JM
LA Guerre Allemande
ET LE Catholicisme
LA Guerre Allemande
ET LE Catholicisme
Ouvrage
Publié
sous
la Direction
M'= Alfred BaUDRILLART
Recteiur
de
l'Institut Catholique
de Paris
== et
sous le haut
Patronage
du
COMITÉ
CATHOLIQUE
== DE —
PROPAGANDE
FRANÇAISE
L'ETRANGER
/<
i'ï
Lettre de S. Éra.
%
le Cardînal A M ET TE
Archevêque de Parts.
Let Lois Chrétiennes de la Guerre
par le chanoine B.GAUDEAU.
La ' Culture ' Gerraanique et le Catholicisme
par Georges GO Y AU.
Le Rôle Catholique de la France dans le Monde
par un Missionnaire-
La Guerre aux Églises et aux Prêtres
par François VEUILLOT.
La Religion dans l'Armée française
L'Aumônerie militaire et la Situation cano-
nique du Prêtre à l'Armée
par le chanoine COUGET.
La Religion de nos Soldats
par le chanoine ARDANT
La Profondeur du Mo«vem«nt religieux dans
l'Armée éraoçaise
par Mgr Alfred BAUDRILLART.
Documents Pontificaux et Episcopaux relatifs
à la Guerre.
Réponse de l'Institut Catholique au Mani-
feste des représentants de la Science et de
l'Art Allemands.
i.i«te des Ecclésiastique* et des Religieux tués
à eu par l'enoeBU.
2/oad et Cay
= PARIS =
V —
Paris, le I j Jlvril j^jS-
L'Esprit-Saint a dit : rr Curam habe de bono
nomine. Prenez soin de votre bon renom. »
Cette recommandation s'adresse aux nations
non moins qu'aux individus.
A l'heure où la France subit, avec l'aide
de nobles et puissants alliés, une guerre formi-
dable, tandis que ses armées, avec un courage
et une endurance héroïques, soutiennent
l'honneur de son drapeau, tous ses fils doivent
• - Fr.
Yl
avoir à cœur de défendre, aux yeux des peuples
non engagés dans la lutte, la justice de sa
cause et ses titres à l'estime du monde civilisé.
C'est cette légitime préoccupation qui a
inspiré à une élite de Catholiques Français le
dessein du livre : « La Guerre Allemande ef le
Catholicisme. »
Les divers chapitres qui composent ce
livre ont été écrits par des hommes d'une
doctrine sûre et d'une fidélité absolue à l'Église,
unies à une compétence indiscutable et à une
documentation certaine. Nous pouvons attester
que les considérations qu'ils exposent et les
faits qu'ils racontent méritent toute créance.
Nous les présentons avec confiance à nos
frères des pays étrangers. En les lisant, ceux-ci
pourront se convaincre que, dans la lutte actuelle,
la France, ainsi que Nous l'écrivait hier
l'illustre et vénéré Cardinal - Archevêque de
Malines, « reste fidèle à son rôle séculaire de
Gardienne du Droit et de Protectrice de la
vu
Civilisation ». Malgré ses erreurs et ses
fautes. Elle n'a pas cessé d'être digne du titre
que lui ont décerné et conservé les Papes,
depuis Anastase jusqu'à Léon XI 11, Pie X et
Benoît XV : Elle demeure la Fille aînée de
l'Église.
t Léon-Adolphe, Cardinal AMETTE,
archevêque de Paris,
-^^
- IX —
AVERTISSEMENT
Le livre que nous présentons au public est un livre
de propagande française. Il s adresse surtout aux
catholiques des pays neutres.
Beaucoup parmi eux, nous le savons et nous en
souffrons, jugeant d'après certains actes extérieurs
que nous sommes les premiers à déplorer y se sentent
inclinés à croire que la France a cessé d'être une
nation chrétienne et catholique ; trompés aussi par les
déclarations intéressées et, nous le démontrerons ^ peu
véridiques, de nos adversaires, ils s imaginent que
l'Allemagne et l'Autriche, devenue, hélas! la satellite
de V Allemagne, représentent dans le monde la cause
de l'ordre, de l'autorité, de la religion, et que leur
victoire serait, plus que la nôtre, favorable aux inté-
rêts sacrés du catholicisme.
Prétendons-nous faire violence à l'opinion des
— X —
neutres? Assurément non : l'entreprise serait d'ail-
leurs aussi ridicule que vaine.
Les catholiques des pays neutres sont des hommes
de bonne Joi, intelligents, amis du bien^ qui ne
demandent qu'à être éclairés ^ pour se prononcer sui-
vant la justice,
C est cette lumière que nous avons le désir défaire
briller à leurs yeux : très simplement et très sincère-
ment^ nous soumettons à leur impartial et libre exa-
men quelques faits et quelques considérations.
Qui sommes-nous pour agir ainsi et quelle est notre
autorité?
Nous sommes des catholiques français qui appor-
tons à nos frères des pays neutres le témoignage des
plus respectés^ des plus éclairés, des mieux informés
parmi nous : témoignage de deux cardinaux et de
plusieurs évêques, qui ne parlent point au nom de la
hiérarchie catholique, — ils ne prétendent pas V en-
gager, — mais au nom de ce quils savent et de ce
qu'ils ont vUy car tous^ à l'exception du vénérable
archevêque de Paris, ordinaire du lieu où paraît ce
livre, sont les évêques des régions envahies par V en-
nemi; témoignages d'académiciens qui représentent
V élite de la pensée française, et qui, vivant dans ce
centre parisien où viennent aboutir toute idée, toute
information, parlent, eux aussi, en connaissance de
cause; témoignage de sénateurs, de députés, qui
sont moins les hommes d'un parti politique que les
XI
défenseurs attitrés de la religion au Parlement ;
témoignage de membres éminents de nos assemblées
parisiennes, Conseil g-énéral et Conseil municipal;
témoignage enfin de publicistes qui, tous, ont mis leur
plume au service de V Eglise.
Pas plus que le concours de personnalités qui, bien
que catholiques, apparaissent surtout comme des poli-
tiques, nous n'avons sollicité celui d'hommes dignes
de la plus haute estime et qui sont pour nous les plus
précieux des alliés.
Pour constituer notre comité et pour écrire ce livre,
nous n avons voulu que des catholiques avérés, afin
qu'ils fussent en droit de dire : « Nous savons ce
qu'est la doctrine catholique et ce quelle exige,
quelles sont les idées dont elle veut assurer le règne,
quels sont les actes qu'elle dé/end même en temps
de guerre. — Eh bien! regardez : voyez ce que
/ait r Allemagne et voyez ce que fait la France. —
Voyez si, par la doctrine de ses intellectuels, par sa
façon de conduire la guerre, par les actes de ses
chefs et de ses soldats, V Allemagne ne se manifeste
pas, en dépit des déclarations religieuses de son sou-
verain, comme l'adversaire théorique et pratique du
catholicisme, souvent même de tout christianisme. —
Jetez d'autre part un regard sur les services rendus
à la foi catholique par la nation française, dans le
passé et dans le présent; considérez aujourd'hui
même l'attitude de ses prêtres, de ses soldats, de la
— XII —
majeure partie de ses habitants, et voyez si cette
nation n'est pas plus fidèle à VÉglise, votre mère
comme la nôtre ^ que V Allemagne du Kaiser « Vami
de Luther ».
Tout cela, nous le disons avec conviction, mais sans
passion, ni haine. Nous aimons ardemment notre
patrie, mais nous sommes les enfants dévoués de
VEglise catholique ; nous ne voudrions, sous nul pré-
texte, contribuer à déchirer sa « robe sans couture » .
Ce nest pas t/^availler à cette œuvre néfaste que de
faire appel à V esprit de justice de tous nos Jrères en
Jésus- Christ.
Au nom du Comité de propagande et des auteurs
du livre,
Alfred Baudrillart,
Vicaire général de Paris,
Recteur de l'Université catholique.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
Il y aurait tant à dire, et en si peu d'espace, sur les
lois chréliennes de la guerre par rapport au but de
cet ouvrage, que je devrai souvent me borner à une
sèche analyse du sujet et réserver un grand nombre
des développements pour une étude plus complète.
J'espère cependant que ces lignes ne seront pas tout
à fait inutiles.
Il m'est doux de songer que j'écris pour des catholi-
ques, pour des frères, séparés de nous par des fron-
tières et peut-être par des océans, mais avec lesquels
nous nous sentons, — dans toute la force surnaturelle
de ce terme magnifique, — en pleine communion de
pensée et de cœur sur tout ce qui touche à la foi,
c'est-à-dire au plus profond de l'âme et au meilleur de
la vie.
Dieu aidant, je serai impartial, ce qui ne veut pas
dire neutre. Les catholiques des pays jusqu'ici épar-
gnes par la guerre sont neutres politiquement et natio-
nalement. Mais nul d'entre eux, nul tout au moins de
ceux qui peuvent examiner et réfléchir, ne peut ni ne
doit, dans sa raison d'homme et dans sa conscience de
catholique, être neutre, s'il veut être impartial.
Être impartial, ce n'est point se refuser obstinément
2 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
à prendre parti, fût-ce entre le crime et l'innocence.
Être impartial, c'est être affranchi de tout esprit de
parti. C'est donc ne prendre parti que pour la vérité et
la justice, mais c'est prendre parti pour elles, où qu'elles
soient, et quoi qu'il arrive. A vrai dire, telle est la pre-
mière et la plus essentielle des lois chrétiennes de la
guerre, et cette loi atteint les spectateurs du grand
drame non moins que ceux qui y sont jetés, comme
nous, à plein corps et à plein cœur.
En ce qui me concerne, pour être fidèle à cette loi,
je n'aurai point, grâce à Dieu, à oublier que je suis
Français. Il me suffira de penser et d'écrire en honnête
homme et en prêtre, les règles de la probité scientifique
étant celles mêmes de la conscience cathoKque et sacer-
dotale.
En n'invoquant que des principes incontestés et des
faits hors de doute, j'essaierai donc de résumer briè-
vement : r les lois chrétiennes de la guerre ; 2° les
actes allemands contraires à ces lois et les doctrines
allemandes qui suppriment et détruisent ces lois, et
vont à instaurer dans le monde une conception nou-
velle, profondément antichrétienne, de la guerre.
La conclusion indiquera comment doivent s'orienter
les désirs et les espoirs des catholiques.
Résumé des lois chrétiennes de la guerre.
Ni l'Évangile ni l'Église n'ont formulé, à proprement
parler, de lois spéciales concernant la guerre. Pour la
conscience catholique, la guerre n'est qu'un cas parti-
culier de la morale universelle, et la Révélation chré-
tienne n'ajoute en ce point aucun précepte positif et
spécial à la loi naturelle, au droit naturel : entendez
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 3
par là, aux règles que dicte à l'homme sa conscience,
c'est-à-dire sa raison et sa volonté quand elles se soumet-
tent et se conforment, en droiture, à l'ordre naturel et
normal des choses, expression de la volonté de Dieu.
Si la traduction que j'ai sous les yeux est exacte (je
n'ai pu me procurer le texte original), c'est une doctrine
étrange, mais significative, que celle qui était insinuée
par le D'" Rommel, lorsqu'il écrivait, il y a une dizaine
d'années, ces lignes en un sens prophétiques :
« La politique des races est impitoyable... Quand
une nation grossissante en coudoie une plus clairsemée,
formant centre de dépression, il se produit un courant
d'air, vulgairement appelé invasion, phénomène pen-
dant lequel la loi et la morale sont mises provisoire-
ment de côté (1). »
Le mot que j'ai souligné est cynique. Ainsi, en temps
de guerre, la morale serait purement et simplement
suspendue. Le cambrioleur, lui aussi, quand il se
décide à faire un coup, met provisoirement la morale
de côté. Théorie logique d'ailleurs, pour qui ne voit
dans la morale qu'une règle purement subjective, donc
dépendante de l'individu ou de la nation dont il s'agit,
— purement relative, donc variable au gré des circons-
tances.
Telle n'est pas la morale catholique. Son caractère
essentiel, c'est précisément de fixer des règles objec-
tives, absolues, immuables, qui n'émanent ni ne dépen-
dent de la conscience individuelle, ou même nationale,
à laquelle elles s'imposent ; règles divines, puisqu'elles
ne sont que la traduction de la volonté de Dieu, Créa-
teur et Maître souverain, volonté manifestée, soit par
(1) D' Rommel. Au paya de la reviuicjtiê.
4 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
l'ordre naturel des choses que connaît la raison humaine,
soit par la Révélation chrétienne.
Mais si haute et si rigide qu'elle soit, ou plutôt pré-
cisément parce qu'elle sait reconnaître et imposer l'ab-
solu, la morale catholique est en même temps tout
imprégnée de bon sens, toujours issue de la réalité
positive, toujours appuyée sur le terrain solide des faits,
ennemie acharnée de l'utopie et du rêve qui sont la
caricature et la contrefaçon de l'idéal. La morale catho-
lique ne croit pas au progrès indéfini et illimité de
l'espèce humaine ; elle condamne les prometteurs de
paradis retrouvés ici-bas. Elle enseigne que, jusqu'à la
fin des temps, tout fils d'Adam, en naissant, apportera
avec lui la nature humaine telle qu'il l'a héritée de son
premier père, c'est-à-dire une nature imparfaite, capa-
ble de bien avec le secours de Dieu, mais toujours
bornée, faible, faillible et trop aisément portée au mal.
Elle enseigne donc que rhumanitè gardera toujours au
plus profond d'elle-même le germe indestructible de
toutes les guerres. « D'où viennent les guerres? »,
demande aux premiers fidèles l'apôtre saint Jacques.
Et il répond : « N'est-ce pas de là, de vos concupis-
cences, qui mettent le principe de la guerre dans vos
membres mêmes (1) ? »
Par suite, la morale catholique enseigne que les
nations, comme les individus et les familles, auront
toujours à se prémunir contre les malfaiteurs ; et que le
précepte du Décalogue : « Tu ne tueras point, » par le
fait même qu'il condamne l'agresseur, permet à l'atta-
qué de se défendre et lui ordonne de défendre ce dont
il a la charge, tout précepte particulier étant, de sa
(1) Jacob., IV, 1.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 5
nature, subordonné au précepte général de la charité et
de Tordre dans la charité.
La morale catholique enseigne, après Jésus-Christ,
que le père de famille, et, par conséquent, le chef d'État,
à qui incombe le ministère agrandi d'un père de famille,
doit veiller pour empêcher le voleur de venir la nuit
percer la muraille de sa maison (1). Inutile de préciser
dans quelle attitude il doit être prêt à recevoir le voleur.
La morale catholique répète, après Jésus-Christ, cet
avertissement qui sera toujours opportun : « Quand le
fort armé garde son seuil, c'est alors que ce qu'il pos-
sède est en paix (2). »
La morale catholique n'a pas cessé d'enseigner ce
qu'enseignait le précurseur du Christ aux soldats qui
l'interrogeaient sur ce qu'ils devaient faire. Il ne leur
ordonnait point de quitter le métier des armes, mais il
leur disait : « N'usez de violences envers personne, ne
faites point de calomnie et contentez-vous de votre
paye (3). » Pas de violences envers les non-combat-
tants, pas de fausses et hypocrites accusations contre
les habitants d'une ville ou d'un village, pour avoir le
prétexte de piller et de détruire, de maltraiter ou de
massacrer. Ainsi expliquent les commentateurs. On
voit combien ces « lois chrétiennes de la guerre » sont
actuelles, et on devine ce que dirait aujourd'hui Jean-
Baptiste aux « sycophantes » pillards et sanguinaires :
c'est le mot de saint Luc.
Mais si nous voulons trouver dans l'Evangile le
résumé lumineux des lois chrétiennes de la guerre,
écoulons Jésus-Christ reprocher aux Pharisiens de faire
(1) Matth., XXIV, 43.
(2) Luc, XI, 21.
(SrLuc, III, 14.
6 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
consister leur religion en des prières ostentatoires, en
des gestes orgueilleux, en de vaines parades, et de
négliger ce qui est le principal, l'essence même de la
loi : Reliquîstis quœ çfraviora sunt legis.
Recueillons ces paroles, c'est tout l'Évangile en
substance : « Vous omettez le principal de la loi : la
justice, la pitié, la droiture, judicium et misericor-
diam et Mem, » Ainsi parle Jésus dans saint Mat-
thieu (1). Saint Luc met tout en deux mots : la justice
et la charité de Dieu, judicium et caritatem Dei (2).
En réunissant les deux textes, nous trouvons, formulés
d'une façon saisissante, les préceptes essentiels de la
doctrine évangélique et ces préceptes se trouvent être
tout particulièrement les lois chrétiennes de la guerre :
la justice, la droiture, la pitié, le tout basé sur la cha-
rité divine, c'est-à-dire sur l'amour du vrai Dieu par-
dessus toutes choses, puis sur l'amour de chacun, de
chaque chose à sa place, à son rang, « selon l'ordre »,
dans la perspective de Dieu.
Dans cet ordre de la charité, dans cette hiérarchie
des objets vers lesquels se porte notre amour, selon des
rayons dont le prolongement aboutit toujours à Dieu,
la patrie a sa place de choix. Nous touchons ici au
fondement, trop peu connu, de la théologie du patrio-
tisme; je dois l'indiquer, car ce principe de nos devoirs
envers la patrie est aussi celui des lois chrétiennes de
la guerre.
Bossuet a écrit dans sa Politique tirée de F Écriture
sainte : « La société humaine demande qu'on aime la
terre où l'on habite ensemble; on la regarde comme
une mère et une nourrice commune ; on s'y attache, et
(1) Matth., XXIII, 23.
(2) Luc, XI, 42.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 7
cela unit. C'est ce que les Latins appellent charitas
patrii soli, l'amour de la patrie, et ils la regardent
comme un lien entre les hommes. Les hommes, en
effet, se sentent liés par quelque chose de fort, lorsqu'ils
songent que la même terre qui les a portés et nourris,
étant vivants, les recevra en son sein, quand ils seront
morts. C'est un sentiment naturel à tous les peuples. »
Brunetière, citant cette belle page dans une confé-
rence qu'il faisait à Marseille en 1896, sur Vidée de
patrie, ajoutait :
« Certes, Bossuet a raison, et vous croiriez qu'en
effet il raisonne... Mais pourquoi se sentent-ils liés par
quelque chose de forti de plus fort que leur intérêt?
de plus fort que leurs passions? C'est ce que Bossuet ne
nous a point dit, ni personne; et c'est peut-être ce qu'on
ne saurait dire. »
Brunetière se trompait, et il lui manquait d'avoir lu
saint Thomas d'Aquin. A la vertu humaine de patrio-
tisme, charitas patrii soli, le grand Docteur donne son
nom chrétien, la « piété patriotique »^ et avec une
aisance et une profondeur étonnantes, il rattache, à
travers les âges, par l'intermédiaire de saint Augustin
et de saint Ambroise, la pensée chrétienne à la pensée
antique de Cicéron et d'Aristote.
Nous avons tous trois créanciers principaux, dit en
substance saint Thomas : à chacun d'eux nous devons,
de façon diverse, notre être et le gouvernement de
notre être ; chacun d'eux, à un titre spécial, est à notre
égard principe d'être et de direction vitale; chacun
d'eux est pour nous, à sa manière, auteur et provi-
dence. Et c'est pourquoi à ces créanciers, et non à
d'autres, nous devons un culte particulier fait d'estime,
de respect, d'obéissance et d'amour, un culte réglé selon
8 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
rexcellence de chacun et la grandeur des bienfaits que
nous tenons de lui. Ces trois créanciers sont Dieu, notre
famille et notre patrie. Le culte que nous devons à Dieu
s'appelle la religion; le culte que nous devons à la
famille et à la patrie s'appelle la piété. Sans Dieu, nous
ne serions rien ; sans notre famille et sans notre patrie,
nous ne serions pas ce que nous sommes; notre être
n'aurait ni la constitution, ni les dons, ni les qualités,
ni le tempérament, ni la vie propre, la direction, le
mouvement, la valeur et la beauté qu'il a. Et comme la
patrie n'est que le développement historique et normal
de la famille, nos devoirs envers notre patrie sont une
extension de nos devoirs envers notre famille, marqués
dans le quatrième commandement de Dieu. Au reste de
l'humanité nous ne devons pas le même culte de piété
qu'à la famille et à la patrie, parce que le reste de
l'humanité n'a point sur nous, comme la famille et la
patrie, droit d'auteur et de providence (1).
En d'autres termes, la patrie, la société nationale, est,
avec la famille et après elle, la seule société vraiment
nécessaire à Thomme, la seule imposée par la nature.
Toutes les autres sont plus ou moins facultatives, toutes
(1) Dans cet alinéa, j'ai à la fois résumé et commenté la doctrine sur
la piété patriotique, exposée par saint Thomas dans la Somme théolo-
gique. Voici les principaux textes : « Homo eflîcHur divcrsimodo aliis
(Jcbitor, socundum eorum diversam cxccUcnliam et diversa bcncfïcia
ab ois suscepta. In utroquc autem Dcus summum obtinct locum, qui
et excellentissimus est, et est nobis esscndi et gubcrnationis primum
principium ; socundario vero noslri esse et gubornationis pvincipia
sunt parentes et patria, a quibus et in qua nati et nutriti sumus. Et
ideo post Deum est homo maxime dcbilor parcntibus et patriœ. Undc
sicut ad religionem portiaet eultum Dro exhibere, ita secundario gradu
ad pietatem pertinet exhibere eultum parontibus et patrise. » (l'-2*^, CI,
1, c.) « Per hoc quod sumus nati a parcntibus, pertinent ad nos con-
sanguine! et patria... In hoc prsecepto quod est de honoratione paren-
tum, intelligitur mandari quidquid pertinet ad reddendum debitum cui-
cumque personse. » {Ibid., GXXII, 5, c.)
1
I
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 9
les autres, issues de la patrie elle-même, se développent
en fonction de la patrie et dans son sein.
La patrie, qui à chaque moment do l'histoire s'incarne
(quoique d'une façon plus ou moins exacte, plus ou moins
fidèle, plus ou moins digne) dans Tautorité qui la régit,
représente donc vraiment pour chacun de nous tout le
passé d'où il vient, la puissance bienfaisante, être à la
fois idéal et réel, historique et moral, qui est pour lui,
à l'image de Dieu, comme le dit si bien saint Thomas,
auteur et providence, « source de vie et principe de
direction ».
De ces vues si fécondes et si actuelles et qui appelle-
raient de longs commentaires, concluons seulement ici
que ce n'est point par une vaine métaphore de senti-
ment, mais par la plus efficace des réalités, que la
patrie prend pour ses enfants figure de mère.
De là, pour tous les citoyens, le devoir de la défendre
quand elle est attaquée ou menacée. De là, le droit de
guerre.
*
* *
La doctrine classique de l'Eglise sur les lois chré-
tiennes de la guerre, telle qu'elle apparaît dans l'his-
toires, principalement depuis saint Ambroise et saint
Augustin jusqu'à nos jours, n'a point varié dans ses
grandes lignes et ne le pouvait pas, car elle n'est que
le développement des principes évangéliques rappelés
plus haut.
Justice, droiture, pitié, basées sur la religion et la
charité : c'est bien à ces quatre idées que nous pouvons
ramener tout l'enseignement des docteurs et des théolo-
giens.
Dans un article tout récent de la Civil ta cattolica, le
1 - Fr.
10 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
regretté P. Chiaudano résumait cet enseignement, sur-
tout d'après saint Thomas et Taparelli (1). En raison
du souci, parfois presque excessif, de neutralité qu'il
aflecte, les quelques réflexions que je lui emprunterai
plus loin me paraissent n'avoir que plus de force.
Je dois me borner à l'énumération des principes
acceptés de tous sur les lois chrétiennes de la guerre.
Le premier et le principal est donc la justice : jiidi-
ciiim. Sous peine d'être un crime, et le plus grand des
crimes quand on déchaîne un fléau comme celui dont
le monde souffre actuellement, la guerre doit être juste
dans son motif, dans son mode, dans l'intention de
ceux qui la font et en raison de l'autorité qui la
commande.
Saint Thomas commence par ce dernier point et n'a
pas de peine à démontrer que seule l'autorité souve-
raine, dans une société indépendante, peut déclarer el
commander la. guerre. Taparelli ajoute avec raison qup
« la guerre doit tendre au bien commun de tous les
membres de la société qui l'entreprend (2) », et que « si
(1) Lit guGi'va a rinscgnamcnto dclla scuola, 3 avril 1915, p. 3-32. La
doctrine de saint Thomas est exposée dans la Somme ihcologiquc, de
bcllo, 2'-2" q. XL. Cf. de furto et rapina, ib., q. XLVI, et ailleurs.
Avant et après saint Thomas, les théologiens scolasliques ont développe
les mêmes idées, parfois avec d'heureuses additions ou variantes. On a
étudié notamment Snarcz et Fi'ançois de Viforia. Voir L'Eglise et la
guerre, recueil d'éiudes de MM. Oatiffol, Paul Monceaux, Emile Ché-
non, A. Vanderpol, Louis Rolland, Frédéric Duval et Tanquerey. (Bloud,
1913.) — Y. de la Brièro, La Guerre et la Doctrine catholique, dans Etudes,
5 octobre et 5 novembre 1914. — P. Baliffol, Les lois chrétiennes de
la guerre dans Correspondant, 25 octobre 1914. 11 serait intéressant
d'étudier à ce point de vue les théologiens et moralistes allemands
anciens et modernes, protestants et catholiques. On y trouverait le plus
souvent d'involontaires et terribles réquisitoires contre les faits actuels,
mais parfois aussi peut-être de légères traces des doctrines brutales et
anfichrétiennes dont nous parlerons plus loin.
(2) Droit naturel, trad. franc., II, p. 39.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 11
la volonté formelle et unanime de tous les citoyens
embrasse le parti de la guerre », la guerre ne sera pas
seulement publique, « la lutte alors deviendra untio-
jinlo (1) ». C'est le cas chez nous aujourd'hui.
La guerre doit être juste dans son motif, cl c'est le
point essentiel.
« Nulle cause ne peut légitimer la guerre, que la
violation manifeste d'un droit certain, dont on n'a pu,
I malgré tous les efforts, obtenir réparation d'une ma-
nière pacifique » (2). C'est la traduction de la formule
de Suarez (3). Encore faut-il ajouter que la nécessité
•de la réparation poursuivie doit s'imposer, sous peine
de maux plus grands, matériels ou moraux, que ceux
qu'entraînera la guerre.
Il s'ensuit que la seule guerre juste est, au fond, la
guerre défensive. Quand un peuple est attaqué sans
provocation de sa part, l'évidence de la justice éclate
à tous les yeux. Mais poursuivre la réparation indis-
pensable d'un droit lésé, c'est encore se défendre; c'est
repousser, en le châtiant, un injuste agresseur (4).
Les conséquences morales pour ce dernier sont des
plus graves. Non seulement il est tenu en justice à la
réparation de tous les dommages causés, à la restitu-
tion de tous les biens ravis ou détruits par la guerre,
mais, « dans une guerre injuste, écrit Lehmkuhl, les
soldats, même forcés, n'ont pas le droit de tuc^ un
(1) Ihul, p. 40-41,
(2) Tanquei'cy, Syntlièse de la doctrine tlu'ologique sur le droit de
guerre^ dans L Église et la guerre, p. 20.
(3) De charitate, xiii, 4.
(4) Voir dans le théologien allemand Lolimkuhl [Thcologia woj-a lis yiSSS,
t. I, p. 509) l'énuméralion qu'il fait, d'aprôs un autre théologien alle-
mand réputé, Laymann (1596-1625) des cas où une guerre, dite agres-
sive, pourrait être juste. Tous ces cas. sans exception, se retournent
contre l'Allemagne dans la guerre actuelle.
12 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
ennemi, ni d'exercer contre lui d'actes dangereux, mais
ils doivent tirer en l'air, (aercm verberare dehcnt)\
bien plus, s'ils sont attaqués par l'adversaire, ils ne
peuvent se défendre en versant le sang {cruente se
defendorc neqiwunt). Beaucoup de théologiens enten-
dent par là qu'ils n'ont pas le droit de se défendre,
quand même l'adversaire refuserait de leur faire quar-
tier, s'ils rendaient leurs armes » (1).
Sans doute, avec tous les théologiens, le même
auteur remarque que « les simples soldats, qui sont
contraints d*obéir, n'ont pas d'ordinaire à faire une
enquête sur la justice de la guerre ». Mais il ajoute :
« Néanmoins, s'ils ont un grave soupçon que la guerre
est injusie, et s'ils espèrent pouvoir s'en éclaircir en
s'enquérant, ils ne sont point excusés de l'obligation de
s'enquérir (2). »
Bien entendu, la responsabilité des chefs, et surtout
des vrais auteurs de la guerre, demeure entière, et elle
est écrasante.
Cette différence de situation entre les combattants
qui « ont juste guerre » et ceux qui ne l'ont pas,
s'étend à tous les détails et confère aux premiers des
avantages moraux et matériels immenses. Ainsi, faits
prisonniers, non seulement ils ont, bien entendu, le
droit de s'enfuir, mais ils ont celui (que n'ont pas les
autres) de se compenser, autant qu'ils le peuvent, sur
les biens de l'ennemi (3).
Cette condition essentielle, la justice de la cause, con-
damne donc absolument les guerres de proie et de
rapine: (v Militare propter prœdaiu peccnliiin est », dit
(1) T/ieologia moralis^ I, p. 51 L
(2) Ibid. p. 510.
(3) Lemhkuh], ibid.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 13
saint Thomas après saint Augustin ; les guerres d'ambi-
tion et de conquête, d'agrandissement et d'expansion :
« Brigandage en grand, grande lairociniiim », ajoute
l'évéque d'Hippone.
Je souligne quelques expressions dans les textes sui-
vants du P. Ghiaudano, qui développe la même pensée :
« On ne doit donc pas considérer comme des guerres
légitimes, mais comme des guerres de barbares, ces
guerres qu'on voudrait justifier, et même dont on se
vante, sous le prétexte de raison d'Etat, mais qu'un Etat
n'entreprend en réalité que pour le profit dV^ccroZ/re son
commerce, d'agrandir son domaine, d'acquérir de la
gloire et d'autres avantages semblables. Ce n'est pas
l'utilité qui doit être la mesure et la règle du juste et de
l'honnête, mais elle doit, au contraire, recevoir sa norme
et sa mesure de l'honnêteté et de la justice.
« L'Eglise catholique rejette, désapprouve et con-
damne toutes les guerres qu'un Etat fait à un autre sous
prétexte de venger son propre honneur, qu'il préten-
drait lésé, sans pouvoir assigner une violation d'un
véritable droit proprement dit, qui aurait été commise
par la nation contre laquelle on prend les armes. »
Et encore :
« Impossible do justifier de telles guerres, par le pré-
texte de l'amour de la patrie et de la nécessité des
choses; car ce qui est intrinsèquement injuste et
immoral ne peut jamais être approuvé. »
Et l'auteur cite, non sans intention très certainement,
cette proposition condamnée par le Syllabus de Pie IX
et qui ne l'est pas moins par la conscience de l'huma-
nité tout entière :
« La violation des serments les plus sacrés et toute
action, môme criminelle et scélérate et opposée à la loi
14 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
élernelle, non seulement n'est point blâmable, mais elle
est tout à fait licite et digne des plus grands éloges,
quand elle est inspirée par r amour de la Patrie (1). »
Cet « immoralisme », soi-disant nationaliste, sévis-
sait donc déjà en Europe il y a plus de soixante ans,
puisque cette proposition est extraite de l'allocution con-
sistoriale, prononcée par Pie IX le 20 avril 1849.
La guerre doit être juste non seulement dans sa
cause, mais aussi dans l'intention secrète de ceux qui
la font, car il se pourrait qu'un p^nce ou un peuple abu-
sassent des circonstances qui leur mettraient en main
un motif de guerre ayant quelque justice, et s'en fissent
un prétexte pour réaliser des desseins immoraux et cri-
minels et assouvir des passions dont saint Thomas
emprunte encore la description à saint Augustin : cette
psychologie n'a pas cessé d'être opportune. «La cupidité
malfaisante, la cruauté dans la vengeance, une humeur
féroce et implacable, la fureur de dominer et autres
vices semblables, cest là ce qui rend les guerres cri-
minelles. »
La guerre doit être juste dans son mode. Pas plus
que la conscience, la loi morale qui l'éclairé et la règle
ne sommeille jamais : il la faut écouter et suivre même
au plus fort des combats. De là, respect des serments
jurés et de la parole donnée, respect du droit des
neutres et des choses religieuses, respect de la vie, de
l'honneur et des biens des non-combattants, des blessés,
des malades, des prisonniers, des ennemis désarmés et
qui se rendent, interdiction du pillage. Telles sont les
1
(1) Proposition LXIV.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 15
principales règles admises par tous ceux qui ne veulent
pas être considérés et traités comme de purs brigands.
Dans une guerre injuste, les armées n'ont, en cons-
cience, aucun droit, même de réquisition, dans les pays
où elles passent, et sont tenues à restitution intégrale
et à la réparation des dommages causés. Au contraire,
ceux qui « ont juste guerre », peuvent vivre sur le pays
occupé, mais sans pillage ni vexations.
(( Une ville ou village, écrit Lehmkuhl, qui ont
exercé des actions hostiles, peuvent-ils être punis s'ils
ne livrent pas les coupables? » Et il répond : « Gela ne
saurait être taxé d'injustice. S'il arrive même qu'on ne
puisse connaître les coupables, le belligérant, à la con-
dition que sa cause soit juste, peut attribuer cette
impossibilité à la négligence et en faire un grief juri-
dique à la ville ou au village; par suite, il ne serait pas
injuste de punir pour cela les habitants ^u lieu, non
pas dans leur vie, mais uniquement dans leurs biens.
Cependant, il convient d'incliner plutôt vers la clé-
mence, et jamais> en pareil cas, le soldat ne peut, sans
un ordre de l'autorité légitime, s'emparer des biens des
habitants (1). »
Ce passage était intéressant ■ à citer, non moins à
cause de ce qu'il permet que de ce qu'il interdit.
(^ Le fondement de la justice, dit saint Ambroise on
copiant Gicéron, c'est la bonne foi (2). » Rien n'est plus
vrai. Et c'est pourquoi Jésus dit aux Pharisiens : « Vous
(1) Theolofjia moralis, l, p. 51 L Les soulignements sont de moi.
(2) Fundnmeutum est autem juslitiœ fides. (Cic, de Officiis, I, 23.) Fttn-
damentum ergo eH justUiœ fides. (Ambr., de OfficiU, I, 29.) Le rappro-
chement est de M?-- Baliffol, les Premiers Chrétiens et la guerre, p. 2.'^,
dans V Eglise et la guerre.
16 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
oubliez le principal de la loi : la justice el la bonne foi :
judicium... et ficlem. » Le respect de la parole donnée,
la droiture, la loyauté, la réprobation de la perfidie,
de la trahison et du mensonge : violer ces vertus fon-
damentales, c'est renverser la base de tout contrat, de
toute société, de toute relation humaine, c'est se mettre
hors de l'humanité.
Aussi saint Thomas, traitant des ruses employées
dans la guerre, distingue avec soin le stratagème per-
mis de la félonie toujours interdite.
« Même à un ennemi, dit-il après Gicéron en une
maxime superbe, il faut tenir parole et garder la foi
jurée : etiam hosti fidem servare oportet (1) ». Et s'il
est permis au combattant dont la cause est juste (2)
d'user de certaines feintes pour dérober à Tennemi ses
manœuvres, cela n'implique ni fraude, ni injustice, ni
désordre de la volonté. « Ce qui est toujours défendu,
c'est de tromper par un mensonge et en ne tenant pas
une promesse faite, car il y a un droit de la guerre,
a dit saint Ambroise, el des conventions qu'on observe,
même entre ennemis (3). »
Cette haine du mensonge, si vive aux temps cheva-
leresques où vivait saint Thomas, semble quelque peu
affaiblie depuis lors. Lehmkuhl écrit : « Il est permis,
en guerre, de se servir de fraudes, pourvu qu'il ne soit
pas absolument impossible de les soupçonner. Licet uti
fraudihus non imperceptibilibus (4). » Le mot et l'idée
(1) Sum. Theol. 2» 2", q. 71, a. 3, ad 3.
[t) A celui-là seulement : remarquons la distinction qui revient tou-
jours.
(i) Sunt enim quœdam jura bellorum, et fœdera inter ipsos hostes ser-
vanda, ut Ambrosius dicit in I de Offlciis, cap. 29. Sum. theol., 'i'-â'",
q.XL, a.3.
(4) Theol. moralis, I, p. 510.
i
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 17
de fraude avaient été absolument écartés par saint
Thomas : nec proprie hiijusmodi insidise vocanlur
fraudes (1).
Lehmkuhl continue : « Et même un mensonge pur
et simple comme celui des espions qui se déguisent en
amis, est illicite sans doute, mais ne constitue pas pour
cela un péché mortel. Imo quse cum solo mendacio (2)
fmnt, ut si exploratores se fingunt amicos, illicita
quidem, sed ex hoc nondum mortalia sunt. » « Autre
chose est, ajoute-t-il, des fraudes que nulle prudence
ne peut prévoir, comme d'empoisonner les eaux, etc.
Aliud est de iis quse nulla prudentia caveri possunt,
ut veneno aquas inïîcere, etc. » L'empoisonnement des
eaux est le seul exemple indiqué de fraude illicite.
Je n'ai pas à instituer ici une discussion de casuis-
tique, mais il y a tout au moms, ce me semble, dans
cette rédaction, une lourdeur et un manque de nuances,
qui nous avertissent durement que nous ne sommes
plus, en lisant cet auteur, ni au siècle ni au pays de la
chevalerie.
Plus nettement, et en plein accord avec saint Thomas
et avec Gicéron, un jurisconsulte laïque, M. Pillet,
rappelant les règles du droit international « que l'on
considère ou du moins que l'on considérait jusqu'ici
comme rigoureusement obligatoires, et auxquelles les
généraux se gardaient bien de manquer », note celle-ci :
« On se doit une loyauté absolue entre ennemis, et
une ruse devient illicite et déshonorante quand elle
implique un manque de parole (3) ».
I\) 2«-2", q. XL, a. 3.
(2) Ce mot est souligné par l'auteur.
(8) A. Pillet, La Science allemande et le Droit de la guerre, dans la
Hevue des Deux-Mondes, 1" avril 1915, p. 08G.
18 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
Après ]a justice et la bonne foi, la pitié : miseri-
cordiam. Cette troisième vertu qui manquait aux
Pharisiens, cette troisième loi chrétienne de la guerre
est fondée sur un sentiment que nul homme digne de
ce nom ne peut jamais arracher totalement de son cœur,
et qui s'alUe d'ailleurs à merveille avec le courage
militaire. Ce ne sont pas d'ordinaire les vrais braves
qui sont cruels, ce sont plutôt les lâches.
Mais la grâce divine, née de la parole, de l'exemple
et du cœur de Jésus-Christ, a ouvert dans l'âme
humaine régénérée de nouvelles et intarissables sources
de pitié et de tendresse pour toutes les souffrances.
Les horreurs mêmes de la guerre s'en sont trouvées
adoucies. Au temps où, comme le dit Léon XIII, « la
philosophie chrétienne gouvernait les États (1), » l'épée
du chevalier catholique, création de l'Église, symbole
vivant de l'honneur, était en même temps la protection
des faibles et Tappui des opprimés.
« Le droit moderne de la guerre, chrétien dans ses
origines, dit l'Université cathohque de Paris dans sa
réponse au manifeste des 93 intellectuels allemands,
repose tout entier sur deux principes essentiels : le
principe de la distinction entre les combattants et les
non-combattants; l'affirmation que la guerre n'autorise
pas le belligérant à faire à l'ennemi le plus de mal
possible par tous les moyens possibles. » Réduire au
contraire les dommages et les maux de la guerre à
leur minimum, ce fut l'œuvre de la pitié évangélique,
introduite par l'Église dans « ce vieux droit des gens
(1) Encyclique Immortale Dei.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA «rUERRS 19
chrélien que le moyen âge élabora (1). » Il est remar-
quable que les principes exposés par les théologiens, au
nom du droit naturel, dans leur thèse classique de la
modération nécessaire à la guerre (2) ont été reconnus
par la Convention de La Haye de 1907.
Voici comment M. Tanquerey, dans sa Synthèse de
la doctrine théologique sur le droit de guerre, résu-
mait les principaux de ces articles. Il écrivait en 1918,
à la veille de la guerre :
La Convention de La Haye « interdit par exemple :
il) d'employer du poison ou des armes empoisonnées;
h) de tuer ou de blesser par trahison ; c) de tuer ou de
blesser un ennemi qui s'est l'endu à discrétion ; d) de
déclarer qu'il ne sera pas fait de quartier; e) d'em-
ployer des armes, des projectiles ou des matières
propres à causer des maux superflus ; t) d'user indû-
ment du pavillon parlementaire; g) de détruire ou de
saisir des propriétés ennemies, sauf le cas où ces des-
tructions seraient mipérieusement commandées par les
nécessités de guerre; h) d'attaquer ou de bombarder
des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont
pas défendus ; i) d'entreprendre le bombardement d'une
place, sauf le cas d'attaque de vive force, sans pré-
venir les autorités ; j) de détruire les édifices consacrés
aux cultes, aux arts, à la bienfaisance, les monuments
historiques, les hôpitaux ; k) de livrer au pillage une
ville ou une localité, même prise d'assaut ».
Cette sèche énumération, lue aujourd'hui, emprunte
aux faits indéniables la plus douloureuse et la plus
vengeresse éloquence. Et la convention de La Haye n'a
i\) M. Georges Goyau.
(2) Taparelli, Droit naturel, Irad. française, I, p. 50, et Civillà catto-
lica IP. Ghiaudano), 3 avril 1915, p. 17.
20 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
pas flétri, parce qu'elle ne pouvait les prévoir ni les
regarder comme possibles, des crimes bien plus odieux
encore.
* *
On aura remarqué que les trois préceptes de Jésus-
Christ, auxquels nous avons ramené toutes les lois
chrétiennes de la guerre, la justice, la bonne foi, la
miséricorde sont des vertus. Or, le foyer de toutes les
vertus dans l'âme chrétienne, c'est l'amour de Dieu,
c'est la charité. Voilà pourquoi Jésus-Christ reproche
aux Pharisiens qui oublient le principal de la loi,
d'oublier surtout la charité de Dieu : reliquislis quœ
graviora sunt logis,., caritatcm Dei.
Cet amour a pour objet le Dieu réel, personnel,
Créateur, Maître et Père, que la raison de l'homme
connaît comme tel, mais qui s'est révélé d'une manière
infiniment plus parfaite en Jésus-Christ, Dieu incarné,
Sauveur et Rédempteur des hommes par son sang. Cet
amour est fait de crainte filiale, d'humilité, de respect,
d'obéissance, de tendresse, de dévouement, de sacri-
fice. Il consiste à faire la volonté de ce Dieu, qui
ordonne aux nations comme aux individus de garder
la justice, de ne point convoiter ni envahir le bien
d'autrui, de respecter toutes les frontières légitimes, de
refréner leur orgueil, leur ambition et leur cupidité,
d'aimer leur prochain et toute créature à son rang,
selon l'ordre.
Quiconque aime Dieu ainsi n'entreprendra jamais
une guerre injuste. Celui qui le premier allume une
guerre en violant un droit, commence donc par blesser
et par tuer en lui-même l'amour de Dieu. Il déclare la
guerre à Dieu avant de déchaîner la guerre entre les
hommes. Et quand il ose ensuite se réclamer de Dieu
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 21
et de Jésus-Christ, il ojoute au crime l'hypocrisie et le
blasphème.
C'est donc l'amour de Dieu qui empêche, qui brise
et détruit les guerres : Dons, qui conteris bella... Mais,
quand la guerre est déchaînée par les ennemis de
l'amour de Dieu, c'est encore l'amour de Dieu qui
allume au cœur de ceux pour lesquels alors la guerre
devient un devoir, les vertus guerrières, vengeresses de
la justice et créatrices de la paix dans la victoire.
Telles sont les lois chrétiennes de la guerre. Ce qui
me resterait maintenant à dire, dans le domaine des
fails, je ne pourrai guère que l'indiquer brièvement.
Les actes allemands et les doctrines allemandes
contraires aux lois chrétiennes de la guerre.
Que l'Allemagne soit responsable de la guerre, c'est
une évidence de bon sens que nulle subtilité, nul
mensonge ne parviendront à obscurcir.
Les documents diplomatiques et toutes les révélations
convergentes démontrent surabondamment que l'at-
lenlat de Sérajcvo no fut qu'un prétexte. Les déclara-
lions de M. Giolilti et de M. Take Jonesco établissent
(ju'au printemps de 1913 l'Aulriche ne dissimulait pas
son intention d'attaquer la Serbie. Au moment le plus cri-
tique, la Serbie offrit en réalité toutes les réparations que
demandait son adversaire. En les refusant, l'Autriche a
manqué très gravement à son devoir de puissance catho-
lique (i).
(1) « Avant le commencement des hostilités, on doit demander répara-
tion à la partie adverse; si une réparation convenable est offerte, on
ioU renoncer à la guerre. » Lehmkuhl, Theol.mor., I, p. 508.
22 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRi:
Tout l'enchaînement des faits et tous les textes prou-
vent que ni la France, ni la Russie, ni l'Angleterre ne
voulaient la guerre et que jusqu'au dernier moment
elles ont tout fait pour l'éviter. On oserait presque dire
qu'elles n'ont pas assez osé côtoyer le péril de guerre
pour assurer la paix. Peut-être, après la menace alle-
mande du 24 juillet, une parole ferme de TAngleterrc,
appuyant la France et la Russie, eût-elle fait reculer
Berlin.
Si l'Allemagne et l'Autriche eussent élé réellement
attaquées, comme elles le prétendent, l'Italie eût été
contrainte de marcher avec elles. Si elle ne l'a pas fait,
c'est que l'alliance ne Tobligeait point, en cas de guerre
offensive de la part de ses alliées.
Enfin la preuve, plus éclatante que le soleil, que ni
la France, ni l'Angleterre, ni la Russie ne voulaient la
guerre, c'est qu'elles n'étaient pas prêtes. Tout le monde
l'avoue aujourd'hui et nous payons assez cher ce
manque de préparation, quelles qu'en aient été les
causes, pour en retirer au moins le bénéfice de nous
laver du reproche d'agression.
D'ailleurs les aveux de l'agresseur sont là. Les jour-
naux allemands confessent aujourd'hui que l'Alle-
magne comptait sur la crise politique qui sévissait en
Angleterre, sur les difficultés intérieures de la Russie,
sur les divisions religieuses et sociales de la France, sur
le concours de l'Italie, sur d'autres facteurs peut-être
encore, et que c'est pour cela qu'elle a risqué le coup.
Dans un petit livre publié à la veille de la guerre, et
dont le titre exact est: Notre avenir : un mot d'avertis-
sement c) In nation allemande (1), le général von Ber-
(I) Une traducLion anglaise a paru sous ce titre : Britain as Germaïufa
vassal, London, 1914. Elle est analysée par M. FirminRoz dans un arliclc
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 23
nhardi déclarait: « Oui, il y a une tension en Europe et
il faut avouer qu'elle est due en grande partie au désir
d'expansion de F Allemagne, à la crainte qu'elle inspire.
Mais cette expansion est une nécessité et engagera
r Allemagne dans une politique d'où son amour de la
paix ne saurait la détourner. »
Plus franc encore, Maximilien Harden écrivait dans
la Zukunft, le 22 novembre 1914 :
« Renonçons à nos misérables efforts pour excuser
l'action de l'Allemagne... Ce n'est pas contre notre
volonté que nous nous sommes jetés dans cette aven-
ture gigantesque... Nous l'avons voulue, nous devions
la vouloir. . .
« L'Allemagne ne fait pas cette guerre pour punir des
coupables ou pour libérer des peuples opprimés... Elle
la fait en raison de la conviction immuable que ses
œuvres lui donnent droit à plus de place dans le monde
et à de plus larges débouchés pour son activité. »
C'est donc bien la guerre de proie, la guerre d'injuste
agression, la guerre anti chrétienne, que l'Allemagne a
voulue et qu'elle a faite (i).
Quant au fait de la violation de la neutralité belge,
le crime est tellement patent qu'il est inutile d'insister.
Il n'est pas un seul catholique dans le monde qui n'ait
été remué jusqu'au fond de l'âme par ce pur chef-
d'œuvre qu'on ne relira jamais assez, la lettre pastorale
du cardinal Mercier : Patriotisme et endurance. Il n'est
fin Correspondant, 10 février i915 : Un Aveu allemand avant la guerre.
auquel j'cmprunle ce détail.
Cl) Voir Saintyves, Les Uesponsabililés de VAllemagîie, Paris, Nourry,
1015. — Durkhcim cl Denis, Qui a voulu la guerre? Paris, Colin. —
Dudon, La guerre : qui l'a voulue ? Paris, Lothielleux. -- F. Laudct, Les
Responsabilités de la guerre. Revue hebdomadaire, 20 février 1915. Etc.
24 LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
pas un seul catholique au monde qui puisse être neutre
dans sa conscience après l'avoir lue.
D'ailleurs, haheimis conCitentem reiim. M. de Beth-
mann-HoUweg, « le plus éminent des hommes actuel-
lement vivants », d'après le professeur Lasson (1), a
déclare solennellement au Reichstag, le 4 août 1914 :
« Nécessité ne connaît pas de loi... Nos troupes ont
occupé le Luxembourg, peut-être déjà foulé le terri-
toire belge. Gela est contraire aux prescriptions du
droit international... L'illégaHté — je parle ouverte-
ment — l'illégaUté que nous commettons ainsi, nous
chercherons à la réparer, dès que notre but mihtaire
aura été atteint. Quand on... combat pour un bien
suprême, on s'arrange comme on peut. »
C'était le commentaire du fameux : « Chiffon de pa-
pier! » désormais historique jusqu'à la fm des temps.
Les maladresses tentées pour l'expliquer et pour
inculper, après coup, la Belgique, la France et l'An-
gleterre, sont aussi « colossales » que l'avait été le
cynisme de Taveu.
La Croix avait raison d'écrire, le 24 janvier 1915 :
« Nous savons maintenant, par la lettre du cardinal
Mercier, que le traité de 1889 avait été signé sous la
foi du serment, engageant, sous cette même foi, les
successeurs des signataires. Et le roi de Prusse était
un de ceux-là. Il s'ensuit que Guillaume II, violant la
neutralité de la Belgique, s'est odieusement parjuré
Si le cas de la guerre injuste ne s'applique pas ici, il ne
s'appliquera jamais. .Au regard delà simple honnêteté,
à plus forte raison au regard de la morale catholique,
(1) Lettre du 29 septembre 1914, citée par André Weiss, La Violation
de la neutralité belge. Paris, Colin.
I
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 25
les sujets de Guillaume II n'ont pas le droit de coopé-
rer à la guerre du kaiser en Belgique. »
Quant aux attentats allemands contre les non-com-
battants, contre les édifices religieux et les prêtres, aux
pillages, aux incendies, aux assassinats, aux tortures,
aux viols, aux mensonges systématiques, aux perfidies,
aux déloyautés, aux traîtrises, aux auto-mitrailleuses
maquillées du signe sacré de la Croix-Rouge, aux pri-
sonniers, aux civils, aux femmes et aux enfants con-
traints de marcher devant les troupes allemandes, pour
recevoir les balles de leurs compatriotes, à cette mons-
trueuse débauche de férocité, de trahison et d'impiété,
je suis contraint de renvoyer ceux qui veulent en avoir
une idée aux rapports officiels français, belges et
étrangers, contrôlés par d'irrécusables témoignages.
L'étude si fortement documentée de M. François Veuil-
lot, qu'on va lire ici même, ne laissera aucun doute à
cet égard. Je défie tout catholique qui Taura lue de ne
pas garder au fond de ses yeux et de son âme, pour le
reste de sa vie, la vision d'horreur et d'épouvante; je le
défie, au nom de sa foi, de rester neutre dans sa
conscience.
C'est un livre maintenant qu'il faudrait écrire, qu'il
faudra écrire pour montrer que ces actes procèdent
d'une doctrine, et que cette doctrine est bien l'anti-
thèse de la doctrine catholique sur les lois de la guerre :
justice, bonne foi, pitié, amour de Dieu. C'est bien une
conception nouvelle de la guerre, et la plus antichré-
tienne qu'on puisse rêver, que cette doctrine tend à
établir flans le monde moderne : guerre de proie et
25^ LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
d'injustice, guerre de mensonge, de cruauté, d'impiété.
Un mot seulement sur l'idée de justice.
La pensée allemande moderne supprime la notion
même de la justice et de la morale, car la loi morale
n'est rien si elle n'est pas objective et absolue, et la
pensée allemande n'admet rien d'objectif ni d'absolu.
Religieusement depuis Luther, rationnellement et
philosophiquement depuis Kant et Hegel, nationale-
ment depuis Fichte, militairement depuis Bismarck
(et tous les termes de cette progression se tiennent par
la plus implacable logique), le moi allemand ne reconnaît
au-dessus de lui dans le monde aucune règle objective
et absolue, ni religieuse, ni morale, ni juridique. Gela
est vrai à la lettre, et cela introduit dans le monde la
notion d'un « droit de guerre » absolument nouveau,
. et dont nous subissons les conséquences monstrueuses.
Kant (nous le rappellerons tout à l'heure) avait déjà
séparé complètement le droit de la morale; c'était la
suppression du droit naturel et de la justice elle-même;
de là, partout, dans les idées juridiques modernes, une
anarchie et une immoralité lamentables.
Mais la destruction est plus complète encore, et le
pis c'est qu'elle est hypocrite. Le mensonge est installé,
à l'état constitutionnel, au centre le plus intime du moi
allemand, dédoublé par la « disjonction » kantienne,
à laquelle le tempérament germanique avait toujours eu
des propensions. Droit, morale, justice, loi, idéal, Dieu,
religion, christianisme, la pensée germanique répète
tous ces mots, garde toute cette façade, mais ces mots
ne sont qu'un vain symbole du moi allemand; cette
façade ne cache que le moi allemand divinisé. Le « vieux
dieu » qu'invoque Guillaume II c'est, à la lettre, l'Alle-
magne divinisée.
j
LES LOIS CHRETIENNES DE LA GUERRE 2')
« L'Allemagne doit être la conscience morale du
monde, » déclarait M. de Bulow auReichstag le 22 jan-
vier 1903.
(( Un organe central doit être fondé et celui-ci, le
cerveau de l'Europe, ne pourra être que l'Allemagne,
car elle possède seule le secret de la culture organisa-
trice (1). » Cerveau de l'Europe, conscience du monde
il faut prendre ces termes dans leur sens le plus absolu ,
car le moi allemand doit remplacer dans le monde le
vrai Dieu, le Dieu de la raison humaine et du christia-
nisme.
De là le renversement des lois évangéhques et chré-
tiennes de la guerre au profit du moi allemand.
La justice? Mais le moi allemand est la règle mêr/ie
de la justice. « La nécessité de Tintérêt allemand nous
obligeait à violer la neutrahté belge ; cette nécessité n\'i
pas de loi. » Ainsi parle M. de Bethmann-Hollw^eg.
La justice? « Conception vague, flottante et purement
personnelle, qui change selon les individus et aussi
selon les nations (2). » C'est la pure doctrine issue du
kantisme.
La bonne foi, la droiture? Mais cela est « subjectif et
relatif » et la règle suprême, c'est l'intérêt du moi alle-
mand; tout moyen est légitime qui va droit à ce but.
« Chifipn de papier », un traité signé sous la foi du ser-
ment et qui se met en travers! C'est d'une logique
inexorable.
La pitié? Mais elle consiste à frapper le plus fort
possible, à terroriser l'ennemi par tous les moyens,
incendies, massacres, supplices, viols, pour en finir
ilj Déclaration de M. Wilhera Ostwald, Echo de Paris, 28 mars 1915.
[±) Bernhardi, Notre Avenir. Cité par M. Firmin Roz, Correspondant,
10 février 1915, p. 513.
26^ LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
plus vite, dans l'intérêt même de ceux qu'on écrase.
« Tout moyen est légitime lorsqu'on veut provoquer la
terreur et vaincre par le moyen de l'intimidation (1). »
M. Pillet, qui résume ainsi leur doctrine, a raison de
conclure que c'est là se placer « au-dessus du droit et
au-dessous de l'humanité ».
Gommence-t-on à comprendre de quelle effroyable
barbarie doctrinale et pratique la domination allemande
menace le monde, et comment, devant ce danger,
aucun catholique, aucun homme de bon sens et de
conscience, ne peut rester neutre et indifférent?
Le P. Ghiaudano écrit dans l'article, déjà cité, de la
Civiltà :
« Non seulement l'Église catholique ne confond pas
la force et le droit, mais elle commande de résister à
la force, quand celle-ci est en opposition avec le droit.
Elle dit au puissant : « Halte-là ! Il ne t'est pas permis de
faire ceci ou cela; tu n'as aucun droit d'agir ainsi.
Autre chose est ta puissance, la force dont tu disposes,
autre chose est le droit, qui est le pouvoir moral d'agir
selon la raison. » Elle dit au faible : « Sois courageux ;
il ne t'est pas permis de céder à la force, toutes les fois
qu'elle agit à rencontre du droit. »
« Tels sont les enseignements de Benoît XV, telle
est la doctrine de tous les Papes et, disons-le même, de
la loi naturelle gravée dans le cœur de tout homme, et
dont l'Église catholique est la meilleure interprète et la
gardienne la plus fidèle.
(1) La Science allemande et le Droit de la guerre {Revue des Deux
Mondes], 1" avril 1915, p. 690., M. Pillet cite dans cette étude démonstra-
tive de nombreux textes de juristes allemands et explique notamment la
curieuse et monstrueuse distinction établie par la duplicité allemande,
entre la Kriegsmanier et la Kriegraison. Cette dernière permet à l'Alle-
magne de s'affranchir, en cas de nécessité, des règles les plus élémen-
taires de l'humanité et de la justice. Impossible d'être plus cynique.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 27
« Mais avec la même franchise et en pleine connais-
sance de cause, nous sommes obligés d'affirmer et de
proclamer bien haut que telles ne sont pas les pensées
d'un grand nombre de philosophes, jurisconsultes et
politiques modernes... Il est bien d'affirmer l'inviola-
bilité du droit et de condamner l'abus de la force ;
mais si l'on veut avoir un peu de sens et ne pas tomber
dans la plus honteuse contradiction, il faut avoir le
courage de condamner ces théories et ces doctrines
insensées qui précisément ont fait jusqu'ici de la force
brutale le droit, méconnaissant l'ordre moral et le ra-
menant par là même à un pur pouvoir physique.
« Eh quoi? N'est-ce pas là, par hasard, la doctrine
de la philosophie kantienne, qui a recueiUi tant d'appr o
bâtions, tant d'applaudissements dans presque toutes
les universités officielles d'Europe, et non pas seule-
ment en Allemagne? Ne sont-ce pas là ses principes,
adoptés par un nombre immense d'hommes politiques,
de sociologues, d'économistes, de philosophes, de let-
trés, de jurisconsultes?
« Ne sont-ce pas là ses maximes, qui ont pénétré dans
les palais législatifs, dans les tribunaux judiciaires,
dans les académies des arts et des sciences, dans l'édu-
cation de la jeunesse, dans la propagande de l'instruc-
tion populaire, dans la rédaction des journaux, et jusque
dans les ateliers des travailleurs manuels ?
« La philosophie kantienne a tout envahi ; c'est elle
qui, depuis près d'un siècle, a dominé jusqu'au jour
actuel la culture européenne, infiltrant ses maximes
dans tous les rangs de la société.
« Eh bien, précisément, l'un des principes fameux
delà philosophie kantienne, c'est que le droit ne dépend
en rien, dans son efficacité, de la morale; qu'il faut
27^ LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
séparer absolument l'ordre juridique de l'ordre moral,
(ue le droit proprement dit ne contient aucun élément
moral et que, par suite, droit et pouvoir de coaction
signifient une seule et même chose (1). Notez bien que
le pouvoir de coaction dont parle le philosophe de
Kœnigsberg n'est pas un pouvoir moral, mais la pure
force physique, dont peut disposer un gouvernement,
un État, pour contenir dans l'ordre ses sujets...
« Nous ne voyons pas comment on pourrait procla-
mer avec plus d'audace et d'effronterie, ou accepter
plus follement comme démontrée cette maxime, que le
droit n'est autre chose que la force. Car il suffit de
réfléchir que cette force étant aux mains de l'État ou
de celui qui prévaut dans la lutte, TÉlat devient le
créateur du droit, avec cette conséquence que celui
qui doit l'emporter, ce n'est pas celui qui a raison, mais
c'est le plus fort...
« Les papes sont donc les vrais vengeurs du droit, et
Pie IX avait bien raison de condamner dans le Syllabus
la 59^ proposition ainsi conçue : « Le droit consiste en
« un fait matériel, tous les devoirs des hommes ne sont
« qu'un mot vide de sens, et tous les faits humains ont
« force de droit. »
J'ai tenu à citer tout ce raisonnement, afin de pou-
voir, en terminant, poser une question. Je l'adresse,
devant Dieu, à tous les catholiaues, non seulement
(1) Voici les paroles textuelles du grand coryphée du rationalisme :
« So wie das Recht iiberhaupt nur das zum Objekte hat, was in
ilandlungen aûsserlich ist, so ist das strikte Recht, nâmlich das, dem
nichts Ethisches beigeniischt ist, dasjenige welches keine anderen Bes-
timmungsgrùnde der Willkiir, als bloss die aûsseren fordert... Recht
und Befugniss zu zwingen bedeuten also einerlei ». [Die Metaphysik
der Sitten. Einleituug in die Rechtslehre, pag. 82 et 33). (Note de la Ci-
viltà cattolica.)
i
r
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 28
d'Italie, mais d'Espagne, des deux Amériques, du
monde entier. Surtout je conjure humblement, mais
avec toute l'énergie dont je suis capable, et au nom
de leur amour pour Jésus-Christ et pour l'Eglise, mes
vénérés confrères dans le sacerdoce d'y réfléchir en
toute conscience.
Cette question, la voici :
Si la philosophie allemande, qui contient (comme le
démontre le distingué religieux qui vient de disparaître
et dont ces pages sont le testament) tout le virus de la
pensée allemande moderne, de la maxime scélérate :
La force crée le droit; si cette philosophie a déjà fait,
selon l'écrivain, de si terribles ravages dans les nations
latines, en Europe, dans tout l'univers catholique, que
serait-ce, au lendemain de la guerre actuelle, si l'Alle-
magne triomphait?
Le vrai danger pour l'Église est en Allemagne, parce
que le vrai foyer de l'athéisme intellectuel, et par suite
de l'anarchisme social, ou plutôt anti-social^ est en
Allemagne et ce sont là les deux périls de demain pour
l'Église et pour le monde civilisé,
I /enjeu véritable de cette épouvantable guerre, ce
n'est pas le déplacement de quelques centaines de kilo-
mètres de frontières au profit d'une nation ou d'une
autre; ce n'est pas une hégémonie politique, ou écono-
mique, ou navale à perdre ou à gagner ; ce n'est pas le
remaniement de la carte d'Europe ou de la mappe-
monde; ce n'est pas même (mon Dieu, vous voyez avec
quel battement de mon cœur dans ma plume j'écris ces
mots!) ce n'est pas même la vie ou la mort d'une nation.
L'enjeu de cette guerre, c'est vraiment le règne de Dieu
dans les âmes, parce que c'est la restauration ou 1?»
28^ LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE
ruine de l'absolu dans l'intelligence humaine. Or, c'est
la pensée allemande moderne, — identifiée avec la force
brutale du pangermanisme, - qui ruine l'absolu dans
l'intelligence humaine.
Il faut rendre à la raison humaine la connaissance
de Dieu, du Dieu réel, personnel et Créateur dont, seule
aujourd'hui entre toutes les doctrines rehgieuses, la
doctrine catholique ose affirmer et démontrer l'exis-
tence. Et le grand obstacle à cette œuvre indispensable,
c'est la pensée allemande moderne, qui mène fatale-
ment le monde à l'athéisme panthéisliqueel à l'anarchie
sociale.
Vous qui déplorez la perle de la foi autour de vous
dans les âmes, allez à la source : toujours, toujours
vous trouverez que le mal vient de la philosophie alle-
mande. Concluez donc!
Je n'ai pas la réputation d'être de ceux qu'on peut
accuser de mollesse à l'égard de l'athéisme militant
chez nous, mais j'ose affirmer, sur mon honneur et ma
conscience de prêtre, et avec une conviction mûrie par
toute une vie d'études, que l'Allemagne ment quand
elle essaie de faire croire aux catholiques des pays
neutres que sa victoire serait la victoire de la refigion
et de l'ordre, et que la victoire de la France serait le
triomphe de l'incréduhté et de l'anarchie. L'Allemagne
ment ; les vrais ennemis de l'Église, de Jésus-Christ et
de Dieu, ceux qui savent, ceux qui opèrent dans
l'ombre, sont avec elle. J'ose dire que l'anticlérica-
lisme violent et brutal qui sévissait chez nous, et qui est
déjà déconsidéré et condamné par ses excès passés, est
pour l'Église un moindre danger que la « décléricali-
sation » hypocrite (le mot a cours en Germanie) du
catholicisme allemand et autrichien.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 29
Les catholiques cF Allemagne et même d'Autriche, si
nombreux qu'ils soient, si sincère et consolante que
soit la piété des fidèles, n'ont pas la force directrice
qu'ils devraient avoir pour réagir contre la pensée alle-
mande moderne anticatholique, antireligieuse dans son
essence en dépit des formes extérieures, et identifiée à
la puissance du germanisme. Les catholiques, très
assouplis par le pouvoir civil, soumis à un régime
oppressif et déprimant, sont entraînés politiquement,
socialement, doctrinalement, dans l'orbite du germa-
nisme. Or, M. Georges Goyau, dans l'étude qu'on lira
plus Join, établit, avec sa compétence hors pair, ce qu'il
appelle l'équation entre le protestantisme et le germa-
nisme moderne. De là le mal, et il est immense. Le
modernisme, semi-protestantisme né chez eux, a fait
parmi les catholiques de langue allemande de terribles
ravages. Sur les huit professeurs cathohques qui ont
signé l'invraisemblable manifeste des 93 intellectuels,
j'en relève très sûrement quatre, probablement cinq et
peut-être davantage, qui ont été soit condamnés par
Rome, soit signalés pour doctrines suspectes. Et on est
loin de tout condamner et de tout signaler!
Encore une fois, j'ai toujours mis dans la lumière
la plus crue ce que notre Séparation « areligieuse »
contient en soi de contraire au droit naturel lui-même,
et, par suite, d'incurablement condamnable. Mais, pour
Dieu, d'où nous vient cette « areligion » (pure fiction
politique, que contredit violemment l'état réel de la reh-
gion en France), sinon de la philosophie allemande, de
la pensée allemande?
Dès lors, de la part d'un catholique étranger, redou-
ter la France au point de vue* religieux et ne pas avoir
peur de l'Allemagne, ce serait s'éloigner avec horreur
39^ LES LOIS CHHÉTIENNES DE LA GUERRE
d'un malheureux empoisonné qui vomit son poison et
est déjà plus qu'à demi guéri, et se jeter à corps perdu
dans les bras de Tempoisonneur tout gonflé d'un venin
dont il est lui-même la source.
On attribue à Bismarck cette phrase, adressée au
député Werlé : « La force du catholicisme est en France ;
si nous pouvons l'en extirper, nous serons maîtres des
Latins (1). »
De la part de l'un des ennemis les plus sagaces
qu'aient eus l'Église et la France, cette parole est vrai-
semblable. En tout cas, si elle n'était pas historique,
elle serait, selon le mot célèbre, plus vraie que l'histoire.
La preuve, c'est qu'elle vient d'être rééditée, incon-
sciemment à coup sûr, par un député républicain cata-
lan, M. Gorominas, qui y voit plus clair que certains de
ses compatriotes catholiques :
« Si la Prusse luthérienne arrivait de nouveau à
vaincre la France, le catholicisme latin serait absorbé
et, en son essence, anéanti par le rationalisme teuton.
(1) Cité dans la brochure Aux Catholiques espagnols et italiens : un
catholique français , docteur es lettres. S. 1. n. d., p. 24. On entend assez
que la force du catholicisme en réalité n'est pas en France : elle est en
Dieu, et à Rome, et partout où il y a une âme qui vraiment a la foi.
Mais on entend bien aussi en quel sens Bismarck le disait et en quel
sens, avec une grande humilité de nos fautes et un grand tremblement
des jugements de Dieu, nous pouvons le répéter. Qu'on le veuille ou
non, la France est dans le monde une force catholique. Et dans la
guerre actuelle, le principe spirituel et doctrinal que les alliés défendent
et représentent, c'est bien en réalité le principe catholique. Je crois l'avoir
démontré dans ces pages.
Impossible de ne pas mentionner le fait antichrélien de la Guerre
Sainte, prêchée par la Turquie sur l'ordre de l'Allemagne, en vue d'ex-
citer dans le monde entier le fanatisme musulman contre le nom chré-
tien. A l'heure actuelle, la France et ses alliés reprennent bien réelle-
ment en Orient l'œuvre des croisades, et M. Denys Cochin n'avait pas
tort [Gaulois, 16 novembre 1914) d'entrevoir des événements qui pour-
raient bien relever la royauté csftholiqUe de Jérusalem au profit d'Al-
bert I»', roi des Belges, digne successeur de Godefroy de Bouillon.
LES LOIS CHRÉTIENNES DE LA GUERRE 30
La fureur germanique, qui fut vaincue dans les guerres
religieuses des temps déjà modernes, reconstruirait un
nouveau Sacré Empire d'Occident (1). »
Que nos frères latins, que nos frères étrangers
veuillent donc bien ne pas croire sur parole les émis-
saires de la pensée allemande. Qu'ils nous écoutent,
qu'ils nous lisent, qu'ils étudient, qu'ils réfléchissent,
qu'ils prient. Oui, qu'ils adressent pour la France une
prière à la bienheureuse Jeanne d'Arc, qui disait :
« Guerroyer contre la France, c'est guerroyer contre
Dieu. » J'ai idée qu'elle n'a pas encore changé d'avis.
C'est la demande respectueuse et cordiale que je me
permets d'adresser à chacune des âmes qui liront ces
pages.
Bernard Gaudeau.
(1) Dans El Poble Catalan. Communication de M. Marius André.
LA < CULTURE > GERMANIQUE
ET LE CATHOLICISME
L'Empire « évangélique » d'Allemagne, depuis 1871,
s'est à deux reprises lancé dans une guerre, au nom
de sa « culture » et pour le bénéfice de cette « cul-
ture ».
