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Full text of "La fascination de Gulfi (Gylfa Ginning)"

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LA 

FASCINATION  DE  GULFI 

(GYLFA  GINiNING) 


Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés. 


STRASBOURG ,  IMPRIMERIE  DE  VEUVE  BEROER-LEVRAULT. 


LA 

FASCINATION  DE  GDLFI 

(GYLFA  GINNING) 

TRAITÉ  DE  MYTHOLOGIE  SCANDINAVE 

COMPOSÉ  PAR 

SNORRI  FILS  DE  STURLA 

TRADUIT  DD  TEXTE  NORRAIN  EN  FRANÇAIS   ET  EXPLIQUÉ   DANS   UNE  INTRODUCTION 
ET  UN  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL 

PAR 

FRÉDÉRIC-GUILLAUME  BERGMANN 

PROFESSEUR  DK  LITTÉRATURE  ÉTRANGÈRE  ET  DOYEN  DE   LA  TACULTÉ  DES  LETTRES  DE  STRASBOURe 

CHEVALIER    DE    l'oRDRE    DE    l'ÉTOILE    POLAIRE    DE    SDÈDB  ,    DE    l'oRDRE    DE    SAINT-MAURICE 

ET  DE  SAINT-LAZARE  d'iTALIE  ET  DE  l'oRDRE  DE  LA  LÉGION  D'hoNNEUR  DE  FRANCE 

MEMBRE    DE  LA  SOCIÉTÉ  ROYALE  DES  ANTIQUAIRES  DU  NORD  A  COPENHAGUE,  DE  l'aCADÉMIE  DE  STANISLAS 

A  NANCY,  DE  LA  SOCIÉTÉ  DBS  SCIENCES  A  LILLE,    ETC. 

Mythologid  ah  und  disce  omnes 


2e  EDITION 

Augmentée  de  Notes  additionnelles  et  d'un  Répertoire  général  alphabétique 

des  mots  et  des  choses  expliqués  dans  l'ouvrage 


STRASBOURG  &  PARIS  .  PARIS  &  GENÈVE 

CHEZ  TREUTTEL  ET  WURTZ  |  CHEZ  J.  CHERBULIEZ 

LEIPZIG,  CHEZ  F.  A.  BROCKHAUS 
BDINBURGH,  CHEZ  EDMONSTON  ET  DOUGLAS 

MDCGCLXXI 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  witin  funding  from 

University  of  Ottawa 


V 


http://www.archive.org/details/lafascinationdegOOberguoft 


AVIS. 


La  première  édition  de  cet  ouvrage  a  paru  en  1861. 
Un  critique  distingué,  M.  le  professeur  Liebrecht,  a  dit 
qu'il  était  à  regretter  que  ce  livre ,  qui  renferme  «  une 
masse  de  faits  et  d'idées  ï>,  ne  soit  pas  suivi  d'une  table  de 
matières  plus  explicite  et  plus  complète.  J'ai  acquis  de- 
puis la  conviction  que ,  dans  l'intérêt  de  la  lecture  et  de 
l'appréciation  critique,  tous  les  ouvrages,  quels  qu'en 
soient  le  sujet  et  l'étendue,  devraient  toujours  être  ac- 
compagnés d  un  répertoire  alphabétique.  Aussi  cette  se- 
conde édition,  outre  qu'elle  est  augmentée  de  notes  addi- 
tionnelles ,  a-t-elle  encore  été  pourvue  d'un  répertoire 
général  des  noms  et  des  choses  expliqués  dans  l'ouvrage. 


Je  corrigeais  la  dernière  feuille  de  ce  livre ,  quand ,  le 
25  août  dernier,  un  obus  est  tombé  dans  mon  cabinet  de 
travail.  Ce  grand  dérangement  ainsi  que  les  pénibles  évé- 
nements d'une  guerre  cruelle  et  désastreuse  ont  retardé 
la  publication  de  cette  édition  que  je  comptais  pouvoir 
mettre  au  jour  dès  le  mois  de  septembre  dernier. 

Cet  ouvrage  se  vend  au  profit  de  la  Bibliothèque  de 
Strasbourg  qui,  entièrement  brûlée,  est  à  reconstituer. 

Strasbourg,  le  15  décembre  1870. 

L'Auteur. 


A 

l'illustre  mémoire 

de  mes  savants  maitres 

ELGÈNE  BURNOLF  FRÉDÉRIC  CHRISTOPHE  DAHLMAIN'IN 

CLAl  DE  FAIÎRIEL  BENJAMIN  GLÉRARD  THÉODORE  JOLFFROY 

FINN  MAGNLSEN  KARL  OTFRID  MLLLER 

ET  SYLVESTRE  DE  SACY 

DONT  j'ai  AIMÉ  LE  CARACTÈRE  ET  AMRITIONNÉ  LE  SAVOIR 

QUI  m'ont  ENCOURAGÉ  DANS  LES  ASPIRATIONS  DE  MA  JEUNESSE  ET  M'oNT 

DONNÉ  DES  TÉMOIGNAGES  PRÉCIEUX 

DE  LEUR  ESTIME  ET  DE 

LEUR  AMITIÉ 

F.  G.  DERGMANN. 


PLAN  ,  DH ISIOKS  ET  TABLE  DES  MATIÈRES. 


Exposinoir. 

Pages. 

i     1.  Sujet,  but  et  division  de  cet  ouvrage 1 

1. 
PREMIÈRE  PARTIE  DE  L  OIVRAGE. 

INTRODUCTION. 

g     2.  Sujet,  but  et  division  de  cette  introduction 2 

CHAPITRE  PREMIER. 

ORIGINE  ET  TRANSFORMATION  DES  MYTHOLOGIES  OC  DES  RELIGIONS  NATURELLES. 

g     3.  Origine  des  Religions  et  des  Mythologies 3 

g     4.  Transformations  des  Religions  et  des  Mythologies 4 

g     5.  Transformations   de  la  Mythologie  Scandinave  depuis  son  origine 

jusqu'à  sa  dissolution G 

g     6.  Nature  et  caractères  des  Religions  dans  la  période  de  Tlntuition  .     .  7 

g     7.  Nature  et  caractères  des  Religions  dans  la  période  de  la  Raison    ,     .  10 

g     8.  Nature  et  caractères  des  Religions  dans  ia  période  de  l'Intelligence  .  14 

CHAPITRE  II. 

LA  SCIENCE  DE  LA  MYTHOLOGIE  DANS  l'aNTIQLITÉ  ET  AD  MOYEN  AGE. 

g     9.  Origine  du  système  evhémériste lö 

§  10.  L'Evhémérisme  chez  les  peuples  de  la  branche  gète 18 

g  1 1 .  Systèmes  mythico-historiques  des  savants  au  Moyen  âge    ....  19 

g  1 2.  Odinn  supposé  d'origine  thrâke  et  roi  des  Thrâkes 21 

g  13.  Odinn  supposé  d'origine  turke  et  roi  des  Turks 23 

g  14.  Odinn  réputé  d'origine  troyenne  et  roi  des  Troyens 27 

CHAPITRE  IIÍ. 

SNORRI,  SA  VIE,  ET  l'hISTOIRE  DE  SES  OUVRAGES. 

g  15,  Vie,  éducation  et  ouvrages  de  Snorri 29 

g  16.  Snorri  est  l'auteur  de  la  Fascination  de  Gulii 31 

g  17.  La  Fascination  de  Gulfi  composée  avant  le  Heims-Kringla  ....  33 

g  18.  L'Intégrité  du  texte  du  Gylfa-ginning 35 

g  1 9.  Comment  le  Gylfa-ginning  se  trouve  dans  TEdda  en  prose 38 

CHAPITRE  IV. 

le  fond  HISTORICO-MYTHOLOGIQLE  et  la  DISPOSITION  DEá  MATÉRIAUX  DANS  LE 
TRAITÉ  DE  SNORRI. 

g  20.  Formation  du  système  historico-mythologique  de  Snorri     ....  41 

g  21.  D'après  Snorri,  les  Ases  sont  originaires  de  l'Asie 43 

g  22.  L'âge  où  les  Ases  ont  vécu 45 

g  23.  Snorri  expose  les  Mythes  dans  leur  succession  prétendue  historique.  46 

g  24.  But  plutôt  scientiötiue  que  littéraire  du  Traité  de  Snorri     ....  49 

CHAPITRE  V. 

FORMES  LITTÉRAIRES,  ENCADREMENT  ET  TITRE  DU  TRAITÉ  DE  SNORRI. 

g   25.  La  Poésie  et  la  Science  confondues  ensemble 50 

g  26.  Le  Dialogue,  la  Discussion  et  les  Joutes  scientifiques 52 

g  27.  Joute  entre  Vafthrûdnir  et  Odinn  ;  Guerre  de  la  Wartbourg     ...     54 


VIII 

Pages. 

g  28,  La  forme  catéchétiqne  de  Plinseignement 58 

§  29.  Origine  et  raisons  des  encadrements  littéraires 61 

g  30.  Origine  de  l'Encadrement  du  Traité  de  Snorri 65 

g  31.  Titres  d'ouvrages  dans  l'Antiquité,  en  Orient,  et  au  Moyen  âge    .     .  71 

fi  32.  Titres  d'ouvrages  norrains  et  du  Traité  mythologique  de  Snorri  .     .  78 

II. 
DEUXIÈME  PARTIE  DE  L'OUVRAGE. 

LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

Traduction 77-138 

III. 
TROISIÈME  PARTIE  DE  L'OUVRAGE. 

COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

N°  (1)  CCLFI  ET  GXFION. 

g  1.  Gulfi,  roi  de  la  Marche-finne Í39 

g  2.  Origine  du  nom  de  Séeland  .     .     .     .     • 140 

g  3.  Mythe  géologique  et  hiératique  sur  le  Séeland 140 

g  4.  Bragi  le  Vieux  et  le  style  skaldique 142 

g  5.  Le  Mythe  de  Gâfion  fait  partie  intégrante  de  r Encadrement   .     .     .  144 

N"  (2)  GUr.Fl  VIENT  A  ODINSEY. 

g     6.  Voyage  aérien  de  Gulfi 144 

g     7.  Forme  extérieure  de  la  Halle-des-Occis 145 

g     8.  La  Halle-des-Occis,  d'après  Snorri 147 

îi°  (3)  GULFI  ENTRE  DANS  LA  HALLE-DES-OCCIS. 

g  9.  L'Intérieur  de  la  Halle-des-Occis 148 

g  10.  Le  Portier  de  la  Halle-des-Occis     .     ' 149 

g  11.  Les  Allées  de  la  Halle-des-Occis 149 

g  12.  Les  Portes  ensorcelées  de  la  Halle-des-Occis 150 

N°  (4)  GULFI  DEVANT  LES  TROIS  CHEFS. 

g  13.  Les  Dieux  Trinaires 150 

g  14.  Sublime,  Équi-Sublime,  et  Troisième 151 

g  15.  Gulfi  en  présence  des  trois  Chefs 152 

g  16.  Gulfi  provoque  les  trois  Chefs 153 

N*»  (5)  PÈRE  UNIVERSEL  ET  SES  DIFFÉRENTS  NOMS. 


g  17.  Les  Divinités  suprêmes 154 

g  18.  Origine  des  noms  propres  et  des  noms  épithétiques  des  Divinités    .  156 

g  19.  Explication  des  douze  noms  épithétiques  d'Odinn 158 

N°  (6)  ODINN  DIEU  ÉTERNEL  ET  CRÉATEUR  DE  L'UNIVERS. 

g  20.  Odinn  dieu  éternel  et  dieu  conservateur 162 

g  21.  Odinn  dieu  créateur 163 

g  22.  L'homme,  l'œuvre  principale  du  Créateur 163 

g  23.  Séjour  de  l'homme  après  sa  mort 164 

N°  (7)  LE  MONDE  AVANT  LE  CRÉATEUR. 

g  24.  L'origine  de  Père-Universel 165 

g  25.  Les  Thurses-Givreux  et  les  latnes 166 

g  26.  Ordre  de  formation  des  parties  de  la  Mythologie 168 


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27. 

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28. 

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29. 

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30. 

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31. 

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§ 

33. 

§ 

34. 

§ 

35. 

l 

36. 

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37. 

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38. 

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39. 

^ 

40. 

Pages. 
H°  (8)  LA  COSMOGONIE. 

Le  BâilIeraent-des-Mâchoires 169 

Le  Séjour-Brumeux  et  les  Vagues-Tempétueuses 170 

Le  Séjour  de  Gâte-Monde 173 

N°  (9)  LE  MONDE  AVANT  LES  THCRSES-GIVREUX. 

La  Matière  morte  est  vivifiée 174 

Nature,  Caractère  et  i\oms  épithétiquesd'Ymir 17G 

Époque  glaciale  du  Monde  primitif .176 

N"  (10)  VMIR,  PÈRE  DES  THURSES-GIVREUX. 

Ymir  n'est  pas  un  Dieu 177 

La  Génération  spontanée,  et  l'immutabilité  des  espèces    ....  178 

Comment  Ymir  engendre  les  Parents  des  Thurses-Givreux    ...  180 

N»  (11)  LA  VACHE  ADDHDMLA. 

Le  nom  de  la  vache  Âudhumia  .    ^ 181 

Origine  de  la  vache  Audhumla 181 

N"  (12)  bCrI  et  SA  RACE. 

Naissance  de  Bûri 182 

Bör  le  père  d'Odinn 183 

Les  trois  fils  de  Bör 185 

N»  (13)  LES  TROIS  GÉNÉRATIONS  DES  THDRSES-GIVRECX. 

g  41.  Les  Représentants  des  trois  générations  primitives 186 

g  42.  Les  Thurses-Givreux  de  la  première  race  sont  détruits     .     .     .     .  187 

N°  (14)  CRÉATION  DU  MONDE  ACTUEL. 

g  43.  Formation  de  la  terre 188 

g  44.  Formation  des  mers 189 

l  45.  L'Arrangement  du  Ciel 190 

N»  (15)  ARRANGEMENT  DE  LA  TERRE. 

'i  46.  Le  Séjour  des  lotnes 191 

g  47.  L'Enclos-Mitoyen,  et  la  Ferté  Céleste 192 

N°  (16)  l'anthropogonie  mythique. 

g  48.  L'Ethnogonie  des  Scythes 193 

g  49.  Arbres  métamorphosés  en  hommes 194 

g  50.  Comment  Snorri  conçoit  ce  mythe  anthropogonique 196 

g  51.  Hors-d'œuvre  dans  la  réponse  de  Sublime 196 

N"  (17)  NÖRVI  et  ses  DESCENDANTS. 

g  52.  Norvi  et  sa  fille  Nôlt 197 

g  53.  Nôtt,  épouse  de  Naglfari  et  de  Onarr 199 

^.  54.  Delling,  troisième  époux  de  Nôtt 200 

N°  (18)  MYTHES  COSMOGONO-ÉPiyUES  SUR  SÔL  Ct  MANI. 

g  55.  Mundilfari ,  père  de  Soi  et  de  Mâni 201 

g  56.  Soi ,  la  fiancée  de  Glèn  ;  ses  deux  chevaux 203 

g  57.  Les  phases  et  les  taches  de  la  lune 203 

g  58.  Soleil  et  Lune ,  dans  lorigine  divinités  zoomorphes 204 

N°  (19)  LA  FUITE  DE  SÔL  ET  DE  MANI. 

?  59.  Un  mythe  de  la  période  primitive 207 


X 

Pages. 
N°  (20)  LES  ENNEMIS  Dli  SÔL  ET  DE  MAM. 

g  60.  Les  lotnes  zoomorphes 208 

g  Cl.  Les  loups  iotniques  Skoll  et  Hali 209 

N°  (21)  LES  GÉANTES  MÈRES  ET  NOURRICIÈRES  DES  LOUPS. 

g  62.  Les  Géantes  zoomorphes 209 

g  63.  Le  Bois  de  Fer,  et  Mâna-Garinr 210 

N°  (22)  LA  NATURE  DE  l'aRC-EN-CIEL. 

g  64.  La  Voie-Tremblotante,  et  les  Bains  de  Bassin 211 

g  65.  Comment  Snorri  conçoit  Bifröst 212 

N°  (23)  PREMIER  AGE  DES  ASES  ;  LES  DVERGS.. 

g  &6.  Jeunesse  des  Ases 213 

g  67.  Le  prétendu  Age  d'or  des  Ases 214 

g  68.  Les  Kvarkes  des  Scythes  et  des  Gètes 217 

g  69.  Les  Dvergs  dans  la  Mythologie  norraine 218 

g  70.  Origine  et  races  des  Dvergs,  d'après  Snorii 222 

N*»  (24)  LE  FRÊNE  d'yGGDRASILL  ;  LA  FONTAINE  DE  MIMIR. 

g  71.  Le  Frêne  dYggdrasill,  Arbre  d'Établissement  et  de  Jugement     .     .  223 

g  72.  Le  Frêne  dTggdrasill .  Arbre  de  Vie 225 

g  73.  Le  Frêne  d'Yggdrasill,  d'après  Snorri 227 

g  74.  La  Fontaine  de  Mîmir 228 

N°  (25)  LES  NORNES;   LA  FONTAINE  DURDUR. 

g  75.  La  Prédiction  du  Destin 230 

g  76.  Les  Nornes,  Arbitres  de  la  Destinée   .     .     .• 232 

g  77.  Les  Nornes  épiques 233 

N"  (26)  LES  MERVEILLES  ET  LES  SOUFFRANCES  DU  FRÊNE  DYGGDRASILL. 

g  78.  L'Aigle,  et  le  Dragon  i\idhogg 234 

g  79.  L'Écureuil  Batakostr,  et  le  Cerf  broutant 235 

g  80.  La  Tombée  de  miel ,  et  les  Cygnes  de  la  Fontaine  d'Urdur     .     .     .  237 

N°  (27)  LES  DEMEURES  CELESTES. 

g  81.  Le  Séjour  des  Allés;  Large-Éclat;  Étincelant 238 

g  82.  Boches -Célestes;    Chaumine  de  Vali  ;  Chaumine  aux   l'ortes;  et 

Brillant 240 

N°  (28)  ORIGINE  DES  VENTS  ET  DES  SAISONS. 

g  83.  L'Aigle  Hræsvelg 242 

g  84.  L'origine  des  Saisons 242 

N"  (29)  LES  ASES  ET  LES  ASYNIES  ;   ODINN  ET  FRIGG. 

g  85.  Signification  du  nom  d'Ase  et  d'Asynie 243 

g  86.  Les  attributions  d'Odinn 244 

g  87.  Les  noms  épithétiqucs  d'Odinn 246 

g  88.  Conception  et  attributions  de  Frigg 250 

N<>  (30)  CONCEPTION  DU  DIEU  THÔR  ,   ET  SES  ATTRIBUTIONS. 

g  89.  Pirkunis,  Firgunis,  Fiörgynn 251 

g  90.  Les  noms  de  Thôr,  de  Thôr  au  Char,  de  Thôr  aux  Ases  ...  253 

g  91.  La  Demeure  de  Thôr 254 

g  92.  Les  Houes  de  Thôr 256 

g  93.  Le  Marteau  de  Thôr;  ses  Gantelets  de  fer,  et  sa  Ceinture  de  Force  .  256 


XI 

Pages. 
N°  (31)  BALDUR^  niördur;  skadi  ;  fhkyr;  et  fbeyia. 

g  94.  Baldur ,  dédoublement  et  héritier  du  dieu  Soleil 258 

g  95.  Niördur,  dédoublement  du  Dieu  du  Soleil      .          260 

g  96.  Skadi ,  héritière  de  la  Déesse  Vrindus 262 

g  97.  Freyr,  dédoublement  et  héritier  du  Dieu  du  Soleil 265 

g  98.  Freyia ,  dédoublement  et  héritière  de  la  Déesse  de  la  Lune    .     .     .  266 

N°  (32)  TYR  ;  BRAGl  ;  ET  IDUNN. 

'i  99.     Tyr,  originairement  le  dieu  Ciel 268 

g  100.  Bragi ,  dédoublement  et  héritière  de  la  Lune 272 

g  101.  Idunn,  rÉpouse  de  Bragi 273 

N»  (33)  heimdall;  hödlr;  vidaí»  ;  ullr;  forseti. 

g   102.  Origine  stellaire  de  Heimdall 274 

g   103.  Origine  solaire  de  Vidarr    .     • 277 

g  104.  Hödur,  ancien  Dieu  du  Combat 280 

g  105.  Origine  solaire  du  Dieu-héros  Ullr 282 

g  106.  Vali ,  ancien  Dieu  de  la  Mort 283 

g  107.  Forseti ,  dédoublement  de  Baldur 284 

N"  (34)  LOKI  ,  HEL  ET  LE  SERPENT  DE  l'ENCLOS-MITOYEN. 

g  108.  Loki ,  Symbole  de  TAstre  du  Soir 284 

g  109.  Le  Serpent  de  l'Enclos-Mitoyen ,  Symbole  de  rOcéan      ....  286 

g  110.  Hel ,  originairement  Déesse  de  la  Lune 287 

N°  (35)    LE  LOUP  DE  FENRIR. 

g  111.  Signification  symbolique  du  Loup  de  Fenrir     .     .     .     .     .     .     .  298 

g  J12.  Les  Ases  enchaînent  le  Loup  de  Fenrir 288 

N°  (36)  LES  ASYNIES. 

g  113.  L'Asynie  Saga,  spécialisation  de  la  Norne  Urdur 290 

g  114.  Cure ,  dédoublement  de  Freyia 291 

g  115.  Gâfion ,  dédoublement  de  Freyia 291 

g  116.  Fulla ,  dédoublement  de  Frigg 292 

g  117.  Freyia ,  héritière  de  Rindur  et  de  Frigg 293 

N"  (37)  S1ÖFN;  lofn;  vör;  syn;  hlîn  ;  snotra;  gnâ. 

g  118.  Siöfn,  dédoublement  de  la  Déesse  Thiuth 29-i 

g  119.  Lofn,  dédoublement  de  Freyia 295 

g  120.  Vör,  dédoublement  de  la  Déesse  Taviti .  295 

g  121.  Syn ,  dédoublement  de  la  Déesse  Taviti 296 

g  122.  Hlln ,  dédoublement  de  Frigg 297 

g  123.  Snotra ,  spécialisation  de  Freyia .  297 

g  124.  Gnâ ,  dédoublement  de  Freyia 297 

N»  (38)  LES  VALKYRIES  ;  LES  ASYNIES  1ÖRD  ET  RINDUR. 

g  125.  Les  Valkyries  conçues  d'après  les  Alhi-runes  historiques    ...  298 

g  126.  Les  Asynies  lord  et  Rindur 300 

N»  (39)  hymir;  les  fiançailles  de  freyr  et  de  gerdlr. 

g  127.  Gymir ,  Örboda  et  Gerdur 302 

g  128.  Les  fiançailles  de  Freyr  et  de  Gerdur 304 

g  129.  Les  éléments  épiques  ajoutés  au  mythe  symbolique 305 


XII 

Pages. 
N"  (40)  l/oRDINAIftE  d'oDINN  ET  DES  TROl'PIERS-UMQUES  ;  LES  LOUPS  ET  LES 
COIIBEAUX  d'oDINN. 

g  1 30.  Sæhrimnir ,  Andhrimnir  et  Eldhrimnir 306 

§131.  Odinn  boit  du  vin 308 

§  132.  Les  Loups  Geri  et  Freki 308 

§  133.  Les  Corbeaux  Huginn  et  Muninn 309 

îi^  (41)  LA  CHÈVRE  HEIDRUNE,  l'ARBRE  LÆRAD,  ET  LE  CERF  EIKTHYRNIR. 

§  134.  La  Chèvre  Heidrûne 309 

§  135.  L'Arbre  merveilleux  Lærad 310 

§  136.  Le  Cerf  Eikthyrnir 311 

N<'(42)  LA  HALLE-DES-OCCIS;  LES  TROUPIERS-UNIQUES  5  TYPES  DES  CHOSES  ,  AU  CIEL. 

§  137.  Grandeur  de  la  Halle-des-Occis ,312 

§  138.  Jeux  des  Troupiers-Uniques 312 

§  139.  Les  Idéaux  des  Choses  et  des  Êtres,  au  ciel 312 

N°  (43)  l'iotne  constructeur;  svadilfari;  sleipnirj  skid-bladnir. 

§  140.  Le  Géant- des-Montagnes,  architecte 313 

§  141.  Svadilfari  et  Sleipnir 314 

§  142.  Le  navire  Skîdbladnir 314 

N"  (44)  aventures  de  thôr  dans  le  séjour  des  iotnes  et  dans  l'enclos- 

EXTÉUIEUR. 

§  143.  Thôr  sadjoint  Thialfi  et  Röskva 315 

§  144.  Thôr  et  Skrymir 317 

§  145.  Thôr  chez  Loki  de  TEnclos-Extérieur 319 

N°  (45)  THÔR  PÊCHE  AVEC  HYMIR,  ET  COMBAT   LE  SERPENT-DE-MER. 

§  146.  Thôr  et  le  Géant  Hymir 326 

g  147.  Lutte  de  Thôr  contre  le  Serpent-de-Mer 326 

N"  (46)  PRESSENTIMENTS,  MORT,  ET  FUNERAILLES  DE  BALDUR. 

g  148.  MortdeBaldur 327 

g  149.  Funérailles  de  Baldur 329 

g  150.  Baldur  ne  peut  revenir  de  Hel 331 

N®  (47)  FUITE,  prise  ET  PUNITION   DE  LOKI. 

g  151.  Loki  pris  par  les  Ases 332 

g   152.  Punition  de  Loki 334 

N"  (48)  LE  CRÉPUSCULE  DES  GRANDEURS. 

g  153.  Le  terrible  Hiver 335 

g  154.  Les  scènes  successives  du  Drame  terrible 337 

N°  (49)  LA  RENAISSANCE  DU  CIEL,  DE  LA  TERRE,  DES  DIEUX,  ET  DES  HOMMES. 

g  155.  Renaissance  de  la  Terre 339 

g  156.  Restauration  du  Ciel 340 

g  157.  La  nouvelle  race  humaine  ;  le  nouveau  Soleil 341 

N"  (50)  ÉPILOGUE  DE  SUBLIME.  REPRISE  ET  FIN  DE  l'HISTOIRE  DE  l'ENCADREMENT. 

g  158.  L'Épilogue  de  Sublime 342 

g  159.  Gulti  enseigne  en  Suède  ce  qu'il  a  appris  de  Sublime      ....  342 


LA  FASCINATION  DE  GULFI 


EXPOSITION. 


§  1.  Sujet,  but  et  division  de  cet  ouvrage.  —  Le  traité  in- 
titulé :  La  Fascination  de  Gulfi  fait  partie  du  Recueil  appelé  VEdda 
de  Snorri.  C'est  un  traité  de  Mythologie  norraine,  composé  par 
Snorri,  iils  de  Sturla;  il  est,  depuis  longtemps,  la  source  principale 
de  nos  connaissances  en  cette  matière ,  et  il  a  été  jusqu'ici  le  fon- 
dement et  la  seule  autorité  de  tous  les  ouvrages  publiés  sur  ce  sujet. 
Notre  but  est  non-seulement  d'expliquer  ce  traité  ,  mais  aussi  d'en 
soumettre  le  contenu  à  un  examen  critique.  Pour  l'expliquer ,  il  ne 
suffit  pas  de  le  traduire  du  norrain  en  français ,  il  faut  encore  faire 
comprendre  tout  ce  qui  en  constitue  le  fond  et  la  forme.  Or ,  pour 
faire  comprendre  la  manière  dont  la  Mythologie  norraine  a  été 
conçue  et  exposée  par  Snorri,  il  est  indispensable  de  traiter  ces 
questions  dans  une  introduction  à  la  fois  philosophique ,  historique 
et  littéraire.  Notre  travail  se  divisera  donc  en  trois  parties  :  1°  Vin- 
troduclion ,  destinée  à  expliquer  le  mode  particulier  adopté ,  par 
Snorri^  dans  la  conception  du  fond  scientifique  et  dans  la  composi- 
tion ou  forme  littéraire  de  son  traité  ;  2°  la  Traduction,  que  nous 
avons  tâché  de  rendre  aussi  fidèle  que  possible ,  afin  qu'on  puisse 
faire  sur  elle  toutes  les  études  qu'on  ferait  sur  le  texte  original  ; 
3**  le  Commentaire  critique ,  servant  à  expliquer,  à  compléter,  à  con- 
trôler et  à  rectifier,  d'après  les  données  de  la  science  moderne, 
l'exposé  de  la  Mythologie  norraine  fait  par  Snorri. 


If 


INTRODUCTION. 


1. 

PREMIÈRE  PARTIE  DE  L  OUVRAGE. 


INTRODUCTION. 

§2.  Sujet,  but  et  division  de  cette  Introduction.  —  La 

Fascination  de  Gulfi  renferme  la  Mythologie  norraine  telle  que 
Snorri  la  savait  ou  l'avait  comprise ,  quant  au  fond ,  et  telle  qu'il  a 
cru  devoir  l'exposer,  quant  à  la  forme.  Le  sujet  et  le  but  de  cette 
Introduction  est  d'expliquer  et  d'apprécier  la  conception  du  fond  et 
la  forme  de  ce  traité  de  mythologie.  Or ,  d'abord ,  pour  apprécier  la 
valeur  scientifique  de  ce  traité  ou  pour  savoir  jusqu'à  quel  point  cet 
exposé  est  complet  et  conforme  à  la  vérité ,  il  est  nécessaire  de 
bien  connaître  la  nature  de  la  Mythologie ,  en  général ,  et  l'histoire 
de  la  formation  et  du  développement  interne  de  la  Mythologie  nor- 
raine ,  en  particulier.  Ensuite,  pour  comprendre  la  forme  et  tout  ce 
qui  tient  à  la  composition  de  ce  traité ,  il  est  indispensable  de  con- 
naître les  procédés  littéraires,  qui  étaient  en  usage  du  temps  de 
Snorri,  et  qui  ont,  plus  ou  moins,  déterminé  la  forme  que  cet  auteur 
a  adoptée  dans  son  ouvrage.  Cette  introduction  comprendra  cinq 
chapitres.  Le  premier  traitera  de  l'origine  et  du  développement  in- 
terne ou  logique  et  du  développement  externe  ou  historique  et  géo- 
graphique de  la  religion  des  Scandinaves  et  de  leurs  ancêtres.  On  y 
démontrera  ce  que  cette  mythologie  était  en  réalité ,  du  moins  à  en 
juger  d'après  l'état  actuel  de  la  Science  ;  et  le  résultat  de  cette  dé- 
monstration nous  servira  ensuite  de  règle  pour  juger  et  apprécier 
en  détail ,  dans  le  Commentaire  critique ,  les  idées  que  Snorri  s'est 
faites  des  différents  mythes  qu'il  expose  dans  son  traité.  Le  second 
chapitre  traitera  des  notions  scientifiques  que  les  érudits  de  l'Anti- 
quité et  du  Moyen  âge,  qui  ont  été  les  prédécesseurs  de  Snorri^  se 
sont  formées  soit  de  la  Mythologie,  en  général ,  soit  de  la  Mythologie 
norraine,  en  particulier;  nous  y  puiserons  la  connaissance  des 
notions  sur  l'Histoire  et  la  Mythologie  qui  avaient  cours  dans  le 


ORIGINE  DES  RELIGIONS.  ,1 

monde  savant,  antérieurement  à  Snorri.  Dans  le  troisième  chapitre 
il  sera  question  de  Snorri,  de  sa  vie  et  de  l'histoire  de  ses  ouvrages. 
Le  quatrième  chapitre  exposera  la  manière  dont  Snorri,  d'après  sa 
science  mythico-historique ,  a  compris  la  Mythologie  et  l'ordre  dans 
lequel  il  a  disposé  les  matières  dans  son  traité.  Enfin,  le  cinquième 
chapitre  expliquera  l'origine  et  la  raison  de  la  forme  dialoguée,  de 
l'encadrement  historique ,  et  du  titre  de  La  Fascination  de  Gulfî. 

CHAPITRE  PREMIER. 

ORIGINE  ET  TRANSFORMATIONS  DES  MYTHOLOGIES  OU  DES  RELIGIONS 
NATURELLES. 

§  3.  Origine  des  Religions  et  des  Mythologies.  —  On  dé- 
signe, habituellement,  sous  le  nom  de  Mythologies  les  anciennes 
religions  naturelles,  qui  ne  passent  pas  pour  avoir  été  révélées,  et  qui, 
par  conséquent ,  au  point  de  vue  des  religions  positives  et  supposées 
révélées ,  sont  considérées  comme  une  doctrine  humaine  et  partant 
erronée ,  soit  comme  un  exposé  ou  un  recueil  de  fables  (gr.  mutho- 
logia).  Mais,  au  point  de  vue  de  la  Science^  toutes  les  Religions,  comme 
toutes  les  Mythologies,  sont  é%úeme\\i  naturelles ^  c'esi-à-dire  d'ori- 
gine humaine.  Car,  dans  le  monde  métaphysique  aussi  bien  que 
dans  le  monde  physique^  tout  ce  qui  existe  a  une  origine  naturelle^ 
c'est-à-dire  que  tout  existe  en  vertu  des  lois  de  la  nature  physique 
ou  métaphysique  qui  sont,  en  quelque  sorte,  la  volonté  immuable  de 
Dieu.  Ce  qu'on  appelle  surnaturel^  ou  bien  n'a  d'existence  que  dans 
notre  conception  erronée ,  ou  bien ,  s'il  a  une  existence  réelle  ,  il 
porte  improprement  le  nom  de  surnaturel,  qui  devrait  être  échangé 
contre  celui  de  métaphysique.  Toutes  les  religions ,  quelles  qu'elles 
soient,  ne  sauraient  donc  être  autre  chose  que  des  religions  natu- 
relles, car  toutes  sont  les  produits  de  la  nature  intellectuelle  et 
morale  des  sociétés  humaines  ;  les  hommes  les  ont  conçues  et  créées 
naturellement,  spontanément,  successivement,  pour  y  trouver  les 
moyens  de  satisfaire  leurs  besoins  religieux.  L'Homme  est  porté 
invinciblement  à  la  religion  par  tout  son  Être ,  c'est-à-dire  par  toutes 
les  facultés  de  son  Âme  :  d'abord  par  le  sentiment  inévitable  qu'il  a 
de  son  insuffisance  physique,  pour  se  protéger  lui-même  contre  les 
forces  ennemies ,  brutales  et  inexorables  de  la  Nature  et  contre  les 
hasards  et  les  accidents  de  la  vie  ;  ensuite  par  le  sentiment  de  sa 


4  INTRODDCTION. 

faiblesse  intellectuelle  pour  comprendre  la  réalité  ,  la  vie  et  le  monde 
dans  leur  essence  et  leurs  causes;  enfin,  par  le  sentiment  de  son 
impuissance  morale  pour  satisfaire  à  la  loi  de  justice  qui  s'annonce 
impérieusement  dans  sa  conscience.  Il  éprouve  donc  le  besoin  de 
s'appuyer  sur  quelque  Être  qui  soit  physiquement  plus  puissant  que 
lui-même,  qui  soit  la  clef  de  voûte  de  son  système  plus  ou  moins 
scientifique,  et  qui  soit,  enfin ,  la  sanction  des  lois  qui  se  révèlent 
dans  sa  conscience  morale.  Aussi  longtemps  qu'il  y  aura  des  hommes , 
ils  aspireront  -^evsV Absolu;  et  dans  ce  sens  la  Religion  est  éternelle 
comme  l'Absolu  lui-même.  Les  religions  appelées  naturelles  ne 
diffèrent,  quant  à  leur  origine,  des  religions  appelées  positives  ou 
révélées ,  qu'en  ce  qu'elles  sont  nées  par  la  coopération  des  masses 
et  des  générations  successives  et  ne  s'appuyent  que  sur  la  tradition 
nationale ,  tandis  que  les  religions  dites  révélées  sont  conçues  par 
des  hommes  supérieurs  dont  les  inspirations  religieuses  ont  passé 
pour  des  révélations  surnaturelles  et  qui  ont  transmis  leur  vie  et 
leur  foi  religieuses  à  des  disciples,  ou  ont  consigné  leurs  dogmes  et 
leurs  préceptes  dans  des  livres  considérés  comme  sacrés ,  fondant 
ainsi  des  religions  appelées  positives,  parce  qu'elles  ne  sont  pas 
spontanées ,  mais  imposées  et  basées  sur  la  foi  en  l'autorité  du  ré- 
vélateur. La  vérité  et  la  justice  étant  d'essence  divine^  les  religions 
naturelles,  comme  les  religions pos?/i>es,  sont  plus  on  moïn?,  divines, 
selon  qu'elles  renferment  plus  ou  moins  de  vérité  et  de  justice. 

§  4.  Transformations  des  Religions  et  des  Mythologies.  — 
Il  n'y  a  d'immuable  que  Y  Absolu.  Tout  ce  qui  existe,  dans  le  monde 
physique,  intellectuel  et  moral,  est  sujet,  tant  qu'il  vit,  au  dévelop- 
pement, et  par  suite  au  changement.  L'âme  humaine,  toute  la  pre- 
mière ,  plus  elle  est  douée  d'une  vie  énergique ,  plus  son  dévelop- 
pen^ent  sera  progressif  et  plus  ses  facultés  subiront  des  métamor- 
phoses incessantes.  La  Religion,  étant  le  produit  naturel  de  l'âme 
aspirant  d'une  manière  plus  ou  moins  consciente  vers  V Absolu , 
participe  aussi ,  si  elle  vit ,  au  développement  progressif  de  l'âme  et 
subit,  s'il  n'y  a  pas  d'empêchement,  les  métamorphoses  incessantes 
des  idées  et  des  sentiments  qui  sont  ses  principes  générateurs.  Il 
est  vrai  que,  ï immutabilité  éiani  l'attribut  de  l'Absolu,  des  castes 
sacerdotales  ont  cru  imprimer  ii  la  religion  un  caractère  plus  divin , 
en  la  rendant  immobile,  du  moins  autant  que  cela  pouvait  dépendre 
d'elles;  mais  en  agissant  ainsi ,  par  un  zèle  inintelligent,  elles  n'ont 


HISTOIKE  DES  RELIGIONS.  5 

fait  que  discréditer  la  religion  positive  dans  l'intelligence  et  dans  le 
cœur  des  hommes  religieux.  La  religion ,  abandonnée  à  son  dévelop- 
pement spontané  et  naturel,  déploira  toutes  les  ressources  de  sa 
riche  nature ,  dans  les  différentes  phases  de  son  développement  in- 
cessant. 

La  Science  ne  connaît  la  nature  d'une  religion  que  quand  elle 
en  connaît  entièrement  toutes  les  différentes  phases  de  son  déve- 
loppement historique.  Par  conséquent ,  pour  connaître  ,  d'une  ma- 
nière complète,  la  Religion  ou  la  Mythologie  Scandinave,  il  faudra 
l'étudier  dans  toutes  les  périodes  de  son  existence,  depuis  son  ori- 
gine jusqu'à  son  extinction.  Mais  où  trouver,  dans  l'histoire,  les 
origines  de  la  religion  des  Scandinaves  ?  Cette  religion  n'est  pas  née 
chez  les  peuples  du  Nord  ;  ces  peuples  l'ont  reçue  traditionnelle- 
ment de  leurs  ancêtres ,  chez  lesquels,  par  conséquent,  il  faut  en 
chercher  les  origines.  Quels  sont  les  ancêtres  des  peuples  Scandi- 
naves? Nous  avons  prouvé*  que  les  Scandinaves  sont  issus  des 
peuples  du  rameau  gète,  qui  était  sorti  lui-même  de  la  branche 
Scythe,  laquelle  se  rattachait ,  dans  l'origine ,  à  la  souche  iafétique. 
Il  y  avait  donc  une  filiation  généalogique  des  Scythes  aux  Gètes  et 
des  Gètes  aux  Scandinaves ,  de  sorte  que  Scythes ,  Gètes  et  Scandi- 
naves n'ont  formé  proprement  qu'une  seule  nation  dont  les  géné- 
rations successives ,  se  continuant  les  unes  les  autres ,  ont  porté 
ces  différents  noms  de  peuple ,  aux  différentes  époques  de  leur 
existence.  Mais  si  ces  peuples  n'ont  formé  qu'une  seule  lignée  con- 
tinue, qu'une  seule  nation,  il  n'y  a  eu  également  en  eux  qu'une 
seule  vie  morale  ,  intellectuelle  et  religieuse ,  qui ,  tout  en  se  déve- 
loppant et  en  se  spécialisant  dans  chacun  d'eux,  a  fait  de  cette 
race  une  unité  ,  une  individualité  ,  une  personne,  et  a  produit  les 
phénomènes  qui  sont  les  expressions  de  cette  vie  morale ,  intellec- 
tuelle et  religieuse  et  constituent  les  caractères  individuels  de  cette 
personne.  Or ,  s'il  y  a  eu  continuité  généalogique  entre  les  Scythes , 
les  Gètes  et  les  Scandinaves ,  il  y  a  eu  aussi  continuité  organique 
entre  eux  par  rapport  à  leur  religion ,  de  sorte  que  la  religion  des 
Scythes  a  trouvé  sa  continuation  naturelle  dans  celle  des  Gètes  et 
que  la  religion  des  Gètes  a  été ,  à  son  tour ,  continuée  par  celle  des 
Scandinaves.  La  Mythologie  des  Scythes ,  des  Gètes  et  des  Scandi- 

1 .  Voir  Les  Gètes  ou  la  filiation  généalogique  des  Scythes  aux  Gètes  et  des  Gètes 
aux  Germains  et  aux  Scandinaves ,  etc. 


b  INTRODUCTION. 

iiaves  forme  donc  une  seule  et  même  religion ,  qui  a  eu  son  origine 
dans  la  religion  des  pères  des  Scythes,  s'est  ensuite  continuée  dans 
la  religion  des  Gètes,  et  enfin  a  trouvé  sa  fin  à  l'époque  de  la 
conversion  des  Scandinaves  au  Christianisme.  Pour  faire  connaître 
la  Mythologie  Scandinave  depuis  son  origine  jusqu'à  son  extinction» 
nous  aurons  donc  à  retracer  les  différentes  phases  par  lesquelles 
elle  a  passé  successivement  dans  la  religion  primitive  de  la  souche 
iafétique  et  dans  celle  des  Scythes ,  des  Gètes  et  des  Scandinaves 
jusqu'à  l'époque  de  l'introduction  de  l'Évangile  dans  le  Nord. 

§  5.  Transformations  de  la  Mythologie  Scandinave  depuis 
son  origine  jusqu'à  sa  dissolution.  —  Pour  faire  connaître  la 
nature  de  la  Mythologie  Scandinave ,  il  est  nécessaire  de  montrer 
quelles  sont  les  principales  phases  par  lesquelles  cette  religion  a 
passé  depuis  ses  commencements  primitifs  jusqu'à  l'époque  de  sa 
dissolution.  Or,  comme  la  Religion  est  un  produit  de  l'esprit  humain 
(voir  p.  3),  les  phases  qui  se  manifestent  en  elle  sont  déterminées 
par  les  diverses  formes  de  cet  esprit  humain  qui  l'engendre.  C'est 
donc  d'après  ces  formes ,  qui  déterminent  et  modifient  successive- 
ment les  caractères  de  la  Mythologie ,  qu'on  divisera  l'histoire  du 
développement  de  ces  religions  anciennes.  Nous  partagerons  l'his- 
toire de  la  religion  Scandinave  en  trois  périodes,  d'après  les  trois 
modes  de  conception  qui  se  révèlent  dans  toutes  les  manifestations 
de  l'esprit  humain,  et  marquent  le  commencement,  le  milieu  et  la 
fin  de  son  développement.  Ces  trois  modes  de  conception  sont  Vin- 
tuition  qui  conçoit ,  la  Raison  qui  développe ,  et  V Intelligence  qui 
épure  la  Religion;   ce  sont  ces  modes  qui  déterminent  les  trois 
phases  ou  trois  périodes  principales  par  lesquelles  passe  la  Religion, 
savoir  la  première  période,  appelée  la  période  de  V  Intuition,  pen- 
dant laquelle  la  Religion  prend  naissance  et  se  forme  ;  la  seconde, 
appelée  la  période  de  la  Raison ,  où  la  Religion  atteint  son  dévelop- 
pement logique  le  plus  complet,   et,  enfin,  la  troisième  période, 
appelée  la  période  de  V Intelligence,  où  telle  ou  telle  Religion  tombe 
en  décadence ,  parce  que  l'Intelligence  substitue  aux  anciennes  con- 
ceptions religieuses  des  conceptions  nouvelles  plus  vraies  et  d'un 
ordre  plus  élevé.  Cependant,  ni  dans  les  individus. ni  dans  les  races, 
l'esprit  humain  ne  passe,  d'une  manière  absolue  et  en  quelque  sorte 
abrupte,  d'un  mode  de  conception  à  un  autre. 
L'Esprit  humain  n'est  jamais  uniquement  Intuition  ou  Raison  ou 


HISTOIRE  DES  RELIGIONS.  7 

Intelligence;  mais  l'Intuition  primitive  est  modifiée  par  la  Raison 
qui  se  développe ,  et  l'Intuition  et  la  Raison  sont  modifiées  par  l'In- 
telligence, qui  vient  dominer  l'une  et  l'autre.  Ces  différents  modes 
de  conception  se  succèdent  donc  l'un  à  l'autre,  non  pour  s'effacer 
et  s'exclure  absolument,  mais  plutôt  pour  se  limiter  réciproque- 
ment et  se  compléter  l'un  l'autre  ;  ils  ne  sont  pas  seulement  éma- 
nents  l'un  de  l'autre ,  mais  aussi  immanents  l'un  dans  l'autre.  Ce- 
pendant, comme  chacun  de  ces  modes  de  conception  prédomine  sur 
les  deux  autres,  dans  une  des  trois  périodes  indiquées ,  il  est  juste 
de  nommer  chacune  de  celles-ci  d'après  le  mode  de  conception  qui 
y  est  prédominant.  On  conçoit  ensuite  qu'il  ne  puisse  pas  y  avoir 
de  limite  rigoureusement  tracée  entre  ces  trois  périodes,  et  qu'on 
ne  saurait  assigner  au  commencement  et  à  la  fin  de  chacune  une 
date  précise.  Mais  on  peut  indiquer  d'une  manière  approximative  les 
limites  de  ces  périodes  et  leur  assigner,  en  conséquence,  jusqu'à 
des  dates  chronologiques.  Pour  la  Mythologie  Scandinave,  la  période 
de  l'Intuition,  ou  la  période  de  l'origine  et  de  la  formation  première, 
commence  à  l'origine  de  la  souche  scythique  et  s'étend  à  peu  près 
depuis  l'an  2500  jusque  vers  Tan  700  avant  notre  ère  ;  elle  com- 
prend l'histoire  de  cette  religion  telle  qu'elle  s'est  formée  chez  les 
ancêtres  des  Scythes  et  chez  les  Scythes  eux-mêmes ,  jusqu'à  l'é- 
poque ci-dessus  indiquée.  La  période  de  la  Raison,  ou  la  période  du 
développement  logique  de  cette  religion ,  s'étend  à  peu  près  depuis 
l'an  700  avant  notre  ère  jusqi^e  vers  l'an  500  après  Jésus-Christ,  et 
comprend  l'histoire  de  cette  religion  telle  qu'elle  s'est  développée, 
d'abord  chez  les  Scythes  depuis  l'époque  indiquée ,  ensuite  chez  les 
peuples  de  la  branche  gète,  et  chez  les  peuples  Scandinaves,  jusque 
vers  l'an  500  après  Jésus-Christ.  Enfin,  la  troisième  période ,  celle 
de  V Intelligence,  ou  la  période  de  la  décadence,  comprend  l'histoire 
de  la  religion  Scandinave,  qui,  depuis  le  septième  siècle,  tombe  en 
décadence,  et  est  remplacée,  vers  l'an  iOOO,  par  la  religion  chré- 
tienne. Telle  est  la  division  que  nous  suivrons  dans  l'exposé  que 
nous  avons  à  faire  de  l'histoire  des  métamorphoses  subies  par  la 
religion  Scandinave ,  depuis  son  origine  en  Asie  jusqu'à  son  extinc- 
tion en  Europe. 

§  6.  Nature  et  Caractères  des  Religions  dans  la  période 
de  l'Intuition.  —  Dans  l'âge  primitif  de  l'individu  ou  des  races, 
l'âme,  encore  ignorante  ou  vide  de  notions,  observe  d'abord  seule- 


8  INTRODUCTION. 

ment  les  objets  visibles,  dont  elle  ne  perçoit  que  les  qualités  les  plus 
générales  et  les  plus  extérieures.  Comme  ce  mode  de  perception 
s'opère  principalement  par  le  sens  de  la  vue ,  on  peut  l'appeler  con- 
venablement y  Intuition.  Par  cette  Intuition  extérieure  (qui  est  en- 
core séparée  par  un  abîme  de  l'Intuition  intérieure  de  l'Intelligence) 
les  objets  visibles  sont  perçus  de  manière  à  laisser  dans  l'Esprit  (qui 
se  spécialise  peu  à  peu  et  se  différencie  dans  l'âme) ,  leurs  images 
vagues  et  superficielles;  et  comme  ces  images  sont  tout  ce  que 
l'Esprit  perçoit  et  connaît  de  ces  objets ,  elles  tiennent  lieu  primi- 
tivement de  ce  qui,  plus  tard  ,  dans  la  période  de  la  Raison,  con- 
stituera les  notions ,  de  sorte  que  l'Esprit  lui-même  se  manifeste 
presque  uniquement  en  sa  qualité  à' Imagination  passive. 

On  peut  établir,  en  général ,  trois  degrés  consécutifs  dans  les  per- 
ceptions de  l'âme  avant  qu'elle  arrive  à  Y  Intuition.  Le  premier  degré 
est  celui  où  l'âme  éprouve  des  sensations  ou  des  impressions  phy- 
siques causées  par  les  objets  visibles,  sans  cependant  avoir  la  vue  ou 
l'intuition  des  objets  qui  les  produisent.  Ce  premier  degré  nous 
l'appelerons  le  degré  de  la  Sensation;  à  ce  degré,  l'objet,  qui  est  la 
cause  de  la  sensation,  existe  bien  pour  lui-même,  mais  il  n'existe  pas 
encore  pour  l'esprit,  parce  que  celui-ci  ne  le  perçoit  pas  par  la  vue.  Le 
second  degré  est  celui  où,  par  le  moyen  de  la  vue,  l'âme  frappée  par 
un  objet  extérieur  réagit  sur  cette  impression,  c'est-à-dire  acquiert 
la  conscience  de  la  présence  ou  de  l'existence  de  l'objet  perçu  par  la 
vue.  Cette  impression  n'est  plus  simplement  une  sensation  renfermée 
dans  le  sujet ,  c'est  la  vue  vague  d'un  objet  présent  qui  existe  et  dont 
l'existence  est  perçue  par  l'esprit  :  c'est  pourquoi  nous  nommerons 
ce  second  degré  le  degré  de  la  Perception.  L'image  qui  dans  l'âme 
résulte  ainsi  de  la  perception  de  l'existence  d'un  objet,  est  néces- 
sairement vague,  puisque  le  sujet  n'y  distingue  encore  aucune  qua- 
lité ni  caractère  ;  il  ne  remarque  que  la  présence  et  tout  au  plus  la 
forme  générale  de  l'objet  qui  frappe  la  vue.  Après  la  Perception 
vient  le  troisième  degré,  où  l'esprit  n'est  pas  seulement  frappé  par  la 
présence  d'un  objet,  mais  encore  par  une  de  ses  particularités,  soit 
qualités  ou  caractères.  Ces  caractères  remarqués  sont,  pour  l'esprit, 
les  signes  caractéristiques  de  l'objet,  de  sorte  que  l'idée  d'un  de  ces 
caractères  et  celle  de  l'objet  aperçu,  auquel  il  est  inhérent,  se  confon- 
dent entièrement  dans  l'âme,  au  point  qu'en  exprimant  ce  caractère, 
l'homme  entend  désigner  l'objet  lui-même,  et  exprime,  eiTectivement, 


LES  RELIGIONS  DE  L  INTUITION.  \f 

tout  ce  qu'il  sait  de  la  nature  de  cet  objet.  Ainsi ,  par  exemple ,  en 
voyant  le  soleil,  l'homme  primitif  en  remarque  le  caractère  d'être 
éclatant,  et  comme  ce  caractère  constitue  tout  ce  qu'il  sail  du  soleil , 
éclatant  est,  pour  lui,  synonyme  de  soleil.  Ce  troisième  degré,  nous 
l'appellerons  le  degré  de  la  notion  ou  de  Vidée. 

Les  notions  se  rapportant  à  la  Religion  se  forment  exactement  de 
la  même  manière  que  les  autres  notions  et  en  portent ,  par  consé- 
quent, tous  les  caractères  distinctifs.  Les  Scythes  primitifs  ou  leurs 
ancêtres,  qui  ne  concevaient  encore  que  par  V Intuition  des  sens 
ou  par  l'imagination,  et  dont  la  pensée  ne  s'élevait  guère  au-dessus 
de  la  vie  matérielle,  ne  pouvaient  concevoir  la  divinité  autrement 
que  comme  un  être  puissant,  visible  et  physique.  Aussi  les  objets 
de  la  nature,  tels  que  le  ciel,  la  terre,  le  soleil,  la  lune,  le  feu,  l'eau 
et  l'océan  passaient-ils  pour  des  puissances  surhumaines,  c'est-à-dire 
pour  des  divinités. 

Comme  V Intuition  ne  perçoit  que  les  objets  qui,  par  leur  mouve- 
ment ou  leurs  changements,  attirent  sur  eux  l'attention,  et  passent, 
à  cause  de  leurs  changements  et  mouvements,  pour  des  objets  vivants, 
les  divinités  conçues,  dans  cette  période,  étaient  des  objets  considérés 
comme  Êtres  vivants. 

Ces  êtres  vivants  (gr.  zôa),  étant  naturellement  d'abord  conçus 
sous  la  forme  qu'ils  ont  réellement  dans  la  nature,  et  ces  formes 
diverses  se  rapprochant  des  formes  variées  du  règne  animal  plutôt 
que  de  la  forme  unique  de  l'espèce  humaine,  il  se  fit  que  les  divinités 
dans  la  période  de  l'Intuition,  ne  fussent  pas  d'abord  conçues  comme 
anthropomorphes  (sous  figure  humaine),  mais  comme  womorphes 
(sous  forme  animale). 

Gomme,  dans  ces  divinités  zoomorphes,  l'Intuition  pouvait  déjà 
admettre,  ainsi  que  dans  les  animaux,  la  différence  áe^  sexes,  elle  a 
aussi  su  établir  cette  différence  entre  ces  divinités,  et  c'est  pourquoi 
il  y  avait  des  divinités  mâles  et  des  divinités  femelles  déjà  à  l'époque 
où  ces  divinités  n'étaient  encore  que  zoomorphes.  Mais  ces  divinités 
zoomorphes ,  ayant  des  formes  différentes ,  ne  pouvaient  pas  être 
conçues  comme  appartenant  à  une  seule  espèce,  soit  race,  ou  famille; 
par  conséquent,  les  rapports,  résultant  du  mariage,  de  la  génération 
et  de  la  parenté,  n'existaient  pas  encore  entre  les  divinités  de  cette 
période  primitive. 

Dans  l'idée  qu'on  se  faisait  de  l'objet  physique  considéré  comme 


10  INTRODUCTION. 

divinité,  ce  qu'il  y  avait  d'essentiel  c'était  le  caractère  ou  le  phénomène 
qui,  dans  l'objet  physique  divinisé,  avait  principalement  frappé  l'ima- 
gination, et,  par  cette  impression  sur  l'âme  humaine,  avait  donné  de 
cette  divinité  l'idée  d'une  puissance  surhumaine.  Ce  phénomène  ou 
caractère  devint  le  trait  caractéristique  de  l'idée  qu'on  se  faisait  de 
cette  divinité,  et,  comme  elle  passait  pour  un  être  vivant,  ce  phéno- 
mène de  l'objet  ou  ce  trait  caractéristique  de  la  divinité  fut  considéré 
comme  son  action  volontaire.  Mais,  comme  l'Intuition,  qui  est  l'op- 
posé de  l'analyse,  ne  parvient  jamais  à  séparer,  dans  la  pensée, 
Vétre  du  phénomène,  elle  ne  put  non  plus  séparer  le  dieu  de  V action 
qu'on  lui  attribuait,  de  sorte  que  l'idée  du  dieu  se  confondait  avec 
celle  de  son  action  caractéristique,  et,  par  conséquent,  désigner  cette 
action,  c'était  désigner  le  dieu  lui-même.  Aussi  le  nom  primitif  que 
portait  le  dieu  exprimait-il  uniquement  cette  qualité  caractéristique. 
Ainsi,  par  exemple,  le  Ciel,  c'était  le  Brillant;  l'Océan,  c'était  le 
Terrifiant,  etc.  Comme  cette  action  était  considérée  comme  résultant 
d'une  puissance  surhumaine  ou  divine ,  c'était  précisément  et  uni- 
quement à  elle  que  les  dieux,  ses  représentants,  devaient  non- 
seulement  leur  nom  individuel  et  primitivement  limgîte,  mais  en-  ^ 
core  le  caractère  divin  qu'on  leur  attribuait. 

L'Intuition,  ne  pouvant  encore  concevoir  rien  d'absolu,  les  dieux 
n'étaient  pas  non  plus  adorés,  parce  qu'on  leur  aurait  supposé  une 
puissance  absolue;  on  ne  leur  supposait  qu'une  puissance  surhumaine 
et  seulement  dans  la  sphère  de  leur  action  ou  dans  leur  spécialité. 
Ensuite  leur  action  n'était  pas  encore  considérée  au  point  de  vue  de 
la  morale,  et  l'action  surhumaine  nuisible  ou  terrible  était  tout  aussi 
bien  réputée  divine  que  l'action  bienfaisante  et  conforme  à  ce  que 
plus  tard  on  a  appelé  h  Morale.  Pour  gagner  la  faveur  de  la-divinité, 
l'unique  moyen  employé  dans  cette  période,  c'était  l'Invocation  qui 
était ,  ou  bien  conjuration  pour  demander  du  secours,  ou  déprécation, 
c'est-à-dire  prière  pour  éloigner  le  mal  ou  le  malheur.  Le  culte  des 
dieux  était  encore  peu  développé;  il  n'y  avait,  non  plus,  ni  fêtes,  ni 
cérémonies,  ni  sacrifices,  ni  temples,  ni  images  ou  statues  des  dieux. 
(Voy. /.es  Gaies,  p.  263-301.) 

Tels  étaient,  dans  la  période  de  l'Intuition,  les  principaux  carac- 
tères distinctifs  de  la  Religion  en  général  et  de  la  Mythologie  des  an- 
cêtres des  Scandinaves  en  particulier. 

§  7.  Nature  et  caractères  des  Religions  dans  la  période  de 


I 


LES  RELIGIONS  DE  LA  RAISON.  Il 

la  Raison. —  Dans  la  seconde  période,  celle  de  la  Raison,  l'Esprit, 
en  possession  des  images  de  ïlntuition,  ne  perçoit  pas  seulement 
Vexislence  des  objets  physiques  avec  un  de  leurs  phénomènes  exté- 
rieurs; il  perçoit  encore  quelques-unes  de  leurs  qualités  ^Xn^  on 
moins  invisibles  ;  i\  ne  se  contente  plus  de  connaître  les  choses  seule- 
ment d'après  leur  image  et  leur  forme  ou  par  un  de  leurs  phénomènes 
extérieurs,  il  veut  les  connaître  encore  d'après  leurs  qualités  et  leurs 
attributs.  Aussi,  la  Raison,  s'appuyant  sur  des  notions  plus  complètes, 
qu'elle  acquiert  en  combinant  logiquement  les  attributs  d'un  objet 
perçus  par  l'Intuition,  parvient-elle,  peu  à  peu,  d'un  côté  à  prédominer 
sur  l'imagination  qu'elle  modère  et  qu'elle  corrige,  et,  de  l'autre, 
à  éveiller  l'intelligence  dont  le  germe ,  sous  l'influence  du  raisonne- 
ment, commence  alors  à  se  féconder  et  à  se  développer.  Aussi  le 
mode  de  conception  de  la  Raison  est-il  cause  que  la  Religion  ou  la 
Mythologie  prend  maintenant  des  caractères  tout  à  fait  opposés  à 
ceux  qu'elle  avait  dans  la  période  de  Vlntuition. 

La  Raison ,  reconnaissant  nettement  la  différence  entre  les  êtres 
physiques  ou  choses  et  les  êtres  spirituelles  ou  personnes,  les  Divi- 
nités traditionnelles,  savoir  les  objets  divinisés,  tels  que  le  Ciel, 
l'Océan,  le  Soleil,  etc.,  descendent  du  rang  d'Êtres  vivants  zoo^ 
morphes  à  celui  de  Choses  divines  qui  «e  sont  plus  elles-mêmes  des 
divinités ,  mais  auxquelles  président  des  Divinités  conçues  mainte- 
nant comme  personnes  anthropomorphes.  Cette  distinction  entre  la 
í/mn/í^ anthropomorphe  et  l'oíy^í  physique,  auquel  elle  préside,  une 
fois  établie,  il  arrive  naturellement  que  le  dieu  et  l'objet  physique 
divin,  qui  dans  la  perception  étaient  autrefois  identiques  l'un  avec 
l'autre,  se  séparent  maintenant,  de  plus  en  plus,  l'un  de  l'autre,  dans 
la  pensée  des  hommes,  et  finissent  même  par  devenir  entièrement 
étrangers  l'un  à  l'autre.  Cette  séparation ,  entre  la  divinité  et  l'objet 
physique  auquel  elle  était  sensée  présider,  s'étant  établie,  la  Raison, 
considérant  la  divinité  surtout  comme  une  personne  anthropomorphe 
et  anthropopathe ,  détermine  et  précise,  de  plus  en  plus,  les  caractères 
ou  attributs  de  cette  divinité ,  sans  songer  aux  rapports  existant  tra- 
ditionnellement entre  elle  et  l'objet  physique  auquel  elle  présidait. 
Ce  rapport  tombant,  de  plus  en  plus,  en  oubli,  on  attribue  au  dieu 
anthropomorphe  non-seulement  les  différentes  qualités  empruntées 
à  la  nature  humaine  en  général ,  mais  encore  des  qualités  qui  n'ont 
plus  de  rapport  avec  la  spécialité  traditionnelle  du  dieu ,  et  qui  même 


12  INTRODUCTION. 

sont  en  contradiction  manifeste  avec  son  caractère  ou  attribut  pri- 
mitif. Aussi,  au  lieu  d'avoir,  comme  autrefois,  un  nom  unique,  ex- 
primant son  action  caractéristique,  le  dieu,  par  suite  de  ses  qualités 
et  attributs  multiples,  prend -il  maintenant,  dans  la  période  de  la 
Raison,  un  grand  nombre  de  noms  épithétiques. 

Les  divinités  étant  devenues  anthropomorphes,  il  devient  possible 
de  les  considérer  comme  formant  une  espèce,  une  race,  une  famille; 
on  suppose  par  conséquent  aussi  entre  elles  des  rapports  généalogiques 
et  hiérarchiques.  On  assigne  à  cette  famille  divine  pour  demeure  le  ciel 
et  ils  prennent  dès  lors  le  nom  commun  général  de  Célestes  (sansc. 
daivâs,  gr.  theoï,  p.  teifoï,  lat.  dîvt,  norr.  tîvar).  Les  actions  attri- 
buées aux  dieux  n'étant  plus  déterminées  exclusivement ,  comme 
autrefois,  par  leur  nature  particulière  primitive,  ne  sont  pas  non 
plus  considérées  simplement  comme  des  attributions  individuelles 
et  nécessaires,  mais  prennent  maintenant  la  forme  et  le  caractère 
des  actions  humaines  volontaires.  On  ne  considère  donc  plus  leurs 
actions  comme  l'expression  symbolique  de  leur  nature  particulière 
ou  comme  des  symboles  de  leurs  qualités  individuelles,  on  les  en- 
visage comme  des  faits  ou  événements  historiques  plus  ou  moins 
fortuits,  et  on  les  rapporte,  comme  tels,  dans  les  mythes,  de  sorte 
que  ces  mythes,  de  symboliques  qu'ils  étaient  primitivement,  de- 
viennent donc  maintenant  historiques  ou  épiques.  Le  Mythe  n'étant 
plus  l'expression  d'une  idée  ou  intuition,  mais  le  récit  d'une  action 
volontaire,  entre  dès  lors,  de  plus  en  plus,  dans  le  domaine  de  l'ima- 
gination et  de  la  poésie  narratives,  et  passe,  par  conséquent,  par  les 
phases  successives  que,  d'après  sa  nature,  la  poésie  narrative  par- 
court, chez  les  différents  peuples,  d'une  manière  plus  ou  moins 
complète,  depuis  les  rhapsodies,  éléments  constitutifs  de  l'épopée, 
jusqu'à  l'anecdote. 

La  Raison  étant,  de  sa  nature,  désireuse  de  posséder  un  ensemble 
complet  de  connaissances  ou  un  système  théologique ,  mythologique 
et  dogmatique,  elle  détermine  et  précise,  moyennant  l'imagination, 
à  défaut  d'un  savoir  suffisant,  et  suivant  la  méthode  de  V analogie,  les 
différentes  parties  de  la  Religion,  lesquelles,  jusqu'ici,  étaient  encore 
ou  inconnues  ou  vagues  et  indéterminées.  Ainsi,  après  avoir  imaginé 
des  rapports  hiérarchiques  et  généalogiques  entre  les  dieux  et  les 
demi-dieux  ou  héros,  la  Raison,  appuyée  sur  l'imagination,  conçoit, 
à  priori,  par  antithèse  et  par  analogie  avec  les  divinités  du  culte, 


LES  RELIGIONS  DE  LA  RAISON.  13 

des  Êtres  allégoriques  cosmiques  ou  des  Génies  présidant  aux  diffé- 
rentes forces  et  phénomènes  du  monde  physique.  La  Démonologie  se 
forme  et  prend  place  dans  la  Mythologie.  Ensuite,  déterminant  l'ori- 
gine  ou  la  naissance  des  différentes  Divinités ,  la  Raison  les  fait  sortir 
ou  naître  des  forces  gigantesques  supposées  primitives  de  la  Nature  : 
la  Théogonie  vient  s'ajouter  à  la  Mythologie.  Puis,  par  analogie  avec 
ce  qu'on  observe  dans  la  formation  des  choses ,  la  Raison  conçoit 
un  système,  plus  ou  moins  rationnel  ou  imaginaire,  pour  exphquer 
Voriginc  du  Monde  :  la  Cosmogonie  s'ajoute  à  la  Théogonie.  Puis  la 
Raison  se  rend  compte,  à  sa  manière  et  d'après  l'état  de  la  science 
d'alors,  de  Y  origine  et  de  la  création  du  Genre  humain  qu'elle  con- 
sidère d'abord  comme  créé  par  les  dieux,  et,  ensuite,  comme  issu 
généalogiquement  des  Dieux  :  V Anthropogonie^''diio\x\,Q  à  la  Théogonie 
et  à  la  Cosmogonie.  Enfin ,  suivant  toujours  l'analogie  avec  ce  qu'elle 
voit  dans  les  choses  de  ce  monde  qui  dépérissent  et  renaissent,  la 
Raison  se  crée  un  système  sur  la  fin  du  Monde  {Eschatologie)  et  sur 
la  Renaissance  des  choses,  des  hommes  et  des  dieux  (Palingénésie, 
VApokatastase).  C'est  ainsi  que,  dans  cette  période  de  la  Raison,  tous 
les  cadres  de  la  Mythologie  sont  dressés  et  remplis,  peu  à  peu,  par 
des  systèmes  cosmogoniques,  théogoniques ,  anthropogoniques  et 
eschatologiques.  Comme,  ensuite,  tout  ce  que  l'homme  sait,  sent  et 
fait  se  rattache,  dans  cette  "période,  à  la  Religion,  parce  que  tout, 
dans  l'état  intellectuel,  moral  et  social  d'alors,  est  censé  se  faire  sous 
l'inspiration,  sous  les  auspices  et  avec  le  concours  et  l'intervention 
des  Divinités,  il  arrive  aussi  naturellement,  à  cette  époque,  qu'on 
songe  à  faire  entrer  dans  la  Mythologie  toute  tradition  qui  se  rattache, 
par  quelque  côté  que  ce  soit,  à  la  présence,  à  l'influence,  à  l'inter- 
vention ou  à  l'action  directe  des  dieux.  La  Mythologie  embrasse  donc, 
dans  cette  période,  non-seulement  les  traditions  religieuses  propre- 
ment  dites,  mais  tout  le  domaine  de  l'esprit  humain,  la  poésie,  la 
science  et  l'histoire  traditionnelle  de  la  nation.  Comme  c'est  le  propre 
de  la  Raison  de  concevoir  les  choses  dans  leur  ensemble  et  leur  en-^ 
chaînement ,  la  Mythologie ,  dans  cette  période  de  la  Raison ,  tend 
également,  de  plus  en  plus,  au  système,  c'est-à-dire  à  un  ensemble 
ordonné.  Mais  comme  elle  ignore  complètement  le  système  naturel 
des  choses,  elle  s'en  tient  seulement,  comme  toute  science  novice, 
à  l'ordre  logique,  tel  qu'il  est  donné  par  la  narration  ou  par  la  suc- 
cession présumée  naturelle  des  faits  rapportés  dans  les  mythes,  de 


14  INTRODUCTION. 

sorte  que  la  Mythologie  devient  une  espèce  de  tableau  général  de 
l'histoire  du  monde,  des  dieux  et  des  hommes.  La  Mythologie  étant, 
dans  cette  période  de  la  Raison,  à  la  fois  Science  ou  ce  qu'on  croit  être 
vrai,  et  Poésie  ou  ce  qu'on  ^'imagine  être  vrai,  reste  ce  qu'elle  a  été, 
dans  l'origine,  objet  de  foi,  pour  ceux  du  moins,  chez  lesquels  cette 
foi  n'est  pas  ébranlée  par  une  science  supérieure  ou  par  un  mode 
de  conception  plus  parfait,  tel  que  celui  qui  naît,  à  cette  époque,  du 
développement  progressif  et  de  la  prédominance  définitive  de  Vin- 
telligence. 

§  8.  Nature  et  caractères  des  Religions  dans  la  période  de 
l'Intelligence. — L'esprit  humain,  une  fois  en  possession  des  nom- 
breuses images  perçues  par  V Intuition  et  des  différentes  notions 
conçues  par  la  Raison^  tend  plus  haut  et  ne  se  contente  plus  seule- 
ment de  concevoir  des  images  fortuites  et  des  attributs  accidentels  et 
extérieurs,  il  parvient  encore  à  concevoir  de  plus  en  plus  l'essence 
intime,  le  prototype  parfait  ou  l'idée  des  choses.  Ce  mode  de  concep- 
tion, qui  fait  comprendre  (lat.  intelligere)  l'essence  des  choses,  mérite 
le  nom  d'Intelligence ,  et  la  période  dans  laquelle  il  prédomine  sur 
l'Intuition  et  sur  la  Raison  se  nomme  la  période  de  V Intelligence. 
La  Religion,  telle  qu'elle  est  conçue  par  l'Intelligence,  est  directe- 
ment opposée  à  la  Religion  delà  Raison,  comme  celle-ci  était  l'op- 
posé de  la  Religion  de  V Intuition.  Ainsi ,  à  la  pluralité  des  dieux  de 
l'intuition  et  de  la  Raison,  l'Intelligence  oppose  le  Dieu  unique  qui 
n'a  pas  de  semblable  ni  d'associé.  Au  lieu  des  divinités  anthropo- 
morphes de  l'Intuition  et  des  Dieux-hommes  de  la  Raison,  l'Intelli- 
gence ne  conçoit  qu'un  \)ieu  Esprit  pur  ou  Substance  qui  ne  demanae 
pas  des  sacrifices  et  les  vaines  cérémonies  d'un  culte  matérialiste, 
mais  qui  veut  être  adoré  dans  l'espni  et  dans  la  i;^n7^.  L'Intelligence, 
en  examinant,  au  point  de  vue  de  la  vérité,  les  divinités  de  la  Religion 
traditionnelle,  les  trouve  insuffisantes,  immorales,  mesquines;  elle 
commence  à  soupçonner  qu'elles  soient  de  fausses  divinités,  et  elle 
finit  par  les  pénétrer,  et,  dès  lors,  elle  les  rejette  complètement  et 
sans  retour.  Cependant  la  Religion  polythéiste  et  mythologique,  par 
cela  même  qu'elle  est  la  Religion  des  pères  et  qu'elle  est  enracinée 
dans  la  tradition  et  par  suite  dans  les  habitudes,  les  mœurs  et  les 
intérêts  matériels  de  la  nation,  continue  encore  à  se  maintenir  dans 
la  croyance  de  la  majorité  ou  du  vulgaire  de  bas  et  de  haut  étage, 
chez  lequel  l'Intelligence  est  toujours  subordonnée  à  Vlntuition  et  h 


LA  RELIGION  DE  l'iNTELLIGENCE.  15 

la  Raison.  Mais,  tout  en  se  maintenant  telle  quelle,  cette  Religion 
des  pères  et  de  la  tradition  ne  peut  se  soustraire  à  la  loi  générale 
et  fatale  du  développement.  Or,  dans  la  période  de  l'Intelligence, 
la  Religion  de  l'Intuition  et  de  la  Raison  continue  à  vivre,  c'est- 
à  -  dire  a  se  développer  ;  mais  elle  se  développe  dans  un  sens 
opposé  aux  principes  qui  ont  présidé  à  sa  formation;  c'est-à-dire 
qu'en  se  développant  elle  se  décompose ^  et  la  tradition,  expliquée  et 
appréciée  à  sa  valeur  par  l'Intelligence,  est  obligée  de  céder  à  la 
puissance  invincible  de  la  Science.  Enfin ,  quand  le  moment  arrive 
où,  sous  la  pression  de  circonstances  impérieuses,  soit  politiques, 
soit  philosophiques,  l'ancienne  Religion  est  forcée  d'abdiquer,  de 
céder  sa  place  à  une  nouvelle  Foi  scientifique,  plus  conforme  aux 
conceptions  de  l'Intelligence  ou  aux  intérêts  du  siècle,  la  Religion 
de  V Intuition  et  de  la  Raison  disparaît  et  ne  laisse  plus ,  dans  la 
croyance  du  peuple  converti  à  la  nouvelle  foi,  que  ses  éléments  dés- 
agrégés. Ces  anciens  éléments  se  propagent,  en  partie,  dans  la  nouvelle 
Religion  sous  forme  de  superstitions  (lat.  superstitio,  reste  de  la  re- 
ligion antérieure),  et  même  l'ancienne  Religion  se  maintient  quel- 
quefois indéfiniment  chez  des  hommes  qui,  par  intérêt  ou  par  faiblesse 
d'esprit,  se  contentent  de  la  tradition  surannée,  ou  ne  sentent  pas 
le  besoin  de  s'élever  à  la  Religion  de  l'Intelligence. 

Tels  sont  les  traits  principaux  de  l'histoire  de  la  formation,  de  la 
transformation  et  de  la  décomposition  de  toute  Religion  ou  Mytho- 
logie, lorsqu'elle  n'a  pas  été  empêchée,  par  des  causes  extérieures, 
dans  son  développement  spontané  et  normal'.  Ce  développement,  il 
faut  le  connaître  pour  comprendre  la  nature,  l'essence  et  les  phé- 
nomènes de  la  Mythologie  ;  car,  sans  cette  connaissance,  toute  Reli- 
gion restera  nécessairement  un  mystère  et  une  lettre  close.  Or, 
cette  connaissance  n'est  devenue  possible  que  de  nos  jours,  à  la 
suite  de  longues  études  préliminaires  en  Philologie,  en  Histoire  et 
en  Psychologie. 

Cette  science  n'existait  encore  ni  dans  l'Antiquité ,  ni  au  Moyen 
âge,  pas  même  dans  les  plus  grands  philosophes,  ni  dans  les  érudits 
les  plus  distingués.  Snorri  ne  pouvait  donc,  non  plus,  donner  dans  La 
Fascination  de  Gulfi  l'explication  véritable  de  la  Mythologie  nor- 

1.  Cette  histoire  sera  retracée  avec  pius  de  détails  mythologiques  dans  un  ouvrage 
que  nous  nous  proposons  de  publier  sous  le  titre  de  :  Formation  et  transformationf: 
des  Mythologies,  ou  Lois  du  développement  interne  des  religions  naturelles. 


10  INTRODUCTION. 

raine.  Il  s'était  formé  sur  celte  mythologie  un  système  scientifique, 
basé  sur  celui  de  ses  prédécesseurs.  Or,  pour  juger  ce  système  et 
pour  pouvoir  corriger  le  faux  .point  de  vue  où  se  tient  Snorri  dans 
son  exposé  de  la  Mythologie  norraine,  il  importe  de  faire  connaître 
les  idées  qu'on  s'était  faites  de  la  Mythologie  en  général,  dans  l'Anti- 
quité et  au  Moyen  âge. 

CHAPITRE  II. 

LA  SCIENCE  DE  LA  MYTHOLOGIE  DANS  L^ANTIQUITÉ  ET  AU  MOYEN  ÂGE. 

§  9.  Origine  du  système  évhémériste.  —  A  mesure  que  les 
divinités  zoomorphes  de  la  période  de  V Intuition  furent  conçues, 
dans  la  période  de  la  Raison,  comme  des  divinités  anthropomorphes 
(voy.  §  7) ,  la  Mythologie ,  devenant  ainsi  le  tableau  épique  de  l'his- 
toire des  dieux,  se  rapprocha  aussi  de  plus  en  plus,  dans  toutes  ses 
parties  ,  de  l'histoire  proprement  dite  ou  de  l'histoire  des  hommes. 
Il  est  vrai,  la  Raison  était  mieux  en  état  que  V Intuition,  d'établir 
une  distinction  nette  entre  la  tradition  religieuse  (gr.  muthos)  ou 
mythologique  et  la  tradition  historique  (gr.  logos)  \  mais  ce  qui 
prouve,  entre  autres,  que,  même  à  cette  époque,  dans  la  Science 
aussi  bien  que  dans  la  Religion,  cette  distinction,  à  peine  établie, 
s'effaça  bientôt  de  nouveau,  c'est  que  les  Zy0^o//rojt?/ies  de  l'Ionie,  qui 
auraient  dû  surtout  la  maintenir,  furent  les  premiers  à  faire  entrer 
la  Mythologie  dans  la  Logographie ,  et  à  ne  voir  dans  l'histoire  my- 
thologique des  dieux  que  des  faits  défigurés  de  l'histoire  proprement 
dite.  C'est  ainsi  que  déjà  Dionusios  de  Milet  essaya  d'arriver,  par 
son  explication  de  certains  mythes ,  à  des  faits  prétendus  historiques 
qu'il  croyait  y  être  renfermés.  D'un  autre  côté,  les  héros  ou  demi- 
dieux  (par  cela  même  que  quelques-uns  d'entre  eux  étaient  considérés 
et  représentés ,  dans  la  tradition  religieuse  elle-même ,  comme  des 
mortels  qui  ont  été  apothéoses  ou  élevés  au  rang  des  dieux),  devaient 
favoriser  singulièrement  la  supposition  que  les  dieux  traditionnels 
de  la  Mythologie  aient  été  également,  dans  l'origine,  des  mortels 
qui,  par  des  circonstances  favorables  ou  par  différents  moyens  par 
eux  employés,  fussent  parvenus  à  se  faire  passer,  de  leur  vivant  ou 
après  leur  mort,  pour  des  êtres  surhumains  ou  pour  des  dieux. 
Aussi,  c'est  d'après  ce  point  de  vue  qu'un  philosophe  de  l'école  ku- 
rénaïque  ,  Evhèmeros  (qui  vécut  vers  le  commencement  du  qua- 


l'evhémérisme.  i  7 

trième  siècle  avant  Jésus-Christ),  expliqua ,  d'une  manière  hardie 
mais  erronée,  l'origine  des  dieux  traditionnels,  et  forma  ainsi  le 
système  d'interprétation  de  la  Mythologie  grecque,  auquel  on  peut 
donner  le  nom  d'Evhémérisme.  Cette  explication  de  l'origine  des 
dieux  et  des  mythologies  parut,  dans  la  suite,  d'autant  plus  plau- 
sible, et  mériter  la  préférence  sur  l'interprétation  morale  et  allégo- 
rique adoptée  par  l'école  stoïcienne,  que,  vers  le  temps  de  la  déca- 
dence et  de  la  chute  du  Paganisme  gréco-romain,  l'usage  devint 
plus  fréquent,  en  imitation  des  héros  apothéoses  de  la  Mythologie, 
de  rendre  des  honneurs  divins ,  de  leur  vivant  ou  après  leur  mort , 
à  des  empereurs  ou  à  d'autres  hommes  plus  ou  moins  marquants  et 
distingués.  Lorsque,  enfin,  le  Christianisme  eut  remplacé  les  religions 
polythéistes  du  Monde  ancien,  il  nia,  il  est  vrai,  décidément  le  ca- 
ractère prétendu  divin  des  dieux  du  Paganisme  vaincu  ;  mais  la  théo- 
logie chrétienne  ne  s'avisa  pas  de  nier  la  réalité  de  ces  prétendus 
dieux  ou  leur  existence  comme  êtres  réels;  et,  au  lieu  de  déclarer, 
comme  elle  aurait  été  en  droit  de  le  faire,  que  ces  dieux  anthropo- 
morphes n'ont  jamais  eu  une  existence  réelle ,  qu'ils  étaient  seule- 
ment, dans  l'origine,  les  personnifications  de  certains  phénomènes 
ou  objets  réels  de  la  Nature,  et  que  quelques-uns  d'entre  eux  n'é- 
taient même  que  les  produits  de  l'Allégorie  et  de  l'Imagination 
poétique;  en  un  mot,  au  lieu  de  dire  que  ces  dieux  n'ont  existé  que 
dans  la  pensée ,  ou  ddns  l'imagination  et  dans  la  croyance  erronée 
des  hommes,  les  théologiens  et  les  apologètes  chrétiens,  déjà  du 
temps  des  premiers  Pères  de  l'Eglise,  adoptèrent  le  système  evhé- 
mériste,  et  crurent  avoir  assez  fait,  pour  détruire  le  Culte  des  dieux 
mythologiques,  en  prouvant  à  leurs  adversaires  que ,  de  l'aveu  même 
des  philosophes  païens,  les  dieux  du  Polythéisme  n'avaient  été,  dans 
l'origine,  que  de  simples  mortels.  Cependant,  tout  en  admettant,  par 
rapport  aux  dieux  mythologiques,  le  système  evhémériste,  la  théo- 
logie chrétienne  ne  pouvait  pas  également  admettre,  avec  les  philo- 
sophes evhéméristes  païens,  que  les  nations  eussent  rendu  des  hon- 
neurs divins  à  des  mortels ,  en  reconnaissance  de  leurs  vertus  et  de 
leurs  bienfaits;  elle  admettait,  au  contraire,  que  ces  mortels  fussent 
parvenus  à  s'élever  au  rang  de  dieux ,  en  trompant  les  peuples  par 
les  artifices  de  la  Magie  ;  elle  voyait  même  en  eux  des  incarnations 
du  Diable,  ou  du  moins  les  instruments  dont  Satan  s'était  servi  pour 
induire  en  erreur  la  pauvre  humanité.  En  cela  ,  elle  fit,  à  peu  de 

2 


iS  INTRODUCTION. 

choses  ppès,  ce  que  déjà,  antérieurement,  la  théologie  juive  avait  fait 
par  rapport  aux  dieux  des  Gentils.  Car,  de  même  que  la  théologie  juive, 
jtout  en  se  moquant  de  l'adoration  des  statues  de  bois  et  de  pierre  , 
n'a  jamais  nié ,  comme  l'ont  fait  positivement-quelques  prophètes 
d'Israël,  la  réalité  personnelle  d'^rframm^M,  de  Kemosch,  de  Baal- 
Péor,  de  Baal-Seboub ,  etc.,  mais  les  a  seulement  ravalés  au  rang  de 
mauvais  Génies,  opposés  au  seul  dieu  véritable  Jehovah,  de  même 
la  théologie  chrétienne,  elle  aussi,  ne  voyait  le  plus  souvent,  dans 
les  dieux  du  Paganisme  vaincu,  que  des  Démons  ou  des  fds  de  Sa- 
tan, ayant  induit  en  erreur  les  hommes  qui  les  onj;  adorés. 

§  10.  L'Evhémérisme  chez  les  peuples  de  la  branche  gète. 
—  Après  la  conversion  des  peuples  du  Nord  au  Christianisme ,  les 
idées  evhéméristes  de  la  Théologie  chrétienne  passèrent  également, 
peu  à  peu,  dans  le  domaine  de  la  science  de  ces  peuples,  et  les 
clercs  les  appliquèrent  aussi  aux  divinités  des  nations  de  la  branche 
gète.  C'est  ainsi  que  le  moine  anglo-saxon  Aethelweard,  vers  970, 
en  parlant  d'Odinn  dans  sa  chronique,  l'appelait  «un  ancien  roi  de 
peuple  barbare,  que  les  Païens  trompés  du  Nord,  lesDanes,les 
Normands  et  les  Suèdes,  adorent  encore  aujourd'hui  comme  Dieu.» 
Comme  on  admettait  que  l'erreur  du  Paganisme  était  née  de  ce 
qu'on  avait  divinisé  des  hommes,  plusieurs  chroniqueurs  du  Moyen 
âge  crurent  retrouver  la  vérité  en  faisant  l'inverse  de  ce  qu'ils  sup- 
posaient avoir  été  fait  par  les  peuples  trompés,  c'est-à-dire  qu'ils 
considéraient  les  dieux  mythologiques  comme  ayant  été ,  dans  l'ori- 
gine, de  simples  hommes  appartenant  à  l'histoire.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  Saxon  le  Savant  (Grammaticus),  vers  l'an  1200,  re- 
présenta, dans  son  Historia  danica,  les  dieux  du  Nord  comme  des 
Chefs  puissants  qui  excellaient  dans  la  magie,  et  qui,  après  avoir 
régné  à  Byzance,  passèrent  dans  les  Pays  Scandinaves ,  où  ils  réus- 
sirent à  se  faire  adorer. 

Ces  idées  paraissaient  d'autant  plus  plausibles  que,  d'après  les  tra- 
ditions des  peuples  de  la  branche  gète,  les  Prophètes  et  les  Inspirés 
eux-mêmes  étaient  considérés  comme  les  fils  des  dieux  (voy.  Les  Gètes, 
p.  297).  Les  érudits  du  Moyen  âge,  prenant  donc  au  pied  de  la 
lettre  ces  traditions,  se  les  expliquèrent  tout  naturellement  en  con- 
sidérant les  pères  de  ces  Prophètes  ou  les  dieux  comme  n'ayant  été 
également,  en  réalité,  que  des  hommes.  11  y  a  plus:  chez  les  peuples 
de  la  branche  gète,  non-seulement  les  Prophètes  et  les  Inspirés , 


SYSTÈMES  MYTHICO-HISTORIQUES.  49 

mais  aussi  les  Rois  et  les  Chefs  do  tribus  et  les  Tribus  elles-mêmes, 
prétendaient  remonter,  par  leur  origine,  à  quelque  divinilé {\o^ .  Lefi 
Gètes,  p.  272).  Les  érudits,  d'après  leur  système  evhémériste,  ne 
voyaient  rien  d'invraisemblable  dans  ces  généalogies  divines,  et  ils 
croyaient  même  trouver  dans  ces  généalogies  mythologiques  et  dans 
ces  traditions  épiques ,  des  preuves  nombreuses  de  la  vérité  de  leur 
système.  De  cette  manière,  la  ligne  de  démarcation  entre  la  tradi- 
tion mythologique  ou  épique  et  la  tradition  historique,  étant  complè- 
tement méconnue  ou  effacée.  Mythologie  et  Histoire  se  confondirent 
ensemble.  Les  érudits  et  les  chroniqueurs  du  Moyen  âge  crurent 
donc  pouvoir  trouver,  dans  les  traditions  mythologiques  et  épiques 
sur  les  dieux  et  les  héros,  des  données  historiques,  pour  établir  l'o- 
rigine de  leur  nation,  qui  avait  adoré  ces  dieux  et  vénéré  ces  héros; 
et  réciproquement ,  ils  crurent  pouvoir  rattacher  les  traditions  sur 
l'origine  épique  de  leur  nation  aux  traditions  mythiques  sur  leurs 
dieux ,  pour  reconstruire  ainsi  l'histoire  de  leur  berceau,  soit  de  leurs 
ancêtres  primitifs  ou  premiers  rois.  Ils  firent ,  sous  ce  rapport,  ce  qu'a- 
vaient fait,  déjà  dans  l'Antiquité,  les  Logographes  et  les  Mythographes 
des  Egyptiens,  des  Assyriens ,  des  Phéniciens,  des  Perses,  des  Grecs, 
etc. ,  qui  avaient  placé  au  commencement  de  l'histoire  de  leurs  na- 
tions respectives,  le  règne  des  dieux,  qu'ils  considéraient  comme 
leurs  premiers  rois  y  et  qui  avaient  représenté  la  tradition  mytholo- 
gique de  ces  dieux  changés  en  rois,  comme  l'histoire  des  périodes 
primitives  de  leur  race.  La  Mythologie  ayant  donc  été  considérée  au 
Moyen  âge,  ainsi  que  dans  l'Antiquité,  comme  faisant  partie  inté- 
grante de  l'Histoire,  il  importe  de  savoir  comment  les  érudits  et  les 
chroniqueurs  chrétiens  des  peuples  de  la  branche  gète,  ont  combiné 
ou  mis  en  rapport  les  traditions  mythologiques  et  épiques  de  leurs 
ancêtres  païens,  avec  les  données  de  l'histoire  universelle  ou  avec 
le  système  historique  orthodoxe  adopté  par  l'Église  chrétienne. 

§  11.  Systèmes  mythico-historiques  des  Savants  au  Moyen 
âge. —  Le  Polythéisme,  partant  du  point  de  vue  que  chaque  peuple 
avait  une  origine  différente  et  formait  une  race  à  part,  ne  pouvait  arri- 
ver à  l'idée  d'une  histoire  universelle,  et,  n'ayant  aucun  intérêt  ni 
matériel,  ni  intellectuel,  ni  moral  de  le  faire,  ne  songeait  pas  même 
à  y  arriver;  il  se  contentait  de  l'histoire  nationale,  parce  que  chaque 
nation  se  considérait  comme  la  première  de  toutes,  comme  le  centre 
et  de  la  création  et  des  événements  de  ce  monde.  L'Antiquité  païenne 


áO  INTRODUCTION. 

ne  s'étant  élevée  que  jusqu'à  l'idée  de  VÉtat,  n'a  pas  dépassé  le 
point  de  vue  historique  de  Titus  Livius^  qui,  dans  son  Histoire  ro- 
maine ,  représente  le  peuple  romain  comme  le  centre  autour  duquel 
gravite,  de  plus  en  plus,  le  monde  entier.  Le  Monothéisme,  plus 
porté  à  considérer  les  diverses  nations  comme  des  membres  d'une 
même  famille,  et  tous  les  hommes  comme  des  fils  plus  ou  moins 
dignes  et  distingués  du  Dieu  unique,  s'élève  au-dessus  de  l'idée  de 
VEtat,  et  arrive  à  l'idée  plus  compréhensive  de  VEglise,  qui  n'est  pas 
seulement,  comme  l'Etat,  une  communauté  d'intérêts  sociaux,  mais 
qui  doit  être  une  communauté  libre  d'intérêts  intellectuels  et  mo- 
raux, devant  réunir  tous  les  peuples,  et  par  conséquent  engendrant 
seule  les  idées  de  VHumanité  et  de  l'Histoire  universelle.  Avec  le 
Christianisme,  qui  ne  vise  pas  à  fonder  des  États,  mais  invite  toutes 
les  nations  à  entrer  dans  l'Église  invisible,  est  née  la  possibilité 
d'une  histoire  universelle  et  d'un  système  scientifique  de  l'histoire 
du  Monde.  Comme  c'est  l'idée  de  la  communauté  religieuse  ou  de 
l'Eglise  qui  a  engendré  celle  de  l'histoire  universelle,  le  système 
scientifique  de  l'histoire,  qui  se  forme  dans  l'Église  et  qu'elle  recon- 
naît comme  orthodoxe,  porte  donc  aussi  un  caractère  théologique  ou 
religieux.  La  chrétienté,  se  composant  de  l'élément  judaïque,  numé- 
riquement faible,  et  de  l'élément  païen,  numériquement  prédomi- 
nant, trouva  dans  la  doctrine  religieuse  des  juifs,  bien  plus  que 
dans  la  science  historique  des  païens,  des  idées  propres  à  former 
un  commencement  de  système  scientifique  de  l'histoire  universelle; 
et  quelque  faible  et  insuffisant  que  soit  ce  système,  au  point  de  vue 
de  la  Science  moderne,  il  était  cependant  plus  près  de  la  vérité  que 
le  système  purement  politique  des  meilleurs  historiens  grecs  et  ro- 
mains. Or,  voici  les  éléments  dont  se  compose  le  système  historique 
qui  s'est  formé  dans  l'Église,  à  commencer  du  deuxième  siècle,  et  qui 
s'est  maintenu,  avec  peu  de  modifications,  jusque  dans  le  Discours 
sur  l'histoire  universelle  de  Bossuet.  D'abord  un  livre  de  l'Ancien 
Testament,  la  Genèse,  a  fourni  l'histoire  de  V origine  du  Monde  et 
l'histoire  des  temps  primitifs.  Ensuite  ce  livre  rattache  à  la  disper- 
sion des  trois  fils  de  Noah,  Sem,  Hham  et  Idfèl,  l'origine  de  toutes 
les  Nations  de  la  terre.  Il  montre  qu'au  milieu  de  ces  Nations,  tom- 
bées dans  le  Polythéisme ,  se  distinguent  les  descendants  de  Sem  et 
plus  particulièrement  les  fils  à' Abraham,  qui,  gardant  la  religion  de 
Jéhovah,  deviennent  le  Peuple  élu  de  Dieu  et  forment  l'Église  dans 


ODINN,  ROI  DES  THRÀKES.  24 

laquelle  doivent  rentrer  plus  tard  toutes  les  autres  Nations,  comme 
le  présument  les  traditions  historiques ,  et  comme  le  prédisent 
les  livres  prophétiques  de  l'Ancien  Testament.  Puis,  autour  de 
l'histoire  sainte  du  Peuple  de  Dieu,  continuée  dans  celle  de 
l'Église  chrétienne,  est  venue  se  grouper  l'histoire  profane  des 
Peuples  païens,  laquelle  est  résumée  dans  l'histoire  dçs  Quatre  Monar- 
chies figurées  par  les  quatre  Bètes  de  la  vision  de  Daniel  (Daniel , 
chap.  7),  qui  désignaient,  d'après  l'interprétation  postérieure  taci- 
tement admise  :  1°  l'empire  assyro-babylonien ,  2°  l'empire  médo- 
perse,  S*'  V emi^ire  gre'co-macédonien,  et  4°  l'empire  romain.  Tel  était 
le  système  de  l'histoire  universelle,  formé  par  les  premiers  docteurs 
de  l'Église.  Ce  système  était  suffisant  pour  l'horizon  borné  de  l'Anti- 
quité et  du  Moyen  âge ,  et  aussi  longtemps  que  subsistait  l'Empire 
romain  ;  mais  il  devint  un  cadre  trop  étroit  après  la  chute  de  cet 
empire;  cependant  il  s'est  maintenu,  dans  tout  le  cours  du  Moyen 
âge  et  jusque  dans  les  temps  modernes,  à  cause  de  son  caractère 
théologique  et  orthodoxe.  11  fut  naturellement  adopté  par  les  érudits 
et  chroniqueurs  des  peuples  de  la  branche  gète  convertis  au  Chris- 
tianisme, et  adopté  d'autant  plus  facilement  que  ces  érudits  pouvaient 
faire  entrer,  dans  ce  cadre  donné,  l'histoire  ou  les  traditions  mythico- 
épiques  de  leur  propre  nation.  En  effet ,  la  table  ethnologique  de  la 
Genèse  étant  supposée  indiquer  l'origine  de  tous  les  Peuples  de  la 
terre,  il  suffisait  que  le  chroniqueur  choisît  parmi  les  fils  de  lâfêt , 
énumérés  dans  cette  table,  quelqu'un  qui,  pour  quelque  raison  plau- 
sible, pût  passer  pour  le  père  éponyme  de  sa  nation.  Dans  l'impossi- 
bilité où  ils  étaient  de  trouver  toujours  le  père  éponyme  véritable, 
les  érudits  du  Moyen  âge ,  en  désespoir  de  cause  ou  par  ignorance 
et  manque  de  toute  critique  historique,  choisirent  à  tout  hasard,  et 
arrivèrent  ainsi,  pour  la  plupart,  à  des  combinaisons  historiques 
qui  sont  curieuses  par  leurs  singularités,  et  dont  il  nous  importe 
ici  de  connaître  les  raisons  plausibles,  afin  d'arriver  à  distinguer 
l'erreur  de  la  vérité  dans  les  traditions  nationales,  et,  par  suite,  dans 
les  ouvrages  historiques  des  prédécesseurs  de  Snorri. 

%  12.  Odinn  supposé  d'origine  thrâke  et  roi  des  Thrâkes.— 
Si  les  connaissances  philologiques,  linguistiques,  historiques,  géo- 
graphiques et  physiognomiques ,  qui  sont  nécessaires  pour  établir  la 
généalogie  des  nations ,  avaient  été  aussi  avancées  au  Moyen  âge 
comme  elles  le  sont  de  nos  jours ,  on  aurait  pu  reconnaître ,  déjà  à 


22  INTRODUCTION. 

cette  époque,  que  les  peuples  Scandinaves  se  rattachaient  tout  d'a- 
bord, par  leur  origine  immédiate,  à  la  branche  gèle,  qui  elle-même 
se  rattachait  à  la  souche  scythe.  Mais ,  dans  l'état  imparfait  de  ces 
connaissances ,  ef  dans  l'absence  de  toute  critique  historique  ,  on 
dut  se  contenter  de  combiner,  tant  bien  que  mal,  les  traditions  de 
la  nation  avec  les  données  que  fournissait  au  chroniqueur  le  hasard 
de  son  érudition  historique.  D'après  les  idées  evhéméristes  en 
vogue,  on  admettait  que  Odinn  et  les  ^ses  avaient  été  non-seulement 
les  ims  et  les  chefs,  mais  aussi  les  fondateurs  de  leur  nation;  de 
sorte  que  les  Scandinaves,  qu'on  considérait  comme  les  descendants 
des  compagnons  des  Ases,  passaient  pour  être  précisément  de  la 
race  du  peuple,  dont  les  Ases  avaient  été  autrefois  les  rois  et  les 
chefs.  Or,  c'était  une  tradition  généralement  répandue  chez  les 
peuples  Scandinaves,  que  leurs  ancêtres,  soit  Odinn  et  les  Ases  , 
étaient  venus  du  swif-es/ de  l'Europe  dans  le  Nord;  et  cette  tradition 
était  conforme  à  la  vérité.  Il  s'agissait  donc  pour  les  chroniqueurs 
de  découvrir  quel  était  le  peuple,  au  sud-est  de  l'Europe,  sur  lequel 
Odinn  et  les  Ases  avaient  autrefois  régné  dans  ces  contrées.  Les 
Gantes  de  la  Suède  rattachaient  leur  origine  aux  Gètes,  qui  autrefois 
habitaient  la  Thrace.  Les  Dânes  (Dacines)  se  reconnaissaient  comme 
les  descendants  des  Dakes,  et  donnaient  à  leur  pays  le  nom  de  Dacie, 
en  souvenir  de  leur  mère-patrie ,  la  Dacie  de  la  Thrace.  La  Thrace 
était  donc  désignée ,  dans  les  traditions  des  Scandinaves ,  comme  le 
pays  d'où  étaient  sortis  autrefois  leurs  ancêtres;  ce  qui,  d'après  la 
manière  de  voir  des  érudits  au  Moyen  âge,  équivalait  à  dire  que 
Odinn,  le  fondateur  de  la  nation ,  était  Thrake  d'origine ,  et  avait 
régné,  comme  roi,  sur  les  Thrâkes.  Ensuite,  ayant  appris  que,  de 
leur  temps,  la  Thrace  faisait  partie  de  l'Empire  grec,  et  sachant  que 
la  ville  de  Constantinople  ou  de  Byzance  était  située  sur  le  Bosphore 
de  Thrace,  les  chroniqueurs  du  Moyen  âge,  peu  instruits  en  his- 
toire et  en  géographie ,  crurent  que  les  Grecs  de  leur  temps  étaient 
les  descendants  des  anciens  Thrâkes ,  et  ils  prirent,  par  conséquent, 
le  nom  de  Grèce  comme  synonyme  de  Thrace.  Voilà  pourquoi  un 
chroniqueur  norrain  dit:  «Tiras,  Tracta ,  c'est  tout  un  avec  Grèce 
(norr.  Tiras,  Tracia  that  er  ail  eitt  ok  Grikland).  »  Aussi  Paul  le 
diacre,  iils  de  Warnfrid  (f  800),  dans  son  ouvrage  intitulé:  Gestes 
des  Langobardes,  ènonce-t-il  qn  Odinn  (dont  il  fait  naturellement 
un  roi)  a  régné  en  Grèce,  avant  d'avoir  Plé  adoré  comme  dieu  en 


ODINN,  R0I  DES  TURKS.  2^ 

Germanie  et  dans  le  Nord  de  l'Europe.  Saxon  le  Savant  (Grainmati- 
cus),  se  figurait  également  qu' Odinn  avait  eu  le  siège  de  son  gou- 
vernement à  Byzance ,  d'où  il  serait  ensuite  venu  s'établir  à  Upsala, 
en  Suède.  D'après  la  Genèse,  Tiras  était  fils  de  lâfet,  et  le  père  et 
le  représentant  ethnique  des  Thrâkes  (voy.  Les  Peuples  primitifs, 
p.  58);  or,  comme  père  des  Thrâkes,  il  dut  être  considéré  comme 
l'un  des  ancêtres  du  roi  des  Thrâkes  Odinn,  de  sorte  que  l'histoire 
des  Ases  ou  des  peuples  du  Nord  put  être  rattachée,  par  l'intermé- 
diaire (l'Odinn,  en  tant  que  descendant  de  Tîrâs  issu  de  Mfet,  au  sys- 
tème historique  orthodoxe  qui  avait  cours  au  Moyen  âge. 

§  13.  Odinn  supposé  d'origine  turke  et  roi  des  Turks.  — 
Les  aiicêtres  des  Scandinaves  ou  les  tribus  scythes  de  la  branche 
gète,  se  disaient  issus  ou  fils  du  Soleil.  Le  Soleil  portait  différents 
noms  épithétiques;  et,  à  l'époque  où  ces  tribus  n'avaient  pas  encore 
de  statues  des  divinités,  il  fut  représenté  par  un  Arbre  symbolique, 
un  chêne  ou  un  frêne;  voilà  pourquoi  le  Dieu  du  soleil  eut,  entre 
autres  noms  épithétiques,  celui  de  Arbre  {Taru,  Tiru,  Triu,  voy. 
Les  Gétes,  p.  193).  Or,  il  y  avait ,  sur  les  bords  orientaux  de  la  mer 
Caspienne,  une  tribu  scythe  qui  se  disait  issue  du  dieu  Tiru,  et  qui 
se  donnait,  par  conséquent,  le  nom  de  Tiruinkai  (Issus  de  Tiru), 
dont  les  Grecs  ont  fait  Derbinkai,  et  les  Latins  Dervîcœ  (cf  Tavin- 
kai,  Dâvîkoi,  Dàkoi).  Quelques  familles  de  celte  tribu  se  sont  trans- 
portées sans  doute  enThrace,  et  c'est  pourquoi  on  trouve,  parmi  les 
tribus  des  Gotes  établis  dans  ce  pays,  la  famille  des  Thervingai,  qui 
portaient  le  même  non}  que  leurs  ancêtres  scythes  les  Tiruinkai. 
Cette  famille  gote  a  probablement  donné  naissance  à  une  tribu  qui 
s'est  établie  dans  la  Germanie  orientale,  et  dont  provinrent  les  tribus 
des  Dures,  des  Hermun-dures  et  des  Thuringes.  De  même  que,  de 
Tiruinkai,  les  Latins  ont  formé  Dervicæ,  et  que  Tavinkoi  s' est  changé 
en  Dâkoi,  de  même  le  nom  de  Thuring  s'est  changé  en  Turk  ou 
Durk  (cf  Durk-heim  p.  During-heim).  Les  Scandinaves  savaient,  par 
leurs  traditions,  que  leurs  pères,  avant  de  venir  dans  le  Nord,  étaient 
établis  en  Germanie,  principalement  en  Saxe,  appelée  aussi  Pays  des 
Turks  (Thuringes),  et  c'est  pourquoi  les  chroniqueurs  ont  pu  dire 
(\\jl  Odinn  était  d'origine  turke  et  roi  des  Turks.  Plus  tard,  la  signi- 
fication véritable  et  primitive  du  nom  de  Turk ,  comme  synonyme  de 
Thuring  s'effaça,  et  ce  nom  fut  confondu  avec  celui  de  Thrak  et  même 
avec  celui  de  Tare.  Kn  effet,  Odinn  étant  nommé  roi  des  Trakes  et 


^^  INTRODUCTION. 

roi  des  Turks,  quelques  érudits  se  sont  imaginé  que  Turk  (Thu- 
ring)  était  le  même  nom  que  Trak  (Thrace);  par  la  même  raison,  la 
confusion  dut  s'établir  encore  entre  le  nom  de  Turk  (Thuring)  et 
celui  de  Turk  (Turc);  et  cela  d'autant  plus  facilement,  que  cette  cod- 
fusion  fut  confirmée,  en  grande  partie,  par  la  fausse  combinaison 
historique  que  voici  : 

D'après  une  tradition,  qui  porte  tous  les  caractères  de  la  vérité, 
une  tribu  tatare  était  établie,  vers  le  quatrième  siècle,  en  Asie  au 
pied  d'une  montagne,  qui,  à  cause  de  sa  forme  de  casque,  avait  dans 
la  langue  tatare,  le  nom  de  Terk  (heaume);  le  nom  de  la  montagne 
devint  également  le  nom  ethnique  de  la  tribu  établie  à  ses  pieds.  Les 
Terks  ou  Turks  étant  devenus  puissants  et  renommés,  leurs  parents, 
les  Ourgs  ou  Ouigurs  (chinois  Hiong-niu),  les  lazugs,  \ès  Avars , 
les  Madjars,  etc.,  aimaient  aussi  9  se  donner  le  nom  de  Tz^f^s  (chinois 
Thou-Kiu),  soit  comme  nom  ethnique  emprunté  à  celui  des  Turks, 
soit  comme  nom  honorifique  guerrier,  signifiant  Heaumes,  Protec- 
teurs ou  Porie-.casques  (turk  Terk-ûslân,  Casque).  Aa  cinquième 
siècle,  les  Turks  véritables,  unis  à  leurs  parents,  les  Avars  ou 
Madjars,  passèrent  le  Volga  et  entrèrent  en  Europe.  Dans  la  suite, 
ces  deux  peuples  frères,  les  Tarks  et  les  Madjars  (Hongrois)  ou' 
Huns,  furent  confondus  sous  la  dénomination  générale  de    Turcs. 
Lorsque,  au  milieu  du  cinquièn)e  siècle,  Ethele  (Attila)  eut  fondé 
son  vaste  empire,  qui  s'étendait  depuis  le  Volga  jusqu'au  Rhin,  et 
depuis  la  Baltique  jusqu'à  la  mer  Caspienne,  tout  cet  empire  fut 
désigné  par  les  peuples  germaniques  et  Scandinaves  sous  le  nom  de 
Pays  des  Huns  (norr.  Huna-land);  et,  par  conséquent  les  sujets 
d'AltUa,  à  quelque  race  qu'ils  appartinssent,  furent  compris  sous 
le  nom  général  de  Huns.  Les  Gotes ,  appelés  aussi  Thrakes  par 
les  érudits  (voy.  p.  22),  ayant  été  soumis  à  la  domination  d'At- 
tila, furent  également  appelés  Huns,  et  cela  d'autant  plus  facile- 
ment que  des  peuples  tatars,  tels  que  les  Alains,  s'étaient  réelle- 
ment formés  par  le  mélange  des  Gotes  avec  les  Huns.  Quelques 
chroniqueurs  substituèrent  donc  le  nom  de  Huns  à  celui  de  Gotes  , 
de  Gètes  ou  de  Thrakes.  D'autres  érudits  ne  confondirent ,  sous  la 
dénomination  générale  de  Turks,  que  les  Turcs  proprement  dits  et 
les  Hongrois.  C'est  ainsi  que  Constantin  Porphyrogénète  {De  adm. 
hnp.,  c.  38)  a  donné  à  Arpad,  premier  roi  des  Madjars,  le  litre  de 
roi  des  Turks.  Selon  Adam  de  Brème,  1056,  les  Skutes  (Scythes, 


ODINN,  ROI  DES  TURKS.  25 

Slaves)  et  les  Turks  (Turks  et  Madjars)  s'étendaient ,  de  son  temps , 
jusqu'à  la  Ruzzia  (Russie  méridionale)  ;  et  suivant  V Histoire  abrégée 
des  dynasties  (arabe  Târîkh  moktassar  ad-daul) ,  de  Grégoire ,  sur- 
nommé Père  de  la  Joie  (ar.  Abou-'l-faradji),  les  pays  grecs  (Bas- 
Empire)  étaient  séparés  des  pays  romans  (Italie) ,  par  les  peuples 
turcs,  c'est-à-dire  par  les  Hongrois  ou  Madjars.  Les  Hongrois  eux- 
mêmes  ,  tenant  à  honneur  de  porterie  nom  de  Turks,  firent  graver 
en  caractères  grecs ,  sur  la  couronne  de  Hongrie,  comme  titre  des 
rois  madjars,  les  mots  de  Kralès  Tourkias  (Prince  de  Turquie).  Les 
Huns,  ayant  succédé  aux  Goths  dans  l'ancienne  Thrace,  et  les  Mad- 
jars, appelés  Turks,  ayant  succédé  dans  ces  contrées  aux  Huns,  on 
conçoit  comment  quelques  chroniqueurs ,  partant  de  l'idée  que  les 
Scandinaves  descendaient  des  Gètes  appelés  Thrâkes,  ont  pu  dire 
également  qu'ils  descendaient  des  Turks  (norr.  Tyrkir). 

Une  autre  combinaison  historique  contribua  encore  à  faire  don- 
ner aux  ancêtres  des  Scandinaves  le  nom  de  Turks. 

Les  Turcs,  qui  entrèrent  en  Europe  avec  les  Madjars,  étaient  sortis 
des  vastes  steppes  à  l'est  de  la  Sarmatie  ou  des  contrées  qu'on  dé- 
signait, dans  l'Antiquité  et  encore  au  Moyen  âge,. sous  le  nom  géné- 
ral de  Scythie.  On  donnait  donc  également  aux  Turcs  et  aux  Madjars 
le  nom  de  Scythes ,  d'autant  plus  que  les  érudits  ou  chroniqueurs  au 
Moyen  âge ,  affectaient  de  désigner  les  peuples  par  leur  nom  géo- 
graphique, archaïque  et  synecdochique,  plutôt  que  par  le  nom  de 
race  ou  leur  nom  national,  alors  même  qu'ils  connaissaient  celui-ci. 
C'est  au  point  que  Kanlakuzène,  dans  ses  Mémoires,  donnait  aux 
Bulgares  le  nom  de  Myses,  aux  Serbes  celui  de  Trihalles  et  aux  Turcs 
de  l'Asie-Mineure  celui  de  Perses.  Le  nom  de  Turks,  étant  ainsi  de- 
venu synonyme  de  Scythes,  on  appliquait  aussi  aux  Turcs,  ce  qui 
dans  l'histoire  ancienne  était  attribué  aux  Scythes.  \\  arriva  donc 
tout  d'abord  que  les  Turks,  après  avoir  été  appelés  Scythes,  furent 
confondus  avec  les  Thrâkes,  qui,  eux  aussi,  avaient  été  confondus 
avec  les  Scythes.  Car,  non-seulement  le  nom  de  Scythes  (c'est-à-dire 
de  Habitants  de  la  Scythie),  que  les  auteurs  grecs  Numphodôros ,, 
Agtoitas,  Herodôros  et  Timon  ont  donné  mal  à  propos  aux  peuples 
Kimméro- Thrâkes  qui  habitaient  le  littoral  tout  autour  de  la  mer 
Noire ,  a  amené  cette  confusion  (voy.  Les  Amazones ,  p.  1 7) ,  mais 
l'identité  des  Scythes  et  des  Thrâkes  semblait  encore  être  confirmée 
par  le  nom  archaigue  de  Scythes,  qu'on  donnait  souvent  aux  Gète% 


2(^ 


INTRODUCTION. 


appelés  Thrâkes,  leurs  descendants.  D'un  autre  côté,  l'identité  des 
Thrâkes  et  des  Turks  semblait  prouvée  aux  chroniqueurs  du  Moyen 
âge,  d'abord  par  l'homonymie  des  noms  de  Terkeiát  Irak,  ensuite 
par  la  circonstance  que  les  Turks  ou  Huns  étaient  sortis  de  la  Scy- 
Ihie,  considérée  comme  la  patrie  primitive  des  Thrâkes  ,  autrement 
appelés  Scythes;  enfin,  par  l'identité  des  lieux  occupés,  en  Asie,  par 
des  peuples  thrâkes^  et  plus  tard,  par  les  Turcs  Seldjoukides,  et  en 
Europe,  d'abord  par  les  Thrâkes  proprement  dits,  et  plus  tard  par 
les  Madjars  appelés  Turks.  Les  Turks  ou  Scythes  ayant  été  ainsi 
confondus,  au  Moyen  âge,  avec  les  Thrâkes^  on  assignait  aussi  aux 
Turks  la  même  origine  qu'aux  Thrâkes.  En  effet ,  les  géographes  et 
historiens  arabes  islamites,  ayant  appris  (sans  doute  dans  des  livres 
écrits  en  syriaque  par  des  juifs  ou  des  chrétiens)  que,  selon  la  généa- 
logie de  la  Genèse,  Tîrâs ,  fils  de  lâfèt,  passait  pour  le  père  des 
Thrâkes  (voy.  p.  22),  le  prirent  également,  ainsi  que  lâfèt,  pour  la 
souche  de  leurs  coreligionnaires  les  Turks  ;  et ,  dès  lors ,  changeant 
le  nom  de  Tiras  en  celui  de  Terk,  ils  considérèrent  Terk ,  le  fils  de 
lâfèt ,  comme  le  Père  des  Turks  et  des  Gentils  (arabe  abou'l  Terki 
ifal-adjimi).  Ensuite,  les  érudits  turcs  ont  adopté  des  arabes 
cette  généalogie  fictive;  mais  pour  satisfaire  davantage  leur  vanité 
nationale,  ils  ont  considéré  Turk  comme  Vaine  ou  comme  le  plus 
distingué  parmi  les  fils  de  lâfèt,  et  c'est  pourquoi  ils  l'ont  appelé 
simplement  le  Fils  de  lâfèt  (turc  Yâfith  ôglân) ,  et  ont  désigné  lâfèt 
par  l'expression  honorifique  de  Père  de  la  race  de  Turk  (  turc  abou 
âli  Turk). 

Le  nom  de  Turc  ayant  été  si  généralement  substitué  à  celui  de 
Thrâke  et  de  Scythe,  on  donnait  aussi  ce  même  nom  aux  ancêtres 
des  Scandinaves  ou  aux  compagnons  d'Odinn,  parce  qu'on  considé- 
rait ceux-ci  comme  les  descendants  des  Thrâkes  (voy.  p.  23)  ou  des 
Scythes.  Aussi,  au  treizième  siècle,  les  chroniqueurs,  surtout  les 
Anglo-Saxons,  et,  d'après  ceux-ci,  les  Scandinaves,  admettaient-ils 
([Me  les  Normands  fussent  les  descendants  des  Turks  (Langebek, 
Script.  Rer.  danic,  II,  p.  35,  36).  Enfin,  l'idée  que  les  Gotes ,  et, 
par  suite,  les  Germains  et  les  Scandinaves,  descendaient  des  Turks, 
fut  cause  que  l'on  a  substitué  le  nom  de  Turks  ou  de  Turcilings  (Issus 
des  Turks)  au  nom  homonyme  de  Turings  (Thuringes),  et  (jue  l'on 
a  attribué,  dans  les  chroniques,  aux  Turcs,  ce  que  la  tradition  rap 
portait,  nu  sujet  des  Thuringes  de  l'Allemagne. 


i 


ODINN,  ROI  DES  TROYENS.  27 

§  14.  Odinn  réputé  d'origine  troyenne  et  roi  des  Troyens. 

—  L'identification  du  nom  de  Turks  avec  celui  de  Thrdkes  amena , 
au  Moyen  âge,  une  nouvelle  combinaison  historique  et  ethnologique, 
d'après  laquelle  les  Scandinaves  furent  considérés  comme  descen- 
dants des  anciens  Troyens,  Plusieurs  raisons  plus  ou  moins  plau- 
sibles, contribuèrent  à  faire  adopter  cette  idée  singulière.  D'abord, 
en  s'appuyant  sur  l'homonymie  ou  ressemblance  des  noms  de 
Thrdkes  et  de  Teukres ,  on  arriva  à  se  persuader  que  les  Troyens , 
fils  de  Teucer,  étaient  Thrâkes  d'origine.  Ensuite,  les  pays  de  la  mer 
Noire ,  que  l'on  se  figurait  comme  occupés  anciennement  par  l'Em- 
pire des  Troyens,  étaient  désignés  vaguement,  au  Moyen  âge ,  sous  le 
nom  de  Turquie  et  de  Thrace.  Or,  comme  suivant  la  tradition ,  beau- 
coup de  tribus  gotes  et  germaniques  se  disaient  originaires  de  ces 
pays  ou  de  l'ancienne  Thrace,  et  l'étaient  effectivement,  on  pouvait 
aussi  dire  qu'elles  étaient  sorties  de  la  Turquie  ou  de  l'Empire  des 
Troyens;  ce  qui  fit  supposer  qu'elles  rfgscmí/fl/ewí  généalogiquement 
des  Troyens.  Enfin,  ce  fut  surtout  la  vanité  nationale  des  peuples  de 
l'Europe  au  Moyen  âge,  qui  trouvait  de  quoi  se  satisfaire,  en  s'attri- 
buant  une  origine  aussi  héroïque  que  l'était  leur  prétendue  parenté 
avec  les  Troyens.  En  effet,  les  peuples  keltes  et  germaines,  longtemps 
en  lutte  avec  les  Romains,  avaient  appris  à  estimer  dans  ce  peuple 
vainqueur,  sa  puissance  et  sa  bravoure;  et,  lorsqu'ils  entrèrent  plus 
étroitement  en  rapport  avec  lui,  ils  préféraient  plutôt  passer  pour  les 
frères  de  ce  peuple ,  que  d'être  considérés  simplement  comme  ses  su- 
jets, appartenant  à  une  autre  race.  V Enéide  de  Virgile,  le  seul  poème 
latin  généralement  connu  au  Moyen  âge,  répandait  chez  les  peuples 
d'origine  kelte  et  germaine,  les  traditions,  réputées  historiques,  sur 
la  guerre  de  Troie  et  la  fondation  de  Rome  par  les  Troyens,  et  four- 
nissait ainsi  aux  chroniqueurs ,  le  moyen  de  faire  également  passer 
leurs  compatriotes  pour  les  frères  des  Romains ,  en  tant  qu'issus , 
comme  eux,  de  quelque  héros  troyen  fugitif,  venu  en  Europe  après 
le  sac  de  Troie.  C'est  ainsi  que  les  Arvernes  se  glorifiaient  de  leur 
origine  troyenne  (Pharsal.  4  ,  427);  les  Vénètes  (Énètes),  selon  la 
tradition ,  étaient  venus  en  Italie  sous  la  conduite  d'Anténor  le 
Troyen  (Plin.,  6,22);  Prosper  d'Aquitaine,  au  cinquième  siècle, 
Fredegem  le  Scolastique,  f  658,  Grégoire  de  Tours,  et,  d'après  eux, 
beaucoup  de  chroniqueurs  rapportaient  qu'après  la  prise  de  Troie , 
Priant  s'établit  en   France,  qyie  Franco,  fils  de  Hector,  se  retira 


28  INTRODUCTION. 

d'abord  dans  la  Scythie,  où  il  fonda  la  ville  des  Sicambres;  que,  dans 
la  suite,  les  Sicambres  se  sont  divisés,  sur  les  bords  du  Danube  ou 
en  Thrace,  en  deux  branches:  en  Turches  (Turks,  Thuringes),  ainsi 
nommés  d'après  leur  roi  Turchot,  et  en  Francs,  nommés  ainsi  d'a- 
près leur  fondateur  Franco  ;  que  les  Francs  se  sont  établis  ensuite 
sur  le  Rhin,  où  ils  ont  fondé  la  ville  de  Xanten,  dont  le  nom  devait 
d'abord  rappeler  celui  de  la  rivière  du  Xanthe,  et  qui,  ensuite,  por- 
tait encore  le  nom  plus  significatif  de  Petite-Troie.  Gailfrid  de  Mon- 
mouth  rattacha  l'origine  des  Bretons  à  un  prétendu  descendant 
d'Énée,  à  Brut,  le  fondateur  présumé  de  la  ville  de  Tours.  Les 
chroniqueurs  Scandinaves,  imitant  les  chroniqueurs  anglo-saxons, 
établirent  la  généalogie  de  leurs  nations  depuis  Adam  et  lâfèt ,  et 
firent  descendre  leurs  rois,  et  par  suite,  leurs  nations,  de  Tros 
(cf.  Tirds)  ou  TVor,  fils  de  Memnon,  le  gendre  de  Priam  (voy.  Ættar 
Harallds  frà  Adami).  D'après  les  chroniques  normandes  (voy.  Du 
Chesne,  Hist.  norm.  script.,  p.  63),  les  Danes  se  disaient  issus, 
comme  les  Vénètes ,  d'Anténor.  Il  semble  même  que,  pour  indiquer 
l'origine  troyenne  des  peuples  européens,  quelque  géographe  du 
Moyen  âge  ait  employé  exprès  le  nom  archaïque  de  Enea,  pour  dé- 
signer V Europe,  en  donnant  à  ce  nom  la  signification  de  Terre  d'Enée, 
soit  Terre  des  Énéades  ou  des  descendants  d'Énée.  Ce  nom,  qu'on  ne 
retrouve  plus  dans  aucun  des  auteurs  anciens  présentement  connus, 
répond  au  nom  grec  Aïneia,  et  désignait,  sans  doute,  dans  l'origine, 
le  Pays  où  se  trouvait  la  ville  d'^mos,  qui  existait  déjà  du  temps  des 
Homérides.  Or,  le  nom  de  Aïneia  (District  d'Ainos)  paraît  avoir  été 
employé,  par  quelque  poète  ionien,  pour  désigner  la  Thrace  h  rocci- 
dent  de  l'Ionie ,  et  il  fut  étendu  ensuite  à  tout  l'Occident  en  général, 
ou  à  l'Europe ,  situé  à  l'occident ,  par  rapport  à  l'Ionie  asiatique. 

Bien  que  Snorri,  on  ne  sait  d'après  quel  auteur  de  l'Antiquité  ou 
du  Moyen  âge,  donne,  dans  son  ouvrage  intitulé  Z/e  Cercle  du  Monde, 
à  l'Europe  le  nom  de  Enea ,  il  n'a  cependant  jamais  considéré  les 
Scandinaves  comme  issus  des  Troyens.  Il  semble  même  avoir  com- 
plètement ignoré  l'existence  des  Troyens,  Il  n'en  parle  pas  dans  son 
ouvrage  historique ,  bien  que  l'occasion  de  le  faire  se  fût  naturelle- 
ment présentée.  L'idée  de  la  parenté  entre  les  Scandinaves  et  les 
Troyens  s'est  formée  seulement  à  la  fin  du  treizième  siècle,  après 
la  mort  de  Snorri.  L'auteur  du  Prologue  et  de  l'Épilogue  de  VEdda 
de  Snorri,  que  ce  soit  Hvitaskald  ou  quelque  autre  érudit,  s'ingénia 


VIE  DE  SNORRI.  29 

beaucoup  à  démontrer  que  le  dieu  Scandinave  Thôr  était  identique  à 
Tror  (p.  Tros)  le  troyen  ;  et  dans  VEnumération  des  AncMres  (norr. 
Langfedga  tâl\  les  dieux  mythologiques  et  les  héros  épiques  des 
Norrains  sont  tous  identifiés  avec  quelque  héros  Troyen ,  au  point 
que  toute  la  Mythologie  Scandinave  est  représentée  comme  n'étant 
autre  chose  que  l'Histoire  de  la  guerre  et  du  sac  de  Troie. 

Nous  venons  d'énumérer  les  principaux  systèmes  historico-evhé- 
méristes  qui,  la  plupart,  avaient  été  adoptés  au  Moyen  âge,  déjà 
avant  la  naissance  de  Snorri.  Il  importe  de  faire  voir  maintenant  ce 
que  cet  auteur  a  conservé  de  ces  systèmes,  et  ce  qu'il  y  a  ajouté  ou 
quelles  modifications  il  y  a  apportées. 

CHAPITRE  III. 

SNORRI,  SA  VIE  ET  L^HISTOIRE  DE  SES  OUVRAGES. 

S  15.  Vie ,  éducation  et  ouvrages  de  Snorri.  ~  Snorri  naquit 
dans  l'île  d'Islande ,  en  1178.  Par  son  père  Sturla,  fils  de  Thôrdr, 
et  par  sa  mère  Gudny,  fille  de  Bödvar,  il  tenait  à  la  fois,  par  parenté 
ou  alliance,  aux  familles  les  plus  puissantes  de  la  Norvège,  la  mère- 
patrie,  et  aux  premières  familles  immigrées  en  Islande.  Il  se  trou- 
vait donc  déjà ,  par  sa  naissance ,  dans  une  position  favorable ,  soit 
pour  connaître  les  anciennes  traditions  norraines ,  qui  se  transmet- 
taient principalement  dans  le  sein  des  familles  nobles  (qui  seules 
avaient  intérêt  à  les  conserver),  soit  pour  jouer  un  rôle  politique,  par 
la  puissance  et  l'influence  que  lui  procuraient  ses  relations  de  fa- 
mille. Sturla,  le  père  de  Snorri,  était,  par  droit  d'hérédité,  revêtu 
des  fonctions  de  Chef  de  district  (norr.  hêrads  höfdingi)  ;  et  à  cette 
dignité,  suivant  l'antique  usage  datant  du  Paganisme,  était  attachée 
l'administration  des  affaires  religieuses  ou  ecclésiastiques,  ou  la 
fonction  de  Divin  (norr.  godi).  Aussi  le  jeune  Snorri,  dans  l'expec- 
tative où  il  était  de  succéder  un  jour  à  son  père  dans  les  doubles 
fonctions  de  l'administration  civile  et  ecclésiastique,  reçut  ^ il  une 
éducation  qui  lui  fit  prendre  intérêt  aux  traditions ,  tant  historiques 
que  religieuses,  de  ses  ancêtres.  Dans  le  Nord  il  était  d'usage  de  faire 
élever  les  enfants  de  bonne  famille  chez  quelque  ami  de  la  maison, 
d'un  rang  quelque  peu  inférieur.  D'après  cet  usage  ,  Snorri,  dès  sa 
troisième  année,  entra  comme  fils  adoptif  dans  la  maison  de  lôn^ 
qui  était  fils  de  Lopt  et  petit-fils  du  prêtre  Sœmund ,  surnommé  le 


90  INTRODUCTION. 

Savant,  lôn,  le  père  adoplilde  Snorri,  était  à  la  fois  riche,  le  plus 
grand  érndit  de  son  temps  en  Islande ,  et  possesseur  d'une  belle 
collection  de  manuscrits  provenant  de  son  aïeul  Sœmund.  C'est 
dans  la  maison  et  sous  la  direction  de  lôn,  que  iSwomput  satisfaire 
son  goût  pour  l'étude  des  antiquités  et  de  l'histoire  norraines.  Il 
apprit  à  connaître  les  traditions  des  grandes  familles  nobles  ,  l'his- 
toire politique  et  ecclésiastique  de  sa  race,  les  anciens  poëmes  mytho- 
logiques et  épiques  du  Nord,  et  les  travaux  historiques  de  Sœmund 
(f  1 133)  et  de  son  contemporain  Art  (f  1 14-8),  également  surnommé  le 
Savant.  C'est  sans  doute  déjà  dans  son  adolescence  que  Snorri  con- 
çut le  projet  d'écrire  l'histoire  ou  les  traditions  historiques  (norr. 
sögur)  de  la  Norvège,  la  mère-patrie  de  l'Islande.  Il  réalisa,  dans  un 
âge  plus  avancé  ,  ce  projet ,  par  sou  ouvrage  où  il  réunit ,  dans  un 
ordre  à  peu  près  chronologique,  à  des  sagas  de  sa  propre  compo- 
sition, d'autres  sagas  déjà  existantes,  qu'il  retoucha  et  remania  en 
partie,  pour  former  de  leur  ensemble  ce  recueil  si  remarquable ,  qui 
plus  tard ,  a  été  intitulé  Cercle  du  Monde  (norr.  Heims-Kringla  ; 
lat.  Orhis  mundï).  Or,  pour  préparer  les  matériaux  de  cet  ouvrage, 
il  lui  fallut  étudier  les  chants  nombreux  des  Skaldes ,  qui ,  dans  le 
Nord ,  étaient  les  principales  sources  de  l'histoire.  Car  ces  Skaldes , 
qui,  semblables  aux  Poètes  cycliques  des  Grecs  ou  aux  Bairdd  des 
Keltes,  accompagnaient  partout  les  rois  ou  les  princes,  leurs  maî- 
tres, chantaient,  dans  leurs  poèmes  épico-lyriques,  les  actions  et  les 
hauts  faits  dont  ils  avaient  été  les  témoins  oculaires.  Comme  la  plu- 
part de  ces  Skaldes  appartenaient  au  Paganisme,  leurs  poésies  ren- 
fermaient des  expressions  et  des  allusions  mythologiques  ;  et  même 
les  Skaldes  chrétiens,  imitant  leurs  devanciers,  faisaient  de  nom- 
breux emprunts  aux  différentes  traditions  mythologiques  et  héroïques 
du  Paganisme  Scandinave.  La  connaissance  de  la  Mythologie  norraine 
était  donc  indispensable  à  Snorri  pour  comprendre  les  poëmes 
skaldiques,  qu'il  consultait  comme  sources  de  l'histoire.  D'ailleurs , 
étant  jeune ,  il  dut  s'intéresser  à  la  Mythologie  pour  elle-même. 
Aussi,  voyant  que,  de  son  temps,  la  connaissance  de  la  Mythologie  nor- 
raine se  perdait  de  plus  en  plus,  il  entreprit  d'exposer  celle-ci  dans  son 
ensemble  ;  et  c'est  là  ce  qui  lui  donna  l'idée  de  composer  son  trailé,  in- 
titulé la  Fascination  de  Gulfi.  Outre  ce  traité  et  les  Sagas  de  la  Heims- 
Kringla,  Snorri  a  encortï  laissé  les  ouvrages  suivants  :  1°  Entreliens  de 
Bragi  (Bragarœdur) ,  ouvrage  qui  élait  destiné  à  servir  îV encadre' 


OUVRAGES  DE  SNORRI  31 

ment  à  un  traité  du  Langage  poétique  (norr.  Skaldskaparmâl)^  (ians 
lequel  le  dieu  de  la  Poésie ,  Bragi,  devait  énumérer  et  expliquer  les 
termes  et  locutions  usités  par  les  Skaldes.  Snorri  n'a  pas  achevé  cet 
ouvrage;  il  n'a  laissé,  outre  le  Bragarœdur  ou  l'Encadrement  for- 
mant y  introduction  au  traité ,  qu'un  certain  nombre  de  paragraphes 
du  Skaldskaparmâl,  auxquels  on  a  fait,  aux  quinzième  et  seizième 
siècles,  d'assez  nombreuses  interpolations;  2"  deux  poëmes  en 
l'honneur  du  roi  Hakon  et  du  duc  Skuli,  et  dont  chacune  des 
strophes,  en  tout  au  nombre  de  iOi2,est  composée  dans  un  mode  de 
versification  différent ,  de  sorte  que  ces  deux  poëmes  forment , 
comme  on  les  a  intitulés  plus  tard,  une  Enumération  des  Modes 
(norr.  Hâtta-tâl)  ou  une  Clef  des  Modes  (norr.  Hâtta-lykill). 

%  16.  Snorri  est  l'auteur  de  La  Fascination  de  Gulfi. —  Avant 
d'examiner  de  plus  près  le  traité  de  Snorri,  la  question  préalable 
qui  se  présente  tout  d'abord,  et  qui  devra  être  résolue  péremptoi- 
rement ,  est  celle  de  savoir  si  SnonH  est  réellement  ï auteur  de  cet 
ouvrage,  qui  lui  est  attribué  par  la  tradition.  Dans  l'Antiquité,  en 
Orient,  et  au  Moyen  âge,  les  auteurs  n'ont  eu  soin  qu'exceptionnel- 
lement ,  d'ajouter  leur  nom  à  leurs  écrits.  Aussi ,  les  manuscrits 
de  La  Fascination  de  Gulfi  ne  portent-ils  pas  le  nom  de  Snorri.  Mais 
ce  nom  s'y  trouverait,  que  la  Critique  serait  toujours  appelée  à  exa- 
miner ce  titre  d'authenticité,  basé  sur  la  tradition  vulgaire.  C'est 
pourquoi  nous  avons  à  peser  les  témoignages  positifs  qui  viennent 
confirmer  cet  énoncé  de  la  tradition  orale  ou  écrite.  Ces  témoignages 
sont  de  deux  espèces  :  ce  sont ,  1°  des  témoignages  extrinsèques 
fournis  par  des  livres  composés  en  Islande ,  dans  le  quatorzième  et 
le  quinzième  siècle  ;  ce  sont ,  2°  des  témoignages  intrinsèques  ou 
des  raisons  de  probabilité  tirées  du  fond  et  de  la  forme  du  traité  de 
La  Fascination  de  Gulfi.  Le  plus  ancien  témoignage  écrit  que  nous 
ayons  sur  l'auteur  de  ce  traité,  se  trouve  dans  les  quelques  mots 
inscrits  en  tète  du  manuscrit  d'Upsal,  qui  date  du  commencement 
du  quatorzième  siècle,  et  qui  a  été  apporté  d'Islande  en  Suède,  et 
donné  à  l'université  d'Upsal  par  le  comte  de  La  Gardie,  chancelier 
de  Suède.  Voici  ces  mots:  «Ce  livre  est  appelé  Edda;  Snorri,  fi,ls  de 
«  Sturla ,  l'a  composé  de  la  manière  dont  il  est  rédigé  ici ,  traitant 
<kdes  Ases  et  d'Ymir,  ensuite  de  l'Elocution  poétique  et  des  noms 
((  des  différents  objets ,  enfin ,  de  la  série  des  modes  que  Snorri  a 
((  composés  sur  le  roi  Hakon  et  le  duc  Skuli.>>  Ces  paroles  énoncent 


32 


INTRODUCTION. 


qifà  l'époque  de  laquelle  date  le  manuscrit  d'Upsal,  savoir  au  com- 
mencement du  quatorzième  siècle,  il  existait  un  livre  intitulé  Edda, 
renfermant  trois  espèces  d'écrits  ,  tous  attribués  à  Snorrl  :  savoir , 
d'abord,  un  écrit  mythologique  ;  ensuite ,  un  traité  d'élocution  poé- 
tique, qui  est  l'ouvrage  intitulé  Langage  poétique  (norr.  Skaldska- 
parmdl  )  ou  Entretiens  de  Bragi  (norr.  Braga-rœdur)  ;  enfin ,  un  traité 
de  versification,  c'est-à-dire  les  Poëmes  intitulés  Clef  des  Modes 
(norr.  Hâtta-lyTcill).  La  partie  mythologique  ^  qui  seule  nous  inté- 
resse ici,  se  composait,-  déjà  à  cette  époque,  comme  le  prouve  le 
manuscrit  lui-même ,  d'une  Préface  (norr.  Formâli),  faussement  at- 
tribuée à  Snorri,  et  ensuite  d'un  traité,  qui  ne  peut  être  autre  que 
celui  de  La  Fascination  de  Gulfi.  L'auteur  du  manuscrit  d'Upsal  con- 
naissait ce  titre,  puisque,  dans  ce  manuscrit,  ce  traité  porte  en  tête 
ces  mots:  «Ici  commence  La  Fascination  de  Gulfi. y>  En  tête  de  son 
manuscrit,  l'auteur  a  mis,  pour  désigner  le  traité,  le  titre  plus  géné- 
ral Des  Ases  et  d'Ymir,  parée  qu'il  voulait  désigner,  d'une  manière 
générale,  la  partie  mythologique  de  son  manuscrit,  et  que  la  désigna- 
tion employée  convenait  bien  dans  ce  but.  Il  résulte  donc  de  ce  té- 
moignage, qu'au  commencement  du  quatorzième  siècle,  un  clerc 
islandais  a  attribué  positivement  à  Snorri  le  traité  de  La  Fascination 
de  Gulfi ,  qu'il  a  désigné  sous  le  titre  général  de  :  Des  Ases  et 
d'Ymir. 

A  ce  témoignage  extrinsèque ,  le  plus  ancien  que  nous  ayons  et 
qui  nous  dispense  d'en  citer  de  postérieurs ,  viennent  se  joindre 
plusieurs  témoignages  intrinsèques. 

1"  Il  est  hors  de  doute  que  parmi  les  sagas  dont  se  compose  le 
Heims-Kringla  ,  la  première  dans  la  série,  savoir  VYnglinga  saga, 
est  certainement  de  la  composition  de  Snorri.  Or,  il  y  a  certains 
détails  particuliers  qui  sont  rapportés,  presque  dans  les  mêmes 
termes,  et  dans  VYnglinga  saga  et  dans  La  Fascination  de  Gulfi,  et 
qui  font  par  conséquent  supposer,  avec  une  grande  probabilité,  que 
ces  deux  ouvrages  ont  eu  le  même  auteur.  Ainsi,  par  exemple,  dans 
La  Fascination  de  Gulfi,  lorsqu'il  est  question  de  Freyia  (voy.  N°  24), 
il  est  dit:  «D'après  son  nom,  c'est  un  nom  honorifique  pour  les 
«femmes  de  qualité  d'être  appelées  dames  (norr.  freyior)^,  et  dans 
VYnglinga  saga  (chap.  XII),  il  est  dit:  «Elle  (Freyia)  devint  si 
«illustre  que,  d'après  son  nom,  les  femmes  de  qualité  sont  appelées 
«  maintenant  dames.'t> 


LA  FASCINATION  DE  GULFI.  33 

â*»  D'après  une  idée  particulière  à  Snoni  (voy.  p.  44),  les  Ases  du 
Nord  proviennent  d'ancêtres ,  qui  ont  habité  ce  qu'il  appelle  VAn- 
cien  Enclos  des  Ases  (norr.  hinn  forn  Asgardr).  Cette  même  idée  et 
cette  expression  se  retrouvent  également  dans  La  Fascination  de  Gulfi. 

3"  Dsins  VYugliiiga  saga ,  il  est  dit,  à  propos  de  Odr  et  de  Freyia: 
((Leurs  filles  sont  nommées  Joyau  (norr.  Hnoss)  et  Bijou  (norr. 
«  Gersemi)\  elles  étaient  très-belles;  par  leurs  noms  on  désigne  les 
((joyaux  les  plus  précieux»,  et  dans  La  Fascination  de  Gulfi,  il  est 
dit:  ((Leur  fille  s'appelle  Joyau;  elle  est  si  belle,  que  par  son  nom 
«  on  désigne  ce  qui  est  brillant  et  précieux.» 

4°  La  tradition  mythologique  sur  l'origine  de  l'île  de  Se'eland  se 
trouve  racontée ,  d'une  manière  tout  à  fait  semblable ,  dans  La  Fasci- 
nation de  Gulfi,  et  dans  l' Ynglinga  saga. 

5"  Dans  V Ynglinga  saga,  Snorri  a  l'habitude  de  citer  les  poésies 
des  Skaldes  comme  documents  à  l'appui  des  faits  qu'il  raconte,  et 
même  comme  sources  uniques  où  il  a  puisé  la  connaissance  de  ces 
faits.  Le  même  système  est  suivi  dans  La  Fascination  de  Gulfi,,  où  les 
anciens  chants  mythologiques  sont  également  cités  comme  docu- 
ments et  comme  sources  des  récits  de  la  Mythologie. 

6°  Ajoutons  que  l'on  trouve,  dans  l'un  et  dans  l'autre  ouvrage,  le 
même  art  de  se  ménager  des  transitions  d'un  sujet  à  l'autre  ,  et  les 
mêmes  qualités  de  style,  qui  distinguent  Snorri  comme  narrateur. 

7°  Disons,  en  terminant,  que,  ne  trouvant  absolument  aucune 
raison  qui  nous  fasse  croire  que  La  Fascination  de  Gulfi  ne  soit  pas 
de  la  composition  de  Snorri ,  et  ayant  de  plus  des  raisons  suffisantes 
de  croire  le  contraire,  nous  conclurons,  de  l'ensemble  des  témoi- 
gnages cités  et  rapportés  ,  que  Snorri  est  réellement ,  comme  l'é- 
nonce la  tradition ,  l'auteur  de  La  Fascination  de  Gulfi. 

§  17.  La  Fascination  de  Gulfi  composé  avant  le  Heims- 
Kringla. —  Dans  l'Antiquité,  en  Orient,  et  au  Moyen  âge,  les  ou- 
vrages se  publiaient  par  les  copies  que  l'auteur  faisait  ou  laissait 
prendre  de  son  manuscrit.  Ces  copies  ne  s'achevant  ordinairement 
qu'après  de  longues  années,  il  n'est  guère  possible  de  savoir  l'époque 
de  la  publication  d'un  ouvrage ,  c'est-à-dire  l'année  où  la  première 
copie  a  été  commencée  et  achevée.  Tout  ce  qu'on  peut  établir  au 
sujet  de  La  Fascination  de  Gulfi,  c'est  que  ce  traité  de  Mythologie  a 
été  composé  et  achevé  avant  qlie  Snorri  ait  commencé  et  achevé  la 
composition  du  Heims-Kringla.  En  effet ,  plusieurs  raisons  confir- 

3 


34  INTRODUCTION. 

ment  l'opinion  que  le  Traité  de  Mythologie  a  été  un  travail  prépara- 
toire pour  l'ouvrage  historique,  et  que  Snorri  a  composé  le  premier 
ouvrage  en  Islande,  dans  son  âge  mûr,  avant  1225,  et  le  second , 
en  grande  partie  en  Norvège,  et  dans  sa  vieillesse,  après  1234.  Car, 
ce  qui  prouve  que  la  composition  du  Traité  de  Mythologie  a  pré- 
cédé celle  de  l'ouvrage  historique,  c'est  1° que  la  théorie  evhémériste 
de  Snorri  est  beaucoup  plus  développée  dans  le  second  travail  que 
dans  le  premier,  et  cela ,  parce  que  l'auteur  avait  eu  le  temps  de 
fortifier  et  de  compléter  son  système  par  des  études  plus  étendues. 
2"  Certains  mythes,  quoique  les  mêmes,  dans  les  deux  ouvrages , 
sont  plus  explicites^  plus  développés  dans  le  Heims-Kringla  que 
dans  le  Oplfa-ginning.  Ainsi,  par  exemple,  dans  l'ouvrage  mytholo- 
gique, il  n'est  question  que  d'une  seule  fille  de  Freyia,  à  savoir  de 
Hnoss;  dans  l'ouvrage  historique,  au  contraire  ,  figurent  deux  filles 
de  Freyia,  savoir  Hnoss  et  Gersemi.  La  tradition  sur  l'origine  de 
l'île  de  Séeland  est  aussi  racontée ,  d'une  manière  plus  explicite ,  dans 
VYnglinga  saga  que  dans  Gylfa-ginning.  Or,  en  fait  de  connaissances 
historiques ,  il  est  naturel  d'admettre  que  le  moins  ait  précédé  le 
plus;  et,  par  conséquent,  nous  en  conclurons  que  l'ouvrage  mytho- 
logique ,  moins  explicite ,  est  antérieur  à  l'ouvrage  historique ,  qui 
renferme,  sur  le  même  sujet,  des  données  plus  nombreuses.  3°  L'or- 
thodoxie de  Snorri  ayant  augmenté  avec  l'âge,  cet  auteur  a,  dans  son 
ouvrage  historique,  une  tendance  plus  marquée  de  représenter  la  re- 
ligion d'Odinn  d'une  manière  défavorable.  Dans  La  Fascination  de 
Gulfi,  il  est  vrai,  les  Ases  sont  déjà  considérés  comme  des  magiciens 
et  des  aventuriers;  mais,  dans  VYnglinga  saga,  Snorri  manifeste  le 
mépris  qu'il  a  pour  eux  jusque  dans  les  titres  qu'il  met  en  tète  des 
chapitres.  Ainsi ,  le  chapitre  VII  porte  le  titre  de  :  Des  Artifices 
d'Odinn;  le  chapitre  X,  celui  de:  La  mort  d'Odinn;  le  chapitre  XII, 
celui  de  :  La  Mort  de  Freyia,  etc.  Évidemment,  Snorri,  devenu  vieux, 
n'aimait  plus  autant,  comme  dans  sa  jeunesse  ,  la  Poésie  et  les  fic- 
tions du  Paganisme;  et,  à  mesure  que  son  esprit  s'occupait  davan- 
tage de  travaux  historiques ,  il  devint  plus  positif,  et  perdit,  de  plus 
en  plus,  le  goût  pour  les  traditions  purement  mythologiques,  de  sorte 
qu'il  est  vrai  de  dire  que,  s'il  n'avait  pas  déjà  composé  La  Fascina- 
tion de  Gulfi  dans  son  âge  mûr,  il  n'aurait  plus  senti  en  lui  le  be- 
soin ou  la  volonté  de  le  faire  dans  sa  vieillesse. 
4"  Une  autre  preuve  de  l'antériorité  de  la  composition  du  Traité 


INTÉGRITÉ  DU  TEXTE.  35 

de  Mythologie ,  c'est  que  Sïiorri  a  corrigé^  dans  son  ouvrage  liisto- 
rique  postérieur,  quelques  inadvertances  qu'il  avait  commises  dans 
son  ouvrage  mythologique.  Ainsi ,  1°  dans  Gylfa-ginning ,  il  avait  dit, 
contrairement  à  la  tradition  mythologique ,  que  Odinn  chevaucha  à 
la  Fontaine  de  Mimir,  pour  consulter  ce  sage  lotne.  Dans  VYnglinga 
saga,  Snorriy  mieux  renseigné  ,  dit,  conformément  à  la  tradition, 
que  Odinn  consulta  la  Tête  de  Mimir  qu'il  avait  chez  lui.  2°  C'est 
par  erreur  que  Snorri  attribue,  dans  Gylfa-ginning,  les  vers  sur  les 
tuiles  dorées  de  Valhöll,  au  skalde  Thiodolf  de  Hven  ;  dans  le  Heims- 
Kringla,  cette  erreur  est  corrigée,  et  ces  vers  sont  attribués  à  qui 
ils  appartiennent  effectivement,  savoir  au  skalde  Hornktofi  (cf.  Saga 
de  Haralld  harfagr,  chap.  49).  En  fait  de  connaissances  historiques, 
il  est  plus  naturel  d'admettre  que  l'erreur  ait  existé  avant  la  vérité, 
que  de  supposer  le  contraire.  Il  est  donc  aussi  plus  que  probable 
que  le  Gylfa-ginning,  où  il  y  a  encore  plusieurs  erreurs ,  a  été  com- 
posé avant  le  Heims-Kringla,  où  plusieurs  de  ces  erreurs  se  trouvent 
corrigées.  Ajoutons  que  les  inadvertances,  qui  subsistent  dans  La 
Fascination  de  Gulfi,  mais  qui  ont  disparu  de  l'ouvrage  historique, 
prouvent  que  Snorri,  ou  bien  n'a  plus  ptù  corriger  son  Traité  de 
Mythologie,  puisque  les  copies  en  avaient  déjà  été  prises  et  répan- 
dues, et  que  la  connaissance  de  la  vérité  lui  est  venue  trop  tard, 
ou  bien  qu'il  n'a  pas  voulu\e  corriger,  parce  que,  arrivé  à  un  certain 
âge,  il  n'avait  plus  de  goût  pour  les  traditions  mythologiques  (voy. 
p.  34-).  Quoi  qu'il  en  soit ,  toujours  est-il  que  Snorri  n'a  pas  mis  la 
dernière  main  à  son  traité  de  Mythologie  norraine. 

§  18.  L'Intégrité  du  texte  du  Gylfa-ginning.  —  Avant  l'in- 
vention de  l'imprimerie,  le  texte  des  ouvrages  était  sujet  à  de  nom- 
breuses altérations.  D'abord ,  comme  il  n'y  avait  pas  d'édition  faite 
à  époque  fixe  (voy.  §  17),  l'auteur  lui-même  changeait  quelquefois, 
par  des  additions,  par  des  retranchements  ou  par  des  corrections, 
le  texte  de  son  manuscrit,  pendant  qu'on  en  prenait  des  copies.  En- 
suite ,  comme ,  de  la  copie  d'un  texte,  on  pouvait  faire  un  usage  tout 
individuel,  en  y  ajoutant  des  notes,  des  observations,  des  faits,  ou 
en  y  effaçant  ce ^ qui  déplaisait  ou  paraissait  inutile  et  inexact,  ces 
changements  faits  au  texte  par  le  copiste  ou  le  propriétaire  d'une 
copie,  furent  maintenus,  quelquefois,  par  un  nouveau  copiste, 
comme  appartenant  au  texte  original  de  l'auteur.  Il  importe  donc 
toujours  d'examiney  Voriginalité  du  texte  des  ouvrages  qui  datent 


36  INTRODUCTION. 

des  époques  antérieures  à  l'Imprimerie.  Par  originalité  du  texte, 
nous  entendons  ici  sa  conformité  avec  Y  original  ou  avec  le  Manus- 
crit primitif,  tel  que  l'entendait  publier  l'auteur.  \j' originalité  im- 
plique à  la  fois  l'intégrité  et  la  pureté  du  texte.  Le  texte  est  intègre^ 
quand  on  n'y  a  fait  aucun  retranchement;  et  il  estpf^r,  quand  on  n'y 
a  fait  aucune  addition  ou  interpolation.  En  examinant,  sous  ce  rap- 
port, XeieyiieàQ  La  Fascination  de  Gulfi^{Q\([u'\\  a  été  publié  d'après 
les  manuscrits,  par  Rask,  dans  la  Snorra-Edda  (Stockholm,  1818)', 
on  reconnaît  que  Snorri  a  fait  une  première  rédaction  du  Gylfa-gin- 
ning,  qu'il  a  gardée  longtemps  par  devers  lui,  sans  la  publier.  Mais, 
dans  la  suite,  il  s'est  aperçu  qu'il  avait  oublié  de  parler  de  certains 
mythes  importants.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'il  n'avait  pas  parlé, 
dans  sa  première  rédaction,  ni  de  l'origine  de  la  Nuit  et  du  Jour,  ni  de 
Soi  et  de  Mâni,  ni  des  Loups  qui  poursuivent  Soi  eiMâ?ii,  ni  de  lord  et 
de  Rindur,  ni  de  Gerdur  et  de  ses  fiançailles  avec  Freyr,  etc.  Il  ré- 
digea donc  ces  mythes  supplémentaires  sur  des  feuilles  séparées  du 
Manuscrit  original ,  et  sans  se  soucier  de  les  fondre  dans  le  texte  pri- 
mitif, ce  qu'il  aurait  pu  faire  sans  peine,  en  ajoutant  quelques  mots 
servant  de  transition  ou  de  liaison  entre  ce  texte  et  les  nouveaux  pa- 
ragraphes ajoutés.  Ces  paragraphes  additionnels,  rédigés  sur  des 
feuilles  séparées,  ont  été  insérés,  dans  la  suite,  purement  et  sim- 
plement, dans  le  texte,  soit  par  ^Sw^m  lui-même ,  agissant  avec  une 
certaine  nonchalance  (voy.  p.  34),  soit  après  sa  mort,  par  le  premier 
copiste  et  éditeur  du  texte.  Ils  ont  été  insérés  à  l'endroit  qui  parais- 
sait le  plus  convenable.  C'est  ainsi ,  par  exemple ,  que  les  para- 
graphes additionnels,  qui  portent  aujourd'hui  les  Numéros  18  et  19, 
et  qui  traitent  du  Vent  et  des  Saisons ,  ont  été  insérés  après  le  pa- 
ragraphe 17,  traitant  du  Ciel.  Les  paragraphes  additionnels.  Numé- 
ros 36  et  37,  qui  traitent  des  Valkyries  et  de  Gerdur,  ont  été  insérés 
après  le  paragraphe  35,  traitant  des  Asynies.  Mais,  comme  la  plu- 
part des  paragraphes  ajoutés,  n'ont  été  rattachés,  à  ce  qui  précède 
et  à  ce  qui  suit,  par  aucune  transition,  ni  liaison,  on  est  tenté  de 
supposer,  à  première  vue,  que  ce  manque  de  transition  et  de  liaison 
provient,  soit  de  lacunes,  soit  d'interpolations  existant  dans  le  texte. 
C'est  ainsi,  par  exemple,  que  dans  la  rédaction  primitive,  le  para- 
graphe 9 ,  traitant  de  l'établissement  des  Ases  dans  Asgard ,  et  se 

1.  Ceci  a  été  écrit,  il  y  a  18  ans;  nous  avions  fait  notre  traduction  sur  l'édition 
de  Rask;  depuis,  nous  l'avons  revue  sur  l'édition  de  CopenHague ,  184-8. 


INTÉGRITÉ  DU  TEXTE.  37 

terminant  par  les  mots  :  «  Aussi  mérite  - 1  -  il  d'être  appelé  Père 
({universel,  puisqu'il  est  le  père  de  tous  les  dieux,  des  hommes  et 
<f.de  tout  ce  qui  a  été  accompli  par  lui  et  par  son  énergie,  »  était 
suivi  immédiatement  du  paragraphe  14,  qui  commence  par  la  ques- 
tion de  Piétonneur:  c<.qu'a  entrepris  Père- Universel  y  quand  l'Enclos 
«des  Ases  fut  achevé?.  »  Mais,  dans  la  suite,  on  plaça  le  paragraphe 
additionnel  11 ,  traitant  de  Sol  et  de  Mâni,  immédiatement  après  le 
paragraphe  9,  traitant  de  l'établissement  des  Ases  dans  Asgard.  Aussi, 
dans  la  question  de  Piétonneur:  «  Comment  dirige-t-z7  la  marche  du 
soleil  et  de  la  lune?»,  le  mot  //  se  rapporte,  directement  et  sans 
peine ,  à  Odinn  dont  il  était  question  à  la  fin  du  paragraphe  9.  En- 
suite ,  Snorri  ayant  encore  rédigé  des  paragraphes  complémentaires 
sur  lord  et  NôU  et  sur  Bifrost,  ces  paragraphes  furent  insérés ,  les 
deux  premiers,  après  le  paragraphe  9,  et,  le  dernier,  après  le  para- 
graphe additionnel  sur  Sol  et  Mâni.  Ces  insertions  faites  postérieu- 
rement ,  et  sans  que  rien  ne  fût  changé  à  la  rédaction  primitive  de 
Snorri,  expliquent:  1°  le  manque  de  liaison,  dans  le  fond  et  dans 
la  forme,  entre  le  paragraphe  10  et  le  paragraphe  9;  2°  l'absence, 
au  commencement  du  paragraphe  10  de  la  formule  ordinaire: 
«  alors  Piétonneur  dit  »  ;  3)  la  contradiction  entre  ce  que  Snorri 
dit,  au  paragraphe  9,  de  la  terre  (norr.  iord),  fille  et  femme  d'Odinn, 
et  ce  qui  est  dit  de  Terre  (norr.  lord),  au  paragraphe  10;  4°  le 
manque  de  liaison  entre  le  paragraphe  10  et  le  paragraphe  11 , 
où  le  mot  il,  dans  la  question  de  Piétonneur,  ne  se  rapporte  pas, 
comme  on  devrait  le  supposer,  à  Skinfaxi,  dont  il  est  question  à  la 
fin  du  paragraphe  10 ,  mais  à  Odinn,  dont  il  est  question  à  la  fin  du 
paragraphe  9.  Il  faut  expliquer,  de  la  même  manière,  les  lacunes  ap- 
parentes qui  semblent  exister  entre  les  paragraphes  13  et  14-,  17 
et  18 ,  19  et  20  ,  36  et  37 ,  37  et  38. 

Comme  les  additions  faites  à  la  rédaction  première  avaient  pour 
but  de  compléter  celle-ci,  le  texte  vulgaire  présente  plusieurs  addi- 
tions postérieures ,  mais  n'a  subi  aucun  retranchement.  Ces  additions 
ayant  été  faites  par  Snorri  lui-même,  et  peut-être  même  insérées  par 
lui ,  on  ne  saurait  les  taxer  à' interpolations.  La  seule  interpolation 
que  nous  ayons  dû  retrancher  du  texte  et  de  notre  traduction,  con- 
siste dans  les  mots  :  that  köllum  vè'r  Troja  (nous  l'appelons  Troie) 
qui  ont  été  insérés  dans  le  paragraphe  9 ,  pour  dire  que  l'ancien 
Asgardr  n'était  autre  que  la  ville  de  Troie.  Ces  paroles  ne  sauraient 


INTRODUCTION. 


provenir  de  Snorri ,  ni  appartenir  soit  à  sa  première  rédaction ,  soit  à 
ses  additions,  puisqu'il  ne  connaissait  ni  Troie  ni  les  Troyens  (voy .  p.  28). 
Cette  interpolation  date  du  commencement  du  quatorzième  siècle; 
car  c'est  à  cette  époque  seulement  que  la  tradition,  sur  la  pré- 
tendue origine  troyenne  de  plusieurs  peuples  de  l'Europe,  s'est  ré- 
pandue aussi  en  Islande  et  fut  appliquée  aux  Ases  par  l'auteur  du 
Prologue  (Formdli)  et  de  V Epilogue  (Eptir-mâli)  de  l'Edda  en  prose. 
C'est  même  à  cet  auteur  qu'il  faut,  sans  doute,  attribuer  l'interpo- 
lation en  question.  Une  interpolation  bien  plus  considérable  semble,  à 
première  vue ,  se  trouver  au  commencement  du  Traité.  L'histoire 
de  Gefion  ne  semble  avoir  aucun  rapport  avec  le  sujet  du  Gylfa- 
ginning.  Aussi,  dans  le  manuscrit  d'Upsal,  toute  cette  introduction  a 
été  retranchée  du  texte.  Mais ,  quand  nous  aurons  expliqué  l'intime 
liaison  qu'il  y  a  entre  cette  histoire  de  Gejion  et  le  voyage  de  Gulfi , 
on  comprendra  que ,  loin  d'être  une  interpolation  ,  ce  premier  pa- 
ragraphe fait ,  au  contraire ,  partie  intégrante  et  nécessaire  de  l'En- 
cadrement de  l'ouvrage  de  Snorri. 

Ajoutons  que,  dans  le  paragraphe  5,  le  texte  vulgaire  présente 
une  transposition  d'une  partie  de  phrase,  transposition  que  nous 
avons  fait  disparaître  dans  notre  traduction ,  en  rétablissant  la  véri- 
table leçon  que  nous  justifierons  dans  le  Commentaire  (voy.  N"  5). 

§  19.  Comment  le  Gylfa-ginning  se  trouve  dans  l'Edda  en 
prose.  —  Si,  comme  il  est  probable,  la  première  rédaction  du 
Gylfa-ginning  di  été  achevée  avant  1225,  il  a  dû  se  passer  encore 
quelque  temps,  jusqu'à  ce  que  l'auteur  eût  ajouté  à  son  ouvrage  les 
paragraphes  additionnels.  Il  paraît  donc  probable  que  Snorri,  de  son 
vivant,  n'a  pas  laissé  prendre  copie  de  sa  première  rédaction  :  car, 
autrement,  cette  rédaction  se  serait  propagée  par  quelques  copies. 
Or,  il  ne  reste  que  le  texte  de  la  première  rédaction,  augmentée  déjà  des 
additions  ;  ce  qui  fait  supposer  que  cet  ouvrage  ainsi  composé  n'a  guère 
été  publié  avant  la  mort  de  Snorri  en  1241.  A  cette  époque,  les  ma- 
nuscrits et  ouvrages  de  cet  auteur  paraissent  avoir  passé  dans  les 
mains  de  son  neveu  Olafr^  fils  de  Thôrdr.  Dans  la  seconde  moitié 
du  treizième  siècle,  on  a  commencé,  en  Islande,  à  former  des  Recueils 
composés  d'ouvrages  de  même  nature.  Ce  fut  sans  doute  Olafr,  sur- 
nommé le  Skalde  blond  (norr.  Hvita-skald) ,  et  mort  en  1259,  qui 
publia  les  ouvrages  de  son  oncle  Snorri ,  dont  probablement  il  avait 
formé  deux  Recueils,  savoir  un  Recueil  historique,  le  Heimskringla, 


l'edda  de  snorri.  39 

composé  des  sagas  des  rois  de  Norvège,  et  un  Recueil  didactique ,  à 
l'usage  des  Skaldes,  et  composé  du  Gylfa-ginning ,  du  Skaldskapar- 
mâl  et  du  Hâtta-idl.  Ce  fut  sans  doute  aussi  Olafr  qui  donna  à  ce 
dernier  Recueil  le  titre  de  Edda  (Aïeule),  ce  mot  pris  dans  le  sens  de 
Vieille  Narratrice  (voy.  Chants  de  Soi,  p.  20).  Il  choisit  ce  titre 
uniquement  en  vue  du  traité  de  Gylfa-ginning ,  qui ,  se  trouvant  en 
tête  de  la  collection ,  et  racontant  les  anciennes  traditions  mytholo- 
giques, justifiait,  par  cela  même,  le  choix  de  ce  titre.  Ce  fut  donc 
proprement  le  Gylfaginning  qui,  seul,  a  fait  choisir  ce  titre  de  Edda, 
jusqu'alors  inconnu.  Au  commencement  du  quatorzième  siècle  vivait 
en  Islande  un  clerc  érudit ,  dont  le  nom  est  resté  inconnu,  et  qui  pu- 
blia une  seconde  édition  de  VEdda,  en  en  faisant  une  copie,  et  en  y 
ajoutant,  au  commencement,  au  milieu  et  à  la  fin,  des  morceaux  de 
sa  composition.  Dans  ces  morceaux,  que  Rask  a  intitulés  Prologue 
(Formàli),  Epilogue  (Eptirmàli)  et  Épilogue  de  VEdda  (Eptermâli 
Eddu),  l'auteur  s'efforça  de  rattacher  l'histoire  des  Ases  à  l'histoire 
de  l'Ancien  Testament  (voy.  p.  21),  et  de  prouver  que  les  Ases  pro- 
venaient des  anciens  Troyens  (voy.  p.  29).  Le  manuscrit  de  ce  clerc 
renfermait,  outre  ces  morceaux,  la  copie  des  trois  ouvrages  suivants  : 
i"  le  Gylfa-ginning,  désigné  sous  le  titre  de  :  Des  Ases  etd'Ymir  (voy. 
p.  32)  ;  2*»  le  Skaldskap armai,  et  3°  le  Hâttatâl.  Comme  Snorri,  l'au- 
teur de  ces  trois  ouvrages,  était  de  la  famille  des  Sturlungs,  le  copiste 
et  éditeur  ajouta  à  son  manuscrit  la  généalogie  des  Sturlungs,  et,  de 
plus,  une  Enumération  des  Skaldes  {Skaldatâl),  servant  de  complé- 
ment et  au  Skaldskaparmâl  (Langage  skaldique)  et  au  Hâtlatâl  (Enu- 
mération des  modes).  Ce  manuscrit  paraît  avoir  été  terminé  vers 
1310,  comme  le  prouvent  la  Généalogie  des  Sturlungs  et  V Enumé- 
ration des  Skaldes,  qui  s'arrêtent  à  cette  époque  (cf.  Sn.Edda,  1848 
Il  y  vu).  L'auteur  de  ce  Manuscrit  n'a  pas  imaginé  le  titre  à' Edda-,  il 
le  reproduit ,  au  commencement  de  sa  copie ,  comme  un  titre  déjà 
existant  et  reçu  de  son  temps ,  car  il  dit  :  «  Ce  livre  est  appelé  Edda.  » 
II  croit  même  que  ce  titre  a  été  donné  par  Snorri,  qu'il  suppose 
être  l'auteur  du  Recueil.  Vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  ce 
Manuscrit  passa  de  l'Islande  en  Suède  ;  il  vint  en  la  possession  du 
chancelier  Gabriel  de  la  Gardie ,  qui  en  fit  présent  à  la  bibliothèque 
de  l'université  d'Upsal ,  où  il  est  conservé  aujourd'hui  et  connu  sous 
le  nom  de  Edda  Upsalienne. 

Vers  1320  fut  achevée,  en  Islande  ,  une  autre  copie  de  VEdda.  Le 


40  INTRODUCTION. 

copiste  suivit  un  texte  autre  que  celui  de  VEdda  Upsalienne,  mais  il  em- 
prunta à  celle-ci  le  Prologue  elles  Epilogues,  composés  par  l'auteur  de 
ce  Manuscrit.  Cette  copie,  faite  postérieurement  à  la  précédente,  fut 
achetée  en  1640 par  Bryniulfr  Sveinsson,  évêque  de  Skalholt,  et  envoyée 
au  roi  de  Danemarc  Frédéric  III ,  qui  la  remit  à  la  bibliothèque  royale 
de  Copenhague ,  où  elle  est  désignée  sous  le  nom  de  Codex  Regius. 
Vers  4360  une  troisième  édition  du  Recueil  de  VEdda  fut  faite,  en 
Islande,  par  un  ecclésiastique  érudit,  dont  le  nom  est  également  in- 
connu. Au  quatorzième  úecle,  VEdda  était  devenue  tellement  le  Manuel 
par  excellence,  pour  étudier  la  Mythologie,  la  Poésie  et  la  Versification 
anciennes ,  que ,  dans  le  poëme  intitulé  Lilia  (Le  Lis),  composé  vers 
1360  par  Eystein,  fils  d'Arngrim  ,  les  préceptes  de  Poésie  sont  ap- 
pelés simplement  Règles  de  VEdda  (norr.  Eddu-reglur),  et  que ,  dans 
un  autre  poëme,  composé  vers  1370,  par  Amas,  fils  de  lôn  ,  l'art 
poétique  est  appelé  Vart  de  VEdda  (norr.  Eddu-list).  L'auteur  de 
cette  troisième  édition  crut  donc  perfectionner  et  compléter  ce 
Manuel  de  VEdda ,  en  y  ajoutant  encore  d'autres  écrits  philologiques 
sur  l'alphabet  latin ,  la  grammaire  et  le  langage  poétique.  Or ,  il 
existait,  sur  l'alphabet,  deux  traités  composés  par  des  Maîtres-ès-runes 
{norr.  Rûna-meistari);  l'un  rédigé  vers  1160  par  Thoroddr,  surnommé 
Je  Maître-ès-rûnes,  l'autre  composé  vers  1200  par  un  érudit  inconnu. 
Ces  deux  traités  furent  ajoutés  au  Recueil  par  l'auteur  de  la  troi- 
sième édition,  lequel  mit  en  tête  de  ces  traités  une  préface,  par 
laquelle  il  les  rattacha  au  Skaldskaparmdl  et  au  Hâttatâl  de  l'Edda. 
Il  considéra  le  Prologue  et  les  Epilogues  comme  la  première  partie 
de  son  édition;  le  Gylfa-ginning ,  qu'il  désignait  sous  le  nom  de 
Récits  (norr.  FrasÖgnar),  forma  h  seconde,  et  le  Skaldskaparmdl  avec 
le  Hâttatâl,  la  troisième  partie  de  l'Edda.  Puis,  à  ces  trois  anciennes 
parties  du  Recueil,  il  en  ajouta  deux  nouvelles,  un€  quatrième  et 
une  cinquième.  La  quatrième  comprenait  les  deux  Traités  des 
Maîtres-ès-rûnes  avec  la  Préface.  La  cinquième  se  composait  égale- 
ment de  deux  traités:  le  premier,  intitulé  Fondement  de  la  Gram- 
maire (norr.  Mâl-frœdinnar  Grund-völlr),  avait  pour  auteur  le  neveu 
de  Snorri,  Olafle  skalde  blond  (voy.  Snorra  Æ'í/íífl,  Copenhague, 
II,  p.  63);  le  second,  intitulé  Connaissance  du  Langage  orné  (norr. 
Mâl-skrûds-frœdi) ,  traite  des  figures  de  mot  et  de  pensée  ;  il  est  la 
continuation  du  précédent,  et  a  été,  sans  doute,  composé  par  le 
même  érudit  qui  est  l'auteur  de  cette  troisième  édition  de  VEdda. 


i/edda  de  snorri.  m 

Cette  copie  ou  édition,  découverte  en  Islande  par  Arngrim,  vint 
en  la  possession  du  célèbre  scandinaviste  danois  Ole  Wo7'm^  dont  le 
iils  la  vendit  à  Arni  Magnusen  :  elle  se  trouve  aujourd'hui  à  la  biblio- 
thèque de  l'université  de  Copenhague,  et  est  désignée  sous  le  nom 
de  Manuscrit  de  Worm.  Ce  manuscrit  renferme  la  collection  la  plus 
complète  des  ouvrages  dont  on  a  composé  l'Edda  en  prose. 

Aux  quatorzième,  quinzième  et  seizième  siècles,  le  nom  de  Edda 
n'a  jamais  désigné  autre  chose  que  le  Recueil  appelé  aujourd'hui 
VEdda  de  Snorri.  Le  nom  de  Edda  était  inconnu  à  Sœmund  et  à 
Snorri  (voy.  Chants  de  Sol,  p.  18-22)  ;  le  premier  n'a  jamais  composé 
le  Recueil  de  poèmes  qu'on  lui  attribue  et  qu'on  appelle  aujour- 
d'hui VEdda  de  Sœmund;  le  second  n'a  jamais  eu  entre  les  mains 
un  tel  recueil,  composé  par  Sœmund.  En  effet,  ce  Recueil  d'anciens 
poëmes  mythologiques  et  héroïques  a  été  formé  seulement  au  com- 
mencement du  quatorzième  siècle.  C'est  de  cette  époque  que  date 
le  plus  ancien  Manuscrit  de  ce  Recueil.  Ce  Manuscrit,  conservé  à 
la  bibliothèque  royale  de  Copenhague  et  appelé  Codex  regius,  ne 
porte  ni  le  nom  de  Sœmund,  ni  le  titre  de  Edda.  Il  a  été  découvert 
en  Islande  par  Bryniulf,  fils  de  Svein  et  évèque  de  Skalholt,  qui,  le 
premier,  sans  aucune  raison  suffisante,  mais  de  sa  seule  autorité, 
a  donné  à  la  copie  qu'il  en  a  fait  faire ,  le  titre  de  Edda  de  Sœmund. 
Si  l'on  considère  l'âge  des  poëmes  renfermés  dans  ce  Recueil ,  il 
faut  avouer  qu'ils  sont  tous  antérieurs  aux  écrits  dont  se  compose 
l'Edda  en  prose ,  appelée  aujourd'hui  VEdda  de  Snorri.  Mais  quant 
à  la  formation  même  de  ce  Recueil ,  il  est  hors  de  doute  que  la 
formation  de  VEdda  de  Snorri  est  antérieure,  d'un  demi -siècle,  à 
celle  de  VEdda  de  Sœmund.  Enfin,  quant  au  titre  à'Edda  que  portent 
aujourd'hui  l'un  et  l'autre  Recueils,  il  faut  dire  que  ce  titre  a  été 
donné,  dans  la  seconde  moitié  du  treizième  siècle ,  à  VEdda  de  Snorri, 
et  que  c'est  seulement  au  dix-septième  siècle,  qu'il  a  aussi  été 
attaché,  avec  le  nom  de  Sœmund,  au  Recueil  qui  porte  aujourd'hui 
le  titre  de  Edda  de  Sœmund. 

CHAPITRE  IV. 

LE  FOND  HISTORICO-MYTHOLOGIQUE  ET  LA  DISPOSITION  DES  MATÉRIAUX 
DANS  LE  TRAITÉ  DE  SNORRL 

S  20.  Formation  du  système  historico  -  mythologique  de 
Snorri.  —  Pour  composer  un  Traité  de  Mythologie  norraine,  Snorri 


-42  INTRODUCTION. 

pouvait  puiser  la  connaissance  des  mythes  à  trois  sources,  savoir: 
1°  dans  les  anciens  poëmes  mythologiques  et  épiques,  composés  à 
commencer  du  septième  siècle  ;  2**  dans  les  poëmes  lyrico-épiques 
des  Skaldes  ;  et  3°  dans  la  tradition  orale  du  peuple  de  son  temps , 
tradition  qui  s'estpropagée,  en  partie,  jusqu'à  nos  jours'.  Or,  du  temps 
de  Snorri,  le  Recueil  de  poëmes  mythologiques  et  épiques,  que  nous 
possédons  sous  le  titre  de  Edda  de  Sœmund,  n'existait  pas  encore. 
Si  Sæmund  avait  laissé  une  collection  semblable,  Snorri  l'aurait 
connue,  d'autant  plus  facilement,  qu'il  avait  à  sa  disposition,  chez 
son  père  adoptif  lôn^  la  bibliothèque  provenant  de  Sœmund,  l'aïeul 
de  lôn.  Mais  ce  qui  prouve  que  Snorri  n'a  jamais  eu  en  main  ce  que 
nous  appelons  VEdda  de  Sœmund ,  c'est  que  d'abord  les  citations , 
qu'il  fait  des  anciennes  poésies  mythologiques,  présentent  générale- 
ment des  leçons  toutes  différentes  de  celles  qu'on  trouve  dans  ce 
Recueil.  Il  y  a  plus  ;  Snorri  ignore  même  l'existence  du  plus  grand 
nombre  des  poëmes  contenus  dans  VEdda  de  Sœmund.  Des  trente- 
neuf  poëmes  que  nous  possédons  dans  ce  Recueil ,  Snoni  n'en 
connaît  que  six,  savoir:  1°  Quelques  fragments  de  la  Vision  delà 
Louve  (norr.  Volu-spâ)  ;  2°  le  Chant  de  Hundla  (norr.  Hyndlu-liôd) 
ou  la  Petite  Vision  de  la  Louve  (norr.  Voluspâ  hin  skamma);  3°  les 
Dits  de  Sublime  (norr.  Hâva-mâl)\  -4°  les  Dits  de  Grimnir  (norr. 
Grimnis-mâl)  ;  5°  \esDits  de  Vafthrûdnir  (norr.  Vaflhrûdnis-7nâl)  ; 
et  6"  le  Voyage  de  Skirnir  (norr.  Skirnis-fÖr).  Enfin  Snorri  a  ignoré 
jusqu'au  nom  de  Edda ,  qu'on  ne  trouve  dans  aucun  de  ses  écrits , 
ni  même  dans  aucun  écrit  norrain  ou  islandais  antérieur  au  qua- 
torzième siècle.  Ce  n'était  donc  pas  la  Collection  complète  de  VEdda 
que  nous  avons  aujourd'hui ,  mais  seulement  quelques  poëmes  ,  re- 
cueillis peut-être  par  Sœmund,  que  Snorri  put  mettre  à  contribu- 
tion pour  composer  son  Traité  de  Mythologie.  Cependant  il  connais- 
sait encore  quelques  poëmes,  que  nous  ne  possédons  plus  dans  VEdda 
de  Sœmund;  tels  sont  i^^V  Incantation  de  Heimdall  (norr.  Heimdallar- 
Galdr)  ;  2°  un  Poëme  sur  les  Vanes  ;  3°  un  autre  Poëme  sur  Loki. 
Outre  les  chants  mythologiques,  Snorri  pouvait  encore  consulter 
les  poëmes  skaldiques,  dont  il  connaissait  un  très-grand  nombre, 
mais  où  il  ne  trouvait  que  peu  de  renseignements  sur  les  anciens 
mythes.  Enfin  5wom  pouvait,  en  outre,  recourir  à  la  tradition  orale  et 
aux  récits  en  prose,  qui,  de  son  temps,  avaient  encore  cours  parmi 
1.  Voy.  Maurer,  /slândische  Volkssagen  der  Gegenwarl.  1860. 


l'evhémérisme  de  snorri.  -Í3 

le  peuple.  Mais,  de  même  que,  depuis  l'introduction  du  Christianisme, 
beaucoup  de  poèmes  mythologiques  s'étaient  perdus  de  la  mémoire 
des  Norrains ,  de  même  la  connaissance  d'un  grand  nombre  de 
mythes  avait  disparu  chez  le  peuple  du  temps  de  Snorri  ^  de  sorte 
que  cet  auteur  n'avait  plus  tous  les  documents  nécessaires  pour 
connaître  l'ensemble  complet  de  la  Mythologie  norraine.  Cependant 
les  matériaux  dont  il  disposait,  tout  incomplets  qu'ils  fussent,  étaient 
encore  suffisants  pour  rendre  possible  à  Snorri  la  composition  d'un 
Traité  de  Mythologie. 

Comment  les  matériaux,  recueillis  par  Snorri  pour  son  ouvrage, 
furent-ils  conçus  par  cet  auteur,  et  quel  fut,  en  Mythologie,  le 
point  de  vue,  où  il  dut  se  placer  d'après  la  science  historico-mytholo- 
gique,  telle  qu'elle  lui  avait  été  transmise  par  ses  prédécesseurs,  ou 
telle  qu'il  se  l'était  acquise  par  ses  propres  études  et  réflexions?.  Snorri 
n'avait  pas  une  science  supérieure  à  celle  soit  de  ses  prédécesseurs , 
soit  des  érudits  de  son  époque.  Imbu  de  l'evhémérisme,  comme  tous  les 
autres  savants ,  il  considéra  la  Mythologie  norraine  comme  l'histoire 
des  Ases,  et  rattacha  cette  histoire  à  celle  des  Suèdes  et  des  Normands. 
Voici  les  éléments  qui  lui  ont  été  fournis,  soit  par  la  Mythologie,  soit 
par  les  traditions  nationales,  et  qu'il  a  combinés,  d'une  manière 
plus  ou  moins  ingénieuse  ou  arbitraire ,  pour  en  former  son  système 
mythico-historique. 

§  21.  D'après  Snorri,  les  Ases  sont  originaires  de  l'Asie. — Le 
nom  d'/4se  était,  pour  Snorri,  la  preuve  de  l'origine  asiatique  d'Odinn, 
et,  par  conséquent,  de  la  population  Scandinave,  issue  des  fils,  des 
compagnons  et  des  sujets  du  roi  Odinn.  Cependant  le  mot  norrain 
as,  contracté  de  la  forme  plus  ancienne  ans,  qui  signifiait  soutien, 
aide,  protecteur,  n'avait  absolument  aucun  rapport  avec  le  nom  de 
VAsie.  En  effet,  le  nom  d'Asie,  dont  l'étymologie  ne  se  trouve  dans 
aucune  langue  asiatique,  est  évidemment  d'origine  grecque,  et  signifie 
Humide.  C'est  que,  dès  le  huitième  siècle  avant  notre  ère,  les  lônes 
ont  désigné,  sous  le  nom  de  Humide  (gr.  Asia),  la  contrée  basse  ar- 
rosée par  le  Kailstros,  et  ils  l'ont  appelée  ainsi,  par  opposition  à  la 
contrée  plus  élevée ,  nommée  Pays  sec  (pélasge  Turs-àbia),  qui  était 
habitée  autrefois  par  les  Pélasges  nommés  Turrhèbes  (Ceux  de  la 
Tursàbie),  dont  des  colonies  s'établirent,  plus  tard,  dans  quelques 
parties  de  la  Hellade  et  de  l'Italie.  Le  nom  de  cette  Asie  primitive , 
voisine  de  la  Turrhèbie,  fut  étendu ,  par  les  Grecs,  peu  à  peu ,  d'abord 


44  INTRODUCTION. 

à  la  Lydie  et  à  l'Ionie,  puis  à  l'Asie  mineure  en  général ,  et  enfin  à  tout 
le  vaste  continent  dont  l'Europe  est  l'appendice  occidental.  D'après 
cela ,  bien  qu'il  soit  vrai  que  les  ancêtres  des  Scandinaves  sont  réel- 
lement originaires  de  l'Asie,  le  nom  d'Ases  ne  saurait  cependant 
fournir,  comme  le  croyait  Snorri,  la  preuve  de  cette  vérité  historique. 
Snorri  admettait,  ensuite  ,  comme  ses  prédécesseurs ,  que  les  an- 
cêtres des  Scandinaves ,  c'est-à-dire  Odinn  et  les  Ases^  avaient  régné 
autrefois,  pendant  quelque  temps,  dans  Byzance;  il  appuyait  cette 
assertion  sur  une  preuve  aussi  singulière  que  l'était  cette  assertion 
elle-même.  En  effet ,  dans  son  ouvrage  d'histoire  Le  Cercle  du 
Monde,  il  dit  que  les  statues,  qui,  dans  la  Grand' Ville  (norr.  Mikli- 
gardr,  Constantinople)  ornueni  le  Padreim  (p.  Hip-/?orfrome),  étaient 
les  effigies  des  Ases^  c'est-à-dire  des  anciens  héros,  qui  auraient  régné 
autrefois  dans  cette  ville,  et  dont  les  fils  émigrés  seraient  allés  se  faire 
adorer  dans  le  Nord.  Cependant  Snorri  ne  donne,  nulle  part  dans  ses 
écrits,  à  ces  ancêtres  des  Ases  ou  des  Scandinaves,  le  nom  de  Thrâkes 
ou  de  Grecs  (v.  p.  22).  Mais,  chose  remarquable,  il  les  désigne  sous 
le  nom  de  Tyrkir,  qui,  dans  sa  pensée,  désignait  évidemment  les 
Turcs.  Car,  comme,  de  son  temps,  les  Turcs  ne  s'étaient  pas  encore 
emparés  du  Bas-Empire,  cet  auteur  n'a  pas  pu  employer  ce  nom 
comme  nom  géographique  substitué  à  celui  de  Grecs,  à  peu  près 
comme  Dante  a  désigné  Virgile,  XeMantouan,  par  le  nom  géographique 
anticipé  de  Le  Lombard.  Ensuite,  Snorri  (Ynglinga-saga,  chap.  5)  dit 
qu' Odinn  SL\aii  de  grandes  possessions  en  Turquie  (norr.  Tyrkland); 
et  il  se  figurait  ce  pays,  vaguement,  comme  situé  à  l'est  de  Mikli- 
gardr  (Constantinople),  et  à  l'ouest  du  Pays  des  Vanes  (norr.  Vana- 
land).  Or,  avoir  des  possessions  en  Turquie  était,  dans  le  langage 
emprunté  au  système  féodal ,  synonyme  de  régner  en  Turquie  ;  et 
régner  en  Turquie  signifiait ,  dans  le  langage  des  chroniqueurs  ev- 
héméristes  du  Nord,  régner  sur  des  Turcs ,  être  le  père,  la  souche 
des  Turcs ,  et  être  Turc  soi-même.  Aussi  un  chroniqueur  norrain 
donne-t-il  directement  à  OdinnletiiredeRoides  Turcs{yoY.Langebek, 
I,  p.3);  et  d'après  cela,  Snorri  pouvait  également  désigner  comme 
Turcs  Odinn  et  les  Ases.  C'était  donc  dans  la  Turquie  d'Asie  que 
Snorri  supposait  placé  primitivement  V Enclos  des  Ases  (norr.  Asgardr)-, 
et  comme  on  donnait  à  la  Turquie ,  à  cette  prétendue  patrie  primitive 
des  Ases,  le  nom  archaïque  et  savant  de  Scythie  (norr.  Cythia,^\oy. 
p.  25),  Snorri  semble  vouloir  indiquer  (Ynglinga-saga ,  chap.  15)  que 


l'evhémérisme  de  snorri.  45 

les  Scythes,  au  moins  en  partie,  étaient  originaires  de  la  Turquie.  Mais, 
sous  le  nom  deScythie,  on  comprenait,  du  temps  de  Snorri,  encore 
la  Sarmatie  et  la  Slavonie ,  pays  que  les  Suèdes  (qui,  dans  l'origine, 
les  avaient  habités,  avant  de  passer  en  Scandinavie)  appelaient 
Grande- Suède  (norr.  Svt-thiod  hin  mikla),  c'est-à-dire  la  Suède- 
Mère,  par  opposition  à  la  Suède  proprement  dite ,  considérée,  en 
quelque  sorte ,  comme  la  Petite-Suèôe  ou  la  Suède-Fille.  Voilà  pour- 
quoi Snorri  emploie  encore  le  nom  de  Grande-Suède,  comme  syno- 
nyme à  la  fois  de  Turquie,  de  Scythie  et  d'Ancien  Enclos  des  Ases 
(norr.  forn  As-gardr). 

%  22.  L'âge,  où  les  Ases  ont  vécu.  —  Pour  s'expliquer,  ensuite, 
comment  les  Ases,  originaires  du  Pays  turc  en  Asie,  sont  parvenus 
à  se  faire  adorer  en  Scandinavie ,  Snorri  admettait  que  les  Fils  des 
Ases  asiatiques,  après  avoir  succédé  à  leurs  pères  et  les  avoir  imités 
en  tout ,  au  point  de  prendre ,  eux  aussi,  les  noms  propres  d'Odinn, 
de  Thor,  deFreyr,  etc.,  sont  sortis  de  la  Scythie  sous  la  conduite  de 
leur  chef  Odinn,  le  successeur  de  l'Odinn  primitif,  et  se  sont  établis 
successivement  en  Saxe ,  en  Danemark  et  enfin  en  Suède  ;  que  ces 
Ases,  magiciens  et  imposteurs  comme  leurs  pères,  dont  ils  sui- 
vaient en  tout  les  errements ,  ont  régné  en  Scandinavie,  principale- 
ment à  Upsal  ;  qu'ils  y  ont  établi  leur  résidence,  et  se  sont  fait  adorer 
en  Suède  ;  qu'ils  y  sont  morts  et  ont  transmis  leur  domination  et 
leur  religion  à  leurs  descendants ,  les  rois  de  Suède ,  appelés  les 
Ynglings  (Issus  d'Angul ,  Petit-Fils  de  Sublime).  Cherchant,  enfin,  à 
déterminer  V époque,  à  laquelle  les  Ases  ont  quitté  l'Asie,  pour 
s'établir  dans  le  Nord  de  l'Europe  ,  Snorri  crut  pouvoir  arriver  à  le 
faire  par  la  combinaison  historique  suivante. 

Sachant  que,  d'après  les  traditions  nationales ,  les  rois  des  peuples 
Scandinaves  tiraient  leur  origine  d' Odinn  et  de  ses  fils ,  et  prenant, 
comme  tous  les  chroniqueurs  du  Moyen  âge ,  ces  généalogies  my- 
thico-épiques  pour  des  généalogies  historiques ,  il  en  fit  la  base  de 
ses  calculs  chronologiques.  En  conséquence ,  calculant  approxima- 
tivement la  durée  du  règne  des  rois  ,  en  remontant  des  princes  de 
son  époque  jusqu'au  roi  Odinn,  considéré  comme  leur  père  et  leur 
souche ,  Snorri  trouva  que  ce  chef  des  Ases  a  dû  vivre  du  temps  de 
la  naissance  de  Jésus-Christ.  Ensuite  la  tradition  norraine ,  ayant 
signalé  le  règne  du  roi  Frôdi  (Sage) ,  d'un  des  successeurs  d'Odinn , 
à  la  fois  comme  un  règne  heureux,  par  une  longue -paix,  et  comme 


46  ÍNTRODUCTION. 

une  époque  de  grands  bouleversements  dans  la  nature,  Snorri  crut 
trouver,  dans  les  données  de  cette  tradition,  une  indication  chrono- 
logique encore  plus  précise.  En  effet ,  il  s'imagina  que  Frôdi  a  dû 
être  le  contemporain  de  l'empereur  Auguste,  parce  que,  pendant  le 
règne  de  ce  prince,  le  monde  entier,  d'un  côté,  a  joui  d'une  longue 
paix,  à  laquelle  pouvait  correspondre  ce  qu'on  appelait,  dans  le  Nord, 
la  Paix  de  Frôdi  (norr.  Frôda-fridr),  et  qu'il  a  éprouvé,  de  l'autre, 
(du  moins  à  ce  qu'on  croyait  au  Moyen  âge)  de  grandes  catastrophes, 
savoir  les  bouleversements,  qui  sont  arrivés  le  Vendredi-Saint,  le 
jour,  où  Jésus  mourut  sur  la  croix  (Cf.  Dante,  Inf.  12,  12).  Frôdi 
ayant  été,  d'après  cela,  le  contemporain  d'Auguste,  Odinn,  l'aïeul  de 
Frôdi,  devait  avoir  vécu  du  temps  de  Jules  César.  Snorri  s'imagina 
donc  que  ce  chef  des  Ases  a  dû  avoir  été  chassé  de  l'Asie,  et  dépossédé 
de  son  royaume  par  le  capitaine  romain  Pompejus.  Les  Ases,  vaincus, 
mais  grands  sorciers,  arrivèrent,  par  leurs  sortilèges,  à  découvrir 
que  leur  puissance  serait  rétablie  plus  forte  dans  le  Nord.  C'est  pour- 
quoi ils  quittèrent  l'Asie  et  allèrent  s'établir  en  Scandinavie. 

Telle  était  la  combinaison  historique ,  par  laquelle  Snorri  parvint 
à  s'expliquer  l'arrivée  des  Ases  dans  la  Suède,  et  à  rattacher  les  trfi- 
ditions  mythico-épiques  des  Scandinaves  sur  l'origine  de  leur  race, 
à  ce  qu'il  savait  de  l'histoire  ancienne  ou  de  l'histoire  du  monde. 
Si,  d'un  côté,  d'après  ses  idées  evhéméristes,  Snorri  considérait  la 
Mythologie  comme  faisant  partie  de  l'Histoire ,  il  dut ,  d'un  autre 
côté  ,  d'après  le  dogme  chrétien ,  n'y  voir  qu'un  récit  trompeur ,  ou 
l'histoire  mensongère  des  actions  accomplies ,  soit  par  les  Ases  du 
Nord,  soit  par  leurs  ancêtres,  les  Ases  du  Pays  turc  en  Asie.  Aussi 
n'avait-il  pas  à  s'embarrasser  beaucoup  des  nombreuses  contradic- 
tions qu'il  devait  nécessairement  rencontrer  entre  les  mythes  nor- 
rains  et  sa  manière  historique  de  les  concevoir  ou  de  les  expliquer. 
Il  se  sentait ,  du  reste ,  d'autant  moins  engagé  à  lever  ou  à  concilier 
ces  contradictions  (si ,  toutefois ,  elles  se  sont  présentées  à  son 
esprit)  que,  de  son  temps,  et  surtout  dans  son  pays ,  la  Critique,  ou 
la  science  historique  et  philosophique,  était  chose  inconnue,  et  qu'au- 
cun de  ses  contemporains  n'était  à  même,  ni  de  présenter  des  ob- 
jections sérieuses  à  son  système  mythico-historique ,  ni  de  redresser 
les  erreurs  qu'il  commettait  dans  la  conception  et  l'explication  des 
mythes. 

S  23.  Snorri,  expose  les  mythes  dans  leur  succession  pré- 


LA  MYTHOLOGIE  EXPOSÉE  COMME  UNE  HISTOIRE.  47 

tendue  historique.  —  La  disposition  des  matériaux,  dans  un 
ouvrage,  tient  à  la  fois  du  fond,  ou  de  la  science  impliquant  un 
ordre  naturel,  et  de  la  forme  ou  de  l'arrangement  choisi  pour  mettre 
ce  fond  en  lumière.  Si  la  Science  consiste  dans  l'intelligence  profonde 
et  complète  qu'on  a  et  de  la  nature  de  ses  éléments  et  des  rapports  de 
ceux-ci  entre  eux,  la  disposition  des  matériaux,  dans  le  but  d'exposer 
cette  science,  sera  la  reproduction  de  l'ordre  et  de  la  suite,  dans  les- 
quels se  sont  produits  soit  les  phénomènes,  s'il  s'agit  d'une  science 
physique^  soit  les  faits,  s'il  s'agit  de  l'histoire,  soit  les  rapports  et 
les  idées,  s'il  s'agit  de  philosophie.  La  disposition  des  matériaux, 
c'est-à-dire  le  plan ,  le  dessin  et  l'ordonnance ,  sera  d'autant  plus 
scientifique  et  conforme  à  la  vérité  et  à  la  nature,  que  l'auteur  pos- 
sédera une  connaissance  plus  profonde  et  plus  étendue  du  sujet  qu'il 
traite.  Aussi  cet  ordre  et  cet  enchaînement  naturels  des  matières, 
qui  sont  l'expression  de  la  science  consommée ,  ne  sauraient  être 
appliqués,  ni  même  entrevus,  aussi  longtemps  que  la  Science  est 
encore  superficielle  et  incomplète.  Si  donc  l'intelligence  scientifique 
de  la  nature  soit  de  la  Mythologie,  en  général,  soit  de  la  Mythologie 
norraine ,  en  particulier,  avait  été  possible  du  temps  de  Snorri,  cet 
auteur  aurait  disposé  les  matériaux  dans  le  même  ordre  naturel  d'a- 
près lequel  ils  se  sont  produits  successivement  dans  la  réalité. 

Cet  ordre  naturel ,  génétique  et  historique,  aurait,  en  même  temps, 
expliqué  la  nature  des  mythes,  en  montrant  de  quelle  manière  ils  se 
sont  formés  les  uns  des  autres.  Mais  Snorri  n'était  pas  en  mesure 
de  donner  une  explication ,  tant  soit  peu  scientifique  de  la  Mytholo- 
gie norraine,  pas  plus  que  les  philosophes  et  savants  hindous  ou  grecs 
n'ont  été  en  état  de  le  faire  par  rapport  à  la  Mythologie  de  l'Inde  ou 
de  la  Grèce.  C'est  que  dans  l'Antiquité,  et  jusqu'au  Moyen  âge,  la 
Mythologie,  lorsque  la  Science  s'en  est  occupée  ,  s'était  déjà  telle- 
ment transformée ,  qu'on  n'y  soupçonnait  plus  ce  qu'elle  avait  ren- 
fermé dans  l'origine ,  savoir  des  Intuitions,  des  Notions  et  des  Idées, 
(voy.  §  5-8) ,  mais  qu'on  y  voyait  seulement  des  faits  traditionnels , 
un  vaste  tableau  de  l'histoire  des  dieux  et  des  choses  religieuses. 
A  moins  que  la  signification  ne  fût  par  trop  évidente ,  Snorri  ne  soup- 
çonnait pas  même  que  les  mythes,  sous  leur  forme  épique  ou  narrative, 
exprimassent  un  sens  symbolique.  Il  est  vrai  que  déjà  l'étymologie  des 
noms  propres  mythologiques  aurait  pu  le  mettre  sur  la  voie ,  pour  lui 
faire  entrevoir  la  signification  primitive  d'un  grand  nombre  de  ces 


48  INTRODUCTION. 

conceptions  symboliques.  Mais  la  connaissance  exacte  de  la  signi- 
fication primitive  des  noms  propres  ne  s'acquiert  que  par  les  études 
profondes  et  difficiles  de  la  Haute  Philologie  ;  et  cette  Science ,  on 
le  conçoit,  est  restée  une  lettre  close  pour  l'Antiquité,  l'Orient  et 
le  Moyen  âge,  tout  comme  elle  l'est  encore  aujourd'hui,  générale- 
ment, pour  la  plupart  des  lecteurs  et  même  pour  le  plus  grand 
nombre  des  savants. 

Les  Mythographes  anciens  avaient  envisagé  la  Mythologie  comme 
une  grande  Epopée  avec  d'innombrables  épisodes.  Snorri  n'y  voyait, 
également,  qu'un  Ensemble  de  fables  ou  du  moins  de  faits  historiques 
défigurés  par  le  mensonge  ;  et  il  a  cru  devoir ,  en  conséquence  ,  la 
traiter  comme  une  espèce  de  grande  Saga  (Histoire  traditionnelle). 
Dès  lors  n'ayant  pas ,  d'après  ce  point  de  vue ,  à  expliquer  les  mythes 
(parce  qu'il  les  prenait  pour  des  faits,  et  non  pour  des  symboles), 
mais  seulement  à  les  exposer,  Snorri,  avec  le  talent  de  narrateur ,  et 
avec  l'esprit  historique  qu'il  possédait,  ne  pouvait  être  incertain  sur  la 
meilleure  manière  de  disposer  les  matériaux  de  sa  narration,  ni  sur  le 
meilleur  ordre  à  suivre  dans  le  récit  de  cette  grande  Saga  mytholo- 
gique. Aussi,  après  avoir  brièvement  retracé  l'histoire  qui  fait  V En- 
cadrement de  son  ouvrage  (voy.  §  30),  a-t-il  suivi,  dans  son  Traité, 
l'ordre  chronologique,  c'est-à-dire,  non  pas  l'ordre  chronologique 
de  la  formation  et  de  l'âge  relatif  des  mythes ,  mais  l'ordre  présumé 
chronologique  des  événements  ,  supposés  réels ,  exposés  dans  ces 
mythes.  C'est  pourquoi  iSwom,  au  lieu  de  commencer  par  les  mythes 
les  plus  anciens,  c'est-à-dire  par  ceux  concernant  les  Divinités,  qui 
sont  ce  qu'il  y  a  de  plus  primitif  dans  toute  religion,  et  dont  la  con- 
ception est  bien  antérieure  aux  idées  de  création  et  de  cosmogonie, 
commence  son  Traité  par  les  mythes  sur  Y  origine  du  Monde,  et  sur  les 
premiers  Êtres  cosmî^M^s  ;  puis  il  passe  aux  mythes  qui  racontent  les 
actions ,  les  aventures ,  les  œuvres  des  Dieux ,  et  il  termine  par  les 
mythes  sur  la  fin  et  le  renouvellement  du  Monde.  Si  Snorri  n'avait 
pas  trouvé,  par  lui-même,  cet  ordre  chronologique,  celui-ci  lui  aurait 
été  suggéré  et  indiqué  par  l'exemple  du  poëme  intitulé  La  Vision  de 
la  Louve.  En  effet,  ce  poëme  eddique,  qui,  par  son  origine,  appartient 
à  une  époque  où  la  Mythologie  norraine  avait  déjà  dépassé  son  apogée, 
et  avait  pris,  au  détriment  de  sa  signification  primitivement  symbo- 
lique, une  forme  purement  épique^  était  un  premier  essai  de  retracer, 
dans  son  ensemble,  le  tableau  prétendu  historique  de  cette  Mythologie. 


BUT  DU  TRAITÉ  DE  SNORRI.  49 

Mais  l'ordre  chronologique^  pour  être  logique  et  naturel  en  histoire, 
n'est  pas  encore  V ordre  génétique ,  lequel  est  l'ordre  scientifique  par 
excellence ,  tant  dans  le  domaine  des  faits  que  dans  celui  des  idées. 
Snorri^  qui  ne  savait  s'élever  au-dessus  du  point  de  vue  réputé 
historique,  en  fait  de  Mythologie,  n'en  savait  pas,  non  plus,  dis- 
poser les  matériaux  dans  leur  ordre  génétique,  mais  dut  se  con- 
tenter de  les  exposer  dans  un  ordre  présumé  chronologique. 

§  24.  But  plutôt  scientifique  que  littéraire  du  Traité  de 
Snorri.  —  U ordonnsince  scientifique,  qui  est  basée  sur  l'intelligence 
complète  et  parfaite  du  sujet,  diffère,  non-seulement,  de  l'ordre  chro- 
nologique, appliqué  à  des  faits  réputés  historiques,  elle  diffère  aussi  et 
du  plan  qui  convient  dans  la  Poésie^  et  de  la  disposition  qui  serait 
bien  choisie  dans  un  but  oratoire.  En  effet ,  tandis  que  la  Science , 
visant  uniquement  au  Vrai ,  tend  à  comprendre  la  vérité ,  et  à  l'ex- 
poser dans  l'ordre  génétique ,  la  Poésie  vise  plutôt  au  Beau  et  préfère 
représenter  les  choses,  non  pas  tant,  comme  elles  sont,  mais  comme 
elles  pourraient  ou  devraient  être  ;  enfin,  V Eloquence,  tenant  le  milieu 
entre  la  Science  et  la  Poésie  ,  quant  au  fond  et  quant  à  la  forme,  ne 
vise  pas  au  Vrai  quel  qu'il  soit,  mais  seulement  au  Vrai  que  l'orateur 
juge  être  utile  à  sa  cause. 

L'ordonnance  est  donc  faite ,  dans  la  Science ,  au  point  de  vue  du 
Vrai ,  en  Poésie,  au  point  de  vue  du  Beau ,  et  en  Eloquence,  au  point 
de  vue  de  l' Utile.  11  se  pourrait  donc  qu'un  auteur ,  tel  que  Snorri , 
ne  suivît  pas  l'ordonnance  strictement  scientifique ,  non  parce  qu'il 
l'ignorerait ,  mais  parce  qu'il  croirait  devoir  l'abandonner  ou  le  sa- 
crifier à  son  intention  de  produire  une  œuvre  de  Poésie  ou  d'Elo- 
quence. Mais  le  but  de  Snorri ,  en  rédigeant  La  Fascination  de  Gulfi  , 
n'était  pas  de  composer  une  œuvre  de  Poésie  ou  d'Eloquence  ;  il  ne 
voulait  pas,  en  poète  épique,  exposer  la  Mythologie  norraine  sous 
forme  d'épopée  ou  de  roman,  ni  établir,  en  orateur,  sa  thèse  sur  des 
moyens  de  persuasion  :  son  but  était  essentiellement  scientifique  ;  il 
voulait  conserver  les  traditions  qui  allaient  se  perdre  de  la  mémoire 
du  peuple  et  des  érudits  ,  et  faire  connaître,  dans  son  Exposé,  ce 
qu'il  croyait  savoir  de  cette  Mythologie.  Si  donc ,  travaillant  dans  ce 
but ,  il  n'a  pas  adopté  ,  dans  son  Traité ,  la  disposition  véritablement 
scientifique  des  matériaux,  c'est  que,  n'ayant  pas  la  connaissance 
vraie,  approfondie  et  complète  du  sujet,  il  était  aussi  impuissant  de 
trouver  et  d'appliquer  cette  ordonnance  scientifique.  Comme  il  est 

4 


50  INTRODUCTION. 

bien  plus  facile  d'arranger  les  choses  au  gré  de  l'imagination,  et  de  les 
placer,  à  la  façon  de  certains  poètes ,  dans  un  ordre  logique,  il  est  vrai , 
mais  arbitraire  et  systématique,  que  d'en  concevoir  l'ordonnance  natu- 
relle et  les  rapports  réels ,  il  se  fait  que,  partout  et  toujours,  dnns  les 
ouvrages  de  Philosophie  et  de  Science,  on  suit  longtemps  une  dis- 
position de  matériaux  arbitraire  et  artificielle^  avant  qu'on  n'arrive 
à  trouver  enfin  le  système  véritable  et  naturel  des  choses.  L'Intelli- 
gence se  développant  après  les  Passions  et  après  l'imagination ,  la 
Science  demande  beaucoup  plus  de  maturité  d'esprit ,  et  de  fermeté 
de  tête,  que  les  arts  d'imagination  et  de  sentiment.  Comme  en  géné- 
ral, la  majorité  des  hommes  vit  plutôt  de  la  vie  de  l'Imagination  et  du 
Sentiment,  que  de  celle  de  l'Intelligence  et  de  la  Science,  la  plupart  ne 
s'intéressentguère  à  la  2;<^nï^pour  elle-même;  et,  à  toutes  les  époques, 
on  a  préféré  les  littérateurs  et  les  artistes  aux  savants  et  aux  philosophes . 
A  toutes  les  époques  les  auteurs  ont  tiré  vanité  plutôt  de  leur  habi- 
lité d'artiste  que  de  leur  puissance  et  de  leur  génie  de  savant,  et  ont 
souvent  caché,  par  des  dehors  littéraires  et  oratoires,  leur  impuis- 
sance scientifique.  Y  a-t-il  à  s'étonner,  si  le  Traité  de  Snorri,  comme 
beaucoup  d'ouvrages  semblables  de  l'Antiquité,  de  l'Orient,  du  Moyen 
âge  et  des  Temps  modernes,  bien  qu'il  dût  être ,  d'après  l'intention 
de  l'auteur,  un  ouvrage  essentiellement  scientifique,  ressemble  ce- 
pendant ,  dans  la  disposition  des  matériaux  et  dans  sa  forme  exté- 
rieure, plutôt  à  une  œuvre  littéraire  de  son  époque,  qu'à  un  ouvrage 
de  science. 

CHAPITRE  V. 

FORMES  LlTTÉRAiaES,  ENCADREMENT  ET  TITRE  DU  TRAITÉ  DE  SNORRI. 

§  25.  La  Poésie  et  la  Science  confondues  ensemble.  —  Dans 

l'Antiquité ,  en  Orient ,  au  Moyen  âge ,  et ,  en  général ,  à  toutes  les 
époques ,  et  chez  tous  les  peuples  qui  ne  sont  pas  encore  parvenus 
à  reconnaître  les  caractères  différentiels  qui  séparent  le  Vrai  du 
Beau,  la  Science  et  la  Poésie  se  trouvent  plus  ou  moins  confondues 
et  mêlées  ensemble ,  de  sorte  qu'il  est  impossible  de  dire ,  de  cer- 
tains ouvrages ,  s'ils  appartiennent  plutôt  à  la  Science  ou  à  la  Poésie 
de  leur  temps.  Dans  les  ouvrages  de  cette  espèce,  le  but  de  l'auteur 
est  quelquefois  purement  scientifique^  puisqu'il  s'y  propose  d'ex- 
poser ses  idées,  ses  vues,  son  système,  en  un  mot,  ce  qu'il  croit 
être  la  Vérité;  mais  l'exécution  et  surtout  la  forme  de  l'ouvrage  se 


LA  FORME  SCIENTIFIQUE.  5i 

rapprochent  encore  de  l'exécution  et  de  la  forme  poétiques,  parce  que 
l'auteur,  semblable  au  poëte,  ne  donne,  pour  de  la  Science,  que  les 
conceptions  de  son  imagination.  Tels  sont  généralement ,  aux  époques 
indiquées,  les  ouvrages  de  Théogonie ,  de  Cosmogonie,  de  Philoso- 
phie et  de  Science,  et  même  plus  tard  encore,  par  imitation,  les 
œuvres  appartenant  au  genre  appelé  la  Poésie  didactique,  genre  qui, 
par  son  caractère  ambigu ,  se  maintient  dans  le  domaine  littéraire 
jusqu'à  ce  qu'on  parvienne  enfin  à  reconnaître  que  l'enseignement 
poétique ,  par  son  hermaphrodisme  impuissant ,  ne  saurait  ni  rem- 
plir les  conditions  sévères  de  la  Science,  ni  satisfaire  aux  exi- 
gences artistiques  de  la  Poésie. 

La  forme  d'un  ouvrage  étant  déterminée  par  le  fond ,  soit  scienti- 
fique ,  soit  littéraire,  on  conçoit  que  cette  forme  ne  saurait  être  en- 
tièrement/î^rg,  comme  elle  devra  l'être,  qu'autant  qu'on  aura  séparé 
nettement,  l'une  de  l'autre,  la  Science  et  la  Poésie.  Aussi  le  mélange 
de  l'une  avec  l'autre  aura  toujours  pour  conséquence  l'emploi  de 
formes  impropres,  ambiguës  et  même  discordantes. 

Le  but  de  la  Science  étant  d'exposer  ou  d'enseigner  ce  qu'on  croit 
être  vrai ,  la  meilleure  forme  d'exposition  ou  d'enseignement  scienti- 
fique, c'est  la  forme  directe  ou  discursive,  employée  déjà  par  Aris- 
totélès  exposant  les  résultats  de  la  Science,  par  opposition  à  la  forme 
indirecte  et  dialoguée  ou  à  la  discussion ,  employée  par  Platon  expo- 
sant la  méthode  de  la  Science.  La  Science  se  compose  non-seulement 
de  la  connaissance  des  choses,  des  faits  et  des  phénomènes  visibles, 
mais  aussi  d'idées  générales  et  de  raisonnements  plus  ou  moins 
abstraits  ;  elle  aura  d'autant  plus  de  valeur  qu'elle  sera  plus  complète, 
quant  aux  faits  et  quant  aux  idées  expliquant  ces  faits.  L'enseignement 
vraiment  scientifique,  s'adressant  à  des  esprits  mûrs ,  sera  donc  direct 
et  complet,  et  ne  supprimera  rien  d'essentiel  dans  les  faits,  ni  dans 
les  idées  générales  et  abstraites,  pas  même  sous  prétexte  ou  par 
crainte  de  n'être  plus  agréable  aux  esprits  faibles.  En  effet,  la  Science, 
ne  devant  plaire  et  intéresser  que  par  les  vérités  qu'elle  renferme, 
et  ayant  à  s'adresser  principalement  à  la  Raison  et  à  l'Intelligence , 
n'hésitera  pas  de  se  servir  même  d'une  forme  sévère  pour  faire  res- 
sortir et  saisir  ces  vérités^  elle  s'abstiendra  de  recourir,  comme 
doivent  le  faire  la  Poésie  et  l'Eloquence,  aux  moyens  de  plaire 
à  l'Imagination  ou  de  flatter  la  Sensibilité  et  la  Passion.  Mais  ces 
formes,  essentielles  à  l'Enseignement  scientifique,  n*ont  pas  pu 


52  INTRODUCTION. 

se  produire  aux  époques ,  où  la  Science  était  encore  trop  superfi- 
cielle et  incomplète,  où,  par  cela  même,  elle  était  confondue  avec  la 
Poésie ,  et  où  l'Enseignement ,  s'adressant  à  des  esprits  peu  mûrs , 
avait  encore  besoin  d'amuser  l'Imagination  pour  captiver  l'attention 
et  pour  intéresser,  de  cette  manière,  la  Raison  et  l'Intelligence. 
Dans  ces  temps ,  on  dut  donc  généralement  s'en  tenir,  dans  les  ou- 
vrages scientifiques ,  à  une  forme  plus  populaire ,  plus  concrète  et 
plus  rapprochée  de  celle  des  ouvrages  littéraires  proprement  dits. 
On  dut  surtout  employer,  au  lieu  de  la  forme  directe  ou  discursive, 
la  forme  dialoguée,  laquelle  était  empruntée  à  la  manière  même 
dont  la  Science  s'était  formée  et  transmise  dans  l'origine. 

