feu (norr. eldri eldstr) , de vieiix comme le feu (norr.
eld-gamall) ^ etc. Le mot eldur, qui désignait le feu, dans la langue
norraine, servait même à prouver l'ancienneté de cet élément. En effet ,
ignorant la véritable étymologie de ce mot {eldur p. indur, dévorant;
sansc. indh ; cf. gr. aither) , on l'a rapproché de son homonyme aldr
(âge), et on l'a expliqué comme signifiant vieux.
Le Séjour du Feu primitif était considéré , en tout point , comme l'op-
posé du Séjour-Brumeux ; aussi est-il placé au sud-est , et celui-ci au
nord-ouest du Bâillement-des-Mâchoires , et, par conséquent, le pre-
mier se trouve placé au-dessus du niveau du second ; car , selon les no-
tions , que la plupart des peuples anciens s'étaient formées du lever et du
coucher du soleil , et trompé , comme on l'était , par ces expressions mêmes
de lever et de coucher du soleil , on croyait que , réellement, l'Est et le Sud
étaient une région plus élevée que le Nord et l'Occident. Enfin, tandis
que le Séjour-Brumeux est froid et obscur , le Séjour du Feu est chaud,
sec et luisant. Ces deux Séjours , situés dans le Bâillement-des-Mâ-
choires., unis et opposés l'un à l'autre, forment ainsi le Monde primitif .,
et sont , dans la Mythologie Scandinave , la première antithèse ou dualité
qu'elle présente dans l'ordre des faits cosmiques. Ces deux Mondes re-
présentent, l'un la matière sans vie, l'autre la vie sans matière. Aussi,
semblables à deux êtres, l'un mâle et l'autre femelle , donnent-ils ensem-
ble naissance aux sept autres Séjours ou Mondes, avec tout ce qui en fait
partie.
Le Séjour du Feu , d'après Snorri, est pernicieux à tout ce qiii , n'é-
tant pas feu , y entre , ou à tout ce qui n'a pas , comme , par exemple , la
pierre ou le fer, une constitution assez forte pour résister à la combustion.
Ce Séjour a un Chef ou Prince, qui est x^ommé Surtur (Noirci) , parce qu'il
est noirci par les flammes dans lesquelles il vit. Selon l'usage des rois
Scandinaves , qui avaient coutume de construire leurs châteaux sur les
promontoires, pour pouvoir protéger plus facilement leur pays contre les
incursions des ennemis venant du côté de la mer , Surtur réside aussi ,
non dans l'intérieur des terres , mais à l'abord de son Empire. Il défend
son pays avec son éi^éejlamba^ite^ c'est-à-dire avec les flammes du Séjour
du Feu. Aussi, dans la poésie skaldique , \e mot Jtamîne et ses syno-
474 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
nynies sont-ils des expressions poétiques pour désigner Vépée. Noirci
(Surtur p. Svartus) est la personnification du feu , considéré, non comme
la source de la lumière et de la chaleur agréables et bienfaisantes , mais
du feu brûlant et destructeur. Aussi Surtur n'est-il pas un bon Génie ou
un Alfe de lumière, mais un lotne (v. p. 166); lui et ses Compagnons
sont les Ennemis des Dieux et des Hommes; et , de même que, d'après
l'Eschatologie des Hindous et des Perses , la terre sera brûlée , à la fin
des siècles , de même , Surtur viendra , au Crépuscule-des-Grandeurs
(voy. N" 48), brûler le ciel et la terre, comme Agnis (Feu ; lat. ignis) ou
Kalas (Effrayant ; cf. Hel, p. 1 03) dans la Mythologie sanscrite , ou comme
Dush-ak (Mal-portant) dans la Mythologie perse. C'est à son rôle de
Destructeur du monde, que se rapporte le nom de Musjnll (p. mûd-
spildir) , qui , dans l'origine , était un nom épithétique de Surtur et signi-
fiait précisément Destructeur du Monde. Dans la Mythologie hindoue ,
Çivas ou Kalas , qui dévorera le Monde , à la fin des siècles , porte aussi
le nom épithétique de Mangeur du Monde (sansc. DJagad-bakcha-
kas). Le nom propre de Muspill , donné à la personnification mytholo-
gique du Feu , considéré comme le destructeur du monde, est devenu , chez
les Germains convertis au Christianisme, un nom abstrait pour désigner
la Fin du monde ou le Jugement dernier (cf. Muspilli).
(9) LE MONDE AVANT LES THURSES-GIVREUX.
l 30. La Matière morte est vivifiée. — La Mythologie Scandinave ayant,
dans sa Théogonie , rattaché Odinn , par son origine , à la race des
Timrses-Givreuoc , elle avait ensuite à expliquer comment ceux-ci, qui
étaient des Êtres anthropomorphes et doués de vie, sont provenus de la
Matière primitivement morte et inerte. Pour répondre à cette question ,
un mythe titanogonique fut imaginé. Ce mythe était peu explicite, comme
le sont, en général, la plupart des anciens mythes théogoniques , titano-
goniques et cosmogoniques. Aussi se trouve-t-il exprimé, sous une forme
extrêmement concise, dans deux vers du poëme eddique intitulé Les Dits
de Vaflhrûdnir, que 5?io7T2 cite , et qui lui servent de document mytho-
logique , qu'il explique ou commente à sa manière. Après avoir fait de-
mander par Piétoîuieur ., comment c'était arrangé (c'est-à-dire quel
était l'état du Monde) avant que les Races (c'est-à-dire les races pri-
mitives., ou les races des Thurses-Givreux) eurent pris naissance.,
Snorri met dans la bouche des trois Répondants l'explication des données
peu explicites de cet ancien mythe titanogonique. Selon lui , les Eaux ve-
nimeuses des Vagues- Tempétueuses^ en s'éloignant de leur source, ge-
lèrent de plus en plus, ou, comme il s'exprime, le ferment venimeux
liquide qui s'y trouvait, s'endurcit*, et, ainsi mêlées de glaçons, elles
se jetèrent toutes para//è/e/?zewi; et dans la direction du sud-est, dans le
(1) Toutes les éditions du G ylfa- Ginning , même la dernière édition de Copenhague ,
1848, font dire à Snorri que le forment venimeux liquide s'endurcit comme les
particules incandescentes qui s'élancent du feu. Cette comparaison singulière ne
saurait provenir de Snorri. D'abord cet auteur n'aurait pas eu besoin de se servir d'une
comparaison quelconque pour expliquer comment le ferment venimeux liquide s'en-
durcit ou gela. Tout le monde en Islande, où Snorri écrivait, savait que les eaux.
NUMÉRO (9) (page 82) ; le monde avant les thurses-givreux. i 75
Ginminga-gap (qu'il se figure faussement comme la Mer p?'imitive ,
voy. p. 179), de manière à remplir cette mer d'énormes glaçons. Ensuite,
pour pouvoir expliquer, pourquoi le premier Être, qui sort de ces gla-
çons , porte le nom de ThuTse.-givreuæ , Snorri se figure que les gla-
çons, s'entrechoquant, dans la Mer primitive , volèrent en poussière et
retombèrent, sous forme dégivre, sur la surface de Ghinunga-ga]).
Enfin, la partie méridionale de cette Mer déglace fut atteinte par les étin-
celles qui jaillissaient de Muspill ; et cette partie , vivifiée par la chaleur,
donna naissance au Thurse-givreux nommé Ymîr. Tel -est le commen-
taire que Sno?'7'i donne de ce mythe titanogonique. Nous croyons le com-
menter plus exactement de la manière suivante :
La Matière venimeuse primitive , renfermée dans les Vagues-Tempé-
tueuses, en tombant de tous côtés, dn SéJour-B?'umeíiæ , au fond du
gouffre immense du Bâillement-des-Mâchoires , de liquide et sans con-
sistance qu'elle était , y prit , en gelant ou en se cristallisant par le froid
et par le venin , qui était un ferment ou principe de vie (norr. kvikia ,
vivifiant) , une première forme arrêtée , la forme de glaçons. Ces glaçons
s'amoncelèrent, les uns sur les autres , dans l'Abîme, et montant tou-
jours , de siècle en siècle , arrivèrent enfin à une proximité telle du Sé-
jour-de-Muspill (suspendu au-dessus de l'Abîme, au bord méridional du
Bâillement-des-Mâchoires) , qu'ils éprouvèrent l'action vivifiante de la
chaleur qui rayonna sur eux et les atteignit , de loin , par les étincelles
même celles qui sortent, toutes chaudes , d'une source thermale comme, par exemple ,
le Geysir, finissent par geler à une certaine distance de la source , par l'effet de
j'évaporation et par la froidure de l'air. Ensuite, il serait étrange que, pour expliquer
cette gelée qui est l'opposé de la chaleur, Snorri eût employé une comparaison ou
une image empruntée précisément à un phénomène se rapportant au feu ou à la
chaleur. Enfin , il n'eût pas même été juste de dire que les particules ignées, qui
s'élancent du feu, s'endurcissent , puisqu'elles retombent plutôt en cendres; et, si
ces étincelles eussent été des gendarmes, qui s'envolent, par exemple, quand le fer
rouge est battu, il n'eût pas, non plus, été convenable de dire que ces pailles de
fer ardent s'endurcissent, puisqu'on ne saurait les considérer comme ayant été
liquides originairement. On pourrait tout au plus comparer les eaux des Vagues-
Tempétueuses à la lave qui, liquide aussi longtemps qu'elle est incandescente, se
durcit lorsqu'elle se refroidit; mais il n'est pas, non plus, probable que Snorri, en
parlant de l'eau qui gèle, l'ait comparé à la lave incandescente qui durcit par le re-
froidissement. Il résulte de cet examen qu'on a eu tort de mettre ces incongruités
sur le compte de Snoiri. Il est, au contraire, évident que les mots comme les par-
ticules incandescentes qui s'élancent du feu ont été déplacés , dans les manuscrits
et, par suite, dans les éditions , et qu'il faut les mettre à'ia place, où les avait mis
Snorri et où nous les avons remis dans notre Traduction, savoir à la fin de la ré-
ponse de Troisième. C'est seulement là que ces mots sont à leur place. En effet.
Troisième avait à expliquer comment le Monde igné. a agi sur les glaçons du Gin-
nunga-gap , par une action à distance, en y lançant de loin des étincelles; et, pour
expliquer cette projection, il était naturel de rappeler, par une comparaison , soit les
bluettes qui s'échappent du brasier d'une cheminée , soit les étincelles ou gendarmes
qui s'envolent, quand on bat le fer rouge, soit enfin les matières incandescentes lan-
cées au loin par le cratère d'un volcan.
176 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
jaillissant de ce Monde i^né. De la partie ainsi chauffée de cette masse de
glace , sortit le premier Etre vivant du monde, le géant Ymir.
% 31. Nature , Caractère et Noms épithétiques d'Ymir. — En imagi-
nant Ymir^ la Mythologie s'est figuré un Être vivant, qui tient l'intermé-
diaire entre l'état primitif chaotique du monde et l'état postérieur plus
régulier. Aussi Ymir est-il , dans la Cosmogonie norraine , le représen-
tant de la Nature glaciale primitive. Par son origine ou son organisation
grossière et par son caractère sauvage , il tient encore du Monde chaotique
désordonné ; mais , par sa figure humaine et comme être vivant , il appar-
tient déjà au Monde des êtres organisés. Sa nature sauvage et son carac-
tère grossier sont indiqués symboliquement, dans la Mythologie, par sa
taille gigantesque de Thurse ou á'Iotne. Il est la souche des Thurses-
Givreux ou des lotnes, et c'est pourquoi il est nommé , par excellence,
le Thurse-Givreux ou Ylotne. Son nom de Yiiiir (Murmurant; cf. Omi,
p. 1 61 ), qui semble être son nom propre et être dérivé de Hymir ou Gymir,
exprime le bruissement des vents et des glaces dans le monde arctique
primitif. Son autre nom de Or-Gelmir (Très-Bruyant), qui est seulement
un nom épithétique, indique que ce géant est, en quelque sorte, la per-
sonnification et le dédoublement du Bassin-Bintyant (norr. Hver-Gel-
mir). Il est encore surnommé Brimir {Frémissant de froid) , et Blâinn
{Bleui de froid) , parce qu'il représente la période glaciale ou primitive de
la création.
l 32. Époque glaciale du Monde primitif. — Si l'on entend par Créa-
tion , seulement la formation de notre système solaire , la Science de nos
jours (se figurant la Terre comme une matière qui, fluide dans l'origine ,
s'est détachée du Soleil) , doit rejeter, comme contraire à la nature des
choses, ridée de l'état primitif ^'/acm/ de notre planète, et y substituer,
comme plus conforme à la vérité , l'hypothèse de son état primitif «^we.
Cependant on conçoit que l'idée de l'état glacial du monde primitif a dû
se présenter, avec une grande probabilité, à l'esprit des Scandinaves.
C'est que , vivant , pendant la plus grande partie de l'année , au milieu des
phénomènes de la Nature hivernale , ils sentaient , mieux que les peuples
méridionaux, la différence entre l'Été et l'Hiver. L'Été leur semblait être
la vie, l'ordre, la beauté, tandis que l'hiver ressemblait à la mort, au
désordre, au Néant. Or, l'idée de la formation des choses, ou de la
Création , implique que la vie soit sortie du néant, et que , par conséquent,
le Néant, l'Hiver ou la Période hivernale du Monde primitif, ait précédé
la Période printanière ou la Naissance des êtres de la création. Delà,
chez les Scandinaves , l'idée que la Nuit engendre le Jour , et que l'Hiver
produit le Printemps. Si, au point de vue de la Cosmogonie norraine,
la conception d'un monde glacial primitif a du moins quelque chose de
plausible , il n'en est pas de même , au point de vue de la Science , de
l'hypothèse admise par quelques géologues, d'après laquelle, à la fin de
la dernière période de l'époque tertiaire , c'est-à-dire au commencement
de la période géologique actuelle , un froid terrible serait survenu subi-
tement dans toutes les parties de notre globe et aurait causé la destruc-
tion entière de la race animale primitive. Sans doute , dans le monde
primitif, il y a eu , de temps à autre, des hivers rigoureux, de grandes
NUMÉRO (10) (page 82) ; ymir n'est pas un dieu. 177
neiges ou de grandes inondations au printemps ; il est aussi incontestable
que , dans la période qui a précédé la période actuelle , il y a eu un bien
plus grand nombre de glaciers , et de glaciers plus élevés dans les mon-
tagnes qu'aujourd'hui ; des rocs encastrés dans la glace ont roulé dans la
vallée , et les glaçons renfermant ces rocs ont été , par les inondations ,
charriés bien loin , même au delà des mers , et ont déposé, dans des con-
trées lointaines , ces rocs appelés blocs erratiques. Mais tout cela s'ex-
plique , sans qu'on ait besoin de recourir à l'hypothèse gratuite de l'ir-
ruption sîtbite d'un froid général qui aurait détruit , en un instant donné,
sur notre globe , toute vie organique. On a cru devoir déduire cette hy-
pothèse des découvertes faites ^ au siècle dernier , de l'éléphant du Lena
et du rhinocéros du Wilhoui. Mais ces découvertes établissent seulement
que ces animaux , qui appartenaient déjà aux régions septentrionales
(comme le prouvent leurs fourrures), ont été entraînés par les eaux
boueuses des glaciers , et sont enfin restés enfermés dans un massif de
boue gelée. L'hypothèse d'un froid subit et universel ne reposant sur
aucun fait géologique positif, il est inutile de prouver que les hypothèses
qu'on a appelées subsidiairement à son secours, pour expliquer \^ possi-
bilité d'un tel changement subit (comme, par exemple, l'évaporation à la
suite d'un soulèvement de montagnes, ou le climat de la terre interverti
par le choc d'une comète), ne portent guère des caractères suffisants de
probabilité. En résumé , l'idée d'une époque glaciale , par laquelle aurait
passé notre Terre , au commencement de la période géologique actuelle,
ne semble pas pouvoir se maintenir dans le domaine de la Science posi-
tive, et ne saurait, du reste, confirmer, en aucune façon, le mythe Scan-
dinave du Monde glacial primitif.
(10) YMlR PÈRE DES THURSES-GIVREUX.
g 33. Ymir n'est pas un dieu, — Les hommes primitifs n'adoraient des
divinités que parce qu'ils voyaient en elles des Puissances surhumaines ,
capables de les protéger contre les maux , ou de leur procurer certains
avantages. L'adoration s'adressait donc aux Divinités , en leur qualité de
Protectrices et de Bienfaitrices. Plus tard , à côté des Divinités protec-
trices et bienfaisantes , on conçut également des Êtres surhumains mal-
faisants , qui passaient pour être les ennemis des Dieux , de» Hommes et
du Monde. Ceux , parmi les hommes primitifs, qui , dans les circonstances
où ils vivaient, éprouvaient bien plus souvent, et d'une manière plus sen-
sible , les bienfaits que les malheurs causés par la Nature , étaient aussi
naturellement portés à attribuer aux Divinités une puissance plus grande
qu'aux Démons, leurs ennemis. Se croyant, dès lors, suffisamment pro-
tégés contre les Démons par la puissance supérieure des Divinités , ils
invoquaient uniquement celles-ci, et nejugeaient pas nécessaire d'adorer
également ceux-là. Mais celles parmi les tribus primitives qui , dans les
circonstances où elles étaient placées , éprouvaient plus souvent et d'une
manière plus sensible pour elles , les maux que les bienfaits de la Na-
ture , étaient aussi portées à attribuer aux Démons une puissance supé-
rieure à celle des Divinités ; et comme , dans l'origine , un Être réputé
surhumain passait pour adorable , non à cause de sa bonté morale ,
12
1 78 COJfMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
mais uniquement à cause de sa jmissance surhumaine, il arriva que, chez
plusieurs de ces tribus primitives, l'adoration des Démons prit la place
de l'adoration des Divinités. Les tribus de race scythe n'adoraient que
les Divinités. Les Démons , c'est-à-dire les Turses et les Itunes, passaient
pour des Êtres surhumains , mais ils n'étaient pas adorés. Plus tard ,
dans la Théogonie des peuples de la branche gète {\oy. p. 166), les Dieux
furent rattachés , par leur origine , aux Démons , et placés , sous le rapport
généalogique, après eux, bien que, chronologiquement, ils aient été
conçus et aient existé , dans la Mythologie , avant eux. De la même ma-
nière, Ymir, qui, plus tard, dans la Cosmogonie des Scandinaves , fut
conçu après les Thurses-Givreux , fut placé , sous le rapport généalo-
gique , avant eux, et fut considéré comme leur souche. Ayant été conçu seu-
lement comme Être cosmogonique, et, par conséquent, n'appartenant pas
à la religion populaire , mais seulement à la spéculation religieuse ou
mythique, Ymir n'était pas adoré; et, c'est pourquoi, Snorri a raison
de faire dire par Sublime que ce géant n'était pas un dieu. Mais cet au-
teur confond le point de vue religieux chrétien avec le point de vue reli-
gieux du paganisme, lorsque, pour prouver que Ymir n'était pas un dieu ,
il rappelle qu'il était méchant. Certes , au point de vue chrétien , d'après
lequel l'idée de Dieu implique celle de perfection absolue , un dieu mé-
chant est une contradiction dans les termes ; mais , dans les religions
polythéistes populaires, où les divinités étaient adorées, non à cause de
leurs qualités morales , mais pour la puissance surhumaine qu'on leur
supposait, un dieu méchant, pourvu qu'il fut considéré comme doué
•d'une puissance surhumaine , avait tout aussi bien le caractère distinctif
divin qu'un dieu bon et bienveillant.
§ 34. La Génération spontanée et l' immutabilité des espèces. — Le
principe ex nihilo nihil est également vrai en physique et en métaphy-
sique. La Matière existant de tout temps (voy. p. 165), toute formation
nouvelle n'est qu'agglomération dans les êtres inorganiques , et agglomé-
ration avec métamorphose pour les êtres organiques. Les corps inorga-
niques se fractionnent en parties matérielles similaires ; et les espèces
organisées se dédoublent en individus semblables les uns aux autres.
Dans la nature organique il ne naît et il n'existe réellement que des in-
dividus; l'espèce, n'existant pas comme individu physique, existe ce-
pendant logiquement, c'est-à-dire qu'elle a sa vérité comme notion,
désignant des individus semblables. Or, la Nature ne produit et ne sau-
rait produire des individus absolument semblables ; elle ne produit réel-
lement que des individus à peu près semblables. C'est pourquoi , en lo-
gique , si l'on ramène la notion d'espèce à une exactitude absolue , on
la réduit forcément à la notion ({'individu, qui, cependant, semble lui
être opposée; et, dans la nature réelle, en prenant les choses rigoureu-
sement , comme aucun individu n'est absolument semblable à l'autre ,
chaque individu est, proprement, sui generis, et forme une individua-
lité , une espèce à part. L'espèce , dans la pensée et dans la réalité , n'a
donc pas de limites qui soient rigoureusement déterminées par la nature
des choses; elle est ^laturelletnent ^flottante. Le principe ex similibus
similia, s'il est bien compris, signifie que d'un individu en provient un
NUMÉRO (iO) (page 82) ; la génération spontanée. 179
autre à peu près semblable , et généralement le pins semblable possi-
ble ; de sorte qu'il est vrai de dire que, de tous les individus de la nature,
ceux qui proviennent les uns des autres , ou qui sortent ensemble d'une
même souche, sont les plus semblables entre eux, et méritent le plus d'être
considérés comme formant ce qu'on appelle une espèce. Cependant nous
aflSrmons d'une manière absolueles deux thèses suivantes : 1° il n'y a pas
deux individus absolument semblables l'un à l'autre ; 2° nul individu n'en
produit un autre qui lui soit absolument semblable. Ajoutons à ces deux
thèses que dans le monde physique et dans le monde métaphysique, la
vie c'est le mouvement, et que le mouvement implique nécessairement le
changement. Tout ce qui vit et, par conséquent , tout individu , subit
des changements ; et comme les changements de la nature physique et
métaphysique se transmettent par la génération d'un individu à l'autre,
il s'opère nécessairement, dans la suite des générations ou dans l'espèce,
un flux continu de métamorphoses insensibles. Vimmutabilité éternelle
des espèces non-seulement n'existe pas , elle est même logiquement et
physiquement impossible. Mais pourquoi, dira-t-on, des changements
assez marqués dans l'espèce ne se produisent-ils point sous nos yeux?
pourquoi ne peuvent-ils être constatés ni par expérience ni par expéri-
mentation? C'est d'abord parce que les causes et les conditions indispen-
sables pour produire les changements, bien qu'elles existent, ne nous sont
que très-imparfaitement con7iues, et , par conséquent, ne peuvent pas être
mises en jeu par nous, en vue d'une expérimentation. Ensuite les modifi-
cations physiologiques assez marquantes ne se produisent pas instantané-
ment ou dans un court espace de temps , comme les modifications phy-
siques, amenées par des combinaisons chimiques; elles se réalisent in-
sensiblement et lentement par l'action séculaire des mêmes causes, et ne
sauraient, par conséquent , non plus, être soumises à l'expérimentation.
Cette action insensible, mais continue, embrassant une longue série de
générations , il en peut résulter , à la fin , un changement tellement mar-
quant qu'il équivaut à un changement d'une espèce dans l'autre. Cepen-
dant il faut se rappeler : 1» que les changements partiels ne sont et ne
peuvent être que de très-petits changements, et 2° que , la vie étant limi-
tée pour chaque individu , les changements possibles dans le même in-
dividu sont aussi très-limités : ce n'est donc pas l'individu d'une espèce
qui peut se transformer, comme par un miracle, en un individu d'une espèce
très-différente; mais la vie se renouvelant dans la succession des généra-
tions d'une même race, et chaque génération recevant les modifications
héréditaires et les transmettant avec celles qu'elle a subies elle-même, le
changement d'une race inférieure en une espèce supérieure, devient non-
seulement possible avec le temps , mais doit même s'effectuer réellement
et nécessairement dans un temps donné. Conclusion : Les espèces qui ne
sont pas réductibles les unes dans les autres, sont donc seules des es-
pèces primitives et des tyjyes originaux.
Les Mythologies anciennes (qui , comme toutes les religions, ne renfer-
maient, originairement, que des croyances et des théories, et n'ont
admis Aes fictions que lorsqu'elles se furent associées , plus tard, à la
Poésie), croient toutes 'fà la génération spontanée., sans préexistence
180 COMMKNTAIUE CIUTIQUE PERPÉTUEL.
d'aucun germe ; â" à la génération miraculeuse , en dehors du mode na-
turel, et 3° à la métamorphose magique ou au changement instantané
d'un individu d'une espèce en un individu d'une autre espèce. La Science
nie 1° la génération sans germe, 2° la génération miraculeuse, et 3° la
métamorphose magique; mais elle aflSrme positivement la métamor-
phose naturelle des espèces.
"i 35. Comment Ymir engendre les Parents des Thurses-Givreux. —
Les Vagues- Tempétueuses tombant, du Séjour-Brumeux , au nord du
Bâillement-des-Mâchoires , dans ce gouffre immense, le remplirent à la
fin, et en firent un Océan de glace. De la partie méridionale de cet Océan
de glace, la plus proche du séjour de Gâte-Monde, naquit, par une
génération spontanée , le géant Ymir. En supposant qu'à la naissance de
ce géant , la tête sortit , la première, de la glace , puis le reste du corps,
il s'ensuit que la tête était dirigée au Sud , et les pieds , au Nord de l'Abîme.
Le bras droit du géant était donc étendu vers l'Est, et le bras gauche vers
l'Occident. Ymir, bien que vivant et anthropomorphe, était une masse
de glace inerte, couchée dans la partie méridionale de l'Océan glacial
primitif. La Mythologie avait à expliquer comment cette masse vivante,
mais inerte, a pu engendrer les Thurses-Givreux. Elle aurait pu imagi-
ner une Géante, née de la même manière que Ymir, et avec laquelle il les
eût engendrés. Mais voulant indiquer que ce géant n'est encore qu'une
force primitive de la Nature , elle suppose qu'il n'a pas engendré avec
volonté , à la façon des êtres organisés, mais qu'il a seulement produit
involontairement , comme toute force dans la Nature. C'est pourquoi la
Mythologie représente les Thurses-Givreux comme les produits spon-
tanés et miraculeux d'une émanation involontaire, ou, comme elle dit,
d'une sueur (transpiration , exhalaison) , qui prit à Ymir, lorsque , couché
sur le dos, il dormait, les pieds tournés vers le Nord, et le bras droit vers
l'Orient. Or, la chaleur étant la plus forte à l'extrémité du bras droit
étendu vers le Séjour de Muspill , c'est sous la main droite (c'est-à-dire
sous la main par excellence , appelée simplement , dans la strophe des
Dits de Vafthrudnir , la main)., que naquirent un Garçon et une Fille,
qui , sans doute, devinrent la souche d'une première race moins rude ,
de la race des lotnes, établie plus tard à V Est de la terre. Les pieds , tournés
vers le Nord, engendrèrent , l'un avec l'autre, d'après un mode miracu-
leux et grossier , un Géant (sans doute Thrûdgelmir) , qui avait le ca-
ractère sauvage de son père , et devint la souche de la race féroce des
Thurses-Givreux , établis plus tard au Nord de la terre. D'après une
conception analogue , quant à l'image , mais différente quant au sens , il
est dit, dans un mythe hindou , que , du pouce de la main droite de Brah-
mas naquit Dakchas (Droit), de sa bouche naquit le Brahmane (Prêtre),
de ses bras , le Kchatryas (Guerrier) , de ses cuisses , le Vaiçyas (Bour-
geois) et de ses pieds, le Coudras (esclave). Comme, du temps de Snorri.,
la tradition populaire connaissait bien V Enclos-Extérieur (norr. Ut-
gardr) ou le Séjour de l^oki , elle a confondu cet Enclos avec le
Séjour des Thurses-Givreux au Nord ; et, comme cet Enclos était placé
à V Ouest de la terre, Snorri en a , sans doute , conclu que les Hrim-
thurses, qu'il confondait avec les Compagnons de Loki, étaient établis à
NUMÉRO (II) (page 82); LA VACHE AUDHUMLA. 181
VOuesl et qu'ils étaient nés sous la main gauche du géant Ymir. C'est
pourquoi il fait dire par Troisième ^ que c'est sous la main gauche que
naquirent un Homme et une Femme.
(1 1) LA VACHE AUDHUMLA.
g 36. Le nom de la vache Audhumla. — D'après les conceptions cos-
mogoniques des Scandinaves, l'état primitif du Monde glacial , représenté
par Ymir, avait une longue durée. C'est pourquoi la Mythologie énonçait
que ce Géant, pour subsister pendant si longtemps, a eu besoin de se
nourrir; et elle avait à indiquer de quelle manière il se nourrissait. Or, à
l'époque où ce mythe s'est formé, les Scandinaves vivaient encore, comme
leurs pères , en grande partie de lait , de miel sauvage , et de miellat, c'est-
à-dire d'une exsudation sucrée qui , pendant l'été, couvre certains végé-
taux. Déjà, à une époque très-ancienne , le laitei le miel étaient devenus,
dans les Mythologies iafétiques, les symboles de la nourriture -^ et, comme
conséquence de cette idée , la vache et \ abeille devinrent également les
symboles de la nourrice. Mais chez les peuples pasiewr-s, comme l'étaient
encore , à cette époque , les Scandinaves , la vache était naturellement la
nourrice par excellence ; et c'est pourquoi le mythe a dû énoncer que Ymir
était nourri par une vache. Cependant comme l'abeille était également
le symbole de la nourrice , l'abeille et la vache pouvaient aussi échanger
entre elles leurs noms dans la tradition mythologique; et, par conséquent^
la vache put porter un nom qui appartenait plus particulièrement à l'a-
beille. Or, chez les peuples de la branche gète, l'abeille, à cause de son
bourdonnement , portait le nom masculin de humai (bourdon ; v. ail.
hummel) et plus particulièrement le nom féminin de humla (bourdonne).
Le mot masculin hummel devint même , en vieux haut allemand , un nom
commun pour désigner le taureau ; et il est probable que le nom du roi
Humbl, dont parle Snorri dans son histoire (cf. Jornandes : Halmal au
lieu de Hamal)., avait la même signification que le nom allemand hum-
mel (taureau). Le monde primitif, où vivait Ymir, étant, comme les con-
trées ariitiques, une solitude nue et déserte (norr. audr;y. ail. œdi)^ la
vache primitive gigantesque, qui nourrissait ce Géant, eut le nom de
Bourdonne du Désert (norr. Aud-humla). Semblable à la génisse mer-
veilleuse , Kâmaduh (A traire à souhait) , de la Mythologie hindoue ,
Audhumla produit, avec une abondance inépuisable, le lait qui coule ,
comme des fleuves , de ses quatre trayons.
g 37. Origine de la vache Audhumla. — Les mythes sont, originaire-
ment, très-peu explicites, et ont une forme extrêmement concise; ce n'est
que, dans la suite, lorsque la poésie épique s'en empara, qu'ils devien-
nent plus explicites et plus détaillés. Dans l'origine , il n'existe pas d'en-
semble systématique dans la Mythologie; il n'y a que des mythes détachés
qui n'expriment, chacun, qu'une seule intuition, ou vue théorique, qui se
forment, tous, indépendamment les uns des autres, et ne prennent aucun
soin de se mettre en harmonie logique ou historique les uns avec les au-
tres. De là ces contradictions qu'on remarque entre les mythes , auxquels
la poésie et la science philosopiiique n'ont pas encore touché, et qu'elles
n'ont pas encore réduiis en un ensemble plus nu moins systématique. De
182 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
là encore ces lacunes nombreuses laissées dans toutes les questions théo-
riques traitées dans les mythes. C'est ainsi , par exemple , que le mythe qui
parle de la vache Audkumla , n'est nullement préoccupé de la question de
savoir comment a pu naître cette vache. Si jamais cette question a été
posée , comment y aurait-on répondu ? Ordinairement les animaux mer-
veilleux qui figurent dans les mythologies , comme , par exemple , la vache
Kâmaduh, doivent leur origine à un acte de magie. Mais cette origine n'est
pas admissible , par rapport à Judhumla , puisque cette vache naît à une
époque où il n'existait encore d'autre être qu'ymeV^ et que ce Géant n'est
pas représenté , dans la Cosmogonie , comme un magicien. Si l'on veut
avoir une réponse à la question sur l'origine de cette vache, question qui,
probablement , n'a jamais été soulevée ni traitée dans la Mythologie Scan-
dinave, il faudra, sans doute, se figurer que Judhumla est sortie de
l'Océan glacial primitif, de la même manière que le géant Yinir, dont
elle a été la nourrice.
(12) BÛRI ET SA RACE.
I 38. Naissance de Bûri. — La Cosmogonie, ayant imaginé et considéré
Ymir eX Audhumla comme les Représentants du Monde glacial primitif,
avait aussi à montrer de quelle manière la race des Dieux se rattachait ,
par son origine , à ces êtres primitifs. A cet effet, il fallait relier la Théo-
gonie à la Cosmogonie ; en établissant, par l'intermédiaire des ascendants
du Dieu suprême, un rapport généalogique entre les Thurses-Givreux
et les Jses. Le mythe théogonique , d'après lequel le Dieu suprême ,
Odinn, était fds áeBör (Burr, Fils) ou áeBuri^ s'était déjà formé chez les
tribus de la branche gète, environ vers l'an 300 avant notre ère. Ce mythe
théogonique se transmit aux Scandinaves, lesquels le rattachèrentau mythe
cosmogonique , qui venait de se former chez eux , au premier siècle en-
viron de notre ère. Voici comment le rapport généalogique fut conçu entre
Ymir et Buri. Odinn étant seul le Chef et la Souche de la race divine ,
son aïeul Buri ne pouvait être considéré comme appartenant déjà à la
race âsique, mais il devait être considéré comme se rattachant à une race
plus grossière, savoir à celle des Thurses-Givreux. D'un autre côté,
l'aïeul à' Odinn ne pouvait pas être doué de la même nature grossière que
Ymir : il devait être moins rude que lui ; il devait être , en quelque
sorte , un Ïhurse-Givreux adouci. Or, à l'époque où les Cosmogonies se
sont formées, les Anciens avaient déjà entrevu cette vérité, que l'état
plus développé, plus parfait des êtres organiques, suit Vétiit rudimentaire
et imparfait (voy.p. 166). C'est pourquoi, dans la Cosmogonie Scandinave,
Buri fut considéré comme étant né après Jmir. En sa qualité de Thurse-
Givreux adotici , Buri ne pouvait pas être dit le fils d' Ytnir, pour ne pas lui
faire partager sa nature grossière; il devait être seulement son frère utérin ,
c'est-à-dire être né , comme lui , de la glace primitive , dans laquelle il s'é-
tait formé lentement par une génération spontanée.
De même qu'au printemps la terre verte sort de dessous la neige et la
glace qui l'avaient couverte et ensevelie, de même Buri sortit de l'intérieur
de la glace par une éclosion lente , qui , par cette lenteur même , indi-
quait symboliquement la nature plus parfaite de ce Thurse adouci. L'idée
NUMÉRO (12) (page 83); bûri et sa race. 183
que la \2íÚ\q Audhumla fait éclore Bari, en léckantlQ rocher de glace
où il était renfermé , n'a pas de signification symbolique , mais est une
image épique^ empruntée à un fait d'expérience, savoir que les vaches ,
les chamois, et les autres ruminants , ont l'habitude de lécher le salpêtre,
le nitrate ou le sel [sulz, comme on dit en Suisse) , qui couvrent quelque-
fois, soit des murailles, soit des rochers, soit certains endroits d'un gla-
cier. Le mythe a donc comparé le glaçon , où Buri était renfermé , à un
rocher de sel ; et cette comparaison se faisait d'autant plus naturellement ,
que d'abord la glace du Bâillemeiit-des-Mâchoires s'était formée, comme
on croyait, du venin des Fagues- Tempétueuses , et qu'ensuite, dans
l'opinion populaire, le sel et le venin , par suite de leur saveur acre et
piquante , étaient confondus l'un avec l'autre , et désignés , par conséquent,
l'un par le nom de l'autre. C'est ainsi, par exemple, que le Serpent ou
Dragon qu'on porte en procession à Troyes (voy. Les Gèles, p. 253), est
appelé la Chair salée , pour dire Chair venimeuse, ou Dragon à la chair
venimeuse. Le mythe , pour indiquer que Biiri naquit longtemps après
Yinir, et que sa naissance s'est opérée lentement, dit que Judhumla,
pour faire sortir du rocher de glace Buri, a léché ce rocher pendant trois
jours mythologiques , c'est-à-dire pendant trois longues périodes (cf.
sansc. ayanâs , course, année, période). Le dualisme cosmologique, qui
existait d'abord entre le Séjour -Brumeux et le Séjour de Muspill^ s'est
continué dans la nouvelle antithèse qui s'établit entre Ymir et Buri.
Buri est grand et puissant comme Ymir., mais il a une organisation
physique moins grossière et un meilleur naturel. Il représente une géné-
ration supérieure à la race ^tiTlmr ses- Givreux] ce qui est déjà indiqué
par son nom. Car le nom de Buri qui , dans l'origine et chez les tribus
de la branche gèle , signifiait Fils (du Ciel) , fut confondu plus tard ,
chez les Scandinaves, avec celui de //liW (Manant) ; et comme, à cette
époque , les Manants ou Domiciliés passaient pour une classe d'hommes
supérieure à la classe des familles nomades, vagabondes et sans domicile,
le nom de Bûri .^ dans le sens de Manant., devint ainsi un nom conve-
nable pour désigner l'Aïeul de la famille divine , lequel , par opposition
aux Thurses-Givreux , ces représentants du Monde primitif désordonné
et sans lois , était censé introduire dans le monde plus perfectionné , d'a-
bord le domicile /«376 (norr. bû, manoir) et, avec lui, les travaux agri-
coles , l'ordre social , la loi morale , et le culte des Dieux. Pour les Scan-
dinaves , comme pour d'autres peuples de la race iafétique , la beauté
jihysiqiie était l'indice de la bonté morale. C'est pourquoi le mythe rap-
porte de Buri qu'il était beau de visage ; ce qui veut dire qu'il n'a pas
seulement une organisation physique moins grossière que celle des
Tkurses-Givreux , mais qu'il a aussi un naturel meilleur.
g 39. Bör le père d'Odinn. — Dans l'origine, les rapports généalogiques
s'établirent entre les Divinités , d'après le rapport de cause à eifet qu'on
supposait exister entre les phénomènes physiques ou les objets dont ces
divinités étaient les personnifications. Ainsi, par exemple, le dieu Feí<í
(Vathus, Othr) fut considéré comme le fils du dieu Orage (Firgunis,
Kiörgynn) , parce qu'on supposait (|ue le vent ^\:á\í produit par l'orage.
Mais lorsque, plus tard , les dieux , de zoomorphes et indépendants l'un
i84 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
de l'autre qu'ils avaient été dans l'origine , devinrent anthropomorphes et
formèrent une race ou famille divine, leurs qualités physiques s'eifacè-
rent de plus en plus , et, dès lors , les rapports généalogiques et les de-
grés de parenté ne furent plus basés, comme antérieurement, sur les
rapports entre leurs qualités physiques , mais sur l'importance plus ou
moins grande qu'on accordait aux divinités, pour des causes plus ou
moins extérieures ou historiques. Ainsi , par exemple , Odinn devint le
Père des Ases, entre autres de Thôr, non parce que la Tempête, dont
Odinn était originairement la personnification , passait pour être la cause
physique du Tonnerre , personnifié dans Thôr, mais il devint le Père des
Ases, parce qu'on lui attribuait une plus grande importance qu'aux autres
divinités ; et on lui attribuait cette importance , soit parce qu'il était ori-
ginairement adoré par les tribus les plus puissantes, soit parce que,
comme dieu des tempêtes, il était devenu aussi dieu des combats; soit,
enfin, parce que, avant d'être père des Ases, il avait déjà été considéré comme
le Chef des dieux , ou comme le Dieu suprême. Ensuite, comme la généa-
logie des dieux ne reposait plus sur la base immuable des rapports phy-
siques, mais sur la base plus mobile de la hiérarchie sociale , qui dépen-
dait de circonstances extérieures et historiques , on conçoit que , dans la
même Mythologie, les rapports généalogiques entre les Divinités ont été
diversement déterminés, selon que telle ou telle tribu, pour une cause ou
pour une autre , a cru devoir accorder une importance hiérarchique su-
périeure à telle ou telle divinité. C'est ainsi, par exemple, que les anciennes
tribus Svies (Svèdes) , donnaient à leur dieu Freyr ou Yngvî-Freyr (p.
Hâving-vin-Freyr, Hînk-vin-Freyr, Hâk-on-Freyr, c'est-à-dire Freyr,
l'Ami du Fils de Sublime) la préférence sur Odimi, et considéraient , par
conséquent aussi, leur dieu Freyr, non comme le fils, mais comme le
père ou l'aïeul à' Odinn.
Au troisième siècle avant notre ère , Vathans (Odinn) passait , chez les
tribus de la branche gète, pour le Dieu suprême et pour le 'père des
Ases. Ala même époque, ou à peu près, la Théogonie, qui allait se former,
et qui , pour les raisons que nous avons indiquées (voy. p. 166)^ avait à
rattacher la race des Ases à celle des Thur s es- Givreux, imagina que le
père du Dieu-suprême était un Jils de la famille des Thur ses , mais un
fils de famille destiné à fonder une nouvelle race , la race des Ases. Voilà
pourquoi il eut le nom de Fils {norr. Börr; cf. burr; scy th. piirus)^ pour
indiquer qu'il était fils faisant souche ou l'auteur d'une race difl"érente de
la race dont il était issu. C'est ainsi que , dans le chant eddique, intitulé
Rigs-mâl (Récit de Rig) , les fils de larl (Aigle , Comte) ' , le Représen-
tant de la Noblesse, ont tous des noms propres qui, au fond, ne signifient
autre chose que/>7s de famille. Comme Bör est, en quelque sorte, un
{\)Ar, âri (messager) désigne Vaigle ; arl, irl , iarl, dérivés de ar, signifient également
aigle, aiglon (cf. ail. Yor-arl-berg). Le norrain Iarl désigne le Comte, sans doute,
comme Envotjé ou comme Messager (la t. Missus) du Roi. L,es Princes en tant que
combattants du Roi sont appelés lofrar (Sangliers, v. § 97), et probablement le nom
áe Baron ne dérive pas du gothique rair (homme), mais de hani (lat. catiihis , ours,
V. p. 159).
NUMÉRO (12) (page 83); LES FILS DE BÖR. 185
Thurse-Givreux adouci, il s'allie à la race des lotnes ou aux cousins-
germains des Thurses. Il épouse, d'après le mythe théogonique (voy. Hâ-
vamâl, 143), la géante Bil-eysta (Pousse-Grain), dont le nom s'est
changé, par corruption, en Beystla (Boursoufflure; cf. slave Bezdea,
Crépuscule). Elle est la fille de YloineBol-Thorn (Épine-Malfaisante ; it.
Mala-spina), et sans doute la sœur de Bileystr, le frère de Loki; son
nom de Pousse-Grain, indique qu'elle est le symbole du tourbillon , qui
pousse la tempête ou le grain. Les noms propres du Père et de la Fille,
n'ont aucune signification symbolique qui soit en rapport avec la nature
particulière des personnes auxquelles ils sont donnés ; ce sont simple-
ment des noms destinés à désigner, d'une manière générale, la race iot-
nique , considérée comme violente et malfaisante. D'après les idées
répandues dans l'Antiquité et surtout chez les Scandinaves , c'est princi-
palement la nature du père qui détermine le caractère ou les qualités
morales de la progéniture , tandis que la mère lui communique plus spé-
cialement les qualités i^hysiqaes. L'union de Bör avec une géante ne
porte donc pas préjudice au caractère moral de ses descendants. Les fils
de Bör et de Beystla auront le caractère adouci de leur père presque
âsique, et les forces physiques de leur mère iotnique. Ce mythe théogo-
nique, ainsi formé, se transmit des Gètes aux Scandinaves, et ceux-ci le
mirent à la suite des mythes cosmogoniques ettitanogoniques, qui s'étaient
formés chez eux. Mais pour établir une transition moins brusque de la
race thurse à la race âsique , Bör fut dédoublé sous le nom de Buri, qui
devint ainsi le père de Bor et l'aïeul d'Odinn.
g 40. Les trois fils de Bor. — Chez les Scythes , le dieu suprême Tivus
(Ciel), ayant été considéré aussi comme dieu de l'orage , se dédoubla ; et
plus tard , le dieu de l'orage , sous le nom de Pirkunis , se constitua
comme une divinité à part. Comme l'orage passait pour donner naissance
à Pair (vent), à Peau (pluie) et au feu (foudre), il arriva que, chez les
peuples de la branche gète , Firgunis (l'ancien Pirkunis) , fut envisagé
non-seulement comme dieu de l'orage , mais aussi comme dieu de Pair ,
de Peau et du feu. Il se dédoubla ensuite , et de ce dédoublement se for-
mèrent les trois personnages mythologiques , Valus (plus tard Othr, le
Vent), Haguiieis (plus tard Hœnir , PUtile, l'Eau), appelé aussi Vili
(Désiré), etHlôdurs (plu^ tard Hlodurr, le Brasier , le Feu) , appelé aussi
Veihs (Sacré). Ces personnages ne devinrent pas des divinités adorées,
du moins , sous ces noms , mais figurèrent seulement dans les traditions
mythologiques ; et comme , au commencement , on reconnaissait encore
en eux les représentants symboliques des trois éléments , Pair , Peau
et le feu , la tradition continua à les considérer comme trois Frères. A
peu près au troisième siècle avant notre ère, Vathans (appelé plus tard
OiÂmw), devint Dieu suprême, et se substitua d'abord à r/ws, l'ancien Tivus
(plus tard Tyr)., puis à Firgunis, Pancien Pirkunis (plus tard Fiörgynn) ,
enfin à Vâtus (Vent). Othinn, ayant remplacé Othr, la Trinité symbolique se
composa , d'après la tradition , des trois frères Othinn , Hœnir et Hlo-
durr., appelés aussi plus tard Odinn, Vili et Fe (l'ancien Veihs). Cette
Trinité ne figure, sous ces trois derniers noms , dans aucun documeni
mythologique ancien , de ceux , du moins , qui nous restent. Bien qu'elle
186 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
ait désigné symboliquement , dans l'origine, les trois éléments physiques,
elle prit , à la iin , une signification métaphysique et morale , de sorte
que Odinn , Vili et Vé ressemblent presque à des personnages allégo-
riques. En effet , dans cette Trinité , Odinn (Impétueux) ne désigne plus,
comme l'ancien Othr (Vent) , l'air agité , mais ce nom est ici synonyme
du mot ôdi^ (agitation morale ou intellectuelle), dérivé de l'ancien ôthr, et
qui désigne V Enthousiasme et VEsprit en général. Fili (Désiré) n'exprime
plus l'Eau comme obj et désiré et accordé par la Divinité bienveillante ,
l'ennemie des Thurses {Secs)^ mais ce nom désigne, d'une manière ab-
straite , l'idée , ou , comme l'on dirait , l'idéal du Bonheur. Vê (Sacré)
ne désigne plus la pureté ou la sainteté du feu , mais ce nom désigne ,
d'une manière générale , la sainteté et la pureté du dieu. C'est ainsi que
dans la période postérieure de la Mythologie hindoue , Brahmas (Éner-
gie) , Vichnous (Pénétration) et Çivas (Animation) , ces dieux de la spé-
culation théologique , se substituèrent aux anciennes divinités populaires
Vayous (Vent, Souffle céleste), Varounas (Eaux célestes) et Âgnis
(Feu céleste). Bien que le mythe théogonique, d'après lequel Odinn, f^ili
et Vê sont considérés comme Fils de Bör, se soit formé à une époque
où la signification physique de cette Trinité était encore tant soit peu
connue, toujours est-il qu'en faisant descendre de Bör ces trois frères,
on faisait entièrement abstraction de la signification physique de ces trois
noms. Car il n'y avait aucun rapport logique de descendance entre les
éléments l'Air, l'Eau et le Feu (ou l'Esprit, le Bonheur et la Sainteté),
d'un côté, et de l'autre l'idée de Fils, exprimé par le nom propre de Bör.
Mais Odinn fut rattaché à Bör, en sa qualité de Dieu suprême ; et Vili et Vê
devinrent/í/í de Bör , uniquement comme/rères d'Odi-nn, déjà considéré
comme Fils de Bör. Dans cette généalogie , Odinn est le personnage
principal ; aussi ses frères ne figurent-ils guère sous leur nom particulier,
dans les mythes norrains ; ils figurent^ dans la Vision de la Louve, im-
plicitement sous le nom commun de Fils de Bar. Snorri reconnaît cette
supériorité (ï Odinn sur ses frères ; et s'il appelle ceux-ci les Gouverneurs
du monde , il le fait uniquement en vue de leur qualité de frères A' Odinn,
qui est le véritable Gouverneur du monde. Mais comme, d'après son sys-
tème evhémériste, il ne pouvait considérer V Odinn du Nord (qui, sous
ie nom de Sublime, parle ici à Piétonneur) comme identique avec l'ancien
Odinn qui , d'après la Mythologie , façonna et gouverna le monde , il fait
dire ici à Sublime, que cet Odinn passe pour grand, puissant et illustre,
et pour le Gouverneur du monde , et qu'il mérite, vu ses qualités, qu'on
lui laisse ce titre distingué.
(13) LES TROIS GÉNÉRATIONS DE THURSES-GIVREUX.
g 41. Les Représentants des trois Générations primitives. — Pour
exprimer que l'état primitif du Monde glacial , représenté par Ymir et
par sa race, fut de longue durée, la Cosmogonie Scandinave a imaginé
trois générations de Thurses-Givreux , qui se sont succédé dans trois
périodes cosmiques. Ces trois générations sont représentées , la première
par Ymir (le Père), qui , comme chef de la première génération , porte le
nom de Ör-Gelmir (Très-Bruyant) ; la seconde, par Thrûd-Gelmir {Vort-
NUMÉRO (13) (page 83); les tiiurses-givreux. 187
Bruyant), Xç^Jils ; et enfin la troisième^ par Ber-Gelmir (Rien que Bruyant),
le petit-fils. Comme ces trois générations ne diffèrent pas entre elles par
leur nature et leur caractère , mais indiquent seulement la continuation
ou la longue durée d'un même état de choses , leurs Représentants por-
tent aussi, tous les trois, le même nom de Ge/meV (Bruyant) , qui rappelle
la nature primitive du Bassin-Bruyant (voy. p. 170) ; seulement leurs trois
noms identiques sont différenciés par les particules prépositives or (ail.
ur, d'origine, très), thrûd {fort) , et ber (lai. punis ; ail. bar, rien que,
uniquement) , qui servent d'abord à renforcer l'idée générale , exprimée
par le nom de Gelmir, et puis à la spécialiser quelque peu. A ces trois
générations titanogoniques de r/mr5Cs-G/iJ7*ewit; correspondent les trois
générations théogoniques desy^^e^, représentées par Buri le père, Bör
le fils , et Odinn le petit-fils.
g 42. Les Thurses Givreux de la première race sont détruits. — D'a-
près l'idée du progrès , entrevue dans les Cosmogonies de l'Antiquité , le
monde grossier primitif doit faire place à un ordre de choses plus parfait.
C'est ce que la Mythologie Scandinave exprime en représentant les Fils
de Bör comme ayant le naturel plus parfait de leur père et les forces
physiques de leur mère iotnique. Étant les égaux des Thurses-Givreux
par leurs forces physiques , mais leur étant supérieurs par leur naturel
plus parfait, ils vaincront ceux-ci , et établiront un nouvel ordre de choses,
comme , d'après la Mythologie grecque , les Olympiens, ont détruit les
anciens Titans, ou comme , d'après la Titanogonie hindoue , les Célestes
(sansc. Dêvâs) ont renversé la domination des Non -Célestes (sansc.
Asourâs). La famille de Bör étant alliée à la famille des Tlmrses-Givreuæ,
Odinn, au commencement, se tenait avec ceux-ci; il passa sa jeunesse
auprès d'eux, ou, comme dit Snorri, ú était avec eux. Mais bientôt
Odinn et ses frères sont assez forts pour détruire la race des TJmrses-
Givreux. Dès lors Ymir est frappé à mort, et ses descendants sont noyés
dans son sang ; ce qui signifie qu'au Monde glacial primitif, ou à ce long
et terrible Hiver, qui a régné au commencement des âges et qui devra se
reproduire à la^w des siècles (cf. Fimbulvetr) , a succédé enfin le Prin-
temps cosmique , c'est-à-dire une période du monde où le Géant de glace
Ymir s'est fondu, et où son sang, c'est-à-dire les eaux qui provenaient
de son corps, ont englouti, comme dans un déluge, et décomposé tous
les autres Géants de glace , ces enfants ou ces restes du Monde primitif.
C'est un phénomène digne de remarque , que les Divinités prennent ,
dans toutes les Cosmogonies et Titanogonies de l'Antiquité , des propor-
tions gigantesques et des caractères grandioses , qu'elles n'ont pas dans
la Religion populaire ni dans la Poésie épique , qui , l'une et l'autre , les
rapetissent , au contraire , de plus en plus , au niveau des hommes. C'est
ainsi que la Cosmogonie Scandinave montre les Fils de Bör comme les
vainqueurs des Thurses-Givreux et comme les fabricateurs d'un monde
nouveau.
Le mythe cosmologique a dû exprimer que la victoire des Ases sur les
Thurses-Givreux a été complète, au point que toute la race d'rm/r a
été détruite. Mais pour ne pas contredire la tradition populaire , d'après
laquelle les Thurses-Givreux existaient toujours encore , le mythe a du
188 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
sauver ou conserver la souche d'une nouvelle race de Tliurses, et, par
conséquent , admettre que , dans la destruction générale, une paire , homme
et femme thurses, savoir Ber-Gelmir et son Épouse, ont échappé à la
destruction. Le mythe a dû indiquer, dans une narration épique , de quelle
manière cette paire a pu se sauver dans le déluge , en se réfugiant sur
une outre remplie d'air (norr. ludr). Ces outres étaient , dans l'Antiquité,
un moyen de sauvetage usité dans les naufrages. Kirkè en donna une à
Odysseus ; et Dardanus, surpris par une inondation , se plaça sur une
outre et navigua ainsi depuis la Samothrace jusqu'en Troade. Ber-Gelmir
et sa Femme , sauvés ensemble de la destruction, sont devenus la souche
de la seconde race des Thurses- Givreux , désignée plus particuliè-
rement sous le nom de lotnes. C'est pourquoi l'iotne FafthrûdJiir ù'il
que son plus ancien souvenir, c'est-à-dire la tradition la plus ancienne,
concernant sa race , se rapporte à Ber-Gelmir. Comme cependant la se-
conde race n'est que la continuation de la première, elle est désignée in-
différemment sous les noms de Thurses^ de Thurses-Givreux et de
lotnes.
(14) CRÉATION DU MONDE ACTUEL.
§ 43. Formation de la Terre. — C'est une idée juste , déjà entrevue
dans les Cosmogonies anciennes, que les différentes parties de l'Uni-
vers n'en sont pour ainsi dire que les membres de plus en plus spécialisés ,
et que les matières organiques, provenant de la décomposition de mondes
primitifs, ont servi à former les mondes actuels. C'est ce que le mythe
cosmogonique Scandinave exprime , en disant que les différentes parties
du monde actuel sont formées des membres du géant Ymir {membra
disjecti Titanis). Le corps á'Y?nir, qui s'était formé et qui gisait au sud
de l'Océan glacial, fut traîné par les Fils de Bör au milieu àuBâillement-
des-Mâchoires ; ce qui signifie que le monde actuel , c'est-à-dire le ciel
et la terre , formés du corps du Géant , se trouvent placés aujourd'hui au
7iiilieu de l'Espace, entre le Séjoiir-de-Muspill ^ au sud-est, et le Sé-
jour-Brumeux, au nord-ouest. En partant ensuite de l'idée que le monde
actuel est fait du corps A' Ymir , la Cosmologie mythique a suivi cette idée
dans tous ses détails ; et se guidant sur les rapports d'analogie entre les
parties du monde actuel, qui est le monde en grand (makrokosme) et les
parties du corps humain , qui est le monde en petit (mikrokosme) , elle a
pu déterminer ainsi quelles sont les parties du corps d' y^/r qui ont
fourni la matière pour telles parties du monde créé actuel. D'après une
analogie semblable, le mythe hindou, s'appuyant sur les rapports de sub-
ordination et d'importance des membres du corps humain , a fait naître
les quatre castes , de la tête , des bras , du ventre et des pieds de Brahmas
(voy. p. 180). D'après le mythe norrain, la partie liquide , c'est-à-dire le
sang, et la partie solide, c'est-à-dire la chair du corps A' Ymir, produi-
sirent, dans le monde nouveau , l'un, la partie liquide ou les eaux , et l'autre,
la partie solide ou la terre. L'imagination concevait d'autant plus facile-
ment la terre comme formée de la chair décomposée d' Ymir, que l'expé-
rience montrait que les corps des animaux tombaient, après la mort, en
poussière, et produisaient ainsi de la lerre. Ensuite, par la même raison
NUMÉRO (14) (page 84); création du monde actuel. 180
que la tradition de la Genèse considérait le corps d'Adam comme fait de
terre, le mythe Scandinave pouvait aussi, en sens inverse, considérer la
terre comme formée de la chair (S^Ymir. En distinguant, ensuite, dans le
corps du Géant, les parties molles ou la chair, des parties dures ou des
os , on arrivait à trouver les analogues des unes et des autres dans la terre
friable et dans les durs rochers; et, après avoir comparé les rocs, qu'on
considérait comme la charpente de la terre , aux os qui sont la charpente
du corps humain , on a aussi pu rapporter les rocs brisés ou les moraines
des glaciers , aux os brisés d' Ymh\ et les pierres ou cailloux de la terre,
aux dents molaires du Géant. Cette dernière pensée s'établit d'autant plus
facilement, qu'on trouvait des pétrifications qui avaient la figure de dents, et
qui même , quelquefois , étaient réellement des dents pétrifiées, provenant
des animaux gigantesques du globe terrestre primitif, des mammouths,
des mastodontes , des dinothériums , etc.
§ 44. Formation des mers. — La partie liquide de la Nature primitive,
ou le sang â'Ymir^ a formé l'Océan ; et peut-être (bien que cela ne soit
pas dit expressément dans le mythe) a-t-on attribué la saveur salée de
l'eau de mer, au sang venimeux ou sa/é (voy. p. 183) à'Or-Gelmir. Il
est aussi probable que le mythe cosmogonique sur l'origine de la Mer
provenant du sang d' Ymir, a donné lieu à une tradition qui paraît imitée
d'un mythe keltique très-ancien (cf. Pythéas, dans Strabon , Il , 4), et qui
était encore répandue dans les pays du Nord au seizième siècle, à savoir
la tradition sur la Mer aux poumons et sur la Mer de foie (ail. Leber-
meer). Dans cette mer de foie , les navires , à ce qu'on croyait , ne pou-
vaient plus avancer , les eaux étant trop épaisses et visqueuses , comme
du sang coagulé ou comme ú\x foie. Philémon , le Périégète {Pli?ie, 4,
27 , 4), dit que , dans la langue des Kimbres , l'Océan septentrional por-
tait le nom de Morimarusa (mer morte ; gallois mor mariosis) et que,
plus au Nord, cette mer prenait le nom de Océan Kronien {Pline , 4, 30),
c'est-à-dire de Mer coagulée ou congelée (irl. 7nuii^-chroinn; cf. isl.
mar grôinn). Cet Océan Kr-onien était peut-être identique avec cette
Mer de foie, formée du sang glacé ou coagulé du géant Ymir. Comme la
Cosmogonie s'est formée à une époque postérieure , V Océan et la Terre
ne sont plus considérés , dans le mythe cosmogonique , comme des per-
sonnifications anthropomorphes , ainsi qu'ils l'avaient été anciennement
chez les Scythes, sous les noms de Thami-Masadas et à'Jpia; ils sont
considérés , l'un et l'autre, comme des choses inanimées, la Terre comme
une île circulaire , et l'Océan comme un cercle d'eau entourant la Terre.
Les Grecs du temps d'Homère et d'Hésiode , et plus tard encore , se figu-
raient également la Terre comme un disque entouré du fleuve Okéanos.
Cette Mer, qui entourait et contenait , comme une ceinture , la masse de
la terre , passait , dans le Nord , pour infranchissable , c'est-à-dire qu'on
croyait ne pas pouvoir aller à ses dernières limites , ou , comme on disait,
à ses bords extérieurs, sans s'exposer ou à périr de froid , au Nord, en
touchant au Séjour-Brumeux ^ ou à se brûler, au Sud, en touchant au
Séjour de Muspill, ou sans courir les plus grands dangers, à l'Est, en
arrivant au Séjour des lotnes , ou , enfin , sans risquer de se perdre , à
l'Ouest, dans l'Océan atlantique, auquel les Islandais , auMoyenâge,
190 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
donnaient le nom de Ginnunga-Ga}) (voy. p. 170). Enfin, une fois les
analogies établies entre les parties du corps d' Ymir et les parties du
Monde nouvellement créé, c'était une conséquence naturelle de considérer
le ciel , cette partie du Monde élevée , voûtée et creuse (cf. lat. cœlum ,
ciel ; gr. koUon, creux) , comme formé du crâne, c'est-à-dire de la partie
supérieure et concave du corps d' Ymir.
§ 45. L'Arrangement du Ciel. — Suivant Snorri , les Fils de BÖr pla-
cèrent , aux quatre coins du ciel , quatre Dvergs ou Nains. Aucun des
documents mythologiques, de ceux qui nous restent, ne renferme cette
donnée ; notre auteur ne l'ayant , sans doute , pas inventée , a dû la puiser
dans la tradition populaire. Or si, du temps de Snorri^ la Mythologie Scan-
dinave avait encore été toute vivante, nous n'hésiterions pas à considérer
cette donnée comme parfaitement mythologique ; car la tradition , aussi
longtemps qu'elle est vivante, est toujours en droit et en possession d'i-
maginer des mythes nouveaux,* ou de modifier, à sa fantaisie, ceux qui
existent déjà. Mais la Mythologie Scandinave , coupée comme un arbre
dans sa racine , au onzième siècle , par le Christianisme introduit dans le
Nord, ne produisit plus de nouveaux jets, après cette époque ; la tradition
se borna, dès lors, à rapporter les anciens mythes , sans en imaginer de
nouveaux. Le trait rapporté par Snorri n'est donc pas à considérer comme
un nouveau mythe , mais comme un ancien mythe qui a été défiguré dans
la tradition populaire postérieure. Le mythe ancien , dans sa conception
primitive , énonçait , sans doute , que les Fils de Bör placèrent aux quatre
extrémités du ciel , non pas quatre Dvergs , mais quatre Alfes (v. p. 93),
pour présider, comme les Gardes-Monde (sansc. Lokapâlâs) de la
Mythologie hindoue , aux quatre régions ou aux quatre points cardinaux.
Dans l'origine , ces Alfes étaiçnt probablement des astres ou des constel-
lations, considérés comme Génies tutélaires (v.p. 239); plus tard, de ces
Génies célestes ou météorologiques , on a fait sans doute des Gardiens
et des Soutiens (norr. stolpar) du ciel. Or, peu à peu , la tradition popu-
laire a confondu les Alfes ou les Génies météorologiques célestes avec
les Dvergs ou Génies météorologiques terrestres (voy. p. 218), et con-
séquemment les ^//65, nommés Austri, Vestri, Nordri et Sudri , furent
comptés parmi les Dvergs. C'est ainsi que, déjà dans la Vision de la
Louve, dont la composition remonte probablement au huitième siècle ,
ces quatre noms figurent dans l'énumération des noms de Dvergs , sans
qu'il y ait lieu de soupçonner qu'ils y aient été interpolés. La tradition po-
pulaire ayant changé les quatre Alfes en quatre Dvergs, sans changer pour
cela la signification du mythe , on continua à maintenir ces Dvergs dans les
anciennes fonctions des Alfes, comme Soutiens du ciel. C'est ainsi qu'un
poète chrétien , le Norvégien Arnar, surnommé le Skalde des larls (lar-
laskald) , dans un poème composé vers 1065, désigne le ciel par l'expres-
sion skaldique de Fardeau d' Austri. En faisant ainsi de ces Dvergs des
Soutiens du Ciel., la tradition oublia complètement que l'office d'Atlas ne
convenait guère à des pygmées tels qu'on se figurait les Dvergs , ni à des
êtres chétifs , comme ceux-ci l'étaient, fuyant la lumière du soleil, et vivant
dans des cavernes ou des souterrains (v. p. 89). Aussi Snorri, qui sentait ,
sans doute , ce qu'il y avait d'incongru dans cette conception , ne dit-il
NUMÉRO (15) (page 84); arrangement de la terre. 191
pas que les Dvei^gs soutiennent le ciel ; il fait reposer le ciel sur ses
quatre bouts, et il considère les Dvergs, non comme les porteurs, mais
simplement comme les gardiens ou comme les portiers du ciel , ou enfin
comme les indicateurs des quatre points cardinaux.
Les Ases s'occupèrent d'abord de l'arrangement du ciel. Les Étincelles
gigantesques, lancées du Séjour-de-Muspill, et qui erraient , comme as-
tres , dans l'immensité de l'Espace, furent ramenées, par les Dieux , au
milieu du Bdille?nent-des-Mâchoires , c'est-à-dire qu'elles furent rap-
prochées du Ciel et de la Terre nouvellement créés ; et ces astres furent
répartis dans les parties tant inférieures ou horizontales , que supérieures
ou zénithales, de la voûte céleste. Les étoiles fixes furent attachées au
firmament, au-dessus duquel les planètes purent se mouvoir avec une
entière liberté, en observant toutefois une course réglée. Enfin, parle
mouvement du Soleil et de la Lune , la série des jours et des nuits , et la
succession des mois, des saisons et des 'années, furent établies et déter-
minées. Les vers de la Vision de la Louve , cités par Snorri , énoncent
seulement que , dans l'origine. Sol [La Soleil) et Mâni {Le Lune), et les
Étoiles , erraient sans règle dans l'espace ; Snorri, par mégarde , a ou-
blié d'ajouter à ces vers la strophe qui les suit , et qui vient à l'appui de
ce qu'il dit de la division des temps. Voici cette strophe (voy. Poèmes
/.ç/., p. 189).
« Alors les Grandeurs allèrent toutes aux sièges nébuleux,
« Les Dieux très-saints sur cela délibérèrent :
«A la Nuit et aux Décours ils donnent des noms;
« Ils désignent le Matin et le Milieu du jour,
«Le Déclin et le Soir, pour détailler l'année.»
Comme les idées de Cosmologie mythique se sont de plus en plus dé-
veloppées avec le progrès des temps , il est impossible de déterminer,
d'une manière exacte , ce qui , dans les données fournies par les poèmes
eddiques et, d'après eux, par 5worr/ et par la tradition populaire, appar-
tient aux mythes cosmologiques ^Wmeïz/i^ et ce qui y a été ajouté dans
la suite. Toujours est-il que le mythe sur la place assignée à Sol, à Mâni
et aux Étoiles , s'est formé à une époque bien postérieure , savoir à l'é-
poque où le Soleil et la Lune n'ont plus été , comme anciennement , con-
sidérés comme étant eux-mêmes des divinités , soit zoomorphes , soit
anthropomorphes , mais seulement comme des astres auxquels présidaient
des Personnages mythologiques nommés Sol et Mâni.
L'arrangement que les Ases opérèrent dans le ciel nouvellement créé,
produisit un nouveau Séjour , le Séjour des Alfes, lequel est le troisième
Monde qui s'est formé , le premier étant l'ancien Séjour-Brumeux , et le
second l'ancien Séjour de Muspill. Dans l'origine, les ^//e5 (Blancs ,
V. p. 239) étaient les personnifications des astres; plus tard ils devinrent
les Génies qui présidaient aux divers phénomènes astronomiques et mé-
téorologiques.
(15) ARRANGEMENT DE LA TERRE.
§ 46. Le Séjour des lotnes. — La vaste mer qui , semblable à VOkéanos
d'Homère, entoure comme un anneau le disque terrestre, a pour bordure
192 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
extérieure une zone circulaire sur laquelle s'appuyaient , selon Snorri
(voy. p. IGI), les quatre bouts du ciel , et où se trouvait le quatrième Sé-
jour du monde , le Séjour des lotnes , appelé aussi , à cause de son éten-
due, les Séjours des lotnes. Au delà, et tout autour de cette bordure
extérieure , sont les abîmes du Bâillement-des-Mâchoires avec le Sé-
jour-Brumeux au nord-est, et le Séjour de Muspill au sud-ouest. La
race nouvelle des Thurses-Givreux , issus de Ber-Gelmir , savoir la
race des lotnes^ est reléguée aux extrémités du ciel et de la terre, c'est-
à-dire aux endroits où le ciel s'appuie sur la terre; et bien que cette nou-
velle race soit moins rude que l'ancienne, qui descendait á'Ymir et qui
dominait dans le Monde primitif glacial , elle conserve cependant son ca-
ractère primitif héréditaire, et représente toujours encore les forces gi-
gantesques , désordonnées et destructrices , qui bouleversent sans cesse
la Nature. Aussi cette race continue-t-elle à être en lutte permanente avec
168-^565 , qui sont non-seulement les représentants de l'ordre et du prin-
cipe de conservation dans la Nature, mais encore les protecteurs des
hommes contre ces forces destructrices.
§ 47. L'Enclos-Mitoyen et la Ferté Céleste. — Les Ases, pour se pré-
munir eux-mêmes, ainsi que les hommes , contre les loùies, construi-
sirent une enceinte (cf. frison rôpi) tout autour du disque de la terre,
afin de garantir celle-ci contre les incursions ennemies , et de se mettre
eux-mêmes en sûreté dans le ciel. Car , d'après la disposition ou topo-
graphie des Lieux mythologiques , c'est par les montagnes qui touchent au
ciel [Himîn-Jioll) , qu'on monte et qu'on pénètre dans la Ferté Céleste
{Himin-Bîorg). D'après la tradition mythique, cette Enceinte ou ce Rem-
part extérieur de la terre , est fait avec les sourcils d' Y7nir. La raison
de cette fiction singulière est que , d'abord, il y a quelque analogie entre
les sourcils qui protègent les yeux, et l'enceinte qui protège la terre; en-
suite l'arcade sourcilaire A'Ymir, ou les proéminences de l'os coronal
hérissées de poils, furent métamorphosées, par les Jses, en une en-
ceinte de montagnes couvertes de forêts impénétrables : enfin , comme les
sourcils sont, en quelque sorte, le siège et le symbole de la colère
menaçante , les sourcils (\'Ymir ont dû servir, d'après le mythe , à for-
mer l'enceinte sourcilleuse et menaçante qui doit braver et rebuter les
attaques des lotnes ou des ennemis des Ases. Cette Enceinte, avec l'es-
pace qu'elle renferme , c'est-à-dire la surface terrestre tout entière , est
appelée V Enclos-Mitoyen , parce qu'elle se trouve au milieu entre les
différents Mondes ou Séjours, et au centre de l'Abîme ou du Bdillement-
des-Mâchoires (voy. p. 188).
Les rapports génésiaques établis, dans le mythe cosmogonique, entre
les nuages du ciel et la cervelle ù!Ymir^ reposent d'abord sur cette parti-
cularité que la cervelle se trouve sous la voûte du crâne, comme les nuages
sont placés sous la voûte céleste faite.du crâne d' Ymir; ils reposent ensuite
sur une analogie d'aspect , en ce que l'encéphale présente , par les cir-
convolutions de sa substance pulpeuse, l'aspect de quelque chose de lai-
neux, qu'on a pu comparer aux nuages floconneux du ciel. Les vers cités
par Snorri., et qui sont tirés des Dits de Grimnir, semblent énoncer que
seulement les nuages sombres , et non pas les nuages en général , pro-
NUMÉRO (16) (page 85) ; ETHNOGONIE des SCYTHES. 193
viennent de l'encéphale á'Ymi9\ En effet, les nuages sombres, orageux
et menaçants, ont plus particulièrement une analogie frappante avec le
caractère sombre , violent et tempétueux de cet lotne.
(16) l'anthropogonie mythique.
§ 48. L'Ethnogonie des Scythes. — La spéculation sur l'origine du
Genre humain commence avec la réflexion sur l'origine du Monde et des
Dieux; et, c'est pourquoi, VJnthropogoiiie mythique fait suite à la Théo-
gonie et à la Cosmogonie mythiques. Cependant les mythes sur l'origine
de l'espèce humaine remontent généralement à une époque de beaucoup
antérieure à celle où se forment la Cosmogonie et la Théogonie. C'est
que , avant même que l'homme prend un intérêt scientifique aux ques-
tions sur l'origine du Monde et des Dieux, l'idée de l'origine divine des
hommes se présente à lui spontanément. En effet, lorsque les Dieux, de
zoomorphes qu'ils avaient été dans l'origine , furent devenus anthropo-
morphes , l'idée devait naître naturellement que les hommes étaient issus
des Dieux auxquels ils ressemblaient au physique et au moral. Les Dieux
ayant engendré des Héros , * les Prêtres et les Rois se disaient fils de ces
Héros, et, par conséquent, fils des Dieux eux-mêmes : ensuite, par l'in-
termédiaire des Prêtres , des Rois et des Nobles , toute la Nation se rat-
tacha naturellement à la Souche divine. Dans l'origine , on n'avait pas
encore l'idée de l'Humanité ou du Genre humain; loin de connaître toutes
les nations , on connaissait à peine les nations voisines; on ne connaissait
que sa propre nation. Voilà pourquoi la question sur l'origine de l'Espèce
humaine, ou V Jnthropogonie , est resserrée , au commencement, dans
la question, beaucoup plus restreinte, sur VEthnogonie, ou l'origine de
la Nation. Les peuples scythes , les ancêtres des Gètes et des Scandinaves,
à peu près vers l'an 800 avant notre ère , rapportaient un mythe d'aprèâ
lequel la race des hommes , c'est-à-dire tout d'abord leur propre Nation ,
était issue de Targitavus, Dieu du Soleil, par l'intermédiaire des hommes
divins, héros, prêtres, ou rois. rar^zYaf?^* étant considéré comme le
Père desSctjthei, Tivus (Ciel), le père, etJpia (Terre), la mère de Tar-
gitavus , étaient appelés V Aïeul (scythe Papaïus) et V Aïeule (jscythe
Tata ; norr. Edda) des Scythes. A l'époque où ces peuples s'étaient déjà
divisés en scythes royaux (guerriers), en Scythes nomades , et en Scythes
sédentaires (agricoles) , Targitavus devint, dans la tradition, le Père
des trois Héros Hleipo-Skaïs , Arpo-Skaïs et Kola-Skaïs , dont des-
cendaient, par l'intermédiaire de leurs Rois , les tribus les plus illustres
des Scythes (voy. Les Gètes, p. 183). Les Scythes-Hellènes ayâient cette
même tradition généalogique; seulement elle était un peu modifiée, dans
le sens qui était dicté par leur amour propre national. Hs disaient que
Héraklès (scythe Targitavus ; Skotaris)^ le fils de Zevs (scythe Tivus).,
engendra avec Échidna (scythe Apia) , trois fils : \ » Skuthès (^scy the
Skuli , Protecteur, Bouclier, swhsuiwêdi Hleipo-Skaïs) \ ^" Agathursos
(substitué à Arpo-Skaïs), et 3° Gelonos (scytho-gr. Kolionos p. Svalianas), '
substitué à Kola-Skaïs (Prince à la Roue) ou au Soleil. L'aîné, Skuthès,
devint la souche des Scythes de race royale. H avait, entre autres, deux
fils, Palos (cf. si. Volos; germ. Fols) etNapès (cf. norr. Ne/i% dont des-
13
i94 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
cená3iienl\es Pâlies (cf. norr. Volsungar) et les Napies (cf. norr. Niflun-
gar), qui périrent entièrement {Plin. VI , 19). Chez les Scythes de la mer
Caspienne, un des fils de Targitaviis portait le nom de Tei^vo (Arbre:
norr. triu)^ dont descendaient les Tervinkaï (gr. Derhikkai; lat. Der-
vicæ). Les Tervinkai devinrent, plus tard, chez les peuples de la branche
gète , la tribu gote, appelée par Eutrope et Ammien Marcellin, Tervingi
ou Thervingi; et à ces Thervings se rattache, sans doute , la tribu ger-
manique des Thurings ou Tyrks (p. Turinks) qui , ainsi que les Her-
mun-Dures , se disaient issus de Dhur (l'ancien Tervo) , ou de E?'mun~
Dur {Dur, Fils de Ermun ou du Soleil). Dans la mythologie Scandinave ,
Dur (Arbre) ou Ermun-Dur (Arbre solaire) eut le nom de Heîmdallr
(Arbre du Séjour) ; et ce dieu eut les attributions du dieu Ermun ou Ir-
min , qui s'était confondu avec Mng (p. Ivuring ^ Issu du Verrat) , le Fils
du Soleil appelé Verrat. Voilà pourquoi Heimdall eut le nom épithé-
tique de Rîgr{^. Iringr ; cf. Tyrk p. Turink ; Dervicæ p. Tervinkæ ; Dâgr
p. Davingr) et devint, dans la tradition mythique, le Père de la nation
Scandinave , et plus tard le Père des Nobles, des Manants et des Serfs (voy.
RtgsmâC) , comme Dur et Irîng passaient pour être les pères de plusieurs
tribus germaniques. Le mythe de Dur (Arbre) et de Heimdall (Arbre
du Séjour) , considérés comme souches des hommes , se maintint en Scan-
dinavie et en Germanie , et a produit le conte populaire encore connu
aujourd'hui en Saxe et en Thuringe , d'après lequel on dit que les en-
fants, surtout les filles, croissent à l'ai-bre. A ce mythe purement épique
sur V Arbre, souche des premiers hommes de la nation , fut substitué,
chez les tribus de la branche gète , un mythe anthropogonique plus
général sur l'origine des premiers hommes du Monde.
§ 49. Arbres métamorphosés en hommes. — C'est l'habitude des an-
ciens mythes spéculatifs ou scientifiques , de s'appuyer , si faire se peut ,
sur quelque donnée traditionnelle. Comme l'ancienne tradition mythico-
épique avait rapporté que certaines tribus étaient issues de Dur (Arbre)
ou de Heimdall (Arbre du Séjour), le mythe anthropogonique y qui se forma
plus tard , a pris cette tradition pour point de départ ; et, prenant les noms
propres de ces fils du Soleil dans leur signification littérale áeJrbre, il a
imaginé que deux arbres ont été la souche de la première paire des hommes.
Suivant l'habitude des mythes anciens, qui ne sont jamais très-expticites
(voy. l 37), l'Anthropogonie est racontée d'une manière concise dans les
deux strophes de la Vision de la Louve, que voici :
« Alors trois Ases de cette bande
« Pleins de puissance et de bonté vinrent à la falaise:
«lis trouvèrent, dans la contrée, des êtres chétifs,
« Askr et Enibla, manquant de deslinée.
«Ils n'avaient point d'âme, ils n'avaient point d'esprit,
«Ni sang, ni langage, ni bonne mine:
« Odinn donna l'àrae, Hœnir donna l'esprit,
« Lodur donna le sang et la bonne raine. «
Ces strophes énoncent que trois Ases , Odinn , Hœnir et Lodur (voy.
p. 151), arrivant du ciel sur les bords de la Mer, trouvèrent dans la con-
t
NUMÉRO (16) (PAGE 85); ANTHROPOGONIE MYTHIQUE. 195
trée des êtres qui , à la vérité , étaient déjà organisés , mais qui étaient
faibles et chétifs, et n'avaient pas encore , comme l'ont eu , plus tard , les
hommes , leurs descendants, une destinée fixée dès leur naissance. En énon-
çant que l'un de ces deux êtres était Jskr (Frêne) , le mythe indique qu'il
s'agit ici d'un arbre, d'un frêne; et l'on est, par conséquent , en droit
d'admettre que , par le nom Embla, qu'il donne au second être , repré-
senté comme pareil au premier , le mythe veut également désigner un
arbre , savoir Yonne. Ces deux arbres , appelés Frêne et Orme, repré-
sentant chacun son espèce , sont métamorphosés en homme et femme par
les Ases , qui opèrent cette transformation, en ce qu'ils leur font des dons,
chacun, selon sa nature, sa puissance et sa spécialité. Odinn, l'ancien
dieu de l'air {Odr; voy. p. 159) , donne la respiration ou l'âme (cf. grec
anemos , vent; lat. anima, âme); Hœnir, le dieu de l'eau, donne l'intel-
ligence ; car l'eau , cet élément limpide et clair étant le symbole de la vé-
rité, de l'intelligence, et de la science (voy. Les Gètes, p. 238), Hœnir,
le dieu de l'Eau , est aussi devenu le dieu de l'Intelligence. Lôdur, le
dieu du Feu rouge , donne le sang rouge et la chaleur vitale, lesquels pro-
duisent la santé et la bonne mine.
Il est évident que ce mythe veut ainsi exprimer que l'homme est un être
tellurien, qu'il est sorti de la terre , mais qu'il n'en est pas sorti comme
homme ; qu'il en est sorti comme arbre, et que cette organisation végé-
tale a été transformée en organisation animale et humaine. L'homme , à
ce qu'on croyait , ne pouvant dignement provenir que de l'organisation
végétale^ la plus parfaite avant la création des animaux et des hommes,
le mythe a eu soin de faire descendre le premier couple des deux plus
belles essences d'arbre connues en Scandinavie; et encore, parmi celles-
ci, a-t-il dû choisir, pour représenter l'homme et la femme, deux es-
pèces dont les noms fussent , l'un , du genre masculin , et l'autre , du
genre féminin. Or, le frêne (norr. askr) est un arbre des plus estimés
dans le Nord , pour son élévation , sa belle forme , la fermeté et le bon
usage de son bois; de plus, il est du petit nombre des espèces dont le
nom, en langue norraine, est du genre masculin. C'est donc un frêne
qui a dû être choisi , par le mythe Scandinave , pour être transformé en
homme , ayant le nom propre de Frêne. D'un autre côté , l'orme est une
espèce d'arbre également très-estimée dans le Nord ; le nom qu'il porte
est du genre féminin. Un orme a donc aussi été choisi , par le mythe ,
pour être transformé en femme ayant le nom propre de Orme. L'an-
cienne forme de ce nom a été , sans doute , Elma, qu'on retrouve encore
dans quelques dialectes , jusque dans l'Allemagne. Elma s'est d'abord
changé en Emla, et puis Emla en Embla. Biörn Halderson., il est vrai,
explique ce nom d'£'m6/a comme signifiant La6or/e?/6e (cf. Amat). Mais
d'abord cette explication est conjecturale ; ensuite ce nom , avec cette
signification , conviendrait à une serve ou esclave , plutôt qu'à la femme
libre , créée par les Ases (à moins ; toutefois , que le mythe n'ait choisi
exprès ce nom pour indiquer que la première femme était de condition
serve) ; enfin ce nom , avec cette signification , serait peu approprié à un
être que le mythe représente comme originairement inactif, faible , et
même chétif , par suite de son organisation végétale primitive.
196 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
g 50. Comment Snorri conçoit ce mythe anthropogonique. — Snorri
n'a pas connu ou ne s'est pas rappelé les strophes citées ci-dessus sur la
métamorphose de Àsk et de Embla en homme et femme. Il expose ce
mythe , sans doute , d'après la tradition populaire ; et , c'est pourquoi ,
son exposé diffère, en quelques points, des données fournies par la Fiston
de la Louve. Selon Snorri, les Fils de Bur (c'est-à-dire non pas Odinn,
Hœnir et Lôdur, mais Odinn^ Vili et Vê, voy. p. 185) trouvent, non pas
sur les bords , mais près des bords de la Mer , non pas deux arbres vi-
vants sur pied , mais deux troncs d'arbres morts , que Snorri se figu-
rait , sans doute , flottant dans la mer, et gisant dans l'eau , près du rivage,
semblables à ces troncs d'arbres qui , par les courants maritimes , ou le
gulf-stream , sont amenés de l'Amérique dans les baies d'Islande. Les
Ases prirent ces troncs, les façonnèrent comme des sculpteurs, et leur
donnèrent la figure et l'organisation humaines. D'après Snorri, Ask et
Embla ne sont donc pas des arbres vivants métamorphosés en hommes,
ce sont des hommes fabriqués avec du bois , à peu près comme , d'après
la Genèse, les premiers hommes ont été faits de terre. Ne voyant en eux
que des troncs d'arbre , du bois , de la matière (gr. hulè , bois , matière ;
espagn. madera, matière , bois) , et non la forme d'arbres vivants, ^'worr/
ne soupçonne pas que les noms de Jsk et de Embla expriment précisé-
ment leur nature Ol' arbre. Il croit même que ces noms, dont il ne soup-
çonne presquepaslasignification,neleurappartenaientpasdéjàpar suite de
leur nature d'arbres , mais qu'ils ont seulement été donnés , par les Ases ,
à ces troncs , après qu'ils eurent été façonnés ; que , de plus , les Ases ont
donné ces noms, seulement après qu'ils eurent transformé ces troncs en
hommes ; enfin que ces noms leur ont été donnés solennellement, d'après
une coutume générale, dans le Nord, où les noms se donnaient aux
enfants , à une certaine époque , plusieurs années après leur naissance.
Comme, chez les Scandinaves , l'acte solennel de donner un nom à l'en-
fant, était accompagné de celui de donner aussi des présents, consistant
en effets d'habillement ou d'ornement (ce qu'on 2l^t^ú2M donner im nom
et faire suivre le reste; norr. nafn gefa okfylgia)^ les Ases, selon
Snorri, donnèrent également des Aa62Y.ç (cf. Genèse, 3, 21) aux deux
créatures qu'ils venaient de former et de dénommer.
g 51. Hors-d' œuvre dans la réponse de Sublime. — Égaré par son sys-
tème evhémériste, d'après lequel \(i?>Jses étaient des hommes^ et appli-
quant faussement aux Ases ce que la tradition rapportait des Scandinaves,
savoir qu'avant leur établissement dans le Nord , ils habitaient le Pays des
Tervinks ou Tyrks^ en Asie (voy. p. 23) , Snorri place les demeures des
dieux ou V Enclos des Ases , non au ciel (comme l'exigent cependant les
données de la Mythologie) , mais sur terre, dans une contrée de l'Asie ,
dans la Grande-Scythie , ou dans Godiieim, en un mot, au milieu du
Séjour-des-Hommes (Mannaheimr) ou de V Enclos-Mitoyeri (Midgardr).
Cependant , pour établir une différence entre cet Enclos-des-Ases dans
l'Asie et la résidence des Ases en Fionie, où il suppose que se passe l'en-
trevue de Gulfi et de Sublime , Snorri appelle celui-là V ancien Eue los-
des-Ases, bien que cette désignation, aussi bien que toute cette dis-
tinction , soient inconnues aux documents mythologiques. Se rappelant
NUMÉRO (i6) (page 85) ; anthropogonie mythique. 197
néanmoins qu'il ne serait guère possible de se figurer , comme situé sur
la terre, l'Endroit nommé Hlîdskialf {\oy. l 82), que les mythes placent
positivement dans V Enclos-des-Jses, Snorri, par une sorte d'expédient,
ajoute que beaucoup d'aventures (et il entend par là particulièrement
celles qui se rapportent au Hiîdskialf) se sont aussi passées , d'une
manière merveilleuse, dans Yair, c'est-à-dire au ciel. Ayant été amené,
par hasard , à citer ce nom de Hiîdskialf. Snorri se laisse aller à donner
ici , hors de propos et par anticipation , quelques détails sur la construc-
tion de cet édifice merveilleux. Ensuite, YEnclos-des-Âses lui ayant en-
core rappelé la race divine, qui s'y était établie, il se laisse aussi aller
à parler de la Mère de cette race , c'est-à-dire de Frigg (l^luie) , la fille
de Fiörgvin (Aime-Pluie) , avec laquelle Odinn a engendré les plus dis-
dingues parmi les Ases ; ce qui , en partie , lui a valu , dit-il , le nom de
Générateur ou Père- Universel (voy. 455). Enfin , ayant parlé de l'épouse
& Odinn et des fils de Frigg et à' Odinn, Snorri, toujours hors de pro-
pos, fait encore mention de /or (/(Terre), autre épouse A' Odinn; et, par
suite de cette mention, il rappelle aussi Thôr , comme étant le fils de
lord et du Chef des Ases , Odinn. Bien que ces données mythologiques ,
fournies par Snorri , soient déplacées ici , dans ce paragraphe , du moins
sont-elles conformes à la vérité , à l'exception , toutefois , de ce qu'il dit
à' Odinn, comme ayant été à la fois le Père et Y Époux de lord. Il est
vrai que, d'après les documents mythologiques, Thôr est fils à' Odinn
et de lord; et, par conséquent, Snorri a bien pu considérer Odinn comme
l'époux de lord; mais c'est par suite d'une confusion qu'il appelle Odinn
le Père de lord. En effet, lördesi du petit nombre des divinités Scandi-
naves dont le nom , ayant encore , dans le langage ordinaire , une signifi-
cation connue de tout le monde , exprimait clairement sa nature ou ses
attributions primitives de déesse de la Terre. Snorri, qui n'avait pas des
connaissances linguistiques suflBsantes pour expliquer les noms propres
mythologiques ou historiques , et qui , par suite de son système evhémé-
riste , ne pouvait pas même soupçonner que les attributions primitives de
chaque divinité fussent exprimées par son nom, savait cependant parfai-
tement que lord était la personnification de la Terre. Mais ne sachant pas
distinguer, d'un côté, entre le mythe symbolique ^wútw ^ où la Terre
était conçue , par l'intuition , comme une personnification ou un être an-
thropomorphe , et , de l'autre côté , le mythe cosmogonique postérieur
où , d'après l'induction , la Terre passait pour avoir ^ié façonnée par le
dieu suprême Odinn, il confondait ces deux mythes et les envisageait,
l'un et l'autre, au point de vue matériel; au lieu de dire que Oi//?m pro-
créa , avec lord (Terre) , son fils Thôr, il dit qu'il, le fabriqua avec de la
terre (norr. iördin) ; et ensuite, au lieu de dire simplement, d'après le mythe
cosmogonique, que la Terre a été façonnée par Odinn., il dit (ce qu'aucun
mythe n'énonce, et ce qui le met en contradiction avec lui-même) que
lord est non-seulement l'épouse, mais aussi la^//e (l'œuvre) à' Odinn.
(17) NÖRVI ET SES DESCENDANTS.
g 52. Nörvi et sa fille Nôtt. — Ce paragraphe (qui ne se trouvait pas dans la
rédaction première du Traité de Snorri, mais qui y a été inséré posté-
198 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
rieuremeiit par cet auteur ; voy. p. 37) renferme quelques mythes dont
il importe de déterminer la nature et d'expliquer la formation. A l'époque
relativement postérieure , où la plupart des personnages de la Théogonie
et de la Cosmogonie avaient déjà été imaginés , on conçut , en imitation
de ces personnages, et en personnifiant seulement certains phénomènes
de la Nature , une série d'Êtres mythologiques qui tenaient le milieu entre
les Divinités et les Démons , et se rapprochaient davantage , par leur ca-
ractère , soit des uns , soit des autres. Les mythes , qui se rapportent à ces
Êtres mythologiques, ne sont pas symboliques , et ne reposent pas sur
Y intuition ; ce sont des mythes allégoriques , conçus par le moyen du
raisonnement, de l'induction, et surtout de l'analogie. Tels sont, entre
autres , les mythes sur la Nuit et le Jour.
Nôtt (Nuit) n'est autre chose que la personnification , en quelque sorte
poétique, de la nuit (norr. nôtt, p. naht, inclinée, assoupie). Comme la
nuit sort du crépuscule du soir , Nôtt fut aussi considérée comme Issue
ou comme Fille de Norvi, la Personnification du crépuscule. Le nom de
Nörvi se présente sous plusieurs formes dans les documents mythologi-
ques. Les formes primitives paraissent avoir été Nahari ou Nahvari.