La première de ces guerres succéda, tout de suite,
aux victoires remportées sur la France : elle fut engagée
par l'Empire nouveau contre un tiers de ses propres
sujets, contre les catholiques-, le matérialiste Virchow
la baptisa d'un vocable ambitieux, que le gouvernement
de l'Empire adopta; on l'appela, en propres termes, la
guerre pour la culture, Culturkampf. Et c'est en arbo-
rant ainsi le drapeau de la civilisation que la royauté
prussienne déposa, emprisonna, exila, archevêques et
évêques; qu'elle prohiba, dans un certain nombre de
paroisses cathoHques, l'administration des sacrements ;
qu'elle mit au cachot les curés héroïques qui persis-
taient, malgré Bismarck, à vouloir réconcilier les mou-
rants avec Dieu, à vouloir leur porter Dieu. D'un bout à
31^ LA « CULtOtlÈ » GERMANIQUE
l'autre de la Prusse, la maréchaussée fut aux trousses
des prêtres : ainsi l'exigeait la « culture », sous
l'obsession d'un spectre qu'elle nommait 1' « ullramon-
tanisme ».
Hors d'Allemagne, les catholiques s'émurent, beau-
coup de libéraux également : Bismarck leur contesta le
droit de s'émouvoir, le droit de professer, au sujet de
son conflit avec le Pape, une autre opinion que la
sienne. Qu'on fût officiellement neutre entre Rome et
lui dans la guerre qu'il avait entreprise contre les
fidèles de Rome, le chancelier de fer avait peine à l'ad-
mettre. Il jetait des coups de sonde du côté de l'Italie,
afin d'amener le gouvernement du Quirinal à prendre
nettement parti pour la Prusse contre le Pape ; et du
côté de la France, du côté de la Belgique, c'étaient des
menaces que Bismarck lançait. France et Belgique
avaient à ses yeux le tort irrémissible d'être des pays
catholiques : il les soupçonnait l'une et l'autre de pou-
voir offrir à Pie IX un point d'appui dans le duel des
libertés catholiques contre la force allemande. Edwin
de Manteuffel, en 1874, dénonçait spécialement la Bel-
gique comme un centre de résistance avec lequel il en
fallait finir ; il craignait que ce pays n'abritât le général
des Jésuites : « C'est là, disait-il, qu'il convient de porter
la lutte religieuse ; elle doit émigrer du terrain national
sur le terrain extérieur. »
« L'anticléricalisme n'est pas un article d'exporta^
tion », proclamera plus tard Gambetta. Bismarck, au
contraire, entre 1873 et 1877, rêvait de je ne sais quelle
dictature morale de l'Allemagne sur le monde, dicta-
ture qui ferait s'abaisser toutes les frontières et s'hu-
miHer toutes les consciences devant l'anticathohcisme
germani(fue. Il semble qu'au cours de ce premier
i
ET LE CATHOLia«ME 32
Ciilturkampf la « culture » allemande fit un premier
essai de ses méthodes de despotisme ; et la nécessité
pour les neutres de se soumettre, bon gré mal gré, aux
exigences politiques du germanisme était, d'ores et
déjà, l'un des articles du programme. L'acte initial qui
révélait au monde cette « culture », fraîchement incar-
née dans l'Empire nouveau, faisait peser une oppres-
sion sur les sujets catholiques de l'Empire et planer
une menace sur les souverainetés catholiques de l'Eu-
rope ; les attentats du Culturkampf intérieur contre la
liberté des âmes se prolongeaient au dehors par cer-
taines répercussions, qui mettaient en péril, déjà, le
droit des gens lui-même.
En 1914, une seconde guerre a été déchaînée par
l'Allemagne, — toujours sous le pavillon de la « cul-
ture » allemande. Au nom du devoir patriotique,
l'Allemagne a groupé, pour cette seconde guerre, tous
ses sujets, protestants et catholiques ; et c'est sur la
catholique Belgique que, tout d'abord, l'offensive alle-
mande s'est ruée; et c'est, dans cette Belgique, contre
tout ce qui est proprement catholique, que la « culture »
allemande affecte de s'acharner. Les historiens catho-
liques du premier Culturkampf i^uhlisiieni avec émotion
la longue liste des prêtres allemands victimes des
vexations bismarckiennes ; cette liste a désormais un
pendant... Les historiens de la seconde lutte pour la
« Culture », que l'an 1914 inaugura, devront aligner
une autre statistique : elle énumérera les prêtres belges
et français victimes des armées allemandes. Le pre-
mier Culturkampf avait fait surgir, pour la défense
de l'Église, de glorieux confesseurs; le second Cul-
turkampf, celui de 1914, a couché sur le sol wallon,
sur le sol flamand, sur le sol lorrain, un certain nombre
32^ LA « CULTURE » GERMANIQUE
de martyrs, suspects parce que prêtres et fusillés
parce que suspects.
Les églises catholiques, en beaucoup d'endroits, sont,
elles aussi, condamnées à mort ; devenues veuves de
leurs prêtres, elles succombent comme leurs prêtres,
broyées par les obus ou consumées par les flammes.
Reims, cette merveille de l'art catholique, est, depuis
des semaines, le point de mire de toutes les forces de
destruction dont s'enorgueillit la « culture ». Il y eut
une époque où l'esprit allemand se montrait fier de
l'architecture gothique, où il considérait cette architec-
ture comme un produit authentique du germanisme ;
on affectait, en ce temps-là, un mépris d'érudits pour
ces Français, qui durant plusieurs siècles n'avaient pas
su apprécier à leur valeur les cathédrales léguées par
le moyen âge. Et puis l'archéologie, mieux informée,
dévoila que ces cathédrales étaient l'œuvre d'artistes
français. Rien ne les protégeait plus, dès lors, contre
les assauts de la « culture » : d'être les filles du
génie français et d'être hospitalières à la « superstition
romaine », c'étaient là deux péchés dignes de mort.
Et la sentence de mort fut rendue, et les canons l'exé-
cutèrent.
*
* *
Qu'est-elte donc en son essence, et quelle est-elle en
son but, cette < culture » qui jadis armait les magistrats
prussiens contre les sujets catholiques de l'Empire,
et qui maintenant, sortant de chez elle, jouant à sa
guise et du fer et du feu, vise avec ses fusils les
J
I
ET LE CATHOLICISME 33
poitrines des prêtres, avec ses obus l'ossature des
sanctuaires?
J'ouvre les livres des théologiens, des historiens, des
pubhcistes politiques, que la Prusse, au cours du
xix^ siècle, semait à travers l'Allemagne, comme autant
de germes de son éphémère grandeur ; et j'y relève, à
toutes les pages, une équation systématique entre pro-
testantisme et germanisme. Avec quelque appareil
scientifique qu'elle se présente, cette équation me laisse
une sorte de malaise. Car je ne puis oublier qu'il
existe en Allemagne des millions de catholiques pour
lesquels cette attitude religieuse du germanisme, s'ils
en prenaient conscience nette, deviendrait certainement
un tourment; et j'oublierai moins encore, en cette
année 1915, que les excès des armées allemandes et
les abominables dissertations apologétiques commises
en leur faveur paroles intellectuels allemands, ont
soulevé chez les luthériens de France, chez les calvi-
nistes de France, les protestations les plus nettes,
les plus éloquentes, les plus soucieuses d'établir qu'il
ne peut y avoir aucune solidarité entre la barbarie ger-
manique de 1915 et l'une quelconque des confessions
chrétiennes. Mais je note cette équation entre protes-
tantisme et germanisme comme un phénomène intellec-
tuel très fréquent au delà du Rhin, et dont il est impos-
sible de faire abstraction dans une définition de la
« culture » germanique... Et voici qu'à la lumière de
l'histoire celte équation s'éclaire; voici que les faits
élabhssent, je ne dis pas la vérité, mais l'efficacité de
l'équation.
Les armées allemandes marchent sur Paris. La prépondérance des
éléments germains sur les éléments latins doit se manifester avec
3 — Fr.
34 LA « CULTURE » GERMANIQUE
une entière évidence. C'est ce qui a déjà eu lieu sur le terrain colo-
nial du Nord de l'Amérique : le Sud, catholique et romain pur sang,
ne put résister au Nord, protestant et germanique ; force lui fut de
plier sous lui. Ainsi dorénavant, sur le continent européen, le pro-
testant germain doit être le premier, et le catholique romain le
second.
C'est en ces termes qu'à la fin de 1870, la Gazette
Générale Évangélique Luthérienne, de Leipzig, com-
mentait les victoires de l'Allemagne sur la France.
Dans une lettre au publiciste Emile de Girardin, un
colonel allemand faisait écho :
L'avenir, signifiait-il, appartient aux races septentrionales ou pro-
testantes. L'Allemagne, terre classique du libre examen, qui avait
Luther quand on ne savait pas chez vous ce qu'est la logique, a été
pour l'Europe ce que le pays de Franklin est pour l'Amérique.
L'Allemagne, parce que protestante, doit maîtriser
les races latines : telle était la doctrine ; et la journée
de Sadowa, puis celle de Sedan, furent tour à tour
interprétées par les prêches et par la presse comme des
victoires du Dieu de la Réforme, du Dieu allemand,
sur des peuples catholiques.
Une thèse courante existe, dans certaines chaires pro-
testantes, affirmant la supériorité des nations réformées
sur les nations sujettes de Rome : l'Allemagne s'em-
pare de cette thèse, elle s'y drape, elle s'en exalte, elle
se donne elle-même comme la preuve vivante, toujours
plus éclatante, que cette thèse est vraie. Silence à
Balmès, et silence à Donoso Certes : ils se flattaient
d'avoir ébranlé cette thèse, offensante et pour leur pays
et pour leur foi ; mais la grandeur de l'Allemagne les
a, paraît-il^ réfutés. Catholiques d'Italie, catholiques
ET LE CATHOLICISME 86
d'Espagne, « esclaves du joug romain », doivent com-
prendre que si l'Allemagne est le peuple maître, c'est
parce que protestante.
L'histoire même de la Prusse, dans certaines pages
de l'historien Treitschke, s'inaugure et se déroule comme
une sorte d'apologétique protestante : rappelant que
l'ancêtre des rois de Prusse avait, en passant à la
Réforme, sécularisé les biens des Chevaliers Teutoni-
ques, Treitschke concluait avec fierté: « L'État prussien
doit Tune de ses assises à un glorieux vol commis aux
dépens de l'Église romaine, » et l'État prussien lui
paraissait, par toute son évolution, « solidaire de
l'Église protestante ». Sybel à son tour, qui fut en
quelque mesure l'historiographe officiel de la Prusse
de Guillaume P% écrit textuellement : « En embras-
sant le protestantisme, l'électeur de Brandebourg
devint, par cela même, le champion de l'Allemagne
indépendante; tout au rebours, l'Autriche, en ruinant
chez elle l'œuvre de la Réforme et en livrant aux
Jésuites l'éducation de ses sujets, a rompu pour jamais
la tradition de l'esprit allemand. »
L'idée de cette solidarité entre le protestantisme et
le véritable « esprit allemand » obsède le cerveau de
Guillaume II : elle l'exalte jusqu'au rôle de pape de la
Réforme. Condescendant et familier, on l'entend parler
de son « ami » Luther presque aussi librement que de
son « vieux Dieu » ; et Ton chuchotait naguère, à
Genève, que ses uniformes étaient prêts, et ses sermons
aussi, pour le jour où il s'en irait sur les bords du
Léman inaugurer souverainement le « mur de la
Réforme ». Il rêvait, paraît-il, de je ne sais quelles
36 LA « CULTURE » GERMANIQUE
mystiques parades, qui l'exhiberaient aux spectateurs
genevois dans un rôle de suinmus episcopus du protes-
tantisme universel. Connaissant Genève, la sachant
fière et d'esprit généreux, j'ai confiance qu'après les
huit mois qui viennent de s'écouler elle sera de plus en
plus décourageante pour ce projet de visite impériale et
pontificale.
Mais l'équation entre protestantisme et germanisme,
— même désavouée par Genève, et par le protestan-
tisme anglo-saxon, et par celui des races latines, —
agit depuis longtemps au delà du Rhin comme une
« idée-force » ; quelle qu'en soit la valeur, quel qu'en
soit Taloi, cette idée possède une vertu, qui se traduit
par des faits. Deux métropoles chrétiennes existaient,
où jusqu'au dix-neuvième siècle la Réforme n'avait pas
pénétré : c'était Rome, c'était Jérusalem. La Prusse offi-
cielle, puis l'Allemagne officielle, implantèrent dans ces
deux villes, au cours du siècle passé, l'Evangile de
Luther. Ce fut un diplomate du roi de Prusse, le baron
de Bunsen, qui dressant contre la colline du Vatican
celle du Gapitole, ouvrit à Rome la première chapelle
évangéliqiie ; et sur la cime d'où Jupiter* Gapitolin avait
été détrôné, l'Église de Luther s'installa. Bunsen
éprouva le besoin de glorifier en un sonnet cette ini-
tiative prussienne ; il dardait ses vers, comme des
flèches, à l'adresse du Vatican ; il s'y flattait d'avoir
« planté un clou » qui ne pourrait plus se déraciner.
Après avoir longtemps qualifié le pape d'Antéchrist, la
Prusse de Frédéric-Guillaume III semblait n'avoir noué
des rapports avec le Pape que pour implanter chez
lui, plus sûrement, la foi de Luther, fourrière du
germanisme au centre même du sol latin.
il
ET LE CATHOLICISME 37
Soixante-dix ans s'écoulèrent, et l'on vit, en 1898,
une sorte de croisade luthérienne s'ébranler vers Jéru-
salem, sous les auspices de Guillaume II : la basilique
de la Rédemption, inaugurée par l'Empereur en per-
sonne, abrita solennellement, au pays de l'Évangile,
ministres et fidèles du « pur Évangile ».
« Comment peut-on désirer que le monde musulman
respecte le christianisme, déclarait l'Empereur devant
les dix pasteurs évangéliques de l'Orient, lorsqu'on voit
ce que le christianisme, représenté par les autres con-
fessions chrétiennes, a fait de Jérusalem? lfc?i72/e72a/3^,
cest à nous le tour ! » Ainsi Guillaume II rêvait-il
d'apparaître aux populations mulsulmanes comme ayant
mission de réhabiliter la personne et la doctrine du
Christ, travesties, apparemment, par le catholicisme.
Et le cadeau qu'il jetait aux catholiques de Jérusalem,
d'un peu de terre pour construire eux-mêmes une église,
ne rachetait pas ce qu'il y avait d'offensant pour l'his-
toire séculaire du cathoHcisme dans la prétention
qu'avait l'Empereur, parce que porteur de l'Évangile
de Luther, de restaurer et de venger la réputation du
Christ. Vis-à-vis de la Custodie franciscaine, vis-à-vis
des représentants de l'Église romaine à Jérusalem, il
se targuait d'apporter, en la décorant de son prestige
d'empereur, l'interprétation fidèle de l'Évangile ; et tous
ses propos et tous ses gestes signifiaient à l'Islam :
« Maintenant, c'est à Luther le tour î »
Dès 1870, du jour où le canon de Sedan eut paru
sonner l'heure de Luther, le même esprit de conquête
religieuse visa les vieux pays latins. L'Espagne catho-
lique fut tout de suite visitée, dès le mois d'octobre de
38 LA « CULTURE » GERMANIQUE
cette année fatale, par la propagande « évangélique »
du pasteur allemand Fliedner; un autre Allemand,
Henri Ruppert, survint pour lui donner aide ; et Flied-
ner, jusqu'à sa mort, dans sa chapelle de Madrid, sut
lutter, en bon Germain, contre la vieille culture latine
de l'Espagne.
Là-bas sur le Danube, dans Tautre portion de l'an-
cien empire de Charles-Quint, le germanisme, discipliné
jadis par les Jésuites, avait, grâce à eux, gardé son
obédience au catholicisme. Mais la Prusse, au début
du vingtième siècle, porta ses regards de ce côté, pour
préparer, en terre autrichienne, d'étranges aventures.
<( Les étudiants autrichiens de nationalité allemande,
proclamait l'un d'entre eux, n'attendent que l'instant le
plus propice pour montrer à leur peuple, par un grand
exemple, comment il doitsedéher des chaînes de Rome,
la mortelle ennemie, et trouver dans l'Église chrétienne
protestante allemande une éducation mille fois plus
noble et plus libre, nationale avant tout. » L'instant est
propice, insistèrent à Rerlin certaines voix augustes ;
et l'on vit, plusieurs années durant, avec l'appui offi-
cieux des pouvoirs allemands et de l'or allemand, des-
cendre en pays tchèques et Slovènes, et dans les régions
catholiques de l'Autriche allemande, d'entreprenants
messagers qui prêchaient aux populations la séparation
d'avec Rome : Los von Rom ! Ils cueillirent des victoires
partielles: l'empereur Guillaume II, pontife suprême de
son Église évangélique, instigateur lointain de cette
chasse aux âmes, put apprendre avec joie, à la fm de
1903, que plus de vingt mille consciences, en Autriche,
s'étaient résolues à cet acte suprême de germanisme :
émigrer de l'Église romaine dans l'Église évangélique.
ET LE CATHOLICISME 39
et que le protestantisme, ce « christophore qui porte et
promène l'esprit germanique », comptait en Autriche
vingt mille adhérents de plus. « L'avenir de notre peu-
« pie est perdu, criait un agitateur, si de la mer Balti-
« que à l'Adriatique il n'appartient pas à une seule
« foi. » Dans l'État pangermanique ainsi rêvé, le catho-
licisme apparaissait comme une sorte d'hérésie poH tique,
dont l'expulsion s'imposerait ; les champions du mou-
vement « Los von Rom » estimaient que, devant le
germanisme épanoui, la foi romaine n'aurait qu'à
déménager.
Voilà de quelle nuance confessionnelle se couvre la
culture germanique; voilà quel genre de croisade chré-
tienne elle entreprend. Mais qu'on ne s'y trompe point :
ce dont il s'agit, pour les représentants de cette « cul-
ture », ce n'est point d'acheminer les âmes romaines ou
palestiniennes, espagnoles ou autrichiennes, vers une
conception religieuse qu'ils jugeraient plus conforme au
« pur Évangile » ; dans leurs préoccupations intimes,
l'idée religieuse passe au second plan; il s'agit de faire
prévaloir une confession d'origine germanique sur le
catholicisme des races latines. Ces pangermanistes que
vous voyez les plus empressés à brandir indiscrètement
le drapeau de la Réforme sont souvent des sectaires,
mais presque jamais des croyants; ce sont, en religion,
des sceptiques, pour qui le protestantisme a la valeur
d'un outil politique. A l'arrière-plan de leur anticatho-
licisme, qui s'affiche et qui s'étale, vous voyez émerger
un an ti christianisme, inconscient ou conscient, inavoué
ou proclamé.
40 LA « CULTURE » GERMANIQUE
* *
Observez, en effet, les méthodes d'action du germa-
nisme, scrutez-en les postulats politiques et moraux :
tout ce système est foncièrement incompatible avec l'es-
prit de l'Évangile, avec les exigences les plus élémen-
taires de la morale du Christ. Nous touchons ici les
conséquences très pratiques, très réalistes, de certaines
spéculations philosophiques qui, dans le domaine de la
pensée, pouvaient ne paraître que des jeux d'esprit, et
qui parfois obtinrent à ce titre l'indulgence trop accueil-
lante de la pensée latine. Voici que ces spéculations,
transportées dans le domaine de l'histoire, deviennent
jeux de princes ou jeux de soudards; et tout de suite
elles suggèrent, tout de suite elles glorifient les plus
criminelles atrocités.
Le bien est bien, le mal est mal : ainsi parlait l'Église,
avec le bon sens. La philosophie allemande nie cette
distinction, proclame l'identité des contraires, donne au
mal je ne sais quelle mission pour créer et réaliser le
bien. L'avènement universel de l'idée germanique,
voilà le bien suprême : au nom de l'idée germanique,
on est autorisé à faire le mal, ouvrier nécessaire de ce
bien. On ne cherche même pas, pour les forfaits de la
guerre, des circonstances allénuantes; philosophique-
ment, on les estime justifiés ; le mal est dans le monde
l'accoucheur du bien; TÉtat allemand, qui d'après' l'hé-
gélianisme incarne la réalité même de l'idée morale,
fera donc le mal, consciemment, volontairement, en vue
ET LE CATHOLICISME 41
de cette œuvre supérieure qu'est la poursuite de son
propre triomphe; et par cela même qu'il fera le mal, il
se flattera d'accomplir l'intégralité du vouloir divin.
Tant pis pour ceux qui sont étrangers à la race germa-
nique : ils n'auront toute leur valeur d'hommes que du
jour où ils accepteront d'être les sujets de cette race;
elle a le droit, en se servant du mal comme auxiliaire,
de faire leur bien. Contre cette hégémonie, qui déifie le
caprice germanique, ils ne peuvent en appeler pour
leur défense à une loi morale supérieure : les garanties
de vraie liberté que trouve tout être humain dans l'ac-
complissement social de la loi morale sont dès lors
périmées. La résistance des peuples latins à la race
suzeraine prend l'aspect d'une insurrection contre le
progrès humain ; elle prouve leur infériorité « cultu-
relle » ; ils doivent être châtiés, et les procédés d'inti-
midation, de destruction, de sauvagerie systématique,
seront le châtiment de leur aveuglement.
N'invoquez ici ni les maximes du droit des gens ni
les axiomes d'une morale transcendante : la raison
pure, ici, n'a rien à voir, non plus que l'Évangile. Une
(( raison pratique » crée le « vouloir » allemand, lequel
crée la morale allemande, et la morale allemande, par
définition, est impérieuse, unique et souveraine. Vous
protestez auprès du théologien Harnack que la viola-
tion de la Belgique lèse les traités; il vous répondra que
c'est là une question de morale : moralement parlant,
l'Allemagne se doit à elle-même de poursuivre sa fin, de
réaliser son vouloir, d'épanouir et de parachever sa
conscience de peuple. Voilà le seul devoir de l'Alle-
magne : on en prend à témoin le vieux Dieu allemand;
et l'on décrète qu'en vue de ce devoir tous les caprices
42 LA « CULTURE » GERMANIQUE
de la force doivent prévaloir sur les réserves du
droit.
Le vieux Dieu allemand, à qui chemin faisant Ton
adresse, en paraissant le considérer comme une person-
nalité, certains gestes d'amicale politesse, se confond
en définitive, dans la pensée des philosophes, avec le
« devenir » historique de la race ; il finit par s'identifier
avec cette race élue, toujours en marche vers l'accom-
plissement de ses destinées universelles. Le pan-
théisme, avec tout ce qu'il y a d'immoral dans certaines
de ses conséquences, est à la base de la « culture »
germanique contemporaine, à l'origine des ambitions
germaniques, au point de départ des crimes qu'elles
suscitent et des apologies qu'elles inspirent. La pensée
allemande n'a plané, cent cinquante ans durant, sur
les cimes nuageuses d'une métaphysique subtile, que
pour faire rebondir l'action allemande dans l'anar-
chique sauvagerie de l'état de nature, où toute violence
est permise et quasiment sanctifiée.
C*en est fait de Tidée d'un Dieu personnel, qui maî-
trisait l'arbitraire des volontés humaines : l'arbitraire
même de la volonté germanique se qualifie Dieu. C'en
est fait de l'idée de fraternité humaine, dont la pater-
nité divine est la garantie, et dont le Christ fut le mes-
sager : il n'y a plus de communauté d'essence entre la
race germanique et les autres hommes. C'en est fait de
l'esprit de charité évangélique : les impulsions d'amour
et de miséricorde sont des faiblesses, des duperies; les
puissances de haine, les puissances de mal, créent l'ave-
nir. Cette philosophie, qui repose sur une apologie de la
force, est en rupture complète avec toute la tradition
ET LE CATHOLICISME 43
chrétienne, avec toute la pensée chrétienne, avec toutes
les confessions chrétiennes; et c'est un singulier spec-
tacle de voir le pays de Luther, — le pays qui se glori-
fiait si volontiers d'avoir remis en vigueur ce qu'il appe-
lait le « pur Évangile », — étayer sa conduite et asseoir
son existence sur une philosophie dont tous les axiomes
bafouent l'Évangile et dont toutes les applications vio-
lent l'Évangile.
Parfois le pangermanisme remonte jusqu'à l'Ancien
Testament : il y pille quelques textes, quelques faits,
dont il puisse se servir pour justifier les actes que s'est
permis l'Allemagne à titre de peuple élu. On entendait
raconter, l'automne dernier, dans certaines chaires de
Berlin, comment Sihon, roi d'Hésébon, ayant, d'après
le livre du Deutéronome, refusé le passage aux enva-
hisseurs, fut honteusement battu, et comment tous les
hommes de son royaume, et toutes les femmes, et tous
les enfants, périrent, et comment il ne resta de vivant
que le bétail, que l'envahisseur emporta. Les pasteurs
qui pieusement méditaient sur ce texte y découvraient
un avertissement prophétique à l'adresse du roi de Bel-
gique, coupable d'avoir refusé le passage aux armées
de Guillaume, élu de Dieu; ils infligeaient à l'Écriture
ce déshonneur, d'en tirer des leçons de cruauté.
Mais l'Écriture, l'Ancien Testament, c'est un produit
de la civilisation judaïque : d'autres pangermanistes
surgissent, plus absolus et plus chatouilleux, deman-
dant pourquoi le germanisme continuerait de se ré-
44 LA « CULTURE » GERMANIQUE
clamer d'une pensée et d'un Dieu dont les origines
sont étrangères au germanisme lui-même; et ce n'est
pas seulement par une saillie d'originalité, mais, bien
plutôt, par l'effet d'une profonde logique, que certains
de ces pangermanistes, ne voulant plus d'autres divi-
nités que des divinités indigènes, ont reculé, par delà
Luther, héraut germanique de Tidée chrétienne, jus-
qu'à Wotan, jusqu'à Odin, jusqu'à Thor, incarnations
germaniques, authentiquement indigènes, de lïdée
même de Dieu. Encore que Luther soit le type de
l'homme allemand, de l'homme kerndeutsch, le Christ
de Luther demeure un Juif; avec Wotan, on a le
dieu allemand, le Dieu kerndeutscb.
Puisque en effet, théoriquement parlant, Dieu est
au service de la Germanie et ne peut être qu'au service
de la Germanie, puisqu'il y a identité entre les rêves
de celte race et le vouloir de Dieu, puisque le germa-
nisme a prétendu s'asservir Dieu et, si l'on peut ainsi
dire, nationaliser les conseils de Dieu, il était naturel
que certaines imaginations, moins croyantes d'ailleurs
qu'exaltées, rejoignissent, au delà du panthéisme raf-
finé du dix-neuvième siècle, le vieux paganisme de la
Germanie, et qu'elles s'éprissent de ces fables qu'on
croyait à jamais surannées et qu'enfantèrent, à l'aurore
de l'histoire, les imaginations germaniques. Au demeu-
rant, la philosophie allemande qui faisait de Dieu, non
plus un être objectivement transcendant, mais une
création de la conscience humaine, une élaboration du
subjectivisme humain, avait elle-même préludé, sans
assurément s'en rendre compte, à ce renouveau païen.
Car la création de la conscience germanique, l'élabora-
tion du subjectivisme germanique, portent dans l'his-
ET LE CATHOLICISME 45
toire le nom d'Odin, de Wotan, de Thor ; et c'est ainsi
qu'à Técole des philosophies les plus audacieuses, les
plus nouvelles, certains pangermanistes ont réappris à
se prosterner devant les mythes de l'antique Germanie.
Ils ne se trompaient pas, à vrai dire, en estimant que
pour mettre leurs violences sous les auspices d'un
Dieu, ils devaient élire Wotan, et non point le Christ;
et le congé qu'ils prenaient du Christ au moment où
ils faisaient du nom de Dieu un abus confinant au
blasphème, était encore, quoi qu'ils voulussent, un
hommage au Christ.
Nous sommes loin du temps où le poète Maurice
Arndt, que les pangermanistes d'aujourd'hui vénèrent
comme une sorte de barde, proclamait que la race
germanique était le sel de la terre chrétienne... Mau-
rice Arndt a de lointains successeurs qui, dans les
régions allemandes de l'Autriche organisent une
propagande nationaliste ( vôlkisch ) pour les vieux
cultes germaniques, qui fondent en l'honneur de ces
cultes des revues, des journaux, des feuilles pédago-
giques, qui sur le sommet des Alpes tyroliennes dérou-
lent emphatiquement des fêtes solstitiales, et qui enga-
gent le peuple allemand à replanter les vieux arbres
sacrés, jadis abattus par saint Boniface. Pour ces aven-
tureux fourriers du germanisme, l'ère chrétienne même
doit être abrogée, et le point de départ de leur calen-
drier n'est plus la naissance du Rédempteur, mais la
bataille de Norcie, livrée l'année 113 avant notre ère,
entre Teutons et Romains.
Tel est, sur la route d'orgueil qu'elle continuera de
descendre en croyant toujours s'élever, l'ultime point
46 LA « CULTURE » GERMANIQUE
d'arrivée d'une certaine « culture » germanique : après
s'être donnée comme la quintessence du christianisme,
cette culture se complaît, avec un singulier mélange de
pédantisme et de puérilité, à des résurrections factices
de l'idolâtrie. Saint Boniface, au huitième siècle, croyait
avoir eu raison des idoles : ce Germain qui ne put civi-
liser la Germanie que parce qu'il était l'élève et le mes-
sager de Rome, soupçonnait-il que, onze cents ans plus
tard, des hommes se rencontreraient, pour restaurer la
gloire d'Odin sur Taltitude des montagnes et dans les
profondeurs des âmes, par haine de Rome, par haine
des civilisations méditerranéennes, par haine du nom
latin, par haine du Christ?
Georges Goyau.
LE ROLE CATHOLIQUE DE LA FRANCE
DANS LE MONDE
L'auteur des pages qui suivent n'a T intention de
partir en guerre^ — en ces temps où la guerre est
partout, — contre personne.
Français, il a pour la France les sentiments d'un
bon citoyen et d'un ardent patriote; mais, ayant long-
temps vécu loin de ses frontières et fréquenté des
liommes « de toute langue et de toute tribu », il sait
qu'aucun pays n'a le monopole du bien, et il croit
avoir assez de liberté d'esprit pour rendre à chacun
ce qui lui est dû. On peut aimer beaucoup sa patrie
sans haïr celle des autres.
C'est ainsi préparé que je voudrais, en quelques
pages très simples et très sincères, quoique fort
incomplètes, essayer de rappeler, à quelques-uns de
ceux qui l'oublient, le rôle catholique de la France
dans le monde...
I
LA FRANCE ET SA RÉPUTATION
Dans Je formidable conflit dont l'Europe était depuis
longtemps menacée et qui a fini par éclater à propos
d'un incident qui ne fut qu'une occasion, les Catho-
liques de divers États neutres ont pris position et, tra-
48 LE RÔLE CATHOLIQUE
vailles par une propagande abondante, méthodique,
savante et singulièrement hardie, nombre d'entre eux,
paraît-il, manifestent à l'égard de la France des senti-
ments qui montrent combien ce pays leur est inexacte-
ment connu.
Hélas ! la raison principale de cette attitude n'est
pas difficile à découvrir : la politique anti-religieuse de
ces dernières années nous a discrédités devant le
monde entier !
Et c'a été là, après la désastreuse surprise de 1870,
après le malheureux traité de Francfort et ses consé-
quences, c'a été là une autre victoire de Bismarck, vic-
toire plus humiliante encore que les autres, puisqu'elle
est acceptée par une partie de la nation, par ceux qui la
gouvernent...
Ayant vu par expérience quelle source inépuisable
de discussions et de faiblesse les querelles religieuses
sont pour un pays, Bismarck eut l'idée infernale, après
avoir mis fm au Kulturkampf en Allemagne, de le
faire passer en France. Il ne réussit que trop bien. Et
c'est après nous avoir inoculé ce virus, qui nous a
empoisonnés et défigurés, que la vertueuse Allemagne
nous montre du doigt aux Catholiques d'Italie, d'Es-
pagne et d'ailleurs :
— Voyez ces athées et ces dégénérés. Quel bien peut
désormais en attendre la sainte ÉgHse? Tandis que
nous ! . . . Gott mit uns !
Semblablement, la Babylone des temps modernes —
c'est de Paris qu'il s'agit — est représentée comme la
sentine de tous les vices. Et la vérité est que cette
Babylone est surtout connue et pratiquée comme telle
par une clientèle exotique, pour laquelle, il est vrai, elle
a eu le tort d'être beaucoup trop accueillante par le
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 49
passé. Mais quelle différence entre ce Paris de la
légende et le Paris véritable !
Cette réputation, d'ailleurs fâcheuse, est entretenue
par la presse étrangère avec une persistance et un
ensemble surprenants. Quand on lit les journaux alle-
mands, anglais, italiens, espagnols, etc., on est surpris
du genre de correspondance qui leur est envoyé de
Paris : des histoires de théâtres, des modes, des scan-
dales, des chroniques légères, des fêtes, des futilités,
de petits faits ridiculement exagérés ou généralisés,
des vilenies sociales, politiques, financières, littérai-
res, artistiques , tout ce qui peut nous déconsidérer,
tout ce qui peut nous représenter comme un peuple de
décadents. De tout le reste, rien. Il est vrai que la
plupart de ces reporters ont une moralité qui ne leur
permet guère de s'élever au-dessus de ce niveau : c'est
une excuse !
La presse catholique allemande s'est particuliè-
rement distinguée, depuis longtemps, dans cette façon
d'écrire This Loire. Au fond, le Kulturkampf a eu plus
de succès qu'on ne le pense communément. Son but
était de nationaliser le catholicisme allemand, en le
détachant de Rome pour en faire un instrument docile
à l'usage de l'empereur et de l'empire. Le moyen a
échoué, mais le résultat a été, à sa manière, obtenu. Que
les Catholiques allemands soient des patriotes, c'est leur
droit et leur devoir : niil ne peut songer à le leur
reprocher. Mais ce dont on peut s'étonner, c'est la
faciUté avec laquelle ils sont entrés, pour leur part,
dans cette espèce de delirium germanicum, dont toute
la nation paraît décidément atteinte. A leurs yeux, la
France, « la pauvre France », est un pays athée, fini,
d'où la vie chrétienne a presque entièrement disparu,
4 ~ Fr.
50 LE RÔLE CATHOLIQUE
et à laquelle l'Allemagne, si religieuse, si bien organisée
et si forte, doit se substituer par une propagande métho-
dique et vigoureuse, à la fois nationale el catholique.
En d'autres termes, le catholicisme allemand va de
pair avec l'impérialisme allemand. Lui aussi a sa
Weltpolitik!
Eh bien, non ! la France ne mérite pas la réputation
qui lui est faite.
Certes, elle ne nie pas ses défauts, ses fautes, ses
faiblesses, ses divisions, ses aberrations; car, au moins,
l'hypocrisie n'est pas son fait! Mais qui donc lui jettera
la première pierre, en Europe, ou hors d'Europe?...
N'insistons pas !
La voici à l'épreuYe, elle du moins, à l'épreuve du
feu : sa jeunesse n'y fait pas trop mauvaise figure, et
l'armée allemande ne trouve plus qu^elle est aussi dégé-
nérée qu'on le lui avait dit...
Aussitôt que le canon a fait entendre sa grande voix
à la frontière, « l'Union sacrée » s'est faite. L'étiquette
officielle qui la désignait aux regards du monde a
craqué partout, et au-dessous de la France artificielle
et décadente est apparue une autre France qui se voyait
moins et qui la représentait mieux. Tout à coup, la
vieille race s*est retournée, et on Ta revue avec quelque
surprise montrer ce qui fait le fond de son âme baptisée,
la générosité, le désintéressement, la vaillance et la
bonté, unis à un sang-froid, un calme et une résolution,
qu'on ne lui soupçonnait pas. Jeanne d'Arc a reconnu
son sang !
Il
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 51
C'est une énorme vague de fond qui a balayé Técume
de la surface.
*
L'histoire de France, au reste, est pleine de ces rebon-
dissements étranges. Maintes fois, ce peuple a paru
perdu : l'instant d'après, il rejaillissait miraculeusement
et recommençait une nouvelle période de vie et de gran-
deur. Telles furent les crises terribles du xiv^ siècle,
l'invasion anglaise, la guerre de Cent Ans, les guerres
de religion, la Révolution et ses suites — qui se font
encore sentir. « Autant de crises religieuses, autant de
crises nationales; autant de restaurations de la France,
autant de restaurations du Catholicisme (1). »
L'époque actuelle, qui a vu mettre en discussion tous
les principes sur lesquels une société repose, paraît ar-
rivée à son terme : une autre a déjà commencé. La
réaction se préparait dans les esprits, visible pour les
yeux attentifs : la guerre la rend manifeste. Selon une
pensée de Maurice Barrés, la chevalerie révolutionnaire
s'unit chez nous à la chevalerie du Christ. L'agres-
sion allemande fit cette soudure, après les quarante-
quatre ans d'humiliations qu'elle nous avait imposées.
Le miracle continuera.
(1) M»"^ A. Baudrillart, La Croix, 5 septembre 1914,
52 LE RÔLE CATHOLIQUE
II
LA FRANCE ET SA VIE SPIRITUELLE
Au surplus, les Catholiques étrangers qui jugent de
la France par son étiquette officielle et extérieure
oublient vraiment trop la vie surnaturelle qui circule
dans ses meilleurs éléments et qui est attestée par tant
de témoignages ; les services que, même au xix^ siècle,
elle a rendus à la civilisation chrétienne et à rÉghse ;
la place surtout qu'elle tient dans le monde par ses mis-
sionnaires, qui deviennent^ au besoin, des martyrs.
* *
L'Allemagne officielle parle beaucoup de « son » Dieu
— Unser Gott ! — comme si, l'hégémonie de la terre
ne lui suffisant déjà plus, elle aspirait à celle du ciel !
Nous, nous ne sommes que de pauvres pécheurs, et
nous le confessons très humblement, baissant la tête et
nous frappant la poitrine. Et cependant, malgré notre
indignité, et même en ces derniers temps, nous avons été
l'objet de manifestations surnaturelles éclatantes, con-
firmées par des miracles et reconnues par l'Église, que
nulle part au monde on n'a vu se produire en pareil
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 53
nombre : Dieu ne paraît donc pas nous avoir abandonnés.
Telles sont les apparitions de la Vierge Marie, à la([uelle
nous aimons à donner le doux nom de « Reine de
France », à la Salette, en 1846; à Pontmain, en 1871;
et surtout à Lourdes, où les prodiges de guérison et de
conversions se succèdent depuis plus de cinquante ans.
Nulle part non plus on ne trouve plus de sanctuaires
dédiés à Marie, plus de pèlerinages, plus de confréries
groupant d'innombrables associés.
Continuons cette revue rapide. Si, comme l'écrit
M^' Baunard (1), la première de toutes les gloires est
de produire des saints, la première de toutes les gloires,
en ces derniers temps, ne reviendrait-elle pas à la terre
de France?
Sans remonter à saint François de Sales, que Pie IX
a proclamé docteur de l'Église universelle, ni à saint
Vincent de Paul, donné par Léon XIIÏ comme patron
et protecteur de toutes les œuvres de charité, nous avons
donné naissance à une telle quantité de saints person-
nages que, tout de même, l'arbre qui porte ces fruits ne
donne pas l'impression d'être desséché et bon à jeter au
feu. Ce sont d'abord nos missionnaires martyrs de
Gochinchine, du Tong-king, d'Annam, de Chine, de
Corée, d'Océanie et d'Afrique, au nombre de plus
de 150; c'est ce prêtre admirable, J.-B. Vianney, curé
d'Ars, dont le saint pape Pie X avait toujours la sta-
tuette sous les yeux; ce sont les fondateurs et fonda-
trices de ces nouvelles et nombreuses familles reli-
(Ij Mf Baunard, Un sibclo do rilisloirc de France (1800-1900). Pous-
siclgue, Paris.
54 LE RÔLE CATHOLIQUE
gieuses, nées parmi nous : Jean-Baptiste de la Salle,
le P. Eudes, M. Olier, Grignon de Montfort, le P. Liber-
mann, Jean de Lamennais, la Mère Barat, la Mère
Marie-Madeleine Postel, la Mère Javouhey, la Mère
Marie-Thérèse Dubouché, la Sœur Thérèse de F Enfant-
Jésus, et tant d'autres; c'est le pauvre et glorieux men-
diant Benoît Labre; ce sont les voyantes prédestinées
Marguerite-Marie, confidente du Sacré-Cœur à Paray-
le-Monial, Germaine Cousin, la bergère toulousaine,
Catherine Labouré, à qui nous devons la « médaille
miraculeuse », Bernadette Soubirous, l'enfant simple et
sublime de Lourdes ; c'est enfin notre sainte nationale,
Jeanne d'Arc, qui a paru revivre de nos jours pour
unir cette fois Armagnacs et Bourguignons, Français
et Anglais, et marcher, invisible, à la tête de leurs
bataillons, afin de « bouter dehors » le nouvel ennemi
de la patrie française.
*
Un des signes les plus remarquables du perpétuel et
miraculeux rajeunissement de la France est le recru-
tement, toujours contrarié et toujours résistant, du
clergé, des religieux et des religieuses. Nulle part,
peut-être, le clergé n'a devant lui moins d'avantages
temporels,' et nulle part il ne se présente plus libérale-
ment au service de Dieu et des âmes. Il a trouvé sur son
sol, pour le former, d'admirables instituteurs dans les
fils de M. Olier, les prêtres de la Compagnie de Saint-
Sulpice, auxquels s'étaient unis en quelques séminaires
les enfants de saint Vincent de Paul.
Écrasé, décimé, dispersé par la grande Révolution,
puis rallié, réformé et enserré dans les mailles d'un
Concordat qui lui assurait une existence tranquille en
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 55
le paralysant, soumis ensuite à toutes les avanies inspi-
rées par un sectarisme savant, méthodique et légal, tout
à coup ce séparé » violemment de l'État et des avan-
tages que l'État peut offrir, incorporé dans l'armée et,
sous nos yeux même, appelé à mafcher au secours de
la patrie au même titre que tous les autres citoyens, le
clergé de France a fait face à toutes les situations, sans
hésitation, sans défection, avec une dignité, une vail-
lance, une intelligence, un esprit de foi et un patrio-
tisme qui ont forcé l'admiration de ses pires adver-
saires.
L'avez- vous déjà oubhé? C'était en 1906. Pouvait-
on ou ne pouvait-on pas accepter les « associations
cultuelles » prévues par la loi de séparation de l'Église
et de l'Etat? Un doute était permis, d'autant que c'était
apparemment, dans l'ensemble, une question de vie ou
de mort. Sur un mot du pape, l'accord se fit immé-
diatement : le clergé de France, prêtres et évêques,
accepta sans discussion le mot d'ordre que lui donna
Pie X, et ce geste lui coûta — il le savait — ses reve-
nus, ses fondations, ses églises, ses séminaires, ses
évêchés, ses presbytères, bref, une somme évaluée
à 600 millions de francs, qui lui eût permis de vivre.
Il n'en est pas mort, cependant, et c'est une nou-
velle preuve qu'il reste encore des Catholiques en
P>ance pour soutenir leurs prêtres et assurer le service
de leur culte.
La guerre, nous venons de le dire, le soumet à un
autre genre d'épreuves. Combien y a-t-il de prêtres, de
séminaristes et de religieux mobilisés? Il est difficile
de le dire (1); mais on en trouve partout : aumôniers
(1) On parle de 20,000 prêtres, sans compter les séminaristes et les
religieux.
56 LE RÔLE CATHOLIQUE
des armées de terre et de mer, sans doute, mais aussi
combattants de toutes armes et de tous grades, infir-
miers, brancardiers, etc. « Sel de la terre » par voca-
tion, ils sont devenus le « sel de l'armée », où ils ont
trouvé tout de suite le plus sympathique accueil. Et là
encore se vérifie le fait, souvent constaté, que la Provi-
dence a des moyens infiniment variés de tourner les
desseins des hommes ! Ce n'est assurément pas par
respect pour les lois canoniques, ni pour favoriser le
recrutement du clergé, ni pour honorer les prêtres,
qu'on a fait la loi des « curés sac au dos ». Eh bien, il
se trouve aujourd'hui que la présence de ces « curés »
parmi les soldats, sous les mêmes balles et les mêmes
obus, dans les mêmes tranchées, les mêmes ambulances
et les mêmes champs de bataille, a créé entre les uns
et les autres une respectueuse et fraternelle sympa-
thie, qui, à défaut d'autres résultats, vaudrait une
excellente prédication; mais, en fait, jamais, depuis
Jeanne d'Arc, le soldat de France n'a autant pratiqué
la messe, la prière, la confession et la communion.
C'est, au cours des événements les plus tragiques, une
« retraite spirituelle », avec préparation à la mort,
admirablement suivie dans la fraternité des armes,
donnée à toute la jeunesse de France, qui ne l'oubhera
pas.
La multiplication extraordinaire des Ordres et des
Congrégations d'hommes et de femmes sur le sol fran-
çais, au cours du XIX* siècle, est un autre phénomène
déconcertant pour ceux qui s'imaginent que la sève
chrétienne est épuisée chez nous. L'énumération de
ces associations serait fastidieuse : elles ont surgi pour
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 57
rendre tous les services, exercer tous les apostolats,
répondre à toutes les aspirations, soulager toutes les
misères. Et si notre Kulturkampf, importé d'Alle-
magne, en a dispersé plusieurs, la Providence, ici
encore, s'est servie de cette dispersion même pour les
répandre, comme autant de graines précieuses et
fécondes portées par un vent d'orage, dans le monde
entier, qui en bénéficie.
Ces Sociétés religieuses ont d'ailleurs un caractère
commun, qui paraît les entraîner comme nécessaire-
ment au delà des frontières françaises : le prosélytisme
est chez elles un besoin.
Les Filles de la Charité de saint Vincent de Paul ne
sont pas moins de 30.000, répandues par toute la terre.
Les Petites Sœurs des pauvres, nées de rien, ont
plus de 300 maisons dans les deux mondes et ouvrent
le ciel, après leur avoir facilité les derniers pas sur la
terre, à des milliers de vieillards.
Les Frères des Écoles chrétiennes instruisent des
enfants dans les cinq parties du monde.
Il n'y a pas, il semble, d'Ordre plus sédentaire que
celui des Trappistes. Les Trappistes français ont fondé
des maisons au Canada, aux États-Unis, au Brésil, et
jusqu'au Japon et en Chine...
* *
Faut-il aussi parler des belles initiatives religieuses
dont la France a été l'inspiratrice en ces derniers
temps? Un volume entier y serait impuissant. Qu'il
suffise de rappeler la dévotion au Sacré-Cœur, partie
de Paray-le-Monial et à laquelle des souscriptions, dont
le chiffre atteindra 40 millions de francs, viennent d'éle-
58 LE RÔLE CATHOLIQUE
ver une basilique sur les hauteurs de Montmartre, à
Paris ; l'institution des Congrès eucharistiques interna-
tionaux ; l'adoration nocturne du Saint-Sacrement ;
l'Adoration réparatrice : les Catéchistes volontaires ;
l'admirable Société des Conférences de saint Vincent de
Paul qui, en 1900, s'élevaient au chiffre de 5.000, com-
prenant environ 100.000 personnes ; les patronages, les
cercles de jeunes gens et ouvriers, les œuvres de presse,
les études, l'enseignement chrétien à tous les degrés
et dans tous les genres, etc.
Sans doute, écrivait M^'" Baunard il y a quinze ans, le
XIX® siècle aura été le siècle de la grande sécularisation,
de la grande laïcisation et, hélas! de la grande démo-
ralisation, en France et ailleurs... Mais si, nulle part,
l'attaque n'a été plus générale, plus prolongée, plus
vive et plus astucieuse, — notre pays semblant avoir
été choisi comme principal champ d'expérience, — nulle
part non plus la défense n'aura été plus généreuse et
plus belle. « A côté des écoles sans Dieu, l'Église de
France n'a jamais élevé et entretenu à ses frais tant
d'écoles de Dieu et n'a réuni tant d'enfants sous ses
ailes. Elle a fondé des collèges chrétiens, des pension-
nats chrétiens, et elle a osé établir des Universités.
Elle n'a jamais bâti tant d'églises, tant de chapelles et
de couvents, érigé tant d'autels; elle n'a jamais ouvert
tant de refuges pour toutes les misères morales comme
pour les misères physiques d'une société malade; elle
n'a nulle part suscité plus de vocations religieuses et
sacerdotales que dans un pays qui les entrave par toutes
sortes de persécutions, de vexations, d'exécutions et de
séductions. Elle a rarement enfanté plus de Saints,
osons-nous dire, que dans ce temps de dépravation
morale. Et, à rencontre des corruptions de la cité de la
I
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 59
terre, elle a fait s'épanouir la fleur de toutes les vertus
dans la cité de Dieu (1). »
Seulement, parce que notre Kulturkampf, à nous,
n'a pas encore dit son dernier mot, est-ce une raison
pour nos frères de l'Étranger de nous envelopper tous,
croyants et mécréants, dans la même réprobation?
Il fut un temps, qui n'est pas loin, où le vénérable
archevêque de Cologne, M^' Melchers, était en prison
et figurait sur les rôles du geôlier sous le titre de
« rempailleur de chaises ». Personne alors, de ce côté
du Rhin, n'appelait les foudres du ciel sur l'Allemagne
persécutrice, sacrilège et athée...
On est moins généreux pour nous.
(1) M»' Baunard, Un siècle de l'Eglise de France (1800-1900), Paris.
60 LE RÔLE CATHOLIQUE
III
T.A FRANCE ET L EVANGELISATION DU MONDE
La propagation de l'Évangile dans le monde n'a
jamais été interrompue. C'est l'œuvre même de l'Église,
c'est son but, c'est sa raison d'être. « Allez, a dit le
Maître, instruisez les peuples et baptisez-les. » Aucun
ordre plus précis, plus formel et plus clair n'a été donné
par Jésus-Christ : ce fut son testament.
Et cependant, 1900 ans après que cet ordre a été
donné, il reste par le monde plus d'un milliard d'hommes
auxquels le message de Dieu n'est jamais parvenu!
Douloureux problème, angoissant mystère...
En présence de ce fait lam'entable que, sans doute,
on peut expliquer de façon plus ou moins heureuse, les
théologiens et les prédicateurs de divers pays « catho-
liques » dissertent abondamment, pour conclure avec
un bel ensemble que ces infidèles sont en dehors des
voies du Salut...
La « pauvre France », elle, donne chaque année,
pour que la Bonne Nouvelle leur soit annoncée sur
toutes les plages, ses prières, son argent et ses enfants.
Et elle offre tout cela dans une proportion telle que si
tous les peuples dits catholiques en faisaient autant, le
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 61
scandale de ce milliard d'infidèles aurait aujourd'hui
disparu de la terre.
Voilà la vérité.
* *
Par le passé, dit M. A. Guasco, « les puissances spi-
rituelles et temporelles de ce monde concouraient à
l'établissement du règne de Jésus-Christ. La richesse
des Ordres religieux auxquels appartenaient les mis-
sionnaires, la générosité de bienfaiteurs puissants, les
secours des gouvernements permirent aux ouvriers de
l'Évangile de poursuivre les labeurs féconds (1) ».
Mais, au début du siècle dernier, après la ruine et la
dispersion des Ordres religieux, les Missions se trouvè-
rent réduites à rien, et tout était à recommencer. On
recommença.
En 1822, naquit à Lyon une oeuvre nouvelle,
FŒuvre de la Propagation de la Foi, en faveur des
Missions des deux Mondes, pour aider, par des prières
et des aumônes, les missionnaires catholiques qui
vont porter la foi et la civilisation au milieu des peuples
intidèles. Les prières sont un Pater et un Ave avec
l'invocation : Saint François-Xavier, priez pour nous.
L'aumône est de 5 centimes par semaine (2 fr. 60
par an). Son premier président, M. de Verna, en a éta-
bU le caractère en ces termes : « Quand cette grande
association s'éleva en France, ses fondateurs voulurent
lui donner une base large et digne de son objet. Ils ne
songèrent pas à en faire seulement une affaire natio-
nale, ils voulurent établir une œuvre cathoHque. Aussi,
(1) A. Guasco, l'Œuvre de la Propagation de la Foi, Bloud, Paris.
62 LE RÔLE CATHOLIQUE
leurs projets ne se bornèrent pas à soutenir les missions
de France et à secourir les missionnaires français, ils
étendirent les bienfaits de l'Association sur les mis-
sions des deux hémisphères et sur tous les mission-
naires, — français, espagnols, italiens, belges, in-
diens, etc., etc., de quelque nature qu'ils fussent.
« Ce n'était pas la foi de la France qu'ils voulaient
propager, c'était la foi catholique. Ils virent le bien
général, sans limites, sans restrictions, sans distinc-
tions (1). »
Accueillie, approuvée, comblée d'éloges et de faveurs
spirituelles par Pie VII, Léon XII, Grégoire XVI,
Pie IX, Léon XIII, Pie X, l'Œuvre ne tarda pas à s'éta-
blir dans tous les diocèses de France. En 1825, elle
passait en Belgique, en 1827 en Itahe, puis en Alle-
magne, en Suisse, dans les Iles-Britanniques, les Pays-
Bas, le Portugal, les États-Unis, l'Espagne, l'Autriche,
l'Amérique du Sud...
Les recettes (juin 1822-mai 1823) commencèrent par
un total de 22.915 fr. 25, sur lesquels 20.000 francs
environ furent partagés entre les Missions d'Orient et
celles de la Louisiane et du Kentucky.
Il ne peut être question de suivre ici cette grande
œuvre, cette œuvre nécessaire, dans ses dévelop-
pements successifs; mais il sera intéressant d'avoir le
résumé de son dernier exercice (1913).
Le voici, extrait des Annales de la Propagation de
la Foi (mai 1914, Lyon, rue Sala, 12; Paris, rue Cas-
sette, 20) :
(1) A. GuASGO, l'Œuvre de la Propagation de la Foi, p.
DE LA FRANCE DANS LE MONDE
63
COMPTE GÉNÉRAL RÉSUMÉ
des aumônes de la Propagation de la Foi en 1913.
EUROPE
Diocèses.
— fr. c.
France 2.950.959 35
Monaco 2.499 »
Alsace-Lorraine 380.402 43
Allemagne 626.883 55
Belgique 363.383 87
ItaUe 296.818 95
Espagne 165.710 65
Irlande 142.025 65 j
Angleterre .... 83.861 75 [ 234.70905
Ecosse 8.821 65)
Suisse 98.261 49
Autriche 67.754 32) „_ .^^ -^
Hongrie 9.651 46 1. ^^-^05 78
Pays-Bas 61.672 87
Levant 56.962 04
Luxembourg 26.435 05
Portugal 20.978 02
Diverses contrées du Nord .... 2.404 13
ASIE
De divers diocèses de l'Asie .
9.082 60
AFRIQUE
De divers diocèses de l'Afrique
A Reporter. . .
23.029 43
5.397.598 26
64 LE RÔLE CATHOLIQUE
fr. c.
Report 5.397.598 26
AMÉRIQUE
Diocèses.
Étais-Unis 2.196.053 27
République Argentine 253.077 34
Chili 84.719 32
Brésil 45.885 22
Canada 38.763 70
Uruguay 37.585 50
Mexique 23.496 53
Amérique Centrale 5.978 95
Pérou 3.000 »
Colombie 1.314 95
Paraguay 820 20
Bolivie 2.463 38
Guyane 375 »
Venezuela 349 15
Equateur 205 »
OCÉANIE
De divers diocèses de l'Océanie ... 23 . 787 30
Total 8.115.473 07
Cette même année (1913), les Missions secourues
sont au nombre de 363.
Depuis 1822 jusqu'en 1913, la France avait versé à
l'Œuvre Fr. 255.188.391
Et les autres pays du monde entier. 162.275.390
Fr. 417.463.781
j
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 65
Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. Et quand on nous
dit que de hauts dignitaires ecclésiastiques opposent à
la « France athée » la « catholique Autriche », nous
sera-t-il permis, à nous, d'opposer cette manifestation
pratique d'une foi généreuse, vivante et conquérante
aux étiquettes plus ou moins reluisantes d'une rehgion
égoïste et endormie? En tous cas, retenons ces deux
chiffres : contre les 70.000 francs dus à la générosité
austro-hongroise, c'est trois millions que verse la
France, annuellement, à la Propagation de la Foi,
sans parler de ce qu'elle donne par ailleurs en faveur
de la même cause, non seulement pour ses propres
colonies, mais pour toutes les terres infidèles; non seu-
lement à ses propres missionnaires, mais à tous les mis-
sionnaires; non seulement en prélevant sur le superflu
des riches et des grands, mais en recueillant sou par
sou près des simples et des pauvres; non pas, enfm, en
faisant de cette œuvre son œuvre unique, mais en sou-
tenant en même temps son clergé, ses écoles libres, ses
collèges, ses hôpitaux, ses milliers d'institutions de
bienfaisance et d'apostolat.
Une autre œuvre, celle de la Sainte-Enfance, vient
apporter aux Missions catholiques une aide supplémen-
taire, qui ne laisse pas que d'être considérable. Elle
fut fondée en 1842 par W de Forbin-Janson, évêque de
Nancy. Son but : « Le baptême et l'éducation chrétienne
des enfants nés de parents infidèles, en Chine et dans
les autres pays païens. »
Y a4-il rien de plus touchant? Associer les petits
enfants chrétiens, dès qu'ils sont baptisés, et moyen-
5 - Fr.
66 LE RÔLE CATHOLIQUE
nant un sou par mois, douze sous par an, à l'évangé-
lisation et à la rédemption de leurs petits frères
infidèles...
Admirable solidarité, bien conforme à l'esprit catho-
lique!
Pour y répondre, les enfants de France ont donné en
1913-1914 la somme suivante, provenant, répétons-le,
du versement d'un sou par mois :
France Fr. 872.732 73
Depuis sa fondation jusqu'à l'exercice en cours (1914),
la Sainte-Enfance a recueilli 167.988.662 fr. 19.
Ce n'est pas tout. A ces deux grandes œuvres il faut
en ajouter d'autres : F Œuvre des Écoles d'Orient, par
exemple, a été fondée en 1855-1856 pour secourir les
écoles, orphelinats, asiles, et, en ces dernières années,
les séminaires des pays du Levant. Le total des sous-
criptions ordinaires a été, de 1855 à 1899, de
10.650.000 fr., dont 9.890.000 fr. fournis parla France.
L Alliance française a un caractère national : nous
ne faisons que l'indiquer.
La Société anti-esclavagiste vient en aide aux mis-
sions d'Afrique pour un objet déterminé, ressortant
suffisamment de son titre.
Les Œuvres apostoliques des saintes Femmes de
TEvangile ont pour but de fournir aux missionnaires
des objets du culte et, en général, tout ce qui peut leur
être utile pour leur apostolat.
I
mS LA FRANCE DANS LE MONDE 67
Enfin, mentionnons les œuvres particulières qui
s'occupent spécialement de telle contrée, de telle mission
ou de telle congrégation.
Et ainsi, selon la remarque d'Ozanam, ce n'est plus
le trésor des princes ni l'or des puissances, mais l'obole
de tous, le sou du pauvre comme du riche, qui prend à
sa charge l'évangélisation de mondes lointains dont
ces braves gens ignorent même le nom. Et il se trouve
que l'œuvre propagatrice, en poussant des racines
jusque dans les entrailles de la société chrétienne, a
donné et donne des fruits plus abondants que ceux
qu'avaient nourris autrefois les largesses royales.
Avec l'argent les hommes.
Mais il est difficile, ici, de citer des chiffres précis :
la statistique des missionnaires cathoHques classés par
nationalités n'existe pas. Voici ce qu'en disait le
P. Piolet, il y a près de quinze ans, d'après un travail
qu'il avait fait pour l'Exposition universelle de Paris
de 1900:
« Nos missionnaires français à l'étranger sont très
nombreux, bien plus nombreux, à eux seuls, que ceux
de toutes les autres nations réunies. En effet, sur un
total de 6.106 missionnaires, nous comptons à peu près
4.500 Français, 75 p. 0/0.
« Ceux-là sont prêtres.
« Ils sont aidés dans leurs œuvres diverses par
d'autres religieux, qui, sans être prêtres, n'en sont
pas moins de vrais missionnaires, appartenant à la
même Société que les prêtres, chargés du temporel, de
la classe, des ateliers, des champs de culture, du soin
68 LE RÔLE CATHOLIQUE
des bâtiments, des imprimeries, etc., en tout 1.700. Ils
sont aidés aussi, pour l'éducation des garçons, par
d'autres frères, appartenant à nos congrégations ensei-
gnantes et qui sont au nombre de 2.600; et pour Tédu-
cation des filles et les œuvres d'assistance, hôpitaux,
léproseries, dispensaires, orphelinats, visites aux mala-
des, etc., par environ 10.500 religieuses.
« Cela ferait: 4.500 prêtres, 3.300 frères, 10.500 reli-
gieuses; en tout, 18.500 missionnaires français. »
Depuis, ce personnel a certainement augmenté d'une
manière sensible, et il ne serait pas exagéré de le
porter au chiffre de 25.000 (1).
a A ces ouvriers, venus de France et de nationalité
française, il faut ajouter un certain nombre de prêtres,
de frères, de sœurs indigènes, formés par eux, vivant
avec eux, dirigés par eux, encadrés dans leurs rangs...,
sans compter les catéchistes, maîtres ou maîtresses
d'écoles, chefs de postes ou de chrétientés, qui tous
gravitent dans la sphère du missionnaire, aidant à son
action et à son influence (2). »
* *
La même proportion, naturellement, se retrouve dans
les œuvres, dont quelques-unes sont très considérables
et très florissantes. Qu'il suffise de citer, par exemple,
rUniversité de Beyrouth, fondée et dirigée par les
PP. Jésuites-, l'Institut bibhque de Jérusalem, des
PP. Dominicains; le séminaire Sainte-Anne, des Pères
(1) Dans une statistique récente, que nous ne pouvons vérifier, nous
trouvons les chiffres suivants : 65.000 missionnaires, dont 15.000 prêtres,
5.000 fi'ères, et 45.000 sœurs ou religieuses. La proportion des mission-
naires français reste la même que dans les chiffres du R. P. Piolet.
(2) J.-B. Piolet, Nos MissionnaireSy p. 5. Bloud, Paris.
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 69
Blancs; les grands collèges du Levant, d'Egypte, de
l'Inde, du Japon, l'établissement scientifique de
Zi-ka-weï, etc.
*
En fait, un voyageur qui parcourrait le globe y trou-
verait partout la France, représentée et connue par ses
missionnaires.
C'est d*abord le Levant, Gonstantinople par exemple,
où, depuis que l'Islam a imposé à l'Europe l'igno-
minie de sa présence, la Foi catholique s'est main-
tenue quand même, grâce à la protection séculaire de
la France et au contingent de missionnaires que la
France y a entretenus.
Il en est de même de Jérusalem et de la Palestine,
de la Syrie, de la Mésopotamie, de l'Arménie.
Partout, dans ces pays qui furent le foyer de notre
foi et de notre civilisation, si la lumière de la Vérité
n'est pas complètement éteinte, à qui le doit-on?
Demandez-le aux anciens Ordres religieux dont vous
trouverez partout les représentants, les missions, les
séminaires, les collèges, les écoles, les hôpitaux, les
œuvres de toutes sortes : Capucins et Franciscains,
Dominicains, Jésuites, auxquels sont venus s'associer
à leur heure les Lazaristes, les Augustins de l'Assomp-
tion, les Pères Blancs, puis les Frères de la Doctrine
chrétienne et autres Frères instituteurs, puis les nom-
breuses et florissantes congrégations de femmes, parmi
lesquelles, si Ton ne peut les citer toutes, il convient
du moins de nommer les Sœurs de Saint-Vincent-de-
Paul, qui sont là comme dans leur domaine préféré.
Hélas! L'entrée de la Turquie dans l'alliance austro-
allemande,, sous la pression de Guillaume II, que, pour
70 LE RÔLE CATHOLIQUE
la circonstance, on a représenté comme un catéchu-
mène de rislam, a chassé tous ces paisibles messagers
de rÉvangile, dispersé leurs élèves, ruiné leurs étabhs-
sements, profané leurs églises. Pour « purifier » les
temples chrétiens, les Turcs y ont sacrifié des moutons.
En Belgique et en France, les généraux allemands
les ont bombardés, incendiés, démolis. Chacun a sa
manière!
Si les désastres du Levant ne devaient pas être
promptement réparés, il y aurait là une perte énorme
pour le catholicisme, et l'on ne conçoit pas qu'un catho-
lique digne de ce nom en prenne son parti...
*
En Perse, nous retrouvons les Lazaristes; en Arabie,
sous un soleil de feu, nos Capucins de la province de
Toulouse; et, dans l'Hindoustan, nous prenons pour la
première fois contact avec cette magnifique société des
Missions Étrangères de Paris, qui étend son apostolat
dans les Indes anglaises et françaises, en Birmanie, au
Siam, au Laos, à la presqu'île de Malacca, au Cam-
bodge, à la Cochinchine, au Tong-king, à la plus
grande partie de la Chine, au Thibet, à la Mand-
chourie, à la Corée, au Japon.
Chemin faisant, nous avons trouvé pareillement, à
Ceylan, les Oblats de Marie, fondés à Marseille par
M'"" de Mazenod ; à Vizigapatam, les missionnaires de
Saint-François-de-Sales, d'Annecy; au Maduré, les
Jésuites de Toulouse. Nous verrons aussi leurs con-
frères des « provinces », de Paris et de Champagne
dans leurs superbes Missions de Chine, où, par leur
apostolat, leurs œuvres d'éducation, leurs établisse-
ments et leurs travaux scientifiques, ils continuent
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 71
brillamment la tradition de leurs illustres devanciers
du XVII® siècle. Là aussi, à Pékin même et dans dix
vicariats apostoliques, travaillent les Lazaristes.
Les uns et les autres sont partout secondés de reli-
gieux- et de religieuses d'origine française, auxquels
sont confiés les écoles, les hôpitaux, les dispensaires,
les orphelinats, les ateliers, etc. Les Marianites, par
exemple, ont au Japon des maisons d'éducation de pre-
mier ordre, qui ne le cèdent en rien à ceux qu'ils diri-
gent en Europe et en Amérique.
*
* *
L'Amérique n'est plus, que dans quelques parties,
un pays de missions. Cependant, dès que, en descen-
dant des champs de neige et de glace du Pôle Nord, la
présence de l'homme se manifeste, associés aux tribus
indiennes de pêcheurs et de chasseurs qui parcourent
ces solitudes immenses, nous trouvons des mission-
naires français. Les Oblats de Marie sont, en effet, les
apôtres de l'Ouest Canadien, comme autrefois les Jésuites
et les Sulpiciens, pour ne nommer que ceux-là, le furent
du primitif Canada, ce pays de si bel avenir que nos
missionnaires, nos martyrs, nos pionniers, grâce à des
efforts héroïques, ont invinciblement gagné à l'Église
catholique.
La jeune et brillante Église des États-Unis ne reniera
pas non plus ceux qui furent ses premiers apôtres. Un
historien, en effet, a pu écrire : « Il n'est pas un fleuve,
un lac, une forêt de ce continent, des Alléghanys aux
Montagnes Rocheuses, du golfe du Mexique à la baie de
Hudson, qui n'ait été remonté, traversé ou parcouru
par quelques-uns des héroïques enfants de la France,
72 LE RÔLE CATHOLIQUE
armés d'un. crucifix, n'ayant pour bagage qu'un bré-
viaire et un autel portatif, s'en allant, au prix de mille
dangers, conquérir des âmes à Dieu (1). »
Plus près de nous, l'action la plus heureuse fut exer-
cée à l'origine de la grande République américaine par
Lafayette, Rochambeau, les nombreux officiers qui les
suivirent, le corps d'armée de 6,000 hommes, tous fran-
çais et catholiques, avec leurs aumôniers, ainsi que
par les équipages de la flotte du comte d'Estaing. A
celte époque, l'État de New- York, pour admettre un
catholique à la condition de citoyen, exigeait qu'il
abjurât solennellement toute obéissance, spirituelle ou
non, à un pouvoir ecclésiastique établi en une terre
étrangère. Il en était de même dans la plupart des
Etats. Et si aujourd'hui le génie de la liberté éclaire les
rives du Nouveau-Monde, il ne faut pas oublier qu'il
n'y a allumé son phare que depuis une époque relative-
ment récente et que la France « catholique » l'y a aidé
de son mieux.
Notre grande Révolution elle-même ne fut pas sans
profiter, sous ce rapport, aux États-Unis, aussi bien
qu'à l'Angleterre et à d'autres pays. Le 10 juillet 1791,
débarquait à Baltimore une petite colonie de prêtres de
Saint-Sulpice : à Baltimore, et plus tard à Boston et à
San Francisco, comme à Montréal, elle devait avoir
jusqu'aujourd'hui une place unique dans la formation
du Clergé américain. D'autres prêtres vinrent aussi,
dont plusieurs ont fondé ou gouverné de nouveaux dio-
cèses : tels sont M^' Flaget à Louisville, M^"" de Ghe-
verus à Boston, M^' Dubourg à la Nouvelle-Orléans,
M^"" Maréchal à Baltimore, M^"" Dubois à New-York...
(1) D.-M.-A. Magnan, Histoire de la race française aux États-Unis.
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 73
Ainsi, du reste, en a-t-il été de la récente dispersion
de nombre de nos Congrégations religieuses : en les
recueillant, l'Amérique catholique a augmenté sensi-
blement son personnel et ses moyens d'action. Ces com-
pensations sont dans l'ordre des choses voulues par la
Providence !
*
* *
Les Antilles sont, en grande partie, évangélisées par
des missionnaires français : Haïti, la Guadeloupe, la
Martinique, Sainte-Lucie, la Trinidad.
L'Amérique du Sud compte aussi de nombreux re-
présentants de nos Congrégations françaises, les Laza-
ristes, les Picpussiens, les Eudistes, les Missionnaires
de Betharram, les Pères du Saint-Esprit, sans parler
des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, des Sœurs de
Saint-Paul de Chartres, des Sœurs de Saint-Joseph de
Gluny, etc.
*
* *
En Océanie, nous retrouvons les Missions propre-
ment dites et, du même coup, des éléments français
plus compacts.
Ce sont d'abord les Maristes, de Lyon, qui, depuis
leur fondation, évangélisent l'Australie, la Nouvelle-
Zélande, les Wallis^ la Mélanésie, la Micronésie, les
Nouvelles- Hébrides, la Nouvelle-Calédonie, les îles
Fidji. Partout là, ils furent reçus par des anthropo-
phages, qui sont aujourd'hui des chrétiens.
Ce sont les Pères des Sacrés-Cœurs ou Picpussiens
aux îles Sandwich, à Tahiti, aux Marquises, aux îles
Hawaï, où l'héroïque sacrifice du P. Damien au milieu
de ses lépreux a excité l'admiration du monde entier.