§  26.  Le  Dialogue,  la  Discussion  et  les  Joutes  scientifiques. 
—  Avant  de  pouvoir  songer  à  exposer,  directement  et  continûment, 
un  Ensemble  systématique  de  connaissances ,  il  fallait  trouver  d'abord 
cet  ensemble,  rassembler  les  matériaux  pour  construire,  en  quelque 
sorte,  l'édifice  de  la  Science.  Or,  la  Science  fut  créée  peu  à  peu  par 
la  communication  qu'on  se  faisait  réciproquement  des  faits,  des 
observations  et  des  idées  qu'on  avait  recueillies;  elle  fut  donc  créée 
par  l'entretien  et  la  discussion;  et,  par  conséquent ,  la  forme  dm- 
logiiée,  employée  dans  les  ouvrages  didactiques,  n'était  au  fond  que 
l'imitation  du  dialogue,  qui ,  dans  l'origine ,  avait  réellement  mis  au 
jour  et  transmis  les  faits  et  les  idées  de  la  Science.  Ajoutons  que  la 
manière  dont  on  envisageait  la  Science,  par  rapport  à  celui  qui  la 
possédait,  devait  aussi  contribuer  à  donner,  encore  pour  longtemps, 
la  préférence  à  la  forme  dialoguée  sur  la  forme  akroamatique.  En 
effet,  la  Science,  telle  qu'elle  doit  être,  et  envisagée  comme  elle  doit 
l'être,  semblable  à  l'Intelligence  dont  elle  est  l'expression  formulée, 
est ,  de  sa  nature ,  essentiellement  impersonnelle  et  désintéressée  ; 
ainsi  que  la  Raison  et  le  Langage,  elle  appartient,  non  à  l'individu, 
mais  à  V espèce  humaine  ;  elle  est  le  produit  de  l'Intelligence  géné- 
rale ou  des  efforts  intellectuels  de  l'humanité,  plutôt  que  le  produit 
de  l'individu,  lequel,  par  son  travail  personnel ,  et  moyennant  un 
instrument  qui  n'est  pas  individuel ,  savoir  la  Raison  ou  l'Intelligence , 
ne  fait,  tout  au  plus,  qu'agrandir  le  domaine  de  la  vérité ,  dont  il  a  pu 
profiter  par  suite  de  sa  communication  intellectuelle  avec  ses  contem- 
porains et  avec  les  générations  qui  l'ont  précédé.  La  Science ,  étant 
impersonnelle,  n'a  donc  de  signification  et  de  valeur,  qu'autant 
qu'elle  se  communique  au  plus  grand  nombre  d'intelligences;  d'après 


LA  THÉORIE  ET  LA  PRATIQUE.  53 

cette  idée,  elle  devrait,  comme  la  vie  physique ,  être  reçue  et  donnée 
gratuitement.  Celui  qui  la  possède  ,  peut ,  sans  doute ,  légitimement 
la  faire  tourner  à  son  avantage  individuel,  mais  elle  ne  saurait  de- 
venir, raisonnablement,  ni  un  privilège,  ni  une  propriété.  Si,  de  nos 
jours ,  la  Science  est  encore  considérée  comme  un  avantage  j^ersomie/, 
que  celui,  qui  la  possède,  exploite  à  son  profit,  avec  plus  ou  moins 
de  bonne  foi ,  et  quelquefois  même  avec  plus  ou  moins  de  charlata- 
nisme, et  si  l'on  fait  valoir  ce  fonds,  comme  un  capital,  un  bien  ou  une 
qualité ,  en  un  mot ,  comme  une  propriété  qu'on  n'obtient  et  qu'on 
ne  donne  pas  gratis,  il  faut  se  rappeler  que,  dans  l'Antiquité ,  la 
Science  avait,  sous  tous  les  rapports,  un  caractère  encore  de  beaucoup 
plus  personnel  et  égoïstique ,  parce  qu'elle  était  encore  plus  étroite- 
ment liée  à  la  Pratique,  qui  est  toujours  moins  désintéressée  que  la 
Théorie.  C'est  pourquoi,  bien  que  la  Science  soit  essentiellement  con- 
ception, par  la  pensée,  de  ce  qui  est,  ou  de  la  Vérité,  et  qu'elle  porte, 
par  cela  même ,  un  caractère  purement  théorique ,  étranger  à  toute 
application  et  à  tout  but  pratique  et  utile,  cependant,  dans  l'Anti- 
quité, on  ne  s'y  est  généralement  intéressé,   que  parce  qu'on  y 
cherchait  et  trouvait  sojtun  moyen  à' action,  soit  des  résultats  pratiques 
et  des  avantages  matériels.  Aussi,  dans  les  Langues  anciennes,  le  mot 
savoir  était-il  originairement  synonyme  de  j^owvofr*;  et  encore,  chez 
les  Grecs,  la  différence  entre  la  Science  ou  la  Théorie ,  et  l'Art  ou  la 
Pratique ,  était  si  peu  tranchée,  que  le  même  mot  Technè  (art,  pra- 
tique) désignait,  le  plus  souvent  aussi  bien  la  Science  pure  que 
l'Art  proprement  dit.  Dès  lors  la  Science,  étant  considérée  comme 
un  pouvoir,  on  la  recherchait  aussi  et  on  l'estimait,  pour  les  mêmes 
raisons ,  pour  lesquelles  l'on  recherchait  et  estimait  la  Force  et  la 
Puissance;  par  conséquent,  chose  digne  de  remarque!,  elle  donnait 
sur  l'ignorant  les  mêmes  droits ,  que  la  force  physique  donnait  sur  le 
faible,  savoir  le  droit  du  plus  fort,  lequel  pouvait  aller  jusqu'au  droit  de 
vie  et  de  mort.  De  là  les  luttes ,  les  joutes ,  les  assauts  de  science,  d'éru- 
dition et  de  sagacité,  tels,  par  exemple,  que  se  les  donnaient,  entre 
eux,  suivant  la  tradition  arabe,  Soleimân  (Salomon  le  Sage),  le  roi 
Hiram,  de  Tyr ,  et  la  Reine  de  Saba;  de  là  les  combats  scientifiques 
à  outrance ,  où  celui  qui  succombait  était  mis  à  mort  par  le  vainqueur, 

1.  Exemple.  En  sanscrit,  iZjaw (pouvoir)  et  djnâ  (savoir),  en  latin  gfnafwi (produit) 
et gnôtus (connu) ,  en  allemand,  kiinnen  (pouvoir)  et  kennen  (savoir),  dérivent  de 
la  même  racine. 


54  INTRODUCTION. 

comme  un  ennemi  à  la  guerre ,  ou  un  adversaire  vaincu  dans  un 
champ  clos. 

Les  Hindous  avaient  une  si  haute  opinion  des  droits  que  conférait 
la  supériorité  scientifique,  c'est-à-dire  de  la  puissance  et  de  l'em- 
pire absolu  que  donnait  la  Sagesse  ou  la  Science ,  qu'ils  étaient  con- 
vaincus qu'Indras  même ,  le  Chef  des  dieux  inférieurs  ,  serait  obligé 
de  céder  son  trône  céleste  au  Philosophe  pénitent  qui  lui  serait 
supérieur  par  l'Intelligence.  Or,  on  croyait  que  par  la  pénitence 
contemplative  (sansc.  tapas ,  ferveur)  on  parviendrait  à  la  Sagesse 
suprême.  C'est  pourquoi  les  terribles  austérités  que  s'imposèrent 
certains  Sages-pénitents  (sansc.  mounaïas)  faisaient  trembler,  pour  sa 
puissance,  le  Dieu  Indras  ;  et  pour  ne  pas  perdre  son  Empire,  il  eut 
souvent  recours  au  moyen  extrême.  Ce  moyen  était  d'envoyer  au 
Mouni  une  charmante  Apsaras,  espèce  de  Naïade,  de  Nymphe  ou  de 
Houri  du  ciel  ou  paradis  hindou,  laquelle ,  en  inspirant  à  ce  sage  un 
amour  violent ,  le  détournait  de  sa  pénitence  et  de  ses  contempla- 
tions, et  lui  faisait  ainsi  perdre  le  fruit  et  les  droits  de  sa  Sagesse 
(voy.  Les  Chants  de  Soi,  p.  156  -  158). 

S  27.  Joute  entre  Vafthrûdnir  et  Odinn  ;.  Guerre  de  la  Wart- 
bourg.  —  Suivant  la  Mythologie  norraine  ,  Odinn  n'était  pas  moins 
jaloux  qu'Indras  de  la  sagesse  et  du  savoir  d'autrui  ;  il  craignait  la 
supériorité  d'esprit  des  Vanes  (voy.  Comm.  §  95) ,  qui  étaient  les 
rivaux  des  Ases ,  et  celle  des  Jotnes  (voy.  Comm.  §  25) ,  qui  étaient  leurs 
ennemis.  Ces  derniers  surtout  lui  inspiraient,  sans  cesse ,  de  vives  in- 
quiétudes. C'est  pourquoi,  pour  renforcer  sa  Science,  il  allait  boire 
souvent  h  la  Fontaine  de  Sagesse,  gardée  par  l'Iotne  Mimir  (voy.  Comm., 
§  74),  et,  plus  tard,  il  allait  consulter  la  Tête  de  ce  géant  dans  les  circon- 
stances difficiles  (voy.  Pomesîs/.,  p.  202).  11  faisait  de  fréquents  voyages 
dans  le  Pays  deslotnes,  pour  mettre  leur  Sagesse  à  l'épreuve,  et 
afin  de  constater,  par  lui-même,  sa  supériorité  intellectuelle.  Dans  ces 
épreuves,  il  y  allait  toujours  de  la  vie  de  celui  qui  était  vaincu.  Telle 
était  la  lutte  ou  l'assaut  de  science  auquel  nous  fait  assister  le  Poëme 
eddique  intitulé  :  Dits  de  Vafthrûdnir  (Vafthrûdnismâl).  Voici  l'ana- 
lyse rapide  de  ce  poëme  qu'il  importe  de  connaître  particulièrement, 
parce  qu'il  a  servi  de  modèle  à  Snorri,  pour  la  composition  de  l'En- 
cadrement de  La  Fascination  de  Gulfl. 

Odinn  ^  s'entretenant  avec  son  épouse  Frigg^  lui  exprime  le  désir 
d'aller  voir  Vafthrûdnir,  et  il  lui  donne  à  entendre  qu'il  a  résolu  de 


LES  JOUTES  DE  SCIENCE.  55 

faire  ce  voyage,  pour  se  mesurer,  avec  ce  puissant  lolne,  dans  la  Science. 
Frigg  voudrait  retenir  son  mari;  car  elle  connaît,  sinon  la  supério- 
rité intellectuelle,  du  moins  la  grande  force  corporelle  de  Vafthrûd- 
nir.  Mais  Odinn  persiste  dans  sa  résolution;  et,  pour  tranquilliser  son 
épouse ,  il  lui  rappelle ,  qu'il  est  toujours  resté  vainqueur  dans  ces 
joutes  périlleuses.  Frigg ^  voyant  qu'elle  ne  pourra  pas  détourner 
Odinn  Aq  son  projet,  consente  ce  qu'il  parte  ;  mais,  dans  ses  adieux, 
elle  trahit  son  inquiétude ,  par  les  vœux  qu'elle  fait  pour  le  succès 
et  le  retour  heureux  de  son  mari. 

Odinn  ^  déguisé  en  voyageur,  et  ayant  pris  le  nom  de  Pourvoit-au- 
voyage  (norr.  Gâng-râdr)  synonyme  de  Voyageur^  se  présente  dans 
la  demeure  de  Vafthrûdnir  ;  il  se  tient  debout  dans  l'allée  (norr.  golf), 
et  dès  qu'il  se  trouve  en  face  de  cet  lotne,  il  lui  déclare  qu'il  est 
venu  exprès  pour  éprouver  son  savoir.  Vafthrûdnir,  étonné  qu'un 
étranger  doute  de  sa  science,  et  vienne  le  provoquer  brusquement 
dans  sa  propre  demeure ,  accepte  le  défi ,  en  déclarant ,  avec  colère , 
que  l'étranger  ne  sortira  plus  de  chez  lui ,  à  moins  qu'il  n'ait  prouvé 
sa  supériorité  en  sagesse.  Odinn,  pour  apaiser  la  colère  de  son  hôte, 
le  rappelle  aux  devoirs  de  l'hospitalité ,  en  faisant  connaître  son  nom 
de  Pourvoit-au-voyage  et  sa  qualité  de  voyageur.  Vafthrûdnir,  fidèle 
à  ces  devoirs  sacrés ,  dit  à  l'étranger  de  monter  sur  l'estrade  et  d'y 
prendre  place.  Mais  Pourvoit-au-voyage ,  avant  de  jouir  des  avan- 
tages de  l'hospitalité ,  voudrait  donner  une  preuve  de  son  mérite  et 
de  son  savoir,  et  gagner  ainsi,  tout  d'abord,  sinon  la  bienveillance, 
du  moins  l'estime  et  le  respect  de  son  hôte.  Car,  comme  tous  les 
étrangers,  sans  distinction,  avaient  droit  à  une  réception  hospitalière, 
les  hommes  supérieurs ,  pour  ne  pas  être  confondus  avec  la  foule , 
tenaient  à  se  faire  connaître  comme  hommes  de  mérite  ,  dès  leur 
entrée  dans  une  maison ,  et  à  mériter  le  respect  de  leur  hôte  par  la 
sagesse  de  leurs  discours.  C'est  pourquoi  Pourvoit-au-voyage  garde 
sa  place  dans  l'allée,  et,  à  l'invitation  de  son  hôte,  qui  l'engage  à 
monter  sur  l'estrade ,  il  répond  qu'un  étranger  doit  avant  tout  se  faire 
estimer,  surtout  s'il  est  pauvre  et  s'il  se  trouve  chez  un  homme,  qui 
n'est  pas  précisément  prévenu  en  sa  faveur.  Vafthrûdnir,  voyant  que 
Pourvoit-au-voyage  ne  veut  jouir  des  droits  de  l'hospitalité  qu'après 
avoir  prouvé  qu'il  n'est  pas  un  homme  ordinaire ,  et,  se  doutant  qu'il 
s'agira  d'une  lutte  de  science ,  lui  adresse  successivement  quatre 
questions,  dont  la  dernière  est  la  plus  difficile,  parce  qu'elle  se  rap- 


56  INTRODUCTION. 

porte  aux  choses  à  venir.  L'étranger  sachant  répondre  à  toutes  ces 
questions,  Vafthrûdnir  lui  témoigne  de  l'estime,  le  fait  asseoir  au- 
près de  lui,  et  l'engage  à  commencer  le  grand  assaut  â! érudition, 
auquel  il  l'a  provoqué  ,  et  où  il  y  ira  de  la  vie  du  jouteur  vaincu. 
Comme  Pourvoit- au-voy âge  a  pY'ovoqué  cette  joute ,  c'est  à  lui  à 
interroger  son  hôte;  il  lui  adresse  trois  séries  de  questions,  chacune 
renfermant  six  demandes,  soit  en  tout  dix-huit  questions ,  toutes  plus 
difficiles  les  unes  que  les  autres;  les  deux  premières  séries,  ou  les 
douze  premières  questions,  se  rapportent  à  l'origine  de  différents 
Êtres  mythologiques  ,  ou  au  passé  du  Monde;  la  troisième  série,  au 
contraire,  soit  les  six  dernières  questions,  se  rapportent  à  l'avenir  ou 
à  la  destinée  future  des  Dieux  et  des  hommes  et  à  la  fin  du  Monde. 
Vafthrûdnir  ayant  su  répondre  aux  dix-sept  premières  questions. 
Pourvoit- au-voy  âge  lui  adresse,  enfin,  la  dix-huitième,  à  laquelle, 
comme  il  en  est  convaincu ,  l'Iotne  ne  saura  pas  répondre ,  parce 
qu'elle  se  rapporte  à  un  mystère  qui  n'était  connu  que  d'Odinn  et 
de  Baldur.  En  même  temps  qu'il  propose  cette  question  fatale,  Pour- 
voit-au-voyage  sort  de  son  déguisement.  L'Iotne  intelligent  recon- 
naît Odinn,  non-seulement  à  sa  figure ,  mais  aussi  à  la  question  qu'il 
vient  de  lui  adresser;  car  il  n'y  avait  (\\xOdinn  qui  pût  faire  cette 
question,  concernant  un  mystère  dont  lui-même  était  l'auleur  et  le 
seul  initié  vivant.  Vafthrûdnir  avoue  donc  qu'il  est  vaincu  ;  il  déplore 
son  imprudence  d'avoir  voulu  rivaliser  avec  le  plus  sage  des  héros , 
et  il  se  soumet ,  avec  résignation  ,  à  son  sort  malheureux. 

Comme  dernier  exemple  de  ces  luttes  à  outrance,  nous  citerons 
encore  la  tradition  moitié  historique  ,  moitié  légendaire,  sur  la  joute 
poétique  qui  doit  avoir  eu  lieu,  de  l'année  1206 -à  1207,  dans  la 
résidence  des  Margraves  de  Thuringe,  au  château  de  Wartbourg, 
près  de  Eisenach.  Cette  joute  est  célébrée  dans  deux  poèmes  frag- 
mentaires, soudés  ensemble  et  connus  sous  le  titre  de  Guerre  des 
Poêles  à  la  Wartbourg  (Der  Singerkriec  uf  Wartburc).  La  première 
partie  du  poème  ressemble  à  un  Tournoyetnent y  c'est-à-dire  à  une 
composition  poétique,  où  plusieurs  poëtes-jouteurs  prennent,  chacun 
à  son  tour,  la  parole  pour  soutenir,  en  vers,  leur  opinion  sur  une 
question  litigieuse. 

Heinrich  d' Ofterdingen  commence  par  élever,  au-dessus  de  tous 
les  princes,  son  Maître,  le  généreux  Léopold,  septième  duc  d'Au- 
triche. Après  lui,   Walther  de  la  Vogelweide ^  loue,  au  contraire,  le 


LES  JOUTES  DE  SCIENCE.  57 

roi  de  France  ;  et  Heinrich  de  Risbach  donne  la  palme  au  Margrave 
Hemnann  de  Thuringe ,  leur  hôte  à  la  Wartbourg.  Comme  la  lutte 
se  dessine  entre  Risbach  et  Ofterdingen,  celui-ci  engage  le  combat 
à  outrance,  et  désigne  juges  de  la  lutte  Reinmar  de  Zweier  et  Walther 
de  la  Vogelweide.  Alors  Riterolf  entre  dans  le  Tournoyement ,  en 
chantant  la  louange  du  Comte  deHenneberg  ;  Ofterdingen  fléchit  dans 
son  plaidoyer  pour  Léopold,  et  se  met  à  louer,outre  le  duc  d'Autriche , 
encore  le  Prince  de  Rrandebourg.  Mais  le  puissant  poëte  Wolfram  de 
Eschenbach,  ayant  pris  la  parole,  se  déclare  hautement  pour  le  Mar- 
grave Herrmann  ;  Ofterdingen  faiblit  dans  la  lutte  poétique ,  et  tous 
les  assistants,  juges  et  jouteurs,  le  déclarent  vaincu,  et,  conformé- 
ment aux  conditions  du  combat,  décident  de  le  livrer  à  Maître 
Stempfel,  le  bourreau  d'Eisenach.  Mais  sur  les  instances  de  la  Land- 
grave Sophie ,  on  permet  à  Ofterdingen ,  de  se  faire  remplacer,  dans 
la  lutte,  par  Klingsor  de  Hongrie,  et  l'on  arrête  que  la  question  de 
la  préférence  à  accorder  à  Léopold  d'Autriche  ou  à  Herrmann  de 
Thuringe  ,  soit  décidée  par  l'issue  de  la  lutte  poétique  ou  de  l'espèce 
de  Tenson ,  qui  va  avoir  lieu  entre  Klingsor  et  Wolfram  d'Eschen- 
bach.  Wolfram ,  quoique  laïque ,  est  le  plus  pieux ,  le  plus  mystique , 
et  le  plus  savant  des  poètes  de  son  temps.  Klingsor,  quoique  clerc, 
hait  le  clergé  ;  il  est  négromant,  et  a  pour  protecteur  le  démon  Rasiant 
ou  Nasian^  de  Constantinople.  Tous  deux  illustres  poètes,  luttent, 
cette  fois-ci ,  puissamment  l'un  contre  l'autre ,  non  en  chantant  la 
louange  des  Princes,  qu'ils  admirent  personnellement,  mais  en  se 
proposant  réciproquement  des  énigmes  à  résoudre  (voy.  Les  Chants  de 
Sôl^  p.  159).  Ces  énigmes  plus  ou  moins  difficiles,  proposées  sur  des 
sujets  appartenant  à  la  Philosophie  ou  Théologie  allégorico-mystique 
de  l'époque,  sont  expliquées  avec  une  sagacité  victorieuse  par  l'un  et 
par  l'autre  jouteur,  de  sorte  que,  à  ce  qu'il  semble  (car  le  poëme ,  qui 
est  tronqué  à  la  fin,  ne  l'énonce  pas  directement),  la  joute  a  dû 
être  considérée  comme  une  partie  remise. 

Ces  combats  scientifiques  à  outrance ,  dont  nous  venons  de  citer 
des  exemples,  bien  qu'ils  soient  en  partie  fictifs,  prouvent  cependant 
que,  dans  l'Antiquité,  la  Science  était  considérée  comme  un  moyen  de 
puissance  et  de  domination  ;  aussi ,  à  ce  titre,  était-elle  à  la  fois  objet 
d'ambition  et  de  jalousie  ;  on  s'en  réservait,  autant  que  possible,  la 
propriété  exclusive ,  et  on  ne  la  communiquait  qu'à  regret  à  d'autres. 
Voilà  pourquoi  il  est  dit  qu'il  fallait  contraindre,  par  la  force,  Protée, 


58  INTRODUCTION. 

les  Sibylles ,  les  Pythies  à  Delphes ,  les  Valas  Scandinaves ,  etc. ,  à 
rendre  leurs  oracles.  La  Science,  au  lieu  de  tendre  à  se  divulguer, 
se  changea,  au  contraire,  en  une  espèce  de  Doctrine  secrète^  qu'on 
gardait  soigneusement,  et  qu'on  transmettait  seulement,  ainsi  qu'on 
le  faisait  pour  la  richesse  et  la  propriété ,  aux  membres  de  sa  famille, 
et  à  ceux  qu'on  aimait  ou  qu'on  favorisait  spécialement.  C'est  ainsi 
que,  dans  l'origine,  l'initiation  aux  Mystères  chez  les  Grecs,  était 
considérée  comme  une  faveur  extrême,  qui  ne  fut  accordée  qu'à 
des  hommes  privilégiés,  et  après  de  longues  épreuves.  C'est  ainsi  que, 
selon  la  Mythologie  norraine ,  Odinn ,  sous  le  nom  de  Grimnir,  com- 
munique sa  science  à  Agndr ,  son  protégé  (voy.  Grimnismdl);  que 
Hundla  révèle  ses  secrets  à  Ottar  (voy.  Hyndlu-lioth) ,  son  favori  ; 
que  Gripir  donne  des  instructions  à  Sigurd  (voy.  Gripis-spâ) ,  son 
neveu ,  etc. 

§  28.  La  forme  catéchétique  de  l'Enseignement.  —  En  même 
temps  que  la  jalousie  donna  à  la  Science  le  caractère  d'une  Doctrine 
secrète^  elle  lui  donna  également  la  forme  du  Mystère^  en  évitant, 
dans  l'Enseignement,  l'exposition  claire  et  intelligible  pour  tout  le 
monde ,  et  en  affectionnant ,  dans  la  Tradition ,  les  formulas  mysté- 
rieuses ,  mystiques  et  énigmatiques.  Telle  est  la  cause  principale  de 
l'obscurité  ,  dans  laquelle  les  Sibylles,  les  Pythies,  les  Valas  enve- 
loppaient leurs  oracles.  Voilà  pourquoi,  chez  les  Scandinaves,  le  mot 
rune{hrûna,  rûna;  sansc.  cravanâ^  audition,  auscultation,  com- 
munication, tradition),  qui,  dans  l'origine,  signifiait  simplement 
tradition ,  prit ,  de  plus  en  plus ,  à  mesure  que  la  tradition  devenait 
mystérieuse,  la  signification  de  Tradition  secrète  et  de  Mystère.  Voilà 
pourquoi  enfin,  la  forme  obscure,  alambiquée,  énigmatique,  qui 
aurait  dû  répugner  à  l'Enseignement,  fut  néanmoins  employée,  de 
préférence ,  dans  la  Tradition  ,  de  sorte  que,  dans  l'Antiquité  et  au 
Moyen  âge,  Y  Énigme  (goth.  frisahts,  épreuve  d'attention;  norr.  getur, 
devinations;  vieux-allem.  tunchli,  obscurité;  moyen-ail. /iû/"/,  retenue) 
devint  une  forme  littéraire  très-usitée ,  favorisée  encore ,  en  Occi- 
dent, par  le  genre  allégorique ,  introduit  par  l'Exégèse  et  la  Théologie 
mystique  des  docteurs  chrétiens. 

De  même  que  les  Mystères  ne  furent  communiqués  qu'à  des 
hommes  privilégiés ,  de  même  la  Science  proprement  dite  ne  fut 
transmise,  par  le  Maître,  qu'à  ceux  qu'il  considérait  comme  ses  dis- 
ciples, ses  enfants  spirituels.  Aussi  l'Enseigiioment  était-il  générale- 


LA  FORME  DIALOGUÉE.  59 

ment  ésotérique ,  et ,  encore ,  le  Maître  ne  communiquait-il ,  directe- 
ment, ni  sans  retenue,  sa  Science,  pas  même  à  ses  disciples  ;  il  ne  la 
révéla  que  d'une  manière  plus  ou  moins  aphoristique ,  et  seulement 
lorsqu'il  était  sollicité  et  provoqué  à  l'enseignement  par  les  ques- 
tions, que  les  disciples  lui  adressaient  en  lui  indiquant  les  points 
qui ,  seuls ,  les  intéressaient  spécialement  ou  sur  lesquels  ils  dési- 
raient particulièrement  avoir  des  éclaircissements.  C'est  ainsi  que 
l'alternance  des  questions  du  Disciple  et  des  réponses  du  Maître  est 
devenue  la  forme  didactique  la  plus  ancienne ,  et  celle  qui  fut  employée, 
soit  dans  les  discussions ,  soit  dans  les  ouvrages  philosophiques  et 
scientifiques ,  longtemps  avant  la  forme  directe  ou  discursive. 

Cette  forme  dialoguée  de  l'Enseignement  se  retrouve  jusque  dans 
la  Poésie  épique  et  dans  l'exposé  didactique  des  anciennes  tradi- 
tions. C'est  ainsi  que ,  dans  le  Mahâhhârata  et  le  Ramâyana,  le  récit 
n'est  pas  supposé  se  faire  directement  et  d'une  manière  continue 
par  le  poéïe  tout  seul,  comme  cela  se  voit  dans  l'Iliade  et  dans 
l'Odyssée,  mais  les  histoires,  dont  se  composent  les  épopées  hindoues, 
sont  racontées  successivement  par  différents  personnages,  qui  sont 
censés  avoir  été  invités ,  par  leurs  interlocuteurs ,  à  faire  ces  récits , 
de  sorte  que ,  malgré  la  longueur  des  discours  ou  des  récits ,  ces 
poëmes  ressemblent  à  un  Entretien  ou  à  un  long  et  gigantesque 
Dialogue.  Comme  les  traditions  épiques  sont  antérieures  aux  tradi- 
tions scientifiques,  on  doit  même  admettre  que  la  forme  dialoguée 
a  existé  dans  les  ouvrages  épiques ,  avant  d'avoir  été  employée  dans 
les  ouvrages  philosophiques  ou  scientifiques. 

La  forme  dialoguée  se  trouve  dans  la  plupart  des  plus  anciens 
livres  philosophiques  des  Chinois ,  depuis  les  Lun-yu  (Sentences)  de 
Kkong-fou-tsö  (Confucius),  jusqu'aux  Entretiens  de  Meng-tso  (Men- 
cius).  Elle  se  fait  remarquer  dans  les  discours  philosophiques, 
insérés,  sous  forme  d'épisodes ,  dans  le  Mahâhhârata,  tel  que ,  par 
exemple,  le  dialogue,  connu  sous  le  nom  de  Chant  du  Bienheu- 
reux (sansc.  Bhagavad-gîtâ),  et  qui  est  supposé  avoir  eu  lieu  entre 
Bhagavan  et  Ardjounas.  La  forme  dialoguée  se  trouve  généralement 
adoptée  dans  les  Dialogues  philosophiques  de  Platon ,  d'autant  plus 
qu'elle  était  exigée  à  la  fois  par  la  méthode  socratique  et  par  la  méthode 
dialectique  ,  adoptée  par  ce  philosophe'.  Par  imitation  des  dialogues 
de  Platon,  cette  forme  passa  également  dans  les  ouvrages  philoso- 

1 .  Voy.  P.  Janet,  Essai  sur  la  Dialectique  de  Platon. 


60  INTRODUCTION. 

phiques  de  Cicéron ,  notamment  dans  les  QuœsHones  Academicœ , 
les  QuœsHones  Tusculanœ,  le  De  finibus  bonorum  et  malorum ,  etc. 
Aristotélès  lui-même  descendit  à  cette  forme  dans  les  développe- 
ments exotériques ,  qu'il  adressa  aux  gens  du  monde ,  bien  qu'il  se 
servît  de  la  forme  directe ,  discursive  ou  akroamatique  dans  l'En- 
seignement ésotérique,  qu'il  adressait  à  ses  disciples,  plus  avancés 
dans  la  Science. 

La  forme  dialoguée,  parce  qu'elle  était  plus  populaire  et  plus 
appropriée  à  l'Enseignement  élémentaire ,  donna  naissance  à  la 
Méthode  catéchétique ,  qui,  dès  le  troisième  siècle  de  notre  ère,  fut 
adoptée,  par  l'Eglise,  pour  l'Enseignement  religieux.  Plus  tard,  au 
Moyen  âge ,  la  forme  dialoguée  catéchétique  fut  encore  employée  dans 
toutes  sortes  d'ouvrages  scientifiques,  se  rapportant  au  Trivium  (Gram- 
maire, Dialectique  etRhétorique)  et  au  Quadrivium  (Musique,  Arith- 
métique, Géométrie  et  Astronomie).  La  méthode  catéchétique  prit, 
dans  ces  ouvrages ,  selon  la  capacité  et  l'avancement  de  l'élève , 
soit  la  forme  répétitoire ,  quand  l'élève  ne  faisait  que  répéter  ver- 
balement les  paroles  du  Maître,  comme,  par  exemple ,  dans  le  Credo 
et  dans  \a  Renonciation^,  soit  la  forme  examinatoire,  quand  le  Maître 
interrogeait  l'élève  pour  savoir,  s'il  avait  retenu  les  matières  de 
l'Enseignement ,  soit ,  enfin ,  la  forme  catéchétique  proprement  dite 
ou  la  (orme  socratique ,  quand,  discutant  avec  le  disciple,  le  Maître 
l'amenait  à  trouver ,  par  lui-même ,  les  vérités  qu'il  fallait  apprendre. 

Snorri  voyait  la  forme  dialoguée  (dont  nous  venons  d'indiquer , 
ici,  l'origine,  la  raison  d'être  et  les  caractères  essentiels),  usitée  de 
son  temps,  non-seulement  dans  l'Enseignement  oral,  mais  encore 
dans  les  ouvrages  didactiques  et  même  dans  les  ouvrages  de  poésie. 
Il  la  voyait  adoptée  également  dans  les  quelques  poèmes  de  VEdda 
qu'il  connaissait  (voy.  p.  42),  tels  que  les  Dits  de  Grimnir,  les  Dits 
de  Vafthrûdnir,  le  Voyage  de  Skirnir.  Il  jugea  donc  aussi  conve- 
nable de  l'adopter,  à  son  tour,  dans  son  ouvrage  scientifique  sur  la 
Mythologie  norraine.  C'est  pourquoi ,  au  lieu  d'exposer  cette  Mytho- 
logie sous  forme  narrative  ou  directe ,  comme  l'a  fait,  par  exemple, 
pour  la  Mythologie  grecque ,  Apollodôros ,  fils  d'Asklèpiadès ,  dans 
son  ouvrage  intitulé  Sur  les  dieux  et  appelé  aujourd'hui  sa  Biblio- 

1.  Exemple.  Dem.  :  Crois-tu  en  Dieu,  le  Père  tout -puissant?  Rép.  :  Je  crois  en 
Dieu,  le  Père  tout-puissant.  —  Dem.  :  Renonces-tu  au  diable?  Rép.  :  Je  renonce 
au  diable ,  etc. 


LES  ENCADREMENTS  LITTÉRAIRES.  64 

thèque,  Snorri  rédigea  son  Traité  sous  forme  catéchétique ,  ou  sous 
forme  de  questions  et  de  réponses.  Mais  il  lui  répugnait  d'employer 
la  forme  entièrement  abstraite  d'un  Questionnaire,  c'est-à-dire  de 
présenter  les  questions  et  les  réponses,  sans  désigner  les  person- 
nages par  lesquels  les  unes  et  les  autres  étaient  faites  ;  il  ne  se  con- 
tenta pas  même,  comme  cela  se  voit  dans  une  foule  d'écrits  du 
Moyen  âge,  d'établir  le  dialogue  entre  deux  personnages,  pour  ainsi 
dire,  stéréotypes,  nommés  l'un  le  Maître  (Magister),  l'autre  le  Dis- 
ciple (Discipulus)  ;  Snorri  voulut  donner  au  dialogue  à  la  fois  une 
forme  plus  animée  et  un  à  propos  plausible  plus  direct.  Il  l'attribuait, 
par  conséquent,  à  des  personnages,  supposés  réels  ou  historiques,  et 
ayant  un  intérêt  particulier  et  immédiat ,  à  se  faire  des  questions  et 
des  réponses  sur  la  Mythologie  Scandinave.  Voilà  pourquoi  il  imagina 
une  histoire,  dans  laquelle  l'exposé  des  mythes  fût,  en  quelque 
sorte,  enchâssé,  ou  qui  pût  servir  d'Encadrement,  pour  y  placer  le 
dialogue  ou  le  fond  même  de  son  ouvrage. 

Nous  sommes  donc  amené,  maintenant,  à  traiter,  d'abord,  des^i- 
cadrements  littéraires  qu'on  trouve  dans  la  plupart  des  ouvrages  de 
l'Orient,  de  l'Antiquité  classique,  du  Moyen  âge,  et,  même,  par  imi- 
tation ,  dans  plusieurs  ouvrages  des  temps  modernes.  Nous  expli- 
querons, ensuite,  en  détail,  comment  s'est  formé  l'Encadrement 
dans  lequel  Snorri  a  enchâssé  son  exposé  de  la  Mythologie  norraine. 

S  29.  Origine  et  raisons  des  Encadrements  littéraires.  — 
Nous  avons  vu  (§  26)  qu'anciennemeiit  on  envisageait  généralement 
la  Science  non  comme  impersonnelle,  mais  comme  inféodée,  en 
quelque  sorte ,  à  la  personne  du  savant.  Il  y  avait  donc  aussi  ten- 
dance de  lui  donner,  pour  base  unique ,  l'autorité  personnelle.  La 
vérité  n'était  pas  jugée  en  elle-même ,  et  pour  elle-même ,  mais 
d'après  la  foi  qu'on  avait  en  celui  qui  l'énonçait;  et  au  lieu  d'exa- 
miner quelle  était  la  puissance  intrinsèque  de  la  Science  pour  com- 
mander notre  conviction  ou  notre  approbation ,  abstraction  faite  de 
toute  autorité  et  même  contrairement  à  toute  autorité,  on  s'enquit, 
généralement,  de  tout  ce  qu'on  considérait  comme  pouvant  lui  im- 
primer ce  caractère  d'autorité  personnelle.  De  là,  ce  soin  puéril 
d'indiquer  la  personne  qui  avait  dit  telle  ou  telle  chose ,  plus  ou 
moins  sensée ,  et  de  rappeler  les  circonstances  dans  lesquelles  cette 
chose  avait  été  dite ,  ainsi  que  toute  la  série  des  personnes  qui  l'ont 
tenue,  l'une  de  l'autre,  par  tradition  orale.  De  là  dans  les  livres  des 


62  INTRODUCTION. 

Arabes,  cette  formule  si  fréquente  :  tel  a  dit  (kâla),  lequel  l'a  appris 
de  tel,  qui  le  tenait  de  tel,  etc.;  de  là,  dans  la  théologie  rabbinique, 
et  surtout  dansleTalmoud,  cette  énumération  si  ridiculement  mini- 
tieuse  de  toutes  les  circonstances,  dans  lesquelles  un  fait,  une  idée 
ont  été  exposés;  de  là  encore,  chez  les  Hindous,  cette  manie  de 
rapporter  la  valeur  d'une  règle  médicale  ou  juridique ,  à  l'autorité 
d'un  dévarchis  (Saint  céleste) ,  ou  la  valeur  d'une  règle  de  gram- 
maire, à  l'autorité  du  grammairien  céleste  Panini.  Or ,  de  cette  ha- 
bitude d'appuyer  la  vérité  sur  des  raisons  d'autorité  extérieure,  est 
résulté  l'usage,  généralement  adopté  par  les  auteurs,  de  rattacher  le 
sujet  de  leur  ouvrage  à  l'exposé  des  circonstances ,  dans  lesquelles 
ce  sujet  est  censé  avoir  été  traité.  Dans  la  plupart  des  cas,  ne 
pouvant  rappeler  des  circonstances  réelles ,  on  en  imagina  de  fictives, 
et  l'on  tâcha  ensuite  de  rendre  ces  fictions  aussi  intéressantes ,  cir- 
constanciées et  vraisemblables  que  possible  ;  de  sorte  que  l'histoire 
fictive,  qui  était  ainsi  racontée  en  tête  d'un  livre,  d'abord  unique- 
ment pour  l'accréditer  auprès  du  lecteur,  devint  encore,  et  surtout 
dans  les  ouvrages  de  littérature,  un  Encadrement,  ayant  pour  but 
de  rendre  cet  ouvrage  d'autant  plus  intéressant  ou  amusant. 

Comme,  en  littérature,  on  a  d'abord  composé  des  ouvrages  expo- 
sant des /««ïs  plus  ou  moins  historiques,  avant  de  composer. des 
ouvrages  exposant  des  notions  plus  ou  moins  scientifiques ,  les  En- 
cadrements se  font  remarquer,  d'abord,  dans  la  poésie  épique;  aussi 
les  trouve-t-on  généralement  dans  les  épopéesdel'Inde.  C'est  ainsi, 
par  exemple ,  que,  dans  le  Mahdbhârata,  le  récit  du  Déluge  est  en- 
châssé dans  un  encadrement ,  consistant  en  une  histoire  épique  tra- 
ditionnelle ou  fictive ,  d'après  laquelle  les  fils  de  Pandous  ou  les 
Pandouïdes  (sansc.  Pândavâs),  savoir  tes  cinq  frères  Youdhischthiras , 
Bhimas,Ardjounas,  Nakoulas  et  Sahadaivas,  \i\aient  exilés  dans  une 
forêt  solitaire,  où  le  Brahmane  Markhandêyas  est  venu  les  visiter, 
et  pour  leur  faire  oublier  leurs  chagrins,  leur  a  raconté  d'anciennes 
histoires  ou  traditions  épiques.  Unjour  l'aîné  des  frères,  Youdhisch- 
thiras, l'ayant  prié  de  leur  raconter  la  vie  de  Manous ,  fds  de  Vi vas- 
van,  le  Brahmane  leur  fit  le  récit  du  Déluge.  Ce  récit  est  donc 
renfermé  dans  l'encadrement  formé  par  l'histoire  du  Séjour  des 
Pandouïdes  dans  la  Forêt,  et  il  se  trouve  dans  la  troisième  partie 
du  Mahâbhârata,  intitulée,  d'après  cet  encadrement  môme,  le  Cha- 
pitre de  la  Forêt  (sansc.  Vana-parvvan).  Les  encadrements  furent , 


LES  ENCADREMENTS  LITTÉRAIRES.  63 

à  plus  forte  raison ,  adoptés  aussi  dans  presque  tous  les  ouvrages 
didactiques  des  Hindous.  Gomme  exemple  nous  citerons  l'ouvrage 
intitulé  Enseignement  salutaire  (sansc.  Hitaiipadaiças).  C'est  pro- 
prement un  Recueil  d'apologues  ou  de  fables.  Mais  ces  apologues 
ne  nous  sont  pas  présentés ,  l'un  après  l'autre ,  sans  lien  extérieur 
entre  eux,  comme,  par  exemple,  les  fables  à' Esope  ^  deLokmân,  de 
Phèdre  ou  de  La  Fontaine.  Tous  ensemble  sont  enchâssés  dans  un 
Récit  général,  qui  expose  comment  cette  collection  s'est  successi- 
vement formée  ,  et  dans  lequel,  s'emboîtent  d'autres  narrations  par- 
ticulières, qui  font  voir,  dans  quelles  circonstances  les  différents 
apologues  ont  été  débités.  Ainsi  l'Encadrement  général  de  ce  livre 
consiste  dans  un  récit  exposant  que  Soudarçanas,  roi  de  Patalipoutra , 
sentit  la  nécessité  de  faire  instruire  ses  fds  ignorants  et  méchants; 
que,  pour  trouver  un  précepteur,  il  assembla  les  brahmanes;  que 
Vichnousarmas  s'offrit  d'instruire  les  princes  en  six  mois,  et  qu'ef- 
fectivement, après  ce  laps  de  temps,  ce  sage  présenta  à  leur  père  les 
princes  complètement  changés  quant  à  leur  conduite  et  à  leur  in- 
struction. Dans  cet  Encadrement  général  se  trouvent  emboîtés  les 
encadrements  particuliers,  qui  consistent  à  exposer  comment  le  pré- 
cepteur s'y  prit ,  pour  instruire  les  princes  ;  comment  il  leur  a 
débité  des  vers,  renfermant  des  maximes  de  morale  et  des  allusions 
à  des  fables  ,  et  comment ,  sur  le  désir  exprimé  par  ces  princes  de 
connaître  ces  fables ,  auxquelles  le  Maître  avait  fait  allusion ,  celui-ci 
les  leur  a  ensuite  racontées.  Ce  même  système  d'encadrement  et  d'em- 
boîtement se  trouve  dans  la  plupart  des  ouvrages  narratifs  et  didac- 
tiques des  littératures  persane  et  arabe. 

Nous  ne  parlerons  pas  des  ouvrages  philosophiques  de  Platon ,  ni 
de  ceux  de  Cicéron,  dans  lesquels  on  trouve  une  histoire  fictive, 
servant  d'Encadrement  au  dialogue,  et  destinée  à  faire  connaître  les 
interlocuteurs ,  le  temps  ,  le  lieu ,  les  circonstances  et  les  incidents 
de  ces  discussions  philosophiques.  Quant  aux  ouvrages  appartenant 
au  Moyen  âge  de  l'Orient  et  de  l'Occident ,  nous  rappellerons  seule- 
ment les  Contes  des  mille  et  une  nuits  et  le  Décamerone  de  Boccacio, 
deux  Recueils  de  contes ,  qui  appartiennent  déjà  presque  aux  temps 
modernes,  mais  qui  résument,  en  quelque  sorte ,  le  système  d'en- 
cadrement usité  dans  la  plupart  des  ouvrages  narratifs  et  didactiques 
du  Moyen  âge,  en  x\sie  et  en  Europe.  La  Scandinavie,  elle  aussi , 
avait  adopté  cet  usage  littéraire ,  presque  dès  le  commencement  de 


64  INTRODUCTION. 

la  littérature  norraine.  C'est  ainsi ,  par  exemple ,  que  l'auteur  du 
poëme  eddique  Vafthrûdnismâl  s'est  servi  du  Mythe  sur  la  lutte  entre 
Odinn  et  l'Iotne  Vafthrûdnir ,  comme  d'un  cadre,  dans  lequel  il  a 
enchâssé  l'exposé  sommaire  de  plusieurs  traditions  mythologiques . 
Le  même  procédé  a  été  suivi ,  dans  un  but  semblable ,  par  l'auteur 
du  poème  eddique,  intitulé  Dits  de  Grimnir  (norr,  Grimnismâl). 
Ajoutons  encore  que  l'auteur  du  poëme  eddique,  intitulé  Dits  d'Al- 
vîs  (norr.  Alvîs-mâï)  a  formé  également ,  du  Mythe  sur  Thôr  trom- 
pant le  Dverg  Alvîs,  l'Encadrement  dans  lequel  il  a  renfermé  un 
petit  Traité  du  Langage  poétique,  qui  est,  en  quelque  sorte ,  le  germe 
du  Skaldskaparmdl  dans  l'Edda  de  Snorri  (voy.  p.  31). 

On  le  voit,  l'usage  des  Encadrements  littéraires  était  généralement 
adopté  pour  la  plupart  des  ouvrages  narratifs  et  didactiques ,  dans 
l'Antiquité  et  au  Moyen  âge,  en  Orient  et  dans  l'Occident.  Ces  En- 
cadrements ne  servaient  pas  seulement  à  réunir,  entre  elles,  par  un 
lien  extérieur,  des  productions  littéraires  de  la  même  espèce,  telles 
que ,  par  exemple ,  des  fables  ou  des  contes ,  comme  cela  se  voit 
dans  V Hitaupadaiça ^  ni  à  motiver,  en  quelque  sorte,  les  dialogues, 
en  indiquant  les  interlocuteurs  et  les  circonstances  qui  les  ont  fait 
naître,  comme  cela  s'est  fait  dans  les  Traités  philosophiques  de 
Platon ,  ils  servaient  encore  ,  et  surtout  dans  les  ouvrages  litté- 
raires proprement  dits,  comme,  par  exemple,  dans  le  Décamerone^ 
à  ajouter  un  agrément  de  plus ,  celui  d'une  histoire  intéressante  qui 
encadrait  tout  l'ouvrage.  Aussi,  pour  renforcer  l'intérêt,  qui ,  de  la 
forme  extérieure  d'un  ouvrage,  rejaiUissait  naturellement  sur  le  fond 
même ,  on  employait  souvent  l'Encadrement  comme  un  moyen  propre 
à  produire  ce  résultat.  Ensuite,  pour  donner  un  intérêt  plus  drama- 
tique à  cette  histoire  servant  d'Encadrement ,  on  y  représentait  quel- 
quefois le  dialogue  ,  non  pas  comme  un  simple  entretien  ou  une 
discussion  scientifique,  mais  comme  une  lutte  d'esprit,  une  tenson, 
un  tournoiement ,  une  joute  de  science ,  un  assaut  d'érudition  et  de 
sagacité  (voy.  p.  54).  Puis ,  pour  augmenter  encore  l'intérêt  drama- 
tique qui  s'attachait  à  une  telle  joute  ,  on  en  agrandissait ,  dans  cer- 
tains cas,  l'importance  qu'elle  avait,  par  son  issue,  en  montrant  que 
cette  issue  n'entraînera  pas  seulement  l'humiliation  morale,  mais  la 
mort  du  vaincu,  lesjouteurs  ayant  mis  leur  vie  en  enjeu.  Enfin,  pour 
rendre  la  joute  encore  plus  difficile,  plus  chanceuse  et  par  conséquent 
plus  remplie  d'émotion,  les  questions  que  s'adressaient  lesjouteurs 


L*ENCADREMENT  DU  GYLFAGINNING.  65 

étaient  quelquefois  présentées  sous  forme  â^énigmes,  comme  par 
exemple,  dans  la  joute  poétique  à  la  Wartbourg  (voy.  §  27). 

S  30.  Origine  de  l'Encadrement  du  Traité  de  Snorri.  — 
Comme  ces  différentes  espèces  d'encadrements  se  faisaient  remar- 
quer dans  la  plupart  des  ouvrages  littéraires  et  didactiques  de  son 
temps,  Snorri  songea  aussi^naturellement,  à  revêtir  son  ouvrage  scien- 
tifique de  cette  forme  si  généralement  admise.  Il  s'agissait  donc,  pour 
lui,  de  trouver  une  histoire  qui  pût  servir  d'Encadrement  à  son  Exposé 
de  la  Mythologie  norraine.  Cet  Encadrement  pouvait  être,  soit  une 
histoire  fournie  directement  par  la  Mythologie  elle-même,  comme, 
par  exemple,  dans  le  Vafthrûdnismâl,  le  Grimnismdl  et  VAMsmdl, 
soit  une  histoire  imaginée  par  l'auteur,  et  arrangée  avec  des  éléments 
empruntés  à  la  tradition  mythologique,  comme,  par  exemple,  dans  la 
Tradition  de  rHôte  des  Nomes  (norr.  Norna  Gests Saga),  où  l'histoire 
mythico-épique  de  Sigurd  et  des  Volsungs  est  supposée  être  racontée, 
au  roi  Olaf,  par  VHôte  des  Nomes,  qui  est  dit  âgé  de  300  ans,  et  dont 
les  aventures  forment  l'Encadrement  de  cette  Saga. 

Snorri  ayant  adopté,  pour  exposer  la  Mythologie  norraine,  la  forme 
de  dialogue,  il  fallait,  pour  que  les  questions  et  les  réponses  fussent 
coïwenablement  motivées,  que  l'histoire,  qui  devait  servir  d'Encadre- 
ment, mît  en  scène,  principalement,  deux  Interlocuteurs,  l'un  inter- 
rogeant ,  parce  qu'il  ignorait  complètement  la  Mythologie  norraine, 
et  l'autre  répondant,  parce  qu'il  la  savait  à  fond.  Or,  comme,  chez 
les  Norrains,  tout  le  monde  était  censé  connaître  cette  Mythologie, 
depuis  que  l'Odinisme  se  fut  répandu  dans  le  Nord,  il  fallait,  pour 
trouver  quelqu'un  qui  pût  l'ignorer,  remonter  à  l'époque  où,  selon  les 
idées  evhéméristes  de  Snorri  (v.  §  22) ,  Odinn  venait  seulement  de 
quitter  l'Asie,  et  après  s'être  établi,  successivement,  dans  V Empire 
des  Enceintes  (norr.  Garda-riki)  en  Russie ,  puis  au  Pays  de  Saxe 
(norr.  Saœland),  s'était  enfin  fixé ,  depuis  peu ,  à  Odinsey,  en  Fionie. 
A  cette  époque,  qui,  d'après  le  calcul  de  Snorri,  correspondait  à 
peu  près  au  commencement  de  notre  ère  (v.  §  22) ,  Odinn  et  ses 
sectateurs ,  c'est-à-dire  les  Peuples  Scandinaves  proprement  dits , 
n'avaient  pas  encore  pénétré  en  Suède.  Ce  pays  était  donc  encore 
uniquement  occupé  par  des  peuples  finnes,  qui,  n'ayant  pas  adopté 
la  religion  &' Odinn,  ignoraient  complètement  la  Mythologie  Scandi- 
nave. C'est  donc  parmi  les  personnages  mythiques  des  Finnes,  établis 
en  Suède,  que  Snorri  choisit  le  personnage  dont  il  fit  le  premier  In- 

5 


66  INTRODUCTION. 

terlocuteur  dans  le  dialogue  de  son  ouvrage.  Ce  personnage  choisi 
était  le  roi  mythique  Gulfi  (norr.  Gylfi).  Pour  second  Interlocuteur,  qui 
avait  à  répondre  aux  questions  faites  par  GxUfi,  SnorriávX  naturelle- 
ment choisir  Odinn  lui-même,  le  contemporain  de  Gulp.,  l'auteur 
de  la  religion  Scandinave,  celui  qui,  d'après  la  Mythologie  norraine, 
passait  pour  le  plus  savant,  le  plus  intelligent  et  le  plus  rusé  des  Ases, 
et  qui  était  déjà  représenté,  comme  tel,  dans  le  poëme  eddique  :  Les 
Bits  de  Vafthrûdnir,  (v.  p.55),  que  Snorri  prit  précisément,  comme 
modèle,  pour  composer  certaines  parties  de  l'Encadrement  de  son 
Traité.  D'après  les  idées  evhéméristes  de  Snorri  (v.  p.  4-5),  Odinn 
était  à  la  fois  Roi  et  Père  des  Scandinaves;  par  des  supercheries,  et 
moyennant  des  pratiques  de  magie,  il  était  parvenu  à  faire  passer, 
lui  et  les  siens,  pour  des  dieux.  Avant  qu'il  eût  pris  possession  de 
tous  les  Pays  du  Nord  et  qu'il  y  eût  introduit  son  culte,  il  était,  comme 
le  supposait  Snorri,  établi  en  Danemark ,  et  résidait  à  Odins-ey  (lie 
d'Odinn;  danois  Odenso)^  en  Fionie  (norr.  Fiôn\  cf.gaël.  fi,onn,  brillant, 
oriental).  C'est  là  qu'eut  donc  lieu,  selon  Snorri,  l'entrevue  et  le 
dialogue  entre  Gulfi ,  le  roi  fmne ,  venu  de  la  Suède ,  et  Odinn ,  le 
roi  de  la  Marche  dane  (norr.  Dan-mork). 

Pour  amener  ensuite,  et  pour  motiver,  en  quelque  sorte,  l'entrevue 
et  le  dialogue  en  question,  Snorri  imagina  ou  dut  supposer  que  Gulfi 
avait  un  intérêt  tout  particulier  d'apprendre  à  connaître  la  Mytholo- 
gie norraine.  Ce  ne  pouvait  être  un  intérêt  purement  scientifique,  qui 
r«ût  poussé  à  venir  en  Fionie  ;  puisque,  dans  ces  temps,  on  ne  s'inté- 
ressait pas  à  la  Science  pour  elle-même ,  mais  seulement  pour  les  avan- 
tages qui  en  résultaient  (v.  p.  53).  Gulfi  voulait  donc  connaître  la  re- 
ligion d' Odinn,  uniquement,  parce  qu'il  espérait  y  trouver  le  moyen  de 
se  maintenir  comme  roi  de  Suède,  ou  le  moyen  de  s'opposer  à  l'envahis- 
sement dont  le  menaçait  Odinn.  En  effet,  Gulfi  avait  appris  à  con- 
naître la  puissance  prodigieuse  des  Ases,  par  un  événement  extraor- 
dinaire, qui,  rapporté  parla  tradition  mythologique ,  fournit  à  Snorri 
un  récit  qu'il  fit  entrer,  comme  partie  intégrante,  dans  la  composition  de 
l'Encadrement  de  son  Traité.  Cette  tradition ,  que  Snorri  a  encore  ra- 
contée dans  son  ouvrage  historique,  le  Cercle  du  Monde  (Ynglinga-saga, 
chap.  5),  énonçait  qu'Odmn,  après  avoir  soumis  beaucoup  de  princi- 
pautés, dans  le  Gardariki  et  en  Saxe,  et  après  les  avoir  données  à  gouver- 
ner à  ses  nombreux  fils,  s'établit  à  ödmsey  en  Fionie.  Mais  comme  il  lui 
restait  encore  d'autres  fils  à  établir,  il  dut  songer  à  faire  de  nouvelles 


l'encadrement  du  gylfaginning.  ÔT 

conquêtes  dans  le  Nord,  principalement  en  Suède.  Il  envoya  donc, 
pour  reconnaître  ce  pays,  Gàfion,  l'épouse  de  Skioldr,  la  déesse 
adorée  en  Fionie.  Cette  femme  d'Ase,  ou  Asynie,  pour  bien  remplir 
son  rôle  d'espionne ,  et  afin  de  ne  pas  éveiller  les  soupçons  du  roi 
Gulfi,  prit,  moyennant  la  magie,  dont  elle  disposait  en  sa  qualité 
d' Asynie,  l'extérieur  d'une  Femme  ambulante  (norr.  farandi  kona), 
c'est-à-dire  d'une  Devineresse  (norr.  Spâkona\  ou  d'une  Prophétesse 
ou  Magicienne,  appelée  aussi  Fille  de  Loup  chez  les  Slaves  (s\.Volchova) 
et  chez  les  Scandinaves  (norr.  Volvo).  Ce  déguisement  lui  facilita 
beaucoup  sa  mission;  car  il  était  d'usage,  dans  l'Antiquité  et  au  Moyen 
âge,  d'envoyer  en  ambassade  des  Prophélesses,  aussi  bien  que  desDevins 
et  des  Poètes  (v.  Les  Gèles,  p.  128).  Ces  femmes  étaient  donc  toujours 
et  partout  bien  reçues,  et  d'autant  mieux  accueillies,  que  non-seule- 
ment elles  étaient  à  même  de  prédire  l'avenir  aux  personnes  qui  les 
recevaient,  mais  aussi  de  les  amuser,  soit  en  leur  racontant  les 
histoires  des  pays  qu'elles  avaient  parcourus ,  soit  en  chantant  des 
poésies  mythologiques  (norr.  kvœdi;  gr.  mulhoï;  sansc.  çrouti),  ou  des 
traditions  épiques  (norr.  sogu  liôth;  ^r.logoï;  sansc.  smiii).  Aussi  ce 
fut  par  ses  récits  et  ses  chants  que  la  déesse  Gàfion,  déguisée  en 
femme  ambulante ,  gagna  la  faveur  du  roi  finne  Gulfi ,  lequel ,  pour 
la  récompenser  du  passe-temps  (norr.  skemtun)  ou  du  divertissement 
qu'elle  lui  avait  procuré,  lui  concéda,  suivant  la  tradition,  dans  son 
domaine ,  quatre  journaux  de  terre ,  c'est-à-dire  autant  de  terrain 
qu'elle  en  pourrait  labourer  en  quatre  journées ,  avec  une  charrue 
attelée  de  deux  bœufs,  ou  bien  autant  qu'elle  en  labourerait  avec 
quatre  bœufs,  en  deux  journées,  c'est-à-dire  en  un  jour  et  une  nuit. 
Gàfion,  acceptant  cette  concession,  et  usant  de  ruse  (laquelle  passait 
pour  très-légitime  dans  l'Antiquité;  voy.  Les  Gètes,  p.  115),  se  rendit 
dans  le  Séjour  deslotnes,  au  Nord  de  la  Finlande  ou  de  la  Suède.  Elle  y 
conçut  d'un  lotne  et  mit  au  monde  quatre  fils ,  qui  avaient  la  force 
titanique  de  leur  père;  elle  les  métamorphosa  en  taureaux,  moyen- 
nantla  magie  qu'elle  savait  pratiquer,  comme  Asynie  et  comme  Femme 
de  vision  ;  puis,  les  ayant  attelés  à  une  charrue  gigantesque,  elle  en- 
leva ,  du  sol  de  la  Suède ,  en  un  tour  de  labour ,  une  partie  du  ter- 
rain, qu'elle  poussa  dans  la  mer,  et  dont  elle  forma  son  domaine,  l'île 
continentale  appelée  aujourd'hui  la  Sélande,  entre  la  Fionie  et  la 
Suède.  C'est,  par  ce  Mi  prodigieux,  qu'elle  donna  à  Gulfi,  une  haute 
opinion  de  la  puissance  de  la  race  des  Ases,  à  laquelle  elle  apparte- 


68  INTRODUCTION. 

nait,  et  éveilla  en  lui  la  crainte  de  se  voir  enlever  son  royaume  de 
Suède,  par  renvahissement  de  ces  puissants  voisins.  Gulfi  avisa  donc 
aux  moyens  de  leur  tenir  tête,  en  prévenant  le  danger;  et  il  jugea 
qu'il  serait  naturellement  aussi  puissant  qu'eux,  s'il  pouvait  disposer, 
comme  eux ,  de  ce  qui  était  la  cause  de  leur  supériorité.  Or ,  selon 
l'opinion  des  peuples  polythéistes,  la  puissance  des  hommes  avait 
pour  cause  ou  bien  leur  nature  supérieure,  en  tant  qu'ils  étaient  issus 
de  quelque  divinité,  ou  bien  le  culte  des  dieux  qu'ils  adoraient,  et 
qui ,  pour  prix  ou  en  échange  de  cette  adoration ,  leur  donnaient  la 
grandeur  et  la  puissance,  ou  bien,  enfin,  les  moyens  ou  pratiques  de 
magie  dont  ils  savaient  user,  et  par  lesquels  ils  pouvaient  se  rendre 
les  égaux  des  dieux,  ou  même  se  passer  d'eux  (voy.  Les  Gètes,  p.  151). 
D'après  ses  idées  evhéméristes,  Snorri  dut  penser  que  (rw/^  prenait, 
comme  lui-même,  les  Ases  pour  des  mortels,  et  qu'il  ne  supposait 
pas  que  leur  puissance  extraordinaire  pût  provenir  de  leur  nature 
divine,  à  laquelle,  lui-même,  ne  croyait  pas.  D'un  autre  côté, 
Gulfi  dut  se  croire  capable  de  lutter ,  en  fait  de  magie ,  avec  les  Ases, 
puisqu'il  appartenait  à  la  race  des  Finnes,  qui,  de  tout  temps,  excel- 
laient dans  ces  pratiques,  au  point  que  leurs  voisins ,  les  Scandi- 
naves, ont  appris  d'eux  cet  art,  et  que  les  Russes  leur  ont  donné  le 
nom  de  Merveilleux  (Tchoud),  ou  de  Magiciens  (russ.  Tchoukhonsi). 
Gulfi,  dut  donc  supposer  que  la  puissance  extraordinaire  des  Ases  leur 
venait  uniquement  des  dieux  qu'ils  adoraient  et  auxquels  ils  sacri- 
fiaient, et  il  pensa  que  s'il  parvenait  à  connaître  ces  dieux,  il  pourrait, 
en  les^adorant,  obtenir  d'eux  une  puissance  égale  à  celle  des  Ases, 
ses  rivaux.  C'est  donc  pour  apprendre  à  connaître  ces  divinités  et  la 
manière  de  les  adorer,  qu'il  entreprit  le  voyage  au  nouvel  Enclos- 
des-Ases  (voy.  p.  45) ,  situé  à  Odinsey ,  en  Fionie ,  où  résidait  alors 
Odinn  et  sa  bande. 

La  connaissance  des  dieux,  de  leurs  noms,  de  leur  caractère,  de 
la  manière  traditionnelle  de  les  adorer,  et  des  prières  qu'il  fallait 
leur  adresser,  dans  les  différentes  circonstances,  où  l'on  avait  besoin 
de  leur  intervention  et  de  leur  secours,  constituait  une  partie  prin- 
cipale et  essentielle  de  ce  qu'on  appelait,  dans  le  Nord,  les  Mystères, 
ou  Secrets  traditionnels  (norr.  rûnar,  voy.  p.  58)  ou  les  Antiquités 
(norr.  fomirstafir;  sansc.  pouràna  ;  lat.  antiqua).  Comme  la  con- 
naissance de  ces  Mystères  procurait  de  si  grands  avantages  à  ceux 
qui  la  possédaient,  on  ne  les  révélait  guère  qu'à  ses  meilleurs  amis, 


ir 

l'encadrement  du  gylfaginning.  69 

on  à  ceux  qu'on  voulait  particulièrement  favoriser  (voy.  p.  58).  Gulfi 
n'étant  pas  l'ami  des  Ases ,  ne  pouvait  pas  espérer  qu'ils  voulussent, 
par  une  faveur  spéciale,  lui  apprendre  ces  mystères;  il  ne  pouvait 
pas,  non  plus ,  contraindre  Odlnn,  par  la  force  (voy.  p.  57),  à  lui  révéler 
ses  secrets  ;  il  ne  lui  restait  donc ,  pour  arriver  à  ses  fins ,  d'autre 
moyen  que  d'avoir  recours  à  la  ruse.  En  conséquence ,  il  s'avisa  de 
l'expédient  suivant.  En  allant  provoquer  Odinn  à  une  joute  scienti- 
fique, au  sujet  de  la  Mythologie,  il  était  sûr,  en  piquant  d'honneur 
cet  Ase,  de  se  faire  donner  par  lui  des  réponses  à  toutes  les  ques- 
tions qu'il  lui  adresserait  ;  et  ainsi ,  sans  rien  savoir  lui-même  des 
matières  sur  lesquelles  il  interrogeait,  seulement  en  se  posant  comme 
examinateur  d'Odirm,  et  comme  son  rival  dans  la  connaissance  de  la 
Mythologie ,  il  pouvait  se  faire  révéler  par  cet  Ase  tous  les  secrets 
qu'il  jlui  importait  de  connaître.  Mais  pour  réussir  dans  l'exécution 
de  ce  plan ,  il  était  nécessaire  que  Gulfi  restât  parfaitement  inconnu 
aux  Ases ,  afin  qu'ils  ne  soupçonnassent  pas  qu'il  fût  leur  rival  et 
que  son  but  pût  être  de  se  mettre  en  possession  des  secrets,  qui 
étaient  la  cause  supposée  de  leur  puissance.  Aussi,  pour  ne  pas  être 
reconnu  par  Gàfioîi  et  par  les  Ases ,  Gulfi ,  par  le  moyen  de  la  tnagie , 
qu'il  possédait  par  suite  de  son  origine  finne ,  revêtit  l'extérieur  d'un 
vieillard,  ayant  l'air  d'être  plein  de  science,  de  sagesse  et  d'expérience, 
et  capable  de  se  mesurer ,  en  cela ,  avec  les  plus  savants  et  les  plus 
expérimentés.  Ensuite  ,  suivant  l'usage  des  magiciens ,  qui  quelque- 
fois allaient  en  espions  (norr.  niosnar  menn ,  hommes  d'exploration), 
reconnaître  certains  pays,  et  qui  s'y  transportaient,  d'une  manière 
surnaturelle,  en  un  clin  d'oeil  (norr.  svip.),  à  travers  les  airs,  Gulfi 
se  rendit  également,  en  un  instant,  par  le  transport  instantané 
(norr.  svip-för) ,  du  lieu  de  sa  résidence  en  Suède ,  à  Odinsey ,  où 
résidait  Odinn.  Ce  qui  lui  arriva ,  en  entrant  dans  cette  résidence , 
Snorri  le  raconte  en  imitant  quelques  traits  qu'il  copie  en  partie  des 
Dits  de  Vafthrûdnir,  en  partie  du  récit  populaire  de  l'arrivée  de  Thôr 
chez  Loki  de  r Enclos-Extérieur ,  récit  que  Snorri  a  reproduit  encore 
dans  le  corps  même  de  son  ouvrage  La  Fascination  de  Gulft  (voy.  Comm. 
§  145).  Ainsi,  de  même  que,  dans  les  Dits  de  Vafthrûdnir,  Odinn ^  qui 
vient  dans  la  demeure  de  cetlotne  pour  lutter  avec  lui,  se  fait  passer 
pour  un  voyageur  nommé  Pourvoit-au-voyage  (norr.  Gangrâdr),  de 
même  Gulfi  s'annonce  aussi  comme  un  voyageur  nommé  Piétonneur 
(norr.  Gangleri);  et,  dans  le  paragraphe  5,  Snorri  confond  même 


70  INTRODUCTION. 

Gangrâdrasec  Gangleri,  Ensuite,  de  même  que  Loki  de  l' Enclos-Ex- 
térieur ^  à  l'approche  de  Tliôr,  prépare,  pour  fasciner  son  hôte, 
toutes  sortes  d'illusions  magiques ,  de  même  ici,  dans  l'Encadrement 
du  Traité ,  les  As€S ,  prévoyant,  par  suite  de  leur  science  surhumaine, 
l'arrivée  de  Ctt/^,  préparèrent,  par  la  magie,  des  moyens  de  fascina- 
tion, qui  mirent  cet  hôte  tout  d'abord  dans  l'étonneraent  et  dans  la' 
perplexité. 

Piétonneur  ayant  provoqué  le  Maître  des  Ases  à  une  joute  scien- 
tifique, le  dialogue  (voy.  p.  52)  commence,  et  les  questions  et  les 
réponses  se  suivent  de  côté  et  d'autre.  Comme  l'intention  réelle  de 
Gulfi  est  de  s'informer  sur  la  Mythologie ,  le  dialogue  est  proprement 
du  genre  interrogatoire-^  mais,  comme  Gulfi  a  besoin  de  se  donner 
l'air  d'un  examinateur  savant,  le  dialogue  a,  extérieurement,  la  forme 
examinatoire  (voy.  p.  60).  Ce  dialogue,  bien  qu'il  présente  quelquefois 
ce  qu'on  appelle  un  intérêt  dramatique,  n'est  cependant  jamais  drama- 
tique  à  proprement  parler.  En  effet,  ce  qui  distingue  essentiellement 
le  dialogue  du  drame ,  des  dialogues  tels  que  nous  les  trouvons  dans 
les  ouvrages  didactiques  et  narratifs  de  l'Antiquité ,  de  l'Orient  et 
du  Moyen  âge,  c'est  que ,  dans  le  drame,  nous  sommes  censés  enten- 
dre directement  les  paroles  de  la  bouche  même  des  interlocuteurs , 
tandis  que,  dans  l'ouvrage  de  Snorri,  comme  dans  tous  les  ouvrages 
du  même  genre ,  nous  n'avons  qu'un  dialogue  rapporté,  c'est-à-dire 
que  nous  entendons  seulement  la  relation,  ou,  en  quelque  sorte,  le 
procès-verbal  des  paroles  échangées  entre  les  interlocuteurs.  Voilà 
pourquoi,  dans  les  narrations  épiques,  par  exemple,  des  Hindous, 
le  discours  ou  le  récit  des  différents  interlocuteurs ,  est  toujours 
précédé  des  mots:  Tel  dit  (sansc.  ouvâtcha).  Dans  la  Divine  Comédie 
de  Dante,  qui  est  un  poëme  essentiellement  didactique,  et  où  il  y  a 
un  grand  nombre  de  dialogues ,  ces  dialogues  sont  tous  relatés.  Dans 
le  poëme  eddique,  intitulé  Les  Sarcasmes  de  Loki  (voy.  Poèmes  is- 
landais), et  qui  est  entièrement  dialogué,  les  paroles  de  chaque  in- 
terlocuteur sont  aussi  relatées  après  la  formule  :  Tel  dit  (norr.  kvad). 
Il  en  est  de  même  ici  dans  l'ouvrage  de  Snorri,  où  les  questions  et 
les  réponses  sont  relatées  après  les  formules  usitées  et,  en  quelque 
sorte,  stéréotypes  de:  Alors  Piétonneur  dit;  alors  Sublime  répond 
etc.  Aussi ,  comme  le  dialogue  de  La  Fascination  de  Gulfi  n'est  pas, 
à  proprement  parler,  dramatique ^  mais  est  toujours  rattaché  à  la 
forme  narrative,  les  paroles  des  Interlocuteurs  sont,  en  quelque 


DES  TITRES  D'OUVRAGES.  71 

sorte ,  des  citations  faites  par  l'auteur,  et  c'est  pourquoi  nous  avons 
cru  devoir  lesguillemeter,  comme  cela  se  fait  toutes  les  fois  qu'on 
rapporte  les  paroles  d'autrui. 

Le  Chef  des  Ases  sachant  toujours  répondre  aux  questions  qui 
lui  étaient  adressées,  et  Gulfi,  pouvant  toujours  adresser  de  nou- 
velles questions  indéfiniment,  la  victoire  ne  pouvait  se  déclarer,  non 
plus,  ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre  des  deux  jouteurs.  La  joute  devait 
donc  être  considérée  comme  une  partie  remise,  et  c'était  à  celui  qui 
répondait,  à  terminer  brusquement  l'examen,  qui^  sans  cela,  se  serait 
prolongé  à  l'infini.  Les  Ases  finirent ,  comme  ils  avaient  commencé, 
par  un  acte  de  magie ,  ou  d'enchantement  ;  et  c'est  à  cet  acte  de 
magie,  opéré  au  commencement  et  à  la  fin  de  l'histoire  qui  forme 
l'Encadrement  du  Traité ,  que  se  rapporte  le  titre  de  Fascination  de 
Gulfi,  choisi  par  Snorri  pour  cet  ouvrage  scientifique. 

§  31.  Titres  d'ouvrages  dans  rAntiquité,  en  Orient  et  au 
Moyen  âge.  —  Dans  l'Antiquité ,  au  Moyen  âge  et  en  Orient ,  les  titres 
qu'on  donnait  aux  ouvrages  n'exprimaient  que  rarement  le  contenu 
ou  la  nature  du  livre  :  le  plus  souvent  c'étaient  des  titres  de  fantaisie, 
empruntés  à  différentes  circonstances  fortuites  et  accessoires.  Quel- 
quefois, comme,  par  exemple,  pour  plusieurs  écrits  de  l'Ancien 
Testament,  le  titre  n'était  autre  que  le  premier  mot  par  lequell'ouvrage 
commençait;  ainsi  Beréschit  (Au  commencement)  désignait  la  Genèse 
ou  le  premier  livre  du  Pentateuque  ;  Vayikrâ  (Et  il  appela)  devint  le 
titre  du  Lévitique  ou  du  troisième  livre  du  Pentateuque,  etc.  Quelque- 
fois les  ouvrages  étaient  nommés  d'après  l'endroit  où  ils  étaient  censés 
avoir  été  composés  :  tels  étaient  les  Contes  Milésiens  (gr.  Milèsiaka  ; 
lat.  Milesii  sermones),  composés  ipar  Aristidès  de  Milet;  les  Nuits  at- 
tiques  {Noctes  atticœ)^  Mélanges  rédigés  par  Aulus  Gellius,  à  Athènes^ 
durant  les  longues  veillées  d'hiver;  les  Discussions  Tusculanes  (Quœs- 
tiones  Tusculanœ) ,  entretiens  philosophiques ,  qui  sont  supposés 
avoir  eu  lieu  à  la  maison  de  campagne  de  Cicéron,  à  Tusculum. 
Quelquefois  aussi  le  titre  était  une  allusion  à  une  circonstance  tout  à  fait 
fortuite,  rapportée  dans  le  livre.  Ainsi,  par  exemple,  un  drame  sanscrit, 
attribué  à  Soudrakas,  roi  d'Oudjaïni,  vers  180  de  notre  ère,  est  in- 
titulé :  Chariot  de  glaise  (sansc.  Mritchakatika) ,  parce  qu'il  y  est  dit, 
par  hasard ,  que  là  femme  Vasantaséna  a  fait  cadeau  d'un  joujou,  d'un 
petit  chariot  de  glaise,  à  l'enfant  de  sa  rivale.  Tantôt  le  titre  de  l'ouvrage 
fait  allusion ,  en  guise  de  charade ,  au  nom  propre  de  l'auteur  ;  c'est 


72  INTRODUCTION. 

ainsi,  parexemple,  qu'un  poërneidylliquedialogué,danslequel, comme 
dans  le  Nuage  Messager  (sansc.  Megha-douta),  de  Kàlidàsas,  une  jeune 
femme  regrette  l'absence  de  son  mari  volage,  est  intitulé  Cruche  brisée 
(Ghata  karparam),  par  la  raison  que  Ghala  karparas  était  le  nom 
de  l'auteur ,  qui  vivait  à  la  cour  du  roi  Vikramâdityas.  A  la  fin  de  ce 
poëme,  l'auteur  énonce  son  nom,  en  disant  qu'il  s'engage,  envers 
celui  qui  le  surpasserait  dans  l'artifice  du  langage  poétique,  à  porter 
de  l'eau  dans  une  cruche  brisée^  ou,  comme  aurait  dit  un  Grec,  à  remplir 
le  tonneau  des  Danaïdes.  Néanmoins  Ghatakarparas,  à  ce  que  rapporte 
la  tradition,  fut  vaincu,  dans  cette  joute  poétique  (voy.  p.  56),  par 
son  collègue,  le  poëte  Kâliddsas,  l'auteur  du  poëme  épique  intitulé  La 
Splendeur  de  Nalas  (sansc.  Nalaudayas).  Quelquefois  le  titre  désigne, 
par  une  expression  exagérée,  l'étendue  et  la  grandeur  de  l'ouvrage. 
Ainsi,  par  exemple,  un  Recueil  de  contes,  composé  par  Saumadaivas^ 
porte  le  titre  de  Mer  des  fleuves  du  récit  (sansc.  Kdtha-sarit-sâgara). 
Un  dictionnaire  arabe,  renfermant  60,000  mots  et  composé  par 
Medjd-eddin-Mohammed^  né  àFirouzabàd,  en  Perse,  et  mort  en  14-14  de 
notre  ère ,  porte  le  titre  pompeux  de  Océan  (arab.  Al-Kâmous)  ;  et  le 
dictionnaire  persan,  que  le  sultan d'Oude  a  fait  imprimer  en  1822  et 
qui  comprend  7  tomes,  porte  le  titre  plus  pompeux  encore  de  l'Ö- 
céan  septuple  (pers.  Heft  kolsoum).  Un  livre  classique  des  Chinois , 
renfermant  à  peu  près  10,000  mots,  est  Intitulé  le  Livre  des  10,000 
mots  (chin.  Wan-yen-yu).  Quelquefois  le  titre  est  l'expression  exa- 
gérée de  Ve/fet  que  doit  produire  l'ouvrage  sur  le  lecteur.  Ainsi,  par 
exemple,  une  comédie  attribuée  à  Kdliddsas,  et  qui  est  un  persif- 
fïage  des  Princes  et  de  leurs  parasites  les  Brahmanes ,  est  intitulée 
Mer  du  rire  (sansc.  Hâsyarnava).  Ou  bien  le  titre  est  l'expression 
indirecte  de  l'utilité  et  du  mérite  du  livre;  ainsi,  par  exemple,  un 
Recueil  bien  connu  de  sentences  morales  et  de  fables,  en  sanscrit, 
est  intitulé  Enseignement  salutaire  (sansc.  Hitaupadaiças).  Un  ouvrage 
de  morale  de  Sankaras  Atcharyas  est  intitulé  Pilon  de  V Ignorance 
(sansc.  Mauha-moudgaras  ;  cf.  lat.  Maliens  hœreticorum).  Une  dis- 
sertation philosophique,  en  pehlevi,  sur  l'origine  du  mal  et  sur  les 
devoirs  moraux ,  est  intitulée  Destruction  du  doute  (pehl.  Chekcnd- 
goumani).  Un  dictionnaire  d'extraits  des  différents  auteurs  chinois, 
porte  le  litre  de  Précieux  Miroir  pour  éclairer  l'esprit  (chin.  Ming- 
sing-pao-kien).  Un  ouvrage  sanscrit  sur  la  Mythologie  hindoue  ,  est 
'\n\\[\x\é  Miroir  des  trois  mondes  (sansc.  Traïlôkya-darpanas).  L'en- 


DES  TITRES  d'OUVRAGES.  73 

cyclopédie  composée,  au  treizième  siècle,  par  le  savant  Dominicain 
Vincent  de  Beauvais,  porte  le  titre  de  Grand  miroir  {Spéculum  majus). 
Le  Recueil  de  contes  moraux  et  allégoriques,  composé  par  Moïn- 
Eddîn-  el'Djouvaïni  y  vers  1660,  est  intitulé  Galerie  des  images 
(pers.  Nigarislan).  Enfin,  pour  citer  un  dernier  exemple,  l'édition 
complète  des  œuvres  du  poëte  persan  Cheikh  Moslih  Eddîn  Saadi , 
a  été  publiée  à  Calcutta ,  en  1 791 ,  sous  le  titre  de  Salière  poétique. 
§  32.  Titres  d'ouvrages  norrains  et  du  Traité  mytholo- 
gique de  Snorri.  —  Les  différentes  manières  d'intituler  les  livres 
se  retrouvent  également  dans  la  littérature  norraine.  En  langue  nor- 
raine,  \e  moi  bôk  (v.h.all.  bôh;  anglos.  hôk;  ^oúi.  boka),  qui  signifie 
livre^  dérive  de  hôka  (v.h.all.  hôha;  anglos.  hece;  ^T.fègos;\sLi.fagus; 
cf.  sansc.  hhourdjas;  pol.  brzoza;  russ.  bereza)^  signifiant  hêtre  ou 
bouleau^  parce  que,  originairement,  on  traçait  des  caractères  sur  le  bois, 
ou  sur  l'écorce  ou  le  liber  de  cet  arbre.  Or  ce  mot  bôk  est  du  genre  fé- 
minin. C'est  pourquoi  la  plupart  des  livres  norrains  portent  un  nom 
ou  un  titre  féminin.  Ainsi  le  neveu  de  Snorri  y  Olaf,  surnommé  le 
Poëte  blanc  (norr.  Hvita-skald) ,  a  donné  au  Recueil  des  écrits  de 
son  oncle,  qu'il  avait  composé,  et  dont  le  premier  exposait  d'anciennes 
histoires  mythologiques ,  le  titre  de  Grand'mère  (norr.  Edda  ;  voy. 
p.  39),  parce  que  ce  premier  écrit,  qui  est  le  G?///(5f^m/imi7,  renferme  des 
récits  comme  en  faisaient  ordinairement  les  personnes  âgées.  Le  plus 
ancien  Code  de  lois  des  Islandais,  recueilli  d'abord  en  1118  par 
l'homme  de  loi  (norr.  Lag-madr)  Bergthôr,  fils  de  Rafn,  et  ensuite 
revu  et  augmenté ,  de  1123  à  1135 ,  par  le  successeur  de  Bergthôr^ 
le  savant  Gudmund,  fils  de  Thôrgeir,  fut  intitulé  V  Oie  grise  (norr. 
Grâ-gâs),  parce  que  ce  recueil  renfermait,  à  ce  qu'on  prétendait ,  des 
lois  et  des  coutumes  très-anciennes,  et  que  l'oie  grise ,  à  laquelle  on 
attribuait,  dans  le  Nord,  une /ow^<^íí;//e  plus  grande  encore  qu'au  cor- 
beau ,  y  passait  naturellement  pour  le  symbole  de  la  vieillesse  ou  de 
l'ancienneté.  La  courte  biographie  des  cinq  premiers  évêques  rési- 
dant à  Skalholt,  en  Islande,  [wi'múixúéQ  Excite-appétit  (novr.  Hungí'- 
vaka),  parce  que  cet  ouvrage  devait,  en  quelque  sorte,  donner 
envie  de  connaître  la  suite  de  cette  histoire  (voy.  Biskupa-sogur  1, 57  - 
86).  Un  recueil  encyclopédique  du  douzième  siècle,  renfermant  des 
curiosités  physiques  et  géographiques ,  et  des  règles  de  conduite 
pour  les  hommes  de  cour,  porte  le  titre  de  Miroir  royal  (norr.  Ko- 
niuigs-skuggsid).  L'ouvrage  historique  de  Snorri,  qui  traite  des  rois 


74  INTRODUCTION. 

de  Suède  et  des  rois  de  Norvège,  depuis  les  temps  mythiques  jusqu'à 
Magnus,  fils  d'Erling,  vers  1176,  et  qui,  dans  les  manuscrits,  porte 
le  titre  de  Vies  des  Rois  de  Norvège  (Æfi  Noregs  konunga),  ou  His- 
toires des  Rois  de  Norvège  (Noregs  konunga  sögur)^  a  reçu  plus  tard, 
peut-être  du  neveu  de  Snorri,  le  titre  de  Heimskringla  {Cercle  du 
Monde),  soit  parce  que  cet  ouvrage,  après  la  préface,  commence 
par  les  mots  :  «  //  est  dit  que  dans  ce  Cercle  du  Monde,  etc.,  »  soit 
qu'on  voulût  exprimer,  parce  titre,  que  cet  ouvrage  renfermait  une 
grande  partie  de  l'histoire  du  Monde. 

Le  titre  de  Fascination  de  Gulfi,  que  porte  le  Traité  mythologique 
de  Snorri ,  ne  se  rapporte  pas  au  fond  de  l'ouvrage ,  mais  seulement 
à  une  particularité  de  ï Encadrement.  Les  Ases  étant ,  selon  l'opinion 
de  Snorri,  des  imposteurs  et  de  grands  magiciens  (voy.  p.  46),  ils 
purent  prévoir,  par  leur  science  surnaturelle,  l'arrivée  de  Gulli  et  en 
connaître  d'avance  le  motif  véritable.  Aussi  se  mirent-ils  en  mesure 
de  lui  en  imposer  et  de  se  jouer  de  lui,  en  le  recevant  dans  un  château 
merveilleux,  qu'ils  créèrent  exprès  par  enchantement.  Gulfi,  dès 
son  entrée  dans  ce  château ,  et  jusqu'à  la  fin  de  son  entretien  avec 
Odinn  (Sublime),  était  fasciné  et  dans  une  complète  illusion  sur  la 
réalité  des  choses  merveilleuses  qu'il  y  voyait.  Mais  ce  qui  lui  prouva, 
à  la  fin,  qu'il  avait  eu  à  faire  à  la  magie  et  à  l'enchantement,  et  qu'il 
avait  été  dans  l'illusion  ou  dans  h  fascination,  c'est  que,  tout  à  coup, 
les  objets  et  les  personnes,  dont  il  avait  été  entouré  jusqu'alors,  dispa- 
rurent en  un  clin  d'œil.  C'est  à  celte  fascination ,  à  laquelle  Gulfi 
avait  été  en  butte ,  que  se  rapporte  le  titre  de  Fascination  de  Gulfi. 
Ce  titre  a  été  choisi  probablement  par  Snorri  lui-même  ;  cependant 
il  n'a  pas  été  transmis  par  tous  les  manuscrits ,  ni  même  connu  gé- 
néralement au  quatorzième  siècle ,  puisque  le  Manuscrit  d'Upsal , 
qui  date  de  ce  siècle ,  désigne  le  Traité  de  Snorri  vaguement  par  les 
mois  Des  Ases  etd'Ýmir,  bien  que,  du  reste,  il  renferme  aussi  le  titre 
de  La  Fascination  de  Gulfi  (voy.  p.  32).  C'est  sans  doute  déjà  dans  ce 
même  siècle,  qu'on  a  ajouté  d'abord,  comme  second  titre,  etsubstitué 
ensuite  exclusivement,  au  titre  primitif  de  La  Fascination  de  Gulfi,  un 
autre  titre,  savoir  celui  de  Mensonge  de  Sublime  (norr.  Hdrslygï).  Ce  der- 
nier ne  se  rapportait  pas,  comme  celuideZ/«FûScmfl//o/iaeGM//i,  à  l'En- 
cadrement, mais  au  fond  même  du  traité  et  aux  mythes  qui  y  étaient  ex- 
posés. C'est  que  le  dogmatisme  théologique  de  cette  époque  s'expliqua 
l'ancien  litre,  choisi  par  Snorri,  comme  exprimant,  non  pas  Villusion 


LE  TITRE  DE  FASCINATION  DE  GULFI.  Í5 

à  laquelle  Giilfi  avait  été  en  butte  dans  l'Enclos-des-Ases  à  Odinsey , 
mais  plutôt  la  fascination  diabolique  dans  laquelle  le  tenait  le  magi- 
cien Odinn,  surnommé  le  Sublime  (norr.  Hdr)^  fascination  qui  fut 
cause  que  Gulfi  a  ajouté  foi  aux  mensonges  abominables  de  la  Mytho- 
logie païenne,  ou  aux  mensonges  débités  par  Sublime.  Aussi  a-t-on  cru 
devoir  encore  donner  à  ces  mythes  le  titre  de  Mensonge  de  Sublime. 

Si  l'on  appelle  Fables  des  récils  inventés  exprès  dans  un  but  didactique 
ou  littéraire,  les  Mythes,  qui  expriment  des  Intuitions  et  des  Con- 
ceptions qu'on  croyait  vraies.,  ne  sauraient  être  appelées  des  fables 
(bien  qu'on  leur  ait  donné  faussement  ce  nom)  ;  ils  sont  plutôt  des  In- 
tuitions et  des  Conceptions  plus  ou  moins  erronées,  ou  des  Erreurs 
qu'on  supposait  être  des  vérités.  La  Fable,  autrement  appelée  V Apo- 
logue, diffère  de  la  Parabole  ou  Similitude,  en  ce  que  laParabole  est  le 
récit  d'un  fait  imaginé,  qui ,  par  saressemblance  avec  le  fait  ou  la  vérité  à 
enseigner,  doit  d'autant  mieux  faire  ressortir  les  caractères  de  ce  fait 
ou  de  cette  vérité.  C'est  ainsi,  par  exemple ,  que  Jésus,  pour  faire  res- 
sortir les  résultats  divers  de  l'Enseignement ,  montre  la  ressemblance 
qui  existe  entre  l'enseignement  et  l'ensemencement,  et,  à  cet  effet,  il 
raconte  la  Similitude  ou  la  Parabole  du  Semeur.  L'Apologue,  au  con- 
traire, ne  repose  pas  sur  la  conclusion  à  tirer  de  la  similitude  existant 
entre  deux  faits ,  mais  sur  la  morale  à  tirer,  en  général,  du  récit  d'un 
fait  particulier.  Il  ne  faut  pas  croire  les  flatteurs,  voilà  la  vérité  géné- 
rale à  tirer  du  fait  particulier  raconté  dans  l'apologue  :  Le  Renard  et 
le  Corbeau.  La  Parabole  diffère  encore  de  l'Apologue  en  ce  que  le 
récit  de  la  Parabole  a  toute  la  vraisemblance  de  la  vie  réelle,  tandis 
que  le  récit  de  l'Apologue  est  loin  de  rejeter  le  merveilleux  ou 
d'exclure  le  surnaturel  et  l'impossible. 

Les  anciens  peuples  de  la  branche  gète ,  les  Germains  et  les  Scan- 
dinaves, distinguaient,  au  moins  quant  aux  termes,  entre  les 3/^/te 
et  les  Fables.  Les  Scandinaves  employaient  encore  le  nom  de  Mal 
(Dit)  pour  désigner  une  tradition  mythologique  en  prose,  et  le 
nom  de  Soguliôth  (Chant  de  tradition)  pour  désigner  un  Mythe  en 
z;ers.  Les  Fables ,  soit  Apologues  ou  Paraboles,  étaient  désignées,  par 
les  Goths,  sous  les  noms  de  Ga-juko  (Gon -jointe,  Com- parée, 
Semblable),  qui  signifiait  Similitude,  et  de  Fris-ahts  (Épreuve  d'at- 
tention) ,  qui  signifiait  Enigme  et  Parabole. 

Après  l'introduction  du  Christianisme  dans  les  pays  du  Nord,  la 
Parabole ,  dont  on  trouvait  plusieurs  exemples  parfaits  dans  le  Nou- 


76  INTRODUCTION. 

veau  Testament,  absorba  presque  entièrement  l'Apologue  proprement 
dit,  de  sorte  que,  dans  la  langue  norraine,  le  nom  de  Dœmi-saga 
(Récit-Exemple) ,  qui  désignait  originairement  la  Parabole  ou  la  Si- 
militude, devint  un  nom  générique,  servant  à  désigner  également 
V Apologue  ou  la  Fable.  Or,  comme,  depuis  la  Renaissance,  les  éru- 
dits  de  l'Europe  méridionale  avaient  appelé  Fables  (lat.  Fabulœ)  la 
Mythologie  classique ,  il  arriva  que ,  dans  le  Nord ,  on  désignait  aussi 
la  Mythologie  Scandinave  sous  le  nom  de  Dœmi-sögur  (Récits-Fables)  ; 
et  c'est  pourquoi,  dès  le  seizième  siècle,  on  donnait  aussi  au  Traité 
de  La  Fascination  de  Gulfi,  ou  du  Mensonge  de  Sublime,  le  titre  plus 
général  et  plus  abstrait  de  Dœmi-sögur  (Récits  fabuleux  ;  Mythes). 


^«oîOîo 


TRADUCTION  DU  GYLFAGINNTNG.  77 

IL 
DEUXIÈME  PARTIE  DE  L'OIVRAGE. 


LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

1.  Un  roi,  Gulfi  (norr.  Gylfi),  gouverna  des  contrées  là  où  est 
ce  qu'on  appelle  maintenant  la  Nation -Svie.  On  rapporte  de  lui 
qu'à  une  Femme-ambulante,  il  abandonna,  en  récompense  de  son 
divertissement,  autant  de  terre  labourable,  dans  son  domaine,  que 
quatre  bœufs  laboureraient  en  un  jour  et  une  nuit.  Or,  cette  femme 
en  était  une  de  la  race  des  Ases;  elle  est  nommée  Gàfion  (norr.  Ge- 
fiun,  Aime  -  l'Abîme)  '  ;  elle  prit  au  Nord,  au  Séjour-des-Iotnes 
(norr.  lötun-heim),  quatre  bœufs,  issus  d'un  lotne  et  d'elle-même, 
et  les  attela  à  la  charrue.  Mais  la  charrue  alla  si  fortement  et  si  pro- 
fondément, que  le  terrain  fut  arraché.  Les  bœufs  entraînèrent  ce 
terrain  dehors,  dans  la  Mer,  vers  l'ouest,  et  ils  firent  halte  dans  un 
détroit.  Là ,  Gàfion  fixa  ce  terrain  et  lui  donna  un  nom,  et  l'appela 
Bocage-de-Mer  (norr.  Sœlund).  Et  à  l'endroit  où  le  terrain  avait  été 
arraché  ,  il  y  eut ,  après,  de  l'eau  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  maintenant 
le  Lac  (norr.  Logr)  chez  la  Nation-Svie  ;  et ,  dans  cp  lac ,  les  enfon- 
cements correspondent  aux  promontoires  dans  Bocage-de-Mer.  Voici 
ce  qu'énonce  le  skalde  Bragi  le  Vieux  : 

«A  Gulfi,  libéral  de  son  Roux  de  l'Abîme,  Gâfîun  ,  enleva,  joyeuse, 
«L'Accrue  de  la  Marche-Dane,  si  bien  qu'ardents  à  courrir  ils  fumaient, 
«(En  trottant  devant  la  vaste  Dépouille,  matière  de  l'Ile  agréable) 
«Ces  bœufs,  portant,  avec  huit  lunes-frontales,  quatre  têtes.»  (1) 

1.  Notre  traduction,  devant  être  la  reproduction  fidèle  du  texte  norrain,  évitera, 
par  rapport  à  l'explication  des  noms  propres,  de  faire  paraître  Snorri  ni  plus  savant, 
ni  moins  savant  qu'il  n'a  été  réellement.  C'est  pourquoi  toutes  les  fois  que  nous 
jugeons  que  cet  auteur  a  connu  la  signification  d'un  nom  propie,  nous  mettons  Vex- 
plication  de  ce  nom  dans  notre  traduction,  et  nous  ajoutons,  entre  parenthèse ,  le 
nom  norrain.  Au  contraire ,  lorsque  nous  avons  lieu  de  croire  que  Snorri  a  ignoré  la 
signification  d'un  nom  propre ,  nous  maintenons  à  sa  place  le  nom  norrain  et  nous 
ajoutons,  entre  parenthèse ,  notre  explication  de  ce  ïiom. 


78  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

2.  Le  roi  Gulfi  était  un  homme  avisé  et  versé  en  magie.  Il  s'é- 
tonnait beaucoup  que  la  bande  des  Ases  fût  tellement  versée ,  que 
toutes  choses  leur  allaient  à  souhait.  Il  examina  en  lui-même  si  cela 
tenait  à  leur  propre  nature,  ou  si  les  Divinités  puissantes,  auxquelles 
ils  sacrifiaient ,  en  étaient  la  cause.  Il  entreprit  un  voyage  à  Enclos- 
des-Ases  (norr.  Asgardr),  et  il  partit  en  secret,  et  revêtit  l'extérieur 
d'un  homme  vieux,  et  se  déguisa  ainsi.  Mais  les  Ases  étaient  d'au- 
tant plus  prévoyants  qu'ils  usaient  de  divination  ,  et  ils  s'aperçurent 
de  son  voyage  avant  que  lui-même  ne  fût  arrivé  ;  et  ils  préparèrent 
contre  lui  des  illusions  de  vue.  Aussi,  quand  il  entra  dans  l'Enceinte, 
il  y  vit  une  halle  tellement  haute ,  qu'à  peine  il  put  voir  jusqu'au- 
dessus  d'elle;  le  toit  en  était  formé  de  boucliers  d'or,  à  l'instar  d'un 
toit  de  bardeau.  Voici  comment  Thiôdôlf  de  Hvin  énonce  que  la 
Halle-des-Occis  (norr.  Valhöll)  était  couverte  de  boucliers  : 

«Attaqués,  qu'ils  étaient  à  coups  de  pierres,  les  Héros  précautionnés, 
«Firent  reluire ,  sur  leur  dos ,  les  Écorces  de  Bouleau  de  la  Salle  de 

Svafnir.  »  (2) 

Gulfi  vit,  sous  la  porte  de  la  Halle,  un  homme  qui  jouait  avec  des 
couteaux  à  main,  dont  il  avait  en  l'air  sept  à  la  fois.  Celui-ci,  tout 
d'abord,  lui  demanda  son  nom.  Il  déclara  se  nommer  Piétonneur 
(norr.  Gangleri)  et  arriver  des  Sentiers  détournés  (norr.  Rœfilsstigur). 
Il  demanda  qu'on  lui  assignât  un  gîte  pour  la  nuit,  et  il  s'informa  à 
qui  appartenait  cette  halle.  L'autre  répond  :  que  c'était  à  leur  Roi. 
«Je  puis  même  t'accompagner  pour  te  le  faire  voir;  alors,  toi-même, 
«tu  pourras  lui  demander  son  nom.»  Là-dessus,  cet  homme,  se 
retournant,  alla,  devant  lui,  dans  l'intérieur  de  la  halle,  et  l'autre  le 
suivit;  et  aussitôt  les  portes  se  fermèrent  sur  son  talon.  Là,  celui- 
ci  vit  mainte  allée  et  mainte  bande;  les  uns  jouaient,  les  autres  bu- 
vaient, quelques-uns  étaient  en  armes  et  combattaient.  Alors  il 
examina  tout,  autour  de  lui;  et  maintes  choses,  qu'il  vit,  lui  parurent 
incroyables;  alors  il  se  dit  : 

«Toutes  les  entrées,  avant  qu'on  n'avance, 

«Doivent  être  explorées  ; 
«Car  on  ne  peut  savoir  ,  pour  sûr,  s'il  n'y  a  pas  d'ennemis 

«Embusqués  dans  la  demeure.  »  (3) 

Il  vit  trois  sièges  élevés  et  placés  l'un  au  delà  de  l'autre,  et  trois 
hommes  y  siégeaient,  un  dans  chacun.  Alors  il  demanda  quels  étaient 


GULFi;  sublime;  père  universel.  79 

les  noms  de  ces  Chefs,  Celui  qui  l'introduisit  répond  :  que  celui  qui 
est  assis  dans  le  siège  élevé  le  plus  proche,  était  le  Roi;  qu'il  se 
nomme  Sublime  (norr.  Hdr)  ;  que  celui  qui  est  le  plus  près  de  lui 
se  nomme  Equi-Suhlime  (norr.  lafnhâr) ,  et  que  le  plus  éloigné  se 
nomme  Troisième  (norr.  Thridi).  —  Alors  Sublime  demande  à  l'Ar- 
rivé quelle  est,  principalement,  son  affaixe,  puisque  le  manger  et  le  boire 
lui  reviennent  de  droit  comme  à  tout  le  monde,  ici  dans  la  Halle  du 
Très-haut  (norr.  Hâvi).  Celui-ci  déclare  qu'il  veut  surtout  examiner 
s'il  y  a  ici  quelque  homme  savant.  Sublime  lui  déclare  qu'il  ne  sor- 
tira pas  sain  et  sauf,  à  moins  qu'il  ne  soit  le  plus  savant,  et: 

«Tiens-toi  debout,  pendant  que  tu  interroges; 
«Celui  qui  répond  restera  assis.»  (4) 

3.  Piétonneur  commence  ainsi  son  interrogation  : 

((  Quel  est  le  plus  grand  et  le  plus  ancien  des  dieux  ?  » 

Sublime  répond  : 

«Il  se  nomme  Père  Universel  (norr.  AllfÖdr),  dans  notre  langage; 
«mais  dans  l'ancien  Enclos-des-Ases,  il  avait  12  noms  :  le  premier 
«en  est  Père  Universel,  le  second  Herran  ou  Herian  (Aime-Troupe), 
«  le  troisième  est  Nikar  ou  Hnikar  (Hennisseur)  ;  le  quatrième  est 
«  Nikuz  ou  Hnikudr  (Vent-Hennissant)  ;  le  cinquième  Fiölnir  (Ca- 
«  ché)  ;  le  sixième  Oski  (A-souhait)  ;  le  septième  Omi  (Chuchoteur); 
«  le  huitième  Bif-ltdi  ou  ////"-/mrf^XLéger-Frémissement);  le  neuvième 
iiSvidur  (Fascination);  le  dixième  Svidrir  (Magicien)  ;  le  onzième 
«  Firfnr  (Tempétueux)  ;  le  douzième  lalg  onlalkr  (Effervescent).  »  (5). 

Alors  Piétonneur  demande  : 

«Où  est  ce  dieu?;  et  que  peut-il?;  et  quelles  œuvres  de  distinction 
«a-t-il  accomplies?» 

Sublimée  répond  : 

«11  vit  dans  tous  les  âges  et  gouverne  tout  son  Empire,  et  prend 
«  soin  de  toutes  choses  grandes  et  petites.  » 

Alors  Equi-Sublime  ajoute  : 

«Il  a  confectionné  le  ciel  et  la  terre  et  l'air,  et  tout  ce  qui  leur 
«  appartient.  » 

Alors  Troisième  ajouta  : 

«Le  principal  est  qu'il  a  fait  l'homme,  et  lui  a  donné  l'âme  qui 
«  vivra  et  jamais  ne  périra ,  bien  que  le  corps  se  dissolve  en  pous- 
«  sière  ou  soit  brûlé  à  cendre  :  et  tous  les  hommes  convenablement 


80  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«  moraux  vivront,  et  seront,  auprès  de  sa  personne ,  là  où  est  ce  que 
((  qu'on  appelle  Y  Etincelant  (norr.  Gimli)  ou  Y  Allée  Agréable  (norr. 
i(  Vingolf);  mais  les  hommes  intraitables  descendent  chez  fíel^  et,  de 
«là,  dans  le  Hel-Brumeuæ  (norr.  Niflhel),  qui  est,  en  bas,  dans  le 
c(  neuvième  Séjour.  »  (6) 

Alors  Piélonneur  demanda  :. 

«De  quoi  s'occupait-il  avant  que  le  ciel  et  la  terre  fussent  faits?» 

Alors  Sublime  répond  : 

«  Il  était  alors  avec  les  Thurses-Givreux  (norr.  Hrimihursai\)yt  (7) 

4.  Piétonneur  demanda  : 

«  Quel  était  le  Commencement?;  et  comment  celaa-t-il  commencé?; 
«  et  qu'y  avait-il  antérieurement?» 

Sublime  répond  : 

«  Ainsi  qu'il  est  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  (norr.  Volnspâ)  : 

«((C'était  à  l'Aurore  des  âges  que  Rien  n'était; 

««Il  n'y  avait  ni  Sable,  ni  Mer,  ni  Ondes  fraîches; 

««Il  ne  se  trouvait  pas  de  Terre  ni  de  Ciel  élevé; 

««Il  y  avait  le  Bâillement-des-Mâchoires,  mais  de  l'herbe  nulle  part.»» 

Alors  Equi- Sublime  ajouta  : 

«  Maints  âges  avant  que  la  terre  fut  créée ,  il  existait  déjà  le  Sé- 
i( jour-Brumeux  (norr.  Niflheimr)^  au  milieu  duquel  se  trouve  le  Puits 
«qui  est  appelé  Bassin-Bruyant  (norr.  Hver  Gelmir)^  et  de  là  se 
«  projettent  les  Eaux  qui  sont  ainsi  nommées  :  Svöl  (Froide) ,  Gun- 
«  thra  (Belliqueuse),  Fiorm  (Chargée),  Fimbul  (Étourdissante) ,  Thul 
a  (Murmurante) ,  Slidur  (Lente) ,  et  Hrtth  (Brusque) ,  Sylgur  (En- 
«  gloutissante)  et  Ylgur  (Hurlante) ,  Vîd  (Large) ,  Leiptur  (Jaillis- 
«  santé)  et  Giöll  (Retentissante),  laquelle  est  le  plus  près  des  Grilles 
«  de  Hel  (norr.  Helgrind).  » 

Alors  Troisième  ajouta  : 

«Antérieurement,  cependant,  existait  dans  la  Section  du  sud,  le 
«Séjour  qui  est  nommé  Muspell  (Gâte-Monde);  il  est  brillant  et 
«  chaud ,  au  point  qu'il  est  flambant  et  brûlant  :  aussi  est-il  inacces- 
«  sible  à  ceux  qui  lui  sont  étrangers  et  n'y  ont  pas  leur  séjour  héré- 
«  ditaire.  C'est  le  nommé  Surtur  (Noirci)  qui  réside  à  l'extrémité  du 
«Pays,  pour  la  défense  du  Pays;  il  a  une  épée  flambante;  et,  à  la  fin 
«du  monde,  il  s'avancera  pour  tout  ravager  et  pour  vaincre  tous  les 
«  Dieux  et  consumer  le  Séjour  entier  par  le  feu  :  ainsi  est-il  dit  dans 
«  la  Vision  de  la  Louve  : 


LE  SÉJOUR  BRUMEUX  ;  LE  BÂILLEMENT  DES  MÂCHOIRES.  81 

««Surtur  s'élance  du  Sud  avec  le  Feu  des  glaives, 

«((Le  soleil  resplendit  sur  Fépée  des  Héros  d'occision; 

«((  Les  montagnes  de  roche  s'écroulent,  les  Géantes  se  précipitent; 

<i«  Les  Ombres  foulent  le  chemin  de  Hel  ;  puis ,  le  ciel  se  fend.  »»  (8) 

5.  Piétonneur  demanda  : 

c(  Comment  cela  était-il  arrangé  avant  que  les  Races  eussent  pris 
((  naissance  et  que  la  foule  des  hommes  se  fût  multipliée  ?  » 

Alors  Sublime  répondit  : 

«Les  Eaux  qui  sont  appelées  Vagues  Tempétueuses  (norr.  Elivâ- 
ff^gar),  lorsqu'elles  se  furent  tellement  éloignées  de  leur  source  que 
(de  ferment  venimeux  liquide,  qui  s'y  trouvait,  s'endurcit,  il  s'en 
((  forma  de  la  glace  ;  et  quand  cette  glace  se  fixa  et  ne  coula  plus ,  alors 
(d'humidité  qui  provenait  du  venin,  se  répandit  par-dessus,  et  se 
((  congela  en  givre  ;  et  les  givres  s'amoncelèrent  les  uns  au-dessus 
((des  autres,  dans  le  Bâillement-des-Mâchoires  (Ginnunga-gap). » 

Alors  Équi-Sublime  ajouta.* 

((  Le  Bâillement-des-MâchoireSy  du  côté  tourné  vers  la  région  du  Nord, 
((  se  remplit  d'une  masse  épaisse  et  lourde  de  glace  et  de  givre ,  et , 
«en  dedans,  d'humidité  et  de  vents  froids;  ensuite  la  partie  méri- 
((  dionale  du  Bâillement-des-Mâchoires  se  dégela  à  la  rencontre  des 
«étincelles  et  des  paillettes  qui  s'envolaient  du  Séjour-de-Mu^pell 
«  (norr.  Muspellskeimr ,  Séjour  de  Gâte-Monde).  » 

Alors  Troisième  ajouta  : 

€  De  même  que  du  Séjour-Brumeux  provenait  le  Froid  et  toutes 
«les  Choses  glacées,  de  même,  ce  qui  était  tourné  vers  le  voisi- 
«  nage  de  Muspell  (Gâte-Monde) ,  était  chaud  et  luisant.  Aussi  le 
«  Bâillement-des-Mâchoires  était-il  tiède,  comme  l'air  calme ,  là  où  le 
«souffle  de  la  chaleur  atteignit  le  givre,  de  sorte  qu'il  s'amollit  et 
«  se  fondit  en  gouttes  ;  et  par  ces  gouttes  vives  il  fut  vivifié  avec  la 
«  puissance  du  souffle  qu'envoya  la  chaleur ,  et  il  se  forma  une  figure 
«  d'homme  ;  et  ce  fut  le  nommé  Ymir  (Murmurant),  le  même  que  les 
«  Thurses-Givreux  appellent  Or-Gelmir  (Très-Bruyant)  ;  et  les  races 
«des  Thurses-Givreux  en  sont  provenues,  ainsi  qu'il  est  dit  dans  la 
«  Petite  Vision  de  la  Louve  : 

««Toutes  les  Louves  proviennent  de  Loup-du-Bois  (Vid-olfr); 
««Tous  les  Sorciers  de  Bois-de- Malheur  (Vil-meidr); 
««Mais  les  Porte-Crible  de  Tête-Noire  (Svart-höfthi), 
««iîi  tous  les  Jotnes  de  Ymir.))M 

6 


82  .        LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«Voici  encore  ce  que  répondit  l'Iotne  Vafihrûdnir,  lorsque  Mar- 
«  cheur  (Gangleri)  lui  demanda  : 

«D'où  est-il  venu,  Or-Gelmir^  parmi  les  Fils  des  lotnes, 
«Au  commencement?  lotne  savant!»  : 

««Lorsque  des  Vagues-Tempétueuses  jaillirent  les  Gouttes  de  venin , 
««Cela  grandit  jusqu'à  ce  qu'il  en  sortit  un  lotne  ; 

««  A  lui  remontent  ensemble  toutes  nos  Races; 
««C'est  pourquoi ,  toutes,  sont  toujours  par  trop  féroces.»»  (9) 

Alors  Piétonneur  demanda  : 

«Comment  les  Races  s'augmentèrent  -  elles  ensemble  après? 
«  Comment  s'est-il  fait  qu'il  y  eût  plusieurs  individus?  —  et  le  crois- 
«  tu  Dieu  celui  dont  tu  viens  de  parler  ?  » 

Alors  Sublime  répondit  : 

«D'aucune  façon  nous  n'affirmons  qu'il  soit  Dieu  ;  il  était  méchant, 
«de  même  que  tous  les  individus  de  sa  race,  que  nous  appelons 
«  Thurses-Givreux ;  et  il  est  dit  que,  lorsqu'il  dormit,  il  lui  prit  une 
«sueur;  alors  il  lui  naquit,  sous  la  main  gauche,  un  Homme  et  une 
«Femme ;  et  un  pied  engendra,  avec  l'autre,  un  Fils;  et  de  là  pro- 
«  vinrent  les  Races;  ce  sont  les  Thurses-Givreux;  le  vieux  Thurse- 
«  Givreux,  c'est  celui  que  nous  appelons  Ymir  (Murmurant).»  (10) 
,6.  Alors  Piétonneur  demanda  : 

«Où  s'établit  Ymir?  et  de  quoi  vivait-il?» 

Alors  Sublime  répondit  : 

,«  Lorsque  le  Givre  fondit  en  gouttes,  il  arriva  aussitôt  qu'il  en  na- 
«  quit  la  Vache  qui  est  appelée  Aud-humla  (Bourdonne-du-Désert)  ; 
«  quatre  torrents  de  lait  coulèrent  de  ses  trayons,  et  elle  nourrit  Ymir 
(Murmurant).  »(11) 

Alors  Piétonneur  demanda  : 

«  De  quoi  se  nourrissait  la  Vache  ?  »      • 

Sublime  répond  : 

«Elle  léchait  les  roches  de  givre  qui  étaient  salées;  et,  le  premier 
«jour  qu'elle  lécha  ces  roches ,  il  sortit  d'une  roche,  sur  le  soir,  la 
«chevelure  d'un  homme;  le  jour  suivant,  la  tête  de  l'homme;  le 
«troisième  jour,  il  y  avait  l'homme  tout  entier:  c'est  le  nommé 
«  Buri  (Manant)  ;  il  était  beau  de  visage ,  grand  et  puissant.  Il  en- 
«gendra  le  fils  qui  s'appelait  Bor  (Fils);  celui-ci  épousa  la  femme 
«qui  s'appelait  Beitsla  (Pousse-Grain),  la  fille  de  l'Iotne  Böl-Thorn 
«(Épine  Malfaisante;  Malespine);  et  ils  eurent  ensemble  trois  fils  : 


AUDHUMLA  ;  BURi;  BÖR  ET  SES  FILS.  83 

«  l'un  s'appelait  Odinn  (Agitant),  l'autre  Vili  (Désiré),  le  troisième  Vê 
«c  (Sacré)  ;  et  c'est  là  ma  croyance  que  cet  Odinn-c\,  avec  ses  frères, 
c(va  être  le  Gouverneur  du  Ciel  et  de  la  Terre;  nous  pensons  qu'il 
(Í  puisse  être  ainsi  appelé  ;  ainsi  est  appelé  l'Homme  que  nous  con- 
«  sidérons  comme  le  plus  grand  et  le  plus  illustre;  —  et  on  peut  bien 
ce  lui  laisser  ce  nom.  »  (12) 

7.  Alors  Piétonneur  demanda  : 

«  Qu'est-ce  qui  maintint  alors  la  paix  entre  eux?  ;  ou  bien  lesquels 
«  furent  les  plus  puissants  ?  » 

Alors  Sublime  répond  : 

«Les Fils  de  Bör  frappèrent  à  mort  l'Iotne  Ymir  (Murmurant) ;  et 
((  lorsqu'il  tomba  ,  il  découla  de  ses  blessures  tant  de  sang ,  qu'ils  y 
«  noyèrent  toute  la  race  des  Thurses-Givreux ,  à  l'exception  d'un  seul, 
«qui  échappa  avec  sa  femme;  les  lotnes  le  nomment  Ber-Gelmir 
c(  (Entièrement-Bruyant)  ;  il  monta  sur  une  outre,  avec  sa  femme,  et 
«  se  sauva  là-dessus ,  si  bien  que  de  lui  sont  provenues  les  Races  des 
a  Thurses-Givreux ,  ainsi  qu'il  est  dit  ici  : 

««Dans  la  rigueur  des  hivers ,  avant  que  la  terre  fût  formée, 

««Ber-Gelmir  fut  engendré  ; 
««Mon  plus  ancien  souvenir,  c'est  que  cet  lotne  intelligent 

««Fut  placé  sur  une  outre.»»  (13) 

8.  Alors  Piétonneur  reprend  : 

a  Qu'entreprirent  alors  les  Fils  de  Bor,  si  tu  crois  qu'ils  sont  des 
((  dieux  ?  » 

Sublime  dit  : 

«  Il  n'y  a  pas  peu  de  choses  à  dire  d'eux  :  ils  prirent  Ymir  (Mur- 
ce  murant)  et  le  traînèrent  au  milieu  du  Bâillement-des-Mâchoires , 
c(  et  firent  de  lui  la  Terre ,  et  de  son  sang  la  Mer  et  les  lacs  ;  la  terre 
c(  fut  faite  de  sa  chair ,  les  rochers  de  ses  os  ;  les  pierres  et  les  mo- 
«  raines ,  ils  les  firent  de  ses  dents,  et  de  ses  molaires,  et  de  ses  os  qui 
«avaient  été  brisés.» 

Alors  Equi-Sublime  ajouta  : 

«  Du  sang  qui  s'échappa  des  blessures  et  coula  librement ,  ils  en 
«  firent  la  Mer ,  avec  laquelle  ils  ceignirent  et  continrent  ensemble 
«la  Terre;  et  ils  placèrent  cette  Mer  en  anneau  autour  d'elle;  à  la 
«  plupart  des  hommes  il  doit  paraître  impossible  de  la  franchir.  » 

Alors  Troisième  ajouta  : 

«  Ils  prirent  aussi  son  crâne  el  en  firent  le  Ciel ,  qu'ils  placèrent 


84  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«  au-dessus  de  la  Terre ,  sur  quatre  bouts  ;  et ,  dans  chaque  coin ,  ils 
c(  placèrent  un  Dverg  (Nain)  ;  ceux-ci  se  nomment  ainsi  :  Oriental 
«(Austri),  Occidental  (Vestri),  Septentrional  (Northri),  Méridional 
«  (Suthri).  Alors  ils  prirent  les  paillettes  et  les  étincelles  qui  volti- 
ge geaient  librement  et  avaient  été  lancées  du  Séjour  -  de  -  Muspell 
<L(Muspels-heimr,  Séjour  de  Gâte-Monde),  et  ils  les  placèrent  vers 
«le  milieu  de  l'Abîme,  au  ciel,  tant  en  haut  qu'en  bas,  pour 
«  éclairer  le  Ciel  et  la  Terre.  Ils  assignèrent  une  demeure  à  tous  ces 
«Feux;  à  quelques-uns  dans  le  ciel;  d'autres  erraient  librement 
«  sous  le  ciel  ;  ils  leur  assignèrent  aussi  une  demeure  et  détermi- 
«  nèrent  leur  course.  Ceci  est  dit  dans  les  anciens  documents  que , 
«  par  là ,  les  journées  et  le  nombre  des  années  furent  distingués  ; 
«  ainsi  qu'il  est  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 

««SOI  ne  le  savait  pas  où  elle  avait  sa  demeure  ; 

««Mâni  ne  le  savait  pas,  quel  côté  il  occuperait; 

««Les  Étoiles  ne  le  savaient  pas  où  elles  auraient  leur  place.»» 

«Voilà  comme  c'était  avant  qu'on  n'eût  arrangé  la  Terre.»  (14) 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Ce  sont  de  grandes  Merveilles  que  je  viens  d'entendre  ;  c'est  une 
«  Œuvre  prodigieusement  grande  et  faite  avec  habileté.  » 

«  Comment  la  Terre  fut-elle  arrangée  ?  » 

Alors  Sublime  répond  : 

«Elle  est  circulaire  extérieurement,  et  autour  d'elle  se  trouve  la  Mer 
«  profonde  ;  et  les  pays  près  de  la  rive  de  la  mer ,  ils  les  donnèrent 
«à  habiter  aux  races  des  lotnes;  mais  en  deçà,  sur  la  terre ,  ils  con- 
«struisirent,  autour  du  Séjour,  une  Enceinte  contre  l'hostilité  des 
«  lotnes  ;  et  pour  cette  Enceinte  ils  employèrent  les  sourcils  de  l'Iotne 
«  Ymir  (Murmurant)  ;  et  ils  appelèrent  cette  Enceinte  YEnclos  Mi- 
(itoyen  (Mid-gardr).  Ils  prirent  aussi  sa  cervelle  et  la  jetèrent  dans 
«l'air ,  et  en  firent  les  Nuages,  ainsi  qu'il  est  dit  ici  : 

«  «De  la  chair  d'Ymir,  la  Terre  fut  formée  ;  , 

««Du  sang,  la  Mer; 
««Des  os,  les  Rochers;  des  cheveux,  les  Arbres; 

««Et  du  crâne ,  le  Ciel  : 

naMais  de  ses  sourcils,  les  Grandeurs  bénignes  firent 
i(  nL' Enclos-Mitoyen  ^  pour  les  fils  des  hommes  ; 

naEtde  sa  cervelle,  ces  sombres  Nuages 
««Furent  tous  formés.  (15) 


CRÉATION  DU  CIEL,  DE  LA  TERRE,  DE  LA  MER,  ET  DE  l'hOMME.      85 

9.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«ill  me  semble  qu'il  y  avait  alors  une  grande  besogne  de  faite 
«  quand  la  Terre  eut  été  créée ,  et  que  le  Soleil  et  les  Astres  du  ciel 
«  eurent  été  placés,  et  les  journées  distinguées.  — 

«  Mais  d'où  sont  venus  les  hommes  qui  habitent  ce  Séjour-ci  ?  » 

Alors  Sublime  répond  : 

«Lorsque  les  Fils  de  Bor  marchèrent  le  long  de  la  rive  de  la  Mer, 
«  ils  trouvèrent  deux  troncs  d'arbre  ;  et  ils  relevèrent  ces  troncs ,  et 
((  en  formèrent  des  hommes.  Le  Premier  donna  l'âme  et  la  vie  ;  le 
«Second,  l'intelligence  et  le  mouvement;  le  Troisième,  la  parole, 
«  l'ouïe  et  la  vue;  ils  leur  donnèrent  des  habits  et  des  noms.  L'homme 
i(  fut  nommé  Ask  (Frêne) ,  et  la  femme  Embla  (Orme)  ;  et  d'eux  na- 
«  quit  le  Genre  humain ,  auquel  fut  donné  une  habitation  au  dedans 
a  de  l'Enclos-Mitoyen  (Mid-gardr). 

«; Après  cela  ils  se  construisirent,  au  milieu  du  Séjour,  une  En- 
«  ceinte  qui  est  appelée  Enclos-des-Ases  (As-gardr).  Là  se  sont  établis 
(c  les  Dieux  et  leurs  races  ;  et  là  eurent  lieu  beaucoup  d'aventures  et 
«  de  disputes ,  tant  sur  terre  que  dans  l'air.  Il  y  a  un  Endroit  qui  est 
«  nommé  Hlid-skialf  (Chaumineaux  Portes)  ;  et  toutes  les  fois  qu'ö- 
«  dinn  était  assis  là ,  dans  le  siège  élevé ,  il  voyait  tous  les  Séjours , 
<k  et  l'occupation  de  tout  homme;  et  il  savait  toutes  les  choses  qu'il 
i<  avait  vues.  Sa  femme  s'appelait  Frigg  (Pluie) ,  la  fille  de  Fiorg-vin 
«  {Aime-Pluie)  ;  et  de  leur  race  est  provenue  cette  Génération  que 
<i  nous  appelons  les  Familles  des  Ases  (Soutiens),  qui  ont  habité  l'an- 
«  cien  Enclos-des-Ases  et  les  Empires  qui  en  font  partie  ;  et  toute  cette 
«  Famille  est  de  race  divine.  Aussi  mérite-t-il  qu'on  l'appelle  Père 
«  Universel,  puisqu'il  est  le  Père  de  tous  les  Dieux,  des  hommes  et 
«  de  tout  ce  qui  a  été  accompli  par  lui  et  par  son  énergie.  Cette  Terre 
<i  {lord)  était  sa  fille  et  sa  femme  ;  et  il  se  fit  d'elle  son  premier  fils , 
<.(  qui  est  Thôr-des-Ases  ;  il  fut  doué  de  force  et  de  vigueur  ;  par 
<i  là  il  vainc  tous  les  vivants.  »  (16) 

10.  iiNörvi  ou  Narvi  (Crépusculaire)  était  le  nom  d'un  lotne  qui 
<i  habitait  les  Séjours-des-Iotnes.  Il  avait  une  Fille  qui  s'appelait  Nuil 
a  (Nôtt).  Elle  était  noire  et  sombre  comme  la  race  dont  elle  prove- 
«  venait  ;  elle  fut  mariée  à  l'homme  qui  s'appelait  Naglfari  (Au  JNa- 
(i  vire  d'Ongles);  leur  fils  s'appelait  ^Máwr  (Inculte).  Après  cela,  elle  fut 
«  mariée  à  un  nommé  Onar  (Épouvantable)  ;  Terre  (lord)  était  le  nom 
«  de  leur  fille.  En  dernier  lieu  elle  épousa  Dellingr  (Issu  de  l'Arbre), 


86  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«de  la  race  des  Ases;  leur  fils  était  Jour  (Dagr);  il  était  luisant 
«et  beau,  par  son  père.  Alors  Père- Universel  prit  iVm7  et  le  Fils 
«de  celle-ci,  Jotir,  et  leur  donna  deux  chevaux  et  deux  chariots ,  et 
«  les  plaça  au  ciel,  afin  qu'ils  fissent,  chaque  fois ,  en  un  jour  et  une 
«  nuit,  le  tour  de  la  terre.  Nuit  chevauche  au  devant,  sur  le  cheval  qui 
«  est  nommé  Crin-Givreux  (Hrimfaxi),  et  qui,  chaque  matin ,  arrose  la 
«terre  des  gouttes  de  son  mors.  Le  cheval  que  Jour  possède  est 
«  appelé  Crin-Luisant  (Skinfaxi) ,  et  il  éclaire  de  sa  crinière  l'air 
«  entier  et  la  terre.  »  (17) 

11.  Alors  Piétonneur  demanda: 

«Comment  dirige-t-//  la  marche  du  soleil  et  de  la  lune?» 

Sublime  répond  : 

«  L'homme  qui  est  nommé  Mundilfori  (Faisant  le  Tour),  avait  deux 
«  enfants.  Ils  étaient  si  beaux  et  si  agréables ,  qu'il  appela  l'un  Mâni 
«(Lune)  et  sa  fille  iSd/ (Soleil),  et  fiança  celle-ci  à  l'homme  qui 
«  s'appelait  Glenr  (Bijou).  Mais  les  Dieux  furent  irrités  de  cette  ou- 
«  trecuidance  ;  et  ils  prirent  le  frère  et  la  sœur  et  les  placèrent  au 
«  ciel.  Ils  chargèrent  Soi  de  pousser  les  chevaux  qui  traînaient  le 
«char  du  soleil,  que  les  Dieux,  pour  éclairer  les  Séjours,  avaient 
«formé  d'une  paillette  qui  s'était  envolé  du  Séjour  de  Muspell 
«(Gâte -Monde).  Ces  chevaux  s'appellent  §insi:  Matinal  (Ar-vakr) 
«et  Tout- Alerte  (M-s\iàr);  et,  sous  les  épaules  de  ces  chevaux,  les 
«  Dieux  placèrent  deux  soufflets  pour  les  rafraîchir  ;  et ,  dans  quel- 
«ques  documents,  cela  est  nommé  Fer- Réfrigérant  (hsirn-kol). 
«  Mâni  dirige  la  marche  de  la  lune,  et  préside  aux  Renouvellements 
«  et  aux  Décours.  Il  enleva  de  la  terre  deux  enfants,  qui  s'appelaient 
«  ainsi  :  Bil  (Nuée)  et  Hiuki  (Neigeux) ,  lorsqu'ils  revinrent  du  Puits 
«  qui  est  nommé  Byrgir  (Assuré),  et  qu'ils  portèrent  sur  leurs  épaules 
«  le  seau  appelé  Sœgr  (Affïuence)  et  la  perche  Simul  (Joug).  Vidfinn 
«  (Finne  des  Bois)  est  le  nom  de  leur  père  :  ces  enfants  suivent 
«  Mâni  y  ainsi  qu'on  peut  le  voir  de  la  terre.  »  (18) 

12.  Alors  Piétonneur  dit: 

a  Soi  court  vite,  et  presque  comme  si  elle  était  effrayée;  et  elle 
«craindrait  sa  mort,  qu'elle  ne  pourrait  accélérer  davantage  sa 
«  course.  » 

Alors  Sublime  répond  : 

«Cela  n'est  pas  étonnant  qu'elle  coure  précipitamment;  Celui  qui 


NôTT  ;  sôL  ;  MÂNi  ;  mânagarmur.  87 

«la  poursuit  est  peu  éloigné;  et  elle  n'a  pas  d'autre  moyen  que 
«d'échapper  en  courant.»  (19) 

Alors  Piétonneur  demanda  : 

«  Qui  est-ce  qui  lui  cause  ce  désagrément?» 

Sublime  répond  : 

«  Ce  sont  deux  loups  ;  et  celui  qui  court  après  elle  s'appelle  Sköli 
«  (Ricaneur)  ;  elle  le  redoute ,  et  il  l'atteindra  ;  mais  c'est  le  nommé 
«  Hati  (Haineux),  le  fils  de  Hrôd-vitnir  (Présage  de  Dévastation),  qui 
c(  court  devant  elle ,  et  il  veut  atteindre  la  lune  ;  —  et  cela  arrivera 
<i  ainsi.  »  (20) 

Alors  Piétonneur  demanda  : 

ce  Quelle  est  la  race  de  ces  Loups?  » 

Sublime  dit  : 

«Une  Gygur  (Ensorcelée)  habite  à  l'orient  de  V Enclos-Mitoyen^ 
«  dans  la  Forêt  qui  est  nommée  Bois-de-Fer  (larn-vidr).  Dans  cette 
«Forêt  habitent  ces  Femmes-Fantômes  (norr.  Tröll-konur) ,  qu'on 
«nomme  Celles  du  Bois-de-Fer  (larnvidiar).  Cette  vieille  gygur 
«eut  pour  fils  beaucoup  d'Iotnes,  tous  avec  des  corps  de  loup;  et 
«c'est  d'elle  que  sont  aussi  provenus  ces  loups-là;  et  il  a  été  prédit 
«que,  de  cette  race,  celui  qui  est  appelé  Mâna-Garmur  (Hurleur 
«  de  Mâni)  sera  le  plus  puissant.  H  se  gorge  de  la  vie  de  tous  les 
«  hommes  qui  dépérissent;  et  il  avale  la  Lune,  et  asperge  de  sang  le 
«  Ciel  et  l'Air  entier  :  par  là  le  Soleil  perd  son  éclat,  et  les  Vents  sont 
«  alors  déchaînés  et  mugissent  à  gauche  et  à  droite.  Ainsi  il  est  dit 
«  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 

««A  l'Orient  habite  la  Vieille  dans  le  Bois-de-Fer, 
««Et  y  engendre  des  parents  de  Fenrir; 
««Parmi  eux,  se  distingue,  entre  tous, 
««L'Avaleur  du  Disque,  sous  la  dépouille  de  loup. 

««H  se  gorge  de  la  vie  des  hommes  lâches  : 
««n  rougit  de  sang  rouge  les  Habitations  des  Grandeurs; 
««Les  splendeurs  du  Soleil  deviennent  sombres,  l'été  suivant; 
««LesTempêtesseronttoutesféroces.Savez-vous  encore  quoi?»  »(21) 

13.  Alors  Piétonneur  demanda? 

«  Quel  est  le  chemin  de  la  terre  au  ciel  ?  » 

Alors  Sublime  répond  en  souriant  : 

«  Ce  n'est  pas  là  questionner  en  sage.  —  Ne  t'a-t-on  pas  dit  que 


88  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«les  Dieux  ont  fait  un  Pont,  de  la  terre  au  ciel,  et  qu'il  est  nommé 
c(  Bif~rö8t  (Voie-Tremblotante)  ?  Tu  dois  l'avoir  vu  ;  peut-être  que , 
«  toi ,  tu  l'appelles  Arc-en-ciel.  Il  a  trois  couleurs  ;  et  il  est  très-so- 
ft lide ,  et  fait  avec  plus  d'art  et  d'habileté  que  les  autres  ouvrages  : 
«  et,  bien  qu'il  soit  solide,  il  se  rompra  pourtant,  quand  les  Fils  de 
c(  Muspell  (Gâte-Monde)  y  passeront  à  cheval  ;  leurs  chevaux  traver- 
«  sent  aussi,  en  nageant,  les  grands  Fleuves;  c'est  ainsi  qu'ils  poussent 
((  en  avant.  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«Les  Dieux,  ce  me  semble,  n'ont  pas  construit  de  bonne  foi  ce 
«  pont ,  puisqu'il  pourra  se  rompre ,  eux  qui  peuvent  faire  comme 
«  ils  veulent.  » 

Alors  Sublime  dit  : 

«  Les  Dieux  ne  méritent  pas  ce  reproche  pour  cet  ouvrage.  Bif- 
«  rost  est  un  excellent  pont  ;  mais ,  dans  ce  Séjour ,  il  n'y  a  rien  sur 
«  quoi  l'on  puisse  faire  fond ,  lorsque  les  Fils  de  Muspell  feront  ir- 
«  ruption.  y>  (22) 

14.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«Qu'a  entrepris  Père-Universel  ([Md^naV  Enclos  des  Asesî\xX2iC\iQyQ'ÎTi 

Alors  Sublime  dit  : 

«  Au  commencement,  il  établit  des  Gouverneurs,  et  leur  ordonna 
«de  décréter  la  Destinée  des  hommes,  et  de  se  concerter  sur  l'ar- 
«  rangement  de  cette  Enceinte.  Cela  se  fit  dans  ce  qu'on  appelle  la 
a  Plaine  d'Idi  (Ida-völlr),  au  milieu  de  l'Enceinte.  Leur  premier 
«ouvrage  ce  fut  de  construire  un  Temple  (norr.^o/),  où  sont  placés 
«leurs  sièges,  douze,  outre  le  siège  é\e\é  qu'occui^e  Père- Universel, 
«  Cet  édifice  est  ce  qu'on  a  fait  de  mieux,  sur  terre,  et  de  plus  grand  : 
«  on  dirait  que  tout  en  est,  extérieurement  et  intérieurement,  rien 
«  que  de  l'or;  c'est  dans  l'Endroit  que  les  hommes  appellent  Sé- 
<i  jour- Joyeux  (Gladsheimr).  Ils  construisirent  une  seconde  Salle  ; 
«  s'était  là  un  Sanctuaire  (norr.  hörgr) ,  qu'occupèrent  les  Déesses  ; 
«elle  était  aussi  toute  belle.  Cet  édifice,  les  hommes  l'appellent 
«  Allée- Agréable  (Vin-golf).  Ce  qu'ils  firent  après  cela ,  c'est  qu'ils 
«placèrent  des  fours;  et,  en  même  temps,  ils  fabriquèrent  des 
«  marteaux,  des  tenailles  et  des  enclumes,  et,  moyennant  cela, 
«  tous  les  autres  instruments  :  ensuite  ils  façonnèrent  le  métal ,  les 
«pierres  et  le  bois,  et,  en  si  grande  quantité,  le  métal  qui  s'ap- 
«  pelle  or,  qu'ils  eurent,  en  or,  tous  les  ustensiles  déménage;  aussi 


bifröst;  idavöllr;  les  dvergs.  89 

t(  cet  Age  est-il  nommé  l' Age  d*  or,  jusqu' h  ce  qu'il  fut  gâté  par  l'ar- 
c(  rivée  des  Femmes  qui  vinrent  des  Séjours-des-lotnes. 

«  Après  cela  les  Dieux  se  placèrent  sur  leur  sièges  et  prononcèrent 
c(  leurs  jugements  :  ils  se  rappelèrent  aussi  par  quoi  les  Dvergs  (Nains) 
«  avaient  été  vivifiés  dans  la  poussière  et  en  bas  dans  la  terre ,  comme 
a  des  vers  dans  la  chair.  Ces  Dvergs  avaient  d'abord  pris  forme  et  vie 
«dans  la  chair  d'Ymir  (Murmurant),  et  ils  étaient  alors  des  vers. 
((  Mais ,  par  décision  des  Dieux ,  ils  furent  doués  d'intelligence  hu- 
it maine ,  et  ils  eurent  la  forme  humaine.  Ils  habitent  cependant  en- 
ce  core  dans  la  terre  et  dans  les  rochers.  Modsognir  (Moraine)  fut  le 
«  Premier  Dverg,  et  ZÎMrmit  (Sommeillant)  le  Second.  Voici  ce  qui  est 
«  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 

««Alors  les  Grandeurs  allèrent  toutes  aux  Sièges-nébuleux; 

««Les  Dieux  très-saints  ceci  encore  se  rappelèrent, 

««Qu'il  fallait  former  le  Peuple  des  Dvergs, 

««Du  sanglant  Brimir  (Frémissant)  et  des  cuisses  de  Blaînn  (Bleui). 

««Alors  mainte  forme  humaine  fut  achevée, 

««Les  Dvergs,  dans  la  terre,  comme  Durinn  l'avait  indiqué. 

«  Elle  énonce  aussi  les  noms  de  ces  Dvergs  : 

naNyi  (Renouvelé),  Nidi  (Décursif)^  Nordri  (Septentrional),  Sudri  (Méri- 
dional), 
(kv^Austri  (Oriental),  Fgííre  (Occidental),  Althiofr  (Très-voleur),  Dvalinn 

(Défaillant), 
v^ikNâr  (Incliné),  Nâinn  (S'inclinant),  Nipingr{Usn  de  Nep),  Dâinn{ks- 

soupi)? 
iiuBivorr  (Bièvre),  Bavurr  (Favre),  Bumburr  (Bombé),  Nori  (Crépuscu- 
laire). 

««^w(Peiné),^?iar(Deuxieme),^mw(Craintif),Móí?-v2íw2>(IndiqueMieI), 
««Fez^r  (Vigueur),  Gand-alfr  (Alfe-Sorcier),  Vind-alfr  (Alfe-Vent), 

Thorinn  (Osé), 
««/ï/e  (Caché),  Kili  (Frappé),  Fundinn  (Trouvé),  Vali  (Mortuaire), 
««rArdr  (Soutenant),  Thrâinn  (Persistant),  T^eMr  (Accepté),  Litr 

(Couleur),  Vitr  (Prévoyant), 
««iVyr  (Nouvel),  Nyradr  (Renouvelant),  Regin  (Puissance),  Râdsvidr 

(Prompt-Conseil.)»» 

«Voici  encore  des  Dvergs;  et  ceux-ci  habitent  dans  des  rochers, 
«  mais  les  précédents  dans  la  terre  : 


90  LA  FASCINATION  DE  GDLFI. 

«« Draupnîr  (Dégouttant),  Dolg-thvari  (Repousse-Ennemi), 

«  «/i^ar (Sublime), /Taiig'spoW (Foule-Butte),  ^/eraw^riPré-Clair),  Gloînn 

(Luisant), 
<i(iDori  (Endormi),  Ori  (Nouveau),  Dûfr  (Plongeur),  Andvari  (Vigilant), 
»((Heptî  (Piège),  Fili  (Trompeur),  Hanar  (Enchanteur),  Svîarr  (Ra- 
pide).»» 

d  Voici  ceux  qui  sont  venus  de  la  Butte-de-Svarinn  jusqu'à  Aur- 
«  vangs  (Prés  Humides) ,  dans  la  Plaine  de  lora  ;  et  de  là  ils  sont 
c(  venus  à  Lofarr  ;  voici  leurs  noms  : 

«•SkirviriSk\r\\re),  Virvir  (Virvire),  i'Æa^í/r  (Façonné),  Ai  (Aquatique), 
((v^Alfr  (Brillant),  Ingi  (Issu  de  Sublime),  Eikin-skialldi{\\^\ie^-0\èïi€)>, 
««F/a/ar  (Montagnard),  Frosie  (Froidure),  Fmwr(Finne),  Gmwarr(Fasci- 

nateur).  (23) 

15.  Alors  Piétonnetir  dit  : 

c(  Où  est  le  Lieu  principal  et  le  Lieu  sacré  des  Dieux  ?  » 
Sublime  répond  : 

c(  C'est  auprès  du  Frêne  d' Yggdrasill  ;  là  les  Dieux  prononceront 
«  leurs  jugements  tous  les  jours.  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Qu'y  a-t-il  à  dire  de  ce  lieu  ?» 

kXov?,  Equi-Sublime  SiioniQ: 

«  Ce  frêne  est  de  tous  les  arbres  le  plus  grand  et  le  meilleur  :  ses 
«  branches  s'étendent  par-dessus  le  Séjour  entier,  et  s'élèvent  au- 
-dessus du  ciel.  Les  trois  racines  de  cet  arbre  le  soutiennent,  et 
«  s'étendent  bien  au  large.  L'une  est  chez  les  Ases^  l'autre  chez  les 
a  Thurses- Givreux,  là  où  antérieurement  était  \e  Bâillement-des- 
«  Mâchoires,  et  la  troisième  se  trouve  au-dessus  du  Séjour-Brumeux: 
«et  sous  cette  racine  est  le  Bassin- Bruyant  (Ewer-Gelmir),  et 
«  Nid-hÖgg  (Frappe  de  Colère)  ronge  en  bas  cette  racine.  Mais  sous 
((la  racine,  qui  est  dirigée  vers  les  Thurses-Givreux ,  se  trouve  la 
«Fontaine  deMimir,  où  l'Intelligence  et  la  Sagesse  humaine  sont 
((  renfermées  ;  et  celui  qui  possède  cette  Fontaine  s'appelle  Mîmir 
((  (Ruisselant)  ;  il  est  plein  de  connaissances,  parce  qu'il  boit ,  à  cette 
«Fontaine,  dans  la  Corne  appelée  Corne  de  Gíó7/ (Giallar-horn). 
a  Père- Universel  y  vint  aussi  et  demanda  à  boire  un  coup  de  cette 


MiMiR  ;  urdur;  bifröst.  91 

«  Fontaine  ;  mais  il  n'obtint  rien  avant  qu'il  n'eût  placé  on  gage  son 
«  œil.  Voici  ce  qui  est  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 

««Je  sais  tout,  Odinn  !  où  tu  as  caché  l'œil, 

«  «Dans  cette  illustre  Fontaine  de  Mimir  ; 

««Chaque  matin  Mimir  boit  l'hydromel 

««Dans  le  gage  du  Père-des-Occis.  Mais  savez-vous  encore  quoi?  »» (24) 

«  La  troisième  racine  de  ce  Frêne  se  trouve  au  ciel  ;  et  sous  cette 
«  racine  est  la  Fontaine  qui  est  éminemment  sacrée  et  qu'on  appelle 
«  la  Fontaine  d' Urdur.  C'est  là  que  les  Dieux  ont  leur  Lieu  de  Juge- 
ce  ment.  Chaque  jour  les  Ases  s'y  rendent  à  cheval  par  Bifröst  (Voie- 
«  Tremblotante),  qui  est  encore  nommé  Pont-des-Ases.  Les  Chevaux 
«  de  ces  Ases  sont  ainsi  nommés  :  Sleipnir  (Coulant)  est  le  meil- 
(deur;  il  appartient  à  Odinn,  et  il  a  huit  jambes;  le  second  est 
«  Joyeux  (norr.  Gladr)  ;  le  troisième  Doré  (norr.  Gyllir)  ;  le  quatrième 
((  Clair  (norr.  Gler)\  le  cinquième  Skeid-brimir  (Frémit-à-Courir); 
«  le  sixième  Queue  d'Argent  (norr.  SUfrin-toppr)  ;  le  septième  Sinir 
«  (Nerveux)  ;  le  huitième  Gisl  (Fouet)  ;  le  neuvième  Fal-hôfnir  (Sa- 
«  bot-Jaune)  ;  le  dixième  Queue  Dorée  (norr.  Gull-toppr)  ;  le  onzième 
i{  Pied  Léger  (norr.  Lett-feti);  le  cheval  de  Baldur  fut  brûlé  avec 
((  lui;  et  Thôr  va  à  pied  au  Tribunal;  et  il  traverse  à  gué  les  Eaux  qui 
«  sont  ainsi  nommées  : 

«  Kormt  et  Örmt  et  les  deux  Bains  de  Bassin , 

«  Thôr  doit  les  passer  à  gué , 
a  Chaque  jour,  qu'il  ira  siéger 

((  Auprès  du  Frêne  d'Yggdrasill  ; 
d  Car  le  Pont-des-Ases  jette  partout  des  flammes; 

«  Les  Eaux  sacrées  bouillonnent.  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Un  feu  brùle-t-il  sur  Bif-rost  (Voie-Tremblotante)  ?  » 

Sublime  répond  : 

«  Ce  que  tu  vois  de  rouge  dans  l'Arc-en-ciel ,  c'est  du  feu  brûlant. 
«  Les  Thurses-Givreux  et  les  Géants  des  Montagnes  (norr.  Bergrisar) 
«monteraient  au  ciel,  si  le  passage  était  libre,  sur  Bif-rost ^  à  tous 
c(  ceux  qui  voudraient  passer.  Il  y  a ,  au  ciel,  beaucoup  de  beaux  En- 
ce  droits  ;  et  tout  y  est  bien  garanti.  Il  y  a  là  une  belle  Salle ,  sous  le 
ce  Frêne,  près  de  la  Fontaine  ;  et  de  cette  Salle  sortent  les  trois  Vierges 
ce  qui  s'appellent  ainsi  :  Passée  (norr.  Vrdr) ,  Présente  (norr.  Vërdandt), 


92  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«  Future  (norr.  Skuld).  Ces  Vierges  déterminent  aux  hommes  la  durée 
«  de  la  vie  ;  nous  les  appelons  Nomes  (Salutaires).  Il  y  a  différentes 
«  Nomes  ;  elles  se  rendent  auprès  de  chaque  homme  qui  vient  de 
c(  naître,  pour  déterminer  la  durée  de  sa  vie  ;  et  les  unes  sont  de  la  race 
c(  des  Dieux;  les  autres,  de  la  famille  des  Alfes;  les  troisièmes,  de  la 
<i  famille  des  Dvergs  ;  ainsi  qu'il  est  dit  ci-dessous  : 

««  Les  Nornes ,  je  pense,  sont  très-différemment  nées; 

((«Elles  n'ont  pas,  ensemble,  la  même  famille; 
((((Qui  sont  parentes  des  Ases;  qui  sont  parentes  des  Alfes; 
«((  Qui  sont  filles  de  Dvalinn.»)) 
Alors  Piétonneur  dit  : 

<i  Si  les  Nornes  président  aux  destinées  des  hommes ,  elles  font  le 
((partage  immensément  inégal,  puisque  les  uns  ont  la  vie  opulente 
((  et  considérée ,  les  autres  ont  un  fief  et  un  renom  petits  ;  les  uns,  la 
((  vie  longue ,  les  autres  ,  brève.  » 
Sublime  répond  : 

((  Les  Nornes  bienveillantes  et  d'une  race  bonne ,  procurent  la  vie 
((  bonne  ;  mais  quand  les  hommes  tombent  dans  le  malheur,  alors  les 
((  Nornes  malveillantes  en  sont  la  cause.  »  (25) 
16.  Alors  Piétonneur  dit: 

((  Y  a-t-il  encore  d'autres  Merveilles  à  raconter  du  Frêne  ?  » 
Sublime  répond  : 

«  Il  y  en  a  beaucoup  à  raconter.  Un  Aigle  est  assis,  solitaire,  sur  les 
((  branches  de  ce  Frêne  ;  et  il  sait  mainte  chose  ;  et  entre  ses  yeux 
((  lui  est  assis  l'Autour  qui  est  nommé  Vethur-folnir  (Redouté  des 
«  Tempêtes).  L'Écureuil,  qui  est  nommé  Ratakostr  (Camarade  du  Rat), 
<i  monte  et  descend  le  long  du  Frêne,  et  rapporte  les  paroles  haineuses 
«entre  l'Aigle  et  Nidhogg  (Frappe  de  Colère). De  plus,  quatre  Cerfs 
«courent  sur  les  branches  du  Frêne,  et  en  broutent  le  feuillage.  Ils 
«s'appellent  ainsi  :  Ddinn  (Assoupi),  Dvalinn  (Défaillant),  Dunn-eir 
«(Apaise-Bruit),  Dura-thrôr  (Somnolent).  De  plus,  il  y  a  des  Ser- 
«  pents  tellement  nombreux  dans  Hvergelmir  (Bassin-Bruyant) ,  au- 
«près  de  Nidhogg,  qu'aucune  langue  ne  saurait  les  compter.  Voici 
«  ce  qui  est  dit  : 

««Le  Frêne  d'Yggdrasil  endure  une  souffrance 

««  Plus  grande  qu'on  ne  le  sait; 
««Le  Cerf  le  broute  d'en  haut,  de  plus  il  pourrit  sur  les  côtés; 
««Nidhogg  l'endommage  d'en  bas.»» 


LES  NORNES  ;  LE  FRÊNE  d'YGGDRASIL  ;•  LES  ALFES.  93 

«  II  est  encore  dit  ainsi  : 

««Sous  le  Frêne  d'Yggdrasiï  gisent  plus  de  Serpents 
««Que  ne  l'imagine  quelqu'un  des  fous  ignorants: 

«  «  Gôinn  et  Môinn ,  qui  sont  les  fils  de  Graf-vitnir , 
««Dos-gris  et  Peau-grise, 

«« Ofnir  et  Svafnir  rongeront ,  j'imagine,  toujours 
««Les  rameaux  de  l'Arbre. »» 

«  11  est  encore  dit  que  les  Nomes,  qui  habitent  auprès  de  la  Fon- 
«  taine-de- Passée,  prennent,  chaque  jour,  à  cette  Fontaine,  de  l'eau , 
«ainsi  que  l'humidité  qui  se  trouve  autour  de  la  Fontaine,  et  les  ré- 
«  pandent  sur  le  Frêne ,  afin  que  les  branches  n'en  dessèchent  et  ne 
«  pourrissent.  Et  cette  eau  est  si  sacrée  que  toutes  les  choses ,  qui 
«  entrent  dans  cette  Fontaine,  deviennent  aussi  blanches  que  la  pel- 
«licule  appelée  périgone,  qui  recouvre  intérieurement  la  coque  des 
«  œufs.  C'est  ce  qui  est  dit  ici  : 

««Je  sais  un  Frêne  nommé  d'Yggdrasil, 

««Un  saint  Arbre  blanchi  par  l'humidité  brillante  ; 

««De  là  proviennent  les  rosées  qui  tombent  dans  les  vallons  ; 

««  Il  se  dresse,  toujours  vert,  au-dessus  de  la  Fontaine-de-Passée.»» 

«  La  rosée  qui  en  tombe  à  terre ,  on  la  nomme  la  Tombée  de  miel 
«  (norr.  Hunangs-fall) ,  et  les  mouches  à  miel  s'en  nourrissent. 

«  Deux  oiseaux  sont  nourris  dans  la  Fontaine-de-Passée  ;  on  les 
«  appelle  Cygnes;  et  de  ces  oiseaux  provient  cette  espèce  d'oiseau 
«  qui  s'appelle  ainsi.  (26)  » 

17.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Tu  sais  donner  beaucoup  de  renseignements  sur  le  ciel  :  y  a-t-il 
«  encore  d'autres  Endroits  principaux  outre  celui  près  de  la  Fontaine- 
<i  de-Passéel  y> 

Sublime  répond  : 

«  Il  y  a  là  plusieurs  Endroits  célèbres  ;  tel  est  l'Endroit  particulier 
«  situé  dans  ce  qu'on  appelle  le  Séjour  des  Alfes  (norr.  Alfheimr)  ; 
«  là  habite  le  Peuple  qui  se  nomme  Alfes-Lumineux  (norr.  Lios-alfar); 
«  les  Alfes-Sombres  (norr.  Dock-alfar) ,  au  contraire ,  habitent  plus 
«bas,  dans  la  terre;  et  ils  diffèrent  des  autres  par  l'extérieur  ;  ils  en 
«  diffèrent  plus  encore  par  les  talents.  Les  Alfes-Lumineux  ont  un 
«  aspect  plus  beau  que  le  soleil ,  mais  les  Alfes-Sombres  sont  plus 
«  noirs  que  la  poix. 


94  LA  FASCINATION  DE  GULFI, 

«  Il  y  a  là  principalement  un  Endroit  qu'on  appelle  Large-Éclat 
<(  (norr.  Breidablik)  ;  et  nul  endroit  n'y  est  plus  beau. 

«  Il  y  a  encore  celui  qui  est  nommé  Etincelant  (norr.  Glilnir)  ;  et 
«  les  parois  et  les  étais  et  les  piliers  en  sont  d'or  rouge ,  et  le  toit  en 
((  est  d'argent. 

«  Il  y  a  encore  l'Endroit  qui  est  nommé  Roches  du  Ciel  (norr.  Himin- 
((  hiorg)  ;  il  se  trouve  à  l'extrémité  du  ciel ,  près  de  la  tête  du  pont , 
«  là  où  Bif-rost  (Voie-Tremblotante)  touche  au  ciel. 

«  Il  y  a  encore  un  Endroit  considérable  qui  est  nommé  Vala-skialf 
(((Chaumine  deVali);  cet  Endroit  appartient  à  Odinn;  les  Dieux  l'ont 
«construit  et  couvert  d'argent  pur;  c'est  encore  dans  cette  Salle 
«que  se  trouve  Hlid-skialf  (Chaumine  aux  Portes),  ce  siège  élevé 
c(  qui  porte  ce  nom  ;  et  quand  Père- Universel  est  assis  sur  ce  siège , 
((  il  a  vue  sur  le  Séjour  entier. 

c(A  l'extrémité  méridionale  du  ciel  est  la  Salle  la  plus  belle  de 
c(  toutes,  et  qui  est  plus  brillante  que  le  soleil;  elle  est  nommée  Gm/i 
c(  (Brillant)  ;  elle  restera  debout  encore  que  le  ciel  et  la  terre  auront 
«passé;  et  les  hommes  justes  et  de  bonne  conduite  habiteront  cet 
«  Endroit ,  pour  toujours.  Voici  ce  qui  est  dit  dans  la  Vision  de  la 
«  Louve  : 

««Je  sais  une  Salle  qui  s'élève,  plus  brillante  que  le  Soleil 
««Et  plus  riche  que  l'or,  dans  le  sublime  Gimli  : 
«c<  Là  des  Peuples  vigoureux  devront  habiter, 
««Et ,  pour  l'éternité ,  jouir  d'agréments.  »» 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Qu'est-ce  qui  préserve  cet  Endroit  quand  la  Flamme  de  Surti 
((  (Noirci)  brûle  le  ciel  et  la  terre?  » 

Sublime  répond  : 

«Il  est  dit  que,  à  côté  de  ce  ciel-là,  il  y  a  un  second  ciel,  et  que 
«ce  ciel-ci  est  nommé  And-lang  (Allongé);  et  qu'il  y  a  encore,  à 
«côté  de  ceux-ci,  un  troisième  ciel,  et  que  celui-ci  est  nommé  Vîd- 
«  blainn  (Bleu-au-Large)  ;  et  dans  ce  ciel-ci  nous  pensons  que  se 
«  trouve  cet  Endroit  ;  et  nous  pensons  que  les  Al f es- Lumineux  seuls 
«  habitent  maintenant  ces  lieux.  »  (27) 

18.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  D'où  vient  le  Vent  ?  —  il  est  tellement  fort  qu'il  remue  de  grandes 
«mers  et  qu'il  excite  le  feu;  et  tout  fort  qu'il  est,  personne  ne  peut 
«le  voir,  parce  il  est  merveilleusement  conformé.» 


LES  ENDROITS  CÉLESTES  ;  HRÆSVELG  ;  LES  ÂSES.  95 

Alors  Sublime  répond  : 

«  Je  sais  bien  te  dire  cela.  A  l'extrémité  septentrionale  du  ciel  est 
«assis  VIotne  qui  se  nomme /?/'œ-sî;e/^r  (Dévore-Charogne) ;  ilestre- 
«  vêtu  de  la  robe  d'aigle  :  quand  il  renforce  les  coups  de  penne,  alors 
((  les  vents  Portent  de  dessous  ses  ailes.  Voici  ce  qui  est  dit  ici  : 

«((Hræsvelg  est  nommé  celui  qui  est  assis  à  l'extrémité  du  ciel, 

««L'Iotne  en  robe  d'aigle  : 
«((De  ses  ailes  passe,  dit-on,  le  Vent 

««Sur  tous  les  hommes.»» 

19.  Alors  Piétonneur' dit  : 

«  Par  quoi  s'est  faite  une  différence  telle  que  l'Été  soit  devenu 
c(  chaud,  et  l'Hiver  froid?» 

Sublime  répond  : 

«  Un  savant  ne  ferait  pas  cette  question ,  puisque  tous  savent  ex- 
«  pliquer  cela.  Mais,  bien  que  tu  sois  si  peu  instruit  que  tu  n'aies  pas 
«  compris  cela ,  je  tiens  cependant  à  honorer  ceci  que  tu  préfères 
«  adresser  une  fois  une  question  peu  sage,  plutôt  que  de  rester  plus 
«  longtemps  ignorant  sur  ce  qu'on  devrait  savoir.  —  Souffle-Doux 
«  (norr.  Svas-udr)  est  nommé  celui  qui  est  le  père  d'^/^(norr.  Sumar); 
«  et  il  mène  une  vie  heureuse,  au  point  que,  d'après  son  nom,  on 
«  appelle  doux  (norr.  svasligt)  ce  qui  est  agréable.  Mais  le  père  d'Hiver 
«  (norr.  Vetr)  est  différemment  appelé ,  ou  Messager  des  Vents  (norr. 
«  Vind-liôni)  ou  Vent-Frais  (norr.  Vind-svalr)  ;  il  est  le  fds  de  Souffle- 
if.  Frais  (norr.  Vasudr)  ;  et  tous  ceux  de  cette  race  sont  violents  et  ont 
«  l'haleine  froide  ;  et  VHiver  a  aussi  leur  caractère.  »  (28) 

20.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Quels  sont  les  Ases  (Soutiens)  en  qui  les  hommes  doivent  croire?» 

Sublime  répond  : 

«  Il  y  a  douze  Ases  de  race  divine.  » 

Alors  Equi' Sublime  dit  : 

«  Les  Amies-des-Ases  (Asyniur)  ne  sont  ni  moins  saintes  ni  moins 
«  puissantes.  » 

Alors  Troisième  dit  : 

«  Odinn  (Agitant)  est  le  premier  et  le  plus  ancien  des  Ases  ;  il  pré- 
«  side  à  toutes  choses ,  et,  bien  que  les  autres  Dieux  soient  puissants, 
«  ils  le  servent  comme  des  enfants  leur  père.  Frigg  (Pluie)  est  sa 
«  femme  ;  et  elle  connaît  les  destinées  des  hommes ,  bien  qu'elle  ne 


96  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«  proclame  pas  ses  visions.  Voici  comme  il  est  dit  qu'öí/érm  lui-même 
«  parla  à  VAse  qui  se  nomme  Loki  : 

««Tu  es  fou,  Loki!  et  hors  de  sens;  — 

««Pourquoi  ne  cesses-tu  pas,  Loki  !  :  ^ 

««Les  destinées,  Frigg  les  connaît,  je  pense,  toutes, 
««Bien  qu'elle  ne  les  proclame  pas  elle-même.»» 

«  Odinn  est  nommé  Père- Universel,  parce  qu'il  est  le  père  de  tous 
«les  Dieux.  Il  est  aussi  nommé  Père-des-Occis  (norr.  Val-födr), 
«parce  que  tous  ceux,  qui  tombent  dans  Toccision,  sont  ses  Fils- 
«  Adoptifs  ;  il  leur  assigne  la  Halle-des- Occis  (norr.  Val-höll)  et  V Allée 
a  Agréable  (norr.  Vin-gôlf),  et  alors  ils  sont  nommés  Troupiers- Uni- 
«  ques  (norr.  Einheriar).  Il  est  aussi  nommé  Dieu-des-Suspendus 
«  (norr.  Hanga-gud) ,  Dieu-des-Liens  (norr.  Hapta-gud) ,  Dieu-des- 
«  Cargaisons  (norr.  Farma-gud),  et  il  s'est  encore  nommé  de  diffé- 
«  rentes  manières ,  lorsqu'il  fut  venu  chez  le  roi  Geirrödur  : 

««J'ai  été  appelé  Effrayant  (Grîmr),  Piétonneur  (Gangleri), 
««  Troupier  (Hérian),  Porte-Heaume  (Hialm-beri) , 

im  Agréable  (Thekkr),  Troisième  (Thridi),  Calme  (Thudr),  Humide  (Udr), 
««  Ténébreux  comme  Hel  (Helblindi),  Sublime  (Hâr). 

((.(.{Équitable  (Sannr),  Farouche  (Svipall),  Devine-Juste  (Sanngetall), 
(i(i  Joyeux-des-Troupes  (RQvieiiv),  Hnikar  (Hennisseur), 

«  «  Œil-Nuageux  (Bileygr),  Œil  Enflammé  (Baleygr),  Malfaisant  (Bol- 

verkr),  Multiple  (Fiölnir), 
na  Sanglier  (Grimnir),  Prompt-à- Tromper  (Glapsvidur). 

(dd  Chapeau- Rabattu  (Sidhöttr),  Barbe- Pendante  (Sidskeggr),  Père- 

de-  Victoire  (Sigfödr) , 
<íii  Père- Universel  (Allfödr),  Décisif  (ktridr) ,  Hnikudr  (Vent- 

Hennissant) , 
««  Oski  (A-Souhait),  Omi  (Bruyant),  Équi-Sublime  {lainh^r),  Biflindi 

(Frémit-doux) , 
(KiGondler  (Embrouillant),  Barbe-Velue  (Harbardr). 

(i(L  Fascinant  (Svidur),  Fascinateur  (Svidrir) 

««.  .  .  lalkr  (Vigoureux)  ... 
««  Kialar  (Tire-Traineau) .... 

««  Thrôr  (Persévérant)  .... 


NOMS  ÉPITHKTIQUES  d'oDINN.  97 

«« Yggr  (Ombrageux)  .... 

<i<L  Cuirassé  (Thundr)  .... 
«<íí  Alerte  (Vakr),  Escrimeur  {^V\\ïm^v\  Agile  (Vafudr),  Dieu  d Alarme 

(Hropta-tyr), 

««  Perspicace  (Gautr) ,  Dieu  des  Guerriers  (Vera-tyr).  »»  (29) 
«« 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«Vous  lui  avez  donné  prodigieusement  beaucoup  de  noms;  et  je 
«  sais ,  ma  foi!,  que  ce  doit  être  une  grande  érudition  que  celle  qui 
«  en  connaît  la  raison,  et  explique  quels  événements  ont  occasionné 
((  chacun  de  ces  noms.  » 

Alors  Sublime  répond  : 

c(  Il  faut  beaucoup  d'intelligence  pour  s'expliquer  cela  exactement; 
c(  cependant  on  peut  très-rapidement  te  dire  ceci,  que  la  plupart  des 
«noms  ont  été  donnés  par  suite  de  cette  circonstance,  que,  selon 
«  les  nombreuses  différences  des  langues  qu'il  y  avait  dans  le  monde, 
«tous  les  peuples  ont  cru  nécessaire,  à  l'invocation  et  à  la  prière 
«pour  leur  personne,  de  changer  le  nom  de  Celui-là  d'après  leur 
c(  propre  langue  :  quelques  occasions  pour  ces  noms  se  sont  encore 
c<  produites  dans  ses  voyages  :  cela  est  rapporté  dans  les  histoires;  et 
«tu  ne  saurais  passer  pour  un  homme  savant,  si  tu  ne  sais  pas  ra- 
«  conter  ces  grandes  aventures.  » 

21.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Quels  sont  les  noms  des  autres  ^scs  .^;  et  de  quoi  s'occupent-ils  ; 
«  —  et  qu'ont-ils  fait  pour  se  distinguer  ?  » 

Sublime  répond  : 

«  Thôr  (Tonnerre)^ est  le  plus  distingué  d'entre  eux;  c'est  lui  qu'on 
«appelle  Thôr-des-Ases  et  Thôr-au-Char  (norr.  Ôku-Thôr);  il  est  le 
«  plus  fort  de  tous,  des  Dieux  et  des  hommes.  Il  possède  son  Empire 
«  à  l'Endroit  nommé  Thrûd-vângar  (Champs-d'Énergie),  et  sa  Halle 
«  est  nommée  Bil-skirnir  (Éclaircit-Grain).  Dans  cette  Salle,  il  y  a 
«  cinq  cents  et  quarante  allées;  et  cet  Édifice  est  le  plus  grand  que 
«  les  hommes  sachent  avoir  été  construit.  Voici  comment  s'énoncent 
«les  Dits  de  Grimnir: 

««  Cinq  cents  plus  environ  quarante  allées 

««Sont,  je  pense,  dans  Bilskirnir,  avec  des' voûtes; 

««De  tous  les  Couverts,  que  je  connais,  lambrissés, 
««Je  tiens  celui  du  Fils  pour  le  plus  grand.»» 

7 


98  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«  Thôr  a  deux  Boucs,  dont  les  noms  sont  Tann-gniostur  (Craque- 
((  Dent)  et  Tann-grisnir  (Grince-Dent) ,  et  une  voiture  dans  laquelle 
((  il  s'avance  ;  les  Boucs  traînent  cette  voiture  ;  c'est  pourquoi  il  est 
«appelé  Tkôr-au-Char.  11  possède  aussi  trois  objets  précieux  :  l'un 
«d'eux  est  le  Marteau  Meunier  (norr.  Miölnir),  que  connaissent  les 
«  Thurses- Givreux  et  les  Géants  des  Montagnes,  quand  il  est  lancé  dans 
«  l'air:  et  cela  n'est  pas  surprenant  ;  il  a  fracassé  maint  crâne  de  leurs 
«  ancêtres  et  de  leurs  parents.  Comme  second  objet  de  grand  prix  il 
«possède  la  Ceinture  de  force  (norr.  Megingiardar)  \  quand  il  la 
«  serre  autour  de  lui ,  sa  force  di'Ase  s'accroît  du  double.  Il  possède 
«  un  troisième  objet  de  grand  prix  :  ce  sont  les  Gantelets-de-fer  (norr. 
a  larn-glôfar) ,  dont  il  ne  peut  pas  se  passer,  vu  le  manche  du  Mar- 
«teau.  Mais  personne  n'est  si  savant  qu'il  puisse  raconter  tous  ses 
«  hauts  faits.  Cependant  je  saurais  te  raconter  de  lui  tant  d'histoires 
«  que  les  heures  s'écouleraient  avant  que  j'eusse  dit  tout  ce  que  j'en 
«  sais.  »  (30) 
22.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Je  voudrais  avoir  des  renseignements  sur  les  autres  Ases.  » 
Sublime  répond  : 

«Le  second  fils  d'Odinn  est  Baldur  (Distingué);  et  il  y  a  sur  lui 
«  beaucoup  à  dire.  Il  est  le  meilleur  de  tous,  et  tous  l'aiment.  Il  est 
«si  beau  de  visage  et  si  brillant,  qu'il  en  resplendit  au  loin:  aussi 
«  une  seule  herbe  est  si  blanche  qu'elle  soit  comparable  aux  sourcils 
«  de  Baldur  ;  c'est  la  plus  blanche  de  toutes  les  herbes  ;  et  d'après 
«  cela  tu  peux  juger  de  sa  beauté ,  tant  pour  la  chevelure  que  pour  le 
«  corps.  Il  est  le  plus  sage  des  Ases,  et  le  plus  beau  parleur,  et  le  plus 
«  clément.  Mais  la  particularité  qui  lui  est  attachée,  c'est  que  rien  de 
«  ce  qui  est  décidé  sur  lui,  ne  saurait  être  fléchi.  Il  habite  l'Endroit 
«nommé  Large-Eclat  (norr.  Breidablik)  et  qui  est  au  ciel;  daps  ce 
«  lieu ,  rien  ne  saurait  être  impur  :  voici  ce  qui  est  dit  ici  : 

««Large-Éclat  est  nommé  l'Endroit  où  Baldur 

««S'est  préparé  ses  demeures, 
««Dans  ce  pays,  où  je  sais  qu'il  existe 

««  Le  moins  de  choses  pernicieuses.  ))» 

23.  «  Le  troisième  Ase  est  celui  qui  est  appelé  Niordur  (Jaillis- 
«  sant)  ;  il  demeure  au  ciel,  à  l'Endroit  nommé  Enclos-de-Nôi  (norr. 
((Nôa-iûn).  Il  préside  au  mouvement  du  Vent,  et  modère  la  Mer  et  le 


thôr;  baldur;  niördur;  skadi.  99 

«Feu;  c'est  lui  qu'il  faut  invoquer  pour  la  navigation  et  la  pêche.  Il 
«possède  tant  de  propriétés  et  tant  de  richesses,  qu'il  peut  donner 
«des  propriétés  territoriales  et  des  biens  mobiliers  à  ceux  qui 
«  l'invoquent  pour  cela.  Il  a  été  élevé  dans  le  Séjour-des-Vanes  (norr. 
«  Vanaheimr)  ;  mais  les  Vanes  l'ont  envoyé  en  otage  aux  Dieux,  et  ont 
«pris  en  échange,  comme  otage  des  Ases^  le  nommé Hœnir  (Utile); 
«  il  servit  à  la  réconciliation  des  Dieux  avec  les  Vanes.  Niördur  a 
«  épousé  la  femme  qui  est  nommée  Skadi  (Pernicieuse) ,  la  fille  de 
«  riotne  Thiassi  (Querelleur).  Skadi  veut  avoir  sa  résidence  là  où 
«l'a  eue  son  père,  à  savoir  sur  certaines  montagnes,  à  l'Endroit 
«  appelé  Séjour-du-Bruissement  (norr.  Thrymheimr)  ;  mais  Niördur 
«  veut  être  près  de  la  mer.  Ils  sont  convenus  ensemble  de  ceci,  qu'ils 
«  passeraient  neuf  nuits  à  Séjour-de-Bruissement,  et  les  trois  autres 
«  à  Enclos-de-Nôi  (Enclos  du  Nocher).  Lorsque  Niördur  revint  des 
«  montagnes ,  il  prononça  ceci  : 

iv«Les  Montagnes  me  déplaisent;  j'y  ai  été  trop  longtemps, 

««Neuf  nuits  consécutives;  — 
««Le  hurlement  des  loups  ma'  semblé  détestable 

««Auprès  du  chant  des  cygnes.  »» 
«  Alors  Skadi  prononça  ceci  : 

««Je  ne  pouvais  pas  dormir  aux  lits  près  de  la  Mer, 

«  «  A  cause  des  cris  d'oiseau  ;  — 
««Elle  m'éveille,  quand  elle  vient  de  la  plage , 

««  Chaque  matin ,  la  mouette.  ))» 

«  Alors  Skadi  remonta  dans  les  Montagnes,  et  résida  à  Séjour-de- 
«  Bruissement.  Elle  court  beaucoup  sur  les  barres  et  avec  l'arc,  et  elle 
«  tire  sur  les  bêtes;  on  la  nomme  Divinité  aux  Barres  (norr.  Öndur- 
«  gud),  ou  Déesse-aux-Barres  (norr.  Ondur-dîs).  Voici  ce  qui  est  dit  : 

«  «  Séjour-de-Bruissement  est  nommé  le  lieu  qu'habitait  Thiassi , 

««  Cet  impétueux  lotne. 
««  Mais  maintenant  Skadi ,  la  brillante  fiancée  des  Dieux,  habite 

«  «  Les  anciens  Enclos  du  père.  »>> 

24.  (íNiördur,  dans  Enclos-de-Nôi ,  eut,  depuis,  deux  enfants;  le 
«  fils  fut  nommé  Frey  (Maître),  et  la  fille  Freyia  (Maîtresse);  tous 
«  les  deux  étaient  beaux  de  visage  et  puissants.  Frey  est  le  plus  illus- 
«  tre  des  Ases  ;  il  préside  à  la  pluie ,  et  aux  effets  du  soleil,  et ,  avec 
«cela,  à  la  production  de  la  terre;  et  il  est  bon  de  lui  adresser  des 


KM)  LA  FASCINATION  DE  (iVLFI. 

«  vœux  pour  la  moisson  et  pour  la  paix.  Il  préside  encore  à  la  fortune 
c(  nf)obiliaire  des  hommes.  Freyia  est  aussi  la  plus  respectée  des  Amies- 
«  des-Ases.  Elle  a ,  au  ciel ,  la  Résidence  nommée  Champs-d'Assem- 
ahlée  (norr.  Fôlkvangar)-,  et,  aussi  souvent  qu'elle  chevauche  au 
«combat,  elle  obtient  la  moitié  des  occis,  et  Odinn  l'autre  moitié, 
<i  comme  il  est  dit  ici  : 

««  Champ-d'Assemblée  est-il  nommé  ;  et  là  Freyia  préside 
««Aux  choix  des  sièges  dans  la  Salle; 

««  Chaque  jour  elle  choisit  la  moitié  des  occis  ; 
««L'autre  moitié  est  à  Odinn.»» 

«Sa  demeure  est  nomméeContieni-les-Siéges  (norr.  Sessrymnir); 
«elle  est  grande  et  belle.  Quand  elle  sort,  elle  est  traînée  par  deux 
«chats,  et  elle  est  assise  dans  un  char.  C'est  à  elle  qu'il  convient  le 
«  mieux  aux  hommes  d'adresser  leurs  vœux.  De  son  nom  provient 
«aussi  le  nom  honorifique  par  lequel  les  femmes  de  qualité  sont 
«  appelés  Freyias  (Dames ,  Maîtresses).  Elle  aimait  beaucoup  les 
«  chants  d'amour;  il  est  bon  de  lui  adresser  les  vœux  pour  les  incli- 
«  nations.  »  (34) 

25.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Ces  Ases^  ils  me  semblent  grands  par  eux-mêmes  ;  et  il  n'est  pas 
«étonnant  qu'une  grande  force  vous  accompagne,  vous  qui  connais- 
«sez  naturellement  le  caractère  des  Dieux,  et  savez  quelle  prière  il 
«  faut  adresser  à  chacun  d'eux.  Mais  y  a-t-il  encore  d'autres  Dieux?» 

Sublme  répond  : 

«11  y  a  encore  VAse  qui  est  nommé  Tyr  (Brillant);  il  est  le  plus 
«  hardi  et  le  plus  courageux  :  aussi  préside-t-il  souvent  à  la  victoire. 
«  dans  les  guerres  ;  les  hommes  vaillants  font  bien  de  lui  adresser 
«leurs  vœux.  Il  est  d'usage  de  dire  que  tel  est  vaillant  comme 
«  Tyr  (norr.  Ty-hraustr) ,  quand  il  surpasse  les  autres  hommes  et 
«qu'il  ne  s'épouvante  de  rien.  Il  était  encore  intelligent,  de  sorte 
«qu'on  dit  de  celui  qui  est  intelligent,  qu'il  est  sage  comme  Tyr 
«  (norr.  Ty-spakr).  Voici  seulement  une  preuve  de  sa  hardiesse.  — 
«  Lorsque  les  Ases  cajolèrent  le  Loup  de  Fenrir  pour  lui  attacher  le  lien 
«  Gleipnir  (Étranglant) ,  celui-ci  ne  voulait  leur  croire  qu'ils  le  relâ- 
«  cheraient,  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  mis ,  comme  gage,  la  main  de 
«  fýj' ,  dans  sa  gueule  :  et  lorsque  les  Ases  ne  voulurent  plus  le  relâ- 
«cher,  celui-là  lui  coupa,  avec  ses  dents,  la  main  à  l'endroit  qu'on 


freyia;  tyr;  bragi;  idunn;  heimdall.  iOl 

rappelle  maintenant  le  Joini-du-Loup  (norr.  Ulflidr).  Aussi  est-il 
«manchot;  et  il  n'est  nullement  appelé  le  Pacificateur  des  hommes 
a  (norr.  Sœtlir  manna).  » 

26.  «  Un  autre  est  nommé  Braffi  (Parler)  ;  il  est  distingué  par  son 
«intelligence  et  principalement  par  la  volubilité  de  son  élocution  et 
«sa  facilité  de  s'exprimer;  il  s'entend  le  mieux  en  poésie;  aussi, 
«d'après  lui ,  la  Poésie  est-elle  appelée  Bragur  (Parole);  et,  d'après 
«son  nom ,  la  personne,  homme  ou  femme,  qui  surpasse  les  autres 
«en  facilité  d'élocution,  est  appelée  Parole  (norr.  Bragur)  des 
«  hommes  ou  des  femmes.  Son  épouse  est  Idunn  (Aime-l' Activité)  ; 
«  elle  garde ,  dans  son  écrin,  les  pommes  dans  lesquelles  les  Dieux 
«doivent  mordre,  quand  ils  vieillissent,  pour  redevenir,  ainsi,  tous 
«jeunes:  et  ainsi  il  arrivera  jusqu'au  Crépuscule -des -Grandeurs 
«  (norr.  Bagna-rockur).  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«Très-important  est,  ce  me  semble,  ce  que  les  Dieux  confient  à 
«la  garde  et  à  la  fidélité  à' Idunn.  y> 

Alors  Sublime  dit  en  souriant  : 

«  Une  fois  il  serait  presque  arrivé  un  malheur  ;  je  saurais  te  le  ra- 
«  conter ,  mais  tu  dois  maintenant  d'abord  apprendre  les  noms  des 
«  autres  Ases.  (32) 

27.  Il  y  en  a  un ,  nommé  Heimdall  (Arbre  du  Séjour)  ;  il  est  appelé 
«  VAse Blanc;  il  est  grand  et  saint;  neuf  vierges,  toutes  des  sœurs, 
«l'ont  mis  au  monde  comme  leur  fils.  Il  se  nomme  aussi  Halliti- 
«  skidi  (Bois-Retors)  et  Dent-d' Or  {norr.  Giillintanni)\  ses  dentsétaient 
«  d'or.  Son  cheval  est  nommé  Qxieue-d^Or  (norr.  Gulltoppr).  Il  de- 
«  meure  à  l'Endroit  nommé  Boches- Célestes  (norr.  Hin\inbiörg)^  près 
«  de  Bífröst  (Voie-Temblotante).  Il  est  le  Gardien  des  Dieux  :  aussi 
«  est-il  assis-là,  à  l'extrémité  du  ciel,  pour  garder  le  Pont  contre  les 
«  Géants  des  Montagnes  (norr.  Bergrisar).  Il  lui  faut  moins  de  som- 
«  meil  qu'à  un  oiseau  ;  il  voit,  également,  de  nuit  comme  de  jour,  à 
«une  distance  de  cent  milles;  il  entend  aussi  croître  l'herbe  sur  la 
«  terre,  et  la  laine  sur  les  brebis ,  et  tout  ce  qui  bruit  plus  fort.  Il  a 
«  la  Trompe  qui  est  nommée  Corne-de-Gioll  (norr.  Giallar-horn)  ;  et 
«s'il  y  souffle,  on  l'entend  dans  tous  les  Séjours.  Voici  ce  qui  est 
«  dit  ici  : 

««C'est  nommé  Roches-Célestes;  et  là  Heimdall 
««  Préside ,  dit-on ,  aux  Sanctuaires  ; 


102  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

««flLà ,  dans  ce  beau  Couvert,  le  Gardien  des  Dieux  boit, 
((c(  Gaîment,  l'excellent  hydromel.  »» 
«  Et  Lui-même  dit  encore  dans  V Enchantement-de-Heimdall  : 
««  De  neuf  mères  je  suis  le  garçon , 
c(c(  De  neuf  sœurs  je  suis  le  fils ,  etc.  »» 

28.  (íHödur  (Combat)  est  le  nom  d'un  autre  Ase;  il  est  aveugle,  et 
«  il  est  passablement  fort  :  mais  les  Dieux  voudraient  n'avoir  pas 
((  besoin  de  nommer  cet  Ase ,  puisque  l'œuvre  de  sa  main  restera 
«  longtemps  dans  la  mémoire  des  Dieux  et  des  hommes.  » 

29.  «  Fiííör  (Auguste  duLarge)  estle  nom  d'un  autre  ;  c'est Z'^sg  Taci- 
«  turne  :  il  a  le  Soulier  Épais.  Il  est  presque  aussi  fort  que  Thôr  ;  en 
a  lui  les  Dieux  trouvent  un  puissant  recours  dans  tous  les  dangers.  » 

30.  iiAli  ou  Vali  (Effrayant)  est  le  nom  d'un  autre;  c'est  le  fils 
«  d'Odinn  et  de  Rindur  (Jaillissante);  il  est  hardi  dans  les  guerres,  et 
<L  très-habile  tireur.  » 

31.  «  Ullr  (Éclat)  est  le  nom  d'un  autre;  c'est  le  fils  de  Sif  (Pa- 
c(  rente)  et  le  beau-fils  de  Thôr  ;  il  est  si  bon  archer  et  coureur  sur 
c(  barres ,  que  personne  ne  peut  lutter  avec  lui.  Il  est  beau  de  visage; 
«  et  il  a  les  manières  d'un  homme  d'armes  ;  il  est  bon  de  lui  adres- 
c(  ser  des  vœux  dans  le  combat  singulier.  » 

32.  (iProposant  (norr.  Forseti)  est  le  nom  du  fils  de  Baldur  et  de  Nanna 
((  (Vigoureuse),  fille  de  Nep  (Saillie).  Il  possède,  au  ciel,  la  Salle  nommée 
<nEtincelante(norr.Glitmr);  et  tous  ceux  qui  viennent,  chez  lui,  pour 
c(  des  litiges  difficiles,  s'en  retournent  tous  réconciliés  :  c'est  le  meil- 
«  leur  Tribunal  chez  les  Dieux  et  chez  les  hommes ,  ainsi  qu'il  est 
«  dit  ici  : 

((«  Cette  Salle  est  nommée  Étincelante  ;  elle  est  étayée  d'or, 

«((Et  couverte  également  d'argent; 
((((Et  là  Proposant  réside  la  plupart  des  jours 

((((Et  assoupit  tous  les  litiges.»»  (33) 

33.  «  On  compte  aussi  parmi  les  Ases  celui  que  quelques-uns  ap- 
«  pellentle  Détracteur  des  Ases,  et  le  Conseiller  de  Perfidies,  et  leDéshon- 
((  neur  de  Tous,  Dieux  et  hommes.  C'est  le  nommé  Loki  (Clôtureur),  ou 
((  Loptur {kérïen) ,  fils  áeViotneFarbauti{Buie\oysí§e);  sa  mère  est 
<(  Lauf-ey  (Ile  de  Feuillage),  ou  Nâl  (Aiguille)  ;  ses  frères  sont  Byleistr 
«(Pousse Grain)  et  Hel-blindi(ïvh^-^omhve).  //OÂ;iestagréableetbeau 
«  de  forme,  méchant  de  caractère,  et  très-variable  dans  sa  conduite  ;  il 


hödur;  vidar;  vali;  ullr;  forseti;  loki;  hel.  103 

ii  avait,  plus  quepersonne,  cette  intelligence  qu'on  nommeastudfe,  et  des 
«  ruses  pour  toutes  choses.  Il  entraînait  toujours  les-4sesdans  des  diffi- 
«  cultes  complètes  ;  souvent  aussi  il  les  en  a  tirés  par  des  moyens  de 
«ruse.  Sa  femme  se  nomme  Sigyn  (Aime -Chute),  leur  fils,  Ndri 
«  (Crépusculaire)  ou  Narvi. 

34.  (fLoki  avait  encore  plusieurs  autres  enfants.  Angur-bodi 
a  (Signal  d'Angoisse)  était  le  nom  d'une  Géante  dans  Séjour-des-Iotnes 
«(norr.  lotunheimr);  avec  elle,  Loki  a  eu  trois  enfants:  l'un  était 
c(  Loup  de  Fenrir  ;  l'autre  lormungand  (Charmeur-Solaire) ,  c'est  le 
c(  Serpent  de  V Enclos-Mitoyen  (norr.  Midgardr)  ;  le  troisième  est  Hel 
<i  (Mort).  Lorsque  les  Dieux  s'aperçurent  que  ces  trois,  les  frères  et  la 
c(  sœur,  étaient  élevés  dans  les  Séjours-des-Iotnes,  et  quand  les  Dieux 
c(  se  rappelèrent  les  prédictions,  d'après  lesquelles  un  grand  dommage 
«  et  malheur  proviendraient  de  ces  frères  et  sœur ,  et  que  tous  crurent 
«devoir  s'attendre,  dans  eux,  à  beaucoup  de  méchanceté,  d'abord 
«  du  côté  de  leur  mère,  et  plus  encore  de  celui  de  leur  père,  alors 
«  Père- Universel  y  envoya  les  Dieux  pour  enlever  ces  enfants  et  les 
«amener  devant  lui.  Et  quand  ceux-ci  furent  venus  chez  lui,  il 
«jeta  le  Serpent  dans  la  Mer  profonde  qui  entoure  tous  les  conti- 
«nents;  et  ce  Serpent  grandit  tellement,  que,  gisant  au  milieu  de  la 
«  Haute  Mer,  il  entoure  tous  les  continents ,  et  qu'il  se  mord  la  queue. 
«Il  jeta  Hel  (Mort)  dans  le  Séjour- Brumeux  (norr.  Niflheim),  et  lui 
«  donna  l'empire  sur  le  neuvième  Séjour,  afin  qu'elle  distribuât  tous 
«  les  logis  entre  ceux  qui  lui  seraient  envoyés ,  à  savoir  les  hommes 
«  morts  de  maladie  ou  morts  de  vieillesse.  Là  elle  possède  de  grands 
«  Manoirs;  et  ses  Enceintes  sont  prodigieusement  hautes  et  les  Grilles 
«élevées;  sa  Salle  est  nommée Espace-de- Tempêtes  (norr. Elitidnir) , 
«  sonÉcueWe, Faim  (norr.  Hungr),  son  Couteau,  Inamtion{norr.Sultr), 
«  son  SerÎ,  Marche- Lent  (norr.  Ganglati),  sa  Serve,  Marche-Lente  (norr, 
«  Gang-lot),  sa  Grille,  Calamiié-Tombante(norr.  Fallanda-forat) ,  son 
«  Seuil,  Fati g ant-de- Souffrance  (norr.  Thol-modnir) ,  sa  Couche,  Gra- 
«  bat-de-Malade  (norr.  Kör),  son  Rideau,  Mal- Perçant  {norr. Blikianda- 
«  bol).  Elle  est  à  moitié  bleue  et  à  moitié  couleur  de  chair;  par  là ,  elle 
«est  reconnaissable;  et  elle  a  le  visage  fort  décharné  et  sinistre.  (34) 

«  Les  Ases  élevèrent  le  Loup  chez  eux,  et  Tyr  seul  avait  la  hardiesse 
«  d'aller  auprès  du  Loup  pour  lui  donner  à  manger.  Mais  lorsque  les 
«  Dieux  virent  combien  il  grandissait  chaque  jour ,  et  que  les  oracles 
«  énoncèrent  qu'il  était  destiné  à  leur  nuire ,  les  Ases  prirent  alors 


104  LA  FASCINATION  DE  GULFI, 

<i  le  pari  de  faire  un  lien  très-fort  qu'ils  appelaient  insinuant  (norr. 
«  Lœthingr)  ;  et  ils  le  portèrent  au  Loup  et  l'invitèrent  à  essayer  sa 
«  force  contre  ce  lien.  Celui-ci  ne  paraissait  pas  excessivement  fort 
c(  au  Loup  ;  et  il  les  laissa  donc  faire  avec  lui  comme  ils  le  voulaient. 
«  La  première  fois  que  le  Loup  se  piéta,  le  Lien  se  brisa  ;  et  il  se  dé- 
«  gagea  ainsi  de  Y  Insinuant.  Après  cela  les  Ases  firent  un  autre  lien^ 
«  d'une  force  double ,  qu'ils  appelèrent  Seirant  (norr.  Drômi) ,  et  ils 
«  invitèrent  encore  le  Loup  à  essayer  ce  lien  ;  et  ils  lui  dirent  qu'il 
c(  deviendra  célèbre  par  sa  force ,  si  un  semblable  ouvrage  extraor- 
«  dinaire  ne  pourra  le  retenir.  Le  Loup ,  de  son  côté ,  prit  en  con- 
«  sidération  que  ce  lien  était  très-fort,  mais,  en  même  temps,  que, 
«depuis  qu'il  avait  brisé  Insinuant,  sa  force  avait  augmenté.  Il  lui 
«  vint  dans  la  pensée  qu'il  était  obligé  de  s'exposer  au  danger ,  s'il 
«voulait  devenir  célèbre  ,  et  il  se  laissa  attacher  le  lien.  Et  lorsque 
«  les  Ases  dirent  qu'ils  avaient  fini ,  le  Loup  s'agita ,  se  piéta ,  et  fit 
«  tomber  à  terre  le  lien  brisé ,  au  point  que  les  débris  en  furent  lancés 
«au  loin.  C'est  ainsi  qu'il  s'arracha  au  Serrant,  Il  est  d'usage,  de- 
«  puis,  de  dire  :  se  dégager  de  V  Insinuant,  ou  s'arracher  au  Serrant , 
«  quand,  pour  une  chose,  on  s'efforce  ardemment.  Après  cela ,  les 
a  Ases  craignirent  qu'ils  ne  parvinssent  plus  à  enchaîner  le  Loup. 
«  Père-Universel  envoya  alors  le  varlet  qui  est  nommé  Skirnir  (Eclair- 
«cit),  le  Messager  de  Freij ,  au  Séjour- des -Alfes- Noirs ^  chez  cer- 
«  tains  Dvergs,  et  fit  faire  le  Lien  qui  est  nommé  Etranglant  (norr. 
«  Gleipnir).  Celui-ci  était  fait  de  six  choses  :  de  bruit  de  pas  de  chat, 
«de  barbe  de  femme,  de  racines  de  montagnes,  de  tendons  d'ours, 
«  d'haleine  de  poisson ,  et  de  salive  d'oiseau;  et,  bien  que  tu  n'aies 
«pas  connu,  antérieurement,  ces  détails,  tu  vas  bientôt  trouver  ici 
«  la  preuve  certaine  qu'on  ne  t'a  pas  fait  de  mensonges  :  tu  peux  bien 
«avoir  remarqué  que  la  femme  n'a  pas  de  barbe,  et  qu'il  ne  résulte 
«  pas  de  bruit  du  trot  d'un  chat ,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  racines  sous 
«  les  montagnes  ;  mais  je  sais ,  ma  foi  !  que  tout  ce  que  je  t'ai  dit  n'en 
«  est  pas  moins  vrai ,  bien  qu'il  y  en  ait  des  choses  que  tu  ne  puisses 
«  pas  expérimenter.  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«Je  pourrai  me  convaincre  pleinement  que  cela  est  vrai,  quand 
«  je  verrai  les  résultats  que  tu  viens  d'invoquer  comme  preuve  :  mais 
«ce  Lien,  ainsi  confectionné,  comment  devint-il?» 

Sublime  répond  : 


LES  ASES  ENCHAINENT  LE  LOUP  DE  FENRIR.  i05 

«  C'est  ce  que  je  puis  bien  te  dire  ;  ce  Lien  devint  lisse  et  souple 
«  comme  un  lacet  de  soie,  et  si  solide  et  fort  comme  tu  vas  mainte- 
«  nant  l'apprendre.  Quand  le  Lien  fut  apporté  aux  Ases ,  ils  remer- 
«cièrent  beaucoup  le  Messager  de -sa  commission.  Ensuite  les  Ases 
«se  rendirent  sur  le  Lac  nommé  Amsvartnir  (Noirci  de  Peine),  dans 
«  un  îlot  qui  est  appelé  Bruyère  (norr.  Lyngvi)  ;  et  ils  appelèrent  à 
«  eux  le  Loup ,  lui  montrèrent  le  lacet  de  soie  et  l'invitèrent  à  le 
«  rompre;  et  ils  dirent  qu'il  était  un  peu  plus  solide  qu'il  n'en  avait 
((  l'air,  à  en  juger  d'après  l'épaisseur  ;  et  chacun  le  passa  à  l'autre  et  y 
((  éprouva  la  force  de  ses  mains ,  et  il  ne  fut  pas  rompu  :  néanmoins 
a.  ils  dirent  que  le  Loup  le  romprait.  Alors  le  Loup  répond  : 

««  Il  me  semble,  à  voir  ce  filet,  que  je  ne  pourrai  pas  acquérir 
«€de  la  gloire  en  rompant  un  lacet  aussi  mince  :  mais,  s'il  est  fait 
«(c  avec  artifice  et  avec  perfidie  ,  bien  que  cela  n'y  paraisse  guère ,  ce 
«((lacet  ne  touchera  pas  à  mes  pieds. »)) 

((Alors  les  Ases  dirent  quïl  pourrait  facilement  rompre  ce  mince 
((  lacet  de  soie  ,  lui  qui  avait  auparavant  brisé  de  grandes  chaînes  de 
((  fer,  et  ((«  si  tu  ne  parviens  pas  à  rompre  ce  lacet,  alors  tu  ne  saurais 
((((être  redoutable  aux  Dieux,  et,  par  conséquent ,  nous  pourrons 
((((  alors  te  relâcher.»» 

((  Le  Loup  répond  : 

((«  Si  vous  me  liiez  de  manière  que  je  ne  parvinsse  plus  à  me  dé- 
((« livrer  moi-même,  vous  vous  ririez  de  moi,  de  sorte  que  j'aurais 
((((à  attendre  longtemps  que  vous  me  vinssiez  en  aide.  Je  n'ai  donc 
((«aucune  envie  de  me  laisser  attacher  ce  Lien.  Mais  pour  que  vous 
««ne  doutiez  pas  de  mon  courage ,  que  l'un  de  vous  mette  sa  main 
««  dans  ma  gueule,  pour  garantie  que  ce  Lien  est  fait  sans  perfidie.  »» 

«  Mais  chacun  des  Ases  regarda  l'autre ,  et  il  leur  semblait  qu'il  y 
«  avait  maintenant  double  embarras  ;  nul  ne  voulait  sacrifier  sa  main. 
«  Enfin  Tyr  étendit  sa  main  droite  et  la  mit  dans  la  gueule  du  Loup. 
«Quand  le  Loup  se  piéta ,  le  Lien  se  raidit;  et  plus  il  faisait  des  ef- 
«  forts  pour  le  rompre,  plus  le  Lien  se  serrait.  Alors  tous  se  mirent  à 
«rire,  excepté  Tyr,  qui  y  laissa  sa  main.  Quand  les  Ases  virent  que 
«  le  Loup  était  parfaitement  lié ,  ils  prirent  la  Corde  nommée  Pati- 
<ibulaire  (norr.  Gelgia),  qui  était  attachée  au  Lien,  et  ils  la  passèrent 
«  à  travers  une  grande  Roche  nommée  Bruyante  (norr.  GiÖU) ,  et 
«fixèrent  cette  Roche  profondément  dans  la  terre;  puis  ils  prirent 
«  une  énorme  Pierre  ,  nommée  Traverse  (norr.  ThvUi) ,  qu'ils  enfon- 


106  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«  çèrent  encore  plus  avant  dans  la  terre ,  et  ils  employèrent  celte 
«  pierre  en  guise  de  croc  d'attache.  Le  Loup  ouvrit  violemment  la 
«  gueule ,  se  démena  beaucoup,  et  voulut  les  mordre.  Ils  lui  lancèrent 
((  un  glaive  dans  la  bouche;  la  poignée  se  fixa  dans  le  palais  inférieur, 
«et  la  pointe  à  stylet  dans  le  palais  supérieur;  c'est  là  son  Dilata- 
c(  teur  de  palais  (norr.  gôm-sparri).  Il  hurle  effroyablement,  et  la  sa- 
c(  live  lui  coule  de  la  bouche  :  c'est  là  la  Rivière  qu'on  nomme  Regret 
«  (norr.  Von).  Là,  il  restera  jusqu'au  Crépuscule-des-Grandeurs.  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 

<(.Loki  a  engendré  des  enfants  prodigieusement  méchants;  et  tous, 
«ces  frères  et  sœur,  sont  puissants  de  leur  nature;  mais  pourquoi 
«  les  Ases  n'ont-ils  pas  tué  le  Loup  duquel  ils  ne  s'attendaient  qu'à 
«  du  mal  ?  » 

Sublime  répond  : 

«  Les  Dieux  respectaient  tant  leurs  Sanctuaires  et  leurs  Asyles , 
«  qu'ils  ne  voulaient  pas  les  souiller  du  sang  de  ce  Loup ,  bien  que 
«  les  visions  annonçassent  qu'il  donnerait  la  mort  à  Odinn.  »  (35) 

35.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«Quelles  sont  les  Amies-des-Ases?y> 

Sublime  répond  : 

aFrigg  (Pluie)  est  la  première;  elle  possède  la  Résidence  qui  est 
«  nommée  Salles  d'Écume  (norr.  Fensalir)  et  qui  est  très-splendide.  » 

«  La  seconde  est  Tradition  (norr.  Saga)  :  elle  réside  à  Sockvabeck, 
«  (Banc  de  Submergé),  qui  est  aussi  un  endroit  remarquable.  » 

«  La  troisième  est  Cure  (norr.  Eir)  ;  elle  est  le  meilleur  Médecin.  » 

«  La  quatrième  est  Geftun  (Aime-l'Abîme)  ;  elle  est  vierge ,  et  celles 
«  qui  meurent  vierges  la  servent. 

«La  cinquième  est  Abonde  (norr.  Fulla)\  elle  aussi  est  vierge,  et 
«  a  les  cheveux  flottants  et  un  bandeau  doré  autour  de  la  tête.  Elle 
«  porte  l'écrin  de  Frigg ,  et  a  soin  de  la  chaussure  de  celle-ci  ;  et  elle 
«  est  initiée  à  ses  conseils  secrets. 

nFreyia  (Maîtresse)  est,  avec  Frigg ,  la  plus  distinguée;  elle  fut 
«  mariée  à  l'homme  nommé  Odr  (Impétueux)  ;  leur  fille  est  nommée 
n  Joyau  (norr.  Hnoss);  celle-ci  est  si  belle  que,  d'après  son  nom, 
«  on  appelle  joyau  ce  qui  est  beau  et  précieux.  Odr  partit  pour  de 
«longs  voyages,  et  Freyia  pleure  après  lui;  et  ses  larmes  sont  de 
«  For  rouge. 

«  Freyia  a  plusieurs  noms ,  et  la  raison  en  est  qu'elle  s'est  donné 


LES  TREIZE  ASYNIES  ;  SÔL  ;  BIL.  407 

«différents  noms,  quand  elle  a  voyagé  chez  des  peuples  inconnus, 
«  pour  chercher  Odr:  elle  est  nommée  Mar-dÖll  (Pin-de-Mer),  Höm 
(((Pluie),  Gefn  (Abîme),  Syr  (Truie). 

«  Freyia  possédait  le  Bijou  des  issus  de  Brisi  (norr.  Brisingc^men); 
((  elle  est  aussi  appelée  Déesse  Vane.  »  (36) 

La  septième  est  Affection  (norr.  Siofn)  ;  elle  s'efforce  beaucoup  à 
«  tourner  les  pensées  des  humains  vers  l'amour  pour  la  femme  ou 
«pour  l'homme:  d'après  son  nom,  l'amant  est  appelé  X Affectionné 
«  (norr.  Siafni). 

«  La  huitième  est  Permission  (norr.  Lofn)  ;  elle  est  si  bénigne  et 
«  si  favorable  aux  vœux  qu'on  lui  adresse ,  qu'elle  obtient  de  Père- 
<i  Universel  et  de  Frigg,  la  permission  (norr.  leyfi)  pour  la  réunion 
((de  l'homme  et  de  la  femme,  bien  que  celle-ci  ait  été  antérieure- 
«  ment  défendue  ou  empêchée  :  c'est  pourquoi  son  nom  désigne  aussi 
((  V amour  (norr.  /o/),  et  ce  qui  est  très-/ott^ (norr.  lofât)  des  hommes.» 

((La  neuvième  est  Assurance  (norr.  Vor);  elle  écoute  les  serments 
«des  humains  et  les  promesses  que  se  font  entre  eux,  femmes  et 
«  hommes  :  aussi  ces  promesses  sont-elles  nommées  assurances  (norr. 
(Lvarar).  Elle  se  venge  aussi  sur  ceux  qui  se  dédisent.  Assurance  est 
«  instruite  et  enquérante,  au  point  qu'on  ne  peut  rien  lui  cacher;  il 
«  est  usité  de  dire  d'une  femme  qu'elle  est  assurée  (norr.  vor)  d'une 
«chose,  quand  elle  en  est  instruite. 

«La  dixième  est  Dénégation  (norr.  Syn~)\  elle  garde  les  portes  de 
«  la  Halle  et  les  ferme  à  ceux  qui  ne  doivent  pas  entrer.  Elle  est 
«  aussi  employée ,  dans  l'assemblée  judiciaire,  pour  la  défense  contre 
«  les  accusations  dont  elle  conteste  la  vérité  ;  de  là  il  est  d'usage  de 
«  dire  qu'on  oppose  une  dénégation  (norr.  syn) ,  quand  on  nie. 

«La  onzième  esi Protection  (norr. Hlin);  elle  est  chargée  de  veiller 
«  sur  les  hommes  que  Frigg  veut  préserver  de  quelque  danger;  de  là 
«  l'usage  de  dire  être  protégé  (norr.  hleinir) ,  pour  être  préservé. 

«  La  douzième  est  Elégante  (norr.  Snotra)  ;  elle  est  instruite  et 
«polie;  et,  d'après  son  nom,  on  appelle  Élégant  (norr.  Snotr)  tout 
«  individu ,  femme  ou  homme ,  qui  sait  les  convenances. 

«  La  treizième  est  Planeuse  (norr.  Gnâ)  ;  Frigg  l'envoie  dans  les 
«  différents  Séjours ,  pour  ses  commissions.  Elle  possède  le  cheval 
«  qui  traverse  l'air  et  la  mer  et  qui  est  nommé  Lance-Sabot  (norr. 
a Hôfvarpnir).  Une  fois,  qu'elle  chevaucha,  il  arriva  que  quelques 
«  Vanes  la  virent  chevaucher  dans  l'air;  alors  un  d'eux  dit  : 


108  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«((Qui  est-ce  qui  vole  là?  qui  est-ce  qui  s'avance  là, 
««  Et  passe  dans  l'air?»» 
«  Elle  répond  :  » 

((«Je  ne  vole  pas,  bien  que  j'avance  et  que 

<(((Je  passe  dans  l'air, 
((«Sur  Lance-Sabot,  que  Eamsker^ïr (Gerce- Peau) 

««  A  engendré  avec  Gardrôfa  {Brise-Enclos).  »» 

«  D'après  le  nom  de  Flâneuse^  on  dit  qu'une  chose  plane  (norr. 
agnœfi)  quand  elle  se  meut  dans  l'air.  (37) 

«  SOI  et  BU  sont  aussi  comptées  parmi  les  Amies-des-Ases  et  on  a 
«parlé  ci-dessus  de  ce  qui  leur  est  propre.  » 

36.  «  Il  y  a  encore  les  Femmes  chargées  de  servir  dans  la  Halle- 
iides-Occis  (norr.  Valholl)^  de  présenter  à  boire,  et  de  soigner  les 
«  ustensiles  de  table  et  les  accessoires  du  festin.  Voici  comme  elles 
«  sont  nommées  dans  les  Dits  de  Grimnir  : 

««  Je  veux  que  Hrist  (Secousse)  eiMist  (Brume)  me présententla  corne, 

««Ainsi  que Skeggiold (Manie-h-Rache)  etSkogul  (Hérissée); 

«« Hildur  (Lutte), Thrudur (Force),  Hlock (Chaîne),  Herfiotur  (Lien de 

troupe), 
««  Göll  (Perte)  et  Geirahod  (Lutte  aux  Framées), 
««  Bandgrid  (Fureur  d'Écus),  Badgrid  (Fureur  Résolue)  et  Beginleif 

(Targe  des  Dieux), 
««Ce  sont  elles  qui  présentent  l'ail  aux  Troupiers-Uniques,»» 

«Elles  sont  nommées  Choisit-les-Occis  (norr.  Valkyriur):  Odinn 
«les  envoie  à  chaque  combat;  elles  choisissent  les  hommes  destinés 
«  à  mourir  et  président  à  la  victoire,  úuerre  (norr.  Gudr)  et  Alarme 
«(norr.  Bota),  et  la  plus  jeune  des  Nomes,  nommée  Future  (norr. 
«  Skulld),  chevauchent,  continuellement,  pour  choisir  les  Occis,  'et 
«  elles  président  à  la  bataille. 

«  Terre  (norr.  lord) ,  la  mère  de  Thôr  (Tonnerre) ,  et  Bindur  (Jail- 
«  lissante),  mère  de  Fö/i  (Effrayant) ,  sont  comptées  parmi  les  y4mi>s- 
<ides-Ases.y)  (38) 

37.  «  Un  homme  se  nommait  Gymir,  et  sa  femme  Örboda  qui  était 
«  de  la  race  des  Géants-des-Montagnes  :  Gerdur  est  leur  fille ,  qui 
«  est  la  plus  belle  de  toutes  les  femmes.  Il  est  arrivé  un  jour  que  Frey 
«  est  allé  dans  HUdskialf  (Chaumine-aux-Porles)  et  a  parcouru,  du 
«  regard ,  tous  les  Stijours  :  et  lorsqu'il  regarda  dans  la  Région  du 


LES  VALKYRIES;  FREY  ET  GERDI  R  ;  RELI.  109 

<!(  Nord ,  il  vit  dans  un  enclos  une  grande  et  belle  maison  ;  et  vers 
«  cette  maison  se  dirigeait  unefemme.;  et  lorsqu'elle  leva  ses  mains 
«  et  ouvrit  la  porte  devant  elle  ,  ses  mains  jetèrent  de  l'éclat  dans 
«l'air  et  sur  l'eau,  et  tous  les  Séjours  furent  éclairés  par  elle. 
«Aussi  il  fut  tellement  puni  de  sa  grande  présomption  de  s'être 
«assis  sur  ce  siège  sacré,  que,  plein  de  chagrin,  il  se  retira.  Et 
«lorsqu'il  rentra  chez  lui,  il  ne  parla  à  personne;  il  ne  dormait 
«  plus ,  il  ne  buvait  plus  ;  personne  non  plus  n'osait  l'engager  à  s'ex- 
«  pliquer.  Alors  Niordur  fit  appeler  auprès  de  lui  Eclaircit  (norr. 
«  Skirnir),  le  valet  de  chaussure  de  Frey,  et  le  pria  d'aller  chez  Frey, 
«  de  l'engager  à  s'expliquer,  et  de  lui  demander  contre  qui  il  était 
«  tellement  courroucé  qu'il  ne  parlait  plus  à  personne.  Eclaircit  dé- 
«clara  qu'il  irait,  encore  que  ce  fût  contre  son  gré;  et  il  dit  qu'il 
«  s'attendait,  de  lui ,  à  une  réponse  désagréable.  Lorsqu'il  vint  chez 
«  Frey^  il  lui  demanda  pourquoi  Frey  était  si  abattu  et  ne  parlait 
«  plus  à  personne.  Alors  Frey  lui  répondit  et  dit  qu'il  avait  vu  une 
«  belle  femme ,  et  qu'à  cause  d'elle  il  était  si  plein  de  chagrin  qu'il 
«ne  vivra  plus  longtemps  s'il  ne  la  pourra  pas  obtenir,  et,  ««  main- 
««  tenant  tu  dois  partir  et  demander  pour  moi  sa  main ,  et  l'amener 
««ici  au  logis,  que  son  père  veuille  ou  non;  et  je  te  récompenserai 
««bien  pour  cela.  »» 

«Alors  Eclaircit  répondit,  déclarant  qu'il  partirait  pour  ce  mes- 
«sage ,  mais  que  Frey  devait  lui  donner  son  épée.  Cette  épée  était  si 
«  bonne  qu'elle  se  brandissait  d'elle-même  ;  cependaiH  Frey  voulut 
«  agir  largement,  et  il  lui  donna  cette  épée.  Alors  Eclaircit  partit;  et 
«  il  demanda,  pour  l'autre,  cette  femme;  et  il  obtint  d'elle  le  consen- 
«  tement  ;  et  après  neuf  nuits  elle  voulait  se  rendre  à  l'Endroit  nommé 
«  lle-de-Feuillage  (norr.  Barr-ey),  et  aller  alors  aux  finançailles  avec 
«  Frey.  Lorsque  Eclaircit  annonça  à  Frey  son  message ,  celui-ci  ré- 
«  cita  ceci  : 

««  Une  nuit  est  longue  ;  elle  est  longue  la  deuxième  ; 

«« Comment  supporterai-je  de  languir  pendant  trois?  ;    * 
««  Souvent  un  mois  m'a  semblé  plus  court 

«Í.  Que  la  moitié  d'une  telle  nuit  d'union.»» 

«Voilà  la  raison  pourquoi  Frey  s'est  trouvé  tellement  sans  armes, 
«  lorsqu'il  combattit  contre  Beli  (Beugleur),  et  qu'il  le  frappa  à  mort 
«  avec  une  corne  de  cerf.  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 


110  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

c(  C'est  bien  étonnant  qu'un  chef  pareil,  comme  l'est  Frey^  ait  con- 
«  senti  à  donner  son  épée ,  sans  qu'il  en  eût  une  autre  également 
«bonne.  Cela  devint  pour  lui  un  immense  désavantage,  lorsqu'il 
«combattit  contre  le  nommé  Beli;  et  je  crois,  ma  foi!,  qu'alors  il 
«  s'est  repenti  d'avoir  fait  ce  don.  » 

Alors  Sublime  répond  : 

«  Ce  fut  de  peu  d'importance ,  alors  que  lui  et  Beli  se  rencontrè- 
«  rent  :  Frey  pouvait  le  frapper  à  mort  avec  sa  main.  Mais  il  arrivera 
«que  Frey  se  trouvera  dans  une  plus  mauvaise  rencontre,  quand 
«cette  épée  lui  manque,  lorsque  les  Fils  de  Muspell  s'avanceront 
«  pour  faire  l'irruption.  »  (39) 

38.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Tu  prétends  que  tous  les  hommes  qui  sont  tombés  à  la  guerre , 
«  depuis  le  commencement  du  monde,  se  trouvent  maintenant  chez 
«  Odinn ,  dans  la  Halle-des-Occis  (norr.  Valhöll)  :  qu'a-t-il  donc  à 
«  leur  donner  pour  leur  subsistance  ;  je  pense  qu'il  doit  y  avoir  là 
«  une  bien  grande  multitude  d'hommes.  » 

Alors  Sublime  répond  : 

«  Ce  que  tu  dis  est  vrai  ;  il  y  a  là  une  bien  grande  multitude  d'hommes  ; 
«  il  y  en  aura  encore  une  bien  plus  grande,  et  cependant  elle  paraîtra 
«  encore  trop  petite ,  lorsque  le  Loup  s'avance.  Mais  jamais  la  foule 
«  n'est  tellement  grande,  dans  la  Halle-des-Occis,  que  le  lard  du  Ver- 
«rat,  nommé  Sœhrimnir  (Frimas  de  Mer),  ne  puisse  plus  leur  suf- 
«  fire.  Celui-ci  est  cuit  chaque  jour,  et,  le  soir,  il  redevient  entier. 
«  Cette  question  que  tu  m'adresses  est  telle  qu'il  me  semble  plus  que 
«  probable  qu'il  n'y  ait  que  peu  d'hommes  assez  érudits  pour  savoir 
«  dire  la  vérité  là-dessus.  —  Le  Cuisinier  est  nommé  And-hrimnir 
«  (Frimas  d'Haleine),  et  la  Marmite,  Eld-hrimnir  (Frimas  de  Suie)  : 
«  c'est  ce  qui  est  dit  ici  : 

««Dans  Eldhrimnir,  Andhrimnir  fait 

««Bouillir  Sæhrimnir 
««Le  meilleur  lard;  cependant  Peu  le  savent 

««Avec  quoi  se  nourrissent  les  Troupiers-Uniques.»» 
Alors  Piétonneur  dit  : 

«Est-ce  (\vl  Odinn  a  le  même  ordinaire  que  les  Troupiers- Uniques 
«  (norr.  Ein-heriar)  ?  » 
Sublime  répond  : 


I 


sæhrimnir;  les  loups  et  les  corbeaux  d'odinn.  111 

«  Le  mets  qui  se  trouve  sur  sa  table,  il  le  donne  à  ses  deux  Loups, 
«  qui  sont  nommés  Avide  (norr.  Geri)  et  Effronté  (norr.  Frekï)  ;  lui,  il 
«  n'a  besoin  d'aucun  mets  ;  le  vin  lui  est ,  à  la  fois ,  boisson  et  nom- 
«riture;  ainsi  qu'on  l'énonce  ici  : 
««Avide  et  Effronté,  il  les  rassasie,  l'Habitué-à-la-Guerre , 

««  L'illustre  Père-des-Combattants  ; 
««Et  avec  du  vin  seul,  le  Glorieux-des- Armes , 
««  Odinn ,  se  soutient  continuellement.  »» 

«Deux  Corbeaux  lui  sont  assis  sur  les  épaules,  et  lui  disent  àl'o- 
«  reille  tous  les  événements  qu'ils  voient  ou  qu'ils  entendent  :  ils 
«  sont  nommés /?^M^îwri (Penser)  et  Muninn  (Désir.)  «Il  les  envoie,  à 
«la  pointe  du  jour,  voler  par  le  Monde  entier;  et,  au  repas  du 
«soir,  ils  reviennent;  par  là,  il  est  instruit  de  beaucoup  d'événe- 
«ments  ;  et,  pour  cela,  les  hommes  l'appellent  Dieu-aux- Corbeaux 
«  (norr.  Hrafna-gud).  Voici  ce  qui  est  énoncé  : 

««Huginn  et  Muninn  volent  chaque  jour 

««  Par  dessus  la  Plaine  éclairée  du  Soleil; 
««De  Huginn,  je  crains  qu'il  ne  revienne  plus; 

««Je  l'appréhende  encore  plus  de  Muninn. »»  (40) 

39.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Qu'est-ce  que  les  Troupiers- Uniques  ont  à  boire  qui  puisse  leur 
«  suffire  aussi  abondamment  que  leur  nourriture?;  ou  est-ce  qu'on  y 
«boit  de  l'eau?» 