De la première de ces formes dérivent les noms tle Nâri et Nôri; de la
seconde les noms de Narvi (p. Nahvri) , Narji, Norvi et Niörvi. Tous
ces noms proviennent d'un thème idéal Nika (être incliné , pencher), qui
est la racine commune du mot sanscrit 7iiç (nuit), du mot gothique naus
(p. nahu-s , incliné , mort) , du mot grec nekus (mort) , du mot allemand
nacht (nuit) , et du mot norrain ndr (mort). La forme active nâri ou norvi
(qui fait pencher) exprime ce qui donne la défaillance , le sommeil , la
mort. Ainsi aldur-nâri (Tuant-le-Siècle) est une expression épique et
skaldique pour désigner le feu {cf. Mud-spel ^ Gâte-Monde), puisque
c'est par le feu que périra le Monde. Le nom de Niörva-sund (Détroit
de Niörvi) , qui , dans la langue norraine , désigne le Détroit de Gibraltar,
signifie proprement Détroit du i'o/r^ ou de rOí;c20?ení, ou Détroit d'^e.s-
périe. Norvi est donc la personnification du Déclin , du Sommeil et de la
Mort ; il est particulièrement la personnification du crépuscule du soir; et,
comme telle , Narvi ou NarJi est fils de Loki (Clôtureur) , qui est la per-
sonnification de la Fin des choses , comme son antagoniste , Heimdall
o\iRigr{\oy. p. 194) est la personnification d\i Commencement des choses.
Niörvi^ la négation et l'ennemi de la lumière, est un démon ; il est, par
conséquent, de la race des lotnes , comme tous les êtres mythologiques
appartenant à l'hiver et à la nuit. On se figurait l'iotne Norvi ou NarJi
comme un Loup-garou; le loup, comme son homonyme , le renard (norr.
narvi, renard; cf. goth. vulfs, loup; lat. vulpes , louve, renarde) étant
l'animal crépusculaire par excellence , qui cherche sa proie entre chien
et loup ; et les Neures (p. Narvies) , cette tribu scytho-sarmate , qu'Hé-
rodote représente comme des loups-garoux, passaient, sans doute, dans
la tradition , pour être en rapport de parenté avec NarJi, le fils de Loki.
iVorîJ2(Hesperus,leSoir), a pour fille iVdi/(Nuit); elle n'est pas, ici, comme
dans la Mythologie grecque, un symbole zoomorphe, conçu par intuition .
de la nuit, avec laquelle elle serait identique , mais elleest une Déité anthro-
pomorphe, présidant à la nuit, dont elle est personnellement distincte.
NUMÉRO (17) (PAGE 86) ; NÖRVI ET SES DESCENDANTS. 499
§ 53. Nôtt , épouse de Naglfari et de Onarr. — La nuit pouvant être
considérée par rapport aux trois tiers dans lesquels les Anciens avaient
coutume de la partager, on assigna aussi , dans la Mythologie, à Nôtt,
successivement trois époux , qui représentaient, sans doute , les trois par-
ties successives de la nuit. Snor7H,']e ne sais d'après quelle autorité, donne
2iNôtt , pour 'premier époux, le nommé Naglfari (Au Navire d'Ongles);
c'est un Démon , Thurse ou lotne , qui est le représentant des profondes*
ténèbres de la nuit, et le Précurseur de la destruction du Monde. Son vé-
ritable nom est Loki de l'Enclos-Extérieur (Utgarda-Loki) , frère de
Bileyst (Pousse-Grain) ; «t il porte le nom épithétique de Au Navire-
ci' Ongles, parce que , à la Fin du monde , il s'embarquera , avec les Démons
destructeurs, sur le Navire- d'Ongles (Naglfar), qui aura été construit
avec les ongles des Trépassés descendus dans Hel. Audur (Inculte) , le
fils de Nôtt et de Naglfari, représente , probablement , l'aspect triste ,
inculte et morne, que prend la terre dans la nuit et les ténèbres (cf. Jud-
humla, p. 181). D'après i'yiorrz^ ou d'après un mythe cosmogoniquedont
Snorri pouvait encore avoir connaissance , le second époux de Nôtt est
Onar\ et lord (Terre) est la fille de Onar et de Nôtt. En eiFet, dans le
langage skaldique , la terre est appelée poétiquement la Fille d'Onar ;
d'un autre côté , dans les chants épiques de l'Edda , lord est appelée
Fille de Nôtt (cf. Brynhildar Kvida., I, str. 3). Snorri est donc en
droit de dire que Onar était Y époux de Nôtt. Mais qu'il ait été le second
époux , aucun document mythologique , du moins de ceux qui nous restent,
ne l'énonce. Cependant Snorri, ayant déjà nommé un 'premier époux,
Naglfari., considère naturellement Onar comme le second; peut-être,
au lieu de Onar, lisait-il Annar (l'Autre), et il s'est expliqué ce nom
comme signifiant \ Autre, c'est-à-dire le second époux. Onar est un nom
épithétique de Œgir, le Génie de l'Océan terrible. Les Scythes donnaient
à l'Océan ou au Génie qui le représentait^ le nom de Effrayant (Tami),
ou de Effrayant Beaucoup-Sachant (Tami-Mâza-dàs). Les peuples de
la branche gète^ au lieu de Tami., disaient i'am/ et Tomi{y. Les Gètes,
p. 250). Lorsque la Cosmogonie se forma , le nom de Sami (norr. Samr)
et de Tomi (norr. to7iir, désert) eut le nom plus expressif de ^er^ewí
(Agis; norr. Œgir; sansc. Ahis; gr. Echis) ; et l'Océan étant considéré
comme entourant la terre , il eut le nom de Gumis (norr. Gymir , Entou-
rant, Protégeant). L'iotne Œgir ou Gymir, le représentant de l'Océan
redoutable, passait pour un Démon auguste (sansc. svaryas , céleste;
germ. hêri; norr. hâri; ail. hehr)., par l'agitation de ses vagues (sansc.
aughas ; norr. vâgr) , ou par l'agitation , l'épouvante (norr. ôgn ; cf. gr.
ôgen , ôkeanos) , ou la frayeur qu'il inspirait. C'est pourquoi il eut le
nom épithétique de Ogn-hârr (Auguste d'Agitation), qu'on a changé en
Onarr (cf. Ragnarr , p. Ragin-harr ; Sigarr p. Sig-harr; Fialarr p.
Fial-harr, etc.). Comme l'a long se rapprochait, dans la prononciation
norraine , de Vô, le nom à' Onarr devint presque homophone avec Anarr
(p. Agnharr, Agnarr, Chasseur, Pêcheur), qui est le nom d'un Dverg
de la nuit. Mais, en aucun cas, l'iotne Oiiar ne saurait être identique
avec le Dvergue Anar ; car les Dvergs sont des Êtres météorologiques
(voy. p. 218) et non des Êtres cosmogoniques ; et jamais la Mythologie
200 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
n'a pu songer à faire d'un Dverg , fils chétif de la Terre , l'époux de Nôtt
et le père de lord. Les noms de Onar et de Anar diffèrent essentielle-
ment du mot anar-r (p. andar-r), l'autre. Cependant il semble que , déjà
du temps de Snorri, on a confondu ces trois noms, et l'on a expliqué le
nom de Owar (confondu avec ^/^ar), comme signifiant simplementl'^î^ire,
c'est à-dire le second époux. Les Scythes considéraient les pays ou terres
comme sortis des eaux; c'est pourquoi ils donnaient au paya ou à la terre
le nom de aquatique {^cyiheJpia) , et adoraient la Terre sous le nom de
Apia (voy. Les Gètes , p. 170). Plus tard , chez les peuples de la branche
gète, lorsque, avec la Cosmogonie , se forma l'idée de Terre, comme
Ensemble de tous les pays, la Terre, nommée lörd^ fut encore considérée
comme .sori/e de l'Océan (norr. Gymir) et, par conséquent, comme la fille
de Gymir ou de Onar. lord, la fille à' Onar, a pour mère Núíf^ cela
signifie que , d'abord, au point de vue cosmique ou par rapport au Monde,
la Terre , d'après le système mytho-cosmogonique , est considérée comme
provenant ou comme sortie de la Nuit du Monde , c'est-à-dire du Chaos
ou du Néant, ainsi que, dans la Mythologie grecque, Gaïa (Terre) est
appelée la F27/e de Chaos; ensuite^ cela signifie que, au point de vue
des saisons, ou considérée par rapport à l'an^iee^ la Terre, qui, au prin-
temps, commence sa période de production , sort, provient ou descend
de l'Hiver, qui est la Nuit de l'année ; cela signifie , enfin , que , au point
de vue de la journée, ou par rapport à son apparition diurne, la Terre
naît de la Nuit, puisqu'elle sort ou naît, en quelque sorte, chaque matin,
des ténèbres qui l'avaient couverte ou enveloppée dans la nuit. Ce. mythe
co smo g oblique , sur l'origine dit lord, bien qu'il ne remonte guère au
delà du deuxième siècle avant notre ère, est cependant antérieur à l'autre
mythe déjà cosmogonique et plus épique , d'après lequel la Terre a été
façonnée.par les Ases, avec la matière tirée du corps d'Ymir (voy. p. 188).
l 54. Delling, troisième Époux de Nôtt. — Le troisième Époux de Nôtt.
selon Snorri, est Delling (Issu de Dali). On ne sait d'après quelle donnée
il parle de ce troisième mariage mythique , qui , du reste , paraît être au-
thentique dans la tradition ; car , d'après la strophe 25 des Dits de Vaf-
thrûdnir, Dagr (Jour, p. Dav-ingr, Issu de Brillant) est fils de Delling
(Issu de Dali); et, d'un autre côté, le Jour (Dagr), qui procède de la
Nuit (Nôtt) , est appelé Fils de Nôtt (et de Dav). Snorri a dû conclure
de là que Nôtt a été l'Épouse ou du moins l'Amante de Delling; et ayant
déjà cité Audur et Onar comme ayant été ses deux premiers époux , il
appelle Delling le troisième époux de Nôtt. Il considère , avec raison ,
ce mariage comme le dernier, puisque Delling représente la dernière
partie de la nuit. En eff'et, Delling , dont le nom signifie Jssic de Dali,
est probablement fils de Heim-dall (Arbre du Séjour) , qui est la person-
nification symbolique de l'aube du Monde ou du commencement et de la
naissance de toutes choses. Delling représente le Crépuscule du matin
ou le Point-du-jour; il est l'opposé de Nörvi (Crépuscule du soir); le
premier appartient déjà au jour et à la lumière; il est de la race lumineuse
des Ases ; le second appartient déjà à la nuit ; il est de la race ténébreuse
úeslotnes. Jour (Dagr) est le fils de Point-du-Jour (Delling) et de Nuit-^
tous les trois , Jour., Point-du-Jour et Nuit., ne sont pas des concepts de
NUMÉRO (18) (page 86) ; mundilfari. 201
l'intuition ; ces sont des personnifications allégoriques du point du jour,
de la nuit, et du jour. Aussi ces personnages ne se confondent-ils pas avec
les objets qu'ils représentent; ce sont des Génies qui président à ces ob-
jets ou phénomènes, dont ils diffèrent comme personnes anthropomor-
phes. Le mythe suppose que le jour est chaque fois amené au ciel par
l' arrivée du cheval Crin- Lui sant ^ traînant le char où se trouve le Génie
qui préside an jour, et qui, sans être le jour lui-même, porte, comme lui,
le nom de Jour. De même , la nuit est amenée au ciel par l'arrivée du
cheval Crin- Givreux , traînant le char où se trouve le Génie qui préside
à la nuit, et qui , sans être la nuit elle-même , porte , comme elle , le nom
de Nuit Ce que Snorri ajoute sur les chars de Nuiû et de Jour, sur les
chevaux qui les traînent, et sur l'origine de la rosée du matin , est em-
prunté aux Dits de Vafthrûdnir , strophes 12« et 14«. (Voy. Poèmes
islandais , p. 264.)
(18) MYTHES COSMOGONO-ÉPIQUES SUR SÔL ET MÂNI.
l 55. Mundilfari , père de Soi et de Mâni. — Dans l'origine , chez les
Scythes, {^Soleil (Svalius) et la Lime (Svalia), étaient des divinités zoo-
morphes; plus tard ils devinrent des divinités anthropoinorpltes , et fu-
rent considérés alors comme fils et fille de Tivus (Ciel) et á'Jpia (Terre).
Ils furent adorés , le premier, sous les noms épithétiques de Targitavus
(Brillant par laTarge), de Vaitu-Skurus{?vom^i à la chasse), de Skotaris
(Archer) , de Pakus (Vénérable) , de Tavit-varus (Garde du peuple) , de
Pravus (Seigneur) , et la seconde , sous les noms épithétiques de Vaitu-
^Æwra (Prompte à lâchasse), de ^rím-jPasa (Dame Productive), de Á'z;a/e/
(Effrayante), etc. Dans la religion des peuples de la branche gtte , le
dieu du Soleil , se dédoublant de plus en plus , eut les noms épithétiques
de Ballhus (norr. Baldur, Force), de 5Æa/mo.cÆz6' (A-la-Peau) , deFra-
vius (norr. Fretjr, Seigneur) , etc. La Déesse de la Lune , se dédoublant
également, eut pour héritières les déesses nommées Skalmoskis , Fra-
via (norr. Freyia, Dame), etc. Les attributions du Dieu du soleil et de
la Déesse de la lune, augmentèrent avec le temps; et, en augmentant,
elles firent oublier, de plus en plus, la spécialité jöHm27M-e de ces divi-
nités comme Dieu du soleil et comme Déesse de la hme. Dès lors, le rap-
port primitif entre ces astres et les divinités qui y présidaient, étant
rompu , les astres eurent une mythologie différente de celle de ces divi-
nités. Or , comme à ces astres , jadis adorés et maintenant devenus de
simples objets de la Nature , se rattachait traditionnellement un culte , le
soleil et la lune passaient pour des astres sacrés, et l'on imagina des di-
vinités pour présider à ces objets sacrés. A cette époque (à peu près au
troisième siècle avant notre ère) , les nouvelles divinités qui furent ima-
ginées, étaient toutes anthropomorphes, et elles prirent les noms des ob-
jets auxquels elles présidaient. A cette même époque (où la branche gète était
déjà séparée de la branche sarmate) , le mot usité dans les idiomes de
l'une et de l'autre branche, pour désigner le soleil comme astre, était
, un moi féminin (lith. saule; goth. sunno; norr. sunna., sol, etc.), et le
mot, pour désigner la lune, comme astre, était un mot masculin. Aussi
la nouvelle divinité imaginée , pour présider au soleil , prit-elle le même
202 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
nom féminin que cet astre, et fut, par conséquent , considérée elle-même
comme une ámmié-fe??i?ne. Au contraire , la divinité imaginée pour pré-
sider à la lune , dut, par les mêmes raisons, être considérée comme une
divinité mâle. C'est ainsi que furent conçus Sôl^ la Déité du soleil, et
Mâni, le Génie de la lune. La Cosmogonie , pour expliquer ensuite l'ori-
gine du soleil et de la lune , comme astres , imagina qu'ils étaient, ainsi
que les autres étoiles, des étincelles gigantesques qui , lancées dans l'es-
pace , au Séjour de Muspill {\oy. p 175) , erraient longtemps sans règle ,
jusqu'à ce que les Jses leur eussent donné pour guides deux Génies , Soi
et Mâni. Ce mythe cosmologique , tout en représentant le soleil et la lune
comme des étincelles lancées dans l'espace , ne put cependant pas encore
faire abstraction de \sl personnification mythologique dont ces astres
avaient été anciennement revêtus. Aussi , malgré la contradiction qui résul-
tait de cette double manière de concevoir ces astres , ces personnifica-
tions se sont encore maintenues quelquefois dans la tradition. Ces per-
sonnifications se trouvent, par exemple, dans la strophe suivante de la
Vision de la Louve :
« Soi répand, du sud, ses faveurs sur Mâni,
« A la droite de la Porte du Coursier-Céleste ;
« Sol ne le savait pas, où elle avait ses demeures ;
« Les Étoiles ne le savaient pas , où elles avaient leurs places;
« Mâni ne le savait pas quel était son pouvoir.
Dans le mythe rapporté par Snorri^ Sol et Mâni ne désignent pas les
astres eux-mêmes, mais les Génies qui président à leur mouvement. Ce-
pendant, dans la tradition mythologique, ces Génies empruntent, outre
leur nom , encore certains caractères , aux astres auxquels ils président.
C'est ainsi que la tradition populaire , rapportée par Snorri , au lieu de
représenter ces génies comme des Jlfes (voy. g 84) , leur donne une ori-
rine iotnique , parce que , d'après la Cosmogonie , le soleil et la lune sont
sortis , comme étincelles , du Séjour de MuspilL et que Muspill ou Sur-
tur., comme représentant des forces gigantesques du Monde igné primitif,
compte parmi les lotnes. Et voilà pourquoi le père de Mâni et de Soi est
un lotne nommé Mundil-fari , nom qui signifie Voy ageant-en-Cir cuit
(norr. mund^ cercle, tour, temps; möndull, tour, axe; sansc. manda
las^ cercle) , et désignait, dans l'origine , le Ciel qui se meut en sphère,
et puis le Temps ^ qu'on se figurait comme une période circulaire (cf. gr.
chronos^ kronos., cercle, temps; lat. coróna^ la circulaire, le cercle).
Dans la suite, le mythe cosmogonique tournant de plus en plus au mythe
épique et même au conte populaire , Mundilfari fut assimilé entièrement
aux lotnes. Son nom déjà ressemblait aux noms iotniques de Nagl-fari
(voy. p. 199) et de Svadil-fari (voy. § 141). La tradition populaire des
temps postérieurs lui attribuait , conformément au caractère des lotnes ,
un orgueil démesuré, et donnait pour cause de cet orgueil^ la trop grande
idée qu'il avait de la beauté de ses deux enfants , Sol et Mâni. Aussi les
Âses , pour punir son outrecuidance , enlevèrent-ils ces deux enfants ;
ils les transportèrent de la terre au ciel , comme ils ont transporté,
sur la voûte céleste , sous forme de constellations , les yeux de l'iotne
Thiassi et le doigt de pied de l'iotne Örvandil. Soi et Mâni sont con-
NUMÉRO (18) (page 86) ; sôl et màm. 203
damnés par les Jses à conduire les chariots du soleil et de la lune. D'a-
près la tradition populaire , ils sont- les serviteurs ou les Serfs des Dieux,
semblables presque aux serves iotniques Me?iia et Fenia, ou, du moins,
aux enfants Thialji et Röskva , que Thôr enleva à leur père , le Géant-
des-Montagnes.
§ 56. Sôl , la fiancée de Glèn; ses deux chevaux. — Sôl et Mâni ayant
été conçus à une époque postérieure , et conçus d'abord comme person-
nages cosmogoniques , et , plus tard , comme appartenant à la race iot-
nique, ils n'ont , pour ces raisons , jamais été adorés. Seulement, comme
quelques traditions, concernant l'ancien dieu Soleil^ se sont conservées,
et que Sôl, confondue avec le soleil, se rapprochait, par sa nature bien-
faisante et lumineuse, des Alfes et des Ases, cette fille de l'iotne Mun-
dilfari figure, dans quelques mythes , parmi les Asynies (Amies des Ases),
de la même manière et pour la même raison que Skadi., la fille de l'iotne
Thiassi , Qi Gerdur ^ la fille de l'iotne Gymir. Selon 5norW , 5d/ est
fiancée à Glèn; et eifectivement , le Skalde Skûli^ Fils de Thorstein, ap-
pelle Sôl la Concubine de Glèn (voy. Snorra Edda , p. 330). Ce nom
de G/èn, ou bien signifie Joli , Brillant (cf. gr. kleinos; Hésych. glê-
7106-, lumière; anglos. clæne; ail. klein , joli, gentil, petit), et désigne,
sans doute , dans ce cas , un Alfe , l'Étoile du soir et du matin , ou bien ,
il est synonyme áeHlæ ou Glæ , et désigne l'Océan , où le Soleil [Sôl) se
couche; ou enfin, il est synonyme de Glyrnir , qui désigne l'Océan cé-
leste, c'est-à-dire l'atmosphère attiédie par les rayons du soleil.
Ce que Snorri rapporte des chevaux de Sôl et du Fer-Réfrigérant, est
confirmé par la strophe 37 des Dits de Grimnir. Comme on se figurait
Matinal et Tout-Alerte^ les deux chevaux de Sôl, attelés au chariot sur
lequel étaient placés à la fois l'astre du soleil et Sôl dirigeant l'attelage, le
récit épico-mythique se croyait obligé d'expliquer comment ces chevaux,
se trouvant si près du soleil , ont pu supporter une chaleur aussi exces-
sive. Il a donc imaginé que, sous les épaules, à l'endroit où les chevaux
souffrent le plus de la chaleur, il se trouvait, pour les rafraîchir, un fer
qui, par la nature de ce métal , toujours frais (norr. kalt-isarn.^ fer froid),
communiquait sa fraîcheur aux chevaux.
§ 57. Les phases et les taches de la lune. — La manière dont les Scan-
dinaves et les peuples germaniques désignaient les phases successives de
la lune , différait entièrement de la nôtre. Comme depuis la première ap-
parition , après ce que nous appelons la nouvelle lune , jusqu'à la pleine
lune, il y a accroissement du disque lunaire, les différents degrés de cet
accroissement portaient , dans la langue norraine , le nom de renouvelle-
ments (norr. mj). Le renouvellement par excellence était le premier.^ c'est-
à-dire la première apparition après la nouvelle lune. Ensuite , comme
depuis la pleine lune jusqu'à la nouvelle lune, il y a décroissance du disque
lunaire , les différents degrés de cette décroissance ou de ce décours ,
portaient le nom de abaissements (norr. nid). L'abaissement par excel-
lence était ce que nous appelons la nouvelle lune.
Les taches de la pleine lune , vues à l'œil nu , ne ressemblent à rien
(voy. Arago , Astron. pop. , 3 , 385) ; c'est pourquoi l'imagination des
hommes y a pu trouver différentes ressemblances arbitraires (voy. Grimm-,
204 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Myth. p. 679). Les Hindous croyaient voir, dans la lune, un lièvre , et don-
naient, par conséquent, à cet astre le nom épithétique de çaçln (Ayant
un lièvre, lune). Les Scandinaves croyaient voir, dans les taches de la
lune , deux individus portant , sur leurs épaules , une perche à laquelle
était suspendu un seau. Partant de cette donnée d'intuition imaginative
et l'expliquant à sa manière , la tradition mythico-épique, qui tourna plus
tard au conte populaire , rapporta que Mâni (que les dieux avaient enlevé
de la terre avec sa sœur ^o7j en enleva, à son tour, deux enfants, un frère
et sa sœur, dont il iît ses serviteurs, comme Thôr l'a fait de Thialji et
de Röskva , et qu'on les voit encore , sur le disque de la lune , tels qu'ils
étaient au moment de leur enlèvement. Le père de ces enfants est nommé
Vid-Jlnn (Finne de la Forêt) ; c'était sans doute , dans la tradition primi-
tive, un Géant des Montagnes ; et ce nom prouve même que cette tradition
s'est formée seulement lorsque les tribus gothes se furent établies dans
le Nord et qu'elles eurent repoussé dans les forets marécageuses de la
Marche-Finne l'ancienne race iinne qui, antérieurement, était répandue
dans toute la Scandinavie (voy. p. 139). Peut-être la tradition elle-même
était-elle originairement finne. La fille de Vidfmn se nomme Dyl ou BU
(Nuée; féminin de J??//r^ nuage), et son frère est nommé //íw/íí (Neigeux;
cf. norr. Jiuk, neige) , deux noms qui désignent les figures nuageuses
de ces enfants sur le disque neigeux de la lune. Ces enfants portent , sur
leurs épaules, la Perche qui est nommée Siinul (p. Sumul, Conjonction,
joug), parce qu'elle joint ensemble, comme un joug, les deux porteurs
du seau. A cette perche est attaché le seau qui est nommé Baquet-au-
lait (norr. Sægr; cf. sansc. Sagara) , parce que le même vase qui servait
de baquet à traire, servait aussi pour y porter de l'eau. C'est ce seau que
les deux enfants de Vidjlnn^ au moment de leur enlèvement, avaient
rempli de l'eau puisée à la fontaine qui appartenait kByrgir (Renfermant).
Byr-gií', dont le nom exprime qu'il avait entouré son puits d'un mur so-
lide, comme d'une enceinte (norr. borg)^ était, sans doute, unlotne pos-
sesseur, comme l'iotne Mimlr, d'un puits, situé dans le óV/owr-í/í'A-
lotnes. Ce mythe des enfants de Vidjinn ne se trouve consigné dans
aucun des documents mythologiques qui nous restent; Snorri l'a puisé ,
probablement , dans la tradition populaire. Aussi la forme de ce mythe
porte-t-elle les caractères du conte populaire postérieur; car les person-
nages qui y figurent, et qui étaient de race iotnique dans le mythe pri-
mitif, y sont déjà changés, comme dans les contes populaires, en per-
sonnages de race humaine.
\ 58. Soleil et Lune, dans l'origine divinités zoomorphes. — Dans
l'origine, le soleil et la lune furent conçus, par l'intuition, comme des
divinités bienfaisantes qu'on adorait. La forme de ces astres n'ayant rien
qui put être rapporté, par l'imagination , à la figure humaine., ils furent
conçus primitivement, par l'intuition , comme des êtres vivants (gr. zoa).,
divins ou comme divinités zoomorphes. A cause de la chaleur fécondante
et de la course rapide qu'on remarquait dans le soleil , l'imagination des
Scythes, peuple pasteur, chasseur et guerrier, se figurait le dieu Soleil
comme un animal mâle en chaleur, tel qu'un étalon , un taureau, un bé-
lier, un verrat, un renne, un élan ou un cerf. Aussi ces animaux furent-
NUMÉRO (18) (page 86) ; sôl et mâni. 205
ils consacrés au dieu Soleil zoomorphe. Les Scythes guerriers aimaient
surtout à voir, dans le Soleil , un "cheval ardent parcourant rapidement
les espaces célestes , et répandant ses rayons de lumière et de chaleur par
ses yeux, ses naseaux, sa crinière luisante, et sa queue flamboyante. La
Lune fut conçue, par l'intuition, à la fois comme divinité analogue au So-
leil , en tant que bienfaisante et luisante comme lui , et comme divinité op-
posée ííw Soleil , en tant que nocturne , tandis que le Soleil était diurne. On
considérait principalement la Lune au point de vue de l'influence fécon-
dante qu'on lui attribuait: c'est pourquoi elle passait pour la déesse de la
génération et de la naissance (cf. lat. Luna, Lucina)^ d'autant plus qu'elle
se confondait avec la Nuit qui , elle aussi , était considérée comme une
Mère, du sein de laquelle la Terre, avec tout ce qu'elle renferme, était sortie
(voy. p. 200). Aussi l'imagination se figurait-elle la Lune, cette déesse zoo-
morphe, de préférence sous la forme de la vache, de la biche et de la
truie, qui étaient les types de la maternité (voy. g 98), et qui, dès lors,
devinrent les animaux consacrés à la Lune zoomorphe.
Lorsque plus tard, chez les Scythes, comme chez les autres peuples
iafétiques, les divinités zoomorphes furent remplacées successivement
par des divinités anthropomorphes , le soleil et la lune ne furent plus
considérés comme des divinités sous forme animale, mais comme des
êtres impersonnels, comme des astres, auxquels présidaient des divinités
à la forme humaine, lesquelles, comme personnes, étaient distinctes des
astres auxquels elles présidaient. Cependant, malgré ce changement^ qui,
à la place d'un seul être divin, savoir le dieu Soleil zoomorphe, en fit
concevoir deux, distincts l'un de l'autre, savoir le divin Soleil, comme
astre , et le dieu anthropomorphe du Soleil , qui y présidait , les animaux
qui , selon l'usage traditionnel religieux , étaient consacrés à l'ancien
Soleil zoomorphe, continuèrent à être consacrés au dieu anthropomorphe
du Soleil , et les anciennes traditions et les mythes se conservèrent éga-
lement avec quelques changements. C'est ainsi que les Massagètes, à
une époque où le Soleil était déjà adoré comme dieu anthropomorphe ,
donnaient cependant encore à ce dieu l'ancienne épithète de Le plus
rapide des dieux (voy. Hérodot. i , 216), épithète qui se rapportait ori-
ginairement au cheval rapide , sous la figure duquel le soleil était an-
ciennement conçu. Dans la Mythologie indienne, le dieu du ciel, Indras,
divinité anthropomorphe , qui fut substitué à l'ancien dieu zoomorphe
Sourias (Soleil), portait également, encore plus tard, comme reste et
en souvenir de l'ancienne hypostase du soleil , les surnoms de Vadjan
(Cheval) et de Arvan (Coursier ; voy. Les Gètes , p. 1 79). Toutes les tribus
Scythes, ainsi que les Hindous, les Perses, les Rhodiens, les Lacédémoniens,
(Pausan. Lakon. , 20, 5), sacrifiaient au dieu du Soleil, le cheval , le plus
rapide des quadrupèdes, et qui lui resta toujours consacré. C'était au dieu
du Soleil qu'étaient consacrés les chevaux blancs qui paissaient sur les
bords du lac Hypanis en Scythie [Hérodot. 4, 52) ; et cet usage religieux
se transmit également aux descendants des Scythes, aux Sarmates et aux
Gètes , et aux descendants de ceux-ci , aux Slaves , aux Scandinaves et
aux Germains. Dans la Mythologie Scandinave, les deux chevaux^ qui
traînent le char de la déesse Sôl (voy. § 56), rappellent encore le Cheval ce-
206 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
leste (norr. himin-iôr; v. p. 202) , qui était rancienne hypostase du soleil.
Les Scythes de la branche sarmate habitant des pays où abondait Vélan,
que , dans leur langue , ils nommaient alkiis (Strabon , kolos p. olkos ;
grec alké\ lat. alces, achlis ; vieux-slavon loçs ; vieux Scandinave ialkr;
norr. elgur; pol. loç, etc.) , ont substitué au cheval , comme animal con-
sacré au soleil, Vélan, d'autant plus que \e nom al kiis , qui signifiait
proprement lancé, s'appliquait également au cheval et à l'élan (cf. polon.
loszak , petit cheval tatare). A ['élan , les Scythes septentrionaux ou les
Sar-mâtes (Hommes du Nord), ont substitué le re?ine qui, dans leur
langue , était nommé farandus {Plin. , 8 , 34 , 52 ; Hésychius tarandos ;
norr. thrandr; cf. pelasge Brendos ; norr. brâdr p. brandr) , mot qui ,
dérivé du thème vrinda (p. bhrinda)^ est synonyme de renne (lat. rheno\
vhall. rheino\ norr. Arem) , et qui signifiait proprement Frémissant,
Chaleureux , Impétueux. Enfin , au renne et à l'élan , les Scandinaves ont
substitué le cerf, d'autant plus facilement que , dans les langues slaves ,
le même mot ielen (lith. elnis , impétueux; cf. norr. eli, tempête), dési-
gnait l'élan (de elen; ail. elend) et le cerf. Encore au douzième siècle ,
les Chants-de-Sôl {Sôlar-liod LV), de l'Edda, représentent symbolique-
ment le soleil par un cerf (norr. Sôlar-hiort).
De même que, dans la Mythologie hindoue, l'incarnation de Fichnous
ou le Verrat qui , avec ses défenses , symboles des rayons ardents , fait
sortir des eaux primitives la Terre (cf. apia aquatique , sortie de l'eau) ,
était ordinairement l'hypostase zoomorphe du soleil , de même aussi ,
dans la religion des Scythes sarmates , le verrat qui , du reste , dans les
langues scythiques, portait le même nom que le renne (scythe faran-
dus, renne; norr. thrandr, verrat), et qui, dans l'origine , était le sym-
bole zoomorphe du soleil , devint plus tard , chez les descendants des
Sarmates, savoir chez les Slaves et les Vendes ou Venètes , l'animal con-
sacré à Pravys (Seigneur) ou au dieu du Soleil. Les Scandinaves, en adop-
tant , des Fanes ou Slaves , le dieu Pravys , qu'ils nommèrent Frerjr
(Seigneur) , adoptèrent également , comme consacré à ce dieu du soleil
anthropomorphe , le verrat Gullinborsti (Soies d'Or) , lequel était ainsi
la dernière métamorphose mythologique du Verrat céleste, qui était con-
sidéré primitivement comme l'hypostase zoomorphe du Dieu Soleil lui-
même.
Quant à la Lune , les traces de son hypostase zoomorphe primitive ,
après qu'elle se fut changée en personnification anthropomorphe , se
conservèrent encore dans la Mythologie des peuples de race scythique ,
mais moins nombreuses et moins évidentes que dans les mythes du So-
leil. Cependant le nom, que la Déesse de la lune portait chez-les Thrako-
Gètes , et que les Grecs ont rendu sous la forme de Bendis (Biche p.
Brendis, voy. Hésych.^ s. v.), on Bendeïa (p.Brendeia), semble prouver
que , chez les descendants des Scythes de la branche géte , la Déesse de
la Lune avait encore , jusque-là, conservé, comme animal , à elle consa-
cré, la biche ^ qui, dans l'origine, avait été son hypostase zoomorphe.
Plus tard encore , dans la Mythologie des Scandinaves , la Vache et la
Truie , qui , originairement, étaient les symboles zoomorphes de la Lune,
furent considérées comme des animaux consacrés à Freyia^ qui avait hé-
NUMÉRO (19) (PAGE 87) ; FUITE DE SÔL ET DE MÂNI. 207
rite de quelques-unes des aUribulions de l'ancienne déesse de la Lune,
d'abord zoomorphe , puis anthropomorphe.
(19) LA FUITE DE SÔL ET DE MÂNI.
§ 59. Un mythe de la période primitive. — Les traces et les preuves de
la nature primitive zoomorphe de SôUi de Mâjii , se trouvent non-seule-
ment dans les animaux, qui, plus tard encore , leur sont restés consacrés,
mais aussi dans quelques mythes de la période primitive. A l'époque où
la race scythe ne s'était pas encore complètement séparée des autres races
iafétiques, il s'était formé un mythe (dont on trouve l'équivalent dans
toutes les mythologies iafétiques) sur la lutte du soleil zoomorphe contre
le Démon ou le Loup qui veut le dévorer. Lorsque le dieu Soleil zoo-
morphe fut devenu le dieu anthropomorphe du Soleil , ce mythe primitif,
originairement symbolique, est devenu de plus en i^lus épique, et s'est
reproduit et dans le mythe de Indras luttant contre Vritras^ et dans le mythe
d'>/po//o?i luttant contre r?//î^o?i,etdanslemythedei'2^/rfc?luttantcontre
le Dragon, etc., etc. A côté de ces formes épiques, l'ancienne forme du
mythe s'est conservée jusque dans la Mythologie norraine. Bien que la
déesse anthropomorphe Soi ait été séparée de l'astre du soleil auquel elle
présidait , le mythe norrain , s'appuyant sur la tradition primitive , d'après
laquelle l'astre lui-même était une divinité zoomorphe, énonce quei'óV, et
non pas le soleil seulement, est menacée d'être dévorée. Ce mythe est donc
un des plus anciens de la Mythologie norraine. Soi et Mâni n'y figurent
pas comme des Génies anthropomorphes , présidant au mouvement du so-
leil et de la lune , mais encore comme des divinités zoomorphes , ainsi
que ces astres avaient été conçus dans l'origine par l'intuition. Pour expri-
mer la pensée que le Soleil et la Lune sont condamnés à périr (voy. § 20).
et que leur existence diurne et annuelle est, à tout instant, menacée, le
Mythe dit que Sol et Mâni, qu'on se représentait originairement sous la
forme d'un coursier et d'une vache , sont poursuivis par des Loups iot-
niques, qui les dévoreront à la fin des siècles; que les accidents qui ar-
rivent au Soleil et à la Lune , tels que l'affaiblissement de leur chaleur
et de leur lumière, les éclipses, les halos, etc., proviennent de ce que
ces Loups monstrueux les atteignent quelquefois , les étreignent et les
tiennent déjà à moitié dans la gueule , mais que cependant le Cheval-So-
leil et la Vache-Lune , en faisant des efforts , parviennent encore à leur
échapper. D'après ce mythe, le cours du Soleil et de la Lune n'est pas,
comme selon une autre tradition primitive , la marche joyeuse de ces
Divinités zoomorphes sur le vaste pâturage du ciel , ni comme .^elon
d'autres traditions postérieures, une marche ou une course réglée par les
Dieux (voy. p. 202) ; mais c'est une fuite incessante pour échapper à la
destruction dont les menacent les Loups iotniques. Soi est poursuivie
par le loup Skoll; et, pour s'en éloigner, elle courrait encore bien plus
vite qu'elle ne le fait , si elle ne craignait pas de trop se rapprocher du
Loup Haii , cet ennemi de Mâni. Mâni , lui aussi , ne veut pas trop
hâter sa course, de peur de se rapprocher de Skoll ^ qui court au devant
de lui , à la poursuite de Soi. La course de Sol et de Mâni est donc cir-
culaire. La rapidité de cette course de Soi est devenue proverbiale dans
zOö COMMENTAIRE CRITIQUE PERPETUEL.
le IVord , comme l'a été , dans la poésie hindoue (voy. Bhagavat-Poura-
nam , 1 , v. 30) , la rapidité du Soleil , c'est-à-dire du Coursier céleste
(Arvan) , qui s'enfuit avec terreur devant le monstrueux Houdras (Çivas).
(20) LES ENNEMIS DE SÔL ET DE MÂNI.
§ 60. Les lotnes zoomorphes. — INon-seulement les Divinités, mais
aussi les Démoiis furent conçus, dans l'origine, comme des êtres zoo-
morphes. Le Soleil et la Lune étaient considérés comme le Taureau ou
l'Étalon et comme la Vache ou la Cavale célestes ; l'idée se fixa bientôt que
les Démons ou les Ennemis de ces Divinités zoomorphes étaient des Loups
affamés et meurtriers ; et comme ces monstres dévoraient également les
nuages fécondateurs et produisaient les sécheresses , ils eurent non-seu-
lement le nom de Secs (ïhurses), mais aussi celui de Mangeurs (lotnes). Le
nom propre de Itan-tursus , que portait un roi Scythe , était, sansdoute^
synonyme de Grmid-Loup^ par opposition à Petit-Loup (cf. goth. Vul-
filas); et c'était-là un nom particulièrement honorifique, comme l'ont été,
encore chez les peuples de la branche gète^ les noms de Attilas (Petît-
Père, Oz/r^), de 5eo-w?///*(Loup d'abeilles, Owr.v)etde5/örw(0urs; angl.
Byron). Plus tard, de même que les Divinités, les Démons^ aussi, mais
moins généralement (vu leur caractère violent), de zoomorphes qu'ils
avaient été dans l'origine , devinrent anthropomorphes. On se les figu-
rait comme des géants d'une taille plus grande que celle des Dieux , et
ayant, en proportion, des forces physiques extraordinaires. On comprit
dans la Mythologie, sous les noms de Thtirses et de lotnes, tous les
Démons ou Personnifications des forces gigantesques et nuisibles de la
Nature. Comme êtres nuisibles , ils furent aussi considérés comme 7né-
chants. ils se montraient méchants , non avec les hommes . avec lesquels
ils n'avaient pas de rapports directs, mais dans leurs luttes avec les
Dieux, les Protecteurs de la Nature et des hommes. D'après la Cosmo-
gonie et la Théogonie, ces Démons étaient la race primitive du Monde et
antérieure à la race des Dieux. Comme êtres primitifs, ils avaient l'expé-
rience ou la sagesse la plus ancienne ; mais leur sagesse était une science
méchante ; c'était la magie noire. Les Thtirses devinrent même les re-
présentants de la Magie, et l'on supposait que, dans leurs luttes contre
les Dieux , ils usaient non-seulement de leurs forces physiques gigantes-
ques , mais surtout des artifices de la Magie. Comme , à côté de la forme
anthropomorphe des lotnes, la tradition maintenait toujours leur ancienne
forme de loups ^ l'on s'imaginait que , par leur magie, ils se transformaient
en hommes-loups ou loups-garous; et, dans la suite, ce caractère de
loup-garou fut attribué même à des hommes et à des peuplades qui pas-
saient pour être magiciens. C'est ainsi que , déjà chez les Scythes , la tribu
appelée \esNapres (norr. Narji, Crépusculaire, loup, renard, v. p.1 98), avait
la réputation d'être à la fois des magiciens et des loups-garous. La tradition
épico-mythique postérieure faisait même descendre les différentes classes
de magiciens de différents lotnes loups-garous. Voilà pourquoi il est dit
dans la Petite Vision de la Louve :
« Toutes les Louves proviennent de Vidolf (Loup du Bois),
« Tous les Sorciers de Vilmeidi (Baguette Trompeuse),
« Mais les Porte-Cribles de Téte-Noire (Svart-Höfdi).»
N°« (20) ET (21) (page 87) ; skoll et hati ; managarmr. 209
I 61. Les loups iotniques Skoll et Hati. — Les Démons mythologiques
étant tous conçus comme des Êtres surhumains , méchants et nuisibles,
tous portent ce seul et même caractère commun. Aussi, comme il ne s'agit
pas, dans la tradition , de leur assigner des caractères moiet;/c?Me/.v, les
noms propres qui les désignent n'ont point de signification symbolique ,
indiquant des qualités particulières ; ces noms ont seulement une signifi-
tion épique, énonçant leur caractère général. Dans la Mythologie Scan-
dinave, un grand nombre d'Iotnes ont eu des noms propres, qui ne sont autre
chose que des noms épithétiques ou poétiques pour désigner le Loup.
C'est ainsi que l'Iotne qui , sous la forme d'un loup gigantesque , poursuit
le Soleil , est nommé Skoll (Ricaneur) , nom épithétique qui désignait le
schakal , le renard et le loup^ dont les hurlements ressemblent à des ri-
caneries. L'Iotne loup-garou qui poursuit la Lune , est nommé Hati (Hai-
neux), nom poétique qui désigne les animaux haineux, tels que» le chat
et le loup. Les loups se montraient ordinairement sur les champs de ba-
taille , pour dévorer les occis. Aussi la croyance s'établit-elle que l'appa-
rition ou l'arrivée des loups présageait des combats. Le loup était, par
conséquent, appelé poétiquement le Présage (norr. Vitnir) du combat
ou de la dévastation ; et, c'est pourquoi , le père de Hati porte , dans la
tradition , le nom épique de Hrôd-vitnir (Présage de Dévastation ; cf.
Hrôd-olf). Il est évident que , dans l'origine , le mythe a considéré le So-
leil et la Lune , poursuivis par les Loups-Iotnes comme des divinités zoo-
morphes , et non pas comme des divinités anthropomorphes , présidant
à ces astres. Dans le mythe Scandinave dont il est question ici , il faut donc
aussi considérer les noms propres de Soi et de Mâni comme désignant
les astres zoomorphes eux-mêmes , bien qu'il soit vrai que Sol et Mâni
désignent ordinairement, dans la Mythologie du Nord, les divinités ou
les Génies anthropomorphes qui dirigent le soleil et la lune. Quant à
son fonds primitif, ce mythe est donc un des plus anciens des Mytholo-
gies iafétiques ; mais à cause des noms propres des Loups et des astres ,
et en général par la forme actuelle qu'il a prise dans la Mythologie nor-
raine , il ne peut guère remonter au delà du second siècle de notre ère.
(21) LES GÉANTES MÈRES ET NOURRICIÈRES DES LOUPS.
§ 62. Les Géantes zoomorphes. — La conception de Démons impli-
quait, dans l'origine, seulement l'idée de forces surhumaines pernicieuses ;
et la force étant le propre du mâle plutôt que de la femelle , les Démo7is,
dans les périodes primitives des Mythologies iafétiques, étaient tous des.
êtres mâles ^ et leurs noms n'étaient pas employés au féminin. C'est ainsi
que, chez les Scythes, il y avait des Thurses (Secs , Dessécheurs) et des
Itanes (Mangeurs, Loups); il n'y avait pas de Dessécheuses ni âe Man-
geuses. Plus tard seulement, lorsque, chez les peuples de la branche
gète^ la Théogonie eut provoqué la formation de la Titanogonie (v. p. 168),
il fallut , pour concevoir les races et générations des Thurses et des
lotnes anthropomorphes, adjoindre à ces démons mâles aussi des démons
femelles. Comme épouses de Démons , ces femmes eurent le caractère gi-
gantesque et violent de leurs maris; mais elles n'eurent point, à l'instar
des Âns-vinias (norr. Asyniur^ Amies des Ases) le nom de Thurs-
14
Í2i0 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
vinias (Amies des Thurses), ni celui de lotun-vinias (Amies des lotnes).
Ayant été conçues à l'époque où leurs maris étaient considérés principa-
lement comme des Loups-garous gigantesques, elles eurent un nom ú-
gnifiant Loîives ou Filles du Loup (norr. Gygiar). Or, parmi les noms
épithétiques du loup, il y avait celui de Hurleur (sansc. kôkas , loup;
goth. hôha , loup , contre ; cf. gr. kôkuô , hurler) ; le féminin pluriel ,
dérivé de Gûg , avait , sans doute , dans les langues de la branche gète,
la forme de Gúgias^ dont est dérivé le mot norrain Gygiar \ Les lotnes
passant pour être des Loups-garous et des Magiciens, leurs épouses
étaient pareillement considérées comme des Louves-femmes et des Ma-
giciennes. Chez les peuples d'origine gète, la magie était principalement
pratiquée par des femmes ; et c'est pourquoi l'idée de magie prédominait
bien plus dans la conception des Géantes que dans celle des lotnes. Aussi
dans les langues de la branche gète, le nom de Gygr (Louve) exprimait-
il presque exclusivement l'idée de magicienne. Dans l'origine, les Géantes,
ainsi que les lotnes , étaient considérées comme n'ayant point de rapports
avec les hommes ; elles n'étaient aux prises qu'avec les Dieux , et tout au
plus avec les Héros , fils des Dieux. Mais comme , dans la suite du temps,
les personnages mythologiques vont toujours sa rapetissant de plus en
plus dans l'imagination des hommes , les Géantes , chez les Slaves et les
Scandinaves, se sont confondues peu à peu, non -seulement avec les
Sorcières, appelées, dans le Nord, Femmes- Fantômes (norr. Tröll-
Konur) et dans l'Allemagne moderne Hexen (néerl. heks , de l'espagnol
hachiza)^ mais même avec les Spectres , appelées Chevaucheuses de
NuitiyiQTV. qveld-rîdur; cf. myrk-rîdr; âgengur; sansc. kchanada-
tcharâs). Dans les langues slaves , le nom de Louve ou de Issue de
Loup (Volchava) , devint entièrement synonyme de Magicienne (cf. russe
Volchov , sorcier) ; et ce nom passa même , sous la forme de Völva ou de
Vala (p. Valha) , dans la langue norraine, et y eut pour synonyme le nom
de Hyndla (Petite-Chienne , Louvetelle) , qui désignait également la Ma-
gicienne ou la Prophétesse.
§ 63. Le Bois de Fer et Mâna-Garmr. — Les Géantes , d'après les an-
ciens mythes , se tiennent renfermées dans le Séjour des lotnes , qui se
trouve au delà de la Mer, au Nord et à l'Orient, par rapport au Séjour
des hommes, appelé le Séjour-Mitoyen. Dans le Séjour des lotnes il y a
une Forêt qui , sans doute , d'après un mythe finne , est nommé Bois-de-
Fer^ parce que le bois de ses arbres passait pour être aussi incombustible
et indestructible que le fer. D'après la Mythologie hindoue , il y a dans
l'Enfer une forêt appelée Forêî aux Feuilles-Épées (S3insc.y4.si-patra-
vanam) , parce que ses arbres ont des épées pour. feuilles (voy. Chants
de Soi., p. 103). Les Géantes qui habitent le Bois-de-Fer, portent aussi
le nom épithétique de Celles du Bois-de-Fer (norr. larn-Vidiar). L'ne
de ces Géantes-Louves , la Mère des Loups-garous gigantesques SkoU et
1. Le mol norrain féminin qvok ou kok (gueule) semble dérivé de Y ancienne
forme kôk et avoir pris la signification spéciale de gueule (hurleuse) ; de qvok s'est
formé ensuite le verbe dérivé qvôka (engloutir). Ou qvok serait-il une déformafion de
qverk ?
NUMÉRO (22) (PAGE 88) ; l'arc-en-ciel; les bains de bassin. 211
Hati , est aussi la mère du plus puissant et du plus redoutable des loups
de cette famille. Ce loup est nommé Mâna-Garmr (Hurleur de Màni) ,
parce que c'est le hurleur (norr. garnir^ iarmr ; gr. kerheros) , ou le
loup qui , à la fin du monde , devra dévorer Mânî. Ce nom de Mâni dé-
signe ici , non pas le Génie qui dirige la lune , mais la lune elle-même.
Déjà , chez les Scythes , Artin-paza . comme Déesse de la lune , recevait
chez elle les Morts , et portait , comme Déesse des Morts , le nom épithé-
tique de Kvalî{\(^y. Les Gètes ^ p. 216). Le Séjour des Mânes était donc
censé être placé dans la lune ; et cette idée se retrouve dans beaucoup de
traditions mythologiques de l'Antiquité. D'après les Orphiques^ par exem-
ple, les âmes des hommes provenaient de la lune , et elles y retournaient
comme Mânes après la mort des individus (cf. Orlando furioso ^ c. 34,
ott. 83). Les peuples de la branche gète croyaient que les individus, morts
de maladie ou de vieillesse , allaient dans la lune pour y séjourner. Aussi,
quand, à la fin du monde, le Hurleur de Mâni s'emparera de la lune, il
y trouvera ces mânes, et se gorgera de la vie [norr. Jiörvi; cf. pers. /er-
rer, mânes) des morts qui auront passé dans cet astre. Par suite de ce
carnage , le sang des victimes formera une espèce de halo rougeâtre qui
couvrira le ciel et obscurcira le soleil ; et la chaleur du soleil étant ainsi
interceptée, le Terrible- Hiver {Fimbul-Vetr) commencera, c'est-à-
dire que les vents du nord se déchaîneront et mugiront de tous côtés.
(22) LA NATURE DE l' ARC-EN-CIEL.
564. La Voie-Tremblotante et les Bains de Bassin. — Lorsque les divi-
nités furent considérées , non plus, chacune individuellement, mais comme
formant ensemble um famille, soYis le nom de Célestes (norr. Diar) ou
á'Jses^ elles eurent aussi pour demeure commune le ciel ou VEnclos-des-
Ases. Quand, plus tard, les peuples de la branche gète, de nomades ,
furent devenus sédentaires , et eurent établi des bourgs et des forts , ils
se figuraient également VEnclos-des-Ases comme une Ferté entourée de
fossés, ou semblable aux enceintes des temples, que les Scandinaves et
les Slaves aimaient à élever sur des Ilots ou sur un terrain entouré arti-
ficiellement d'eau ; usage qui , encore plus tard , a été observé dans le
Nord pour les églises chrétiennes (lat. ecclesia in undis; ail. fVasser-
Kirchë)^ dont quelques-unes ressemblaient à A^^ forts, entourés de fossés ,
et où l'on ne pouvait entrer que par un pont-levis (v. Les Gètes , p. 267).
L'Enclos-des-Ases , comme l'Érèbe des Grecs , est entouré de fleuves
ignés, qui forment ce qu'on appelait un Feu Flambant {norr. vafur-logï).
Ces feux flambants faisaient, au ciel, le cercle tout autour de cet Enclos , et ,
arrivés à Roches-Célestes (Himin-biörg), où est l'entrée de cette Enceinte,
descendaient du ciel à terre, et formaient comme des bandes bariolées des
difí'érentes couleurs du feu. Cette dernière partie du Feu Flambant con-
stitue, d'après le mythe, Varc-en-ciel^ qui, ayant été comparée à un pont
jeté entre le ciel et la terre , a été, pour cette raison , appelé quelque-
fois Pont-d'Ase (As-brû) , avec la signification de Pont de l'Ase Thôr.
Le Feu flambant du Pont d'Ase se compose de quatre Rivières ignées ,
juxtaposées , qu'on distingue par les quatre couleurs ou bandes longitu-
dinales qui forment l'arc-en-ciel. Deux de ces rivières sont de feu rouge,
et portent les noms de Échatcffée [Körm,t p. kvörmt ) et de Chauffée
212 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
( Örmt p. vörmt). Les deux autres sont des eaux vaporeuses et bouillantes,
appelées Bains de Bassin (Ker-laugar) , parce qu'on les comparait à ces
eaux thermales toutes vaporeuses et bouillantes, que , dans le Nord et plus
tard principalement en Islande, on faisait couler dans des bassins, creusés
dans le sol , pour s'y baigner. Le Feu Flambant du Pont d'Ase porte en-
core le nom de Voie- Tremblotante (Bif-rost) , parce que l'arc-en-ciel
est comparé à un espace de chemin, à une voie (norr. röst; ail. rast;
si. verst) , qui est tremblotante , parce qu'elle est suspendue légèrement
dans l'air. Snorri a peut-être donné , à ce pont plus d'importance qu'il
n'en avait dans la Mythologie ; il rapporte , je ne sais d'après quels docu-
ments, que ce pont est fait avec plus d'art et plus d'habileté que les au-
tres ouvrages de la création. Les documents mythologiques énoncent
seulement que Bifröst est le meilleur des ponts (voy. Dits de Grimnir,
44); et cet énoncé est fait d'après l'idée généralement adoptée, dans toutes
les Mythologies , que ce qui est au ciel ou appartient aux Dieux, est l'idéal,
le prototype des choses analogues, appartenant aux hommes sur la terre.
Peut-être la tradition racontait-elle que le pont était fait d'or ou de feu
(v. Les Gètes, p. 225), et avec un tel art qu'on ne voyait jamais où il s'ap-
puyait sur la terre; qu'il n'était visible que dans oerlains cas , après les
orages , où Thör avait combattu les lotnes ennemis des Ases ; que quel-
que légère qu'en parût la structure , et bien qu'il ressemblât , comme
l'indique son nom, àmne Foie tremblotante, il était cependant telle-
ment solide qu'il ne rompra qu'à la fin des siècles , lorsque tout , sans
exception , sera brûlé à l'approche des Fils de Muspill^ ou des Thurses
du Monde igné. Ces ennemis , pour pénétrer dans le ciel , traverseront
alors , sur leurs montures de feu , et sans se brûler , les quatre Rivières
flambantes qui entourent V Enclos-des-Âses.
g 65. Comment Snorri conçoit Bifröst. — Snorri croit que le nom de
Pontd'Jse provient de ce que les Ases , qui , selon lui , ont leur demeure
sur la terre, s'ils vont siéger auprès de l'Arbre de Jugement qui se trouve
au ciel, sont obligés de passer par ce pont. Mais les Ases , habitant VEn-
clos-des-Jses , qui est au ciel , et non , comme le suppose Snorri, sur la
terre (voy. § 51), n'ont pas besoin de monter de la terre au ciel par le
Pontd'Jse; ils se rendent simplement, de leurs domiciles célestes, auprès
du Frêne, dans ]âPlaine-d'Idi, laquelle se trouve dans V Enclos-des-Âses.
Tliôr seul, dont le domicile est dans l'air, à Thrudheim, en dehors de
\ Enclos-des-Ases, se rend au Tribunal en passant par \t Pont d'Ase, et
en traversant les Fleuves de flammes qui entourent ^s^arí/. Thor^ comme
Maître du Feu céleste ou de la Foudre, franchit facilement ces obstacles,
qui seraient insurmontables pour tout autre que lui. Car le Pont d'Ase
n'est pas , comme se l'imagine Snorri , un pont construit exprès pour
que les Dieux y passent commodément du ciel à la terre , et de la terre au
ciel ; ce prétendu pont est un passage diflicile et dangereux ; c'est le Feu
flambant lui-même , destiné à empêcher les Ennemis des Ases de pénétrer
dans le ciel. Parmi ces Ennemis, 5wom* cite, avec raison, les Thurses-
Givreux et les Géants des Montagnes, qui pénétreraient dans le ciel , si
le passage n'était pas aussi dangereux : mais , comme le fait remarquer
Snorri^ les beaux Endroits du ciel sont tous bien garantis.
NUMÉRO (23) (page 90) ; premier âge des ases. 213
(23) PREMIER AGE DES ASES ; LES DVERGS.
g 66. Jeunesse des Ases. — Les Divinités anthropomorphes , réunies
en famille, ayant été assimilées aux hommes, il se forma aussi des mythes
ou des histoires , plus ou moins épiques , de leur naissance , de leur jeu-
nesse , de leur âge mûr, de leur vieillesse, et de leur mort. Ces mythes
n'ont presque rien de symbolique se rapportant à la nature particulière
des divinités; ils sont presque entièrement épiques^ c'est-à-dire imités des
traditions épiques des hommes ; et c'est pourquoi ils appartiennent à la
dernière période de la Mythologie. La Théogonie ayant traité de l'origine
des Ases , l'ordre naturel suivi par Snorri dans l'exposé de l'histoire ou
de l'épopée de ces Dieux (voy. p. 48), amenait les mythes qui se rappor-
taient à l'âge primitif ou à la jeunesse des Ases. Ces mythes se trouvent
brièvement exposés au commencement du poëme eddique La Vision de
la Louve, qui est un tableau rapide de l'Ensemble de la Mythologie ou de
l'Épopée des dieux , et dont la composition ne saurait remonter au delà
du septième siècle. Les Strophes du poëme , qui exposent ces mythes , et
constituent les seuls documents qui existent à ce sujet , s'énoncent de la
manière suivante :
« Les Ases se rencontrèrent dans la Plaine d'Idi ;
« Ils bâtirent bien haut un Sanctuaire et une Cour ;
« Ils posèrent des fourneaux, façonnèrent des joyaux,
« Forgèrent des tenailles et fabriquèrent des ustensiles.
« Ils jouaient aux Tables; ils étaient joyeux ;
« Rien ne leur manquait , et tout était en or :
« Ensuite trois Ases de cette bande,
« Pleins de puissance et de bonté, descendirent vers la nier. »
Ces strophes énoncent implicitement i° que les Ases (sans doute après
avoir vaincu les Thurses, et façonné le Monde) délibérèrent sur ce qu'il
y aurait à faire pour s'établir dans Jsgard. Comme les peuples de la branche
gète avaient des Champs d'Assemblée où l'on se réunissait , au prin-
temps , pour délibérer , le mythe épique , formé à cette époque et calqué
sur la réalité historique , a aussi imaginé un Champ d'Assemblée ou une
Plaine, où les Ases sont dits s'assembler pour délibérer. Cette plaine était
placée naturellement au milieu de Y Enclos-des-Ases. C'est la Plaine
d'Idi, nommée ainsi d'après l'Iotne Idi (Actif), qui, probablement, avait
été changé en une constellation, et brillait, au printemps, au zénith du
ciel , en même temps que les Yeux de son père Thiassi (Féroce ; allem.
Thiersch) , lesquels avaient été, également , métamorphosés en une con-
stellation. Comme, dans l'Antiquité , les hommes n'avaient point d'autre
lien social que la religion, on commençait ordinairement par élever un
sanctuaire là où l'on voulait fonder des établissements. Voilà pourquoi la
strophe citée ci-dessus énonce , 2" que les Ases bâtirent bien haut un
Sanctuaire (Hörgr) et une Cour (Hof) , c'est-à-dire un sanctuaire e?itouré
d'une cour (voy. Les Gètes , p. 267). Ensuite, de même que les hommes,
en s'établissant quelque part, construisaient leurs demeures, et façon-
naient leurs meubles et leurs ustensiles , de même, 3° les Ases, en habiles
architectes, forgerons et artistes, façonnèrent en or, selon l'énoncé de
214 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPETUEL,
la Strophe , tout ce dont ils avaient besoin . C'est que l'idée de divinité impli-
quait celle de grande puissance ; et la puissance était représentée, dans
l'Antiquité comme de nos jours, par la richesse qui donne la puissance.
Aussi , dans les langues germaniques , le mot iHche (norr. rikr; ail. reich)
signifiait d'abord puissant et ensuite riche. Les Anciens estimaient donc
la richesse (et par suite , l'or qui la représente) comme la source de la puis-
sance , synonyme , elle-même , de bonheur divin ou céleste ; et, c'est pour-
quoi, en latin dîves (riche) signifie, proprement, doué du bonheur divin ou
céleste , et dans les langues slaves le mot bogati (riche , heureux) est un
dérivé du nom de bog (dieu). Il n'est donc pas étonnant que les peuples
anciens, qui voyaient dans l'or le symbole de la richesse, de la puissance
et du bonheur , aient imaginé que , dans le ciel ou chez les dieux , tout
était en or. Cette idée existait déjà chez les Scythes, les ancêtres des
Germains , des Scandinaves et des Slaves. Car un mythe rapporte (Hé-
rod. IV) que la charrue , le joug , la hache et la soucoupe, qui sont tombés,
en Scythie, du ciel à terre, étaient tous faits d'or. Ensuite , pour exprimer
40 que les Ases étaient d'autant plus heureux et joyeux qu'ils étaient
jeunes , la strophe ci-dessus rapportée dit qu'ils jouaient aux Tables
dans l'Enclos. C'est que le jeu est l'occupation caractéristique de l'en-
fance et de la jeunesse (cf. gr. pa/izein , faire l'enfant, jouer). La Mytho-
logie grecque indique, également, l'enfance de Dionusos par les huit
jouets dont s'amuse ce fils de Zeus , savoir : les Dés , la Sphère , les
Pommes des Hespérides, la Roue, la Toupie, le Cône, la Laine, et le Mi-
roir. Quand , après la Destruction et le Renouvellement du Monde , les
Ases redeviennent Jewwe5; la Mythologie Scandinave les dit encore reve-
nir au Jeu de Tables (voy. p. 137). Ce jeu de Table est ainsi nommé,
parce qu'il se jouait sur un tablier ou échiquier. C'était une espèce de
Jeu de dames, où l'on se servait de dés qui décidaient de la manière de
faire marcher les pions. Les Goths considéraient ce jeu comme un des
plus nobles ; et , pour cette raison , on le désignait souvent sous le nom
de Tables royales; il devait, par conséquent, à ce qu'on croyait, être
aussi le jeu de prédilection des Princes célestes ou des^ses. Ce jeu, d'o-
rigine orientale, a dû être connu dans le Nord bien avant le huitième
siècle : en Angleterre, il était nommé tâfel, et les pions étaient appelés
pierres de tablier (anglos. tdfel-stân)\ en Allemagne, on le nommait
Zabel; et, en France, les Tables étaient un jeu fort goûté, comme l'in-
dique le Roman de la Rose ; en Espagne , ce jeu était également connu
{\oy. jRomancero, p3ir Damas Hinard^ I, p. 412). Les Islandais o»t en-
core aujourd'hui un jeu de Tables particulier, qu'ils appellent Table de
St.-Olaf.
Enfin, la strophe de la Vision de la Louve énonce 5° que les Ases^
après s'être établis dans Asgard, créèrent Ask et Embla (voy. p. 195).
g 67. Le prétendu Age d'or des Ases. — Voici comment Snorri inter-
prète le document mythologique que nous venons de commenter: 1° Il
considère , avec raison , la Plaine d'idi comme le Champ d'Assemblée
(thing-völlr) des Ases, et comme se trouvant au milieu d' Asgard;
mais, d'après son système evhémériste , \ Asgard primitif est, pour lui.
un Empire dans l'Asie; et, par conséquent, il se figure la Plaine d'Idl,
NUMÉRO (23) (PAGE 90) ; l'âge d'or des ases. 215
placé , non au milieu du ciel {i midium liimni) , mais au milieu du Sé-
jour terrestre (i midium heirai). 2° Snorri considère Père- Universel ou
Odinn, le Chef des Ases, comme un puissant Empereur, et les autres
Ases comme les Satrapes, les Gouverneurs , ou du moins comme les Vas-
saux de ce Chef suzerain. Il pense donc aussi que ce Chef des Ases n'a
rien de plus pressant à faire que de partager son Empire entre ces Gou-
verneurs, que, d'après son idée de prédilection (voy. p 157), il se figure au
nombre de douze ^ à l'exemple des douze Apôtres, ou des douze Pairs de
France. Partant de l'idée, conforme, du reste , aux faits de l'histoire (voy.
Les Gètes, p. 108), que les Chefs politiques sont également des Juges
(norr. dômendr)^ et que, par conséquent, les Jses ont dû être , dans
l'origine , les Arbitres de la destinée des hommes , Snorri suppose que
les Ases se réunissent dans la Plaine d'idi , pour décréter, en conseil, la
destinée de chaque mortel. Il est vrai que, avant que le mythe des Nomes
se fût formé , les Peuples de la branche gète ont fait dépendre la destinée
humaine uniquement, ou du moins principalement, des décrets ou éta-
blissements primordiaux [norr. urlagi) des Ases Juges. Mais ici, du
moins dans le document mythologique que ^wom' voulait commenter,
ces décrets ne sont plus attribués aux Ases. Snorri savait ensuite que,
chez les peuples de la branche gète et de la branche sarmate^ les tem-
ples païens et même plus tard encore les églises chrétiennes servaient
quelquefois de Lieud'Assetnblée, et, c'est pourquoi il suppose 3° que les
Ases ont construit un Sanctuaire , afin de pouvoir y siéger pour y décréter
les destinées. Sachant , de plus , que dans les temples on voyait les idoles
des dieux assis ou couchés sur des sièges, et se rappelant que, dans la
Vision de la Louve, il est fait mention des sièges nébuleicx (norr. rök-
stôlar) des Grandeurs ou des Divinités, il se figure que, dans ce Sanc-
tuaire construit par les Ases , étaient placés les treize sièges où venaient
s'asseoir, avec leur chef, les Dieux, selon lui, au nombre de douze, de
la même manière que , de son temps , les douze jurés avec \mv Proposant
(norr. Forseti)^ s'assemblaient et délibéraient quelquefois dans les églises.
Enfin ^ prenant dans les vers cités ci-dessus le mot hof, non dans sa si-
gnification propre de cour, mais dans sa signification figurée de temple,
le vers : ils bâtirent bien haut un sanctuaire et une cour, signifie, selon
lui, non pas qu'ils construisirent un sanctuaire entouré d'une cour, mais
qu'ils élevèrent un sanctuaire et un temple ; et pour donner ensuite à ces
deux édifices sacrés une destination plausible, il considère l'un comme
le Sanctuaire des Ases , et l'autre comme le Temple des Asijnies. Voulant,
de plus , préciser quel est ce Sanctuaire construit par les Ases , Snorri
dit qu'il est situé dans le Séjour-Joyeux , et qu'il est tout en or. Il con-
fond ainsi cet Édifice céleste avec la Halle-des-Occis , qui, d'après les
documents {Dits de Grimnir^ str. 8), s'élève, brillante d'or, dans le Sé-
jour-Joyeux. L'autre temple , celui des Asynies , il le confond ou l'iden-
tifie avec Y Allée- Agréable., le lieu de résidence de la déesse Frigg
(voy. p. 164).
4« La tradition , par suite d'une erreur de mémoire , à la place des vers
cités ci-dessus : Ensuite trois Ases de cette bande , Pleins de puis-
sance et de bonté , descendirent vers la mer, a substitué, de bonne
216 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
heure , les deux vers suivants , qui se trouvèrent dans une strophe subsé-
quente : Ensuite arrivèrent trois vierges Thurses , Très - puissantes
des Mondes des lotîies. Ces vers , rerais à la place qui leur appartenait
primitivement, signifient que les trois Nomes vinrent dans V Enclos des
Jses pour y décréter, dorénavant, Y établissement primordial {liorT.
urlagi) , ou la destinée humaine. Ces Nomes sont de race iotnique ,
puisque la destinée , étant un décret primordial, ne peut être convena-
blement établie que par des Personnages appartenant, comme elles, à la
race primordiale des lotnes , qui , par leurs traditions et leur sagesse
plus anciennes que ne l'étaient celles des Ases , nés après eux, connais-
saient le mieux le passé , le présent et l'avenir , ainsi que les Mystères
(rùnor) et les destinées du Monde (cf. l'Iotne Mimir). Ces Nomes ^ bien
qu'elles fussent de race iotnique ^ ne furent pas pour cela des êtres /îo5-
i27e.f aux Ases ; elles s'établirent , dans le cze/, auprès des Dieux, non
pour y faire cesser , par leur arrivée, le bonheur et la puissance de ces
Dieux, mais pour y décréter la destinée des hommes , qu'on croyait, de
tout temps, être marquée et décrétée dans le ciel. Snorri., cependant,
supposait que ces Vierges-Thurses du poëme eddique, qu'il ne soupçon-
nait pas être identiques aux Nomes ^ devaient être, par suite de leur
extraction iotnique , des personnages ennemis des Ases. Trouvant dans
le manuscrit de hFision de la Louve., dont il se servait, les vers, où il
est question de l'arrivée des Nornes, transposés et venant à la suite des
vers où il est question du bonheur des Ases ; de plus , ayant entendu
parler de VJge d'or, et prenant le mot tmz (alors , ensuite) dans le sens
de Jusqu'à ce que, il se figurait que le bonheur ou l'âge d'or des Jses
avait duré Jusqu'à l'arrivée des trois vierges Thurses. Mais, toutd'abord,
cette idée de l'Jge d'or des Jses ne se trouve nullement énoncée dans
le texte primitif du document mythologique; et d'ailleurs, l'idée d'un Age
Ú' or perdu par les Ases, se trouverait en contradiction avec l'idée qu'on
se faisait des Dieux. 11 est vrai que , dans l'histoire de l'humanité, on
peut constater deux séries de faits opposés les uns aux autres, mais éga-
lement vrais. On constate , d'un côté , la marche progressive de l'huma-
nité dans l'ordre moral et intellectuel, et, de l'autre, la décadence pro-
gressive de l'humanité, sous le rapport physique. En toutes choses,
l'élément spirituel anéantit et doit anéantir, de plus en plus , l'élément
matériel. Aussi ceux, parmi les philosophes, qui, dans l'humanité, font
remarquer principalement les jjrogrès, et qui s'en réjouissent, méri-
tent, pour cela même , le nom de spiritualistes ; ceux, au contraire,
qui font remarquer surtout la décadence, et regrettent le passé, méritent
réellement le nom de matérialistes. L'Antiquité a déjà entrevu leprogrès ,
alors que , dans la Théogonie (voy. p. 4 66) , elle a placé l'origine des Dieux ,
ou des Représentants de l'ordre moral, après celle des Titans, les Repré-
sentants de la force physique. Mais l'Antiquité remarquait surtout la déca-
dence; et c'est pourquoi, distribuant la vie de l'humanité d'après l'enfance,
la jeunesse, l'âge mûr, et la vieillesse de l'individu, elle a conçu l'idée des
quatre âges, dont le premier, et le meilleur, était l'âge d'or. L'idée de
l'âge d'or, qui est parallèle à celle de la décadence matérielle progressive,
est une idée vraie par rapj)orl à l'homme; mais elle est un non-sens,
NUMÉRO (23) (page 90) ; les kvarkes et les dvergs. 217
appliquée à la divinité. En effet, nulle religion, quelle qu'elle soit, ne
saurait supposer que la divinité , soit comme force surhumaine, matérielle ,
soit comme force intellectuelle et morale , puisse perdre , ou ait perdu sa
puissance, son bonheur ou son âge d'or. Aussi la Mythologie norraine
n'a-t-elle jamais songé à dire qu'au commencement les Ases aient eu
leur Jge d'or^ qui fût bientôt gâté^ comme dit Snorri^ par l'arrivée des
Vierges Thurses; elle énonce seulement que, dès l'origine, les Ases
avaient tout en or, et qu'ils étaient riches, puissants et joyeux de jeunesse.
§ 68. Les Kvarkes des Scythes et desGètes. — On peut induire des docu-
ments mythologiques des peuples de race iafétique^ que, vers l'an 2500
avant notre ère, ces peuples ne concevaient pas encore la distinction, établie
plus tard, entre le cor'ps et \áme ; ils ne concevaient que des corps vivants
et des corps morts ; et comme les corps , par leurs propriétés physiques ,
exercent toujours une certaine action, ils voyaient dans tous les objets de la
nature, qui exerçaient ou semblaient exercer une telle action, des corps
vivants, ou, en quelque sorte, des animaux (gr. zôa). Parmi ces objets ,
ceux auxquels on attribuait une puissaffce surhumaine , étaient adorés
comme des Divinités, en tout identiques avec ces objets, par conséquent,
zoomorphes comme eux. Le songe fut une des causes principales qui porta
l'homme à concevoir quelque chose de vivant séparable du corps humain,
ou une dme animant ce corps ; car , dans le songe , l'homme se voyait
transporté çà et là, et agissant loin de son corps ^ qui restait en place,
endormi, et comme mort. Dès lors on croyait que l'âme était un être vi-
vant, un animal renfermé dans le corps humain. De là cette idée , qui
s'est maintenue encore dans les superstitions populaires de nos jours, que,
dans le sommeil ou dans la mort, l'âme sort du corps sous forme d'un
petit animal , araignée, souris, oiseau . lézard, serpent, etc. Plus tard ,
on se figurait l'âme comme un être anthropomorphe , ou comme l'image
en miniature de la personne du défunt. C'est ainsi, par exemple, que les
Hindous primitifs croyaient que l'âme était un petit être matériel, homme
ou femme, renfermé dans le corps humain , et ayant à peu près la grandeur
d'un pouce (voy. Les Gètes^ p. 258). Ces âmes étaient considérées comme
présidant an corps ; et c'est pourquoi les Hindous leur donnaient le nom
depourouchâs{i^r. pra-vasas ^^ré\)Osé'^zená f7'avachi ^ préposée; pers.
fer-ver). On croyait que , après la mort, ces âmes, séparées des corps,
devenaient les Génies-Protecteurs de la famille du défunt. De là , en gé-
néral , l'idée , répandue dans l'Antiquité , que les âmes des défunts deve-
naientdes Génies-Protecteurs , qu'on se figurait de la même manière que les
Ames, c'est-à-dire comme des iVams ou des êtres zoomorphes d'une taille
plus ou moins petite. Comme anciennement, dans l'état patriarchal, le
père était le protecteur par excellence , les Hindous donnaient aussi aux
Génies-Protecteurs le nom de Pitarâs (Pères). Dès lors , les Divinités ,
elles aussi , purent être considérées comme des Génies -Protecteurs pré-
sidant aux objets avec lesquels elles avaient été, jusqu'ici, confondues ;
elles furent dès lors distinguées de ces objets, et, d^e zoomorphes qu'elles
avaient été jusque-là , devinrent anthropomorphes , mais d'une taille de
beaucoup supérieure à celle des hommes et des Nains Génies-Protecteurs.
Chez les Scythes , les Ames ou Mânes des Pères , qui , vu leur taille de
248 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
nain, étaient appelés Kvarkes (voy. Les Gètes, p. 258), passaient poul-
ies Génies-Protecteurs, d'abord de la famille, et puis , par extension, de
la tribu. Ils devinrent ainsi les Protecteurs du Pays (norr. landvættir^
Génies du Pays) , et présidaient, en cette qualité, à tout ce qu'on consi-
dérait comme produisant le bien-être de la contrée , tels que les vents,
les pluies , les rosées, et les autres phénomènes météorologiques. Voilà
pourquoi , aussi chez les Kimraéries de la Tauride , deux Génies ou Ka-
bîres avaient un sanctuaire dans la Chersonèse , et présidaient aux vents
favorables à la navigation si dangereuse sur le Pont-Euxin. Les Scythes,
qui, dans la suite, prirent dans la Chersonèse la place des Kimméries
qu'ils venaient.de chasser, conservèrent ce sanctuaire et le culte de ces
Génies-Protecteurs. Seulement ils donnèrent à ces Génies le nom scythe
de Kvarkas {Lucien, Toxaris : Korakoi). Les Grecs assimilèrent ces deux
Kabires ou Kvarkes à Kastor et à Pollux , ou à Orestès et à Pyladès ,
parce que les uns et les autres présidaient également aux vents favorables
sur mer. Lorsque les Scythes et les Gètes devinrent sédentaires , et eurent ^
des établissements fixes , ils conçurent, outre les Génies de la Famille, de
la Tribu et du Pays , aussi des Génies de la Maison , ou présidant au foyer
ou à l'âtre domestique, qui, dans l'Antiquité, était le symbole de la famille
(cf. gr. thumelè, foyer; \2X.familia). Comme les langues gètes préfé-
raient les consonnes aspirées aux consonnes dures (voy. Les Gètes,
p. 136), et les consonnes aspirées dentales ^mx consonnes aspirées gut-
turales, le nom scythe de Kvarkas se changea en Thvarichas (cf.
Kvaleis et Thaïes^ norr. Vali). Ensuite, de même que les Divinités pas-
saient pour présider à certains objets et phénomènes de la Nature , de
même les TAfarecAa^furentaussi considérés comme les Génies-Protec-
teurs soit des phénomènes et objets terrestres, soit des phénomènes ou
objets 7nétéoro logique s. Les Thvarichas qui présidaient aux phéno-
mènes et objets météorologiques , eurent plus particulièrement le nom de
Alfas.
§ 69. Les Dvergs dans la Mythologie norraine. — Dans l'idiome gète et
norrain , le nom de Thvarichas prit la forme de dvairgs et dvergr. Dans
l'origine , chaque Génie ou du moins les différentes espèces de Génies eurent
leur spécialité indiquée par leur nom , c'est-à-dire qu'ils présidaient à
des objets ou phénomènes naturels particuliers , auxquels se rapportait
leur nom. Mais peu à peu la connaissance de cette spécialité se perdit
avec la signification du nom; de sorte que la plupart des Génies n'eurent
plus d'attribution spéciale^ et prirent tous indistinctement un caractère
gé7iéraL Comme beaucoup de phénomènes météorologiques tenaient à la
fois de la terre et du ciel , la distinction qui s'était établie entre les Gé-
nies terrestres ou les Dvergs^ et les Génies météorologiques ou Âl/es,
tout en se maintenant encore quelque peu , s'effaça de plus en plus. Aussi,
parmi les Dvergs voit-on figurer beaucoup de Génies nommés Ai/es (Ex.
Jl/r, Alf-rigr , Vind-âlfr, Gand-âlfr, etc.) . et l'on trouve comptés
parmi les Dvergs des Génies qui sont évidemment des Génies météoro-
logiques on des Alfes, tels que iYye etNidi (qui présidaient aux accrois-
sements et aux décours de la lune), et les Alfes ISordri, Sudri, Anstri^
Festri^ qui présidaient aux quatre points cardinaux du ciel.
NUMÉRO (23) (page 90) ; origine des dvergs. 219
Comme, parmi les Alfes , qui se sont confondus avec les Dvergs, il y
en avait qui présidaient aux constellations du ciel , il est naturel de croire
que , parmi les noms de Dvergs , il y en avait quelques-uns qui , originaire-
ment, désignaient des constellations. Selon la nature des objets auxquels
ils étaient censés présider primitivement, les Dvergs ou Génies terrestres,
revêtus de différentes formes anthropomorphes ou zoomorphes, habitaient
soit les eaux, soit les plaines , soit les cavernes , ou les montagnes. Comme,
dans l'origine, les âmes des hommes bons et des hommes méchants
passaient pour devenir, après la mort , des Génies bons ou mauvais , les
Dvergs et les Alfes étaient aussi bons ou méchants , soit par leur propre
nature, soit par suite de la nature des objets et phénomènes utiles ou
nuisibles auxquels ils présidaient. Ceux qui habitaient les cavernes et les
souterrains , passaient pour exceller dans la métallurgie , et pour être
d'habiles forgerons, artisans et artistes. En cette qualité, ils étaient
encore possesseurs et gardiens des trésors cachés dans la terre , et se
confondirent, dans la tradition populaire, avec des familles historiques
renommées comme mineurs, forgerons, artisans et artistes. Ensuite, les
Génies , Protecteurs de la contrée , se confondirent quelquefois avec
les divinités des peuplades qui avaient été expulsées du pays. C'est ainsi
que les Scandinaves , surtout à l'époque où des idées evhéméristes s'é-
taient développées dans le Nord , confondaient non-seulement les lotnes,
mais aussi les Dvergs , avec les Finnes , leurs voisins, qui avaient été
les habitants primitifs de la Presqu'île. Cette confusion s'opérait plus
facilement encore par rapport aux Dvergs , considérés comme artistes ,
puisque les Finnes passaient également pour d'habiles forgerons et ar-
tistes. Voilà pourquoi plusieurs Dvergs portaient le nom de Finnr ; et
Virvir était à la fois le nom d'un Dverg et le nom d'une ancienne tribu
finne (voy. Les Gètes , p. 57). Le dverg artiste Völund était fils du roi
des Finnes.
Comme les Dvergs s'étaient confondus avec les Alfes , on désignait
aussi le Pays des Finnes par le nom de Séjour des Alfes (norr. Alf-
heimr); eiFölund^ qui, selon la tradition, habitait le fond de la Vallée-
du-Loup , dans le Pays des Finnes, au Nord de la Suède, fut également
appelé Chef des Alfes (norr. Alfa-visi).
Les Dvergs étant devenus de plus en plus des Êtres mythologiques
anthropomorphes , la Mythologie Scandinave , au deuxième ou troisième
siècle de notre ère, songea à expliquer leur on^me^ comme elle avait
expliqué celle des Dieux , des lotnes et du Monde , dans la Théogonie , la
Titanogonie, et la Cosmogonie. A cette époque, on ne savait plus que,
primitivement , les Dvergs n'avaient été que les âmes des Pères, devenus
les Génies-Protecteurs des hommes, et présidant , soit aux phénomènes
météorologiques, soit aux phénomènes terrestres. La Mythologie donna,
par conséquent, sur l'origine des Dvergs, une explication épique, con-
forme aux traditions et aux idées de l'époque, et en harmonie avec les
mythes cosmogoniques et anthropogoniques. Si la Mythologie avait en-
core pu reconnaître dans les Alfes des constellations ou des Génies pré-
sidant aux astres , elle leur aurait assigné la même origine qu'aux astres,
en les faisant sortir , comme eux , du Séjour de MvspiU. Mais comme les
220 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Jlfes se confondaient de plus en plus avec les Dvergs , les uns et les autres
eurent une origine identique ; et comme , d'après la cosmogonie épique,
la terre et le ciel , à l'exception des astres , avaient été créés du corps
d'Ymir^ la Mythologie dut aussi imaginer que les Dvergs et les Alfes
étaient nés du sang (eaux terrestres), et des cuisses (soutiens , montagnes,
rochers , fondements terrestres) du géant Bleui (voy. p. 176). Cette con-
ception s'étant formée à une époque où les peuples de la branche gète
n'avaient plus aucun rapport avec l'Inde , il est curieux de voir comment
une conception analogue s'est formée , d'une manière indépendante ,
dans la Mythologie hindoue. En eifet , un ancien mythe hindou , qui date
de la période philosophique , énonce que les Dieux , après avoir fait naître ,
du corps de Brahnia (Substance primitive), les Brahmanâs , les Kchatryas,
les Vaiçyâs , et les Coudras , firent encore sortir, des cuisses de ce géant
le nain Nichâdas^ dont le nom, suivant les grammairiens hindous,
signifie Crépusculaire (Ayant un commencement, âdi^ de nuit, niça)^
parce que les Nains , provenant de Nichâdas , et portant le même nom
que leur père , avaient l'habitude d'agir principalement au crépuscule du
soir. Ce mythe hindou se retrouve sous une forme un peu modifiée dans
la légende postérieure que voici : Les Brahmanâs (cf. les Dieux) , en se-
couant le bras du roi Vênas , qui était mort sans postérité , en firent
sortir le grand roi Prithous (Large ; cf. sansc. Prithvî^ Terre) et sa sœur
Artchis (Flamme, Feu). 11 sortit encore, de la cuisse^ un nain Nichâ-
das , de qui sont issus les Nichâdas (Crépusculaires) , qui habitent les
cavernes et les montagnes. {Bhagavat-Pourana , éd. Burnouf, chap. XV.)
Comme , d'après la Cosmogonie Scandinave , les Ases ont été les for-
mateurs et les ordonnateurs de tout ce qui se trouve dans le ciel et sur
la terre, la Mythologie a aussi fait dépendre la naissance des Dvergs de
la volonté des Ases. Après avoir formé les premiers hommes, Jsk et
Embla^ les Ases délibérèrent pour savoir qui ferait sortir la race des Dvergs
du sang et des cuisses de Brimir. Ils décidèrent de faire naître d'abord
deux Dvergs , qui deviendraient les chefs , et par conséquent X^s'pères,
ou les créateurs des autres Dvergs. Ces chefs de Dvergs furent, le premier
Modsognir (Sentine de Boue), ainsi nommé parce qu'il était la personni-
fication des moraines boueuses qui sortaient des parties inférieures du
glacier gigantesque représenté par Ymir^ et le second Durinn (Sommeil-
lant) , ainsi nommé parce qu'il était le symbole des vents du printemps ,
qui semblent endormis , en comparaison des vents vifs de l'hiver. En-
suite, sur la proposition áeDuri7in, ces deux personnages symboliques et
zoomorphes formèrent , d'après l'image des hommes, une race de Dvergs
à la/orme humaine. Comme il y a eu deux chefs ou créateurs, et comme,
traditionnellement, on distinguait encore confusément les Dvergs des J If es,
la Mythologie a aussi imaginé deux races distinctes de Dvergs. La première,
provenant de Modsognir et de Durinn , est représentée habitant dans la
terre, et dans les cavernes ou rochers , aimant l'obscurité, et fuyant la
lumière. Mais, de même que la première race des Thurses-Givreux fut
suivie d'une seconde , moins sauvage , celle des Géants des Montagnes,
de même aussi la première race des Dvergs fut suivie d'une seconde ,
d'une nature plus relevée ou moins grossière que la première. Cette se-
NUMÉRO (23) (page 90) ; races de dvergs. 221
conderaceeutpourchefsoupourpères, deuxDvergs,Lo/a/-r (p. Lo/-/<am
Auguste-Aérien), symbole du vent de l'atmosphère supérieure, etDvalinn
(Somnolent), symbole du vent doux somnolent, ou assoupi , en comparaison
des aquilons tempétueux. La bande de Lofarr n'était pas , comme celle
deModsognir, composée de Génies, qui se cachaient dans la terre et dans
l'obscurité , mais elle se composait de Génies aériens présidant aux dif-
férents phénomènes météorologiques. Aussi le mythe dit-il que la bande
de Lofarr, quittant les rochers et les cavernes de la Demeure , c'est-à-
dire de la Terre ^ habitée par ses pères , chercha de nouvelles habitations
dans les Prés d'Humidité (norr. Jur-vangar) , c'est-à-dire dans les ré-
gions des nuages ; et là elle s'établit dans les Plaines de Tempête (norr.
lôru-vellir) , c'est-à-dire dans l'atmosphère. Tels sont les mythes qui se
sont formés , sur l'origine et les races des Dvergs , entre le second et le
cinquième siècle de notre ère. Ces mythes ont été résumés dans les strophes
de la Fision de la Louve citées par Snorri.
L'idée de Génie, ainsi que celle de Démon (voy. p. 209), implique le
genre masculin et exclut le genre féminin. Aussi la Mythologie n'a-t-elle
conçu, originairement, que des Dvergs mâles; elles ne connaît pas des
Dvergynies (Amies des Dvergs) , ni des Alfynies (Amies des Alfes). Ce
n'est que beaucoup plus tard que la tradition populaire imagina des
femmes-dvergues et des femmes-alfes. Mais de même que la Mythologie,
sans admettre de femmes-Iotnes , conçut néanmoins des générations ou
des races d'Iotnes, de même, sans admettre des femmes-dvergues, elle
conçut cependant deux races de Dvergs , et la Vision de la Louve énu-
méra même les Dvergs appartenant à l'une à ou l'autre race. La suite ou la
série des Dvergs qui figurent dans ce poëme, n'exprime pas des généalo-
gies symboliques; elle est faite avec des noms de Dvergs sériés et ar-
rangés au hasard. Pour établir une généalogie symbolique, il aurait fallu
tout d'abord connaître exactement la signification primitive de ces noms,
et les ranger de manière à exprimer, par leur suite, la succession ou le
rapport causal qu'on aurait supposé exister entre les phénomènes phy-
siques ou météorologiques auxquels les Dvergs , d'après la signification
de leur nom , étaient censés présider. Mais ce qui s'oppose à admettre
que la suite des noms de Dvergs exprime ici des rapports de généalogie ,
c'est que la signification de ces noms n'était plus connue à cette époque,
et, par conséquent, l'allitération, l'assonnance , et la rime ont fait mettre ,
l'un à la suite de l'autre , des noms qui , par leur signification, désignaient
des phénomènes physiques, entre lesquels il n'y avait aucun rapport
causal ni possible ni connu , et elles ont séparé d'autres noms désignant
des phénomènes entre lesquels on aurait pu trouver des rapports de cau-
salité, et, par conséquent, des rapports de généalogie, entre les Dvergs
qui étaient censés présider à ces phénomènes. Puisque donc cette série
de noms n'exprime pas des généalogies symboliques ^ mais n'est qu'une
énumération épique de noms désignant, d'une manière générale, des
individus mythologiques comptés parmi les Dvergs , on agirait contraire-
ment à l'intention poétique de l'auteur de la Vision de la Louve ^ si l'on
s'attachait à expliquer exactement la signification de ces noms; car
cette explication ferait voir que ces noms ont été placés, l'un à côté de
222 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
l'autre, au hasard, sans méthode, et pour des raisons purement ex-
térieures.
g 70. Origine et races des Dvergs , d'après Snorri. — Snorrî puisait
sa connaissance des mythes non-seulement dans les poésies mythologi-
ques , mais aussi dans la tradition populaire. La tradition populaire , or-
dinairement, tend à développer, au point de vue du récit épique, les
mythes qui , dans l'origine , ont généralement une forme très-peu expli-
cite (voy. p. 181). Aussi longtemps qu'une Mythologie subsiste comme
religion , ces développements, qu'on rencontre dans la tradition populaire,
font partie de cette Mythologie. Snorri a donc pu considérer comme
mythologiques toutes les données fournies par la tradition populaire ap-
partenant au temps du Paganisme. D'après cette tradition , il se figurait
que Modsognir et Durinn^ ainsi que tous les autres Dvergs, existaient,
dès l'origine, tout vivants, dans le corps d' Fwer ; mais ils y existaient
soit sous forme de vers^ qui, selon la croyance erronée du peuple , nais-
saient toujours , par une génération spontanée , dans la chair en pourri-
ture, soit sous forme de larves^ d'où sortaient les scarabées et autres co-
léoptères, que le peuple considérait, également, comme nés de la boue, et
comme de petites âînes féées qui avaient pris la forme de ces insectes.