74 LE RÔLE CATHOLIQUE
Ce sont les Pères du Sacré-Cœur d'Issoudun, dans
la Nouvelle-Guinée, aux îles Marshall, aux îles Gil-
bert, etc.
sic
* *
Voici l'Afrique.
Ce continent était resté jusqu'à notre époque comme
un bloc énorme qui paraissait réfractaire à toute action
chrétienne. En 1842, les Pères du Saint-Esprit, réor-
ganisés par le P. Libermann, un Juif alsacien converti
et déclaré Vénérable par l'Eglise, l'attaquèrent résolu-
ment et, après de longs efforts qui leur ont coûté
plus de 700 missionnaires morts au champ d'honneur,
ils ont réussi à ouvrir le « Continent Noir » et à l'oc-
cuper, non seulement sur les côtes, mais jusqu'au
centre. Ils n'ont pas tardé, du reste, à être rejoints
dans cet assaut par les « Missions Africaines » de Lyon,
et par les Pères Blancs, du grand cardinal Lavigerie,
qui ont fait revivre dans l'Ouganda les plus beaux
temps de l'évangélisation du monde.
D'autres sociétés de missionnaires seraient à citer :
les Lazaristes en Abyssinie, les Capucins de Toulouse
au pays des Somalis et des Gallas, les Capucins de la
Savoie aux îles Seychelles, les Oblats de Marie au
Natal, au Basutoland et au Transvaal, etc., sans par-
ler de Madagascar, dont les Jésuites, les Pères du
Saint-Esprit et les Lazaristes se partagent l'évangélisa-
tion, sans parler de l'Egypte où les établissements fran-
çais d'enseignement supérieur, secondaire, primaire et
professionnel comptent des milliers d'élèves.
* *
Assurément, l'Eglise de France n'est pas seule à tra-
vailler à la conquête du monde. Heureusement! A côté
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 75
des missionnaires français travaillent nombre de mis-
sionnaires belges et hollandais, italiens, espagnols,
irlandais, allemands, d'autres encore.
Mais là n'est pas la question.
La question est celle-ci :
1° La France, dans son ensemble, mérite-t-elle l'épi-
thète de « nation athée », qu'une propagande insolente
ne cesse de lui jeter, et n'y a-t-il pas lieu de distin-
guer nettement, en elle, entre l'étiquette officielle que
lui donne une neutralité religieuse mal entendue, mal
comprise et mal appliquée, vieux reste d'un « anticlé-
ricahsme » démodé et d'origine étrangère, — et la vita-
lité religieuse du pays, attestée par tant de témoignages
et mise en un si magnifique relief par les événements
actuels ?
2° La cause de la civilisation chrétienne et de Tapos-
tolat catholique n'aurait-elle rien à perdre, vraiment, à
la disparition de cette France, à l'anéantissement de ses
forces matérielles et morales?
La réponse ne saurait être douteuse pour aucun
homme de bonne foi : la mort de la France creuserait
dans l'Eglise catholique et dans le monde un vide
qu'aucun peuple, actuellement, n'est en état de combler.
Mais rassurons-nous.
Les feuilles de l'arbre peuvent être, ici et là, jaunies :
quelques branches sont desséchées; l'aspect général a
pu tromper ceux qui le regardaient de trop loin. Mais
le tronc en est sain et les racines en sont bonnes.
L'orage qui souffle présentement dans sa ramure lui
profitera, et le jour est proche où lui sourira encore
le grand soleil de Dieu...
76 LE RÔLE CATHOLIQUE
IV
POUR CONCLURE
Pour conclure, il est nécessaire d'ajouter que^ dans
le duel formidable qui se déroule sous nos yeux, l'en-
jeu, des deux côtés, n'est pas égal.
En effet, si la France est vaincue, elle est par le fait
même écrasée, anéantie, réduite à rien et mise dans
l'impossibilité de se reconstituer jamais. Sans compter
que la guerre religieuse, qui fait si bien l'affaire de ses
ennemis, recevrait d'eux de nouveaux aliments et
recommencerait de plus belle.
Finis Galliœ!
La victoire de la France et de ses Alliés se présente
sous un aspect bien différent.
S'il est exact, en effet, que, de ce côté, on veuille
« une paix garantie par la réparation de tous les droits
violés et prémunie contre des attentats futurs », il n'y
a rien là que de conforme à la stricte justice, sans
aucune pensée de domination et de conquête. Un jour-
naliste américain écrivait dernièrement dans le New
York Times : « Nous n'éprouvons nulle haine contre
les peuples allemands eux-mêmes; ce sont les ambitions
et l'esprit militaire allemands qui sont l'objet d'une
réprobation universelle... C'est pour l'empire et l'em-
pereur que tant d'Allemands luttent et meurent, non
pour eux-mêmes, et ce phénomène est curieusement
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 77
significatif... Le roi de Prusse, exerçant son hégémonie
sur toute l'Allemagne, est-il donc nécessaire au bonheur
de tous les Allemands? »
Ces réflexions pourraient être celles de beaucoup de
Français. Nul, en tout cas, n'a jamais rêvé l'extermi-
nation des Allemands! Que les Allemands vivent,
croissent et se multipHent, c'est leur incontestable droit;
ce qu'on leur demande — même, puisqu'il le laut,
les armes à la main — c'est de cesser de se dresser
en menace perpétuelle contre les peuples voisins, en
s'organisant en vue de la conquête et de la domination.
* *
Mais, se demande-t-on, paraît-il, avec inquiétude,
que serait pour l'ordre social et la religion la P>ance
victorieuse?
Et que serait l'Allemagne?
L'Allemagne, portée au sommet de ses ambitions et
gonflée de ce formidable orgueil ethnique dont nous
voyons en ce moment Texplosion? Avec ses prétentions
à l'hégémonie européenne et mondiale, qui, avec une
partie de la France, englobe l'Autriche, le Luxem-
bourg, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, sans parler
du Danemark, de la Suède et de la Norvège? Avec
cette conception redoutable que la force est le droit —
Macht ist recht — et la préoccupation qu'elle a d'or-
ganiser le monde en faveur de la race et du plus grand
rendement? Avec, enfin, le triomphe définitif du Luthé-
ranisme et de rislam?
Quant à la France, tout fait espérer qu'elle sortira
de cette extraordinaire épreuve plus unie et meilleure.
Elle était divisée profondément, surtout dans les ques-
78 LE RÔLE CATHOLIQUE
tions religieuses; mais les questions religieuses peuvent
être résolues, et elles le seront, dans un esprit d'apai-
sement, de sagesse et de liberté. Fortifiée ainsi à l'inté-
rieur, elle reprendrait l'apostolat des peuples infidèles
et son action civilisatrice à travers le monde avec une
activité nouvelle, d'accord avec toutes les forces d'ex-
pansion catholique qui surgiraient librement en Bel-
gique, en Allemagne et partout.
L'Angleterre, qui a mis des milliers de ses fils en
contact avec les catholiques populations des Flandres,
avec leurs camarades français, avec nos prêtres, nos
religieuses et nos dames de charité, sortira de là plus
libre de préjugés et plus favorable encore au catholi-
cisme que par le passé. Cette action est déjà visible. Et
quelle force pourrait donner l'Angleterre à la propa-
gation de l'Évangile!
Mais la Russie, F « orthodoxe » et intolérante
Russie? Attendons! La Russie a déjà promis la reconsti-
tution de la Pologne, avec la libre pratique de sa
langue et de sa rehgion : elle ne saurait, cette fois, sans
se déshonorer devant le monde entier, faire mentir une
promesse aussi solennelle.
Le reste viendra en son temps, amené par la néces-
sité des situations et des circonstances.
A tout prendre, d'ailleurs, la Russie chrétienne ne
vaut-elle pas mieux, aux yeux de Dieu et pour le salut
éternel des âmes, que la Turquie musulmane et la
luthérienne Allemagne?
... Non hsec sine numine Divûm
Eveniunt.
Nous ne sommes pas de ceux qui croient avoir Dieu
i
I
DE LA FRANCE DANS LE MONDE 79
à leur service. Nous ne pensons pas non plus qu'il ait
besoin de nous. L'idée ne nous est pas venue de Lui
faire parvenir nos injonctions ou nos conseils. Lui seul
voit ! Lui seul sait !
Cependant, il est remarquable que tant de grandes
questions, qui attendaient une solution depuis des
siècles, surgissent à la fois, et nous aimons à croire que
la Providence ne les a réunies que pour les traiter
ensemble. Cette époque est une des plus solennelles de
l'Histoire.
La première de ces questions est celle-ci : La
civilisation gréco-latine, pénétrée par le Christianisme
et couronnée par lui, doit-elle continuer à servir d'ali-
ment intellectuel et moral au monde, ou faut-il entre-
voir son absorption par la conception de la kultur
allemande? — C'est, au fond, la raison ultime du
conflit qui répand une si large nappe de sang sur les
champs d'Europe.
L'heure serait-elle venue, aussi, où les diverses
questions d'Orient vont être résolues ; où les popula-
tions balkaniques vivront en paix et satisfaites ; où le
monde slave verra se lever la liberté pour les Catho-
liques; où la croix réapparaîtra sur Sainte-Sophie de
Constantinople; où Jérusalem ouvrira ses portes aux
Croisés du xx® siècle..., et dont quelques-uns y rap-
prendront à faire le signe de la croix? Car la Provi-
dence prend souvent, pour exécuter ses desseins, des
instruments et des moyens auxquels la sagesse des
hommes n'eût jamais pensé...
Et la question de Rome elle-même, de Rome et du
Pape, n'est-elle pas à l'horizon?
Enfin, s'il faut terminer par ce qui nous intéresse
directement, nous, Français, ne sommes-nous pas en
80 LE RÔLE CATHOLIQUE
droit d'espérer que, débarrassés enfin du cauchemar de
ce voisin redoutable qui nous tenait en permanence
sous sa menace insolente, réconciliés dans une épreuve
commune, guéris de nos divisions, purifiés de nos
souillures, nous verrons se clore en notre cher pays
cette ère de révolutions commencée depuis plus d'un
siècle, qui nous épuise et qui nous discrédite?
Nous osons le croire !
Et c'est pourquoi, aux sinistres appels des prophètes
de malheur qui, de près ou de loin, prédisent notre fin
et s'en réjouissent, nous opposons avec une invincible
espérance les paroles inspirées de Pie X, dont l'ac-
compHssement était peut-être réservé aux jours que
nous allons vivre :
« Le peuple qui a fait alliance avec Dieu, aux fonts
« baptismaux de Reims, retournera à sa première
« vocation... Les fautes ne resteront pas impunies, mais
« la fille de tant de mérites, de tant de soupirs et de
« tant de larmes ne périra jamais (1). »
Un Missionnaire.
(1) Allocution de S. S. le Pape Pie X au Gonsisloire du 29 novembre
1911.
LA GUERRE AUX ÉGLISES
ET AUX PRÊTRES
I. — « Une guerre religieuse »,
Le vénérable évêque de Nancy, doyen de l'Episcopat
français, qui, placé sur la frontière de l'Est, a vu de près
les horreurs de Tagression allemande, affirmait récemment
dans une lettre pastorale : « Cette guerre... va, par une
pente fatale, par ses conclusions nécessaires, à la destruc-
tion de l'Église catholique, de son autorité et de ses doc-
trines, à la destruction de toute religion (1). »
Presque en même temps, paraissait une brochure écrite
par un protestant hollandais, que sa nationalité maintient
neutre au milieu du conflit actuel et que sa religion ne
saurait prévenir en faveur des Belges (2). M. Grondijs a
voulu procéder à une enquête personnelle. Il ne pouvait
ajouter foi aux atrocités dont on accusait les envahisseurs.
« Nous autres, Hollandais, reconnaît-il au début de son
ouvrage, nous ne pouvions croire les cruautés commises
par ces lourds et bons Allemands que l'on voit rire dans
leurs villages, autour des tables d'auberge. » Or, après
avoir constaté les faits, ce protestant de Hollande aboutit
(1) Nancy : A. Crépin-Le Blond, 21, rue Saint-Dizier.
(2) Les- Allemands en Belgique : Louvain et Aerschot, notes d'un
témoin hollandais, par L. H. Grondijs, ancien professeur à l'Institut
technique de Dordrecht. Paris, Berger-Levrault, 5 et 7, rue des Beaux-
Arts.
6 — Fr.
82 LA GUERRE AUX ÉGLISES
à la même conclusion que l'évêque de France. « Intention-
nellement, rapporte-t-il, les régiments protestants ont été
envoyés vers la Belgique, .tandis que les troupes catho-
liques ont été, de préférence, dirigées vers la catholique
Pologne, contre les Russes orthodoxes. » M. Grondijs a pu
se rendre compte que, dans le village d'Aerschot, « les sol-
dats se sont surtout acharnés sur les statuettes du culte
catholique ». Il a pu s'apercevoir que « les prêtres sont
particulièrement insultés ». Il a entendu les soldats vocifé-
rer : « Mort aux prêtres! A bas le catholicisme! » Il a
découvert que, pour mieux exciter leurs hommes contre
le clergé belge, les officiers accusent mensongèrement
celui-ci d'avoir « excité la population contre l'ennemi ».
Et, plein de stupeur, il se demande : « C'est donc une
guerre religieuse! »
M. Mélot, député de Namur, est donc, à son tour, dans le
vrai, quand, « laissant parler les témoins », il stigmatise
ainsi l'invasion allemande : « Elle fut persécutrice de la
religion et des prêtres..., elle s'attacha à détruire les monu-
ments de la foi catholique et prit, dans certaines régions, le
caractère d'une guerre de religion (1). »
Voilà donc trois arrêts, prononcés par des esprits très
divers et venus de points très distants, qui convergent à la
même affirmation, formulée presque en termes identiques.
Le peuple forgé et pétri par Luther poursuit encore de
sa haine le culte et le clergé romains. Dans des milliers
d'âmes allemandes, se réveille la mentalité sectaire et
agressive qui éclatait sous la plume de Guillaume II,
quand le Kaiser, à la landgrave de Hesse récemment con-
vertie au catholicisme, écrivait : « Je hais cette religion
que tu as embrassée... Tu accèdes donc à cette supersti-
tion romaine dont je considère la destruction comme le but
suprême de ma vie. »
(1) Le Martyre du Clergé belge, par Auguste Mélot. Bloud et Gay,
7, rue Saint-Sulpice, Parig.
ET AUX PRÊTRES 83
Ces déclarations pourront étonner. Certains lecteurs,
éloignés du théâtre de la guerre et enveloppés à leur insu
par le réseau des intrigues et des insinuations allemandes,
éprouveront peut-être un premier ressaut de surprise et
de résistance. Il faut pourtant s'incliner devant les faits.
Or, les faits sont écrasants. Mille dépositions concor-
dantes, les attestations les plus hautes et les plus indiscu-
tables, la protestation vengeresse et inextinguible des
ruines et des tombeaux, tout l'affirme, tout le démontre,
tout le crie; lapides clamahunt, les pierres elles-mêmes
rendent ici leur témoignage, dans la poussière fumante et
sanglante où, du sommet des clochers et des voûtes, elles
sont venues se briser : c'est un souffle de rage antireli-
gieuse qui a passé sur les provinces de Belgique et les
marches de France.
Au surplus, n'est-ce pas frapper la religion, et la frapper
de la plus directe et de la plus mortelle offense, que de
violer sans vergogne, en invoquant la divinité, les lois de
la justice et les commandements de Dieu?
Or, il n'est pas contestable que les premiers coups por-
tés par le gouvernement du Kaiser ont atteint ces pré-
ceptes sacrés.
On ne peut entreprendre une étude sur les attentats
commis par les Allemands contre les temples et les
ministres de la religion, sans rappeler ce crime initial que
la religion flétrit avec horreur. L'Allemagne avait juré,
non seulement de respecter, mais de défendre au besoin la
neutralité de la Belgique ; et, — c'est le cardinal Mercier qui
juge, — « r Allemagne a violé son serment ». Voilà le fait
brutal, contre lequel se briseront à jamais tous les démentis.
Mais que parler de démentis? Nous possédons l'aveu du
coupable; pour s'être masqué de jactance, il n'en reste pas
moins une confession définitive. Il y a quelques années,
dans son manuel des Lois de la guerre continentale y le
grand état-major allemand rappelait que « les belligérants
doivent respecter l'inviolabilité des territoires neutres,
84 LA GUERRE AUX ÉGLISES
s'abstenir de tout empiétement sur leur domaine, même si
les nécessités de la guerre V exigeaient ». Or, le 4 août 1914,
à la face du monde civilisé, le chancelier de l'Empire
allemand, pour se justifier d'avoir envahi deux pays
neutres, « en contradiction avec les prescriptions du droit
des gens » et malgré les « protestations justifiées des gou-
vernements luxembourgeois et belge », osait déclarer :
« La nécessité ne connaît pas de loi. » Bismark avait pro-
noncé : « La force prime le droit. » La politique allemande
a modifié ses formules, elle a gardé son esprit.
Et l'Autriche elle-même, l'Autriche catholique, hélas! a
suivi, dans cette voie, son impérieuse alliée. Le 28 août,
sous un prétexte imaginaire, elle déclarait à son tour la
guerre à la Belgique. Or, depuis plusieurs jours, au témoi-
gnage d'un bulletin de victoire allemand, c'était ses batte-
ries lourdes qui servaient à réduire les forts ennemis.
Alors que le représentant de François-Joseph était main-
tenu auprès du roi des Belges, les canons autrichiens
démolissaient les citadelles de Belgique.
La guerre, engagée par cette violation du droit des
gens, s'est poursuivie par des actes impliquant le mépris
des conventions internationales et de la simple justice.
Aussi bien que le traité garantissant la neutralité de la
Belgique, l'Allemagne avait ratifié de sa signature les
prescriptions codifiées par les règlements de la Haye.
Systématiquement, elle a enfreint ceux-ci, comme elle avait
délibérément déchiré celui-là. Elle a courbé la justice au
joug de la force.
« Dans les bombardements, prescrit l'article 27 du règle-
ment de la Haye, toutes les mesures nécessaires doivent
être prises pour épargner, autant que possible, les édifices
consacrés aux cultes..., à condition qu'ils ne soient pas
employés en même temps à un but militaire. » Or, on le
verra par la suite, les canons des artilleurs allemands,
quand ce n'était point la torche des pionniers, s'est acharné
sur les églises, en dehors de toute nécessité stratégique.
I
ET AUX PRÊTRES 85
Et l'article 50 : « Aucune peine collective, pécuniaire ou
autre, ne pourra être édictée contre les populations à
raison de faits individuels dont elles ne pourraient être
considérées comme solidairement responsables. » Or, voici,
contre cette injonction du droit, non pas le témoignage des
victimes, mais les audacieuses affirmations des bourreaux.
Le 17 août, sur les murs d'Hasselt, les officiers du Kaiser
font placarder cette odieuse menace : « Dans le cas où des
habitants tireraient sur des soldats de l'armée allemande,
le tiers de la population mâle serait passé par les armes. »
Et ailleurs : « La ville de Wavre sera incendiée et détruite,
si le paiement de la contribution de guerre de trois millions
ne s'effectue pas à terme utile, sans égards pour personne,
les innocents souffriront avec les coupables. » Osera-t-on
soutenir que ces proclamations monstrueuses, affichées de
sang-froid par l'autorité militaire, ont été provoquées par
la chaleur et les exaspérations de la lutte ? On n'a pas le
droit d'invoquer cette excuse. Ces menaces, en effet, ne
constituent que l'application d'un système. En 1906, le
même gouvernement, qui reconnaît de son seing l'iniquité
des répressions collectives, approuve, dans un formu-
laire des armées en campagne, une déclaration de cette
nature : « En raison de la destruction du pont de F..., le
village de F... a été immédiatement incendié. »
Je reviendrai sur ces méthodes, en concluant ce travail.
Il fallait toutefois les indiquer, avant de présenter le tableau
des atrocités qu'elles autorisent et qu'elles expliquent.
De ces atrocités, je ne dois signaler ici que celles dont le
caractère est directement anti religieux. Car il faut se
borner; et cette seule matière, au surplus, déborderait un
gros volume. Cependant, toutes les autres violences, — je
parle des violences enregistrées sous la direction de magis-
trats intègres et scrupuleux, dans plusieurs rapports offi-
ciels, appuyées sur des documents photographiques et sur
des dépositions reçues en la forme judiciaire, avec la garantie
du serment, contrôlées par une enquête minutieuse, affîr-
86 LA GUERRE AUX ÉGLISES
mées souvent par les témoins les plus vénérables et notam-
ment par l'épiscopat des provinces envahies, — toutes les
autres violences ne sont-elles pas autant d'outrages et de
défis à l'autorité divine ?
Les assassins d'enfants qui, par exemple, à Schaffen,
fusillent un garçonnet de dix ans avec deux petites filles de
neuf et douze ans; les tortionnaires qui brûlent vif, après
l'avoir ligotté, le sacristain de la paroisse; les brutes qui,
selon les déclarations concordantes des rapports belge et
français, se livrent, « avec une fréquence inouïe », aux
plus épouvantables attentats contre les femmes, les jeunes
filles et même les fillettes; les massacreurs qui peuvent
enregistrer, sur leurs carnets : « Nous avons détruit huit
maisons, avec leurs habitants; dans une seule d'entre
elles, furent passés à la baïonnette deux hommes avec
leurs femmes et une jeune fille de dix-huit ans » (1) ; les
lâches qui se font gloire d'achever les blessés à coups de
crosse (2) ; les incendiaires qui mettent le feu à l'hôpital de
Termonde, après l'avoir aspergé de pétrole, tous ces misé-
rables, indignes du nom de soldats, ne sont-ils pas des
pécheurs publics et des criminels de droit commun?
Mais, je le répète, le caractère antireligieux de cette
guerre s'affirme encore plus nettement, plus irréfutable-
ment aussi, par la frénésie que les envahisseurs ont
déployée contre les sanctuaires et les pasteurs de l'Église
catholique. On a le droit d'affirmer que, systématiquement,
des prêtres ont été maltraités, des édifices sacrés abattus.
(1) Les Crimes allemands, d'après les témoignages allemands, par
Joseph BÉDiER. Paris, Colin, 103, bd Saint-Michel. La brochure repro-
duit la photographie des documents cités.
(2) D'après le journal prussien, le Janersches Tageblatt, cité et pho-
tographié par M. BÉDIER.
ET AUX PRÊTRES 87
II. — Contre les Églises.
!• Le Calvaire des Églises.
C'est par centaines que, sur le territoire de la Belgique
et dans les départements occupés de la France, nous avons
vu nos temples saccagés, et non seulement par la mitraille
et par l'incendie, mais encore par la profanation sacrilège.
« La fureur incendiaire, atteste le rapport français,
s'affirme principalement contre les églises et contre les
monuments qui présentent un intérêt d'art ou de souvenir. »
De leur côté, les enquêteurs belges constatent que des
églises ont été « systématiquement visées ». Et, parmi les
témoignages de l'épiscopat, je détache ici cette déclaration
de l'évêque de Verdun : « Le bombardement des villes et
des villages commençait ordinairement par celui de l'église,
premier point de mire. »
Pourquoi s'étonner, au surplus, de cet acharnement? On
oublie trop qu'il n'est pas une nouveauté. M. André Michel,
conservateur au Musée du Louvre, rappelait récemment,
dans sa Conférence sur la cathédrale de Reims, un sou-
venir de 1870, que 1914 a remis d'actualité : lorsque le
général von Werder eut décapité la flèche de Strasbourg,
abattu la croix qui la couronnait, brûlé les combles et
crevé les vitraux de la cathédrale, il se vit solennellement
proclamé, par l'Université de Fribourg en Brisgau, docteur
en philosophie, honoris causa.
Cette admiration de la culture allemande pour un bom-
bardeur d'églises aide à comprendre la surprise agacée
que nos réclamations provoquent aujourd'hui chez les
intellectuels d'Outre-Rhin. On a pu citer, le 14 mars, à la
Sorbonne, une savoureuse expression de leur mentalité. Le
professeur Paul Clemen, conseiller intime, chargé par le
88 LA GUERRE AUX ÉGLISES
gouvernement de Berlin d'un rapport sur la destruction de
la cathédrale de Reims, ose écrire : « Ce culte intempestif
des monuments apparaît comme une sentimentalité étran-
gère et anachronique d'une heure où il s'agit non pas d'un
duel limité, mais d'être ou de ne pas être, de toute notre
existence nationale, de la victoire ou de la chute de la
pensée allemande dans le monde. » Y aurait-il donc contra-
diction entre la pensée allemande et le culte de la beauté ?
Il est permis de le supposer ; car, si la froideur administra-
tive se borne à excuser l'incendie de la cathédrale, l'en-
thousiasme lyrique n'hésite point à le glorifier. Admirez
ces simples vers détachés d'une ode de circonstance, que le
Lokal Anzeiger de Berlin a recueillie dans ses colonnes et
dont le Havre-Éclair a publié le texte et la traduction :
Les cloches ne sonnent plus
Dans le dôme aux deux tours.
Finie la bénédiction
Nous avons fermé avec du plomb,
0 Reims, la maison d'idolâtrie!
Tel est leur respect de la maison de Dieu.
Aussi l'on comprend que la ruée des envahisseurs ait
laissé derrière elle un sillage de ruines calcinées et
béantes, qui tendent vers le ciel les tronçons de leurs tours
ou les murs étoiles et branlants de leurs nefs.
L'énumération de ces désastres est encore aujourd'hui
difficile à fixer. Les renseignements demeurent incomplets,
et des régions entières sont momentanément fermées à
toute investigation. Force est donc de se restreindre à
quelques exemples topiques. Autour de certains monu-
ments qui, par l'éclat de leur gloire et l'écho de leur mar-
tyre, symbolisent la persécution des sanctuaires, il suffira
de grouper en faisceau les autres destructions actuellement
connues.
Deux noms, au premier plan, surgissent à la pensée : en
France, cette cathédrale de Reims, qui n'est pas seulement
un des plus immortels chefs-d'œuvre de l'architecture
ET AUX PRÊTRES 89
gothique, — ou plutôt de l'art français, Vopus francigenurrij
selon la vieille expression du moyen âge évoquée par
André Michel, — mais encore un mémorial et un reliquaire
de la vie nationale ; en Belgique, cette collégiale de Lou-
vain, qui abritait le cœuretle cerveau de la nation catholique.
La cathédrale de Reims!... Non! je n'essaierai pas de
traduire l'émotion poignante, infiniment triste et profonde,
qui étreignit les âmes françaises quand, le dimanche
20 septembre, le communiqué officiel annonça que ce patri-
moine de la grande famille était en flammes. Plus que la
stupeur et l'indignation, ce fut d'abord une douleur intense.
Chacun, dans l'affliction nationale, souffrait d'un deuil
intime; il avait perdu comme un parent très proche ou
un ami très cher ; il comprenait, et plus encore il sentait
tout ce que ces pierres saintes avaient contenu de vie, à
l'heure où il pleurait leur mort. Et la désolation n'attei-
gnait pas seulement les catholiques ; elle s'élargissait jus-
qu'à l'immensité du peuple. Toute la race était frappée.
Depuis quelques jours, il est vrai, depuis que les Alle-
mands, refoulés par la victoire de la Marne, avaient dû éva-
cuer la ville de Reims, après une éphémère occupation, le
sanctuaire, échappé à leurs griffes, servait de point de
mire à leurs canons. Le chanoine Landrieux, vicaire géné-
ral de Reims et archiprêtre de la cathédrale, qui fut le
témoin constant, scrupuleux et souvent héroïtjue de ce
i^^rand martyre et dont les renseignements me serviront de
guide, atteste, en effet, que t les 17, 18 et 19 septembre, la
cathédrale, directement visée, a reçu une quarantaine
d'obus ». Et ilénumère les premières blessures infligées au
monument : «Toits crevés, arc-boutantde contrefort abattu,
verrières saccagées, pinacles et clochetons décapités, galerie
supérieure fortement endommagée en plusieurs points, un
escalier de pierre défoncé dans une tourelle, mutilation de
sculptures en cent endroits, couronnement de la tour du
Nord démoli, etc.. »
Cependant, l'édifice, où l'on abritait des blessés aile-
90 LA GUERRE AUX ÉGLISES
mands sur la paille accumulée déjà par les envahisseurs,
— était-ce uniquement pour servir de couche à leurs sol-
dats ? — avait été surmonté, dès le 18, d'un drapeau de la
Croix-Rouge. Et, le 19 au matin, ce premier drapeau,
déchiqueté par le vent, faisait place à un second, plus
ample et plus solide qui, dressé au sommet de l'une des
hautes tours, allait bientôt flotter, presque intact, au-dessus
du brasier, comme pour porter vers les cieux, du sein des
flammes allumées par le vandalisme, la protestation de la
charité.
Malgré cet emblème pacifique, les artilleurs allemands
continuèrent de s'acharner sur l'église qu'il aurait dû leur
rendre doublement sacrée. Et ce fut le 19 après-midi que
l'incendie éclata. Vers trois heures, le chanoine Landrieux
s'aperçut que l'échafaudage, dont était masqué l'un des
porches du grand portail, s'enveloppait de fumée. Une
heure plus tard, toutes les poutres flambaient. Cependant
les flammes, qui s'élevaient avec rage et qui menaçaient
tout l'édifice, n'arrêtèrent pas la fureur ennemie ; peut-
être avaient-elles pour effet de la surexciter. Tandis que
Farchiprêtre, aidé de quelques auxiliaires intrépides,
essayait vainement de conjurer le fléau et surtout de sau-
ver, au péril de sa vie, les blessés allemands couchés dans
la cathédrale sur les bottes de paille criblées d'étincelles,
il découvrit avec stupeur de nouvelles lueurs d'incendie
dans l'abside, à l'autre extrémité du monument. « Il est
bien difficile, fait-il observer, d'admettre que le feu des
échafaudages du portail ait pu embraser si vite et simulta-
nément toute la charpente jusqu'à l'abside... D'ailleurs, des
témoins qui observaient l'incendie, de points différents,
avec une forte lunette, ont affirmé avoir vu tomber deux
nouvelles bombes sur les plombs de l'abside et du transept,
pendant que les échafaudages brûlaient. Enfin, nous avons
une preuve irrécusable : les photographies prises pendant
l'incendie attestent le fait, avec la brutalité du docu-
ment. »
i
ET AUX PRÊTRES 91
Après avoir allumé le foyer sacrilège, le tir allemand
l'attisait.
Depuis cette date, au surplus, la basilique mutilée n'a
pas cessé de servir de cible à la mitraille ennemie. Chaque
fois que la malheureuse cité de Reims est punie, dans sa
population civile, des pertes que nos troupes infligent aux
armées du Kaiser, le quartier de la cathédrale, les dé-
combres écrasés de l'archevêché contigu à l'église, l'église
elle-même enfin, sont menacés, blessés, ravagés. Le 8 oc-
tobre, en particulier, la galerie supérieure était brisée sur
une longueur de huit mètres; un clocheton était percé
le 23 novembre; le 29, la voûte était frappée; puis, c'était
les statues du petit portail de droite que saccageaient des
éclats d'obus. Enfin, plus récemment, dans la nuit du 21
au 22 février, la voûte a été crevée par un puissant projec-
tile à la mélinite.
Est-il besoin de détailler les dégâts multiples et désolants
que ce vandalisme obstiné a provoqués dans le glorieux
édifice? Toutes les sculptures de la tour à laquelle s'accro-
chait l'échafaudage, corrodées par les poutres en flammes
et ratissées par leur effondrement; toute la voûte mise à
nu, exposée sans défense possible aux coups des bombes
incendiaires et aux morsures plus lentes, mais plus tenaces,
du gel et de la pluie; tout l'intérieur saccagé par l'embra-
sement de la paille qui dévora tout ce qui était combus-
tible, mutila et rongea la base des colonnes, entama pro-
fondément les pierres ; les vitraux en miettes, les cloches
fondues, les statues mutilées... C'est un désastre immense,
qu'il est plus facile de concevoir et de pleurer que de
décrire avec minutie !
Mieux vaut, pour saisir l'horreur et l'étendue des souf-
frances endurées par nos sœurs de pierres, embrasser d'un
coup d'œil les autres églises qui, de toutes parts, ont subi
le sort de Notre-Dame de Reims; quelques-unes, il est
vrai, blessées moins grièvement, mais plusieurs atteintes
et broyées plus à fond. Dans la cité même de Saint- Rémi,
92 LA GUERRE AUX ÉGLISES
l'antique et admirable basilique dédiée à l'apôtre des Francs
a partagé le supplice de la cathédrale ; la chapelle centrale
de l'abside, en particulier, n'est plus qu'un large trou
encombré de débris. Saint- Jean-Baptiste et Saint-André
sont également dans un état lamentable.
Dans le diocèse voisin de Soissons, la cathédrale, qui n'a
pas reçu moins de 150 obus et que les batteries allemandes
s'obstinent à bombarder, porte de tous côtés de cruelles
déchirures et, d'après l'enquête engagée par M^^*" Péchenard
sur la partie de ce diocèse évacuée par l'ennemi, plusieurs
églises ont été détruites.
Remontons vers le Nord. Une autre ruine apparaît sur
l'horizon, chancelante et déchiquetée, qui crie vengeance
au ciel. Là, dans la petite ville d'Albert, au diocèse
d'Amiens, resplendissait hier encore, sous le haut couron-
nement d'une Vierge de bronze qui bénissait le pays d'alen-
tour, la célèbre basilique de Notre-Dame-de-Brébières. On
la surnommait la Lourdes du Nord. « La Sainte Mère de
Dieu de Lourdes — avait grossièrement blasphémé la Na-
tional Zeitung, au début de la guerre, — aura beaucoup à
faire si elle, la Miraculeuse, doit guérir tous les os que nos
soldats casseront aux pauvres gens de l'autre côté des
Vosges. » Ne pouvant atteindre la Vierge des Pyrénées, les
artilleurs allemands ont voulu du moins outrager la Vierge
de Picardie. 350 obus, écrit le curé-doyen d'Albert, ont fait
rage contre la basilique, spécialement visée dès le premier
jour où les canons allemands furent pointés sur cette ville
ouverte et vide de soldats; du 14 au 17 janvier, notam-
ment, le sanctuaire fut arrosé de mitraille, à l'exclusion du
reste de la cité. Si bien qu'aujourd'hui, de la radieuse et
puissante église, il ne reste plus que des murs branlants,
qu'il faudra sans doute achever. Et notez que l'ennemi
s'acharna tout particulièrement sur le clocher, jusqu'au
jour où ses coups réussirent à le décapiter de la statue
bénie.
Non loin d'Albert, voici l'infortunée ville d Arras, une
ET AUX PRÊTRES 93
cité naguère paisible et courtoise, devenue l'un des plus
lamentables cimetières des régions piétinées par la bataille
et l'invasion. Auprès des ruines effondrées du beffroi, ce
chef-d'œuvre élégant et majestueux dont l'occupation espa-
gnole avait doté la capitale artésienne, la cathédrale, écrit
l'évêque d'Arras, la cathédrale « perpétuellement visée, est
méconnaissable » ; elle est devenue « inhabitable » et « hors
d'usage ». Un peu plus loin, le chœur de Saint- Géry
regarde le ciel à travers ses voûtes béantes, et Saint-Jean-
Baptiste élève, au-dessus de son toit criblé de blessures, sa
tour odieusement déchiquetée. Aux environs du chef-lieu,
témoigne encore M^"^ Lobbedey, « quelques villages ont
leurs églises rasées ». Enfin, dans le reste du diocèse '■ — ou
du moins dans les cantons que l'ennemi ne tient plus, —
M. l'abbé Guillemant, vicaire général, en signale 14, dont
quelques-unes, comme celle de Laventie, ont reçu plusieurs
obus, et dont quelques autres, notamment celles de
Cuinchy, de Givinchy-les-Labassée, de Rochincourt, etc.,
ne sont plus que des décombres.
- Près d'Armentières, nouvelles désolations : Saint-Charles
d'Houplines, en particulier, nous montre, au dire des
témoins, ses murs troués comme une écumoire, ses voûtes
affaissées, ses statues culbutées et décapitées.
Et, si nous retournons vers la frontière de l'Est, le
tableau nous apparaît plus douloureux encore, ou du moins
la dévastation plus complète et plus étendue.
Voici le diocèse de Verdun, par exemple, où nous ren-
controns les ruines d'Angécourt, de Laheycourt, de Was-
sincourt, de Rambercourt, et de combien d'autres paroisses !
Voici le diocèse de Saint-Dié, dont la Semaine religieuse
a pu, dépeignant l'état d'un grand nombre d'églises,
brosser ce tableau lamentable : « Les unes, pareilles aux
blessés de nos champs de bataille, montrent aux passants
les plaies béantes de leur toiture ou de leurs murailles
é ventrées. Les autres, semblables à des amputés qui
sortent de la salle d'opération, élèvent des moignons qui
94 LA GUERRE AUX ÉGLISES
semblent prendre le ciel à témoin de la violence sacrilège
qui leur a été faite. D'autres, plus malheureuses encore,
sont réduites à l'état de squelette carbonisé. » De loin, de
très loin, sous l'ombre paisible d'une église abritée de ces
infortunes, quelques esprits sceptiques ou prévenus trai-
teront cette vision exacte de simple exercice littéraire. Ils
tiendraient un autre langage, auprès des voûtes écrasées de
Dan-de-Laveline, en face des débris calcinés de Wissem-
bach, devant les quatre murs et la tour ébréchée de Nom-
patelize ou de Saint-Remy, sur le seuil de Bertrimontier^
massacrée de mitraille.
A Nancy, l'évêque; séparé depuis plusieurs mois de tout
le nord de son diocèse, sur lequel il ne possède aucun ren-
seignement et dont le sort lui cause une vive inquiétude,
ne signale pas moins de 54 églises endommagées par le fer
et par le feu. Près de la moitié sont désignées comme dé-
truites ou gravement abîmées, soit par l'incendie qui les a
dévorées et rongées, soit par les obus qui en ont perforé les
murailles et abattu les clochers. Ainsi celles de Maixe et
de Raon-l'Etape, ouvertes à tous les vents, celle de Badon-
viller dont les voûtes s'éparpillent en poussière sur la dalle
des nefs, celle de Gerbeviller qui ressemble à un grand
corps troué de plaies !
Et c'est le même spectacle de deuil et de destruction,
d'une monotonie atroce, qui nous attend en Belgique.
J'ai signalé, comme symbolisant et résumant le martyre
des églises belges, l'incendie de la collégiale de Louvain.
Mais ce n'est pas seulement par la haute signification de ce
sanctuaire que l'attentat dont il tomba victime est repré-
sentatif; c'est encore par la résolution haineuse et métho-
dique, avec laquelle le crime fut consommé.
Tous les témoignages enregistrés en France et en Belgi-
que, toutes les enquêtes particulières qui sont venues con-
firmer les rapports officiels s'accordent à dénoncer, chez
les Allemands, l'emploi d'un matériel perfectionné d'incen-
die. M. Grondijs a vu entre leurs mains « des grenades
ET AUX PRÊTRES 95
incendiaires, des pompes à pétrole, des boîtes nickelées à
benzine, des pastilles à nitrate de coton, des pastilles à
résidu de pétrole » .
Ce sont ces instruments, dont les bourreaux de Louvain
firent usage, pour brûler de sang-froid les 1,828 maisons
qui ont été rasées dans la ville et dans ses faubourgs — et,
au milieu d'elles, la collégiale Saint-Pierre. Le deuxième
rapport belge démontre, en effet, que c'est de parti pris
que la noble cité intellectuelle a été livrée aux flammes ;
car f les soldats allemands pénétraient dans les habita--
tions et y jetaient des grenades incendiaires » . Mais cette
barbarie ne fut pas seulement volontaire; elle fut prémé-
ditée. M. Grondijs a recueilli, sur ce point, l'attestation
d'un lieutenant prussien qui, devant la ville embrasée,
déclarait en se rengorgeant : « Jusqu'ici nous n'avions
brûlé que des villages. Par exemple, Tongres. C'était bien
fait. Il est rasé tout à fait. Maintenant nous commençons
avec les villes. Louvain sera la première qu'on détruira. »
Et un peu plus tard, avec moins d'arrogance, mais autant
de netteté, un major ajoutait: « Pourquoi a-t-on tiré sur
nous? Voilà le résultat. Regardez! Maintenant la cathé-
drale a été brûlée. » J'établirai dans un autre chapitre, en
discutant les prétextes invoqués par les agresseurs, l'ina-
nité de l'accusation que le major allemand portait contre
les habitants de Louvain. Ce qu'il faut retenir ici, c'est
l'aveu : l'incendie de la ville, et notamment de la collé-
giale, a bien été délibéré, exécuté de sang- froid. Les Van-
dales, au surplus, ne se sont pas contentés de déchaîner le
fléau, ils en ont secondé les ravages. Dès avant d'engager
cette opération de guerre, ils avaient pris leurs précautions.
* Le 25 août au soir, a pu constater le 5* rapport belge,
alors qu'ils allumaient l'incendie, les Allemands détrui-
saient les pompes à incendie et l'échelle Porta ; ils tiraient
sur les personnes qui montaient sur les toits pour éteindre
le feu. » Ils ne se bornaient pas à pourchasser les sauve-
teurs; ils aUmentaient le brasier. Les soldats, témoigne un
96 LA GUERRE AUX ÉGLISES
habitant, qui suit pas à pas les progrès du désastre, t pa-
raissent entretenir le feu en y jetant de la paille ». Et
M. Grondijs dépose à son tour : « Le feu est attisé par des
soldats dont je vois les silhouettes nettement dessinées sur
la fond de flammes. »
Pourtant, l'autorité militaire allemande, émue de l'uni-
verselle indignation soulevée par cet attentat, s'est vantée
d'avoir circonscrit la catastrophe : il est positif, en effet,
qu'elle a détourné de l'hôtel de ville la nappe brûlante
qui allait submerger le célèbre monument. Mais ce sauve-
tage, aisément accompli, condamne les destructeurs au lieu
de les absoudre. Ils ont donc voulu et ils ont pu préserver
cet édifice, où ils avaient installé les bureaux de la Kom-
mandatur et logé une grande partie de la garnison ; mais
l'Université, mais l'église Saint-Pierre, qui n'abritaient que
les trésors de la science et de la foi, qui ne renfermaient,
au lieu des rouages d'un organisme brutal, que l'esprit
d'un peuple catholique, ils les ont sciemment, délibéré-
ment, abandonnés aux flammes.
Que dis-je ! ils ont fait pire! En ce qui concerne au moins
la collégiale, leur fureur antireligieuse avait devancé la
marée montante de l'incendie. Des témoins l'ont constaté.
M. Grondijs, au cours de son poignant récit, s'interrompt
tout à coup : « Je vois, s'écrie-t-il, une flamme s'élever de
la tour de l'église Saint-Pierre. Toutes les maisons qui
environnent ce monument sont intactes. L'église a donc
été incendiée intentionnellement. » Et ce spectateur impar-
tial de l'horrible tragédie, publiant ses notes après l'appa-
rition du rapport allemand qui soutient que la collégiale a
pris feu au contact des maisons voisines, insiste en ces ter-
mes topiques : « Il est difficile de voir comment le feu se
serait si facilement propagé à travers les murs épais de ce
grand bâtiment. D'ailleurs, au moment où les flammes com-
mencèrent à jaillir de la petite tour qui se trouvait au mi-
lieu du toitf toutes les maisons dont parle le rapport étaient
intactes. »
ET AUX PRÊTRES 97
Par le crime dont ils se sont rendus coupables contre la
Collégiale de Louvain, l'on peut juger de la fureur dévas-
tatrice avec laquelle les envahisseurs ont frappé, sur le
reste du territoire, antiques sanctuaires et modestes églises.
Et Saint-Martin d'Ypres, obstinément bombardé, qui semble
chercher un ciel vengeur à travers sa voûte anéantie; et
Saint- Rombaut de Malines, odieusement maltraité; et
Notre-Dame de Termonde, partageant le supplice de toute
une cité martyre; et l'église de Dinant, dont les quatre
murs noircis et ensanglantés se dressent au milieu d'un
désert de décombres ; et les treize églises dont l'évèque de
Namur porte le deuil; et toutes les autres encore, dont
rénumération finirait par épuiser la douleur et lasser l'indi-
gnation ! . . .
2" Leurs procédés de destruction.
Il faut insister pourtant sur cette ivresse et cette obsti-
nation de barbarie contre la maison du Seigneur. Certes,
l'incendie prémédité de la Collégiale de Louvain suffît à
démontrer la volonté de détruire. Et, d'ailleurs, au cours
de ce navrant martyrologe, à propos de la cathédrale de
Reims en particulier, j'ai trouvé maintes fois l'occasion
d'établir que, si la trajectoire des pièces allemandes se
heurtait si fréquemment aux églises, ce n'était point l'effet
d'un hasard malheureux,- mais le résultat d'une méthode
arrêtée. Ce calcul impie, on a vu que l'évèque de Verdun
l'avait reconnu et dénoncé ; les enquêteurs de France et de
Belgique en font également la constatation. Ces derniers,
dans leur neuvième rapport, y reviennent encore au sujet de
l'église de Lebbeke, auprès de Termonde : elle fut, disent-ils
en résumant les témoins, « spécialement visée ». Les notes
de l'évêché d'Arras ne sont pas moins significatives : elles
font observer que « les bombes se sont acharnées dès le
premier jour » sur plusieurs églises de la ville épiscopale, en
particulier sur Saint- Jean- Baptiste et sur Saint-Géry, bien
7 — Fr,
98 LA GUERRE AUX ÉGLISES
que ces deux monuments ne constituassent en aucune façon
ce qu'on entend par un point de mire ; il fallait les cher-
cher, pour les atteindre. Et ces notes enregistrent, en même
temps, le suggestif et impressionnant récit de la destruc-
tion du clocher de Foncquevillers. C'est un soldat qui parle :
« Les Boches nous ont hier abattu notre clocher. C'est bien
inutile, car on ne s'en servait aucunement. Le plaisant est
qu'il leur a fallu 57 coups de 210 mm. pour l'avoir; ils ont
tiré pendant deux heures et demie environ ; les 40 premiers
coups sont tombés partout, sauf près de l'église ; enfin les
derniers se sont un peu rapprochés et la pointe du clocher
a fini par s'abattre ; aussitôt le tir s'est arrêté. » Cet achar-
nement, l'évêque de Soissons le constate en termes aussi
formels ; en décrivant le martyre de sa cathédrale, il précise
en effet : « Les Allemands ont principalement dirigé leur
feu sur elle. » Mais à quoi bon prolonger ces témoignages?
Ils défient toute contradiction.
C'est en vain, d'ailleurs, qu'escomptant le respect des
conventions internationales et des lois de l'humanité,
on se décide, pour sauver les églises, à les transformer
en ambulances et à les couvrir de la Croix-Rouge. Cet
emblème sacré, on l'a vu à Reims, n'arrête pas les artil-
leurs allemands. L'église de Fontenoy, d'après le témoi-
gnage de l'évêque de Soissons, a éprouvé le même
mécompte et fait l'expérience de la même cruauté. Cruauté
qui se double parfois d'ingratitude. Ainsi à Bertrimontier,
dans les Vosges : l'église de cette paroisse, nous apprend
la Semaine religieuse de Saint-Dié, venait de servir d'asile
à des blessés allemands, que le curé, son vicaire et des
infirmières françaises avaient entourés de soins généreux;
n'importe ! à peine expulsé du village, l'ennemi braqua
ses batteries sur ce clocher qu'auraient dû défendre à
ses yeux les souvenirs de la reconnaissance, en même
temps que le respect de la divinité; et le pauvre édifice,
canonné avec obstination, fut bientôt réduit à l'état le
plus lamentable.
■
ET AUX PRÊTRES 99
Si la pitié ne pénètre pas jusqu'à ces cœurs de roc, on
devine qu'ils ne sont pas plus émus par la prière des fidèles
que par la plainte des blessés. Aussi a-t-on remarqué plus
d'une fois que les artilleurs allemands, pour viser un sanc-
tuaire, choisissaient de préférence un jour de fête et l'heure
des offices. A Pont-à-Mousson, le 45*^ bombardement
subi par la population de cette ville ouverte eut lieu
pendant les vêpres de la Toussaint et inonda l'église d'une
pluie de shrapnells. Le dimanche 31 janvier, plus de vingt
obus s'abattaient sur la cathédrale d'Arras où, grâce à
Dieu, ils n'avaient plus à écraser que des ruines « inhabi-
tables ».
On voudra peut-être ergoter sur les bombardements.
L'artilleur, accusé d'intention coupable, peut à la rigueur
plaider la maladresse. Mais quelle excuse invoquer, quelle
explication fournir, en faveur de l'incendiaire surpris la
torche au poing? C'est, on Ta vu, le cas de Louvain. Et la
collégiale Saint-Pierre n'est pas la seule église qui ait été
brûlée de sang-froid, par des moyens qui relèvent du pur
brigandage. D'autres encore ont été victimes du même
attentat. On en connaît, comme celle de Revigny, dans la
Meuse, qui, au témoignage du rapport officiel, périt avec
tout ce village aspergé de pétrole et farci de tablettes de
poudre comprimée; comme celle de Mandray, dans les
Vosges, dont l'évêché de Saint- Dié atteste qu'elle fut
dévorée par un incendie méthodique, probablement pré-
paré avec de la paille; comme celle de Villers-aux- Vents
qui paraît, selon des affirmations sérieuses, avoir subi le
même sort... Et il est évident qu'on ne les connaît pas
toutes.
Mais ni la canonnade à longue distance, ni ces engins
plus expéditifs et plus directs, que l'armée du Kaiser semble
avoir empruntés aux anarchistes, ne sont les seuls procédés
dont elle se soit servie pour assouvir sa haine des édifices
sacrés. Restait la voie des airs. On sait trop qu'en mainte
occasion, les aviateurs allemands se sont complu à semer
100 LA GUERRE AUX ÉGLISES
la destruction et la mort au sein des villes ouvertes et des
populations paisibles. Il eût été surprenant que cette pira-
terie aérienne épargnât les églises. Écoutez sur ce point
deux voix épiscopales. L'évêque de Nancy, par les soins de
son organe accrédité, rappelle que les Tauhe, qui survolèrent
le chef-lieu de son diocèse au début de Septembre, puis le
jour de Noël, — à l'heure même où la grand'messe commen-
çait à la cathédrale, — jetèrent deux bombes au seuil de
l'édifice. On hésitait pourtant à les accuser d'un dessein cri-
minel contre le sanctuaire. « Mais, ajoute la Semaine reli-
gieusCf après l'attentat commis par un Zeppelin, le matin
du 26 décembre, il paraît bien qu'il ne peut y avoir de
doute : nos églises, elles aussi, serviraient d'objectifs. Deux
bombes, en effet, douées d'une grande puissance d'explosion,
ont éclaté, l'une sur la place des Dames, l'autre dans la
Grand'Rue, des deux côtés de la basilique Saint-Epvre. 11
s'en est fallu de bien peu que l'un de ces deux engins ne
tombât sur l'édifice lui-même. »
Voici, d'autre part, une attestation signée de l'évêque de
Verdun : « La cathédrale de Verdun a été, à deux reprises,
particulièrement visée par des avions allemands qui ont
lancé sur elle six ou sept bombes, dont une au moins
incendiaire. Par bonheur, elles sont toutes tombées à côté
du beau monument, n'occasionnant que quelques dégâts
matériels. La cathédrale domine ia ville et les collines ;
elle est assez éloignée de la citadelle et des casernes. Il
n'y a qu'un hôpital à côté; il est indiqué par un grand dra-
peau de la Croix-Rouge. » Le drapeau de la Croix-Rouge!
C'était vraiment tenter l'incendiaire aérien (1).
(1) Et, tandis que je coi'rige les épreuves de ce travail, un communi-
qué m'apprend que les aviateurs ennemis ont jeté une bombe sur le
corps mutilé de la cathédrale de Reims,
J
ET AUX PRÊTRES 101
3° Sacrilèges.
Cet acharnement systématique à viser, à brûler, à broyer
les édifices consacrés à Dieu ne suffirait-il pas à justifier,
contre les auteurs de pareils attentats, l'accusation de
sacrilège? Il n'y a point d'autre terme, en tout cas, pour
qualifier certains autres crimes où les a entraînés leur
sadisme antireligieux.
La liste complète en serait longue, autant que doulou-
reuse à toute âme chrétienne. On ne peut d'ailleurs l'établir
encore actuellement. Je me borne à signaler quelques faits
précis.
Souvent, la profanation et le pillage ne constituent, pour
ainsi dire, que le piment dont les incendiaires relèvent le
goût de la destruction. A Clermont-en-Argonne, au témoi-
gnage de l'enquête officielle, « tandis que les maisons
flambaient, des soldats envahissaient l'église, qui est isolée,
sur la hauteur, y dansaient au son de l'orgue, puis, avant
de se retirer, y mettaient le feu, à l'aide de grenades,
ainsi que de récipients garnis de mèches et remplis d'un
liquide inflammable ».
Obliger ces pierres saintes, avant de les abattre, à répé-
ter les échos des danses et de l'orgie; les rendre témoins
de souillures encore plus odieuses et plus basses, n'est-ce
pas le besoin caractéristique de la haine antireligieuse?
L'évêque de Soissons signale qu'à Guyencourt, les soldats
du Kaiser, installés dans l'église, e ont pillé la sacristie,
logé un cheval sous la tribune et fait ripaille ». Un habi-
tant de Montmacq, au diocèse de Beau vais, rapporte à la
Croix que les Allemands « ont souillé d'ordures le pot à
eau bénite et se sont essuyés avec le linge d'autel ». A
Dinant, en Belgique, les officiers eux-mêmes, s' encanail-
lant par hasard avec leurs hommes, se sont livrés, au
milieu des ruines fumantes et des rues encombrées de
102 LA GUERRE AUX EGLISES
cadavres, à une comédie atrocement carnavalesque: ils
« s'amusaient, relate un témoin cité par M. Nothomb, à
s'affubler des habits des Prémontrés dont ils ravageaient
l'abbaye ; on vit ainsi de faux Prémontrés circuler en auto-
mobile aux environs de Dinant; un dîner fut même servi
aux officiers par un soldat déguisé en Prémontré (1) x.
Reconnaissons que certains Allemands eux-mêmes sont
pris de nausée à la vue de ces sacrilèges malpropres. Un
soldat du 12« régiment d'infanterie de réserve, dont M. Jo-
seph Bédier a compulsé le carnet, note avec écœurement
qu'un de ses camarades « est entré dans une sacristie fer-
mée à clef, où était le Saint Sacrement. Par respect, un
protestant avait évité d'y coucher ; lui, il y déposa de larges
excréments ».
Mais ces carnets de soldats allemands nous révèlent sur-
tout une étrange mentalité : au milieu d'aveux cyniques
et vantards, leurs anteurs s'abandonnent avec inconscience
ou hypocrisie à cet autre genre de profanation, qui con-
siste à souligner de gestes religieux des actes réprouvés
par la loi religieuse : « Lancement de grenades incen-
diaires dans les maisons, écrit froidement le soldat Moritz
au lendemain du sac de Saint- Vieth et de Dinant. Le soir,
choral militaire : Maintenant remercions Dieu! » Et le sous-
officier Klemt, après avoir raconté joyeusement un mas-
sacre de blessés français, termine avec satisfaction : « Le
soir venu, une prière d'action de grâces sur les lèvres, nous
nous endormîmes dans l'attente du jour suivant. »
Cependant l'outrage aux édifices et aux ornements sacrés
ne parvient pas à calmer ce prurit de sacrilèges. C'est trop
peu pour les envahisseurs que de voler les objets du culte
et, quand ils ne peuvent les déménager, de les massacrer
ou de les salir. Il ne leur suffit pas, comme à Mompatelize,
(1) Les Barbares en Belgique, par M. Pierre Nothomb, avec préface
de M. Carton de Wyarl, ministre de la justice (Paris, Perrin, 35, quai
des Grands- Augustins). Ce livre poig-nant est nourri des dépositions
recueillies et contrôlées par l'enquête officielle.
ET AUX PRÊTRES 103
à La Bourgonce, à Ilurbach, dans le diocèse deSaint-Dié,
— c'est la Semaine religieuse qui les dénonce, — de s'em-
parer des meubles de l'église et de détériorer ceux qu'ils
sont contraints de laisser sur place, de défoncer les taber-
nacles qu'ils sont incapables d'ouvrir, de déchiqueter les
chasubles pour en emporter les ors et les broderies. Leur
frénésie va plus loin encore : elle renverse et brise, par pur
fanatisme antireligieux, les images saintes et les vases
sacrés. M. Grondijs a signalé l'acharnement des ravageurs
d'Aerschot contre les statuettes catholiques. « Les meubles
ne sont pas dérangés, observe-t-il en pénétrant dans une
chambre éventrée. Seules, deux statuettes, l'une de la
Vierge, l'autre de saint Antoine, gisent à terre, brisées.
Dans toutes les maisons où je suis entré, j'ai retrouvé les
mêmes profanations. » Dans l'église d'Hastière, constate à
son tour le onzième rapport belge, « les ornements sacer-
dotaux ont été déchirés et souillés » ; — ailleurs, l'enquête
précise qu'ils ont servi a aux usages les plus immondes » . —
« Les chandeliers, les statues, les bénitiers ont été brisés.
Le reliquaire a été brisé et les reliques dispersées. Parmi
celles-ci se trouvaient les reliques des vierges de Cologne,
qui avaient échappé à la furie huguenote et à la destruction
en 1790. Deux des quatre autels ont été profanés ; les
sépulcres des autels ont été brisés. Les reliques en ont été
enlevées et foulées aux pieds. » Aerschot, au témoignage
du cinquième rapport, a vu la landsturm s'attaquer aux
tabernacles, au Collège Saint-Joseph et dans la chapelle de
l'Institut de Picpus. Et M. Mélot, dans son enquête minu-
tieuse et poignante, établie sur des dépositions sérieuses
et contrôlées, signale encore qu'à Elewyt, les sacrilèges
ont dispersé et jeté les objets du culte; que, dans l'église
d'Yvoir ils ont profané les vases sacrés; qu'à Leignon,
enfin, ils ont poussé l'ignominie jusqu'à uriner dans le
saint ciboire.
Et qu'on n'essaie pas de soutenir, — excuse, au surplus,
qui ne supprimerait ni la matérialité, ni même la gravité de
104 LÀ GUERRE AUX ÉGLISES
la profanation, — que les soldats sacrilèges ne convoitaient
que la richesse des objets du culte. Us en voulaient à leur
caractère sacré ! M^' Carton de Wyart, l'éminent prélat qui,
ancien élève de l'Université de Bonn, ne nourrissait contre
la culture germanique aucune hostilité préconçue, M^"" Car-
ton de Wyart a révélé lui-même, à plusieurs personnes, les
indignités dont il fut la victime. Témoin du sac de l'église
d'Hastière, dont il a confirmé, dans la Westminster cathe-
dral chroniclej l'abominable profanation, il vit une bande
de soldats ennemis s'approcher de sa personne, « lui mettre
un revolver sous le nez, lui arracher les saintes espèces
qu'il portait sur lui et les jeter au loin dans la boue ».
De la Belgique, ces horreurs ont accompagné, dans nos
départements envahis, les agresseurs allemands. « Dans
les églises des Islettes et de la Chalade, écrit l'évêque de
Verdun, des ornements et même des vases sacrés ont été
profanés et ignominieusement souillés. » M. Julien, maître
d'école à Rouvres, dans la Meuse, atteste par écrit, dans
un rapport qui lui fut demandé sur l'agonie de son village,
qu'au presbytère, les Allemands, « après avoir profané les
vases sacrés, les ont remplis de viande de porc ». Et voici
derechef le vénérable évêque de Nancy qui, dans sa lettre
pastorale, affirme qu'à Gerbeviller « après les plus hor-
ribles excès, dans l'église à moitié détruite, les soldats ont
tiré, à bout portant, sur la porte du tabernacle qui leur
résistait : le saint ciboire a été criblé de balles, qui ont mis
en pièces ou en poussière les Saintes Espèces qu'il renfer-
mait ». Je n'ajoute rien.
III. — Contre les prêtres.
l'' « A bas le catholicisme! Mort aux prêtres! »
Ces malédictions impies et homicides, c'est M. Grondijs
qui les a entendues jaillir de la soldatesque allemande, au
passage des prêtres qu'on traînait en captivité ou qu'on
ET AUX PRÊTRES 105
poussait au martyre. Elles synthétisent le caractère antire-
ligieux de cette invasion. Je n'ai pas besoin de rappeler ici
de quels témoignages multiples, autorisés, concordants,
cette explosion de haine est confirmée.
En Belgique comme en France, on a signalé partout
l'obstination des envahisseurs à s'emparer des ministres
du culte, à les abreuver d'injures et de mauvais traite-
ments, à les assassiner sous le moindre prétexte. « Les
membres du clergé, résume en deux mots le deuxième
rapport belge, semblent devoir être spécialement l'objet de
leurs attentats. » M. Nothomb souligne : « Comme otages,
les Allemands recherchent particulièrement les prêtres.
Comme jouets et comme victimes, ils les recherchent
encore. » Et M. Grondijs, de son côté : « Les prêtres sont
particulièrement insultés par les soldats. » Parmi les
détails dont l'impartial professeur hollandais appuie cette
affirmation, rien de plus significatif que les arrestations
arbitraires opérées à Louvain. J'y reviendrai. Mais je note
immédiatement, comme un symptôme de la « prêtrophobie »
allemande, que, dans la cohue des fuyards échappés ou
chassés de la malheureuse ville, les ecclésiastiques étaient
retenus sans enquête et qu'aux réclamations de M, Gron-
dijs, un officier répondit que l'ordre était donné d'arrêter
tous les prêtres.
Cette persécution était préméditée et ourdie de longue
main. Les soldats allemands, — leurs carnets le démontrent
avec surabondance, — avaient été saturés de calomnies
révoltantes et absurdes contre le clergé catholique. Non
seulement on les avait prévenus contre les prêtres, en pré-
tendant que ces derniers fanatisaient les populations ; mais
on leur avait dépeint ces hommes de Dieu comme des êtres
fourbes, cruels, ivrognes, immoraux. « Tandis qu'ils boi-
vent, écrit servilement le mousquetier Franz Schmiedt,
ils entretiennent leurs gens dans l'ignorance, ils leur
défendent de lire et d'écrire ; à partir de huit ans, les
enfants doivent travailler ; la prostitution est très grande,
106 LA GUERRE AUX EGLISES
frères et sœurs vivent comme mari et femme, et, en plus,
les femmes se prostituent encore autre part. La femme jouit
de tous les droits, l'homme n'a rien à dire. Et cependant,
ces gens ne sont pas si cruels qu'on le dit. Ils sont seule-
ment obéissants aux prêtres. »
Ni à la vertu des prêtres belges, ni à l'intelligence de
mes lecteurs, je ne ferai l'injure de discuter ces folies veni-
meuses. Il me suffit de noter que ces préventions, perfide-
ment entretenues, les soldats allemands les ont apportées
chez nous comme chez nos voisins. En France comme en
Belgique, au témoignage de l'évêque de Nancy, les prêtres
« ont été injuriés, maltraités, entraînés dans une doulou-
reuse captivité ; plusieurs ont été fusillés et quelques-uns
après de grandes souffrances ». Observation concordante,
au diocèse de Saint-Dié. Et, à Soissons, l'évêque enregistre
la déclaration d'un officier allemand qui, parlant au curé
d'Arcy-Sainte-Restitute, avoue que ses compatriotes se
méfient surtout des prêtres.
Puis-je, à ces dépositions, ajouter un souvenir person-
nel? J'entends toujours fabbé Sueur, curé de Villers-
Saint Frambourgt, au diocèse de Beauvais, échappé par
miracle aux griffes allemandes après la mort de son com-
pagnon de supplice qui avait péri sous les mauvais traite-
ments, me dépeindre, encore frissonnant, la rage avec
laquelle ses geôliers montraient le poing au « pastor catho-
lik », refusaient sa part de médiocre pitance au ce pastor »
et enfin, refoulés de la Marne et furieux de leur défaite,
frappaient le prêtre, en hurlant : « C'est la faute au pastor. »
2° Mauvais traitements.
Les prêtres sont de préférence arrêtés comme otages, a
constaté M. Nothomb. Et les proclamations de l'envahis-
seur corroborent ce témoignage. A Grivegnée, la menace
affichée sur les murs prescrivait : « Comme otages, sont
Et AtrX PRÊTRES 107
placés en première ligne les prêtres, les bourgmestres et les
autres membres de l'administration. » C'est la consigne ;
elle est exécutée en France aussi bien qu'en Belgique. A
Saint-Dié, spécifie l'évêque, un placard allemand portait
cette injonction : « Seront responsables : le curé, le maire,
l'instituteur. »
C'est une méthode générale. Pour impressionner le
peuple, on s'attaque à l'autorité, fût-elle sacrée par l'âge
et l'onction sainte. A Louvain, M^*" Ladeuze, recteur de
l'Université; à Reims (en l'absence du cardinal, retenu au
Conclave) , M^"" Neveu, évêque auxiliaire; ailleurs, comme à
Saint-Dié, comme à Tournai, le pasteur du diocèse. Heu-
reux, quand ils échappent à l'emprisonnement, aux vexa-
tions humiliantes et cruelles, à la captivité dans les forte-
resses allemandes ! Hélas ! trop souvent, ces souffrances
leur sont réservées. 11 n'est point de diocèses envahis, qui
n'aient payé ce tribut à l'agresseur. Le cardinal Mercier le
dénonce avec une douleur éloquente et gémit sur ses
« nombreuses paroisses privées de leurs pasteurs ». L'évêque
de Verdun déclare que, parmi ses prêtres, une quarantaine
ont été entraînés dans les prisons d'Allemagne. La
Semaine religieuse de Nancy en désigne nommément seize,
— ceux qui ont pu donner de leurs nouvelles ! Partout, les
mêmes plaintes et les mêmes accusations.
Et quel calvaire, en général, que cette incarcération
brutale et lointaine ! Injures et mauvais traitements se
renouvellent à chaque pas. A Aerschot, par exemple, au
témoignage du 5° rapport officiel, une trentaine d'ecclé-
siastiques, enfermés plusieurs jours dans l'église, y ont été
laissés sans autre nourriture qu'une ration dérisoire de pain
aigre. Puis, ce fut, pour la plupart d'entre eux, Vex-
pédition par delà les frontières. « Nous avons expédié
300 Belges en Allemagne, écrit allègrement l'un des bour-
reaux ; parmi eux, se trouvent 21 curés. »
Ah! ce voyage, au milieu de la cohue, sous les baïonnettes
ennemies ! Tantôt la marche exténuante, où l'on voit des
108 LA GUERRE AUX ÉGLISES
vieillards, comme le curé de Hérent, rouler dans le trou-
peau, sur les bras de ses paroissiens. Tantôt, pour des jour-
nées entières, l'embarquement dans des wagons à bestiaux,
que les chevaux viennent de salir et qui ne contiennent
plus une planche où s'asseoir. Les ecclésiastiques y sont,
bien entendu, l'objet d'un traitement de faveur. Ecoutez la
déposition d'un vieux prêtre de Rotselaer, — un de ceux
qui ont pu revenir : « Je suis placé à la porte ouverte, bien
en évidence pour recevoir les injures ; c'est surtout aux
prêtres qu'on les adresse Nous arrivons à Aix-la-
Chapelle à trois heures de l'après-midi. Pendant une heure,
les militaires viennent nous insulter et nous menacer. Un
officier vient cracher à la figure du curé de Rotselaer... »
Et parfois, cependant, l'arrivée fait regretter la route. Il
est des camps de concentration qui ne sont que d'abomi-
nables et dégoûtantes géhennes. Le 10* rapport belge a
recueilli les déclarations d'un prisonnier qui fut relâché
bientôt comme sujet mexicain, après avoir vécu dans un
grenier oii s'entassaient 650 malheureux, dont six prêtres.
« Réveillés à coups de bâton accompagnés d'injures, ils
sont conduits dans la cour de la caserne. On leur met une
inscription sur le dos » , comme à des bêtes à vendre ou des
forçats à transporter..., « à midi, on leur donne un bol de
soupe. Les punitions sont le cachot et l'exposition pendant
plusieurs heures au pilori, sans compter les injures et les
coups de bâton et de crosse. Le logement est insalubre... »
Et vous entendez bien que le caractère sacerdotal ne
vaudra pas aux prêtres, plongés dans cet enfer, un sort
moins pénible. Au contraire, remarque M. Nothomb, là
comme ailleurs, ils « sont insultés plus que les autres » ;
quelques-uns <r sont brimés, n'ont jamais l'autorisation de
dire la messe » : deux d'entre eux, attachés dans la cour
de la caserne, y sont frappés par les soldats....
Réprimons cependant notre colère et revenons au point
initial du voyage, à l'incarcération ! Nous n'avons pas
exprimé, du premier coup, tout ce qu'elle contient d'hor-
ET AUX PRÊTRES 109
reur ni toute la puissance d'accusation qui en jaillit spon-
tanément contre les bourreaux. Les procédés d'arrestation
varient à l'infini. Les curés de Roncy et de Maizy, du
diocèse de Soissons, déclare M^'" Péchenard, sont arrachés
brutalement de leur chambre et poussés sous la menace
des revolvers. L'abbé Vilbert, curé de Lesbœufs, au dio-
cièse d'Amiens, a raconté, dans le Messager de la Somme y
comment il fut brusquement saisi, sur la place de la
commune, au chevet des blessés qu'il secourait. D'ailleurs,
pas plus que la Croix-Rouge au clocher de nos églises, le
brassard des ambulances au bras de nos prêtres n'est une
protection contre la violence ennemie; parfois même, on
dirait qu'il excite la colère des envahisseurs, comme s'ils
éprouvaient double jouissance à persécuter à la fois, dans
le même homme, la religion qui soutient l'âme et la charité
qui soulage le corps. « Le 19 août, constate le 7® rapport
belge, des ambulanciers, porteurs de costumes ecclésias-
tiques, revêtus du brassard de la Croix-Rouge, ont essuyé
des coups de feu de la part des troupes allemandes à
Aerschot, alors qu'ils ramassaient des blessés et bien qu'ils
eussent montré leurs insignes. L'un deux a ensuite été
brutalisé toute la journée à l'hôpital alors qu'il soignait les
blessés... Le 28 septembre, une voiture d'ambulance hip-
pomobile contenant un médecin auxiliaire, un aumônier
brancardier, ainsi que le conducteur, a été l'objet du tir
systématique des Allemands : ils ont été tous trois grave-
ment blessés. » Et M. Nothomb ajoute, à ces deux exem-
ples, le cas de dix-sept Pères dePicpus arrêtés à Aerschot,
auprès des blessés, pour être expédiés en Allemagne.