Alors  Sublime  répond  : 

«  C'est  singulier  ce  que  tu  dis  là ,  que  Père  Universel  veuille  inviter 
«  chez  lui  des  Rois  et  des  Comtes  et  d'autres  hommes  de  Gouverne- 
«  ment,  et  qu'il  songe  à  leur  présenter  de  l'eau  à  boire!  —  Je  sais, 
«ma  foi!  que  maint  homme  va  à  la  Halle-des- Occis ,  qui,  s'il  n'y 
«  avait  pas  là  de  meilleure  réception ,  croirait  payer  cher  cette  eau , 
«  lui  qui  vient  d'endurer  les  blessures  et  la  fièvre  qui  ont  amené  sa 
«  mort  !  —  Je  puis  te  donner  là-dessus  d'autres  renseignements.  La 
«Chèvre  qui  est  nommée  Heidrûne  (Compagne  de  Richesse),  se  tient 
«dressée  contre  la  Halle-des- Occis ^  et  broute  la  pousse  de  l'Arbre 
«  tant  renommé ,  qu'on  appelle  Lœrad  (Illuminé);  et,  de  ses  trayons, 
«  coule  l'Hydromel  dont  elle  remplit  chaque  jour  le  Vase  à  anse,  qui 
«est  si  grand  que  tous  les  Troupiers- Uniques  y  trouvent  de  quoi 
«  boire  à  satiété.  » 


112  LA  FASníNATION  DE  GULFT. 

Alors  Piétonnenr  dit  : 

C'est  pour  eux  une  chèvre  excessivement  commode;  et  il  doit  être 
«  prodigieusement  excellent  l'Arbre  dont  elle  broute.  » 

Alors  Sublime  dit  : 

«Il  est  encore  d'une  plus  grande  importance-,  par  rapport  au  Cerf 
«  Eïkthyrnir  (Cornu  de  l'Arbre),  qui  se  tient  près  de  hHalle-des-Occis^ 
«  et  broute  aux  branches  de  cet  arbre  ; .  et ,  de  ses  cornes ,  il  se  fait 
«un  si  grand  écoulement,  qu'il  se  répand  dans  le  Bassin-Bruyant 
«  (norr.  Hvergelmir)  ;  et  de  là  descendent  les  Eaux  qui  sont  ainsi 
«  nommées  :  Sîd  (Languissante),  Vîd  (Large),  Sekin  (Poursuivante), 
«Mm  (Attaquante),  Svol  (Froide),  Gîm/i-ZArd  (Belliqueuse) ,  FiÖrm 
«  (Chargée),  /iim6íí/-/Aít/(Murmure-Étourdissant),  G//?íí/ (Béante),  GÖ- 
apul  (Pleine-d'abîmes),  GOmii/ (Vieille) ,  Ger-vimul  (Pleine-Confu- 
«  sion)  ;  celles-là  coulent  près  des  Habitations  des  Ases.  Il  y  en  a  en- 
«  core  d'autres  ,  nommées  :  Thyn  (Profonde),  Vin  (Désir),  Thöll  (Ra- 
«mifiée),  Holl  (Déclive),  Grâd  (Avide),  Gunn-thrâin  (Belliqueuse), 
aNyt  (Violente),  Nöt  (Frémissante),  Nonn  (Vigoureuse),  Hrönn 
«•(Ondoyante),  Fmö  (Amie),  Veg-svinn  (Voyageuse),  Thiôd-numa 
«  (Connue  du  Monde).  »  (-il) 

40.  «  Alors  Piétonnenr  dit  : 

«  Ce  sont  de  merveilleuses  nouvelles  que  tu  me  dis  là  ;  ce  doit  être 
«  une  maison  immensément  grande  que  cette  Halle-des- Occis;  il  doit 
«  y  avoir  souvent  presse  aux  portes  ?  » 

Alors  Sublime  dit  : 

«  Pourquoi  ne  demandes-tu  pas  combien  il  y  a  de  portes  à  la  Halle- 
iides-Occis,  et  de  quelle  dimension?;  quand  tu  l'auras  appris,  tu 
«  avoueras  qu'il  serait  étonnant  que  l'on  ne  pût  y  entrer  et  en  sortir, 
«  toutes  les  fois  qu'on  le  veut  ;  il  est  encore  vrai  de  dire  qu'il  n'y  a 
«  pas  plus  de  difficulté  pour  sortir  que  pour  entrer.  Voici  ce  que  tu 
«  peux  apprendre  dans  les  Dits  de  Grimnir  : 

«Cinq  centaines,  plus  environ  quatre  dizaines  de  portes, 

«Tant,  j'estime ,  se  trouvent  à  la  Halle-des-Occis ; 

«Huit  centaines  de  Troupiers-Uniques  sortent,  à  la  fois,  par  chaque  porte, 
«Lorsqu'ils  vont  combattre  contre  Présage.» 

41.  Alors  Piétonnenr  dit  : 

«  Elle  est  très-grande  la  foule  des  hommes  dans  la  Halle-des-Occis, 
«  de  sorte  que  je  suis  également  persuadé  qu' Odinn  est  un  très-grand 
«Chef,  puisqu'il  gouverne  une  si  grande  armée;  mais  quel  est  donc 


LES  troupiers-uniques;  l'iOTNE  architecte  ;  SVADILFARI.      113 

«le  passe-temps  des  Troupiers- Uniques ,  quand  ils  ne  sont  pas  oc- 
«  cupés  à  boire  ?  » 
Sublime  répond  : 

«  Chaque  jour,  après  qu'ils  se  sont  habillés,  ils  s'arment  et  sortent 
ddans  la  cour,  et  se  battent  et  se  renversent  l'un  l'autre;  c'est  là 
«leur  jeu.  Et  quand  le  temps  du  souper  est  venu,  ils  rentrent  à 
«cheval  dans  la  Halle-des- Occis ,  et  s'assoient  au  festin,  ainsi  qu'il 
«  est  dit  ici  : 

««Tous  les  Troupiers-Iniques^  dans  les  Enclos  d'Odinn, 

««Se  battent  chaque  jour; 
««Ils  choisissent  les  victimes^  et  quittent  à  cheval  le  combat; 
««Et  ensuite  s'assoient  réconciliés  ensemble. 

«  Ce  que  tu  as  dit  est  encore  vrai ,  Odinn  est  grand  par  lui-même  ; 
«  on  trouverait  beaucoup  de  preuves  de  cela.  Voici  ce  qui  est  énoncé 
«  dans  les  paroles  des  Àses  eux-mêmes  : 

«Le  Frêne  d'Yggdrasill,  c'est  le  premier  parmi  les  arbres, 

«Comme  Skîdbladnir  parmi  les  navires, 
«  Odin7i  parmi  les  Ases ,  et  Sleipnir  parmi  les  chevaux , 

«Et  Bifröst  parmi  les  ponts, 
«Et  Bragi  parmi  les  poètes,  et  Haute-Braie  parmi  les  faucons, 

«Et  Garmur  parmi  les  chiens.  »  (42) 

42.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«A  qui  appartient  l'étalon  Sleipnir,  et  qu'y  a-t-il  à  en  dire?» 

Sublime  répond  : 

«  Tu  n'as  donc  pas  de  renseignements  sur  Sleipnir,  et  tu  ne  sais 
«pas  à  quel  accident  il  doit  sa  naissance'?;  cela  va  te  paraître  digne 
«  d'être  rapporté.  —  Tout  de  suite  après  le  premier  établissement 
«  des  Dieux ,  quand  les  Dieux  eurent  élevé  Y  Enclos-Mitoyen  (Mid- 
«gardr)  et  construit  h  Halle-des-Occis  (Valholl),  il  y  vint  un  artisan 
«  et  offrit  de  leur  construire,  dans  l'espace  de  trois  semestres  ,  une 
«  forteresse  si  excellente  qu'on  y  serait  en  sûreté,  sans  crainte  devant 
«les  Géants  des  Montagnes  {Bergvisair)  et  les  TJmrses-Givreux  (Hrim- 
«  thursar),  même  quand  ils  seraient  déjà  entrés  dans  V  Enclos-Mitoyen; 
«  et  il  demanda,  pour  prix ,  qu'il  serait  mis  en  possession  de  Freyia; 
«  de  plus,  il  voulait  avoir  le  Soleil  et  la  Lune.  Là-dessus  les  Ases  al- 
«  lèrent  délibérer  et  se  concerter  sur  la  résolution  à  prendre  ;  et 
«  l'on  conclut  ce  marché  avec  l'artisan,  qu'il  serait  mis  en  possession 
«de  ce  qu'il  demandait,  s'il  parvenait  à  construire  la  forteresse  dans 

8 


114  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

((  l'espace  d'un  hiver.  Mais  si ,  le  premier  jour  d'été ,  il  restait  encore 
«  quelque  chose  à  faire  à  la  forteresse ,  il  perdrait  le  prix.  Il  devait, 
«  pour  cet  ouvrage ,  ne  recevoir  le  secours  de  personne.  Quand  ils 
«  lui  annoncèrent  ces  conditions ,  il  les  pria  de  lui  permettre  d'avoir 
«  l'aide  de  son  cheval ,  nommé  Svadilfari  (Vole-sur-Glace)  ;  et  Loki 
«  (Clôtureur)  fut  cause  que  cela  lui  fut  accordé.  Il  commença,  dès 
«le  premier  jour  d'hiver,  à  construire  la  forteresse;  et,  pendant  les 
«  nuits ,  il  y  transporta  les  pierres  sur  son  cheval  ;  et  cela  parut 
«  très-étonnant  aux  Ases ,  que  ce  cheval  pût  porter  de  si  grands  ro- 
«  chers,  et  que  le  cheval  fît  deux  fois  plus  de  besogne  que  l'artisan. 
((  Mais  le  marché  entre  eux  avait  été  confirmé  par  des  témoignages 
«  solides  et  par  beaucoup  de  serments ,  parce  que  VIotne  ne  se  serait 
c(  pas  cru  en  sûreté  auprès  des  Ases,  s'il  eût  été  sans  garantie  lorsque 
«  Thôr  (Tonnerre)  serait  rentré.  Celui-ci  était  alors  allé  dans  la  Ré- 
c(  gion  d'Orient  (norr.  Austurvegr)  combattre  les  démons  (norr.  troll). 
((  Lorsque  l'hiver  tira  à  sa  fin ,  la  construction  de  la  forteresse  fut 
«  vivement  poussée  ;  et  celle-ci  était  déjà  si  haute  et  si  solide ,  qu'on 
c(  ne  pouvait  pas  l'attaquer.  Et  lorsqu'il  n'y  eut  plus  que  trois  jours 
«jusqu'à  l'été,  le  travail  aux  portes  de  la  forteresse  était  déjà  très- 
«  avancé.  Alors  les  Dieux  s'assirent  sur  leurs  sièges  de  jugement  et 
«  cherchèrent  conseil  ;  et  chacun  demanda  à  l'autre  qui  avait  conseillé  • 
«de  marier  Freyia  dans  \e  Séjour-des-Iotnes ,  et  d'endommager  l'Air 
«  et  le  Ciel,  de  manière  à  en  enlever  le  Soleil  et  la  Lune,  pour  les 
«  donner  aux  lotnes  ;  et  tous  tombèrent  d'accord  que  ce  conseil  a  dû 
«  être  donné  par  celui  qui  cause  la  plupart  des  malheurs ,  par  Loki, 
«  le  fils  d' Ile-de-Feuillage  (Laufey)  ;  et  ils  le  déclarèrent  digne  d'une 
«  mort  misérable ,  s'il  ne  trouvait  pas  moyen  de  faire  perdre  la  ré- 
«  tribution  à  l'artisan ,  et  ils  menacèrent  Loki  de  lui  courir  sus. 
«  Lorsqu'il  fut  intimidé,  il  fit  le  serment  que,  quoi  qu'il  lui  en  coûtât, 
«  il  arrangerait  la  chose  de  manière  que  l'artisan  perdrait  la  rétribu- 
«tion.  Et,  le  même  soir,  lorsque  l'artisan  sortit  chercher  des  pierres 
«  avec  son  cheval  Svadilfari,  voici  que,  d'une  forêt,  accourt  une  jument 
«  vers  le  cheval  et  hennit  vers  lui.  Quand  l'étalon  reconnut  que  c'é- 
«tait  une  jument,  il  entra  en  rut,  rompit  le  licou  et  courut  vers  la 
«jument.  Celle-ci  rentra  dans  la  forêt,  et  l'artisan  courut  après  pour 
«rattraper  son  cheval;  et  ces  hennisseurs  coururent  toute  la  nuit, 
t  et  la  construction  chôma  cette  nuit;  et  le  lendemain ,  il  ne  se  fit  pas 
«autant  de  travail  comme  cela  s'était  fait  antérieurement.  Et  quand 


sleipnir;  skîdbladnir;  naglfari.  115 

«  l'artisan  vit  que  l'ouvrage  ne  serait  pas  achevé ,  il  entra  en  rage 
«  d'Iotne  ;  et  lorsque  les  Dieux  reconnurent,  pour  certain ,  que  c'était 
a  un  Géant-des-Montagnes  qui  était  venu  chez  eux ,  on  n'eut  aucun 
<L  égard  aux  serments ,  et  ils  nommèrent  Thôr  et  aussitôt  celui-ci  arriva, 
«et,  de  suite,  le  Marteau  Meunier  (Miôlnir)  s'élança  dans  l'air.  Ce- 
«lui-ci  lui  paya  la  rétribution  de  l'ouvrage,  mais  non  avec  le  soleil 
«  et  la  lune  ;  il  lui  refusa  même  d'habiter  les  Séjours-des-Ioines  ;  il 
«  le  frappa  d'un  seul  coup,  qui  lui  brisa  le  crâne  en  petits  morceaux,  et 
<.(  l'envoya  en  bas ,  au-dessous  de  Hel-Brumeux  (Niflhel).  —  Loki  avait 
«  eu  avec  Svadilfari  un  tel  rapprochement,  que ,  quelque  temps  après, 
«il  mit  bas  un  poulain;  c'était  un  petit  étalon,  et  il  avait  huit  pieds; 
«  et  c'est  le  meilleur  cheval  chez  les  Dieux  et  chez  les  hommes.  Voici 
«  ce  qui  est  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 

««  Alors  les  Grandeurs  allèrent  toutes  sur  les  sièges  originaires, 
««Les  Dieux  très-saints  encore  sur  ceci  discutèrent: 
««Qui  avait  porté  la  désolation  dans  l'air  entier, 
««Et,  à  la  race  de  l'Iotne,  fiancé  la  Vierge  d'Odur. 

««  Transgressés  sont  les  serments ,  les  promesses  et  les  jurements, 
«« Toutes  les  fortes  assurances  qu'on  avait  fait  intervenir; 
«« Thôr  seul  obtint  cela ,  enflé  de  rage; 
««Rarement  il  reste  assis,  quand  il  apprend  pareille  chose.  »» 

43.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Qu'y  a-t-il  à  raconter  de  Skîdbladnir  ?  puisque  c'est  le  meilleur 
«des  navires;  n'y  a-t-il  pas  de  navire  aussi  bon  que  lui  ou  aussi 
«  grand  ?  » 

Sublime  répond  : 

Skîdbladnir  est  le  meilleur  des  navires  et  fait  avec  le  plus  d'art; 
«  mais  le  plus  grand  navire  est  Naglfari  (Navire  d'Ongles) ,  qui  est 
«  dans  Muspell  (Gâte-Monde).  Certains  Z)ygr^s,  fils  d'/M/<f  (Très- Actif), 
«  ont  construit  Skîdbladnir  (Bois-Feuilleté),  et  ont  donné  ce  navire  à 
«  Frey.  Il  est  si  grand  que  tous  les^sespeuvent  s'y  embarquer,  avec  leurs 
«  armes  et  l'appareil  guerrier;  et,  aussitôt  que  la  voile  est  hissée,  il 
«  a  le  vent  favorable  pour  aller  où  il  doit  ;  et  quand  il  ne  faut  pas 
«  aller  avec  lui  sur  mer ,  il  est  fait  d'un  si  grand  nombre  de  choses 
«  et  avec  un  si  grand  art,  qu'on  peut  le  plier  comme  du  drap  et  le 
«  porter  dans  sa  poche.  »  (43) 


110  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

44.  Alors  Piétonneur  dit  : 

((  SMdbladnir  est  un  excellent  navire ,  et  une  magie  très-puissante 
<i  a  dû  être  employée  pour  parvenir  à  le  faire  ainsi.  —  Est-ce  qu'il 
((  n'est  arrivé  nulle  part  à  Thôr  (Tonnerre)  de  rencontrer  quelque 
«  chose  qui,  de  sa  nature,  fût  tellement  puissante  et  tellement  forte 
c(  qu'il  y  reconnût  la  supériorité  sur  lui,  par  la  force  ou  par  la  magie?» 

Alors  Sublime  dit  : 

a  Peu  d'hommes ,  je  présume ,  savent  raconter  de  cela  ;  cependant 
c(  mainte  chose  lui  a  paru  difficile  à  exécuter.  Mais,  bien  qu'il  sôit  arrivé 
«  que  certaines  choses  ont  été  tellement  fortes  ou  tellement  solides 
«  que  Thôr  n'en  a  pas  pu  remporter  la  victoire ,  il  ne  convient  cepen- 
«  dant  pas  d'en  parler,  parce  qu'il  y  a  d'autres  exemples  qui  prou- 
ve vent,  ce  qui  convient  à  tous  de  croire,  que  Thôr  est  le  plus  puissant.  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Il  me  semble  que  je  vous  ai  interrogé  sur  une  chose  qu'il  n'est 
«  pas  permis  de  raconter.  » 

Alors  Equi-Sublime  dit  : 

((Nous  avons  entendu  parler  d'événements  qui  nous  semblent  trop 
«incroyables  pour  pouvoir  être  vrais:  mais  ici,  auprès,  est  assis 
((  Celui  qui  doit  savoir  en  raconter  l'histoire  véritable  ;  et  tu  dois  le 
((  croire ,  car  il  ne  mentira  pas,  cette  première  fois ,  lui  qui  n'a  jamais 
((  menti  antérieurement.  » 

Alors  Piétonneur  dit  : 

((  Je  vais  me  tenir  ici  et  écouter  si  j'obtiens  quelque  renseigne- 
((  ments  à  ce  sujet;  mais,  dans  l'autre  cas,  je  vous  déclare  vaincus 
«  si  vous  ne  savez  pas  me  raconter  ce  dont  je  m'^nquiers.  » 

Alors  Troisième  dit  :  * 

«11  est  évident  que  celui-ci  veut  savoir  cette  histoire,  bien  qu'il 
«  ne  nous  paraisse  pas  convenable  de  la  raconter.  —  Cependant  '  va 
«  maintenant  écouter.  — 

«Le  commencement  de  ce  récit,  c'est  que  Thôr-au-Char  était  en 
«  route  avec  ses  Boucs  et  sa  voiture  ;  et  avec  lui  était  VAse  qui  est 
«  appelé  Loki.  Vers  le  soir  ils  viennent  chez  un  Manant ,  et  obtiennent 
«Ik  le  gîte  de  nuit.  Puis,  le  soir,  Thôr  prit  ses  Boucs  et  les  abattit 
«  tous  les  deux  ;  après  cela  ils  furent  écorchés  et  mis  dans  la  marmite. 
«Quand  tout  fut  cuit,  Thôr  s'assit  pour  souper,  ainsi  que  ses  com- 
«pagnons.   Thô,r  invita  le  Manant  et  sa  femme  et  leurs  enfants  à 

1.  S'adressant  à  SubUme  et  à  Equi-Sublime.  —  2.  S'adressant  à  Piétonneur. 


THÔR  ACQUIERT  THIÂLFI  ET  RÖSKVA.  117 

«  partager  ce  repas  avec  lui  :  le  fils  du  Manant  se  nommait  Thiâlfi 
<.(  (Fouilleur) ,  et  la  fille  Röskva  (Alerte).  Thôr  alors  mit  les  peaux  des 
«  boucs  à  quelque  distance  du  feu  et  dit  que  le  Manant  et  ceux  de  sa 
«maison  devaient  jeter  les  os  sur  ces  peaux.  Thidlfi,  le  fils  du  Ma- 
rnant, tint  l'os  de  la  cuisse  d'un  des  boucs  et  le  perça  avec  le  cou- 
ce  teau ,  et  pénétra  jusqu'à  la  moelle.  Thôr  passa  là  la  nuit  :  et  au 
«crépuscule,  avant  le  jour,  il  se  leva  et  s'habilla;  prit  le  Marteau 
((.Meunier,  le  souleva  en  l'air  et  consacra  les  peaux  des  boucs.  Aus- 
((  sitôt  les  Boucs  se  levèrent  ;  mais  l'un  des  deux  se  trouva  être  boi- 
«  teux  à  une  jambe  de  derrière.  Thôr  s'en  aperçut  et  déclara  que  le 
«  Manant  ou  quelqu'un  de  sa  maison  n'en  aura  pas  usé  avec  précau- 
«  tion  avec  les  os  de  ce  bouc  ;  qu'il  reconnaissait  que  l'os  de  la  cuisse 
«avait  été  brisé.  Il  n'est  pas  besoin  de  le  dire  longuement,  tout  le 
«  monde  peut  se  figurer  que  le  Manant  a  dû  être  effrayé,  lorsqu'il  vit 
«  Thôr  baisser  ses  sourcils  sur  les  yeux ,  et  qu'il  pensa ,  en  voyant  ses 
«yeux,  qu'il  allait  être  foudroyé,  rien  que  par  son  regard.  Celui-ci 
«  serra  si  fortement,  de  ses  mains,  le  manche  du  Marteau,  que  les  nœuds 
«  des  doigts  en  blanchirent.  Le  Manant ,  comme  on  pouvait  s'y  atten- 
«  dre,  fit  tant  que  tous  ceux  de  sa  maison  se  lamentèrent,  demandèrent 
«d'être  épargnés  et  offrirent,  comme  indemnité,  tout  ce  qu'ils  pos- 
«  sédaient.  Quand  il  vit  leur  frayeur,  sa  colère  s'en  alla,  et  il  s'apaisa; 
«et  il  prit  d'eux,  pour  accommodement,  leurs  deux  enfants,  Thidlfi, 
«  et  Röskva,  qui  devinrent  dès  lors  les  serviteurs-liges  de  Thôr;  et, 
«  depuis,  tous  deux  le  suivent  continuellement.  » 

45.  «  Il  laissa  ensuite  ses  Boucs  en  cet  endroit,  et  dirigea  son  voyage 
«  vers  l'Orient ,  vers  les  Séjours-des-lotnes  et  jusqu'à  l'Océan.  Il  tra- 
«  versa  alors  la  haute  Mer  ;  et  quand  il  arriva  au  bord ,  il  remonta 
«dans  le  Pays,  et,  avec  lui,  Loki  et  Thidlfi,  et  Röskva.  Quand  ils 
«eurent  marché  une  petite  traite,  il  se  trouva,  devant  eux,  une 
«  grande  forêt  ;  ils  y  marchèrent  toute  la  journée ,  jusqu'à  ce  qu'il  fit 
«  sombre.  Thidlfi  était ,  de  tous  les  hommes,  le  plus  infatigable  mar- 
«  cheur  ;  il  portait  le  sac  de  Thôr.  Quant  à  trouver  un  logement ,  ce 
«  n'était  pas  facile.  Lorsqu'il  fit  sombre ,  ils  cherchèrent  un  gîte  pour 
«  la  nuit  ;  ils  trouvèrent  devant  eux  une  baraque  considérablement 
«  grande  ;  l'entrée  en  était  à  l'extrémité ,  et  aussi  large  que  la  baraque 
«  elle-même  :  c'est  là  qu'ils  cherchèrent  à  coucher ,  pour  la  nuit. 
«Mais,  au  milieu  de  la  nuit,  il  se  fit  un  grand  tremblement  de  terre; 
«  la  terre  fut  ébranlée,  sous  eux,  par  des  mouvements  brusques,  et 


118  LA  FASCINATION  DE  GULFÍ. 

«  la  maison  trembla.  Thôr  se  leva  alors  et  appela  ses  compagnons  ; 
«  ils  s'avancèrent  à  tâtons  et  trouvèrent  une  arrière-pièce  à  droite , 
«vers  le  milieu  de  la  baraque,  et  ils  y  entrèrent.  Thôr  s'assit  à  la 
«porte;  les  autres  se  tenaient,  derrière  lui,  dans  l'intérieur;  ils 
«  étaient  effrayés ,  et  Thôr  tenait  le  manche  du  Marteau  et  songeait 
«  à  se  défendre.  Alors  il  entendirent  un  grand  bruissement  et  fra- 
ie cas.  Quand  la  pointe  du  jour  arriva,  Thôr  sortit  :  et  il  vit  un  homme 
c(  couché ,  tout  près  de  lui ,  dans  la  forêt;  et  celui-ci  n'était,  certes, 
«  pas  petit  ;  il  dormait  et  ronflait  solidement.  Alors  Thôr  crut  pou- 
«voir  s'expliquer  le  bruit  qui  s'était  fait  dans  la  nuit;  il  serra  au- 
«tour  de  lui  sa  Ceinture-de-force  et  sa  Force  d'Ase  s'en  accrut. 
«En  ce  moment  l'Homme  se  réveilla  et  se  leva  aussitôt:  et  on  ra- 
«  conte  que,  cette  fois-ci,  7%dr,  ne  se  sentit  pas  le  courage  de  le 
«  frapper  avec  le  Marteau  ;  mais  il  lui  demanda  son  nom ,  et  celui- 
«ci  déclara  se  nommer  ASA;rym/r  (Brailleur),  et,  ««je  n'ai  pas  besoin, 
««dit-il,  de  te  demander  ton  nom;  je  sais  que  tu  es  Thôr-des- 
aaAses  —  mais  pourquoi  m'as-tu  éloigné  ma  mouffïe?»».  Skrymir 
«  étendit  alors  le  bras  et  releva  de  terre  sa  mouffle  ;  Thôr  vit  alors 
K  que  celle-ci  lui  avait  servi  de  chambre  pour  la  nuit ,  et  que  l'arrière- 
«  pièce  était  le  pouce  de  la  mouffïe.  Skrymir  demanda  si  Thôr  vou- 
«  lait  accepter  sa  compagnie  en  route ,  et  Thôr  dit  qu'oui.  Skrymir 
«  alors  saisit  et  ouvrit  son  sac  aux  vivres  et  se  disposa  à  prendre  son 
«déjeuner;  et  Thôr,  à  une  autre  place,  fit  de  même  avec  ses  com- 
«  pagnons.  Skrymir  proposa  ensuite  de  mettre  ensemble  leurs  provi- 
«  sions ,  et  Thôr  dit  qu'oui.  Alors  Skrymir  lia  toute  leur  provende 
«dans  un  sac  et  se  le  mit  sur  le  dos.  Il  marcha ^  en  avant,  toute  la 
«journée,  en  faisant  des  pas  passablement  grands.  Ensuite,  vers  le 
«  soir ,  Skrymir  leur  chercha  un  gîte ,  pour  la  nuit ,  sous  un  grand 
«  chêne.  Skrymir  dit  alors  à  Thôr  qu'il  voulait  se  coucher  pour  dor- 
«mir  :  ««vous!  prenez  le  sac  à  provende  et  mettez-vous  à  souper.»» 
«  Après  quoi  Skrymir  s'endormit  et  ronfla  fortement.  Thôr  ensuite 
«prit  le  sac  à  provende  et  voulut  l'ouvrir;  mais,  il  faut  dire,  quel- 
•«que  incroyable  que  cela  paraisse,  il  ne  parvint  pas  à  délier  un  seul 
«  nœud ,  ni  à  desserrer  seulement  un  bout  du  cordon ,  de  manière 
«qu'il  fût  moins  serré  qu'auparavant.  Quand  il  vit  que  ses  efforts 
«étaient  inutiles,  il  se  fâcha;  il  saisit,  des  deux  mains,  le  Marteau 
«  Meunier ,  avança  d'un  pas  vers  l'endroit  où  gisait  Skrymir ,  et  lui 
«  frappa  sur  la  tète.  Mais  Skrymir  se  réveilla  et  demanda  si  quelque 


skrymir;  loki  de  l'enclos  extérieur.  119 

«feuille  détachée  lui  serait  tombée  sur  la  tête,  et  s'ils  avaient  main- 
«  tenant  fait  leur  repas,  et  seraient  prêts  à  se  coucher.  Tliôr  dit  qu'ils 
<i  voulaient  maintenant  aller  dormir.  Ils  allèrent  alors  sous  un  autre 
«chêne;  et  il  faut  le  dire ,  en  vérité  ,  qu'on  n'osait  pas  alors  dormir 
<i  sans  crainte.  Vers  minuit ,  Thôr  entendit  Skrymir  ronfler  et  dormir 
a  si  profondément ,  que  la  forêt  en  retentit.  Il  se  leva  alors  et  alla 
d  vers  lui,  brandit  le  Marteau  rapidement  et  fortement,  et  lui  frappa 
c(  sur  le  sommet  de  la  tête.  Il  s'aperçoit  que  le  museau  du  Marteau 
(.(s'était  enfoncé  profondément  dans  la  tête.  En  ce  moment,  Skrymir 
<i  se  réveilla  et  dit  :  ««  Qu'y  a-t-il  donc?  un  gland  me  serait-il  tombé 
««sur  la  tête?  qu'y  a-t-il  avec  toi,  Thôr?y>-h  Mais  Thôr  avait  reculé 
«rapidement,  et  il  répondit  qu'il  venait  de  se  réveiller  à  l'instant; 
«  il  dit  qu'il  était  minuit  et  qu'il  y  avait  encore  du  temps  pour  dor- 
«mir.  Thôr  pensa  alors  que  s'il  trouvait,  encore  une  fois ,  l'occasion 
«de  porter  un  troisième  coup,  cet  homme-ci  ne  lèverait  plus  jamais 
«ses  yeux  sur  lui.  Il  se  coucha  donc,  et  attendit  que  Skymir  fût 
«  profondément  endormi.  Un  peu  avant  le  crépuscule  ,  il  juge  que 
«  Skrymir  doit  s'être  endormi  ;  il  se  lève  donc ,  court  vers  lui,  bran- 
«  dit  alors  le  Marteau  de  toute  sa  force ,  et  le  frappe  sur  la  mandi- 
«bule  qui  était  tournée  en  haut.  Le  Marteau  s'enfonce  jusqu'au 
«  manche.  Mais  Skrymir  se  mit  sur  son  séant,  et  passa  la  main  sur  la  • 
«joue  et  dit:  ««  Des  oiseaux  se  seraient-ils  perchés  sur  l'arbre,  au- 
*j.«  dessus  de  moi?  il  me  semble  que ,  quand  je  me  suis  réveillé,  de 
««  la  fiente  m'était  tombée  des  branches  sur  la  tête.  —  Pourquoi  es-tu 
««éveillé,  Thôr? —  Il  va  être  temps  de  se  lever  et  de  s'habiller!  — 
««Mais  vous  n'avez  plus  maintenant  de  long  chemin  d'ici  au  château 
««qu'on  appelle  V Enclos-Extérieur .  — Je  vous  ai  entendu  chuchot- 
««ter,  entre  vous,  que  je  n'étais  pas  un  homme  de  petite  taille; 
««mais  quand  vous  serez  entrés  à  Y  Enclos-Extérieur ,  vous  y  verrez 
««des  hommes  plus  grands  encore.  Je  veux  maintenant  vous  donner 
««  un  conseil  salutaire  :  ne  manifestez  pas  une  trop  haute  opinion  de 
««vous-mêmes;  les  hommes  de  la  suite  de  Loki  de  V Enclos-Exté- 
««  rieur  ne  souffriraient  pas  des  paroles  audacieuses  dans  des  varlets 
««porte-queue  comme  vous.  Si  vous  voulez  faire  autrement,  re- 
«« tournez-vous-en;  c'est,  selon  moi,  le  parti  qui  serait  pour  vous 
««le  meilleur  à  prendre.  Si  cependant  vous  voulez  continuer  votre 
««voyage,  dirigez-vous  vers  l'Orient;  moi,  j'ai  maintenant  à  faire 
««route  au  Nord,  vers  ces  montagnes  que  vous  pouvez  maintenant 


120  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

(««apercevoir.  »))  Skrymir  prend  le  sac  à  provende ,  se  le  jette  sur  le 
«dos,  et  il  s'éloigne  d'eux,  à  droite  dans  la  forêt;  et  il  n'est  pas  dit 
«  que  les  Ases  lui  aient  alors  souhaité  de  le  revoir  sain  et  sauf.  » 

46.  «  Thôr  alla  son  chemin  avec  ses  compagnons ,  et  il  marcha 
«jusqu'à  midi.  Alors  ils  virent  un  château  s'élevant  dans  une  plaine, 
«et  il  leur  fallut  renverser  la  nuque  sur  le  dos  pour  atteindre  du 
«  regard  jusqu'en  haut.  Ils  s'avancent  vers  le  château.  Devant  la  porte 
«  du  château  il  y»avait  une  grille  en  bois  qui  était  fermée.  7%dr  alla 
«à  la  grille  et  ne  réussit  pas  à  l'ouvrir;  et  comme  ils  voulaient  de 
«  toute  force  entrer  au  château ,  ils  se  glissèrent  entre  les  palis  et 
«  entrèrent  ainsi.  Ils  virent  alors  une  grande  halle  et  s'en  approchè- 
«rent;  les  portes  étaient  ouvertes;  ils  entrèrent  et  ils  virent,  sur 
«  deux  bancs ,  beaucoup  d'hommes ,  dont  la  plupart  étaient  passable- 
«  ment  grands.  Après  cela ,  ils  se  présentèrent  devant  le  roi  Loki  de 
<iY Enclos-Exlérieur  et  le  saluèrent.  Mais  celui-ci  dirigea  uégligem- 
«ment  son  regard  sur  eux,  et,  souriant  du  bouL  des  dents,  il  dit: 
««  C'est  fastidieux  de  s'enquérir  longuement  de  vos  histoires.  —  En 
««serait-il  autrement  que  je  ne  pense,  que  ce  petit  valet  serf  est 
««  Thôr-aU'Char  ? —  Serais-tu  par  hasard  plus  fort  que  tu  n'en  a 
««l'air?  —  Et  quel  est  le  talent  avec  lequel,  toi  et  tes  compagnons, 
««vous  pensez  pouvoir  vous  produire?  Nul  ne  peut  rester  avec  nous, 
««qui  ne  possède  quelque  art  ou  quelque  connaissance  d'une  ma- 
««nière  supérieure  à  la  plupart  des  hommes.»»  Alors  le  nommé 
(.iLoki  (Clôtureur),  qui  marchait  le  dernier,  dit:  ««Je  possède  un 
««  art ,  et  je  suis  prêt  à  en  donner  des  preuves  :  c'est  qu'il  n'y  a  per- 
««  sonne  ici  qui  puisse  manger  sa  portion  plus  vite  que  moi.  »»  Alors 
«  Loki  de  V Enclos-Extérieur  répondit  :  ««Cela  est  un  art,  si  tu  l'exerces 
««  effectivement  ;  et  on  va  éprouver  cet  art.  »»  Il  cria  vers  le  banc  que 
«le  nommé  Feu  (Logi)  devait  s'avancer  dans  .l'allée  et  se  mesurer 
«contre  Loki.  Alors  une  auge  fut  prise  et  portée  dans  l'allée  de  la 
«  halle  et  remplie  de  grosse  viande.  Loki  s'assit  à  un  bout  et  Feu  à 
«  l'autre.  Tous  deux  mangèrent  le  plus  vite  possible  ;  et  ils  se  ren- 
«  contrèrent  au  milieu  de  l'auge.  Loki  avait  mangé  toute  la  viande 
«  sur  les  os  ;  mais  Feu  avait  mangé  toute  la  viande  avec  les  os  et  de 
«plus  l'auge;  et  il  semblait  dès  lors  à  tous  que  Loki  avait  perdu  la 
«partie. 

«Alors  Loki  de  V Enclos- Extérieur  demande  dans  quel  jeu  excelle 
«ce  jeune  homme-là.  Thidlfi  déclare  qu'il  pense  s'éprouver  à  courir 


THÔR  CHEZ  LOKI  DE  l'ENCLOS  EXTÉRIEUR.  121 

«une  carrière  quelconque  avec  tout  homme  que  Loki  de  VEnclos- 
ii  extérieur  choisirait  pour  cela.  klovsLoki  de  Y  Enclos-Extérieur  dii  y 
((  que  c'est  un  excellent  art ,  et  il  s'écrie  que  s'il  ose  se  produire  dans 
((  un  tel  art ,  il  est  à  présumer  qu'il  soit  personnellement  bien  exercé 
c(  à  la  vitesse.  ««Néanmoins ,  dit-il ,  nous  allons  tout  de  suite  éprouver 
««  cela.»))  Alors  Loki  de  ï Enclos-Extérieur  se  lève  et  sort;  et  il  y  avait 
«  là  une  carrière  propre  à  la  course ,  sur  un  terrain  uni.  Alors  Loki 
«de  V  Enclos-Extérieur  appelle  à  lui  un  petit  valet  serf  nommé  Penser 
«(Hugi),  et  lui  dit  de  lutter,  à  la  course,  avec  Thiâlfi.  Ils  entrer 
«  prennent  donc  la  première  course  ;  et  Penser  a  une  telle  avance 
«qu'à  l'extrémité  de  la  carrière,  il  parvient  à  s'en  retourner  à  la 
«rencontre  de  l'autre.  Alors  Loki  de  V Enclos-Extérieur  dit:  ««Il 
««faudra  que  tu  te  mettes  davantage  en  avant,  Thiâlfi!  si  tu  veux 
««gagner  la  partie.  Il  est  cependant  vrai  que  personne  encore  n'est 
««venu  ici  qui  m'ait  paru  plus  léger  de  jambe  que  toi.))))  Alors  ils 
«  entreprennent  une  seconde  course  ;  et  quand  Penser  est  arrivé  à 
«l'extrémité  de  la  carrière,  et  qu'il  s'en  retourne,  voilà  qu'il  y  avait 
«encore  une  portée  de  flèche  jusqu'à  Thiâlfi.  Mots  Loki  de  VEnclos- 
a.  Extérieur  dit  :  ««Tous  deux  vous  me  semblez  parcourir,  bien  la 
««carrière  ;  mais  je  ne  m'attends  plus  ,  de  celui-ci ,  à  ce  qu'il  gagne 
««la  partie;  et  cela  devra  se  décider  maintenant  que  vous  ferez  la 
««troisième  course.))»  Alors  ils  entreprennent  encore  une  fois  la 
«course;  et  quand  Penser  est  arrivé  à  l'extrémitée  de  la  carrière  et 
«s'en  retourne,  et  que  Thiâlfi  n'a  pas  seulement  parcouru  la  moitié 
«de  la  carrière,  alors  tous  disent  que  c'est  décidé,  quant  à  ce  jeu. 
«  Alors  Loki  de  V Enclos-Extérieur  demande  à  Thôr  quel  est,  parmi 
«ses  talents,  celui  qu'il  voudra  faire  briller  devant  eux,  conformé- 
«  ment  aux  grands  récits  que  les  hommes  ont  déjà  faits  de  ses  ac- 
«  lions  d'éclat.  Alors  Thôr  dit  qu'il  préfère  se  prendre  à  lutter  avec 
,«qui  que  ce  soit,  à  qui  boira  le  mieux.  Loki  de  V Enclos-Extérieur 
«dit  que  c'est  bien;  et  il  rentre  dans  la  halle  et  appelle  son  garçon 
«  d'écuelle  et  lui  commande  d'aller  prendre  la  Corne  de  Punition  que 
«les  hommes  de  la  garde  ont  coutume  de  vider.  Bientôt  après  le 
«garçon  d'écuelle  arriva  avec  la  corne  et  la  remit  dans  la  main  à 
«  Thôr.  Alors  Loki  de  r Enclos-Extérieur  dit  :  ««On  passe  pour  savoir 
««bien  boire  dans  cette  corne,  si  on  la  vide  d'uîi  seul  coup;  quel- 
««  ques-uns  encore  la  vident  seulement  en  deux  traits  ;  mais  nul  n'est 
««si  mauvais  buveur  qu'il  ne  la  vide  en  trois.»»  Thôr  regarde  la 


122  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«corne;  elle  ne  lui  semble  pas  large,  mais  bien  longue.  Cependant, 
«lui,  il  a  beaucoup  soif;  il  se  met  à  boire ,  à  bien  grands  traits;  et 
«il  pense  qu'il  n'aura  plus  besoin,  pour  lors,  d'incliner  davantage 
«la  corne.  Lorsqu'il  n'en  peut  plus,  qu'il  a  redressé  la  corne,  et 
«qu'il  voit  ce  qui  s'était  en  allé  au  trait ,  et  qu'il  lui  semble  qu'il  n'y 
«  a  qu'un  tout  petit  soupçon  que  la  corne  soit  moins  pleine  qu'au- 
«  paravant,  alors  Loki  de  V Enclos-Extérieur  dit  :  ««Tu  as  bien  bu  ; 
««mais  cependant  pas  ce  qu'on  appelle  fortement.  Je  ne  l'aurais  pas 
««  cru,  si  on  me  l'avait  dit,  que  Thôr-des-Ases  ne  boirait  pas  un  plus 
««grand  coup.  Cependant  je  sais  que  tu  voudras  vider  au  second 
««  trait.  ))»  Thôr  ne  répond  pas  ;  il  porte  la  corne  à  la  bouche  et  pense 
«maintenant  boire  un  plus  grand  coup  ;  et  il  s'efforce  à  boire  autant 
«  qu'il  lui  est  possible.  Cependant  il  voit  encore  que  la  pointe  de  la 
«  corne  ne  s'élève  pas  autant  qu'il  le  désire  ;  et  quand  il  a  éloigné  la 
«  corne  de  la  bouche ,  il  lui  semble  qu'il  y  manque  maintenant  moins 
«  que  la  première  fois  :  maintenant  c'est  tout  au  plus  qu'on  peut 
«  porter  çà  et  là  la  corne  sans  répandre.  Alors  Loki  de  V Enclos-Ex- 
ii  térieur  dit:  ««Qu'ya-t-il,  7%dr?  Tu  ne  voudras,  certes,  pasmain- 
««  tenant  refuser  de  prendre  encore  un  coup  en  plus  de  ce  que  tu 
««aurais  envie?  S'il  t'arrive  de  vider  maintenant  la  corne ,  au  troi- 
««  sième  coup ,  il  faudra  bien ,  ce  me  semble ,  que  celui-ci  soit  réel- 
««  lement  grand.  Cependant  jamais  tu  ne  pourrais  passer ,  chez  nous, 
««pour  un  homme  fort,  comme  les  Ases  t'appellent,  si,  personnel- 
«« lement,  tu  ne  fais  pas  mieux  dans  d'autres  jeux,  que  ce  dont  je 
««te  juge  capable  d'après  celui-là.))»  Alors  Thôr  entre  en  colère;  il 
«porte  la  corne  à  la  bouche  et  y  boit  aussi  fortement  qu'il  peut,  et 
«  s'efforce  à  prendre  un  aussi  long  coup  que  possible.  Cependant,  lors- 
«  qu'il  regarda  dans  la  corne,  une  différence  quelque  peu  plus  sen- 
«sible  avait  été  obtenue  cette  fois-ci;  et  alors  il  rend  la  cqrne  et  ne 
«veut  pas  boire  davantage.  Alors  Loki  de  V  Enclos-Extérieur  dit:  ««Il , 
««  est  maintenant  évident  que  ta  force  n'est  pas  aussi  grande  que 
««  nous  le  pensions.  —  Veux-tu  encore  t'essayer  dans  d'autres  jeux? 
««  On  a  pu  voir  tout  à  l'heure  que  tu  ne  vaux  rien  dans  celui-là.  ))» 
«  7%dr  répondit  :  ««Je  puis  encore  m'essayer  dans  d'autres  jeux  ; 
««toutefois  ça  me  paraîtrait  étonnant  si  j'étais  avec  les  Ases  et  que 
««  de  semblables  ct)ups  passassent  pour  tellement  petits  !  —  Mais 
««quel  jeu  voulez-vous  maintenant  me  proposer?  »))  Alors  Loki  do 
«  V Enclos-extérieur  dit  :  ««  Les  jeunes  varlels  ici  font  ce  qui  paraîtra 


THÔR  CHEZ  LOKI  DE  l'ENCLOS  EXTÉRIEUR.         423 

««peu  de  chose;  ils  soulèvent  de  terre  mon  chat.  Aussi  je  ne  pour- 
««rais  pas  le  gagner  sur  moi  de  proposer  chose  pareille  à  Thôr-des- 
(iii  Âses,  si  je  n'avais  pas  vu  tout  à  l'heure  que  tu  es,  personnelle- 
««ment,  beaucoup  plus  faible  que  je  ne  pensais.»»  Bientôt  après 
ff  accourut  dans  l'ailée  de  la  halle  un  chat  gris  et  fort  grand.  Thôr  s'en 
«approcha  et  lui  mit  la  main  sous  le  milieu  du  ventre,  et  la  souleva. 
«  Mais  le  chat  arrondit  son  dos  à  mesure  que  Thôr  porta  la  main  en 
«  haut  ;  et  lorsque  Thôr  étendit  son  bras  aussi  haut  et  aussi  long  qu'il 
«pouvait,  le  chat  lâcha  terre  seulement  d'une  patte;  et  J^drnepar- 
«  vint  pas  à  pousser  plus  loin  ce  jeu.  Alors  Loki  de  V Enclos-Exté- 
«  rieur  dit  :  ««  Ce  jeu  s'est  passé  comme  je  m'y  attendais.  L*e  chat 
««  est  trop  grand ,  et  Thôr  est  court  et  petit  auprès  des  gens  de  haute 
««taille  qui  sont  ici,  chez  nous.»»  Alors  Thôr  dit:  ««Quelque petit 
««que  vous  me  nommiez,  que  quelqu'un,  qui  que  ce  soit,  s'avance 
«  «  maintenant  et  se  prenne  à  moi  !  —  maintenant  je  suis  en  colère  !»  » 
«  Alors  Loki  de  V^nclos- Extérieur ,  répondant  et  regardant  autour 
«  sur  les  bancs ,  dit  :  ««  Je  ne  vois  ici  aucun  homme  qui  ne  jugeât  un 
«badinage  de  se  prendre  à  toi.»»  Ensuite  il  dit  encore:  ««Voyons 
««d'abord,  appelez-moi  ici  Vieillesse  (Elli),  ma  nourrice  âgée;  que 
««  Thôr  lutte  contre  elle  s'il  veut;  elle  a  renversé  des  hommes  qui 
««ne  m'ont  pas  paru  moins  vigoureux  que  7%dr.»»  Bientôt  après 
«  entra  dans  la  halle  une  vieille  femme  courbée.  Alors  Loki  de  VEn- 
<i  clos-Exlérieur  dit  qu'elle  devait  se  prendre  à  lutter  avec  Thôr-des- 
iiAses.  Inutile  de  faire  un  long  récit;  la  lutte  se  passa  de  telle  sorte 
«que  plus  Thôr  l'assaillit  en  luttant,  plus  elle  tint  ferme.  Alors  la 
«  vieille  se  prit  à  recourir  à  des  supplantations ,  et  aussitôt  Thôr  chan- 
«  cela  sur  ses  pieds.  11  y  eut  encore  des  secousses  très-rudes ,  et 
«  Thôr  ne  tarda  pas  à  tomber  à  genou ,  d'une  jambe.  Alors  Loki  de 
«  V Enclos-Extérieur  s'approcha  pour  les  engager  à  cesser  la  lutte  , 
«  et  il  dit  que  Thôr  n'aura  pas  besoin  de  proposer  la  lutte  encqre  à 
«  d'autres  personnes  dans  sa  halle.  11  commençait  aussi  alors  à  faire 
«  nuit.  Loki  de  Y Enclos-Exténeur  assigna  leurs  places  à  Thôr  et  à  ses 
«  compagnons  ;  et  ils  passèrent  la  nuit ,  en  ce  lieu  ,  en  bonne  hos- 
«  pitalité.  » 

47.  «Le  lendemain,  dès  le  point  du  jour,  Thôr  se  lève,  ainsi  que 
«ses  compagnons;  ils  s'habillent  et  sont  prêts  à  s'en  aller,  quand 
«  Loki  de  y  Enclos-Extérieur  vint  à  eux  et  fit  dresser  une  table  pour 
«  eux.  Il  n'épargna  rien  au  bon  traitement ,  quant  aux  mets  et  à  la 


124  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

c( boisson.  Lorsqu'ils  ont  pris  le  repas,  ils  se  mettent  en  route.  Loki 
c(  de  V Enclos-Extérieur  sort  avec  eux  et  les  accompagne  jusqu'au  de- 
<(  hors  du  château  ;  et  avant  de  se  séparer  d'eux ,  Loki  de  V Enclos- 
c(  Extérieur  s'adresse  à  Thôr  et  lui  demande  comment  il  pense  que 
«  son  voyage  a  tourné ,  et  s'il  a  jamais  rencontré  quelque  homme 
«plus  puissant  que  lui.  Thôr  répond,  qu'il  ne  saurait  dire  qu'il 
((  n'ait  pas  gagné  un  grand  déshonneur  dans  ses  relations  avec  lui.  » 
««Aussi  je  sais  encore  que  vous  allez  m'appeler  un  homme  person- 
««nellement  faible;  ce  qui  ne  me  réjouit  aucunement.»»  Alors  Loki 
«de  V Enclos-Extérieur  dit:  ««Maintenant  que  tu  as  quitté  le  châ- 
««  teaH,  il  faut  te  dire  la  vérité  que,  tant  que  je  vivrai  et  que  cela  dé- 
««  pendra  de  moi ,  tu  n'y  rentreras  plus  dorénavant.  Et  je  sais,  ma 
««  foi  !  que  tu  n'y  serais  jamais  entré  ,  si  j'avais  su  que  tu  possèdes 
««personnellement  une  telle  force  et  que  tu  nous  exposerais  si  près 
««à  un  grand  danger.  J'ai  aussi  usé  de  prestiges  contre  toi,  la  pre- 
««mière  fois,  lorsqjue  je  t'ai  trouvé  dans  la  forêt,  .quand  je  suis  venu 
««  me  rencontrer  avec  vous,  et,  ensuite,  lorsque  tu  as  voulu  délier  le 
««  sac  à  provende.  C'est  que  je  l'avais  noué  avec  une  aiguillette  de 
««fer,  et  tu  n'as  pas  trouvé  à  quel  endroit  il  fallait  l'ouvrir.  Bientôt 
««après  tu  m'as  frappé  avec  le  Marteau,  de  trois  coups  :  le  premier 
««était  le  moindre,  et  cependant  assez  fort  qu'il  eût  pu  me  tuer, 
««  s'il  m'avait  atteint  à  la  tête.  Mais  là  où  tu  as  vu ,  auprès  de  ma 
««halle,  la  montagne  de  roches,  et  où  tu  as  pu  voir  d'en  haut  dans 
««trois  vallées  ou  enfoncements  carrés,  dont  un  surtout  Irès-pro- 
««fond,  c'étaient  là  des  traces  de  ton  Marteau.  Avec  cette  montagne 
««de  roches  j'ai  paré  à  tes  coups  ;  mais  tu  ne  l'as  pas  remarqué.  Il 
««en  a  été  de  même  pour  les  joutes  dans  lesquelles  vous  avez  lutté 
««contre  les  hommes  de  ma  garde.  Le  commencement  en  fut  fait 
««  par  Loki.  11  était  très-affamé  et  il  a  mangé  très-vite.  Mais  le  nommé 
««  Feu  c'était  le  feu  sauvage,  et  il  a  consumé  en  même  temps  l'auge 
««et  la  grosse  viande.  Ensuite,  lorsque  Thidlfi  a  lutté  à  la  course 
««contre  le  nommé  Penser,  c'était  mon  penser,  et  Thià/fi  n'était 
««pas  habitué  à  se  mesurer  avec  lui  en  vitesse.  Ensuite,  lorsque  tu 
««as  bu  dans  la  corne  et  qu'il  t'a  semblé  qu'elle  se  vidait  lentement 
««je  sais ,  ma  foi  !  qu'il  s'est  fait  un  prodige  que  je  n'aurais  pas  cru 
««possible.  Le  fond  de  la  corne  était  placé  dans  la  haute  mer,  sans 
««que  tu  l'aies  remarqué.  Mais  maintenant  que  tu  t'approches  de 
««l'Océan  ,  tu  pourras  voir  combien,  en  buvant,  tu  as  enlevé  à  la 


THÔR  CHEZ  LOKI  DE  l'ENCLOS  EXTÉRIEUR,  125 

««  mer:  c'est  ce  qu'on  appelle  maintenant  le  reflux.  ))»  cdl  dit  ensuite 
«encore  :;»  ««Je  ne  fais  pas  moins  de  cas  de  ce  que  tu  as  soulevé 
««  le  chat  ;  et  pour  te  dire  toute  la  vérité ,  tous  se  sont  effrayés ,  lors- 
««  qu'ils  ont  vu  que  tu  as  fait  perdre  terre  à  une  patte.  C'est  que  ce 
««chat  n'était  pas  ce  qu'il  te  semblait  être;  c'était  le  iSerjomi  de 
^i<iV  Enclos-Mitoyen^  qui  entoure  toutes  les  terres  fermes;  et  cepen- 
««dant  sa  longueur  ne  lui  suffisait  presque  pas  pour  lui  faire  tou- 
««cher  la  terre  de  sa  tête  et  de  sa  queue  ;  et  tu  l'as  soulevé  si  haut 
««qu'il  fut  tout  près  du  ciel.  Ce  fut  encore  un  grand  prodige  que, 
««  dans  la  lutte  où  tu  t'es  engagé  avec'  Vieillesse,  tu  aies  pu  tenir  ferme 
««aussi  longtemps,  et  que  tu  ne  sois  tombé  cfue  sur  un  genou  ;  car 
««nul  |n'a  existé  et  nul  n'existera  jamais,  tellement  fort  que,  s'ils 
««arrivent  à  l'âge  où  la  vieillesse  les  attend ,  la  vieillesse  ne  les  fasse 
««tous  succomber.  Et  maintenant  il  est  encore  vrai  de  dire  qu'il 
««importe  de  nous  séparer,  et  qu'il  sera  préférable  pour  l'un  et 
««l'autre  parti  que  vous  ne  reveniez  plus  me  trouver.  Je  tâcherai 
««même  une  autre  fois  de  défendre  mon  château  par  des  prestiges 
««  comme  ceux-là,  et  par  d'autres  encore,  de  sorte  que  vous  ne  puis- 
««siez  prendre  aucun  pouvoir  sur  moi.  »))  Lorsque  7%or  eut  entendu 
«ces  paroles,  il  saisit  son  Marteau,  et  le  brandit  dans  l'air.  Mais 
«  lorsqu'il  veut  le  lancer ,  il  ne  voit  plus  nulle  part  Loki  de  V Enclos- 
«  Extérieur  ;  et  alors  il  s'en  retourne  vers  le  château  et  se  propose 
«de  le  démolir.  Voilà  qu'il  aperçoit,  à  l'endroit,  une  grande  et  belle 
«plaine,  mais  de  château,  point  !.  Alors  il  s'en  retourne ,  et  continue 
«sa  route  jusqu'à  ce  qu'il  arriva  à  Thrûdvangar  (Ghamps-d'Énergie). 
«  Ceci  est  encore  vrai  de  dire  que  dès  lors  il  a  résolu,  en  lui-même, 
«  de  rechercher  l'occasion  d'avoir  une  rencontre  avec  le  Serpent  de 
aV Enclos-Mitoyen^  comme  cela  est  depuis  effectivement  arrivé. 

«  —  Maintenant ,  personne  ,  je  pense ,  ne  saura  te  raconter  davan- 
«  tage  de  cette  expédition  de  Thôr.  »  (44) 

48.  «  Alors  Piétonneur  dit  : 

«Il  est  personnellement  très-puissant  ce  Loki  de  V Enclos-Extérieur, 
«bien  qu'il  use  fortement  de  tromperies  et  de  magie;  cependant,  ce 
«  qui  fait  voir  qu'il  est  personnellement  puissant,  c'est  qu'il  avait  des 
«hommes  de  garde,  possédant  une  grande  force.  —  Mais  est-ce  que 
«  Thôr  ne  s'est  pas  revanche  de  cela?  » 

Sublime  répond  : 

«  On  n'ignore  pas,  lors  même  qu'on  n'est  pas  un  homme  de  savoir. 


i26  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«que  Thôr  a  réparé  le  mal  de  l'expédition  qui  vient  d'être  racontée; 
«  et  il  ne  demeura  pas  longtemps  chez  lui  avant  de  se  remettre  en 
«  voyage  ;  c'est  ce  qu'il  fit  en  si  grande  hâte,  qu'il  ne  prit  avec  lui  ni 
((  char ,  ni  boucs ,  ni  compagnie  de  route.  Il  sortit  de  VEnclos-Mi- 
(Ltoyen  sous  l'extérieur  d'un  jeune  aventurier;  et  il  vint,  un  soir,  au 
«crépuscule,  chez  un  lotne  nommé  Hymir  (Ténébreux).  Thôr 
((  resta  là ,  en  hôte  ,  pendant  la  nuit.  Puis ,  à  l'aurore ,  Hymir  se  leva 
«  et  s'apprêta  à  aller  ramer  sur  mer  pour  la  pêche.  Thôr  aussi  se 
«leva  vite  et  fut  bientôt  prêt,  et  pria  Hymir  de  lui  permettre  de 
((  ramer  avec  lui  sur  mer.  Mais  Hymir  dit  qu'il  trouverait  en  lui  peu 
«d'assistance,  puisquiil  était  de  petite  taille  et  une  jeunesse,  et  ««tu 
««  serais  pris  de  froid,  quand  je  resterais  aussi  longtemps  et  aussi  loin 
««du  rivage  que  de  coutume.»»  Mais  7%or  dit  qu'il  supporterait  bien 
«de  ramer  tellement  loin  du  rivage,  qu'il  serait  incertain  qui,  des 
«deux,  demanderait  le  premier,  à  en  revenir;  et  Thôr  fut  irrité 
«contre  le  géant,  au  point  qu'il  allait  à  l'instant  lui  faire  goûter  le 
«  Marteau  :  mais  il  n'en  fit  rien ,  parce  qu'alors  il  se  proposa  d'éprou- 
«ver  sa  force  dans  une  autre  place.  Il  demanda  à  Hymir  ce  qu'ils 
«  prendraient  pour  amorce ,  et  Hymir  lui  dit  de  se  chercher  lui-même 
«une  amorce.  Alors  Thôr  se  dirigea  vers  l'endroit  où  il  voyait  un 
«troupeau  de  bœufs  que  possédait  Hymir;  il  saisit  le  plus  grand  bœuf 
«nommé  Brise-Ciel  (Himin-briotr),  et  lui  arracha  la  tête  qu'il  em- 
«  porta  à  la  mer.  Hymir  avait  déjà  lancé  son  embarcation  birême. 
«  Thôr  entra  dans  la  barque  et  s'assit  dans  la  cale  d'arrière,  prit  deux 
«  rames  et  rama  ;  et  il  sembla  à  Hymir  que  ses  rames  produisaient  un 
«bon  sillage.  Hymir  ramait  sur  l'avant,  et  la  course  fut  poussée  rapi- 
«  dément.  Hymir  dit  alors  qu'ils  étaient  arrivés  dans  les  eaux  où  il  avait 
«  coutume  de  s'arrêter  et  de  prendre  des  poissons  plats.  Mais  Thôr 
«  déclara  qu'il  voulait  ramer  beaucoup  plus  loin  ;  et  ils  firent  encore 
«une  traite  à  rames  battantes.  Alors  Hymir  dit  qu'ils  s'étaient  telle- 
«  ment  «avancés  qu'il  serait  dangereux  de  pousser  plus  loin ,  à  cause 
«du  Serpent  de  Y  Enclos-Mitoyen;  mais  Thôr  déclara  qu'il  voulait 
«ramer  encore  un  temps;  ce  qu'il  fit,  et  Hymir  s'en  inquiéta  beau- 
«  coup.  Et  quand  Thôr  eut  déposé  les  rames ,  il  déroula  un  câble 
«très-fort,  et  l'hameçon  n'était  pas  non  plus  petit  ni  moins  fort. 
«  Thôr  attacha  ensuite  la  tête  de  bœuf  à  l'hameçon  et  la  jeta  par 
«  dessus  le  bord ,  et  l'hameçon  alla  au  fond  ;  et  il  est  vrai  de  dire  que, 
pour  lors ,  Thôr  trompa  le  Serpent  de  V Enclos-Mitoyen  tout  autant 


RENCONTRE  DE  THÔR  AVEC  LE  SERPENT;  RÊVES  DE  RALDUR.   127 

«  que  Loki  de  V Enclos  Extérieur  s'était  moqué  de  Thôr.  lorsque  celui- 
«  ci  souleva  le  Serpent  dans  sa  main.  Le  Serpent  de  V Enclos-Mitoyen 
«  ouvrit  sa  gueule  pour  avaler  la  tête  de  bœuf,  et  l'hameçon  lui  entra 
«  dans  le  palais.  Lorsque  le  Serpent  s'en  aperçut,  il  s'agita  si  forte- 
ce  ment ,  que  les  deux  poings  de  Thôr  se  heurtèrent  contre  le  bord. 
c(  Aussi  Thôr  en  fut-il  irrité ,  et  il  revêtit  sa  force-d'Ase  :  il  piéta  si 
«fort  que  ses  deux  jambes  passèrent  à  travers  la  barque;  et  il  piéta 
«sur  le  fond  de  la  mer,  et  tira  alors  le  Serpent  à  bord.  Or,  on  peut 
«dire  qu'on  n'a  pas  vu  de  spectacle  terrible,  si  l'on  n'a  pas  vu  com- 
«ment  Thôr  fixa  ses  yeux  ardents  sur  le  Serpent,  et  comment  le 
«Serpent  lança,  d'en  bas,  un  regard  farouche  sur  lui  et  souffla  son 
«venin.  Il  est  dit  que  l'Iotne  Hymir  changea  de  couleur,  pâlit  et 
«  trembla,  lorsqu'il  vit  le  Serpent,  et  la  mer  entrant  et  sortant  pardessus 
«  les  bords  de  la  birême.  Et  au  moment  où  Thôr  prit  le  Marteau  et  le 
«souleva  en  l'air,  l'Iotne  saisit  un  couteau  de  pêcheur  et  coupa  le 
«câble  de  7%dr,  près  du  bord;  et  le  Serpent  replongea  dans  la  mer, 
«  et  Thôr  lança  son  Marteau  après  lui  ;  et  on  dit  qu'il  lui  fracassa  la 
«  tête,  au  fond  de  la  mer  ;  mais  je  crois  qu'il  est  vrai  de  dire  que  le 
«  Serpent  de  V Enclos-Mitoyen  vit  encore ,  couché  dans  la  mer.  Et 
«  Thôr  fit  un  tour  de  bras  et  donna  à  Hymir  sur  l'oreille  un  coup  de 
«  poing  tel ,  que  celui-ci  fut  culbuté  par  dessus  le  bord  et  qu'on  lui 
«  vit  les  plantes  des  pieds  ;  puis  Thôr  revint  à  gué  au  rivage.  »  (45) 

49.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«D'autres  événements  se  sont-ils  encore  passés  chez  les  Asesf 
«  Thôr  a  accompli  un  très-grand  exploit  dans  ce  voyage.  » 

Sublime  répond  : 

«  11  faudra  raconter  les  événements  qui  ont  paru  avoir  bien  plus 
«  d'importance  pour  les  Ases. 

«  Le  commencement  de  cette  relation-ci  c'est  que  Baldur  (Ex- 
«  cellent),  eut  des  rêves  pénibles  et  de  mauvais  augure  pour  sa  vie. 
«  Lorsqu'il  eut  raconté  ses  rêves  aux  ^sís,  ceux-ci  conférèrent  entre 
«eux;  et  on  résolut  de  demander,  pour  Baldur,  V invulnérabilité  de 
«  toute  espèce  d'endommagement.  Aussi  Frigg  fit-elle  prêter  le  ser- 
«  ment  d'épargner  Baldur ,  au  Feu ,  et  à  l'Eau ,  au  Fer  et  au  Métal 
«  de  toute  espèce,  aux  Pierres,  à  la  Terre,  aux  Arbres,  aux  Mala- 
«  dies ,  aux  Quadrupèdes ,  aux  Oiseaux  et  aux  Serpents  venimeux. 
«  Quand  cela  fut  fait  et  connu ,  c'était  pour  Baldur  et  les  Ases  un 
«  passe-temps  que ,  lui ,  se  tenait  debout  dans  l'assemblée ,  tandis 


128  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«que  tous  les  autres  se  mettaient,  qui ,  à  tirer  sur  lui,  qui,  à  lui 
((  donner  des  coups  de  sabre ,  qui ,  à  lui  lancer  des  pierres.  Et  quoi 
«  qu'on  fît,  rien  ne  put  nuire;  et  cela  parut  à  tous  être  un  grand 
«avantage.  Mais  lorsque  Loki,  fils  de  Laufey^  vit  cela,  il  ne  lui  plut 
«  guère  que  rien  ne  nuisît  à  Baldur.  Il  se  dirigea  vers  Salle  d'Écume 
(i.{noTT.  Fensalr)^  chez  Frigg ,  et  revêtit  l'extérieur  d'une  femme. 
«  Frigq  s'informa  si  cette  femme  savait  de  quoi  les  Ases  s'occupaient 
«  à  l'assemblée.  Celle-ci  dit  que  tous  tiraient  sur  Baldur,  et  que  cela 
«  ne  le  blessait  aucunement.  Alors  Frigg  dit  :  ««  Ni  les  armes,  ni  les 
««instruments  de  bois  ne  nuiront  à  Baldur;  c'est  que  de  tous  j'ai 
««obtenu  le  serment.^»  Alors  la  Femme  demande:  ««Est-ce  que 
««toutes  les  choses  ont  prêté  serment  d'épargner  Baldur? y>y>  Alors 
a  Frigg  répond  :  ««Un  seul  Rejeton  d'arbre  croît  à  l'occident  de  la 
an  Halle-des- Occis  :  c'est  le  nommé  Bejeton- de- Gîii  (Mistil-teinn)  ;  il 
««  m'a  paru  trop  jeune  pour  exiger  de  lui  le  serment.  »»  Sur  cela  la 
«  Femme  s'en  retourna  ;  et  Loki  saisit  le  Bejeton-de-Gui  et  l'arracha-, 
«et  revint  à  l'assemblée.  Cependant  Hodur  (Combat)  se  tenait  en 
«  dehors  du  cercle  des  jouteurs ,  parce  qu'il  était  aveugle.  Alors  Loki 
«  lui  dit  :  ««  Pourquoi  ne  tires-tu  pas  sur  Baldur  ?»))  L'autre  répond  : 
««Parce  que  je  ne  vois  pas  où  est  placé  Baldur,  et  ensuite  parce 
««que  je  suis  sans  armes.»»  Alors  Loki  dit:  ««Fais  cependant  à 
««l'exemple  des  autres ,  et  rends  honneur  à  Baldur  comme  les  au- 
««  très  ;  je  veux  í 'indiquer  dans  quelle  direction  il  est  placé  ;  —  lance 
««sur  lui  cette  baguette.»»  Hodur  prit  le  Rejelon-de-Gui  et  le  lança 
«sur  Baldur,  selon  l'indication  de  Loki.  —  Le  trait  le  traversa,  et 
«il  tomba  mort  à  terre;  —  et  cela  a  été  le  plus  grand  désastre  qui 
«  soit  jamais  arrivé  chez  les  Dieux  et  chez  les  hommes.  » 

«  Lorsque  Baldur  fut  tombé ,  les  Ases  perdirent  l'usage  de  la 
«parole  et  des  bras,  au  point  de  ne  pas  pouvoir  les  relever.  Ils  se 
«  regardèrent  entre  eux ,  et  tous  furent  animés  du  même  esprit  contre 
«  celui  qui  avait  commis  le  crime.  Mais  personne  ne  pouvait  en  tirer 
«vengeance ,  tant  ce  Lieu  était  un  endroit  inviolable.  Alors  même 
«que  les  Ases  essayèrent  de  parler,  les  sanglots  néanmoins  éclatè- 
«rent  d'abord  au  point,  que  nul  ne  pouvait  à  autrui  exprimer  son 
«  chagrin  en  paroles.  Odinn  ressentit  encore  ce  malheur  d'autant  plus 
«  vivement  qu'il  connaissait  le  mieux  les  raisons  pourquoi  il  résul- 
«  terait  du  trépas  de  Baldur  une  grande  perte  et  privation  pour  les 
«  Ases.  Lorsque  les  Dieux  furent  revenus  à  soi ,  Frigg  parla  et  de- 


FUNÉRAILLES  DE  BALDUR  ;  HERMÔDR.  129 

«  manda  qui  parmi  les  Ases  serait  celui  qui  voudrait  acquérir  toute 
((  sa  faveur  et  bienveillance ,  en  s'offrant  pour  chevaucher  sur  la 
«route  de  Hel,  et  pour  essayer  d'obtenir  une  entrevue  avec  Baldur, 
«et  d'offrir  une  rançon  à  Hel,  afin  qu'elle  laissât  Baldur  revenir 
«  chez  lui  à  VEnclos-des-Ases.  Et  ce  fut  le  nommé  Cour age-de- Troupe 
(((Hermôdr),  l'ardent  jouvenceau  d'Odinn,  qui  s'offrit  pour  ce  voyage. 
«On  prit  donc  Sleipnir ,  le  cheval  d'Odinn;  on  l'amena,  et  Courage- 
a de-Troupe  monta  sur  ce  cheval,  et  s'éloigna  rapidement. 

«  Les  Ases  ensuite  prirent  le  corps  de  Baldur  et  le  portèrent  à  la 
«mer.  Hringhorni  (Corne-Recourbée)  était  le  nom  du  navire  de  Bal- 
a  dur;  c'était  le  plus  grand  de  tous  les  navires.  Les  Dieux  voulurent 
«  le  mettre  a  flot  et  le  préparer  pour  le  bûcher  flottant  de  Baldur. 
«  Mais  le  navire  ne  bougea  pas.  Pour  lors  on  envoya ,  à  Séjour-des- 
«  lotnes  y  quérir  la  géante  nommée  Hyr-rockin  (Enfumée-de-Feu). 
«Lorsqu'elle  arriva,  montée  sur  un  Loup  et  ayant  pour  bride  un 
«  serpent  venimeux,  elle  sauta  de  sa  monture  ;  et  Odinn  appela  quatre 
« Ptires-iSer^es  (Ber-serkir) ,  pour  garder  cette  monture;  et  ils  ne 
«parvinrent  à  la  contenir  que  lorsqu'ils  l'eurent  jetée  à  terre.  Alors 
«  Æ^/í^m(^e-ág-/^^?í  s'approcha  de  l'avant  de  la  birème,  et,  du  premier 
1;coup,  la  poussa  si  rudement  en  avant,  que  le  feu  jaillit  des  rou- 
«  leaux,  et  qu'il  y  eut  des  tremblements  de  terre.  Tliôr  en  fut  irrité, 
«et  il  saisit  le  Marteau;  et  il  lui  aurait  brisé  la  tète,  si  les  Dieux 
«  n'eussent  pas  demandé  l'inviolabilité  pour  elle.  On  porta  ensuite  le 
«  corps  de  Baldur  sur  le  navire.  Et  lorsque  sa  femme  Nanna  (Vi- 
«  goureuse) ,  fille  de  Nep  (Nuage) ,  vit  cela ,  elle  fut  brisée  de  dou- 
«  leur,  et  mourut.  Elle  fut  portée  sur  le  bûcher,  et  entourée  de  feu. 
«Alors  Thôr  s'approcha  et  consacra  le  bûcher  avec  \q  Meunier  (Miöl- 
«  nir).  Et  à  ses  pieds  courut  un  dverg  nommé  Couleur  (norr.  Lilr)  ; 
«  et  Thôr  y  d'un  coup  de  pied,  le  lança  dans  le  feu  ,  et  il  fut  brûlé.  A 
«  ce  brûlement  assistaient  des  gens  de  race  différente.  Il  faut  com- 
«mencer  par  Odinn  ^  accompagné  de  Frigg,  et  des  Choisit-les- Occis 
«  (Valkyriur) ,  et  de  ses  Corbeaux.  Frey  aussi  y  vint,  en  voiture,  avec 
«  le  Verrat  nommé  Soie  d'Or  (Gullinborsti)  ou  Slidrugtanni  (Défenses. 
«  Crochues).  Heimdall  aussi  y  alla,  monté  sur  le  cheval  nommé  Queue- 
ii d'Or  (Gulltoppr).  Freyia  aussi  y  était  avec  ses  Matous.  Il  y  avait 
«  encore  une  grande  foule  de  Thurses-Givreux  et  de  Géants-des-Mon- 
«  tagnes.  Odinn  déposa  sur  le  bûcher  l'Anneau  d'or  nommé  Dégoui- 
«íaíií  (Draupnir),  auquel  s'attacha ,  depuis,  la  propriété  que,  chaque 

9 


130  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«neuvième  nuit,  il  en  dégoutta  huit  anneaux  d'or  du  même  poids. 
<(  —  Le  cheval  de  Baldur,  avec  tout  son  équipement,  fut  aussi  con- 
((duit  au  bûcher. 

«Quant  à  Courage-de-Troupe ^  il  faut  dire  qu'il  chevaucha,  neuf 
«  nuits ,  par  des  vallées  sombres  et  profondes ,  au  point  qu'il  ne  vit 
«  rien ,  avant  d'arriver  à  la  rivière  de  Retentissante  (Giöll).  11  passa 
«  ensuite  à  cheval  le  Pont  de  Retentissante ,  lequel  est  couvert  d'or 
«  luisant.  Lutte- Courageuse  (norr.  Môdgûdr)  est  le  nom  de  la  Vierge 
«qui  garde  ce  pont;  elle  lui  demanda  son  nom  et  sa  famille,  et  elle 
«  dit  que ,  la  veille ,  cinq  pelotons  d'hommes  morts  avaient  passé  sur 
«ce  pont  :  ««mais  le  pont  ne  résonne  pas  moins  sous  toi  tout  seul; 
««et  tu  n'as  pas  l'extérieur  d'un  homme  mort; —  pourquoi  chevau- 
««ches-tuici  sur  le  chemin  àeHelfy»}  L'autre  répond:  ««Je  vais,  che- 
««vauchant,  auprès  de  Hel  pour  chercher  Baldur;  —  est-ce  que 
««tu  l'as  déjà  vu  sur  le  chemin  de  Hel?))y>  Elle  ait  que  Baldur  ai\aú 
«déjà  passé  sur  le  Pont  de  Retentissante.  ««Le  chemin  de  Hel  est 
««plus  bas  et  vers  le  Nord.  ))»  Alors  Courage-de~ Troupe  continua  à 
«  chevaucher,  jusqu'à  ce  qu'il  arriva  aux  Grilles-de-Hel.  Alors  il  des- 
«  cendit  du  cheval,  et  lui  serra  fortement  la  sangle  ;  remonta  sur  le  che- 
«  val  et  le  piqua  des  éperons  ;  et  le  cheval  sauta  si  vigoureusement  par- 
«  dessus  les  grilles ,  qu'il  n'y  toucha  nulle  part.  Alors  Courage-de- 
«  Troupe  chevaucha  vers  la  Halle  ;  et  il  descendit  de  cheval,  et  entra 
«dans  la  Halle.  Là  il  vit  assis,  à  la  place  d'honneur,  Baldur  son 
«frère.  Et  Courage-de-Troupe  passa  la  nuit  dans  ce  lieu.  Et  le  len- 
«  demain  Courage-de-Troupe  demanda  de  Hel  que  Baldur  pût  s'en 
«retourner  avec  lui;  et  il  lui  dit  combien  la  lamentation  était  grande 
«  chez  les  vises.  Et  Hel  dit  qu'on  allait  éprouver  si  Baldur  était  réel- 
«lement  aussi  regretté  qu'on  le  disait,  et  ««si  tous  les  êtres  vivants 
««ou  morts  des  différents  Séjours  le  déplorent,  alors  il  pourra  s'en 
««retourner  chez  les  Ases;  mais  il  sera  retenu  auprès  de  Hel,  s'il  y 
««en  a  un  seul  qui  s'y  refuse  et  ne  veuille  pas  pleurer. >)» 

«Alors  Courage-de-Troupe  se  leva,  et  Baldur  l'accompagna  hors 
«  de  la  Halle;  et  il  prit  l'Anneau  Dégouttant,  et  l'envoya ,  comme  sou- 
«  venir,  à  Odinn.  Et  Nanna  envoya  à  Frigg  un  vêtement,  et  encore 
«  plusieurs  dons,  et  à  Fulla  une  bague  d'or.  Alors  Courage-de-Troupe 
«s'en  revint  par  son  chemin;  et  il  arriva  dans  ï Enclos-des-Ases ,  et 
«  raconta  toutes  les  nouvelles  qu'il  avait  vues  et  apprises. 

«Bientôt  après,  les  Ases  envoyèrent,  dans  tous  les  Séjours,  des 


PUNITION  DE  LOKI.  131 

«messagers,  pour  inviter  tout  le  monde  à  pleurer,  afin  de  délivrer 
«  Baldur  de  Hel.  Tous  le  firent ,  les  Hommes  et  les  Animaux ,  et  la 
«Terre  et  les  Pierres,  et  le  Bois  et  le  Métal  de  toute  espèce,  ainsi 
«que  tu  as  pu  remarquer  que  ces  objets  pleurent,  quand  ils  passent 
«  du  froid  dans  le  chaud.  Lorsque  les  envoyés  retournèrent  chez  eux, 
«  après  s'être  bien  acquittés  de  leur  commission ,  ils  remarquent  que, 
«  dans  une  caverne,  il  y  a  encore  une  Géante  qui  se  nommait  Thöckt 
(Épaissie)  ;  ils  la  prièrent  de  pleurer  Baldur  pour  le  délivrer  de 
(S.  Hel;  elle  répond  : 

««  Thöckt  déplorera ,  avec  des  larmes  sèches , 

««  Les  funérailles  de  Baldur  : 
««  Ni  vif,  ni  mort,  il  ne  m'intéresse,  ce  fils  ennemi;  — 

««  Que  Hel  garde  ce  qu'elle  tient!  »» 

«Et  l'on  suppose  que  ce  fut  là  Lokiy  le  fils  de  Laufey,  quia  causé 
«  tant  de  mal  auprès  des  Ases.  »  (46) 

50.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Loki  a  commis  une  chose  très-grave  en  ce  qu'il  a  été  cause  que , 
a  d'abord,  Baldur  îui  frappé  à  mort,  et,  ensuite,  qu'il  ne  fut  pas  dé- 
«  délivré  de  Hel  !  —  En  a-t-on  tiré  vengeance  sur  lui  de  quelque 
«  manière  ?» 

Sublime  répond  : 

«H  en  a  été  récompensé  au  point  qu'il  s'en  souviendra  longtemps. 
«  Lorsque  l'irritation  des  Dieux  contre  lui ,  comme  on  devait  s'y  at- 
«  tendre,  fut  venu  au  comble  ,  il  s'enfuit  et  se  cacha  sur  une  mon- 
«  tagne.  H  y  construisit  une  maison  avec  quatre  portes,  afin  d'avoir, 
«  de  cette  maison ,  la  vue  dans  toutes  les  directions.  Souvent  aussi , 
«  pendant  le  jour,  il  s'aííubla  du  corps  d'un  saumon,  et  se  tint  caché 
«dans  l'endroit  nommé  la  Cataracte  Franângur  (Brille-Resserré). 
«Là  il  méditait,  en  lui-même,  quelle  ruse  les  Ases  pourraient  in- 
«  venter  pour  le  prendre  sous  cette  cataracte.  Un  jour  qu'il  fut  assis 
«  dans  sa  maison ,  il  prit  du  lin ,  et  avec  le  fil  il  forma  des  mailles , 
«  comme  sont,  depuis,  les  filets  :  un  feu  brûlait  devant  lui.  Alors  il  vit 
«que  les ^ses,  déjà  tout  près,  se  dirigeaient  sur  lui.  Odinn,  du  haut 
«de  Hlidskialf  {Chaumine  aux  Portes),  avait  vu  où  celui-ci  se  te- 
«  nait.  Aussitôt  il  se  précipita  dehors  et  dans  l'eau  ,  après  avoir  jeté 
«au  feu  le  filet.  Lorsque  les  Ases  arrivèrent  auprès  de  la  maison, 
«  le  nommé  Qvasir  (Fermentant) ,  le  plus  perspicace  d'entre  eux ,  y 
«entra  le  premier;  et  lorsqu'il  vit  les  cendres  dans  le  feu  qui  avait 


i32  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«  consumé  le  filet ,  il  comprit  que  quelque  chose  comme  cela  pour- 
«  rait  servir  d'engin  pour  prendre  les  poissons  ;  et  il  en  parla  aux 
nAses.  Aussitôt  ils  se  mirent  à  confectionner  un  filet,  d'après  ce 
«  qu'ils  voyaient  dans  les  cendres ,  et  que  Loki  avait  confectionné. 
«Et  lorsque  le  filet  fut  prêt,  les  Ases  allèrent  à  la  rivière  et  jetèrent 
c(  le  filet,  près  de  la  cataracte  ;  Thôr  le  tenait  par  un  bout,  et  h  l'autre 
<i  tenaient  les  Ases  ensemble  ;  puis  ils  tirèrent  le  filet.  Mais  Loki  se 
«  retira  toujours  au  devant;  puis  il  se  glissa  au  fond  entre  deux  pierres  ; 
«le  filet  qu'ils tirèrentpassapar-dessuslui;  ils  sentirentcependantqu'il 
«y  avait  là  quelque  chose  de  vivant.  Aussi  ils  remontent,  une  seconde 
«  fois ,  à  la  cataracte,  et  jettent  le  filet,  après  y  avoir  attaché  un  poids 
«tel  que  rien  ne  pût  glisser  en  dessous.  Loki  se  retire  encore  devant 
«  le  filet  ;  et  lorsqu'il  voit  qu'il  n'y  a  plus  loin  jusqu'à  la  mer ,  il  saute 
«  en  l'air  par-dessus  l'extenseur  et  remonte  à  la  cataracte.  Les  Ases 
«  surent  maintenant  où  il  avait  passé  :  ils  reviennent  encore  à  la 
«cataracte;  ils  distribuent  la  bande  sur  les  deux  côtés,  et  Thôr 
«  marche  dans  le  milieu  de  la  rivière  en  aval  ;  et  ainsi  ils  descendent 
«  vers  la  mer.  Loki  ne  voit  plus  que  deux  expédients  :  il  y  avait  danger 
«  pour  sa  vie  à  se  jeter  à  la  mer ,  et  il  y  en  avait,  également ,  à  sauter 
«  par-dessus  le  filet  :  cependant  il  prit  ce  dernier  parti  ;  il  sauta  aussi 
<i  vite  que  possible  par-dessus  l'extenseur  du  filet.  Thôr  porta  la  main 
«sur  lui  et  le  saisit;  mais  il  s'amincit  dans  la  main,  de  sorte  que  la 
«main  n'eut  de  prise  que  près  de  la  queue;  et  c'est  là  la  raison 
«  pourquoi  le  saumon  est  mince  vers  la  queue. 

nLoki  était  donc  pris,  sans  même  avoir  droit  à  merci  ;  et  on  le 
«transporta  dans  une  caverne.  Puis  ils  prirent  trois  rochers  qu'on 
«  dressa  sur  leur  pointe  ;  et  ils  firent  une  entaille  dans  chacun  de 
«ces  rochers.  Ensuite  furent  saisis  les  fils  de  Loki:  Vali  (Frappant) 
«et  Ndri  (Crépusculaire)  ou  Narvi.  Les  Ases  métamorphosèrent 
«  Vali  en  loup ,  et  il  déchira  son  frère  Narvi.  Les  Ases  prirent  alors 
«  ses  boyaux  pour  attacher  Loki  sur  ces  trois  rochers ,  dont  le  pre- 
«  mier  était  sous  ses  épaules ,  le  second  sous  ses  reins ,  et  le  troisième 
«  sous  ses  jarrets  ;  et  ces  liens  se  changèrent  en  fer.  Alors  Skadi 
«  (Nuisible)  prit  un  serpent  venimeux  et  le  suspendit  au-dessus  de 
«lui,  de  manière  que  le  venin  pût  dégoutter,  du  serpent,  sur  sa 
«  figure.  Mais  Sigyne  (Aime-Chute) ,  la  femme  de  Loki ,  est  debout 
«près  de  lui ,  et  tient  un  bassin  pour  recevoir  les  gouttes;  et,  lors- 
«que  le  bassin  est  rempli,  elle  sort  pour  le  vider  du  venin.  Dans 


l'approche  DU  CRÉPUSCULE  DES  GRANDEURS.  433 

((  l'intervalle ,  des  gouttes  de  venin  lui  tombent  sur  la  figure  ;  et  il 
c(  en  éprouve  de  si  fortes  commotions  que  toute  la  terre  en  tremble  ; 
a  c'est  ce  que  vous  appelez  tremblement  de  terre.  —  Loki  reste  couché 
c(  avec  ses  liens  jusqu'au  Crépuscule- des-Grandeur s.  »  (47) 

51.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«  Quelles  histoires  y  a-t-il  à  raconter  sur  le  Crépuscule-des-Gran- 
«  deurs  ;  je  n'ai  pas  encore  entendu  parler  de  cela.  » 

Sublime  répond  : 

((  De  grandes  et  de  nombreuses  histoires  peuvent  en  être  racontées; 
«et  le  commencement  en  est  que  d'abord  vient  l'Hiver,  qui  est 
«  nommé  le  Terrible-Hiver  (Fimbulvetr).  Alors  la  neige  vole  de  tous 
«  côtés  ;  la  froidure  est  alors  grande  et  les  vents  piquants  ;  on  ne  jouit 
c(  plus  du  soleil  ;  trois  de  ces  hivers  se  suivent ,  et  il  n'y  a  pas  d'été 
c(  entre  eux.  Ils  sont  encore  précédés  de  trois  autres  hivers ,  pendant 
c(  lesquels  il  y  a ,  dans  tout  le  genre  humain  ,  de  grandes  guerres  ; 
((  alors  les  frères  s'entretuent  pour  cause  de  cupidité,  et  nul  n'épargne 
c(  ni  père ,  ni  fils ,  dans  ces  meurtres  d'hommes  et  ces  violations  de 
c(  parenté.  Voici  ce  qui  est  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 

««  Les  frères  se  battront  et  deviendront  meurtriers  ; 

«  «  Les  fils  de  sœurs  violeront  leurs  parentés  ; 

««  On  est  cruel  avec  les  tenanciers;  la  paillardise  est  grande  ; 

«  «  C'est  l'Age  des  haches  !  l'Age  des  framées  !  que  de  boucliers  fendus  ! 

«  «  C'est  l'Age  des  tempêtes,  l'Age  des  loups  !;  après,  le  Monde  s'affaisse.  »  » 

c(  Alors  arrive ,  ce  qui  passe  pour  un  grand  événement ,  que  le 
c(  Loup  avale  le  soleil  ;  et  les  hommes  regardent  cela  comme  une 
*i  grande  perte.  Alors  l'autre  Loup  saisit  la  lune,  et,  lui  aussi ,  il  cause 
c(  un  grand  dommage  ;  —  les  étoiles  tombent  du  ciel.  —  Alors  il 
(t  arrive  encore  que  la  terre  entière  et  les  montagnes  tremblent ,  au 
c(  point  que  les  arbres  sortent  de  la  terre ,  que  les  montagnes  s'écrou- 
(dent,  que  tous  les  liens  et  chaînes  se  brisent  et  se  rompent.  — 
«Alors  le  Loup  de  Fenrir  est  relâché.  Alors  la  mer  débordera  sur  les 
«terres  fermes,  parce  que  le  Serpent  de  Y  Enclos-Mitoyen  se  roule, 
«dans  sa  rage  d'Iotne,  et  tâche  de  monter  sur  la  terre  ferme.  Alors 
«il  arrive  aussi  que  Navire  d' Ongles  (Naglfar)  est  lancé;  le  navire 
«  qui  porte  ce  nom  est  fait  des  ongles  des  trépassés  ;  et ,  pour  cette 
«raison ,  il  est  bon  d'être  averti  que,  si  quelqu'un  trépasse  et  qu'on 
«  ne  lui  coupe  pas  les  ongles ,  cet  individu  augmente  les  matériaux 
«  pour  le  vaisseau iVöz;//'^  d'Ongles,  que  les  Dieux  et  les  hommes  dé- 


134  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

«  sirent  de  ne  jamais  voir  achevé.  Cependant ,  dans  ce  débordement 
«  de  la  mer,  Navire  (T Ongles  est  mis  à  flot.  Un  géant,  nommé  Hryme 
a  (Fracas)  le  gouverne.  Le  Loup  de  Fenrir  s'avance,  la  bouche  béante; 
<i.  sa  mâchoire  supérieure  touche  au  ciel,  et  l'inférieure  à  la  terre  ;  il 
('.  l'ouvrirait  encore  davantage  s'il  y  avait  encore  de  l'espace;  des  feux 
«  sortent  de  ses  yeux  et  de  ses  narines.  Le  Serpent  áe  V Enclos-Mitoyen 
«souffle  tant  de  venin  qu'il  en  infecte  partout  l'air  et  la  mer;  il  est 
«aussi  fort  terrible,  et  il  se  tient  à  côté  du  Loup.  Dans  ce  fracas,  le 
«  ciel  se  fend  ;  les  Fils  de  Muspell  (Gâte-Monde)  s'avancent  à  cheval. 
((  Noirci  (Surtur)  chevauche  en  tête ,  et  il  est  précédé  et  suivi  d'un 
«  feu  flamboyant  ;  son  glaive  est  très-bon ,  l'éclat  en  est  plus  brillant 
«  que  celui  du  soleil.  Lorsqu'ils  passent  à  cheval  sur  Bifrost  (Voie- 
«  Tremblotante) ,  elle  s'écroule ,  comme  il  a  été  dit  ci-dessus.  Les 
(iFils  de  Mîispell  pénètrent  en  avant,  vers  le  champ  d'assemblée, 
«nommé  Tremble- aid"- Combat  (W^riàr).  C'est  la  que  viendra  alors 
«aussi  le  Loup  de  Fenrir,  et  le  Serpent  de  V  Enclos- Mitoyen  ;  là  est 
«  encore  arrivé  Loki  (Clôtureur),  et  Hryme  (Fracas) ,  et,  avec  lui,  tous 
«les  Thurses-Givreux ;  et  Loki  est  suivi  de  tous  les  Compagnons  de 
^iHel;  les  Fils  de  Muspell  forment,  à  eux  seuls,  une  phalange  qui 
«  est  très-brillante.  La  plaine  Tremble-au- Combat  a  cent  journées 
«  d'étendue  en  tout  sens. 

«Lorsque  ces  événements  arrivent,  alors Heimdall  (Arbre  du  Sé- 
«jour)  se  lève,  et  souffle  avec  force  dans  la  Corne- de-Retentissante , 
«  et  réveille  tous  les  Dieux  :  et  ils  tiennent  assemblée  ensemble.  Alors 
«  Odinn  chevauche  à  la  Fontaine-de-Mimir ;  et  il  prend  conseil  chez 
aMimir  pour  lui-même  et  pour  sa  suite.  Alors  le  Frêne  d'Yggdî^asil 
«  tremble ,  et  nulle  chose ,  sur  la  terre  et  dans  le  ciel ,  n'est  alors 
«  sans  frayeur.  Les  Ases  s'arment ,  de  même  que  tous  les  Troupiers- 
«  Uniques  (Einheriar),  et  ils  poussent  en  avant  vers  la  Plaine.  Odinn 
«  chevauche  en  tête ,  avec  le  Heaume  d'or  et  la  belle  Cotte  de  mailles 
«  et  sa  Lance  nommée  Gungnir  (Effrayant)  ;  il  va  à  la  rencontre  du 
«Loup  de  Fenrir;  Thôr  s'avance  à  son  côté;  mais  il  ne  peut  pas  lui 
<i  prêter  secours,  car  il  a  pleinement  à  lutter  pour  combattre  le  Ser- 
«  pent  de  V Enclos-Mitoyen.  Frey  se  porte  contre  Noirci  (Surtur)  ;  et 
«  il  se  fait  un  rude  combat  avant  que  Frey  succombe.  Ce  qui  cause 
«sa  mort,  c'est  qu'il  lui  manque  la  bonne  épée  qu'il  a  donnée  à 
«  Skirnir  (Éclaircit).  Alors  parvient  aussi  à  se  détacher  le  Chien  Gar^ 
amur  (Hurleur) ,  qui  était  attaché  l\  la  Caverne  de  Gnipi  (Menaçant); 


LE  CRÉPUSCULE  DES  GRANDEURS.  435 

«c'est  là  le  plus  grand  désastre;  il  soutient  le  combat  contre  Tyr^  et 
«  chacun  d'eux  devient  la  perte  de  l'autre.  Thôr  a  la  gloire  de  tuer 
«le  Serpent  de  V Enclos-Mitoyen;  il  s'en  éloigne,  neuf  pas,  et  alors 
«  il  tombe  mort  à  terre  par  suite  du  venin  que  le  Serpent  a  soufflé 
«sur  lui.  Le  Loup  engloutit  Odinn;  c'est  ainsi  que  celui-ci  périt. 
«Mais  aussitôt  se  précipite  en  avant  Vîdarr  (Auguste  du  Large);  il 
«  place  un  pied  sur  la  mâchoire  inférieure  du  Loup,  (c'est  à  ce  pied 
«qu'il  a  le  soulier,  dont,  de  toute  éternité,  on  a  rassemblé  la  ma- 
«tière  qui  provient  des  rognures  que  les  hommes  coupent  à  la  pointe 
«et  au  talon  de  leurs  souliers;  aussi  faut-il  jeter  ces  rognures,  si  l'on 
«veut  avoir  soin  de  venir  en  aide  aux ^s^s)  et,  d'une  main,  il  saisit 
«  la  mâchoire  supérieure  du  Loup  et  lui  fend  la  gueule  —  et  c'est 
«  ainsi  que  périt  le  Loup.  Loki  combat  contre  Heimdall;  et  ils  se  don- 
«  nent  réciproquement  la  mort.  Bientôt  après  Noirci  (Surtur)  lance 
«  du  feu  sur  la  terre,  et  il  brûle  le  Séjour  entief. 
«Voici  ce  qui  est  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 

««Heimdall,  le  cor  en  l'air,  sonne  hautement  l'alarme; 

««  Odinn  consulte  la  Tête  de  Mimir. 

««  Il  tremble,  le  Frêne  élevé  d'Yggdrasil  ! 

««  Il  frissonne ,  ce  vieil  Arbre  !.  L'Iotne  ensuite  est  relâché. 

«  «  Que  font  les  Ases  ?  que  font  les  Alfes  ? 

««  Le  Séjour  entier  des  lotnes  mugit;  les  Ases  sont  en  assemblée  : 

u«  Ils  gémissent  aux  portes  des  cavernes ,  les  Dvergs, 

««  Les  sages  des  montagnes  sacrées.  Savez-vous  encore  quoi? 

««  Hryme  vogue  de  l'Orient;  un  bouclier  pend  devant  lui  : 

««  Le  Serpent  de  l'Enclos-Mitoyen  se  roule,  dans  sa  rage  d'Iotne  , 

««  Le  Ver  soulève  les  flots  ;  l'Aigle  bat  de  ses  ailes  ; 

««  Le  Bec-Jaune  déchire  les  trépassés;  —  Navire  d'Ongles  est  lancé. 

««Le  Navire  vogue  de  l'Orient  (l'Armée  de  Muspell 
<(«  Va  venir  par  mer) ,  et  Loki  tient  le  gouvernail  : 
««  Les  Fils  de  Fifl  naviguent  tous  avec  Fréki; 
««  Le  Frère  de  Byleyst  est  à  bord  avec  eux. 

««  Surtur  s'élance  du  Sud ,  avec  le  feu  des  glaives; 

««  Le  soleil  resplendit  sur  l'épée  des  Héros-d'occision  ; 

««  Les  montagnes  de  roche  s'écroulent ,  les  Géantes  se  précipitent. 

««  Les  Ombres  foulent  le  chemin  de  Hel  ;  puis  le  ciel  se  fend. 

««  Alors  l'aflliction  de  Hline  se  renouvelle, 
««  Quand  Odinn  part  pour  combattre  le  Loup; 


í  36  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

««  Et  le  glorieux  Meurtrier  de  Beli ,  pour  s'attaquer  à  Noirci;  — 
«M  Alors  va  succomber  le  Héros  chéri  de  Frigg. 

««  Il  vient,  le  Fils  d'Odinn  ,  combattre  contre  le  Loup, 

««  Vidarr  lutte  contre  la  Bête-d'occision  — 

««  11  laisse  dans  la  gueule  du  Rejeton  de  Hvedrung 

««  L'acier  plongé  jusqu'au  cœur.  —  Ainsi  le  père  est  vengé!  — 

««  Il  s'approche ,  l'illustre  Fils  de  Hlôdyne  ; 

««  Il  est  mordu  par  la  Couleuvre  intrépide  de  colère , 

(i((  Et  qui  frappe,  dans  sa  rage,  le  Défenseur  de  l'Enclos-Mitoyen. 

«  «  Les  Héros  vont  tous  ensanglanter  la  Colonne  du  monde. 

«  «  Le  soleil  commence  à  se  noircir ,  le  continent  s'affaisse  dans  la  mer  ; 
((«  Elles  disparaissent  du  ciel,  les  étoiles  brillantes;  — 
««La  fumée  tourbillonne  autour  du  Destructeur  du  monde;  — 
««  La  flamme  élevée  joue  contre  le  ciel  même. 

c(  Voici  ce  qui  est  -encore  dit  ici  : 

«  M  Tremble-au-Combat  est  le  nom  de  la  plaine  où  se  rencontrent  au  combat 

««  Noirci  et  les  Dieux  bienveillants  ; 
««  Elle  a  cent  journées  en  toute  direction;  — 

««  Tel  est  le  champ  qui  leur  est  assigné.  »» 

52.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«Qu'arrive-t-il  alors  que  sont  brûlés  le  ciel  et  la  terre,  et  le  Séjour 
«  entier,  et  que  sont  morts  tous  les  Dieux  et  tous  les  Troupiers- 
<i  Uniques,  et  toute  la  foule  des  hommes  ? —  Tu  as  aussi  dit,  aupa- 
«  ravant ,  que  tout  homme  vivra ,  dans  quelque  Séjour ,  à  travers  tous 
((  les  âges.  » 

Alors  Sublime  répond  : 

((  Il  y  aura  alors  beaucoup  de  bons  Logements  et  beaucoup  de  mau- 
<ivais.  Le  mieux  ce  sera  alors  d'être  dans  íím//(Étincelant),  au  ciel. 
c(  On  sera  aussi  très-bien ,  pour  la  bonne  boisson ,  si  l'on  trouve 
(Í plaisir  à  cela,  dans  la  Halle  nommée  Frémissant  (Brimir);  elle  est 
«  aussi  placée  au  ciel.  C'est  encore  une  bonne  Halle  que  celle  qui  est 
c(  placée  aux  Monts-de-Nidi  (Nida-íiöU)  et  faite  d'or  rouge  ;  elle  est 
«  nommée  Sindri  (Étincelant).  C'est  dans  ces  Salles  que  seront  logés 
c(  les  hommes  bons  et  de  mœurs  douces.  Aux  Rives-des-Cadavres 
«(Nâstrond),  il  y  a  une  Salle  grande,  mais  affreuse;  les  portes  en 
<i  sont  tournées  au  Nord  ;  elle  est  entièrement  lissue  de  dos  de  ser- 
«pents,  en  guise  d'une  maison  do  claies;  et  toutes  les  têtes  de  ser- 


LA  RENAISSANCE  DU  MONDE.  137 

c(  pents  sont  dirigées  vers  l'intérieur  de  la  maison  et  y  soufflent  du 
«  venin,  de  sorte  que  le  long  de  la  Salle  coulent  des  Fleuves  de  venin, 
«et  dans  ces  Fleuves  se  trouvent  les  parjures  et  les  assassins,  ainsi 
((  qu'il  est  dit  ici  : 

««  Je  connais  une  Salle ,  qui  s'élève  plus  loin  du  soleil , 

««  Aux  Rives-des-Cadavres  ;  les  portes  en  sont  tournées  au  Nord  : 

«  «  Des  gouttes  de  venin  y  tombent  par  les  lucarnes  : 

««Cette  Salle  est  un  tissu  de  dos  de  serpents. 

««Là,  dans  les  courants  épais,  se  traîneront 

««  Les  hommes  parjures  et  les  exilés  pour  meurtre.  »» 

«  Cependant  on  est  le  plus  mal  dans  Hver-Gelmir  (Bassin-Bruyant); 
«« Là,  Nid-högg  tourmente  les  cadavres  des  trépassés.  »»  (48) 

53.  Alors  Piétonneur  dit  : 

«Est-ce  qu'alors  il  y  aura  encore  quelques  Dieux  en  vie?  —  y 
«  aura-t-il  encore  une  Terre  et  un  Ciel  ? 

Sublime  répond  : 

«Une  Terre  sortira  alors  de  la  Mer;  et  elle  est  verte  et  belle  ; 
«les  champs,  alors,  produisent  sans  être  ensemencés.  Vidarr  (Au- 
«  guste  du  Large)  et  Vali  (Frappant)  vivent ,  puisque  ni  la  Mer  ni  la 
«Flamme  de  Noirci  ne  leur  ont  nui;  et  ils  habitent  la  Plaine-d'Idi 
«(Idavöllr),  l'endroit  oii  était,  autrefois,  VEnclos-des-Ases.  Là  vien- 
«nent  alors  encore  les  Fils  de  Thôr^  Courage  (Môdi)  et  Pouvoir 
«  (Magni) ,  qui  y  apportent  Meunier  (Miölnir).  Après  cela  viennent 
uBaldur  et  Hodur,  de  chez  Hel:  ils  sont  alors  tous  assis  ensemble 
«et  s'entretiennent,  et  se  rappellent  leurs  mystères  {novv.rûnar),  et 
«  discutent  sur  les  événements  qui  se  sont  passés  antérieurement , 
«  et  sur  le  Serpent  de  Y  Enclos-Mitoyen,  et  sur  le  Loup  de  Fenrir.  Ils 
«  trouvent  alors  dans  l'herbe  les  jetons  d'or  qu'avaient  possédés  les 
«  Ases.  Voici  ce  qui  est  dit  ici  : 

««Vidarr  et  Vali  habitent  les  Sanctuaires  des  Dieux 
«  «  Quand  la  Flamme  de  Noirci  sera  éteinte  : 

««  Courage  et  Pouvoir  posséderont  Meunier , 

«M  Quand  le  combat  de  Vingnir  sera  terminé.  »») 

«Et  dans  l'Endroit  nommé  Butte-de-Hoddmimir  se  tiennent,  à  l'abri 
«  de  la  Flamme  de  Noirci,  deux  humains,  Lif  (Vie)  et  Lifthrâsir  (Dé- 
«sir  de  vie);  et  ils  auront,  pour  nourriture,  les  rosées  du  matin;  et 
«  de  ces  humains  proviendra  une  famille  si  nombreuse ,  que  le  Sé- 
«  jour  entier  en  sera  peuplé,  ainsi  qu'il  est  dit  ici  : 


i38  LA  FASCINATION  DE  GULFI. 

««  Lif  et  Lifthrâsir  se  tiendront  encore  à  l'abri 

«  «  Dans  la  Butte  de  Hoddmirair  ; 
««  Ils  ont  les  rosées  du  matin  pour  leur  nourriture  ; 

««  Et  d'eux  descendent  les  générations.  »» 

«Ce  qui  doit  encore  te  paraître  prodigieux,  c'est  que  ^Sd/ aura  mis 
((  au  monde  une  Fille  qui  n'est  pas  moins  belle  qu'elle-même ,  et  qui 
«parcourt  les  sentiers  de  sa  mère ,  ainsi  qu'il  est  dit  ici  : 

««  Rousse-des-Alfes  met  au  monde  une  Fille  unique, 

««  Avant  qu'elle  soit  atteinte  par  Fenrir; 
««  Quand  les  Grandeurs  auront  péri,  cette  Vierge 

««  Parcourra  les  chemins  de  sa  mère.  »»  (49) 

«Et  maintenant,  si  tu  peux  encore  adresser  d'autres  questions, 
«je  ne  saurais  d'où  cela  te  viendrait;  car  jamais  je  n'ai  entendu  à 
«personne  pousser  plus  loin  le  récit  sur  les  destinées  du  monde;  — 
«jouis  donc  maintenant  de  ce  que  tu  as  appris.» 

54.  Après  cela  Piétonneur  entendit  un  grand  fracas ,  tout  autour 
de  lui;  et  il  porta  son  regard  à  ses  côtés;  et  lorsqu'il  s'examina  da- 
vantage, le  voilà  placé  dehors  dans  une  plaine  déserte;  il  ne  voit 
plus  ni  halle,  ni  ferté.  Il  passe  alors  son  chemin ,  et  rentre  dans  son 
royaume,  et  raconte  les  nouvelles  qu'il  a  vues  et  apprises;  et, 
d'après  lui,  chacun  a  raconté,  l'un  à  l'autre,  ces  histoires.  (50) 


NUMÉRO  (1)  (page  77)  ;  GULFI  ET  GÂFION.  139 

m. 

TROISIÈME  PARTIE  DE  L  OIVRAGE. 


COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 


(1)  GULFI  ET  GAFION. 

1 1.  Gulfi,  roi  de  la  Marche-finne.  —  Lorsque  les  émigrés  de  la  branche 
gète  arrivèrent  dans  les  îles  et  sur  le  continent  [de  la  Scandinavie ,  ils  y 
trouvèrent  établies  des  peuplades  de  race  kelto-kiminque  ^  et  principale- 
ment des  tribus  de  race  sabméenne  ou  fmne.  Les  Finnes  qui  occupaient 
les  contrées  où  s'établit,  après  eux,  \q  Peuple-Svi  {^\'\-\h\bd)  ^  adoraient, 
entre  autres  divinités,  le  dieu  Kaleva,  qui  passait  pour  être  le  Père  des 
héros,  des  rois  et  des  familles  riches.  Aussi  Kaleva^  devint-il,  dans  la 
tradition,  le  représentant  des  rois  finnes  qui  régnaient  sur  les  contrées 
appelées  plus  tard  \^  Suède.  Le  dieu  Kaleva.,  étant  devenu  un  héros 
épique,  figurait,  dans  les  traditions  norraines,  sous  le  nom  correspondant 
dé  Gulfi.,  que  les  Suèdes  s'expliquaient  comme  signifiant  le  Brumeux 
(norr.  gulpr,  brume  ;  cf.  gufa  et  gull,  brouillard).  A  l'aide  de  quelques 
mythes  symboliques  et  allégoriques,  appartenant  en  partie  aux  traditions 
finnes.,  en  partie  aux  traditions  g  êtes ,  on  établit,  pour  Gulfi,  la  généa- 
logie mythique  suivante.  Gulfi  (Brumeux) ,  le  frère  de  Glamri  (Nuage 
Blanc),  était  fils  de  Geitir  (Fervescent) ,  lequel  était  fils  de  Gôr  (Frimas-^ 
cf.  finne^wî/ra),  lequel  était  fils  de  T'A orW  (Gelée-sèche),  lequel  était 
fils  de  Snier  (Neigeux),  lequel  était  fils  de  lökiil  (Gladier) ,  lequel  était  fils 
de  A'ar/ (Aquilon),  lequel  était  fils  de /br-yizoi;-,  qui  correspondait  jadis  au 
dieu  u'iCsÇ^Porenut,  et  au  dieu  scytheFr/7?iM5.  Chez  les  peuples  norrains,  les 
Chefs  qui  avaient  été  vaincus  et  dépossédés  de  leur  territoire ,  se  faisaient 
ordinairement  Rois  de  mer  (Sækonungar;  voy.  Les  Gètes ,  p.  109).  Gulfi., 
le  représentant  des  rois  finnes ,  ayant  été  dépossédé  de  son  royaume  par 
le  Peuple-Svî,  fut  aussi  représenté ,  dans  la  tradition  norraine ,  comme 
un  ancien  roi  de  mer  (voy.  Skaldskaparmâl.,  p.  208).  Or,  comme  beau- 
coup de  ces  rois  de  mer  parvinrent  à  se  créer  de  nouvelles  royautés  à 
l'étranger ,  dans  les  pays  maritimes  ,  les  familles  princières  de  ces  pays 
rattachaient  fréquemment  leur  généalogie  à  l'un  de  ces  rois  Scandinaves. 
C'est  ainsi ,  par  exemple  ,  qu'il  se  forma .  à  commencer  du  7«  siècle  de 


140  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

notre  ère,  la  tradition  épique,  d'après  laquelle  Heid,  la  fille  de  Gulji, 
épousa  l'un  des  fils  á'Odinn ,  Sigurlami,  roi  de  Gardarîki  (voy.  Herva- 
rar-saga ,  p.  8). 

§  2.  Origine  du  nom  de  Séeland.  —  Vers  le  cinquième  siècle  avant  notre 
ère ,  des  émigrés  de  la  branche  gète ,  ayant  quitté  les  bords  méridionaux 
de  la  mer  Baltique ^  ont  passé  dans  l'île  appelée  aujourd'hui  Bornholm 
(Borgundar-holm ,  Ile  des  Burgondes) ,  et  de  là  ont  abordé  dans  la  partie 
la  plus  méridionale  de  la  presqu'île ,  appelée,  plus  tard,  \2i  Scandinavie. 
Frappés  d'admiration  à  la  vue  d'épaisses  forêts  de  hêtre,  ces  émigrés  ont 
donné  au  pays,  où  ils  avaient  débarqué,  le  nom  de  Skadvinavia  (Pays 
d'ombrage  ou  lie  ombreuse) ,  qui ,  plus  tard ,  s'est  changé  en  Skân-ey 
(Scanie).  Ces  émigrés  formèrent  deux  peuplades:  les  Svtes,  qui  se  sont 
établis  plus  au  Nord-Est,  et  les  Gautes,  qui  occupèrent  le  Nord-Ouest 
près  des  lacs  Vasnir  et  Veitvr.  Les  Gautes ,  comme  leurs  frères  les  Svîes, 
adoraient  principalement  Frey  et  Freyia ,  sous  les  noms  de  Skiöld  et 
de  Gefn.  Us  avaient  consacré  à  ces  divinités  un  bois  sacré,  situé  dans  la 
Scanie  et  appelé  le  Bocage  (Lundr) ,  auprès  duquel  s'éleva,  dans  la  suite, 
la  ville  portant  encore  aujourd'hui  le  nom  de  Lund.  Des  émigrés  Gautes 
passèrent  de  la  Scanie  dans  l'île  située  au  Sud-Ouest  et  séparée  du  con- 
tinent par  le  détroit  appelé  Sund.  Ils  trouvèrent  dans  cette  île ,  comme 
en  Scanie ,  de  belles  forêts  de  hêtre ,  et  ils  consacrèrent  à  leurs  divinités, 
Skiold  et  Gefn ,  un  bois  sacré  qu'ils  nommèrent,  également,  le  Bocage., 
(Lundr) ,  mais  qu'ils  distinguèrent ,  de  celui  de  leur  mère-patrie  ou  du 
continent,  par  le  nom  plus  précis  de  Bocage-de-Mer  (Sæ-lundr).  Ce  nom 
servit  bientôt  à  désigner  l'île  tout  entière.  Dès  le  premier  siècle  de  notre 
ère ,  des  émigrés  de  la  branche  dane ,  sœur  de  la  branche  gète ,  quittè- 
rent leurs  établissements  sur  les  bords  sud-occidentaux  de  la  Baltique,  et 
dans  la  presqu'île  de  lôtland  (Jutland) ,  et  passèrent  dans  l'île  de  Fíón 
(Fionie),  et  de  là  dans  celle  de  Sælund.  Des  rivalités  et  des  inimitiés  s'y 
établirent  entre  l'ancienne  population  gante  et  les  nouveaux  venus  de  la 
branche  dane.  Les  Danes  finirent  par  dominer  dans  l'île  ;  ils  s'emparèrent 
du  sanctuaire  de  Sælund  et  en  adoptèrent  les  divinités  qu'ils  nommèrent, 
dans  leur  dialecte ,  Skiold  et  Gejion.  Plus  tard  le  nom  de  Sælund  (Bocage 
de  Mer)  s'étant  confondu ,  dans  la  prononciation  des  Danes  ,  avec  celui 
de  Sælönd  (Pays  de  Mer),  il  fut  aussi  remplacé ,  peu  à  peu ,  par  celui-ci  ; 
et ,  enfin  ,  Sælönd  fut  remplacé ,  à  son  tour ,  par  le  nom  danois  actuel  de 
Sæland  (Pays  de  Mer). 

g  3.  Mythe  géologique  et  hiératique  sur  le  Séeland.  —  Au  point  de  vue 
géologique,  l'île  continentale  de  Séeland  fait  proprement  partie  de  la 
Suède,  dont  elle  a  été  détachée  par  un  aiTaissement  du  sol,  qui  a  eu  pour 
conséquence  sa  séparation  du  continent  de  ce  pays  par  le  détroit  appelé 
le  Sund  (Transnatation  ').  Cet  affaissement  du  sol  eut  lieu  à  peu  près  à  la 
même  époque  que  l'affaissement  du  terrain  qui  a  donné  naissance  au  lac 
de  Vænir,  de  sorte  que  la  tradition  mit  en  relation ,  l'un  avec  l'autre , 
ces  deux  accidents  géologiques.  Cette  observation  sur  l'origine  ou  la  for- 

(1)  Le  nom  de  Transnatation  signifie  que  le  détroit  est  d'une  largeur  telle  qu'on 
peut  encore  faire  la  traversée  à  la  nage. 


NUMÉRO  (1)  (page  77);  GULFI  ET  GÂFION.  441 

mation  géologique  de  cette  île,  ayant  été  faite  déjà  dans  l'Antiquité,  on 
a  énoncé  ,  d'abord  ,  d'une  manière  générale ,  que  l'île  de  Sielmid  a  été , 
par  la  mer ,  détachée  du  sol  de  la  Suède  ;  et  cette  observation ,  s'étant 
transmise  par  la  tradition ,  prit  ensuite  de  plus  en  plus  une  forme  épico- 
mythique.  Dès  lors,  comme  l'Antiquité  voyait,  dans  les  forces  de  la  Nature, 
des  Puissances  ou  des  Personnes  divines ,  au  lieu  d'interpréter  cette  tra- 
dition géologique  comme  signifiant  que  Sælund  a  été  séparé  de  la  Suède 
par  un  accident  physique  ou  géologique ,  on  rapportait  que  cette  île  avait 
été  enlevée  du  sol  du  continent  ou  de  la  Scanie  par  un  Personnage  divin 
ou  mythologique.  Ensuite,  comme  le  lac  de  Vænir  s'était  formé  à  l'é- 
poque à  laquelle  l'île  de  Sælund  s'était  détachée  de  la  Scanie ,  on  allait 
jusqu'à  supposer  que  le  sol  de  l'île  avait  été  formé  avec  le  terrain  enlevé 
au  lac  de  Fænir.  On  se  confirma  dans  cette  supposition  lorsqu'on  crut 
reconnaître  que  le  bassin  de  ce  lac  avait  une  grandeur  à  peu  près  égale  à 
la  superficie  de  Sælund^  et  que  les  enfoncements  de  ce  lac,  à  ce  qu'on  pré- 
tendait, correspondaient  exactement  aux  pointes  déterre  de  cette  île.  Ju- 
geant, enfin,  que  ce  déplacement  de  terrain  a  dû  être  principalement  eifec- 
tué  par  les  forces  surhumaines  de  l'Océan ,  qui  semblait  tenir  sans  cesse 
Sælund  séparé  de  la  Scanie,  la  tradition,  tournant  de  plus  en  plus  au 
mythe,  avait  plusieurs  raisons  d'attribuer  cet  enlèvement  de  terrain  à  la 
déesse  Gafion  ,  aidée  de  ses  bœufs  iotniques.  En  efl'et,  Gàfion,  plus  que 
toute  autre  divinité ,  était  jugée  capable  d'opérer  cet  enlèvement  ou  dé- 
placement de  terrain.  Car,  d'abord,  elle  était  une  Déesse  ou  ^5yme , 
ayant,  comme  telle,  une  puissance  5z<r/m>/ia2?ie;  ensuite  elle  était  une 
divinité  qui,  comme  l'indique  son  nom  de  Gejion  (Aime-F Abîme),  formé 
de  celui  de  la  déesse  Ge/w  (Abîme ,  Mer),  présidait  aussi  à  laii/er  (anglos. 
Geofon)  ;  enfin ,  elle  était  la  divinité  principale  adorée  dans  Sæland ,  où, 
selon  la  tradition ,  elle  avait  épousé  Skîoldr  (Bouclier),  un  des  fils  d'O- 
dinn;  elle  devait  donc  aussi  être  considérée  comme  Propriétaire  de 
Sæland ,  où  elle  était  adorée ,  et ,  par  conséquent ,  passer  pour  avoir  ac- 
quis elle-même ,  dans  l'origine ,  la  possession  de  cette  île ,  qui  lui  était 
consacrée  au  même  titre  que ,  par  exemple ,  l'île  de  Delos  l'était ,  d'après 
la  mythologie  grecque ,  à  la  déesse  Latone.  Ensuite  d'autres  traditions , 
ayant  déjà  établi  des  rapports  entre  les  Jses  et  Gulfi,  le  mythe,  qui  con- 
sidérait ce  roi  des  Svîes  comme  le  Représentant  de  la  Suède ,  put  substi- 
tuer le  nom  de  Gw/^  à  celui  de  cette  contrée,  et  dire,  par  conséquent,  que 
Sælund^  Y\\tAc^SkiöldQiAes,Danes,  fut  enlevée  par  Go/to/i,  kGulJi  ou 
à  la  Suède.  Plus  tard  les  Danes ,  qui  avaient  conquis  l'île  de  Sæland  sur 
les  Gautes  et  les  Svîes,  eurent  un  motif  ou  un  intérêt,  soit  moral,  soit 
politique ,  à  présenter  cet  enlèvement  comme  une  acquisition  légitime  y 
faite  sans  aucune  violence  ;  et  comme  ils  ne  pouvaient  cependant  pas  faire 
passer  l'enlèvement  de  cette  charmante  île  (vin-ey) ,  au  continent  de  la 
Scanie ,  pour  un  don  volontaire  fait  à  Gâjion  par  le  roi  Gulji,  on  s'avisa 
de  représenter ,  dans  le  mythe ,  cet  enlèvement  comme  la  conséquence 
d'une  concession,  qui  avait  été  faite  par  le  roi,  et  dont  Gàfion  y  par  une 
ruse  (c'est-à-dire  par  un  moyen  légitime ,  selon  la  morale  de  l'époque) , 
sut  tirer  parti  bien  au  delà  de  l'intention  et  des  prévisions  de  Gulfi.  Plus 
tard  encore  la  tradition  (suivant  ses  habitudes  de  changer  souvent  ja  base 


14-2  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

locale  du  mythe  ,  quand  les  circonstances  extérieures  favorisent  ce  chan- 
gement) a  substitué  le  lac  de  Mælar  au  lac  de  Vænir ,  et  a  rapporté  de 
celui-là  ce  qui,  originairement,  vu  la  forme  de  l'île  de  Sæland  et  du  lac 
de  Vænir ,  n'a  pu  s'appliquer  qu'à  celui-ci.  C'est  que ,  aussi  longtemps 
que  les  rois  des  Svîes  furent  en  possession  de  la  Scanie  et  du  Verma- 
land^  où  se  trouvait  le  lac  Vænir ,  la  tradition  continua  à  rattacher  le 
mythe  à  ce  lac.  Mais  lorsque ,  dans  la  suite ,  la  Scanie  et  le  Vermaland 
firent  partie  des  possessions  des  Danes  et  des  Narrains ,  l'ancienne  tra- 
dition, répandue  chez  les  Danes  ^  ne  put  conserver  quelque  sens  qu'en 
substituant  au  Vænir,  devenu  lac  danois^  un  autre  lac  situé  encore  dans  le 
domaine  des  rois  de  Suède.  Or,  comme  les  rois  des  Svîes  résidaient  alors, 
soit  à  Sîgtûn  soit  à  Uppsalir,  et  que  la  tradition  dut  supposer  que  Gulji^ 
comme  roi  des  Svîes ,  se  tenait  dans  l'une  de  ces  deux  résidences ,  situées 
dans  le  voisinage  du  lac  de  Mælar ,  le  mythe ,  faisant  une  substitution 
exigée  par  les  circonstances ,  et  sans  se  soucier  de  ce  que  la  forme  du  lac 
de  Mælar  ne  cadrait  nullement  avec  la  forme  du  sol  de  l'île  de  Sæland, 
énonça  que  cette  île  fut  arrachée  au  terrain  de  la  Suède ,  à  l'endroit  où 
se  forma  alors  le  Lac  (Lögr),  c'est-à-dire  leMœlar,  qui,  à  cette  époque, 
était  le  lac  par  excellence  de  la  Suède.  —  Comme  le  mythe ,  sur  V ori- 
gine de  l'île  de  Sæland^  repose,  non  sur  un  objet  capable  d'être  saisi 
par  V Intuition  (voy.  p.  91),  mais  sur  une  induction,  ou  une  prétendue 
explication  historique ,  il  ne  fait  pas  partie  des  mythes  symboliques ,  qui 
expriment  des  intuitioíis,  mais  c'est  une  mythe  scientifique,  et  plus  par- 
ticulièrement un  mythe  de  géographie  politique.  Aussi  ne  saurait-il 
appartenir  à  Vmicien  fond  de  la  Mythologie ,  qui  a  été  importée  de  l'Asie 
dans  la  Scandinavie;  il  s'est  formé  seulement  dans  le  Nord,  sur  les  lieux 
mêmes  auxquels  il  se  rattache ,  et  à  une  époque  comparativement  très- 
postérieure,  savoir  à  l'époque  où  les  Z)a?ie5prirent  possession  de  l'île  de 
Sælund,  entre  le  troisième  et  le  cinquième  siècle  de  notre  ère.  Mais  la  forme 
actuelle  du  mythe ,  après  ses  différentes  transformations ,  ne  date  proba- 
blement que  du  septième  siècle.  Cette  tradition  était  si  bien  connue  et  si 
généralement  répandue  du  temps  de  Snorri,  que  cet  auteur  put  déjà  in- 
voquer, à  l'appui  de  son  récit,  le  témoignage  d'un  Skalde,  de  Bragi  le 
Vieux ,  dont  les  expressions  énigmatiques  n'auraient  pas  pu  être  com- 
prises ,  si ,  dans  ce  temps ,  l'on  n'avait  plus  connu  parfaitement  les  détails 
du  mythe ,  auxquels  ce  poète  fait  allusion  dans  ses  vers. 

§.  4.  Bragi  le  Vieux  et  le  style  skaldique.  —  Le  Skalde  Bragi,  fils  de 
Boddi,  était,  suivant  la  tradition  vulgaire,  contemporain  et  du  roi  da- 
XioM  Ragnar  Br aie- Velue  (Lôd-brôk),  et  du  roi  Suédois  Zi'ysiem  le  ^ew- 
gleur  (Beli),  et  de  Biörii  à  la  Butte  [atHaugi).  11  vivait  par  conséquent 
dans  la  première  moitié  du  septième  siècle  ;  on  le  surnommait  le  Vieux , 
pour  le  distinguer  d'un  autre  Skalde,  nommé  également  Bragi,  qui  était 
fils  de  Hallur  et  qui  a  vécu  sous  Sverri  et  sous  Hakon ,  fils  de  Sverri. 
Mais  de  deux  choses  l'une ,  ou  bien  Bragi  le  Vieux  vivait  à  une  époque 
qui  est  postérieure  à  celle  que  lui  assigne  la  tradition  vulgaire,  ou  bien 
les  vers,  que  Snorri  lui  attribue  ici ,  ne  sont  pas  de  sa  composition.  Car 
ces  vers  sont  composés  à  la  fois  dans  un  langage  recherché  et  d'après 
une  versification  artificielle  ,  qui .  l'une  et  l'autre,  n'étaient  pas  encore 


NUMÉRO  (i)  (page  77);  GULFI  ET  GÀFION.  145 

formées  et  développées  à  cette  époque,  dans  la  poésie  iiorraine.  Ces  vers, 
attribués  à  ^rap'/,  peuvent  servir  ici  comme  échantillon  de  la  poésie  artifi- 
cielle lyrico-épique  des  Skaldes ,  laquelle  diffère  essentiellement  de  l'an- 
cienne poésie  7nythico-épique ,  au  point  qu'elle  est,  le  plus  souvent,  très- 
difficile  à  comprendre ,  et  toujours  extrêmement  difficile  àtraduire ,  surtout 
dans  un  idiome  aussi  analytique  que  l'est  la  langue  française.  En  effets 
cette  poésie  se  fait  remarquer  non-seulement  par  la  construction  con- 
tournée et  tourmentée  des  phrases  ,  et  par  les  formes  artificielles  et  re- 
cherchées de  la  versification,  mais  encore  par  des  expressions  et  des 
locutions  qui  sont  quelquefois  doublement  métaphoriques.  Ainsi ,  par 
exemple,  dans  les  vers  de  Bragi,  cités  par  Snorri,  la  construction  de 
la  phrase ,  dans  l'original  norrain ,  est  la  suivante  : 

Gafion  enleva  à  GuJfi,  la  Joyeuse,  au  Libéral  de  Roux  d'Abime  — 
(Si  bien  qu'ardents  à  courrir  ils  fumaient)  l'Accrue  de  la  Marche  daae; 
Ces  bœufs  portaient  (avec  huit  Lunes-frontales)  (en  trottant 
Devant  la  vaste  Dépouille  du  Sol  de  l'Ile  agréable)  quatre  têtes. 

Quant  à  la  versification ,  les  vers  cités  forment ,  dans  le  texte ,  une 
strophe  [visa) ,  du  genre  nommé  Chant  du  Peuple  (Drottkvædi)  et  com- 
posée de  quatre  vers  ou  Quarts  de  strophe  í^\s\]í-^ovA\íxí^2íV).  Le  premier 
et  le  deuxième  Quarts  de  strophe ,  et  le  troisième  et  le  quatrième ,  sont  liés 
ensemble  par  le  sens,  et  forment  deux  Hémistrophes  (Visu-helmingar). 
Chaque  Quart  de  strophe  se  divise  en  deux  hémistiches  (Visu-ord) ,  et 
chaque  hémistiche  se  compose  de  six  syllabes.  Dans  chaque  Quart  de 
strophe ,  le  second  hémistiche  commence  par  un  mot  dont  la  lettre  ini- 
tiale ,  nommée  Lettre  capitale  (Höfud-stafr) ,  forme  allitération  avec 
deux  lettres  initiales  semblables ,  placées  dans  des  mots  du  premier  hé- 
mistiche ,  et  appelé(;s  Étais  (Studlar)  ;  exemple  : 

Gefion  drô  frà  Gylfa,  — -  ^löd ,  diuprödull  ödla. 

Enfin ,  dans  chaque  deuxième  hémistiche ,  se  trouvent  deux  syllabes 
assonnantes ,  appelées  Correspondantes  (hending)  ;  exemple  : 
%\öd  diuprödull  óí/la. 

Voici  maintenant  l'explication  des  expressions  énigmatiques  ou  locu- 
tions poétiques ,  renfermées  dans  la  strophe  : 

i.  Le /îowa7i/e/'^6me  est  une  expression  figurée  pour  dire  /'or^car,  d'a- 
bord, l'expression^ôfwe  sert  à  désigner  l'Océan;  et  le  Roux  désigne  le  Soleil, 
à  cause  de  son  éclat  rougeâtre.  Ensuite  Roux  de  l'Abîme  (Soleil  de  l'O- 
céan) ,  est  une  expression  skaldique  pour  dire  or;  car,  suivant  la  Mytho- 
logie norraine,  Œgir ,  le  Dieu  de  l'Océan  ,  emploie,  en  guise  de  feu  ou 
de  soleil,  l'or  brillant ,  pour  éclairer  sa  demeure  sous-marine.  2.  L'Accrue 
de  la  Marche  dane,  c'est  l'île  de  Sæland ,  dont  le  terrain,  qui  a  été 
arraché  à  la  Suède  par  Gafion ,  sert  d'agrandissement  ou  d'accrue  au  Da- 
nemark. Cette  expression  prouve  |que  ces  vers  ont  été  composés  à  une 
époque  où  l'île  deSéeland  n'appartenait  plus  à  la  Suède ,  mais  faisait  déjà 
partie  du  Danemark.  3.  La  vaste  Dépouille ,  matière  de  l'Ile  agréable  s 
désigne  métaphoriquement  le  terrain  arraché  par  Gafion  à  la  Suède, 
comme  un  butin  ou  une  dépouille  enlevée;  c'est  de  cette  dépouille  que 
se  forma  l'île  de  Séeland ,  appelée,  à  cause  de  ses  magnifiques  forêts  de 
hêtres  et  de  son  Bois  sacré,  Vile  agréable.  4.  Les  huit  lunes  frontales 


144  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

désignent  les  huit  yeux  des  quatre  bœufs  ;  car  l'expression  lune  est  em- 
ployée ici  pour  dire  astre  ou  étoile;  et  étoile  du  front  est  une  expres- 
sion skaldique  pour  désigner  l'œil.  5.  Quatre  têtes  indique  qu'il  s'agit 
de  quatre  bœufs;  car  les  peuples  germaniques  désignaient  le  bétail  par 
l'expression  de  tête  (norr.  höfud);  de  là  aussi,  en  basse  latinité  ,  le  mot 
de  capitale  (tête  de  bétail) ,  dont  les  Anglais  ont  fait  cattle  (bétail). 

§  5.  Le  Mythe  de  Gâfion  fait  partie  intégrante  de  l'Encadrement.  — 
Nous  avons  vu  que  la  tradition  a  fourni  à  Snorri  les  mythes  sur  Gulji , 
sur  Gafion  et  sur  les  rapports  des  Ases  avec  GulJi.  Snorri  n'a  donc  rien 
inventé  sous  ce  rapport  ;  il  a  pris  la  tradition  telle  qu'elle  existait  encore 
de  son  temps.  Sans  en  connaître  ni  la  signification  primitive ,  ni  l'origine* 
il  la  prit  purement  et  simplement  pour  une  tradition  mythico-épique.  Il 
l'utilisa,  d'une  manière  ingénieuse,  en  en  faisant  une  histoire  devant  servir 
d'encadrement  à  son  Traité.  On  comprend  facilement  pourquoi  Snorri 
parle  ici,  au  commencement,  de  GulJi,  qui  est  la  cause  première  de  ce  que 
les  différents  mythes  norrains  seront  exposés  ou  racontés  (voy.  p.  66).  Mais 
on  ne  saisit  pas  aussi  facilement  la  raison  pour  laquelle  il  raconte,  tout 
d'abord,  l'histoire  de  l'enlèvement  et  de  la  formation  de  l'île  de  Sæland; 
ce  qui  semble  ici  n'être  qu'un  hors-d'œuvre.  Aussi  a-t-on  souvent  con- 
sidéré ce  récit  comme  ne  faisant  pas  partie  de  ce  Traité ,  mais  comme  y 
ayant  été  ajouté,  après  coup,  sans  doute,  à  propos  du  roi  Gulji^  auquel  le  fond 
de  ce  récit  se  rapportait.  Déjà,  dans  le  Manuscrit  d'Upsal,  ce  récit  est  omis 
comme  ne  faisant  pas  partie  intégrante  du  texte.  Mais  quand  on  se  rap- 
pelle que  Snorri ,  en  bon  historien ,  aime  à  tout  motiver  dans  sa  narra- 
tion ,  on  reconnaît  qu'il  y  a  un  rapport  intime  et  nécessaire  entre  le  récit 
sur  l'origine  de  l'île  de  Sæland  et  le  reste  de  l'histoire  qui  forme  l'Enca- 
drement du  Traité.  En  eifet ,  nous  l'avons  dit  (p.  67) ,  en  racontant  le 
mythe  sur  l'enlèvement  de  Sæland,  par  Gafion,  óViorr/  a  voulu  énoncer 
que  cet  enlèvement  merveilleux  a  éveillé  et  attiré  l'attention  de  Gulfi 
sur  la  puissance  surhumaine  et  sur  l'esprit  d'envahissement  des  Ases , 
et  que,  dès  lors,  ce  roi  résolut  d'aller  les  trouver  pour  apprendre  à  con- 
naître la  cause  de  leur  puissance  extraordinaire.  Sa  présence  au  milieu 
d'eux  amena ,  de  la  sorte ,  le  dialogue,  et,  par  suite,  l'exposé  des  mythes 
norrains,  but  pour  lequel  le  Traité  de  la  Fascination  de  Gulfi  a  été  com- 
posé. 

(2)  GULFI  VIENT  A  ODINSEY. 

l  6.  Voyage  aérien  de  Gulfi.  —  On  croyait,  dans  l'Antiquité,  quela  sagesse 
et  la  prévoyance  étaient  produites  et  entretenues  dans  les  Dieux  et  dans 
les  hommes ,  par  des  moyens  extérieurs.  Parmi  ces  moyens,  le  plus  effi- 
cace était ,  à  ce  qu'on  supposait ,  la  Magie ,  qui  portait ,  chez  les  Hindous, 
le  nom  ^^  Science  par  excellence  (sansc.  vidya,  science,  magie),  chez  les 
Latins  le  nom  de  grand  Art  (lat.  ars  magna) ,  et  chez  les  Norrains  celui 
de  grand  Pouvoir  (fiölkyngi).  Les  Finnes  passaient  pour  être  de  grands 
magiciens  (v.  p.  68).  Gulfi  étant  supposé  roi  des  Finnes ,  Snorri  dut  le 
représenter  comme  un  homme  avisé  et  versé  en  magie.  Ce  roi  prévoyait 
que ,  s'il  ne  se  mettait  pas  sur  ses  gardes ,  la  race  des  Ases  parviendrait 
à  s'emparer  de  son  royaume.  Déjà  son  attention  avait  été  éveillée  et  attirée 


NUMÉRO  (2)  (page  78);  gulfi  a  odinsey.  U5 

sur  cette  race  par  l'enlèvement  merveilleux  de  l'ile  de  Sæland.  Cet  enlè- 
vement lui  prouva  que  les  Âses  étaient  doués  de  forces  surnaturelles.  Or, 
d'après  les  idées  de  l'Antiquité ,  les  forces  surnaturelles  que  possédait 
une  race ,  ne  pouvaient  lui  venir  que  de  deux  causes ,  ou  bien  de  sa  propre 
nature  divine ,  ou  bien  de  la  puissance  des  Dieux  qu'elle  adorait.  Pour 
pouvoir  se  mettre  en  garde  contre  Xe^sAses ,  Giilfi  avait  donc  besoin  de  sa- 
voir s'ils  étaient  eux-mêmes  des  Dieux,  ou  s'ils  n'étaient  forts  que  par  la 
puissance  de  leurs  divinités.  Dans  le  premier  cas,  il  lui  fallait  lutter  contre 
eux  par  le  pouvoir  divin  de  la  magie  ;  dans  l'autre  cas ,  il  espérait  d'égaler 
sa  puissance  à  celle  des  Âses ,  en  se  mettant  sous  la  protection  des  mêmes 
Dieux  qu'eux  ils  adoraient.  En  tout  cas,  il  fallait  apprendre  à  connaître, 
soit  les  Ases  eux-mêmes ,  soit  leurs  divinifés.  Pour  acquérir  cette  con- 
naissance, Gulfi  aurait  pu  se  contenter  d'envoyer,  auprès  des  Ases^  des 
espions  appelés ,  par  les  Norrains ,  hommes  d'exploitation  (niosnar  menn). 
On  choisissaitpour  espions  ordinairement  des  hommesquisavaientpratiquer 
la  magie;  car  c'est  par  des  opérations  magiques  que  ceux-ci,  d'abord,  se 
transportaient,  comme  on  croyait,  en  un  clin  d'œil,  ou  moyennant  le  iraws- 
/jor^ciec/m  (svip-far),  auprès  des  personnes  qu'ils  devaient  espionner,  et, 
ensuite,  se  rendaient  invisibles ,  ou  bien  prenaient  les  déguisements  néces- 
saires. Gulji  voulut  faire  la  reconnaissance  lui-même.  Il  ne  voyagea  pas 
à  pied  ;  mais,  mettant  à  profit  la  science  qu'il  avait  de  la  magie,  il  se  rendit, 
en  un  clin  d'œil,  auprès  des  Ases ,  en  volant  à  travers  les  airs,  par  le  trans- 
port de  clin.  Snorri ,  d'après  ses  idées  évhéméristes  et  ses  combinaisons 
historiques,  se  figurait  les  Ases^  et  les  représentait,  comme  des  imposteurs 
et  des  magiciens,  qui,  après  avoir  quitté  l'Asie,  où  avaient  régné  leurs 
pères,  les  véritables  Ases  ou  Asiatiques,  s'étaient  établis  successive- 
ment dans  la  Thrace  (Pays  des  Dakes  et  des  Gètes) ,  dans  le  Pays-Saxe 
(Germanie)  et  dans  la  iVarche-dane.  Stiorri  supposa  qu'avant  de  s'établir 
dans  l'île  de  Sæla?id  et  en  Suède ,  les  Ases  habitaient  l'île  de  Fion  (Fio- 
nie).  Les  Danes  de  Fion  avaient  fondé ,  dans  un  îlot  appelé  Odinsey  (Ile 
d'Odinn),  un  sanctuaire  qui  était  consacré  à  Odinn,  et  qui,  dans  la  suite, 
donna  naissance  à  la  ville  d'Odensé.  C'est  là  ,  d'après  la  supposition  de 
Snorri,  que  se  trouvait,  du  temps  de  Gulfi ,  la  Demeure  ou  le  Nouvel 
Enclos  des  Ases.  C'est  donc  à  Odinsey .,  en  Fion,  que  vint  ce  roi  finne 
pour  espionner  ses  ennemis.  Les  Ases ,  qui  étaient  de  grands  magiciens, 
et  qui  usaient  de  divination  ,  s'aperçurent  du  voyage  de  GulJi  avant  que 
lui-même  ne  fut  arrivé  chez  eux.  Pour  lui  donner  tout  d'abord  une  haute 
opinion  de  leur  puissance ,  ils  lui  préparèrent ,  par  des  opérations  magi- 
ques, des  illusions  de  vue,  de  sorte  que  tout  ce  que  Gulfi  vit,  chez  les 
Ases ,  était  non  pas  la  réalité ,  mais  une  pure  vision  produite  par  la  fascina- 
tion qui  le  trompait  (voy.  p.  74).  Comme  le  sanctuaire  d'Odinsey  était 
consacré  à  Odinn ^  qui,  d'après  Snorri,  était  le  Roi  des  Ases,  ceux-ci 
formèrent,  selon  lui,  par  enchantement,  une  demeure  qui  put  passer  pour 
le  Palais  d'Odinn,  et  il  imagina  qu'elle  fut  faite  en  imitation  de  Isi  Halle- 
des-Occis  ^  qui  ^  autrefois,  avait  été  la  Demeure  du  véritable  Odinn,  dans 
l'ancien  Enclos  des  Ases  en  Asie. 

g  7.  Forme  extérieure  de  la  HalIe-des-Occis.  —  Aussi  longtemps  que 
les  Dieux  étaient  encore  zoomorphes  (voy.  p.  9),  on  ne  songea  pas  à 

10 


14-6  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

leur  assigner  un  domicile  ou  une  habitation  ;  mais  lorsqu'ils  furent  devenus 
anthropomorphes ,  il  fallait  aussi,  comme  aux  hommes,  leur  trouver  des 
demeures.  Lorsque  les  hommes  étaient  encore  nomades  et  vivaient  sur 
des  chars  ou  sous  des  tentes ,  le  sanctuaire  ou  la  demeure  assignée  aux 
divinités ,  était  également  soit  sur  un  char,  soit  dans  une  tente.  Les  ancêtres 
des  Scandinaves ,  les  tribus  de  la  branche  gète,  n'ayant  échangé  la  vie  no- 
made contre  l'état  agricole  ,  qu'à  commencer  du  quatrième  siècle  avant 
notre  ère,  c'est  aussi  seulement  vers  cette  époque  qu'ils  songèrent  à 
consacrer ,  à  leurs  divinités ,  à  la  fois  des  demeures  fixes  et  des  sanctuaires 
ou  des  temples.  Les  divinités  anthropomorphes ,  formant  une  race  ,  une 
famille ,  étaient  censées  habiter  non-seulement  des  sanctuaires  ou  des 
temples  sur  la  terre,  mais  encore  des  demeures  placées  dans  le  ciel.  On  se 
figurait  ces  demeures  ceïe.ç^é'o-,  à  l'instar  soit  des  temples  ou  sanctuaires,  soit 
des  habitations  des  princes  ;  seulement  on  se  les  figurait  plus  grandioses, 
plus  belles  et  plus  riches.  Comme  les  habitations  des  hommes  diiféraient 
entre  elles  ,  selon  les  conditions  de  leurs  maîtres ,  on  concevait  aussi , 
autant  que  possible ,  les  demeures  célestes  des  divinités  d'une  manière 
quelque  peu  diiférente  ,  selon  leurs  qualités  et  leurs  attributions. 

Odinn,  étant  devenu,  chez  les  tribus  de  la  branche  gète^  le  dieu  su- 
prême,  il  fut  aussi  le  premier  pour  lequel  on  ait  imaginé  une  demeure 
céleste  en  rapport  avec  ses  attributions.  Odinn,  comme  dédoublement  et 
héritier  de  l'ancien  dieu  Ciel  (Tins) ,  fut  d'abord  considéré  comme  Dieu 
du  ciel ,  et  l'on  se  figurait  sa  demeure  céleste  comme  une  vaste  halle  (norr. 
höll)^  ayant,  pour  toiture,  la  voûte  céleste  ornée  d'étoiles.  Odinn,  comme 
dédoublement  du  dieu  Ciel,  jadis  considéré  comme  Père  des  vents,  était  ori- 
ginairement le  Dieu  des  vents  fougueux;  et,  c'est  pourquoi,  on  se  figurait 
sa  demeure  céleste  comme  une  Halle  des  vents,  c'est-à-dire  comme  une 
halle  carrée ,  ouverte  des  quatre  côtés,  et  d'où  sortaient  les  quatre  vents 
cardinaux.  Lorsque ,  dans  la  suite ,  au  lieu  de  quatre  points  cardinaux , 
en  en  distingua  huit ,  la  halle  des  vents  carrée  devint  octogone ,  comme 
l'était,  à  Athènes,  la  tour  horologique  des  vents,  construite  par  ^wrfro- 
nikos  Kurrhestès.  Plus  tard  encore,  lorsqu'on  conçut  une  espèce  de  rose 
des  vents ,  la  Halle  d'Odinn  prit  tout  à  fait  la  forme  ÓLnne  Rotonde  ayant 
des  portes  dans  toutes  les  directions. 

L'ancien  dieu  i7ze/(Tius),  comme  Dieu  des  vents  tempétueux,  et  comme. 
Dieu  Suprême,  était,  par  cela  même,  aussi  considéré  comme  Dieu  des 
tempêtes  du  combat,  ou  comme  Dieu  de  la  guerre.  Son  dédoublement 
et  son  héritier  Odinn  y  était  donc  également  adoré  comme  Dieu  des 
Combats.  En  cette  qualité ,  Odinn  était  censé  recevoir  chez  lui  les  héros , 
qui  avaient  été  occis  dans  les  combats  ;  et  c'est  pourquoi  la  Halle  céleste 
d'Odinn  eut  le  nom  de  Halle-des-Occis  (norr.  Val-höll). 

Les  guerriers  germains  ou  Scandinaves  formaient  quelquefois ,  dans  le 
combat ,  ce  qu'on  appelait  le  Fort-de-Boucliers  (norr.  Skiald-borg)  ou 
le  Cozivert-de-Boucliers  (norr.  Skiald-thak)  \  c'était  quelque  chose 
d'analogue  à  la  tortut  romaine  (lat.  testudo) ,  et  peut-être  même  une 
imitation  de  celle-ci.  Autour  du  Chef  qui  portait  l'enseigne  (norr.  merki) 
se  plaçaient,  d'abord,  ses  fils  et  ses  parents  (voy.  Ynglinga-saga^  c.25) , 
Duis  les  r litres  guerriers  de  la  troune  ;  et  tous  tenaient  au-dessus  de  leur 


NUMÉRO  (2)  (page  78)  ;  gulfi  a  odinsey.  147 

tt'le  leur  bouclier,  qu'ils  serraient  l'un  contre  l'autre  ,  de  manière  à  for- 
mer une  voûte  de  boucliers ,  au  milieu  de  laquelle  s'élevait  l'enseigne  du 
chef.  Les  Scandinaves  aimaient  à  donner  au  tertre  tumulaire  des  chefs 
qui  avaient  succombé  dans  le  combat,  la  forme  d'un  Fort-de-boucliers. 
On  couvrait  alors  ce  tertre  d'un  dôme  de  boucliers ,  au  sommet  duquel 
on  plantait  l'enseigne  du  chef  occis  (cf.  Sigurdrifn-mál ,  Introd.).  A  ces 
tombeaux  ainsi  ornés  ,  on  donnait  plus  particulièrement  le  nom  de  Pro- 
tège-Cadavre  {norr.H?'æ-borg).  Comme  ^  d'un  côté,  lenomde  Halle-des- 
Occis  avait  quelque  analogie  avec  celui  de  Protège-Cadavre,  et  comme, 
de  l'autre,  on  croyait  trouver  quelques  ressemblances  entre  la  Halle  du 
Chef  des  Occis  et  les  tombeaux  des  Chefs  des  combattants,  on  aimait 
aussi  se  figurer  la  Halle-des-Occis  comme  un  magnifique  Coiivert-de- 
Boucliers.  On  imagina  donc  que  la  demeure  céleste  d'Odinn  était  une 
Halle-Rotonde  avec  un  toit  de  boucliers  d'or ,  lequel  remplaçait  la  voûte 
ornée  d'étoiles ,  dont ,  dans  la  conception  primitive ,  cette  halle  était  an- 
ciennement couverte.  Les  Scandinaves  couvraient  leurs  maisons  de  gazons, 
ou  á'écorce  de  bouleau,  ou  de  chaume^  ou  de  bardeaux.  Les  boucliers 
de  ce  peuple  avaient,  comme  les  bardeaux  ,  la  forme  d'un  carré  oblong, 
de  sorte  qu'une  toiture  formée  par  des  boucliers  d'or  superposés  les  uns 
aux  autres ,  ressemblait  assez  à  un  toit  formé  de  bardeaux.  L'idée  que  la 
Halle-des-Occis  était  couverte  de  boucliers  d'or,  était  déjà  générale- 
ment admise  en  Mythologie,  dès  le  neuvième  siècle.  Aussi  le  Skalde  Thor- 
biör?i,  surnommé  Pour/e7ideur-de-Co?'7ies {Uorn-kloiï)^  y  fait-il  allusion, 
dans  un  chant  de  victoire  composé  en  l'honneur  de  Haralld,  Beau-de- 
Cheveux  (Hàr-fagr),  sur  le  combat  de  Hafurs-Jiörd.  Ce  poète,  adoptant 
le  style  précieux  et  alambiqué  de  la  poésie  skaldique  de  son  époque,  em- 
ploie ,  pour  désigner  les  boucliers ,  l'expression  de  Écorces-de-bouleau 
de  la  Salle  de  Flambant.  Le  nom  de  Flambant^  qui  désigne  le  feu ,  le 
serpent,  etl'épée,  est  ici  unnomépithétiqued'Oi//ww,,  considéré  sous  la 
formed'unSerpent.  Laóa//e  ö^'Orfmw,  c'est  la//a//e-</e5-Occ2s,  et  £^corce« 
de  bouleau,  est  une  expression  skaldique  pour  dire  tuiles.  Or  les  tuiles 
de  la  Halle-des-Occis  étant  des  boucliers,  le  poète,  pour  désigner  des 
boucliers,  a  pu  emploier  l'expression  de  Écorces-de-bouleau  delà 
Salle  de  Flambant. 

\  8.  La  Halle-des-Occis,  d'après  Snorri.  —  Snorri  avait  à  donner  une 
idée  de  la  demeure  d'Odinn  que  les  Ases  avaient  construite  par  enchan- 
tement. D'après  lui ,  cette  Demeure  était  faite  en  imitation  de  l'ancienne 
Halle-des-Occis ,  où  avait  résidé  autrefois  le  véritable  Odinn  asiatique; 
et  il  se  figura  la  forme  extérieure  de  cette  Halle  d'après  quelques  données 
mythologiques  ou  traditionnelles,  qu'il  avait  recueillies.  D'abord,  il  se  xè- 
présenta  la  nouvelle -iTa/Ze-i/e^-Occ/o-,  créée  par  la  magie  des  Ases,  comme 
étant  d'une  élévation  tellement  prodigieuse  que  Gulji.,  bien  qu'il  rejetât 
sa  tête  dans  le  dos ,  ne  put  atteindre  du  regard  le  couronnement  de  l'édi- 
fice. Cette  particularité  merveilleuse  est  empruntée,  sans  doute,  à-un 
conte  populaire  sur  la  Demeure  de  Loki  de  \ Enclos-Extérieur ,  que 
Snorri  a  lui-même  raconté  dans  La  Fascination  de  Gulji  (voy.  p.  120). 
S'appuyant,  ensuite,  sur  une  autre  donnée  traditionnelle,  Snorri  se  figure 
et  représente  la  Halle-des-Occis  comme  un  immense  Fort-de-boucliers 


148 

ou  comme  une  vaste  Rotonde  couverte  d'un  toit  de  boucliers  ;  et,  bien  que 
notre  auteur  dise,  que,  vu  son  élévation  ,  on  n'en  pouvait  pas  voir  le  toit, 
il  ajoute  cependant ,  d'après  la  tradition ,  que  l'édifice  avait  un  toit  de 
boucliers  d'or.  Comme  cette  dernière  particularité  n'était  plus  générale- 
ment connue  de  son  temps ,  il  croit  devoir  apporter  une  preuve  à  l'appui 
de  son  dire.  Cette  preuve ,  il  la  trouve  dans  les  vers  composés  par  Thor-- 
hiörn^  le  Pourfendeur-de-Cornes  (Hornklofi),  vers  qu'il  attribue,  par 
erreur  (cf.  Fornmanna-sögur  \0^  491  ;  Fagr-skinna) ^  au  Skalde  Tliio- 
dolf^  qui  était  surnommé  le  domicilié  de  Hvin  (norr.  Hvin-verski) , 
parce  qu'il  était  né  à  Hvin,  en  Norvège ,  et  qui  vivait ,  comme  Thorhiörn, 
à  la  cour  de  Haralld  Beau- de- Cheveux.  Plus  tard  Snorri,  mieux  in- 
formé, lorsqu'il  composa  \Si  Saga-de-Haralld  [chsip.  19),  restitua  ces 
vers  à  leur  véritable  auteur.  Ces  vers  n'ayant  aucun  rapport  direct  avec 
le  récit  qu'il  avait  à  faire,  Snorri  aurait  dû  les  citer  seulement  sous  forme 
de  note,  ajoutée  au  bas  du  texte.  Mais  les  auteurs  de  l'Antiquité,  de 
l'Orient  et  du  Moyen  âge ,  ne  savaient  et  ne  pouvaient  pas  encore  faire , 
dans  leurs  ouvrages ,  la  distinction  entre  ce  qui  appartenait  au  texte  et  ce 
qui  devait  être  rejeté  dans  les  Notes.  Snorri  a  donc  également  inséré  sa 
citation  dans  le  texte  même ,  où  elle  fait,  naturellement,  disparate  avec  le 
récit. 

(3)  GULFI  ENTRE  DANS  LA  HALLE-DES-OCCIS. 

§.  9.  L'Intérieur  de  la  Halle-des-Occis.  —  Les  traditions  mythologiques 
auraient  pu  fournir  à  Snorri  des  données  sur  l'intérieur,  aussi  bien  que 
sur  l'extérieur  de  la  demeure  d'Odinn.  Mais,  soit  que  cet  auteur  les  ait 
ignorées ,  ou  qu'il  ait  préféré  à  ces  renseignements  ses  conceptions  libres 
et  indépendantes ,  il  a  imaginé  et  représenté  l'intérieur  de  la  Halle-des- 
Occis  d'une  manière  qui  cadrait  avec  l'ensemble  de  son  récit.  Sachant 
qu'à  toutes  les  époques  les  demeures  des  Dieux  étaient  conçues  en  imi- 
tation soit  des  temples ,  soit  des  demeures  des  princes ,  Sno?^ri  crut  pou- 
voir représenter  l'intérieur  de  la  Demeure  d'Odinn  d'après  le  spectacle 
et  l'arrangement  que  présentaient,  de  son  temps,  les  temples  les  plus 
remarquables  du  Paganisme  Scandinave  ou  slave,  et  les  châteaux  des  plus 
puissants  seigneurs  féodaux.  Comme  les  conceptions  mythologiques  se 
modifient  incessamment  avec  le  temps,  et  prennent  rang  et  autorité  parmi 
les  traditions ,  les  conceptions  plus  récentes  font  tout  aussi  bien  partie 
de  la  Mythologie ,  que  les  conceptions  plus  anciennes ,  devenues  depuis 
longtemps  traditionnelles.  Si  donc  le  Paganisme  norrain  eût  encore  été 
en  vigueur  en  Islande,  et  que  Snorri  n'eût  pas  été  chrétien ,  la  manière 
dont  cet  auteur  a  représenté  l'intérieur  de  la  llalIe-des-Occis,  aurait 
pour  cette  époque  tout  autant  d'autorité  en  Mythologie ,  que  les  concep- 
tions des  poètes  mythologues  antérieurs.  Mais  comme  SnoriH  n'est  plus 
païen ,  ses  conceptions  mythologiques  ne  peuvent  pas  être  considérées 
comme  appartenant  au  domaine  de  la  Mythologie  proprement  dite.  Aussi 
le  tableau  qu'il  fait  du  spectacle  qui  s'off'rait  à  Gulfi  dans  la  Ilalle-des- 
Occis,  et  qui  ressemblait  à  ce  qu'on  voyait  encore,  du  temps  de  l'auteur, 
dans  quelques  temples  païens  et  dans  certains  châteaux  féodaux,  a-t-il 
pour  nous  plutôt  une  valeur  scientifique  ou  archéologiifue.  (\\w  l'autorilé 
d'une  conception  mythologique. 


NUMÉRO  (3)  (page  78);  gulfi  dans  la  HALLE-DES- occis.     449 

§10.  Le  Portier  de  la  Halle-des-Occis.  —  A  la  principale  porte  d'en- 
trée de  la  Halle-des-Occis ,  Gulfi  rencontra  un  homme  jouant  aux  cou- 
teaux. Cet  homme  était  le  portier  de  la  Halle,  tel  qu'il  y  en  avait  toujours, 
du  temps  de  Snorri ^  dans  les  châteaux,  ayant  pour  emploi  de  héler, 
d'annoncer  et  d'introduire  les  arrivants  ou  les  étrangers.  Ces  portiers , 
ayant  du  temps  de  reste  ,  s'exerçaient  à  des  tours  de  force  et  d'adresse . 
et  remplissaient  ainsi  encore  le  rôle  de  maître  de  plaisir  ou  d^  joueur 
(norr.  leikari)  du  manoir  féodal.  Jouer  aux  couteaux  de  manière  qu'il  y 
en  avait  toujours  trois  à  la  fois  de  lancés  en  l'air,  cela  passait  déjà  pour 
une  grande  adresse  ;  mais  faire  voler  ainsi  en  l'air  jusqu'à  sept  couteaux, 
il  n'y  avait ,  on  le  conçoit,  que  le  portier  A'Odinn  qui  pût  en  être  capable. 
Gulji  ^  ayant  ses  raisons  pour  ne  pas  se  faire  connaître  (voy.  p.  69), 
déclare  au  portier  se  nommer  Piétonneur ,  c'est-à-dire  Voyageur  à  pied. 
La  finesse  normande  savait  ne  pas  dire  la  vérité  sans  précisément  men- 
tir. En  effet,  Giilfi  pouvait  bien  se  nommer  Piéton7ieur ,  puisqu'il  avait 
l'air  d'avoir  fait  le  voyage  à  pied  ,  bien  qu'il  l'eût  fait  d'une  manière  sur- 
naturelle ,  en  volant ,  en  un  clin  d'oeil ,  à  travers  les  airs.  Il  pouvait 
également  dire  qu'il  venait  d'une  contrée  appelée  Sentiers -Détournés 
(norr.  Rœfill-stigr) ,  parce  qu'il  avait  passé,  dans'  sa  traversée  aérienne 
(v.  p.  144) ,  par  des  chemins  qui  étaient  détournés  des  routes  ordinaires. 
D'ailleurs  l'expression  de  ræfUl-stigr  prêtait  encore  au  quiproquo  ;  elle 
pouvait  être  prise  dans  le  sens  de  Sentier-de-Ræfill ^  et  désigner  ainsi 
poétiquement  la  mer;  car  Ræfill  était  le  nom  d'un  roi  de  mer  (Sækonung), 
et  Sentier  ou  Chemin  de  Ræfill  était ,  par  conséquent ,  une  expression 
skaldique  pour  désigner  l'Océan ,  sur  lequel  avait  si  souvent  cheminé  ce 
roi  de  mer.  Or,  Gulfi  pouvait  bien  dire  qu'il  venait  de  l'Océan  ou  du 
Sentier-de-Ræfill ,  puisque ,  effectivement ,  il  fallait  traverser  la  mer  pour 
venir  de  la  Suède,  à  Odinsey,  dans  l'île  de  Fionie,  où,  d'après  Snorri, 
Odinn  est  supposé  avoir  sa  résidence. 

§.  11.  Les  Allées  de  la  Halle-des-Occis.  —  Les  ancêtres  des  tribus  de 
la  branche  gète^  savoir  les  Scythes  nomades ,  ne  pouvant  avoir  des  de- 
meures fixes ,  avaient  des  habitations  mobiles ,  espèce  de  cabanes  de  ber- 
gers ,  c'est-à-dire  des  chars  à  quatre  roues ,  surmontés  d'une  tente  en 
berceau  et  récouverte  d'écorce  de  bouleau  ou  de  peaux  (voy.  Les  Gètes . 
p.  98).  Les  Scythes  laboureurs  et  les  Gètes,  étant  devenus  sédentaires  en 
s'adonnant  àl'agriculture,  échangèrent  leurs  chars  contre  des  maisons,  qui, 
dans  l'origine ,  n'étaient  autre  chose  que  des  cabanes  de  bergers  placées , 
non  plus  sur  des  roues ,  mais  à  terre.  C'étaient,  plus  tard,  des  espèces  de 
blokhaus  construits  avec  des  fûts  d'arbres  superposés  les  uns  aux  autres, 
formant  un  carré  oblong  et  couverts  d'un  toit  de  chaume ,  d'écorce  ou  de 
peaux.  Ces  blokhaus  (norr.  budir)  étaient  assez  semblables  à  ceux  que 
construisent  encore  aujourd'hui  les  paysans  russes,  suédois,  norvégiens, 
suisses  et  islandais.  Dans  les  pays  Scandinaves,  ces  maisons  furent  con- 
struites plus  spacieuses.  Comme  elles  étaient  toutes  orientées  (voy.  Les 
Gètes ,  p.  94) ,  l'entrée  se  trouvait  au  bas  du  pignon  oriental.  En  face 
de  cette  entrée  était  le  siège  d'honneur ,  adossé  contre  le  pignon  occi- 
dental, et  élevé  au-dessus  du  sol  sur  une  espèce  d'estrade  qui  longeait  le 
bas  de  ce  pignon,  ainsi  que  les  longs  murs  de  l'édifice.  Dans  la  longueur 


150  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

de  la  maison^  depuis  l'entrée  jusqu'à  ce  siège  d'honneur,  placé  au  fond,  se 
trouvait  Vallée  entre  les  deux  longues  estrades.  L'allée  étant  plus  bas  que 
le  niveau  des  estrades ,  était ,  en  quelque  sorte ,  comme  le  lit  d'une  rivière , 
par  rapport  aux  bords  ;  et,  c'est  pourquoi,  on  lui  donnait  aussi  le  nom  de 
cours  ou  de  couloir  (gète  galauf;  norr.  golf).  Comme  cette  allée  était 
ordinairement  dans  la  direction  de  l'est  à  l'ouest,  et  qu'elle  aboutissait 
au  siège  d'honneur ,  devant  lequel  elle  s'étendait  jusqu'à  l'entrée  de  la 
porte  à  forient,  elle  avait  aussi  le  nom  de  chemin  ^en/ace  (norr.  önd- 
vegi)  ;  et  les  deux  mâts  entre  lesquels  se  trouvait  placé  le  siège  d'hon- 
neur, et  qui  sortaient  au-dessus  du  toit  (voy.  Les  Gèles ,  p.  99) ,  portaient, 
comme  symboles  de  la  demeure,  le  nom  de  Colonnes  duChemin  en  face 
(norr.  öndvegis-súlur).  Les  salles  très-grandes  étaient  divisées  en  plu- 
sieurs compartiments,  placés  sous  le  même  toit,  réunis  par  des  couloirs 
transversaux,  et  ayant  chacun  son  allée  ;  toutes  ces  allées  aboutissaient  à 
l'estrade  du  siège  d'honneur.  Ces  compartiments  portaient  eux-mêmes  le 
nom  de  allées.  Depuis  le  septième  siècle ,  les  traditions  épico-mythiques 
représentaient  la  ilalle-des-Occis  comme  renfermant  un  grand  nombre 
à' allées.  Snorri ,  pour  donner  une  haute  idée  de  la  grandeur  de  la  de- 
meure d'Odinn  à  Odinsc-y ,  dit  que  Gidjî  y  vit  mainte  allée,  et ,  dans  cha- 
cune ,  des  gens  de  la  garde,  qui  faisaient  ce  qu'on  voyait  ordinairement 
faire  aux  hommes  dans  les  châteaux  féodaux  ;  les  uns  jouaient,  les  autres 
buvaient,  d'autres  encore  faisaient  des  armes. 

g.  12.  Les  Portes  ensorcelées  de  la  Halle-des-Occis.  —  La  circonstance 
que  les  portes  se  ferment  sur  le  talon  de  Gulji,  est  empruntée  à  des  tra- 
ditions populaires,  et  doit  énoncer,  ici,  indirectement,  que  l'entrée  des 
Salles  d'Odinn  ou  de  la  Halle-des-Occis  n'est  pas  ouverte  ou  permise  à 
tout  venant ,  mais  seulement  à  ceux  auxquels  le  Destin  {örlög)  et  Odinn  le 
permettent.  C'est  pourquoi  les  portes  s'ouvrent  et  se  ferment  d'elles- 
mêmes,  par  un  effet  de  magie  ou  d'enchantement.  Lorsque  GulJi  se  vit 
empêché  de  ressortir  à  volonté,  et  se  trouva  en  présence  de  maintes  choses 
qui  lui  firent  reconnaître  qu'il  avait  à  faire  à  la  magie,  alors  il  se  rappela, 
mais  trop  tard ,  il  est  vrai ,  certains  vers  du  chant  eddique ,  intitulé  Dits 
du  Très-Haut  (Hâva-màl),  lesquels  recommandent  la  prudence,  cette  vertu 
cardinale ,  si  indispensable  dans  ces  siècles  de  barbarie ,  où  la  vie  de 
l'homme  était,  à  chaque  instant ,  menacée  par  des  ennemis  nombreux,  qui 
ajoutaient  encore,  quelquefois,  au  danger  provenant  de  leur  violence  et  de 
leur  perfidie ,  celui  des  forces  pernicieuses  de  la  magie.  Les  vers  du  Hdva- 
mdl  rappellent  un  passage  analogue  du  Bhaghavat-  Pouranam  (éd. 
Burnovf ,  I ,  p.  57) ,  où  il  est  dit  : 

«  Le  plus  beau  des  descendants  de  Manou  ,  quoique  désireux  de  voir 
«la  ville  de  ses  ennemis ,  n'y  entra  pas  cependant;  en  effet,  disait-il. 
(W homme  ne  connaît  Jamais  les  desseins  de  ceuæ  qui  disposent  de 
«  moyens  magiques.  » 

(4)  GULFI  DEVANT  LES  TROIS  CHEFS. 

g  13.  Les  Dieux  Trinaires.  —  Dans  l'origine,  les  divinités  étaient  seule- 
ment particulières  à  la  famille  et  à  la  tribu.  Chaque  famille  ou  tribu 
n'adorait  qit'une  divinité.  Or,  si  l'on  appelle  monothéisme  celle  religion 


NUMÉRO  (A)  (page  79)  ;  gulfi  devaînt  les  trois  chefs.      151 

des  familles  et  des  tribus  primitives,  qui  toutes  n'adoraient  d'abord  qu'une 
seule  divinité ,  sans  que  pour  cela  elles  aient  nié  l'existence  et  la  puis- 
sance de  divinités  autres  que  celles  qu'elles  adoraient,  il  faut  dire  que  le 
Monothéisme,  chez  toutes  les  races  primitives,  2i  précédé  le  Polythéisme; 
mais  si  l'on  appelle  Monothéiyme  la  religion  qui  aflBrme  qu'il  n'y  a  qu'w?i 
Dieu  ,  quel  qu'il  soit,  et  qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  plusieurs  Dieux,  alors  le 
Monothéisme,  ;pris  dans  son  sens  véritable,  n'a  pas  été  la  religion /îrme- 
tive ,  mais  il  a  succédé  plus  tard  à  la  religion  primitive  polythéiste ,  après 
que  l'idée  d'un  Dieu  national  sw^jrewe  se  fut  formée  dans  le  Polythéisme, 
et  que  ce  Dieu  suprême,  au  lieu  de  rester  simplement  Dieu  national, 
comme  il  l'a  été  dans  l'origine ,  fut  considéré  comme  Dieu  universel,  à  côté 
duquel  toutes  les  autres  Divinités  polythéistes  durent  s'effacer  ou  passer 
pour  ûe/aiisses  divinités.  Lorsque ,  dans  la  suite ,  plusieurs  tribus  se  furent 
réunies  pour  former  une  nation,  chacune  des  tribus  conservant  sa  Divinité 
primitive,  le  Polythéisme,  c'est-à-dire  l'adoration  de  plusieurs  divinités, 
s'établit  naturellement  au  sein  de  cette  nation  ;  seulement,  dans  le  nombre 
plus  ou  moins  grand  de  ces  Divinités ,  l'une  d'entre  elles ,  pour  diverses 
raisons,  devint  la  Divinité  suprême.  A  cette  divinité  suprême  on  en  as- 
socia souvent  une  seconde.,  quelquefois  aussi  une  troisième.  Les  Dieux 
trinaires  devinrent  même  assez  fréquents  dans  les  religions,  parce  qu'on 
aimait  naturellement  considérer ,  comme  des  divinités  du  premier  rang , 
celles  qui  présidaient  au  Ciel ,  à  la  Terre  et  en  l'Enfer,  ou  bien  celles  qui 
présidaient  à  l'Air,  au  Feu  et  à  l'Eau.  Les  trinités  s'établirent  donc  par  suite 
du  nombre  ternaire  des  choses,  auxquelles  ces  Divinités  étaientcensées  pré- 
sider ,  et  non  par  suite  d'une  idée  de  sainteté  qu'on  aurait  ajoutée ,  dès 
l'origine ,  au  nombre  trois ,  qu'on  eût  considéré  comme  nombre  sacré.  C'est 
seulement  plus  tard  qu'on  établit  un  rapport  mystique  entre  les  divinités 
suprêmes  et  le  nombre  trois  ;  et ,  par  suite  des  tendances  au  fétichisme, 
qui  se  manifestent  plus  ou  moins  dans  toutes  les  religions ,  on  appliqua 
l'idée  de  saint  et  de  sacré  non-seulement  aux  divinités  auxquelles  seules 
cette  idée  peut  être  appliquée ,  mais  encore  à  des  objets  inanimés ,  parla  rai- 
son qu'ils  étaient  censés  appartenir  à  ces  divinités.  Voilà  pourquoi  on  con- 
sidérait le  nombre  trois,  qui  passait  pour  être  un  attribut  des  divinités 
suprêmes,  comme  un  nombre  sacré.  Enfin,  les  théologiens  et  les  philo- 
sophes, tels  que  Pythagore,  commencèrent  à  attribuer  des  propriétés  mys- 
tiques aux  nombres  en  général  ;  et  dès  lors ,  trois  étant  surtout  considéré 
comme  un  nombre  sacré ,  on  aimait  aussi  à  se  figurer  que  des  Personnes 
ou  des  Choses  sacrées  étaient  précisément  au  nombre  de  trois. 

§  14.  Sublime,  Équi-Sublime  et  Troisième.  —  Chez  les  ancêtres  des 
Scandinaves  ou  chez  les  tribus  de  la  branche  gète ,  le  Dieu  suprême  Fd- 
thans,  appelé  plus  tard  Odinn,  formait  une  espèce  de  Trinité  ,  avec  les 
divinités  qui  étaient  les  plus  importantes  après  lui,  avec  le  Dieu  des  eaux 
et  du  soled,  nommé  Chaguneis  (norr.  Hœnir)  ou  Vili^  et  avec  le  Dieu 
de  la  foudre ,  nommé  Chlôdurs  (norr.  Hlôdu7'r)  ou  Veihs  (norr.  Vê). 
Les  Scandinaves  de  la  Suède  et  de  la  Norvège  considéraient,  comme  Dieux 
suprêmes,  les  dieux  trinaires  Odinn  (substitué  à  Tyr) ,  Freyr  (substitué 
à  Hœnií')  et  Thor  (substitué  à  Hlôdurr).  Snorri ,  d'après  ses  idées  évhé- 
méristes,  ne  voyait  dans  les  Ases  du  iNord  que  des  imposteurs  qui, 


152  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

moyennamt  la  magie ,  s'étaient  fait  passer  pour  les  Ases  (asiatiques)  vé- 
ritables. Il  se  figurait  que  parmi  ces  prétendus  dieux  établis  en  Fionie ,  il 
y  en  avait  aussi  trois  Chefs  suprêmes,  qui  remplissaient  les  rôles  des  trois 
anciennes  divinités  suprêmes,  Odinn,  Freijr  et  Jhôr.  Soit  qu'il  ait  voulu 
exprimer  que  ces  trois  Chefs  ont  usurpé  des  noms  qui  ne  leur  apparte- 
naient pas,  soit  qu'il  ait  jugé  convenable  que  ces  Chefs  aient  déguisé  leurs 
noms  pour  mieux  tromper  ou  fasciner  Gulji,  Snorri  ne  leur  a  pas  donné 
les  noms  de  Odinn,  de  Freyr  et  de  Thôr^  mais  ceux  de  Hâr  (Sublime), 
A^lafnhâr  (Équi-Sublime)  et  de  Thridi  (Troisième).  Il  est  vrai  que  Hâr 
était  déjà  un  nom  épithétique  traditionnel  á'Odinn,  considéré  comme 
dieu  suprême;  mais  la/nhâr  n'a  jamais  été  un  nom  épithétique  de  Fj^eyr, 
ni  Thridi^  un  nom  épithétique  de  Thôr.  lafnhâr  était ,  comme  //ar,  un 
nom  épithétique  A' Odinn  ^  considéré  comme  ayant  un  caractère  aussi  su-_ 
blime  que  celui  des  deux  autres  divinités  trinaires  ,  Vili  et  Fe,  qui  lui 
étaient  associées,  ou  qui  passaient  pour  ses  frères.  Enfin,  Thridi  était 
également  un  nom  épithétique  de  Odinn ,  considéré  comme  le  troisième, 
par  rapport  à'  Hœnir  et  à  Hlodur^  ou  à  Vili  et  à  Vê  ^  ou  à  Freyr  et  à 
Thôr.  C'est  pour  une  raison  analogue  que,  dans  la  Mythologie  védique, 
le  fils  du  dieu  Indras  eut  le  nom  de  Tritas  (Troisième);  et  dans  le  Rig- 
vêda  (105,  Comment. ,  v.  9),  trois  Saints  (R'chayas)  sont  appelés,  l'un 
Maias  (Unième),  l'autre  Z)t*eYa.ç  (Deuxième),  et  le  dernier  Tritas  (Troi- 
sième). Snorri  choisit  les  trois  noms  de  Sublime,  de  Équi-Sublime  et  de 
Troisième,  pour  indiquer  que  les  trois  chefs  des  Ases,  dans  Fionie,  se 
valaient  tous  l'un  l'autre  en  dignité  et  en  puissance,  et,  peut-être  même, 
qu'ils  étaient  tous  également  des  imposteurs. 

l  15.  Gulfi  en  présence  des  trois  Chefs.  —  Dans  les  temples  Scandina- 
ves ,  les  Statues  des  Divinités  se  trouvaient  placées  à  l'endroit  où ,  dans 
les  habitations  ordinaires,  se  voyait  la  place  d'honneur,  entre  les  Co- 
lonnes du  Chemin  en  face  (voy.  p.  150).  La  statue  de  la  Divinité  était 
donc  placée  au  fond  du  sanctuaire,  en  face  de  l'entrée,  et  le  visage  tourné 
au  soleil  levant.  Quelquefois  le  temple  renfermait,  non  pas  seulement  la 
statue  d'une  seule  divinité ,  mais  les  images  des  deux  et  même  des  trois 
divinités  principales  de  la  religion  norraine ,  savoir,  â' Odinn,  áe  Freyr  et 
de  Thôr.  Comme  dans  le  Paganisme  on  évitait  avec  soin  de  marquer  exté- 
rieurement une  préférence  pour  telle  ou  telle  divinité ,  afin  de  ne  pas 
éveiller  des  susceptibilités  jalouses  dans  celles  qui  se  seraient  vues  relé- 
guées à  une  place  réputée  inférieure ,  on  plaça,  dans  le  temple,  les  statues 
des  divinités  l'une  à  côté  de  l'autre.  Cependant,  comme  entre  des  per- 
sonnes supposées  du  même  rang  et  de  la  même  dignité  ,  il  y  avait  cepen- 
dant à  tenir  compte  de  la  différence  d'âge ,  qui  établissait  un  certain  droit 
de  préséance ,  la  première  place  dans  le  temple  était  donnée ,  ou  bien  à 
la  divinité  locale ,  qu'on  adorait  de  préférence  comme  divinité  protectrice 
de  l'endroit  ou  de  la  tribu,  ou  bien  à  Odinn,  qui  passait  pour  le  Dieu 
suprême ,  ou  pour  le  Père  et  le  Chef  des  Ases.  Mais  quelle  était  la  place 
réputée  la  première  ?  On  considérait  comme  la  première  place ,  celle  où 
la  personne,  qui  y  était  assise,  n'avait  pas  une  autre  personne  à  sa  droite. 
La  personne  qui  occupait  la  première  place ,  avait  donc  à  sa  gauche  les 
aiftres  places  réputées /w/'ér/eî/rg.ç ,  la  gauche  passant  généralement,  chez 


NUMÉRO  (4)  (page  79)  ;  gulfi  devant  les  trois  chefs.      153 

les  peuples  de  la  branche  gète ,  pour  le  côté  inférieur;  aussi  portait-elle, 
dans  les  idiomes  de  ces  peuples ,  un  nom  qui  exprimait  cette  infériorité. 
(Voy.  Grimm ,  Geschichte  d.  d.  Spr. ,  p.  989^  suiv.) 

Snorri,  supposant  que,  du  temps  de  Gul/i,  les  Ases  du  Nord  n'ont 
pas  encore  eu,  chacun,  sa  demeure  particulière  ou  son  temple  à  part, 
imagina  que  Odinn,  Freyr  et  Thôr,  habitaient  ensemble,  avec  les  autres 
Ases  et  \s^mes^\2iHalle-des-0ccis ,  que,  par  enchantement,  ils  avaient 
élevée ,  plus  magnifique  dans  Odînseij  en  Fionie  (v.  p.  \  45)  ;  et  se  rappelant 
la  disposition  des  statues  d'Odinn ,  de  Freyr  et  de  Thôr,  dans  les  anciens 
temples  norrains,  il  imagina  aussi  que ,  dans  cette  Halle-des-Occis ,  Odinn^ 
Freyr  et  Thôr  occupaient,  comme  Chefs,  les  trois  places  honorifiques, 
de  manière  que  Sublime ,  jouant  le  rôle  d'Odimi  le  père ,  eut  à  sa  gauche 
son  fils  Équi-Subli77ie ^  qui  représentait  Fre?/r^  et  qui  avait  également,  à 
sa  gauche,  son  frère  Troisième^  le  représentant  de  l'ancien  Thôr. 

Gulfi,  voulant  se  présenter  au  Roi  ou  au  Maître  de  la  Halle-des-Occis , 
dans  laquelle  il  est  entré,  traverse  l'enfilade  des  salles,  et  enfin,  toujours 
en  suivant  l'allée  (norr.  golf)  ou  le  couloir  du  milieu ,  il  arrive  dans  la 
dernière  salle ,  où  siègent  les  trois  Chefs.  Gulfi ,  allant  au  bout  du  cou- 
loir, s'arrête  devant  la  personne  de  Sublime,  qui  est  placé  sur  le  siège 
d'honneur,  entre  les  Colonnes  du  Chemin  d'en  face  ;  les  deux  autres  sièges, 
où  sont  assis  Èqui-Sublime  et  Troisième,  se  trouvent ,  l'un  et  l'autre  , 
à  gauche  de  celui  de  Sublime.  Or,  comme  Gidfi  se  tient  en  face  de  ce 
dernier  siège ,  ceux  à' Équi- Sublime  et  de  Troisième  se  trouvent  plus 
éloignés  de  lui  à  sa  droite,  et,  par  conséquent,  placés  l'un  au  delà  (norr. 
uppfrd)  de  l'autre.  Cette  expression  de  au  delà  ayant  été  généralement 
prise  dans  le  sens  de  au-dessus  (norr.  yfir) ,  il  en  est  résulté  que  l'on 
s'est  figuré  les  trois  sièges  de  Sublime,  de  Équi-Sublime  et  de  Troisième 
comme  placés  l'un  au-dessus  de  l'autre.  Un  ancien  dessin,  qui,  à  en  juger 
d'après  le  style ,  date  du  seizième  siècle,  et  qui  est  reproduit  dans  l'Edda 
de  Resenius  .et  de  Bartholinus ,  représente  Gulfi  placé  en  face  des  trois 
Chefs ,  qui  siègent  sur  trois  trônes  ,  dont  le  premier  est  moins  élevé  que 
le  second,  et  le  second  moins  élevé  que  le  troisième.  Par  cette  fausse  in- 
terprétation du  texte  et  cette  représentation  inexacte  de  la  scène ,  on  a 
introduit  dans  le  récit  de  Snorri  des  difiicultés  inextricables  et  des  con- 
tradictions absurdes.  On  ne  s'est  pas  aperçu  qu'en  admettant  une  diff'érence 
dans  l'élévation  des  sièges ,  cette  différence  n'aurait  de  sens  qu'autant 
qu'elle  exprimerait  symboliquement  la  différence  de  puissance  et  de  dignité 
qui  serait  supposée  exister  entre  les  personnes  occupant  ces  sièges.  Mais 
ce  qui  prouve,  tout  d'abord,  que  Snorri  ne  voulait  pas  exprimer  une  iné- 
galité entre  les  trois  chefs ,  c'est  qu'il  a  choisi  exprès  pour  eux  des  noms 
qui ,  tout  au  contraire ,  expriment  leur  égalité  quant  au  rang  et  à  la  dignité. 
Ensuite ,  en  admettant ,  par  impossible ,  qu'il  ait  voulu  exprimer  par  la 
différente  élévation  des  sièges ,  une  inégalité  entre  les  personnages,  il  ne 
se  serait  pas  avisé  d'assigner  le  siège  le  plus  élevé  à  Troisième,  comme 
cela  résulte  cependant  de  cette  fausse  interprétation  :  il  aurait,  du  moins, 
donné  la  préséance  ou  le  siège  le  plus  élevé  à  Sublime ,  qui  est  repré- 
senlé  comme  le  Père  et  le  Chef  des  Ases. 

g  16.  Gulfi  provoque  les  trois  Chefs.  —  Dans  l'Antiquité,  les  lois  de 


154-  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

riiospilalité  défendaient  de  s'informer  des  affaires  du  nouvel  arrivé  ou  de 
riiôte,  avant  de  lui  avoir  fourni  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  son  en- 
tretien. Aussi  Sublime  ne  demande  pas ,  tout  d'aljord ,  à  Gulfi ,  quel  but 
l'amène  ici  chez  lui  ;  il  ne  lui  adresse  cette  question  qu'après  lui  avoir 
déclaré  que  le  manger  et  le  boire  lui  revenaient  de  droit  comme  à  tous 
les  hôtes  ,  dans  la  Halle-des-Occis ,  où  ,  du  reste ,  nul  n'est  traité  chi- 
chement. Piétonneur^  sachant  bien  que  c'est  seulement  en  gardant  le  se- 
cret (voy.  p.  69) ,  qu'il  arriverait  au  but  qui  l'avait  amené  à  Odinsey , 
déclare  qu'il  vient  voir  s'il  y  a  ici  quelqu'un  qui,  par  son  savoir ,  puisse 
se  mesurer  avec  lui.  Sublime,  ainsi  provoqué  à  une  joute  scientifique, 
répond ,  en  son  nom  et  en  celui  de  ses  assesseurs ,  qu'il  accepte  le  défi  ; 
et,  en  répétant  les  paroles  renfermées  dans  \esDits  de  Fa/thrûdnir  {\oy. 
Poèmes  islandais,  p.  263)  :  «  Ttt  Qie  sortiras  jjcis,  »  etc. ,  il  déclare  que^ 
cette  joute  de  science  sera  une  joute  à  outrance  ou  à  la  mort  (voy.  p.  56). 
Piétonneur  ayant  provoqué  au  combat  5w6/me,  dans  sa  propre  demeure  , 
s'est  déclaré,  par  cela  même,  son  ennemi.  Il  a  rompu  la  paix  domes- 
tique (norr.  heimfridr) ,  qui,  chez  les  peuples  de  la  branche  gète,  pas- 
sait pour  ce  qu'il  y  avait  de  plus  inviolable  et  de  j)lus  sacré.  Dès  lors 
Piétonneur  ne  peut  plus  être  considéré ,  dans  la  Halle-des-Occis ,  comme 
un  hôte,  devant  jouir  du  bénéfice  de  l'hospitalité;  il  ne  peut  pas  même 
demander ,  pour  sa  personne ,  les  égards  dus  à  un  étranger  qu'on  respecte 
et  qu'on  honore  ;  et,  c'est  pourquoi ,  il  ne  peut  pas  invoquer  le  droit  de 
prendre  place  comme  hôte  du  logis  ;  il  est  obligé  de  se  tenir  debout  dans 
l'allée  {gol^)  pendant  qu'il  adresse  ses  questions  aux  trois  Chefs  dont  il 
vient  de  faire  ses  adversaires.  Sublime,  étant  supposé  être  le  substitut 
de  l'ancien  Odinn,  qui  connaissait  le  mieux  les  traditions  (runes)  et  les 
mystères  (v.  p.  58) ,  est  aussi  le  principal  jouteur  dans  la  lutte  qui  va 
s'engager;  et ,  parmi  les  trois  Chefs,  c'est  lui  qui  répond  le  plus  souvent 
aux  questions  posées  par  Gulji.  Equi-Sublime,  étant  considéré  par  Snorri 
comme  le  substitut  de  l'ancien  Freyr,  répond  toutes  les  fois  que  les  ques- 
tions de  Piétonneur  concernent  plus  particulièrement  l'Ase  Freyr.  Enfin 
Troisième,  qui  est,  selon  Snorri,  le  subsitut  de  l'ancien  Tliôr,  ne  prend 
la  parole  que  lorsque  les  questions  adressées  par  Piétonneur  se  rappor- 
tent aux  actions  et  à  la  personne  de  Thôr ,  son  prototype. 

(5)  PÈRE-UNIVERSEL   ET   SES  DIFFÉRENTS  NOMS. 

1 17.  Les  Bivinités  suprêmes.  —  Les  Religions  primitives  ont  commencé 
par  la  conception  et  l'adoration  Aq^  Dieux,  qui  étaient  des  objets  divini- 
sés de  la  nature,  tels  que  le  soleil,  la  lune,  le  ciel,  la  terre ,  le  feu  et 
l'eau ,  etc.  Ces  divinités ,  d'abord  particulières  à  chaque  famille  ou  tribu 
(v.  p.  150),  furent  adorées,  dans  la  suite,  par  la  nation  entière,  et  for- 
mèrent ensemble  une  famille  de  Dieux.  C'est  alors  seulement  qu'on  put 
songer  à  mettre  entre  elles  des  rapports  de  parenté  et  de  hiérarchie  pa- 
triarchale,  et  dès  lors  il  y  eut  un  Dieu  suprême.  L'idée  d'un  Dieu  suprême 
est  donc  postérieure  à  la  conception  de  la  plupart  des  Dieux  subordon- 
nés. Ce  n'était  pas  ordinairement  la  divinité  la  plus  anciennement  adorée 
(|ui  devint  Divinité  suprême.  Ce  premier  rang  fut  assigné  à  tel  ou  tel  Dltiu 
pour  des  raisons  très-diverses.  Le  plus  souvent  ce  fut  la  Divinité  adorée 


NUMÉRO  (5)  (page  79);  père-universel;  ses  différents  noms.    155 

par  la  tribu  prédominante  au  point  de  vue  social ,  qui  ^tint  ce  premier 
rang.  L'idée  de  Dieu  siqwême  impliqua  ensuite  celle  de  Père  des  Dieux 
et ,  par  suite ,  encore  celle  de  Père  de  la  Nation.  Chez  les  Scythes  ou  les 
ancêtres  des  Scandinaves,  l'idée  d'un  Dieu  suprême  se  fixa  dans  la  période 
entre  l'an  1000  et  l'an  600  avant  notre  ère.  Le  dieu  Tivus  (Ciel)  devint  le 
Dieu  suprême.,  et ,  en  cette  qualUé,  il  fut  aussi  considéré  comme  le  Père 
des  dieux  et  comme  r.//iezi /des nations  scy thés.  Aussi  Tivus  eut-il  le  nom 
épithétique  de  Aïeul  (scythe  Pappaïus ,  nom  adjectif  formé  de  Pappa , 
père).  Chez  les  tribus  de  la  branche  gète,  entre  le  cinquième  et  le  pre- 
mier siècle  avant  notre  ère,  Tius,  l'ancien  Tivus  des  Scythes,  fut  rem- 
placé, comme  Dieu  suprême,  par  Vâthans^  qui,  comme  Père  des  Dieux 
et  des  hommes  et  comme  Protecteur  de  l'univers,  eut  le  nom  épithétique 
de  All-Vatar  (Père  universel).  Chez  les  Scandinaves ,  à  commencer  du 
premier  sièHe  de  notre  ère,  ce  nom,  sous  la  forme  de  Allfödur,  est 
resté,  comme  nom  épithétique,  au  Dieu  suprême  Odinn.^  l'héritier  de 
l'ancien  Vâthans. 

Dans  l'exposition  d'une  Mythologie  quelconque,  le  meilleur  ordre  à 
suivre  c'est  l'ordre  naturel,  c'est-à-dire  Tordre  qui  a  été  suivi  dans  la 
formation  et  le  développement  même  de  la  Mythologie  (voy.  p.  47).  Mais 
pour  pouvoir  reproduire  cet  ordre  naturel ,  il  faut  d'abord  le  connaître; 
il  faut  savoir  quelles  sont  les  lois  d'après  lesquelles  se  fait  le  développe- 
ment inte?'ne  ou  logique  de  la  Mythologie,  et  comment  se  succèdent 
chronologiquement  les  phénomènes  externes  ou  les  mythes,  qui  sont  l'ex- 
pression de  ce  développement  interne.  Snorri.,  ayant  pour  but  de  donner, 
dans  La  Fascination  de  Gulji,  un  exposé  méthodique  de  la  Mythologie 
norraine,  aurait  dû  suivre,  dans  ce  traité ,  l'ordre  naturel  des  matières, 
le  seul  qui  soit  scientifique.  Mais  cet  auteur  ne  savait  et  ne  pouvait  pas 
savoir  quel  était  cet  ordre  naturel  ou  génétique ,  et  c'est  pourquoi  il  a 
suivi,  dans  la  disposition  des  matières,  une  marche  qui  lui  était  indiquée  par 
un  prétendu  point  de  vue  historique,  étranger  au  sujet.  Déjà  les  anciens, 
consiáérííni  les  Divinités  suprêmes  comme  les  Créateurs  du  Monde,  ex- 
pliquèrent l'histoire  de  l'univers  en  remontant  jusqu'à  elles  ou  en  com- 
mençantpar  elles;  a  Jove  principium.  Snorri,  portant  dans  la  Mythologie 
norraine  son  idée  chrétienne  d'un  Dieu  absolu.  Père  de  l'univers.,  et 
rencontrant,  dans  cette  Mythologie,  Odinn,  qui  était  surnommé  Père- f/'/i/- 
versel  (Allfodur) ,  crut  devoir  commencer  son  exposé  mythologique  par 
ce  Dieu  suprême.  Ensuite ,  d'après  le  dogme  chrétien,  le  Paganisme  n'est 
que  l'aberration  des  païens ,  ou  leur  déviation  de  l'Orthodoxie  ou  du  Mono- 
théisme primitif,  de  sorte  que  Shori-i  fut,  sans  doute,  porté  à  voir  dans 
Allfodur  une  réminiscence  obscurcie  et  défigurée  de  la  Religion  de  Jéhova  ; 
il  ramena  donc,  par  la  pensée,  cette  divinité  suprême  des  Norrains,  à  son 
type  véritable,  ou  au  Dieu  des  chrétiens.  Ce  qui  a  encore  déterminé 5?iorr2 
à  commencer  son  traité  par  le  Père-Universel^  c'est  qu'il  s'est  laissé  in- 
fluencer, non  par  les  exigences  de  la  science  mythologique,  mais  par  celles 
des  données  fictives ,  choisies  pour  l'Encadrement  de  son  Traité.  En  effet, 
le  but  que  se  propose  Gulji  en  venant  à  Odinsey ,  c'est  d'apprendre  des 
Ases  quelles  sont  les  Divinités  qu'ils  adorent ,  et  qui  sont  la  cause  présji- 
mée  de  leur  puissance  extraordinaire  (voy.  p.  68).  Aussi  Gw//î  est-il  parfai- 


156  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

tement  dans  son  rôle  en  s'empressant  de  poser,  comme  toute  première 
question,  celle  concernant  le  Dieu  Suprême ,  le  plus  puissant  de  ces  divi- 
nités. Mais  si  &iiorri  a  réellement  cru  devoir  ainsi  satisfaire  aux  exigences 
épiques  de  l'Encadrement,  il  ne  se  sera  pas  aperçu  qu'en  donnant,  dès  le 
commencement  du  Traité ,  une  réponse  à  la  question  la  plus  importante 
que  pût  adresser  Gulji,  ce  roi  ne  pouvait  plus,  dès  lors,  avoir  un 
autre  intérêt  que  celui  de  la  simple  curiosité ,  en  adressant  encore ,  dans 
la  suite,  d'autres  questions  ayant  une  moindre  importance.  Quoi  qu'il  en  soit, 
au  point  de  vue  de  la  science,  Snorri  a  eu  tort  de  commencer  son  Traité 
par  IÇiPèî'e-Universel,  au  lieu  de  le  commencer  par  le  fonds  primitif  de  toute 
Mythologie ,  par  la  conception  et  l'adoration  des  Divinités ,  qui ,  seule- 
ment plus  tard ,  ont  été  hiérarchisées  ou  considérées  comme  subordon- 
nées à  une  divinité  suiyréme.  11  a  tort  de  croire  que  le  dieu  suprême  est 
aussi  le  plus  ancien.  11  est  encore  dans  [l'erreur  en  croyant  que  Père- Uni- 
versel signifiait ,  chez  les  Scandinaves ,  également  Créateur  des  hommes 
et  de  l'univers,  tandis  que  ce  nom  ne  signifiait  que  Père  des  Dieux  et  des 
hommes  ,  et  Protecteur  du  monde.  Enfin  il  a  tort  de  croire  ou  de  faire 
croire  que  Allfodur  est  le  véritable  nom  iwo'pre  du  Dieu  suprême, 
tandis  que  ce  dieu  était  nommé  Odinn,  et  que  Père- Universel  n'était 
qu'un  de  ses  nombreux  noms  épithétiques  et  l'un  des  plus  récents. 

g  18.  Origine  des  noms  propres  et  des  noms  épithétiques  des  Divinités. 
—  Dans  l'origine ,  les  dieux  primitifs  étant  des  objets  de  la  nature  apo- 
théoses ,  chacune  de  ces  divinités  n'avait,  comme  ces  objets  eux-mêmes, 
qu'un  seul  nom ,  qui  devint  son  nom p7'opre\  de  sorte  que  le  nom  propre 
'primitif  de  la  divinité  était  le  même  que  le  nom  qu'on  donnait  à  l'objet 
dont  cette  divinité  était  l'apothéose.  Aussi  longtemps  que  la  divinité  n'a- 
vait qu'un  seul  nom ,  elle  n'avait  aussi  qu'une  seule  attribution,  savoir  celle 
qui  était  exprimée  par  son  nom  ou  par  celui  de  l'objet  qu'elle  représentait.  Ce 
nom  propre  unique  et  primitif,  étant  le  plus  ancien,  avait  aussi  une  forme 
grammaticale  ancienne  ;  c'était  un  nom  d'une  forme  simple  et  primitive., 
c'est-à-dire  qu'il  n'était  ni  un  nom  dérivé,  ni  un  nom  composé.  Ainsi, 
par  exemple,  chez  les  Scythes,  un  des  dieux  primitifs  avait  le  nom  propre 
de  Tivus  (Ciel),  nom  simple  de  forme ,  et  identique  au  nom  primitif  qui,  dans 
la  langue  Scythe ,  désignait  le  ciel.  Encore  dans  les  temps  postérieurs ,  on 
reconnaît,  dans  les  Mythologies  des  peuples  lafétiques ,  les  noms  propres 
primitifs  des  dieux,  à  leur  forme  simple. C'est  ainsi,  par  exemple,  que, 
chez  les  peuples  de  la  branche  gète,  le  dieu  qui  a  été  l'héritier  du  dieu 
Tivus ,  eut  le  nom  de  Vâthans  (plus  tard  Odinn) ,  nom  propre  simple 
signifiant  Impétueux ,  c'est-à-dire  désignant  la  qualité  principale  oîi 
unique  qu'on  attribuait  au  Vent,  dont  Oc?mw  était  la  personnification.  Mais 
à  mesure  que  les  divinités  primitives ,  outre  leur  attribution  unique ,  expri- 
mée par  leur  nom  propre,  eurent  encore  d'autres  attributions  ou  des 
qualités  physiques,  morales  ou  intellectuelles,  plus  ou  moins  en  rapport 
avec  leur  attribution  primitive,  elles  prirent  aussi,  chacune,  plusieurs 
noms,  qui,  à  côté  de  leur  i\om2)ropre  primitif,  étaient  des  noms  épithé- 
tiques ,  exprimant  les  diiTérentes  qualités  attribuées  à  cette  seule  et  même 
divinité.  Ces  noms  épithétiques ,  s'étant  formés  postérieurement  aux  noms 
propres  primitifs,  ont  aussi  r/énéra/cmcntnm'  forme  grammaticale /jo.v- 


NUMÉRO  (5)  (page  79)  ;  les  noms  épithétiques  d'odinn.      157 

térieure,  à  laquelle  ils  sont  reconnaissables ,  savoir  la  forme  de  noms 
dérivés  et  de  noms  comjwsés.  r/est  ainsi ,  par  exemple ,  que  le  dieu 
Odinn,  outre  son  nom  propre  simple,  a  eu  plusieurs  noms  épithétiques, 
entre  autres ,  le  nom  épithétique  de  All-födur ,  dont  la  forme  composée 
indique  sa  formation  relativement  postérieure.  Cependant,  comme  cer- 
taines attributions  peuvent  être  exprimées  par  des  adjectifs  ayant  une 
forme  simple,  il  se  trouve  aussi,  parmi  les  noms  épithétiques ,  des  noms 
qui  ne  sont  pas  composés.  D'un  autre  côté ,  comme  certaines  divinités 
sont  nées  du  dédoublement  des  divinités  antérieures,  c'est-à-dire  qu'une 
divinité  s'est  spécialisée  en  autant  de  divinités  qu'elle  avait  d'attributions, 
de  sorte  que  les  noms  épithétiques  et  composés  de  cette  divinité  sont 
devenus  les  noms  propres  d'autant  de  divinités  dédoublées  ou  distinctes, 
il  est  arrivé  naturellement  que,  parmi  les  nomsjiirojores  de  ces  divinités, 
dont  quelques-unes  sont  assez  anciennes ,  il  s'en  trouve  aussi  plusieurs 
qui  sont  des  noms  composés.  Ainsi  le  dieu  'Soleil  ayant  chez  les  Scythes 
le  nom  épithétique  de  Targifavus  (Brillant  par  la  large),  la  plupart  des 
tribus  Scythes,  en  dédoublant  le  dieu  Soleil  (Svalius) ,  distinguèrent  entre 
ce  dieu  et  le  dieu  appelé  Brillant  par  la  Targe^  ou  bien  adorèrent  le 
soleil  à  la  fois  comme  dieu  Svalius  et  comme  dieu  Targitavus. 

Comme ,  en  général ,  la  formation  des  mythes  ne  s'est  pas  faite  d'une 
manière  systématique  ou  réfléchie,  mais  d'une  manière  spontanée  ou  invo- 
lontaire ,  le  nombre  des  attributions  et,  par  suite,  des  noms  épithétiques 
donnés  à  une  divinité,  dépendait  d'une  foule  de  circonstances  fortuites,  et 
n'était  pas  déterminé  d'avance  par  un  système  religieux  quelconque.  C'est 
ainsi ,  par  exemple ,  que  les  noms  épithétiques  du  Dieu  suprême  Odinn 
étaient  très-nombreux;  mais  leur  nombre  n'était  ni  invariablement  rap- 
porté dans  les  Poèmes  eddiques ,  ou  dans  les  Sagas  traditionnelles ,  ni  sys- 
tématiquement limité  et  déterminé  dans  aucun  document  mythologique.  Il 
est  vrai  que,  dans  certaines  Religions  jt)os2Ï2fe5 ,  l'autorité,  soit  du  Fon- 
dateur, soit  du  Sacerdoce,  a  pu  déterminer  d'une  manière  fixe  et  arbi- 
traire, le  nombre  des  noms  épithétiques  à  donner  à  la  Divinité.  C'est  ainsi 
que  la  doctrine  de  l'Islam  a  établi ,  d'après  le  Koran ,  que  Dieu  avait  cent 
noms ,  ni  plus  ni  moins.  Mais  semblable  chose  n'a  pu  avoir  lieu  chez  les 
peuples  de  la  branche  grèie ,  qui  n'avaient  ni  prêtres  formant  caste,  ni 
doctrine  sacerdotale,  ni  religion  positive. 

Snorri  savait  que  le  Dieu  suprême  de  la  Mythologie  norraine  se  nom- 
mait Odinn.  Mais ,  d'après  son  système  historico-mythologique ,  les  Ases 
du  Nord  n'étaient  que  les  imitateurs  des  anciens  Ases ,  des  Ases  vérita- 
bles ,  ou  des  Ases  asiatiques.  Ensuite ,  comme  il  avait  une  prédilection 
marquée  pour  le  nombre  rond  douze ,  et  comme ,  sans  doute ,  il  avait 
entendu  parler  des  douze  dieux  de  la  Mythologie  grecque  et  de  la  Mytho- 
logie romaine,  il  se  figura  que ,  dans  l'ancien  Enclos-des-Ases,  il  y  avait 
eu  aussi  douze  Divins  (norr.  Dîar)  ou  Devins,  ayant,  pour  Chef ,  le  Dieu 
ou  Magicien  suprême,  Odinn.  Ensuite,  comme  il  y  avait,  selon  lui, 
douze  dieux ,  il  s'imagina ,  dans  son  esprit  systématique ,  que  l'ancien  dieu 
suprême  Odinn  avait  porté  également  douz-e  noms.  C'est  pourquoi  il  fait 
dire  à  Gulfi  par  l'imposteur  Sublime  (qui  contrefaisait ,  dans  le  Nord , 
l'ancien  Odinn).  que  le  Dieu  suprême,  nommé,  dans  la  langue  norraine, 


158  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

All-födur^  avait,  anciennemoiit  douze  noms;  ot  pour  pouvoir  indiquer 
ces  douze  noms,  il  choisit,  parmi  les  noms  épithétiques  d'Odimi^  ceux 
qu'il  ne  savait  pas  s'expliquer,  et  qui,  pour  cette  raison,  lui  semblaient 
être  les  plus  anciens  ou  appartenir  à  la  langue  parlée  dans  l'ancien  Js- 
gard.  Il  connaissait  bien  encore  un  plus  grand  nombre  des  noms  épithé- 
tiques ù'Odinn  (voy.  p.  96),  mais  il  semble  croire  que  ces  autres  noms 
ne  sont  pas  aussi  anciens  que  les  douze  qu'il  énumère  dans  ce  paragraphe. 

1 19.  Explication  de  douze  noms  épithétiques  d'Odinn.  —  Il  est  sur- 
prenant que  Snorri  ne  cite  pas ,  parmi  les  douze  noms  du  Dieu  suprême, 
celui  á'Odinn,  qui  était  cependant  le  nom  qu'il  aurait  dû  énumérertout  le 
premier,  comme  étant  le  seul  nomjaropre  primitif  de  ce  dieu  suprême; 
car  tous  les  autres  noms,  même  les  douze  qu'il  cite,  ne  sont  que  des 
^om^  épithétiques. ?om  les  raisons  que  nous  avons  indiquées  (v.  p.  155), 
Snorri  a  préféré  substituer  au  nom  d'Odinn  celui  de  Père- Universel. 
Yoicî  la  signification  et  l'explication  de  ces  \%  noms  épithétiques  : 

1°  All-fodur.  A  l'époque  très-antienne,  lorsque,  dans  la  race  blanche, 
les  rameaux  iafétique  et  sémitique  ne  s'étaient  pas  encore  séparés  l'un 
de  l'autre,  on  désignait  le  père  par  le  monosyllabe  labial  ^íæ,  dont  le  son 
n'exprimait  encore  aucune  notion  particulière  ,  mais  était  une  simple 
exclamation  empruntée  au  langage  enfantin,  qui,  pour  la  facilité  d'émis- 
sion ,  préfère  tout  d'abord  les  articulations  labiales.  Pa  (père)  était  mis 
en  antithèse  avec  ma  (mère),  autre  son  labial.  Lorsque ,  dans  la  suite,  les 
deux  rameaux  indiqués  de  la  race  blanche  se  furent  spécialisés ,  les  mots  Pa 
et  Ma  se  conservèrent  dans  les  langues  sémitiques,  sous  la  forme  trans- 
posée de  ab  (père)  et  de  am,  em,  um  (mère).  Ils  se  conservèrent  égale- 
ment dans  les  langues  iafétiques^  sous  la  forme  de  api{cf.  lat.  avus,  norr. 
a/i,  qui,  originairement,  signifiaient  père),  et  sous  la  forme  réduplicative 
de  papa  (dorien  appha;  cf.  Théok.  Fisc.  26),  et  de  marna.  D^papa  (père) 
s'est  formé  ,  dans  la  langue  scythe^  l'adjectif  pajöa-/w5  (appartenant  au 
père,  ou  père  du  père)  signifiant  aïeul.  Aussi ,  comme  les  Scythes  se  di- 
saient les  fils  de  Targitavus  (Soleil),  et  comme  Targitavus  était  le  fils 
de  Tivus  (Ciel),  Tivus ,  comme  aïeul  des  Scythes  ,  eut  le  nom  épithé- 
tique  de  Papaïus.  Par  le  changement  postérieur  de  la  labiale  en  une  den- 
tale ,  un  peu  plus  difficile  à  prononcer ,  il  se  forma  de  bonne  heure,  à  côté  de 
l'ancien  mot  api  (père),  le  mot  similaire  et  synonyme  de  ati^  qui  n'exprimait 
pas  plus  que  a/j/une  notion  particulière ,  mais  qui  prit,  comme  lui,  la  signi- 
fication de  jðére  et  de  aïeul ^  en  grec  (attique  atta.,  père,  tetta\  dor.  dâ 
p.  dada ,  aïeule  ;  ion.  Dè-mèter^  Yieille-Mère ,  Terre) ,  en  latin  [at-avus., 
l'aïeul  du  père),  et  en  scythe,  où  il  a  dû  exister  avant  que  la  race  scythe 
se  fût  divisée  en  deux  branches ,  la  branche  sarmate  (slave)  et  la  branche 
gète  (gote)  ;  car  ce  mot  existe ,  sous  différentes  formes ,  dans  les  langues 
d'origine  sarmate  et  d'origine  gète.  Dans  les  idiomes  de  la  branche  sar- 
mate ,  la  forme  réduplicative  a  produit  le  lithuanien  dêdas  (le  vieux) , 
l'illyrien  dëda  (la  vieille),  etc.  ;  l'ancienne  forme  diminutive  otiek  (petit- 
père  ,  père) ,  a  produit  le  russe  otets ,  le  bohème  otez ,  le  polonais  oit- 
chets,  etc.  Pour  les  idiomes  de  la  branche  gète ,  le  mot  se  trouve  dans  le 
gothique  {atta^  père),  dans  le  vieux-frison  {atta),  dans  le  vieux  allemand 
(affo),  dans  le  norrain  {edda .  aïeule),  etc.  Les  f.oths  ont  formé  de  a  fia 


NUMÉRO  (5)  (PAGE  79);   LES  NOMS  ÉPITHÉTIQUES  d'oDINN.        45U 

(père)  le  diminutif  a^f//«s  (petit-père,  ours),  qui  devint,  entre  autres,  le  nom 
propre  du  roi  des  Huns'.  Les  Norrains  formèrent  également  les  diminu- 
tifs Atli  (petit-père ,  petit  vieux)  et  Jtla  (petite-vieille) ,  qui  furent  fré- 
quemment employés,  comme  noms  caritatifs,  pour  désigner  Y  ours  et 
V  ourse,  d'après  les  idées  des  peuples  de  la  branche  gète^  le  roi  et  la  reine 
des  animaux.  Aussi  le  nom  á'Attilas ,  donné  au  roi  des  Huns ,  celui  à'Jfli^ 
donné  comme  nom  épithétique  à  Thôr,  et  ceM  à' Jtla,  donné  à  l'une 
des  neuf  mères  de  Heimdall,  impliquèrent-ils,  les  deux  premiers,  la 
signiiication  Amours,  et  le  dernier ,  celle  A' ourse. 

Postérieurement  à  l'époque  où  se  sont  formés  ces  noms  primitifs  de 
papa  et  de  atta,  mais  antérieurement  à  la  dispersion  des  peuples  de  la  race 
iafttique ,S\.  s'est  formé  le  m^lpatar,  qui  n'était  pas  simplement,  comme 
papa  et  atta,  une  articulation  du  langage  enfantin ,  mais  un  mot  propre- 
ment dit ,  exprimant  par  son  radical  et  par  sa  forme  grammaticale ,  la  no- 
tion Oie  protecteur,  ou  du^jère  considéré  comme  protecteur.  En  effet,  le 
radical  jm.  désignait ,  par  la  nature  même  de  ce  son ,  d'abord  le  rapport 
locatif  52<r,  etpar  suite,  l'idée  de  couvrir,  Ae protéger;  de  sorte  que  la  forme 
grammaticale  patar  énonçait  naturellement  l'agent  de  la  protection,  ou  la 
notion  de  protecteur.  Ce  mot  nouveau  s'est  maintenu ,  sous  difTérentes 
formes,  dans  presque  toutes  les  langues  de  la  famille  lafétique  ;  et  comme, 
peu  à  peu ,  il  s'est  substitué  aux  anciens  noms  primitifs  de  papa  et  de 
atta  ,  il  est  arrivé  quelquefois  que  ces  noms ,  quoique  plus  anciens,  n'ont 
pu  autrement  se  maintenir ,  dans  la  langue ,  à  côté  du  moi  patar,  qu'en 
laissant  à  ce  mot  nouveau  la  signification  propre  de  j^ère,  et  en  pre- 
nant celle,  plus  dérivée,  à' aïeul  (cf.  lat.  avîis;  norr.  aji). 

Le  dieu  suprême ,  Tivus ,  qui ,  comme  ^?ère  des  dieux  et  comme  aïeul 
de  la  nation ,  avait  eu ,  chez  les  peuples  scythes  ,  le  nom  épithétique  de 
Papaïus ,  prit ,  chez  les  tribus  de  la  branche  gète ,  celui  de  Al-fadvr , 
qui  devint  un  des  noms  épithétiques  de  Vâtans  (l'héritier  de  Tins,  l'an- 
cien Tivus) ,  et  fut  attribué ,  chez  les  tribus  Scandinaves ,  à  Odinn  (l'an- 
cien Fâtans) ,  sous  la  forme  de  All-födur ,  et  avec  la  signification  de 
Père-universel ,  pris  dans  le  sens  de  Protecteur-universel. 

2«  Herran  ou  Herian.  —  Chez  les  tribus  de  la  branche  gfè^e ,  Vâtans 
(appelé  plus  tard  Odinn)  ^  le  dieu  de  l'agitation  des  vents  tempétueux , 
fut  substitué  à  l'ancien  Dieu  du  vent  Vâtus  (norr.  Odr) ,  et  se  confondit 

(1)  Le  nom  du  roi  hun  était  £"/6/ (Libéral)  que  les  Goths,  ses  sujets  (voy.  p.  24), 
ont  rendu  et  ont  expliqué  par  leur  mot,  à  peu  près  homonyme,  de  atiilas  (Petit-Père, 
Ours).  Ils  ont  confondu,  de  la  même  manière,  le  nom  tatare  de  Huns  avec  le  mot 
goth  hûn  (ours,  ourson).  Chez  les  Scandinaves  ou  les  descendants  des  Goths,  le  mot 
milith  (miel)  fut  remplacé  par  l'expression  de  Hûn-angan  ou  Hiln-ang  (délice  d'our- 
son), qui  fut  adoptée  aussi  par  les  Allemands  (Ex.  Honing).  Chez  les  peuples  norrains 
le  nom  le  plus  usité  pour  désigner  l'ours  était  celui  de  Biörn  (norm.  Biron,  Bijron); 
et  il  était  tellement  honorifique  et  affectionné  qu'on  en  a  encore  exprimé  la  significa- 
tion par  plusieurs  noms  épithétiques,  tels  que,  par  exemple,  celui  de  Miöd-Vitnir 
(russe  Merf-yî/ede ,  Présage  de  Miel  ;  la  présence  de  l'ours  présageant  celle  d'une 
ruche)  et  de  Beo-Vulf  (Loup -d'Abeilles;  synonyme  de  Biörn,  l'ours  étant  le  Loup 
ou  le  Persécuteur  des  Abeilles)  etc. 


160  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

avec  Tins  (norr.  Tyr)^  considéré  comme  Dieu  du  Combat.  Car  suivant 
une  association  d'idées  assez  commune  dans  l'Antiquité,  et  d'après  la- 
quelle l'agitation  et  la  fureur  d'une  tempête  étaient  assimilées  à  l'agita- 
tion et  à  la  fureur  d'une  lutte  ou  d'un  combat,  le  Dieu  des  tempêtes  prit 
naturellement  aussi  les  attributions  du  Dieu  des  combats.  Odinn^  comme 
Dieu  du  Combat^  était  l'ami  du  troupier  (norr.  heiH) ,  et  eut,  par  consé- 
quent, le  nom  épithétique  de  Jime-  Troupier  (norr.  lieria-ann,  Heriân^ 
Herran). 