Modsognir et Durinn furent donc les premières larves que les A ses aient
fait sortir du corps d' Ymir^ et auxquelles ils aient donné la forme hu-
maine. Ensuite ces deux Dvergs métamorphosèrent en êtres anthropo-
morphes les autres larves enfouies dans le corps du géant. Cette concep-
tion de l'origine des Dvergs est un développement du mythe primitif, et,
à ce titre, à la fois authentique et légitime. Mais il n'en est pas de même
quand Snorri , au lieu d'admettre seulement deux races de Dvergs , en
admet trois; car cette conception repose sur une fausse interprétation ,
amenée, elle-même, par une fausse leçon. En effet, au lieu des vers de
la Vision de la Louve :
« Eux , ils formèrent, de terre, la foule des Dvergs ,
« A la figure humaine, comme Durinn le proposa. »
Snorri lisait dans son manuscrit, ou se rappelait dans sa mémoire en
défaut , les vers suivants :
« Alors mainte forme humaine fut achevée ,
« Les Dvergs, dans la terre, comme Durinn le proposa. »
Croyant, dès lors, que l'expression daiis la terre indiquait une cer-
taine classe de Dvergs , habitant dans la terre , et sachant qu'il y en
avait une autre, habitant les rochers , il a cru devoir statuer , à côté de la
race des Dvergs domiciliés dans la terre, une seconde race habitant exclu-
sivement les rochers. Ensuite, dans les vers de la Vision de la Louve :
« Il est temps d'énumérer, au genre humain,
« Les Dvergs de la bande de Dvalin , jusqu'à Lofar. »
Snorri^ au lieu de: Les Dvergs de la bande de Dvalin (norr. îDva-
lins lidi) , lisait : Les Dvergs dans la tombe de Svarin (norr. Í Sva-
rins leidi) , et il crut qu'il s'agissait ici d'une troisième vííce , habitant la
Tombe de Svarin^ qui était un roi de mer et dont le tertre , élevé sur un
promontoire, était connu, en Scandinavie, sous le nom de Butte de
NUMÉRO (24) (page 9i) ; le frêne d'yggdrasill. 223
Svarin (norr. Svarins haugr). Or, Tombeau de Svarin étant un nom
de lieu , SnoinH crut devoir prendre également le nom du Dverg Lofar
pour un nom de lieu , et admettre ainsi trois races de Dvergs, dont la troi-
sième, comme il se l'est imaginé , est allée s'établir à Lofar.
(24) le frêne d'yggdrasill; la fontaine de mimir.
% 71. Le Frêne d'Yggdrasill, Arbre d'Établissement et de Jugement.
— Chez les tribus scythes, comme en général chez les peuples iafétiques,
le dieu Soleil^ en sa qualité de Père et de Protecteur de la famille et de
la nation, était aussi le Protecteur du 'pays, du sol, et du domicile
(voy. Les Gètes, page Í84). Aussi le pays, les chemins, le sol, et le
domicile étaient- ils consacrés au dieu Soleil; et pour indiquer qu'ils
étaient sous la protection de ce dieu , les peuples encore nomades y éri-
gèrent les symboles du soleil , savoir une grande perche, ou deux troncs
d'arbre , ou deux mâts orientés. Plus tard , devenus sédentaires et agricul-
teurs, ces peuples plantaient, dans leur canton , un ou deux arbres consa-
crés sîu Soleil, comme symboles de V établissement et áel3i communauté.
C'est ainsi que , dans l'Inde , comme chez les peuples de la branche gète, il y
avait , auprès des villages ou au milieu des cités , un ou deux arbres qui
étaient consacrés au Soleil, et, comme tels, les symboles de reïa6//55e??iewi
et de la communauté. Comme la communauté se manifestait principale-
ment dans l'exercice de la justice et dans la délibération sur les intérêts
de la cité , c'est auprès de ces arbres consacrés au soleil , qu'on tenait
les assemblées publiques , et que siégèrent les juges pour prononcer leurs
jugements. De cette manière , ces arbres étaient les symboles , non-seu-
lement de l'établissement et de la communauté , mais aussi de l'assem-
blée publique, et de l2i justice. Enfin , comme les juges s'inspiraient de la
sagesse et de la science du dieu Soleil , qui présidait à la justice , ces
arbres , symboles de la délibération politique et judiciaire , devinrent
encore les symboles de la sagesse et de la science. Voilà pourquoi les
Hindous donnaient aux arbres plantés près des cités et consacrés au Soleil,
soit le nomáeJrbre de Sagesse (sansc. bouddhi-taru)^ soit celui de Arbre
de Science (sansc. bouddhi-drouma). La Mythologie attribue ordinaire-
ment aux divinités anthropomorphes , des usages analogues à ceux des
hommes. Aussi , lorsque, chez les peuples de la branche gète et vers le
troisième siècle de notre ère , les mythes se formèrent sur l'établissement
des Ases dans Asgard (voy. p. 213), la Mythologie imagina que la bande
ou la famille des Dieux avait , au ciel , comme les hommes , sur la terre ,
son Lieu d'assemblée et de jugement auprès d'un arbre sacré. Comme ,
chez les hommes , cet arbre sacré se trouvait planté ordinairement au
milieu de la cité , on se figurait aussi que l'arbre sacré des Ases était placé
au milieu de la Plaine d'idi (voy. g 66). Les hommes choisissaient , pour
les arbres sacrés , les meilleures et les plus belles essences ; dans l'Inde
c'était le figuier sacré [d. pippala ou açvattha p. açva-vatha, figuier
du Cheval ou du Soleil) , chez les Germains, c'étaient le chêne et le til-
leul , et chez les Scandinaves , le frêne. Aussi se figurait-on que l'arbre
sacré des Ases était un frêne. Les arbres, symboles de l'établissement,
de l'assemblée, du jugement, et de la sagesse, étant consacrés au soleil ,
224 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
le Frêne céleste des Ases était également consacré au Soleil , et fut nommé,
comme les arbres sacrés chez les Scandinaves , le Frêne du Soleil. Or ,
dans l'origine, le Soleil était adoré , chez tous les peuples iafétiques,
comme une divinité zoomorphe (voy. Les Gètes , p. 178), et les tribus
Scythes considéraient primitivement le Soleil comme un Étalon fougueux,
parcourant rapidement les espaces célestes , et répandant ses rayons de
lumière et de chaleur par ses yeux, ses nasaux, sa crinière luisante, et sa
queue flamboyante (voy. p. 205). L'Étalon-Soleil eut donc plusieurs noms
épithétiques, tels que celui de Coursier {^^c^ihe Traçilus; cf. gr. Irochilos;
norr. drasill) ei A' Ombrageux (germ. wigg ; anglos. vicg; norr. yggr).
Ces noms se transmettaient encore traditionnellement , pour désigner le
soleil , lorsque déjà le Soleil était devenu anthropomorphe , et était même
conçue comme une divinité /mmzwe (voy. § 55). A l'époque où le Frêne-
du-Soleil des Ases fut imaginé, le soleil était encore désigné, entre autres
dénominations, par le nom archaïque de Coursier- Ombrageux (gète
Vigg-Thraçils; norr. Ygg-Drasill)^ et c'est pourquoi cet Arbre céleste
du Soleil fut appelé , dans la Mythologie Scandinave , le Frêne du Cour-
sier-Ombrageux (norr. Jskr Ygg-Drasils). Les peuples de la branche
gète plantaient ordinairement l'Arbre du soleil auprès d'une source , qui,
dès lors , devint une source sacrée, consacrée au Soleil, et surtout consi-
dérée comme Source de sagesse et de jugement. D'après cet usage,
la Mythologie imagina qu'au pied du Frêne d'Yggdrasill se trouvait la
Fontaine sacrée des Nomes, ou la Fontaine á'Urdur^ qui était la Source
de la sagesse et du jugement célestes. Les Ases se rendaient , tous les
jours , auprès du Frêne d'Yggdrasill et de la Fontaine d'Urdur , pour dé-
libérer et prononcer leurs jugements. Il était d'usage, dans le Nord, d'aller
à cheval à l'assemblée générale (norr. Jlthing), ou au lieu du jugement.
C'est pourquoi là Mythologie norraine, à peu près vers le sixième siècle de
notre ère , se figurait que les Jses^ eux aussi, se rendaient, à cheval^
auprès de l'Arbre de Jugement. Ce mythe est rapporté dans les Dits de
Grimnir^ strophe 30 :
« Gladr et Gyllir , Gler et Skeidbrimir ,
« Silfrintoppr et Sinir ,
« Gisl et Falhofriir, Gulltoppr et Lettfeti,
« Ces chevaux , les Ases les montent
«Chaque jour, quand ils se rendent, pour juger ,
« Auprès du Frêne d'Yggdrasill.
et, bien que ce mythe-là n'ait aucun rapport direct avec le mythe du Frêne
d'Yggdrasill , Snorri a cru devoir en parler à propos de cet Arbre céleste.
Comme i'worr/ , d'après son nombre de prédilection (voy. p. 157), admet
treize Ases, et qu'il n'y a, ici, que dix chevaux de mentionnés, il croit
nécessaire, pour arriver à son nombre consacré, d'ajouter à cette liste,
d'abord le cheval á'Odinn nommé Sleipnir {\oy. p. 1 1 3), de faire remarquer
ensuite que le cheval de Baldur fut brûlé avec cet Ase, et de rappeler que
Thôr, d'après la strophe citée des Dits de Grimnir^ n'a pas de cheval,
et qu'il se rend , à pied ^ au Tribunal, en traversant , pour entrer dans
V Enclos des Âses., les fleuves de feu Körmt et Ôrmt., et les Bains-de-
NUMÉRO (24) (page 91) ; le frêne d'yggdrasil. 225
Bassin (voy. p. 212). En effet , Thor, comme Dieu du Tonnerre et de la
Foudre, avait son domicile, non dans le ciel, mais à Thrudheim (voy.
p. 212), qui est placé à l'Orient, sur le sommet de hautes montagnes,
entre le ciel et la terre , ou , comme s'exprime le document [Dits de Grim-
nir, 4) , dans le voisinage du Séjour-des-Ases (Ciel) et du Séjoui^-des-
Alfes (l'air supérieur). Cette région , bien qu'elle se trouvât en dehors
de \ Enclos-des-Ases , passait cependant encore pour une région sacrée
(v. p. 254). Thôr, comme Dieu du Tonnerre , roule sur les nuages , monté
sur son char. Toutes les fois qu'il n'est pas dans son char, c'est-à-dire
qu'il n'est pas en fonction comme Dieu du Tonnerre , il va à 'pied] ja-
mais il ne va à cheval , comme les autres Ases. La raison épique en est
que Thôr^ le plus fort des Ases , serait une charge trop lourde pour un
cheval, même un cheval céleste. C'est ainsi que Rôlf eut le surnom de
Gdngu-Rôlf (Rôlf le Marcheur) , parce qu'il marchait à pied , étant trop
lourd pour pouvoir être porté par un cheval (voy. p. 254).
§ 72. Le Frêne d'Yggdrasill, Arbre de Vie. ■ — Les peuples scythes,
comme en général les nations iafétiques , considéraient le Soleil , non-
seulement comme le Père des hommes , mais aussi comme l'auteur de la
vie universelle dans la Nature. Aussi la Mythologie hindoue , dans sa
période postérieure philosophique , a-t-elle représenté la Nature entière
parle Cheval Céleste (norr. Himin-îor) ou le Cheval de Sacrifice, qui est le
symbole du Soleil. C'estainsiquele Yadjour-Fêda {section Frihad-ara-
nîaka, chSip. Brâh?nanam) considère les différentes parties de la Nature
comme des parties du corps du Cheval sacré gigantesque : « L'aurore ,
« c*est la tête du Cheval de sacrifice ; le soleil , l'œil ; l'air , la respiration ;
« le feu , la bouche béante; l'année , la vie du Cheval de sacrifice ; le ciel,
« le dos; la voûte céleste , le ventre ; la terre, les supports ; les séjours
« célestes, les côtes ; les six semaines de l'année, les membres ; les mois
« et les semestres, les vertèbres; les jours et les nuits, les positions ; les
« astres, les jambes; l'atmosphère, les chairs; le sable, l'excrément; les
« fleuves , les veines et artères; les montagnes , le foie et les vessies ; les
«plantes et les rois des forêts, les crins et la crinière; la partie mon-
« tante , l'avant-train du cheval ; la partie descendante , l'arrière-train ;
« où la bouche s'ouvre, là il fait de l'éclair; où elle se ferme , il tonne ;
« où il urine , là il pleut ; sa voix est le hennissement.
« Devant le Cheval s'élève le jour comme une magnificence brillante ;
« son lieu de naissance est dans la Mer orientale ; derrière lui naît la Niût ,
« d'une magnificence brillante ; son lieu de naissance est dans la Mer oc-
« cidentale , etc. »
Dans les autres Mythologies , la Fie universelle était représentée plus
convenablement par un Arbre symbolique. Tel était V Arbre de Fie qui,
d'après la Genèse , se trouvait avec V Arbre de la Science , dans le Pa-
radis. Tel était Y Arbre des Ages (sansc. Kalpa-droumas , Kalpa-vri-
kchas) de la Mythologie hindoue ; tel l'arbre Haoma , qui , d'après les
livres zends , s'élevait au-dessus de la Fontaine ^Arduisur ; tel encore
l'Arbre qui , dans le Jardin des llespérides , portait les Pommes d'or de
l'Immortalité. A l'époque où les Scandinaves conçurent les mythes sur
15
226 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
l'origine et la destruction du Monde , ils représentèrent également la Vie
universelle sous le symbole d'un arbre merveilleux. Tel était l'^/rôre de
Mimi (norr. Mima-meithr) , dont le fruit avait des vertus obstétricales ;
tel était encore le Pommier qui produisit les Pommes d'or de l'Immorta-
lité, gardées par la déesse Idunn. Tel était , aussi , le Frêne d'Yggdra-
sill, qui, considéré jusque-là uniquement comme Arbre d'Assemblée et
de Jugement, fut dès lors considéré encore comme le symbole de la Vie
universelle. Comme la Vie universelle pénètre le Monde entier, et qu'elle
est combattue par la Mort universelle , le mythe dit que le Frêne d'Ygg-
drasil , comme Arbre de Vie , embrasse le Monde entier, que ses branches
s'étendent au-dessus du ciel, et que ses racines plongent profondément
dans l'Enfer. Voici comment s'énoncent les Dits de Grimnir , str. 31 :
« Trois racines se dirigent en trois directions
« Sous le Frêne d'Yggdrasill :
« Hel habite en deçà de l'une; les Thurses-Givreux , en deçà de l'autre;
«Les Hommes, du genre humain, en deçà de la troisième. »
Cela signifie que les racines , au nombre symbolique de trois, plongent
dans les trois Mondes ou Séjours inférieurs, savoir le Séjour des lotnes,
à l'orient de la terre, le Séjour de Hel , en bas, au nord de la terre , et
le Séjour Mitoyen, au milieu de la surface terrestre. De même, les branches
du Frêne plongent dans les trois Séjours supérieurs ou célestes, savoir le
Séjour des Alfes, le Séjour des Jses, et \& Séjour des Vanes. L'image
ÙM Frêne d'Yggdrasil, considéré comme Arbre de Vie, diifère donc
essentiellement de l'image de ce Frêne , considéré comme Arbre de Ju-
gement. U Arbre de Jugement est placé tout entier dans le ciel; ses
racines se trouvent dans la voûte céleste. V Arbre de Vie, au contraire,
est beaucoup plus gigantesque ; ses branches s'étendent au-dessus du
ciel, et ses racines s'enfoncent au-dessous de la terre. Comme la Mytho-
logie a donné le même nom , celui de Fr^/ïe d'Yggdrasil, et à l'Arbre de
.Jugement et à l'Arbre de Vie , il importe de bien distinguer l'un de l'autre,
afin de comprendre la signification des mythes , qui se rapportent soit à
l'un, soit à l'autre de ces deux arbres symboliques.
Le mythe de l'Arbre de Jugement ayant une origine épique, les détails ,
qui en sont rapportés, présentent ensemble un tableau que l'imagination
peut facilement concevoir et se représenter. Le mythe de l'Arbre de Vie,
au contraire, ayant une origine symbolique , les détails en sont plus in-
cohérents et quelque peu bizarres; mais du moins il n'y a pas de contra-
dictions ou d'incohérences telles, que l'imagination ne puisse en concevoir
raisonnablement l'image. Les deux mythes, qui étaient , originairement,
distincts l'un de l'autre , comme ils le sont restés dans la Genèse, se sont
confondus ensemble dans la tradition mythologique des anciens Scan-
dinaves. Mais cette fusion des deux mythes , loin de fiiire disparaître la
contradiction qu'il y avait entre les détails épiques de l'un et les détails
symboliques de l'autre, l'a fait d'autant plus ressortir, de sorte que l'image
du Frêne , planté dans le Champ Céleste ou dans la Plaine d'Idi, et qui
a naturellement son pied , ses racines , son tronc et ses branches dans le
ciely ne saurait cadrer avec l'image du Frêne embrassant le Monde entier,
NUMÉRO (24.) (page 91); le frêne d'yggdrasil. 227
c'est-à-dire plongeant ses brandies dans les régions supérieures ou célestes,
et ses racines dans les régions inférieures ou terrestres. Ces incohérences
contradictoires existent réellement, si , prenant les deux mythes comme
formant un seul et même tableau , on rapporte à l'un les détails de l'autre;
mais elles s'expliquent, du moment qu'on sépare les deux mythes qui ont
été confondus ensemble , et qu'on rapporte à chacun les détails qui lui ap-
partenaient dans l'origine. Snorri ne sait pas faire cette distinction entre
les deux mythes. Aussi son exposé renferme-t-il des contradictions nom-
breuses, qu'il augmente encore par son interprétation des documents,
et par ses idées evhéméristes concernant certains mythes.
§ 73. Le Frêne d'Yggdrasil , d'après Snorri. — ^^«orr/ a ignoré la signifi-
cation symbolique du Frêne d'Yggdrasil tant comme Arbre de Jugement
que comme Arbre de F/e; et, ce qui est bien plus fâcheux, il a confondu les
mythes se rapportant à l'un ou à l'autre des deux symboles. Aussi son exposé
renferme-t-il des contradictions nombreuses, et l'image qu'il retrace du
Frêne, est discordante et inconcevable. D'abord les questions qu'il fait
adresser diSublime^2iV Piétonneur , se rapportent au Frêne d' YggdrasiL
considéré comme Arbre d'Assemblée ou de Jugement; mais la réponse
d'Éqid-Sublùne se rapporte au Frêne , considéré comme Arbre de Vie.
En effet, c'est, comme Arbre de Vie, que ce Frêne est dit, de tous les arbres ,
\Qplus grand et le meilleur, et qu'il étend ses branches et ses racines dans
le Séjour enizer. Ensuite d'après une combinaison bizarre de certaines don-
nées mythologiques qu'il a faussement interprétées , Snorri se figure que ,
sous les trois racines du Frêne, se trouvent trois Fontaines sacrées.
C'est que, se rappelant que la Fontaine d'Urdur est placée au pied de
l'Arbre de Jugement des Ases, au ciel , et confondant ensuite cet Arbre
de Jugement avec l'Arbre de Vie, qui a trois racines , il s'imagine et il dit
que 1° l'une de ces trois racines se trouve chez les Ases; ce qui ne signifie
pas (comme cela pourrait sembler) qu'elle se voit chez les Ases, qui
(d'après l'evhémérisme de Snorri) habitent l'Asgard asiatique sur la terre,
mais cela veut dire positivement qu'elle se trouve au ciel, comme Snorri
l'explique lui-même , en disant plus loin (p. 91), à propos de cette même
racine, qu'elle se trouve « au ciel)). Snorri dit ensuite 2" que la seconde
racine du Frêne est chez les Thurses-Givreux . Cela est conforme , il
est vrai, à l'énoncé des vers ci-dessus rapportés; mais, si ^«orrz ajoute
que la racine s'étend à l'endroit où était antérieurement le Bâillement-
des-Mâchoires ^ il ne parle plus d'après les documents, mais d'après
l'idée fausse qu'il s'était faite du Gimiunga-Gap (voy. p. MO). Car il prend
le Bdillement-des-Mâchoires pour V Océan primitif qui, lors de la
création de la Terre , est devenu , selon lui , la Mer Extérieure (norr.
utsia), baignant les rivages des Séjours-des-Iotnes ou du Pays des
Thurses- G ivreux .
Snorri n'est pas , non plus , dans le vrai lorsqu'il dit 3° que la troisième
racine se trouve au-dessus du Séjour-Brumeux. Il fallait dire au-dessus
du Séjour-de-Hel, ou encore , plus exactement , au-dessus de Hel- Bru-
meux (voy. p. 165) , à l'endroit où se trouve le Dragon Nid-högg , qui,
rongeant une des racines du Frêne dtYggdrasil ^ contribue au dépéris-
sement de cet Arbre de Vie. Le détail de Nidhogg , bien qu'il ait été ajouté
22ö COMMENTAIRE CRITIQUE PERPETUEL.
postérieurement, fait cependant partie intégrante de la conception du mythe
concernant l'y^r6rec?e Vie. En effet, ce mythe veut non-seulement énoncer
que la Vie pénètre toute la Nature , mais aussi que cette vie est attaquée
continuellement par des forces pernicieuses ennemies. C'était même, ici,
le lieu de parler des différents Ennemis de l'Arbre de la Nature , ce que
Snorri fait seulement plus bas (voy. p. 234). Au lieu de cela , il donne, ici,
des détails dont les uns , il est vrai, sont conformes aux documents, mais
n'ont aucun rapport mythologique avec le Frêne d'Yggdrasily et dont
les autres ne sont mentionnés dans aucun document, et ne reposent que
sur les fausses hypothèses ou combinaisons de notre auteur. C'est ainsi
que Snorri aflBrme que le Bassin-Bruyant est sous la troisième racine
du Frêne. D'abord cela n'est pas exact ; car le Bassin-Bruyant sq trouve
au centre du Séjour-Brumeux ; ensuite ce Bassin n'a aucun rapport avec
le mythe d' Yggdrasil. Snorri a placé le Bassin-Bruyant sous une des
racines de l'Arbre, afin qu'il y eût correspondance et corrélation de ce
bassin, d'un côté avec la Fontaine de Mimir , qu'il se figure placée sous
la seconde racine, et, de l'autre, avec Isl Fontaine d' Ur dur ^ qu'il suppose
placée sous \2l troisième racine. Mais, d'abord, cette topographie my-
thologique n'est pas conforme aux anciens documents ; et puis la Mytho-
logie ne connaît pas cette corrélation des trois Fontaines , que Snorri a
imaginée par suite d'une combinaison trop systématique. Cette erreur est
cause que Snorri croit devoir exposer ici le mythe de la Fontaine de
Mimir ^ qui , cependant n'a aucun rapport avec le mythe du Frêne d' Ygg-
drasil. Enfin Snorri admet (et cela également à tort) que le Dragon
Nidhögg séjourne dans le Bassin-Bruyant. Évidemment il confond ce
dragon , ainsi que les serpents innombrables qui se trouvent sous le Frêne
(voy. p. 235) , avec les serpents du Bassin-Bruyant , dont le venin , mêlé
aux eaux de Heidthyrnir, a formé les Vagues- Tempétueuses (v. p. iTI).
g 74. La Fontaine de Mîmir. — Les sources qui jaillissaient auprès des
Arbres d'Assemblée et de Jugement (voy. p. 224) étant devenues, ainsi que
ces arbres eux-mêmes, des objets sacrés et merveilleux, la Mythologie
put les transformer en Fontaines de Sagesse; et le raisonnement trouva
des raisons d'analogie pour justifier ce caractère symbolique. Ainsi l'eau,
cet élément clair, pur, transparent et pénétrant, fut considérée comme
le symbole de la clarté de l'intelligence ; et, par conséquent, la source, la
fontaine, ou le puits , qui renfermaient cet élément, symbole de l'intelli-
gence, passaient pour la source de la Sagesse et de la Pénétration. En-
suite, comme on croyait que les boissons , surtout les spiritueux, pris
dans certaines circonstances , augmentaient la puissance des facultés
intellectuelles et morales, on considérait aussi la boisson fournie par ces
Sources de Sagesse, comme des moyens propres à donner à l'esprit de la
clairvoyance et de la science. Voilà pourquoi , dans les traditions mytho-
logiques et épiques de l'Antiquité , de l'Orient et du Moyen âge , la Poésie ,
la Sagesse , la Vérité , ainsi que l€s Représentants mythologiques de la
Poésie , de la Sagesse et de la Prescience , telles que les Muses, les Fées,
lesOndines, les Néréides (allem. mer-wîp), les Femmes-Cygnes , les
Femmes-Serpents [Echi-dna; Mélusine)^ etc. , sont toujours mises en
rapport avec des sources (cf. gr. hippokrène), des puits (cf. Puits de la
NUMÉRO (24) (page 91) ; la fontaine de mimir. 229
Vérité), des lacs, et des Coupes de divination (voy. Sur l'Origine et la
Signification des Romans du St.-Graal). Ce symbolisme une fois compris,
on conçoit que la Mythologie norraine a dû imaginer la Fontaine de
Mîmir, pour expliquer symboliquement la Sagesse des lotnes. En effet ,
d'après la Cosmogonie mythologique, les lotnes étant nés avant les
^ses , la sagesse traditionnelle de ceux-là , qui étaient les anciens, pou-
vait rivaliser et se mesurer avec la sagesse de ceux-ci , qui étaient plus
jeunes. Aussi les Thur s es- Givreux ou les lotnes portaient-ils l'épithète
é^iqwQáQ Infiniment- s âge s {xiOVY. hund-vîsir, sagaces comme des chiens;
dérivé peut-être de hundrad-vîsir, sagaces au centuple). Pour expliquer
encore d'une autre manière cette sagesse que possédaient les lotnes , la
Mythologie dit qu'ils ont, chez eux , dans le Séjour des lotnes , un Puits
de Science, de Prescience et de Sagesse. Le Gardien ou le Possesseur
de cette Fontaine , c'est l'Iotne Mîmir (p. Mîgmir , Ruisselant; cf. goth.
milhma, nuage), qui, comme son nom l'indique, est la personnification
de la Source même (cf. Vrindus, Jaillissant). Il est, par conséquent,
aussi la personnification ou le Symbole de la Sagesse (comme le Vane
Qvasir)^ et, à ce titre, il est le type, d'abord du Conseiller, et puis , dans
la poésie épique postérieure , celui de V Artiste, et, par suite , du Mé-
decin (cf. ail. a7^tzt^ de artista; d.Mi7na-7neidr, p. 226). A cemythe, dont
nous venons de montrer l'origine et la forme primitive , sont venus, plus
tard, se joindre des détails épiques, qui n'avaient qu'un rapport indirect
avec l'idée symbolique qu'il exprimait originairement. Ces détails épiques
sont les suivants : Mîmir, le Sage et le bon Conseiller , emploie son in-
telligence extraordinaire pour préserver de tout danger les lotnes qui
sont de sa race ; il est donc aussi le Gardien du Séjour des lotnes. En
cette qualité, il a en sa possession, pour pouvoir sonner l'alarme, la
Corne-de-Gioll (Corne de Retentissante), qui, si l'on y donne, en cas
de danger, est entendue dans le Monde entier, comme la Corne Dieu-
donné (sansc. Dêva-datta) du Demi-dieu hindou Ardjunas , ou comme
le cor Ivoire {Olifant) du héros Ruodland. En bouchant du doigt l'em-
bouchure de cette corne 2:>ointue (goth. stikls ; ail. stecher) , on pouvait
encore , suivant l'usage des Scandinaves , s'en servir comme d'une corne-
à-boire (norr. stikill, ail. drinkhorn).
La corne de Mîmir était à la fois un gage de sûreté , parce que , avec
elle , on pouvait donner l'alarme , et un instrument pour augmenter sa
science , puisqu'on y buvait le breuvage de l'intelligence , à la Source de
la Sagesse. Odinn voudrait, pour ces deux raisons , l'enlever à Mîmir,
le Gardien des lotnes, et la donner èiHeimdall, le Gardien des Ases. Ne
pouvant l'enlever de force, il emploie la ruse pour s'en emparer ; il de-
mande à boire un coup dans cette Corne, espérant pouvoir ainsi la saisir
et la garder. Mais Mîmir, le Sage , devinant son intention , lui demande
de donner, comme gage pour la corne qu'on va lui présenter, son œil
droit, c'est-à-dire la moitié de sa Prévision. Odinn, sachant qu'il ne
perdra pas au change , préfère garder la Corne et laisser son œil engagé.
Depuis ce temps , Odinn, le Père des Occis , est borgne; il n'a plus que
la moitié de sa prévoyance ; mais , du moins , en faisant ce sacrifice, a-t-il
pourvu , comme il croit , à la sûreté des Ases. Mîmir, n'ayant plus sa
230 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Corne, boit, chaque matin, dans Vœil d'Odinn ou dans le Gage du Père
des Occis. W augmente ainsi sa sagesse moyennant la Prévision du Chef
des Ases. Peut-être y a-t-il quelque rapport caché, au moins quant à la
forme , entre le mythe Scandinave et la tradition populaire si répandue
dans le Jura sur la Fée Vouire (lat. Vipera). C'est une fée borgne comme
Odinn, et qui, chaque fois qu'elle va boire à la fontaine, ôte son œil,
lequel est un diamant. Il lui arrive parfois d'oublier son œil; heureux celui
qui le trouve !, sa bourse sera toujours remplie d'argent, iyoy. Roquefort,
Etat de la poésie, etc. , 142.)
Évidemment, le mythe de la Fontaine de Mîmir n'était pas rattaché,
dans l'origine, au mythe du Frêne d'Ycjgdrasil. Peut-être cette Fon-
taine était-elle placée au pied de \ Arbre de Mimi (norr. Mîma-meidr) ,
dans le Séjour des lotnes. Toutefois Snorri l'a placée au pied du Frêne
d'Yggdrasil , parce qu'il croyait, à tort, qu'il existait une corrélation
ou analogie entre \íí Fontaine de Miinir, [q Bassin-Bruyant, et la/o/i-
tai7ie d'Urdur, et que, par conséquent, la Fontaine de Mîmir et \e
Bassin-Bruyant devaient se trouver, aussi bien que la Fontaine d'Ur-
dur, au pied du Frêne d'Yggdrasil,
(25) LES NORNES ; LA FONTAINE d'uRÖUR.
g 75. La Prédiction du Destin. — Dans l'origine , l'homme n'adorait les
Dieux que parce qu'il croyait à leur puissance surhumaine, et qu'il voyait
en eux les arbitres de sa destinée. Le culte avait donc , dans l'origine ,
un but essentiellement eudæmonistique , c'est-à-dire que, par les pra-
tiques du culte, on tendait à se rendre les Dieux favorables, et, par ce
moyen, à se procurer le bonheur, et à détourner le malheur menaçant.
Quant aux accidents heureux ou malheureux, on les attribuait à la divi-
nité dans la spécialité de laquelle la direction de ces accidents rentrait
plus particulièrement (voy. les Valkyries, § 125); mais quant au bon-
heur et au malheur de la vie, en général, ou quant à la bonne ou mau-
vaise destinée , on l'attribuait, d'abord au Dieu suprême, comme à celui
qui avait une jouissance supérieure à celle des autres divinités, ou bien
on l'attribuait à l'assemblée des Dieux qui, réunis en Conseil, décidaient
de la bonne ou mauvaise destinée de chaque homme, surtout lors de sa
naissance. C'est ainsi que les ^565 allaient, chaque jour, siéger auprès
du Frêne d'Yggdrasil pour prononcer leur jugemetit [domr , fixation;
sansc. dhaman, établissement) sur la Destinée des choses et des hommes.
La destinée ainsi fixée , par leur jugement , portait elle-même le nom de
Établissetnent (norr. domr) , pris dans le sens de Loi (cf. les Établis-
sements de St.-Louis). Or, il était de l'intérêt des hommes de connaître
d'avance la volonté ou les décrets des Dieux, afin d'éviter ce qui pouvait
causer et amener l'accomplissement d'une décision fâcheuse , ou de la
prévenir, en disposant favorablement les Dieux par le moyen des pratiques
de la religion. On croyait, ensuite, que les Dieux faisaient connaître leurs
décisions à leurs favoris, c'est-à-dire aux hommes inspirés , aux Divins
ou aux prêtres , qui passaient pour les organes intermédiaires entre la
Divinité et le peuple. C'est donc à ces hommes qu'on s'adressait pour
apjH'endre la décision des Dieux , énoncée sous forme iV oracle. Comme
NUMÉRO (25) (page 92) ; les nornes. 23 1
le nombre des hommes, qui passaient pour être directement inspirés par
les Dieux, était naturellement restreint, et que, pour connaître la volonté
des Dieux et pour prévoir ou prévenir la Destinée, on n'avait pas tou-
jours à sa disposition des Prophètes , des Inspirés ou des Divins , on sup-
pléait, dans les circonstances ordinaires, à la Prophétie par la Divina-
tion. La Divination différait de la \ ision prophétique ou de la Prophétie ,
en ce qu'elle n'était pas , comme celle-ci , la vue immédiate de la Destinée
révélée, soit par inspiration divine, soit par intuition contemplative, mais
qu'elle était seulement l'art de prédire la destinée par conjecture ou in-
duction, à la vue de certains indices physiques, qui passaient pour des
signes précurseurs ou cotico mitants de l'événement, et qui, ou bien
s'offraient d'eux-mêmes, ou bien étaient provoqués par des paroles ou
des opérations magiques. Malgré cette distinction , la Vision prophétique
et la Divination se confondaient souvent dans la pratique, et elles étaient
exercées communément, l'une et l'autre, ensemble. Comme les femmes,
par suite de leur organisation plus délicate, ou par leur éducation et leurs
occupations habituelles, ont naturellement l'esprit plus impressionnable,
plus porté à l'enthousiasme et au mystère que les hommes, l'esprit pro-
phétique et divinatoire était aussi plus particulièrement attribué aux
femmes; et, pkis tard, peut-être par suite d'idées ascétiques originaires
de l'Inde , l'esprit prophétique était attribué principalement aux femmes-
vierges (voy. Les Gètes, p. 210). De là, chez les peuples d'origine gé-
tique, l'institution de Prêtresses, Prophétesses ou Devineresses attachées
au Sanctuaire, et portant, pour cette raison, le nom de Conseillères du
Sanctuaire (gèt. alhi- hrûnas). A côté de ces femmes, qui, comme prédisant
l'issue ou la destinée des expéditions guerrières, avaient seules une po-
sition , en quelque sorte, officielle ^ il y en avait d'autres qui n'étaient pas
attachées au Sanctuaire, mais qui, parcourant le pays, prédisaient l'avenir
des particuliers, surtout l'avenir ou la destinée des enfants nouveau-nés.
Oïi\es2i^^e\2ài Femmes de Fision{norv. Spâ-Konur). De même que laPro-
phétie s'était confondue avec la Divination , la Divination ne tarda pas à
se confondre , à son tour , avec la Magie. La Divination différait de la
Magie en ce qu'elle se contentait de deviner la destinée telle que les
Dieux l'avaient décrétée, sans avoir, comme celle-ci, la prétention de
déterminer ou de modifier, à volonté, le destin, les événements et les choses,
en produisant , par des moyens supposés naturels , et indiqués parla Science
occulte, les causes qui passaient pour amener nécessairement, inévita-
blement, et, contrairement même à la volonté des dieux, les effets qu'on
désirait obtenir. Les Femmes de Vision étant aussi des Magiciennes,
l'idée s'établit facilement que ces femmes ne prévoyaient ou ne savaient
pas seulement d'avance la destinée , telle que les Dieux l'avaient décrétée ,
mais qu'elles étaient aussi en état , par leur science magique , de déter-
miner, elles-mêmes , cette destinée, selon leur fantaisie ; qu'elles étaient,
par conséquent , aussi bien que les Dieux , et souvent ipême plus que les
Dieux, les Arbitres immédiats du bonheur et du malheur des hommes.
La Magie était surtout pratiquée chez les peuples ^mies; elle passa, en
partie, des Finnes aux Slaves, et des Slaves aux Scandinaves. Les Slaves
croyaient que les magiciens étaient généralement des lotips-garous (voy.
ZOZ COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
p. 210); c'est pourquoi le nom de valchav {Issu de Loup ; si. Falch)^ qui
désignait, originairement, le loup-garou (pol. wilkolek)^ prit la signi-
fication de 7nagicien (vieux-slav. valchav; russ. volchov , magicien). Il
y avait aussi, chez les Slaves, des Magiciennes nommées valchavy , dont
le nom slave fut adopté par les Scandinaves pour désigner leurs Prophé-
tesses, Devineresses ou Magiciennes; en effet, c'est du nom de Valhava
que se sont formés régulièrement les noms norrains de völva et de vala
(cf. Hyndla, Petite Chienne, Petite Louve).
l 76. Les Nornes , Arbitres de la Destinée. — A mesure que l'on recon-
naissait, dans le monde, le principe de la causalité , on attribuait aussi
la destinée des choses et des hommes à un Ordre mystérieux reposant
sur la causalité ; et l'on était naturellement porté à croire que tout dé-
pendait d'une Cause primitive , considérée comme une Dis2)ositionpri-
?no?'diale (norr. örlag; v. ail. urlagi). D'après les idées sur l'origine du
Monde et des Dieux , qui, au premier siècle avant notre ère, venaient de
se formuler dans des mythes cosmogoniques ou théogoniques, on croyait
que les Jses n'existaient pas au commencement, mais qu'ils étaient nés
postérieurement aux lotnes ; et c'est pourquoi , loin d'être les auteurs de la
Disi^osiiion p?^i7íiordiale, ces dieux en subissaient eux-mêmes la loi, et n'a-
vaient d'autre privilège sur les hommes que celui de la connaître d'avance
d'une manière plus ou moins parfaite. Dès lors la Destinée humaine,
n'étant plus déterminée par le Jugement (norr. dômr) des Dieux , ne fut
plus aussi souvent appelée du nom de Jugement; mais , comme elle dé-
pendait d'une Loi ou d'une Disposition primordiale , elle prit elle-même
généralement le nom de Loi primordiale (norr. ur-lag). Cependant,
cette Disposition primordiale ne passa pas pour tellement immuable que
la puissance irrésistible de la Magie ne pût la modifier. Les A Ihi-hrûne s,
les Femmes-de-Vision et les Magiciennes (norr. Volur)^ continuaient
donc à être considérées comme les Arbitres de la Destinée humaine; et
l'existence de ces femmes et les croyances qui se rattachaient à elles,
devaient naturellement donner naissance à l'idée et au mythe des Nornes.
En eifet, les Nornes mythologiques et célestes sont calquées , en grande
partie, sur les Spâkonar ]\\siov\(\ues et terrestres, comme les Valkyries
(voy. § 125) ont été conçues d'après les Alhi-rûnes du Dieu de la Guerre.
Si l'on considère les Nornes comme les Arbitres de la destinée en général,
et les Valkyries comme présidant seulement à la destinée dans les com-
bats, on peut dire que les Valkyries sont une sjiécialisation des Nornes,
ou qu'elles sont une conception mythologique postérieure à celle des
Nornes. Mais si l'on se rappelle que les ValkyiHes ont été calquées sur
les Alhi-rûnes , comme les Nornes sur les Femmes de Vision , et que
les Alhi-rûnes avaient de bonne heure une position officielle que n'ont
jamais eue les Femmes de Vision, il faut aussi dire que les Nornes sont
une généralisation des Valkyries, et, par conséquent, une conception
mythologique postérieure à celle des Valkyries. Ensuite, bien que les
Nornes ment été postérieures 2iU\Spdkonur historiques, comme concep-
tion mythologique , elles sont cependant devenues, dans la tradition , en
quelque sorte le type et l'idéal des prophétesses et devineresses norraines.
Les Nornes sont les arbitres par excellence de la Destinée du monde et
NUMÉRO (25) (page 92) ; les nornes. 233
des hommes dans le passé , le présent et l'avenir; elles président à la desti-
née , la distribuent, et la font connaître. Devant présider à la Loi primor-
diale, elles appartiennent naturellement à la rsice primitive, c'est-à-dire à
la race des Iot7ies , qui sont les premiers-nés de la création (voy . 1 80) et qui
sont en possession de la tradition ou de la Sagesse la plus ancienne. Aussi
est-il dit que les Nornes sont douées de l'esprit de sagesse {norr. frod-
gediathar). Elles sont les filles del'Iotne Mögthrasir (Effort-de-Gars);
et comme la Destinée, s'accomplissant dans le temps, appartient soit au
passé , soit au présent, soit à l'avenir , elles sont au nombre de trois, et }^ov-
tentlesnomsdePa55ee(LTdur),de/*ré5e7iíe(Verdandi)etdeFwíwre(Skuld).
Bien qu'elles appartiennent à la race des lotnes, qui sont les ennemis des
Dieux et de la Création, elles n'en sont pas moins des Déités bienveil-
lantes, intéressées au salut, à V entretien et à la conservation du Monde
et des hommes. Aussi le nom deiVor/ie (p. ]S ara-un, Naurn, Nom, Aimant-
le-Salut, ou l'Entretien, ou la Conservation), exprime-t-il leur nature
bienfaisante et bienveillante. Comme Déités bienfaisantes, les Nornes ont
leur domicile , non dans le Séjour des lotnes , mais au ciel, où elles sont
venues de lötunheim, s'établir auprès des Ases, à Y Aurore des Ages
(voy. p. 21 6). Elles sont, en quelque sorte, les ^//«'-Arii^es des Sanctuaires
célestes. Comme Déités , dont le Jw^ewewi détermine la destinée humaine,
elles sont placées au pied du /rewe d'Yggdrasil, considéré comme Arbre
de Jugement, et qui se trouve dans la Plaine d'Idi, au milieu de VEnclos-
des-Ases. Au pied de cet arbre sacré, est une Fontaine qui, d'après
l'aînée des Nornes, porte le nom de Fontaitie d'Urdur. Cette fontaine,
se trouvant au ciel, est, parjcela même, une fontaine sacrée; son eau
est également sacrée, c'est-à-dire qu'elle a des vertus magiques. Comme
la Fontaine d'Urdur est située au pied de l'Arbre de Jugement et de
Sagesse , elle est elle-même une Fontaine de Sagesse ; et c'est pourquoi
les Nornes, douées de l'esprit de sagesse , y habitent. Mais de même
que le Fretie d'Yggdrasil, comme Arbre de Jugement, s'est confondu
avec \e Frêne d'Yggdrasil considéré comme Arbre de Fie , de même
aussi la Fontaine d'Urdur n'est pas seulement source de Sagesse, mais
aussi source de Vie. Ses eaux sacrées ont la vertu magique de conserver
tout ce qu'elles touchent. Aussi les Nornes conservatrices ^i protectrices
(norr. Hamingiur., Issues de Couvrant), ont-elles soin d'arroser de cette
eau les parties de l'Arbre de Vie , pour le préserver de la pourriture qui
l'attaque.
l 77. Les Nornes épiques. — Bien que , dans l'origine , on n'ait imaginé
que trois Nornes, la poésie mythico-épique Scandinave en imagina, dans
la suite , un plus grand nombre; on en distinguait même différentes es-
pèces, d'après les différentes races d'Êtres mythologiques, comme dans
la Mythologie hindoue on distinguait, parmi les Richis, les Dévar-
schayds, les Bramarschayâs et les Rddjarschayâs , selon qu'ils ap-
partenaient à la race des Dieux , à la race des Brahmanas , ou à la race
des Rois. La strophe citée par Sîiorri, énumère trois classes deNor9ies;
les unes , les véritables ou les primitives , sont appelées parentes des
Ases , parce qu'elles habitaient le ciel, avec les Ases, et que, pour cette
raison , et bien qu'elles fussent d'origine lotniqiœ, on les croyait de la fa-
234 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
mille áes Jses. La seconde classe est celle des Nomes, parentes des
Ai/es (v. p. 239). La troisième est celle des Nornes de la race de Dva-
lînn, c'est-à-dire de la race des Dvergs (voy. p. 222). Comme c'est le propre
de la poésie mytldco-épique de l'époque postérieure, d'abaisser les
Déités au point de les confondre avec les humains, les Nornes célestes y
sont aussi tellement rapprochées des Femmes de Vision historiques,
qu'il est souvent impossible de dire si ces Nornes épiques appartiennent
au ciel ou à la terre. Aussi , dans la poésie épique des temps postérieurs,
les Femmes de Vision portent-elles, la plupart du temps , également le
nom mythologique de Nornes ; et, comme les Feimnes de Vision se sont
confondues , dans la suite, avec les Magiciennes , qui passaient généra-
lement pour malfaisantes y les Nornes mythologiques furent aussi quel-
quefois représentées, dans les récits épiques et les Sagas, comme des
femmes méchantes et malfaisantes. Depuis cette époque, la Destinée, bonne
ou mauvaise, ne fut plus considérée comme le résultat d'une Dispositioii
primordiale , mais comme l'eifet du hasard et du caprice. Car, d'un côté,
le bonheur était supposé donné par les Nornes (cf. örlög drygia) , réputées
bienveillantes , soit parce qu'elles l'étaient par caractère , ou par leur nature
comme appartenant à une race bonne, soit parce que , malgré leur carac-
tère et leur nature méchante, elles avaient été rendues favorables par des
présents, des sacrifices, des prières; d'un autre côté, on attribuait égale-
ment le malheur à l'influence des Nornes, qui passaient pour malveil-
lantes, soit parce qu'elles l'étaient de caractère, de nature et de race,
soit parce qu'elles avaient été momentanément indisposées , irritées ou
transportées de colère ou de jalousie.
Une espèce particulière de Nornes ou une spécialisation de la concep-
tion des Nornes, ce sont les Choisit-les-Occis. (Voy. § 125.)
(26) LES MERVEILLES ET LES SOUFFRANCES DU FRÊNE d'yGGDRASIL.
l 78. L'Aigle et le Dragon Nidhogg. — Snorri revient encore ici au
Frêne d'Yggdrasil, parce qu'il n'a pas su mettre à leur place les détails
qui lui restaient encore à donner concernant les merveilles et les souf-
frances de cet Arbre. Comme , dans le Monde , la vie est combattue par la
mort, le Frêne d'Yggdrasil, considéré comme Arbre de Vie, est aussi
miné et attaqué par des forces pernicieuses; ce que le mythe exprime en
disant que cet arbre est protégé et restauré d'en haut , mais attaqué sans
cesse et sapé d'en bas. Ses branches, qui se répandent au-dessus du
ciel ou du Séjour des Ases créateurs et conservateurs, sont naturelle-
ment le siège des forces, ou le Séjour des Êtres, qui repoussentles attaques
de la destruction et de la mort; ses racines, au contraire, qui plongent
dans les régions inférieures et dans les Enfers, sont rongées par des
Etres destructeurs qui y sont domiciliés. Dans les anciens mythes de
l'Asie, ces Êtres pernicieux sont représentés généralement par le Dragon
ou le Serpent, qui est la personnification de la peste, des miasmes, et du
venin (sansc. ahi, serpent; cf. pers. Duzk-ak, Mal-portant); et l'on y consi-
dère comme l'opposé ou comme l'Ennemi du Serpent , VÂiglc (cf. sansc.
Garoudas ; pers. Rokh; Simurgh)^ parce que d'abord, au point de vue
historique, on prétend que cet oiseau dévore, comme l'ibis, les serpents,
NUMÉRO (26) (page 93) ; ratakostr et le cerf. 235
et, ensuite , parce que, au point de vue sy7nbolique , le Vent, dont l'aigle
est la personnification (voy. l 83), est une force conservatrice , en ce
qu'il détruit ou chasse la peste et les miasmes délétères (cf Les Har-
pyies , par J. F. Cerquand). Aussi la Conservation et la Protection sont-
elles symbolisées, dans le mythe Scandinave, ^SLvVJigle, dont le nom, il
est vrai, n'est pas indiqué d'une manière plus explicite , mais qui était sans
doute identique , dans l'origine, d'un côté avec l'iotne Mögthrasii-, le sym-
bole de la Procréation , et, de l'autre , avec Odinn, l'ancien dieu du Vent,
figuré sous forme d'aigle, et surnommé quelquefois le Vieux Aigle (norr.
Gamli Ar)^ eu souvenir de cette ancienne forme. A la fois Gardien vigilant
et Protecteur de l'Arbre de Vie, cet Aigle est perché au sommet du Frêne
d'Yggdrasil, afin d'embrasser le monde entier de son regard perçant.
Sur son front, ou comme il est dit , entre ses yeux, est assis son servi-
teur, qui veille, à sa place, pendant son sommeil, et qui, à l'instant même,
l'avertit du danger qui approche. Ce serviteur, à la fois son Aide et son
Conseiller , est un Autour qui est nommé Vedurfölnir (JVlou-des-ïem-
pêtes), sans doute parce qu'il est le symbole du Vent nord -est, qui
amollit ou tempère les tempêtes amenées par son opposé , le Vent du
sud-ouest [Fedur], qui amène le grain.
Le Représentant des forces pernicieuses à la vie de la Nature, c'est le
dragon Nidhögg (Frappe-de-Colère) , qui, rongeant une des trois racines
du Frêne d'Yggdrasil, endommage cet Arbre d'en bas, ainsi que l'énonce
la strophe 35 des Dits de Grimnir^ citée par Snorri. Les compagnons
et les aides du Dragon sont des serpents innombrables , que Snorri con-
fond étrangement avec les Serpents du Bassin-Bruyant (voy. p. 235); et
il donne les noms de quelques-uns d'entre eux, d'après la strop*he 54 des
Dits de Grimnir. Les noms de Gôinn (Terreux; cf gô , terre) et de
Moinn (Argileux) , les fils de Graf-vitnir (Présage de Tombeau) , dési-
gnent des serpents habitant dans des tombeaux ou des trous de la terre. Les
noms de Dos-gris (norr. Grâ-baki') et de Peau-grise (norr. Grâfioll-
udr) , indiquent la couleur des serpents ; le nom de Ofnir (p. Vofnir ou
Vafnir, Flambant), désigne le serpent comme personnification da/eu;
et Svafnir (Assoupissant) est le nom du serpent , considéré comme as-
soupissant ou comme fascinant 'par son regard (cf basilisc). Tous ces
noms épiques de serpent n'ont ici aucune signification syinbolique par-
ticulière ; ils sont imaginés par analogie avec d'autres noms semblables ,
et ils figurent ici seulement pour désigner des serpents en général.
§ 79. L'Écureuil Ratakostr et le Cerf broutant. — Entre les principes
conservateurs représentés par V Aigle et V Autour, êtres aériens , et les
principes destructeurs représentés par Nidhögg et les Serpents, êtres
souterrains , se trouvent placées les forces inofifensives du Séjour terrestre
représentées ici symboliquement ^2iV ['Écureuil et les Cerfs, créatures
généralement inofi'ensives, mais qui, cependant, contribuent, pour quelque
chose, à ce que, à la fin , le principe de destruction et de mort obtiendra
le dessus sur la conservation et la vie. L'Écureuil a été imaginé et choisi
comme représentant des êtres qui, quoique inoffensifs, ne sont cepen-
dant pas réellement conservateurs, parce que, d'abord, cet animal , de
l'espèce des rongeurs, est , comme le rat et la souris, le symbole de la
236 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
destruction lente ou de la corrosion. Aussi l'écureuil porte-il, ici, le
nom de Rata-kostr (l'Assorti de Rati) ou le Compagnon du Rat [rati ,
rongeur, qui corrode). Ensuite, l'ensemble de l'image symbolique exigeait
qu'on choisît un rongeur pouvant servir d'intermédiaire entre l'Aigle, placé
au sommet de l'Arbre de Vie , et le Dragon gisant sous une des racines de
cet arbre. Or, l'écureuil vit à la fois dans un bauge, sur l'arbre, et dans
un terrier, participant ainsi et de la nature aérienne de l'Aigle et de la
nature souterraine de Nidhögg. Enfin la prestesse et la prudence, qui
caractérisent l'écureuil, le rendaient éminemment propre au rôle de mes-
sager, de rapporteur et d'intermédiaire entre les deux Ennemis, éloignés
l'un de l'autre, entre VJigleeíNidhögg, qui , semblables aux guerriers des
âges héroïques, sont représentés, dans le mythe, comme se provoquant,
de loin, par des railleries et par des injures, avant d'en venir aux
mains. Ce mythe de l'Aigle, du Dragon, et de l'Écureuil ne se trouve exposé
dans aucun des anciens documents mythologiques, de ceux, du moins,
qui nous restent; mais, évidemment, Snorri ne l'a pas inventé; il l'a em-
prunté, soit à un ancien poème que nous n'avons plus, soit, ce qui est
plus probable, à la tradition populaire orale. Ce qui prouve à la fois
l'authenticité et l'ancienneté de ce mythe ^ qui cependant ne remonte
guère au delà du 3« siècle avant notre ère, c'est que sa partie épique, ou le
récit séparé de sa signification syînbolique , s'est conservé dans un apo-
logue , où il a pris une signification purement allégorique et morale. En
effet, la forme primitive de ce récit mythologique semble se reconnaître
encore, à travers quelques changements, dans la fable de l'Aigle , le
Chat, et la Laie. (Cf. Pantcha-tantra deBenfey.)
A ce premier mythe , qui montrait l'antagonisme entre la vie et la mort,
sous le symbole de V Aigle et du Dragon, excités l'un contre l'autre par
l'Écureuil, est venu se joindre un autre mythe exprimant l'endommage-
ment causé à l'Arbre de Vie par les cerfs qui en broutent le feuillage.
Dans la strophe 35 des Dits de Grimnir, citée par5worr2^ il n'est ques-
tion que d'un seul cerf broutant d'en haut le Frêne d'Yggdrasil, à moins
qu'on ne veuille considérer ce singulier comme un collectif grammatical ,
ou comme une synecdoque poétique. Snorri cite (sans cependant indiquer
d'après quelle autorité il le fait), quatre cerfs : Daînn (Assoupi), Dva-
linn (Défaillant) , Dyn-eir (Apaise-Bruit) et Dura-thrôr (Somnolent).
Ces noms sont authentiques , à en juger déjà par l'allitération qui nous
autorise à croire qu'ils étaient renfermés dans des vers d'anciens poèmes
mythologiques. Ensuite ces noms sont évidemment des noms de Dvergs ou
de Gèmt^ zooinorphes (voy. p. 21 8), qui , sans être ici décidément ma//az-
sants, appartiennent, cependant, comme certaines classes de Dvergs ,
à une race, il est vrai, inoffensive, mais ennemie de la lumière (cf. Z)öcÆ-
alfar) et capable de commettre , comme les Êtres de la nuit, des actions
démoniaques, nuisibles à la Création. Dans l'origine, ces Cerfs-Dvergs ,
qui endommagent l'Arbre de Vie, représentaient les vents frais ou les
frimas des nuits d'été ; ils proviennent des glaciers (cf. le Cerf Eik-thyr-
nir , g 136); et, bien qu'ils soient faibles et comme assoupis {Dâinn,
Assoupi; Dvalinn, ï>éïiu\\2iWi\ Diira-thror, S(imï\o\çx\i\ Dyn-eir, Apaise-
Bruit) , en comparaison des venis fougueux et bruyants de l'hiver, ils
N" (26) (p. 93); LA TOMBÉE DE MIEL; LES CYGNES d'uRDUR. 237
nuisent cependant aux bourgeons ou au feuillage des arbres (cf. lune
rousse). De même que , dans la Mythologie , les vents impétueux et bru-
taux de l'hiver sont quelquefois figurés par des taureaux, de même les vents
d'été rapides, légers et doux sont représentés ici par des cerfs , animaux
rapides, légers et doux. Dans la Mythologie hindoue, Vayous, le Dieu
des vents , est représenté monté sur une gazelle ou un cerf. Les Cerfs
du Frêne d. Yggdrasil sont au nombre de quatre, sans doute, d'après les
quatre points cardinaux du monde. Comme l'image de cerfs broutants , con-
sidérés comme symboles des frimas d'une nuit d'été, est postérieure à la
conception symbolique de l'ensemble du mythe, il en est résulté une
image discordante et un tableau pour le moins bizarre , où les cerfs, au
lieu d'être placés naturellement au pied de l'Arbre de Vie, se trouvent
placés , comme l'Écureuil , sur les branches , et en broutent le feuillage
d'en haut (Cf. Heidrûne , g 134).
§ 80. La Tombée de miel et les Cygnes de la Fontaine d'Urdur. — Si
l'Arbre de Vie est endommagé par des forces pernicieuses , il existe aussi
des forces réparatrices qui tendent à restaurer de nouveau la Nature
endommagée. Les Anciens croyaient que la rosée, qui rafraîchit et vivifie
la végétation , tombait des nuages du ciel , et qu'elle était recueillie sur
les feuilles des arbres, qui la répandaient ensuite à terre. Encore au qua-
torzième siècle , des voyageurs qui ont parlé de TénériiTe , ont assuré que,
dans cette île, ainsi que dans celles qui l'avoisinent, il se trouvait un
arbre qui ramassait les vapeurs de l'atmosphère , de manière qu'en le
secouant , on obtenait toujours une rosée ou une eau claire et bienfai-
sante (voy. Souvenirs d'un aveugle, par J. Arago, I, p. 28). D'après cette
idée , il était naturel de se figurer , en Mythologie , que la rosée vivifiante
et fécondante tombait de Y Arbre de Vie, dont les branches et le feuil-
lage plongeaient dans le ciel ou dans les nuages renfermant la pluie céleste
ou les Eaux sacrées (norr. Heilög vötn). La rosée, par son origine,
était donc également sacrée et bienfaisante; elle était blanche, puisque
la blancheur est le symbole de la pureté, et , par suite, de la sainteté (cf.
sansc. çrita, blanc; zend. spento, blanc, saint; slav. sviat, blanc, saint);
elle a, par conséquent, comme les cAose.s saintes, des vertus magiques;
et, c'est pourquoi, il est dit que les Nomes répandent , d'en haut, cette
eau bienfaisante sur l'Arbre, afin que son bois ne soit pas attaqué par la
pourriture. La rosée céleste, qui tombe un Frêne d'YggdrasiL étant,
pour la Nature , ce que la nourriture est pour le corps humain, la Mytho-
logie a considéré celte rosée comme une espèce d'Ambroisie, ou comme
la substance nourricière par excellence. Or, dans l'Antiquité, surtout
chez les peuples iafétiques, le symbole de la nourriture et de l'entretien
de la vie, c'était le w/e/ (voy. p. 181). C'est pourquoi la rosée céleste est
représentée, dans le mythe, comme une manne céleste, comme un miel-
lat, qui sert aux abeilles à faire leur miel. Cette rosée est ce qu'on ap-
pelle , dans la langue norraine , la Tombée de miel; et c'est là l'explica-
tion à la fois populaire et mythologique de l'origine du miellat, appelé
aussi miellée ou miellure , exsudation sucrée qui, dans certaines circon-
stances, sort des feuilles des jeunes arbres, en été, et tombe à terre
comme la manne dont se nourrissaient les Israélites dans le désert.
238 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Snorri, confondant V Arbre de Vie avec V Arbre de Jugement {\. p. 227),
rattache la Fontaitie d'Urdur à l'Arbre de Vie, bien qu'elle se rapporte
à l'Arbre de Jugement, et il en parle ici à propos des merveilles du Frêne
d'Yggdrasil.W fait mention, je ne sais d'après quel document, de deux
Cygnes qui nagent sur l'eau de la Fontaine d'Urdur, et qui , selon la tra-
dition, sont la souche première de cette espèce d'oiseaux aquatiques.
Dans l'Antiquité , on croyait que les âmes ou les Génies intelligents
(voy. p. 217), prenaient, de préférence, \?l iorme A' oiseau , parce que
l'oiseau, des hauteurs où il vole et où il est perché, voyant tout, épiant
tout, et assistant à tout ce qui se passe, est censé posséder, de préfé-
rence, à d'autres créatures^ la science, et connaître aussi le mieux les
secrets des hommes et ceux de la Destinée. Aussi c'est sur les oiseaux
qu'on prenait l'augure (gr. oïonos) , et c'est leur langage qu'on étudiait
comme un oracle. A plus forte raison les oiseaux aquatiques séjournant
dans Veau, ce symbole de la Sagesse et de la Prophétie (voy. p. 282),
passaient-ils pour des oiseaux jjrophétiques (cf. les hansâs de la poésie
hindoue ; les oies du Capitole ; lat. olor vates) ; et s'ils avaient le plumage
blanc, ils passaient encore pour des oiseaux saints, divins, et de bon
augure. La tradition représentait donc généralement le cygne blanc comme
un oiseau sacré et prophétique , qui, ainsi que son opposé, le noir cor-
beau , jette au vent ses oracles, d'une voie monosyllabique, et en quelque
sorte aboyante (cf. norr. svân ^.svakns^ aboyeur; gr. kuknos; lat. cicô-
jiia ; pers. spak^ chien; slav. sabaca , chienne). C'est pourquoi les
Nornes elles-mêmes, quand elles se transportaient d'un endroit à l'autre,
volaient à travers les airs sous forme de cygnes. La Mythologie a donc
bien pu imaginer que la première paire de cygnes prophétiques se soit
trouvée dans le bassin de la Fontaine d'Urdur^ dans cette eau qui blan-
chit tout, qui sanctifie tout, et communique aux oiseaux qui l'habitent
le don de la Sagesse et de la Prophétie.
(27) LES DEMEURES CÉLESTES.
§ 81. Le Séjour des Alfes ; Large-Éclat; Étincelant. — Déjà ci-dessus
(voy. § 23), Snorri avait fait connaître quelques-unes des résidences cé-
lestes ou des Endroits habités par les Ases et les Alfes. Ici, après avoir
parlé de la Fontaine d'Urdur, qui se trouve au ciel , Snorri en prend
encore occasion pour faire connaître les autres beaux Endroits du ciel.
Ce que la Mythologie Scandinave considère comme des Demeures célestes,
ayantdes noms particuliers, était-ce des objets réels, fù26/e5; des constella-
tions appelées de ces noms? ou bien ces Demeures et ces noms sont-ils
de pures fictions épiques devant servir à développer le mythe épique de
l'établissement des Ases dans le Ciel. Dans l'état actuel des études, cette
question ne saurait être péremptoirement décidée. Mais il me semble que
les noms donnés aux Demeures célestes, désignaient, dans l'origine,
c'est-à-dire environ au troisième siècle avant notre ère , des constellations,
et que, plus tard^ environ au troisième siècle après Jésus-Christ (lorsque
les notions astronomiques s'étaient en partie perdues en Scandinavie), ces
Demeures ont aussi perdu leur signification symbolique de constella-
tions, et sont devenues de pures fictions épiques.
NUMÉRO ("27) (page ^i) ; LES DEMEURES CÉLESTES. 239
Séjoirr des Alfes. — Les Génies célestes, ces symboles des astres,
des constellations et des phénomènes météorologiques dn ciel , portent
le nom générique de ,^//"^5 (Aubes; Lumineux; cf. grec «//b.s ; lat. albus).
Comme les phénomènes météorologiques célestes , dont les Alfes étaient
les symboles, se produisaient également sur la terre, on comprit aussi,
dans la suite, sous le noma' Alfes, les Génies terrestres, qui, originai-
rement, avaient porté le nom particulier deDvergs (v. p. 219). Plus tard
encore . la Mythologie établit , de nouveau , une différence marquée entre les
Génies du jour ou de la lumière, et les Génies de la nuit ou de l'obscurité; et
comme on ne connaissait plus la véritable signification du nom générique
de a//* (blanc, brillant , lumineux), on désignait les Génies de la lumière
par le nom composé de Al/es-Lumineux , qui renferme proprement une
tautologie (Lumineux-Lumineux) , et l'on désignait les Génies de la nuit
par le nom composé de Döck-Alfar (Lumineux-Sombres), qui renferme
proprement une contradiction dans les termes. Les Alf es- Lumineux ,
habitent, au ciel , les régions nommées SéJour-des-A If es, et se montrent
brillants le jour et la nuit; les autres Alfes (ou Dvergs) habitent, sur la
terre , dans des rochers et dans des cavernes (voy. p. 220) ; ils ne suppor-
tent pas la lumière du Soleil; et, bien qu'ils soient moins beaux que les
A If es- Lumineux , ils leur sont cependant supérieurs par leurs talents
d'artiste ou leur aptitude pour l'industrie, en général, et pour la métal-
lurgie, en particulier. (Voy. p. 219.)
Large-Éclat. — Parmi les Endroits principaux dans le c\e\^Snorri cite
d'abord Large-Éclat dans le Séjour des Alfes. Ce nom indique que cet
Endroit est tellement brillant que l'éclat s'en répand au large; et il est
probable que, dans l'origine, ce nom désignait la Voie lactée. C'est là
la résidence de Baldur (voy. § 94) , qui est la personniflcation du Soleil
estival, et qui, en cette qualité, est YAlfe ou le Génie de lumière par
excellence. La strophe 12 des Dits de Grimnir énonce :
« Large-Éclat est le septième; et là Baldur s'est
«Préparé ses salles,
ff Dans cette région , où je sais qu'il se trouve
« Le moins d'objets impurs. »
Étincelant. — Un autre Endroit au ciel est nommé Étincelant; c'est
le lieu de résidence de l'Ase Proposant {i\ovv. Forseti, voy. § 107), qui
est le fils de Baldur , et le dieu de la Paix , de la Justice et de la Concorde.
Dans la strophe 15 des Dits de Grimnir est énoncé ceci :
« Étincelant est le dixième ; il est étayé d'or,
« Et couvert d'argent de même ;
« Et là Proposant réside, la plupart du jour,
« Et assoupit toutes contestations. »
Peut-être, dans l'origine, le nom A' Étincelant désignait-il le signe
zodiacal de la Vierge , ou cette partie de l'année dans laquelle on faisait
la récolte dans le Nord, et où toutes les discussions étaient suspendues
(cf. Froda-fridr). D'après Snorri , Étincelant, qui est placé au ciel des
Ases ou dans le deuxième ciel, est, dans le monde mythologique actuel,
ce que sera , dans le monde futur ou renouvelé , Gimlir. où régneront la
Justice et la Concorde.
240 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
§ 82. Roches-Célestes; Chaumine de Vali ; Chaumine aux Portes ; et
Brillant. — Roches-Célestes est le nom de la forteresse placée à l'entrée
du ciel , à l'extrémité ánPontcí'Jse {voy. § 65). C'est là que réside Heim-
dall, le Gardien vigilant de l'Enclos des J ses. Il est dit dans la strophe 1 3
des Dits de Grimnir :
(I Roches-Célestes est le huitième ; et là Heimdall
« Est dit présider aux Sanctuaires i
« Là, dans ce pur Couvert, le Gardien des Dieux boit
«Joyeux, l'excellent hydromel. »
Peut-être, dans l'origine , le nom de Roches-Célestes désignait-il le
signe zodiacal du Capricorne, assigné par les Ases comme Demeure au
Soleil , qui en sort , au commencement de l'année , pour reprendre sa course
annuelle.
Chaumine de Vali. — Dans l'Enclos-des-Ases il y a une salle nommée
Vala-skialfy nom qui veut dire Chaumine (cf. v. ail. skilf., chaume; cf.
anglos. skeaf] ail. schaub) de Vali. Voici ce qu'énonce la strophe 6 des
Dits de Grimnir :
« Le troisième est ce Manoir dont les Grandeur'3 bénignes
« Ont couvert d'argent les salles ;
« C'est là le nommé Chaumine-de-Vali , dont s'est emparé
« L'Ase , à l'Aurore des jours. »
Supposant que le mot ^se^ dans ce dernier vers, désigne non pas l'Ase
Vali (voy. § 106), mais l'Ase par excellence, savoir Odinn, Snorri at-
tribue à ce Dieu suprême \QVala-skialf. C'est que, sans doute, notre auteur
s'est encore expliqué le nom de Vala-skialf , comme signifiant Chau-
mine des Occis; et, par conséquent, il a confondu ou identifié cette
Demeure âyec là Halle-des-Occis {norv. Val-höll), qui est effectivement
la demeure d'Orfm/i. Ensuite, supposant que l'analogie des noms de Vala-
skialf et de Hlidskialf indiquait un rapport mythologique entre ces
deux Endroits, et que le Hlidskialf a dû se trouver dans la Demeure
diOdinn, c'est-à-dire dans Val-höll, qu'il identifie avec Vala-skialf ^
il parvint , par ces inductions successives , à se persuader que le Hlid-
skialf se trouvait placé dans le Vala-skialf; ce qui n'est énoncé dans
aucun des documents mythologiques qui nous restent. Le Hlidskialf
qui était une espèce d'observatoire ou guérite céleste , devait, pour rem-
plir son but , être placé dans l'endroit le plus élevé ou au zénith de l'Enclos
des Ases. Sa place était donc naturellement au-dessus du Frêne d'Ygg-
drasil, considéré comme Arbre de Jugement, ou peut-être même au
sommet de ce Frêne , considéré comme Arbre de Vie. Le nom de Hlid-
skialf, signifie Chaumine aux Portes^ parce qu'on se figurait cette
guérite comme une chaumière placée à une très-grande hauteur, et ayant,
dans toutes les directions, des portes ou des fenêtres; de sorte que la
personne ou le gardien placé dans l'intérieur , put voir tout ce qui se pas-
sait à l'entour dans le monde entier. Dans l'origine, le nom de /^/erf-
«/îîa//' désignait peut-être une constellation qui était placée au zénith du
ciel boréal. Dans la suite, la tradition n'ayant plus conscience de l'idée
et de la conception primitives de cet édifice mythico-épique, attribuait la
NUMÉRO (27) (page 94) ; les demeures célestes. 241
vue étendue qu'on avait, ásins\e Hlid-skial/) sur le Monde entier, non à
l'emplacement élevé, ni à la conformation de cette guérite , mais à la pro-
priété magique qu'elle possédait , semblable à celle que les contes popu-
laires postérieurs attribuaient aux miroirs magiques de Gratien, et de
Klinsclwr, miroirs dans lesquels on n'avait qu'à regarder, pour savoir , à
l'instant, ce que faisaient les personnes dont on désirait connaître, ac-
tuellement, soit l'état, soit l'occupation, soit l'entreprise.
Le Brillant. — Dans la partie sud-est du ciel , est le séjour nommé
Gimli {Brillant)^ dont i'^iorre a déjà parlé ci-dessus (voy. p. i64) et qu'il
a identifié , à tort, avec \ Allée- Agréable. Brillant est, sans doute, le
nom général du ciel des Ases, ou du second ciel, qui se trouve au-dessus
du ciel terrestre, et qui ne périra pas, à la fin du monde, quand le ciel ter-
restre croulera. Selon Snorri, c'est dans \q Brillant, qu'après le Renou-
vellement du monde , se trouveront les Demeures célestes qui remplace-
ront les Demeures actuelles des Ases. C'est pourquoi il est dit, dans la
strophe de la Fisio?i de la Louve ^ citée par Snorri, que dans Gimli
(cf. ail. himmel, ciel ; norr. himin) , ou plus particulièrement dans la
Nouvelle Halle-des-Occis, qui, après le renouvellement du monde , rem-
placera l'ancienne, les hommes de caractère et de courage jouiront d'une
vie agréable , comme l'ont fait antérieurement les Troupiers- Uniques ,
dans la Fal-höll de l'Asgard actuel. Snorri, accommodant cette donnée
mythologique à ses idées chrétiennes du Paradis céleste, de la Nouvelle
Jérusalem, et des trois Étages du ciel, transforme, dans sa pensée, d'a-
bord le Gimli en un Paradis céleste, ensuite les peuples vigoureux (norr.
dyggvar) dumythepaïen, en chœurs de Justes, dePieuæ, et àeSaints, et
enfin la Vie agréable dont jouiront les héros dans le Brillant , en la béatitude
céleste des Élus du Seigneur, après le Jugement dernier (voy. g 23).
Snorri, confondant le ciel qui est au-dessus de la terre, avec le ciel
des Ases, croit apercevoir une contradiction dans la Mythologie, en ce
que, d'un côté, il est dit que la Flamme áeSurti {voy. p. 174) brûlera et
détruira, à la fin des siècles, non-seulement la terre, mais aussi le ciel
(c'est-a-dire le ciel terrestre , qu'il prend pour le ciel habité des Justes) ,
et que, d'un autre côté, il est aussi dit que ces Justes vivront éternelle-
ment dans le Brillant. Au lieu d'admettre cette contradiction , comme
tant d'autres qui existent, naturellement, dans toutes les Mythologies,
puisque les différents mythes se forment souvent les uns indépendamment
des autres, Snorri croit devoir et pouvoir lever cette diflSculté, qu'il sup-
pose exister, en montrant que, selon le mythe norrain, il y aura toujours,
dans le ciel, après la catastrophe de la fin du monde,* un Paradis pour les
Élus. Aussi, se rappelant que, dans cette Mythologie, figurent encore deux
Endroits, situés dans \e Séjour desAl/es, le premier, Allongé{norr. And-
lang , ainsi nommé, sans doute, parce que, dans l'origine, ce nom dé-
signait la première moitié de la Voie lactée).^ et le second, Bleu-au-
Large (norr. Fid-blâinn, ainsi nommé , parce que ce nom désignait la
seconde moitié de la Voie lactée) , Snorri donne-t-il à entendre que si le
Ciel (qu'il confond faussement avec le Brillant) viendra à être détruit ,
les Élus trouveront toujours un refuge dans ces deux autres Endroits du
Séjour des Alfes, dans Allongé, et dans Bleu-au- Large.
16
242 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
(28) ORIGINE DES VENTS ET DES SAISONS.
g 83. L'Aigle Hræsvelg. — Snorri^ après avoir parlé des différents
Endroits ce7e5ies, et se rappelant encore que le vent est dit, dans la My-
thologie, provenir de l'extrémité du ciel, passe, par une transition natu-
relle, de la description des Endroits célestes, au mythe sur l'origine des
Vents, et, par l'intermédiaire de celui-ci, au mythe sur l'origine des
Saisons.
Au commencement, c'est-à-dire au quatrième siècle avant notre ère,
le Dieu du Ciel, Tins (scythe Tivus; norr. Tyr)^ était aussi , sous le
nom épithétique de Valus (norr. Othr) , Dieu de l'air, de l'orage, de la
tempête, et des vents. Lorsque ce dieu suprême se fut dédoublé, et que
plusieurs divinités eurent partagé entre elles ses différentes attributions ,
Vatans{^\\. JVodan, norr. Odinn) hérita des attributions de Tins, con-
sidéré à la fois comme Dieu Suprême, et comme Dieu des vents. Enfin,
lorsque Odinn eut remplacé l'ancien Tyr, comme Dieu Suprême , son
caractère de Dieu des Vents s'effaça devant ses attributions plus relevées
de Dieu suprême; et comme, à cette époque, les mythes théogoniques et
cosmogoniques étaient en voie de se former, la Mythologie songea aussi
à trouver une origine cosmologique aux grands phénomènes de la Nature,
tels que , entre autres , les vents. Or , comme les lotnes étaient considérés
comme les premiers-nés de la création , on donna aussi aux Vents une ori-
gine iotnique, et on les fit naître dans le^e/owrc?e5/oi?ie5. Ensuite comme
V aigle est le symbole naturel de l'air et du vent (voy. p. 235), au point que les
vents furent appelés, métaphoriquement, des aigles (norr. âr, messa-
ger ; ail. adel-âr ; cf. lat. aquilo et aquila.) , la Mythologie imagina que
riotne, ou la Personnification de la force gigantesque qui produisait le
Vent, se tenait, sous la forme d'un aigle , dans le Séjour des lotnes,
c'est-à-dire à V extrémité austro-septentrionale du ciel. Cet aigle n'est,
à proprement parler, que l'ancien dieu Valus {Othr, ou Odinn) zoo-
morphe, appelé aussi le Vieux Aigle, dont il a été question plus haut
(voy. p. 235). Puis , pour expliquer comment est produit, mécaniquement,
le vent, la Mythologie dit qu'il résulte de l'agitation de l'air causée par
les coups de penne de cet Aigle gigantesque. Enfin comme, à cette époque,
l'aigle était généralement considéré comme le symbole du vent , il était
inutile de donner à l'Aigle mythologique, auteur* du vent, un nom sym-
bolique particulier, énonçant son action de produire l'agitation de l'air;
il suffisait de lui donner un des noms épiques , épithétiques , ou poétiques ,
usités pour désigner l'aigle en général. Or, comme quelques espèces d'ai-
gles se nourrissaient, comme on croyait, de charogne, on a donné le
nom épique ou poétique de Avaleur-de-Charogne (norr. Hræ-svelgr :
sansc. Kraviâdas) à l'aigle iotnique, l'auteur des vents, selon la My-
thologie.
§ 84. L'Origine des Saisons. — La Cosmologie mythologique ne consi-
dérait les Saisons qu'au point de vue de la température, qu'elle faisait dé-
pendre uniquement des vents qui soufflaient plus ou moins chauds, ou plus
ou moins froids, aux différentes époques de l'année. ^??or;-/ rattache donc
aussi au mythe sur l'origine des vents , celui sur l'origine des Saisons.
NUMÉRO (28) (page 95); l'aigle hræsvelg; les saisons. 243
D'après la Mythologie Scandinave , Souffle-Doux (Svas-udr) , la personni-
fication cosmologique du \eni pri?i(annier, ainsi nommé parce qu'il est
si doux par rapport à la rigueur du vent d'hiver, est le Père de VE(é. Il
appartient à une race bénigne et heureuse , au point que , suivant
Snorri, le mot doux dérive de son nom. Il est inutile de faire remarquer
que cette étymologie est contraire aux règles les plus élémentaires de la
dérivation lexicologique. Le mot primitif doux ne peut provenir du mot
composé souffle-doux; il fallait dire, pour être dans le vrai, que le nom
propre Souffle-Doux (norr. Svas-udr) est composé du mot svas, qui
signifie doux, et du mot udr (p. vatus, othr; cf. Hnek-uthr , Gneggi-
othvy p. 160 qui signifie vent).
Le père à' Hiver est nommé tantôt Messager des Vents (puisque les
vents frais de l'équinoxe et de novembre précèdent et annoncent, comme
des messagers , les vents plus forts de l'hiver) , tantôt Fr ai s-de- Souffle,
puisque les vents de l'Automne ont le souffle plus frais que ceux de l'Été.
Le père de Frai s- de- Souffle &s{ Enhardi, c'est-à-dire le vent d'automne,
qui, prenant de la hardiesse , devient de plus en plus eifronté, piquant,
insolent. Toute la race de Enhardi (les vents d'automne) est violente, et
désagréable. De même que, dans l'origine , les peuples de la branche gète
ne distinguaient que deux points cardinaux, l'orient et l'occident (voy.
Les Gètes , p. 8) , de même la Mythologie ne connaît aussi que deux es-
pèces de vents , et deux Saisons , savoir les vents et la saison dJété, et les
vents et la saison á'hiver. Cette particularité indique que les mythes cos-
mogoniques se sont formés environ au troisième siècle de notre ère , à
l'époque où les quatre points cardinaux n'étaient pas encore reconnus ou
dénommés.
(29) LES ASES ET LES ASYNIES ; ODINN ET FRIGO.
g 85. Signification du nom d'Ase et d'Asynie. — Après avoir exposé la
Cosmogonie, la Théogonie, et les traditions sur les différents Endroits et
Objets mythologiques, Snorri passe aux Divinités proprement dites,
qui sont, en quelque sorte, le pivot et la base de toute la religion. Ces
divinités étaient, dans l'origine, des objets de la h^Xmvq physique , tels
que le Ciel, la Terre, le Soleil, la Lune, etc. Ces objets divinisés et adorés
passaient pour des Êtres vivants; mais la forme qu'avaient , dans la na-
ture , ces objets considérés comme Êtres vivants', n'avait rien de la forme
unique humaine; au contraire, leurs formes naturelles, si diverses, les
rapprochaient plutôt des formes diverses des animaux ; et, c'est pourquoi,
ne pouvant d'abord être conçus comme des divinités anthropomorphes,
ces Êtres vivants divinisés furent longtemps adorés comme des divinités
zoomorphes. Ces divinités zoomorphes , n'ayant pas non plus , toutes ,
la même forme, on ne put les considérer comme appartenant à une seule
et même race ; et , par conséquent, on ne put longtemps pas songer à leur
donner un nom générique. Plus tard , les objets delà nature qui avaient
été divinisés ou apothéoses , ne furent plus considérés comme étant eux-
mêmes des divinités; ils devinrent des choses sacrées, auxquelles pré-
sidaient des divinités anthropomorphes. Dès lors, étant devenues anthro-
pomorphes, et n'ayant plus des figures , différentes les unes des autres,
244 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
ces divinités furent considérées comme formant une race, une famille, et
l'on put songer à leur donner un nom générique. Or , les dieux étant
supposés habiter le ciel, la plupart des peuples iafétiques leur ont donné
le nom de Célestes (sansc. daivâs, célestes, de div , ciel; gr. théoi'ii.
deifoi, dheioï, theoi; lat. dii p. deivi; norr. tivar, etc.). Chez les Ger-
mains, et surtout chez les Scandinaves, les Dieux portaient aussi le nom
générique, mais épithétique de as (p. ans, goth. ans; v. h. ail. ans; an-
glos. d5), qui signifiait proprement Support (cf. sansc. anças, support,
épaule; lat. ansa, support, épaule, anse, et ara p. âsa, soutien, sup-
port, autel), ou Soutien, Conservateur, parce qu'on considérait la nature
des divinités comme se manifestant principalement par la conservation ,
ou la protection qu'elles accordaient au Monde et aux hommes, par op-
position aux Puissances anti- divines , qui tendaient à la destruction de
la Nature ou de la Création. Le nombre de douze que Snorri assigne aux
Ases , ainsi qu'aux noms á'Odinn (voy. p. 157) , n'a rien de primitif, rien
de symbolique, ni même aucun fondement dans la Mythologie. Les an-
ciens documents énumèrent, et ont dû naturellement compter, tantôt plus,
tantôt moins de douze Ases. Cependant, plus tard, on aimait admettre
le nombre de douze, au moins pour les divinités principales; et cela pour
différentes raisons : d'abord , pour avoir un nombre correspondant aux
douze mois de l'année, dont on mettait chacun sous la protection de
quelque divinité; ensuite, parce que les Scandinaves, ainsi que les Keltes,
comptaient par douzaines; puis, parce qu'on voulait faire correspondre
le nombre 12 des Ases, considérés comme juges célestes, siégeant au-
près de VJrbre de Jugement {yoy. p. 223), aux c^owse juges ou jurés des
assises usitées dans le Nord; et enfin, parce que les douze Ases rappe-
laient, soit les douze divinités, établies systématiquement , dans la mytho-
logie romaine, soit les douze apôtres de Jésus-Christ, ou les douze Pairs
de France de Charlemagne , etc.
Jsynies. — A côté des quatorze ou quinze ^ses dont les noms figurent
dans les anciens documents mythologiques, nous voyons figurer un nombre
presque égal de Déesses. Elles portent le nom générique de Asynies
(norr. Asyniur). Ce nom , qui est une contraction de As-viniur [Amies
des Ases ; cf. vargr, loup, et vargynia, louve), n'exprime pas leur nature
divine, mais seulement leur qualité de Femmes ou d'Amantes des Ases.
Cependant ces Asynies ont presque toutes une personnalité marquée ,
un caractère symbolique , et des attributions individuelles; elles ne sont
pas seulement, comme la plupart des déesses hindoues, de simples per-
sonnifications des qualités, ou, comme on disait, des énergies (sansc. .
çaktiâs) des dieux leurs époux.
g 86. Les attributions d'Odinn. — Les ancêtres des Scandinaves , les
peuples Scythes et gètes , adoraient, comme dieu suprême , le dieu Ciel
(scyth. Tivus; norr. Tyr;y.2\\.Zio). Ils considéraient, comme les prin-
cipaux bienfaits de Ciel^ U pluie, qui arrose et féconde la terre, lèvent,
qui rafraîchit et purifie l'air, et V orage, qui amène à la fois la pluie et le
vent. Aussi le dieu Ciel était-il adoré principalement comme produisant
la pluie, le vent, et l'orage. Comme Père de là pluie ^ il eut l'épithète de
Fécondateur ou Aime-Pluie (scythe Pirkimis; sansc. Parddjanias;
NUMÉRO (29) (pages 95 - 97); ases et asynies ; odinn. 245
iiorr. Fiörgynn; cf. sansc. vrichas, arroseur, taureau: kimro-thrake,
Phrixus, bélier; umbrien ^rcws , bouc; lat. hircus; gr. krios p. krifos,
frikos). En sa qualité de dieu du Fent, le dieu Ciel portait l'épithète de
yígiíé (scythe Fâiîis p. vahitus; norr. ôdr; cf. sansc. vâtas; lat. ventus
p. vehentus; goth. vinds p. vahinds, participe áevaha, remuer, lat.
veho, V. h. ail. wagan). Enfin, comme Dieu de l'orage /econc?a/ti, Ciel
portait l'épithète 6! Orageux.
Le dieu Ciel, considéré comme fécondateur de la terre, devint Tépoux
de la déesse Terre {scylhe Jpia; norr. lördh); et ces deux conjoints
passaient pour les parents primitifs des Dieux et des hommes. En sa
qualité de Père des dieux et des hommes , le dieu Ciel eut l'épithète de
Père ou Aïeul (scythe Pappa; cf. gr.pappos, aïeul; arm. pap, aïeul;
phryg. Zeus papas ; norr. Jllfödr, voy. p. 138). Comme Père des Dieux,
le dieu Ciel était aussi considéré comme leur Chef, et par conséquent
comme le Dieu Suprême. Enfin comme Dieu Suprême, et comme Aïeul des
peuples Scythes, dont l'occupation principale et la plus honorée était la
guerre, Ciel passa naturellement aussi pour être le Dieu de la Guerre,
d'autant plus qu'il était déjà Dieu de V Orage, et que, suivant une asso-
ciation d'idées assez commune dans l'Antiquité , l'agitation et la fureur
d'une tempête étaient assimilées à l'agitation et à la fureur d'une lutte
ou d'un combat (cf. gr. thuella, tempête ; lat. hélium p. duellum , guerre;
gr.polemos}^. tpolemos, guerre; goth. dvaly?is , fureur). Aussi l'épithète
de Tempétueux (scythe Vâtans , norr. Odinn, vhall. JVôdan)., dési-
gnait-elle Ciel à la fois comme dieu des Vents, ou des Orages , et , par suite ,
comme dieu des Combats. C'est ainsi que Ciel parvint à réunir les dif-
férentes attributions de Dieu du ciel , de Dieu de la fécondation , de
Dieu des vents , de Dieu de l'orage , de Dieu suprême , de Père des Dieux
et des hommes, et de Dieu des combats. Ces différentes attributions , qui,
dans l'origine, appartenaient toutes à la même divinité, nommée Ciel.
furent réparties, dans la suite, sur plusieurs dieux, qu'on peut considé-
rer, par conséquent, comme nés du dédoublement de cette divinité
suprême , et comme les représentants spéciaux de ses différentes attribu-
tions. C'est ainsi que les ancêtres des Germains et des Scandinaves con-
stituèrent, avec l'attribution de Ciel, considéré comme dieu Tempé-
tueux^ un Dieu spécial de l'orage, auquel on donna, pour nom propre,
l'ancien nom épithétique de Tempétueux {Fâtans, Odinn, fVôtan). Ce
Dieu particulier Odinn, par l'influence, la puissance, et l'ascendant po-
litique des peuplades qui avaient adopté son culte , parvint peu à peu au
rang de Dieu suprême, dans la Mythologie; et bien qu'il n'eût, au com-
mencement, que sa spécialité ou une seule attribution , celle de Dieu de
\ Orage, il prit cependant, dans la suite, comme Dieu suprême, les
principales attributions de l'ancien Dieu Ciel {Tius, Tyr)., dont il était
le dédoublement. Voilà pourquoi les attributions de Dieu de la Guerre,
et de Père des Dieux et des hommes , passèrent du Dieu Tyr au Dieu
Odinn, de sorte que Tyr, qui , dans l'origine , avait été le Dieu Suprême,
et qui, comme tel, possédait les attributions les plus nombreuses, fut
réduit au rang de dieu inférieur par son successeur et remplaçant Odinn,
qui lui devait presque jusqu'à son origine et son nom . et qui s'agrandit, en
246 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
quelque sorte , à ses dépens , en le dépouillant , peu à peu , de ses dififérentes
attributions.
g 87. Les noms épithétiques d'Odinn. — C'est seulement en se rappe-
lant les dififérentes attributions du Dieu Suprême Odinn, qu'on parvient
à expliquer ses nombreux noms épithétiques , et les diflférents mythes qui
s'y rapportent. Dans l'origine, Odinn, n'ayant encore qu'une seule at-
tribution, celle de Dieu des tempêtes, n'avait aussi qu'un seul nom, celui
^ Odinn, qui exprimait précisément cette qualité. Mais, à mesure que
les attributions de ce dieu furent augmentées, et qu'il fut envisagé sous
des rapports de plus en plus multiples , il prit aussi des noms épithétiques
plus nombreux. Snorri , d'après son système evhémériste , admettait un
Odinn asiatique, et un Odinn scandi7iave (voy. p. 15) ; il croyait que le
premier avait seulement douze noms , mais que le second en prit un plus
grand nombre. Il donne deux raisons pour expliquer et l'origine et la
pluralité des noms du second Odinn. D'abord il attribue cette pluralité
à la diversité des langues , que parlaient les peuples, chez lesquels Odinn,
en passant de l'Asie dans le Nord de l'Europe, s'était, selon lui, succes-
sivement établi. Cette explication n'est pas admissible , puisqu'il s'agit
ici des dififérents noms que portait Odinn, non dans dififérentes langues,
mais dans un seul idiome, la langue Scandinave et, plus tard, la norraine.
Ensuite Snorri rapporte l'origine de quelques noms aux accidents sur-
venus à Odinn dans ses voyages, que notre auteur, d'après ses idées
evhéméristes , croit avoir eu lieu efifectivement. Cette explication n'est pas,
non plus, admissible, mais du moins, en la modifiant quelque peu, on
y trouvera une partie de la vérité, comme nous allons le faire voir main-
tenant, en reprenant la question à un point de vue plus général. Pour
répondre convenablement à la question sur la pluralité des noms épithé-
tiques des Divinités, il faut se rappeler que, dans l'origine, les Dieux
n'avaient, et ne pouvaient avoir, qu'un seul nom ^ celui qui exprimait pré-
cisément l'idée, la qualité, ou l'attribution dont le dieu était originaire-
ment la personnification ou le symbole. Ainsi la Tempête personnifiée fut
désignée par le nom de Vatans (Tempétueux), et ce dieu, n'étant envi-
sagé, dans l'origine, que sous le point de vue de son attribution de tem-
pête , ne pouvait pas alors être désigné par un nom autre que celui de
Tempétueux. Mais, dans la suite, lorsque ce dieu fut considéré, non
plus simplement comme la Personnification de la tempête , mais encore
comme Dieu de la Guerre , comme Dieu suprême, comme Père des Dieux
et des Hommes, alors les rapports, sous lesquels on l'envisageait, s'étant
multipliés , on lui donnait aussi des noms épithétiques se rapportant , ou aux
nouvelles qualités, soit physiques, soit morales , soit intellectuelles, ou
à l'extérieur , aux habitudes , aux actions , aux passions , et aux aventures ,
que la Mythologie épique lui attribuait. Telle est la cause ou l'origine de
la pluralité des noms épithétiques , donnés tant à Odinn qu'aux autres
divinités. Pour expliquer les nombreuses épithètes, et les diflférents mythes
qui se rapportent à Odinn, il faut donc se rappeler les différentes attri-
butions de ce Dieu Suprême, et ne pas oublier que quelques-uns de ces noms
ont pris successivement différentes significations , parce que , expliqués
difi'éremment , ils ont pu être rappoités à dififérentes attributions d'Odinn.
NUMÉRO (29) (pages 95-97); noms épithétiques d'odinn. 247
Odin7i , Dieu du Vent. — Le nom de Odinn , dont la forme n'est que
tant soit peu différente de Odr (cf. norr. hugr et huginn ; munnr et
muninn) , signifie Agité , Tempétueux , et prouve que , dans l'origine ,
ce dieu était seulement et spécialement considéré comme Dieu de l'agita-
tion de l'air, des vents et des tempêtes. Les noms épithétiques, qui dési-
gnent Odinn en sa qualité de Dieu de l'air et des vents , sont : 1° Calme,
t"" Humide, ^° Agile, lk° Frémit-doucement Aux attiributions Ôl' Odinn,
comme Dieu du Vent, se rapportent, parmi les douze noms cités par
Snorri (voy. p. 79), les noms épithétiques de Nikar, de Nikuz , de Vid-
rir, de Omi , de Svidrir, de Bîf-lindi, et de lalg , qui ont déjà été ex-
pliqués ci-dessus (voy. p. 19).