Si la charité ne trouve pas grâce devant cette poursuite
impitoyable, à plus forte raison ni la dignité, ni la vieil-
lesse ne seront épargnées. Les généraux allemands n'hési-
tent pas à mettre aux arrêts, dans sa demeure, comme un
sous-lieutenant qui aurait violé la consigne, un prince de
l'Église qui a rempli les devoirs de sa charge. Ils ne crai-
gnent pas d'arrêter l'évêque de Namur, en pleine rue,
110 LA GUERRE AUX EGLISES
devant sa cathédrale. Ils ne rougissent pas de maltraiter
odieusement, dans la personne du vénérable évêque de
Tournai, l'autorité de l'épiscopat, la faiblesse de la maladie
et l'auréole des cheveux blancs. M^"" Walravens, attestent
les témoins contrôlés par les enquêteurs officiels, « fut
emprisonné à Ath pendant cinq jours, dans un local infect,
n'ayant qu'une paillasse comme lit, et sans autre nourri-
ture que celle que des personnes dévouées venaient spon-
tanément lui apporter... Un soldat même donna un coup
de poing dans le dos de l'évêque pour le faire avancer plus
vite ». Et M. Mélot assure, en invoquant la déposition d'un
homme qui soutint l'héroïque prélat dans ces heures
cruelles, « que c'est à coups de crosse dans les reins qu'on
le fît marcher ». On sait que le malheureux évêque ne put
se relever de ces avanies meurtrières. Sa santé déjà chan-
celante n'était point de force à résister à ce traitement
barbare, ni aux vexations qu'on devait renouveler contre
lui. Quelques mois plus tard, il expirait, sans avoir vu se
lever l'aurore de la revanche, ou plutôt du châtiment. Mais
le tombeau de cette grande victime est de ceux qui crient
vers le ciel.
Combien d'autres vieillards ont été le jouet de cette
frénésie sans pudeur ! Déjà j'ai montré le curé de Hérent
traîné lamentablement sur la route. De la foule des attes-
tations, M. Mélot évoque, à ses côtés, les vieux curés
d'Yvoir et de Saint-Géry : le premier, poussé devant les
troupes, écrasé sous le faix des havre- sacs et bourré de
coups de crosse ; le second, arraché de son lit à quatre
heures du matin et forcé de courir en pantoufles j « devant
les soldats qui l'injuriaient et lui tenaient littéralement
l'épée dans les reins ». Mais les pires bourreaux de vieil-
lards, ce furent assurément ces misérables que l'évêque de
Soissons nous dépeint, traînant le curé de Cufiies sur le
champ de bataille et contraignant ce prêtre de 84 ans à
relever les blessés sous les balles.
C'est, d'ailleurs, ^une de leurs prudences et peut-être une
ET AUX PRETRES 111
de leurs jouissances, que d'exposer les prisonniers civils au
feu de l'adversaire. Ils ne voient, dans cette barbarie direc-
tement contraire aux conventions internationales et à la
plus simple humanité, qu'une ingénieuse ruse de guerre.
C'est « une bonne idée », souligne avec une prodigieuse
inconscience le lieutenant Eberlein, en communiquant aux
Munchner Neueste Nachrichten un récit de l'occupation
de Saint-Dié. Ce récit, complaisamment publié par le
grand journal allemand, a été reproduit par M. Joseph
Bédier qui, à côté de la traduction, a donné la photographie
du texte accusateur. Donc, le lieutenant Eberlein a une
bonne idée: « Nous avons arrêté trois civils... ; on les
campe sur des chaises, et on leur fait comprendre qu'il
leur faut aller s'asseoir sur ces chaises au milieu de la rue.
Supplications d'une part, quelques coups de crosse d'autre
part. » Le cynique officier remarque, en ricanant, que ses
victimes avaient l'air de prier ; puis il ajoute avec satisfac-
tion : « Le moyen est 4' une efficacité immédiate. Le tir en
enfilade dirigé des maisons sur nous diminue aussitôt. »
Le bourreau en uniforme se félicite, à la fin, d'avoir
eu des imitateurs ; un autre régiment voisin s'est servi du
même procédé : « Les quatre civils qu'il avait fait asseoir
dans la rue, conclut-il avec insouciance, ont été tués par
des balles françaises. »
On devine que les ecclésiastiques ont souvent fait
partie des civils condamnés à ce jeu cruellement lâche.
A Hérent, dit le 7^ rapport, les curés de Wygmael et
de Wesemael, précédant un troupeau d'habitants, ont dû
marcher devant les troupes. Et le 10« ajoute que, dans
une commune du Borinage, au bord de la Sambre, un
groupe de civils fut poussé contre les Français qui vou-
laient passer la rivière. « Il y avait, parmi eux, le
frère directeur des Écoles libres, âgé de soixante- quatre
ans, et trois religieux plus jeunes. » M. Nothomb en
signale d'autres exemples, en particulier celui de Bioul,
où trois brancardiers, dont les abbés Piérard et Patron,
112 LA GUERRE AUX EGLISES
« sont saisis pour servir de bouclier à l'ennemi pendant un
combat à Namur : les deux prêtres sont tués ». A Tirle-
mont, c'est un aumônier militaire, l'abbé Spot, qu'on
expose au feu des soldats dont il était l'apôtre. En France,
la « bonne idée » du lieutenant Eberlein a germé dans bien
des cervelles germaniques. A Mouzon, notamment, d'après
un témoignage enregistré par VEclair, ce fut le curé
entouré de ses paroissiens qui dut ainsi protéger l'envahis-
seur ; et quelques-uns de ces otages ayant tenté de prendre
la fuite, les Allemands les tirèrent au vol. M. Grondijs
avoue que, la première fois qu'il entendit parler de ce
moyen de défense, il ne put croire à une telle mons-
truosité : « Depuis, poursuit-il avec mélancolie, nous
avons eu l'occasion de nous accoutumer à des faits sem-
blables. »
L'impartial écrivain fournit encore une contribution
précieuse à l'histoire des sévices exercés contre le clergé
catholique, en confirmant et en précisant les cruautés sys-
tématiques de Louvain. Car ce n'est pas seulement dans
ses édifices anéantis, c'est aussi dans ses prêtres outragés
que la grande cité universitaire a été punie d'avoir forgé
au peuple belge une âme d'acier contre l'injustice.
Ce fut en masse, en débandade affolée, que les habitants
de Louvain se virent contraints d'abandonner précipitam-
ment leur ville en proie aux flammes et au pillage. « Vieil-
lards, femmes, enfants, malades, aliénés colloques, reli-
gieux, religieuses, affirment les témoins, furent chassés
brutalement sur toutes les routes comme un troupeau. »
Et, dans cette cohue, le nombre fut si grand des ecclésias-
tiques odieusement maltraités, — 90 au moins, déclare
M. Grondijs, — que l'écrivain protestant se demande :
« N'est-on pas porté à croire que, dès le commencement
du sac de Louvain, un mot d'ordre fut donné contre tous
les prêtres ? »
Cet exode, opéré en plusieurs groupes, dont chacun
pourrait écrire sa lamentable histoi;"e, si^teignit un tel
ET AUX PRÊTRES 113
degré de misère que « plusieurs, atteste le rapport, mou-
rurent en route; d'autres, parmi lesquels des femmes et
des enfants qui ne pouvaient suivre, ainsi que des ecclé-
siastiques, furent fusillés ». Quelques prêtres étrangers,
pris dans ce torrent humain qu'endiguaient brutalement
les baïonnettes allemandes, y partagèrent les angoisses de
leurs frères de Belgique. L'enquête officielle a enregistré
le fait. M. Grondijs en rapporte ainsi les détails : « Le père
Catala, recteur de la maison des étudiants espagnols, et
un autre (espagnol également) dont j'ai oublié le nom...
habitaient près de la bibliothèque. Lorsqu'elle fut incen-
diée, ils &e sauvèrent dans la rue, où ils furent tout de
suite arrêtés en compagnie d'une quarantaine de per-
sonnes. Ils passèrent la nuit gardés à la gare et furent, le
lendemain matin, emmenés avec une compagnie qui mar-
chait vers l'Ouest. Les deux Espagnols eurent beau mon-
trer leurs papiers : les officiers n'y prêtèrent aucune atten-
tion. Ils reçurent nombre de coups de crosse dans les reins.
Ensuite, au milieu du jour, les officiers annoncèrent qu'ils
seraient fusillés. Ils leur accordèrent la permission de se
confesser mutuellement, leur firent bander les yeux et les
mirent contre un mur. Tandis que les deux prêtres réci-
taient leurs prières, les coups de fusil retentirent. On avait
tiré en l'air. Les soldats riaient aux éclats. Les deux vieux
ecclésiastiques en furent quittes pour la peur. » Cependant,
malgré leurs réclamations, l'ennemi ne voulut point relâ-
cher les deux otages espagnols; ils ne durent leur déli-
vrance qu'à la soudaine intervention d'une troupe de sol-
dats belges. Le droit des gens n'avait pas suffi à les pro-
téger ; c'étaient des prêtres !
Deux autres ecclésiastiques étaient roulés également
dans ce troupeau, que leur illustration, leur dignité, leur
science auraient dû garder contre la sauvagerie des
envahisseurs : M*^"" Ladeuze et le savant chanoine Gauchie.
Sans les démarches admirablement généreuses et obstinées
de M. Grondijs, on n'ose conjecturer ce qu'eût été la fin de
8 — xf r.
114 LA GUERRE AUX EGLISES
leur supplice. Avant do les rendre à la liberté, les bourreaux
du Kaiser avaient tenu ces deux nobles victimes couchées
par terre, immobiles et muette^ sous peine de mort!
Sur les crimes de Louvain, c'est un volume entier
qu'on pourra écrire. Il faut ici se restreindre. Un dernier
témoignage ; il est formulé par une des victimes : « Nous
étions treize prêtres et religieux, dont l'ancien curé de
Saint-Joseph, âgé de plus de 70 ans... On m'a poussé dans
une porcherie d'où on venait de faire sortir un porc sous
mes yeux. Etant dans la porcherie, j'ai été contraint à me
déshabiller complètement. Des soldats allemands ont visité
mes vêtements et ont enlevé tout ce que je possédais. Sur
ces entrefaites, les autres ecclésiastiques ont été amenés
dans la porcherie ; deux d'entre eux furent déshabillés
comme moi... Nos bréviaires furent jetés au fumier... » Et,
après avoir signalé que plusieurs de ces prêtres furent volés
de sommes importantes, le témoin termine : « Tous furent
brutalisés et frappés. » Ce prêtre, obligé de se mettre à nu
devant ces brutes, au milieu d'une é table à porcs, et livré
sans défense à leurs mains pillardes, malpropres et vio-
lentes, n'ajoute pas un mot de plainte ni de colère. Il faut
l'imiter. Les mots manquent.
Je devrai cependant plonger plus bas encore, au sein de
ces ignominies.
Ces indignités, qui se sont répétées un peu partout —
89 prêtres ont été malmenés dans le seul diocèse de Namur
— furent agrémentées parfois d'injures grossières, de sup-
plices atroces, d'avanies immondes.
Coups et outrages ! Écoutez l'évêque de Soissons : Devant
l'archiprêtre de la cathédrale, arrêté comme otage, c'est un
officier supérieur qui qualifie les ecclésiastiques de « chiens
de curés » ; et celui de Saint-Waast est, en effet, traité
comme un chien. La Semaine religieuse de Nancy : L'abbé
Thiéry, de Gondrecourt, est ligoté, comme un voleur
ou un fou furieux. L'évêque de Verdun : L'abbé Beau-
doin, curé de Pillon, arraché de son presbytère, est arrêté,
i
Et AUX PRÊTRES 115
mis en joue, contraint dé rester deux heures, tête nue, sous
un soleil de plomb, devant sa paroisse et sa maison qui
flambent, abreuvé de gros mots par les officiers, exposé
finalement aux coups de la mitraille française. Les déposi-
tions belges enregistrées par M. Mélot : A Sorinnes, on
crache à la figure du curé; à Montigny-sur-Sambre, on
cravache le vicaire ; dans la même commune, deux prêtres
reçoivent en plein visage les bouteilles de cognac que leurs
gardiens ont fini de vider, les os qu'ils ont gloutonnement
rongés.
Les supplices : Tantôt ce sont des jeux odieusement
cruels, dont je choisis deux cas dans la Semaine religieuse
de Nancy : par trois fois, le curé de Laneuveville-lez-Raon
est l'objet d'un simulacre d'exécution; de longues heures
durant, le curé de Mompatelize demeure emprisonné dans
une cave, souS la menace d'être fusillé dès qu'il en sortira.
Tantôt ce sont des raffinements sauvages, dont le compte
rendu semble emprunté aux missions de la Chine ou du
Continent noir. Armez-vous de sang-froid, pour écouter jus-
qu'au bout le récit des tortures infligées au curé de Schaf-
fen-lez-Diest. Un témoin dépose : « Le révérend curé a été
pendu deux fois. Lorsqu'il y eut danger de mort, les Alle-
mands le laissèrent. Puis ils le tinrent durant une heure
les yeux fixés sur le soleil ; s'il baissait les yeux, on le
poussait avec la crosse du fusil... » Un autre témoin
achève : « Ils ont forcé le curé à pénétrer dans une maison
qui brûlait, puis l'en ont retiré... Vers six heures trois
quarts, ils l'ont relâché après l'avoir frappé avec des cra-
vaches. Il était en sang et gisait sans connaissance. Un
peu après, un officier lui ordonna de se lever et de partir.
A une distance de 200 mètres, les Allemands lui ont tiré
une cinquantaine de coups. Il ne fut pas atteint. Il tomba
comme mort. Ce fut son salut. »
A Florennes, ce fut un officier qui, selon la juste expres-
sion de M. Nothomb, livra un père jésuite à une bande de
tortionnaires. L'infortuné religieux fut d'abord battu jus-
116 LA GUERRE AUX ÉGLISES
qu'à tomber évanoui ; ayant repris connaissance, il se vit
frappé de nouveau, cette fois à coups de crosse et d'épe-
rons ; après une seconde syncope, on le traîna nu, boueux
et sanglant, dans le jardin où il resta demi-mort...
Enfin, les avanies immondes! Ici, le dégoût le dispute à
l'horreur. Après la barbarie, le sadisme et la bestialité.
Je me borne à trois citations.
L'évêque de Verdun : « M. l'abbé Gillet, curé de Saint-
Kémy, fut arrêté dans son presbytère, du 7 au 13 sep-
tembre, pris comme otage, frappé de coups de crosse de
fusil, traîné à la mairie, souffleté, fouillé et déshabillé hon-
teusement. Il eut toutes les peines du monde à défendre sa
sœur, pieuse fille de trente-cinq ans, des derniers outrages.
— M. l'abbé Menoux, curé de Jonville; M. l'abbé Alnot,
curé de Mouilly; M. l'abbé Persenot, curé de Vaubécourt,
et d'autres, ont subi à peu près le même traitement. »
M. Nothomb, d'après les témoignages de l'enquête offi-
cielle : « A Beyghem, des hommes de trente à trente-cinq
ans, qui viennent de brûler les églises, et parmi lesquels
se trouve, donnant ses ordres, l'ober-lieutenant Kûmer, con-
duisent leur proie, une jeune fille, à la cure, abusent d'elle
devant la sœur du curé et le curé lui-même qu'ils ont
déshabillé, qu'ils empêchent de fermer les yeux ou de
tourner la tête; je néglige les détails immondes. »
M. Mélot, citant sans phrases une autre déposition : « A
Asnoy, on emprisonna le curé ; deux soldats allemands
amenèrent devant lui une femme, la dépouillèrent de ses
vêtements et la violèrent. »
3° Assassinats.
Au delà de ces ordures, il n'y a plus que le meurtre. Et
encore au delà ou en deçà?... Beaucoup de prêtres, en
Belgique et en France, ont été assassinés — j'emploie
le mot propre — par des soldats allemands, sur l'ordre de
leurs chefs. Ce n'est qu'après la guerre qu'on en pourra
ET AUX PRETRES 117
dresser la liste complète ; mais, dès aujourd'hui, l'on en
connaît assez pour instruire le procès des assassins.
Déjà, la voix des évêques s'est élevée, douloureuse et
justicière, pour pleurer les victimes et dénoncer les bour-
reaux. Le jour de Noël, le cardinal Mercier, archevêque de
Malines, attestait: « Dans mon diocèse seul, je sais que
13 prêtres ou religieux furent mis à mort. » Le 13 février,
l'évêque de Nancy publiait, dans sa Semaine religieuse, une
liste de neuf prêtres, dont huit ont été fusillés par les
envahisseurs et dont le neuvième a péri sous leur joug, en
captivité; et l'organe épiscopal exprimait la crainte que
l'avenir ne dévoilât encore de nouveaux meurtres. Au mois
de septembre, l'évêque de Saint-Dié, libéré de l'ennemi,
avait déjà signalé l'assassinat de trois prêtres (1). De leur
côté, les rapports belges ont énuméré 3 prêtres passés par
les armes dans le diocèse de Tournai, 6 dans celui de
Liège et 26 dans celui de Namur. Et les enquêteurs ont
soin d'ajouter que ces listes sont forcément incomplètes;
ils redoutent, en particulier, que dix autres prêtres de Na-
mur n'aient subi le sort de leurs 26 confrères.
J'ai prononcé le mot d'assassinat. De quelle autre expres-
sion qualifier ces exécutions brutales, arbitraires, ordonnées
maintes fois sans jugement, par la volonté haineuse ou
capricieuse d'un chef, accomplies souvent sans l'ombre d'un
prétexte ou sous un prétexte odieusement dérisoire? Au
témoignage du rapport officiel français, l'abbé Thiriet, curé
de Deuxville, en Meurthe-et-Moselle, est fusillé « pour
avoir fait des signes ». D'après les dépositions recueillies en
Belgique, c'est pour avoir soulevé le rideau de sa fenêtre,
au passage des bataillons allemands, que le vicaire d'Olne
est collé au mur; et le curé de Bligny, pour n'avoir pas
empêché qu'on plaçât sur son église un poste d'observation.
(1) Il est à peine besoin de faire observer que, parmi les prêtres
français fusillés, arrêtés ou maltraités, dont il est parlé dans ce travail,
il n'est jamais question des prêtres-soldats.
118 LA GUERRE AUX ÉGLISES
Quant au curé de Pont-Brûlé, Fabbé Wouters, il n'avait
commis d'autre crime que de défendre un vieillard prison-
nier contre les coups d'un soldat allemand. Il faut citer
enfin le cas du Père Dupierreux, de Louvain. Le jeune
jésuite avait griffonné, sur son carnet, la réflexion sui-
vante : « Lorsque, autrefois, j'ai lu que les Huns sous
Attila ont dévasté les villes, et que les Arabes ont brûlé la
bibliothèque d'Alexandrie, j'ai souri. Maintenant, je ne
souris plus, depuis que j'ai vu de mes propres yeux les
hordes de ce temps incendier les églises et la célèbre biblio-
thèque de Louvain. » Le père Dupierreux ayant été arrêté
et fouillé, cette phrase est découverte; aussitôt, de son
autorité personnelle, un lieutenant prononce que le reli-
gieux est coupable d'excitation au meurtre et, quelques
minutes après, l'infortuné s'écroule sous les balles alle-
mandes, en face de ses confrères obligés de contempler son
agonie.
Si le terme d'assassinat ne paraît pas trop fort, quand
on apprend les motifs de ces condamnations, on le trouve
encore trop faible, à considérer les horreurs dont elles
furent souvent aggravées. La fièvre anticatholique et la
brutalité tour à tour furibonde et voulue s'y déployèrent
avec tant d'acharnement que l'exécution dégénéra en tor-
ture.
Quelques ecclésiastiques furent littéralement tués à petit
feu, par une suite ininterrompue de mauvais traitements,
qui s'arrêtèrent tout juste en face de leur agonie. Le P. Vé-
ron, aumônier militaire (dont je connus directement le
supplice par son compagnon de calvaire), arbitrairement
saisi comme otage, écrasé sous l'accumulation des sacs et
des fusils prussiens, broyé d'outrages et de meurtrissures,
privé d'aliments, relevé à coups de pied du talus de la
route où il s'était affaissé, mit toute une semaine à mourir
et expira en pardonnant à ses bourreaux. Le vieux curé de
Varreddes, en Seine-et-Marne, eut à peu près le même sort.
Il y a trois mois, le rapport officiel avait déjà mentionné
1
ET AUX PRÊTRES 119
son arrestation et sa captivité; plus récemment, des otages,
entraînés naguère avec lui, mais rendus enfin à la liberté,
ont révélé que ce vénérable ecclésiastique, odieusement
bousculé, rompu de coups et souillé de crachats, avait dis-
paru en chemin, sans que ses compagnons pussent décou-
vrir s'il était tombé mort ou s'il avait péri d'une balle alle-
mande. Il avait 75 ans! L'abbé de Clerck, curé de Buecken,
en Belgique, en avait 83! Et voici, d'après les témoignages
enregistrés par l'enquête officielle et résumés par M. No-
thomb, quelle fut son épouvantable agonie : « On l'attache
à un canon qui le secoue à le briser. Quand on le détache,
c'est pour le traîner à terre, tiré par les pieds, la tête rebon-
dissant sur les gros pavés, A bout de forces, le vieillard
ne peut retenir cette tragique prière : « Tuez-moi ! tuez-
moi !... » On fit alors à ce martyr la grâce de l'achever.
Quant à la façon d'exécuter sur place, après une parodie
de conseil de guerre ou sur l'arrêt d'un officier, elle varie
infiniment. La lourde et rêveuse imagination teutonne se
révèle ici pleine de ressources. Parfois, les ordonnateurs
de la fusillade se délectent à jouer de leurs victimes. Ainsi
les officiers qui interrogent le curé de Roselies feignent de
croire à ses explications et lui délivrent un papier, que l'in-
fortuné reçoit comme un ordre d'élargissement. C'est une
sentence de mort. Les soldats, auxquels il doit le montrer,
lui ricanent au visage^ le poussent au mur et l'exécutent.
Pour l'abbé Glouden, curé de la Tour, autre comédie. On
le charge, avec plusieurs de ses paroissiens, d'enlever les
victimes d'un précédent massacre ; à peine achevée la
besogne, on le jette avec ses compagnons sur le bord de
la route et on fauche tout le groupe à coups de mitrail-
leuse.
D'autres malheureux sont abattus par surprise. A Blauw-
put, un frère convers est arraché de la cuisine où il apprê-
tait un repas pour les troupes allemandes, et un feu de
peloton le couche à côté d'un capucin. C'est au sortir de
son église que le curé de Bovenloo est frappé d'une salve
120 LA GUERRE AUX ÉGLISES
inattendue. A Louvain, c'est par paquets de quatre, étroite-
ment ficelés, qu'on expédie tout un lot de prisonniers, prêtres
et laïques. Le curé de Spontin, d'après les dépositions
recueillies par M. Mélot, est « pendu alternativement par
les pieds et par les mains, percé à coups de baïonnette et
enfin fusillé ». Le supplice de celui de Haccourt est ainsi
raconté par M. Nothomb : « On le saisit avec deux de ses
paroissiens, et, comme ils ne marchent pas assez vite, on
les attache à un cheval qui part au galop. Quand ils arri-
vent devant l'église, ils sont de véritables loques humaines.
On les dresse comme on peut contre le mur et on les
fusille. » Quant à l'aumônier de Bouges, l'abbé Bilande, c'est
à un autre condamné qu'on le ligotte et les deux malheureux
sont culbutés, l'un sur l'autre, à la pointe des baïonnettes.
Mais, parfois, l'exécution consommée n'assouvit pas
encore cette ivresse meurtrière et diabolique. On s'acharne
sur les victimes. Le curé de Surice, étendu sur le sol au
milieu d'un monceau de corps ensanglantés, est férocement
broyé de coups de crosse; quand on put relever son cadavre,
on reconnut à peine sa figure, horriblement tuméfiée. L'abbé
Hottlet, curé des AUoux, et l'abbé Docq, mitraillés avec
plus de 500 paroissiens de Tamines, n'avaient été que bles-
sés par les balles. « La vue de ces prêtres encore vivants,
rapportent les témoins du massacre, arracha aux Alle-
mands des cris de rage. Les soldats, qui portaient l'insigne
de la Croix-Rouge, achevaient les blessés en les perçant
de leurs baïonnettes ou en leur assénant des coups de crosse
sur la tête. C'est ainsi que furent achevés les abbés Hottlet
et Docq. »
Plus révélatrices encore de la haine antiregieuse, les
circonstances qui accompagnèrent l'assassinat de l'abbé
Vouaux, professeur à la Malgrange, exécuté à Jarny
(Meurthe-et-Moselle). Un journal de Nancy les précisa,
d'après un témoin oculaire, et la Semaine religieuse, en les
reproduisant, les reconnaît « malheureusement très vrai-
semblables ». Aligné contre un mur, avec trois compagnons
ET AUX PRÊTRES 121
de supplice, « l'abbé Votiaux porta vers ses lèvres un cru-
cifix; mais le geste du prêtre déchaîna une explosion de
fureur sauvage : le chef du peloton arracha violemment
rimage du Christ, et la jeta jusqu'à terre, la piétina en hur-
lant les plus ignobles blasphèmes » . Puis, ce fut le feu de
peloton. Mais « le curé n'était pas mort sur le coup... L'of-
ficier s'acharna alors sur Pabbé Vouaux; il lui creva les
yeux avec la pointe de son épée..., il lui écrasa le visage
à coups de pommeau, répétant sans cesse la même phrase
de haine, mâchant les mêmes outrages : « Tu ne g crie-
« ras plus; tu as fini de g crier! »
Le terme de martyre serait-il ici déplacé ? En tout cas,
le cardinal Mercier, qui connaît exactement la valeur des
mots et qui ne les emploie qu'avec un scrupule de théolo-
gien, n'hésite point, dans sa lettre pastorale, à déclarer :
« Le curé de Gelrode est, selon toute vraisemblance, tombé
en martyr. » Les témoins de ses tortures affirment, en
effet : « On le somma de renoncer à la foi catholique, s'il
voulait avoir la vie sauve. Il préféra mourir. » Et il fut mis
à mort, sur le pont du Demer, après avoir été brutalisé jus-
qu'au sang.
4° Attentats contre les religieuses.
Que ce déchaînement haineux contre la religion ne se
soit pas même arrêté devant la robe deux fois sacrée des
religieuses, qui donc en serait étonné?
Epouses de Jésus-Christ, mères des orphelins, sœurs des
malheureux, ces filles du cloître et de la charité peuvent
forcer le respect des sauvages ignorants ; elles devaient ser-
vir de proie à la barbarie cultivée.
Je ne parle point des religieuses infirmières qui, dans
les hôpitaux de Longwy, de Reims, d'Arras, d'Albert et
dans d'autres encore, ont été déchirées par les éclats d'obus
au chevet des blessés.
122 LA GUERRE AUX ÉGUSES
Et si, pourtant, j'en parlerai! Le bombardement voulu
de ces asiles sacrés doit trouver sa place à côté de la des-
truction des églises et de l'assassinat des prêtres.
Il est indéniable, en effet, que, plus d'une fois, les ambu-
lances ont été systématiquement visées, que dis-je, incen-
diées de sang-froid, par les Allemands. La Croix-Rouge,
on l'a vu, ne défend pas contre eux les édifices abrités
de son drapeau. Mais les enquêtes officielles ont enregistré
des attentats plus directs encore. A Deynze, ville ouverte
et non défendue, un Zeppelin jeta trois bombes sur le cou-
vent de Saint-Vincent de Paul, habité par 200 malades,
orphelines ou réfugiées. Ce fut pire à Termonde : les
envahisseurs allumèrent l'hôpital, aspergé de pétrole, et
avec une telle précipitation qu'un malade y périt dans les
flammes. L'hôpital Saint-Jean, d'Arras, écrit le vicaire
général du diocèse, a été « bombardé constamment. Une
sœur y a été tuée; des blessés, des enfants y ont subi le
même sort ». A Reims, 5 religieuses ont péri dans les
mêmes conditions. Tout récemment, ce fut l'hôpital civil
d'Albert, isolé des maisons d'alentour et couvert de la
Croix- Rouge, qui fut arrosé de bombes, après avoir été
repéré par un avion : 5 vieillards y furent tués, la sœur
supérieure grièvement atteinte.
Mais qu'importe, aux pointeurs et aux incendiaires alle-
mands, que ces femmes soient écrasées sous les décombres
ou déchiquetées par la mitraille! Elles n'ont rien, à leurs
yeux, de sacré, ni de vénérable, Aucune exception n'est
consentie en leur faveur. Au milieu du troupeau balayé de
Louvain, les religieuses étaient bousculées avec la même
brutalité que les autres fuyards; comme les autres, elles
devaient obéir à la grossière injonction des soldats alle-
mands, quand ces brutes, interpellant tous ces « chiens de
cochons », leur ordonnaient de tenir les mains en l'air.
Une d'entre elles, vieille et cassée, dut être chargée sur
une brouette et roulée par ses compagnons.
Souvent même ces saintes filles sont personnellement en
ilT AUX PRÊTRES 123
butte aux insultes et aux avanies de ce peuple chevale-
resque. « A Jamoigne, affirme un habitant cité par
M. Mélot, on a fait agenouiller toutes les religieuses du
couvent, leur annonçant qu'elles allaient mourir, et on a
tiré au-dessus de leurs têtes. » Ailleurs, au témoignage de
M. Nothomb, c'est un commandant qui, pour obtenir un
renseignement d'une sœur, lui appuie le revolver sur la
poitrine et la menace de mort. Au village d'Apremont-la-
Forêt, rapporte VEclair, deux religieuses de la Doctrine
chrétienne, sœur Saint-Hilaire et sœur Saint-François,
sont brutalement traînées dans un groupe d'otages et déte-
nues pendant dix jours.
Mais ni les injures, ni les mauvais traitements, ni la mort
elle-même ne sont comparables à ces monstrueux atten-
tats, dont la bestialité de l'envahisseur a meurtri et souillé
quelques-unes de ces vierges. Ici, l'on touche à un tel bas-
fond d'infamie et d'impiété que l'on voudrait se taire. Il
faut cependant dénoncer ces forfaits innomables à la cons-
cience indignée et stupéfaite de l'opinion catholique et du
monde civilisé.
Sur ces crimes, il est vrai, les rapports officiels observent
une discrétion, dont on comprend trop bien les motifs. Les
enquêteurs français n'ont voulu citer que cet exemple :
« Dans une commune du département de la Meurthe-
et-Moselle, deux religieuses ont été, pendant plusieurs
heures, exposées sans défense à la lubricité d'un soldat
qui, en les terrorisant, les a obligées à se dévêtir et, après
avoir contraint la plus âgée à lui enlever ses bottes,
s'est livré sur la plus jeune à des pratiques obscènes. »
Plus sobres encore et plus réservés sont les rapports
belges. En résumant les enquêtes et les dépositions dont
ils sont nourris, M. Nothomb indique simplement que,
parmi tant de femmes et de jeunes filles outragées par ces
brutes à face humaine, on compte des religieuses. Encore
une fois, les mots se dérobent à l'horreur et au dégoût!...
124 LA GUERRE AUX ÉGLISES
IV. — Leurs prétextes.
l*' Les églises forteresses?
Devant la multitude et l'atrocité de ces abominations,
les Allemands, ne pouvant démentir, ont entrepris d'expli-
quer.
Ils ont compris, notamment, qu'ils devaient trouver une
excuse à leur indéniable acharnement contre les églises.
Et ils ont soutenu que, bien à contre -cœur, ils s'étaient
vus contraints de bombarder les clochers et les tours où
l'ennemi avait installé des mitrailleuses et des postes
d'observation.
C'est, en particulier, sous le coup de l'universelle indi-
gnation soulevée par l'incendie de Reims, qu'ils ont joué
de cet argument. Mais c'est là surtout que l'invraisem-
blance et l'audace de leurs mensonges, au lieu dé démon-
trer leur innocence, ont confirmé leurs desseins criminels.
Quelques jours après l'attentat du 19 septembre, émus
et peut-être étonnés de la protestation générale, les Alle-
mands tentaient cette explication : « Nous avions constaté,
prétendaient-ils, qu'il y avait sur la tour un poste d'obser-
vation grâce auquel s'explique l'efficacité du tir de l'artil-
lerie ennemie sur notre infanterie. Nous avons été obligés
de supprimer ce poste au moyen de shrapnells lancés par
l'artillerie de campagne. L'artillerie lourde n'est pas
encore entrée en action à l'heure actuelle, et le feu de nos
canons fut arrêté lorsque le poste eut été atteint. »
Cette assertion hardie et fantaisiste provoqua immédia-
tement, de la part du général Joffre, un démenti formel.
« Le commandement militaire de Reims, affirmait le géné-
ralissime, n'a fait placer, à aucun moment, un poste d'ob-
servation dans la cathédrale. » Et cette déclaration de
l'autorité militaire est nettement appuyée par l'autorité
ET AUX PRÊTRES 125
religieuse. « Ni le samedi 19 septembre, jour de l'incendie,
témoigne le vicaire général Landrieux, archiprêtre de
Notre-Dame, ni les jours précédents, rien ne justifiait le
bombardement de la cathédrale : elle n'avait jamais porté
de mitrailleuses contre les avions, à plus forte raison
d'artillerie lourde (comme le prétendit, contre toute vrai-
semblance, l'agence Wolf), ni abrité de troupes ; il n'y eut
jamais dans son voisinage de cantonnement militaire ni de
stationnement de matériel de guerre; elle ne servait pas
de poste militaire d'observation. »
Cette double attestation vaut par elle-même, contre
l'excuse intéressée del'état -major ennemi, contraint de
plaider les circonstances atténuantes auprès de l'autorité
pontificale et devant l'opinion civilisée. En outre, elle
s'étaie sur toute une série d'indices concordants.
En fait, il y a longtemps que couvait, au cœur de la race
allemande, la haine de la cathédrale de Reims. Gôrres, il
y a cent ans, dans le Mercure du Rhin, ne poussait-il pas
les envahisseurs de la France à dévaster les monuments
du peuple ennemi ? Ne s'écriait-il pas avec fureur : « Abat-
tez, réduisez en cendres cette basilique de Reims où fut
sacré Klodovig; où prit naissance cet empire des Francs,
faux-frères des nobles Germains! »
Mais, sans remonter si loin, sans rappeler à nouveau que
cette nation, dont les intellectuels admiraient il y a qua-
rante-cinq ans le bombardement de la flèche de Stras-
bourg, pouvait sans s'émouvoir assister à l'incendie des
tours de Reims, il suffit de noter que, d'après les journaux
allemands eux-mêmes, ce grand exploit de guerre était im-
patiemment attendu. Dès le 5 septembre, on pouvait lire
dans le Berliner Blatt : « Le groupe occidental de nos armées
de France a déjà dépasse la seconde ligne des forts d'arrêt,
sauf Reims, dont la splendeur royale, qui remonte au
temps des lys blancs, ne manquera pas de crouler en pous-
sière bientôt, sous les coups de nos obusiers de 42 centi-
mètres. » Cette odieuse espérance était confirmée, quelques
i26 LA GUERRE AUX ÉGLISES
jours après, par la menaçante proclamation que l'autorité
militaire allemande faisait afficher sur les murs de la cité
rémoise. Après une série d'injonctions rigoureuses, « la
ville, édictait le général prussien, sera entièrement ou par-
tiellement hrûUe et les habitants pendus, si une infraction
quelconque est commise aux prescriptions précédentes ».
Tous ces faits antérieurs atténuent singulièrement l'au-
torité de l'excuse allemande ; et cette excuse est encore
infirmée par les faits concomitants. Seuls, au dire de l'en-
nemi, quelques shrapnelis, auraient été lancés sur la cathé-
drale; or, des bombes avaient déjà massacré les pierres!
Le feu des artilleurs aurait été suspendu, ose-t-on préten-
dre, aussitôt détruit le fameux poste d'observation ; or, le
bombardement s'est poursuivi longtemps après que ce
poste, à le supposer réel, eût été rendu inhabitable !
La canonnade, au surplus, dont cette note aurait dû
marquer le tei*mô, a continué depuis lors avec acharnement.
Plus tard, il est vrai, pour excuser par anticipation de nou-
veaux attentats, l'hypocrisie allemande est revenue à la
charge. A la fin d'octobre, on nous annonçait que les incen-
diaires de Reims avaient eu la rare impudence de protester
auprès du Vatican contre la profanation que commettait,
d'après eux, l'armée française, en installant une batterie de-
vant la cathédrale et un poste d'observation sur le sommet
des tours ! Audacieuse absurdité que cette batterie postée
au cœur d'une grande ville, entre des murs que ses obus
auraient dû traverser d'abord, y compris ceux de la cathé-
drale elle-même, pour atteindre leur but I Le nouveau
démenti de l'archiprêtre était presque superflu ; il n'en est
pas moins précieux. « Au nom de Son Eminence le Cardinal
Archevêque de Reims et au mien, déclare encore une fois
le chanoine Landrieux, j'atteste qu'à aucun moment il n'a
été établi de batterie sur le parvis, ni de poste d'observa-
tion sur les tours, et qu'il n'y a jamais eu ni cantonnement,
ni stationnement quelconque de troupes à proximité de la
cathédrale. »
ET AUX PRÊTRES 127
Justement souffletés par cette protestation, les Allemands
se sont bornés à la seule réplique dont ils étaient capables :
ils ont poursuivi le bombardement. Sous prétexte de
détruire un prétendu poste d'observation, dans une tour
ébréchée dont il faut interdire l'accès; sous prétexte d'étein-
dre une batterie imaginaire, qui ne pourrait tirer un seul
coup de canon, ils ont obstinément frappé, ils martyrisent
encore avec frénésie la sainte et glorieuse basilique... Ils ne
trompent, d'ailleurs, que les esprits prévenus qui veulent
être trompés. Ils avaient cru s'innocenter aux yeux du Sou-
verain Pontife ; et c'est au cardinal Luçon, archevêque de
Reims, que Benoit XV a répondu : « Nous vous sommes
reconnaissant de Nous avoir donné une relation détaillée
de ces faits et de les avoiy^ exposés dans leur exactitude. »
Cette inanité du prétexte inventé par les incendiaires
allemands, pour pallier le plus retentissant de leurs atten-
tats contre les églises, brise entre leurs mains toute la
force de l'argument. Alors même qu'ils pourraient démon-
trer que tel sanctuaire a été détruit par raison stratégique,
on garderait le droit de leur répondre que le bombardement
perpétuel des édifices religieux a eu d'autres motifs que
des causes militaires.
D'ailleurs, pour l'établir, il y a d'autres faits. Interrogez
la cathédrale de Soissons : « Jamais, répond l'archiprêtre,
la cathédrale n'a abrité ni un canon, ni une mitrailleuse,
ni un soldat. Jamais elle n'a servi de point d'observation. »
Questionnez les décombres d'Arras : « En admettant, pro-
teste l'Evêché, que la cathédrale, par sa masse et sa hau-
teur, ait pu passer, aux yeux des Allemands, pour un poste
propice aux observateurs, il est impossible d'en dire
autant des autres églises sur lesquelles les bombes se sont
acharnées dès les premiers jours. » L'évêque de Nancy :
« Nous sommes convaincus qu'aucune église n'a été
détruite en tout ou en partie pour des raisons militaires. »
L'évêque de Saint-Dié : « Les Allemands continueront à
prétendre que les Français ont utilisé les églises et les
128 LA GUERRE AUX ÉGLISES
clochers pour la défense ; c'est une affirmation menson-
gère. » Et le prélat d'ajouter : « Ce qui n'est pas moins
certain, c'est qu'ils ont, eux, tranformé nos églises et nos
clochers en forteresses... » Et c'est la vérité, corroborée
par maints témoignages, et notamment par celui du
chanoine Landrieux. Car il est vrai que, durant quelques
jours, un poste d'observation fut établi sur la cathédrale de
Reims : ce fut pendant l'occupation allemande.
Au fond, nos ennemis ne démolissent pas les clochers
pour en chasser les observateurs ni les mitrailleuses. Mais,
sur toute église apparaissant dans leur champ de tir, ils
pointent a priori leurs canons, pour empêcher, puisqu'ils
ne peuvent l'utiliser pour se défendre, que nous ne l'em-
ployions pour les combattre. Abus contraire aux conven-
tions internationales, aussi bien qu'au respect des monu-
ments sacrés ; mais l'Allemagne est au-dessus de tout !
Et puis, comptez- vous pour rien l'assouvissement des
vieilles haines anticalholiques ? C'est même, en bien des
cas, le motif essentiel.
Car enfin il ne suffit pas de protester que telle église a
servi de poste à l'adversaire ou de piédestal à ses mitrail-
leuse. Comment, l'affirmation fût-elle sincère, excuserait-
elle encore, et l'écrasement obstiné de ces sanctuaires qui
ne couvraient plus de leur ombre que des populations pai-
sibles, et le bombardement tenace de ces clochers dont les
restes branlants ne pouvaient plus abriter personne, et ces
agressions aériennes contre des édifices éloignés du champ
de bataille, et ces incendies méthodiquement allumés dans
la maison de Dieu?...
N'eût-on prouvé contre les Allemands qu'un seul de ces
sacrilèges attentats, leur volonté criminelle et sectaire en
serait établie !
2° Les curés fauteurs de violence ?
Ayant entrepris de justifier la destruction des églises,
il était naturel que les envahisseurs essayassent d'inno-
ET AUX PRÊTRES 129
center l'acharnement contre les prêtres. Impuissants à
laver le sang des victimes comme à bâillonner le cri des
témoins, ils devaient invoquer une explication.
Explication qui leur fut aisée, tout autant que le crime.
Ils avaient tué, ce qui est facile quand on a la force; ils
ont calomnié, ce qui est très simple quand on a l'impu-
dence.
Ils avaient même calomnié préventivement. Ils avaient
pris soin de réveiller, dans l'âme de ces fils de Luther qu'ils
poussaient à l'assaut d'un peuple catholique, les haines et
les préjugés séculaires contre le clergé romain. J'ai montré
quelle misérable et stupide caricature ils leur avaient faite
du prêtre belge. Ils n'eurent pas de peine à leur persuader
en même temps que ces ecclésiastiques prétendus sans mo-
rale et sans cœur avaient fanatisé les populations courbées
sous leur influence. Cette hantise apparaît, dès le premier
pas sur le territoire envahi, dans les cerveaux allemands.
Elle obsède, en effet, cet officier qui interroge un curé
wallon. Le dixième rapport belge reproduit ce dialogue,
qui semble une paraphrase du Loup et VAgneau, « Mon-
sieur, vous avez laissé faire contre nous la guerre de
francs-tireurs. — Pardon, capitaine, j'ai recommandé â
tout le monde de ne pas tirer. On a affiché cet ordre, les
journaux l'ont reproduit. — Alors, monsieur, votre influence
est bien minime... Puisqu'il en est ainsi, avec le canon nous
allons tout démolir. » Mentalité identique, chez ces soldats,
dont M. Nothomb a recueilli les carnets : a Tous ces gens,
prétend l'un d'entre eux, sont excités par les prêtres, qui ont
prêché dans les églises qu'ils devaient tirer sur les Alle-
mands, et les tuer pour entrer au ciel. — Ils font aveugle-
ment ce que leur ordonnent les prêtres, affirme un autre,
s'inquiétant peu si leur obéissance les conduira à la mort
ou non. » Dans ces intelligences dures et disciplinées, c'est
la conviction obtuse et tenace, que rien ne pourra plus extir-
per et qui va bientôt jaillir en violences et en sacrilèges.
En somme, pour répéter la juste expression des enquê-
9- Fr,
130 LA GUERRE AUX ÉGLISES
teurs officiels, les armées du Kaiser ont pénétré en Bel-
gique avec l'obsession qu'on avait prêché contre eux « la
guerre sainte. » Et le mot est d'une ironie profonde,
appliqué à ce gouvernement qui se plaint qu'un peuple
violé lui oppose une sorte de « guerre sainte ?', alors que
lui-même, tout en invoquant avec ostentation le Dieu des
chrétiens, s'efforce de déchaîner, sur la moitié de l'Europe
chrétienne, la « guerre sainte » de Mahomet!
Ici, toutefois, une digression s'impose. 11 faut momenta-
nément élargir ce travail au delà des cruautés commises
contre les sanctuaires et les ministres de la religion.
Le clergé des provinces envahies aurait donc, au dire des
Allemands, déchaîné, dans le peuple, une ruée de repré-
sailles et d'agressions contraires à la justice et aux lois
de la guerre?
Où sont donc ces représailles ? Où, ces agressions ?
Les prétendues représailles belges et françaises. — Oui,
les incendiaires de Reims et de Louvain, les massacreurs
de vieillards, de femmes et d'enfants, les profanateurs
d'objets sacrés, les violenteurs de femmes et de fillettes ont
eu l'effronterie d'imputer des barbaries abominables aux
populations piétinées sous leurs bottes.
La Belgique, à peine envahie — car il fallait immédiate-
ment expliquer les fusillades et les déprédations — c la
presse allemande, ainsi qu'en fait foi le rapport officiel,
répand contre les femmes belges un odieux reproche, celui
de crever les yeux aux blessés. » Mais la nation violée ne
restera point sous le coup de cette calomnie ; ses clameurs
de protestations forceront l'empire à s'émouvoir. « Les
médecins des grands hôpitaux allemands sont interrogés ;
ils déclarent n'avoir rencontré aucun cas de semblable
cruauté. Le Vorwaerts, l'organe principal du socialisme
allemand, ouvre une information ; il s'empresse, le lende-
main, de reconnaître loyalement que le grief manque de
preuve. Les autorités veulent en avoir le cœur net. Une
ET AUX PRETRES 131
Commission officielle d'enquête est nommée à Berlin; elle
recherche, entend des témoins et, à l'unanimité, déclare
n'avoir constaté aucun fait qui puisse être retenu à charge
des femmes belges. »
L'inculpation, d'a?.lleurs, était si monstrueuse et si folle
qu'elle ne pouvait résister à l'examen. Toutes les fois que
les calomniateurs ont tenté de revenir à la charge, ils
se sont brisés dès la première investigation. Un médecin
hollandais, le docteur von der Goot, qui s'était rendu en
Allemagne pour enquêter sur ces prétendues violences, a
publié, dans le Tijd, d'Amsterdam, un rapport qui les
réduit à néant. Bien mieux, la Gazette de Cologne, ayant
poussé l'impudence, ou l'imprudence, jusqu'à faire appel
au témoignage de médecins et d'aumôniers allemands en
faveur de ces infamies, dont elle ne pouvait administrer la
preuve, a dû enregistrer les démentis des autorités qu'elle
invoquait.
Ces légendes hypocrites et venimeuses, importées en
France, n'y ont pas obtenu plus de succès. M«^^ Turinaz a
exprimé la vérité la plus claire et la plus générale, quand
il témoigne, dans un document public : « Il n'est pas de
diocèse en France, qui n'ait reçu des malades et des blesses
allemands. Tous nos vénérés collègues ont, comme nous,
visité ces blessés et ces malades, ils les ont interrogés.
Partout ils ont constaté les soins qui leur étaient donnés
avec une admirable charité et entendu l'expression de leur
gratitude. » Et l'évêque de Nancy, dans une note, ajoute
cet exemple topique : « Le Gouvernement allemand a
affirmé qu'à Montbèliard un bon nombre de prisonniers
avaient été cruellement maltraités. La réponse est écra-
sante. Il n'y a jamais eu de prisonniers allemands à Mont-
bèliard, il n'y a eu qu'un malade, et il a reçu les soins les
plus charitables. »
Rien ne subsiste donc do ce premier grief, qu'il ne serait
utile de discuter plus à fond que s'il était appuyé d'argu-
ments au moins plausibles. Reste le second.
132 LA GUERRE AUX ÉGLISES
Les prétendues agressions des civils. — 11 paraît donc que
ce sont les prêtres qui auraient armé, contre les soldats
allemands, le bras de leurs paroissiens fanatisés.
« Les civils ont tiré sur nous. » — C'est l'éternel réqui-
sitoire, ânonné comme une leçon, déclanché comme un
mécanisme, que les envahisseurs ont imaginé dès le pre-
mier jour et qu'ils ont repris constamment contre leurs
victimes.
« Il est possible, admet le rapport belge, que des actes
de résistance et même d'agression armée se soient produits
sur quelques points, sans concert préalable. Mais la Com-
mission d'enquête, après une instruction minutieuse, n'est
point parvenue à relever un seul cas impliquant une
participation directe aux hostilités qui soit attribuable aux
populations civiles. C'est aux accusateurs d'apporter leurs
preuves. »
Or, c'est justement ce que les accusateurs n'ont jamais
essayé.
En faveur de Tattitude pacifique et disciplinée des habi-
tants, le gouvernement belge a le droit d'invoquer une
présomption capitale : je veux dire les précautions minu-
tieuses et réitérées qu'il a prises en vue d'empêcher toute
agression de la part des civils. Instructions catégoriques,
affiches placardées dans toutes les communes, enlèvement
des armes, recommandations répétées des bourgmestres et
des prêtres.
L'Allemagne assure que ces prescriptions n'ont pas été
suivies ; qu'elle le prouve ! En élevant cette accusation, elle
incrimine directement le peuple belge et elle confesse indi-
rectement ses propres « représailles » ; qu'elle établisse la
culpabilité de celui-là et la légitimité de celles-ci.
Mais, encore un coup, c'est précisément ce qu'elle ne fait
pas, ce qu'elle ne peut pas faire. Et elle ne le peut pas, pour
ce simple motif : à savoir que ses officiers, n'ayant en
général ouvert aucune enquête avant d'appliquer leur soi-
disant justice, sont désormais incapables, accusés d'avoir
ET AUX PRÊTRES 133
assassiné des innocents, d'établir qu'ils n'ont exécuté que
des criminels. En fait, dans la plupart des cas, ce ne furent
point des exécutions, mais des meurtres ou des tueries.
Témoins, d'après le 11® rapport, les massacres d'Andenne.
Un coup de feu est tiré; par qui, on l'ignore, on ne le
cherche pas, on ne veut pas le savoir; mais, à l'instant
même, une mitrailleuse entre en action contre les habitants,
un canon vomit contre leurs demeures. Quand des protes-
tations s'élèvent, on les étouffe. « Quoiqu'on ne fût pas
pressé par l'ennemi, insiste le rapport, et qu'on eût du
temps devant soi, pas d'information régulière, pas de
défense, pas de jugement. » A Dinant, fait observer M. Mé-
lot, « M. Wasseige offrit de se laisser fusiller si l'on trou-
vait dans les cadavres allemands d'autres balles que des
Lebel. On passa outre à cette demande. » Au surplus, serrés
de près par M. Grondijs, plusieurs officiers allemands* ont
été obligés de concéder que, dans toutes ces affaires, on n'a
observé aucune des règles nécessaires pour la constitution
de preuves judiciaires ».
Et quand, par hasard, un incident imprévu a fait obstacle
à cette précipitation systématique, l'erreur ou le mensonge
du grief allemand se sont avérés. Toutes les fois, remarque
M. Mélot, que les accusateurs ont accordé l'autopsie des
soldats prétendument abattus par des civils, « il a été prouvé
que les morts avaient succombé à des balles de troupes
françaises, belges... ou même allemandes! » Deux incidents
typiques, à ce sujet, sont notés par les enquêteurs officiels.
Auprès de Louvain, des paysans vont être exécutés comme
assassins présumés de trois soldats allemands. Vient à
passer le député Liebknecht. Il entend les protestations des
condamnés, il les interroge, et, promptement, il acquiert la
preuve que les soldats morts ont été victimes des carabi-
niers. Dans la commune de Brée, le 23 août, c'est un consul
qui intervient : des cyclistes allemands ont été l'objet d'une
agression; sans autre forme de procès, le bourgmestre et le
doyen vont être passés par les armes ; le consul obtient un
134 LA GUERRE AUX EGLISES
délai, fait ouvrir une enquête; et l'on reconnaît que ce sont
des gendarmes qui ont mené l'attaque.
Ces instructions préventives ont été malheureusement
exceptionnelles ; mais les recherches postérieures engagées
par la Belgique y ont très souvent suppléé, non pas, hélas !
en ressuscitant les morts, mais du moins en stigmatisant
les assassins.
Pour se justifier d'avoir mis le feu à la ville d'Aerschot,
d'en avoir pillé les demeures et massacré plusieurs citoyens,
les Allemands avaient prétendu que. le fils du bourgmestre,
exc'ité par son père, aurait tué le commandant de place. Or,
il a été démontré qu'aucun argument n'avait été fourni pour
établir que cet adolescent de quinze ans et demi, très paci-
fique, eût été l'artisan du meurtre, encore moins que son
père, toujours attentif à prêcher le calme et à en donner
l'exemple, en eût été l'instigateur. M. Grondijs, au con-
trai re,a constaté que le commandant d'Aerschot avait été
frappé, sur son balcon, par un coup de feu tiré de la place
encombrée de soldats.
A Louvain, les monstrueuses « représailles «exercées par
les Allemands auraient été «provoquées », d'après eux, par
les agressions de certains habitants. Quels habitants? Nul
n'a jamais pu le savoir. M. Grondijs a interrogé deux offi-
ciers allemands; l'un a incriminé le frère du bourgmestre,
l'autre son fils; or, le bourgmestre de Louvain n'a jamais
eu de frère et voilà dix ans qu'il a perdu son fils unique.
D'autres témoins ont demandé de quelles demeures étaient
partis les coups de feu tirés sur les troupes ; on leur a
désigné tour à tour un édifice notoirement inhabité et une
maison occupée par deux vieillards impotents. En réalité,
le désa'^tre de Louvain n'eut d'autre cause qu'une panique
de la garnison, panique dont on a vu plus d'un exemple et
qui, dans cette forteresse intellectuelle de la Belgique, ne
fut peut-être pas involontaire. Car, d'après les dépositions
recueillies par M. Grondijs, deux soldats allemands furent
découverts embusqués derrière un mur, à l'abri duquel ils
ET AUX PRÊTRES 135
tiraient des coups de feu qui devaient paraître imputables
aux habitants. Ruse abominable, mais qui n'est pas excep-
tionnelle. A Battice et à Bligny, par exemple, au témoi-
gnage de M. Nothomb, la tuerie n'eut pas d'autre ori-
gine.
Ce qui est vrai de la Belgique l'est aussi de la France.
Mais la preuve est surabondamment faite, et il suffira de
l'étayer de quelques incidents. Nos ennemis prétendent
qu'à Saint-Dié, des gens du peuple ont assailli leurs troupes ;
M. Jensen, industriel danois établi dans cette ville, oii il
fut témoin de l'invasion allemande, inflige à cette alléga-
tion, dans le Berlingske Tidende de Copenhague, un
démenti formel. A Lavignéville, dans la Meuse, on arrêta
connne francs-tireurs et l'on entraîna dans les prisons
d'Allemagne les sieurs Woimbée et Fortin; il est établi,
par le dernier rapport français, que ces deux « francs-
tireurs » sont des vieillards infirmes. Enfin, de l'évêché de
Saint-Dié, l'on m'apprend qu'à Etival, on a fusillé, sous le
même prétexte, un malheureux notoirement idiot.
Constatons cependant que M. Grondijs avoue qu'à sa
connaissance, un soldat allemand fut tué par un civil
belge. Le « crime » fut commis à Linden. Ce civil avait
une fille et ce soldat violait l'enfant sous les yeux du père
étroitement ligotté. L'homme se dégagea, saisit une arme
et tua la brute. Pour punir cet assassin, les officiers alle-
mands l'attachèrent à ses meubles et le brûlèrent avec sa
maison. Après quoi, ils incendièrent le village entier.
Justice allemande !
Que reste-t-il, en résumé, de l'inculpation portée contre
les prêtres ? Ils sont responsables, au dire de l'ennemi, des
violences et des attentats commis par les habitants. Mais
l'accusateur ne peut démontrer ni ces attentats, ni ces
violences. Il n'y a même plus matière à discussion. Pas
n'est besoin de justifier un prévenu, quand on reconnaît le
crime inexistant.
136 LA GUERRE AUX ÉGLISES
La vérité, c'est que le clergé belge et français — ce
clergé calomnié, vilipendé, brutalisé, emprisonné, torturé,
massacré — a prêché partout, avec l'amour de la patrie, le
respect de l'ordre et du droit. « Il n'a pas cessé d'exhorter
ses ouailles au calme », atteste à son honneur la Commis-
sion belge. Et la Gazette populaire de Cologne avoue, elle-
même, en dernière analyse : « Le reproche que le clergé
belge aurait participé à des hostilités ne peut plus être
pris au sérieux par personne actuellement (1) ». Bref, on
peut appliquer à tous ses membres le témoignage solennel
que le cardinal Mercier rend en faveur des prêtres de
Malines : « J'affirme sur l'honneur, et je suis prêt à
déclarer sous la foi du serment, que je n'ai pas jusqu'à
présent rencontré un seul ecclésiastique, séculier ou régu-
lier, qui ait excité la population civile à se servir d'armes
contre l'ennemi. Tous, au contraire, ont obéi fidèlement
aux instructions épiscopales qu'ils avaient reçues, dès les
premiers jours d'août, et qui leur prescrivaient d'user de
leur influence morale auprès de nos populations, pour les
porter au calme et au respect des règlements militaires ».
V. — Conclusion.
Mais, au fait, discuter les prétextes allemands, ce n'est
pas encore poser la question sur son véritable terrain.
M.«^ Baudrillart, dans sa poignante et lumineuse confé-
(1) Au dernier moment, je recueille dans le XX' siècle, une autre
citation, plus décisive encore, empruntée à la revue scientifique alle-
mande Der Fels. M. Lorenz Millier y déclare, en propres termes :
« Officiellement, il n'a été établi aucun cas où on aurait tiré do tours
d'églises avec l'aide de prêtres. Tout ce qui est connu jusqu'à présent
et qui a fait l'objet d'une enquête, au sujet de prétendues atrocités attri-
buées aux prêtres catholiques au cours de cette guerre, a été trouve
faux et totalement imaginé sans exception aucune. »
ET AUX PRÊTRES 137
rence sur l'attentat de Louvain, a merveilleusement cir-
conscrit le problème :
« Que quelques civils aient ou n'aient pas tiré sur des
soldats, cela ne change pas le caractère de l'acte commis
par les Allemands.
« Que dès le début de la campaig:ne, ils aient dit et
imprimé : « Si un seul civil tire sur nos troupes, nous
« rendrons toute la population responsable, nous mettrons la
« ville à sac et nous massacrerons tout ou partie des habi-
« tants », qu'importe!
a Ou c'est une convention et elle n'a de valeur que si elle
a été acceptée par l'autre partie ; ou c'est un édit, et il ne
peut valoir que si celui qui le promulgue a juridiction sur
ceux à qui il l'intime; ou c'est une mesure de légitime
défense, et pourqu'elle demeure légitime, elle doit respecter,
plus encore que les règles du droit international, les règles
générales de la justice, c'est-à-dire proportionner le châti-
ment à la faute et ne pas frapper l'innocent avec le coupable.
« Il ne suffit pas que je dise : « Si vous faites ceci, je
« ferai cela », pour que j'aie le droit de le faire. Autrement
le moins scrupuleux et le plus cruel, pourvu qu'il soit aussi
le plus fort, aura toujours raison. »
C'est l'évidence. Il en ressort que les Allemands, leurs
accusations fussent-elles établies, n'en seraient pas moins
coupables. Peut-être même le seraient-ils davantage, ou du
moins leurs attentats plus évidents. Car, pour se justifier
d'un crime, arguer d'un motif inopérant, c'est tout ensemble
avouer la matérialité de l'acte et reconnaître qu'il fût
accompli sans cause légitime.
Tel est le cas de nos ennemis.
La disproportion est flagrante, entre les agressions qu'ils
imputent aux citoyens des provinces envahies et les repré-
sailles qu'ils ont exercées contre eux.
Le Décalogue, la morale naturelle et le droit des gens
sont d'accord pour défendre et pour réprouver le pillage et
la dévastation du bien d'autrui, la ruine et la profanation
138 LA GUERRE AUX ÉGLISES
des objets sacrés, les répressions collectives et aveugles
qui atteignent l'innocent avec le coupable et parfois même
l'innocent pour le coupable, les sévices et les mauvais trai-
tements contre une population désarmée, contre un blessé,
contre un captif, les meurtres et surtout les outrages à la
pudeur des femmes.
Or, de tous ces forfaits, les Allemands se sont rendus
coupables. Et pourquoi? J'admets momentanément leurs
allégations : parce que des civils auraient tiré sur eux!
Ils auraient fusillé ces patriotes affolés et exaspérés, nul
n'aurait rien à dire ; c'est le droit de la guerre.
Mais livrer ces malheureux à la torture ; incendier leurs
villages et massacrer une partie de leurs concitoyens; inju-
rier, frapper, emprisonner des vieillards, des femmes et
des enfants ; bombarder ou pétroler des églises ; porter une
main brutale et sacrilège sur les reliques des martyrs et
les vases des autels; malmener, outrager, assassiner des
prêtres; violer enfin des femmes, des fillettes et des reli-
gieuses, — ce sont là des crimes inexpiables. Aucune
ivresse, aucune provocation, devant aucune conscience hu-
maine, ne saurait en atténuer l'horreur !
N'en cherchons pas l'excuse! Essayons seulement d'en
découvrir l'explication !
Cette explication n'est-elle pas dans la conception anti-
chrétienne et barbare que l'esprit allemand s'est forgé, des
nécessités de la guerre et des droits de la force?
Oui, à la racine de ces atrocités, se révèle une philoso-
phie égoïste et brutale.
Quand on entend ce pétrisseur des cerveaux allemands
que fut Nietzsche affirmer que « c'est la bonne guerre qui
justifie toute cause » ; le célèbre professeur Lasson, ensei-
gner que « qui a la force peut créer un nouvel état de choses,
qui sera aussi bien le droit que le précédent », que, d'ail-
leurs, « ce n'est pas une question de droit, mais une question
d'intérêts d'observer les traités », et qu'enfin, un état de
choses, « où le faible est la proie du plus fort... peut être
ET AUX PRÊTRES 139
qualifié de moral parce qu'il est rationnel » ; le juriste connu,
Dr. Strupp, autoriser les troupes envahissantes à déclarer
toute une ville « coupable des actes de chacun de ses ha-
bitants » ; le général von Hartman élever « le terrorisme »
à la hauteur d'un « principe militairement nécessaire » ;
un catholique enfin, comme le député Erzberger, soutenir
que « plus une guerre est cruelle, plus elle est douce, parce
que la conclusion en est plus rapide », — alors, on ne
s'étonne plus de certaines proclamations, de certaines me-
naces et de certains aveux, qui affichent un mépris féroce
et absolu des lois les plus incontestées de la guerre et
des principes les plus certains de l'humanité.
Proclamer passibles de mort les habitants qui garderont
une arme en leur possession, qui resteront dehors après
l'heure fixée, qui n'obéiront pas instantanément à l'injonc-
tion de lever les bras, qui dépasseront de nuit certaine
limite ou qui colporteront des nouvelles jugées fausses ;
arrêter, dans chaque rue, jusqu'à dix otages et les mena-
cer d'une fusillade en bloc au moindre attentat ; ordonner,
comme le général Stenger, de la 58^ brigade, l'impitoyable
assassinat de tous les prisonniers et de tous les blessés;
déclarer que les soldats allemands pourront se faire res-
pecter « par tous les moyens », ce n'est rien autre chose,
après tout, que l'affirmation des droits de la force et l'ap-
plication du terrorisme nécessaire.
Le commandant von Bulow s'enorgueillit d'avoir châtié
les citoyens d'Andenne en brûlant toute la ville et en y fu-
sillant cent personnes. Ce n'est qu'un disciple de Nietzsche!
Un professeur de Louvain questionne une sentinelle sur
les causes de l'incendie et du massacre : « Il a fallu, répond
rAllemand, punir les innocents avec les coupables! » Ce
n'est qu'un élève de Lasson ! « On a fait sauter le pont de
fer, écrit dans ses notes un fantassin du 32® de réserve; à
cause de quoi les rues sont incendiées par nous et des
civils fusillés. » Ce n'est que la mise en action des théo-
140 LA GUERRE AUX ÉGLISES
ries de Strupp. A M. Grondijs, un autre soldat raconte avec
sérénité que, pour venger le commandant d'Aerschot, on
a, « comme de droit » passé par les armes une partie de la
population. Il ne fait qu'exécuter la consigne de von Hart-
mann. Un autre explique ingénument : « Nous avons l'ordre
de tirer sur tous les fuyards. » Hélas! le chef qui a donné
cet ordre avait peut-être lu les déclarations d'Erzberger !
Toutes ces violations du droit naturel et des conventions
internationales, — et j'en pourrais citer indéfiniment, —
ne constituent, en effet que la pratique normale du terro-
risme érigé en système, de la force élevée au niveau d'un
principe et de la cruauté proposée comme méthode huma-
nitaire.
Et, dans tous ces procédés, dans toutes les théories qui
les engendrent, il y a une telle puissance de logique anti-
chrétienne, que ceux qui les préconisent ou qui les em-
ploient ne feront après tout que suivre leur pente et obéir
à leur élan, quand ils s'en prendront aux églises et aux
prêtres, gardiens de la justice et de la charité! M^"" Turi-
naz a donc raison lorsqu'il affirme que la guerre allemande
aboutit tout droit, non seulement « à la destruction de
l'Eglise catholique, de son autorité et de ses doctrines »,
mais encore <( à la destruction de toutes les lois, de tous
les droits, de toute la morale, de tous les principes dont vit
l'humanité tout entière ».
Et quand nos ennemis, appelant la protection de Dieu sur
leurs armes, osent couvrir do l'autorité divine des barbaries
qui ne sont même pas compatibles avec la dignité humaine,
ils ne font que couronner leur besogne antireligieuse d'un
suprême outrage à l'Auteur de la religion.
François VEUILLOT.
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
L'aumônerie militaire et la situation canonique des
prêtres dans l'armée française. La piété des prêtres-
soldats.
Très nombreux sont les prêtres catholiques que la
guerre a mobilisés et qui servent dans l'armée française.
On s'est demandé si leur situation canonique n'était
pas irrégulière.
Pour répondre avec clarté à cette question, il importe
de ne pas confondre trois catégories bien différentes :
1" les aumôniers militaires ; 2° les prêtres non-com-
battants, mobilisés dans des services d'administration
ou de santé ; 3° les prêtres combattants.
♦
* s
Les aumôniers militaires. — La régularité de leur
situation ne fait point de doute. Le Bref de Pie IX,
quœ catholico (en date du 6 juillet 1875), accorde aux
aumôniers actuels de l'armée française, dûment approu-
vés par leur évêque, des pouvoirs spéciaux « dont ils
« pourront user, sans avoir à les soumettre aux Ordi-
« naires des lieux dans lesquels l'armée passerait ou
« séjournerait ». L'interprétation donnée par S. E. le
142 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
cardinal Merry del Val, secrétaire d'Etat, dans sa lettre
du 14 septembre 1918 au cardinal-archevêque de Reims,
montre que ce Bref garde, à l'heure actuelle, toute sa
valeur.
De fait, il y a plus de 300 prêtres aumôniers mili-
taires. Les uns sont aumôniers officiels, en vertu de la
loi du 8 juillet 1880 et des décrets des 27 avril 1881 et
5 mai 1913. D'autres sont des aumôniers auxiliaires^
agréés par l'autorité militaire.
Le décret ministériel du 5 mai 1913 avait légèrement
augmenté le nombre des aumôniers titulaires : ils
étaient, dans chaque corps d'armée, deux au groupe de
brancardiers de corps et un par groupe de brancardiers
de division; en outre, chaque division de cavalerie
avait son aumônier, ce qui faisait, p^r conséquent, envi-
ron 4 ou 5 aumôniers titulaires par corps d'armée.
Cependant l'opinion catholique trouvait, ajuste titre,
ce chiffre encore insuffisant. Le regretté comte Albert
de Mun se fit son éloquent interprète et réussit à faire
« agréer » des aumôniers auxiliaires, dont le nombre a
doublé, à peu près, celui des titulaires. Parmi tous les
éclatants services que ce vaillant chrétien a rendus à
l'Église et à la France, il faut mettre en bon rang son
œuvre des Aumôniers volontaires, celle qu'il qualifiait
« la plus belle de ma vie », comme le rapporte M. Geof-
froy de Grandmaison dans son intéressant article du
Correspondant (1).
Dans la seconde semaine d'août 1914, S. Em. le car-
dinal-archevêque de Paris envoya à M. de Mun un
membre de sa maison archiépiscopale, qui trouva le
(1) La dernière œuvre du comte Albert de Mun, Les Aumôniers mili-
ta ires volontaires.
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 143
député très soucieux de rinsuffisance du nombre des
aumôniers. « La question de l'aumônerie me préoc-
cupe horriblement, dit-il; je suis accablé de demandes,
de lettres et de visites; mais je ne vois pas de solution;
m'en apportez-vous une? — Il y en aurait bien une;
mais nous sommes impuissants à la faire aboutir sans
votre concours.. — Qu'est-ce que vous proposeriez? —
Il me semble que tous nos efforts pour faire augmenter
le nombre des aumôniers titulaires n'aboutiront pas,
ou n'aboutiront qu'à peu de chose; c'est donc d'un autre
côté qu'il faudrait s'orienter; pourquoi ne tenterions-
nous pas la constitution d'une espèce de corps franc, un
corps d'aumôniers hors cadres, qui ne seraient pas
reconnus, cela va de soi, mais qui n'en rendraient pas
moins des services? Nous les recruterons; les catho-
liques auront à cœur de ne pas les abandonner; mais
— et c'est là le point délicat — il faut qu'ils puissent
atteindre le front et, pour cela^ il est indispensable de
s'assurer au moins la tolérance de l'autorité militaire. »
Le député et l'ecclésiastique prirent rendez-vous pour le
même jour. Une heure après, ils se retrouvaient dans
un bureau ami; la question de l'accès au front y fut
retournée sous toutes ses faces, mais toujours sans
qu'on y vît clair. Puis, brillamment, avec tout l'entrain
d'un jeune capitaine de cuirassiers qui mène une charge
victorieuse, le comte de Mun gagna le ministre de la
Guerre à sa cause, obtint plus qu'on n'osait l'espérer;
le bureau des Aumôniers volontaires était fondé. Que
ce succès répondit aux vœux des catholiques, on le vit
bien par l'enthousiasme de la souscription ouTerte dans
VÉcho de Paris.
La disparition du comte de Mun n'interrompit pas
son œuvre. Habilement conduite par ses collaborateurs,
144 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
MM. Geoffroy de Grandmaison et François Veuillot,
non seulement elle continue à recruLer des aumôniers
pour remplacer les malades, les blessés ou les défunts
— car hélas! l'aumônerie militaire compte aussi ses
morts — mais elle a réussi à donner aux aumôniers
« agréés * une situation administrativement plus stable
et j'ajouterai « plus confortable ».
Auprès des aumôniers titulaires ou agréés se rencon-
trent enfin des aumôniers purement volontaires. Tantôt
ce sont des prêtres ou des religieux qui, au départ des
troupes, se sont joints à elles, les accompagnent sans
mission ni reconnaissance militaire, mais sont adoptés
par nos braves troupiers, comme certains de ces gamins
de 12 à 15 ans qui ont suivi Tarmée; — tantôt ce sont
des prêtres-soldats à qui leurs chefs ont confié le
soin d'assurer le service de l'aumônerie. Titulaires,
agréés et volontaires, les aumôniers sont certainement
plus de 300.