3"  Hnikarr  ou  Nikar.  —  Chez  les  tribus  de  la  branche  gète,  Vâtus  , 
le  Dieu  du  vent  rapide  et  bruyant,  était  représenté  symboliquement  par 
un  cheval  /fe/messa/ii  (knagi;  cf.  slav.  konie^  p.  knoïe,  cheval).  Odinn, 
substitué  à  Odr  ou  Vdr  (l'ancien  Vâtus) ,  et  considéré ,  chez  les  peuples 
Scandinaves ,  comme  Dieu  des  vents  tempétueux  sur  mer^  fut  aussi  conçu , 
<*,omme  tel ,  sous  la  forme  d'un  cheval  inarin  hennissant ,  et  eut  le  nom 
épithétique  de  Hennisseur  (norr.  Hnikar ,  Nikar) ,  nom  emprunté  au 
dialecte  germanique  ou  anglo-saxon ,  et  dont  la  signification  n'était  plus 
connue  en  Scandinavie  longtemps  avant  Snorri.  C'est  de  Nikar  que  dé- 
rive, sans  doute,  le  nom  de  la  rivière  Neckar,  qui  se  jette  dans  le  Rhin. 
Les  érudits  anglo-saxons  se  sont  servis  du  nom  de  Nikor  (cheval  marin) , 
pour  désigner  l'hippopotame  ou  le  crocodile,  ou  même  un  monstre  marin 
quelconque.  LesNorrains  ont  ensuite  emprunté  à  l'anglo-saxon  le  mot  ny- 
kor  ou  nykr ,  avec  la  signification  de  monstre ,  surtout  de  monstre  marin , 
changeant.de  forme  comme  Protée.  C'est  pourquoi  les  Skaldes  ont  dérivé  , 
de  ce  nom,  le  verbe  nykra,  signifiant  changer  déforme  comme  Protée, 
et  ont  ensuite  formée  de  ce  verbe,  un  participe  passif  neutre  ?i//Æmí, 
pour  désigner  l'Incohérence  (gr.  kakemphaton) ,  c'est-à-dire  l'emploi 
d'une  métaphore  ou  comparaison  incohérente,  quand ,  par  exemple ,  dans 
la  même  phrase  ou  dans  la  même  strophe,  la  comparaison  change  une  ou 
plusieurs  fois  (voy.  Su.  Edda,  1852,  II,  p.  122).  Le  Nikar  ùe  la  Mytho- 
logie norraine  s'étant ,  peu  à  peu ,  rapetissé  dans  la  croyance  et  dans  la 
légende  populaires,  il  se  confondit  avec  le  Nyk  (considéré  comme  un  cheval 
marin,  pouvant  prendre  plusieurs  formes)  et  devint  même ,  dans  les  pays 
du  Nord ,  à  commencer  du  quatorzième  siècle ,  un  simple  Génie  ondin 
nommé  Neck,  qui  avait  d'abord  la  forme  d'un  cheval  marin,  et  ensuite 
celle  d'un  homme  aquatique,  qu'on  reconnaissait  à  son  hennissement, 
ou ,  comme  on  disait,  à  son  rire  de  cheval  (angl.  horse-laugh). 

4«  Nikuz  ou  Hnikudr.  —  L'ancien  Dieu  du  Vent  {Vâtus,  plus  tard 
U.ds,  Udr,  Odr)  et,  dans  la  suite,  Odinn,  qui  lui  fut  substitué  ,  étant 
symbolisés,  l'un  et  l'autre,  par  le  cheval  hennissant ,  eurent,  chez  les 
peuples  de  la  branche  gète,  le  nom  épithétique  de  Vent- Hennisseur  (gète 
Knagi-vatus;  gote  Knaggi-ûds  ;  norr.  Kneggi-ôdr ,  Hnik-ûdr;  cf. 
Svas-udr).  L'ancienne  forme  gote  se  conserva,  en  partie,  dans  Htiikuds, 
qui,  dans  le  Nord,  se  changea  en  iV/Æws ,  et,  dans  quelques  dialectes 
germains,  en  Nichus.  Le  Nichus  des  Allemands,  comme  personnage 
mythologique,  se  confondit  avec  le  Nikar  des  Scandinaves  ;  comme  lui , 
ce  mot  prit  la  signification  de  hippopotame,  de  crocodile,  de  monstre ,  de 
Protée  ;  et  de  même  que  Nykar  était  devenu ,  sous  le  nom  de  Neck,  un 
simple  Génie  ondin ,  de  même  Nichus ,  sous  le  nom  de  Nichs,  Nix .  ne 


) 


NUMÉRO  (5)  (page  79);  noms  épithétiques  d'odinn.        161 

fut  plus ,  dans  la  légende  populaire  postérieure ,  qu'un  Génie  aquatique , 
d'après  le  nom  duquel  les  Naïades  et  les  Ondines  prirent ,  plus  tard ,  dans 
la  langue  allemande,  le  nom  de  Nixen  ou  Nisseii. 

ô"  Fiölnir.  —  D'après  la  tradition  mythologique,  le  dieu  suprême 
Odhw.  se  montre ,  dans  beaucoup  de  circonstances ,  à  ses  ennemis  et  à 
ses  amis  ;  mais  il  ne  se  montre  pas  sous  sa  forme  véritable ,  il  est  tou- 
jours métamorphosé  ou  déguisé  ou  caché.  C'est  pourquoi  les  peuples  de 
la  branche  gète  lui  ont  donné  le  nom  épithétique  de  Caché  (gète  Filhans, 
Filhins;  norr.  Filinn,  ou  Fîlnir,  Fiölnir). 

6°  Oski.  —  Odinn,  comme  Dieu  suprême,  passait  pour  le  dieu  le  plus 
puissant,  qui  pouvait  remplir  le  mieux  le  désir,  l'attente  ou  le  souhait 
(norr.  vân)  des  hommes.  C'est  pourquoi  il  eut  le  nom  épithétique  de 
Fân-ski  (A-souhait) ,  nom  formé  comme  Skalmo-skis  (gr.  Zalmoksis)^ 
et  qui  se  changea,  dans  l'idiome  norrain,  en  Onski,  Oski.  C'est  ainsi, 
par  exemple ,  que  Oska-byr  (brise  d'Oski  ou  d'Odinn)  signifie  le  vent- 
à-souhait,  ou  le  vent  favorable. 

7*»  0??ii.  —  Les  peuples  primitifs  comparaient  l'action  du  vent  invi- 
sible à  l'action  de  l'âme  également  invisible  ;  ils  donnaient ,  par  consé- 
quent, à  l'esprit  (lat.  spiritus;  héb.  rouach)  et  à  l'âme  (lat.  animus)^  le 
même  nom  qu'au  souflle  du  vent  (gr.  anemos).  Chez  les  peuples  de  la 
branche  gète,  Odinn,  le  dieu  de  l'agitation  des  vents,  devint  également 
le  dieu  de  l'agitation ,  du  mouvement  de  l'Ame  et  de  l'Esprit ,  le  dieu  du 
Courage  et  de  l'Intelligence ,  le  dieu  de  la  Prudence  et  de  la  Science.  Or, 
à  cette  époque ,  la  science  était  un  trésor  qu'on  tenait  caché  comme  un 
mystère,  et  qu'on  ne  communiquait  qu'à  ses  amis  et  favoris,  sous  le  sceau 
du  secret  (voy.  p.  58).  Odinn ,  comme  Dieu  de  la  Science ,  est  donc  le 
Dieu  des  Mystères  ;  et  il  ne  proclame  pas  ces  mystères  à  haute  voix ,  mais 
les  transmet  seulement,  dans  certains  cas ,  à  ses  favoris,  à  voix  basse, 
en  chuchotant.  C'est  pourquoi  il  eut  le  nom  épithétique  de  Chuchoteur 
(norr.  Omi). 

8°  Bîf-lindi,  Bîf-lidi.  —  Ce  nom  épithétique  semble  avoir  signifié, 
dans  l'origine.  Léger  (cf.  ail.  linde)  de  Frémissement  (norr.  bîf)  et  avoir 
désigné  Odinn  comme  la  Personnification  de  l'air  légèrement  agité.  Plus 
tard ,  Bîf-  lidi  semble  avoir  été  expliqué  comme  signifiant  Tilleul  (ou 
Arhre)  fré?nissant ,  expression  skaldique,  employée  pour  dire  Bouclier 
agité  dans  le  combat  (cf.  riorr.  Skiöldr,  Bouclier,  Fils  d'Odinn). 

9°  Svîdur  et  40°  Svîdrir.  —  Lorsque  les  tribus  gotes,  appelées  plus 
tard  les  Svèdes,  eurent  appris  la  magie ,  de  leurs  voisins  les  Vanes  (Slaves) 
et  les  Finnes ,  elles  considéraient  aussi  Odinn,  leur  Dieu  suprême,  comme 
le  Dieu  de  la  Magie.,  et  c'est  pourquoi  elles  lui  donnèrent  le  nomépithé- 
thique  de  Sviha  (Fascination  ;  nom  formé  d'un  thème  primitif  signifiant 
lier ,  fasciner ,  trompe?-) ,  et  elles-mêmes  prirent  le  nom  de  Svî-thiod 
(Peuple  de  Svî) ,  pour  indiquer  qu'elles  se  considéraient  comme  issues  de 
Sviha  ou  à!  Odinn.  Plus  tard ,  du  verbe  svîa  (fasciner)  s'est  formé  le  par- 
ticipe présent  sviands  (fascinant ,  trompant  ;  norr.  svinnr ,  svîdr)  et  le 
substantif  svîandus  (le  trompeur ,  la  fascination) ,  qui  s'est  changé  en 
svîdr  ou  svîdur,  et  est  devenu  un  des  noms  épithétiques  à' Odinn.  Du 
substantif  ^íjícíwr  (Fascination) ,  s'est  formé  l'adjectif  dérivé  Svîdrir  (Fas- 

11 


162  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

cinateur ,  Magicien) ,  dont  on  a  formé  également  un  nom  épithétique 
d'Odinn. 

11°  Vîdrir.  —  Comme  la  tempête  ne  diffère  du  vent  que  par  sa  vitesse 
(22  mètres  par  seconde),  le  mot  qui  signifie  tempête,  dans  les  langues 
germaniques  (norr.  vedur) ,  dérive  du  même  thème  dont  dérive  le  nom 
signifiant  vent  (norr.  vindr^.  vahinds).  Or,  du  substantif  î;ei/wr  (tem- 
pête) s'est  formé  l'adjectif  dérivé  Vidrir  (Tempétueux) ,  dont  on  a  fait  un 
nom  épithétique,  attribué  au  dieu  suprême  Odinn,  considéré  comme 
Génie  des  Tempêtes. 

12«  lalg  ou  lalgr.  —  Les  peuplades  scythes^  qui  ont  formé  la  branche 
sarniate,  ayant  appris  à  connaître,  dans  leur  nouveau  pays,  l'eYa/i,  ont 
donné  à  cet  animal  le  nom  de  a/Æ2í5(Strabon,  Æo/o^  pour  o/Æo5;lith.  alkis; 
russe  hlos,  los) ,  qui  signifie  ardent,  effervescent.  Ce  nom  s'est  trans- 
mis ,  plus  tard ,  aux  peuplades  de  la  branche  gète  (germ.  alks;  vieux-ail. 
elaho\  anglos.  elch;  norr.  elgr)  et  aux  Romains  (lat.  alces).  Comme 
alkus  signifiait  effervescent ,  ce  nom  servait  aussi,  chez  les  peuples  sar- 
mates  et  germains ,  à  désigner  le  jeune  homme  à  l'âge  de  puberté.  De  là, 
chez  les  Serbes  (Svares,  Spores ,  Svales ,  Slaves) ,  le  nom  de  holec ,  signi- 
fiant gars.  Chez  les  Nahar-Vales  (Vales  de  la  rivière  Nahar) ,  en  Ger- 
manie ,  on  adorait,  dans  un  bois  sacré,  deux  jouvenceaux  qui  présidaient 
aux  vents,  et  que ,  pour  cette  raison ,  les  Romains  ont  comparés  à  Castor 
et  à  Pollux.  Ces  deux  Génies  portaient,  l'un  et  l'autre ,  le  nom  de  Alks 
{Tacit.  Germ.  43) ,  qui  signifiait  à  la  fois  élan  ^i  jouvenceau.  De  même 
que  les  anciens  Scythes  avaient  comparé  les  vents  tempétueux  à  des  che- 
vaux ardents,  de  même,  leurs  descendants,  les  peuples  de  la  branche 
gète,  comparèrent  les  tempêtes  à  des  élans,  et,  les  symbolisant  par  ces 
animaux ,  leur  donnèrent  également  le  même  nom  qu'à  ceux-ci  (norr.  eli 
p.  elhi,  élan  ,  tempête).  Odinn,  le  Dieu  des  Tempêtes,  eut,  par  consé- 
quent, encore  le  nom  épithétique  de  lalkr  ou  lalg  (Élan,  Tempête). 

(6)  ODINN  DIEU  ÉTERNEL  ET  CREATEUR  DE  L'uNIVERS. 

§  20.  Odinn  dieu  éternel  et  dieu  conservateur.  —  L'éternité  de  la  di- 
vinité ,  c'est-à-dire  l'idée  qu'un  Dieu  a  existé  de  tout  temps ,  ne  se  trouve 
et  n'a  pu  se  trouver  exprimée  dans  aucune  Mythologie  populaire  ;  car  cette 
idée  est,  comme  celle  d'infinitude ,  un  postulé  de  la  Raison  théorique  et 
n'a  pu  être  conçue  que  dans  des  religions  devenues  philosophiques ,  ou 
dans  les  religions  strictement  monothéistes,  qui  seules  considèrent  Dieu 
comme  l'Être  absolu  et,  partant,  éternel.  La  Mythologie  norraine  repré- 
sente Odinn,  le  Dieu  suprême,  comme  étant  né,  ainsi  que  les  autres 
divinités,  à  une  certaine  époque,  et  comme  devant  périr,  ainsi  que  les 
autres  Dieux,  à  l'expiration  du  temps,  ou  au  Crépuscule  des  Gran- 
deurs. Si  donc  Snorri,  à  la  question  de  Piétonneur  :  Où  est  Père-Uni- 
versel? idM  répondre  par  Sublime ,  qu'il  vit  dans  tous  les  âges,  il  con- 
fond l'idée  d'existence  éternelle  de  Dieu,  telle  qu'elle  existe  dans  le 
Christianisme,  avec  l'idée  d'une  vie  très- longue ,  que  la  Mythologie  nor- 
raine attribuait  à  Odinn ,  et  il  est  en  contradiction  manifeste  avec  cette 
Mythologie,  qui,  en  parlant  de  l'origine  d'Odinn ,  dit  positivement  qu'il  y 
a  eu  des  âges  où  ce  Dieu  n'existait  pas.  Si  ensuite^ pour  répondre  à  la 
question  :  «Que  peut  Père- Universel?  Stiorri  fait  dire  à  Subli^ne  que  ce 


N<*(6)  (p.  80);  ODINN  DIEU  ÉTERNEL  ET  CRÉATEUR  DE  L'uNIVERS.      163 

(lieu  prend  soin  de  toutes  choses  grandes  et  petites ,  cet  auteur  prête  à  la 
religion  norraine  une  idée  qu'elle  n'avait  pas  non  plus ,  à  savoir  l'idée 
chrétienne  d'une  providence  nnivei^selle.  Les  Scandinaves ,  quelque  dé- 
veloppée que  fût  dans  la  suite  l'idée  qu'ils  se  faisaient  de  leur  Dieu  su- 
prême, ne  voyaient  cependant  en  lui  que  ce  qu'était  nécessairement  tout 
dieu  du  Polythéisme,  savoir  un  dieu  qui  a  sa  spécialité^  et  qui,  selon  son 
rang  plus  ou  moins  élevé,  préside  à  un  plus  ou  moins  grand  nombre  de 
choses ,  mais  qui  n'était  jamais  conçu  comme  présidant  à  toutes  choses. 

g  21.  Odinn  dieu  créateur.  —  L'idée  que  Dieu  est  le  créateur  de  toutes 
choses ,  dérive  de  celle  de  l'existence  absolue  et  éternelle  que  les  religions 
philosophiques  lui  attribuent.  Les  Mythologies  anciennes ,  ne  pouvant 
concevoir  les  divinités  comme  ayant  une  existence  absolue,  ne  purent 
pas  non  plus  les  considérer  comme  les  créateurs  de  toutes  choses.  Tout 
au  contraire ,  elles  considéraient  la  matière  comme  ayant  existé  anté- 
rieurement à  toutes  les  divinités,  et  comme  leur  ayant  donné  naissance. 
C'est  pourquoi,  si  les  Divinités  polythéistes  sont  représentées  comme 
créatrices,  elles  le  sont  uniquement  en  ce  sens  qu'elles  ont  seulement 
façonné,  comme  le  font  les  hommes,  telles  ou  telles  choses,  ou  qu'elles  ont 
transformé  ou  métamorphosé  la  matière  qui  existait  avant  elles.  Ainsi , 
Odinn,  suivant  la  Cosmogonie  norraine,  2i  façonné  le  Monde ,  c'est-à-dire 
que ,  dans  le  Monde  primitif  qui  existait  avant  lui ,  ce  dieu  a  confectionné 
les  trois  Séjours  qui  renferment  tout  ce  qui  intéresse  les  hommes,  savoir: 
1»  le  ciel,  contenant  tous  les  astres  visibles,  qu'on  croyait  y  être  fixés 
comme  sur  une  voûte  mobile  ;  2°  la  terre ,  qui  comprend  la  mer  et  tout 
ce  qui  vit  sur  la  terre  et  dans  la  mer ,  et  3°  l'air ,  qui  est  entre  le  ciel  et 
la  terre ,  et  comprend  tout  ce  que  nous  désignons  sous  le  nom  général  dQ 
phénomènes  météorologiques.  Si  donc  Snorri ,  à  la  question  de  Piéton- 
neur:  «  quelles  œuvres  de  distinction  Père-Universel  a-t-il  achevées  ?  » 
fait  répondre  par  Equi-Suhlime,  que  ce  dieu  a  confectionné  le  ciel  et  la  terre 
et  l'air,  et  tout  ce  qui  leur  appartient,  cette  réponse,  si  elle  est  conforme 
à  la  Mythologie  norraine ,  n'énonce  pas  que  Odinn  est  le  Créateur  de  la 
matière,  aussi  bien  que  de  la  forme  du  ciel ,  de  la  terre  et  de  l'air  ;  elle 
énonce  seulement  que  ce  dieu  a  fabriqué,  avec  la  matière  ^t\2i existante, 
le  ciel ,  la  terre  et  l'air ,  ainsi  que  nombre  de  choses  qu'ils  renferment. 

g  22.  L'homme  ,  l'œuvre  principale  du  Créateur.  —  On  juge  de  la 
grandeur  d'une  divinité  \  d'après  ses  œuvres  ;  et  c'est  pourquoi  Piéton- 
neur  adresse  la  question  :  «  quelles  œuvres  de  distinction  Père- Universel 
«  a-t-il  accomplies?.»)  Les  peuples  primitifs  et  leurs  ascendants,  par  cela 
même  qu'ils  voyaient  dans  les  grands  objets  de  la  ISature ,  tels  que  le  ciel, 
la  terre,  l'air,  le  feu,  etc. ,  des  Puissances  surhumaines,  qu'ils  adoraient 
comme  des  divinités ,  plaçaient  naturellement  ces  objets  bien  au-dessus 
de  l'espèce  humaine.  Ce  n'est  que  bien  tard  que  l'idée  philosophique, 
pénétrant  dans  les  religions  anciennes ,  a  assigné  la  première  place ,  parmi 
les  objets  de  la  création,  à  V homme,  en  tant  qu'il  possède  une  âme  im- 
mortelle. Par  conséquent,  si  Snorri,  à  la  question  de  Piétonneur ,  fait 
répondre  par  Troisième,  que  \^ principale  œuvre  de  Père-Universel , 
c'est  qu'il  a  fait  V homme ,  cet  auteur  parle ,  non  pas  dans  le  sens  de  la 
Mythologie  norraine ,  mais  dans  celui  du  dogme  chrétien.  D'après  le  mythe 


i64  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

norrain  (voy.  Poèmes  Islandais,  p.  188),  Thomme  n'a  pas  été  créé  par 
Odinn  seul  ;  mais  le  premier  Homme  (Jskr)  et  la  première  Femme  [Emblà) 
ont  été  originairement  deux  troncs  d'arbre ,  qui  ont  été  transformés  en 
êtres  humains  par  les  trois  Ases  Odinn ,  Hœnir  et  Elodurr.  Ce  mythe 
ajoute  que  Odinn  a  donné,  aux  premiers  hommes,  l'awe;  mais  il  ne  dit 
pas  que. cette  âme  ^XsiVrimmortelle  et  libre.  Les  peuples  de  la  branche 
gkte,  comme  leurs  ancêtres  et  comme  presque  tous  les  peuples  de  l'Anti- 
quité ,  croyaient ,  il  est  vrai ,  à  une  vie  future ,  à  une  existence  après  la 
mort;  car  cette  croyance  est  tellement  dans  l'intérêt  personnel  de  l'homme, 
qu'elle  est  partagée  par  tous  les  peuples ,  même  les  plus  barbares.  Mais 
en  admettant  une  y\&  future ,  plus  ou  moins  semblable  à  l'existence  ter- 
restre ,  ces  peuples  confondaient  volontiers  le  corps  avec  l'âme ,  ou  plu- 
tôt ,  leurs  idées  sur  la  différence  entre  l'une  et  l'autre  n'étant  pas  déve- 
loppées ,  ils  n'établissaient  pas ,  comme  le  fait  le  Christianisme ,  une 
distinction  très-marquée  entre  le  corps  périssable  et  l'âme  immortelle,  et 
ne  considéraient  pas,  non  plus,  l'immortalité  de  l'âme  comme  une  pré- 
rogative de  l'espèce  humaine,  ni  comme  une  preuve  de  la  dignité,  de 
l'excellence  et  de  la  supériorité  de  sa  nature.  Le  Christianisme ,  au  con- 
traire ,  établit  la  dignité  et  la  supériorité  de  l'espèce  humaine  sur  l'im- 
mortalité et  la  liberté  de  l'âme ,  qui  font  que  les  hommes  sont  les  enfants 
de  Dieu ,  que  Dieu  s'intéresse  au  salut  de  leur  âme ,  et  qu'il  aime  l'hu- 
manité au  point  que ,  pour  la  sauver,  il  a  établi  l'œuvre  de  la  Rédemption. 
Snorri,  guidé  par  les  dogmes  chrétiens,  fait  dire  à  Troisième,  contrai- 
rement aux  données  de  la  Mythologie  norraine,  que  Père- Universel  21 
fait  de  l'homme  son  œu\re  principale ,  en  lui  donnant  une  âme  immor- 
telle. Allant  ensuite  au  devant  des  objections  qu'on  pourrait  lui  faire  au 
sujet  de  la  mort  et  de  la  disparition  des  hommes ,  Snorri  se  laisse  entraî- 
ner à  une  digression  qui  le  fait  sortir  du  cercle  des  idées  où  il  aurait  dû 
renfermer  la  réponse  à  faire  par  Troisième.  Il  démontre  que  les  hommes 
sont  immortels ,  bien  que  leurs  corps  soient  réduits  en  pourriture  dans 
la  tombe ,  ou  en  cendres  sur  le  bûcher,  puisque  leurs  âmes,  continuant  à 
vivre,  vont,  les  unes  au  Ciel ,  les  autres  aux  Enfers. 

g  23.  Séjour  de  l'homme  après  sa  mort.  —  D'après  la  Mythologie  nor- 
raine, V Allée- Agréable  (Vin-Gôlf)  était  la  demeure  de  Frigg ,  l'épouse 
d'Odinn ,  où  elle  recevait ,  après  leur  mort  sanglante,  les  guerriers  qui , 
ainsi  que  les  héros  reçus  par  Odinn  dans  la  Halle-des-Occis ,  devinrent 
les  Fils-Adoptifs  (Osk-megir)  ou  les  Troupiers-Uniques  (Einheriar)  du 
Dieu  des  tempêtes  et  des  combats.  h'Etincelant  (Gimli)  est  un  Endroit , 
dans  les  régions  supérieures,  au  sud-est  du  Ciel.  C'est  là  que  s'élèvera, 
lors  du  Renouvellement  du  Monde,  une  Salle  où  séjourneront  les  peuples 
fidèles  et  jouiront  d'une  félicité  éternelle.  VÉtincelant  n'est  donc  pas , 
comme  le  ait  Snorri,  identique  avec  V  Allée-Agréable;  il  n'est  pas ,  non 
plus ,  le  séjour  ordinaire  des  Justes,  comme  l'est  le  Paradis  chrétien.  On 
pourrait  plutôt  le  comparer  à  la  Nouvelle  Jérusalem ,  qui ,  selon  la 
doctrine  chrétienne ,  se  formera  lors  de  la  Consommation  des  Temps,  et 
renfermera  les  Justes  après  le  Jugement  dernier.  D'ailleurs ,  il  y  a  une 
différence  essentielle  entre  lesJJeux  de  félicité  de  la  Théologie  chrétienne 
et  ceux  de  la  Mythologie  norraine  ;  c'est  que  dans  ceux-ci  le  bonheur  n'est 


N°  (6)  (p.  80)  ;  ODINN  DIEU  ÉTERNEL  ET  CRÉATEUR  DE  l'uNIVERS.      165 

pas  départi  d'après  les  mêmes  principes  et  aux  mêmes  conditions  que 
dans  ceux-là.  En  effet ,  les  Scandinaves  obtenaient  la  félicité  dans  la  vie 
future ,  non ,  comme  les  chrétiens ,  par  des  qualités  morales ,  par  la 
charité ,  la  justice ,  la  mansuétude ,  mais  par  des  qualités  tout  opposées , 
par  la  force  physique,  la  valeur,  la  violence,  la  mort  sanglante,  et,  tout 
au  plus  par  \^  fidélité  à  observer  les  engagements  contractés. 

D'après  le  mythe  norrain ,  il  se  trouve ,  au  Nord  de  la  Terre  et  plus  bas 
qu'elle,  le  Séjour-de-Hel  ^  lieu  qu'on  peut  comparer  à  \  Or  eus  ou  aux 
Enfers  des  Anciens.  Le  Hel-Bmmeux  est  situé  plus  au  Nord  et  plus  bas 
encore  ;  c'est  une  dépendance  du  Séjour-de-Hel  ou  du  huitième  Séjour , 
à  peu  près  comme ,  dans  la  Mythologie  hindoue ,  le  lieu  de  supplice ,  Nâ- 
raka  {voy.  Chants  de  Sol ,  p.  102),  est  une  dépendance  des  PaM/a* 
(Enfers).  Dans  Hel-Brmneux ,  il  y  a  un  Endroit  nommé  Rives-aux- Ca- 
davres (Nâ-strendr),  qui  s'étend  jusqu'au  neuvième  Séjour,  appelé  Séjour- 
Bru?neux  {NiÛ-he'im),  et  qui  est  le  lieu  de  supplice  pour  les  parjures,  pour 
les  hommes  de  mauvaise  foi ,  et  pour  les  lâches  assassins.  En  eifet ,  c'est 
là  qu'habite  le  Bec-Jaune  (iNef-fölr)ou  le  Dragon  volant  Nidhögg  (Frappe- 
de-Colère) ,  qui  ronge  l'une  des  racines  de  l'Arbre-du-Monde.  C'est  là 
qu'il  suce  les  cadavres  des  décédés  qui  arrivent  du  Séjour-de-Hel,  et 
qu'il  déchire  les  trépassés ,  sans  doute ,  afin  de  fournir  les  ongles  qui 
doivent  servir,  dans  le  Hel-Brumeux ,  à  la  construction  dii  Navire-d' On- 
gles (Nagl-far).  C'est  à  tort  que  Snorri  identifie ,  ou  ,  du  moins,  compare 
le  Hel-Brumeux  à  \ Enfer  chrétien.  Car  ce  n'étaient  pas  seulement  les 
méchants  qui  descendaient  dans  le  Séjour-de-Hel  et  dans  le  Hel-Bru- 
meux, mais  aussi  les  faibles,  les  enfants,  les  femmes,  les  vieillards,  et 
les  esclaves ,  tandis  que  \ Enfer  chrétien ,  à  l'exception  des  Limbes ,  ne 
recevait  que  ceux  qui,  pour  leurs  péchés,  méritaient  d'y  descendre. 

(7)  LE  MONDE  AVANT  LE  CRÉATEUR. 

g  24.  L'origine  de  Pére-Universel.  —  D'après  la  philosophie  spécula- 
tive ,  Dieu  est  l'Ame  du  Monde ,  il  est  la  Vie  infinie ,  c'est-à-dire  la  Source 
et  l'Ensemble  infinis  de  toutes  les  forces  physiques  et  métaphysiques.  Le 
Monde  ou  la  matière  est  l'ensemble  infini  des  forces  qui  manifestent 
la  Vie  divine ,  sous  des  formes  innombrables ,  il  est  vrai ,  mais  finies.  La 
matière  physique  ne  saurait  être  autre  chose  que  des  forces  plus  ou 
moins  simples  ,  plus  ou  moins  combinées  ;  si  la  chimie  savait  et  pouvait 
décomposer  entièrement  les  corps ,  elle  les  décomposerait  en  leurs  élé- 
ments 'primitifs,  c'est-à-dire  en  forces  simples.  La  matière  étant  la 
manifestation,  sous  forme  finie,  de  la  Vie  infinie  de  Dieu,  et  cette  Vie 
infinie  ayant  nécessairement  dû  se  manifester  de  toiíí  temps,  la  matière 
a  dû  aussi  exister  de  tout  temps ,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre.  La 
manifestation  de  la  Vie  infinie  de  Dieu  ,  sous  une  infinité  de  formes  ^/«'co-, 
étant  précisément  ce  qu'on  appelle  création,  la  création  est  un  acte 
éternel,  qui  n'a  jamais  commencé  et  qui  ne  cessera  jamais.  Dieu  ayant  créé 
de  tout  temps ,  la  question  de  savoir  ce  que  Dieu  a  fait  avant\2L  création, 
n'a  pas  de  sens  dans  la  Philosophie  spéculative.  Mais  cette  question  a  dû 
se  présenter  nécessairement  dans  toutes  les  Religions  et  dans  tous  les 
Systèmes  philosophiques ,  qui  considèrent  la  création  comme  un  acte 


166  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

unique  ,  accompli  par  Dieu  dans  un  espace  de  temps  déterminé  plus  ou 
moins  long.  Les  Religions  polythéistes  de  l'Antiquité ,  après  avoir  réuni 
en  une  famille  divine  et  hiérarchisé  entre  elles  les  divinités  originaire- 
ment adorées  séparément,  et  après  avoir  imaginé  une  Généalogie  des 
Dieux  et  un  Dieu  suprême,  et  considéré  ce  Dieu  suprême  comme  le  Créa- 
teur du  monde ,  ont  dû  ensuite  se  poser  la  question  :  qu'est-ce  que  le 
Dieu  suprême  a  fait  avant  qu'il  se  soit  mis  à  créer?  C'est  cette  question 
que  Snorri  fait  faire  à  Piétonneur;  et  comme  il  avait  commencé  son  Traité 
par  Odinn,  considéré  comme  Père- Universel ,  bien  que,  d'après  la  My- 
thologie norraine ,  ce  dieu  ne  fût  pas  l'Être  premier,  notre  auteur,  comme 
pour  se  tirer  de  ce  mauvais  pas ,  profite  de  cette  question  proposée,  comme 
d'un  moyen  favorable  de  transition,  pour  arriver  aux  mythes  qui  se  rap- 
portent à  la  Cosmogonie  ou  à  l'état  du  Monde  tel  qu'il  était,  avant  la  nais- 
sance á'Odinn  considéré  comme  le  Dieu  suprême. 

Les  Religions  polythéistes ,  ne  pouvant  concevoir  les  divinités  comme 
des  Êtres  absolus,  existant  de  toute  éternité,  ont  dû  se  demander  com- 
ment les  Dieux  suprêmes  ou  les  Pères  des  dieux  ont  pris  naissance  dans 
le  temps.  Cette  question ,  n'ayant  été  soulevée  qu'à  l'époque  où  l'on  était 
déjà  parvenu  à  considérer  les  divinités  comme  les  causes  et  les  principes 
et  de  l'ordre  physique  dans  le  monde  et  de  l'ordre  moral  dans  l'humanité, 
on  a  aussi  conçu  la  naissance  des  Dieux  suprêmes  de  la  même  manière 
que  la  pensée  spéculative  s'est  expliqué ,  à  cette  époque,  la  naissance,  ou 
l'entrée  dans  le  monde,  de  l'ordre  physique  et  moral.  Or,  d'après  l'idée  du 
progrès,  qui  commençait  alors  à  émerger  pour  la  première  fois  dans  le 
domaine  religieux  et  philosophique ,  on  imagina,  sans  peine ,  qu'en  toutes 
choses  l'état  imparfait  précédait  et  engendrait,  en  quelque  sorte,  l'état 
plus  parfait,  et  que,  par  conséquent,  les  Dieux,  les  représentants  de  l'ordre 
et  de  la  loi,  étaient  issus  d'Êtres  surhumains,  qui  étaient  les  personnifica- 
tions des  forces  encore  désordonnées  et  aveugles  de  la  Nature  primitive. 
Voilà  pourquoi,  dans  toutes  les  Théogonies,  les  Dieux  sont  considérés 
comme  fils  d'Êtres  titaniques ,  gigantesques ,  monstrueux  et  méchants. 
Aussi ,  s'appuyant  sur  les  données  théogoniques  de  la  Mythologie  nor- 
raine ,  Snorri  fait-il  dire  à  Troisième  que ,  avant  la  création ,  Odinn  se 
trouvait  avec  les  'Hrimthurses ,  c'est-à-dire  qu'il  a  passé  son  enfance  et 
sa  jeunesse  au  milieu  des  Thurses-Givreuæ ,  dont  il  est  issu. 

g  25.  Les  Thurses-Givreux  et  les  lotnes.  —  Les  Divinités  adorées 
étaient,  originairement,  pour  la  plupart,  les  représentants  des  objets  et 
des  phénomènes  bienfaisants  de  la  Nature ,  et  passaient ,  par  consé- 
quent ,  pour  les  Protecteurs  des  hommes  et  du  monde.  A  côté  des  Dieux 
qu'ils  adoraient ,  les  Scythes ,  ainsi  que  les  autres  branches  de  la  Race 
iafétique,  conçurent  des  Êtres  doués  d'une  force  surhumaine^  et  qui, 
plus  (Ml  moins  zoomorphesou  anthropomorphes ,  représentaient  les  forces 
gigantesques  terribles  et  pernicieuses  de  la  Nature,  et  passaient,  par  con- 
séquent, pour  être  les  Ennemis  des  Dieux  et  de  l'ordre  et  du  bonheur 
du  Monde.  Comme,  dans  l'origine,  les  Scythes,  les  ancêtres  des  Scandi- 
naves ,  habitaient,  dans  l'Asie,  des  plateaux  élevés,  où  la  pluie  tombait  rare- 
ment et  était ,  pour  eux,  un  bienfait,  autant  que  la  sécheresse  était  une  cala- 
mité, ils  durent  considérer  comme  des  Démons  malfaisants  rosReprésen- 


N°  (7)  (p.  80)  ;  ODINN  D  lEU  ÉTERNEL  ET  CRÉATEUR  DE  l'uNIVERS.      167 

tants  ou  ces  Personnifications  mythologiques  des  vents  secs,  brûlants  et  im- 
pétueux, qui,  dans  ces  contrées,  chassaient,  consumaient  ou  mangeaient, 
comme  on  disait ,  les  nuages  fécondateurs  rassemblés  par  Perkunis  (Aime- 
Pluie),  le  dieu  bienfaisant  de  la  pluie  et  de  l'orage.  Aussi  ces  démons 
avaient-ils  le  nom  de  r«r5e5(Secs,  Arides;  cf.  goth.  thaursus;  dW.dUrr) 
et  de  Itanes  ou  Itunes  (Mangeurs ,  Consumeurs  ;  cf.  gr.  aitna ,  fém.  de 
aitnos  brûlant;  aitliôn,  brûlant;  cf.  sansc.  indli).  Le  nom  propre  du 
roi  ^ií^ih^  Itun-tursus  (scytho-gr.  Ithan-thursos\  Justin:  I-aii-dy  s  sus; 
norr.  löhm-thurs) ,  prouve  que  les  Turses  et  les  Itanes  étaient  déjà 
connus ,  sous  ces  noms ,  dans  la  religion  des  Scythes  (voy.  Les  Gètes , 
p.  256).  Les  traces  de  la  foudre  que  l'on  montrait,  en  Scythie,  par  exem- 
ple ,  sur  les  bords  du  Tyras ,  étaient ,  sans  doute,  les  marques  du  combat 
que  le  Dieu  du  Tonnerre,  Pei^kunis,  avait  livré,  en  cet  endroit,  à  ses 
ennemis,  les  Turses  ouïes  Itanes.  Dans  les  langues  gétiques,  le  mot 
thurs,  tout  en  conservant  la  signification  de  sec ,  par  opposition  à 
mouillé,  prit  encore  la  signification  métaphorique  de  raide,  rigide ,  et 
de  hardi  (cf.  gr.  thrasus  et  Jga-thursoî,  Très-hardis) ,  par  opposition 
au  mot  signifiant  wozi,  qui  prit,  également,  la  signification  métaphorique 
de  lâche.  Les  traits  que  lés  Gètes  tiraient,  avec  leurs  arcs,  contre  le  ciel , 
toutes  les  fois  qu'il  y.avait  un  orage,  étaient  dirigés  contre  les  Turses,  que 
le  Dieu  du  Tonnerre ,  Skalmoskis  (substitué  à  Firgunis.,  l'ancien  Pirku- 
nis) ,  était  supposé  combattre  ;  et  cette  habitude ,  qu'Hérodote  considé- 
rait comme  une  injure  sac7'ilége  faite  à  Zevs,  n'était  au  fond,  c'est-à- 
dire  aux  yeux  des  Gètes,  qu'un  acte  pieux  et  méritoire,  ayant  pour  but 
de  prêter  assistance  au  Dieu  de  l'orage ,  dans  sa  lutte  contre  les  Turses 
et  les  Itunes. 

Lorsque  des  tribus  de  la  branche  gète  s'établirent  dans  la  Scandina- 
vie ,  où  ce  ne  sont  pas  les  vents  brûlants  et  secs ,  mais  les  froids  exces- 
sifs de  l'hiver  qui  sont  nuisibles  ou  pernicieux  ,  les  Secs  (Thurses)  et  les 
Consumeurs  (Itunes) ,  de  Géants  de  Sécheresse  qu'ils  avaient  été  origi- 
nairement et  jusqu'ici,  devinrent  dès  lors,  dans  le  Nord ,  des  Géants  de 
Glace.  Leur  nom  de  Thurses  (Secs ,  Raides) ,  désigna  maintenant  soit  la 
raideur  des  corps  transis  de  froid,  soit  la  sécheresse ,  ou  le  manque  d'eau 
des  régions  polaires ,  soit  l'aridité  de  la  nature  manquant  de  sève  en  hiver. 
De  même  que ,  dans  l'ancien  slave ,  Suchi  (le  Sec) ,  était  le  nom  du  mois 
de  Mars,  à  cause  de  sa  sécheresse ,  de  même  Thorrii^.  Thursi,  l'Aride) 
devint,  dans  la  langue  norraine,  le  nom  du  mois  de  Janvier,  le  plus 
froid  de  l'hiver  dans  le  Nord.  Pour  indiquer  encore  plus  particulièrement 
la  nature  glaciale  des  Thurses  (Raides) ,  on  ajouta  à  leur  nom ,  comme 
déterminatif ,  le  mot  de  hrîm^  qui  désigne  toute  congélation  ayant  pris, 
par  la  cristallisation ,  une  forme  déterminée ,  tels  que  le  givre ,  les  flocons 
de  neige ,  les  glaçons  et  même  les  glaciers  (norr.  iöklar).  Dans  la  l,angue 
norraine ,  qui  aime  les  concrétifs  insérés  entre  le  i  et  la  consonne  radi- 
cale suivante  (voy.  Poèmes  islandais ,  p.  53) ,  l'ancienne  forme  du  nom 
de  Ituns ,  se  changea  régulièrement  en  lötunn  (p.  lötun-r)  ;  mais ,  par 
suite  de  ce  changement,  aucun  peuple  Scandinave  ni  germanique^  issu  de 
la  branche  gète,  n'a  gardé  la  conscience  ou  le  souvenir  de  la  signification 
de  Mangeur ,  qu'avait  eue  dans  l'origine  ce  nom  propre. 


168  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

g  26.  Ordre  de  formation  des  parties  de  la  Mythologie.  —  Par  les  rai- 
sons que  nous  avons  indiquées  ci-dessus  (p.  1 66) ,  les  Thurfies  qui ,  dans 
l'origine,  étaient  considérés  seulement  comme  les  ennemis  des  Dieux, 
furent  encore  considérés  comme  les  Pères  des  principaux  Ases,  par  les 
peuples  de  la  branche  gète,  qui  agitèrent,  pour  la  première  fois ,  la  ques- 
tion sur  l'origine  du  Dieu  suprême  et  commencèrent  à  rattacher  la  Théo- 
gonie (ou  les  conceptions  sur  la  naissance  des  dieux)  à  la  Titanologie 
(ou  Doctrine  sur  les  Démons).  C'est  là  la  marche  qui  a  été  suivie  dans 
toutes  les  Mythologies  iafétiques,  puisque  c'est  l'ordre  naturel  qu'a  suivi 
le  développement  interne  ou  logique  des  idées  mythologiques.  En  effet , 
les  conceptions  qui  se  forment  et  se  fixent  les  premières,  et  qui  consti- 
tuent le  fonds  primitif  de  la  Mythologie ,  ce  sont  les  idées  sur  les  divinités 
adorées ,  ou  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  Théologie.  Les  conceptions  qui 
se  forment  après ,  et  qui  constituent  la  seconde  partie  de  la  Mythologie , 
ce  sont  les  idées  sur  les  Ennemis  des  dieux ,  savoir  les  Démons  ou  les 
Titans;  ces  conceptions  constituent  ce  qu'on  peut  appeler  la  Titanologie 
dans  la  Mythologie.  Après  les  idées  mythologiques  sur  les  Ennemis  des 
dieux  ,  se  sont  formées  celles  sur  la  Théogonie  ou  Y  origine  des  Dieux , 
et  sur  la  Titanogonie  ou  V origine  des  Démons.  Enfin ,  la  Titanogonie 
a  été  suivie  et  complétée  par  une  dernière  partie  de  la  Mythologie ,  savoir 
la  Cosmogonie ,  renfermant  les  idées  de  l'époque  sur  l'origine  du  Monde. 
Quant  à  la  Mythologie  norraine ,  sa  Théologie  remonte  environ  vers  l'an 
3000  avant  notre  ère ,  à  une  époque  où  les  Scythes,  les  ancêtres  des  Scan- 
dinaves ,  étaient  encore  confondus  avec  les  autres  membres  de  la  famille 
iafétique.  Aussi,  quelques  divinités  de  cette  Théologie,  mais  un  très- 
petit  nombre  seulement ,  et  seulement  les  plus  anciennes ,  se  retrouvent- 
elles  dans  la  Théologie  de  toutes  les  Mythologies  iafétiques.  La  Tita- 
nologie s'est  formée  dans  la  période  comprise  entre  environ  l'an  2500  et 
l'an  800  avant  notre  ère.  Dans  cette  période  ,  les  Scythes  s'étaient  déjà 
séparés  des  autres  branches  de  la  famille  iafétique;  et  c'est  pourquoi  leur 
Titanologie  s'est  formée  séparément  de  celle  des  autres  peuples  iaféti- 
ques ,  mais  elle  forme  le  fonds  primitif  commun  aux  deux  branches  de  la 
souche  Scythe,  savoir  à  la  branche  sar??2aieet"à  la  branche  ^ç'èie.  La  Théo- 
gonie s'est  formée  dans  la  période  entre  environ  l'an  600  et  l'an  200  avant 
notre  ère.  Dans  cette  période ,  la  branche  sarmate  s'étant  différenciée 
de  la  branche  gète ,  la  Théogonie  ne  saurait  se  retrouver  identique  dans 
l'une  et  dans  l'autre  branche;  mais  comme ,  dans  le  cours  de  cette  période , 
les  différents  peuples  de' la  branche  gète  ne  s'étaient  pas  encore  complè- 
tement séparés  les  uns  des  autres ,  la  Théogonie  se  retrouve ,  quant  au 
fonds  primitif,  dans  la  Mythologie  de  tous  les  peuples  de  la  branche  gète 
en  Germanie  et  en  Scandinavie.  La  Titanogonie  s'est  formée  dans  la 
période  entre  environ  l'an  200  avant  notre  ère  et  l'an  100  après  Jésus- 
Christ.  Comme,  dans  cette  période,  les  peuples  de  la  branche  Scandi- 
nave s'étaient  déjà  séparés  et  différenciés  de  ceux  de  la  branche  germa- 
nique, la  Titanogonie  Scandinave  ne  saurait  se  retrouver  identique 
dans  la  Mythologie  germanique.  Enfin ,  la  Cosmogonie  s'est  formée  , 
en  Scandinavie,  dans  la  période  entre  environ  l'an  100  et  l'an  500  de 
notre  ère,  et  porte  dans  la  Mythologie  norraine  un  caractère  original, 


N°(7)(P.80);  ODINN  DIEU  ÉTERNEL  ET  CBÉATEUR  DE  l'univers.      469 

individuel,  conforme  à  la  nature  du  pays  et  au  caractère  des  Scandi- 
naves. 

Comme  la  Science  consiste  à  mettre  chaque  chose  à  la  place  qui  lui 
appartient  naturellement,  et  à  reproduire  la  suite  naturelle  dans  l'exposé 
des  faits ,  l'exposé  scientifique  de  la  Mythologie  norraine ,  comme  de  toute 
Mythologie  iafétique ,  devrait  traiter  des  différents  mythes  dans  l'ordre 
naturel  indiqué  ci-dessus.  Mais  pour  pouvoir  suivre  cet  ordre  naturel ,  il 
faut  d'abord  le  connaître ,  il  faut  savoir  quelle  est  la  marche  que  suit  le 
développement  interne  ou  logique  des  mythes  dans  la  production  des  dif- 
férentes parties  de  la  Mythologie.  Quand  on  ignore  les  lois  de  ce  déve- 
loppement logique,  et,  par  conséquent,  l'ordre  /iaft^re/ dans  lequel  se 
succèdent  les  conceptions  mythologiques ,  on  suivra ,  dans  l'exposé  de  la 
Mythologie ,  un  ordre  purement  extérieur ,  savoir  la  série  supposée  his- 
torique des  faits  épico-mythiques  ;  on  suivra  la  marche  inverse  de  celle 
qui  est  l'ordre  génétique  et  scientifique  ;  on  fera ,  comme  Snorri ,  com- 
mençant son  Exposé  par  la  Cosmogonie ,  qui  cependant  ne  s'est  formée 
qu'en  dernier  lieu,  après  toutes  les  autres  parties  de  la  Mythologie. 

(8)  LA  COSMOGONIE. 

l  27.  Le  BâilIement-des-Mâchoires.  —  Bien  que  la  raison  spéculative 
ne  puisse  pas  comprendre  Yinjini ,  soit  l'éternité  ou  l'absence  de  com- 
mencement (preuve  évidente  que  l'intelligence  humaine  n'est  pas  iden- 
tique à  l'intelligence  de  Dieu  ou  de  l'Être),  elle  n'en  est  pas  moins  nécessai- 
rement forcée  d'admettre  l'existence  éternelle ,  non-seulement  de  Dieu , 
mais  aussi  du  monde,  qui  est  sa  création  ou  la  manifestation  de  sa  Vie 
(voy.  p.  165).  Cependant  les  hommes ,  dont  l'intelligence  s'en  tient  encore 
à  l'intuition  physique ,  voyant  que  toutes  choses  commencent  et  finissent, 
et  ne  pouvant  pas  même  concevoir  qu'une  chose  puisse  avoir  existé  de 
toute  éternité ,  considèrent  le  Monde  et  même  la  Divinité ,  non  comme 
éternels,  mais  comme  ayant  eu  un  commencement,  une  origine.  Or  la  rai- 
son intuitive  peut  bien  concevoir  \sLfor?nation  d'une  chose,  c'est-à-dire, 
comme  l'indique  ce  mot,  le  revêtement  d'une /onwe,  qui  antérieurement 
n'a  pas  existé  ;  mais  elle  ne  peut  comprendre  qu'une  chose,  sans  avoir 
le  moindre  commencement  de  donné ,  puisse  sortir  absolument  du  néant. 
Comme  cependant  l'idée  de  la  création  de  la  Matière  implique  que  la  chose 
créée  sorte  du  néant,  et  comme  le  néant  absolu  n'est  pas  concevable , 
les  Scandinaves ,  comme  d'autres  peuples  de  l'Antiquité ,  se  sont  fait  du 
Néant  primitif  l'image  la  plus  abstraite  qu'ils  pussent  concevoir  dans 
leur  imagination,  savoir  l'image  d'un  Espace  immense  vide.  Mais  l'Espace 
ou  le  Vide  infini  et  absolu  étant  encore  inconcevable ,  l'imagination  s'est 
figuré  le  néant  primitif  comme  un  espace  immense ,  vide ,  renfermé  entre 
des  limites  matérielles  immensément  distantes  les  unes  des  autres  ;  elle 
se  l'est  figuré  comme  une  espèce  de  Bâille?nent  (norr.  gaj);  lat.  hiatus; 
gr.  cha/ios  ;  fr.  chaos),  ou  á'Jbi?ne  (Genèse,  i,  2),  ou  de  Bouche  (goth. 
munths  ;  lat.  mundus ,  creux  ;  anglos.  mud ,  bouche ,  abîme) ,  ou  de 
Gouffre  (gr.  barathron  ;  sansc.  vritras) ,  ou  de  Creux  (lat.  orcus  p. 
horcus;  ail.  kimg ,  cruche),  ou  A' Entonnoir  (cf.  Dante,  Inferno) ,  etc. 
Par  analogie  avec  ces  images ,  à  la  fois  sublimes  et  terribles ,  l'intuition 


170  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

philosophique  et  mythologique  des  Norrains,  a  comparé  ce  Bâillement  à 
une  immense  Gueule  ouverte  ou  Gueule  bée',  et  l'a  appelé  ,  pour  cela ,  le 
Bâillement-des-Mâchoires  (Ginnunga-gap).  Ensuite  on  s'est  figuré  ce 
BdillemeQit-des-Mâchoires  comme  la  gueule  immense  (gr.  beretkron , 
dévorant ,  abîme  ;  cf.  lat.  voYago)^  d'un  Loup  gigantesque,  qui ,  dans  la  My- 
thologie sanscrite  et  zende,  portait  lui-même  le  nom  de  Dévorateur  ou 
A' Abîme  (sansc.  Vritras:  zend.  Verethra).  C'est  dans  cette  gueule  ou 
dans  cette  bouche ,  qui  peut  aussi  être  envisagée  comme  une  Matrice  im- 
mense ,  que  se  sont  formés  ou  qu'existaient,  dans  l'origine ,  d'après  la 
Cosmogonie  du  Nord ,  les  deux  Mondes  ou  les  deux  Séjours  primitifs ,  le 
Séjour-Brumeux  (Nifl-heimr)  et  le  Séjour  de  Gâte-Monde  (Muspel- 
heimr). 

Du  temps  de  Snorri ,  on  n'avait  plus  une  idée  exacte  du  BâUlernent- 
des- Mâchoires.  D'abord,  d'après  les  indications  tout  à  fait  vagues  et  gé- 
nérales qu'il  trouvait  dans  la  Vision  de  la  Louve,  ensuite  ,  peut-être  , 
par  analogie  avec  les  Eaux  primitives  dont  parle  la  Genèse,  et,  enfin, 
d'après  ce  qu'on  appelait,  de  son  temps  ,  le  Ginnunga-Gap ,  qui  était 
le  détroit  de  mer  entre  le  Grœnland  et  l'Amérique  septentrionale,  Snorri 
a  cru ,  sans  doute,  que  ce  nom  de  Ginnunga-Gap  désignait  la  Mer  pri- 
mitive, dans  laquelle  venaient  se  jeter  les  Vagues-  Tempétueuses ,  en  sui- 
vant ,  toutes ,  la  même  direction  parallèle. 

l  28.  Le  Séjour-Brumeux  et  les  Vagues-Tempétueuses.  —  La  conception 
des  deux  Séjours  primitifs  s'est  faite  par  analogie  avec  ce  qu'on  voyait  se 
passer  dans  la  Nature  en  hiver  et  au  printemps.  Sachant,  par  expérience, 
que  la  Nature,  morte  en  hiver,  est  vivifiée,  au  printemps,  par  la  chaleur 
du  soleil  ;  voyant ,  de  plus ,  que  dans  le  corps  humain  la  chaleur  est  un 
signe  de  vie,  comme  la  froideur  un  signe  de  mort ,  on  a  considéré  \efeu, 
le  principe ,  ou  le  représentant  de  la  chaleur,  comme  la  cause  qui  a  aussi  en- 
gendré la  vie  dans  la  matière  primitive ,  à  la  fois  froide  et  informe.  De  là, 
d'abord  l'idée  d'un  Monde  ou  Séjour  primitif  contenant  la  Matière  pri- 
mitive ,  froide  et  informe,  et  ensuite  l'idée  d'un  Séjour  primitif ,  d'où 
sort  originairement  le  feu  qui  vivifie  la  Matière  froide  et  lui  donne  la  forme 
avec  la  vie.  L'idée  que,  dans  l'origine ,  il  n'y  avait,  dans  l'Espace  immense 
vide,  que  de  la  Matière  sans  forme  et  sans  vie  {rudis  indigestaque  ino- 
les),  mais  susceptible  de  prendre  une  forme,  et  d'être  vivifiée,  cette  idée, 
conçue  comme  une  image  intuitive,  produisit  le  mythe  cosmogonique 
d'après  lequel  on  se  figurait ,  suspendu  aux  Parois  du  Bâillement-des- 
Mâchoires ,  un  Séiour  pri7nitif,  qui  a  fourni  la  matière  dont  se  sont 
ensuite  formés  toutes  les  choses  et  êtres  du  Monde.  Dans  ce  Séjour  pri- 
mitif il  n'y  a  encore  ni  forme  (lumière)  ni  vie  (chaleur)  ;  c'est  un  Séjour 
obscur,  humide  et  froid.  Aussi  porte-il  le  nom  Ae  Séjour-Brumeux  et  se 
trouve-t-il  placé  dans  les  parties  septentrionales  de  l'Abîme  ou  au  nord- 
ouest  dans  le  Bâillement-des-Mâchoires.  Au  milieu  de  ce  Séjour  pri- 
mitif est  un  cratère  (norr.  hver).,  ou  un  bassin  appelé  le  Bassin-Bruyant 
(norr.  Ilver-Gelmir).  Ce  nom  de  Brmjant  exprime  le  bruit  sourd,  confus 
et  strident  qui  provient  d'un  phénomène  particulier  qu'on  remarque  dans 
les  glaciers  Scandinaves,  et  dont  le  Bassin-Bruyant  est  le  symbole  my- 
thologique. Ce  phénomène  consiste  dans  un  brouillard  épais  «descen- 


NUMÉRO  (8)  (page  81)  ;  LA  COSMOGONIE.  171 

«  dant  des  nuages  sombres  en  forme  de  lambeaux  blancs ,  et  qui  est 
«  accompagné  d'un  sifflement  continuel ,  comme  si  l'on  entendait  de  loin 
«  une  immense  quantité  de  fusées  serpenter  dans  les  airs.  »  Peut-être  y 
a-t-il  encore  quelque  rapport  étymologique  entre  le  Hver-Gelmir  Scan- 
dinave et  le  lac  Gelmer,  qui  est  situé  entre  les  deux  glaciers  de  la  Suisse, 
le  Gelmer-Horn  et  le  Stral-Horn,  et  d'où  sort  une  rivière  nommée  le 
Gelmer-Bach  (rivière  de  Gelmer).  C'est  dans  le  Bassin-Bruyant  que  se 
trouve  la  Matière  primitive.  Cette  matière  primitive ,  ou  la  mère  des 
choses  {dA2X. 7naterîes ,  maternelle,  matière),  n'est  encore  qu'une  sub- 
stance sans  forme ,  sans  consistance ,  sans  vie  et  sans  chaleur ,  telle  enfin 
qu'on  la  retrouve,  de  nouveau,  lorsque,  la  forme  et  la  vie  se  séparant  des 
corps  vivants  ou  organiques ,  ceux-ci  meurent  et  se  dissolvent.  On  se 
figurait  donc  cette  matière  primitive  comme  quelque  chose  de  semblable 
^  \2i  poîirritvre ,  à  une  mer  pulmoneuse  [cf.  Pfjtkcas)  ^  ou  comme  un 
brouillard  de  pus.  Aussi  lui  donnait-on  le  nom  de  pus  (norr.  eitar) , 
comme ,  encore  aujourd'hui*,  dans  le  langage  populaire ,  en  Allemagne  et 
en  France,  matière  est  synonyme  Atpus.  Or,  dans  les  langues  du  Nord, 
pus ,  ou  matière  en  dissolution ,  est  encore  synonyme  de  venin ,  ou  de 
matière  ew  fermentation  (cf.  ail.  <////,  gischt)\  ensuite,  comme  \e  fer- 
ment,  en  produisant  la  chaleur,  est  un  principe  de  vie,  le  venin  ou  fer- 
ment passait  pour  être  à  la  fois  froid  et  brûlant,  dissolvant  et  vivifiant; 
et  c'est  pourquoi  Snorri  désigne  la  matière  primitive  sous  le  nom  de 
venin  vivifiant  (norr.  eitur  qvikia).  D'après  ces  idées,  on  conçoit  com- 
ment le  mythe  cosmogonique  a  pu  énoncer  que  la  Matière  primitive 
sortie  du  Bassin-Bruyant  éi^ii  du  venin.  Ensuite  pour  expliquer  l'ori- 
gine de  ce  venin,  un  mythe,  conçu  postérieurement,  s'est  basé  sur  la 
supposition  qu'au  fond  du  Bassiji-Bruyant  il  y  avait  des  serpents  veni- 
meux innombrables ,  qui  vomissaient  ce  pus  ou  ce  venin.  Ensuite  ce  venin 
ayant  débordé  dans  le  Bassin-Bruyant,  des  fleuves  venimeux  s'en  sont 
projetés.  Ces  fleuves ,  d'après  les  documents  mythologiques ,  sont  d'un 
nombre  indéterminé;  mais  Snorri,  suivant  son  système  habituel  (voy. 
p.  157),  et  s'appuyant  sans  doute  sur  une  indication  renfermée  dans  le 
poëme  eddique  les  Dits  de  Grimnir ,  prétend  qu'ils  étaient  au  nombre 
de  douze;  et  il  n'en  cite  qu'une  douzaine,  bien  qu'il  en  connaisse  un 
plus  grand  nombre  (voy.  p.  11 2).  Ces  fleuves  sont  appelés  Vagues-Tem- 
pétueuses (norr.  Eli-vogar;  eiip.  elgi,  voy.  p.  162);  ils  sont  formés,  en 
partie,  de  l'eau  glaciale  qui  dégoutte  du  glacier  Eikthyrnir  (voy. 
p.  112),  en  partie  du  venin  vomi  par  les  serpents  innombrables  qui  se 
trouvent  au  fond  du  Bassin-Bruyant.  Ces  eaux  venimeuses  sont  natu- 
rellement sans  aucune  chaleur  vitale;  car  le  venin,  qui  donne  ,  comme 
on  disait,  la  movi froide,  était  considéré  comme  étant  lui-même  très- 
froid  ;  aussi  une  rivière  de  la  Norvège  porte-t-elle  encore  aujourd'hui  le 
nom  de  rivière  de  venin  (eitar-â) ,  à  cause  de  Vexcesshe  froideur  de 
ses  eaux.  Les  Fagues-  Tempétueuses,  qui  roulent  cette  matière  brumeuse, 
glaciale  et  venimeuse ,  et  qui  sortent  du  Bassin-Bruyant  comme  d'un 
volcan  boueux,  grossissent  comme  des  fleuves  et  se  jettent  dans  toutes 
les  directions.  Leurs  noms  mythologiques  expriment  les  différents  carac- 
tères ou  les  qualités  qu'on  leurattribuait.  Ainsi  .Vró7(Froide)  désigne  la  froi- 


172  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

deur  de  leur  eau  glaciale  et  venimeuse;  Gmm-thrd  (Belliqueuse)  en  ex- 
prime l'impétuosité  belliqueuse;  Fiorm  (Chargée)  en  désigne  les  eaux 
chargées  et  épaissies  par  le  venin  ;  Fimbul  (Étourdissante) ,  l'aspect  et  le 
bruit  terrible  des  vagues  ;  Thul  (Murmurante) ,  le  bruissement  sourd  des 
flots  ;  Slidnr  (Lente) ,  les  eaux  fangeuses  et  croupissantes  ;  Hrid  (Brusque), 
les  bourrasques  soulevant  les  vagues;  i'y/g'wr  (Engloutissante),  les  eaux  qui 
débordent  ;  y/^z^r  (Hurlante) ,  les  bruits  plaintifs  des  vagues;  Ftoi  (Large), 
la  largeur  des  rivières;  Leiptur  (Jaillissante),  l'éruption  des  Vagues-Tem- 
pétueuses ;  Giöll  (Retentissante),  le  fracas  des  glaces  que  charrient  les 
flots.  Les  noms  cités  de  ces  Vagues-  Tempétueuses  figurent,  tous^  dans  les 
documents  mythologiques  ;  mais  on  en  trouve  énuméré  un  bien  plus  grand 
nombre  dans  un  poëme  eddique  postérieur ,  dans  les  Dits  de  Grimnir 
(voy.  p.  M  2) ,  où  ces  Vagues  sont  rangées  en  deux  séries.  Les  unes  de  ces  ri- 
vières ,  au  nombre  de  douze ,  coulent  autour  du  Trésor-des-Dieux 
(norr.  hodd  Gotha) ,  c'est-à-dire  autour  de  la  terre ,  qui  est  appelée  ici 
le  trésor  des  Dieux  (mais  que  Snorri  prend  improprement  pour  l'habita- 
tion des  Jses ,  qui ,  selon  lui ,  habitent  sur  la  terre)  ;  les  autres  coulent 
près  des  Compagnons  (norr.  Gumnar)^  c'est-à-dire  près  des/oiwes, 
les  Compagnons  de  Loki) ,  au  bord  extérieur  et  austro-septentrional  de 
la  Terre.  Comme  ces  fleuves  mythologiques  ne  correspondent  à  rien  de 
réel,  mais  ont  été  imaginés  d'après  l'analogie,  ils  ont,  tous,  la  même  signi- 
fication symbolique,  et  jouent, 'tous,  le  même  rôle  épique;  ils  sont  donc 
aussi  cités  indifl'éremment  les  uns  pour  les  autres ,  et  la  poésie  mytholo- 
gique a  pu  en  imaginer  et  en  énumérer  un  nombre  indéterminé.  Aussi  la 
poésie  épique  en  énumère-t-elle  un  plus  ou  moins  grand  nombre,  selon 
le  besoin  de  ses  narrations ,  et  elle  les  présente  dans  tel  ou  tel  ordre , 
uniquement  selon  les  exigences  de  l'allitération.  Il  n'y  a  que  Slidur  et 
Giiill,  dont  la  Mythologie  s'occupe  plus  spécialement.  Ces  deux  fleuves 
sont  dits  sortir  du  Bassin-Bruyant  et  se  diriger  vers  le  sud-est ,  où  ils 
entrent  dans  le  Hel-Brumeux.  Slidur  y  entre  au  nord-est  et  se  jette , 
là,  dans  les  Fallées-Fcfiimeuses.  Gioll pousse  plus  loin  ,  vers  le  sud  ; 
elle  coule  tout  autour  du  Séjour-de-Hel ,  au  sud  duquel  se  trouve  le  Pont- 
de-Giöll,  que  passent  le^  Ombres  qui ,  venant  de  la  partie  septentrio- 
nale de  la  terre ,  descendent  dans  ce  Séjour-de-Hel  et  y  entrent  par  la 
porte  méridionale  appelée  les  Grilles  de  Hel.  Snorri  parle  ici  des  Grilles 
de  Help2ir  anticipation;  car  à  l'époque  primitive  dont  il  s'agit  ici,  ces 
grilles  sont  censées  ne  pas  encore  exister. 

Les  Fagues- Tempétueuses,  bien  que  froides ,  n'étaient  cependant  pas 
gelées  à  glace.  La  matière  ou  le  fer  tnent  \en'meux  ^  qu'elles  roulaient , 
était  moitié  brumeux  ou  aériforme,  et  moitié  liquide,  c'est-à-dire  que 
cette  matière  n'avait  pas  encore  de  forme  ni  régulière  ni  organique ,  mais 
qu'elle  était  cependant  susceptible  d'en  prendre  une ,  en  gelant  ou  en  se 
cristallisant.  En  s'éloignant,  dans  leur  cours,  de  plus  en  plus,  du  Bas- 
sin-Bruyant, et  au  contact  avec  la  froidure  du  Séjo^ir- Brumeux ,  les 
Vagues- Tempétueuses  se  refroidirent  de  plus  en  plus,  au  point  qu'arri- 
vées aux  extrémités  ou  "aux  bords  áw  Séjour-Brumeux ,  et  tombant  de  là 
dans  le  Bâillement-des-Mâclioires ,  elles  gelèrent;  et  les  glaçons  s'a- 
moncelèrent,  les  uns  sur  les  aulres,  dans  cet  abîme,  comme  au  pied 


NUMÉRO  (8)  (PAGE  81);  LA  COSMOGONIE.  i73 

d'une  chute  d'eau  en  hiver.  Ainsi' le  mythe  énonce  que  la  Matière  primi- 
tive ,  d'abord  liquide ,  sans  consistance  et  sans  forme ,  prit ,  en  tombant 
dans  le  Bâillement-des-Mâchoires  et  en  s'y  cristallisant,  vm^ première 
forme  déterminée. 

g  29.  Le  Séjonr  de  Gâte-Monde.  — La  matière,  en  se  cristallisant,  avait 
pris  une  première  forme,  mais  une  forme  encore  sans  vie;  pour  conce- 
voir qu'elle  pût  être  vivifiée  et  produire  les  êtres  de  la  nature ,  il  fallait 
admettre,  outre  \q  Séjour-Brumeux ,  l'existence  d'un  Monde  de  Feu  pri- 
mitif, agissant  par  sa  chaleur  vivifiante  sur  cette  matière  froide ,  cristallisée 
il  est  vrai,  mais  encore  inerte.  Or,  comme  ce  qui  donne  la  vie,  est  sup- 
posé antérieur  à  ce  qui  la  reçoit,  le  Monde  du  Feu,  placé  dans  le  Bail- 
lement-des-Mâchoires ,  fut  aussi  considéré  comme  plus  ancien  que  le 
Monde  d'où  sortait  la  matière  brumeuse.  Les  Scandinaves  considéraient  le 
feu  comme  l'élément  yrimiiif'^  de  là  les  locutions  proverbiales  de  :  plus 
ancien  que  le  feu  (norr.  eldri  eldstr) ,  de  vieiix  comme  le  feu  (norr. 
eld-gamall)  ^  etc.  Le  mot  eldur,  qui  désignait  le  feu,  dans  la  langue 
norraine,  servait  même  à  prouver  l'ancienneté  de  cet  élément.  En  effet , 
ignorant  la  véritable  étymologie  de  ce  mot  {eldur  p.  indur,  dévorant; 
sansc.  indh  ;  cf.  gr.  aither) ,  on  l'a  rapproché  de  son  homonyme  aldr 
(âge),  et  on  l'a  expliqué  comme  signifiant  vieux. 

Le  Séjour  du  Feu  primitif  était  considéré ,  en  tout  point ,  comme  l'op- 
posé du  Séjour-Brumeux  ;  aussi  est-il  placé  au  sud-est ,  et  celui-ci  au 
nord-ouest  du  Bâillement-des-Mâchoires ,  et,  par  conséquent,  le  pre- 
mier se  trouve  placé  au-dessus  du  niveau  du  second  ;  car ,  selon  les  no- 
tions ,  que  la  plupart  des  peuples  anciens  s'étaient  formées  du  lever  et  du 
coucher  du  soleil ,  et  trompé ,  comme  on  l'était ,  par  ces  expressions  mêmes 
de  lever  et  de  coucher  du  soleil ,  on  croyait  que ,  réellement,  l'Est  et  le  Sud 
étaient  une  région  plus  élevée  que  le  Nord  et  l'Occident.  Enfin,  tandis 
que  le  Séjour-Brumeux  est  froid  et  obscur ,  le  Séjour  du  Feu  est  chaud, 
sec  et  luisant.  Ces  deux  Séjours ,  situés  dans  le  Bâillement-des-Mâ- 
choires., unis  et  opposés  l'un  à  l'autre,  forment  ainsi  le  Monde  primitif ., 
et  sont ,  dans  la  Mythologie  Scandinave ,  la  première  antithèse  ou  dualité 
qu'elle  présente  dans  l'ordre  des  faits  cosmiques.  Ces  deux  Mondes  re- 
présentent, l'un  la  matière  sans  vie,  l'autre  la  vie  sans  matière.  Aussi, 
semblables  à  deux  êtres,  l'un  mâle  et  l'autre  femelle ,  donnent-ils  ensem- 
ble naissance  aux  sept  autres  Séjours  ou  Mondes,  avec  tout  ce  qui  en  fait 
partie. 

Le  Séjour  du  Feu ,  d'après  Snorri,  est  pernicieux  à  tout  ce  qiii ,  n'é- 
tant pas  feu ,  y  entre ,  ou  à  tout  ce  qui  n'a  pas  ,  comme ,  par  exemple ,  la 
pierre  ou  le  fer,  une  constitution  assez  forte  pour  résister  à  la  combustion. 
Ce  Séjour  a  un  Chef  ou  Prince,  qui  est  x^ommé  Surtur  (Noirci) ,  parce  qu'il 
est  noirci  par  les  flammes  dans  lesquelles  il  vit.  Selon  l'usage  des  rois 
Scandinaves ,  qui  avaient  coutume  de  construire  leurs  châteaux  sur  les 
promontoires,  pour  pouvoir  protéger  plus  facilement  leur  pays  contre  les 
incursions  des  ennemis  venant  du  côté  de  la  mer ,  Surtur  réside  aussi , 
non  dans  l'intérieur  des  terres ,  mais  à  l'abord  de  son  Empire.  Il  défend 
son  pays  avec  son  éi^éejlamba^ite^  c'est-à-dire  avec  les  flammes  du  Séjour 
du  Feu.  Aussi,  dans  la  poésie  skaldique ,  \e  mot  Jtamîne  et  ses  syno- 


474  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

nynies  sont-ils  des  expressions  poétiques  pour  désigner  Vépée.  Noirci 
(Surtur  p.  Svartus)  est  la  personnification  du  feu ,  considéré,  non  comme 
la  source  de  la  lumière  et  de  la  chaleur  agréables  et  bienfaisantes  ,  mais 
du  feu  brûlant  et  destructeur.  Aussi  Surtur  n'est-il  pas  un  bon  Génie  ou 
un  Alfe  de  lumière,  mais  un  lotne  (v.  p.  166);  lui  et  ses  Compagnons 
sont  les  Ennemis  des  Dieux  et  des  Hommes;  et ,  de  même  que,  d'après 
l'Eschatologie  des  Hindous  et  des  Perses ,  la  terre  sera  brûlée ,  à  la  fin 
des  siècles ,  de  même ,  Surtur  viendra ,  au  Crépuscule-des-Grandeurs 
(voy.  N"  48),  brûler  le  ciel  et  la  terre,  comme  Agnis  (Feu  ;  lat.  ignis)  ou 
Kalas  (Effrayant  ;  cf.  Hel,  p.  1 03)  dans  la  Mythologie  sanscrite ,  ou  comme 
Dush-ak  (Mal-portant)  dans  la  Mythologie  perse.  C'est  à  son  rôle  de 
Destructeur  du  monde,  que  se  rapporte  le  nom  de  Musjnll  (p.  mûd- 
spildir) ,  qui ,  dans  l'origine ,  était  un  nom  épithétique  de  Surtur  et  signi- 
fiait précisément  Destructeur  du  Monde.  Dans  la  Mythologie  hindoue , 
Çivas  ou  Kalas ,  qui  dévorera  le  Monde ,  à  la  fin  des  siècles ,  porte  aussi 
le  nom  épithétique  de  Mangeur  du  Monde  (sansc.  DJagad-bakcha- 
kas).  Le  nom  propre  de  Muspill ,  donné  à  la  personnification  mytholo- 
gique du  Feu ,  considéré  comme  le  destructeur  du  monde,  est  devenu ,  chez 
les  Germains  convertis  au  Christianisme,  un  nom  abstrait  pour  désigner 
la  Fin  du  monde  ou  le  Jugement  dernier  (cf.  Muspilli). 

(9)  LE  MONDE  AVANT  LES  THURSES-GIVREUX. 

l  30.  La  Matière  morte  est  vivifiée.  —  La  Mythologie  Scandinave  ayant, 
dans  sa  Théogonie ,  rattaché  Odinn ,  par  son  origine ,  à  la  race  des 
Timrses-Givreuoc ,  elle  avait  ensuite  à  expliquer  comment  ceux-ci,  qui 
étaient  des  Êtres  anthropomorphes  et  doués  de  vie,  sont  provenus  de  la 
Matière  primitivement  morte  et  inerte.  Pour  répondre  à  cette  question , 
un  mythe  titanogonique  fut  imaginé.  Ce  mythe  était  peu  explicite,  comme 
le  sont,  en  général,  la  plupart  des  anciens  mythes  théogoniques ,  titano- 
goniques  et  cosmogoniques.  Aussi  se  trouve-t-il  exprimé,  sous  une  forme 
extrêmement  concise,  dans  deux  vers  du  poëme  eddique  intitulé  Les  Dits 
de  Vaflhrûdnir,  que  5?io7T2  cite ,  et  qui  lui  servent  de  document  mytho- 
logique ,  qu'il  explique  ou  commente  à  sa  manière.  Après  avoir  fait  de- 
mander par  Piétoîuieur .,  comment  c'était  arrangé  (c'est-à-dire  quel 
était  l'état  du  Monde)  avant  que  les  Races  (c'est-à-dire  les  races  pri- 
mitives., ou  les  races  des  Thurses-Givreux)  eurent  pris  naissance., 
Snorri  met  dans  la  bouche  des  trois  Répondants  l'explication  des  données 
peu  explicites  de  cet  ancien  mythe  titanogonique.  Selon  lui ,  les  Eaux  ve- 
nimeuses des  Vagues-  Tempétueuses^  en  s'éloignant  de  leur  source,  ge- 
lèrent de  plus  en  plus,  ou,  comme  il  s'exprime,  le  ferment  venimeux 
liquide  qui  s'y  trouvait,  s'endurcit*,  et,  ainsi  mêlées  de  glaçons,  elles 
se  jetèrent  toutes  para//è/e/?zewi;  et  dans  la  direction  du  sud-est,  dans  le 

(1)  Toutes  les  éditions  du  G ylfa- Ginning ,  même  la  dernière  édition  de  Copenhague , 
1848,  font  dire  à  Snorri  que  le  forment  venimeux  liquide  s'endurcit  comme  les 
particules  incandescentes  qui  s'élancent  du  feu.  Cette  comparaison  singulière  ne 
saurait  provenir  de  Snorri.  D'abord  cet  auteur  n'aurait  pas  eu  besoin  de  se  servir  d'une 
comparaison  quelconque  pour  expliquer  comment  le  ferment  venimeux  liquide  s'en- 
durcit ou  gela.  Tout  le  monde  en  Islande,  où  Snorri  écrivait,  savait  que  les  eaux. 


NUMÉRO  (9)  (page  82)  ;  le  monde  avant  les  thurses-givreux.    i  75 

Ginminga-gap  (qu'il  se  figure  faussement  comme  la  Mer  p?'imitive , 
voy.  p.  179),  de  manière  à  remplir  cette  mer  d'énormes  glaçons.  Ensuite, 
pour  pouvoir  expliquer,  pourquoi  le  premier  Être,  qui  sort  de  ces  gla- 
çons ,  porte  le  nom  de  ThuTse.-givreuæ ,  Snorri  se  figure  que  les  gla- 
çons, s'entrechoquant,  dans  la  Mer  primitive ,  volèrent  en  poussière  et 
retombèrent,  sous  forme  dégivre,  sur  la  surface  de  Ghinunga-ga]). 
Enfin,  la  partie  méridionale  de  cette  Mer  déglace  fut  atteinte  par  les  étin- 
celles qui  jaillissaient  de  Muspill  ;  et  cette  partie ,  vivifiée  par  la  chaleur, 
donna  naissance  au  Thurse-givreux  nommé  Ymîr.  Tel  -est  le  commen- 
taire que  Sno?'7'i  donne  de  ce  mythe  titanogonique.  Nous  croyons  le  com- 
menter plus  exactement  de  la  manière  suivante  : 

La  Matière  venimeuse  primitive ,  renfermée  dans  les  Vagues-Tempé- 
tueuses, en  tombant  de  tous  côtés,  dn  SéJour-B?'umeíiæ ,  au  fond  du 
gouffre  immense  du  Bâillement-des-Mâchoires ,  de  liquide  et  sans  con- 
sistance qu'elle  était ,  y  prit ,  en  gelant  ou  en  se  cristallisant  par  le  froid 
et  par  le  venin ,  qui  était  un  ferment  ou  principe  de  vie  (norr.  kvikia  , 
vivifiant) ,  une  première  forme  arrêtée ,  la  forme  de  glaçons.  Ces  glaçons 
s'amoncelèrent,  les  uns  sur  les  autres ,  dans  l'Abîme,  et  montant  tou- 
jours ,  de  siècle  en  siècle  ,  arrivèrent  enfin  à  une  proximité  telle  du  Sé- 
jour-de-Muspill  (suspendu  au-dessus  de  l'Abîme,  au  bord  méridional  du 
Bâillement-des-Mâchoires) ,  qu'ils  éprouvèrent  l'action  vivifiante  de  la 
chaleur  qui  rayonna  sur  eux  et  les  atteignit ,  de  loin ,  par  les  étincelles 

même  celles  qui  sortent,  toutes  chaudes ,  d'une  source  thermale  comme,  par  exemple , 
le  Geysir,  finissent  par  geler  à  une  certaine  distance  de  la  source ,  par  l'effet  de 
j'évaporation  et  par  la  froidure  de  l'air.  Ensuite,  il  serait  étrange  que,  pour  expliquer 
cette  gelée  qui  est  l'opposé  de  la  chaleur,  Snorri  eût  employé  une  comparaison  ou 
une  image  empruntée  précisément  à  un  phénomène  se  rapportant  au  feu  ou  à  la 
chaleur.  Enfin  ,  il  n'eût  pas  même  été  juste  de  dire  que  les  particules  ignées,  qui 
s'élancent  du  feu,  s'endurcissent ,  puisqu'elles  retombent  plutôt  en  cendres;  et,  si 
ces  étincelles  eussent  été  des  gendarmes,  qui  s'envolent,  par  exemple,  quand  le  fer 
rouge  est  battu,  il  n'eût  pas,  non  plus,  été  convenable  de  dire  que  ces  pailles  de 
fer  ardent  s'endurcissent,  puisqu'on  ne  saurait  les  considérer  comme  ayant  été 
liquides  originairement.  On  pourrait  tout  au  plus  comparer  les  eaux  des  Vagues- 
Tempétueuses  à  la  lave  qui,  liquide  aussi  longtemps  qu'elle  est  incandescente,  se 
durcit  lorsqu'elle  se  refroidit;  mais  il  n'est  pas,  non  plus,  probable  que  Snorri,  en 
parlant  de  l'eau  qui  gèle,  l'ait  comparé  à  la  lave  incandescente  qui  durcit  par  le  re- 
froidissement. Il  résulte  de  cet  examen  qu'on  a  eu  tort  de  mettre  ces  incongruités 
sur  le  compte  de  Snoiri.  Il  est,  au  contraire,  évident  que  les  mots  comme  les  par- 
ticules incandescentes  qui  s'élancent  du  feu  ont  été  déplacés ,  dans  les  manuscrits 
et,  par  suite,  dans  les  éditions ,  et  qu'il  faut  les  mettre  à'ia  place,  où  les  avait  mis 
Snorri  et  où  nous  les  avons  remis  dans  notre  Traduction,  savoir  à  la  fin  de  la  ré- 
ponse de  Troisième.  C'est  seulement  là  que  ces  mots  sont  à  leur  place.  En  effet. 
Troisième  avait  à  expliquer  comment  le  Monde  igné. a  agi  sur  les  glaçons  du  Gin- 
nunga-gap  ,  par  une  action  à  distance,  en  y  lançant  de  loin  des  étincelles;  et,  pour 
expliquer  cette  projection,  il  était  naturel  de  rappeler,  par  une  comparaison  ,  soit  les 
bluettes  qui  s'échappent  du  brasier  d'une  cheminée ,  soit  les  étincelles  ou  gendarmes 
qui  s'envolent,  quand  on  bat  le  fer  rouge,  soit  enfin  les  matières  incandescentes  lan- 
cées au  loin  par  le  cratère  d'un  volcan. 


176  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

jaillissant  de  ce  Monde  i^né.  De  la  partie  ainsi  chauffée  de  cette  masse  de 
glace ,  sortit  le  premier  Etre  vivant  du  monde,  le  géant  Ymir. 

%  31.  Nature ,  Caractère  et  Noms  épithétiques  d'Ymir.  —  En  imagi- 
nant Ymir^  la  Mythologie  s'est  figuré  un  Être  vivant,  qui  tient  l'intermé- 
diaire entre  l'état  primitif  chaotique  du  monde  et  l'état  postérieur  plus 
régulier.  Aussi  Ymir  est-il ,  dans  la  Cosmogonie  norraine ,  le  représen- 
tant de  la  Nature  glaciale  primitive.  Par  son  origine  ou  son  organisation 
grossière  et  par  son  caractère  sauvage ,  il  tient  encore  du  Monde  chaotique 
désordonné  ;  mais ,  par  sa  figure  humaine  et  comme  être  vivant ,  il  appar- 
tient déjà  au  Monde  des  êtres  organisés.  Sa  nature  sauvage  et  son  carac- 
tère grossier  sont  indiqués  symboliquement,  dans  la  Mythologie,  par  sa 
taille  gigantesque  de  Thurse  ou  á'Iotne.  Il  est  la  souche  des  Thurses- 
Givreux  ou  des  lotnes,  et  c'est  pourquoi  il  est  nommé  ,  par  excellence, 
le  Thurse-Givreux  ou  Ylotne.  Son  nom  de  Yiiiir  (Murmurant;  cf.  Omi, 
p.  1 61  ),  qui  semble  être  son  nom  propre  et  être  dérivé  de  Hymir  ou  Gymir, 
exprime  le  bruissement  des  vents  et  des  glaces  dans  le  monde  arctique 
primitif.  Son  autre  nom  de  Or-Gelmir  (Très-Bruyant),  qui  est  seulement 
un  nom  épithétique,  indique  que  ce  géant  est,  en  quelque  sorte,  la  per- 
sonnification et  le  dédoublement  du  Bassin-Bintyant  (norr.  Hver-Gel- 
mir).  Il  est  encore  surnommé  Brimir  {Frémissant  de  froid) ,  et  Blâinn 
{Bleui  de  froid) ,  parce  qu'il  représente  la  période  glaciale  ou  primitive  de 
la  création. 

l  32.  Époque  glaciale  du  Monde  primitif.  —  Si  l'on  entend  par  Créa- 
tion ,  seulement  la  formation  de  notre  système  solaire ,  la  Science  de  nos 
jours  (se  figurant  la  Terre  comme  une  matière  qui,  fluide  dans  l'origine , 
s'est  détachée  du  Soleil) ,  doit  rejeter,  comme  contraire  à  la  nature  des 
choses,  ridée  de  l'état  primitif  ^'/acm/  de  notre  planète,  et  y  substituer, 
comme  plus  conforme  à  la  vérité  ,  l'hypothèse  de  son  état  primitif  «^we. 
Cependant  on  conçoit  que  l'idée  de  l'état  glacial  du  monde  primitif  a  dû 
se  présenter,  avec  une  grande  probabilité,  à  l'esprit  des  Scandinaves. 
C'est  que ,  vivant ,  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année ,  au  milieu  des 
phénomènes  de  la  Nature  hivernale ,  ils  sentaient ,  mieux  que  les  peuples 
méridionaux,  la  différence  entre  l'Été  et  l'Hiver.  L'Été  leur  semblait  être 
la  vie,  l'ordre,  la  beauté,  tandis  que  l'hiver  ressemblait  à  la  mort,  au 
désordre,  au  Néant.  Or,  l'idée  de  la  formation  des  choses,  ou  de  la 
Création ,  implique  que  la  vie  soit  sortie  du  néant,  et  que ,  par  conséquent, 
le  Néant,  l'Hiver  ou  la  Période  hivernale  du  Monde  primitif,  ait  précédé 
la  Période  printanière  ou  la  Naissance  des  êtres  de  la  création.  Delà, 
chez  les  Scandinaves ,  l'idée  que  la  Nuit  engendre  le  Jour ,  et  que  l'Hiver 
produit  le  Printemps.  Si,  au  point  de  vue  de  la  Cosmogonie  norraine, 
la  conception  d'un  monde  glacial  primitif  a  du  moins  quelque  chose  de 
plausible ,  il  n'en  est  pas  de  même ,  au  point  de  vue  de  la  Science ,  de 
l'hypothèse  admise  par  quelques  géologues,  d'après  laquelle,  à  la  fin  de 
la  dernière  période  de  l'époque  tertiaire  ,  c'est-à-dire  au  commencement 
de  la  période  géologique  actuelle ,  un  froid  terrible  serait  survenu  subi- 
tement dans  toutes  les  parties  de  notre  globe  et  aurait  causé  la  destruc- 
tion entière  de  la  race  animale  primitive.  Sans  doute ,  dans  le  monde 
primitif,  il  y  a  eu ,  de  temps  à  autre,  des  hivers  rigoureux,  de  grandes 


NUMÉRO  (10)  (page  82)  ;  ymir  n'est  pas  un  dieu.  177 

neiges  ou  de  grandes  inondations  au  printemps  ;  il  est  aussi  incontestable 
que ,  dans  la  période  qui  a  précédé  la  période  actuelle ,  il  y  a  eu  un  bien 
plus  grand  nombre  de  glaciers ,  et  de  glaciers  plus  élevés  dans  les  mon- 
tagnes qu'aujourd'hui  ;  des  rocs  encastrés  dans  la  glace  ont  roulé  dans  la 
vallée ,  et  les  glaçons  renfermant  ces  rocs  ont  été ,  par  les  inondations , 
charriés  bien  loin ,  même  au  delà  des  mers ,  et  ont  déposé,  dans  des  con- 
trées lointaines ,  ces  rocs  appelés  blocs  erratiques.  Mais  tout  cela  s'ex- 
plique ,  sans  qu'on  ait  besoin  de  recourir  à  l'hypothèse  gratuite  de  l'ir- 
ruption sîtbite  d'un  froid  général  qui  aurait  détruit ,  en  un  instant  donné, 
sur  notre  globe ,  toute  vie  organique.  On  a  cru  devoir  déduire  cette  hy- 
pothèse des  découvertes  faites  ^  au  siècle  dernier ,  de  l'éléphant  du  Lena 
et  du  rhinocéros  du  Wilhoui.  Mais  ces  découvertes  établissent  seulement 
que  ces  animaux ,  qui  appartenaient  déjà  aux  régions  septentrionales 
(comme  le  prouvent  leurs  fourrures),  ont  été  entraînés  par  les  eaux 
boueuses  des  glaciers ,  et  sont  enfin  restés  enfermés  dans  un  massif  de 
boue  gelée.  L'hypothèse  d'un  froid  subit  et  universel  ne  reposant  sur 
aucun  fait  géologique  positif,  il  est  inutile  de  prouver  que  les  hypothèses 
qu'on  a  appelées  subsidiairement  à  son  secours,  pour  expliquer  \^ possi- 
bilité d'un  tel  changement  subit  (comme,  par  exemple,  l'évaporation  à  la 
suite  d'un  soulèvement  de  montagnes,  ou  le  climat  de  la  terre  interverti 
par  le  choc  d'une  comète),  ne  portent  guère  des  caractères  suffisants  de 
probabilité.  En  résumé ,  l'idée  d'une  époque  glaciale ,  par  laquelle  aurait 
passé  notre  Terre ,  au  commencement  de  la  période  géologique  actuelle, 
ne  semble  pas  pouvoir  se  maintenir  dans  le  domaine  de  la  Science  posi- 
tive, et  ne  saurait,  du  reste,  confirmer,  en  aucune  façon,  le  mythe  Scan- 
dinave du  Monde  glacial  primitif. 

(10)  YMlR  PÈRE  DES  THURSES-GIVREUX. 

g  33.  Ymir  n'est  pas  un  dieu,  —  Les  hommes  primitifs  n'adoraient  des 
divinités  que  parce  qu'ils  voyaient  en  elles  des  Puissances  surhumaines , 
capables  de  les  protéger  contre  les  maux ,  ou  de  leur  procurer  certains 
avantages.  L'adoration  s'adressait  donc  aux  Divinités ,  en  leur  qualité  de 
Protectrices  et  de  Bienfaitrices.  Plus  tard ,  à  côté  des  Divinités  protec- 
trices et  bienfaisantes ,  on  conçut  également  des  Êtres  surhumains  mal- 
faisants ,  qui  passaient  pour  être  les  ennemis  des  Dieux ,  de»  Hommes  et 
du  Monde.  Ceux ,  parmi  les  hommes  primitifs,  qui ,  dans  les  circonstances 
où  ils  vivaient,  éprouvaient  bien  plus  souvent,  et  d'une  manière  plus  sen- 
sible ,  les  bienfaits  que  les  malheurs  causés  par  la  Nature ,  étaient  aussi 
naturellement  portés  à  attribuer  aux  Divinités  une  puissance  plus  grande 
qu'aux  Démons,  leurs  ennemis.  Se  croyant,  dès  lors,  suffisamment  pro- 
tégés contre  les  Démons  par  la  puissance  supérieure  des  Divinités ,  ils 
invoquaient  uniquement  celles-ci,  et  nejugeaient  pas  nécessaire  d'adorer 
également  ceux-là.  Mais  celles  parmi  les  tribus  primitives  qui ,  dans  les 
circonstances  où  elles  étaient  placées ,  éprouvaient  plus  souvent  et  d'une 
manière  plus  sensible  pour  elles  ,  les  maux  que  les  bienfaits  de  la  Na- 
ture ,  étaient  aussi  portées  à  attribuer  aux  Démons  une  puissance  supé- 
rieure à  celle  des  Divinités  ;  et  comme ,  dans  l'origine ,  un  Être  réputé 
surhumain  passait  pour  adorable ,  non  à  cause  de  sa  bonté  morale , 

12 


1  78  COJfMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

mais  uniquement  à  cause  de  sa  jmissance  surhumaine,  il  arriva  que,  chez 
plusieurs  de  ces  tribus  primitives,  l'adoration  des  Démons  prit  la  place 
de  l'adoration  des  Divinités.  Les  tribus  de  race  scythe  n'adoraient  que 
les  Divinités.  Les  Démons ,  c'est-à-dire  les  Turses  et  les  Itunes,  passaient 
pour  des  Êtres  surhumains  ,  mais  ils  n'étaient  pas  adorés.  Plus  tard , 
dans  la  Théogonie  des  peuples  de  la  branche  gète  {\oy.  p.  166),  les  Dieux 
furent  rattachés ,  par  leur  origine ,  aux  Démons ,  et  placés ,  sous  le  rapport 
généalogique,  après  eux,  bien  que,  chronologiquement,  ils  aient  été 
conçus  et  aient  existé ,  dans  la  Mythologie ,  avant  eux.  De  la  même  ma- 
nière, Ymir,  qui,  plus  tard,  dans  la  Cosmogonie  des  Scandinaves ,  fut 
conçu  après  les  Thurses-Givreux ,  fut  placé  ,  sous  le  rapport  généalo- 
gique ,  avant  eux,  et  fut  considéré  comme  leur  souche.  Ayant  été  conçu  seu- 
lement comme  Être  cosmogonique,  et,  par  conséquent,  n'appartenant  pas 
à  la  religion  populaire ,  mais  seulement  à  la  spéculation  religieuse  ou 
mythique,  Ymir  n'était  pas  adoré;  et,  c'est  pourquoi,  Snorri  a  raison 
de  faire  dire  par  Sublime  que  ce  géant  n'était  pas  un  dieu.  Mais  cet  au- 
teur confond  le  point  de  vue  religieux  chrétien  avec  le  point  de  vue  reli- 
gieux du  paganisme,  lorsque,  pour  prouver  que  Ymir  n'était  pas  un  dieu , 
il  rappelle  qu'il  était  méchant.  Certes ,  au  point  de  vue  chrétien ,  d'après 
lequel  l'idée  de  Dieu  implique  celle  de  perfection  absolue ,  un  dieu  mé- 
chant est  une  contradiction  dans  les  termes  ;  mais ,  dans  les  religions 
polythéistes  populaires,  où  les  divinités  étaient  adorées,  non  à  cause  de 
leurs  qualités  morales ,  mais  pour  la  puissance  surhumaine  qu'on  leur 
supposait,  un  dieu  méchant,  pourvu  qu'il  fut  considéré  comme  doué 
•d'une  puissance  surhumaine ,  avait  tout  aussi  bien  le  caractère  distinctif 
divin  qu'un  dieu  bon  et  bienveillant. 

§  34.  La  Génération  spontanée  et  l' immutabilité  des  espèces.  —  Le 
principe  ex  nihilo  nihil  est  également  vrai  en  physique  et  en  métaphy- 
sique. La  Matière  existant  de  tout  temps  (voy.  p.  165),  toute  formation 
nouvelle  n'est  qu'agglomération  dans  les  êtres  inorganiques ,  et  agglomé- 
ration avec  métamorphose  pour  les  êtres  organiques.  Les  corps  inorga- 
niques se  fractionnent  en  parties  matérielles  similaires  ;  et  les  espèces 
organisées  se  dédoublent  en  individus  semblables  les  uns  aux  autres. 
Dans  la  nature  organique  il  ne  naît  et  il  n'existe  réellement  que  des  in- 
dividus; l'espèce,  n'existant  pas  comme  individu  physique,  existe  ce- 
pendant logiquement,  c'est-à-dire  qu'elle  a  sa  vérité  comme  notion, 
désignant  des  individus  semblables.  Or,  la  Nature  ne  produit  et  ne  sau- 
rait produire  des  individus  absolument  semblables  ;  elle  ne  produit  réel- 
lement que  des  individus  à  peu  près  semblables.  C'est  pourquoi ,  en  lo- 
gique ,  si  l'on  ramène  la  notion  d'espèce  à  une  exactitude  absolue ,  on 
la  réduit  forcément  à  la  notion  ({'individu,  qui,  cependant,  semble  lui 
être  opposée;  et,  dans  la  nature  réelle,  en  prenant  les  choses  rigoureu- 
sement ,  comme  aucun  individu  n'est  absolument  semblable  à  l'autre , 
chaque  individu  est,  proprement,  sui  generis,  et  forme  une  individua- 
lité ,  une  espèce  à  part.  L'espèce ,  dans  la  pensée  et  dans  la  réalité ,  n'a 
donc  pas  de  limites  qui  soient  rigoureusement  déterminées  par  la  nature 
des  choses;  elle  est  ^laturelletnent ^flottante.  Le  principe  ex  similibus 
similia,  s'il  est  bien  compris,  signifie  que  d'un  individu  en  provient  un 


NUMÉRO  (iO)  (page  82)  ;  la  génération  spontanée.        179 

autre  à  peu  près  semblable  ,  et  généralement  le  pins  semblable  possi- 
ble ;  de  sorte  qu'il  est  vrai  de  dire  que,  de  tous  les  individus  de  la  nature, 
ceux  qui  proviennent  les  uns  des  autres ,  ou  qui  sortent  ensemble  d'une 
même  souche,  sont  les  plus  semblables  entre  eux,  et  méritent  le  plus  d'être 
considérés  comme  formant  ce  qu'on  appelle  une  espèce.  Cependant  nous 
aflSrmons  d'une  manière  absolueles  deux  thèses  suivantes  :  1°  il  n'y  a  pas 
deux  individus  absolument  semblables  l'un  à  l'autre  ;  2°  nul  individu  n'en 
produit  un  autre  qui  lui  soit  absolument  semblable.  Ajoutons  à  ces  deux 
thèses  que  dans  le  monde  physique  et  dans  le  monde  métaphysique,  la 
vie  c'est  le  mouvement,  et  que  le  mouvement  implique  nécessairement  le 
changement.  Tout  ce  qui  vit  et,  par  conséquent ,  tout  individu  ,  subit 
des  changements  ;  et  comme  les  changements  de  la  nature  physique  et 
métaphysique  se  transmettent  par  la  génération  d'un  individu  à  l'autre, 
il  s'opère  nécessairement,  dans  la  suite  des  générations  ou  dans  l'espèce, 
un  flux  continu  de  métamorphoses  insensibles.  Vimmutabilité  éternelle 
des  espèces  non-seulement  n'existe  pas ,  elle  est  même  logiquement  et 
physiquement  impossible.  Mais  pourquoi,  dira-t-on,  des  changements 
assez  marqués  dans  l'espèce  ne  se  produisent-ils  point  sous  nos  yeux? 
pourquoi  ne  peuvent-ils  être  constatés  ni  par  expérience  ni  par  expéri- 
mentation? C'est  d'abord  parce  que  les  causes  et  les  conditions  indispen- 
sables pour  produire  les  changements,  bien  qu'elles  existent,  ne  nous  sont 
que  très-imparfaitement  con7iues,  et ,  par  conséquent,  ne  peuvent  pas  être 
mises  en  jeu  par  nous,  en  vue  d'une  expérimentation.  Ensuite  les  modifi- 
cations physiologiques  assez  marquantes  ne  se  produisent  pas  instantané- 
ment ou  dans  un  court  espace  de  temps ,  comme  les  modifications  phy- 
siques, amenées  par  des  combinaisons  chimiques;  elles  se  réalisent  in- 
sensiblement et  lentement  par  l'action  séculaire  des  mêmes  causes,  et  ne 
sauraient,  par  conséquent ,  non  plus,  être  soumises  à  l'expérimentation. 
Cette  action  insensible,  mais  continue,  embrassant  une  longue  série  de 
générations ,  il  en  peut  résulter ,  à  la  fin ,  un  changement  tellement  mar- 
quant qu'il  équivaut  à  un  changement  d'une  espèce  dans  l'autre.  Cepen- 
dant il  faut  se  rappeler  :  1»  que  les  changements  partiels  ne  sont  et  ne 
peuvent  être  que  de  très-petits  changements,  et  2°  que ,  la  vie  étant  limi- 
tée pour  chaque  individu ,  les  changements  possibles  dans  le  même  in- 
dividu sont  aussi  très-limités  :  ce  n'est  donc  pas  l'individu  d'une  espèce 
qui  peut  se  transformer,  comme  par  un  miracle,  en  un  individu  d'une  espèce 
très-différente;  mais  la  vie  se  renouvelant  dans  la  succession  des  généra- 
tions d'une  même  race,  et  chaque  génération  recevant  les  modifications 
héréditaires  et  les  transmettant  avec  celles  qu'elle  a  subies  elle-même,  le 
changement  d'une  race  inférieure  en  une  espèce  supérieure,  devient  non- 
seulement  possible  avec  le  temps ,  mais  doit  même  s'effectuer  réellement 
et  nécessairement  dans  un  temps  donné.  Conclusion  :  Les  espèces  qui  ne 
sont  pas  réductibles  les  unes  dans  les  autres,  sont  donc  seules  des  es- 
pèces primitives  et  des  tyjyes  originaux. 

Les  Mythologies  anciennes  (qui ,  comme  toutes  les  religions,  ne  renfer- 
maient, originairement,  que  des  croyances  et  des  théories,  et  n'ont 
admis  Aes  fictions  que  lorsqu'elles  se  furent  associées  ,  plus  tard,  à  la 
Poésie),  croient  toutes  'fà  la  génération  spontanée.,  sans  préexistence 


180  COMMKNTAIUE  CIUTIQUE  PERPÉTUEL. 

d'aucun  germe  ;  â"  à  la  génération  miraculeuse ,  en  dehors  du  mode  na- 
turel,  et  3°  à  la  métamorphose  magique  ou  au  changement  instantané 
d'un  individu  d'une  espèce  en  un  individu  d'une  autre  espèce.  La  Science 
nie  1°  la  génération  sans  germe,  2°  la  génération  miraculeuse,  et  3°  la 
métamorphose  magique;  mais  elle  aflSrme  positivement  la  métamor- 
phose naturelle  des  espèces. 

"i  35.  Comment  Ymir  engendre  les  Parents  des  Thurses-Givreux.  — 
Les  Vagues- Tempétueuses  tombant,  du  Séjour-Brumeux ,  au  nord  du 
Bâillement-des-Mâchoires ,  dans  ce  gouffre  immense,  le  remplirent  à  la 
fin,  et  en  firent  un  Océan  de  glace.  De  la  partie  méridionale  de  cet  Océan 
de  glace,  la  plus  proche  du  séjour  de  Gâte-Monde,  naquit,  par  une 
génération  spontanée ,  le  géant  Ymir.  En  supposant  qu'à  la  naissance  de 
ce  géant ,  la  tête  sortit ,  la  première,  de  la  glace ,  puis  le  reste  du  corps, 
il  s'ensuit  que  la  tête  était  dirigée  au  Sud ,  et  les  pieds ,  au  Nord  de  l'Abîme. 
Le  bras  droit  du  géant  était  donc  étendu  vers  l'Est,  et  le  bras  gauche  vers 
l'Occident.  Ymir,  bien  que  vivant  et  anthropomorphe,  était  une  masse 
de  glace  inerte,  couchée  dans  la  partie  méridionale  de  l'Océan  glacial 
primitif.  La  Mythologie  avait  à  expliquer  comment  cette  masse  vivante, 
mais  inerte,  a  pu  engendrer  les  Thurses-Givreux.  Elle  aurait  pu  imagi- 
ner une  Géante,  née  de  la  même  manière  que  Ymir,  et  avec  laquelle  il  les 
eût  engendrés.  Mais  voulant  indiquer  que  ce  géant  n'est  encore  qu'une 
force  primitive  de  la  Nature ,  elle  suppose  qu'il  n'a  pas  engendré  avec 
volonté  ,  à  la  façon  des  êtres  organisés,  mais  qu'il  a  seulement  produit 
involontairement ,  comme  toute  force  dans  la  Nature.  C'est  pourquoi  la 
Mythologie  représente  les  Thurses-Givreux  comme  les  produits  spon- 
tanés et  miraculeux  d'une  émanation  involontaire,  ou,  comme  elle  dit, 
d'une  sueur  (transpiration ,  exhalaison) ,  qui  prit  à  Ymir,  lorsque ,  couché 
sur  le  dos,  il  dormait,  les  pieds  tournés  vers  le  Nord,  et  le  bras  droit  vers 
l'Orient.  Or,  la  chaleur  étant  la  plus  forte  à  l'extrémité  du  bras  droit 
étendu  vers  le  Séjour  de  Muspill ,  c'est  sous  la  main  droite  (c'est-à-dire 
sous  la  main  par  excellence ,  appelée  simplement ,  dans  la  strophe  des 
Dits  de  Vafthrudnir ,  la  main).,  que  naquirent  un  Garçon  et  une  Fille, 
qui ,  sans  doute,  devinrent  la  souche  d'une  première  race  moins  rude  , 
de  la  race  des  lotnes,  établie  plus  tard  à  V  Est  de  la  terre.  Les  pieds ,  tournés 
vers  le  Nord,  engendrèrent ,  l'un  avec  l'autre,  d'après  un  mode  miracu- 
leux et  grossier ,  un  Géant  (sans  doute  Thrûdgelmir) ,  qui  avait  le  ca- 
ractère sauvage  de  son  père ,  et  devint  la  souche  de  la  race  féroce  des 
Thurses-Givreux ,  établis  plus  tard  au  Nord  de  la  terre.  D'après  une 
conception  analogue ,  quant  à  l'image  ,  mais  différente  quant  au  sens ,  il 
est  dit,  dans  un  mythe  hindou ,  que ,  du  pouce  de  la  main  droite  de  Brah- 
mas  naquit  Dakchas  (Droit),  de  sa  bouche  naquit  le  Brahmane  (Prêtre), 
de  ses  bras ,  le  Kchatryas  (Guerrier) ,  de  ses  cuisses ,  le  Vaiçyas  (Bour- 
geois) et  de  ses  pieds,  le  Coudras  (esclave).  Comme,  du  temps  de  Snorri., 
la  tradition  populaire  connaissait  bien  V Enclos-Extérieur  (norr.  Ut- 
gardr)  ou  le  Séjour  de  l^oki ,  elle  a  confondu  cet  Enclos  avec  le 
Séjour  des  Thurses-Givreux  au  Nord  ;  et,  comme  cet  Enclos  était  placé 
à  V Ouest  de  la  terre,  Snorri  en  a  ,  sans  doute  ,  conclu  que  les  Hrim- 
thurses,  qu'il  confondait  avec  les  Compagnons  de  Loki,  étaient  établis  à 


NUMÉRO  (II)  (page  82);  LA  VACHE  AUDHUMLA.        181 

VOuesl  et  qu'ils  étaient  nés  sous  la  main  gauche  du  géant  Ymir.  C'est 
pourquoi  il  fait  dire  par  Troisième  ^  que  c'est  sous  la  main  gauche  que 
naquirent  un  Homme  et  une  Femme. 

(1  1)  LA  VACHE  AUDHUMLA. 

g  36.  Le  nom  de  la  vache  Audhumla.  —  D'après  les  conceptions  cos- 
mogoniques  des  Scandinaves,  l'état  primitif  du  Monde  glacial ,  représenté 
par  Ymir,  avait  une  longue  durée.  C'est  pourquoi  la  Mythologie  énonçait 
que  ce  Géant,  pour  subsister  pendant  si  longtemps,  a  eu  besoin  de  se 
nourrir;  et  elle  avait  à  indiquer  de  quelle  manière  il  se  nourrissait.  Or,  à 
l'époque  où  ce  mythe  s'est  formé,  les  Scandinaves  vivaient  encore,  comme 
leurs  pères ,  en  grande  partie  de  lait ,  de  miel  sauvage ,  et  de  miellat,  c'est- 
à-dire  d'une  exsudation  sucrée  qui ,  pendant  l'été,  couvre  certains  végé- 
taux. Déjà,  à  une  époque  très-ancienne ,  le  laitei  le  miel  étaient  devenus, 
dans  les  Mythologies  iafétiques,  les  symboles  de  la  nourriture -^  et,  comme 
conséquence  de  cette  idée ,  la  vache  et  \ abeille  devinrent  également  les 
symboles  de  la  nourrice.  Mais  chez  les  peuples  pasiewr-s,  comme  l'étaient 
encore ,  à  cette  époque ,  les  Scandinaves ,  la  vache  était  naturellement  la 
nourrice  par  excellence  ;  et  c'est  pourquoi  le  mythe  a  dû  énoncer  que  Ymir 
était  nourri  par  une  vache.  Cependant  comme  l'abeille  était  également 
le  symbole  de  la  nourrice ,  l'abeille  et  la  vache  pouvaient  aussi  échanger 
entre  elles  leurs  noms  dans  la  tradition  mythologique;  et,  par  conséquent^ 
la  vache  put  porter  un  nom  qui  appartenait  plus  particulièrement  à  l'a- 
beille. Or,  chez  les  peuples  de  la  branche  gète,  l'abeille,  à  cause  de  son 
bourdonnement ,  portait  le  nom  masculin  de  humai  (bourdon  ;  v.  ail. 
hummel)  et  plus  particulièrement  le  nom  féminin  de  humla  (bourdonne). 
Le  mot  masculin  hummel  devint  même ,  en  vieux  haut  allemand ,  un  nom 
commun  pour  désigner  le  taureau  ;  et  il  est  probable  que  le  nom  du  roi 
Humbl,  dont  parle  Snorri  dans  son  histoire  (cf.  Jornandes  :  Halmal  au 
lieu  de  Hamal).,  avait  la  même  signification  que  le  nom  allemand  hum- 
mel (taureau).  Le  monde  primitif,  où  vivait  Ymir,  étant,  comme  les  con- 
trées ariitiques,  une  solitude  nue  et  déserte (norr.  audr;y.  ail.  œdi)^  la 
vache  primitive  gigantesque,  qui  nourrissait  ce  Géant,  eut  le  nom  de 
Bourdonne  du  Désert  (norr.  Aud-humla).  Semblable  à  la  génisse  mer- 
veilleuse ,  Kâmaduh  (A  traire  à  souhait) ,  de  la  Mythologie  hindoue , 
Audhumla  produit,  avec  une  abondance  inépuisable,  le  lait  qui  coule  , 
comme  des  fleuves ,  de  ses  quatre  trayons. 

g  37.  Origine  de  la  vache  Audhumla.  —  Les  mythes  sont,  originaire- 
ment, très-peu  explicites,  et  ont  une  forme  extrêmement  concise;  ce  n'est 
que,  dans  la  suite,  lorsque  la  poésie  épique  s'en  empara,  qu'ils  devien- 
nent plus  explicites  et  plus  détaillés.  Dans  l'origine  ,  il  n'existe  pas  d'en- 
semble systématique  dans  la  Mythologie;  il  n'y  a  que  des  mythes  détachés 
qui  n'expriment,  chacun,  qu'une  seule  intuition,  ou  vue  théorique,  qui  se 
forment,  tous,  indépendamment  les  uns  des  autres,  et  ne  prennent  aucun 
soin  de  se  mettre  en  harmonie  logique  ou  historique  les  uns  avec  les  au- 
tres. De  là  ces  contradictions  qu'on  remarque  entre  les  mythes ,  auxquels 
la  poésie  et  la  science  philosopiiique  n'ont  pas  encore  touché,  et  qu'elles 
n'ont  pas  encore  réduiis  en  un  ensemble  plus  nu  moins  systématique.  De 


182  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

là  encore  ces  lacunes  nombreuses  laissées  dans  toutes  les  questions  théo- 
riques traitées  dans  les  mythes.  C'est  ainsi ,  par  exemple ,  que  le  mythe  qui 
parle  de  la  vache  Audkumla ,  n'est  nullement  préoccupé  de  la  question  de 
savoir  comment  a  pu  naître  cette  vache.  Si  jamais  cette  question  a  été 
posée ,  comment  y  aurait-on  répondu  ?  Ordinairement  les  animaux  mer- 
veilleux qui  figurent  dans  les  mythologies ,  comme ,  par  exemple ,  la  vache 
Kâmaduh,  doivent  leur  origine  à  un  acte  de  magie.  Mais  cette  origine  n'est 
pas  admissible ,  par  rapport  à  Judhumla ,  puisque  cette  vache  naît  à  une 
époque  où  il  n'existait  encore  d'autre  être  qu'ymeV^  et  que  ce  Géant  n'est 
pas  représenté ,  dans  la  Cosmogonie ,  comme  un  magicien.  Si  l'on  veut 
avoir  une  réponse  à  la  question  sur  l'origine  de  cette  vache,  question  qui, 
probablement ,  n'a  jamais  été  soulevée  ni  traitée  dans  la  Mythologie  Scan- 
dinave, il  faudra,  sans  doute,  se  figurer  que  Judhumla  est  sortie  de 
l'Océan  glacial  primitif,  de  la  même  manière  que  le  géant  Yinir,  dont 
elle  a  été  la  nourrice. 

(12)  BÛRI  ET  SA  RACE. 

I  38.  Naissance  de  Bûri.  —  La  Cosmogonie,  ayant  imaginé  et  considéré 
Ymir  eX  Audhumla  comme  les  Représentants  du  Monde  glacial  primitif, 
avait  aussi  à  montrer  de  quelle  manière  la  race  des  Dieux  se  rattachait , 
par  son  origine ,  à  ces  êtres  primitifs.  A  cet  effet,  il  fallait  relier  la  Théo- 
gonie à  la  Cosmogonie  ;  en  établissant,  par  l'intermédiaire  des  ascendants 
du  Dieu  suprême,  un  rapport  généalogique  entre  les  Thurses-Givreux 
et  les  Jses.  Le  mythe  théogonique ,  d'après  lequel  le  Dieu  suprême , 
Odinn,  était  fds  áeBör  (Burr,  Fils)  ou  áeBuri^  s'était  déjà  formé  chez  les 
tribus  de  la  branche  gète,  environ  vers  l'an  300  avant  notre  ère.  Ce  mythe 
théogonique  se  transmit  aux  Scandinaves,  lesquels  le  rattachèrentau  mythe 
cosmogonique ,  qui  venait  de  se  former  chez  eux ,  au  premier  siècle  en- 
viron de  notre  ère.  Voici  comment  le  rapport  généalogique  fut  conçu  entre 
Ymir  et  Buri.  Odinn  étant  seul  le  Chef  et  la  Souche  de  la  race  divine  , 
son  aïeul  Buri  ne  pouvait  être  considéré  comme  appartenant  déjà  à  la 
race  âsique,  mais  il  devait  être  considéré  comme  se  rattachant  à  une  race 
plus  grossière,  savoir  à  celle  des  Thurses-Givreux.  D'un  autre  côté, 
l'aïeul  à' Odinn  ne  pouvait  pas  être  doué  de  la  même  nature  grossière  que 
Ymir  :  il  devait  être  moins  rude  que  lui  ;  il  devait  être ,  en  quelque 
sorte ,  un  Ïhurse-Givreux  adouci.  Or,  à  l'époque  où  les  Cosmogonies  se 
sont  formées,  les  Anciens  avaient  déjà  entrevu  cette  vérité,  que  l'état 
plus  développé,  plus  parfait  des  êtres  organiques,  suit  Vétiit  rudimentaire 
et  imparfait  (voy.p.  166).  C'est  pourquoi,  dans  la  Cosmogonie  Scandinave, 
Buri  fut  considéré  comme  étant  né  après  Jmir.  En  sa  qualité  de  Thurse- 
Givreux  adotici ,  Buri  ne  pouvait  pas  être  dit  le  fils  d' Ytnir,  pour  ne  pas  lui 
faire  partager  sa  nature  grossière;  il  devait  être  seulement  son  frère  utérin , 
c'est-à-dire  être  né ,  comme  lui ,  de  la  glace  primitive ,  dans  laquelle  il  s'é- 
tait formé  lentement  par  une  génération  spontanée. 

De  même  qu'au  printemps  la  terre  verte  sort  de  dessous  la  neige  et  la 
glace  qui  l'avaient  couverte  et  ensevelie,  de  même  Buri  sortit  de  l'intérieur 
de  la  glace  par  une  éclosion  lente ,  qui ,  par  cette  lenteur  même  ,  indi- 
quait symboliquement  la  nature  plus  parfaite  de  ce  Thurse  adouci.  L'idée 


NUMÉRO  (12)  (page  83);  bûri  et  sa  race.  183 

que  la  \2íÚ\q  Audhumla  fait  éclore  Bari,  en  léckantlQ  rocher  de  glace 
où  il  était  renfermé ,  n'a  pas  de  signification  symbolique ,  mais  est  une 
image  épique^  empruntée  à  un  fait  d'expérience,  savoir  que  les  vaches  , 
les  chamois,  et  les  autres  ruminants ,  ont  l'habitude  de  lécher  le  salpêtre, 
le  nitrate  ou  le  sel  [sulz,  comme  on  dit  en  Suisse) ,  qui  couvrent  quelque- 
fois, soit  des  murailles,  soit  des  rochers,  soit  certains  endroits  d'un  gla- 
cier. Le  mythe  a  donc  comparé  le  glaçon ,  où  Buri  était  renfermé  ,  à  un 
rocher  de  sel  ;  et  cette  comparaison  se  faisait  d'autant  plus  naturellement , 
que  d'abord  la  glace  du  Bâillemeiit-des-Mâchoires  s'était  formée,  comme 
on  croyait,  du  venin  des  Fagues- Tempétueuses ,  et  qu'ensuite,  dans 
l'opinion  populaire,  le  sel  et  le  venin ,  par  suite  de  leur  saveur  acre  et 
piquante ,  étaient  confondus  l'un  avec  l'autre ,  et  désignés ,  par  conséquent, 
l'un  par  le  nom  de  l'autre.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  le  Serpent  ou 
Dragon  qu'on  porte  en  procession  à  Troyes  (voy.  Les  Gèles,  p.  253),  est 
appelé  la  Chair  salée ,  pour  dire  Chair  venimeuse,  ou  Dragon  à  la  chair 
venimeuse.  Le  mythe ,  pour  indiquer  que  Biiri  naquit  longtemps  après 
Yinir,  et  que  sa  naissance  s'est  opérée  lentement,  dit  que  Judhumla, 
pour  faire  sortir  du  rocher  de  glace  Buri,  a  léché  ce  rocher  pendant  trois 
jours  mythologiques ,  c'est-à-dire  pendant  trois  longues  périodes  (cf. 
sansc.  ayanâs ,  course,  année,  période).  Le  dualisme  cosmologique,  qui 
existait  d'abord  entre  le  Séjour -Brumeux  et  le  Séjour  de  Muspill^  s'est 
continué  dans  la  nouvelle  antithèse  qui  s'établit  entre  Ymir  et  Buri. 
Buri  est  grand  et  puissant  comme  Ymir.,  mais  il  a  une  organisation 
physique  moins  grossière  et  un  meilleur  naturel.  Il  représente  une  géné- 
ration supérieure  à  la  race  ^tiTlmr  ses- Givreux]  ce  qui  est  déjà  indiqué 
par  son  nom.  Car  le  nom  de  Buri  qui ,  dans  l'origine  et  chez  les  tribus 
de  la  branche  gèle ,  signifiait  Fils  (du  Ciel) ,  fut  confondu  plus  tard , 
chez  les  Scandinaves,  avec  celui  de //liW  (Manant) ;  et  comme,  à  cette 
époque ,  les  Manants  ou  Domiciliés  passaient  pour  une  classe  d'hommes 
supérieure  à  la  classe  des  familles  nomades,  vagabondes  et  sans  domicile, 
le  nom  de  Bûri  .^  dans  le  sens  de  Manant.,  devint  ainsi  un  nom  conve- 
nable pour  désigner  l'Aïeul  de  la  famille  divine  ,  lequel ,  par  opposition 
aux  Thurses-Givreux ,  ces  représentants  du  Monde  primitif  désordonné 
et  sans  lois ,  était  censé  introduire  dans  le  monde  plus  perfectionné ,  d'a- 
bord le  domicile /«376  (norr.  bû,  manoir)  et,  avec  lui,  les  travaux  agri- 
coles ,  l'ordre  social ,  la  loi  morale ,  et  le  culte  des  Dieux.  Pour  les  Scan- 
dinaves ,  comme  pour  d'autres  peuples  de  la  race  iafétique ,  la  beauté 
jihysiqiie  était  l'indice  de  la  bonté  morale.  C'est  pourquoi  le  mythe  rap- 
porte de  Buri  qu'il  était  beau  de  visage  ;  ce  qui  veut  dire  qu'il  n'a  pas 
seulement  une  organisation  physique  moins  grossière  que  celle  des 
Tkurses-Givreux ,  mais  qu'il  a  aussi  un  naturel  meilleur. 

g  39.  Bör  le  père  d'Odinn.  —  Dans  l'origine,  les  rapports  généalogiques 
s'établirent  entre  les  Divinités ,  d'après  le  rapport  de  cause  à  eifet  qu'on 
supposait  exister  entre  les  phénomènes  physiques  ou  les  objets  dont  ces 
divinités  étaient  les  personnifications.  Ainsi,  par  exemple,  le  dieu  Feí<í 
(Vathus,  Othr)  fut  considéré  comme  le  fils  du  dieu  Orage  (Firgunis, 
Kiörgynn) ,  parce  qu'on  supposait  (|ue  le  vent  ^\:á\í produit  par  l'orage. 
Mais  lorsque,  plus  tard ,  les  dieux ,  de  zoomorphes  et  indépendants  l'un 


i84  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

de  l'autre  qu'ils  avaient  été  dans  l'origine ,  devinrent  anthropomorphes  et 
formèrent  une  race  ou  famille  divine,  leurs  qualités  physiques  s'eifacè- 
rent  de  plus  en  plus ,  et,  dès  lors ,  les  rapports  généalogiques  et  les  de- 
grés de  parenté  ne  furent  plus  basés,  comme  antérieurement,  sur  les 
rapports  entre  leurs  qualités  physiques ,  mais  sur  l'importance  plus  ou 
moins  grande  qu'on  accordait  aux  divinités,  pour  des  causes  plus  ou 
moins  extérieures  ou  historiques.  Ainsi ,  par  exemple ,  Odinn  devint  le 
Père  des  Ases,  entre  autres  de  Thôr,  non  parce  que  la  Tempête,  dont 
Odinn  était  originairement  la  personnification ,  passait  pour  être  la  cause 
physique  du  Tonnerre ,  personnifié  dans  Thôr,  mais  il  devint  le  Père  des 
Ases,  parce  qu'on  lui  attribuait  une  plus  grande  importance  qu'aux  autres 
divinités  ;  et  on  lui  attribuait  cette  importance ,  soit  parce  qu'il  était  ori- 
ginairement adoré  par  les  tribus  les  plus  puissantes,  soit  parce  que, 
comme  dieu  des  tempêtes,  il  était  devenu  aussi  dieu  des  combats;  soit, 
enfin,  parce  que,  avant  d'être  père  des  Ases,  il  avait  déjà  été  considéré  comme 
le  Chef  des  dieux ,  ou  comme  le  Dieu  suprême.  Ensuite,  comme  la  généa- 
logie des  dieux  ne  reposait  plus  sur  la  base  immuable  des  rapports  phy- 
siques, mais  sur  la  base  plus  mobile  de  la  hiérarchie  sociale ,  qui  dépen- 
dait de  circonstances  extérieures  et  historiques ,  on  conçoit  que ,  dans  la 
même  Mythologie,  les  rapports  généalogiques  entre  les  Divinités  ont  été 
diversement  déterminés,  selon  que  telle  ou  telle  tribu,  pour  une  cause  ou 
pour  une  autre ,  a  cru  devoir  accorder  une  importance  hiérarchique  su- 
périeure à  telle  ou  telle  divinité.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  les  anciennes 
tribus  Svies  (Svèdes) ,  donnaient  à  leur  dieu  Freyr  ou  Yngvî-Freyr  (p. 
Hâving-vin-Freyr,  Hînk-vin-Freyr,  Hâk-on-Freyr,  c'est-à-dire  Freyr, 
l'Ami  du  Fils  de  Sublime)  la  préférence  sur  Odimi,  et  considéraient ,  par 
conséquent  aussi,  leur  dieu  Freyr,  non  comme  le  fils,  mais  comme  le 
père  ou  l'aïeul  à' Odinn. 

Au  troisième  siècle  avant  notre  ère ,  Vathans  (Odinn)  passait ,  chez  les 
tribus  de  la  branche  gète,  pour  le  Dieu  suprême  et  pour  le  'père  des 
Ases.  Ala  même  époque,  ou  à  peu  près,  la  Théogonie,  qui  allait  se  former, 
et  qui ,  pour  les  raisons  que  nous  avons  indiquées  (voy.  p.  166)^  avait  à 
rattacher  la  race  des  Ases  à  celle  des  Thur  s  es- Givreux,  imagina  que  le 
père  du  Dieu-suprême  était  un  Jils  de  la  famille  des  Thur  ses ,  mais  un 
fils  de  famille  destiné  à  fonder  une  nouvelle  race ,  la  race  des  Ases.  Voilà 
pourquoi  il  eut  le  nom  de  Fils  {norr.  Börr;  cf.  burr;  scy th.  piirus)^  pour 
indiquer  qu'il  était  fils  faisant  souche  ou  l'auteur  d'une  race  difl"érente  de 
la  race  dont  il  était  issu.  C'est  ainsi  que  ,  dans  le  chant  eddique,  intitulé 
Rigs-mâl  (Récit  de  Rig) ,  les  fils  de  larl  (Aigle ,  Comte)  ' ,  le  Représen- 
tant de  la  Noblesse,  ont  tous  des  noms  propres  qui,  au  fond,  ne  signifient 
autre  chose  que/>7s  de  famille.  Comme  Bör  est,  en  quelque  sorte,  un 

{\)Ar,  âri  (messager)  désigne  Vaigle  ;  arl,  irl ,  iarl,  dérivés  de  ar,  signifient  également 
aigle,  aiglon  (cf.  ail.  Yor-arl-berg).  Le  norrain  Iarl  désigne  le  Comte,  sans  doute, 
comme  Envotjé  ou  comme  Messager  (la t.  Missus)  du  Roi.  L,es  Princes  en  tant  que 
combattants  du  Roi  sont  appelés  lofrar  (Sangliers,  v.  §  97),  et  probablement  le  nom 
áe Baron  ne  dérive  pas  du  gothique  rair  (homme),  mais  de  hani  (lat.  catiihis ,  ours, 
V.  p.  159). 


NUMÉRO  (12)  (page  83);   LES  FILS  DE  BÖR.  185 

Thurse-Givreux  adouci,  il  s'allie  à  la  race  des  lotnes  ou  aux  cousins- 
germains  des  Thurses.  Il  épouse,  d'après  le  mythe  théogonique  (voy.  Hâ- 
vamâl,  143),  la  géante  Bil-eysta  (Pousse-Grain),  dont  le  nom  s'est 
changé,  par  corruption,  en  Beystla  (Boursoufflure;  cf.  slave  Bezdea, 
Crépuscule).  Elle  est  la  fille  de  YloineBol-Thorn  (Épine-Malfaisante  ;  it. 
Mala-spina),  et  sans  doute  la  sœur  de  Bileystr,  le  frère  de  Loki;  son 
nom  de  Pousse-Grain,  indique  qu'elle  est  le  symbole  du  tourbillon ,  qui 
pousse  la  tempête  ou  le  grain.  Les  noms  propres  du  Père  et  de  la  Fille, 
n'ont  aucune  signification  symbolique  qui  soit  en  rapport  avec  la  nature 
particulière  des  personnes  auxquelles  ils  sont  donnés  ;  ce  sont  simple- 
ment des  noms  destinés  à  désigner,  d'une  manière  générale,  la  race  iot- 
nique ,  considérée  comme  violente  et  malfaisante.  D'après  les  idées 
répandues  dans  l'Antiquité  et  surtout  chez  les  Scandinaves  ,  c'est  princi- 
palement la  nature  du  père  qui  détermine  le  caractère  ou  les  qualités 
morales  de  la  progéniture ,  tandis  que  la  mère  lui  communique  plus  spé- 
cialement les  qualités  i^hysiqaes.  L'union  de  Bör  avec  une  géante  ne 
porte  donc  pas  préjudice  au  caractère  moral  de  ses  descendants.  Les  fils 
de  Bör  et  de  Beystla  auront  le  caractère  adouci  de  leur  père  presque 
âsique,  et  les  forces  physiques  de  leur  mère  iotnique.  Ce  mythe  théogo- 
nique, ainsi  formé,  se  transmit  des  Gètes  aux  Scandinaves,  et  ceux-ci  le 
mirent  à  la  suite  des  mythes  cosmogoniques  ettitanogoniques,  qui  s'étaient 
formés  chez  eux.  Mais  pour  établir  une  transition  moins  brusque  de  la 
race  thurse  à  la  race  âsique ,  Bör  fut  dédoublé  sous  le  nom  de  Buri,  qui 
devint  ainsi  le  père  de  Bor  et  l'aïeul  d'Odinn. 

g  40.  Les  trois  fils  de  Bor.  —  Chez  les  Scythes ,  le  dieu  suprême  Tivus 
(Ciel),  ayant  été  considéré  aussi  comme  dieu  de  l'orage ,  se  dédoubla  ;  et 
plus  tard ,  le  dieu  de  l'orage ,  sous  le  nom  de  Pirkunis ,  se  constitua 
comme  une  divinité  à  part.  Comme  l'orage  passait  pour  donner  naissance 
à  Pair  (vent),  à  Peau  (pluie)  et  au  feu  (foudre),  il  arriva  que,  chez  les 
peuples  de  la  branche  gète ,  Firgunis  (l'ancien  Pirkunis) ,  fut  envisagé 
non-seulement  comme  dieu  de  l'orage ,  mais  aussi  comme  dieu  de  Pair  , 
de  Peau  et  du  feu.  Il  se  dédoubla  ensuite ,  et  de  ce  dédoublement  se  for- 
mèrent les  trois  personnages  mythologiques ,  Valus  (plus  tard  Othr,  le 
Vent),  Haguiieis  (plus  tard  Hœnir ,  PUtile,  l'Eau),  appelé  aussi  Vili 
(Désiré),  etHlôdurs  (plu^  tard  Hlodurr,  le  Brasier ,  le  Feu) ,  appelé  aussi 
Veihs  (Sacré).  Ces  personnages  ne  devinrent  pas  des  divinités  adorées, 
du  moins ,  sous  ces  noms ,  mais  figurèrent  seulement  dans  les  traditions 
mythologiques  ;  et  comme ,  au  commencement ,  on  reconnaissait  encore 
en  eux  les  représentants  symboliques  des  trois  éléments ,  Pair ,  Peau 
et  le  feu ,  la  tradition  continua  à  les  considérer  comme  trois  Frères.  A 
peu  près  au  troisième  siècle  avant  notre  ère,  Vathans  (appelé  plus  tard 
OiÂmw),  devint  Dieu  suprême,  et  se  substitua  d'abord  à  r/ws,  l'ancien  Tivus 
(plus  tard  Tyr).,  puis  à  Firgunis,  Pancien  Pirkunis  (plus  tard  Fiörgynn) , 
enfin  à  Vâtus  (Vent).  Othinn,  ayant  remplacé  Othr,  la  Trinité  symbolique  se 
composa ,  d'après  la  tradition ,  des  trois  frères  Othinn ,  Hœnir  et  Hlo- 
durr., appelés  aussi  plus  tard  Odinn,  Vili  et  Fe  (l'ancien  Veihs).  Cette 
Trinité  ne  figure,  sous  ces  trois  derniers  noms ,  dans  aucun  documeni 
mythologique  ancien ,  de  ceux ,  du  moins ,  qui  nous  restent.  Bien  qu'elle 


186  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

ait  désigné  symboliquement ,  dans  l'origine,  les  trois  éléments  physiques, 
elle  prit ,  à  la  iin ,  une  signification  métaphysique  et  morale ,  de  sorte 
que  Odinn ,  Vili  et  Vé  ressemblent  presque  à  des  personnages  allégo- 
riques. En  effet ,  dans  cette  Trinité ,  Odinn  (Impétueux)  ne  désigne  plus, 
comme  l'ancien  Othr  (Vent) ,  l'air  agité ,  mais  ce  nom  est  ici  synonyme 
du  mot  ôdi^  (agitation  morale  ou  intellectuelle),  dérivé  de  l'ancien  ôthr,  et 
qui  désigne  V Enthousiasme  et  VEsprit  en  général.  Fili  (Désiré)  n'exprime 
plus  l'Eau  comme  obj  et  désiré  et  accordé  par  la  Divinité  bienveillante , 
l'ennemie  des  Thurses  {Secs)^  mais  ce  nom  désigne,  d'une  manière  ab- 
straite ,  l'idée  ,  ou ,  comme  l'on  dirait ,  l'idéal  du  Bonheur.  Vê  (Sacré) 
ne  désigne  plus  la  pureté  ou  la  sainteté  du  feu ,  mais  ce  nom  désigne , 
d'une  manière  générale ,  la  sainteté  et  la  pureté  du  dieu.  C'est  ainsi  que 
dans  la  période  postérieure  de  la  Mythologie  hindoue ,  Brahmas  (Éner- 
gie) ,  Vichnous  (Pénétration)  et  Çivas  (Animation) ,  ces  dieux  de  la  spé- 
culation théologique ,  se  substituèrent  aux  anciennes  divinités  populaires 
Vayous  (Vent,  Souffle  céleste),  Varounas  (Eaux  célestes)  et  Âgnis 
(Feu  céleste).  Bien  que  le  mythe  théogonique,  d'après  lequel  Odinn,  f^ili 
et  Vê  sont  considérés  comme  Fils  de  Bör,  se  soit  formé  à  une  époque 
où  la  signification  physique  de  cette  Trinité  était  encore  tant  soit  peu 
connue,  toujours  est-il  qu'en  faisant  descendre  de  Bör  ces  trois  frères, 
on  faisait  entièrement  abstraction  de  la  signification  physique  de  ces  trois 
noms.  Car  il  n'y  avait  aucun  rapport  logique  de  descendance  entre  les 
éléments  l'Air,  l'Eau  et  le  Feu  (ou  l'Esprit,  le  Bonheur  et  la  Sainteté), 
d'un  côté,  et  de  l'autre  l'idée  de  Fils,  exprimé  par  le  nom  propre  de  Bör. 
Mais  Odinn  fut  rattaché  à  Bör,  en  sa  qualité  de  Dieu  suprême  ;  et  Vili  et  Vê 
devinrent/í/í  de  Bör ,  uniquement  comme/rères  d'Odi-nn,  déjà  considéré 
comme  Fils  de  Bör.  Dans  cette  généalogie ,  Odinn  est  le  personnage 
principal  ;  aussi  ses  frères  ne  figurent-ils  guère  sous  leur  nom  particulier, 
dans  les  mythes  norrains  ;  ils  figurent^  dans  la  Vision  de  la  Louve,  im- 
plicitement sous  le  nom  commun  de  Fils  de  Bar.  Snorri  reconnaît  cette 
supériorité  (ï  Odinn  sur  ses  frères  ;  et  s'il  appelle  ceux-ci  les  Gouverneurs 
du  monde ,  il  le  fait  uniquement  en  vue  de  leur  qualité  de  frères  A' Odinn, 
qui  est  le  véritable  Gouverneur  du  monde.  Mais  comme,  d'après  son  sys- 
tème evhémériste,  il  ne  pouvait  considérer  V Odinn  du  Nord  (qui,  sous 
ie  nom  de  Sublime,  parle  ici  à  Piétonneur)  comme  identique  avec  l'ancien 
Odinn  qui ,  d'après  la  Mythologie ,  façonna  et  gouverna  le  monde ,  il  fait 
dire  ici  à  Sublime,  que  cet  Odinn  passe  pour  grand,  puissant  et  illustre, 
et  pour  le  Gouverneur  du  monde ,  et  qu'il  mérite,  vu  ses  qualités,  qu'on 
lui  laisse  ce  titre  distingué. 

(13)  LES  TROIS  GÉNÉRATIONS  DE  THURSES-GIVREUX. 

g  41.  Les  Représentants  des  trois  Générations  primitives.  —  Pour 
exprimer  que  l'état  primitif  du  Monde  glacial ,  représenté  par  Ymir  et 
par  sa  race,  fut  de  longue  durée,  la  Cosmogonie  Scandinave  a  imaginé 
trois  générations  de  Thurses-Givreux ,  qui  se  sont  succédé  dans  trois 
périodes  cosmiques.  Ces  trois  générations  sont  représentées ,  la  première 
par  Ymir  (le  Père),  qui ,  comme  chef  de  la  première  génération ,  porte  le 
nom  de  Ör-Gelmir  (Très-Bruyant)  ;  la  seconde,  par  Thrûd-Gelmir  {Vort- 


NUMÉRO  (13)  (page  83);  les  tiiurses-givreux.  187 

Bruyant),  Xç^Jils  ;  et  enfin  la  troisième^  par  Ber-Gelmir  (Rien  que  Bruyant), 
le  petit-fils.  Comme  ces  trois  générations  ne  diffèrent  pas  entre  elles  par 
leur  nature  et  leur  caractère ,  mais  indiquent  seulement  la  continuation 
ou  la  longue  durée  d'un  même  état  de  choses ,  leurs  Représentants  por- 
tent aussi,  tous  les  trois,  le  même  nom  de  Ge/meV (Bruyant) ,  qui  rappelle 
la  nature  primitive  du  Bassin-Bruyant  (voy.  p.  170)  ;  seulement  leurs  trois 
noms  identiques  sont  différenciés  par  les  particules  prépositives  or  (ail. 
ur,  d'origine,  très),  thrûd  {fort) ,  et  ber  (lai.  punis  ;  ail.  bar,  rien  que, 
uniquement) ,  qui  servent  d'abord  à  renforcer  l'idée  générale ,  exprimée 
par  le  nom  de  Gelmir,  et  puis  à  la  spécialiser  quelque  peu.  A  ces  trois 
générations  titanogoniques  de  r/mr5Cs-G/iJ7*ewit;  correspondent  les  trois 
générations  théogoniques  desy^^e^,  représentées  par  Buri  le  père,  Bör 
le  fils ,  et  Odinn  le  petit-fils. 

g  42.  Les  Thurses  Givreux  de  la  première  race  sont  détruits.  —  D'a- 
près l'idée  du  progrès ,  entrevue  dans  les  Cosmogonies  de  l'Antiquité ,  le 
monde  grossier  primitif  doit  faire  place  à  un  ordre  de  choses  plus  parfait. 
C'est  ce  que  la  Mythologie  Scandinave  exprime  en  représentant  les  Fils 
de  Bör  comme  ayant  le  naturel  plus  parfait  de  leur  père  et  les  forces 
physiques  de  leur  mère  iotnique.  Étant  les  égaux  des  Thurses-Givreux 
par  leurs  forces  physiques ,  mais  leur  étant  supérieurs  par  leur  naturel 
plus  parfait,  ils  vaincront  ceux-ci ,  et  établiront  un  nouvel  ordre  de  choses, 
comme ,  d'après  la  Mythologie  grecque ,  les  Olympiens,  ont  détruit  les 
anciens  Titans,  ou  comme ,  d'après  la  Titanogonie  hindoue ,  les  Célestes 
(sansc.  Dêvâs)  ont  renversé  la  domination  des  Non -Célestes  (sansc. 
Asourâs).  La  famille  de  Bör  étant  alliée  à  la  famille  des  Tlmrses-Givreuæ, 
Odinn,  au  commencement,  se  tenait  avec  ceux-ci;  il  passa  sa  jeunesse 
auprès  d'eux,  ou,  comme  dit  Snorri,  ú  était  avec  eux.  Mais  bientôt 
Odinn  et  ses  frères  sont  assez  forts  pour  détruire  la  race  des  TJmrses- 
Givreux.  Dès  lors  Ymir  est  frappé  à  mort,  et  ses  descendants  sont  noyés 
dans  son  sang  ;  ce  qui  signifie  qu'au  Monde  glacial  primitif,  ou  à  ce  long 
et  terrible  Hiver,  qui  a  régné  au  commencement  des  âges  et  qui  devra  se 
reproduire  à  la^w  des  siècles  (cf.  Fimbulvetr) ,  a  succédé  enfin  le  Prin- 
temps cosmique ,  c'est-à-dire  une  période  du  monde  où  le  Géant  de  glace 
Ymir  s'est  fondu,  et  où  son  sang,  c'est-à-dire  les  eaux  qui  provenaient 
de  son  corps,  ont  englouti,  comme  dans  un  déluge,  et  décomposé  tous 
les  autres  Géants  de  glace  ,  ces  enfants  ou  ces  restes  du  Monde  primitif. 

C'est  un  phénomène  digne  de  remarque ,  que  les  Divinités  prennent , 
dans  toutes  les  Cosmogonies  et  Titanogonies  de  l'Antiquité ,  des  propor- 
tions gigantesques  et  des  caractères  grandioses ,  qu'elles  n'ont  pas  dans 
la  Religion  populaire  ni  dans  la  Poésie  épique ,  qui ,  l'une  et  l'autre ,  les 
rapetissent ,  au  contraire ,  de  plus  en  plus ,  au  niveau  des  hommes.  C'est 
ainsi  que  la  Cosmogonie  Scandinave  montre  les  Fils  de  Bör  comme  les 
vainqueurs  des  Thurses-Givreux  et  comme  les  fabricateurs  d'un  monde 
nouveau. 

Le  mythe  cosmologique  a  dû  exprimer  que  la  victoire  des  Ases  sur  les 
Thurses-Givreux  a  été  complète,  au  point  que  toute  la  race  d'rm/r  a 
été  détruite.  Mais  pour  ne  pas  contredire  la  tradition  populaire ,  d'après 
laquelle  les  Thurses-Givreux  existaient  toujours  encore ,  le  mythe  a  du 


188  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

sauver  ou  conserver  la  souche  d'une  nouvelle  race  de  Tliurses,  et,  par 
conséquent ,  admettre  que ,  dans  la  destruction  générale,  une  paire ,  homme 
et  femme  thurses,  savoir  Ber-Gelmir  et  son  Épouse,  ont  échappé  à  la 
destruction.  Le  mythe  a  dû  indiquer,  dans  une  narration  épique ,  de  quelle 
manière  cette  paire  a  pu  se  sauver  dans  le  déluge ,  en  se  réfugiant  sur 
une  outre  remplie  d'air  (norr.  ludr).  Ces  outres  étaient ,  dans  l'Antiquité, 
un  moyen  de  sauvetage  usité  dans  les  naufrages.  Kirkè  en  donna  une  à 
Odysseus  ;  et  Dardanus,  surpris  par  une  inondation  ,  se  plaça  sur  une 
outre  et  navigua  ainsi  depuis  la  Samothrace  jusqu'en  Troade.  Ber-Gelmir 
et  sa  Femme ,  sauvés  ensemble  de  la  destruction,  sont  devenus  la  souche 
de  la  seconde  race  des  Thurses- Givreux ,  désignée  plus  particuliè- 
rement sous  le  nom  de  lotnes.  C'est  pourquoi  l'iotne  FafthrûdJiir  ù'il 
que  son  plus  ancien  souvenir,  c'est-à-dire  la  tradition  la  plus  ancienne, 
concernant  sa  race ,  se  rapporte  à  Ber-Gelmir.  Comme  cependant  la  se- 
conde race  n'est  que  la  continuation  de  la  première,  elle  est  désignée  in- 
différemment sous  les  noms  de  Thurses^  de  Thurses-Givreux  et  de 
lotnes. 

(14)  CRÉATION  DU  MONDE  ACTUEL. 

§  43.  Formation  de  la  Terre.  —  C'est  une  idée  juste ,  déjà  entrevue 
dans  les  Cosmogonies  anciennes,  que  les  différentes  parties  de  l'Uni- 
vers n'en  sont  pour  ainsi  dire  que  les  membres  de  plus  en  plus  spécialisés , 
et  que  les  matières  organiques,  provenant  de  la  décomposition  de  mondes 
primitifs,  ont  servi  à  former  les  mondes  actuels.  C'est  ce  que  le  mythe 
cosmogonique  Scandinave  exprime ,  en  disant  que  les  différentes  parties 
du  monde  actuel  sont  formées  des  membres  du  géant  Ymir  {membra 
disjecti  Titanis).  Le  corps  á'Y?nir,  qui  s'était  formé  et  qui  gisait  au  sud 
de  l'Océan  glacial,  fut  traîné  par  les  Fils  de  Bör  au  milieu  àuBâillement- 
des-Mâchoires  ;  ce  qui  signifie  que  le  monde  actuel ,  c'est-à-dire  le  ciel 
et  la  terre ,  formés  du  corps  du  Géant ,  se  trouvent  placés  aujourd'hui  au 
7iiilieu  de  l'Espace,  entre  le  Séjoiir-de-Muspill ^  au  sud-est,  et  le  Sé- 
jour-Brumeux, au  nord-ouest.  En  partant  ensuite  de  l'idée  que  le  monde 
actuel  est  fait  du  corps  A' Ymir ,  la  Cosmologie  mythique  a  suivi  cette  idée 
dans  tous  ses  détails  ;  et  se  guidant  sur  les  rapports  d'analogie  entre  les 
parties  du  monde  actuel,  qui  est  le  monde  en  grand  (makrokosme)  et  les 
parties  du  corps  humain  ,  qui  est  le  monde  en  petit  (mikrokosme) ,  elle  a 
pu  déterminer  ainsi  quelles  sont  les  parties  du  corps  d' y^/r  qui  ont 
fourni  la  matière  pour  telles  parties  du  monde  créé  actuel.  D'après  une 
analogie  semblable,  le  mythe  hindou,  s'appuyant  sur  les  rapports  de  sub- 
ordination et  d'importance  des  membres  du  corps  humain ,  a  fait  naître 
les  quatre  castes ,  de  la  tête ,  des  bras ,  du  ventre  et  des  pieds  de  Brahmas 
(voy.  p.  180).  D'après  le  mythe  norrain,  la  partie  liquide ,  c'est-à-dire  le 
sang,  et  la  partie  solide,  c'est-à-dire  la  chair  du  corps  A' Ymir,  produi- 
sirent, dans  le  monde  nouveau ,  l'un,  la  partie  liquide  ou  les  eaux ,  et  l'autre, 
la  partie  solide  ou  la  terre.  L'imagination  concevait  d'autant  plus  facile- 
ment la  terre  comme  formée  de  la  chair  décomposée  d' Ymir,  que  l'expé- 
rience montrait  que  les  corps  des  animaux  tombaient,  après  la  mort,  en 
poussière,  et  produisaient  ainsi  de  la  lerre.  Ensuite,  par  la  même  raison 


NUMÉRO  (14)  (page  84);  création  du  monde  actuel.      180 

que  la  tradition  de  la  Genèse  considérait  le  corps  d'Adam  comme  fait  de 
terre,  le  mythe  Scandinave  pouvait  aussi,  en  sens  inverse,  considérer  la 
terre  comme  formée  de  la  chair  (S^Ymir.  En  distinguant,  ensuite,  dans  le 
corps  du  Géant,  les  parties  molles  ou  la  chair,  des  parties  dures  ou  des 
os ,  on  arrivait  à  trouver  les  analogues  des  unes  et  des  autres  dans  la  terre 
friable  et  dans  les  durs  rochers;  et,  après  avoir  comparé  les  rocs,  qu'on 
considérait  comme  la  charpente  de  la  terre ,  aux  os  qui  sont  la  charpente 
du  corps  humain ,  on  a  aussi  pu  rapporter  les  rocs  brisés  ou  les  moraines 
des  glaciers ,  aux  os  brisés  d'  Ymh\  et  les  pierres  ou  cailloux  de  la  terre, 
aux  dents  molaires  du  Géant.  Cette  dernière  pensée  s'établit  d'autant  plus 
facilement,  qu'on  trouvait  des  pétrifications  qui  avaient  la  figure  de  dents,  et 
qui  même ,  quelquefois ,  étaient  réellement  des  dents  pétrifiées,  provenant 
des  animaux  gigantesques  du  globe  terrestre  primitif,  des  mammouths, 
des  mastodontes ,  des  dinothériums  ,  etc. 

§  44.  Formation  des  mers.  —  La  partie  liquide  de  la  Nature  primitive, 
ou  le  sang  â'Ymir^  a  formé  l'Océan  ;  et  peut-être  (bien  que  cela  ne  soit 
pas  dit  expressément  dans  le  mythe)  a-t-on  attribué  la  saveur  salée  de 
l'eau  de  mer,  au  sang  venimeux  ou  sa/é  (voy.  p.  183)  à'Or-Gelmir.  Il 
est  aussi  probable  que  le  mythe  cosmogonique  sur  l'origine  de  la  Mer 
provenant  du  sang  d' Ymir,  a  donné  lieu  à  une  tradition  qui  paraît  imitée 
d'un  mythe  keltique  très-ancien  (cf.  Pythéas,  dans  Strabon ,  Il ,  4),  et  qui 
était  encore  répandue  dans  les  pays  du  Nord  au  seizième  siècle,  à  savoir 
la  tradition  sur  la  Mer  aux  poumons  et  sur  la  Mer  de  foie  (ail.  Leber- 
meer).  Dans  cette  mer  de  foie ,  les  navires ,  à  ce  qu'on  croyait ,  ne  pou- 
vaient plus  avancer ,  les  eaux  étant  trop  épaisses  et  visqueuses ,  comme 
du  sang  coagulé  ou  comme  ú\x  foie.  Philémon ,  le  Périégète  {Pli?ie,  4, 
27 ,  4),  dit  que ,  dans  la  langue  des  Kimbres  ,  l'Océan  septentrional  por- 
tait le  nom  de  Morimarusa  (mer  morte  ;  gallois  mor  mariosis)  et  que, 
plus  au  Nord,  cette  mer  prenait  le  nom  de  Océan  Kronien  {Pline ,  4,  30), 
c'est-à-dire  de  Mer  coagulée  ou  congelée  (irl.  7nuii^-chroinn;  cf.  isl. 
mar  grôinn).  Cet  Océan  Kr-onien  était  peut-être  identique  avec  cette 
Mer  de  foie,  formée  du  sang  glacé  ou  coagulé  du  géant  Ymir.  Comme  la 
Cosmogonie  s'est  formée  à  une  époque  postérieure ,  V  Océan  et  la  Terre 
ne  sont  plus  considérés ,  dans  le  mythe  cosmogonique ,  comme  des  per- 
sonnifications anthropomorphes ,  ainsi  qu'ils  l'avaient  été  anciennement 
chez  les  Scythes,  sous  les  noms  de  Thami-Masadas  et  à'Jpia;  ils  sont 
considérés ,  l'un  et  l'autre,  comme  des  choses  inanimées,  la  Terre  comme 
une  île  circulaire ,  et  l'Océan  comme  un  cercle  d'eau  entourant  la  Terre. 
Les  Grecs  du  temps  d'Homère  et  d'Hésiode ,  et  plus  tard  encore ,  se  figu- 
raient également  la  Terre  comme  un  disque  entouré  du  fleuve  Okéanos. 
Cette  Mer,  qui  entourait  et  contenait ,  comme  une  ceinture ,  la  masse  de 
la  terre ,  passait ,  dans  le  Nord ,  pour  infranchissable  ,  c'est-à-dire  qu'on 
croyait  ne  pas  pouvoir  aller  à  ses  dernières  limites ,  ou ,  comme  on  disait, 
à  ses  bords  extérieurs,  sans  s'exposer  ou  à  périr  de  froid  ,  au  Nord,  en 
touchant  au  Séjour-Brumeux ^  ou  à  se  brûler,  au  Sud,  en  touchant  au 
Séjour  de  Muspill,  ou  sans  courir  les  plus  grands  dangers,  à  l'Est,  en 
arrivant  au  Séjour  des  lotnes ,  ou ,  enfin ,  sans  risquer  de  se  perdre ,  à 
l'Ouest,  dans  l'Océan  atlantique,  auquel  les  Islandais ,  auMoyenâge, 


190  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

donnaient  le  nom  de  Ginnunga-Ga})  (voy.  p.  170).  Enfin,  une  fois  les 
analogies  établies  entre  les  parties  du  corps  d' Ymir  et  les  parties  du 
Monde  nouvellement  créé,  c'était  une  conséquence  naturelle  de  considérer 
le  ciel ,  cette  partie  du  Monde  élevée ,  voûtée  et  creuse  (cf.  lat.  cœlum , 
ciel  ;  gr.  koUon,  creux) ,  comme  formé  du  crâne,  c'est-à-dire  de  la  partie 
supérieure  et  concave  du  corps  d' Ymir. 

§  45.  L'Arrangement  du  Ciel.  —  Suivant  Snorri ,  les  Fils  de  BÖr  pla- 
cèrent ,  aux  quatre  coins  du  ciel ,  quatre  Dvergs  ou  Nains.  Aucun  des 
documents  mythologiques,  de  ceux  qui  nous  restent,  ne  renferme  cette 
donnée  ;  notre  auteur  ne  l'ayant ,  sans  doute ,  pas  inventée ,  a  dû  la  puiser 
dans  la  tradition  populaire.  Or  si,  du  temps  de  Snorri^  la  Mythologie  Scan- 
dinave avait  encore  été  toute  vivante,  nous  n'hésiterions  pas  à  considérer 
cette  donnée  comme  parfaitement  mythologique  ;  car  la  tradition ,  aussi 
longtemps  qu'elle  est  vivante,  est  toujours  en  droit  et  en  possession  d'i- 
maginer des  mythes  nouveaux,* ou  de  modifier,  à  sa  fantaisie,  ceux  qui 
existent  déjà.  Mais  la  Mythologie  Scandinave ,  coupée  comme  un  arbre 
dans  sa  racine ,  au  onzième  siècle ,  par  le  Christianisme  introduit  dans  le 
Nord,  ne  produisit  plus  de  nouveaux  jets,  après  cette  époque  ;  la  tradition 
se  borna,  dès  lors,  à  rapporter  les  anciens  mythes  ,  sans  en  imaginer  de 
nouveaux.  Le  trait  rapporté  par  Snorri  n'est  donc  pas  à  considérer  comme 
un  nouveau  mythe ,  mais  comme  un  ancien  mythe  qui  a  été  défiguré  dans 
la  tradition  populaire  postérieure.  Le  mythe  ancien ,  dans  sa  conception 
primitive ,  énonçait ,  sans  doute ,  que  les  Fils  de  Bör  placèrent  aux  quatre 
extrémités  du  ciel ,  non  pas  quatre  Dvergs ,  mais  quatre  Alfes  (v.  p.  93), 
pour  présider,  comme  les  Gardes-Monde  (sansc.  Lokapâlâs)  de  la 
Mythologie  hindoue ,  aux  quatre  régions  ou  aux  quatre  points  cardinaux. 
Dans  l'origine ,  ces  Alfes  étaiçnt  probablement  des  astres  ou  des  constel- 
lations, considérés  comme  Génies  tutélaires  (v.p.  239);  plus  tard,  de  ces 
Génies  célestes  ou  météorologiques ,  on  a  fait  sans  doute  des  Gardiens 
et  des  Soutiens  (norr.  stolpar)  du  ciel.  Or,  peu  à  peu ,  la  tradition  popu- 
laire a  confondu  les  Alfes  ou  les  Génies  météorologiques  célestes  avec 
les  Dvergs  ou  Génies  météorologiques  terrestres  (voy.  p.  218),  et  con- 
séquemment  les  ^//65,  nommés  Austri,  Vestri,  Nordri  et  Sudri ,  furent 
comptés  parmi  les  Dvergs.  C'est  ainsi  que,  déjà  dans  la  Vision  de  la 
Louve,  dont  la  composition  remonte  probablement  au  huitième  siècle , 
ces  quatre  noms  figurent  dans  l'énumération  des  noms  de  Dvergs ,  sans 
qu'il  y  ait  lieu  de  soupçonner  qu'ils  y  aient  été  interpolés.  La  tradition  po- 
pulaire ayant  changé  les  quatre  Alfes  en  quatre  Dvergs,  sans  changer  pour 
cela  la  signification  du  mythe ,  on  continua  à  maintenir  ces  Dvergs  dans  les 
anciennes  fonctions  des  Alfes,  comme  Soutiens  du  ciel.  C'est  ainsi  qu'un 
poète  chrétien ,  le  Norvégien  Arnar,  surnommé  le  Skalde  des  larls  (lar- 
laskald) ,  dans  un  poème  composé  vers  1065,  désigne  le  ciel  par  l'expres- 
sion skaldique  de  Fardeau  d' Austri.  En  faisant  ainsi  de  ces  Dvergs  des 
Soutiens  du  Ciel.,  la  tradition  oublia  complètement  que  l'office  d'Atlas  ne 
convenait  guère  à  des  pygmées  tels  qu'on  se  figurait  les  Dvergs ,  ni  à  des 
êtres  chétifs ,  comme  ceux-ci  l'étaient,  fuyant  la  lumière  du  soleil,  et  vivant 
dans  des  cavernes  ou  des  souterrains  (v.  p.  89).  Aussi  Snorri,  qui  sentait , 
sans  doute ,  ce  qu'il  y  avait  d'incongru  dans  cette  conception ,  ne  dit-il 


NUMÉRO  (15)  (page  84);  arrangement  de  la  terre.       191 

pas  que  les  Dvei^gs  soutiennent  le  ciel  ;  il  fait  reposer  le  ciel  sur  ses 
quatre  bouts,  et  il  considère  les  Dvergs,  non  comme  les  porteurs,  mais 
simplement  comme  les  gardiens  ou  comme  les  portiers  du  ciel ,  ou  enfin 
comme  les  indicateurs  des  quatre  points  cardinaux. 

Les  Ases  s'occupèrent  d'abord  de  l'arrangement  du  ciel.  Les  Étincelles 
gigantesques,  lancées  du  Séjour-de-Muspill,  et  qui  erraient ,  comme  as- 
tres ,  dans  l'immensité  de  l'Espace,  furent  ramenées,  par  les  Dieux  ,  au 
milieu  du  Bdille?nent-des-Mâchoires ,  c'est-à-dire  qu'elles  furent  rap- 
prochées du  Ciel  et  de  la  Terre  nouvellement  créés  ;  et  ces  astres  furent 
répartis  dans  les  parties  tant  inférieures  ou  horizontales ,  que  supérieures 
ou  zénithales,  de  la  voûte  céleste.  Les  étoiles  fixes  furent  attachées  au 
firmament,  au-dessus  duquel  les  planètes  purent  se  mouvoir  avec  une 
entière  liberté,  en  observant  toutefois  une  course  réglée.  Enfin,  parle 
mouvement  du  Soleil  et  de  la  Lune ,  la  série  des  jours  et  des  nuits  ,  et  la 
succession  des  mois,  des  saisons  et  des 'années,  furent  établies  et  déter- 
minées. Les  vers  de  la  Vision  de  la  Louve ,  cités  par  Snorri ,  énoncent 
seulement  que ,  dans  l'origine.  Sol  [La  Soleil)  et  Mâni  {Le  Lune),  et  les 
Étoiles ,  erraient  sans  règle  dans  l'espace  ;  Snorri,  par  mégarde ,  a  ou- 
blié d'ajouter  à  ces  vers  la  strophe  qui  les  suit ,  et  qui  vient  à  l'appui  de 
ce  qu'il  dit  de  la  division  des  temps.  Voici  cette  strophe  (voy.  Poèmes 
/.ç/.,  p.  189). 

«  Alors  les  Grandeurs  allèrent  toutes  aux  sièges  nébuleux, 

«  Les  Dieux  très-saints  sur  cela  délibérèrent  : 

«A  la  Nuit  et  aux  Décours  ils  donnent  des  noms; 

«  Ils  désignent  le  Matin  et  le  Milieu  du  jour, 

«Le  Déclin  et  le  Soir,  pour  détailler  l'année.» 

Comme  les  idées  de  Cosmologie  mythique  se  sont  de  plus  en  plus  dé- 
veloppées avec  le  progrès  des  temps ,  il  est  impossible  de  déterminer, 
d'une  manière  exacte ,  ce  qui ,  dans  les  données  fournies  par  les  poèmes 
eddiques  et,  d'après  eux,  par  5worr/ et  par  la  tradition  populaire,  appar- 
tient aux  mythes  cosmologiques  ^Wmeïz/i^  et  ce  qui  y  a  été  ajouté  dans 
la  suite.  Toujours  est-il  que  le  mythe  sur  la  place  assignée  à  Sol,  à  Mâni 
et  aux  Étoiles ,  s'est  formé  à  une  époque  bien  postérieure ,  savoir  à  l'é- 
poque où  le  Soleil  et  la  Lune  n'ont  plus  été ,  comme  anciennement ,  con- 
sidérés comme  étant  eux-mêmes  des  divinités ,  soit  zoomorphes ,  soit 
anthropomorphes ,  mais  seulement  comme  des  astres  auxquels  présidaient 
des  Personnages  mythologiques  nommés  Sol  et  Mâni. 

L'arrangement  que  les  Ases  opérèrent  dans  le  ciel  nouvellement  créé, 
produisit  un  nouveau  Séjour ,  le  Séjour  des  Alfes,  lequel  est  le  troisième 
Monde  qui  s'est  formé ,  le  premier  étant  l'ancien  Séjour-Brumeux ,  et  le 
second  l'ancien  Séjour  de  Muspill.  Dans  l'origine,  les  ^//e5  (Blancs  , 
V.  p.  239)  étaient  les  personnifications  des  astres;  plus  tard  ils  devinrent 
les  Génies  qui  présidaient  aux  divers  phénomènes  astronomiques  et  mé- 
téorologiques. 

(15)  ARRANGEMENT  DE  LA  TERRE. 

§  46.  Le  Séjour  des  lotnes.  —  La  vaste  mer  qui ,  semblable  à  VOkéanos 
d'Homère,  entoure  comme  un  anneau  le  disque  terrestre,  a  pour  bordure 


192  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

extérieure  une  zone  circulaire  sur  laquelle  s'appuyaient ,  selon  Snorri 
(voy.  p.  IGI),  les  quatre  bouts  du  ciel ,  et  où  se  trouvait  le  quatrième  Sé- 
jour du  monde ,  le  Séjour  des  lotnes ,  appelé  aussi ,  à  cause  de  son  éten- 
due, les  Séjours  des  lotnes.  Au  delà,  et  tout  autour  de  cette  bordure 
extérieure ,  sont  les  abîmes  du  Bâillement-des-Mâchoires  avec  le  Sé- 
jour-Brumeux au  nord-est,  et  le  Séjour  de  Muspill  au  sud-ouest.  La 
race  nouvelle  des  Thurses-Givreux ,  issus  de  Ber-Gelmir ,  savoir  la 
race  des  lotnes^  est  reléguée  aux  extrémités  du  ciel  et  de  la  terre,  c'est- 
à-dire  aux  endroits  où  le  ciel  s'appuie  sur  la  terre;  et  bien  que  cette  nou- 
velle race  soit  moins  rude  que  l'ancienne,  qui  descendait  á'Ymir  et  qui 
dominait  dans  le  Monde  primitif  glacial ,  elle  conserve  cependant  son  ca- 
ractère primitif  héréditaire,  et  représente  toujours  encore  les  forces  gi- 
gantesques ,  désordonnées  et  destructrices  ,  qui  bouleversent  sans  cesse 
la  Nature.  Aussi  cette  race  continue-t-elle  à  être  en  lutte  permanente  avec 
168-^565  ,  qui  sont  non-seulement  les  représentants  de  l'ordre  et  du  prin- 
cipe de  conservation  dans  la  Nature,  mais  encore  les  protecteurs  des 
hommes  contre  ces  forces  destructrices. 

§  47.  L'Enclos-Mitoyen  et  la  Ferté  Céleste.  —  Les  Ases,  pour  se  pré- 
munir eux-mêmes,  ainsi  que  les  hommes  ,  contre  les  loùies,  construi- 
sirent une  enceinte  (cf.  frison  rôpi)  tout  autour  du  disque  de  la  terre, 
afin  de  garantir  celle-ci  contre  les  incursions  ennemies ,  et  de  se  mettre 
eux-mêmes  en  sûreté  dans  le  ciel.  Car ,  d'après  la  disposition  ou  topo- 
graphie des  Lieux  mythologiques ,  c'est  par  les  montagnes  qui  touchent  au 
ciel  [Himîn-Jioll) ,  qu'on  monte  et  qu'on  pénètre  dans  la  Ferté  Céleste 
{Himin-Bîorg).  D'après  la  tradition  mythique,  cette  Enceinte  ou  ce  Rem- 
part extérieur  de  la  terre ,  est  fait  avec  les  sourcils  d'  Y7nir.  La  raison 
de  cette  fiction  singulière  est  que  ,  d'abord,  il  y  a  quelque  analogie  entre 
les  sourcils  qui  protègent  les  yeux,  et  l'enceinte  qui  protège  la  terre;  en- 
suite l'arcade  sourcilaire  A'Ymir,  ou  les  proéminences  de  l'os  coronal 
hérissées  de  poils,  furent  métamorphosées,  par  les  Jses,  en  une  en- 
ceinte de  montagnes  couvertes  de  forêts  impénétrables  :  enfin ,  comme  les 
sourcils  sont,  en  quelque  sorte,  le  siège  et  le  symbole  de  la  colère 
menaçante  ,  les  sourcils  (\'Ymir  ont  dû  servir,  d'après  le  mythe ,  à  for- 
mer l'enceinte  sourcilleuse  et  menaçante  qui  doit  braver  et  rebuter  les 
attaques  des  lotnes  ou  des  ennemis  des  Ases.  Cette  Enceinte,  avec  l'es- 
pace qu'elle  renferme ,  c'est-à-dire  la  surface  terrestre  tout  entière ,  est 
appelée  V Enclos-Mitoyen ,  parce  qu'elle  se  trouve  au  milieu  entre  les 
différents  Mondes  ou  Séjours,  et  au  centre  de  l'Abîme  ou  du  Bdillement- 
des-Mâchoires  (voy.  p.  188). 

Les  rapports  génésiaques  établis,  dans  le  mythe  cosmogonique,  entre 
les  nuages  du  ciel  et  la  cervelle  ù!Ymir^  reposent  d'abord  sur  cette  parti- 
cularité que  la  cervelle  se  trouve  sous  la  voûte  du  crâne,  comme  les  nuages 
sont  placés  sous  la  voûte  céleste  faite.du  crâne  d' Ymir;  ils  reposent  ensuite 
sur  une  analogie  d'aspect ,  en  ce  que  l'encéphale  présente ,  par  les  cir- 
convolutions de  sa  substance  pulpeuse,  l'aspect  de  quelque  chose  de  lai- 
neux, qu'on  a  pu  comparer  aux  nuages  floconneux  du  ciel.  Les  vers  cités 
par  Snorri.,  et  qui  sont  tirés  des  Dits  de  Grimnir,  semblent  énoncer  que 
seulement  les  nuages  sombres ,  et  non  pas  les  nuages  en  général ,  pro- 


NUMÉRO  (16)  (page  85)  ;  ETHNOGONIE  des  SCYTHES.  193 

viennent  de  l'encéphale  á'Ymi9\  En  effet,  les  nuages  sombres,  orageux 
et  menaçants,  ont  plus  particulièrement  une  analogie  frappante  avec  le 
caractère  sombre ,  violent  et  tempétueux  de  cet  lotne. 

(16)  l'anthropogonie  mythique. 
§  48.  L'Ethnogonie  des  Scythes.  —  La  spéculation  sur  l'origine  du 
Genre  humain  commence  avec  la  réflexion  sur  l'origine  du  Monde  et  des 
Dieux;  et,  c'est  pourquoi,  VJnthropogoiiie  mythique  fait  suite  à  la  Théo- 
gonie  et  à  la  Cosmogonie  mythiques.  Cependant  les  mythes  sur  l'origine 
de  l'espèce  humaine  remontent  généralement  à  une  époque  de  beaucoup 
antérieure  à  celle  où  se  forment  la  Cosmogonie  et  la  Théogonie.  C'est 
que ,  avant  même  que  l'homme  prend  un  intérêt  scientifique  aux  ques- 
tions sur  l'origine  du  Monde  et  des  Dieux,  l'idée  de  l'origine  divine  des 
hommes  se  présente  à  lui  spontanément.  En  effet,  lorsque  les  Dieux,  de 
zoomorphes  qu'ils  avaient  été  dans  l'origine ,  furent  devenus  anthropo- 
morphes ,  l'idée  devait  naître  naturellement  que  les  hommes  étaient  issus 
des  Dieux  auxquels  ils  ressemblaient  au  physique  et  au  moral.  Les  Dieux 
ayant  engendré  des  Héros ,  *  les  Prêtres  et  les  Rois  se  disaient  fils  de  ces 
Héros,  et,  par  conséquent,  fils  des  Dieux  eux-mêmes  :  ensuite,  par  l'in- 
termédiaire des  Prêtres ,  des  Rois  et  des  Nobles ,  toute  la  Nation  se  rat- 
tacha naturellement  à  la  Souche  divine.  Dans  l'origine  ,  on  n'avait  pas 
encore  l'idée  de  l'Humanité  ou  du  Genre  humain;  loin  de  connaître  toutes 
les  nations  ,  on  connaissait  à  peine  les  nations  voisines;  on  ne  connaissait 
que  sa  propre  nation.  Voilà  pourquoi  la  question  sur  l'origine  de  l'Espèce 
humaine,  ou  V Jnthropogonie ,  est  resserrée  ,  au  commencement,  dans 
la  question,  beaucoup  plus  restreinte,  sur  VEthnogonie,  ou  l'origine  de 
la  Nation.  Les  peuples  scythes ,  les  ancêtres  des  Gètes  et  des  Scandinaves, 
à  peu  près  vers  l'an  800  avant  notre  ère ,  rapportaient  un  mythe  d'aprèâ 
lequel  la  race  des  hommes ,  c'est-à-dire  tout  d'abord  leur  propre  Nation , 
était  issue  de  Targitavus,  Dieu  du  Soleil,  par  l'intermédiaire  des  hommes 
divins,  héros,  prêtres,  ou  rois.  rar^zYaf?^*  étant  considéré  comme  le 
Père  desSctjthei,  Tivus  (Ciel),  le  père,  etJpia  (Terre),  la  mère  de  Tar- 
gitavus ,  étaient  appelés  V Aïeul  (scythe  Papaïus)  et  V Aïeule  (jscythe 
Tata  ;  norr.  Edda)  des  Scythes.  A  l'époque  où  ces  peuples  s'étaient  déjà 
divisés  en  scythes  royaux  (guerriers),  en  Scythes  nomades ,  et  en  Scythes 
sédentaires  (agricoles) ,  Targitavus  devint,  dans  la  tradition,  le  Père 
des  trois  Héros  Hleipo-Skaïs ,  Arpo-Skaïs  et  Kola-Skaïs ,  dont  des- 
cendaient, par  l'intermédiaire  de  leurs  Rois ,  les  tribus  les  plus  illustres 
des  Scythes  (voy.  Les  Gètes,  p.  183).  Les  Scythes-Hellènes  ayâient  cette 
même  tradition  généalogique;  seulement  elle  était  un  peu  modifiée,  dans 
le  sens  qui  était  dicté  par  leur  amour  propre  national.  Hs  disaient  que 
Héraklès  (scythe  Targitavus  ;  Skotaris)^  le  fils  de  Zevs  (scythe  Tivus)., 
engendra  avec  Échidna  (scythe  Apia) ,  trois  fils  :  \  »  Skuthès  (^scy the 
Skuli ,  Protecteur,  Bouclier,  swhsuiwêdi  Hleipo-Skaïs) \  ^"  Agathursos 
(substitué  à  Arpo-Skaïs),  et  3°  Gelonos  (scytho-gr.  Kolionos  p.  Svalianas),  ' 
substitué  à  Kola-Skaïs  (Prince  à  la  Roue)  ou  au  Soleil.  L'aîné,  Skuthès, 
devint  la  souche  des  Scythes  de  race  royale.  H  avait,  entre  autres,  deux 
fils,  Palos  (cf.  si.  Volos;  germ.  Fols)  etNapès (cf.  norr.  Ne/i%  dont  des- 

13 


i94  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

cená3iienl\es  Pâlies  (cf.  norr.  Volsungar)  et  les  Napies  (cf.  norr.  Niflun- 
gar),  qui  périrent  entièrement  {Plin.  VI ,  19).  Chez  les  Scythes  de  la  mer 
Caspienne,  un  des  fils  de  Targitaviis  portait  le  nom  de  Tei^vo  (Arbre: 
norr.  triu)^  dont  descendaient  les  Tervinkaï  (gr.  Derhikkai;  lat.  Der- 
vicæ).  Les  Tervinkai  devinrent,  plus  tard,  chez  les  peuples  de  la  branche 
gète ,  la  tribu  gote,  appelée  par  Eutrope  et  Ammien  Marcellin,  Tervingi 
ou  Thervingi;  et  à  ces  Thervings  se  rattache,  sans  doute ,  la  tribu  ger- 
manique des  Thurings  ou  Tyrks  (p.  Turinks)  qui ,  ainsi  que  les  Her- 
mun-Dures ,  se  disaient  issus  de  Dhur  (l'ancien  Tervo) ,  ou  de  E?'mun~ 
Dur  {Dur,  Fils  de  Ermun  ou  du  Soleil).  Dans  la  mythologie  Scandinave , 
Dur  (Arbre)  ou  Ermun-Dur  (Arbre  solaire)  eut  le  nom  de  Heîmdallr 
(Arbre  du  Séjour)  ;  et  ce  dieu  eut  les  attributions  du  dieu  Ermun  ou  Ir- 
min ,  qui  s'était  confondu  avec  Mng  (p.  Ivuring ^  Issu  du  Verrat) ,  le  Fils 
du  Soleil  appelé  Verrat.  Voilà  pourquoi  Heimdall  eut  le  nom  épithé- 
tique  de  Rîgr{^.  Iringr  ;  cf.  Tyrk  p.  Turink  ;  Dervicæ  p.  Tervinkæ  ;  Dâgr 
p.  Davingr)  et  devint,  dans  la  tradition  mythique,  le  Père  de  la  nation 
Scandinave ,  et  plus  tard  le  Père  des  Nobles,  des  Manants  et  des  Serfs  (voy. 
RtgsmâC) ,  comme  Dur  et  Irîng  passaient  pour  être  les  pères  de  plusieurs 
tribus  germaniques.  Le  mythe  de  Dur  (Arbre)  et  de  Heimdall  (Arbre 
du  Séjour) ,  considérés  comme  souches  des  hommes ,  se  maintint  en  Scan- 
dinavie et  en  Germanie ,  et  a  produit  le  conte  populaire  encore  connu 
aujourd'hui  en  Saxe  et  en  Thuringe ,  d'après  lequel  on  dit  que  les  en- 
fants, surtout  les  filles,  croissent  à  l'ai-bre.  A  ce  mythe  purement  épique 
sur  V Arbre,  souche  des  premiers  hommes  de  la  nation  ,  fut  substitué, 
chez  les  tribus  de  la  branche  gète ,  un  mythe  anthropogonique  plus 
général  sur  l'origine  des  premiers  hommes  du  Monde. 

§  49.  Arbres  métamorphosés  en  hommes.  —  C'est  l'habitude  des  an- 
ciens mythes  spéculatifs  ou  scientifiques ,  de  s'appuyer  ,  si  faire  se  peut , 
sur  quelque  donnée  traditionnelle.  Comme  l'ancienne  tradition  mythico- 
épique  avait  rapporté  que  certaines  tribus  étaient  issues  de  Dur  (Arbre) 
ou  de  Heimdall  (Arbre  du  Séjour),  le  mythe  anthropogonique  y  qui  se  forma 
plus  tard ,  a  pris  cette  tradition  pour  point  de  départ  ;  et,  prenant  les  noms 
propres  de  ces  fils  du  Soleil  dans  leur  signification  littérale  áeJrbre,  il  a 
imaginé  que  deux  arbres  ont  été  la  souche  de  la  première  paire  des  hommes. 
Suivant  l'habitude  des  mythes  anciens,  qui  ne  sont  jamais  très-expticites 
(voy.  l  37),  l'Anthropogonie  est  racontée  d'une  manière  concise  dans  les 
deux  strophes  de  la  Vision  de  la  Louve,  que  voici  : 

«  Alors  trois  Ases  de  cette  bande 
«  Pleins  de  puissance  et  de  bonté  vinrent  à  la  falaise: 
«lis  trouvèrent,  dans  la  contrée,  des  êtres  chétifs, 
«  Askr  et  Enibla,  manquant  de  deslinée. 

«Ils  n'avaient  point  d'âme,  ils  n'avaient  point  d'esprit, 

«Ni  sang,  ni  langage,  ni  bonne  mine: 

«  Odinn  donna  l'àrae,  Hœnir  donna  l'esprit, 

«  Lodur  donna  le  sang  et  la  bonne  raine.  « 

Ces  strophes  énoncent  que  trois  Ases ,  Odinn ,  Hœnir  et  Lodur  (voy. 
p.  151),  arrivant  du  ciel  sur  les  bords  de  la  Mer,  trouvèrent  dans  la  con- 


t 


NUMÉRO  (16)  (PAGE  85);  ANTHROPOGONIE  MYTHIQUE.  195 

trée  des  êtres  qui ,  à  la  vérité ,  étaient  déjà  organisés ,  mais  qui  étaient 
faibles  et  chétifs,  et  n'avaient  pas  encore ,  comme  l'ont  eu ,  plus  tard ,  les 
hommes ,  leurs  descendants,  une  destinée  fixée  dès  leur  naissance.  En  énon- 
çant que  l'un  de  ces  deux  êtres  était  Jskr  (Frêne) ,  le  mythe  indique  qu'il 
s'agit  ici  d'un  arbre,  d'un  frêne;  et  l'on  est,  par  conséquent ,  en  droit 
d'admettre  que  ,  par  le  nom  Embla,  qu'il  donne  au  second  être ,  repré- 
senté comme  pareil  au  premier ,  le  mythe  veut  également  désigner  un 
arbre  ,  savoir  Yonne.  Ces  deux  arbres  ,  appelés  Frêne  et  Orme,  repré- 
sentant chacun  son  espèce ,  sont  métamorphosés  en  homme  et  femme  par 
les  Ases ,  qui  opèrent  cette  transformation,  en  ce  qu'ils  leur  font  des  dons, 
chacun,  selon  sa  nature,  sa  puissance  et  sa  spécialité.  Odinn,  l'ancien 
dieu  de  l'air  {Odr;  voy.  p.  159) ,  donne  la  respiration  ou  l'âme  (cf.  grec 
anemos ,  vent;  lat.  anima,  âme);  Hœnir,  le  dieu  de  l'eau,  donne  l'intel- 
ligence ;  car  l'eau ,  cet  élément  limpide  et  clair  étant  le  symbole  de  la  vé- 
rité, de  l'intelligence,  et  de  la  science  (voy.  Les  Gètes,  p.  238),  Hœnir, 
le  dieu  de  l'Eau ,  est  aussi  devenu  le  dieu  de  l'Intelligence.  Lôdur,  le 
dieu  du  Feu  rouge ,  donne  le  sang  rouge  et  la  chaleur  vitale,  lesquels  pro- 
duisent la  santé  et  la  bonne  mine. 

Il  est  évident  que  ce  mythe  veut  ainsi  exprimer  que  l'homme  est  un  être 
tellurien,  qu'il  est  sorti  de  la  terre  ,  mais  qu'il  n'en  est  pas  sorti  comme 
homme  ;  qu'il  en  est  sorti  comme  arbre,  et  que  cette  organisation  végé- 
tale a  été  transformée  en  organisation  animale  et  humaine.  L'homme ,  à 
ce  qu'on  croyait ,  ne  pouvant  dignement  provenir  que  de  l'organisation 
végétale^  la  plus  parfaite  avant  la  création  des  animaux  et  des  hommes, 
le  mythe  a  eu  soin  de  faire  descendre  le  premier  couple  des  deux  plus 
belles  essences  d'arbre  connues  en  Scandinavie;  et  encore,  parmi  celles- 
ci,  a-t-il  dû  choisir,  pour  représenter  l'homme  et  la  femme,  deux  es- 
pèces dont  les  noms  fussent ,  l'un ,  du  genre  masculin ,  et  l'autre ,  du 
genre  féminin.  Or,  le  frêne  (norr.  askr)  est  un  arbre  des  plus  estimés 
dans  le  Nord  ,  pour  son  élévation ,  sa  belle  forme ,  la  fermeté  et  le  bon 
usage  de  son  bois;  de  plus,  il  est  du  petit  nombre  des  espèces  dont  le 
nom,  en  langue  norraine,  est  du  genre  masculin.  C'est  donc  un  frêne 
qui  a  dû  être  choisi ,  par  le  mythe  Scandinave ,  pour  être  transformé  en 
homme ,  ayant  le  nom  propre  de  Frêne.  D'un  autre  côté ,  l'orme  est  une 
espèce  d'arbre  également  très-estimée  dans  le  Nord  ;  le  nom  qu'il  porte 
est  du  genre  féminin.  Un  orme  a  donc  aussi  été  choisi ,  par  le  mythe , 
pour  être  transformé  en  femme  ayant  le  nom  propre  de  Orme.  L'an- 
cienne forme  de  ce  nom  a  été ,  sans  doute ,  Elma,  qu'on  retrouve  encore 
dans  quelques  dialectes ,  jusque  dans  l'Allemagne.  Elma  s'est  d'abord 
changé  en  Emla,  et  puis  Emla  en  Embla.  Biörn  Halderson.,  il  est  vrai, 
explique  ce  nom  d'£'m6/a  comme  signifiant  La6or/e?/6e  (cf.  Amat).  Mais 
d'abord  cette  explication  est  conjecturale  ;  ensuite  ce  nom ,  avec  cette 
signification ,  conviendrait  à  une  serve  ou  esclave ,  plutôt  qu'à  la  femme 
libre ,  créée  par  les  Ases  (à  moins  ;  toutefois ,  que  le  mythe  n'ait  choisi 
exprès  ce  nom  pour  indiquer  que  la  première  femme  était  de  condition 
serve)  ;  enfin  ce  nom ,  avec  cette  signification  ,  serait  peu  approprié  à  un 
être  que  le  mythe  représente  comme  originairement  inactif,  faible ,  et 
même  chétif ,  par  suite  de  son  organisation  végétale  primitive. 


196  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

g  50.  Comment  Snorri  conçoit  ce  mythe  anthropogonique.  —  Snorri 
n'a  pas  connu  ou  ne  s'est  pas  rappelé  les  strophes  citées  ci-dessus  sur  la 
métamorphose  de  Àsk  et  de  Embla  en  homme  et  femme.  Il  expose  ce 
mythe ,  sans  doute ,  d'après  la  tradition  populaire  ;  et ,  c'est  pourquoi , 
son  exposé  diffère,  en  quelques  points,  des  données  fournies  par  la  Fiston 
de  la  Louve.  Selon  Snorri,  les  Fils  de  Bur  (c'est-à-dire  non  pas  Odinn, 
Hœnir  et  Lôdur,  mais  Odinn^  Vili  et  Vê,  voy.  p.  185)  trouvent,  non  pas 
sur  les  bords  ,  mais  près  des  bords  de  la  Mer ,  non  pas  deux  arbres  vi- 
vants sur  pied ,  mais  deux  troncs  d'arbres  morts ,  que  Snorri  se  figu- 
rait ,  sans  doute ,  flottant  dans  la  mer,  et  gisant  dans  l'eau ,  près  du  rivage, 
semblables  à  ces  troncs  d'arbres  qui ,  par  les  courants  maritimes ,  ou  le 
gulf-stream ,  sont  amenés  de  l'Amérique  dans  les  baies  d'Islande.  Les 
Ases  prirent  ces  troncs,  les  façonnèrent  comme  des  sculpteurs,  et  leur 
donnèrent  la  figure  et  l'organisation  humaines.  D'après  Snorri,  Ask  et 
Embla  ne  sont  donc  pas  des  arbres  vivants  métamorphosés  en  hommes, 
ce  sont  des  hommes  fabriqués  avec  du  bois ,  à  peu  près  comme ,  d'après 
la  Genèse,  les  premiers  hommes  ont  été  faits  de  terre.  Ne  voyant  en  eux 
que  des  troncs  d'arbre ,  du  bois  ,  de  la  matière  (gr.  hulè ,  bois ,  matière  ; 
espagn.  madera,  matière ,  bois) ,  et  non  la  forme  d'arbres  vivants,  ^'worr/ 
ne  soupçonne  pas  que  les  noms  de  Jsk  et  de  Embla  expriment  précisé- 
ment leur  nature  Ol' arbre.  Il  croit  même  que  ces  noms,  dont  il  ne  soup- 
çonne presquepaslasignification,neleurappartenaientpasdéjàpar  suite  de 
leur  nature  d'arbres ,  mais  qu'ils  ont  seulement  été  donnés  ,  par  les  Ases , 
à  ces  troncs ,  après  qu'ils  eurent  été  façonnés  ;  que ,  de  plus ,  les  Ases  ont 
donné  ces  noms,  seulement  après  qu'ils  eurent  transformé  ces  troncs  en 
hommes  ;  enfin  que  ces  noms  leur  ont  été  donnés  solennellement,  d'après 
une  coutume  générale,  dans  le  Nord,  où  les  noms  se  donnaient  aux 
enfants  ,  à  une  certaine  époque ,  plusieurs  années  après  leur  naissance. 
Comme,  chez  les  Scandinaves  ,  l'acte  solennel  de  donner  un  nom  à  l'en- 
fant, était  accompagné  de  celui  de  donner  aussi  des  présents,  consistant 
en  effets  d'habillement  ou  d'ornement  (ce  qu'on  2l^t^ú2M  donner  im  nom 
et  faire  suivre  le  reste;  norr.  nafn  gefa  okfylgia)^  les  Ases,  selon 
Snorri,  donnèrent  également  des  Aa62Y.ç  (cf.  Genèse,  3,  21)  aux  deux 
créatures  qu'ils  venaient  de  former  et  de  dénommer. 

g  51.  Hors-d' œuvre  dans  la  réponse  de  Sublime.  —  Égaré  par  son  sys- 
tème evhémériste,  d'après  lequel  \(i?>Jses  étaient  des  hommes^  et  appli- 
quant faussement  aux  Ases  ce  que  la  tradition  rapportait  des  Scandinaves, 
savoir  qu'avant  leur  établissement  dans  le  Nord ,  ils  habitaient  le  Pays  des 
Tervinks  ou  Tyrks^  en  Asie  (voy.  p.  23) ,  Snorri  place  les  demeures  des 
dieux  ou  V Enclos  des  Ases ,  non  au  ciel  (comme  l'exigent  cependant  les 
données  de  la  Mythologie) ,  mais  sur  terre,  dans  une  contrée  de  l'Asie  , 
dans  la  Grande-Scythie ,  ou  dans  Godiieim,  en  un  mot,  au  milieu  du 
Séjour-des-Hommes  (Mannaheimr)  ou  de  V Enclos-Mitoyeri  (Midgardr). 
Cependant ,  pour  établir  une  différence  entre  cet  Enclos-des-Ases  dans 
l'Asie  et  la  résidence  des  Ases  en  Fionie,  où  il  suppose  que  se  passe  l'en- 
trevue de  Gulfi  et  de  Sublime ,  Snorri  appelle  celui-là  V ancien  Eue los- 
des-Ases,  bien  que  cette  désignation,  aussi  bien  que  toute  cette  dis- 
tinction ,  soient  inconnues  aux  documents  mythologiques.  Se  rappelant 


NUMÉRO  (i6)  (page  85)  ;  anthropogonie  mythique.        197 

néanmoins  qu'il  ne  serait  guère  possible  de  se  figurer ,  comme  situé  sur 
la  terre,  l'Endroit  nommé  Hlîdskialf  {\oy.  l  82),  que  les  mythes  placent 
positivement  dans  V Enclos-des-Jses,  Snorri,  par  une  sorte  d'expédient, 
ajoute  que  beaucoup  d'aventures  (et  il  entend  par  là  particulièrement 
celles  qui  se  rapportent  au  Hiîdskialf)  se  sont  aussi  passées ,  d'une 
manière  merveilleuse,  dans  Yair,  c'est-à-dire  au  ciel.  Ayant  été  amené, 
par  hasard ,  à  citer  ce  nom  de  Hiîdskialf.  Snorri  se  laisse  aller  à  donner 
ici ,  hors  de  propos  et  par  anticipation  ,  quelques  détails  sur  la  construc- 
tion de  cet  édifice  merveilleux.  Ensuite,  YEnclos-des-Âses  lui  ayant  en- 
core rappelé  la  race  divine,  qui  s'y  était  établie,  il  se  laisse  aussi  aller 
à  parler  de  la  Mère  de  cette  race ,  c'est-à-dire  de  Frigg  (l^luie) ,  la  fille 
de  Fiörgvin  (Aime-Pluie) ,  avec  laquelle  Odinn  a  engendré  les  plus  dis- 
dingues  parmi  les  Ases  ;  ce  qui ,  en  partie ,  lui  a  valu ,  dit-il ,  le  nom  de 
Générateur  ou  Père- Universel  (voy.  455).  Enfin ,  ayant  parlé  de  l'épouse 
&  Odinn  et  des  fils  de  Frigg  et  à' Odinn,  Snorri,  toujours  hors  de  pro- 
pos, fait  encore  mention  de /or (/(Terre),  autre  épouse  A' Odinn;  et,  par 
suite  de  cette  mention,  il  rappelle  aussi  Thôr ,  comme  étant  le  fils  de 
lord  et  du  Chef  des  Ases ,  Odinn.  Bien  que  ces  données  mythologiques , 
fournies  par  Snorri ,  soient  déplacées  ici ,  dans  ce  paragraphe ,  du  moins 
sont-elles  conformes  à  la  vérité ,  à  l'exception ,  toutefois  ,  de  ce  qu'il  dit 
à' Odinn,  comme  ayant  été  à  la  fois  le  Père  et  Y  Époux  de  lord.  Il  est 
vrai  que,  d'après  les  documents  mythologiques,  Thôr  est  fils  à' Odinn 
et  de  lord;  et,  par  conséquent,  Snorri  a  bien  pu  considérer  Odinn  comme 
l'époux  de  lord;  mais  c'est  par  suite  d'une  confusion  qu'il  appelle  Odinn 
le  Père  de  lord.  En  effet,  lördesi  du  petit  nombre  des  divinités  Scandi- 
naves dont  le  nom ,  ayant  encore ,  dans  le  langage  ordinaire ,  une  signifi- 
cation connue  de  tout  le  monde  ,  exprimait  clairement  sa  nature  ou  ses 
attributions  primitives  de  déesse  de  la  Terre.  Snorri,  qui  n'avait  pas  des 
connaissances  linguistiques  suflBsantes  pour  expliquer  les  noms  propres 
mythologiques  ou  historiques  ,  et  qui ,  par  suite  de  son  système  evhémé- 
riste ,  ne  pouvait  pas  même  soupçonner  que  les  attributions  primitives  de 
chaque  divinité  fussent  exprimées  par  son  nom,  savait  cependant  parfai- 
tement que  lord  était  la  personnification  de  la  Terre.  Mais  ne  sachant  pas 
distinguer,  d'un  côté,  entre  le  mythe  symbolique  ^wútw  ^  où  la  Terre 
était  conçue ,  par  l'intuition  ,  comme  une  personnification  ou  un  être  an- 
thropomorphe ,  et ,  de  l'autre  côté ,  le  mythe  cosmogonique  postérieur 
où ,  d'après  l'induction ,  la  Terre  passait  pour  avoir  ^ié  façonnée  par  le 
dieu  suprême  Odinn,  il  confondait  ces  deux  mythes  et  les  envisageait, 
l'un  et  l'autre,  au  point  de  vue  matériel;  au  lieu  de  dire  que  Oi//?m pro- 
créa ,  avec  lord  (Terre) ,  son  fils  Thôr,  il  dit  qu'il,  le  fabriqua  avec  de  la 
terre  (norr.  iördin)  ;  et  ensuite,  au  lieu  de  dire  simplement,  d'après  le  mythe 
cosmogonique,  que  la  Terre  a  été  façonnée  par  Odinn.,  il  dit  (ce  qu'aucun 
mythe  n'énonce,  et  ce  qui  le  met  en  contradiction  avec  lui-même)  que 
lord  est  non-seulement  l'épouse,  mais  aussi  la^//e  (l'œuvre)  à' Odinn. 

(17)  NÖRVI  ET  SES  DESCENDANTS. 

g  52.  Nörvi  et  sa  fille  Nôtt.  —  Ce  paragraphe  (qui  ne  se  trouvait  pas  dans  la 
rédaction  première  du  Traité  de  Snorri,  mais  qui  y  a  été  inséré  posté- 


198  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

rieuremeiit  par  cet  auteur  ;  voy.  p.  37)  renferme  quelques  mythes  dont 
il  importe  de  déterminer  la  nature  et  d'expliquer  la  formation.  A  l'époque 
relativement  postérieure ,  où  la  plupart  des  personnages  de  la  Théogonie 
et  de  la  Cosmogonie  avaient  déjà  été  imaginés ,  on  conçut ,  en  imitation 
de  ces  personnages,  et  en  personnifiant  seulement  certains  phénomènes 
de  la  Nature ,  une  série  d'Êtres  mythologiques  qui  tenaient  le  milieu  entre 
les  Divinités  et  les  Démons  ,  et  se  rapprochaient  davantage  ,  par  leur  ca- 
ractère ,  soit  des  uns ,  soit  des  autres.  Les  mythes ,  qui  se  rapportent  à  ces 
Êtres  mythologiques,  ne  sont  pas  symboliques ,  et  ne  reposent  pas  sur 
Y  intuition  ;  ce  sont  des  mythes  allégoriques ,  conçus  par  le  moyen  du 
raisonnement,  de  l'induction,  et  surtout  de  l'analogie.  Tels  sont,  entre 
autres ,  les  mythes  sur  la  Nuit  et  le  Jour. 

Nôtt  (Nuit)  n'est  autre  chose  que  la  personnification ,  en  quelque  sorte 
poétique,  de  la  nuit  (norr.  nôtt,  p.  naht,  inclinée,  assoupie).  Comme  la 
nuit  sort  du  crépuscule  du  soir ,  Nôtt  fut  aussi  considérée  comme  Issue 
ou  comme  Fille  de  Norvi,  la  Personnification  du  crépuscule.  Le  nom  de 
Nörvi  se  présente  sous  plusieurs  formes  dans  les  documents  mythologi- 
ques. Les  formes  primitives  paraissent  avoir  été  Nahari  ou  Nahvari. 
De  la  première  de  ces  formes  dérivent  les  noms  tle  Nâri  et  Nôri;  de  la 
seconde  les  noms  de  Narvi  (p.  Nahvri) ,  Narji,  Norvi  et  Niörvi.  Tous 
ces  noms  proviennent  d'un  thème  idéal  Nika  (être  incliné ,  pencher),  qui 
est  la  racine  commune  du  mot  sanscrit  7iiç  (nuit),  du  mot  gothique  naus 
(p.  nahu-s ,  incliné  ,  mort) ,  du  mot  grec  nekus  (mort) ,  du  mot  allemand 
nacht  (nuit) ,  et  du  mot  norrain  ndr  (mort).  La  forme  active  nâri  ou  norvi 
(qui  fait  pencher)  exprime  ce  qui  donne  la  défaillance ,  le  sommeil ,  la 
mort.  Ainsi  aldur-nâri  (Tuant-le-Siècle)  est  une  expression  épique  et 
skaldique  pour  désigner  le  feu  {cf.  Mud-spel ^  Gâte-Monde),  puisque 
c'est  par  le  feu  que  périra  le  Monde.  Le  nom  de  Niörva-sund  (Détroit 
de  Niörvi) ,  qui ,  dans  la  langue  norraine ,  désigne  le  Détroit  de  Gibraltar, 
signifie  proprement  Détroit  du  i'o/r^  ou  de  rOí;c20?ení,  ou  Détroit  d'^e.s- 
périe.  Norvi  est  donc  la  personnification  du  Déclin ,  du  Sommeil  et  de  la 
Mort  ;  il  est  particulièrement  la  personnification  du  crépuscule  du  soir;  et, 
comme  telle ,  Narvi  ou  NarJi  est  fils  de  Loki  (Clôtureur) ,  qui  est  la  per- 
sonnification de  la  Fin  des  choses ,  comme  son  antagoniste ,  Heimdall 
o\iRigr{\oy.  p.  194)  est  la  personnification  d\i  Commencement  des  choses. 
Niörvi^  la  négation  et  l'ennemi  de  la  lumière,  est  un  démon  ;  il  est,  par 
conséquent,  de  la  race  des  lotnes ,  comme  tous  les  êtres  mythologiques 
appartenant  à  l'hiver  et  à  la  nuit.  On  se  figurait  l'iotne  Norvi  ou  NarJi 
comme  un  Loup-garou;  le  loup,  comme  son  homonyme ,  le  renard  (norr. 
narvi,  renard;  cf.  goth.  vulfs,  loup;  lat.  vulpes ,  louve,  renarde)  étant 
l'animal  crépusculaire  par  excellence ,  qui  cherche  sa  proie  entre  chien 
et  loup  ;  et  les  Neures  (p.  Narvies) ,  cette  tribu  scytho-sarmate ,  qu'Hé- 
rodote représente  comme  des  loups-garoux,  passaient,  sans  doute,  dans 
la  tradition ,  pour  être  en  rapport  de  parenté  avec  NarJi,  le  fils  de  Loki. 
iVorîJ2(Hesperus,leSoir),  a  pour  fille  iVdi/(Nuit);  elle  n'est  pas,  ici,  comme 
dans  la  Mythologie  grecque,  un  symbole  zoomorphe,  conçu  par  intuition . 
de  la  nuit,  avec  laquelle  elle  serait  identique ,  mais  elleest  une  Déité  anthro- 
pomorphe,  présidant  à  la  nuit,  dont  elle  est  personnellement  distincte. 


NUMÉRO  (17)  (PAGE  86)  ;  NÖRVI  ET  SES  DESCENDANTS.         499 

§  53.  Nôtt ,  épouse  de  Naglfari  et  de  Onarr.  —  La  nuit  pouvant  être 
considérée  par  rapport  aux  trois  tiers  dans  lesquels  les  Anciens  avaient 
coutume  de  la  partager,  on  assigna  aussi ,  dans  la  Mythologie,  à  Nôtt, 
successivement  trois  époux ,  qui  représentaient,  sans  doute ,  les  trois  par- 
ties successives  de  la  nuit.  Snor7H,']e  ne  sais  d'après  quelle  autorité,  donne 
2iNôtt ,  pour  'premier  époux,  le  nommé  Naglfari  (Au  Navire  d'Ongles); 
c'est  un  Démon  ,  Thurse  ou  lotne ,  qui  est  le  représentant  des  profondes* 
ténèbres  de  la  nuit,  et  le  Précurseur  de  la  destruction  du  Monde.  Son  vé- 
ritable nom  est  Loki  de  l'Enclos-Extérieur  (Utgarda-Loki) ,  frère  de 
Bileyst  (Pousse-Grain)  ;  «t  il  porte  le  nom  épithétique  de  Au  Navire- 
ci' Ongles,  parce  que ,  à  la  Fin  du  monde ,  il  s'embarquera ,  avec  les  Démons 
destructeurs,  sur  le  Navire- d'Ongles  (Naglfar),  qui  aura  été  construit 
avec  les  ongles  des  Trépassés  descendus  dans  Hel.  Audur  (Inculte) ,  le 
fils  de  Nôtt  et  de  Naglfari,  représente  ,  probablement ,  l'aspect  triste , 
inculte  et  morne,  que  prend  la  terre  dans  la  nuit  et  les  ténèbres  (cf.  Jud- 
humla,  p.  181).  D'après i'yiorrz^  ou  d'après  un  mythe  cosmogoniquedont 
Snorri  pouvait  encore  avoir  connaissance ,  le  second  époux  de  Nôtt  est 
Onar\  et  lord  (Terre)  est  la  fille  de  Onar  et  de  Nôtt.  En  eiFet,  dans  le 
langage  skaldique ,  la  terre  est  appelée  poétiquement  la  Fille  d'Onar  ; 
d'un  autre  côté ,  dans  les  chants  épiques  de  l'Edda ,  lord  est  appelée 
Fille  de  Nôtt  (cf.  Brynhildar  Kvida.,  I,  str.  3).  Snorri  est  donc  en 
droit  de  dire  que  Onar  était  Y  époux  de  Nôtt.  Mais  qu'il  ait  été  le  second 
époux ,  aucun  document  mythologique ,  du  moins  de  ceux  qui  nous  restent, 
ne  l'énonce.  Cependant  Snorri,  ayant  déjà  nommé  un  'premier  époux, 
Naglfari.,  considère  naturellement  Onar  comme  le  second;  peut-être, 
au  lieu  de  Onar,  lisait-il  Annar  (l'Autre),  et  il  s'est  expliqué  ce  nom 
comme  signifiant  \ Autre,  c'est-à-dire  le  second  époux.  Onar  est  un  nom 
épithétique  de  Œgir,  le  Génie  de  l'Océan  terrible.  Les  Scythes  donnaient 
à  l'Océan  ou  au  Génie  qui  le  représentait^  le  nom  de  Effrayant  (Tami), 
ou  de  Effrayant  Beaucoup-Sachant  (Tami-Mâza-dàs).  Les  peuples  de 
la  branche  gète^  au  lieu  de  Tami.,  disaient  i'am/ et  Tomi{y.  Les  Gètes, 
p.  250).  Lorsque  la  Cosmogonie  se  forma ,  le  nom  de  Sami  (norr.  Samr) 
et  de  Tomi  (norr.  to7iir,  désert)  eut  le  nom  plus  expressif  de  ^er^ewí 
(Agis;  norr.  Œgir;  sansc.  Ahis;  gr.  Echis)  ;  et  l'Océan  étant  considéré 
comme  entourant  la  terre ,  il  eut  le  nom  de  Gumis  (norr.  Gymir ,  Entou- 
rant, Protégeant).  L'iotne  Œgir  ou  Gymir,  le  représentant  de  l'Océan 
redoutable,  passait  pour  un  Démon  auguste  (sansc.  svaryas ,  céleste; 
germ.  hêri;  norr.  hâri;  ail.  hehr).,  par  l'agitation  de  ses  vagues  (sansc. 
aughas  ;  norr.  vâgr) ,  ou  par  l'agitation ,  l'épouvante  (norr.  ôgn  ;  cf.  gr. 
ôgen ,  ôkeanos) ,  ou  la  frayeur  qu'il  inspirait.  C'est  pourquoi  il  eut  le 
nom  épithétique  de  Ogn-hârr  (Auguste  d'Agitation),  qu'on  a  changé  en 
Onarr  (cf.  Ragnarr ,  p.  Ragin-harr  ;  Sigarr  p.  Sig-harr;  Fialarr  p. 
Fial-harr,  etc.).  Comme  l'a  long  se  rapprochait,  dans  la  prononciation 
norraine ,  de  Vô,  le  nom  à' Onarr  devint  presque  homophone  avec  Anarr 
(p.  Agnharr,  Agnarr,  Chasseur,  Pêcheur),  qui  est  le  nom  d'un  Dverg 
de  la  nuit.  Mais,  en  aucun  cas,  l'iotne  Oiiar  ne  saurait  être  identique 
avec  le  Dvergue  Anar  ;  car  les  Dvergs  sont  des  Êtres  météorologiques 
(voy.  p.  218)  et  non  des  Êtres  cosmogoniques  ;  et  jamais  la  Mythologie 


200  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

n'a  pu  songer  à  faire  d'un  Dverg ,  fils  chétif  de  la  Terre ,  l'époux  de  Nôtt 
et  le  père  de  lord.  Les  noms  de  Onar  et  de  Anar  diffèrent  essentielle- 
ment du  mot  anar-r  (p.  andar-r),  l'autre.  Cependant  il  semble  que ,  déjà 
du  temps  de  Snorri,  on  a  confondu  ces  trois  noms,  et  l'on  a  expliqué  le 
nom  de  Owar  (confondu  avec ^/^ar),  comme  signifiant  simplementl'^î^ire, 
c'est  à-dire  le  second  époux.  Les  Scythes  considéraient  les  pays  ou  terres 
comme  sortis  des  eaux;  c'est  pourquoi  ils  donnaient  au  paya  ou  à  la  terre 
le  nom  de  aquatique  {^cyiheJpia) ,  et  adoraient  la  Terre  sous  le  nom  de 
Apia  (voy.  Les  Gètes ,  p.  170).  Plus  tard  ,  chez  les  peuples  de  la  branche 
gète,  lorsque,  avec  la  Cosmogonie ,  se  forma  l'idée  de  Terre,  comme 
Ensemble  de  tous  les  pays,  la  Terre,  nommée  lörd^  fut  encore  considérée 
comme  .sori/e  de  l'Océan  (norr.  Gymir)  et,  par  conséquent,  comme  la  fille 
de  Gymir  ou  de  Onar.  lord,  la  fille  à' Onar,  a  pour  mère  Núíf^  cela 
signifie  que ,  d'abord,  au  point  de  vue  cosmique  ou  par  rapport  au  Monde, 
la  Terre ,  d'après  le  système  mytho-cosmogonique ,  est  considérée  comme 
provenant  ou  comme  sortie  de  la  Nuit  du  Monde ,  c'est-à-dire  du  Chaos 
ou  du  Néant,  ainsi  que,  dans  la  Mythologie  grecque,  Gaïa  (Terre)  est 
appelée  la  F27/e  de  Chaos;  ensuite^  cela  signifie  que,  au  point  de  vue 
des  saisons,  ou  considérée  par  rapport  à  l'an^iee^  la  Terre,  qui,  au  prin- 
temps, commence  sa  période  de  production ,  sort,  provient  ou  descend 
de  l'Hiver,  qui  est  la  Nuit  de  l'année  ;  cela  signifie ,  enfin ,  que ,  au  point 
de  vue  de  la  journée,  ou  par  rapport  à  son  apparition  diurne,  la  Terre 
naît  de  la  Nuit,  puisqu'elle  sort  ou  naît,  en  quelque  sorte,  chaque  matin, 
des  ténèbres  qui  l'avaient  couverte  ou  enveloppée  dans  la  nuit.  Ce. mythe 
co  smo  g  oblique ,  sur  l'origine  dit  lord,  bien  qu'il  ne  remonte  guère  au 
delà  du  deuxième  siècle  avant  notre  ère,  est  cependant  antérieur  à  l'autre 
mythe  déjà  cosmogonique  et  plus  épique ,  d'après  lequel  la  Terre  a  été 
façonnée.par  les  Ases,  avec  la  matière  tirée  du  corps  d'Ymir  (voy.  p.  188). 
l  54.  Delling,  troisième  Époux  de  Nôtt.  —  Le  troisième  Époux  de  Nôtt. 
selon  Snorri,  est  Delling  (Issu  de  Dali).  On  ne  sait  d'après  quelle  donnée 
il  parle  de  ce  troisième  mariage  mythique ,  qui ,  du  reste  ,  paraît  être  au- 
thentique dans  la  tradition  ;  car ,  d'après  la  strophe  25  des  Dits  de  Vaf- 
thrûdnir,  Dagr  (Jour,  p.  Dav-ingr,  Issu  de  Brillant)  est  fils  de  Delling 
(Issu  de  Dali);  et,  d'un  autre  côté,  le  Jour  (Dagr),  qui  procède  de  la 
Nuit  (Nôtt) ,  est  appelé  Fils  de  Nôtt  (et  de  Dav).  Snorri  a  dû  conclure 
de  là  que  Nôtt  a  été  l'Épouse  ou  du  moins  l'Amante  de  Delling;  et  ayant 
déjà  cité  Audur  et  Onar  comme  ayant  été  ses  deux  premiers  époux ,  il 
appelle  Delling  le  troisième  époux  de  Nôtt.  Il  considère ,  avec  raison , 
ce  mariage  comme  le  dernier,  puisque  Delling  représente  la  dernière 
partie  de  la  nuit.  En  eff'et,  Delling ,  dont  le  nom  signifie  Jssic  de  Dali, 
est  probablement  fils  de  Heim-dall  (Arbre  du  Séjour) ,  qui  est  la  person- 
nification symbolique  de  l'aube  du  Monde  ou  du  commencement  et  de  la 
naissance  de  toutes  choses.  Delling  représente  le  Crépuscule  du  matin 
ou  le  Point-du-jour;  il  est  l'opposé  de  Nörvi  (Crépuscule  du  soir);  le 
premier  appartient  déjà  au  jour  et  à  la  lumière;  il  est  de  la  race  lumineuse 
des  Ases  ;  le  second  appartient  déjà  à  la  nuit  ;  il  est  de  la  race  ténébreuse 
úeslotnes.  Jour  (Dagr)  est  le  fils  de  Point-du-Jour  (Delling)  et  de  Nuit-^ 
tous  les  trois ,  Jour.,  Point-du-Jour  et  Nuit.,  ne  sont  pas  des  concepts  de 


NUMÉRO  (18)  (page  86)  ;  mundilfari.  201 

l'intuition  ;  ces  sont  des  personnifications  allégoriques  du  point  du  jour, 
de  la  nuit,  et  du  jour.  Aussi  ces  personnages  ne  se  confondent-ils  pas  avec 
les  objets  qu'ils  représentent;  ce  sont  des  Génies  qui  président  à  ces  ob- 
jets ou  phénomènes,  dont  ils  diffèrent  comme  personnes  anthropomor- 
phes. Le  mythe  suppose  que  le  jour  est  chaque  fois  amené  au  ciel  par 
l' arrivée  du  cheval  Crin- Lui sant ^  traînant  le  char  où  se  trouve  le  Génie 
qui  préside  an  jour,  et  qui,  sans  être  le  jour  lui-même,  porte,  comme  lui, 
le  nom  de  Jour.  De  même ,  la  nuit  est  amenée  au  ciel  par  l'arrivée  du 
cheval  Crin- Givreux ,  traînant  le  char  où  se  trouve  le  Génie  qui  préside 
à  la  nuit,  et  qui ,  sans  être  la  nuit  elle-même ,  porte ,  comme  elle ,  le  nom 
de  Nuit  Ce  que  Snorri  ajoute  sur  les  chars  de  Nuiû  et  de  Jour,  sur  les 
chevaux  qui  les  traînent,  et  sur  l'origine  de  la  rosée  du  matin ,  est  em- 
prunté aux  Dits  de  Vafthrûdnir ,  strophes  12«  et  14«.  (Voy.  Poèmes 
islandais ,  p.  264.) 