Odinn, comme Dieu du vent favorable (cf. oska-hijr^ p. 161), devint,
vers le sixième siècle , le Protecteur de la Navigation et du Commerce.
C'est en cette qualité qu'il porte, dans le langage poétique, le nom de Tyr
des Cargaisons , et qu'il est quelquefois confondu, dans les sagas, avec
Freyr et avec Niördur , qui, eux aussi, présidaient à la Navigation, et
aux Vents favorables (voy. §§ 95 et 97).
Les sacrifices offerts à Odinn, en sa qualité de Dieu de \air, se faisaient,
en suspendant les victimes aux arbres; action symbolique par laquelle
on exposait ou livrait, en quelque sorte , ces victimes à l'air et aux vents,
c'est-à-dire au Dieu qui les représentait, ou qui y présidait (v. Les Gètes,
p. 281). Lorsque, dans la suite, Odinn devint encore Dieu des Combats,
on lui sacrifiait aussi les prisonniers de guerre, en les pendant également
aux arbres du bois sacré (voy. Procopius, de bello gothico, lib. II , cap. 15).
On conçoit, d'après cela, que la pendaison, ayant traditionnellement le
caractère religieux d'un sacrifice, n'avait, même aux époques posté-
rieures, rien de déshonorant, et Odinn a pu être nommé Dieu des Sus-
pendus , puisque ces Suspendus étaient autant de Victimes , ou de Consa-
crés , offerts à sa personne divine.
Odinn, Père des Occis. — Une fois considéré comme Dieu des Com-
bats , Odinn prit naturellement le nom de Père des Occis. Car les guer-
riers qui succombent dans le combat, et qui, par conséquent, selon les
idées de l'époque , sont censés s' être sacrijiés, ou s'être dévoués au Dieu
de la Guerre, sont reçus, après leur trépas ou occision (norr. t-a/r),
parmi les Hommes de la suite , ou de la bande guerrière à' Odinn. Or, dans
l'origine , la bande de chaque chef ou roi se composait de ses fils , et de
ses parents; de là vient que le mot lîd, qui , dans la langue norraine,
désigne la bande, désigne également \2i/a7nille. Che/et Père étaient donc ,
dans l'Antiquité patriarchale et guerrière , des termes presque synoiiymes,
et c'est pourquoi les hommes de la suite â' Odinn sont également consi-
dérés comme ses fils , du moins comme ses Jils adoptifs (norr. oskmegir).
Les hérosde la banded'Odinn portentle nom de Troupier s-Uniques,e'esi-
à-dire de Troupiers sans pareil, ou Troupiers par excellence, parce qu'il
n'y a que les héros les plus distingués qui puissent faire partie de la bande
A' Odinn, du meilleur des guerriers. Les Troupier s- V niques y \yeni^^^'pT'es
de leur père adoptif, le Dieu des Combats, dans \^Halle-des-Occis , ou
auprès de son épouse Frigg (ouFreyia), dans VA liée- Joyeuse (cf. p. 268).
Les épithètes qui désignent Odinn, en sa qualité de Dieu des Tempêtes
248 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
et des Combats, sont les suivants: i° Bruyant (norr. Omi, voy. p. 161),
2° Ténébreux comme Hel (voy. p. 102) , 3° Œil-Nuageux (épithète qui
exprime le regard , ou l'aspect , nuageux et sombre du ciel , et du combat-
tant), 4° Alerte, ^°Fasci?iant^ 6° Fascinateur, qui expriment le caractère
remuant, et la force magique á'Odinn, 1" Décisif, qui énonce que Odi?in
est présent au moment décisif^ 8° Père de Victoire , 9° Dieu des Com-
battants, iO'' Dieu d'J larme, W Escrimeur, 12° Troupier (v. p. 160)^
13° Joyeux de Troupes (qui exprime le plaisir qu'éprouve Odinn à la
vue des troupes), 14° Cuirassé, 15° Porte-Heaume , etc. , tous des noms
qui se rapportent à Odinn comme Dieu-Guerrier.
Odinn, Dieu suprême. — Les Forces conservatrices , c'est-à-dire les
Dieux qui contiennent, comme par un lien, le Monde, et l'empêchent de
se disjoindre, ou de se dissoudre, portent le nom symbolique de Liens
(norr. hôpt). De là, Odinn , comme Chef des Ases (des Soutiens, et des
Liens), porte lui-même l'épithète áeLie?i, et de Dieu des Liens. Les
autres noms épithétiques, qui se rapportent au caractère divi7i á' Odinn,
sont les suivants: 1° Sublime (v. p. 151), '^° Père- Universel (v. p. 155),
'S^ Équi-Sublime (ce dernier nom désigne Odinn, comme associé soit à
Hlôdur ou à Thôr, soit k Nœnir ou kFrey), 4" Troisième qui désigne
0</m?i comme associé à deux autres dieux, ou comme occupant le troi-
sième rang (voy. p. 152), dans une Trinité divine. D'autres épithètes, plus
récentes, et imaginées par la tradition épique , rappellent des qualités phy-
siques , morales , ou intellectuelles attribuées à Odinn, ou enfin des parti-
cularités qu'on remarquait dans ce Dieu , lorsqu'il s'est mêlé aux hommes,
ou s'est entretenu avec eux. C'est ainsi que Chapeau-Rabattu désigne
Odinn, par allusion au chapeau à larges rebords pendants, que ce dieu
portait, selon les Sagas, et qui lui cachait à moitié la figure, et rendait
ainsi sa personne plus inystérieuse. Dans l'origine , Odinn, le Dieu des
Airs et des Vents, passait pour se couvrir d'un nimbus (norr. hulinn,
Couvrant), ou d'une Enveloppe de nuages nommée Heaume du Cou-
vrant (norr. Hulins Malmr). Plus tard , lorsque la tradition eut trans-
formé Odinn en un personnage épique , l'Enveloppe nuageuse , tout en
gardant l'ancien nom, fut changée en un chapeau ou cape (cf. ail. Tarw-
Kappe, Cape ternissante), qui servait à la fois à rendre méconnaissable
Odinn, quant au physique, et à donner à sa personne, quant au moral,
un caractère mystérieux, et sacré ; car, chez les peuples gètes, le chapeau
était le signe distinctif des personnes qui avaient un caractère plus ou
moins sacerdotal (norr. hatt-berendr, voy. Les Gètes, p. 272). Les noms
épithétiques de Barbe- Pendante, et de Barbe-Velue énoncent que Odinn
portait une longue barbe. La barbe est d'abord le symbole de l'âge (cf.
Hercule avec la barbe) , et ensuite le symbole de la sagesse , conséquence
de l'âge.
L'épithète Défiguré fait allusion à la figure sévère, qu'Odinn montrait
dans certaines circonstances. Impétueux est le nom q\i'Odi?m s'est
donné auprès du roi Geir-rothur (voy. p. 249). Piétonneur est l'épithète
qui rappelle que Odinn s'est déguisé en Voyageur, toutes les fois qu'il
voulait se mesurer avec les lotnes (voy. p. 55). Vigoureux indique que
Odinn s'est montré sous la figure d'un gars, ou d'un jeune homme vigou-
NUMÉRO (:29) (pages 95 - 97) ; noms épithétiques d'odinn. 249
reux(cf. ialkr, voy. p. 16?). Tire-Traîneau fait allusion à une tradition
épique aujourd'hui inconnue , et d'après laquelle Odinn était dit avoir fait
avancer un navire ou un traîneau (voy. Grimnism, 49). Agréable indique
qu'il était un hôte bienvenu et agréable. Perspicace , çX Devinant- Juste
énoncent que Odinn faisait preuve, dans le commerce avec les hommes,
d'une grande perspicacité , qualité distinctive de la race normande , et
qui , selon l'opinion des Scandinaves , pouvait être renforcée moyennant
la magie. Prompt-à-tromper est une épithète dî Odinn, qui indique que
la ruse, le stratagème, et la tromperie étaient également des caractères
distinctifs de la race normande , et passaient, chez elle, comme chez tous
les peuples de l'Antiquité , à la fois comme une preuve évidente d'intel-
ligence et de prudence , et comme une manière d'agir estimée honorable,
ou sans reproche. Malfaisant est le nom que Odinn s'est donné dans
certaines circonstances, et qui indique qu'il savait trouver les moyens
d'arriver à ses fins pour perdre ses adversaires. Rappelons, ici, qu'aux yeux
du Paganisme, des actions méchantes, ou même un caractère méchant,
attribués à un dieu, ne détruisaient pas son caractère divin (v. p. 478).
Equitable exprime la justice d'Odinn , et Multiple sa nature multiforme.
Tels sont les principaux noms épithétiques à! Odinn, qui se rapportaient
aux qualités physiques, morales, ou intellectuelles qu'on attribuait à ce
dieu, ou qui faisaient allusion à des circonstances et à des particularités,
rapportées dans les mythes, et dans les traditions épiques. Snorri en a
cité la plupart, d'après les Dits de Grimnir, poème eddique qui raconte
qu' Odifiîi caché, sous le nom de Grimnir (Impétueux, Sanglier), énu-
mère lui-même, au roi Geir-röthur (Rougit-la-Lance), ses différents noms,
ou les épithètes qu'il porte. La signification de la plupart de ces noms n'était
déjà plus connue , à l'époque qui a précédé les temps de Snorri. Aussi , dans
ce poëme eddique , ces noms sont-ils présentés pêle-mêle , sans ordre , ni
suite logique ; ils sont rangés uniquement d'après les exigences de l'allité-
ration (cf. p. 221). Ensuite comme la signification précise n'en était plus con-
nue, ces noms sont , dans les poèmes mythico-épiques , souvent donnés
à Odinn, mal à propos , c'est-à-dire, contrairement à la règle qu'on doit
suivre dans l'emploi des épithètes. Cette règle consiste à choisir les épi-
thètes de manière , que l'idée qu'elles expriment contribue à mieux faire
ressortir l'action , ou la situation particulière attribuée au sujet, dans tel
ou tel cas spécial. Ainsi, par exemple, Odinn pouvant, par suite de ses
attributions multiples , être désigné par une foule de noms épithétiques ,
il fallait que ces épithètes, pour être bien choisies, fussent chaque fois en
rapport avec l'action qu'on attribuait à ce dieu , ou à la situation dans la-
quelle on voulait le représenter. S'il agissait, par exemple, comme Dieu
del'a/r, il fallait lui donner des épithètes qui fussent en rapport direct avec
cette action ; s'il était représenté comme Dieu de la Guerre, les épithètes
de Piétonneur, de Chapeau-Rabattu , etc. , lesquelles se rapportent à
des circonstances toutes différentes de celles de la guerre , eussent été
on ne peut plus déplacées. Cette règle si simple et si naturelle de l'emploi
des épithètes, n'a pas été toujours observée dans les poésies lyriques,
épiques, et mythologiques de l'Antiquité , pas même par les meilleurs
poètes , tels que Homère et Pindare. C'est que , ne connaissant plus la
250 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
signification propre, ni, par suite , la portée de ces noms épitliétiques ,
on les choisit le plus souvent au hasard, et on les employait indifférem-
ment, comme épithètes épiques stéréotypes , et même quelquefois dans
un sens évidemment contraire à celui de l'action ou de la situation , qu'on
voulait représenter ou exprimer.
§ 88. Conception et attributions de Frigg. — Le Dieu C/c/ avait, entre
autres attributions, aussi celle de Père de l'Orage , qui, parla pluie, fécondait
la terre ; et, en cette qualité, il portait l'épithète de Âime-Pluie (Fiörg-ynn).
Comme, dans l'Antiquité, l'eau, et surtout la pluie fécondante, était l'em-
blème du sperme et de la fécondation, le dieu Ciel, comme Père de la Pluie,
ou Amant de la Pluie, était encore considéré comme YJrroseur , le Fécon-
dateur psiT excellence (v. p. 245). Lorsque , dans la suite , Ciel (norr. Tyr)
fut devenu un dieu anthropomorphe, on ne considéra plus le nom A^ Aime-
Pluie comme une épithète désignant une attribution de ce dieu Ciel
(Tivus , Tius), mais comme un nom désignant un Dieu spécial, distinct
de Tius ou de Tyr. Aussi , de même que le culte d'Oi/m?i s'est séparé de
celui de Tyr, de même aussi le dieu Fiörgynn est devenu uti Être mytho-
logique, indépendant du Z)2ew suprême Tyr, auquel fut substitué Odinn.
Vers le premier siècle avant notre ère , Fiörgynn , le Dieu de l'Orage
fécondant, ou de \2l Foudre, fut remplacé, en cette qualité, par Thôr; de
sorte qu'il disparut presque complètement de la Mythologie Scandinave,
comme Dieu de V orage. Mais Frigg-mnr (l'Arroseur, le Fécondateur) ,
comme Dieu de la Pluie, de la Fécondation , et plus généralement de la
Génération , resta encore, pendant quelque temps, le Père de \^ Pluie (norr.
frigg ^ hregg)^ laquelle a été personnifiée sous le nom de Frigg (Pluie).
Comme ses attributions de Fécondateur étaient aussi celles du Dieu du
soleil fécondant, Fiörgynn se confondit, dans le culte des Svèdes, avec
le dieu Freyr, le Dieu du soleil et de la fécondité , qui dès lors, par suite
de cette confusion , fut lui-même représenté avec les insignes symboliques
de Fiörgynn, à savoir îngentepriapo. Chez les Germains , au contraire,
le dieu Frô (norr. Freyr) , en sa qualité de Dieu du soleil fécondant, fut
absorbé par le Dieu de l'orage fécondant Virg-un; et c'est pourquoi ^c?a/»
de Brème a pu donner au Freyr des Scandinaves le nom germanique la-
tinisé de Friccon (germ. Firgun). Il est arrivé , dans toutes les Mytho-
logies , que les divinités symboliques de la génération, ayant été changées,
dans la suite, en divinités anthropomorphes et épiques, ont dès lors aussi
été jugées, comme les hommes, au point de vue moral, et ridiculisées
comme des dieux adultères et luxurieux. Aussi la tradition norraine posté-
rieure, oubliant la signification 5ym6o%we primitive àeFiorgynn comme
Générateur , et ne voyant que sa qualité épique áQ Fécondateur , l'a-t-
elle représenté , au point de vue moral, comme un dieu lascif. Voilà
pourquoi le malicieux Loki, raillant la déesse Frigg , l'épouse d'Odinn,
lui reproche d'avoir une nature lascive , comme celle de son père Fiör-
gynn. (Voy. Poëmes islandais., p. 330.)
Suivant une strophe de la Vision de la Louve, la résidence de la
déesse Frigg est nommée Salles d'Écume (norr. Fen-salir; cf. sansc.
phena,é,mme', all./cm).Cenom désigneles nuages, qui ressemblentàde
l'écume, et qui , nommés de ce nom , sont les symboles de la fécondation
NUMÉRO (30) (pages 97 , 98) ; thôr et ses attributions. 251
ou de la génération ; car les termes de écume , de spe7'me^ de eau, sont
synonymes , dans beaucoup de langues et de mythologies anciennes (cf.
Jphro-dite, Née de l'Effervescence, de l'Eau, du Sperme, ou de l'Écume).
Frigg, la fllle de Fiörgynn, devint V épouse d'Odinn, parce que, la pluie
étant inséparable de l'orage , Frigg, la Déesse de la pluie fécondante , était
naturellement l'épouse á'Odinn, qui, dans l'origine , était le Dieu des
tempêtes et de l'orage. Odinn étant le chef des Jses, Frigg ^ en sa qua-
lité à' épouse d'Odinn, est devenue aussi la première ou la plus distinguée des
Asynies. La connaissance qu'elle a des destinées humaines (et áoniSnorri
parle ici tant soit peu hors de propos), n'est pas (on le conçoit sans peine)
une conséquence de ses attributions ou de sa nature de Pluie fécondante
[frigg , hregg)^ c'est seulement une conséquence que, dans la période
épique de la Mythologie , les peuples goto-germains ont tirée, d'abord, de sa
nature á^ femme, en tant que la femme ^ par suite de son organisation plus
délicate que ne l'est celle de l'homme, possédait, selon eux, le don de
la vision ; ensuite , sa connaissance de la Destinée est aussi la conséquence
de sa qualité de rf^e55e, puisque, comme telle, Frigg était plus ou moins
initiée aux mystères de la Destinée humaine, laquelle était décrétée, dans
l'origine , par les Dieux , et plus tard , chez les dieux , par les Nornes (voy.
p. 232) ; enfin , sa connaissance de la Destinée découlait encore de sa qua-
lité de Déesse Suprême , ou d' Épouse d' Odinn , laquelle, plus que toute
autre Asynie, devait être initiée aux grands secrets connus de son époux
le Dieu Suprême. Cependant Snorri a tort, non-seulement de parler ici
de cette connaissance , mais encore d'y insister particulièrement , comme
si c'était là un caractère distinctif , et une attribution particulière de Frigg.
Il s'est cru sans doute autorisé à le faire par l'énoncé de la strophe des
Sarcasmes de Loki (voy. Poèmes islandais, p. 321) , qu'il cite. Mais il
ne s'est pas aperçu que si , dans cette strophe , on attribue à Frigg une
connaissance pleine et entière des destinées, cela est motivé et nécessité
par les circonstances é/îe^we* et dramatiques de ce poème, sans que,
pour cela , la Mythologie prétende que cette déesse ait eu , tout particu-
lièrement , le don de la vision.
(30) conception du dieu thôr , et ses attributions.
§ 89. Pirkunis, Firgunis, Fiörgynn. — Le Dieu Suprême Ciel (scythe
Tivus; norr. Tyr) , en sa qualité de Dieu de V or âge, portait le nom épi-
thétique de Aime-Pluie (scythe Pirkunis; norr. Fiörgynn; sansc. Pardj-
Janyas; kimro-thrake Herkunes; Pélasge-étrusque^ercw/e*). Plus tard,
Aime-Pluie devint le nom propre d'une divinité distincte de Ciel, et ayant
les attributions spéciales de Dieu de l'orage. L'orage étant considéré
principalement au point de vue de h fécondation , le Dieu de l'orage était
aussi envisagé surtout comme Dieu Fécondateur, et, en cette qualité,
il se rapprocha du Dieu du soleil fécondant. Aussi plusieurs mythes
symboliques, qui se rapportaient, dans l'origine , uniquement au Dieu
du soleil, furent-ils, dans la suite, également appliqués au Dieu de
Vorage, et cela par suite de l'analogie qui s'était établie entre ces deux
divinités, tout comme elle s'était, également, établie, dans la Mythologie
grecque, entre Héraklés, Dieu de \^ foudre , eiHéraklès, Dieu du so-
252 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
leil. C'est ainsi, nolaniment, que les mythes reposant sur l'antithèse
entre la nature ignée du Soleil, et la nature humide de l'Océan , furent
transportés du Dieu du soleil au Dieu de V orage, de sorte que le Dieu
du Tonnerre fut représenté comme Y Ennemi de l'Océan, et prit dès lors
deux épithètes appartenant, dans l'origine, exclusivement au Dieu du
Soleil, savoir : 1® l'épithète de Bihvew (sansc. Papis, lat. Bibax) , qui
convenait au Soleil, parce qu'en faisant évaporer l'Océan , il était supposé
boire les eaux de la mer, et 2° l'épithète ([e, Protecteur du Peuple (scythe
Tavit-varas; norr. Thiod-varr) ^ qui énonçait sa qualité de Père et de
Protecteur de la Nation , qualités attribuées originairement au Dieu du
soleil.
Chez les peuples de la branche sarmate, le Dieu de la foudre , Per-
kunas (lith. Perkunas ; norr. Fiörgynn) , prit aussi les attributions de
Dieu de la guerre , et devint le Dieu Suprême (voy. Procop. de belle go-
thico, lib. 3, p. 432). Mais lorsque, plus tard, Perkunas, le Dieu de
l'Orage, se confondit, chez les peuples de la branche sarmate, avec le
Dieu du s(Ae\\^ Sviatoviti^'ûs du Brillant), tout comme, chez les peuples de
la branche gète, Fiörgynn s'était confondu en partie âwecFreyr, ce nom
de Perkunas s'effaça de plus en plus dans la Mythologie slave , comme
celui de Fiörgynn s'était eifacé dans la Mythologie gotho-germanique.
Perkunas, de uom propre à' un dieu qu'il avait été, devint, dans les idiomes
slaves, un nom commun désignant \3i foudre (cf. Parom p. Parkum ou
Perkunas; /irom p. parom, foudre; grom, foudre; cf. gr. keraunos).
Comme les nuages orageux se rassemblent ordinairemert auprès des
montagnes , et que les effets de la foudre se manifestent principalement
dans les forêts séculaires, qui couronnent les cimes de ces montagnes, le
Dieu de V Orage était considéré, dans l'Antiquité, comme ayant sa rési-
dence sur les plus hautes montagnes (cf. heb. Javèh sur le Sina; sansc.
Pardjjanyas sur le Mérous; gr. Zeus sur V Olympe; norr. Thór dans
Thrûdlieini). C'est pourquoi les montagnes élevées , et couvertes de som-
bres forêts étaient consacrées à ce dieu. Telle était, chez les Kimro-
Thrakes de la Phrygie, la montagne appelée Berekun-thos (Domaine
áeBerekun), parce qu'elle était située dans le domaine {fhos; sansc.
dha) du Dieu de l'orage Berekunos (lith. Perkunas). Telles étaient les
forêts appelées herkuniennes (Appartenant à Herkunos ou Verkunos)^
au sud du Danube, depuis la Forêt-Noire jusqu'à la Pannonie {Aristot.
Mirand. Auscult. ; Météor., 1,13; Argonaut. IV, 640; Cæsar, deBelio gall.
6 , 25) et les monts Akro-kerauniens (Appartenant à Keraunos) de l'É-
pire. En Germanie, les montagnes couvertes de forêts hercyniennes,
situées entre VIdistavisus et le Sunt-dal, étaient consacrées également
à Virguni (norr. Fiörgtjnn)^ que Tacite a désigné par le nom équivalent
latin de Herkules (p. Herkunes). Plus tard , vers le deuxième siècle ,
lorsque , en Germanie , le nom de Donar (Tonnerre) fut substitué à Vir-
guni, qui était l'ancien nom du Dieu de l'orage , ces montagnes , consacrées
anciennement au Dieu de l'orage , et qui avaient porté le nom de Virgu-
niennes , furent dès lors appelées 7>/o?2 As de Tonnerre. De même que,
chez les Slaves , le nom propre du dieu Perkunas finit par devenir le
nom commun áQ\di foudre (Perkunas-hrom), de même aussi, chez les
NUMÉRO (30) (pages 97 , 98) ; thôr et ses attributions. :253
peuples de la branche gète, et, sans doute, par l'exemple ou en imitation des
Kimro-Keltes , le nom propre du dieu Firguni devint un adjectif neutre
signifiant Firgunien (Appartenant à Firgun). Puis cet adjectif fut em-
ployé comme substantif neutre, signifiant d'sLbord mont Jirgunien (mont
de Tonnerre), et ensuite montagne en général {^oth. /air guni , mon-
tagne; anglo-s./er^ew; v. h. allemand virgun; gSièMcJîreachin). Enfin
du substantif neutre , signifiant iiiontagne en général, fut dérivé, sous
forme d'adjectif, le nom propre féminin Virgunia (Montagneuse) ,, qui
servit à désigner^ soit la déesse Terre(cf. sansc. Parvata-âdhârâ , Mon-
tagneuse, Terre; gr. Dèmèter herkuna) ^ soit la surface terrestre en
général , soit quelque contrée montagneuse en particulier , tel que XErz-
gebirg, le Fichtelgebirg , etc. Le nom de Burgund, et de Vurgund-aip
(Ile ou Contrée bourgonde) signifiait , ou bien District appartenant à
Perkunas (cf. gr. Berekun-thos) , ou bien District montagneux. Les
Scandinaves désignaient aussi, par le nom de tiörgynn (p. Fiargunia)
la Terre , en général {Skaldskaparmâl , p. 1 78) , ou quelque contrée
montagneuse et boisée , en particulier. (Voy. Oddrûnar grâtr.)
g 90. Les noms de Thôr , de Thôr au Char , et de Thôr des Ases. — Dans
la Mythologie Scandinave, le nom du Dieu de l'orage, Fiörgynn, fut
remplacé , au premier siècle avant notre ère , par celui de Thôr; de sorte
que , dès lors , Fiörgynn ne figurait plus dans la tradition mythologique
comme Dieu de V or âge, mais seulement comme Père de la déesse Frigg.
Thôr hérita donc des attributions de l'ancien Dieu de l'orage, Fiörgynn;
et comme Fiörgynn ^ en sa qualité de Dieu de la îoudre /écoíidante ,
s'était antérieurement confondu, en partie , avec le Dieu du soleil/écon-
dant, Thôr hérita également de quelques attributions de l'ancien Dieu
du soleil. Thôr ayant été substitué à Fiörgynn , qui n'était , dans l'ori-
gine, qu'une spécialisation du dieu Ciel, considéré comme Orage fé-
condateur, aurait proprement dû être considéré comme le/rère d'Odinn,
qui, lui aussi, était, dans l'origine, identique avec C/e/^ considéré comme
Père des Vents. Mais dans la Mythologie Scandinave, Thôr deYmiXe Jils
d'Odinn, et cela par nulle autre raison si ce n'est que Odinn, étant de-
venu le Dieu Suprême, dut, en cette qualité, être considéré encore
comme le Père des Ases (voy. p. 247), et, par conséquent aussi, comme le
Père de Thôr. Thôr a pour mère la déesse Terre (norr. lord), non pas
tant parce que V orage, ou les nuages orageux sont censés provenir de la
terre, comme de leur mère , mais parce que Thôr, le fils du Dieu supi^ême,
devait avoir pour mère lord, qui avait été subsituée à Jpia, l'ancienne
Déesse Suprême , comme Odinn , le Père de Thôr, avait été substitué à
l'ancien Tivus (Tyr), l'époux d'Jpia.
Thôr, comme l'indique son nom , contracté de Thonçir {Thonr ; v. ail.
Donar ; normand français Thure , v. Notices des Manuscrits du Roi, Y,
p. 31 ; Thur-old p. Thôr-valdr), et signifiant Tonnerre, était , dans l'ori-
gine, la personnification du tonnerre, lequel est la manifestation principale
de l'orage. Comme on attribuait à l'orage une influence bienfaisante sur
la fertilité de la terre, Thôr passait pour être un dieu bienfaisant, pro-
tecteur, et ami des agriculteurs. Les orages n'ayant lieu qu'en été, Thôr,
ainsi que le Dieu du soleil , est un dieu de Vété, et, par conséquent, l'en-
254 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
nemi deslotnes et des Thurses, les représentants de \'hiv€?\ Thôr est un
dieu anthropomorphe, actif et vigoureux. Ayant hérité de quelques attri-
butions de l'ancien Dieu du soleil, il est, dans la Mythologie Scandinave,
ce qu'était, dans la Mythologie grecque, Héraklès, à la fois Dieu de la
foudre, et Dieu du soleil.
Quand Thôr agit en sa qualité de Dieu du Tonnerre, il est censé s'avan-
cer sur son char, auquel sont attelés deux Boucs; et ce Char représente les
nuages orageux qui contiennent la foudre. Lorsque Thôr est en activité , et,
par conséquent, quand il est sur son char, il est appelé Thôr-au-Char ;
car, comme le roulement du tonnerre ressemble au roulement d'une voiture,
on se figurait ce dieu , non monté à cheval, comme les autres Jses (voy.
p. 224) , mais s'avançant sur un char. Toutes les fois que Thôr n'a pas
le Char, c'est-à-dire qu'il n'est pas en fonction comme Dieu du tonnerre y
il va à jpied. Il ne possède même pas de cheval ; et la tradition épique en
donne pour raison qu'étant le plus fort des Ases, Thôr serait un fardeau
trop lourd pour un cheval. En imitation de ce mythe , la tradition épique
postérieure rapporte, que Hugleikr, le roi des Gautes, était, depuis sa
douzième année, trop lourd pour un cheval, que le héros Ecke (voy.
Ecken-aus/ahri) Sillsiïi à pied, pour la même raison, et que Rollon
{Hrôd-ol/, Rôl/, M.Rolvo) avait le surnom de Rol/-le-Marcheur {norr.
Gongu-Rôlf)^ parce qu'il ne trouvait pas de cheval normand assez fort
pour le porter. Une autre raison ep/i/we pourquoi T/idr marche à pied ,
c'est que , depuis le septième siècle de notre ère , la distinction entre les
Nobles et les Manants s'étant établie en Scandinavie, ceux-là allaient de
préférence à cheval, et ceux-ci ordinairement à pied. Aussi Thôr, le Pro-
tecteur des manants (norr. bondar)^ et des serfs (voy. p. 253), allait-il
à pied comme eux, tandis que Odinn, le Dieu des larls et des guerriers
nobles, chevauchait sur son cheval Sleipnir (voy. § 141).
La dénomination de Thôr-des-Ases ne paraît pas avoir été , comme
le prétend i'norrz, une désignation ordinaire de ce dieu, puisqu'elle ne
se rencontre qu'une seule fois dans les anciens chants eddiques , à sa-
voir dans la 50« strophe du Chant de Harbard (Harbardsliôd) , où elle
a été choisie exprès pour dire , avec ironie , que la force divine de Thôr,
bien qu'il soit Ase, ou, bien qu'il soit Thôr-des-Ases , peut cependant
être bravée.
l 91. La Demeure de Thôr. — Comme les nuages orageux se forment
dans les régions situées entre le ciel et la terre , l'Endroit qu'habite Thôr
ne se trouve pas, comme les autres Demeures des dieux, au ciel, dans
VEnclos-des-Ases, mais en' dehors de cet Enclos, sur de hautes mon-
tagnes hercyniennes , entre le ciel et la terre. Mais, bien que cette de-
meure ne soit pas au ciel, elle est cependant un séjour sacré. Elle est
nommée Séjour d'Énergie (Thrûdheim) , ou Champs d'Énergie (norr.
( Thrûd-Vangar) , à cause de l'énergie ou de la force invincible de Thôr,
qui y fait sa résidence. La Halle que Thôr habite dans le Séjour d'É-
nergie, est nommée Éclair cit-Grain (Bil-Skirnir) , parce qu'elle était,
dans l'origine, le symbole du nuage orageux, ou du grain, d'où sort la
foudre qui disperse ou éclaircit le grain. D'après les Dits de Grimnir ,
il v a, environ, 540 allées á2J\% Éclair cit-Grain, c'est-à-dire qu'elles sont
NUMÉRO (30) (pages 97, 98); thrûdheimr; bilskirnir. 255
au nombre de 539, autant qu'il y a de pointes dans la Halle-des-Occis
(voy. p. 150). En général , dans la Mythologie, les édifices célestes, qui,
par leur nature ou par leur destination , avaient quelque rapport avec les
vents et leurs directions cardinales, ont été figurés sous la forme de po-
lygones réguliers. Ainsi le Hlid-skialf (voy. p. 240) , au centre duquel ,
quand on y était placé, on avait vue sur tous les Séjours, et dans toutes
les directions , était une chaumine merveilleuse , polygone ou ronde, ayant
dans son pourtour un grand nombre d'ouvertures, servant à la fois de
portes et de fenêtres, et correspondant aux points cardinaux, avec leurs
subdivisions. Valhöll , la demeure á'Odinn, l'ancien Dieu des ^/•e^^í5 ,
et Bilskirnir, la halle ou la demeure du Dieu du tonnerre et des orages,
étaient considérés comme des palais de l'air et des vents , ou comme des
Rotondes, dont les portes correspondaient aux différentes directions de
la rose des vents. Dans la géographie mythologique, avant le troisième
siècle, on ne distingua d'abord, généralement, que deux points cardi-
naux, savoir le lever , et le coucher du soleil; le midi était rapporté à
l'orient, et le septentrion à l'occident (voy. Les Gètes , p. 8). Plus tard, on
distingua, dans la Mythologie Scandinave , quatre points cardinaux, mar-
qués par les quatre Dvergs, Austri, Vestri, Nordri et Sudri (v. p. 84).
D'après cela , on s'attendrait à ce que le nombre des portes de la Rotonde
céleste , ou le nombre des directions du vent , comme subdivisions des
quatre points cardinaux , fût un multiple de quatre. Mais la Mythologie
Scandinave, conservant, à ce sujet, le souvenir d'anciens mythes asia-
tiques, a maintenu, en ce qui concerne les vents, l'ancienne division
septénaire. C'est que, déjà dans le huitième siècle avant notre ère , le
nombre sept, c'est-à-dire l'unité flanquée , ou accompagnée à droite et à
gauche, du nombre ternaire, (3-HI+3), comme un monarque ayant, à
sa droite et à sa gauche , trois ministres, passait , chez la plupart des peu-
ples de l'Asie occidentale et méridionale, pour un nombre sacre (voy.
p. 151). Voilà pourquoi les Hindous donnaient à la terre la forme hepta-
gone, et la disaient composée de sept\\t?> (sansc. dvipas) ; ils admet-
taient, par conséquent, aussi sept directions principales, et sejai vents
ou points cardinaux. Aussi les Marouias (cf. lat. Mavortes , Tempêtes),
qui sont les Personnifications des vents, ne figurent jamais, dans les ou-
vrages sanscrits , qu'au nombre de sept, ou de septM% sept. Cette division
septénaire des Vents et des directions , fut également adoptée ou main-
tenue , dans plusieurs mythes Scandinaves , qui se sont formés vers le
troisième siècle de notre ère. C'est ainsi que, pour exprimer l'idée géné-
rale d'un grand nombre, en fait de directions ou de vents , la Mythologie
a employé le nombre de 7 X 77, c'est-à-dire de 539. C'est ce nombre,
que la Mythologie Scandinave a assigné aux portes de Valhöll, ainsi
qu'aux allées (voy. p. 150) de Bilskirnir, et elle a énoncé ce nombre
d'une manière énigmatique , suivant l'habitude des mythes Scandinaves
de la période postérieure (voy. Les Chants de Soi, p. 1 59), en disant que ces
portes et ces allées sont au nombre de cinq cents , plus environ (ou pres-
çwe)quatre dizaines [s.Dits c?eG/'mm>,strophe24).i>io/'r/, qui ne savait
pas s'expliquer l'expression énigmatique de environ quatre dizaines, l'a
prise purement et simplement comme ne signifiant que quatre dizaines.
256 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
§ 92. Les Boucs de Thôr. — Les Boucs qui traînent le Char de Thôr
sont les symboles des vents brusques et violents , qui amènent les nuages
orageux. En général, la Mythologie a symbolisé, par le bouc (norr. buckr,
heurtant; cLldX.piignus, poing; pugna, combat), X^coup de vent brusque
et violent; d'autant plus que ces coups de vent sont aussi subits et ca-
pricieux que les bonds et les coups de corne des boucs. Aussi les bour-
rasques qui s'élèvent fréquemment et à l'improviste dans les montagnes
de l'Arcadie, ont-elles été, dans la Mythologie grecque, personnifiées
dans le dieu Pân, qu'on se représentait sous la forme d'un bouc, et dont
le nom, dérivé et contracté de Païan {p.Pavians, Heurtant; cf. lat.joa-
vio, frapper), désignait également bien le vent qui frappe, et le bouc
donnant des coups de corne. C'est, comme Personnification des coups
de vent, que le dieu Pân est dit être l'Amant de l'Écho (qui répond aux
coups d'air ou de vent), et qu'iiioue du Syrinx, instrument à vent , sym-
bole des cavernes (gr. suringes) de l'Arcadie, qui retentissaient, lorsque
les bourrasques venaient s'y engouffrer. Comme les coups de vents brus-
ques et violents ont de l'analogie avec les coups d'épouvante ou de peur
subite (cf. \2X.pavor, peur, d^paveo, être heurté ^frappé) , le dieu Pân
était aussi l'auteur de ce qu'on appelait, d'après lui, la terreur panique.
Les anciens guerriers grecs tâchaient d'inspirer à leurs ennemis cette
panique, en poussant un cri de guerre subit et violent, qu'on appelait,
pour cette raison , \Çi frappement (gr. païan p. pavian)^ et qui , avant de
désigner un Péan ou chant religieux, n'était autre chose, dans l'origine,
qu'un hourra! ^ qu'un cri de guerre, ou un chant guerrier. Les Latins se
figuraient, également^ comme des 6owc5, lesFaunes, qui étaient les per-
sonnifications des vents; csly Faunus signifie, originairement, Soujffleur
(sansc. pavanas, vent) , et c'est de Faunus , plutôt que de son dérivé ,
Favonius^ que provient le nom du Fœn, de ce vent chaud, violent et brusque,
qui, à certaines époques de l'année, souffle dans quelques vallées de la
Suisse. Les Boucs de Thôr sont nommés Croque-Dent et Grince-Dent;
ces noms n'ont pas de signification symbolique, par rapport aux attribu-
tions spéciales de ces boucs; ce sont des noms épiques, métaphoriques,
ou poétiques, qui désignent le bouc en général, parce que cette espèce
d'animaux, en mangeant et en ruminant, croque et grince les dents.
l 93. Le Marteau de Thôr ; ses Gantelets de fer ; et sa Ceinture de Force.
— Les ancêtres des Scandinaves , ainsi que d'autres peuples de l'Antiquité ,
prenaient les bétyles , les aérolithes , et les tubes nommées fulgurite s ,
pour des foudres, qui avaient été lancées, dans les orages, et qui ensuite
s'étaient refroidies. C'est pourquoi on s'imaginait que Thôr, le Dieu de
la foudre , lançait des aérolithes , ou des pierres ferrugineuses incandes-
centes (cf. norr. iarn-sia glôandi, éclat de fer incandescent). Or, dans
l'Antiquité , on se servait de la pierre , en guise de marteau , au point que,
dans les langues goto-germaniques, le mot pierre {hamar) signifiait
également marteau (ail. hammer)\ et , comme les aérolithes avaient ,
pour la plupart déjà, la forme conique de cet instrument , l'idée s'établit
facilement que Thôr était muni d'un marteau. Chez les peuples germa-
niques et Scandinaves , le marteau n'était pas seulement un instrument
pour marteler, c'était aussi, comme la pierre dont il était fait, un joro-
N" (30) (p. 98) ; LE MARTEAU DE THÔR ; LA CEINTURE DE FORCE. 257
jectile, de sorte que, dans tous les usages symboliques et juridiques
(cf. Grimm, Rechtsalterthumer)^ où il fallait employer un projectile,
au lieu de la pierre brute ou non façonnée , dont on s'était servi primiti-
vement , on se servait d'une pierre , plus ou moins bien façonnée , en guise
de marteau, et même d'un marteau proprement dit, ou d'une masse de fer,
à laquelle on avait donné la forme convenable de cet instrument. Aussi
le marteau attribué à r/idr est-il essentiellement un projectile, car il
représente \sî foudre, qui est lancée au loin du sein des nuages orageux.
Mais comme la foudre fracasse tout ce qu'elle atteint, le marteau de Thôr
est aussi un instrument contondant, et , comme tel , il est nommé Meu-
nier (norr. Miollnir), parce qu'il broie ou moud, en quelque sorte, ce
qu'il frappe. Dans l'Antiquité, le marteau était également une arme, et
c'est pourquoi Thôr se sert de son Meunier pour lutter contre ses en-
nemis , {&?> Raide s- Givreux, et les Géants-des-Montagnes. Le Meunier
de Thôr a une vertu magique particulière. Semblable à l'épée du demi-
dieu hindou Jrdju7ias , laquelle , sans être brandie , frappe d'elle-
même, à volonté, les ennemis, le marteau de Thôr revient aussi, de
lui-même , dans la main du Dieu , après avoir frappé l'objet , sur lequel il a
été lancé. Le marteau, comme projectile, comme instrument contusif, et
comme arme, devait avoir un manche, afin qu'on pût le saisir et le bran-
dir, soit pour frapper, soit pour le lancer. On était étonné de ne pas
trouver de manche aux aérolithes, qu'on considérait comme des marteaux
de Thôr. Aussi la Mythologie , pour donner quelque raison plausible de
ce qu'elle considère comme un défaut dans Miölnir, raconte -t- elle
(voy. Snorra Edda, p. 131), que, lorsque les Dvergs Sindri (Exsudé;
cf. lith. gintaras, succin) elBrock (cf. goth. bruks , utile), les fils á'Ivald
(cf. ail. É-wald; lat. indu-strius) fabriquèrent \eMeÛ7iier, ce marteau,
par la négligence de l'un d'eux , eut le défaut d'avoir le manche trop
court. Thôr, par conséquent, ne pouvant pas brandir le Meunier en le
tenant par le manche, était obligé de le lancer, chaque fois, des deux
mains , comme une grosse pierre. Mais comme le Meunier, symbole du
coup de foudre, est supposé incandescent, pour que Thôr ne se brûle
pas les mains, la Mythologie lui attribue une paire de Gantelets de fer,
à peu près comme les Chevaux de Soi ont, en croupe, le bouclier nommé
Rafraîchissant {norr. Svalin)^ elle Fer Réfrigérant, entre les épaules,
(voy. p. 203), pour se garantir des ardeurs du soleil, ou bien comme
l'Ase Fidâr a un Soulier Épais (voy. p. 1 02) , afin de ne pas se brûler
le pied lorsqu'il devra le placer dans la gueule du Loup de Fenrir ter-
rassé (voy. p. 135.).
On savait par expérience qu'une ceinture , médiocrement serrée autour
du corps , augmentait l'agilité et la force de ceux qui se livraient à des
exercices ou efforts violents. C'est pourquoi la Mythologie, dès le troi-
sième siècle de notre ère , attribue aussi une ceinture à Thôr, lequel ,
dans certaines occasions , est obligé de faire de grands efforts, pour lancer,
bien loin et bien fort, le Meunier sur ses ennemis. Cette ceinture porte
le nom de Ceinture- de- For ce , parce qu'elle possède la vertu magique
ou surnaturelle d'augmenter du double la/o/-ce d'Ase (norr. âs-megin),
ou la force divine , déjà si grande, de l'Ase Thôr.
17
258 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
(31) baldur; niördur; skadi; freyr; et freyia.
§ 94. Baldur , dédoublement et héritier du dieu Soleil. — Le soleil ,
comme corps céleste , était considéré , dans l'origine (vers 3000 environ
avant notre ère) , seulement comme une partie intégrante , ou comme un
ornement du dieu Ciel {Tivus; Svat). Dans la suite, environ vers 2500
avant r.-Ch. , il ne fut plus seulement considéré comme partie intégrante
de Ciel, il fut aussi adoré comme lui, et adoré comme une divinité dis-
tincte du dieu Ciel. Comme le soleil se mouvait sur la voûte céleste , on
lui donna le nom de Céleste (scythe Svalius). Lorsque le soleil fut adoré
comme une divinité distincte de Ciel, il fut conçu comme une divinité
zoomorphe. Plus tard (environ vers 1500 avant J.-Ch.), Svalius (Soleil)
devint un dieu anthropomorphe, présidant à Tastre du soleil zoomorphe ,
et il eut les noms épithétiques de Prompt à la Chasse (scythe Vaîtu-
skurus) ^ et à^^ Brillant par la Targe (scythe Targi-tavus). Comme
Père de la nation scythe, le Dieu du soleil était aussi V^miei le Protec-
teur de ce peuple, et portait, par conséquent, le nom épithétique de
Garde du Peuple (scythe Tavit-varus)^ et de Seigneur (scythe Pravus);
il fut , de plus , considéré comme l'auteur de toute richesse , et de tout bien.
Comme source de Lumière , et de Chaleur, et de l'Enthousiasme , le Dieu du
Soleil, chez les Scythes, était aussi le Dieu de l'Intelligence, de la Vision,
de l'Inspiration, et de la Divination. Le culte du Dieu du soleil , ainsi que
les mythes et les attributions de ce dieu , passèrent de la religion des
Scythes dans celle des peuples de la branche gète; mais ils y subirent de
grandes modifications , par suite de l'influence qu'exercèrent sur ces peu-
ples le culte et les mythes du Soleil, tels qu'ils existaient dans la religion
des Kimméro-Thrâkes, avec lesquels lesGètes, les descendants des
Scythes , étaient entrés en rapport direct. Les Dieux-solaires , s'étant
dédoublés du Dieu du Soleil , se séparèrent de plus en plus de l'astre du
soleil, auquel dès lors fut préposée la Déesse Soi (voy. p. 201). Lorsque
la Déesse Soi eut remplacé l'ancien Dieu du Soleil , les attributions de ce
dieu , ainsi que les mythes se rapportant au soleil considéré comme astre,
se conservèrent dans la tradition , et furent rapportés, les uns à la déesse
Soi , les autres aux dieux et héros épiques, qui étaient les héritiers et les
dédoublements de l'ancien Dieu du Soleil. Parmi ces héritiers et dédou-
blements, il faut surtout distinguer le àieu B a Ithus (Force, Distinction;
norr. baldur, force, courage), ou Balthags (Doué de force; cf. anglos.
Bâldâg) , dont le nom avait été un des noms épithétiques de l'ancien Dieu
du soleil. De même que Targitavus avait été le Père de la nation scythe,
de même ses héritiers et dédoublements , le dieu-héros J7nal [Fort; cf.
norr. JJÎ)., et le dieu Balthus passaient , le premier, pour le Père éponyme
de la famille noble des Jmales , chez les Austro-Gotes , et le second , pour
le Père éponyme de la famille noble des Balthes , chez les Yisi-Gotes.
Environ au premier siècle de notre ère , le dieu Balthus passa dans la
Mythologie Scandinave, et prit le nom de Baldur. Déjà à cette époque on
ne savait plus qu'il était l'héritier du Dieu du soleil, ou que son origine
était entièrement solaire. Aussi Baldurw' di-i-W jamais été l'objet d'un culte
populaire, ni très-répandu chez les peuples de la branche gète, comme
l'ont été , par exemple , Odinn , Freyr, et Thôr. Mais le cycle mythico-
NUMÉRO (31) (page 98); BALDUR. 259
épique de Baldur est du moins aussi étendu que celui de Freyr, et même
aussi populaire que celui de Thôr. Baldur occupe donc plus de place
dans le mythe ou la tradition , que dans le culte, et dans la religion. Bien
que le fond primitif des mythes de J?a/</t</" remonte, en partie, aussi haut
que le culte de Targitavus, chez les peuples scythes, cependant ces
mythes ne se sont formulés, et n'ont été rattachés spécialement à Baldur,
qu'à commencer du troisième siècle de notre ère. Ces mythes ne s'expli-
quent que quand on se rappelle que Baldur, ou plutôt son prédécesseur
Balthus, était une spécialisation du soleil, savoir le Soleil estival, comme
le prédécesseur de HeimdalléXdXi le So\e\\ j)rintannîer , comme celui de
Hödur était le Soleil automnal, et celui de Vali, le Soleil hivernal.
Les mythes sur 5a/i^2<5 se sont développés principalement à l'époque
où les peuples de la branche gète se furent établis dans le climat froid du
Nord de l'Europe ; car alors , .plus que pendant leur séjour dans l'Asie
et dans l'Europe méridionales , leur attention a dû se porter sur l'excel-
lence et les bienfaits du Soleil d'été. Ces mythes se sont encore plus dé-
veloppés à l'époque où les peuples de la branche gète ont été en rapport
avec les peuples keltiques des contrées appelées plus tard la Germanie ;
car c'est probablement à l'influence de ces peuples, qu'il faut attribuer ces
idées morales de pureté , de sainteté , et cette physionomie sacerdotale, et
tant soit "p^M féminine, qui caractérisent les mythes de Baldur, et qui
sont étrangères au génie mâle , et au caractère essentiellement laïque, des
Germains et des Scandinaves.
Dans la pensée, et dans les langues des peuples iafétiques , l'expression
de brillant servait aussi à désigner l'idée plus métaphysique de beatité.
Aussi Baldur est-il représenté comme éclatant de blancheur , c'est-à-
dire de beauté; et suivant la tradition populaire , rapportée par Síiorri ,
il n'y a qu'une seule plante qui puisse rivaliser de blancheur avec Baldur,
c'est la camomille matricaire , nommée , dans le Nord , et principalement
en Islande , le Sourcil de Baldur. La blancheur est ensuite le signe, le
symbole , et l'expression de la pureté ou de la sainteté (v. p. 237), comme
la beauté physique est, d'après les peuples iafétiques, l'indice de la bonté
morale (voy.p. i83). Aussi Baldur &si-\\ représenté comme le plus saint,
le meilleur , le plus aimable, et le plus clément des yises. Il habite
Large-Éclat (voy. p. 239), le Séjour le plus brillant, et le plus pur, et le
plus saint. Enfin, comme Baldur est l'héritier et le dédoublement du
Dieu du soleil, qui était également le Dieu de l'Intelligence , et de l'Art , et
comme à une belle âme doit être assorti un esprit distingué , qui , selon
les idées des Normands , se manifestait principalement par la Sagesse, et
le don de la parole, Baldur, de même que Apollon chez les Grecs, pas-
sait à la fois pour le plus sage, le plus discret, et le ]^\us persuasif des
Dieux. Mais malgré ces brillantes et touchantes qualités, Baldur, le
symbole du Soleil estival, devra mourir, jeune encore, en automne;
semblable, en cela, kJdotiis, kAchilleus , k Hippolytos , eikSigfrid,
il est condamné , irrévocablement, par la dure Destinée (norr. urlag, voy.
p. 232) , à périr de mort violente , à \2i fleur de l'âge.
Baldur est le fils des Divinités suprêmes , Odinn et Frigg , de la même
manière que son prototype Targitavus, le Dieu du soleil, était le fils
260 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
des dieux suprêmes , Tivus et Apia. Si Snorri dit que Baldur est le
second fils á'Odinn, cela ne signifie pas que la Mythologie considère
Thô7' comme l'aîné, et Baldur comme le puîné ; cela signifie seulement
que, parmi les i\\s A'Odinn, Snorri croit devoir assigner \^ premier
rang , non à Baldur, mais à Thôr, comme à l'ancienne divinité princi-
pale des Norvégiens et des Islandais, et comme au plus distingué parmi
les Ases, par sa force et son énergie.
§ 95. Niördur , dédoublement et héritier du dieu Ciel. — Vers l'an
2500 avant notre ère , les peuples iafétiques , non encore séparés les uns
des autres , voyant que les sources et les cours d'eau étaient alimentés
par les pluies tombant du ciel , en conclurent que les eaux terrestres pro-
venaient toutes du ciel. Aussi ces eaux passaient-elles pour un don fait
aux hommes par le dieu Ciel. Par leur origine, les eaux étaient donc
célestes, et par conséquent pures, et sacrées. Ce n'est qu'après s'être
séparées les unes des autres, que les nations primitives, de la souche ia-
/étique, ont imaginé, et établi dans leurs Mythologies respectives, des Divi-
nités particulières pour présider aux Eaux. Aussi faut-il considérer toutes
ces divinités comme des dédoublements ou spécialisations du Dieu primitif
anthropomorphe Ciel, envisagé comme Dieu de îa Pluie. Aux yeux des
Scythes, peuple pasteur et nomade, les sources, où s'abreuvaient leurs
troupeaux , passaient naturellement pour une richesse , un bienfait du
ciel , et , dans la suite , pour les symboles du Bien-être, et de l'Abondance.
De même que le Feu sur la terre était considéré comme tirant son origine
du Feu céleste, soit de la Foudre, soit du Soleil , de même aussi les sources
et les cours d'eau passaient pour avoir une origine céleste , et pour être
alimentés par les nuages, ou les pluies du ciel. Aussi , dans l'origine, le
dieu Ciel (scythe Tivus) était-il également adoré en qualité de Dieu des
Eaux (cf gr. Ouranos, Ciel, et sansc. Varounas , Dieu des Eaux).
Comme les pluies tombent du ciel , non pas quand il est brillant, mais
lorsqu'il est chargé de nuages, le dieu Ciel devint le Dieu des Eaux, non
sous le nom de Brillant (scythe Tivus)., mais , comme Dieu de l'Orage , sous
celui de Aime-Pluie (scythe Pirkunis). Cependant ^ comme les pluies et
les rosées tombent souvent sans qu'il y ait des orages , le Dieu des Eaux
se détacha de Pirkunis , comme Pirkunis s'était détaché de Tivus (voy.
p. %M)'. Il y eut dès lors une divinité spéciale, présidant aux Eaux; et
comme elle passait pour être la Source céleste des Eaux terrestres, on
la désignait aussi par un nom signifiant Source. Or, la source étant
quelque oho^Q Aq frémissant , à' effervescent , di^ jaillissant, le nom de
Frindus qui, en langue scythe, signiûaiitj aillissatit , devint le nom du
Dieu des Eaux (voy. Les Gètes , p. 237). Comme le dieu Frindus s'est
formé par le dédoublement de Pirkunis^ à une époque où ce dieu était
déjà adoré comme dieu anthropomorphe , Jaillissant fut également
considéré comme un dieu anthropomorphe, résidant dans le ciel, et pré-
sidant aux nuages , sources des Eaux terrestres. Les peuples encore pas-
teurs, tels que les Scythes, comparaient les noirs nuages à un troupeau
de bétail noir. La pluie qui tombait de ces nuages , qui alimentait les
sources , et abreuvait ainsi la terre , les hommes, et les animaux , fut assi-
milée au /a2Ï (sansc. payas, boisson , lait) que- donnait le bétail céleste.
NUMÉRO (31) (page 98); NIÖRDUR. 26i
Ensuite comme, dans le langage symbolique des peuples de l'Antiquité,
l'eau jaillissante, et les rayons de lait, étaient aussi remblème du sperme
fécondateur, et que, d'ailleurs, l'idée de source réveillait naturellement
celle d'origine, et de génération, le dieu Vrindus , présidant aux nuages
pluvieux, c'est-à-dire aux taureaux fécondateurs , et aux vaches laitières
du ciel , fut aussi préposé à la Génération ou à la Fécondation, considérée
tant par rapport à la terre, que par rapport aux hommes , et aux animaux.
Les taureaux et les vaches devinrent dès lors aussi les animaux consacrés
à Vrindus, et furent même désignés eux-mêmes par le nom de vrindus
(cf. vieux h. ail. rindur, bétail), qui fut pris d'abord dans le sens de
héiîkW fécondateur, om fécondé.
Le dieu Vrindus passa, de la religion des Scythes , dans celle des peu-
ples de la branche sarmate, et de la branche gète. Les peuples sarmates
changèrent, par métathèse , le nonj de Vrindus en Vnirdus, qui , plus tard,
chez les anciens i'/ares, fut changé en celui deNirthus. Chez les peuples
de la branche gète, Vrindus, le Dieu des Eaux , de la Fécondité , et de
. l'Abondance , prit le nom épithétique de Chagmiis (Utile , Agréable ; norr.
Högni, Hœnir)., ou de F272 (Agréable) ; et ces deux noms , le premier sur-
tout , prirent le dessus sur celui de Vrindus , qui disparut ainsi de la
Mythologie des Gètes, et ne fut pas transmis^ par ceux-ci , à leurs descen-
dants les Germains et les Scandinaves. Les noms de Chagunis et de Vili,
qui avaient été substitués au nom de Rindus^ se retrouvent dans la My-
thologie Scandinave ., sous la forme de Högni, de Hœnir , et de Vili;
mais le dieu Vrindus n'y figure point sous le nom de Rindur (correspon-
dant à celui de Frmí/w^), il y figure sous la dénomination deNiördr. C'est
que les Scandinaves, et principalement X^sSvîes, qui avaient été longtemps
en rapport avec les Slaves , adoptèrent de ceux-ci ce dieu , sous son nom
slave de Nirdus. Nirdus passa ainsi dans la Mythologie norraine, sous
le nom de Niördr.^ au lieu de celui de Rindur; et Niördr y fut dès lors
substitué au dieu Hœnir ^ dont l'ancien nom Chagunis avait remplacé ,
chez les Gètes , celui de Vrindus. Cette substitution de Niördr à Hœ-
nir^ dans la Mythologie Scandinave , est exprimée dans un mythe, qui dit
que les Ases (Scandinaves) , pour faire la paix avec les Vanes (Slaves) ,
échangèrent l'Ase Hœnir contre le dieu vane Niördr. Hagunis , ayant
été remplacé dans le culte par Niördur^ tomba au rang d'une simple di-
vinité mythologique, qui, n'existant plus que dans la tradition, perdit,
de plus en plus, l'importance qu'elle avait eu primitivement dans le culte.
Hagunis , sous le nom de Högni, devint un personnage épico-mytho-
logique, et Hœnir figura dans quelques mythes anciens, dont la plupart
sont devenus , dès le second siècle de notre ère , inintelligibles et obscurs
au peuple norrain. Niördur prit , dans la Mythologie norraine , les an-
ciennes attributions de Vrindus ou de Hagunis, comme dieu des Sources
et des Eaux ; il présidait à la Pêche , à la Navigation, et, par suite, au Com-
merce , et c'est aussi paria pêche et le commerce qu'il donnait la Richesse et
la Pcopriété. Comme Dieu de la Navigation, il modérait la Mer, et les Vents,
et , comme Dieu des Eaux, il tempérait la puissance du Feu. Plus tard ,
Niördr fut principalement considéré comme le dieu qui procure le Bien-
être, la Nourriture, l'Abondance, et les Bienfaits qui résultent des travaux
262 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPETUEL.
de la Paix. Aussi fut-il surnommé le Riche (voy. Chants de Sol, p. 122),
et les clercs érudits du Moyen âge Tont-ils comparé à ó'aíwryze, le Dieu
de l'Age d'or. Comme le septième jour ou le Samedi (bas-lat. Sabati dies)
était consacré , chez les Romains , à Saturne , les peuples germaniques le
consacrèrent à JSiördr; mais , au lieu de nommer ce jour d'après ce dieu,
ils le nommèrent/owr de Saturne (cf. angl. Saturday)^ on Jour de Lavage
(norr. laugar-dagr, dan. löverdag, suèd. lördag)^ parce qu'on y la-
vait ou purifiait \es objets de la maison, en l'honneur du dieu des Eaux.
La Demeure de Niördr, au ciel, porte le nom de Enclos- du-Nocher
(norr. Nôa-tU7i)\ c'était probablement, dans l'origine, une Constellation
propice aux pêcheurs , et qui était placée un peu au-dessus de l'horizon ,
du côté de la mer. Lq Nocher {mvv Nôi) était, sans doute, quelque per-
sonnage mythologique, peut-être Ber-Gelmir, métamorphosé en astre,
et transporté au ciel (voy. p. 188). Niördur est l'époux de Skadi , et le
Père de Freyr et de Freyia.
% 96. Skadi , héritière de la Déesse Vrindus. — Le nom scythe de
Vrindus (Source) , en tant qu'il signifiait Jaillissant , était d'abord seu-
lement du genre masculin; mais, en prenant encore la signification tro-
pique A' Origine, il devint aussi du genre féminin (cf. ail. der qvell, die
qvelle. Le nom de Frindus étant dès lors à la fois masculin et féminin ,
on associa également , en Mythologie , au dieu Vrindus , une déesse du nom
ùe Vrindus, et qui personnifiait en elle la qualité (sansc. çakti^ énergie)
de son époux. Les Grecs, en citant le nom de la déesse Vrindus, lui
donnaient la terminaison féminine usitée dans leur langue; le nom de
Vrindus fut donc rendu, en grec, par celui de Rhindè^ que les Latins
changèrent naturellement en Rinda {Plin. H. N. 6, 7). La déesse Vrin-
dus passa, comme son époux , dans la religion des peuples de la branche
sarmate, et de la branche gtte. Les Sarmates changèrent le nom du dieu
et de la déesse Vrindus en celui de Vnirdus ou Nirdus. Dans la religion
des peuples de la branche gète, la déesse Vrindus se maintint sous ce
nom , et fut transmise plus tard aux Germains et aux Scandinaves , qui
lui donnèrent, dans leur idiome, le nom équivalent âeRindur (p. Vrin-
dus). Les Germains qui habitaient les bords orientaux de la mer Baltique,
et surtout les Svèves, qui étaient un peuple germain mêlé à des Slaves,
adoptèrent de ceux-ci la déesse Nerthus (Nirdus), et la substituèrent à la
déesse Rindus , qui leur avait été transmise par leurs pères , les peuples
de la branche ^éíe. C'est cette déesse que Tacite appelle, également, Ner-
thus, et qui est identique, par son origine et par ses attributions, avec la
déesse Rindur des Scandinaves. Mais de même que les Germains, en
adoptant des Slaves la déesse Nerthus, n'adoptèrent pas également,
pour l'associer à cette déesse, le dieu slave Nerthus (norr. Niördr) ^
de même les Scandinaves, en adoptant des Slaves le áien Nerthus (Mördr),
n'ont pas accepté , en même temps , pour l'associer à ce dieu , la déesse
slave Nerthus. Ils ne songèrent pas même à associer de nouveau leur
déesse traditionnelle Rindur, soit comme épouse, soit comme sœur, au
àieuNiùrdur, qu'ils venaient de réintroduire dans leur religion. Aussi pour
expliquer , sans doute, ce manque de rapport mythologique entre Niördr et
Rindur, Snorri,U2LïisV Ynglinga saga, a-t-il insinué que, chez les Vanes,
NUMÉRO (31) (page 99) ; skadi. 263
il était bien permis que ISirdus eût, pour épouse, sa sœur Nirdus , mais
que, les Jses ne permettant pas qu'on épousât sa sœur, Niördr dut pren-
dre une autre femme , Skadi. Cependant, la véritable explication de ce fait
consiste à dire que les Scandinaves , songeant plutôt à associer , comme
épouse, à Niördr, ou au Dieu des Eaux et de la Pêche, une Déesse de la
Chasse, ne trouvèrent cette qualité de chasseresse, ni dans la déesse slave
Nerthus, ni dans la aêesse Rindur, transmise par leurs pères. C'est pour-
quoi ils adoptèrent des Firmes, leurs voisins , leur Déesse de la Chasse, à
laquelle ils donnèrent le nom de Skadi (Nuisible) , lequel était un nom épi-
thétique traditionnel de Freyia, considérée comme héritière de l'ancienne
Vaitu-Skura, la Déesse de la Chasse. Ce qui prouve que Skadi était origi-
nairement une espèce de Freyia , chasseresse , ou une Déesse de la lune,
c'est qu'il est dit, dans un mythe , que Skadi, devant prendre , au sort, un
époux parmi \esAses, désirait (et cela, sans doute, en sa qualité de déesse
lunaire) obtenir pour époux Baldur, le dieu solaire (voy. Snorra Edda,
p. 82). Skadi, comme Déesse de la Chasse, ayant été associée à Nior-
dur, à la place de l'ancienne déesse Rindur, celle-ci ne figura plus dans
le culte, et tomba au rang d'une divinité émérite. En Germanie, la déesse
Nerthus présidait aux Sources et aux Eaux , mais surtout à la Fécondité,
et à l'Abondance. Comme Déesse des Eaux et des lacs , elle avait sa rési-
dence au fond d'un lac, qui se trouvait dans une île de la mer Baltique.
Comme Déesse de la Fécondité , elle passait pour la Mère des dieux , et
elle était promenée en un char traîné par des vaches , qui étaient ses ani-
maux symboliques , et qui avaient été déjà consacrées à l'ancienne déesse
Vrindus^ dont Nirthus était l'héritière.
Lorsqu'au quatrième siècle avant Jésus-Christ les peuples de la branche
gète , les Svîes et les Gautes , se fixèrent dans la Scandinavie , ils y trou-
vèrent établis des peuples d'origine ^^iwe. Ces peuplades avaient l'habi-
tude de pêcher, en été, c'est-à-dire pendant trois mois de l'année , et de
chasser, en hiver, c'est-à-dire pendant neuf mois de l'année. Ils avaient
conservé cette habitude encore à la fin du neuvième siècle , comme le dit
expressément le pêcheur de baleine anglo-saxon Other, dans sa relation
qui est insérée dans la traduction anglo-saxonne de l'Histoire d'Orose ,
traduction attribuée au roi Ælfred. La pêche se faisait sur les bords de la
mer, mais la chasse , dans l'intérieur des terres, et dans les montagnes.
Pour chasser, au milieu des neiges, les Finnes courent sur des barres,
c'est-à-dire, sur une espèce de patins, qui étaient déjà usités dans l'Anti-
quité ; car cet usage leur avait fait donner le nom de Finnes-Patineurs (norr.
Skrid-Fin7iar ;\ .Paul Diacre, eh^L^. 2). Cesbarres, semblables auxpatins
usités également au Canada , et connus sous le nom de raquettes, consistent
en deux planchettes , à peu près de un mètre 60 centimètres de longueur , et
de 9 centimètres de largeur ; l'une est un peu plus longue que l'autre ,
pour faciliter l'élan à prendre ; toutes les deux, à l'extrémité antérieure,
sont un peu recourbées en haut, pour empêcher la pointe de plonger dans
les neiges, et elles sont un peu arquées en dessous, pour que le poids du
corps, pesant sur le milieu des barres, ne leur fasse pas faire une cour-
bure sur le niveau de la neige. Des liens d'osier, sous forme de demi-
cercles ou d'étriers , et dans lesquels on passe les pieds , servent d'at-
264 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
taches. C'est sur ces barres que les Lapons parcourent, encore aujourd'hui,
les plaines couvertes de neige et déglace; et, à la chasse, ils atteignent
ainsi, en courant, les loups et les rennes. En imitation de ces chasseurs
lapons, on a formé, de nos jours, dans l'armée, en Norvège, deux batail-
lons de chasseurs Coureurs sur patin {suéá.Ákie-lœbers)^ qui exécutent,
en patinant sur les neiges , leurs marches , exercices , et évolutions mili-
taires. Les anciens Finnes, qui passaient pour d'excellents Tireurs d'arc,
avaient une Déesse de la chasse, l'épouse du Dieu de la pêche, nommé,
sans doute , Ahto. Ils croyaient, probablement , que , pendant les trois mois
de l'été , où ils vivaient du produit de la pêche , le Dieu de la pêche se
trouvait , avec eux , sur les bords de la mer , et que , ensuite , pendant les
neuf mois de l'hiver , leur Déesse de la chasse allait avec eux se retirer
dans les montagnes. Ces deux divinités finnes, protectrices de la Chasse,
et de la Pêche, ont, sans doute, été adoptées d'abord par les Gautes ,
chasseurs, et tireurs d'arc, et ensuite par les Suèdes ^ pêcheurs; et elles
ont été , enfin , rattachées au système mythologique de la religion Scan-
dinave. Le dieu finne de la Pêche se confondit avec Niördur , et la déesse
finne de la Chasse eut le nom norrain de Skadi {Nuisible; cf. norr.
Skæ^ Skati; scyilie Skaïs)^ parce que, comme déesse de laChasse, elle pas-
sait pour jîjern/czezae aux animaux, qu'elle pourchassait avec ses flèches,
en courant sur les barres. Skadi, comme Déesse de la Chasse, devint,
dans la Mythologie Scandinave , l'épouse de Niördur, le Dieu de la Pêche.
Elle est opposée à son mari sous plus d'un rapport. Niördur est d'ori-
gine vane, c'est-à-dire qu'il est une divinité slave , adoptée par les tribus
Scandinaves (v. p. 262). Skadi est delà race des Géants-des-Montagnes,
c'est-à-dire qu'elle est une divinité /mie ^ adoptée par les Svîes et les
Gautes; car les Finnes , refoulés par les peuples Scandinaves dans les
parties montagneuses de la Presqu'île , sont souvent confondus , dans la
Mythologie, avec les Géants-des-Montagnes {d.i^.%\'è). 5Æac/2 passe
pour être la fille du Géant-des-Montagnes Thiassi (p. Thiarsi, Que-
relleur) , qui est , sans doute , la Personnification des vents impétueux et
querelleurs de l'hiver, comme l'indique encore le nom de la résidence
de Thiassi, appelée Séjour de Bruissement. Ce Séjour est situé, au
Nor(L dans les montagnes , et il est affectionné beaucoup par Skadi, la
déesse de la Chasse, comme Snorri le rapporte d'après la strophe ll*^
des Dits de Grimnir; et en cela elle est encore opposée à son époux Nior-
dur, qui, dieu de la Pêche, préfère les bords de la mer. Les vers qui
expriment ces goûts opposés des deux époux , sont attribués par Saxon,
le Savant {Historia danica, lib. I) , au roi danois Hading, qui aimait les
bords de la mer, et à la reine son épouse, qui, originaire de la Norvège,
préférait le séjour dans les montagnes. Mais le contenu de ces vers tirés par
Saxon d'un poème qui n'existe plus aujourd'hui , se rapportait originai-
rement au dieu Niordur et à la déesse Skadi. En se faisant des conces-
sions réciproques, ces deux divinités passaient successivement nez// nuits
au Séjour de Bruissement, dans les montagnes , et trois nuits à V Enclos
du Nocher, près de la mer ; ce qui signifie que , des douze mois de l'an-
née, trois étaient sous la protection du Dieu de la pêche Niöi^dur^ et
7i€vf, sous celle de la Déesse de la chasse Skadi. Les Scandinaves et les
NUMÉRO (31) (page 99); FREYR. 265
peuples germaniques , en conséquence des idées, exprimées dans leur Cos-
mogonie , et d'après lesquelles IV^eY-er précédait et engendrait l'été, comme
la nuit précédait et engendrait le Jour (voy. p. 200) , désignaient aussi
V aimée par le nom de V hiver qui la commençait , et la Journée par le nom
de la nuit, qui l'engendrait. Les trois et les neuf 7iuits du Mythe, signi-
fient donc autant de périodes dans l'année , et, particulièrement ici^ trois
viois d'été, et neuf mois d'hiver.
§ 97. Freyr, dédoublement et héritier du Dieu du soleil. — Vers le
sixième siècle avant notre ère, Targitavus , le dieu anthropomorphe du
soleil , chez les Scythes , fut considéré comme le Protecteur de la famille
et de la tribu, et présidait, par conséquent, à tout ce qui constituait V En-
tretien, le Bien-être, et la Richesse /amzY/a/e (cf. norr. adals-fê). En
cette qualité, il avait le nom épithétique Aq Seigneur, ou úq Excellent ,
dans le sens de Maître , de Entreteneur (cf. angl. Lord, de hlâf-verd,
Donne-pain). Le mot qui, dans les idiomes scythes, signifiait Excellent,
était dérivé de la préposition pra (avant; cf. sansc. prî, préférer , aimer ;
cf. lat. intrare., s'intériorer, entrer^ de intra)^ et avait la forme de Pra~
vus, correspondant au ^2iX\SQ,vii pra-bhus (Excellent), au grec praiis
(bénin) , au latin probus (excellent). Le nom de Pravus (Excellent) de-
vint , chez quelques tribus de la branche sarmate , le nom propre d'un
dieu , distinct de Targitavus, dont il s'était dédoublé. Ce dédoublement a
dû s'opérer au moins dès le sixième siècle avant notre ère (époque où la
branche sarmate s'est séparée de la branche gète) , puisque le dieu Pra-
vys (scythe Pravus) se trouve, dans la Mythologie des peuples slaves,
comme divinité distincte. Le dieu des Sarmates, Pravys, dédoublement
et héritier de Targitavus , prit les attributions principales de ce Dieu du
soleil; comme lui, il présidait au soleil, et fut le Protecteur du Pa^/s, et
du Domicile. Mais il fut principalement considéré comme le Seigneur,
c'est-à-dire comme l'auteur de l'Abondance, et par suite comme l'auteur
de la Fertilité, et de la Fécondité. Ayant , par conséquent , des attribu-
tions analogues à celles du dieu Vnirdus (scythe Vrindus)^ qui présidait
également à l'abondance et à la fécondité (v. p. 260) , il fut rapproché de
ce dieu, et considéré comme son /Ils. Le dieu scythe Pravus ne passa pas
dans la religion des peuples de la branche gfèie ^ comme dédoublement et
héritier du dieu du Soleil; chez ces peuples, le dieu du Soleil eut d'autres
dédoublements et héritiers, tels que Balthus (voy. p. 258), et Skalmoskis
(v. Les Gètes , p. 491). Le dieu du Soleil , considéré comme dieu de la Fé-
condité, se confondit, dans la religion des peuples de la branche gète ,
avec le dieu Firgunis (norr. Fiörgynn) , et avec le dieu Hagunis, qui
avait été substitué à Vrindus (voy. p. 261). Ces peuples n'eurent donc,
dans l'origine , d'autre dieu présidant à la Fertilité , à la Fécondité , et aux
Eaux , que Firgunis et Hagunis. Ce qui prouve que le nom de Frauja
(Seigneur), qui, dans les langues gotes, correspondait au mot sarmate
Proxys, n'a jamais désigné un dieu dans la Mythologie des peuples ^éíe*^
c'est qîie Ulphilas^ qui n'emploie jamais , dans sa traduction, des noms
propres se rapportant au Paganisme , traduit par le moi frauja l'^\^v%s-
sion de Seigneur, synonyme de Dieu. Lorsque, dans la suite, les tribus de
la branche gète, qui s'établirent en Germanie et en Scandinavie, se furent
266 * COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
mêlées, ou , du moins , furent entrées en contact, avec les peuples slaves
sur le littoral de la mer Baltique, elles adoptèrent d'eux, avec le dieu Ner-
dus (INirthus , Niördr) , aussi le dieu Pravys (norr. Freyr; germ. Frau)^
qu'ils substituèrent à leur dieu Hagunis (norr. Hœnir) , qui avait hérité
des attributions de l'ancien dieu du Soleil (Targitavus), et de l'ancien dieu
des Eaux (Vrindus). Dans la Mythologie Scandinave , Freyr passa pour
le fils de Niördr, et fut surnommé (ainsi que son père) le dieu Vane, à
cause de son origine slave. Comme héritier du dieu du Soleil, Freyr
présidait, comme dit Snorri, aux effets du soleil; il devint encore , sous
le nom épithétique de Geta, de Svinths , de Gaut, etc. , le père épo-
nyme de plusieurs tribus svîes et gautes. Ces noms épithétiques éponymes
passèrent, pour la plupart, à Odinn, qui, camm^ Dieu suprême, fut aussi
considéré comme le Père des Dieux, et comme le Père éponyme des Na-
tions (voy. Les Gètes, p. 203). Odinn ayant le nom épithétique de Hâr
(Sublime) , chacun de ses fils put prendre celui de Hâing (Hânk , Hînk ,
Ing) , signifiant Issu de Hâr. Comme Mórí/wr passait pour le fils de Hâr,
Freyr était le petit-fils de Sublime, et eut , par conséquent, le nom dimi-
nutif de ^w^w/, ouIngul{[). HavinguÎ, Petit-fils de Hâr), qui devint aussi le
nom propre des Angles, d'après celui de leur dieu éponyme ; et les anciens
rois de Svêde, qui se disaient issus de Freyr, furent désignés sous le nom gé-
néalogique deingulings (Issus d'Ingul, norr. Ynglingar)^ c'est-à-dire de
Issus du Petit-fils de Sublime. Ensuite, comme les rois ou héros étaient ap-
pelés les Amis du Fils de Sublime (Yng-vinar; cf. norr. Hâk-on, Hânk-
vin), ou les Compagnons des Amis du Fils de Sublime (Ingvin-vanes , In-
gvin-ones, Ingviônes)^ Freyr, le Seigneur des Héros, eut aussi le nom
épithétique de Yng-unnar-Freyr (Seigneur de l'Ami du Fils de Sublime)
ou , en anglo-saxon , le nom de Frea Ingvina (Seigneur des Amis du Fils
de Sublime). Chez les peuples germaniques , il se forma du mot frav
(maître) l'adjectif /rez {^. /ravis; goih. freis, tenant du maître), qui
signifiait libre , en tant qu'appartenant à la famille du Maître ou du Sei-
gneur. Un autre adjectif, /rdno [^.fravino, se rapportant au maître),
désignait tout ce qui appartenait au Seigneur (cf. 2\\.frôn-leichnam,
Corps du Seigneur). De Frav (Seigneur), nom propre du dieu , se forma
probablement le nom généalogique de Frank (p. Fravink, Issu de Frav),
lequel devint le nom ethnique de% Franks , qui furent, dans l'origine, les
voisins des Slaves, et purent bien se dire Issus du dieu Frav ; car les Franks ,
qui s'établirent sur le Rhin , eurent le nom généalogique de Volsings
(Issus de Vols), d'après le dieu Vols , d'origine slave, qui était considéré
comme le Fils de Frav (voy. Les Gètes, p. 200).
g 98. Freyia , dédoublement et héritière de la Déesse de la Lune. —
Chez les Scythes , Artîn-paza , la déesse anthropomorphe de la Lune ,
présidait à la fois à la Production, et à la Destruction (voy. Les Gètes,
p. 207-210). Comme déesse de la Génération , elle était la Protectrice du
Mariage , et de la Famille , et comme présidant à la Famille , elle eut le nom
épithétique de Pravia (Dame , Maîtresse). Au sixième siècle environ avant
notre ère, Pravia passa, avec son frère Pravus (voy. p. 265), dans la
religion des peuples de la branche sarmate; l'un et l'autre y furent con-
sidérés comme le fils et la fille du dieu et de la déesse ISirthus (p. Vrin-
NUMÉRO (31) (page 100); FREYI A. 267
dus), et prirent différents noms épithétiques , qui effacèrent peu à peu ,
dans la Mythologie slave , leurs noms primitifs de Pravys et de Pravia.
Dans la Mythologie des peuples de la branche gète , les rapports primitits
entre l'astre de la lune et la déesse Jrtin-paza (soit son dédoublement
et son hévxWhTQ Skalmoskis) ^ s'étaient tellement effacés, que ces peuples
préposèrent à cetastre une nouvelle divinité mâle nommée Mâni (v. p. 202).
Cependant les anciennes attributions de la déesse ^/•im-/>a;sa, reposant
sur ses rapports primitifs avec la lune , furent conservées traditionnelle-
ment à son héritière Skalmoskis. La déesse Pravia, aussi peu que le
dieu Pravus, ne passa pas dans la religion des peuples de la branche
gète ; mais, plus tard, ces peuples adoptèrent des Slaves, outre le dieu
et la déesse Nerthus , et le dieu Pravys (Freyr ou Frav) , aussi la déesse
Pravia, qu'ils nommèrent /reym (Dame , Maîtresse), et à laquelle ils
donnèrent encore les attributions qu'avait eues, dans la religion de
leurs pères , la déesse Skalmoskis. Freyia présidait à la Production , à
la Fécondité , à l'Abondance, et au Bien-être. Or, non-seulement le Soleil
et la Lune, mais aussi les Eaux, et la Mer passaient, dans l'Antiquité,
pour des principes de fécondité. C'est pourquoi Freyia, la fille de Niördr,
Dieu des Eaux , est devenue également Déesse des Eaux. Comme Déesse
de la Production , Freyia préside à l'Amour, au Mariage, et à la Famille ;
elle aime les chants d'amour; et les amants , ou ceux qui poursuivent des
filles en mariage, lui adressent leurs prières ou leurs vœux. Comme Déesse
de l'Amour , Freyia a pu être rapprochée de Vénus ; et c'est pourquoi les
peuples germaniques ont traduit le nom latin Veneris aies (Vendredi,
Jour de Vénus), par Freïa-dag (Jour de Freyia).
En sa qualité de Déesse de l'Amour , du Mariage, et de la Famille , Freyia
présidait aussi à V Entretien, ou au Bien-être de la famille ; et c'est préci-
sément pour cette raison qu'elle portait le nom de Freyia , qui signifie
Dame (lat. domina)., ou Maîtresse de maison. En effet, ce nom de Freyia
{2\\.Frau) ne dérive pas du verbe/ria (aimer), et ne signifie pas Maîtresse,
dans le sens á'Jmante; car , dans aucune langue germanique , il ne dé-
signe le sexe, \2i femme, mais il exprime toujours le rang, la distinc-
tion, et désigne la Maîtresse , dans le sens Aç; Épouse, ou de Dame de la
maison. Aussi h; nom de Freyior, donné aux dames de qualité , ne dérive-
t-il pas , comme le prétend Snorri, de celui de la déesse Freyia, mais
ce nom honorifique de Dame est devenu le nom propre de la Déesse , qu'on
considérait comme le type de la Dame , ou comme la Dame par excellence.
Voilà pourquoi , quand Freyia sort de sa Demeure , elle est assise dans
un char traîné par deux matous. Ce n'est pas là un char A^ guerre, mais
le char paisible de la Déesse Nerthus {Tacit. Germ. 40), ou une voiture
telle qu'en avaient, dans ce temps, les Dames nobles [Fornaldss. 1, 360).
Les deux matous ne sont pas ici les animaux symboliques de l'amour, pra-
tiqué au clair de la lune ; mais le chat, qui est habituellement assis au-
près Aw foyer domestique, et qui s'attache au domicile, plus encore qu'aux
personnes, est, ici , l'animal domestique par excellence; il est le repré-
sentant du Génie du logis, et , comme tel, il est consacré spécialement
à Freyia, la Maîtresse du logis. Encore aujourd'hui, les Lapons considè-
rent le chat comme le Génie tutélaire de leur habitation ; et , en Allemagne ,
268 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
la tradition populaire parle de Génies domestiques appelés Katermann
(Bon homme Matou), et Hinzelmann (Bon homme Chaton). Les Keltes éga-
lement avaient des Génies domestiques appelés Chats-Esprits (Kat-tuzé ;
voy. Les Gètes, p. Í68).
Artin-paza, la déesse de la Lune, ou du Soleil nocturne, se confondit,
de bonne heure, avec la déesse de la Nuit. Or, la Nuit, du sein de laquelle
toutes les créatures paraissaient naître (voy. p. ne), et au sein de laquelle
toutes semblaient rentrer, était considérée à la fois comme \ Origine, et
la Mère , et comme la Fin, ou la Mort des choses. Chez les Gètes , Skal-
moskis, l'héritière d' Artin-paza était à la fois déesse de la Production, et
de la Destruction. Freyia^ l'héritière de Skalmoskis , eut aussi, dans
l'origine, ces deux attributions contradictoires. Mais, dans la suite,
Freyia se dédoubla, et de ce dédoublement sortit Halï{norr. Hel) , déesse
de la Mort. Cependant , les anciennes attributions de Freyia , comme
Déesse de la Destruction , subsistent encore dans quelques mythes qui se
rapportent à cette divinité. C'est ainsi qu'un mythe dit que Freyia reçoit
les guerriers OCC/.Ç, dans sa salle nommée Coiitient-les-Siéges [norr. Sess-
rumnir) , nom qui exprime que cette salle est assez vaste pour contenir
les sièges des nombreux hôtes de cette Déesse des Morts. C'est comme
Déesse des Morts qu'elle se met à la tête des Falkyries, et invite à venir,
chez elle , les guerriers illustres qui sont tombés dans Voccision (norr.
val). C'est comme Déesse des Morts qu'elle est l'Amante d'Odinn, sur-
nommé le Père des Occis (voy. p. 247). Il est vrai que , dans les mythes
épiques postérieurs , cette invitation et cette réception des Occis , que
fait chez elle Freyia, ne sont plus mises en rapport avec sa qualité-de
Déesse des Morts , mais seulement aves ses attributions de Darne, ou de
Maîtresse de maison. En eifet , dans le Nord , il était d'usage que la moitié
des gens de la maison était nourrie et entretenue par le Maître (anglos.
hlâf-ord, Donne-miche, Lord)^ et l'autre moitié p^ir la Maîtresse (an-
glos. hlâf-dige, boulangère, Lady). Aussi est-il dit, dans le mythe nor-
rain, que Freyia choisissait, pour sa part , la moitié du nombre des
occis, et que l'autre moitié entrait chez Odinn , pour faire partie des
Troupier s- Unique s de ce Père des Occis. Mais en recevant chç.i elle
des guerriers occis , Freyia, d'après ce mythe , remplissait purement les
fonctions domestiques de Maîtresse de maison. Et, effectivement , déjà les
noms de la résidence et de la demeure de Freyia semblent indiquer que cette
déesse remplissait seulement, envers les guerriers occis, les devoirs de
V hospitalité , ou qu'elle leur faisait, commQ Dame, les honneurs du logis;
car le nom de Pelouses d'Assemblée (norr. Folk-vangar)^ donné à l'En-
clos de Freyia , semble avoir une signification analogue à celui de Champ
de Mai, et de Champ deMars , et indiquer que les guerriers d'Odinn te-
naient une espèce de coût plénière dans la résidence de Freyia , leur
Maîtresse , ou leur Dame.
(32) TYR ; BRAGI ; ET IDUNN.
g 99. Tyr , originairement le dieu Ciel. — Lorsque les peuples primi-
tifs , qui , en se différenciant et en se séparant de leur souche commune ,
ont formé plus tard les membres de la ÍwxmW^ iafétique , ne s'étaient pas
NUMÉRO (32) (PAGE 400) ; TYR. 269
encore spécialisés , mais ne formaient encore (environ vers l'an 3000
avant J.-Ch.) qu'une seule et même nation de nomades et de pasteurs , ils
adoraient tous le ciel, cet objet physique qui frappait sans cesse leurs
regards, attirait leur attention, la nuit comme le jour, par ses phéno-
mènes merveilleux et sublimes , et leur inspirait , par ses influences bien-
faisantes , l'idée et le respect religieux d'un Etre surhumain , puissant ,
et généralement bienveillant. Dans l'origine, l'objet de la nature physique,
considéré comme une divinité , passait pour un être vivant, doué d'une
puissance siirhumaine , et ayant précisément la forme qu'on lui voyait
dans la Nature. Comme le ciel n'avait pas de figure humaine^ on ne put
le concevoir d'abord que comme un animal gigantesque, comme une
divinité zoomorphe. Ce qui frappait surtout à la vue de ce dieu Ciel,
c'était le soleil , la lune , et les étoiles , qui en étaient les ornements b7Hl-
lants. Or, comme dans V origine, ces astres n'étaient pas encore consi-
dérés eux-mêmes comme des Divinités, ni comme des Divinités distinctes
du dieu Ciel , mais seulement comme des ornements de ce dieu , l'idée
caractéristique primitive , dans la conception du dieu Ciel , était naturel-
lement l'idée de Brillant, et par conséquent le mot par lequel on dési-
gnait primitivement le dieu Ciel^ signiflait précisément Brillant iJ'iyM^.
Les Scythes et leurs descendants ont gardé, le plus longtemps, de tous
les peuples iafétiques ; ce nom de Tivus sous sa forme primitive. (Voy.
Les Gètes, p. 154.)
Le berceau des peuples iafétiques se trouvait sur le plateau au sud de
celui qui est appelé aujourd'hui le Turkestan. Comme l'ainy est généra-
lement chaud et sec , ces peuples primitifs comptaient , parmi les princi-
paux bienfaits du dieu Ciel, la pluie , qui arrose et féconde la terre , le
vent, qui rafraîchit et purifie l'air , et l'orage, qui amène à la fois la pluie
et le vent. Aussi le Ciel était-il adoré comme Père de la pluie , du ve?it,
et de V orage. Comme Père de l'orage , qui amène la pluie fécondante, le
dieu Ciel fut surnommé Jrme-Pluie {scythe Pirk-îmis) ; et ce qui prouve
l'ancienneté de ce nom dans la religion des Scythes , comme épithète de
Tivus , c'est que les formes modifiées de ce nom se retrouvent dans la
religion des descendants des Scythes de la branche sarmate , aussi bien
que dans celle de leurs descendants de la branche gète. Pirkunis , qui ,
dans l'origine, était identique avec Tivus , s'est, dans la suite, détaché
de lui, pour se constituer divinité distincte. Comme ce sont les vents qui
amènent les nuages orageux et les pluies fécondantes, le dieu scythe
Pirkunis présidait aussi aux vents, et portait, en cette qualité, le nom
épithétique de F^ewi (scythe Vâtus, p. Vahitus, Agité).
Tivus Pirkunis , comme Ciel -Orageux, était le Fécondateur de la
terre, et c'est pourquoi il fut considéré comme l'époux de la déesse Jpia
(Terre); et ces deux conjoints anthropomorphes passaient, dans la re-
ligion des Scythes , pour être le Père et la Mère des Dieux , et , par suite ,
pour les Parents des hommes. Comme Père des dieux et des hommes ,
Tivus eut le nom épithétique de Jïeul (scythe Pappaïus) , et ce nom
indiquait que les Scythes se figuraient Tivus comme le plus ancien des
Dieux , comme le Père primitif des dieux , et , par l'intermédiaire d'eux ,
comme le Père des Héros et des Rois , et enfin comme l'Aïeul du peuple
270 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
sctjthe, et, par lui, ensuite , comme l'Aïeul des hommes en général. Chez
les peuples primitifs, qui vivaient dans l'état patriarchal, l'idée de père
et à' aïeul impliquait celle de chef, et c'est pourquoi Tivus , le Père des
Dieux, passait aussi pour le Chef des Dieux, et, par conséquent, pour
le Dieu Suprême.
Chez les Scythes , dont l'occupation principale, et la plus honorée , était
la guerre et les combats, Tivus, le Dieu Suprême, devint naturellement
aussi le Dieu des Combats; et cela d'autant plus facilement que , en sa
qualité de dieu Ciel, il était aussi le Dieu de V orage, et que , suivant une
association d'idées assez ordinaire dans l'Antiquité , la guerre ou le com-
bat , à cause du tumulte et de la fureur qui l'accompagnent , était assi-
milé à un orage (voy. Les Gèles , p. 158). Cette nouvelle attribution de
Tivus , comme Dieu de la guerre, bien qu'elle ne fût en aucun rapport
avec sa mture primitive de Ciel, devint cependant, chez les Scythes et
chez leurs descendants, l'attribution principale de ce Dieu suprême,
de sorte que les historiens anciens , considérant le Dieu suprême des
Scythes, des Goths, des Germains, et des Scandinaves, principalement
comme Dieu de la guerre, le désignaient aussi par les noms équivalents
grec et latin de Jrès et de Mars. Parce que Tivi'>s , le Dieu des Com-
bats., était aussi le Dieu Suprême, il eut, le premier, et le seul de tous
les Dieux des Scythes , l'honneur d'être représenté pdiV un signe symbo-
lique ou emblématique. Ce signe était un dard, ou une lance fichée en
terre, sur la Butte de l'assemblée (Hérod. IV , 62). D'après ce symbole ,
Tivus eut lui-même le surnom de Dard (scythe Kaizus; goth. Gaïsus,
cf. Radagaïsus) ^ ou de Lance (scythe Kaztus; goth. Gazds; cf. slave
Radegast). C'est ainsi que, chez les Scythes, Tivus, originairement le
dieu zoomorphe Ciel., devint ensuite Dieu anthropomorphe du ciel , l'é-
poux de Terre (Apia), le Dieu de \ orage fécondateur (Pirkunis), le
Dieu des Vents (Vâtus) , le Père des Dieux et des Hommes (Pappaïus), le-
Chef des Dieux, et le Dieu Suprême-, et surtout le Dieu des Combats (Kai-
zus, Kaztus). Ces différentes attributions furent rattachées successivement,
dans la tradition mythologique des Scythes , au seul et même dieu Tivus.
Mais les différentes tribus firent ressortir , peu à peu , dans le culte de ce
dieu , telle ou telle de ces attributions , de préférence aux autres , de sorte
que Tivus, en se dédoublant, produisit plusieurs Dieux, qui représen-
taient, chacun spécialement , telle ou telle attribution de Ciel, et qui
passaient tous , dans la suite , pour autant de dieux distincts.