De son côté, l'amiral Bienaimé travaillait pour le
rétablissement des aumôniers de la marine. Le ministre
compétent reconnaissait qu'il était très utile de mettre
en œuvre tous les moyens propres à exalter le courage
de nos marins. Le 7 août, un décret et un arrêté minis-
tériels nommaient « un aumônier temporaire de la flotte,
pour la durée de la guerre, sur chaque bâtiment et sur
chaque navire monté par un vice-amiral ou par le
contre-amiral commandant la 2^ escadre légère ». Si
mes renseignements sont exacts, il y aurait actuellement
14 aumôniers de marine.
Les prêtres mobilisés non-combattants. — Celte
catégorie paraît être la plus nombreuse. Elle comprend
en effet:
LA RELIGION DANS l'ARMÉE FRANÇAISE 145
P Les prêtres âgés de 30 à 46 ans, qui, avant la loi
sur la séparation de l'Église et de l'État (en 1905), ont
occupé à 26 ans un poste concordataire, et ont été versés
de droit dans le service de santé (1). Ces ecclésiastiques
sont régis par la loi militaire du 15 juillet 1889, en
vertu de laquelle ils sont affectés « en cas de mobilisa-
tion » au service de santé. Ce droit leur a été expressé-
ment reconnu par divers actes du pouvoir (2).
En conséquence, tous les ecclésiastiques, ayant 30 ans
et plus et remplissant les conditions requises, sont mobi-
lisés comme infirmiers, brancardiers, mais non comme
combattants ;
2° Les prêtres, quel que soit leur âge, que leur santé
a dispensés du service actif et fait classer dans les ser-
vices auxiliaires ; on entend par services auxiliaires les
services de bureaux, d'administration, d'intendance, etc.
Ainsi donc les ecclésiastiques mobilisés, mais affectés
soit au service de santé, soit aux services auxiliaires,
sont des non-combattants; et c'est, de beaucoup, le plus
grand nombre des 20.000 prêtres français mobilisés
dans cette guerre.
Sans doute les Évêques ont fait entendre leurs légi-
times protestations, quand la loi de 1889 a aboli le pri-
vilège ecclésiastique de l'exemption militaire, mais
l'équité oblige à reconnaître que cette loi n'a pas placé
cette catégorie de prêtres-soldats dans une situation
(1) classes 1889 à 1905. La loi française, il est vrai, maintient dans
l'armée jusqu'à l'âge de 48 ans ; mais les ecclésiastiques appartenant
aux classes 1888 et 1887 sont régis par la loi du 27 juillet 1872. La
dispense que leur confère cette loi est définitivement acquise, suivant
une décision récente de M. le Ministre de la Guerre. Ils ne sont don-,
pas susceptibles d'être convoqués aux armées.
^2) Art. 99 de la loi du 21 mars 1905. Arrêt du Conseil d'État du
31 mars 1911. Circulaires du Ministre de la Guerre des 11 août 1911,
Il et 22 novembre 1914.
10 — Fr.
146 LA RELIGION DANS l'ARMÉE FRANÇAISE
canonique, à proprement parler, irrégulière ; elle leur
facilite, au contraire, clans le service de santé, leur
ministère auprès des blessés et des mourants, dans des
conditions souvent plus favorables que celles où se
trouvent parfois les aumôniers militaires eux-mêmes.
Les fonctions qu^ils remplissent et les services qu'ils
rendent leur assurent une réelle autorité.
Les prêtres combattants. — Cette catégorie com-
prend : •
1° Les prêtres âgés de moins de 30 ans (classes 1905,
1906, etc.);
2° Les prêtres de tout âge, n'ayant jamais appartenu
au clergé concordataire et qui ne sont pas affectés aux
services auxiliaires.
A première vue, pour les ecclésiastiques de cette caté-
gorie, mais pour ceux-là seuls, un doule pourrait s'éle-
ver sur la régularité de leur situation canonique; le
Droit ecclésiastique, en effet, frappe d'irrégularité, dans
certains cas, le clerc qui prendrait part aux hostilités.
Mais la question a été Irandiée par une décision
importante de la Sacrée Pénitencerie.
Si ces prêtres sont vraiment des combattants, on ne
peut dire cependant que ce soit de leur plein gré. En
France, le service militaire est obligatoire pour tous les
citoyens, sans distinction; le prêtre incorporé dans le
service armé subit une nécessité de fait qu'il ne dépend
pas de sa volonté d'éviter , et, si la guerre l'expose à
contracter une irrégularité, ce ne peut être que le résul-
tat d'une contrainte que les circonstances lui imposent.
Afm de remédier, en partie, aux conséquences de cette
pénible situation, la Sacrée Pénitencerie, consultée par
un évêque français, a répondu, le 18 mars 1912 :
1° Que dans le cas où les clercs auraient encouru
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 147
l'irrégularité en combattant (quam pugnantes forte
incurrerint...Aicet forte in irregularitaiem incide-
rint...) les effets de cette irrégularité seraient provi-
soirement suspendus ;
2" Qu'en conséquence les clercs combattants peuvent
agir, pendant la durée des hostilités, comme si l'irrégu-
larité n'existait pas, c'est-à-dire d'une part administrer,
d'autre part recevoir les sacrements (Sacrum facere et
sacra monta ministrare valcant non obstante irregula-
ritate... admitlantiir ad sacramenta);
3" Que cette permission d'agir provisoirement, tant
que dure la guerre et comme si l'irrégularité n'existait
pas, ne supprime cependant pas cette irrégularité si elle
a été contractée ; que, par conséquent, une fois la paix
signée, le clerc combattant est tenu de recourir à l'au-
torité compétente pour s'en faire relever, s'il y a lieu
(hello vero composito, recurrant ad competenteni aiic-
toriiatem).
Enfin, dans le même acte, la Sacrée Pénitencerie dis-
pense de l'obligation du bréviaire tout clerc majeur
mobilisé, qu'il soit ou non combattant; et déclare que
tout soldat convoqué à la guerre peut être absous par
n'importe quel prêtre (a quovis obvio sacerdote).
Cette décision de la Sacrée Pénitencerie a eu pour
heureuse conséquence de mettre à l'abri de toute inquié-
tude la conscience des clercs contraints par les circons-
tances de prendre part aux combats, en régularisant
provisoirement leur situation canonique (1).
(1) Voici le texte de celte importante décision concernant l'irrégu-
larité :
« S. PœniteDliaria bénigne indulget ut sacordotcs mililan les, coloris
paribus, inlcr bellicas operationes Sacrum facere et sacramenla minis-
trare valcant non obstante irregularitate quam pugnantes forte incur-
rerint; bello vero composito recurrant ad competoalom auctoritalom.
148 LA RELIGION DANS l' ARMÉE FRANÇAISE
*
* *
Il convient d'ajouter que l'autorité ecclésiastique
essaie, par les moyens en son pouvoir, d'entretenir
chez les prêtres aux armées leur vie sacerdotale. Les
journaux ont reproduit la remarquable lettre qu'à l'oc-
casion de la nouvelle année le cardinal Amette a
adressée à tous ses prêtres mobilisés et dans laquelle il
leur donne paternellement de sages conseils pour la
sauvegarde de leur vie spirituelle. Par les soins de
l'archevêque de Paris, des récollections spirituelles
sont organisées dans les principales gares régulatrices
de l'archidiocèse, à l'intention des nombreux ecclésias-
tiques qui servent dans les trains du service de santé.
Ces initiatives ne sont pas particulières à Paris ; dans
plusieurs autres diocèses, des efforts du même genre
ont été entrepris.
Signalons encore les Bulletins destinés spécialement
aux ecclésiastiques sous les armes. L Œuvre des cam-
pagnes^ sous le titre Prêtres-soldats de France^ publie
des lettres bi-mensuelles d'information et de pratique
Nihil autem obstat quominus ipsi sacerdotes, aliique clerici militantes,
licot forte in irregularilatem incidcrint, admittantur ad sacramenta. »
La Sacrée Pénitencerie a également approuve l'usage, que quelques-uns
avaient reproché à nos aumôniers, d'admettre à la communion les soldats
après une absolution commune donnée avant le combat (février 1915).
A la question qui lui a été posée : « Est-il permis, avant d'admettre les
soldats à la communion, de se contenter de leur donner collectivement
l'absolution commune sans confession préalable, en leur demandant seu-
lement la contrition requise? » la S. Pénitencerie répond : « Affirmati-
vement, conformément à l'avis du Souverain Pontife. Rien n'empêche
les soldats ainsi absous de recevoir l'Eucharistie. Les aumôniers mili-
taires auront soin toutefois, au moment opportun, d'instruire les soldats
qu'une telle absolution ne produit ses effets que s'ils sont bien disposés
et que s'ils gardent l'obligation de faire leur confession dans son inté-
gralité s'ils échappent au péril. »
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 149
pastorales. La maison de la Bonne Presse édite un
Bulletin du même genre, le Prêtre aux armées. Ces
publications, demandées et encouragées par plusieurs
évêques, ont pour but d'aider les ecclésiastiques mobi-
lisés à se souvenir qu'ils sont prêtres pour réternité.
L'expérience montre, au reste, qu'ils ne l'oublient
pas. Nombreuses sont les messes célébrées, grâce à eux,
comme au temps de Jeanne d'Arc, en plein champ de
bataille, nombreux les blessés et les mourants réconci-
liés avec Dieu avant de paraître devant son tribunal, et
les hommes revenus à la pratique de leurs devoirs reli-
gieux, un instant oubliés. Quand ils auront la joie de
reprendre leur soutane, ils auront aussi la joie de se
retrouver dans un troupeau agrandi et dans une France
unie qui les traitera comme les meilleurs de ses fils (1).
H. GOUGET,
Chanoine honoraire,
Sous-directeur des œuvres diocésaines
de Paris.
(1) Sur cette grave question de la « Piété des Prêtres-Soldats »,
M. le chanoine Ardant a bien voulu nous envoyer l'importante note
que voici :
Les aumôniers militaires sont aisément maintenus
dans la ferveur par leur magnifique apostolat. Malgré
une existence nomade, en dépit des marches pénibles
ou des chevauchées fatigantes, toutes leurs occupations
convergent si directement vers Dieu et les âmes, qu'ils
n'ont pas de peine à sauvegarder leur vie sacerdotale.
Les prêtres-soldats y parviennent aussi, mais avec plus
de difficultés et de mérites.
Parlons d'abord des combattants. Dans notre divi-
150 LA REUGION DANS l'ARMÉE FRANÇAISE
La religion de nos soldats : notes d'un aumônier
militaire.
/. — Esprit religieux, cérémonies
et pratiques religieuses dans l'armée française.
Je voudrais noter ici les observations que j'ai faites
pendant six mois de campagne sur les sentiments reli-
gieux de Tarmée. Une première remarque s'impose,
sion, ils ne sont que quatre : un sergent, deux fourriers
et un caporal. Le régime de la guerre de tranchées les
amène à périodes fixes dans un cantonnement à proxi-
mité d'une église ou dans le voisinage des aumôniers :
ils ont alors toute facilité pour dire la messe, faire leurs
prières et lectures, se confesser, visiter le Saint Sacre-
ment. Les officiers leur laissent volontiers les loisirs
nécessaires; je connais même un capitaine qui assiste
régulièrement à la messe de son fourrier. En première
ligne, il n'a pas été possible jusqu'à présent à ces ecclé-
siastiques de célébrer ; avec le beau temps et grâce aux
chapelles de campagne, ce sera peut-être quelquefois
réalisable. Mais dans cette situation à proximité de
l'ennemi, toujours en danger prochain de mort, com-
ment le prêtre-soldat ne serait-il pas soutenu par la
pensée constante de la présence de Dieu? Il a d'ailleurs
un ministère actif et fructueux auprès de ses cama-
rades. Beaucoup lui demandent d'entendre leurs con-
fessions. Quand les tranchées sont bombardées, il les
parcourt et donne de nombreuses absolutions. C'est
ainsi que l'abbé B... a été blessé l'autre jour. Son zèle
apostolique et son mépris du danger ont profondément
édifié les troupes. Dans les charges et les marches sous
le feu, le prêtre a un rôle splendide.
L'abbé L..., atteint grièvement de plusieurs balles, se
traînait encore sur les genoux pour continuer à eon-
II
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 151
c'est le grand respect du soldat pour le prêtre. J'ai lu
dans quelques journaux qu'on se demande si les aumô-
niers militaires ne pourraient pas adopter un costume
spécial qui laisserait plus do liberté à' leurs mouve-
ments. Gomme ce serait dommage de renoncer à la
simple et populaire soutane française! On peut aisé-
ment la relever dans la ceinture et marcher sans gêne.
Sur le champ de bataille comme à l'ambulance ou
au cantonnement, le troupier reconnaît le costume sa-
soler et à aJ3soudre. Sa capote ouverte laissait voir un
grand crucifix d'argent.
— Mes amis, criait-il, je suis prêtre et je ne crains
pas la mort.
ce Ah ! monsieur l'aumônier, m.e disait un sémina-
riste, vous avez raison de dire que le canon est un bon
prédicateur. Je crois bien que je ne ferai jamais une
meilleure méditation sur la mort que celle de la
semaine dernière. Je suis resté trente heures au petit
poste, appuyé sur le corps du sergent G... qui venait
d'être tué et qu'on ne pouvait encore enlever. Il m'était
impossible de faire un mouvement sans le toucher. Je
l'ai senti se refroidir graduellement et j'ai vu couler
tout son sang par une affreuse plaie. Je crois bien être
persuadé, pour ma vie entière, du peu que nous sommes. »
Les prêtres-infirmiers et brancardiers sont plus nom- .
breux : j'en connais trente-trois autour de nous. Ils
couchent dans les granges avec leurs camarades et ne
peuvent transporter avec eux que le sac et la musette
réglementaires. Mais la chambre de l'aumônier, la
sacristie de l'église sont des centres où ils se réunissent
pour vaquer à leurs exercices de piété, causer entre
eux, faire leur correspondance, lire quelques revues.
La première préoccupation des aumôniers a été de
faciliter à tous les prêtres la célébration quotidienne de
la sainte messe. Ils ont pu y parvenir grâce à la gêné-
152 LA RELIGION DANS l'ARMÉE FRANÇAISE
cerdolal qui lui rappelle son curé, son village, son foyer,
sa première communion. Il le respecte et le salue.
Dans noire division les aumôniers ne portent pas les
trois galons et cependant ils reçoivent le salut de tous
rosité des fidèles de France et aussi grâce à la piété de
ces ecclésiastiques.
Il fallait d'abord se procurer des ornements, du linge,
des hosties, du vin, des cierges. Très souvent, les églises
des villages que nous traversons sont en ruines. En
tout cas, elles n'ont qu'un ou deux calices, peu ou point
de provisions pour la matière du saint Sacrifice.
L'œuvre de Notre-Dame-du-Salut nous a généreuse-
ment donné trois autels portatifs et nous ravitaille en
vin et en hosties. Quelques amis nous envoient de la
cire. Avec les chapelles des aumôniers et les ressources
fournies par TégHse de notre cantonnement, nous avons
pu monter cinq autels. Il faut, en effet, que les messes
soient dites de grand matin, car les corvées commencent
de bonne heure et dans notre groupe divisionnaire dix-
huit brancardiers sont prêtres. On commence à célébrer
dès cinq heures. Ceux qui partiront pour la scierie ou
pour la relève des blessés passent les premiers. Je sais une
ambulance où les messes se disent dès quatre heures,
parce qu'on n'a qu'un calice. Dans une division voisine,
les prêtres devaient même se lever à trois heures.
Et ils acceptaient généreusement ce surcroît de fatigue.
Pendant leur journée de marche et de travail, les
ecclésiastiques brancardiers ou infirmiers ne peuvent
guère que réciter le rosaire et je sais qu'ils y sont fidèles.
Mais chaque soir, après « la soupe », ils se retrouvent
à la réunion que nous tenons à Téglise. Ils nous aident
à organiser le chant; l'un d'eux lient l'harmonium.
A tour de rôle ils président le salut, et quand la céré-
monie est achevée pour les soldats, le Saint Sacrement
est encore entouré par une garde d'honneur sacerdo-
tale qui prolonge son adoration.
LA RELIGION DANS L ARMÉE FRANÇAISE 153
les hommes, et la plupart des factionnaires leur pré-
sentent les armes.
L'aumônier est sans doute l'ami, le confident, le
bienfaiteur, « la maman », mais il est d'abord et sur-
tout le prêtre. On lui demande un crayon, un bout de
bougie, de la graisse pour les pieds, mais on vient
surtout vers lui pour lui demander un bon conseil, une
consolation, un encouragement, pour se réconcilier
avec le Dieu qu'il représente.
Ce respect pour le prêtre, le soldat le manifeste aussi
pour la maison de Dieu et pour tout ce qui touche au
culte. Quand nous disions la messe en plein air, parles
fraîches matinées d'automne, nous invitions toujours
l'assistance à ne se découvrir que pour l'élévation.
Mais dès Tintroibo, tous les képis étaient enlevés et
l'on sait que les troupiers ont toujours la tête couverte
même devant leurs chefs. Le Bon Dieu est le grand
chef qui leur paraît mériter encore plus d'hommages
que le général.
L'entrée d'une troupe à l'éghse est toujours très lon-
gue. On achève une conversation, on prend une der-
nière bouffée avant de jeter la cigarette, mais surtout
chaque soldat tient à prendre lui-même de l'eau bénite
et à se signer lentement. Beaucoup arrivent longtemps
avant l'heure fixée pour nos cérémonies. Or, ils ne
parlent presque pas, ou échangent quelques mots à voix
basse.
Jamais nos cérémonies ne paraissent trop longues,
qu'il s'agisse de messe, de salut, d'absoute pour les
morts du régiment ou du bataillon, les églises sont tou-
jours trop étroites. Les architectes qui les construisirent
n'avaient pas prévu semblables affluences. Si quelque
devoir militaire force à partir avant la fin de roffice, on
154 LA RELIGION DANS l'ARMÉE FRANÇAISE
s'en va à regret. Mais la foule ne consent même pas à
s'écouler pendant le cantique de sortie, ell'e veut l'en-
tendre jusqu'au bout.'
Les chants simples populaires militaires, sont d'une
grande attraction. Les soldats comprennent et sentem
ce qu'il chantent. Les cantiques de Jean Vezére nous
ont été d'utiles auxiliaires. La Prière du Soldai, sur
l'air du Clairon, de Déroulède ; le Stabat des Morts au
champ d'honneur; la Prière pour les prisonniers font
pleurer littéralement beaucoup d'hommes. Le Cantique
à Jeanne d'Arc a aussi grand succès, et on lance le re-
frain avec toute la « furia francese ». Prouvençau et
Qatouli fait vibrer l'âme du Midi. Les Noëls enfin sont
exécutés avec entrain. On se prête volontiers aux répé-
titions que nous faisons pour assouplir les voix trop
rudes. On nous signale les chanteurs « à la riche » qui
viennent souvent, d^ailleurs, offrir spontanément leurs
services.
Nos cantiques sont si aimés qu'on les fredonne dans
les granges du cantonnement. L'autre jour les sous-
ofticiers d'une « popote » chantaient la « Prière du
soldat » avec un clairon qui les accompagnait en sour-
dine. El le colonel avouait que cet air était pour lui
une vraie obsession. Rien d'étonnant : c'est l'air si
crânement français de la charge à la baïonnette !
Le soldat aime la parole du prêtre.
Un dimanche matin, vers huit heures, je suis abordé
par un troupier dans la rue du village où nous canton-
nons :
— Pardon, monsieur le major.
(L'aumônier porte le brassard de la Croix-Rouge ; il
vit avec le service de santé. Pour les simphstes, il est
lui aussi major.)
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 155
— Qu'y a t-il, mon ami?
— C'est pour la messe. A quelle heure est-elle?
— Tu en auras deux : une à neuf heures et l'autre à
onze. Choisis l'heure qui te conviendra le mieux. On
chantera à la première comme à la seconde.
— Oui, mais pour causer, à laquelle que c'est?
Je demeure un moment interdit. Pour causer? Ah !
oui ! Il demandait quelle messe serait accompagnée
d'une allocution.
— Pour causer, c'est comme pour chanter. On cau-
sera aux deux messes.
J'ai été ravi de cette question naïve. N'est-ce pas le
meilleur compliment pour un prédicateur, de s'entendre
dire qu'il cause ?
Et voyez comme la guerre transforme nos hommes !
En temps de paix ils semblent choisir de préférence,
quand ils y vont, les messes les plus brèves, les plus
basses. Et voilà qu'en campagne ils veulent aller à la
messe où on cause.
Il est vrai que nos allocutions ne sont ni longues ni
ennuyeuses. Deux ou trois idées très claires, quelques
images, un trait historique, une conclusion pratique,
tout cela court et vibrant, un peu <r cocardier », et l'au-
ditoire est enchanlé.
Ce n'est pas assez de chanter et d'écouter : le soldat
prie.
Jamais il ne se plaint des formules qu'on lui pro-
pose de réciter. A chacune de nos réunions nous disons
deux dizaines de chapelet à des intentions déterminées.
Mais beaucoup veulent poursuivre en leur particulier
cette récitation et ils s'informent de la « théorie ». L'au-
tre jour j'avais prêché, — non : causé, — sur le chape-
let. A la fin de l'office un brave artilleur vint me de-
156 LA RELIGION DANS l'ARMÉE FRANÇAISE
mander une « leçon de chapelet ». Il se rappelait bien
qu'on dit Notre Père sur les « grosses boules », Je vous
salue Marie sur les petites. Mais il restait indécis sur
la place à donner aux « Gloria ».
Quelques-uns récitent le rosaire sur leurs doigts.
Ils sont ravis quand nous leur offrons une « paire de
chapelets ». Ils disent une « paire de chapelets » comme
une paire de ciseaux. Dans certaines tranchées, on en
a fabriqué avec des ficelles et des bouts de bois. Mais
nous avons des distributions si abondantes que tout le
monde est maintenant pourvu.
Nos soldats prient à l'église. Gomme disaient ceux
que nous avions fait coucher sous le clocher et qui
déclaraient n'y pas très bien dormir : « G'est pas une
maison comme une autre, » c'est la maison du Bon
Dieu.
Mon quartier général est la sacristie. J'y reste de
5 heures du matin à 9 heures du soir, quand on ne va
pas « aux blessés ». A toute heure du jour les gros
souliers ferrés résonnent sur les dalles.
Parfois c'est un brave homme qui s'installe sur un
banc et tire un crayon pour écrire « un bout de lettre *.
Il s'en excuse presque :
— Monsieur l'aumônier, on ne voit pas clair dans
la grange, et dehors il pleut : ça mouille le papier.
— Continue mon ami. Le bon Dieu est content que
tu penses à ta famille et il te donne bien volontiers
rhospitahté. Tu diras à ta femme que tu lui écris dans
une église et avant de fermer ta lettre tu feras une
petite prière pour elle.
Mais le plus souvent nos troupiers viennent à l'égHsc
pour prier. On les voit prostrés dans un banc, la tête
dans les mains. Ou bien ils cherchent quelques for-
LA RELIGION DANS l' ARMÉE FRANÇAISE 157
mules à lire dans les vieux paroissiens oubliés par les
fidèles. Grâce à de généreux amis, nous avons reçu
des lots d'eucologes. Nous les semons sur les bancs
avec l'espoir qu'ils seront c^ chapardés », et notre
espoir n'est pas déçu. Nous y avons placé aussi en
quelques exemplaires V Évangile de Weber et Y Essen-
tiel de la Religion Catholique de l'abbé Goqueret. Ce
sont des volumes « conséquents », on ne les emporte
pas, mais on les lit avec attention et leurs pages
portent les traces bien visibles des doigts qui les ont
feuilletées.
J'ai vu des hommes agenouillés devant l'autel de la
Vierge et priant les bras en croix. Souvent le soir, vers
8 h. 30, j'entends sonner de lourds sabots. C'est un
territorial, ancien pèlerin de Lourdes, qui vient réciter
son chapelet et dire sa prière du soir. Il prie mieux,
m'a-t-il confié, quand il est seul avec son petit morceau
de bougie qui brûle devant lui sur un banc.
Un jour je vis deux soldats agenouillés côte à côte et
causant à voix basse. Le sourire dont je les saluai en
passant leur parut sans doute quelque peu ironique,
car l'un d'eux se défendit aussitôt :
— Monsieur Taumônier, c'est pour se confesser.
Le camarade, il n'est pas bien malin pour l'examen de
conscience, alors je lui fais voir.
— Ah ! et comment t'y prends-tu ?
— Voici; je lui dis : tu diras j'ai fait cela, et puis
cela, et puis cela. D'ailleurs tu n'as pas besoin de te
« biler » ; ils savent tout ce qu'on peut faire.
Une des dévotions de nos soldats, c'est de faire
brûler des cierges « à la bonne mère » et aux bons
saints. Ils aiment à penser que la cire qui se consume
en leur absence, devant les images saintes, les rem-
158 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
place el attire sur eux les bénédictions du ciel. Il n'est
pas rare de voir un troupier portant sous le bras un
paquet de bougies, et en allumant une à chaque autel,
à chaque statue. Plusieurs tiennent à contribuer au
luminaire de l'église.
« Monsieur Taumônier, vous nous faites de jolies
cérémonies, il faut bien vous aider. On vous apporte
pour éclairer. » Beaucoup déposent discrètement une
offrande dans les troncs.
On ne prie pas seulement à l'église. On prie dans les
tranchées.
Voici un jeune sergent d'alpins, l'abbé B..., sémina-
riste de H... :
— Monsieur l'aumônier, écoutez une histoire qui
vous fera plaisir. Nous revenons de passer nos quatre
jours aux tranchées. Eh bien ! le premier soir mes
hommes m'ont dit : « Ecoutez, vous qui êtes curé ou à
peu près, vous devriez nous faire la prière. » Vous
pensez bien que j'ai accepté avec joie. Aussi chaque
soir, j'ai fait la prière à haute voix et tous ont répondu
gravement. Ah ! vous aviez raison de dire, dans votre
sermon de l'autre jour, quç le canon est un prédica-
teur qui convertit beaucoup d'indifférents. Il y a bien
des sceptiques de garnison qui deviennent croyants au
feu.
Le brave territorial D., un Ardéchois, qui vient sou-
vent causer avec moi est du même avis.
— Monsieur l'aumônier, quand ils entendent tom-
ber les marmites, ils me crient : « Eh ! vieux, dis-nous
l'acte de contrition! » Je leur réponds : « Mes amis,
je veux bien vous le dire, mais à la condition que vous
ne rigolerez pas quand le danger sera passé. »
Je rencontre un jeune officier au galon tout neuf.
Là religion dans l^armèe française 159
« Monsieur raumônier, me reconnaissez-vous?
G'estmoiqui, à B..., vous ai demandé un chapelet. Je
n'étais alors que sergent. Mais j'ai été nommé bien vite
adjudant et me voilà promu sous-lieutenant aujourd'hui.
Ma section de mitrailleuses est composée de braves gens.
Déjà nous avions fait dire une messe en quêtant parmi
les mitrailleurs et nous avions réunis 4 fr. 80. Aujour-
d'hui, nous revenons des tranchées et nous avons été si
bien protégés que j'ai fait voter une seconde messe.
Pourriez-vous venir nous la dire un de ces jours? »
Voler une messe, c'est l'expression courante. Et si
nous refusons les honoraires, on se fâche:
« Monsieur l'aumônier, on a voté une messe et on
a fait la quêtepour. Ainsi vous ne pouvez pas refuser. »
L'un demande une messe pour sa mère défunte ; un
autre en action de grâces pour sa tranchée, ou sa bat-
terie préservées. Celui-ci veut deux messes : « Une
pour le Bon Dieu, l'autre pour la bonne Vierge, » Voici
deux amis qui se cotisent et réunissent leurs intentions:
la messe sera pour eux deux. Souvent la section et
même la compagnie assistent à la messe qu'un petit
groupe a demandée pour le camarade mort de la tran-
chée. En général celui qui demande une messe vient l'en-
tendre et y communie.
Aux tranchées on lit les prières de la messe quand
on s'y trouve un dimanche. En tout temps on y récite
le chapelet gravement, pieusement. Écoutez ce char-
mant scrupule d'un « poilu » :
« Monsieur l'aumônier, des fois, à la tranchée, je
dis mon chapelet en même temps que je fume ma pipe,
mais ce n'est pas bien convenable, n'est-ce pas? »
Je me rappelle cette boutade de Louis Veuillot qui
récitait son rosaire dans un wagon que son voisin, sous-
160 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
officier peu clérical, en fumant comme une locomotive,
transformait en tabagie : « Sergent, le chapelet ne vous
incommode pas?» Aujourd'hui le chapelet et la pipe
font bon ménage. Les« poilus » égrènent leurs « Ave »
aussi dévotement que les humbles femmes de chez
nous. J'ai donc rassuré mon brave fumeur et je l'ai
encouragé à continuer.
*
* *
On a souvent dit que nos soldats se confessent et
communient. Je veux signaler que beaucoup se confes-
sent très bien, parmi les jeunes surtout. C'est le fruit
des efforts admirables de notre clergé : patronages,
cercles d'études, retraites fermées nous ont déjà donné
une jeunesse instruite de sa foi.
Sur les champs de bataille, aux postes de secours,
aux ambulances, la mort qu'on vient de frôler donne
aux convictions religieuses une flamme plus vive et
faciUte encore la réception des sacrements. Mais au
cantonnement aussi la pratique est fréquente.
Notre clientèle pourrait se diviser en deux catégo-
ries : les convertis et les dévots.
Les convertis ne s'étaient pas confessés depuis leur
mariage ou leur première communion. Ce n'était pas
d'ordinaire impiété, mais plutôt la négligence condui-
sant à l'indifférentisme.
« Monsieur l'abbé, j'ai été blessé et j'ai été à la
maison. J'ai revu ma fiancée. Je lui ai promis de me
confesser en revenant. Voulez-vous demain matin?»
C'est un lieutenant d'artillerie qui parle ainsi.
Voici un sergent qui revient des tranchées. Dans une
attaque où il se trouvait il a fait vœu de se confesser
au plus tôt. Il tiendra dès ce soir sa promesse.
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 161
— « C'est ma femme qui sera contente! La pauvre
petite! elle voulait tant me convertir! Je lui écrirai
demain que c'est fait! »
Souvent, à la sortie d'un de nos offices, nous
sommes abordés :
— « Monsieur l'aumônier, il y a ma sœur qui est
institutrice libre. Elle m'a écrit de me confesser. Je
viendrai demain matin avant votre messe. »
— « Monsieur l'aumônier, j'ai pensé à ce que vous
avez dit dans votre sermon. Ça m'a fait quelque
chose. »
Un soir d'hiver je revenais de R..., où nous avions
eu pour les alpins une belle cérémonie suivie de nom-
breuses confessions. Je marchais d'un bon pas pour
rejoindre mon cantonnement à D Soudain à l'en-
trée du village, une voix retentit.
— « Halte-là ! Qui- vive? »
— « France ! aumônier militaire ! »
— « Avance au ralliement. »
J'allume ma lanterne électrique, je m'approche, je
donne « le mot » et je veux continuer ma route. Mais
le factionnaire ne l'entend pas ainsi. Émergeant d'une
barricade faite de charrettes et de troncs d'arbres, il
s'informe de l'heure de ma messe : il viendra le len-
demain matin se confesser et communier.
Parfois la sentinelle est plus pressée et veut se con-
fesser séance tenante. Plus d'une fois j'ai donné Tabso-
lution à un brave garçon qui joignait les mains sur
son Lebel pour réciter son acte de contrition.
Les dévots de notre clientèle sont ceux qui s'étaient
confessés avant de quitter leur garnison, ou leur foyer.
Ils se sont approchés des sacrements à la Toussaint et
à Noël, plus souvent encore, mais les convertis devien-
11 — Fr.
162 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
nent peu à peu dévots ; si bien que nos deux catégories
se confondent. Et nous avons beaucoup d'hommes qui
se confessent chaque fois qu'ils vont quitter le canton-
nement pour la tranchée. On entend souvent cette for-
mule : « Mon père, je ne me suis pas confessé depuis
la dernière relève. »
Comment nous décidons les indifférents à pratiquer
et les convertis à se confesser souvent? Par de fré-
quentes exhortations dans nos cérémonies, par des
conversations particulières, par le bon exemple et
l'apostolat des camarades chrétiens.
— « Monsieur l'aumônier, je vous en amène deux. »
C'est souvent que retentit ce cri de victoire dans la
petite sacristie .
Il paraît que j'ai été bien inspiré en disant un jour,
dans mon « fervorino »>, qu'on peut fort bien se con-
fesser, même sans savoir réciter par cœur le « Confi-
teor ». Le prêtre n'est-il pas là pour aider aux péni-
tents? Du coup plusieurs indécis sont venus me trouver
et m'ont avoué que l'ignorance des prières les arrêtait.
— « Vous comprenez, monsieur l'aumônier, on les a
un peu oubliées depuis le temps et on ne voudrait pas
tout de même avoir l'air d'un bleu devant vous! Mais
puisque vous donnerez un coup de main... »
Rien de plus édifiant que de voir communier nos
hommes : une vingtaine chaque matin. Ils lisent atten-
tivement leurs prières préparatoires; ils font pieuse-
ment leur action de grâces. L'autre jour un adjudant
s'était confessé, c'était un converti. A la « popote » des
sous-officiers, il demanda à ses camarades de ne pas lui
parler, de le laisser se recueillir, parce qu'il devait
communier le lendemain.
Me permettra-t-on de citer cette lettre émouvante
I
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 163
adressée à l'un de ses confrères par un jeune prêtre
dans les tranchées :
22 décembre 1914.
. . .Pendant ces trois jours qui vont précéder cette fête
de Noël, je vais avoir à entendre au moins mille confes-
sions. Le jour de Noël, N. S. ira prendre possession de
mille cœurs d'hommes généreux et bons. Je ne serai
cependant pas complètement heureux, car il restera bien
250 à 300 hommes qui demeureront loin de Dieu, qu'ils ne
veulent pas reconnaître.
Notre fête de l'Immaculée Conception a été magnifique.
Je suis allé dans toutes les tranchées porter le bon Dieu
aux hommes. Quel bonheur pour moi de pouvoir y re-
tourner dans trois jours ! La conduite des officiers en cette
circonstance fut on ne peut mieux. Dans chaque compa-
gnie, j'étais précédé et conduit par le capitaine, qui s'était
fait le hérault de Dieu. Il criait, en effet, en passant devant
les tranchées : « Voici le Saint-Sacrement qui passe, que
ceux qui veulent le recevoir se présentent à lui. » — Pour
N. S. ce n'était pas la Fête-Dieu; c'était mieux. Il n'y
avait point de rues couvertes de fleurs ; ce n'était que des
tranchées étroites, profond*»s, remplies de boue et d'eau ;
mais, le long de ces tranchées, ce n'était plus les hommes
curieux de la Fête-Dieu, c'était les hommes purs et avides
de ce Pain des Anges qui fait les forts, les courageux, les
vainqueurs. — A la tête de sa compagnie, chaque capi-
taine communiait et donnait ainsi à ses hommes l'exemple.
Des conversions, elles sont nombreuses, toutes les se-
maines il s'en fait. La rénovation morale de la France
s'accentue de plus en plus. Les hommes sentent bien qu'ils
ne sont pas des êtres ordinaires. La grandeur de la cause,
ce qu'ils s'imposent pour le triomphe de cette cause, tout cela
les remue profondément. Vraiment il faut bien qu'il y ait
quelque chose de plus grand que ce à quoi ils avaient
occupé leur vie jusqu'ici. Le monde invisible leur était
164 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
totalement inconnu. Ils ont pris contact avec ce monde
invisible en servant la France. Jusque-là, l'idée de Patrie
n'éveillait point en eux les sentiments qu'on espérait. Mais
ils ont été à l'école du sacrifice et ils ont appris. C'est là
qu'on peut toucher du doigt toute la supériorité de l'ensei-
gnement pratique sur l'enseignement théorique. . .
Nous allons avoir une messe de minuit. J'ai aménagé
une cave à cet effet. Y assisteront le colonel, le comman-
dant, les capitaines et quatre hommes par compagnie.
Les brancardiers, presque tous anciens musiciens à l'active,
formeront la maîtrise. . . (1)
Les Pâques des soldats.
Dans le diocèse où nous sommes cantonnés, le
« temps pascal militaire » s'est ouvert le mercredi des
Gendres et durera jusqu'à la Pentecôte. Nous n'avons
pas encore parlé du terme, mais dès le commencement
du carême nous appelions instamment nos chers sol-
dats à la confession et à la communion. Il était convenu
que cet appel retentirait chaque jour, comme une obses-
sion pieuse, dans les deux églises où se font nos
offices quotidiens et où nous atteignons de 1.000 à
1.200 hommes.
Nous insistions surtout pour que nos chers soldats ne
remettent pas à demain ce qu'ils peuvent faire aujour-
d'hui. « Où serons-nous demain? Peut-être dans les
bois; peut-être dans un village sans église, loin de nos
prêtres... Hàtons-nous de remplir notre devoir de bons
(1) Lettre communiquée par Ms-- Baudrillart.
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 165
chrétiens... Une communion fervente est la meilleure
prière pour nos morts, pour la famille absente, pour la
France... »
Gomment notre invitation fut accueillie, le travail
apostolique de ce carême en témoigne. En temps ordi-
naire, nous avions toujours quelques confessions le
matin de 5 à 7, pendant les messes et le soir à l'issue
de l'office. Depuis l'ouverture des Pâques, les confes-
sions et les communions montèrent à 70 ou 80 par jour.
Dans certaines églises, nous appelions à la rescousse les
prêtres-infirmiers et brancardiers. Nous nous mettions
cinq à la fois à la disposition des pénitents qui s'ache-
minaient en longues liles recueillies et militairement
ordonnées vers nos prie-Dieu.
Une de nos préoccupations a été de nous pourvoir
d'hosties en quantité suffisante. Il nous a fallu faire
appel à tous nos centres de ravitaillement.
Inutile de dire que beaucoup de ces confessions sont
des retours — retours de bien loin : du mariage pour
certains territoriaux ; de la seconde ou troisième com-
munion pour l'active.
Presque toujours une femme ou une mère chré-
tiennes avaient préparé les voies et ouvert à l'aumô-
nier le chemin du cœur.
Nous voyons souvent arriver nos « poilus » avec un
papier sur lequel ils ont écrit, laborieusement et d'un
crayon appliqué, leur examen de conscience. Ils le
lisent lentement, comme des écoliers consciencieux.
Beaucoup tiennent à faire une confession générale de
toute leur vie. Ils craignent de s'être insuffisamriient
accusés. Plusieurs ont des larmes dans les yeux et
parlent d'une grosse voix émue qui a des sonorités
touchantes.
166 LA RELIGION DANS L ARMEE FRANÇAISE
Malgré tous nos efforts pour faire « anticiper », nous
prévoyons bien que la grande masse des « paschali-
sants » voudra attendre le jour de Pâques. Aussi
allons-nous mobiliser pour le samedi saint tous nos ren-
forts sacerdotaux.
Pâques est la grande fête dont on parle depuis long-
temps. On la prépare un peu partout. Ceux qui seront
aux tranchées se désolent de manquer les offices de ce
beau jour. Les camps demandent des messes en plein
air. Dans les cantonnements on veut faire mieux
encore.
Tandis que je trace ces lignes dans la petite sacristie
d'une église lorraine, j'entends retentir à la tribune un
triomphal Gloria. C'est un groupe d'artilleurs qui a
spontanément décidé de préparer pour le jour de Pâques
une messe à deux voix de Gounod. Un médecin-major
tient l'harmonium et je vous assure que les répétitions
marchent fort bien.
//. — L aumônier militaire et les blessés.
Ce matin-là, je dis la messe, à trois heures du matin,
dans la petite église de V... Elle me fut servie par un
lieutenant de chasseurs alpins, qui célébra après moi et
partit avec son bataillon pour la ligne de feu. Nos voi-
tures d'ambulance se mirent en marche à cinq heures.
Nous avions de nombreux blessés à relever, qui étaient
signalés par les- régiments à notre division. Après avoir
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 167
franchi quelques villages à demi ruinés par la canon-
nade des jours précédents, nous entrâmes dans le
champ de bataille proprement dit. Il était jalonné par
de nombreux cadavres de chevaux, par les trous que
les obus creusent en terre quand ils éclatent, et aussi,
hélas! par des morts qu'on n'avait pas eu encore le
temps d'inhumer. Dans la luzerne ou dans l'avoine, le
pantalon rouge mettait une note éclatante comme un
coquelicot. Je m'approchais de ces nobles enfants de
France, tombés dans le même sens, face à l'ennemi,
et je récitais une prière. C'est ainsi que je saluai un
adjudant et plusieurs soldats. Un peu plus loin, nous
rencontrions avec joie dix-huit canons abandonnés par
l'ennemi dans une retraite si précipitée que les pièces
étaient encore intactes. Tout auprès, on nous deman-
dait de « charger » quelques blessés allemands demeu-
rés prisonniers entre les mains de nos artilleurs.
Nos voitures continuent donc leurs routes, mais les
canons allemands tournent et nous risquons d'être un
peu € arrosés ». Alors nos chevaux prennent une allure
un peu plus rapide pour franchir la zone dangereuse et
nous arrivons à une briqueterie où se trouve notre
premier « îlot » de blessée. Le bombardement a été
intenjse sur ce point; la maison est à demi ruinée. Je
vois les cadavres de plusieurs Allemands et celui d'un
paysan, qu'ils avaient probablement fusillé. Nos blessés
sont dans la cave. Nous les en sortons avec peine. Il y
a trois Allemands et quatre Français, parmi lesquels un
charmant petit sergent d'infanterie, ancien élève des
Maristes de la Seyne. Atteint au pied, il fut deux jours
prisonnier de l'ennemi, sommairement pansé par lui,
puis abandonné quand nos troupes avancèrent. Plein
d'un joyeux entrain, il soutint le moral de ses compa-
168
LA RELIGION DANS L' ARMEE FRANÇAISE
gnons pendant les longues heures d'attente dans le peu
confortable réduit qui les abritait.
Les voitures sont chargées à l'abri des murs qui
restent encore debout. Le convoi repart en espaçant,
par prudence, ses voitures et nous sommes bientôt hors
de portée des obus.
Le second îlot est dans un repli de terrain. Il y a
aussi des blessés allemands et français. Un sergent-
major d'alpins demande à se confesser tout de suite. Il
est gravement blessé au pied depuis trois jours et, pri-
sonnier, il a dû rester sous la pluie jusqu'à l'arrivée de
nos troupes. L'amputation se fera dans de mauvaises
conditions. Il le sait et fait courageusement le sacrifice
de sa vie. Je confesse deux autres chasseurs. Les Alle-
mands me disent qu'ils appartiennent à l'Église évan-
géhque. Tandis que nous plaçons les blessés sur les
brancards, le général de division passe avec son état-
major. Il salue les braves qui ont versé leur sang pour
la France. Le sergent-major alpin attire son attention
et une émouvante conversation s'engage :
« Allons, mon garçon, tu seras bientôt guéri!
— Non, mon général, je ne pourrai plus servir, mais
vive la France! »
Troisième îlot dans le village de V..., un charmant
petit village lorrain qu'on a pris, perdu et repris. Le
canon, l'incendie, la fusillade ont tout ruiné. Pas une
maison intacte. La grande rue me rappelle Pompéi et
je vois dans une maison des cadavres affreusement cal-
cinés. Le feu a joint ses ravages à ceux du fer. On
distingue à peine une tête, des bras, des jambes. Le
lieutenant-colonel du ...^ d'infanterie, qui m'accom-
pagne, me demande de le confesser et je l'absous au
milieu de ces ruines tragiques où beaucoup de ses
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 169
soldats ont trouvé une mort glorieuse. Il fallait à teut
prix reprendre le village. On l'a repris, mais que de
vies il a coûtées î
Avant de partir, je bénis la tombe du capitaine M...
qu'on vient d'inhumer. Je bénis aussi plusieurs fosses
que la prévôté fait creuser pour recevoir les morts
qu'on a relevés dans les environs, pauvres tombes
anonymes où ils seront perdus comme les marins
enfouis dans l'Océan, mais qui auront du moins reçu
la bénédiction de l'Église.
Non loin du village ruiné, nous visitons en passant
les tranchées allemandes. Elles sont profondes et habi-
lement conslruites. Mais nous y constatons les effets
redoutables de notre artillerie. Les Allemands y sont
couchés par files et affreusement mutilés. Leur effroi
dut être grand et la fuite des survivants s'est sans
doute précipitée, car nous voyons des armes et des mu-
nitions en grand nombre abandonnées par les fuyards.
Encore des cadavres. L'un d'eux a une expression
sublime de paix et de résignation dans la mort. Un
autre tient entre ses mains la photographie d'un petit
enfant, son fils sans doute, qu'il a voulu revoir en mou-
rant. Mais le plus souvent les morts ont le visage
noirci et méconnaissable.
Dernière halte. Nous recueillons encore quelques
blessés allemands. L'un d'eux est moribond. Je l'absous
conditionnellement, ignorant s'il est protestant ou ca-
tholique.
Hélas! voici la pluie qui tombe, la pluie tant redoutée
du soldat. Les voitures sont occupées par les blessés.
Nous marchons dans la boue, sous l'ondée qui devient
bientôt torrentielle. Passe l'automobile du général de
division qui m'offre aimablement une place. Je refuse,
170 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
bien entendu, car il ne faut pas que Taumônier redoute
Teau plus que le feu. Il est six heures quand nous arri-
vons au cantonnement pour prendre notre déjeuner.
Ce sera le seul repas d'aujourd'hui. On se bouchonne
vigoureusement, on avale une bonne soupe chaude et
on va dormir dans la paille, la conscience tranquille,
après cette journée bien remplie pour le bon Dieu et
pour la France.
*
Nous avions des blessés à relever au village d'A...,
où sont nos extrêmes avant-postes. Deux expéditions
fructueuses, mais fatigantes, ont été dirigées vers ce
point. La première fut une marche de nuit. Il eût été
téméraire de faire passer en plein jour notre convoi
sur une route soigneusement repérée par l'artillerie
allemande et copieusement arrosée d'obus. Nous atten-
dîmes la tombée de la nuit et nos voitures s'avancèrent
lentement, sans lanternes, vers le village d'A... On
avait recommandé aux brancardiers de ne pas fumer
et de ne pas causer, afm d'éviter toute lueur, tout bruit
qui aurait pu attirer l'attention de l'ennemi. Le convoi-
fantôme avança en bon ordre ses voitures, chargea ses
blessés et revint à l'ambulance vers deux heures du matin .
La marche de jour fut également réussie, mais plus
fatigante. Un îlot de blessés avait été signalé dans les
dernières maisons du village; quelques-uns étaient
grièvement atteints et ne pouvaient attendre. Il fallait
marcher sans retard à leur secours, malgré le danger.
On partit à midi par le bois. Les chemins, détrempés
par la pluie des jours précédents, étaient chargés d'une
boue épaisse et grasse dans laquelle piétons et chevaux
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 171
se débattaient péniblement. Il fallut ainsi peiner durant
6 kilomètres. A l'orée du taillis, 1.500 mètres nous
séparaient encore du village. Les aumôniers, les majors,
les porteurs de brancards, les muletiers franchirent
rapidement la crête dangereuse sans essuyer la moindre
fusillade. Les blessés assis furent chargés sur les caco-
lets; ceux qui devaient être étendus se virent placer
sur les brancards que des équipes de quatre hommes
enlevèrent sur l'épaule et transportèrent jusqu'aux voi-
tures. Il fallut reprendre ensuite la route boueuse où
chevaux et mulets s'arrêtaient épuisés. Toute la nuit,
le va-et-vient continua, et au matin nos chers blessés
étaient réunis à Tambulance de B..., attendant les
grandes automobiles qui les évacuent sur la ville pro-
chaine, à 15 kilomètres.
Quand on écrira l'histoire de ce douloureux mois, il
faudra rendre hommage à tous les dévouements, même
aux plus humbles et aux plus cachés. Le rôle des infir-
miers, des brancardiers et de leurs auxihaires, moins
brillant que celui des troupes combattantes, ne mérite
pas moins l'estime et la reconnaissance de la patrie.
Il faudra décrire aussi les scènes touchantes que
provoque l'arrivée de l'aumônier dans la grange où
gisent les blessés, que ce soit pendant la nuit, aux
lueurs indécises d'une lanterne, ou sous le soleil aveu-
glant de septembre, dans les rayons duquel dansent les
mouches toujours innombrables autour des plaies; il
est l'ange consolateur, l'ami de tous, le très bienvenu.
— Salut, mes amis 1 Ah ! les braves petits soldats qui
ont versé leur sang pour la France ! Soyez fiers et
heureux. On vient vous sauver. Nous allons vous trans-
porter où vous serez si bien soignés! Où es-tu touché,
mon petit?
172 LA RELIGION DANS l' ARMÉE FRANÇAISE
— Monsieur l'aumônier, c'est dans les jambes. Et
puis il y en a une autre qui m'a traversé le bras
gauche.
— Ce n'est rien! Ces blessures-là sont vite guéries.
Tu pourras bientôt revenir te battre et nous entrerons
ensemble à Berlin. Et toi, mon vieux?
— Monsieur l'aumônier, c'est dans le ventre, un
éclat d'obus. Oh ! je souffre !
— Bah! on te guérira tout de même. Mais il ne faut
rien manger ni boire avant qu'on t'ait pansé à l'ambu-
lance. Offre tes souffrances au bon Dieu pour la France.
Avais-tu pu te confesser avant la guerre?
Suivent les plus touchantes, les plus émouvantes
confidences.
— Ah ! monsieur l'aumônier, vous êtes bon de venir
nous chercher ! C'est bien courageux de vous exposer
au danger sans y être obligé... Voyez ma médaille,
c'est elle qui m'a protégé... Voyez la photographie de
mon petit garçon. Croyez-vous que je le reverrai? Oui,
je m'étais confessé avant de partir et je dis ma prière
tous les matins.
Tous ces chers blessés acceptent volontiers de se
confesser et reçoivent l'absolution dans des dispositions
excellentes. Sans doute le ministère sacerdotal à l'am-
bulance est fécond et consolant, mais combien plus
fructueux celui que j'appellerai le « ministère des
granges » ! Comme le pauvre soldat se sent rapproché
de Dieu, comme lui reviennent en foule les souvenirs
de son enfance chrétienne, dans ces moments qui sui-
vent le combat, où il souffre dans sa chair ensanglan-
tée, où il entend les gémissements de ses camarades,
où parfois son voisin n'achève pas la plainte commencée
parce que la mort est venue le raidir.
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 173
L'aumônier circule parmi les pauvres corps doulou-
reux. Il s'agenouille auprès de chacun, écarte la paille
pour voir et signaler tout à l'heure aux brancardiers
les blessures reçues ; il encourage, reçoit les aveux, fait
descendre le divin pardon.
Oh ! ces granges des villages-frontières, que de
grandes et saintes choses leurs vieux murs ont con-
templées !
* *
Au « poste de secours », le rôle de l'aumônier est à
peu près identique. Il console, il réconforte, il absout.
Il distribue aussi pastilles, eau de méhsse, cigarettes.
Des amis prévoyants nous ont envoyé quelques flacons
d'eau de Cologne (ou plutôt de Louvain). J'en ai tou-
jours en poche et j'en verse quelques gouttes sur les
moustaches des blessés. C'est une joie pour eux de
« sentir bon » pendant quelques minutes. L'acre odeur
du sang est si pénétrante! Elle s'imprègne dans les
vêtements, elle imbibe la paille.
Les majors sont pleins d'attentions pour nous.
— Monsieur l'aumônier, vous ferez bien de voir
d'abord ce blessé. Il n'a presque plus de pouls. Cet
autre peut attendre.
En retour, nous les aidons. Nous secondons au be-
soin brancardiers et infirmiers. J'éclaire de ma lampe
électrique un de nos jeunes médecins auxihaires, qui
désinfecte à la teinture d'iode et entoure de bandages
le bras affreusement déchiqueté d'un jeune alpin. J'aide
à mettre dans la voiture ce sergent dont le pied gauche
a été emporté. Je donne mon mouchoir à ce pauvre
« biffm » qui avait perdu le sien.
Les blessés nous font leurs recommandations :
174 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
— Monsieur l'aumônier, cherchez dans la poche de
ma capote. Prenez dans mon porte-monnaie un papier
de 5 francs. Voici ce que vous allez en faire...
Un grand adjudant à la moustache rousse ne peut
parler, car une balle lui a fracassé la mâchoire; il
remercie du regard et d'une énergique poignée de
main.
Mais voici le vrai blessé français : un petit gars
imberbe, presque un gosse.
— Qu'avez-vous, mon lieutenant?
— Oh! presque rien^ une égratignure! Je viens d'ail-
leurs de faire deux kilomètres.
Le médecin principal, qui est arrivé à cheval et
vérifie les pansements, se fâche :
— Mais, mon lieutenant, vous avez le genou tra-
versé par une balle! Je vous défends de marcher.
Le petit officier sourit. Pas un muscle de son visage
n a bougé pendant qu'on renouvelait ses bandages. Je
cause un moment avec lui. Il a de qui tenir. C'est un
parent de mon ami L..., un des plus jeunes et des plus
zélés curés de Paris. La voiture s'ébranle.
— Au revoir, mon lieutenant!
. — A bientôt! Je ne tarderai pas à rejoindre. Et vive
la France I
*
Cette fois l'aumônier est à l'ambulance mobile, un
soir de combat. L'église a été aménagée tant bien que
mal. On a aveuglé la brèche qu'un obus fit dans la
voûte. Les trois nefs et le sanctuaire sont garnis de
paille. Un poêle brûle qui donnera au moins l'illusion
d'un peu de chaleur. Les blessés se plaignent encore
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 175
plus du froid que de leurs plaies. Il a plu tout le jour,
les capotes sont transpercées. Nous couvrons de paille
les pauvres membres transis. Nous enlevons les sou-
liers boueux.
A l'école, les salles, plus petites, sont bien chauffées
et les blessés graves y sont mieux. La cuisine, en
pleine activité, fournit toute la nuit pain, viande,
bouillon et tisane. Les infirmiers ne cessent pas de
circuler dans les rangs, emplissant les t quarts » de
chaud breuvage qui réconforte. Je les aide dans la
distribution. Une école libre m'avait fait, la veille, un
bel envoi de chocolat et de cigarettes. J'ai pu faire une
« tournée » générale qui a été accueillie avec gra-
titude. Beaucoup d'hommes me reconnaissent.
— Monsieur l'aumônier, vous m'avez confessé à M...,
vous vous rappelez bien?
— Monsieur l'aumônier, vous souvenez- vous de D...
qui était frère et qui était allé vous voir à P...?
Pécaïré! il a été tué d'une balle dans la tête, à côté
de moi!
Un lieutenant corse me montre sur sa poitrine le
scapulaire que sa fille lui a envoyé. Cet adjudant
avait été blessé une première fois et envoyé en conva-
lescence à Lourdes. Il parle avec ravissement de son
séjour dans la petite ville pyrénéenne. « On nous
donnait, pour marcher, les béquilles que les miraculés
ont laissées à la grotte! On nous promenait dans les
petites voitures des malades! »
Je console, j'absous..., la nuit se passe.
Un bruit de trompes, sur la place, devant l'éghse.
C'est le convoi sanitaire automobile qui arrive. Ses
grandes voitures chargent nos blessés et les emportent
à bonne allure vers les hôpitaux de V... Avant le
176 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
départ du dernier <( chargement », j'ai dit la messe.
Très respectueusement, les infirmiers ont suspendu
leur service. Les blessés mettent une sourdine à leurs
plaintes. L'un d'eux sort même de son sac un petit
livre de prières, fort usagé, et suit l'office. Gomme on
prie bien dans cette petite église lorraine, au bruit du
canon, devant ces soldats aux uniformes lacérés et
boueux. Le sang de France, généreusement versé,
met sa note de pourpre glorieuse sur les bandages :
il se présente ainsi au sang du Christ offert sur Tautel.
*
J'ai revu le tableau célèbre Salut aux blessés, mais
dans la réalité de la vie^ sur une route boueuse de
Lorraine. J'accompagnais un convoi et nos voitures
d'ambulance avançaient lentement pour éviter les chocs
douloureux à nos chers voyageurs sanglants et meur-
tris. A un tournant du chemin, d'ailleurs étroit, le
maréchal des logis qui chevauchait en tête clama un
retentissant : à droite! et fit avec énergie les signaux
du bras auxquels doivent obéir tous nos conducteurs.
Il venait d'apercevoir une petite troupe de cavaliers et
avait reconnu le fanion du commandant de corps. Le
général fit un geste et, au lieu de laisser notre colonne
s'immobiliser sur le côté pour lui livrer le passage, ce
fut lui qui fit ranger ses chevaux dans le fossé. Tout
le temps que dura notre défilé, il se tint raide sur ses
étriers, la main au képi, dans l'attitude d'un respect
ému et reconnaissant. C'était le chef qui voulait honorer
et remercier les braves soldats qu'il avait envoyés au
feu, pour la France. Et quels regards lui jetaient nos
blessés! Ils étaient un peu étonnés de cet hommage
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 177
inattendu, mais heureux et fiers de le recevoir, l'ayant
bien mérité. Ceux que nous appelons les « blessés
assis », atteints aux bras, aux épaules ou légèrement
à la tête, et qui se tiennent sur la banquette d'avant,
se penchaient vers les camarades couchés dans la voi-
lure, sur les brancards : « Eh! bien, mon colon, tu
parles ! Le vieux qui nous salue ! Ah ! il est bath ! »
Veut-on un autre tableau? Ecoutez et tâchez de vous
représenter cette scène. L'affaire a été chaude. On
relève les blessés* L'aumônier se tient à Forée du bois,
le plus près possible du champ de bataille, et il surveille
l'arrivée des escouades de brancardiers pour n'en man-
quer aucune. Voici une équipe. Quatre solides gaillards
portent sur l'épaule le brancard où repose un jeune
soldat. Malgré sa grande taille, l'abbé doit se hausser
pour parler à l'oreille du blessé et lui serrer la main.
— C'est l'aumônier, mon petit, qui vient te recevoir
et prier avec toi. Souffres-tu beaucoup?
Le pauvre enfant ne peut répondre. Il a la mâchoire
fracassée. Mais ses yeux brillent. Il dégage sa main de
celle du prêtre et lentement, gravement, la lève vers
le ciel qu'il montre de l'index, comme pour dire que
là est désormais toute son espérance...
N'est-ce pas un sujet digne d'inspirer un peintre
chrétien?
L'autre jour un adjudant se mourait. Il avait reçu
l'absolution, le viatique, l'extrême-onction. L'aumônier
l'exhortait à faire généreusement le sacrifice de sa vie.
— « Oui, mon Père, répondail-il, je veux faire tout ce
qu'il faut. Dites-moi bien tout ce que je dois penser et
exprimer. »
Puis au bout d'un instant :
— « Mon Dieu, aidez-moi! C'est dur, vous savez!
12 — Fr.
178 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
Car j'aimais bien la vie. Mais il le faut! Mon Dieu,
soutenez-moi , poussez-moi...! »
Et il mourut en renouvelant Toffrande généreuse et
en acceptant la mort.
III. — Le prêtre-soldat.
On a tant parlé dans la presse des prêtres officiers,
— qui sont très nombreux, — si souvent cité leurs
exploits, que je préfère donner quelques notes sur ceux
qui occupent des grades plus modestes ou sont simples
soldats. Gommeilt ne pas citer cependant ce mot d'un
capitaine de chasseurs alpins en me désignant l'abbé P.
et l'abbé M. : « Vous savez, Monsieur Taumônier, que
ces deux petits curés comptent parmi les meilleurs offi-
ciers du bataillon. » Le second fut blessé à la cuisse,
à la fin du combat de F., en se portant au secours d'un
de ses hommes qui était tombé mourant sur les fils de
fer et qui l'appelait : « Monsieur Tabbé, venez me donner
l'absolution, » L'autre jour, je saluais avec émotion la
mort d'un sous-diacre de Saint-Sulpice, l'abbé M., qui
fut un officier si remarquable et si regretté.
Voici maintenant quelques types de prêtres sous-
officiers ou simples soldats.
C'est d'abord un jeune Aveyronnais, l'abbé M., or-
donné prêtre à la fin de juin dernier et rejoignant
comme réserviste son régiment aux premiers jours de
la mobihsation.
Il est le seul|prêtre de sa compagnie. On le connaît
comme tel. Beaucoup se recommandent à ses prières et
ne sont pas éloignés d'attribuer à leur efficacité le fait
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 179
d'avoir été préservés jusqu'à ce jour. Parfois un cama-
* rade, qui n'a pu joindre l'aumônier, se confesse à lui.
En plusieurs rencontres, au moment de la charge ou
sous une rafale d'obus, on lui demande l'absolution en
promettant de faire une confession complète si on en
revient. Jamais, devant lui, un mot déplacé. On le res-
pecte, on l'estime, et toute la compagnie a applaudi
quand l'abbé, qui a la confiance du capitaine, a été
promu sergent-fourrier.
Un autre trait.
« Un jour, me raconte Tabbé M., dans une maison
ruinée par les obus, mes camarades trouvent un assez
beau crucifix. Aussitôt, ils sont d'accord : on va le don-
ner à l'abbé. Ils me l'apportent en effet à la tranchée
et, en les remerciant de leur attention, je l'installe
contre notre mur de terre, bien en évidence, comme le
Maître et le Protecteur. Je récite mes prières devant
Lui. Plusieurs hommes suivent mon exemple. Quand
arrive la relève, nous passons le crucifix « en consi-
gne » à la compagnie qui nous remplace. Un jour, un
caporal est blessé assez grièvement à l'avant-bras dans
la tranchée voisine. On l'envoie se reposer dans la
nôtre en attendant qu'il soit évacué. Je lui adresse
quelques paroles de réconfort. C'était un avocat, fervent
chrétien. « Le bon Dieu, dit-il, m'a protégé. — Il
« nous protège aussi, répondis-je en lui montrant notre
« crucifix. » Alors il se lève malgré sa blessure dou-
loureuse et il va en rampant baiser les pieds du Sau-
veur en croix. Tous les camarades étaient émus, un
sergent surtout, qui appartient à la religion protestante.
« Ce même sergent me montrait ces jours-ci la lettre
qu'il écrivait à son père, après avoir assisté à une de
nos cérémonies, pour s'excuser de fréquenter une église
180 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
catholique : « L'aumônier, disait-il, nous donne tant
« de courage par ses vibrantes allocutions. »
« Il n'est pas rare, du reste, qu'on me communique
les lettres envoyées ou reçues. Je me rappelle celles
qu'un Corse recevait de sa femme. « Le soir, lui écri-
« vait-elle, après avoir prié pour toi, nous allons sur la
« route qui regarde vers la France, pour voir si tu re-
« viens. » Et sa petite fille de sept ans avait ajouté,
d'une plume encore inhabile, mais très appliquée :
« Vive la France ! »
S'il y a une inhumation pour laquelle on ne peut
avertir l'aumônier, l'abbé M... est appelé. En l'atten-
dant, un factionnaire est placé auprès du mort. L'abbé
me raconte avec émotion le premier enterrement qu'il
fit, le 31 août, dans le bois de X..., en Meurthe-et-
Moselle. Le matin, vers 4 heures, un homme était tué
par un éclat d'obus. Aussitôt, le capitaine donne ses
ordres. Il fait avertir un parent du défunt qui appartient
à une autre compagnie. Quelques camarades, avec
leurs outils de campement, creusent la tombe. Ni fleurs
ni couronnes, hélas! pour l'orner. Pas même un peu
de paille pour en tapisser le fond, pas même une toile
de tente pour envelopper le mort. Il n*aura pour suaire
que sa capote et un mouchoir qui couvrira son visage.
Mais tant de bonnes volontés se sont empressées qu'au
lieu d'une croix on en a fait deux avec de petits arbres
dégrossis à la hachette et au couteau. L'une sera à la
têtB du mort et l'autre aux pieds. Le fourrier prête son
crayon bleu p'our in^r^ire le nom du défunt, le lieu et
la date de sa mort, avec une invocation pieuse. A mi-
voix, car l'ennemi est proche, les commandements sont
prononcés. La compagnie tout entière met baïonnette
au canon et forme le carré. L'abbé, qui n'est encore
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 181
que soldat de l""^ classe, s'avance au milieu, près du
corps. Tout nouvellement ordonné prêtre, c'est le pre-
mier enterrement qu'il préside. N'ayant ni rituel, ni
livre de prières, il récite le De Profiindis avec les ver-
sets et oraisons que sa mémoire a retenus. Le capitaine
prend ensuite la parole ; il salue le mort au nom de ses
camarades et il adresse à ceux-ci des encouragements,
des appels à la confiance, à l'énergie, à la bravoure. En
finissant il jette une poignée de terre sur le corps qui a
été descendu dans la fosse et il le bénit d'un large signe
de croix. « Reposez armes! » Maintenant les lieute-
nants, les sous-officiers, tous les hommes défilent devant
la tombe et chacun, en passant, imitant le geste du
capitaine, trace de la main droite une grande croix sur
celui qui a versé son sang pour la France.
C'était le huitième mort de la compagnie depuis le
commencement de la campagne. Dix autres sont tom-
bés encore, de septembre à janvier, et cinq de plus ont
succombé à leurs blessures. Pour ces vingt-trois vic-
times de la guerre, l'abbé M... eut l'idée de célébrer
une messe. Le capitaine y acquiesça volontiers et les
aumôniers organisèrent une belle cérémonie. L'un d'eux
dirigeâtes chants, l'autre prononça une allocution avant
l'absoute. Il lut d'abord la liste des morts au champ
d'honneur et engagea leurs camarades à prier pour
eux, à garder leur souvenir, à imiter leur courage. Il
félicita la compagnie d'avoir toujours fait bravement
son devoir, d'avoir mérité des citations, d'avoir vu
trois de ses sous-officiers promus au grade de sous-
lioutenant... Les hommes étaient émus d'entendre ainsi
évoquer leurs morts et rappeler les grands devoirs mili-
taires. Ce fut vraiment une cérémonie familiale et
patriotique.
182 LA RELIGION DANS l'ARMÉE FRANÇAISE
Un autre prêtre-soldat, c'est l'abbé B... Je l'appelle
« le confesseur », et vous allez voir qu'il mérite bien ce
titre. C'est aussi un jeune prêtre de la dernière ordi-
nation, cinq semaines avant la guerre. Il est de la
classe 1909. Le 2 août, il rejoint son régiment et je
crois bien qu'il commence à confesser dans le train. Il
continue à la caserne où il a quitté sa soutane pour
prendre la capote. Il confesse dans îa chambrée, dans
la cour, dans les rues. Ses anciens camarades de l'ac-
tive le reconnaissent : il a bien vite fait connaissance
avec les autres.
« Notre premier combat, me raconte-t-il, fut à (1...,
le 9 août. Je confessai tout le temps. Vous savez que
l'infanterie procède par « bonds » pour donner moins
de prise au feu de l'ennemi. Je faisais un bond à côté
d'un camarade, je lui donnais l'absolution, puis je pas-
sais à un autre pour « bondir » avec lui, en lui propo-
sant de le réconcilier avec le Bon Dieu. Tous accep-
taient; je n'eus pas un refus. J'arrivai ainsi jusqu'à
âO mètres des Allemands et pourtant je ne reçus pas
une seule blessure.
« Les jours suivants, mes camarades m'abordaient
dans les champs, partout, pour me demander de les
confesser.
« Le 19 août, nouveau combat et je procédai comme
la première fois. Le lendemain, ma compagnie fut
d'abord soutien d'artillerie, puis marcha sous un oura-
gan de feu, et je confessais toujours. Beaucoup de mes
camarades voulaient être près de moi et refusaient de
me laisser partir. « Restez, disaient-ils, si nous sommes
touchés, vous nous donnerez une dernière absolution. »
« A L..., au commencement de septembre, j'ai aussi
beaucoup confessé à un moment où nous nous sommes
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 183
crus cernés. Je me rappelle même trois pauvres cama-
rades que je m'apprêtais à absoudre, quand ils tom-
bèrent successivement frappés par des balles.
« A B..., nous étions à l'arrière-garde, devant un
pont qu'on allait faire sauter. Le danger était grand
pour nous. Presque tous mes camarades, adjudant en
tête, acceptèrent volontiers de se confesser; deux seu-
lement voulurent attendre, mais me demandèrent avec
simplicité, de courir vers eux s'ils étaient blessés. Un
instituteur commençait sa confession, quand vint l'ordre
de se replier; je ne l'ai plus revu et il a été tué. Le
Bon Dieu aura tenu compte de sa bonne volonté. »
Epuisé de fatigue, l'abbé B... est envoyé, pour quinze
jours, à un dépôt d'éclopés. Il revient au corps le
3 octobre et, à cause des remaniements imposés par les
pertes, il est affecté à une nouvelle compagnie, malgré
les réclamations de son ancien capitaine qui voulait le
garder, « pour avoir un prêtre avec lui ».
L'abbé B... continue son ministère avec le même zèle
et rencontre la même bienveillance de la part des chefs,
qui se succèdent au commandement de la compagnie :
un lieutenant, un sous-lieutenant, un nouveau capitaine.
Il a été nommé adjoint au fourrier, puis caporal, mais
sans escouade, pour être plus libre. Tout le monde le
respecte. Un lieutenant protestant réprimande son
ordonnance, qui disait quelques mots grossiers, — sans
malice d'ailleurs, — devant l'abbé. On appelle celui-ci
« Monsieur B... » ou « Monsieur le Curé ». Personne
ne le- tutoie. Il confesse aux tranchées, dans la neige;
ou, en seconde Hgne, dans un village ruiné. Il préside
des enterrements. Il a préparé un camarade à sa pre-
mière communion. Il a chanté les vêpres de la Tous-
saint sous une rafale d'obus et passé la nuit de Noël,
184 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
avec les aumôniers, à confesser de nombreux soldats.
En somme, il est l'aumônier de la compagnie, le
confrère très sympathique et le collaborateur apprécie
des aumôniers de la division.
Je pourrais citer encore comme prêtre-soldat un maré-
chal des logis d'artillerie, chargé du ravitaillement de
sa batterie. Il réside habituellement dans un petit bourg
qui a été bombardé. Le curé n'est pas encore revenu et
le brave « logis » fait fonctions. Il préside les enterre-
ments en passant simplement une étole noire sur sa
capote d'artilleur. Il chante les vêpres, il prêche, il
visite les malades. Les bonnes gens du pays sont très
contents de son ministère.