(18)  MYTHES  COSMOGONO-ÉPIQUES  SUR  SÔL  ET  MÂNI. 

l  55.  Mundilfari ,  père  de  Soi  et  de  Mâni.  —  Dans  l'origine ,  chez  les 
Scythes,  {^Soleil  (Svalius)  et  la  Lime  (Svalia),  étaient  des  divinités  zoo- 
morphes;  plus  tard  ils  devinrent  des  divinités  anthropoinorpltes ,  et  fu- 
rent considérés  alors  comme  fils  et  fille  de  Tivus  (Ciel)  et  á'Jpia  (Terre). 
Ils  furent  adorés ,  le  premier,  sous  les  noms  épithétiques  de  Targitavus 
(Brillant  par  laTarge),  de  Vaitu-Skurus{?vom^i  à  la  chasse),  de  Skotaris 
(Archer) ,  de  Pakus  (Vénérable) ,  de  Tavit-varus  (Garde  du  peuple) ,  de 
Pravus  (Seigneur) ,  et  la  seconde ,  sous  les  noms  épithétiques  de  Vaitu- 
^Æwra  (Prompte  à  lâchasse),  de ^rím-jPasa  (Dame  Productive),  de  Á'z;a/e/ 
(Effrayante),  etc.  Dans  la  religion  des  peuples  de  la  branche  gtte ,  le 
dieu  du  Soleil ,  se  dédoublant  de  plus  en  plus ,  eut  les  noms  épithétiques 
de  Ballhus  (norr.  Baldur,  Force),  de 5Æa/mo.cÆz6' (A-la-Peau) ,  deFra- 
vius  (norr.  Fretjr,  Seigneur) ,  etc.  La  Déesse  de  la  Lune ,  se  dédoublant 
également,  eut  pour  héritières  les  déesses  nommées  Skalmoskis ,  Fra- 
via  (norr.  Freyia,  Dame),  etc.  Les  attributions  du  Dieu  du  soleil  et  de 
la  Déesse  de  la  lune,  augmentèrent  avec  le  temps;  et,  en  augmentant, 
elles  firent  oublier,  de  plus  en  plus,  la  spécialité  jöHm27M-e  de  ces  divi- 
nités comme  Dieu  du  soleil  et  comme  Déesse  de  la  hme.  Dès  lors,  le  rap- 
port primitif  entre  ces  astres  et  les  divinités  qui  y  présidaient,  étant 
rompu ,  les  astres  eurent  une  mythologie  différente  de  celle  de  ces  divi- 
nités. Or ,  comme  à  ces  astres ,  jadis  adorés  et  maintenant  devenus  de 
simples  objets  de  la  Nature ,  se  rattachait  traditionnellement  un  culte ,  le 
soleil  et  la  lune  passaient  pour  des  astres  sacrés,  et  l'on  imagina  des  di- 
vinités pour  présider  à  ces  objets  sacrés.  A  cette  époque  (à  peu  près  au 
troisième  siècle  avant  notre  ère) ,  les  nouvelles  divinités  qui  furent  ima- 
ginées, étaient  toutes  anthropomorphes,  et  elles  prirent  les  noms  des  ob- 
jets auxquels  elles  présidaient.  A  cette  même  époque  (où  la  branche  gète  était 
déjà  séparée  de  la  branche  sarmate) ,  le  mot  usité  dans  les  idiomes  de 
l'une  et  de  l'autre  branche,  pour  désigner  le  soleil  comme  astre,  était 
,  un  moi  féminin  (lith.  saule;  goth.  sunno;  norr.  sunna.,  sol,  etc.),  et  le 
mot,  pour  désigner  la  lune,  comme  astre,  était  un  mot  masculin.  Aussi 
la  nouvelle  divinité  imaginée ,  pour  présider  au  soleil ,  prit-elle  le  même 


202  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

nom  féminin  que  cet  astre,  et  fut,  par  conséquent ,  considérée  elle-même 
comme  une  ámmié-fe??i?ne.  Au  contraire ,  la  divinité  imaginée  pour  pré- 
sider à  la  lune  ,  dut,  par  les  mêmes  raisons,  être  considérée  comme  une 
divinité  mâle.  C'est  ainsi  que  furent  conçus  Sôl^  la  Déité  du  soleil,  et 
Mâni,  le  Génie  de  la  lune.  La  Cosmogonie ,  pour  expliquer  ensuite  l'ori- 
gine du  soleil  et  de  la  lune ,  comme  astres ,  imagina  qu'ils  étaient,  ainsi 
que  les  autres  étoiles,  des  étincelles  gigantesques  qui ,  lancées  dans  l'es- 
pace ,  au  Séjour  de  Muspill  {\oy.  p  175) ,  erraient  longtemps  sans  règle , 
jusqu'à  ce  que  les  Jses  leur  eussent  donné  pour  guides  deux  Génies ,  Soi 
et  Mâni.  Ce  mythe  cosmologique ,  tout  en  représentant  le  soleil  et  la  lune 
comme  des  étincelles  lancées  dans  l'espace ,  ne  put  cependant  pas  encore 
faire  abstraction  de  \sl  personnification  mythologique  dont  ces  astres 
avaient  été  anciennement  revêtus.  Aussi ,  malgré  la  contradiction  qui  résul- 
tait de  cette  double  manière  de  concevoir  ces  astres ,  ces  personnifica- 
tions se  sont  encore  maintenues  quelquefois  dans  la  tradition.  Ces  per- 
sonnifications se  trouvent,  par  exemple,  dans  la  strophe  suivante  de  la 
Vision  de  la  Louve  : 

«  Soi  répand,  du  sud,  ses  faveurs  sur  Mâni, 

«  A  la  droite  de  la  Porte  du  Coursier-Céleste  ; 

«  Sol  ne  le  savait  pas,  où  elle  avait  ses  demeures  ; 

«  Les  Étoiles  ne  le  savaient  pas ,  où  elles  avaient  leurs  places; 

«  Mâni  ne  le  savait  pas  quel  était  son  pouvoir. 
Dans  le  mythe  rapporté  par  Snorri^  Sol  et  Mâni  ne  désignent  pas  les 
astres  eux-mêmes,  mais  les  Génies  qui  président  à  leur  mouvement.  Ce- 
pendant, dans  la  tradition  mythologique,  ces  Génies  empruntent,  outre 
leur  nom ,  encore  certains  caractères ,  aux  astres  auxquels  ils  président. 
C'est  ainsi  que  la  tradition  populaire ,  rapportée  par  Snorri ,  au  lieu  de 
représenter  ces  génies  comme  des  Jlfes  (voy.  g  84) ,  leur  donne  une  ori- 
rine  iotnique ,  parce  que ,  d'après  la  Cosmogonie ,  le  soleil  et  la  lune  sont 
sortis ,  comme  étincelles ,  du  Séjour  de  MuspilL  et  que  Muspill  ou  Sur- 
tur.,  comme  représentant  des  forces  gigantesques  du  Monde  igné  primitif, 
compte  parmi  les  lotnes.  Et  voilà  pourquoi  le  père  de  Mâni  et  de  Soi  est 
un  lotne  nommé  Mundil-fari ,  nom  qui  signifie  Voy ageant-en-Cir cuit 
(norr.  mund^  cercle,  tour,  temps;  möndull,  tour,  axe;  sansc.  manda 
las^  cercle) ,  et  désignait,  dans  l'origine  ,  le  Ciel  qui  se  meut  en  sphère, 
et  puis  le  Temps  ^  qu'on  se  figurait  comme  une  période  circulaire  (cf.  gr. 
chronos^  kronos.,  cercle,  temps;  lat.  coróna^  la  circulaire,  le  cercle). 
Dans  la  suite,  le  mythe  cosmogonique  tournant  de  plus  en  plus  au  mythe 
épique  et  même  au  conte  populaire ,  Mundilfari  fut  assimilé  entièrement 
aux  lotnes.  Son  nom  déjà  ressemblait  aux  noms  iotniques  de  Nagl-fari 
(voy.  p.  199)  et  de  Svadil-fari  (voy.  §  141).  La  tradition  populaire  des 
temps  postérieurs  lui  attribuait ,  conformément  au  caractère  des  lotnes , 
un  orgueil  démesuré,  et  donnait  pour  cause  de  cet  orgueil^  la  trop  grande 
idée  qu'il  avait  de  la  beauté  de  ses  deux  enfants ,  Sol  et  Mâni.  Aussi  les 
Âses ,  pour  punir  son  outrecuidance ,  enlevèrent-ils  ces  deux  enfants  ; 
ils  les  transportèrent  de  la  terre  au  ciel ,  comme  ils  ont  transporté, 
sur  la  voûte  céleste ,  sous  forme  de  constellations ,  les  yeux  de  l'iotne 
Thiassi  et  le  doigt  de  pied  de  l'iotne  Örvandil.  Soi  et  Mâni  sont  con- 


NUMÉRO  (18)  (page  86)  ;  sôl  et  màm.  203 

damnés  par  les  Jses  à  conduire  les  chariots  du  soleil  et  de  la  lune.  D'a- 
près la  tradition  populaire ,  ils  sont- les  serviteurs  ou  les  Serfs  des  Dieux, 
semblables  presque  aux  serves  iotniques  Me?iia  et  Fenia,  ou,  du  moins, 
aux  enfants  Thialji  et  Röskva ,  que  Thôr  enleva  à  leur  père ,  le  Géant- 
des-Montagnes. 

§  56.  Sôl ,  la  fiancée  de  Glèn;  ses  deux  chevaux.  —  Sôl  et  Mâni  ayant 
été  conçus  à  une  époque  postérieure ,  et  conçus  d'abord  comme  person- 
nages cosmogoniques ,  et ,  plus  tard ,  comme  appartenant  à  la  race  iot- 
nique,  ils  n'ont ,  pour  ces  raisons ,  jamais  été  adorés.  Seulement,  comme 
quelques  traditions,  concernant  l'ancien  dieu  Soleil^  se  sont  conservées, 
et  que  Sôl,  confondue  avec  le  soleil,  se  rapprochait,  par  sa  nature  bien- 
faisante et  lumineuse,  des  Alfes  et  des  Ases,  cette  fille  de  l'iotne  Mun- 
dilfari  figure,  dans  quelques  mythes ,  parmi  les  Asynies  (Amies  des  Ases), 
de  la  même  manière  et  pour  la  même  raison  que  Skadi.,  la  fille  de  l'iotne 
Thiassi ,  Qi  Gerdur  ^  la  fille  de  l'iotne  Gymir.  Selon  5norW ,  5d/ est 
fiancée  à  Glèn;  et  eifectivement ,  le  Skalde  Skûli^  Fils  de  Thorstein,  ap- 
pelle Sôl  la  Concubine  de  Glèn  (voy.  Snorra  Edda ,  p.  330).  Ce  nom 
de  G/èn,  ou  bien  signifie  Joli ,  Brillant  (cf.  gr.  kleinos;  Hésych.  glê- 
7106-,  lumière;  anglos.  clæne;  ail.  klein  ,  joli,  gentil,  petit),  et  désigne, 
sans  doute ,  dans  ce  cas ,  un  Alfe  ,  l'Étoile  du  soir  et  du  matin ,  ou  bien , 
il  est  synonyme  áeHlæ  ou  Glæ ,  et  désigne  l'Océan  ,  où  le  Soleil  [Sôl)  se 
couche;  ou  enfin,  il  est  synonyme  de  Glyrnir ,  qui  désigne  l'Océan  cé- 
leste, c'est-à-dire  l'atmosphère  attiédie  par  les  rayons  du  soleil. 

Ce  que  Snorri  rapporte  des  chevaux  de  Sôl  et  du  Fer-Réfrigérant,  est 
confirmé  par  la  strophe  37  des  Dits  de  Grimnir.  Comme  on  se  figurait 
Matinal  et  Tout-Alerte^  les  deux  chevaux  de  Sôl,  attelés  au  chariot  sur 
lequel  étaient  placés  à  la  fois  l'astre  du  soleil  et  Sôl  dirigeant  l'attelage,  le 
récit  épico-mythique  se  croyait  obligé  d'expliquer  comment  ces  chevaux, 
se  trouvant  si  près  du  soleil ,  ont  pu  supporter  une  chaleur  aussi  exces- 
sive. Il  a  donc  imaginé  que,  sous  les  épaules,  à  l'endroit  où  les  chevaux 
souffrent  le  plus  de  la  chaleur,  il  se  trouvait,  pour  les  rafraîchir,  un  fer 
qui,  par  la  nature  de  ce  métal ,  toujours  frais  (norr.  kalt-isarn.^  fer  froid), 
communiquait  sa  fraîcheur  aux  chevaux. 

§  57.  Les  phases  et  les  taches  de  la  lune.  —  La  manière  dont  les  Scan- 
dinaves et  les  peuples  germaniques  désignaient  les  phases  successives  de 
la  lune ,  différait  entièrement  de  la  nôtre.  Comme  depuis  la  première  ap- 
parition ,  après  ce  que  nous  appelons  la  nouvelle  lune ,  jusqu'à  la  pleine 
lune,  il  y  a  accroissement  du  disque  lunaire,  les  différents  degrés  de  cet 
accroissement  portaient ,  dans  la  langue  norraine ,  le  nom  de  renouvelle- 
ments (norr.  mj).  Le  renouvellement  par  excellence  était  le  premier.^  c'est- 
à-dire  la  première  apparition  après  la  nouvelle  lune.  Ensuite ,  comme 
depuis  la  pleine  lune  jusqu'à  la  nouvelle  lune,  il  y  a  décroissance  du  disque 
lunaire ,  les  différents  degrés  de  cette  décroissance  ou  de  ce  décours , 
portaient  le  nom  de  abaissements  (norr.  nid).  L'abaissement  par  excel- 
lence était  ce  que  nous  appelons  la  nouvelle  lune. 

Les  taches  de  la  pleine  lune ,  vues  à  l'œil  nu ,  ne  ressemblent  à  rien 
(voy.  Arago ,  Astron.  pop. ,  3 ,  385)  ;  c'est  pourquoi  l'imagination  des 
hommes  y  a  pu  trouver  différentes  ressemblances  arbitraires  (voy.  Grimm-, 


204  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Myth.  p.  679).  Les  Hindous  croyaient  voir,  dans  la  lune,  un  lièvre ,  et  don- 
naient, par  conséquent,  à  cet  astre  le  nom  épithétique  de  çaçln  (Ayant 
un  lièvre,  lune).  Les  Scandinaves  croyaient  voir,  dans  les  taches  de  la 
lune ,  deux  individus  portant ,  sur  leurs  épaules ,  une  perche  à  laquelle 
était  suspendu  un  seau.  Partant  de  cette  donnée  d'intuition  imaginative 
et  l'expliquant  à  sa  manière ,  la  tradition  mythico-épique,  qui  tourna  plus 
tard  au  conte  populaire ,  rapporta  que  Mâni  (que  les  dieux  avaient  enlevé 
de  la  terre  avec  sa  sœur  ^o7j  en  enleva,  à  son  tour,  deux  enfants,  un  frère 
et  sa  sœur,  dont  il  iît  ses  serviteurs,  comme  Thôr  l'a  fait  de  Thialji  et 
de  Röskva ,  et  qu'on  les  voit  encore ,  sur  le  disque  de  la  lune ,  tels  qu'ils 
étaient  au  moment  de  leur  enlèvement.  Le  père  de  ces  enfants  est  nommé 
Vid-Jlnn  (Finne  de  la  Forêt)  ;  c'était  sans  doute ,  dans  la  tradition  primi- 
tive, un  Géant  des  Montagnes  ;  et  ce  nom  prouve  même  que  cette  tradition 
s'est  formée  seulement  lorsque  les  tribus  gothes  se  furent  établies  dans 
le  Nord  et  qu'elles  eurent  repoussé  dans  les  forets  marécageuses  de  la 
Marche-Finne  l'ancienne  race  iinne  qui,  antérieurement,  était  répandue 
dans  toute  la  Scandinavie  (voy.  p.  139).  Peut-être  la  tradition  elle-même 
était-elle  originairement  finne.  La  fille  de  Vidfmn  se  nomme  Dyl  ou  BU 
(Nuée;  féminin  de  J??//r^  nuage),  et  son  frère  est  nommé //íw/íí  (Neigeux; 
cf.  norr.  Jiuk,  neige) ,  deux  noms  qui  désignent  les  figures  nuageuses 
de  ces  enfants  sur  le  disque  neigeux  de  la  lune.  Ces  enfants  portent ,  sur 
leurs  épaules,  la  Perche  qui  est  nommée  Siinul  (p.  Sumul,  Conjonction, 
joug),  parce  qu'elle  joint  ensemble,  comme  un  joug,  les  deux  porteurs 
du  seau.  A  cette  perche  est  attaché  le  seau  qui  est  nommé  Baquet-au- 
lait  (norr.  Sægr;  cf.  sansc.  Sagara) ,  parce  que  le  même  vase  qui  servait 
de  baquet  à  traire,  servait  aussi  pour  y  porter  de  l'eau.  C'est  ce  seau  que 
les  deux  enfants  de  Vidjlnn^  au  moment  de  leur  enlèvement,  avaient 
rempli  de  l'eau  puisée  à  la  fontaine  qui  appartenait  kByrgir  (Renfermant). 
Byr-gií',  dont  le  nom  exprime  qu'il  avait  entouré  son  puits  d'un  mur  so- 
lide, comme  d'une  enceinte  (norr.  borg)^  était,  sans  doute,  unlotne  pos- 
sesseur, comme  l'iotne  Mimlr,  d'un  puits,  situé  dans  le  óV/owr-í/í'A- 
lotnes.  Ce  mythe  des  enfants  de  Vidjinn  ne  se  trouve  consigné  dans 
aucun  des  documents  mythologiques  qui  nous  restent;  Snorri  l'a  puisé , 
probablement ,  dans  la  tradition  populaire.  Aussi  la  forme  de  ce  mythe 
porte-t-elle  les  caractères  du  conte  populaire  postérieur;  car  les  person- 
nages qui  y  figurent,  et  qui  étaient  de  race  iotnique  dans  le  mythe  pri- 
mitif, y  sont  déjà  changés,  comme  dans  les  contes  populaires,  en  per- 
sonnages de  race  humaine. 

\  58.  Soleil  et  Lune,  dans  l'origine  divinités  zoomorphes.  —  Dans 
l'origine,  le  soleil  et  la  lune  furent  conçus,  par  l'intuition,  comme  des 
divinités  bienfaisantes  qu'on  adorait.  La  forme  de  ces  astres  n'ayant  rien 
qui  put  être  rapporté,  par  l'imagination  ,  à  la  figure  humaine.,  ils  furent 
conçus  primitivement,  par  l'intuition ,  comme  des  êtres  vivants  (gr.  zoa)., 
divins  ou  comme  divinités  zoomorphes.  A  cause  de  la  chaleur  fécondante 
et  de  la  course  rapide  qu'on  remarquait  dans  le  soleil ,  l'imagination  des 
Scythes,  peuple  pasteur,  chasseur  et  guerrier,  se  figurait  le  dieu  Soleil 
comme  un  animal  mâle  en  chaleur,  tel  qu'un  étalon ,  un  taureau,  un  bé- 
lier, un  verrat,  un  renne,  un  élan  ou  un  cerf.  Aussi  ces  animaux  furent- 


NUMÉRO  (18)  (page  86)  ;  sôl  et  mâni.  205 

ils  consacrés  au  dieu  Soleil  zoomorphe.  Les  Scythes  guerriers  aimaient 
surtout  à  voir,  dans  le  Soleil ,  un  "cheval  ardent  parcourant  rapidement 
les  espaces  célestes ,  et  répandant  ses  rayons  de  lumière  et  de  chaleur  par 
ses  yeux,  ses  naseaux,  sa  crinière  luisante,  et  sa  queue  flamboyante.  La 
Lune  fut  conçue,  par  l'intuition,  à  la  fois  comme  divinité  analogue  au  So- 
leil ,  en  tant  que  bienfaisante  et  luisante  comme  lui ,  et  comme  divinité  op- 
posée ííw  Soleil ,  en  tant  que  nocturne ,  tandis  que  le  Soleil  était  diurne.  On 
considérait  principalement  la  Lune  au  point  de  vue  de  l'influence  fécon- 
dante qu'on  lui  attribuait:  c'est  pourquoi  elle  passait  pour  la  déesse  de  la 
génération  et  de  la  naissance  (cf.  lat.  Luna,  Lucina)^  d'autant  plus  qu'elle 
se  confondait  avec  la  Nuit  qui ,  elle  aussi ,  était  considérée  comme  une 
Mère,  du  sein  de  laquelle  la  Terre,  avec  tout  ce  qu'elle  renferme,  était  sortie 
(voy.  p.  200).  Aussi  l'imagination  se  figurait-elle  la  Lune,  cette  déesse  zoo- 
morphe, de  préférence  sous  la  forme  de  la  vache,  de  la  biche  et  de  la 
truie,  qui  étaient  les  types  de  la  maternité  (voy.  g  98),  et  qui,  dès  lors, 
devinrent  les  animaux  consacrés  à  la  Lune  zoomorphe. 

Lorsque  plus  tard,  chez  les  Scythes,  comme  chez  les  autres  peuples 
iafétiques,  les  divinités  zoomorphes  furent  remplacées  successivement 
par  des  divinités  anthropomorphes ,  le  soleil  et  la  lune  ne  furent  plus 
considérés  comme  des  divinités  sous  forme  animale,  mais  comme  des 
êtres  impersonnels,  comme  des  astres,  auxquels  présidaient  des  divinités 
à  la  forme  humaine,  lesquelles,  comme  personnes,  étaient  distinctes  des 
astres  auxquels  elles  présidaient.  Cependant,  malgré  ce  changement^  qui, 
à  la  place  d'un  seul  être  divin,  savoir  le  dieu  Soleil  zoomorphe,  en  fit 
concevoir  deux,  distincts  l'un  de  l'autre,  savoir  le  divin  Soleil,  comme 
astre ,  et  le  dieu  anthropomorphe  du  Soleil ,  qui  y  présidait ,  les  animaux 
qui ,  selon  l'usage  traditionnel  religieux ,  étaient  consacrés  à  l'ancien 
Soleil  zoomorphe,  continuèrent  à  être  consacrés  au  dieu  anthropomorphe 
du  Soleil ,  et  les  anciennes  traditions  et  les  mythes  se  conservèrent  éga- 
lement avec  quelques  changements.  C'est  ainsi  que  les  Massagètes,  à 
une  époque  où  le  Soleil  était  déjà  adoré  comme  dieu  anthropomorphe , 
donnaient  cependant  encore  à  ce  dieu  l'ancienne  épithète  de  Le  plus 
rapide  des  dieux  (voy.  Hérodot.  i ,  216),  épithète  qui  se  rapportait  ori- 
ginairement au  cheval  rapide ,  sous  la  figure  duquel  le  soleil  était  an- 
ciennement conçu.  Dans  la  Mythologie  indienne,  le  dieu  du  ciel,  Indras, 
divinité  anthropomorphe ,  qui  fut  substitué  à  l'ancien  dieu  zoomorphe 
Sourias  (Soleil),  portait  également,  encore  plus  tard,  comme  reste  et 
en  souvenir  de  l'ancienne  hypostase  du  soleil ,  les  surnoms  de  Vadjan 
(Cheval)  et  de  Arvan  (Coursier  ;  voy.  Les  Gètes ,  p.  1 79).  Toutes  les  tribus 
Scythes,  ainsi  que  les  Hindous,  les  Perses,  les  Rhodiens,  les  Lacédémoniens, 
(Pausan.  Lakon. ,  20,  5),  sacrifiaient  au  dieu  du  Soleil,  le  cheval ,  le  plus 
rapide  des  quadrupèdes,  et  qui  lui  resta  toujours  consacré.  C'était  au  dieu 
du  Soleil  qu'étaient  consacrés  les  chevaux  blancs  qui  paissaient  sur  les 
bords  du  lac  Hypanis  en  Scythie  [Hérodot.  4,  52)  ;  et  cet  usage  religieux 
se  transmit  également  aux  descendants  des  Scythes,  aux  Sarmates  et  aux 
Gètes ,  et  aux  descendants  de  ceux-ci ,  aux  Slaves  ,  aux  Scandinaves  et 
aux  Germains.  Dans  la  Mythologie  Scandinave,  les  deux  chevaux^  qui 
traînent  le  char  de  la  déesse  Sôl  (voy.  §  56),  rappellent  encore  le  Cheval  ce- 


206  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

leste  (norr.  himin-iôr;  v.  p.  202) ,  qui  était  rancienne  hypostase  du  soleil. 
Les  Scythes  de  la  branche  sarmate  habitant  des  pays  où  abondait  Vélan, 
que  ,  dans  leur  langue ,  ils  nommaient  alkiis  (Strabon  ,  kolos  p.  olkos  ; 
grec  alké\  lat.  alces,  achlis  ;  vieux-slavon  loçs  ;  vieux  Scandinave  ialkr; 
norr.  elgur;  pol.  loç,  etc.) ,  ont  substitué  au  cheval ,  comme  animal  con- 
sacré au  soleil,  Vélan,  d'autant  plus  que  \e  nom  al kiis ,  qui  signifiait 
proprement  lancé,  s'appliquait  également  au  cheval  et  à  l'élan  (cf.  polon. 
loszak ,  petit  cheval  tatare).  A  ['élan ,  les  Scythes  septentrionaux  ou  les 
Sar-mâtes  (Hommes  du  Nord),  ont  substitué  le  re?ine  qui,  dans  leur 
langue ,  était  nommé  farandus  {Plin. ,  8 ,  34 ,  52  ;  Hésychius  tarandos  ; 
norr.  thrandr;  cf.  pelasge  Brendos  ;  norr.  brâdr  p.  brandr) ,  mot  qui , 
dérivé  du  thème  vrinda  (p.  bhrinda)^  est  synonyme  de  renne  (lat.  rheno\ 
vhall.  rheino\  norr.  Arem) ,  et  qui  signifiait  proprement  Frémissant, 
Chaleureux ,  Impétueux.  Enfin ,  au  renne  et  à  l'élan ,  les  Scandinaves  ont 
substitué  le  cerf,  d'autant  plus  facilement  que ,  dans  les  langues  slaves  , 
le  même  mot  ielen  (lith.  elnis ,  impétueux;  cf.  norr.  eli,  tempête),  dési- 
gnait l'élan  (de  elen;  ail.  elend)  et  le  cerf.  Encore  au  douzième  siècle  , 
les  Chants-de-Sôl  {Sôlar-liod  LV),  de  l'Edda,  représentent  symbolique- 
ment le  soleil  par  un  cerf  (norr.  Sôlar-hiort). 

De  même  que,  dans  la  Mythologie  hindoue,  l'incarnation  de  Fichnous 
ou  le  Verrat  qui ,  avec  ses  défenses ,  symboles  des  rayons  ardents ,  fait 
sortir  des  eaux  primitives  la  Terre  (cf.  apia  aquatique ,  sortie  de  l'eau) , 
était  ordinairement  l'hypostase  zoomorphe  du  soleil ,  de  même  aussi , 
dans  la  religion  des  Scythes  sarmates ,  le  verrat  qui ,  du  reste ,  dans  les 
langues  scythiques,  portait  le  même  nom  que  le  renne  (scythe  faran- 
dus, renne;  norr.  thrandr,  verrat),  et  qui,  dans  l'origine ,  était  le  sym- 
bole zoomorphe  du  soleil ,  devint  plus  tard ,  chez  les  descendants  des 
Sarmates,  savoir  chez  les  Slaves  et  les  Vendes  ou  Venètes  ,  l'animal  con- 
sacré à  Pravys  (Seigneur)  ou  au  dieu  du  Soleil.  Les  Scandinaves,  en  adop- 
tant ,  des  Fanes  ou  Slaves ,  le  dieu  Pravys ,  qu'ils  nommèrent  Frerjr 
(Seigneur) ,  adoptèrent  également ,  comme  consacré  à  ce  dieu  du  soleil 
anthropomorphe ,  le  verrat  Gullinborsti  (Soies  d'Or) ,  lequel  était  ainsi 
la  dernière  métamorphose  mythologique  du  Verrat  céleste,  qui  était  con- 
sidéré primitivement  comme  l'hypostase  zoomorphe  du  Dieu  Soleil  lui- 
même. 

Quant  à  la  Lune ,  les  traces  de  son  hypostase  zoomorphe  primitive , 
après  qu'elle  se  fut  changée  en  personnification  anthropomorphe ,  se 
conservèrent  encore  dans  la  Mythologie  des  peuples  de  race  scythique , 
mais  moins  nombreuses  et  moins  évidentes  que  dans  les  mythes  du  So- 
leil. Cependant  le  nom,  que  la  Déesse  de  la  lune  portait  chez-les  Thrako- 
Gètes ,  et  que  les  Grecs  ont  rendu  sous  la  forme  de  Bendis  (Biche  p. 
Brendis,  voy.  Hésych.^  s.  v.),  on  Bendeïa  (p.Brendeia),  semble  prouver 
que ,  chez  les  descendants  des  Scythes  de  la  branche  géte ,  la  Déesse  de 
la  Lune  avait  encore ,  jusque-là,  conservé,  comme  animal ,  à  elle  consa- 
cré, la  biche ^  qui,  dans  l'origine,  avait  été  son  hypostase  zoomorphe. 
Plus  tard  encore ,  dans  la  Mythologie  des  Scandinaves ,  la  Vache  et  la 
Truie ,  qui ,  originairement,  étaient  les  symboles  zoomorphes  de  la  Lune, 
furent  considérées  comme  des  animaux  consacrés  à  Freyia^  qui  avait  hé- 


NUMÉRO  (19)  (PAGE  87)  ;  FUITE  DE  SÔL  ET  DE  MÂNI.     207 

rite  de  quelques-unes  des  aUribulions  de  l'ancienne  déesse  de  la  Lune, 
d'abord  zoomorphe  ,  puis  anthropomorphe. 

(19)  LA  FUITE  DE  SÔL  ET  DE  MÂNI. 

§  59.  Un  mythe  de  la  période  primitive.  —  Les  traces  et  les  preuves  de 
la  nature  primitive  zoomorphe  de  SôUi  de  Mâjii ,  se  trouvent  non-seule- 
ment dans  les  animaux,  qui,  plus  tard  encore ,  leur  sont  restés  consacrés, 
mais  aussi  dans  quelques  mythes  de  la  période  primitive.  A  l'époque  où 
la  race  scythe  ne  s'était  pas  encore  complètement  séparée  des  autres  races 
iafétiques,  il  s'était  formé  un  mythe  (dont  on  trouve  l'équivalent  dans 
toutes  les  mythologies  iafétiques)  sur  la  lutte  du  soleil  zoomorphe  contre 
le  Démon  ou  le  Loup  qui  veut  le  dévorer.  Lorsque  le  dieu  Soleil  zoo- 
morphe fut  devenu  le  dieu  anthropomorphe  du  Soleil ,  ce  mythe  primitif, 
originairement  symbolique,  est  devenu  de  plus  en  i^lus  épique,  et  s'est 
reproduit  et  dans  le  mythe  de  Indras  luttant  contre  Vritras^  et  dans  le  mythe 
d'>/po//o?i  luttant  contre  r?//î^o?i,etdanslemythedei'2^/rfc?luttantcontre 
le  Dragon,  etc.,  etc.  A  côté  de  ces  formes  épiques,  l'ancienne  forme  du 
mythe  s'est  conservée  jusque  dans  la  Mythologie  norraine.  Bien  que  la 
déesse  anthropomorphe  Soi  ait  été  séparée  de  l'astre  du  soleil  auquel  elle 
présidait ,  le  mythe  norrain ,  s'appuyant  sur  la  tradition  primitive ,  d'après 
laquelle  l'astre  lui-même  était  une  divinité  zoomorphe,  énonce  quei'óV,  et 
non  pas  le  soleil  seulement,  est  menacée  d'être  dévorée.  Ce  mythe  est  donc 
un  des  plus  anciens  de  la  Mythologie  norraine.  Soi  et  Mâni  n'y  figurent 
pas  comme  des  Génies  anthropomorphes ,  présidant  au  mouvement  du  so- 
leil et  de  la  lune ,  mais  encore  comme  des  divinités  zoomorphes ,  ainsi 
que  ces  astres  avaient  été  conçus  dans  l'origine  par  l'intuition.  Pour  expri- 
mer la  pensée  que  le  Soleil  et  la  Lune  sont  condamnés  à  périr  (voy.  §  20). 
et  que  leur  existence  diurne  et  annuelle  est,  à  tout  instant,  menacée,  le 
Mythe  dit  que  Sol  et  Mâni,  qu'on  se  représentait  originairement  sous  la 
forme  d'un  coursier  et  d'une  vache ,  sont  poursuivis  par  des  Loups  iot- 
niques,  qui  les  dévoreront  à  la  fin  des  siècles;  que  les  accidents  qui  ar- 
rivent au  Soleil  et  à  la  Lune ,  tels  que  l'affaiblissement  de  leur  chaleur 
et  de  leur  lumière,  les  éclipses,  les  halos,  etc.,  proviennent  de  ce  que 
ces  Loups  monstrueux  les  atteignent  quelquefois ,  les  étreignent  et  les 
tiennent  déjà  à  moitié  dans  la  gueule ,  mais  que  cependant  le  Cheval-So- 
leil et  la  Vache-Lune ,  en  faisant  des  efforts ,  parviennent  encore  à  leur 
échapper.  D'après  ce  mythe,  le  cours  du  Soleil  et  de  la  Lune  n'est  pas, 
comme  selon  une  autre  tradition  primitive ,  la  marche  joyeuse  de  ces 
Divinités  zoomorphes  sur  le  vaste  pâturage  du  ciel ,  ni  comme  .^elon 
d'autres  traditions  postérieures,  une  marche  ou  une  course  réglée  par  les 
Dieux  (voy.  p.  202)  ;  mais  c'est  une  fuite  incessante  pour  échapper  à  la 
destruction  dont  les  menacent  les  Loups  iotniques.  Soi  est  poursuivie 
par  le  loup  Skoll;  et,  pour  s'en  éloigner,  elle  courrait  encore  bien  plus 
vite  qu'elle  ne  le  fait ,  si  elle  ne  craignait  pas  de  trop  se  rapprocher  du 
Loup  Haii ,  cet  ennemi  de  Mâni.  Mâni ,  lui  aussi ,  ne  veut  pas  trop 
hâter  sa  course,  de  peur  de  se  rapprocher  de  Skoll ^  qui  court  au  devant 
de  lui ,  à  la  poursuite  de  Soi.  La  course  de  Sol  et  de  Mâni  est  donc  cir- 
culaire. La  rapidité  de  cette  course  de  Soi  est  devenue  proverbiale  dans 


zOö  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPETUEL. 

le  IVord  ,  comme  l'a  été ,  dans  la  poésie  hindoue  (voy.  Bhagavat-Poura- 
nam ,  1 ,  v.  30) ,  la  rapidité  du  Soleil ,  c'est-à-dire  du  Coursier  céleste 
(Arvan) ,  qui  s'enfuit  avec  terreur  devant  le  monstrueux  Houdras  (Çivas). 

(20)  LES  ENNEMIS  DE  SÔL  ET  DE  MÂNI. 

§  60.  Les  lotnes  zoomorphes.  —  INon-seulement  les  Divinités,  mais 
aussi  les  Démoiis  furent  conçus,  dans  l'origine,  comme  des  êtres  zoo- 
morphes.  Le  Soleil  et  la  Lune  étaient  considérés  comme  le  Taureau  ou 
l'Étalon  et  comme  la  Vache  ou  la  Cavale  célestes  ;  l'idée  se  fixa  bientôt  que 
les  Démons  ou  les  Ennemis  de  ces  Divinités  zoomorphes  étaient  des  Loups 
affamés  et  meurtriers  ;  et  comme  ces  monstres  dévoraient  également  les 
nuages  fécondateurs  et  produisaient  les  sécheresses ,  ils  eurent  non-seu- 
lement le  nom  de  Secs  (ïhurses),  mais  aussi  celui  de  Mangeurs  (lotnes).  Le 
nom  propre  de  Itan-tursus ,  que  portait  un  roi  Scythe ,  était,  sansdoute^ 
synonyme  de  Grmid-Loup^  par  opposition  à  Petit-Loup  (cf.  goth.  Vul- 
filas);  et  c'était-là  un  nom  particulièrement  honorifique,  comme  l'ont  été, 
encore  chez  les  peuples  de  la  branche  gète^  les  noms  de  Attilas  (Petît- 
Père,  Oz/r^),  de 5eo-w?///*(Loup d'abeilles,  Owr.v)etde5/örw(0urs;  angl. 
Byron).  Plus  tard,  de  même  que  les  Divinités,  les  Démons^  aussi,  mais 
moins  généralement  (vu  leur  caractère  violent),  de  zoomorphes  qu'ils 
avaient  été  dans  l'origine  ,  devinrent  anthropomorphes.  On  se  les  figu- 
rait comme  des  géants  d'une  taille  plus  grande  que  celle  des  Dieux ,  et 
ayant,  en  proportion,  des  forces  physiques  extraordinaires.  On  comprit 
dans  la  Mythologie,  sous  les  noms  de  Thtirses  et  de  lotnes,  tous  les 
Démons  ou  Personnifications  des  forces  gigantesques  et  nuisibles  de  la 
Nature.  Comme  êtres  nuisibles  ,  ils  furent  aussi  considérés  comme  7né- 
chants.  ils  se  montraient  méchants  ,  non  avec  les  hommes .  avec  lesquels 
ils  n'avaient  pas  de  rapports  directs,  mais  dans  leurs  luttes  avec  les 
Dieux,  les  Protecteurs  de  la  Nature  et  des  hommes.  D'après  la  Cosmo- 
gonie et  la  Théogonie,  ces  Démons  étaient  la  race  primitive  du  Monde  et 
antérieure  à  la  race  des  Dieux.  Comme  êtres  primitifs,  ils  avaient  l'expé- 
rience ou  la  sagesse  la  plus  ancienne  ;  mais  leur  sagesse  était  une  science 
méchante  ;  c'était  la  magie  noire.  Les  Thtirses  devinrent  même  les  re- 
présentants de  la  Magie,  et  l'on  supposait  que,  dans  leurs  luttes  contre 
les  Dieux ,  ils  usaient  non-seulement  de  leurs  forces  physiques  gigantes- 
ques ,  mais  surtout  des  artifices  de  la  Magie.  Comme ,  à  côté  de  la  forme 
anthropomorphe  des  lotnes,  la  tradition  maintenait  toujours  leur  ancienne 
forme  de  loups ^  l'on  s'imaginait  que ,  par  leur  magie,  ils  se  transformaient 
en  hommes-loups  ou  loups-garous;  et,  dans  la  suite,  ce  caractère  de 
loup-garou  fut  attribué  même  à  des  hommes  et  à  des  peuplades  qui  pas- 
saient pour  être  magiciens.  C'est  ainsi  que ,  déjà  chez  les  Scythes ,  la  tribu 
appelée  \esNapres  (norr.  Narji,  Crépusculaire,  loup,  renard,  v.  p.1 98),  avait 
la  réputation  d'être  à  la  fois  des  magiciens  et  des  loups-garous.  La  tradition 
épico-mythique  postérieure  faisait  même  descendre  les  différentes  classes 
de  magiciens  de  différents  lotnes  loups-garous.  Voilà  pourquoi  il  est  dit 
dans  la  Petite  Vision  de  la  Louve  : 

«  Toutes  les  Louves  proviennent  de  Vidolf  (Loup  du  Bois), 
«  Tous  les  Sorciers  de  Vilmeidi  (Baguette  Trompeuse), 
«  Mais  les  Porte-Cribles  de  Téte-Noire  (Svart-Höfdi).» 


N°«  (20)  ET  (21)  (page  87)  ;  skoll  et  hati  ;  managarmr.     209 

I  61.  Les  loups  iotniques  Skoll  et  Hati.  —  Les  Démons  mythologiques 
étant  tous  conçus  comme  des  Êtres  surhumains ,  méchants  et  nuisibles, 
tous  portent  ce  seul  et  même  caractère  commun.  Aussi,  comme  il  ne  s'agit 
pas,  dans  la  tradition ,  de  leur  assigner  des  caractères  moiet;/c?Me/.v,  les 
noms  propres  qui  les  désignent  n'ont  point  de  signification  symbolique , 
indiquant  des  qualités  particulières  ;  ces  noms  ont  seulement  une  signifi- 
tion  épique,  énonçant  leur  caractère  général.  Dans  la  Mythologie  Scan- 
dinave, un  grand  nombre  d'Iotnes  ont  eu  des  noms  propres,  qui  ne  sont  autre 
chose  que  des  noms  épithétiques  ou  poétiques  pour  désigner  le  Loup. 
C'est  ainsi  que  l'Iotne  qui ,  sous  la  forme  d'un  loup  gigantesque ,  poursuit 
le  Soleil ,  est  nommé  Skoll  (Ricaneur) ,  nom  épithétique  qui  désignait  le 
schakal ,  le  renard  et  le  loup^  dont  les  hurlements  ressemblent  à  des  ri- 
caneries.  L'Iotne  loup-garou  qui  poursuit  la  Lune ,  est  nommé  Hati  (Hai- 
neux), nom  poétique  qui  désigne  les  animaux  haineux,  tels  que» le  chat 
et  le  loup.  Les  loups  se  montraient  ordinairement  sur  les  champs  de  ba- 
taille ,  pour  dévorer  les  occis.  Aussi  la  croyance  s'établit-elle  que  l'appa- 
rition ou  l'arrivée  des  loups  présageait  des  combats.  Le  loup  était,  par 
conséquent,  appelé  poétiquement  le  Présage  (norr.  Vitnir)  du  combat 
ou  de  la  dévastation  ;  et,  c'est  pourquoi ,  le  père  de  Hati  porte ,  dans  la 
tradition ,  le  nom  épique  de  Hrôd-vitnir  (Présage  de  Dévastation  ;  cf. 
Hrôd-olf).  Il  est  évident  que ,  dans  l'origine ,  le  mythe  a  considéré  le  So- 
leil et  la  Lune ,  poursuivis  par  les  Loups-Iotnes  comme  des  divinités  zoo- 
morphes ,  et  non  pas  comme  des  divinités  anthropomorphes ,  présidant 
à  ces  astres.  Dans  le  mythe  Scandinave  dont  il  est  question  ici ,  il  faut  donc 
aussi  considérer  les  noms  propres  de  Soi  et  de  Mâni  comme  désignant 
les  astres  zoomorphes  eux-mêmes ,  bien  qu'il  soit  vrai  que  Sol  et  Mâni 
désignent  ordinairement,  dans  la  Mythologie  du  Nord,  les  divinités  ou 
les  Génies  anthropomorphes  qui  dirigent  le  soleil  et  la  lune.  Quant  à 
son  fonds  primitif,  ce  mythe  est  donc  un  des  plus  anciens  des  Mytholo- 
gies  iafétiques  ;  mais  à  cause  des  noms  propres  des  Loups  et  des  astres , 
et  en  général  par  la  forme  actuelle  qu'il  a  prise  dans  la  Mythologie  nor- 
raine  ,  il  ne  peut  guère  remonter  au  delà  du  second  siècle  de  notre  ère. 

(21)  LES  GÉANTES  MÈRES  ET  NOURRICIÈRES  DES  LOUPS. 
§  62.  Les  Géantes  zoomorphes.  —  La  conception  de  Démons  impli- 
quait, dans  l'origine,  seulement  l'idée  de  forces  surhumaines  pernicieuses  ; 
et  la  force  étant  le  propre  du  mâle  plutôt  que  de  la  femelle ,  les  Démo7is, 
dans  les  périodes  primitives  des  Mythologies  iafétiques,  étaient  tous  des. 
êtres  mâles  ^  et  leurs  noms  n'étaient  pas  employés  au  féminin.  C'est  ainsi 
que,  chez  les  Scythes,  il  y  avait  des  Thurses  (Secs ,  Dessécheurs)  et  des 
Itanes  (Mangeurs,  Loups);  il  n'y  avait  pas  de  Dessécheuses  ni  âe Man- 
geuses. Plus  tard  seulement,  lorsque,  chez  les  peuples  de  la  branche 
gète^  la  Théogonie  eut  provoqué  la  formation  de  la  Titanogonie  (v.  p.  168), 
il  fallut ,  pour  concevoir  les  races  et  générations  des  Thurses  et  des 
lotnes  anthropomorphes,  adjoindre  à  ces  démons  mâles  aussi  des  démons 
femelles.  Comme  épouses  de  Démons  ,  ces  femmes  eurent  le  caractère  gi- 
gantesque et  violent  de  leurs  maris;  mais  elles  n'eurent  point,  à  l'instar 
des  Âns-vinias  (norr.  Asyniur^  Amies  des  Ases)  le  nom  de  Thurs- 

14 


Í2i0  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

vinias  (Amies  des  Thurses),  ni  celui  de  lotun-vinias  (Amies  des  lotnes). 
Ayant  été  conçues  à  l'époque  où  leurs  maris  étaient  considérés  principa- 
lement comme  des  Loups-garous  gigantesques,  elles  eurent  un  nom  ú- 
gnifiant  Loîives  ou  Filles  du  Loup  (norr.  Gygiar).  Or,  parmi  les  noms 
épithétiques  du  loup,  il  y  avait  celui  de  Hurleur  (sansc.  kôkas ,  loup; 
goth.  hôha ,  loup ,  contre  ;  cf.  gr.  kôkuô ,  hurler)  ;  le  féminin  pluriel , 
dérivé  de  Gûg ,  avait ,  sans  doute ,  dans  les  langues  de  la  branche  gète, 
la  forme  de  Gúgias^  dont  est  dérivé  le  mot  norrain  Gygiar  \  Les  lotnes 
passant  pour  être  des  Loups-garous  et  des  Magiciens,  leurs  épouses 
étaient  pareillement  considérées  comme  des  Louves-femmes  et  des  Ma- 
giciennes. Chez  les  peuples  d'origine  gète,  la  magie  était  principalement 
pratiquée  par  des  femmes  ;  et  c'est  pourquoi  l'idée  de  magie  prédominait 
bien  plus  dans  la  conception  des  Géantes  que  dans  celle  des  lotnes.  Aussi 
dans  les  langues  de  la  branche  gète,  le  nom  de  Gygr  (Louve)  exprimait- 
il  presque  exclusivement  l'idée  de  magicienne.  Dans  l'origine,  les  Géantes, 
ainsi  que  les  lotnes  ,  étaient  considérées  comme  n'ayant  point  de  rapports 
avec  les  hommes  ;  elles  n'étaient  aux  prises  qu'avec  les  Dieux  ,  et  tout  au 
plus  avec  les  Héros ,  fils  des  Dieux.  Mais  comme ,  dans  la  suite  du  temps, 
les  personnages  mythologiques  vont  toujours  sa  rapetissant  de  plus  en 
plus  dans  l'imagination  des  hommes ,  les  Géantes ,  chez  les  Slaves  et  les 
Scandinaves,  se  sont  confondues  peu  à  peu,  non -seulement  avec  les 
Sorcières,  appelées,  dans  le  Nord,  Femmes- Fantômes  (norr.  Tröll- 
Konur)  et  dans  l'Allemagne  moderne  Hexen  (néerl.  heks ,  de  l'espagnol 
hachiza)^  mais  même  avec  les  Spectres ,  appelées  Chevaucheuses  de 
NuitiyiQTV.  qveld-rîdur;  cf.  myrk-rîdr;  âgengur;  sansc.  kchanada- 
tcharâs).  Dans  les  langues  slaves ,  le  nom  de  Louve  ou  de  Issue  de 
Loup  (Volchava) ,  devint  entièrement  synonyme  de  Magicienne  (cf.  russe 
Volchov  ,  sorcier)  ;  et  ce  nom  passa  même ,  sous  la  forme  de  Völva  ou  de 
Vala  (p.  Valha) ,  dans  la  langue  norraine,  et  y  eut  pour  synonyme  le  nom 
de  Hyndla  (Petite-Chienne ,  Louvetelle) ,  qui  désignait  également  la  Ma- 
gicienne ou  la  Prophétesse. 

§  63.  Le  Bois  de  Fer  et  Mâna-Garmr.  —  Les  Géantes ,  d'après  les  an- 
ciens mythes ,  se  tiennent  renfermées  dans  le  Séjour  des  lotnes ,  qui  se 
trouve  au  delà  de  la  Mer,  au  Nord  et  à  l'Orient,  par  rapport  au  Séjour 
des  hommes,  appelé  le  Séjour-Mitoyen.  Dans  le  Séjour  des  lotnes  il  y  a 
une  Forêt  qui ,  sans  doute ,  d'après  un  mythe  finne ,  est  nommé  Bois-de- 
Fer^  parce  que  le  bois  de  ses  arbres  passait  pour  être  aussi  incombustible 
et  indestructible  que  le  fer.  D'après  la  Mythologie  hindoue ,  il  y  a  dans 
l'Enfer  une  forêt  appelée  Forêî  aux  Feuilles-Épées  (S3insc.y4.si-patra- 
vanam) ,  parce  que  ses  arbres  ont  des  épées  pour. feuilles  (voy.  Chants 
de  Soi.,  p.  103).  Les  Géantes  qui  habitent  le  Bois-de-Fer,  portent  aussi 
le  nom  épithétique  de  Celles  du  Bois-de-Fer  (norr.  larn-Vidiar).  L'ne 
de  ces  Géantes-Louves ,  la  Mère  des  Loups-garous  gigantesques  SkoU  et 

1.  Le  mol  norrain  féminin  qvok  ou  kok  (gueule)  semble  dérivé  de  Y  ancienne 
forme  kôk  et  avoir  pris  la  signification  spéciale  de  gueule  (hurleuse)  ;  de  qvok  s'est 
formé  ensuite  le  verbe  dérivé  qvôka  (engloutir).  Ou  qvok  serait-il  une  déformafion  de 
qverk  ? 


NUMÉRO  (22)  (PAGE  88)  ;  l'arc-en-ciel;  les  bains  de  bassin.  211 

Hati ,  est  aussi  la  mère  du  plus  puissant  et  du  plus  redoutable  des  loups 
de  cette  famille.  Ce  loup  est  nommé  Mâna-Garmr  (Hurleur  de  Màni) , 
parce  que  c'est  le  hurleur  (norr.  garnir^  iarmr  ;  gr.  kerheros) ,  ou  le 
loup  qui ,  à  la  fin  du  monde ,  devra  dévorer  Mânî.  Ce  nom  de  Mâni  dé- 
signe ici ,  non  pas  le  Génie  qui  dirige  la  lune ,  mais  la  lune  elle-même. 
Déjà ,  chez  les  Scythes ,  Artin-paza .  comme  Déesse  de  la  lune ,  recevait 
chez  elle  les  Morts ,  et  portait ,  comme  Déesse  des  Morts  ,  le  nom  épithé- 
tique  de  Kvalî{\(^y.  Les  Gètes  ^  p.  216).  Le  Séjour  des  Mânes  était  donc 
censé  être  placé  dans  la  lune  ;  et  cette  idée  se  retrouve  dans  beaucoup  de 
traditions  mythologiques  de  l'Antiquité.  D'après  les  Orphiques^  par  exem- 
ple, les  âmes  des  hommes  provenaient  de  la  lune ,  et  elles  y  retournaient 
comme  Mânes  après  la  mort  des  individus  (cf.  Orlando  furioso  ^  c.  34, 
ott.  83).  Les  peuples  de  la  branche  gète  croyaient  que  les  individus,  morts 
de  maladie  ou  de  vieillesse ,  allaient  dans  la  lune  pour  y  séjourner.  Aussi, 
quand,  à  la  fin  du  monde,  le  Hurleur  de  Mâni  s'emparera  de  la  lune,  il 
y  trouvera  ces  mânes,  et  se  gorgera  de  la  vie  [norr.  Jiörvi;  cf.  pers. /er- 
rer, mânes)  des  morts  qui  auront  passé  dans  cet  astre.  Par  suite  de  ce 
carnage ,  le  sang  des  victimes  formera  une  espèce  de  halo  rougeâtre  qui 
couvrira  le  ciel  et  obscurcira  le  soleil  ;  et  la  chaleur  du  soleil  étant  ainsi 
interceptée,  le  Terrible- Hiver  {Fimbul-Vetr)  commencera,  c'est-à- 
dire  que  les  vents  du  nord  se  déchaîneront  et  mugiront  de  tous  côtés. 

(22)  LA  NATURE  DE  l' ARC-EN-CIEL. 
564.  La  Voie-Tremblotante  et  les  Bains  de  Bassin.  —  Lorsque  les  divi- 
nités furent  considérées ,  non  plus,  chacune  individuellement,  mais  comme 
formant  ensemble  um  famille,  soYis  le  nom  de  Célestes  (norr.  Diar)  ou 
á'Jses^  elles  eurent  aussi  pour  demeure  commune  le  ciel  ou  VEnclos-des- 
Ases.  Quand,  plus  tard,  les  peuples  de  la  branche  gète,  de  nomades  , 
furent  devenus  sédentaires ,  et  eurent  établi  des  bourgs  et  des  forts ,  ils 
se  figuraient  également  VEnclos-des-Ases  comme  une  Ferté  entourée  de 
fossés,  ou  semblable  aux  enceintes  des  temples,  que  les  Scandinaves  et 
les  Slaves  aimaient  à  élever  sur  des  Ilots  ou  sur  un  terrain  entouré  arti- 
ficiellement d'eau  ;  usage  qui ,  encore  plus  tard ,  a  été  observé  dans  le 
Nord  pour  les  églises  chrétiennes  (lat.  ecclesia  in  undis;  ail.  fVasser- 
Kirchë)^  dont  quelques-unes  ressemblaient  à  A^^ forts,  entourés  de  fossés , 
et  où  l'on  ne  pouvait  entrer  que  par  un  pont-levis  (v.  Les  Gètes ,  p.  267). 
L'Enclos-des-Ases ,  comme  l'Érèbe  des  Grecs ,  est  entouré  de  fleuves 
ignés,  qui  forment  ce  qu'on  appelait  un  Feu  Flambant  {norr.  vafur-logï). 
Ces  feux  flambants  faisaient,  au  ciel,  le  cercle  tout  autour  de  cet  Enclos ,  et , 
arrivés  à  Roches-Célestes  (Himin-biörg),  où  est  l'entrée  de  cette  Enceinte, 
descendaient  du  ciel  à  terre,  et  formaient  comme  des  bandes  bariolées  des 
difí'érentes  couleurs  du  feu.  Cette  dernière  partie  du  Feu  Flambant  con- 
stitue, d'après  le  mythe,  Varc-en-ciel^  qui,  ayant  été  comparée  à  un  pont 
jeté  entre  le  ciel  et  la  terre  ,  a  été,  pour  cette  raison  ,  appelé  quelque- 
fois Pont-d'Ase  (As-brû) ,  avec  la  signification  de  Pont  de  l'Ase  Thôr. 

Le  Feu  flambant  du  Pont  d'Ase  se  compose  de  quatre  Rivières  ignées , 
juxtaposées ,  qu'on  distingue  par  les  quatre  couleurs  ou  bandes  longitu- 
dinales qui  forment  l'arc-en-ciel.  Deux  de  ces  rivières  sont  de  feu  rouge, 
et  portent  les  noms  de  Échatcffée  [Körm,t  p.  kvörmt  )  et  de  Chauffée 


212  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

(  Örmt  p.  vörmt).  Les  deux  autres  sont  des  eaux  vaporeuses  et  bouillantes, 
appelées  Bains  de  Bassin  (Ker-laugar) ,  parce  qu'on  les  comparait  à  ces 
eaux  thermales  toutes  vaporeuses  et  bouillantes,  que ,  dans  le  Nord  et  plus 
tard  principalement  en  Islande,  on  faisait  couler  dans  des  bassins,  creusés 
dans  le  sol ,  pour  s'y  baigner.  Le  Feu  Flambant  du  Pont  d'Ase  porte  en- 
core le  nom  de  Voie-  Tremblotante  (Bif-rost) ,  parce  que  l'arc-en-ciel 
est  comparé  à  un  espace  de  chemin,  à  une  voie  (norr.  röst;  ail.  rast; 
si.  verst) ,  qui  est  tremblotante ,  parce  qu'elle  est  suspendue  légèrement 
dans  l'air.  Snorri  a  peut-être  donné  ,  à  ce  pont  plus  d'importance  qu'il 
n'en  avait  dans  la  Mythologie  ;  il  rapporte ,  je  ne  sais  d'après  quels  docu- 
ments, que  ce  pont  est  fait  avec  plus  d'art  et  plus  d'habileté  que  les  au- 
tres ouvrages  de  la  création.  Les  documents  mythologiques  énoncent 
seulement  que  Bifröst  est  le  meilleur  des  ponts  (voy.  Dits  de  Grimnir, 
44);  et  cet  énoncé  est  fait  d'après  l'idée  généralement  adoptée,  dans  toutes 
les  Mythologies ,  que  ce  qui  est  au  ciel  ou  appartient  aux  Dieux,  est  l'idéal, 
le  prototype  des  choses  analogues,  appartenant  aux  hommes  sur  la  terre. 
Peut-être  la  tradition  racontait-elle  que  le  pont  était  fait  d'or  ou  de  feu 
(v.  Les  Gètes,  p.  225),  et  avec  un  tel  art  qu'on  ne  voyait  jamais  où  il  s'ap- 
puyait sur  la  terre;  qu'il  n'était  visible  que  dans  oerlains  cas  ,  après  les 
orages ,  où  Thör  avait  combattu  les  lotnes  ennemis  des  Ases  ;  que  quel- 
que légère  qu'en  parût  la  structure ,  et  bien  qu'il  ressemblât ,  comme 
l'indique  son  nom,  àmne  Foie  tremblotante,  il  était  cependant  telle- 
ment solide  qu'il  ne  rompra  qu'à  la  fin  des  siècles ,  lorsque  tout ,  sans 
exception  ,  sera  brûlé  à  l'approche  des  Fils  de  Muspill^  ou  des  Thurses 
du  Monde  igné.  Ces  ennemis ,  pour  pénétrer  dans  le  ciel ,  traverseront 
alors  ,  sur  leurs  montures  de  feu ,  et  sans  se  brûler ,  les  quatre  Rivières 
flambantes  qui  entourent  V Enclos-des-Âses. 

g  65.  Comment  Snorri  conçoit  Bifröst.  —  Snorri  croit  que  le  nom  de 
Pontd'Jse  provient  de  ce  que  les  Ases ,  qui ,  selon  lui ,  ont  leur  demeure 
sur  la  terre,  s'ils  vont  siéger  auprès  de  l'Arbre  de  Jugement  qui  se  trouve 
au  ciel,  sont  obligés  de  passer  par  ce  pont.  Mais  les  Ases ,  habitant  VEn- 
clos-des-Jses ,  qui  est  au  ciel ,  et  non ,  comme  le  suppose  Snorri,  sur  la 
terre  (voy.  §  51),  n'ont  pas  besoin  de  monter  de  la  terre  au  ciel  par  le 
Pontd'Jse;  ils  se  rendent  simplement,  de  leurs  domiciles  célestes,  auprès 
du  Frêne,  dans  ]âPlaine-d'Idi,  laquelle  se  trouve  dans  V Enclos-des-Âses. 
Tliôr  seul,  dont  le  domicile  est  dans  l'air,  à  Thrudheim,  en  dehors  de 
\ Enclos-des-Ases,  se  rend  au  Tribunal  en  passant  par  \t  Pont  d'Ase,  et 
en  traversant  les  Fleuves  de  flammes  qui  entourent ^s^arí/.  Thor^  comme 
Maître  du  Feu  céleste  ou  de  la  Foudre,  franchit  facilement  ces  obstacles, 
qui  seraient  insurmontables  pour  tout  autre  que  lui.  Car  le  Pont  d'Ase 
n'est  pas ,  comme  se  l'imagine  Snorri ,  un  pont  construit  exprès  pour 
que  les  Dieux  y  passent  commodément  du  ciel  à  la  terre ,  et  de  la  terre  au 
ciel  ;  ce  prétendu  pont  est  un  passage  diflicile  et  dangereux  ;  c'est  le  Feu 
flambant  lui-même ,  destiné  à  empêcher  les  Ennemis  des  Ases  de  pénétrer 
dans  le  ciel.  Parmi  ces  Ennemis,  5wom* cite,  avec  raison,  les  Thurses- 
Givreux  et  les  Géants  des  Montagnes,  qui  pénétreraient  dans  le  ciel ,  si 
le  passage  n'était  pas  aussi  dangereux  :  mais ,  comme  le  fait  remarquer 
Snorri^  les  beaux  Endroits  du  ciel  sont  tous  bien  garantis. 


NUMÉRO  (23)  (page  90)  ;  premier  âge  des  ases.  213 

(23)  PREMIER  AGE  DES  ASES  ;  LES  DVERGS. 

g  66.  Jeunesse  des  Ases.  —  Les  Divinités  anthropomorphes ,  réunies 
en  famille,  ayant  été  assimilées  aux  hommes,  il  se  forma  aussi  des  mythes 
ou  des  histoires ,  plus  ou  moins  épiques ,  de  leur  naissance ,  de  leur  jeu- 
nesse ,  de  leur  âge  mûr,  de  leur  vieillesse,  et  de  leur  mort.  Ces  mythes 
n'ont  presque  rien  de  symbolique  se  rapportant  à  la  nature  particulière 
des  divinités;  ils  sont  presque  entièrement  épiques^  c'est-à-dire  imités  des 
traditions  épiques  des  hommes  ;  et  c'est  pourquoi  ils  appartiennent  à  la 
dernière  période  de  la  Mythologie.  La  Théogonie  ayant  traité  de  l'origine 
des  Ases ,  l'ordre  naturel  suivi  par  Snorri  dans  l'exposé  de  l'histoire  ou 
de  l'épopée  de  ces  Dieux  (voy.  p.  48),  amenait  les  mythes  qui  se  rappor- 
taient à  l'âge  primitif  ou  à  la  jeunesse  des  Ases.  Ces  mythes  se  trouvent 
brièvement  exposés  au  commencement  du  poëme  eddique  La  Vision  de 
la  Louve,  qui  est  un  tableau  rapide  de  l'Ensemble  de  la  Mythologie  ou  de 
l'Épopée  des  dieux ,  et  dont  la  composition  ne  saurait  remonter  au  delà 
du  septième  siècle.  Les  Strophes  du  poëme ,  qui  exposent  ces  mythes ,  et 
constituent  les  seuls  documents  qui  existent  à  ce  sujet ,  s'énoncent  de  la 
manière  suivante  : 

«  Les  Ases  se  rencontrèrent  dans  la  Plaine  d'Idi  ; 

«  Ils  bâtirent  bien  haut  un  Sanctuaire  et  une  Cour  ; 

«  Ils  posèrent  des  fourneaux,  façonnèrent  des  joyaux, 

«  Forgèrent  des  tenailles  et  fabriquèrent  des  ustensiles. 

«  Ils  jouaient  aux  Tables;  ils  étaient  joyeux  ; 

«  Rien  ne  leur  manquait ,  et  tout  était  en  or  : 

«  Ensuite  trois  Ases  de  cette  bande, 

«  Pleins  de  puissance  et  de  bonté,  descendirent  vers  la  nier.  » 

Ces  strophes  énoncent  implicitement  i°  que  les  Ases  (sans  doute  après 
avoir  vaincu  les  Thurses,  et  façonné  le  Monde)  délibérèrent  sur  ce  qu'il 
y  aurait  à  faire  pour  s'établir  dans  Jsgard.  Comme  les  peuples  de  la  branche 
gète  avaient  des  Champs  d'Assemblée  où  l'on  se  réunissait ,  au  prin- 
temps ,  pour  délibérer ,  le  mythe  épique ,  formé  à  cette  époque  et  calqué 
sur  la  réalité  historique ,  a  aussi  imaginé  un  Champ  d'Assemblée  ou  une 
Plaine,  où  les  Ases  sont  dits  s'assembler  pour  délibérer.  Cette  plaine  était 
placée  naturellement  au  milieu  de  Y Enclos-des-Ases.  C'est  la  Plaine 
d'Idi,  nommée  ainsi  d'après  l'Iotne Idi  (Actif),  qui,  probablement,  avait 
été  changé  en  une  constellation,  et  brillait,  au  printemps,  au  zénith  du 
ciel ,  en  même  temps  que  les  Yeux  de  son  père  Thiassi  (Féroce  ;  allem. 
Thiersch) ,  lesquels  avaient  été,  également ,  métamorphosés  en  une  con- 
stellation. Comme,  dans  l'Antiquité  ,  les  hommes  n'avaient  point  d'autre 
lien  social  que  la  religion,  on  commençait  ordinairement  par  élever  un 
sanctuaire  là  où  l'on  voulait  fonder  des  établissements.  Voilà  pourquoi  la 
strophe  citée  ci-dessus  énonce ,  2"  que  les  Ases  bâtirent  bien  haut  un 
Sanctuaire  (Hörgr)  et  une  Cour  (Hof) ,  c'est-à-dire  un  sanctuaire  e?itouré 
d'une  cour  (voy.  Les  Gètes ,  p.  267).  Ensuite,  de  même  que  les  hommes, 
en  s'établissant  quelque  part,  construisaient  leurs  demeures,  et  façon- 
naient leurs  meubles  et  leurs  ustensiles ,  de  même,  3°  les  Ases,  en  habiles 
architectes,  forgerons  et  artistes,  façonnèrent  en  or,  selon  l'énoncé  de 


214  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPETUEL, 

la  Strophe ,  tout  ce  dont  ils  avaient  besoin .  C'est  que  l'idée  de  divinité  impli- 
quait celle  de  grande  puissance  ;  et  la  puissance  était  représentée,  dans 
l'Antiquité  comme  de  nos  jours,  par  la  richesse  qui  donne  la  puissance. 
Aussi ,  dans  les  langues  germaniques ,  le  mot  iHche  (norr.  rikr;  ail.  reich) 
signifiait  d'abord  puissant  et  ensuite  riche.  Les  Anciens  estimaient  donc 
la  richesse  (et  par  suite ,  l'or  qui  la  représente)  comme  la  source  de  la  puis- 
sance ,  synonyme ,  elle-même ,  de  bonheur  divin  ou  céleste  ;  et,  c'est  pour- 
quoi, en  latin  dîves  (riche)  signifie,  proprement,  doué  du  bonheur  divin  ou 
céleste  ,  et  dans  les  langues  slaves  le  mot  bogati  (riche ,  heureux)  est  un 
dérivé  du  nom  de  bog  (dieu).  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  les  peuples 
anciens,  qui  voyaient  dans  l'or  le  symbole  de  la  richesse,  de  la  puissance 
et  du  bonheur ,  aient  imaginé  que ,  dans  le  ciel  ou  chez  les  dieux ,  tout 
était  en  or.  Cette  idée  existait  déjà  chez  les  Scythes,  les  ancêtres  des 
Germains ,  des  Scandinaves  et  des  Slaves.  Car  un  mythe  rapporte  (Hé- 
rod.  IV)  que  la  charrue ,  le  joug ,  la  hache  et  la  soucoupe,  qui  sont  tombés, 
en  Scythie,  du  ciel  à  terre,  étaient  tous  faits  d'or.  Ensuite ,  pour  exprimer 
40  que  les  Ases  étaient  d'autant  plus  heureux  et  joyeux  qu'ils  étaient 
jeunes ,  la  strophe  ci-dessus  rapportée  dit  qu'ils  jouaient  aux  Tables 
dans  l'Enclos.  C'est  que  le  jeu  est  l'occupation  caractéristique  de  l'en- 
fance et  de  la  jeunesse  (cf.  gr.  pa/izein ,  faire  l'enfant,  jouer).  La  Mytho- 
logie grecque  indique,  également,  l'enfance  de  Dionusos  par  les  huit 
jouets  dont  s'amuse  ce  fils  de  Zeus ,  savoir  :  les  Dés ,  la  Sphère ,  les 
Pommes  des  Hespérides,  la  Roue,  la  Toupie,  le  Cône,  la  Laine,  et  le  Mi- 
roir. Quand ,  après  la  Destruction  et  le  Renouvellement  du  Monde ,  les 
Ases  redeviennent  Jewwe5;  la  Mythologie  Scandinave  les  dit  encore  reve- 
nir au  Jeu  de  Tables  (voy.  p.  137).  Ce  jeu  de  Table  est  ainsi  nommé, 
parce  qu'il  se  jouait  sur  un  tablier  ou  échiquier.  C'était  une  espèce  de 
Jeu  de  dames,  où  l'on  se  servait  de  dés  qui  décidaient  de  la  manière  de 
faire  marcher  les  pions.  Les  Goths  considéraient  ce  jeu  comme  un  des 
plus  nobles  ;  et ,  pour  cette  raison ,  on  le  désignait  souvent  sous  le  nom 
de  Tables  royales;  il  devait,  par  conséquent,  à  ce  qu'on  croyait,  être 
aussi  le  jeu  de  prédilection  des  Princes  célestes  ou  des^ses.  Ce  jeu,  d'o- 
rigine orientale,  a  dû  être  connu  dans  le  Nord  bien  avant  le  huitième 
siècle  :  en  Angleterre,  il  était  nommé  tâfel,  et  les  pions  étaient  appelés 
pierres  de  tablier  (anglos.  tdfel-stân)\  en  Allemagne,  on  le  nommait 
Zabel;  et,  en  France,  les  Tables  étaient  un  jeu  fort  goûté,  comme  l'in- 
dique le  Roman  de  la  Rose  ;  en  Espagne ,  ce  jeu  était  également  connu 
{\oy.  jRomancero,  p3ir  Damas  Hinard^  I,  p.  412).  Les  Islandais  o»t  en- 
core aujourd'hui  un  jeu  de  Tables  particulier,  qu'ils  appellent  Table  de 
St.-Olaf. 

Enfin,  la  strophe  de  la  Vision  de  la  Louve  énonce  5°  que  les  Ases^ 
après  s'être  établis  dans  Asgard,  créèrent  Ask  et  Embla  (voy.  p.  195). 

g  67.  Le  prétendu  Age  d'or  des  Ases.  —  Voici  comment  Snorri  inter- 
prète le  document  mythologique  que  nous  venons  de  commenter:  1°  Il 
considère ,  avec  raison ,  la  Plaine  d'idi  comme  le  Champ  d'Assemblée 
(thing-völlr)  des  Ases,  et  comme  se  trouvant  au  milieu  d' Asgard; 
mais,  d'après  son  système  evhémériste  ,  \ Asgard  primitif  est,  pour  lui. 
un  Empire  dans  l'Asie;  et,  par  conséquent,  il  se  figure  la  Plaine  d'Idl, 


NUMÉRO  (23)  (PAGE  90)  ;  l'âge  d'or  des  ases.  215 

placé ,  non  au  milieu  du  ciel  {i  midium  liimni) ,  mais  au  milieu  du  Sé- 
jour terrestre  (i  midium  heirai).  2°  Snorri  considère  Père- Universel  ou 
Odinn,  le  Chef  des  Ases,  comme  un  puissant  Empereur,  et  les  autres 
Ases  comme  les  Satrapes,  les  Gouverneurs ,  ou  du  moins  comme  les  Vas- 
saux de  ce  Chef  suzerain.  Il  pense  donc  aussi  que  ce  Chef  des  Ases  n'a 
rien  de  plus  pressant  à  faire  que  de  partager  son  Empire  entre  ces  Gou- 
verneurs, que,  d'après  son  idée  de  prédilection  (voy.  p  157),  il  se  figure  au 
nombre  de  douze ^  à  l'exemple  des  douze  Apôtres,  ou  des  douze  Pairs  de 
France.  Partant  de  l'idée,  conforme,  du  reste ,  aux  faits  de  l'histoire  (voy. 
Les  Gètes,  p.  108),  que  les  Chefs  politiques  sont  également  des  Juges 
(norr.  dômendr)^  et  que,  par  conséquent,  les  Jses  ont  dû  être  ,  dans 
l'origine ,  les  Arbitres  de  la  destinée  des  hommes ,  Snorri  suppose  que 
les  Ases  se  réunissent  dans  la  Plaine  d'idi ,  pour  décréter,  en  conseil,  la 
destinée  de  chaque  mortel.  Il  est  vrai  que,  avant  que  le  mythe  des  Nomes 
se  fût  formé ,  les  Peuples  de  la  branche  gète  ont  fait  dépendre  la  destinée 
humaine  uniquement,  ou  du  moins  principalement,  des  décrets  ou  éta- 
blissements primordiaux  [norr.  urlagi)  des  Ases  Juges.  Mais  ici,  du 
moins  dans  le  document  mythologique  que  ^wom' voulait  commenter, 
ces  décrets  ne  sont  plus  attribués  aux  Ases.  Snorri  savait  ensuite  que, 
chez  les  peuples  de  la  branche  gète  et  de  la  branche  sarmate^  les  tem- 
ples païens  et  même  plus  tard  encore  les  églises  chrétiennes  servaient 
quelquefois  de  Lieud'Assetnblée,  et,  c'est  pourquoi  il  suppose  3°  que  les 
Ases  ont  construit  un  Sanctuaire ,  afin  de  pouvoir  y  siéger  pour  y  décréter 
les  destinées.  Sachant ,  de  plus ,  que  dans  les  temples  on  voyait  les  idoles 
des  dieux  assis  ou  couchés  sur  des  sièges,  et  se  rappelant  que,  dans  la 
Vision  de  la  Louve,  il  est  fait  mention  des  sièges  nébuleicx  (norr.  rök- 
stôlar)  des  Grandeurs  ou  des  Divinités,  il  se  figure  que,  dans  ce  Sanc- 
tuaire construit  par  les  Ases ,  étaient  placés  les  treize  sièges  où  venaient 
s'asseoir,  avec  leur  chef,  les  Dieux,  selon  lui,  au  nombre  de  douze,  de 
la  même  manière  que ,  de  son  temps ,  les  douze  jurés  avec  \mv  Proposant 
(norr.  Forseti)^  s'assemblaient  et  délibéraient  quelquefois  dans  les  églises. 
Enfin  ^  prenant  dans  les  vers  cités  ci-dessus  le  mot  hof,  non  dans  sa  si- 
gnification propre  de  cour,  mais  dans  sa  signification  figurée  de  temple, 
le  vers  :  ils  bâtirent  bien  haut  un  sanctuaire  et  une  cour,  signifie,  selon 
lui,  non  pas  qu'ils  construisirent  un  sanctuaire  entouré  d'une  cour,  mais 
qu'ils  élevèrent  un  sanctuaire  et  un  temple  ;  et  pour  donner  ensuite  à  ces 
deux  édifices  sacrés  une  destination  plausible,  il  considère  l'un  comme 
le  Sanctuaire  des  Ases ,  et  l'autre  comme  le  Temple  des  Asijnies.  Voulant, 
de  plus ,  préciser  quel  est  ce  Sanctuaire  construit  par  les  Ases ,  Snorri 
dit  qu'il  est  situé  dans  le  Séjour-Joyeux ,  et  qu'il  est  tout  en  or.  Il  con- 
fond ainsi  cet  Édifice  céleste  avec  la  Halle-des-Occis ,  qui,  d'après  les 
documents  {Dits  de  Grimnir^  str.  8),  s'élève,  brillante  d'or,  dans  le  Sé- 
jour-Joyeux. L'autre  temple ,  celui  des  Asynies ,  il  le  confond  ou  l'iden- 
tifie avec  Y  Allée- Agréable.,  le  lieu  de  résidence  de  la  déesse  Frigg 
(voy.  p.  164). 

4«  La  tradition ,  par  suite  d'une  erreur  de  mémoire ,  à  la  place  des  vers 
cités  ci-dessus  :  Ensuite  trois  Ases  de  cette  bande ,  Pleins  de  puis- 
sance et  de  bonté ,  descendirent  vers  la  mer,  a  substitué,  de  bonne 


216  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

heure ,  les  deux  vers  suivants ,  qui  se  trouvèrent  dans  une  strophe  subsé- 
quente :  Ensuite  arrivèrent  trois  vierges  Thurses ,  Très  -  puissantes 
des  Mondes  des  lotîies.  Ces  vers ,  rerais  à  la  place  qui  leur  appartenait 
primitivement,  signifient  que  les  trois  Nomes  vinrent  dans  V Enclos  des 
Jses  pour  y  décréter,  dorénavant,  Y  établissement  primordial  {liorT. 
urlagi) ,  ou  la  destinée  humaine.  Ces  Nomes  sont  de  race  iotnique , 
puisque  la  destinée ,  étant  un  décret  primordial,  ne  peut  être  convena- 
blement établie  que  par  des  Personnages  appartenant,  comme  elles,  à  la 
race  primordiale  des  lotnes ,  qui ,  par  leurs  traditions  et  leur  sagesse 
plus  anciennes  que  ne  l'étaient  celles  des  Ases  ,  nés  après  eux,  connais- 
saient le  mieux  le  passé ,  le  présent  et  l'avenir ,  ainsi  que  les  Mystères 
(rùnor)  et  les  destinées  du  Monde  (cf.  l'Iotne  Mimir).  Ces  Nomes  ^  bien 
qu'elles  fussent  de  race  iotnique  ^  ne  furent  pas  pour  cela  des  êtres  /îo5- 
i27e.f  aux  Ases  ;  elles  s'établirent ,  dans  le  cze/,  auprès  des  Dieux,  non 
pour  y  faire  cesser ,  par  leur  arrivée,  le  bonheur  et  la  puissance  de  ces 
Dieux,  mais  pour  y  décréter  la  destinée  des  hommes  ,  qu'on  croyait,  de 
tout  temps,  être  marquée  et  décrétée  dans  le  ciel.  Snorri.,  cependant, 
supposait  que  ces  Vierges-Thurses  du  poëme  eddique,  qu'il  ne  soupçon- 
nait pas  être  identiques  aux  Nomes ^  devaient  être,  par  suite  de  leur 
extraction  iotnique ,  des  personnages  ennemis  des  Ases.  Trouvant  dans 
le  manuscrit  de  hFision  de  la  Louve.,  dont  il  se  servait,  les  vers,  où  il 
est  question  de  l'arrivée  des  Nornes,  transposés  et  venant  à  la  suite  des 
vers  où  il  est  question  du  bonheur  des  Ases  ;  de  plus ,  ayant  entendu 
parler  de  VJge  d'or,  et  prenant  le  mot  tmz  (alors ,  ensuite)  dans  le  sens 
de  Jusqu'à  ce  que,  il  se  figurait  que  le  bonheur  ou  l'âge  d'or  des  Jses 
avait  duré  Jusqu'à  l'arrivée  des  trois  vierges  Thurses.  Mais,  toutd'abord, 
cette  idée  de  l'Jge  d'or  des  Jses  ne  se  trouve  nullement  énoncée  dans 
le  texte  primitif  du  document  mythologique;  et  d'ailleurs,  l'idée  d'un  Age 
Ú' or  perdu  par  les  Ases,  se  trouverait  en  contradiction  avec  l'idée  qu'on 
se  faisait  des  Dieux.  11  est  vrai  que  ,  dans  l'histoire  de  l'humanité,  on 
peut  constater  deux  séries  de  faits  opposés  les  uns  aux  autres,  mais  éga- 
lement vrais.  On  constate ,  d'un  côté ,  la  marche  progressive  de  l'huma- 
nité dans  l'ordre  moral  et  intellectuel,  et,  de  l'autre,  la  décadence  pro- 
gressive de  l'humanité,  sous  le  rapport  physique.  En  toutes  choses, 
l'élément  spirituel  anéantit  et  doit  anéantir,  de  plus  en  plus ,  l'élément 
matériel.  Aussi  ceux,  parmi  les  philosophes,  qui,  dans  l'humanité,  font 
remarquer  principalement  les  jjrogrès,  et  qui  s'en  réjouissent,  méri- 
tent, pour  cela  même ,  le  nom  de  spiritualistes ;  ceux,  au  contraire, 
qui  font  remarquer  surtout  la  décadence,  et  regrettent  le  passé,  méritent 
réellement  le  nom  de  matérialistes.  L'Antiquité  a  déjà  entrevu  leprogrès , 
alors  que ,  dans  la  Théogonie  (voy.  p.  4  66) ,  elle  a  placé  l'origine  des  Dieux , 
ou  des  Représentants  de  l'ordre  moral,  après  celle  des  Titans,  les  Repré- 
sentants de  la  force  physique.  Mais  l'Antiquité  remarquait  surtout  la  déca- 
dence; et  c'est  pourquoi,  distribuant  la  vie  de  l'humanité  d'après  l'enfance, 
la  jeunesse,  l'âge  mûr,  et  la  vieillesse  de  l'individu,  elle  a  conçu  l'idée  des 
quatre  âges,  dont  le  premier,  et  le  meilleur,  était  l'âge  d'or.  L'idée  de 
l'âge  d'or,  qui  est  parallèle  à  celle  de  la  décadence  matérielle  progressive, 
est  une  idée  vraie  par  rapj)orl  à  l'homme;  mais  elle  est  un  non-sens, 


NUMÉRO  (23)  (page  90)  ;  les  kvarkes  et  les  dvergs.      217 

appliquée  à  la  divinité.  En  effet,  nulle  religion,  quelle  qu'elle  soit,  ne 
saurait  supposer  que  la  divinité ,  soit  comme  force  surhumaine,  matérielle , 
soit  comme  force  intellectuelle  et  morale ,  puisse  perdre ,  ou  ait  perdu  sa 
puissance,  son  bonheur  ou  son  âge  d'or.  Aussi  la  Mythologie  norraine 
n'a-t-elle  jamais  songé  à  dire  qu'au  commencement  les  Ases  aient  eu 
leur  Jge  d'or^  qui  fût  bientôt  gâté^  comme  dit  Snorri^  par  l'arrivée  des 
Vierges  Thurses;  elle  énonce  seulement  que,  dès  l'origine,  les  Ases 
avaient  tout  en  or,  et  qu'ils  étaient  riches,  puissants  et  joyeux  de  jeunesse. 

§  68.  Les  Kvarkes  des  Scythes  et  desGètes.  —  On  peut  induire  des  docu- 
ments mythologiques  des  peuples  de  race  iafétique^  que,  vers  l'an  2500 
avant  notre  ère,  ces  peuples  ne  concevaient  pas  encore  la  distinction,  établie 
plus  tard,  entre  le  cor'ps  et  \áme  ;  ils  ne  concevaient  que  des  corps  vivants 
et  des  corps  morts  ;  et  comme  les  corps ,  par  leurs  propriétés  physiques , 
exercent  toujours  une  certaine  action,  ils  voyaient  dans  tous  les  objets  de  la 
nature,  qui  exerçaient  ou  semblaient  exercer  une  telle  action,  des  corps 
vivants,  ou,  en  quelque  sorte,  des  animaux  (gr.  zôa).  Parmi  ces  objets , 
ceux  auxquels  on  attribuait  une  puissaffce  surhumaine ,  étaient  adorés 
comme  des  Divinités,  en  tout  identiques  avec  ces  objets,  par  conséquent, 
zoomorphes  comme  eux.  Le  songe  fut  une  des  causes  principales  qui  porta 
l'homme  à  concevoir  quelque  chose  de  vivant  séparable  du  corps  humain, 
ou  une  dme  animant  ce  corps  ;  car ,  dans  le  songe ,  l'homme  se  voyait 
transporté  çà  et  là,  et  agissant  loin  de  son  corps ^  qui  restait  en  place, 
endormi,  et  comme  mort.  Dès  lors  on  croyait  que  l'âme  était  un  être  vi- 
vant, un  animal  renfermé  dans  le  corps  humain.  De  là  cette  idée ,  qui 
s'est  maintenue  encore  dans  les  superstitions  populaires  de  nos  jours,  que, 
dans  le  sommeil  ou  dans  la  mort,  l'âme  sort  du  corps  sous  forme  d'un 
petit  animal ,  araignée,  souris,  oiseau  .  lézard,  serpent,  etc.  Plus  tard , 
on  se  figurait  l'âme  comme  un  être  anthropomorphe ,  ou  comme  l'image 
en  miniature  de  la  personne  du  défunt.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  les 
Hindous  primitifs  croyaient  que  l'âme  était  un  petit  être  matériel,  homme 
ou  femme,  renfermé  dans  le  corps  humain ,  et  ayant  à  peu  près  la  grandeur 
d'un  pouce  (voy.  Les  Gètes^  p.  258).  Ces  âmes  étaient  considérées  comme 
présidant  an  corps  ;  et  c'est  pourquoi  les  Hindous  leur  donnaient  le  nom 
depourouchâs{i^r. pra-vasas ^^ré\)Osé'^zená f7'avachi ^  préposée;  pers. 
fer-ver).  On  croyait  que  ,  après  la  mort,  ces  âmes,  séparées  des  corps, 
devenaient  les  Génies-Protecteurs  de  la  famille  du  défunt.  De  là ,  en  gé- 
néral ,  l'idée ,  répandue  dans  l'Antiquité ,  que  les  âmes  des  défunts  deve- 
naientdes  Génies-Protecteurs ,  qu'on  se  figurait  de  la  même  manière  que  les 
Ames,  c'est-à-dire  comme  des  iVams  ou  des  êtres  zoomorphes  d'une  taille 
plus  ou  moins  petite.  Comme  anciennement,  dans  l'état  patriarchal,  le 
père  était  le  protecteur  par  excellence ,  les  Hindous  donnaient  aussi  aux 
Génies-Protecteurs  le  nom  de  Pitarâs  (Pères).  Dès  lors ,  les  Divinités  , 
elles  aussi ,  purent  être  considérées  comme  des  Génies -Protecteurs  pré- 
sidant aux  objets  avec  lesquels  elles  avaient  été,  jusqu'ici,  confondues  ; 
elles  furent  dès  lors  distinguées  de  ces  objets,  et,  d^e  zoomorphes  qu'elles 
avaient  été  jusque-là ,  devinrent  anthropomorphes ,  mais  d'une  taille  de 
beaucoup  supérieure  à  celle  des  hommes  et  des  Nains  Génies-Protecteurs. 

Chez  les  Scythes ,  les  Ames  ou  Mânes  des  Pères ,  qui ,  vu  leur  taille  de 


248  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

nain,  étaient  appelés  Kvarkes  (voy.  Les  Gètes,  p.  258),  passaient  poul- 
ies Génies-Protecteurs,  d'abord  de  la  famille,  et  puis ,  par  extension,  de 
la  tribu.  Ils  devinrent  ainsi  les  Protecteurs  du  Pays  (norr.  landvættir^ 
Génies  du  Pays) ,  et  présidaient,  en  cette  qualité,  à  tout  ce  qu'on  consi- 
dérait comme  produisant  le  bien-être  de  la  contrée ,  tels  que  les  vents, 
les  pluies  ,  les  rosées,  et  les  autres  phénomènes  météorologiques.  Voilà 
pourquoi ,  aussi  chez  les  Kimraéries  de  la  Tauride ,  deux  Génies  ou  Ka- 
bîres  avaient  un  sanctuaire  dans  la  Chersonèse ,  et  présidaient  aux  vents 
favorables  à  la  navigation  si  dangereuse  sur  le  Pont-Euxin.  Les  Scythes, 
qui,  dans  la  suite,  prirent  dans  la  Chersonèse  la  place  des  Kimméries 
qu'ils  venaient.de  chasser,  conservèrent  ce  sanctuaire  et  le  culte  de  ces 
Génies-Protecteurs.  Seulement  ils  donnèrent  à  ces  Génies  le  nom  scythe 
de  Kvarkas  {Lucien,  Toxaris  :  Korakoi).  Les  Grecs  assimilèrent  ces  deux 
Kabires  ou  Kvarkes  à  Kastor  et  à  Pollux ,  ou  à  Orestès  et  à  Pyladès , 
parce  que  les  uns  et  les  autres  présidaient  également  aux  vents  favorables 
sur  mer.  Lorsque  les  Scythes  et  les  Gètes  devinrent  sédentaires ,  et  eurent  ^ 
des  établissements  fixes ,  ils  conçurent,  outre  les  Génies  de  la  Famille,  de 
la  Tribu  et  du  Pays ,  aussi  des  Génies  de  la  Maison ,  ou  présidant  au  foyer 
ou  à  l'âtre  domestique,  qui,  dans  l'Antiquité,  était  le  symbole  de  la  famille 
(cf.  gr.  thumelè,  foyer;  \2X.familia).  Comme  les  langues  gètes  préfé- 
raient les  consonnes  aspirées  aux  consonnes  dures  (voy.  Les  Gètes, 
p.  136),  et  les  consonnes  aspirées  dentales  ^mx  consonnes  aspirées  gut- 
turales, le  nom  scythe  de  Kvarkas  se  changea  en  Thvarichas  (cf. 
Kvaleis  et  Thaïes^  norr.  Vali).  Ensuite,  de  même  que  les  Divinités  pas- 
saient pour  présider  à  certains  objets  et  phénomènes  de  la  Nature ,  de 
même  les  TAfarecAa^furentaussi  considérés  comme  les  Génies-Protec- 
teurs soit  des  phénomènes  et  objets  terrestres,  soit  des  phénomènes  ou 
objets  7nétéoro  logique  s.  Les  Thvarichas  qui  présidaient  aux  phéno- 
mènes et  objets  météorologiques ,  eurent  plus  particulièrement  le  nom  de 
Alfas. 

§  69.  Les  Dvergs  dans  la  Mythologie  norraine.  — Dans  l'idiome  gète  et 
norrain ,  le  nom  de  Thvarichas  prit  la  forme  de  dvairgs  et  dvergr.  Dans 
l'origine ,  chaque  Génie  ou  du  moins  les  différentes  espèces  de  Génies  eurent 
leur  spécialité  indiquée  par  leur  nom ,  c'est-à-dire  qu'ils  présidaient  à 
des  objets  ou  phénomènes  naturels  particuliers ,  auxquels  se  rapportait 
leur  nom.  Mais  peu  à  peu  la  connaissance  de  cette  spécialité  se  perdit 
avec  la  signification  du  nom;  de  sorte  que  la  plupart  des  Génies  n'eurent 
plus  d'attribution  spéciale^  et  prirent  tous  indistinctement  un  caractère 
gé7iéraL  Comme  beaucoup  de  phénomènes  météorologiques  tenaient  à  la 
fois  de  la  terre  et  du  ciel ,  la  distinction  qui  s'était  établie  entre  les  Gé- 
nies terrestres  ou  les  Dvergs^  et  les  Génies  météorologiques  ou  Âl/es, 
tout  en  se  maintenant  encore  quelque  peu ,  s'effaça  de  plus  en  plus.  Aussi, 
parmi  les  Dvergs  voit-on  figurer  beaucoup  de  Génies  nommés  Ai/es  (Ex. 
Jl/r,  Alf-rigr ,  Vind-âlfr,  Gand-âlfr,  etc.) .  et  l'on  trouve  comptés 
parmi  les  Dvergs  des  Génies  qui  sont  évidemment  des  Génies  météoro- 
logiques on  des  Alfes,  tels  que  iYye  etNidi  (qui  présidaient  aux  accrois- 
sements et  aux  décours  de  la  lune),  et  les  Alfes  ISordri,  Sudri,  Anstri^ 
Festri^  qui  présidaient  aux  quatre  points  cardinaux  du  ciel. 


NUMÉRO  (23)  (page  90)  ;  origine  des  dvergs.  219 

Comme,  parmi  les  Alfes ,  qui  se  sont  confondus  avec  les  Dvergs,  il  y 
en  avait  qui  présidaient  aux  constellations  du  ciel ,  il  est  naturel  de  croire 
que ,  parmi  les  noms  de  Dvergs ,  il  y  en  avait  quelques-uns  qui ,  originaire- 
ment, désignaient  des  constellations.  Selon  la  nature  des  objets  auxquels 
ils  étaient  censés  présider  primitivement,  les  Dvergs  ou  Génies  terrestres, 
revêtus  de  différentes  formes  anthropomorphes  ou  zoomorphes,  habitaient 
soit  les  eaux,  soit  les  plaines ,  soit  les  cavernes ,  ou  les  montagnes.  Comme, 
dans  l'origine,  les  âmes  des  hommes  bons  et  des  hommes  méchants 
passaient  pour  devenir,  après  la  mort ,  des  Génies  bons  ou  mauvais ,  les 
Dvergs  et  les  Alfes  étaient  aussi  bons  ou  méchants ,  soit  par  leur  propre 
nature,  soit  par  suite  de  la  nature  des  objets  et  phénomènes  utiles  ou 
nuisibles  auxquels  ils  présidaient.  Ceux  qui  habitaient  les  cavernes  et  les 
souterrains ,  passaient  pour  exceller  dans  la  métallurgie ,  et  pour  être 
d'habiles  forgerons,  artisans  et  artistes.  En  cette  qualité,  ils  étaient 
encore  possesseurs  et  gardiens  des  trésors  cachés  dans  la  terre ,  et  se 
confondirent,  dans  la  tradition  populaire,  avec  des  familles  historiques 
renommées  comme  mineurs,  forgerons,  artisans  et  artistes.  Ensuite,  les 
Génies ,  Protecteurs  de  la  contrée ,  se  confondirent  quelquefois  avec 
les  divinités  des  peuplades  qui  avaient  été  expulsées  du  pays.  C'est  ainsi 
que  les  Scandinaves ,  surtout  à  l'époque  où  des  idées  evhéméristes  s'é- 
taient développées  dans  le  Nord ,  confondaient  non-seulement  les  lotnes, 
mais  aussi  les  Dvergs ,  avec  les  Finnes ,  leurs  voisins,  qui  avaient  été 
les  habitants  primitifs  de  la  Presqu'île.  Cette  confusion  s'opérait  plus 
facilement  encore  par  rapport  aux  Dvergs ,  considérés  comme  artistes  , 
puisque  les  Finnes  passaient  également  pour  d'habiles  forgerons  et  ar- 
tistes. Voilà  pourquoi  plusieurs  Dvergs  portaient  le  nom  de  Finnr  ;  et 
Virvir  était  à  la  fois  le  nom  d'un  Dverg  et  le  nom  d'une  ancienne  tribu 
finne  (voy.  Les  Gètes ,  p.  57).  Le  dverg  artiste  Völund  était  fils  du  roi 
des  Finnes. 

Comme  les  Dvergs  s'étaient  confondus  avec  les  Alfes ,  on  désignait 
aussi  le  Pays  des  Finnes  par  le  nom  de  Séjour  des  Alfes  (norr.  Alf- 
heimr);  eiFölund^  qui,  selon  la  tradition,  habitait  le  fond  de  la  Vallée- 
du-Loup  ,  dans  le  Pays  des  Finnes,  au  Nord  de  la  Suède,  fut  également 
appelé  Chef  des  Alfes  (norr.  Alfa-visi). 

Les  Dvergs  étant  devenus  de  plus  en  plus  des  Êtres  mythologiques 
anthropomorphes ,  la  Mythologie  Scandinave  ,  au  deuxième  ou  troisième 
siècle  de  notre  ère,  songea  à  expliquer  leur  on^me^  comme  elle  avait 
expliqué  celle  des  Dieux ,  des  lotnes  et  du  Monde  ,  dans  la  Théogonie ,  la 
Titanogonie,  et  la  Cosmogonie.  A  cette  époque,  on  ne  savait  plus  que, 
primitivement ,  les  Dvergs  n'avaient  été  que  les  âmes  des  Pères,  devenus 
les  Génies-Protecteurs  des  hommes,  et  présidant ,  soit  aux  phénomènes 
météorologiques,  soit  aux  phénomènes  terrestres.  La  Mythologie  donna, 
par  conséquent,  sur  l'origine  des  Dvergs,  une  explication  épique,  con- 
forme aux  traditions  et  aux  idées  de  l'époque,  et  en  harmonie  avec  les 
mythes  cosmogoniques  et  anthropogoniques.  Si  la  Mythologie  avait  en- 
core pu  reconnaître  dans  les  Alfes  des  constellations  ou  des  Génies  pré- 
sidant aux  astres  ,  elle  leur  aurait  assigné  la  même  origine  qu'aux  astres, 
en  les  faisant  sortir ,  comme  eux ,  du  Séjour  de  MvspiU.  Mais  comme  les 


220  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Jlfes  se  confondaient  de  plus  en  plus  avec  les  Dvergs ,  les  uns  et  les  autres 
eurent  une  origine  identique  ;  et  comme  ,  d'après  la  cosmogonie  épique, 
la  terre  et  le  ciel ,  à  l'exception  des  astres ,  avaient  été  créés  du  corps 
d'Ymir^  la  Mythologie  dut  aussi  imaginer  que  les  Dvergs  et  les  Alfes 
étaient  nés  du  sang  (eaux  terrestres),  et  des  cuisses  (soutiens ,  montagnes, 
rochers  ,  fondements  terrestres)  du  géant  Bleui  (voy.  p.  176).  Cette  con- 
ception s'étant  formée  à  une  époque  où  les  peuples  de  la  branche  gète 
n'avaient  plus  aucun  rapport  avec  l'Inde ,  il  est  curieux  de  voir  comment 
une  conception  analogue  s'est  formée ,  d'une  manière  indépendante , 
dans  la  Mythologie  hindoue.  En  eifet ,  un  ancien  mythe  hindou ,  qui  date 
de  la  période  philosophique ,  énonce  que  les  Dieux ,  après  avoir  fait  naître , 
du  corps  de  Brahnia  (Substance  primitive),  les  Brahmanâs ,  les  Kchatryas, 
les  Vaiçyâs ,  et  les  Coudras ,  firent  encore  sortir,  des  cuisses  de  ce  géant 
le  nain  Nichâdas^  dont  le  nom,  suivant  les  grammairiens  hindous, 
signifie  Crépusculaire  (Ayant  un  commencement,  âdi^  de  nuit,  niça)^ 
parce  que  les  Nains ,  provenant  de  Nichâdas ,  et  portant  le  même  nom 
que  leur  père  ,  avaient  l'habitude  d'agir  principalement  au  crépuscule  du 
soir.  Ce  mythe  hindou  se  retrouve  sous  une  forme  un  peu  modifiée  dans 
la  légende  postérieure  que  voici  :  Les  Brahmanâs  (cf.  les  Dieux) ,  en  se- 
couant le  bras  du  roi  Vênas ,  qui  était  mort  sans  postérité ,  en  firent 
sortir  le  grand  roi  Prithous  (Large  ;  cf.  sansc.  Prithvî^  Terre)  et  sa  sœur 
Artchis  (Flamme,  Feu).  11  sortit  encore,  de  la  cuisse^  un  nain  Nichâ- 
das ,  de  qui  sont  issus  les  Nichâdas  (Crépusculaires) ,  qui  habitent  les 
cavernes  et  les  montagnes.  {Bhagavat-Pourana ,  éd.  Burnouf,  chap.  XV.) 
Comme ,  d'après  la  Cosmogonie  Scandinave ,  les  Ases  ont  été  les  for- 
mateurs et  les  ordonnateurs  de  tout  ce  qui  se  trouve  dans  le  ciel  et  sur 
la  terre,  la  Mythologie  a  aussi  fait  dépendre  la  naissance  des  Dvergs  de 
la  volonté  des  Ases.  Après  avoir  formé  les  premiers  hommes,  Jsk  et 
Embla^  les  Ases  délibérèrent  pour  savoir  qui  ferait  sortir  la  race  des  Dvergs 
du  sang  et  des  cuisses  de  Brimir.  Ils  décidèrent  de  faire  naître  d'abord 
deux  Dvergs  ,  qui  deviendraient  les  chefs ,  et  par  conséquent  X^s'pères, 
ou  les  créateurs  des  autres  Dvergs.  Ces  chefs  de  Dvergs  furent,  le  premier 
Modsognir  (Sentine  de  Boue),  ainsi  nommé  parce  qu'il  était  la  personni- 
fication des  moraines  boueuses  qui  sortaient  des  parties  inférieures  du 
glacier  gigantesque  représenté  par  Ymir^  et  le  second  Durinn  (Sommeil- 
lant) ,  ainsi  nommé  parce  qu'il  était  le  symbole  des  vents  du  printemps , 
qui  semblent  endormis ,  en  comparaison  des  vents  vifs  de  l'hiver.  En- 
suite, sur  la  proposition  áeDuri7in,  ces  deux  personnages  symboliques  et 
zoomorphes  formèrent ,  d'après  l'image  des  hommes,  une  race  de  Dvergs 
à  la/orme  humaine.  Comme  il  y  a  eu  deux  chefs  ou  créateurs,  et  comme, 
traditionnellement,  on  distinguait  encore  confusément  les  Dvergs  des  J  If  es, 
la  Mythologie  a  aussi  imaginé  deux  races  distinctes  de  Dvergs.  La  première, 
provenant  de  Modsognir  et  de  Durinn ,  est  représentée  habitant  dans  la 
terre,  et  dans  les  cavernes  ou  rochers  ,  aimant  l'obscurité,  et  fuyant  la 
lumière.  Mais,  de  même  que  la  première  race  des  Thurses-Givreux  fut 
suivie  d'une  seconde ,  moins  sauvage ,  celle  des  Géants  des  Montagnes, 
de  même  aussi  la  première  race  des  Dvergs  fut  suivie  d'une  seconde , 
d'une  nature  plus  relevée  ou  moins  grossière  que  la  première.  Cette  se- 


NUMÉRO  (23)  (page  90)  ;  races  de  dvergs.  221 

conderaceeutpourchefsoupourpères,  deuxDvergs,Lo/a/-r  (p.  Lo/-/<am 
Auguste-Aérien),  symbole  du  vent  de  l'atmosphère  supérieure,  etDvalinn 
(Somnolent),  symbole  du  vent  doux  somnolent,  ou  assoupi ,  en  comparaison 
des  aquilons  tempétueux.  La  bande  de  Lofarr  n'était  pas ,  comme  celle 
deModsognir,  composée  de  Génies,  qui  se  cachaient  dans  la  terre  et  dans 
l'obscurité ,  mais  elle  se  composait  de  Génies  aériens  présidant  aux  dif- 
férents phénomènes  météorologiques.  Aussi  le  mythe  dit-il  que  la  bande 
de  Lofarr,  quittant  les  rochers  et  les  cavernes  de  la  Demeure ,  c'est-à- 
dire  de  la  Terre  ^  habitée  par  ses  pères ,  chercha  de  nouvelles  habitations 
dans  les  Prés  d'Humidité  (norr.  Jur-vangar) ,  c'est-à-dire  dans  les  ré- 
gions des  nuages  ;  et  là  elle  s'établit  dans  les  Plaines  de  Tempête  (norr. 
lôru-vellir) ,  c'est-à-dire  dans  l'atmosphère.  Tels  sont  les  mythes  qui  se 
sont  formés ,  sur  l'origine  et  les  races  des  Dvergs ,  entre  le  second  et  le 
cinquième  siècle  de  notre  ère.  Ces  mythes  ont  été  résumés  dans  les  strophes 
de  la  Fision  de  la  Louve  citées  par  Snorri. 

L'idée  de  Génie,  ainsi  que  celle  de  Démon  (voy.  p.  209),  implique  le 
genre  masculin  et  exclut  le  genre  féminin.  Aussi  la  Mythologie  n'a-t-elle 
conçu,  originairement,  que  des  Dvergs  mâles;  elles  ne  connaît  pas  des 
Dvergynies  (Amies  des  Dvergs) ,  ni  des  Alfynies  (Amies  des  Alfes).  Ce 
n'est  que  beaucoup  plus  tard  que  la  tradition  populaire  imagina  des 
femmes-dvergues  et  des  femmes-alfes.  Mais  de  même  que  la  Mythologie, 
sans  admettre  de  femmes-Iotnes  ,  conçut  néanmoins  des  générations  ou 
des  races  d'Iotnes,  de  même,  sans  admettre  des  femmes-dvergues,  elle 
conçut  cependant  deux  races  de  Dvergs ,  et  la  Vision  de  la  Louve  énu- 
méra  même  les  Dvergs  appartenant  à  l'une  à  ou  l'autre  race.  La  suite  ou  la 
série  des  Dvergs  qui  figurent  dans  ce  poëme,  n'exprime  pas  des  généalo- 
gies symboliques;  elle  est  faite  avec  des  noms  de  Dvergs  sériés  et  ar- 
rangés au  hasard.  Pour  établir  une  généalogie  symbolique,  il  aurait  fallu 
tout  d'abord  connaître  exactement  la  signification  primitive  de  ces  noms, 
et  les  ranger  de  manière  à  exprimer,  par  leur  suite,  la  succession  ou  le 
rapport  causal  qu'on  aurait  supposé  exister  entre  les  phénomènes  phy- 
siques ou  météorologiques  auxquels  les  Dvergs ,  d'après  la  signification 
de  leur  nom ,  étaient  censés  présider.  Mais  ce  qui  s'oppose  à  admettre 
que  la  suite  des  noms  de  Dvergs  exprime  ici  des  rapports  de  généalogie , 
c'est  que  la  signification  de  ces  noms  n'était  plus  connue  à  cette  époque, 
et,  par  conséquent,  l'allitération,  l'assonnance ,  et  la  rime  ont  fait  mettre , 
l'un  à  la  suite  de  l'autre ,  des  noms  qui ,  par  leur  signification,  désignaient 
des  phénomènes  physiques,  entre  lesquels  il  n'y  avait  aucun  rapport 
causal  ni  possible  ni  connu ,  et  elles  ont  séparé  d'autres  noms  désignant 
des  phénomènes  entre  lesquels  on  aurait  pu  trouver  des  rapports  de  cau- 
salité, et,  par  conséquent,  des  rapports  de  généalogie,  entre  les  Dvergs 
qui  étaient  censés  présider  à  ces  phénomènes.  Puisque  donc  cette  série 
de  noms  n'exprime  pas  des  généalogies  symboliques  ^  mais  n'est  qu'une 
énumération  épique  de  noms  désignant,  d'une  manière  générale,  des 
individus  mythologiques  comptés  parmi  les  Dvergs ,  on  agirait  contraire- 
ment à  l'intention  poétique  de  l'auteur  de  la  Vision  de  la  Louve  ^  si  l'on 
s'attachait  à  expliquer  exactement  la  signification  de  ces  noms;  car 
cette  explication  ferait  voir  que  ces  noms  ont  été  placés,  l'un  à  côté  de 


222  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

l'autre,  au  hasard,  sans  méthode,  et  pour  des  raisons  purement  ex- 
térieures. 

g  70.  Origine  et  races  des  Dvergs ,  d'après  Snorri.  —  Snorrî  puisait 
sa  connaissance  des  mythes  non-seulement  dans  les  poésies  mythologi- 
ques ,  mais  aussi  dans  la  tradition  populaire.  La  tradition  populaire ,  or- 
dinairement, tend  à  développer,  au  point  de  vue  du  récit  épique,  les 
mythes  qui ,  dans  l'origine ,  ont  généralement  une  forme  très-peu  expli- 
cite (voy.  p.  181).  Aussi  longtemps  qu'une  Mythologie  subsiste  comme 
religion ,  ces  développements,  qu'on  rencontre  dans  la  tradition  populaire, 
font  partie  de  cette  Mythologie.  Snorri  a  donc  pu  considérer  comme 
mythologiques  toutes  les  données  fournies  par  la  tradition  populaire  ap- 
partenant au  temps  du  Paganisme.  D'après  cette  tradition ,  il  se  figurait 
que  Modsognir  et  Durinn^  ainsi  que  tous  les  autres  Dvergs,  existaient, 
dès  l'origine,  tout  vivants,  dans  le  corps  d' Fwer ;  mais  ils  y  existaient 
soit  sous  forme  de  vers^  qui,  selon  la  croyance  erronée  du  peuple ,  nais- 
saient toujours ,  par  une  génération  spontanée ,  dans  la  chair  en  pourri- 
ture, soit  sous  forme  de  larves^  d'où  sortaient  les  scarabées  et  autres  co- 
léoptères, que  le  peuple  considérait,  également,  comme  nés  de  la  boue,  et 
comme  de  petites  âînes  féées  qui  avaient  pris  la  forme  de  ces  insectes. 
Modsognir  et  Durinn  furent  donc  les  premières  larves  que  les  A  ses  aient 
fait  sortir  du  corps  d' Ymir^  et  auxquelles  ils  aient  donné  la  forme  hu- 
maine. Ensuite  ces  deux  Dvergs  métamorphosèrent  en  êtres  anthropo- 
morphes les  autres  larves  enfouies  dans  le  corps  du  géant.  Cette  concep- 
tion de  l'origine  des  Dvergs  est  un  développement  du  mythe  primitif,  et, 
à  ce  titre,  à  la  fois  authentique  et  légitime.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même 
quand  Snorri ,  au  lieu  d'admettre  seulement  deux  races  de  Dvergs ,  en 
admet  trois;  car  cette  conception  repose  sur  une  fausse  interprétation , 
amenée,  elle-même,  par  une  fausse  leçon.  En  effet,  au  lieu  des  vers  de 
la  Vision  de  la  Louve  : 

«  Eux ,  ils  formèrent,  de  terre,  la  foule  des  Dvergs , 
«  A  la  figure  humaine,  comme  Durinn  le  proposa.  » 
Snorri  lisait  dans  son  manuscrit,  ou  se  rappelait  dans  sa  mémoire  en 
défaut ,  les  vers  suivants  : 

«  Alors  mainte  forme  humaine  fut  achevée , 
«  Les  Dvergs,  dans  la  terre,  comme  Durinn  le  proposa.  » 
Croyant,  dès  lors,  que  l'expression  daiis  la  terre  indiquait  une  cer- 
taine classe  de  Dvergs ,  habitant  dans  la  terre ,  et  sachant  qu'il  y  en 
avait  une  autre,  habitant  les  rochers ,  il  a  cru  devoir  statuer ,  à  côté  de  la 
race  des  Dvergs  domiciliés  dans  la  terre,  une  seconde  race  habitant  exclu- 
sivement les  rochers.  Ensuite,  dans  les  vers  de  la  Vision  de  la  Louve  : 
«  Il  est  temps  d'énumérer,  au  genre  humain, 
«  Les  Dvergs  de  la  bande  de  Dvalin ,  jusqu'à  Lofar.  » 

Snorri^  au  lieu  de:  Les  Dvergs  de  la  bande  de  Dvalin  (norr.  îDva- 
lins  lidi) ,  lisait  :  Les  Dvergs  dans  la  tombe  de  Svarin  (norr.  Í  Sva- 
rins  leidi) ,  et  il  crut  qu'il  s'agissait  ici  d'une  troisième  vííce ,  habitant  la 
Tombe  de  Svarin^  qui  était  un  roi  de  mer  et  dont  le  tertre ,  élevé  sur  un 
promontoire,  était  connu,  en  Scandinavie,  sous  le  nom  de  Butte  de 


NUMÉRO  (24)  (page  9i)  ;  le  frêne  d'yggdrasill.        223 

Svarin  (norr.  Svarins  haugr).  Or,  Tombeau  de  Svarin  étant  un  nom 
de  lieu ,  SnoinH  crut  devoir  prendre  également  le  nom  du  Dverg  Lofar 
pour  un  nom  de  lieu ,  et  admettre  ainsi  trois  races  de  Dvergs,  dont  la  troi- 
sième, comme  il  se  l'est  imaginé  ,  est  allée  s'établir  à  Lofar. 

(24)  le  frêne  d'yggdrasill;  la  fontaine  de  mimir. 
%  71.  Le  Frêne  d'Yggdrasill,  Arbre  d'Établissement  et  de  Jugement. 
—  Chez  les  tribus  scythes,  comme  en  général  chez  les  peuples  iafétiques, 
le  dieu  Soleil^  en  sa  qualité  de  Père  et  de  Protecteur  de  la  famille  et  de 
la  nation,  était  aussi  le  Protecteur  du  'pays,  du  sol,  et  du  domicile 
(voy.  Les  Gètes,  page  Í84).  Aussi  le  pays,  les  chemins,  le  sol,  et  le 
domicile  étaient- ils  consacrés  au  dieu  Soleil;  et  pour  indiquer  qu'ils 
étaient  sous  la  protection  de  ce  dieu ,  les  peuples  encore  nomades  y  éri- 
gèrent les  symboles  du  soleil ,  savoir  une  grande  perche,  ou  deux  troncs 
d'arbre ,  ou  deux  mâts  orientés.  Plus  tard ,  devenus  sédentaires  et  agricul- 
teurs, ces  peuples  plantaient,  dans  leur  canton ,  un  ou  deux  arbres  consa- 
crés sîu  Soleil,  comme  symboles  de  V  établissement  et  áel3i  communauté. 
C'est  ainsi  que ,  dans  l'Inde ,  comme  chez  les  peuples  de  la  branche  gète,  il  y 
avait ,  auprès  des  villages  ou  au  milieu  des  cités ,  un  ou  deux  arbres  qui 
étaient  consacrés  au  Soleil,  et,  comme  tels,  les  symboles  de  reïa6//55e??iewi 
et  de  la  communauté.  Comme  la  communauté  se  manifestait  principale- 
ment dans  l'exercice  de  la  justice  et  dans  la  délibération  sur  les  intérêts 
de  la  cité ,  c'est  auprès  de  ces  arbres  consacrés  au  soleil ,  qu'on  tenait 
les  assemblées  publiques ,  et  que  siégèrent  les  juges  pour  prononcer  leurs 
jugements.  De  cette  manière  ,  ces  arbres  étaient  les  symboles ,  non-seu- 
lement de  l'établissement  et  de  la  communauté ,  mais  aussi  de  l'assem- 
blée publique,  et  de  l2i  justice.  Enfin ,  comme  les  juges  s'inspiraient  de  la 
sagesse  et  de  la  science  du  dieu  Soleil ,  qui  présidait  à  la  justice ,  ces 
arbres ,  symboles  de  la  délibération  politique  et  judiciaire ,  devinrent 
encore  les  symboles  de  la  sagesse  et  de  la  science.  Voilà  pourquoi  les 
Hindous  donnaient  aux  arbres  plantés  près  des  cités  et  consacrés  au  Soleil, 
soit  le  nomáeJrbre  de  Sagesse  (sansc.  bouddhi-taru)^  soit  celui  de  Arbre 
de  Science  (sansc.  bouddhi-drouma).  La  Mythologie  attribue  ordinaire- 
ment aux  divinités  anthropomorphes ,  des  usages  analogues  à  ceux  des 
hommes.  Aussi ,  lorsque,  chez  les  peuples  de  la  branche  gète  et  vers  le 
troisième  siècle  de  notre  ère ,  les  mythes  se  formèrent  sur  l'établissement 
des  Ases  dans  Asgard  (voy.  p.  213),  la  Mythologie  imagina  que  la  bande 
ou  la  famille  des  Dieux  avait ,  au  ciel ,  comme  les  hommes ,  sur  la  terre , 
son  Lieu  d'assemblée  et  de  jugement  auprès  d'un  arbre  sacré.  Comme , 
chez  les  hommes ,  cet  arbre  sacré  se  trouvait  planté  ordinairement  au 
milieu  de  la  cité ,  on  se  figurait  aussi  que  l'arbre  sacré  des  Ases  était  placé 
au  milieu  de  la  Plaine  d'idi  (voy.  g  66).  Les  hommes  choisissaient ,  pour 
les  arbres  sacrés ,  les  meilleures  et  les  plus  belles  essences  ;  dans  l'Inde 
c'était  le  figuier  sacré  [d.  pippala  ou  açvattha  p.  açva-vatha,  figuier 
du  Cheval  ou  du  Soleil) ,  chez  les  Germains,  c'étaient  le  chêne  et  le  til- 
leul ,  et  chez  les  Scandinaves ,  le  frêne.  Aussi  se  figurait-on  que  l'arbre 
sacré  des  Ases  était  un  frêne.  Les  arbres,  symboles  de  l'établissement, 
de  l'assemblée,  du  jugement,  et  de  la  sagesse,  étant  consacrés  au  soleil , 


224  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

le  Frêne  céleste  des  Ases  était  également  consacré  au  Soleil ,  et  fut  nommé, 
comme  les  arbres  sacrés  chez  les  Scandinaves ,  le  Frêne  du  Soleil.  Or , 
dans  l'origine,  le  Soleil  était  adoré ,  chez  tous  les  peuples  iafétiques, 
comme  une  divinité  zoomorphe  (voy.  Les  Gètes ,  p.  178),  et  les  tribus 
Scythes  considéraient  primitivement  le  Soleil  comme  un  Étalon  fougueux, 
parcourant  rapidement  les  espaces  célestes  ,  et  répandant  ses  rayons  de 
lumière  et  de  chaleur  par  ses  yeux,  ses  nasaux,  sa  crinière  luisante,  et  sa 
queue  flamboyante  (voy.  p.  205).  L'Étalon-Soleil  eut  donc  plusieurs  noms 
épithétiques,  tels  que  celui  de  Coursier  {^^c^ihe  Traçilus;  cf.  gr.  Irochilos; 
norr.  drasill)  ei  A' Ombrageux  (germ.  wigg  ;  anglos.  vicg;  norr.  yggr). 
Ces  noms  se  transmettaient  encore  traditionnellement ,  pour  désigner  le 
soleil ,  lorsque  déjà  le  Soleil  était  devenu  anthropomorphe ,  et  était  même 
conçue  comme  une  divinité /mmzwe  (voy.  §  55).  A  l'époque  où  le  Frêne- 
du-Soleil  des  Ases  fut  imaginé,  le  soleil  était  encore  désigné,  entre  autres 
dénominations,  par  le  nom  archaïque  de  Coursier- Ombrageux  (gète 
Vigg-Thraçils;  norr.  Ygg-Drasill)^  et  c'est  pourquoi  cet  Arbre  céleste 
du  Soleil  fut  appelé ,  dans  la  Mythologie  Scandinave ,  le  Frêne  du  Cour- 
sier-Ombrageux (norr.  Jskr  Ygg-Drasils).  Les  peuples  de  la  branche 
gète  plantaient  ordinairement  l'Arbre  du  soleil  auprès  d'une  source ,  qui, 
dès  lors ,  devint  une  source  sacrée,  consacrée  au  Soleil,  et  surtout  consi- 
dérée comme  Source  de  sagesse  et  de  jugement.  D'après  cet  usage, 
la  Mythologie  imagina  qu'au  pied  du  Frêne  d'Yggdrasill  se  trouvait  la 
Fontaine  sacrée  des  Nomes,  ou  la  Fontaine  á'Urdur^  qui  était  la  Source 
de  la  sagesse  et  du  jugement  célestes.  Les  Ases  se  rendaient ,  tous  les 
jours ,  auprès  du  Frêne  d'Yggdrasill  et  de  la  Fontaine  d'Urdur ,  pour  dé- 
libérer et  prononcer  leurs  jugements.  Il  était  d'usage,  dans  le  Nord,  d'aller 
à  cheval  à  l'assemblée  générale  (norr.  Jlthing),  ou  au  lieu  du  jugement. 
C'est  pourquoi  là  Mythologie  norraine,  à  peu  près  vers  le  sixième  siècle  de 
notre  ère ,  se  figurait  que  les  Jses^  eux  aussi,  se  rendaient,  à  cheval^ 
auprès  de  l'Arbre  de  Jugement.  Ce  mythe  est  rapporté  dans  les  Dits  de 
Grimnir^  strophe  30  : 

«  Gladr  et  Gyllir ,  Gler  et  Skeidbrimir , 

«  Silfrintoppr  et  Sinir , 
«  Gisl  et  Falhofriir,  Gulltoppr  et  Lettfeti, 

«  Ces  chevaux ,  les  Ases  les  montent 
«Chaque  jour,  quand  ils  se  rendent,  pour  juger , 

«  Auprès  du  Frêne  d'Yggdrasill. 

et,  bien  que  ce  mythe-là  n'ait  aucun  rapport  direct  avec  le  mythe  du  Frêne 
d'Yggdrasill ,  Snorri  a  cru  devoir  en  parler  à  propos  de  cet  Arbre  céleste. 
Comme  i'worr/ ,  d'après  son  nombre  de  prédilection  (voy.  p.  157),  admet 
treize  Ases,  et  qu'il  n'y  a,  ici,  que  dix  chevaux  de  mentionnés,  il  croit 
nécessaire,  pour  arriver  à  son  nombre  consacré,  d'ajouter  à  cette  liste, 
d'abord  le  cheval  á'Odinn  nommé  Sleipnir  {\oy.  p.  1 1 3),  de  faire  remarquer 
ensuite  que  le  cheval  de  Baldur  fut  brûlé  avec  cet  Ase,  et  de  rappeler  que 
Thôr,  d'après  la  strophe  citée  des  Dits  de  Grimnir^  n'a  pas  de  cheval, 
et  qu'il  se  rend  ,  à  pied  ^  au  Tribunal,  en  traversant ,  pour  entrer  dans 
V Enclos  des  Âses.,  les  fleuves  de  feu  Körmt  et  Ôrmt.,  et  les  Bains-de- 


NUMÉRO  (24)  (page  91)  ;  le  frêne  d'yggdrasil.  225 

Bassin  (voy.  p.  212).  En  effet ,  Thor,  comme  Dieu  du  Tonnerre  et  de  la 
Foudre,  avait  son  domicile,  non  dans  le  ciel,  mais  à  Thrudheim  (voy. 
p.  212),  qui  est  placé  à  l'Orient,  sur  le  sommet  de  hautes  montagnes, 
entre  le  ciel  et  la  terre ,  ou ,  comme  s'exprime  le  document  [Dits  de  Grim- 
nir,  4) ,  dans  le  voisinage  du  Séjour-des-Ases  (Ciel)  et  du  Séjoui^-des- 
Alfes  (l'air  supérieur).  Cette  région ,  bien  qu'elle  se  trouvât  en  dehors 
de  \ Enclos-des-Ases ,  passait  cependant  encore  pour  une  région  sacrée 
(v.  p.  254).  Thôr,  comme  Dieu  du  Tonnerre ,  roule  sur  les  nuages ,  monté 
sur  son  char.  Toutes  les  fois  qu'il  n'est  pas  dans  son  char,  c'est-à-dire 
qu'il  n'est  pas  en  fonction  comme  Dieu  du  Tonnerre ,  il  va  à  'pied]  ja- 
mais il  ne  va  à  cheval ,  comme  les  autres  Ases.  La  raison  épique  en  est 
que  Thôr^  le  plus  fort  des  Ases ,  serait  une  charge  trop  lourde  pour  un 
cheval,  même  un  cheval  céleste.  C'est  ainsi  que  Rôlf  eut  le  surnom  de 
Gdngu-Rôlf  (Rôlf  le  Marcheur) ,  parce  qu'il  marchait  à  pied ,  étant  trop 
lourd  pour  pouvoir  être  porté  par  un  cheval  (voy.  p.  254). 

§  72.  Le  Frêne  d'Yggdrasill,  Arbre  de  Vie.  ■ —  Les  peuples  scythes, 
comme  en  général  les  nations  iafétiques ,  considéraient  le  Soleil ,  non- 
seulement  comme  le  Père  des  hommes  ,  mais  aussi  comme  l'auteur  de  la 
vie  universelle  dans  la  Nature.  Aussi  la  Mythologie  hindoue ,  dans  sa 
période  postérieure  philosophique ,  a-t-elle  représenté  la  Nature  entière 
parle  Cheval  Céleste  (norr.  Himin-îor)  ou  le  Cheval  de  Sacrifice,  qui  est  le 
symbole  du  Soleil.  C'estainsiquele  Yadjour-Fêda  {section  Frihad-ara- 
nîaka,  chSip.  Brâh?nanam)  considère  les  différentes  parties  de  la  Nature 
comme  des  parties  du  corps  du  Cheval  sacré  gigantesque  :  «  L'aurore  , 
«  c*est  la  tête  du  Cheval  de  sacrifice  ;  le  soleil ,  l'œil  ;  l'air ,  la  respiration  ; 
«  le  feu ,  la  bouche  béante;  l'année  ,  la  vie  du  Cheval  de  sacrifice  ;  le  ciel, 
«  le  dos;  la  voûte  céleste ,  le  ventre  ;  la  terre,  les  supports  ;  les  séjours 
«  célestes,  les  côtes  ;  les  six  semaines  de  l'année,  les  membres  ;  les  mois 
«  et  les  semestres,  les  vertèbres;  les  jours  et  les  nuits,  les  positions  ;  les 
«  astres,  les  jambes;  l'atmosphère,  les  chairs;  le  sable,  l'excrément;  les 
«  fleuves ,  les  veines  et  artères;  les  montagnes  ,  le  foie  et  les  vessies  ;  les 
«plantes  et  les  rois  des  forêts,  les  crins  et  la  crinière;  la  partie  mon- 
«  tante ,  l'avant-train  du  cheval  ;  la  partie  descendante ,  l'arrière-train  ; 
«  où  la  bouche  s'ouvre,  là  il  fait  de  l'éclair;  où  elle  se  ferme  ,  il  tonne  ; 
«  où  il  urine  ,  là  il  pleut  ;  sa  voix  est  le  hennissement. 

«  Devant  le  Cheval  s'élève  le  jour  comme  une  magnificence  brillante  ; 
«  son  lieu  de  naissance  est  dans  la  Mer  orientale  ;  derrière  lui  naît  la  Niût , 
«  d'une  magnificence  brillante  ;  son  lieu  de  naissance  est  dans  la  Mer  oc- 
«  cidentale ,  etc.  » 

Dans  les  autres  Mythologies ,  la  Fie  universelle  était  représentée  plus 
convenablement  par  un  Arbre  symbolique.  Tel  était  V Arbre  de  Fie  qui, 
d'après  la  Genèse ,  se  trouvait  avec  V  Arbre  de  la  Science ,  dans  le  Pa- 
radis. Tel  était  Y  Arbre  des  Ages  (sansc.  Kalpa-droumas ,  Kalpa-vri- 
kchas)  de  la  Mythologie  hindoue  ;  tel  l'arbre  Haoma  ,  qui ,  d'après  les 
livres  zends  ,  s'élevait  au-dessus  de  la  Fontaine  ^Arduisur  ;  tel  encore 
l'Arbre  qui ,  dans  le  Jardin  des  llespérides ,  portait  les  Pommes  d'or  de 
l'Immortalité.  A  l'époque  où  les  Scandinaves  conçurent  les  mythes  sur 

15 


226  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

l'origine  et  la  destruction  du  Monde ,  ils  représentèrent  également  la  Vie 
universelle  sous  le  symbole  d'un  arbre  merveilleux.  Tel  était  l'^/rôre  de 
Mimi  (norr.  Mima-meithr) ,  dont  le  fruit  avait  des  vertus  obstétricales  ; 
tel  était  encore  le  Pommier  qui  produisit  les  Pommes  d'or  de  l'Immorta- 
lité, gardées  par  la  déesse  Idunn.  Tel  était ,  aussi ,  le  Frêne  d'Yggdra- 
sill,  qui,  considéré  jusque-là  uniquement  comme  Arbre  d'Assemblée  et 
de  Jugement,  fut  dès  lors  considéré  encore  comme  le  symbole  de  la  Vie 
universelle.  Comme  la  Vie  universelle  pénètre  le  Monde  entier,  et  qu'elle 
est  combattue  par  la  Mort  universelle ,  le  mythe  dit  que  le  Frêne  d'Ygg- 
drasil ,  comme  Arbre  de  Vie ,  embrasse  le  Monde  entier,  que  ses  branches 
s'étendent  au-dessus  du  ciel,  et  que  ses  racines  plongent  profondément 
dans  l'Enfer.  Voici  comment  s'énoncent  les  Dits  de  Grimnir ,  str.  31  : 

«  Trois  racines  se  dirigent  en  trois  directions 

«  Sous  le  Frêne  d'Yggdrasill  : 
«  Hel  habite  en  deçà  de  l'une;  les  Thurses-Givreux ,  en  deçà  de  l'autre; 

«Les  Hommes,  du  genre  humain,  en  deçà  de  la  troisième.  » 

Cela  signifie  que  les  racines ,  au  nombre  symbolique  de  trois,  plongent 
dans  les  trois  Mondes  ou  Séjours  inférieurs,  savoir  le  Séjour  des  lotnes, 
à  l'orient  de  la  terre,  le  Séjour  de  Hel ,  en  bas,  au  nord  de  la  terre  ,  et 
le  Séjour  Mitoyen,  au  milieu  de  la  surface  terrestre.  De  même,  les  branches 
du  Frêne  plongent  dans  les  trois  Séjours  supérieurs  ou  célestes,  savoir  le 
Séjour  des  Alfes,  le  Séjour  des  Jses,  et  \&  Séjour  des  Vanes.  L'image 
ÙM  Frêne  d'Yggdrasil,  considéré  comme  Arbre  de  Vie,  diifère  donc 
essentiellement  de  l'image  de  ce  Frêne ,  considéré  comme  Arbre  de  Ju- 
gement. U Arbre  de  Jugement  est  placé  tout  entier  dans  le  ciel;  ses 
racines  se  trouvent  dans  la  voûte  céleste.  V Arbre  de  Vie,  au  contraire, 
est  beaucoup  plus  gigantesque  ;  ses  branches  s'étendent  au-dessus  du 
ciel,  et  ses  racines  s'enfoncent  au-dessous  de  la  terre.  Comme  la  Mytho- 
logie a  donné  le  même  nom ,  celui  de  Fr^/ïe  d'Yggdrasil,  et  à  l'Arbre  de 
.Jugement  et  à  l'Arbre  de  Vie ,  il  importe  de  bien  distinguer  l'un  de  l'autre, 
afin  de  comprendre  la  signification  des  mythes ,  qui  se  rapportent  soit  à 
l'un,  soit  à  l'autre  de  ces  deux  arbres  symboliques. 

Le  mythe  de  l'Arbre  de  Jugement  ayant  une  origine  épique,  les  détails , 
qui  en  sont  rapportés,  présentent  ensemble  un  tableau  que  l'imagination 
peut  facilement  concevoir  et  se  représenter.  Le  mythe  de  l'Arbre  de  Vie, 
au  contraire,  ayant  une  origine  symbolique ,  les  détails  en  sont  plus  in- 
cohérents et  quelque  peu  bizarres;  mais  du  moins  il  n'y  a  pas  de  contra- 
dictions ou  d'incohérences  telles,  que  l'imagination  ne  puisse  en  concevoir 
raisonnablement  l'image.  Les  deux  mythes,  qui  étaient ,  originairement, 
distincts  l'un  de  l'autre  ,  comme  ils  le  sont  restés  dans  la  Genèse,  se  sont 
confondus  ensemble  dans  la  tradition  mythologique  des  anciens  Scan- 
dinaves. Mais  cette  fusion  des  deux  mythes  ,  loin  de  fiiire  disparaître  la 
contradiction  qu'il  y  avait  entre  les  détails  épiques  de  l'un  et  les  détails 
symboliques  de  l'autre,  l'a  fait  d'autant  plus  ressortir,  de  sorte  que  l'image 
du  Frêne ,  planté  dans  le  Champ  Céleste  ou  dans  la  Plaine  d'Idi,  et  qui 
a  naturellement  son  pied ,  ses  racines  ,  son  tronc  et  ses  branches  dans  le 
ciely  ne  saurait  cadrer  avec  l'image  du  Frêne  embrassant  le  Monde  entier, 


NUMÉRO  (24.)  (page  91);  le  frêne  d'yggdrasil.  227 

c'est-à-dire  plongeant  ses  brandies  dans  les  régions  supérieures  ou  célestes, 
et  ses  racines  dans  les  régions  inférieures  ou  terrestres.  Ces  incohérences 
contradictoires  existent  réellement,  si ,  prenant  les  deux  mythes  comme 
formant  un  seul  et  même  tableau ,  on  rapporte  à  l'un  les  détails  de  l'autre; 
mais  elles  s'expliquent,  du  moment  qu'on  sépare  les  deux  mythes  qui  ont 
été  confondus  ensemble ,  et  qu'on  rapporte  à  chacun  les  détails  qui  lui  ap- 
partenaient dans  l'origine.  Snorri  ne  sait  pas  faire  cette  distinction  entre 
les  deux  mythes.  Aussi  son  exposé  renferme-t-il  des  contradictions  nom- 
breuses, qu'il  augmente  encore  par  son  interprétation  des  documents, 
et  par  ses  idées  evhéméristes  concernant  certains  mythes. 

§  73.  Le  Frêne  d'Yggdrasil ,  d'après  Snorri.  — ^^«orr/ a  ignoré  la  signifi- 
cation symbolique  du  Frêne  d'Yggdrasil  tant  comme  Arbre  de  Jugement 
que  comme  Arbre  de  F/e;  et,  ce  qui  est  bien  plus  fâcheux,  il  a  confondu  les 
mythes  se  rapportant  à  l'un  ou  à  l'autre  des  deux  symboles.  Aussi  son  exposé 
renferme-t-il  des  contradictions  nombreuses,  et  l'image  qu'il  retrace  du 
Frêne,  est  discordante  et  inconcevable.  D'abord  les  questions  qu'il  fait 
adresser  diSublime^2iV Piétonneur ,  se  rapportent  au  Frêne  d' YggdrasiL 
considéré  comme  Arbre  d'Assemblée  ou  de  Jugement;  mais  la  réponse 
d'Éqid-Sublùne  se  rapporte  au  Frêne ,  considéré  comme  Arbre  de  Vie. 
En  effet,  c'est,  comme  Arbre  de  Vie,  que  ce  Frêne  est  dit,  de  tous  les  arbres , 
\Qplus  grand  et  le  meilleur,  et  qu'il  étend  ses  branches  et  ses  racines  dans 
le  Séjour  enizer.  Ensuite  d'après  une  combinaison  bizarre  de  certaines  don- 
nées mythologiques  qu'il  a  faussement  interprétées ,  Snorri  se  figure  que  , 
sous  les  trois  racines  du  Frêne,  se  trouvent  trois  Fontaines  sacrées. 
C'est  que,  se  rappelant  que  la  Fontaine  d'Urdur  est  placée  au  pied  de 
l'Arbre  de  Jugement  des  Ases,  au  ciel ,  et  confondant  ensuite  cet  Arbre 
de  Jugement  avec  l'Arbre  de  Vie,  qui  a  trois  racines ,  il  s'imagine  et  il  dit 
que  1°  l'une  de  ces  trois  racines  se  trouve  chez  les  Ases;  ce  qui  ne  signifie 
pas  (comme  cela  pourrait  sembler)  qu'elle  se  voit  chez  les  Ases,  qui 
(d'après  l'evhémérisme  de  Snorri)  habitent  l'Asgard  asiatique  sur  la  terre, 
mais  cela  veut  dire  positivement  qu'elle  se  trouve  au  ciel,  comme  Snorri 
l'explique  lui-même  ,  en  disant  plus  loin  (p.  91),  à  propos  de  cette  même 
racine,  qu'elle  se  trouve  «  au  ciel)).  Snorri  dit  ensuite  2"  que  la  seconde 
racine  du  Frêne  est  chez  les  Thurses-Givreux .  Cela  est  conforme  ,  il 
est  vrai,  à  l'énoncé  des  vers  ci-dessus  rapportés;  mais,  si  ^«orrz  ajoute 
que  la  racine  s'étend  à  l'endroit  où  était  antérieurement  le  Bâillement- 
des-Mâchoires ^  il  ne  parle  plus  d'après  les  documents,  mais  d'après 
l'idée  fausse  qu'il  s'était  faite  du  Gimiunga-Gap  (voy.  p.  MO).  Car  il  prend 
le  Bdillement-des-Mâchoires  pour  V Océan  primitif  qui,  lors  de  la 
création  de  la  Terre ,  est  devenu ,  selon  lui ,  la  Mer  Extérieure  (norr. 
utsia),  baignant  les  rivages  des  Séjours-des-Iotnes  ou  du  Pays  des 
Thurses-  G  ivreux . 

Snorri  n'est  pas ,  non  plus ,  dans  le  vrai  lorsqu'il  dit  3°  que  la  troisième 
racine  se  trouve  au-dessus  du  Séjour-Brumeux.  Il  fallait  dire  au-dessus 
du  Séjour-de-Hel,  ou  encore ,  plus  exactement ,  au-dessus  de  Hel- Bru- 
meux (voy.  p.  165) ,  à  l'endroit  où  se  trouve  le  Dragon  Nid-högg ,  qui, 
rongeant  une  des  racines  du  Frêne  dtYggdrasil  ^  contribue  au  dépéris- 
sement de  cet  Arbre  de  Vie.  Le  détail  de  Nidhogg ,  bien  qu'il  ait  été  ajouté 


22ö  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPETUEL. 

postérieurement,  fait  cependant  partie  intégrante  de  la  conception  du  mythe 
concernant  l'y^r6rec?e  Vie.  En  effet,  ce  mythe  veut  non-seulement  énoncer 
que  la  Vie  pénètre  toute  la  Nature ,  mais  aussi  que  cette  vie  est  attaquée 
continuellement  par  des  forces  pernicieuses  ennemies.  C'était  même,  ici, 
le  lieu  de  parler  des  différents  Ennemis  de  l'Arbre  de  la  Nature  ,  ce  que 
Snorri  fait  seulement  plus  bas  (voy.  p.  234).  Au  lieu  de  cela ,  il  donne,  ici, 
des  détails  dont  les  uns ,  il  est  vrai,  sont  conformes  aux  documents,  mais 
n'ont  aucun  rapport  mythologique  avec  le  Frêne  d'Yggdrasily  et  dont 
les  autres  ne  sont  mentionnés  dans  aucun  document,  et  ne  reposent  que 
sur  les  fausses  hypothèses  ou  combinaisons  de  notre  auteur.  C'est  ainsi 
que  Snorri  aflBrme  que  le  Bassin-Bruyant  est  sous  la  troisième  racine 
du  Frêne.  D'abord  cela  n'est  pas  exact  ;  car  le  Bassin-Bruyant  sq  trouve 
au  centre  du  Séjour-Brumeux  ;  ensuite  ce  Bassin  n'a  aucun  rapport  avec 
le  mythe  d' Yggdrasil.  Snorri  a  placé  le  Bassin-Bruyant  sous  une  des 
racines  de  l'Arbre,  afin  qu'il  y  eût  correspondance  et  corrélation  de  ce 
bassin,  d'un  côté  avec  la  Fontaine  de  Mimir ,  qu'il  se  figure  placée  sous 
la  seconde  racine,  et,  de  l'autre,  avec  Isl  Fontaine  d' Ur  dur  ^  qu'il  suppose 
placée  sous  \2l  troisième  racine.  Mais,  d'abord,  cette  topographie  my- 
thologique n'est  pas  conforme  aux  anciens  documents  ;  et  puis  la  Mytho- 
logie ne  connaît  pas  cette  corrélation  des  trois  Fontaines ,  que  Snorri  a 
imaginée  par  suite  d'une  combinaison  trop  systématique.  Cette  erreur  est 
cause  que  Snorri  croit  devoir  exposer  ici  le  mythe  de  la  Fontaine  de 
Mimir ^  qui ,  cependant  n'a  aucun  rapport  avec  le  mythe  du  Frêne  d' Ygg- 
drasil. Enfin  Snorri  admet  (et  cela  également  à  tort)  que  le  Dragon 
Nidhögg  séjourne  dans  le  Bassin-Bruyant.  Évidemment  il  confond  ce 
dragon ,  ainsi  que  les  serpents  innombrables  qui  se  trouvent  sous  le  Frêne 
(voy.  p.  235) ,  avec  les  serpents  du  Bassin-Bruyant ,  dont  le  venin  ,  mêlé 
aux  eaux  de  Heidthyrnir,  a  formé  les  Vagues- Tempétueuses  (v.  p.  iTI). 
g  74.  La  Fontaine  de  Mîmir.  —  Les  sources  qui  jaillissaient  auprès  des 
Arbres  d'Assemblée  et  de  Jugement  (voy.  p.  224)  étant  devenues,  ainsi  que 
ces  arbres  eux-mêmes,  des  objets  sacrés  et  merveilleux,  la  Mythologie 
put  les  transformer  en  Fontaines  de  Sagesse;  et  le  raisonnement  trouva 
des  raisons  d'analogie  pour  justifier  ce  caractère  symbolique.  Ainsi  l'eau, 
cet  élément  clair,  pur,  transparent  et  pénétrant,  fut  considérée  comme 
le  symbole  de  la  clarté  de  l'intelligence  ;  et,  par  conséquent,  la  source,  la 
fontaine,  ou  le  puits ,  qui  renfermaient  cet  élément,  symbole  de  l'intelli- 
gence, passaient  pour  la  source  de  la  Sagesse  et  de  la  Pénétration.  En- 
suite, comme  on  croyait  que  les  boissons ,  surtout  les  spiritueux,  pris 
dans  certaines  circonstances ,  augmentaient  la  puissance  des  facultés 
intellectuelles  et  morales,  on  considérait  aussi  la  boisson  fournie  par  ces 
Sources  de  Sagesse,  comme  des  moyens  propres  à  donner  à  l'esprit  de  la 
clairvoyance  et  de  la  science.  Voilà  pourquoi ,  dans  les  traditions  mytho- 
logiques et  épiques  de  l'Antiquité ,  de  l'Orient  et  du  Moyen  âge ,  la  Poésie , 
la  Sagesse ,  la  Vérité ,  ainsi  que  l€s  Représentants  mythologiques  de  la 
Poésie ,  de  la  Sagesse  et  de  la  Prescience ,  telles  que  les  Muses,  les  Fées, 
lesOndines,  les  Néréides  (allem.  mer-wîp),  les  Femmes-Cygnes ,  les 
Femmes-Serpents  [Echi-dna;  Mélusine)^  etc. ,  sont  toujours  mises  en 
rapport  avec  des  sources  (cf.  gr.  hippokrène),  des  puits  (cf.  Puits  de  la 


NUMÉRO  (24)  (page  91)  ;  la  fontaine  de  mimir.  229 

Vérité),  des  lacs,  et  des  Coupes  de  divination  (voy.  Sur  l'Origine  et  la 
Signification  des  Romans  du  St.-Graal).  Ce  symbolisme  une  fois  compris, 
on  conçoit  que  la  Mythologie  norraine  a  dû  imaginer  la  Fontaine  de 
Mîmir,  pour  expliquer  symboliquement  la  Sagesse  des  lotnes.  En  effet , 
d'après  la  Cosmogonie  mythologique,  les  lotnes  étant  nés  avant  les 
^ses ,  la  sagesse  traditionnelle  de  ceux-là  ,  qui  étaient  les  anciens,  pou- 
vait rivaliser  et  se  mesurer  avec  la  sagesse  de  ceux-ci ,  qui  étaient  plus 
jeunes.  Aussi  les  Thur  s  es- Givreux  ou  les  lotnes  portaient-ils  l'épithète 
é^iqwQáQ  Infiniment- s  âge  s  {xiOVY.  hund-vîsir,  sagaces  comme  des  chiens; 
dérivé  peut-être  de  hundrad-vîsir,  sagaces  au  centuple).  Pour  expliquer 
encore  d'une  autre  manière  cette  sagesse  que  possédaient  les  lotnes ,  la 
Mythologie  dit  qu'ils  ont,  chez  eux  ,  dans  le  Séjour  des  lotnes ,  un  Puits 
de  Science,  de  Prescience  et  de  Sagesse.  Le  Gardien  ou  le  Possesseur 
de  cette  Fontaine ,  c'est  l'Iotne  Mîmir  (p.  Mîgmir ,  Ruisselant;  cf.  goth. 
milhma,  nuage),  qui,  comme  son  nom  l'indique,  est  la  personnification 
de  la  Source  même  (cf.  Vrindus,  Jaillissant).  Il  est,  par  conséquent, 
aussi  la  personnification  ou  le  Symbole  de  la  Sagesse  (comme  le  Vane 
Qvasir)^  et,  à  ce  titre,  il  est  le  type,  d'abord  du  Conseiller,  et  puis  ,  dans 
la  poésie  épique  postérieure  ,  celui  de  V Artiste,  et,  par  suite ,  du  Mé- 
decin (cf.  ail. a7^tzt^  de  artista;  d.Mi7na-7neidr,  p.  226).  A cemythe,  dont 
nous  venons  de  montrer  l'origine  et  la  forme  primitive ,  sont  venus,  plus 
tard,  se  joindre  des  détails  épiques,  qui  n'avaient  qu'un  rapport  indirect 
avec  l'idée  symbolique  qu'il  exprimait  originairement.  Ces  détails  épiques 
sont  les  suivants  :  Mîmir,  le  Sage  et  le  bon  Conseiller ,  emploie  son  in- 
telligence extraordinaire  pour  préserver  de  tout  danger  les  lotnes  qui 
sont  de  sa  race  ;  il  est  donc  aussi  le  Gardien  du  Séjour  des  lotnes.  En 
cette  qualité,  il  a  en  sa  possession,  pour  pouvoir  sonner  l'alarme,  la 
Corne-de-Gioll  (Corne  de  Retentissante),  qui,  si  l'on  y  donne,  en  cas 
de  danger,  est  entendue  dans  le  Monde  entier,  comme  la  Corne  Dieu- 
donné  (sansc.  Dêva-datta)  du  Demi-dieu  hindou  Ardjunas ,  ou  comme 
le  cor  Ivoire  {Olifant)  du  héros  Ruodland.  En  bouchant  du  doigt  l'em- 
bouchure de  cette  corne  2:>ointue  (goth.  stikls  ;  ail.  stecher) ,  on  pouvait 
encore ,  suivant  l'usage  des  Scandinaves ,  s'en  servir  comme  d'une  corne- 
à-boire  (norr.  stikill,  ail.  drinkhorn). 

La  corne  de  Mîmir  était  à  la  fois  un  gage  de  sûreté ,  parce  que ,  avec 
elle ,  on  pouvait  donner  l'alarme ,  et  un  instrument  pour  augmenter  sa 
science ,  puisqu'on  y  buvait  le  breuvage  de  l'intelligence  ,  à  la  Source  de 
la  Sagesse.  Odinn  voudrait,  pour  ces  deux  raisons  ,  l'enlever  à  Mîmir, 
le  Gardien  des  lotnes,  et  la  donner  èiHeimdall,  le  Gardien  des  Ases.  Ne 
pouvant  l'enlever  de  force,  il  emploie  la  ruse  pour  s'en  emparer  ;  il  de- 
mande à  boire  un  coup  dans  cette  Corne,  espérant  pouvoir  ainsi  la  saisir 
et  la  garder.  Mais  Mîmir,  le  Sage ,  devinant  son  intention  ,  lui  demande 
de  donner,  comme  gage  pour  la  corne  qu'on  va  lui  présenter,  son  œil 
droit,  c'est-à-dire  la  moitié  de  sa  Prévision.  Odinn,  sachant  qu'il  ne 
perdra  pas  au  change ,  préfère  garder  la  Corne  et  laisser  son  œil  engagé. 
Depuis  ce  temps  ,  Odinn,  le  Père  des  Occis  ,  est  borgne;  il  n'a  plus  que 
la  moitié  de  sa  prévoyance  ;  mais ,  du  moins ,  en  faisant  ce  sacrifice,  a-t-il 
pourvu ,  comme  il  croit ,  à  la  sûreté  des  Ases.  Mîmir,  n'ayant  plus  sa 


230  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Corne,  boit,  chaque  matin,  dans  Vœil  d'Odinn  ou  dans  le  Gage  du  Père 
des  Occis.  W  augmente  ainsi  sa  sagesse  moyennant  la  Prévision  du  Chef 
des  Ases.  Peut-être  y  a-t-il  quelque  rapport  caché,  au  moins  quant  à  la 
forme ,  entre  le  mythe  Scandinave  et  la  tradition  populaire  si  répandue 
dans  le  Jura  sur  la  Fée  Vouire  (lat.  Vipera).  C'est  une  fée  borgne  comme 
Odinn,  et  qui,  chaque  fois  qu'elle  va  boire  à  la  fontaine,  ôte  son  œil, 
lequel  est  un  diamant.  Il  lui  arrive  parfois  d'oublier  son  œil;  heureux  celui 
qui  le  trouve  !,  sa  bourse  sera  toujours  remplie  d'argent,  iyoy.  Roquefort, 
Etat  de  la  poésie,  etc. ,  142.) 

Évidemment,  le  mythe  de  la  Fontaine  de  Mîmir  n'était  pas  rattaché, 
dans  l'origine,  au  mythe  du  Frêne  d'Ycjgdrasil.  Peut-être  cette  Fon- 
taine était-elle  placée  au  pied  de  \ Arbre  de  Mimi  (norr.  Mîma-meidr) , 
dans  le  Séjour  des  lotnes.  Toutefois  Snorri  l'a  placée  au  pied  du  Frêne 
d'Yggdrasil ,  parce  qu'il  croyait,  à  tort,  qu'il  existait  une  corrélation 
ou  analogie  entre  \íí  Fontaine  de  Miinir,  [q  Bassin-Bruyant,  et  la/o/i- 
tai7ie  d'Urdur,  et  que,  par  conséquent,  la  Fontaine  de  Mîmir  et  \e 
Bassin-Bruyant  devaient  se  trouver,  aussi  bien  que  la  Fontaine  d'Ur- 
dur,  au  pied  du  Frêne  d'Yggdrasil, 

(25)  LES  NORNES  ;  LA  FONTAINE  d'uRÖUR. 

g  75.  La  Prédiction  du  Destin.  —  Dans  l'origine ,  l'homme  n'adorait  les 
Dieux  que  parce  qu'il  croyait  à  leur  puissance  surhumaine,  et  qu'il  voyait 
en  eux  les  arbitres  de  sa  destinée.  Le  culte  avait  donc ,  dans  l'origine , 
un  but  essentiellement  eudæmonistique ,  c'est-à-dire  que,  par  les  pra- 
tiques du  culte,  on  tendait  à  se  rendre  les  Dieux  favorables,  et,  par  ce 
moyen,  à  se  procurer  le  bonheur,  et  à  détourner  le  malheur  menaçant. 
Quant  aux  accidents  heureux  ou  malheureux,  on  les  attribuait  à  la  divi- 
nité dans  la  spécialité  de  laquelle  la  direction  de  ces  accidents  rentrait 
plus  particulièrement  (voy.  les  Valkyries,  §  125);  mais  quant  au  bon- 
heur et  au  malheur  de  la  vie,  en  général,  ou  quant  à  la  bonne  ou  mau- 
vaise destinée ,  on  l'attribuait,  d'abord  au  Dieu  suprême,  comme  à  celui 
qui  avait  une  jouissance  supérieure  à  celle  des  autres  divinités,  ou  bien 
on  l'attribuait  à  l'assemblée  des  Dieux  qui,  réunis  en  Conseil,  décidaient 
de  la  bonne  ou  mauvaise  destinée  de  chaque  homme,  surtout  lors  de  sa 
naissance.  C'est  ainsi  que  les  ^565  allaient,  chaque  jour,  siéger  auprès 
du  Frêne  d'Yggdrasil  pour  prononcer  leur  jugemetit  [domr ,  fixation; 
sansc.  dhaman,  établissement)  sur  la  Destinée  des  choses  et  des  hommes. 
La  destinée  ainsi  fixée ,  par  leur  jugement ,  portait  elle-même  le  nom  de 
Établissetnent  (norr.  domr) ,  pris  dans  le  sens  de  Loi  (cf.  les  Établis- 
sements de  St.-Louis).  Or,  il  était  de  l'intérêt  des  hommes  de  connaître 
d'avance  la  volonté  ou  les  décrets  des  Dieux,  afin  d'éviter  ce  qui  pouvait 
causer  et  amener  l'accomplissement  d'une  décision  fâcheuse ,  ou  de  la 
prévenir,  en  disposant  favorablement  les  Dieux  par  le  moyen  des  pratiques 
de  la  religion.  On  croyait,  ensuite,  que  les  Dieux  faisaient  connaître  leurs 
décisions  à  leurs  favoris,  c'est-à-dire  aux  hommes  inspirés  ,  aux  Divins 
ou  aux  prêtres ,  qui  passaient  pour  les  organes  intermédiaires  entre  la 
Divinité  et  le  peuple.  C'est  donc  à  ces  hommes  qu'on  s'adressait  pour 
apjH'endre  la  décision  des  Dieux  ,  énoncée  sous  forme  iV oracle.  Comme 


NUMÉRO  (25)  (page  92)  ;  les  nornes.  23 1 

le  nombre  des  hommes,  qui  passaient  pour  être  directement  inspirés  par 
les  Dieux,  était  naturellement  restreint,  et  que,  pour  connaître  la  volonté 
des  Dieux  et  pour  prévoir  ou  prévenir  la  Destinée,  on  n'avait  pas  tou- 
jours à  sa  disposition  des  Prophètes ,  des  Inspirés  ou  des  Divins ,  on  sup- 
pléait, dans  les  circonstances  ordinaires,  à  la  Prophétie  par  la  Divina- 
tion. La  Divination  différait  de  la  \  ision  prophétique  ou  de  la  Prophétie , 
en  ce  qu'elle  n'était  pas ,  comme  celle-ci ,  la  vue  immédiate  de  la  Destinée 
révélée,  soit  par  inspiration  divine,  soit  par  intuition  contemplative,  mais 
qu'elle  était  seulement  l'art  de  prédire  la  destinée  par  conjecture  ou  in- 
duction, à  la  vue  de  certains  indices  physiques,  qui  passaient  pour  des 
signes  précurseurs  ou  cotico mitants  de  l'événement,  et  qui,  ou  bien 
s'offraient  d'eux-mêmes,  ou  bien  étaient  provoqués  par  des  paroles  ou 
des  opérations  magiques.  Malgré  cette  distinction ,  la  Vision  prophétique 
et  la  Divination  se  confondaient  souvent  dans  la  pratique,  et  elles  étaient 
exercées  communément,  l'une  et  l'autre,  ensemble.  Comme  les  femmes, 
par  suite  de  leur  organisation  plus  délicate,  ou  par  leur  éducation  et  leurs 
occupations  habituelles,  ont  naturellement  l'esprit  plus  impressionnable, 
plus  porté  à  l'enthousiasme  et  au  mystère  que  les  hommes,  l'esprit  pro- 
phétique et  divinatoire  était  aussi  plus  particulièrement  attribué  aux 
femmes;  et,  pkis  tard,  peut-être  par  suite  d'idées  ascétiques  originaires 
de  l'Inde ,  l'esprit  prophétique  était  attribué  principalement  aux  femmes- 
vierges  (voy.  Les  Gètes,  p.  210).  De  là,  chez  les  peuples  d'origine  gé- 
tique,  l'institution  de  Prêtresses,  Prophétesses  ou  Devineresses  attachées 
au  Sanctuaire,  et  portant,  pour  cette  raison,  le  nom  de  Conseillères  du 
Sanctuaire  (gèt.  alhi-  hrûnas).  A  côté  de  ces  femmes,  qui,  comme  prédisant 
l'issue  ou  la  destinée  des  expéditions  guerrières,  avaient  seules  une  po- 
sition ,  en  quelque  sorte,  officielle ^  il  y  en  avait  d'autres  qui  n'étaient  pas 
attachées  au  Sanctuaire,  mais  qui,  parcourant  le  pays,  prédisaient  l'avenir 
des  particuliers,  surtout  l'avenir  ou  la  destinée  des  enfants  nouveau-nés. 
Oïi\es2i^^e\2ài Femmes  de  Fision{norv.  Spâ-Konur).  De  même  que  laPro- 
phétie  s'était  confondue  avec  la  Divination  ,  la  Divination  ne  tarda  pas  à 
se  confondre ,  à  son  tour ,  avec  la  Magie.  La  Divination  différait  de  la 
Magie  en  ce  qu'elle  se  contentait  de  deviner  la  destinée  telle  que  les 
Dieux  l'avaient  décrétée,  sans  avoir,  comme  celle-ci,  la  prétention  de 
déterminer  ou  de  modifier,  à  volonté,  le  destin,  les  événements  et  les  choses, 
en  produisant ,  par  des  moyens  supposés  naturels ,  et  indiqués  parla  Science 
occulte,  les  causes  qui  passaient  pour  amener  nécessairement,  inévita- 
blement, et,  contrairement  même  à  la  volonté  des  dieux,  les  effets  qu'on 
désirait  obtenir.  Les  Femmes  de  Vision  étant  aussi  des  Magiciennes, 
l'idée  s'établit  facilement  que  ces  femmes  ne  prévoyaient  ou  ne  savaient 
pas  seulement  d'avance  la  destinée ,  telle  que  les  Dieux  l'avaient  décrétée , 
mais  qu'elles  étaient  aussi  en  état ,  par  leur  science  magique ,  de  déter- 
miner, elles-mêmes ,  cette  destinée,  selon  leur  fantaisie  ;  qu'elles  étaient, 
par  conséquent ,  aussi  bien  que  les  Dieux  ,  et  souvent  ipême  plus  que  les 
Dieux,  les  Arbitres  immédiats  du  bonheur  et  du  malheur  des  hommes. 
La  Magie  était  surtout  pratiquée  chez  les  peuples ^mies;  elle  passa,  en 
partie,  des  Finnes  aux  Slaves,  et  des  Slaves  aux  Scandinaves.  Les  Slaves 
croyaient  que  les  magiciens  étaient  généralement  des  lotips-garous  (voy. 


ZOZ  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

p.  210);  c'est  pourquoi  le  nom  de  valchav  {Issu  de  Loup  ;  si.  Falch)^  qui 
désignait,  originairement,  le  loup-garou  (pol.  wilkolek)^  prit  la  signi- 
fication de  7nagicien  (vieux-slav.  valchav;  russ.  volchov ,  magicien).  Il 
y  avait  aussi,  chez  les  Slaves,  des  Magiciennes  nommées  valchavy ,  dont 
le  nom  slave  fut  adopté  par  les  Scandinaves  pour  désigner  leurs  Prophé- 
tesses,  Devineresses  ou  Magiciennes;  en  effet,  c'est  du  nom  de  Valhava 
que  se  sont  formés  régulièrement  les  noms  norrains  de  völva  et  de  vala 
(cf.  Hyndla,  Petite  Chienne,  Petite  Louve). 

l  76.  Les  Nornes ,  Arbitres  de  la  Destinée.  — A  mesure  que  l'on  recon- 
naissait, dans  le  monde,  le  principe  de  la  causalité  ,  on  attribuait  aussi 
la  destinée  des  choses  et  des  hommes  à  un  Ordre  mystérieux  reposant 
sur  la  causalité  ;  et  l'on  était  naturellement  porté  à  croire  que  tout  dé- 
pendait d'une  Cause  primitive ,  considérée  comme  une  Dis2)ositionpri- 
?no?'diale  (norr.  örlag;  v.  ail.  urlagi).  D'après  les  idées  sur  l'origine  du 
Monde  et  des  Dieux ,  qui,  au  premier  siècle  avant  notre  ère,  venaient  de 
se  formuler  dans  des  mythes  cosmogoniques  ou  théogoniques,  on  croyait 
que  les  Jses  n'existaient  pas  au  commencement,  mais  qu'ils  étaient  nés 
postérieurement  aux  lotnes  ;  et  c'est  pourquoi ,  loin  d'être  les  auteurs  de  la 
Disi^osiiion p?^i7íiordiale,  ces  dieux  en  subissaient  eux-mêmes  la  loi,  et  n'a- 
vaient d'autre  privilège  sur  les  hommes  que  celui  de  la  connaître  d'avance 
d'une  manière  plus  ou  moins  parfaite.  Dès  lors  la  Destinée  humaine, 
n'étant  plus  déterminée  par  le  Jugement  (norr.  dômr)  des  Dieux ,  ne  fut 
plus  aussi  souvent  appelée  du  nom  de  Jugement;  mais ,  comme  elle  dé- 
pendait d'une  Loi  ou  d'une  Disposition  primordiale ,  elle  prit  elle-même 
généralement  le  nom  de  Loi  primordiale  (norr.  ur-lag).  Cependant, 
cette  Disposition  primordiale  ne  passa  pas  pour  tellement  immuable  que 
la  puissance  irrésistible  de  la  Magie  ne  pût  la  modifier.  Les  A Ihi-hrûne s, 
les  Femmes-de-Vision  et  les  Magiciennes  (norr.  Volur)^  continuaient 
donc  à  être  considérées  comme  les  Arbitres  de  la  Destinée  humaine;  et 
l'existence  de  ces  femmes  et  les  croyances  qui  se  rattachaient  à  elles, 
devaient  naturellement  donner  naissance  à  l'idée  et  au  mythe  des  Nornes. 
En  eifet,  les  Nornes  mythologiques  et  célestes  sont  calquées ,  en  grande 
partie,  sur  les  Spâkonar  ]\\siov\(\ues  et  terrestres,  comme  les  Valkyries 
(voy.  §  125)  ont  été  conçues  d'après  les  Alhi-rûnes  du  Dieu  de  la  Guerre. 
Si  l'on  considère  les  Nornes  comme  les  Arbitres  de  la  destinée  en  général, 
et  les  Valkyries  comme  présidant  seulement  à  la  destinée  dans  les  com- 
bats, on  peut  dire  que  les  Valkyries  sont  une  sjiécialisation  des  Nornes, 
ou  qu'elles  sont  une  conception  mythologique  postérieure  à  celle  des 
Nornes.  Mais  si  l'on  se  rappelle  que  les  ValkyiHes  ont  été  calquées  sur 
les  Alhi-rûnes ,  comme  les  Nornes  sur  les  Femmes  de  Vision  ,  et  que 
les  Alhi-rûnes  avaient  de  bonne  heure  une  position  officielle  que  n'ont 
jamais  eue  les  Femmes  de  Vision,  il  faut  aussi  dire  que  les  Nornes  sont 
une  généralisation  des  Valkyries,  et,  par  conséquent,  une  conception 
mythologique  postérieure  à  celle  des  Valkyries.  Ensuite,  bien  que  les 
Nornes  ment  été  postérieures  2iU\Spdkonur  historiques,  comme  concep- 
tion mythologique ,  elles  sont  cependant  devenues,  dans  la  tradition ,  en 
quelque  sorte  le  type  et  l'idéal  des  prophétesses  et  devineresses  norraines. 
Les  Nornes  sont  les  arbitres  par  excellence  de  la  Destinée  du  monde  et 


NUMÉRO  (25)  (page  92)  ;  les  nornes.  233 

des  hommes  dans  le  passé ,  le  présent  et  l'avenir;  elles  président  à  la  desti- 
née ,  la  distribuent,  et  la  font  connaître.  Devant  présider  à  la  Loi  primor- 
diale, elles  appartiennent  naturellement  à  la  rsice primitive,  c'est-à-dire  à 
la  race  des  Iot7ies ,  qui  sont  les  premiers-nés  de  la  création  (voy .  1 80)  et  qui 
sont  en  possession  de  la  tradition  ou  de  la  Sagesse  la  plus  ancienne.  Aussi 
est-il  dit  que  les  Nornes  sont  douées  de  l'esprit  de  sagesse  {norr.  frod- 
gediathar).  Elles  sont  les  filles  del'Iotne  Mögthrasir  (Effort-de-Gars); 
et  comme  la  Destinée,  s'accomplissant  dans  le  temps,  appartient  soit  au 
passé ,  soit  au  présent,  soit  à  l'avenir ,  elles  sont  au  nombre  de  trois,  et  }^ov- 
tentlesnomsdePa55ee(LTdur),de/*ré5e7iíe(Verdandi)etdeFwíwre(Skuld). 
Bien  qu'elles  appartiennent  à  la  race  des  lotnes,  qui  sont  les  ennemis  des 
Dieux  et  de  la  Création,  elles  n'en  sont  pas  moins  des  Déités  bienveil- 
lantes, intéressées  au  salut,  à  V  entretien  et  à  la  conservation  du  Monde 
et  des  hommes.  Aussi  le  nom  deiVor/ie  (p.  ]S ara-un,  Naurn,  Nom,  Aimant- 
le-Salut,  ou  l'Entretien,  ou  la  Conservation),  exprime-t-il  leur  nature 
bienfaisante  et  bienveillante.  Comme  Déités  bienfaisantes,  les  Nornes  ont 
leur  domicile ,  non  dans  le  Séjour  des  lotnes ,  mais  au  ciel,  où  elles  sont 
venues  de  lötunheim,  s'établir  auprès  des  Ases,  à  Y  Aurore  des  Ages 
(voy.  p.  21 6).  Elles  sont,  en  quelque  sorte,  les  ^//«'-Arii^es  des  Sanctuaires 
célestes.  Comme  Déités ,  dont  le  Jw^ewewi  détermine  la  destinée  humaine, 
elles  sont  placées  au  pied  du /rewe  d'Yggdrasil,  considéré  comme  Arbre 
de  Jugement,  et  qui  se  trouve  dans  la  Plaine  d'Idi,  au  milieu  de  VEnclos- 
des-Ases.  Au  pied  de  cet  arbre  sacré,  est  une  Fontaine  qui,  d'après 
l'aînée  des  Nornes,  porte  le  nom  de  Fontaitie  d'Urdur.  Cette  fontaine, 
se  trouvant  au  ciel,  est,  parjcela  même,  une  fontaine  sacrée;  son  eau 
est  également  sacrée,  c'est-à-dire  qu'elle  a  des  vertus  magiques.  Comme 
la  Fontaine  d'Urdur  est  située  au  pied  de  l'Arbre  de  Jugement  et  de 
Sagesse  ,  elle  est  elle-même  une  Fontaine  de  Sagesse  ;  et  c'est  pourquoi 
les  Nornes,  douées  de  l'esprit  de  sagesse  ,  y  habitent.  Mais  de  même 
que  le  Fretie  d'Yggdrasil,  comme  Arbre  de  Jugement,  s'est  confondu 
avec  \e  Frêne  d'Yggdrasil  considéré  comme  Arbre  de  Fie ,  de  même 
aussi  la  Fontaine  d'Urdur  n'est  pas  seulement  source  de  Sagesse,  mais 
aussi  source  de  Vie.  Ses  eaux  sacrées  ont  la  vertu  magique  de  conserver 
tout  ce  qu'elles  touchent.  Aussi  les  Nornes  conservatrices  ^i  protectrices 
(norr.  Hamingiur.,  Issues  de  Couvrant),  ont-elles  soin  d'arroser  de  cette 
eau  les  parties  de  l'Arbre  de  Vie ,  pour  le  préserver  de  la  pourriture  qui 
l'attaque. 

l  77.  Les  Nornes  épiques.  —  Bien  que ,  dans  l'origine ,  on  n'ait  imaginé 
que  trois  Nornes,  la  poésie  mythico-épique  Scandinave  en  imagina,  dans 
la  suite  ,  un  plus  grand  nombre;  on  en  distinguait  même  différentes  es- 
pèces, d'après  les  différentes  races  d'Êtres  mythologiques,  comme  dans 
la  Mythologie  hindoue  on  distinguait,  parmi  les  Richis,  les  Dévar- 
schayds,  les  Bramarschayâs  et  les  Rddjarschayâs ,  selon  qu'ils  ap- 
partenaient à  la  race  des  Dieux ,  à  la  race  des  Brahmanas ,  ou  à  la  race 
des  Rois.  La  strophe  citée  par  Sîiorri,  énumère  trois  classes  deNor9ies; 
les  unes ,  les  véritables  ou  les  primitives ,  sont  appelées  parentes  des 
Ases  ,  parce  qu'elles  habitaient  le  ciel,  avec  les  Ases,  et  que,  pour  cette 
raison ,  et  bien  qu'elles  fussent  d'origine  lotniqiœ,  on  les  croyait  de  la  fa- 


234  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

mille  áes  Jses.  La  seconde  classe  est  celle  des  Nomes,  parentes  des 
Ai/es  (v.  p.  239).  La  troisième  est  celle  des  Nornes  de  la  race  de  Dva- 
lînn,  c'est-à-dire  de  la  race  des  Dvergs  (voy.  p.  222).  Comme  c'est  le  propre 
de  la  poésie  mytldco-épique  de  l'époque  postérieure,  d'abaisser  les 
Déités  au  point  de  les  confondre  avec  les  humains,  les  Nornes  célestes  y 
sont  aussi  tellement  rapprochées  des  Femmes  de  Vision  historiques, 
qu'il  est  souvent  impossible  de  dire  si  ces  Nornes  épiques  appartiennent 
au  ciel  ou  à  la  terre.  Aussi ,  dans  la  poésie  épique  des  temps  postérieurs, 
les  Femmes  de  Vision  portent-elles,  la  plupart  du  temps  ,  également  le 
nom  mythologique  de  Nornes  ;  et,  comme  les  Feimnes  de  Vision  se  sont 
confondues  ,  dans  la  suite,  avec  les  Magiciennes  ,  qui  passaient  généra- 
lement pour  malfaisantes  y  les  Nornes  mythologiques  furent  aussi  quel- 
quefois représentées,  dans  les  récits  épiques  et  les  Sagas,  comme  des 
femmes  méchantes  et  malfaisantes.  Depuis  cette  époque,  la  Destinée,  bonne 
ou  mauvaise,  ne  fut  plus  considérée  comme  le  résultat  d'une  Dispositioii 
primordiale ,  mais  comme  l'eifet  du  hasard  et  du  caprice.  Car,  d'un  côté, 
le  bonheur  était  supposé  donné  par  les  Nornes  (cf.  örlög  drygia) ,  réputées 
bienveillantes ,  soit  parce  qu'elles  l'étaient  par  caractère ,  ou  par  leur  nature 
comme  appartenant  à  une  race  bonne,  soit  parce  que ,  malgré  leur  carac- 
tère et  leur  nature  méchante,  elles  avaient  été  rendues  favorables  par  des 
présents,  des  sacrifices,  des  prières;  d'un  autre  côté,  on  attribuait  égale- 
ment le  malheur  à  l'influence  des  Nornes,  qui  passaient  pour  malveil- 
lantes, soit  parce  qu'elles  l'étaient  de  caractère,  de  nature  et  de  race, 
soit  parce  qu'elles  avaient  été  momentanément  indisposées  ,  irritées  ou 
transportées  de  colère  ou  de  jalousie. 

Une  espèce  particulière  de  Nornes  ou  une  spécialisation  de  la  concep- 
tion des  Nornes,  ce  sont  les  Choisit-les-Occis.  (Voy.  §  125.) 

(26)  LES  MERVEILLES  ET  LES  SOUFFRANCES  DU  FRÊNE  d'yGGDRASIL. 

l  78.  L'Aigle  et  le  Dragon  Nidhogg.  —  Snorri  revient  encore  ici  au 
Frêne  d'Yggdrasil,  parce  qu'il  n'a  pas  su  mettre  à  leur  place  les  détails 
qui  lui  restaient  encore  à  donner  concernant  les  merveilles  et  les  souf- 
frances de  cet  Arbre.  Comme ,  dans  le  Monde ,  la  vie  est  combattue  par  la 
mort,  le  Frêne  d'Yggdrasil,  considéré  comme  Arbre  de  Vie,  est  aussi 
miné  et  attaqué  par  des  forces  pernicieuses;  ce  que  le  mythe  exprime  en 
disant  que  cet  arbre  est  protégé  et  restauré  d'en  haut ,  mais  attaqué  sans 
cesse  et  sapé  d'en  bas.  Ses  branches,  qui  se  répandent  au-dessus  du 
ciel  ou  du  Séjour  des  Ases  créateurs  et  conservateurs,  sont  naturelle- 
ment le  siège  des  forces,  ou  le  Séjour  des  Êtres,  qui  repoussentles  attaques 
de  la  destruction  et  de  la  mort;  ses  racines,  au  contraire,  qui  plongent 
dans  les  régions  inférieures  et  dans  les  Enfers,  sont  rongées  par  des 
Etres  destructeurs  qui  y  sont  domiciliés.  Dans  les  anciens  mythes  de 
l'Asie,  ces  Êtres  pernicieux  sont  représentés  généralement  par  le  Dragon 
ou  le  Serpent,  qui  est  la  personnification  de  la  peste,  des  miasmes,  et  du 
venin  (sansc.  ahi,  serpent;  cf.  pers.  Duzk-ak,  Mal-portant);  et  l'on  y  consi- 
dère comme  l'opposé  ou  comme  l'Ennemi  du  Serpent ,  VÂiglc  (cf.  sansc. 
Garoudas ;  pers.  Rokh;  Simurgh)^  parce  que  d'abord,  au  point  de  vue 
historique,  on  prétend  que  cet  oiseau  dévore,  comme  l'ibis,  les  serpents, 


NUMÉRO  (26)  (page  93)  ;  ratakostr  et  le  cerf.  235 

et,  ensuite ,  parce  que,  au  point  de  vue  sy7nbolique ,  le  Vent,  dont  l'aigle 
est  la  personnification  (voy.  l  83),  est  une  force  conservatrice ,  en  ce 
qu'il  détruit  ou  chasse  la  peste  et  les  miasmes  délétères  (cf  Les  Har- 
pyies ,  par  J.  F.  Cerquand).  Aussi  la  Conservation  et  la  Protection  sont- 
elles  symbolisées,  dans  le  mythe  Scandinave,  ^SLvVJigle,  dont  le  nom,  il 
est  vrai,  n'est  pas  indiqué  d'une  manière  plus  explicite ,  mais  qui  était  sans 
doute  identique ,  dans  l'origine,  d'un  côté  avec  l'iotne  Mögthrasii-,  le  sym- 
bole de  la  Procréation ,  et,  de  l'autre ,  avec  Odinn,  l'ancien  dieu  du  Vent, 
figuré  sous  forme  d'aigle,  et  surnommé  quelquefois  le  Vieux  Aigle  (norr. 
Gamli  Ar)^  eu  souvenir  de  cette  ancienne  forme.  A  la  fois  Gardien  vigilant 
et  Protecteur  de  l'Arbre  de  Vie,  cet  Aigle  est  perché  au  sommet  du  Frêne 
d'Yggdrasil,  afin  d'embrasser  le  monde  entier  de  son  regard  perçant. 
Sur  son  front,  ou  comme  il  est  dit ,  entre  ses  yeux,  est  assis  son  servi- 
teur, qui  veille,  à  sa  place,  pendant  son  sommeil,  et  qui,  à  l'instant  même, 
l'avertit  du  danger  qui  approche.  Ce  serviteur,  à  la  fois  son  Aide  et  son 
Conseiller ,  est  un  Autour  qui  est  nommé  Vedurfölnir  (JVlou-des-ïem- 
pêtes),  sans  doute  parce  qu'il  est  le  symbole  du  Vent  nord -est,  qui 
amollit  ou  tempère  les  tempêtes  amenées  par  son  opposé ,  le  Vent  du 
sud-ouest  [Fedur],  qui  amène  le  grain. 

Le  Représentant  des  forces  pernicieuses  à  la  vie  de  la  Nature,  c'est  le 
dragon  Nidhögg  (Frappe-de-Colère) ,  qui,  rongeant  une  des  trois  racines 
du  Frêne  d'Yggdrasil,  endommage  cet  Arbre  d'en  bas,  ainsi  que  l'énonce 
la  strophe  35  des  Dits  de  Grimnir^  citée  par  Snorri.  Les  compagnons 
et  les  aides  du  Dragon  sont  des  serpents  innombrables ,  que  Snorri  con- 
fond étrangement  avec  les  Serpents  du  Bassin-Bruyant  (voy.  p.  235);  et 
il  donne  les  noms  de  quelques-uns  d'entre  eux,  d'après  la  strop*he  54  des 
Dits  de  Grimnir.  Les  noms  de  Gôinn  (Terreux;  cf  gô ,  terre)  et  de 
Moinn  (Argileux) ,  les  fils  de  Graf-vitnir  (Présage  de  Tombeau) ,  dési- 
gnent des  serpents  habitant  dans  des  tombeaux  ou  des  trous  de  la  terre.  Les 
noms  de  Dos-gris  (norr.  Grâ-baki')  et  de  Peau-grise  (norr.  Grâfioll- 
udr) ,  indiquent  la  couleur  des  serpents  ;  le  nom  de  Ofnir  (p.  Vofnir  ou 
Vafnir,  Flambant),  désigne  le  serpent  comme  personnification  da/eu; 
et  Svafnir  (Assoupissant)  est  le  nom  du  serpent ,  considéré  comme  as- 
soupissant ou  comme  fascinant  'par  son  regard  (cf  basilisc).  Tous  ces 
noms  épiques  de  serpent  n'ont  ici  aucune  signification  syinbolique  par- 
ticulière ;  ils  sont  imaginés  par  analogie  avec  d'autres  noms  semblables , 
et  ils  figurent  ici  seulement  pour  désigner  des  serpents  en  général. 

§  79.  L'Écureuil  Ratakostr  et  le  Cerf  broutant.  —  Entre  les  principes 
conservateurs  représentés  par  V Aigle  et  V Autour,  êtres  aériens ,  et  les 
principes  destructeurs  représentés  par  Nidhögg  et  les  Serpents,  êtres 
souterrains ,  se  trouvent  placées  les  forces  inofifensives  du  Séjour  terrestre 
représentées  ici  symboliquement  ^2iV  ['Écureuil  et  les  Cerfs,  créatures 
généralement  inofi'ensives,  mais  qui,  cependant,  contribuent,  pour  quelque 
chose,  à  ce  que,  à  la  fin ,  le  principe  de  destruction  et  de  mort  obtiendra 
le  dessus  sur  la  conservation  et  la  vie.  L'Écureuil  a  été  imaginé  et  choisi 
comme  représentant  des  êtres  qui,  quoique  inoffensifs,  ne  sont  cepen- 
dant pas  réellement  conservateurs,  parce  que,  d'abord,  cet  animal ,  de 
l'espèce  des  rongeurs,  est ,  comme  le  rat  et  la  souris,  le  symbole  de  la 


236  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

destruction  lente  ou  de  la  corrosion.  Aussi  l'écureuil  porte-il,  ici,  le 
nom  de  Rata-kostr  (l'Assorti  de  Rati)  ou  le  Compagnon  du  Rat  [rati , 
rongeur,  qui  corrode).  Ensuite,  l'ensemble  de  l'image  symbolique  exigeait 
qu'on  choisît  un  rongeur  pouvant  servir  d'intermédiaire  entre  l'Aigle,  placé 
au  sommet  de  l'Arbre  de  Vie ,  et  le  Dragon  gisant  sous  une  des  racines  de 
cet  arbre.  Or,  l'écureuil  vit  à  la  fois  dans  un  bauge,  sur  l'arbre,  et  dans 
un  terrier,  participant  ainsi  et  de  la  nature  aérienne  de  l'Aigle  et  de  la 
nature  souterraine  de  Nidhögg.  Enfin  la  prestesse  et  la  prudence,  qui 
caractérisent  l'écureuil,  le  rendaient  éminemment  propre  au  rôle  de  mes- 
sager, de  rapporteur  et  d'intermédiaire  entre  les  deux  Ennemis,  éloignés 
l'un  de  l'autre,  entre  VJigleeíNidhögg,  qui ,  semblables  aux  guerriers  des 
âges  héroïques,  sont  représentés,  dans  le  mythe,  comme  se  provoquant, 
de  loin,  par  des  railleries  et  par  des  injures,  avant  d'en  venir  aux 
mains.  Ce  mythe  de  l'Aigle,  du  Dragon,  et  de  l'Écureuil  ne  se  trouve  exposé 
dans  aucun  des  anciens  documents  mythologiques,  de  ceux,  du  moins, 
qui  nous  restent;  mais,  évidemment,  Snorri  ne  l'a  pas  inventé;  il  l'a  em- 
prunté, soit  à  un  ancien  poème  que  nous  n'avons  plus,  soit,  ce  qui  est 
plus  probable,  à  la  tradition  populaire  orale.  Ce  qui  prouve  à  la  fois 
l'authenticité  et  l'ancienneté  de  ce  mythe  ^  qui  cependant  ne  remonte 
guère  au  delà  du  3«  siècle  avant  notre  ère,  c'est  que  sa  partie  épique,  ou  le 
récit  séparé  de  sa  signification  syînbolique ,  s'est  conservé  dans  un  apo- 
logue ,  où  il  a  pris  une  signification  purement  allégorique  et  morale.  En 
effet,  la  forme  primitive  de  ce  récit  mythologique  semble  se  reconnaître 
encore,  à  travers  quelques  changements,  dans  la  fable  de  l'Aigle ,  le 
Chat,  et  la  Laie.  (Cf.  Pantcha-tantra  deBenfey.) 

A  ce  premier  mythe ,  qui  montrait  l'antagonisme  entre  la  vie  et  la  mort, 
sous  le  symbole  de  V Aigle  et  du  Dragon,  excités  l'un  contre  l'autre  par 
l'Écureuil,  est  venu  se  joindre  un  autre  mythe  exprimant  l'endommage- 
ment  causé  à  l'Arbre  de  Vie  par  les  cerfs  qui  en  broutent  le  feuillage. 
Dans  la  strophe  35  des  Dits  de  Grimnir,  citée  par5worr2^  il  n'est  ques- 
tion que  d'un  seul  cerf  broutant  d'en  haut  le  Frêne  d'Yggdrasil,  à  moins 
qu'on  ne  veuille  considérer  ce  singulier  comme  un  collectif  grammatical , 
ou  comme  une  synecdoque  poétique.  Snorri  cite  (sans  cependant  indiquer 
d'après  quelle  autorité  il  le  fait),  quatre  cerfs  :  Daînn  (Assoupi),  Dva- 
linn  (Défaillant) ,  Dyn-eir  (Apaise-Bruit)  et  Dura-thrôr  (Somnolent). 
Ces  noms  sont  authentiques ,  à  en  juger  déjà  par  l'allitération  qui  nous 
autorise  à  croire  qu'ils  étaient  renfermés  dans  des  vers  d'anciens  poèmes 
mythologiques.  Ensuite  ces  noms  sont  évidemment  des  noms  de  Dvergs  ou 
de  Gèmt^  zooinorphes  (voy.  p.  21 8),  qui ,  sans  être  ici  décidément  ma//az- 
sants,  appartiennent,  cependant,  comme  certaines  classes  de  Dvergs , 
à  une  race,  il  est  vrai,  inoffensive,  mais  ennemie  de  la  lumière  (cf. Z)öcÆ- 
alfar)  et  capable  de  commettre ,  comme  les  Êtres  de  la  nuit,  des  actions 
démoniaques,  nuisibles  à  la  Création.  Dans  l'origine,  ces  Cerfs-Dvergs , 
qui  endommagent  l'Arbre  de  Vie,  représentaient  les  vents  frais  ou  les 
frimas  des  nuits  d'été  ;  ils  proviennent  des  glaciers  (cf.  le  Cerf  Eik-thyr- 
nir ,  g  136);  et,  bien  qu'ils  soient  faibles  et  comme  assoupis  {Dâinn, 
Assoupi;  Dvalinn,  ï>éïiu\\2iWi\  Diira-thror,  S(imï\o\çx\i\ Dyn-eir,  Apaise- 
Bruit) ,  en  comparaison  des  venis  fougueux  et  bruyants  de  l'hiver,  ils 


N"  (26)  (p.  93);  LA  TOMBÉE  DE  MIEL;  LES  CYGNES  d'uRDUR.   237 

nuisent  cependant  aux  bourgeons  ou  au  feuillage  des  arbres  (cf.  lune 
rousse).  De  même  que  ,  dans  la  Mythologie  ,  les  vents  impétueux  et  bru- 
taux de  l'hiver  sont  quelquefois  figurés  par  des  taureaux,  de  même  les  vents 
d'été  rapides,  légers  et  doux  sont  représentés  ici  par  des  cerfs ,  animaux 
rapides,  légers  et  doux.  Dans  la  Mythologie  hindoue,  Vayous,  le  Dieu 
des  vents ,  est  représenté  monté  sur  une  gazelle  ou  un  cerf.  Les  Cerfs 
du  Frêne  d.  Yggdrasil  sont  au  nombre  de  quatre,  sans  doute,  d'après  les 
quatre  points  cardinaux  du  monde.  Comme  l'image  de  cerfs  broutants ,  con- 
sidérés comme  symboles  des  frimas  d'une  nuit  d'été,  est  postérieure  à  la 
conception  symbolique  de  l'ensemble  du  mythe,  il  en  est  résulté  une 
image  discordante  et  un  tableau  pour  le  moins  bizarre  ,  où  les  cerfs,  au 
lieu  d'être  placés  naturellement  au  pied  de  l'Arbre  de  Vie,  se  trouvent 
placés ,  comme  l'Écureuil ,  sur  les  branches ,  et  en  broutent  le  feuillage 
d'en  haut  (Cf.  Heidrûne ,  g  134). 

§  80.  La  Tombée  de  miel  et  les  Cygnes  de  la  Fontaine  d'Urdur.  —  Si 
l'Arbre  de  Vie  est  endommagé  par  des  forces  pernicieuses ,  il  existe  aussi 
des  forces  réparatrices  qui  tendent  à  restaurer  de  nouveau  la  Nature 
endommagée.  Les  Anciens  croyaient  que  la  rosée,  qui  rafraîchit  et  vivifie 
la  végétation  ,  tombait  des  nuages  du  ciel ,  et  qu'elle  était  recueillie  sur 
les  feuilles  des  arbres,  qui  la  répandaient  ensuite  à  terre.  Encore  au  qua- 
torzième siècle ,  des  voyageurs  qui  ont  parlé  de  TénériiTe ,  ont  assuré  que, 
dans  cette  île,  ainsi  que  dans  celles  qui  l'avoisinent,  il  se  trouvait  un 
arbre  qui  ramassait  les  vapeurs  de  l'atmosphère ,  de  manière  qu'en  le 
secouant ,  on  obtenait  toujours  une  rosée  ou  une  eau  claire  et  bienfai- 
sante (voy.  Souvenirs  d'un  aveugle,  par  J.  Arago,  I,  p.  28).  D'après  cette 
idée ,  il  était  naturel  de  se  figurer ,  en  Mythologie ,  que  la  rosée  vivifiante 
et  fécondante  tombait  de  Y  Arbre  de  Vie,  dont  les  branches  et  le  feuil- 
lage plongeaient  dans  le  ciel  ou  dans  les  nuages  renfermant  la  pluie  céleste 
ou  les  Eaux  sacrées  (norr.  Heilög  vötn).  La  rosée,  par  son  origine, 
était  donc  également  sacrée  et  bienfaisante;  elle  était  blanche,  puisque 
la  blancheur  est  le  symbole  de  la  pureté,  et ,  par  suite,  de  la  sainteté  (cf. 
sansc.  çrita,  blanc;  zend.  spento,  blanc,  saint;  slav.  sviat,  blanc,  saint); 
elle  a,  par  conséquent,  comme  les  cAose.s  saintes,  des  vertus  magiques; 
et,  c'est  pourquoi,  il  est  dit  que  les  Nomes  répandent ,  d'en  haut,  cette 
eau  bienfaisante  sur  l'Arbre,  afin  que  son  bois  ne  soit  pas  attaqué  par  la 
pourriture.  La  rosée  céleste,  qui  tombe  un  Frêne  d'YggdrasiL  étant, 
pour  la  Nature ,  ce  que  la  nourriture  est  pour  le  corps  humain,  la  Mytho- 
logie a  considéré  celte  rosée  comme  une  espèce  d'Ambroisie,  ou  comme 
la  substance  nourricière  par  excellence.  Or,  dans  l'Antiquité,  surtout 
chez  les  peuples  iafétiques,  le  symbole  de  la  nourriture  et  de  l'entretien 
de  la  vie,  c'était  le  w/e/ (voy.  p.  181).  C'est  pourquoi  la  rosée  céleste  est 
représentée,  dans  le  mythe,  comme  une  manne  céleste,  comme  un  miel- 
lat,  qui  sert  aux  abeilles  à  faire  leur  miel.  Cette  rosée  est  ce  qu'on  ap- 
pelle ,  dans  la  langue  norraine ,  la  Tombée  de  miel;  et  c'est  là  l'explica- 
tion à  la  fois  populaire  et  mythologique  de  l'origine  du  miellat,  appelé 
aussi  miellée  ou  miellure  ,  exsudation  sucrée  qui,  dans  certaines  circon- 
stances, sort  des  feuilles  des  jeunes  arbres,  en  été,  et  tombe  à  terre 
comme  la  manne  dont  se  nourrissaient  les  Israélites  dans  le  désert. 


238  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Snorri,  confondant  V  Arbre  de  Vie  avec  V  Arbre  de  Jugement  {\.  p.  227), 
rattache  la  Fontaitie  d'Urdur  à  l'Arbre  de  Vie,  bien  qu'elle  se  rapporte 
à  l'Arbre  de  Jugement,  et  il  en  parle  ici  à  propos  des  merveilles  du  Frêne 
d'Yggdrasil.W  fait  mention,  je  ne  sais  d'après  quel  document,  de  deux 
Cygnes  qui  nagent  sur  l'eau  de  la  Fontaine  d'Urdur,  et  qui ,  selon  la  tra- 
dition, sont  la  souche  première  de  cette  espèce  d'oiseaux  aquatiques. 
Dans  l'Antiquité ,  on  croyait  que  les  âmes  ou  les  Génies  intelligents 
(voy.  p.  217),  prenaient,  de  préférence,  \?l  iorme  A' oiseau ,  parce  que 
l'oiseau,  des  hauteurs  où  il  vole  et  où  il  est  perché,  voyant  tout,  épiant 
tout,  et  assistant  à  tout  ce  qui  se  passe,  est  censé  posséder,  de  préfé- 
rence, à  d'autres  créatures^  la  science,  et  connaître  aussi  le  mieux  les 
secrets  des  hommes  et  ceux  de  la  Destinée.  Aussi  c'est  sur  les  oiseaux 
qu'on  prenait  l'augure  (gr.  oïonos) ,  et  c'est  leur  langage  qu'on  étudiait 
comme  un  oracle.  A  plus  forte  raison  les  oiseaux  aquatiques  séjournant 
dans  Veau,  ce  symbole  de  la  Sagesse  et  de  la  Prophétie  (voy.  p.  282), 
passaient-ils  pour  des  oiseaux  jjrophétiques  (cf.  les  hansâs  de  la  poésie 
hindoue  ;  les  oies  du  Capitole  ;  lat.  olor  vates)  ;  et  s'ils  avaient  le  plumage 
blanc,  ils  passaient  encore  pour  des  oiseaux  saints,  divins,  et  de  bon 
augure.  La  tradition  représentait  donc  généralement  le  cygne  blanc  comme 
un  oiseau  sacré  et  prophétique ,  qui,  ainsi  que  son  opposé,  le  noir  cor- 
beau ,  jette  au  vent  ses  oracles,  d'une  voie  monosyllabique,  et  en  quelque 
sorte  aboyante  (cf.  norr.  svân  ^.svakns^  aboyeur;  gr.  kuknos;  lat.  cicô- 
jiia  ;  pers.  spak^  chien;  slav.  sabaca ,  chienne).  C'est  pourquoi  les 
Nornes  elles-mêmes,  quand  elles  se  transportaient  d'un  endroit  à  l'autre, 
volaient  à  travers  les  airs  sous  forme  de  cygnes.  La  Mythologie  a  donc 
bien  pu  imaginer  que  la  première  paire  de  cygnes  prophétiques  se  soit 
trouvée  dans  le  bassin  de  la  Fontaine  d'Urdur^  dans  cette  eau  qui  blan- 
chit tout,  qui  sanctifie  tout,  et  communique  aux  oiseaux  qui  l'habitent 
le  don  de  la  Sagesse  et  de  la  Prophétie. 

(27)    LES  DEMEURES  CÉLESTES. 

§  81.  Le  Séjour  des  Alfes  ;  Large-Éclat;  Étincelant.  —  Déjà  ci-dessus 
(voy.  §  23),  Snorri  avait  fait  connaître  quelques-unes  des  résidences  cé- 
lestes ou  des  Endroits  habités  par  les  Ases  et  les  Alfes.  Ici,  après  avoir 
parlé  de  la  Fontaine  d'Urdur,  qui  se  trouve  au  ciel ,  Snorri  en  prend 
encore  occasion  pour  faire  connaître  les  autres  beaux  Endroits  du  ciel. 
Ce  que  la  Mythologie  Scandinave  considère  comme  des  Demeures  célestes, 
ayantdes  noms  particuliers,  était-ce  des  objets  réels,  fù26/e5;  des  constella- 
tions appelées  de  ces  noms?  ou  bien  ces  Demeures  et  ces  noms  sont-ils 
de  pures  fictions  épiques  devant  servir  à  développer  le  mythe  épique  de 
l'établissement  des  Ases  dans  le  Ciel.  Dans  l'état  actuel  des  études,  cette 
question  ne  saurait  être  péremptoirement  décidée.  Mais  il  me  semble  que 
les  noms  donnés  aux  Demeures  célestes,  désignaient,  dans  l'origine, 
c'est-à-dire  environ  au  troisième  siècle  avant  notre  ère ,  des  constellations, 
et  que,  plus  tard^  environ  au  troisième  siècle  après  Jésus-Christ  (lorsque 
les  notions  astronomiques  s'étaient  en  partie  perdues  en  Scandinavie),  ces 
Demeures  ont  aussi  perdu  leur  signification  symbolique  de  constella- 
tions, et  sont  devenues  de  pures  fictions  épiques. 


NUMÉRO  ("27)  (page  ^i)  ;  LES  DEMEURES  CÉLESTES.  239 

Séjoirr  des  Alfes.  —  Les  Génies  célestes,  ces  symboles  des  astres, 
des  constellations  et  des  phénomènes  météorologiques  dn  ciel ,  portent 
le  nom  générique  de ,^//"^5 (Aubes;  Lumineux;  cf. grec «//b.s ;  lat.  albus). 
Comme  les  phénomènes  météorologiques  célestes ,  dont  les  Alfes  étaient 
les  symboles,  se  produisaient  également  sur  la  terre,  on  comprit  aussi, 
dans  la  suite,  sous  le  noma' Alfes,  les  Génies  terrestres,  qui,  originai- 
rement, avaient  porté  le  nom  particulier  deDvergs  (v.  p.  219).  Plus  tard 
encore .  la  Mythologie  établit ,  de  nouveau ,  une  différence  marquée  entre  les 
Génies  du  jour  ou  de  la  lumière,  et  les  Génies  de  la  nuit  ou  de  l'obscurité;  et 
comme  on  ne  connaissait  plus  la  véritable  signification  du  nom  générique 
de  a//* (blanc,  brillant ,  lumineux),  on  désignait  les  Génies  de  la  lumière 
par  le  nom  composé  de  Al/es-Lumineux ,  qui  renferme  proprement  une 
tautologie  (Lumineux-Lumineux) ,  et  l'on  désignait  les  Génies  de  la  nuit 
par  le  nom  composé  de  Döck-Alfar  (Lumineux-Sombres),  qui  renferme 
proprement  une  contradiction  dans  les  termes.  Les  Alf es- Lumineux , 
habitent,  au  ciel ,  les  régions  nommées  SéJour-des-A  If  es,  et  se  montrent 
brillants  le  jour  et  la  nuit;  les  autres  Alfes  (ou  Dvergs)  habitent,  sur  la 
terre ,  dans  des  rochers  et  dans  des  cavernes  (voy.  p.  220)  ;  ils  ne  suppor- 
tent pas  la  lumière  du  Soleil;  et,  bien  qu'ils  soient  moins  beaux  que  les 
A  If  es- Lumineux ,  ils  leur  sont  cependant  supérieurs  par  leurs  talents 
d'artiste  ou  leur  aptitude  pour  l'industrie,  en  général,  et  pour  la  métal- 
lurgie, en  particulier.  (Voy.  p.  219.) 

Large-Éclat.  —  Parmi  les  Endroits  principaux  dans  le  c\e\^Snorri  cite 
d'abord  Large-Éclat  dans  le  Séjour  des  Alfes.  Ce  nom  indique  que  cet 
Endroit  est  tellement  brillant  que  l'éclat  s'en  répand  au  large;  et  il  est 
probable  que,  dans  l'origine,  ce  nom  désignait  la  Voie  lactée.  C'est  là 
la  résidence  de  Baldur  (voy.  §  94) ,  qui  est  la  personniflcation  du  Soleil 
estival,  et  qui,  en  cette  qualité,  est  YAlfe  ou  le  Génie  de  lumière  par 
excellence.  La  strophe  12  des  Dits  de  Grimnir  énonce  : 
«  Large-Éclat  est  le  septième;  et  là  Baldur  s'est 

«Préparé  ses  salles, 
ff  Dans  cette  région ,  où  je  sais  qu'il  se  trouve 

«  Le  moins  d'objets  impurs.  » 
Étincelant.  —  Un  autre  Endroit  au  ciel  est  nommé  Étincelant;  c'est 
le  lieu  de  résidence  de  l'Ase  Proposant  {i\ovv.  Forseti,  voy.  §  107),  qui 
est  le  fils  de  Baldur ,  et  le  dieu  de  la  Paix ,  de  la  Justice  et  de  la  Concorde. 
Dans  la  strophe  15  des  Dits  de  Grimnir  est  énoncé  ceci  : 
«  Étincelant  est  le  dixième  ;  il  est  étayé  d'or, 

«  Et  couvert  d'argent  de  même  ; 
«  Et  là  Proposant  réside,  la  plupart  du  jour, 

«  Et  assoupit  toutes  contestations.  » 
Peut-être,  dans  l'origine,  le  nom  A' Étincelant  désignait-il  le  signe 
zodiacal  de  la  Vierge ,  ou  cette  partie  de  l'année  dans  laquelle  on  faisait 
la  récolte  dans  le  Nord,  et  où  toutes  les  discussions  étaient  suspendues 
(cf.  Froda-fridr).  D'après  Snorri ,  Étincelant,  qui  est  placé  au  ciel  des 
Ases  ou  dans  le  deuxième  ciel,  est,  dans  le  monde  mythologique  actuel, 
ce  que  sera ,  dans  le  monde  futur  ou  renouvelé ,  Gimlir.  où  régneront  la 
Justice  et  la  Concorde. 


240  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

§  82.  Roches-Célestes;  Chaumine  de  Vali  ;  Chaumine  aux  Portes  ;  et 
Brillant.  —  Roches-Célestes  est  le  nom  de  la  forteresse  placée  à  l'entrée 
du  ciel ,  à  l'extrémité  ánPontcí'Jse  {voy.  §  65).  C'est  là  que  réside  Heim- 
dall,  le  Gardien  vigilant  de  l'Enclos  des  J ses.  Il  est  dit  dans  la  strophe  1 3 
des  Dits  de  Grimnir  : 

(I  Roches-Célestes  est  le  huitième  ;  et  là  Heimdall 

«  Est  dit  présider  aux  Sanctuaires  i 
«  Là,  dans  ce  pur  Couvert,  le  Gardien  des  Dieux  boit 
«Joyeux,  l'excellent  hydromel.  » 

Peut-être,  dans  l'origine  ,  le  nom  de  Roches-Célestes  désignait-il  le 
signe  zodiacal  du  Capricorne,  assigné  par  les  Ases  comme  Demeure  au 
Soleil ,  qui  en  sort ,  au  commencement  de  l'année ,  pour  reprendre  sa  course 
annuelle. 

Chaumine  de  Vali.  —  Dans  l'Enclos-des-Ases  il  y  a  une  salle  nommée 
Vala-skialfy  nom  qui  veut  dire  Chaumine  (cf.  v.  ail.  skilf.,  chaume;  cf. 
anglos.  skeaf]  ail.  schaub)  de  Vali.  Voici  ce  qu'énonce  la  strophe  6  des 
Dits  de  Grimnir  : 

«  Le  troisième  est  ce  Manoir  dont  les  Grandeur'3  bénignes 

«  Ont  couvert  d'argent  les  salles  ; 
«  C'est  là  le  nommé  Chaumine-de-Vali ,  dont  s'est  emparé 
«  L'Ase ,  à  l'Aurore  des  jours.  » 

Supposant  que  le  mot  ^se^  dans  ce  dernier  vers,  désigne  non  pas  l'Ase 
Vali  (voy.  §  106),  mais  l'Ase  par  excellence,  savoir  Odinn,  Snorri  at- 
tribue à  ce  Dieu  suprême  \QVala-skialf.  C'est  que,  sans  doute,  notre  auteur 
s'est  encore  expliqué  le  nom  de  Vala-skialf ,  comme  signifiant  Chau- 
mine des  Occis;  et,  par  conséquent,  il  a  confondu  ou  identifié  cette 
Demeure  âyec  là  Halle-des-Occis  {norv.  Val-höll),  qui  est  effectivement 
la  demeure  d'Orfm/i.  Ensuite,  supposant  que  l'analogie  des  noms  de  Vala- 
skialf  et  de  Hlidskialf  indiquait  un  rapport  mythologique  entre  ces 
deux  Endroits,  et  que  le  Hlidskialf  a  dû  se  trouver  dans  la  Demeure 
diOdinn,  c'est-à-dire  dans  Val-höll,  qu'il  identifie  avec  Vala-skialf ^ 
il  parvint ,  par  ces  inductions  successives ,  à  se  persuader  que  le  Hlid- 
skialf se  trouvait  placé  dans  le  Vala-skialf;  ce  qui  n'est  énoncé  dans 
aucun  des  documents  mythologiques  qui  nous  restent.  Le  Hlidskialf 
qui  était  une  espèce  d'observatoire  ou  guérite  céleste ,  devait,  pour  rem- 
plir son  but ,  être  placé  dans  l'endroit  le  plus  élevé  ou  au  zénith  de  l'Enclos 
des  Ases.  Sa  place  était  donc  naturellement  au-dessus  du  Frêne  d'Ygg- 
drasil,  considéré  comme  Arbre  de  Jugement,  ou  peut-être  même  au 
sommet  de  ce  Frêne ,  considéré  comme  Arbre  de  Vie.  Le  nom  de  Hlid- 
skialf, signifie  Chaumine  aux  Portes^  parce  qu'on  se  figurait  cette 
guérite  comme  une  chaumière  placée  à  une  très-grande  hauteur,  et  ayant, 
dans  toutes  les  directions,  des  portes  ou  des  fenêtres;  de  sorte  que  la 
personne  ou  le  gardien  placé  dans  l'intérieur ,  put  voir  tout  ce  qui  se  pas- 
sait à  l'entour  dans  le  monde  entier.  Dans  l'origine,  le  nom  de  /^/erf- 
«/îîa//' désignait  peut-être  une  constellation  qui  était  placée  au  zénith  du 
ciel  boréal.  Dans  la  suite,  la  tradition  n'ayant  plus  conscience  de  l'idée 
et  de  la  conception  primitives  de  cet  édifice  mythico-épique,  attribuait  la 


NUMÉRO  (27)  (page  94)  ;  les  demeures  célestes.        241 

vue  étendue  qu'on  avait,  ásins\e  Hlid-skial/)  sur  le  Monde  entier,  non  à 
l'emplacement  élevé,  ni  à  la  conformation  de  cette  guérite ,  mais  à  la  pro- 
priété magique  qu'elle  possédait ,  semblable  à  celle  que  les  contes  popu- 
laires postérieurs  attribuaient  aux  miroirs  magiques  de  Gratien,  et  de 
Klinsclwr,  miroirs  dans  lesquels  on  n'avait  qu'à  regarder,  pour  savoir ,  à 
l'instant,  ce  que  faisaient  les  personnes  dont  on  désirait  connaître,  ac- 
tuellement, soit  l'état,  soit  l'occupation,  soit  l'entreprise. 

Le  Brillant.  —  Dans  la  partie  sud-est  du  ciel ,  est  le  séjour  nommé 
Gimli  {Brillant)^  dont  i'^iorre  a  déjà  parlé  ci-dessus  (voy.  p.  i64)  et  qu'il 
a  identifié  ,  à  tort,  avec  \ Allée- Agréable.  Brillant  est,  sans  doute,  le 
nom  général  du  ciel  des  Ases,  ou  du  second  ciel,  qui  se  trouve  au-dessus 
du  ciel  terrestre,  et  qui  ne  périra  pas,  à  la  fin  du  monde,  quand  le  ciel  ter- 
restre croulera.  Selon  Snorri,  c'est  dans  \q  Brillant,  qu'après  le  Renou- 
vellement du  monde ,  se  trouveront  les  Demeures  célestes  qui  remplace- 
ront les  Demeures  actuelles  des  Ases.  C'est  pourquoi  il  est  dit,  dans  la 
strophe  de  la  Fisio?i  de  la  Louve ^  citée  par  Snorri,  que  dans  Gimli 
(cf.  ail.  himmel,  ciel  ;  norr.  himin) ,  ou  plus  particulièrement  dans  la 
Nouvelle  Halle-des-Occis,  qui,  après  le  renouvellement  du  monde ,  rem- 
placera l'ancienne,  les  hommes  de  caractère  et  de  courage  jouiront  d'une 
vie  agréable  ,  comme  l'ont  fait  antérieurement  les  Troupiers- Uniques , 
dans  la  Fal-höll  de  l'Asgard  actuel.  Snorri,  accommodant  cette  donnée 
mythologique  à  ses  idées  chrétiennes  du  Paradis  céleste,  de  la  Nouvelle 
Jérusalem,  et  des  trois  Étages  du  ciel,  transforme,  dans  sa  pensée,  d'a- 
bord le  Gimli  en  un  Paradis  céleste,  ensuite  les  peuples  vigoureux  (norr. 
dyggvar)  dumythepaïen,  en  chœurs  de  Justes,  dePieuæ,  et  àeSaints,  et 
enfin  la  Vie  agréable  dont  jouiront  les  héros  dans  le  Brillant ,  en  la  béatitude 
céleste  des  Élus  du  Seigneur,  après  le  Jugement  dernier  (voy.  g  23). 

Snorri,  confondant  le  ciel  qui  est  au-dessus  de  la  terre,  avec  le  ciel 
des  Ases,  croit  apercevoir  une  contradiction  dans  la  Mythologie,  en  ce 
que,  d'un  côté,  il  est  dit  que  la  Flamme  áeSurti  {voy.  p.  174)  brûlera  et 
détruira,  à  la  fin  des  siècles,  non-seulement  la  terre,  mais  aussi  le  ciel 
(c'est-a-dire  le  ciel  terrestre ,  qu'il  prend  pour  le  ciel  habité  des  Justes) , 
et  que,  d'un  autre  côté,  il  est  aussi  dit  que  ces  Justes  vivront  éternelle- 
ment dans  le  Brillant.  Au  lieu  d'admettre  cette  contradiction ,  comme 
tant  d'autres  qui  existent,  naturellement,  dans  toutes  les  Mythologies, 
puisque  les  différents  mythes  se  forment  souvent  les  uns  indépendamment 
des  autres,  Snorri  croit  devoir  et  pouvoir  lever  cette  diflSculté,  qu'il  sup- 
pose exister,  en  montrant  que,  selon  le  mythe  norrain,  il  y  aura  toujours, 
dans  le  ciel,  après  la  catastrophe  de  la  fin  du  monde,* un  Paradis  pour  les 
Élus.  Aussi,  se  rappelant  que,  dans  cette  Mythologie,  figurent  encore  deux 
Endroits,  situés  dans  \e  Séjour  desAl/es,  le  premier,  Allongé{norr.  And- 
lang ,  ainsi  nommé,  sans  doute,  parce  que,  dans  l'origine,  ce  nom  dé- 
signait la  première  moitié  de  la  Voie  lactée).^  et  le  second,  Bleu-au- 
Large  (norr.  Fid-blâinn,  ainsi  nommé ,  parce  que  ce  nom  désignait  la 
seconde  moitié  de  la  Voie  lactée) ,  Snorri  donne-t-il  à  entendre  que  si  le 
Ciel  (qu'il  confond  faussement  avec  le  Brillant)  viendra  à  être  détruit , 
les  Élus  trouveront  toujours  un  refuge  dans  ces  deux  autres  Endroits  du 
Séjour  des  Alfes,  dans  Allongé,  et  dans  Bleu-au- Large. 

16 


242  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

(28)    ORIGINE  DES  VENTS  ET  DES  SAISONS. 

g  83.  L'Aigle  Hræsvelg.  —  Snorri^  après  avoir  parlé  des  différents 
Endroits ce7e5ies,  et  se  rappelant  encore  que  le  vent  est  dit,  dans  la  My- 
thologie, provenir  de  l'extrémité  du  ciel,  passe,  par  une  transition  natu- 
relle, de  la  description  des  Endroits  célestes,  au  mythe  sur  l'origine  des 
Vents,  et,  par  l'intermédiaire  de  celui-ci,  au  mythe  sur  l'origine  des 
Saisons. 

Au  commencement,  c'est-à-dire  au  quatrième  siècle  avant  notre  ère, 
le  Dieu  du  Ciel,  Tins  (scythe  Tivus;  norr.  Tyr)^  était  aussi ,  sous  le 
nom  épithétique  de  Valus  (norr.  Othr) ,  Dieu  de  l'air,  de  l'orage,  de  la 
tempête,  et  des  vents.  Lorsque  ce  dieu  suprême  se  fut  dédoublé,  et  que 
plusieurs  divinités  eurent  partagé  entre  elles  ses  différentes  attributions , 
Vatans{^\\.  JVodan,  norr.  Odinn)  hérita  des  attributions  de  Tins,  con- 
sidéré à  la  fois  comme  Dieu  Suprême,  et  comme  Dieu  des  vents.  Enfin, 
lorsque  Odinn  eut  remplacé  l'ancien  Tyr,  comme  Dieu  Suprême ,  son 
caractère  de  Dieu  des  Vents  s'effaça  devant  ses  attributions  plus  relevées 
de  Dieu  suprême;  et  comme,  à  cette  époque,  les  mythes  théogoniques  et 
cosmogoniques  étaient  en  voie  de  se  former,  la  Mythologie  songea  aussi 
à  trouver  une  origine  cosmologique  aux  grands  phénomènes  de  la  Nature, 
tels  que ,  entre  autres ,  les  vents.  Or ,  comme  les  lotnes  étaient  considérés 
comme  les  premiers-nés  de  la  création ,  on  donna  aussi  aux  Vents  une  ori- 
gine iotnique,  et  on  les  fit  naître  dans  le^e/owrc?e5/oi?ie5.  Ensuite  comme 
V aigle  est  le  symbole  naturel  de  l'air  et  du  vent  (voy.  p. 235),  au  point  que  les 
vents  furent  appelés,  métaphoriquement,  des  aigles  (norr.  âr,  messa- 
ger ;  ail.  adel-âr  ;  cf.  lat.  aquilo  et  aquila.) ,  la  Mythologie  imagina  que 
riotne,  ou  la  Personnification  de  la  force  gigantesque  qui  produisait  le 
Vent,  se  tenait,  sous  la  forme  d'un  aigle ,  dans  le  Séjour  des  lotnes, 
c'est-à-dire  à  V extrémité  austro-septentrionale  du  ciel.  Cet  aigle  n'est, 
à  proprement  parler,  que  l'ancien  dieu  Valus  {Othr,  ou  Odinn)  zoo- 
morphe,  appelé  aussi  le  Vieux  Aigle,  dont  il  a  été  question  plus  haut 
(voy.  p.  235).  Puis ,  pour  expliquer  comment  est  produit,  mécaniquement, 
le  vent,  la  Mythologie  dit  qu'il  résulte  de  l'agitation  de  l'air  causée  par 
les  coups  de  penne  de  cet  Aigle  gigantesque.  Enfin  comme,  à  cette  époque, 
l'aigle  était  généralement  considéré  comme  le  symbole  du  vent ,  il  était 
inutile  de  donner  à  l'Aigle  mythologique,  auteur* du  vent,  un  nom  sym- 
bolique particulier,  énonçant  son  action  de  produire  l'agitation  de  l'air; 
il  suffisait  de  lui  donner  un  des  noms  épiques ,  épithétiques ,  ou  poétiques , 
usités  pour  désigner  l'aigle  en  général.  Or,  comme  quelques  espèces  d'ai- 
gles se  nourrissaient,  comme  on  croyait,  de  charogne,  on  a  donné  le 
nom  épique  ou  poétique  de  Avaleur-de-Charogne  (norr.  Hræ-svelgr : 
sansc.  Kraviâdas)  à  l'aigle  iotnique,  l'auteur  des  vents,  selon  la  My- 
thologie. 

§  84.  L'Origine  des  Saisons.  —  La  Cosmologie  mythologique  ne  consi- 
dérait les  Saisons  qu'au  point  de  vue  de  la  température,  qu'elle  faisait  dé- 
pendre uniquement  des  vents  qui  soufflaient  plus  ou  moins  chauds,  ou  plus 
ou  moins  froids,  aux  différentes  époques  de  l'année.  ^??or;-/ rattache  donc 
aussi  au  mythe  sur  l'origine  des  vents  ,  celui  sur  l'origine  des  Saisons. 


NUMÉRO  (28)  (page  95);  l'aigle  hræsvelg;  les  saisons.    243 

D'après  la  Mythologie  Scandinave ,  Souffle-Doux  (Svas-udr) ,  la  personni- 
fication cosmologique  du  \eni  pri?i(annier,  ainsi  nommé  parce  qu'il  est 
si  doux  par  rapport  à  la  rigueur  du  vent  d'hiver,  est  le  Père  de  VE(é.  Il 
appartient  à  une  race  bénigne  et  heureuse  ,  au  point  que ,  suivant 
Snorri,  le  mot  doux  dérive  de  son  nom.  Il  est  inutile  de  faire  remarquer 
que  cette  étymologie  est  contraire  aux  règles  les  plus  élémentaires  de  la 
dérivation  lexicologique.  Le  mot  primitif  doux  ne  peut  provenir  du  mot 
composé  souffle-doux;  il  fallait  dire,  pour  être  dans  le  vrai,  que  le  nom 
propre  Souffle-Doux  (norr.  Svas-udr)  est  composé  du  mot  svas,  qui 
signifie  doux,  et  du  mot  udr  (p.  vatus,  othr;  cf.  Hnek-uthr ,  Gneggi- 
othvy  p.  160  qui  signifie  vent). 

Le  père  à' Hiver  est  nommé  tantôt  Messager  des  Vents  (puisque  les 
vents  frais  de  l'équinoxe  et  de  novembre  précèdent  et  annoncent,  comme 
des  messagers ,  les  vents  plus  forts  de  l'hiver) ,  tantôt  Fr ai s-de- Souffle, 
puisque  les  vents  de  l'Automne  ont  le  souffle  plus  frais  que  ceux  de  l'Été. 
Le  père  de  Frai  s- de- Souffle  &s{  Enhardi,  c'est-à-dire  le  vent  d'automne, 
qui,  prenant  de  la  hardiesse  ,  devient  de  plus  en  plus  eifronté,  piquant, 
insolent.  Toute  la  race  de  Enhardi  (les  vents  d'automne)  est  violente,  et 
désagréable.  De  même  que,  dans  l'origine ,  les  peuples  de  la  branche  gète 
ne  distinguaient  que  deux  points  cardinaux,  l'orient  et  l'occident  (voy. 
Les  Gètes ,  p.  8) ,  de  même  la  Mythologie  ne  connaît  aussi  que  deux  es- 
pèces de  vents ,  et  deux  Saisons ,  savoir  les  vents  et  la  saison  dJété,  et  les 
vents  et  la  saison  á'hiver.  Cette  particularité  indique  que  les  mythes  cos- 
mogoniques  se  sont  formés  environ  au  troisième  siècle  de  notre  ère ,  à 
l'époque  où  les  quatre  points  cardinaux  n'étaient  pas  encore  reconnus  ou 
dénommés. 