Les descendants des Scythes , les peuples de la branche gète, reçurent,
avec la religion de leurs pères , le culte de Tivus , qu'ils nommèrent Tius,
sans savoir qu'il avait été originairement le dieu Ctel. En sa qualité de
Dieu de V Orage, Tius fut remplacé p^r Fi?'gunis., ou Thonars^ ou
Chlodurs; comme Dieu des vents, il fut remplacé par Vathus et par Vâ-
thans. Vâthans , le dédoublement et l'héritier de Tius , se substitua même
il lui , et comme Dieu Suprême., et comme Père des dieux, et comme Dieu
des Combats , de sorte qu'il ne resta plus à l'ancien Dieu du ciel que
quelques attributions guerrières, et qu'il passa même pour \efils de celui
qui lui devait l'existence. Les tribus issues des peuples de la branche gète
ont cependant conservé , en Scandinavie et en Germanie , le souvenir du
NUMÉRO (32) (page 400) ; tyr. 271
dieu traditionnel Tius , que les Scandinaves ont nommé Tyr, les Ger-
mains du Nord, Tiu, et les Germains du Sud, Zio. Comme, déjà chez
les peuples gréées , Tius, par suite de ses dédoublements, avait perdu
beaucoup de son importance primitive comme dieu Ciel, ses représen-
tants Tyr^ Tiu, et Zio ne furent plus des Dieux adorés, ayant des tem-
ples, et un culte public; mais, comme ils figuraient seulement dans la
tradition mythologique, ils ne furent plus que des dieux invoques, à
l'instar des Héros chez les Grecs , et des Saints chez les Chrétiens. Tius
n'ayant gardé , dans la tradition, que ses attributions de Dieu Guerrier,
il n'y avait aussi que les guerriers qui eussent coutume de l'invoquer, et
de lui adresser leurs vœux. Ce qui prouve que les Germains , à l'époque
où ils avaient subi l'influence de la civilisation romaine , ne considéraient
déjà plus , dans Tiii ou Zio, que sa qualité de dieu guerrier, c'est qu'ils
ont rendu le nom de Mardi {Martis dies , Jour de Mars) par Tiusdag
(angl. Tuesday)^ ou Ziesdag (alsac. Zisch-di), c'est-à-dire /oi^r de Tiu
ou de Zio. Mais bien que le dieu Ciel finit , comme une Grandeur déchue,
par n'être plus qu'un personnage secondaire et accessoire, dans la Mytho-
logie des Germains et des Scandinaves, il s'est cependant conservé , dans
les mythes de Tyr, des traces de son ancienne puissance et supériorité.
C'est ainsi que, se souvenant confusément que Ti/r avait été anciennement
le Ciel , le Père , et le Chef des Ases , la Mythologie a rattaché l'origine
de ce dieu , du moins du côté de sa mère (l'épouse du géant Hymir, et
l'amante á'Odinn) , à la race Aeslotnes, antérieure à celle des Ases. En-
suite , par un souvenir également vague et confus de la signification pri-
mitive de Tyr (Ciel) , la langue norraine se sert du nom de ce dieu, ainsi
que de celui du Dieu du Soleil lrmi7i , comme des mots regin (Grandeurs), et
we^m (Puissances), qui, tous deux, désignent les dieux, et comme du mot
fimhul (ensorcellement), qui désigne la puissance irrésistible de la magie ,
pour exprimer le degré céleste ou divin , c'est-à-dire le suprême degré
d'une qualité. Ainsi, par exemple , la locution sage comme Tyr ne signifie
pas, comme le prétend Snorri, qu'on attribuait à Tyr une sagesse su-
périeure à celle des autres Ases , mais elle est synonyme de divinement
ou célestement sage. C'est encore en souvenir de la qualité primitive de
Tyr, comme Ciel, qu'il est représenté , dans un mythe (voy. p. 1 05), comme
l'ac^fersa/reduLoup áeFenrir; carleCiel devant , d'après l'Eschatologie
mythologique, être détruit par le /eu, Tyr (Ciel) est représenté comme
l'adversaire de Fenrir , qui est le symbole du Feu dévorant (voy. § \\\).
Aussi Tyr (le Ciel), pour échapper au danger qui le menace, préfère-t-il
perdre ce qu'il a de plus précieux , sa main droite , plutôt que de relâcher
Fenrir, que les Ases sont parvenus à enchaîner. Dans ce mythe , Tyr est
encore considéré comme le Père et le Chef des Ases, auquel, en cette
qualité , il convenait , plus qu'à tout autre dieu , de se constituer le Ga-
rant, le Protecteur des Ases, et de se dévouer pour eux. Tyr, ayant été,
peu à peu , remplacé par Odinn, en sa qualité de Dieu Suprême , et de
Père et de Protecteur des Ases, Odinn a aussi pris la place de Tyr comme
adversaire du Loup de Fenrir (voy. p. i34). Odinn , comme Tyr, se dé-
voue pour les Ases; si Tyr a préféré laisser sa main droite au Loup de
Fenrir , plutôt que de dégager la parole donnée par les Ases , et s'il est ainsi
272 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
devenu manchot, Odinn aussi a préféré laisser son œil droit à Mhnir (voy.
p. 230), plutôt que de rendre le Cor-de- Retentissante , si précieux pour
la sûreté des Ases, et ainsi il est devenu borgne (voy. p. 229). Bien que
Odinn ait enlevé à Tyr presque toutes ses attributions, Tyr a cependant
encore gardé son caractère de Dieu des Combats ; il est resté le type du
soldat, qui n'aime pas la paix , mais qui , en toute occasion , en appelle
à la décision par les armes. Aussi c'est à Tyr que les guerriers adres-
saient leurs vœux.
§ 100. Bragi , dédoublement du Dieu du Soleil. — Bragi, comme Dieu
de la Poésie , n'appartient pas au fond primitif de la Mythologie nor-
raine; il ne se trouve ni dans la religion des Scythes, ni dans celle des
Sarmates , et de Slaves. Bragi est le Dieu de la Poésie, tel qu'il s'est
formé, chez les peuples de la branche gète, vers le deuxième siècle avant
notre ère. Les Scythes , et leurs descendants , les Sarmates et les Gètes ,
n'avaient pas de poésie , ou du moins , si elle a commencé à naître chez
eux , elle n'avait pas encore une importance telle qu'on pût songer à la
mettre sous l'invocation de quelque divinité (voy. Les Gètes, p. 129 seq.).
Mais lorsque les peuples de la branche gète s'établirent en Thrace , et à
l'est des Karpathes, ils entrèrent en rapport avec les peuples keltes, etkim-
méris, et avec les Kimro- Thrâkes , qui , depuis longtemps, cultivaient déjà
la musique et la poésie. Comme, chez ces peuples sacerdotaux .^ tout
était hiérarchisé, les musiciens et les poètes formaient une subdivision
de la classe des prêtres , surtout des Prêtres du Soleil. Chez eux^ l'in-
strument à corde appelé l'Hirondelle (Chrotta), avait remplacé la flûte des
anciens Grecs. Aussi les Gètes et les Sarmates adoptèrent-ils la citharre
(norr. harpa ; slav. guzla) , qui, dans la suite , devint également l'instru-
ment principal de musique chez les Scandinaves. Chez les peuples- de la
branche gète, le jeu de la citharre servait d'accompagnement au chant
(goth. saggus) ; et le chant était une espèce de récitatif, ou modulation
déclamatoire (cf. goth. sigqvan, déclamer, lire, chanter). Ces peuples attri-
buaient à la poésie une double origine. D'un côté , voyant que l'ivresse ,
en produisant une certaine exaltation morale et intellectuelle, rendait les
hommes éloquents, ils croyaient qu'on devenait poèie^ en goûtant d'un
breuvage divin , soit vin , soit hydromel. D'un autre côté , ces peuples ,
comme en général les Anciens, attribuaient à la parole prononcée sous
forme de prière , d'invocation, de bénédiction , ou de malédiction, une
force magique, qu'on appelait énergie (sansc. brhas; norr. bragur; cf.
gr. prak-sis). Or, de même que cette énergie avait été personnifiée ,
chez les Hindous , dans Brehas-pati (Seigneur de l'Énergie) , de même
elle fut personnifiée , chez les peuples de la branche gète , dans Bragus
ou B7^agi, qui n'était qu'une spécialisation , ou un dédoublement de Skal-
moskis, ou de Balthus , le Dieu du Soleil. Aussi, par suite de leur nature
solaire ., Bragur eiBaldur^ qui , l'un et l'autre, par suite de l'influence
thrâkeoukeltique, portent, tant soit peu, un cs^râctère sacerdotal , sont-
ils représentés, dans la Mythologie Scandinave, comme ayant, l'un et
l'autre, une éloquence facile et agréable; l'un et l'autre , enfin , comme
divinités solaires , sont opposés à Œgir (l'Océan) , puisque le Soleil est
opposé , dans la Mythologie , à la Mer , son adversaire (voy. p. 252). Dans
NUMÉRO (32) (page 101) ; bragi ; idunn. 273
la suite, Odinn, étant devenu le \y\^.w Suprême , et la naissance de la plu-
part des Ases étant rattachée, dans les mythes théogoniques, au Père-
Universel, Bragi, qui, dans l'origine, avait été le fils du Soleil, devint
également fils (ï Odinn. Le mythe théogonique, attribuant l'origine de la
Poésie, ou la naissance A^ Bragi, au breuvage divin, imagina que le Dieu
de la Poésie naquit de la géante Gunnldöd (cf. Saga),, après qu'elle eut
donné à boire le breuvage d'Enthousiasme (norr. Odrærir, Remue-l'Es-
prit) à son amant Odinn, Dans l'Antiquité, le poëte , parce qu'il maniait
bien la parole, remplissait aussi les fonctions d'orateur public, et c'est
pourquoi le cithariste , ou le poëte , était aussi employé , chez les Gètes, en
qualité A' ambassadeur (voy. Aihen. 14, 24). Encore plus tard, la tra-
dition épique desGoths, des Germains, et des Scandinaves, nous montre
des héros, tels que Volker , Horand, Verbil , Svemlîn, etc. , qui, ma-
niant aussi bien l'instrument de musique quel'épée , et ayant, à la fois, la
qualité de musicien (fidlari) et celle de poète- orateur, remplissaient les
fonctions de messager et d'ambassadeur (cf. les Troubadours, messagers,
et Petrarcha, ambassadeur). Dans la Mythologie Scandinave, le dieu
Bragi porte aussi la parole au nom des Ases, et, dans une circonstance
grave, il est leur Envoyé , ou leur Ambassadeur (voy. Hrafna-Galdiir,,
9). Le dieu de la Poésie étant également le Dieu de \ Éloquence , les per-
sonnes , hommes et femmes , qui , chez les Norrains , savaient bien manier
la parole, ou qui parlaient au nom de leurs amis et protégés, étaient ap-
pelées, métaphoriquement, du nom de Bragur (Poésie, Éloquence).
§ 101. Idunn, l'Épouse de Bragi. — Le nom de Id~unn signifie Aime-
Activité; elle est le symbole de la vie, qui se manifeste dans la Nature
entière, au printemps ou en été, par opposition à la mort, dans l'hiver et dans
la nuit. Dans l'origine, Idunn,, ainsi que /î// (cf. Ida-völlr , Plaine d'Idi,
p. 223) appartenait à la race des Alfes, c'est-à-dire qu'elle était la Per-
sonnification d'une étoile ou d'une constellation , sans doute d'une con-
stellation, qui monte à l'horizon, au printemps, et qui, au solstice d'été,
tombe au-dessous de l'horizon. On attribuait probablement à cette con-
stellation , ou 2l Idunn qui y présidait, la renaissance de la végétation , et
des sources , au printemps et en été, et c'est pourquoi l'Endroit qu'elle
habitait au ciel, fut nommé Champ-aux-Sources (norr. Brunn-akr).
Comme Idunn préside à la vie, elle tient de la nature des Nomes con-
servatrices , et elle est, sans doute, une de ces Nornes , d'origine alfe ou
dvergue , dont il est question dans une strophe épique (voy. p. 234). En-
suite , comme l'activité 6.' Idunn est analogue et parallèle à celle du Dieu
du soleil, elle a dû être originairement mise en rapport mythologique
avec ce dieu , surtout avec Baldur, le Dieu du soleil à' été, qui , comme
elle, dépérit au solstice d'été. Comme Amie de Baldur, elle a quelque
analogieaveciYawna(voy. p.330), l'amante et l'épouse de ce dieu; et, c'est
précisément en sa qualité d'Amie de Baldur^ qu'elle est devenue posté-
rieurement l'épouse de Bragi, du Dieu de la Poésie, qui s'est formé du
dédoublement de Baldur, le Dieu du Soleil. Par son mariage avec VAse
Bragi, Idunn , de Alfe qu'elle était originairement, est devenue Asynie.
(Voy. p. 244.)
Comme la vie et l'activité , qui se manifestent au printemps et en été ,
18
274 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
pour produire la végétation , ont pu être comparées à un travail plein
d'art, qui s'opérait sous terre, et comme les Artistes souterrains, c'est-à-
dire, lesDvergsou les Jl/es-Sombr es, passaient aussi pour être les auteurs
des travaux merveilleux et admirables de la végétation (cf. la chevelure
de Si/, voy. p. 295) , l'alfe Idiinn a été postérieurement mise en rapport
ii\tc\es Âlfes-Sombres , et, dès lors, considérée comme la fille d'/t^a/of,
du plus grand artiste parmi les Dvergs ou Döckalfes.
Le printemps ou l'été est une époque de renaissance, de rajeunisse-
ment, de restauration pour la Nature, et pour les À ses, qui sont les sym-
boles et les représentants de la Fie. La pomme, de tous les fruits le plus
charnu et le plus substantiel , est le type de la nourriture, ou de la res-
tauration des forces vitales, et , par conséquent, elle a été choisie pour
symbole mythologique de la longévité, et de Ximmoi^talité (cf. les Pommes
des Hespérides). Aussi le mythe norrain rapporte-t-il que la Déesse Idunn
garde les Pommes d'or, dont les Ases mangent, chaque année, pour re-
devenir jeunes. Ces rajeunissements se succèdent, tous les ans , jusqu'au
Créjmscule des Grandeurs , c'est-à-dire jusqu'à la fin des siècles. Une
fois cependant, le père de Skadi , le Géant des montagnes, nommé
Tliiassi (voy. p. 264) , et le représentant des vents du INord et de l'Hiver,
parvint à enlever Idunn, avec ses pommes , ce qui signifie qu'il réussit à
empêcher ou à retarder, pour quelque temps , la renaissance de la Nature
au printemps. Mais les Ases parvinrent à ramener la Déesse avec ses
pommes , et à faire cesser la faiblesse ou la décrépitude , dans laquelle ils
étaient tombés , faute de pouvoir se restaurer par ces fruits qui entre-
tenaient leur immortalité.
Idunn, présidant à la vie, se tient dans les parties supérieures ou cé-
lestes de l'Arbre de Vie, on du Frêne d'Yggdrasil. Elle en tombe , au
solstice d'été , quand Baldur dépérit , et elle descend , avec lui , dans le
Séjour de Hel, situé sous la racine septentrionale de l'Arbre de Vie. C'est
là qu'elle séjourne jusqu'à ce qu'elle puisse , au printemps , remonter au
haut de l'Arbre. Mais un jour elle en tombera, pour ne plus remonter;
c'est à l'approche de la Fin du monde.
(33) HEIMDALL ; HÖDUR ; VIDAR ; ULLR ; FORSETI.
g 102. Origine stellaire de HeimdaU. — Les peuples de la branche gète
connaissaient, au premier siècle avant notre ère, les noms de près de
quatre cents étoiles. Déjà antérieurement ils avaient appris , sans doute
des Kimméro-Tkrdkes , que V Étoile du Matin (gr. Astraïos) était le
Fils du Soleil {\oy. les Chants de Sol, p. 111). Or, le Soleil, originai-
rement soomorjo/ie , ayant conservé, traditionnellement, l'ancien nom
épithétique de Ferrât {gèie I/urs)^ l'astre du matin, ou le dieu qui y pré-
sidait, était désigné sous le nom de Jfurings (Issu du Verrat). Ce nom se
changea, plus tard , chez les Germains , en Ivaring, chez les Saxons , en
Iring , et, chez les Scandinaves, en Eirîkr ou Rîgr. Dès le premier siècle,
ïuvaring ou Rîgr était devenu un dieu-héros, dont on ignorait complète-
ment les rapports avec l'astre du matin, mais dont on savait encore qu'il
était fils du Soleil. C'est pourquoi ce dieu-héros, fils du Soleil, se confondit
avec un autre dieu-héros, fils du Soleil, wommé Ir min (norr. lörmun)., qui
NUMÉRO (33) (page 101) ; heimdallr. :275
était représenté i^âvunpin, ou un arbre, symbole, à la fois, et de V établisse-
ment, ou du do7nicile consacré au soleil (v. p. 223), et de la vie, qui , dans
la Nature, renaît sous l'influence du Soleil printannier. Aussi Irmin ou
lörmun eut-il, d'après son symbole, le nom de Thallr (Pin), ou de Heim-
dallr (Pin du Séjour), et ce dernier nom prit même le dessus sur celui du
dieu-héros Rîgr ou ÞHng , avec lequel Irmin et Heimdall s'étaient con-
fondus. Le dieu Heimdallr (cf. Mardöll, Pin de Mer, nom de Fréyia)
hérita, à la fois, des attributions de Irmin, et de celles de If ring, comme
le prouvent déjà ses deux noms épithétiques , celui de Heiyndallr , qui est
synonyme du saxon Ermen-dur (Arbre de Irmin), et celui de Rîgr, qui est
synonyme de Iring. Si le nom de Heimdall rappelle les rapports de ce
dieu avec Irmin, les mythes de Heimdall se rapportent originairement,
pour la plupart, à Rîgr ou à If ring , Y Astre du matin, et le fils du
Soleil. Ifring étant dans l'origine le Dieu de l'astre du matin , son héri-
tier Dali ou Heimdall est devenu la personnification de Vaube matinale;
et il a été probablement considéré comme le Père de Delling (Issu de
Dali ou de Heimdall), lequel était le père de Dagr (Jour; voy. p. 200).
Les différentes parties successives de Vannée étant assimilées , selon l'ha-
bitude des peuples de la branche gète , aux diiïerentes parties successives
átXdi journée, Heimdall , le Dieu de VJube, ou du commencement de la
journée, devint aussi le Dieu du Printemps, ou du commencement de
l'année. Comme Fils du Soleil, Heimdall porte , ainsi que le dieu du
Soleil, Baldur, les noms épithétiques de Blanc , de Illustre, et de Saint
(cf. p. 259). Heimdall, d'après les mythes épiques, possède, comme les
autres Ases (voy. p. 224), un cheval , qui est nommé Queue d'Or, parce
que YJurore, qui amène VJube, ou porte Heimdall , a un éclat doré. Les
astres du ciel étant comparés à un troupeau de moutons , dont le Soleil
est le berger, Heimdall le Blanc, le Dieu de l'Étoile du Matin, deVJube,
et du Printemps, marche , pour ainsi dire, à la tête des étoiles, et en tête
des trois mois brilla?its de l'été , et des douze heures blanches ou bril-
lantes de la journée, comme le chef de troupeau, le bélier blanc, marche
à la tête des blanches brebis. C'est pourquoi ce dieu porte encore le nom
épithétique de Hallin-skidi (Au Bois-Retors, A-la-Corne-Courbée), qui
désigne, par synecdoque , le bélier; et , par suite de ce nom épithétique
de Heimdall, le bélier est aussi désigné, en poésie, sous l'épithète mytho-
logique á^Heimdali{\oy.Snorra Edda , p. 221), qui signifie Consacré
à Heimdall. Comme Dieu de VJube, et du Printem2os, Heimdall naît,
pour ainsi dire , de la Nuit, et de l'Hiver. C'est pourquoi'le mythe théogo-
nique le rattache , d'un côté, par sa naissance, à la race des loines, les
représentants de la Nuit et de l'Hiver, et de l'autre, par sa nature, à
la famille des Ases, les représentants du Jour et de l'Été. Voilà pour-
quoi, dans un ancien poëme, miWnXé Enchantement de Heimdall , dont
il ne reste plus que les deux vers cités ^^2^vSnorri, il est dit que Heimdall
est le fils de wei^/ Vierges, toutes des sœurs (cf. hind. Ganéças, fils de
deux mères), et, dans la 34^ strophe du Chant de Hyndla , ces wew/mères
de Heimdall sont nommées : i° Gialp (Abîme), 2" Greip (Mouffle), 3"
Elgia (Froidure), 4" Angeyia (Ile de Frayeur), 5° Ulfrûn (Compagne
du Loup), 6° Orgiafa (Produisant de la Boue), 7° Sindur (Scorie), 8°
276 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Atla (Ourse) , et 9» larnsaxa (Hache de Fer). Ces noms n'ont ici aucune
signification symbolique, par rapport à Heimdall, mais ce sont de sim-
ples noms de femmes i'ofniques , lesquelles représentent, d'une manière
générale, par leur nombre, les neuf heures^ depuis le coucher du soleil
jusqu'à l'Aube, ou à Heimdall , qui naît de ces neuf heures^ ses Mères. En-
suite , par extension , ces neuf mères figurent encore les neuf mois de
l'hiver, lesquels engendrent le Printemps, ou l'Aube de l'année, person-
nifiée également dans Heimdall.
Bien que, par ses mères, ou par son exirsiCtion physique^ Jdeimdallsp-
partienne à la race des lotnes, par sa nature ou son caractère comme Dieu
de VAube et du Printemps., il appartient à la race lumineuse et bienfai-
sante des Ases (voy. p. 285). Il était originairement le Fils du Soleil; mais,
ainsi que la plupart des autres Ases, il est devenu leíúsA'Odinn, par nulle
autre raison si ce n'est que Odinn^ comme Dieu Suprême, passe aussi pour
être le Chef, et par suite pour être le Père des Ases (voy. p. tkTÎ). Heimdall,
le Dieu de \Aube (du Commencement úujour)^ et du P? intemps (du Com-
mencement de Vannée), est devenu, dans la suite , par une abstraction
cosmologique, le Dieu du Com7nence7nent des choses en général (cf. Ga-
néças , Dieu du Commencement) , par opposition à Loki (Clôtureur; voy.
p. 285), l'Étoile du soir, qui est le Représentant de la fin de l'Été, et de
la Fin du Monde. Aussi est-il dit, qu'au Crépuscule des Grandeurs
(voy. p. 1 35) , Heimdall et Loki se tueront l'un l'autre , ce qui veut dire
que le Commencement périt par la Fin , ou que la Fin terminera le Com-
mencement. Mais suivant un autre mythe cosmologique, Heimdall, con-
sidéré comme Dieu de l'Aube et du Soleil Printanier , périt renversé par
une Tête, ce qui signifie, sans doute, que chaque jour, chaque année,
l'Aube (Heimdall), ou le Soleil Printanier, est vaincu ou anéanti par l'éclat
et la force supérieure du Soleil Matinal et du Soleil d'Été , lesquels , l'un
et l'autre , sont représentés par une tête, image du Soleil. C'est ainsi que,
d'après le mythe grec , Prokris (l'Aube) est tuée par son époux Képha-
los (Tête), qui est le symbole du Soleil Matinal, de l'Amant à! Aurore.
C'est ainsi encore que, d'après le mythe hindou , Ganéças (le Soleil Prin-
tanier), a eu, dans son enfance , la tête brûlée par les ardeurs de Sani,
le fils au Soleil, et a dû la remplacer par une tête d'éléphant, c'est-à-dire
par la tête de l'animal pachyderme qui, chez les Hindous, est le symbole
du Soleil (cf. les éléphants blancs de Siam) , comme le Sanglier l'était chez
les peuples germaniques et slaves (voy. p. 274). Ganéças, ayant perdu
un de ses ivoire^, porte le surnom de Monodonte (sansc. Èkadantas)\
Heimdall porte l'épithète de Chrysodo^ite (Dent d'or) , sans doute parce
que ^ Fils du Verrat^ il était représenté sous la figure d'un Sanglier, ou,
simplement, avec la tête d'un Sanglier ayant des défenses d'or.
Le Dieu du Soleil passait non-seulement pour présider à la végétation,
mais encore à la génération. Aussi tous les peuples d'origine scythique
se disaient-ils Issus du Soleil, ou de quelque Fils du Soleil. Heimdall,
en sa qualité de Soleil printanier , qui réveille dans les hommes les sen-
timents de l'amour sexuel, devint, plus particulièrement, le dieu qui
présidait à la Procréation , et fut considéré, par conséquent , comme le
Père de la Nation. Dans l'origine , chez les peuples de la branche gète, et
NUMÉRO (33) (page 101); vidarr. 277
de la branche sarmate , le Dieu du soleil, Frey7\ le fils AeNiördur, ou
bien le Fils du Ferrât (Ivoring , Ivring) , lors de la fête du printemps ,
était censé parcourir le pays , de l'orient à l'occident, pour rendre la terre
fertile , et faire participer les hommes à tous les bienfaits de sa présence
divine. Comme la plupart des mariages se célébraient à cette même
fête , la procréation passait pour s'opérer alors sous la protection spé-
ciale , et sous l'iniluence mystérieuse , et bienfaisante , du Dieu de la Géné-
ration. Voilà pourquoi il est dit dans le Chant eddique intitulé Récit de
Rîgr (Rîgs-mâl), que Heimdall, sous le nom de Rîgr (p. Rtngr, Rîkr,
Irîngr, Eirîkr^ Ifringr)^ passait par les stnú^v^ fleuris du printemps,
pour assister aux mariages célébrés dans les différentes classes de la so-
ciété (Nobles, Paysans, et Serfs), et pour sanctionner, et féconder, par
son influence mystérieuse, l'acte de la procréation , de sorte que tous les
enfants de la Nation , les enfants des Nobles , des Paysans, et des Serfs ,
pouvaient passer pour les descendants de Rîgr, et être désignés par le
nom de Fils de Heimdall (norr. Heimdallar rnegir ;y. Völuspa^ 1).
Plus tard , les rois , surtout ceux qui se disaient issus de Freyr, se sub-
stituaient à ce dieu Rîgr, et, à la fête du printemps, la première après
leur avènement, ils parcouraient le pays, pour confirmer et sanctionner,
par leur présence personnelle, tout ce qui était considéré comme formant
le Bien-être physique , moral , et social du peuple : c'est ce qu'on ap-
pelait chevaucher par le Chemin du Fils du Verrat (norr. Eriksgatu
rida).
Comme Fils du Soleil qui éclaire tout, qui voit tout, et qui est le Gar-
dien du Troupeau céleste , le Dieu Heimdall n'était pas seulement ,
comme son père, le Protecteur et leGardedu/}ewp/e(cf. scytho-gr. Teuta-
ros; norr. Thiodvarr) , mais aussi le Gardien des Ases. En sa qualité
de Gardien ou Portier des Dieux, Heimdall (cf. sansc. Gatiéças^ Gar-
dien des Dieux) demeure à l'entrée du ciel , là où le Potit-de-l'Âse (voy.
p. 2ll) touche à VEnclos-des-Ases. Suivant la strophe 13« des Dits de
Grimnir citée par Snorri, la Demeure de Heimdall, placée à l'Entrée
du ciel, est nommée Roches-Célestes (voy. p. 240), parce qu'elle est une
forteresse placée au nord-est , sur des montagnes ou Roches , qui touchent
au ciel (cf. sansc. Kailasas; Mérous). Heimdall, le Portier des dieux ,
est naturellement , comme tout ce qui se trouve chez les Ases , le type ou
V idéal du gardien; aussi, dans les mythes épiques, est-il représenté
io\\]0\}iYS vigilant , et éveillé ; il lui faut moins de sommeil qu'à un oiseau
(cf. Vedur-fölnir ; Egdir; Ari). 11 a la meilleure viœ (cf. gr. Argeïos;
Lunkeus ; Fhinéus) ^ afin de s'apercevoir , de loin, du danger qui ap-
proche. Il a encore la meilleure ouïe, afin que le moindre bruit lui donne
l'éveil, et le mette sur ses gardes contre l'Ennemi. Pour donner l'alarme,
Heimdall a la trompe merveilleuse, nommée Cor de Retentissante (voy.
p. 229) , qu'Odinn a acquise, pour lui , au prix de son œil droit (voy.
p. 230).
g 103. Origine solaire de Vidarr. — Chez les tribus scythes , environ
vers l'an 600 avant Jésus-Christ, Targi-tavus , le Dieu anthropomorphe
du soleil, était devenu le type du Héros (sansc. Kchatjas destructeur ;
scythe Skaïs)^ c'est-à-dire, le type du Chasseur, du Guerrier, et du
278 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Prince. En sa qualité de jeune guerrier et chasseur, le Dieu du soleil
portait les armes distinctives des Scythes nomades et guerriers , savoir
y arc, les Jlèches, et le bouclier. Les flèches (scyth. arvus ; norr. orr)
du Dieu du soleil étaient également les symboles des rayons du soleil
(cf. russe, sirêla flèche; v. ail. strala rayon). Targitavus , qui passait
pour un excellent archer, eut le nom épithétique de Skotaris (Tireur
d'arc), que les Scythes -Hellènes et les Grecs ont rendu par la forme
transposée de Toksaris. Le bouclier ou la targe (scythe targa ; norr.
targa) était, chez les Scythes, l'arme distinctive des Rois et des Princes :
la targe de Targi-tavus symbolisait le disque brillant du soleil, et
c'est d'après cette targe brillante que le Dieu du soleil eut le nom épi-
thétique de Targitavus (Brillant de Targe). Dès le sixième siècle avant
Jésus-Christ, Targitavus, le Dieu-Héros dii soleil fécondateur se con-
fondit en partie avec Pirkunis le Dieu de l'orage fécondateur (v. p. 233).
Par cette fusion des attributions de Dieu du soleil, et de Dieu de 1 orage,
Targitavus eut beaucoup d'analogie avec Iléraklès considéré à la fois
comme Dieu du soleil , et comme Dieu de la foudre. Aussi les Scythes-
Hellènes et les Hellènes donnaient -ils à Targitavus , le nom de Héra-
klès. Kallimachos rapporte même que le Héraklès de Thèbes apprit
de l'Hercule scythe, ou de Skotaris (Tireur), à tirer de l'arc (voy. Les
Gètes , p. 181); ce qui signifie que les Grecs ont donné à leur Dieu
Héraklès, pour attributs, l'arc et les flèches, en imitation des attributions
du Dieu scythe Targitavus, comme, au sixième siècle avant Jésus-
Christ, l'Hercule grec a eu la peau de lion , comme symbole emprunté à
l'image de l'Hercule égyptien. Plus tard, chez les Gètes, l'héritier et le
successeur de Targitavus, savoir le Dieu du soleil et de la foudre
Skalmoskis (gr. Tsalmoksis) , eut aussi la peau d'ours , en imitation de
la peau de lion , dont était revêtu l'Hercule grec ; et d'après cette peau
d'ours, il eut précisément le nom épithétique de^Æa/wo-sA^slA-la-Peau;
voy. Les Gètes, p. 191). De même que le Héraklès grec était fils de Zevs
(Tivîâ, Ciel), de même Targitavus était aussi le fils de Tivus (Ciel) et
A'Apia (Terre). Or, Tivus et Jpia étant V Aïeul (sythe Pappaïus), et
VJïeule (scyth. Tatâ ; slav. Deda; norr. Edda; gr. Dâ ou Dê-mèter) des
Scythes, leur fils Targitavus fut aussi considéré comme le Père de la
Nation. A l'époque où les Scythes s'étaient déjà divisés en Scythes
royaux (Guerriers), en Scythes nomades, et en Scythes sédentaires
{agricoles)^ Targitavus devint, dans la tradition généalogique, le Père de
trois fils, ou de trois Héros ou Destî-ucteurs (scythe Skaïs). Vaine de ces
héros était Hleipo^ Skaïs (Héros au Bouclier; Hérod. Leipo-ksaïs)
dont le nom (qui est analogue à celui de son père Brillant de Targe).,
indique que, comme aîné et comme chef, il était distingué par son
bouclier. Aussi les Scythes- Hellènes substituèrent- ils, au nom de
Hleipo- skaïs , celui de Skuta (Bouclier; gr. Skuthès). Les difl"érentes
tribus rattachèrent leur origine au Dieu du soleil, par l'intermédiaire des
Héros ses fils , qui devinrent les héros éponymes des tribus de la nation.
Les tribus formèrent et modifièrent ces traditions généalogiques dans le
gens dicté par leur amour propre national. Hleïpo-skaXs devint le
Vère des Jukhafes (norr. Àukadhir , agrandis; Plin. Auchatæ ; Eu-
NUMÉRO (33) (page 102) ; vidarr. 279
chatæ), c'est-à-dire des Scythes 7'oyanx, puissants, ou agrandis par la
force de leurs armes. Les Scythes-Hellènes , modifiant quelque peu cette
tradition généalogique, disaient que Héraklès (scythe Targitavus) ^ ^n-
gendra, avec Echidna (scythe Jpia)^ trois fils dont l'aîné était Skula
(gr. Skuthès), qui devint la souche des Scythes royaux. Skuta avait deux
fils, \) Palos (p. Palhos, Chassé, Exilé, Errant; si. Folos; germ. Vols)
dont descendaient les Palhies (cf. norr. Folswigar) , et 2) Napès
(Nuage; cf. si. nebo; lat. 7nibes ; norr. 7ii/l petit nuage, brouillard) dont
descendaient les A' ör;j/e5 (cf. norr. Niflungai), qui, selon la tradition,
périrent entièrement avec les Palhies iPlin. H. i\. M, 19).
Chez les Gétes^ Targitavus, le Dieu du soleil et de l'orage, eut pour hé-
ritier et successeur Skalmoskis^ qui, comme Dieu de V Orage féconda-
teur, se confondit en partie avec le Dieu des Æ'awa? fécondantes, et fut, par
conséquent, considéré comme le Fils du Dieu Frindus, appelé aussi
Haguneis (norr. Hœnir)^ et de la déesse Frindus (norr. Rindw).
Comme Dieu du soleil, Skalmoskis eut le nom épithétique de Fît-hars
(Auguste de l'Étendue), à cause de l'éclat auguste (gète hars ; ail. Iiehr)
que répand le soleil sur Vetendue de la terre (norr. land-vîti)^ et sur
Vétendue de la mer (norr. viti). Les attributions de Skalmoskis ou
Fit-hars passèrent dans la suite les uns àlialdur et kFreyr. les autres
à Odi?in et à T/iôr. Il ne resta à Fit-hars que son nom , sa qualité de
Dieu-héros, et quelques mythes, que les peuples de la branche gète ne
savaient déjà plus s'expliquer. Fit-hars passa dans la Mythologie Scan-
dinave sous le nom de Fith-harr, qui se changea plus tard en Fîd-arr.
Odinn étant devenu le Chef ^i le Père des Ases, et Thôr étant devenu
le Dieu de l'orage d'été, Fidar devint aussi le fils ú'Odtnn (substitué
à Hœnir), et le frère de Thôr, et il fut considéré comme le Dieu de la
Tempête en hiver. En cette qualité, il passa pour être le fils de la
géante Gridur (Impélueuse), qui, par son bâton magique (norr. Gridar-
völr)j soulève, excite, et apaise les tempêtes en hiver. Dans la tradi-
tion mythologique , Fîdar garda son Domicile nommé Étendue de Pays
(norr. Land-vîti)., qui lui avait été attribué en sa qualité de Dieu du
soleil ; seulement le mythe ajouta que ce Séjour est couvert de brous-
sailles et d'herbe de bruyère, indiquant, parla, que ce Séjour du Dieu des
tempêtes d'automne et à' hiver est une bruyère déserte et peu fréquentée.
Fidâr est surnommé YAse taciturne. Dans l'origine cette épithète
énonça, sans doute, symboliquement, quecetAse, comme fils du Dieu et
de la Déesse des Eaux, appartenait , par son père et surtout par sa mère,
à l'élément profond, mystérieux, et silencieux de l'eau. Plus tard, cette
taciturnité n'eut plus de signification syynbolique, mais indiquait seule-
ment, au point de vue épique, que Fîdar était un héros qui méditait,
en silence, de grands et vastes projets (cf. lat. Magna volvens; ail.
stille fFasser gi^iinden tief). Fîdar, comme ancien fils de la Déesse
des Eaux , est l'ennemi du Feu. Aussi est-il le vainqueur du Loup de
Fenrir^ qui est le Représentant du Feu destructeur du Monde (v. p. 288).
Pour ne pas se brûler, dans cette lutte avec ce Loup, lorsqu'il faudra
mettre le pied sur la mâchoire inférieure de ce monstre, et lui
plonger l'épée dans la gueule jusqu'au cœur, Fîdar, suivant le mythe
280 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
épique, conçu plus tard, est armé d'un Soulier de Fer (norr. larn-skô)^
de môme que son frère Thôr est armé de Gantelets de Fer (norr. iat^n
glôfar)^ pour ne pas se brûler les mains en maniant la Foudre-ardente
(voy. p. 257), et que les Chevaux de Sol sont raffraîchis par le Fer-
Réfrigérant (norr. Isam-Kôl, voy. p. 203). La tradition populaire a
substitué, dans la suite, au Soulier de/er , un énorme soulier en cuir;
et elle a rapporté que les Dieux ont fabriqué ce Soulier-Épais , dans le
cours des siècles , avec les rognures , provenant des découpures que les
Scandinaves avaient alors coutume de faire , à la pointe et au talon de
leur chaussure. Comme il fallait évidemment un temps immensément
long pour achever, avec de petites rognures, l'énorme soulier que Vîdar
devait chausser au Crépuscule des Grandeurs (voy. p. 135), le peuple
superstitieux voyait, dans cette tradition, à la fois, un indice, une garantie,
et une preuve que, de l'avis même des Dieux, qui ne se hâtaient guère
dans la confection de ce Soulier, la fin du Monde devait être encore bien
éloignée. Le peuple y trouvait en même temps l'explication d'un ancien
usage, qui consistait, chez les Scandinaves, à jeter, à abandonner, ou à
sacrifier aux Ases les découpures des souliers, et il y voyait une forte
recommandation d'observer religieusement cet usage, afin de venir en
aide aux Dieux pour la confection du Soulier de Vîdar, sans lequel il
serait impossible à cet Ase de vaincre le Loup de Fenrir. Vîdar le fils de
la Géante Grîdur, ne faiblit pas en hiver ^ comme les autres Ases (voy.
p. 274). Aussi, dans cette saison, il prend la place de son père Odinn
et de son frère Thôr, comme Chef et Protecteur des Dieux. C'est ainsi
qu'au Festin ù'Œgir [Œgisdrikka; voy. Poèmes isl.^. 324) qui est
supposé avoir eu lieu au commencement de l'hiver, Vîdar agit et parle
au nom de son père Odinn. Au Crépuscule des Grandeurs , qui est
\ hiver du Monde , Vîdar descend de son cheval (symbole du Vent), dans
son séjour nommé Laîidvîdi, comme un guerrier descend de cheval, à la
fin de la journée; mais ce n'est pas pour se reposer; c'est pour s'apprêter
au combat., c'est pour prendre la place de son père qui vient de périr,
et pour venger sa mort en tuant le Loup de Fenrir. Vîdar , le rempla-
çant ù'Odinii à la Fin du monde , reviendra , après la catastrophe, pour
régner, comme successeur é! Odinn, dans VEnclos-des-Ases renouvelé
(voy. Grimmnis rnâl, 17).
1 104. Hödur, ancien Dieu du combat. — Le second fils du Dieu-héros
Targi-tavus était nommé Arvo-skaïs (Destructeur ou Héros aux
Flèches). Ce nom rappelait par sa signification celui de Targitavus,
surnommé Skotaris (Archer). Dans la suite Arvo-skaïs, considéré sur-
tout comme Combattant, fut surnommé Katus (Combat). Ce qui prouve
qu'il avait déjà ce nom épithétique, au moins au cinquième siècle avant
Jésus-Christ, c'est que la tradition généologique, qui remonte à cette
époque rapporte que Arvo-skaïs était X^père des Katu-vares (Gardes
du Combat; Herod. Kati-aroï; Plin. Coti-eri)^ et des Trasuës {\\^v(\\^\
scytho-gr. Transes; Hérod. Traspies), c'est-à-dire des Scythes qui étaient
restés, ce qu'ils avaient été de tout temps, des nomades guerriers, et
hardis au combat. D'après les Scythes-Hellènes le second fils de Héra-
klès (Targitavus) était Aga-thursos (Très-Hardi) , qui correspondait à
NUMÉRO (33) (page 102) ; hödur. 281
Jrvo-skaïs le père des Transes (Hardis). Comme, dans le combat, le
chef était entouré de ses fils et descendants, le nom de Gardes du Com-
bat était synonyme de Fils de Combat. Chez les Gètes, le Dieu-héros
Katus (Combat), le fils áeSkalmoskis (gr. Héraklès ; Zalmoksis) devint
le Dieu du combat; et comme la fortune des combats est chanceuse,
incertaine, et aveugle, et que les combattants , arrivés au paroxisme de la
fureur, frappent en aveugles, Katus, le Dieu du combat , fut surnommé
V Aveugle. Dans la suite Vathans (Odinn), étant devenu Dieu Suprêrne ,
et Dieu des Combats, Katus (norr. Hödur) fut considéré comme le fils
d'Odinn, et, par suite, comme \q frère áeBaldur. Ayant perdu son attri-
bution principale de Dieu du Combat, Hödur tomba au rang de Divinité
secondaire; il ne figurait plus dans le Culte , mais seulement dans le
Mythe, et dans la Tradition épique. Ce qui prouve que, chez les peuples
de la branche gète, le nom deKatu , ou Ha du, avait pris peu après la signi-
fication abstraite de Combat., ce sont les noms propres usités chez les
Goths et les Germains, tels que, par exemple, les noms de Katu-valda
(lat. Catualda^ Dirige-Combat), de Hadu-brand (Épée du Combat), etc.
Cependant, chez quelques tribus germaniques, comme les Chatu-vares{\2iL
Catu-arii; Plin. Coti-e?'i ; scythe Katu-varai)^ et les Katuës (lat. Catti.,
p. Catvi , Issus de Katus) ou les Hazzi , (les pères des Messes, dont des-
cendent les Hessois) , le nom de Katu ou Hazzi semble être encore
resté le nom d'un Dieu-héros éponyme. Dans la langue et dans la Mytho-
logie du Nord, le nom de Hödur n'a pas pris la signification abstraite
de Combat^ mais il a désigné un Dieu-Héros aveugle, qu'on se figurait
peut-être encore comme le Dieu de la brume de l'automne (cf. Mist, p.
108). Comme la brume couvre le soleil, et répand l'obscurité, le Dieu
Hödur , suivant le mythe , n'est pas borgne , comme Odinn ; il est com-
plètement aveugle (cf. Helblindi p. 96). Pour exprimer, ensuite, que
le temps brumeux de l'automne met fin à l'éclat et à la chaleur du soleil
d'eYé, le Mythe énonce que Hodur, le Représentant de la brume de
Y automne^ tue Baldîir, le Représentant de l'été. Comme Ase, et comme
frère de Baldur, il ne lue pas ce Dieu par haine ou méchanceté ; mais ,
étant aveugle, il le tue par inadvertance ; il est l'instrument aveugle et
innocent de la méchanceté de Loki (voy. p. 285). C'est ainsi que, d'après
le Mythe grec, Képhalos (le Soleil matinal, voy. p. 276), a tué, par iîiad-
vertance, son épouse Prokris (l'Aube matinale). Comme le principal fait
épique de Hodur est d'avoir donné la mort à Baldur , ce Dieu-héros
porte le surnom de Baldurs-bani (Tueur de Baldur). Dans les anciennes
épopées, l'épithète de Tueur (scythe skaïs) de tel ou de tel, est géné-
ralement un surnom honorifique, parce qu'il indique que le héros , qui
le porte, a vaincu quelque monstre, ou quelque ennemi puissant et
dangereux. Pour l'épopée indienne, dans laquelle ces épithètes sont in-
nombrables, il suffit de citer, comme exemples, Vritri-has (Tueur de
Yritri), Satrou-ghnas (Tueur de Satrous), Dhoundou-mâras (Broyeur
de Dhoundous); Madhou-Soudanas (Destructeur de Madhous) etc. Dans
l'épopée grecque figurent Argei-fontès (Tueur d'Argos), Bellero-fontès
(Tueur de Belleros), Hektôr andro-fonos (Hector Tueur d'hommes)
etc. Dans l'épopée Scandinave , il y a Fafnis-bani (Tueur de Fafnir) ,
282 COMMENTAE CIRRITIQUERPE PÉTUEL.
Hundings-bani (Tueur de Hunding), Tunna-dolgr (L'ennemi deTunni).
^am-^e/ea (Tueur de Beli, voy. §129). Cependant le nom de 5«/i/M;-5-6awe
(Tueur de Baldur) n'est pas un titre glorieux, mais un nom qui rappelle
un grand malheur. Il ressemble beaucoup, par sa signification et par sa
forme, au nom grec du Héros Bellero-^yhôn , qui était, comme Hödur,
le dédoublement d'un ancien Dieu solaire , et qui reçut ce nom purement
épithétique et épique, parce qu'il avait tué, par inadvertance, son parent
Belleros (cf. Baldurr p. Baldurs) ou, d'après une autre tradition (Jpol-
lod.^ IL 3, 1,) son frère Deliadès (le Déliade ou Fils d'Apollon de Délos).
Si, comme il est probable, le Soleil Baldur a des rapports mytholo-
giques avec le Soleil-Seigneur Adonis (cf. heb. Baal Maitre, et Ado7i Sei-
gneur), Hödur, le brumeux, qui a tué Baldur, correspondrait au sanglier
qui a tué Adonis, et ce Sanglier , comme le Verrat á'Erymanthe , et
comme Erymanthos le fils d'Apollon, aveuglé par Aphrodite, serait, ainsi
que le Dieu Hödur, le symbole de l'automne ou de l'arrière-saison.
g 105. Origine solaire du Dieu-héros Ullr. — Le plus jeune des trois
fils de l'Hercule scythe Targitavus, était Kola-Skaïs , nom qui signifie
Héros à la Roue. Dans la langue sarmate,le mot Koli (p. Kvali) signifiait
cercle, roue, et dérivait du même radical que le mot scythe Sval (cercle,
soleil; voy. Les Gètes, p. 177). Aussi le mot Koli (anglos. geola ; norr.
hjul) désignait-il le soleil, qu'on se figurait soit comme une roue, soit
comme un bouclier rond. Kolaskaïs était donc, dans l'origine, le Héros
portant un bouclier brillant, comme son père Targitavus était brillant
par la large. 11 était le Père des Paralates (Amoindris; norr./örladhir)
c'est-à-dire des Scythes agricoles, qui, ayant commencé en Europe, au
cinquième siècle avant notre ère , à se livrer à l'agriculture , passaient
pour les cadets de la race , et pour s'être abaissés et amoindris par leurs
occupations agricoles , à l'opposé des Auchates, qui s'étaient anoblis
par les armes (voy. p. 279). Les Scythes-Hellènes donnaient au troisième
fils du Héraklès scythe, le nom de Gelonos , qui correspond au nom scythe
Svalianas (solaire ; cf grec selas et gelas l'éclat) et au nom slave 5/aro/i
(solaire, slave). Gelonos, le Fils du Soleil , devint le nom du Dieu éponyme
des Gelones (Solaires , Slaves) qui, comme habitants de la cité de Buda ,
portaient aussi le nom de Budines. Les Budines ou Gelones étaient, en
partie, agriculteurs comme les Para/«ies, auxquels ils correspondaient.
Leur père éponyme Gelonos était donc un fils du Soleil, Protecteur
de l'agriculture. Chez les peuples gètes, Kola-skaïs, avec son bouclier
brillant, eut le nom épithétique de Vultus (Éclat; lat. vultus visage;
anglos. vuldor miracle; ail. wunder). Comme fils du Soleil, il devint,
chez les Gètes , aussi fils de Skalmoskis , qui , s'étant substitué au Dieu
Vrindus., était l'époux de la Déesse Vr in du s [xiorv. Bindi/r), laquelle,
plus tard, fut remplacée, en partie, par la Déesse Si/. Vathans (Odinn),
étant devenu Dieu Suprême, et Père des Ases, fut aussi considéré comme
le Père de Vulthus (norr. Vllur) ; et Vllr devint , dans la Mythologie
Scandinave, le Fils de Sif (qui s'était substituée à Rindur)^ et, par consé-
quent, le beau-fils de Thôr, l'époux de Sif. Dans l'origine Thóreí Ullr,
comme Protecteurs de l'agriculture, avaient des attributions analogues;
mais Thðr prit le dessus sur son beau-fils, de sorte que Ullr. n'ayant
NUMÉRO (33) (page 102); vali; forseti. 283
plus d'attribution spéciale, tomba au rang de Divinité secondaire; il ne
figurait plus dans le culte , mais seulement dans les mythes , et dans les
traditions épiques. Thôr étant le protecteur des paysans , pendant l'été,
i:7/r devint leur protecteur, pendant l'hiver. Or, comme en hiver, le paysan
se faisait chasseur, Ullr devint aussi le protecteur des chasseurs. C'est
en cette qualité qu'il eut l'épithète de Ase à la Chasse (norr. Veidi-
As) ou aeAse-à-l"Arc (norr. Bogu-As). Sa demeure au ciel était nom-
mée Vallées de l'Arc (norr. Y-dalir). Comme, dans le Nord, la chasse
se faisait principalement en hiver, sur les glaces et dans les neiges, Ullr
le chasseur, ainsi que la Déesse chasseresse Skadi, excellait à courir
sur barres ou sur raquettes (voy. p. 263) ; de là son nom épithétique de
Ase-aux-Barres (norr. Öndur-As). La chasse étant le simulacre et le
pendant de la guerre , Lllr, qui , comme son prototype Kolaskais, avait
un bouclier brillant, passait pour être le modèle du Chef -guerrier. II
eut le nom épithétique de Ase au Bouclier (norr. Skialdar-As)., et
c'est par son bouclier ou Cercle (norr. Hringr) Sacré, qui , dans l'ori-
gine, était le symbole du soleil, que les guerriers juraient , ou prêtaient
serment {Atla-kcida. 31). t'Y/r s'étant servi , dans une circonstance,
de son bouclier ^ en guise de bateau, les Skaldes se sont avisé de dé-
signer quelquefpis le bouclier des guerriers par l'expression éiiigma-
tique (cf. p. 147) de Navire d'Ullr.
C'est en hiver que se manifeste l'action de Ullr; mais, affaibli qu'il
est, dans cette saison , comme tous les Ases , il faut que les hommes lui
viennent en aide, pour qu'il puisse lutter avec succès contre Içs lotnes.
A cet effet il s'agit d'élever la température de l'air, ou d'empêcher que la
glace ne prenne le dessus, puisque la froidure permettrait aux lotnes
de pénétrer dans le Séjour des hommes et des Dieux. C'est pourquoi les
hommes doivent allumer, en hiver, des feux sous leurs chaudrons, soit
sous les chaudrons de sacrifice , soit sous les chaudrons où ils cuisent
leurs aliments, soit enfin sous les chaudrons où ils brassent leur bière.
Celui qui, à l'approche de l'hiver, place, le premier , le chaudron sur le
feu, a les faveurs á'Ullur et des Ases (voy. Grimnis mal 42).
l 106. Vali , ancien Dieu de la mort. — Chez les Scythes, Artin-paza
la Déesse de la Lune , se confondit , de bonne heure, avec la Déesse de la
Nuit. Or, la nuit, du sein de laquelle toutes les créatures paraissaient
naître, et au sein de laquelle toutes semblaient rentrer, était consi-
dérée, à la fois, comme V Origine et la Mère, et comme la Fm et la
Destruction des Choses. La Déesse de la Lune eut donc les attributions
contradictoires de Déesse de la Génération ou de la Vie , et de Déesse
de la Mort ou de la Destruction (voy. Les Gètes , p. 208). Le Dieu
du Soleil Targitavus et sa sœur Artin-paza étant intimement
réunis dans le culte et dans la tradition , ces deux Divinités , fils et fille
du Dieu et de la Déesse Vrindus, se communiquèrent aussi, l'une à
l'autre, la plupart de leurs attributions. Artin-paza étant Déesse de la
Mort, son frère devint également Dieu de la Mort. En cette qualité .
Targitavus eut le nom épithétique de Kvalius (Effrayant, Noir ; sansc.
Kâlyas ; gr. Hâdès p. Hâlès), comme sa sœur eut celui de Kvâlia (sansc.
Kâli ; norr. Nel). Targitavus passa dans la religion des Gètes , sous le
284 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
nom de Skabiwskis ou Gebleistis, et conserva, entre autres, ses attri-
butions de Dieu de la Mort, ou de Seigneur des Trépassés. Les Gètes
croyaient que ceux qui mourraient allaient trouver au ciel leur Dieu
Skalmoskis ou Gebleistis {Hérod. IV, ^í). CommÇi Skalmo skis éimi
aussi un Dieu-héros, les guei^riers, après leur mort sanglante, devinrent
ses Compagnons d'armes (cf. norr. Einheriar). En sa qualité de Sei-
gneur des Occis, Skalmoskis avait le nom épithétique de Kvaleis, qui,
dans quelques dialectes gètes, s'est changé en létales, et, dans d'autres,
en Hvaleis (voy. Les Gètes p. \ 97), ou Haleis (cf. norr. halir). Thaïes ou
Valeis, le fils de Chaguneis (norr. Hœ7iir)etdel{i7idus, devint, comme Sei-
gneur des Trépassés, une Divinité distincte de Skalmoskis. Mais bientôt
Fathans (Odinn), étant devenu Dieu Suprême et Dieu des Occis, enleva
sa principale attribution à Valeis, qui fut dès lors considéré comme
Ms de ce Chef des Ases. Dans la Mythologie Scandinave, Vâli (p. Vâlis)
ou Hâli ou Ali, comme fils à' Odinn et de Rindur, devint par cela même
\ç^ frère de Baldur, le soleil d'été. L'Hiver et l'Occident étant la saison
et le côté de la 'thort, Vali , l'ancien Dieu de la mort, est dit né en hiver,
et à X Occident du ciel. Comme rien n'est si caché qu'il puisse échapper
à la mort, Vâli habite, à l'Occident du ciel, un Endroit nommé Vâla-
skialf (Chaumine de Vali ; cf. Hlidskialf^. 240), d'où il embrasse, de
son regard , le monde entier. Agé seulement A'une nuit annale, c'est-à-
dire, d'un mois d'hiver, Vâli, selon le Mythe, tue son frère Hödur,
comme celui-ci avait tué son frère Baldur;ce qui veut dire que, chaque
année, l'Hiver, représenté par le Dieu de la mort Vali, met fin à V Au-
tomne, représenté par Hödur , la bitume d'automne , comme celui-ci a
mis fin à l'été, représenté par le Soleil d'été Baldur. Selon les idées des
Scandinaves , tout meurtre devait être vengé parle ^\\\% proche parent
de celui qui avait succombé. C'est pourquoi il est dit que Baldur est
vengé , sur Hödur, par son frère Vâli. Par suite de sa nature hivernale,
comme Dieu de la Mort, Vâli ne périt pas, avec les autres Ases, dans le
grand et terrible Hiver du Monde, bu au Crépuscule des Grandeurs;
il survit à cette catastrophe, et revient, avec les Fils des anciens Ases,
habiter le ciel renouvelé.
g 107. Forseti, dédoublement de Baldur.— Le nom de For^eft' ne signifie
pas Président, mais Proposant , c'est-à-dire Chef du jury, qmpropose
la décision judiciaire à prendre par les assesseurs ou jurés. Proposant
est une spécialisation ou dédoublement úe Baldur, ou, comme s'exprime
le Mythe , le Fils de Baldur, du Soleil qui voit tout , qui sait tout , et qui
est le Symbole de la Vérité et de la Justice. Comme Fils de Baldur, Pro-
posant prononce des jugements justes et infaillibles , comme le sont ceux
de son père (voy. p. 259). Étant le Dieu de h Justice, qui ramène la paix,
ou prévient la discorde , Proposant est aussi le Dieu de la Palæ et de la
Concorde, et, sous ce rapport, il est l'opposé de l'Ase Tyr, qui aime la
guerre, et , pour cela, ne reconcilie jamais les hommes (voy. p. 272). D'a-
près la strophe lö^des Dits de Grit?inir ciiée par Snor?'i, le lieu de
justice où siège Proposant est nommé Étiticelant {\oy. p. 239).
(34-) LOKi ; HEL ; et le serpent de l'enclos-mitoyen.
§ 108. Loki , Symbole de l'Astre du Soir. — Loki , comme l'indique
NUMÉRO (34) (PAGE 103) ; LOKI. 285
son nom , qui signifie Clôtiirevr, préside à la clôture (norr. /oA), ou à la
fin des Choses. 11 est à considérer, en tout , comme l'opposé â&Hehn-
dall (voy. p. 276). Si Heimdall est la Personnification de l'Étoile du Ma-
tin , de l'Aube du jour, et du Commencement de l'année ou du printemps,
Loki est la Personnification du Crépuscule du soir, et du Commencement
de l'hiver. Si Heimdall représente \ Origine des choses, des hommes, et
du monde , Loki présage la Fin des choses, des hommes, et du monde. Si
Heimdall est le Gardien vigilant et fidèle , qui se sacrifie pour les Dieux,
Loki est le traître A^^Ases, et il trouve plaisir à les plonger dans toutes
sortes d'embarras ; de là lui viennent ses surnoms épiques de Détracteur
des Jses, de Conseiller de Perfidies, de Déshonneur des Dieux. Heim-
dall étant en tout son antagoniste , c'est aussi contre cet Ase que Loki
lutte, au Crépuscule des Grandeurs (voy. p. 435). Comme Personnifica-
tion du Commencement du soir et de l'hiver , Loki est moitié Génie de
Lumière, moitié Esprit des Ténèbres : sa nature est donc double, et il
tient le milieu entre les Jses, qui représentent le Jour et l'Été, et les
lotnes , qui représentent la Nuit et l'Hiver. Comme , d'après la Mythologie
Scandinave , la Fin du monde est amenée par le Feu destructeur , Loki
est une spécialisation áeSurtur (voy. p. 1 74), le Dieu du monde ig?ié; aussi
est-il quelquefois lui-même la Personnification du Feu destructeur (voy.
p. 322). Comme-la nature du feu tient de la lumière bienfaisante, et n'est
nuisible que par ses effets pernicieux , Loki, en tant que Personnification
du Feu, appartient aux J If es- Lumineux , et ne se rapproche des lotnes
que comme Principe destructeur. C'est pourquoi il compte, généralement,
parmi les Jses, et, accidentellement, parmi les lotîtes ; et sa nature double
ou mixte est ainsi partagée qu'il tient à la race áesAses, par sa 7}ière, et à
la race iotnique, par son père. De sa mère il tient son beau corps brillant
et lumineux , de son père provient son caractère méchant et malfaisant.
Son père, qui est l'opposé de Mundilfari (voy. p. 201), et une spéciali-
sation de Nörvi (voy. p. 198) , se nomme Farbauti (Bute-Voyage), parce
qu'il est le Symbole de la tombée de la nuit, où le voyageur interrompt
sa marche , ou bute sa journée. Sa mère , qui est le symbole de la terre
automnale jonchée de feuilles , porte, chez les Ases, le nom de Laufey
(Ile ou Terre de feuillage; cf. Bar-ey; Angeyia)., et, chez les lotnes,
le nom Aq Aiguille (norr. Nâl ; v. h. ail. Nadala)^ laquelle est le sym-
bole de la Faim piquante (cf. norr. nâlgr). Les frères de Loki sont nom-
més, l'un Byl-eist (Pousse-Grain; cf. Beystla^ voy. p. 185), le Symbole
du Vent, qui excite ou amène le grain ou le tourbillon , cause d'obscurité;
l'autre Helblindi (Aveuglé de Hel) , le Symbole de la faible lueur du soir,
par opposition à la lueur vive et brillante du jour. Loki lui-même porte
le nom de Loptr (Aérien) , par rapport au feu, dont les flammes tendent à
s'élever en haut ou en l'air. Comme symbole du soir, Loki a pour femme
Sigyn (p. Sig-vin, Aime-Chute), parce qu'elle désire la chute du jour, ou
la tombée de la nuit. Leur fils , qui s'appelle Nori ou Nörvi (Crépuscu-
laire) , est le Père de la Nuit{soy. p. 498). Comme Symbole de la fin ter-
rible des Choses, Loki a pour femme Angur-bodi (Messagère d'Angoisse);
et il a engendré avec elle plusieurs Êtres malfaisants, ennemis des Ases ,
et destinés à détruire le monde. C'est pourquoi Loki et Angurbodi'yiwtwi.,
286 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
dans la Mythologie Scandinave, le même rôle que Kasiapas et Kadrou
dans la Mythologie indienne, ou Typhon (Vaporeux) etÉchi-dna (Femme-
Serpent) dans la Mythologie grecque , c'est-à-dire qu'ils passent pour les
parents de plusieurs Êtres monstrueux, pernicieux, et malfaisants.
g 109. Le Serpent de l'Enclos-Mitoyen, Symbole de l'Océan. — D'après
le symbolisme de l'Antiquité , l'inondation considérée par rapport à ses
eifets terribles ou nuisibles, est représentée par l'hydre (gr. hudria
aquatique) , dont les mouvements ondulatoires rappellent l'agitation on-
dulée des vagues (voy. Les G êtes , p. 253). Voilà pourquoi l'Océan pri-
mitif, qui sert de couche à Vichnous , est symbolisé , dans la Mythologie
hindoue, par le Serpent, appelé ^?ia?zto5 (Sans-iin), ou Çéchas (Rejeté).
D'après Pline et Solin, le Serpent ou Dragon du Jardin des Hespérides
signifie les Eaux agitées qui entourent et protègent ce jardin. Dans les
légendes du Moyen âge , les inondations , apaisées par l'intervention des
Saints, ont aussi été symbolisées par des Serpents ou Dra^ow* , domptés
par ces Saints. Tels sont, par exemple, la Chair-salée (voy. p. 183) à
ïroyes , le Dragon de Saint-Marcel à Paris , la Gargouille de Saint-
Romain à Rouen , lesquels symbolisent les inondations de la Seine. Tels
sont la Kraulla à Reims, sur la Vesle, le Dragon de Saint-Bienheuré
à Vendôme sur le Loir, la Grande -Gueule ou la Bonne-Sainte-Ver-
mine à Poitiers, au coniluent du Clain et de la Boivre, la Grouille (cf.
Kraulla) à Metz sur la Moselle, la Tarasque à Tarascon sur le Rhône,
etc. Dans la Mythologie norraine , l'Océan agité , qui menace sans cesse
d'envahir le Continent ou V Enclos-Mitoyen, est symbolisé par la grande
Hydre, appelé le Serpent de l'Enclos- Mitoyen , qui entoure la Terre de
son anneau.
Les Anciens se figuraient que , si le soleil ne faisait pas évaporer sans
cesse une grande partie des eaux de la mer , celle-ci finirait par envahir
les continents. C'est pourquoi ils supposaient que le Soleil buvait les
eaux de la mer, et, pour cette raison, il eutlenomépithétique de Buveur
(sansc. papis ; lat. bibax). Les ancêtres des Scandinaves considéraient
aussi le Soleil {Irmun, Vénérable, voy. p. 275; norr. lormiin) comme le
principal Adversaire du Serpent de l'Enclos-Mitoyen ; et comme le ser-
pent en général passait pour un Sinïmsil /as cinateur, on supposait que
le Serpent, symbole de l'Océan , se défendait contre le Soleil, moyennant
la magie. C'est pourquoi il eut aussi le nom de Pascinafeur-Solaire
{norr. /or mun- g andr). Quelques-unes des attributions du Dieu du Soleil,
et, entre autres, celle d'Adversaire du Fasci7iateur au Soleil, ayant passé
à Thôr (voy. p. 252), ce Dieu est devenu , dans la Mythologie norrame, le
grand Ennemi du Serpent de Mer, qu'il tâche sans cesse de tuer, ou du
moins de dompter. Thôr, comme Fils de Iö?'d (Terre) , est , par cela même,
déjà le Protecteur de V Enclos-Mitoyen (Terre) , et il le protège contre
les débordements de l'Océan , ou contre les envahissements du Fascina-
teur-Solaire. Toutes les fois qu'il y a flux , le Serpent semble aller à l'at-
taque, et avoir le dessus, mais lorsqu'il y a reflux, c'est que Thôr par-
vient à repousser et à vaincre l'hydre de l'Océan.
C'est, sans doute, encore un souvenir, ou un reste de ce mythe Scan-
dinave , que ce grand Serpent de mer, dont certains journaux de Paris,
NUMÉRO (34) (page 403); hel. 287
sur de prétendus rapports de marins, entretiennent leurs lecteurs, de
temps en temps. D'après le capitaine Herriman (si toutefois ce nom n'est
pas une pure fiction), ce serpent de mer, sur lequel on débite tant de fa-
bles, ne serait qu'un immense amas d'herbes marines , iîottant et balancé
par la houle, avec un mouvement ondulé et rampant. (Voy. Le Voleur,
15 Juillet 1849.)
Le Serpent de l'Enclos- Mitoyen a été considéré comme issu de Loki
et A' Jngiirbodi , par nulle autre raison si ce n'est qu'il semblait naturel
de rapporter l'origine de cet être redoutable à Loki et à Angurhodi , qui
passaient pour la Souche de beaucoup de monstres 'pernicieux (voy. p. 286).
§ 110. Hel, originairement Déesse de la lune. — Chez les Scythes ,
Jrtinpaza, la Déesse de la Lune , était à la fois Déesse de la Production,
et de la Mort (voy. p. 283). Comme Déesse de la Mort , elle portait le nom
épithétique de Kvalia (voy. Les Gètes, p. 213). Dans la religion des
Gètes , ia Déesse de la Lune portait le nom de Skabnoskis, et garda , sous
le nom de Halia , ses attributions de Déesse des Trépassés. On se figu-
rait que les trépassés passaient dans la lune, et c'est pourquoi il est dit que
lorsque , à la fin des siècles, Mcmagarmr (v. p. 21 1) parvient à se saisir de
la lune , il se fera un festin sanglant de tous les trépassés qui s'y trouvent
domiciliés. Lorsque , plus tard , le Génie Mâni fut substitué à l'ancienne
Déesse de la Lune (voy. p. 202) , Hel (p. Halia) s'est spécialisée comme
Déesse de la Mort ; et , dans la Mythologie Scandinave , elle passa pour
la Déesse présidant au neuvième Séjour , appelé le Séjour-Brumeux
(voy. p. 170). C'est là qu'elle reçoit les hommes qui sont morts de ma-
ladie ou de vieillesse , ou qui n'ont pas été choisis , c'est-à-dire invités
par Odinn (voy. p. 206) ou p3ir Freyia , ou par quelque autre Jse ou yisy-,
nie, à se rendre chez eux au ciel. Le Séjour de Hel est triste et lugubre,
comme le Tartaros des Grecs, VOrcus des Latins, le Pâtâla des Hin-
dous , et le Scheol des Hébreux. Les enceintes hautes , et les grilles élevées
y empêchent toute tentative d'évasion ou de sortie. Dans la Mythologie
norraine , la Salle de Hel est nommée Eliudnir (p. Eli-vidnir, Tempé-
tueux au Loin), parce que c'est un immense Espace, où régnent les vents
froids (cf. ail. kalt, frappé de mort, froid), L'Écuelle de la Déesse, qui
devrait contenir de quoi apaiser sa faim , est \ Appétit (norr. hungr ;
sansc. kantchas , désir, faim) , ou la Faim elle-même. Son Couteau c'est
V Inanition, qui donne des tranchées (norr. nâlgr, voy. p. 283), dans les
entrailles. Si la première qualité d'un bon serviteur est la promptitude ,
les serviteurs de Hel, tout au contraire, se distinguent par leur exces-
sive lenteur. La herse qui ferme l'Entrée du Séjour de Hel^ est appelée
Calamité- Tombante , puisque , dès que cette herse tombe, ou s'abat, la
calamité commence pour ceux qui viennent d'entrer dans cet Empire fu-
neste. Le seuil de la porte d'entrée est nommé Fatigant de Souýrance,
parce que ceux qui le passent éprouvent les fatigues de la souffrance mor-
telle. La Couche de Hel , loin de restaurer ses forces par le sommeil ,
ressemble au grabat sur lequel gémit le malade , qui est las d'insomnie,
et de douleur. Le rideau du .lit de Hel, au lieu de favoriser le sommeil ,
l'inquiète au contraire , en laissant entrevoir , sans cesse , un mal ou un
danger menaçant. Hel est à moitié bleue , c'est-à-dire qu'elle a la couleur
288 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
livide et bleuâtre des cadavres refroidis par la mort (cf. Blâinn, p. '176).
La mort étant comme la conséquence de la destruction ou de layin (norr.
lok) des êtres , Hel est naturellement considérée comme la Fille de Loki,
et á'Angurbodi (voy. p. 285).
(35) LE LOUP DE FENRIR.
g 111. Signification symbolique du Loup de Fenrir. — Les feux sou-
terrains , qui sont lancés au ciel par les volcans, sont symbolisés par le
Loup de Fenrir. Le mot Fenrir (p. Fenaris) signifie Ecumant, Effer-
vescent (cf. sansc. phé7ia écume; anglos./<»m; ail. feim; lith. pienas;
lett. peens)^ et désigne les masses écumantes et eiîervescentes qui bouil-
lonnent dans les entrailles de la terre. Comme ces feux souterrains
passent pour des feux nuisibles, Fenrir, qui les représente, est symbolisé
par un Loi^p^ c'est-à-dire par l'animal nuisible, vorace, et destructeur
par excellence (voy. p. 207), et il porte , entre autres, le nom épithétique
AeBêted'Occision (voy. p. 136), qui est synonyme úeLoup^ parce que cet
animal vorace suit les armées et dévore les cadavres des guerriers qui
restent sur le champ de bataille (voy. p. 209). Ensuite comme représen-
tant du feu nuisible , il est considéré naturellement comme le Fils de
Loki, qui, lui aussi, est le symbole du Feu destructeur du Monde (voy.
p. 285). Sa mère est la géante Jngurbodi, qui était sans doute la fille de
l'Iotne Hvedrungr (Issu de Hvedur, Tempête). Aussi Fenrir est -il
encore appelé le Rejeton de Hvedrung (voy. p. 136). La bave qui dé-
coule de la gueule écumante du Loup de Fenrir représente les laves ,
qui sortent et découlent du cratère des volcans. Ces feux souterrains,
vomis par le Loup, et réunis à ceux qui proviennent du Monde igné , repré-
senté par Surtur (voy. p. 174), produisent l'embrasement universel qui dé-
truira la création à la fin des siècles. Le Loup qui lance ses feux en l'air
menace d'embraser le ciel , et c'est pourquoi son principal adversaire
c'est le Maître du ciel, c'est le chef des Ases, Tyr, l'ancien Dieu du
Ciel, auquel plus tard Odinn a été substitué, comme Dieu 5w/?ré'me.
Aussi c'est Odiîin qui luttera contre le Loup de Fenrir, dans le terrible
combat du Crépuscule des Grandeurs. Odinn succombera, mais sa
mort sera vengée, sur le loup, par son fils Vîdar (voy. p. 280).
g 112. Les Ases enchaînent le Loup de Fenrir. — Odinn et les Ases,
voyant ce Loup , qui les menaçait de destruction, grandir et prendre de
la force, prirent des mesures pour l'enchaîner et l'empêcher ainsi de leur
nuire. Les moyens et les ruses , auxquels ils ont eu recours pour parvenir
à le lier, font ici le sujet d'un conte populaire , d'une date relativement
postérieure , mais qui est remarquable, et pour le fond mythologique,
et pour la forme de la narration. Pour le fond, nous y voyons un exemple
frappant de cet esprit inépuisable en expédients , en ruses , en persua-
sions, en chicanes, qui caractérise la race normande. Quant à la forme,
le récit clair, vif, piquant de ce conte, nous révèle parfaitement le talent
de narration , que Snorri possédait à un haut degré.
Des deux liens que les Ases ont d'abord fabriqués, eux-mêmes , pour
lier le Loup , l'un est nommé Insinuant, puisqu'il devait être de nature
à se faire accepter du Loup sans répugnance, et l'autre est nommé
NUMÉRO (35) (page 105) ; le loup de fenrir enchaîné. 289
Serrant, puisqu'il devait, selon l'intention des Ases, serrer fortement la
gorge au Loup de Fenrir. Ces liens /ees ou magiques étaient, sans
doute, faits, l'un et l'autre, de soie; car le fil de soie, ou fil d'or joue,
au Moyen âge, un grand rôle comme lien magique. Ces deux liens, ainsi
que leurs noms, étaient probablement aussi mentionnés dans l'ancienne
tradition mythologique, puisqu'ils ont donné lieu aux locutions prover-
biales de se dégager de l'Insinuant, et de s'arracher au Serrant,
pour dire faire des efforts désespérés. Les Ases n'ayant pas pu fabri-
quer, eux-mêmes^ un lien assez fort pour enchaîner le Loup, s'adressent
aux Dvergs ou Jlf es-Noirs (voy. p. 239) , qui passent pour exceller dans
tous les arts industriels et dans la Magie. Ceux-ci, sur la commande
faite par le messager des Dieux Skirnir (voy. p. 305), fabriquent un lien
magique nommé Étranglant. C'est un nœud féé, qui, par cela même
qu'il est fait moyennant la magie, se compose, comme toutes les choses
merveilleuses, d'éléments extraordinaires, introuvables, impossibles
même. Ces six éléments dont il est composé n'ont pas ici de signification
symbolique ou allégorique ; ils désignent, en général, des choses introu-
vables , et sont imaginés seulement pour indiquer la nature extraordi-
naire de ce lien. Mais ce qui prouve que ce n'est pas Snorri qui a ima-
giné ces éléments, c'est V allitération qui, dans le texte, réunit les
mots désignant ces choses, et qui fait naturellement supposer, que cet
auteur a puisé ces détails dans un document en vers, qui, sans doute,
n'existe plus de nos jours (voy. F. Magnusen, Lexicon mytholog. p. 338).
Dans le Nord, toutes les fois qu'on avait besoin d'un endroit sûr,
isolé , et inaccessible, soit, par exemple, pour un duel(norr. hôlmgangr.
Rendez-vous à l'îlot), ou pour une prison (voy. Vöhindar Kvida , 16), on
choisissait quelque ?/oi dans un fleuve, ou dans la mer, ou dans un lac.
Aussi est-il dit que les Ases rendaient le Loup prisonnnier, en l'enchaî-
nant dans une île déserte, appelée ^rz/yère ^ et située dans le lac nommé
Amsvartnir (Noirci-de-Peine). C'est ainsi que, d'après une tradition
populaire en Suède, le Géant-Magicien Gilhertil fut enchaîné dans l'île
de Vising, située dans le lac de Vættur. D'après un document mytho-
logique inédit (voy. Lexicon mytholog. p. 340), le rocher auquel est
attaché Fenrir se trouve sur une hauteur nommée St-glitnir (Toujours
Étincelant), et la bave , ou la lave, qui sort de la gueule ou du cratère du
Loup écumant , forme deux fleuves , qui sont nommés Vil (Lamentation)
et Von (Regret), et se mêlent aux eaux du lac Noirci-de-Peine. Pour
expliquer pourquoi les Ases n'ont pas tué le Loup , Snorri donne pour
raison qu'ils n'ont pas voulu ensanglanter leur demeure sacrée. Mais,
d'abord, le Loup n'a pas été enchaîné dans la demeure céleste des Ases,
et, ensuite, la raison mythologique véritable en est que, le Loup étant
prédestiné à jouer un rôle important, à la fin du monde, la Mythologie
n'a pas pu le représenter comme vaincu et tué par les Ases, mais seule-
ment comme dompté, et enchaîné temporairement, et attendant, dans les
liens, le Crépuscule des Grandeurs, pour être alors déchaîné , et pour
se ruer sur le ciel, et sur Odinn.
Les Scandinaves avaient l'habitude d'allumer des bûchers sur les hau-
teurs (cf. danois bovne-hoïe)^ pour signaler l'arrivée de l'ennemi; le
19
290 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
bûcher allumé (norr. viti, indice), était donc le signal úe la guerre. Le
Louj) de Fenrir, ce symbole du Feu dévastateur, quand une fois il se
déchaînera, sera le signal de la dévastation universelle; et c'est pourquoi
il porte encore le nom épithétique de Fifnir (Signalant; cf. p. 209).
(36) LES ASYÎSIES.
§ 113. L'asynie Saga, spécialisation de la Norne Urdur. — La concep-
tion des Déesses, et leur nom d'Jsynies ont déjà été expliqués ci-dessus
{§ 85); nous avons également expliqué la conception et le nom de la déesse
Frigg (§ 88). Si l'on excepte Yâsyme Frigg, qui est l'épouse du Dieu
Suprême , et qui méritait ainsi d'être nommée la première , il n'y a pas
lieu d'établir un ordre hiérarchique entre les diiîérentes Déesses. Aussi
Snorri les énumère-t-il dans un ordre qui semble l'effet du hasard.
Après avoir nommé r£)jow.çe du dieu Odinn, il parle de Saga, qui était son
Amante. Odinn, étant devenu Dieu suprême, prit, en* cette qualité,
les attributions de l'ancien Skalmoskis , considéré comme Dieu de l'In-
telligence, de V Histoire, et de la Poésie (voy. Les Gètes, p. 204). Pour
augmenter son intelligence et sa prévision , Odinn buvait, tous les jours,
à la Fontaine de Sagesse de Mimir (voy. p. 230). Mais pour s'inspirer, de
l'enthousiasme de la poésie lyrico- épique ou héroïque, il buvait l'hydro-
mel, qui était sous la garde de son Amante, la Géante et Valkyrie Gunn-
hliid (Invite-au-Combat ; cf. Hladgunnr). Enfin, pour fortifier sa mémoire,
et pour bien se rappeler les faits de la Tradition mythico-épique , Odinn
buvait l'onde fraîche de Saga. La Tradition historique (norr. mal) , qui
avait déjà pris le caractère épique, mais qui se rapportait à des faits
plus modernes que l'ancienne Tradition , prit également le nom de Saga
(dit, récit, narration), et comprenait à la fois l'histoire proprement dite, et
le récit fabuleux. La Déesse Saga est la Personnification et la Muse de
l'Histoire en général. Comme cette Asynie n'appartient pas à l'ancien
fond de la Mythologie, elle est un personnage allégorique , plutôt qu'un
Symbole de la Tradition religieuse. La race des lotnes étant la plus
ancienne du monde (voy. p. 187), elle passait pour être en possession de la
Science traditionnelle ou historique la plus ancienne. Aussi Saga a-t-
elle une origine iotnique, comme les Nomes (voy. p. 233); elle est la
spécialisation de la Norne Urdur (Passée ; voy. p. 233). Après les lotnes,
Odinn, comme le plus ancien des Ases, était le plus à même de possé-
der la science de l'histoire. Aussi a-t-il été associé à la Vierge Saga.
La strophe 7 des Dits de Grimnir énonce :
« Le quatrième (manoir) est Sökkvabekk; là, par-dessus, peuvent
« Bruire les ondes fraîches ;
« Là , tous les jours , Odinn et Saga boivent ensemble,
«Joyeux, dans des coupes d'or. »
Le nom de Söckva-bekk signifie Banc du Submergé, et indique que le
Manoir de Saga était un rocher ou un banc sous-marin (cf. singa-stein)
appartenant à l'iotne Söckvi (Submergé), qui était peut-être le même que
Söck-mimir. C'était donc une demeure sous les eaux, comme celle des
Nomes, une espèce de Puits de Sagesse et de Vérité, comme il convenait
à la Muse do l'histoire (voy. p. 228). Pour entretenir et augmenter le
NUMÉRO (36) (page i06) ; saga ; eir ; gàfion ; fulla. 291
fonds (l'esprit et de science , dont ils sont les représentants allégoriques,
Odinn et Saga, comme le fait Mimir (voy. p. 230), boivent tous les
jours, dans des coupes d'or, lesquelles sont les symboles de l'Intelligence
ou de la Science claire et profonde (voy. p. 229).
§ 114. Cure , dédoublement de Freyia. — Les peuples scythes, gètes,
germains , et Scandinaves , croyaient que beaucoup de maladies étaient
causés par des maléfices, des incantations, et des sorts jetés secrètement.
Pour connaître et pouvoir combattre les personnes qui avaient fait le ma-
léfice, on avait recours aux devins (voy. Les Gètes, p. 195), qui indi-
quaient aussi les remèdes à employer pour la guérison. Pour guérir les
maladies et les blessures , on se servait de certaines formules curatives ,
d'incantations (norr. galdur), et de cures sympathétiques. C'était dans
les attributions de X-d. femme, et surtout de la 7nère de famille, de soigner
les malades et les blessés. Aussi la Thérapeutique a-t-elle été personni-
fiée , chez les Scandinaves, dans une déesse , nommée (7wre. Cette Déesse,
d'une origine comparativement très-récente, n'appartient pas à l'ancien
fond de la Mythologie. Dans les Dits de Fiölsmnn (str. 39) , cette Asynie
figure comme la Suivante de Menglöd. Or Menglöd (Réjouie du Bijou) ,
est probablement un nom épithétique de Freyia, ainsi nommée parce
qu'elle était la mère de Hnoss (Joyau , voy. p. 293) , et la propriétaire du
Bijou des Fils de Brusi (voy. p. 294). Freyia ou Menglöd, étant le sym-
bole et le type de la Maîtresse ou Mère de famille , qui a soin du bien-
être des siens , est aussi chargée du soin des malades et des blessés ; et
l'on conçoit que la Thérapeutique a pu être personnifiée dans la sei^vante
ou suivante Cure, qui supplée /reym^ sa maîtresse, ou en est, en quelque
sorte , la spécialisation et le dédoublement.
l 115. Gàfion^ dédoublement de Freyia. — Gàfion est un dédouble-
ment de Freyia, qui , elle-même , est l'héritière de l'ancienne déesse scythe
Artin-paza, laquelle , dans l'origine , était la Déesse de la lune, et pré-
sidait, comme telle , à la Naissance, et à la Procréation. Aussi était-elle
la Protectrice des jeunes gens nubiles, de l'un et de l'autre sexe (voy.
p. 291). Mais , par une contradiction qu'on remarque aussi dans les attri-
butions de la déesse grecque Artémis, laquelle était à la fois Mère et
Vierge, Artin-paza protège également et le Mariage , et le Célibat ou la Vir-
ginité. Chez les peuples gètes, Artin-paza se confondit avec la déesse Vrin-
dus, Nerthus ou Rindur (voy. p. 262). Dans la religion des Sarmates, elle prit
le nom AtPravia, et eut quelques attributions de la Déesse Vrindus ou
Nirdus, entreautres, celle de Déesse de la Navigation, et de laMer. Comme
Déesse de la Mer , Pravia porta le nom épithétique de Topien (Profon-
deur, Abîme, voy. p. 294). Lorsque Pravia passa dans la Mythologie
Scandinave sous le nom de Freyia, le nom de Topien fut changé égale-
ment en celui de Gafn ou Gàfion. Dans l'origine , Freyia-Gefn garda ,
dans la Mythologie Scandinave, ses anciennes attributions traditionnelles;
elle fut Déesse de la Génération , Déesse de la Virginité, et Déesse de
la Mer. Mais chez les Dânes , les ancêtres des Danois , elle se dédoubla
en deux divinités, en Freyia, et en Gàfion, et cette distinction fut main-
tenue ensuite dans la Mythologie norraine. Freyia resta cependant plus
particulièrement la Déesse des Suèdes , tandis que Gàfion fut plus par-
292 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
ticulièrement la Déesse des Dânes. Gàjion fut adorée principalement
dans l'île de Sæ lund {\oy. p. 140), que les Dânes avaient conquise sur
les Svèdes ; et tandis que Freyia était considérée anciennement comme
la Femme ou la Sœur de Freyr, les Dânes considérèrent Gdjion comme
l'Épouse de Skiöldr {Bouclier; cf. Skuta-Targitavus , Dieu du Soleil ,
voy. p. 278) , qu'ils substituèrent à Freyr, et dont ils se disaient issus par
l'intermédiaire de leurs rois, appelés/'eïs (^ei'^2(>7ûfr(Skioldungar), comme
les Svèdes se disaient issus à' Yngvi-Freyr , par l'intermédiaire de leurs
rois , appelés Fils d'Yngvin ou d' Yngul (norr. Ynglingar). La tradition
mythologique conserva la contradiction qui avait existé déjà dans le culte
de l'ancienne Artin-paza , en représentant Gàjion à la fois comme mariée
à Skiöldr, et comme Célibataire et Vierge. Aussi Gdjion porte-t-elle l'é-
pithète de Vierge; et est-elle considérée comme la Protectrice des femmes
qui meurent vierges. Cependant, comme Gdjion n'est que le dédouble-
ment de Freyia, qui préside au Mariage et à l'Amour , elle est , comme
cette déesse, d'un tempérament amoureux. C'est pourquoi Loki lui re-
proche ses intrigues d'amour (voy. Poëmes islandais , p. 329), et dans
la tradition épique , Gàjion est représentée recherchant le mariage, même
avec un lotne, aiin de devenir mère de quatre enfants iotniques (voy.
p. 77).
Comme Protectrice des Vierges , auxquelles on attribuait le don de la
Divination, et de la Prophétie , Gdjion était aussi la Protectrice des
Femmes-de- Vision (Spâkonur), d'autant plus que ces Femmes avaient
été anciennement sous la protection dJJrtin-paza, la Déesse de la Lune,
comme les devins avaient été sous celle de Targitavus , le Dieu du So-
leil. Aussi Gdjion est-elle représentée dans la tradition comme prenant
elle-même le rôle d'une Femme-de-Vision (voy. p. 67); et comme les
Vierges Femmes-de-Vision passaient pour bien connaître la destinée des
hommes , il est dit que Gdjion connaissait les destinées aussi bien qu'O-
dinn (voy. Poèmes isl. , p. 329). Enfin , comme son attribution princi-
pale, indiquée par son nom de Gdjion, est d'être Déesse de la Mer, il
est dit encore que Gdjion (la Personnification de la Mer) , a arraché le
sol de l'île de Séeland au continent de la Suède (voy. p. 140).
§ 116. FuUa, dédoublement de Frigg. — De même que Cure est le dé-
doublement de Freijia et sa Servante , de même Fulla est la spécialisa-
tion , le dédoublement , et la servante de Frigg. Le nom de FuUa signifie
Abondance , et peut être rapproché convenablement de celui de la Déesse
Abonde, qui figure dans quelques légendes françaises (voy. Grimm,
Mytholog. , p. 264). Abonde est la Suivante et la Confidente de Frigg ,
parce que la Déesse de l'Abondance suit et accompagne naturellement la
Déesse de la Fécondation et de la Fécondité. En sa qualité de Suivante ,
ou de Fille de chaussure (norr. Skô-meij) de Frigg, Abonde (Fulla) est
également chargée de la garde des bijoux de sa Maîtresse. Or, si ces bi-
joux sont les symboles des moissons dorées , et des richesses de l'abon-
dance produites par la àéesse Frigg, on comprend pourquoi ils sont mis,
d'après la Mythologie, sous la garde de la \\erge Abonde. Comme Suivante
ou Domestique de Frigg, Fulla n'est pas mariée ; elle est fille, vierge, et
de naissance libre , et c'est pourquoi elle porte, suivant l'usage des peu-
NUMÉRO (36) (page 106) ; freyia ; siöfn. 293
pies d'origine scythique , les cheveux flottants , qui sont , dans l'homme ,
le symbole de la naissance libre, et, dans la femme , le symbole de la vir~
ginité^ ou de la liberté des liens du mariage. En anglo-saxon , l'expression
locbore (porte-boucles) , et en basse-latinité, le mot capillata (chevelue),
désignent directement la fille ou la vierge libre , c'est-à-dire la jeune
femme non encore soumise au joug de l'hymen.
g 117. Freyia, héritière de Rindur et de Frigg. — Freyia, dont la
conception , les attributions , et Thistoire , ont déjà été expliquées ci-dessus
(voy. § 98), a été quelquefois substituée, dans les mythes, à la Déesse
suprême Frigg , pour plusieurs raisons. D'abord Freyia , dont le nom
signifie Maîtresse , Dame , a dû prendre quelquefois la place de Frigg ,
l'Épouse d'Oc?mw^ et \^ Maîtresse des Dieux. Ensuite Frexjia, la Déesse
de l'Amour conjugal, a pu remplacer Frigg, la Déesse de la Féconda-
tion. Suivant Paul, fils de Warnefrid , les Lombards considéraient Frea
(Freyia) comme l'Épouse d'Oc?m?i(0dr), et, suivant un ancien document
saxon (voy. Grimm, Myth. , p. 285), la Déesse Fulla (voy. p. 292) qui ,
proprement , et selon la Mythologie Scandinave , est la Suivante de Frigg,
y est représentée comme la Suivante de Frûa {Freyia). C'est par cette
substitution áQ Freyia di Frigg , que s'expliquent plusieurs mythes, qui,
sans elle , seraient inintelligibles. Ainsi, dans l'ancien mythe át Freyia,
pleurant sur l'absence de son amant ou de son époux Odr, Freyia a évi-
demment été mise à la place de Frigg (Pluie) , comme symbole de la pluie,
de même que Odr (Vent , Orage) , a été remplacé par Odinn (Impétueux),
dont le nom a été , originairement, presque identique au sien. Les larmes
d'or versées par Frigg (Pluie) , ou psir Freyia, qui lui a été substituée, sont
les pluies qui fécondent la terre au printemps, en l'absence des orages
représentés par Odr ou Odinn ; elles sont appelées des pluies d'or, soit
parce qu'elles sont aussi précieuses que l'or , soit parce qu'elles pro-
duisent les moissons dorées. Les Orphiques appellent également la pluie,
les larmes de Zeus. Freyia, l'Amante à' Odr, est encore substituée à
Frigg (Pluie), quand elle est représentée comme la Mère de Hnoss (joyau).
Car les riches récoltes et les moissons dorées, symbolisées par Hnoss,
proviennent, ou sont le Produit ou la Fille de l'Action fécondante de la
Pluie (Frigg) et de V Orage (Odr), et elles sont protégées et gardées
paiT Fulla (Abonde), qui est la Suivante de Frigg, ou de F?^eyia, plus
tard substituée à Frigg. Le nom de Freyia (Dame) s'est substitué ici
d'autant plus facilement à celui de Frigg (qui , dans l'origine, était la
Mère de Hnoss) , que le nom de Hnoss, pris postérieurement dans le
sens propre de Joyau, et, abstraction faite de sa signification symbolique
de riche moisson , désignait les joyaux , qui , dans le Nord , étaient les
attributs caractéristiques de la dame, comme l'épée était l'attribut dis-
tinctif du seigneur.
Freyia, en se confondant avec Frigg, est devenue, comme elle, le Sym-
bole de ISi Pluie, et de la Fécondation. C'est cette attribution qui est ex-
primée par ses deux noms épithétiquesZ^ömeti'yr. Hörn est probablement
la forme transposée de Hrönn, qui signifie h Pluie. Quant au mmdeSi/r,
il désigne la tride , qui est le symbole de la fécondité. De même que Freyr
a eu pour symbole le verrat (norr. thrândr) , de même sa sœur Freyia
294 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
a pu , par analogie , être représentée sous la forme d'une truie (b. lat. troja)^
. et être même désignée par ce nom symbolique. En sa qualité de Déesse
de la Production , Fretjia possède le Collier nommé Bijou des Issus de
Brisi (Brisinga-men) , qui est , en quelque sorte , le pendant du Joyau
(Hnoss). Car , si Hnoss désigne symboliquement les moissons et la récolte
de l'Été , le Brisinga-men , l'ornement de Freyia, désigne l'Éclat de la
lune, dont l'influence mûrit les productions de la terre, et fomente, dans
les êtres vivants , l'instinct de la reproduction. Cet éclat et cette chaleur
sont symbolisés sous le nom de Issus àe Brisi, ou de Chaleureux {Brûsi,
Brysi, Bf'ôsi, Brisi, Bouc), lequel était, sans doute, un nom épithétique
slave du dieu Pravy {Freyr). Freyia , la sœur de Freyr , et la fille de
Niördur, présidait aussi , comme son frère et son père , à la Pêche , et à
la Navigation sur mer; elle a donc aussi les attributions d'une déesse
maritime , et , comme telle , elle porte les noms épithétiques de Gefn
(Abîme), et de Mar-döll (Pin-marin). Le dieu et la déesse Vnirdus
(Nerthus, Niördur), comme divinités, présidant aux Eaux, et à la Mer,
avaient, chez les peuples sarmates, le nom de Topien (Profondeur,
Abîme; cf. goth. diups , profond), qui se maintint encore, dans la Mytho-
logie slave , pour désigner le Démon des Eaux, Ce nom fut aussi donné,
par les Slaves , à Pravy etkPravia. Lorsque Freyr Qi Fre?//a passèrent
de la religion des Slaves dans la Mythologie Scandinave , le nom de To-
pien se changea, chez les peuples gotho-germaniques, en Gaupn, ou Geo-
fon, o\xGebhan{d. Cædmon, 215, 8; Beovulf, 721), nom qui, d'abord
purement mythologique , désignait le dieu maritime, mais qui, dans la
suite , devint (ainsi que Thiod, Halia, Fairguni, p. 253), un nom commun
poétique, pour désigner la mer (cf. Cædmon, 79, 34). Aussi ce nom épi-
thétique Gefn ne désigne-t-il ni Freyr ni Niördur, qui président à la mer,
mais il est resté k Freyia seule , et il a été attribué spécialement à la Déesse
qui est le dédoublement de Freyia, et qui porte le nom identique de Ge-
jion (v. p. 291). þíardöll (Pin-marin) est un nom métaphorique désignant
le navire , qui était , sans doute , le symbole de la déesse Gefn. En effet ,
les anciens Scandinaves se servaient d'arbres creux en guise de navire ;
de là le nom de pin (norr. ihöll) , de frêne (norr. askr) , pour dire na-
vire (cf. ask-mennir, hommes du frêne , pirates). Ensuite la déesse ma-
ritime était représentée symboliquement par une barque, ou un navire
(cf. Tacite, Germ. c, 9), et c'est pourquoi elle a pu, elle-même, être
désignée par le nom symbolique de Mar-döll (Pin-marin).