IV. — Le prêtre-infirmier.
Ce ne sont pas seulement les prêtres- combattants
(officiers, sous-officiers et soldats) qui apportent à l'au-
mônier militaire un concours précieux. Je ne parle pas
non plus des excellents curés des villages où nous can-
tonnons, qui mettent à notre disposition, avec une bonne
grâce parfaite, leur sacristie, leur presbytère, nous
aidant à confesser nos hommes et à organiser de belles
fêtes religieuses. Je ne dis rien — pour aujourd'hui du
moins — des soldats membres de la Jeunesse catho-
liijue, des Patronages, des œuvres diverses, qui prê-
chent d'exemple, catéchisent des camarades pour les
préparer à la première communion, tiennent l'harmo-
nium... Les auxiliaires dont je voudrais signaler la
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 185
collaboration utile pour les aumôniers militaires sont
les prêtres allacliés au service de santé comme infir-
miers, ou brancardiers.
Prenons d'abord, si vous voulez bien, l'infirmier d'une
ambulance fixe. Elle est installée depuis plusieurs mois
dans une église. Très rudimentairement d'abord, son
aménagement s'est peu à peu complété. La scierie
voisine a fourni des châssis ingénieusement combinés
pour donner aux paillasses une élasticité relative. Un
bon poêle ronfle au milieu de la nef. La sacristie est
transformée en bureau. C'est une manière d'hôpital,
avec plus de pittoresque et d'imprévu.
Le caporal-infirmier de cette ambulance, l'abbé T..,,
dirigeait, « dans le civil «, une Semaine religieuse et
une Croix locale. Avec cette merveilleuse facilité
d'adaptation qui caractérise le jeune clergé français, il
a pris, à l'ambulance, l'allure d'un vieux praticien. Par
son dévouement, son tact, son inaltérable bonne
humeur, il est devenu l'homme indispensable. Le
médecin-chef et l'officier gestionnaire ont pleine con-
fiance en lui ; les infirmiers le consultent en tout et les
blessés le reclament sans cesse. Levé à quatre heures
du matin pour pouvoir dire sa messe, il est prêt, jour et
nuit, à recevoir les éclopés, les malades, les blessés
qu'on lui amène de tous les secteurs de la division. Il
les accueille avec une bonté tendre et virile à la fois
({ui réconforte les plus abattus. Ses tournées dans
l'église et dans les granges-annexes sont attendues
avec impatience; il sème du courage sous ses pas.
L'ambulance a un aumônier zélé qui fait, chaque
jour, sa visite ; le curé de la paroisse vient souvent,
lui aussi, voir les chers soldats; mais, pour les cas
urgents, le caporal est toujours là. Beaucoup d'hommes.
186 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
d'ailleurs, lui font leurs confidences et veulent l'avoir
auprès d'eux quand ils souffrent. « Restez avec moi
pendant l'opération, lui disait un petit engagé volon-
taire de dix-huit ans; tenez-moi la main quand on
m'endormira; j'aurai moins peur. » Hélas! ses chers
pensionnaires s'endorment souvent du grand sommeil,
car on ne le lui laisse que les « intransportables ». Il
les ensevelit pieusement et, revêtant par-dessus sa
capote une douillette et un surplis du curé, il les con-
duit dans le petit cimetière, à la tombe des sol-
dats.
Écoutez ce que me dit un autre infirmier, l'abbé A...,
jeune curé du Midi, au zèle intelligent et averti :
« Le prêtre-infirmier peut aisément administrer les
sacrements, au moment le plus opportun et dans les
meilleures conditions, puisqu'il est constamment auprès
des blessés. Bien qu'il n'ait pas l'avantage de porter la
soutane et qu'il doive faire connaître sa quahté de
prêtre, les mourants acceptent presque toujours son
ministère, qu'il offre avec une discrète bonté.
« Des blessés qui guériront il fera la conquête par
son dévouement sous toutes les formes : soins physiques,
secours moral, conversations divertissantes, petits ser-
vices pour la correspondance, les vêtements, la noui*-
riture. »
Le prêtre attaché à l'ambulance est, à la fois, le
serviteur et l'ami du blessé. Il gagne son estime par les
vertus professionnelles d'infirmier et de prêtre qu'il
fait resplendir. Si le blessé aime le prêtre, il le prend
pour son ami ; s'il l'estime, il l'accepte pour modèle et,
bientôt, il le suivra comme guide.
Quand on a gagné l'affection et l'estime en évitant
avec soin les discussions, en recherchant les idées
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 187
communes, les sentiments qui peuvent sympathiser, les
points où le contact s'établit aisément, l'esprit du blessé
s'élève peu à peu, les préjugés et les préventions se
dissipent, les âmes se trouvent en accord harmonieux.
Ce n'est pas à dire que le prêtre ne parle pas en prêtre
au blessé; mais s'il s'exprime sacerdotalement, il ne
prêche pas, ou plutôt il prêche surtout par sa vie,
par le soin qu'il met à ne pas laisser paraître ses
défauts d'homme, par le souci constant d'appuyer à la
vertu surnaturelle permanente sa sympathie humaine,
qu'émousserait le contact prolongé avec la souf-
france.
L'abbé A... fut quelque temps chargé du dépôt
d'éclopés établi dans un village. Il y fit beaucoup de
bien comme infirmier intelligemment dévoué et comme
prêtre vraiment apostolique. Ses réunions religieuses
dans la vieille église étaient très fréquentées. « J'ai
remarqué, me disait-il, l'importance essentielle des
exercices publics : cha^t, prédication, prière : les trois
sont indispensables. » C'était comme une petite paroisse
militaire dont il avait la direction.
L'ambulance volante ou divisionnaire est comme
un poste de secours en grand qui vient s'installer à
proximité du champ de bataille, assez près pour que les
blessés puissent lui être apportés rapidement; assez
loin pour se trouver à l'abri des balles et des obus
et permettre que les pansements soient vérifiés et
les opérations pratiquées avec la sécurité et le calme
nécessaires. Chaque corps d'armée a un certain
nombre de ces ambulances, qui fonctionnent à tour
de rôle.
Dans chacune, le personnel est affecté à des services
divers et bien déterminés.
188 LA RELIGION DANS l' ARMÉE FRANÇAISE
L'abbé R..., du diocèse d'Aix, me donne à cet égard
d'intéressantes précisions.
L'infirmier-prêtre est chargé de la table d'opération ;
son rôle sacerdotal est quasi-nul. Un blessé est apporté
par les brancardiers. On ouvre ses vêtements ; on les
coupe parfois avec les grands ciseaux recourbés. Le
major examine la blessure; avec ou sans intervention
chirurgicale, on renouvelle le pansement s'il n'a pas
paru suffisant : on rajuste la capote, et à un autre !
Songez que ces ambulances reçoivent parfois, en une
nuit, plusieurs centaines de blessés à évacuer pour
l'intérieur. Sans doute, au besoin, le prêtre-infirmier
pourra donner une absolution discrète, mais c'est tout.
Il ne peut entraver, ni relarder le service chirurgical.
L'infirmier est-il porteur? Prend-il les blessés aux
voitures pour les amener dans la salle qui doit les
recevoir, et vice-versa? Son temps, alors, est très pris.
Il peut, cependant, entre deux transports, s'arrêter
quelques instants auprès d'un blessé que la gravité de
son état rend plus intéressant, lui laisser quelques
bonnes paroles, lui proposer même, avec tact, les
secours religieux.
Ce rôle est plus facile à l'infirmier chargé de la sur-
veillance générale de la salle. Il est plus libre de ses
mouvements, comme le tisanier ou le distributeur de
nourriture. Il peut donner aux blessés, en temps voulu,
les consultations religieuses.
Au bureau des entrées se trouvent deux infirmiers,
dont un gradé. Si l'un d'eux est prêtre, il lui est pos-
sible d'exercer son ministère, du moins dans une cer-
taine mesure. C'est à ce bureau qu'on inscrit les blessés
dès leur arrivée. Les indications utiles sont recueillies :
nom, grade, régiment, compagnie, lieu et date de nais-
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 189
sance, domicile et diagnostic noté sur la fiche dont cha-
cun a été muni au poste de secours régimentaire. CeLte
dernière indication renseigne l'abbé-infirinier sur l'état
du blessé; il a vite pesé la gravité de la blessure. Lors-
qu'il n'y a pas affluonce continue aux entrées, il peut
consacrer son temps libre aux plus graves. En tous
cas, il indique à l'aumônier, ou, à son défaut, à quelque
brancardier-prêtre, les plus gravement atteints pour
qu'on s'occupe d'eux immédiatement.
Quoi qu'il en soit, les longs entretiens sont impos-
sibles. Il faut aller vite. Les blessés sont nombreux et
ne passent que fort peu de temps à l'ambulance divi-
sionnaire avant d'être évacués sur les hôpitaux de l'ar-
rière. Mais ces instants peuvent être utilement employés.
Le blessé qui arrive du champ de bataille a le senti-
ment très douloureux de la cruauté de la guerre et Tim-
pression atroce de la solitude et de Tabandon devant la
souffrance brutale. Il a froid, il a soif, ses plaies sai-
gnent, tout son pauvre corps est meurtri. Dans le con-
tact rapide avec l'infirmier-prêtre, iltrouve l'impression
d'être compris, aimé, réchauffé; il n'est pas seul. C'est
le pauvre voyageur transi, perdu, inquiet, qui passe de
la nuit humide et froide à un logis chaud et bien abrité,
où des bras affectueux se tendent vers lui. Un sourire,
une parole, un encouragement, et surtout l'espérance,
— espérance humaine d'abord — le tout imprégné de
confiance en Dieu et d'esprit surnaturel, voilà le pre-
mier contact heureuseînent établi.
Il ne faut pas plaindre le blessé ; ce serait lui rendre
un mauvais service. On le replierait sur lui-même, on
aggraverait son découragement, on cultiverait son
égoïsme. Mieux vaut l'armer contre sa douleur, et sur-
tout l'en distraire; c'est une façon de l'en libérer et de
190 LA RELIGION DANS L* ARMÉE FRANÇAISE
faire qu'il n'en soit plus l'esclave. Une tasse de bouillon,
de tisane ou de thé, et, — si le major le permet, — une
cigarette? J'ai souvent remarqué Tinfluence heureuse
de cette petite fumée bleuâtre que le blessé chasse de
ses lèvres. Peut-être aperçoit-il, à travers ses volutes,
comme dans un doux mirage, la maison paternelle et
tous ceux qu'il aime. Peut-être aussi le fait qu'on lui
offre une cigarette le rassure-t-il sur son état : il n'est
pas donc si malade, sa blessure n'est sûrement pas mor-
telle puisqu'on lui propose de fumer. Je connais un
prêtre qui ne fume jamais et qui a toujours les poches
pleines de tabac pour ses chers blessés. C'est souvent la
cigarette qui amorce la conversation.
Cette conversation ne peut être, bien entendu, une
prédication ; le temps est trop court. Mais le blessé sent
bien vite le contact d'une âme sacerdotale; il devine le
prêtre dans l'infirmier. Celui-ci remplit ses deux rôles
sans les sacrifier l'un à l'autre. Il laisse dans les âmes
qu'il touche une bonne semence qui lèvera sans tarder.
Comme la Providence aime à se jouer des calculs
humains! Les hommes politiques ne se doutaient pas
que, par la loi des curés sac au dos, ils allaient donner
au ministère sacerdotal de nouveaux champs d'action et
des moyens inédits d'atteindre les âmes. C'est pourtant
ce qui est arrivé; la vie religieuse que nous venons de
constater dans l'armée française est une de nos plus
fermes raisons d'espérer que Dieu nous donnera la vic-
toire et ramènera la France entière à ses chrétiennes
traditions.
G. Ardant,
chanoine honoraire^ aumônier militaire.
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 191
De la profondeur du mouvement religieux qui s'est
manifesté dans l'armée française et comment les
œuvres catholiques de jeunesse l'ont préparé.
Tout homme de bonne foi et bien informé, en France
et à l'étranger, ne peut manquer d'être frappé du carac-
tère particulier qu'a pris dans notre pays la rude guerre
qu'il soutient, de l'énergie de notre jeunesse et de son
endurance, de l'élévation morale et de l'esprit reli-
gieux de notre armée : « Votre armée, me disait, à
Rome même, un cardinal, en décembre dernier ; votre
armée, elle est la plus religieuse de l'Europe et peut-
être de toutes celles que l'on a vues au cours de l'his-
toire! » Les notes d'un aumônier militaire que l'on
vient de lire en ont fourni la preuve.
Cette constatation étonne d'autant plus qu'avant la
guerre, il n'y a pas plus de quelques mois, on ne s'en-
tretenait guère que de notre décadence, les uns pour la
déplorer, les autres pour s'en réjouir; on parlait volon-
tiers de notre mollesse, de notre goût pour la vie facile,
de la crainte que nous inspirait la guerre, du parti pris
de Téviter qui semblait solidement ancré chez nous.
Et c^était vrai, hélas! pour un très grand nombre; et
cela s'associait à un internationalisme de mauvais aloi
et à un esprit d'irréligion qui, par l'école laïque, sem-
blait destiné à conquérir toute la France !
Cependant, il y avait, depuis quatre ou cinq ans au
moins, des signes incontestables de relèvement; de
nombreux écrivains s'étaient plu à les noter; et, pour
mon humble part, je les avais mis en lumière, avec
joie, dans plusieurs discours.
192 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
La jeunesse revenait en grande partie à un idéal
patriotique et à un idéal religieux qui avaient fait
défaut à la majorité de la génération précédente. Et
cette jeunesse se montrait prête à nous donner deux
magnifiques leçons, la leçon du soldat, la leçon du chré-
tien.
Car les deux choses semblaient liées et elles demeu-
rent liées : soldat et chrétien! N'en soyons })as sur-
pris : c'était tout simplement le retour à la tradition,
aux doctrines de bon sens qui assurent la vie des
nations, tandis que les doctrines contraires les tuent.
Pourquoi ce changement et comment l'expliquer?
Les fatalistes, les déterministes, et ils sont nombreux,
disent volontiers : il y a des courants à certaines
époques qui saisissent, sans qu'on sache trop pourquoi,
toute une nation; l'histoire n'est qu'une succession
d'actions et de réactions.
Rien de plus vrai en un sens; mais ces courants ne
se forment pas et de se dirigent pas tout seuls; ces
actions et ces réactions, dans l'ordre moral, ne sont pas
fatales.
Il y a des agents; et ces agents, il est possible de les
découvrir, pourvu que l'on s^en donne la peine.
Les agents principaux du renouveau patriotique et
religieux furent tout simplement les éducateurs catho-
liques; celui qui écrit ces lignes s'est efforcé de le
montrer, quelques semaines avant la guerre, dans
un discours qu'il prononçait à Amiens, sur ce sujet :
Qu' attendons-nous de la jeunesse que nous formons?
A ces éducateurs catholiques, nous devons trois caté-
gories d'œuvres, étabhssements d'enseignement à tous
les degrés, ligues et associations, patronages qui sont
devenus les cadres d'une part considérable de la jeu-
LA RELIGION DANS L ARMEE FRANÇAISE 193
nesse contemporaine; là, se sont formés quantité d'offi-
ciers et de soldats qui, mêlés au reste de l'armée,
devaient y opérer comme un ferment (1).
Le milieu même où ils allaient agir était devenu
moins réfractaire. L'admirable désintéressement de
notre clergé qui s'était laissé dépouiller de tout pour
obéir à un ordre du Saint Père et le zèle vraiment
extraordinaire dont nos prêtres avaient fait preuve,
une fois libérés des entraves et des précautions que leur
imposait le Concordat, tel que l'appliquait un État hos-
tile,avaient touché les plus indifférents; la masse était
prête à accepter l'action des bons et fidèles catholiques,
si une occasion favorable se présentait. La guerre fut
cette occasion.
Nos œuvres s'étaient proposé, — je le Hs dans le
prospectus même de l'une d'entre elles, — « -le groupe-
ment patriotique et V orientation chrétienne des jeunes
Français ».
Les œuvres, écoles, associations, patronages, sou-
mises à la direction de l'Etat laïque tendaient à un tout
autre but. Beaucoup, la plupart de ceux qu'elles ont
élevés, se sont, j'aime à le reconnaître, conduits, une
fois la guerre déclarée, en bons Français ; mais il leur
a fallu, du jour au lendemain, se retourner contre l'édu-
cation qu'ils avaient reçue. L'instinct national, le dan-
ger de la patrie, a réveillé en eux la foi patriotique; du
même coup, ils ont pris en dégoût toutes les leçons de
leurs premiers maîtres; la foi patriotique les a inclinés
vers la foi religieuse ; ce fut le cas d'illustres écrivains,
1) « La prépara lion psychologique do la guerre de 1!)14 aura prouvé
un'' fois de plus qu'une élile agissante vaut mieux qu'une foule amorphe
pour obtenir un résultat déterminé. « Maurice Vaussard, Pour ceux qui
survivront, Havuc pratiqua d'apologétique, l*"" avril l'Jiû.
13 — Fr.
194 LA RELIGION DANS L ARMEE FRANÇAISE
et ce l'est encore aujourd'hui de quantité d'élèves et
même de maîtres des plus laïcisées de nos écoles.
Dans la voie nouvelle où Ils entraient, ils trouvaient
pour guides des hommes qui unissaient les deux fois
patriotique et chrétienne, non seulement les prêtres et
les religieux que la loi miUtaire avaient versés dans
l'armée, non seulement ces admirables officiers de car-
rière sortis de nos grandes écoles préparatoires, telles
que l'Ecole Sainte-Geneviève ou le Collège Stanislas,
mais ces jeunes gens du monde et du peuple venus des
œuvres catholiques. Or, les chefs de ces œuvres avaient
pris leur tâche au sérieux, « Ni garderies, ni sociétés
purement sportives, mais œuvres d'éducation intégrale,
voilà ce que sont nos patronages », écrit le très distin-
gué directeur du Bon Conseil, Œuvres d'éducation
intégrale, c'est aussi ce qu'avaient prétend.u être nos
maisons d'éducation et nos associations. En fait, elles
ont constitué une élite; la religion est pour cette élite
tout autre chose qu'un ensemble de pratiques superli-
cielles; elle est entrée dans l'intime de leur vie; elle a
fait des apôtres; ceux qui sont venus à eux, d'abord en
tant que patriotes, ont senti qu'ils avaient à faire à de
vrais chrétiens.
Et c'est pourquoi le mouvement religieux que Ton
constate aujourd'hui dans nos armées est beaucoup plus
profond que ne l'imaginent ceux qui n'y voient que
l'effet de la crainte de la mort : plus profond chez les
catholiques de vieille date et plus profond chez les con-
vertis.
Je laisserai parler nos jeunes gens eux-mêmes, et je
demanderai ensuite à tout homme sincère, de quelque
parti et de quelque nationalité qu'il soit : « Est-ce là, oui
ou non, du vrai, du pur, du profond christianisme, cL
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 195
ce chrislianisme, ces jeunes gens savenl-ils, oui ou non,
à qui et à quoi ils le doivent? Avons-nous affaire à des
sentimentaux, à des peureux, ou à des hommes de con-
viction et de courage (1) ?»
* *
Dès le premier jour de la mobilisation, nos jeunes
gens ont affirmé leurs convictions et leurs espérances
chrétiennes, leur volonté de servir la cause de l'Eglise,
en même temps que celle de la France.
Un jeune homme de vingt ans, porteur d'un des plus
grands noms de France, qui vient d'achever son droit
à rinslitut catholique, écrit à son recteur :
Je suis affecté au ...® dragons, à .... Vous imaginez mon
bonheur profond.
Avant de partir, je veux vous dire mon regret de ne pas
vous avoir montré assez la reconnaissance et l'affection
fdiale que je vous porte. Les mots expriment bien peu, mais
vous savez quels sont mes sentiments. Je pars avec une joie
que vous pouvez croire : quel honneur pour notre généra-
tion que de commencer ainsi la vie ! Quelle ère triomphale
pour la France et le Christ, si nous sommes vainqueurs !
Car, grâce à tous vos efforts patients, infatigables — et à
ceux de nos parents, car c'est vous qui nous avez faits ce
que nous sommes — les idées chrétiennes vont triompher.
Je remercie Dieu de m'avoir donné la vie pour cela.
(1) Les ducumonls cilcs sont, presque tous, emprunlés soit au Bulle-
tin de l'Association callifliquc de la Jeunesse française, soit à la JRevuc
Montalembert, organe de la Réunion des Etudiants, numéro de jan-
vier-mars 1915, soit à la Bovue pratique d'apologétique, numéro de
septembre 1914, soit aux archives du patronage du Bon-Conseil, à
Paris.
196 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
Un autre, plus âgé, qui appartient à un des plus
grands corps de l'État, n'est pas moins affirmalif :
Je pars ce soir pour... Vous voyez que, du premier coup,
je serai en pleine bagarre. Je vous demande le secours de
vos prières pour que je fasse mon devoir en bon chrétien
et en bon Français... C'est avec une foi et une confiance
entière en Dieu que je pars.
F. A..., de la Réunion des Étudiants, comprend ainsi
son devoir d'olficier :
L'oflioler a toujours été, pour moi, la personnification du
dévouement, de l'honneur, le prùtre de la Patrie. Cet ol'fi-
cier-là était mon idéal... Maintenant je vois mieux encore,
je vois un officier foncièrement religieux, le type du beau
chrétien, et c'est ce que je veux être. Sur les jeunes géné-
rations cjui passent dans nos régiments l'influence morale
du chef est incalculable, lorsqu'il possède le caractère et la
science.
Et cet aulro, J. B..., de la même Réunion, au
moment d'entrer dans la marine :
Je tâcherai de pouvoir, à ma mort, prononcer ces mots :
« Je meurs content parce que j'ai bien employé mon exis-
tence pour Dieu et pour la patrie. » Que la carrière que
j'embrasse me donne l'occasion de faire mon devoir de
catholique et de répandre un peu de bien autour de moi !
Au début de la guerre, il passe dans les fusiliers
marins, ne se trouvant à bord ni assez utile, ni assez
exposé. Mortellement blessé, il offre à Dieu le sacrilice
de sa vie et meurt en récitant son chapelet.
Et voici ce que m'écrit un autre de mes anciens
élèves qui, lui, échange l'artillerie contre l'infanterie,
afin de se battre davantage et de plus près :
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 197
1915 nous apportera la victoire militaire, mais ce n'est
pas assez. Il faut que la France redevienne elle-mêmey
cest-ù-dire la vraie fdle aînée de VÉglise qui Va faite. Je
sais que c'est votre vœu le plus cher... Je vous remercie de
ce que vous avez été et fait pour moi : ce serait une de mes
dernières pensées si je tombais et si j'avais le temps de me
voir partir...
Les lettres suivantes, empruntées au Bulletin do
r Association catholique de la Jeunesse française,
expriment la même idée et s'élèvent jusqu'à la notion
la plus sublime du sacrifice chrétien de la vie pour le
salut et la régénération de la Patrie.
E... écrit à l'aumônier général, le 15 novembre :
Vous prierez pour moi, mon cher Père, afin que, le
devoir accompli, je puisse revenir travailler près de vous
pour notre chère A. C. J. F., rendue plus vaillante encore
par l'épreuve qui trempe les jeunes. L'exemple de nos bons
amis, disparus en trop grand nombre, et dont nous grave-
rons le souvenir, celui de nos blessés qui ont montré, par
leur conduite, que nos camarades savent mettre leurs actes
en accord avec les principes qu'ils proclament; celui de
tant d'ignorés dont la foule ardente entraîne notre Patrie
sur les voies de la résurrection, communique le courage et
resi)rit d'abnégation.
Z..., lieutenant d'intendance à la 7" division de cava-
lerie, écrit le A novembre à son ami T... :
Dieu veuille faire sortir de tous ces holocaustes une
France nouvelle où son règne soit affirmé! Il faut à un
monde en décomposition de ces sacrifices et de ces catas-
trophes pour retremper les âmes. Cette guerre est déjà
féconde en liéroïsme de tout genre : je ne vois autour de
198 LA RELIGION DANS l'ARMÉE FRANÇAISE
moi qu'abnégation et enthousiasme... Pour ma part, j'ai
offert ma vie, entre autres intentions, pour le triomphe de
notre œuvre commune.
De Q..., président de Grenoble, écrit à L..., le
5 novembre :
Nous avons tous fait avec joie le sacrifice de notre vie...
La guerre est une terrible chose, mais comme elle rap-
proche du Ciel !
Le docteur E..., président de l'Yonne, après avoir
rappelé les communions si nombreuses des officiers et
des soldats et constaté que dans son hôpital un seul
blessé sur cent (et celui-là n'était pas baptisé), a refusé
les secours de la religion, ajoute :
Et voilà pourquoi j'espère d'une invincible espérance que,
non seulement. la France sera victorieuse, mais que le bon
Dieu lui accordera encore, en surplus, de reprendre sa mis-
sion dans le monde.
Quelle netteté d'affirmation dans ces quelques lettres
du docteur P..., président départemental de l'Aveyron,
à l'aumônier diocésain :
13 août. — Dimanche, nous avons pu avoir la messe ;
mardi aussi, mais pas la communion, car nous n'étions pas
avertis. — Mais il nous est si facile, si nous voulons, de
mener une vie spirituelle ardente. Sur mon cheval, der-
rière le bataillon, les yeux fixés sur la multitude des clo-
chers de Lorraine, qui tous gardent le Saint-Sacrement
même lorsqu'il n'y a pas de prêtre résidant, il m'est facile
de converser avec le Maître. Que de choses à lui dire : ma
vie, la garde de tous ceux que j'aime, les besoins de notre
chère A. C. J. F., le désir d'accroître son royaume dans le
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 199
cœur des soldats et de Vinstaurer dans le cœur de ceux qui
le persécutent.
11 septembre. — Délivré aujourd'hui par les Français,
après trois semaines de captivité... Ma tête, mes yeux, mon
cœur sont abreuvés de ce que j'ai vu. Je n'ai jamais autant
senti la m,ain de Dieu sur moi et autour de moi.
26 septembre. — Comme fait exprès, je n'ai pas encore
(le prêtre dans mon régiment... et cojnment voulez-vous
que je ne le remplace pas dans la mesure oit je le peux ?
Et depuis quelques jours voilà plusieurs mourants que
j'essaj'e d'acheminer vers la porte du Ciel, comme on
indique la maison paternelle aux voyageurs égarés ou per-
dus dans la nuit. Avant-hier j'ai coopéré à la fin édifiante
du lieutenant porte-drapeau. Il est mort en baisant avec
amour la médaille de la sainte Vierge que je lui présentais,
celle que M^'^" de Ligonnès m'a donnée et dont je vous prie
de le remercier en lui disant combien je lui reste respec-
tueusement attaché.
Hier encore un pauvre petit soldat a offert sa vie pour
ses parents, pour la France et pour la J. C. de l'Aveyron.
Car, mon cher aumônier, ma vaillante armée que je vais,
hélas ! trouver décimée est toujours présente à mon cœur.
Et je suis fier, lorsque je trouve les blessés de la Jeunesse
Catholique qui supportent avec plus de courage et de vail-
lance leurs souffrances, qui meurent avec plus de joie et de
sérénité que les autres, ceux qui ne sont catholiques que
pressés par la peur. Ah! mon cher aumônier, je l'aime plus
que jamais, notre chère A. C. J. F. ! Et je me rends compte
que si elle avait eu, il y a déjà longtemps, Vinfluence de
formation qu'elle a aujourd'hui, nous n'aurions pas eu à
enregistrer quelques heures pénibles. Ah ! je vous en prie,
si le « Jeune Kouergue ^) existe encore, dites à tous nos
soldats, par son intermédiaire, aux jeunes de 19 et 18 ans,
qui partiront peut-être bientôt, qu'on ne peut pas servir
200 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
la France jusqu'à l'effusion de son sang si on n'aime pas le
bon Dieu ; q 'il est matériellement impossible d'être un
bon soldat si la volonté ne se courbe pas joyeusement sous
la discipline, et qu'on ne peut pas vaincre si l'esprit de
sacrifice n'est pas dans le cœur le maître de notre égoïsme
naturel. Je ne sais si les atrocités de cette guerre ouvriront
les yeux à tous ; j'en connais déjà un grand nombre qui
voient clair ! mais je ramasse une série de renseignements
que j'espère développer un jour à nos chers camarades.
Nos ennemis eux-mêmes, en détruisant notre admirable
cathédrale de Reims, n'ont-ils pas voulu frapper au cœur
la France catholique — la meilleure? Mais leurs boulets,
je l'espère, indiqueront à tous les Français la voie de la
victoire par la régénération au baptistère du premier sanc-
tuaire de notre patrie.
W octobre... — Demandez pour moi au bon Dieu que je
ne laisse jamais passer une occasion d'exécuter sa volonté
et.de rechercher sa gloire. Vous préparez l'avenir, n'est-il
pas vrai?...
Mais, m'objectera-L-on peut-être : vous choisissez des
témoignages émanés de jeunes gens qui apparliennenL
à rélite de la sociélé et de la culture intellectuelle.
Sans doute, mais j'en puis apporter quantité d'autres
qui, provenant de jeunes gens de la petite bourgeoisie,
ou de la classe populaire, rendent exactement le même
son et dénotent un esprit religieux, non moins haut,
non moins profond.
Toutes les lettres qui suivent ont pour auteurs des
soldats sortis de nos patronages, principalement du
patronage du Bon-Conseil, à Paris : j'en certifie l'au-
thencilé.
Elles débordent de courage, mais aussi de cet esprit
de charité et de prière, dont, en nulle occasion, ne se
départ le vrai chrétien.
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 201
Le 23 septembre 1914.
Quand à Mézières on appelait, en riant, lé 81^ un régi-
ment de fer, je crois que Ton ne pouvait pas dire plus vrai,
car depuis le 1" août, c'est-à-dire depuis 54 jours nous
avons été constamment en première ligne, au contact
immédiat, fournissant ainsi 54 jours de combat, dont
quelques-uns pourront compter parmi les plus acharnés et
les plus meurtriers de la campagne.
Le 18^ chasseurs ne nous quitte pas d'une semelle et les
deux régiments se font constamment tuer ensemble.
J'ai, d'ailleurs, le plaisir de rencontrer souvent I...
du 18*^ chasseurs. Chaque fois que nous nous rencontrons,
notre première parole, en nous serrant la main, est celle-ci :
« Eh bien, mon vieux, encore debout? » Cela à cause des
pertes terribles qu'éprouvent nos deux régiments, que l'on
pourrait bien appeler, je crois, les deux régiments baïon-
nette, car, chaque fois que nous donnons, il faut définitive-
ment en découdre à la fourchette.
Hier, envoyé avec cinq hommes en poste d'écoute à la
corne d'un bois, j'ai surpris une patrouille de uhlans com-
posée d'un officier et de deux hommes. Ils avaient mis pied
à terre et à la lueur d'une lampe électrique examinaient
une carte. Avant même que j'aie eu donné l'ordre, la charge
était poussée, et, criblés de coups de baïonnettes par mes
hommes et moi-même, les Allemands gisaient inanimés sur
le sol. La lampe électrique était tombée dans l'herbe et,
maintenue au courant, continuait à éclairer.
Les deux soldats étaient morts, mais le troisième, un
lieutenant de chasseurs, vivait encore et, m'étant approché
de lui, voici ce que je vis et que je me rappellerai toujours.
D'une magnifique beauté masculine, le visage blanc
comme du marbre, il était étendu sur le dos : de sa poitrine
percée en trois endroits et teintant de rouge son uniforme
gris clair, le sang formait une large mare autour de lui. Il
iKxlbutiait quelques paroles dont je ne pus saisir le sens.
202 LA RELIGION DANS LARMÉE FRANÇAISE
mais que peu à peu je parvins à comprendre. Le malheu-
reux, des dernières forces qui lui restaient, s'efforçait de
dire : « Polack cattolic, polack cattolic ». Il voulait expri-
mer ainsi qu'il était polonais catholique.
En même* temps il essayait de retirer de sa poche un
chapelet, un petit calepin qui, je m'en assurai plus tard,
contenait une image de la Sainte Vierge et de l'Enfant
Jésus.
Devant le regard de ce mourant, devant ses paroles et
les objets qu'il tenait en mains, toute fureur de haine
disparut en moi.
Ayant placé mes hommes à leur poste, je revins pivs de
lui et, lui prenant les mains, je lui fis comprendre que
j'étais moi-même catholique, et que mon plus grand désir
était de lui adoucir ses derniers moments.
Il parut me comprendre et d'une de ses mains éleva son
chapelet. Je compris son désir et je récitai avec lui une
dizaine à laquelle il répondait faiblement en allemand.
Après quoi, il porta le chapelet à ses lèvres et l'embrassa
plusieurs fois, puis me le tendit. Je l'embrassai à mon tour
et cela parut le rendre heureux. Il fallut que je rejoigne mes
hommes, je lui mis dans les mains son chapelet et son
image et je le quittai, non sans être profondément ému par
le regard de reconnaissance qu'exprimaient ses j^eux
mourants.
Quand au matin je repassai à cet endroit, en rejoignant
les tranchées, il était mort et il avait gardé la même
position.
... Il y avait quelques minutes que je venais de lire le
Bulletin du patronage lorsque cela est arrivé et le souvenir
du Bon-Conseil est sûrement pour beaucoup dans la pitié
que j'ai eue de cet Allemand.
Dans la nuit du 27 au 28 octobre, on fit appel à des
sapeurs de bonne volonté et à un sous-officier pour
remplir une mission des plus périlleuses. Le jeune G. P.
LA RELIGION DANS L'aRMÉE FRANÇAISE 203
se présenta; mais, avant de partir, il écrit au directeur
de son patronage, puis à sa jeune femme, qu'il pense ne
jamais revoir.
Mon bon Père,
Je ne puis vous écrire longuement; Gustave vous dira le
rôle que j'ai à remplir et qui ne me laisse que peu de chances
de rentrer sain et sauf. Je veux vous redire combien je
vous aime, combien je vous suis reconnaissant de ce que
vous avez fait pour moi, de ce que vous avez fait de moi.
J'accepte de bon cœur la mission très belle que la Provi-
dence m'a destinée; je me remets complètement entre les
mains de Dieu, à qui je demande de prendre soin de ma
compagne tant aimée, de mes enfants chéris. Aidez-les,
mon bon Père, des conseils que vous m'avez prodigués. On
est un privilégié lorsque dans de pareils instants on a
laissé près des siens un ami tel que vous.
Dites à tout le Bon Conseil, si je ne reviens pas, que ma
pensée a été vers lui, vers notre oeuvre si belle, vers tout
mes chers amis, vers mon cher Félix, vers tant d'anciens
que je ne puis citer, vers certains jeunes que je considère
comme des jeunes frères, parce qu'ils possèdent vraiment
l'esprit de l'œuvre que j'aime.
Je vous embrasse de toute mon àme, et suis votre enfant.
Lettre à sa femme.
B...-au-Bois, le 27 octobre 1914.
Je ne veux pas te dire de ne point laisser couler tes
larmes. Pleure, mais sois forte. Pense que j'ai eu le temps
de songer au sort qui devait être le mien, de penser à toi,
que j'ai aimée du plus profond de mon âme et que je rever-
rai. Car je te reverrai, et je veux que tu y penses et que tu
te dises que mon sacrifice a été fait alors que j'y songeais.
Nous serons réunis là -haut et tu ne dois pas te livrer au
204 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
découragement et à l'inconsolable douleur, car ta tâche est
lourde et plus dure que n'a été la mienne.
Je sais que Dieu t'aidera, va à lui qui seul peut te gui-
der; il ne peut t'abandonner dans la mission de ta vie.
Elève nos enfants dans son amour; remets-toi aux mains
de la Providence dont la volonté est faite. Je me suis livré
totalement à Elle.
Dis plus tard à nos petits, quand ils pourront com-
prendre, les espérances que j'ai fondées sur eux et ce qu'ils
doivent être dans la vie : des forts et des vaillants.
Notre amour a été le bien le plus précieux de ma vie.
J'ai été fier de la femme que tu es, j'ai été à toi totalement
et uniquement. Tu seras forte pour répondre à ma volonté
et parce que je te connais et que tu ne peux être autrement
même dans l'épreuve terrible qui te frappe, mais que tu
sauras surmonter parce qu'elle vient de Dieu même.
Dis à ta mère la pensée que j'ai eue pour elle en cette
nuit, ainsi qu'à Georges, à ceux qui t'entourent et que tu
me sais chers.
Relève la tête et marche avec confiance pour répondre
aux dernières volontés de celui qui t'a très tendrement et
complètement aimée.
Toutes ces lettres sont remplies de traits héroïques
contés avec une gaieté toute parisienne, mais dans cha-
cune reparait une pensée surnaturelle; en voici une,
du 19 octobre, qui donne une juste idée de la vie que
mènent ces hommes.
Nous sommes toujours au même endroit et attendons
avec impatience l'heure où il nous sera commandé d'aller
plus avant. Nos Bretons ne peuvent i^e faire à cette inac-
tion prolongée; à leurs yeux perdus dans le vague, je les
sens pris de nostalgie, de cette nostalgie que l'action seule
guérit. Notre poste médical est toujours installé dans cette
grotte sombre et humide dont je vous parlais il y a quelques
LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE 205
jours. De blessés, nous n'en avons pas eu depuis déjà
longtemps. Ils ont beau nous arroser de shrapnells ou
nous expédier leurs grosses « marmites », « ça ne rend
pas », comme dirait Gavroche. Il n'en va pas de même de
notre 75 quijcontinue à leur faire beaucoup de mal. Avant-
hier au soir, les nôtres ont pris une patrouille prussienne,
ils nous ont dit souffrir beaucoup de notre artillerie.
C'étaient de tout jeunes gens de la classe 1914 arrivés ici
depuis huit jours à peine, ils craignaient d'être fusillés,
mais dès que notre commandant les eut rassurés sur leur
sort, ils n'avaient plus envie de s'en aller, et c'est plutôt
joyeux qu'ils partirent en arrière de nos lignes. Hier matin,
j'ai pu assister à la messe et communier, ce qui ne m'était
pas arrivé depuis longtemps. La messe était dite à l'ambu-
lance de la division marocaine qui se trouve à notre gauche,
et au bord des tombes où au jour le jour on enterre les
zouaves, tirailleurs et bicots tombés à l'ennemi. Il ne m'était
encore jamais arrivé de servir la messe en pareilles condi-
tions. Pendant que les hommes chantaient à pleine voix le
Credo et VAdoremus, ils étaient accompagnés non plus par
un classique harmonium, mais par la puissante voix des
canons et par le bruit plus spécial que font les mitrailleuses
tirant sur tout un front. L'homme se sent bien petit à
pareilles heures et en pareils lieux, aussi tous les visages
étaient empreints d'une gravité religieuse spéciale; lorsque
la messe dite, l'aumônier donne l'absoute pendant que ceux
qui le savaient chantaient « le Libéra », j'ai vu bien des
larmes couler des yeux des officiers et des soldats. Larmes
bénies, puissiez-vous bientôt faire place au sourire et à la
joie causés par la victoire!
Quant à moi, je continue à très bien me porter et reste
toujours très gai. Cette vie, si elle n'était accompagnée de
tant de misères et de tant de deuils, est assez passionnante ;
on ne se sent i)lus entouré de cette mesquine ambiance
dans laquelle nous vivons en temps ordinaire ; pour un sémi-
nariste elle est très intéressante; volontiers les gens
206 LA RELIGION DANS L'aRMÉE FRANÇAISE
abordent la question religieuse, que le voisinage de la
mort ne leur fait plus paraître comme une question secon-
daire, les esprits soi-disant « forts » n'ont ici aucun succès.
Continuez à prier et à faire prier le Bon Conseil pour
nous, car nous en avons grand besoin. Quoi qu'on fasse, la
vie du soldat est déprimante, nous avons grandement
besoin des prières amies pour nous aider à nous plonger
un peu dans le surnaturel. Tous nous savons que là-bas,
dans la chapelle et l'oratoire aimés, de nos jeunes cama-
rades, de vieux amis sont agenouillés et prient pour tous
ceux qui combattent au loin, c'est pour nous un grand
réconfort que pareille pensée, dites-le bien à tous.
Dans celte vie, non seulement ils travaillent à se sou-
tenir eux-mêmes par la prière et par les sacrements,
mais ils essaient de faire du bien aux autres :
12 octobre 1914.
Depuis notre départ j'ai pu une seule fois assister à la
messe et recevoir la sainte comn(\union. Et les autres
n'ont rien pu avoir. Cela ne nous empêche pas de sancti-
fier notre dimanche comme nous le pouvons par une prière
spéciale et de nous unir à la messe du Bon Conseil par la
pensée. Nous prions avec vous pour la France, pour nous
tous qui sommes chaque jour exposés et devons, sans le
secours des sacrements, rester prêts à paraître chaque jour
devant Dieu. Nous restons cependant confiants dans la Misé-
ricorde de Dieu, et dans l'efficacité des prières de vous tous.
Ici notre vie est toujours pleine d'imprévu et ne savons
jamais une minute à l'avance ce que nous ferons. Hier
nous étions au repos et, à 6 heures du soir, nous sommes
partis creuser des tranchées, profitant de la nuit. Nous
avons maintenant des mains de terrassiers et manions la
pelle toute une nuit, comme si nous avions fait cela toute
notre vie. Ce matin nous sommes dans l'attente d'une
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 207
attaque, prêts à partir au premier signal. Nous sommes
juste en arrière des tranchées en première ligne. Nous
voyons et entendons éclater les obus autour de nous, et
avons ramassé des éclats dont quelques-uns atteignent
4 centimètres d'épaisseur. Cette vie est un peu énervante,
et l'abus du café aidant, il y a souvent des prises de bec et
de disputes que nous nous efforçons de calmer. Nous
sommes déjà arrivés à un résultat appréciable et notre
escouade qui était au début considérée comme une des
plus mauvaises est certainement à l'heure actuelle une de
celles qui s'entendent le mieux. Cela n'a pas été sans peine^
car elle est composée d'éléments bien différents... Tout ce
monde maintenant s'entend à merveille, discute religion,
syndicat, et tous sont pour nous très gentils, et presque
pleins d'attentions. Plusieurs lisent le Bulletin et y trouvent
grand intérêt. Quelques-uns nous demandent s'ils pour-
raient venir visiter le patronage après la guerre, ou s'ils
pourraient y envoyer leurs jeunes frères.
Que l'on m'excuse de laisser parler ainsi le docu-
ment : est-il rien d'aussi éloquent? Entre tant de lettres
que j'ai entre les mains, voici l'une des plus belles par
le courage, l'entrain, la délicatesse des sentiments,
même le charme littéraire :
Le 13 novembre 1914.
Le 8 novembre au matin, je suis allé au village voisin
trouver le colonel qui m'avait mandé avec un camarade. Je
l'ai attendu deux heures — et entre temps — j'ai eu l'oc-
casion d'aller voir S. à la 2® C'° et A. F. dans les gourbis.
Ce fut une bonne joie pour moi, mais trop courte : j'ai dû
les quitter de suite. Le colonel m'a félicité parce que je
m'étais offert pour remplir une mission qui avait échoué
deux fois déjà. Mon camarade et moi, nous avons réussi
à mettre le feu à une meule de paille du haut de laquelle
208 LA RELIGION DANS L' ARMÉE FRANÇAISE
des Allemands dissimulés tiraient sur nos officiers. Te
raconter en détail toutes les péripéties, fais-m'en grâce : ce
sera pour plus tard, lorsque je serai devenu vieux grand-
père; mes petits-enfants sur mes genoux me réclameront
des histoires, je leur conterai volontiers alors nos bonds de
trous en trous, une paire de souliers prise pour un casque
à pointe, notre marche lente et rampante pour ne pas
éveiller l'attention de l'ennemi, l'émotion dès l'arrivée à la
meule, les allumettes bougies qui ne veulent pas prendre,
enfin une flamme grandiose, notre fuite à toutes jambes,
le cœur content parce que notre mission était enfin rem-
plie. Le colonel nous a félicités, le général de brigade éga-
lement ; on nous avait parlé d'une citation à l'ordre du
jour. Je ne sais si nous l'avons eue, car depuis trois jours
je suis un peu en dehors du 129®. Tu en sauras le pourquoi
tout à l'heure.
A mon retour du bureau du colonel, je me suis rendu à
la chapelle du château pour entendre la messe dite par
C. Étant en retard je ne pensais plus du tout la servir. On
m'attendait, j'ai donc eu la joie de servir la messe.
Le soir, nous sommes repartis aux tranchées...
Ici un temps d'arrêt. Tu m'as demandé de tout te
raconter, je vais donc te dire tout bien simplement : je
suis complètement guéri. Je commence par la fm pour te
rassurer. J'ai été blessé très légèrement, si légèrement que
je reste à trois kilomètres en arrière pour me reposer?
Après-demain, je serai de retour à ma compagnie. Tu es
bien d'aplomb, maintenant, j'espère, je continue. Je ne te
donnerai pas de détails
Tout à coup une balle tape sur ma baïonnette et, en
ricochant, vient me caresser la tète au-dessus de l'oreille
gauche. En passant, je remercie la sainte Vierge de
m'avoir ainsi protégé, car, sans ma baïonnette, cette balle
me frappait en plein front. Un de mes camarade m'ap-
plique mon paquet de pansements, et en route, n'y pen-
sons plus. J'exhorte mes camarades à ne pas s'affoler, à
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 209
garder tout Ictir sang-froid, et puisque, gradé, je leur
dois l'exemple, je continue à faire le coup de feu comme
si rien n'était ; le sourire aux lèvres, le bon mot à la
bouche, eux, la cigarette au bec ! !
Quand l'action fut finie, on déplora la mort d'un caporal
tué aux écoutes et un seul blessé, ton mari... J'ai eu honte
d'appeler cette égratignure une blessure, et, sans l'ordre
formel du capitaine, du colonel même, je ne serais jamais
allé au poste de secours... Il fallut obéir; mais on me
fit la grâce une fois pansé de revenir à mon poste. Ce me
fut une vive joie et mon escouade fut contente. Je suis
resté toute la journée et toute la nuit suivante dans la
tranchée. Le lendemain, au matin, j'avais un peu de
fièvre : je suis revenu me faire panser, mais là ! complica-
tion, syncope, etc. Je passe outre. Toujours est-il que le
colonel est venu m'exprimcr toute sa sympathie, m'a
nommé sergent, et m'a annoncé — ne tombe pas en syn-
cope, ni en extase — qu'il me proposait pour la médaille
militaire. J'en suis le premier stupéfait ! Qu'ai-je donc fait
d'héroïque? Tout simplement mon devoir, fai fait ce que
tu m'aurais dit de faire si tu avais été à côté de moi. Enfin,
si cette médaille est donnée en récompense du seul devoir
accompli, je l'accepterai pour toi, car depuis notre mariage
n'es-tu pas la douce voix qui me dit toujours : « Fais ton
devoir là oit il est. » Je l'accepterai aussi pour l'honneur du
Patronage qui nous a formés tous valeureux
Mais je ne voudrais pas te faire ime déception ; si je ne
l'obtiens pas, une seule chose me restera à faire : mainte-
nant que je suis en route, continuer à la gagner.
En ce moment me voici au repos jusqu'à demain ou
après-demain dans une ambulance dans un château. Ma
salle est la vaste salle à manger ornée de boiseries. Un
bon matelas couché sur une civière me fait un bon lit dans
lequel je repose à moitié la nuit : ça ne vaut pas la paille.
Le jour, impossible de m'y faire rester. Je trotte de lit en
lit parlant un petit peu à l'un et à l'autre, faisant le sccrc-
11 - Vv.
210 LA RELIGION DANS l'ARMÊE FRANÇAISE
taire, distribuant la soupe, tournant l'un sur le côté, bor-
dant l'autre... Je mange double ration : pas de fièvre. Le
major a dit qu'il allait me mettre à la porte, que je lui
coûtais trop cher, et pourtant je lui fais du travail de mon
propre gré. Je blague, je donne des bonbons, j'encourage
de mon mieux les blessés. L'aumônier à qui j'ai servi la
messe le jour de la Toussaint, vient nous voir matin et
soir. Je suis son privilégié : il a toujours les poches bour-
rées de friandises...
Ce blessé soigne ses camarades avec un admirable
dévouement, se sacrifiant sans cesse à ceux qu'il juge
plus atteints que lui. Il favorise V action de r aumônier,
lui sert la messe, entraîne les hommes à l'église et les
fait chanter très pieusement.
Je terminerai par ces trois lettres, les deux premières
d'un mari à sa femme, et la troisième adressée au
directeur du patronage : l'éJévation religieuse, les senti-
ments de famille, le désir ardent de servir la cause
chrétienne s'y mêlent de la façon la plus émouvante.
Le 25 octobre.
Je vais t'écrire une longue lettre et j'espère que tu la
recevras ; je vais te décrire aujourd'hui l'emploi d'une
journée de repos, plus tard, je te dirai une journée passée
dans les tranchées.
Donc nous sommes au repos depuis trois jours, car voici
comment cela se passe : on reste un certain temps dans les
tranchées, puis un autre régiment vous remplace et l'on va
dans un pays pour se reposer et se nettoyer (pendant 3 ou
4 jours en^^iron).
Hier samedi, à quatre heures, je suis allé me confesser
au curé du pays, et ce matin dimanche, à 7 h. 1/2 en union
avec toi, je suis allé à la messe et fai commuyiié ; tu ne
peux pas te figurer ma joie et mon bonheur, me voilà à
nouveau avec une provision de courage et plein de con-
LA RELIGION DANS L ARMEE FRANÇAISE 211
fiance dans Favenir, ainsi que l'âme et le cœur tranquilles.
En retournant au cantonnement, j'apprends que quel-
ques-uns se préparent pour la messe paroissiale de
9 heures, j'y retourne avec eux. Ce fut un spectacle vrai-
ment impressionnant : l'église assez grande était pleine de
soldats au point que plusieurs ne purent entrer. A l'évan-
gile, l'aumônier militaire prend la parole et empoigne l'as-
sistance, puis nous chantons le Credo et après la commu-
nion on chante le Souvenez-vous. Au souvenir de ce
chant, j'avais les yeux pleins de larmes, mais joyeux tout
de même, car j'avais du bonheur plein le cœur. Jamais je
n'oubherai le spectacle de cette église pleine de soldats,
d'officiers, dont un général, chantant le Credo. Passons
maintenant aux choses matérielles. A 10 h. 1/2, nous
mangeons un ragoût de mouton aux pommes de terre,
avec un quart de vin donné par la compagnie. Puis le café
avec rhum (payé par un camarade).
Tu le vois, nous ne sommes pas trop malheureux (mal-
heureusement ce n'est pas tous les jours la même chose).
Aujourd'hui, il fait un temps superbe, il fait chaud et le
soleil brille, c'est une véritable journée de printemps, fax
du bo7iheur plein le cœur^ c'est, je crois, la meilleure jour-
née depuis mon départ.
3 heures de l'après-midi. Je rentre des vêpres et du salut,
l'église est encore pleine de soldats, nous chantons ;
Je mets ma confiance.
Vierge, en votre secours ;
Servez-moi de défense.
Prenez soin de mes jours.
Et un autre cantique à la Vierge pour protéger la France
et lui donner la victoire. Quelle chose sublime que la prière,
Toute la journée je fus avec toi, uni par la pensée, le cœur
et la prière. Maintenant, l'âme en paix, j'attends l'avenir
avec confiance, certain que la Vierge ne m'abandonnera
pas. Ainsi malgré la distance, durant ce dimanche, nous
ne faisions qu'un. Courage, aujourd'hui j'ai fait provision
212 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
de courage et j'attends l'avenir avec calme, je m'aban-
donne aux mains de Dieu.
Dieu ne nous abandonnera pas, je l'espère, et je te
reviendrai la guerre finie, nous serons réunis dans la vie ;
et en croyant à la vie éternelle, le premier parti de cette
terre attendra l'autre dans l'autre monde pour être « unis
pour toujours » ; cette pensée quoique triste est consolante.
Pour aujourd'hui, je te quitte et t'embrasse de tout mon
cœur ainsi que notre cher petit.
Le 8 novembre 1914.
Comme il n'y a pas de fait saillant à te raconter, je
vais, pendant quelques instants, être plus encore que d'ha-
bitude avec toi en t'écrivant ces quelques mots. Et ce sera
mon dimanche à moi.
Par la pensée, je me transporte auprès de toi, et là dans
notre petit nid, je te cause cœur à cœur.
Prends confiance et fais provision de courage, car je crois
que notre séparation va encore durer quelque temps. Com-
bien? Je l'ignore, mais sans doute assez longtemps (c'est
du moins mon avis), mais j'accepte ce sacrifice d'être séparé
de toi et de mon cher petit, pour notre patrie ; et pour le
reste, je m'abandonne aux mains de Dieu, en demandant la
protection de la Sainte Vierge. De ton côté, fais la même
chose, et crois-moi, je suis fier d'avoir une femme coura-
geuse comme toi, qui à chacune de ses lettres fait taire ses
craintes et ses inquiétudes et m'envoie du courage en même
temps que des marques d'amour.
Durant cette journée que je passe dans ma tranchée, ma
pensée te suivra à chaque instant et rien que de te repré-
senter en train d'habiller notre petit, le sortir, puis le voir
être la joie et le rayon de soleil de ses grand-père et grand'-
mère, ce.la me procure une douce joie en même temps
qu'une provision de courage et un rayon d'espérance de voir
bientôt tout le monde content.
i
LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE 213
Prends courage, du reste tu connais la source de toutes
forces et tu y puises presque chaque jour. Ne te tourmente
lias trop à mon sujet. Dis-toi que, malgré la distance, nos
cœurs s'unissent pour n'en former qu'un seul et battre du
même amour en même temps que de la même confiance en
Dieu.
22 novembre 1914.
Quelle joie de retourner au feu, peut-être cette fois-ci ne
reviendrai-je pas; mais je retournerai là-bas plus fier que
jamais, content de faire mon devoir, et n'ayant nullement
peur de la mort.
Je n*ai jamais été dans d'aussi bonnes dispositions
morales et 7i' ai jamais aussi bien senti la force de la prière
ardente montant vers Dieu et Lui demandant ce dont nous,
pauvre pécheurs^ avons besoin. Maintenant, plus de res-
pect humain, et bien rares sont ceux qui pensent à blâmer
ceux qui très sincèrement et sans éclat s'approchent
presque journellement des Sacrements.
Comme on se sent fort, et comme on désirerait faire pro-
fiter les malheureux qui ne connaissent pas notre belle reli-
gion.
Je me demande vraiment comment ils peuvent aller au
feu sans cette force surnaturelle qui nous réconforte et nous
emporte, eux qui comme nous s'en vont au feu et peut-être
pour n'en plus revenir, et qui ne possèdent pas d'idéal reli-
gieux. Dites bien, mon bon Père, à ces chers amis du
Cercle que leurs aînés prient tous les jours pour eux, pour
que Dieu mette en leur âme ce que vous avez si bien semé
dans la nôtre, à nous qui sommes vos enfants.
Oh! comme je voudrais être du nombre de ceux qui
reviendront. Comme ils seront forts 1 Rien ne leur a été
épargné sur le champ de bataille, et vous aurez à la fin de
cette terrible campagne un groupe d'hommes capables de
mieux encore vous comprendre, vous aimer et vous servir
en Dieu et pour sa cause '
214 LA RELIGION DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
Cette belle et généreuse pensée d'un enfant du peuple,
je la retrouve sous la plume d'un de nos jeunes écri-
vains catholiques, dans un article éloquent et profond,
Pour ceux qui survivront :
Comment, dit-il, ne pas être saisi d'un sentiment com-
plexe, celui que peut éprouver l'enfant d'hier à qui l'on
vient dire qu'il est roi et que le sort de millions d'êtres lui
est confié, devant cette tâche inconnue qui incombera, qui
incombe déjà à chacun de nous pour faire de la victoire
française une victoire durable en faisant qu'elle soit aussi
une victoire chrétienne? Sentiment de respect pour la
Volonté qui donne à nos vies chétives cette magnifique
mission; fierté, mêlée à la plus noble angoisse, de ce que,
si nous n'avons pas été choisis pour être des victimes,
nous sommes appelés sans Jiésitation possible à être des
apôtres (1).
Catholiques, nos frères, vous avez entendu la voix
même de nos soldais chrétiens. Croyez-vous encore que
la France soit la nation athée? Croyez-vous que ces
jeunes gens ne sont pas, selon la parole de Notre Sei-
gneur, le sel de la terre, le ferment qui fera lever la
7wasse? Croyez-vous que le mouvement auquel ils par-
ticipent et que, dans une certaine mesure, ils dirigent,
ne soit pas sérieux et durable? Croyez-vous que les
œuvres qui les ont formés n'ont pas donné à l'Église
catholique, notre mère à tous, des enfants dignes d'elle
et dignes des meilleurs d'entre vous? J'en appelle à
votre bonne foi et je ne doute pas de votre réponse.
Alfred Baudrillart,
vicaire général, recteur.
(1) Revue pratique d'apologétique, l**" avril 1915.
DISCOURS DE S. S. BENOIT XV
AU CONSISTOIRE DU 22 JANVIER 1915
Vénérables Frères,
Afin de pourvoir, avec la solennité requise, les diocèses
vacants, il Nous a plu de vous convoquer aujourd'hui en
Notre présence.
Elles ne sont pas peu nombreuses, les églises qui, dans
ces derniers temps, sont restées privées de leurs pasteurs
et, parmi elles, il en est d'assez importantes, par la dignité
de leurs desservants, pour que Nous nous en occupions
dans cette assemblée. Mais, tout d'abord, en vous voyant
réunis ici, Vénérables Frères, qui, par le lien très spécial
qui nous unit à vous, prenez une part si étroite à Nos pen-
sées et à Nos sollicitudes, Nous ne pouvons Nous empêcher
de verser de nouveau dans vos cœurs un peu de l'angoisse
dont, vous le savez, Notre âme est oppressée.
Les mois, hélas! succèdent aux mois sans laisser luire
l'espérance, même lointaine, de voir cesser bientôt cette
guerre si funeste ou, pour mieux dire, ces massacres.
S'il ne Nous est pas donné de hâter la fin d'un fléau
si grave, puissions-Nous au moins en atténuer les doulou-
reuses conséquences. Nous nous y sommes employé jus-
qu'ici autant qu'il était en Notre pouvoir, vous le savez,
et Nous ne manquerons pas de continuer à Nous y employer
dans l'avenir aussi longtemps que la nécessité l'exigera.
Faire davantage, aujourd'hui, Notre charge apostolique
ne Nous le permet point. Quant à proclamer qu'il n^est
permis à personne, pour quelque motif que ce soit, de léser
la justice, c'est, sans doute, au plus haut point, un office
216 DISCOURS DE S. S. BENOIT XV
qui revient au Souverain Pontife comme à celui qui est
constitué par Dieu Vinterprète suprême et le vengeur de la
loi éternelle. Et nous le proclajnons sans ambages, réprou-
vant hautennent toute injustice, de quelque côté qu'elle ait
été commise. Mais il ne serait ni convenable ni utile d'en-
gager l'autorité pontificale dans les litiges même des belli-
gérants.
A coup sûr, pour tout esprit pondéré, il est manifeste
que, dans cet effroyable conflit, le Saint-Siège, sans cesser
de s'en préoccuper avec une extrême attention, est tenu
de garder une complète impartialité.
Le Pontife romain^ en tant, d'une part, qu'il est le
Vicaire de Jésus-Christ mort pour tous les hommes et
pour chacun, en tant, d'autre part, qu'il est le Père com-
mun des catholiques, doit embrasser dans un même sen-
timent de charité tous les combattants. Il a, de chaque
côté des belligérants, un grand nombre de fils dont le
salut doit lui causer une égale sollicitude. Il est, par suite,
nécessaire qu'il considère en eux non les intérêts spéciaux
qui les divisent, mais le lien commun de foi qui les rend
frères.
S'il se comportait autrement, non seulement il ne con-
tribuerait pas à la cause de la paix, mais ce qui est pire, il
attirerait à la religion des aversions et des haines et expo-
serait à des troubles fort graves la tranquillité et la concorde
intérieure de l'Eglise.
Toutefois, tout en n'adhérant à aucun des deux partis.
Nous Nous préoccupons pareillement de l'un et de l'autre
comme Nous l'avons dit, et en même temps Nous suivons
avec anxiété, avec angoisse, les terribles phases de cette
guerre, d'autant plus à craindre que la violence dans
l'attaque y dépasse parfois toute mesure. Notre pensée,
cependant, comme il est naturel, se tourne plus souvent du
côté où Nous trouvons plus vif l'attachement respectueux à
l'égard du Père commun des fidèles, et cela regarde, par
exem.ple, le hien-aimé peuple belge, témoin la lettre que
AU CONSISTOIRE DU 22 JANVIER 1915 217
Nous adressâmes naguère au cardinal-archevêque de
Malines.
Et Nous faisons ici appel au sentiment d'iiumanité de
ceux qui ont franchi les frontières des nations adverses
pour les conjurer que les régions envahies ne soient pas
dévastées plus qu'il n'est strictement exigé par les nécessités
de Voccupatioyi m,ilitaire^ et, ce qui importe davantage
encore, qu'on ne blesse pas gratuitement les habitants en ce
quils ont de plus citer, comme les temples sacrés, les minis-
tres de Dieu, les droits de la religion et de la foi : car pour
ceux qui voient leur patrie occupée par l'ennemi, nous
comprenons fort bien combien il doit être dur de se trouver
soumis au joug de l'étranger, mais Nous ne voudrions pas
que le désir ardent de recouvrer leur indépendance les
amenât spécialement à entraver le maintien de l'ordre public
et à aggraver par suite de beaucoup leur position.
Du reste, Vénérables Frères, parmi les si grandes et si
pesantes angoisses qui nous agitent, nous ne devons jDas
toutefois perdre courage ; plus l'avenir nous apparaît
obscur, plus grande doit être la confiance avec laquelle
nous nous approchons du trône de grâce pour obtenir misé-
ricorde et y trouver la grâce avec le secours opportun.
(Hébr., IV, 16.)
Il est, par conséquent, nécessaire, comme Nous l'avons
déjà prescrit, d'adresser d'instantes et humbles prières au
Seigneur, qui est le maître et l'arbitre souverain des évé-
nements humains et qui peut seul, par les voies qui lui
plairont davantage, diriger les volontés humaines. Nous ne
croyons pas que la paix ait quitté le monde sans l'assenti-
ment divin. Dieu permet que les nations qui avaient placé
toutes leurs pensées dans les choses de cette terre se
[•unissent les unes les autres, par des carnages mutuels, du
mépris et de la négligence avec lesquels elles l'ont traité;
d'autres événements viennent encore s'y ajouter pour con-
traindre les hommes à s'humilier sous la puissante main de
Dieu. (I, Petr., v. 6.)
218 DISCOURS DE S. S. BENOIT XV
Telle est la catastrophe de ces derniers jours, dont nous
savons tous combien elle fut horrible et meurtrière.
C'est pourquoi, puisque la prière en commun est la plus
agréable à Dieu et la plus fructueuse, Nous exhortons tous
les gens de bien à rendre propice la divine clémence par
leurs prières personnelles, mais surtout en prenant part,
dans les temples sacrés, aux prières publiques.
Et pour qu'un immense chœur de voix suppliantes
monte vers le ciel. Nous avons prescrit, vous ne l'ignorez
pas, deux solennelles cérémonies expiatoires, l'une aui aura
lieu, pour les catholiques de toute l'Europe, le 7 février
prochain, et l'autre, dans le reste du monde catholique, le
21 mars.
Nous avons décidé d'assister Nous-même à la première
dans la basilique de Saint-Pierre, et Nous sommes certain
que vous ne manquerez pas, mes Vénérables Frères, à y
prendre part avec Nous.
Que la Vierge, très saint secours des chrétiens, écoute et
qu'elle seconde les vœux de l'Église! Puisse son interces-
sion obtenir de son divin Fils que les esprits reviennent au
culte de la vérité, les âmes à celui de la justice, et que la
paix du Christ reparaisse dans le monde et fixe désormais
son séjour parmi les hommes I
AU CONSISTOIRE DU 22 JANVIER 1915 219
Extrait de la lettre de S. E. le cardinal Mercier.
Patriotisme et endurance.
(Noël 1914.)
. Lorsque, dès mon retour de Rome, au Havre, déjà,
j'allai saluer nos blessés belges, français ou anglais;
lorsque, plus tard, à Malines, à Louvain, à Anvers, il me
fut donné de serrer la main à ces braves, qui portaient
dans leurs tissus une balle ou, au front, une blessure, pour
avoir marché à l'assaut de l'ennemi ou soutenu le choc de
ses attaques, il me venait spontanément aux lèvres pour
eux une parole de reconnaissance émue : « Mes vaillants
amis, leur disais-je, c'est pour nous, pour chacun de nous,
pour moi, que vous avez exposé votre vie et que vous
souffrez. J'ai besoin de vous dire mon respect, ma gratitude,
et de vous assurer que le pays entier sait ce qu'il vous
doit. »
C'est que, en effet, nos soldats sont nos sauveurs.
Une première fois, à Liège, ils ont sauvé la France ; une
seconde fois, en Flandre, ils ont arrêté la marche de l'en-
nemi vers Calais : la France et l'Angleterre ne l'ignorent
point, et la Belgique apparaît aujourd'hui devant elles, et
devant le monde entier, d'ailleurs, comme une terre de
héros. Jamais, de ma vie, je ne me suis senti aussi fier
d'être Belge que, lorsque, traversant les gares françaises,
faisant halte à Paris^ visitant Londres, je fus partout le
témoin de l'admiration enthousiaste de nos alliés pour
l'héroïsme de notre armée. Notre Roi est, dans l'estime de
tous, au sommet de l'échelle morale; il est seul, sans
doute, à l'ignorer, tandis que, pareil au plus simple de ses
soldats, il parcourt les tranchées, et encourage de la séré-
220 EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER
nité de son sourire, ceux à qui il demande de ne point
douter de la patrie.
Le premier devoir de tout citoyen belge, à l'heure pré-
sente, est la reconnaissance envers notre armée.
Si un homme vous ava.t sauvé d'un naufrage ou d'un
incendie, vous vous jugeriez lié envers lui par une dette
d'éternelle gratitude.
Ce n'est pas un homme, ce sont deux cent cinquante
mille hommes qui se battent, souffrent, tombent pour vous,
afin que vous demeuriez libres, afin que la Belgique garde
son indépendance, sa dynastie, son union patriotique et
que, après les péripéties qui se déroulent sur les champs
de bataille, elle se relève plus noble, plus fière, plus pure,
plus glorieuse que jamais.
Priez, tous les jours, mes Frères, pour ces deux cent cin-
quante mille hommes et pour les chefs qui les conduisent à
la victoire ; priez pour nos frères d'armes ; priez pour ceux
qui sont tombés; priez pour ceux qui luttent toujours;
priez pour les recrues qui se préparent aux luttes de
demain.
En votre nom, je leur envoie d'ici le salut de notre con-
fraternelle sympathie et l'assurance que, non seulement
nous prions pour le succès de leurs armes et pour le salut
éternel de leurs âmes, mais que nous acceptons, à leur
intention, tout ce qu'il y a de pénible, physiquement et
moralement, pour nous, dans notre oppression momen-
tanée, tout ce que l'avenir peut ncfus réserver encore d'iui-
miliations temporaires, d'angoisses ou de douleurs.
Au jour de la victoire finale, nous serons tous à l'hon-
neur: il est juste qu'aujourd'hui nous soyons tous à la peine.
D'après des échos que j'ai pu recueillir, il semble que,
de certains milieux où la population a le moins souffert, il
s'élève parfois, contre Dieu, des paroles amères qui, si
elles étaient froidement calculées, seraient presque blas-
phématoires.
Oh I je ne comprends que trop les révoltes de l'instinct
EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER 221
naturel contre les maux qui se sont abattus sur la catho-
lique Belgique : le cri spontané de la conscience est tou-
jours que le succès couronne sur l'heure la vertu, et que
l'injustice soit aussitôt réprimée.
Mais les voies de Dieu ne sont point les nôtres, dit
l'Écriture; la Providence donne libre cours, durant l'inter-
valle que sa sagesse a mesuré, au jeu des passions humaines
et à l'entrechoquement des intérêts. Dieu est patient, parce
qu'il est éternel. Le dernier mot, celui de la miséricorde,
est pour ceux qui ont foi à l'amour. « Pourquoi es-tu triste,
« ô mon âme, et pourquoi te troubles-tu? Quare tristis es
« anima mea et quare conturbas me? Espère en Dieu;
« bénis-Le quand même : n'est-il pas ton Sauveur et ton
« Dieu? Spera in Deo quoniam adhuc confitehor illi, salu-
(.(. tare vultus m,ei et Deus meus (1). »
Lorsque le saint homme Job, que Dieu voulait offrir en
modèle de constance aux générations futures, avait été,
coup sur coup, privé par Satan, de ses biens, de ses
enfants, de sa santé, ses amis défilaient devant lui en le
narguant, et l'incitaient à la révolte ; sa femme lui sug-
gérait des pensées de blasphème et d'imprécation : « Que
« gagnes -tu à demeurer intègre? lui disait-elle ; maudis donc
« Dieu et meurs (2). » Seul l'homme de Dieu était inébran-
lable dans sa foi. « Tu tiens le langage d'une insensée,
« répliquait-il; lorsque Dieu nous comblait de ses dons,
« nous les recevions de sa main; pourquoi refuserions-
« nous aujourd'hui les maux dont il nous afflige? Il est le
« maître. Il donne, il reprend : Que son saint Nom soit
V toujours béni! Dominus dédit, Dominus abstulit; sicut
« Domino placuit ita factum, est. SU nomen Domini hene-
« dictum! (3) »
Or l'expérience a démontré que le saint homme avait
(1) Ps. XLII, 5.
(2) Dixit autem illi uxor sua : « Adhuc lu permanes in simplicitatc
lua ! Benedic Deo et morerc. » (Job II, 9.)
(3) Job II, 10; I, 21.
222 EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER
raison : il plut au Seigneur de récompenser, dès ici-bas,
son serviteur fidèle; il lui rendit, au double, tout ce qui lui
avait été repris et, par égard, pour lui, fit grâce à ses
amis (1).
Moins que personne, peut-être, j'ignore ce qu'a souffert
notre pauvre pays. Et aucun Belge ne doutera, j'espère, du
retentissement, en mon âme de citoyen et d'évêque, de
toutes ces doyleurs. Ces quatre derniers mois me semblent
avoir duré un siècle.