(29)  LES  ASES  ET  LES  ASYNIES  ;    ODINN  ET  FRIGO. 

g  85.  Signification  du  nom  d'Ase  et  d'Asynie.  —  Après  avoir  exposé  la 
Cosmogonie,  la  Théogonie,  et  les  traditions  sur  les  différents  Endroits  et 
Objets  mythologiques,  Snorri  passe  aux  Divinités  proprement  dites, 
qui  sont,  en  quelque  sorte,  le  pivot  et  la  base  de  toute  la  religion.  Ces 
divinités  étaient,  dans  l'origine,  des  objets  de  la  h^Xmvq physique ,  tels 
que  le  Ciel,  la  Terre,  le  Soleil,  la  Lune,  etc.  Ces  objets  divinisés  et  adorés 
passaient  pour  des  Êtres  vivants;  mais  la  forme  qu'avaient ,  dans  la  na- 
ture ,  ces  objets  considérés  comme  Êtres  vivants',  n'avait  rien  de  la  forme 
unique  humaine;  au  contraire,  leurs  formes  naturelles,  si  diverses,  les 
rapprochaient  plutôt  des  formes  diverses  des  animaux  ;  et,  c'est  pourquoi, 
ne  pouvant  d'abord  être  conçus  comme  des  divinités  anthropomorphes, 
ces  Êtres  vivants  divinisés  furent  longtemps  adorés  comme  des  divinités 
zoomorphes.  Ces  divinités  zoomorphes ,  n'ayant  pas  non  plus ,  toutes , 
la  même  forme,  on  ne  put  les  considérer  comme  appartenant  à  une  seule 
et  même  race  ;  et ,  par  conséquent,  on  ne  put  longtemps  pas  songer  à  leur 
donner  un  nom  générique.  Plus  tard  ,  les  objets  delà  nature  qui  avaient 
été  divinisés  ou  apothéoses ,  ne  furent  plus  considérés  comme  étant  eux- 
mêmes  des  divinités;  ils  devinrent  des  choses  sacrées,  auxquelles  pré- 
sidaient des  divinités  anthropomorphes.  Dès  lors,  étant  devenues  anthro- 
pomorphes,  et  n'ayant  plus  des  figures ,  différentes  les  unes  des  autres, 


244  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

ces  divinités  furent  considérées  comme  formant  une  race,  une  famille,  et 
l'on  put  songer  à  leur  donner  un  nom  générique.  Or ,  les  dieux  étant 
supposés  habiter  le  ciel,  la  plupart  des  peuples  iafétiques  leur  ont  donné 
le  nom  de  Célestes  (sansc.  daivâs,  célestes,  de  div ,  ciel;  gr.  théoi'ii. 
deifoi,  dheioï,  theoi;  lat.  dii  p.  deivi;  norr.  tivar,  etc.).  Chez  les  Ger- 
mains, et  surtout  chez  les  Scandinaves,  les  Dieux  portaient  aussi  le  nom 
générique,  mais  épithétique  de  as  (p.  ans,  goth.  ans;  v.  h.  ail.  ans;  an- 
glos.  d5),  qui  signifiait  proprement  Support  (cf.  sansc.  anças,  support, 
épaule;  lat.  ansa,  support,  épaule,  anse,  et  ara  p.  âsa,  soutien,  sup- 
port, autel),  ou  Soutien,  Conservateur,  parce  qu'on  considérait  la  nature 
des  divinités  comme  se  manifestant  principalement  par  la  conservation , 
ou  la  protection  qu'elles  accordaient  au  Monde  et  aux  hommes,  par  op- 
position aux  Puissances  anti- divines ,  qui  tendaient  à  la  destruction  de 
la  Nature  ou  de  la  Création.  Le  nombre  de  douze  que  Snorri  assigne  aux 
Ases ,  ainsi  qu'aux  noms  á'Odinn  (voy.  p.  157) ,  n'a  rien  de  primitif,  rien 
de  symbolique,  ni  même  aucun  fondement  dans  la  Mythologie.  Les  an- 
ciens documents  énumèrent,  et  ont  dû  naturellement  compter,  tantôt  plus, 
tantôt  moins  de  douze  Ases.  Cependant,  plus  tard,  on  aimait  admettre 
le  nombre  de  douze,  au  moins  pour  les  divinités  principales;  et  cela  pour 
différentes  raisons  :  d'abord ,  pour  avoir  un  nombre  correspondant  aux 
douze  mois  de  l'année,  dont  on  mettait  chacun  sous  la  protection  de 
quelque  divinité;  ensuite,  parce  que  les  Scandinaves,  ainsi  que  les  Keltes, 
comptaient  par  douzaines;  puis,  parce  qu'on  voulait  faire  correspondre 
le  nombre  12  des  Ases,  considérés  comme  juges  célestes,  siégeant  au- 
près de  VJrbre  de  Jugement  {yoy.  p.  223),  aux  c^owse  juges  ou  jurés  des 
assises  usitées  dans  le  Nord;  et  enfin,  parce  que  les  douze  Ases  rappe- 
laient, soit  les  douze  divinités,  établies  systématiquement ,  dans  la  mytho- 
logie romaine,  soit  les  douze  apôtres  de  Jésus-Christ,  ou  les  douze  Pairs 
de  France  de  Charlemagne ,  etc. 

Jsynies.  —  A  côté  des  quatorze  ou  quinze  ^ses  dont  les  noms  figurent 
dans  les  anciens  documents  mythologiques,  nous  voyons  figurer  un  nombre 
presque  égal  de  Déesses.  Elles  portent  le  nom  générique  de  Asynies 
(norr.  Asyniur).  Ce  nom ,  qui  est  une  contraction  de  As-viniur  [Amies 
des  Ases  ;  cf.  vargr,  loup,  et  vargynia,  louve),  n'exprime  pas  leur  nature 
divine,  mais  seulement  leur  qualité  de  Femmes  ou  d'Amantes  des  Ases. 
Cependant  ces  Asynies  ont  presque  toutes  une  personnalité  marquée , 
un  caractère  symbolique ,  et  des  attributions  individuelles;  elles  ne  sont 
pas  seulement,  comme  la  plupart  des  déesses  hindoues,  de  simples  per- 
sonnifications des  qualités,  ou,  comme  on  disait,  des  énergies  (sansc.  . 
çaktiâs)  des  dieux  leurs  époux. 

g  86.  Les  attributions  d'Odinn.  —  Les  ancêtres  des  Scandinaves ,  les 
peuples  Scythes  et  gètes  ,  adoraient,  comme  dieu  suprême ,  le  dieu  Ciel 
(scyth.  Tivus;  norr.  Tyr;y.2\\.Zio).  Ils  considéraient,  comme  les  prin- 
cipaux bienfaits  de  Ciel^  U  pluie,  qui  arrose  et  féconde  la  terre,  lèvent, 
qui  rafraîchit  et  purifie  l'air,  et  V orage,  qui  amène  à  la  fois  la  pluie  et  le 
vent.  Aussi  le  dieu  Ciel  était-il  adoré  principalement  comme  produisant 
la  pluie,  le  vent,  et  l'orage.  Comme  Père  de  là  pluie  ^  il  eut  l'épithète  de 
Fécondateur  ou  Aime-Pluie  (scythe  Pirkimis;  sansc.  Parddjanias; 


NUMÉRO  (29)  (pages  95  -  97);  ases  et  asynies  ;  odinn.    245 

iiorr.  Fiörgynn;  cf.  sansc.  vrichas,  arroseur,  taureau:  kimro-thrake, 
Phrixus,  bélier;  umbrien ^rcws ,  bouc;  lat.  hircus;  gr.  krios  p.  krifos, 
frikos).  En  sa  qualité  de  dieu  du  Fent,  le  dieu  Ciel  portait  l'épithète  de 
yígiíé  (scythe  Fâiîis  p.  vahitus;  norr.  ôdr;  cf.  sansc.  vâtas;  lat.  ventus 
p.  vehentus;  goth.  vinds  p.  vahinds,  participe  áevaha,  remuer,  lat. 
veho,  V.  h.  ail.  wagan).  Enfin,  comme  Dieu  de  l'orage /econc?a/ti,  Ciel 
portait  l'épithète  6!  Orageux. 

Le  dieu  Ciel,  considéré  comme  fécondateur  de  la  terre,  devint  Tépoux 
de  la  déesse  Terre  {scylhe  Jpia;  norr.  lördh);  et  ces  deux  conjoints 
passaient  pour  les  parents  primitifs  des  Dieux  et  des  hommes.  En  sa 
qualité  de  Père  des  dieux  et  des  hommes  ,  le  dieu  Ciel  eut  l'épithète  de 
Père  ou  Aïeul  (scythe  Pappa;  cf.  gr.pappos,  aïeul;  arm.  pap,  aïeul; 
phryg.  Zeus  papas  ;  norr.  Jllfödr,  voy.  p.  138).  Comme  Père  des  Dieux, 
le  dieu  Ciel  était  aussi  considéré  comme  leur  Chef,  et  par  conséquent 
comme  le  Dieu  Suprême.  Enfin  comme  Dieu  Suprême,  et  comme  Aïeul  des 
peuples  Scythes,  dont  l'occupation  principale  et  la  plus  honorée  était  la 
guerre,  Ciel  passa  naturellement  aussi  pour  être  le  Dieu  de  la  Guerre, 
d'autant  plus  qu'il  était  déjà  Dieu  de  V Orage,  et  que,  suivant  une  asso- 
ciation d'idées  assez  commune  dans  l'Antiquité ,  l'agitation  et  la  fureur 
d'une  tempête  étaient  assimilées  à  l'agitation  et  à  la  fureur  d'une  lutte 
ou  d'un  combat  (cf.  gr.  thuella,  tempête  ;  lat.  hélium  p.  duellum ,  guerre; 
gr.polemos}^.  tpolemos,  guerre;  goth.  dvaly?is ,  fureur).  Aussi  l'épithète 
de  Tempétueux  (scythe  Vâtans ,  norr.  Odinn,  vhall.  JVôdan).,  dési- 
gnait-elle Ciel  à  la  fois  comme  dieu  des  Vents,  ou  des  Orages ,  et ,  par  suite , 
comme  dieu  des  Combats.  C'est  ainsi  que  Ciel  parvint  à  réunir  les  dif- 
férentes attributions  de  Dieu  du  ciel ,  de  Dieu  de  la  fécondation ,  de 
Dieu  des  vents ,  de  Dieu  de  l'orage ,  de  Dieu  suprême ,  de  Père  des  Dieux 
et  des  hommes,  et  de  Dieu  des  combats.  Ces  différentes  attributions ,  qui, 
dans  l'origine,  appartenaient  toutes  à  la  même  divinité,  nommée  Ciel. 
furent  réparties,  dans  la  suite,  sur  plusieurs  dieux,  qu'on  peut  considé- 
rer, par  conséquent,  comme  nés  du  dédoublement  de  cette  divinité 
suprême ,  et  comme  les  représentants  spéciaux  de  ses  différentes  attribu- 
tions. C'est  ainsi  que  les  ancêtres  des  Germains  et  des  Scandinaves  con- 
stituèrent, avec  l'attribution  de  Ciel,  considéré  comme  dieu  Tempé- 
tueux^ un  Dieu  spécial  de  l'orage,  auquel  on  donna,  pour  nom  propre, 
l'ancien  nom  épithétique  de  Tempétueux  {Fâtans,  Odinn,  fVôtan).  Ce 
Dieu  particulier  Odinn,  par  l'influence,  la  puissance,  et  l'ascendant  po- 
litique des  peuplades  qui  avaient  adopté  son  culte ,  parvint  peu  à  peu  au 
rang  de  Dieu  suprême,  dans  la  Mythologie;  et  bien  qu'il  n'eût,  au  com- 
mencement, que  sa  spécialité  ou  une  seule  attribution  ,  celle  de  Dieu  de 
\ Orage,  il  prit  cependant,  dans  la  suite,  comme  Dieu  suprême,  les 
principales  attributions  de  l'ancien  Dieu  Ciel  {Tius,  Tyr).,  dont  il  était 
le  dédoublement.  Voilà  pourquoi  les  attributions  de  Dieu  de  la  Guerre, 
et  de  Père  des  Dieux  et  des  hommes ,  passèrent  du  Dieu  Tyr  au  Dieu 
Odinn,  de  sorte  que  Tyr,  qui ,  dans  l'origine ,  avait  été  le  Dieu  Suprême, 
et  qui,  comme  tel,  possédait  les  attributions  les  plus  nombreuses,  fut 
réduit  au  rang  de  dieu  inférieur  par  son  successeur  et  remplaçant  Odinn, 
qui  lui  devait  presque  jusqu'à  son  origine  et  son  nom .  et  qui  s'agrandit,  en 


246  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

quelque  sorte ,  à  ses  dépens ,  en  le  dépouillant ,  peu  à  peu ,  de  ses  dififérentes 
attributions. 

g  87.  Les  noms  épithétiques  d'Odinn.  —  C'est  seulement  en  se  rappe- 
lant les  dififérentes  attributions  du  Dieu  Suprême  Odinn,  qu'on  parvient 
à  expliquer  ses  nombreux  noms  épithétiques ,  et  les  diflférents  mythes  qui 
s'y  rapportent.  Dans  l'origine,  Odinn,  n'ayant  encore  qu'une  seule  at- 
tribution, celle  de  Dieu  des  tempêtes,  n'avait  aussi  qu'un  seul  nom,  celui 
^ Odinn,  qui  exprimait  précisément  cette  qualité.  Mais,  à  mesure  que 
les  attributions  de  ce  dieu  furent  augmentées,  et  qu'il  fut  envisagé  sous 
des  rapports  de  plus  en  plus  multiples ,  il  prit  aussi  des  noms  épithétiques 
plus  nombreux.  Snorri ,  d'après  son  système  evhémériste ,  admettait  un 
Odinn  asiatique,  et  un  Odinn  scandi7iave  (voy.  p.  15)  ;  il  croyait  que  le 
premier  avait  seulement  douze  noms ,  mais  que  le  second  en  prit  un  plus 
grand  nombre.  Il  donne  deux  raisons  pour  expliquer  et  l'origine  et  la 
pluralité  des  noms  du  second  Odinn.  D'abord  il  attribue  cette  pluralité 
à  la  diversité  des  langues ,  que  parlaient  les  peuples,  chez  lesquels  Odinn, 
en  passant  de  l'Asie  dans  le  Nord  de  l'Europe,  s'était,  selon  lui,  succes- 
sivement établi.  Cette  explication  n'est  pas  admissible ,  puisqu'il  s'agit 
ici  des  dififérents  noms  que  portait  Odinn,  non  dans  dififérentes  langues, 
mais  dans  un  seul  idiome,  la  langue  Scandinave  et,  plus  tard,  la  norraine. 
Ensuite  Snorri  rapporte  l'origine  de  quelques  noms  aux  accidents  sur- 
venus à  Odinn  dans  ses  voyages,  que  notre  auteur,  d'après  ses  idées 
evhéméristes ,  croit  avoir  eu  lieu  efifectivement.  Cette  explication  n'est  pas, 
non  plus,  admissible,  mais  du  moins,  en  la  modifiant  quelque  peu,  on 
y  trouvera  une  partie  de  la  vérité,  comme  nous  allons  le  faire  voir  main- 
tenant, en  reprenant  la  question  à  un  point  de  vue  plus  général.  Pour 
répondre  convenablement  à  la  question  sur  la  pluralité  des  noms  épithé- 
tiques des  Divinités,  il  faut  se  rappeler  que,  dans  l'origine,  les  Dieux 
n'avaient,  et  ne  pouvaient  avoir,  qu'un  seul  nom  ^  celui  qui  exprimait  pré- 
cisément l'idée,  la  qualité,  ou  l'attribution  dont  le  dieu  était  originaire- 
ment la  personnification  ou  le  symbole.  Ainsi  la  Tempête  personnifiée  fut 
désignée  par  le  nom  de  Vatans  (Tempétueux),  et  ce  dieu,  n'étant  envi- 
sagé, dans  l'origine,  que  sous  le  point  de  vue  de  son  attribution  de  tem- 
pête ,  ne  pouvait  pas  alors  être  désigné  par  un  nom  autre  que  celui  de 
Tempétueux.  Mais,  dans  la  suite,  lorsque  ce  dieu  fut  considéré,  non 
plus  simplement  comme  la  Personnification  de  la  tempête ,  mais  encore 
comme  Dieu  de  la  Guerre ,  comme  Dieu  suprême,  comme  Père  des  Dieux 
et  des  Hommes,  alors  les  rapports,  sous  lesquels  on  l'envisageait,  s'étant 
multipliés ,  on  lui  donnait  aussi  des  noms  épithétiques  se  rapportant ,  ou  aux 
nouvelles  qualités,  soit  physiques,  soit  morales ,  soit  intellectuelles,  ou 
à  l'extérieur ,  aux  habitudes ,  aux  actions ,  aux  passions ,  et  aux  aventures , 
que  la  Mythologie  épique  lui  attribuait.  Telle  est  la  cause  ou  l'origine  de 
la  pluralité  des  noms  épithétiques ,  donnés  tant  à  Odinn  qu'aux  autres 
divinités.  Pour  expliquer  les  nombreuses  épithètes,  et  les  diflférents  mythes 
qui  se  rapportent  à  Odinn,  il  faut  donc  se  rappeler  les  différentes  attri- 
butions de  ce  Dieu  Suprême,  et  ne  pas  oublier  que  quelques-uns  de  ces  noms 
ont  pris  successivement  différentes  significations  ,  parce  que  ,  expliqués 
difi'éremment ,  ils  ont  pu  être  rappoités  à  dififérentes  attributions  d'Odinn. 


NUMÉRO  (29)  (pages  95-97);  noms  épithétiques  d'odinn.  247 

Odin7i ,  Dieu  du  Vent.  —  Le  nom  de  Odinn ,  dont  la  forme  n'est  que 
tant  soit  peu  différente  de  Odr  (cf.  norr.  hugr  et  huginn  ;  munnr  et 
muninn) ,  signifie  Agité ,  Tempétueux ,  et  prouve  que ,  dans  l'origine , 
ce  dieu  était  seulement  et  spécialement  considéré  comme  Dieu  de  l'agita- 
tion de  l'air,  des  vents  et  des  tempêtes.  Les  noms  épithétiques,  qui  dési- 
gnent Odinn  en  sa  qualité  de  Dieu  de  l'air  et  des  vents ,  sont  :  1°  Calme, 
t""  Humide,  ^°  Agile,  lk° Frémit-doucement  Aux  attiributions  Ôl' Odinn, 
comme  Dieu  du  Vent,  se  rapportent,  parmi  les  douze  noms  cités  par 
Snorri  (voy.  p.  79),  les  noms  épithétiques  de  Nikar,  de  Nikuz ,  de  Vid- 
rir,  de  Omi ,  de  Svidrir,  de  Bîf-lindi,  et  de  lalg ,  qui  ont  déjà  été  ex- 
pliqués ci-dessus  (voy.  p.  19). 

Odinn,  comme  Dieu  du  vent  favorable  (cf.  oska-hijr^  p.  161),  devint, 
vers  le  sixième  siècle ,  le  Protecteur  de  la  Navigation  et  du  Commerce. 
C'est  en  cette  qualité  qu'il  porte,  dans  le  langage  poétique,  le  nom  de  Tyr 
des  Cargaisons ,  et  qu'il  est  quelquefois  confondu,  dans  les  sagas,  avec 
Freyr  et  avec  Niördur ,  qui,  eux  aussi,  présidaient  à  la  Navigation,  et 
aux  Vents  favorables  (voy.  §§  95  et  97). 

Les  sacrifices  offerts  à  Odinn,  en  sa  qualité  de  Dieu  de  \air,  se  faisaient, 
en  suspendant  les  victimes  aux  arbres;  action  symbolique  par  laquelle 
on  exposait  ou  livrait,  en  quelque  sorte ,  ces  victimes  à  l'air  et  aux  vents, 
c'est-à-dire  au  Dieu  qui  les  représentait,  ou  qui  y  présidait  (v.  Les  Gètes, 
p.  281).  Lorsque,  dans  la  suite,  Odinn  devint  encore  Dieu  des  Combats, 
on  lui  sacrifiait  aussi  les  prisonniers  de  guerre,  en  les  pendant  également 
aux  arbres  du  bois  sacré  (voy.  Procopius,  de  bello  gothico,  lib.  II ,  cap.  15). 
On  conçoit,  d'après  cela,  que  la  pendaison,  ayant  traditionnellement  le 
caractère  religieux  d'un  sacrifice,  n'avait,  même  aux  époques  posté- 
rieures, rien  de  déshonorant,  et  Odinn  a  pu  être  nommé  Dieu  des  Sus- 
pendus ,  puisque  ces  Suspendus  étaient  autant  de  Victimes ,  ou  de  Consa- 
crés ,  offerts  à  sa  personne  divine. 

Odinn,  Père  des  Occis.  —  Une  fois  considéré  comme  Dieu  des  Com- 
bats ,  Odinn  prit  naturellement  le  nom  de  Père  des  Occis.  Car  les  guer- 
riers qui  succombent  dans  le  combat,  et  qui,  par  conséquent,  selon  les 
idées  de  l'époque ,  sont  censés  s' être  sacrijiés,  ou  s'être  dévoués  au  Dieu 
de  la  Guerre,  sont  reçus,  après  leur  trépas  ou  occision  (norr.  t-a/r), 
parmi  les  Hommes  de  la  suite ,  ou  de  la  bande  guerrière  à' Odinn.  Or,  dans 
l'origine ,  la  bande  de  chaque  chef  ou  roi  se  composait  de  ses  fils ,  et  de 
ses  parents;  de  là  vient  que  le  mot  lîd,  qui ,  dans  la  langue  norraine, 
désigne  la  bande,  désigne  également  \2i/a7nille.  Che/et  Père  étaient  donc , 
dans  l'Antiquité  patriarchale  et  guerrière ,  des  termes  presque  synoiiymes, 
et  c'est  pourquoi  les  hommes  de  la  suite  â' Odinn  sont  également  consi- 
dérés comme  ses  fils ,  du  moins  comme  ses  Jils  adoptifs  (norr.  oskmegir). 
Les  hérosde  la  banded'Odinn  portentle  nom  de  Troupier s-Uniques,e'esi- 
à-dire  de  Troupiers  sans  pareil,  ou  Troupiers  par  excellence,  parce  qu'il 
n'y  a  que  les  héros  les  plus  distingués  qui  puissent  faire  partie  de  la  bande 
A' Odinn,  du  meilleur  des  guerriers.  Les  Troupier  s- V  niques  y  \yeni^^^'pT'es 
de  leur  père  adoptif,  le  Dieu  des  Combats,  dans  \^Halle-des-Occis ,  ou 
auprès  de  son  épouse  Frigg  (ouFreyia),  dans  VA  liée- Joyeuse  (cf.  p.  268). 

Les  épithètes  qui  désignent  Odinn,  en  sa  qualité  de  Dieu  des  Tempêtes 


248  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

et  des  Combats,  sont  les  suivants:  i° Bruyant (norr.  Omi,  voy.  p.  161), 
2°  Ténébreux  comme  Hel  (voy.  p.  102) ,  3°  Œil-Nuageux  (épithète  qui 
exprime  le  regard ,  ou  l'aspect ,  nuageux  et  sombre  du  ciel ,  et  du  combat- 
tant), 4°  Alerte,  ^°Fasci?iant^  6°  Fascinateur,  qui  expriment  le  caractère 
remuant,  et  la  force  magique  á'Odinn,  1" Décisif,  qui  énonce  que  Odi?in 
est  présent  au  moment  décisif^  8°  Père  de  Victoire ,  9°  Dieu  des  Com- 
battants, iO'' Dieu  d'J larme,  W  Escrimeur,  12°  Troupier  (v.  p.  160)^ 
13°  Joyeux  de  Troupes  (qui  exprime  le  plaisir  qu'éprouve  Odinn  à  la 
vue  des  troupes),  14°  Cuirassé,  15°  Porte-Heaume ,  etc. ,  tous  des  noms 
qui  se  rapportent  à  Odinn  comme  Dieu-Guerrier. 

Odinn,  Dieu  suprême.  —  Les  Forces  conservatrices  ,  c'est-à-dire  les 
Dieux  qui  contiennent,  comme  par  un  lien,  le  Monde,  et  l'empêchent  de 
se  disjoindre,  ou  de  se  dissoudre,  portent  le  nom  symbolique  de  Liens 
(norr.  hôpt).  De  là,  Odinn ,  comme  Chef  des  Ases  (des  Soutiens,  et  des 
Liens),  porte  lui-même  l'épithète  áeLie?i,  et  de  Dieu  des  Liens.  Les 
autres  noms  épithétiques,  qui  se  rapportent  au  caractère  divi7i  á' Odinn, 
sont  les  suivants:  1°  Sublime  (v.  p.  151),  '^° Père- Universel  (v.  p.  155), 
'S^  Équi-Sublime  (ce  dernier  nom  désigne  Odinn,  comme  associé  soit  à 
Hlôdur  ou  à  Thôr,  soit  k  Nœnir  ou  kFrey),  4"  Troisième  qui  désigne 
0</m?i  comme  associé  à  deux  autres  dieux,  ou  comme  occupant  le  troi- 
sième rang  (voy.  p.  152),  dans  une  Trinité  divine.  D'autres  épithètes,  plus 
récentes,  et  imaginées  par  la  tradition  épique ,  rappellent  des  qualités  phy- 
siques ,  morales ,  ou  intellectuelles  attribuées  à  Odinn,  ou  enfin  des  parti- 
cularités qu'on  remarquait  dans  ce  Dieu ,  lorsqu'il  s'est  mêlé  aux  hommes, 
ou  s'est  entretenu  avec  eux.  C'est  ainsi  que  Chapeau-Rabattu  désigne 
Odinn,  par  allusion  au  chapeau  à  larges  rebords  pendants,  que  ce  dieu 
portait,  selon  les  Sagas,  et  qui  lui  cachait  à  moitié  la  figure,  et  rendait 
ainsi  sa  personne  plus  inystérieuse.  Dans  l'origine  ,  Odinn,  le  Dieu  des 
Airs  et  des  Vents,  passait  pour  se  couvrir  d'un  nimbus  (norr.  hulinn, 
Couvrant),  ou  d'une  Enveloppe  de  nuages  nommée  Heaume  du  Cou- 
vrant (norr.  Hulins  Malmr).  Plus  tard ,  lorsque  la  tradition  eut  trans- 
formé Odinn  en  un  personnage  épique ,  l'Enveloppe  nuageuse ,  tout  en 
gardant  l'ancien  nom,  fut  changée  en  un  chapeau  ou  cape  (cf.  ail.  Tarw- 
Kappe,  Cape  ternissante),  qui  servait  à  la  fois  à  rendre  méconnaissable 
Odinn,  quant  au  physique,  et  à  donner  à  sa  personne,  quant  au  moral, 
un  caractère  mystérieux,  et  sacré  ;  car,  chez  les  peuples  gètes,  le  chapeau 
était  le  signe  distinctif  des  personnes  qui  avaient  un  caractère  plus  ou 
moins  sacerdotal  (norr.  hatt-berendr,  voy.  Les  Gètes,  p.  272).  Les  noms 
épithétiques  de  Barbe- Pendante,  et  de  Barbe-Velue  énoncent  que  Odinn 
portait  une  longue  barbe.  La  barbe  est  d'abord  le  symbole  de  l'âge  (cf. 
Hercule  avec  la  barbe) ,  et  ensuite  le  symbole  de  la  sagesse ,  conséquence 
de  l'âge. 

L'épithète  Défiguré  fait  allusion  à  la  figure  sévère,  qu'Odinn  montrait 
dans  certaines  circonstances.  Impétueux  est  le  nom  q\i'Odi?m  s'est 
donné  auprès  du  roi  Geir-rothur  (voy.  p.  249).  Piétonneur  est  l'épithète 
qui  rappelle  que  Odinn  s'est  déguisé  en  Voyageur,  toutes  les  fois  qu'il 
voulait  se  mesurer  avec  les  lotnes  (voy.  p.  55).  Vigoureux  indique  que 
Odinn  s'est  montré  sous  la  figure  d'un  gars,  ou  d'un  jeune  homme  vigou- 


NUMÉRO  (:29)  (pages  95  -  97)  ;  noms  épithétiques  d'odinn.  249 

reux(cf.  ialkr,  voy.  p.  16?).  Tire-Traîneau  fait  allusion  à  une  tradition 
épique  aujourd'hui  inconnue ,  et  d'après  laquelle  Odinn  était  dit  avoir  fait 
avancer  un  navire  ou  un  traîneau  (voy.  Grimnism,  49).  Agréable  indique 
qu'il  était  un  hôte  bienvenu  et  agréable.  Perspicace ,  çX  Devinant- Juste 
énoncent  que  Odinn  faisait  preuve,  dans  le  commerce  avec  les  hommes, 
d'une  grande  perspicacité ,  qualité  distinctive  de  la  race  normande ,  et 
qui ,  selon  l'opinion  des  Scandinaves ,  pouvait  être  renforcée  moyennant 
la  magie.  Prompt-à-tromper  est  une  épithète  dî  Odinn,  qui  indique  que 
la  ruse,  le  stratagème,  et  la  tromperie  étaient  également  des  caractères 
distinctifs  de  la  race  normande ,  et  passaient,  chez  elle,  comme  chez  tous 
les  peuples  de  l'Antiquité ,  à  la  fois  comme  une  preuve  évidente  d'intel- 
ligence et  de  prudence ,  et  comme  une  manière  d'agir  estimée  honorable, 
ou  sans  reproche.  Malfaisant  est  le  nom  que  Odinn  s'est  donné  dans 
certaines  circonstances,  et  qui  indique  qu'il  savait  trouver  les  moyens 
d'arriver  à  ses  fins  pour  perdre  ses  adversaires.  Rappelons,  ici,  qu'aux  yeux 
du  Paganisme,  des  actions  méchantes,  ou  même  un  caractère  méchant, 
attribués  à  un  dieu,  ne  détruisaient  pas  son  caractère  divin  (v.  p.  478). 
Equitable  exprime  la  justice  d'Odinn ,  et  Multiple  sa  nature  multiforme. 
Tels  sont  les  principaux  noms  épithétiques  à! Odinn,  qui  se  rapportaient 
aux  qualités  physiques,  morales,  ou  intellectuelles  qu'on  attribuait  à  ce 
dieu,  ou  qui  faisaient  allusion  à  des  circonstances  et  à  des  particularités, 
rapportées  dans  les  mythes,  et  dans  les  traditions  épiques.  Snorri  en  a 
cité  la  plupart,  d'après  les  Dits  de  Grimnir,  poème  eddique  qui  raconte 
qu' Odifiîi  caché,  sous  le  nom  de  Grimnir  (Impétueux,  Sanglier),  énu- 
mère  lui-même,  au  roi  Geir-röthur  (Rougit-la-Lance),  ses  différents  noms, 
ou  les  épithètes  qu'il  porte.  La  signification  de  la  plupart  de  ces  noms  n'était 
déjà  plus  connue ,  à  l'époque  qui  a  précédé  les  temps  de  Snorri.  Aussi ,  dans 
ce  poëme  eddique ,  ces  noms  sont-ils  présentés  pêle-mêle ,  sans  ordre ,  ni 
suite  logique  ;  ils  sont  rangés  uniquement  d'après  les  exigences  de  l'allité- 
ration (cf.  p.  221).  Ensuite  comme  la  signification  précise  n'en  était  plus  con- 
nue, ces  noms  sont ,  dans  les  poèmes  mythico-épiques  ,  souvent  donnés 
à  Odinn,  mal  à  propos  ,  c'est-à-dire,  contrairement  à  la  règle  qu'on  doit 
suivre  dans  l'emploi  des  épithètes.  Cette  règle  consiste  à  choisir  les  épi- 
thètes de  manière ,  que  l'idée  qu'elles  expriment  contribue  à  mieux  faire 
ressortir  l'action ,  ou  la  situation  particulière  attribuée  au  sujet,  dans  tel 
ou  tel  cas  spécial.  Ainsi,  par  exemple,  Odinn  pouvant,  par  suite  de  ses 
attributions  multiples ,  être  désigné  par  une  foule  de  noms  épithétiques , 
il  fallait  que  ces  épithètes,  pour  être  bien  choisies,  fussent  chaque  fois  en 
rapport  avec  l'action  qu'on  attribuait  à  ce  dieu  ,  ou  à  la  situation  dans  la- 
quelle on  voulait  le  représenter.  S'il  agissait,  par  exemple,  comme  Dieu 
del'a/r,  il  fallait  lui  donner  des  épithètes  qui  fussent  en  rapport  direct  avec 
cette  action  ;  s'il  était  représenté  comme  Dieu  de  la  Guerre,  les  épithètes 
de  Piétonneur,  de  Chapeau-Rabattu ,  etc. ,  lesquelles  se  rapportent  à 
des  circonstances  toutes  différentes  de  celles  de  la  guerre ,  eussent  été 
on  ne  peut  plus  déplacées.  Cette  règle  si  simple  et  si  naturelle  de  l'emploi 
des  épithètes,  n'a  pas  été  toujours  observée  dans  les  poésies  lyriques, 
épiques,  et  mythologiques  de  l'Antiquité ,  pas  même  par  les  meilleurs 
poètes ,  tels  que  Homère  et  Pindare.  C'est  que  ,  ne  connaissant  plus  la 


250  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

signification  propre,  ni,  par  suite  ,  la  portée  de  ces  noms  épitliétiques , 
on  les  choisit  le  plus  souvent  au  hasard,  et  on  les  employait  indifférem- 
ment, comme  épithètes  épiques  stéréotypes ,  et  même  quelquefois  dans 
un  sens  évidemment  contraire  à  celui  de  l'action  ou  de  la  situation ,  qu'on 
voulait  représenter  ou  exprimer. 

§  88.  Conception  et  attributions  de  Frigg.  —  Le  Dieu  C/c/ avait,  entre 
autres  attributions,  aussi  celle  de  Père  de  l'Orage ,  qui,  parla  pluie,  fécondait 
la  terre  ;  et,  en  cette  qualité,  il  portait  l'épithète  de Âime-Pluie  (Fiörg-ynn). 
Comme,  dans  l'Antiquité,  l'eau,  et  surtout  la  pluie  fécondante,  était  l'em- 
blème du  sperme  et  de  la  fécondation,  le  dieu  Ciel,  comme  Père  de  la  Pluie, 
ou  Amant  de  la  Pluie,  était  encore  considéré  comme  YJrroseur ,  le  Fécon- 
dateur psiT  excellence  (v.  p.  245).  Lorsque ,  dans  la  suite ,  Ciel  (norr.  Tyr) 
fut  devenu  un  dieu  anthropomorphe,  on  ne  considéra  plus  le  nom  A^  Aime- 
Pluie  comme  une  épithète  désignant  une  attribution  de  ce  dieu  Ciel 
(Tivus ,  Tius),  mais  comme  un  nom  désignant  un  Dieu  spécial,  distinct 
de  Tius  ou  de  Tyr.  Aussi ,  de  même  que  le  culte  d'Oi/m?i  s'est  séparé  de 
celui  de  Tyr,  de  même  aussi  le  dieu  Fiörgynn  est  devenu  uti  Être  mytho- 
logique, indépendant  du  Z)2ew  suprême  Tyr,  auquel  fut  substitué  Odinn. 
Vers  le  premier  siècle  avant  notre  ère ,  Fiörgynn ,  le  Dieu  de  l'Orage 
fécondant,  ou  de  \2l Foudre,  fut  remplacé,  en  cette  qualité,  par  Thôr;  de 
sorte  qu'il  disparut  presque  complètement  de  la  Mythologie  Scandinave, 
comme  Dieu  de  V orage.  Mais  Frigg-mnr  (l'Arroseur,  le  Fécondateur) , 
comme  Dieu  de  la  Pluie,  de  la  Fécondation  ,  et  plus  généralement  de  la 
Génération ,  resta  encore,  pendant  quelque  temps,  le  Père  de  \^  Pluie  (norr. 
frigg  ^  hregg)^  laquelle  a  été  personnifiée  sous  le  nom  de  Frigg  (Pluie). 
Comme  ses  attributions  de  Fécondateur  étaient  aussi  celles  du  Dieu  du 
soleil  fécondant,  Fiörgynn  se  confondit,  dans  le  culte  des  Svèdes,  avec 
le  dieu  Freyr,  le  Dieu  du  soleil  et  de  la  fécondité ,  qui  dès  lors,  par  suite 
de  cette  confusion ,  fut  lui-même  représenté  avec  les  insignes  symboliques 
de  Fiörgynn,  à  savoir  îngentepriapo.  Chez  les  Germains ,  au  contraire, 
le  dieu  Frô  (norr.  Freyr) ,  en  sa  qualité  de  Dieu  du  soleil  fécondant,  fut 
absorbé  par  le  Dieu  de  l'orage  fécondant  Virg-un;  et  c'est  pourquoi  ^c?a/» 
de  Brème  a  pu  donner  au  Freyr  des  Scandinaves  le  nom  germanique  la- 
tinisé de  Friccon  (germ.  Firgun).  Il  est  arrivé ,  dans  toutes  les  Mytho- 
logies ,  que  les  divinités  symboliques  de  la  génération,  ayant  été  changées, 
dans  la  suite,  en  divinités  anthropomorphes  et  épiques,  ont  dès  lors  aussi 
été  jugées,  comme  les  hommes,  au  point  de  vue  moral,  et  ridiculisées 
comme  des  dieux  adultères  et  luxurieux.  Aussi  la  tradition  norraine  posté- 
rieure, oubliant  la  signification  5ym6o%we primitive  àeFiorgynn  comme 
Générateur ,  et  ne  voyant  que  sa  qualité  épique  áQ  Fécondateur ,  l'a-t- 
elle  représenté ,  au  point  de  vue  moral,  comme  un  dieu  lascif.  Voilà 
pourquoi  le  malicieux  Loki,  raillant  la  déesse  Frigg ,  l'épouse  d'Odinn, 
lui  reproche  d'avoir  une  nature  lascive ,  comme  celle  de  son  père  Fiör- 
gynn.  (Voy.  Poëmes  islandais.,  p.  330.) 

Suivant  une  strophe  de  la  Vision  de  la  Louve,  la  résidence  de  la 
déesse  Frigg  est  nommée  Salles  d'Écume  (norr.  Fen-salir;  cf.  sansc. 
phena,é,mme',  all./cm).Cenom  désigneles  nuages,  qui  ressemblentàde 
l'écume,  et  qui ,  nommés  de  ce  nom ,  sont  les  symboles  de  la  fécondation 


NUMÉRO  (30)  (pages  97 ,  98)  ;  thôr  et  ses  attributions.    251 

ou  de  la  génération  ;  car  les  termes  de  écume ,  de  spe7'me^  de  eau,  sont 
synonymes ,  dans  beaucoup  de  langues  et  de  mythologies  anciennes  (cf. 
Jphro-dite,  Née  de  l'Effervescence,  de  l'Eau,  du  Sperme,  ou  de  l'Écume). 
Frigg,  la  fllle  de  Fiörgynn,  devint  V épouse  d'Odinn,  parce  que,  la  pluie 
étant  inséparable  de  l'orage ,  Frigg,  la  Déesse  de  la  pluie  fécondante ,  était 
naturellement  l'épouse  á'Odinn,  qui,  dans  l'origine ,  était  le  Dieu  des 
tempêtes  et  de  l'orage.  Odinn  étant  le  chef  des  Jses,  Frigg  ^  en  sa  qua- 
lité à' épouse  d'Odinn,  est  devenue  aussi  la  première  ou  la  plus  distinguée  des 
Asynies.  La  connaissance  qu'elle  a  des  destinées  humaines  (et  áoniSnorri 
parle  ici  tant  soit  peu  hors  de  propos),  n'est  pas  (on  le  conçoit  sans  peine) 
une  conséquence  de  ses  attributions  ou  de  sa  nature  de  Pluie  fécondante 
[frigg ,  hregg)^  c'est  seulement  une  conséquence  que,  dans  la  période 
épique  de  la  Mythologie ,  les  peuples  goto-germains  ont  tirée,  d'abord,  de  sa 
nature  á^  femme,  en  tant  que  la  femme  ^  par  suite  de  son  organisation  plus 
délicate  que  ne  l'est  celle  de  l'homme,  possédait,  selon  eux,  le  don  de 
la  vision  ;  ensuite ,  sa  connaissance  de  la  Destinée  est  aussi  la  conséquence 
de  sa  qualité  de  rf^e55e,  puisque,  comme  telle,  Frigg  était  plus  ou  moins 
initiée  aux  mystères  de  la  Destinée  humaine,  laquelle  était  décrétée,  dans 
l'origine ,  par  les  Dieux ,  et  plus  tard ,  chez  les  dieux ,  par  les  Nornes  (voy. 
p.  232)  ;  enfin ,  sa  connaissance  de  la  Destinée  découlait  encore  de  sa  qua- 
lité de  Déesse  Suprême ,  ou  d' Épouse  d' Odinn ,  laquelle,  plus  que  toute 
autre  Asynie,  devait  être  initiée  aux  grands  secrets  connus  de  son  époux 
le  Dieu  Suprême.  Cependant  Snorri  a  tort,  non-seulement  de  parler  ici 
de  cette  connaissance ,  mais  encore  d'y  insister  particulièrement ,  comme 
si  c'était  là  un  caractère  distinctif ,  et  une  attribution  particulière  de  Frigg. 
Il  s'est  cru  sans  doute  autorisé  à  le  faire  par  l'énoncé  de  la  strophe  des 
Sarcasmes  de  Loki  (voy.  Poèmes  islandais,  p.  321) ,  qu'il  cite.  Mais  il 
ne  s'est  pas  aperçu  que  si ,  dans  cette  strophe ,  on  attribue  à  Frigg  une 
connaissance  pleine  et  entière  des  destinées,  cela  est  motivé  et  nécessité 
par  les  circonstances  é/îe^we*  et  dramatiques  de  ce  poème,  sans  que, 
pour  cela ,  la  Mythologie  prétende  que  cette  déesse  ait  eu ,  tout  particu- 
lièrement ,  le  don  de  la  vision. 

(30)  conception  du  dieu  thôr  ,  et  ses  attributions. 

§  89.  Pirkunis,  Firgunis,  Fiörgynn.  —  Le  Dieu  Suprême  Ciel  (scythe 
Tivus;  norr.  Tyr) ,  en  sa  qualité  de  Dieu  de  V  or  âge,  portait  le  nom  épi- 
thétique  de  Aime-Pluie  (scythe  Pirkunis;  norr.  Fiörgynn;  sansc.  Pardj- 
Janyas;  kimro-thrake  Herkunes;  Pélasge-étrusque^ercw/e*).  Plus  tard, 
Aime-Pluie  devint  le  nom  propre  d'une  divinité  distincte  de  Ciel,  et  ayant 
les  attributions  spéciales  de  Dieu  de  l'orage.  L'orage  étant  considéré 
principalement  au  point  de  vue  de  h  fécondation ,  le  Dieu  de  l'orage  était 
aussi  envisagé  surtout  comme  Dieu  Fécondateur,  et,  en  cette  qualité, 
il  se  rapprocha  du  Dieu  du  soleil  fécondant.  Aussi  plusieurs  mythes 
symboliques,  qui  se  rapportaient,  dans  l'origine  ,  uniquement  au  Dieu 
du  soleil,  furent-ils,  dans  la  suite,  également  appliqués  au  Dieu  de 
Vorage,  et  cela  par  suite  de  l'analogie  qui  s'était  établie  entre  ces  deux 
divinités,  tout  comme  elle  s'était,  également,  établie,  dans  la  Mythologie 
grecque,  entre  Héraklés,  Dieu  de  \^ foudre ,  eiHéraklès,  Dieu  du  so- 


252  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

leil.  C'est  ainsi,  nolaniment,  que  les  mythes  reposant  sur  l'antithèse 
entre  la  nature  ignée  du  Soleil,  et  la  nature  humide  de  l'Océan ,  furent 
transportés  du  Dieu  du  soleil  au  Dieu  de  V orage,  de  sorte  que  le  Dieu 
du  Tonnerre  fut  représenté  comme  Y  Ennemi  de  l'Océan,  et  prit  dès  lors 
deux  épithètes  appartenant,  dans  l'origine,  exclusivement  au  Dieu  du 
Soleil,  savoir  :  1®  l'épithète  de  Bihvew  (sansc.  Papis,  lat.  Bibax) ,  qui 
convenait  au  Soleil,  parce  qu'en  faisant  évaporer  l'Océan ,  il  était  supposé 
boire  les  eaux  de  la  mer,  et  2°  l'épithète  ([e,  Protecteur  du  Peuple  (scythe 
Tavit-varas;  norr.  Thiod-varr)  ^  qui  énonçait  sa  qualité  de  Père  et  de 
Protecteur  de  la  Nation ,  qualités  attribuées  originairement  au  Dieu  du 
soleil. 

Chez  les  peuples  de  la  branche  sarmate,  le  Dieu  de  la  foudre ,  Per- 
kunas  (lith.  Perkunas  ;  norr.  Fiörgynn) ,  prit  aussi  les  attributions  de 
Dieu  de  la  guerre ,  et  devint  le  Dieu  Suprême  (voy.  Procop.  de  belle  go- 
thico,  lib.  3,  p.  432).  Mais  lorsque,  plus  tard,  Perkunas,  le  Dieu  de 
l'Orage,  se  confondit,  chez  les  peuples  de  la  branche  sarmate,  avec  le 
Dieu  du  s(Ae\\^  Sviatoviti^'ûs  du  Brillant),  tout  comme,  chez  les  peuples  de 
la  branche  gète,  Fiörgynn  s'était  confondu  en  partie  âwecFreyr,  ce  nom 
de  Perkunas  s'effaça  de  plus  en  plus  dans  la  Mythologie  slave ,  comme 
celui  de  Fiörgynn  s'était  eifacé  dans  la  Mythologie  gotho-germanique. 
Perkunas,  de  uom  propre  à' un  dieu  qu'il  avait  été,  devint,  dans  les  idiomes 
slaves,  un  nom  commun  désignant  \3i  foudre  (cf.  Parom  p.  Parkum  ou 
Perkunas;  /irom  p.  parom,  foudre;  grom,  foudre;  cf.  gr.  keraunos). 
Comme  les  nuages  orageux  se  rassemblent  ordinairemert  auprès  des 
montagnes ,  et  que  les  effets  de  la  foudre  se  manifestent  principalement 
dans  les  forêts  séculaires,  qui  couronnent  les  cimes  de  ces  montagnes,  le 
Dieu  de  V Orage  était  considéré,  dans  l'Antiquité,  comme  ayant  sa  rési- 
dence sur  les  plus  hautes  montagnes  (cf.  heb.  Javèh  sur  le  Sina;  sansc. 
Pardjjanyas  sur  le  Mérous;  gr.  Zeus  sur  V Olympe;  norr.  Thór  dans 
Thrûdlieini).  C'est  pourquoi  les  montagnes  élevées ,  et  couvertes  de  som- 
bres forêts  étaient  consacrées  à  ce  dieu.  Telle  était,  chez  les  Kimro- 
Thrakes  de  la  Phrygie,  la  montagne  appelée  Berekun-thos  (Domaine 
áeBerekun),  parce  qu'elle  était  située  dans  le  domaine  {fhos;  sansc. 
dha)  du  Dieu  de  l'orage  Berekunos  (lith.  Perkunas).  Telles  étaient  les 
forêts  appelées  herkuniennes  (Appartenant  à  Herkunos  ou  Verkunos)^ 
au  sud  du  Danube,  depuis  la  Forêt-Noire  jusqu'à  la  Pannonie  {Aristot. 
Mirand.  Auscult.  ;  Météor.,  1,13;  Argonaut.  IV,  640;  Cæsar,  deBelio  gall. 
6 ,  25)  et  les  monts  Akro-kerauniens  (Appartenant  à  Keraunos)  de  l'É- 
pire.  En  Germanie,  les  montagnes  couvertes  de  forêts  hercyniennes, 
situées  entre  VIdistavisus  et  le  Sunt-dal,  étaient  consacrées  également 
à  Virguni  (norr.  Fiörgtjnn)^  que  Tacite  a  désigné  par  le  nom  équivalent 
latin  de  Herkules  (p.  Herkunes).  Plus  tard ,  vers  le  deuxième  siècle , 
lorsque ,  en  Germanie ,  le  nom  de  Donar  (Tonnerre)  fut  substitué  à  Vir- 
guni, qui  était  l'ancien  nom  du  Dieu  de  l'orage ,  ces  montagnes ,  consacrées 
anciennement  au  Dieu  de  l'orage ,  et  qui  avaient  porté  le  nom  de  Virgu- 
niennes ,  furent  dès  lors  appelées  7>/o?2 As  de  Tonnerre.  De  même  que, 
chez  les  Slaves ,  le  nom  propre  du  dieu  Perkunas  finit  par  devenir  le 
nom  commun  áQ\di  foudre  (Perkunas-hrom),  de  même  aussi,  chez  les 


NUMÉRO  (30)  (pages  97 ,  98)  ;  thôr  et  ses  attributions.      :253 

peuples  de  la  branche  gète,  et,  sans  doute,  par  l'exemple  ou  en  imitation  des 
Kimro-Keltes ,  le  nom  propre  du  dieu  Firguni  devint  un  adjectif  neutre 
signifiant  Firgunien  (Appartenant  à  Firgun).  Puis  cet  adjectif  fut  em- 
ployé comme  substantif  neutre,  signifiant  d'sLbord  mont  Jirgunien  (mont 
de  Tonnerre),  et  ensuite  montagne  en  général  {^oth. /air guni ,  mon- 
tagne; anglo-s./er^ew;  v.  h.  allemand  virgun;  gSièMcJîreachin).  Enfin 
du  substantif  neutre ,  signifiant  iiiontagne  en  général,  fut  dérivé,  sous 
forme  d'adjectif,  le  nom  propre  féminin  Virgunia  (Montagneuse) ,,  qui 
servit  à  désigner^  soit  la  déesse  Terre(cf.  sansc.  Parvata-âdhârâ ,  Mon- 
tagneuse, Terre;  gr.  Dèmèter  herkuna) ^  soit  la  surface  terrestre  en 
général ,  soit  quelque  contrée  montagneuse  en  particulier ,  tel  que  XErz- 
gebirg,  le  Fichtelgebirg ,  etc.  Le  nom  de  Burgund,  et  de  Vurgund-aip 
(Ile  ou  Contrée  bourgonde)  signifiait ,  ou  bien  District  appartenant  à 
Perkunas  (cf.  gr.  Berekun-thos) ,  ou  bien  District  montagneux.  Les 
Scandinaves  désignaient  aussi,  par  le  nom  de  tiörgynn  (p.  Fiargunia) 
la  Terre ,  en  général  {Skaldskaparmâl ,  p.  1 78) ,  ou  quelque  contrée 
montagneuse  et  boisée ,  en  particulier.  (Voy.  Oddrûnar  grâtr.) 

g  90.  Les  noms  de  Thôr ,  de  Thôr  au  Char ,  et  de  Thôr  des  Ases.  —  Dans 
la  Mythologie  Scandinave,  le  nom  du  Dieu  de  l'orage,  Fiörgynn,  fut 
remplacé ,  au  premier  siècle  avant  notre  ère ,  par  celui  de  Thôr;  de  sorte 
que ,  dès  lors ,  Fiörgynn  ne  figurait  plus  dans  la  tradition  mythologique 
comme  Dieu  de  V  or  âge,  mais  seulement  comme  Père  de  la  déesse  Frigg. 
Thôr  hérita  donc  des  attributions  de  l'ancien  Dieu  de  l'orage,  Fiörgynn; 
et  comme  Fiörgynn  ^  en  sa  qualité  de  Dieu  de  la  îoudre /écoíidante , 
s'était  antérieurement  confondu,  en  partie ,  avec  le  Dieu  du  soleil/écon- 
dant,  Thôr  hérita  également  de  quelques  attributions  de  l'ancien  Dieu 
du  soleil.  Thôr  ayant  été  substitué  à  Fiörgynn ,  qui  n'était ,  dans  l'ori- 
gine, qu'une  spécialisation  du  dieu  Ciel,  considéré  comme  Orage  fé- 
condateur, aurait  proprement  dû  être  considéré  comme  le/rère  d'Odinn, 
qui,  lui  aussi,  était,  dans  l'origine,  identique  avec  C/e/^  considéré  comme 
Père  des  Vents.  Mais  dans  la  Mythologie  Scandinave,  Thôr  deYmiXe  Jils 
d'Odinn,  et  cela  par  nulle  autre  raison  si  ce  n'est  que  Odinn,  étant  de- 
venu le  Dieu  Suprême,  dut,  en  cette  qualité,  être  considéré  encore 
comme  le  Père  des  Ases  (voy.  p.  247),  et,  par  conséquent  aussi,  comme  le 
Père  de  Thôr.  Thôr  a  pour  mère  la  déesse  Terre  (norr.  lord),  non  pas 
tant  parce  que  V orage,  ou  les  nuages  orageux  sont  censés  provenir  de  la 
terre,  comme  de  leur  mère ,  mais  parce  que  Thôr,  le  fils  du  Dieu  supi^ême, 
devait  avoir  pour  mère  lord,  qui  avait  été  subsituée  à  Jpia,  l'ancienne 
Déesse  Suprême  ,  comme  Odinn ,  le  Père  de  Thôr,  avait  été  substitué  à 
l'ancien  Tivus  (Tyr),  l'époux  d'Jpia. 

Thôr,  comme  l'indique  son  nom ,  contracté  de  Thonçir  {Thonr ;  v.  ail. 
Donar  ;  normand  français  Thure ,  v.  Notices  des  Manuscrits  du  Roi,  Y, 
p.  31  ;  Thur-old  p.  Thôr-valdr),  et  signifiant  Tonnerre,  était ,  dans  l'ori- 
gine, la  personnification  du  tonnerre,  lequel  est  la  manifestation  principale 
de  l'orage.  Comme  on  attribuait  à  l'orage  une  influence  bienfaisante  sur 
la  fertilité  de  la  terre,  Thôr  passait  pour  être  un  dieu  bienfaisant,  pro- 
tecteur, et  ami  des  agriculteurs.  Les  orages  n'ayant  lieu  qu'en  été,  Thôr, 
ainsi  que  le  Dieu  du  soleil ,  est  un  dieu  de  Vété,  et,  par  conséquent,  l'en- 


254  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

nemi  deslotnes  et  des  Thurses,  les  représentants  de  \'hiv€?\  Thôr  est  un 
dieu  anthropomorphe,  actif  et  vigoureux.  Ayant  hérité  de  quelques  attri- 
butions de  l'ancien  Dieu  du  soleil,  il  est,  dans  la  Mythologie  Scandinave, 
ce  qu'était,  dans  la  Mythologie  grecque,  Héraklès,  à  la  fois  Dieu  de  la 
foudre,  et  Dieu  du  soleil. 

Quand  Thôr  agit  en  sa  qualité  de  Dieu  du  Tonnerre,  il  est  censé  s'avan- 
cer sur  son  char,  auquel  sont  attelés  deux  Boucs;  et  ce  Char  représente  les 
nuages  orageux  qui  contiennent  la  foudre.  Lorsque  Thôr  est  en  activité ,  et, 
par  conséquent,  quand  il  est  sur  son  char,  il  est  appelé  Thôr-au-Char  ; 
car,  comme  le  roulement  du  tonnerre  ressemble  au  roulement  d'une  voiture, 
on  se  figurait  ce  dieu  ,  non  monté  à  cheval,  comme  les  autres  Jses  (voy. 
p.  224) ,  mais  s'avançant  sur  un  char.  Toutes  les  fois  que  Thôr  n'a  pas 
le  Char,  c'est-à-dire  qu'il  n'est  pas  en  fonction  comme  Dieu  du  tonnerre  y 
il  va  à  jpied.  Il  ne  possède  même  pas  de  cheval  ;  et  la  tradition  épique  en 
donne  pour  raison  qu'étant  le  plus  fort  des  Ases,  Thôr  serait  un  fardeau 
trop  lourd  pour  un  cheval.  En  imitation  de  ce  mythe  ,  la  tradition  épique 
postérieure  rapporte,  que  Hugleikr,  le  roi  des  Gautes,  était,  depuis  sa 
douzième  année,  trop  lourd  pour  un  cheval,  que  le  héros  Ecke  (voy. 
Ecken-aus/ahri)  Sillsiïi  à  pied,  pour  la  même  raison,  et  que  Rollon 
{Hrôd-ol/,  Rôl/,  M.Rolvo)  avait  le  surnom  de  Rol/-le-Marcheur  {norr. 
Gongu-Rôlf)^  parce  qu'il  ne  trouvait  pas  de  cheval  normand  assez  fort 
pour  le  porter.  Une  autre  raison  ep/i/we  pourquoi  T/idr  marche  à  pied , 
c'est  que ,  depuis  le  septième  siècle  de  notre  ère  ,  la  distinction  entre  les 
Nobles  et  les  Manants  s'étant  établie  en  Scandinavie,  ceux-là  allaient  de 
préférence  à  cheval,  et  ceux-ci  ordinairement  à  pied.  Aussi  Thôr,  le  Pro- 
tecteur des  manants  (norr.  bondar)^  et  des  serfs  (voy.  p.  253),  allait-il 
à  pied  comme  eux,  tandis  que  Odinn,  le  Dieu  des  larls  et  des  guerriers 
nobles,  chevauchait  sur  son  cheval  Sleipnir  (voy.  §  141). 

La  dénomination  de  Thôr-des-Ases  ne  paraît  pas  avoir  été ,  comme 
le  prétend i'norrz,  une  désignation  ordinaire  de  ce  dieu,  puisqu'elle  ne 
se  rencontre  qu'une  seule  fois  dans  les  anciens  chants  eddiques ,  à  sa- 
voir dans  la  50«  strophe  du  Chant  de  Harbard  (Harbardsliôd) ,  où  elle 
a  été  choisie  exprès  pour  dire ,  avec  ironie ,  que  la  force  divine  de  Thôr, 
bien  qu'il  soit  Ase,  ou,  bien  qu'il  soit  Thôr-des-Ases ,  peut  cependant 
être  bravée. 

l  91.  La  Demeure  de  Thôr.  —  Comme  les  nuages  orageux  se  forment 
dans  les  régions  situées  entre  le  ciel  et  la  terre ,  l'Endroit  qu'habite  Thôr 
ne  se  trouve  pas,  comme  les  autres  Demeures  des  dieux,  au  ciel,  dans 
VEnclos-des-Ases,  mais  en' dehors  de  cet  Enclos,  sur  de  hautes  mon- 
tagnes hercyniennes ,  entre  le  ciel  et  la  terre.  Mais,  bien  que  cette  de- 
meure ne  soit  pas  au  ciel,  elle  est  cependant  un  séjour  sacré.  Elle  est 
nommée  Séjour  d'Énergie  (Thrûdheim) ,  ou  Champs  d'Énergie  (norr. 
(  Thrûd-Vangar) ,  à  cause  de  l'énergie  ou  de  la  force  invincible  de  Thôr, 
qui  y  fait  sa  résidence.  La  Halle  que  Thôr  habite  dans  le  Séjour  d'É- 
nergie,  est  nommée  Éclair cit-Grain  (Bil-Skirnir) ,  parce  qu'elle  était, 
dans  l'origine,  le  symbole  du  nuage  orageux,  ou  du  grain,  d'où  sort  la 
foudre  qui  disperse  ou  éclaircit  le  grain.  D'après  les  Dits  de  Grimnir , 
il  v  a,  environ,  540  allées  á2J\%  Éclair  cit-Grain,  c'est-à-dire  qu'elles  sont 


NUMÉRO  (30)  (pages  97,  98);  thrûdheimr;  bilskirnir.     255 

au  nombre  de  539,  autant  qu'il  y  a  de  pointes  dans  la  Halle-des-Occis 
(voy.  p.  150).  En  général ,  dans  la  Mythologie,  les  édifices  célestes,  qui, 
par  leur  nature  ou  par  leur  destination ,  avaient  quelque  rapport  avec  les 
vents  et  leurs  directions  cardinales,  ont  été  figurés  sous  la  forme  de  po- 
lygones réguliers.  Ainsi  le  Hlid-skialf  (voy.  p.  240) ,  au  centre  duquel , 
quand  on  y  était  placé,  on  avait  vue  sur  tous  les  Séjours,  et  dans  toutes 
les  directions ,  était  une  chaumine  merveilleuse ,  polygone  ou  ronde,  ayant 
dans  son  pourtour  un  grand  nombre  d'ouvertures,  servant  à  la  fois  de 
portes  et  de  fenêtres,  et  correspondant  aux  points  cardinaux,  avec  leurs 
subdivisions.  Valhöll ,  la  demeure  á'Odinn,  l'ancien  Dieu  des  ^/•e^^í5  , 
et  Bilskirnir,  la  halle  ou  la  demeure  du  Dieu  du  tonnerre  et  des  orages, 
étaient  considérés  comme  des  palais  de  l'air  et  des  vents ,  ou  comme  des 
Rotondes,  dont  les  portes  correspondaient  aux  différentes  directions  de 
la  rose  des  vents.  Dans  la  géographie  mythologique,  avant  le  troisième 
siècle,  on  ne  distingua  d'abord,  généralement,  que  deux  points  cardi- 
naux, savoir  le  lever ,  et  le  coucher  du  soleil;  le  midi  était  rapporté  à 
l'orient,  et  le  septentrion  à  l'occident  (voy.  Les  Gètes ,  p.  8).  Plus  tard,  on 
distingua,  dans  la  Mythologie  Scandinave ,  quatre  points  cardinaux,  mar- 
qués par  les  quatre  Dvergs,  Austri,  Vestri,  Nordri  et  Sudri  (v.  p.  84). 
D'après  cela ,  on  s'attendrait  à  ce  que  le  nombre  des  portes  de  la  Rotonde 
céleste ,  ou  le  nombre  des  directions  du  vent ,  comme  subdivisions  des 
quatre  points  cardinaux ,  fût  un  multiple  de  quatre.  Mais  la  Mythologie 
Scandinave,  conservant,  à  ce  sujet,  le  souvenir  d'anciens  mythes  asia- 
tiques, a  maintenu,  en  ce  qui  concerne  les  vents,  l'ancienne  division 
septénaire.  C'est  que,  déjà  dans  le  huitième  siècle  avant  notre  ère  ,  le 
nombre  sept,  c'est-à-dire  l'unité  flanquée ,  ou  accompagnée  à  droite  et  à 
gauche,  du  nombre  ternaire,  (3-HI+3),  comme  un  monarque  ayant,  à 
sa  droite  et  à  sa  gauche ,  trois  ministres,  passait ,  chez  la  plupart  des  peu- 
ples de  l'Asie  occidentale  et  méridionale,  pour  un  nombre  sacre  (voy. 
p.  151).  Voilà  pourquoi  les  Hindous  donnaient  à  la  terre  la  forme  hepta- 
gone,  et  la  disaient  composée  de  sept\\t?>  (sansc.  dvipas)  ;  ils  admet- 
taient, par  conséquent,  aussi  sept  directions  principales,  et  sejai  vents 
ou  points  cardinaux.  Aussi  les  Marouias  (cf.  lat.  Mavortes ,  Tempêtes), 
qui  sont  les  Personnifications  des  vents,  ne  figurent  jamais,  dans  les  ou- 
vrages sanscrits ,  qu'au  nombre  de  sept,  ou  de  septM%  sept.  Cette  division 
septénaire  des  Vents  et  des  directions ,  fut  également  adoptée  ou  main- 
tenue ,  dans  plusieurs  mythes  Scandinaves ,  qui  se  sont  formés  vers  le 
troisième  siècle  de  notre  ère.  C'est  ainsi  que,  pour  exprimer  l'idée  géné- 
rale d'un  grand  nombre,  en  fait  de  directions  ou  de  vents ,  la  Mythologie 
a  employé  le  nombre  de  7  X  77,  c'est-à-dire  de  539.  C'est  ce  nombre, 
que  la  Mythologie  Scandinave  a  assigné  aux  portes  de  Valhöll,  ainsi 
qu'aux  allées  (voy.  p.  150)  de  Bilskirnir,  et  elle  a  énoncé  ce  nombre 
d'une  manière  énigmatique ,  suivant  l'habitude  des  mythes  Scandinaves 
de  la  période  postérieure  (voy.  Les  Chants  de  Soi,  p.  1 59),  en  disant  que  ces 
portes  et  ces  allées  sont  au  nombre  de  cinq  cents ,  plus  environ  (ou  pres- 
çwe)quatre  dizaines  [s.Dits  c?eG/'mm>,strophe24).i>io/'r/,  qui  ne  savait 
pas  s'expliquer  l'expression  énigmatique  de  environ  quatre  dizaines,  l'a 
prise  purement  et  simplement  comme  ne  signifiant  que  quatre  dizaines. 


256  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

§  92.  Les  Boucs  de  Thôr.  —  Les  Boucs  qui  traînent  le  Char  de  Thôr 
sont  les  symboles  des  vents  brusques  et  violents ,  qui  amènent  les  nuages 
orageux.  En  général,  la  Mythologie  a  symbolisé,  par  le  bouc  (norr.  buckr, 
heurtant;  cLldX.piignus,  poing;  pugna,  combat),  X^coup  de  vent  brusque 
et  violent;  d'autant  plus  que  ces  coups  de  vent  sont  aussi  subits  et  ca- 
pricieux que  les  bonds  et  les  coups  de  corne  des  boucs.  Aussi  les  bour- 
rasques qui  s'élèvent  fréquemment  et  à  l'improviste  dans  les  montagnes 
de  l'Arcadie,  ont-elles  été,  dans  la  Mythologie  grecque,  personnifiées 
dans  le  dieu  Pân,  qu'on  se  représentait  sous  la  forme  d'un  bouc,  et  dont 
le  nom,  dérivé  et  contracté  de  Païan  {p.Pavians,  Heurtant;  cf.  lat.joa- 
vio,  frapper),  désignait  également  bien  le  vent  qui  frappe,  et  le  bouc 
donnant  des  coups  de  corne.  C'est,  comme  Personnification  des  coups 
de  vent,  que  le  dieu  Pân  est  dit  être  l'Amant  de  l'Écho  (qui  répond  aux 
coups  d'air  ou  de  vent),  et  qu'iiioue  du  Syrinx,  instrument  à  vent ,  sym- 
bole des  cavernes  (gr.  suringes)  de  l'Arcadie,  qui  retentissaient,  lorsque 
les  bourrasques  venaient  s'y  engouffrer.  Comme  les  coups  de  vents  brus- 
ques et  violents  ont  de  l'analogie  avec  les  coups  d'épouvante  ou  de  peur 
subite  (cf.  \2X.pavor,  peur,  d^paveo,  être  heurté  ^frappé) ,  le  dieu  Pân 
était  aussi  l'auteur  de  ce  qu'on  appelait,  d'après  lui,  la  terreur  panique. 
Les  anciens  guerriers  grecs  tâchaient  d'inspirer  à  leurs  ennemis  cette 
panique,  en  poussant  un  cri  de  guerre  subit  et  violent,  qu'on  appelait, 
pour  cette  raison ,  \Çi  frappement  (gr.  païan  p.  pavian)^  et  qui ,  avant  de 
désigner  un  Péan  ou  chant  religieux,  n'était  autre  chose,  dans  l'origine, 
qu'un  hourra!  ^  qu'un  cri  de  guerre,  ou  un  chant  guerrier.  Les  Latins  se 
figuraient,  également^  comme  des  6owc5,  lesFaunes,  qui  étaient  les  per- 
sonnifications des  vents;  csly Faunus  signifie,  originairement,  Soujffleur 
(sansc.  pavanas,  vent) ,  et  c'est  de  Faunus ,  plutôt  que  de  son  dérivé , 
Favonius^  que  provient  le  nom  du  Fœn,  de  ce  vent  chaud,  violent  et  brusque, 
qui,  à  certaines  époques  de  l'année,  souffle  dans  quelques  vallées  de  la 
Suisse.  Les  Boucs  de  Thôr  sont  nommés  Croque-Dent  et  Grince-Dent; 
ces  noms  n'ont  pas  de  signification  symbolique,  par  rapport  aux  attribu- 
tions spéciales  de  ces  boucs;  ce  sont  des  noms  épiques,  métaphoriques, 
ou  poétiques,  qui  désignent  le  bouc  en  général,  parce  que  cette  espèce 
d'animaux,  en  mangeant  et  en  ruminant,  croque  et  grince  les  dents. 

l  93.  Le  Marteau  de  Thôr  ;  ses  Gantelets  de  fer  ;  et  sa  Ceinture  de  Force. 
—  Les  ancêtres  des  Scandinaves ,  ainsi  que  d'autres  peuples  de  l'Antiquité , 
prenaient  les  bétyles ,  les  aérolithes ,  et  les  tubes  nommées  fulgurite s  , 
pour  des  foudres,  qui  avaient  été  lancées,  dans  les  orages,  et  qui  ensuite 
s'étaient  refroidies.  C'est  pourquoi  on  s'imaginait  que  Thôr,  le  Dieu  de 
la  foudre  ,  lançait  des  aérolithes ,  ou  des  pierres  ferrugineuses  incandes- 
centes (cf.  norr.  iarn-sia  glôandi,  éclat  de  fer  incandescent).  Or,  dans 
l'Antiquité ,  on  se  servait  de  la  pierre ,  en  guise  de  marteau ,  au  point  que, 
dans  les  langues  goto-germaniques,  le  mot  pierre  {hamar)  signifiait 
également  marteau  (ail.  hammer)\  et ,  comme  les  aérolithes  avaient , 
pour  la  plupart  déjà,  la  forme  conique  de  cet  instrument ,  l'idée  s'établit 
facilement  que  Thôr  était  muni  d'un  marteau.  Chez  les  peuples  germa- 
niques et  Scandinaves  ,  le  marteau  n'était  pas  seulement  un  instrument 
pour  marteler,  c'était  aussi,  comme  la  pierre  dont  il  était  fait,  un  joro- 


N"  (30)  (p.  98)  ;  LE  MARTEAU  DE  THÔR  ;  LA  CEINTURE  DE  FORCE.  257 

jectile,  de  sorte  que,  dans  tous  les  usages  symboliques  et  juridiques 
(cf.  Grimm,  Rechtsalterthumer)^  où  il  fallait  employer  un  projectile, 
au  lieu  de  la  pierre  brute  ou  non  façonnée ,  dont  on  s'était  servi  primiti- 
vement ,  on  se  servait  d'une  pierre ,  plus  ou  moins  bien  façonnée ,  en  guise 
de  marteau,  et  même  d'un  marteau  proprement  dit,  ou  d'une  masse  de  fer, 
à  laquelle  on  avait  donné  la  forme  convenable  de  cet  instrument.  Aussi 
le  marteau  attribué  à  r/idr  est-il  essentiellement  un  projectile,  car  il 
représente  \sî  foudre,  qui  est  lancée  au  loin  du  sein  des  nuages  orageux. 
Mais  comme  la  foudre  fracasse  tout  ce  qu'elle  atteint,  le  marteau  de  Thôr 
est  aussi  un  instrument  contondant,  et ,  comme  tel ,  il  est  nommé  Meu- 
nier (norr.  Miollnir),  parce  qu'il  broie  ou  moud,  en  quelque  sorte,  ce 
qu'il  frappe.  Dans  l'Antiquité,  le  marteau  était  également  une  arme,  et 
c'est  pourquoi  Thôr  se  sert  de  son  Meunier  pour  lutter  contre  ses  en- 
nemis ,  {&?>  Raide s- Givreux,  et  les  Géants-des-Montagnes.  Le  Meunier 
de  Thôr  a  une  vertu  magique  particulière.  Semblable  à  l'épée  du  demi- 
dieu  hindou  Jrdju7ias ,  laquelle  ,  sans  être  brandie ,  frappe  d'elle- 
même,  à  volonté,  les  ennemis,  le  marteau  de  Thôr  revient  aussi,  de 
lui-même ,  dans  la  main  du  Dieu ,  après  avoir  frappé  l'objet ,  sur  lequel  il  a 
été  lancé.  Le  marteau,  comme  projectile,  comme  instrument  contusif,  et 
comme  arme,  devait  avoir  un  manche,  afin  qu'on  pût  le  saisir  et  le  bran- 
dir, soit  pour  frapper,  soit  pour  le  lancer.  On  était  étonné  de  ne  pas 
trouver  de  manche  aux  aérolithes,  qu'on  considérait  comme  des  marteaux 
de  Thôr.  Aussi  la  Mythologie  ,  pour  donner  quelque  raison  plausible  de 
ce  qu'elle  considère  comme  un  défaut  dans  Miölnir,  raconte -t- elle 
(voy.  Snorra  Edda,  p.  131),  que,  lorsque  les  Dvergs  Sindri  (Exsudé; 
cf.  lith.  gintaras,  succin)  elBrock  (cf.  goth.  bruks ,  utile),  les  fils  á'Ivald 
(cf.  ail.  É-wald;  lat.  indu-strius)  fabriquèrent  \eMeÛ7iier,  ce  marteau, 
par  la  négligence  de  l'un  d'eux ,  eut  le  défaut  d'avoir  le  manche  trop 
court.  Thôr,  par  conséquent,  ne  pouvant  pas  brandir  le  Meunier  en  le 
tenant  par  le  manche,  était  obligé  de  le  lancer,  chaque  fois,  des  deux 
mains ,  comme  une  grosse  pierre.  Mais  comme  le  Meunier,  symbole  du 
coup  de  foudre,  est  supposé  incandescent,  pour  que  Thôr  ne  se  brûle 
pas  les  mains,  la  Mythologie  lui  attribue  une  paire  de  Gantelets  de  fer, 
à  peu  près  comme  les  Chevaux  de  Soi  ont,  en  croupe,  le  bouclier  nommé 
Rafraîchissant  {norr.  Svalin)^  elle  Fer  Réfrigérant,  entre  les  épaules, 
(voy.  p.  203),  pour  se  garantir  des  ardeurs  du  soleil,  ou  bien  comme 
l'Ase  Fidâr  a  un  Soulier  Épais  (voy.  p.  1 02) ,  afin  de  ne  pas  se  brûler 
le  pied  lorsqu'il  devra  le  placer  dans  la  gueule  du  Loup  de  Fenrir  ter- 
rassé (voy.  p.  135.). 

On  savait  par  expérience  qu'une  ceinture ,  médiocrement  serrée  autour 
du  corps ,  augmentait  l'agilité  et  la  force  de  ceux  qui  se  livraient  à  des 
exercices  ou  efforts  violents.  C'est  pourquoi  la  Mythologie,  dès  le  troi- 
sième siècle  de  notre  ère ,  attribue  aussi  une  ceinture  à  Thôr,  lequel , 
dans  certaines  occasions ,  est  obligé  de  faire  de  grands  efforts,  pour  lancer, 
bien  loin  et  bien  fort,  le  Meunier  sur  ses  ennemis.  Cette  ceinture  porte 
le  nom  de  Ceinture- de- For  ce ,  parce  qu'elle  possède  la  vertu  magique 
ou  surnaturelle  d'augmenter  du  double  la/o/-ce  d'Ase  (norr.  âs-megin), 
ou  la  force  divine ,  déjà  si  grande,  de  l'Ase  Thôr. 

17 


258  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

(31)  baldur;  niördur;  skadi;  freyr;  et  freyia. 
§  94.  Baldur ,  dédoublement  et  héritier  du  dieu  Soleil.  —  Le  soleil , 
comme  corps  céleste ,  était  considéré  ,  dans  l'origine  (vers  3000  environ 
avant  notre  ère) ,  seulement  comme  une  partie  intégrante ,  ou  comme  un 
ornement  du  dieu  Ciel  {Tivus;  Svat).  Dans  la  suite,  environ  vers  2500 
avant  r.-Ch. ,  il  ne  fut  plus  seulement  considéré  comme  partie  intégrante 
de  Ciel,  il  fut  aussi  adoré  comme  lui,  et  adoré  comme  une  divinité  dis- 
tincte du  dieu  Ciel.  Comme  le  soleil  se  mouvait  sur  la  voûte  céleste ,  on 
lui  donna  le  nom  de  Céleste  (scythe  Svalius).  Lorsque  le  soleil  fut  adoré 
comme  une  divinité  distincte  de  Ciel,  il  fut  conçu  comme  une  divinité 
zoomorphe.  Plus  tard  (environ  vers  1500  avant  J.-Ch.),  Svalius  (Soleil) 
devint  un  dieu  anthropomorphe,  présidant  à  Tastre  du  soleil  zoomorphe , 
et  il  eut  les  noms  épithétiques  de  Prompt  à  la  Chasse  (scythe  Vaîtu- 
skurus)  ^  et  à^^  Brillant  par  la  Targe  (scythe  Targi-tavus).  Comme 
Père  de  la  nation  scythe,  le  Dieu  du  soleil  était  aussi  V^miei  le  Protec- 
teur de  ce  peuple,  et  portait,  par  conséquent,  le  nom  épithétique  de 
Garde  du  Peuple  (scythe  Tavit-varus)^  et  de  Seigneur  (scythe  Pravus); 
il  fut ,  de  plus ,  considéré  comme  l'auteur  de  toute  richesse ,  et  de  tout  bien. 
Comme  source  de  Lumière ,  et  de  Chaleur,  et  de  l'Enthousiasme ,  le  Dieu  du 
Soleil,  chez  les  Scythes,  était  aussi  le  Dieu  de  l'Intelligence,  de  la  Vision, 
de  l'Inspiration,  et  de  la  Divination.  Le  culte  du  Dieu  du  soleil ,  ainsi  que 
les  mythes  et  les  attributions  de  ce  dieu  ,  passèrent  de  la  religion  des 
Scythes  dans  celle  des  peuples  de  la  branche  gète;  mais  ils  y  subirent  de 
grandes  modifications ,  par  suite  de  l'influence  qu'exercèrent  sur  ces  peu- 
ples le  culte  et  les  mythes  du  Soleil,  tels  qu'ils  existaient  dans  la  religion 
des  Kimméro-Thrâkes,  avec  lesquels  lesGètes,  les  descendants  des 
Scythes ,  étaient  entrés  en  rapport  direct.  Les  Dieux-solaires ,  s'étant 
dédoublés  du  Dieu  du  Soleil ,  se  séparèrent  de  plus  en  plus  de  l'astre  du 
soleil,  auquel  dès  lors  fut  préposée  la  Déesse  Soi  (voy.  p. 201).  Lorsque 
la  Déesse  Soi  eut  remplacé  l'ancien  Dieu  du  Soleil ,  les  attributions  de  ce 
dieu ,  ainsi  que  les  mythes  se  rapportant  au  soleil  considéré  comme  astre, 
se  conservèrent  dans  la  tradition ,  et  furent  rapportés,  les  uns  à  la  déesse 
Soi ,  les  autres  aux  dieux  et  héros  épiques,  qui  étaient  les  héritiers  et  les 
dédoublements  de  l'ancien  Dieu  du  Soleil.  Parmi  ces  héritiers  et  dédou- 
blements, il  faut  surtout  distinguer  le àieu B a Ithus  (Force,  Distinction; 
norr.  baldur,  force,  courage),  ou  Balthags  (Doué  de  force;  cf.  anglos. 
Bâldâg) ,  dont  le  nom  avait  été  un  des  noms  épithétiques  de  l'ancien  Dieu 
du  soleil.  De  même  que  Targitavus  avait  été  le  Père  de  la  nation  scythe, 
de  même  ses  héritiers  et  dédoublements ,  le  dieu-héros  J7nal  [Fort;  cf. 
norr.  JJÎ).,  et  le  dieu  Balthus  passaient ,  le  premier,  pour  le  Père  éponyme 
de  la  famille  noble  des  Jmales ,  chez  les  Austro-Gotes ,  et  le  second ,  pour 
le  Père  éponyme  de  la  famille  noble  des  Balthes ,  chez  les  Yisi-Gotes. 
Environ  au  premier  siècle  de  notre  ère ,  le  dieu  Balthus  passa  dans  la 
Mythologie  Scandinave,  et  prit  le  nom  de  Baldur.  Déjà  à  cette  époque  on 
ne  savait  plus  qu'il  était  l'héritier  du  Dieu  du  soleil,  ou  que  son  origine 
était  entièrement  solaire.  Aussi  Baldurw' di-i-W  jamais  été  l'objet  d'un  culte 
populaire,  ni  très-répandu  chez  les  peuples  de  la  branche  gète,  comme 
l'ont  été ,  par  exemple ,  Odinn ,  Freyr,  et  Thôr.  Mais  le  cycle  mythico- 


NUMÉRO  (31)  (page  98);  BALDUR.  259 

épique  de  Baldur  est  du  moins  aussi  étendu  que  celui  de  Freyr,  et  même 
aussi  populaire  que  celui  de  Thôr.  Baldur  occupe  donc  plus  de  place 
dans  le  mythe  ou  la  tradition ,  que  dans  le  culte,  et  dans  la  religion.  Bien 
que  le  fond  primitif  des  mythes  de  J?a/</t</" remonte,  en  partie,  aussi  haut 
que  le  culte  de  Targitavus,  chez  les  peuples  scythes,  cependant  ces 
mythes  ne  se  sont  formulés,  et  n'ont  été  rattachés  spécialement  à  Baldur, 
qu'à  commencer  du  troisième  siècle  de  notre  ère.  Ces  mythes  ne  s'expli- 
quent que  quand  on  se  rappelle  que  Baldur,  ou  plutôt  son  prédécesseur 
Balthus,  était  une  spécialisation  du  soleil,  savoir  le  Soleil  estival,  comme 
le  prédécesseur  de  HeimdalléXdXi  le  So\e\\  j)rintannîer ,  comme  celui  de 
Hödur  était  le  Soleil  automnal,  et  celui  de  Vali,  le  Soleil  hivernal. 

Les  mythes  sur  5a/i^2<5  se  sont  développés  principalement  à  l'époque 
où  les  peuples  de  la  branche  gète  se  furent  établis  dans  le  climat  froid  du 
Nord  de  l'Europe  ;  car  alors ,  .plus  que  pendant  leur  séjour  dans  l'Asie 
et  dans  l'Europe  méridionales ,  leur  attention  a  dû  se  porter  sur  l'excel- 
lence et  les  bienfaits  du  Soleil  d'été.  Ces  mythes  se  sont  encore  plus  dé- 
veloppés à  l'époque  où  les  peuples  de  la  branche  gète  ont  été  en  rapport 
avec  les  peuples  keltiques  des  contrées  appelées  plus  tard  la  Germanie  ; 
car  c'est  probablement  à  l'influence  de  ces  peuples,  qu'il  faut  attribuer  ces 
idées  morales  de  pureté ,  de  sainteté ,  et  cette  physionomie  sacerdotale,  et 
tant  soit  "p^M  féminine,  qui  caractérisent  les  mythes  de  Baldur,  et  qui 
sont  étrangères  au  génie  mâle ,  et  au  caractère  essentiellement  laïque,  des 
Germains  et  des  Scandinaves. 

Dans  la  pensée,  et  dans  les  langues  des  peuples  iafétiques ,  l'expression 
de  brillant  servait  aussi  à  désigner  l'idée  plus  métaphysique  de  beatité. 
Aussi  Baldur  est-il  représenté  comme  éclatant  de  blancheur  ,  c'est-à- 
dire  de  beauté;  et  suivant  la  tradition  populaire  ,  rapportée  par  Síiorri , 
il  n'y  a  qu'une  seule  plante  qui  puisse  rivaliser  de  blancheur  avec  Baldur, 
c'est  la  camomille  matricaire ,  nommée ,  dans  le  Nord ,  et  principalement 
en  Islande ,  le  Sourcil  de  Baldur.  La  blancheur  est  ensuite  le  signe,  le 
symbole ,  et  l'expression  de  la  pureté  ou  de  la  sainteté  (v.  p.  237),  comme 
la  beauté  physique  est,  d'après  les  peuples  iafétiques,  l'indice  de  la  bonté 
morale  (voy.p.  i83).  Aussi  Baldur  &si-\\  représenté  comme  le  plus  saint, 
le  meilleur ,  le  plus  aimable,  et  le  plus  clément  des  yises.  Il  habite 
Large-Éclat  (voy.  p.  239),  le  Séjour  le  plus  brillant,  et  le  plus  pur,  et  le 
plus  saint.  Enfin,  comme  Baldur  est  l'héritier  et  le  dédoublement  du 
Dieu  du  soleil,  qui  était  également  le  Dieu  de  l'Intelligence ,  et  de  l'Art ,  et 
comme  à  une  belle  âme  doit  être  assorti  un  esprit  distingué ,  qui ,  selon 
les  idées  des  Normands ,  se  manifestait  principalement  par  la  Sagesse,  et 
le  don  de  la  parole,  Baldur,  de  même  que  Apollon  chez  les  Grecs,  pas- 
sait à  la  fois  pour  le  plus  sage,  le  plus  discret,  et  le  ]^\us  persuasif  des 
Dieux.  Mais  malgré  ces  brillantes  et  touchantes  qualités,  Baldur,  le 
symbole  du  Soleil  estival,  devra  mourir,  jeune  encore,  en  automne; 
semblable,  en  cela,  kJdotiis,  kAchilleus ,  k  Hippolytos ,  eikSigfrid, 
il  est  condamné ,  irrévocablement,  par  la  dure  Destinée  (norr.  urlag,  voy. 
p.  232) ,  à  périr  de  mort  violente ,  à  \2i  fleur  de  l'âge. 

Baldur  est  le  fils  des  Divinités  suprêmes ,  Odinn  et  Frigg ,  de  la  même 
manière  que  son  prototype  Targitavus,  le  Dieu  du  soleil,  était  le  fils 


260  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

des  dieux  suprêmes ,  Tivus  et  Apia.  Si  Snorri  dit  que  Baldur  est  le 
second  fils  á'Odinn,  cela  ne  signifie  pas  que  la  Mythologie  considère 
Thô7'  comme  l'aîné,  et  Baldur  comme  le  puîné  ;  cela  signifie  seulement 
que,  parmi  les  i\\s  A'Odinn,  Snorri  croit  devoir  assigner  \^  premier 
rang  ,  non  à  Baldur,  mais  à  Thôr,  comme  à  l'ancienne  divinité  princi- 
pale des  Norvégiens  et  des  Islandais,  et  comme  au  plus  distingué  parmi 
les  Ases,  par  sa  force  et  son  énergie. 

§  95.  Niördur ,  dédoublement  et  héritier  du  dieu  Ciel.  —  Vers  l'an 
2500  avant  notre  ère ,  les  peuples  iafétiques ,  non  encore  séparés  les  uns 
des  autres ,  voyant  que  les  sources  et  les  cours  d'eau  étaient  alimentés 
par  les  pluies  tombant  du  ciel ,  en  conclurent  que  les  eaux  terrestres  pro- 
venaient toutes  du  ciel.  Aussi  ces  eaux  passaient-elles  pour  un  don  fait 
aux  hommes  par  le  dieu  Ciel.  Par  leur  origine,  les  eaux  étaient  donc 
célestes,  et  par  conséquent  pures,  et  sacrées.  Ce  n'est  qu'après  s'être 
séparées  les  unes  des  autres,  que  les  nations  primitives,  de  la  souche  ia- 
/étique,  ont  imaginé,  et  établi  dans  leurs  Mythologies  respectives,  des  Divi- 
nités particulières  pour  présider  aux  Eaux.  Aussi  faut-il  considérer  toutes 
ces  divinités  comme  des  dédoublements  ou  spécialisations  du  Dieu  primitif 
anthropomorphe  Ciel,  envisagé  comme  Dieu  de  îa  Pluie.  Aux  yeux  des 
Scythes,  peuple  pasteur  et  nomade,  les  sources,  où  s'abreuvaient  leurs 
troupeaux ,  passaient  naturellement  pour  une  richesse ,  un  bienfait  du 
ciel ,  et ,  dans  la  suite ,  pour  les  symboles  du  Bien-être,  et  de  l'Abondance. 
De  même  que  le  Feu  sur  la  terre  était  considéré  comme  tirant  son  origine 
du  Feu  céleste,  soit  de  la  Foudre,  soit  du  Soleil ,  de  même  aussi  les  sources 
et  les  cours  d'eau  passaient  pour  avoir  une  origine  céleste ,  et  pour  être 
alimentés  par  les  nuages,  ou  les  pluies  du  ciel.  Aussi ,  dans  l'origine,  le 
dieu  Ciel  (scythe  Tivus)  était-il  également  adoré  en  qualité  de  Dieu  des 
Eaux  (cf  gr.  Ouranos,  Ciel,  et  sansc.  Varounas ,  Dieu  des  Eaux). 
Comme  les  pluies  tombent  du  ciel ,  non  pas  quand  il  est  brillant,  mais 
lorsqu'il  est  chargé  de  nuages,  le  dieu  Ciel  devint  le  Dieu  des  Eaux,  non 
sous  le  nom  de  Brillant  (scythe  Tivus).,  mais ,  comme  Dieu  de  l'Orage ,  sous 
celui  de  Aime-Pluie  (scythe  Pirkunis).  Cependant ^  comme  les  pluies  et 
les  rosées  tombent  souvent  sans  qu'il  y  ait  des  orages ,  le  Dieu  des  Eaux 
se  détacha  de  Pirkunis ,  comme  Pirkunis  s'était  détaché  de  Tivus  (voy. 
p.  %M)'.  Il  y  eut  dès  lors  une  divinité  spéciale,  présidant  aux  Eaux;  et 
comme  elle  passait  pour  être  la  Source  céleste  des  Eaux  terrestres,  on 
la  désignait  aussi  par  un  nom  signifiant  Source.  Or,  la  source  étant 
quelque  oho^Q  Aq  frémissant ,  à' effervescent ,  di^ jaillissant,  le  nom  de 
Frindus  qui,  en  langue  scythe,  signiûaiitj aillissatit ,  devint  le  nom  du 
Dieu  des  Eaux  (voy.  Les  Gètes ,  p.  237).  Comme  le  dieu  Frindus  s'est 
formé  par  le  dédoublement  de  Pirkunis^  à  une  époque  où  ce  dieu  était 
déjà  adoré  comme  dieu  anthropomorphe ,  Jaillissant  fut  également 
considéré  comme  un  dieu  anthropomorphe,  résidant  dans  le  ciel,  et  pré- 
sidant aux  nuages ,  sources  des  Eaux  terrestres.  Les  peuples  encore  pas- 
teurs, tels  que  les  Scythes,  comparaient  les  noirs  nuages  à  un  troupeau 
de  bétail  noir.  La  pluie  qui  tombait  de  ces  nuages ,  qui  alimentait  les 
sources ,  et  abreuvait  ainsi  la  terre ,  les  hommes,  et  les  animaux ,  fut  assi- 
milée au  /a2Ï  (sansc.  payas,  boisson  ,  lait)  que- donnait  le  bétail  céleste. 


NUMÉRO  (31)  (page  98);   NIÖRDUR.  26i 

Ensuite  comme,  dans  le  langage  symbolique  des  peuples  de  l'Antiquité, 
l'eau  jaillissante,  et  les  rayons  de  lait,  étaient  aussi  remblème  du  sperme 
fécondateur,  et  que,  d'ailleurs,  l'idée  de  source  réveillait  naturellement 
celle  d'origine,  et  de  génération,  le  dieu  Vrindus ,  présidant  aux  nuages 
pluvieux,  c'est-à-dire  aux  taureaux  fécondateurs ,  et  aux  vaches  laitières 
du  ciel ,  fut  aussi  préposé  à  la  Génération  ou  à  la  Fécondation,  considérée 
tant  par  rapport  à  la  terre,  que  par  rapport  aux  hommes ,  et  aux  animaux. 
Les  taureaux  et  les  vaches  devinrent  dès  lors  aussi  les  animaux  consacrés 
à  Vrindus,  et  furent  même  désignés  eux-mêmes  par  le  nom  de  vrindus 
(cf.  vieux  h.  ail.  rindur,  bétail),  qui  fut  pris  d'abord  dans  le  sens  de 
héiîkW fécondateur,  om  fécondé. 

Le  dieu  Vrindus  passa,  de  la  religion  des  Scythes ,  dans  celle  des  peu- 
ples de  la  branche  sarmate,  et  de  la  branche  gète.  Les  peuples  sarmates 
changèrent,  par  métathèse ,  le  nonj  de  Vrindus  en  Vnirdus,  qui ,  plus  tard, 
chez  les  anciens  i'/ares,  fut  changé  en  celui  deNirthus.  Chez  les  peuples 
de  la  branche  gète,  Vrindus,  le  Dieu  des  Eaux ,  de  la  Fécondité ,  et  de 
.  l'Abondance ,  prit  le  nom  épithétique  de  Chagmiis  (Utile ,  Agréable  ;  norr. 
Högni,  Hœnir).,  ou  de  F272  (Agréable)  ;  et  ces  deux  noms ,  le  premier  sur- 
tout ,  prirent  le  dessus  sur  celui  de  Vrindus ,  qui  disparut  ainsi  de  la 
Mythologie  des  Gètes,  et  ne  fut  pas  transmis^  par  ceux-ci ,  à  leurs  descen- 
dants les  Germains  et  les  Scandinaves.  Les  noms  de  Chagunis  et  de  Vili, 
qui  avaient  été  substitués  au  nom  de  Rindus^  se  retrouvent  dans  la  My- 
thologie Scandinave .,  sous  la  forme  de  Högni,  de  Hœnir ,  et  de  Vili; 
mais  le  dieu  Vrindus  n'y  figure  point  sous  le  nom  de  Rindur  (correspon- 
dant à  celui  de  Frmí/w^),  il  y  figure  sous  la  dénomination  deNiördr.  C'est 
que  les  Scandinaves,  et  principalement  X^sSvîes,  qui  avaient  été  longtemps 
en  rapport  avec  les  Slaves ,  adoptèrent  de  ceux-ci  ce  dieu ,  sous  son  nom 
slave  de  Nirdus.  Nirdus  passa  ainsi  dans  la  Mythologie  norraine,  sous 
le  nom  de  Niördr.^  au  lieu  de  celui  de  Rindur;  et  Niördr  y  fut  dès  lors 
substitué  au  dieu  Hœnir ^  dont  l'ancien  nom  Chagunis  avait  remplacé , 
chez  les  Gètes ,  celui  de  Vrindus.  Cette  substitution  de  Niördr  à  Hœ- 
nir^  dans  la  Mythologie  Scandinave ,  est  exprimée  dans  un  mythe,  qui  dit 
que  les  Ases  (Scandinaves) ,  pour  faire  la  paix  avec  les  Vanes  (Slaves) , 
échangèrent  l'Ase  Hœnir  contre  le  dieu  vane  Niördr.  Hagunis ,  ayant 
été  remplacé  dans  le  culte  par  Niördur^  tomba  au  rang  d'une  simple  di- 
vinité mythologique,  qui,  n'existant  plus  que  dans  la  tradition,  perdit, 
de  plus  en  plus,  l'importance  qu'elle  avait  eu  primitivement  dans  le  culte. 
Hagunis ,  sous  le  nom  de  Högni,  devint  un  personnage  épico-mytho- 
logique,  et  Hœnir  figura  dans  quelques  mythes  anciens,  dont  la  plupart 
sont  devenus ,  dès  le  second  siècle  de  notre  ère ,  inintelligibles  et  obscurs 
au  peuple  norrain.  Niördur  prit ,  dans  la  Mythologie  norraine ,  les  an- 
ciennes attributions  de  Vrindus  ou  de  Hagunis,  comme  dieu  des  Sources 
et  des  Eaux  ;  il  présidait  à  la  Pêche ,  à  la  Navigation,  et,  par  suite,  au  Com- 
merce ,  et  c'est  aussi  paria  pêche  et  le  commerce  qu'il  donnait  la  Richesse  et 
la  Pcopriété.  Comme  Dieu  de  la  Navigation,  il  modérait  la  Mer,  et  les  Vents, 
et ,  comme  Dieu  des  Eaux,  il  tempérait  la  puissance  du  Feu.  Plus  tard , 
Niördr  fut  principalement  considéré  comme  le  dieu  qui  procure  le  Bien- 
être,  la  Nourriture,  l'Abondance,  et  les  Bienfaits  qui  résultent  des  travaux 


262  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPETUEL. 

de  la  Paix.  Aussi  fut-il  surnommé  le  Riche  (voy.  Chants  de  Sol,  p.  122), 
et  les  clercs  érudits  du  Moyen  âge  Tont-ils  comparé  à  ó'aíwryze,  le  Dieu 
de  l'Age  d'or.  Comme  le  septième  jour  ou  le  Samedi  (bas-lat.  Sabati  dies) 
était  consacré ,  chez  les  Romains ,  à  Saturne ,  les  peuples  germaniques  le 
consacrèrent  à  JSiördr;  mais ,  au  lieu  de  nommer  ce  jour  d'après  ce  dieu, 
ils  le  nommèrent/owr  de  Saturne  (cf.  angl.  Saturday)^  on  Jour  de  Lavage 
(norr.  laugar-dagr,  dan.  löverdag,  suèd.  lördag)^  parce  qu'on  y  la- 
vait ou  purifiait  \es  objets  de  la  maison,  en  l'honneur  du  dieu  des  Eaux. 
La  Demeure  de  Niördr,  au  ciel,  porte  le  nom  de  Enclos- du-Nocher 
(norr.  Nôa-tU7i)\  c'était  probablement,  dans  l'origine,  une  Constellation 
propice  aux  pêcheurs ,  et  qui  était  placée  un  peu  au-dessus  de  l'horizon  , 
du  côté  de  la  mer.  Lq Nocher  {mvv Nôi)  était,  sans  doute,  quelque  per- 
sonnage mythologique,  peut-être  Ber-Gelmir,  métamorphosé  en  astre, 
et  transporté  au  ciel  (voy.  p.  188).  Niördur  est  l'époux  de  Skadi ,  et  le 
Père  de  Freyr  et  de  Freyia. 

%  96.  Skadi ,  héritière  de  la  Déesse  Vrindus.  —  Le  nom  scythe  de 
Vrindus  (Source) ,  en  tant  qu'il  signifiait  Jaillissant ,  était  d'abord  seu- 
lement du  genre  masculin;  mais,  en  prenant  encore  la  signification  tro- 
pique A' Origine,  il  devint  aussi  du  genre  féminin  (cf.  ail.  der  qvell,  die 
qvelle.  Le  nom  de  Frindus  étant  dès  lors  à  la  fois  masculin  et  féminin , 
on  associa  également ,  en  Mythologie ,  au  dieu  Vrindus ,  une  déesse  du  nom 
ùe  Vrindus,  et  qui  personnifiait  en  elle  la  qualité  (sansc.  çakti^  énergie) 
de  son  époux.  Les  Grecs,  en  citant  le  nom  de  la  déesse  Vrindus,  lui 
donnaient  la  terminaison  féminine  usitée  dans  leur  langue;  le  nom  de 
Vrindus  fut  donc  rendu,  en  grec,  par  celui  de  Rhindè^  que  les  Latins 
changèrent  naturellement  en  Rinda  {Plin.  H.  N.  6,  7).  La  déesse  Vrin- 
dus passa,  comme  son  époux ,  dans  la  religion  des  peuples  de  la  branche 
sarmate,  et  de  la  branche  gtte.  Les  Sarmates  changèrent  le  nom  du  dieu 
et  de  la  déesse  Vrindus  en  celui  de  Vnirdus  ou  Nirdus.  Dans  la  religion 
des  peuples  de  la  branche  gète,  la  déesse  Vrindus  se  maintint  sous  ce 
nom ,  et  fut  transmise  plus  tard  aux  Germains  et  aux  Scandinaves ,  qui 
lui  donnèrent,  dans  leur  idiome,  le  nom  équivalent  âeRindur  (p.  Vrin- 
dus). Les  Germains  qui  habitaient  les  bords  orientaux  de  la  mer  Baltique, 
et  surtout  les  Svèves,  qui  étaient  un  peuple  germain  mêlé  à  des  Slaves, 
adoptèrent  de  ceux-ci  la  déesse  Nerthus  (Nirdus),  et  la  substituèrent  à  la 
déesse  Rindus ,  qui  leur  avait  été  transmise  par  leurs  pères  ,  les  peuples 
de  la  branche  ^éíe.  C'est  cette  déesse  que  Tacite  appelle,  également,  Ner- 
thus, et  qui  est  identique,  par  son  origine  et  par  ses  attributions,  avec  la 
déesse  Rindur  des  Scandinaves.  Mais  de  même  que  les  Germains,  en 
adoptant  des  Slaves  la  déesse  Nerthus,  n'adoptèrent  pas  également, 
pour  l'associer  à  cette  déesse,  le  dieu  slave  Nerthus  (norr.  Niördr)  ^ 
de  même  les  Scandinaves,  en  adoptant  des  Slaves  le  áien  Nerthus  (Mördr), 
n'ont  pas  accepté ,  en  même  temps ,  pour  l'associer  à  ce  dieu ,  la  déesse 
slave  Nerthus.  Ils  ne  songèrent  pas  même  à  associer  de  nouveau  leur 
déesse  traditionnelle  Rindur,  soit  comme  épouse,  soit  comme  sœur,  au 
àieuNiùrdur,  qu'ils  venaient  de  réintroduire  dans  leur  religion.  Aussi  pour 
expliquer ,  sans  doute,  ce  manque  de  rapport  mythologique  entre  Niördr  et 
Rindur,  Snorri,U2LïisV  Ynglinga  saga,  a-t-il  insinué  que,  chez  les  Vanes, 


NUMÉRO  (31)  (page  99)  ;  skadi.  263 

il  était  bien  permis  que ISirdus  eût,  pour  épouse,  sa  sœur  Nirdus ,  mais 
que,  les  Jses  ne  permettant  pas  qu'on  épousât  sa  sœur,  Niördr  dut  pren- 
dre une  autre  femme ,  Skadi.  Cependant,  la  véritable  explication  de  ce  fait 
consiste  à  dire  que  les  Scandinaves ,  songeant  plutôt  à  associer ,  comme 
épouse,  à  Niördr,  ou  au  Dieu  des  Eaux  et  de  la  Pêche,  une  Déesse  de  la 
Chasse,  ne  trouvèrent  cette  qualité  de  chasseresse,  ni  dans  la  déesse  slave 
Nerthus,  ni  dans  la  aêesse  Rindur,  transmise  par  leurs  pères.  C'est  pour- 
quoi ils  adoptèrent  des  Firmes,  leurs  voisins ,  leur  Déesse  de  la  Chasse,  à 
laquelle  ils  donnèrent  le  nom  de  Skadi  (Nuisible) ,  lequel  était  un  nom  épi- 
thétique  traditionnel  de  Freyia,  considérée  comme  héritière  de  l'ancienne 
Vaitu-Skura,  la  Déesse  de  la  Chasse.  Ce  qui  prouve  que  Skadi  était  origi- 
nairement une  espèce  de  Freyia ,  chasseresse ,  ou  une  Déesse  de  la  lune, 
c'est  qu'il  est  dit,  dans  un  mythe ,  que  Skadi,  devant  prendre ,  au  sort,  un 
époux  parmi  \esAses,  désirait  (et  cela,  sans  doute,  en  sa  qualité  de  déesse 
lunaire)  obtenir  pour  époux  Baldur,  le  dieu  solaire  (voy.  Snorra  Edda, 
p.  82).  Skadi,  comme  Déesse  de  la  Chasse,  ayant  été  associée  à  Nior- 
dur,  à  la  place  de  l'ancienne  déesse  Rindur,  celle-ci  ne  figura  plus  dans 
le  culte,  et  tomba  au  rang  d'une  divinité  émérite.  En  Germanie,  la  déesse 
Nerthus  présidait  aux  Sources  et  aux  Eaux ,  mais  surtout  à  la  Fécondité, 
et  à  l'Abondance.  Comme  Déesse  des  Eaux  et  des  lacs ,  elle  avait  sa  rési- 
dence au  fond  d'un  lac,  qui  se  trouvait  dans  une  île  de  la  mer  Baltique. 
Comme  Déesse  de  la  Fécondité ,  elle  passait  pour  la  Mère  des  dieux ,  et 
elle  était  promenée  en  un  char  traîné  par  des  vaches ,  qui  étaient  ses  ani- 
maux symboliques ,  et  qui  avaient  été  déjà  consacrées  à  l'ancienne  déesse 
Vrindus^  dont  Nirthus  était  l'héritière. 

Lorsqu'au  quatrième  siècle  avant  Jésus-Christ  les  peuples  de  la  branche 
gète ,  les  Svîes  et  les  Gautes ,  se  fixèrent  dans  la  Scandinavie ,  ils  y  trou- 
vèrent établis  des  peuples  d'origine ^^iwe.  Ces  peuplades  avaient  l'habi- 
tude de  pêcher,  en  été,  c'est-à-dire  pendant  trois  mois  de  l'année ,  et  de 
chasser,  en  hiver,  c'est-à-dire  pendant  neuf  mois  de  l'année.  Ils  avaient 
conservé  cette  habitude  encore  à  la  fin  du  neuvième  siècle ,  comme  le  dit 
expressément  le  pêcheur  de  baleine  anglo-saxon  Other,  dans  sa  relation 
qui  est  insérée  dans  la  traduction  anglo-saxonne  de  l'Histoire  d'Orose , 
traduction  attribuée  au  roi  Ælfred.  La  pêche  se  faisait  sur  les  bords  de  la 
mer,  mais  la  chasse  ,  dans  l'intérieur  des  terres,  et  dans  les  montagnes. 
Pour  chasser,  au  milieu  des  neiges,  les  Finnes  courent  sur  des  barres, 
c'est-à-dire,  sur  une  espèce  de  patins,  qui  étaient  déjà  usités  dans  l'Anti- 
quité ;  car  cet  usage  leur  avait  fait  donner  le  nom  de  Finnes-Patineurs  (norr. 
Skrid-Fin7iar ;\ .Paul Diacre, eh^L^. 2).  Cesbarres,  semblables  auxpatins 
usités  également  au  Canada ,  et  connus  sous  le  nom  de  raquettes,  consistent 
en  deux  planchettes ,  à  peu  près  de  un  mètre  60  centimètres  de  longueur ,  et 
de  9  centimètres  de  largeur  ;  l'une  est  un  peu  plus  longue  que  l'autre , 
pour  faciliter  l'élan  à  prendre  ;  toutes  les  deux,  à  l'extrémité  antérieure, 
sont  un  peu  recourbées  en  haut,  pour  empêcher  la  pointe  de  plonger  dans 
les  neiges,  et  elles  sont  un  peu  arquées  en  dessous,  pour  que  le  poids  du 
corps,  pesant  sur  le  milieu  des  barres,  ne  leur  fasse  pas  faire  une  cour- 
bure sur  le  niveau  de  la  neige.  Des  liens  d'osier,  sous  forme  de  demi- 
cercles  ou  d'étriers ,  et  dans  lesquels  on  passe  les  pieds ,  servent  d'at- 


264  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

taches.  C'est  sur  ces  barres  que  les  Lapons  parcourent,  encore  aujourd'hui, 
les  plaines  couvertes  de  neige  et  déglace;  et,  à  la  chasse,  ils  atteignent 
ainsi,  en  courant,  les  loups  et  les  rennes.  En  imitation  de  ces  chasseurs 
lapons,  on  a  formé,  de  nos  jours,  dans  l'armée,  en  Norvège,  deux  batail- 
lons de  chasseurs  Coureurs  sur  patin  {suéá.Ákie-lœbers)^  qui  exécutent, 
en  patinant  sur  les  neiges ,  leurs  marches ,  exercices ,  et  évolutions  mili- 
taires. Les  anciens  Finnes,  qui  passaient  pour  d'excellents  Tireurs  d'arc, 
avaient  une  Déesse  de  la  chasse,  l'épouse  du  Dieu  de  la  pêche,  nommé, 
sans  doute ,  Ahto.  Ils  croyaient,  probablement ,  que ,  pendant  les  trois  mois 
de  l'été  ,  où  ils  vivaient  du  produit  de  la  pêche ,  le  Dieu  de  la  pêche  se 
trouvait ,  avec  eux ,  sur  les  bords  de  la  mer ,  et  que ,  ensuite ,  pendant  les 
neuf  mois  de  l'hiver ,  leur  Déesse  de  la  chasse  allait  avec  eux  se  retirer 
dans  les  montagnes.  Ces  deux  divinités  finnes,  protectrices  de  la  Chasse, 
et  de  la  Pêche,  ont,  sans  doute,  été  adoptées  d'abord  par  les  Gautes , 
chasseurs,  et  tireurs  d'arc,  et  ensuite  par  les  Suèdes ^  pêcheurs;  et  elles 
ont  été  ,  enfin ,  rattachées  au  système  mythologique  de  la  religion  Scan- 
dinave. Le  dieu  finne  de  la  Pêche  se  confondit  avec  Niördur ,  et  la  déesse 
finne  de  la  Chasse  eut  le  nom  norrain   de  Skadi  {Nuisible;  cf.  norr. 
Skæ^  Skati;  scyilie Skaïs)^  parce  que,  comme  déesse  de  laChasse,  elle  pas- 
sait pour  jîjern/czezae  aux  animaux,  qu'elle  pourchassait  avec  ses  flèches, 
en  courant  sur  les  barres.  Skadi,  comme  Déesse  de  la  Chasse,  devint, 
dans  la  Mythologie  Scandinave ,  l'épouse  de  Niördur,  le  Dieu  de  la  Pêche. 
Elle  est  opposée  à  son  mari  sous  plus  d'un  rapport.  Niördur  est  d'ori- 
gine vane,  c'est-à-dire  qu'il  est  une  divinité  slave ,  adoptée  par  les  tribus 
Scandinaves  (v.  p.  262).  Skadi  est  delà  race  des  Géants-des-Montagnes, 
c'est-à-dire  qu'elle  est  une  divinité /mie  ^  adoptée  par  les  Svîes  et  les 
Gautes;  car  les  Finnes ,  refoulés  par  les  peuples  Scandinaves  dans  les 
parties  montagneuses  de  la  Presqu'île ,  sont  souvent  confondus ,  dans  la 
Mythologie,  avec  les  Géants-des-Montagnes  {d.i^.%\'è).  5Æac/2  passe 
pour  être  la  fille  du  Géant-des-Montagnes  Thiassi  (p.  Thiarsi,  Que- 
relleur) ,  qui  est ,  sans  doute ,  la  Personnification  des  vents  impétueux  et 
querelleurs  de  l'hiver,  comme  l'indique  encore  le  nom  de  la  résidence 
de  Thiassi,    appelée  Séjour  de  Bruissement.  Ce  Séjour  est  situé,  au 
Nor(L  dans  les  montagnes ,  et  il  est  affectionné  beaucoup  par  Skadi,  la 
déesse  de  la  Chasse,  comme  Snorri  le  rapporte  d'après  la  strophe  ll*^ 
des  Dits  de  Grimnir;  et  en  cela  elle  est  encore  opposée  à  son  époux  Nior- 
dur,  qui,  dieu  de  la  Pêche,  préfère  les  bords  de  la  mer.  Les  vers  qui 
expriment  ces  goûts  opposés  des  deux  époux ,  sont  attribués  par  Saxon, 
le  Savant  {Historia  danica,  lib.  I) ,  au  roi  danois  Hading,  qui  aimait  les 
bords  de  la  mer,  et  à  la  reine  son  épouse,  qui,  originaire  de  la  Norvège, 
préférait  le  séjour  dans  les  montagnes.  Mais  le  contenu  de  ces  vers  tirés  par 
Saxon  d'un  poème  qui  n'existe  plus  aujourd'hui ,  se  rapportait  originai- 
rement au  dieu  Niordur  et  à  la  déesse  Skadi.  En  se  faisant  des  conces- 
sions réciproques,  ces  deux  divinités  passaient  successivement  nez// nuits 
au  Séjour  de  Bruissement,  dans  les  montagnes ,  et  trois  nuits  à  V Enclos 
du  Nocher,  près  de  la  mer  ;  ce  qui  signifie  que ,  des  douze  mois  de  l'an- 
née, trois  étaient  sous  la  protection  du  Dieu  de  la  pêche  Niöi^dur^  et 
7i€vf,  sous  celle  de  la  Déesse  de  la  chasse  Skadi.  Les  Scandinaves  et  les 


NUMÉRO  (31)  (page  99);  FREYR.  265 

peuples  germaniques ,  en  conséquence  des  idées,  exprimées  dans  leur  Cos- 
mogonie ,  et  d'après  lesquelles  IV^eY-er  précédait  et  engendrait  l'été,  comme 
la  nuit  précédait  et  engendrait  le  Jour  (voy.  p.  200) ,  désignaient  aussi 
V aimée  par  le  nom  de  V hiver  qui  la  commençait ,  et  la  Journée  par  le  nom 
de  la  nuit,  qui  l'engendrait.  Les  trois  et  les  neuf  7iuits  du  Mythe,  signi- 
fient donc  autant  de  périodes  dans  l'année ,  et,  particulièrement  ici^  trois 
viois  d'été,  et  neuf  mois  d'hiver. 

§  97.  Freyr,  dédoublement  et  héritier  du  Dieu  du  soleil.  —  Vers  le 
sixième  siècle  avant  notre  ère,  Targitavus ,  le  dieu  anthropomorphe  du 
soleil ,  chez  les  Scythes ,  fut  considéré  comme  le  Protecteur  de  la  famille 
et  de  la  tribu,  et  présidait,  par  conséquent,  à  tout  ce  qui  constituait  V En- 
tretien, le  Bien-être,  et  la  Richesse /amzY/a/e  (cf.  norr.  adals-fê).  En 
cette  qualité,  il  avait  le  nom  épithétique  Aq Seigneur,  ou  úq Excellent , 
dans  le  sens  de  Maître ,  de  Entreteneur  (cf.  angl.  Lord,  de  hlâf-verd, 
Donne-pain).  Le  mot  qui,  dans  les  idiomes  scythes,  signifiait  Excellent, 
était  dérivé  de  la  préposition  pra  (avant;  cf.  sansc.  prî,  préférer ,  aimer  ; 
cf.  lat.  intrare.,  s'intériorer,  entrer^  de  intra)^  et  avait  la  forme  de  Pra~ 
vus,  correspondant  au  ^2iX\SQ,vii  pra-bhus  (Excellent),  au  grec  praiis 
(bénin) ,  au  latin  probus  (excellent).  Le  nom  de  Pravus  (Excellent)  de- 
vint ,  chez  quelques  tribus  de  la  branche  sarmate ,  le  nom  propre  d'un 
dieu ,  distinct  de  Targitavus,  dont  il  s'était  dédoublé.  Ce  dédoublement  a 
dû  s'opérer  au  moins  dès  le  sixième  siècle  avant  notre  ère  (époque  où  la 
branche  sarmate  s'est  séparée  de  la  branche  gète) ,  puisque  le  dieu  Pra- 
vys  (scythe  Pravus)  se  trouve,  dans  la  Mythologie  des  peuples  slaves, 
comme  divinité  distincte.  Le  dieu  des  Sarmates,  Pravys,  dédoublement 
et  héritier  de  Targitavus ,  prit  les  attributions  principales  de  ce  Dieu  du 
soleil;  comme  lui,  il  présidait  au  soleil,  et  fut  le  Protecteur  du  Pa^/s,  et 
du  Domicile.  Mais  il  fut  principalement  considéré  comme  le  Seigneur, 
c'est-à-dire  comme  l'auteur  de  l'Abondance,  et  par  suite  comme  l'auteur 
de  la  Fertilité,  et  de  la  Fécondité.  Ayant ,  par  conséquent ,  des  attribu- 
tions analogues  à  celles  du  dieu  Vnirdus  (scythe  Vrindus)^  qui  présidait 
également  à  l'abondance  et  à  la  fécondité  (v.  p.  260) ,  il  fut  rapproché  de 
ce  dieu,  et  considéré  comme  son /Ils.  Le  dieu  scythe  Pravus  ne  passa  pas 
dans  la  religion  des  peuples  de  la  branche  gfèie  ^  comme  dédoublement  et 
héritier  du  dieu  du  Soleil;  chez  ces  peuples,  le  dieu  du  Soleil  eut  d'autres 
dédoublements  et  héritiers,  tels  que  Balthus  (voy.  p.  258),  et  Skalmoskis 
(v.  Les  Gètes ,  p.  491).  Le  dieu  du  Soleil ,  considéré  comme  dieu  de  la  Fé- 
condité, se  confondit,  dans  la  religion  des  peuples  de  la  branche  gète , 
avec  le  dieu  Firgunis  (norr.  Fiörgynn) ,  et  avec  le  dieu  Hagunis,  qui 
avait  été  substitué  à  Vrindus  (voy.  p.  261).  Ces  peuples  n'eurent  donc, 
dans  l'origine ,  d'autre  dieu  présidant  à  la  Fertilité ,  à  la  Fécondité ,  et  aux 
Eaux ,  que  Firgunis  et  Hagunis.  Ce  qui  prouve  que  le  nom  de  Frauja 
(Seigneur),  qui,  dans  les  langues  gotes,  correspondait  au  mot  sarmate 
Proxys,  n'a  jamais  désigné  un  dieu  dans  la  Mythologie  des  peuples  ^éíe*^ 
c'est  qîie  Ulphilas^  qui  n'emploie  jamais ,  dans  sa  traduction,  des  noms 
propres  se  rapportant  au  Paganisme ,  traduit  par  le  moi  frauja  l'^\^v%s- 
sion  de  Seigneur,  synonyme  de  Dieu.  Lorsque,  dans  la  suite,  les  tribus  de 
la  branche  gète,  qui  s'établirent  en  Germanie  et  en  Scandinavie,  se  furent 


266  *  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

mêlées,  ou ,  du  moins ,  furent  entrées  en  contact,  avec  les  peuples  slaves 
sur  le  littoral  de  la  mer  Baltique,  elles  adoptèrent  d'eux,  avec  le  dieu  Ner- 
dus  (INirthus ,  Niördr) ,  aussi  le  dieu  Pravys  (norr.  Freyr;  germ.  Frau)^ 
qu'ils  substituèrent  à  leur  dieu  Hagunis  (norr.  Hœnir) ,  qui  avait  hérité 
des  attributions  de  l'ancien  dieu  du  Soleil  (Targitavus),  et  de  l'ancien  dieu 
des  Eaux  (Vrindus).  Dans  la  Mythologie  Scandinave ,  Freyr  passa  pour 
le  fils  de  Niördr,  et  fut  surnommé  (ainsi  que  son  père)  le  dieu  Vane,  à 
cause  de  son  origine  slave.  Comme  héritier  du  dieu  du  Soleil,  Freyr 
présidait,  comme  dit  Snorri,  aux  effets  du  soleil;  il  devint  encore ,  sous 
le  nom  épithétique  de  Geta,  de  Svinths ,  de  Gaut,  etc. ,  le  père  épo- 
nyme  de  plusieurs  tribus  svîes  et  gautes.  Ces  noms  épithétiques  éponymes 
passèrent,  pour  la  plupart,  à  Odinn,  qui,  camm^ Dieu  suprême,  fut  aussi 
considéré  comme  le  Père  des  Dieux,  et  comme  le  Père  éponyme  des  Na- 
tions (voy.  Les  Gètes,  p.  203).  Odinn  ayant  le  nom  épithétique  de  Hâr 
(Sublime) ,  chacun  de  ses  fils  put  prendre  celui  de  Hâing  (Hânk ,  Hînk , 
Ing) ,  signifiant  Issu  de  Hâr.  Comme  Mórí/wr  passait  pour  le  fils  de  Hâr, 
Freyr  était  le  petit-fils  de  Sublime,  et  eut ,  par  conséquent,  le  nom  dimi- 
nutif de  ^w^w/,  ouIngul{[).  HavinguÎ,  Petit-fils  de  Hâr),  qui  devint  aussi  le 
nom  propre  des  Angles,  d'après  celui  de  leur  dieu  éponyme  ;  et  les  anciens 
rois  de  Svêde,  qui  se  disaient  issus  de  Freyr,  furent  désignés  sous  le  nom  gé- 
néalogique deingulings  (Issus  d'Ingul,  norr.  Ynglingar)^  c'est-à-dire  de 
Issus  du  Petit-fils  de  Sublime.  Ensuite,  comme  les  rois  ou  héros  étaient  ap- 
pelés les  Amis  du  Fils  de  Sublime  (Yng-vinar;  cf.  norr.  Hâk-on,  Hânk- 
vin),  ou  les  Compagnons  des  Amis  du  Fils  de  Sublime  (Ingvin-vanes ,  In- 
gvin-ones,  Ingviônes)^  Freyr,  le  Seigneur  des  Héros,  eut  aussi  le  nom 
épithétique  de  Yng-unnar-Freyr  (Seigneur  de  l'Ami  du  Fils  de  Sublime) 
ou ,  en  anglo-saxon ,  le  nom  de  Frea  Ingvina  (Seigneur  des  Amis  du  Fils 
de  Sublime).  Chez  les  peuples  germaniques ,  il  se  forma  du  mot  frav 
(maître)  l'adjectif /rez  {^. /ravis;  goih.  freis,  tenant  du  maître),  qui 
signifiait  libre ,  en  tant  qu'appartenant  à  la  famille  du  Maître  ou  du  Sei- 
gneur. Un  autre  adjectif, /rdno  [^.fravino,  se  rapportant  au  maître), 
désignait  tout  ce  qui  appartenait  au  Seigneur  (cf.  2\\.frôn-leichnam, 
Corps  du  Seigneur).  De  Frav  (Seigneur),  nom  propre  du  dieu ,  se  forma 
probablement  le  nom  généalogique  de  Frank  (p.  Fravink,  Issu  de  Frav), 
lequel  devint  le  nom  ethnique  de%  Franks ,  qui  furent,  dans  l'origine,  les 
voisins  des  Slaves,  et  purent  bien  se  dire  Issus  du  dieu  Frav  ;  car  les  Franks , 
qui  s'établirent  sur  le  Rhin ,  eurent  le  nom  généalogique  de  Volsings 
(Issus  de  Vols),  d'après  le  dieu  Vols ,  d'origine  slave,  qui  était  considéré 
comme  le  Fils  de  Frav  (voy.  Les  Gètes,  p.  200). 

g  98.  Freyia ,  dédoublement  et  héritière  de  la  Déesse  de  la  Lune.  — 
Chez  les  Scythes ,  Artîn-paza ,  la  déesse  anthropomorphe  de  la  Lune , 
présidait  à  la  fois  à  la  Production,  et  à  la  Destruction  (voy.  Les  Gètes, 
p.  207-210).  Comme  déesse  de  la  Génération ,  elle  était  la  Protectrice  du 
Mariage ,  et  de  la  Famille ,  et  comme  présidant  à  la  Famille ,  elle  eut  le  nom 
épithétique  de  Pravia  (Dame ,  Maîtresse).  Au  sixième  siècle  environ  avant 
notre  ère,  Pravia  passa,  avec  son  frère  Pravus  (voy.  p.  265),  dans  la 
religion  des  peuples  de  la  branche  sarmate;  l'un  et  l'autre  y  furent  con- 
sidérés comme  le  fils  et  la  fille  du  dieu  et  de  la  déesse  ISirthus  (p.  Vrin- 


NUMÉRO  (31)  (page  100);  FREYI A.  267 

dus),  et  prirent  différents  noms  épithétiques ,  qui  effacèrent  peu  à  peu , 
dans  la  Mythologie  slave ,  leurs  noms  primitifs  de  Pravys  et  de  Pravia. 
Dans  la  Mythologie  des  peuples  de  la  branche  gète ,  les  rapports  primitits 
entre  l'astre  de  la  lune  et  la  déesse  Jrtin-paza  (soit  son  dédoublement 
et  son  hévxWhTQ  Skalmoskis) ^  s'étaient  tellement  effacés,  que  ces  peuples 
préposèrent  à  cetastre  une  nouvelle  divinité  mâle  nommée  Mâni  (v.  p.  202). 
Cependant  les  anciennes  attributions  de  la  déesse  ^/•im-/>a;sa,  reposant 
sur  ses  rapports  primitifs  avec  la  lune ,  furent  conservées  traditionnelle- 
ment à  son  héritière  Skalmoskis.  La  déesse  Pravia,  aussi  peu  que  le 
dieu  Pravus,  ne  passa  pas  dans  la  religion  des  peuples  de  la  branche 
gète  ;  mais,  plus  tard,  ces  peuples  adoptèrent  des  Slaves,  outre  le  dieu 
et  la  déesse  Nerthus ,  et  le  dieu  Pravys  (Freyr  ou  Frav) ,  aussi  la  déesse 
Pravia,  qu'ils  nommèrent /reym  (Dame ,  Maîtresse),  et  à  laquelle  ils 
donnèrent  encore  les  attributions  qu'avait  eues,  dans  la  religion  de 
leurs  pères ,  la  déesse  Skalmoskis.  Freyia  présidait  à  la  Production ,  à 
la  Fécondité ,  à  l'Abondance,  et  au  Bien-être.  Or,  non-seulement  le  Soleil 
et  la  Lune,  mais  aussi  les  Eaux,  et  la  Mer  passaient,  dans  l'Antiquité, 
pour  des  principes  de  fécondité.  C'est  pourquoi  Freyia,  la  fille  de  Niördr, 
Dieu  des  Eaux ,  est  devenue  également  Déesse  des  Eaux.  Comme  Déesse 
de  la  Production ,  Freyia  préside  à  l'Amour,  au  Mariage,  et  à  la  Famille  ; 
elle  aime  les  chants  d'amour;  et  les  amants ,  ou  ceux  qui  poursuivent  des 
filles  en  mariage,  lui  adressent  leurs  prières  ou  leurs  vœux.  Comme  Déesse 
de  l'Amour ,  Freyia  a  pu  être  rapprochée  de  Vénus  ;  et  c'est  pourquoi  les 
peuples  germaniques  ont  traduit  le  nom  latin  Veneris  aies  (Vendredi, 
Jour  de  Vénus),  par  Freïa-dag  (Jour  de  Freyia). 

En  sa  qualité  de  Déesse  de  l'Amour ,  du  Mariage,  et  de  la  Famille ,  Freyia 
présidait  aussi  à  V Entretien,  ou  au  Bien-être  de  la  famille  ;  et  c'est  préci- 
sément pour  cette  raison  qu'elle  portait  le  nom  de  Freyia ,  qui  signifie 
Dame  (lat.  domina).,  ou  Maîtresse  de  maison.  En  effet,  ce  nom  de  Freyia 
{2\\.Frau)  ne  dérive  pas  du  verbe/ria  (aimer),  et  ne  signifie  pas  Maîtresse, 
dans  le  sens  á'Jmante;  car ,  dans  aucune  langue  germanique ,  il  ne  dé- 
signe le  sexe,  \2i  femme,  mais  il  exprime  toujours  le  rang,  la  distinc- 
tion, et  désigne  la  Maîtresse ,  dans  le  sens  Aç;  Épouse,  ou  de  Dame  de  la 
maison.  Aussi  h;  nom  de  Freyior,  donné  aux  dames  de  qualité ,  ne  dérive- 
t-il  pas  ,  comme  le  prétend  Snorri,  de  celui  de  la  déesse  Freyia,  mais 
ce  nom  honorifique  de  Dame  est  devenu  le  nom  propre  de  la  Déesse ,  qu'on 
considérait  comme  le  type  de  la  Dame ,  ou  comme  la  Dame  par  excellence. 
Voilà  pourquoi ,  quand  Freyia  sort  de  sa  Demeure  ,  elle  est  assise  dans 
un  char  traîné  par  deux  matous.  Ce  n'est  pas  là  un  char  A^  guerre,  mais 
le  char  paisible  de  la  Déesse  Nerthus  {Tacit.  Germ.  40),  ou  une  voiture 
telle  qu'en  avaient,  dans  ce  temps,  les  Dames  nobles  [Fornaldss.  1,  360). 
Les  deux  matous  ne  sont  pas  ici  les  animaux  symboliques  de  l'amour,  pra- 
tiqué au  clair  de  la  lune  ;  mais  le  chat,  qui  est  habituellement  assis  au- 
près Aw  foyer  domestique,  et  qui  s'attache  au  domicile,  plus  encore  qu'aux 
personnes,  est,  ici ,  l'animal  domestique  par  excellence;  il  est  le  repré- 
sentant du  Génie  du  logis,  et ,  comme  tel,  il  est  consacré  spécialement 
à  Freyia,  la  Maîtresse  du  logis.  Encore  aujourd'hui,  les  Lapons  considè- 
rent le  chat  comme  le  Génie  tutélaire  de  leur  habitation  ;  et ,  en  Allemagne , 


268  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

la  tradition  populaire  parle  de  Génies  domestiques  appelés  Katermann 
(Bon  homme  Matou),  et  Hinzelmann  (Bon  homme  Chaton).  Les  Keltes  éga- 
lement avaient  des  Génies  domestiques  appelés  Chats-Esprits  (Kat-tuzé  ; 
voy.  Les  Gètes,  p.  Í68). 

Artin-paza,  la  déesse  de  la  Lune,  ou  du  Soleil  nocturne,  se  confondit, 
de  bonne  heure,  avec  la  déesse  de  la  Nuit.  Or,  la  Nuit,  du  sein  de  laquelle 
toutes  les  créatures  paraissaient  naître  (voy.  p.  ne),  et  au  sein  de  laquelle 
toutes  semblaient  rentrer,  était  considérée  à  la  fois  comme  \ Origine,  et 
la  Mère ,  et  comme  la  Fin,  ou  la  Mort  des  choses.  Chez  les  Gètes ,  Skal- 
moskis,  l'héritière  d' Artin-paza  était  à  la  fois  déesse  de  la  Production,  et 
de  la  Destruction.  Freyia^  l'héritière  de  Skalmoskis ,  eut  aussi,  dans 
l'origine,  ces  deux  attributions  contradictoires.  Mais,  dans  la  suite, 
Freyia  se  dédoubla,  et  de  ce  dédoublement  sortit  Halï{norr.  Hel) ,  déesse 
de  la  Mort.  Cependant ,  les  anciennes  attributions  de  Freyia ,  comme 
Déesse  de  la  Destruction ,  subsistent  encore  dans  quelques  mythes  qui  se 
rapportent  à  cette  divinité.  C'est  ainsi  qu'un  mythe  dit  que  Freyia  reçoit 
les  guerriers  OCC/.Ç,  dans  sa  salle  nommée  Coiitient-les-Siéges  [norr.  Sess- 
rumnir) ,  nom  qui  exprime  que  cette  salle  est  assez  vaste  pour  contenir 
les  sièges  des  nombreux  hôtes  de  cette  Déesse  des  Morts.  C'est  comme 
Déesse  des  Morts  qu'elle  se  met  à  la  tête  des  Falkyries,  et  invite  à  venir, 
chez  elle ,  les  guerriers  illustres  qui  sont  tombés  dans  Voccision  (norr. 
val).  C'est  comme  Déesse  des  Morts  qu'elle  est  l'Amante  d'Odinn,  sur- 
nommé le  Père  des  Occis  (voy.  p.  247).  Il  est  vrai  que ,  dans  les  mythes 
épiques  postérieurs ,  cette  invitation  et  cette  réception  des  Occis ,  que 
fait  chez  elle  Freyia,  ne  sont  plus  mises  en  rapport  avec  sa  qualité-de 
Déesse  des  Morts ,  mais  seulement  aves  ses  attributions  de  Darne,  ou  de 
Maîtresse  de  maison.  En  eifet ,  dans  le  Nord ,  il  était  d'usage  que  la  moitié 
des  gens  de  la  maison  était  nourrie  et  entretenue  par  le  Maître  (anglos. 
hlâf-ord,  Donne-miche,  Lord)^  et  l'autre  moitié  p^ir  la  Maîtresse  (an- 
glos. hlâf-dige,  boulangère,  Lady).  Aussi  est-il  dit,  dans  le  mythe  nor- 
rain,  que  Freyia  choisissait,  pour  sa  part ,  la  moitié  du  nombre  des 
occis,  et  que  l'autre  moitié  entrait  chez  Odinn ,  pour  faire  partie  des 
Troupier  s- Unique  s  de  ce  Père  des  Occis.  Mais  en  recevant  chç.i  elle 
des  guerriers  occis ,  Freyia,  d'après  ce  mythe ,  remplissait  purement  les 
fonctions  domestiques  de  Maîtresse  de  maison.  Et,  effectivement ,  déjà  les 
noms  de  la  résidence  et  de  la  demeure  de  Freyia  semblent  indiquer  que  cette 
déesse  remplissait  seulement,  envers  les  guerriers  occis,  les  devoirs  de 
V  hospitalité ,  ou  qu'elle  leur  faisait,  commQ  Dame,  les  honneurs  du  logis; 
car  le  nom  de  Pelouses  d'Assemblée  (norr.  Folk-vangar)^  donné  à  l'En- 
clos de  Freyia ,  semble  avoir  une  signification  analogue  à  celui  de  Champ 
de  Mai,  et  de  Champ  deMars ,  et  indiquer  que  les  guerriers  d'Odinn  te- 
naient une  espèce  de  coût  plénière  dans  la  résidence  de  Freyia ,  leur 
Maîtresse ,  ou  leur  Dame. 

(32)  TYR  ;  BRAGI  ;    ET  IDUNN. 

g  99.  Tyr ,  originairement  le  dieu  Ciel.  —  Lorsque  les  peuples  primi- 
tifs ,  qui ,  en  se  différenciant  et  en  se  séparant  de  leur  souche  commune , 
ont  formé  plus  tard  les  membres  de  la  ÍwxmW^  iafétique ,  ne  s'étaient  pas 


NUMÉRO  (32)  (PAGE  400) ;  TYR.  269 

encore  spécialisés ,  mais  ne  formaient  encore  (environ  vers  l'an  3000 
avant  J.-Ch.)  qu'une  seule  et  même  nation  de  nomades  et  de  pasteurs ,  ils 
adoraient  tous  le  ciel,  cet  objet  physique  qui  frappait  sans  cesse  leurs 
regards,  attirait  leur  attention,  la  nuit  comme  le  jour,  par  ses  phéno- 
mènes merveilleux  et  sublimes ,  et  leur  inspirait ,  par  ses  influences  bien- 
faisantes ,  l'idée  et  le  respect  religieux  d'un  Etre  surhumain ,  puissant , 
et  généralement  bienveillant.  Dans  l'origine,  l'objet  de  la  nature  physique, 
considéré  comme  une  divinité ,  passait  pour  un  être  vivant,  doué  d'une 
puissance  siirhumaine ,  et  ayant  précisément  la  forme  qu'on  lui  voyait 
dans  la  Nature.  Comme  le  ciel  n'avait  pas  de  figure  humaine^  on  ne  put 
le  concevoir  d'abord  que  comme  un  animal  gigantesque,  comme  une 
divinité  zoomorphe.  Ce  qui  frappait  surtout  à  la  vue  de  ce  dieu  Ciel, 
c'était  le  soleil ,  la  lune ,  et  les  étoiles ,  qui  en  étaient  les  ornements  b7Hl- 
lants.  Or,  comme  dans  V origine,  ces  astres  n'étaient  pas  encore  consi- 
dérés eux-mêmes  comme  des  Divinités,  ni  comme  des  Divinités  distinctes 
du  dieu  Ciel ,  mais  seulement  comme  des  ornements  de  ce  dieu ,  l'idée 
caractéristique  primitive ,  dans  la  conception  du  dieu  Ciel ,  était  naturel- 
lement l'idée  de  Brillant,  et  par  conséquent  le  mot  par  lequel  on  dési- 
gnait primitivement  le  dieu  Ciel^  signiflait  précisément  Brillant  iJ'iyM^. 
Les  Scythes  et  leurs  descendants  ont  gardé,  le  plus  longtemps,  de  tous 
les  peuples  iafétiques  ;  ce  nom  de  Tivus  sous  sa  forme  primitive.  (Voy. 
Les  Gètes,  p.  154.) 

Le  berceau  des  peuples  iafétiques  se  trouvait  sur  le  plateau  au  sud  de 
celui  qui  est  appelé  aujourd'hui  le  Turkestan.  Comme  l'ainy  est  généra- 
lement chaud  et  sec ,  ces  peuples  primitifs  comptaient ,  parmi  les  princi- 
paux bienfaits  du  dieu  Ciel,  la  pluie ,  qui  arrose  et  féconde  la  terre ,  le 
vent,  qui  rafraîchit  et  purifie  l'air ,  et  l'orage,  qui  amène  à  la  fois  la  pluie 
et  le  vent.  Aussi  le  Ciel  était-il  adoré  comme  Père  de  la  pluie ,  du  ve?it, 
et  de  V orage.  Comme  Père  de  l'orage ,  qui  amène  la  pluie  fécondante,  le 
dieu  Ciel  fut  surnommé  Jrme-Pluie  {scythe  Pirk-îmis)  ;  et  ce  qui  prouve 
l'ancienneté  de  ce  nom  dans  la  religion  des  Scythes  ,  comme  épithète  de 
Tivus ,  c'est  que  les  formes  modifiées  de  ce  nom  se  retrouvent  dans  la 
religion  des  descendants  des  Scythes  de  la  branche  sarmate ,  aussi  bien 
que  dans  celle  de  leurs  descendants  de  la  branche  gète.  Pirkunis ,  qui , 
dans  l'origine,  était  identique  avec  Tivus ,  s'est,  dans  la  suite,  détaché 
de  lui,  pour  se  constituer  divinité  distincte.  Comme  ce  sont  les  vents  qui 
amènent  les  nuages  orageux  et  les  pluies  fécondantes,  le  dieu  scythe 
Pirkunis  présidait  aussi  aux  vents,  et  portait,  en  cette  qualité,  le  nom 
épithétique  de  F^ewi  (scythe  Vâtus,  p.  Vahitus,  Agité). 

Tivus  Pirkunis ,  comme  Ciel -Orageux,  était  le  Fécondateur  de  la 
terre,  et  c'est  pourquoi  il  fut  considéré  comme  l'époux  de  la  déesse  Jpia 
(Terre);  et  ces  deux  conjoints  anthropomorphes  passaient,  dans  la  re- 
ligion des  Scythes ,  pour  être  le  Père  et  la  Mère  des  Dieux ,  et ,  par  suite , 
pour  les  Parents  des  hommes.  Comme  Père  des  dieux  et  des  hommes , 
Tivus  eut  le  nom  épithétique  de  Jïeul  (scythe  Pappaïus) ,  et  ce  nom 
indiquait  que  les  Scythes  se  figuraient  Tivus  comme  le  plus  ancien  des 
Dieux ,  comme  le  Père  primitif  des  dieux ,  et ,  par  l'intermédiaire  d'eux , 
comme  le  Père  des  Héros  et  des  Rois ,  et  enfin  comme  l'Aïeul  du  peuple 


270  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

sctjthe,  et,  par  lui,  ensuite ,  comme  l'Aïeul  des  hommes  en  général.  Chez 
les  peuples  primitifs,  qui  vivaient  dans  l'état  patriarchal,  l'idée  de  père 
et  à' aïeul  impliquait  celle  de  chef,  et  c'est  pourquoi  Tivus ,  le  Père  des 
Dieux,  passait  aussi  pour  le  Chef  des  Dieux,  et,  par  conséquent,  pour 
le  Dieu  Suprême. 

Chez  les  Scythes ,  dont  l'occupation  principale,  et  la  plus  honorée ,  était 
la  guerre  et  les  combats,  Tivus,  le  Dieu  Suprême,  devint  naturellement 
aussi  le  Dieu  des  Combats;  et  cela  d'autant  plus  facilement  que  ,  en  sa 
qualité  de  dieu  Ciel,  il  était  aussi  le  Dieu  de  V orage,  et  que ,  suivant  une 
association  d'idées  assez  ordinaire  dans  l'Antiquité ,  la  guerre  ou  le  com- 
bat ,  à  cause  du  tumulte  et  de  la  fureur  qui  l'accompagnent ,  était  assi- 
milé à  un  orage  (voy.  Les  Gèles ,  p.  158).  Cette  nouvelle  attribution  de 
Tivus ,  comme  Dieu  de  la  guerre,  bien  qu'elle  ne  fût  en  aucun  rapport 
avec  sa  mture primitive  de  Ciel,  devint  cependant,  chez  les  Scythes  et 
chez  leurs  descendants,  l'attribution  principale  de  ce  Dieu  suprême, 
de  sorte  que  les  historiens  anciens ,  considérant  le  Dieu  suprême  des 
Scythes,  des  Goths,  des  Germains,  et  des  Scandinaves,  principalement 
comme  Dieu  de  la  guerre,  le  désignaient  aussi  par  les  noms  équivalents 
grec  et  latin  de  Jrès  et  de  Mars.  Parce  que  Tivi'>s ,  le  Dieu  des  Com- 
bats., était  aussi  le  Dieu  Suprême,  il  eut,  le  premier,  et  le  seul  de  tous 
les  Dieux  des  Scythes ,  l'honneur  d'être  représenté  pdiV  un  signe  symbo- 
lique ou  emblématique.  Ce  signe  était  un  dard,  ou  une  lance  fichée  en 
terre,  sur  la  Butte  de  l'assemblée  (Hérod.  IV ,  62).  D'après  ce  symbole  , 
Tivus  eut  lui-même  le  surnom  de  Dard  (scythe  Kaizus;  goth.  Gaïsus, 
cf.  Radagaïsus)  ^  ou  de  Lance  (scythe  Kaztus;  goth.  Gazds;  cf.  slave 
Radegast).  C'est  ainsi  que,  chez  les  Scythes,  Tivus,  originairement  le 
dieu  zoomorphe  Ciel.,  devint  ensuite  Dieu  anthropomorphe  du  ciel ,  l'é- 
poux de  Terre  (Apia),  le  Dieu  de  \ orage  fécondateur  (Pirkunis),  le 
Dieu  des  Vents  (Vâtus) ,  le  Père  des  Dieux  et  des  Hommes  (Pappaïus),  le- 
Chef  des  Dieux,  et  le  Dieu  Suprême-,  et  surtout  le  Dieu  des  Combats  (Kai- 
zus, Kaztus).  Ces  différentes  attributions  furent  rattachées  successivement, 
dans  la  tradition  mythologique  des  Scythes ,  au  seul  et  même  dieu  Tivus. 
Mais  les  différentes  tribus  firent  ressortir ,  peu  à  peu ,  dans  le  culte  de  ce 
dieu ,  telle  ou  telle  de  ces  attributions ,  de  préférence  aux  autres ,  de  sorte 
que  Tivus,  en  se  dédoublant,  produisit  plusieurs  Dieux,  qui  représen- 
taient, chacun  spécialement ,  telle  ou  telle  attribution  de  Ciel,  et  qui 
passaient  tous ,  dans  la  suite ,  pour  autant  de  dieux  distincts. 

Les  descendants  des  Scythes ,  les  peuples  de  la  branche  gète,  reçurent, 
avec  la  religion  de  leurs  pères ,  le  culte  de  Tivus ,  qu'ils  nommèrent  Tius, 
sans  savoir  qu'il  avait  été  originairement  le  dieu  Ctel.  En  sa  qualité  de 
Dieu  de  V Orage,  Tius  fut  remplacé  p^r  Fi?'gunis.,  ou  Thonars^  ou 
Chlodurs;  comme  Dieu  des  vents,  il  fut  remplacé  par  Vathus  et  par  Vâ- 
thans.  Vâthans ,  le  dédoublement  et  l'héritier  de  Tius ,  se  substitua  même 
il  lui ,  et  comme  Dieu  Suprême.,  et  comme  Père  des  dieux,  et  comme  Dieu 
des  Combats ,  de  sorte  qu'il  ne  resta  plus  à  l'ancien  Dieu  du  ciel  que 
quelques  attributions  guerrières,  et  qu'il  passa  même  pour  \efils  de  celui 
qui  lui  devait  l'existence.  Les  tribus  issues  des  peuples  de  la  branche  gète 
ont  cependant  conservé ,  en  Scandinavie  et  en  Germanie ,  le  souvenir  du 


NUMÉRO  (32)  (page  400)  ;  tyr.  271 

dieu  traditionnel  Tius ,  que  les  Scandinaves  ont  nommé  Tyr,  les  Ger- 
mains du  Nord,  Tiu,  et  les  Germains  du  Sud,  Zio.  Comme,  déjà  chez 
les  peuples  gréées ,  Tius,  par  suite  de  ses  dédoublements,  avait  perdu 
beaucoup  de  son  importance  primitive  comme  dieu  Ciel,  ses  représen- 
tants Tyr^  Tiu,  et  Zio  ne  furent  plus  des  Dieux  adorés,  ayant  des  tem- 
ples, et  un  culte  public;  mais,  comme  ils  figuraient  seulement  dans  la 
tradition  mythologique,  ils  ne  furent  plus  que  des  dieux  invoques,  à 
l'instar  des  Héros  chez  les  Grecs ,  et  des  Saints  chez  les  Chrétiens.  Tius 
n'ayant  gardé  ,  dans  la  tradition,  que  ses  attributions  de  Dieu  Guerrier, 
il  n'y  avait  aussi  que  les  guerriers  qui  eussent  coutume  de  l'invoquer,  et 
de  lui  adresser  leurs  vœux.  Ce  qui  prouve  que  les  Germains ,  à  l'époque 
où  ils  avaient  subi  l'influence  de  la  civilisation  romaine ,  ne  considéraient 
déjà  plus  ,  dans  Tiii  ou  Zio,  que  sa  qualité  de  dieu  guerrier,  c'est  qu'ils 
ont  rendu  le  nom  de  Mardi  {Martis  dies ,  Jour  de  Mars)  par  Tiusdag 
(angl.  Tuesday)^  ou  Ziesdag  (alsac.  Zisch-di),  c'est-à-dire /oi^r  de  Tiu 
ou  de  Zio.  Mais  bien  que  le  dieu  Ciel  finit ,  comme  une  Grandeur  déchue, 
par  n'être  plus  qu'un  personnage  secondaire  et  accessoire,  dans  la  Mytho- 
logie des  Germains  et  des  Scandinaves,  il  s'est  cependant  conservé ,  dans 
les  mythes  de  Tyr,  des  traces  de  son  ancienne  puissance  et  supériorité. 
C'est  ainsi  que,  se  souvenant  confusément  que  Ti/r  avait  été  anciennement 
le  Ciel ,  le  Père ,  et  le  Chef  des  Ases ,  la  Mythologie  a  rattaché  l'origine 
de  ce  dieu ,  du  moins  du  côté  de  sa  mère  (l'épouse  du  géant  Hymir,  et 
l'amante  á'Odinn) ,  à  la  race  Aeslotnes,  antérieure  à  celle  des  Ases.  En- 
suite ,  par  un  souvenir  également  vague  et  confus  de  la  signification  pri- 
mitive de  Tyr  (Ciel) ,  la  langue  norraine  se  sert  du  nom  de  ce  dieu,  ainsi 
que  de  celui  du  Dieu  du  Soleil  lrmi7i ,  comme  des  mots  regin  (Grandeurs),  et 
we^m (Puissances),  qui,  tous  deux,  désignent  les  dieux,  et  comme  du  mot 
fimhul  (ensorcellement),  qui  désigne  la  puissance  irrésistible  de  la  magie , 
pour  exprimer  le  degré  céleste  ou  divin ,  c'est-à-dire  le  suprême  degré 
d'une  qualité.  Ainsi,  par  exemple ,  la  locution  sage  comme  Tyr  ne  signifie 
pas,  comme  le  prétend  Snorri,  qu'on  attribuait  à  Tyr  une  sagesse  su- 
périeure à  celle  des  autres  Ases ,  mais  elle  est  synonyme  de  divinement 
ou  célestement  sage.  C'est  encore  en  souvenir  de  la  qualité  primitive  de 
Tyr,  comme  Ciel,  qu'il  est  représenté ,  dans  un  mythe  (voy.  p.  1 05),  comme 
l'ac^fersa/reduLoup  áeFenrir;  carleCiel  devant ,  d'après  l'Eschatologie 
mythologique,  être  détruit  par  le /eu,  Tyr  (Ciel)  est  représenté  comme 
l'adversaire  de  Fenrir ,  qui  est  le  symbole  du  Feu  dévorant  (voy.  §  \\\). 
Aussi  Tyr  (le  Ciel),  pour  échapper  au  danger  qui  le  menace,  préfère-t-il 
perdre  ce  qu'il  a  de  plus  précieux ,  sa  main  droite ,  plutôt  que  de  relâcher 
Fenrir,  que  les  Ases  sont  parvenus  à  enchaîner.  Dans  ce  mythe ,  Tyr  est 
encore  considéré  comme  le  Père  et  le  Chef  des  Ases,  auquel,  en  cette 
qualité ,  il  convenait ,  plus  qu'à  tout  autre  dieu ,  de  se  constituer  le  Ga- 
rant, le  Protecteur  des  Ases,  et  de  se  dévouer  pour  eux.  Tyr,  ayant  été, 
peu  à  peu ,  remplacé  par  Odinn,  en  sa  qualité  de  Dieu  Suprême ,  et  de 
Père  et  de  Protecteur  des  Ases,  Odinn  a  aussi  pris  la  place  de  Tyr  comme 
adversaire  du  Loup  de  Fenrir  (voy.  p.  i34).  Odinn ,  comme  Tyr,  se  dé- 
voue pour  les  Ases;  si  Tyr  a  préféré  laisser  sa  main  droite  au  Loup  de 
Fenrir ,  plutôt  que  de  dégager  la  parole  donnée  par  les  Ases ,  et  s'il  est  ainsi 


272  COMMENTAIRE  CRITIQUE   PERPÉTUEL. 

devenu  manchot,  Odinn  aussi  a  préféré  laisser  son  œil  droit  à  Mhnir  (voy. 
p.  230),  plutôt  que  de  rendre  le  Cor-de- Retentissante ,  si  précieux  pour 
la  sûreté  des  Ases,  et  ainsi  il  est  devenu  borgne  (voy.  p.  229).  Bien  que 
Odinn  ait  enlevé  à  Tyr  presque  toutes  ses  attributions,  Tyr  a  cependant 
encore  gardé  son  caractère  de  Dieu  des  Combats  ;  il  est  resté  le  type  du 
soldat,  qui  n'aime  pas  la  paix ,  mais  qui ,  en  toute  occasion ,  en  appelle 
à  la  décision  par  les  armes.  Aussi  c'est  à  Tyr  que  les  guerriers  adres- 
saient leurs  vœux. 

§  100.  Bragi ,  dédoublement  du  Dieu  du  Soleil.  —  Bragi,  comme  Dieu 
de  la  Poésie ,  n'appartient  pas  au  fond  primitif  de  la  Mythologie  nor- 
raine;  il  ne  se  trouve  ni  dans  la  religion  des  Scythes,  ni  dans  celle  des 
Sarmates ,  et  de  Slaves.  Bragi  est  le  Dieu  de  la  Poésie,  tel  qu'il  s'est 
formé,  chez  les  peuples  de  la  branche  gète,  vers  le  deuxième  siècle  avant 
notre  ère.  Les  Scythes ,  et  leurs  descendants ,  les  Sarmates  et  les  Gètes  , 
n'avaient  pas  de  poésie ,  ou  du  moins ,  si  elle  a  commencé  à  naître  chez 
eux ,  elle  n'avait  pas  encore  une  importance  telle  qu'on  pût  songer  à  la 
mettre  sous  l'invocation  de  quelque  divinité  (voy.  Les  Gètes,  p.  129  seq.). 
Mais  lorsque  les  peuples  de  la  branche  gète  s'établirent  en  Thrace  ,  et  à 
l'est  des  Karpathes,  ils  entrèrent  en  rapport  avec  les  peuples  keltes,  etkim- 
méris,  et  avec  les  Kimro-  Thrâkes ,  qui ,  depuis  longtemps,  cultivaient  déjà 
la  musique  et  la  poésie.  Comme,  chez  ces  peuples  sacerdotaux .^  tout 
était  hiérarchisé,  les  musiciens  et  les  poètes  formaient  une  subdivision 
de  la  classe  des  prêtres ,  surtout  des  Prêtres  du  Soleil.  Chez  eux^  l'in- 
strument à  corde  appelé  l'Hirondelle  (Chrotta),  avait  remplacé  la  flûte  des 
anciens  Grecs.  Aussi  les  Gètes  et  les  Sarmates  adoptèrent-ils  la  citharre 
(norr.  harpa  ;  slav.  guzla) ,  qui,  dans  la  suite ,  devint  également  l'instru- 
ment principal  de  musique  chez  les  Scandinaves.  Chez  les  peuples-  de  la 
branche  gète,  le  jeu  de  la  citharre  servait  d'accompagnement  au  chant 
(goth.  saggus)  ;  et  le  chant  était  une  espèce  de  récitatif,  ou  modulation 
déclamatoire  (cf.  goth.  sigqvan,  déclamer,  lire,  chanter).  Ces  peuples  attri- 
buaient à  la  poésie  une  double  origine.  D'un  côté ,  voyant  que  l'ivresse , 
en  produisant  une  certaine  exaltation  morale  et  intellectuelle,  rendait  les 
hommes  éloquents,  ils  croyaient  qu'on  devenait  poèie^  en  goûtant  d'un 
breuvage  divin ,  soit  vin ,  soit  hydromel.  D'un  autre  côté ,  ces  peuples , 
comme  en  général  les  Anciens,  attribuaient  à  la  parole  prononcée  sous 
forme  de  prière ,  d'invocation,  de  bénédiction ,  ou  de  malédiction,  une 
force  magique,  qu'on  appelait  énergie  (sansc.  brhas;  norr.  bragur;  cf. 
gr.  prak-sis).  Or,  de  même  que  cette  énergie  avait  été  personnifiée , 
chez  les  Hindous ,  dans  Brehas-pati  (Seigneur  de  l'Énergie) ,  de  même 
elle  fut  personnifiée ,  chez  les  peuples  de  la  branche  gète ,  dans  Bragus 
ou B7^agi,  qui  n'était  qu'une  spécialisation ,  ou  un  dédoublement  de  Skal- 
moskis,  ou  de  Balthus ,  le  Dieu  du  Soleil.  Aussi,  par  suite  de  leur  nature 
solaire .,  Bragur  eiBaldur^  qui ,  l'un  et  l'autre,  par  suite  de  l'influence 
thrâkeoukeltique,  portent,  tant  soit  peu,  un  cs^râctère  sacerdotal ,  sont- 
ils  représentés,  dans  la  Mythologie  Scandinave,  comme  ayant,  l'un  et 
l'autre,  une  éloquence  facile  et  agréable;  l'un  et  l'autre ,  enfin ,  comme 
divinités  solaires ,  sont  opposés  à  Œgir  (l'Océan) ,  puisque  le  Soleil  est 
opposé  ,  dans  la  Mythologie  ,  à  la  Mer ,  son  adversaire  (voy.  p.  252).  Dans 


NUMÉRO  (32)  (page  101)  ;  bragi  ;  idunn.  273 

la  suite,  Odinn,  étant  devenu  le  \y\^.w  Suprême ,  et  la  naissance  de  la  plu- 
part des  Ases  étant  rattachée,  dans  les  mythes  théogoniques,  au  Père- 
Universel,  Bragi,  qui,  dans  l'origine,  avait  été  le  fils  du  Soleil,  devint 
également  fils  (ï Odinn.  Le  mythe  théogonique,  attribuant  l'origine  de  la 
Poésie,  ou  la  naissance  A^ Bragi,  au  breuvage  divin,  imagina  que  le  Dieu 
de  la  Poésie  naquit  de  la  géante  Gunnldöd  (cf.  Saga),,  après  qu'elle  eut 
donné  à  boire  le  breuvage  d'Enthousiasme  (norr.  Odrærir,  Remue-l'Es- 
prit)  à  son  amant  Odinn,  Dans  l'Antiquité,  le  poëte  ,  parce  qu'il  maniait 
bien  la  parole,  remplissait  aussi  les  fonctions  d'orateur  public,  et  c'est 
pourquoi  le  cithariste ,  ou  le  poëte ,  était  aussi  employé ,  chez  les  Gètes,  en 
qualité  A' ambassadeur  (voy.  Aihen.  14,  24).  Encore  plus  tard,  la  tra- 
dition épique  desGoths,  des  Germains,  et  des  Scandinaves,  nous  montre 
des  héros,  tels  que  Volker ,  Horand,  Verbil ,  Svemlîn,  etc. ,  qui,  ma- 
niant aussi  bien  l'instrument  de  musique  quel'épée ,  et  ayant,  à  la  fois,  la 
qualité  de  musicien  (fidlari)  et  celle  de  poète- orateur,  remplissaient  les 
fonctions  de  messager  et  d'ambassadeur  (cf.  les  Troubadours,  messagers, 
et  Petrarcha,  ambassadeur).  Dans  la  Mythologie  Scandinave,  le  dieu 
Bragi  porte  aussi  la  parole  au  nom  des  Ases,  et,  dans  une  circonstance 
grave,  il  est  leur  Envoyé ,  ou  leur  Ambassadeur  (voy.  Hrafna-Galdiir,, 
9).  Le  dieu  de  la  Poésie  étant  également  le  Dieu  de  \ Éloquence ,  les  per- 
sonnes ,  hommes  et  femmes ,  qui ,  chez  les  Norrains ,  savaient  bien  manier 
la  parole,  ou  qui  parlaient  au  nom  de  leurs  amis  et  protégés,  étaient  ap- 
pelées, métaphoriquement,  du  nom  de  Bragur  (Poésie,  Éloquence). 

§  101.  Idunn,  l'Épouse  de  Bragi.  —  Le  nom  de  Id~unn  signifie  Aime- 
Activité;  elle  est  le  symbole  de  la  vie,  qui  se  manifeste  dans  la  Nature 
entière,  au  printemps  ou  en  été,  par  opposition  à  la  mort,  dans  l'hiver  et  dans 
la  nuit.  Dans  l'origine,  Idunn,,  ainsi  que /î// (cf.  Ida-völlr ,  Plaine d'Idi, 
p.  223)  appartenait  à  la  race  des  Alfes,  c'est-à-dire  qu'elle  était  la  Per- 
sonnification d'une  étoile  ou  d'une  constellation ,  sans  doute  d'une  con- 
stellation, qui  monte  à  l'horizon,  au  printemps,  et  qui,  au  solstice  d'été, 
tombe  au-dessous  de  l'horizon.  On  attribuait  probablement  à  cette  con- 
stellation ,  ou  2l Idunn  qui  y  présidait,  la  renaissance  de  la  végétation  ,  et 
des  sources  ,  au  printemps  et  en  été,  et  c'est  pourquoi  l'Endroit  qu'elle 
habitait  au  ciel,  fut  nommé  Champ-aux-Sources  (norr.  Brunn-akr). 
Comme  Idunn  préside  à  la  vie,  elle  tient  de  la  nature  des  Nomes  con- 
servatrices ,  et  elle  est,  sans  doute,  une  de  ces  Nornes ,  d'origine  alfe  ou 
dvergue ,  dont  il  est  question  dans  une  strophe  épique  (voy.  p.  234).  En- 
suite ,  comme  l'activité  6.' Idunn  est  analogue  et  parallèle  à  celle  du  Dieu 
du  soleil,  elle  a  dû  être  originairement  mise  en  rapport  mythologique 
avec  ce  dieu ,  surtout  avec  Baldur,  le  Dieu  du  soleil  à' été,  qui ,  comme 
elle,  dépérit  au  solstice  d'été.  Comme  Amie  de  Baldur,  elle  a  quelque 
analogieaveciYawna(voy.  p.330),  l'amante  et  l'épouse  de  ce  dieu;  et,  c'est 
précisément  en  sa  qualité  d'Amie  de  Baldur^  qu'elle  est  devenue  posté- 
rieurement l'épouse  de  Bragi,  du  Dieu  de  la  Poésie,  qui  s'est  formé  du 
dédoublement  de  Baldur,  le  Dieu  du  Soleil.  Par  son  mariage  avec  VAse 
Bragi,  Idunn ,  de  Alfe  qu'elle  était  originairement,  est  devenue  Asynie. 
(Voy.  p.  244.) 

Comme  la  vie  et  l'activité  ,  qui  se  manifestent  au  printemps  et  en  été , 

18 


274  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

pour  produire  la  végétation  ,  ont  pu  être  comparées  à  un  travail  plein 
d'art,  qui  s'opérait  sous  terre,  et  comme  les  Artistes  souterrains,  c'est-à- 
dire,  lesDvergsou  les  Jl/es-Sombr es,  passaient  aussi  pour  être  les  auteurs 
des  travaux  merveilleux  et  admirables  de  la  végétation  (cf.  la  chevelure 
de  Si/,  voy.  p.  295) ,  l'alfe  Idiinn  a  été  postérieurement  mise  en  rapport 
ii\tc\es  Âlfes-Sombres ,  et,  dès  lors,  considérée  comme  la  fille  d'/t^a/of, 
du  plus  grand  artiste  parmi  les  Dvergs  ou  Döckalfes. 

Le  printemps  ou  l'été  est  une  époque  de  renaissance,  de  rajeunisse- 
ment, de  restauration  pour  la  Nature,  et  pour  les  À  ses,  qui  sont  les  sym- 
boles et  les  représentants  de  la  Fie.  La  pomme,  de  tous  les  fruits  le  plus 
charnu  et  le  plus  substantiel ,  est  le  type  de  la  nourriture,  ou  de  la  res- 
tauration des  forces  vitales,  et ,  par  conséquent,  elle  a  été  choisie  pour 
symbole  mythologique  de  la  longévité,  et  de  Ximmoi^talité  (cf.  les  Pommes 
des  Hespérides).  Aussi  le  mythe  norrain  rapporte-t-il  que  la  Déesse  Idunn 
garde  les  Pommes  d'or,  dont  les  Ases  mangent,  chaque  année,  pour  re- 
devenir jeunes.  Ces  rajeunissements  se  succèdent,  tous  les  ans ,  jusqu'au 
Créjmscule  des  Grandeurs ,  c'est-à-dire  jusqu'à  la  fin  des  siècles.  Une 
fois  cependant,  le  père  de  Skadi ,  le  Géant  des  montagnes,  nommé 
Tliiassi  (voy.  p.  264) ,  et  le  représentant  des  vents  du  INord  et  de  l'Hiver, 
parvint  à  enlever  Idunn,  avec  ses  pommes ,  ce  qui  signifie  qu'il  réussit  à 
empêcher  ou  à  retarder,  pour  quelque  temps ,  la  renaissance  de  la  Nature 
au  printemps.  Mais  les  Ases  parvinrent  à  ramener  la  Déesse  avec  ses 
pommes ,  et  à  faire  cesser  la  faiblesse  ou  la  décrépitude ,  dans  laquelle  ils 
étaient  tombés ,  faute  de  pouvoir  se  restaurer  par  ces  fruits  qui  entre- 
tenaient leur  immortalité. 

Idunn,  présidant  à  la  vie,  se  tient  dans  les  parties  supérieures  ou  cé- 
lestes de  l'Arbre  de  Vie,  on  du  Frêne  d'Yggdrasil.  Elle  en  tombe ,  au 
solstice  d'été ,  quand  Baldur  dépérit ,  et  elle  descend  ,  avec  lui ,  dans  le 
Séjour  de  Hel,  situé  sous  la  racine  septentrionale  de  l'Arbre  de  Vie.  C'est 
là  qu'elle  séjourne  jusqu'à  ce  qu'elle  puisse ,  au  printemps ,  remonter  au 
haut  de  l'Arbre.  Mais  un  jour  elle  en  tombera,  pour  ne  plus  remonter; 
c'est  à  l'approche  de  la  Fin  du  monde. 

(33)  HEIMDALL  ;    HÖDUR  ;    VIDAR  ;    ULLR  ;    FORSETI. 

g  102.  Origine  stellaire  de  HeimdaU.  —  Les  peuples  de  la  branche  gète 
connaissaient,  au  premier  siècle  avant  notre  ère,  les  noms  de  près  de 
quatre  cents  étoiles.  Déjà  antérieurement  ils  avaient  appris ,  sans  doute 
des  Kimméro-Tkrdkes ,  que  V Étoile  du  Matin  (gr.  Astraïos)  était  le 
Fils  du  Soleil  {\oy.  les  Chants  de  Sol,  p.  111).  Or,  le  Soleil,  originai- 
rement soomorjo/ie ,  ayant  conservé,  traditionnellement,  l'ancien  nom 
épithétique  de  Ferrât {gèie  I/urs)^  l'astre  du  matin,  ou  le  dieu  qui  y  pré- 
sidait, était  désigné  sous  le  nom  de  Jfurings  (Issu  du  Verrat).  Ce  nom  se 
changea,  plus  tard ,  chez  les  Germains  ,  en  Ivaring,  chez  les  Saxons ,  en 
Iring ,  et,  chez  les  Scandinaves,  en  Eirîkr  ou  Rîgr.  Dès  le  premier  siècle, 
ïuvaring  ou  Rîgr  était  devenu  un  dieu-héros,  dont  on  ignorait  complète- 
ment les  rapports  avec  l'astre  du  matin,  mais  dont  on  savait  encore  qu'il 
était  fils  du  Soleil.  C'est  pourquoi  ce  dieu-héros,  fils  du  Soleil,  se  confondit 
avec  un  autre  dieu-héros,  fils  du  Soleil,  wommé  Ir min  (norr.  lörmun).,  qui 


NUMÉRO  (33)  (page  101)  ;  heimdallr.  :275 

était  représenté  i^âvunpin,  ou  un  arbre,  symbole,  à  la  fois,  et  de  V établisse- 
ment, ou  du  do7nicile  consacré  au  soleil  (v.  p.  223),  et  de  la  vie,  qui ,  dans 
la  Nature,  renaît  sous  l'influence  du  Soleil  printannier.  Aussi  Irmin  ou 
lörmun  eut-il,  d'après  son  symbole,  le  nom  de  Thallr  (Pin),  ou  de  Heim- 
dallr (Pin  du  Séjour),  et  ce  dernier  nom  prit  même  le  dessus  sur  celui  du 
dieu-héros  Rîgr  ou  ÞHng ,  avec  lequel  Irmin  et  Heimdall  s'étaient  con- 
fondus. Le  dieu  Heimdallr  (cf.  Mardöll,  Pin  de  Mer,  nom  de  Fréyia) 
hérita,  à  la  fois,  des  attributions  de  Irmin,  et  de  celles  de  If  ring,  comme 
le  prouvent  déjà  ses  deux  noms  épithétiques ,  celui  de  Heiyndallr ,  qui  est 
synonyme  du  saxon  Ermen-dur  (Arbre  de  Irmin),  et  celui  de  Rîgr,  qui  est 
synonyme  de  Iring.  Si  le  nom  de  Heimdall  rappelle  les  rapports  de  ce 
dieu  avec  Irmin,  les  mythes  de  Heimdall  se  rapportent  originairement, 
pour  la  plupart,  à  Rîgr  ou  à  If  ring ,  Y  Astre  du  matin,  et  le  fils  du 
Soleil.  Ifring  étant  dans  l'origine  le  Dieu  de  l'astre  du  matin ,  son  héri- 
tier Dali  ou  Heimdall  est  devenu  la  personnification  de  Vaube  matinale; 
et  il  a  été  probablement  considéré  comme  le  Père  de  Delling  (Issu  de 
Dali  ou  de  Heimdall),  lequel  était  le  père  de  Dagr  (Jour;  voy.  p.  200). 
Les  différentes  parties  successives  de  Vannée  étant  assimilées ,  selon  l'ha- 
bitude des  peuples  de  la  branche  gète ,  aux  diiïerentes  parties  successives 
átXdi  journée,  Heimdall ,  le  Dieu  de  VJube,  ou  du  commencement  de  la 
journée,  devint  aussi  le  Dieu  du  Printemps,  ou  du  commencement  de 
l'année.  Comme  Fils  du  Soleil,  Heimdall  porte ,  ainsi  que  le  dieu  du 
Soleil,  Baldur,  les  noms  épithétiques  de  Blanc ,  de  Illustre,  et  de  Saint 
(cf.  p.  259).  Heimdall,  d'après  les  mythes  épiques,  possède,  comme  les 
autres  Ases  (voy.  p.  224),  un  cheval ,  qui  est  nommé  Queue  d'Or,  parce 
que  YJurore,  qui  amène  VJube,  ou  porte  Heimdall ,  a  un  éclat  doré.  Les 
astres  du  ciel  étant  comparés  à  un  troupeau  de  moutons ,  dont  le  Soleil 
est  le  berger,  Heimdall  le  Blanc,  le  Dieu  de  l'Étoile  du  Matin,  deVJube, 
et  du  Printemps,  marche ,  pour  ainsi  dire,  à  la  tête  des  étoiles,  et  en  tête 
des  trois  mois  brilla?its  de  l'été  ,  et  des  douze  heures  blanches  ou  bril- 
lantes de  la  journée,  comme  le  chef  de  troupeau,  le  bélier  blanc,  marche 
à  la  tête  des  blanches  brebis.  C'est  pourquoi  ce  dieu  porte  encore  le  nom 
épithétique  de  Hallin-skidi  (Au  Bois-Retors,  A-la-Corne-Courbée),  qui 
désigne,  par  synecdoque  ,  le  bélier;  et ,  par  suite  de  ce  nom  épithétique 
de  Heimdall,  le  bélier  est  aussi  désigné,  en  poésie,  sous  l'épithète  mytho- 
logique á^Heimdali{\oy.Snorra  Edda ,  p.  221),  qui  signifie  Consacré 
à  Heimdall. Comme  Dieu  de  VJube,  et  du  Printem2os,  Heimdall  naît, 
pour  ainsi  dire ,  de  la  Nuit,  et  de  l'Hiver.  C'est  pourquoi'le  mythe  théogo- 
nique  le  rattache ,  d'un  côté,  par  sa  naissance,  à  la  race  des  loines,  les 
représentants  de  la  Nuit  et  de  l'Hiver,  et  de  l'autre,  par  sa  nature,  à 
la  famille  des  Ases,  les  représentants  du  Jour  et  de  l'Été.  Voilà  pour- 
quoi, dans  un  ancien  poëme,  miWnXé  Enchantement  de  Heimdall ,  dont 
il  ne  reste  plus  que  les  deux  vers  cités  ^^2^vSnorri,  il  est  dit  que  Heimdall 
est  le  fils  de  wei^/ Vierges,  toutes  des  sœurs  (cf.  hind.  Ganéças,  fils  de 
deux  mères),  et,  dans  la  34^  strophe  du  Chant  de  Hyndla ,  ces  wew/mères 
de  Heimdall  sont  nommées  :  i°  Gialp  (Abîme),  2"  Greip  (Mouffle),  3" 
Elgia  (Froidure),  4"  Angeyia  (Ile  de  Frayeur),  5°  Ulfrûn  (Compagne 
du  Loup),  6°  Orgiafa  (Produisant  de  la  Boue),  7°  Sindur  (Scorie),  8° 


276  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Atla  (Ourse) ,  et  9»  larnsaxa  (Hache  de  Fer).  Ces  noms  n'ont  ici  aucune 
signification  symbolique,  par  rapport  à  Heimdall,  mais  ce  sont  de  sim- 
ples noms  de  femmes  i'ofniques ,  lesquelles  représentent,  d'une  manière 
générale,  par  leur  nombre,  les  neuf  heures^  depuis  le  coucher  du  soleil 
jusqu'à  l'Aube,  ou  à  Heimdall ,  qui  naît  de  ces  neuf  heures^  ses  Mères.  En- 
suite ,  par  extension ,  ces  neuf  mères  figurent  encore  les  neuf  mois  de 
l'hiver,  lesquels  engendrent  le  Printemps,  ou  l'Aube  de  l'année,  person- 
nifiée également  dans  Heimdall. 

Bien  que,  par  ses  mères,  ou  par  son  exirsiCtion physique^  Jdeimdallsp- 
partienne  à  la  race  des  lotnes,  par  sa  nature  ou  son  caractère  comme  Dieu 
de  VAube  et  du  Printemps.,  il  appartient  à  la  race  lumineuse  et  bienfai- 
sante des  Ases  (voy.  p.  285).  Il  était  originairement  le  Fils  du  Soleil;  mais, 
ainsi  que  la  plupart  des  autres  Ases,  il  est  devenu  leíúsA'Odinn,  par  nulle 
autre  raison  si  ce  n'est  que  Odinn^  comme  Dieu  Suprême,  passe  aussi  pour 
être  le  Chef,  et  par  suite  pour  être  le  Père  des  Ases  (voy.  p.  tkTÎ).  Heimdall, 
le  Dieu  de  \Aube  (du  Commencement  úujour)^  et  du  P?  intemps  (du  Com- 
mencement de  Vannée),  est  devenu,  dans  la  suite  ,  par  une  abstraction 
cosmologique,  le  Dieu  du  Com7nence7nent des  choses  en  général  (cf.  Ga- 
néças  ,  Dieu  du  Commencement) ,  par  opposition  à  Loki  (Clôtureur;  voy. 
p.  285),  l'Étoile  du  soir,  qui  est  le  Représentant  de  la  fin  de  l'Été,  et  de 
la  Fin  du  Monde.  Aussi  est-il  dit,  qu'au  Crépuscule  des  Grandeurs 
(voy.  p.  1 35) ,  Heimdall  et  Loki  se  tueront  l'un  l'autre  ,  ce  qui  veut  dire 
que  le  Commencement  périt  par  la  Fin  ,  ou  que  la  Fin  terminera  le  Com- 
mencement. Mais  suivant  un  autre  mythe  cosmologique,  Heimdall,  con- 
sidéré comme  Dieu  de  l'Aube  et  du  Soleil  Printanier ,  périt  renversé  par 
une  Tête,  ce  qui  signifie,  sans  doute,  que  chaque  jour,  chaque  année, 
l'Aube  (Heimdall),  ou  le  Soleil  Printanier,  est  vaincu  ou  anéanti  par  l'éclat 
et  la  force  supérieure  du  Soleil  Matinal  et  du  Soleil  d'Été  ,  lesquels ,  l'un 
et  l'autre ,  sont  représentés  par  une  tête,  image  du  Soleil.  C'est  ainsi  que, 
d'après  le  mythe  grec ,  Prokris  (l'Aube)  est  tuée  par  son  époux  Képha- 
los  (Tête),  qui  est  le  symbole  du  Soleil  Matinal,  de  l'Amant  à! Aurore. 
C'est  ainsi  encore  que,  d'après  le  mythe  hindou ,  Ganéças  (le  Soleil  Prin- 
tanier), a  eu,  dans  son  enfance ,  la  tête  brûlée  par  les  ardeurs  de  Sani, 
le  fils  au  Soleil,  et  a  dû  la  remplacer  par  une  tête  d'éléphant,  c'est-à-dire 
par  la  tête  de  l'animal  pachyderme  qui,  chez  les  Hindous,  est  le  symbole 
du  Soleil  (cf.  les  éléphants  blancs  de  Siam) ,  comme  le  Sanglier  l'était  chez 
les  peuples  germaniques  et  slaves  (voy.  p.  274).  Ganéças,  ayant  perdu 
un  de  ses  ivoire^,  porte  le  surnom  de  Monodonte  (sansc.  Èkadantas)\ 
Heimdall  porte  l'épithète  de  Chrysodo^ite  (Dent  d'or) ,  sans  doute  parce 
que  ^  Fils  du  Verrat^  il  était  représenté  sous  la  figure  d'un  Sanglier,  ou, 
simplement,  avec  la  tête  d'un  Sanglier  ayant  des  défenses  d'or. 

Le  Dieu  du  Soleil  passait  non-seulement  pour  présider  à  la  végétation, 
mais  encore  à  la  génération.  Aussi  tous  les  peuples  d'origine  scythique 
se  disaient-ils  Issus  du  Soleil,  ou  de  quelque  Fils  du  Soleil.  Heimdall, 
en  sa  qualité  de  Soleil  printanier ,  qui  réveille  dans  les  hommes  les  sen- 
timents de  l'amour  sexuel,  devint,  plus  particulièrement,  le  dieu  qui 
présidait  à  la  Procréation ,  et  fut  considéré,  par  conséquent ,  comme  le 
Père  de  la  Nation.  Dans  l'origine ,  chez  les  peuples  de  la  branche  gète,  et 


NUMÉRO  (33)  (page  101);  vidarr.  277 

de  la  branche  sarmate ,  le  Dieu  du  soleil,  Frey7\  le  fils  AeNiördur,  ou 
bien  le  Fils  du  Ferrât  (Ivoring ,  Ivring) ,  lors  de  la  fête  du  printemps  , 
était  censé  parcourir  le  pays ,  de  l'orient  à  l'occident,  pour  rendre  la  terre 
fertile ,  et  faire  participer  les  hommes  à  tous  les  bienfaits  de  sa  présence 
divine.  Comme  la  plupart  des  mariages  se  célébraient  à  cette  même 
fête ,  la  procréation  passait  pour  s'opérer  alors  sous  la  protection  spé- 
ciale ,  et  sous  l'iniluence  mystérieuse ,  et  bienfaisante ,  du  Dieu  de  la  Géné- 
ration. Voilà  pourquoi  il  est  dit  dans  le  Chant  eddique  intitulé  Récit  de 
Rîgr  (Rîgs-mâl),  que  Heimdall,  sous  le  nom  de  Rîgr  (p.  Rtngr,  Rîkr, 
Irîngr,  Eirîkr^  Ifringr)^  passait  par  les  stnú^v^ fleuris  du  printemps, 
pour  assister  aux  mariages  célébrés  dans  les  différentes  classes  de  la  so- 
ciété (Nobles,  Paysans,  et  Serfs),  et  pour  sanctionner,  et  féconder,  par 
son  influence  mystérieuse,  l'acte  de  la  procréation ,  de  sorte  que  tous  les 
enfants  de  la  Nation ,  les  enfants  des  Nobles ,  des  Paysans,  et  des  Serfs  , 
pouvaient  passer  pour  les  descendants  de  Rîgr,  et  être  désignés  par  le 
nom  de  Fils  de  Heimdall  (norr.  Heimdallar  rnegir ;y.  Völuspa^  1). 
Plus  tard  ,  les  rois ,  surtout  ceux  qui  se  disaient  issus  de  Freyr,  se  sub- 
stituaient à  ce  dieu  Rîgr,  et,  à  la  fête  du  printemps,  la  première  après 
leur  avènement,  ils  parcouraient  le  pays,  pour  confirmer  et  sanctionner, 
par  leur  présence  personnelle,  tout  ce  qui  était  considéré  comme  formant 
le  Bien-être  physique ,  moral ,  et  social  du  peuple  :  c'est  ce  qu'on  ap- 
pelait chevaucher  par  le  Chemin  du  Fils  du  Verrat  (norr.  Eriksgatu 
rida). 

Comme  Fils  du  Soleil  qui  éclaire  tout,  qui  voit  tout,  et  qui  est  le  Gar- 
dien du  Troupeau  céleste  ,  le  Dieu  Heimdall  n'était  pas  seulement , 
comme  son  père,  le  Protecteur  et  leGardedu/}ewp/e(cf.  scytho-gr.  Teuta- 
ros;  norr.  Thiodvarr) ,  mais  aussi  le  Gardien  des  Ases.  En  sa  qualité 
de  Gardien  ou  Portier  des  Dieux,  Heimdall  (cf.  sansc.  Gatiéças^  Gar- 
dien des  Dieux)  demeure  à  l'entrée  du  ciel ,  là  où  le  Potit-de-l'Âse  (voy. 
p.  2ll)  touche  à  VEnclos-des-Ases.  Suivant  la  strophe  13«  des  Dits  de 
Grimnir  citée  par  Snorri,  la  Demeure  de  Heimdall,  placée  à  l'Entrée 
du  ciel,  est  nommée  Roches-Célestes  (voy.  p.  240),  parce  qu'elle  est  une 
forteresse  placée  au  nord-est ,  sur  des  montagnes  ou  Roches ,  qui  touchent 
au  ciel  (cf.  sansc.  Kailasas;  Mérous).  Heimdall,  le  Portier  des  dieux  , 
est  naturellement ,  comme  tout  ce  qui  se  trouve  chez  les  Ases ,  le  type  ou 
V idéal  du  gardien;  aussi,  dans  les  mythes  épiques,  est-il  représenté 
io\\]0\}iYS  vigilant ,  et  éveillé  ;  il  lui  faut  moins  de  sommeil  qu'à  un  oiseau 
(cf.  Vedur-fölnir  ;  Egdir;  Ari).  11  a  la  meilleure  viœ  (cf.  gr.  Argeïos; 
Lunkeus ;  Fhinéus)  ^  afin  de  s'apercevoir ,  de  loin,  du  danger  qui  ap- 
proche. Il  a  encore  la  meilleure  ouïe,  afin  que  le  moindre  bruit  lui  donne 
l'éveil,  et  le  mette  sur  ses  gardes  contre  l'Ennemi.  Pour  donner  l'alarme, 
Heimdall  a  la  trompe  merveilleuse,  nommée  Cor  de  Retentissante  (voy. 
p.  229) ,  qu'Odinn  a  acquise,  pour  lui ,  au  prix  de  son  œil  droit  (voy. 
p.  230). 

g  103.  Origine  solaire  de  Vidarr.  —  Chez  les  tribus  scythes ,  environ 
vers  l'an  600  avant  Jésus-Christ,  Targi-tavus ,  le  Dieu  anthropomorphe 
du  soleil,  était  devenu  le  type  du  Héros  (sansc.  Kchatjas  destructeur  ; 
scythe  Skaïs)^  c'est-à-dire,  le  type  du  Chasseur,  du  Guerrier,  et  du 


278  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Prince.  En  sa  qualité  de  jeune  guerrier  et  chasseur,  le  Dieu  du  soleil 
portait  les  armes  distinctives  des  Scythes  nomades  et  guerriers ,  savoir 
y  arc,  les  Jlèches,  et  le  bouclier.  Les  flèches  (scyth.  arvus  ;  norr.  orr) 
du  Dieu  du  soleil  étaient  également  les  symboles  des  rayons  du  soleil 
(cf.  russe,  sirêla  flèche;  v.  ail.  strala  rayon).  Targitavus ,  qui  passait 
pour  un  excellent  archer,  eut  le  nom  épithétique  de  Skotaris  (Tireur 
d'arc),  que  les  Scythes -Hellènes  et  les  Grecs  ont  rendu  par  la  forme 
transposée  de  Toksaris.  Le  bouclier  ou  la  targe  (scythe  targa  ;  norr. 
targa)  était,  chez  les  Scythes,  l'arme  distinctive  des  Rois  et  des  Princes  : 
la  targe  de  Targi-tavus  symbolisait  le  disque  brillant  du  soleil,  et 
c'est  d'après  cette  targe  brillante  que  le  Dieu  du  soleil  eut  le  nom  épi- 
thétique de  Targitavus  (Brillant  de  Targe).  Dès  le  sixième  siècle  avant 
Jésus-Christ,  Targitavus,  le  Dieu-Héros  dii  soleil  fécondateur  se  con- 
fondit en  partie  avec  Pirkunis  le  Dieu  de  l'orage  fécondateur  (v.  p.  233). 
Par  cette  fusion  des  attributions  de  Dieu  du  soleil,  et  de  Dieu  de  1  orage, 
Targitavus  eut  beaucoup  d'analogie  avec  Iléraklès  considéré  à  la  fois 
comme  Dieu  du  soleil ,  et  comme  Dieu  de  la  foudre.  Aussi  les  Scythes- 
Hellènes  et  les  Hellènes  donnaient -ils  à  Targitavus ,  le  nom  de  Héra- 
klès.  Kallimachos  rapporte  même  que  le  Héraklès  de  Thèbes  apprit 
de  l'Hercule  scythe,  ou  de  Skotaris  (Tireur),  à  tirer  de  l'arc  (voy.  Les 
Gètes ,  p.  181);  ce  qui  signifie  que  les  Grecs  ont  donné  à  leur  Dieu 
Héraklès,  pour  attributs,  l'arc  et  les  flèches,  en  imitation  des  attributions 
du  Dieu  scythe  Targitavus,  comme,  au  sixième  siècle  avant  Jésus- 
Christ,  l'Hercule  grec  a  eu  la  peau  de  lion ,  comme  symbole  emprunté  à 
l'image  de  l'Hercule  égyptien.  Plus  tard,  chez  les  Gètes,  l'héritier  et  le 
successeur  de  Targitavus,  savoir  le  Dieu  du  soleil  et  de  la  foudre 
Skalmoskis  (gr.  Tsalmoksis) ,  eut  aussi  la  peau  d'ours ,  en  imitation  de 
la  peau  de  lion ,  dont  était  revêtu  l'Hercule  grec  ;  et  d'après  cette  peau 
d'ours,  il  eut  précisément  le  nom  épithétique  de^Æa/wo-sA^slA-la-Peau; 
voy.  Les  Gètes,  p.  191).  De  même  que  le  Héraklès  grec  était  fils  de  Zevs 
(Tivîâ,  Ciel),  de  même  Targitavus  était  aussi  le  fils  de  Tivus  (Ciel)  et 
A'Apia  (Terre).  Or,  Tivus  et  Jpia  étant  V Aïeul  (sythe  Pappaïus),  et 
VJïeule  (scyth.  Tatâ  ;  slav.  Deda;  norr.  Edda;  gr.  Dâ  ou  Dê-mèter)  des 
Scythes,  leur  fils  Targitavus  fut  aussi  considéré  comme  le  Père  de  la 
Nation.  A  l'époque  où  les  Scythes  s'étaient  déjà  divisés  en  Scythes 
royaux  (Guerriers),  en  Scythes  nomades,  et  en  Scythes  sédentaires 
{agricoles)^  Targitavus  devint,  dans  la  tradition  généalogique,  le  Père  de 
trois  fils,  ou  de  trois  Héros  ou  Destî-ucteurs  (scythe  Skaïs).  Vaine  de  ces 
héros  était  Hleipo^ Skaïs  (Héros  au  Bouclier;  Hérod.  Leipo-ksaïs) 
dont  le  nom  (qui  est  analogue  à  celui  de  son  père  Brillant  de  Targe)., 
indique  que,  comme  aîné  et  comme  chef,  il  était  distingué  par  son 
bouclier.  Aussi  les  Scythes- Hellènes  substituèrent- ils,  au  nom  de 
Hleipo- skaïs ,  celui  de  Skuta  (Bouclier;  gr.  Skuthès).  Les  difl"érentes 
tribus  rattachèrent  leur  origine  au  Dieu  du  soleil,  par  l'intermédiaire  des 
Héros  ses  fils ,  qui  devinrent  les  héros  éponymes  des  tribus  de  la  nation. 
Les  tribus  formèrent  et  modifièrent  ces  traditions  généalogiques  dans  le 
gens  dicté  par  leur  amour  propre  national.  Hleïpo-skaXs  devint  le 
Vère  des  Jukhafes  (norr.  Àukadhir ,  agrandis;  Plin.  Auchatæ ;  Eu- 


NUMÉRO  (33)  (page  102)  ;  vidarr.  279 

chatæ),  c'est-à-dire  des  Scythes  7'oyanx,  puissants,  ou  agrandis  par  la 
force  de  leurs  armes.  Les  Scythes-Hellènes ,  modifiant  quelque  peu  cette 
tradition  généalogique,  disaient  que  Héraklès  (scythe  Targitavus) ^  ^n- 
gendra,  avec  Echidna  (scythe  Jpia)^  trois  fils  dont  l'aîné  était  Skula 
(gr.  Skuthès),  qui  devint  la  souche  des  Scythes  royaux.  Skuta  avait  deux 
fils,  \)  Palos  (p.  Palhos,  Chassé,  Exilé,  Errant;  si.  Folos;  germ.  Vols) 
dont  descendaient  les  Palhies  (cf.  norr.  Folswigar) ,  et  2)  Napès 
(Nuage;  cf.  si.  nebo;  lat.  7nibes ;  norr.  7ii/l  petit  nuage,  brouillard)  dont 
descendaient  les  A' ör;j/e5  (cf.  norr.  Niflungai),  qui,  selon  la  tradition, 
périrent  entièrement  avec  les  Palhies  iPlin.  H.  i\.  M,  19). 

Chez  les  Gétes^  Targitavus,  le  Dieu  du  soleil  et  de  l'orage,  eut  pour  hé- 
ritier et  successeur  Skalmoskis^  qui,  comme  Dieu  de  V Orage  féconda- 
teur, se  confondit  en  partie  avec  le  Dieu  des  Æ'awa?  fécondantes,  et  fut,  par 
conséquent,  considéré  comme  le  Fils  du  Dieu  Frindus,  appelé  aussi 
Haguneis  (norr.  Hœnir)^  et  de  la  déesse  Frindus  (norr.  Rindw). 
Comme  Dieu  du  soleil,  Skalmoskis  eut  le  nom  épithétique  de  Fît-hars 
(Auguste  de  l'Étendue),  à  cause  de  l'éclat  auguste  (gète  hars  ;  ail.  Iiehr) 
que  répand  le  soleil  sur  Vetendue  de  la  terre  (norr.  land-vîti)^  et  sur 
Vétendue  de  la  mer  (norr.  viti).  Les  attributions  de  Skalmoskis  ou 
Fit-hars  passèrent  dans  la  suite  les  uns  àlialdur  et  kFreyr.  les  autres 
à  Odi?in  et  à  T/iôr.  Il  ne  resta  à  Fit-hars  que  son  nom ,  sa  qualité  de 
Dieu-héros,  et  quelques  mythes,  que  les  peuples  de  la  branche  gète  ne 
savaient  déjà  plus  s'expliquer.  Fit-hars  passa  dans  la  Mythologie  Scan- 
dinave sous  le  nom  de  Fith-harr,  qui  se  changea  plus  tard  en  Fîd-arr. 
Odinn  étant  devenu  le  Chef  ^i  le  Père  des  Ases,  et  Thôr  étant  devenu 
le  Dieu  de  l'orage  d'été,  Fidar  devint  aussi  le  fils  ú'Odtnn  (substitué 
à  Hœnir),  et  le  frère  de  Thôr,  et  il  fut  considéré  comme  le  Dieu  de  la 
Tempête  en  hiver.  En  cette  qualité,  il  passa  pour  être  le  fils  de  la 
géante  Gridur  (Impélueuse),  qui,  par  son  bâton  magique  (norr.  Gridar- 
völr)j  soulève,  excite,  et  apaise  les  tempêtes  en  hiver.  Dans  la  tradi- 
tion mythologique ,  Fîdar  garda  son  Domicile  nommé  Étendue  de  Pays 
(norr.  Land-vîti).,  qui  lui  avait  été  attribué  en  sa  qualité  de  Dieu  du 
soleil  ;  seulement  le  mythe  ajouta  que  ce  Séjour  est  couvert  de  brous- 
sailles et  d'herbe  de  bruyère,  indiquant,  parla,  que  ce  Séjour  du  Dieu  des 
tempêtes  d'automne  et  à' hiver  est  une  bruyère  déserte  et  peu  fréquentée. 
Fidâr  est  surnommé  YAse  taciturne.  Dans  l'origine  cette  épithète 
énonça,  sans  doute,  symboliquement,  quecetAse,  comme  fils  du  Dieu  et 
de  la  Déesse  des  Eaux,  appartenait ,  par  son  père  et  surtout  par  sa  mère, 
à  l'élément  profond,  mystérieux,  et  silencieux  de  l'eau.  Plus  tard,  cette 
taciturnité  n'eut  plus  de  signification  syynbolique,  mais  indiquait  seule- 
ment, au  point  de  vue  épique,  que  Fîdar  était  un  héros  qui  méditait, 
en  silence,  de  grands  et  vastes  projets  (cf.  lat.  Magna  volvens;  ail. 
stille  fFasser  gi^iinden  tief).  Fîdar,  comme  ancien  fils  de  la  Déesse 
des  Eaux ,  est  l'ennemi  du  Feu.  Aussi  est-il  le  vainqueur  du  Loup  de 
Fenrir^  qui  est  le  Représentant  du  Feu  destructeur  du  Monde  (v.  p.  288). 
Pour  ne  pas  se  brûler,  dans  cette  lutte  avec  ce  Loup,  lorsqu'il  faudra 
mettre  le  pied  sur  la  mâchoire  inférieure  de  ce  monstre,  et  lui 
plonger  l'épée  dans  la  gueule  jusqu'au  cœur,  Fîdar,  suivant  le  mythe 


280  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

épique,  conçu  plus  tard,  est  armé  d'un  Soulier  de  Fer  (norr.  larn-skô)^ 
de  môme  que  son  frère  Thôr  est  armé  de  Gantelets  de  Fer  (norr.  iat^n 
glôfar)^  pour  ne  pas  se  brûler  les  mains  en  maniant  la  Foudre-ardente 
(voy.  p.  257),  et  que  les  Chevaux  de  Sol  sont  raffraîchis  par  le  Fer- 
Réfrigérant  (norr.  Isam-Kôl,  voy.  p.  203).  La  tradition  populaire  a 
substitué,  dans  la  suite,  au  Soulier  de/er ,  un  énorme  soulier  en  cuir; 
et  elle  a  rapporté  que  les  Dieux  ont  fabriqué  ce  Soulier-Épais ,  dans  le 
cours  des  siècles  ,  avec  les  rognures ,  provenant  des  découpures  que  les 
Scandinaves  avaient  alors  coutume  de  faire ,  à  la  pointe  et  au  talon  de 
leur  chaussure.  Comme  il  fallait  évidemment  un  temps  immensément 
long  pour  achever,  avec  de  petites  rognures,  l'énorme  soulier  que  Vîdar 
devait  chausser  au  Crépuscule  des  Grandeurs  (voy.  p.  135),  le  peuple 
superstitieux  voyait,  dans  cette  tradition,  à  la  fois,  un  indice,  une  garantie, 
et  une  preuve  que,  de  l'avis  même  des  Dieux,  qui  ne  se  hâtaient  guère 
dans  la  confection  de  ce  Soulier,  la  fin  du  Monde  devait  être  encore  bien 
éloignée.  Le  peuple  y  trouvait  en  même  temps  l'explication  d'un  ancien 
usage,  qui  consistait,  chez  les  Scandinaves,  à  jeter,  à  abandonner,  ou  à 
sacrifier  aux  Ases  les  découpures  des  souliers,  et  il  y  voyait  une  forte 
recommandation  d'observer  religieusement  cet  usage,  afin  de  venir  en 
aide  aux  Dieux  pour  la  confection  du  Soulier  de  Vîdar,  sans  lequel  il 
serait  impossible  à  cet  Ase  de  vaincre  le  Loup  de  Fenrir.  Vîdar  le  fils  de 
la  Géante  Grîdur,  ne  faiblit  pas  en  hiver  ^  comme  les  autres  Ases  (voy. 
p.  274).  Aussi,  dans  cette  saison,  il  prend  la  place  de  son  père  Odinn 
et  de  son  frère  Thôr,  comme  Chef  et  Protecteur  des  Dieux.  C'est  ainsi 
qu'au  Festin  ù'Œgir  [Œgisdrikka;  voy.  Poèmes  isl.^.  324)  qui  est 
supposé  avoir  eu  lieu  au  commencement  de  l'hiver,  Vîdar  agit  et  parle 
au  nom  de  son  père  Odinn.  Au  Crépuscule  des  Grandeurs ,  qui  est 
\ hiver  du  Monde ,  Vîdar  descend  de  son  cheval  (symbole  du  Vent),  dans 
son  séjour  nommé  Laîidvîdi,  comme  un  guerrier  descend  de  cheval,  à  la 
fin  de  la  journée;  mais  ce  n'est  pas  pour  se  reposer;  c'est  pour  s'apprêter 
au  combat.,  c'est  pour  prendre  la  place  de  son  père  qui  vient  de  périr, 
et  pour  venger  sa  mort  en  tuant  le  Loup  de  Fenrir.  Vîdar ,  le  rempla- 
çant ù'Odinii  à  la  Fin  du  monde ,  reviendra ,  après  la  catastrophe,  pour 
régner,  comme  successeur  é! Odinn,  dans  VEnclos-des-Ases  renouvelé 
(voy.  Grimmnis  rnâl,  17). 

1 104.  Hödur,  ancien  Dieu  du  combat.  —  Le  second  fils  du  Dieu-héros 
Targi-tavus  était  nommé  Arvo-skaïs  (Destructeur  ou  Héros  aux 
Flèches).  Ce  nom  rappelait  par  sa  signification  celui  de  Targitavus, 
surnommé  Skotaris  (Archer).  Dans  la  suite  Arvo-skaïs,  considéré  sur- 
tout comme  Combattant,  fut  surnommé  Katus  (Combat).  Ce  qui  prouve 
qu'il  avait  déjà  ce  nom  épithétique,  au  moins  au  cinquième  siècle  avant 
Jésus-Christ,  c'est  que  la  tradition  généologique,  qui  remonte  à  cette 
époque  rapporte  que  Arvo-skaïs  était  X^père  des  Katu-vares  (Gardes 
du  Combat;  Herod.  Kati-aroï;  Plin.  Coti-eri)^  et  des  Trasuës  {\\^v(\\^\ 
scytho-gr.  Transes;  Hérod.  Traspies),  c'est-à-dire  des  Scythes  qui  étaient 
restés,  ce  qu'ils  avaient  été  de  tout  temps,  des  nomades  guerriers,  et 
hardis  au  combat.  D'après  les  Scythes-Hellènes  le  second  fils  de  Héra- 
klès  (Targitavus)  était  Aga-thursos  (Très-Hardi) ,  qui  correspondait  à 


NUMÉRO  (33)  (page  102)  ;  hödur.  281 

Jrvo-skaïs  le  père  des  Transes  (Hardis).  Comme,  dans  le  combat,  le 
chef  était  entouré  de  ses  fils  et  descendants,  le  nom  de  Gardes  du  Com- 
bat était  synonyme  de  Fils  de  Combat.  Chez  les  Gètes,  le  Dieu-héros 
Katus  (Combat),  le  fils  áeSkalmoskis  (gr.  Héraklès ;  Zalmoksis)  devint 
le  Dieu  du  combat;  et  comme  la  fortune  des  combats  est  chanceuse, 
incertaine,  et  aveugle,  et  que  les  combattants ,  arrivés  au  paroxisme  de  la 
fureur,  frappent  en  aveugles,  Katus,  le  Dieu  du  combat ,  fut  surnommé 
V Aveugle.  Dans  la  suite  Vathans  (Odinn),  étant  devenu  Dieu  Suprêrne , 
et  Dieu  des  Combats,  Katus  (norr.  Hödur)  fut  considéré  comme  le  fils 
d'Odinn,  et,  par  suite,  comme  \q  frère  áeBaldur.  Ayant  perdu  son  attri- 
bution principale  de  Dieu  du  Combat,  Hödur  tomba  au  rang  de  Divinité 
secondaire;  il  ne  figurait  plus  dans  le  Culte ,  mais  seulement  dans  le 
Mythe,  et  dans  la  Tradition  épique.  Ce  qui  prouve  que,  chez  les  peuples 
de  la  branche  gète,  le  nom  deKatu ,  ou  Ha  du,  avait  pris  peu  après  la  signi- 
fication abstraite  de  Combat.,  ce  sont  les  noms  propres  usités  chez  les 
Goths  et  les  Germains,  tels  que,  par  exemple,  les  noms  de  Katu-valda 
(lat.  Catualda^  Dirige-Combat),  de  Hadu-brand  (Épée  du  Combat),  etc. 
Cependant,  chez  quelques  tribus  germaniques,  comme  les  Chatu-vares{\2iL 
Catu-arii;  Plin.  Coti-e?'i ;  scythe  Katu-varai)^  et  les  Katuës  (lat.  Catti., 
p.  Catvi ,  Issus  de  Katus)  ou  les  Hazzi ,  (les  pères  des  Messes,  dont  des- 
cendent les  Hessois) ,  le  nom  de  Katu  ou  Hazzi  semble  être  encore 
resté  le  nom  d'un  Dieu-héros  éponyme.  Dans  la  langue  et  dans  la  Mytho- 
logie du  Nord,  le  nom  de  Hödur  n'a  pas  pris  la  signification  abstraite 
de  Combat^  mais  il  a  désigné  un  Dieu-Héros  aveugle,  qu'on  se  figurait 
peut-être  encore  comme  le  Dieu  de  la  brume  de  l'automne  (cf.  Mist,  p. 
108).  Comme  la  brume  couvre  le  soleil,  et  répand  l'obscurité,  le  Dieu 
Hödur ,  suivant  le  mythe ,  n'est  pas  borgne ,  comme  Odinn  ;  il  est  com- 
plètement aveugle  (cf.  Helblindi  p.  96).  Pour  exprimer,  ensuite,  que 
le  temps  brumeux  de  l'automne  met  fin  à  l'éclat  et  à  la  chaleur  du  soleil 
d'eYé,  le  Mythe  énonce  que  Hodur,  le  Représentant  de  la  brume  de 
Y  automne^  tue  Baldîir,  le  Représentant  de  l'été.  Comme  Ase,  et  comme 
frère  de  Baldur,  il  ne  lue  pas  ce  Dieu  par  haine  ou  méchanceté  ;  mais , 
étant  aveugle,  il  le  tue  par  inadvertance  ;  il  est  l'instrument  aveugle  et 
innocent  de  la  méchanceté  de  Loki  (voy.  p.  285).  C'est  ainsi  que,  d'après 
le  Mythe  grec,  Képhalos  (le  Soleil  matinal,  voy.  p.  276),  a  tué,  par  iîiad- 
vertance,  son  épouse  Prokris  (l'Aube  matinale).  Comme  le  principal  fait 
épique  de  Hodur  est  d'avoir  donné  la  mort  à  Baldur ,  ce  Dieu-héros 
porte  le  surnom  de  Baldurs-bani  (Tueur  de  Baldur).  Dans  les  anciennes 
épopées,  l'épithète  de  Tueur  (scythe  skaïs)  de  tel  ou  de  tel,  est  géné- 
ralement un  surnom  honorifique,  parce  qu'il  indique  que  le  héros  ,  qui 
le  porte,  a  vaincu  quelque  monstre,  ou  quelque  ennemi  puissant  et 
dangereux.  Pour  l'épopée  indienne,  dans  laquelle  ces  épithètes  sont  in- 
nombrables, il  suffit  de  citer,  comme  exemples,  Vritri-has  (Tueur  de 
Yritri),  Satrou-ghnas  (Tueur  de  Satrous),  Dhoundou-mâras  (Broyeur 
de  Dhoundous);  Madhou-Soudanas  (Destructeur  de  Madhous)  etc.  Dans 
l'épopée  grecque  figurent  Argei-fontès  (Tueur  d'Argos),  Bellero-fontès 
(Tueur  de  Belleros),  Hektôr  andro-fonos  (Hector  Tueur  d'hommes) 
etc.  Dans  l'épopée  Scandinave ,  il  y  a  Fafnis-bani  (Tueur  de  Fafnir) , 


282  COMMENTAE  CIRRITIQUERPE  PÉTUEL. 

Hundings-bani  (Tueur  de  Hunding),  Tunna-dolgr  (L'ennemi  deTunni). 
^am-^e/ea  (Tueur  de  Beli,  voy.  §129).  Cependant  le  nom  de  5«/i/M;-5-6awe 
(Tueur  de  Baldur)  n'est  pas  un  titre  glorieux,  mais  un  nom  qui  rappelle 
un  grand  malheur.  Il  ressemble  beaucoup,  par  sa  signification  et  par  sa 
forme,  au  nom  grec  du  Héros  Bellero-^yhôn ,  qui  était,  comme  Hödur, 
le  dédoublement  d'un  ancien  Dieu  solaire ,  et  qui  reçut  ce  nom  purement 
épithétique  et  épique,  parce  qu'il  avait  tué,  par  inadvertance,  son  parent 
Belleros  (cf.  Baldurr  p.  Baldurs)  ou,  d'après  une  autre  tradition  (Jpol- 
lod.^  IL  3, 1,)  son  frère  Deliadès  (le  Déliade  ou  Fils  d'Apollon  de  Délos). 
Si,  comme  il  est  probable,  le  Soleil  Baldur  a  des  rapports  mytholo- 
giques avec  le  Soleil-Seigneur  Adonis  (cf.  heb.  Baal  Maitre,  et  Ado7i  Sei- 
gneur), Hödur,  le  brumeux,  qui  a  tué  Baldur,  correspondrait  au  sanglier 
qui  a  tué  Adonis,  et  ce  Sanglier ,  comme  le  Verrat  á'Erymanthe ,  et 
comme  Erymanthos  le  fils  d'Apollon,  aveuglé  par  Aphrodite,  serait,  ainsi 
que  le  Dieu  Hödur,  le  symbole  de  l'automne  ou  de  l'arrière-saison. 

g  105.  Origine  solaire  du  Dieu-héros  Ullr.  —  Le  plus  jeune  des  trois 
fils  de  l'Hercule  scythe  Targitavus,  était  Kola-Skaïs ,  nom  qui  signifie 
Héros  à  la  Roue.  Dans  la  langue  sarmate,le  mot  Koli  (p.  Kvali)  signifiait 
cercle,  roue,  et  dérivait  du  même  radical  que  le  mot  scythe  Sval  (cercle, 
soleil;  voy.  Les  Gètes,  p.  177).  Aussi  le  mot  Koli  (anglos.  geola  ;  norr. 
hjul)  désignait-il  le  soleil,  qu'on  se  figurait  soit  comme  une  roue,  soit 
comme  un  bouclier  rond.  Kolaskaïs  était  donc,  dans  l'origine,  le  Héros 
portant  un  bouclier  brillant,  comme  son  père  Targitavus  était  brillant 
par  la  large.  11  était  le  Père  des  Paralates  (Amoindris;  norr./örladhir) 
c'est-à-dire  des  Scythes  agricoles,  qui,  ayant  commencé  en  Europe,  au 
cinquième  siècle  avant  notre  ère ,  à  se  livrer  à  l'agriculture  ,  passaient 
pour  les  cadets  de  la  race ,  et  pour  s'être  abaissés  et  amoindris  par  leurs 
occupations  agricoles ,  à  l'opposé  des  Auchates,  qui  s'étaient  anoblis 
par  les  armes  (voy.  p.  279).  Les  Scythes-Hellènes  donnaient  au  troisième 
fils  du  Héraklès  scythe,  le  nom  de  Gelonos ,  qui  correspond  au  nom  scythe 
Svalianas  (solaire  ;  cf  grec  selas  et  gelas  l'éclat)  et  au  nom  slave 5/aro/i 
(solaire,  slave).  Gelonos,  le  Fils  du  Soleil ,  devint  le  nom  du  Dieu  éponyme 
des  Gelones  (Solaires ,  Slaves)  qui,  comme  habitants  de  la  cité  de  Buda , 
portaient  aussi  le  nom  de  Budines.  Les  Budines  ou  Gelones  étaient,  en 
partie,  agriculteurs  comme  les Para/«ies,  auxquels  ils  correspondaient. 
Leur  père  éponyme  Gelonos  était  donc  un  fils  du  Soleil,  Protecteur 
de  l'agriculture.  Chez  les  peuples  gètes,  Kola-skaïs,  avec  son  bouclier 
brillant,  eut  le  nom  épithétique  de  Vultus  (Éclat;  lat.  vultus  visage; 
anglos.  vuldor  miracle;  ail.  wunder).  Comme  fils  du  Soleil,  il  devint, 
chez  les  Gètes ,  aussi  fils  de  Skalmoskis ,  qui ,  s'étant  substitué  au  Dieu 
Vrindus.,  était  l'époux  de  la  Déesse  Vr  in  du  s  [xiorv.  Bindi/r),  laquelle, 
plus  tard,  fut  remplacée,  en  partie,  par  la  Déesse  Si/.  Vathans  (Odinn), 
étant  devenu  Dieu  Suprême,  et  Père  des  Ases,  fut  aussi  considéré  comme 
le  Père  de  Vulthus  (norr.  Vllur)  ;  et  Vllr  devint ,  dans  la  Mythologie 
Scandinave,  le  Fils  de  Sif  (qui  s'était  substituée  à  Rindur)^  et,  par  consé- 
quent, le  beau-fils  de  Thôr,  l'époux  de  Sif.  Dans  l'origine  Thóreí  Ullr, 
comme  Protecteurs  de  l'agriculture,  avaient  des  attributions  analogues; 
mais  Thðr  prit  le  dessus  sur  son  beau-fils,  de  sorte  que  Ullr.  n'ayant 


NUMÉRO  (33)  (page  102);  vali;  forseti.  283 

plus  d'attribution  spéciale,  tomba  au  rang  de  Divinité  secondaire;  il  ne 
figurait  plus  dans  le  culte  ,  mais  seulement  dans  les  mythes ,  et  dans  les 
traditions  épiques.  Thôr  étant  le  protecteur  des  paysans ,  pendant  l'été, 
i:7/r  devint  leur  protecteur,  pendant  l'hiver.  Or,  comme  en  hiver,  le  paysan 
se  faisait  chasseur,  Ullr  devint  aussi  le  protecteur  des  chasseurs.  C'est 
en  cette  qualité  qu'il  eut  l'épithète  de  Ase  à  la  Chasse  (norr.  Veidi- 
As)  ou  aeAse-à-l"Arc  (norr.  Bogu-As).  Sa  demeure  au  ciel  était  nom- 
mée Vallées  de  l'Arc  (norr.  Y-dalir).  Comme,  dans  le  Nord,  la  chasse 
se  faisait  principalement  en  hiver,  sur  les  glaces  et  dans  les  neiges,  Ullr 
le  chasseur,  ainsi  que  la  Déesse  chasseresse  Skadi,  excellait  à  courir 
sur  barres  ou  sur  raquettes  (voy.  p.  263)  ;  de  là  son  nom  épithétique  de 
Ase-aux-Barres  (norr.  Öndur-As).  La  chasse  étant  le  simulacre  et  le 
pendant  de  la  guerre ,  Lllr,  qui ,  comme  son  prototype  Kolaskais,  avait 
un  bouclier  brillant,  passait  pour  être  le  modèle  du  Chef -guerrier.  II 
eut  le  nom  épithétique  de  Ase  au  Bouclier  (norr.  Skialdar-As).,  et 
c'est  par  son  bouclier  ou  Cercle  (norr.  Hringr)  Sacré,  qui ,  dans  l'ori- 
gine, était  le  symbole  du  soleil,  que  les  guerriers  juraient ,  ou  prêtaient 
serment  {Atla-kcida.  31).  t'Y/r  s'étant  servi ,  dans  une  circonstance, 
de  son  bouclier  ^  en  guise  de  bateau,  les  Skaldes  se  sont  avisé  de  dé- 
signer quelquefpis  le  bouclier  des  guerriers  par  l'expression  éiiigma- 
tique  (cf.  p.  147)  de  Navire  d'Ullr. 