(37) siöfn; lofn; vör; syn; hlin; snotra; gnâ.
§ 118. Siöfn, dédoublement de la déesse Thiuth. — Chez les Scythes,
Taviti était la Déesse du Feu et du Foyer (v. Les Gètes , p. 230). Plus
tard , chez les Gètes , Thiuth (l'ancienne Taviti) devint le Représentant,
etla Protectrice de la Famille, de la Tribu, et de \2iNation, c'est-à-dire
de \3iParenté, de VJffiiiité, et de \2i Nationalité. Dès lors Thiuth eut le
nom épithétique de Sipia (Parenté; sansc. sa-bhyâ; goth. sibia; allem-
Sippe, voy. Les Gètes, p, 231). Chez les peuples Scandinaves, Thiod,
l'ancienne Thiuth, disparut du culte et de la tradition comme personnage
mythologique ; son nom propre devint , ainsi que ceux de G(fn, de Fai?-
NUMÉRO (37) (PAGE 107); lofn; vör ; syn. 295
guni, de Halia, un nom commun, signifiant Nation; mais elle se maintint
dans la Tradition et dans la Mythologie , comme divinité , sous son nom
épithétique de Sif, qui correspondait à l'ancien nom Sibia, et qui devint
le nom propre de la déesse Sif, l'épouse de Thôr. Comme Protectrice
du Foyer domestique , de la Famille, et de la Parenté, 5'e/eut, sans doute,
encore le nom épithétique de Sîf-^tn (Aime-Parenté), qui s'est changé en
Siö/n, et prit la signification Aq Affinité, Affection. De Siöfn (Affection
dérive le mot Siafni (Affectionné) , qui signifie amant. Le nom épithé-
tique de Siöfn fut , sans doute , aussi donné à Freyia , comme Protec-
trice de la Famille , et de l'Amour. Enfin i'/ó/w devint le nom d'un person-
nage allégorique, représentant V Affection ou Y Amour. Dans la Mythologie
norraine , Siöfn est une divinité allégorique très-secondaire , qu'il faut
considérer , tout au plus , comme la Servante de Freyia; et c'est à ce
titre seulement qu'elle figure , ainsi que Fulla , Hlin , etc. , parmi les
Asynies (voy. Snorra Edda, éd. Rask, p. 211).
§ 119. Lofn, dédoublement de Freyia. — Lofn est une Asynie qui a
beaucoup d'afiBnité avec Siöfn; elle est, comme celle-ci , la personnifica-
tion allégorique d'un nom épithétique de Freyia ou de Frigg, et préside,
comme ces divinités, à l'Amour conjugal. Le nom de Lofn, formé comme
Gefn, Siöfn, et dérivant d'un thème Lw/^a (sansc. lubh, vouloir; lat.
lubet; slav. liubiti, aimer), exprimant l'assentiment, la volonté, signifie
l'amour, considéré comme volonté , ou comme impulsion vers l'objet aimé.
óworW fait dériver le nom de Lofn de /ej(^ (assentiment, congé, permis-
sion) . Cette dérivation est contraire à toutes les règles d'é tymologie ; mais elle
avait quelque chose de spécieux, parce que, dans la langue norraine, on a
confondu les formes , et, par suite, la signification des mots lof an (assen-
timent, permission) et lofn (assentiment, faveur, amour). Lofn n'est
donc pas, comme le suppose Snorri , d'après l'étymologie qu'il donne,
la déesse qui obtient la permission (lofan) pour l'union conjugale , mais
elle est la Personnification de Y Amour (lofn) lui-même. Ensuite cet
amour conjugal a bien pu, comme le prétend Snorri, être considéré
comme naissant avec la permission, ou sous les auspices de Freyret de
Freyia, ou á'Odinn et de Frigg , lesquels passaient pour les types des
Conjoints ou des Époux (norr. Jdôn).
l 120. Vör, dédoublement de la Déesse Taviti. — Le nom de Vor (p.
varu) est originairement un adjectif féminin (masc. varr) qui dérive
d'un thème VaRa (garer^ protéger), et signifie assurée, précautionnée.
Dans les langues de la branche gète, les adjectifs féminins forment
quelquefois des substantifs abstraits (cf. ail. die Treue, die Liebe, die
Leere^ etc.). Aussi l'adjectif féminin t'ör a-t-il formé le substantif abstrait
vor avec la signification de Garantie , Assurance , Confirmation ; et
ce substantif abstrait est devenu le nom propre d'une divinité allégo-
rique, qui intervient pour donner l'assurance et la confirmation aux pro-
messes qui ont été données ou aux serments qui ont été prêtés. C'est
ainsi que l'asynie Vor figure comme Déesse de l'Assurance et de la Con-
firmation , dans le Chant eddique le Thrijmskvida [str. 20), où elle sanc-
tionne une promesse de fiançailles. Dans l'origine, Varu a sans doute
été un nom épithétique de la Déesse Taviti., qui était la Gardienne des
296 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
lois et de la religion (voy. Les Gètes , p. 230). Snorri, se rappelant que
l'adjectif féminin vör, par cela même qu'il signifie précautionnée ,
signifie aussi quelquefois avisée, sage, et devient en ce sens une épi-
thète laudative donnée aux femmes , confond cet adjectif avec le nom de
la Déesse Vör, et croit devoir, en conséquence, attribuer à celle-ci, comme
qualité principale, la Sagesse ou la perspicacité, qui , cependant, n'est en
aucun rapport direct avec For, c'est-à-dire, avec l'idée de sanction,
donnée aux promesses et aux serments.
§ 121. Syn, dédoublement de la Déesse Taviti. — Le mot syn dérive
du thème aSa ( sansc. as, être ; lat. esse, être) qui n'est proprement que
la forme verbale du pronom démonstratif sa (ce) et signifie primitivement
être cela. A ce thème se rattachent l'adjectif participial sannr (p. sandr
étant, réel, vrai ; cf. lat. ents, p. sents ; anglos. soth; angl. sooih, vrai) et,
dans la langue gothique , l'adjectif féminin sunja (p. sundia) , avec la
signification abstraite de vérité (cf. sansc. satya). Sundia paraît avoir
été, dans l'origine, un nom épithétique de la Déesse Taviti , considérée
comme Déesse du serment (voy. Les Gètes, p. 228). De sunja dérive
régulièrement le mot norrain syn (voy. sunia), qui signifiait originaire-
ment vérité ; et de syn s'est formé ensuite le verbe dénominal sytiia (éta-
blir la vérité), comme, en gothique, de sunja s'est formé le verbe déno-
minal sunjon. Au tribunal , l'accusé tâche surtout d'établir la vérité afin de se
jtistijîer ; c'est pourquoi les verbes dénominaux sunjon et sy7iia signifient
aussi se justifier ; et le mot de syn (vérité) prend encore la signification
de justification (vieux sax. sunnea). Ensuite, comme, pour établir lavé-
rite, afin de se disculper et de se justifier, l'accusé a souvent recours à la
dénégation des charges qui pèsent sur lui, le mot de syn {vérité, justi-
fication) signifie encore dénégatiori. Syn , comme Personnification ou
comme déesse allégorique , ne se rencontre dans aucun des chants my-
thologiques qui nous restent; elle est seulement citée comme Asynie
dans cet ouvrage-ci de Snorri, et dans VEdda en prose (p. 21 1). Comme
déesse allégorique, Syn a dû appartenir essentiellement au débat judi-
ciaire , et être la Personnification de ce qu'on appelait alors la Défense.
Snorri dit que S?jn a pour fonction de refuser l'entrée de la Halle à
ceux qui ne doivent pas y entrer. Sur quoi repose cette assertion ? est-
ce une simple conjecture de Snorri, faite d'après la signification du mot
syn (dénégation, refus), ou bien cette donnée a-t-elle été fournie à
Snorri par un ancien chant mythologique, qui n'existe plus , et où figurait
Syn comme portière ? Snorri ne dit pas quelle est la halle dont Sj/n
défend l'entrée ; cela ne peut être que Glitnir, le lieu de justice , ou le
Tribunal de Proposant (voy. p. 239). Dans la loi salique le mot sunnis
{h3iSse-\2itin\té s otin a , sonia), qui correspond au mot norrain syn, a
encore pris la signification de motif légal pour s'exempter d'une obli-
gation judiciaire. Ainsi dans la Lex Sal. 1 , 1, il est dit: « Si quis ad mal-
« lum legibus dominicis mannitus fuerit, si cum sunnis non detinuerit, 600
« denariis culpabilis judicetur, » ce qui énonce que celui qui sans motif
légal s'abstient de venir au tribunal, et de remplir une obligation judi-
ciaire est passible d'une amende de 600 deniers. L'expression de sunnis
ou sonia n'a cependant rien de commun avec un autre mot de basse-
N«MÉRO (37) (page 107) ; hlîn; snotra ; gnâ. 297
latinité savoir ex-sonia, d'où dérive notre terme juridique de exoine. En
effet , le mot sonia , renforcé dans ex-sonia , bien qu'il soit entièrement
homonyme avec sonia, qui est synonyme de sunnis, ne correspond pas ,
comme celui-ci, au gothique sunja, ou au norrain syn, mais il corres-
pond au norrain sokn (recherche ^ poursuite, soin), auquel correspondent
le vieux italien sogna , le provençal sonh , et le français soin. Comme on re-
cherche o\y poursuit surtout ce qui 7nanque , le mot italien bisogno , le pro-
vençal bisonha, et le français besoin, signifient principalement wawgwe.
Comme ce qu'on soigne est une affaire , ou une obligation , ou une charge ,
le mot vieux français essoine (p. ensoine) signifie l'état d'être en soin,
en obligation , en difficulté , en peine ; et le mot essoingne (pour ex-
soigne; h. lat. exonia; fr. exoine) désigne la mise hors de soin et d'obli-
gation, ou la décharge d'une obligation. On le voit donc, les mots syn
et exoine appartiennent à deux familles de mots, tout à fait différentes
l'une de l'autre.
§ 122. Hlîn, dédoublement de Frigg. — Odinn et Frigg, les Divinités
Suprêmes, sont les types du Maître et de la Maîtresse, et, par consé-
quent, les Protecteurs naturels des hommes qui composent leur maison
(voy. p. 24). Frigg, comme Protectrice de ses hommes, portait sans
doute le nom épithétique de Hlîn, qui signifie Jppui, Protection (cf.
grec klinè, appui, repos ; v. Grimm, Mythol. 832). Frigg s'étant dédoublée,
Hlîn est devenue dans la suite la servante de Frigg, une espèce de
Nome, chargée de protéger, dans V Allée Agréable (voy. p. 24), les
favoris de cette déesse , comme les Valkyries, veillent, dans la Halle
des Occis, sur les hommes protégés par Odinn. Aussi Hlîne est-elle
affligée quand Odinn, l'époux de Frigg, part pour le grand Combat, au
Crépuscule des Grandeurs; car elle sait qu'il y trouvera la mort.
L'Asynie Hlîn ne figure dans aucun poëme de l'Edda de Sæmund, si ce
n'est dans la Vision de la Louve , où elle est représentée comme char-
gée de veiller sur Odinn, le Héros chéri de Frigg. •
g 123. Snotra, spécialisation de Freyia. — Snotra n'est, nulle part^
citée comme Asynie, si ce n'est ici, et dans l'Edda en prose (p. 211). La
signification primitive du nom de Snotra est Sagace (lat. emuncta, nas-
uta)^ d'où dérive l'autre signification de Fine, Polie, Élégante. Dans
l'origine, Snotra parait avoir été un nom épithétique de Freyia, comme,
en général, c'était une épithète laudative donnée aux femmes de qualité
[freijior, dames). Plus tard on a fait, sans doute, ^q Snotra un person-
nage allégorique, qui fut considérée comme la Suivante ou la Servante
de Freyia , et comme le représentant de l'élégance, et de la grâce des Dames.
g 124. Gnâ, dédoublement de Freyia. — Gnâ est la Messagère de
Frigg, comme Skirnir est le messager de Freyr. Les vers cités par
Snorri prouvent que cette asynie a été un personnage , non seulement
allégorique , mais mythologique, quoique secondaire. Le nom de Gnâ,
qui est le féminin de Gnâr {Knâr ; cf. lat. gnavus ; v. saxon. Knapa ;
ail. Knabe), sl^niiïe Alerte, et ce nom convient bien à la Messagère de
Frigg. Snorri, cependant, pense que Gnâ signifie Planeuse ; il conjec-
ture cela, sans doute, d'abord de ce que la Messagère Gnâ dit, elle-
même, qu'elle ne vole pas à travers les airs, comme les Nomes et les
298 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Valkyries, ni ne marche à pied , comme les hommes, et ensuite , de ce que
le verbe gnæfa, qui, à son avis, est un dérivé de Gnâ, signifie, selon
lui, planer. Mais gnæfa signifie surgir, et non pas planer, et ce
verbe n'a qu'un rapport très-indirect avec la signification du nom
propre de Gnâ. Les vers cités par Snorrî sont empruntés à un ancien
poème dont il ne nous reste plus que cet unique fragment. Gnâ,
la Messagère de Frigg (Pluie), est évidemment la Personnification du
Vent d'été , qui amène les pluies fécondantes , et , comme telle , elle est la
spécialisation de Freyia qui préside au Vent d'été. Comme Personnifi-
cation du Vent, Gnâ a pour monture un cheval , symbole du Vent (voy.
p. 460). Ce cheval est nommé Lance -Sabot, probablement parce qu'il
représente le Vent rapide , qui va grand train. Le père de Lance-Sabot
est Gerce -Peau, le Symbole du Vent brûlant, qui fait gercer la peau ; sa
mère est nommée Brise-Enceinte, parce qu'elle représente le Vent d'o-
rage , qui renverse les enclos.
(38) LES VALKYRIES ; LES ASYNIES IÖRD ET RINDUR.
§125. Les Valkyries conçues d'après les Alhi-runes historiques. — Chez
des peuples guerriers, tels que ceux de la race scythique, dont la vie, et
par suite, la destinée individuelle, s'agitait principalement dans les
combats, \q Destin, on V Établissement primordial {y o^. p. 232), se
rapportait principalement aux événements, aux chances, et aux accidents
de la guerre. Aussi l'issue des combats fut-elle considérée comme la
Destinée par excellence, et désignée, par conséquent, comme elle-même,
du nom A' Etablissement primordial (norr. örlög , destin ; holland.
oor/o^f^ guerre). L'Oracle, la Divination, la Prescience étaient surtout
employées, pour connaître d'avance la destinée ou l'issue des combats ,
par rapport à la victoire ou à la mort des combattants. De même que le
Dieu de \2l guerre était le Dieu Suprême, et le premier qui ait eu un Sanc-
tuaire, et un signe symbolique qui le représentait (voy. p. 270), de même
aussi les Femmes victimaires (scythe Viro-pata, Tuerie d'hommes),
qui, comme Femmes de Vision (voy. p. 270) prédisaient l'issue des
expéditions, et entreprises guerrières, avaient, seules, en quelque sorte,
une position officielle. Car, tandis que les autres Prophétesses et Divi-
neresses parcouraient, pour leur compte , le pays pour prédire l'avenir aux
individus qui venaient les consulter, les Femmes -Victimaires, ces
Prophétesses de la guerre , étaient , seules , consacrées spécialement et
oflBciellement au Dieu Suprême, au Dieu des Combats. Comme elles
passaient pour connaître le Secret conseil (norr. rûna) de la Destinée, et
qu'elles étaient attachées au Sanctuaire national du Dieu de la guerre,
les Femmes-victimaires prirent, chez les peuples gètes, le nom de Con-
seillères du Sanctuaire (géte alhi-hrûnas).
Lorsque, au troisième siècle avant notre ère, Vathans (Odinn) devint
Dieu Suprême, il remplaça Tius (Tyr)^ comme Dieu des Combats, et
Skalmoskis , comme Seigneur des Ames, ou Seigneur des Trépassés.
Comme Dieu Suprême, il fut aussi Dieu du Destin, et de la Prescience,
et eut à son service à la fois les Conseillères du Sanctuaire , et les
Femmes-de-Vision. Lorsque plus tard, chez les peuples de la branche
NUMÉRO (38) (page 108) ; les valkyries. 299
gète, Odinn eut son habitation ou son sanctuaire céleste dans la Halle
des Occis, la My tliologie mit aussi à son service aes^lki-rûnes célestes,
nommées Fal-Kyries. Le caractère et les attributions de ces Valkyries
mythologiques étaient calqués sur le caractère et les attributions des
Alki-rûnes historiques. En effet, de même que les Alhi-rÛ7\es étaient
attachées au sanctuaire terrestre, et au senice du Dieu de la Guerre, de
même les Valkyries étaient attachées au Sanctuaire céleste (la Halle-
des-Occis), et au service d'Oi//«7i le Dieu des Combats. De même que les
Alhi-7'únes, comme Prêtresses-Yictimaires, choisissaient, parmi les pri-
sonniers de guerre, ceux qui devaient être sacrifiés ou consacrés au service
du Dieu de la guerre, dans le ciel, de même les Valkyries choisissaient,
parmi les héros combattants, ceux qui devaient succomber, et aller aug-
menter le nombre des Compagnons (Troupiers-Uniques) d'Odinn, dans la
Halle-des-Occis. Aussi ces Servantes d'Odinn, ces Victimaires célestes,
eurent-elles le nom de Choisit-les- Occis (norr. Val-Kyrior). De même
que, dans l'histoire, les Alhirûnes n'étaient qu'une espèce particulière de
Femmes-de-Vision, de même aussi , en Mythologie , les Choisit-les-
Occis, qui ont été imaginées d'après les Alhirûnes historiques, n'étaient
non plus qu'une espèce particulière de Nomes (voy. p. 232), lesquelles
avaient été calquées sur les i'paÆo^zwr historiques. Aussi y a-t-il de
nombreuses analogies entre les Nomes et les Valkyries. En effet , les
unes et les autres sont des Femmes de Vision célestes , qui connaissent
d'avance la Destinée (orlog) des hommes. La Prescience étant symbolisée
par le Cygne (voy. p. 238), les Valkyries., ainsi que les Nomes, sont
revêtues du plumage éclatant du Cygne, et se transportent d'un endroit
à l'autre , en volant sous forme de cygnes à travers les airs. Toutes les
fois que les Valkyries se rendent à un endroit où l'on va livrer combat,
elles sont sous la conduite de Skuld (Future), la plus jeune des Nomes ,
qui préside aux événements à venir. Le don de la prescience étant attri-
bué principalement aux femmes vierges, les Valkyries, ainsi que les
Nomes , sont généralement représentées comme des vierges. Cependant
il y a aussi des Valkyries mariées. Les attributions des Valkyries se
rapportant principalement à la destinée des héros , dans les combats et à
la guerre, on se figurait les Choisit-les-Occis comme des Vierges
guerrières. Aussi sont-elles désignées, dans \2i Vision de la Louve, sous
le nom de Noîmor Herians (Nonnes ou Vigoureuses du Combattant), nom
qui, par un pur hasard , ressemble à celui des Nonnes ou Religieuses chré-
tiennes (lat. Nonnæ Mères , Aïeules) , et semble énoncer que ce sont des
femmes vierges, au service du Dieu de la guerre Odinn. Comme vierges
guerrières , les Valkyries portent le heaume et le bouclier ; de là leur
nom de Vierges au Heaume (Hialm-meyiar), et de Vierges au Bouclier
(Skiald-meyiar). De plus , le nom propre de plusieurs d'entre elles rap-
pelle leurs fonctions et leur caractère guerriers. Snorri cite quelques-
uns de ces noms , d'après la strophe 36 des Dits de Grimnir. La Val-
kyrie ^mí (Secousse) personnifie l'action de secouer les armes, ou les
baguettes divinatoires (cf. norr. hrista teina) , indices de l'issue du
combat. Mist (Brume) est la personnification de la mêlée confuse, tempé-
tueuse, et embrouillée du combat qui ressemble à un brouillard. Skögul
300 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
(Hérissée de Lances), Skeggiölld (p. Skeggi-völld, Manie-Hache)^ Rand-
grid (Fureur d'écus) , Geira-höd (Lutte aux Framées) désignent le com-
bat avec les différentes armes offensives et défensives. Hlöck (Chaîne),
et Herjiötur (Lien de Troupe) désignent les chaînes qu'on mettait aux
prisonniers de guerre , condamnés à l'esclavage ou au sacriflce. Regin-
/ez/ (Protection des Grandeurs) désigne l'invulnérabilité, et la protection
invisible accordées, par les Grawc?ewr5 ou les Dieux, à quelque héros
dans le combat. Hildur (p. Hvildur; cf. anglos. qvild, la mort) dont le
nom est emprunté à celui de la Déesse Hildur, qui est un dédoublement
de Hel^ désigne la mort sanglante à la guerre. Thrudur (Force) est la
Personnification de la Valeur guerrière, et Radgrid (Fureur Résolue)
désigne la Fureur, dans le combat, qui fait prendre des résolutions ex-
trêmes.
Les Valkyries et les Nomes sont, les unes et les autres, des Êtres
mythologiques qui n'ont pas été adorés , comme des divinités, mais seu-
lement vénérés, comme des Puissances surhumaines. Objets de tradi-
tion plutôt que de culte, les Valkyries ^ comme les Nomes ^ figurent
moins souvent dans les mythes proprement dits , que dans les poésies
épiques. Si les Nomes sont en partie les Protectrices (norr. Hamin-
giar Issues du Couvrant) des hommes, les Valkyries sont aussi quelque-
fois \%s Protectrices ^ les Amies, les Fiancées, et les Épouses des héros,
et elles protègent les hommes chéris á'Odinn^ comme Hlin protège les
hommes chéris de Frigg (voy. p. 297). Par suite des analogies qu'il y
avait entre les Valkyries et les Nomes, les unes ont été souvent con-
fondues avec les autres en Mythologie. Ensuite, de même que les Devine-
resses ou Femmes de Vision (Spâkonur), ont été souvent représentées, non
pas seulement comme sachant d'avance et proclamant les décrets de
la Destinée , mais comme déterminant à leur gré la destinée humaine ,
de même aussi , se trompant sans doute sur la signification du nom de
Choisit- les-Occis, on a vu en celles-ci des vierges guerrières, qui choi-
sissaient à leur gré , ou qui, sans consulter les ordres d'Odinn, ou les
Décrets de la Destinée, décidaient elles-mêmes , arbitrairement , de la
victoire et de la mort des héros.
g 126. Les Asynies lord et Rindur. — De même que les Scythes ado-
raient le Ciel sous le nom de Tivus , de même ils adoraient aussi la Terre,
qu'ils nommaient Aquatique (scyth.^^m) , parce qu'ils croyaient qu'elle
était sortie de Veau (voy. Les Gètes, p. 170). Comme la Terre est fécondée
par les pluies du Ciel , Apia^ la Personnification mythologique de la Terre,
passait pour l'Épouse de Tivus , la Personnification du Ciel (Hérod. IV ,
59). Cette Déesse était considérée , surtout chez les Scythes agriculteurs
et les Gètes laboureurs, comme la Terre-Mère , qui correspondait au
Ciel-Père, ou au Ciel- Fécondateur [Pirkunis, v. p. 251). De même que
Tivus devint le Père ou Y Aïeul (scyth. Pappaïus) de la race scythique ,
de même Apia, l'Épouse de Tivus, dut aussi passer pour la Mère ou
V Aïeule {gr. Dâ p. dedâ , Aïeule, Terre, Théok. 7, 39; boh. deda,
aïeule; cf. norr. Edda, aïeule; dor. dâ-mater. Aïeule-mère; cf. illyr.
star a mater , Vieille-Mère, Terre) de cette race. Aussi Tivics et Apia
éta!6nt-ils , selon la tradition , les parents de Targitavus (Soleil) , qui
NUMÉRO (38) (page d08) ; iörd et rindur. 301
passait pour le Père des Scythes (voy. p. 193). La Terre-Mère était con-
sidérée à la fois comme le sein maternel d'où la race humaine était origi-
nairement sortie , et comme le sein dans lequel l'homme , à sa mort , devait
rentrer- de là, encore dans la Mythologie norraine , l'idée que la tombe
est une seconde matrice , où l'homme , à sa mort , rentre jusqu'au mo-
ment de sa renaissance (v. § Í57). En général, les peuples anciens se
disaient nés de la terre (voy. les Gètes, p. 73), c'est-à-dire issus du Pays
qu'ils habitaient; les Scythes-Hellènes , établis dans YHylée {^v.Hulaia,
Boisée) , se disaient donc aussi ûls de cette terre. Or, cette contrée était
couverte moitié de forêts, moitié de marécages provenant des débordements
du Bory sthènes [Borush- Tanaïs, le Tanaïs , le Don, ou le Fleuve aux Bou-
leaux) Déjà avant l'arrivée des Scythes dans ce pays , les Kimmeries qui
l'habitaient, supposant que cette contrée était originairement sortie de
dessous les eaux de ce fleuve , l'avaient appelée la Fille de BortjstUnes.
Cette tradition passa aux Grecs de la Chersonèse , qui , suivant leur habi-
tude de représenter l'Eau sous le symbole de l'hydre (gr. hudra, aqua-
tique), et la Terre sous celui d'une femme , donnèrent à la Fille de Bo-
rysthènes, c'est-à-dire à l'Hylée marécageuse, composée moitié d'eau ,
moitié de terre , le nom de Serpent-Femme (Hérod. Echi-dna ; sansc.
ahi-danikâ; cf. pelasg. Eva-dne, Eau-Femme). De là la tradition ré-
pandue chez les Scythes-Hellènes, que la race scythique de l'Hylee était
issue de Héraklès (scythe Targitavus), et á'Echidna.
Lorsque les peuples d'origine scythique eurent échangé l'état nomade
contre la vie sédentaire, et que l'agriculture se fut répandue, déplus en
plus, chez les peuples gètes, la Terre, c'est-à-dire la contrée habitée
par ces peuples , fut considérée plus spécialement au point de vue de la
culture, et dès lors elle prit de préférence le nom de aritha (rayée , sil-
lonnée , labourée ; gr. era p. erath ; norr. iordh ; vhall. erde). D'un autre
côté , l'ancien nom de apia (aquatique) , qui , dans la suite, s'était change,
dans les idiomes de la branche gête, en awe (vieux haut-allemand) , en ey
(norrain) , et en ö (suédois) , ne garda plus la signification de terre , mais
seulement la signification primitive de terre aqueuse, A& prairie imbi-
bée d'eau, et de île. C'est pourquoi la Déesse Terre ne garda pas , non
plus , dans la Mythologie , son ancien nom d'Jpia, mais l'échangea contre
le nom plus moderne de Iordh, de sorte que, dès lors, Jpia, comme
déesse, disparut, du moins sous ce nom, de la tradition mythologique.
Cependant , les différentes attributions traditionnelles de l'ancienne déesse
Jpia, se conservèrent, et furent transmises, en partie , à lord, en partie
réparties entre plusieurs Déesses ayant des attributions analogues. Ainsi,
d'abord, ^i^m, comme Déesse Terre, opposée à Tnms (Ciel) , fut rem-
placée , dans la Mythologie Scandinave , par lord (Terre de labour) ; et de
même que Jpia avait été la mère de Targitavus (Soleil ; gr. Héraklès) ,
de même lord devint aussi la mère de Tliôr, parce que Thôr avait pris
la place de Fiorgynn, l'ancien Perkunis (lat. Hercules), lequel, lui-
même, s'était substitué à l'ancien Targitavus. Puis, comme ^^/a avait
été l'Épouse de Tivîis, lord, qui remplaça Jpia , devint, sinon l'Epouse,
du moins l'Amante de Odinn, qui avait remplacé Tyr, l'ancien Tivus.
Ensuite, Jpia, en sa qualité de déesse Terre , qui était désignée sous
302 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
le nom épithétique de Montagneuse (cf. sansc. Parvatâdhârd , Porte-
Montagnes), et de Boisée (cf. Flylaïa), fut remplacée par la Déesse Fiör-
gyn , l'ancienne Épouse ou Sœur de Fiörgynn , le Dieu des Monts-de-
Tonnere, ou des Forets hercyniennes (voy. p, 252). Puis les attributions
d'^j^m comme Terre productive, passèrent à l'Asynie .S'2/, la Déesse
des Semailles , qui devint l'Épouse de Thôr, par la même raison que Jpia
avait été anciennement l'Épouse de Tivus-Pirkunis , dont plusieurs at-
tributions avaient passé à Thôr. CommQl^vvQÔ' habitation, Apiaiwi
remplacée par Taviti, la Déesse du Feu, du Foyer, et de l'Habitation
(voy. p. 294) , laquelle , sous le nom épithétique de Hlôdynn (Amie du
Foyer) , se confondit avec lord, qui prit elle-même le nom de Hlôdynn.
Enfin , comme Mère ou Source d'abondance et de richesse, JpiaiwX rem-
placée i^arlUndur, Frigg, etFreijia, de sorte que, n'ayaiit plus d'attri-
butions spéciales ^ ^^/a disparut entièrement, sodscenom, du Culte, et
de la Mythologie des peuples de la branche gète. — Sur l'origine, les at-
tributions , et l'histoire de la Déesse Rindur, voyez ci-dessus § 96.
(39) HYMIR ; LES FIANÇAILLES DE FREYR ET DE GERDUR.
§ 127. Gymir; Örboda; et Gerdur. — La stupeur qui saisit les peuples
iafétiques, lorsque, descendant des plateaux où était leur berceau, ils
virent , pour la première fois , l'Océan redoutable, leur fit donner à ce vaste
élément le nom de Effrayant (sansc. Timi; scythe Tami; voy. Les
Gètes^ p. 247). Les Scythes qui arrivèrent, plus tard, sur les bords de
l'Océan indien et de la mer Caspienne, ont dû déjà connaître le nom de
Thatni (Océan) , au moins au sixième siècle avant notre ère. Car les Mas-
sa-Gètes , qui s'étendaient jusqu'à la mer Caspienne, et qui vivaient en
partie de la pêche maritime , avaient pour reine Thamyris ou Tomiris,
dont le nom signifiait proprement Océanide (Fille de l'Océan; cf. sansc.
tamara\ fleuve , eau ; grec Thamyris, Thamyras , Thymbros, Thy-
bris; lat. Tiberis, Fils de Neptune) , et était synonyme du nom de Semi-
ramis, la mère de Ninyas, lequel était surnommé Zamis (Océan). L'Eau,
cet élément clair et limpide, étant le symbole de la lumière , et de la clarté de
\ Intelligence (voy. p. 228) , et la Mer, par sa profondeur et son étendue,
rappelant la profondeur et les mysXères de la Science, le Dieu de l'Océan
passait pour être en possession d'un trésor de science , d'autant plus que
son nom de Thami (Étourdissant), rappelait, en partie, le breuvage
étourdissant {ssinsc. mathu; gr. methu; norr. miödr)., auquel l'Antiquité
attribuait la propriété d'exciter les facultés intellectuelles (gr. thambos,
étourdissement , ivresse) , et d'inspirer la Science , la Poésie et la Pres-
cience. Aussi les Scythes donnaient-ils au Dieu That}ii le surnom de
Masa-dâs (zend. maz-daô) , qui ú^mfmi Beaucoup-brillant ei Beau-
coup-sachant. Plus tard , les peuples gétiques donnaient au mot tami
(effrayant, océan) la forme de tomi et de sami. Aussi la ville principale
des Gètes, qui était située près de la mer, et qui, peut-être, était con-
sacrée au dieu de l'Océan, portait-elle le nom de Tomi (Maritime). Mais ,
dans la suite , lorsque les peuples de la branche ^éíe^ s'étant familiarisés
avec la mer, ne la considéraient plus comme redoutable, le mot Tomi ne
put plus servir à désigner la mer ou l'Océan , mais garda seulement la
NUMÉRO (39) (page 108 - 1 10) ; œgir ; gymir. 303
signification de trouble, obscur, désert {d. norr. tomr). Le nom du Dieu
Thami, comme présidant à l'Océan redoutable , fut par conséquent rem-
placé par le nom propre plus expressif de Ogis (norr. Œgir, Redouta-
ble; gr. Ogèn p. ôgens; Ogènos; OAeawos). Dans l'idiome Scandinave,
Sami, sans désigner le Dieu de l'Océan , conserva cependant , exception-
nellement et obscurément , l'ancienne signification de Océan (cf. Samsey,
lie de l'Océan; sam-land, Pays maritime; Samo-gitia , la Gétie mari-
time; cf. Samo-thrakè , la Thrace maritime); mais la signification ordi-
naire de sa7Ji , comme celle de tom, était effrayant, sombre (cf. norr.
sam-leitr, visage sombre).
Dans quelques idiomes germaniques, un autre terme synonyme, Fi-
niul, Fimbul, eiFiff, qui ú^m^2Ái Effrayant, Étourdissant, devint un
nom poétique et épithétique, désignant Y Océan (cf. anglos. Fifl-cynn ,
monstres del'Océan ; Fijt-dor, synonyme du norrain Œgis-dyr). Plustard,
ce nom garda seulement la signification générale de Terrible ; et c'est pour-
quoi le terrible hiver qui précédera le Créjmscule des Grandeurs , est
désigné , dans la Mythologie norraine , par le nom de Fimbul-vetr (Hiver-
Terrible). Le terme áeji)nbul servit aussi , comme les mots regin, gin,
tyr (voy. p. 271) , pour désigner le degré suprême, comme, par exemple,
dans Fimbul-fambi (Terrible-Fou), Fimbul-thulr (Terrible Parleur).
Enfin , comme la sorcellerie passait pour produire sur l'esprit un effet
étourdissant, abasourdissant , hébétant, le terme ^y? finit par ne plus
signifier que ensorcelé, et stupide.
Œgir, qui , dans la Mythologie norraine , remplaça l'ancien Thami-
masadas , était, comme celui-ci, le Dieu redoutable de l'Océan, et,
comme tel, il était l'opposé du Dieu Niördr, qui passait pour le Dieu
bienfaisant de la Mer , des Fleuves , et des Eaux. Comme dieu redoutable,
Œgir ne comptait pas parmi les Jses , mais parmi les êtres mythologi-
ques nommés lotnes. Tandis que l'Ase Niördr présidait à la Mer paisible
pendant l'été , CÉgir devint la Personnification de la mer tempétueuse en
automne , en hiver, et au printemps. Comme Dieu de la Mer hivernale et
glaciale, Œgir se confondit avec l'Iotne Gyinir on Hymir, ou Ymir,
qui était le représentant du Monde glacial primitif (voy. p. \ 86) , et avec
Hier (p. Glær, Luisant , Clair) , la Personnification cosmologique de la
Mer, le Fils de For-niotr (Préoccupant; slave Pore-nut)^ et le Frère de
Vindr (l'Air) et de Eldr (Feu). Dans la suite on distingua, de nouveau,
Œgir de Hymir (voy. Hymiskvida)^ comme on distingua Ymir de Gy-
mir. Gymir devint la Personnification de la Mer hivernale, c'est-à-dire
de la Mer redoutable et dangereuse en hiver. Sa femme était nommée
Örboda (Forts-Brisants), et symbolisait les brisants qui rendent la na-
vigation périlleuse, prboda était de la race des Géants de Montagnes,
car les promontoires et les rochers sous-marins, représentés par cette
race , occasionnent principalement des brisants dans la mer. Le fils de
Gymir et d' Ôrboda se nommait^e/e (Beugleur), qui était la Personnification
du bruissement des vents et des flots de la mer hivernale. Ce bruit cesse
quand l'empire de Freyr sur la mer reprend le dessus ; et cela arrive au
printemps, à l'époque où les cerfs et les rennes perdent leur bois (cf.
ail. Hormmg, février); c'est pourquoi il est dit que Freyr ixxe Beli avec
304 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
une corne de cerf. La sœur de Beli est Gerdur (Ceignante , Protégeante,
Paisible) ; elle est la Personnification de la Mer hivernale rendue paisible,
accessible, et navigable en été; aussi Gerdur devient-elle la fiancée de
TAse Freyr. Œgir, en tant que différent de Gymir, est l'époux de Rân
(p. Hrâkn, Violence) ; et l'ancienne épithète áe Beaucoup-Sachant , que
portait Thami, auquel Œgir a été substitué , a pris , dans celui-ci , le
sens de Magicien (norr. Jîol-kunnigr, beaucoup-sachant, magicien).
Œgir est magicien , parce que, d'abord, l'Océan exerce une certaine magie,
une fascination sur l'esprit des hommes ; ensuite , il est magicien parce
qu'il appartient à la race des lotnes , qui sont beaucoup- sachant s (norr.
hundvîsir)^ et de redoutables magiciens. Voilà pourquoi , dans la demeure
A' Œgir, ioni produit un eifet magique, et se produitpSir un effet magique
(voy. Poèmes islandais, p. 321).
§ 128. Les fiançailles de Freyr et de Gerdur. — De même que , dans la
Mythologie , les objets de la Nature , tels que le soleil , la lune , etc. , ont
été considérés comme des personnes , de même les influences physiques
qu'ont ces objets , les uns sur les autres, furent considérées comme les ac-
tions volontaires de ces Objets personnifiés. D'abord se sont formés des
mythes énonçant simplement des attributs de ces objets personnifiés , tel
que, par exemple , ce mythe-ci : Thor est flls de lord. Il est possesseur de
Meunier, etc. Ces mythes, nous les appelons Mythes d'attributs. Plus
tard se formèrent les mythes racontant les actions des Divinités, et des
Êtres mythologiques : nous les appelons Mythes d'action. Or les Scandi-
naves , établis dans la partie septentrionale de la Presqu'île, remarquèrent
que , chez eux , la mer arctique était inaccessible pour la navigation et la
pêche, durant wew/ mois de l'année, depuis septembre jusqu'en mai, et
n'était accessible que pendant les trois autres mois (voy. p. 261). Ils at-
tendaient avec impatience l'ouverture delà navigation et de la pêche, et
célébraient cette ouverture par une fête religieuse. Pour rendre compte
de la célébration de cette fête, il se forma un Mythe A' action, racontant
comment et pourquoi la Mer hivernale est devenue accessible à la naviga-
tion et à la pêche. Ce Mythe , dans son langage symbolique , disait sim-
plement et brièvement que , depuis le mois de septembre dernier , Freyr
(le Dieu de la Navigation et de la Pêche) , était éloigné de son amante Ger-
dur (Mer hivernale) ; qu'il a langui après elle pendant neuf mois , mais
que , lui et ses adorateurs célèbrent , dans ce jour, et par cette fête , sa noce
avec sa fiancée. Ce Mythe , ayant pour objet de rendre compte du fait qui
est la raison de la fête , appartient à cette espèce de traditions que nous
appelons Mythes de fête. Si le récit des Mythes d'action était resté pure-
ment «ymôo^z^e (c'est-à-dire, eût exprimé , en langage symbolique, l'eciée
qui en fait le fond , et dont , à l'origine , on avait pleine et entière connais-
sance), d'abord, íowí dans ce récit serait s/^wz/ïcaifey par rapport à cette
idée, et ensuite, l'idée étant simple, le récit, qui n'en est que l'expres-
sion symbolique , serait également resté simple et bref. Mais à mesure
que les mythes symboliques se transmettent par la tradition. Vidée, qui
en fait le fond, se perd de plus en plus de la mémoire des hommes, de
sorte qu'on s'en tient exclusivement à la/orme du récit. De cette manière,
les mythes symboliques sortent du domaine de Vidée, qui est le véritable
NUMÉRO (39) (page 109) ; les fiançailles de frey. 305
terrain où ils ont pris naissance, et entrent entièrement dans le domaine
de la narration, ou du récit fait, pour lui-même, en dehors de l'idée. En
d'autres termes , les mythes , de symboliques qu'ils sont dans l'origine ,
deviennent complètement épiques. Or, il est dans la nature de la narra-
tion, d'aimer les détails, les ornements descriptifs, tous les accessoires
qui motivent le récit : et voilà pourquoi le récit des mythes devenus épi-
ques est plus long , plus détaillé , et renferme des accessoires et des orne-
ments, lesquels, non-seulement, n'ont aucun rapport avec Vidée, qui y
était exprimée originairement, mais sont même le plus souvent en con-
tradiction avec elle. INous allons faire voir les détails , ornements , et ac-
cessoires épiqîies, qui sont venus s'ajouter au récit simple et bref du mythe
symbolique primitif, concernant les Fiançailles de Freyr et de Gerdur.
§ 129. Les éléments épiques ajoutés au mythe symbolique. — Nous
venons d'indiquer l'idée qui fait le fond du mythe des Finançailles de Frey.
Voici maintenant les détails, ornements, et accessoires narratifs, qui ont
été ajoutés au récit du Mythe , pour en rendre la forme plus intéressante,
plus poétique , ou plus pathétique. 1 « Il est dit que Freyr voit , du haut de
la Chaumine-aicx-Portes (voy. p. 240), la beauté resplendissante de
Gerdur (l'Éclat de la Mer hivernale , dont la surface resplendit au soleil),
et il tombe amoureux de cette fille de géant , qui éclaire de sa beauté toute
la région boréale. 2" Le serviteur de Freyr, qui est aussi le messager de
ce dieu , ainsi que celui des Ases en général , se nomme Skîrnir (Éclaircit).
Dans l'origine , ou dans le sens symbolique , Skîrnir est la Personnifi-
cation du Vent qui fait le beau temps. Comme Vent, il marche vite, ainsi
qu'il convient à un messager ; et il est nommé Éclaircit, parce que , étant
au service de Freyr ^ qui préside au beau temps , il écure le ciel , c'est-
à-dire , balaie , de son souffle , les nuages qui cachent ou couvrent le soleil.
Plus tard , ayant pris une signification purement épique, Skîrnir est devenu
leMessager-£^c/a2>e?/r, qui porte les messages ou les déclarations {%Qih.
skeireins) des Dieux. C'est Skîrnir qu'envoie Freyr à Gerdur, pour de-
mander qu'elle lui accorde ses faveurs. 3» Gerdur (la Mer hivernale) ne
peutêtre vaincue, ou rendueaccessible, que par les rayons du Soleil d'été qui
sont les armes naturelles de Freyr. Dans l'origine , Freyr, le Dieu du
soleil, avait, pour armes, àes /lèches, symboles des rayons au so\eï\
(voy. p. 278). Plus tard , étant considéré comme un héros-épique , il a aussi
pour arme, comme les autres héros , une épée. Aussi , au lieu de dire que
Freyr donne k Skîrnir sesjlèches, pour vaincre la résistance de Gerdur,
le récit épique postérieur dit qu'il lui donne son épée , qui a la propriété
merveilleuse de se brandir d'elle-même , de frapper l'ennemi , et de ren-
trer dans la main de son maître , semblable en cela au Meunier de Thôr,
qui, lancé sur l'ennemi, revenait dans la main de Thor (§ 93), ou aux
armes á'Indras, et à l'épée á'Jrdjounas, qui combattaient toutes seules,
ou enfin au javelot Matathas, dont Indras fit présent au héros Man-
das. Pendant neuf mois d'hiver, Freyr, le Dieu du Soleil, n'a plus ses
armes , ou ses flèches (rayons ardents) , ou son épée , qu'il a donnée à
Skîrnir. C'estavec une corne de cerf, qu'il tuera, au mois á^ Février, Beli,
le frère de Gerdur (voy.g 127). Mais il devrait avoir, du moins, ses bonnes
armes (les rayons solaires) , pour le grand combat du Crépuscule des
20
300 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Grandeurs. Malheureusement ce combat se livre lors du Terrible Hiver
(voy. g 153). Or en hiver, Freyr n'est pas armé de ses rayons solaires (ou
de son épée) ; il succombera donc avec les autres Ascs. 4° Vaincu par les
sollicitations et les menaces de Skîrnir, Gerdvr consent à accorder à
Freyr, dans neuf mo\s , un rendez-vous dans une île delà mer, qui porte
le nom symbolique de Ile-de-Feuillage (norr. Bar-eij ; cf. Lauf-ey ,
p. 285) , sans doute , parce que l'époque de cette union tombe au mois de
mai , où le souffle des vents chauds a déjà fait pousser le feuillage aux
arbres et aux buissons. Le récit, que fait Snorri du mythe des Fiançailles
de Frey et de Gerdur, est imité de celui du beau poëme eddique , inti-
tulé La Mission de Skîrnir (Skîrnir-for) , composé probablement au hui-
tième siècle , et d'où est aussi tirée la strophe que cite cet auteur.
(40) l'ordinaire d'odinn et des troupiers-uniques ; les loups et
LES corbeaux d'odinn.
§ 130. Sæhrimnir, Andhrimnir, et Eldhrimnir. — Les Combattants-
héros qui, sur le champ de bataille , avaient été choisis par les Fal-
kyries, et étaient reçus, après leur trépas ou occision (norr. valr)^ dans la
Halle-des-Occis , étaient considérés comme les fds adojiiîfs d'Odinn
(voy. p. 247). Appartenant à la famille ou à la maison á'Odi?m, ils for-
maient, selon l'usage patriarchal et guerrier de cette époque, sa suite ou
sa bande^ et plus tard, dans le système féodal , sa garde (norr. hird)^ ou
ssi 7}ias sente (vieux fr. mesgnée , domestique). Les héros de la bande
d'Odinn avaient le nom de Troupiers-Uniques (norr. Ein-herîar)
c'est-à-dire de Compagnons sans pareil, parce qu'il n'y avait que les
combattants les plus distingués qui fussent choisis parles Valkyries ,
pour entrer dans la bande d'Odinn, du Dieu des Combattants. Comme
Chef et Seigneur, Odinn devait fournir nourriture et boisson à sa Bande,
à son Domestique, ou à saMassénie; et comme il recevait, parmi les
Troupiers-Lniques , des Rois (norr. Konungar, Fils de Noble), des Comtes
(norr. larlar, Aigles; cf. ail. arl, voy. p. 184), et des ^arows (Ours; norr.
biörn; norm. byron)^ il leur devait un traitement à la fois conforme à
leur rang , et digne de lui-même comme Chef de maison ou comme Sei-
gneur (anglos. hldf-ord, Donne-miche, angl. Lord). Dans le Nord, les
compagnons d'armes, qui servaient leurs Chefs, tenaient surtout à un
bon régime alimentaire ; ils quittaient le Seigneur qui lésinait sur la
nourriture ou la boisson, et le gratifiaient volontiers du sobriquet inju-
rieux de Rogne-mets (norr. matar-îllr , ladre pour la nourriture). Les
idées que les Normands avaient de la libéralité des Seigneurs envers
leurs hommes, la Mythologie norraine les a appliquées également à Odinn,
le Seigneur des Troupiers-Uniques. Aussi Snorri fait- il demander par
Piétonnetir quel était l'ordinaire des Troupiers-Uniques , dans \à Halle-
de s- Occis.
Dans l'origine , lorsque 0di7in n'était encore que le Dieu des Vents et
des Tempêtes (voy. p. 246), sa suite ne se composait aussi que de Vents,
ou de Nuages tempétueux personnifiés. Ces Vents et ces Nuages de la
Suite d'OrfmW; étaient entretenus ou 7iourris, comme on se l'imaginait,
d'abord, par les Exhalaisons condensées ou gelées de la Mer, appelées
N** (40) (p. 1 10) ; SÆHRIMNIR ; ANDHRIMNIR ; ELDHRIMNIR. 307
Frimas de Mer (norr. Sæ-hri?n7iir) ; ensuite, par les Exhalaisons gelées
de l'haleine des êtres vivants, appelées Frimas d'Haleine (norr. Jnd-
hrimnir), et enfin , par la vapeur et la fumée du feu, appelées Frimas de
Feu (norr. Eld-hrimnir). Plus tard, lorsque Odinn, le Dieu des Tem-
pêtes et des Vents, fut devenu Dieu des Combats, sa Suite ne se composa
plus simplement de Nuages tempétueux personnifiés ; mais ces Nuages
furent aussi changés en héros combattants , et prirent le nom de Troupiers-
Uniques. La tradition mythologique , tout en adoptant la métamorphose
à' Odinn et de sa Suite, conserva néanmoins le souvenir de l'ancien
mythe, au point que certains phénomènes aériens, qu'on ne saurait
attribuer qu'à l'effet des vents et des nuages, continuèrent à être rap-
portés, comme auparavant, à la nature aérienne et nuageuse A' Odinn,
et de ses Compagnons. C'est ainsi que les bruissements, qu'au printemps
et en été, on entend quelquefois dans l'air, bien que le temps soit calme,
et qui proviennent des vents luttant les uns contre les autres , dans les
régions supérieures de l'atmosphère, étaient considérés, dans la tradi-
tion populaire, comme causés par le passage bruyant à' Odinn, et de sa
Bande furieuse (ail. wiithende Heer). Cependant ces compagnons d'O-
dinn avaient pris , dans d'autres mythes, une nature trop personnelle,
pour qu'il fût possible de les considérer toujours comme les symboles
des vents et des nuages. Il leur fallut donc aussi une nourriture beau-
coup plus substantielle que ne l'étaient le Frimas de mer, le Frimas d'ha-
leine, et le Frimas de feu. Par un heureux hasard , une autre interprétation
du mot amphibologique hrimnir (Frimas, Sanglier) permit de conserver
ces anciens noms, en substituant aux fri??ias , qui étaient anciennement
la nourriture des compagnons d'Odinn, le verrat ou le lard, cette y'iânde par
excellence (norr. Jlésk; ail. Fleisch; s\2i\.plot)^ qui, au jugement des
hommes du Nord, était la meilleure nourriture possible, et par consé-
quent celle qui convenait le mieux aux Troupiers- Unique s. En effet, le
mot hrimnir (p. grinmir., frémissant, frimas) était homonyme de grimnir,
(frémissant, furieux , sanglier). Dès lors la tradition mythologique, s'ap-
puyant sur cette homonymie amphibologique, transforma le Frimas-de-
Mer (Sæ-hrimnir) en Verrat-de-Mer (Sæ-grimnir; cf. Ditmar édit.
Steinh. VJ, p. 66). Elle imagina ensuite que ce Verrat était journellement
cuit dans un poêle à couvercle, et à pieds, ayant la forme d'un verrat, et
appelé, pour cette raison, en allemand, Sau. Ce poêle, sous la forme d'un
Verrat , placé constamment sur le feu , portait , le nom de Verrat-du-
feu (Eld-grimnir). Enfin la tradition mythologique s'expliqua le nom de
And-hrimnir (Frimas d'haleine) comme désignant le cuisinier nommé
Grimnir (Verrat), qui, soufflantXt feu pour la cuisson, eut le surnom de
And-Grimnir (Grimnir le Souffleur). Comme le nombre des Troupiers-
Uniques était très-grand , et augmentait journellement par l'arrivée de
nouveaux héros choisis, la Mythologie a fait du Verrat-de-Mer une
nourriture merveilleuse, en ce qu'elle suffisait pour le grand nombre de
consommateurs ; et elle suffisait toujours , parce qu'elle se reproduisait
sans cesse d'elle-même. En effet , le Verrat-de-Mer, tous les jours con-
sommé, renaissait toujours le lendemain, par un pouvoir magique, agissant
sur la peau et sur les os , qui étaient restés intacts. C'est qu'on croyait que ,
308 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
comme chaque animal naissait d'un germe, on pourrait aussi le faire
revivre , par la force de la magie , pourvu qu'on eût un germe , ou un
commencement quelconque d'organisation de donné. Or on considérait
comme germe , ou commencement d'organisation , la forme extérieure
de l'animal ou ssLpeau, et sa charpente intérieure ou ses os. C'est ainsi
que, d'après le mythe, les Dvergs, fils d'Ivatd, ont formé le Verrat de
Freyr, nommé Gullinborsti (Soies d'Or) , en mettant dans le four, et en
y chauffant la peau d'un porc. D'après un autre mythe analogue, Thôr
pouvait faire renaître ses boucs, qui avaient été mangés la veille , pourvu
que leurs peaux et leurs os eussent été soigneusement conservés , et
fussent restés intacts (voy. p. 117). Par un effet magique semblable, le
porc Sæhrimnir , dont les Troupiers-Uniques consommaient chaque
jour la chair, était chaque fois restauré intégralement le lendemain.
I 131. Odinn boit du vin. -- Odinn n'avait pas besoin de nourriture
matérielle ; il abandonna son ordinaire à Geri et à Freki (voy. § 1 32), et
il se soutenait seulement par un fortifiant, par le vi7i. Les Scythes, lors-
qu'ils furent encore établis en Asie, connaissaient déjà le vin; mais,
comme ils ne se livraient pas à la culture de la vigne, et que la seule
contrée vitifère chez eux était la Margiane {Plin. VI, 18, 2), ils ne pou-
vaient pas encore faire usage, en grande quantité, de ce spiritueux^ qu'ils
appelaient V Enivrant {inatu ; gr. mathu). Plus tard , étant entrés en
rapports avec les Grecs, au nord de la mer Noire , ils purent se procurer
plus facilement cette boisson, appelée en grec oïnos (p. voi-nos). Ce mot
grec passa dès lors dans la langue scythe sous la forme masculine ;
mais, plus tard, il tourna au neutre, dans les langues slaves, et germa-
niques septentrionales, sous l'influence du mot latin vinum, qui était
plus généralement connu dans le commerce. Les G êtes de la Thrace
donnaient au vin le nom de Zeila ou Zîlai (voy. Les Gètes, p. 95). Ils
en faisaient un usage tellement immodéré qu'un de leurs rois, Boiré-
bistès, jugea nécessaire de le leur interdire. Dans les climats du Nord,
qui n'étaient pas favorables à la culture de la vigne, le vin était une
boisson tellement rare et chère , que les Scandinaves le considéraient
comme la boisson du Dieu Suprême Odinn.
g 132. Les Loups Geri et Freki. — Dans l'Antiquité, les cadavres de
ceux qui avaient succombé dans les combats devinrent généralement la
proie des loups et des corbeaux, qui , pour cette raison, furent désignés,
les premiers surtout, sous le nom de bêtes d'occision (norr. val-dyr).
La mort sanglante, dans le combat, étant considérée comme une dévo-
tion ou un sacrifice offert à Odinn le Père des Occis (voy. p. 247) , on
conçoit que les loups et les corbeaux, qui, au nom du Dieu des combats,
s'emparaient des cadavres dévoués à ce Dieu , étaient eux-mêmes con-
sidérés comme des animaux consacrés à Odinn, ou comme ses Ministres.
C'est pourquoi le Chef des Ases avait, auprès de lui, deux loups Geri
(Avide) et Freki (Violent), qu'il traitait à sa table , comme les Seigneurs ,
au Moyen âge, traitaient leurs chiens de chasse. Voilà pourquoi Odinn
porte le nom épithétique de Dieu des Loups. Ces Loups à' Odinn, au
jugement des Scandinaves et des Germains, n'avaient rien d'odieux, et,
pour cette raison, leurs noms ont pu être donnés à des jeunes gens
N" (40) (p. 411) ; GERi ; freki ; huginn ; muninn. 309
comme noms honorifiques. Telle est , sans doute , l'origine du nom de
/reÆ-w//' (Loup-Yiolent) que portait, entre autres, un nioine de Fulde,
qui devint dans la suite Évêque deLisieux. En général, les noms propres
composés avec ulf (cf. Burnouf, de Burnulf, Loup de brogne) , et hrafn
(corbeau) sont excessivement nombreux , chez les peuples de la branche
gète.
g 133. Les Corbeaux Huginn et Muninn. — Le corbeau est consacré
à Odin7i pour les mêmes raisons que le loup. En outre, c'est un oiseau
á^ présage (voy. p. 238) ; il prévoit et présage surtout les combats , et,
c'est pourquoi, les corbeaux d'Odinn, Huginn (Penser) et Mu7îinn
(Désir), sont des messagers-espions, qui, chaque soir, rapportent à ce
Dieu de la Guerre, quels combats se préparent pour le lendemain. Ces
rapports lui sont nécessaires pour qu'il puisse envoyer les Choisit-les-
Occis (voy. p. 299) sur le champ de bataille. Aussi est-il, chaque soir,
dans l'appréhension que ces corbeaux ne lui reviennent pas, et que, par
conséquent, il ne puisse plus aussi facilement augmenter le nombre de
ses Troupier s-Uniques ^ dont il aura besoin, au grand jour du Combat
suprême contre les Puissances ennemies des Dieux et du Monde , dans le
Crépuscule des Grandeurs. Les noms des deux corbeaux d'Odinn n'ont
point une signification symbolique particulière , par rapport à leurs attri-
butions ; ce sont des noms généraux de corbeau, désignant ces oiseaux
sous le point de vue de la rapidité du vol, si nécessaire à ces Messagers
d'Odinn, qui parcourent, journellement, le monde entier aussi prompts
que h Pensée (norr. Hugi, Huginn, voy. p. 121), et aussi impatients
que le Désir (norr. Munr, Muninn). Ces corbeaux, messagers d'Oí/mw^
ont fait donner, au Dieu des Combats, le nom épithétique de Dieu des
Corbeaux.
(41) LA CHÈVRE heidrûne; l'arbre lærad; et le cerf eikthyrnir.
§ 134. La Chèvre Heidrûne. — Les peuples de la branche g^è^e tenaient
autant, et peut-être plus encore, à l'abondance et à l'excellence de la
boisson, qu'à celles du manger (voy. Les Gètes, p. 278). C'est pourquoi la
boisson fournie aux Compagnons d'Odinn n'était pas moins merveil-
leuse que leur nourriture. La Chèvre Heidrûne, qui fournissait cette
boisson , est pour ainsi dire le pendant du Verrat Sæhri?nnir. Aussi la
tradition sur Heidrûne est -elle, sans doute, la transformation d'un
mythe symbolique plus ancien , qui, analogue au mythe de Sæhrimnir ,
énonçait primitivement, que les Compagnons d'Oditin, c'est-à-dire les
Nuages orageux et sombres, tiraient leur entretien (leur boisson), des
vapeurs ou nuées noires du ciel , symbolisées sous l'image de la chèvre
Heidrûne (cf. ]es Boucs noirs de Thôr, p. 256). Mais lorsque, plus
tard , le mythe , devenu épique , eut changé les Nuages tempétueux en
Guerriers impétueux , et que la tradition sur Sæhrimnir eut pris sa
forme actuelle, le mythe , primitivement symbolique sur la boisson des
Compagnons d'Odinn, prit aussi une forme analogue épique, calquée sur
les usages, qui, en fait de boissons, existaient alors chez les Scandinaves.
Or, les Scandinaves, en hiver, et aux festins ou compotations (norr.
drykkia), buvaient principalement une espèce de bière, nommée aile
(norr. öl; anglos. ealu; angl. aie), et, plus volontiers encore, une espèce
310 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
^'hydromel (nqrr. miöd; russ. kvass)^ qu'ils estimaient au point d'ap-
peler de ce nom toute boisson douce et excellente. Aussi leur Mythologie
a-t-elle appelé miöd , et le lait de la vache Aiidhumla (voy. p. 181), et
l9 lait de la chèvre Heidrûne. En été , les Scandinaves buvaient du lait,
et, plus souvent, une préparation de lait aigre appelée syra (aigre). Le
lait de chèvre , étant moins coûteux que le lait de vache, devint pour les
habitants du Nord ce que la bière (ail. hier, boisson) était pour le Ger-
main, ce que le cidre coupé, appelé boisson, est encore aujourd'hui pour
les Normands de France , ou ce que le lait caillé appelé svji (boisson) ,
par opposition au fromage appelé spise (manger), est pour le chaletier
suisse, à savoir la boisson ordinaire, la boisson de tous les jours. Voilà
pourquoi le mythe, en devenant épique, a substitué à la Chèvre, qui était
le symbole des vapeurs noires , dans la tradition primitive , une chèvre
en quelque sorte historique, qui donne journellement du lait à profusion.
Cette abondance de lait provient d'abord de la nature merveilleuse de
Heidrûne, elle-même, et ensuite de ce que cette chèvre broute les
feuilles de l'arbre merveilleux, nommé Lérad.
g 135. L'Arbre merveilleux Lêrad, — Cet arbre , dont le nom dérive,
sans doute, de Hlæradr, et sigmiie Illuminé ^ est, par son dôme de
branches et de feuillage, le Symbole de la Foûte céleste. Le tronc de
cet arbre est placé au milieu de la Halle- des- Occis, et son dôme de
feuillage s'élève au-dessus du toit doré de cette Demeure céleste (voy.
p. 147). Heidrûne , afin de pouvoir atteindre la pousse inférieure de
l'Arbre, se dresse sur ses jambes de derrière, et appuie ses jambes de
devant contre la paroi extérieure de la Halle -des -Occis. Le nom de
Heidrûne signifie Compagne du Brillant, soit parce que cette Chèvre,
originairement, le Symbole des Nuages noirs, se tenait au ciel, qui
est nommé Heidr (Brillant), comme étant le séjour du soleil et de la
lumière (cf. :^ivus, Brillant, Ciel; sansc. dyou, Lumière, Ciel), soit
parce qu'elle se tenait auprès de Lérad, qui est le Symbole de la voijte
du ciel ou du Brillant. Les détails rapportés par Snorri, sur la chèvre
Heidrûne, sont empruntés à la strophe 25 des Dits de Grimnir, que
voici :
« Elle se nomme Heidrûne , la Chèvre qui se dresse près de la Halle du Père-des-Troupiers ,
« Et broute aux branches de Lerâd ;
« Elle doit remplir le Vase-à-anse de son pur hydromel ;
« Ce fortifiant ne saurait s'épuiser. »
La nourriture et la*boisson, que les Troupiers d'Odinn avaient à
discrétion, n'étaient pas, comme le dit Snorri, trompé sans doute par ses
idées paradisiaques, une récompense céleste, pour les dédommager des
blessures et des souffrances, qu'ils avaient supportées dans cette vie ter-
restre; car leur mort n'était pas un martyre, qui donnait droit à une
récompense dans le ciel ; elle était, de leur part, comme une consécra-
tion (voy. Les Gètes^ p. 278), ou un sacrifice volontaire fait à Odinn,
et de la part de ce Dieu une Îfaveur accordée à ceux qu'il jugeait dignes
d'entrer à son service, ou dans la bande de ses Compagnons. Aussi les
Troîipier S' Uniques n'avaient-ils droit que d'exiger un traitement digne
^*' (41) (p. 111); heidrûn; lêradr; eikthyrnir. 311
de leur Seigneur Oclinn, et conforme à leur rang et à leur position; et
Odinn avait intérêt à augmenter indéfiniment le nombre de ses Com-
pagnons, afin d'être entouré et soutenu, au Crépuscule des Grandeurs,
d'une armée formidable de héros, qui pussent vaincre ses ennemis iot-
niques.
1 136. Le Cerf Eikthyrnir. — C'est encore d'après les Dits de Grim-
nir (strophe 26), que Snorri raconte le mythe bizarre du C^ri Eikthyr-
nir. Voici cette strophe :
« II se nomme Eikthyrnir, le cerf qui se tient près de la Halle du Père-des-Troupiers,
« Et qui broute aux branches de rilluniiné ;
« De ses cornes, cela découle dans le Bassin-Bruyant ; —
« De là toutes les Eaux prennent leur cours. »
Ce Mythe, qui, dans sa forme actuelle, n'a plus rien de plastique, puis-
qu'il n'est pas concevable par l'imagination , porte , par cela même, en lui ,
la preuve qu'il a subi de notables modifications. En eifet, dans l'origine,
ce mythe n'avait aucun rapport , ou point de contact , ni avec TArbre
Hlerad, ni avec la Halle-des-Occis ; mais il appartenait uniquement au
cycle mythologique du Bassin-Bruyant. Car, pour expliquer comment
ce bassin pouvait alimenter continuellement les Fagues- Tempétueuses
(voy. p. 170), la Mythologie cosmogonique a imaginé que ces fleuves
provenaient du venin, vomi par les serpents innombrables du Hver-
Gelmir (voy. p. 171), ainsi que des Eaux glaciales, qui découlaient sans
cesse. des aiguilles, ou des pics d'une montagne de glace, qui tirait elle-
même son entretien des nuages et des frimas de l'air. Cette montagne
gigantesque, ou ce glacier (norr. iökull; finnois, iöki) était probablement
un lotne métamorphosé en renne ou en cerf, et il portait le nom de Eik-
thyrnir (p. iok-thyrnir) , qui signifiait , sans doute , Cornes de Glace.
Telle semble avoir été la forme p?i mi tive, ou la conception symbolique
de ce mythe. Plus tard , l'arbre nommé Hlérad (Illuminé) étant devenu
le Symbole de la Voûte étoilée du ciel , la tradition mythologique, guidée
faussement par l'analogie, qui semblait exister entre la chè\re Heidr une,
broutant à cet arbre, et les quatre cerfs broutant sur l'arbre d'Yggdrâ-
sil (voy. p. 236) , considéra aussi l'Iotne Eik-thyrnir comme un cerf
qui broutait les pousses de l'Arbre Illuminé; et dès lors on expliqua,
sans doute, son nom comme signifiant Cornu (cerf), de l'^rôre (Eik).
Bien que le Glacier cosmologique fût ainsi changé en (^er/" mythologique ,
les anciennes données du mythe primitif, concernant les E lux, qui décou-
laient des cornes d'Eik-thy?'nir, se maintinrent intactes dans la tradition.
Il en est résulté une image qui ne laisse pas que d'être incohérente et
bizarre. Enfin, quelque autre mythe ayant énoncé que la Halle-des-Occis
était placée sous les branches de Hlérad, c'est-à-dire qu'elle touchait
à la Voûte du ciel, et la signification primitive de cet arbre, comme sym-
bole de la voûte céleste , s'étant peu à peu effacée, on dut s'imaginer que
l'arbre Hlérad se trouvait placé au centre de la Halle-des-Occis.
Une fois cet arbre céleste ainsi représenté, le Ceri Eikthyrnir, qui, selon
la tradition, broutait à cet arbre, comme la chèvre Heidrûne, fut aussi
localisé, comme elle, auprès de Valhöll; et c'est ainsi que Eikthyrnir
312 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
fut placé dans V Enclos-des-Jses , avec lequel, dans l'origine du moins,
il ne s'était trouvé en aucun rapport, ni logique, ni mythologique.
(^S) LA HALLE-DES-OCCIS; LES TROUPIERS-UNIQUES; LES TYPES DES
CHOSES, AU CIEL.
§ 137. Grandeur de la Halle-des-Occis. — Odinn ayant été ,' dans
l'origine, le Dieu des Vents, sa demeure, ainsi que celle du Dieu du
Tonnerre et des Orages, étaient proprement des Palais de l'Air et des
Vents, des Rotondes ou des Polygones, dont les portes correspondaient
aux différentes directions de la rose des vents. Dans les Mythologies
anciennes , la division s epfeiiai?^e était adoptée par rapport aux Vents
(voy.p. 235), et c'est pourquoi , pour donner l'idée d'un grand nombre,
en fait de directions ou de vents , la Mythologie Scandinave l'a exprimée
par le nombre de 7 fois 77, c'est-à-dire , par 539. C'est ce nombre qu'elle
assigne aux portes de la Halle-des-Occis, ainsi qu'aux allées de Bils-
kirnîr (voy. p. 254); mais elle a énoncé ce nombre d'une manière énig-
matique, en disant que ces portes et ces allées sont au nombre de 500,
plus environ quatre dizaines. Pour donner ensuite une idée du grand
nombre de combattants dont disposera Odinn , lorsqu'il s'agira de lutter
contre ses ennemis iotniques, au Crépuscule des Grandeurs, la Mytho-
logie rapporte que 800 Troupiers sortiront, à la fois de front, par chacune
des 539 portes de la Halle-des-Occis, de sorte que 431,200 hommes
passeront^ au même instant , les 539 seuils de cette demeure céleste. La
Mythologie abandonne à l'imagination de chacun , le soin de déterminer
la profondeur de ces 539 colonnes continues, la durée de ce défilé, et
enfin le nombre total des combattants , dans cette journée terrible.
§ 138. Jeux des Troupiers-Uniques. — Les Compagnons d' Odinn font,
chaque jour , dans l'Enclos de la Halle-des-Occis, des exercices guerriers.
Ce sont les préludes du grand Combat, qu'ils auront à livrer, à la fin des
siècles. En attendant cette lutte sérieuse , les exercices et les combats
journaliers sont pour eux un amusement, nn Jeu (lat. ludus). Bien que
ces jeux soient sanglants, les Troupiers , cependant, rentrent tous chez
eux , sains et saufs. C'est ce que la strophe des Dits de Vafthrûdnir, citée
par Snorri, exprime d'une manière indirecte, et en style épique, en di-
sant qu'ils rentrent tous chez eux , à cheval. Car , s'il y en avait , parmi
eux , de tués ou de blessés mortellement , ils ne pourraient pas rentrer à
cheval , ils seraient portés chez eux à bras par leurs compagnons.
g 139. Les Idéaux des Choses et des Êtres , au ciel. — Les Dieux pas-
saient, au jugement des hommes, non-seulement pour les ^^Xxks puissants,
mais aussi pour les plus riches, et les plus heureux. Aussi les objets ap-
partenant aux Dieux , ou les individus se trouvant au ciel , étaient-ils na-
turellement considérés comme les idéaux du genre , comme les types de
l'espèce , et comme ce qu'il y avait de plus riche , de plus beau , et de plus
parfait. Jusque dans le langage , l'expression de céleste ou de divin dé-
signait le suprême degré d'une perfection ou d'une qualité (ex. Ty-spâkr^
voy. p. 274). Dans la plupart des Mythologies, les choses et les individus
terrestres sont représentés comme des imitations faibles et imparfaites
des choses et des individus célestes , leurs types, et leurs idéaux (cf. les
NUMÉRO (42) (page 113); les types des choses, au ciel. 313
Idées de Platon). D'après la Mythologie hindoue , le meilleur est toujours
l'objet ou l'individu céleste : parmi les vents , c'est Marîtvhîs; parmi les
chevaux, c'est Outchaïsçravasas ; parmi les éléphants , c'est Airâva-
tas; parmi les vaches , c'est Kmnadhouk; parmi les oiseaux, c'est Ga-
?'oudas; parmi les Anachorètes , c' est Kapilas; parmi les grammairiens,
c'est le grammairien céleste Paninis , etc. , etc. Pour la Mythologie nor-
raine , la strophe 44 des Dits de Grimnir énumère aussi quelques-uns
des objets et des individus célestes , qui sont les meilleurs de l'espèce ou
du genre. Ils y sont énumérés sans ordre et sans suite, et assemblés
seulement à la faveur de l'allitération (voy. p. 249). Snorri cite cette
strophe, en apparence, pour prouver (ce dont il n'était pas besoin) que
Odinn est grand par lui-même , et le premier parmi les Ases, mais, en
réalité^ pour trouver occasion de parler de deux mythes , dont il est ques-
tion dans cette strophe, à savoir de Skidbladnir ^^ meilleur des na-
vires), et de Sleîpnir (le meilleur des chevaux) , et pour pouvoir y ajouter
le mythe sur le Géant-des-montagnes architecte, dont la construction a
amené les circonstances de la naissance de Sleipnir.
(43) l'iotne constructeur; svadilfari; sleipnir; skîdbladnir.
l 140. Le Géant-des-Montagnes , architecte. — C'est sans doute à la
tradition orale que Snorri a emprunté les deux récits suivants, sur l'iotne
Constructeur, et la naissance de Sleipnir, qui, par les détails circonstan-
ciés et imaginés uniquement dans l'intérêt de la narration , se rappro-
chent , de bien près , du conte populaire. —L'idée générale exprimée dans
le mythe ^úmiúí symbolique sur l'iotne Constructeur, c'est que les Puis-
sances de la Nuit et de l'Hiver , représentées par les lotnes , emploient
tous les moyens pour perdre les Puissances du Jour et de l'Été , repré-
sentées par les Ases. Néanmoins les Jses restent vainqueurs dans le
cours des siècles , ou pendant l'Été du Monde , jusqu'au Crépuscule des
Grandeurs , qui est l'Hiver cosmique. Voici comment cette idée est ex-
primée et mise en scène dans le récit mythologique , changé , plus tard,
en conte populaire.
A l'origine des âges, ou comme s'exprime [le récit, lorsque les Jses
eurent à élever l'Enceinte autour de V Enclos-Mitoijen, un lotne déguisé,
voulant trahir les Dieux par une ruse , s'oiFrit de leur construire cette
forteresse , en s'engageant à l'achever dans trois semestres d'hiver. Cette
construction et les conditions posées auraient amené inévitablement la
perte des Ases; car, d'abord, la forteresse construite par \' lotne, dans
trois semestres d'hiver, aurait été faite de glace, et n'aurait été, par
conséquent , d'aucun secours contre les Thurses-Givreux^ ni contre les
Géants-des-Montagnes , qui, les uns et les autres , et surtout les pre-
miers, vivent au milieu des glaces, comme dans leur élément naturel. En-
suite , la condition d'achever l'Enceinte en trois semestres d'hiver, aurait
été interprêtée par le perfide Constructeur comme signifiant trois semes-
tres d'hiver se succédant sans interruption , et la succession continue de
trois semestres d'hiver aurait amené l'affaiblissement des Ases, et le dépé-
rissement du Monde. Enfin , l'iotne demandait pour prix de construction,
qu'on lui livrât les trois Personnages qui faisaient précisément la force
314 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
des Âses, comme Puissances bienfaisantes et lumineuses de l'Été , à sa-
voir le Soleil, qui échauffe, éclaire et vivifie la Nature; la Lune, qui ,
selon la croyance des Scandinaves , faisait croître les céréales (cf. p. 267),
et Freyia , qui était la Déesse de l'Entretien , de l'Abondance , et du Bien-
être (voy. p. 267). Les Ases , encore jeunes et inexpérimentés , ne se dou-
tent pas de la perfidie du Constructeur; ils acceptent le marché ; mais,
normands comme ils sont, ils espèrent bien de frustrer l'Iotne du prix , en
lui posant la condition d'achever la forteresse en un seul semestre d'hiver,
au lieu de le faire en trois, et cette condition, pensaient-ils, ne pouvant
être entièrement remplie, ferait perdre à l'architecte sa récompense, et
leur livrerait ainsi la forteresse déjà commencée , dont ils achèveraient
ensuite la construction, eux-mêmes. Le Constructeur accepte cependant
cette condition onéreuse , mais il se fait accorder, par l'entremise du perfide
Loki (voy. p. 285), la permission de s'aider de son cheval Svadil-fari. Ce
cheval, qui est un lotne métamorxiliosé , et dont le nom signifie Vol-sur-
Glace, est Borée, ou la Personnification du Vent du Nord, lequel vole
sur les glaces qu'il a lui-même formées. Svadilfari amène, en une nuit,
plus de glaçons que son Maître n'en peut entasser et ranger, le jour sui-
vant, pour faire la construction. Aussi l'ouvrage avance-t-il si vite que
les Âses inquiets s'assemblent en conseil; ils forcent Loki à aviser au
moyen d'enlever au Constructeur l'avantage qu'il lui avait fait accorder,
de s'aider de son cheval. Loki prend la forme d'une jument, qui est ici
le symbole de la Bise, et il parvient à enlever au Constructeur son aide
si précieux. Là -dessus l'artisan entre dans une rage d' lotne extrême,
et, par cela même , trahit ainsi sa véritable nature, et, par suite, son in-
tention frauduleuse. h^^Ases, s'apercevant alors qu'ils avaient eu affaire
à un lotne, ne se croient plus liés par aucun serment, ni engagement.
Pour se débarrasser de cet hôte dangereux, ils prononcent le nom de
Thôr, qui est l'Ennemi acharné des lotnes , et par l'effet magique du
simple appel, ou sur la simple énonciation de son nom ,' Tkôi^ se présente
instantanément. Ce dieu arrive d'Auster-veg (Contrées Orientales) , où il
avait combattu les 77iurses-Giv?^eux ; car, en hiver, dans la saison où
il n'y a pas d'orage , et où il n'y a point d'occupation pour lui dans VEn-
clos-Mitoyen , Thôr se rend en Orient, au Séjour-des-Iotnes , pour
lutter contre ces Ennemis des A ses, et il en revient, au printemps , lors-
que , avec les chaleurs du soleil , reviennent aussi les orages auxquels il
préside. Thôr n'a pas plutôt aperçu l'Iotne, qui s'était introduit auprès
des Ases , que , levant sur lui \e Meunier, il le fait descendre dans le Hel-
Brumeux (voy. p. 103). Les Ases échappent ainsi heureusement au dan-
ger, auquel ils auraient succombé, s'ils avaient été obligés de remplir les
conditions du marché fait avec l'Iotne Constructeur. Ce mythe est exposé
sommairement dans les strophes de la Vision de la Louve, citées par
Snorri, mais il n'y est pas question de la naissance de Sleipnir, qui,
d'après le récit de Snorri, est issu de Loki, et doit son origine aux cir-
constances amenées par la construction de l'Iotne architecte.
§141. Svadilfari, et Sleipnir. — i'/ez^«2> (Glissant), le cheval ú'Odinn,
est le Symbole du Vent tempétueux , qui , portant Odinn , le Dieu des
Vents, glisse sur la surface des terres et des mers. Ce cheval céleste,
N<* (43) (p. lli-115); svADiLFARi; sleipnir; skidbladnir. 315
le meilleur de tous les chevaux , est né du rapprochement de Borée (Sva-
dilfari) et de la Bise (métamorphose de Loki). Sleipnir est un étalon, ce
qui veut dire qu'il est, avant tout, fort et impétueux. Ayant pour père
Svadilfari, il a, comme lui, le caractère ioinique (voy. p. \ 85) ; de plus, il a
l'ardeur de sa mère Loki (la jument Bise). Comme monture du Chef des
Ases , Sleipnir est le meilleur des chevaux. Sa vitesse est symbolisée par
ses huit pieds , qui indiquent que cette vitesse est le double de celle de
tous les autres chevaux. (Sur les chevaux nés du Vent , voy. Justin. , lib.
44, 3;P/m. H. i\., VIII, 67, 1.)
§ 142. Le Navire Skîdbladnir. — Dans la strophe 43 des Dits de Grim-
nir, il est énoncé que :
« Les Fils d'Ivald allèrent, à l'Aurore des âges, ^
« Fabriquer Skidbladnir ,
«Le raeillenr des navires, pour l'illustre Frey,
« L'excellent fils de Niördur. »
Comme Freyr préside, ainsi que sa sœur Freyia et son père Niördur,
à la Navigation pendant l'été (voy. p. 294) , il convient que la Mythologie
lui attribue le meilleur des navires. Freyia est même symbolisée par un
navire, et porte de là le nom épithétique deil/íirífóY/(Pin marin, v. p. 275).
Le nom de Sktd-bladiiir signifie Bois-Feuilleté , parce que ce navire est
composé de feuillets en bois ; afin d'être très-léger, et très-pliable. Comme
c'est là une œuvre merveilleuse ou féée , la fabrication en est attribuée,
ainsi que celle du Meunier (voy. p. 257) et du Brisinga^men (v. p. 294),
à des Dvergs , qui passent généralement pour être d'excellents artistes.
Parmi ces Dvergs artistes, la Mythologie distingue particulièrement Sindri
(Sécrété; cf. lith. gintaras , succin), et Brock (Utile ; goth. bruks) , qui
sont les Fils d'Ivald (lat. hidu-strius ; ail. Eiuald) , et les constructeurs
de Skîd-bladnir. Ce navire merveilleux se meut de lui-même, comme le
char Pouchpaka (Reluisant) du dieu hindou Kouvéras; il est le plus
commode de tous les navires; mais il n'est pas aussi grand que Naglfar
(voy. p. 199), qui , devant transporter, un jour, tous les lotnes dans Y En-
clos-Mitoyen, est nécessairement d'une dimension tout à fait hors ligne.
(44-) aventures de thôr dans le siijour des lotnes, et dans
l'enclos-extérieur.
g 143. Thôr s'adjoint Thialfi et Röskva. — La première partie de la
narration de Snorri renferme un mythe originairement symbolique , ex-
primant cette idée générale, qu'à Faction fécondante du Tonnerre ou de
l'Orage , qui s'est manifestée pendant Fêté , et a fait mûrir les moissons,
doivent succéder , en automne, des travaux agricoles pour préparer le
terrain , jusqu'à ce que , avec le retour de la belle saison , le Tonnerre
puisse reprendre de nouveau son rôle de Fécondateur ou son activité bien-
faisante. En montrant Thôr (Tonnerre) placé sur son Char (voy. p. 254),
et muni de son Marteau (voy. p. 256) et de sa Ceinture-de-force (voy.
p. 257), le mythe énonce par là symboliquement, que ce Dieu est en-
core en mouvement, en pleine activité, et dans toute sa force, qu'il
est encore dans la saison des orages. Mais déjà Thor se dirige vers \0-
rient, c'est-à-dire vers le Nord-Est . ou les régions de l'Hiver et de la
316 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Nuit. Il voyage vers le Séjour des lotnes , c'est-à-dire vers le Pays de
l'Hiver ou vers l'hiver. Le mythe représente Thôr arrivé presque à la fin
de ^2i journée (saison d'été), et se trouvant, vers le soir, en compagnie
de Loki (Clôtureur), qui est la Personnification de la Fin des Choses, et
qui , par sa présence , indique, ici , que l'Été tire à la^n, et que l'Au-
tomne va bientôt lui succéder. A la fin de sa journée (à la fin de l'été) ,
Thôr^ accompagné de Loki , arrive chez un Géant des Montagnes (re-
présentant de l'arrière-saison ou de l'automne). Les deux Boucs (v. p. 256)
de Thôr arrivent dans la demeure du Géant-des-Montagnes (dans la saison
d'automne), tellement harassés, qu'ils n'en peuvent plus , et que Thôr
est obligé de terminer ici sa journée ., c'est-à-dire de mettre fin à l'acti-
vité qu'il a déployée , dans les orages , pendant la saison d'été. Telles
sont les données générales du mythe ^Y\m\i\ï symbolique. Ce mythe sym-
bolique primitif, conçu à peu près au troisième siècle de notre ère, en
devenant, dans la suite, purement épique (voy. p. 305) , a été rattaché à
d'autres mythes analogues et a formé avec eux un cycle mythico-épique,
qu'on pourrait appeler le Cycle de Thôr. Ce cycle se compose d'une
suite de poésies mythologiques, qui se sont perdues pour la plupart, et
dont il ne nous reste plus qu'une rhapsodie , ou un épisode renfermé dans
\iEdda de Sæmund , et intitulé : Chant d'Hijmir (norr. Hymis-Kvida).
L'auteur de notre rhapsodie était probablement le même que celui qui
avait chanté l'Aventure de Thôr dans la Demeure du Géant-des-Mon-
tagnes ; car dans la strophe 38« du Chant d'Hymir il est dit :
« Déjà vous avez appris (sur cela , qui des Mythologues
«Pourrait en savoir davantage?)
« Quel dédommagement il obtint de VHabitant-des-Rochers,
« Lequel donna en paiment ses deux enfants. »
Dans l'origine, le mythe sur Thialfi et Rös/cva , les enfants du Géant-
des-Montagnes , n'avait aucun rapport avec le mythe précédent sur l'ex-
pédition de Thôr en Orient ; mais il y fut rattaché plus tard , dans le cycle
épique, comme formant la continuation naturelle du récit de l'arrivée de
Thôr dans la demeure du Géant. Originairement syinbolique, comme le
précédent , ce mythe , pour énoncer qu'en automne , Thôr veut que , dans
cette saison , la terre soit préparée par le travail ou le labour , exprime
cette idée en disant que Thôr, dans la demeure du Géant (dans l'arrière-
saison), prend à son service Thialfi et Mskva, deux robustes travail-
leurs, doués de forces gigantesques. En effet, Thialji, dont le nom
signiiïe Fouilleur, Labouretir [ci. ail. telben, fouiller; anglos. delfen;\^i.
talpa, fouilleuse; fr. taupe) ^ est le représentant des travaux agricoles
de l'automne. Les travaux des champs, comme ceux de la maison, étaient
faits, chez les peuples de la branche gète, par des serfs de l'un et de
l'autre sexe. Mskva, dont le nom signifie Alerte, représente ceux des
travaux des champs qui étaient exécutés par des serves. Pour rattacher
plus intimement ce mythe au précédent , ce récit épique représente Thialfi
etRù'skva comme ayant été enlevés à leur père par Thôr, en réparation
du dommage que lui avait causé la famille de ce géant. Le récit épique a
encore emprunté à un ancien mythe , qui , originairement, n'avait aucun
N° (44) (p. 117-118); THIÂLFI ET RÖSKVA; SKRYMIR. 317
rapport avec cette narration , une donnée d'après laquelle Thôr ramène,
au printemps, sains et saufs, les Boucs, qui avaient été harassés et para-
lysés à la fin de l'été précédent. — Voilà les éléments qui entraient dans
la composition du récit épique , tel qu'il s'était formé sur les données du
mythe symbolique. Les éléments du récit épique, ont passé tous dans la
iTnàiuoM 2)opulaire. Snorri ne connaissait pas de poésies épiques du
cycle de Thôr; il ne connaissait pas même le Chant d'Hymir; du moins
il ne le cite jamais , ce que , certes , il n'aurait pas manqué de faire , s'il
l'avait connu. Il a donc puisé sa narration uniquement dans la tradition
orale et populaire. Le conte, qui en est résulté , a conservé cependant les
principaux éléments de l'ancienne rhapsodie épique ; mais il a oublié com-
plètement la signification symbolique des anciens mythes qu'il expose ;
et , c'est pourquoi , ne voyant en eux qu'un simple récit épique , il a eu
soin d'en augmenter l'intérêt par de nouveaux détails narratifs , et par des
développements, et ornements, parlant à l'imagination. C'est ainsi que ce
conte populaire met en scène Thôr, tuant et mangeant , avec ses hôtes ,
ses deux boucs , qu'il ressuscite , Te lendemain , par la force magique de
son Marteau (voy. p. 308). Comme il est, en général, dans la nature du
récit populaire , de rabaisser, aux proportions des hommes de l'époque,
et même au niveau des auditeurs , les Personnages divins ou gigantesques
de la Mythologie , nous voyons aussi dans la narration de Snorri, em-
pruntée à l'a tradition populaire , le dieu redoutable Thôr, rabaissé au
niveau d'un Aventurier , le Géant-des-Montagnes , transformé en ma-
nant, et ses enfants iotniques , changés en serfs de labour, ou en valets
de pied.
l 144. Thôr et Skrymir. — L'idée générale exprimée dans les deux
mythes , originairement symboliques, qui sont entrés , comme éléments
épiques, dans cette seconde partie de la narration de Snorri, c'est que
Thôr, le Dieu de l'Orage, est redoutable et invincible, aussi longtemps
qu'il agit dans son domaine , c'est-à-dire dans la saison d'été ; mais que,
à mesure qu'il approche de l'automne, sa puissance décroît; et, arrivé
dans la saison d'hiver , il est surpassé de beaucoup par la puissance gi-
gantesque des lotnes, les représentants de l'hiver. Cette idée générale
a été exprimée d'une manière concrète et symbolique, d'abord dans un
premier mythe , qui énonce que la force du tonnerre est peu de chose en
comparaison des forces de l'hiver , et que les autans arctiques sont ca-
pables d'assourdir, par leur bruit, et d'effrayer par leur violence, jus-
qu'au tonnerre lui-même. C'est ce que le mythe exprime en disant que
r/idr (le Tonnerre) tient dans le gant de Skrymir (Brailleur), le représen-
tant de l'hiver , et qu'il est abasourdi et effrayé des terribles ronflements
de ce géant. La narration épique , pour rattacher ce récit à l'histoire qui
précède , énonce que Thôr a été obligé d'abandonner son Char et ses
Boucs, dans le Séjour des Géants-des-Montagnes, la saison des orages
étant définitivement terminée à la fin de l'automne. Muni seulement de
son Marteau, Tarme qu'il ne quitte jamais , et accompagné de Loki, de
Thialfi et de Roskva, les représentants de l'automne , il se dirige vers
le SéJour-des-Iotnes , ou vers l'hiver, et il y arrive, après avoir traversé
l'Océan , qui sépare ce Pays arctique de V Enclos-Mitoyen, ou de l'habi-
318 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
tation des hommes, et après avoir marché sur l'autre bord jusqu'au soir, c'est-
à-dire, jusqu'au commencement de la nuit hivernale, ou de l'hiver. C'est
alors qu'il arrive , avec ses compagnons , à une de ces baraques ou block-
haus (voy. Les G êtes , p. 99), que les Norvégiens avaient coutume de
construire sur les chemins qui traversaient leurs immenses forêts , pour
servir de gîte au voyageur fatigué ou surpris parla nuit ou une tourmente
de neiges. Du temps de Snorri , ces maisons de refuge (suéd. sâla-hus)
portaient, dans certaines contrées du Nord, le nom de Baraques d'Olaf
(norr. Olafs budir) , parce que le roi Olaf en avait fait construire un assez
grand nombre». C'est dans une baraque semblable que Thôr entra, avec
ses compagnons , pour y passer la nuit. Mais ce que Thôr avait pris pour
une baraque, était la mouffle enchantée de Skrymir; et le dieu, et ses
compagnons , sont empêchés de dormir , par le bruit eifrayant causé par
le ronflement (coups de vent) de ce géant , qui est la Personnification des
autans, qui ronflent ou hurlent dans les contrées arctiques. La Mouffle, es-
pèce de gant de fourrure, où le pouce seulement est marqué, et qu'on
ne met que dans les grands froids , était , dans le Nord , le symbole de
l'époque la plus froide de l'hiver. Le i^ouce ou le doigt était , de tout
temps, et chez tous les peuples, l'image de ce qui passait pour èive petit
de taille et de longueur. De là , chez les Grecs , le nom de Daktulos
(Doigt, Nain), chez les Slaves, le nom de Pr^i (Doigt, Nain) ou áePerstuk
(Petit-doigt , Nain) , chez les Allemands , le nom de Dâumling (Poucet) ,
etc. Pour énoncer symboliquement que Thôr était très-faible et très-petit
par rapport au Géant de l'hiver , le mythe dit que le Dieu du Tonnerre
tenait dans le pouce du gant de Skrymir. Il est fait allusion à ce mythe dans
deux poèmes de VEdda. Dans le premier , intitulé Sarcasmes de Loki
(voy. Poèmes islandais , p. 343) , il est dit :
« De tes expéditions en Orient, tu ne devrais jamais
« Parler devant des héros,
« Depuis que tu t'es blotti, ô Troupier-Unique ! dans le pouce du gant,
« Et qu'alors tu ne croyais plus être Thôr. »
Dans le second , intitulé Chant de Harbard, il est dit :
« Thôr a suffisamment de force , mais de cœur point;
«Par frayeur et par làchelé, tu as été fourré dans la mouffle ,
« Où tu n'as pas osé , (telle était ta frayeur !)