Par milliers, nos braves ont été fauchés; les épouses, les
mères pleurent des absents qu'elles ne reverront plus ; les
foyers se vident; la misère s'étend, l'angoisse est poi-
gnante. A Malines, à Anvers, j'ai connu la population de
deux grandes cités livrées, l'une durant six heures, l'autre
durant trente-quatre heures d'un bombardement continu,
aux affres de la mort. J'ai parcouru la plupart des régions
les plus dévastées du diocèse : Duffel, Lierre, Berlaer,
Saint Rombaut, Konings-Hoyckt; Mortsel, Waelhem,
Muysen, Wavre-Sainte-Catherine, Wavre- Notre-Dame ;
Sempst, Weerde, Eppeghem ; Hofstade, Elewyt; Rymenam,
Boort Meerbeek, Wespelaer, Haecht, Wechter-Wackerzeel,
Rotselaer, Tremeloo; Louvain et les agglomérations subur-
baines, Blauwput, Kessel-Loo, Boven-Loo, Linden, Herent,
Thildonck, Bueken, Relst; Aerschot, Wesemael, Hersselt;
Diest, Schafïen, Molenstede, Rillaer, Gelrode, et ce que j'y
ai vu de ruines et de cendres dépasse tout ce que, malgré
mes appréhensions pourtant très vives, j'avais pu imaginer.
Certaines parties de mon diocèse, que je n'ai pas encore
trouvé le temps de revoir, Haekendover, Roosbeek, Bau-
tersem, Budingen, Neerlinder; Ottignies, Mousty, Wawre;
Beyghem, Capelle-au-Bois, Humbeek, Nieuwenrode,
Liezele, Londerzeel; Hejndonck, Mariekerke, Weert,
Blaesvelt, ont subi les mêmes ravages. Églises, écoles,
asiles, hôpitaux, couvents, en nombre considérable, sont
(1) XLI, 8-10.
EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER 223
hors d'usage ou en ruines. Des villages entiers ont quasi
disparu. A Werchter - Wackerzeel , par exemple, sur
380 foyers, il en reste 130 ; à Tremeloo, les deux tiers de
la commune sont rasés; à Bueken, sur 100 maisons, il en
reste 20; à Schaffeo,* d'une agglomération de 200 habita-
tions, 189 ont disparu, il en reste 11. A Louvain, le tiers
de rétendue bâtie de la cité est détruit; 1.074 immeubles
ont disparu ; sur le territoire de la ville et des communes
suburbaines, Kessel-Loo, Herent et Héverlé, réunies, il y
a un total de 1.823 immeubles incendiés.
Dans cette chère cité Louvaniste, dont je ne parviens pas
à détacher mes souvenirs, la superbe collégiale de Saint-
Pierre ne recouvrera plus son ancienne splendeur; l'antique
collège Saint- Ives; l'école des beaux-arts de la ville;
l'école commerciale et consulaire de l'Université, les halles
séculaires, notre riche bibliothèque, avec ses collections,
ses incunables, ses manuscrits inédits, ses archives; la
galerie de ses gloires depuis les premiers jours de sa fon-
dation, portraits des recteurs, des chanceliers, des profes-
seurs illustres, au spectacle desquels, maîtres et élèves
d'aujourd'hui s'imprégnaient de noblesse traditionnelle et
s'animaient au travail : toute cette accumulation de
richesses intellectuelles, historiques, artistiques, fruit de
cinq siècles de labeur, tout est anéanti.
De nombreuses paroisses furent privées de leur pasteur.
J'entends encore l'accent douloureux d'un vieillard à qui
je demandais s'il avait eu la Messe, le Dimanche, dans son
église ébréchée : « Voilà deux mois, me répondit-il, que nous
n'avons plus vu de prêtre. » Le curé et le vicaire étaient
dans un camp de concentration à Munsterlagen, non loin
de Hanovre.
Des milliers de citoyens belges ont été ainsi déportés
dans les prisons d'Allemagne, à Munsterlagen, à Celle,
à Magdebourg. Munsterlagen seul a compté 3.100 prison-
niers civils. L'histoire dira les tortures physiques et morales
de leur long calvaire.
224 EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER
Des centaines dHnnocents furent fusillés; je ne possède
pas au complet ce sinistre nécrologe, mais je sais qu'il y
en eut, notamment, 91 à Aersçhot et que là, sous la menace
de la mort, leurs concitoyens furent contraints de creuser
les fosses de sépulture. Dans l'agglomération de Louvain
et des communes limitrophes, 176 personnes, hommes et
femmes, vieillards et nourrissons encore à la mamelle,
riches et pauvres, valides et malades, furent fusillées
ou brûlées.
Dans mon diocèse seul, je sais que treize prêtres ou
religieux furent mis à mort (1). L'un d'eux, le curé de
Gelrodc est, selon toute vraisemblance, tombé en martyr.
J'ai fait un pèlerinage à sa tombe, et, entouré des ouailles
qu'il paissait, hier encore, avec le zèle d'un apôtre, je lui
ai demandé de garder du haut du ciel, sa paroisse, le
diocèse, la patrie.
Nous ne pouvons ni compter nos morts, ni mesurer
l'étendue de nos ruines. Que serait-ce, si nous portions nos
pas vers les régions de Liège, de Namur, d'Andenne, de
Dinant; de Tamines, de Charleroi; vers Virton, la Semois,
tout le Luxembourg; vers Termonde, Dixmude, nos deux
Flandres (2)?
(1) Leurs confrères en religion ou dans le sacerdoce seront soucieux
de connaître leurs noms; les voici : I^upierreux, de la Compagnie de
Jésus; les Frères Sébastien et Allard, de la Cong-rég-ation des Josc-
phites, le Frère Candide de la Cong-régation des Frères de la Miséri-
corde; le Père Maximin, Capucin, et le Père Vincent, Conventuel;
Lombaerls, curé à Boven-Loo, Goris, curé à Aulgaerden; l'abbé Carettc,
professeur au Collège Episcopal de Louvain; De Clerck, curé à Bueken;
Dergent, curé à Gelrodc, Wouters Jean, curé au Pont-Brùlé. Diverses
circonstances nous induisent à penser que le curé de lièrent, Van
Bladel, vénérable vieillard de soixante et onze ans, a aussi été tué ; cepen-
dant, jusqu'à cette heure, son cadavre n'a pas été retrouvé.
(2) Je disais qu'il y a eu treize ecclésiastiques fusilles dans le diocèse
de Malines. Il y en a, à ma connaissance actuelle, plus de trente dans
les diocèses de Namur, de Tournai, et de Liège : Schlôgel, curé d'Has-
tière; Gille, curé de Couvin; Pieret, vicaire à Étalle; Alexandre, curé à
Mussy-la-Villc; Maréchal, sémina)'iste de Maissin; le H. P. Gillel, béné-
dictin de Maredsous; le R. P. Nicolas, Prémontré de l'abbaye de LefFe,
deux Frères de la môme abbaye; un Frère de la Congrégation des Oblats;
Poskin, curé de Surice; Hotlet, curé des Alloux; Georges, curé de Tin-
PATRIOTISME ET ENDURANCE 225
Là même, où les vies sont sauves et les édifices maté-
riels intacts, que de souffrances cachée? ! Les familles, hier
encore dans l'aisance, sont dans la gêne ; le commerce est
arrêté; l'activité des métiers est suspendue; l'industrie
chôme; des milliers et des milliers d'ouvriers sont sans
travail ; les ouvrières, les filles de magasin, d'humbles
servantes sont privées de leur gagne-pain ; et ces pauvres
âmes se retournent, fiévreuses, sur leur lit de douleur, et
vous demandent : à quand la fm ?
Nous ne pouvons que répondre : C'est le secret de Dieu.
Oui, mes bien chers Frères, c'est le secret de Dieu. Il
est le maître des événements et le souverain régulateur des
sociétés. « Domini est terra et plenitudo ejus; orhis terra-
(c rum et universi qui habitant in eo. » « La terre est à
« Vous, Seigneur, avec tout ce qu'elle contient; à Vous
« notre globe et tous ceux qui l'habitent (1). » La première
relation qui surgit entre la cyéature et son Créateur est
celle d'une dépendance absolue de la première au second.
L'être est dépendant; la nature, les facultés, les actes, les
œuvres le sont. A chaque instant qui s'écoule, la dépen-
dance se renouvelle, parce que, sans le soutien du Tout-
Puissant, l'existence de la première seconde s'évanouirait à
la suivante. L'adoration, c'est-à-dire la reconnaissance de
la souveraineté divine, n'est pas l'objet d'un acte fugitif,
elle doit être l'état permanent de la créature consciente de
ses origines. A chaque page de nos Ecritures, Jehovah
affirme son souverain domaine. Toute l'économie de la Loi
ancienne, toute l'histoire du peuple élu tendent au même
objectif : Maintenir Jehovah sur son trône, abattre les
idoles. « Je suis le premier et le dernier, dit-il dans Isaïe,
tigny; Glouden, curé de Latour; Zenden, curé retraité à Latour; l'abbé
Jacques; Druet, curé d'Acoz; Pollart, curé de Roselies; Labeye, curé de
Blogny-Trombleur ; Thielen, curé de Haccourt; Jansseu, curé d'Heurc-lc-
Romain; Chabot, curé de Forêt; Dossognc, curé de Hockay; Reusonnet,
vicaire d'Olme; Bilande, aumônier des sourds-muels, ù Bouge; l'abbé
Docq, etc.
(1) Ps. XXIII, i.
15 — Fr.
226 EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER
« et, hors moi, il n'est point de Dieu. Qui est comme moi?
« Qu'il s'avance et qu'il parle!... Existe-t-il un refuge autre
« que moi?... Je forme la lumière et je crée les ténèbres;
« je fais la paix et je crée le malheur : c'est moi Jehovah
« qui fais tout cela... Malheur à qui dispute avec Celui qui
« le forme, lui, tesson parmi les tessons de terre! L'argile
« dit-elle au potier : Que fais- tu? et l'œuvre à Touvrier :
« Tu es maladroit!... Parlez, exposez, qui délibérez. Mais,
« sachez-le, de Dieu juste et sauveur il n'en est point que
« moi (1). »
Ah! raison superbe, tu croyais pouvoir te passer de
Dieu! Tu ricanais quand, par son Christ et par son Église,
il prononçait les paroles graves de l'expiation et de la péni-
tence. Enivré de tes succès éphémèreS; homme frivole,
repu d'or et de plaisir, tu te suffisais insolemment à toi-
même! Et le vrai Dieu était relégué dans l'oubli, méconnu,
blasphémé, avec éclat, parfois, par ceux que leur situation
chargeait de donner à autrui l'exemple du respect de l'ordre
et de ses assises. L'anarchie pénétrait les couches infé-
rieures ; les consciences droites se sentaient tentées de
scandale : Jusques à quand, pensaient-elles, jusques à
quand. Seigneur, tolérerez-vous l'orgueil de l'iniquité? Où
êtes-vous. Maître, et donnerez-vous donc finalement raison
à l'impie qui proclame que vous vous désintéressez de votre
œuvre?
Un coup de foudre, et voici tous les calculs humains
bouleversés. L'Europe entière tremble sur un volcan.
La crainte du Seigneur est le principe de la sagesse.
Les émotions se pressent dans les âmes, mais il en est
une qui domine, c'est le sentiment que Dieu se révèle le
Maître.
Les nations qui, les premières, ont donné l'assaut, et
celles qui se défendent, se sentent également dans la main
de Celui, sans qui rien ne se fait, rien n'aboutit.
I
(1) Isaïe, XLV, 4 et suiv.
PATRIOTISME ET ENDURANCE 227
Ijes hommes déshabitués depuis longtemps de la prière,
se retournent vers Dieu. Dans l'armée, dans le monde civil,
en public, dans le secret des consciences, on prie. Et la
prière n'est pas, cette fois, une parole, apprise par cœur,
qui effleure les lèvres, elle monte du fond de l'âme et se
présenté devant la Majesté souveraine sous la forme
sublime de l'offrande de la vie. C'est tout l'être qui s'im-
mole à Dieu. C'est l'adoration, l'accomplissement du pre-
mier et fondamental précepte de Tordre moral et religieux :
« Dominiun Deuni tuum adorabis et illi soli servies » (1),
« Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne te mettras qu'à
son service. »
Même ceux qui murmurent et ne se sentent pas le cou-
rage de courber le front sous la main qui nous frappe et
nous sauve, reconnaissent implicitement que Dieu est le
Maître suprême, car ils ne le blasphèment que parce qu'il
se hâte trop peu, à leur gré, de s'accommoder à leurs
désirs.
Quant à nous, mes Frères, nous voulons sincèrement
L'adorer. Nous ne voyons pas encore, dans tout son éclat,
la révélation de sa sagesse, mais notre foi Lui fait crédit.
Nous nous humilions devant sa justice et nous espérons en
sa miséricorde. Avec le saint homme Tobie, nous recon-
naissons qu'il nous châtie, parce que nous avons péché,
mais nous savons qu'il nous sauvera, parce qu'il est misé-
ricordieux. (( Ipse castigavit nos propter iniquitates nostras :
et ipse salvahit nos propter misericordiam suam » (2).
Il serait cruel d'appuyer sur nos torts, au moment môme
où nous les payons si durement et avec tant de grandeur
d'âme. Mais n'avouerons-nous pas que nous avions quelque
chose à expier? A qui II a beaucoup donné, Dieu a le droit
de beaucoup redemander ; « Omni autem cui multum datum
estf multum quœretur ab eo » (3). Or, le niveau moral et
(1) Deut. Malth. IV, 10.
(2) Tobie XIII, 6.
iS) Luc, XII, 48.
228 EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER
religieux du pays montait-il de pair avec sa prospérité éco-
nomique? Le repos dominical, l'assistance à la messe du
dimanche, le respect du mariage, les lois de la modestie,
qu'en faisiez-vous? Que devenaient, même dans les familles
chrétiennes, la simplicité de nos pères, l'esprit de péni-
tence, la confiance dans l'autorité? Et nous, religieux,
prêtres, évêque, nous surtout, dont la sublime mission est
de traduire dans notre vie, plus encore que dans nos dis-
cours, l'évangile du Christ, nous donnions-nous assez le
droit de redire à notre peuple la parole de l'apôtre des
nations : « Copiez votre vie sur la mienne, comme la mienne
« est copiée sur celle du Christ, Imitatores mei estote,
« sicut et ego Christi » (1). Nous travaillions, oui; nous
priions, oui encore; mais c'est trop peu. Nous sommes, par
devoir d'état, les expiateurs publics des péchés du monde.
Or, qu'est-ce qui dominait dans notre vie, îe bien-être bour-
geois, ou l'expiation?
Oh! oui, tous nous tombions, à nos heures, sous le
reproche que faisait l'Éternel à son peuple élu, après la
sortie d'Egypte : « J'avais engraissé mon peuple et il a
{( regimbé; mes fils ont été infidèles, ils m'ont traité comme
« si je n'étais pas leur Dieu; je les traiterai comme s'ils
« n'étaient plus mon peuple. » « Incrassaius est dilectus et
« recalcitravit... Infidèles filii; ipsi me provocaverunt in eo,
« qui non erat Deus, et ego provocabo eos in eo, qui non est
« populus. »
« Je les sauverai, cependant, car je ne veux pas que leurs
a<lversaires se méprennent et disent : « Notre main a été
c^ puissante ; c'est nous, et ce n'est pas l'Eternel qui a fait
« toutes ces choses. » « Sed pr opter iram inimicorum dis-
« tuli, ne forte superhirent hostes eorum et dicei^ent :
« Manus nostra excelsa, etnonDominus, fecithœcomnia. »
c( Sachez donc que c'est moi qui suis Dieu, et qu'il n'y a
« point de Dieu autre que moi ; je fais vivre et je fais mourir,
(1) I Cor. XI, 1.
PATRIOTISME ET ENDURANCE 229
« je blesse et je guéris. Videte quod ego sim solus, et non
(( sit alius Deus prœter me. Ego occidam, et ego vivere
« faciam : percutiam et ego sanaho (1). »
Dieu sauvera la Belgique, mes Frères, vous n'en pouvez
point douter.
Disons mieux : Il la sauve.
En vérité, à travers les lueurs des incendies et les
vapeurs du sang-, n'entrevoyez-vous pas, déjà, les témoi-
gnages de son amour?
Est-il un patriote qui ne sente que la Belgique a grandi?
Qui de nous aurait le courage de déchirer la dernière
page de notre histoire?
Qui ne contemple avec fierté le rayonnement de la gloire
de la patrie meurtrie?
Tandis que, dans la douleur, elle enfante l'héroïsme,
notre mère verse de l'énergie dans le sang de ses fils.
Xous avions besoin, avouons-le, d'une leçon de patrio-
tisme.
Des Belges, en grand nombre, usaient leurs forces et gas-
pillaient leur temps en querelles stériles, de classes, de
races, de passions personnelles.
Mais lorsque, le 2 août, une puissance étrangère, con-
fiante dans sa force et oublieuse de la foi des traités, osa
menacer notre indépendance, tous les Belges, sans dis-
tinction ni de parti, ni de condition, ni d'origine, se levèrent
comme un seul homme, serrés contre leur roi et leur gou-
vernement, pour dire à l'envahisseur : a Tu ne passeras pas.»
Du coup, nous voici résolument conscients de notre
patriotisme : c'est qu'il y a, en chacun de nous, un senti-
ment plus profond que l'intérêt personnel, que les liens du
sang et la poussée des partis, c'est le besoin et, par suite,
la volonté de se dévouer à l'intérêt général, à ce que Rome
appelait « la chose publique » Res puhlica; ce sentiment,
c'est le Patriotisme.
I\) Deiiler. Canlicum Moysis XXXII, 15 et seq.
230 EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER
La Patrie n'est pas qu'une agglomération d'individus ou
de familles habitant le même sol, échangeant entre elles
des relations plus ou moins étroites de voisinage ou
d'affaires, remémorant les mêmes souvenirs, heureux ou
pénibles : non, elle est une association d'âmes, au service
d'une organisation sociale qu'il faut, à tout prix, fût-ce au
prix de son sang, sauvegarder et défendre, sous la direc-
tion de celui ou de ceux qui président à ses destinées.
Et c'est parce qu'ils ont une même âme, que les compa-
triotes vivent, par leurs traditions, d'une même vie dans le
passé; par leurs communes aspirations et leurs communes
espérances, d'un même prolongement de vie dans l'avenir.
Le patriotisme, principe interne d'unité et d'ordre, liaison
organique des membres d'une même patrie, était regardé
par l'élite des penseurs de la Grèce et de la Rome antiques,
comme la plus haute des vertus naturelles. Aristote, le
prince des philosophes païens, estimait que le désintéres-^
sèment au service de la cité, c'est-à-dire de l'État, est
l'idéal terrestre par excellence.
La religion du Christ fait du patriotisme une loi : il n'y a
point de parfait chrétien, qui ne soit un parfait patriote.
Elle surélève l'idéal de la raison païenne, et le précise,
en faisant voir qu'il ne se réalise que dans l'Absolu.
D'où vient, en effet, cet élan universel, irrésistible, qui
emporte, d'un coup, toutes les volontés de la nation dans
un même effort de cohésion et de résistance aux forces
ennemies qui menacent son unité et son indépendance?
Comment expliquer que, sur l'heure, tous les intérêts
cèdent devant l'intérêt général ; que toutes les vies s'offrent
à l'immolation ?
Il n'est pas vrai que l'État vaille, essentiellement, mieux
que l'individu et la famille, attendu' que le bien des familles
et des individus est la raison d'être de son organisation.
Il n'est pas vrai que la Patrie soit un dieu Moloch, sur
l'autel de qui toutes les vies puissent être légitimement
sacrifiées.
PATRIOTISME ET ENDURANCE 23i
La brutalité des mœurs païennes et le despotisme des
Césars avaient conduit à cette aberration — et le milita-
risme moderne tendait à la faire revivre, — que l'Etat est
omnipotent et que son pouvoir discrétionnaire crée le
Droit.
Non, réplique la théologie chrétienne, le Droit c'est la
Paix, c'est-à-dire l'ordre intérieur de la nation, bâti sur la
Justice. Or, la Justice elle-même n'est absolue, que parce
qu'elle est l'expression des rapports essentiels des liommes
avec Dieu et entre eux.
Aussi, la guerre jDour la guerre est-elle un crime. La
guerre ne se justifie qu'à titre de moyen nécessaire pour
assurer la paix.
(( Il ne faut pas que la paix serve de préparation à la
guerre, dit saint Augustin ; il ne faut faire la guerre que
pour obtenir la paix. » Non enim pax quœritur ut bellum
excitetuf : sed hélium geritur ut pax adquiratur (1).
A la lumière de cet enseignement, que reprend à son
compte saint Thomas d'Aquin (2), le patriotisme revêt un
caractère religieux.
Les intérêts de famille, de classe, de parti, la vie corpo-
relle de l'individu sont, dans l'échelle des valeurs, au-des-
sous de l'idéal patriotique, parce que cet idéal c'est le
Droit, qui est absolu. Ou encore, cet idéal, c'est la recon-
naissance publique du Droit appliqué à la nation, l'Honneur
national.
Or, il n'y a d'Absolu, dans la réalité, que Dieu.
Dieu seul domine, par sa sainteté et par la souveraineté
de son empire, tous les intérêts et toutes les volontés.
Affirmer la nécessité absolue de tout subordonner au
Droit, à la Justice, à l'Ordre, à la Vérité, c'est donc impli-
citement affirmer Dieu.
Et quand nos humbles soldats, à qui nous faisions com-
(1) S. Aug. Ep. ad Bonifacium, 189, 0.
(2) Sum. Theol. 2. 2. q. 40, art. 1.
232 EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER
pliment de leur héroïsme, nous répondaient avec simpli-
cité : « Nous n'avons fait que notre devoir », « Thonneur
l'exige », ils exprimaient, à leur façon, le caractère reli-
gieux de leur patriotisme.
Qui ne sent que le patriotisme est « sacré » et qu'une
atteinte à la dignité nationale est une sorte de profanation
sacrilège ?
Un officier d'état-major me demandait naguère si le soldat
qui tombe au service d'une cause juste, — et la nôtre l'est
à l'évidence — est un martyr.
Dans l'acception rigoureuse et théologique du mot, non,
le soldat n'est pas un martyr, car il meurt les armes à la
main, tandis que le martyr se livre, sans défense, à la vio-
lence de ses bourreaux.
Mais si vous me demandez ce que je pense du salut
éternel d'un brave, qui donne consciemment sa vie pour
défendre l'honneur de sa patrie et venger la justice violée,
je n'hésite pas à répondre que sans doute le Christ couronne
la vaillance militaire, et que la mort, chrétiennement
acceptée, assure au soldat le salut de son âme.
« Nous n'avons pas, dit Notre-Seigneur, de meilleur
moyen de pratiquer la charité, que de donner notre vie
pour ceux que nous aimons. Majorent hac dilectionem
nemo hahet, ut animam siiam portai quis pro amicis
suis (1). »
Le soldat qui meurt pour sauver ses frères, pour protéger
les foyers et les autels de la Patrie, accomplit cette forme
supérieure de la charité .
Il n'aura pas toujours, je le veux, soumis à une analyse
minutieuse la valeur morale de son sacrifice, mais est-il
nécessaire de croire que Dieu demande au brave, entraîné
au feu du combat, les précisions méthodiques du moraliste
ou du théologien ?
(1) Joan. XV, 13.
PATRIOTISME ET ENDURANCE 233
Nous admirons l'héroïsme du soldat : se pourrait-il que
Dieu ne l'accueillît pas avec amour?
Mères chrétiennes, soyez lîères de vos fils. De toutes nos
douleurs, la vôtre est, peut-être, la plus digne de nos res-
pects. Il me semble vous voir en deuil, mais debout, à côté
de la Vierge des douleurs, au pied de la Croix. Laissez-nous
vous offrir nos félicitations en même temps que nos condo-
léances. Tous nos héros ne figurent pas à l'ordre du jour
des armées, mais nous sommes fondés à espérer pour eux
la couronne immortelle qui ceint le front des élus.
Car telle est la vertu d'un acte de charité parfaite, qu'à
lui seul il efface une vie entière de péché. D'un coupable,
sur l'heure, il fait un saint.
Ce doit nous être à tous une consolation chrétienne de le
penser, ceux qui, non seulement parmi les nôtres, mais
dans n'importe quelle armée belligérante, obéissent, de
bonne foi, à la discipline de leurs chefs, pour servir une
cause qu'ils croient juste, peuvent bénéficier de la vertu
morale de leur sacrifice. Et combien n'y en a-t-il pas,
parmi ces jeunes gens de vingt ans, qui n'auraient pas eu,
peut-être, le courage de bien vivre, et dans l'entraînement
patriotique, se sentent le courage de bien mourir?
N'est-il pas vrai, mes Frères, que Dieu a l'art suprême
de mêler la miséricorde et la sagesse à la justice, et ne
devrez-vous pas reconnaître que, si la guerre est pour notre
vie terrestre un fléau, dont nous mesurerions difficilement
la force de destruction et l'étendue, elle est aussi pour les
âmes un agent de purification, un facteur d'expiation, un
levier qui les aide à gravir les hauteurs du patriotisme et
du désintéressement chrétien?
Nous pouvons le dire sans orgueil, mes Frères, notre
petite Belgique a conquis le premier rang dans l'estime
des nations.
Il s'est bien rencontré, je le sais, en Italie et en Hollande,
notamment, des personnages habiles qui ont dit : « Pour-
quoi exposer la Belgique à cette perte immense de richesse
234 EXTRAIT DE LA LETTRE DU CARDINAL MERCIER
et d'hommes? N'eût-il pas suffi de protester verbalement
contre Fagression ennemie, ou de tirer, au besoin, un coup
de canon à la frontière? »
Mais tous les hommes de cœur seront avec nous contre
les inventeurs de ces calculs mesquins.
L'utilitarisme n'est, ni pour les individus ni pour les col-
lectivités, la norme du civisme chrétien.
L'article 7 du traité signé à Londres, le 19 avril 1839, par
le roi Léopold, au nom de la Belgique, d'une ])art ; par
Tempereur d'Autriche, le roi de France, la reine d'Angle-
terre, le roi de Prusse, l'empereur de liussie, d'autre part;
énonce que « la Belgique formera un Etat indépendant et
« perpétuellement neutre, et qu'elle sera tenue d'observer
« cette même neutralité envers tous les États. »
De leur côté, les cosignataires du traité « promettent,
<c pour eux et pour leurs successeurs, sous la foi du ser-
« ment, d'accomplir et d'observer ledit traité en tous ses
(( points et articles, sans y contrevenir, ni permettre qu'il
« y soit contrevenu. »
La Belgique était engagée d'honneur à défendre son
indépendance : elle a tenu parole.
Les autres puissances s'étaient engagées à respecter et à
protéger la neutralité belge : l'Allemagne a violé son ser-
ment, l'Angleterre y est fidèle.
Voilà les faits.
Les droits de la conscience sont souverains : il eût été
indigne de nous de nous retrancher derrière un simulacre
de résistance.
Nous ne regrettons pas notre premier élan, nous en
sommes fiers. Écrivant, à une heure tragique, une page
solennelle de notre histoire, nous l'avons voulue sincère et
glorieuse.
Et nous saurons, tant qu'il le faudra, faire preuve d'en-
durance.
1
t
LES CARDINAUX FRANÇAIS AU CARDINAL MERCIER 235
Les cardinaux français au cardinal Mercier.
Eminentissime Seigneur,
Les cardinaux français se font un devoir d'offrir à Votre
Eminence l'hommage de leur respectueuse.admiration pour
la noble attitude et le langage vraiment apostolique que lui
ont inspirés le zèle de la vérité et de la justice et l'amour
de son héroïque patrie.
Ils s'associent à la douleur que causent à votre cœur
d'évêque et de père l'injuste invasion de votre pacifique
pays, les malheurs et les souffrances de votre peuple, la
dévastation et le pillage de vos villes et de vos campagnes,
l'incendie des églises, des écoles, de votre Université de
Louvain, de sa bibliothèque et de ses collections, la des-
truction des monuments qui faisaient l'ornement de vos
antiques cités, la dispersion de vos compatriotes réduits à
s'exiler pour échapper au joug et aux vexations de l'étran-
ger, les sévices et les meurtres dont la population civile et .
le clergé ont été victimes.
Ils applaudissent au témoignage si juste et si éloquent
que vous rendez à la magnanimité de votre roi, à l'héroïsme
de votre armée, à la vaillance du peuple belge qui person-
nifie à l'heure actuelle la défense du droit, de la liberté et
du respect des traités.
Ils tiennent à protester contre l'outrage fait à la dignité
de votre personne et à la liberté de votre ministère.
Ils unissent leurs prières aux vôtres pour demander au
Maître souverain des nations de ne pas permettre le
triomphe de la force sur le droit, de conserver à la catho-
lique Belgique son indépendance, de l'aider à réparer
236 ADRESSE DES ÉVÊQUES DE LA PROVINCE DE LYON
promptement ses ruines et à reconquérir dans la paix et le
travail une prospérité que tous les peuples lui enviaient.
Veuillez agréer, Eminentissime Seigneur, avec l'assu-
rance de notre fraternelle sympathie, l'hommage de nos
sentiments de profonde vénération.
f Louis-JosEPii, cardinal Luçox, archevêque de
Reims.
f Paulin, cardinal Andrieu, archevêque de Bor-
deaux.
f Léon-Adolphe, cardinal Auette, archevêque de
Paris.
•f- Fkançois-Marie-Anatole, cardinal de Cabrii;-
RES, évêque de Montpellier.
f TTector-Irénée, cardinal Seyi^, archevêque de
Lyon.
Adresse des évêques de la province de Lyon
au cardinal Mercier.
Eminentissime Seigneur,
Nous qui aimons l'Eglise comme une mère et la Belgique
comme une sœur du même sang et de la même foi que
la France, nous ne pouvons taire l'admiration dont nous
remplit la lettre pastorale que vous venez d'écrire à votre
peuple, passé sous le joug allemand. Elle a remué des
millions d'âmes, heureuses et fières d'entendre cette pro-
testation du droit contre la force, en un langage si calme,
AU CARDINAL MERCIER 237
si mesuré, si intrépide, si étincelant d'énergie, et elle a
inscrit votre nom à côté de celui des Basile et des Am-
broise, des Chrysostome et des Hilaire, des Anselme et des
Thomas de Cantorbéry, des Droste et des Ledochowski.
La Belgique jouissait d'une prospérité prodigieuse, sous
la protection de Dieu, qu'elle honorait plus qu'aucune autre
nation de notre temps, par le caractère chrétien de toute
sa vie publique, lorsqu'au mépris des traités, de la foi
jurée, de la parole donnée, elle se vit subitement envahie.
En laissant son épée au fourreau et en ouvrant aux batail-
lons allemands les chemins qui les auraient conduits en
trois jours au cœur de la France, elle eût conservé la paix,
mais la paix sans honneur et sans la liberté, une paix plus
ruineuse que les plus sanglantes défaites. Le sang de
Charlemagne et de Godefroy de Bouillon le lui interdisait.
Sans hésiter, elle courut aux armes à l'appel de son jeune
roi, suppléant au nombre par le courage et couvrant tous
les points menacés. La valeur guerrière de ses troupes leur
valut, sous le feu de l'ennemi, les acclamations des plus
braves soldats du monde. Mais si les cœurs étaient invin-
cibles, les bras ne pouvaient l'être.
En quelques semaines, nous vîmes Bruxelles occupé,
Liège, Namur, Anvers emportés d'assaut, les neuf provin-
ces couvertes d'incendies, de ruines, de sang, d'infâmes
souillures, le roi obligé de se réfugier sur les frontières de
France. Vous restiez seul, vous deveniez l'unique force
morale qui pût servir de soutien au peuple meurtri qui
habitait encore ce champ de carnage ; sa faiblesse et ses
droits opprimés appelaient un défenseur : ses yeux se
fixaient sur vous.
*
A *
Vous vous êtes levé et en face d'un ennemi triomphant,
au milieu d'un monde qui encense la force et se prosterne
devant le fait accompli, vous avez proclamé la sainteté des
traités que l'Allemagne venait de mettre en pièces.
238 ADRESSE DES ÉVÊQUES DE LA PROVINCE DE LYON
Une philosophie, qui prétend réaliser un progrès sur le
christianisme, enseigne outre-Rhin que le plus fort est le
meilleur et qu'à ce titre; il doit dominer. Nous sommes
ainsi ramenés au temps de ces impies dont parle la sagesse
et qui avaient i:)()ur principe : Que notre force soit la loi de
la justice : Sit fortitudo nostra lex justitiœ, et qui en ti-
raient cette conséquence : opprimamus... quod enim infir-
mum est inutile invenitur (Sap. ii, 11). <( Opprimons: ce
qui est faible n'est bon à rien ! » Avec cette maxime, que
devient le respect de la faiblesse ? Que devient la sainteté
des serments, par lesquels les puissants s'engagent à la
protéger ? Au plus fort les dépouilles ! A lui mon héritage !
à lui l'indépendance de mon pays, si mon bras ne peut
l'abattre ! Quelle doctrine de guerre éternelle ! Non, elle
n'est pas le progrès, et ce n'est pas seulement la Belgique
que vous avez obligée, c'est tout le monde chrétien, en
rappelant au vainqueur que le droit, même désarmé, est
imprescriptible ; que c'est une force dont la violence et
l'outrage ne triomphent pas ; que c'est une flamme, à
laquelle tôt ou tard Dieu allume la vengeance qui rétablit
l'ordre lin instant troublé.
Vdus avez, Eminentissime Seigneur, affirmé le droit
chrétien de la guerre.
Les nations civilisées par l'Eglise ne connaissaient plus
les excès des siècles païens, où les peuples précipités les
uns contre les autres songeaient moins à vaincre qu'à
détruire. Elle avait lentement amené le soldat victorieux à
tenir pour sacrés : l'honneur de la femme, la faiblesse de
l'enfant, la vie des citoyens désarmés, la propriété privée,
l'immunité des temples et des ministres de Dieu, des écoles
et des hôpitaux, n'accordant à la guerre que les violences
qui lui sont essentielles.
Le droit nouveau, tant prôné en Allemagne, a fait recu-
ler l'influence de l'Eglise. A-t-il rendu la guerre moins
inhumaine ? Nous pouvons juger l'arbre à ses fruits. Dou-
loureuse passion de la Belgique ! Vous la racontez, Emi-
AU CARDINAL MERCIER 239
nence, le cœur brisé par toutes les douleurs qui j)euvent
affliger un citoyen et un évêque. Vous ne pouvez taire les
atrocités commises : les églises brûlées, les prêtres massa-
crés, Louvain incendié, tant de villages rasés, de vierges
outragées, d'enfants et de vieillards fusillés ; il faut que le
monde connaisse toutes les horreurs issues de l'abandon de
l'idée chrétienne ; mais pour les retracer, vous avez
retrouvé quelque chose des accents avec lesquels les
auteurs sacrés racontent la mort du Fils de l'homme.
Sans un mot d'anathème ou de violence, vous accomplis-
sez l'œuvre de justice que l'histoire reprendra demain. Et
en vouz lisant, ceux qu'on plaint, ce ne sont pas les vaincus,
les victimes ! Comme vous les vengez, en évêque, de ceux
qui ont tenté de les insulter ou de les tourner en dérision !
Vous avez affirmé l'indépendance de la Belgique.
Quel singulier service vous avez rendu à votre pays !
Au peuple que l'excès de la souffrance pousse tantôt à
l'abandon et tantôt à la révolte, vous rappelez que c'est
Dieu qui a donné au roi la puissance souveraine, et que
l'usurpation qui l'en prive en fait ne l'en dépouille point en
droit. Le devoir de tout Belge est de rester fidèle à la reli-
gion de la seconde Majesté. Vous faites un trône au prince
malheureux dans la conscience de ses sujets, où vous
étouffez les germes de la défection et jusqu'au simple mur-
mure. Vous ne voulez pas que les Belges opprimés organi-
sent des complots, vous ne souffrez pas qu'ils oublient
leurs serments.
Il y a des hommes autour de vous pour nier la patrie et
vous répliquez qu'il faut d'autant plus l'aimer qu'elle est
plus malheureuse. Vous apparaissez comme le Defensor
civitatis, vous réchauffez le culte de la patrie, vous en atti-
sez l'amour sous les yeux de l'ennemi. «Apprends, semblez-
vous lui dire, ce que c'est qu'un évêque patriote. Nous
ne pensons pas te faire peur, mais nous sommes incapables
(le te craindre. » D'où vient notre hardiesse? Du mépris
que nous faisons de la vie quand il s'agit de notre pays.
240 ADRESSE DES ÉVÊQUES DE LA PROVINCE DE LYON
Qui aura mieux servi que vous la Belgique? Vous la
reconstruisez aujourd'hui comme les premiers évêques la
construisirent jadis.
*
A tous les opprimés vous jetez un cri d'espérance. La
Belgique est vaincue, elle n'est pas au cercueil. Elle se
relèvera. Une patrie, avez -vous dit, est une association
d'âmes. A toute association, il faut un principe d'union et
d'harmonie. Où votre pays le trouvera-t-il ? Dans l'épisco-
pat belge, dont la main continuera jusque sous l'oppression
à en rapprocher tous les éléments ; dont la voix ne cessera
de lui dire qu'il faut aimer son sol et sa race jusqu'au
suprême sacrifice ; dont le zèle lui rappellera sans relâche
qu'il convient d'abreuver son patriotisme à la source de
tous les grands sentiments, à la source de la religion.
La Belgique est vaincue. Mais elle revivra. Dieu, qui
est en train de broyer l'Europe pour la remanier, ne frappe
la Belgique que pour la guérir ; il est comme l'artiste qui
ne brise le bronze, dont le temps a terni la beauté, et qui
ne le jette au creuset que pour en tirer une statue plus belle
et plus resplendissante. Quand ? Comment? Tous ou pres-
que tous les pronostics ne sont-ils pas contraires ? Nous
comptons comme vous sur Dieu et sur le mot de Dieu. Lors-
que retentit ce mot, si bas que soient tombées les affaires du
bon droit, tout se relève, tout change de face. Des signes
inespérés, inattendus, impossibles, paraissent à tous les
points du ciel : ce qui était sûr de la victoire et tranquille
dans sa force se trouble et se déconcerte. En vain le succès
d'hier veut-il faire bonne contenance, une ombre se voit
sur son front qui est le signe des puissances passées, et
tout le monde voit à un je ne sais quoi, que ce qui n'étai
rien est devenu tout.
L'histoire est pleine de ces coups de foudre, et voilà
pourquoi c'est pitié de vouloir faire l'histoire sans tenir
AU CARDINAL MERCIER 241
compte du « mot de Dieu » (1). Dieu est-il avec nous ? S'il
en était éloigné, nos expiations ne l'ont-elies pas ramené ?
Nous croyons comme vous au mystère des expiations. Et la
Belgique a été rachetée par un sang trop pur, pour ne pas
se relever bientôt.
Qu'aciviendra-t-il de vous, Éminence, après le grand
acte que vous venez d'accomplir? Nous l'ignorons. Mais
une cause comme celle que vous avez défendue vaut bien
la peine que l'on aille en prison, que dis-je ? qu'on affronte
l'exil. Jusqu'ici votre peuple est fier de penser que la cause
du droit opprimé a trouvé un refuge dans le cœur de son
archevêque. Si demain vous alliez en prison, avec quel
amour, il baiserait vos chaînes !
Tous les évêques do la province de Lyon et tous les
cathoUques lyonnais s'unissent à moi pour offrir à Votre
Éminence et à tous les évoques de la Belgique, le tribut de
leur admiration. Toutes vos douleurs sont les nôtres; votre
gloire dans l'adversité est à vous, mais nous vous sommes
si étroitement unis que nous nous réjouissons de l'honneur
que votre courage fait au clergé et à l'Église, comme si la
France était votre patrie.
Daignez, agréer l'hommage de la profonde vénération
avec laquelle nous avons l'honneur d'être
De Votre Éminence Révérendissime, les serviteurs très
humbles et très dévoues :
f II.-I. cardinal Sevin, archevêque de Lyon, Pri-
mat des Gaules ;
-}- Alexandre, évêque de Saint- Claude ;
-{- Olivieu-Marik, évoque de Langres ;
f Jacq [TES- Louis, évêque de Dijon ;
i" Joseph-Louis, évêque de Greyiohle ;
f Jhan, évêque d'Adrumète.
Lyon, le 25 janvier 1915.
(1) Abbé Perreyve,
16
242 LETTRE PASTORALE DE S. G. M-'^ TURIN A Z
Lettre pastorale de S. Gr. Mgr Turinaz, Archevêque
titulaire d'Antioche, Évêque de Nancy et de Toul,
Primat de Lorraine.
Nos Très Chers Frères,
De quoi pourrions -nous vous parler en ce moment, sinon
de cette horrible guerre, qui menace l'existence de notre
pays, l'avenir de l'Europe et du monde? Certes, nous ne
songeons pas à exciter la haine des peuples les uns contre
les autres, mais nous avons le devoir d'exposer les carac-
tères et le but de cette guerre, d'en dénoncer les suprêmes
périls, d'affirmer la vérité, de servir la justice, de défendre
notre pays contre des accusations iniques, de rappeler les
droits sacrés de tant d'innocentes victimes et des popula-
tions livrées à de si cruelles épreuves.
Elevons nos âmes, fortifions nos cœurs, pour comprendre
ces douloureuses démonstrations et pour mettre en pratique
de erandes et divines leçons.
I. — Les caractères de cette guerre.
La guerre qui soulève et désole tant de peuples, est une
guerre sans pareille. Et pourtant les apôtres aveugles du
pacifisme, et d'autres encore, que le désir de l'union ne
nous permet pas de signaler en ce moment, ont nié l'évi-
dence des préparatifs formidables de l'Allemagne ; ils nous
ont affirmé que la guerre était impossible, ou qu'il suffirait,
LETTRE PASTORALE DE S. G. M^'^ TURINAZ 243
pour être victorieux, de nombreuses légions de milice et de
garde nationale.
Or, cette guerre est incomparable par le nombre des
combattants. Ce ne sont plus quelques centaines de mille
hommes, ce sont des multitudes, des peuples entiers, ^des
millions d'hommes, qui se livrent les plus sanglants com-
bats. Les champs de bataille ne sont plus resserrés sur une
étendue de quelques kilomètres, c'est sur -une étendue
de 100, 150, 200 kilomètres que se mêlent ei se détruisent
les combattants. L'ensemble des armées ennemies occupe
parfois en face l'une de l'autre jusqu'à 450 kilomètres.
Napoléon disait de tel de ses habiles généraux : « Il est
capable de commander 100.000 hommes. » Que faut-il dire
aujourd'hui des chefs de ces immenses armées?
Cette guerre est incomparable par la puissance des ins-
truments de destruction, que la science et l'industrie per-
fectionnent chaque jour, et qui vont au foin anéantir des
ennemis qui ne savent d'où leur vient la mort. Elle est plus
redoutable encore, plus lente, plus meurtrière^ parce qu'elle
se transforme en travaux de siège, se heurtant à des tran-
chées, à des fortifications, qui déconcertent parfois l'ardeur,
l'élan, l'entraînement de la bravoure française.
Sans doute les progrès de la science, la générosité, la
pitié, multiplient les secours, les hôpitaux et les ambulances,
mais les blessés, hélas ! sont si nombreux. Combien d'in-
fortunés, abandonnés pendant des journées et des nuits
entières, sous la pluie, la neige et l'orage, dévorés par la
fièvre, torturés par la douleur, succombent dans d'affreuses
angoisses. Et ces luttes qui entraînent l'Europe, qui bientôt,
peut-être, entraîneront le monde entier, suppriment partout,
même dans une certaine mesure chez les peuples restés
neutres, l'industrie et le commerce, arrêtent toute vie
sociale, et jettent d'innombrables familles dans la gêne,
les privations et la pauvreté.
Nous sommes condamnés à le dire, cette lutte effroyable
est une guerre d'extermination. L'Allemagne raflirme. et.
244 LETTRE PASTORALE DE S. G. M8^ TURINAZ
elle en donne, chaque jour, d'irrécusables et horribles
démonstrations. Un colonel bavarois, prisonnier dans le
Midi de la France, répondait à un prêtre, qui se plaignait
des atrocités commises par les armées allemandes en Bel-
giqi^e et en France : « Ah ! c'est que ce n'est pas une guerre
ordinaire; c'est une guerre d'extermination. Il s'agit de
savoir si la race latine et la race slave vont prétendre con-
tinuer d'exister en face de la race germanique, c'est-à-dire
en face d'une culture et d'une civilisation supérieures d). »
C'est la conclusion nécessaire, évidente, de toute la culture
allemande, qui fait, de ses prétendus surhommes, selon
l'expression d'un de ses plus grands docteurs, « des bêtes
plus complètes » (2). Aussi un général allemand, dans un
ordre du jour, dont l'authenticité a été démontrée par
l'ambassade de France à Berne, ordonnait de tuer tous les
prisonniers de guerre. Un autre général écrivait : « Nous
n'avons pas à noUs justifier; tout ce que font nos soldats
pour faire du mal à l'ennemi, tout cela est bien fait et jus-
tifié d'avance. »
Hélas ! la Belgique et la France savent ce qu'ils ont fait
et ce qu'ils font. Des massacres de vieillards, de femmes et
d'enfants, des petits enfants horriblement mutilés, les plus
odieuses et infâmes violences, les villages et les villes
détruits systématiquement par l'incendie et le bombarde-
ment, le pillage partout organisé, les églises et les plus
magnifiques cathédrales ravagées et détruites.
Nous sommes condamnés à le faire remarquer ; partout,
c'est d'abord sur les églises que leurs obus sont dirigés ; les
prêtres catholiques ont été les plus insultés, les plus mal-
traités, quand ils n'ont pas été fusillés après de terribles
tortures. A Gerbéviller, dans ce diocèse, après les plus
horribles excès, dans l'église à moitié détruite, les soldats
ont tiré, à bout portant, sur la porte du tabernacle qui leur
(1) Louis Bertrand : Nietzche et la guerre,
(2) Nietzche.
LETTRE PASTORALE DE S. G. MS"" TURINÂZ 245
résistait : le saint-ciboire a été criblé de balles, qui ont mis
en pièces ou en poussière les Saintes Espèces qu'il ren-
fermait.
Des officiers se déclarent bons catholiques, des soldats
montrent leurs chapelets et leurs scapulaires, et aux
reproches qui leur sont adressés, ils répondent : « C'est la
guerre. » On leur enseigne donc que la guerre autorise tous
les crimes, toutes les atrocités !
Nous ne l'ignorons pas, les Allemands nient tout, même
en présence des rapports officiels de France et de Belgique,
résultats des enquêtes les plus sérieuses, appuyées sur
d'incontestables documents. Il n'y a qu'à parcourir notre
malheureuse région, nos départements envahis, la Belgique
tout entière, pour entendre d'innombrables témoins, pour
voir les ruines accumulées par le bombardement et l'in-
cendie, pour recueillir les preuves du massacre impitoyable
de prêtres, de vieillards, de femmes et d'enfants.
Nous le savons, selon leur système, qui a toujours été
celui des Turcs, leurs amis et alliés, les Allemands se sont
empressés de prévenir ces accusations écrasantes, en calom-
niant les Français. Ils osent accuser la population civile,
nos officiers et nos soldats de maltraiter leurs prisonniers
et leurs blessés, de leur crever les yeux, et de ne leur
donner aucun soin. Ils osent dire que les femmes françaises
versent de l'eau bouillante sur ces malheureux. Nous
opposons à ces infamies le démenti le plus formel, la pro-
testation la plus indignée. Il n'est pas de diocèse en France
qui n'ait reçu des malades et des blessés allemands. Tous
nos vénérés collègues ont, comme nous, visité ces blessés
et ces malades, ils les ont interrogés. Partout, ils ont cons-
taté les soins qui leur étaient donnés avec une admirable
charité et entendu l'expression de leur gratitude. Rien
n'est plus opposé que de tels actes aux traditions de nos
armées et à la générosité française. Si ces déplorables
desseins s'étaient manifestés, il n'est pas, en France, un
évoque, un prêtre, aumônier, infirmier, simple soldat, qui
246 LETTRE PASTORALE DE S. G. M^^^ TURINAZ
ne se fût placé devant ces malheureux, et qui ne les eût
protégés, s'il l'avait fallu, même au péril de sa vie. Voilà
la vérité. Nous défions toute l'Allemagne et toutes les
nations assez crédules et assez aveugles pour admettre la
bonne foi allemande, de justifier une seule de ces accu-
sations il).
Cette guerre n'est pas seulement une lutte d'extermina-
tion contre les nations et les races déclarées inférieures
et condamnées à mourir ; elle va, par une pente fatale, par
ses conclusions nécessaires, à la destruction de VEglise
catholique, de son autorité et de ses doctrines, à la des-
truction de toute religion. Ce n'est j^as assez dire, elle con-
duit à la destruction de toutes les lois, de tous les droits,
de toute morale, de tous les principes, dont vit l'huma-
nité tout entière. Car, selon la culture allemande, la
vérité, la justice, la loi, le droit, la morale, la loyauté, la
vertu, c'est tout ce qui convient, tout ce qui plaît à la race
supérieure des surhommes, tout ce qui sert son orgueil,
ses passions, son ambition et ses instincts, tout ce qui
doit faire de l'humanité un troupeau immense, dont les
plus forts et les plus féroces déchireront, écraseront et
dévoreront les plus faibles,
II. — Les enseignements de cette guerre
La guerre, et surtout une horrible guerre comme celle
qui multiphe sous nos yeux les désastres et les crimes, est
un grand et terrible châtiment ; et ce châtiment est une
épreuve de la sagesse et .de la miséricorde infinies.
Ici Ms'- Turinaz reconnaît les fautes de la France et de son gouver-
nement, fautes qu'aucun catholique ne songe à nier, puis il ajoute :
(1) Le gouvernement allemand a essayé de préciser quelques-unes de
ces accusations : ainsi il a affirmé qu'à Montbéliard un bon nombre de
prisonniers avaient été cruellement maltraités. La réponse est écrasante:
Il n'y a jamais eu de prisonniers allemands à Montbéliard, il n'y a eu
qu'un malade, et il a reçu les soins les plus charitables.
LETTRE PASTORALE DE S. G. M§^^' TURINAZ 247
Mais la France est^elle plus coupable que les peuples
qui veulent la châtier et l'anéantir? Ces peuples sont-ils
moins égarés, moins corrompus, moins coupables? Qui
oserait l'affirmer? Il y a dans l'univers entier une conju-
ration et une propagande d'accusations odieuses et ini-
ques. Partout un grand nombre de catholiques, de prêtres
à tous les rangs de la hiérarchie, affirment que l'impiété
règne dans toute la France, que nos églises sont vides,
que le clergé est impopulaire, méprisé et impuissant.
Pour une grande partie de la France, ces accusations
sont injustes : dans nos régions et dans beaucoup d'au-
tres, les églises sont remplies, nos œuvres et nos asso-
ciations chrétiennes sont nombreuses et florissantes;
jamais le clergé n'a été aussi actif et aussi dévoué, aussi
populaire et aussi respecté. Les catholiques et le clergé
des autres nations ont-ils montré la même fidélité aux
vraies doctrines, la même soumission à l'autorité suprême,
le même détachement devant la spoliation et la pauvreté,
la même fermeté dans les plus dures épreuves que le
('lergé français? Qui donc a fondé et soutient, par son or
et par son sang, tant d'associations chrétiennes de charité
et d'apostolat, tant d'œuvres et d'institutions admirables?
Un évêque missionnaire nous disait en 1870 : « Si la France
périt, nous n'avons plus qu'à abandonner nos missions. »
Un autre évêque missionnaire nous répétait, il y a quel-
ques semaines, les mêmes paroles.
Qui oserait dire que l'héroïque Belgique, si fidèle, si
active, si généreuse, est plus coupable que l'Allemagne
qui en est devenue le bourreau? Et que ne pourrions-nous
dire d'autres peuples qui accusent la France?
M»"" Turinaz explique comment les chrétiens fidèles sont atteints
comme les autres et montre que de telles épreuves sont pour les
âmes un moyen puissant de progrès et de sainteté ; puis il ajoute :
Cette guerre nous donne renseignement, nous révèle le
devoir, nous apporte le principe d'une grande transforma-
tion morale et religieuse.
248 LETTRE PASTORALE DE S. G. M?^ TURINAZ
Cette rénovation, il n'est personne qui n'en soit le
témoin. Sans doute, dans un certain nombre de régions,
l'indifférence et l'hostilité ne sont pas vaincues. L'erreur
et la corruption sont toujours puissantes; les ennemis de
l'Église ne veulent pas abandonner leurs projets et leurs
espérances. Cependant, parmi eux, des âmes sincères
reconnaissent qu'un changement s'impose, que les catho-
liques ont, eux aussi, des droits sacrés, et qu'ils ont bien
mérité de la patrie. Mais, dans la partie la plus élevée de
ce peuple, dans nos populations droites et généreuses,
dans notre noble et vaillante armée, la transformation est
manifeste, éclatante.
Les sentiments, qui sommeillaient dans l'âme française,
se feont éveillés au premier apfiel de la guerre, au premier
son du canon. Ils- ont rayonné et suscité des merv» illes.
Personne, il y a six mois, n'aurait espéré ces manifesta-
tions religieuses, qui, sur tous les chemins conduisant à la
frontière, dans toutes les villes traversées par nos légions
allant au combat, ont étonné les populations. Les soldats,
les of liciers, les chefs de nos armées, en grand nombre,
ont manifesté un esprit de foi, une piété, qu'on ne soupçon-
nait pas, remplissant nos églises, priant avec ferveur,
s'inclinant sous l'absolution du prêtre, sans braver et sans
craindre personne.
Des hommes, qui paraissaient terre à terre, sensuels,
esclaves de l'indifférence ou du respect humain, des ou-
vriers de l'industrie, des champs, des pères de famille
abandonnant tristement leurs enfants et leurs demeures,
se sont révélés tout à coup des vaillants et des héros. L'ab-
négation, le courage, l'héroïsme sont contagieux. Un souffle
d'En Haut a passé sur ce peuple, il a fait vibrer les
âmes, il a élevé et transformé les cœurs. Les périls de la
patrie, l'orgueil insatiable et les menaces de l'étranger ont
soulevé l'indignation, et la France s'est dressée frémissante
en face des envahisseurs.
Depuis lors, sans cesse et partout, quelles luttes, quels
LETTRE PASTORALE DE S. G. MS^ TURINAZ 249
sacrifices, quelle bravoure unie à une patience et à une
ténacité admirables î Dans les ambulances et les hôpitaux,
quelle énergie au milieu des plus atroces souffrances,
quels sacrifices généreux de la vie et de toutes les espé-
rances hmnaines! Quelles saintes morts nous avons
admirées! On Ta dit, l'année terrible est devenue l'année
sublime.
Dans cette rénovation le clergé a eu sa grande part.
Jamais son abnégation, son dévouement, son héroïsme,
n'avaient jeté de telles clartés. Jamais il n'a confondu et
anéanti de plus haut les accusations et les calomnies de la
haine aveugle.
Le clergé, que l'impiété croyait atteindre, dans sa voca-
tion, dans ses vertus, dans la puissance de son ministère, a
mérité par sa bonté, sa simplicité, sa soumission à la disci-
pline, par son dévouement dans les hôpitaux et les ambu-
lances, par sa bravoure et souvent par son initiative sur le
champ de bataille, il a mérité la haute estime et la recon-
naissance de tous. Les curés « sac au dos » sont en train
de conquérir l'opinion publique, nous allions dire, de cou:
quérir l'armée française.
Ne l'oublions pas, tous ont répondu au premier appel de
la patrie. Ceux que la haine aveugle avait bannis de leur
pays, religieux de tous les ordres, Frères des Écoles chré-
tiennes, missionnaires servant au loin Dieu et la France,
tous sont accourus, même des extrémités du monde.
Dans nos villes et nos villages, saccagés, incendiés et
détruits, nos prêtres ont défendu leurs paroissiens contre
les fureurs de l'ennemi. Souvent ils les ont protégés au
péril de leur vie; ils ont été injuriés, maltraités, entraînés
dans une douloureuse captivité; plusieurs ont été fusillés,
et quelques-uns après de grandes souffrances (1). Ceux qui
(1) La prudence ne nous permet pas de dire en ce moment toute la
vérité sur les épreuves de nos prêtres, et nos renseignements ne sont
point encore complets.
250 LETTRE PASTORALE DE S. G. M^'' TURINAZ
ont pu rester libres, ont soutenu et guidé, vers des régions
et des villes hospitalières, leurs paroissiens, comme eux
dépouillés de tout. Ils se sont efforcés de leur trouver un
abri, du travail, des secours, avec l'espoir de les ramener,
plus tard, dans leurs villages en ruines.
Au-dessus du clergé séculier, des ordres religieux, des
religieuses, toujours et partout admirables dans leur cha-
rité et leur dévouement, l'épiscopat français s'est montré
supérieur à toutes les épreuves et à tous les périls. Nos
vénérés collègues, dans leurs cathédrales ravagées et
détruites, dans leurs villes épiscopales désolées, sont res-
tés debout sous les obus et la mitraille, soutenant tous les
courages, consolant toutes les angoisses, et offrant chaque
jour leur vie pour leur troupeau. Plusieurs, et parmi
eux notre cher et vaillant coadjuteur, sont allés sur le
champ de bataille, et se sont attiré la vénération et l'admi-
ration de tous.
Quand ces religieux, ce clergé, cet épiscopat, descen-
dront de ces hauteurs, aux jours de la sécurité et de la
paix, ils apparaîtront aux peuples, portant au front des
rayons plus éclatants de la charité et du sacrifice, parce
qu'ils auront vu et entendu Dieu de plus près.
On pardonnera à un vieil évêque, au doyen par le sacre
de l'épiscopat français, en présence de la propagande alle-
mande menteuse et inique dans tous les pays du monde,
en présence d'une crédulité lamentable, parmi les catho-
liques et même dans le clergé, on lui pardonnera de faire
entendre ce témoignage et cette démonstration de la vérité
et de la justice.
Cette guerre nous impose le devoir d'une invincible espé-
rance.
Nous espérons dans la victoire et dans une paix glo-
rieuse, parce que cette guerre, préparée pendant quarante
ans par nos ennemis, a été entreprise au mépris des traités,
et par la violation du territoire français, plusieurs fois
renouvelée, avant toute déclaration. Nous espérons parce
I
LETTRE PASTORALE DE S. G. M^"" TURINAZ 251
que, en présence de tant d'épreuves, de tant de dévasta-
tions et de ruines, la France a observé, avec une constance
invincible, toutes les lois divines et humaines. Nous ne
pouvons admettre que la récompense et la victoire soient
accordées à nos impitoyables ennemis.
Nous ne pouvons croire que Dieu privera son Eglise du
concours si généreux et si dévoué de la France, qu'aucune
nation ne pourrait remplacer dans cette mission providen-
tielle.
Nous espérons dans les trésors presqiie infinis de nobles
actions, de souffrances et de sacrifices, qui sollicitent pour
nous la miséricorde de Dieu.
S'il est vrai que pas une bonne action, pas un bon désir
ou une bonne pensée, ne sont sans mérite devant Dieu,
qu'un verre d'eau froide donné en son nom ne perdra pas
sa récompense, que faut-il espérer, de tant de nobles ins-
j:)irations, de tant d'actes admirables de charité, d'apostolat
et de dévouement, de tant de flots de sang et de tant de
flots de larmes? Que faut-il espérer des mérites de tant
de séparations déchirantes, d'atroces blessures, de morts
sublimes, de fortunes anéanties, de massacres sans pitié de
prêtres, de religieuses, de vieillards, de femmes et d'en-
fants? Quel incomparable et sublime holocauste! Quelle
puissance d'expiation, de rédemption et de salut!
Écoutons les promesses divines de la miséricorde et de
l'espérance : « Résistez jusqu'à l'agonie, combattez jusqu'à
la mort pour la justice, et Dieu lui-même combattra vos
ennemis. Pro justitiâ agonizare pro anima tua, et iisque
ad mortem certa pro justitiâ; et Deus expugnabit pro te
inimicos tuos (1) ».
« Au-dessus de toutes les œuvres de sa sagesse, de sa
justice et de sa toute-puissance. Dieu a mis les œuvres de
sa miséricorde infinie (2). »
(1) EccJ. c. IV, y. 3o.
(2) Et miscricovdia ejus super opéra ejus (Ps. c. 14 IV-8).
252 LETTRE PASTORALE DE S. G. M^^"^ TURINAZ
« La miséricorde de Dieu enveloppera de sa protection
ceux qui espèrent en Lui (1). »
a Nos pères ont espéré, ils ont été délivrés de leurs
ennemis (2). »
Cette guerre nous enseigne le devoir de l'union de tous
les Fils de la France. Nous n'insistons pas, nous revien-
drons plus tard, après la victoire, sur ce devoir d'une
suprême importance. Car, quelque glorieuse que puisse
être la victoire, quelque heureuse et puissante que puisse
être la paix avec les ennemis du dehors, la France irait à
l'impuissance, à la défaite et à la ruine, si l'union ne se fai-
sait pas entre tous ses Fils. Il faudra, par cette paix
au-dedans, sauver une seconde fois notre pays.
Mais cette paix ne sera possible que dans le respect de
tous les droits, dans la vraie justice et la vraie liberté.
Donc, plus que jamais, serrons les rangs et tendons-nous
la main ; plus que jamais, en haut les cœurs, courage,
patience, persévérance, invincible espoir. Redisons ces
paroles des vaillants Macchabées : « Nous, nous combattons
pour nos âmes et pour nos lois, et Dieu brisera sous nos
yeux la puissance de nos ennemis ; mais, vous, ne les crai-
gnez pas. Nos autem pugnabimus pro animabus nostris
et legibus nostris, et ipac conteret eos ante faciem nostram :
vos autem, ne timueritis eos. »
Donné à Nancy, le 2 février 1915, en la fête de la Purifi-
cation de la Très Sainte Vierge.
t Charles-Fran(;ois,
Ardievêque titulaire d'Antioche,
Éoêque deNancij et de Toul.
(1) Sporantoin in Domino misericovdia circumdahit. (Ps. XXVI, 10).
(2) Ps. XXI, 5.
EXTRAITS DE LA LETTRE PASTORALE 253
Extraits de la kttre pastorale de S. Gr. Mgr. Lobbedey,
Évêque d'Arras (Carême 1915.)
C'est au brait des canons et sous la perpétuelle menace
des obus ennemis que nous traçons ces lignes. Plus d'une
fois, depuis l'investissement de notre cité épiscopale, nous
avons parlé dans les circonstances où nous écrivons; notre
parole, tout accompagnée qu'elle était de bruits sinistres,
était écoutée, parce qu'elle s'efforçait d'être une parole de
consolation et de réconfort. Nous espérons que la lecture
de notre lettre trouvera le même accueil près de nos
prêtres • et de nos fidèles, parce que, phrases écrites ou
phrases parlées, toutes partent du même cœur et tendent
au même but.
PREMIERE PARTIE
l'actiox providentielle donne aux souffrances que cause
LA guerre une vertu expiatrice.
1, La guerre se définit « une suite de violences par les-
quelles chacun des adversaires cherche à se rendre maître
de Vautre ».
Ces violences n'ont pas été les mêmes dans le cours des
siècles et dans les différents pays du monde. Elles ont varié
quant à la méthode, l'intensité et la durée.
Terribles toujours, elles sont véritablement effroyables
quand la guerre entreprise est décidément un carnage sans
merci, ne devant pas s'arrêter avant l'épuisement complet,
254 EXTRAITS DE LA LETTRE PASTORALE
l'entière destruction d'une, sinon de toutes les parties belli-
gérantes .
2. Telle est celle dans laquelle nous nous trouvons pré-
sentement engagés. Quoi qu'on en puisse dire, nous ne
l'avons ni cliercliée, ni voulue; elle nous a été imposée;
l'honneur national nous l'a fait accepter comme on accepte
\m devoir et maintenant, nous la faisons avec l'énergie, avec
l'entrain de ceux qui ont conscience d'être, en combattant,
les défenseurs de la justice et les champions du droit.
Cependant, quelque certaines que soient la loyauté de
nos intentions et la sainteté de notre cause, quelque fondée
que paraisse être, en ce moment, l'espérance du succès
final, il faut bien avouer pourtant que la guerre ne va p;is
sans son habituel cortège de victimes et de désastres. Ce
qu'elle a déjà semé de souffrances, dans les nations qu'elle
a soulevées et mises aux prises l'une avec l'autre, est incal-
culable.
3. Les premiers à le savoir sont nos chers et courageux
combattants.
Comme ils souffrent^ en effet, ceux qui, pendant des jours
et des nuits interminables, sont condamnés à mener « la vie
en creux » ! Quelle existence que l'existence souterraine de
ces, tranchées ! Demeures étranges pour ceux qui rêvaient
de se battre en pleine lumière; abris périlleux autour des-
quels la mort ne cesse jamais de faire le guet, et dans
lesquels, pour prendre quelque repos, il faut oublier que les
nuages du ciel y versent la froide pluie de l'hiver, et que la
foudre humaine y fait tomber sa pluie de feu !
Comme ils souffrent aussi, ceux qui, pour avoir tenté
quelque offensive, essayé une reconnaissance, ont été mor-
tellement frappés dans la nuit ; qui gisent seuls, abandonnés,
agonisants sur une terre nue, comme s'ils n'avaient au
monde ni foyer pour les recueillir, ni famille pour les
aimer !
Gomme ils souffrent, enfin, les soldats qu'un ennemi plus
'fort a pris, qu'il a désarmés, qu'il emmène à travers les
DE S. G. M^^ LOBBEDEY 255
imprécations, les insultes d'une foule sans pitié, vers une
terre lointaine où ils trouveront, peut-être, moins des sur-
veillants que des bourreaux !
4. Hélas ! les souffrances causées par l'état de guerre
dépassent de beaucoup les rangs de l'armée. Où ne sont
pas leurs victimes? Allez de foyer en foyer, dans toutes les
directions et jusqu'aux extrémités de notre sol français,
vous les y trouverez.
Vous les trouverez surtout là où l'envahisseur a réussi à
prendre pied; parce que là, il viole outrageusement ces
lois respectables qui, fondées sur le droit naturel, sur les
principes les plus élémentaires de l'humanité; sur des con-
ventions internationales, mettent hors de toute atteinte les
biens des citoyens inoffensifs, les personnes désarmées et
particulièrement ces «deux faiblesses sacrées qui sont : la
femme et Venfant.
L'ennemi méconnaît ces lois; il les méconnaît volontaire-
ment, il les transgresse, non d'une façon purement acci-
dentelle, mais d'après une méthode nettement arrêtée et
fidèlement suivie.
Avouons-le : on comprendrait encore des actes individuels,
des actes isolés de barbarie. La guerre a toujours été
l'occasion de crimes plus ou moins nombreux. « Quand on
racole des millions d'hommes et qu'on les pousse de force
sur un champ de carnage, on est certain de trouver parmi
eux un certain nombre d'individus prêts à des actes dont
la nation aura honte, et dont le commandement ne voudra
jamais prendre sa responsabilité. »
Ce qui s'est passé, ce qui se passe encore dans nos pro-
vinces envahies montre tout autre chose que de simples
accidents. Des rapports officiels parlent d'incendies, do
massacres, d'atrocités de toute sorte ; de plus, ils démontrent
que ces actes n'ont pas seulement été exécutés d'après un
plan froidement prémédité, mais qu'ils sont approuvés en
haut lieu et pleinement glorifiés.
5. On a dit : « La guerre moderne est un art; la guerre
256 EXTRAITS DE LA LETTRE PASTORALE
ancienne yi' était qu'un instinct; » nous pouvons ajouter : la
guerre présente est à la fois un art et un instinct :• un art
très raffiné, un instinct très féroce.
Si féroce, que nous frémissons d'avance à la pensée du
spectacle que nous aurons sous les yeux quand il nous
sera permis de visiter la portion particulièrement éprouvée
de notre diocèse. Là, que verrons-nous? qu'entendrons-
nous (1)?
Que verrons-nous là où il y avait des demeures intactes,
des champs bien cultivés et partout le mouvement et la vie?
Abattue, l'église; en ruines, le presbytère; en cendres, la
plupart des autres maisons; abandonnés, les châteaux et
les fermes.
Qu'entendrons-nous là où les habitants traitaient paisi-
blement de leurs intérêts, où une jeipesse enthousiaste et
chrétienne s'encourageait au bien, où des fidèles nombreux
et fervents chantaient et priaient devant les saints autels?
Est-ce que le silence n'est pas là où l'on a fait le désert?
6. Et pourquoi parler de ce qui est en dehors de notre
ville d'Arras, quand cette cité elle-même nous offre le plus
lamentable amas de ruines qui se puisse imaginer ?
Ces derniers jours, nous avons voulu relire les Lamenta-
tions du Prophète Jérémie pleurant sur les débris de Jéru-
salem, et faisant l'énumération des désastres accomplis (2).
Hélas ! de tout ce qu'il déplorait, il n'est rien que nous
n'ayons à déplorer nous-même. Les portes brisées, les
gonds arrachés, les murailles jetées à terre, les plus beaux
édifices détruits, les temples ravagés, profanés, fermés à la
prière et aux cérémonies du culte, tout cela Nous l'avons
vu et le voyons. Comme lui aussi, nous avons vu le feu
(1) Nous n'aurons qu'à nous souvenir de la Pastorale du courageux
Cardinal Mercier. Que l'archevêque de Malines daigne agréer Noire
hommage fait d'admiration, d'estime et de respect.
(2) Nous avions d'abord pensé citer de nombreux textes de nos quatre
grands Prophètes, Mais tout serait à reproduire. Que nos prêtres veuil-
lent bien s'y reporter.
DE s. G. Mfi^'^ LOBBEDEY 257
s'acharner jusque sur des ruines ; des femmes et des enfants
mortellement frappés; des affamés cherchant un peu de
pain, obligés d'acheter l'eau dont ils avaient besoin ; des
familles fuyant un foyer ruiné sans savoir où elles trouve-
raient un autre abri ; nous avons vu des malades sans
secours, et des morts sans sépulture convenable.
0 Arras, ville infortunée qui a cessé d'être belle et n'as
point cessé de nous être chère! Qui pleurera jamais assez
tes sanctuaires dévastés, tes demeures détruites, la fuite
éperdue d'un grand nombre de tes fils, les souffrances de
ceux qui n'ont pas pu, ou pas voulu te quitter? Plus d'une
fois, tu as été éprouvée dans le passé; l'as-tu été aussi
terriblement que de nos jours ? Tu as été saccagée par les
Vandales et les Huns d'Attila au v® siècle, par les Nor-
mands au iv% par Louis XI au xv°; toujours tes évêques
ont pu te relever; aurons-nous le même bonheur?
7. Ce qui nous console, c'est que tant de souffrances
auront leur terme et leur compensation, car nous n'oublie-
rons pas de les supporter chrétiennement.
C'est là, Nos très chers Frères, un point essentiel digne
de toute votre attention.
Personne de nous n'étant sans quelque faute, la peine
subie peut être appelée un châtiment. Or, le châtiment est
stérile, il ne sert qu'à torturer, si la victime succombe avec
la résignation passive de l'être sans raison ; le châtiment se
double d'une faute quand l'homme atteint par lui se révolte,
et blasphème la Providence qui le permet; mais le châti-
ment change de caractère et de nom pour devenir cette
grande chose qu'on nomme : Vexpiation, quand la souf-
france est chrétiennement supportée.