C'est  en  hiver  que  se  manifeste  l'action  de  Ullr;  mais,  affaibli  qu'il 
est,  dans  cette  saison ,  comme  tous  les  Ases ,  il  faut  que  les  hommes  lui 
viennent  en  aide,  pour  qu'il  puisse  lutter  avec  succès  contre  Içs  lotnes. 
A  cet  effet  il  s'agit  d'élever  la  température  de  l'air,  ou  d'empêcher  que  la 
glace  ne  prenne  le  dessus,  puisque  la  froidure  permettrait  aux  lotnes 
de  pénétrer  dans  le  Séjour  des  hommes  et  des  Dieux.  C'est  pourquoi  les 
hommes  doivent  allumer,  en  hiver,  des  feux  sous  leurs  chaudrons,  soit 
sous  les  chaudrons  de  sacrifice ,  soit  sous  les  chaudrons  où  ils  cuisent 
leurs  aliments,  soit  enfin  sous  les  chaudrons  où  ils  brassent  leur  bière. 
Celui  qui,  à  l'approche  de  l'hiver,  place,  le  premier ,  le  chaudron  sur  le 
feu,  a  les  faveurs  á'Ullur  et  des  Ases  (voy.  Grimnis  mal  42). 

l  106.  Vali ,  ancien  Dieu  de  la  mort.  —  Chez  les  Scythes,  Artin-paza 
la  Déesse  de  la  Lune ,  se  confondit ,  de  bonne  heure,  avec  la  Déesse  de  la 
Nuit.  Or,  la  nuit,  du  sein  de  laquelle  toutes  les  créatures  paraissaient 
naître,  et  au  sein  de  laquelle  toutes  semblaient  rentrer,  était  consi- 
dérée, à  la  fois,  comme  V Origine  et  la  Mère,  et  comme  la  Fm  et  la 
Destruction  des  Choses.  La  Déesse  de  la  Lune  eut  donc  les  attributions 
contradictoires  de  Déesse  de  la  Génération  ou  de  la  Vie ,  et  de  Déesse 
de  la  Mort  ou  de  la  Destruction  (voy.  Les  Gètes ,  p.  208).  Le  Dieu 
du  Soleil  Targitavus  et  sa  sœur  Artin-paza  étant  intimement 
réunis  dans  le  culte  et  dans  la  tradition ,  ces  deux  Divinités ,  fils  et  fille 
du  Dieu  et  de  la  Déesse  Vrindus,  se  communiquèrent  aussi,  l'une  à 
l'autre,  la  plupart  de  leurs  attributions.  Artin-paza  étant  Déesse  de  la 
Mort,  son  frère  devint  également  Dieu  de  la  Mort.  En  cette  qualité . 
Targitavus  eut  le  nom  épithétique  de  Kvalius  (Effrayant,  Noir  ;  sansc. 
Kâlyas  ;  gr.  Hâdès  p.  Hâlès),  comme  sa  sœur  eut  celui  de  Kvâlia  (sansc. 
Kâli  ;  norr.  Nel).  Targitavus  passa  dans  la  religion  des  Gètes ,  sous  le 


284  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

nom  de  Skabiwskis  ou  Gebleistis,  et  conserva,  entre  autres,  ses  attri- 
butions de  Dieu  de  la  Mort,  ou  de  Seigneur  des  Trépassés.  Les  Gètes 
croyaient  que  ceux  qui  mourraient  allaient  trouver  au  ciel  leur  Dieu 
Skalmoskis  ou  Gebleistis  {Hérod.  IV,  ^í).  CommÇi  Skalmo skis  éimi 
aussi  un  Dieu-héros,  les  guei^riers,  après  leur  mort  sanglante,  devinrent 
ses  Compagnons  d'armes  (cf.  norr.  Einheriar).  En  sa  qualité  de  Sei- 
gneur des  Occis,  Skalmoskis  avait  le  nom  épithétique  de  Kvaleis,  qui, 
dans  quelques  dialectes  gètes,  s'est  changé  en  létales,  et,  dans  d'autres, 
en  Hvaleis  (voy.  Les  Gètes  p.  \  97),  ou  Haleis  (cf.  norr.  halir).  Thaïes  ou 
Valeis,  le  fils  de  Chaguneis  (norr.  Hœ7iir)etdel{i7idus,  devint,  comme  Sei- 
gneur des  Trépassés,  une  Divinité  distincte  de  Skalmoskis.  Mais  bientôt 
Fathans  (Odinn),  étant  devenu  Dieu  Suprême  et  Dieu  des  Occis,  enleva 
sa  principale  attribution  à  Valeis,  qui  fut  dès  lors  considéré  comme 
Ms  de  ce  Chef  des  Ases.  Dans  la  Mythologie  Scandinave,  Vâli  (p.  Vâlis) 
ou  Hâli  ou  Ali,  comme  fils  à' Odinn  et  de  Rindur,  devint  par  cela  même 
\ç^  frère  de  Baldur,  le  soleil  d'été.  L'Hiver  et  l'Occident  étant  la  saison 
et  le  côté  de  la  'thort,  Vali ,  l'ancien  Dieu  de  la  mort,  est  dit  né  en  hiver, 
et  à  X Occident  du  ciel.  Comme  rien  n'est  si  caché  qu'il  puisse  échapper 
à  la  mort,  Vâli  habite,  à  l'Occident  du  ciel,  un  Endroit  nommé  Vâla- 
skialf  (Chaumine  de  Vali  ;  cf.  Hlidskialf^.  240),  d'où  il  embrasse,  de 
son  regard ,  le  monde  entier.  Agé  seulement  A'une  nuit  annale,  c'est-à- 
dire,  d'un  mois  d'hiver,  Vâli,  selon  le  Mythe,  tue  son  frère  Hödur, 
comme  celui-ci  avait  tué  son  frère  Baldur;ce  qui  veut  dire  que,  chaque 
année,  l'Hiver,  représenté  par  le  Dieu  de  la  mort  Vali,  met  fin  à  V Au- 
tomne, représenté  par  Hödur ,  la  bitume  d'automne  ,  comme  celui-ci  a 
mis  fin  à  l'été,  représenté  par  le  Soleil  d'été  Baldur.  Selon  les  idées  des 
Scandinaves ,  tout  meurtre  devait  être  vengé  parle  ^\\\%  proche  parent 
de  celui  qui  avait  succombé.  C'est  pourquoi  il  est  dit  que  Baldur  est 
vengé ,  sur  Hödur,  par  son  frère  Vâli.  Par  suite  de  sa  nature  hivernale, 
comme  Dieu  de  la  Mort,  Vâli  ne  périt  pas,  avec  les  autres  Ases,  dans  le 
grand  et  terrible  Hiver  du  Monde,  bu  au  Crépuscule  des  Grandeurs; 
il  survit  à  cette  catastrophe,  et  revient,  avec  les  Fils  des  anciens  Ases, 
habiter  le  ciel  renouvelé. 

g  107.  Forseti,  dédoublement  de  Baldur.—  Le  nom  de  For^eft' ne  signifie 
pas  Président,  mais  Proposant ,  c'est-à-dire  Chef  du  jury,  qmpropose 
la  décision  judiciaire  à  prendre  par  les  assesseurs  ou  jurés.  Proposant 
est  une  spécialisation  ou  dédoublement  úe Baldur,  ou,  comme  s'exprime 
le  Mythe ,  le  Fils  de  Baldur,  du  Soleil  qui  voit  tout ,  qui  sait  tout ,  et  qui 
est  le  Symbole  de  la  Vérité  et  de  la  Justice.  Comme  Fils  de  Baldur,  Pro- 
posant prononce  des  jugements  justes  et  infaillibles ,  comme  le  sont  ceux 
de  son  père  (voy.  p.  259).  Étant  le  Dieu  de  h  Justice,  qui  ramène  la  paix, 
ou  prévient  la  discorde  ,  Proposant  est  aussi  le  Dieu  de  la  Palæ  et  de  la 
Concorde,  et,  sous  ce  rapport,  il  est  l'opposé  de  l'Ase  Tyr,  qui  aime  la 
guerre,  et ,  pour  cela,  ne  reconcilie  jamais  les  hommes  (voy.  p.  272).  D'a- 
près la  strophe  lö^des  Dits  de  Grit?inir  ciiée  par  Snor?'i,  le  lieu  de 
justice  où  siège  Proposant  est  nommé  Étiticelant  {\oy.  p.  239). 

(34-)  LOKi  ;  HEL  ;  et  le  serpent  de  l'enclos-mitoyen. 
§  108.  Loki ,  Symbole  de  l'Astre  du  Soir.  —  Loki ,  comme  l'indique 


NUMÉRO  (34)  (PAGE  103)  ;  LOKI.  285 

son  nom ,  qui  signifie  Clôtiirevr,  préside  à  la  clôture  (norr.  /oA),  ou  à  la 
fin  des  Choses.  11  est  à  considérer,  en  tout ,  comme  l'opposé  â&Hehn- 
dall  (voy.  p.  276).  Si  Heimdall  est  la  Personnification  de  l'Étoile  du  Ma- 
tin ,  de  l'Aube  du  jour,  et  du  Commencement  de  l'année  ou  du  printemps, 
Loki  est  la  Personnification  du  Crépuscule  du  soir,  et  du  Commencement 
de  l'hiver.  Si  Heimdall  représente  \ Origine  des  choses,  des  hommes,  et 
du  monde ,  Loki  présage  la  Fin  des  choses,  des  hommes,  et  du  monde.  Si 
Heimdall  est  le  Gardien  vigilant  et  fidèle ,  qui  se  sacrifie  pour  les  Dieux, 
Loki  est  le  traître  A^^Ases,  et  il  trouve  plaisir  à  les  plonger  dans  toutes 
sortes  d'embarras  ;  de  là  lui  viennent  ses  surnoms  épiques  de  Détracteur 
des  Jses,  de  Conseiller  de  Perfidies,  de  Déshonneur  des  Dieux.  Heim- 
dall étant  en  tout  son  antagoniste ,  c'est  aussi  contre  cet  Ase  que  Loki 
lutte,  au  Crépuscule  des  Grandeurs  (voy.  p.  435).  Comme  Personnifica- 
tion du  Commencement  du  soir  et  de  l'hiver ,  Loki  est  moitié  Génie  de 
Lumière,  moitié  Esprit  des  Ténèbres  :  sa  nature  est  donc  double,  et  il 
tient  le  milieu  entre  les  Jses,  qui  représentent  le  Jour  et  l'Été,  et  les 
lotnes ,  qui  représentent  la  Nuit  et  l'Hiver.  Comme ,  d'après  la  Mythologie 
Scandinave  ,  la  Fin  du  monde  est  amenée  par  le  Feu  destructeur ,  Loki 
est  une  spécialisation  áeSurtur  (voy.  p.  1 74),  le  Dieu  du  monde  ig?ié;  aussi 
est-il  quelquefois  lui-même  la  Personnification  du  Feu  destructeur  (voy. 
p.  322).  Comme-la  nature  du  feu  tient  de  la  lumière  bienfaisante,  et  n'est 
nuisible  que  par  ses  effets  pernicieux ,  Loki,  en  tant  que  Personnification 
du  Feu,  appartient  aux  J  If  es- Lumineux ,  et  ne  se  rapproche  des  lotnes 
que  comme  Principe  destructeur.  C'est  pourquoi  il  compte,  généralement, 
parmi  les  Jses,  et,  accidentellement,  parmi  les  lotîtes  ;  et  sa  nature  double 
ou  mixte  est  ainsi  partagée  qu'il  tient  à  la  race  áesAses,  par  sa  7}ière,  et  à 
la  race  iotnique,  par  son  père.  De  sa  mère  il  tient  son  beau  corps  brillant 
et  lumineux ,  de  son  père  provient  son  caractère  méchant  et  malfaisant. 
Son  père,  qui  est  l'opposé  de  Mundilfari  (voy.  p.  201),  et  une  spéciali- 
sation de  Nörvi  (voy.  p.  198) ,  se  nomme  Farbauti  (Bute-Voyage),  parce 
qu'il  est  le  Symbole  de  la  tombée  de  la  nuit,  où  le  voyageur  interrompt 
sa  marche ,  ou  bute  sa  journée.  Sa  mère ,  qui  est  le  symbole  de  la  terre 
automnale  jonchée  de  feuilles ,  porte,  chez  les  Ases,  le  nom  de  Laufey 
(Ile  ou  Terre  de  feuillage;  cf.  Bar-ey;  Angeyia).,  et,  chez  les  lotnes, 
le  nom  Aq  Aiguille  (norr.  Nâl  ;  v.  h.  ail.  Nadala)^  laquelle  est  le  sym- 
bole de  la  Faim  piquante  (cf.  norr.  nâlgr).  Les  frères  de  Loki  sont  nom- 
més, l'un  Byl-eist  (Pousse-Grain;  cf.  Beystla^  voy.  p.  185),  le  Symbole 
du  Vent,  qui  excite  ou  amène  le  grain  ou  le  tourbillon ,  cause  d'obscurité; 
l'autre  Helblindi  (Aveuglé  de  Hel) ,  le  Symbole  de  la  faible  lueur  du  soir, 
par  opposition  à  la  lueur  vive  et  brillante  du  jour.  Loki  lui-même  porte 
le  nom  de  Loptr  (Aérien) ,  par  rapport  au  feu,  dont  les  flammes  tendent  à 
s'élever  en  haut  ou  en  l'air.  Comme  symbole  du  soir,  Loki  a  pour  femme 
Sigyn  (p.  Sig-vin,  Aime-Chute),  parce  qu'elle  désire  la  chute  du  jour,  ou 
la  tombée  de  la  nuit.  Leur  fils ,  qui  s'appelle  Nori  ou  Nörvi  (Crépuscu- 
laire) ,  est  le  Père  de  la  Nuit{soy.  p.  498).  Comme  Symbole  de  la  fin  ter- 
rible des  Choses,  Loki  a  pour  femme  Angur-bodi  (Messagère  d'Angoisse); 
et  il  a  engendré  avec  elle  plusieurs  Êtres  malfaisants,  ennemis  des  Ases , 
et  destinés  à  détruire  le  monde.  C'est  pourquoi  Loki  et  Angurbodi'yiwtwi., 


286  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

dans  la  Mythologie  Scandinave,  le  même  rôle  que  Kasiapas  et  Kadrou 
dans  la  Mythologie  indienne,  ou  Typhon  (Vaporeux)  etÉchi-dna  (Femme- 
Serpent)  dans  la  Mythologie  grecque ,  c'est-à-dire  qu'ils  passent  pour  les 
parents  de  plusieurs  Êtres  monstrueux,  pernicieux,  et  malfaisants. 

g  109.  Le  Serpent  de  l'Enclos-Mitoyen,  Symbole  de  l'Océan.  — D'après 
le  symbolisme  de  l'Antiquité  ,  l'inondation  considérée  par  rapport  à  ses 
eifets  terribles  ou  nuisibles,  est  représentée  par  l'hydre  (gr.  hudria 
aquatique) ,  dont  les  mouvements  ondulatoires  rappellent  l'agitation  on- 
dulée des  vagues  (voy.  Les  G  êtes ,  p.  253).  Voilà  pourquoi  l'Océan  pri- 
mitif, qui  sert  de  couche  à  Vichnous ,  est  symbolisé ,  dans  la  Mythologie 
hindoue,  par  le  Serpent,  appelé  ^?ia?zto5  (Sans-iin),  ou  Çéchas  (Rejeté). 
D'après  Pline  et  Solin,  le  Serpent  ou  Dragon  du  Jardin  des  Hespérides 
signifie  les  Eaux  agitées  qui  entourent  et  protègent  ce  jardin.  Dans  les 
légendes  du  Moyen  âge  ,  les  inondations ,  apaisées  par  l'intervention  des 
Saints,  ont  aussi  été  symbolisées  par  des  Serpents  ou  Dra^ow* ,  domptés 
par  ces  Saints.  Tels  sont,  par  exemple,  la  Chair-salée  (voy.  p.  183)  à 
ïroyes ,  le  Dragon  de  Saint-Marcel  à  Paris ,  la  Gargouille  de  Saint- 
Romain  à  Rouen  ,  lesquels  symbolisent  les  inondations  de  la  Seine.  Tels 
sont  la  Kraulla  à  Reims,  sur  la  Vesle,  le  Dragon  de  Saint-Bienheuré 
à  Vendôme  sur  le  Loir,  la  Grande -Gueule  ou  la  Bonne-Sainte-Ver- 
mine à  Poitiers,  au  coniluent  du  Clain  et  de  la  Boivre,  la  Grouille  (cf. 
Kraulla)  à  Metz  sur  la  Moselle,  la  Tarasque  à  Tarascon  sur  le  Rhône, 
etc.  Dans  la  Mythologie  norraine ,  l'Océan  agité ,  qui  menace  sans  cesse 
d'envahir  le  Continent  ou  V Enclos-Mitoyen,  est  symbolisé  par  la  grande 
Hydre,  appelé  le  Serpent  de  l'Enclos- Mitoyen ,  qui  entoure  la  Terre  de 
son  anneau. 

Les  Anciens  se  figuraient  que ,  si  le  soleil  ne  faisait  pas  évaporer  sans 
cesse  une  grande  partie  des  eaux  de  la  mer  ,  celle-ci  finirait  par  envahir 
les  continents.  C'est  pourquoi  ils  supposaient  que  le  Soleil  buvait  les 
eaux  de  la  mer,  et,  pour  cette  raison,  il  eutlenomépithétique  de  Buveur 
(sansc.  papis  ;  lat.  bibax).  Les  ancêtres  des  Scandinaves  considéraient 
aussi  le  Soleil  {Irmun,  Vénérable,  voy.  p.  275;  norr.  lormiin)  comme  le 
principal  Adversaire  du  Serpent  de  l'Enclos-Mitoyen  ;  et  comme  le  ser- 
pent en  général  passait  pour  un  Sinïmsil /as cinateur,  on  supposait  que 
le  Serpent,  symbole  de  l'Océan  ,  se  défendait  contre  le  Soleil,  moyennant 
la  magie.  C'est  pourquoi  il  eut  aussi  le  nom  de  Pascinafeur-Solaire 
{norr. /or mun- g andr).  Quelques-unes  des  attributions  du  Dieu  du  Soleil, 
et,  entre  autres,  celle  d'Adversaire  du  Fasci7iateur  au  Soleil,  ayant  passé 
à  Thôr  (voy.  p.  252),  ce  Dieu  est  devenu ,  dans  la  Mythologie  norrame,  le 
grand  Ennemi  du  Serpent  de  Mer,  qu'il  tâche  sans  cesse  de  tuer,  ou  du 
moins  de  dompter.  Thôr,  comme  Fils  de  Iö?'d  (Terre) ,  est ,  par  cela  même, 
déjà  le  Protecteur  de  V Enclos-Mitoyen  (Terre) ,  et  il  le  protège  contre 
les  débordements  de  l'Océan ,  ou  contre  les  envahissements  du  Fascina- 
teur-Solaire.  Toutes  les  fois  qu'il  y  a  flux ,  le  Serpent  semble  aller  à  l'at- 
taque, et  avoir  le  dessus,  mais  lorsqu'il  y  a  reflux,  c'est  que  Thôr  par- 
vient à  repousser  et  à  vaincre  l'hydre  de  l'Océan. 

C'est,  sans  doute,  encore  un  souvenir,  ou  un  reste  de  ce  mythe  Scan- 
dinave ,  que  ce  grand  Serpent  de  mer,  dont  certains  journaux  de  Paris, 


NUMÉRO  (34)  (page  403);  hel.  287 

sur  de  prétendus  rapports  de  marins,  entretiennent  leurs  lecteurs,  de 
temps  en  temps.  D'après  le  capitaine  Herriman  (si  toutefois  ce  nom  n'est 
pas  une  pure  fiction),  ce  serpent  de  mer,  sur  lequel  on  débite  tant  de  fa- 
bles, ne  serait  qu'un  immense  amas  d'herbes  marines ,  iîottant  et  balancé 
par  la  houle,  avec  un  mouvement  ondulé  et  rampant.  (Voy.  Le  Voleur, 
15  Juillet  1849.) 

Le  Serpent  de  l'Enclos- Mitoyen  a  été  considéré  comme  issu  de  Loki 
et  A'  Jngiirbodi ,  par  nulle  autre  raison  si  ce  n'est  qu'il  semblait  naturel 
de  rapporter  l'origine  de  cet  être  redoutable  à  Loki  et  à  Angurhodi ,  qui 
passaient  pour  la  Souche  de  beaucoup  de  monstres  'pernicieux  (voy.  p.  286). 

§  110.  Hel,  originairement  Déesse  de  la  lune.  —  Chez  les  Scythes , 
Jrtinpaza,  la  Déesse  de  la  Lune ,  était  à  la  fois  Déesse  de  la  Production, 
et  de  la  Mort  (voy.  p.  283).  Comme  Déesse  de  la  Mort ,  elle  portait  le  nom 
épithétique  de  Kvalia  (voy.  Les  Gètes,  p.  213).  Dans  la  religion  des 
Gètes ,  ia  Déesse  de  la  Lune  portait  le  nom  de  Skabnoskis,  et  garda ,  sous 
le  nom  de  Halia ,  ses  attributions  de  Déesse  des  Trépassés.  On  se  figu- 
rait que  les  trépassés  passaient  dans  la  lune,  et  c'est  pourquoi  il  est  dit  que 
lorsque ,  à  la  fin  des  siècles,  Mcmagarmr  (v.  p.  21 1)  parvient  à  se  saisir  de 
la  lune ,  il  se  fera  un  festin  sanglant  de  tous  les  trépassés  qui  s'y  trouvent 
domiciliés.  Lorsque ,  plus  tard ,  le  Génie  Mâni  fut  substitué  à  l'ancienne 
Déesse  de  la  Lune  (voy.  p.  202) ,  Hel  (p.  Halia)  s'est  spécialisée  comme 
Déesse  de  la  Mort  ;  et ,  dans  la  Mythologie  Scandinave  ,  elle  passa  pour 
la  Déesse  présidant  au  neuvième  Séjour ,  appelé  le  Séjour-Brumeux 
(voy.  p.  170).  C'est  là  qu'elle  reçoit  les  hommes  qui  sont  morts  de  ma- 
ladie ou  de  vieillesse  ,  ou  qui  n'ont  pas  été  choisis ,  c'est-à-dire  invités 
par  Odinn  (voy.  p.  206)  ou  p3ir Freyia ,  ou  par  quelque  autre  Jse  ou  yisy-, 
nie,  à  se  rendre  chez  eux  au  ciel.  Le  Séjour  de  Hel  est  triste  et  lugubre, 
comme  le  Tartaros  des  Grecs,  VOrcus  des  Latins,  le  Pâtâla  des  Hin- 
dous ,  et  le  Scheol  des  Hébreux.  Les  enceintes  hautes ,  et  les  grilles  élevées 
y  empêchent  toute  tentative  d'évasion  ou  de  sortie.  Dans  la  Mythologie 
norraine ,  la  Salle  de  Hel  est  nommée  Eliudnir  (p.  Eli-vidnir,  Tempé- 
tueux au  Loin),  parce  que  c'est  un  immense  Espace,  où  régnent  les  vents 
froids  (cf.  ail.  kalt,  frappé  de  mort,  froid),  L'Écuelle  de  la  Déesse,  qui 
devrait  contenir  de  quoi  apaiser  sa  faim ,  est  \ Appétit  (norr.  hungr  ; 
sansc.  kantchas ,  désir,  faim) ,  ou  la  Faim  elle-même.  Son  Couteau  c'est 
V Inanition,  qui  donne  des  tranchées  (norr.  nâlgr,  voy. p.  283),  dans  les 
entrailles.  Si  la  première  qualité  d'un  bon  serviteur  est  la  promptitude , 
les  serviteurs  de  Hel,  tout  au  contraire,  se  distinguent  par  leur  exces- 
sive lenteur.  La  herse  qui  ferme  l'Entrée  du  Séjour  de  Hel^  est  appelée 
Calamité- Tombante ,  puisque ,  dès  que  cette  herse  tombe,  ou  s'abat,  la 
calamité  commence  pour  ceux  qui  viennent  d'entrer  dans  cet  Empire  fu- 
neste. Le  seuil  de  la  porte  d'entrée  est  nommé  Fatigant  de  Souýrance, 
parce  que  ceux  qui  le  passent  éprouvent  les  fatigues  de  la  souffrance  mor- 
telle. La  Couche  de  Hel ,  loin  de  restaurer  ses  forces  par  le  sommeil , 
ressemble  au  grabat  sur  lequel  gémit  le  malade  ,  qui  est  las  d'insomnie, 
et  de  douleur.  Le  rideau  du  .lit  de  Hel,  au  lieu  de  favoriser  le  sommeil , 
l'inquiète  au  contraire ,  en  laissant  entrevoir ,  sans  cesse ,  un  mal  ou  un 
danger  menaçant.  Hel  est  à  moitié  bleue ,  c'est-à-dire  qu'elle  a  la  couleur 


288  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

livide  et  bleuâtre  des  cadavres  refroidis  par  la  mort  (cf.  Blâinn,  p.  '176). 
La  mort  étant  comme  la  conséquence  de  la  destruction  ou  de  layin  (norr. 
lok)  des  êtres ,  Hel  est  naturellement  considérée  comme  la  Fille  de  Loki, 
et  á'Angurbodi  (voy.  p.  285). 

(35)   LE    LOUP    DE    FENRIR. 

g  111.  Signification  symbolique  du  Loup  de  Fenrir.  —  Les  feux  sou- 
terrains ,  qui  sont  lancés  au  ciel  par  les  volcans,  sont  symbolisés  par  le 
Loup  de  Fenrir.  Le  mot  Fenrir  (p.  Fenaris)  signifie  Ecumant,  Effer- 
vescent (cf.  sansc.  phé7ia  écume;  anglos./<»m;  ail.  feim;  lith.  pienas; 
lett.  peens)^  et  désigne  les  masses  écumantes  et  eiîervescentes  qui  bouil- 
lonnent dans  les  entrailles  de  la  terre.  Comme  ces  feux  souterrains 
passent  pour  des  feux  nuisibles,  Fenrir,  qui  les  représente,  est  symbolisé 
par  un  Loi^p^  c'est-à-dire  par  l'animal  nuisible,  vorace,  et  destructeur 
par  excellence  (voy.  p.  207),  et  il  porte  ,  entre  autres,  le  nom  épithétique 
AeBêted'Occision  (voy.  p.  136),  qui  est  synonyme  úeLoup^  parce  que  cet 
animal  vorace  suit  les  armées  et  dévore  les  cadavres  des  guerriers  qui 
restent  sur  le  champ  de  bataille  (voy.  p.  209).  Ensuite  comme  représen- 
tant du  feu  nuisible ,  il  est  considéré  naturellement  comme  le  Fils  de 
Loki,  qui,  lui  aussi,  est  le  symbole  du  Feu  destructeur  du  Monde  (voy. 
p.  285).  Sa  mère  est  la  géante  Jngurbodi,  qui  était  sans  doute  la  fille  de 
l'Iotne  Hvedrungr  (Issu  de  Hvedur,  Tempête).  Aussi  Fenrir  est -il 
encore  appelé  le  Rejeton  de  Hvedrung  (voy.  p.  136).  La  bave  qui  dé- 
coule de  la  gueule  écumante  du  Loup  de  Fenrir  représente  les  laves , 
qui  sortent  et  découlent  du  cratère  des  volcans.  Ces  feux  souterrains, 
vomis  par  le  Loup,  et  réunis  à  ceux  qui  proviennent  du  Monde  igné ,  repré- 
senté par  Surtur  (voy.  p.  174),  produisent  l'embrasement  universel  qui  dé- 
truira la  création  à  la  fin  des  siècles.  Le  Loup  qui  lance  ses  feux  en  l'air 
menace  d'embraser  le  ciel ,  et  c'est  pourquoi  son  principal  adversaire 
c'est  le  Maître  du  ciel,  c'est  le  chef  des  Ases,  Tyr,  l'ancien  Dieu  du 
Ciel,  auquel  plus  tard  Odinn  a  été  substitué,  comme  Dieu  5w/?ré'me. 
Aussi  c'est  Odiîin  qui  luttera  contre  le  Loup  de  Fenrir,  dans  le  terrible 
combat  du  Crépuscule  des  Grandeurs.  Odinn  succombera,  mais  sa 
mort  sera  vengée,  sur  le  loup,  par  son  fils  Vîdar  (voy.  p.  280). 

g  112.  Les  Ases  enchaînent  le  Loup  de  Fenrir.  —  Odinn  et  les  Ases, 
voyant  ce  Loup  ,  qui  les  menaçait  de  destruction,  grandir  et  prendre  de 
la  force,  prirent  des  mesures  pour  l'enchaîner  et  l'empêcher  ainsi  de  leur 
nuire.  Les  moyens  et  les  ruses ,  auxquels  ils  ont  eu  recours  pour  parvenir 
à  le  lier,  font  ici  le  sujet  d'un  conte  populaire ,  d'une  date  relativement 
postérieure ,  mais  qui  est  remarquable,  et  pour  le  fond  mythologique, 
et  pour  la  forme  de  la  narration.  Pour  le  fond,  nous  y  voyons  un  exemple 
frappant  de  cet  esprit  inépuisable  en  expédients ,  en  ruses  ,  en  persua- 
sions, en  chicanes,  qui  caractérise  la  race  normande.  Quant  à  la  forme, 
le  récit  clair,  vif,  piquant  de  ce  conte,  nous  révèle  parfaitement  le  talent 
de  narration ,  que  Snorri  possédait  à  un  haut  degré. 

Des  deux  liens  que  les  Ases  ont  d'abord  fabriqués,  eux-mêmes ,  pour 
lier  le  Loup ,  l'un  est  nommé  Insinuant,  puisqu'il  devait  être  de  nature 
à  se  faire  accepter  du  Loup  sans  répugnance,  et  l'autre  est  nommé 


NUMÉRO  (35)  (page  105)  ;  le  loup  de  fenrir  enchaîné.    289 

Serrant,  puisqu'il  devait,  selon  l'intention  des  Ases,  serrer  fortement  la 
gorge  au  Loup  de  Fenrir.  Ces  liens /ees  ou  magiques  étaient,  sans 
doute,  faits,  l'un  et  l'autre,  de  soie;  car  le  fil  de  soie,  ou  fil  d'or  joue, 
au  Moyen  âge,  un  grand  rôle  comme  lien  magique.  Ces  deux  liens,  ainsi 
que  leurs  noms,  étaient  probablement  aussi  mentionnés  dans  l'ancienne 
tradition  mythologique,  puisqu'ils  ont  donné  lieu  aux  locutions  prover- 
biales de  se  dégager  de  l'Insinuant,  et  de  s'arracher  au  Serrant, 
pour  dire  faire  des  efforts  désespérés.  Les  Ases  n'ayant  pas  pu  fabri- 
quer, eux-mêmes^  un  lien  assez  fort  pour  enchaîner  le  Loup,  s'adressent 
aux  Dvergs  ou  Jlf es-Noirs  (voy.  p.  239) ,  qui  passent  pour  exceller  dans 
tous  les  arts  industriels  et  dans  la  Magie.  Ceux-ci,  sur  la  commande 
faite  par  le  messager  des  Dieux  Skirnir  (voy.  p.  305),  fabriquent  un  lien 
magique  nommé  Étranglant.  C'est  un  nœud  féé,  qui,  par  cela  même 
qu'il  est  fait  moyennant  la  magie,  se  compose,  comme  toutes  les  choses 
merveilleuses,  d'éléments  extraordinaires,  introuvables,  impossibles 
même.  Ces  six  éléments  dont  il  est  composé  n'ont  pas  ici  de  signification 
symbolique  ou  allégorique  ;  ils  désignent,  en  général,  des  choses  introu- 
vables ,  et  sont  imaginés  seulement  pour  indiquer  la  nature  extraordi- 
naire de  ce  lien.  Mais  ce  qui  prouve  que  ce  n'est  pas  Snorri  qui  a  ima- 
giné ces  éléments,  c'est  V allitération  qui,  dans  le  texte,  réunit  les 
mots  désignant  ces  choses,  et  qui  fait  naturellement  supposer,  que  cet 
auteur  a  puisé  ces  détails  dans  un  document  en  vers,  qui,  sans  doute, 
n'existe  plus  de  nos  jours  (voy.  F.  Magnusen,  Lexicon  mytholog.  p.  338). 

Dans  le  Nord,  toutes  les  fois  qu'on  avait  besoin  d'un  endroit  sûr, 
isolé ,  et  inaccessible,  soit,  par  exemple,  pour  un  duel(norr.  hôlmgangr. 
Rendez-vous  à  l'îlot),  ou  pour  une  prison  (voy.  Vöhindar  Kvida ,  16),  on 
choisissait  quelque  ?/oi  dans  un  fleuve,  ou  dans  la  mer,  ou  dans  un  lac. 
Aussi  est-il  dit  que  les  Ases  rendaient  le  Loup  prisonnnier,  en  l'enchaî- 
nant dans  une  île  déserte,  appelée ^rz/yère ^  et  située  dans  le  lac  nommé 
Amsvartnir  (Noirci-de-Peine).  C'est  ainsi  que,  d'après  une  tradition 
populaire  en  Suède,  le  Géant-Magicien  Gilhertil  fut  enchaîné  dans  l'île 
de  Vising,  située  dans  le  lac  de  Vættur.  D'après  un  document  mytho- 
logique inédit  (voy.  Lexicon  mytholog.  p.  340),  le  rocher  auquel  est 
attaché  Fenrir  se  trouve  sur  une  hauteur  nommée  St-glitnir  (Toujours 
Étincelant),  et  la  bave ,  ou  la  lave,  qui  sort  de  la  gueule  ou  du  cratère  du 
Loup  écumant ,  forme  deux  fleuves ,  qui  sont  nommés  Vil  (Lamentation) 
et  Von  (Regret),  et  se  mêlent  aux  eaux  du  lac  Noirci-de-Peine.  Pour 
expliquer  pourquoi  les  Ases  n'ont  pas  tué  le  Loup ,  Snorri  donne  pour 
raison  qu'ils  n'ont  pas  voulu  ensanglanter  leur  demeure  sacrée.  Mais, 
d'abord,  le  Loup  n'a  pas  été  enchaîné  dans  la  demeure  céleste  des  Ases, 
et,  ensuite,  la  raison  mythologique  véritable  en  est  que,  le  Loup  étant 
prédestiné  à  jouer  un  rôle  important,  à  la  fin  du  monde,  la  Mythologie 
n'a  pas  pu  le  représenter  comme  vaincu  et  tué  par  les  Ases,  mais  seule- 
ment comme  dompté,  et  enchaîné  temporairement,  et  attendant,  dans  les 
liens,  le  Crépuscule  des  Grandeurs,  pour  être  alors  déchaîné ,  et  pour 
se  ruer  sur  le  ciel,  et  sur  Odinn. 

Les  Scandinaves  avaient  l'habitude  d'allumer  des  bûchers  sur  les  hau- 
teurs (cf.  danois  bovne-hoïe)^  pour  signaler  l'arrivée  de  l'ennemi;  le 

19 


290  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

bûcher  allumé  (norr.  viti,  indice),  était  donc  le  signal  úe  la  guerre.  Le 
Louj)  de  Fenrir,  ce  symbole  du  Feu  dévastateur,  quand  une  fois  il  se 
déchaînera,  sera  le  signal  de  la  dévastation  universelle;  et  c'est  pourquoi 
il  porte  encore  le  nom  épithétique  de  Fifnir  (Signalant;  cf.  p.  209). 

(36)  LES  ASYÎSIES. 
§  113.  L'asynie  Saga,  spécialisation  de  la  Norne  Urdur.  —  La  concep- 
tion des  Déesses,  et  leur  nom  d'Jsynies  ont  déjà  été  expliqués  ci-dessus 
{§  85);  nous  avons  également  expliqué  la  conception  et  le  nom  de  la  déesse 
Frigg  (§  88).  Si  l'on  excepte  Yâsyme  Frigg,  qui  est  l'épouse  du  Dieu 
Suprême ,  et  qui  méritait  ainsi  d'être  nommée  la  première ,  il  n'y  a  pas 
lieu  d'établir  un  ordre  hiérarchique  entre  les  diiîérentes  Déesses.  Aussi 
Snorri  les  énumère-t-il  dans  un  ordre   qui  semble  l'effet  du  hasard. 
Après  avoir  nommé  r£)jow.çe  du  dieu  Odinn,  il  parle  de  Saga,  qui  était  son 
Amante.  Odinn,  étant  devenu  Dieu  suprême,  prit,  en* cette  qualité, 
les  attributions  de  l'ancien  Skalmoskis ,  considéré  comme  Dieu  de  l'In- 
telligence, de  V Histoire,  et  de  la  Poésie  (voy.  Les  Gètes,  p.  204).  Pour 
augmenter  son  intelligence  et  sa  prévision ,  Odinn  buvait,  tous  les  jours, 
à  la  Fontaine  de  Sagesse  de  Mimir  (voy.  p.  230).  Mais  pour  s'inspirer,  de 
l'enthousiasme  de  la  poésie  lyrico- épique  ou  héroïque,  il  buvait  l'hydro- 
mel, qui  était  sous  la  garde  de  son  Amante,  la  Géante  et  Valkyrie  Gunn- 
hliid  (Invite-au-Combat  ;  cf.  Hladgunnr).  Enfin,  pour  fortifier  sa  mémoire, 
et  pour  bien  se  rappeler  les  faits  de  la  Tradition  mythico-épique ,  Odinn 
buvait  l'onde  fraîche  de  Saga.  La  Tradition  historique  (norr.  mal) ,  qui 
avait  déjà  pris  le  caractère  épique,  mais  qui  se  rapportait  à  des  faits 
plus  modernes  que  l'ancienne  Tradition ,  prit  également  le  nom  de  Saga 
(dit,  récit,  narration),  et  comprenait  à  la  fois  l'histoire  proprement  dite,  et 
le  récit  fabuleux.  La  Déesse  Saga  est  la  Personnification  et  la  Muse  de 
l'Histoire  en  général.  Comme  cette  Asynie  n'appartient  pas  à  l'ancien 
fond  de  la  Mythologie,  elle  est  un  personnage  allégorique ,  plutôt  qu'un 
Symbole  de   la  Tradition  religieuse.  La  race  des  lotnes  étant  la  plus 
ancienne  du  monde  (voy.  p.  187),  elle  passait  pour  être  en  possession  de  la 
Science  traditionnelle  ou  historique  la  plus  ancienne.  Aussi  Saga  a-t- 
elle  une  origine  iotnique,  comme  les  Nomes  (voy.  p.  233);  elle  est  la 
spécialisation  de  la  Norne  Urdur  (Passée  ;  voy.  p. 233).  Après  les  lotnes, 
Odinn,  comme  le  plus  ancien  des  Ases,  était  le  plus  à  même  de  possé- 
der la  science  de  l'histoire.  Aussi  a-t-il  été  associé  à  la  Vierge  Saga. 
La  strophe  7  des  Dits  de  Grimnir  énonce  : 

«  Le  quatrième  (manoir)  est  Sökkvabekk;  là,  par-dessus,  peuvent 

«  Bruire  les  ondes  fraîches  ; 
«  Là ,  tous  les  jours ,  Odinn  et  Saga  boivent  ensemble, 
«Joyeux,  dans  des  coupes  d'or.  » 

Le  nom  de  Söckva-bekk  signifie  Banc  du  Submergé,  et  indique  que  le 
Manoir  de  Saga  était  un  rocher  ou  un  banc  sous-marin  (cf.  singa-stein) 
appartenant  à  l'iotne  Söckvi  (Submergé),  qui  était  peut-être  le  même  que 
Söck-mimir.  C'était  donc  une  demeure  sous  les  eaux,  comme  celle  des 
Nomes,  une  espèce  de  Puits  de  Sagesse  et  de  Vérité,  comme  il  convenait 
à  la  Muse  do  l'histoire  (voy.  p.  228).  Pour  entretenir  et  augmenter  le 


NUMÉRO  (36)  (page  i06)  ;  saga  ;  eir  ;  gàfion  ;  fulla.      291 

fonds  (l'esprit  et  de  science ,  dont  ils  sont  les  représentants  allégoriques, 
Odinn  et  Saga,  comme  le  fait  Mimir  (voy.  p.  230),  boivent  tous  les 
jours,  dans  des  coupes  d'or,  lesquelles  sont  les  symboles  de  l'Intelligence 
ou  de  la  Science  claire  et  profonde  (voy.  p.  229). 

§  114.  Cure  ,  dédoublement  de  Freyia.  —  Les  peuples  scythes,  gètes, 
germains ,  et  Scandinaves ,  croyaient  que  beaucoup  de  maladies  étaient 
causés  par  des  maléfices,  des  incantations,  et  des  sorts  jetés  secrètement. 
Pour  connaître  et  pouvoir  combattre  les  personnes  qui  avaient  fait  le  ma- 
léfice, on  avait  recours  aux  devins  (voy.  Les  Gètes,  p.  195),  qui  indi- 
quaient aussi  les  remèdes  à  employer  pour  la  guérison.  Pour  guérir  les 
maladies  et  les  blessures  ,  on  se  servait  de  certaines  formules  curatives , 
d'incantations  (norr.  galdur),  et  de  cures  sympathétiques.  C'était  dans 
les  attributions  de  X-d.  femme,  et  surtout  de  la  7nère  de  famille,  de  soigner 
les  malades  et  les  blessés.  Aussi  la  Thérapeutique  a-t-elle  été  personni- 
fiée ,  chez  les  Scandinaves,  dans  une  déesse ,  nommée  (7wre.  Cette  Déesse, 
d'une  origine  comparativement  très-récente,  n'appartient  pas  à  l'ancien 
fond  de  la  Mythologie.  Dans  les  Dits  de  Fiölsmnn  (str.  39) ,  cette  Asynie 
figure  comme  la  Suivante  de  Menglöd.  Or  Menglöd  (Réjouie  du  Bijou) , 
est  probablement  un  nom  épithétique  de  Freyia,  ainsi  nommée  parce 
qu'elle  était  la  mère  de  Hnoss  (Joyau  ,  voy.  p.  293) ,  et  la  propriétaire  du 
Bijou  des  Fils  de  Brusi  (voy.  p.  294).  Freyia  ou  Menglöd,  étant  le  sym- 
bole et  le  type  de  la  Maîtresse  ou  Mère  de  famille ,  qui  a  soin  du  bien- 
être  des  siens  ,  est  aussi  chargée  du  soin  des  malades  et  des  blessés  ;  et 
l'on  conçoit  que  la  Thérapeutique  a  pu  être  personnifiée  dans  la  sei^vante 
ou  suivante  Cure,  qui  supplée /reym^  sa  maîtresse,  ou  en  est,  en  quelque 
sorte ,  la  spécialisation  et  le  dédoublement. 

l  115.  Gàfion^  dédoublement  de  Freyia.  —  Gàfion  est  un  dédouble- 
ment de  Freyia,  qui ,  elle-même ,  est  l'héritière  de  l'ancienne  déesse  scythe 
Artin-paza,  laquelle ,  dans  l'origine ,  était  la  Déesse  de  la  lune,  et  pré- 
sidait, comme  telle ,  à  la  Naissance,  et  à  la  Procréation.  Aussi  était-elle 
la  Protectrice  des  jeunes  gens  nubiles,  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  (voy. 
p.  291).  Mais ,  par  une  contradiction  qu'on  remarque  aussi  dans  les  attri- 
butions de  la  déesse  grecque  Artémis,  laquelle  était  à  la  fois  Mère  et 
Vierge,  Artin-paza  protège  également  et  le  Mariage ,  et  le  Célibat  ou  la  Vir- 
ginité. Chez  les  peuples  gètes,  Artin-paza  se  confondit  avec  la  déesse  Vrin- 
dus,  Nerthus  ou  Rindur  (voy.  p.  262).  Dans  la  religion  des  Sarmates,  elle  prit 
le  nom  AtPravia,  et  eut  quelques  attributions  de  la  Déesse  Vrindus  ou 
Nirdus,  entreautres,  celle  de  Déesse  de  la  Navigation,  et  de  laMer.  Comme 
Déesse  de  la  Mer ,  Pravia  porta  le  nom  épithétique  de  Topien  (Profon- 
deur, Abîme,  voy.  p.  294).  Lorsque  Pravia  passa  dans  la  Mythologie 
Scandinave  sous  le  nom  de  Freyia,  le  nom  de  Topien  fut  changé  égale- 
ment en  celui  de  Gafn  ou  Gàfion.  Dans  l'origine ,  Freyia-Gefn  garda , 
dans  la  Mythologie  Scandinave,  ses  anciennes  attributions  traditionnelles; 
elle  fut  Déesse  de  la  Génération ,  Déesse  de  la  Virginité,  et  Déesse  de 
la  Mer.  Mais  chez  les  Dânes ,  les  ancêtres  des  Danois ,  elle  se  dédoubla 
en  deux  divinités,  en  Freyia,  et  en  Gàfion,  et  cette  distinction  fut  main- 
tenue ensuite  dans  la  Mythologie  norraine.  Freyia  resta  cependant  plus 
particulièrement  la  Déesse  des  Suèdes ,  tandis  que  Gàfion  fut  plus  par- 


292  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

ticulièrement  la  Déesse  des  Dânes.  Gàjion  fut  adorée  principalement 
dans  l'île  de  Sæ lund  {\oy.  p.  140),  que  les  Dânes  avaient  conquise  sur 
les  Svèdes  ;  et  tandis  que  Freyia  était  considérée  anciennement  comme 
la  Femme  ou  la  Sœur  de  Freyr,  les  Dânes  considérèrent  Gdjion  comme 
l'Épouse  de  Skiöldr  {Bouclier;  cf.  Skuta-Targitavus ,  Dieu  du  Soleil , 
voy.  p.  278) ,  qu'ils  substituèrent  à  Freyr,  et  dont  ils  se  disaient  issus  par 
l'intermédiaire  de  leurs  rois,  appelés/'eïs  (^ei'^2(>7ûfr(Skioldungar),  comme 
les  Svèdes  se  disaient  issus  à'  Yngvi-Freyr ,  par  l'intermédiaire  de  leurs 
rois ,  appelés  Fils  d'Yngvin  ou  d' Yngul  (norr.  Ynglingar).  La  tradition 
mythologique  conserva  la  contradiction  qui  avait  existé  déjà  dans  le  culte 
de  l'ancienne  Artin-paza ,  en  représentant  Gàjion  à  la  fois  comme  mariée 
à  Skiöldr,  et  comme  Célibataire  et  Vierge.  Aussi  Gdjion  porte-t-elle  l'é- 
pithète  de  Vierge;  et  est-elle  considérée  comme  la  Protectrice  des  femmes 
qui  meurent  vierges.  Cependant,  comme  Gdjion  n'est  que  le  dédouble- 
ment de  Freyia,  qui  préside  au  Mariage  et  à  l'Amour ,  elle  est ,  comme 
cette  déesse,  d'un  tempérament  amoureux.  C'est  pourquoi  Loki  lui  re- 
proche ses  intrigues  d'amour  (voy.  Poëmes  islandais ,  p.  329),  et  dans 
la  tradition  épique ,  Gàjion  est  représentée  recherchant  le  mariage,  même 
avec  un  lotne,  aiin  de  devenir  mère  de  quatre  enfants  iotniques  (voy. 
p.  77). 

Comme  Protectrice  des  Vierges  ,  auxquelles  on  attribuait  le  don  de  la 
Divination,  et  de  la  Prophétie ,  Gdjion  était  aussi  la  Protectrice  des 
Femmes-de- Vision  (Spâkonur),  d'autant  plus  que  ces  Femmes  avaient 
été  anciennement  sous  la  protection  dJJrtin-paza,  la  Déesse  de  la  Lune, 
comme  les  devins  avaient  été  sous  celle  de  Targitavus ,  le  Dieu  du  So- 
leil. Aussi  Gdjion  est-elle  représentée  dans  la  tradition  comme  prenant 
elle-même  le  rôle  d'une  Femme-de-Vision  (voy.  p.  67);  et  comme  les 
Vierges  Femmes-de-Vision  passaient  pour  bien  connaître  la  destinée  des 
hommes ,  il  est  dit  que  Gdjion  connaissait  les  destinées  aussi  bien  qu'O- 
dinn  (voy.  Poèmes  isl. ,  p.  329).  Enfin  ,  comme  son  attribution  princi- 
pale, indiquée  par  son  nom  de  Gdjion,  est  d'être  Déesse  de  la  Mer,  il 
est  dit  encore  que  Gdjion  (la  Personnification  de  la  Mer) ,  a  arraché  le 
sol  de  l'île  de  Séeland  au  continent  de  la  Suède  (voy.  p.  140). 

§  116.  FuUa,  dédoublement  de  Frigg.  —  De  même  que  Cure  est  le  dé- 
doublement de  Freijia  et  sa  Servante ,  de  même  Fulla  est  la  spécialisa- 
tion ,  le  dédoublement ,  et  la  servante  de  Frigg.  Le  nom  de  FuUa  signifie 
Abondance ,  et  peut  être  rapproché  convenablement  de  celui  de  la  Déesse 
Abonde,  qui  figure  dans  quelques  légendes  françaises  (voy.  Grimm, 
Mytholog. ,  p.  264).  Abonde  est  la  Suivante  et  la  Confidente  de  Frigg , 
parce  que  la  Déesse  de  l'Abondance  suit  et  accompagne  naturellement  la 
Déesse  de  la  Fécondation  et  de  la  Fécondité.  En  sa  qualité  de  Suivante , 
ou  de  Fille  de  chaussure  (norr.  Skô-meij)  de  Frigg,  Abonde  (Fulla)  est 
également  chargée  de  la  garde  des  bijoux  de  sa  Maîtresse.  Or,  si  ces  bi- 
joux sont  les  symboles  des  moissons  dorées ,  et  des  richesses  de  l'abon- 
dance produites  par  la  àéesse Frigg,  on  comprend  pourquoi  ils  sont  mis, 
d'après  la  Mythologie,  sous  la  garde  de  la  \\erge  Abonde.  Comme  Suivante 
ou  Domestique  de  Frigg,  Fulla  n'est  pas  mariée  ;  elle  est  fille,  vierge,  et 
de  naissance  libre  ,  et  c'est  pourquoi  elle  porte,  suivant  l'usage  des  peu- 


NUMÉRO  (36)  (page  106)  ;  freyia  ;  siöfn.  293 

pies  d'origine  scythique ,  les  cheveux  flottants  ,  qui  sont ,  dans  l'homme , 
le  symbole  de  la  naissance  libre,  et,  dans  la  femme ,  le  symbole  de  la  vir~ 
ginité^  ou  de  la  liberté  des  liens  du  mariage.  En  anglo-saxon ,  l'expression 
locbore  (porte-boucles) ,  et  en  basse-latinité,  le  mot  capillata  (chevelue), 
désignent  directement  la  fille  ou  la  vierge  libre ,  c'est-à-dire  la  jeune 
femme  non  encore  soumise  au  joug  de  l'hymen. 

g  117.  Freyia,  héritière  de  Rindur  et  de  Frigg.  —  Freyia,  dont  la 
conception ,  les  attributions ,  et  Thistoire ,  ont  déjà  été  expliquées  ci-dessus 
(voy.  §  98),  a  été  quelquefois  substituée,  dans  les  mythes,  à  la  Déesse 
suprême  Frigg ,  pour  plusieurs  raisons.  D'abord  Freyia ,  dont  le  nom 
signifie  Maîtresse ,  Dame ,  a  dû  prendre  quelquefois  la  place  de  Frigg , 
l'Épouse  d'Oc?mw^  et  \^  Maîtresse  des  Dieux.  Ensuite  Frexjia,  la  Déesse 
de  l'Amour  conjugal,  a  pu  remplacer  Frigg,  la  Déesse  de  la  Féconda- 
tion. Suivant  Paul,  fils  de  Warnefrid ,  les  Lombards  considéraient  Frea 
(Freyia)  comme  l'Épouse  d'Oc?m?i(0dr),  et,  suivant  un  ancien  document 
saxon  (voy.  Grimm,  Myth. ,  p.  285),  la  Déesse  Fulla  (voy.  p.  292)  qui , 
proprement ,  et  selon  la  Mythologie  Scandinave ,  est  la  Suivante  de  Frigg, 
y  est  représentée  comme  la  Suivante  de  Frûa  {Freyia).  C'est  par  cette 
substitution  áQ Freyia  di Frigg ,  que  s'expliquent  plusieurs  mythes,  qui, 
sans  elle  ,  seraient  inintelligibles.  Ainsi,  dans  l'ancien  mythe  át Freyia, 
pleurant  sur  l'absence  de  son  amant  ou  de  son  époux  Odr,  Freyia  a  évi- 
demment été  mise  à  la  place  de  Frigg  (Pluie) ,  comme  symbole  de  la  pluie, 
de  même  que  Odr  (Vent ,  Orage) ,  a  été  remplacé  par  Odinn  (Impétueux), 
dont  le  nom  a  été ,  originairement,  presque  identique  au  sien.  Les  larmes 
d'or  versées  par  Frigg  (Pluie) ,  ou  psir  Freyia,  qui  lui  a  été  substituée,  sont 
les  pluies  qui  fécondent  la  terre  au  printemps,  en  l'absence  des  orages 
représentés  par  Odr  ou  Odinn  ;  elles  sont  appelées  des  pluies  d'or,  soit 
parce  qu'elles  sont  aussi  précieuses  que  l'or ,  soit  parce  qu'elles  pro- 
duisent les  moissons  dorées.  Les  Orphiques  appellent  également  la  pluie, 
les  larmes  de  Zeus.  Freyia,  l'Amante  à' Odr,  est  encore  substituée  à 
Frigg  (Pluie),  quand  elle  est  représentée  comme  la  Mère  de  Hnoss  (joyau). 
Car  les  riches  récoltes  et  les  moissons  dorées,  symbolisées  par  Hnoss, 
proviennent,  ou  sont  le  Produit  ou  la  Fille  de  l'Action  fécondante  de  la 
Pluie  (Frigg)  et  de  V Orage  (Odr),  et  elles  sont  protégées  et  gardées 
paiT  Fulla  (Abonde),  qui  est  la  Suivante  de  Frigg,  ou  de  F?^eyia,  plus 
tard  substituée  à  Frigg.  Le  nom  de  Freyia  (Dame)  s'est  substitué  ici 
d'autant  plus  facilement  à  celui  de  Frigg  (qui ,  dans  l'origine,  était  la 
Mère  de  Hnoss) ,  que  le  nom  de  Hnoss,  pris  postérieurement  dans  le 
sens  propre  de  Joyau,  et,  abstraction  faite  de  sa  signification  symbolique 
de  riche  moisson ,  désignait  les  joyaux ,  qui ,  dans  le  Nord  ,  étaient  les 
attributs  caractéristiques  de  la  dame,  comme  l'épée  était  l'attribut  dis- 
tinctif  du  seigneur. 

Freyia,  en  se  confondant  avec  Frigg,  est  devenue,  comme  elle,  le  Sym- 
bole de  ISi  Pluie,  et  de  la  Fécondation.  C'est  cette  attribution  qui  est  ex- 
primée par  ses  deux  noms  épithétiquesZ^ömeti'yr.  Hörn  est  probablement 
la  forme  transposée  de  Hrönn,  qui  signifie  h  Pluie.  Quant  au  mmdeSi/r, 
il  désigne  la  tride ,  qui  est  le  symbole  de  la  fécondité.  De  même  que  Freyr 
a  eu  pour  symbole  le  verrat  (norr.  thrândr) ,  de  même  sa  sœur  Freyia 


294  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

a  pu ,  par  analogie ,  être  représentée  sous  la  forme  d'une  truie  (b.  lat.  troja)^ 
.  et  être  même  désignée  par  ce  nom  symbolique.  En  sa  qualité  de  Déesse 
de  la  Production ,  Fretjia  possède  le  Collier  nommé  Bijou  des  Issus  de 
Brisi  (Brisinga-men) ,  qui  est ,  en  quelque  sorte ,  le  pendant  du  Joyau 
(Hnoss).  Car ,  si  Hnoss  désigne  symboliquement  les  moissons  et  la  récolte 
de  l'Été ,  le  Brisinga-men ,  l'ornement  de  Freyia,  désigne  l'Éclat  de  la 
lune,  dont  l'influence  mûrit  les  productions  de  la  terre,  et  fomente,  dans 
les  êtres  vivants ,  l'instinct  de  la  reproduction.  Cet  éclat  et  cette  chaleur 
sont  symbolisés  sous  le  nom  de  Issus  àe Brisi,  ou  de  Chaleureux  {Brûsi, 
Brysi,  Bf'ôsi,  Brisi,  Bouc),  lequel  était,  sans  doute,  un  nom  épithétique 
slave  du  dieu  Pravy  {Freyr).  Freyia ,  la  sœur  de  Freyr ,  et  la  fille  de 
Niördur,  présidait  aussi ,  comme  son  frère  et  son  père ,  à  la  Pêche ,  et  à 
la  Navigation  sur  mer;  elle  a  donc  aussi  les  attributions  d'une  déesse 
maritime ,  et ,  comme  telle ,  elle  porte  les  noms  épithétiques  de  Gefn 
(Abîme),  et  de  Mar-döll  (Pin-marin).  Le  dieu  et  la  déesse  Vnirdus 
(Nerthus,  Niördur),  comme  divinités,  présidant  aux  Eaux,  et  à  la  Mer, 
avaient,  chez  les  peuples  sarmates,  le  nom  de  Topien  (Profondeur, 
Abîme;  cf.  goth.  diups ,  profond),  qui  se  maintint  encore,  dans  la  Mytho- 
logie slave  ,  pour  désigner  le  Démon  des  Eaux,  Ce  nom  fut  aussi  donné, 
par  les  Slaves ,  à  Pravy  etkPravia.  Lorsque  Freyr  Qi  Fre?//a  passèrent 
de  la  religion  des  Slaves  dans  la  Mythologie  Scandinave ,  le  nom  de  To- 
pien se  changea,  chez  les  peuples  gotho-germaniques,  en  Gaupn,  ou  Geo- 
fon,  o\xGebhan{d.  Cædmon,  215,  8;  Beovulf,  721),  nom  qui,  d'abord 
purement  mythologique ,  désignait  le  dieu  maritime,  mais  qui,  dans  la 
suite ,  devint  (ainsi  que  Thiod,  Halia,  Fairguni,  p.  253),  un  nom  commun 
poétique,  pour  désigner  la  mer  (cf.  Cædmon,  79,  34).  Aussi  ce  nom  épi- 
thétique Gefn  ne  désigne-t-il  ni  Freyr  ni  Niördur,  qui  président  à  la  mer, 
mais  il  est  resté  k  Freyia  seule ,  et  il  a  été  attribué  spécialement  à  la  Déesse 
qui  est  le  dédoublement  de  Freyia,  et  qui  porte  le  nom  identique  de  Ge- 
jion  (v.  p.  291).  þíardöll  (Pin-marin)  est  un  nom  métaphorique  désignant 
le  navire ,  qui  était ,  sans  doute ,  le  symbole  de  la  déesse  Gefn.  En  effet , 
les  anciens  Scandinaves  se  servaient  d'arbres  creux  en  guise  de  navire  ; 
de  là  le  nom  de  pin  (norr.  ihöll) ,  de  frêne  (norr.  askr) ,  pour  dire  na- 
vire (cf.  ask-mennir,  hommes  du  frêne ,  pirates).  Ensuite  la  déesse  ma- 
ritime était  représentée  symboliquement  par  une  barque,  ou  un  navire 
(cf.  Tacite,  Germ.  c,  9),  et  c'est  pourquoi  elle  a  pu,  elle-même,  être 
désignée  par  le  nom  symbolique  de  Mar-döll  (Pin-marin). 

(37)  siöfn;  lofn;  vör;  syn;  hlin;  snotra;  gnâ. 
§  118.  Siöfn,  dédoublement  de  la  déesse  Thiuth.  —  Chez  les  Scythes, 
Taviti  était  la  Déesse  du  Feu  et  du  Foyer  (v.  Les  Gètes ,  p.  230).  Plus 
tard ,  chez  les  Gètes ,  Thiuth  (l'ancienne  Taviti)  devint  le  Représentant, 
etla  Protectrice  de  la  Famille,  de  la  Tribu,  et  de  \2iNation,  c'est-à-dire 
de  \3iParenté,  de  VJffiiiité,  et  de  \2i Nationalité.  Dès  lors  Thiuth  eut  le 
nom  épithétique  de  Sipia  (Parenté;  sansc.  sa-bhyâ;  goth.  sibia;  allem- 
Sippe,  voy.  Les  Gètes,  p,  231).  Chez  les  peuples  Scandinaves,  Thiod, 
l'ancienne  Thiuth,  disparut  du  culte  et  de  la  tradition  comme  personnage 
mythologique  ;  son  nom  propre  devint ,  ainsi  que  ceux  de  G(fn,  de  Fai?- 


NUMÉRO  (37)  (PAGE  107);  lofn;  vör  ;  syn.       295 

guni,  de  Halia,  un  nom  commun,  signifiant  Nation;  mais  elle  se  maintint 
dans  la  Tradition  et  dans  la  Mythologie ,  comme  divinité ,  sous  son  nom 
épithétique  de  Sif,  qui  correspondait  à  l'ancien  nom  Sibia,  et  qui  devint 
le  nom  propre  de  la  déesse  Sif,  l'épouse  de  Thôr.  Comme  Protectrice 
du  Foyer  domestique ,  de  la  Famille,  et  de  la  Parenté,  5'e/eut,  sans  doute, 
encore  le  nom  épithétique  de  Sîf-^tn  (Aime-Parenté),  qui  s'est  changé  en 
Siö/n,  et  prit  la  signification  Aq  Affinité,  Affection.  De  Siöfn  (Affection 
dérive  le  mot  Siafni  (Affectionné) ,  qui  signifie  amant.  Le  nom  épithé- 
tique de  Siöfn  fut ,  sans  doute ,  aussi  donné  à  Freyia ,  comme  Protec- 
trice de  la  Famille ,  et  de  l'Amour.  Enfin  i'/ó/w  devint  le  nom  d'un  person- 
nage allégorique,  représentant  V  Affection  ou  Y  Amour.  Dans  la  Mythologie 
norraine ,  Siöfn  est  une  divinité  allégorique  très-secondaire ,  qu'il  faut 
considérer ,  tout  au  plus ,  comme  la  Servante  de  Freyia;  et  c'est  à  ce 
titre  seulement  qu'elle  figure ,  ainsi  que  Fulla ,  Hlin ,  etc. ,  parmi  les 
Asynies  (voy.  Snorra  Edda,  éd.  Rask,  p.  211). 

§  119.  Lofn,  dédoublement  de  Freyia.  —  Lofn  est  une  Asynie  qui  a 
beaucoup  d'afiBnité  avec  Siöfn;  elle  est,  comme  celle-ci ,  la  personnifica- 
tion allégorique  d'un  nom  épithétique  de  Freyia  ou  de  Frigg,  et  préside, 
comme  ces  divinités,  à  l'Amour  conjugal.  Le  nom  de  Lofn,  formé  comme 
Gefn,  Siöfn,  et  dérivant  d'un  thème  Lw/^a  (sansc.  lubh,  vouloir;  lat. 
lubet;  slav.  liubiti,  aimer),  exprimant  l'assentiment,  la  volonté,  signifie 
l'amour,  considéré  comme  volonté ,  ou  comme  impulsion  vers  l'objet  aimé. 
óworW  fait  dériver  le  nom  de  Lofn  de  /ej(^  (assentiment,  congé,  permis- 
sion) .  Cette  dérivation  est  contraire  à  toutes  les  règles  d'é  tymologie  ;  mais  elle 
avait  quelque  chose  de  spécieux,  parce  que,  dans  la  langue  norraine,  on  a 
confondu  les  formes ,  et,  par  suite,  la  signification  des  mots  lof  an  (assen- 
timent, permission)  et  lofn  (assentiment,  faveur,  amour).  Lofn  n'est 
donc  pas,  comme  le  suppose  Snorri ,  d'après  l'étymologie  qu'il  donne, 
la  déesse  qui  obtient  la  permission  (lofan)  pour  l'union  conjugale ,  mais 
elle  est  la  Personnification  de  Y  Amour  (lofn)  lui-même.  Ensuite  cet 
amour  conjugal  a  bien  pu,  comme  le  prétend  Snorri,  être  considéré 
comme  naissant  avec  la  permission,  ou  sous  les  auspices  de  Freyret  de 
Freyia,  ou  á'Odinn  et  de  Frigg ,  lesquels  passaient  pour  les  types  des 
Conjoints  ou  des  Époux  (norr.  Jdôn). 

l  120.  Vör,  dédoublement  de  la  Déesse  Taviti.  —  Le  nom  de  Vor  (p. 
varu)  est  originairement  un  adjectif  féminin  (masc.  varr)  qui  dérive 
d'un  thème  VaRa  (garer^  protéger),  et  signifie  assurée,  précautionnée. 
Dans  les  langues  de  la  branche  gète,  les  adjectifs  féminins  forment 
quelquefois  des  substantifs  abstraits  (cf.  ail.  die  Treue,  die  Liebe,  die 
Leere^  etc.).  Aussi  l'adjectif  féminin  t'ör  a-t-il  formé  le  substantif  abstrait 
vor  avec  la  signification  de  Garantie ,  Assurance ,  Confirmation  ;  et 
ce  substantif  abstrait  est  devenu  le  nom  propre  d'une  divinité  allégo- 
rique, qui  intervient  pour  donner  l'assurance  et  la  confirmation  aux  pro- 
messes qui  ont  été  données  ou  aux  serments  qui  ont  été  prêtés.  C'est 
ainsi  que  l'asynie  Vor  figure  comme  Déesse  de  l'Assurance  et  de  la  Con- 
firmation ,  dans  le  Chant  eddique  le  Thrijmskvida  [str.  20),  où  elle  sanc- 
tionne une  promesse  de  fiançailles.  Dans  l'origine,  Varu  a  sans  doute 
été  un  nom  épithétique  de  la  Déesse  Taviti.,  qui  était  la  Gardienne  des 


296  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

lois  et  de  la  religion  (voy.  Les  Gètes ,  p.  230).  Snorri,  se  rappelant  que 
l'adjectif  féminin  vör,  par  cela  même  qu'il  signifie  précautionnée , 
signifie  aussi  quelquefois  avisée,  sage,  et  devient  en  ce  sens  une  épi- 
thète  laudative  donnée  aux  femmes ,  confond  cet  adjectif  avec  le  nom  de 
la  Déesse  Vör,  et  croit  devoir,  en  conséquence,  attribuer  à  celle-ci,  comme 
qualité  principale,  la  Sagesse  ou  la  perspicacité,  qui ,  cependant,  n'est  en 
aucun  rapport  direct  avec  For,  c'est-à-dire,  avec  l'idée  de  sanction, 
donnée  aux  promesses  et  aux  serments. 

§  121.  Syn,  dédoublement  de  la  Déesse  Taviti.  —  Le  mot  syn  dérive 
du  thème  aSa  (  sansc.  as,  être  ;  lat.  esse,  être)  qui  n'est  proprement  que 
la  forme  verbale  du  pronom  démonstratif  sa  (ce)  et  signifie  primitivement 
être  cela.  A  ce  thème  se  rattachent  l'adjectif  participial  sannr  (p.  sandr 
étant,  réel,  vrai  ;  cf.  lat.  ents,  p.  sents  ;  anglos.  soth;  angl.  sooih,  vrai)  et, 
dans  la  langue  gothique ,  l'adjectif  féminin  sunja  (p.  sundia) ,  avec  la 
signification  abstraite  de  vérité  (cf.  sansc.  satya).  Sundia  paraît  avoir 
été,  dans  l'origine,  un  nom  épithétique  de  la  Déesse  Taviti ,  considérée 
comme  Déesse  du  serment  (voy.  Les  Gètes,  p.  228).  De  sunja  dérive 
régulièrement  le  mot  norrain  syn  (voy.  sunia),  qui  signifiait  originaire- 
ment vérité  ;  et  de  syn  s'est  formé  ensuite  le  verbe  dénominal  sytiia  (éta- 
blir la  vérité),  comme,  en  gothique,  de  sunja  s'est  formé  le  verbe  déno- 
minal sunjon.  Au  tribunal ,  l'accusé  tâche  surtout  d'établir  la  vérité  afin  de  se 
jtistijîer  ;  c'est  pourquoi  les  verbes  dénominaux  sunjon  et  sy7iia  signifient 
aussi  se  justifier  ;  et  le  mot  de  syn  (vérité)  prend  encore  la  signification 
de  justification  (vieux  sax.  sunnea).  Ensuite,  comme,  pour  établir  lavé- 
rite,  afin  de  se  disculper  et  de  se  justifier,  l'accusé  a  souvent  recours  à  la 
dénégation  des  charges  qui  pèsent  sur  lui,  le  mot  de  syn  {vérité,  justi- 
fication) signifie  encore  dénégatiori.  Syn ,  comme  Personnification  ou 
comme  déesse  allégorique ,  ne  se  rencontre  dans  aucun  des  chants  my- 
thologiques qui  nous  restent;  elle  est  seulement  citée  comme  Asynie 
dans  cet  ouvrage-ci  de  Snorri,  et  dans  VEdda  en  prose  (p.  21 1).  Comme 
déesse  allégorique,  Syn  a  dû  appartenir  essentiellement  au  débat  judi- 
ciaire ,  et  être  la  Personnification  de  ce  qu'on  appelait  alors  la  Défense. 
Snorri  dit  que  S?jn  a  pour  fonction  de  refuser  l'entrée  de  la  Halle  à 
ceux  qui  ne  doivent  pas  y  entrer.  Sur  quoi  repose  cette  assertion  ?  est- 
ce  une  simple  conjecture  de  Snorri,  faite  d'après  la  signification  du  mot 
syn  (dénégation,  refus),  ou  bien  cette  donnée  a-t-elle  été  fournie  à 
Snorri  par  un  ancien  chant  mythologique,  qui  n'existe  plus ,  et  où  figurait 
Syn  comme  portière  ?  Snorri  ne  dit  pas  quelle  est  la  halle  dont  Sj/n 
défend  l'entrée  ;  cela  ne  peut  être  que  Glitnir,  le  lieu  de  justice ,  ou  le 
Tribunal  de  Proposant  (voy.  p.  239).  Dans  la  loi  salique  le  mot  sunnis 
{h3iSse-\2itin\té  s otin a ,  sonia),  qui  correspond  au  mot  norrain  syn,  a 
encore  pris  la  signification  de  motif  légal  pour  s'exempter  d'une  obli- 
gation judiciaire.  Ainsi  dans  la  Lex  Sal.  1 ,  1,  il  est  dit:  «  Si  quis  ad  mal- 
«  lum  legibus  dominicis  mannitus  fuerit,  si  cum  sunnis  non  detinuerit,  600 
«  denariis  culpabilis  judicetur,  »  ce  qui  énonce  que  celui  qui  sans  motif 
légal  s'abstient  de  venir  au  tribunal,  et  de  remplir  une  obligation  judi- 
ciaire est  passible  d'une  amende  de  600  deniers.  L'expression  de  sunnis 
ou  sonia  n'a  cependant  rien  de  commun  avec  un  autre  mot  de  basse- 


N«MÉRO  (37)  (page  107)  ;  hlîn;  snotra  ;  gnâ.  297 

latinité  savoir  ex-sonia,  d'où  dérive  notre  terme  juridique  de  exoine.  En 
effet ,  le  mot  sonia ,  renforcé  dans  ex-sonia ,  bien  qu'il  soit  entièrement 
homonyme  avec  sonia,  qui  est  synonyme  de  sunnis,  ne  correspond  pas , 
comme  celui-ci,  au  gothique  sunja,  ou  au  norrain  syn,  mais  il  corres- 
pond au  norrain  sokn  (recherche  ^  poursuite,  soin),  auquel  correspondent 
le  vieux  italien  sogna ,  le  provençal  sonh ,  et  le  français  soin.  Comme  on  re- 
cherche o\y  poursuit  surtout  ce  qui  7nanque ,  le  mot  italien  bisogno ,  le  pro- 
vençal bisonha,  et  le  français  besoin,  signifient  principalement  wawgwe. 
Comme  ce  qu'on  soigne  est  une  affaire ,  ou  une  obligation ,  ou  une  charge , 
le  mot  vieux  français  essoine  (p.  ensoine)  signifie  l'état  d'être  en  soin, 
en  obligation ,  en  difficulté ,  en  peine  ;  et  le  mot  essoingne  (pour  ex- 
soigne;  h.  lat.  exonia;  fr.  exoine)  désigne  la  mise  hors  de  soin  et  d'obli- 
gation, ou  la  décharge  d'une  obligation.  On  le  voit  donc,  les  mots  syn 
et  exoine  appartiennent  à  deux  familles  de  mots,  tout  à  fait  différentes 
l'une  de  l'autre. 

§  122.  Hlîn,  dédoublement  de  Frigg.  —  Odinn  et  Frigg,  les  Divinités 
Suprêmes,  sont  les  types  du  Maître  et  de  la  Maîtresse,  et,  par  consé- 
quent, les  Protecteurs  naturels  des  hommes  qui  composent  leur  maison 
(voy.  p.  24).  Frigg,  comme  Protectrice  de  ses  hommes,  portait  sans 
doute  le  nom  épithétique  de  Hlîn,  qui  signifie  Jppui,  Protection  (cf. 
grec  klinè,  appui,  repos  ;  v.  Grimm,  Mythol.  832).  Frigg  s'étant  dédoublée, 
Hlîn  est  devenue  dans  la  suite  la  servante  de  Frigg,  une  espèce  de 
Nome,  chargée  de  protéger,  dans  V Allée  Agréable  (voy.  p.  24),  les 
favoris  de  cette  déesse  ,  comme  les  Valkyries,  veillent,  dans  la  Halle 
des  Occis,  sur  les  hommes  protégés  par  Odinn.  Aussi  Hlîne  est-elle 
affligée  quand  Odinn,  l'époux  de  Frigg,  part  pour  le  grand  Combat,  au 
Crépuscule  des  Grandeurs;  car  elle  sait  qu'il  y  trouvera  la  mort. 
L'Asynie  Hlîn  ne  figure  dans  aucun  poëme  de  l'Edda  de  Sæmund,  si  ce 
n'est  dans  la  Vision  de  la  Louve ,  où  elle  est  représentée  comme  char- 
gée de  veiller  sur  Odinn,  le  Héros  chéri  de  Frigg.         • 

g  123.  Snotra,  spécialisation  de  Freyia.  —  Snotra  n'est,  nulle  part^ 
citée  comme  Asynie,  si  ce  n'est  ici,  et  dans  l'Edda  en  prose  (p.  211).  La 
signification  primitive  du  nom  de  Snotra  est  Sagace  (lat.  emuncta,  nas- 
uta)^  d'où  dérive  l'autre  signification  de  Fine,  Polie,  Élégante.  Dans 
l'origine,  Snotra  parait  avoir  été  un  nom  épithétique  de  Freyia,  comme, 
en  général,  c'était  une  épithète  laudative  donnée  aux  femmes  de  qualité 
[freijior,  dames).  Plus  tard  on  a  fait,  sans  doute,  ^q Snotra  un  person- 
nage allégorique,  qui  fut  considérée  comme  la  Suivante  ou  la  Servante 
de  Freyia ,  et  comme  le  représentant  de  l'élégance,  et  de  la  grâce  des  Dames. 

g  124.  Gnâ,  dédoublement  de  Freyia.  —  Gnâ  est  la  Messagère  de 
Frigg,  comme  Skirnir  est  le  messager  de  Freyr.  Les  vers  cités  par 
Snorri  prouvent  que  cette  asynie  a  été  un  personnage ,  non  seulement 
allégorique ,  mais  mythologique,  quoique  secondaire.  Le  nom  de  Gnâ, 
qui  est  le  féminin  de  Gnâr  {Knâr  ;  cf.  lat.  gnavus  ;  v.  saxon.  Knapa  ; 
ail.  Knabe),  sl^niiïe  Alerte,  et  ce  nom  convient  bien  à  la  Messagère  de 
Frigg.  Snorri,  cependant,  pense  que  Gnâ  signifie  Planeuse  ;  il  conjec- 
ture cela,  sans  doute,  d'abord  de  ce  que  la  Messagère  Gnâ  dit,  elle- 
même,  qu'elle  ne  vole  pas  à  travers  les  airs,  comme  les  Nomes  et  les 


298  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Valkyries,  ni  ne  marche  à  pied ,  comme  les  hommes,  et  ensuite ,  de  ce  que 
le  verbe  gnæfa,  qui,  à  son  avis,  est  un  dérivé  de  Gnâ,  signifie,  selon 
lui,  planer.  Mais  gnæfa  signifie  surgir,  et  non  pas  planer,  et  ce 
verbe  n'a  qu'un  rapport  très-indirect  avec  la  signification  du  nom 
propre  de  Gnâ.  Les  vers  cités  par  Snorrî  sont  empruntés  à  un  ancien 
poème  dont  il  ne  nous  reste  plus  que  cet  unique  fragment.  Gnâ, 
la  Messagère  de  Frigg  (Pluie),  est  évidemment  la  Personnification  du 
Vent  d'été ,  qui  amène  les  pluies  fécondantes ,  et ,  comme  telle ,  elle  est  la 
spécialisation  de  Freyia  qui  préside  au  Vent  d'été.  Comme  Personnifi- 
cation du  Vent,  Gnâ  a  pour  monture  un  cheval ,  symbole  du  Vent  (voy. 
p.  460).  Ce  cheval  est  nommé  Lance -Sabot,  probablement  parce  qu'il 
représente  le  Vent  rapide  ,  qui  va  grand  train.  Le  père  de  Lance-Sabot 
est  Gerce -Peau,  le  Symbole  du  Vent  brûlant,  qui  fait  gercer  la  peau  ;  sa 
mère  est  nommée  Brise-Enceinte,  parce  qu'elle  représente  le  Vent  d'o- 
rage ,  qui  renverse  les  enclos. 

(38)  LES  VALKYRIES  ;  LES  ASYNIES  IÖRD  ET  RINDUR. 

§125.  Les  Valkyries  conçues  d'après  les  Alhi-runes  historiques. — Chez 
des  peuples  guerriers,  tels  que  ceux  de  la  race  scythique,  dont  la  vie,  et 
par  suite,  la  destinée  individuelle,  s'agitait  principalement  dans  les 
combats,  \q  Destin,  on  V Établissement  primordial  {y o^.  p.  232),  se 
rapportait  principalement  aux  événements,  aux  chances,  et  aux  accidents 
de  la  guerre.  Aussi  l'issue  des  combats  fut-elle  considérée  comme  la 
Destinée  par  excellence,  et  désignée,  par  conséquent,  comme  elle-même, 
du  nom  A' Etablissement  primordial  (norr.  örlög ,  destin  ;  holland. 
oor/o^f^  guerre).  L'Oracle,  la  Divination,  la  Prescience  étaient  surtout 
employées,  pour  connaître  d'avance  la  destinée  ou  l'issue  des  combats , 
par  rapport  à  la  victoire  ou  à  la  mort  des  combattants.  De  même  que  le 
Dieu  de  \2l  guerre  était  le  Dieu  Suprême,  et  le  premier  qui  ait  eu  un  Sanc- 
tuaire, et  un  signe  symbolique  qui  le  représentait  (voy.  p.  270),  de  même 
aussi  les  Femmes  victimaires  (scythe  Viro-pata,  Tuerie  d'hommes), 
qui,  comme  Femmes  de  Vision  (voy.  p.  270)  prédisaient  l'issue  des 
expéditions,  et  entreprises  guerrières,  avaient,  seules,  en  quelque  sorte, 
une  position  officielle.  Car,  tandis  que  les  autres  Prophétesses  et  Divi- 
neresses  parcouraient,  pour  leur  compte ,  le  pays  pour  prédire  l'avenir  aux 
individus  qui  venaient  les  consulter,  les  Femmes -Victimaires,  ces 
Prophétesses  de  la  guerre ,  étaient ,  seules ,  consacrées  spécialement  et 
oflBciellement  au  Dieu  Suprême,  au  Dieu  des  Combats.  Comme  elles 
passaient  pour  connaître  le  Secret  conseil  (norr.  rûna)  de  la  Destinée,  et 
qu'elles  étaient  attachées  au  Sanctuaire  national  du  Dieu  de  la  guerre, 
les  Femmes-victimaires  prirent,  chez  les  peuples  gètes,  le  nom  de  Con- 
seillères du  Sanctuaire  (géte  alhi-hrûnas). 

Lorsque,  au  troisième  siècle  avant  notre  ère,  Vathans  (Odinn)  devint 
Dieu  Suprême,  il  remplaça  Tius  (Tyr)^  comme  Dieu  des  Combats,  et 
Skalmoskis ,  comme  Seigneur  des  Ames,  ou  Seigneur  des  Trépassés. 
Comme  Dieu  Suprême,  il  fut  aussi  Dieu  du  Destin,  et  de  la  Prescience, 
et  eut  à  son  service  à  la  fois  les  Conseillères  du  Sanctuaire ,  et  les 
Femmes-de-Vision.  Lorsque  plus  tard,  chez  les  peuples  de  la  branche 


NUMÉRO  (38)  (page  108)  ;  les  valkyries.  299 

gète,  Odinn  eut  son  habitation  ou  son  sanctuaire  céleste  dans  la  Halle 
des  Occis,  la  My tliologie  mit  aussi  à  son  service  aes^lki-rûnes  célestes, 
nommées  Fal-Kyries.  Le  caractère  et  les  attributions  de  ces  Valkyries 
mythologiques  étaient  calqués  sur  le  caractère  et  les  attributions  des 
Alki-rûnes  historiques.  En  effet,  de  même  que  les  Alhi-rÛ7\es  étaient 
attachées  au  sanctuaire  terrestre,  et  au  senice  du  Dieu  de  la  Guerre,  de 
même  les  Valkyries  étaient  attachées  au  Sanctuaire  céleste  (la  Halle- 
des-Occis),  et  au  service  d'Oi//«7i  le  Dieu  des  Combats.  De  même  que  les 
Alhi-7'únes,  comme  Prêtresses-Yictimaires,  choisissaient,  parmi  les  pri- 
sonniers de  guerre,  ceux  qui  devaient  être  sacrifiés  ou  consacrés  au  service 
du  Dieu  de  la  guerre,  dans  le  ciel,  de  même  les  Valkyries  choisissaient, 
parmi  les  héros  combattants,  ceux  qui  devaient  succomber,  et  aller  aug- 
menter le  nombre  des  Compagnons  (Troupiers-Uniques)  d'Odinn,  dans  la 
Halle-des-Occis.  Aussi  ces  Servantes  d'Odinn,  ces  Victimaires  célestes, 
eurent-elles  le  nom  de  Choisit-les- Occis  (norr.  Val-Kyrior).  De  même 
que,  dans  l'histoire,  les  Alhirûnes  n'étaient  qu'une  espèce  particulière  de 
Femmes-de-Vision,  de  même  aussi ,  en  Mythologie ,  les  Choisit-les- 
Occis,  qui  ont  été  imaginées  d'après  les  Alhirûnes  historiques,  n'étaient 
non  plus  qu'une  espèce  particulière  de  Nomes  (voy.  p.  232),  lesquelles 
avaient  été  calquées  sur  les  i'paÆo^zwr  historiques.  Aussi  y  a-t-il  de 
nombreuses  analogies  entre  les  Nomes  et  les  Valkyries.  En  effet ,  les 
unes  et  les  autres  sont  des  Femmes  de  Vision  célestes ,  qui  connaissent 
d'avance  la  Destinée  (orlog)  des  hommes.  La  Prescience  étant  symbolisée 
par  le  Cygne  (voy.  p.  238),  les  Valkyries.,  ainsi  que  les  Nomes,  sont 
revêtues  du  plumage  éclatant  du  Cygne,  et  se  transportent  d'un  endroit 
à  l'autre ,  en  volant  sous  forme  de  cygnes  à  travers  les  airs.  Toutes  les 
fois  que  les  Valkyries  se  rendent  à  un  endroit  où  l'on  va  livrer  combat, 
elles  sont  sous  la  conduite  de  Skuld  (Future),  la  plus  jeune  des  Nomes , 
qui  préside  aux  événements  à  venir.  Le  don  de  la  prescience  étant  attri- 
bué principalement  aux  femmes  vierges,  les  Valkyries,  ainsi  que  les 
Nomes  ,  sont  généralement  représentées  comme  des  vierges.  Cependant 
il  y  a  aussi  des  Valkyries  mariées.  Les  attributions  des  Valkyries  se 
rapportant  principalement  à  la  destinée  des  héros ,  dans  les  combats  et  à 
la  guerre,  on  se  figurait  les  Choisit-les-Occis  comme  des  Vierges 
guerrières.  Aussi  sont-elles  désignées,  dans  \2i Vision  de  la  Louve,  sous 
le  nom  de  Noîmor  Herians  (Nonnes  ou  Vigoureuses  du  Combattant),  nom 
qui,  par  un  pur  hasard ,  ressemble  à  celui  des  Nonnes  ou  Religieuses  chré- 
tiennes (lat.  Nonnæ  Mères ,  Aïeules) ,  et  semble  énoncer  que  ce  sont  des 
femmes  vierges,  au  service  du  Dieu  de  la  guerre  Odinn.  Comme  vierges 
guerrières ,  les  Valkyries  portent  le  heaume  et  le  bouclier  ;  de  là  leur 
nom  de  Vierges  au  Heaume  (Hialm-meyiar),  et  de  Vierges  au  Bouclier 
(Skiald-meyiar).  De  plus ,  le  nom  propre  de  plusieurs  d'entre  elles  rap- 
pelle leurs  fonctions  et  leur  caractère  guerriers.  Snorri  cite  quelques- 
uns  de  ces  noms  ,  d'après  la  strophe  36  des  Dits  de  Grimnir.  La  Val- 
kyrie  ^mí  (Secousse)  personnifie  l'action  de  secouer  les  armes,  ou  les 
baguettes  divinatoires  (cf.  norr.  hrista  teina) ,  indices  de  l'issue  du 
combat.  Mist  (Brume)  est  la  personnification  de  la  mêlée  confuse,  tempé- 
tueuse, et  embrouillée  du  combat  qui  ressemble  à  un  brouillard.  Skögul 


300  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

(Hérissée  de  Lances),  Skeggiölld  (p.  Skeggi-völld,  Manie-Hache)^  Rand- 
grid  (Fureur  d'écus) ,  Geira-höd  (Lutte  aux  Framées)  désignent  le  com- 
bat avec  les  différentes  armes  offensives  et  défensives.  Hlöck  (Chaîne), 
et  Herjiötur  (Lien  de  Troupe)  désignent  les  chaînes  qu'on  mettait  aux 
prisonniers  de  guerre  ,  condamnés  à  l'esclavage  ou  au  sacriflce.  Regin- 
/ez/ (Protection  des  Grandeurs)  désigne  l'invulnérabilité,  et  la  protection 
invisible  accordées,  par  les  Grawc?ewr5  ou  les  Dieux,  à  quelque  héros 
dans  le  combat.  Hildur  (p.  Hvildur;  cf.  anglos.  qvild,  la  mort)  dont  le 
nom  est  emprunté  à  celui  de  la  Déesse  Hildur,  qui  est  un  dédoublement 
de  Hel^  désigne  la  mort  sanglante  à  la  guerre.  Thrudur  (Force)  est  la 
Personnification  de  la  Valeur  guerrière,  et  Radgrid  (Fureur  Résolue) 
désigne  la  Fureur,  dans  le  combat,  qui  fait  prendre  des  résolutions  ex- 
trêmes. 

Les  Valkyries  et  les  Nomes  sont,  les  unes  et  les  autres,  des  Êtres 
mythologiques  qui  n'ont  pas  été  adorés ,  comme  des  divinités,  mais  seu- 
lement vénérés,  comme  des  Puissances  surhumaines.  Objets  de  tradi- 
tion plutôt  que  de  culte,  les  Valkyries ^  comme  les  Nomes ^  figurent 
moins  souvent  dans  les  mythes  proprement  dits ,  que  dans  les  poésies 
épiques.  Si  les  Nomes  sont  en  partie  les  Protectrices  (norr.  Hamin- 
giar  Issues  du  Couvrant)  des  hommes,  les  Valkyries  sont  aussi  quelque- 
fois \%s Protectrices ^  les  Amies,  les  Fiancées,  et  les  Épouses  des  héros, 
et  elles  protègent  les  hommes  chéris  á'Odinn^  comme  Hlin  protège  les 
hommes  chéris  de  Frigg  (voy.  p.  297).  Par  suite  des  analogies  qu'il  y 
avait  entre  les  Valkyries  et  les  Nomes,  les  unes  ont  été  souvent  con- 
fondues avec  les  autres  en  Mythologie.  Ensuite,  de  même  que  les  Devine- 
resses ou  Femmes  de  Vision  (Spâkonur),  ont  été  souvent  représentées,  non 
pas  seulement  comme  sachant  d'avance  et  proclamant  les  décrets  de 
la  Destinée ,  mais  comme  déterminant  à  leur  gré  la  destinée  humaine , 
de  même  aussi ,  se  trompant  sans  doute  sur  la  signification  du  nom  de 
Choisit- les-Occis,  on  a  vu  en  celles-ci  des  vierges  guerrières,  qui  choi- 
sissaient à  leur  gré  ,  ou  qui,  sans  consulter  les  ordres  d'Odinn,  ou  les 
Décrets  de  la  Destinée,  décidaient  elles-mêmes ,  arbitrairement ,  de  la 
victoire  et  de  la  mort  des  héros. 

g  126.  Les  Asynies  lord  et  Rindur.  —  De  même  que  les  Scythes  ado- 
raient le  Ciel  sous  le  nom  de  Tivus ,  de  même  ils  adoraient  aussi  la  Terre, 
qu'ils  nommaient  Aquatique  (scyth.^^m) ,  parce  qu'ils  croyaient  qu'elle 
était  sortie  de  Veau  (voy.  Les  Gètes,  p.  170).  Comme  la  Terre  est  fécondée 
par  les  pluies  du  Ciel ,  Apia^  la  Personnification  mythologique  de  la  Terre, 
passait  pour  l'Épouse  de  Tivus  ,  la  Personnification  du  Ciel  (Hérod.  IV , 
59).  Cette  Déesse  était  considérée ,  surtout  chez  les  Scythes  agriculteurs 
et  les  Gètes  laboureurs,  comme  la  Terre-Mère ,  qui  correspondait  au 
Ciel-Père,  ou  au  Ciel- Fécondateur  [Pirkunis,  v.  p.  251).  De  même  que 
Tivus  devint  le  Père  ou  Y  Aïeul  (scyth.  Pappaïus)  de  la  race  scythique , 
de  même  Apia,  l'Épouse  de  Tivus,  dut  aussi  passer  pour  la  Mère  ou 
V  Aïeule  {gr.  Dâ  p.  dedâ ,  Aïeule,  Terre,  Théok.  7,  39;  boh.  deda, 
aïeule;  cf.  norr.  Edda,  aïeule;  dor.  dâ-mater.  Aïeule-mère;  cf.  illyr. 
star  a  mater ,  Vieille-Mère,  Terre)  de  cette  race.  Aussi  Tivics  et  Apia 
éta!6nt-ils ,  selon  la  tradition ,  les  parents  de  Targitavus  (Soleil) ,  qui 


NUMÉRO  (38)  (page  d08)  ;  iörd  et  rindur.  301 

passait  pour  le  Père  des  Scythes  (voy.  p.  193).  La  Terre-Mère  était  con- 
sidérée à  la  fois  comme  le  sein  maternel  d'où  la  race  humaine  était  origi- 
nairement sortie ,  et  comme  le  sein  dans  lequel  l'homme ,  à  sa  mort ,  devait 
rentrer-  de  là,  encore  dans  la  Mythologie  norraine ,  l'idée  que  la  tombe 
est  une  seconde  matrice ,  où  l'homme ,  à  sa  mort ,  rentre  jusqu'au  mo- 
ment de  sa  renaissance  (v.  §  Í57).  En  général,  les  peuples  anciens  se 
disaient  nés  de  la  terre  (voy.  les  Gètes,  p.  73),  c'est-à-dire  issus  du  Pays 
qu'ils  habitaient;  les  Scythes-Hellènes ,  établis  dans  YHylée  {^v.Hulaia, 
Boisée) ,  se  disaient  donc  aussi  ûls  de  cette  terre.  Or,  cette  contrée  était 
couverte  moitié  de  forêts,  moitié  de  marécages  provenant  des  débordements 
du  Bory  sthènes  [Borush-  Tanaïs,  le  Tanaïs ,  le  Don,  ou  le  Fleuve  aux  Bou- 
leaux) Déjà  avant  l'arrivée  des  Scythes  dans  ce  pays ,  les  Kimmeries  qui 
l'habitaient,  supposant  que  cette  contrée  était  originairement  sortie  de 
dessous  les  eaux  de  ce  fleuve ,  l'avaient  appelée  la  Fille  de  BortjstUnes. 
Cette  tradition  passa  aux  Grecs  de  la  Chersonèse ,  qui ,  suivant  leur  habi- 
tude de  représenter  l'Eau  sous  le  symbole  de  l'hydre  (gr.  hudra,  aqua- 
tique), et  la  Terre  sous  celui  d'une  femme  ,  donnèrent  à  la  Fille  de  Bo- 
rysthènes,  c'est-à-dire  à  l'Hylée  marécageuse,  composée  moitié  d'eau , 
moitié  de  terre ,  le  nom  de  Serpent-Femme  (Hérod.  Echi-dna  ;  sansc. 
ahi-danikâ;  cf.  pelasg.  Eva-dne,  Eau-Femme).  De  là  la  tradition  ré- 
pandue chez  les  Scythes-Hellènes,  que  la  race  scythique  de  l'Hylee  était 
issue  de  Héraklès  (scythe  Targitavus),  et  á'Echidna. 

Lorsque  les  peuples  d'origine  scythique  eurent  échangé  l'état  nomade 
contre  la  vie  sédentaire,  et  que  l'agriculture  se  fut  répandue,  déplus  en 
plus,  chez  les  peuples  gètes,  la  Terre,  c'est-à-dire  la  contrée  habitée 
par  ces  peuples ,  fut  considérée  plus  spécialement  au  point  de  vue  de  la 
culture,  et  dès  lors  elle  prit  de  préférence  le  nom  de  aritha  (rayée ,  sil- 
lonnée ,  labourée  ;  gr.  era  p.  erath  ;  norr.  iordh  ;  vhall.  erde).  D'un  autre 
côté  ,  l'ancien  nom  de  apia  (aquatique) ,  qui ,  dans  la  suite,  s'était  change, 
dans  les  idiomes  de  la  branche  gête,  en  awe  (vieux  haut-allemand) ,  en  ey 
(norrain) ,  et  en  ö  (suédois) ,  ne  garda  plus  la  signification  de  terre ,  mais 
seulement  la  signification  primitive  de  terre  aqueuse,  A& prairie  imbi- 
bée d'eau,  et  de  île.  C'est  pourquoi  la  Déesse  Terre  ne  garda  pas ,  non 
plus ,  dans  la  Mythologie ,  son  ancien  nom  d'Jpia,  mais  l'échangea  contre 
le  nom  plus  moderne  de  Iordh,  de  sorte  que,  dès  lors,  Jpia,  comme 
déesse,  disparut,  du  moins  sous  ce  nom,  de  la  tradition  mythologique. 
Cependant ,  les  différentes  attributions  traditionnelles  de  l'ancienne  déesse 
Jpia,  se  conservèrent,  et  furent  transmises,  en  partie ,  à  lord,  en  partie 
réparties  entre  plusieurs  Déesses  ayant  des  attributions  analogues.  Ainsi, 
d'abord,  ^i^m,  comme  Déesse  Terre,  opposée  à  Tnms  (Ciel) ,  fut  rem- 
placée ,  dans  la  Mythologie  Scandinave ,  par  lord  (Terre  de  labour)  ;  et  de 
même  que  Jpia  avait  été  la  mère  de  Targitavus  (Soleil  ;  gr.  Héraklès) , 
de  même  lord  devint  aussi  la  mère  de  Tliôr,  parce  que  Thôr  avait  pris 
la  place  de  Fiorgynn,  l'ancien  Perkunis  (lat.  Hercules),  lequel,  lui- 
même,  s'était  substitué  à  l'ancien  Targitavus.  Puis,  comme ^^/a  avait 
été  l'Épouse  de  Tivîis,  lord,  qui  remplaça  Jpia ,  devint,  sinon  l'Epouse, 
du  moins  l'Amante  de  Odinn,  qui  avait  remplacé  Tyr,  l'ancien  Tivus. 
Ensuite,  Jpia,  en  sa  qualité  de  déesse  Terre  ,  qui  était  désignée  sous 


302  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

le  nom  épithétique  de  Montagneuse  (cf.  sansc.  Parvatâdhârd ,  Porte- 
Montagnes),  et  de  Boisée  (cf.  Flylaïa),  fut  remplacée  par  la  Déesse  Fiör- 
gyn ,  l'ancienne  Épouse  ou  Sœur  de  Fiörgynn ,  le  Dieu  des  Monts-de- 
Tonnere,  ou  des  Forets  hercyniennes  (voy.  p,  252).  Puis  les  attributions 
d'^j^m  comme  Terre  productive,  passèrent  à  l'Asynie  .S'2/,  la  Déesse 
des  Semailles ,  qui  devint  l'Épouse  de  Thôr,  par  la  même  raison  que  Jpia 
avait  été  anciennement  l'Épouse  de  Tivus-Pirkunis ,  dont  plusieurs  at- 
tributions avaient  passé  à  Thôr.  CommQl^vvQÔ' habitation,  Apiaiwi 
remplacée  par  Taviti,  la  Déesse  du  Feu,  du  Foyer,  et  de  l'Habitation 
(voy.  p.  294) ,  laquelle ,  sous  le  nom  épithétique  de  Hlôdynn  (Amie  du 
Foyer) ,  se  confondit  avec  lord,  qui  prit  elle-même  le  nom  de  Hlôdynn. 
Enfin ,  comme  Mère  ou  Source  d'abondance  et  de  richesse,  JpiaiwX  rem- 
placée i^arlUndur,  Frigg,  etFreijia,  de  sorte  que,  n'ayaiit  plus  d'attri- 
butions spéciales  ^  ^^/a  disparut  entièrement,  sodscenom,  du  Culte,  et 
de  la  Mythologie  des  peuples  de  la  branche  gète.  —  Sur  l'origine,  les  at- 
tributions ,  et  l'histoire  de  la  Déesse  Rindur,  voyez  ci-dessus  §  96. 

(39)  HYMIR  ;   LES  FIANÇAILLES  DE  FREYR  ET  DE  GERDUR. 

§  127.  Gymir;  Örboda;  et  Gerdur.  —  La  stupeur  qui  saisit  les  peuples 
iafétiques,  lorsque,  descendant  des  plateaux  où  était  leur  berceau,  ils 
virent ,  pour  la  première  fois ,  l'Océan  redoutable,  leur  fit  donner  à  ce  vaste 
élément  le  nom  de  Effrayant  (sansc.  Timi;  scythe  Tami;  voy.  Les 
Gètes^  p.  247).  Les  Scythes  qui  arrivèrent,  plus  tard,  sur  les  bords  de 
l'Océan  indien  et  de  la  mer  Caspienne,  ont  dû  déjà  connaître  le  nom  de 
Thatni  (Océan) ,  au  moins  au  sixième  siècle  avant  notre  ère.  Car  les  Mas- 
sa-Gètes ,  qui  s'étendaient  jusqu'à  la  mer  Caspienne,  et  qui  vivaient  en 
partie  de  la  pêche  maritime ,  avaient  pour  reine  Thamyris  ou  Tomiris, 
dont  le  nom  signifiait  proprement  Océanide  (Fille  de  l'Océan;  cf.  sansc. 
tamara\  fleuve ,  eau  ;  grec  Thamyris,  Thamyras ,  Thymbros,  Thy- 
bris;  lat.  Tiberis,  Fils  de  Neptune) ,  et  était  synonyme  du  nom  de  Semi- 
ramis,  la  mère  de  Ninyas,  lequel  était  surnommé  Zamis  (Océan).  L'Eau, 
cet  élément  clair  et  limpide,  étant  le  symbole  de  la  lumière ,  et  de  la  clarté  de 
\  Intelligence  (voy.  p.  228) ,  et  la  Mer,  par  sa  profondeur  et  son  étendue, 
rappelant  la  profondeur  et  les  mysXères  de  la  Science,  le  Dieu  de  l'Océan 
passait  pour  être  en  possession  d'un  trésor  de  science ,  d'autant  plus  que 
son  nom  de  Thami  (Étourdissant),  rappelait,  en  partie,  le  breuvage 
étourdissant  {ssinsc.  mathu;  gr.  methu;  norr.  miödr).,  auquel  l'Antiquité 
attribuait  la  propriété  d'exciter  les  facultés  intellectuelles  (gr.  thambos, 
étourdissement ,  ivresse) ,  et  d'inspirer  la  Science ,  la  Poésie  et  la  Pres- 
cience. Aussi  les  Scythes  donnaient-ils  au  Dieu  That}ii  le  surnom  de 
Masa-dâs  (zend.  maz-daô) ,  qui  ú^mfmi  Beaucoup-brillant  ei  Beau- 
coup-sachant.  Plus  tard  ,  les  peuples  gétiques  donnaient  au  mot  tami 
(effrayant,  océan)  la  forme  de  tomi  et  de  sami.  Aussi  la  ville  principale 
des  Gètes,  qui  était  située  près  de  la  mer,  et  qui,  peut-être,  était  con- 
sacrée au  dieu  de  l'Océan,  portait-elle  le  nom  de  Tomi  (Maritime).  Mais , 
dans  la  suite ,  lorsque  les  peuples  de  la  branche  ^éíe^  s'étant  familiarisés 
avec  la  mer,  ne  la  considéraient  plus  comme  redoutable,  le  mot  Tomi  ne 
put  plus  servir  à  désigner  la  mer  ou  l'Océan ,  mais  garda  seulement  la 


NUMÉRO  (39)  (page  108  -  1 10)  ;  œgir  ;  gymir.  303 

signification  de  trouble,  obscur,  désert  {d.  norr.  tomr).  Le  nom  du  Dieu 
Thami,  comme  présidant  à  l'Océan  redoutable ,  fut  par  conséquent  rem- 
placé par  le  nom  propre  plus  expressif  de  Ogis  (norr.  Œgir,  Redouta- 
ble; gr.  Ogèn  p.  ôgens;  Ogènos;  OAeawos).  Dans  l'idiome  Scandinave, 
Sami,  sans  désigner  le  Dieu  de  l'Océan ,  conserva  cependant ,  exception- 
nellement et  obscurément ,  l'ancienne  signification  de  Océan  (cf.  Samsey, 
lie  de  l'Océan;  sam-land,  Pays  maritime;  Samo-gitia ,  la  Gétie  mari- 
time; cf.  Samo-thrakè ,  la  Thrace  maritime);  mais  la  signification  ordi- 
naire de  sa7Ji ,  comme  celle  de  tom,  était  effrayant,  sombre  (cf.  norr. 
sam-leitr,  visage  sombre). 

Dans  quelques  idiomes  germaniques,  un  autre  terme  synonyme,  Fi- 
niul,  Fimbul,  eiFiff,  qui  ú^m^2Ái  Effrayant,  Étourdissant,  devint  un 
nom  poétique  et  épithétique,  désignant  Y  Océan  (cf.  anglos.  Fifl-cynn  , 
monstres  del'Océan  ;  Fijt-dor,  synonyme  du  norrain  Œgis-dyr).  Plustard, 
ce  nom  garda  seulement  la  signification  générale  de  Terrible  ;  et  c'est  pour- 
quoi le  terrible  hiver  qui  précédera  le  Créjmscule  des  Grandeurs ,  est 
désigné ,  dans  la  Mythologie  norraine ,  par  le  nom  de  Fimbul-vetr  (Hiver- 
Terrible).  Le  terme  áeji)nbul  servit  aussi ,  comme  les  mots  regin,  gin, 
tyr  (voy.  p.  271) ,  pour  désigner  le  degré  suprême,  comme,  par  exemple, 
dans  Fimbul-fambi  (Terrible-Fou),  Fimbul-thulr  (Terrible  Parleur). 
Enfin ,  comme  la  sorcellerie  passait  pour  produire  sur  l'esprit  un  effet 
étourdissant,  abasourdissant ,  hébétant,  le  terme ^y?  finit  par  ne  plus 
signifier  que  ensorcelé,  et  stupide. 

Œgir,  qui ,  dans  la  Mythologie  norraine ,  remplaça  l'ancien  Thami- 
masadas ,  était,  comme  celui-ci,  le  Dieu  redoutable  de  l'Océan,  et, 
comme  tel,  il  était  l'opposé  du  Dieu  Niördr,  qui  passait  pour  le  Dieu 
bienfaisant  de  la  Mer ,  des  Fleuves ,  et  des  Eaux.  Comme  dieu  redoutable, 
Œgir  ne  comptait  pas  parmi  les  Jses ,  mais  parmi  les  êtres  mythologi- 
ques nommés  lotnes.  Tandis  que  l'Ase  Niördr  présidait  à  la  Mer  paisible 
pendant  l'été ,  CÉgir  devint  la  Personnification  de  la  mer  tempétueuse  en 
automne ,  en  hiver,  et  au  printemps.  Comme  Dieu  de  la  Mer  hivernale  et 
glaciale,  Œgir  se  confondit  avec  l'Iotne  Gyinir  on  Hymir,  ou  Ymir, 
qui  était  le  représentant  du  Monde  glacial  primitif  (voy.  p.  \  86) ,  et  avec 
Hier  (p.  Glær,  Luisant ,  Clair) ,  la  Personnification  cosmologique  de  la 
Mer,  le  Fils  de  For-niotr  (Préoccupant;  slave  Pore-nut)^  et  le  Frère  de 
Vindr  (l'Air)  et  de  Eldr  (Feu).  Dans  la  suite  on  distingua,  de  nouveau, 
Œgir  de  Hymir  (voy.  Hymiskvida)^  comme  on  distingua  Ymir  de  Gy- 
mir. Gymir  devint  la  Personnification  de  la  Mer  hivernale,  c'est-à-dire 
de  la  Mer  redoutable  et  dangereuse  en  hiver.  Sa  femme  était  nommée 
Örboda  (Forts-Brisants),  et  symbolisait  les  brisants  qui  rendent  la  na- 
vigation périlleuse,  prboda  était  de  la  race  des  Géants  de  Montagnes, 
car  les  promontoires  et  les  rochers  sous-marins,  représentés  par  cette 
race ,  occasionnent  principalement  des  brisants  dans  la  mer.  Le  fils  de 
Gymir  et  d' Ôrboda  se  nommait^e/e  (Beugleur),  qui  était  la  Personnification 
du  bruissement  des  vents  et  des  flots  de  la  mer  hivernale.  Ce  bruit  cesse 
quand  l'empire  de  Freyr  sur  la  mer  reprend  le  dessus  ;  et  cela  arrive  au 
printemps,  à  l'époque  où  les  cerfs  et  les  rennes  perdent  leur  bois  (cf. 
ail.  Hormmg,  février);  c'est  pourquoi  il  est  dit  que  Freyr  ixxe  Beli  avec 


304  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

une  corne  de  cerf.  La  sœur  de  Beli  est  Gerdur  (Ceignante ,  Protégeante, 
Paisible)  ;  elle  est  la  Personnification  de  la  Mer  hivernale  rendue  paisible, 
accessible,  et  navigable  en  été;  aussi  Gerdur  devient-elle  la  fiancée  de 
TAse  Freyr.  Œgir,  en  tant  que  différent  de  Gymir,  est  l'époux  de  Rân 
(p.  Hrâkn,  Violence)  ;  et  l'ancienne  épithète  áe  Beaucoup-Sachant ,  que 
portait  Thami,  auquel  Œgir  a  été  substitué ,  a  pris ,  dans  celui-ci ,  le 
sens  de  Magicien  (norr.  Jîol-kunnigr,  beaucoup-sachant,  magicien). 
Œgir  est  magicien ,  parce  que,  d'abord,  l'Océan  exerce  une  certaine  magie, 
une  fascination  sur  l'esprit  des  hommes  ;  ensuite ,  il  est  magicien  parce 
qu'il  appartient  à  la  race  des  lotnes ,  qui  sont  beaucoup- sachant  s  (norr. 
hundvîsir)^  et  de  redoutables  magiciens.  Voilà  pourquoi ,  dans  la  demeure 
A' Œgir,  ioni produit  un  eifet  magique,  et  se produitpSir  un  effet  magique 
(voy.  Poèmes  islandais,  p.  321). 

§  128.  Les  fiançailles  de  Freyr  et  de  Gerdur.  —  De  même  que ,  dans  la 
Mythologie  ,  les  objets  de  la  Nature ,  tels  que  le  soleil ,  la  lune ,  etc. ,  ont 
été  considérés  comme  des  personnes ,  de  même  les  influences  physiques 
qu'ont  ces  objets ,  les  uns  sur  les  autres,  furent  considérées  comme  les  ac- 
tions volontaires  de  ces  Objets  personnifiés.  D'abord  se  sont  formés  des 
mythes  énonçant  simplement  des  attributs  de  ces  objets  personnifiés ,  tel 
que,  par  exemple ,  ce  mythe-ci  :  Thor  est  flls  de  lord.  Il  est  possesseur  de 
Meunier,  etc.  Ces  mythes,  nous  les  appelons  Mythes  d'attributs.  Plus 
tard  se  formèrent  les  mythes  racontant  les  actions  des  Divinités,  et  des 
Êtres  mythologiques  :  nous  les  appelons  Mythes  d'action.  Or  les  Scandi- 
naves ,  établis  dans  la  partie  septentrionale  de  la  Presqu'île,  remarquèrent 
que  ,  chez  eux ,  la  mer  arctique  était  inaccessible  pour  la  navigation  et  la 
pêche,  durant  wew/ mois  de  l'année,  depuis  septembre  jusqu'en  mai,  et 
n'était  accessible  que  pendant  les  trois  autres  mois  (voy.  p.  261).  Ils  at- 
tendaient avec  impatience  l'ouverture  delà  navigation  et  de  la  pêche,  et 
célébraient  cette  ouverture  par  une  fête  religieuse.  Pour  rendre  compte 
de  la  célébration  de  cette  fête,  il  se  forma  un  Mythe  A' action,  racontant 
comment  et  pourquoi  la  Mer  hivernale  est  devenue  accessible  à  la  naviga- 
tion et  à  la  pêche.  Ce  Mythe  ,  dans  son  langage  symbolique ,  disait  sim- 
plement et  brièvement  que ,  depuis  le  mois  de  septembre  dernier ,  Freyr 
(le  Dieu  de  la  Navigation  et  de  la  Pêche) ,  était  éloigné  de  son  amante  Ger- 
dur (Mer  hivernale)  ;  qu'il  a  langui  après  elle  pendant  neuf  mois ,  mais 
que ,  lui  et  ses  adorateurs  célèbrent ,  dans  ce  jour,  et  par  cette  fête ,  sa  noce 
avec  sa  fiancée.  Ce  Mythe  ,  ayant  pour  objet  de  rendre  compte  du  fait  qui 
est  la  raison  de  la  fête ,  appartient  à  cette  espèce  de  traditions  que  nous 
appelons  Mythes  de  fête.  Si  le  récit  des  Mythes  d'action  était  resté  pure- 
ment «ymôo^z^e  (c'est-à-dire,  eût  exprimé ,  en  langage  symbolique, l'eciée 
qui  en  fait  le  fond ,  et  dont ,  à  l'origine ,  on  avait  pleine  et  entière  connais- 
sance), d'abord,  íowí  dans  ce  récit  serait  s/^wz/ïcaifey  par  rapport  à  cette 
idée,  et  ensuite,  l'idée  étant  simple,  le  récit,  qui  n'en  est  que  l'expres- 
sion symbolique ,  serait  également  resté  simple  et  bref.  Mais  à  mesure 
que  les  mythes  symboliques  se  transmettent  par  la  tradition.  Vidée,  qui 
en  fait  le  fond,  se  perd  de  plus  en  plus  de  la  mémoire  des  hommes,  de 
sorte  qu'on  s'en  tient  exclusivement  à  la/orme  du  récit.  De  cette  manière, 
les  mythes  symboliques  sortent  du  domaine  de  Vidée,  qui  est  le  véritable 


NUMÉRO  (39)  (page  109)  ;  les  fiançailles  de  frey.      305 

terrain  où  ils  ont  pris  naissance,  et  entrent  entièrement  dans  le  domaine 
de  la  narration,  ou  du  récit  fait,  pour  lui-même,  en  dehors  de  l'idée.  En 
d'autres  termes ,  les  mythes ,  de  symboliques  qu'ils  sont  dans  l'origine , 
deviennent  complètement  épiques.  Or,  il  est  dans  la  nature  de  la  narra- 
tion,  d'aimer  les  détails,  les  ornements  descriptifs,  tous  les  accessoires 
qui  motivent  le  récit  :  et  voilà  pourquoi  le  récit  des  mythes  devenus  épi- 
ques est  plus  long ,  plus  détaillé ,  et  renferme  des  accessoires  et  des  orne- 
ments, lesquels,  non-seulement,  n'ont  aucun  rapport  avec  Vidée,  qui  y 
était  exprimée  originairement,  mais  sont  même  le  plus  souvent  en  con- 
tradiction avec  elle.  INous  allons  faire  voir  les  détails  ,  ornements ,  et  ac- 
cessoires épiqîies,  qui  sont  venus  s'ajouter  au  récit  simple  et  bref  du  mythe 
symbolique  primitif,  concernant  les  Fiançailles  de  Freyr  et  de  Gerdur. 

§  129.  Les  éléments  épiques  ajoutés  au  mythe  symbolique.  —  Nous 
venons  d'indiquer  l'idée  qui  fait  le  fond  du  mythe  des  Finançailles  de  Frey. 
Voici  maintenant  les  détails,  ornements,  et  accessoires  narratifs,  qui  ont 
été  ajoutés  au  récit  du  Mythe ,  pour  en  rendre  la  forme  plus  intéressante, 
plus  poétique ,  ou  plus  pathétique.  1  «  Il  est  dit  que  Freyr  voit ,  du  haut  de 
la  Chaumine-aicx-Portes  (voy.  p.  240),  la  beauté  resplendissante  de 
Gerdur  (l'Éclat  de  la  Mer  hivernale ,  dont  la  surface  resplendit  au  soleil), 
et  il  tombe  amoureux  de  cette  fille  de  géant ,  qui  éclaire  de  sa  beauté  toute 
la  région  boréale.  2"  Le  serviteur  de  Freyr,  qui  est  aussi  le  messager  de 
ce  dieu ,  ainsi  que  celui  des  Ases  en  général ,  se  nomme  Skîrnir  (Éclaircit). 
Dans  l'origine ,  ou  dans  le  sens  symbolique ,  Skîrnir  est  la  Personnifi- 
cation du  Vent  qui  fait  le  beau  temps.  Comme  Vent,  il  marche  vite,  ainsi 
qu'il  convient  à  un  messager  ;  et  il  est  nommé  Éclaircit,  parce  que ,  étant 
au  service  de  Freyr ^  qui  préside  au  beau  temps ,  il  écure  le  ciel ,  c'est- 
à-dire  ,  balaie ,  de  son  souffle ,  les  nuages  qui  cachent  ou  couvrent  le  soleil. 
Plus  tard ,  ayant  pris  une  signification  purement  épique,  Skîrnir  est  devenu 
leMessager-£^c/a2>e?/r,  qui  porte  les  messages  ou  les  déclarations  {%Qih. 
skeireins)  des  Dieux.  C'est  Skîrnir  qu'envoie  Freyr  à  Gerdur,  pour  de- 
mander qu'elle  lui  accorde  ses  faveurs.  3»  Gerdur  (la  Mer  hivernale)  ne 
peutêtre  vaincue,  ou  rendueaccessible,  que  par  les  rayons  du  Soleil  d'été  qui 
sont  les  armes  naturelles  de  Freyr.  Dans  l'origine ,  Freyr,  le  Dieu  du 
soleil,  avait,  pour  armes,  àes /lèches,  symboles  des  rayons  au  so\eï\ 
(voy.  p.  278).  Plus  tard ,  étant  considéré  comme  un  héros-épique ,  il  a  aussi 
pour  arme,  comme  les  autres  héros ,  une  épée.  Aussi ,  au  lieu  de  dire  que 
Freyr  donne  k Skîrnir  sesjlèches,  pour  vaincre  la  résistance  de  Gerdur, 
le  récit  épique  postérieur  dit  qu'il  lui  donne  son  épée ,  qui  a  la  propriété 
merveilleuse  de  se  brandir  d'elle-même ,  de  frapper  l'ennemi ,  et  de  ren- 
trer dans  la  main  de  son  maître ,  semblable  en  cela  au  Meunier  de  Thôr, 
qui,  lancé  sur  l'ennemi,  revenait  dans  la  main  de  Thor  (§  93),  ou  aux 
armes  á'Indras,  et  à  l'épée  á'Jrdjounas,  qui  combattaient  toutes  seules, 
ou  enfin  au  javelot  Matathas,  dont  Indras  fit  présent  au  héros  Man- 
das. Pendant  neuf  mois  d'hiver,  Freyr,  le  Dieu  du  Soleil,  n'a  plus  ses 
armes  ,  ou  ses  flèches  (rayons  ardents) ,  ou  son  épée ,  qu'il  a  donnée  à 
Skîrnir.  C'estavec  une  corne  de  cerf,  qu'il  tuera,  au  mois  á^  Février,  Beli, 
le  frère  de  Gerdur  (voy.g  127).  Mais  il  devrait  avoir,  du  moins,  ses  bonnes 
armes  (les  rayons  solaires) ,  pour  le  grand  combat  du  Crépuscule  des 

20 


300  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Grandeurs.  Malheureusement  ce  combat  se  livre  lors  du  Terrible  Hiver 
(voy.  g  153).  Or  en  hiver,  Freyr  n'est  pas  armé  de  ses  rayons  solaires  (ou 
de  son  épée)  ;  il  succombera  donc  avec  les  autres  Ascs.  4°  Vaincu  par  les 
sollicitations  et  les  menaces  de  Skîrnir,  Gerdvr  consent  à  accorder  à 
Freyr,  dans  neuf  mo\s ,  un  rendez-vous  dans  une  île  delà  mer,  qui  porte 
le  nom  symbolique  de  Ile-de-Feuillage  (norr.  Bar-eij  ;  cf.  Lauf-ey , 
p.  285) ,  sans  doute ,  parce  que  l'époque  de  cette  union  tombe  au  mois  de 
mai ,  où  le  souffle  des  vents  chauds  a  déjà  fait  pousser  le  feuillage  aux 
arbres  et  aux  buissons.  Le  récit,  que  fait  Snorri  du  mythe  des  Fiançailles 
de  Frey  et  de  Gerdur,  est  imité  de  celui  du  beau  poëme  eddique ,  inti- 
tulé La  Mission  de  Skîrnir  (Skîrnir-for) ,  composé  probablement  au  hui- 
tième siècle ,  et  d'où  est  aussi  tirée  la  strophe  que  cite  cet  auteur. 

(40)  l'ordinaire  d'odinn  et  des  troupiers-uniques  ;  les  loups  et 

LES  corbeaux  d'odinn. 

§  130.  Sæhrimnir,  Andhrimnir,  et  Eldhrimnir.  —  Les  Combattants- 
héros  qui,  sur  le  champ  de  bataille ,  avaient  été  choisis  par  les  Fal- 
kyries,  et  étaient  reçus,  après  leur  trépas  ou  occision  (norr.  valr)^  dans  la 
Halle-des-Occis ,  étaient  considérés  comme  les  fds  adojiiîfs  d'Odinn 
(voy.  p.  247).  Appartenant  à  la  famille  ou  à  la  maison  á'Odi?m,  ils  for- 
maient, selon  l'usage  patriarchal  et  guerrier  de  cette  époque,  sa  suite  ou 
sa  bande^  et  plus  tard,  dans  le  système  féodal ,  sa  garde  (norr.  hird)^  ou 
ssi  7}ias sente  (vieux  fr.  mesgnée ,  domestique).  Les  héros  de  la  bande 
d'Odinn  avaient  le  nom  de  Troupiers-Uniques  (norr.  Ein-herîar) 
c'est-à-dire  de  Compagnons  sans  pareil,  parce  qu'il  n'y  avait  que  les 
combattants  les  plus  distingués  qui  fussent  choisis  parles  Valkyries , 
pour  entrer  dans  la  bande  d'Odinn,  du  Dieu  des  Combattants.  Comme 
Chef  et  Seigneur,  Odinn  devait  fournir  nourriture  et  boisson  à  sa  Bande, 
à  son  Domestique,  ou  à  saMassénie;  et  comme  il  recevait,  parmi  les 
Troupiers-Lniques ,  des  Rois  (norr.  Konungar,  Fils  de  Noble),  des  Comtes 
(norr.  larlar,  Aigles;  cf.  ail.  arl,  voy.  p.  184),  et  des ^arows (Ours;  norr. 
biörn;  norm.  byron)^  il  leur  devait  un  traitement  à  la  fois  conforme  à 
leur  rang ,  et  digne  de  lui-même  comme  Chef  de  maison  ou  comme  Sei- 
gneur (anglos.  hldf-ord,  Donne-miche,  angl.  Lord).  Dans  le  Nord,  les 
compagnons  d'armes,  qui  servaient  leurs  Chefs,  tenaient  surtout  à  un 
bon  régime  alimentaire  ;  ils  quittaient  le  Seigneur  qui  lésinait  sur  la 
nourriture  ou  la  boisson,  et  le  gratifiaient  volontiers  du  sobriquet  inju- 
rieux de  Rogne-mets  (norr.  matar-îllr ,  ladre  pour  la  nourriture).  Les 
idées  que  les  Normands  avaient  de  la  libéralité  des  Seigneurs  envers 
leurs  hommes,  la  Mythologie  norraine  les  a  appliquées  également  à  Odinn, 
le  Seigneur  des  Troupiers-Uniques.  Aussi  Snorri  fait- il  demander  par 
Piétonnetir  quel  était  l'ordinaire  des  Troupiers-Uniques  ,  dans  \à  Halle- 
de  s- Occis. 

Dans  l'origine ,  lorsque  0di7in  n'était  encore  que  le  Dieu  des  Vents  et 
des  Tempêtes  (voy.  p.  246),  sa  suite  ne  se  composait  aussi  que  de  Vents, 
ou  de  Nuages  tempétueux  personnifiés.  Ces  Vents  et  ces  Nuages  de  la 
Suite d'OrfmW;  étaient  entretenus  ou  7iourris,  comme  on  se  l'imaginait, 
d'abord,  par  les  Exhalaisons  condensées  ou  gelées  de  la  Mer,  appelées 


N**  (40)  (p.  1 10)  ;  SÆHRIMNIR  ;  ANDHRIMNIR  ;  ELDHRIMNIR.        307 

Frimas  de  Mer  (norr.  Sæ-hri?n7iir)  ;  ensuite,  par  les  Exhalaisons  gelées 
de  l'haleine  des  êtres  vivants,  appelées  Frimas  d'Haleine  (norr.  Jnd- 
hrimnir),  et  enfin ,  par  la  vapeur  et  la  fumée  du  feu,  appelées  Frimas  de 
Feu  (norr.  Eld-hrimnir).  Plus  tard,  lorsque  Odinn,  le  Dieu  des  Tem- 
pêtes et  des  Vents,  fut  devenu  Dieu  des  Combats,  sa  Suite  ne  se  composa 
plus  simplement  de  Nuages  tempétueux  personnifiés  ;  mais  ces  Nuages 
furent  aussi  changés  en  héros  combattants ,  et  prirent  le  nom  de  Troupiers- 
Uniques.  La  tradition  mythologique ,  tout  en  adoptant  la  métamorphose 
à' Odinn  et  de  sa  Suite,  conserva  néanmoins  le  souvenir  de  l'ancien 
mythe,  au  point  que  certains  phénomènes  aériens,  qu'on  ne  saurait 
attribuer  qu'à  l'effet  des  vents  et  des  nuages,  continuèrent  à  être  rap- 
portés, comme  auparavant,  à  la  nature  aérienne  et  nuageuse  A' Odinn, 
et  de  ses  Compagnons.  C'est  ainsi  que  les  bruissements,  qu'au  printemps 
et  en  été,  on  entend  quelquefois  dans  l'air,  bien  que  le  temps  soit  calme, 
et  qui  proviennent  des  vents  luttant  les  uns  contre  les  autres ,  dans  les 
régions  supérieures  de  l'atmosphère,  étaient  considérés,  dans  la  tradi- 
tion populaire,  comme  causés  par  le  passage  bruyant  à' Odinn,  et  de  sa 
Bande  furieuse  (ail.  wiithende  Heer).  Cependant  ces  compagnons  d'O- 
dinn  avaient  pris ,  dans  d'autres  mythes,  une  nature  trop  personnelle, 
pour  qu'il  fût  possible  de  les  considérer  toujours  comme  les  symboles 
des  vents  et  des  nuages.  Il  leur  fallut  donc  aussi  une  nourriture  beau- 
coup plus  substantielle  que  ne  l'étaient  le  Frimas  de  mer,  le  Frimas  d'ha- 
leine, et  le  Frimas  de  feu.  Par  un  heureux  hasard ,  une  autre  interprétation 
du  mot  amphibologique  hrimnir  (Frimas,  Sanglier)  permit  de  conserver 
ces  anciens  noms,  en  substituant  aux  fri??ias ,  qui  étaient  anciennement 
la  nourriture  des  compagnons  d'Odinn,  le  verrat  ou  le  lard,  cette  y'iânde par 
excellence  (norr.  Jlésk;  ail.  Fleisch;  s\2i\.plot)^  qui,  au  jugement  des 
hommes  du  Nord,  était  la  meilleure  nourriture  possible,  et  par  consé- 
quent celle  qui  convenait  le  mieux  aux  Troupiers- Unique  s.  En  effet,  le 
mot  hrimnir  (p.  grinmir.,  frémissant,  frimas)  était  homonyme  de  grimnir, 
(frémissant,  furieux  ,  sanglier).  Dès  lors  la  tradition  mythologique,  s'ap- 
puyant  sur  cette  homonymie  amphibologique,  transforma  le  Frimas-de- 
Mer  (Sæ-hrimnir)  en  Verrat-de-Mer  (Sæ-grimnir;  cf.  Ditmar  édit. 
Steinh.  VJ,  p.  66).  Elle  imagina  ensuite  que  ce  Verrat  était  journellement 
cuit  dans  un  poêle  à  couvercle,  et  à  pieds,  ayant  la  forme  d'un  verrat,  et 
appelé,  pour  cette  raison,  en  allemand,  Sau.  Ce  poêle,  sous  la  forme  d'un 
Verrat ,  placé  constamment  sur  le  feu ,  portait ,  le  nom  de  Verrat-du- 
feu  (Eld-grimnir).  Enfin  la  tradition  mythologique  s'expliqua  le  nom  de 
And-hrimnir  (Frimas  d'haleine)  comme  désignant  le  cuisinier  nommé 
Grimnir  (Verrat),  qui,  soufflantXt  feu  pour  la  cuisson,  eut  le  surnom  de 
And-Grimnir  (Grimnir  le  Souffleur).  Comme  le  nombre  des  Troupiers- 
Uniques  était  très-grand ,  et  augmentait  journellement  par  l'arrivée  de 
nouveaux  héros  choisis,  la  Mythologie  a  fait  du  Verrat-de-Mer  une 
nourriture  merveilleuse,  en  ce  qu'elle  suffisait  pour  le  grand  nombre  de 
consommateurs  ;  et  elle  suffisait  toujours  ,  parce  qu'elle  se  reproduisait 
sans  cesse  d'elle-même.  En  effet ,  le  Verrat-de-Mer,  tous  les  jours  con- 
sommé, renaissait  toujours  le  lendemain,  par  un  pouvoir  magique,  agissant 
sur  la  peau  et  sur  les  os ,  qui  étaient  restés  intacts.  C'est  qu'on  croyait  que , 


308  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

comme  chaque  animal  naissait  d'un  germe,  on  pourrait  aussi  le  faire 
revivre ,  par  la  force  de  la  magie ,  pourvu  qu'on  eût  un  germe  ,  ou  un 
commencement  quelconque  d'organisation  de  donné.  Or  on  considérait 
comme  germe ,  ou  commencement  d'organisation ,  la  forme  extérieure 
de  l'animal  ou  ssLpeau,  et  sa  charpente  intérieure  ou  ses  os.  C'est  ainsi 
que,  d'après  le  mythe,  les  Dvergs,  fils  d'Ivatd,  ont  formé  le  Verrat  de 
Freyr,  nommé  Gullinborsti  (Soies  d'Or) ,  en  mettant  dans  le  four,  et  en 
y  chauffant  la  peau  d'un  porc.  D'après  un  autre  mythe  analogue,  Thôr 
pouvait  faire  renaître  ses  boucs,  qui  avaient  été  mangés  la  veille ,  pourvu 
que  leurs  peaux  et  leurs  os  eussent  été  soigneusement  conservés ,  et 
fussent  restés  intacts  (voy.  p.  117).  Par  un  effet  magique  semblable,  le 
porc  Sæhrimnir ,  dont  les  Troupiers-Uniques  consommaient  chaque 
jour  la  chair,  était  chaque  fois  restauré  intégralement  le  lendemain. 

I  131.  Odinn  boit  du  vin.  --  Odinn  n'avait  pas  besoin  de  nourriture 
matérielle  ;  il  abandonna  son  ordinaire  à  Geri  et  à  Freki  (voy.  §  1 32),  et 
il  se  soutenait  seulement  par  un  fortifiant,  par  le  vi7i.  Les  Scythes,  lors- 
qu'ils furent  encore  établis  en  Asie,  connaissaient  déjà  le  vin;  mais, 
comme  ils  ne  se  livraient  pas  à  la  culture  de  la  vigne,  et  que  la  seule 
contrée  vitifère  chez  eux  était  la  Margiane  {Plin.  VI,  18,  2),  ils  ne  pou- 
vaient pas  encore  faire  usage,  en  grande  quantité,  de  ce  spiritueux^  qu'ils 
appelaient  V Enivrant  {inatu  ;  gr.  mathu).  Plus  tard ,  étant  entrés  en 
rapports  avec  les  Grecs,  au  nord  de  la  mer  Noire ,  ils  purent  se  procurer 
plus  facilement  cette  boisson,  appelée  en  grec  oïnos  (p.  voi-nos).  Ce  mot 
grec  passa  dès  lors  dans  la  langue  scythe  sous  la  forme  masculine  ; 
mais,  plus  tard,  il  tourna  au  neutre,  dans  les  langues  slaves,  et  germa- 
niques septentrionales,  sous  l'influence  du  mot  latin  vinum,  qui  était 
plus  généralement  connu  dans  le  commerce.  Les  G  êtes  de  la  Thrace 
donnaient  au  vin  le  nom  de  Zeila  ou  Zîlai  (voy.  Les  Gètes,  p.  95).  Ils 
en  faisaient  un  usage  tellement  immodéré  qu'un  de  leurs  rois,  Boiré- 
bistès,  jugea  nécessaire  de  le  leur  interdire.  Dans  les  climats  du  Nord, 
qui  n'étaient  pas  favorables  à  la  culture  de  la  vigne,  le  vin  était  une 
boisson  tellement  rare  et  chère ,  que  les  Scandinaves  le  considéraient 
comme  la  boisson  du  Dieu  Suprême  Odinn. 

g  132.  Les  Loups  Geri  et  Freki.  —  Dans  l'Antiquité,  les  cadavres  de 
ceux  qui  avaient  succombé  dans  les  combats  devinrent  généralement  la 
proie  des  loups  et  des  corbeaux,  qui ,  pour  cette  raison,  furent  désignés, 
les  premiers  surtout,  sous  le  nom  de  bêtes  d'occision  (norr.  val-dyr). 
La  mort  sanglante,  dans  le  combat,  étant  considérée  comme  une  dévo- 
tion ou  un  sacrifice  offert  à  Odinn  le  Père  des  Occis  (voy.  p.  247) ,  on 
conçoit  que  les  loups  et  les  corbeaux,  qui,  au  nom  du  Dieu  des  combats, 
s'emparaient  des  cadavres  dévoués  à  ce  Dieu ,  étaient  eux-mêmes  con- 
sidérés comme  des  animaux  consacrés  à  Odinn,  ou  comme  ses  Ministres. 
C'est  pourquoi  le  Chef  des  Ases  avait,  auprès  de  lui,  deux  loups  Geri 
(Avide)  et  Freki  (Violent),  qu'il  traitait  à  sa  table ,  comme  les  Seigneurs , 
au  Moyen  âge,  traitaient  leurs  chiens  de  chasse.  Voilà  pourquoi  Odinn 
porte  le  nom  épithétique  de  Dieu  des  Loups.  Ces  Loups  à' Odinn,  au 
jugement  des  Scandinaves  et  des  Germains,  n'avaient  rien  d'odieux,  et, 
pour  cette  raison,  leurs  noms  ont  pu  être  donnés  à  des  jeunes  gens 


N"  (40)  (p.  411)  ;  GERi  ;  freki  ;  huginn  ;  muninn.  309 

comme  noms  honorifiques.  Telle  est ,  sans  doute ,  l'origine  du  nom  de 
/reÆ-w//' (Loup-Yiolent)  que  portait,  entre  autres,  un  nioine  de  Fulde, 
qui  devint  dans  la  suite  Évêque  deLisieux.  En  général,  les  noms  propres 
composés  avec  ulf  (cf.  Burnouf,  de  Burnulf,  Loup  de  brogne) ,  et  hrafn 
(corbeau)  sont  excessivement  nombreux  ,  chez  les  peuples  de  la  branche 
gète. 

g  133.  Les  Corbeaux  Huginn  et  Muninn.  —  Le  corbeau  est  consacré 
à  Odin7i  pour  les  mêmes  raisons  que  le  loup.  En  outre,  c'est  un  oiseau 
á^ présage  (voy.  p.  238)  ;  il  prévoit  et  présage  surtout  les  combats ,  et, 
c'est  pourquoi,  les  corbeaux  d'Odinn,  Huginn  (Penser)  et  Mu7îinn 
(Désir),  sont  des  messagers-espions,  qui,  chaque  soir,  rapportent  à  ce 
Dieu  de  la  Guerre,  quels  combats  se  préparent  pour  le  lendemain.  Ces 
rapports  lui  sont  nécessaires  pour  qu'il  puisse  envoyer  les  Choisit-les- 
Occis  (voy.  p.  299)  sur  le  champ  de  bataille.  Aussi  est-il,  chaque  soir, 
dans  l'appréhension  que  ces  corbeaux  ne  lui  reviennent  pas,  et  que,  par 
conséquent,  il  ne  puisse  plus  aussi  facilement  augmenter  le  nombre  de 
ses  Troupier s-Uniques ^  dont  il  aura  besoin,  au  grand  jour  du  Combat 
suprême  contre  les  Puissances  ennemies  des  Dieux  et  du  Monde  ,  dans  le 
Crépuscule  des  Grandeurs.  Les  noms  des  deux  corbeaux  d'Odinn  n'ont 
point  une  signification  symbolique  particulière ,  par  rapport  à  leurs  attri- 
butions ;  ce  sont  des  noms  généraux  de  corbeau,  désignant  ces  oiseaux 
sous  le  point  de  vue  de  la  rapidité  du  vol,  si  nécessaire  à  ces  Messagers 
d'Odinn,  qui  parcourent,  journellement,  le  monde  entier  aussi  prompts 
que  h  Pensée  (norr.  Hugi,  Huginn,  voy.  p.  121),  et  aussi  impatients 
que  le  Désir  (norr.  Munr,  Muninn).  Ces  corbeaux,  messagers d'Oí/mw^ 
ont  fait  donner,  au  Dieu  des  Combats,  le  nom  épithétique  de  Dieu  des 
Corbeaux. 
(41)  LA  CHÈVRE  heidrûne;  l'arbre  lærad;  et  le  cerf  eikthyrnir. 

§  134.  La  Chèvre  Heidrûne.  —  Les  peuples  de  la  branche  g^è^e  tenaient 
autant,  et  peut-être  plus  encore,  à  l'abondance  et  à  l'excellence  de  la 
boisson,  qu'à  celles  du  manger  (voy.  Les  Gètes,  p.  278).  C'est  pourquoi  la 
boisson  fournie  aux  Compagnons  d'Odinn  n'était  pas  moins  merveil- 
leuse que  leur  nourriture.  La  Chèvre  Heidrûne,  qui  fournissait  cette 
boisson ,  est  pour  ainsi  dire  le  pendant  du  Verrat  Sæhri?nnir.  Aussi  la 
tradition  sur  Heidrûne  est -elle,  sans  doute,  la  transformation  d'un 
mythe  symbolique  plus  ancien ,  qui,  analogue  au  mythe  de  Sæhrimnir , 
énonçait  primitivement,  que  les  Compagnons  d'Oditin,  c'est-à-dire  les 
Nuages  orageux  et  sombres,  tiraient  leur  entretien  (leur  boisson),  des 
vapeurs  ou  nuées  noires  du  ciel ,  symbolisées  sous  l'image  de  la  chèvre 
Heidrûne  (cf.  ]es  Boucs  noirs  de  Thôr,  p.  256).  Mais  lorsque,  plus 
tard ,  le  mythe  ,  devenu  épique ,  eut  changé  les  Nuages  tempétueux  en 
Guerriers  impétueux ,  et  que  la  tradition  sur  Sæhrimnir  eut  pris  sa 
forme  actuelle,  le  mythe  ,  primitivement  symbolique  sur  la  boisson  des 
Compagnons  d'Odinn,  prit  aussi  une  forme  analogue  épique,  calquée  sur 
les  usages,  qui,  en  fait  de  boissons,  existaient  alors  chez  les  Scandinaves. 
Or,  les  Scandinaves,  en  hiver,  et  aux  festins  ou  compotations  (norr. 
drykkia),  buvaient  principalement  une  espèce  de  bière,  nommée  aile 
(norr.  öl;  anglos.  ealu;  angl.  aie),  et,  plus  volontiers  encore,  une  espèce 


310  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

^'hydromel  (nqrr.  miöd;  russ.  kvass)^  qu'ils  estimaient  au  point  d'ap- 
peler de  ce  nom  toute  boisson  douce  et  excellente.  Aussi  leur  Mythologie 
a-t-elle  appelé  miöd ,  et  le  lait  de  la  vache  Aiidhumla  (voy.  p.  181),  et 
l9  lait  de  la  chèvre  Heidrûne.  En  été ,  les  Scandinaves  buvaient  du  lait, 
et,  plus  souvent,  une  préparation  de  lait  aigre  appelée  syra  (aigre).  Le 
lait  de  chèvre ,  étant  moins  coûteux  que  le  lait  de  vache,  devint  pour  les 
habitants  du  Nord  ce  que  la  bière  (ail.  hier,  boisson)  était  pour  le  Ger- 
main, ce  que  le  cidre  coupé,  appelé  boisson,  est  encore  aujourd'hui  pour 
les  Normands  de  France ,  ou  ce  que  le  lait  caillé  appelé  svji  (boisson) , 
par  opposition  au  fromage  appelé  spise  (manger),  est  pour  le  chaletier 
suisse,  à  savoir  la  boisson  ordinaire,  la  boisson  de  tous  les  jours.  Voilà 
pourquoi  le  mythe,  en  devenant  épique,  a  substitué  à  la  Chèvre,  qui  était 
le  symbole  des  vapeurs  noires ,  dans  la  tradition  primitive ,  une  chèvre 
en  quelque  sorte  historique,  qui  donne  journellement  du  lait  à  profusion. 
Cette  abondance  de  lait  provient  d'abord  de  la  nature  merveilleuse  de 
Heidrûne,  elle-même,  et  ensuite  de  ce  que  cette  chèvre  broute  les 
feuilles  de  l'arbre  merveilleux,  nommé  Lérad. 

g  135.  L'Arbre  merveilleux  Lêrad,  —  Cet  arbre ,  dont  le  nom  dérive, 
sans  doute,  de  Hlæradr,  et  sigmiie  Illuminé ^  est,  par  son  dôme  de 
branches  et  de  feuillage,  le  Symbole  de  la  Foûte  céleste.  Le  tronc  de 
cet  arbre  est  placé  au  milieu  de  la  Halle- des- Occis,  et  son  dôme  de 
feuillage  s'élève  au-dessus  du  toit  doré  de  cette  Demeure  céleste  (voy. 
p.  147).  Heidrûne ,  afin  de  pouvoir  atteindre  la  pousse  inférieure  de 
l'Arbre,  se  dresse  sur  ses  jambes  de  derrière,  et  appuie  ses  jambes  de 
devant  contre  la  paroi  extérieure  de  la  Halle -des -Occis.  Le  nom  de 
Heidrûne  signifie  Compagne  du  Brillant,  soit  parce  que  cette  Chèvre, 
originairement,  le  Symbole  des  Nuages  noirs,  se  tenait  au  ciel,  qui 
est  nommé  Heidr  (Brillant),  comme  étant  le  séjour  du  soleil  et  de  la 
lumière  (cf.  :^ivus,  Brillant,  Ciel;  sansc.  dyou,  Lumière,  Ciel),  soit 
parce  qu'elle  se  tenait  auprès  de  Lérad,  qui  est  le  Symbole  de  la  voijte 
du  ciel  ou  du  Brillant.  Les  détails  rapportés  par  Snorri,  sur  la  chèvre 
Heidrûne,  sont  empruntés  à  la  strophe  25  des  Dits  de  Grimnir,  que 
voici  : 

«  Elle  se  nomme  Heidrûne ,  la  Chèvre  qui  se  dresse  près  de  la  Halle  du  Père-des-Troupiers , 

«  Et  broute  aux  branches  de  Lerâd  ; 
«  Elle  doit  remplir  le  Vase-à-anse  de  son  pur  hydromel  ; 

«  Ce  fortifiant  ne  saurait  s'épuiser.  » 

La  nourriture  et  la*boisson,  que  les  Troupiers  d'Odinn  avaient  à 
discrétion,  n'étaient  pas,  comme  le  dit  Snorri,  trompé  sans  doute  par  ses 
idées  paradisiaques,  une  récompense  céleste,  pour  les  dédommager  des 
blessures  et  des  souffrances,  qu'ils  avaient  supportées  dans  cette  vie  ter- 
restre; car  leur  mort  n'était  pas  un  martyre,  qui  donnait  droit  à  une 
récompense  dans  le  ciel  ;  elle  était,  de  leur  part,  comme  une  consécra- 
tion (voy.  Les  Gètes^  p.  278),  ou  un  sacrifice  volontaire  fait  à  Odinn, 
et  de  la  part  de  ce  Dieu  une  Îfaveur  accordée  à  ceux  qu'il  jugeait  dignes 
d'entrer  à  son  service,  ou  dans  la  bande  de  ses  Compagnons.  Aussi  les 
Troîipier S' Uniques  n'avaient-ils  droit  que  d'exiger  un  traitement  digne 


^*'  (41)  (p.  111);  heidrûn;  lêradr;  eikthyrnir.         311 

de  leur  Seigneur  Oclinn,  et  conforme  à  leur  rang  et  à  leur  position;  et 
Odinn  avait  intérêt  à  augmenter  indéfiniment  le  nombre  de  ses  Com- 
pagnons, afin  d'être  entouré  et  soutenu,  au  Crépuscule  des  Grandeurs, 
d'une  armée  formidable  de  héros,  qui  pussent  vaincre  ses  ennemis  iot- 
niques. 

1 136.  Le  Cerf  Eikthyrnir.  —  C'est  encore  d'après  les  Dits  de  Grim- 
nir  (strophe  26),  que  Snorri  raconte  le  mythe  bizarre  du  C^ri  Eikthyr- 
nir. Voici  cette  strophe  : 

«  II  se  nomme  Eikthyrnir,  le  cerf  qui  se  tient  près  de  la  Halle  du  Père-des-Troupiers, 

«  Et  qui  broute  aux  branches  de  rilluniiné  ; 
«  De  ses  cornes,  cela  découle  dans  le  Bassin-Bruyant  ;  — 

«  De  là  toutes  les  Eaux  prennent  leur  cours.  » 

Ce  Mythe,  qui,  dans  sa  forme  actuelle,  n'a  plus  rien  de  plastique,  puis- 
qu'il n'est  pas  concevable  par  l'imagination ,  porte ,  par  cela  même,  en  lui , 
la  preuve  qu'il  a  subi  de  notables  modifications.  En  eifet,  dans  l'origine, 
ce  mythe  n'avait  aucun  rapport ,  ou  point  de  contact ,  ni  avec  TArbre 
Hlerad,  ni  avec  la  Halle-des-Occis  ;  mais  il  appartenait  uniquement  au 
cycle  mythologique  du  Bassin-Bruyant.  Car,  pour  expliquer  comment 
ce  bassin  pouvait  alimenter  continuellement  les  Fagues- Tempétueuses 
(voy.  p.  170),  la  Mythologie  cosmogonique  a  imaginé  que  ces  fleuves 
provenaient  du  venin,  vomi  par  les  serpents  innombrables  du  Hver- 
Gelmir  (voy.  p.  171),  ainsi  que  des  Eaux  glaciales,  qui  découlaient  sans 
cesse. des  aiguilles,  ou  des  pics  d'une  montagne  de  glace,  qui  tirait  elle- 
même  son  entretien  des  nuages  et  des  frimas  de  l'air.  Cette  montagne 
gigantesque,  ou  ce  glacier  (norr.  iökull;  finnois,  iöki)  était  probablement 
un  lotne  métamorphosé  en  renne  ou  en  cerf,  et  il  portait  le  nom  de  Eik- 
thyrnir (p.  iok-thyrnir) ,  qui  signifiait ,  sans  doute ,  Cornes  de  Glace. 
Telle  semble  avoir  été  la  forme  p?i mi tive,  ou  la  conception  symbolique 
de  ce  mythe.  Plus  tard ,  l'arbre  nommé  Hlérad  (Illuminé)  étant  devenu 
le  Symbole  de  la  Voûte  étoilée  du  ciel ,  la  tradition  mythologique,  guidée 
faussement  par  l'analogie,  qui  semblait  exister  entre  la  chè\re  Heidr une, 
broutant  à  cet  arbre,  et  les  quatre  cerfs  broutant  sur  l'arbre  d'Yggdrâ- 
sil  (voy.  p.  236) ,  considéra  aussi  l'Iotne  Eik-thyrnir  comme  un  cerf 
qui  broutait  les  pousses  de  l'Arbre  Illuminé;  et  dès  lors  on  expliqua, 
sans  doute,  son  nom  comme  signifiant  Cornu  (cerf),  de  l'^rôre  (Eik). 
Bien  que  le  Glacier  cosmologique  fût  ainsi  changé  en  (^er/"  mythologique , 
les  anciennes  données  du  mythe  primitif,  concernant  les  E  lux,  qui  décou- 
laient des  cornes  d'Eik-thy?'nir,  se  maintinrent  intactes  dans  la  tradition. 
Il  en  est  résulté  une  image  qui  ne  laisse  pas  que  d'être  incohérente  et 
bizarre.  Enfin,  quelque  autre  mythe  ayant  énoncé  que  la  Halle-des-Occis 
était  placée  sous  les  branches  de  Hlérad,  c'est-à-dire  qu'elle  touchait 
à  la  Voûte  du  ciel,  et  la  signification  primitive  de  cet  arbre,  comme  sym- 
bole de  la  voûte  céleste ,  s'étant  peu  à  peu  effacée,  on  dut  s'imaginer  que 
l'arbre  Hlérad  se  trouvait  placé  au  centre  de  la  Halle-des-Occis. 
Une  fois  cet  arbre  céleste  ainsi  représenté,  le  Ceri  Eikthyrnir,  qui,  selon 
la  tradition,  broutait  à  cet  arbre,  comme  la  chèvre  Heidrûne,  fut  aussi 
localisé,  comme  elle,  auprès  de  Valhöll;  et  c'est  ainsi  que  Eikthyrnir 


312  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

fut  placé  dans  V Enclos-des-Jses ,  avec  lequel,  dans  l'origine  du  moins, 
il  ne  s'était  trouvé  en  aucun  rapport,  ni  logique,  ni  mythologique. 

(^S)  LA  HALLE-DES-OCCIS;  LES  TROUPIERS-UNIQUES;  LES  TYPES  DES 
CHOSES,  AU  CIEL. 

§  137.  Grandeur  de  la  Halle-des-Occis.  —  Odinn  ayant  été ,'  dans 
l'origine,  le  Dieu  des  Vents,  sa  demeure,  ainsi  que  celle  du  Dieu  du 
Tonnerre  et  des  Orages,  étaient  proprement  des  Palais  de  l'Air  et  des 
Vents,  des  Rotondes  ou  des  Polygones,  dont  les  portes  correspondaient 
aux  différentes  directions  de  la  rose  des  vents.  Dans  les  Mythologies 
anciennes ,  la  division  s epfeiiai?^e  était  adoptée  par  rapport  aux  Vents 
(voy.p.  235),  et  c'est  pourquoi ,  pour  donner  l'idée  d'un  grand  nombre, 
en  fait  de  directions  ou  de  vents ,  la  Mythologie  Scandinave  l'a  exprimée 
par  le  nombre  de  7  fois  77,  c'est-à-dire ,  par  539.  C'est  ce  nombre  qu'elle 
assigne  aux  portes  de  la  Halle-des-Occis,  ainsi  qu'aux  allées  de  Bils- 
kirnîr  (voy.  p.  254);  mais  elle  a  énoncé  ce  nombre  d'une  manière  énig- 
matique,  en  disant  que  ces  portes  et  ces  allées  sont  au  nombre  de  500, 
plus  environ  quatre  dizaines.  Pour  donner  ensuite  une  idée  du  grand 
nombre  de  combattants  dont  disposera  Odinn ,  lorsqu'il  s'agira  de  lutter 
contre  ses  ennemis  iotniques,  au  Crépuscule  des  Grandeurs,  la  Mytho- 
logie rapporte  que  800  Troupiers  sortiront,  à  la  fois  de  front,  par  chacune 
des  539  portes  de  la  Halle-des-Occis,  de  sorte  que  431,200  hommes 
passeront^  au  même  instant ,  les  539  seuils  de  cette  demeure  céleste.  La 
Mythologie  abandonne  à  l'imagination  de  chacun ,  le  soin  de  déterminer 
la  profondeur  de  ces  539  colonnes  continues,  la  durée  de  ce  défilé,  et 
enfin  le  nombre  total  des  combattants ,  dans  cette  journée  terrible. 

§  138.  Jeux  des  Troupiers-Uniques.  —  Les  Compagnons  d' Odinn  font, 
chaque  jour ,  dans  l'Enclos  de  la  Halle-des-Occis,  des  exercices  guerriers. 
Ce  sont  les  préludes  du  grand  Combat,  qu'ils  auront  à  livrer,  à  la  fin  des 
siècles.  En  attendant  cette  lutte  sérieuse ,  les  exercices  et  les  combats 
journaliers  sont  pour  eux  un  amusement,  nn Jeu  (lat.  ludus).  Bien  que 
ces  jeux  soient  sanglants,  les  Troupiers  ,  cependant,  rentrent  tous  chez 
eux ,  sains  et  saufs.  C'est  ce  que  la  strophe  des  Dits  de  Vafthrûdnir,  citée 
par  Snorri,  exprime  d'une  manière  indirecte,  et  en  style  épique,  en  di- 
sant qu'ils  rentrent  tous  chez  eux ,  à  cheval.  Car ,  s'il  y  en  avait ,  parmi 
eux ,  de  tués  ou  de  blessés  mortellement ,  ils  ne  pourraient  pas  rentrer  à 
cheval ,  ils  seraient  portés  chez  eux  à  bras  par  leurs  compagnons. 

g  139.  Les  Idéaux  des  Choses  et  des  Êtres ,  au  ciel.  —  Les  Dieux  pas- 
saient, au  jugement  des  hommes,  non-seulement  pour  les  ^^Xxks  puissants, 
mais  aussi  pour  les  plus  riches,  et  les  plus  heureux.  Aussi  les  objets  ap- 
partenant aux  Dieux ,  ou  les  individus  se  trouvant  au  ciel ,  étaient-ils  na- 
turellement considérés  comme  les  idéaux  du  genre  ,  comme  les  types  de 
l'espèce ,  et  comme  ce  qu'il  y  avait  de  plus  riche ,  de  plus  beau ,  et  de  plus 
parfait.  Jusque  dans  le  langage ,  l'expression  de  céleste  ou  de  divin  dé- 
signait le  suprême  degré  d'une  perfection  ou  d'une  qualité  (ex.  Ty-spâkr^ 
voy.  p.  274).  Dans  la  plupart  des  Mythologies,  les  choses  et  les  individus 
terrestres  sont  représentés  comme  des  imitations  faibles  et  imparfaites 
des  choses  et  des  individus  célestes ,  leurs  types,  et  leurs  idéaux  (cf.  les 


NUMÉRO  (42)  (page  113);  les  types  des  choses,  au  ciel.    313 

Idées  de  Platon).  D'après  la  Mythologie  hindoue ,  le  meilleur  est  toujours 
l'objet  ou  l'individu  céleste  :  parmi  les  vents ,  c'est  Marîtvhîs;  parmi  les 
chevaux,  c'est  Outchaïsçravasas ;  parmi  les  éléphants  ,  c'est  Airâva- 
tas;  parmi  les  vaches ,  c'est  Kmnadhouk;  parmi  les  oiseaux,  c'est  Ga- 
?'oudas;  parmi  les  Anachorètes ,  c' est Kapilas;  parmi  les  grammairiens, 
c'est  le  grammairien  céleste  Paninis ,  etc. ,  etc.  Pour  la  Mythologie  nor- 
raine ,  la  strophe  44  des  Dits  de  Grimnir  énumère  aussi  quelques-uns 
des  objets  et  des  individus  célestes ,  qui  sont  les  meilleurs  de  l'espèce  ou 
du  genre.  Ils  y  sont  énumérés  sans  ordre  et  sans  suite,  et  assemblés 
seulement  à  la  faveur  de  l'allitération  (voy.  p.  249).  Snorri  cite  cette 
strophe,  en  apparence,  pour  prouver  (ce  dont  il  n'était  pas  besoin)  que 
Odinn  est  grand  par  lui-même  ,  et  le  premier  parmi  les  Ases,  mais,  en 
réalité^  pour  trouver  occasion  de  parler  de  deux  mythes ,  dont  il  est  ques- 
tion dans  cette  strophe,  à  savoir  de  Skidbladnir  ^^  meilleur  des  na- 
vires), et  de  Sleîpnir  (le  meilleur  des  chevaux) ,  et  pour  pouvoir  y  ajouter 
le  mythe  sur  le  Géant-des-montagnes  architecte,  dont  la  construction  a 
amené  les  circonstances  de  la  naissance  de  Sleipnir. 

(43)  l'iotne constructeur;  svadilfari;  sleipnir;  skîdbladnir. 

l  140.  Le  Géant-des-Montagnes  ,  architecte.  —  C'est  sans  doute  à  la 
tradition  orale  que  Snorri  a  emprunté  les  deux  récits  suivants,  sur  l'iotne 
Constructeur,  et  la  naissance  de  Sleipnir,  qui,  par  les  détails  circonstan- 
ciés et  imaginés  uniquement  dans  l'intérêt  de  la  narration ,  se  rappro- 
chent ,  de  bien  près ,  du  conte  populaire.  —L'idée  générale  exprimée  dans 
le  mythe  ^úmiúí symbolique  sur  l'iotne  Constructeur,  c'est  que  les  Puis- 
sances de  la  Nuit  et  de  l'Hiver ,  représentées  par  les  lotnes ,  emploient 
tous  les  moyens  pour  perdre  les  Puissances  du  Jour  et  de  l'Été ,  repré- 
sentées par  les  Ases.  Néanmoins  les  Jses  restent  vainqueurs  dans  le 
cours  des  siècles ,  ou  pendant  l'Été  du  Monde ,  jusqu'au  Crépuscule  des 
Grandeurs ,  qui  est  l'Hiver  cosmique.  Voici  comment  cette  idée  est  ex- 
primée et  mise  en  scène  dans  le  récit  mythologique ,  changé ,  plus  tard, 
en  conte  populaire. 

A  l'origine  des  âges,  ou  comme  s'exprime  [le  récit,  lorsque  les  Jses 
eurent  à  élever  l'Enceinte  autour  de  V Enclos-Mitoijen,  un  lotne  déguisé, 
voulant  trahir  les  Dieux  par  une  ruse ,  s'oiFrit  de  leur  construire  cette 
forteresse ,  en  s'engageant  à  l'achever  dans  trois  semestres  d'hiver.  Cette 
construction  et  les  conditions  posées  auraient  amené  inévitablement  la 
perte  des  Ases;  car,  d'abord,  la  forteresse  construite  par  \' lotne,  dans 
trois  semestres  d'hiver,  aurait  été  faite  de  glace,  et  n'aurait  été,  par 
conséquent ,  d'aucun  secours  contre  les  Thurses-Givreux^  ni  contre  les 
Géants-des-Montagnes ,  qui,  les  uns  et  les  autres  ,  et  surtout  les  pre- 
miers, vivent  au  milieu  des  glaces,  comme  dans  leur  élément  naturel.  En- 
suite ,  la  condition  d'achever  l'Enceinte  en  trois  semestres  d'hiver,  aurait 
été  interprêtée  par  le  perfide  Constructeur  comme  signifiant  trois  semes- 
tres d'hiver  se  succédant  sans  interruption ,  et  la  succession  continue  de 
trois  semestres  d'hiver  aurait  amené  l'affaiblissement  des  Ases,  et  le  dépé- 
rissement du  Monde.  Enfin ,  l'iotne  demandait  pour  prix  de  construction, 
qu'on  lui  livrât  les  trois  Personnages  qui  faisaient  précisément  la  force 


314  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

des  Âses,  comme  Puissances  bienfaisantes  et  lumineuses  de  l'Été ,  à  sa- 
voir le  Soleil,  qui  échauffe,  éclaire  et  vivifie  la  Nature;  la  Lune,  qui , 
selon  la  croyance  des  Scandinaves ,  faisait  croître  les  céréales  (cf.  p.  267), 
et  Freyia ,  qui  était  la  Déesse  de  l'Entretien ,  de  l'Abondance ,  et  du  Bien- 
être  (voy.  p.  267).  Les  Ases ,  encore  jeunes  et  inexpérimentés ,  ne  se  dou- 
tent pas  de  la  perfidie  du  Constructeur;  ils  acceptent  le  marché  ;  mais, 
normands  comme  ils  sont,  ils  espèrent  bien  de  frustrer  l'Iotne  du  prix ,  en 
lui  posant  la  condition  d'achever  la  forteresse  en  un  seul  semestre  d'hiver, 
au  lieu  de  le  faire  en  trois,  et  cette  condition,  pensaient-ils,  ne  pouvant 
être  entièrement  remplie,  ferait  perdre  à  l'architecte  sa  récompense,  et 
leur  livrerait  ainsi  la  forteresse  déjà  commencée  ,  dont  ils  achèveraient 
ensuite  la  construction,  eux-mêmes.  Le  Constructeur  accepte  cependant 
cette  condition  onéreuse ,  mais  il  se  fait  accorder,  par  l'entremise  du  perfide 
Loki  (voy.  p.  285),  la  permission  de  s'aider  de  son  cheval  Svadil-fari.  Ce 
cheval,  qui  est  un  lotne  métamorxiliosé ,  et  dont  le  nom  signifie  Vol-sur- 
Glace,  est  Borée,  ou  la  Personnification  du  Vent  du  Nord,  lequel  vole 
sur  les  glaces  qu'il  a  lui-même  formées.  Svadilfari  amène,  en  une  nuit, 
plus  de  glaçons  que  son  Maître  n'en  peut  entasser  et  ranger,  le  jour  sui- 
vant, pour  faire  la  construction.  Aussi  l'ouvrage  avance-t-il  si  vite  que 
les  Âses  inquiets  s'assemblent  en  conseil;  ils  forcent  Loki  à  aviser  au 
moyen  d'enlever  au  Constructeur  l'avantage  qu'il  lui  avait  fait  accorder, 
de  s'aider  de  son  cheval.  Loki  prend  la  forme  d'une  jument,  qui  est  ici 
le  symbole  de  la  Bise,  et  il  parvient  à  enlever  au  Constructeur  son  aide 
si  précieux.  Là -dessus  l'artisan  entre  dans  une  rage  d' lotne  extrême, 
et,  par  cela  même  ,  trahit  ainsi  sa  véritable  nature,  et,  par  suite,  son  in- 
tention frauduleuse.  h^^Ases,  s'apercevant  alors  qu'ils  avaient  eu  affaire 
à  un  lotne,  ne  se  croient  plus  liés  par  aucun  serment,  ni  engagement. 
Pour  se  débarrasser  de  cet  hôte  dangereux,  ils  prononcent  le  nom  de 
Thôr,  qui  est  l'Ennemi  acharné  des  lotnes ,  et  par  l'effet  magique  du 
simple  appel,  ou  sur  la  simple  énonciation  de  son  nom ,'  Tkôi^  se  présente 
instantanément.  Ce  dieu  arrive  d'Auster-veg  (Contrées  Orientales) ,  où  il 
avait  combattu  les  77iurses-Giv?^eux ;  car,  en  hiver,  dans  la  saison  où 
il  n'y  a  pas  d'orage ,  et  où  il  n'y  a  point  d'occupation  pour  lui  dans  VEn- 
clos-Mitoyen ,  Thôr  se  rend  en  Orient,  au  Séjour-des-Iotnes ,  pour 
lutter  contre  ces  Ennemis  des  A  ses,  et  il  en  revient,  au  printemps ,  lors- 
que ,  avec  les  chaleurs  du  soleil ,  reviennent  aussi  les  orages  auxquels  il 
préside.  Thôr  n'a  pas  plutôt  aperçu  l'Iotne,  qui  s'était  introduit  auprès 
des  Ases ,  que ,  levant  sur  lui  \e  Meunier,  il  le  fait  descendre  dans  le  Hel- 
Brumeux  (voy.  p.  103).  Les  Ases  échappent  ainsi  heureusement  au  dan- 
ger, auquel  ils  auraient  succombé,  s'ils  avaient  été  obligés  de  remplir  les 
conditions  du  marché  fait  avec  l'Iotne  Constructeur.  Ce  mythe  est  exposé 
sommairement  dans  les  strophes  de  la  Vision  de  la  Louve,  citées  par 
Snorri,  mais  il  n'y  est  pas  question  de  la  naissance  de  Sleipnir,  qui, 
d'après  le  récit  de  Snorri,  est  issu  de  Loki,  et  doit  son  origine  aux  cir- 
constances amenées  par  la  construction  de  l'Iotne  architecte. 

§141.  Svadilfari,  et  Sleipnir.  —  i'/ez^«2>  (Glissant),  le  cheval  ú'Odinn, 
est  le  Symbole  du  Vent  tempétueux ,  qui ,  portant  Odinn ,  le  Dieu  des 
Vents,  glisse  sur  la  surface  des  terres  et  des  mers.  Ce  cheval  céleste, 


N<*  (43)  (p.  lli-115);  svADiLFARi;  sleipnir;  skidbladnir.     315 

le  meilleur  de  tous  les  chevaux ,  est  né  du  rapprochement  de  Borée  (Sva- 
dilfari)  et  de  la  Bise  (métamorphose  de  Loki).  Sleipnir  est  un  étalon,  ce 
qui  veut  dire  qu'il  est,  avant  tout,  fort  et  impétueux.  Ayant  pour  père 
Svadilfari,  il  a,  comme  lui,  le  caractère  ioinique  (voy.  p.  \  85)  ;  de  plus,  il  a 
l'ardeur  de  sa  mère  Loki  (la  jument  Bise).  Comme  monture  du  Chef  des 
Ases ,  Sleipnir  est  le  meilleur  des  chevaux.  Sa  vitesse  est  symbolisée  par 
ses  huit  pieds ,  qui  indiquent  que  cette  vitesse  est  le  double  de  celle  de 
tous  les  autres  chevaux.  (Sur  les  chevaux  nés  du  Vent ,  voy.  Justin. ,  lib. 
44,  3;P/m.  H.  i\.,  VIII,  67,  1.) 

§  142.  Le  Navire  Skîdbladnir.  —  Dans  la  strophe  43  des  Dits  de  Grim- 
nir,  il  est  énoncé  que  : 

«  Les  Fils  d'Ivald  allèrent,  à  l'Aurore  des  âges,  ^ 

«  Fabriquer  Skidbladnir , 
«Le  raeillenr  des  navires,  pour  l'illustre  Frey, 
«  L'excellent  fils  de  Niördur.  » 

Comme  Freyr  préside,  ainsi  que  sa  sœur  Freyia  et  son  père  Niördur, 
à  la  Navigation  pendant  l'été  (voy.  p.  294) ,  il  convient  que  la  Mythologie 
lui  attribue  le  meilleur  des  navires.  Freyia  est  même  symbolisée  par  un 
navire,  et  porte  de  là  le  nom  épithétique  deil/íirífóY/(Pin  marin,  v.  p.  275). 
Le  nom  de  Sktd-bladiiir  signifie  Bois-Feuilleté ,  parce  que  ce  navire  est 
composé  de  feuillets  en  bois  ;  afin  d'être  très-léger,  et  très-pliable.  Comme 
c'est  là  une  œuvre  merveilleuse  ou  féée ,  la  fabrication  en  est  attribuée, 
ainsi  que  celle  du  Meunier  (voy.  p.  257)  et  du  Brisinga^men  (v.  p.  294), 
à  des  Dvergs ,  qui  passent  généralement  pour  être  d'excellents  artistes. 
Parmi  ces  Dvergs  artistes,  la  Mythologie  distingue  particulièrement  Sindri 
(Sécrété;  cf.  lith.  gintaras ,  succin),  et  Brock  (Utile  ;  goth.  bruks) ,  qui 
sont  les  Fils  d'Ivald  (lat.  hidu-strius  ;  ail.  Eiuald) ,  et  les  constructeurs 
de  Skîd-bladnir.  Ce  navire  merveilleux  se  meut  de  lui-même,  comme  le 
char  Pouchpaka  (Reluisant)  du  dieu  hindou  Kouvéras;  il  est  le  plus 
commode  de  tous  les  navires;  mais  il  n'est  pas  aussi  grand  que  Naglfar 
(voy.  p.  199),  qui ,  devant  transporter,  un  jour,  tous  les  lotnes  dans  Y  En- 
clos-Mitoyen, est  nécessairement  d'une  dimension  tout  à  fait  hors  ligne. 

(44-)  aventures  de  thôr  dans  le  siijour  des  lotnes,  et  dans 

l'enclos-extérieur. 
g  143.  Thôr  s'adjoint  Thialfi  et  Röskva.  —  La  première  partie  de  la 
narration  de  Snorri  renferme  un  mythe  originairement  symbolique ,  ex- 
primant cette  idée  générale,  qu'à  Faction  fécondante  du  Tonnerre  ou  de 
l'Orage ,  qui  s'est  manifestée  pendant  Fêté ,  et  a  fait  mûrir  les  moissons, 
doivent  succéder ,  en  automne,  des  travaux  agricoles  pour  préparer  le 
terrain ,  jusqu'à  ce  que  ,  avec  le  retour  de  la  belle  saison ,  le  Tonnerre 
puisse  reprendre  de  nouveau  son  rôle  de  Fécondateur  ou  son  activité  bien- 
faisante. En  montrant  Thôr  (Tonnerre)  placé  sur  son  Char  (voy.  p.  254), 
et  muni  de  son  Marteau  (voy.  p.  256)  et  de  sa  Ceinture-de-force  (voy. 
p.  257),  le  mythe  énonce  par  là  symboliquement,  que  ce  Dieu  est  en- 
core en  mouvement,  en  pleine  activité,  et  dans  toute  sa  force,  qu'il 
est  encore  dans  la  saison  des  orages.  Mais  déjà  Thor  se  dirige  vers  \0- 
rient,  c'est-à-dire  vers  le  Nord-Est .  ou  les  régions  de  l'Hiver  et  de  la 


316  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Nuit.  Il  voyage  vers  le  Séjour  des  lotnes ,  c'est-à-dire  vers  le  Pays  de 
l'Hiver  ou  vers  l'hiver.  Le  mythe  représente  Thôr  arrivé  presque  à  la  fin 
de  ^2i  journée  (saison  d'été),  et  se  trouvant,  vers  le  soir,  en  compagnie 
de  Loki  (Clôtureur),  qui  est  la  Personnification  de  la  Fin  des  Choses,  et 
qui ,  par  sa  présence ,  indique,  ici ,  que  l'Été  tire  à  la^n,  et  que  l'Au- 
tomne va  bientôt  lui  succéder.  A  la  fin  de  sa  journée  (à  la  fin  de  l'été) , 
Thôr^  accompagné  de  Loki ,  arrive  chez  un  Géant  des  Montagnes  (re- 
présentant de  l'arrière-saison  ou  de  l'automne).  Les  deux  Boucs  (v.  p.  256) 
de  Thôr  arrivent  dans  la  demeure  du  Géant-des-Montagnes  (dans  la  saison 
d'automne),  tellement  harassés,  qu'ils  n'en  peuvent  plus ,  et  que  Thôr 
est  obligé  de  terminer  ici  sa  journée  .,  c'est-à-dire  de  mettre  fin  à  l'acti- 
vité qu'il  a  déployée ,  dans  les  orages ,  pendant  la  saison  d'été.  Telles 
sont  les  données  générales  du  mythe  ^Y\m\i\ï  symbolique.  Ce  mythe  sym- 
bolique primitif,  conçu  à  peu  près  au  troisième  siècle  de  notre  ère,  en 
devenant,  dans  la  suite,  purement  épique  (voy.  p.  305) ,  a  été  rattaché  à 
d'autres  mythes  analogues  et  a  formé  avec  eux  un  cycle  mythico-épique, 
qu'on  pourrait  appeler  le  Cycle  de  Thôr.  Ce  cycle  se  compose  d'une 
suite  de  poésies  mythologiques,  qui  se  sont  perdues  pour  la  plupart,  et 
dont  il  ne  nous  reste  plus  qu'une  rhapsodie ,  ou  un  épisode  renfermé  dans 
\iEdda  de  Sæmund  ,  et  intitulé  :  Chant  d'Hijmir  (norr.  Hymis-Kvida). 
L'auteur  de  notre  rhapsodie  était  probablement  le  même  que  celui  qui 
avait  chanté  l'Aventure  de  Thôr  dans  la  Demeure  du  Géant-des-Mon- 
tagnes ;  car  dans  la  strophe  38«  du  Chant  d'Hymir  il  est  dit  : 

«  Déjà  vous  avez  appris  (sur  cela ,  qui  des  Mythologues 

«Pourrait  en  savoir  davantage?) 
«  Quel  dédommagement  il  obtint  de  VHabitant-des-Rochers, 

«  Lequel  donna  en  paiment  ses  deux  enfants.  » 

Dans  l'origine,  le  mythe  sur  Thialfi  et  Rös/cva ,  les  enfants  du  Géant- 
des-Montagnes  ,  n'avait  aucun  rapport  avec  le  mythe  précédent  sur  l'ex- 
pédition de  Thôr  en  Orient  ;  mais  il  y  fut  rattaché  plus  tard ,  dans  le  cycle 
épique,  comme  formant  la  continuation  naturelle  du  récit  de  l'arrivée  de 
Thôr  dans  la  demeure  du  Géant.  Originairement  syinbolique,  comme  le 
précédent ,  ce  mythe ,  pour  énoncer  qu'en  automne ,  Thôr  veut  que ,  dans 
cette  saison ,  la  terre  soit  préparée  par  le  travail  ou  le  labour ,  exprime 
cette  idée  en  disant  que  Thôr,  dans  la  demeure  du  Géant  (dans  l'arrière- 
saison),  prend  à  son  service  Thialfi  et  Mskva,  deux  robustes  travail- 
leurs, doués  de  forces  gigantesques.  En  effet,  Thialji,  dont  le  nom 
signiiïe  Fouilleur, Labouretir  [ci.  ail.  telben,  fouiller;  anglos.  delfen;\^i. 
talpa,  fouilleuse;  fr.  taupe)  ^  est  le  représentant  des  travaux  agricoles 
de  l'automne.  Les  travaux  des  champs,  comme  ceux  de  la  maison,  étaient 
faits,  chez  les  peuples  de  la  branche  gète,  par  des  serfs  de  l'un  et  de 
l'autre  sexe.  Mskva,  dont  le  nom  signifie  Alerte,  représente  ceux  des 
travaux  des  champs  qui  étaient  exécutés  par  des  serves.  Pour  rattacher 
plus  intimement  ce  mythe  au  précédent ,  ce  récit  épique  représente  Thialfi 
etRù'skva  comme  ayant  été  enlevés  à  leur  père  par  Thôr,  en  réparation 
du  dommage  que  lui  avait  causé  la  famille  de  ce  géant.  Le  récit  épique  a 
encore  emprunté  à  un  ancien  mythe ,  qui ,  originairement,  n'avait  aucun 


N°  (44)  (p.  117-118);  THIÂLFI  ET  RÖSKVA;  SKRYMIR.  317 

rapport  avec  cette  narration ,  une  donnée  d'après  laquelle  Thôr  ramène, 
au  printemps,  sains  et  saufs,  les  Boucs,  qui  avaient  été  harassés  et  para- 
lysés à  la  fin  de  l'été  précédent.  —  Voilà  les  éléments  qui  entraient  dans 
la  composition  du  récit  épique ,  tel  qu'il  s'était  formé  sur  les  données  du 
mythe  symbolique.  Les  éléments  du  récit  épique,  ont  passé  tous  dans  la 
iTnàiuoM  2)opulaire.  Snorri  ne  connaissait  pas  de  poésies  épiques  du 
cycle  de  Thôr;  il  ne  connaissait  pas  même  le  Chant  d'Hymir;  du  moins 
il  ne  le  cite  jamais ,  ce  que ,  certes ,  il  n'aurait  pas  manqué  de  faire ,  s'il 
l'avait  connu.  Il  a  donc  puisé  sa  narration  uniquement  dans  la  tradition 
orale  et  populaire.  Le  conte,  qui  en  est  résulté ,  a  conservé  cependant  les 
principaux  éléments  de  l'ancienne  rhapsodie  épique  ;  mais  il  a  oublié  com- 
plètement la  signification  symbolique  des  anciens  mythes  qu'il  expose  ; 
et ,  c'est  pourquoi ,  ne  voyant  en  eux  qu'un  simple  récit  épique  ,  il  a  eu 
soin  d'en  augmenter  l'intérêt  par  de  nouveaux  détails  narratifs ,  et  par  des 
développements,  et  ornements,  parlant  à  l'imagination.  C'est  ainsi  que  ce 
conte  populaire  met  en  scène  Thôr,  tuant  et  mangeant ,  avec  ses  hôtes , 
ses  deux  boucs ,  qu'il  ressuscite ,  Te  lendemain ,  par  la  force  magique  de 
son  Marteau  (voy.  p.  308).  Comme  il  est,  en  général,  dans  la  nature  du 
récit  populaire ,  de  rabaisser,  aux  proportions  des  hommes  de  l'époque, 
et  même  au  niveau  des  auditeurs ,  les  Personnages  divins  ou  gigantesques 
de  la  Mythologie ,  nous  voyons  aussi  dans  la  narration  de  Snorri,  em- 
pruntée à  l'a  tradition  populaire ,  le  dieu  redoutable  Thôr,  rabaissé  au 
niveau  d'un  Aventurier ,  le  Géant-des-Montagnes ,  transformé  en  ma- 
nant, et  ses  enfants  iotniques ,  changés  en  serfs  de  labour,  ou  en  valets 
de  pied. 

l  144.  Thôr  et  Skrymir.  —  L'idée  générale  exprimée  dans  les  deux 
mythes ,  originairement  symboliques,  qui  sont  entrés ,  comme  éléments 
épiques,  dans  cette  seconde  partie  de  la  narration  de  Snorri,  c'est  que 
Thôr,  le  Dieu  de  l'Orage,  est  redoutable  et  invincible,  aussi  longtemps 
qu'il  agit  dans  son  domaine  ,  c'est-à-dire  dans  la  saison  d'été  ;  mais  que, 
à  mesure  qu'il  approche  de  l'automne,  sa  puissance  décroît;  et,  arrivé 
dans  la  saison  d'hiver ,  il  est  surpassé  de  beaucoup  par  la  puissance  gi- 
gantesque des  lotnes,  les  représentants  de  l'hiver.  Cette  idée  générale 
a  été  exprimée  d'une  manière  concrète  et  symbolique,  d'abord  dans  un 
premier  mythe ,  qui  énonce  que  la  force  du  tonnerre  est  peu  de  chose  en 
comparaison  des  forces  de  l'hiver ,  et  que  les  autans  arctiques  sont  ca- 
pables d'assourdir,  par  leur  bruit,  et  d'effrayer  par  leur  violence,  jus- 
qu'au tonnerre  lui-même.  C'est  ce  que  le  mythe  exprime  en  disant  que 
r/idr  (le  Tonnerre)  tient  dans  le  gant  de  Skrymir  (Brailleur),  le  représen- 
tant de  l'hiver ,  et  qu'il  est  abasourdi  et  effrayé  des  terribles  ronflements 
de  ce  géant.  La  narration  épique ,  pour  rattacher  ce  récit  à  l'histoire  qui 
précède ,  énonce  que  Thôr  a  été  obligé  d'abandonner  son  Char  et  ses 
Boucs,  dans  le  Séjour  des  Géants-des-Montagnes,  la  saison  des  orages 
étant  définitivement  terminée  à  la  fin  de  l'automne.  Muni  seulement  de 
son  Marteau,  Tarme  qu'il  ne  quitte  jamais ,  et  accompagné  de  Loki,  de 
Thialfi  et  de  Roskva,  les  représentants  de  l'automne ,  il  se  dirige  vers 
le  SéJour-des-Iotnes ,  ou  vers  l'hiver,  et  il  y  arrive,  après  avoir  traversé 
l'Océan  ,  qui  sépare  ce  Pays  arctique  de  V Enclos-Mitoyen,  ou  de  l'habi- 


318  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

tation  des  hommes,  et  après  avoir  marché  sur  l'autre  bord  jusqu'au  soir,  c'est- 
à-dire,  jusqu'au  commencement  de  la  nuit  hivernale,  ou  de  l'hiver.  C'est 
alors  qu'il  arrive ,  avec  ses  compagnons ,  à  une  de  ces  baraques  ou  block- 
haus (voy.  Les  G  êtes ,  p.  99),  que  les  Norvégiens  avaient  coutume  de 
construire  sur  les  chemins  qui  traversaient  leurs  immenses  forêts  ,  pour 
servir  de  gîte  au  voyageur  fatigué  ou  surpris  parla  nuit  ou  une  tourmente 
de  neiges.  Du  temps  de  Snorri ,  ces  maisons  de  refuge  (suéd.  sâla-hus) 
portaient,  dans  certaines  contrées  du  Nord,  le  nom  de  Baraques  d'Olaf 
(norr.  Olafs  budir) ,  parce  que  le  roi  Olaf  en  avait  fait  construire  un  assez 
grand  nombre».  C'est  dans  une  baraque  semblable  que  Thôr  entra,  avec 
ses  compagnons ,  pour  y  passer  la  nuit.  Mais  ce  que  Thôr  avait  pris  pour 
une  baraque,  était  la  mouffle  enchantée  de  Skrymir;  et  le  dieu,  et  ses 
compagnons  ,  sont  empêchés  de  dormir ,  par  le  bruit  eifrayant  causé  par 
le  ronflement  (coups  de  vent)  de  ce  géant ,  qui  est  la  Personnification  des 
autans,  qui  ronflent  ou  hurlent  dans  les  contrées  arctiques.  La  Mouffle,  es- 
pèce de  gant  de  fourrure,  où  le  pouce  seulement  est  marqué,  et  qu'on 
ne  met  que  dans  les  grands  froids  ,  était ,  dans  le  Nord ,  le  symbole  de 
l'époque  la  plus  froide  de  l'hiver.  Le  i^ouce  ou  le  doigt  était ,  de  tout 
temps,  et  chez  tous  les  peuples,  l'image  de  ce  qui  passait  pour  èive  petit 
de  taille  et  de  longueur.  De  là ,  chez  les  Grecs ,  le  nom  de  Daktulos 
(Doigt,  Nain),  chez  les  Slaves,  le  nom  de  Pr^i  (Doigt,  Nain)  ou  áePerstuk 
(Petit-doigt ,  Nain) ,  chez  les  Allemands ,  le  nom  de  Dâumling  (Poucet) , 
etc.  Pour  énoncer  symboliquement  que  Thôr  était  très-faible  et  très-petit 
par  rapport  au  Géant  de  l'hiver ,  le  mythe  dit  que  le  Dieu  du  Tonnerre 
tenait  dans  le  pouce  du  gant  de  Skrymir.  Il  est  fait  allusion  à  ce  mythe  dans 
deux  poèmes  de  VEdda.  Dans  le  premier ,  intitulé  Sarcasmes  de  Loki 
(voy.  Poèmes  islandais ,  p.  343) ,  il  est  dit  : 

«  De  tes  expéditions  en  Orient,  tu  ne  devrais  jamais 
«  Parler  devant  des  héros, 

«  Depuis  que  tu  t'es  blotti,  ô  Troupier-Unique  !  dans  le  pouce  du  gant, 
«  Et  qu'alors  tu  ne  croyais  plus  être  Thôr.  » 
Dans  le  second  ,  intitulé  Chant  de  Harbard,  il  est  dit  : 

«  Thôr  a  suffisamment  de  force ,  mais  de  cœur  point; 

«Par  frayeur  et  par  làchelé,  tu  as  été  fourré  dans  la  mouffle , 

«  Où  tu  n'as  pas  osé ,  (telle  était  ta  frayeur  !) 

«  Ni  éternuer ,  ni  vesser,  que  Fialar  pût  l'entendre.  » 
La  faiblesse  de  Thôr,  pendant  l'hiver,  est  encore  retracée  symbolique- 
ment dans  le  second  mythe ,  qui  est  entré ,  comme  élément  épique ,  dans 
la  seconde  partie  de  la  narration  de  Snorri.  Pour  exprimer  l'idée  que , 
pendant  l'hiver,  Thôr  est  dans  Vimpuissance  absolue  de  faire  sortir  de 
terre  les  moissons,  qui  y  sont  comme  retenues,  sous  une  couche  épaisse 
de  neige  et  de  glace,  ce  mythe  dit  que  Thôr  a  mis  ses  vivres  (les  mois- 
sons d'été)  dans  le  sac  de  provende  de  Skrymir,  c'est-à-dire ,  qu'à  l'ap- 
proche de  l'hiver  le  laboureur  a  confié  à  la  terre  hivernale  lès  graines  qui 
devront  produire ,  l'été  prochain ,  les  moissons  nutritives.  Skrtjmir  ou 
l'Hiver  a  tellement  serré  le  sac  de  provende,  ou  le  sol ,  qui  est  comme  un 

1.  Cf.  Les  Refuges-Napoléon  ,  dans  le  département  des  Haules-Alpes. 


N°  (44)  (p.  120)  ;  LOKi  DE  l'enclos-extérieur.  319 

silo  de  blés,  que  Thôi-,  n'en  pouvant  rien  faire  sortir,  est  obligé  de 
jeûner.  Pour  se  venger,  il  veut  casser  le  crâne  au  géant,  c'est-à-dire 
rompre  la  couche  dure  de  glace  qui  couvre  la  terre.  ]Mais  affaibli  par  l'hi- 
ver, il  ne  peut  pas  manier  son  Marteau  avec  toute  sa  force  d'Ase;  il  pro- 
duit des  crevasses,  des  fentes ,  des  vallées  profondes ,  mais  il  ne  peut  pas 
briser  cette  nature  hivernale ,  qui  lui  oppose  la  résistance  impassible  d'une 
inertie  complète.  Il  est  fait  allusion  à  ce  mythe  dans  les  Sarcasmes  de 
Loki,  où  il  est  dit  : 

«  Les  nœuds  de  Skrymir  t'ont  paru  trop  serrés; 

«Tu  n'a  pas  pu  arriver  jusqu'à  la  provende; 

«  Tu  te  mourais  de  faim  ,  en  pleine  santé.  » 
Le  récit  populaire ,  en  exposant  ce  mythe ,  y  a  ajouté  principalement 
des  détails  sur  les  coups  portés  inutilement ,  par  Thôr,  au  géant  Skry- 
mir. Ces  détails ,  purement  narratifs ,  sans  aucune  signification  sf/Dibo- 
lique,  n'avaient  naturellement  ni  cette  étendue,  ni  cette  importance,  dans 
le  mythe  symbolique  primitif. 

\  145.  Thôr  chez  Loki  de  rEnclos  -  Extérieur.  —  La  troisième  par- 
tie de  la  narration  ,  que  Snorri  a  mise  à  la  suite  de  l'entrevue  de  Thôr 
avec  Skrymir,  et  qui  a  pour  sujet  les  aventures  de  Thôr  et  de  ses 
Compagnons ,  chez  Loki  de  V Enclos-Exté^Hetir ,  diffère ,  quant  à  sa  com- 
position ,  des  deux  parties  précédentes,  en  ce  qu'elle  ne  repose  pas, 
comme  celles-ci,  sur  d'anciens  mythes  symboliques,  mais  qu'elle  s'est 
formée  d'éléments  purement  épiques,  et  à  une  époque  relativement  bien 
postérieure.  Ces  éléments  sont  comme  des  pièces  de  rapport,  qui,  dans 
l'origine ,  n'avaient  rien  de  commun  entre  elles ,  ni  avec  les  récits 
précédents  ;  elles  ont  été  mises  ensemble  et  agencées  l'une  à  l'autre,  non 
par  une  nécessité  logique  ,  en  tant  qu'éléments  constitutifs  d'une  signi- 
fication symbolique ,  mais  seulement  comme  éléments  narratifs,  ayant 
pour  unique  but  de  montrer,  par  quelques  exemples,  que  les  forces  phy- 
siques de  Thôr,  et  de  ses  Compagnons,  étaient  vaincues  par  les  forces 
gigantesques  et  magiques  des  habitants  de  V Enclos- Extérieur .  Les 
preuves  que  les  éléments  de  cette  narration  ne  dérivent  pas  d'anciens 
mythes  symboliques,  se  trouvent  d'abord  dans  ce  qu'il  n'est  pas  fait 
mention  de  ces  mythes,  ou  qu'il  n'y  est  pas  même  fait  allusion ,  dans  les 
Poèmes  de  VEdda,  ce  qui  fait  supposer  que  ces  mythes  n'existaient  pas 
anciennement.  Ensuite,  ces  preuves  résultent  de  ce  qu'il  est  impossible 
de  ramener  les  éléments  agencés  de  ce  conte  populaire,  à  Vunité  de 
signification  d'un  mythe  symbolique.  Ce  qui  prouve,  d'ailleurs,  la  forma- 
tion postérieure  de  ce  conte,  c'est  que,  d'abord,  les  personnages  qui 
y  figurent,  tel  que  Loki  de  V Enclos-ExtéîHeur .,  n'appartiennent  pas  à 
l'ancien  fond  symbolique  de  la  Mythologie,  mais  au  fond  plus  moderne 
Aq  \2iiT2i(\\i\on  populaire ,  ou  tout  au  plus  à  la  tradition  intermédiaire 
mythico- épique.  Ensuite,  d'autres  personnages,  tels  que  Logi  (Feu), 
Hugi  (Penser) ,  Elli  (Vieillesse),  au  lieu  d'être  des  personnages  réelle- 
ment mythologiques,  ne  sont  que  des  personnages  allégoriques  inven- 
tés postérieurement  par  la  poésie  épico-didactique.  Puis,  les  person- 
nages véritablement  mythologiques,  tels  que  Thôr,  Loki,  Thiâlfi  et 
Röskva,  et  les  lotnes  de  V Enclos-Extérieur ,  ne  sont  pas  représentés, 


320  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

dans  le  conte ,  avec  leur  caractère  symbolique ,  particulier  à  chacun 
d'eux,  mais  seulement  avec  un  caractère  général,  tels  que  l'exigeaient 
les  circonstances  de  la  narration ,  et  les  détails  motivés  du  récit.  Enfin,  le 
ton  de  la  narration ,  V encadrement  historique  où  se  trouvent  renfermés 
les  aventures  racontées  ,  les  mœurs  presque /éoc?a/es  qui  y  régnent ,  et 
qui  sont  rappelées  par  les  noms  de  Roi,  de  Château,  de  Cour,  de 
Garde- du-  Corps  (norr.  Iiird)^  de  Page  Porte -queue  (norr.  Skogur- 
Sveinn)^  de  Page  d'Écuelle  (norr.  Skutil-Sveinn) ,  toutes  ces  particula- 
rités, prises  ensemble,  prouvent  que  ce  ne  sont  pas  là  seulement  des 
détails,  qui  ont  été  simplement  modernisés ,  comme  dans  les  contes 
qui  dérivent  d'anciens  mythes,  mais  que  le  fond  et  la  forme  en  ont  été 
conçus  simultanément,  et  que  ce  conte  appartient  à  une  époque  qui  pro- 
bablement n'est  guère  antérieure  au  onzième  siècle.  Si  Snorri  n'a  pas 
emprunté  la  troisième  partie  de  cette  narration  à  d'anciens  documents 
mythologiques,  il  ne  l'a  pas,  non  plus,  imaginée  lui-même  ;  il  l'a  recueil- 
lie de  la  tradition  orale  populaire  ,  après  que  la  tradition  épique  eut  ima- 
giné Loki  de  \ Enclos-Extérieur ,  le  principal  personnage  qui  figure 
dans  ce  conte. 

Lorsque,  après  l'introduction  du  Christianisme  dans  le  Nord,  la  Mytho- 
logie norraine  ne  fut  plus  objet  de  foi,  mais  seulement  sujet  de  tradition 
populaire,  et,  par  conséquent  une  tradition  fortement  modifiée  par  les 
dogmes  chrétiens,  il  arriva  que  l'ancien  personnage  mythologique  Loki, 
surnommé  le  Mali?i  (voy.  p.  283),  et  qui ,  pour  ses  méfaits ,  comme  le 
racontait  un  mythe  (voy.  §  152),  avait  été  enchaîné  ^^lV  les  Âses,  se 
confondit ,  dans  l'imagination  du  peuple  devenu  chrétien,  avec  le  Malin  ou 
le  Diable,  le  Prince  des  Ténèbres,  le  Roi  des  Méchants,  le  Génie  du  Mal, 
enchaîné  par  l'Archange  Saint-Michel.  Les  lotnes  de  l'ancienne  Mytho- 
logie étant  devenus,  dans  la  tradition  postérieure  ,  les  types  de  ce  qu'il 
y  avait  de  plus  nuisible,  terrible,  méchant,  et  diabolique,  Loki ^  qui 
comptait  parmi  les  lotnes,  fut  naturellement  considéré  comme  leur  Roi. 
Puis  le  Royaume  des  lotnes  étant  devenu  l'Empire  des  Ténèbres ,  il  fut 
placé,  non  plus,  comme  l'ancien  Séjour  des  lotnes,  à  V  Orient,  mais  à 
V Occident,  au  delà  de  l'Océan,  où  se  couche  le  Soleil.  Or,  les  Normands 
ou  Norvégiens  donnaient,  à  l'Océan  Occidental ,  le  nom  de  Mer-Exté- 
rieure (norr.  ût-sia) ,  par  rapport  et  par  opposition  à  la  terre  ferme  (la 
Suède),  qui  touchait  à  leur  pays,  à  {'orient,  et  qu'ils  appelaient  le  Pays- 
Intérieur  (norr.  Inn-land).  Le  Royaume  ou  les  Enclos  des  lotnes,  situés 
au  delà  de  cette  Mer  Extérieure,  furent  donc  aussi  appelés  les  Enclos- 
Extérieurs  (norr.  ût-gardar) ^  et  Loki,  le  Roi  de  ce  Pays,  prit  le  nom 
de  Loki  des  Enclos-Extérieurs  (norr.  Utg arda- Loki).  Plus  tard ,  par 
suite  d'une  interprétation  fausse,  mais  cependant  plausible,  du  mot 
extérieur,  le  nom  d'Enclos -Extérieurs  exprimait  encore  l'idée  d'é- 
loignement  de  ce  monde ,  ou  d'extramundanéité.  Aussi  Saxon  le  Savant 
(Grammaticus)  dit-il ,  que  aUgarthilocus  (Ut-gartha-Loki),  se  trouve 
«  dans  un  pays  éloigné,  hors  du  monde,  ou  règne  la  nuit  ;  il  glt  dans 
«une  caverne,  les  mains  et  les  pieds  enchaînés»  (voy.  lib.  8,  164  seq.). 
Snorri  prit  ce  Loki  des  Enclos  -  Extérieurs  pour  identique  avec  l'Iotne 
Skrymir;  mais  il  est  évident  que  cette  identité,  qui  n'était  pas  fondée 


NUMÉRO  (44)  (page  120);  loki  des  enclos-extérieurs.    321 

dans  la  Mythologie,  il  l'a  imaginée  uniquement  afin  de  pouvoir  conve- 
nablement rattacher  cette  troisième  partie  de  sa  narration  aux  deux  ré- 
cits qui  précèdent. 

Snorri  représente  Skrymîr,  ou  Loki  des  Enclos-Extérieurs,  d'abord 
comme  un  grand  magicien,  et  ensuite  comme  un  géant  d'une  taille 
excessive,  auprès  duquel  Thôr  et  ses  compagnons  ne  sont  que  de  petits 
nains.  En  cela  il  suivait  exactement  la  tradition  populaire,  qui  attribuait 
également  le  caractère  violent  et  la  méchanceté  des  lotîtes,  d'abord,  à  la 
7nagie  qu'ils  pratiquaient,  et  ensuite  à  leur  taille  gigantesque,  emblème 
de  leur  outrecuidance,  et  de  leur  brutalité.  La  tradition,  après  avoir  changé 
Loki,  le  compagnon  de  Thôr,  en  Loki  des  Enclos-Extérieurs,  avait^ce- 
pendant  mis  entre  eux  une  différence  telle,  que,  bientôt,  elle  ne  recon- 
naissait plus  elle-même  l'identité ,  qu'elle  avait  établie  entre  ces  deux 
personnages,  et  qu'ayant  oublié  que  l'un  était  dérivé  de  l'autre,  elle  a 
pu  de  nouveau  considérer  Loki.,  le  compagnon  de  Thôr,  comme  un 
personnage  tout  à  fait  distinct  de  Loki  des  Enclos-Extérieurs.  Snorri, 
aussi,  a  complètement  ignoré  que  l'un  de  ces  deux  personnages  s'était 
formé  de  l'autre,  car  il  a  identifié  Loki  des  Enclos -Extérieurs  avec 
Skrymir^  qui  n'avait  rien  de  commun  avec  Loki.,  et  il  a  représenté  LoA;/, 
qui  figure  dans  le  conte,  comme  un  personnage  entièrement  différent  de 
Loki  des  Enclos -Extérieurs.  La  tradition  populaire  a  encore  changé 
Thiâljî,  le  valet  de  labour,  en  valet  de  pied  de  Thôr  ;  en  effet  c'est  en 
cette  dernière  qualité ,  et  non  avec  ses  attributions  de  laboureur,  que 
Thiâlji  figure  ici,  dans  le  conte,  en  compagnie  avec  son  maître  Thôr. 
Quant  à  l'idée  générale  de  représenter  Thôr  en  opposition  avec  Loki 
des  Enclos -Extérieurs,  le  conte  l'a  empruntée  aux  traditions  si  nom- 
breuses, où  cet  Ase  figure  toujours  comme  V adversaire  des  lotnes. 
Enfin,  pour  la  composition  de  ce  conte  populaire,  non-seulement  les 
personnages,  mais  aussi  les  traits  principaux,  et  l'encadrement  ont  été 
fournis,  d'un  côté,  par  plusieurs  récits  analogues,  de  l'autre,  par  les 
mœurs  et  les  habitudes  de  l'époque.  Dans  les  temps  antérieurs,  où 
l'hospitalité  accordée  était  considérée  non  comme  une  faveur ,  mais 
comme  une  obligation  imposée  par  la  loi  civile  et  religieuse,  on  accueil- 
lait indistinctement  tous  les  étrangers  qui  se  présentaient.  C'était  con- 
traire à  toutes  les  convenances  de  les  interroger  sur  leur  qualité ,  leur 
rang,  leur  famille,  et  le  but  de  leur  voyage ,  avant  de  leur  avoir  fourni  ce 
dont  ils  avaient  besoin  (voy.  p.  i54).  Mais,  autant  celui  qui  recevait 
l'étranger  maîtrisait  sa  curiosité,  autant  l'hôte,  qui  était  reçu,  tenait 
à  honneur  de  prouver^  dès  son  entrée  dans  la  maison,  que,  par  sa 
naissance,  son  rang,  et  ses  talents ,  il  était  digne  de  l'hospitalité  qu'on 
lui  donnait.  La  poésie,  qui,  visant  à  l'idéal,  renchérit  encore  sur  la  réa- 
lité ,  imagina  qu'il  y  avait  des  châteaux  où  l'on  ne  recevait  à  table  que 
des  hommes  distingués  par  leur  bravoure  et  leur  esprit  chevaleresque. 
De  là  l'idée  première  des  Tables  rondes,  du  temps  de  la  Chevalerie  ;  de 
là  aussi  le  règlement,  établi  dans  le  château  de  Loki  des  Enclos-Exté- 
rieurs ,  que  nul  ne  pût  y  rester  qui  ne  possédât  quelque  art  ou  quelque 
pratique  d'une  manière  supérieure.  Aussi  Thôr  et  ses  Compagnons  s'em- 
pressent-ils de  prouver  leurs  talents  par  des  épreuves,  auxquelles  ils  se 

21 


322  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

soumettent  de  bonne  grâce.  Ces  épreuves  ou  ces  joutes  sont  évidem- 
ment la  partie  principale  du  conte;  elles  sont  imaginées,  en  partie, 
d'après  les  usages  de  l'époque ,  en  partie,  conformément  aux  caractères 
des  personnes  qui  sont  appelées  à  les  subir. 

\^  L2i première  Épreuve  est  proposée  et  subie  par  Loki.  Le  récit  fait 
très-bien  ressortir  le  caractère  rusé  de  cet  Ase,  qui,  exténué  par  un 
jeûne  forcée  et  fatigué  par  le  long  voyage  ,  s'avance ,  le  premier,  lui  qui , 
comme  Clôtureur ,  marche  ordinairement  le  dernier  ;\\  propose  tout 
d'abord  une  épreuve  ou  une  joute,  qui  pourra  lui  procurer,  quoi  qu'il 
arrive,  un  bon  dîner.  Dans  la  Mythologie  grecque,  Héraklès  lutte,  avec 
Lépifeus,  à  qui  mangerait  le  plus  ;  et  les  frères  Idas  et  Lunkeus  livrent, 
aux  frères  Poludeukès  et  Kastôr,  un  assaut  à  qui  mangerait  le  plus  vite. 
Ici  nous  voyons  Loki,  qui,  comme  Clôtureur,  met  fin  à  tout,  et  dévore 
tout,  livrer  un  assaut  semblable  à  Logi,  ou  au  Feu  qui  est  le  Mangeur,  le 
Consumeur  par  excellence  (voy.  Les  Gètes,  p.  229).  Loki,  tout  affamé 
qu'il  est,  est  cependant  vaincu  par  Logi,  la  Personnification  du  Feu 
infernal,  ou,  plus  particulièrement,  du  Feu  Sauvage  ou  du  Feu  Saint- 
Antoine,  appelé  aussi,  au  Moyen  âge,  le  Mal-ardent,  maladie  qui  con- 
sume non-seulement  les  chairs ,  mais  aussi  les  os.  Un  mythe  grec  rap- 
porte également  que  chez  iiTorowos^  Chef  des  Lapithes,^em^/é5  (Foudre) 
mangea  un  bœuf  entier  avec  les  os  ;  aussi  portait-il  le  nom  épithétique 
de  Mange-Tout,  de  Mange-Beaucoup. 

2°  La  seconde  Épreuve  est  une  lutte  à  la  course.  Dans  l'Antiquité,  la 
course  avait  une  grande  importance,  parce  qu'elle  était  d'une  utilité 
pratique.  Non-seulement  les  coureurs  servaient  de  courriers  et  de  mes- 
sagers, mais  les  limites  des  territoires  et  des  propriétés  particulières  se 
déterminaient  souvent  par  la  course,  qui  était  ainsi  un  moyen  de  mettre 
fin  à  des  litiges,  et  était  souvent  employée  dans  les  cas  où  l'on  avait  aussi 
recours  à  la  décision  par  le  sort,  ou  par  le  jet  du  marteau  (voy.  Grimm. 
llechtsalterthumer,  p.  548  ;  Michelet,  Origines  du  droit  français,  p.  84). 
Être  bon  coureur  était  donc  une  qualité  très-recommandable  (2  Sam.  2, 
18;  Polyæn.  Strat.  6,  24;  Val.  Max.  V,  6,  4;  Mêla  i,  7;  Sallust. 
Jug.  79).  Elle  est  attribuée  à  Thiâlji,  qui,  considéré  ici  non  comme  la- 
boureur, mais  comme  valet  de  pied  de  Thôr,  devait  être,  non-seulement, 
bon  marcheur ,  mais  encore  bon  coureur.  Cependant  Thiâlji  ne  pouvait 
pas  se  mesurer  avec  Hugi  (Penser),  qui  est  la  Personnification  de  la 
pensée ,  dont  la  promptitude  est  proverbiale  chez  tous  les  peuples  (voy. 
p.  309). 

3°  La  troisième  Épreuve  consiste  à  vider,  d'un  trait,  et,  au  plus  vite, 
un  vase  à  boire  d'une  grande  contenance.  Les  Normands  buvaient  dans 
des  cornes  de  bœuf.  Ils  en  choisissaient  la  plus  grande  pour  en  faire ,  ce 
qu'ils  appelaient  la  Corne  de  punition.  C'est  que,  dans  leurs  festins,  où 
le  boire  était  la  chose  principale  (voy.  Les  Gètes,  p.  278),  il  était  d'usage 
d'infliger ,  comme  punition ,  à  ceux  qui  manquaient  aux  règlements  du 
festin,  l'obligation  de  vider  une  corne  de  punition.  Le  délinquant  pouvait 
complètement  se  réhabiliter,  en  vidant  cette  corne  en  un  trait,  ou  tout  au 
plus  en  deux.  Cet  usage  singulier  est  encore  observé ,  en  grande  partie , 
dans  les  compotations,  appelées  Commerces^  des  étudiants  allemands.  Le 


N°(44)(p.l20-123);  épreuves  deloki,  de  thiâlfi,  et  de  thôr.  323 

Président  d'un  tel  commerce ,  revêtu  d'un  pouvoir  dictatorial ,  prescrit  à 
ceux  qui  enfreignent  quelque  article  du  règlement  (Command),  de  vider 
un  ou  plusieurs  grands  verres  ;  et  le  délinquant  en  est  quitte ,  avec  hon- 
neur, s'il  avale  sa  boisson  d'un  trait,  et  de  manière  qu'en  renversant  le 
verre  vidé  sur  l'ongle  du  pouce',  il  n'en  découle  plus  la  moindre  goutte  : 
c'est  ce  qu'on  appelle  faire  l'épreuve  de  Tongle  (ail.  nagelprobe^  super- 
nacle  ;  rubis  sur  l'ongle).  Les  Normands  se  faisaient  gloire  de  boire  beau- 
coup, de  boire  vite,  et  de  vider,  sans  reprendre  haleine,  la  corne  jusqu'à 
la  dernière  goutte.  Pour  être  en  état  de  boire  ainsi ,  il  fallait  avoir  une 
constitution  robuste.  Aussi  le  boire  était-il  un  moyen  d'éprouver  la 
force  phijsique  d'un  individu.  L'histoire  rapporte  que  le  roi  slave  Vas- 
sily  jugeait  de  la  force  de  ses  compagnons  d'armes,  d'après  leur  plus  ou 
moins  grande  aptitude  à  sabler  la  corne.  Aussi  ce  n'est  pas  en  qualité  de 
Dieu  du  Tonnerre,  mais  uniquement  en  sa  qualité  du  plus  fort  des  Ases, 
que  Thôr  est  ici  représenté ,  dans  le  conte ,  subissant  l'épreuve  de  la 
Corne  de  punition.  Cependant,  dans  la  tradition  épique,  dérivée  d'un 
mythe  symbolique,  Thôr  est  représenté  comme  un  grand  buveur  ;  et 
cela  par  la  même  raison  pour  laquelle  Héraklès  porte  l'épithète  de 
Philopotès  (Buveur).  C'est  que  Thôr ,  le  Dieu  du  tonnerre ,  ainsi  que 
Héraklès^  le  Dieu  de  la  foudre,  se  sont  confondus,  en  partie,  l'un  et 
l'autre  ,  dans  quelques-unes  de  leurs  attributions,  avec  le  Dieu  du  soleil 
(voy.  p.  232).  Or,  comme  le  soleil,  en  faisant  évaporer  l'Océan,  était 
supposé  boire  les  eaux  de  la  Mer,  il  portait,  dans  les  Mythologies  an- 
ciennes, le  nom  épithétique  de  Buveur  (sansc.  Papis  ;  gr.  Philopotès; 
lat.  Bibax)^  lequel  a  été  appliqué  également  à  i7e>aÆ/e5  et  à  Thôr,eX 
même  à  Agastis ,  fils  du  Soleil  et  de  l'Océan,  qui,  d'après  le  mythe  hin- 
dou, but  toute  la  mer  et  la  rendit  par  les  voies  ordinaires.  Le  conte 
norrain  énonce  que  Thôr  est  si  fort  que,  sans  s'en  apercevoir,  il  en- 
lève, en  buvant,  une  telle  quantité  d'eau  à  l'Océan,  qu'il  en  résulte  l'èbe, 
le  reflux  ou  le  jusant.  Cependant,  ne  pouvant  pas  tout  boire,  il  est 
obligé  d'avouer  son  impuissance  de  vider  la  corne  ;  car  tout  Thôr  qu'il 
est,  c'eût  toujours  été  pour  lui,  comme  on  dit,  la  mer  à  boire,  que  de 
boire  en  entier  l'Océan.  Si  donc,  dans  ce  conte,  Thôr  est  représenté 
comme  produisant  le  reflux  de  la  mer,  ce  n'est  pas  là,  simplement, 
une  fiction  de  la  tradition  postérieure,  mais  c'est  un  souvenir  et  une  re- 
production modifiée  de  l'ancien  mythe  du  Soleil,  absorbant  une  partie 
des  eaux  de  l'Océan,  ou  de  Thôr  domptant  le  Serpent-de-Mer.  Thôr, 
comme  fils  de  lord  (Terre),  est,  par  cela  même,  le  Protecteur  de 
V Enclos-Mitoyen  (voy.  p.  286).  Il  le  protège  surtout  contre  les  déborde- 
ments de  l'Océan.  Ces  débordements  de  la  mer  sont  symbolisés  par  le 
Serpent  de  l'Enclos-Mitoyen  (voy.  p.  326),  dont  Thôr  est  l'ennemi  na- 
turel, et  qu'il  tâche  sans  cesse  de  tuer  ou  du  moins  de  dompter.  Toutes 
les  fois  qu'il  y  a  flux,  le  Serpent  de  Mer  (l'Océan)  semble  aller  à  l'attaque 
et  avoir  le  dessus  ;  et  toutes  les  fois  qu'il  y  a  reflux,  Thôr  semble  re- 
pousser ou  vaincre  le  Serpent.  La  tradition  épique  postérieure  a  retenu 
l'idée  que  Thôr  est  la  cause  du  jusant,  et  le  conte  populaire  s'appuyant 
sur  cette  tradition,  a  imaginé  que  ce  Dieu  devient  la  cause  de  l'èbe,  en 
buvant  une  grande  partie  des  eaux  de  la  mer. 


324  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

4°  La  quatrième  Épreuve  consiste  à  soulever  de  terre  le  chat  de  Loki 
des  Enclos-Extérieurs.  Cette  narration  repose  sur  un  souvenir  confus  et 
fortement  modifié  de  l'ancien  mythe  symbolique ,  qui  racontait  que  Thôr 
a  tenté  de  soulever  du  fond  le  l'Océan  ,  le  Serpent  de  l'Enclos-Mitoyen 
(voy.  p.  326).  Ce  serpent,  qui  est  de  race  iotnique ,  est  rattaché  ici  natu- 
rellement au  domaine  ou  à  la  demeure  du  roi  iotnique  Loki  des  Enclos- 
Extérieurs  ,  et  il  est  supposé  métamorphosé,  temporairement,  en  chat, 
par  la  magie  de  ce  roi ,  afin  que  Thôr  ne  reconnaisse  pas ,  tout  d'abord  , 
l'ennemi  qu'il  déteste  le  plus.  Le  Serpent  est  changé  en  chat,  d'abord 
parce  que  la  tête  ronde  de  ce  dragon  ressemble  le  plus  à  la  tête  d'un  chat, 
ensuite  parce  que  le  serpent  et  le  chat  sont ,  l'un  et  l'autre  ,  des  animaux 
haineux  et  perfides ,  enfin ,  et  surtout ,  parce  que  tous  deux  se  distinguent 
par  la  flexibilité  de  leur  dos,  et  la  facilité  d'allonger  leur  corps.  Cette  mé- 
tamorphose du  Serpent  de  Mer  en  chat  était  sans  doute  un  fait  connu 
dans  la  tradition  épique,  puisque,  dans  VEdda  en  prose  (voy.  p.  210), 
parmi  les  noms  d'Iotnes ,  se  trouve  aussi  celui  de  Köttr  (Haineux;  grec 
Kottos ,  l'hékatonchéïr;  lat.  catus ,  chat),  qui  désignait,  sans  doute,  le 
^er^ení iotnique  d^\ Enclos-Mitoyen ,  transformé,  temporairement,  en 
chat.  D'après  ce  mythe  ancien ,  Thôr,  bien  qu'il  soulève  le  Serpent  du 
fond  de  la  mer ,  jusqu'aux  nues  (voy.  p.  327) ,  ne  parvient  cependant  pas 
à  l'arracher  entièrement  à  la  mer ,  tant  le  corps  de  ce  reptile ,  qui ,  de 
son  anneau ,  entoure  le  disque  entier  de  la  terre,  est  immensément  long. 
De  même  ici ,  d'après  le  conte  populaire,  Thôr  soulève  le  chat,  de  terre 
jusqu'au  ciel ,  mais  il  ne  peut  pas  l'enlever  entièrement  de  terre ,  puisque 
son  corps  flexible  et  allongé  touche  encore  au  sol  par  une  jambe.  Snorri 
ne  se  doute  pas ,  qu'au  fond  le  sujet  de  ce  conte  soit  le  même  que  celui 
du  mythe  qu'il  va  raconter  ci-dessous  (voy.  p.  327),  de  la  lutte  de  TAdravec 
le  Serpent  de  Mer. 

5»  Xjucinquième  et  dernière  Épreuve,  celle  dans  laquelle  T^oV  éprouve 
la  défaite  la  plus  mortifiante ,  consiste  en  une  lutte  corps  à  corps.  Ces 
luttes  étaient  usitées  en  Scandinavie ,  comme  elles  le  sont  encore  aujour- 
d'hui chez  les  paysans  du  Nord,  et  chez  les  Suisses  de  la  vallée  deHasli ,  qui, 
eux  aussi,  s'attribuent  une  origine  Scandinave ,  et  qui  donnent ,  à  cette  lutte 
corps  à  corps ,  le  nom  de  Schwingen  (branle).  Les  supplantations ,  les 
crocs-en-jambes ,  leur  sont  encore  permis  dans  ces  luttes ,  comme  ils 
l'étaient  anciennement.  La  lutte  de  77<oV  avec  Vieillesse,  Personnage 
allégorique ,  est  une  de  ces  fictions  qui  appartiennent  exclusivement  aux 
temps  postérieurs.  En  effet,  dans  l'ancienne  Mythologie  Scandinave,  la 
vieillesse  n'était  pas  personnifiée  ;  il  y  était  seulement  dit  que  les  Ases , 
pour  se  rajeunir,  mangeaient  des  pommes  gardées  par  la  Déesse  Idunn 
(voy.  p.  274).  Plus  tard ,  au  Moyen  âge ,  l'approche  de  la  vieillesse,  qui  nous 
saisit  malgré  nous,  et  contre  laquelle  nous  nous  raidissons  en  vain,  fut 
représentée,  chez  les  peuples  d'origine  gète,  sous  l'image  d'une  lutte  avec 
Dame  Vieillesse.  D'après  une  image  analogue ,  le  Moyen  âge  représen- 
tait aussi  l'approche  de  la  Mort  comme  une  lutte  avec  Maître  Trépas  ; 
et ,  déjà  dans  l'Antiquité ,  Héraklès  est  dit  lutter  avec  le  Trépas  (Tha- 
natos;  \oy. Euripidès,  Alkestis,  v.  1 150)  comme,  dans  une  poésie  grecque 
moderne,  un  pâtre  lutte  avec  Chams  (cf.  Charon).  le  (;énie  de  la  mort. 