« Ni éternuer , ni vesser, que Fialar pût l'entendre. »
La faiblesse de Thôr, pendant l'hiver, est encore retracée symbolique-
ment dans le second mythe , qui est entré , comme élément épique , dans
la seconde partie de la narration de Snorri. Pour exprimer l'idée que ,
pendant l'hiver, Thôr est dans Vimpuissance absolue de faire sortir de
terre les moissons, qui y sont comme retenues, sous une couche épaisse
de neige et de glace, ce mythe dit que Thôr a mis ses vivres (les mois-
sons d'été) dans le sac de provende de Skrymir, c'est-à-dire , qu'à l'ap-
proche de l'hiver le laboureur a confié à la terre hivernale lès graines qui
devront produire , l'été prochain , les moissons nutritives. Skrtjmir ou
l'Hiver a tellement serré le sac de provende, ou le sol , qui est comme un
1. Cf. Les Refuges-Napoléon , dans le département des Haules-Alpes.
N° (44) (p. 120) ; LOKi DE l'enclos-extérieur. 319
silo de blés, que Thôi-, n'en pouvant rien faire sortir, est obligé de
jeûner. Pour se venger, il veut casser le crâne au géant, c'est-à-dire
rompre la couche dure de glace qui couvre la terre. ]Mais affaibli par l'hi-
ver, il ne peut pas manier son Marteau avec toute sa force d'Ase; il pro-
duit des crevasses, des fentes , des vallées profondes , mais il ne peut pas
briser cette nature hivernale , qui lui oppose la résistance impassible d'une
inertie complète. Il est fait allusion à ce mythe dans les Sarcasmes de
Loki, où il est dit :
« Les nœuds de Skrymir t'ont paru trop serrés;
«Tu n'a pas pu arriver jusqu'à la provende;
« Tu te mourais de faim , en pleine santé. »
Le récit populaire , en exposant ce mythe , y a ajouté principalement
des détails sur les coups portés inutilement , par Thôr, au géant Skry-
mir. Ces détails , purement narratifs , sans aucune signification sf/Dibo-
lique, n'avaient naturellement ni cette étendue, ni cette importance, dans
le mythe symbolique primitif.
\ 145. Thôr chez Loki de rEnclos - Extérieur. — La troisième par-
tie de la narration , que Snorri a mise à la suite de l'entrevue de Thôr
avec Skrymir, et qui a pour sujet les aventures de Thôr et de ses
Compagnons , chez Loki de V Enclos-Exté^Hetir , diffère , quant à sa com-
position , des deux parties précédentes, en ce qu'elle ne repose pas,
comme celles-ci, sur d'anciens mythes symboliques, mais qu'elle s'est
formée d'éléments purement épiques, et à une époque relativement bien
postérieure. Ces éléments sont comme des pièces de rapport, qui, dans
l'origine , n'avaient rien de commun entre elles , ni avec les récits
précédents ; elles ont été mises ensemble et agencées l'une à l'autre, non
par une nécessité logique , en tant qu'éléments constitutifs d'une signi-
fication symbolique , mais seulement comme éléments narratifs, ayant
pour unique but de montrer, par quelques exemples, que les forces phy-
siques de Thôr, et de ses Compagnons, étaient vaincues par les forces
gigantesques et magiques des habitants de V Enclos- Extérieur . Les
preuves que les éléments de cette narration ne dérivent pas d'anciens
mythes symboliques, se trouvent d'abord dans ce qu'il n'est pas fait
mention de ces mythes, ou qu'il n'y est pas même fait allusion , dans les
Poèmes de VEdda, ce qui fait supposer que ces mythes n'existaient pas
anciennement. Ensuite, ces preuves résultent de ce qu'il est impossible
de ramener les éléments agencés de ce conte populaire, à Vunité de
signification d'un mythe symbolique. Ce qui prouve, d'ailleurs, la forma-
tion postérieure de ce conte, c'est que, d'abord, les personnages qui
y figurent, tel que Loki de V Enclos-ExtéîHeur ., n'appartiennent pas à
l'ancien fond symbolique de la Mythologie, mais au fond plus moderne
Aq \2iiT2i(\\i\on populaire , ou tout au plus à la tradition intermédiaire
mythico- épique. Ensuite, d'autres personnages, tels que Logi (Feu),
Hugi (Penser) , Elli (Vieillesse), au lieu d'être des personnages réelle-
ment mythologiques, ne sont que des personnages allégoriques inven-
tés postérieurement par la poésie épico-didactique. Puis, les person-
nages véritablement mythologiques, tels que Thôr, Loki, Thiâlfi et
Röskva, et les lotnes de V Enclos-Extérieur , ne sont pas représentés,
320 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
dans le conte , avec leur caractère symbolique , particulier à chacun
d'eux, mais seulement avec un caractère général, tels que l'exigeaient
les circonstances de la narration , et les détails motivés du récit. Enfin, le
ton de la narration , V encadrement historique où se trouvent renfermés
les aventures racontées , les mœurs presque /éoc?a/es qui y régnent , et
qui sont rappelées par les noms de Roi, de Château, de Cour, de
Garde- du- Corps (norr. Iiird)^ de Page Porte -queue (norr. Skogur-
Sveinn)^ de Page d'Écuelle (norr. Skutil-Sveinn) , toutes ces particula-
rités, prises ensemble, prouvent que ce ne sont pas là seulement des
détails, qui ont été simplement modernisés , comme dans les contes
qui dérivent d'anciens mythes, mais que le fond et la forme en ont été
conçus simultanément, et que ce conte appartient à une époque qui pro-
bablement n'est guère antérieure au onzième siècle. Si Snorri n'a pas
emprunté la troisième partie de cette narration à d'anciens documents
mythologiques, il ne l'a pas, non plus, imaginée lui-même ; il l'a recueil-
lie de la tradition orale populaire , après que la tradition épique eut ima-
giné Loki de \ Enclos-Extérieur , le principal personnage qui figure
dans ce conte.
Lorsque, après l'introduction du Christianisme dans le Nord, la Mytho-
logie norraine ne fut plus objet de foi, mais seulement sujet de tradition
populaire, et, par conséquent une tradition fortement modifiée par les
dogmes chrétiens, il arriva que l'ancien personnage mythologique Loki,
surnommé le Mali?i (voy. p. 283), et qui , pour ses méfaits , comme le
racontait un mythe (voy. § 152), avait été enchaîné ^^lV les Âses, se
confondit , dans l'imagination du peuple devenu chrétien, avec le Malin ou
le Diable, le Prince des Ténèbres, le Roi des Méchants, le Génie du Mal,
enchaîné par l'Archange Saint-Michel. Les lotnes de l'ancienne Mytho-
logie étant devenus, dans la tradition postérieure , les types de ce qu'il
y avait de plus nuisible, terrible, méchant, et diabolique, Loki ^ qui
comptait parmi les lotnes, fut naturellement considéré comme leur Roi.
Puis le Royaume des lotnes étant devenu l'Empire des Ténèbres , il fut
placé, non plus, comme l'ancien Séjour des lotnes, à V Orient, mais à
V Occident, au delà de l'Océan, où se couche le Soleil. Or, les Normands
ou Norvégiens donnaient, à l'Océan Occidental , le nom de Mer-Exté-
rieure (norr. ût-sia) , par rapport et par opposition à la terre ferme (la
Suède), qui touchait à leur pays, à {'orient, et qu'ils appelaient le Pays-
Intérieur (norr. Inn-land). Le Royaume ou les Enclos des lotnes, situés
au delà de cette Mer Extérieure, furent donc aussi appelés les Enclos-
Extérieurs (norr. ût-gardar) ^ et Loki, le Roi de ce Pays, prit le nom
de Loki des Enclos-Extérieurs (norr. Utg arda- Loki). Plus tard , par
suite d'une interprétation fausse, mais cependant plausible, du mot
extérieur, le nom d'Enclos -Extérieurs exprimait encore l'idée d'é-
loignement de ce monde , ou d'extramundanéité. Aussi Saxon le Savant
(Grammaticus) dit-il , que aUgarthilocus (Ut-gartha-Loki), se trouve
« dans un pays éloigné, hors du monde, ou règne la nuit ; il glt dans
«une caverne, les mains et les pieds enchaînés» (voy. lib. 8, 164 seq.).
Snorri prit ce Loki des Enclos - Extérieurs pour identique avec l'Iotne
Skrymir; mais il est évident que cette identité, qui n'était pas fondée
NUMÉRO (44) (page 120); loki des enclos-extérieurs. 321
dans la Mythologie, il l'a imaginée uniquement afin de pouvoir conve-
nablement rattacher cette troisième partie de sa narration aux deux ré-
cits qui précèdent.
Snorri représente Skrymîr, ou Loki des Enclos-Extérieurs, d'abord
comme un grand magicien, et ensuite comme un géant d'une taille
excessive, auprès duquel Thôr et ses compagnons ne sont que de petits
nains. En cela il suivait exactement la tradition populaire, qui attribuait
également le caractère violent et la méchanceté des lotîtes, d'abord, à la
7nagie qu'ils pratiquaient, et ensuite à leur taille gigantesque, emblème
de leur outrecuidance, et de leur brutalité. La tradition, après avoir changé
Loki, le compagnon de Thôr, en Loki des Enclos-Extérieurs, avait^ce-
pendant mis entre eux une différence telle, que, bientôt, elle ne recon-
naissait plus elle-même l'identité , qu'elle avait établie entre ces deux
personnages, et qu'ayant oublié que l'un était dérivé de l'autre, elle a
pu de nouveau considérer Loki., le compagnon de Thôr, comme un
personnage tout à fait distinct de Loki des Enclos-Extérieurs. Snorri,
aussi, a complètement ignoré que l'un de ces deux personnages s'était
formé de l'autre, car il a identifié Loki des Enclos -Extérieurs avec
Skrymir^ qui n'avait rien de commun avec Loki., et il a représenté LoA;/,
qui figure dans le conte, comme un personnage entièrement différent de
Loki des Enclos -Extérieurs. La tradition populaire a encore changé
Thiâljî, le valet de labour, en valet de pied de Thôr ; en effet c'est en
cette dernière qualité , et non avec ses attributions de laboureur, que
Thiâlji figure ici, dans le conte, en compagnie avec son maître Thôr.
Quant à l'idée générale de représenter Thôr en opposition avec Loki
des Enclos -Extérieurs, le conte l'a empruntée aux traditions si nom-
breuses, où cet Ase figure toujours comme V adversaire des lotnes.
Enfin, pour la composition de ce conte populaire, non-seulement les
personnages, mais aussi les traits principaux, et l'encadrement ont été
fournis, d'un côté, par plusieurs récits analogues, de l'autre, par les
mœurs et les habitudes de l'époque. Dans les temps antérieurs, où
l'hospitalité accordée était considérée non comme une faveur , mais
comme une obligation imposée par la loi civile et religieuse, on accueil-
lait indistinctement tous les étrangers qui se présentaient. C'était con-
traire à toutes les convenances de les interroger sur leur qualité , leur
rang, leur famille, et le but de leur voyage , avant de leur avoir fourni ce
dont ils avaient besoin (voy. p. i54). Mais, autant celui qui recevait
l'étranger maîtrisait sa curiosité, autant l'hôte, qui était reçu, tenait
à honneur de prouver^ dès son entrée dans la maison, que, par sa
naissance, son rang, et ses talents , il était digne de l'hospitalité qu'on
lui donnait. La poésie, qui, visant à l'idéal, renchérit encore sur la réa-
lité , imagina qu'il y avait des châteaux où l'on ne recevait à table que
des hommes distingués par leur bravoure et leur esprit chevaleresque.
De là l'idée première des Tables rondes, du temps de la Chevalerie ; de
là aussi le règlement, établi dans le château de Loki des Enclos-Exté-
rieurs , que nul ne pût y rester qui ne possédât quelque art ou quelque
pratique d'une manière supérieure. Aussi Thôr et ses Compagnons s'em-
pressent-ils de prouver leurs talents par des épreuves, auxquelles ils se
21
322 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
soumettent de bonne grâce. Ces épreuves ou ces joutes sont évidem-
ment la partie principale du conte; elles sont imaginées, en partie,
d'après les usages de l'époque , en partie, conformément aux caractères
des personnes qui sont appelées à les subir.
\^ L2i première Épreuve est proposée et subie par Loki. Le récit fait
très-bien ressortir le caractère rusé de cet Ase, qui, exténué par un
jeûne forcée et fatigué par le long voyage , s'avance , le premier, lui qui ,
comme Clôtureur , marche ordinairement le dernier ;\\ propose tout
d'abord une épreuve ou une joute, qui pourra lui procurer, quoi qu'il
arrive, un bon dîner. Dans la Mythologie grecque, Héraklès lutte, avec
Lépifeus, à qui mangerait le plus ; et les frères Idas et Lunkeus livrent,
aux frères Poludeukès et Kastôr, un assaut à qui mangerait le plus vite.
Ici nous voyons Loki, qui, comme Clôtureur, met fin à tout, et dévore
tout, livrer un assaut semblable à Logi, ou au Feu qui est le Mangeur, le
Consumeur par excellence (voy. Les Gètes, p. 229). Loki, tout affamé
qu'il est, est cependant vaincu par Logi, la Personnification du Feu
infernal, ou, plus particulièrement, du Feu Sauvage ou du Feu Saint-
Antoine, appelé aussi, au Moyen âge, le Mal-ardent, maladie qui con-
sume non-seulement les chairs , mais aussi les os. Un mythe grec rap-
porte également que chez iiTorowos^ Chef des Lapithes,^em^/é5 (Foudre)
mangea un bœuf entier avec les os ; aussi portait-il le nom épithétique
de Mange-Tout, de Mange-Beaucoup.
2° La seconde Épreuve est une lutte à la course. Dans l'Antiquité, la
course avait une grande importance, parce qu'elle était d'une utilité
pratique. Non-seulement les coureurs servaient de courriers et de mes-
sagers, mais les limites des territoires et des propriétés particulières se
déterminaient souvent par la course, qui était ainsi un moyen de mettre
fin à des litiges, et était souvent employée dans les cas où l'on avait aussi
recours à la décision par le sort, ou par le jet du marteau (voy. Grimm.
llechtsalterthumer, p. 548 ; Michelet, Origines du droit français, p. 84).
Être bon coureur était donc une qualité très-recommandable (2 Sam. 2,
18; Polyæn. Strat. 6, 24; Val. Max. V, 6, 4; Mêla i, 7; Sallust.
Jug. 79). Elle est attribuée à Thiâlji, qui, considéré ici non comme la-
boureur, mais comme valet de pied de Thôr, devait être, non-seulement,
bon marcheur , mais encore bon coureur. Cependant Thiâlji ne pouvait
pas se mesurer avec Hugi (Penser), qui est la Personnification de la
pensée , dont la promptitude est proverbiale chez tous les peuples (voy.
p. 309).
3° La troisième Épreuve consiste à vider, d'un trait, et, au plus vite,
un vase à boire d'une grande contenance. Les Normands buvaient dans
des cornes de bœuf. Ils en choisissaient la plus grande pour en faire , ce
qu'ils appelaient la Corne de punition. C'est que, dans leurs festins, où
le boire était la chose principale (voy. Les Gètes, p. 278), il était d'usage
d'infliger , comme punition , à ceux qui manquaient aux règlements du
festin, l'obligation de vider une corne de punition. Le délinquant pouvait
complètement se réhabiliter, en vidant cette corne en un trait, ou tout au
plus en deux. Cet usage singulier est encore observé , en grande partie ,
dans les compotations, appelées Commerces^ des étudiants allemands. Le
N°(44)(p.l20-123); épreuves deloki, de thiâlfi, et de thôr. 323
Président d'un tel commerce , revêtu d'un pouvoir dictatorial , prescrit à
ceux qui enfreignent quelque article du règlement (Command), de vider
un ou plusieurs grands verres ; et le délinquant en est quitte , avec hon-
neur, s'il avale sa boisson d'un trait, et de manière qu'en renversant le
verre vidé sur l'ongle du pouce', il n'en découle plus la moindre goutte :
c'est ce qu'on appelle faire l'épreuve de Tongle (ail. nagelprobe^ super-
nacle ; rubis sur l'ongle). Les Normands se faisaient gloire de boire beau-
coup, de boire vite, et de vider, sans reprendre haleine, la corne jusqu'à
la dernière goutte. Pour être en état de boire ainsi , il fallait avoir une
constitution robuste. Aussi le boire était-il un moyen d'éprouver la
force phijsique d'un individu. L'histoire rapporte que le roi slave Vas-
sily jugeait de la force de ses compagnons d'armes, d'après leur plus ou
moins grande aptitude à sabler la corne. Aussi ce n'est pas en qualité de
Dieu du Tonnerre, mais uniquement en sa qualité du plus fort des Ases,
que Thôr est ici représenté , dans le conte , subissant l'épreuve de la
Corne de punition. Cependant, dans la tradition épique, dérivée d'un
mythe symbolique, Thôr est représenté comme un grand buveur ; et
cela par la même raison pour laquelle Héraklès porte l'épithète de
Philopotès (Buveur). C'est que Thôr , le Dieu du tonnerre , ainsi que
Héraklès^ le Dieu de la foudre, se sont confondus, en partie, l'un et
l'autre , dans quelques-unes de leurs attributions, avec le Dieu du soleil
(voy. p. 232). Or, comme le soleil, en faisant évaporer l'Océan, était
supposé boire les eaux de la Mer, il portait, dans les Mythologies an-
ciennes, le nom épithétique de Buveur (sansc. Papis ; gr. Philopotès;
lat. Bibax)^ lequel a été appliqué également à i7e>aÆ/e5 et à Thôr,eX
même à Agastis , fils du Soleil et de l'Océan, qui, d'après le mythe hin-
dou, but toute la mer et la rendit par les voies ordinaires. Le conte
norrain énonce que Thôr est si fort que, sans s'en apercevoir, il en-
lève, en buvant, une telle quantité d'eau à l'Océan, qu'il en résulte l'èbe,
le reflux ou le jusant. Cependant, ne pouvant pas tout boire, il est
obligé d'avouer son impuissance de vider la corne ; car tout Thôr qu'il
est, c'eût toujours été pour lui, comme on dit, la mer à boire, que de
boire en entier l'Océan. Si donc, dans ce conte, Thôr est représenté
comme produisant le reflux de la mer, ce n'est pas là, simplement,
une fiction de la tradition postérieure, mais c'est un souvenir et une re-
production modifiée de l'ancien mythe du Soleil, absorbant une partie
des eaux de l'Océan, ou de Thôr domptant le Serpent-de-Mer. Thôr,
comme fils de lord (Terre), est, par cela même, le Protecteur de
V Enclos-Mitoyen (voy. p. 286). Il le protège surtout contre les déborde-
ments de l'Océan. Ces débordements de la mer sont symbolisés par le
Serpent de l'Enclos-Mitoyen (voy. p. 326), dont Thôr est l'ennemi na-
turel, et qu'il tâche sans cesse de tuer ou du moins de dompter. Toutes
les fois qu'il y a flux, le Serpent de Mer (l'Océan) semble aller à l'attaque
et avoir le dessus ; et toutes les fois qu'il y a reflux, Thôr semble re-
pousser ou vaincre le Serpent. La tradition épique postérieure a retenu
l'idée que Thôr est la cause du jusant, et le conte populaire s'appuyant
sur cette tradition, a imaginé que ce Dieu devient la cause de l'èbe, en
buvant une grande partie des eaux de la mer.
324 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
4° La quatrième Épreuve consiste à soulever de terre le chat de Loki
des Enclos-Extérieurs. Cette narration repose sur un souvenir confus et
fortement modifié de l'ancien mythe symbolique , qui racontait que Thôr
a tenté de soulever du fond le l'Océan , le Serpent de l'Enclos-Mitoyen
(voy. p. 326). Ce serpent, qui est de race iotnique , est rattaché ici natu-
rellement au domaine ou à la demeure du roi iotnique Loki des Enclos-
Extérieurs , et il est supposé métamorphosé, temporairement, en chat,
par la magie de ce roi , afin que Thôr ne reconnaisse pas , tout d'abord ,
l'ennemi qu'il déteste le plus. Le Serpent est changé en chat, d'abord
parce que la tête ronde de ce dragon ressemble le plus à la tête d'un chat,
ensuite parce que le serpent et le chat sont , l'un et l'autre , des animaux
haineux et perfides , enfin , et surtout , parce que tous deux se distinguent
par la flexibilité de leur dos, et la facilité d'allonger leur corps. Cette mé-
tamorphose du Serpent de Mer en chat était sans doute un fait connu
dans la tradition épique, puisque, dans VEdda en prose (voy. p. 210),
parmi les noms d'Iotnes , se trouve aussi celui de Köttr (Haineux; grec
Kottos , l'hékatonchéïr; lat. catus , chat), qui désignait, sans doute, le
^er^ení iotnique d^\ Enclos-Mitoyen , transformé, temporairement, en
chat. D'après ce mythe ancien , Thôr, bien qu'il soulève le Serpent du
fond de la mer , jusqu'aux nues (voy. p. 327) , ne parvient cependant pas
à l'arracher entièrement à la mer , tant le corps de ce reptile , qui , de
son anneau , entoure le disque entier de la terre, est immensément long.
De même ici , d'après le conte populaire, Thôr soulève le chat, de terre
jusqu'au ciel , mais il ne peut pas l'enlever entièrement de terre , puisque
son corps flexible et allongé touche encore au sol par une jambe. Snorri
ne se doute pas , qu'au fond le sujet de ce conte soit le même que celui
du mythe qu'il va raconter ci-dessous (voy. p. 327), de la lutte de TAdravec
le Serpent de Mer.
5» Xjucinquième et dernière Épreuve, celle dans laquelle T^oV éprouve
la défaite la plus mortifiante , consiste en une lutte corps à corps. Ces
luttes étaient usitées en Scandinavie , comme elles le sont encore aujour-
d'hui chez les paysans du Nord, et chez les Suisses de la vallée deHasli , qui,
eux aussi, s'attribuent une origine Scandinave , et qui donnent , à cette lutte
corps à corps , le nom de Schwingen (branle). Les supplantations , les
crocs-en-jambes , leur sont encore permis dans ces luttes , comme ils
l'étaient anciennement. La lutte de 77<oV avec Vieillesse, Personnage
allégorique , est une de ces fictions qui appartiennent exclusivement aux
temps postérieurs. En effet, dans l'ancienne Mythologie Scandinave, la
vieillesse n'était pas personnifiée ; il y était seulement dit que les Ases ,
pour se rajeunir, mangeaient des pommes gardées par la Déesse Idunn
(voy. p. 274). Plus tard , au Moyen âge , l'approche de la vieillesse, qui nous
saisit malgré nous, et contre laquelle nous nous raidissons en vain, fut
représentée, chez les peuples d'origine gète, sous l'image d'une lutte avec
Dame Vieillesse. D'après une image analogue , le Moyen âge représen-
tait aussi l'approche de la Mort comme une lutte avec Maître Trépas ;
et , déjà dans l'Antiquité , Héraklès est dit lutter avec le Trépas (Tha-
natos; \oy. Euripidès, Alkestis, v. 1 150) comme, dans une poésie grecque
moderne, un pâtre lutte avec Chams (cf. Charon). le (;énie de la mort.
«•»(44) (p. 124.-125); thôr quitte les enclos-extérieurs. 325
Comme la lutte , surtout si elle est un jeu , une joute , ressemble à une
danse y au branle , ou plus particulièrement , à \2i valse allemande, le
Moyen âge a représenté les individus de tout âge , de tout sexe , et de
tout rang , valsant avec le Trépas. De là l'idée et le nom de la Danse
des Morts, ou de la Danse de cimetière, autrement appelée, par les po-
pulations gothiques de l'Espagne, la Danse macabre, du mot arabe
maq'bir, qui signifie cimetière.
Les diiférentes joutes , dont il est question dans ce conte, sont toutes
entreprises , pour mettre à l'épreuve la force physique de Thôr et de ses
compagnons. C'est que, de toutes les qualités, celle que les Mythologies ,
et le Polythéisme en général , estimaient le plus dans les divinités , c'était
\2i puissance (voy. p. 177), et par conséquent la force physique, qui en
est la manifestation extérieure , visible , matérielle. En eifet, les Divinités
n'étaient crues supérieures aux hommes que par leur puissance surhu-
maine, et on ne les adorait que parce qu'on les croyait douées d'une
puissance surhumaine , au moins dans leur spécialité. Nier leur puis-
sance , c'était nier leur caractère divin. C'est donc une chose qui doit
nous surprendre, de voir, avec quelle ironie piquante , le conte se joue ,
ici , de la puissance de Thôr, de celui parmi les Ases , qui passe pour le plus
/ori de tous. Que la gaîté du peuple se permette quelquefois des plaisante-
ries sur ce qui lui est sacré , et sur le manque , dans les dieux , de qualités
qui ne passent pas pour appartenir à leur spécialité, personne n'y verra
un symptôme d'irreligiosité. L'homme aime secouer, par moments , la
crainte des Dieux qui lui pèse, et à jouer le hardi , l'indépendant, l'esprit
fort. Il le peut sans être irreligieux , car , au fond , il est croyant. Mais
l'ironie qui s'attaque à la puissance des dieux, n'est plus conciliable avec
la foi, qui est essentiellement nwive, tandis que l'ironie exclut la naïveté,
bien qu'elle en prenne ordinairement l'extérieur. L'ironie , qui règne dans
notre conte , prouve donc qu'il date d'une époque , où le culte de Thôr
n'était plus en possession de la foi populaire dans le Nord. Cependant la
tradition populaire , qui, par une sorte de jalousie, n'aime pas que les
lotnes , ces Etres si méchants et si hideux, jouissent d'une victoire com-
plète , s'empresse de faire , en quelque sorte , réparation d'honneur à
Thôr et à ses Compagnons , en prouvant que ceux-ci ont réellement ac-
compli des choses prodigieuses, qu'aucun mortel ne serait en état de
faire , et qu'ils ont été vaincus , non pas tant par les forces gigantesques
des lotnes, que par les forces invincibles de la Magie ; or, cette magie et cette
puissance victorieuse des lotnes ayant atteint leur terme à la fin de l'hiver,
Thôr, au printemps , reprend le dessus ; ce que le conte exprime en nous
montrant Thôr s'apprêtant à détruire le château de Loki. Mais ce dieu se
retire , n'ayant trouvé , à la place de ce château créé par la magie , qu'une
plaine, belle et printanière, où toutes les traces de l'hiver et des lotnes
ont disparu d'elles-mêmes par enchantement , comme les phénomènes de
l'hiver disparaissent également par l'effet magique du printemps. C'est
alors que Thôr revient de son expédition en Orient., et il habite, de nou-
veau, les nuages orageux ou sa Demeure céleste, appelée Champs-d'É-
nergie (voy. p. 254).
326 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
(45) THÔR PÊCHE AVEC HYMIR , ET COMBAT LE SERPENT-DE-MER.
§ 146. Thôr et le Géant Hymir. — La tradition sur la rencontre de
Thôr avec le Serpent de V Enclos- Mitoyen , appartient à l'ancien fonds
de la Mythologie Scandinave ; c'est même un des mythes les plus anciens
que nous ayons. Ce mythe fait le sujet spécial du poëme eddique , intitulé
Chant d' Hymir (voy p. 316). Ce poëme n'était pas connu de Snorri; du
moins le récit de cet auteur en diifère sensiblement , quant à l'ensemble ,
et quant aux détails. Cependant on reconnaît encore, à travers le récit
de Snorri, l'ancienne signification symbolique du mythe, bien que cet
auteur n'en semble pas avoir eu connaissance. L'idée générale , exprimée
dans ce mythe , c'est qu'avec l'été , l'impétuosité de l'Océan est aussitôt
brisée, ou, comme s'énonce le langage mythologique, Thôr parvient ,
sinon à enlever le Serpent (l'agitation) à la mer, au moins à le dompter
(apaiser l'agitation). D'ai)rès le Chant d' Hymir, la rencontre de Thôr
avec le Serpent a lieu , occasionnellement , pendant son séjour chez Hy-
mir, où il était allé avec Tyr, le beau-fils A' Hymir (voy. p. 271 ), chercher le
grand Chaudron, exigé pour y faire la bière du festin qu'âF^/r voulait
donner aux Ases. C'était là , de la part de l'auteur du Chant d' Hymir,
une manière épique d'arranger la suite ou le cycle mythologique des ac-
tions de Thôr; car , au fond , le mythe de la lutte de cet Ase avec le Ser-
pent , n'avait rien de commun ni aucun rapport avec le mythe de l'Enlè-
vement du Chaudron. Aussi Snorri est-il dans son droit , tout aussi bien
que l'auteur du Chant d'Hymir , s'il imagine un autre arrangement du
cycle mythologique , bien que cet arrangement soit tout aussi arbitraire
que le précédent. Afin de pouvoir rattacher plus facilement ce récit à celui
des joutes , qui ont eu lieu dans les Enclos-Extérieurs , Snorri consi-
dère la rencontre de Thôr avec le Serpent, comme ayant été résolue et
préparée exprès par ce Dieu , pour se revancher d'avoir été vaincu , chez
Loki, par la race iotnique. Suivant Snorri, Thôr partit pour le Séjour
des lotnes , ayant revêtu l'extérieur d'un jeune homme. En effet , au prin-
temps , où ce voyage a lieu , Thôr, comme Jpollon ou Héraklès au com-
mencement de leur carrière, est jeune et sans barbe. Mais si cet auteur
ajoute qu'il eut tant de hâte qu'il partit sans avoir avec lui ni Char ni
Boucs , il suppose une donnée contraire aux circonstances du Mythe pri-
mitif , et il confond ce voyage , qui se fait au printemps , avec les Expédi-
tions, que Thôr entreprend ordinairement, en hiver, contre les lotnes, et
où , naturellement , il n'a pas avec lui son Char attelé de ses Boucs (voy.
p. 256). L'auteur du Chant d'Hymir, mieux renseigné à ce sujet, rap-
porte que Thôr, dans ce voyage , avait son Char roulant. LTotne Hymir,
chez lequel il se rend, est au fond le même que Gymir (voy. p. 499),
bien que la tradition mythologique postérieure , trompée par cette légère
différence de prononciation entre les deux noms , les considère comme
désignant deux personnages distincts. Hymir est , comme Gymir, le re-
présentant de l'Océan hivernal , c'est-à-dire de cette zone de la Mer arc-
tique, qui s'étend depuis les bords du Séjour-des-Iotnes , au Nord,
jusqu'à l'endroit où gît, au milieu de l'Océan, le Serpent, qui entoure la
terre, et dont la tête se trouve précisément au Septentrion.
'i 147. Lutte de Thôr contre le Serpent de Mer. — Hymir, comme
NUMÉRO (45) (page 126 - 127) ; thôr et hymir. 327
Personniflcation de l'Océan , est pêcheur. Thôr va donc , avec lui, pêcher
dans la haute mer , afin de trouver occasion de rencontrer et de dompter
le Serpent , son ennemi. Il prend pour amorce la tête du taureau Brise-
Ciel. Ce taureau est l'emblème des glaçons qui nagent, élevant leurs
pointes ou cornes , dans les mers arctiques. Le glaçon est comparé au
bœuf, à cause de ses cornes ou aiguilles (cf. Eik-tlujrnir , p. 31 1 ) ; et le tau-
reau porte le nom de Brise-Ciel, parce que ses cornes élevées semblent
toucher ou heurter le ciel. Après quelques détails pittoresques , mais pu-
rement narratifs, et sans signification symbolique, sur la navigation et
les préparatifs de la pêche , détails que Snorri ne tenait pas de la tradi-
tion , mais qu'il a ajoutés d'après la connaissance qu'il avait de la pratique
de la pêche , le récit arrive enfin au sujet principal, [savoir à Thôr sou-
levant du fond de l'Océan le Serpent de Mer. Tout ce tableau est l'image
symbolique d'une trombe marine , représentée, dans le mythe, comme une
lutte de l'Orage (Thôr) contre la Mer (le Serpent). Car de même que , sur
mer, le nuage orageux, soulevant la trombe , attire au ciel celte colonne
humide, et la laisse ensuite retomber, frappée des foudres du ciel, de
même nous voyons , dans ce Mythe , le Serpent d'abord soulevé , du fond
de la mer jusqu'au ciel, et replongeant ensuite , frappé du Marteau lancé
d'en haut. Si Hymir est représenté comme craignant de s'approcher du
Serpent, et s'eflfrayant à sa vue, c'est une méprise dans laquelle le récit
populaire est tombé. En effet, Hymir ne saurait craindre le Serpent, qui
est de la même race iotnique que lui , mais il craint que Thôr, dont il
connaît la force, ne tue le Serpent, et ne prive ainsi les lotnes d'un de
leurs plus puissants auxiliaires (voy. p. 339). Une autre méprise de la tra-
dition , c'est d'avoir supposé que le Serpent ait été frappé , à mort , par
Thôr, au fond de l'Océan. La Mythologie ne saurait considérer les Puis-
sances pernicieuses, qui existent continuellement dans la Nature , comme
tuées , une fois pour toutes , par les Dieux ; elle les considère seulement
comme vaincues, refoulées, enchaînées, temporairement (v. p. 289). Un trait
qui ne 'se trouve pas dans le Chant d' Hymir, et que Snorri paraît avoir
emprunté à la \W^\\aq\í populaire , c'est celui qui montre Hymir cultíuté
par-dessus le bord dans la mer. Ce trait , s'il appartient à l'ancien mythe,
signifie sans doute que l'hiver, représenté par cet lotne, est culbuté, ou jeté
à l'eau , et c'est probablement à ce fait mythologique , que se rapporte
l'usage du peuple , au Moyen âge , de jeter à l'eau , au printemps , la
figure symbolique de l'/^/îjer, ou de Maître Trépas (voy. Grimm, Mythol.,
p. 730).
(46) PRESSENTIMENTS, MORT, ET FUNÉRAILLES DE BALDUR.
g 148. Mort de Baldur. — Dans ce mythe , Baldur n'est pas seulement
le représentant de la courte saison d'été , riche de chaleur et de lumière,
par opposition à la longue saison d'hiver, pleine d'obscurité et de froidure,
il est encore, par analogie et par extension, le représentant de la Vie, et
du Bonheur universel (voy. p. 259), par opposition au Crépus cule-des-
Grandeurs ou à la Destruction universelle (v. p. 335). Baldur a le pres-
sentiment qu'il mourra jeune ; en effet, la joie de l'été, la vie du Monde, elles
ont une si courte durée (v. p. 259). Les Jses, intéressés à la conservation
de Baldur, dont la mort entraînera nécessairement leur propre perte ,
328 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
prennent toutes les mesures pour conjurer le danger qui le menace. Frigy,
sa mère , fait prêter à tous les Êtres de la Création le serment de ne pas
donner la mort à son fils ; et toute la Création s'engage volontiers à ne
pas blesser Baldur, qui est la Source de la Vie et du Bonheur général.
Mais le Destin dur et inexorable , qui exige que la mort de Baldur soit
le présage et le précurseur de la Transformation et du Renouvellement
du Monde , ne saurait être éludé par aucun moyen. Quelque précaution
qu'on prenne contre lui , il y a toujours , à ce qu'on croit , et comme le
prouve la Mythologie , quelque chose qu'on oublie de faire , quelque omis-
sion involontaire, mais fatale , qui, tôt ou tard, devient la cause inévi-
table de l'accomplissement de la Destinée. Ainsi FîHgg , malgré toute sa
sollicitude maternelle , avait négligé de faire prêter le serment à un jeune
Rejeton de Gui ; elle n'y avait pas songé, parce que , selon les usages des
Scandinaves, le serment n'était jamais exigé des enfants ou des mineurs;
et, d'ailleurs, le Gui, par sa jeunesse même , semblait inoffensif et nullement
dangereux. Mais précisément ce Rejeton , de belle et d'innocente appa-
rence, était perfide et pernicieux; c'était probablement une Épine as-
soupissante (norr. svefn-thorn)^ c'est-à-dire une baguette magique, qui
avait la propriété, en touchant le corps d'une personne, de la plonger
dans le sommeil léthargique de la mort. Ce Gui croissait à l'Orient de
VEnclos-des-Jses , ce qui était de mauvais augure; car, croissant à
l'Orient , il regardait le Soleil couchant, et , selon les idées des Normands,
regarder le Couchant , dans certains moments critiques , avait pour effet
d'amener le déclin , la chute , la défaite , et le malheur. Aussi recomman-
dait-on à qui se battait en duel , de ne pas se placer de manière à tourner
la face au Soleil couchant. L'existence du Gui aurait été ignorée , et ce
Rejeton eût, par cela même, été inoifensif^ si Frigg , elle qui, comme
mère, avait précisément le plus grand intérêt à la conservation de son
fils , et qui seule savait que le Gui n'était pas assermenté , n'avait pas
trahi ce secret, par hasard, à Clôtureur (Loki), le Génie qui aime la fin,
la destruction, et la mort (voy.p.285). Loki sç sert de Hödur (v. p. 28i),
potir iv2i^^QY Baldur . Hödur est donc l'instrument aveugle, involontaire,
et innocent, dont se sert Loki pour donner la mort à Baldur. Les Ases
sont tous vivement émus de la mort de Baldur; tous prévoient que cette
catastrophe entraînera bientôt leur propre destruction. La faiblesse et la
prostration qui s'emparent d'eux , après leur stupeur , signifient que par
la mort de Baldur (l'Été), les Ases sont jetés dans l'hiver, qui est l'é-
poque de leur affaiblissement ou de leur faiblesse (voy. p. 274). De même
qn' Aphrodite veut racheter Adonis de Hadès , de même Frigg veut ra-
cheter son fils de la Demeure de Hel (voy. p. 287), où il a dû passer, comme
ayant péri par un accident , et non dans un combat sanglant. Hermôdr
(Courage de Troupe), le fils ù'Odinn, et, comme Tyr, le représentant
de son père , par rapport à son courage, s'offre pour faire le voyage chez
Hel; il faut, en effet, être un homme de courage pour oser entreprendre
le voyage diflicile et périlleux dans le royaume de la Mort , dont personne
n'est encore revenu. Pour assurer la célérité et le succès de cette expé-
dition , les Ases donnent à líermodi, pour monture, Sleipnir, le cheval
merveilleux û'Odinn (voy. p. 315).
i
NUMÉRO (46) (page 128) ; mort de baldur. 329
§ 149. Funérailles de Baldur. — Les habitants primitifs de la Scandi-
navie, qui étaient de race keltique et de race finne, croyaient, probable-
ment, que les trépassés se rendaient, par mer, dans une île éloignée, qu'ils
appelaient, peut-être, comme aujourd'hui les paysans des rivages de là
Bretagne, V Isle-des-Morts ; c'est ainsi, par exemple, que dans le lac Vænir,
il y a une île où se trouvent d'anciens tombeaux de rois. Pour faciliter ce
passage, on plaçait le mort dans un esquif ou dans un arbre creux (norr.
askr; cf. ail. Todtenbaum)^ que, lors de l'èbe, on lançait à la mer. Ce
mode de funérailles fut adopté, dans la suite, par les Scandinaves, sur-
tout par les Rois-de-iner (Sæiíonungar), et les Pirates (Vikingar). D'un
autre côté, beaucoup de peuples anciens, et, entre autres, les Normands,
considéraient la mort comme une consécration faite à la Divinité (voy.
p. 217), et c'est pourquoi les cérémonies des funérailles avaient beaucoup
de ressemblance avec celles d'un sacriflce public. L'usage de brûler les
morts, remplaça, pour cette raison, l'exposition des cadavres, la suspen-
sion aux arbres, etl'enterrementdans des cavernes, usités chez ces peuples
antérieurement. Aussi , unissant les deux modes de funérailles, on brûla ,
selon le nouveau mode , les morts dans l'esquif, qui leur avait servi dans
leur vie, et le navire, portant ainsi le bûcher-brûlant, était lancé à la
mer, selon l'ancien mode. Les funérailles de Baldur nous montrent ce
bûcher flottant (norr. balför). De même que, chez les Grecs, Hèlios
(le soleil) avait un navire (gr. Koilè) nommé Coupe (gr. dépas ; lat.
scyphus)^ de même Baldur (le Soleil d'Été) , était possesseur d'un navire
nommé Corne-Courbée (Hring-horni), parce que son extrémité antérieure
se terminait, comme cela se voyait dans beaucoup de navires normands,
en une corne courbée. Les A ses préparèrent le bûcher-flottant sur ce
navire qui était tiré à terre , et placé sur des rouleaux ; ce qui indique
que les funérailles de Baldur eurent lieu au commencement de l'hiver ,
à une époque où la navigation avait cessé, et où les navires étaient déjà
placés sur des rouleaux. Les Ases veulent lancer ce navire à la mer ,
mais ils n'y parviennent pas, leurs forces ayant été diminuées par la
mort de Baldur, ou par l'approche de l'hiver. Ils sont donc obligés
d'avoir recours aux forces de la race iotnique, qui, dans la nuit et en
hiver, jouit précisément de la plénitude de sa puissance. Un représentant
de cette race leur vient en aide, dans la personne de la Géante Hyrro-
ckin. Cette géante, dont le nom signifie Enfumée-de-Feu ^ est le Sym-
bole de l'hiver, de la saison où l'on se tient auprès du feu de l'âtre, et où
l'on est enfumé au feu. La Géante arrive, montée sur un loup; cet ani-
mal représente à la fois l'hiver, la nuit, et la mort (voy. p. 208). Le loup
a pour bride un serpent, parce que ce reptile, qui, ennemi du froid, s'en-
gourdit pendant l'hiver et se réveille seulement au printemps, est le
symbole de la chaleur printanière, qui retient, bride, ou dompte l'impé-
tuosité de l'hiver ou du loup. Mais maintenant, à l'approche de l'hiver,
le corps engourdi du serpent ne saurait brider cet animal. Aussi faut-il
quatre Pures-serges (norr. Berserkir^ voy. Les Gètes, p. il 4), pour
dompter le loup. Les Pures-Serges ne figurant jamais dans l'ancienne
Mythologie, il faut supposer que Snorri en parle ici , non d'après d'anciens
documents mythologiques , mais seulement d'après la tradition populaire.
330 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Suivant les idées des Scandinaves, le défunt devait emporter, pour en
jouir dans l'autre monde, toutes ses propriétés personnelles, c'est-à-
dire les propriétés meubles (norr. lausafé)^ qu'il n'avait pas héritées ,
comme les propriétés /owczères (adals-fê) , ou propriété de famille , mais
qu'il s'était acquises personnellement, par sa bravoure, ou ses exploits,
ou son travail. La femme comptait bien aussi parmi les propriétés per-
sonnelles du défunt, parce qu'il l'avait achetée, au moins par un achat
simulé ou symbolique; cependant ni la loi, ni l'usage n'exigeaient,
comme chez les Slaves, que les femmes suivissent leurs maris dans la
mort. Différents peuples de l'Antiquité attachaient cependant un mérite
tout particulier à ce sacrifice volontaire de la part de la femme. Ainsi ,
dans la Mythologie grecque, nous voyons, entre autres, Evadne, mon-
ter sur le bûcher (de son mari Kapaneus ; l'usage semblait presque
exiger ce sacrifice chez les Scythes (voy. Herod. IV, 73) , et il était de
tout temps un devoir religieux dans certaines parties de l'Inde. La
Mythologie hindoue rapporte que les 16,801 épouses de Krichnas se
sacrifièrent toutes avec leur amant. Dans l'antiquité Scandinave , il y a
des exemples, mais peu nombreux , il est vrai , de femmes ou d'amantes
qui se sont. sacrifiées elles-mêmes, pour être unies, sur le bûcher, avec
leur mari ou leur amant. Nanna ne se sacrifie pas pour son mari Bal-
dur, par une mort volontaire, mais son cœur se brise de chagrin, en
voyant le bûcher de son époux. La mort de Nanna (Vigoureuse), la fille
de ISep (Nuage, voy. p. 279; cf. si. nebo, Ciel), exprime symboliquement
cette idée, que la végétation, gaie et vigoureuse, dont Nanna est la
personnification, périt par suite de la mort de Baldur, ou par suite du
dépérissement du Soleil d'été. Le Dverg Couleur (norr. Litr) , la per-
sonnification des couleurs variées dont s'orne la Nature dans la saison
de la lumière, par opposition â la couleur monotone et plombée de l'hiver,
est lancé par Thôr sur le bûcher de Baldur; car, de même que la cou-
leur tient à la lumière , le Dverg Litr tenait à Baldur ; il était son
Suivant , ou son serviteur , et , comme tel , il devait accompagner son maître
dans l'autre monde. C'est aussi comme propriété de Baldur que son
cheval (voy. p. 224) avec l'équipement, est brûlé sur le bûcher, sur lequel
Odinn dépose encore l'Anneau nommé Dégouttant, qui est le Symbole
de la semence déposée dans la terre pendant l'hiver. La semence ou la
moisson appelée précieuse, en tant que richesse, et dqrée, par rapport
à la couleur, est représentée ordinairement, dans la Mythologie, sous le
symbole de bijoux ou de joyaux d'or : aussi la fille de Freyia , le Sym-
bole de la moisson dorée , est-elle appelée Hnoss, (Joyau). Pour la même
raison, la semence a pu être symbolisée ici par l'anneau d'or Draupnir;
car, dans la poésie norraine, anneau d'or est une expression poétique
pour désigner l'or et les richesses en général, puisqu'on se servait de
petits cercles d'or en guise de monnaie. La semence, ou les graines d'or
sont confiées à la terre en automne, afin de se reproduire en se multi-
pliant, ce que le Mythe exprime en disant que l'anneau Draupnir est
emporté par Baldur dans l'enfer, où il acquiert la propriété de se repro-
duire. L'idée de reproduction est exprimée par l'action de fondre, de
verser, de dégoutter, par la môme raison que l'idée de pleuvoir est
N" (46) (p. 129-131); FUNÉRAILLES DE BALDUR ; HERMÔDI. 331
devenu synonyme de ensemencer, engendrer (voy. p. 251). Aussi les
graines de blé sont-elles appelées gouttes ou larmes d'or , et Freyia
qui les verse, porte l'épithète de Déesse aux belles larmes. Par la même
raison encore, l'Anneau, le Symbole de la semence qui se reproduit, est
appelé ici l'anneau Dégouttant. La semence , semée en automne , se re-
produit après les buit mois d'biver , et elle se reproduit octuple. C'est
pourquoi il est dit, dans le Mythe, que dans la neuvième nuit, c'est-à-
dire, au neuvième mois (voy. p. 265) , l'anneau Dégouttant verse huit
autres anneaux, égaux à lui-même.
Le bûcher-flottant, qui emporte Baldur (le Soleil d'Été), sa femme
Nanna (la végétation d'Été) , le dverg Litr (les couleurs variées en été) ,
l'anneau Dégouttant (la semence qui se reproduira l'été prochain) , et le
cheval de ^a/c?Mr ( le Vent d'Été), a besoin d'être consacré, d'abord,
parce que les funérailles étaient assimilées à un sacrifice (voy. p. 329) ,
et ensuite, afin qu'il devienne, par là, inviolable pendant son voyage dans
l'autre monde , et soit préservé , sur mer , des malifices et des spectres
marins (norr. Smyl). Thôr, qui, dans beaucoup d'occasions, remplit
auprès des Ases les fonctions de Consécrateur , fait cette consécration
du bûcher, en levant au-dessus de lui son marteau redoutable, menaçant
ainsi symboliquement de ses coups tous ceux qui oseraient toucher à ce
bûcher ainsi consacré.
Le cortège funéraire de Baldur se compose de tous ceux qui re-
grettent sa mort. Si nous y voyons aussi figurer ses ennemis naturels ,
les Thurses, cela provient de ce que Snorri, ainsi que la tradition popu-
laire, ont confondu les Thurses 2iy te les Géants-des-Montagnes, qui,
seuls, devraient être mentionnés ici. En eflfet, les Géants-des-Montagnes
sont les Représentants du commencement de l'hiver (voy. p. 316), et ils
assistent aux funérailles de Baldur, non parce qu'ils regrettent ce Dieu,
mais parce que ses funérailles ont lieu au commencement de l'hiver.
Odinn, le père de Baldur, y assiste avec sa femme Frigg, la mère éplo-
rée de la victime; comme Jses, comme parents, et comme dieux de la
vie , ils regrettent vivement leur fils , le brillant Soleil de l'été , enlevé si
jeune. Les Valkyries (voy. p. 299) à' Odinn et ses Corbeaux (voy. p. 316),
regrettent également l'été, qui est le temps des exploits, et des combats.
Freyr, le Dieu des moissons et du soleil, assiste aux funérailles avec le
Verrat nommé Soies-d' Or, ou Dent- Courbe -Meurtrière {Slidur-vîg-
tanni; cf. p. 276. Enfin Heimdall, monté sur son cheval Queue d'Or
(voy. p. 275), regrette son frère Baldur, dont il était, en quelque sorte,
l'avaut-coureur, comme Dieu du Jour, de l'Aurore, du Printemps, et de la
Procréation (voy. p. 277).
g 150. Baldur ne peut revenir de Hel. — Courage- de- Troupe
(Hermodi), monté sur Sleipnir (voy. p. 315), qui vole comme lèvent,
chevauche pendant neuf jours et neuf nuits avant d'arriver au Séjour de
Hel; ce qui exprime, en langage épique, la grande distance qui sépare
Asgard de l'Enfer. Enfin, il arrive à la rivière nommée Retentissante
(Giöll) qui est une des Vagues-Tempétueuses (voy. p. 171), et qui sé-
pare le domaine de V Enclos-Mitoyen de celui de Hel. Sur cette rivière
se trouve un pont , couvert d'un toit d'or. Comme c'est ici l'entrée de
332 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
l'Empire de Hel, qui est une déesse vierge , le pont est aussi gardé par
une Vierge, mais une vierge guerrière, ou uneFalkyrie àeHel, afin que
cette gardienne puisse repousser par la force ceux qui voudraient passer
sur le pont, sans permission. Selon l'usage des gardiens, cette vierge ,
avant de laisser passer les arrivés , les interroge sur leur nom , et sur
leur famille. Elle reconnaît tout d'abord la nature divine de Courage-
de-Troupe, et elle s'apperçoit bien que ce n'est pas là une ombre allant
à J/el, mais un héros encore vivant , puisque sous le poids de son corps,
le pont tremble tout autant que sous les cinq pelotons ou les 5 fois 50
ombres, qui l'ont passé, la veille, en compagnie de Baldur, leur chef,
qu'elles ont suivi dans la mort (voy. p. 331). Étant entré dans le domaine
de Hel, Courage-de^ Troupe se dirige vers l'Enclos de la Déesse; il
fait sauter son cheval par-dessus les Grilles qui forment l'avenue de l'En-
clos, et ayant pénétré ainsi dans la cour, il se dirige vers la Halle , où il
trouve Baldur occupant la place d'honneur {entre les ondvegis-sûlir),
qui est en face de l'Entrée, ou du soleil levant (voy. p. ISO).
Courage-de- Troupe est censé revenir de Hel vers la fin de l'hiver ;
aussi est-il porteur de présents qui annoncent l'approche du printemps.
Il rapporte à Odinn l'anneau Dégouttant , ce qui signifie que la Se-
mence, enfoncée dans la Terre, commence à germer, à se lever, à sortir
de terre, pour être rendue à Odinn, à l'air, ou au jour. La Végétation
symbolisée par Nanna (voy. p. 330), envoie à Frigg , c'est-à-dire à la
Déesse de la Pluie et de la Fécondation, un vêtement, lequel est le
symbole, à la fois, de la verdure qui revêt, comme un tapis, les prairies,
et du feuillage qui revêt ou couvre les arbres. Fulla, la Déesse de l'A-
bondance, reçoit une bague d'or , Symbole de la moisson riche et dorée
(voy. p. 330).
Après les rigueurs de l'hiver, à l'approche du printemps, tous les êtres
désirent vivement que Baldur , ou le soleil d'Été, revienne de Hel^ ce
que la Mythologie exprime en disant que tous les Etres pleurent , et re-
grettent la mort de Baldur. La preuve mythologique de ces pleurs, c'est
que, vers la fin de l'hiver, les objets pénétrés de froid, et, passant dans
une température plus chaude , se couvrent de gouttellettes de vapeur
condensée , lesquelles semblent être des larmes de regret. Selon la tra-
dition , Loki, seul, déguisé en Géante sous le nom de Thokt, ne regrette
pas le Soleil d'été , qu'il a fait mourir par la main de Hödur. Thokt (p.
thiökt, thickt), dont le nom signifie Epaissie, Endurcie , est probable-
ment la Personnification de la lave, ou de la matière volcanique , qui,
d'abord liquide , s'épaissit , s'endurcit , et ne verse pas de pleurs , parce
qu'elle ne se couvre pas de vapeurs condensées. 11 y a un proverbe islan-
dais qui dit que tous les objets pleurent Baldur., à l'exception du char-
bon. En effet, le charbon, ainsi que la lave, étant mauvais conducteur
de la chaleur, et ne se refroidissant pas fortement au contact de l'air, en
passant dans une température plus élevée, ne se couvre pas facilement
de vapeurs condensées, ou de gouttellettes de vapeur refroidie.
(47) FUITE, PRISE, ET PUNITION DE LOKI.
g 151. Loki pris par les Ases. — La première chose à laquelle songent
í
NUMÉRO (47) (page r3i); punition de loki. 333
les Ases . lorsqu'ils ont repris des forces au printemps , c'est de tirer
vengeance de Loki . qui a été la cause principale de la mort de Baldur.
Le récit de la fuite, de la prise , et de la punition de Loki, est fait par
Snorri, d'une manière circonstanciée, pittoresque, et dramatique; il
renferme des données mythologiques mêlées à des détails purement
narratifs , et ajoutés postérieurement par la tradition , ou par l'imagination
populaire.
Fuite de Loki. — Pour échapper aux poursuites des Ases , Loki se
retire dans les montagnes , et se construit, sur un sommet élevé, une es-
pèce de Chaumine-aux-Portes (voy. p. 240) , d'où il a vu dans toutes
les directions, et peut prévenir, à temps, le danger d'une attaque à l'im-
proviste. Afin de n'être pas découvert, pas même par Odinn, qui, dans sa
Chaumine-aux-Portes, a vue sur leMonde entier, Z<oA;/prend, pendant le
jour, la forme d'un saumon , et se cache au pied de la cataracte Brille-
Resserrée, ainsi nommée, parce que ses eaux , avant de tomber en cas-
cades brillantes, sont resserrées entre les rochers. Le saumon, surtout
l'espèce appelée en Islande God-lax (saumon divin), a une couleur d'or,
et c'est pourquoi, ce poisson porte, dans les langues germaniques, le nom
de lax, qui, comme on croyait, si^mïmii Luisant. Cette couleur luisante ,
ainsi que la chair rouge du saumon, furent cause que la Mythologie a
établi des rapports entre Loki (Feu) et le saumon. Suivant un mythe
finnois , le Feu créé par les Dieux , tomba , en pelotons , du ciel , dans la
mer, et fut avalé par un Saiimon, dans le ventre duquel les hommes ont
retrouvé la flamme. Les rapports mythologiques une fois établis entre
le saumon (Laks) et le feu {Loki), on comprend pourquoi, dans la tra-
dition, Loki a pris précisément la forme d'un saumon. Loki, soit à
cause de son génie captieux, soit parce qu'il est le Symbole de la Des-
truction , et par suite de la chasse et de la pêche (cf. Skadi, Nuisible ,
voy. p. 263), fut considéré, en Mythologie, comme l'inventeur des filets.
Aussi est-il dit, ici, que les Jses fabriquèrent un grand filet, d'après le
modèle que Loki avait inventé et confectionné. Loki, le rusé, devint
ainsi l'auteur de sa propre perte, puisqu'il est pris dans le piège qu'il
avait imaginé , et fabriqué.
Prise de Loki. — Le récit de la prise de Loki par les Jses est sans
doute entièrement puisé dans la tradition populaire, puisque les mythes
primitifs symboliques sont racontés brièvement {y oy. p. 305), et n'entrent
jamais dans des détails aussi circonstanciés. Le récit de Snorri repro-
duit, d'une manière dramatique, les détails et les incidents de la pêche
du saumon, telle qu'elle se faisait en Islande, du temps de Snorri, et telle
qu'elle est , en grande partie, encore pratiquée aujourd'hui. En été , les
saumons remontent les rivières aussi haut que possible ; ils sont ordi-
nairement arrêtés au pied des cataractes qui sont trop élevées , pour
qu'ils puissent les franchir, en faisant le saut de carpe, bien qu'ils soient
très-bons sauteurs, au point que, de là, ils ont tiré, dans les langues germa-
niques ^ le nom de laks (sauteur, de laikan, sauter), et en latin, celui de
salmon (Saumon, sauteur, de satire). Loki, transformé en Saumon ^ se
tient donc au pied de la cataracte mythologique de Brille-Resserrée. La
pêche du saumon s'ouvrant avec l'été, les ^ses, favorisés par cette saison,
334 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
se mettent en mesure de prendre Loki , métamorphosé en saumon.
Ils jettent leur chalut ou traîneau tout près de la cataracte ; et comme
les poissons ont généralement l'habitude de nager contre le courant,
les Ases sont sûrs, en suivant le cours du torrent, de rencontrer, quel-
que part, le saumon Loki. Thôr, vu sa force, marche seul , sur une rive,
tirant l'une des extémités du chalut, et les autres Ases, unissant en-
semble leurs forces, et, se tenant sur l'autre rive, tirent à l'autre ex-
trémité du traîneau. Loki^ rencontrant le filet, rebrousse chemin, et s'en-
fuit en suivant le cours de la rivière ; puis , trouvant deux grandes
pierres au fond de l'eau, il se glisse entre elles, selon l'habitude des
saumons, qui, poursuivis et effrayés, cachent la tête entre deux pierres
et se tiennent immobiles. Le traîneau n'étant pas assez lesté , pour tou-
cher au fond, passe par-dessus les pierres; et, de cette manière, Loki,
pour cette fois-ci, échappe à ses ennemis. Les Ases, ayant manqué leur
proie, remontent alors à la cataracte, et jettent, une seconde fois, leur
traîneau , après y avoir attaché un plus grand poids, pour qu'il rase plus
près le lit du torrent. Loki se retire encore devant le filet, en se portant
vers l'embouchure du fleuve; mais, arrivé là, il ne veut pas entrer dans
la mer, soit, parce que le saumon, une fois habitué à l'eau douce des
rivières, n'aime pas retourner dans l'eau salée (voy. /^//w.,H. N., 9, 18,
32), soit, parce qu'il craint d'être pris par les chiens de mer, qui le
guettent à l'embouchure des fleuves (voy. Voyage en Islande, I, p. 127) ,
soit, enfin, que Loki craint, en se jetant dans l'Océan, de tomber entre
les mains du Dieu marin Œgir{yoy. p. 199), qu'il avait si cruellement
offensé au banquet, que ce Dieu avait donné, en automne, aux Ases (voy.
Poèmes islandais, p. 345). Loki, ne pouvant donc se décidera entrer
dans la mer, saute en l'air, par-dessus V extenseur , c'est-à-dire, par-
dessus la corde qui est à la tête du filet, et qui étend ou serre les côtés
du traîneau. Ensuite, ayant replongé de l'autre côté, il remonte de nouveau,
à la cataracte; et le voilà sauvé pour la seconde fois. Les Ases, après
avoir vu échapper de nouveau leur proie, reviennent encore à la cata-
racte ; la bande, pour plus de précaution, se distribue sur les deux rives,
et Thôr marche dans le milieu du fleuve, afin de saisir en l'air Loki, s'il
essayait encore une fois de sauter par-dessus l'extenseur. Loki, serré
de toutes parts, et voulant échapper par un saut de carpe, est enfin saisi
par Thôr. La tradition populaire voyait, dans la manière dont LoÆ/ fut
pris, la raison mythologique, pourquoi le saumon est aujourd'hui si
mince à la racine de la queue. Dans toutes les Mythologies, on trouve
des essais curieux d'expliquer, par des faits fabuleux, certaines particu-
larités, qu'on remarquait dans la constitution physique des hommes,
des animaux , des plantes , et des rochers.
g 152. Punition de Loki. — Le Mythe de la punition de Loki, se
trouve exposé, en peu de mots, dans la strophe de la Vision de la Louve,
que voici :
« Elle vit couché près du Bois-des-TJiermes ^
« Une créature méchante, l'ingrat Loki;
« li a heau remuer les liens funestes de Val! ;
«Elles sont trop raides, ces cordes de boyaux.
N" (48) (p. 133-137) ; le créçuscule des grandeurs. 335
« Là est assise Sigyne, qui , du sort de son mari,
« N'est pas fort réjouie »
L'épilogue en prose de Lokasenna (vo>\ Poèmes island., p. 347) est
plus explicite; il y est dit: «On le lia avec les boyaux de son fils Nâri,
« mais son autre fils fut changé en bête féroce. Skadi prit un serpent
«venimeux, et le suspendit au-dessus du visage deLo/i;z;le venin en
«tomba goutte à goutte. Sigyne, la femme de Loki, étant assise auprès,
«en reçut les gouttes de venin dans un bassin. Lorsque ce bassin fut
« rempli, elle sortit avec le venin. Durant l'intervalle , les gouttes tom-
«bèrent sur Loki\ il en eut de si fortes commotions que toute la terre
«en fut ébranlée; c'est ce qu'on appelle aujourd'hui tremblements de
« terre. » Il est probable que SiioriH connaissait déjà la tradition dont il
est question dans cet Épilogue de Lokasenna. Nâri qui y est mentionné
est le même que Narvi ou Nörvi (voy. p. 198) ; c'est la Personnification
du Crépuscule du soir et du Commencement de l'hiver. Cet lotne, fils de
Loki, doit naturellement périr avec son père , au Commencement de l'été.
L'autre fils de Loki, Vali, dont le nom n'a rien de commun avec celui
de l'Ase Vali (voy. p. 283), mais signifie £owp (p. Valchi; cf. Vala,
Louve), parce qu'il avait été changé en Loup, fut tué par les Ases, et de
ses boyaux, ils firent des cordes avec lesquelles ils attachèrent Loki. Si
ensuite Skadi se montre si cruelle envers Loki, cela tient à l'antithèse
que la Mythologie met toujours entre LoÆ/ et Skadi, et qu'elle exprime,
tantôt en présentant Loki comme le plus acharné contre Thiassi (voy.
p. 264), le père de Skadi, tantôt.en montrant cet Ase injuriant Skadi
au Banquet d'Œgir. Peut-être Skadi, la Déesse de la Chasse, était-elle
opposée à Loki, l'inventeur de la pêche au filet, comme Skadi la chasse-
resse est opposée , par ses goûts , à son mari Niördur le pêcheur (voy.
p. 264). Le serpent est l'animal dé l'été , comme le loup est l'animal de
l'hiver (voy. p. 329); aussi le serpent est-il l'ennemi de l'hiver, et par
conséquent aussi de Loki, qui tient de l'hiver, en tant qu'il met fin à l'été
(Baldur). Le serpent ennemi verse par conséquent son venin sur Loki,
et, pour cette raison, il est, entre les mains de Skadi, un instrument
utile dont elle se sert pour se venger de son antagoniste Loki. Les
Puissances qui sont les Ennemis des Dieux et du Monde, telles que le Loup
de Fenrir, Loki, lormungand, etc. , sont vaincues pas les Ases ; mais
elles ne sont pas exterminées, elles sont seulement enchaînées et domp-
tées momentanément (voy. p. 327). Lorsque leurs liens seront brisés, et
qu'elles auront repris de nouvelles forces dans l'Hiver du Monde , alors
elles se rueront sur les Dieux et sur la Création ; ce sera la fin de toutes
choses, ce sera le Crépuscule des Grandeurs.
(48) LE CRÉPUSCULE DES GRANDEURS.
§ 153. Le Terrible Hiver. — La Mythologie Scandinave, comme les
mythologies anciennes en général, ne concevant pas l'idée de V infini,
laquelle résulte seulement de la réflexion philosophique , ne pouvait pas,
non plus , admettre Y éternité du Monde, ni celle des Dieux (voy. p. 162).
Le Monde et les Dieux étaient éternels, seulement dans ce sens, qu'ils
existaient pendant un nombre innombrable de siècles. Mais, par cela même
336 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUKL.
que le Monde avait commencé , il devait aussi finir, et se renouveler ; et
comme les Dieux étaient nés dans le temps (voy. p. 1 82) , ils devaient
aussi périr à la fin des siècles ,j)Our être remplacés par leurs descendants,
ou leurs Renaissances. Ces idées résultaient naturellement de l'obser-
vation qu'on avait faite sur la succession et le parallélisme de la Vie et de
la Mort, du Jour et de la Nuit, de l'Été et de l'Hiver. La Mythologie
Scandinave, en parallélisant la vie diurne, qui est \ejour, avec la vie an-
nale , qui est Véféj et avec la vie séculaire ou cosmique, qui est la durée
du Monde , arrive aussi , par analogie , à paralléliser la mort diurne , qui
est la 7iuif, avec la mort annale , qui est l'hiver, et avec la mort cosmique
ou séculaire , qui est la ýin du Monde. Considérant ensuite l'origine du
jour, de l'été, et de la vie du monde, sous l'idée de V aurore diurne (norr.
âr, commencement), annale, ou séculaire, la Mythologie était aussi amenée
à symboliser le dépérissement du jour , de l'année, et des âges, par le soir
ou le crépuscule (goth. riqis ; norr. rök). De là le nom de Crépuscule-
des-Grandeurs (norr. Ragna-rökr) , pour désigner le temps , où les
Grandeurs , c'est-à-dire les Puissances conservatrices du monde , ou les
Jses (Soutiens) , vont périr avec le Monde entier.
D'après laMythologie Scandinave, le 6>ejöW5cw/e-cíes-Granc?ewr5 a pour
signe précurseur la dépravationmov^XtdiQs hommes. Cette idée est signifi-
cative et surprenante , et mérite , par conséquent , que nous en examinions
la raison et l'origine. La philosophie moderne , surtout depuis Herder, a
considéré le développement moral et historique , ou le progrès de l'hu-
manité , comme la suite , la continuation de la Création ou du développe-
ment joAy^/g'î^e de la Nature. L'histoire est, pour ainsi dire, une création
morale , faisant suite à la création physique , de sorte qu'il existe, sinon
une solidarité, au moins une connexité entre le monde physique et le monde
historique. Le développement de l'ordre moral., pçur être possible , sup-
pose donc l'établissement préalable de l'ordre physique ; et, une fois l'ordre
moral établi , l'ordre physique est , par lui , garanti, maintenu , et rendu
durable. De là il suit que, si la création physique ou le Monde doit périr,
il ne le pourra que quand, préalablement, l'ordre moral se sera dépravé et
perverti. Cette idée du rapport entre l'état moral de l'humanité et l'état
physique de la Nature , a-t-elle été exprimée, ou seulement entrevue dans
le mythe Scandinave ? Cela n'est guère probable , car cette idée ne pou-
vait pas naître dans la pensée des Scandinaves , parce qu'elle n'y trouvait
aucuns tenants ni aboutissants. Ce n'est donc pas en elle qu'il faut chercher
la raison ni l'origine de cette idée du Mythe , d'après laquelle la destruc-
tion du monde physique est précédée de la dépravation morale des
hommes. — Faut-il admettre que le Mythe ait considéré la fin du monde
comme devant arriver quand l'humanité aura atteint le plus haut degré de
civilisation , et supposer qu'il ait identifié la civilisation avec la dépra-
vation A^s» mœurs? Il est vrai que déjà dans l'Antiquité, la Science,
source de la civilisation , est considérée comme l'opposé de l'innocence
ou de la simplicité des mœurs; cette idée est déjà renfermée dans le
mythe hébraïque sur l'Arbre de la Science , qui est, en même temps , sinon
la cause , du moins l'occasion du péché ; et , dans la Mythologie grecque,
cette idée est exprimée allégoriquement par cette boîte áe Pandore, qui ,
N° (48) (p. 133-137); le crépuscule des grandeurs. 337
renfermant tous les dons de la civilisation, devient aussi la cause de tous
les maux terrestres. Ce rapport, mis, à tort ou à raison, entre l'intelli-
gence et l'origine du mal , ne pouvait cependant pas se présenter à l'es-
prit des Scandinaves, qui n'étaient pas assez éloignés de l'état de nature,
ni assez avancés en civilisation, pour établir ou pour sentir seulement la
différence , en bien ou en mal, qui existe entre l'état de nature , considéré
comme l'état d'innocence , et l'état de civilisation , considéré comme l'état
de raffinement, ou de dépravation. Ce rapport ne pouvait donc être, non
plus, la raison et l'origine de l'idée, d'après laquelle le Mythe norrain fait
précéder la fin du monde physique, de la dépravation Diorale des hommes.
— Il reste une troisième manière d'expliquer le Mythe en question; c'est
de supposer que la destruction du monde est considérée comme un mal-
heur universel, mais comme un malheur mérité, en d'autres termes ,
comme la juste punition de la dépravation des Dieux, et des hommes.
Le Mythe assignant pour motif à cette punition, la dépravation morale
des hommes, celle-ci précède naturellement celle-là, de même que, selon
le dogme hébraïque et chrétien, le péché a précédé la mort. Cette expli-
cation est, sans doute, la véritable; seulement il faut encore admettre
que, chez les Scandinaves, la partie du Mythe relative aux péchés, qui
provoquent la punition , a été conçue sous l'influence des idées chrétiennes
sur la Chute de l'homme , et sur le Déluge et le Jugement dernier. Ce qui
met cette influence hors de doute, c'est que les péchés, qui, selon notre
Mythe, amènent la Destruction du monde, sont des péchés qui sont plu-
tôt abhorrés d'après le génie du Christianisme, que d'après la morale du
Paganisme Scandinave. En effet , d'après une strophe de la Vision de la
Louve, ces péchés sont, d'abord, la guerre, qui alimente les bêtes féroces,
les loups, et pour laquelle on invente toutes sortes d'armes meurtrières,
telles que des haches d'armes, des framées; c'est, ensuite, le meurtre,
même entre frères, et entre cousins; c'est, encore, la cupidité, qui fait
qu'on est cruel envers les tenanciers , qu'on les pressure; c'est, enfin, la
paillardise. Ces péchés, on le voit, ne sont pas précisément de ceux
qui révoltaient principalement le sentiment moral des Scandinaves païens;
et bien qu'il soit vrai que le progrès change souvent les mœurs d'un peuple,
et lui fait abhorrer même ses défauts nationaux, et bien que la poésie et la
morale religieuse, visant à \ idéal, s'élèvent naturellement au-dessus
des mœurs réelles d'une nation, il est cependant nécessaire , pour expli-
quer ces sentiments moraux chez les Scandinaves, d'admettre, dans le
Mythe en question , l'influence des idées chrétiennes. Ce Mythe renferme
donc un fond essentiellement Scandinave, mais modifié, en certaines
parties, par la morale chrétienne, qui a pu y exercer son influence, on
le conçoit, bien longtemps avant que le Christianisme ne fût adopté oflB-
ciellement dans le Nord ; et, d'ailleurs, ce Mythe sur le Crépuscule-des-
Grandeurs n'appartient pas au fond primitif, ni même ancien , mais à
la période la plus récente de la Mythologie Scandinave.
g 154. Les Scènes successives du Drame terrible. — Le récit de 5«orW
ne suit pas l'ordre de la succession des différentes péripéties de cette
grande tragédie du Crépuscule- des- Grandeurs. Il importe donc de ré-
tablir l'enchaînement des faits, que même les anciens chants, et notam-
22
3.Î8 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
ment la Vision de la Louve, ou bien ne semblent déjà plus avoir connu,
ou bien, avoir négligé, comme une entrave à la liberté de la poésie, ou
comme un accessoire qui n'avait pas une grande importance.
Voici la succession des scènes de cette tragédie cosmique. D'abord le
Loup Skoll, qui avait poursuivi Sol, et le Loup Hati (voy. p. 209), qui
avait poursuivi Mâni, pendant des siècles, parviennent, enfin, à s'em-
parer de leurs proies. Ainsi le soleil et la lune disparaissent du ciel; et,
par conséquent, le malheur de la mort de Baldur, c'est-à-dire l'enlève-
ment des sources de vie et de chaleur, se répète, de cette manière, dans
lemonde, sur uneplus vaste échelle. Alors non-seulementladistinctiondes
jours et des nuits cesse, dans ce règne absolu de l'obscurité, mais encore,
le soleil ne répandant plus sa chaleur, il s'établit un hiver continuel,
comme il y en avait un, au commencement des siècles, sous le règne
de Ör-Gelmir , et de ses descendants (voy. p. 186). Cet hiver est nommé
V Hiver-de-l'Étourdissement (norr. Fimbulvett'),0[i le Terrible Hiver.
Alors les ouragans furieux sévissent; c'est VJge-des-Tempétes. Ces
tempêtes secouent le ciel, au point qu'il se fend; elles secouent le Frêne
dTggdrasil , l'Arbre de Vie, qui tremble à l'approche des Puissances de
la mort; elles ébranlent la terre, qui est agitée, et ainsi met en émoi les
Dvergs, qui habitent les cavernes de la terre. Par ces secousses et ces
tremblements, tout se disloque; et les liens les plus forts sont brisés.
Alors les Monstres iotniques, qui, pendant l'été cosmique, ou la vie du
monde, avaient été enchaînés par les ^se^^ et qui, jusque-là, avaient été
retenus par des liens, redeviennent libres (voy. p. 335). Le Loup igné de
Fenrir, appelé par excellence Vlotne, qui avait été enchaîné parles
Dieux , dans l'île de Bruyère (voy. p. 289), se déchaîne; son frère, le Fer
ou la Coulœuvre, c'est-à-dire le Serpent /orwww^awrf (voy. p. 286), qui
avait été dompté par Thôr^ s'agite, soulève les flots, et fait déborder
l'Océan (voy. p. 327). Le père de ces monstres , Loki, qui avait été attaché
aux rochers de Hveralund (Bois-des-Thermes) , redevient libre et s'ap-
prête à remplir son rôle de Clôtureur , par rapport au Monde entier.
Garmur (Hurleur), le Cerbère Scandinave, qui avait été attaché au Ro-
cher de Gnipi, comme son prototype Fenrir l'avait été au rocher du
Bois-des-Thermes, est délivré, et présage, par ses hurlements (voy. p. 209),
l'approche de grands malheurs. L'aigle Hræsvelg (voy. p. 242) bat de ses
ailes, et produit les vents qui soufflent du Nord-Est. Alors les Thurses-
Givreux et les Géants-des-Montagnes , sous la conduite de Hrymr
(voy. p. 134), arrivent, de l'Orient, à V Enclos- Mitoyen. Les autres lot^
7ies, conduits par Loki de l' Enclos- Extérieur , s'embarquent sur le Na-
vire d'Ongles iyoy. p. 199) qui, venant d'être achevé dans Niflhel, est
transporté au Séjour-des-Iotnes , et lancé à la mer. Les fils de Fifl ou
ú'Œgir (voy. p. 303), ayant avec eux le Loup de Fenrir, s'y embarquent
également avec Loki, le Parère de Bileyst {yoy. p. 285). Enfin, les Fils-de-
.WMspz7(voy. p. 174) arrivent du Sud, en traversantl'air, sous la conduite de
Surtur. C'est ainsi que l'air, l'eau et le feu se déchaînent , et se ruent sur
le Monde, qui va périr. Toutes ces Puissances ennemies des Dieux et des
hommes, après avoir envahi Y Enclos- Mitoyen, tâchent de pénétrer d'ici
dans le ciel, pour y livrer bataille aux Dieux, dans l'immense plaine, nommée
N° (49) (p. 1 37 , 1 38) ; renaissance de la terre et du ciel. 339
Tremble -au- Combat {Vig-ridur, cf. sansc. Vi-Krita, zend. Vaé-
Kereta)^ parce qu'elle tremble sous la masse et les etforts des combattants.
Les fils de Muspil , sur leurs montures de flammes, frayent le passage au
ciel, en traversant le feu flambant fnorr. vafurlogi) du pont de Bifröst
(voy. p. 211), qui s'écroule sous leur impétuosité. Quand les ennemis
tentent de passer le Pont-des-Jses , et de pénétrer dans le ciel , alors
Heimdall, le Gardien des Dieux (voy. p. 277) , sonne fortement l'alarme ;
les Asesei les Compagnons á'Odinn, les Troupiers-Uniques (v.p. 306),
se préparent au dernier combat. Cette rencontre terrible a lieu dans
Tremble-au-Combat. Odinn, le Chef des. ^«e^^ et le Père du monde et
de la vie , lutte contre le Loup de Fenrir, le Représentant du Feu ter-
restre, et le symbole de la destruction. Thôr, le Protecteur de la Terre
(voy. p. 286) , lutte contre l'ennemi le plus dangereux de la Terre, le Ser-
pent lormungand, le Représentant du Déluge. Frey, qui préside à l'air,
à l'eau, et au feu, utiles aux hommes, n'ayant plus son épée (voy. p. 305),
lutte sans succès contre Surtiir, le Représentant du Feu destructeur du
Monde. Tyr, le manchot et la doublure à' Odinn, combat Garmur, qui
est la doublure de Fenrir, et le présage de la mort (voy. p. 338). Heim-
dall, le Dieu du Commencement des Choses, combat contre LoÆz; le
Dieu de la Fin des Choses. Dans ces différents combats , les monstres
iotniques Fenrir, lormungand, Garmur, et Loki périssent ; s'ils conti-
nuaient à exister , un monde nouveau ne pourrait pas renaître ; mais avec
ces monstres périssent aussi les anciens Dieux Odinn, Thôr, Fretjr,
Tyr, et Heimdall. L'ancien Monde , n'ayant plus ses protecteurs , périt
irrévocablement; la Terre et le Ciel sont brûlés, à la fois, par le Feu cé-
leste (Surtur) , et par le Feu terrestre (Fenrir) ; puis la Terre est engloutie
par l'Océan. Selon la Mythologie Scandinave, Surtur, qui a existé avant
les créatures du monde, au commencement (cf. elldr, voy. p. 173), sub-
sistera encore , quand tous les autres monstres auront péri. — Le seul
document mythologique qui nous reste, renfermant la description du
Crépuscule-des-Grandeurs, c'est la Vision de la Louve, dont la com-
position date du huitième siècle. La description qu'il donne est essen-
tiellement poétique, et, par cela même, elliptique, quelquefois obscure, et
intervertissant l'enchaînement épique des faits (voy. Poëmes islandais ,
p. 149-239).
(49) LA renaissance du ciel, de la terre, des dieux, et des
hommes.
§ 155. Renaissance de la Terre. — Dans le Crépuscule-des-Gra?i-
deurs, tout a brûlé. Ciel et Terre. Mais de même que, d'après les idées
des Anciens, le brûlement des morts ne détruit pas entièrement le corps
du défunt , mais l'épure et le retrempe , de même le ciel et la terre ne
sont pas entièrement détruits, mais leur substance est épurée, et ils re-
naissent de leurs éléments plus beaux, et rajeunis comme Sæhrimnir
(voy. p. 308). Snorri, mêlant ses idées chrétiennes sur le Ciel , l'Enfer, et
le Jugement dernier, avec les traditions du Paganisme norrain sur le Cré-
puscule des Grandeurs, admet que les Scandinaves aient cru, qu'après
la destruction du monde , les Justes continueraient à vivre , dans les Sé-
jours célestes , et les Réprouvés , dans les Séjours de l'Enfer. Mais ces
340 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
Séjours, agréables ou terribles, qui figurent dans la Mythologie norraine,
existent indépendamfnent de la Fin du monde , et ne sont pas destinés ,
comme le croiiSnorri, à servir d'habitation aux bons , pour les récompen-
ser, ni aux méchants, pour les punir; le caractère, gai ou triste, de ces
Séjours, dépend de la nature particulière aux races mythologiques, qui
sont censés les habiter. Une nouvelle Terre sort de l'Océan , où l'ancienne
s'est abîmée ; elle est belle , car elle renaît après l'Hiver du monde, dans
J a saison du printemps, où les cascades, longtemps enchaînées par la
glace de l'hiver , tombent de nouveau en murmurant , où la verdure re-
devient touffue , où l'aigle , de nouveau , ouvre, pour ainsi dire , la saison
de la pêche (voy. p. 263) , après l'hiver long et rigoureux. Bien que cette
Terre vierge n'ait pas été labourée ni ensemencée , elle produira cepen-
dant, du moins cette première année de la renaissance, une moisson
abondante. Voici ce qui est dit dans la Vision de la Louve :
« Elle voit surgir de nouveau,
" Dans l'Océan, une terre d'une verdure touffue,
«Des cascades y tombent; l'aigle plane au-dessus d'elle,
« Et du haut de l'écueil, il épie les poissons.
« Les champs produiront sans être ensemencés. »
11 est hors de doute que, dans l'origine, le Mythe considérait cette Terre
nouvelle comme entièrement semblable à l'ancienne, et qu'il supposait que
tout s'y passerait comme précédemment. Plus tard seulement, sous l'in-
fluence des idées chrétiennes , on a rattaché à cette Terre nouvelle des
idées paradisiaques et millénaires, et on a expliqué la tradition norraine
comme si elle énonçait que , sur cette nouvelle Terre, les champs produi-
raient à tout jamais , sans être ensemencés; qu'il y régnerait une Paix
éternelle , au point que les aigles , ne trouvant plus à dévorer les cada-
vres des guerriers tués à la guerre, seraient forcés de se nourrir de pois-
sons ; que cette nouvelle Terre serait un Jardin délicieux (Eden) , avec
une verdure toujours toufifue , et avec des cascades qui murmureraient
agréablement ; enfin que tout mal physique et moral en disparaîtrait.
§ 156. Restauration du Ciel. — Il se forme un ciel nouveau , exacte-
ment semblable à l'ancien, avec VEnclos-des-Ases (voy. p. 213), les
Sanctuaires des Dieux , et les Enclos de Hroptr (voy. p. 248). Les Ases
rajeunis , ou les Fils des anciens Dieux , reviennent dans la nouvelle
Plaine d'Idi (voy. p. 213). Ces Ases sont Modi (Courage), et Magni
(Pouvoir), les Personnifications des énergies (sansc. çaktyas, v. p. 244),
c'est-à-dire du Courage d'âse (norr. As-modr) et de la Force d'Ase
(norr. âs-megin) de leur père Thôr, dont ils sont les dédoublements ou
les Renaissances. Les fils á'Odinn, savoir Baldur, et son meurtrier
involontaire , Hödur, reviennent aussi , et vivent ensemble heureux et
en paix. Voici ce qui est dit dans la Vision de la Louve :
« Tout mal disparaîtra : Baldur reviendra ,
« Pour habiter, avec Hödur, les Enclos de Hroptr,
« Les Demeures sacrées des Dieux-Héros
Les Ases nouveaux auront la science des Mtjstères (norr. rûnar, voy.
p. 298) de leurs pères; ils n'auront plus à craindre les Puissances enne-
>°(49)(p.i37, 138); lanouv.raceiiumaine;lenouv. SOLEIL. 341
mies ; le Serpent lormungand , et le Loup de Fenrir, n'existent plus que
dans le souvenir, et dans la tradition , qu'ils se plairont à se rappeler par
le récit des mythes. Les Ases sont heureux , comme on l'est dans la jeu-
nesse, comme on l'est au printemps , à la renaissance, à la résurrection.
Ils reprennent leurs occupations de jeunesse, ils se mettent à jouer aux
tables, comme l'ont fait leurs pères, lorqu'ils étaient encore jeunes, à
l'aurore des âges (voy. p. 213).
l 157. La nouvelle race humaine; le nouveau Soleil. — La race des
hommes, qui périront dans la catastrophe du Crépuscule-des-Gran-
deurs, sera remplacée par une génération nouvelle, provenant de Lz/-
thrâsir (Désir de Vie), et deZ,|/'(Vie). Cette paire , dont les noms expriment
la vitalité indestructible de l'humanité , s'était mise , pendant le Crépus-
cule des Grandeurs, à l'abri tant des flammes de Surtur, que de la submersion
sous la mer, produite par lormungand , en s'enfermant dans la Butte-
de-Hoddmimir. Cette butte est, à la fois, une butte tumulaire, et comme
une matrice où les germes de l'énergie vitale, représentée par cette paire,
sont enfouis , et reposent en sûreté , comme le grain de blé dans le silo
ou la serre d'hiver (v. h.2\Livintarkasfo;cï. norr. nestbaggi)^ en atten-
dant la résurrection , ou la renaissance au printemps. Le nom de Hodd-
Mimir (Ruisselant de Trésors) est synonyme de Hring-Mimir (Ruisselant
de Richesse) , et désigne, à la fois, l'Océan terrestre ou la Mer renfermant
de l'or et des richesses (voy. p. 443), et l'Océan céleste (sansc. Varou-
nas ; gr. ouranos) , ou le Ciel , dont les pluies et les rosées produisent
les riches moissons dorées (voy. p. 330). La Butte de Hodd-Mimir est
donc synonyme de Butte-du-Cee/^ et désigne une montagne tellement
élevée qu'elle touchait au ciel, et qu'elle pouvait préserver, des flammes et
de l'inondation, les germes précieux qu'elle renfermait dans son sein. Cette
butte, semblable a peu près à ce qu'on appelle aujourd'hui, en Suède, /ai-
testuga (poêle d'Iotne)^ ou/aííe^ra/(tombeau d'iotne), était en quelque
sorte le tombeau de Lîfthrâsir et de Lif, lesquels y reposaient comme
l'embryon dans la matrice. Ils y étaient alimentés par les rosées du matin ,
et dormaient jusqu'à leur résurrection , semblables à Skalmoskis dans
sa demeure souterraine [Hérod. IV , 95 , 96), à Freyr dans sa butte tu-
mulaire {Ynglingasaga, chap. \%), et ^Frédéric Barbe-Rousse , dans
la montagne de Kyfhæuser. Suivant la Mythologie indienne, la Déesse
Bhavani, le Symbole de la Nature qui détruit et reproduit, fait rentrer
dans sa matrice les semences de toutes choses, pour les y préserver de la
destruction, dans la conflagration générale, à la fin des siècles.
Sol , qui a été dévorée par Sköll (voy. p. 209), a laissé une fille, qui,
dans le Monde nouveau , la remplace au ciel. C'est ce qui est énoncé dans
la strophe des Dits-de-Vafthrûdnir, citée par Snorri. Soi porte aussi
le nom poétique et épithétique de Rousse-des-Jlfes, à cause de l'éclat
roussâtre de son disque; et ce disque est attribué aux Jlfes, ou con-
sacré aux Génies de lumière (voy. p. 239).
D'après la Mythologie norraine, le Monde renouvelé n'est pas une créa-
tion faite sur un plan tout nouveau ; c'est le renouvellement de l'ancien
Monde, ou sa reproduction . moins quelques imperfections qui y exis-.
talent.
342 COMMENTAIRE CRITIQUE PERPÉTUEL.
(50) ÉPILOGUE DE SUBLIME ; REPRISE ET FIN DE l' HISTOIRE DE
l'encadrement.
§ 158. L'Épilogue de Sublime. — A toutes les époques, les savants et
les érudits, pour tirer gloire de leur science et de leur érudition , tâchent
de faire ressortir, d'une manière ou d'une autre, l'originalité et la su-
périorité de leurs écrits. Dans l'Antiquité, dans l'Orient , et au Moyen
âge, où les préfaces n'étaient pas encore en usage, l'auteur mettait son
éloge ou à la fin de son œuvre ou dans le corps de l'ouvrage. C'est ainsi
que l'auteur de la Rhapsodie mythologique , intitulée Chant d'Hymir ,
énonce qu'il est le plus savant des mythologues, en disant, dans la
strophe 38 :
« sur cela qui des Mythologues
« Pourrait en savoir davantage. »
Par une tournure de phrase analogue, Snorri, pour énoncer qu'aucun
auteur n'a été plus complet que lui , dans l'exposition de la Mythologie
norraine, fait dire à Sublime que jamais il n'a entendu à personne
pousser plus loin le récit sur les destinées du monde. Une autre manière,
par laquelle l'Auteur donne satisfaction à son amour-propre, c'est de
faire remarquer au lecteur l'importance et l'utilité de l'enseignement
renfermé dans son ouvrage. C'est ainsi que les légendes des Hindous,
connues sous le nom de Pourânas (Antiquités) , finissent ordinairement
par la recommandation de bien méditer ces traditions légendaires. Les
Lois de Manou se terminent par le çloka suivant :
« Ainsi, le voilà ; le Bis-né qui lit ce Code promulgué par Bhrigou,
« Sera toujours vertueux, et obtiendra la félicité désirée. »
Dans les Proverbes de Salomon on trouve plusieurs passages sem-
blables à celui-ci (chap. VII, 4,2):
« Mon fils , observe mes paroles ,
« Garde mes préceptes dans ton cœur;
« Suis mes commandements, et tu vivras heureux;
« Mon enseignement , qu'il te soit cher comme ton œil. »
Dans le Poëme eddique intitulé : Dits de Sublime (norr. Hâvamâl),
Odinn, sous le nom de Sublime, fait précéder chacun de ses Dits, de
cette recommandation :
«Je te conseille, Loddfafnir! — accepte ce conseil;
« Il te profitera , si tu l'acceptes. — »
Snorri, employant une recommandation analogue, fait dire à Piéton-
neur par Sublime :
(( Jouis donc maintenant de ce que tu as appris. »
§ 159. Gulfi enseigne en Suède ce qu'il a appris de Sublime. —
L'exposé de la Mythologie norraine , renfermé dans les réponses faites
par Sublime aux questions de Piétonneur,, étant terminé, Sfiorri reprend
et achève l'histoire, qui fait l'Encadrement de la Fascination de Gulfi
(voy. p. 70). Dans cette conclusion de l'ouvrage, il fait encore ressortir
accessoirement deux idées, auxquelles il attache une certaine importance :
la première, que l'Odinisme est une religion de mensonge; la seconde,
que cette religion de mensonge avait son siège et son centre principal en
NUMÉRO (50) (p. 138); épilogue. 343
Suède. Il montre que les Ases étaient de grands magiciens, que , par leur
magie, Piétonneur, ou GuIJi, dès son arrivée à Odmseîj (voy. p. 145),
a été fasciné, et qu'à la fin, par un eifet de cette même magie, le palais
de Sublime a disparu en un clin d'œil. Cette disparition magique est un
trait qui se retrouve dans beaucoup de traditions mythologiques et
de contes romantiques (voy. p. 425). Snorri, comme tous les auteurs
de l'Antiquité, de l'Orient, et du Moyen âge, pour accréditer la tradition
ou leur science, aiment à en indiquer la source, l'origine et les garants
(voy. Chants de Sol, p. 40). Pour indiquer la filiation de la tradition
mythologique, il insinue que toutes les traditions mythologiques, répan-
dues dans le Nord, proviennent de ce que Guljî, après les avoir apprises
de Sublime, les a transmises, après son retour chez lui, en Suède, à
d'autres, qui les ont propagées en Scandinavie. C'est donc la Suède
qui a été le principal berceau de la superstition odinienne ; et cette opi-
nion , Snorri Ta encore développée plus tard dans son ouvrage histo-
rique intitulé Ynglinga-saga, en montrant que Odinn et XtsJses, venus
du Sud et après s'être établis successivement en Saxe et en Danemark,
se sont flxés définitivement en Suède, à Upsalir, et à Sig-tûn, que la plu-
part d'entre eux sont morts dans ce pays , et que d'eux sont issus les rois
suèdes appelés les Ynglings (Issus d'Yngvin , voy. p. 266), qui tous ont
été , avec leurs sujets, des adorateurs d'Odinn et des Ases.
NOTES ADDITIONNELLES.
I. ^
(A la page 21.)
Malgré les progrès accomplis, l'histoire n'est encore généralement
considérée qu'au point de vue des fsí'ús eætérieur s et âes événements joo-
litiques. D'après l'idée, l'histoire universelle doit être l'exposé de l'action
et de la réaction des idées, des idéaux et des intérêts dans le domaine
social, moral, intellectuel et religieux de l'humanité. L'histoire, comme
toute science , doit traiter à la fois des faits et de la raison des faits
constituant son domaine; et comme les faits historiques n'ont de véri-
table intérêt que par les idées qu'ils représentent, on comprend que
l'histoire, à moins qu'on ne veuille s'amuser au spectacle et au récit des
faits seuls, se confondra de plus en plus avec la philosophie de l'histoire,
c'est-à-dire avec l'étude de la raison des faits produits parles idées, les
idéaux et les intérêts dans le domaine social, moral, intellectuel et reli-
gieux.
De même que, de nos jours, on ne peut déjà plus publier une encyclo-
pédie générale qui soit actuellement à la hauteur des différentes sciences,
mais qu'il faut s'en tenir à des encyclopédies spéciales pour les diffé-
rentes sciences, de même un ouvrage d'histoire universelle réellement
scientifique et philosophique n'est plus possible : il faut le partager en
plusieurs histoires spéciales composées toutes en vue de l'histoire uni-
verselle et d'après le plan, la méthode et le but ci-dessus indiqués de la
philosophie de l'histoire.
Dans l'antiquité, au moyen âge et même jusqu'au dix-neuvième siècle, les
études et le point de vue historiques étaient trop bornés et trop exclusifs
pour permettre de concevoir une histoire universelle réellement jö/«7oso-
phique. Les Grecs et les Romains ne s'intéressaient qu'à l'histoire de leur
nation et tout au plus aux rapports politiques que leur histoire avait avec
celle de leurs voisins, alliés ou ennemis. Les Hébreux, aussi exclusifs que
les autres nations, se considéraient comme le Peuple élu de Jéhovah, des-
tiné à régner un jour, par son Messie, sur toutes les autres nations de la
terre. Aussi l'auteur qui, du temps d'Antiochus Épiphane et sous le nom du
prophète Daniel, a composé ses Visions résume-t-il ce qu'il sait de l'his-
toire ancienne, d'après les livres hébreux et d'après les grecs, dans son
tableau des quatre empires païens ennemis d'Israël, l'empire babylonien,
l'empire médo-perse, l'empire macédonien et l'empire syrien, qu'il repré-
sente par quatre bêtes sauvages, le lion, l'ours, la panthère et l'animal
aux dents de fer. Ces quatre monarchies violentes et brutales, qui ont
pour emblèmes quatre animaux féroces, disparaîtront, d'après le pro-
phète, pour faire place à l'empire universel du Messie, qui, contrairement
aux quatre bêtes, aura la figure humaine. Cette conception de l'histoire
à
NOTES ADDITIONNELLES. 345
fut adaptée par la théologie chrétienne au système dogmatique de ce
qu'on a appelé r Economie du salut, d'après laquelle l'ancienne Alliance
(religion de Jéhovah) dont les païens des quatre empires se sont dé-
tachés, est continuée, d'après le plan de Dieu, dans la nouvelle Alliance
(la religion du Messie ou du Christ) , laquelle réunit de nouveau Israël et
les Gentils dans l'Église chrétienne universelle. Aussi, dans cette concep-
tion historique, les historiens chrétiens ont-ils dû substituer l'empire grec
et l'empire romain à l'empire macédonien et à l'empire syrien de la vision
de Daniel; et l'empire romain, devenu la Monarchie de la chrétienté, fut
continué directement, d'après ce système, par le Saint Empire romain
germanique; de sorte que, pour le moyen âge, l'histoire universelle du
paganisme et de la chrétienté pouvait encore, pendant quelques siècles, se
renfermer dans le système historique, orthodoxe, mais étroit, des quatre
monarchies ou des quatre empires de Daniel. Ce ne fut cependant qu'a-
près la chute du Saint Empire romain germanique, et lorsque, par cela
même, la division de l'histoire universelle en quatre monarchies fut évi-
demment devenue insuffisante et sensiblement incomplète, que des au-
teurs comme Jean Corion, Jean de Sleiden et Bossuet ont entrepris,
avec plus ou moins de talent, de traiter l'histoire universelle en la divi-
sant encore généralement au point de vue des visions de Daniel. Jean
Corion, né dans le Wurtemberg en Í499 et mort à Berlin en 1538, a
composé son histoire universelle sous le titre de Chronicon, qui a été
revu et amendé par Philippe Mélanchthon et qui fut traduit en français
par Jean Leblond, Paris, Í556. Jean, fils de Philippe, naquit en 1506 à
Sleiden, endroit situé entre Cologne et Bonn, et d'après lequel il est
nommé généralement Sleidanus. 11 fut professeur de droit et d'histoire
à Strasbourg, où il mourut en 1556. Il a composé, en latin et en trois
livres, un abrégé de l'histoire universelle sous le titre de Compendium
de quatuor Monarchiis. Cet ouvrage, dédié à Eberhard de Wurtemberg,
doit, comme dit l'auteur, guider la jeunesse dans l'étude de l'histoire: il
a été, pendant assez longtemps, le manuel en vogue dans les écoles, et
a eu un grand nombre d'éditions.
Écrit avec plus de talent que les deux ouvrages précédents, \e Dis-
cours sur U histoire universelle, de Bossuet, ne leur est pas supérieur
quant à la conception du fond de l'histoire. Se renfermant dans un cadre
orthodoxe , mais étroit et insuffisant, Bossuet n'a pas pu maintenir ce
cadre pour l'histoire plus moderne, et il a dû s'arrêter dans son exposé
aux temps de Charlemagne.
n.
(A la page 80.)
Dans Les Gètes (p. 128) j'ai rattaché le mot norrain i^a/c? au verbe ger-
manique schallen (sonner, faire de la musique), de sorte que, comme
terme neutre et abstrait , il aurait proprement signifié sonnerie.
Un nouvel examen du mot skald m'a amené à la conviction que ce
terme n'appartient pas originairement aux langues de la branche gète,
mais à celles de la branche sarmate. En effet , le radical sklad, qui signifie
23
346 NOTES ADDITIONNELLES.
disposer, arranger, composer, est essentiellement slave. Du radical
slave s-klad s'est formé le mot russe sklade (arrangement), le polonais
skladacz (compositeur, auteur), et le tchèque skladatel (poëte, com-
positeur). (Voy. De l'Influence exercée par les Slaves sur les Scandi-
naves da?is V Antiquité. Colmar, 1867, p. 8-9.)
m.
iiO
\\\ , (A la page 73.)
""tes auteurs orientaux, surtout ceux de l'Inde, aiment assez, comme
GTiatakarparas, indiquer, d'une manière indirecte et énigmatique, leur nom
dans le titre qu'ils donnent à leurs ouvrages. Ainsi, pour citer un exemple
plus moderne, l'auteur hindoustani, du nom de Surur (joie), a donné
à sa traduction hindoustanie de l'abrégé du Shah-nama persan , le titre
de Surur-i-Sultani (la Joie royale). (Voy. Garcin de Tassy, les Auteurs
hindoustanis et leurs ouvrages d'après les biographies originales,
2«édit., Paris, 1868.)
IV.
(A la page 81.)
Les femmes nommées Föbir, moitié magiciennes, moitié devine-
resses, étaient à peu près, historiquement ou sur terre, ce que les
iSornes représentaient mythologiquenient dans le ciel. Ce nom, dont le
singulier est vala ou vöiva, dérive d'une forme plus ancienne, Valliava,
qui ne s'explique ni grammaticalement, ni étymologiquement dans la
langue norraine, mais trouve l'une et l'autre explication dans les idiomes
slaves. (Voy. De l'Influence exercée par les Slaves sur les Scandi-
naves dans l'Antiquité. Colmar, 1867, p. 10-12.)
V.
(A la page 185.)
Le dieu Vili s'est spécialisé comme dieu des richesses chez les Ger-
mains du Nord, sous le nom de mHo, fVilo , ï^Falo. (Voy. MuUenhof,
Nordalbingische Studien, 1, p. M et suiv.)
VI.
(A la page 194.)
A la tradition populaire en Saxe et en Thuringe, d'après laquelle les
enfants, surtout les filles, croissent aux arbres, correspond un conte
oriental qui nous est transmis par des géographes arabes. D'après Ba^
kouï et Ibn-Tofeili , il y a, à l'extrémité orientale de la terre connue, des
îles Aommées fVaqiuaq, si riches en or , que les singes y portent des
colliers d'or. Il y a de plus dans ces îles l'arbre qui crie waqwdq à ceux
qui y débarquent;, et cet arbre porte à l'extrémité de ses branches, au
NOTES ADDITIONNELLES. '347
lieu de fruits, de belles filles, qui sont un objet d'exportation et de com-
merce. Elles sont désignées, par Masoudi Khotb-eddîn, sous le nom de
^raqwaquiermes. (Voy. Alexandre de Humboldt, Examen critique de
l'histoire de la géographie du Nouveau-Continent^ I, 52, n.)
Ce qui me fait penser que ce conte de l'île des filles et de l'arbre criant
waqioâq et portant des filles, pourrait bien être originaire de l'Inde,
c'est d'abord la particularité que les singes de ces îles , comme les com-
pagnons de Ravana, chef de Lankâdvipa (Taprobane), ou Sinhaladvipa
(Ceyian), portent des colliers d'or. Ensuite, V Ile-aux-Filles pourrait
bien être l'île de iTowTwarí (Ceyian), dont le nom signifie Filli , et dont
la pointe méridionale porte encore aujourd'hui ce nom (le cap Comorin).
Je trouve dans le dictionnaire arabe Kamous (Océan), que Waqwàq
est le nom de l'arbre d'où se tire la couleur d'encre. Ce nom de waqwâq
pourrait bien être d'origine indienne, beaucoup d'arbres de l'Inde ayant
des noms composés avec le mot Vak^ qui signifie courbé, penché. D'ail-
leurs, ce mot signifie aussi vociférant, ce qui pourrait expliquer pour-
quoi , dans le conte , il est dit que l'arbre vaqvâq vocifère à l'approche
des marchands abordants dans l'île.
(A la page 195.)
•;vf;b 9'ioaiio iíJíío^ .
Les arbres ^íÆr (Frêne) et Embla (Orme) étant, d'après la mytho-
logie, les parents primitifs des hommes, on comprend que, dans le lan-
gage poétique des Skaldes, le nom d'un arbre quelconque pouvait servir
à désigner l'homme et la femme , au même titre qu'en poésie , par exemple,
le nom de Francs peut désigner les Français issus des Francs. Aussi
est-il dit dans le Traité du Langage skaldique (Skaldskaparmâl) de
l'Edda de Snorri, page 827 :
«De quelle manière faut-il désigner V homme?... Les Skaldes ont
« appelé l'homme d'après \e frêne ou le tilleul, d'après le bois ou d'autres
«noms d'arbres du genre masculin.)) — Et page 127 — « La femme a
a pour désignations tous les noms d'arbres du genre/e/Timm. »
L'auteur de ce traité, au lieu de rappeler le mythe d'Askr et d'Embla, et
de le considérer comme la cause première de ces désignations poétiques,
préfère expliquer ces expressions par une espèce de quiproquo ou de
calembourg; ce qui, il est vrai , était assez dans le goût et les habitudes
de la poésie skaldique, qui aimait et préférait en fait de style le re-
cherché, l'obscur (ôliost.) et le caché (folgit).
Ainsi, d'après notre auteur, l'homme était appelé reynir vâpnanna
(éprouveur d'armes) ou vidr vîganna {^màni les combats), parce que
reynir signifie, à la fois, éprouveur et arbre, et que vidr signifie, à la
fois, aimant et arbre.
D'après le même système, rautent* dit que la femme peut être appelée
selia vins (procuratrice devin) ou lôg drychiar (distribuant la boissoni,
parce que le mot selia signifie à la {o\s procuratrice et saule^ et que
lôgn signifie, à la fois, distribuant et souche d'arbre. Les Skaldes
Z^ NOTES ADDITIONNELLES.
avaient l'expression de rekit (poussé loin) pour désigner l'emploi recher-
ché de ces termes à double signification.
Les Grecs, bien qu'ils aient eu, comme les Scandinaves, des mythes
sur la provenance des hommes de certains arbres, n'en ont pas eu dans
la suite ni souvenir ni pleine conscience. Aussi, c'est par une pure infui-
tion poétique, comme l'était celle de la mythologie elle-même, qu'ils
représentent, dans leur poésie, des rapports ingénieux de ressemblance
et d'analogie entre l'homme et l'arbre. Voici un exemple pris dans une
ode anacréontique , traduite par P. J. Proudhon: De la Justice dans la
Révolution et dans l'Église, étude X, p. 69.
«Rafraîchissez, ô femmes, de vin doux, ma gorge desséchée; rafraî-
«chissez de roses nouvelles ma tête brûlante I Mais, qui rafraîchira mon
« cœur incendié par les amours?
« Je m'assoirai à V ombre de Bathylle, le jeune arbre à la ver-
« doyante chevelure. Auprès de lui coule et murmure la fontaine de per-
« suasion. C'est là, voyageur épuisé, que je prendrai une nouvelle force. ...»
Proudhon ajoute : « La comparaison de Bathylle à un arbre jeune et ver-
« doyant est familière aux Orientaux : ces vers d'Anacréon semblent tra-
« duits, mot pour mot, du Psaume i, v. 3-4; « « Il en sera de V homme
« «vertueux comme d'un arbre planté au bord d'une eau courante, et
« « qui donne son fruit dans sa saison : son feuillage ne séchera pas et
« « toutes ses œuvres seront prospères. » »
Proudhon aurait pu ajouter, pour faire sentir encore davantage la
poésie des vers anacréontiques, que, dans les pays chauds de l'Asie, on
aimait se rafraîchir à l'ombre d'un arbre placé près d'une fontaine.
Aussi choisissait-on généralement, pour les consacrer aux dieux, de
beaux arbres touffus, placés près de fraîches fontaines, et élevait-on, de
préférence, dans de tels endroits, des sanctuaires et des temples. (Voy.,
p. 230 , la Fontaine de Mimir et Y Arbre de Mimi,)
VIII.
aainifi b \iO V,\o<i ai gôlijt; 1> , : (A la page 208.) 'jtqt. b B;
'• té' tíökáe 5e2'rf?ëre%ifr (Porte-crible) désignait îésmagiciens portant
le crible qui leur servait d'instrument de magie. Le crible ordinaire opère
la séparation de ce qu'on conserve comme bon et de ce qui passe pour
mauvais et qu'on rejette. Or, la destinée fait aussi le partage du bien et
du mal. C'est pourquoi le crible est devenu le symbole du destin; et
cribler était une opération magique par laquelle on était censé produire,
selon l'intention, des effets bons ou mauvais. Le mot norrain seidr paraît
imité du slave sito (crible), et l'opération magique , produite par le crible,
a passé probablement de la pratique des Slaves dans celle des Scandi-
naves. (Voy. De l'Influence exercée par les Slaves sur les Scandinaves
dans l'Antiquité, p. 12-18.)
IX.
(A la page 235.)
Nous avons préféré, par les raisons indiquées, comme nom de l'Écu-
reuil mythologique, la leçon Ratakostr, signifiant Compagnon du Rat, à
NOTES ADDITIONNELLES. $t^
la leçon jusqu'ici restée inintelligible de Ratatoskr, qui a été admise
par Mobiusj dans son Edda Sœmundar hins Fróda^ Leipzig, 1860,
p. 36. Si cependant cette dernière leçon ou celle de Ratatoskr devait être
la vraie, voici comment je crois qu'il faudrait l'expliquer.
Le mot toskr n'a rien de commun avec le mot allemand Tasche (poche)
ou l'italien tasca^ qui proviennent d'un thème signifiant enlever, em-
porter. (Voy. Diez, Etymol. fVörterb., p. 343.) Le mot toskr provient
de toskr, comme le français sol (seul) provient de solo. Toskr dérive de
taskur, le a radical s'étant obscurci ou changé en o par l'influence de
Vu final. Taskur est une métathèse de iaksur, comme, par exemple, le
Scythe skaïs (p. 277) est une métathèse de ksaïs (sanscr., kchayas).
Taksur correspond exactement à une forme latine, tacsus (blaireau),
qu'on ne trouve pas dans les auteurs, mais qui doit avoir existé dans le
langage populaire, puisqu'en italien elle s'est changée en tasso, qu'on
ne saurait dériver directement de l'allemand Dachs. Taxus et ses cor-
respondants ont dû se trouver non-seulement dans les langues aryennes,
mais aussi, sans doute par emprunt, dans les langues sémitiques. En
effet, l'hébreu tachash, l'arabe tochas, correspondent au latin taxvs et
désignaient probablement, comme lui, le taisson. A la forme allemande,
Dachs, semble avoir correspondu anciennement une forme gotique^ thahs
(p. thahsus).
Le nom tacsus dérive d'un thème verbal taks, qui signifie toucher à
plusieurs reprises (cf. lat. taxare et tagere)^ piquer, fouiller, tailler
(sanscr. takch). Tacsus désigne donc comme fouilleur, le blaireau, que
les Suédois nomment grâfsvin (porc fouilleur), tandis qu'ils donnent le
nom de takse au chien basset{^\\. Dachs).
Au mot masculin allemand Dachs, correspondait un mot féminin,
Dehsa (taissonne), qui, combiné avec egi (serpent, gr. echis), a formé le
composé egidehsa (taissonne-serpente), signifiant lézard (ail. ei-dechsé).
En effet, le lézard est un serpent 2L\ec quatre pieds; il est bas sur jambes,
et a les pieds de devant tournés en dehors comme le taisso7i et le basset;
de plus, il est fouilleur comme le taisson, et a sa retraite dans un trou,
comme le blaireau. (Voy. Les Gètes, p. 226.)
Dans la langue norraine toskr, dérivé de l'ancien taksus, paraît avoir
eu , comme le latin tacsus, la signification de taisson. Dans le nom Ra-
tatoskr il se trouve composé avec Rati, qui signifie corrodeur, ron-
geur, rat, si on dérive ce nom de gratter (lat. radere, rodere), ou rôdeur,
si on le dérive de rôder (goth, vraton; norr. rata). La première signi-
fication de rongeur, rat, semble appuyée par le sens du composé Rata-
munnr [Museau-de-Rati) , nom qui a été donné au merveilleux rat
rongeur, dont Odinn s'est servi comme d'une tarière pour percer un
trou dans la paroi de la demeure de Gunnhlöd. (Voy. p. 290, Hâvamal,
str. 107.) Dans ce cas, le nom de Ratatoskr (Taisson de Rati) aurait été
donné à cet animal mythologique , parce que l'écureuil ne vit pas seule-
ment dans une bauge sur l'arbre, mais aussi dans un terrier, comme le
taisson; de plus, il tient du rongeur, du rat ou de Rati, parce qu'il
appartient essentiellement , comme le rat, à l'espèce des rongeurs. Mais
350 NOTES ADDITIONNELLES.
sll'on donne à Rati la signification de rôdeur, alors récureuil mytholo-
gique aurait eu le nom de Ratatöskr (Taisson du rôdeur), parce qu'il est
à la fols /ouilleur et rôdeur, qu'il pénètre partout, et va et vient sans
cesse, depuis le sommet jusqu'aux racines de l'arbre d'Yggdrasill, pour
remplir son rôle de messager et de rapporteur.
X.
Les conceptions en mythologie reposent généralement, comme celles de
la poésie , sur des intuitions ou sur l'observation plus ou moins vraie
ou scientifique des phénomènes de la nature. Aussi , ces intuitions se
relrouvent-elles assez souvent à la fois sous forme de mythes et sous
forme de conceptions poé%wes. Telle est, par exemple, la conception
du mythe de Thor, buvant la mer, soit du Soleil , surnommé Papis (bu-
veur), dans la mythologie hindoue d'un côté, et, de l'autre, la concep-
tion poétique du soleil qui boit la mer, dans l'ode anacréontique sui-
vante, intitulée Le Buveur:
Le noir terreau boit;
Dans lui les arbres boivent;
La mer boit les vapeurs jqgfj^^-iji^j^,
Le soleil boit la mer;
La lune boit le soleil.
,, , ,, Pourquoi me gourmander, amis!
■ ' "'^' . , . Y Si moi aussi je tiens à boire.
*'Voy.' £a m*a^è/e dans les différentes littératui^es anciennes et
modernes, p. 20.
XI.
(A la page 274.)
Le sanglier ou verrat était le symbole du soleil (voy. p. 204) ; il y a évi-
demment un rapport mythologique direct entre le dieu héros Iring
(Verrat) , le nom de Chrysodonte (Défenses d'or) donné à Heimdall, et le
sanglier consacré à Freyr. Le sanglier figure dans plusieurs traditions
des anciens /^rancí; nous les avons expliquées dans un mémoire inti-
tulé : Origine et signification du nom de Franc (oifert à M. Bopp pour
sa fête du 1 6 mai i 866), Strasbourg et Colmar, 1 866.
Nous avons montré dans ce mémoire (p. 13) que le mot grec héros
correspond au sanscrit t-ara/ias et signifiait originairement combattant,
guerrier, héros. Cette explication se confirme encore par ce que nous
avons dit de l'origine des noms Scandinaves de larles (Aigles, comtes,
p. 184) et de Barons (Ours, p. 306).
XII.
(A la page 341.)
,jC'étaitune croyance ancienne que les hommes sont nés de la terre,
ou que la terre était la mère ou la matrice du genre humain. (Voy. Les
Gètes^ p. 173, note 1.) Plus tard s'introduisit l'usage d'enterrer les morts
NOTES ADDITIONNELLES. 351
OU de rendre à la terre ses enfants. La sépulture fut donc considérée
comme la rentrée, après la mort, dans la matrice terrestre. En sanscrit,
le mot garbhas (réceptacle) signifle la matrice, et il a une parenté éloi-
gnée avec le mot germanique grab (creusé) qui signifie tombeau. Ce-
pendant, le rapport entre les deux mots ne paraît pas avoir été reconnu
d^ns l'antiquité; on voyait seulement la terre d'où le genre humain était
sorti, et le tombeau où l'homme rentrait après la mort. C'est celte idée
générale qui est exprimée par rapport à la terre par ce vers de Lucrèce:
Omniparens eadem rerum commune sepulchrum.
Plus tard, lorsque la croyance à l'immortalité et à la renaissance après
la mort se fut développée, le tombeau fut considéré comme une matrice
terrestre, dans laquelle s'opérait la renaissance. Aussi, pour exprimer
ou représenter une renaissance morale quelconque, a-t-on eu recours
à un acte symbolique qui énonçait que tel ou tel individu avait subi une
renaissance en ce qu'il était sorti de nouveau de la matrice symbolique
terrestre. Pour représenter à l'œil cette matrice terrestre , on pratiquait
une ouverture dans la terre, en soulevant une longue et large bande
de gazon [torfa long; iardar men) qu'on étayait au milieu par une lance.
L'acte symbolique de la renaissance consistait à descendre sous cette
bande comme dans un tombeau, pour en sortir ensuite, comme d'une ma-
trice, rendu à la vie et renouvelé physiquement ou moralement par cette
seconde naissance. C'est ainsi que deux guerriers qui n'étaient pas déjà
frères par naissance, devinrent frères d'armes par un acte de renais-
sance. Ils descendaient, tous deux, sous la bande de gazon , s'y tenaient
accroupis el s'entrelaçaient de leurs bras comme des jumeaux dans l'u-
térus; ils suçaient ensuite quelques gouttes de sang l'un de l'autre pour
indiquer par làridenlité ou la communauté de sang comme frères uté-
rins (voy. Flérodote, IV, 70) ; enfin ils sortaient de cette matrice artifi-
cielle ou symbolique comme par une nouvelle naissance ou renaissance
au moyen de laquelle ils étaient devenus /rères utérins. Comme frères
ils étaient dorénavant les protecteurs nés et obligés ou les souteneurs
{fratres) l'un de l'autre, comme l'énonce le nom même At frère (frater
qui vient de ferre, soutenir); ils étaient ainsi devenus, à la vie et à
la mort, frères d'armes (slav. pobratimi; voy. Les Gètes, p. 118).
Dans les pays Scandinaves on se soumettait assez souvent à cette céré-
monie de la renaissance quand on voulait prouver qu'on était devenu
moralement un autre homme (cf. Évangile de Jean, m, 4). Ainsi, ceux
qui reconnaissaient leur tort pour se le faire pardonner, se justifiaient en
subissant la cérémonie de la renaissance ci-dessus décrite. La récon-
ciliation entre hommes, qui avaient été des adversaires , s'opérait éga-
lement par cette même cérémonie, laquelle indiquait que ceux qui anté-
rieurement n'avaient pas été frères par leurs sentiments, le devinrent par
cette nouvelle naissance. C'est ainsi que doit s'expliquer cette cérémonie
symbolique de la sortie de dessous les bandes de gazon, dont quelques
exemples sont rapportés par Grimm {Rechtsalterthumer, p. 118-149).
•(Óív^f'
REPERTOffiE GENERAL ALPHABÉTIQUE^
DES MOTS ET DES CHOSES EXPLIQUÉS DANS CET OUVRAGE.
(Les chiffres indiquent les pages.)
A.
Adals-fé, propriétés foncières, 330,
Æthelweard , moine anglo-saxon 5 son
evhémérisme, 18.
Agathubsos; explication de ce nom,
280. —Substitué à Arposkaïs, 193.
Age d'or; prétendu âge d'or des Ases,
214-216.
Age-des-Tempêtes, commencement du
Crépuscule-des-Grandeurs, 338.
Agnis, dieu de la mythologie hindoue,
174.
AiNEïA (district d'Aïnos), ancien nom
de l'Europe, 28. Cf. Enea.
Alfes; explication de ce nom, 239. —
Génies célestes confondus avec les
Dvergs, 190. — Séjour-des-Alfes,
239.
Alfödor; explication de ce nom épi-
thétique d'Odinn, 155, 156, 158.
Allégorie; introduite dans Texégèse
et la théologie mystique, 58.
Allongé (Andlang) ; explication du nom
de ce Séjour céleste, 241.
Amies-des-Ases (Asyniur) , 209.
Anacréon ; Ode d'Anacréon, traduite par
P. J. Proudhon; note additionnelle VII.
Anantas, Serpent de la mythologie
hindoue, 286.
Angol; explication de ce nom, 266.
Angdrbodi, femme de Loki, 285.
Anténor , considéré comme le père des
Danes, 28.
Anthropogonie mythique, 13, 193.
Aphrodite veut racheter Adonis du
Hadès, 328.
Apia, déesse de la terre chez les Scy-
thes, 189. — Mèrede Targitavus,
père des Scythes, 193. — Épouse
de Tivus, 300.
Apokatastase, renaissance et rétablis-
sement des choses, 13.
Apollodôros; son ouvrage sur les
dieux, 60.
Arbre-des-Ages (Kalpa-droumas) de
la mythologie hindoue, 225.
Arbre-de-Mimi de la mythologie Scan-
dinave, 226.
Arbre-de-Sagesse, ou arbre de science
de la mythologie hindoue, 223.
Arbres métamorphosés en hommes,
194.
Archaïque. — Noms archaïques dans
les historiens, 25, 26.
Ardjounas, demi -dieu hindou; son
épée merveilleuse, 257.
Ari le Savant, contemporain de Sæ-
mund le Savant, 30.
Arposkaïs, demi-dieu scythe, fils de
Targitavus, 193.
Artinpaza , déesse scythe , surnommée
Kvâlia, 283.
Arvan (Coursier), épithète hindoue du
soleil, 205.
Arvernes, se disent issus des Troyens,
27.
AsEs; explication de ce nom, 244. —
D'après Snorri, les Ases originaires
de TAsie, 43. — Ont régné à By-
zance, 44. — Ont quitté TAsie du
temps de Pompée, 46.
Asie; explication de ce nom, 43.
AsKR (Frêne), le premier homme, 164.
AsTRAïos, fils du Soleil, 274.
AsYNiEs; explication de ce nom, 244.
Atli; explication de ce nom, 169.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
853
Attilas; explication de ce nom, 159,
208.
Attiques; Nuits attiques, titre d'ou-
vrage, 7Í.
AuDHUMLA , la vache primitive ; origine
et nom de cette vache, 181.
AuKHATEs, Scythes issus de Hleipo-
skaïs, 278.
Bains-de-Bassin (Kerlaugar) mytholo-
giques, 212.
Bakouï, géographe arabe, note VI.
Balthds, nom du soleil, 201.
BXldïgj explication de ce nom du so-
leil, 258.
Balddr, le soleil d'été, 259. — Ex-
plication de ce nom, 258. — Fils
d'Odinn et de Frigg, 259. — Meurt
à la fleur de l'âge, 259. — Sourcil-
de-Baldur, nom d'une plante, 259.
Banc-du-Sdbmergé, nom du manoir de
Saga, 290.
Baraques d'Ol af; leur destination, 318.
Barbe-Pendante et
Barbe-Velue, noms épithétiques d'O-
dinn, 248.
Barons; explication de ce terme, 306.
Barres, espèce de patins des Finnes
patineurs, 263.
Basiant de Constantinople, démon ma-
gicien, 57.
Beli, frère de Gerdur, tué par Freyr,
303.
Bellerophôn; explication de ce nom,
282.
Bendis, nom grec de la déesse des
Thrakogètes, 206.
Benfey, Pantcha-iantra, 236.
Beowulf; explication de ce nom, 159,
208.
Berekdnthos (Domaine de Berekun),
252.
Berbschit, titre du livre de la Genèse,
71.
Bergelmir, petit-fils d'Ymir, 187. —
Souche de la seconde race des
Thurses-Givreux , 188.
Berserkir; explication de ce nom, 329.
BtFLÎDi, et
BiFLiNDi, noms épithétiques d'Odinn,
161.
BiL, fille de Yidfinn, 204.
BiLETSTA OU Beystla; signification de
ce nom de géante, 185.
Bil-skirnir; explication de ce nom, 254.
BiRON (Byron); signification de ce nom,
159.
Blâinn, nom épithétique d'Ymir, 176.
Blanc, synonyme de saint, 237.
Bleu-au-Large , séjour céleste, 241.
Bocage -DE -Mer (Sælundr), ancien
nom de nie de Séeland, 140.
BoG (dieu); signification de ce nom
slave, 214.
Bois-de-Fer, forêt mythologique ha-
bitée par des géantes, 210.
Bois-des-Thermes où est couché Loki,
334.
BoK (livre) ; origine de ce terme nor-
rain, 73.
BöLTHORN, père de la géante Beystla,
185.
Bonne -Sainte -Vermine, à Poitiers,
286.
BoRNHOLM pour Borgundarholm (île des
Burgondes), 140.
Borysthènes; explication de ce nom,
301.
BöR, père d'Odinn, 183. — Explica-
tion de ce nom, 184.
Bossuet; son point de vue historique
étroit, note I.
Bouclier; noms poétiques employés
par les Skaldes pour le désigner,
147.
Boucs attelés au char de Thôr, 256.
BovNE HoïE, hauteurs où les Danois
allumaient les signaux, 289.
Bragi; explication de ce nom, 272. —
Dédoublement du dieu du soleil et
dieu de la poésie, 272. — Fils d'O-
dinn et de Gunnhlöd, 273. — En-
tretiens de Bragi (Bragarœdur) ,
titre d'un ouvrage inachevé de
Snorri, 30.
354
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
Beagi le Vieux, un des plus anciens
skaldes du Nord, 142. — Des vers
de Bragi cités par Snorri, 143.
Brillant, nom d'un séjour céleste,
241.
Brille-resserbée, cataracte mytholo-
gique, 333.
Brimir, nom épithétique dTmir, 176.
Brise-Giel, nom symbolique des gla-
çons primitifs, 327.
Brise-Enceinte, mère de Lance-Sabot,
298.
Brisinga-men, Bijou des Fils de Brisi,
294.
Brock , dverg qui a fabriqué le Meunier
de Thôr, 257.
Brdt, considéré comme le fondateur
de la ville de Tours et comme père
des Bretons, 28.
Bucher-flottant de Baldur, 329.
Burgcnd; explication de ce nom, 253.
BûRi, souche des Thurses- Givreux
adoucis, 182. — Formation lente
de Bûri, 183.
Bdrnodf, sa traduction du Bhagavat-
Pouranam , 1 50. — Explication du
nom de Burnouf, 309.
Bdtte-de-Hoddmimir, 331.
Bdtte-de-Svarin, 223.
Buveur, nom épithétique du soleil,
252, 286.
Byleist, frère de Loki, 285.
Byrgir, propriétaire de la fontaine
dans la lune, 204.
C.
Calamité-tombante , nom de la herse
du Séjour de Hel, 287.
Catastrophes physiques, conséquences
du désordre moral, 336.
Gatéchétique; la forme catéchétique
dans renseignement religieux, 60.
Cattle, mot anglais du latin capitale,
144.
Ceinture-de-force de Thôr, 257.
Cerf-du-Soleil; sa signification, 206.
Cerfs; leur signification mythologique,
236.
Cerquand. Son mémoire sur les Har-
pyes, 235.
Ghamp-aux -Sources, résidence d'Idunn,
273.
Chair-salée de Troyes; sa significa-
tion, 286.
Ghapeau-rabattu , nom épithétique
d'Odinn, 248.
Gharos, le génie de la Mort, 324.
Chauffée; rivière du Feu-flambant de
r arc-en-ciel , 211.
Chaumine-aux-portes ; explication de
ce nom, 240.
Ghaumine-de-Vali5 explication de ce
nom, 240.
Chekend-goumani ( Destruction du
Doute); titre d'une dissertation phi-
losophique en pehievi, 72.
Cheval-céleste , Tancienne hypostase
du soleil, 206. — Symbole de la
Nature dans le Yadjour-Vêda, 225.
Ghevaucheuses-de-nuit , magiciennes
mythologiques, 210.
Chevaux sacrifiés au dieu Soleil , 205.
Chevelure non coupée, signe de li-
berté, 293.
CnoisiT-LEs-Occis ; traduction du nom
• de Yalkyries, 299.
Chrotta (hirondelle), instrument à
corde, 272.
Chrysodonte (Dent d'or) ; nom épithé-
tique deHeimdall, 276.
CicÉiioN emploie la forme dialoguée
dans quelques écrits philosophiques,
60.
Clôtureur, traduction du nom de Loki,
328.
Codex regius, le plus ancien manuscrit
derEddadeSœmundàlabibliothèque
royale de Copenhague, 41.
COLONNES-DU-CHEMIN-EN-FACE, 150.
Commerces; nom descompotationsdes
étudiants allemands, 322.
CoMORiN ; explication de ce nom, note YI.
Conte populaire, rabaisse les faits de
la tradition mythologique et épique,
317.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
355
Conseillères - dd - sanctuaire ( Alhi-
rûnas) chez les Gètes, 231 ; 298.
CoNTiENT-LES-siÉGEs; 0001 de la salle
deFreyia, 268.
CoaioN (Jean) ; son Chronicon , note I.
CoRNK-coDRBÉE ; nom du navire de
Baldur, 329.
Corne de Giöll ; nom du cor de Heini-
dall, 229.
CoRNE-DE -punition dans les compota-
tions des Normands, 322.
Cosmogonie; partie intégrante de la
Mythologie, 168.
Couleur; nom de dverg; sa significa-
tion mythologique, 330.
Course; lutte à la course dans l'anti-
quité, 322.
Coudras ; caste inférieure née des
pieds de Brahmas, 180.
Crépuscule - des -Grandeurs ; explica-
tion de ce nom, 335.
Crin -GIVREUX ; nom du cheval qui
traîne le char de la Nuit, 201.
Crin - LUISANT ; nom du cheval qui
traîne le char du jour, 201.
Croque-dent ; nom de Tun des boucs
de Thôr, 266.
Cure (Eir); nom de la servante de
Freyia, 291.
Cygne; signification" mythologique du
cygne ; explication du nom de cygne,
238.
D.
DÂ ou Dé (aïeule), 278.
DAgr fils de Delling, 200. — Explica-
tion de ce nom, 194.
Dakchas, né de la main droite de
Brahmas, 180.
Daktulos; pourquoi ce nom signifie
Nain, 318.
DÂ-MATER ou Dé-mèter, aïcule-mère ,
300.
Danes , considérés comme issus d'An-
ténor, 28.
Daniel, vision des quatre empires,
note I.
Danemark; explication de ce nom
66.
Danse de cimetière ou Danse des
Morts, 325.
Danse macabre ; explication de ce
terme, 325.
Dégouttant , nom de Tanneau de Bal-
dur, 330.
Delling , nom du troisième époux de
Nott, 200.
Dè-méter; explication de ce nom,
158.
Dent-courbe -meurtrière; nom épi-
thétique du vçrrat de Freyr, 331.
Derbikkai; explication du nom de ce
peuple scythe, 194.
Devineresses; leurs caractère et attri»
butions dans le Nord, 67.
Dialogue; origine de la forme dialo-
guée, 52. — Cette forme passe des
ouvrages épiques dans les ouvrages
philosophiques, 59. — Le dialogue
dans les Sentences de Khong-fou-
tsö et les Entretiens de Meng-tsö,
59. — Dialogue rapporté diflérent
du dialogue dramatique , 70.
Dieu-donné; nom du cor du demi-dieu
Ardjounas, 229.
Dieux, adorés à cause de la puissance
surhumaine qu'on leur attribue)68.
— Dieux transformés en Démons,
18,
DioNUSios de Milet; son explication
des mythes, 16.
Disposition primordiale (orlog), nom
du Destin, 232.
Dits de Grimnir, 249. — Dits de
Sublime, 342. — Dits de Vaf-
thrudnir , 69.
Divin; le chef de district (hêrads höf-
dingi) en Islande était aussi Divin
(godi) ou administrateur des affaires
religieuses et ecclésiastiques, 29.
Divinités; les plus anciennes étaient
originairement zoomorphes, 204.
Djagad-bakchakas (Mangeur du
Monde); nom épithétique de Çivas,
174.
356
RÉPERTOmE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
Dœmi-saga (Récit-Exemple); nom dé-
signant Tapologue, la fable et le
mythe, 76.
Dragon de Saint-Bienheuré à Ven-
dôme, 286.
Dragon de Saint-Marcel à Paris, 286.
DuRiNN; nom du second chef des
Dvergs, 220.
DuzH-AK ; génie du Mal chez les Perses,
174; 234.
Dvergs; génies de la mythologie Scan-
dinave, 218. — Leur origine, 220.
— Les quatre Dvergs aux quatre
coins du ciel, 190.
Echidna; explication de ce nom, 228,
301. ~ Echidna substituée à la
déesse Scythe Apia, 193.
EccLEsiA IN DNDis {Wasser-Kirchc) ^
211.
Échauffée ; nom de la rivière du Feu-
Flambant de Tarc-en-ciel, 211.
Edda; explication de ce nom, 158. —
Edda de Snorri^ 1. — Recueil ap-
pelé Edda, 39; 73. — Règles de
TEdda , pour dire préceptes de poé-
sie, 40. — Art de TEdda, pour
dire art poétique, 40. — Edda,
nom inconnu à Sæmund et à Snorri,
41. — Edda de Sæmund, recueil
formé au commencement du qua-
torzième siècle, 41.
Edda de
Snorri, recueil formé avant le re-
cueil de TEdda de Sæmund, 41.
EiDECHSE (lézard); explication de ce
nom allemand , note IX.
EiKTHYRNiR, ccrf mythologiquc ; ex-
plication de ce nom , 1 7 1 ; 311.
BiNHERiAR (Troupiers-uniques) d'Odinn
164.
Eirikr; explication de ce nom, 274.
Eldcr (feu); explication de ce nom,
173.
Eliudnir ; nom de la salle de Hel , 287.
Elivagar; explication de ce nom ,171.
Embla (Orme) ; nom de la femme pri-
Encadrement littéraire dans la poé-
sie épique et le Mahâbhârata, 62; —
dans les ouvrages didactiques, 63;
— dans THitaupadaiças , 63; —
dans le Décamérone de Boccacio,
63; — dans les poèmes de TEdda,
64. — Origine de Tencadrement du
Gylfaginning, 65.
Enclos-des-Ases ; Tancien Enclos-des-
Ases d'après Snorri, 196.
Enclos-mitoyen, sa situation, 192.
Enea; nom archaïque de l'Europe ; —
explication de ce nom, 28.
Enhardi; nom du père de Frais-de-
Souffle, 243.
Énigme, employée dans les joutes scien-
tifiques, 53; — est une forme litté-
raire usitée, 58.
Épine-assoupissante; nom d'une ba-
guette magique , 328.
Ermun-ddr; explication de ce nom,
194.
Eschatologie ; fait partie de la Mytho-
logie, 13.
Ésotériqde; enseignement ésotérique
d'Aristotelès , 60.
Espèces, leur prétendue immutabilité,
178.
Établissement ; synonyme de Loi ,
230.
Ethnogonie des Scythes, 193.
Étincelant; nom de la résidence de
Forseti, 239; 284.
Étranglant ; nom du lien magique en-
chaînant Fenrir, 289.
Europe ; appelée Enea, 28.
Évadné; explication de ce nom, 301.
«— Monte au bûcher de son mari
Kapanéus, 330.
Evhéméros ; auteur du système evhé-
méristeen Mythologie, 16. — Evhé-
mérisme des Pères de TÉglise, 17,
— Evhémérisme chez les peuples
germaniques, 18.
Examinatoire; forme examinatoire dans
renseignement, 60.
Exoine; explication de rorigine de ce
nom, 297.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
^7
ExoTÉRiQCE ; l'enseignement exotérique
d'Aristotelès, 60.
Fauguni (montagne); rapport de ce
mot gote avec le dieu Fiörgynn,
253.
Fabbauti; nom du père de Loki, 285.
Fascinateur-solaire; nom épithétique
du Serpent de TEnclos-mitoyen ,
286.
Fascination de Gclfi ; ce qui a donné
ridée de composer ce traité de My-
thologie, 30. — Snorri est fauteur
de ce traité, 31. — Preuves intrin-
sèques et extrinsèques , 32. — Si-
gnification et raison de ce titre ,71.
— But plutôt scientifique que lit-
téraire de Snorri en composant ce
traité, 49.
FaisAHTs (épreuve d'attention); nom
gote pour désigner Ténigme et la
parabole, 75.
Fatigant -DE -Souffrance ; nom du
seuil de la porte d'entrée du Séjour
deHel,287.
Fadnds; explication de ce nom, 256.
Favonids; explication de ce nom, 256.
Femme; désignation skaldique de la
femme , note additionnelle VU.
Femmes-Fantômes (Tröllkonur), 210.
Femmes-Yictimaires, chez les Scythes
et leurs descendants, 298.
Femmes-de-yision (Spâkonur) chez les
Scandinaves, 231.
Fenrir; explication de ce nom, 288.
— Loup mythologique, fils de Loki
et d'Angurbodi, 288. — Enchaîné
par les Ases, 288.
Ferté-Géleste ; situation de cet En-
clos des Ases, 192.
Feu; ancienneté du feu d'après le
mythe, 173.
Feu-flambant (Vafurlogi), 211.
Fiançailles de Freyr et de Gerdur,
304.
Figuier-db-Cheval , arbre de la my-
thologie hindoue, 223.
Fils adoptifs d'Odinn; nom épithétique
des Troupiers-uniques, 306.
Fimbul; explication de ce nom, 302.
— Fleuve mythologique, 172.
Fimbdl-Yetr (Terrible Hiver) , 211.
FiNNEs, appelés Merveilleux (Tchoud)
et Magiciens (Tchoukhonsi) par les
Slaves, 68.
FiNNEs Patineurs (Skridfinnar), 263.
FioNiE ; explication de ce nom , 66.
Fiölnir; nom épithétique d'Odinn, 161.
Fiörgynn; signification de ce nom,
245; 250.
Flèches ; symboles des rayons solaires,
278.
Foen; explication de ce nom usité en
Suisse, 256.
Fontaine-de-Sagesse ; origine de ce
mythe, 228.
Force d'Ase, 257.
Forêt-aux-fecilles-épées ; de la my-
thologie hindoue ,210.
Forniotr ; explication de ce nom , 303 ;
— personnage mythologique cor-
respondant au dieu slave Porenut
et au dieu scythe Vrintus.
FoRSETi, fils de Baldur; explication de
ce nom, 284.
Franco, prétendu fils de Hektor et
fondateur des Francs, 28.
Frank; explication de ce nom, 266.
Voy. Note additionnelle XL
Frauía (Seigneur); explication de ce
nom gote, 265.
Fravashi (âme); explication de ce nom
zend, 217.
Freki ; nom d'un des loups d'Odinn, 308.
Fbekclf; explication de ce nom pro-
pre, 309.
Frères d'armes; cérémonie symbolique
pour devenir frères d'armes, note XII.
Freyia; origine de ce nom, 267. —
Comparée à Vénus, 267. — Substi-
tuée à Frigg, 293. — Freyia-aux-
belles-larmes , 331.
Frigg ; explication de ce nom, 197;
250. — Épouse d'Odinn, 290.
358
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
Frimas-de-feu; explication de ce nom
mythologique, 307.
Frimas-d'haleine; explication de ce
nom mythologique, 307.
Frimas-de-mer ; explication de ce nom
mythologique, 307.
Frisahts; explication de ce terme de
la langue gote, 58. • '<"''i-
Frôdi, l'un des rois succesééur's'á'O-
dinn, 45. — Paix de i^drfr rap-
prochée par Snorri du règne d'Au-
guste, 46.
Fdlla, déesse de TAbondance, 332.
— Dédoublement de la déesse Frigg,
292.
Gaïsos; explication de ce nom, 270.
Gajoko (similitude) ; explication de ce
nom gote, 75.. ' '
Gangleri (Piétorirtëut) , nom que prend
Gulfi dans La /öícmaí/owrfe Guîfi, 69.
Gangrâdu (Pourvoit-au-voyage) ; nom
épithétiqued'Odinn, 69.
Gantelets-de-fer du dieu Thôr, 257.
Garbhas (matrice), rapproché de Grab
(tombeau), note additionnelle à la
page 341.
Garcin de Tassy : les auteurs hindous-
lanis et leurs ouvrages, etc. Note III.
Gargouille de Saint-Romain à Rouen,
286.
Gebleistis; nom épithétique de Skal-
moskis, 284. '^"^ ^'' "'
Gefion (prononcez Gâfion) ; ^dédoùbie-
ment de Freyia, 291. — Explica-
tion de ce nom, 291. — Épouse de
Skiöldr, 292. — Déesse adorée en
Fionie, 67 5 — adorée dans Sæ-
lund, 141.
Gefn (abîme); nom épithétique de
Freyia, 294. ■— Déesse des Svies
et des Gautes, 140.
Oeirahod Valkyrie; explication de ce
nom , 300.
Gelmerbach; rivière en Suisse, 171.
Gelonos ; nom substitué par les Scy-
Iho- Grecs à celui de Kolaskaïs,
193. — Explication de ce nom, 282.
Génération; y a-t-il une génération
spontanée possible? 178; 179.
Gerce-Peau: nom du père de Lance-
Sabot, 298.
Gerdur; nom de la sœur deBeli, 304.
Geri; nom d'un des loups d'Odino,
308.
Ghata-Karparam {Cruche brisée),
poëme idyllique dialogué, composé
par Ghata Karparas , 72.
Gilbertil; nom d'un géant magicien
suédois, 289.
Gimli; nom d'une demeure céleste;
n'est pas identique avec Yingoif, 1 64.
GiNNUNGAGAP ( Bâillement des Mâ-
choires); explication de ée'npm,
169; 190. - ' '■'; ''■"'''
Giöll; nom d'un fleuve mythologique,
172. ":'^'-'
Glacial; état glaciai de notre planète,
176.
Glaciers, beaucoup plus nombreux
sur notre planète dans les temps
primitifs, 176; 177.
Glén; nom du Gancé de Soi; signiflca-
tion de ce nom, 203.
Gnâ; explication de ce nom, 297.
Grâgâs (Oie grise); explication de ce
titre du plus ancien code de lois des
Islandais, 73.
Grande-Gueule , dragon à Poitiers,
286.
Grand* Ville (Mikligard); nom donné
par les Normands à Byzance ou
Constantinople , 44.
Grégoire , surnommé Père-de»la-Joie ;
son histoire abrégée des Dynasties,
25.
Grimm; ses Rechtsalterthûmer. Note
additionnelle à la page 341.
Grince-J)ent ; nom de l'un des boucs
du Dieu Thôr, 256.
Grouille, dragon à Metz, 286.
Gulfi; roi de la Marche finne, 139;
— sa généalogie mythique , 1 39.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
359
GuLFi, interlocuteur dans La Fascina-
tion de Gulfi, 66.
GuNNHLöD ; nom de la Gardienne iot«
nique de l'hydromel sacré, 290.
Gdndthrâ; nom d'un fleuve mytholo-
gique, 172.
Gygh; signification de ce nom, 210.
Gymir ; nom du père de Beli et de Ger-
dur, 303.
I
Hakon; explication de ce nom, 266.
Halle-des-Occis ; sa forme extérieure,
d'après Snorri, 146. — Son éléva-
tion, 147. — Pourquoi elle a la forme
d'une rotonde, 146. — Pourquoi
appelée For t-de- Bouclier s ^ 146. —
L'intérieur de la Halle, d'après
Snorri, 148. — Les allées de la
Halle, d'après Snorri, 149. — Ses
portes ensorcelées, 150.
Hallinskidi , nom épilhétique de Heim-
dall, 275.
Hin (Sublime), dieu snpréme, 152.
Harslygi (Mensonge de Sublime) ; autre
titre de Lsl Fascination de Guîfi, 74.
HÂsYARNAYA (Mer du Rire), titre d'une
comédie atlribuée à Kâlidâsas, 72.
Hati, le loup iotnique, ennemi de
Mârii, 207. — Explication de ce
nom, 209. — S'empare de Mâni,
338.
Hacpt, Vnlersuchungen zur deut-
schen Sage; voir Note additionnelle
à la page 185.
Heacme-dc-Cocyrant (Hulins hialmr),
espèce de nimbus, 248.
Heft-Kolsoum (Océan septuple), titre
du dictionnaire persan imprimé en
1822, 72. .,"■ •^';;;
HkidrCne, chèvre qui donné son lait
aux Troupiers-uniques , 309.
Heimdallr; explication de ce nom,,
194; 275. — Dieu de l'aube, 275.'
— Fils de neuf vierges, 275. —
Dieu du commencement des choses,
276. — Dieu de la génération, 277.
— Portier des Ases, 277.
Heimskringla (Cercle du monde), titre
d'un ouvrage historique de Snorri,
28; 74. — Ouvrage composé par
Snorri après La Fascination de
Gulfi, 33-35.
Hel; origine et explication de ce nom,
268; 287.— Fille de Loki et d'Aur
gurbodi, 288.
Helblindi, nom du frère de Loki, 285
Hercyniennes (Montagnes) ; explication
de ce nom, 254. — Consacrées à
Herkunus, 302.
Herder; une de ses idées, 336.
Herfiötcr Valkyrie; explication de ce
nom, 300.
Herkdna; explication de ce nom , 253.
Herkunes est identique à Hercules,
251. .i> <n;;= viiv^s ;>'u--iii
Heiikcnos est identique avec Perkaws,
252.
Hermôdr, fils d'Odinn, 328. — Va k
Hell,331.
Heruan ( Herian ) , nom épithétique
d'Odinn, 159.
Hesses, ancêtres desHessois; expli-
cation de ce nom, 281.
Hexen (Sorcières); origine de ce mot
allemand, 210.
HiLDiR Valkyrie ; explication de ce
nom, 300.
Histoire; disposition naturelle et
scientifique des matériaux de l'his-
toire, 47. — Philosophie de l'his-
toire, note additionnelle L — His-
toire des quatre Monarchies.
HiTADPADAiçAs ( Enseignement salu-
taire); titre d'un recueil de senten-
ces morales et de fables, 72.
HiDKi, nom du frère de Bil, 204.
Hiver de l'étourdissement , autre nom
du Terrible-Hiver ^ 338.
Hleiposkaïs, fils de Targilavus, 193.
— Explication de ce nom, 278.
Hj-În protège les hommes de Frigg,
300. — Explication de ce nom ,297.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE,
360
Hlöck Yalkyrie ; explication de ce nom ,
300.
Hlôddrr; explication de ce nom, 185.
Hlôdynn (Amie du Foyer), nom épi-
thétique de lord, 302.
Hnikar (ou Nikar) ; explication de ce
nom, 160.
Hnikudr, nom épithétique d'Odinn,
160.
HöDDR, dieu du combat, 280. — Il
est aveugle, 281. — Instrument
aveugle de la méchanceté de Loki,
328. — Est tué par son frère Vâli ,
284.
Hoenir; explication de ce nom d'Âse,
185.
Homme ; désignation skaldique de
rhomme , note additionnelle VU.
Hommes, fils de la terre, note addi-
tionnelle à la page 341.
Hörn; explication de ce nom épithé-
tique de Freyia , 293.
Hræsvelg, aigle mythologique; expli-
cation de ce nom, 242.
Hrid, nom d'un fleuve mythologique,
172.
Hrimthcrses ou Thurses - Givreux ,
166.
Hring-mimir; explication de ce nom,
344.
HuisT Yalkyrie; explication de ce nom,
299.
Hrôdolf (Loup du combat); explica-
tion de ce nom ,209.
Hrôd-Vitnir (Présage de dévastation) ;
explication de ce nom, 209.
HuGiNN, nom d'un des corbeaux d'O-
dinn, 309.
HoMBOLDT (Alex.). Son examen critique
de rhistoire de la géographie du
Nouveau Continent, note addition-
nelle VI.
HuNANG (miel); explication de ce nom
germanique, 159.
HuNGRTAKA (Excite-appétit) ; explica-
tion de ce titre d'une biographie
des cinq premiers évoques de Skal-
holt, 73.
HvERA-LUND (Bois-des-Thcrmcs) , 338.
Hyergelmir; explication de ce nom
mythologique, 170.
HviTASKALD (Skalde blond), auteur pré-
sumé du Prologue et de l'Épilogue
de TEdda de Snorri, 28.
Hydra ; sa signification mythologique ,
286.
Hymir, personnification de l'Océan,
327. — Chant d'Hyynir, poëme de
TEdda, 326. — Strophe citée de ce
poëme, 342.
Hyndla, nom d'une magicienne, 210.
Hyrrokin, nom d'une géante, 329.
Iafnhâr (Equi-Sublime), nom d'une
des trois divinités suprêmes, 152.
Ialgr, nom épithétique d'Odinn, 162.
Iarl (Comte); origine de ce terme,
184; 306.
Ibn Tofeïli, géographe arabe, note VI.
Idéaux des choses placés au ciel,
312, 313.
Iddnn; explication de ce nom, 273.—
Épouse de Bragi, 273. — Fille d'I-
vald, 274. — Enlevée par Thiassi,
274. — Tombe de l'Arbre-de-Vie,
274.
Ile-de-feuillage, lieu de rendez-vous
de Freyr et de Gerdur, 306.
Insinuant , lien magique fabriqué pour
lier Fenrir, 288.
lôN, père adoptif de Snorri, possède
une belle collection de manuscrits
provenant de son aïeul Sæmund,
30.
löRD (Terre); explication de ce nom,
301. — Fille d'Onar et de Nott,
200. —Épouse d'Odinn, 197.
loTNEs; explication de ce nom, 167.
Iring; explication de ce nom, 194,274.
Irmin confondu avec Iring, 194. —
Explication de ce nom, 274.
Itanturscs, nom d'un roi scylhe, 208.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
361
Janet. Essai sur la Dialectique de Pla-
ton, 59.
Jeu, occupation caractéristique de Ten-
fance, 214.
Jeu-de-tables, 214.
Joute à qui boirait le plus, 322. — A
qui mangerait le plus vite, 322. —
Origine des joutes scientifiques, 53 ,
54. — Joute scientifique à outrance
chez les Hindous , 54. — Joute scien-
tifique à mort entre Vafthrudnir et
Odinn, 54-55. — Histoire d'une
joute de science racontée pour ren-
dre plus intéressant Tencadrement
littéraire d'un ouvrage, 64. —Jou-
tes de science où les questions sont
présentées sous forme d'énigme pour
rendre Tencadrement littéraire plus
dramatique, 65.
Justification juridique représentée
symboliquement comme un renou-
vellement ou une renaissance; note
Xn additionnelle à la page 341.
K.
Kaleva , dieu des Finnes , devint Gulfi
chez les Svèdes, 139.
KAmaduh, vache merveilleuse de la
mythologie hindoue, 181.
Kamous (Océan) , titre du dictionnaire
arabe composé par Medjd-eddin-Mo-
hammed, 72; note additionnelle VI.
Kâtha-sarit-sâgara (Mer des fleuves
du récit) , titre d'un recueil de con-
tes composé par Saumadaivas , 72.
Katuares; les mêmes que les Katiaroi
des Grecs et les Cotieri des Latins ,
180.
Katus (Combat) , nom épilhétiqued'Ar-
voskaïs, 280.
Kat-tdzé (Chats-Esprits) , génies zoo-
morphes des peuples celtiques, 268.
KcHATRYAs, né dcs bras deBrahmas,
•180.
Keraunos (Foudre); rapport de ce nom
avec celui de Perkunas, 252.
Kerberos; explication de ce nom, 211.
Klingsor, poëte-magicien, entre dans
la Tenson ou lutte poétique des
Minnesinger à la Wartbourg, 57.
KoLASKAïs , nom d'un fils de Targitavus,
193. — Explication de ce nom, 282.
KoNUNGs-sKUGGiA (Miroir royal), titre
d'un recueil du genre encyclopédi-
que en langue islandaise, 73.
KoRAKoi, nom. grec desKvarkes, 218.
KoTTos ; signification de ce nom, 324.
Kralèi Todrkias (Prince de Turquie),
mots gravés en caractères grecs sur
la couronne de Hongrie, 25.
Kraulla, dragon à Reiras, 286.
Kroníen, Océan Kronien (mer conge-
lée), 189.
KvARKEs (Nains) chez les Scythes et
les Gètes, 217. — Explication de ce
nom, 218.
Ladt; explication de ce mot anglais,
268.
Laks (Saumon); explication de ce nom,
333.
Lamentation , nom d'une rivière for-
mée par la bave vomie par Fenrir,
289.
Lance-Sabot, nom du cheval de Gnâ,
298.
Langage orné. Connaissance du lan-
gage orné, traité renfermé dans
TEdda de Snorri, 40.
Langage poétique (Skaldskaparmâl),
ouvrage inachevé de Snorri, 31.
Larmes d'oiv; leur signification symbo-
lique, 293.
Large-Éclat , nom du séjour du dieu
Baldur, 239.
Laufey, nom de la mère de Loki, 285.
Lacsafê (propriétés meubles), 330.
Leiptur, nom d'un fleuve mythologi-
que, 172.
Lérad, arbre merveilleux; sa signifi-
cation mythologique, 310.
Liens (Bond), nom symbolique des
dieux conservaieurs, 248.
U
362 RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
LopARR, nom du père de la seconde
race des Dvergs, 22 Í.
LoFN ;"] explication de ce nom , 295.
LoGOGRAPHEs ; diffèrent des Mythogra-
phes, 16.
Lois-de-Manou ; un çlôka cité, 342.
LoKAPÂLÂs (Gardes -Mondes), génies
de la mythologie hindoue, 190.
LoKi; explication de ce nom ,285. —
Changé en saumon, 333. — Pour-
suivi par les Ases, 334. — Pris par
les Ases, 332.
LoKi DE l'Enclos-extérieur, 319.
LoPTR, nom épilhétique de Loki, 285.
LoRD^ explication de ce mot anglais,
265, 306.
Loup-GARoo dans les traditions des
Slaves, 232.
Lune, comment devenue une divinité
masculine, 201.
Lune frontale, expression skaldique,
synonyme de œil, 143.
Lune nouvelle, appelée abaissement
(nid) en norrain.
Mælar; ce lac substitué dans la tradi-
tion au lac Vænir, 142.
Magie, considérée comme science et
art, 144.
Macni, nom d'un fils d'Odinn, régnant
après le Crépuscule-des-Grandeurs ,
340.
Maison; orientée chez les ancêtres des
Germains, 149. — Elle a un cow-
loir (golf) ou chemin-en-face (önd-
vegi), 150.
Makrokosme (monde en grand); son
analogie avec le Mikrokosme (monde
en petit), 188.
MAl (Dit); différence entre le mal et le
sögulioth (chant de tradition), 75.
Mana-Garmr (Hurleur de Máni), 211.
Mâni, le dieu Lune, 191.
Margiane, contrée vitifère, 308.
Marteau du dieu Thôr; signification
symbolique de cet instrument, 256.
MasadAs (Beaucoup -Sachant), nom
épithétique du dieu Thami, 302.
Massénie; explication de ce terme
vieux français, 306.
Massoudi Khotb-eddin , historien géo-
graphe arabe; note additionnelle YI.
Matière; la matière primitive consi-
dérée comme morte ou glacée , 170,
174. — Matière synonyme de pus,
17Í.
Matinal, nom de Tun des chevaux de
Soi, 203.
Mauha-Moudagaras (Pilon de Tigno-
rance) , titre d'un ouvrage de mo-
rale de Sankaras Atcharyas, 72.
Maurer , auteur des Islandischen
Volhs-Sagen der Gegenioart, 42.
Meghadouta (iXuage Messager), poëine
de Kâlidâsas, 72.
Menglöd, nom épithétique de Freyia,
291.
Mer, appelée poétiquement ^cnftcr c?e
Rœfil, 149.
Mer-de-foie et Mer - aux - Poumons ,
189.
Métamorphose magique admise en My-
thologie, 180.
Meunier (Miölnir), nom du marteau de
Thôr, 257.
Miel : la tombée de miel de TArbre-de-
MiKRoKosME (Monde en petit); son ana-
logie avec le Makrokosme, 188.
MiLÈsiAKA ; titre d'un recueil de con-
tes, 71.
Mimir; signification de ce nom, 229.
— La Fontaine de Mimir, 229.
MiNG - sing - PAO - KiEN (Précicux miroir
pour éclairer l'esprit), titre d'un
dictionnaire d'extraits d'auteurs chi-
nois, 72.
Miödvitnir; explication de ce nom,
159.
Miroir magique de Gratien et de Kling-
MisT Yalkyrie :
299.
explication de ce nom,
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
363
MöBics; son Edda Sæmundar, etc.;
note additionnelle IX.
Modes de versification; Énuméra-
Uon des Modes ( Hatta tâl ) ou Clef
des Modes (Hatta lykill) , titre d'un
ouvrage de Snorri, 31.
MÔDi , Tun des fils d'Odinn, régnant
après le Crépuscule-des-Grandeurs,
340.
MoDsoGNiR. premier chef des Dvergs,
• 220.
Monde; le monde, d'après la Mytholo-
gie, existe avant le Créateur, 165.
Mondes; les trois mondes supérieurs
et les (rois mondes inférieurs d'a-
près la Mythologie Scandinave, 226.
Monts - de - Tonnerre consacrés au
dieu Fiörgynn, 302.
MoRiMARusA (Mer Morte), nom celti-
que, 189.
Mou-des-Tempétes, nom de Taide de
Vieux-Aigle, 235.
Mrikchakatika (Chariot de glaise) , ti-
tre d'un drame sanscrit, 71.
Mdllenhoff ; ses Nordalbingische Stu-
dien; note additionnelle V.
Mundilfari, père de Mâni et de SOI, 202.
Muninn, nom de Tun des corbeaux
d'Odinn, 309.
Mdspelheimr; signification de ce nom,
170.
Mdspell; explication de ce nom, 174,
175.
Mystère ; une des causes pourquoi on
tient au mystère, à Tobscurité, à
l'énigme, 58.
Mythologie; ses rapports avec la re-
ligion, 3. — Objet de foi, 14. —
Ordre de formation des parties de
la Mythologie, 168. — La méthode
à suivre dans l'exposé de la Mytho-
logie consiste à suivre l'ordre chro-
nologique de la formation et du dé-
veloppement des mythes, 48.
Mythologie Scandinave , doit se com-
pléter par celle des Gètes et des
Scythes, 5 ; — considérée comme le
récit de l'histoire de la guerre et du
sac de Troie, 29; — est, d'après
Snorri orthodoxe, une histoire men-
songère à dessein, 46; — consi-
dérée , par Snorri evhémériste ,
comme une grande Saga de préten-
dus faits historiques, 48.
Mythographes , différents desLogogra-
phes, 16.
N.
Naglfar, navire construit dans Niflhel,
165.
Naglfari, épouse de Nôtt (Nuit), 199.
NAl, autre nom de Laufey, mère de
Loki, 285.
Nalacdayas (Splendeur de Nalas),
poëme épique de Kâlidâsas, 72.
Nanna, nom de l'épouse de Baldur,
330.
Napès , fils de Skuta et père des Na-
pies, 194; 279.
Napres, passent pour des loups-garous,
208.
NÀ-sTRENDR (Rivage - aux - Cadavres),
endroit dans Niflhel, 165.
Neck ; explication du nom de ce génie,
160.
Neckar; explication du nom de cette
rivière, 160.
Neffölr (Bec-Jaune) , nom épithétique
du dragon Kidhögg, 165.
Nerthcs ; origine et signification de ce
nom, 262.
}ficHÂDÂs (Crépusculaires), génies de
la mythologie hindoue, 220.
NicHus , génie de la mythologie germa-
nique, 160.
NicKoR (Cheval marin); explication de
ce nom anglo-saxon, 160.
Nidhôgg; ne séjourne pas dans le
Bassin -Bruyant, 228; — ronge
l'une des racines de l'Arbre-de-
Vie, 235.
Niflheimr; explication de ce nom,
170.
mi
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
NiGARisTAN (Galerie des images), re-
cueil persan de contes moraux et
allégoriques, 73.
NiKDz, nom épithétique d'Odinn; ex-
plication de ce nom, 160.
NioRDCR, héritier de Yrindus et de
Hagunis, 261. — AttFibutions de
Niördur, 261. — Surnommé le
riche, 262. — Comparé à Saturne,
262.
Nix, génie femelle de la légende alle-
mande, 161.
Nocher, personnage météorologique.
Enclos-de-lSocher , nom du séjour
de Niördr, 262.
NoiRci-DE-PEiNE ; lac renfermant File
où Fenrir est enchaîné, 289.
Nom; le nom primitif d'une divinité en
est primitivement le nom unique,
10. — Origine des noms propres et
des noms épithétiques des divinités,
156-157.
Nonnes ; origine et signification de ce
terme, 299.
NoRNEs; origine de leur nom et de
leurs attributions, 232-234.
Nöuvi, signification de ce nom, 198.
— Fils de Loki et de Sigyn, 285.
NÔTT (Nuit), fille de Nörvi, 198. —
Épouse de Naglfari et de Onar, 199.
Ndages formés de Tencéphale d'Ymir,
192.
Nykr; explication de ce mot, 160. —
Le dérivé verbal Nykra avec le par-
ticipe passif Nykrat, 160.
O.
Odinn; signification de ce nom, 245.
— Son rapport avec Othr (Vent),
242. — Ses noms épithétiques,
246. — A douze noms, selon Snorri,
158. — Dieu conservateur, d'après
Snorri, 163; — est borgne; pour-
quoi, 229; — sous forme d'aigle,
235; — a façonné, non créé le
monde, 163; — n'a pas créé
Thomme, 163. — Les différents
établissements d'Odinn dans le Nord,
d'après Snorri, 65. — Odinn établi
à Odinsey (Odensö), 66. — Odinn
réputé d'origine troyenne et roi des
Troyens, 27. — Supposé d'origine
thrâke et roi des Thrâkes, 21. —
Sa résidence à Byzance, 23. —
Odinn supposé d'origine turke et
roi des Turks, 23.
Odrærir (Remue-l'Esprit), nom du
breuvage d'enthousiasme, 273. ,
Ö (île) ; explication de ce mot suédois,
301.
OEgir; explication de ce nom, 302.
Okéanos; explication de ce nom, 303.
Olafr, surnommé le Skalde blond, au-
teur d'un traité intitulé: Fondement
de la Grammaire ^ 40.
Olafr, fils de Thordr et neveu de
Snorri, hérite des manuscrits de
son oncle, 38.
Olifant (Ivoire), nom du cor deRuod-
land, 229.
Omi, nom épithétique d'Odinn, 161.
Onar, époux de Nôtt, 199.
ÖRB0DA, nom de la femme de Gymir,
303.
Ôrgelmir, nom épithétique d'Ymir,
176.
Oorlog (guerre); explication de ce mot
hollandais, 298.
OsKi, nom épithétique d'Odinn , 161.
Oskmegir, nom épithétique des Trou-
piers-uniques, fils adoptifs d'O-
dinn, 164.
Othr; il est remplacé dans la mytho-
logie Scandinave par Odinn, 185.
Other, voyageur anglo-saxon vers 870;
sa relation de voyage, 263.
Outrk ; moyen de sauvetage dans les
naufrages, 188.
Padreim, nom donné par les Normands
ikV hippodrome à Gonstantinople, 44.
Pæan ; explication de ce nom, 256.
Pakus (Vénérable), nom épithétique du
dieu soleil Targitavus, 201.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
365
Palingénésie , rénovation de la créa-
tion, 13.
pALos, identique au slave Yolos, au
germain Vols, 193.
Pandore; signification allégorique de sa
boîte, 337.
Papa; explication de ce nom, 158.
Papaïus (aïeul), nom épithétique de
Tivus (Ciel), 193; explication de ce
nom, 159.
Papis (Buveur), épithète du Soleil,
note X.
Parabole; différence entre la para-
bole et l'apologue, 75.
Paralates, issus de Targitavus; ex-
plication de ce nom, 282.
Pardjanias correspond au Kimro-
thrâke Herkunes, 251.
Parom; rapport de ce nom avec le
nom grec Keraunos, 252.
Parvatâdhârà (Porte-Montagnes), nom
épithétique de la Terre, 302.
Pater (père); explication de ce mot,
159.
Paul le Diacre, fils de Warnfrid; son
ouvrage : Gestes des Langobardes, 2 2 .
Pelouses d'assemblée (Folkvangar) ,
nom de la résidence de Freyia, 268.
Père-des-Occis, nom épithétique d'O-
dinn , 247.
Perkunas, identique à Herkunes, 252.
Pin-marin (Mar-döll), nom épithétique
de Freyia, 294.
PiTARÂs (Pères), génies protecteurs des
familles chez les Hindous, 217.
Place d'honneur; où est la place
d'honneur, 152.
Plaine d'Idi (IdavöUr); explication de
ce nom, 213. — Après le Crépus-
cule-des-Grandeurs , 340.
Plaines-de-Tempête (loru-vellir) , ha-
bitation des Dvergs, 221.
Poëmes eddiques; quels sont les an-
ciens poèmes connus deSnorri, 42.
Poésie; confondue avec la science,
50, 51. — Différence entre la poé-
sie, l'éloquence et la science, 49, 50.
Poésie didactique; caractère de ce
• genre de poésie, 51.
Poésies des skaldes , considérées
comme sources historiques , 33.
PoËTEs employés comme orateurs et
ambassadeurs, 273.
Polemos (guerre), explication de ce
terme, 245.
Pommes d'or, gardées par Idunn, 274.
PoNT-D'AsE(As-brû), 211.
Porte-crible (Seidberendr), note YUI.
Portier prestidigitateur de la Halle-
des-Occis, d'après Snorri, 149.
PoucHPAKA, char merveilleux auto-
mate du dieu Kouvéras, 315.
Pouranâs; signification de ce mot,
68. — Légendes des Hindous, 342.
PouRoucHAs; explication de ce mot
hindou, 217.
Pravia, nom épithétique de la déesse
Artinpâza, 266.
Pravus (Seigneur), nom épithétique du
dieu Soleil, 201.
Pravys, dieu slave correspondant à
Freyr, 265.
Prés-d'humidité (Aurvangar), habita-
tion des Dvergs, 221.
Priam s'établit en France, selon Gré-
goire de Tours, 27.
Protège - cadavre (Hræborg), nom
donné au tertre tumulaire des chefs
normands, 147.
Proudhon, traducteur d'une ode d'A-
nacréon, note VU.
Proverbes de Salomon; strophe citée,
342.
Prst (doigt) , signifie aussi nain , pou-
cet, 318.
Q.
Questionnaire; forme employée dans
La Fascination de Gulfi, 61.
R.
Radgrid Valkyrie; explication de ce
nom , 300.
Rafraîchissant, nom du bouclier du
char de SOI, 257.
RAn; explication de ce nom, 304.
366
Randgrid Valkyrie; explication de ce
nom, 300.
Ratatöskr; explication de ce nom,
note IX.
Réconciliation; représentée symboli-
quement comme une renaissance,
note additionnelle à la page 341.
RÉFRIGÉRANT (fcr) placé entre Ics épau-
les des chevaux de Sôl, 257.
Refugks Napoléon, 318.
Reginleif Valkyrie; explication de ce
nom, 300.
Religion positive et religion naturelle,
3. — Origine de la religion, 3. —
Transformations de la religion, 4.
— La religion de Tlntuition, 7 ; —
ses caractères distinctifs, 10. — La
religion de la Raison, 11; — ses
caractères distinctifs, 12. — La re-
ligion de rintelligence, 14; — ses
caractères distinctifs, 15. — Déve-
loppement interne des religions na-
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
Rune; origine et signification de ce
terme, 58.
S.
Sabméen, synonyme de Finne, 139.
Saga, nom de la muse de Thistoire,
290.
Sægr, nom du seau attaché à la perche
Simul, 264.
Sælönd (Pays-de-mer), nom donné à
Tancien Sælund (Bocage -de -mer),
140.
Sæmdnd le Savant, laisse une collec-
tion de manuscrits, 30.
Saint-Graal; origine et signification
des romans du Saint-Graal, 229.
Salière poétique, titre de l'édition
complète des œuvres du poète per-
san Cheikh Moslih Eddîn Saadi, 73.
Salles-d'écdme (Fensalir), nom de la
résidence de Frigg, 250.
Samsey; explication de ce nom, 303.
Saxon le Savant (Grammaticus) ; son
evhémérisme, 18.
Savoir, synonyme, dans quelques lan-
gues, de pouvoir, 53. — Le savoir,
une force dans les joutes scientifi-
ques, 57, 58.
Scandinaves; leur parenté imaginaire
avec les Troyens, 28.
Scandinavie; origine et explication de
ce nom, 140.
Scanie (Skâney), nom dérivé de celui
de Scandinavia, 140.
ScHWiNGEN, signifie aussi lutter corps
Renaissance symbolique de Thomme,
note Xn.
Renaissance de la terre après le Cré-
puscule-des-Grandeurs, 339.
Répétitoire; forme répétitoire dans
l'enseignement catéchétique, 60.-
Restauration du ciel après le Crépus-
cule-des-Grandeurs, 340.
Retentissante, nom d'une rivière de
Hel, 332.
Rîgr; explication de ce nom, 194; 274.
Rinda; rapport de ce nom avec celui
de VrinduSj 262.
Roches-célestes (Himinbiörg), nom
du séjour de Heimdall, 211 ; 240.
Rois-de-mer chez les peuples Scandi-
naves, 139.
RoLp LE Marchedr (Göngu-Rolf) ; ex-
plication de ce nom, 225; 254.
RösKVA, nom de la sœur de Thialfi,
316.
Rousse-des-Alfes (Alfrödull), nom
épithétiquc de Sôl, 341.
Rocx-de-l'abîme, expression skaldi-
que pour désigner l'or, 143.
à corps, 324.
Science, ne repose pas sur l'autorité
personnelle, 61. — Science basée
sur l'autorité personnelle chez les
Arabes, les Hindous, etc., 62; —
est essentiellement impersonnelle,
52; — ne saurait devenir légitime-
ment un avantage exclusivement
personnel, 53; — la science théo-
rique et la science pratique, 53.
ScYTHiA, appelée Cythia par les éru-
dits normands, 44. — La Grande-
Scythie ou la Grande-Svède, d'après
Snorri, 45.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
367
Séeland; origine de ce nom, mythe
géologique et hiératique sur le Sée-
land, 140.
Secret; pourquoi la science ou une
doctrine est tenue secrète, 58.
SÉJouR-DE-BRuissEMENT(Thrymheimr),
nom de la résidence de Niördr et de
Skadi, 264.
SÉJOUR-DES-I0TNES5 sa situation, 192.
SÉMiRAMis, surnommée Zamis, 302.
Septénaire; division septénaire adop-
tée pour les vents. — Multiplication
septénaire dans 7X77, 255.
Serpent-de-mer; sa légende, 287.
Serpents dd Bassin-Bruyant, 235.
Serrant , nom du lien magique qui lie
Fenrir, 289.
Sif; explication de ce nom, 295.
SiGtiRLAMi, roi de Gardariki, 140.
SiGYN, nom de réponse de Loki, 285.
SiMUL , nom de la perche à laquelle est
suspendu le seau Sægr, 204.
SiNDRi, nom d'un des fils d'Ivald, 257.
Siöfn; explication de ce nom, 295.
Skadi; explication de ce nom, 263; —
fait dégoutter du venin sur la figure
de Loki, 335.
Skaïs, mot Scythe, synonyme de des-
tructeur ou héros, 277.
Skaldes; origine de ce nom, voy.
Note II;
chantent, comme les
aoèdes des Grecs et les Bairdd des
Keltes, les actions dont ils ont été
témoins, 30. — Les skaldes Thio-
dolf áe Hven et Hornklofi, 35. —
Skaldatâl (Énumération des skal-
des), ouvrage servant de complé-
ment au Skaldskaparmâl (Langage
skaldique) et au Hâttatâl (Énumé-
ration des modes), 39.
Skaldique; langage skaldique (Skalds-
kaparmâl), note additionnelle VII.
Skalmoskis, nom épithétique du dieu
Soleil, 201; — explication de ce
nom, 278.
Skeggiölld, Yalkyrie; explication de
ce nom, 300.
Skidbladnir, nom du navire de Freyr,
315.
Skie-loebers (Coureurs sur patin),
dans Tarmée en Norwége, 264.
Skiöldr, dieu des Svîes et des Gautes,
140.
Skirnir, nom du serviteur de Freyr,
305.
Skögdl Valkyrie; explication de ce
nom, 300.
Skoll, loup iotnique poursuivant SOI,
207; — s'empare de Soi, 338. —
Explication du nom, 209.
Skotaris, nom épithétique du dieu So-
leil, 201; — les Grecs rappellent
Toksaris, 278.
Skrymir; explication de ce nom, 317.
Skdld, nom de la plus jeune des Nor-
nés, 299.
Skcta, fils de Targilavus, 279.
Skdthés, nom grec de Skuta ou Skuli
ou Skulot, 193.
Sleidanus, auteur d'un abrégé d'his-
toire universelle, voy. Note I.
Sleipnir, nom du cheval d'Odinn, 314.
Sliddr, nom d'un fleuve mythologique,
172.
Smyl, nom de spectres marins, 331.
Snorri , fils de Sturla , auteur du
Heimskringia (Cercle du Monde), 28.
— Vie, éducation et ouvrages de
Snorri, 29; — paraît avoir ignoré
rexistence des Troyens, 28, 37, 38.
~ Formation de son système histo-
rico-mythologique, 41 ; — son Ev-
hémérisme, 43; — place Fancien
Enclos des Àses dans la Grande-
Scythie, 45; — expose les mythes
dans leur succession présumée his-
torique et chronologique, 47, 48;
— ne connaît pas le sens symbo-
lique des mythes, 47, 48.
Snotra, nom d'une déesse, spéciali-
sation de Freyia, 297.
Socratique; procédé socratique dans
renseignement, 60.
Soies-d'or, nom du verrat de Freyr,
308, 331.
368
RÉPEHTOIRE GÉNP:RALr ALPHABÉTIQUE.
SÔL, la déesse Soleil, 191; — le
soleil devient une divinité féminine,
201 ; — SOI, fiancée de Glèn, 203;
— ses deux chevaux, 203 ; — rem-
placée par sa fille dans le Monde
renouvelé, 341.
SouFFLE-Doux, uoffl du pèrc d'Été, 243.
Specdlum majus (Grand Miroir), titre
de TEncyclopédie de Vincent de
Beauvais, 73.'
SpÎse (manger) , nom donné au fromage
par le chaletier suisse, 310.
SucHi (sec) , nom du mois de Mars dans
Tancien slave, 167.
SuFi (boisson), nom donné au lait caillé
par le chaletier suisse , 310.
SuND (transnatation) 5 explication de ce
nom, 140.
Sdpebnacle, ou rubis sur Tongle, 323.
Sdperstition; origine de ce terme, 15.
Superstition odinienne répandue en
Suède, 343.
Sdrtdr, chef du Séjour-du-feu , 173;
— représentant du Monde igné, 2 8 8 ;
— apparaît à la fin du Monde, 339.
Syadilfari, cheval mythologique; ex-
plication de ce nom, 314.
SviAToviT, nom slave épithétique du
soleil, 252.
SviDRiB, nom épithétique d'Odinn, 162.
SviDUR, nom épithétique d'Odinn, 161.
Svî-THiÔD (Peuple-SYÎ) , peuple-souche
des Svèdes, 139.
SvÎes, les ancêtres des Svèdes , 140.
SvöL, nom d'un fleuve mythologique,
172.
Stlgur, nom d'un fleuve mythologi-
que, 172.
Stn asynie; explication de ce nom,
296.
Syr (Truie), nojm épithétique de Freyia,
293.
Systèmes mythico-historiques des éru-
dits et chroniqueurs du moyen âge ,
19.
Table de saint Olap, 214.
Tacitdrne, nom épithétique de TAse
Yidâr, 279.
Tarasque, dragon à Tarascon, 286.
Targe, arme distinctive des chefs et
princes, 278.
Targitavds, dieu - héros, père des
Scythes, 193.
Tata (Aïeule), correspond au norrain
Edda, 193.
Taviti , déesse du foyer chez les Scy-
thes, 294.
Tavitvarus (Garde-Peuple), nom épi-
thétique du dieu Soleil, 201 , 252.
Techné, signifie chez les Grecs à la
fois art et science, 53.
Temples, entourés de fossés comme
des forteresses, 211.
Terk, fils de Jâfet et père des Turcs
et des Gentils, 26.
Terre, rapport supposé entre la terre
et la chair, 188.
Tervo (Arbre), fils de Targitavus, 194.
Tête; signification mythologique et
symbolique de la tète, 276.
Tête-Noire , nom du père des Porte-
cribles, 208.
Thambos (Étourdissement); explication
de ce terme, 302.
TiiAMi (Océan); explication de ce nom,
302.
Thami-masadas (Océan beaucoup-sa-
chant), dieu de l'Océan chez les
Scythes, 189.
Thamyris; explication de ce nom, 302.
Thialfi, frère de Röskva; explication
de ce nom, 316.
Thiassi, nom du père de l'Iotne Idi, 213.
Thiôd; explication de ce nom, 294.
Thiodolf DE HviN, skalde norrain, 148.
Thökt ; explication de ce nom de
géante, 332.
Thôr; explication de ce nom, 253; —
fils de Terre, 253; — substitué à
Fiörgynn, 253; — ennemi du Ser-
pent de TEnclos mitoyen, 286,
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
369
326; — cause do jusant, 323 ; —
considéré comme identique à Tror
le Troyen, 29.
Thôr-au-Chab; explication de ce nom
épithétique, 254.
TeoRBiöRN . surnommé Pourfendeur de
Cornes , skalde de Haralld , beau de
cheveux, 147, 148.
Thorrodr , surnommé le Maître-ès-
runes , compose un traité sur Tal-
phabet vers 1160.
TflRiDi (Troisième) , Tun des trois Ases
suprêmes; explication de ce nom,
152.
Thruddr Yalkyrie; explication de ce
nom, 300.
TnRDDGELMiR, souchc dcs Thurscs-
Givreux, 180.
Thdl, nom d'un fleuve mythologique,
172.
Thdre; signification de ce nom nor-
mand-français, 253.
Thuring; ce nom changé en Turk ou
Durk, 23; — explication de ce nom,
194.
Thorold; explication de ce nom nor-
mand-français, 253.
Thurses; explication de ce nom, 209.
Thurses-Giyreux (Hrim-thursar); les
trois générations des Thurses-Gi-
vreux, 186. — Les Thurses-Givreux
de la première race détruits, 187.
TiBERis, fils de Neptune; explication
de ce nom, 302.
TÎRÂs, d'après la Genèse, fils de lâfet,
23.
TiRDiNKAi, appelés par les Grecs Der-
binkai, et par les Latins, Dervicæ;
origine et signification de ce nom, 23.
TiTANOGONiE, fait partie de la Mytho-
logie, 168.
TiTDS LiviDs ; son point de vue histo-
rique, 20.
Tivus (Ciel), le dieu suprême des Scy-
thes, 155; — surnommé Pappalus
(Aïeul), 269; — Père de Targita-
vus, 193.
Todtenbacm; exphcation.de ce terme
allemand, 329.
Tombe ; considérée comme une seconde
matrice, 301.
ToMi; explication de ce nom scythe
302.
TopiEN, nom slave d'un démon de
eaux, 294.
Toujours-Étincelant, nom de lahau
teur sur laquelle se trouve le rocher
auquel Fenrir est attaché, 289.
Tout-alerte, nom de Tun des che-
vaux de Soi, 203.
Traduction; la première qualité d'une
traduction est d'être exacte et fidèle,
77.
Tbaduire un ouvrage ne suffit pas en-
core pour l'expliquer, 1.
Traïlôkya-darpanas (Miroir des Trois-
Mondes), titre d'un ouvrage sanscrit
sur la mythologie hindoue, 72.
Transport-de-clin (Svipfar); ce qu'il
est, 145.
Transport-instantané (Svipför) dan-
les traditions norraines, 69.
Trépas, personnifié, 327.
Trinaires; les Dieux trinaires Vathans
(Odinn), Chaguneis (Hoenir) et Chlo-
durs (Hlodurr); ou Odinn, Freyr et
Thôr, ou Hâr (Sublime), lafnhar
(Equi-Sublime) et Thridi (Troisième),
151, 152.
Tros ou Tror, fils deMemnon, le gen-
dre de Priam, est considéré comme
le père des rois Scandinaves, 28.
Trocpiers-uniques (Einheriar); expli-
cation de ce nom, 306.
Trotens, prétendus pères de plusieurs
nations en Europe, 27.
Tdrc; origine et signification de ce
nom, 24.
Tdrciling, nom substitué à celui de
Thuring, 26.
Turquie, pays des Turcs situé, d'après
Snorri, à l'est de Constantinople ,
44. — Odinn est, d'après Snorri,
roi de Turquie , 44. — Turquie et
870
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
Thrace confondues par certains
chroniqueurs, 27,
Tdscdlanes de Cicéron ; explication de
ce titre, 71.
Typhon 5 explication de ce nom, 286.
Tyr, originairement le dieu Ciel (Ti-
vus), 245, 269 5 — Tadversaire de
Fenrir, 271.
Tyr-des-Cargaisons (Farma-tyr), nom
épithétique d'Odinn, 247.
Tyrrébes, Pélasges, habitants de la
Tursabia, 43.
U.
Ullur; explication de ce nom, 282; —
surnommé TAse à la chasse , à Tare,
aux barres, et au bouclier, 282.
Utgardr (Enceinte extérieure), con-
fondu avec le Séjour des Thurses-
Givreux, 180.
Vadjan (Cheval), épithête du soleil
dans la mythologie hindoue, 205.
Vaékereta ; explication de ce nom
zend, 339.
Vænih; formation mythico-géologique
du lac Vænir, 140.
Vaiçyas , né des cuisses de firahmas ,
180.
Vaitu-Skdrus (Prompt à la Chasse);
nom épithétique du dieu Soleil chez
les Scythes, 201.
Valaskialf; nom de Thabitation de
Vali, 284.
Vali, fils d'Odinn et de Rindur; expli-
cation de ce nom, 284.
Vali, fils de Loki, 335.
Valkyries ; explication de ce nom, 299.
Vayikrâ; signification et raison de ce
titre duLévitique, 71.
VÉ, nom du frère d'Odinn, 186.
Venétes , se disent issus des Troyens,
27.
Venin vivifiant; nom donné par Snorri
à la matière primitive, 171.
Verrat; nom épithétique du dieu So-
leil, 274.
Vid; nom d'un fleuve mythologique,
172.
Vidar; explication de ce nom, 279;
fils d'Odinn et de Gridur, 279; —
vainqueur du loup Fenrir, 279; —
son soulier de fer, 280; — suc-
cesseur d'Odinn, 280.
Vidfinn; nom du père des enfants
qu'on croit voir dans la lune, 204.
Vidolf; nom du père des Louves,
208.
Vidrir; nom épithétique d'Odinn, 162
Vierges-au-Bocclier ; nom épithéti-
que des Valkyries, 299.
Vierges-ad-heacme; nom épithétique
des Valkyries, 299.
Vieux-Aigle; gardien de TArbre-de-
Vic, 235.
ViGODREDx; nom épithétique d'Odinn,
248.
ViGRiDoa; explication de ce nom, 339.
ViLMEiDi; nom du père des Sorciers,
208.
ViNGÔLP ; nom de la demeure de Frlgg,
164.
ViRGUNi ; rapport de ce nom avec celu,
de Hercunes, 252.
ViROPATA (Tuerie d'hommes) ; explica-
tion de ce nom scythe, 298.
Vision de la Lodve (Volu-Spâ) ; poëme
eddique, 334, 340.
ViTNiR (Signal); nom de loup, 290.
Voie-tremblotante (Bifröst), 212.
VoLCHov; pourquoi ce nom signifie
Sorcier, 210.
VoLos; nom du fils de Skuta, 279.
Yolsing; explication de ce nom, 266.
Völund; nem d'un Dverg artiste, 219.
VöLDR (Devineresses); explication de
ce nom, note IV.
Vör; déesse de l'Assurance, 295.
VoDiRE ; fée-vipère dans la légende du
Jura , 230.
Vrindds ; origine et signification de ce
nom, 262; — changé en Nirthus et
Niördr, 260, 261.
Vritras; explication de ce nom sans-
crit, 170.
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL ALPHABÉTIQUE.
371
Wan-teh-yu (Livre des 10*,000 mots) 5
livre classique des Chinois, 72.
Waqwaq; nom arabe des îles ainsi
nommées d" après Tarbre merveil-
leux waqwâq qui produit de belles
filles, objet d'exportation et de com-
merce, note VI.'
Wabtbocrg; origine de la légende
poétique de la guerre des poètes à
la Wartbourg, 56.
Wasserkirche {ecclesia in undis), 211.
"WoRM (Ole), scandinaviste danois dont
le fils vendit à Arni Magnusen le
manuscrit de Worm ,41.
WDthende Heer; signification de cette
légende, 307.
X.
Xanten, ville sur le Rhin appelée Pe-
tite-Troie, mise en rapport avec la
rivière Xanth us, 28.
Y.
Yggdrasill; explication de ce nom,
224.
Ylgdr, nom d'un fleuve mythologique,
172.
Ymirj son sang forme T Océan, 189;
— ses os brisés forment les pierres
de la terre, 189; — représentant
de la nature glaciale primitive ,176:
— n'est pas un dieu, d'après Snorri,
177.
Ynglings; explication de ce nom, 266;
— adorateurs d'Odinn et des Ases,
343; — la Saga des Ynglings (Yng-
linga - Saga ) est la première du
Heimskringla , 32.
YngvÎ-Freyr; explication de ce nom,
184.
Zeila, nom gète du vin, 308.
Zevs (Ciel); le nom correspondant
scythe est Tivus, 193.
ZÎLAi, nom gète du vin, 308.
ZiscHDi; explication de ce nom alsa-
cien, 271.
Zoomorphes; les dieux primitifs sont
zoomorphes avant dêtre conçus
comme anthropomorphes , 9 , 11.
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