«•»(44)  (p.  124.-125);  thôr  quitte  les  enclos-extérieurs.  325 

Comme  la  lutte  ,  surtout  si  elle  est  un  jeu ,  une  joute ,  ressemble  à  une 
danse  y  au  branle ,  ou  plus  particulièrement ,  à  \2i  valse  allemande,  le 
Moyen  âge  a  représenté  les  individus  de  tout  âge ,  de  tout  sexe ,  et  de 
tout  rang ,  valsant  avec  le  Trépas.  De  là  l'idée  et  le  nom  de  la  Danse 
des  Morts,  ou  de  la  Danse  de  cimetière,  autrement  appelée,  par  les  po- 
pulations gothiques  de  l'Espagne,  la  Danse  macabre,  du  mot  arabe 
maq'bir,  qui  signifie  cimetière. 

Les  diiférentes  joutes ,  dont  il  est  question  dans  ce  conte,  sont  toutes 
entreprises ,  pour  mettre  à  l'épreuve  la  force  physique  de  Thôr  et  de  ses 
compagnons.  C'est  que,  de  toutes  les  qualités,  celle  que  les  Mythologies , 
et  le  Polythéisme  en  général ,  estimaient  le  plus  dans  les  divinités ,  c'était 
\2i puissance  (voy.  p.  177),  et  par  conséquent  la  force  physique,  qui  en 
est  la  manifestation  extérieure ,  visible  ,  matérielle.  En  eifet,  les  Divinités 
n'étaient  crues  supérieures  aux  hommes  que  par  leur  puissance  surhu- 
maine, et  on  ne  les  adorait  que  parce  qu'on  les  croyait  douées  d'une 
puissance  surhumaine  ,  au  moins  dans  leur  spécialité.  Nier  leur  puis- 
sance ,  c'était  nier  leur  caractère  divin.  C'est  donc  une  chose  qui  doit 
nous  surprendre,  de  voir,  avec  quelle  ironie  piquante ,  le  conte  se  joue , 
ici ,  de  la  puissance  de  Thôr,  de  celui  parmi  les  Ases ,  qui  passe  pour  le  plus 
/ori  de  tous.  Que  la  gaîté  du  peuple  se  permette  quelquefois  des  plaisante- 
ries sur  ce  qui  lui  est  sacré ,  et  sur  le  manque ,  dans  les  dieux ,  de  qualités 
qui  ne  passent  pas  pour  appartenir  à  leur  spécialité,  personne  n'y  verra 
un  symptôme  d'irreligiosité.  L'homme  aime  secouer,  par  moments ,  la 
crainte  des  Dieux  qui  lui  pèse,  et  à  jouer  le  hardi ,  l'indépendant,  l'esprit 
fort.  Il  le  peut  sans  être  irreligieux ,  car ,  au  fond ,  il  est  croyant.  Mais 
l'ironie  qui  s'attaque  à  la  puissance  des  dieux,  n'est  plus  conciliable  avec 
la  foi,  qui  est  essentiellement  nwive,  tandis  que  l'ironie  exclut  la  naïveté, 
bien  qu'elle  en  prenne  ordinairement  l'extérieur.  L'ironie ,  qui  règne  dans 
notre  conte ,  prouve  donc  qu'il  date  d'une  époque  ,  où  le  culte  de  Thôr 
n'était  plus  en  possession  de  la  foi  populaire  dans  le  Nord.  Cependant  la 
tradition  populaire ,  qui,  par  une  sorte  de  jalousie,  n'aime  pas  que  les 
lotnes ,  ces  Etres  si  méchants  et  si  hideux,  jouissent  d'une  victoire  com- 
plète ,  s'empresse  de  faire ,  en  quelque  sorte ,  réparation  d'honneur  à 
Thôr  et  à  ses  Compagnons ,  en  prouvant  que  ceux-ci  ont  réellement  ac- 
compli des  choses  prodigieuses,  qu'aucun  mortel  ne  serait  en  état  de 
faire  ,  et  qu'ils  ont  été  vaincus ,  non  pas  tant  par  les  forces  gigantesques 
des  lotnes,  que  par  les  forces  invincibles  de  la  Magie  ;  or,  cette  magie  et  cette 
puissance  victorieuse  des  lotnes  ayant  atteint  leur  terme  à  la  fin  de  l'hiver, 
Thôr,  au  printemps  ,  reprend  le  dessus  ;  ce  que  le  conte  exprime  en  nous 
montrant  Thôr  s'apprêtant  à  détruire  le  château  de  Loki.  Mais  ce  dieu  se 
retire ,  n'ayant  trouvé ,  à  la  place  de  ce  château  créé  par  la  magie ,  qu'une 
plaine,  belle  et  printanière,  où  toutes  les  traces  de  l'hiver  et  des  lotnes 
ont  disparu  d'elles-mêmes  par  enchantement ,  comme  les  phénomènes  de 
l'hiver  disparaissent  également  par  l'effet  magique  du  printemps.  C'est 
alors  que  Thôr  revient  de  son  expédition  en  Orient.,  et  il  habite,  de  nou- 
veau, les  nuages  orageux  ou  sa  Demeure  céleste,  appelée  Champs-d'É- 
nergie  (voy.  p.  254). 


326  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

(45)  THÔR  PÊCHE  AVEC  HYMIR ,  ET  COMBAT  LE  SERPENT-DE-MER. 

§  146.  Thôr  et  le  Géant  Hymir.  —  La  tradition  sur  la  rencontre  de 
Thôr  avec  le  Serpent  de  V Enclos- Mitoyen ,  appartient  à  l'ancien  fonds 
de  la  Mythologie  Scandinave  ;  c'est  même  un  des  mythes  les  plus  anciens 
que  nous  ayons.  Ce  mythe  fait  le  sujet  spécial  du  poëme  eddique ,  intitulé 
Chant  d' Hymir  (voy  p.  316).  Ce  poëme  n'était  pas  connu  de  Snorri;  du 
moins  le  récit  de  cet  auteur  en  diifère  sensiblement ,  quant  à  l'ensemble , 
et  quant  aux  détails.  Cependant  on  reconnaît  encore,  à  travers  le  récit 
de  Snorri,  l'ancienne  signification  symbolique  du  mythe,  bien  que  cet 
auteur  n'en  semble  pas  avoir  eu  connaissance.  L'idée  générale ,  exprimée 
dans  ce  mythe ,  c'est  qu'avec  l'été ,  l'impétuosité  de  l'Océan  est  aussitôt 
brisée,  ou,  comme  s'énonce  le  langage  mythologique,  Thôr  parvient , 
sinon  à  enlever  le  Serpent  (l'agitation)  à  la  mer,  au  moins  à  le  dompter 
(apaiser  l'agitation).  D'ai)rès  le  Chant  d' Hymir,  la  rencontre  de  Thôr 
avec  le  Serpent  a  lieu  ,  occasionnellement ,  pendant  son  séjour  chez  Hy- 
mir, où  il  était  allé  avec  Tyr,  le  beau-fils  A' Hymir  (voy.  p.  271  ),  chercher  le 
grand  Chaudron,  exigé  pour  y  faire  la  bière  du  festin  qu'âF^/r  voulait 
donner  aux  Ases.  C'était  là ,  de  la  part  de  l'auteur  du  Chant  d' Hymir, 
une  manière  épique  d'arranger  la  suite  ou  le  cycle  mythologique  des  ac- 
tions de  Thôr;  car ,  au  fond ,  le  mythe  de  la  lutte  de  cet  Ase  avec  le  Ser- 
pent ,  n'avait  rien  de  commun  ni  aucun  rapport  avec  le  mythe  de  l'Enlè- 
vement du  Chaudron.  Aussi  Snorri  est-il  dans  son  droit ,  tout  aussi  bien 
que  l'auteur  du  Chant  d'Hymir ,  s'il  imagine  un  autre  arrangement  du 
cycle  mythologique  ,  bien  que  cet  arrangement  soit  tout  aussi  arbitraire 
que  le  précédent.  Afin  de  pouvoir  rattacher  plus  facilement  ce  récit  à  celui 
des  joutes ,  qui  ont  eu  lieu  dans  les  Enclos-Extérieurs ,  Snorri  consi- 
dère la  rencontre  de  Thôr  avec  le  Serpent,  comme  ayant  été  résolue  et 
préparée  exprès  par  ce  Dieu ,  pour  se  revancher  d'avoir  été  vaincu  ,  chez 
Loki,  par  la  race  iotnique.  Suivant  Snorri,  Thôr  partit  pour  le  Séjour 
des  lotnes ,  ayant  revêtu  l'extérieur  d'un  jeune  homme.  En  effet ,  au  prin- 
temps ,  où  ce  voyage  a  lieu ,  Thôr,  comme  Jpollon  ou  Héraklès  au  com- 
mencement de  leur  carrière,  est  jeune  et  sans  barbe.  Mais  si  cet  auteur 
ajoute  qu'il  eut  tant  de  hâte  qu'il  partit  sans  avoir  avec  lui  ni  Char  ni 
Boucs ,  il  suppose  une  donnée  contraire  aux  circonstances  du  Mythe  pri- 
mitif ,  et  il  confond  ce  voyage ,  qui  se  fait  au  printemps ,  avec  les  Expédi- 
tions, que  Thôr  entreprend  ordinairement,  en  hiver,  contre  les  lotnes,  et 
où ,  naturellement ,  il  n'a  pas  avec  lui  son  Char  attelé  de  ses  Boucs  (voy. 
p.  256).  L'auteur  du  Chant  d'Hymir,  mieux  renseigné  à  ce  sujet,  rap- 
porte que  Thôr,  dans  ce  voyage ,  avait  son  Char  roulant.  LTotne  Hymir, 
chez  lequel  il  se  rend,  est  au  fond  le  même  que  Gymir  (voy.  p.  499), 
bien  que  la  tradition  mythologique  postérieure  ,  trompée  par  cette  légère 
différence  de  prononciation  entre  les  deux  noms ,  les  considère  comme 
désignant  deux  personnages  distincts.  Hymir  est ,  comme  Gymir,  le  re- 
présentant de  l'Océan  hivernal ,  c'est-à-dire  de  cette  zone  de  la  Mer  arc- 
tique, qui  s'étend  depuis  les  bords  du  Séjour-des-Iotnes ,  au  Nord, 
jusqu'à  l'endroit  où  gît,  au  milieu  de  l'Océan,  le  Serpent,  qui  entoure  la 
terre,  et  dont  la  tête  se  trouve  précisément  au  Septentrion. 

'i  147.  Lutte  de  Thôr  contre  le  Serpent  de  Mer.  —  Hymir,  comme 


NUMÉRO  (45)  (page  126  -  127)  ;  thôr  et  hymir.  327 

Personniflcation  de  l'Océan ,  est  pêcheur.  Thôr  va  donc ,  avec  lui,  pêcher 
dans  la  haute  mer ,  afin  de  trouver  occasion  de  rencontrer  et  de  dompter 
le  Serpent ,  son  ennemi.  Il  prend  pour  amorce  la  tête  du  taureau  Brise- 
Ciel.  Ce  taureau  est  l'emblème  des  glaçons  qui  nagent,  élevant  leurs 
pointes  ou  cornes ,  dans  les  mers  arctiques.  Le  glaçon  est  comparé  au 
bœuf,  à  cause  de  ses  cornes  ou  aiguilles  (cf.  Eik-tlujrnir ,  p.  31 1  )  ;  et  le  tau- 
reau porte  le  nom  de  Brise-Ciel,  parce  que  ses  cornes  élevées  semblent 
toucher  ou  heurter  le  ciel.  Après  quelques  détails  pittoresques ,  mais  pu- 
rement narratifs,  et  sans  signification  symbolique,  sur  la  navigation  et 
les  préparatifs  de  la  pêche ,  détails  que  Snorri  ne  tenait  pas  de  la  tradi- 
tion ,  mais  qu'il  a  ajoutés  d'après  la  connaissance  qu'il  avait  de  la  pratique 
de  la  pêche  ,  le  récit  arrive  enfin  au  sujet  principal,  [savoir  à  Thôr  sou- 
levant du  fond  de  l'Océan  le  Serpent  de  Mer.  Tout  ce  tableau  est  l'image 
symbolique  d'une  trombe  marine ,  représentée,  dans  le  mythe,  comme  une 
lutte  de  l'Orage  (Thôr)  contre  la  Mer  (le  Serpent).  Car  de  même  que ,  sur 
mer,  le  nuage  orageux,  soulevant  la  trombe ,  attire  au  ciel  celte  colonne 
humide,  et  la  laisse  ensuite  retomber,  frappée  des  foudres  du  ciel,  de 
même  nous  voyons ,  dans  ce  Mythe ,  le  Serpent  d'abord  soulevé ,  du  fond 
de  la  mer  jusqu'au  ciel,  et  replongeant  ensuite ,  frappé  du  Marteau  lancé 
d'en  haut.  Si  Hymir  est  représenté  comme  craignant  de  s'approcher  du 
Serpent,  et  s'eflfrayant  à  sa  vue,  c'est  une  méprise  dans  laquelle  le  récit 
populaire  est  tombé.  En  effet,  Hymir  ne  saurait  craindre  le  Serpent,  qui 
est  de  la  même  race  iotnique  que  lui ,  mais  il  craint  que  Thôr,  dont  il 
connaît  la  force,  ne  tue  le  Serpent,  et  ne  prive  ainsi  les  lotnes  d'un  de 
leurs  plus  puissants  auxiliaires  (voy.  p.  339).  Une  autre  méprise  de  la  tra- 
dition ,  c'est  d'avoir  supposé  que  le  Serpent  ait  été  frappé ,  à  mort ,  par 
Thôr,  au  fond  de  l'Océan.  La  Mythologie  ne  saurait  considérer  les  Puis- 
sances pernicieuses,  qui  existent  continuellement  dans  la  Nature ,  comme 
tuées ,  une  fois  pour  toutes ,  par  les  Dieux  ;  elle  les  considère  seulement 
comme  vaincues,  refoulées,  enchaînées,  temporairement  (v.  p.  289).  Un  trait 
qui  ne  'se  trouve  pas  dans  le  Chant  d' Hymir,  et  que  Snorri  paraît  avoir 
emprunté  à  la  \W^\\aq\í  populaire ,  c'est  celui  qui  montre  Hymir  cultíuté 
par-dessus  le  bord  dans  la  mer.  Ce  trait ,  s'il  appartient  à  l'ancien  mythe, 
signifie  sans  doute  que  l'hiver,  représenté  par  cet  lotne,  est  culbuté,  ou  jeté 
à  l'eau ,  et  c'est  probablement  à  ce  fait  mythologique ,  que  se  rapporte 
l'usage  du  peuple ,  au  Moyen  âge ,  de  jeter  à  l'eau ,  au  printemps ,  la 
figure  symbolique  de  l'/^/îjer,  ou  de  Maître  Trépas  (voy.  Grimm,  Mythol., 
p.  730). 

(46)  PRESSENTIMENTS,  MORT,  ET  FUNÉRAILLES  DE  BALDUR. 

g  148.  Mort  de  Baldur.  —  Dans  ce  mythe ,  Baldur  n'est  pas  seulement 
le  représentant  de  la  courte  saison  d'été  ,  riche  de  chaleur  et  de  lumière, 
par  opposition  à  la  longue  saison  d'hiver,  pleine  d'obscurité  et  de  froidure, 
il  est  encore,  par  analogie  et  par  extension,  le  représentant  de  la  Vie,  et 
du  Bonheur  universel  (voy.  p.  259),  par  opposition  au  Crépus cule-des- 
Grandeurs  ou  à  la  Destruction  universelle  (v.  p.  335).  Baldur  a  le  pres- 
sentiment qu'il  mourra  jeune  ;  en  effet,  la  joie  de  l'été,  la  vie  du  Monde,  elles 
ont  une  si  courte  durée  (v.  p.  259).  Les  Jses,  intéressés  à  la  conservation 
de  Baldur,  dont  la  mort  entraînera  nécessairement  leur  propre  perte  , 


328  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

prennent  toutes  les  mesures  pour  conjurer  le  danger  qui  le  menace.  Frigy, 
sa  mère ,  fait  prêter  à  tous  les  Êtres  de  la  Création  le  serment  de  ne  pas 
donner  la  mort  à  son  fils  ;  et  toute  la  Création  s'engage  volontiers  à  ne 
pas  blesser  Baldur,  qui  est  la  Source  de  la  Vie  et  du  Bonheur  général. 
Mais  le  Destin  dur  et  inexorable ,  qui  exige  que  la  mort  de  Baldur  soit 
le  présage  et  le  précurseur  de  la  Transformation  et  du  Renouvellement 
du  Monde  ,  ne  saurait  être  éludé  par  aucun  moyen.  Quelque  précaution 
qu'on  prenne  contre  lui ,  il  y  a  toujours  ,  à  ce  qu'on  croit ,  et  comme  le 
prouve  la  Mythologie ,  quelque  chose  qu'on  oublie  de  faire ,  quelque  omis- 
sion involontaire,  mais  fatale  ,  qui,  tôt  ou  tard,  devient  la  cause  inévi- 
table de  l'accomplissement  de  la  Destinée.  Ainsi  FîHgg ,  malgré  toute  sa 
sollicitude  maternelle ,  avait  négligé  de  faire  prêter  le  serment  à  un  jeune 
Rejeton  de  Gui  ;  elle  n'y  avait  pas  songé,  parce  que ,  selon  les  usages  des 
Scandinaves,  le  serment  n'était  jamais  exigé  des  enfants  ou  des  mineurs; 
et,  d'ailleurs,  le  Gui,  par  sa  jeunesse  même ,  semblait  inoffensif  et  nullement 
dangereux.  Mais  précisément  ce  Rejeton ,  de  belle  et  d'innocente  appa- 
rence, était  perfide  et  pernicieux;  c'était  probablement  une  Épine  as- 
soupissante (norr.  svefn-thorn)^  c'est-à-dire  une  baguette  magique,  qui 
avait  la  propriété,  en  touchant  le  corps  d'une  personne,  de  la  plonger 
dans  le  sommeil  léthargique  de  la  mort.  Ce  Gui  croissait  à  l'Orient  de 
VEnclos-des-Jses ,  ce  qui  était  de  mauvais  augure;  car,  croissant  à 
l'Orient ,  il  regardait  le  Soleil  couchant,  et ,  selon  les  idées  des  Normands, 
regarder  le  Couchant ,  dans  certains  moments  critiques ,  avait  pour  effet 
d'amener  le  déclin ,  la  chute ,  la  défaite ,  et  le  malheur.  Aussi  recomman- 
dait-on à  qui  se  battait  en  duel ,  de  ne  pas  se  placer  de  manière  à  tourner 
la  face  au  Soleil  couchant.  L'existence  du  Gui  aurait  été  ignorée ,  et  ce 
Rejeton  eût,  par  cela  même,  été  inoifensif^  si  Frigg ,  elle  qui,  comme 
mère,  avait  précisément  le  plus  grand  intérêt  à  la  conservation  de  son 
fils  ,  et  qui  seule  savait  que  le  Gui  n'était  pas  assermenté ,  n'avait  pas 
trahi  ce  secret,  par  hasard,  à  Clôtureur  (Loki),  le  Génie  qui  aime  la  fin, 
la  destruction,  et  la  mort  (voy.p.285).  Loki  sç  sert  de  Hödur  (v.  p.  28i), 
potir  iv2i^^QY Baldur . Hödur  est  donc  l'instrument  aveugle,  involontaire, 
et  innocent,  dont  se  sert  Loki  pour  donner  la  mort  à  Baldur.  Les  Ases 
sont  tous  vivement  émus  de  la  mort  de  Baldur;  tous  prévoient  que  cette 
catastrophe  entraînera  bientôt  leur  propre  destruction.  La  faiblesse  et  la 
prostration  qui  s'emparent  d'eux ,  après  leur  stupeur ,  signifient  que  par 
la  mort  de  Baldur  (l'Été),  les  Ases  sont  jetés  dans  l'hiver,  qui  est  l'é- 
poque de  leur  affaiblissement  ou  de  leur  faiblesse  (voy.  p.  274).  De  même 
qn' Aphrodite  veut  racheter  Adonis  de  Hadès ,  de  même  Frigg  veut  ra- 
cheter son  fils  de  la  Demeure  de  Hel  (voy.  p.  287),  où  il  a  dû  passer,  comme 
ayant  péri  par  un  accident ,  et  non  dans  un  combat  sanglant.  Hermôdr 
(Courage  de  Troupe),  le  fils  ù'Odinn,  et,  comme  Tyr,  le  représentant 
de  son  père ,  par  rapport  à  son  courage,  s'offre  pour  faire  le  voyage  chez 
Hel;  il  faut,  en  effet,  être  un  homme  de  courage  pour  oser  entreprendre 
le  voyage  diflicile  et  périlleux  dans  le  royaume  de  la  Mort ,  dont  personne 
n'est  encore  revenu.  Pour  assurer  la  célérité  et  le  succès  de  cette  expé- 
dition ,  les  Ases  donnent  à  líermodi,  pour  monture,  Sleipnir,  le  cheval 
merveilleux  û'Odinn  (voy.  p.  315). 


i 


NUMÉRO  (46)  (page  128)  ;  mort  de  baldur.  329 

§  149.  Funérailles  de  Baldur.  —  Les  habitants  primitifs  de  la  Scandi- 
navie, qui  étaient  de  race  keltique  et  de  race  finne,  croyaient,  probable- 
ment, que  les  trépassés  se  rendaient,  par  mer,  dans  une  île  éloignée,  qu'ils 
appelaient,  peut-être,  comme  aujourd'hui  les  paysans  des  rivages  de  là 
Bretagne,  V Isle-des-Morts  ;  c'est  ainsi,  par  exemple,  que  dans  le  lac  Vænir, 
il  y  a  une  île  où  se  trouvent  d'anciens  tombeaux  de  rois.  Pour  faciliter  ce 
passage,  on  plaçait  le  mort  dans  un  esquif  ou  dans  un  arbre  creux  (norr. 
askr;  cf.  ail.  Todtenbaum)^  que,  lors  de  l'èbe,  on  lançait  à  la  mer.  Ce 
mode  de  funérailles  fut  adopté,  dans  la  suite,  par  les  Scandinaves,  sur- 
tout par  les  Rois-de-iner  (Sæiíonungar),  et  les  Pirates  (Vikingar).  D'un 
autre  côté,  beaucoup  de  peuples  anciens,  et,  entre  autres,  les  Normands, 
considéraient  la  mort  comme  une  consécration  faite  à  la  Divinité  (voy. 
p.  217),  et  c'est  pourquoi  les  cérémonies  des  funérailles  avaient  beaucoup 
de  ressemblance  avec  celles  d'un  sacriflce  public.  L'usage  de  brûler  les 
morts,  remplaça,  pour  cette  raison,  l'exposition  des  cadavres,  la  suspen- 
sion aux  arbres,  etl'enterrementdans  des  cavernes,  usités  chez  ces  peuples 
antérieurement.  Aussi ,  unissant  les  deux  modes  de  funérailles,  on  brûla , 
selon  le  nouveau  mode ,  les  morts  dans  l'esquif,  qui  leur  avait  servi  dans 
leur  vie,  et  le  navire,  portant  ainsi  le  bûcher-brûlant,  était  lancé  à  la 
mer,  selon  l'ancien  mode.  Les  funérailles  de  Baldur  nous  montrent  ce 
bûcher  flottant  (norr.  balför).  De  même  que,  chez  les  Grecs,  Hèlios 
(le  soleil)  avait  un  navire  (gr.  Koilè)  nommé  Coupe  (gr.  dépas  ;  lat. 
scyphus)^  de  même  Baldur  (le  Soleil  d'Été) ,  était  possesseur  d'un  navire 
nommé  Corne-Courbée  (Hring-horni),  parce  que  son  extrémité  antérieure 
se  terminait,  comme  cela  se  voyait  dans  beaucoup  de  navires  normands, 
en  une  corne  courbée.  Les  A  ses  préparèrent  le  bûcher-flottant  sur  ce 
navire  qui  était  tiré  à  terre ,  et  placé  sur  des  rouleaux  ;  ce  qui  indique 
que  les  funérailles  de  Baldur  eurent  lieu  au  commencement  de  l'hiver , 
à  une  époque  où  la  navigation  avait  cessé,  et  où  les  navires  étaient  déjà 
placés  sur  des  rouleaux.  Les  Ases  veulent  lancer  ce  navire  à  la  mer , 
mais  ils  n'y  parviennent  pas,  leurs  forces  ayant  été  diminuées  par  la 
mort  de  Baldur,  ou  par  l'approche  de  l'hiver.  Ils  sont  donc  obligés 
d'avoir  recours  aux  forces  de  la  race  iotnique,  qui,  dans  la  nuit  et  en 
hiver,  jouit  précisément  de  la  plénitude  de  sa  puissance.  Un  représentant 
de  cette  race  leur  vient  en  aide,  dans  la  personne  de  la  Géante  Hyrro- 
ckin.  Cette  géante,  dont  le  nom  signifie  Enfumée-de-Feu ^  est  le  Sym- 
bole de  l'hiver,  de  la  saison  où  l'on  se  tient  auprès  du  feu  de  l'âtre,  et  où 
l'on  est  enfumé  au  feu.  La  Géante  arrive,  montée  sur  un  loup;  cet  ani- 
mal représente  à  la  fois  l'hiver,  la  nuit,  et  la  mort  (voy.  p.  208).  Le  loup 
a  pour  bride  un  serpent,  parce  que  ce  reptile,  qui,  ennemi  du  froid,  s'en- 
gourdit pendant  l'hiver  et  se  réveille  seulement  au  printemps,  est  le 
symbole  de  la  chaleur  printanière,  qui  retient,  bride,  ou  dompte  l'impé- 
tuosité de  l'hiver  ou  du  loup.  Mais  maintenant,  à  l'approche  de  l'hiver, 
le  corps  engourdi  du  serpent  ne  saurait  brider  cet  animal.  Aussi  faut-il 
quatre  Pures-serges  (norr.  Berserkir^  voy.  Les  Gètes,  p.  il 4),  pour 
dompter  le  loup.  Les  Pures-Serges  ne  figurant  jamais  dans  l'ancienne 
Mythologie,  il  faut  supposer  que  Snorri  en  parle  ici ,  non  d'après  d'anciens 
documents  mythologiques ,  mais  seulement  d'après  la  tradition  populaire. 


330  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Suivant  les  idées  des  Scandinaves,  le  défunt  devait  emporter,  pour  en 
jouir  dans  l'autre  monde,  toutes  ses  propriétés  personnelles,  c'est-à- 
dire  les  propriétés  meubles  (norr.  lausafé)^  qu'il  n'avait  pas  héritées , 
comme  les  propriétés /owczères  (adals-fê) ,  ou  propriété  de  famille ,  mais 
qu'il  s'était  acquises  personnellement,  par  sa  bravoure,  ou  ses  exploits, 
ou  son  travail.  La  femme  comptait  bien  aussi  parmi  les  propriétés  per- 
sonnelles du  défunt,  parce  qu'il  l'avait  achetée,  au  moins  par  un  achat 
simulé  ou  symbolique;  cependant  ni  la  loi,  ni  l'usage  n'exigeaient, 
comme  chez  les  Slaves,  que  les  femmes  suivissent  leurs  maris  dans  la 
mort.  Différents  peuples  de  l'Antiquité  attachaient  cependant  un  mérite 
tout  particulier  à  ce  sacrifice  volontaire  de  la  part  de  la  femme.  Ainsi , 
dans  la  Mythologie  grecque,  nous  voyons,  entre  autres,  Evadne,  mon- 
ter sur  le  bûcher  (de  son  mari  Kapaneus  ;  l'usage  semblait  presque 
exiger  ce  sacrifice  chez  les  Scythes  (voy.  Herod.  IV,  73) ,  et  il  était  de 
tout  temps  un  devoir  religieux  dans  certaines  parties  de  l'Inde.  La 
Mythologie  hindoue  rapporte  que  les  16,801  épouses  de  Krichnas  se 
sacrifièrent  toutes  avec  leur  amant.  Dans  l'antiquité  Scandinave ,  il  y  a 
des  exemples,  mais  peu  nombreux  ,  il  est  vrai ,  de  femmes  ou  d'amantes 
qui  se  sont. sacrifiées  elles-mêmes,  pour  être  unies,  sur  le  bûcher,  avec 
leur  mari  ou  leur  amant.  Nanna  ne  se  sacrifie  pas  pour  son  mari  Bal- 
dur,  par  une  mort  volontaire,  mais  son  cœur  se  brise  de  chagrin,  en 
voyant  le  bûcher  de  son  époux.  La  mort  de  Nanna  (Vigoureuse),  la  fille 
de  ISep  (Nuage,  voy.  p.  279;  cf.  si.  nebo,  Ciel),  exprime  symboliquement 
cette  idée,  que  la  végétation,  gaie  et  vigoureuse,  dont  Nanna  est  la 
personnification,  périt  par  suite  de  la  mort  de  Baldur,  ou  par  suite  du 
dépérissement  du  Soleil  d'été.  Le  Dverg  Couleur  (norr.  Litr) ,  la  per- 
sonnification des  couleurs  variées  dont  s'orne  la  Nature  dans  la  saison 
de  la  lumière,  par  opposition  â  la  couleur  monotone  et  plombée  de  l'hiver, 
est  lancé  par  Thôr  sur  le  bûcher  de  Baldur;  car,  de  même  que  la  cou- 
leur tient  à  la  lumière ,  le  Dverg  Litr  tenait  à  Baldur  ;  il  était  son 
Suivant ,  ou  son  serviteur ,  et ,  comme  tel ,  il  devait  accompagner  son  maître 
dans  l'autre  monde.  C'est  aussi  comme  propriété  de  Baldur  que  son 
cheval  (voy.  p.  224)  avec  l'équipement,  est  brûlé  sur  le  bûcher,  sur  lequel 
Odinn  dépose  encore  l'Anneau  nommé  Dégouttant,  qui  est  le  Symbole 
de  la  semence  déposée  dans  la  terre  pendant  l'hiver.  La  semence  ou  la 
moisson  appelée  précieuse,  en  tant  que  richesse,  et  dqrée,  par  rapport 
à  la  couleur,  est  représentée  ordinairement,  dans  la  Mythologie,  sous  le 
symbole  de  bijoux  ou  de  joyaux  d'or  :  aussi  la  fille  de  Freyia ,  le  Sym- 
bole de  la  moisson  dorée ,  est-elle  appelée  Hnoss,  (Joyau).  Pour  la  même 
raison,  la  semence  a  pu  être  symbolisée  ici  par  l'anneau  d'or  Draupnir; 
car,  dans  la  poésie  norraine,  anneau  d'or  est  une  expression  poétique 
pour  désigner  l'or  et  les  richesses  en  général,  puisqu'on  se  servait  de 
petits  cercles  d'or  en  guise  de  monnaie.  La  semence,  ou  les  graines  d'or 
sont  confiées  à  la  terre  en  automne,  afin  de  se  reproduire  en  se  multi- 
pliant, ce  que  le  Mythe  exprime  en  disant  que  l'anneau  Draupnir  est 
emporté  par  Baldur  dans  l'enfer,  où  il  acquiert  la  propriété  de  se  repro- 
duire. L'idée  de  reproduction  est  exprimée  par  l'action  de  fondre,  de 
verser,  de  dégoutter,  par  la  môme  raison  que  l'idée  de  pleuvoir  est 


N"  (46)  (p.  129-131);  FUNÉRAILLES  DE  BALDUR  ;  HERMÔDI.  331 

devenu  synonyme  de  ensemencer,  engendrer  (voy.  p.  251).  Aussi  les 
graines  de  blé  sont-elles  appelées  gouttes  ou  larmes  d'or ,  et  Freyia 
qui  les  verse,  porte  l'épithète  de  Déesse  aux  belles  larmes.  Par  la  même 
raison  encore,  l'Anneau,  le  Symbole  de  la  semence  qui  se  reproduit,  est 
appelé  ici  l'anneau  Dégouttant.  La  semence ,  semée  en  automne ,  se  re- 
produit après  les  buit  mois  d'biver ,  et  elle  se  reproduit  octuple.  C'est 
pourquoi  il  est  dit,  dans  le  Mythe,  que  dans  la  neuvième  nuit,  c'est-à- 
dire,  au  neuvième  mois  (voy.  p.  265) ,  l'anneau  Dégouttant  verse  huit 
autres  anneaux,  égaux  à  lui-même. 

Le  bûcher-flottant,  qui  emporte  Baldur  (le  Soleil  d'Été),  sa  femme 
Nanna  (la  végétation  d'Été) ,  le  dverg  Litr  (les  couleurs  variées  en  été) , 
l'anneau  Dégouttant  (la  semence  qui  se  reproduira  l'été  prochain) ,  et  le 
cheval  de  ^a/c?Mr  ( le  Vent  d'Été),  a  besoin  d'être  consacré,  d'abord, 
parce  que  les  funérailles  étaient  assimilées  à  un  sacrifice  (voy.  p.  329) , 
et  ensuite,  afin  qu'il  devienne,  par  là,  inviolable  pendant  son  voyage  dans 
l'autre  monde ,  et  soit  préservé ,  sur  mer ,  des  malifices  et  des  spectres 
marins  (norr.  Smyl).  Thôr,  qui,  dans  beaucoup  d'occasions,  remplit 
auprès  des  Ases  les  fonctions  de  Consécrateur ,  fait  cette  consécration 
du  bûcher,  en  levant  au-dessus  de  lui  son  marteau  redoutable,  menaçant 
ainsi  symboliquement  de  ses  coups  tous  ceux  qui  oseraient  toucher  à  ce 
bûcher  ainsi  consacré. 

Le  cortège  funéraire  de  Baldur  se  compose  de  tous  ceux  qui  re- 
grettent sa  mort.  Si  nous  y  voyons  aussi  figurer  ses  ennemis  naturels , 
les  Thurses,  cela  provient  de  ce  que  Snorri,  ainsi  que  la  tradition  popu- 
laire, ont  confondu  les  Thurses  2iy te  les  Géants-des-Montagnes,  qui, 
seuls,  devraient  être  mentionnés  ici.  En  eflfet,  les  Géants-des-Montagnes 
sont  les  Représentants  du  commencement  de  l'hiver  (voy.  p.  316),  et  ils 
assistent  aux  funérailles  de  Baldur,  non  parce  qu'ils  regrettent  ce  Dieu, 
mais  parce  que  ses  funérailles  ont  lieu  au  commencement  de  l'hiver. 
Odinn,  le  père  de  Baldur,  y  assiste  avec  sa  femme  Frigg,  la  mère  éplo- 
rée  de  la  victime;  comme  Jses,  comme  parents,  et  comme  dieux  de  la 
vie ,  ils  regrettent  vivement  leur  fils ,  le  brillant  Soleil  de  l'été ,  enlevé  si 
jeune.  Les  Valkyries  (voy.  p.  299)  à' Odinn  et  ses  Corbeaux  (voy.  p.  316), 
regrettent  également  l'été,  qui  est  le  temps  des  exploits,  et  des  combats. 
Freyr,  le  Dieu  des  moissons  et  du  soleil,  assiste  aux  funérailles  avec  le 
Verrat  nommé  Soies-d'  Or,  ou  Dent- Courbe -Meurtrière  {Slidur-vîg- 
tanni;  cf.  p.  276.  Enfin  Heimdall,  monté  sur  son  cheval  Queue  d'Or 
(voy.  p.  275),  regrette  son  frère  Baldur,  dont  il  était,  en  quelque  sorte, 
l'avaut-coureur,  comme  Dieu  du  Jour,  de  l'Aurore,  du  Printemps,  et  de  la 
Procréation  (voy.  p.  277). 

g  150.  Baldur  ne  peut  revenir  de  Hel.  —  Courage- de-  Troupe 
(Hermodi),  monté  sur  Sleipnir  (voy.  p.  315),  qui  vole  comme  lèvent, 
chevauche  pendant  neuf  jours  et  neuf  nuits  avant  d'arriver  au  Séjour  de 
Hel;  ce  qui  exprime,  en  langage  épique,  la  grande  distance  qui  sépare 
Asgard  de  l'Enfer.  Enfin,  il  arrive  à  la  rivière  nommée  Retentissante 
(Giöll)  qui  est  une  des  Vagues-Tempétueuses  (voy.  p.  171),  et  qui  sé- 
pare le  domaine  de  V Enclos-Mitoyen  de  celui  de  Hel.  Sur  cette  rivière 
se  trouve  un  pont ,  couvert  d'un  toit  d'or.  Comme  c'est  ici  l'entrée  de 


332  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

l'Empire  de  Hel,  qui  est  une  déesse  vierge  ,  le  pont  est  aussi  gardé  par 
une  Vierge,  mais  une  vierge  guerrière,  ou  uneFalkyrie  àeHel,  afin  que 
cette  gardienne  puisse  repousser  par  la  force  ceux  qui  voudraient  passer 
sur  le  pont,  sans  permission.  Selon  l'usage  des  gardiens,  cette  vierge  , 
avant  de  laisser  passer  les  arrivés ,  les  interroge  sur  leur  nom ,  et  sur 
leur  famille.  Elle  reconnaît  tout  d'abord  la  nature  divine  de  Courage- 
de-Troupe,  et  elle  s'apperçoit bien  que  ce  n'est  pas  là  une  ombre  allant 
à  J/el,  mais  un  héros  encore  vivant ,  puisque  sous  le  poids  de  son  corps, 
le  pont  tremble  tout  autant  que  sous  les  cinq  pelotons  ou  les  5  fois  50 
ombres,  qui  l'ont  passé,  la  veille,  en  compagnie  de  Baldur,  leur  chef, 
qu'elles  ont  suivi  dans  la  mort  (voy.  p.  331).  Étant  entré  dans  le  domaine 
de  Hel,  Courage-de^ Troupe  se  dirige  vers  l'Enclos  de  la  Déesse;  il 
fait  sauter  son  cheval  par-dessus  les  Grilles  qui  forment  l'avenue  de  l'En- 
clos, et  ayant  pénétré  ainsi  dans  la  cour,  il  se  dirige  vers  la  Halle ,  où  il 
trouve  Baldur  occupant  la  place  d'honneur  {entre  les  ondvegis-sûlir), 
qui  est  en  face  de  l'Entrée,  ou  du  soleil  levant  (voy.  p.  ISO). 

Courage-de-  Troupe  est  censé  revenir  de  Hel  vers  la  fin  de  l'hiver  ; 
aussi  est-il  porteur  de  présents  qui  annoncent  l'approche  du  printemps. 
Il  rapporte  à  Odinn  l'anneau  Dégouttant ,  ce  qui  signifie  que  la  Se- 
mence, enfoncée  dans  la  Terre,  commence  à  germer,  à  se  lever,  à  sortir 
de  terre,  pour  être  rendue  à  Odinn,  à  l'air,  ou  au  jour.  La  Végétation 
symbolisée  par  Nanna  (voy.  p.  330),  envoie  à  Frigg ,  c'est-à-dire  à  la 
Déesse  de  la  Pluie  et  de  la  Fécondation,  un  vêtement,  lequel  est  le 
symbole,  à  la  fois,  de  la  verdure  qui  revêt,  comme  un  tapis,  les  prairies, 
et  du  feuillage  qui  revêt  ou  couvre  les  arbres.  Fulla,  la  Déesse  de  l'A- 
bondance, reçoit  une  bague  d'or ,  Symbole  de  la  moisson  riche  et  dorée 
(voy.  p.  330). 

Après  les  rigueurs  de  l'hiver,  à  l'approche  du  printemps,  tous  les  êtres 
désirent  vivement  que  Baldur ,  ou  le  soleil  d'Été,  revienne  de  Hel^  ce 
que  la  Mythologie  exprime  en  disant  que  tous  les  Etres  pleurent ,  et  re- 
grettent la  mort  de  Baldur.  La  preuve  mythologique  de  ces  pleurs,  c'est 
que,  vers  la  fin  de  l'hiver,  les  objets  pénétrés  de  froid,  et,  passant  dans 
une  température  plus  chaude ,  se  couvrent  de  gouttellettes  de  vapeur 
condensée ,  lesquelles  semblent  être  des  larmes  de  regret.  Selon  la  tra- 
dition ,  Loki,  seul,  déguisé  en  Géante  sous  le  nom  de  Thokt,  ne  regrette 
pas  le  Soleil  d'été ,  qu'il  a  fait  mourir  par  la  main  de  Hödur.  Thokt  (p. 
thiökt,  thickt),  dont  le  nom  signifie  Epaissie,  Endurcie ,  est  probable- 
ment la  Personnification  de  la  lave,  ou  de  la  matière  volcanique ,  qui, 
d'abord  liquide ,  s'épaissit ,  s'endurcit ,  et  ne  verse  pas  de  pleurs ,  parce 
qu'elle  ne  se  couvre  pas  de  vapeurs  condensées.  11  y  a  un  proverbe  islan- 
dais qui  dit  que  tous  les  objets  pleurent  Baldur.,  à  l'exception  du  char- 
bon. En  effet,  le  charbon,  ainsi  que  la  lave,  étant  mauvais  conducteur 
de  la  chaleur,  et  ne  se  refroidissant  pas  fortement  au  contact  de  l'air,  en 
passant  dans  une  température  plus  élevée,  ne  se  couvre  pas  facilement 
de  vapeurs  condensées,  ou  de  gouttellettes  de  vapeur  refroidie. 

(47)  FUITE,  PRISE,  ET  PUNITION  DE  LOKI. 

g  151.  Loki  pris  par  les  Ases.  —  La  première  chose  à  laquelle  songent 


í 


NUMÉRO  (47)  (page  r3i);  punition  de  loki.  333 

les  Ases .  lorsqu'ils  ont  repris  des  forces  au  printemps ,  c'est  de  tirer 
vengeance  de  Loki .  qui  a  été  la  cause  principale  de  la  mort  de  Baldur. 
Le  récit  de  la  fuite,  de  la  prise ,  et  de  la  punition  de  Loki,  est  fait  par 
Snorri,  d'une  manière  circonstanciée,  pittoresque,  et  dramatique;  il 
renferme  des  données  mythologiques  mêlées  à  des  détails  purement 
narratifs ,  et  ajoutés  postérieurement  par  la  tradition ,  ou  par  l'imagination 
populaire. 

Fuite  de  Loki.  —  Pour  échapper  aux  poursuites  des  Ases ,  Loki  se 
retire  dans  les  montagnes ,  et  se  construit,  sur  un  sommet  élevé,  une  es- 
pèce de  Chaumine-aux-Portes  (voy.  p.  240) ,  d'où  il  a  vu  dans  toutes 
les  directions,  et  peut  prévenir,  à  temps,  le  danger  d'une  attaque  à  l'im- 
proviste.  Afin  de  n'être  pas  découvert,  pas  même  par  Odinn,  qui,  dans  sa 
Chaumine-aux-Portes,  a  vue  sur  leMonde  entier,  Z<oA;/prend,  pendant  le 
jour,  la  forme  d'un  saumon ,  et  se  cache  au  pied  de  la  cataracte  Brille- 
Resserrée,  ainsi  nommée,  parce  que  ses  eaux  ,  avant  de  tomber  en  cas- 
cades brillantes,  sont  resserrées  entre  les  rochers.  Le  saumon,  surtout 
l'espèce  appelée  en  Islande  God-lax  (saumon  divin),  a  une  couleur  d'or, 
et  c'est  pourquoi,  ce  poisson  porte,  dans  les  langues  germaniques,  le  nom 
de  lax,  qui,  comme  on  croyait,  si^mïmii Luisant.  Cette  couleur  luisante , 
ainsi  que  la  chair  rouge  du  saumon,  furent  cause  que  la  Mythologie  a 
établi  des  rapports  entre  Loki  (Feu)  et  le  saumon.  Suivant  un  mythe 
finnois ,  le  Feu  créé  par  les  Dieux ,  tomba ,  en  pelotons  ,  du  ciel ,  dans  la 
mer,  et  fut  avalé  par  un  Saiimon,  dans  le  ventre  duquel  les  hommes  ont 
retrouvé  la  flamme.  Les  rapports  mythologiques  une  fois  établis  entre 
le  saumon  (Laks)  et  le  feu  {Loki),  on  comprend  pourquoi,  dans  la  tra- 
dition, Loki  a  pris  précisément  la  forme  d'un  saumon.  Loki,  soit  à 
cause  de  son  génie  captieux,  soit  parce  qu'il  est  le  Symbole  de  la  Des- 
truction ,  et  par  suite  de  la  chasse  et  de  la  pêche  (cf.  Skadi,  Nuisible , 
voy.  p.  263),  fut  considéré,  en  Mythologie,  comme  l'inventeur  des  filets. 
Aussi  est-il  dit,  ici,  que  les  Jses  fabriquèrent  un  grand  filet,  d'après  le 
modèle  que  Loki  avait  inventé  et  confectionné.  Loki,  le  rusé,  devint 
ainsi  l'auteur  de  sa  propre  perte,  puisqu'il  est  pris  dans  le  piège  qu'il 
avait  imaginé ,  et  fabriqué. 

Prise  de  Loki.  —  Le  récit  de  la  prise  de  Loki  par  les  Jses  est  sans 
doute  entièrement  puisé  dans  la  tradition  populaire,  puisque  les  mythes 
primitifs  symboliques  sont  racontés  brièvement  {y oy.  p.  305),  et  n'entrent 
jamais  dans  des  détails  aussi  circonstanciés.  Le  récit  de  Snorri  repro- 
duit, d'une  manière  dramatique,  les  détails  et  les  incidents  de  la  pêche 
du  saumon,  telle  qu'elle  se  faisait  en  Islande,  du  temps  de  Snorri,  et  telle 
qu'elle  est ,  en  grande  partie,  encore  pratiquée  aujourd'hui.  En  été ,  les 
saumons  remontent  les  rivières  aussi  haut  que  possible  ;  ils  sont  ordi- 
nairement arrêtés  au  pied  des  cataractes  qui  sont  trop  élevées ,  pour 
qu'ils  puissent  les  franchir,  en  faisant  le  saut  de  carpe,  bien  qu'ils  soient 
très-bons  sauteurs,  au  point  que,  de  là,  ils  ont  tiré,  dans  les  langues  germa- 
niques ^  le  nom  de  laks  (sauteur,  de  laikan,  sauter),  et  en  latin,  celui  de 
salmon  (Saumon,  sauteur,  de  satire).  Loki,  transformé  en  Saumon ^  se 
tient  donc  au  pied  de  la  cataracte  mythologique  de  Brille-Resserrée.  La 
pêche  du  saumon  s'ouvrant  avec  l'été,  les  ^ses,  favorisés  par  cette  saison, 


334  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

se  mettent  en  mesure  de  prendre  Loki ,  métamorphosé  en  saumon. 
Ils  jettent  leur  chalut  ou  traîneau  tout  près  de  la  cataracte  ;  et  comme 
les  poissons  ont  généralement  l'habitude  de  nager  contre  le  courant, 
les  Ases  sont  sûrs,  en  suivant  le  cours  du  torrent,  de  rencontrer,  quel- 
que part,  le  saumon  Loki.  Thôr,  vu  sa  force,  marche  seul ,  sur  une  rive, 
tirant  l'une  des  extémités  du  chalut,  et  les  autres  Ases,  unissant  en- 
semble leurs  forces,  et,  se  tenant  sur  l'autre  rive,  tirent  à  l'autre  ex- 
trémité du  traîneau.  Loki^  rencontrant  le  filet,  rebrousse  chemin,  et  s'en- 
fuit en  suivant  le  cours  de  la  rivière  ;  puis ,  trouvant  deux  grandes 
pierres  au  fond  de  l'eau,  il  se  glisse  entre  elles,  selon  l'habitude  des 
saumons,  qui,  poursuivis  et  effrayés,  cachent  la  tête  entre  deux  pierres 
et  se  tiennent  immobiles.  Le  traîneau  n'étant  pas  assez  lesté ,  pour  tou- 
cher au  fond,  passe  par-dessus  les  pierres;  et,  de  cette  manière,  Loki, 
pour  cette  fois-ci,  échappe  à  ses  ennemis.  Les  Ases,  ayant  manqué  leur 
proie,  remontent  alors  à  la  cataracte,  et  jettent,  une  seconde  fois,  leur 
traîneau  ,  après  y  avoir  attaché  un  plus  grand  poids,  pour  qu'il  rase  plus 
près  le  lit  du  torrent.  Loki  se  retire  encore  devant  le  filet,  en  se  portant 
vers  l'embouchure  du  fleuve;  mais,  arrivé  là,  il  ne  veut  pas  entrer  dans 
la  mer,  soit,  parce  que  le  saumon,  une  fois  habitué  à  l'eau  douce  des 
rivières,  n'aime  pas  retourner  dans  l'eau  salée  (voy.  /^//w.,H.  N.,  9,  18, 
32),  soit,  parce  qu'il  craint  d'être  pris  par  les  chiens  de  mer,  qui  le 
guettent  à  l'embouchure  des  fleuves  (voy.  Voyage  en  Islande,  I,  p.  127) , 
soit,  enfin,  que  Loki  craint,  en  se  jetant  dans  l'Océan,  de  tomber  entre 
les  mains  du  Dieu  marin  Œgir{yoy.  p.  199),  qu'il  avait  si  cruellement 
offensé  au  banquet,  que  ce  Dieu  avait  donné,  en  automne,  aux  Ases  (voy. 
Poèmes  islandais,  p.  345).  Loki,  ne  pouvant  donc  se  décidera  entrer 
dans  la  mer,  saute  en  l'air,  par-dessus  V extenseur ,  c'est-à-dire,  par- 
dessus la  corde  qui  est  à  la  tête  du  filet,  et  qui  étend  ou  serre  les  côtés 
du  traîneau.  Ensuite,  ayant  replongé  de  l'autre  côté,  il  remonte  de  nouveau, 
à  la  cataracte;  et  le  voilà  sauvé  pour  la  seconde  fois.  Les  Ases,  après 
avoir  vu  échapper  de  nouveau  leur  proie,  reviennent  encore  à  la  cata- 
racte ;  la  bande,  pour  plus  de  précaution,  se  distribue  sur  les  deux  rives, 
et  Thôr  marche  dans  le  milieu  du  fleuve,  afin  de  saisir  en  l'air  Loki,  s'il 
essayait  encore  une  fois  de  sauter  par-dessus  l'extenseur.  Loki,  serré 
de  toutes  parts,  et  voulant  échapper  par  un  saut  de  carpe,  est  enfin  saisi 
par  Thôr.  La  tradition  populaire  voyait,  dans  la  manière  dont  LoÆ/ fut 
pris,  la  raison  mythologique,  pourquoi  le  saumon  est  aujourd'hui  si 
mince  à  la  racine  de  la  queue.  Dans  toutes  les  Mythologies,  on  trouve 
des  essais  curieux  d'expliquer,  par  des  faits  fabuleux,  certaines  particu- 
larités, qu'on  remarquait  dans  la  constitution  physique  des  hommes, 
des  animaux  ,  des  plantes ,  et  des  rochers. 

g  152.  Punition  de  Loki.  —  Le  Mythe  de  la  punition  de  Loki,  se 
trouve  exposé,  en  peu  de  mots,  dans  la  strophe  de  la  Vision  de  la  Louve, 
que  voici  : 

«  Elle  vit  couché  près  du  Bois-des-TJiermes  ^ 

«  Une  créature  méchante,  l'ingrat  Loki; 

«  li  a  heau  remuer  les  liens  funestes  de  Val!  ; 

«Elles  sont  trop  raides,  ces  cordes  de  boyaux. 


N"  (48)  (p.  133-137)  ;  le  créçuscule  des  grandeurs.      335 

«  Là  est  assise  Sigyne,  qui ,  du  sort  de  son  mari, 

«  N'est  pas  fort  réjouie » 

L'épilogue  en  prose  de  Lokasenna  (vo>\  Poèmes  island.,  p.  347)  est 
plus  explicite;  il  y  est  dit:  «On  le  lia  avec  les  boyaux  de  son  fils  Nâri, 
«  mais  son  autre  fils  fut  changé  en  bête  féroce.  Skadi  prit  un  serpent 
«venimeux,  et  le  suspendit  au-dessus  du  visage  deLo/i;z;le  venin  en 
«tomba  goutte  à  goutte.  Sigyne,  la  femme  de  Loki,  étant  assise  auprès, 
«en  reçut  les  gouttes  de  venin  dans  un  bassin.  Lorsque  ce  bassin  fut 
«  rempli,  elle  sortit  avec  le  venin.  Durant  l'intervalle ,  les  gouttes  tom- 
«bèrent  sur  Loki\  il  en  eut  de  si  fortes  commotions  que  toute  la  terre 
«en  fut  ébranlée;  c'est  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  tremblements  de 
«  terre.  »  Il  est  probable  que  SiioriH  connaissait  déjà  la  tradition  dont  il 
est  question  dans  cet  Épilogue  de  Lokasenna.  Nâri  qui  y  est  mentionné 
est  le  même  que  Narvi  ou  Nörvi  (voy.  p.  198)  ;  c'est  la  Personnification 
du  Crépuscule  du  soir  et  du  Commencement  de  l'hiver.  Cet  lotne,  fils  de 
Loki,  doit  naturellement  périr  avec  son  père ,  au  Commencement  de  l'été. 
L'autre  fils  de  Loki,  Vali,  dont  le  nom  n'a  rien  de  commun  avec  celui 
de  l'Ase  Vali  (voy.  p.  283),  mais  signifie  £owp  (p.  Valchi;  cf.  Vala, 
Louve),  parce  qu'il  avait  été  changé  en  Loup,  fut  tué  par  les  Ases,  et  de 
ses  boyaux,  ils  firent  des  cordes  avec  lesquelles  ils  attachèrent  Loki.  Si 
ensuite  Skadi  se  montre  si  cruelle  envers  Loki,  cela  tient  à  l'antithèse 
que  la  Mythologie  met  toujours  entre LoÆ/  et  Skadi,  et  qu'elle  exprime, 
tantôt  en  présentant  Loki  comme  le  plus  acharné  contre  Thiassi  (voy. 
p.  264),  le  père  de  Skadi,  tantôt.en  montrant  cet  Ase  injuriant  Skadi 
au  Banquet  d'Œgir.  Peut-être  Skadi,  la  Déesse  de  la  Chasse,  était-elle 
opposée  à  Loki,  l'inventeur  de  la  pêche  au  filet,  comme  Skadi  la  chasse- 
resse est  opposée ,  par  ses  goûts ,  à  son  mari  Niördur  le  pêcheur  (voy. 
p.  264).  Le  serpent  est  l'animal  dé  l'été ,  comme  le  loup  est  l'animal  de 
l'hiver  (voy.  p.  329);  aussi  le  serpent  est-il  l'ennemi  de  l'hiver,  et  par 
conséquent  aussi  de  Loki,  qui  tient  de  l'hiver,  en  tant  qu'il  met  fin  à  l'été 
(Baldur).  Le  serpent  ennemi  verse  par  conséquent  son  venin  sur  Loki, 
et,  pour  cette  raison,  il  est,  entre  les  mains  de  Skadi,  un  instrument 
utile  dont  elle  se  sert  pour  se  venger  de  son  antagoniste  Loki.  Les 
Puissances  qui  sont  les  Ennemis  des  Dieux  et  du  Monde,  telles  que  le  Loup 
de  Fenrir,  Loki,  lormungand,  etc. ,  sont  vaincues  pas  les  Ases  ;  mais 
elles  ne  sont  pas  exterminées,  elles  sont  seulement  enchaînées  et  domp- 
tées momentanément  (voy.  p.  327).  Lorsque  leurs  liens  seront  brisés,  et 
qu'elles  auront  repris  de  nouvelles  forces  dans  l'Hiver  du  Monde ,  alors 
elles  se  rueront  sur  les  Dieux  et  sur  la  Création  ;  ce  sera  la  fin  de  toutes 
choses,  ce  sera  le  Crépuscule  des  Grandeurs. 

(48)  LE  CRÉPUSCULE  DES  GRANDEURS. 

§  153.  Le  Terrible  Hiver.  —  La  Mythologie  Scandinave,  comme  les 
mythologies  anciennes  en  général,  ne  concevant  pas  l'idée  de  V infini, 
laquelle  résulte  seulement  de  la  réflexion  philosophique ,  ne  pouvait  pas, 
non  plus  ,  admettre  Y  éternité  du  Monde,  ni  celle  des  Dieux  (voy.  p.  162). 
Le  Monde  et  les  Dieux  étaient  éternels,  seulement  dans  ce  sens,  qu'ils 
existaient  pendant  un  nombre  innombrable  de  siècles.  Mais,  par  cela  même 


336  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUKL. 

que  le  Monde  avait  commencé ,  il  devait  aussi  finir,  et  se  renouveler  ;  et 
comme  les  Dieux  étaient  nés  dans  le  temps  (voy.  p.  1 82) ,  ils  devaient 
aussi  périr  à  la  fin  des  siècles  ,j)Our  être  remplacés  par  leurs  descendants, 
ou  leurs  Renaissances.  Ces  idées  résultaient  naturellement  de  l'obser- 
vation qu'on  avait  faite  sur  la  succession  et  le  parallélisme  de  la  Vie  et  de 
la  Mort,  du  Jour  et  de  la  Nuit,  de  l'Été  et  de  l'Hiver.  La  Mythologie 
Scandinave,  en  parallélisant  la  vie  diurne,  qui  est  \ejour,  avec  la  vie  an- 
nale ,  qui  est  Véféj  et  avec  la  vie  séculaire  ou  cosmique,  qui  est  la  durée 
du  Monde ,  arrive  aussi ,  par  analogie ,  à  paralléliser  la  mort  diurne ,  qui 
est  la  7iuif,  avec  la  mort  annale ,  qui  est  l'hiver,  et  avec  la  mort  cosmique 
ou  séculaire ,  qui  est  la  ýin  du  Monde.  Considérant  ensuite  l'origine  du 
jour,  de  l'été,  et  de  la  vie  du  monde,  sous  l'idée  de  V aurore  diurne  (norr. 
âr,  commencement),  annale,  ou  séculaire,  la  Mythologie  était  aussi  amenée 
à  symboliser  le  dépérissement  du  jour ,  de  l'année,  et  des  âges,  par  le  soir 
ou  le  crépuscule  (goth.  riqis  ;  norr.  rök).  De  là  le  nom  de  Crépuscule- 
des-Grandeurs  (norr.  Ragna-rökr) ,  pour  désigner  le  temps ,  où  les 
Grandeurs ,  c'est-à-dire  les  Puissances  conservatrices  du  monde ,  ou  les 
Jses  (Soutiens) ,  vont  périr  avec  le  Monde  entier. 

D'après  laMythologie  Scandinave,  le  6>ejöW5cw/e-cíes-Granc?ewr5  a  pour 
signe  précurseur  la  dépravationmov^XtdiQs  hommes.  Cette  idée  est  signifi- 
cative et  surprenante ,  et  mérite ,  par  conséquent ,  que  nous  en  examinions 
la  raison  et  l'origine.  La  philosophie  moderne ,  surtout  depuis  Herder,  a 
considéré  le  développement  moral  et  historique ,  ou  le  progrès  de  l'hu- 
manité ,  comme  la  suite ,  la  continuation  de  la  Création  ou  du  développe- 
ment joAy^/g'î^e  de  la  Nature.  L'histoire  est,  pour  ainsi  dire,  une  création 
morale ,  faisant  suite  à  la  création  physique ,  de  sorte  qu'il  existe,  sinon 
une  solidarité,  au  moins  une  connexité  entre  le  monde  physique  et  le  monde 
historique.  Le  développement  de  l'ordre  moral.,  pçur  être  possible ,  sup- 
pose donc  l'établissement  préalable  de  l'ordre  physique  ;  et,  une  fois  l'ordre 
moral  établi ,  l'ordre  physique  est ,  par  lui ,  garanti,  maintenu ,  et  rendu 
durable.  De  là  il  suit  que,  si  la  création  physique  ou  le  Monde  doit  périr, 
il  ne  le  pourra  que  quand,  préalablement,  l'ordre  moral  se  sera  dépravé  et 
perverti.  Cette  idée  du  rapport  entre  l'état  moral  de  l'humanité  et  l'état 
physique  de  la  Nature ,  a-t-elle  été  exprimée,  ou  seulement  entrevue  dans 
le  mythe  Scandinave  ?  Cela  n'est  guère  probable ,  car  cette  idée  ne  pou- 
vait pas  naître  dans  la  pensée  des  Scandinaves  ,  parce  qu'elle  n'y  trouvait 
aucuns  tenants  ni  aboutissants.  Ce  n'est  donc  pas  en  elle  qu'il  faut  chercher 
la  raison  ni  l'origine  de  cette  idée  du  Mythe ,  d'après  laquelle  la  destruc- 
tion du  monde  physique  est  précédée  de  la  dépravation  morale  des 
hommes.  —  Faut-il  admettre  que  le  Mythe  ait  considéré  la  fin  du  monde 
comme  devant  arriver  quand  l'humanité  aura  atteint  le  plus  haut  degré  de 
civilisation ,  et  supposer  qu'il  ait  identifié  la  civilisation  avec  la  dépra- 
vation A^s»  mœurs?  Il  est  vrai  que  déjà  dans  l'Antiquité,  la  Science, 
source  de  la  civilisation  ,  est  considérée  comme  l'opposé  de  l'innocence 
ou  de  la  simplicité  des  mœurs;  cette  idée  est  déjà  renfermée  dans  le 
mythe  hébraïque  sur  l'Arbre  de  la  Science ,  qui  est,  en  même  temps ,  sinon 
la  cause ,  du  moins  l'occasion  du  péché  ;  et ,  dans  la  Mythologie  grecque, 
cette  idée  est  exprimée  allégoriquement  par  cette  boîte  áe Pandore,  qui , 


N°  (48)  (p.  133-137);  le  crépuscule  des  grandeurs.       337 

renfermant  tous  les  dons  de  la  civilisation,  devient  aussi  la  cause  de  tous 
les  maux  terrestres.  Ce  rapport,  mis,  à  tort  ou  à  raison,  entre  l'intelli- 
gence et  l'origine  du  mal ,  ne  pouvait  cependant  pas  se  présenter  à  l'es- 
prit des  Scandinaves,  qui  n'étaient  pas  assez  éloignés  de  l'état  de  nature, 
ni  assez  avancés  en  civilisation,  pour  établir  ou  pour  sentir  seulement  la 
différence ,  en  bien  ou  en  mal,  qui  existe  entre  l'état  de  nature ,  considéré 
comme  l'état  d'innocence ,  et  l'état  de  civilisation ,  considéré  comme  l'état 
de  raffinement,  ou  de  dépravation.  Ce  rapport  ne  pouvait  donc  être,  non 
plus,  la  raison  et  l'origine  de  l'idée,  d'après  laquelle  le  Mythe  norrain  fait 
précéder  la  fin  du  monde  physique,  de  la  dépravation  Diorale  des  hommes. 
—  Il  reste  une  troisième  manière  d'expliquer  le  Mythe  en  question;  c'est 
de  supposer  que  la  destruction  du  monde  est  considérée  comme  un  mal- 
heur universel,  mais  comme  un  malheur  mérité,  en  d'autres  termes , 
comme  la  juste  punition  de  la  dépravation  des  Dieux,  et  des  hommes. 
Le  Mythe  assignant  pour  motif  à  cette  punition,  la  dépravation  morale 
des  hommes,  celle-ci  précède  naturellement  celle-là,  de  même  que,  selon 
le  dogme  hébraïque  et  chrétien,  le  péché  a  précédé  la  mort.  Cette  expli- 
cation est,  sans  doute,  la  véritable;  seulement  il  faut  encore  admettre 
que,  chez  les  Scandinaves,  la  partie  du  Mythe  relative  aux  péchés,  qui 
provoquent  la  punition ,  a  été  conçue  sous  l'influence  des  idées  chrétiennes 
sur  la  Chute  de  l'homme ,  et  sur  le  Déluge  et  le  Jugement  dernier.  Ce  qui 
met  cette  influence  hors  de  doute,  c'est  que  les  péchés,  qui,  selon  notre 
Mythe,  amènent  la  Destruction  du  monde,  sont  des  péchés  qui  sont  plu- 
tôt abhorrés  d'après  le  génie  du  Christianisme,  que  d'après  la  morale  du 
Paganisme  Scandinave.  En  effet ,  d'après  une  strophe  de  la  Vision  de  la 
Louve,  ces  péchés  sont,  d'abord,  la  guerre,  qui  alimente  les  bêtes  féroces, 
les  loups,  et  pour  laquelle  on  invente  toutes  sortes  d'armes  meurtrières, 
telles  que  des  haches  d'armes,  des  framées;  c'est,  ensuite,  le  meurtre, 
même  entre  frères,  et  entre  cousins;  c'est,  encore,  la  cupidité,  qui  fait 
qu'on  est  cruel  envers  les  tenanciers ,  qu'on  les  pressure;  c'est,  enfin,  la 
paillardise.  Ces  péchés,  on  le  voit,  ne  sont  pas  précisément  de  ceux 
qui  révoltaient  principalement  le  sentiment  moral  des  Scandinaves  païens; 
et  bien  qu'il  soit  vrai  que  le  progrès  change  souvent  les  mœurs  d'un  peuple, 
et  lui  fait  abhorrer  même  ses  défauts  nationaux,  et  bien  que  la  poésie  et  la 
morale  religieuse,  visant  à  \ idéal,  s'élèvent  naturellement  au-dessus 
des  mœurs  réelles  d'une  nation,  il  est  cependant  nécessaire ,  pour  expli- 
quer ces  sentiments  moraux  chez  les  Scandinaves,  d'admettre,  dans  le 
Mythe  en  question ,  l'influence  des  idées  chrétiennes.  Ce  Mythe  renferme 
donc  un  fond  essentiellement  Scandinave,  mais  modifié,  en  certaines 
parties,  par  la  morale  chrétienne,  qui  a  pu  y  exercer  son  influence,  on 
le  conçoit,  bien  longtemps  avant  que  le  Christianisme  ne  fût  adopté  oflB- 
ciellement  dans  le  Nord  ;  et,  d'ailleurs,  ce  Mythe  sur  le  Crépuscule-des- 
Grandeurs  n'appartient  pas  au  fond  primitif,  ni  même  ancien ,  mais  à 
la  période  la  plus  récente  de  la  Mythologie  Scandinave. 

g  154.  Les  Scènes  successives  du  Drame  terrible.  —  Le  récit  de  5«orW 
ne  suit  pas  l'ordre  de  la  succession  des  différentes  péripéties  de  cette 
grande  tragédie  du  Crépuscule- des- Grandeurs.  Il  importe  donc  de  ré- 
tablir l'enchaînement  des  faits,  que  même  les  anciens  chants,  et  notam- 

22 


3.Î8  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

ment  la  Vision  de  la  Louve,  ou  bien  ne  semblent  déjà  plus  avoir  connu, 
ou  bien,  avoir  négligé,  comme  une  entrave  à  la  liberté  de  la  poésie,  ou 
comme  un  accessoire  qui  n'avait  pas  une  grande  importance. 

Voici  la  succession  des  scènes  de  cette  tragédie  cosmique.  D'abord  le 
Loup  Skoll,  qui  avait  poursuivi  Sol,  et  le  Loup  Hati  (voy.  p.  209),  qui 
avait  poursuivi  Mâni,  pendant  des  siècles,  parviennent,  enfin,  à  s'em- 
parer de  leurs  proies.  Ainsi  le  soleil  et  la  lune  disparaissent  du  ciel;  et, 
par  conséquent,  le  malheur  de  la  mort  de  Baldur,  c'est-à-dire  l'enlève- 
ment des  sources  de  vie  et  de  chaleur,  se  répète,  de  cette  manière,  dans 
lemonde,  sur  uneplus  vaste  échelle.  Alors  non-seulementladistinctiondes 
jours  et  des  nuits  cesse,  dans  ce  règne  absolu  de  l'obscurité,  mais  encore, 
le  soleil  ne  répandant  plus  sa  chaleur,  il  s'établit  un  hiver  continuel, 
comme  il  y  en  avait  un,  au  commencement  des  siècles,  sous  le  règne 
de  Ör-Gelmir ,  et  de  ses  descendants  (voy.  p.  186).  Cet  hiver  est  nommé 
V Hiver-de-l'Étourdissement  (norr.  Fimbulvett'),0[i  le  Terrible  Hiver. 
Alors  les  ouragans  furieux  sévissent;  c'est  VJge-des-Tempétes.  Ces 
tempêtes  secouent  le  ciel,  au  point  qu'il  se  fend;  elles  secouent  le  Frêne 
dTggdrasil ,  l'Arbre  de  Vie,  qui  tremble  à  l'approche  des  Puissances  de 
la  mort;  elles  ébranlent  la  terre,  qui  est  agitée,  et  ainsi  met  en  émoi  les 
Dvergs,  qui  habitent  les  cavernes  de  la  terre.  Par  ces  secousses  et  ces 
tremblements,  tout  se  disloque;  et  les  liens  les  plus  forts  sont  brisés. 
Alors  les  Monstres  iotniques,  qui,  pendant  l'été  cosmique,  ou  la  vie  du 
monde,  avaient  été  enchaînés  par  les  ^se^^  et  qui,  jusque-là,  avaient  été 
retenus  par  des  liens,  redeviennent  libres  (voy.  p.  335).  Le  Loup  igné  de 
Fenrir,  appelé  par  excellence  Vlotne,  qui  avait  été  enchaîné  parles 
Dieux ,  dans  l'île  de  Bruyère  (voy.  p.  289),  se  déchaîne;  son  frère,  le  Fer 
ou  la  Coulœuvre,  c'est-à-dire  le  Serpent /orwww^awrf  (voy.  p.  286),  qui 
avait  été  dompté  par  Thôr^  s'agite,  soulève  les  flots,  et  fait  déborder 
l'Océan  (voy.  p.  327).  Le  père  de  ces  monstres ,  Loki,  qui  avait  été  attaché 
aux  rochers  de  Hveralund  (Bois-des-Thermes) ,  redevient  libre  et  s'ap- 
prête à  remplir  son  rôle  de  Clôtureur ,  par  rapport  au  Monde  entier. 
Garmur  (Hurleur),  le  Cerbère  Scandinave,  qui  avait  été  attaché  au  Ro- 
cher de  Gnipi,  comme  son  prototype  Fenrir  l'avait  été  au  rocher  du 
Bois-des-Thermes,  est  délivré,  et  présage,  par  ses  hurlements  (voy.  p.  209), 
l'approche  de  grands  malheurs.  L'aigle  Hræsvelg  (voy.  p.  242)  bat  de  ses 
ailes,  et  produit  les  vents  qui  soufflent  du  Nord-Est.  Alors  les  Thurses- 
Givreux  et  les  Géants-des-Montagnes ,  sous  la  conduite  de  Hrymr 
(voy.  p.  134),  arrivent,  de  l'Orient,  à  V  Enclos- Mitoyen.  Les  autres  lot^ 
7ies,  conduits  par  Loki  de  l' Enclos- Extérieur ,  s'embarquent  sur  le  Na- 
vire d'Ongles iyoy.  p.  199)  qui,  venant  d'être  achevé  dans  Niflhel,  est 
transporté  au  Séjour-des-Iotnes ,  et  lancé  à  la  mer.  Les  fils  de  Fifl  ou 
ú'Œgir  (voy.  p.  303),  ayant  avec  eux  le  Loup  de  Fenrir,  s'y  embarquent 
également  avec  Loki,  le  Parère  de  Bileyst  {yoy.  p.  285).  Enfin,  les  Fils-de- 
.WMspz7(voy.  p.  174)  arrivent  du  Sud,  en  traversantl'air,  sous  la  conduite  de 
Surtur.  C'est  ainsi  que  l'air,  l'eau  et  le  feu  se  déchaînent ,  et  se  ruent  sur 
le  Monde,  qui  va  périr.  Toutes  ces  Puissances  ennemies  des  Dieux  et  des 
hommes,  après  avoir  envahi  Y  Enclos- Mitoyen,  tâchent  de  pénétrer  d'ici 
dans  le  ciel,  pour  y  livrer  bataille  aux  Dieux,  dans  l'immense  plaine,  nommée 


N°  (49)  (p.  1 37 , 1 38)  ;  renaissance  de  la  terre  et  du  ciel.    339 

Tremble -au- Combat  {Vig-ridur,  cf.  sansc.  Vi-Krita,  zend.  Vaé- 
Kereta)^  parce  qu'elle  tremble  sous  la  masse  et  les  etforts  des  combattants. 
Les  fils  de  Muspil ,  sur  leurs  montures  de  flammes,  frayent  le  passage  au 
ciel,  en  traversant  le  feu  flambant  fnorr.  vafurlogi)  du  pont  de  Bifröst 
(voy.  p.  211),  qui  s'écroule  sous  leur  impétuosité.  Quand  les  ennemis 
tentent  de  passer  le  Pont-des-Jses ,  et  de  pénétrer  dans  le  ciel ,  alors 
Heimdall,  le  Gardien  des  Dieux  (voy.  p.  277) ,  sonne  fortement  l'alarme  ; 
les  Asesei  les  Compagnons  á'Odinn,  les  Troupiers-Uniques  (v.p.  306), 
se  préparent  au  dernier  combat.  Cette  rencontre  terrible  a  lieu  dans 
Tremble-au-Combat.  Odinn,  le  Chef  des. ^«e^^  et  le  Père  du  monde  et 
de  la  vie ,  lutte  contre  le  Loup  de  Fenrir,  le  Représentant  du  Feu  ter- 
restre, et  le  symbole  de  la  destruction.  Thôr,  le  Protecteur  de  la  Terre 
(voy.  p.  286) ,  lutte  contre  l'ennemi  le  plus  dangereux  de  la  Terre,  le  Ser- 
pent lormungand,  le  Représentant  du  Déluge.  Frey,  qui  préside  à  l'air, 
à  l'eau,  et  au  feu,  utiles  aux  hommes,  n'ayant  plus  son  épée  (voy. p.  305), 
lutte  sans  succès  contre  Surtiir,  le  Représentant  du  Feu  destructeur  du 
Monde.  Tyr,  le  manchot  et  la  doublure  à' Odinn,  combat  Garmur,  qui 
est  la  doublure  de  Fenrir,  et  le  présage  de  la  mort  (voy.  p.  338).  Heim- 
dall,  le  Dieu  du  Commencement  des  Choses,  combat  contre  LoÆz;  le 
Dieu  de  la  Fin  des  Choses.  Dans  ces  différents  combats ,  les  monstres 
iotniques  Fenrir,  lormungand,  Garmur,  et  Loki  périssent  ;  s'ils  conti- 
nuaient à  exister ,  un  monde  nouveau  ne  pourrait  pas  renaître  ;  mais  avec 
ces  monstres  périssent  aussi  les  anciens  Dieux  Odinn,  Thôr,  Fretjr, 
Tyr,  et  Heimdall.  L'ancien  Monde ,  n'ayant  plus  ses  protecteurs ,  périt 
irrévocablement;  la  Terre  et  le  Ciel  sont  brûlés,  à  la  fois,  par  le  Feu  cé- 
leste (Surtur) ,  et  par  le  Feu  terrestre  (Fenrir)  ;  puis  la  Terre  est  engloutie 
par  l'Océan.  Selon  la  Mythologie  Scandinave,  Surtur,  qui  a  existé  avant 
les  créatures  du  monde,  au  commencement  (cf.  elldr,  voy.  p.  173),  sub- 
sistera encore ,  quand  tous  les  autres  monstres  auront  péri.  —  Le  seul 
document  mythologique  qui  nous  reste,  renfermant  la  description  du 
Crépuscule-des-Grandeurs,  c'est  la  Vision  de  la  Louve,  dont  la  com- 
position date  du  huitième  siècle.  La  description  qu'il  donne  est  essen- 
tiellement poétique,  et,  par  cela  même,  elliptique,  quelquefois  obscure,  et 
intervertissant  l'enchaînement  épique  des  faits  (voy.  Poëmes  islandais , 
p.  149-239). 

(49)  LA  renaissance  du  ciel,  de  la  terre,  des  dieux,  et  des 

hommes. 

§  155.  Renaissance  de  la  Terre.  —  Dans  le  Crépuscule-des-Gra?i- 
deurs,  tout  a  brûlé.  Ciel  et  Terre.  Mais  de  même  que,  d'après  les  idées 
des  Anciens,  le  brûlement  des  morts  ne  détruit  pas  entièrement  le  corps 
du  défunt ,  mais  l'épure  et  le  retrempe ,  de  même  le  ciel  et  la  terre  ne 
sont  pas  entièrement  détruits,  mais  leur  substance  est  épurée,  et  ils  re- 
naissent de  leurs  éléments  plus  beaux,  et  rajeunis  comme  Sæhrimnir 
(voy.  p.  308).  Snorri,  mêlant  ses  idées  chrétiennes  sur  le  Ciel ,  l'Enfer,  et 
le  Jugement  dernier,  avec  les  traditions  du  Paganisme  norrain  sur  le  Cré- 
puscule des  Grandeurs,  admet  que  les  Scandinaves  aient  cru,  qu'après 
la  destruction  du  monde ,  les  Justes  continueraient  à  vivre ,  dans  les  Sé- 
jours célestes ,  et  les  Réprouvés ,  dans  les  Séjours  de  l'Enfer.  Mais  ces 


340  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

Séjours,  agréables  ou  terribles,  qui  figurent  dans  la  Mythologie  norraine, 
existent  indépendamfnent  de  la  Fin  du  monde ,  et  ne  sont  pas  destinés , 
comme  le  croiiSnorri,  à  servir  d'habitation  aux  bons ,  pour  les  récompen- 
ser, ni  aux  méchants,  pour  les  punir;  le  caractère,  gai  ou  triste,  de  ces 
Séjours,  dépend  de  la  nature  particulière  aux  races  mythologiques,  qui 
sont  censés  les  habiter.  Une  nouvelle  Terre  sort  de  l'Océan ,  où  l'ancienne 
s'est  abîmée  ;  elle  est  belle  ,  car  elle  renaît  après  l'Hiver  du  monde,  dans 
J a  saison  du  printemps,  où  les  cascades,  longtemps  enchaînées  par  la 
glace  de  l'hiver ,  tombent  de  nouveau  en  murmurant ,  où  la  verdure  re- 
devient touffue ,  où  l'aigle ,  de  nouveau ,  ouvre,  pour  ainsi  dire ,  la  saison 
de  la  pêche  (voy.  p.  263) ,  après  l'hiver  long  et  rigoureux.  Bien  que  cette 
Terre  vierge  n'ait  pas  été  labourée  ni  ensemencée ,  elle  produira  cepen- 
dant, du  moins  cette  première  année  de  la  renaissance,  une  moisson 
abondante.  Voici  ce  qui  est  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 
«  Elle  voit  surgir  de  nouveau, 
"  Dans  l'Océan,  une  terre  d'une  verdure  touffue, 
«Des  cascades  y  tombent;  l'aigle  plane  au-dessus  d'elle, 
«  Et  du  haut  de  l'écueil,  il  épie  les  poissons. 


«  Les  champs  produiront  sans  être  ensemencés.  » 
11  est  hors  de  doute  que,  dans  l'origine,  le  Mythe  considérait  cette  Terre 
nouvelle  comme  entièrement  semblable  à  l'ancienne,  et  qu'il  supposait  que 
tout  s'y  passerait  comme  précédemment.  Plus  tard  seulement,  sous  l'in- 
fluence des  idées  chrétiennes ,  on  a  rattaché  à  cette  Terre  nouvelle  des 
idées  paradisiaques  et  millénaires,  et  on  a  expliqué  la  tradition  norraine 
comme  si  elle  énonçait  que ,  sur  cette  nouvelle  Terre,  les  champs  produi- 
raient à  tout  jamais ,  sans  être  ensemencés;  qu'il  y  régnerait  une  Paix 
éternelle ,  au  point  que  les  aigles ,  ne  trouvant  plus  à  dévorer  les  cada- 
vres des  guerriers  tués  à  la  guerre,  seraient  forcés  de  se  nourrir  de  pois- 
sons ;  que  cette  nouvelle  Terre  serait  un  Jardin  délicieux  (Eden) ,  avec 
une  verdure  toujours  toufifue ,  et  avec  des  cascades  qui  murmureraient 
agréablement  ;  enfin  que  tout  mal  physique  et  moral  en  disparaîtrait. 

§  156.  Restauration  du  Ciel.  —  Il  se  forme  un  ciel  nouveau ,  exacte- 
ment semblable  à  l'ancien,  avec  VEnclos-des-Ases  (voy.  p.  213),  les 
Sanctuaires  des  Dieux  ,  et  les  Enclos  de  Hroptr  (voy.  p.  248).  Les  Ases 
rajeunis ,  ou  les  Fils  des  anciens  Dieux ,  reviennent  dans  la  nouvelle 
Plaine  d'Idi  (voy.  p.  213).  Ces  Ases  sont  Modi  (Courage),  et  Magni 
(Pouvoir),  les  Personnifications  des  énergies  (sansc.  çaktyas,  v.  p.  244), 
c'est-à-dire  du  Courage  d'âse  (norr.  As-modr)  et  de  la  Force  d'Ase 
(norr.  âs-megin)  de  leur  père  Thôr,  dont  ils  sont  les  dédoublements  ou 
les  Renaissances.  Les  fils  á'Odinn,  savoir  Baldur,  et  son  meurtrier 
involontaire ,  Hödur,  reviennent  aussi ,  et  vivent  ensemble  heureux  et 
en  paix.  Voici  ce  qui  est  dit  dans  la  Vision  de  la  Louve  : 
«  Tout  mal  disparaîtra  :  Baldur  reviendra , 
«  Pour  habiter,  avec  Hödur,  les  Enclos  de  Hroptr, 

«  Les  Demeures  sacrées  des  Dieux-Héros 

Les  Ases  nouveaux  auront  la  science  des  Mtjstères  (norr.  rûnar,  voy. 
p.  298)  de  leurs  pères;  ils  n'auront  plus  à  craindre  les  Puissances  enne- 


>°(49)(p.i37, 138); lanouv.raceiiumaine;lenouv. SOLEIL.  341 

mies  ;  le  Serpent  lormungand ,  et  le  Loup  de  Fenrir,  n'existent  plus  que 
dans  le  souvenir,  et  dans  la  tradition ,  qu'ils  se  plairont  à  se  rappeler  par 
le  récit  des  mythes.  Les  Ases  sont  heureux ,  comme  on  l'est  dans  la  jeu- 
nesse, comme  on  l'est  au  printemps ,  à  la  renaissance,  à  la  résurrection. 
Ils  reprennent  leurs  occupations  de  jeunesse,  ils  se  mettent  à  jouer  aux 
tables,  comme  l'ont  fait  leurs  pères,  lorqu'ils  étaient  encore  jeunes,  à 
l'aurore  des  âges  (voy.  p.  213). 

l  157.  La  nouvelle  race  humaine;  le  nouveau  Soleil.  —  La  race  des 
hommes,  qui  périront  dans  la  catastrophe  du  Crépuscule-des-Gran- 
deurs,  sera  remplacée  par  une  génération  nouvelle,  provenant  de  Lz/- 
thrâsir  (Désir  de  Vie),  et  deZ,|/'(Vie).  Cette  paire ,  dont  les  noms  expriment 
la  vitalité  indestructible  de  l'humanité ,  s'était  mise ,  pendant  le  Crépus- 
cule des  Grandeurs,  à  l'abri  tant  des  flammes  de  Surtur,  que  de  la  submersion 
sous  la  mer,  produite  par  lormungand ,  en  s'enfermant  dans  la  Butte- 
de-Hoddmimir.  Cette  butte  est,  à  la  fois,  une  butte  tumulaire,  et  comme 
une  matrice  où  les  germes  de  l'énergie  vitale,  représentée  par  cette  paire, 
sont  enfouis ,  et  reposent  en  sûreté ,  comme  le  grain  de  blé  dans  le  silo 
ou  la  serre  d'hiver  (v.  h.2\Livintarkasfo;cï.  norr.  nestbaggi)^  en  atten- 
dant la  résurrection ,  ou  la  renaissance  au  printemps.  Le  nom  de  Hodd- 
Mimir  (Ruisselant  de  Trésors)  est  synonyme  de  Hring-Mimir  (Ruisselant 
de  Richesse) ,  et  désigne,  à  la  fois,  l'Océan  terrestre  ou  la  Mer  renfermant 
de  l'or  et  des  richesses  (voy.  p.  443),  et  l'Océan  céleste  (sansc.  Varou- 
nas  ;  gr.  ouranos) ,  ou  le  Ciel ,  dont  les  pluies  et  les  rosées  produisent 
les  riches  moissons  dorées  (voy.  p.  330).  La  Butte  de  Hodd-Mimir  est 
donc  synonyme  de  Butte-du-Cee/^  et  désigne  une  montagne  tellement 
élevée  qu'elle  touchait  au  ciel,  et  qu'elle  pouvait  préserver,  des  flammes  et 
de  l'inondation,  les  germes  précieux  qu'elle  renfermait  dans  son  sein.  Cette 
butte,  semblable  a  peu  près  à  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui,  en  Suède,  /ai- 
testuga  (poêle  d'Iotne)^  ou/aííe^ra/(tombeau  d'iotne),  était  en  quelque 
sorte  le  tombeau  de  Lîfthrâsir  et  de  Lif,  lesquels  y  reposaient  comme 
l'embryon  dans  la  matrice.  Ils  y  étaient  alimentés  par  les  rosées  du  matin , 
et  dormaient  jusqu'à  leur  résurrection ,  semblables  à  Skalmoskis  dans 
sa  demeure  souterraine  [Hérod.  IV ,  95 ,  96),  à  Freyr  dans  sa  butte  tu- 
mulaire {Ynglingasaga,  chap.  \%),  et  ^Frédéric  Barbe-Rousse ,  dans 
la  montagne  de  Kyfhæuser.  Suivant  la  Mythologie  indienne,  la  Déesse 
Bhavani,  le  Symbole  de  la  Nature  qui  détruit  et  reproduit,  fait  rentrer 
dans  sa  matrice  les  semences  de  toutes  choses,  pour  les  y  préserver  de  la 
destruction,  dans  la  conflagration  générale,  à  la  fin  des  siècles. 

Sol ,  qui  a  été  dévorée  par  Sköll  (voy.  p.  209),  a  laissé  une  fille,  qui, 
dans  le  Monde  nouveau ,  la  remplace  au  ciel.  C'est  ce  qui  est  énoncé  dans 
la  strophe  des  Dits-de-Vafthrûdnir,  citée  par  Snorri.  Soi  porte  aussi 
le  nom  poétique  et  épithétique  de  Rousse-des-Jlfes,  à  cause  de  l'éclat 
roussâtre  de  son  disque;  et  ce  disque  est  attribué  aux  Jlfes,  ou  con- 
sacré aux  Génies  de  lumière  (voy.  p.  239). 

D'après  la  Mythologie  norraine,  le  Monde  renouvelé  n'est  pas  une  créa- 
tion faite  sur  un  plan  tout  nouveau  ;  c'est  le  renouvellement  de  l'ancien 
Monde,  ou  sa  reproduction .  moins  quelques  imperfections  qui  y  exis-. 
talent. 


342  COMMENTAIRE  CRITIQUE  PERPÉTUEL. 

(50)  ÉPILOGUE  DE  SUBLIME  ;  REPRISE  ET  FIN  DE  l' HISTOIRE  DE 

l'encadrement. 
§  158.  L'Épilogue  de  Sublime.  —  A  toutes  les  époques,  les  savants  et 
les  érudits,  pour  tirer  gloire  de  leur  science  et  de  leur  érudition ,  tâchent 
de  faire  ressortir,  d'une  manière  ou  d'une  autre,  l'originalité  et  la  su- 
périorité de  leurs  écrits.  Dans  l'Antiquité,  dans  l'Orient ,  et  au  Moyen 
âge,  où  les  préfaces  n'étaient  pas  encore  en  usage,  l'auteur  mettait  son 
éloge  ou  à  la  fin  de  son  œuvre  ou  dans  le  corps  de  l'ouvrage.  C'est  ainsi 
que  l'auteur  de  la  Rhapsodie  mythologique ,  intitulée  Chant  d'Hymir , 
énonce  qu'il  est  le  plus  savant  des  mythologues,  en  disant,  dans  la 
strophe  38  : 

« sur  cela  qui  des  Mythologues 

«  Pourrait  en  savoir  davantage.  » 
Par  une  tournure  de  phrase  analogue,  Snorri,  pour  énoncer  qu'aucun 
auteur  n'a  été  plus  complet  que  lui ,  dans  l'exposition  de  la  Mythologie 
norraine,  fait  dire  à  Sublime  que  jamais  il  n'a  entendu  à  personne 
pousser  plus  loin  le  récit  sur  les  destinées  du  monde.  Une  autre  manière, 
par  laquelle  l'Auteur  donne  satisfaction  à  son  amour-propre,  c'est  de 
faire  remarquer  au  lecteur  l'importance  et  l'utilité  de  l'enseignement 
renfermé  dans  son  ouvrage.  C'est  ainsi  que  les  légendes  des  Hindous, 
connues  sous  le  nom  de  Pourânas  (Antiquités) ,  finissent  ordinairement 
par  la  recommandation  de  bien  méditer  ces  traditions  légendaires.  Les 
Lois  de  Manou  se  terminent  par  le  çloka  suivant  : 

«  Ainsi,  le  voilà  ;  le  Bis-né  qui  lit  ce  Code  promulgué  par  Bhrigou, 
«  Sera  toujours  vertueux,  et  obtiendra  la  félicité  désirée.  » 
Dans  les  Proverbes  de  Salomon  on  trouve  plusieurs  passages  sem- 
blables à  celui-ci  (chap.  VII,  4,2): 

«  Mon  fils ,  observe  mes  paroles , 
«  Garde  mes  préceptes  dans  ton  cœur; 
«  Suis  mes  commandements,  et  tu  vivras  heureux; 
«  Mon  enseignement ,  qu'il  te  soit  cher  comme  ton  œil.  » 
Dans  le  Poëme  eddique  intitulé  :  Dits  de  Sublime  (norr.  Hâvamâl), 
Odinn,  sous  le  nom  de  Sublime,  fait  précéder  chacun  de  ses  Dits,  de 
cette  recommandation  : 

«Je  te  conseille,  Loddfafnir!  —  accepte  ce  conseil; 
«  Il  te  profitera ,  si  tu  l'acceptes.  —  » 
Snorri,  employant  une  recommandation  analogue,  fait  dire  à  Piéton- 
neur  par  Sublime  : 

((  Jouis  donc  maintenant  de  ce  que  tu  as  appris.  » 
§  159.  Gulfi  enseigne  en  Suède  ce  qu'il  a  appris  de  Sublime.  — 
L'exposé  de  la  Mythologie  norraine ,  renfermé  dans  les  réponses  faites 
par  Sublime  aux  questions  de  Piétonneur,, étant  terminé,  Sfiorri  reprend 
et  achève  l'histoire,  qui  fait  l'Encadrement  de  la  Fascination  de  Gulfi 
(voy.  p.  70).  Dans  cette  conclusion  de  l'ouvrage,  il  fait  encore  ressortir 
accessoirement  deux  idées,  auxquelles  il  attache  une  certaine  importance  : 
la  première,  que  l'Odinisme  est  une  religion  de  mensonge;  la  seconde, 
que  cette  religion  de  mensonge  avait  son  siège  et  son  centre  principal  en 


NUMÉRO  (50)  (p.  138);  épilogue.  343 

Suède.  Il  montre  que  les  Ases  étaient  de  grands  magiciens,  que ,  par  leur 
magie,  Piétonneur,  ou  GuIJi,  dès  son  arrivée  à  Odmseîj  (voy.  p.  145), 
a  été  fasciné,  et  qu'à  la  fin,  par  un  eifet  de  cette  même  magie,  le  palais 
de  Sublime  a  disparu  en  un  clin  d'œil.  Cette  disparition  magique  est  un 
trait  qui  se  retrouve  dans  beaucoup  de  traditions  mythologiques  et 
de  contes  romantiques  (voy.  p.  425).  Snorri,  comme  tous  les  auteurs 
de  l'Antiquité,  de  l'Orient,  et  du  Moyen  âge,  pour  accréditer  la  tradition 
ou  leur  science,  aiment  à  en  indiquer  la  source,  l'origine  et  les  garants 
(voy.  Chants  de  Sol,  p.  40).  Pour  indiquer  la  filiation  de  la  tradition 
mythologique,  il  insinue  que  toutes  les  traditions  mythologiques,  répan- 
dues dans  le  Nord,  proviennent  de  ce  que  Guljî,  après  les  avoir  apprises 
de  Sublime,  les  a  transmises,  après  son  retour  chez  lui,  en  Suède,  à 
d'autres,  qui  les  ont  propagées  en  Scandinavie.  C'est  donc  la  Suède 
qui  a  été  le  principal  berceau  de  la  superstition  odinienne  ;  et  cette  opi- 
nion ,  Snorri  Ta  encore  développée  plus  tard  dans  son  ouvrage  histo- 
rique intitulé  Ynglinga-saga,  en  montrant  que  Odinn  et  XtsJses,  venus 
du  Sud  et  après  s'être  établis  successivement  en  Saxe  et  en  Danemark, 
se  sont  flxés  définitivement  en  Suède,  à  Upsalir,  et  à  Sig-tûn,  que  la  plu- 
part d'entre  eux  sont  morts  dans  ce  pays ,  et  que  d'eux  sont  issus  les  rois 
suèdes  appelés  les  Ynglings  (Issus  d'Yngvin ,  voy.  p.  266),  qui  tous  ont 
été  ,  avec  leurs  sujets,  des  adorateurs  d'Odinn  et  des  Ases. 


NOTES  ADDITIONNELLES. 


I.     ^ 

(A  la  page  21.) 

Malgré  les  progrès  accomplis,  l'histoire  n'est  encore  généralement 
considérée  qu'au  point  de  vue  des  fsí'ús  eætérieur s  et  âes  événements  joo- 
litiques.  D'après  l'idée,  l'histoire  universelle  doit  être  l'exposé  de  l'action 
et  de  la  réaction  des  idées,  des  idéaux  et  des  intérêts  dans  le  domaine 
social,  moral,  intellectuel  et  religieux  de  l'humanité.  L'histoire,  comme 
toute  science ,  doit  traiter  à  la  fois  des  faits  et  de  la  raison  des  faits 
constituant  son  domaine;  et  comme  les  faits  historiques  n'ont  de  véri- 
table intérêt  que  par  les  idées  qu'ils  représentent,  on  comprend  que 
l'histoire,  à  moins  qu'on  ne  veuille  s'amuser  au  spectacle  et  au  récit  des 
faits  seuls,  se  confondra  de  plus  en  plus  avec  la  philosophie  de  l'histoire, 
c'est-à-dire  avec  l'étude  de  la  raison  des  faits  produits  parles  idées,  les 
idéaux  et  les  intérêts  dans  le  domaine  social,  moral,  intellectuel  et  reli- 
gieux. 

De  même  que,  de  nos  jours,  on  ne  peut  déjà  plus  publier  une  encyclo- 
pédie générale  qui  soit  actuellement  à  la  hauteur  des  différentes  sciences, 
mais  qu'il  faut  s'en  tenir  à  des  encyclopédies  spéciales  pour  les  diffé- 
rentes sciences,  de  même  un  ouvrage  d'histoire  universelle  réellement 
scientifique  et  philosophique  n'est  plus  possible  :  il  faut  le  partager  en 
plusieurs  histoires  spéciales  composées  toutes  en  vue  de  l'histoire  uni- 
verselle et  d'après  le  plan,  la  méthode  et  le  but  ci-dessus  indiqués  de  la 
philosophie  de  l'histoire. 

Dans  l'antiquité,  au  moyen  âge  et  même  jusqu'au  dix-neuvième  siècle,  les 
études  et  le  point  de  vue  historiques  étaient  trop  bornés  et  trop  exclusifs 
pour  permettre  de  concevoir  une  histoire  universelle  réellement  jö/«7oso- 
phique.  Les  Grecs  et  les  Romains  ne  s'intéressaient  qu'à  l'histoire  de  leur 
nation  et  tout  au  plus  aux  rapports  politiques  que  leur  histoire  avait  avec 
celle  de  leurs  voisins,  alliés  ou  ennemis.  Les  Hébreux,  aussi  exclusifs  que 
les  autres  nations,  se  considéraient  comme  le  Peuple  élu  de  Jéhovah,  des- 
tiné à  régner  un  jour,  par  son  Messie,  sur  toutes  les  autres  nations  de  la 
terre.  Aussi  l'auteur  qui,  du  temps  d'Antiochus  Épiphane  et  sous  le  nom  du 
prophète  Daniel,  a  composé  ses  Visions  résume-t-il  ce  qu'il  sait  de  l'his- 
toire ancienne,  d'après  les  livres  hébreux  et  d'après  les  grecs,  dans  son 
tableau  des  quatre  empires  païens  ennemis  d'Israël,  l'empire  babylonien, 
l'empire  médo-perse,  l'empire  macédonien  et  l'empire  syrien,  qu'il  repré- 
sente par  quatre  bêtes  sauvages,  le  lion,  l'ours,  la  panthère  et  l'animal 
aux  dents  de  fer.  Ces  quatre  monarchies  violentes  et  brutales,  qui  ont 
pour  emblèmes  quatre  animaux  féroces,  disparaîtront,  d'après  le  pro- 
phète, pour  faire  place  à  l'empire  universel  du  Messie,  qui,  contrairement 
aux  quatre  bêtes,  aura  la  figure  humaine.  Cette  conception  de  l'histoire 


à 


NOTES   ADDITIONNELLES.  345 

fut  adaptée  par  la  théologie  chrétienne  au  système  dogmatique  de  ce 
qu'on  a  appelé  r Economie  du  salut,  d'après  laquelle  l'ancienne  Alliance 
(religion  de  Jéhovah)  dont  les  païens  des  quatre  empires  se  sont  dé- 
tachés, est  continuée,  d'après  le  plan  de  Dieu,  dans  la  nouvelle  Alliance 
(la  religion  du  Messie  ou  du  Christ) ,  laquelle  réunit  de  nouveau  Israël  et 
les  Gentils  dans  l'Église  chrétienne  universelle.  Aussi,  dans  cette  concep- 
tion historique,  les  historiens  chrétiens  ont-ils  dû  substituer  l'empire  grec 
et  l'empire  romain  à  l'empire  macédonien  et  à  l'empire  syrien  de  la  vision 
de  Daniel;  et  l'empire  romain,  devenu  la  Monarchie  de  la  chrétienté,  fut 
continué  directement,  d'après  ce  système,  par  le  Saint  Empire  romain 
germanique;  de  sorte  que,  pour  le  moyen  âge,  l'histoire  universelle  du 
paganisme  et  de  la  chrétienté  pouvait  encore,  pendant  quelques  siècles,  se 
renfermer  dans  le  système  historique,  orthodoxe,  mais  étroit,  des  quatre 
monarchies  ou  des  quatre  empires  de  Daniel.  Ce  ne  fut  cependant  qu'a- 
près la  chute  du  Saint  Empire  romain  germanique,  et  lorsque,  par  cela 
même,  la  division  de  l'histoire  universelle  en  quatre  monarchies  fut  évi- 
demment devenue  insuffisante  et  sensiblement  incomplète,  que  des  au- 
teurs comme  Jean  Corion,  Jean  de  Sleiden  et  Bossuet  ont  entrepris, 
avec  plus  ou  moins  de  talent,  de  traiter  l'histoire  universelle  en  la  divi- 
sant encore  généralement  au  point  de  vue  des  visions  de  Daniel.  Jean 
Corion,  né  dans  le  Wurtemberg  en  Í499  et  mort  à  Berlin  en  1538,  a 
composé  son  histoire  universelle  sous  le  titre  de  Chronicon,  qui  a  été 
revu  et  amendé  par  Philippe  Mélanchthon  et  qui  fut  traduit  en  français 
par  Jean  Leblond,  Paris,  Í556.  Jean,  fils  de  Philippe,  naquit  en  1506  à 
Sleiden,  endroit  situé  entre  Cologne  et  Bonn,  et  d'après  lequel  il  est 
nommé  généralement  Sleidanus.  11  fut  professeur  de  droit  et  d'histoire 
à  Strasbourg,  où  il  mourut  en  1556.  Il  a  composé,  en  latin  et  en  trois 
livres,  un  abrégé  de  l'histoire  universelle  sous  le  titre  de  Compendium 
de  quatuor  Monarchiis.  Cet  ouvrage,  dédié  à  Eberhard  de  Wurtemberg, 
doit,  comme  dit  l'auteur,  guider  la  jeunesse  dans  l'étude  de  l'histoire:  il 
a  été,  pendant  assez  longtemps,  le  manuel  en  vogue  dans  les  écoles,  et 
a  eu  un  grand  nombre  d'éditions. 

Écrit  avec  plus  de  talent  que  les  deux  ouvrages  précédents,  \e  Dis- 
cours sur  U histoire  universelle,  de  Bossuet,  ne  leur  est  pas  supérieur 
quant  à  la  conception  du  fond  de  l'histoire.  Se  renfermant  dans  un  cadre 
orthodoxe ,  mais  étroit  et  insuffisant,  Bossuet  n'a  pas  pu  maintenir  ce 
cadre  pour  l'histoire  plus  moderne,  et  il  a  dû  s'arrêter  dans  son  exposé 
aux  temps  de  Charlemagne. 

n. 

(A  la  page  80.) 

Dans  Les  Gètes  (p.  128)  j'ai  rattaché  le  mot  norrain  i^a/c?  au  verbe  ger- 
manique schallen  (sonner,  faire  de  la  musique),  de  sorte  que,  comme 
terme  neutre  et  abstrait ,  il  aurait  proprement  signifié  sonnerie. 

Un  nouvel  examen  du  mot  skald  m'a  amené  à  la  conviction  que  ce 
terme  n'appartient  pas  originairement  aux  langues  de  la  branche  gète, 
mais  à  celles  de  la  branche  sarmate.  En  effet ,  le  radical  sklad,  qui  signifie 

23 


346  NOTES   ADDITIONNELLES. 

disposer,  arranger,  composer,  est  essentiellement  slave.  Du  radical 
slave  s-klad  s'est  formé  le  mot  russe  sklade  (arrangement),  le  polonais 
skladacz  (compositeur,  auteur),  et  le  tchèque  skladatel  (poëte,  com- 
positeur). (Voy.  De  l'Influence  exercée  par  les  Slaves  sur  les  Scandi- 
naves da?is  V Antiquité.  Colmar,  1867,  p.  8-9.) 

m. 

iiO 

\\\ ,  (A  la  page  73.) 

""tes  auteurs  orientaux,  surtout  ceux  de  l'Inde,  aiment  assez,  comme 
GTiatakarparas,  indiquer,  d'une  manière  indirecte  et  énigmatique,  leur  nom 
dans  le  titre  qu'ils  donnent  à  leurs  ouvrages.  Ainsi,  pour  citer  un  exemple 
plus  moderne,  l'auteur  hindoustani,  du  nom  de  Surur  (joie),  a  donné 
à  sa  traduction  hindoustanie  de  l'abrégé  du  Shah-nama  persan ,  le  titre 
de  Surur-i-Sultani  (la  Joie  royale).  (Voy.  Garcin  de  Tassy,  les  Auteurs 
hindoustanis  et  leurs  ouvrages  d'après  les  biographies  originales, 
2«édit.,  Paris,  1868.) 

IV. 

(A  la  page  81.) 

Les  femmes  nommées  Föbir,  moitié  magiciennes,  moitié  devine- 
resses, étaient  à  peu  près,  historiquement  ou  sur  terre,  ce  que  les 
iSornes  représentaient  mythologiquenient  dans  le  ciel.  Ce  nom,  dont  le 
singulier  est  vala  ou  vöiva,  dérive  d'une  forme  plus  ancienne,  Valliava, 
qui  ne  s'explique  ni  grammaticalement,  ni  étymologiquement  dans  la 
langue  norraine,  mais  trouve  l'une  et  l'autre  explication  dans  les  idiomes 
slaves.  (Voy.  De  l'Influence  exercée  par  les  Slaves  sur  les  Scandi- 
naves dans  l'Antiquité.  Colmar,  1867,  p.  10-12.) 

V. 

(A  la  page  185.) 

Le  dieu  Vili  s'est  spécialisé  comme  dieu  des  richesses  chez  les  Ger- 
mains du  Nord,  sous  le  nom  de  mHo,  fVilo ,  ï^Falo.  (Voy.  MuUenhof, 
Nordalbingische  Studien,  1,  p.  M  et  suiv.) 

VI. 

(A  la  page  194.) 

A  la  tradition  populaire  en  Saxe  et  en  Thuringe,  d'après  laquelle  les 
enfants,  surtout  les  filles,  croissent  aux  arbres,  correspond  un  conte 
oriental  qui  nous  est  transmis  par  des  géographes  arabes.  D'après  Ba^ 
kouï  et  Ibn-Tofeili ,  il  y  a,  à  l'extrémité  orientale  de  la  terre  connue,  des 
îles  Aommées  fVaqiuaq,  si  riches  en  or ,  que  les  singes  y  portent  des 
colliers  d'or.  Il  y  a  de  plus  dans  ces  îles  l'arbre  qui  crie  waqwdq  à  ceux 
qui  y  débarquent;, et  cet  arbre  porte  à  l'extrémité  de  ses  branches,  au 


NOTES   ADDITIONNELLES.  '347 

lieu  de  fruits,  de  belles  filles,  qui  sont  un  objet  d'exportation  et  de  com- 
merce. Elles  sont  désignées,  par  Masoudi  Khotb-eddîn,  sous  le  nom  de 
^raqwaquiermes.  (Voy.  Alexandre  de  Humboldt,  Examen  critique  de 
l'histoire  de  la  géographie  du  Nouveau-Continent^  I,  52,  n.) 

Ce  qui  me  fait  penser  que  ce  conte  de  l'île  des  filles  et  de  l'arbre  criant 
waqioâq  et  portant  des  filles,  pourrait  bien  être  originaire  de  l'Inde, 
c'est  d'abord  la  particularité  que  les  singes  de  ces  îles ,  comme  les  com- 
pagnons de  Ravana,  chef  de  Lankâdvipa  (Taprobane),  ou  Sinhaladvipa 
(Ceyian),  portent  des  colliers  d'or.  Ensuite,  V Ile-aux-Filles  pourrait 
bien  être  l'île  de  iTowTwarí  (Ceyian),  dont  le  nom  signifie  Filli ,  et  dont 
la  pointe  méridionale  porte  encore  aujourd'hui  ce  nom  (le  cap  Comorin). 

Je  trouve  dans  le  dictionnaire  arabe  Kamous  (Océan),  que  Waqwàq 
est  le  nom  de  l'arbre  d'où  se  tire  la  couleur  d'encre.  Ce  nom  de  waqwâq 
pourrait  bien  être  d'origine  indienne,  beaucoup  d'arbres  de  l'Inde  ayant 
des  noms  composés  avec  le  mot  Vak^  qui  signifie  courbé,  penché.  D'ail- 
leurs, ce  mot  signifie  aussi  vociférant,  ce  qui  pourrait  expliquer  pour- 
quoi ,  dans  le  conte ,  il  est  dit  que  l'arbre  vaqvâq  vocifère  à  l'approche 
des  marchands  abordants  dans  l'île. 


(A  la  page  195.) 

•;vf;b  9'ioaiio  iíJíío^  . 

Les  arbres  ^íÆr  (Frêne)  et  Embla  (Orme)  étant,  d'après  la  mytho- 
logie, les  parents  primitifs  des  hommes,  on  comprend  que,  dans  le  lan- 
gage poétique  des  Skaldes,  le  nom  d'un  arbre  quelconque  pouvait  servir 
à  désigner  l'homme  et  la  femme ,  au  même  titre  qu'en  poésie ,  par  exemple, 
le  nom  de  Francs  peut  désigner  les  Français  issus  des  Francs.  Aussi 
est-il  dit  dans  le  Traité  du  Langage  skaldique  (Skaldskaparmâl)  de 
l'Edda  de  Snorri,  page  827  : 

«De  quelle  manière  faut-il  désigner  V homme?...  Les  Skaldes  ont 
«  appelé  l'homme  d'après  \e  frêne  ou  le  tilleul,  d'après  le  bois  ou  d'autres 
«noms  d'arbres  du  genre  masculin.))  —  Et  page  127 —  «  La  femme  a 
a  pour  désignations  tous  les  noms  d'arbres  du  genre/e/Timm.  » 

L'auteur  de  ce  traité,  au  lieu  de  rappeler  le  mythe  d'Askr  et  d'Embla,  et 
de  le  considérer  comme  la  cause  première  de  ces  désignations  poétiques, 
préfère  expliquer  ces  expressions  par  une  espèce  de  quiproquo  ou  de 
calembourg;  ce  qui,  il  est  vrai ,  était  assez  dans  le  goût  et  les  habitudes 
de  la  poésie  skaldique,  qui  aimait  et  préférait  en  fait  de  style  le  re- 
cherché, l'obscur  (ôliost.)  et  le  caché  (folgit). 

Ainsi,  d'après  notre  auteur,  l'homme  était  appelé  reynir  vâpnanna 
(éprouveur  d'armes)  ou  vidr  vîganna  {^màni  les  combats),  parce  que 
reynir  signifie,  à  la  fois,  éprouveur  et  arbre,  et  que  vidr  signifie,  à  la 
fois,  aimant  et  arbre. 

D'après  le  même  système,  rautent*  dit  que  la  femme  peut  être  appelée 
selia  vins  (procuratrice  devin)  ou  lôg drychiar  (distribuant  la  boissoni, 
parce  que  le  mot  selia  signifie  à  la  {o\s  procuratrice  et  saule^  et  que 
lôgn  signifie,  à  la  fois,  distribuant  et  souche  d'arbre.  Les  Skaldes 


Z^  NOTES   ADDITIONNELLES. 

avaient  l'expression  de  rekit  (poussé  loin)  pour  désigner  l'emploi  recher- 
ché de  ces  termes  à  double  signification. 

Les  Grecs,  bien  qu'ils  aient  eu,  comme  les  Scandinaves,  des  mythes 
sur  la  provenance  des  hommes  de  certains  arbres,  n'en  ont  pas  eu  dans 
la  suite  ni  souvenir  ni  pleine  conscience.  Aussi,  c'est  par  une  pure  infui- 
tion  poétique,  comme  l'était  celle  de  la  mythologie  elle-même,  qu'ils 
représentent,  dans  leur  poésie,  des  rapports  ingénieux  de  ressemblance 
et  d'analogie  entre  l'homme  et  l'arbre.  Voici  un  exemple  pris  dans  une 
ode  anacréontique ,  traduite  par  P.  J.  Proudhon:  De  la  Justice  dans  la 
Révolution  et  dans  l'Église,  étude  X,  p.  69. 

«Rafraîchissez,  ô  femmes,  de  vin  doux,  ma  gorge  desséchée;  rafraî- 
«chissez  de  roses  nouvelles  ma  tête  brûlante I  Mais,  qui  rafraîchira  mon 
«  cœur  incendié  par  les  amours? 

«  Je  m'assoirai  à  V ombre  de  Bathylle,  le  jeune  arbre  à  la  ver- 
«  doyante  chevelure.  Auprès  de  lui  coule  et  murmure  la  fontaine  de  per- 
«  suasion.  C'est  là,  voyageur  épuisé,  que  je  prendrai  une  nouvelle  force. ...» 

Proudhon  ajoute  :  «  La  comparaison  de  Bathylle  à  un  arbre  jeune  et  ver- 
«  doyant  est  familière  aux  Orientaux  :  ces  vers  d'Anacréon  semblent  tra- 
«  duits,  mot  pour  mot,  du  Psaume  i,  v.  3-4;  «  «  Il  en  sera  de  V homme 
«  «vertueux  comme  d'un  arbre  planté  au  bord  d'une  eau  courante,  et 
«  «  qui  donne  son  fruit  dans  sa  saison  :  son  feuillage  ne  séchera  pas  et 
«  «  toutes  ses  œuvres  seront  prospères.  »  » 

Proudhon  aurait  pu  ajouter,  pour  faire  sentir  encore  davantage  la 
poésie  des  vers  anacréontiques,  que,  dans  les  pays  chauds  de  l'Asie,  on 
aimait  se  rafraîchir  à  l'ombre  d'un  arbre  placé  près  d'une  fontaine. 
Aussi  choisissait-on  généralement,  pour  les  consacrer  aux  dieux,  de 
beaux  arbres  touffus,  placés  près  de  fraîches  fontaines,  et  élevait-on,  de 
préférence,  dans  de  tels  endroits,  des  sanctuaires  et  des  temples.  (Voy., 
p.  230 ,  la  Fontaine  de  Mimir  et  Y  Arbre  de  Mimi,) 

VIII. 

aainifi  b  \iO  V,\o<i  ai  gôlijt;  1>  ,  :   (A  la  page  208.)  'jtqt.  b  B; 

'•  té' tíökáe  5e2'rf?ëre%ifr  (Porte-crible)  désignait  îésmagiciens  portant 
le  crible  qui  leur  servait  d'instrument  de  magie.  Le  crible  ordinaire  opère 
la  séparation  de  ce  qu'on  conserve  comme  bon  et  de  ce  qui  passe  pour 
mauvais  et  qu'on  rejette.  Or,  la  destinée  fait  aussi  le  partage  du  bien  et 
du  mal.  C'est  pourquoi  le  crible  est  devenu  le  symbole  du  destin;  et 
cribler  était  une  opération  magique  par  laquelle  on  était  censé  produire, 
selon  l'intention,  des  effets  bons  ou  mauvais.  Le  mot  norrain  seidr  paraît 
imité  du  slave  sito  (crible),  et  l'opération  magique ,  produite  par  le  crible, 
a  passé  probablement  de  la  pratique  des  Slaves  dans  celle  des  Scandi- 
naves. (Voy.  De  l'Influence  exercée  par  les  Slaves  sur  les  Scandinaves 
dans  l'Antiquité,  p.  12-18.) 

IX. 

(A  la  page  235.) 

Nous  avons  préféré,  par  les  raisons  indiquées,  comme  nom  de  l'Écu- 
reuil mythologique,  la  leçon  Ratakostr,  signifiant  Compagnon  du  Rat,  à 


NOTES  ADDITIONNELLES.  $t^ 

la  leçon  jusqu'ici  restée  inintelligible  de  Ratatoskr,  qui  a  été  admise 
par  Mobiusj  dans  son  Edda  Sœmundar  hins  Fróda^  Leipzig,  1860, 
p.  36.  Si  cependant  cette  dernière  leçon  ou  celle  de  Ratatoskr  devait  être 
la  vraie,  voici  comment  je  crois  qu'il  faudrait  l'expliquer. 

Le  mot  toskr  n'a  rien  de  commun  avec  le  mot  allemand  Tasche  (poche) 
ou  l'italien  tasca^  qui  proviennent  d'un  thème  signifiant  enlever,  em- 
porter. (Voy.  Diez,  Etymol.  fVörterb.,  p.  343.)  Le  mot  toskr  provient 
de  toskr,  comme  le  français  sol  (seul)  provient  de  solo.  Toskr  dérive  de 
taskur,  le  a  radical  s'étant  obscurci  ou  changé  en  o  par  l'influence  de 
Vu  final.  Taskur  est  une  métathèse  de  iaksur,  comme,  par  exemple,  le 
Scythe  skaïs  (p.  277)  est  une  métathèse  de  ksaïs  (sanscr.,  kchayas). 
Taksur  correspond  exactement  à  une  forme  latine,  tacsus  (blaireau), 
qu'on  ne  trouve  pas  dans  les  auteurs,  mais  qui  doit  avoir  existé  dans  le 
langage  populaire,  puisqu'en  italien  elle  s'est  changée  en  tasso,  qu'on 
ne  saurait  dériver  directement  de  l'allemand  Dachs.  Taxus  et  ses  cor- 
respondants ont  dû  se  trouver  non-seulement  dans  les  langues  aryennes, 
mais  aussi,  sans  doute  par  emprunt,  dans  les  langues  sémitiques.  En 
effet,  l'hébreu  tachash,  l'arabe  tochas,  correspondent  au  latin  taxvs  et 
désignaient  probablement,  comme  lui,  le  taisson.  A  la  forme  allemande, 
Dachs,  semble  avoir  correspondu  anciennement  une  forme  gotique^  thahs 
(p.  thahsus). 

Le  nom  tacsus  dérive  d'un  thème  verbal  taks,  qui  signifie  toucher  à 
plusieurs  reprises  (cf.  lat.  taxare  et  tagere)^  piquer,  fouiller,  tailler 
(sanscr.  takch).  Tacsus  désigne  donc  comme  fouilleur,  le  blaireau,  que 
les  Suédois  nomment  grâfsvin  (porc  fouilleur),  tandis  qu'ils  donnent  le 
nom  de  takse  au  chien  basset{^\\.  Dachs). 

Au  mot  masculin  allemand  Dachs,  correspondait  un  mot  féminin, 
Dehsa  (taissonne),  qui,  combiné  avec  egi  (serpent,  gr.  echis),  a  formé  le 
composé  egidehsa  (taissonne-serpente),  signifiant  lézard  (ail.  ei-dechsé). 
En  effet,  le  lézard  est  un  serpent  2L\ec  quatre  pieds;  il  est  bas  sur  jambes, 
et  a  les  pieds  de  devant  tournés  en  dehors  comme  le  taisso7i  et  le  basset; 
de  plus,  il  est  fouilleur  comme  le  taisson,  et  a  sa  retraite  dans  un  trou, 
comme  le  blaireau.  (Voy.  Les  Gètes,  p.  226.) 

Dans  la  langue  norraine  toskr,  dérivé  de  l'ancien  taksus,  paraît  avoir 
eu ,  comme  le  latin  tacsus,  la  signification  de  taisson.  Dans  le  nom  Ra- 
tatoskr il  se  trouve  composé  avec  Rati,  qui  signifie  corrodeur,  ron- 
geur, rat,  si  on  dérive  ce  nom  de  gratter  (lat.  radere,  rodere),  ou  rôdeur, 
si  on  le  dérive  de  rôder  (goth,  vraton;  norr.  rata).  La  première  signi- 
fication de  rongeur,  rat,  semble  appuyée  par  le  sens  du  composé  Rata- 
munnr  [Museau-de-Rati) ,  nom  qui  a  été  donné  au  merveilleux  rat 
rongeur,  dont  Odinn  s'est  servi  comme  d'une  tarière  pour  percer  un 
trou  dans  la  paroi  de  la  demeure  de  Gunnhlöd.  (Voy.  p.  290,  Hâvamal, 
str.  107.)  Dans  ce  cas,  le  nom  de  Ratatoskr  (Taisson  de  Rati)  aurait  été 
donné  à  cet  animal  mythologique ,  parce  que  l'écureuil  ne  vit  pas  seule- 
ment dans  une  bauge  sur  l'arbre,  mais  aussi  dans  un  terrier,  comme  le 
taisson;  de  plus,  il  tient  du  rongeur,  du  rat  ou  de  Rati,  parce  qu'il 
appartient  essentiellement ,  comme  le  rat,  à  l'espèce  des  rongeurs.  Mais 


350  NOTES   ADDITIONNELLES. 

sll'on  donne  à  Rati  la  signification  de  rôdeur,  alors  récureuil  mytholo- 
gique aurait  eu  le  nom  de  Ratatöskr  (Taisson  du  rôdeur),  parce  qu'il  est 
à  la  fols /ouilleur  et  rôdeur,  qu'il  pénètre  partout,  et  va  et  vient  sans 
cesse,  depuis  le  sommet  jusqu'aux  racines  de  l'arbre  d'Yggdrasill,  pour 
remplir  son  rôle  de  messager  et  de  rapporteur. 

X. 

Les  conceptions  en  mythologie  reposent  généralement,  comme  celles  de 
la  poésie ,  sur  des  intuitions  ou  sur  l'observation  plus  ou  moins  vraie 
ou  scientifique  des  phénomènes  de  la  nature.  Aussi ,  ces  intuitions  se 
relrouvent-elles  assez  souvent  à  la  fois  sous  forme  de  mythes  et  sous 
forme  de  conceptions  poé%wes.  Telle  est,  par  exemple,  la  conception 
du  mythe  de  Thor,  buvant  la  mer,  soit  du  Soleil ,  surnommé  Papis  (bu- 
veur), dans  la  mythologie  hindoue  d'un  côté,  et,  de  l'autre,  la  concep- 
tion poétique  du  soleil  qui  boit  la  mer,  dans  l'ode  anacréontique  sui- 
vante, intitulée  Le  Buveur: 

Le  noir  terreau  boit; 

Dans  lui  les  arbres  boivent; 

La  mer  boit  les  vapeurs jqgfj^^-iji^j^, 

Le  soleil  boit  la  mer; 

La  lune  boit  le  soleil. 
,,  ,    ,,  Pourquoi  me  gourmander,  amis! 

■    '  "'^'     .  , .  Y  Si  moi  aussi  je  tiens  à  boire. 

*'Voy.' £a  m*a^è/e  dans  les  différentes  littératui^es  anciennes  et 
modernes,  p.  20. 

XI. 

(A  la  page  274.) 

Le  sanglier  ou  verrat  était  le  symbole  du  soleil  (voy.  p.  204)  ;  il  y  a  évi- 
demment un  rapport  mythologique  direct  entre  le  dieu  héros  Iring 
(Verrat) ,  le  nom  de  Chrysodonte  (Défenses  d'or)  donné  à  Heimdall,  et  le 
sanglier  consacré  à  Freyr.  Le  sanglier  figure  dans  plusieurs  traditions 
des  anciens /^rancí;  nous  les  avons  expliquées  dans  un  mémoire  inti- 
tulé :  Origine  et  signification  du  nom  de  Franc  (oifert  à  M.  Bopp  pour 
sa  fête  du  1 6  mai  i  866),  Strasbourg  et  Colmar,  1 866. 

Nous  avons  montré  dans  ce  mémoire  (p.  13)  que  le  mot  grec  héros 
correspond  au  sanscrit  t-ara/ias  et  signifiait  originairement  combattant, 
guerrier,  héros.  Cette  explication  se  confirme  encore  par  ce  que  nous 
avons  dit  de  l'origine  des  noms  Scandinaves  de  larles  (Aigles,  comtes, 
p.  184)  et  de  Barons  (Ours,  p.  306). 

XII. 

(A  la  page  341.) 

,jC'étaitune  croyance  ancienne  que  les  hommes  sont  nés  de  la  terre, 
ou  que  la  terre  était  la  mère  ou  la  matrice  du  genre  humain.  (Voy.  Les 
Gètes^  p.  173,  note  1.)  Plus  tard  s'introduisit  l'usage  d'enterrer  les  morts 


NOTES   ADDITIONNELLES.  351 

OU  de  rendre  à  la  terre  ses  enfants.  La  sépulture  fut  donc  considérée 
comme  la  rentrée,  après  la  mort,  dans  la  matrice  terrestre.  En  sanscrit, 
le  mot  garbhas  (réceptacle)  signifle  la  matrice,  et  il  a  une  parenté  éloi- 
gnée avec  le  mot  germanique  grab  (creusé)  qui  signifie  tombeau.  Ce- 
pendant, le  rapport  entre  les  deux  mots  ne  paraît  pas  avoir  été  reconnu 
d^ns  l'antiquité;  on  voyait  seulement  la  terre  d'où  le  genre  humain  était 
sorti,  et  le  tombeau  où  l'homme  rentrait  après  la  mort.  C'est  celte  idée 
générale  qui  est  exprimée  par  rapport  à  la  terre  par  ce  vers  de  Lucrèce: 
Omniparens  eadem  rerum  commune  sepulchrum. 

Plus  tard,  lorsque  la  croyance  à  l'immortalité  et  à  la  renaissance  après 
la  mort  se  fut  développée,  le  tombeau  fut  considéré  comme  une  matrice 
terrestre,  dans  laquelle  s'opérait  la  renaissance.  Aussi,  pour  exprimer 
ou  représenter  une  renaissance  morale  quelconque,  a-t-on  eu  recours 
à  un  acte  symbolique  qui  énonçait  que  tel  ou  tel  individu  avait  subi  une 
renaissance  en  ce  qu'il  était  sorti  de  nouveau  de  la  matrice  symbolique 
terrestre.  Pour  représenter  à  l'œil  cette  matrice  terrestre ,  on  pratiquait 
une  ouverture  dans  la  terre,  en  soulevant  une  longue  et  large  bande 
de  gazon  [torfa  long;  iardar  men)  qu'on  étayait  au  milieu  par  une  lance. 

L'acte  symbolique  de  la  renaissance  consistait  à  descendre  sous  cette 
bande  comme  dans  un  tombeau,  pour  en  sortir  ensuite,  comme  d'une  ma- 
trice, rendu  à  la  vie  et  renouvelé  physiquement  ou  moralement  par  cette 
seconde  naissance.  C'est  ainsi  que  deux  guerriers  qui  n'étaient  pas  déjà 
frères  par  naissance,  devinrent  frères  d'armes  par  un  acte  de  renais- 
sance. Ils  descendaient,  tous  deux,  sous  la  bande  de  gazon ,  s'y  tenaient 
accroupis  el  s'entrelaçaient  de  leurs  bras  comme  des  jumeaux  dans  l'u- 
térus; ils  suçaient  ensuite  quelques  gouttes  de  sang  l'un  de  l'autre  pour 
indiquer  par  làridenlité  ou  la  communauté  de  sang  comme  frères  uté- 
rins (voy.  Flérodote,  IV,  70)  ;  enfin  ils  sortaient  de  cette  matrice  artifi- 
cielle ou  symbolique  comme  par  une  nouvelle  naissance  ou  renaissance 
au  moyen  de  laquelle  ils  étaient  devenus /rères  utérins.  Comme  frères 
ils  étaient  dorénavant  les  protecteurs  nés  et  obligés  ou  les  souteneurs 
{fratres)  l'un  de  l'autre,  comme  l'énonce  le  nom  même  At  frère  (frater 
qui  vient  de  ferre,  soutenir);  ils  étaient  ainsi  devenus,  à  la  vie  et  à 
la  mort,  frères  d'armes  (slav.  pobratimi;  voy.  Les  Gètes,  p.  118). 

Dans  les  pays  Scandinaves  on  se  soumettait  assez  souvent  à  cette  céré- 
monie de  la  renaissance  quand  on  voulait  prouver  qu'on  était  devenu 
moralement  un  autre  homme  (cf.  Évangile  de  Jean,  m,  4).  Ainsi,  ceux 
qui  reconnaissaient  leur  tort  pour  se  le  faire  pardonner,  se  justifiaient  en 
subissant  la  cérémonie  de  la  renaissance  ci-dessus  décrite.  La  récon- 
ciliation entre  hommes,  qui  avaient  été  des  adversaires ,  s'opérait  éga- 
lement par  cette  même  cérémonie,  laquelle  indiquait  que  ceux  qui  anté- 
rieurement n'avaient  pas  été  frères  par  leurs  sentiments,  le  devinrent  par 
cette  nouvelle  naissance.  C'est  ainsi  que  doit  s'expliquer  cette  cérémonie 
symbolique  de  la  sortie  de  dessous  les  bandes  de  gazon,  dont  quelques 
exemples  sont  rapportés  par  Grimm  {Rechtsalterthumer,  p.  118-149). 


•(Óív^f' 


REPERTOffiE  GENERAL  ALPHABÉTIQUE^ 

DES  MOTS  ET  DES  CHOSES  EXPLIQUÉS  DANS  CET  OUVRAGE. 


(Les  chiffres  indiquent  les  pages.) 


A. 


Adals-fé,  propriétés  foncières,  330, 
Æthelweard  ,  moine  anglo-saxon  5  son 

evhémérisme,  18. 
Agathubsos;  explication  de  ce  nom, 

280. —Substitué  à  Arposkaïs,  193. 
Age  d'or;  prétendu  âge  d'or  des  Ases, 

214-216. 
Age-des-Tempêtes,  commencement  du 

Crépuscule-des-Grandeurs,  338. 
Agnis,  dieu  de  la  mythologie  hindoue, 

174. 
AiNEïA  (district  d'Aïnos),  ancien  nom 

de  l'Europe,  28.  Cf.  Enea. 
Alfes;  explication  de  ce  nom,  239.  — 

Génies  célestes  confondus  avec  les 

Dvergs,  190.  —  Séjour-des-Alfes, 

239. 
Alfödor;  explication  de  ce  nom  épi- 

thétique  d'Odinn,  155,  156,  158. 
Allégorie;  introduite  dans  Texégèse 

et  la  théologie  mystique,  58. 
Allongé  (Andlang)  ;  explication  du  nom 

de  ce  Séjour  céleste,  241. 
Amies-des-Ases  (Asyniur) ,  209. 
Anacréon  ;  Ode  d'Anacréon,  traduite  par 
P.  J.  Proudhon;  note  additionnelle  VII. 
Anantas,   Serpent  de  la  mythologie 

hindoue,  286. 
Angol;  explication  de  ce  nom,  266. 
Angdrbodi,  femme  de  Loki,  285. 
Anténor  ,  considéré  comme  le  père  des 

Danes,  28. 
Anthropogonie  mythique,  13,  193. 
Aphrodite  veut  racheter  Adonis  du 

Hadès,  328. 
Apia,  déesse  de  la  terre  chez  les  Scy- 
thes, 189.  —  Mèrede  Targitavus, 


père  des  Scythes,  193.  —  Épouse 
de  Tivus,  300. 

Apokatastase,  renaissance  et  rétablis- 
sement des  choses,  13. 

Apollodôros;  son  ouvrage  sur  les 
dieux,  60. 

Arbre-des-Ages  (Kalpa-droumas)  de 
la  mythologie  hindoue,  225. 

Arbre-de-Mimi  de  la  mythologie  Scan- 
dinave, 226. 

Arbre-de-Sagesse,  ou  arbre  de  science 
de  la  mythologie  hindoue,  223. 

Arbres  métamorphosés  en  hommes, 
194. 

Archaïque.  —  Noms  archaïques  dans 
les  historiens,  25,  26. 

Ardjounas,  demi -dieu  hindou;  son 
épée  merveilleuse,  257. 

Ari  le  Savant,  contemporain  de  Sæ- 
mund  le  Savant,  30. 

Arposkaïs,  demi-dieu  scythe,  fils  de 
Targitavus,  193. 

Artinpaza  ,  déesse  scythe ,  surnommée 
Kvâlia,  283. 

Arvan  (Coursier),  épithète  hindoue  du 
soleil,  205. 

Arvernes,  se  disent  issus  des  Troyens, 
27. 

AsEs;  explication  de  ce  nom,  244.  — 
D'après  Snorri,  les  Ases  originaires 
de  TAsie,  43.  —  Ont  régné  à  By- 
zance,  44.  —  Ont  quitté  TAsie  du 
temps  de  Pompée,  46. 

Asie;  explication  de  ce  nom,  43. 

AsKR  (Frêne),  le  premier  homme,  164. 

AsTRAïos,  fils  du  Soleil,  274. 

AsYNiEs;  explication  de  ce  nom,  244. 

Atli;  explication  de  ce  nom,  169. 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


853 


Attilas;  explication  de  ce  nom,  159, 
208. 

Attiques;  Nuits  attiques,  titre  d'ou- 
vrage, 7Í. 

AuDHUMLA ,  la  vache  primitive  ;  origine 
et  nom  de  cette  vache,  181. 

AuKHATEs,  Scythes  issus  de  Hleipo- 
skaïs,  278. 


Bains-de-Bassin  (Kerlaugar)  mytholo- 
giques, 212. 

Bakouï,  géographe  arabe,  note  VI. 

Balthds,  nom  du  soleil,  201. 

BXldïgj  explication  de  ce  nom  du  so- 
leil, 258. 

Balddr,  le  soleil  d'été,  259.  —  Ex- 
plication de  ce  nom,  258.  —  Fils 
d'Odinn  et  de  Frigg,  259.  —  Meurt 
à  la  fleur  de  l'âge,  259.  —  Sourcil- 
de-Baldur,  nom  d'une  plante,  259. 

Banc-du-Sdbmergé,  nom  du  manoir  de 
Saga,  290. 

Baraques  d'Ol  af;  leur  destination,  318. 

Barbe-Pendante  et 

Barbe-Velue,  noms  épithétiques  d'O- 
dinn,  248. 

Barons;  explication  de  ce  terme,  306. 

Barres,  espèce  de  patins  des  Finnes 
patineurs,  263. 

Basiant  de  Constantinople,  démon  ma- 
gicien, 57. 

Beli,  frère  de  Gerdur,  tué  par  Freyr, 
303. 

Bellerophôn;  explication  de  ce  nom, 
282. 

Bendis,  nom  grec  de  la  déesse  des 
Thrakogètes,  206. 

Benfey,  Pantcha-iantra,  236. 

Beowulf;  explication  de  ce  nom,  159, 
208. 

Berekdnthos  (Domaine  de  Berekun), 
252. 

Berbschit,  titre  du  livre  de  la  Genèse, 
71. 

Bergelmir,  petit-fils  d'Ymir,  187.  — 
Souche  de  la  seconde  race  des 
Thurses-Givreux ,  188. 


Berserkir;  explication  de  ce  nom,  329. 

BtFLÎDi,  et 

BiFLiNDi,  noms  épithétiques  d'Odinn, 
161. 

BiL,  fille  de  Yidfinn,  204. 

BiLETSTA  OU  Beystla;  signification  de 
ce  nom  de  géante,  185. 

Bil-skirnir;  explication  de  ce  nom,  254. 

BiRON  (Byron);  signification  de  ce  nom, 
159. 

Blâinn,  nom  épithétique  d'Ymir,  176. 

Blanc,  synonyme  de  saint,  237. 

Bleu-au-Large ,  séjour  céleste,  241. 

Bocage -DE -Mer  (Sælundr),  ancien 
nom  de  nie  de  Séeland,  140. 

BoG  (dieu);  signification  de  ce  nom 
slave,  214. 

Bois-de-Fer,  forêt  mythologique  ha- 
bitée par  des  géantes,  210. 

Bois-des-Thermes  où  est  couché  Loki, 
334. 

BoK  (livre)  ;  origine  de  ce  terme  nor- 
rain,  73. 

BöLTHORN,  père  de  la  géante  Beystla, 
185. 

Bonne -Sainte -Vermine,  à  Poitiers, 
286. 

BoRNHOLM  pour  Borgundarholm  (île  des 
Burgondes),  140. 

Borysthènes;  explication  de  ce  nom, 
301. 

BöR,  père  d'Odinn,  183.  —  Explica- 
tion de  ce  nom,  184. 

Bossuet;  son  point  de  vue  historique 
étroit,  note  I. 

Bouclier;  noms  poétiques  employés 
par  les  Skaldes  pour  le  désigner, 
147. 

Boucs  attelés  au  char  de  Thôr,  256. 

BovNE  HoïE,  hauteurs  où  les  Danois 
allumaient  les  signaux,  289. 

Bragi;  explication  de  ce  nom,  272.  — 
Dédoublement  du  dieu  du  soleil  et 
dieu  de  la  poésie,  272.  —  Fils  d'O- 
dinn  et  de  Gunnhlöd,  273.  —  En- 
tretiens de  Bragi  (Bragarœdur) , 
titre  d'un  ouvrage  inachevé  de 
Snorri,  30. 


354 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


Beagi  le  Vieux,  un  des  plus  anciens 
skaldes  du  Nord,  142.  —  Des  vers 
de  Bragi  cités  par  Snorri,  143. 
Brillant,  nom  d'un  séjour  céleste, 

241. 
Brille-resserbée,  cataracte  mytholo- 
gique, 333. 

Brimir,  nom  épithétique  dTmir,  176. 

Brise-Giel,  nom  symbolique  des  gla- 
çons primitifs,  327. 

Brise-Enceinte,  mère  de  Lance-Sabot, 
298. 

Brisinga-men,  Bijou  des  Fils  de  Brisi, 
294. 

Brock  ,  dverg  qui  a  fabriqué  le  Meunier 
de  Thôr,  257. 

Brdt,  considéré  comme  le  fondateur 
de  la  ville  de  Tours  et  comme  père 
des  Bretons,  28. 

Bucher-flottant  de  Baldur,  329. 

Burgcnd;  explication  de  ce  nom,  253. 

BûRi,  souche  des  Thurses- Givreux 
adoucis,  182.  —  Formation  lente 
de  Bûri,  183. 

Bdrnodf,  sa  traduction  du  Bhagavat- 
Pouranam ,  1 50.  —  Explication  du 
nom  de  Burnouf,  309. 

Bdtte-de-Hoddmimir,  331. 

Bdtte-de-Svarin,  223. 

Buveur,  nom  épithétique  du  soleil, 
252,  286. 

Byleist,  frère  de  Loki,  285. 

Byrgir,  propriétaire  de  la  fontaine 
dans  la  lune,  204. 

C. 

Calamité-tombante  ,  nom  de  la  herse 

du  Séjour  de  Hel,  287. 
Catastrophes  physiques,  conséquences 

du  désordre  moral,  336. 
Gatéchétique;  la  forme  catéchétique 

dans  renseignement  religieux,  60. 
Cattle,  mot  anglais  du  latin  capitale, 

144. 
Ceinture-de-force  de  Thôr,  257. 
Cerf-du-Soleil;  sa  signification,  206. 
Cerfs;  leur  signification  mythologique, 

236. 


Cerquand.  Son  mémoire  sur  les  Har- 

pyes,  235. 
Ghamp-aux  -Sources,  résidence  d'Idunn, 
273. 

Chair-salée  de  Troyes;  sa  significa- 
tion, 286. 

Ghapeau-rabattu  ,  nom  épithétique 
d'Odinn,  248. 

Gharos,  le  génie  de  la  Mort,  324. 

Chauffée;  rivière  du  Feu-flambant  de 
r arc-en-ciel ,  211. 

Chaumine-aux-portes  ;  explication  de 
ce  nom,  240. 

Ghaumine-de-Vali5  explication  de  ce 
nom,  240. 

Chekend-goumani  (  Destruction  du 
Doute);  titre  d'une  dissertation  phi- 
losophique en  pehievi,  72. 

Cheval-céleste  ,  Tancienne  hypostase 
du  soleil,  206.  —  Symbole  de  la 
Nature  dans  le  Yadjour-Vêda,  225. 

Ghevaucheuses-de-nuit  ,  magiciennes 
mythologiques,  210. 

Chevaux  sacrifiés  au  dieu  Soleil ,  205. 

Chevelure  non  coupée,  signe  de  li- 
berté, 293. 

CnoisiT-LEs-Occis  ;  traduction  du  nom 

•    de  Yalkyries,  299. 

Chrotta  (hirondelle),  instrument  à 
corde,  272. 

Chrysodonte  (Dent  d'or)  ;  nom  épithé- 
tique deHeimdall,  276. 

CicÉiioN  emploie  la  forme  dialoguée 
dans  quelques  écrits  philosophiques, 
60. 

Clôtureur,  traduction  du  nom  de  Loki, 
328. 

Codex  regius,  le  plus  ancien  manuscrit 
derEddadeSœmundàlabibliothèque 
royale  de  Copenhague,  41. 

COLONNES-DU-CHEMIN-EN-FACE,  150. 

Commerces;  nom  descompotationsdes 
étudiants  allemands,  322. 

CoMORiN  ;  explication  de  ce  nom,  note  YI. 

Conte  populaire,  rabaisse  les  faits  de 
la  tradition  mythologique  et  épique, 
317. 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


355 


Conseillères  -  dd  -  sanctuaire    (  Alhi- 

rûnas)  chez  les  Gètes,  231  ;  298. 
CoNTiENT-LES-siÉGEs;  0001  de  la  salle 

deFreyia,  268. 
CoaioN  (Jean)  ;  son  Chronicon ,  note  I. 

CoRNK-coDRBÉE  ;  nom  du  navire  de 
Baldur,  329. 

Corne  de  Giöll  ;  nom  du  cor  de  Heini- 
dall,  229. 

CoRNE-DE -punition  dans  les  compota- 
tions  des  Normands,  322. 

Cosmogonie;  partie  intégrante  de  la 
Mythologie,  168. 

Couleur;  nom  de  dverg;  sa  significa- 
tion mythologique,  330. 

Course;  lutte  à  la  course  dans  l'anti- 
quité, 322. 

Coudras  ;  caste  inférieure  née  des 
pieds  de  Brahmas,  180. 

Crépuscule  -  des  -Grandeurs  ;  explica- 
tion de  ce  nom,  335. 

Crin -GIVREUX  ;  nom  du  cheval  qui 
traîne  le  char  de  la  Nuit,  201. 

Crin  -  LUISANT  ;  nom  du  cheval  qui 
traîne  le  char  du  jour,  201. 

Croque-dent  ;  nom  de  Tun  des  boucs 
de  Thôr,  266. 

Cure  (Eir);  nom  de  la  servante  de 
Freyia,  291. 

Cygne;  signification"  mythologique  du 
cygne  ;  explication  du  nom  de  cygne, 
238. 


D. 


DÂ  ou  Dé  (aïeule),  278. 

DAgr  fils  de  Delling,  200.  —  Explica- 
tion de  ce  nom,  194. 

Dakchas,  né  de  la  main  droite  de 
Brahmas,  180. 

Daktulos;  pourquoi  ce  nom  signifie 
Nain,  318. 

DÂ-MATER  ou  Dé-mèter,  aïcule-mère , 
300. 

Danes  ,  considérés  comme  issus  d'An- 
ténor,  28. 

Daniel,  vision  des  quatre  empires, 
note  I. 


Danemark;  explication  de  ce  nom 
66. 

Danse  de  cimetière  ou  Danse  des 
Morts,  325. 

Danse  macabre  ;  explication  de  ce 
terme,  325. 

Dégouttant  ,  nom  de  Tanneau  de  Bal- 
dur,  330. 

Delling  ,  nom  du  troisième  époux  de 
Nott,  200. 

Dè-méter;  explication  de  ce  nom, 
158. 

Dent-courbe -meurtrière;  nom  épi- 
thétique  du  vçrrat  de  Freyr,  331. 

Derbikkai;  explication  du  nom  de  ce 
peuple  scythe,  194. 

Devineresses;  leurs  caractère  et  attri» 
butions  dans  le  Nord,  67. 

Dialogue;  origine  de  la  forme  dialo- 
guée,  52.  —  Cette  forme  passe  des 
ouvrages  épiques  dans  les  ouvrages 
philosophiques,  59.  —  Le  dialogue 
dans  les  Sentences  de  Khong-fou- 
tsö  et  les  Entretiens  de  Meng-tsö, 
59.  —  Dialogue  rapporté  diflérent 
du  dialogue  dramatique ,  70. 

Dieu-donné;  nom  du  cor  du  demi-dieu 
Ardjounas,  229. 

Dieux,  adorés  à  cause  de  la  puissance 
surhumaine  qu'on  leur  attribue)68. 
—  Dieux  transformés  en  Démons, 
18, 

DioNUSios  de  Milet;  son  explication 

des  mythes,  16. 
Disposition  primordiale  (orlog),  nom 

du  Destin,  232. 

Dits  de    Grimnir,  249.   —   Dits  de 

Sublime,   342.  —  Dits  de  Vaf- 

thrudnir ,  69. 

Divin;  le  chef  de  district  (hêrads  höf- 

dingi)  en  Islande  était  aussi  Divin 

(godi)  ou  administrateur  des  affaires 

religieuses  et  ecclésiastiques,  29. 

Divinités;  les  plus  anciennes  étaient 

originairement  zoomorphes,  204. 
Djagad-bakchakas      (Mangeur     du 
Monde);  nom  épithétique  de  Çivas, 
174. 


356 


RÉPERTOmE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


Dœmi-saga  (Récit-Exemple);  nom  dé- 
signant Tapologue,  la  fable  et  le 
mythe,  76. 

Dragon  de  Saint-Bienheuré  à  Ven- 
dôme, 286. 

Dragon  de  Saint-Marcel  à  Paris,  286. 

DuRiNN;  nom  du  second  chef  des 
Dvergs,  220. 

DuzH-AK  ;  génie  du  Mal  chez  les  Perses, 
174;  234. 

Dvergs;  génies  de  la  mythologie  Scan- 
dinave, 218.  —  Leur  origine,  220. 
—  Les  quatre  Dvergs  aux  quatre 
coins  du  ciel,  190. 


Echidna;  explication  de  ce  nom,  228, 
301.  ~  Echidna  substituée  à  la 
déesse  Scythe  Apia,  193. 

EccLEsiA  IN  DNDis  {Wasser-Kirchc)  ^ 
211. 

Échauffée  ;  nom  de  la  rivière  du  Feu- 
Flambant  de  Tarc-en-ciel,  211. 

Edda;  explication  de  ce  nom,  158.  — 
Edda  de  Snorri^  1.  —  Recueil  ap- 
pelé Edda,  39;  73.  —  Règles  de 
TEdda ,  pour  dire  préceptes  de  poé- 
sie, 40.  —  Art  de  TEdda,  pour 
dire  art  poétique,  40.  —  Edda, 
nom  inconnu  à  Sæmund  et  à  Snorri, 
41.  —  Edda  de  Sæmund,  recueil 
formé  au  commencement  du  qua- 


torzième  siècle,  41. 


Edda  de 


Snorri,  recueil  formé  avant  le  re- 
cueil de  TEdda  de  Sæmund,  41. 

EiDECHSE  (lézard);  explication  de  ce 
nom  allemand ,  note  IX. 

EiKTHYRNiR,  ccrf  mythologiquc  ;  ex- 
plication de  ce  nom ,  1 7 1  ;  311. 

BiNHERiAR  (Troupiers-uniques)  d'Odinn 
164. 

Eirikr;  explication  de  ce  nom,  274. 

Eldcr  (feu);  explication  de  ce  nom, 
173. 

Eliudnir  ;  nom  de  la  salle  de  Hel ,  287. 

Elivagar;  explication  de  ce  nom  ,171. 

Embla  (Orme)  ;  nom  de  la  femme  pri- 


Encadrement  littéraire  dans  la  poé- 
sie épique  et  le  Mahâbhârata,  62;  — 
dans  les  ouvrages  didactiques,  63; 

—  dans  THitaupadaiças ,  63;  — 
dans  le  Décamérone  de  Boccacio, 
63;  —  dans  les  poèmes  de  TEdda, 
64.  —  Origine  de  Tencadrement  du 
Gylfaginning,  65. 

Enclos-des-Ases  ;  Tancien  Enclos-des- 
Ases  d'après  Snorri,  196. 

Enclos-mitoyen,  sa  situation,  192. 

Enea;  nom  archaïque  de  l'Europe  ;  — 
explication  de  ce  nom,  28. 

Enhardi;  nom  du  père  de  Frais-de- 
Souffle,  243. 

Énigme,  employée  dans  les  joutes  scien- 
tifiques, 53;  —  est  une  forme  litté- 
raire usitée,  58. 

Épine-assoupissante;  nom  d'une  ba- 
guette magique ,  328. 

Ermun-ddr;  explication  de  ce  nom, 
194. 

Eschatologie  ;  fait  partie  de  la  Mytho- 
logie, 13. 

Ésotériqde;  enseignement  ésotérique 
d'Aristotelès ,  60. 

Espèces,  leur  prétendue  immutabilité, 
178. 

Établissement  ;  synonyme  de  Loi , 
230. 

Ethnogonie  des  Scythes,  193. 

Étincelant;  nom  de  la  résidence  de 
Forseti,  239;  284. 

Étranglant  ;  nom  du  lien  magique  en- 
chaînant Fenrir,  289. 

Europe  ;  appelée  Enea,  28. 

Évadné;  explication  de  ce  nom,  301. 
«—  Monte  au  bûcher  de  son  mari 
Kapanéus,  330. 

Evhéméros  ;  auteur  du  système  evhé- 
méristeen  Mythologie,  16.  —  Evhé- 
mérisme  des  Pères  de  TÉglise,  17, 

—  Evhémérisme  chez  les  peuples 
germaniques,  18. 

Examinatoire;  forme  examinatoire  dans 

renseignement,  60. 
Exoine;  explication  de  rorigine  de  ce 

nom,  297. 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


^7 


ExoTÉRiQCE  ;  l'enseignement  exotérique 
d'Aristotelès,  60. 


Fauguni  (montagne);  rapport  de  ce 
mot  gote  avec  le  dieu  Fiörgynn, 
253. 

Fabbauti;  nom  du  père  de  Loki,  285. 

Fascinateur-solaire;  nom  épithétique 
du  Serpent  de  TEnclos-mitoyen , 
286. 

Fascination  de  Gclfi  ;  ce  qui  a  donné 
ridée  de  composer  ce  traité  de  My- 
thologie, 30.  —  Snorri  est  fauteur 
de  ce  traité,  31.  —  Preuves  intrin- 
sèques et  extrinsèques ,  32.  —  Si- 
gnification et  raison  de  ce  titre  ,71. 

—  But  plutôt  scientifique  que  lit- 
téraire de  Snorri  en  composant  ce 
traité,  49. 

FaisAHTs  (épreuve  d'attention);  nom 

gote  pour  désigner  Ténigme  et  la 

parabole,  75. 
Fatigant -DE -Souffrance  ;   nom  du 

seuil  de  la  porte  d'entrée  du  Séjour 

deHel,287. 
Fadnds;  explication  de  ce  nom,  256. 
Favonids;  explication  de  ce  nom,  256. 
Femme;  désignation  skaldique    de  la 

femme ,  note  additionnelle  VU. 
Femmes-Fantômes  (Tröllkonur),  210. 
Femmes-Yictimaires,  chez  les  Scythes 

et  leurs  descendants,  298. 
Femmes-de-yision  (Spâkonur)  chez  les 

Scandinaves,  231. 
Fenrir;  explication  de  ce  nom,  288. 

—  Loup  mythologique,  fils  de  Loki 
et  d'Angurbodi,  288.  —  Enchaîné 
par  les  Ases,  288. 

Ferté-Géleste  ;  situation  de  cet  En- 
clos des  Ases,  192. 

Feu;  ancienneté  du  feu  d'après  le 
mythe,  173. 

Feu-flambant  (Vafurlogi),  211. 

Fiançailles  de  Freyr  et  de  Gerdur, 
304. 

Figuier-db-Cheval  ,  arbre  de  la  my- 
thologie hindoue,  223. 


Fils  adoptifs  d'Odinn;  nom  épithétique 

des  Troupiers-uniques,  306. 
Fimbul;  explication  de  ce  nom,  302. 

—  Fleuve  mythologique,  172. 
Fimbdl-Yetr  (Terrible  Hiver) ,  211. 
FiNNEs,  appelés  Merveilleux  (Tchoud) 

et  Magiciens  (Tchoukhonsi)  par  les 

Slaves,  68. 
FiNNEs  Patineurs  (Skridfinnar),  263. 
FioNiE  ;  explication  de  ce  nom ,  66. 
Fiölnir;  nom  épithétique  d'Odinn,  161. 
Fiörgynn;   signification  de  ce  nom, 

245;  250. 
Flèches  ;  symboles  des  rayons  solaires, 

278. 
Foen;  explication  de  ce  nom  usité  en 

Suisse,  256. 

Fontaine-de-Sagesse  ;  origine  de  ce 
mythe,  228. 

Force  d'Ase,  257. 

Forêt-aux-fecilles-épées  ;  de  la  my- 
thologie hindoue  ,210. 

Forniotr  ;  explication  de  ce  nom ,  303  ; 

—  personnage  mythologique  cor- 
respondant au  dieu  slave  Porenut 
et  au  dieu  scythe  Vrintus. 

FoRSETi,  fils  de  Baldur;  explication  de 
ce  nom,  284. 

Franco,  prétendu  fils  de  Hektor  et 
fondateur  des  Francs,  28. 

Frank;  explication  de  ce  nom,  266. 
Voy.  Note  additionnelle  XL 

Frauía  (Seigneur);  explication  de  ce 
nom  gote,  265. 

Fravashi  (âme);  explication  de  ce  nom 
zend,  217. 

Freki  ;  nom  d'un  des  loups  d'Odinn,  308. 

Fbekclf;  explication  de  ce  nom  pro- 
pre, 309. 

Frères  d'armes; cérémonie  symbolique 
pour  devenir  frères  d'armes,  note  XII. 

Freyia;  origine  de  ce  nom,  267.  — 
Comparée  à  Vénus,  267.  —  Substi- 
tuée à  Frigg,  293.  —  Freyia-aux- 
belles-larmes ,  331. 

Frigg  ;  explication  de  ce  nom,  197; 
250.  —  Épouse  d'Odinn,  290. 


358 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


Frimas-de-feu;  explication  de  ce  nom 
mythologique,  307. 

Frimas-d'haleine;  explication  de  ce 
nom  mythologique,  307. 

Frimas-de-mer  ;  explication  de  ce  nom 
mythologique,  307. 

Frisahts;  explication  de  ce  terme  de 
la  langue  gote,  58.     •      '<"''i- 

Frôdi,  l'un  des  rois  succesééur's'á'O- 
dinn,  45.  —  Paix  de  i^drfr rap- 
prochée par  Snorri  du  règne  d'Au- 
guste, 46. 

Fdlla,  déesse  de  TAbondance,  332. 
—  Dédoublement  de  la  déesse  Frigg, 
292. 


Gaïsos;  explication  de  ce  nom,   270. 
Gajoko  (similitude)  ;  explication  de  ce 

nom  gote,  75..     '  ' 
Gangleri  (Piétorirtëut) ,  nom  que  prend 
Gulfi  dans  La /öícmaí/owrfe  Guîfi,  69. 
Gangrâdu  (Pourvoit-au-voyage)  ;  nom 

épithétiqued'Odinn,  69. 

Gantelets-de-fer  du  dieu  Thôr,  257. 

Garbhas  (matrice), rapproché  de  Grab 

(tombeau),  note  additionnelle  à  la 

page  341. 

Garcin  de  Tassy  :  les  auteurs  hindous- 

lanis et  leurs  ouvrages,  etc.  Note  III. 

Gargouille  de  Saint-Romain  à  Rouen, 

286. 
Gebleistis;  nom  épithétique  de  Skal- 

moskis,  284.  '^"^  ^''  "' 

Gefion  (prononcez  Gâfion)  ;  ^dédoùbie- 
ment  de  Freyia,  291.  —  Explica- 
tion de  ce  nom,  291.  —  Épouse  de 
Skiöldr,  292.  —  Déesse  adorée  en 
Fionie,  67  5  —  adorée  dans  Sæ- 
lund,  141. 
Gefn  (abîme);  nom  épithétique  de 
Freyia,  294.  ■—  Déesse  des  Svies 
et  des  Gautes,  140. 
Oeirahod  Valkyrie;  explication  de  ce 

nom ,  300. 
Gelmerbach;  rivière  en  Suisse,  171. 
Gelonos  ;  nom  substitué  par  les  Scy- 


Iho- Grecs  à  celui   de  Kolaskaïs, 
193.  — Explication  de  ce  nom,  282. 

Génération;  y  a-t-il  une  génération 
spontanée  possible?  178;  179. 

Gerce-Peau:  nom  du  père  de  Lance- 
Sabot,  298. 

Gerdur;  nom  de  la  sœur  deBeli,  304. 

Geri;  nom  d'un  des  loups  d'Odino, 
308. 

Ghata-Karparam  {Cruche  brisée), 
poëme  idyllique  dialogué,  composé 
par  Ghata  Karparas ,  72. 

Gilbertil;  nom  d'un  géant  magicien 
suédois,  289. 

Gimli;  nom  d'une  demeure  céleste; 
n'est  pas  identique  avec  Yingoif,  1 64. 

GiNNUNGAGAP  (  Bâillement  des  Mâ- 
choires); explication  de  ée'npm, 
169;  190.  -  '  '■';  ''■"''' 

Giöll;  nom  d'un  fleuve  mythologique, 

172.  ":'^'-' 

Glacial;  état  glaciai  de  notre  planète, 

176. 
Glaciers,  beaucoup    plus  nombreux 
sur  notre  planète  dans  les  temps 
primitifs,  176;  177. 
Glén;  nom  du  Gancé  de  Soi;  signiflca- 

tion  de  ce  nom,  203. 
Gnâ;  explication  de  ce  nom,  297. 
Grâgâs  (Oie  grise);  explication  de  ce 
titre  du  plus  ancien  code  de  lois  des 
Islandais,  73. 
Grande-Gueule  ,  dragon   à  Poitiers, 

286. 
Grand* Ville  (Mikligard);  nom  donné 
par  les  Normands  à  Byzance   ou 
Constantinople ,  44. 
Grégoire  ,  surnommé  Père-de»la-Joie  ; 
son  histoire  abrégée  des  Dynasties, 
25. 
Grimm;  ses  Rechtsalterthûmer.  Note 

additionnelle  à  la  page  341. 
Grince-J)ent  ;  nom  de  l'un  des  boucs 

du  Dieu  Thôr,  256. 
Grouille,  dragon  à  Metz,  286. 
Gulfi;  roi  de  la  Marche  finne,  139; 
—   sa  généalogie  mythique ,  1 39. 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


359 


GuLFi,  interlocuteur  dans  La  Fascina- 
tion de  Gulfi,  66. 

GuNNHLöD  ;  nom  de  la  Gardienne  iot« 
nique  de  l'hydromel  sacré,  290. 

Gdndthrâ;  nom  d'un  fleuve  mytholo- 
gique, 172. 

Gygh;  signification  de  ce  nom,  210. 

Gymir  ;  nom  du  père  de  Beli  et  de  Ger- 
dur,  303. 


I 


Hakon;  explication  de  ce  nom,  266. 
Halle-des-Occis  ;  sa  forme  extérieure, 
d'après  Snorri,  146.  —  Son  éléva- 
tion, 147.  — Pourquoi  elle  a  la  forme 
d'une  rotonde,  146.  —  Pourquoi 
appelée  For  t-de- Bouclier  s  ^  146. — 
L'intérieur  de  la  Halle,  d'après 
Snorri,  148.  —  Les  allées  de  la 
Halle,  d'après  Snorri,  149.  —  Ses 
portes  ensorcelées,  150. 
Hallinskidi  ,  nom  épilhétique  de Heim- 

dall,  275. 
Hin  (Sublime),  dieu  snpréme,  152. 
Harslygi  (Mensonge  de  Sublime)  ;  autre 
titre  de  Lsl  Fascination  de  Guîfi,  74. 
HÂsYARNAYA  (Mer  du  Rire),  titre  d'une 
comédie  atlribuée  à  Kâlidâsas,  72. 
Hati,  le   loup  iotnique,   ennemi  de 
Mârii,  207.   —  Explication  de  ce 
nom,  209.  —  S'empare  de  Mâni, 
338. 
Hacpt,  Vnlersuchungen  zur  deut- 
schen  Sage;  voir  Note  additionnelle 
à  la  page  185. 
Heacme-dc-Cocyrant  (Hulins  hialmr), 

espèce  de  nimbus,  248. 
Heft-Kolsoum  (Océan  septuple),  titre 
du  dictionnaire  persan  imprimé  en 

1822, 72.  .,"■  •^';;; 

HkidrCne,  chèvre  qui  donné  son  lait 
aux  Troupiers-uniques ,  309. 

Heimdallr;  explication  de  ce  nom,, 
194;  275.  —  Dieu  de  l'aube,  275.' 
—  Fils  de  neuf  vierges,  275.  — 
Dieu  du  commencement  des  choses, 


276.  —  Dieu  de  la  génération,  277. 

—  Portier  des  Ases,  277. 
Heimskringla  (Cercle  du  monde),  titre 

d'un  ouvrage  historique  de  Snorri, 

28;  74.  —  Ouvrage  composé  par 

Snorri   après   La   Fascination   de 

Gulfi,  33-35. 
Hel;  origine  et  explication  de  ce  nom, 

268;  287.— Fille  de  Loki  et  d'Aur 

gurbodi,  288. 
Helblindi,  nom  du  frère  de  Loki,  285 
Hercyniennes  (Montagnes)  ;  explication 

de  ce  nom,  254.  —  Consacrées  à 

Herkunus,  302. 
Herder;  une  de  ses  idées,  336. 
Herfiötcr  Valkyrie;  explication  de  ce 

nom,  300. 
Herkdna;  explication  de  ce  nom ,  253. 
Herkunes  est  identique  à  Hercules, 

251.  .i>  <n;;=  viiv^s  ;>'u--iii 

Heiikcnos  est  identique  avec  Perkaws, 

252. 
Hermôdr,  fils  d'Odinn,  328.  —  Va  k 

Hell,331. 
Heruan    (  Herian  ) ,    nom   épithétique 

d'Odinn,  159. 
Hesses,  ancêtres  desHessois;  expli- 
cation de  ce  nom,  281. 
Hexen  (Sorcières);  origine  de  ce  mot 

allemand,  210. 
HiLDiR  Valkyrie  ;   explication   de  ce 

nom,  300. 
Histoire;    disposition     naturelle    et 
scientifique  des  matériaux  de  l'his- 
toire, 47.  —  Philosophie  de  l'his- 
toire, note  additionnelle  L  —  His- 
toire des  quatre  Monarchies. 
HiTADPADAiçAs    (  Enseignement    salu- 
taire); titre  d'un  recueil  de  senten- 
ces morales  et  de  fables,  72. 
HiDKi,  nom  du  frère  de  Bil,  204. 
Hiver  de  l'étourdissement  ,  autre  nom 

du  Terrible-Hiver  ^  338. 
Hleiposkaïs,  fils  de  Targilavus,  193. 

—  Explication  de  ce  nom,  278. 
Hj-În   protège  les  hommes  de  Frigg, 
300.  —  Explication  de  ce  nom  ,297. 


RÉPERTOIRE   GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE, 


360 

Hlöck  Yalkyrie  ;  explication  de  ce  nom , 
300. 

Hlôddrr;  explication  de  ce  nom,  185. 

Hlôdynn  (Amie  du  Foyer),  nom  épi- 
thétique  de  lord,  302. 

Hnikar  (ou  Nikar)  ;  explication  de  ce 
nom,  160. 

Hnikudr,  nom  épithétique  d'Odinn, 
160. 

HöDDR,  dieu  du  combat,  280.  —  Il 
est  aveugle,  281.  —  Instrument 
aveugle  de  la  méchanceté  de  Loki, 
328.  —  Est  tué  par  son  frère  Vâli , 
284. 

Hoenir;  explication  de  ce  nom  d'Âse, 
185. 

Homme  ;  désignation  skaldique  de 
rhomme ,  note  additionnelle  VU. 

Hommes,  fils  de  la  terre,  note  addi- 
tionnelle à  la  page  341. 

Hörn;  explication  de  ce  nom  épithé- 
tique de  Freyia ,  293. 

Hræsvelg,  aigle  mythologique;  expli- 
cation de  ce  nom,  242. 

Hrid,  nom  d'un  fleuve  mythologique, 
172. 

Hrimthcrses    ou  Thurses  -  Givreux , 

166. 
Hring-mimir;  explication  de  ce  nom, 

344. 
HuisT  Yalkyrie;  explication  de  ce  nom, 

299. 

Hrôdolf  (Loup  du  combat);  explica- 
tion de  ce  nom  ,209. 

Hrôd-Vitnir  (Présage  de  dévastation)  ; 
explication  de  ce  nom,  209. 

HuGiNN,  nom  d'un  des  corbeaux  d'O- 
dinn,  309. 

HoMBOLDT  (Alex.).  Son  examen  critique 
de  rhistoire  de  la  géographie  du 
Nouveau  Continent,  note  addition- 
nelle VI. 

HuNANG  (miel);  explication  de  ce  nom 
germanique,  159. 

HuNGRTAKA  (Excite-appétit) ;  explica- 
tion de  ce  titre  d'une  biographie 
des  cinq  premiers  évoques  de  Skal- 
holt,  73. 


HvERA-LUND  (Bois-des-Thcrmcs) ,  338. 

Hyergelmir;  explication  de  ce  nom 
mythologique,  170. 

HviTASKALD  (Skalde  blond),  auteur  pré- 
sumé du  Prologue  et  de  l'Épilogue 
de  TEdda  de  Snorri,  28. 

Hydra  ;  sa  signification  mythologique , 
286. 

Hymir,  personnification  de  l'Océan, 
327.  —  Chant  d'Hyynir,  poëme  de 
TEdda,  326.  —  Strophe  citée  de  ce 
poëme,  342. 

Hyndla,  nom  d'une  magicienne,  210. 

Hyrrokin,  nom  d'une  géante,  329. 


Iafnhâr  (Equi-Sublime),  nom  d'une 
des  trois  divinités  suprêmes,  152. 

Ialgr,  nom  épithétique  d'Odinn,  162. 

Iarl  (Comte);  origine  de  ce  terme, 
184;  306. 

Ibn  Tofeïli,  géographe  arabe,  note  VI. 

Idéaux  des  choses  placés  au  ciel, 
312,  313. 

Iddnn;  explication  de  ce  nom,  273.— 
Épouse  de  Bragi,  273.  —  Fille  d'I- 
vald,  274.  —  Enlevée  par  Thiassi, 
274.  —  Tombe  de  l'Arbre-de-Vie, 
274. 

Ile-de-feuillage,  lieu  de  rendez-vous 
de  Freyr  et  de  Gerdur,  306. 

Insinuant  ,  lien  magique  fabriqué  pour 
lier  Fenrir,  288. 

lôN,  père  adoptif  de  Snorri,  possède 
une  belle  collection  de  manuscrits 
provenant  de  son  aïeul  Sæmund, 
30. 

löRD  (Terre);  explication  de  ce  nom, 
301.  —  Fille  d'Onar  et  de  Nott, 
200.  —Épouse  d'Odinn,  197. 

loTNEs;  explication  de  ce  nom,  167. 

Iring;  explication  de  ce  nom,  194,274. 

Irmin  confondu  avec  Iring,  194.  — 
Explication  de  ce  nom,  274. 

Itanturscs,  nom  d'un  roi  scylhe,  208. 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


361 


Janet.  Essai  sur  la  Dialectique  de  Pla- 
ton, 59. 

Jeu,  occupation  caractéristique  de  Ten- 
fance,  214. 

Jeu-de-tables,  214. 

Joute  à  qui  boirait  le  plus,  322.  —  A 
qui  mangerait  le  plus  vite,  322.  — 
Origine  des  joutes  scientifiques,  53 , 
54.  —  Joute  scientifique  à  outrance 
chez  les  Hindous ,  54.  —  Joute  scien- 
tifique à  mort  entre  Vafthrudnir  et 
Odinn,  54-55.  —  Histoire  d'une 
joute  de  science  racontée  pour  ren- 
dre plus  intéressant  Tencadrement 
littéraire  d'un  ouvrage,  64.  —Jou- 
tes de  science  où  les  questions  sont 
présentées  sous  forme  d'énigme  pour 
rendre  Tencadrement  littéraire  plus 
dramatique,  65. 

Justification  juridique  représentée 
symboliquement  comme  un  renou- 
vellement ou  une  renaissance;  note 
Xn  additionnelle  à  la  page  341. 

K. 

Kaleva  ,  dieu  des  Finnes ,  devint  Gulfi 
chez  les  Svèdes,  139. 

KAmaduh,  vache  merveilleuse  de  la 
mythologie  hindoue,  181. 

Kamous  (Océan) ,  titre  du  dictionnaire 
arabe  composé  par  Medjd-eddin-Mo- 
hammed,  72;  note  additionnelle  VI. 

Kâtha-sarit-sâgara  (Mer  des  fleuves 
du  récit) ,  titre  d'un  recueil  de  con- 
tes composé  par  Saumadaivas ,  72. 

Katuares;  les  mêmes  que  les  Katiaroi 
des  Grecs  et  les  Cotieri  des  Latins , 
180. 

Katus  (Combat) ,  nom  épilhétiqued'Ar- 
voskaïs,  280. 

Kat-tdzé  (Chats-Esprits) ,  génies  zoo- 
morphes  des  peuples  celtiques,  268. 

KcHATRYAs,  né  dcs  bras  deBrahmas, 
•180. 

Keraunos  (Foudre);  rapport  de  ce  nom 
avec  celui  de  Perkunas,  252. 


Kerberos;  explication  de  ce  nom,  211. 

Klingsor,  poëte-magicien,  entre  dans 
la  Tenson  ou  lutte  poétique  des 
Minnesinger  à  la  Wartbourg,  57. 

KoLASKAïs ,  nom  d'un  fils  de  Targitavus, 
193.  —  Explication  de  ce  nom,  282. 

KoNUNGs-sKUGGiA  (Miroir  royal),  titre 
d'un  recueil  du  genre  encyclopédi- 
que en  langue  islandaise,  73. 

KoRAKoi,  nom. grec  desKvarkes,  218. 

KoTTos  ;  signification  de  ce  nom,  324. 

Kralèi  Todrkias  (Prince  de  Turquie), 
mots  gravés  en  caractères  grecs  sur 
la  couronne  de  Hongrie,  25. 

Kraulla,  dragon  à  Reiras,  286. 

Kroníen,  Océan  Kronien  (mer  conge- 
lée), 189. 

KvARKEs  (Nains)  chez  les  Scythes  et 
les  Gètes,  217.  —  Explication  de  ce 
nom,  218. 


Ladt;  explication  de  ce  mot  anglais, 
268. 

Laks  (Saumon);  explication  de  ce  nom, 
333. 

Lamentation  ,  nom  d'une  rivière  for- 
mée par  la  bave  vomie  par  Fenrir, 
289. 

Lance-Sabot,  nom  du  cheval  de  Gnâ, 
298. 

Langage  orné.  Connaissance  du  lan- 
gage orné,  traité  renfermé  dans 
TEdda  de  Snorri,  40. 

Langage  poétique  (Skaldskaparmâl), 
ouvrage  inachevé  de  Snorri,  31. 

Larmes  d'oiv;  leur  signification  symbo- 
lique, 293. 

Large-Éclat  ,  nom  du  séjour  du  dieu 
Baldur,  239. 

Laufey,  nom  de  la  mère  de  Loki,  285. 

Lacsafê  (propriétés  meubles),  330. 

Leiptur,  nom  d'un  fleuve  mythologi- 
que, 172. 

Lérad,  arbre  merveilleux;  sa  signifi- 
cation mythologique,  310. 

Liens  (Bond),  nom   symbolique  des 
dieux  conservaieurs,  248. 
U 


362  RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 

LopARR,  nom  du  père  de  la  seconde 

race  des  Dvergs,  22  Í. 
LoFN  ;"] explication  de  ce  nom  ,  295. 
LoGOGRAPHEs  ;  diffèrent  des  Mythogra- 

phes,  16. 


Lois-de-Manou  ;  un  çlôka  cité,  342. 
LoKAPÂLÂs  (Gardes -Mondes),  génies 
de  la  mythologie  hindoue,  190. 

LoKi;  explication  de  ce  nom  ,285.  — 
Changé  en  saumon,  333.  —  Pour- 
suivi par  les  Ases,  334.  — Pris  par 
les  Ases,  332. 

LoKi  DE  l'Enclos-extérieur,  319. 

LoPTR,  nom  épilhétique  de  Loki,  285. 

LoRD^  explication  de  ce  mot  anglais, 
265,  306. 

Loup-GARoo  dans  les  traditions  des 
Slaves,  232. 

Lune,  comment  devenue  une  divinité 
masculine,  201. 

Lune  frontale,  expression  skaldique, 
synonyme  de  œil,  143. 

Lune  nouvelle,  appelée  abaissement 
(nid)  en  norrain. 


Mælar;  ce  lac  substitué  dans  la  tradi- 
tion au  lac  Vænir,  142. 
Magie,  considérée  comme  science  et 

art,  144. 
Macni,  nom  d'un  fils  d'Odinn,  régnant 

après  le  Crépuscule-des-Grandeurs , 

340. 
Maison;  orientée  chez  les  ancêtres  des 

Germains,  149.  —  Elle  a  un  cow- 

loir  (golf)  ou  chemin-en-face  (önd- 

vegi),  150. 
Makrokosme  (monde  en  grand);  son 

analogie  avec  le  Mikrokosme  (monde 

en  petit),  188. 
MAl  (Dit);  différence  entre  le  mal  et  le 

sögulioth  (chant  de  tradition),  75. 
Mana-Garmr  (Hurleur  de  Máni),  211. 
Mâni,  le  dieu  Lune,  191. 
Margiane,  contrée  vitifère,  308. 
Marteau  du  dieu  Thôr;  signification 

symbolique  de  cet  instrument,  256. 


MasadAs   (Beaucoup -Sachant),  nom 

épithétique  du  dieu  Thami,  302. 
Massénie;   explication    de  ce  terme 

vieux  français,  306. 
Massoudi  Khotb-eddin  ,  historien  géo- 
graphe arabe; note  additionnelle  YI. 
Matière;  la  matière  primitive  consi- 
dérée comme  morte  ou  glacée ,  170, 
174.  —  Matière  synonyme  de  pus, 
17Í. 
Matinal,  nom  de  Tun  des  chevaux  de 

Soi,  203. 
Mauha-Moudagaras  (Pilon  de  Tigno- 
rance) ,  titre  d'un  ouvrage  de  mo- 
rale de  Sankaras  Atcharyas,  72. 
Maurer  ,   auteur    des    Islandischen 

Volhs-Sagen  der  Gegenioart,  42. 
Meghadouta  (iXuage Messager),  poëine 

de  Kâlidâsas,  72. 
Menglöd,  nom  épithétique  de  Freyia, 

291. 
Mer,  appelée  poétiquement  ^cnftcr c?e 

Rœfil,  149. 
Mer-de-foie  et  Mer  -  aux  -  Poumons , 

189. 
Métamorphose  magique  admise  en  My- 
thologie, 180. 
Meunier  (Miölnir),  nom  du  marteau  de 

Thôr,  257. 
Miel  :  la  tombée  de  miel  de  TArbre-de- 


MiKRoKosME  (Monde  en  petit);  son  ana- 
logie avec  le  Makrokosme,  188. 

MiLÈsiAKA  ;  titre  d'un  recueil  de  con- 
tes, 71. 

Mimir;  signification  de  ce  nom,  229. 
—  La  Fontaine  de  Mimir,  229. 

MiNG  -  sing  -  PAO  -  KiEN  (Précicux  miroir 
pour  éclairer  l'esprit),  titre  d'un 
dictionnaire  d'extraits  d'auteurs  chi- 
nois, 72. 

Miödvitnir;  explication  de  ce  nom, 
159. 

Miroir  magique  de  Gratien  et  de  Kling- 


MisT  Yalkyrie  : 
299. 


explication  de  ce  nom, 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


363 


MöBics;   son  Edda  Sæmundar,   etc.; 

note  additionnelle  IX. 
Modes  de  versification;  Énuméra- 
Uon  des  Modes  (  Hatta  tâl  )  ou  Clef 
des  Modes  (Hatta  lykill) ,  titre  d'un 
ouvrage  de  Snorri,  31. 
MÔDi ,  Tun  des  fils  d'Odinn,  régnant 
après  le  Crépuscule-des-Grandeurs, 
340. 
MoDsoGNiR.  premier  chef  des  Dvergs, 
•     220. 
Monde;  le  monde,  d'après  la  Mytholo- 
gie, existe  avant  le  Créateur,  165. 
Mondes;  les  trois  mondes  supérieurs 
et  les  (rois  mondes  inférieurs  d'a- 
près la  Mythologie  Scandinave,  226. 
Monts  -  de  -  Tonnerre  consacrés   au 

dieu  Fiörgynn,  302. 
MoRiMARusA  (Mer  Morte),  nom  celti- 
que, 189. 
Mou-des-Tempétes,  nom  de  Taide  de 

Vieux-Aigle,  235. 
Mrikchakatika  (Chariot  de  glaise) ,  ti- 
tre d'un  drame  sanscrit,  71. 
Mdllenhoff  ;  ses  Nordalbingische  Stu- 

dien;  note  additionnelle  V. 
Mundilfari,  père  de  Mâni  et  de  SOI,  202. 
Muninn,  nom  de  Tun  des   corbeaux 

d'Odinn,  309. 
Mdspelheimr;  signification  de  ce  nom, 

170. 
Mdspell;  explication  de  ce  nom,  174, 

175. 
Mystère  ;  une  des  causes  pourquoi  on 
tient  au  mystère,  à  Tobscurité,  à 
l'énigme,  58. 
Mythologie;  ses  rapports  avec  la  re- 
ligion, 3.  —  Objet  de  foi,  14.  — 
Ordre  de  formation  des  parties  de 
la  Mythologie,  168.  —  La  méthode 
à  suivre  dans  l'exposé  de  la  Mytho- 
logie consiste  à  suivre  l'ordre  chro- 
nologique de  la  formation  et  du  dé- 
veloppement des  mythes,  48. 
Mythologie  Scandinave  ,  doit  se  com- 
pléter par  celle  des  Gètes  et  des 
Scythes,  5  ;  —  considérée  comme  le 


récit  de  l'histoire  de  la  guerre  et  du 
sac  de  Troie,  29;  —  est,  d'après 
Snorri  orthodoxe,  une  histoire  men- 
songère à  dessein,  46;  —  consi- 
dérée ,  par  Snorri  evhémériste , 
comme  une  grande  Saga  de  préten- 
dus faits  historiques,  48. 
Mythographes  ,  différents  desLogogra- 
phes,  16. 

N. 

Naglfar,  navire  construit  dans  Niflhel, 

165. 
Naglfari,  épouse  de  Nôtt  (Nuit),  199. 
NAl,  autre  nom  de  Laufey,  mère  de 

Loki,  285. 
Nalacdayas   (Splendeur  de   Nalas), 

poëme  épique  de  Kâlidâsas,  72. 
Nanna,  nom  de  l'épouse  de  Baldur, 

330. 
Napès  ,  fils  de  Skuta  et  père  des  Na- 

pies,  194;  279. 
Napres,  passent  pour  des  loups-garous, 

208. 
NÀ-sTRENDR  (Rivage  -  aux  -  Cadavres), 

endroit  dans  Niflhel,  165. 
Neck  ;  explication  du  nom  de  ce  génie, 

160. 
Neckar;  explication  du  nom  de  cette 

rivière,  160. 
Neffölr  (Bec-Jaune) ,  nom  épithétique 

du  dragon  Kidhögg,  165. 
Nerthcs  ;  origine  et  signification  de  ce 

nom,  262. 
}ficHÂDÂs  (Crépusculaires),  génies  de 

la  mythologie  hindoue,  220. 
NicHus ,  génie  de  la  mythologie  germa- 
nique, 160. 
NicKoR  (Cheval  marin);  explication  de 

ce  nom  anglo-saxon,  160. 
Nidhôgg;   ne   séjourne  pas   dans   le 

Bassin -Bruyant,   228;   —   ronge 

l'une  des   racines  de   l'Arbre-de- 

Vie,  235. 
Niflheimr;  explication  de  ce  nom, 

170. 


mi 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


NiGARisTAN  (Galerie  des  images),  re- 
cueil persan  de  contes  moraux  et 
allégoriques,  73. 

NiKDz,  nom  épithétique  d'Odinn;  ex- 
plication de  ce  nom,  160. 

NioRDCR,  héritier  de  Yrindus  et  de 
Hagunis,  261.  —  AttFibutions  de 
Niördur,  261.  —  Surnommé  le 
riche,  262.  —  Comparé  à  Saturne, 
262. 

Nix,  génie  femelle  de  la  légende  alle- 
mande, 161. 

Nocher,  personnage  météorologique. 
Enclos-de-lSocher ,  nom  du  séjour 
de  Niördr,  262. 

NoiRci-DE-PEiNE  ;  lac  renfermant  File 
où  Fenrir  est  enchaîné,  289. 

Nom;  le  nom  primitif  d'une  divinité  en 
est  primitivement  le  nom  unique, 
10.  —  Origine  des  noms  propres  et 
des  noms  épithétiques  des  divinités, 
156-157. 

Nonnes  ;  origine  et  signification  de  ce 
terme,  299. 

NoRNEs;  origine  de  leur  nom  et  de 
leurs  attributions,  232-234. 

Nöuvi,  signification  de  ce  nom,  198. 

—  Fils  de  Loki  et  de  Sigyn,  285. 
NÔTT  (Nuit),  fille  de  Nörvi,  198.  — 

Épouse  de  Naglfari  et  de  Onar,  199. 

Ndages  formés  de  Tencéphale  d'Ymir, 
192. 

Nykr;  explication  de  ce  mot,  160.  — 
Le  dérivé  verbal  Nykra  avec  le  par- 
ticipe passif  Nykrat,  160. 

O. 

Odinn;  signification  de  ce  nom,  245. 

—  Son  rapport  avec  Othr  (Vent), 
242.  —  Ses  noms  épithétiques, 
246.  — A  douze  noms,  selon  Snorri, 
158.  —  Dieu  conservateur,  d'après 
Snorri,  163;  —  est  borgne;  pour- 
quoi, 229;  —  sous  forme  d'aigle, 
235;  —  a  façonné,  non  créé  le 
monde,  163;  —  n'a  pas  créé 
Thomme,   163.   —  Les  différents 


établissements  d'Odinn  dans  le  Nord, 
d'après  Snorri,  65.  —  Odinn  établi 
à  Odinsey  (Odensö),  66.  —  Odinn 
réputé  d'origine  troyenne  et  roi  des 
Troyens,  27.  —  Supposé  d'origine 
thrâke  et  roi  des  Thrâkes,  21.  — 
Sa  résidence  à  Byzance,  23.  — 
Odinn  supposé  d'origine  turke  et 
roi  des  Turks,  23. 

Odrærir  (Remue-l'Esprit),  nom  du 
breuvage  d'enthousiasme,  273.        , 

Ö  (île)  ;  explication  de  ce  mot  suédois, 
301. 

OEgir;  explication  de  ce  nom,  302. 

Okéanos;  explication  de  ce  nom,  303. 

Olafr,  surnommé  le Skalde blond,  au- 
teur d'un  traité  intitulé:  Fondement 
de  la  Grammaire  ^  40. 

Olafr,  fils  de  Thordr  et  neveu  de 
Snorri,  hérite  des  manuscrits  de 
son  oncle,  38. 

Olifant  (Ivoire),  nom  du  cor  deRuod- 
land,  229. 

Omi,  nom  épithétique  d'Odinn,  161. 

Onar,  époux  de  Nôtt,  199. 

ÖRB0DA,  nom  de  la  femme  de  Gymir, 
303. 

Ôrgelmir,  nom  épithétique  d'Ymir, 
176. 

Oorlog  (guerre);  explication  de  ce  mot 
hollandais,  298. 

OsKi,  nom  épithétique  d'Odinn  ,  161. 

Oskmegir,  nom  épithétique  des  Trou- 
piers-uniques, fils  adoptifs  d'O- 
dinn, 164. 

Othr;  il  est  remplacé  dans  la  mytho- 
logie Scandinave  par  Odinn,  185. 

Other,  voyageur  anglo-saxon  vers  870; 
sa  relation  de  voyage,  263. 

Outrk  ;  moyen  de  sauvetage  dans  les 
naufrages,  188. 


Padreim,  nom  donné  par  les  Normands 
ikV hippodrome  à  Gonstantinople,  44. 

Pæan  ;  explication  de  ce  nom,  256. 

Pakus  (Vénérable),  nom  épithétique  du 
dieu  soleil  Targitavus,  201. 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


365 


Palingénésie  ,  rénovation  de  la  créa- 
tion, 13. 

pALos,  identique  au  slave  Yolos,  au 
germain  Vols,  193. 

Pandore;  signification  allégorique  de  sa 
boîte,  337. 

Papa;  explication  de  ce  nom,  158. 

Papaïus  (aïeul),  nom  épithétique  de 
Tivus  (Ciel),  193;  explication  de  ce 
nom,  159. 

Papis  (Buveur),  épithète  du  Soleil, 
note  X. 

Parabole;  différence  entre  la  para- 
bole et  l'apologue,  75. 

Paralates,  issus  de  Targitavus;  ex- 
plication de  ce  nom,  282. 

Pardjanias  correspond  au  Kimro- 
thrâke  Herkunes,  251. 

Parom;  rapport  de  ce  nom  avec  le 
nom  grec  Keraunos,  252. 

Parvatâdhârà  (Porte-Montagnes),  nom 
épithétique  de  la  Terre,  302. 

Pater  (père);  explication  de  ce  mot, 
159. 

Paul  le  Diacre,  fils  de  Warnfrid;  son 
ouvrage  :  Gestes  des  Langobardes,  2  2 . 

Pelouses  d'assemblée  (Folkvangar) , 
nom  de  la  résidence  de  Freyia,  268. 

Père-des-Occis,  nom  épithétique  d'O- 
dinn ,  247. 

Perkunas,  identique  à  Herkunes,  252. 

Pin-marin  (Mar-döll),  nom  épithétique 
de  Freyia,  294. 

PiTARÂs  (Pères),  génies  protecteurs  des 
familles  chez  les  Hindous,  217. 

Place  d'honneur;  où  est  la  place 
d'honneur,  152. 

Plaine  d'Idi  (IdavöUr);  explication  de 
ce  nom,  213.  —  Après  le  Crépus- 
cule-des-Grandeurs ,  340. 

Plaines-de-Tempête  (loru-vellir) ,  ha- 
bitation des  Dvergs,  221. 

Poëmes  eddiques;  quels  sont  les  an- 
ciens poèmes  connus  deSnorri,  42. 

Poésie;  confondue  avec  la  science, 
50,  51.  —  Différence  entre  la  poé- 
sie, l'éloquence  et  la  science,  49,  50. 


Poésie  didactique;   caractère  de  ce 

•    genre  de  poésie,  51. 

Poésies  des  skaldes  ,  considérées 
comme  sources  historiques ,  33. 

PoËTEs  employés  comme  orateurs  et 
ambassadeurs,  273. 

Polemos  (guerre),  explication  de  ce 
terme,  245. 

Pommes  d'or,  gardées  par  Idunn,  274. 

PoNT-D'AsE(As-brû),  211. 

Porte-crible  (Seidberendr),  note  YUI. 

Portier  prestidigitateur  de  la  Halle- 
des-Occis,  d'après  Snorri,  149. 

PoucHPAKA,  char  merveilleux  auto- 
mate du  dieu  Kouvéras,  315. 

Pouranâs;  signification  de  ce  mot, 
68.  —  Légendes  des  Hindous,  342. 

PouRoucHAs;  explication  de  ce  mot 
hindou,  217. 

Pravia,  nom  épithétique  de  la  déesse 
Artinpâza,  266. 

Pravus  (Seigneur),  nom  épithétique  du 
dieu  Soleil,  201. 

Pravys,  dieu  slave  correspondant  à 
Freyr,  265. 

Prés-d'humidité  (Aurvangar),  habita- 
tion des  Dvergs,  221. 

Priam  s'établit  en  France,  selon  Gré- 
goire de  Tours,  27. 

Protège  -  cadavre  (Hræborg),  nom 
donné  au  tertre  tumulaire  des  chefs 
normands,  147. 

Proudhon,  traducteur  d'une  ode  d'A- 
nacréon,  note  VU. 

Proverbes  de  Salomon;  strophe  citée, 
342. 

Prst  (doigt) ,  signifie  aussi  nain ,  pou- 


cet,  318. 


Q. 


Questionnaire;  forme  employée  dans 
La  Fascination  de  Gulfi,  61. 

R. 

Radgrid  Valkyrie;  explication  de  ce 

nom ,  300. 
Rafraîchissant,  nom  du  bouclier  du 

char  de  SOI,  257. 
RAn;  explication  de  ce  nom,  304. 


366 


Randgrid  Valkyrie;  explication  de  ce 
nom,  300. 

Ratatöskr;  explication  de  ce  nom, 
note  IX. 

Réconciliation;  représentée  symboli- 
quement comme  une  renaissance, 
note  additionnelle  à  la  page  341. 

RÉFRIGÉRANT  (fcr)  placé  entre  Ics  épau- 
les des  chevaux  de  Sôl,  257. 

Refugks  Napoléon,  318. 

Reginleif  Valkyrie;  explication  de  ce 
nom,  300. 

Religion  positive  et  religion  naturelle, 
3.  —  Origine  de  la  religion,  3.  — 
Transformations  de  la  religion,  4. 
—  La  religion  de  Tlntuition,  7  ;  — 
ses  caractères  distinctifs,  10.  —  La 
religion  de  la  Raison,  11;  —  ses 
caractères  distinctifs,  12.  —  La  re- 
ligion de  rintelligence,  14;  —  ses 
caractères  distinctifs,  15.  —  Déve- 
loppement interne  des  religions  na- 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 

Rune;  origine  et  signification  de  ce 
terme,  58. 

S. 

Sabméen,  synonyme  de  Finne,  139. 

Saga,  nom  de  la  muse  de  Thistoire, 
290. 

Sægr,  nom  du  seau  attaché  à  la  perche 
Simul,  264. 

Sælönd  (Pays-de-mer),  nom  donné  à 
Tancien  Sælund  (Bocage -de -mer), 
140. 

Sæmdnd  le  Savant,  laisse  une  collec- 
tion de  manuscrits,  30. 

Saint-Graal;  origine  et  signification 
des  romans  du  Saint-Graal,  229. 

Salière  poétique,  titre  de  l'édition 
complète  des  œuvres  du  poète  per- 
san Cheikh  Moslih  Eddîn  Saadi,  73. 

Salles-d'écdme  (Fensalir),  nom  de  la 
résidence  de  Frigg,  250. 

Samsey;  explication  de  ce  nom,  303. 

Saxon  le  Savant  (Grammaticus)  ;  son 
evhémérisme,  18. 

Savoir,  synonyme,  dans  quelques  lan- 
gues, de  pouvoir,  53.  —  Le  savoir, 
une  force  dans  les  joutes  scientifi- 
ques, 57,  58. 

Scandinaves;  leur  parenté  imaginaire 
avec  les  Troyens,  28. 

Scandinavie;  origine  et  explication  de 
ce  nom,  140. 

Scanie  (Skâney),  nom  dérivé  de  celui 
de  Scandinavia,  140. 

ScHWiNGEN,  signifie  aussi  lutter  corps 


Renaissance  symbolique  de  Thomme, 
note  Xn. 

Renaissance  de  la  terre  après  le  Cré- 
puscule-des-Grandeurs,  339. 

Répétitoire;  forme  répétitoire  dans 
l'enseignement  catéchétique,  60.- 

Restauration  du  ciel  après  le  Crépus- 
cule-des-Grandeurs,  340. 

Retentissante,  nom  d'une  rivière  de 
Hel,  332. 

Rîgr;  explication  de  ce  nom,  194;  274. 

Rinda;  rapport  de  ce  nom  avec  celui 
de  VrinduSj  262. 

Roches-célestes  (Himinbiörg),  nom 
du  séjour  de  Heimdall,  211  ;  240. 

Rois-de-mer  chez  les  peuples  Scandi- 
naves, 139. 

RoLp  LE  Marchedr  (Göngu-Rolf)  ;  ex- 
plication de  ce  nom,  225;  254. 

RösKVA,  nom  de  la  sœur  de  Thialfi, 
316. 

Rousse-des-Alfes  (Alfrödull),  nom 
épithétiquc  de  Sôl,  341. 

Rocx-de-l'abîme,  expression  skaldi- 
que  pour  désigner  l'or,  143. 


à  corps,  324. 

Science,  ne  repose  pas  sur  l'autorité 
personnelle,  61.  —  Science  basée 
sur  l'autorité  personnelle  chez  les 
Arabes,  les  Hindous,  etc.,  62;  — 
est  essentiellement  impersonnelle, 
52;  —  ne  saurait  devenir  légitime- 
ment un  avantage  exclusivement 
personnel,  53;  —  la  science  théo- 
rique et  la  science  pratique,  53. 

ScYTHiA,  appelée  Cythia  par  les  éru- 
dits  normands,  44.  —  La  Grande- 
Scythie  ou  la  Grande-Svède,  d'après 
Snorri,  45. 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


367 


Séeland;  origine  de  ce  nom,  mythe 
géologique  et  hiératique  sur  le  Sée- 
land, 140. 

Secret;  pourquoi  la  science  ou  une 
doctrine  est  tenue  secrète,  58. 

SÉJouR-DE-BRuissEMENT(Thrymheimr), 
nom  de  la  résidence  de  Niördr  et  de 
Skadi,  264. 

SÉJOUR-DES-I0TNES5  sa  situation,  192. 

SÉMiRAMis,  surnommée  Zamis,  302. 

Septénaire;  division  septénaire  adop- 
tée pour  les  vents.  —  Multiplication 
septénaire  dans  7X77,  255. 

Serpent-de-mer;  sa  légende,  287. 

Serpents  dd  Bassin-Bruyant,  235. 

Serrant  ,  nom  du  lien  magique  qui  lie 
Fenrir,  289. 

Sif;  explication  de  ce  nom,  295. 

SiGtiRLAMi,  roi  de  Gardariki,  140. 

SiGYN,  nom  de  réponse  de  Loki,  285. 

SiMUL ,  nom  de  la  perche  à  laquelle  est 
suspendu  le  seau  Sægr,  204. 

SiNDRi,  nom  d'un  des  fils  d'Ivald,  257. 

Siöfn;  explication  de  ce  nom,  295. 

Skadi;  explication  de  ce  nom,  263;  — 
fait  dégoutter  du  venin  sur  la  figure 
de  Loki,  335. 

Skaïs,  mot  Scythe,  synonyme  de  des- 
tructeur ou  héros,  277. 

Skaldes;   origine   de  ce  nom,   voy. 


Note  II; 


chantent,  comme  les 


aoèdes  des  Grecs  et  les  Bairdd  des 
Keltes,  les  actions  dont  ils  ont  été 
témoins,  30.  —  Les  skaldes  Thio- 
dolf  áe  Hven  et  Hornklofi,  35.  — 
Skaldatâl  (Énumération  des  skal- 
des), ouvrage  servant  de  complé- 
ment au  Skaldskaparmâl  (Langage 
skaldique)  et  au  Hâttatâl  (Énumé- 
ration des  modes),  39. 

Skaldique;  langage  skaldique  (Skalds- 
kaparmâl), note  additionnelle  VII. 

Skalmoskis,  nom  épithétique  du  dieu 
Soleil,  201;  —  explication  de  ce 
nom,  278. 

Skeggiölld,  Yalkyrie;  explication  de 
ce  nom,  300. 


Skidbladnir,  nom  du  navire  de  Freyr, 

315. 
Skie-loebers   (Coureurs  sur  patin), 

dans  Tarmée  en  Norwége,  264. 
Skiöldr,  dieu  des  Svîes  et  des  Gautes, 

140. 
Skirnir,  nom  du  serviteur  de  Freyr, 

305. 
Skögdl  Valkyrie;    explication  de  ce 

nom,  300. 
Skoll,  loup  iotnique  poursuivant  SOI, 

207;  —  s'empare  de  Soi,  338.  — 

Explication  du  nom,  209. 
Skotaris,  nom  épithétique  du  dieu  So- 
leil, 201;  —  les  Grecs  rappellent 

Toksaris,  278. 
Skrymir;  explication  de  ce  nom,  317. 
Skdld,  nom  de  la  plus  jeune  des  Nor- 

nés,  299. 
Skcta,  fils  de  Targilavus,  279. 
Skdthés,  nom  grec  de  Skuta  ou  Skuli 

ou  Skulot,  193. 
Sleidanus,  auteur  d'un  abrégé  d'his- 
toire universelle,  voy.  Note  I. 
Sleipnir,  nom  du  cheval  d'Odinn,  314. 
Sliddr,  nom  d'un  fleuve  mythologique, 

172. 
Smyl,  nom  de  spectres  marins,  331. 
Snorri  ,   fils  de    Sturla ,    auteur  du 

Heimskringia  (Cercle  du  Monde),  28. 

—  Vie,  éducation  et  ouvrages  de 
Snorri,  29;  —  paraît  avoir  ignoré 
rexistence  des  Troyens,  28,  37,  38. 
~  Formation  de  son  système  histo- 
rico-mythologique,  41  ;  —  son  Ev- 
hémérisme,  43;  —  place  Fancien 
Enclos  des  Àses  dans  la  Grande- 
Scythie,  45;  —  expose  les  mythes 
dans  leur  succession  présumée  his- 
torique et  chronologique,  47,  48; 

—  ne  connaît  pas  le  sens  symbo- 
lique des  mythes,  47,  48. 

Snotra,  nom  d'une  déesse,  spéciali- 
sation de  Freyia,  297. 

Socratique;  procédé  socratique  dans 
renseignement,  60. 

Soies-d'or,  nom  du  verrat  de  Freyr, 
308,  331. 


368 


RÉPEHTOIRE   GÉNP:RALr  ALPHABÉTIQUE. 


SÔL,  la  déesse  Soleil,  191;  —  le 
soleil  devient  une  divinité  féminine, 
201  ;  —  SOI,  fiancée  de  Glèn,  203; 

—  ses  deux  chevaux,  203  ;  —  rem- 
placée par  sa  fille  dans  le  Monde 
renouvelé,  341. 

SouFFLE-Doux,  uoffl  du  pèrc  d'Été,  243. 
Specdlum  majus  (Grand  Miroir),  titre 

de    TEncyclopédie    de  Vincent  de 

Beauvais,  73.' 
SpÎse  (manger) ,  nom  donné  au  fromage 

par  le  chaletier  suisse,  310. 
SucHi  (sec) ,  nom  du  mois  de  Mars  dans 

Tancien  slave,  167. 
SuFi  (boisson),  nom  donné  au  lait  caillé 

par  le  chaletier  suisse ,  310. 
SuND  (transnatation)  5  explication  de  ce 

nom,  140. 
Sdpebnacle,  ou  rubis  sur  Tongle,  323. 
Sdperstition;  origine  de  ce  terme,  15. 

Superstition  odinienne  répandue  en 

Suède,  343. 
Sdrtdr,  chef  du  Séjour-du-feu ,  173; 

—  représentant  du  Monde  igné,  2  8 8  ; 

—  apparaît  à  la  fin  du  Monde,  339. 
Syadilfari,  cheval  mythologique;  ex- 
plication de  ce  nom,  314. 

SviAToviT,  nom  slave  épithétique  du 

soleil,  252. 
SviDRiB,  nom  épithétique  d'Odinn,  162. 
SviDUR,  nom  épithétique  d'Odinn,  161. 
Svî-THiÔD  (Peuple-SYÎ) ,  peuple-souche 

des  Svèdes,  139. 
SvÎes,  les  ancêtres  des  Svèdes ,  140. 
SvöL,  nom  d'un  fleuve  mythologique, 

172. 
Stlgur,  nom  d'un  fleuve  mythologi- 
que, 172. 
Stn  asynie;   explication  de  ce  nom, 

296. 
Syr  (Truie),  nojm  épithétique  de  Freyia, 

293. 
Systèmes  mythico-historiques  des  éru- 

dits  et  chroniqueurs  du  moyen  âge , 

19. 


Table  de  saint  Olap,  214. 

Tacitdrne,  nom  épithétique  de  TAse 
Yidâr,  279. 

Tarasque,  dragon  à  Tarascon,  286. 

Targe,  arme  distinctive  des  chefs  et 
princes,  278. 

Targitavds,  dieu  -  héros,    père  des 
Scythes,  193. 

Tata  (Aïeule),  correspond  au  norrain 
Edda,  193. 

Taviti  ,  déesse  du  foyer  chez  les  Scy- 
thes, 294. 

Tavitvarus  (Garde-Peuple),  nom  épi- 
thétique du  dieu  Soleil,  201 ,  252. 

Techné,  signifie  chez  les  Grecs  à  la 
fois  art  et  science,  53. 

Temples,  entourés  de  fossés  comme 
des  forteresses,  211. 

Terk,  fils  de  Jâfet  et  père  des  Turcs 
et  des  Gentils,  26. 

Terre,  rapport  supposé  entre  la  terre 
et  la  chair,  188. 

Tervo  (Arbre),  fils  de  Targitavus,  194. 

Tête;  signification  mythologique  et 
symbolique  de  la  tète,  276. 

Tête-Noire  ,  nom  du  père  des  Porte- 
cribles,  208. 

Thambos  (Étourdissement);  explication 
de  ce  terme,  302. 

TiiAMi  (Océan);  explication  de  ce  nom, 
302. 

Thami-masadas  (Océan  beaucoup-sa- 
chant),  dieu  de  l'Océan  chez  les 
Scythes,  189. 

Thamyris;  explication  de  ce  nom,  302. 

Thialfi,  frère  de  Röskva;  explication 
de  ce  nom,  316. 

Thiassi,  nom  du  père  de  l'Iotne  Idi,  213. 

Thiôd;  explication  de  ce  nom,  294. 

Thiodolf DE HviN,  skalde norrain,  148. 

Thökt  ;  explication  de  ce  nom  de 
géante,  332. 

Thôr;  explication  de  ce  nom,  253;  — 
fils  de  Terre,  253;  —  substitué  à 
Fiörgynn,  253;  —  ennemi  du  Ser- 
pent de    TEnclos   mitoyen,    286, 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


369 


326;  —  cause  do  jusant,  323  ;  — 
considéré  comme  identique  à  Tror 
le  Troyen,  29. 

Thôr-au-Chab;  explication  de  ce  nom 
épithétique,  254. 

TeoRBiöRN .  surnommé  Pourfendeur  de 
Cornes ,  skalde  de  Haralld ,  beau  de 
cheveux,  147,  148. 

Thorrodr  ,  surnommé  le  Maître-ès- 
runes ,  compose  un  traité  sur  Tal- 
phabet  vers  1160. 

TflRiDi  (Troisième) ,  Tun  des  trois  Ases 
suprêmes;  explication  de  ce  nom, 
152. 

Thruddr  Yalkyrie;  explication  de  ce 
nom,  300. 

TnRDDGELMiR,  souchc  dcs  Thurscs- 
Givreux,  180. 

Thdl,  nom  d'un  fleuve  mythologique, 
172. 

Thdre;  signification  de  ce  nom  nor- 
mand-français, 253. 

Thuring;  ce  nom  changé  en  Turk  ou 
Durk,  23;  —  explication  de  ce  nom, 
194. 

Thorold;  explication  de  ce  nom  nor- 
mand-français, 253. 

Thurses;  explication  de  ce  nom,  209. 

Thurses-Giyreux  (Hrim-thursar);  les 
trois  générations  des  Thurses-Gi- 
vreux,  186.  —  Les  Thurses-Givreux 
de  la  première  race  détruits,  187. 

TiBERis,  fils  de  Neptune;  explication 
de  ce  nom,  302. 

TÎRÂs,  d'après  la  Genèse,  fils  de  lâfet, 
23. 

TiRDiNKAi,  appelés  par  les  Grecs  Der- 
binkai,  et  par  les  Latins,  Dervicæ; 
origine  et  signification  de  ce  nom,  23. 

TiTANOGONiE,  fait  partie  de  la  Mytho- 
logie, 168. 

TiTDS  LiviDs  ;  son  point  de  vue  histo- 
rique, 20. 

Tivus  (Ciel),  le  dieu  suprême  des  Scy- 
thes, 155;  —  surnommé  Pappalus 
(Aïeul),  269;  —  Père  de  Targita- 
vus,  193. 


Todtenbacm;  exphcation.de  ce  terme 
allemand,  329. 

Tombe  ;  considérée  comme  une  seconde 
matrice,  301. 

ToMi;  explication  de  ce  nom  scythe 
302. 

TopiEN,  nom  slave  d'un  démon  de 
eaux,  294. 

Toujours-Étincelant,  nom  de  lahau 
teur  sur  laquelle  se  trouve  le  rocher 
auquel  Fenrir  est  attaché,  289. 

Tout-alerte,  nom  de  Tun  des  che- 
vaux de  Soi,  203. 

Traduction;  la  première  qualité  d'une 
traduction  est  d'être  exacte  et  fidèle, 
77. 

Tbaduire  un  ouvrage  ne  suffit  pas  en- 
core pour  l'expliquer,  1. 

Traïlôkya-darpanas  (Miroir des  Trois- 
Mondes),  titre  d'un  ouvrage  sanscrit 
sur  la  mythologie  hindoue,  72. 

Transport-de-clin  (Svipfar);  ce  qu'il 
est,  145. 

Transport-instantané  (Svipför)  dan- 
les  traditions  norraines,  69. 

Trépas,  personnifié,  327. 

Trinaires;  les  Dieux  trinaires  Vathans 
(Odinn),  Chaguneis  (Hoenir)  et  Chlo- 
durs  (Hlodurr);  ou  Odinn,  Freyr  et 
Thôr,  ou  Hâr  (Sublime),  lafnhar 
(Equi-Sublime)  et  Thridi  (Troisième), 
151,  152. 

Tros  ou  Tror,  fils  deMemnon,  le  gen- 
dre de  Priam,  est  considéré  comme 
le  père  des  rois  Scandinaves,  28. 

Trocpiers-uniques  (Einheriar);  expli- 
cation de  ce  nom,  306. 

Trotens,  prétendus  pères  de  plusieurs 
nations  en  Europe,  27. 

Tdrc;  origine  et  signification  de  ce 
nom,  24. 

Tdrciling,  nom  substitué  à  celui  de 
Thuring,  26. 

Turquie,  pays  des  Turcs  situé,  d'après 
Snorri,  à  l'est  de  Constantinople , 
44.  —  Odinn  est,  d'après  Snorri, 
roi  de  Turquie ,  44.  —  Turquie  et 


870 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


Thrace    confondues    par    certains 

chroniqueurs,  27, 
Tdscdlanes  de  Cicéron  ;  explication  de 

ce  titre,  71. 
Typhon  5  explication  de  ce  nom,  286. 
Tyr,  originairement  le  dieu  Ciel  (Ti- 

vus),  245,  269 5  —  Tadversaire  de 

Fenrir,  271. 
Tyr-des-Cargaisons  (Farma-tyr),  nom 

épithétique  d'Odinn,  247. 
Tyrrébes,  Pélasges,  habitants  de  la 

Tursabia,  43. 

U. 

Ullur;  explication  de  ce  nom,  282;  — 
surnommé  TAse  à  la  chasse ,  à  Tare, 
aux  barres,  et  au  bouclier,  282. 

Utgardr  (Enceinte  extérieure),  con- 
fondu avec  le  Séjour  des  Thurses- 
Givreux,  180. 


Vadjan  (Cheval),  épithête  du  soleil 
dans  la  mythologie  hindoue,  205. 

Vaékereta  ;  explication  de  ce  nom 
zend,  339. 

Vænih;  formation  mythico-géologique 
du  lac  Vænir,  140. 

Vaiçyas  ,  né  des  cuisses  de  firahmas , 
180. 

Vaitu-Skdrus  (Prompt  à  la  Chasse); 
nom  épithétique  du  dieu  Soleil  chez 
les  Scythes,  201. 

Valaskialf;  nom  de  Thabitation  de 
Vali,  284. 

Vali,  fils  d'Odinn  et  de  Rindur;  expli- 
cation de  ce  nom,  284. 

Vali,  fils  de  Loki,  335. 

Valkyries  ;  explication  de  ce  nom,  299. 

Vayikrâ;  signification  et  raison  de  ce 
titre  duLévitique,  71. 

VÉ,  nom  du  frère  d'Odinn,  186. 

Venétes  ,  se  disent  issus  des  Troyens, 
27. 

Venin  vivifiant;  nom  donné  par  Snorri 
à  la  matière  primitive,  171. 

Verrat;  nom  épithétique  du  dieu  So- 
leil, 274. 


Vid;  nom  d'un  fleuve  mythologique, 
172. 

Vidar;  explication  de  ce  nom,  279; 
fils  d'Odinn  et  de  Gridur,  279;  — 
vainqueur  du  loup  Fenrir,  279;  — 
son  soulier  de  fer,  280;  —  suc- 
cesseur d'Odinn,  280. 

Vidfinn;  nom  du  père  des  enfants 
qu'on  croit  voir  dans  la  lune,  204. 

Vidolf;  nom  du  père  des  Louves, 
208. 

Vidrir;  nom  épithétique  d'Odinn,  162 

Vierges-au-Bocclier  ;  nom  épithéti- 
que des  Valkyries,  299. 

Vierges-ad-heacme;  nom  épithétique 
des  Valkyries,  299. 

Vieux-Aigle;  gardien  de  TArbre-de- 
Vic,  235. 

ViGODREDx;  nom  épithétique  d'Odinn, 
248. 

ViGRiDoa;  explication  de  ce  nom,  339. 

ViLMEiDi;  nom  du  père  des  Sorciers, 
208. 

ViNGÔLP  ;  nom  de  la  demeure  de  Frlgg, 
164. 

ViRGUNi  ;  rapport  de  ce  nom  avec  celu, 
de  Hercunes,  252. 

ViROPATA  (Tuerie  d'hommes)  ;  explica- 
tion de  ce  nom  scythe,  298. 

Vision  de  la  Lodve  (Volu-Spâ)  ;  poëme 
eddique,  334,  340. 

ViTNiR  (Signal);  nom  de  loup,  290. 

Voie-tremblotante  (Bifröst),  212. 

VoLCHov;  pourquoi  ce  nom  signifie 
Sorcier,  210. 

VoLos;  nom  du  fils  de  Skuta,  279. 

Yolsing;  explication  de  ce  nom,  266. 

Völund;  nem  d'un  Dverg  artiste,  219. 

VöLDR  (Devineresses);  explication  de 
ce  nom,  note  IV. 

Vör;  déesse  de  l'Assurance,  295. 

VoDiRE  ;  fée-vipère  dans  la  légende  du 
Jura ,  230. 

Vrindds  ;  origine  et  signification  de  ce 
nom,  262;  —  changé  en  Nirthus  et 
Niördr,  260,  261. 

Vritras;  explication  de  ce  nom  sans- 
crit, 170. 


RÉPERTOIRE  GÉNÉRAL  ALPHABÉTIQUE. 


371 


Wan-teh-yu  (Livre  des  10*,000  mots)  5 
livre  classique  des  Chinois,  72. 

Waqwaq;  nom  arabe  des  îles  ainsi 
nommées  d" après  Tarbre  merveil- 
leux waqwâq  qui  produit  de  belles 
filles,  objet  d'exportation  et  de  com- 
merce, note  VI.' 

Wabtbocrg;  origine  de  la  légende 
poétique  de  la  guerre  des  poètes  à 
la  Wartbourg,  56. 

Wasserkirche  {ecclesia  in  undis),  211. 

"WoRM  (Ole),  scandinaviste  danois  dont 
le  fils  vendit  à  Arni  Magnusen  le 
manuscrit  de  Worm  ,41. 

WDthende  Heer;  signification  de  cette 
légende,  307. 

X. 

Xanten,  ville  sur  le  Rhin  appelée  Pe- 
tite-Troie, mise  en  rapport  avec  la 
rivière Xanth us,  28. 

Y. 

Yggdrasill;  explication  de  ce  nom, 
224. 


Ylgdr,  nom  d'un  fleuve  mythologique, 

172. 
Ymirj  son  sang  forme  T Océan,  189; 

—  ses  os  brisés  forment  les  pierres 
de  la  terre,  189;  —  représentant 
de  la  nature  glaciale  primitive  ,176: 

—  n'est  pas  un  dieu,  d'après  Snorri, 
177. 

Ynglings;  explication  de  ce  nom,  266; 

—  adorateurs  d'Odinn  et  des  Ases, 
343;  —  la  Saga  des  Ynglings  (Yng- 
linga  -  Saga  )  est  la  première  du 
Heimskringla ,  32. 

YngvÎ-Freyr;  explication  de  ce  nom, 
184. 


Zeila,  nom  gète  du  vin,  308. 

Zevs  (Ciel);  le  nom  correspondant 
scythe  est  Tivus,  193. 

ZÎLAi,  nom  gète  du  vin,  308. 

ZiscHDi;  explication  de  ce  nom  alsa- 
cien, 271. 

Zoomorphes;  les  dieux  primitifs  sont 
zoomorphes  avant  dêtre  conçus 
comme  anthropomorphes ,  9 ,  11. 


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