Et elle l'est par un grand nombre d'âmes. Celles-ci
reconnaissent avec Lacordaire que « la peine toute seule
n expie rien », que « ce qui expie, cest la peine avec le
repentir », et elles se repentent; bien mieux, quelques-unes
adorent joyeusement la main qui laisse s'échapper tant de
maux, parce que c'est la main d'un Père qui ne cesse pas
17 — Fr.
258 EXTRAITS DE LA LETTRE PASTORALE
d'aimer ceux qu'il éprouve ; il en est qui, devant leur éta-
blissement en flammes, peuvent chanter le Te Dewn, et
nous en savons qui, au milieu des ruines de leur demeure
dévastée, le cœur pourtant déchiré par des séparations
cruelles, quotidiennement menacées de mort, chantent
chaque matin la Bonté de Dieu.
8. Et c'est en cela que se montre le premier effet de l'ac-
tion providentielle; action merveilleuse qui fait monter les
âmes au plus haut degré de la vertu ; qui prend en nous
notre misère pour en faire quelque chose de fécond et d'au-
guste ; qui s'empare de ce que les hommes redoutent le
plus, pour en faire ce qu'il y a de plus souhaitable; qui
nous relève par ce qui devrait nous abattre; qui fait servir
au bonheur d'une vie sans fin ce qui semblait ne pouvoir
être bon qu'à une chose : hâter la mort.
Saluons cette action de la Providence, d'autant qu'elle a
d'autres effets encore plus admirables : nous allons le voir
dans une seconde partie.
DEUXIEME PARTIE
i/action providentielle peut nous procurer une paix
vraiment glorieuse.
D. A la vérité, ce qui frappe d'abord dans la guerre, ce
sont les victimes qu'elle fait, et les maux sans nombre
qu'elle engendre. Mais elle a d'autres effets, des résultats
meilleurs et si importants qu'on ne doit point les passer
sous silence .
Elle est, en effet, une merveilleuse excitatrice de toutes
les énergies latentes de la race ; elle donne l'essor aux plus
mâles vertus; et, poussant l'homme à de continuels efforts,
elle le force à développer toutes les qualités dont la nature
et l'éducation l'ont pouvu
DE S. G. M»^ LOBBEDEY 250
On n'a jamais été mieux à même de le constater que de
nos jours. Vertus militaires, vertus civiques, les unes et les
autres portées jusqu'au degré le plus héroïque, nous en
sommes, chaque jour, les témoins émerveillés.
10. Par exemple : Quelle résignation courageuse ne
montre-t-on pas dans les adieux faits à une famille aimée !
Quelle promptitude presque joyeuse à laisser là ses affaires,
ses intérêts personnels, ses habitudes, ses occupations les
plus chères! Et, dans le feu des combats, quand, de tout
côté, l'artillerie « chante son chant de mort », quelle intré-
pidité stoïque à marcher en avant, à faire voir aux cama-
rades qui suivent comment on meurt quand on est brave !
A quelle époque a-t-on pu admirer dans nos armées une
fermeté plus soutenue, et toutes les qualités d'endurance,
d'inlassable ténacité que ne soupçonnaient pas ceux qui
nous prenaient volontiers pour une nation en décadence,
une race dégénérée, et que nous n'étions pas loin de nous
refuser à nous-mêmes ! Enfin, quelle patience dans ces
blessés qui, au milieu des plus cruelles tortures causées
par des opérations nécessaires, déclarent qu'on ne saurait
trop souffrir pour la France!
Aussi, cette France est fière de ses fils; et des autres
nations, celles mêmes qui auraient été le plus tentées de
nous regarder avec une certaine pitié, presque avec mépris,
ne peuvent s'empêcher de reconnaître notre vaillance et
d'applaudir un peuple qui sait défendre si fièrement ses
libertés et son honneur.
11. D'autre part, les vertus civiques ont grandi du même
coup.
Des hommes qui ont vu l'incendie dévorer, avec leurs
maisons et leurs biens, tout le fruit d'un pénible et long
travail, acceptent, sans se plaindre, la nécessité de refaire
une fortune anéantie, et, pour cela, de recommencer l'an-
cien labeur à l'âge où l'on a'aspire plus guère qu'au repos.
Des femmes restées seules après le départ de leurs époux,
de leurs enfants, n'abandonnent pas le fardeau des affaires
260 EXTRAITS DE LA LETTRE PASTORALE
et le portent vaillamment, si lourd qu'il soit devenu pour
leurs faibles épaules. Et que dire de l'empressement avec
lequel ceux et celles qui le peuvent s'efforcent de subvenir
aux mille nécessités que la guerre engendre ? Dans ce pays
de France, on en est toujours sûr, l'infortune ne monte
jamais si haut que la charité ne puisse l'atteindre. Voyez
comme celle-ci s'ingénie à trouver tous les secours deman-
dés, à donner tous les remèdes nécessaires! Comme elle
est généreuse, active dans ses desseins, délicate et douce
dans ses procédés! Nous l'avons vue à l'œuvre dans nos
ambulances et nos hôpitaux ; et dans les visages penchés
sur les plaies, dans les mains qui soignaient le mal, nous
croyions voir quelque chose de la bonté divine. Quel plus
frappant contraste que celui qui existe entre les brutalités
plus que sommaires de la bataille, et les attentions mater-
nelles dont les victimes deviennent aussitôt l'objet? Autant
}a blessure est faite sans pitié, autant elle est soignée avec
amour.
12. Hâtons-nous d'indiquer ce qui fait le prix des vertus
militaires et civiques dont nous venons déparier. C'est que,
au moins dans la plupart des cas, ces vertus méritent d'être
appelées chrétiennes, d'être louées et récompensées comme
telles, attendu qu'elles ont Dieu pour premier inspirateur
et pour soutien.
Chrétien est le patriotisme de nos soldats, prêtres, lévites
et laïcs de tout rang, de toute arme. Volant à la défense de
la patrie, ils reconnaissent dans ce fait un devoir, et dans
ce devoir l'expression de la volonté divine qui le dicte, et,
en le dictant, le rend obligatoire. C'est bien, en définitive,
l)our se conformer à cette volonté suprême qu'ils sacrifient
leur existence et tout ce qu'elle pouvait contenir de biens
terrestres ; ne connaissant plus le respect humain que pour
le mépriser, obéissant à tout ce que le baptême et les reli-
gieuses pratiques du passé ont rais dans leur âme, ils vont
droit à Dieu dans la confession, la réception de la sainte
Eucharistie, le chant des saints cantiques et la prière.
DE S. G. Më^r LOBBEDEY 261
Chose merveilleuse! Ils croient, ceux qui pensaient avoir-
perdu toute croyance; ils se prosternent, ceux qui se van-
taient de ne plus rien respecter ; ils prient, ceux qui s'ima-
ginaient avoir oublié toute prière ; et l'on voit s'accomplir,
au bruit strident des mitrailleuses, des cérémonies qui,
d'ordinaire, ne se déroulent que dans le silence du sanc-
tuaire. Elle est donc aussi vraie que consolante, cette parole
d'un général : « Cette guerre où le prêtre mêle son sang à
celui du soldat resplendit de surnaturel. »
Chrétienne aussi est la résignation des personnes rete-
nues au foyer de la famille, parce qu'elle se soumet à tout
ce que Dieu veut ou permet, alors même qu'elle n'arrive
pas à comprendre le sens de l'épreuve qu'il impose ; parce
qu'elle fait reposer dans le secours d' En-Haut son principal
appui, et dans la rétribution future ses meilleures espé-
rances.
Chrétienne enfin est la charité parce qu'au lieu d'être
inspirée par un vague sentiment d'humanité, par l'attrait
d'une sympathie naturelle, ou la parenté du sang, elle l'est
avant tout par les paroles du Christ prescrivant de nous
aimer les uns les autres, déclarant qu'il regarde comme
fait à lui-même ce que nous faisons au moindre de nos
frères, parce qu'elle cherche dans la sainte communion la
force de durer, et qu'elle ne compte que sur la divine bonté
pour être payée de son dévouement.
Dieu soit béni de tout le bien spirituel déjà opéré à l'oc-
casion de la guerre! Qu'il veuille pourtant abréger la
durée de cette épreuve qui deviendrait désastreuse en étant
trop prolongée ! Qu'il daigne enfin la terminer par une
paix dont la Patrie et l'Eglise aient toutes les deux à se
réjouir!
13. Est-il donc possible à Dieu d'intervenir dans les
affaires humaines, d'influer sur tels ou tels événements en
cours, au point d'en retarder ou d'en précipiter la marche,
d'en assurer ou d'en empêcher le succès? Sans aucun doute,
puisque le Créateur ne s'est jamais dessaisi des droits qu'il
262 EXTRAITS DE LA LETTRE PASTORALE
a sur ses créatures, sur leurs actes aussi bien que sur leur
être.
Comment s'effectue son intervention ? De plusieurs ma-
nières. Il peut recourir à des intermédiaires, ou célestes
comme saint Michel, ou terrestres comme la Bienheureuse
Jeanne d'Arc ; il peut aussi agir par lui-même, et par lui-
même aveugler l'esprit de celui-ci, éclairer l'intelligence
de celui-là. Bien que ces opérations demeurent secrètes,
qu'on ne voie pas les ressorts mis en jeu, qu'on ne sente
pas la touche de la main toute-puissante, cependant
l'action divine se révèle plus ou moins clairement par ce
que nous nommons « Virrésistible », V imprévu ».
Voici des hommes de guerre à qui a été confié le com-
mandement des armées ; ils n'ont pas manqué de tracer le
plan des opérations futures ; pour le faire aussi heureuse-
ment que possible, ils n'ont négligé aucune précaution,
ils ont pris le conseil de chefs expérimentés ; mais ils
comptaient sur telle ou telle manœuvre des adversaires, tel
ou tel concours de circonstances, et ce qui était supposé
dans les calculs n'arrive pas ;ce qui arrive, c'est ce à quoi
on ne pensait même pas : c'est Vimprévu.
D'autre part, l'histoire militaire nous apprend que des
capitaines fameux sentaient parfois, aussi bien dans l'exé-
cution que dans l'élaboration de leur plan stratégique, je
ne sais quelle idée- force, qui tout en différant de leurs
conceptions personnelles, s'imposait à eux et les menait
impérieusement dans leurs marches et leurs conquêtes.
Voilà Virrésistible.
L'irrésistible, l'imprévu peuvent ne pas être autre chose
que l'action providentielle elle-même, et c'en est assez pour
autoriser nos prières ; c'en est assez pour que nous deman-
dions à Dieu de prendre en main notre cause et de la faire
triompher.
14. Ne dites pas que, de leur côté, les ennemis adressent
au Ciel des supplications ; car il ne faut pas confondre leur
cause avec la nôtre, ni leur conduite avec notre conduite.
DE S. G. M^^ LOBBEDEY 263
Sans vouloir nous prononcer sur leurs intentions, sans vou-
loir affirmer que leur but conscient est d'imposer au monde
une civilisation matérialiste, une civilisation d'égoïsme et
de dureté, il est certain que la guerre a commencé par une
agression injuste, qu'ils en sont les auteurs et nous les
victimes ; il est certain aussi qu'ils accomplissent chez nous
des actes dont rien n'excusera jamais la barbarie. Qui se
tiendra devant Dieu, avec la confiance d'être agréé de lui,
demande la sainte Ecriture ? et elle répond : Celui dont les
mains sont pures et les desseins innocents ; ce n'est donc
pas le peuple dont le cœur est plein d'une haine farouche,
d'un insupportable orgueil, et qui porte aux mains des
taches de sang.
Qu'on ne dise pas non plus que notre conscience natio-
nale n'est pas sans faute; nous ne le savons que trop.
Quelle nation n'a rien à se reprocher? Mais si l'on voit le
mal dont notre responsabilité de Français est chargée,
qu'on voie aussi tous les sa-iirifices faits en vue de la répa-
ration ; si l'on écoute ce qui crie vengeance, qu'on écoute
aussi ce qui demande miséricorde. Nous voulons dire les
paroles sublimes de tant de mourants s'écriant, avant de
rendre le dernier soupir : « Pour Dieu, pour VEglise, pour
la France! »
Non ! ce n'est pas présomption de notre part de compter
sur les préférences divines ; et elle nous paraît absolument
justifiée, la confiance avec laquelle, dans toutes nos églises
et chapelles, les foules chrétiennes répètent, sans se lasser,
la supplication liturgique : (( Ut cuncto populo christiano
pacem e^unitatem largiri digneris, Te rogamus , audi nos . »
Accordez, Seigneur, au peuple chrétien la paix et Vunité.
16. Gardons-nous bien de séparer ces deux mots : la paix,
Vunitéj chacun d'eux n'ayant de valeur que par son alliance
avec l'autre.
Nous demandons d'abord la paix ; une paix sérieuse,
ferme, et non une trêve de quelques années. On l'a bien
dit : « Il n'est pas un seul Français digne de ce nom qui ne
264 EXTRAITS DE LA LETTRE PASTORALE
comprenne le péril en même temps que la honte qu'entraî-
nerait pour nous une paix hâtive consentie parla lassitude.
Ce ne serait pas seulement déserter la cause de la justice
humaine dont nous avons la charge, ce serait encore signer
par avance notre arrêt de mort en permettant à l'adversaire
implacable qui nous a manques, cette fois, de préparer à
loisir un nouvel et plus dangereux guet-apens. Lorsqu'un
homme a été assailli à l'improviste et qu'il a pu parer le
coup, il ne lâche point son agresseur qu'il ne lui ait arraché
le couteau. »
Encore faut-il que le succès final ne tourne pas contre le
bien des âmes, en semblant consacrer de sa gloire les
tenants d'une politique antireligieuse. Si, en effet, ceux-ci
devaient s'en prévaloir, pour s'applaudir de leur conduite
passée, pour s'affermir dans leurs premiers desseins et con-
tinuer plus hardiment que jamais une méthode où la R-eli-
gion était persécutée, la liberté des consciences opprimée,
si la guerre extérieure, qui a son côté grandiose et sa no-
blesse, ne devait cesser que pour faire place à une guerre
intestine où il n'y a rien que de tyrannique et d'odieux,
comment la paix serait-elle souhaitable, et comment pour-
rait-on la demander à Dieu ?
Celle qui est l'objet de nos vœux et de nos prières est la
paix dans la justice et l'unité.
Qui, en effet, avec le plus magnifique élan, s'est précipité
sur l'ennemi; qui, pour en triompher, a bravé la mort? un
parti quelconque ? Non, mais la France entière. Qui donc
vaincra et devra profiter de la victoire ? un parti quelcon-
que? Non, mais la nation entière.
17. Et tout porte à croire qu'il en sera ainsi: « Les hom-
mes que la défense de la patrie a rapprochés, fondus dans
un même peuple de héros, une fois le but obtenu, au lieu
de retourner à leurs partis et de réveiller, de reprendre les
anciennes querelles, continueront la cohésion des efforts
résultant de la conformité des esprits et de l'union des
cœurs; ensemble, ils travailleront au bien social, ils s'occu-
DE s. G. M?'' LOBBEDEY 265
peront de relever les ruines et de faire revivre la prospé-
rité dans l'honneur et la vertu. »
Allons plus loin, et citons ces paroles d'un écrivain auto-
risé : « Je pense, dit-il, que la guerre allemande nous suffi-
ra, sans qu'il faille avoir encore la guerre civile, la guerre
religieuse, la guerre sociale. Nous réprendrons possessio7i
de notre hieyi vivant, et après avoir chassé de nos frontières
les Allemands, nous ouvrirons ces mêmes frontières aux
meilleurs des Français, afin qu'ils rentrent chez eux et
apportent, à la patrie qu'ils défendent magnifiquement, le
renfort de leur intelligence et de leur charité. »
Qu'il en soit ainsi, et vraiment « Vœuvre de paix sera,
chez nous, d'une beauté dépassarit en éclat toutes les œuvres
passées. »
Il nous est agréable de finir celte lettre en disant: « Dieu
aidant, il en sera ainsi fl). »
* *
Pendant plusieurs semaines, dans une de nos plus chères
églises, Notre-Dame des Ardents ^ on pouvait entendre, ré-
sonnant à la fois sans se confondre, deux voix, d'intention,
de caractère, d'accent tout opposés: la voix frêle et douce
de quelques jeunes filles récitant le chapelet et demandant
au Ciel de sauver la France envahie, et la voix inarticulée,
sonore et terrible des canons ennemis ; l'une implorant la
vie, l'autre annonçant la mort.
Et l'on se surprenait à dire : « Seigneur ! à laquelle se-
rez-vous favorable ? laquelle des deux écouterez- vous de
préférence? Celle delà supplication oucellede la violence? »
Mais qui pourrait douter que Dieu se prononce en notre
faveur ?
Si inexaucé que paraisse avoir été jusqu'à présent le cri
de la faiblesse désarmée, soyons-en persuadés, c'est lui qui
(1) Voir l'Encyclique de Sa Sainteté le Pape Benoît XV.
266 EXTRAITS DES LETTRES SUR LA GUERRE
vaincra, lui qui survivra. A l'heure marquée par la Provi-
dence, l'ennemi cessera d'investir notre pacifique cité ; les
canons se tairont, et la faible voix des humbles suppliantes
deviendra la grande voix du peuple délivré, du peuple qui,
dans l'élan d'une joie d'autant plus vive qu'elle aura rU'i
jjlus retardée, iera monter vers le CieH'hymme delà recon-
naissance.
Cet hymne, où le chanterons -nous?
Si toutes nos églises sont abattues, nous le chanterons
sur leurs ruines d'abord, et nous le redirons dans nos tem-
ples relevés et rajeunis, pour les années sans nombre de
leur gloire renouvelée.
Extraits des lettres sur la guerre de Sa Grandeur
M'^'^ Mignot, archevêque d'Albi.
Espoir.
(28 décembre 1914.)
Puisque les guerres sont inévitables en raison des conflits
d'intérêts inévitables entre nations comme entre individus
par suite de l'orgueil, de l'ambition, des passions, des con-
voitises, on conçoit qu'il faille tuer, détruire, renverser les
obstacles pour vaincre. C'est ici que la force se trouve en
présence du droit. Nous ne sommes plus dans le monde
physique matériel, nous sommes en pleine humanité régie
par des lois morales. Mais, à voir ce qui se passe sous nos
yeux, on se croirait revenu au temps des Sargon, des Sen-
nachérib, des Nabuchodonosor et autres épouvantables
tyrans de l'Assyrie et de la Chaldée, ou, si vous trouvez
ces temps trop éloignés, à ceux d'Attila, de Tamerlanj de
Mahomet IL
Quand Alaric — un des grands ancêtres — s'empara de
Rome en 410, Marcella et Principia sa fille trouvèrent un
DE S. G. MS^ MIGNOT 267
asile assuré contre la yiolence des Goths dans la basilique
Saint-Paul. Ces patriciennes auraient été moins heureuses
si, vivant en l'an 1914, elles s'étaient réfugiées dans la
cathédrale de Reims, sous le règne d'un successeur loin-
tain d'Alaric.
<Ju'est-ce que pratiquer le clroitY C'est être fidèle à la
parole donnée, jurée, écrite ; c'est ne pas déchirer des
traités solennels comme des chiffons de papier sans valeur,
sous prétexte qu'on est dans reml)arras, qu'étant acculé
dans une fausse situation, on s'en tire comme on peut, et
que le contrat gêne notre ambition.
Le droit, c'est respecter les biens, les membres, la vie
des innocents, c'est être fidèle à la parole donnée, aux
engagements pris; le contraire serait la fin de tous les
contrats sociaux, la fin de toute sécurité. Il faudrait alors
brûler tous les exemplaires de nos codes et rétablir celui
qui était en honneur chez les brigands de la vieille forêt de
Bondy! Qu'un homme innocent soit victime d'une catas-
trophe imprévue, c'est un malheur qu'on ne saurait empê-
cher ; que la loi de solidarité englobe les justes avec les
coupables, c'est un fait redoutable devant lequel il faut
s'incliner en gémissant; mais couper le poignet à des
enfants de trois ou quatre ans, c'est une infamie, une
cruauté sans nom analogue aux pratiques d'un Sargon déjà
cité qui crevait les yeux à ses prisonniers, leur amputait
quelque membre, comme cela se fait encore dans cer-
taines régions de la Turquie, ou dans l'ancien royaume
de Behanzin ; c'est contraire au droit des gens. Priver,
sans autre raison qu'une haine brutale, son semblable de
ses biens, le chasser de sa pauvre demeure après l'avoir
dépouillé, le séparer de sa femme et de ses enfants, obliger
ceux-ci à quitter leur patrie sans savoir où diriger leurs
pas, pour aller dans une terre étrangère dont ils ne savent
pas la langue, chercher un abri contre l'intempérie des
saisons et un peu de pain pour ne pas mourir de faim :
cela, c'est la force primant le droit. Outrager des femmes
268 EXTRAITS DES LETTRES SUR LA GUERRE
et les mutiler ensuite, cela, c'est la force contre le droit.
Fusiller des otages innocents, placer devant le front de
bataille des prisonniers, s'en faire un abri et obliger par là
les Français à tuer d'autres Français, cela est une cruauté
doublée de lâcheté : c'est la force primant le droit. Bom-
barder des villes sans défense, lancer des bombes sur des
édifices religieux, incendier ou ruiner des cités ouvertes
sans raisons stratégiques, comme on l'a fait pour Louvain,
lieims, Soissons, Arras, etc., c'est pure sauvagerie. Qu'on
se serve d'obus comme d'une grêle foudroyante pour dé-
truire des casernes, des dépôts d'armes, des munitions, des
trains d'approvisionnement ou de ravitaillement, c'est cruel
assurément, mais légitime, étant donné le caractère de la
guerre, mais se servir de ces moyens pour écraser des
innocents, voilà qui est monstrueux et mérite les châti-
ments de Dieu. Qu'un officier, se trouvant près d'un blessé
qui, à demi mort, se soulève un peu en comptant sur la
pitié de son semblable, que cet officier, dis-je, au lieu de
secourir un frère malheureux, lui tire un coup de pistolet
et s'enfuie dans les ténèbres parce qu'on l'a aperçu, cet
officier est-il chrétien? est-il même un homme? n'est-il pas
au-dessous de la brute? Voilà ce qu'on appelle la force
primant le droit.
Peut-être, me dira-t-on, exagérez-vous ; les faits ne sont
peut-être pas aussi atroces que vous l'affirmez. Pour n'être
pas taxé de parti pris, je cite entre mille un article publié
dans le journal Le Temps sur ce qui s'est passé en quel -
ques points de la Belgique. L'article est signé Roland de
Marias.
On pouvait supposer qu'après la destruction de Louvain et de
Termonde, tout avait été dit dans cet ordre de choses et que ce qui
lut commis dans d'autres villes n'était qu'une pâle réplique des
scènes de pillage et de massacre vécues dans ces deux cités à
jamais meurtries. Le récit de ce qui se passa à Dinant — récit fait
par un témoin neutre à un journal neutre, le Telegraaf, d'Amster-
dam, et que connaissent nos lecteurs — prouve que, contrairement à
r« excuse »> allemande, Louvain ne fut pas un « accident » et Ter-
I
DE S. G. MS^ MIGNOT 269
monde ne fut pas une « erreur ». Encore peut-on expliquer qu'à
Dinant, les Allemands se sentaient tout près de l'attaque des Fran-
çais, et que, dans leur rage aveugle, ils ont voulu châtier la ville où
les troupes françaises leur infligèrent, au début de la campagne, un
premier échec. Ailleurs, dans de malheureuses petites villes situées
en dehors de la zone des combats, dans de pauvres villages perdus
au fond des vallées, ils ont fait pis qu'à Dinant, sans la moindre
provocation, sans chercher même un prétexte.
L'enquête faite par des fonctionnaires belges sur les événements
qui se déroulèrent à Andenne le 20 août, établit que, ce jour-là, à
six heures, alors que tous les habitants de la petite ville étaient
enfermés chez eux, les soldats allemands se mirent à tirer dans les
fenêtres et dans les soupiraux des caves. Au matin, les cavaliers
parcoururent les rues en criant que les habitants devaient sortir ;
ceux qui obéirent furent fusillés aux premiers pas qu'ils firent.
Comme la plupart des habitants s'obstinaient à se terrer dans les
caves, les soldats enfoncèrent les portes et les chassèrent à coups de
crosse. Toute la population fut rassemblée place des Tilleuls, les
femmes à gauche, les hommes à droite. Dans un groupe de 850 hom-
mes, un colonel en prit trois, au hasard, et les fit fusiller. On en
prit plus tard encore une quarantaine qui tombèrent sous un feu de
salve. Les autres furent retenus comme otages — et, pendant trois
jours, la petite ville lut pillée, saccagée. Deux cent cinquante tués,
trente maisons incendiées à ras du sol pendant que les officiers
prussiens se livraient à des orgies abominables, tel fut le bilan de
l'occupation allemande à Andenne.
A Tongres, dans le Limbourg, on groupa les 10,000 habitants dans
les rues, on les fit sortir de la ville. Quand ils rentrèrent, toutes les
maisons étaient pillées. On prit des civils au hasard et on les fusilla,
" pour l'exemple ». On mena ensuite les notables à l'hôtel de ville,
la corde au cou, et les soldats de Guillaume II s'amusaient à serrer
la corde, obligeant les prisonniers à de lamentables contorsions. On
contraignit le procureur du roi à balayer les rues, le juge de paix et
le substitut à nettoyer la place devant l'hôtel de ville.
A Ta mines, bourg prospère de o,800 habitants, dans le Namurois,
les Allemands incendièrent 181 maisons. Ils ordonnèrent à 500 civils
de se ranger sur la Grand'Place, et une première décharge des fusils
en abattit un grand nombre. Un officier déclara alors aux hommes
non atteints qu'ils pouvaient se relever; mais au premier mouvement
qu'ils firent pour se redresser, les mitrailleuses furent dirigées contre
eux. Ce fut un soldat portant le brassard de la Croix-Rouge qui acheva
les blessés... Les cadavres demeurèrent étendus sur la place pendant
vingt heures, puis on obligea un groupe de 200 autres civils à enter-
270 EXTRAITS DES LETTRÉS SUR LA GUERRE
rer les morts dans une autre propriété privée. C'est à Tamines que
deux hommes et une femme transportant un vieillard infirme furent
tués en pleine rue et enterrés sur place.
Partout, en Belgique, ce fut le même système : on groupait toute
la population sur un point donné, on fusillait un certain nombre de
civils, on incendiait les maisons après les avoir pillées, le feu étant
évidemment un moyen de dissimuler le vol.
Les brasiers étaient créés instantanément par des bombes spéciales
en grés et en forme de carafon. Ces engins contiennent du phosphore
dissous dans du sulfure de carbone, le tout étant baigné de benzine.
Sous le choc, le carafon se brise, le sulfure de carbone s'évapore
immédiatement, le phosphore s'enflamme et met le feu à la benzine
qui crée le brasier. C'est ce que la science allemande a créé de
mieux, paraît-il, pour l'affirmation de la puissance allemande dans
le monde.
Qu'on ne dise pas que tout cela est le fait de soldats et d'officiers
subalternes; des documents officiels établissent que les troupes impé-
riales ont agi par ordre dans cette œuvre de destruction. Dans une
proclamation adressée aux autorités communales de Liège et datée du
22 août, le général commandant en chef von Bulow, faisant allusion
au sac d'Andenne dont nous parlons plus haut, dit : « C'est avec mon
consentement que le général en chef a fait brûler toute la localité et
que 100 personnes environ ont été fusillées. >» A Hasselt, l'autorité
militaire allemande obligea le bourgmestre à annoncer par voie
d'affiches que, « dans le cas où des habitants tireraient sur des sol-
dats de l'armée allemande, le tiers de la population mâle serait passée
par les armes ». A Namur, le commandant de la place lança une
proclamation, le 2» août, stipulant que les soldats belges et français
qui aurait pu encore se cacher dans la place devaient être livrés
immédiatement et ajoutant que « les citoyens qui n'obéiront pas
seront condamnés aux travaux forcés à perpétuité, en Allemagne ».
Dans une lettre adressée au bourgmestre de Wavre, petite ville du
Brabant, le lieutenant général von Nieber, exigeant une contribution
de guerre de 3 millions, stipulait que « la ville de Wavre sera incen-
diée et détruite si le paiement ne s'effectue pas à terme utile, sans
égards pour personne, les innocents souffriront pour les coupables ».
L'œuvre de ruine et de mort systématiquement accomplie par les
Allemands en Belgique et dans le nord de la France, on ne la con-
naîtra jamais totalement. Il y a des abominations que l'on ne peut
raconter; il y a des hontes que l'on ne peut constater, même dans
des enquêtes officielles. Devant cette chose si grande qu'est le sup-
plice d'un peuple, la haine elle-même demeure impuissante, et l'on
ne peut que pleurer dans toute la détresse de l'âme. Roland de Mares.
I
DE S. G. M^^ MIGNOT 271
Citerais-je encore un autre article à propos de Lille man-
quant de pain et de charbon? A l'humble demande du
maire, mendiant de la farine pour ses concitoyens, le géné-
ral von Heindrich, qui, ayant tout pris aux environs, réqui-
sitionné tous les approvisionnements, laisse la grande cité
sans pain et sans ressources, écrit au maire avec une sau-
vage ironie : « Monsieur le bourgmestre de Lille, adressez-
vous maintenant à la Suisse si vous voulez manger. Rap-
pelez-vous son rôle magnanime à l'égard de la ville de
Strasbourg en 1870; en tout cas, Fautorité allemande ne
saurait assumer de nourrir les civils aussi longtemps que
l'Angleterre empêchera toute importation par la mer (1). »
Vraiment, les crimes reprochés à Israël par Amos et les
autres prophètes dépassaient-ils ceux de ces prétendus
défenseurs des droits de Dieu?
*
* *
Je parle d'Amos et des prophètes d'Israël, parce qu'en
Allemagne nous sommes en pays bibliste; on n'y est pas
l'ennemi d'un certain esprit religieux — souvent sincère —
et l'on ne serait pas fâché de justifier l'abus de la force en
faisant appel à certains faits de l'Ancien Testament dont on
altère le sens et la portée. A dire toute ma pensée, je crois
aussi que le Dieu qu'invoquent nos ennemis est toujours le
Dieu non dégagé de ses grossiers anthropomorphismes tel
que se le façonnaient les vieux Sémites, plutôt que le Dieu
des prophètes et surtout le Dieu de l'Evangile.
C'est sans trop de surprise que j'ai lu un essai de la jus-
tification de l'invasion de la Belgique tirée de la Bible.
C'est un passage relatif au refus opposé par les Moabites
aux Hébreux, qui trouvaient plus court et plus facile de
traverser le territoire voisin pour arriver en Chanaan! Si
cette citation n'est pas un simple jeu d'esprit, elle trahit
chez son auteur une mentalité bien extraordinaire.
(1) Cité par L. Latapie dans VExprcsB.
272 EXTRAITS DES LETTRES SUR LA GUERRE
Est-ce que par hasard nos ennemis se regarderaient
sans rire comme la nation prédestinée? Est-ce que, sérieu-
sement, ils regardent la France comme une terre de Clia-
naan qu'il leur faut à tout prix pour la régénérer? comme
une terre à eux promise, terre riche, excellente, fertile,
abondante en fruits, en moissons et en vignes? Est-ce
qu'ils se croient de nouveaux soldats de Josué, ou des
janissaires de Jéhu destinés à exterminer la race impie
d'Acliab et de Jézabel, c'est-à-dire la France? Que la
Prusse étudie donc son passé et ses origines. Je ne dis pas
avec de Maistre qu'elle est le crime de l'Europe, mais elle
se ressent toujours de l'apostasie des chevaliers de l'ordre
teutonique; elle a au fond de l'âme une aversion profonde
pour le catholicisme, et son roi, dans une lettre écrite à
l'une de ses parentes, lui reproche d'abandonner la reli-
gion protestante, et il ajoute qu'il a, lui, la haine du catho-
licisme. Cette lettre est dans toutes les mémoires.
Certes, nous sommes coupables et nous regrettons que
la France officielle ne soit pas à l'unisson religieux de
la majorité du pays, mais tout de même ses représentants
ne sont pas des fils d'Achab et de Jézabel; ils ne nous
obligent pas à adorer Baal et Astarté. En dépit de nos
fautes, j'espère que, dans la balance de Dieu, le bien qui
se fait chez nous fait incliner le plateau de la miséricorde
et de l'amour.
*
* *
Après le faux mysticisme, le mensonge.
Qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée. En Alle-
magne, comme partout ailleurs, il y a d'excellentes gens,
de bons catholiques, de bons protestants, édifiants pris
individuellement, mais dont l'état d'âme, la mentalité
intellectuelle a été en partie déformée. Le mensonge a
contribué à fausser les esprits et les cœurs. Dans certains
milieux sincèrement religieux, on n'est pas loin de nous
DE S. G. MS'^ MIGNOT 273
regarder comme des impies, des blasphémateurs dignes de
tous les châtiments divins. Hélas! il est si facile et si com-
mun, même chez les catholiques, de s'ériger en justiciers
de Dieu. Aux yeux de certains groupes piétistes, nous
sommes de vrais Amalécites, des Chananéens, des Hittites,
des Phéréséens que Dieu a en abomination. Certes, nous
sommes loin de dissimuler nos tares; souvent même nous
nous faisons pires que nous ne som.mes par bravade, légè-
reté, sottise, manque de sérieux, que sais-je encore? Mais
n'y a-t-il d' Amalécites que chez nous? Lfs docteurs des
universités allemandes sont-ils donc si orthodoxes? —
Nons ne parlons, bien entendu, que des chaires de théolo-
gie protestante. — Ne sont-ils pas tous plus ariens que
chrétiens? Combien y en a-t-il qui croient sincèrement,
intégr dément à la divinité de Notre Seigneur J«sns-Chri>t,
à sa corisubst «ntialité avec le Père, à la sainte 1 rinitc ? On
se sert encore dt-s mots chrétiens, mais à ces bons vieux
mots un peu lourds, comme les. appelait un de nos
sophistes, on donne un sens rationaliste. C'est un achemi-
nement vers le règne intellectuel de l'Antéchrist, vers le
naturalisme pur, vers cette époque dont Notre Seigneur
disait à ses disciples : « Quand le Fils de l'homme revien-
dra trouvera-t-il encore de la foi dans Israël? »
De plus, on fait croire aux populations que nous sommes
les auteurs de la guerre, que nous voulons !a ruine de
l'Ail magne; on cai-iie soignons» ment, les pièces anth^i;-
tiques qui prouvent le contraire, ou on en altère le sens,
on leur oppose des documents frelatés. On essaie, et non
sans quehiue succès, de tromper le monde entier; on a
voulu trom];er le Pape lui-même, à propos du bombarde-
ment sacrilège de la cathédrale de R' inis En dépit
de^ protestations indignées du cardinal Luçon, de ses
vicaires généraux présents, des attestations dinnombi-ables
témoins, nos ennemis soutiennent encore (ju'ils ont lancé
leurs obus parce que les Fi ançais s'étaient installés dans
ses tours pour les bombarder de là! En dehors des témoi-
18 — Fr.
274 EXTRAITS DES LETTRES SUR LA GUERRE
gnages irrécusables, on ne voit pas trop comment les
Français auraient pu installer des batteries sur ces hau-
teurs.
Par malheur, ces mensonges répandus à profusion ont
produit une impression fâcheuse dans les États neutres,
et ce n'est guère qu'en ce moment que la vérité commence
à se faire jour. Nous ne voulons pas cacher que des pays
catholiques, dont nous attendions mieux, réservent leurs
sympathies pour nos adversaires, sous prétexte que la
France, ayant rompu ses relations officielles avec le Saint-
Siège, n'a plus sa place dans le concert religieux des
nations fidèles à l'Église. Quoi donc! Parce que, à la suite
d'une déplorable erreur politique, le gouvernement fran-
çais n'a plus, momentanément, de relations officielles avec
la Papauté, on voudrait donner l'hégémonie religieuse,
confier la défense de l'Eglise à un souverain qui hait le
catholicisme, à un peuple qui crie : Loin de Rome! L'em-
pire d'Occident reconstitué deviendrait le saint empire
ROMAIN PROTESTANT? A quoi sougeut donc ces grands poli-
tiques?
Mais l'Autriche, dit-on, la catholique Autriche?
En vérité, est-ce par amour de la religion catholique
qu'elle a partie liée avec la Prusse? Nous sommes loin,
très loin de demander son démembrement, voire son abais-
sement, mais pourquoi ne se dégage-t-elle pas des serres
redoutables de son terrible voisin? Entraînée dans cette
orbite pour y chercher la vie, ne s'expose-t-elle pas plutôt
à V trouver la mort?
*
* *
N. T. C. F., il nous en coûte de maudire; nous n'oublions
pas la parole de Dieu : « La vengeance m'appartient : à
moi de m'en servir. » Nous ne sommes pas de ces Juifs in-
fortunés qui, arrachés à leur patrie et captifs sur les bords
deTEuphrate, demandaient avec la poésie de l'indignation
que la tête des enfants de Babylone fût écrasée contre la
DE S. G. M»'* MIGNOT 275
muraille; cependant, tout en faisant des exceptions qui
s'imposent à des chrétiens et n'oubliant pas que Notre Sei-
gneur a aboli la loi du talion, n'est-on pas en droit de de-
mander à Dieu vengeance? On répand, vous le savez, à
des millions d'exemplaires, adressés à tous les soldats alle-
mands par un comité de femmes de Barnem en Westpha-
lie, une courte brochure où sont condensés les cris de haine
de nos ennemis : c'est du délire, de la folie furieuse qui va
jusqu'au blasphème sous le vernis religieux. J'en cite un
court extrait d'après un de nos journaux ; il est intitulé :
Haine ou amour.
« J'ai vu sur sa croix Jésus-Christ — Qui est le père de
tout amour, — Et qui sur la croix — Offrait encore son
amour à ses ennemis. — Son doux visage me disait : — Al-
lons, chante l'amour, ne hais pas. — Mais je me suis dé-
tourné. — J'ai pris ma plume dans ma main. — Et j'écris
ceci : Je hais, Seigneur. — Du plus profond de mon cœur,
je hais, Seigneur. — Et, te regardant en plein visage, je
dis : — Ma haine ne cédera pas à ton amour. — ... Je hais
mes ennemis jusqu'à la mort (1)... »
Aces cris sauvages, dont nous ne citons que quelques
mots, n'avons -nous pas vraiment le droit de répondre par
les imprécations inspirées du psaume 108*' que nous réci-
tons à none du samedi :
« Dieu de ma louange, ne garde pas le silence. — La
bouche du méchant et du traître s'ouvre contre moi. — Il
parle de moi avec une langue mensongère et il m'assiège
de paroles de haine... — Que ses jours soient abrégés,
qu'un autre prenne sa charge. — Que ses enfants devien-
nent orphelins et sa femme veuve, — Que ses fils aillent
errer cà et là en mendiant, et quêter loin de leurs demeures
en ruines, — Que le créancier s'empare de ce qu'il a, que
des étrangers pillent ses épargnes, — Que personne ne lui
vienne en aide, que nul n'ait pitié de ses orphelins, — Que
(1) Citf'; parle Télégramme.
276 EXTRAIT DE LA LETTRE PASTORALE
sa postérité soit exterminée, que leur nom soit effacé à la
prochaine génération, — Qu'on rappelle devant le Seigneur
les crimes de ses pères, — Que le péché de sa mère ne soit
pas oublié. — Qu'ils soient sans cesse devant le Seigneur,
qu'il fasse disparaître leur souvenir de la terre. — ... Qu'il
soit revêtu de malédiction comme d'un vêtement. — Qu'elle
pénètre comme l'eau au dedans de lui, comme l'huile <à
travers ses os, — Qu'elle soit le manteau dont il l'enveloppe
et la ceinture qui ne cesse de l'entourer... »
Non, Seigneur, nous ne demandons pas que toutes ces
imprécations se réalisent sur nos frères ennemis, malgré
leurs cruautés; cependant, puisqu'ils se vantent de ne vivre
que de la Bible, qu'ils n'ont pas honte d'appUquer à la
pieuse Belgique qu'ils ont écrasée le passage relatif au
refus opposé aux Hébreux par les Moabites, pourquoi
n'appliquerions-nous pas à ces hommes de proie les ana-
thèmes qu'ils méritent si bien?
Extrait de la lettre pastorale de M»"" l'Évèque
de Versailles. Carême 1915.
Si la France tombait, si seulement son étoile venait à
pâlir, l'équilibre européen serait rompu, la civilisation per-
drait sa délicatesse et sa grâce, il y aurait sur le globe une
effrayante diminution de lumière et de chaleur, l'humanité
seiait atteinte dans les meilleures portions d'elle-même... et
surtout, suprême catastrophe, l'Évangile subirait un recul. . .
et quel recul ! la sainte Église verrait lui manquer une de
ses forteresses... et quelle forteresse !
N'oublions pas que depuis quinze siècles la France est au
poste d'honneur du catholicisme. 11 fallait à Dieu ici-bas un
peuple missionnaire, c'est-à-dire un peuple à l'esprit assez
ouvert pour chercher l'idéal, au cœur assez chaud pour s'en
DE MS^ L'ÉVÊQUE de VERSAILLES 277
éprendre, à l'âme asSez ardente pour tout lui sacrifier, — un
peuf.le assez artiste pour plaire, a>*sez puissant pour s'im-
poser, assez grand pour se faire admirer, assez généreux
pour se faire aimer, assez entraînant pour se faire suivre.
Il fallait à Dieu... la France! Et, de fait, dans le passé,
n'est-ce pas la France qui a été la meilleure servante de
Dieu, de Jésus Christ et de l'Église? Dans le présent, depuis
cent ans, n'est-ce pas encore la France qui envoie partout
ses missionnaires et ses religieuses, qui fait resplendir la
foi catholique en Orient, qui a planté la Croix à Pékin et
en Cochinchine, à Alger et à Tunis, sur les rives du Niger
et du Congo? Fénelon écrivait en 1709, entre les heures
sombres de Malplaquefet les heures glorieuses deDenain:
« J'espère que Dieu sauvera la France, parce que, dans la
conjoncture présente, la France est un gran I appui pour
la catholicité. » Cette parole n'a pas cessé d'être vraie. La
France de 1915 est comme la France de 1709 « un grand
appui pour la catholicité», le principal contrefort de l'édifice
divin, la meilleure propagatrice du règne de Dieu dans le
monde.
En tout cas, si elle venait à perdre son poste d'honneur
à l'avant-garde du catholicisme, ce n'est pas l'Allemagne
qui la remplacerait dans cette sublime fonction. « La Prusse,
a dit r>]: Maistre, est le péché de l'Europe », et le péché
de l'Allemagne est d'avoir subi et accepté l'intoxication de
la Prusse. Les Allemands prussifiés se sont mis à la re-
morque de Luther et de ses héritiers légitimes : Kant,
Strauss, Haeckel, Nietzsche, Harnack, tous foncièrement
anticatholiques. Nous les voyons à l'œuvre en Belgique et
dans nos provinces du Nord. On dirait qu'ils ignorent les
lois de la morale chrétienne, et même de la morale natu-
relle. Ils ne respectent rien ni personne, ni le caractère
sacré des obligations internationales, ni la faiblesse des
enfants et des citoyens inoffensifs, ni l'honneur des femmes,
ni la dignité des prêtres, ni l'immunité des villes ouvertes
et des propriétés particulières, ni la majesté des monu-
278 EXTRAIT DE LA LETTRE PASTORALE
ments qui sont le patrimoine commun de l'humanité. Quoi
qu'ils disent, ils ne sont pas, au vrai sens du mot, des civi-
lisés. Comment st raient-ils des évangélisateurs, des mis-
sionnaires et des apôtres? Comment voulez-vous que
l'Eglise fasse son œuvre avec un tel peuple, qui ne croit
qu'à la force brutale et qui obéit machinalement à l'impulsion
de ses faux intellectuels? Non, l'Allemagne luthérienne et
prussifiée n'est pas, ne peut pas être dans le monde la ser-
vante et la messagère de la civilisation chrétienne.
C'est la France, la France cathQlique qui est le peuple
élu de Dieu, ami du Christ, fils aîné et fidèle serviteur de
la sainte Église ! Il est vrai que, dans ces derniers temps,
la France a semblé renier son baptême et rougir de son
passé. On a cru qu'elle allait renoncer définitivement à sa
vocation religieuse. Mais ce n'était qu'une défaillance
momentanée et superficielle, une aberration qui ne venait
pas de son âme profonde et qui ne pouvait pas durer. Sous
la pression de la souffrance et du patriotisme, un grand
souffle de vie supérieure s'est levé sur notre pays, et la
France s'est rattachée tout de suite à la plus vieille et à la
plus nécessaires de ses traditions, à sa tradition catho-
lique.
Sur les champs de bataille, nos soldats chrétiens se sont
révélés beaucoup plus nombreux qu'on ne pensait. Les neuf
dixièmes prient. Mêlés à nos régiments, 25.000 prêtres
dressent partout la croix et l'autel à côté du drapeau.
Nous réclamions des saints pour sauver la France, quel-
ques gouttes de sang très pur pour laver nos souillures
nationales. A-t-on jamais vu tant de morts héroïquement
chrétiennes, tant de victimes innocentes volontairement
immolées pour Dieu et pour la Patrie?
Nous étions déshabitués de la prière publique. Et voici
que Paris s'est mis à genoux devant Dieu à Montmartre, à
Saint-Étienne-du-Mont, à Notre-Dame, dans tous ses sanc-
tuaires.
Ce qui s'est fait à Paris s'est fait en province, jusque dans
DE Më^ L'ÉVÊQUE de VERSAILLES 279
nos villages les plus humbles et les plus réfractaires en
apparence au sentiment religieux. Les Évêques ont donné
le signal et les populations ont suivi.
On prie dans les églises et l'on prie dans les familles pour
le pays menacé, pour les soldats qui sont au combat, pour
les blessés, pour les prisonniers, pour les morts. Sauf les
exceptions prévues et inévitables, la France entière est en
prière.
La France n'est pas un peuple ordinaire. Elle a des
retours et des rebondissements inattendus. Elle est catho-
lique de naissance, de vocation, de tempérament, d'atavisme
et d'hérédité. Elle a traversé plus d'une fois dans sa longue
histoire des crises d'apostasie; ces crises ont été souvent
très aiguës, elles n'ont jamais été mortelles. A la première
occasion, au premier danger, la France se retrouve telle
qu'elle est née et telle qu'elle a grandi. Il semble que sans
le catholicisme la France ne saurait se continuer elle-
même.
Ne vient-elle pas de donner une preuve éclatante de sa
vitalité religieuse? En l'espace de (juelques mois, un dépla-
cement de forces morales s'est pi-oduit à l'actif de la reli-
gion. La conscience nationale a repris soudainement son
orientation normale, qui est l'orientation catholi(|ue. D'un
jour à l'autre il y a eu quelque chose de changé dans notre
cher pays qui s'est retourné vers Dieu, après l'avoir trop
longtemps méconnu.
Cependant, ne nous faisons pas illusion : il faudra du
temps avant que l'esprit chrétien pénètre et renouvelle tous
les degrés de la hiérarchie sociale, avant que soit éliminé
de notre sang tout le virus anticlérical qui nous empoisonne
depuis un tiers de siècle, avant que soient baignées et
assainies par la sève religieuse toutes les parcelles de la
nation. Prêtres et fidèles, acceptons avec toutes ses dilli-
cultés et dans toute son envergure notre devoir patriotique.
Nous avons, dès maintenant, une France parfaitement unie.
Préparons une France parfaitement catholique. Nous y
280 RÉPONSE DE l'université CATHOLIQUE DE PARIS
arriverons peu à peu à force d'abnégation et de sainteté,
avec la grâce de Dieu et la collaboration de tous les homme?
de bonne volonté.
Réponse de lUniversité catholique de Paris au mani-
feste des représentants de la science et de lart
allemands.
Quatre-vinfirt-treize « repré.«!entants de la science et <1(
'■' •;! 'i!lt;iu:ii:'!s ■, 'iii-i iju'lN -0 ? j ! IMÎi ' ici: ■ CU ii.C.: Uo. Ui.l
adressé « un appel au monde civilisé » pour justifier h -
Allemands, et de la guerre qu'ils ont déclarée, et de l;i
manière dont ils la font, ce II n'est pas vrai, disent-ils, que
l'Allemagne ait provoqué cette guerre. 11 n'est pas vrai
qu'elle ait violé criminellement la neutralité de la Bel-
gique. Il n'est pas vrai que ses soldats aient porté atteint<
à la vie ou aux biens d'un seul citoyen belge, sans y avoir
été forcés par la rude nécessité d'une défense légitime. Il
n'est pas vrai que ses troupes aient brutalement détruit
Louvain. Il n'est pas vrai qu'elle fasse la guerre au mépris
du droit des gens. Ses soldats ne commettent ni actes
d'indiscipline, ni cruautés. Il n'est pas vrai que la lutt<
contre ce qu'on appelle le militarisme allemand ne soit pas
dirigée contre la culture allemande, comme le prétendent
nos hypocrites ennemis. » Ils dema. «tu'on les croie,
car leur voix est « la voix de la vérité » .
Parmi les signataires du manifeste, nous avons relev
avec une douloureuse surprise les noms de quelques théo-
logiens et professeurs attachés par leurs croyances à la
religion catholique. Aussi, nous croyons accomplir un
AU MANIFESTE ALLEMAND 281
devoir de notre fonction en formulant ici notre très
expresse protestation contre les assertions de principes et
(le faits que les professeurs allemands ont cru pouvoir cau-
tionner de leur signature et, en notre qualité de profes-
seurs à l'Université catholique de Paris, au nom des
Facultés de Théologie, de Philosophie, de Droit canonique
et civil, de Lettres, de Sciences, groupées en cet établisse-
ment d'enseignement supérieur, nous affirmons que ces
assertions sont contraires à la vérité et doivent être
rejetces.
Nous ne rechercherons pas si cette protestation des repré-
sentants de la science et de l'art allemands est une œuvre
d'art. Il est sûr qu'elle n'est pas une œuvre de science. La
passion et le préjugé s'y montrent à découvert, excluant
tout p^^pi'it r-r'tiinip ^e rpio d'sont « les enn-mis » ne
>auia.L t'Li-e qi e « clunimes, meiisoi;ges, hypocr.sie ».
Seuls les documents d'origine allemande méritent créance.
Il faut poser en principe, malgré le démenti des faits les
l)lus palpables, que les soldats allemands ne commettent
« ni actes d'indiscipline, ni cruautés ». Il est impossible
qu'ils aient fusillé des vieillards et des prêtres désarmés,
souillé ou mutilé de pauvres innocents ; quand on ne peut
nier les faits, comme la violation de la neutralité belge,
rincendie de Louvain ou de Sentis, le bombardement de la
cathédrale de Reims, on rejette la faute sur les victimes.
Pour preuve, l'affirmation des signataires doit suffire : leur
voix n'est-elle pas « la voix de la vérité » ?
Eh bien, non ! Votre voix est celle de l'erreur, d'une
erreur que nous nous refusons à croire volontaire.
Et, pour prouyei; ce que nous affirmons, nous nous
appuyons, noi ? îles documents diplomatiques publiés
par les divei ^z, puissances, sur des enquêtes conduites
avec le plus grand souci de l'exactitude, sur ce que nous
avons vu de nos yeux, documents qui établissent d'une
façon péremptoire que l'Allemagne a prémédité la guerre
et a fait échouer toutes les tentatives de conciliation;
282 RÉPONSE DE l'université CATHOLIQUE DE PARIS
enquêtes et oonstatations qui nous donnent le droit de
protester de tout^•s nos forces, à la face tiu monde, contre
les actes abominables par lesquels l'armée allemande a
fait reculer la civilisation jusqu'aux invasions des bar-
bares.
Bombarder des villes ouvertes; détruire systématique-
ment les usines et les habitations, soit en les bombardant
sans nécessité militaire, soit en les incendiant méthodique-
ment avec des pulvérisateurs ou des pastilles fulminantes
préparées à l'avance ; lancer du haut des ballons sur les
quartiers pacifiques des villes ouvertes des bombes qui
blessent ou tuent des femmes et des enfants ; contraindre
des non-combattants et des femmes à marcher en tête des
colonnes assaillantes afin de paralyser la résistance de
l'adversaire ; prendre des otages par centaines et les
rendre responsables de violations du droit des gens dont
ils sont entièrement innocents et qui, le plus souvent, ne
peuvent être reprochées à aucun citoyen ennemi, puisque,
ou bien elles sont totalement imaginaires, ou bien elles ne
sont que le mo en suprême de légitime défense d'une
population victime des pires attentats; fusiJler ou empri-
sonner des prêtres qui n'ont d'autre tort que d'être les
chefs moraux du peuple catholique, et des maires qui,
scrupuleusement respectueux des lois de la guerre, se
bornent à défendre leurs concitoyens contre les violences
injustes et les pillages; usurper le drapeau de la Croix-
Kouge pour transporter des soldats et des munitions, et
bombarder au contraire les hôpitaux et les ambulances de
l'ennemi couverts de ce drapeau protecteur ; p(»rter clan-
destinement les armes et déguiser en femmes des soldats
qui ont caché leur fusil sous les plis de leurs jupons; lever
les bras pour faire signe qu'on se rend et fusiller à bonne
portée les soldats qui approchent sans méfiance ; employer
des balles dum-dum et des balles explosibles d'un poids
inférieur à 400 grammes; achever les blessés; couvrir la
haute mer de mines automatiques de contact qui « ne
AU MANIFESTE ALLEMAND 283
deviennent pas inofiensives dès qu'elles ont rompu leurs
amarres », et qui, par suite, exposent aux [)ii'es dangers la
naviij:ation pacilique : tous ces niéfait^i, doyd l'autorité mili-
taire doit nécesaairement accepter la responsabilité, sont
des violations manifestes de la loi des nations. On n'a pu
justifier pour les excuser d'aucune provocation et le belli-
gérant qui les a commises s'est déshonoré lui-même.
Le droit moderne de la guerre, chrétien dans ses ori-
gines, repose tout entier sur deux principes essentiels : le
principe de la distinction entre les combattants et les non-
combattants ; l'affirmation que la guerre n' autorise pas le
belligérant à faire à l'ennemi le plus de mal possible par
tous les moyens possibles. Notre implacable ennemi se
met en révolte ouverte contre ces deux règles primordiales,
et il est douloureux de constater que cette révolte n'est que
le développement logique de son attitude au début des
hostilités. N'a-t-il pas commencé la guerre en violant la
neutralité de deux pays, le Luxembourg et la Belgique,
dont il devait, par convention expresse, garantir l'indé-
pendance et l'intégrité? Prétendre qu'il n'a fait que nous
devancer, n'est-ce pas chose monstrueuse, alors que l'évé-
nement n'a que trop prouvé que notre frontière du Nord
n'avait pas même été mise en état de supporter le premier
choc de l'ennemi et que toutes nos armées étaient à l'Est?
De tels actes violent non seulement la loi humaine, mais
la loi religieuse, car l'Eglise, à travers les âges, a, dans sa
morale, déterminé les conditions de la légitimité de la
guerre et les maximes qui s'imposent à la conscience des
belligérants. Il appartient à des professeurs catholiques de
rappeler que, dès le dixième siècle, l'Église, par la belle
institution de la Paix de Dieu, poussa la première, — et
;ivec quelle vigueur, — l'humanité vers l'acceptation de
cette « discipline de la violence » qui fut pour elle un des
progrès les plus méritoires et les plus bienfaisants. Déjà, à
cette époque, les conciles de Charroux et de Narbonne
proclamaient que les clercs, les vieillards, les femmes, les
284 RÉPONSE DE l'université CATHOLIQUE DE PARIS
laboureurs, devaient être soustraits aux entreprises du bel-
ligérant, et cette protection s'étendait aussi aux animaux
(le labour et aux moulins. Ainsi le travail était protégé en
même temps que la faiblesse, et la force commençait de
reconnaître la maîtrise du droit.
Renoncer à ces règles, détruire de parti pris les temples
de la science, de l'art et de la religion, aller, comme il est
arrivé dans plusieurs églises, jusqu'à des attentats à
proprement parler sacrilèges, c'est retourner à la barbarie,
c'est même sortir du christianisme, invoquât on mille fois
le nom de Dieu pour couvrir ses actes.
Enfin, sans condamner en bloc toute la culture alle-
mande, ainsi que tendent à le faire croire les auteurs du
manifeste, sans méconnaître en particulier les services
rendus par la science et l'érudition gernutniques, nous
tenons cependant à montrer que les actes de violence
contre lesquels nous protestons sont étroitement rattachés
aux dangereuses doctrines dont l'Allemagne a été depuis
un siècle le principal foyer. Que d'.; fois l'Église mère et
maîtresse nous a mis en garde par la bouche de ses pon-
tifes Pie IX, Léon XIII et Pie X, contre les erreurs « d'ori-
gine étrangère », c'est-à-dire en fait germanique, qui ten-
daient à altérer, même dans des pays comme le nôtre, de
religion catholique et de culture latine, la véritable et saine
doctrine catholi([ue ! On ne voit que trop aujourd'hui la
conséquence de ces erreurs. La philosophie allemande,
avec son subjectivisme de fond, avec son idéalisme trans-
cendantal, avec son dédain des données de sens commun,
avec ses cloisons étanclies entre le monde du phénomène
et celui de la pensée, entre le monde de la raison et celui
de la morale ou de la religion, n'a-t-elle pas préparé le
terrain aux prétentions les plus extravagantes d'hommes
qui, pleins de confiance en leur propre esprit et se tenant
eux-mêmes pour des êtres supérieurs, se sont cru le droit
de s'élever au-dessus des règles communes, ou de les faire
plier à leur fantaisie?
AU MANIFESTE ALLEMAND 285
Kant n'a-t-il pas posé en principe que chacun doit agir
de telle sorte que ses actes puissent être érigés en règle
universelle, laissant à la conscience individuelle le soin de
juger si la condition est remplie?
Hegel n'a-t-il pas affirmé l'équivalence, ou l'identité du
fait et du droit?
Nietzsche, quelques réserves qu'il ait faites sur la culture
allemande, n'a-t-il pas, par sa théorie du surhomme, pré-
conisé, avec un cynisme brutal, le droit de la force? Le
matérialisme sans vergogne du monisme évolutionniste, le
panthéisme latent ou explicite des philosophes idéalistes et
des théoriciens subjcctivistes de la religion, au service l'un
et l'autre de l'orgueil germanique, n'ont-ils pas concouru à
présenter dans l'Allemand le type le mieux réussi de
l'espèce humaine, devant qui tous les autres n'ont qu'à
s'incliner, le type en qui le divin a trouvé sa plus haute
réalisation?
Produits eux-mêmes du tempérament intellectuel et
moral des Allemands, tels que l'ont fait les quatre siècles
écoulés depuis la Reforme protestante, ces principes ont à
leur tour fortifié les tendances de ce tempérament, et leur
influence s'est, plus ou moins, étendue à tous.
Pour les hommes d'action, un traité ne sera qu'un
« chiffon de papier» que l'on déchire au gré de ses intérêts;
chiffon aussi, le droit des peuples faibles qui ont le malheur
de L^êner le progrès d'un grand Etat; chiffon, toutes les
restrictions apportées, dans la guerre, au droit illimité de
la force; et, loin de s'excuser d'agir d'après de tels prin-
cipes, ils s'en feront gloire, à l'image du plus grand d'entre
eux, Bismarck.
Des hommes d'étude en viendront à laisser entendre que
tout ce que disent les Allemands est vrai, que tout ce
qu'ils font est juste; c'est la thèse des signataires du mani-
feste. Sachons- leur gré de ne l'avoir pas expressément
formulée. Devant le monde civilisé, ils font profession de
reconnaître le droit des gens et le droit de la vérité. C'est
286 RÉPONSE DE l'université CATHOLIQUE DE PARIS
un hommage implicite à la valeur, à la puissance de
l'absolu, peut-être une concession aux catholiques dont on
a obtenu la signature. Mais que l'on y prenne garde!
Quand on prétend avoir raison à tout prix, quand on est si
sûr de soi qu'il devient impossible de reconnaître ses
erreurs et ses torts, quand on identifie ses propres idées
avec le vrai, sa propre conduite ou celle des siens avec le
juste, on n'est pas loin de méconnaître en pratique cet
absolu que l'on admet en principe ; on le plie à soi au lieu
de se régler sur lui et on se fait la mesure des choses.
Les signataires du manifeste ont bien voulu parler au
monde comme des hommes à des hommes. Mais ils ont
trop montré qu'ils ne savent ni voir les faits qui les contra-
rient, ni reconnaître le droit qui les condamne.
Au nom du véritable esprit scientifique, nous démentons
leurs assertions ; au nom du véritable esprit chrétien, nous
les réprouvons et nous les dénonçons.
Avec l'approbation de S. E. le cardinal-archevêque de
Paris, chancelier de l'Université catholique, et au nom de
tous les professeurs :
Le recteur : Alfred Baudrillart.
Le doyen de la Faculté de théologie : J. Bainvel.
Le doyen de la Faculté de droit canonique : A. Bou-
DINHON.
Le doyen de la Faculté de philosophie : E. Peii.-
LAUBE.
Le doyen de la Faculté de droit ; J. Jamet.
Le doyen de la Faculté des lettres : H. Froidevaux.
Le doyen de l'Ecole des sciences : E. Branly.
APPENDICES
Paroles de S. S. le Pape Pie X prononcées le 29 novembre
1911 au Consistoire où il imposa la barrette à treize
nouveaux Cardinaux.
Le peuple qui a fait alliance avec Dieu aux fonts baptismaux de
Reims se convertira et retournera à sa première vocation. Les mérites
do tant de ses fils qui prêchent la vérité de l'Évangile dans le monde
presque entier et dont beaucoup l'ont scellée de leur sang, les prières
(le tant de saints qui sont pressés d'avoir pour compagnons dans la
gloire céleste les frères bien-aimés de leur patrie, la piété généreuse
de tant de ses fils qui, sans s'arrêter à aucun sacrifice, pourvoient à
la dignité du clergé et à la splendeur du culte catholique, par-dèssus
tout les gémissements de tant de petits enfants qui, devant les taber-
nacles, répandent leur àme dans les expressions que Dieu même met
sur leurs lèvres, appelleront certainement sur cette nation les misé-
ricordes divines. Les fautes ne resteront pas impunies, mais la fille
de tant de mérites, de tant de soupirs et de tant de larmes ne périra
jamais.
Un jour viendra, et Nous espérons qu'il ne tardera guère, où la
France, comme Saiil sur le chemin de Damas, sera enveloppée d'une
lumière céleste, où elle entendra une voix qui lui répétera : « Ma
fille, pourquoi ine persécutes-tu? » Et sur sa réponse : « Qui es-lu.
Seigneur? » la voix répliquera : <> Je suis Jésus que tu persécutes.
Il t'est dur de regimber* contre l'aiguillon, parce que, dans ton obsli-
nution, tu te ruines toi-m.ême. •> Et elle, frémissante et étonnée, dira :
H Seigneur, que voulez-vous que je fasse? )> El lui : « Lève-toi et lave-
loi des souillures qui t'ont défigurée, réveille dans ton sein les senti-
ments a.ssoupis et le pacte de notre alliance et va, jiUe première-née
de L'Eglise, nation prédestinée, vase d'élection, va porter, comme
par le passé, mon nom devant tous les peuples et devant les rois de
ta terre. »
288 APPENDICES
Lettre du Cardinal Secrétaire d'État de Sa Sainteté
au Cardinal Archevêque de Paris.
Dal VaUcano, le 23 avril 191.').
K M I N i: N rissiMK Sktgm: i\\ ,
Vous n'ignorez })as quel douloureux retentisseiiienl ont eu dans le
cœur du Saint-Père les désastres ciiisés par la terrible guerre qui
étend ses ravages sur l'Europe entière; Vous n'ignorez pas non plus
combien Sa Sainteté s'est appliquée à faire tout ce qui était en Son
pouvoir pour en adoucir les funestes conséquences, sans aucune dis-
tinction de parti, de nationalité, ni de religion.
Toutefois, il est bien naturel que la sollicitude du Père commun
des fidèles se tourne de pr^-férence vers ceux de Ses tils qui témoi-
gnent plus vivement leur respect et leur aftéction à Son égard.
Parmi eux méritent une mention particulière Ses Fils de Fiance,
les enfants de cette Nation qui, à juste titre, a été appelée la tille
aînée de l'Église, qui donna toujours des preuves splendides de sa
générosité pour les œuvres catholiques, spécialement pour les Mis-
sions, et qui présente en ce moment, et depuis plusieurs mois, d'un
bout à l'autre de son territoire, à l'aimée, comme dans les ambu-
lances et les hôpitaux et jusque dans la moindre bourgade, des mani-
festations éclatantes de foi et de piété, dont le Saint-Père est gran-
dement consolé.
Aussi est-ce à bon droit qu'au milieu de tant de maux, Si Sainteté
s'est Sentie attirée avec une commisération paiticu ière vers certaines
populations de la France, plus durement éprouvées jiar le tléau de la
guerre, au point que, malgré les eiîorls de la charité nationale et
universelle, elles ont encore grand besoin \e secours matériels et
moraux.
Ému de leurs souffrances au plus intime de Son âme, le Souve-
rain Pontife, tout en continuant d'adresser au Très-Haut dt^s prières
et des sup.ilications pour obtenir la fin de cette ère de .sang, sollicite
instamment de la Bonté céleste, qu'EUe accorde aide et réconfort aux
douleurs de celte partie si affligée du peuple de France.
A ces vœux et à ces prières, le Saint-Père désire joindre une atlrs-
APPENDICES 289
alion sensible de l'affectueux intérêt qu'il porte à ces populations
malheureuses .
C'est pourquoi Sa Sainteté m'a chargé d'envoyer avec cette lettre,
à Votre Éminence, pour être employée à leur soulagement, la somme
de quarante mille francs, offrande assurément inférieure à l'étendue
des désastres, mais qui du moins manifestera avec évidence le pater-
nel empressement que, dans Son Auguste pauvreté, rendue plus
étroite encore par la difficulté des temps actuels, le Vicaire de Jésus-
Christ veut témoigner à la France, Sa fille bien-aimée. Et comme
nous avons appris qu'il doit y avoir le Dimanche et le Lundi de la
Pentecôte prochaine, au bénéfice des régions occupées, une grande
souscription, par les soins d'un Comité constitué avec le concours de
Votre Éminence, le Saint-Père se plait à espérer que cet acte de Sa
libéralité pourra servir de prélude à la générosité de tous les Fran-
çais en faveur d'une initiative si chrétienne et si patriotique.
Heureux de penser qu'il aura ainsi pour coopérateurs, dans la
charité de la prière et de l'offrande, tous ses chers fils de France,
rangés sous la conduite de leurs Évêques vénérés, l'Auguste Pontife
invoque sur eux, avec toute l'effusion de Son cœur, l'abondance des
récompenses célestes, et, comme gage des faveurs divines. Il accorde
à Votre Éminence, à l'Ëpiscopat, au Clergé et à tout le peuple de
France la Bénédiction Apostolique.
Il m'est très agréable, Eminentissime Seigneur, de saisir une occa-
sion aussi propice pour Vous renouveler l'expression des sentiments
profondément respectueux avec lesquels je Vous baise humblement
les mains et demeure,
de Votre Éminence,
le très dévoué et affectionné serviteur,
P. Card. Gasparri.
19 — Fr,
LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A L'eNNEMI 291
LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES ET DES RELIGIEUX
* TUÉS A OU PAR L'ENNEMI
R. P. Argenton, François d* (S.J.).
Abbé Audoin (Angers).
— Arzel (Quimper).
— Aufèvre.
— Aubois, curé d'Hattoachâ-
tel (Verdun).
— Accassat (Viviers).
— Augez, Adrien (Rédempt.).
— Accossot, Noël-Albert.
Frère François-Marie (M. Léon-
Adeline).
Abbé Amiot, curé de la Jarne
(La Rochelle).
— Abel (Saini-Dié).
— Armand, curé de St-Benoît
(Valence).
— Anger(Evreux).
— Allouard, Lucien (Valence).
— Alexandre, curé de Musy-la-
Ville (Evreux).
~ Alquier, P.E. (Albi).
— Arnoult, Joseph (Nantes).
Frère Arsène (Rédempt.) (Paris).
R. P.Aucler, Paul (S. J.).
Abbé Arrivets, curé d'Orbesson
(Auch). .
— Andrieux, curé de Flau-
court (Amiens).
— Brun, curé de Mulhouse
(Alsace).
— Buscoz (Grenoble).
— Barbaste, Maurice (Tou-
louse).
— Baniol, Marcel (Avignon).
Abbé Brusc.
— Ballot, J. B. (Clermont).
— Bellamy.
— Brégent, Pierre (Vannes).
— Béziat (Rodez).
— Borgoltz, curé doyen de
Berry-au-Bac (Soissons) .
— Blanchard, Louis (Orléans).
— Bony, Augustin (Rodez).
R. P. Bacon, Jean (Cistercien de
N. D. des Neiges).
Abbé Boite, Michel (Perpignan).
— Burgard , Louis - Edouard
(Troyes).
— Barriquand, L.-A. (Lyon).
— Barbot, curé de Rehain-
viller (Nancy).
Frère Joseph Bahuon (Gongrég.
du St-Esprit).
Abbé Bouiller, J. -Marie (Lyon).
— Binet, Raymond.
R. P. Briner, Jean (Rédempt.)
(Rennes).
Abbé Bachelard (Clermont).
R. P. Batleux, François, mission-
naire du St-Esprit.
Abbé Buécher, .Pierre (Alsace).
— Boudesseul (Lavai).
— Borgoltz, curé doyen de
Berry-au-Bac (Soissons).
— Bruy, Antonin (Digne).
— Beau, E. (Paris).
— Beckeinheimer.
292 LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A l'ENNEMI
Albert-Joseph (M. Beauquin,
Emile) (Scutari d'Asie).
Bertrand, Marcel (Angers).
Bonduelle, Alfred (Lille).
Henri (M. Baradat, Henri
(des Ecoles chrétiennes).
Berthou (des Missions
étrangères).
Brohan (des Missions
étrangères.)
Braux, curé doyen de Lon-
guyon (Nancy).
Boudassent (Laval).
de Billeheust, François
(S.-J.).
Bouchez, Marins (d'Arras).
Brachet, Olhon (Lyon)
Bonnefoy, J.-B. (Lyon).
Bellanger, Georges (d'An-
gers).
Bonnet (S. J.).
Ghénot, curé de Charey
(Nancy).
Charo.
Chapey (Paris).
Catleau, Emile,
Clochard, Raymond (Tou-
louse).
Camus, René (Versailles).
Crépienne, Louis (S. J.).
Charbonnel, Emile (Lyon).
Comte, Hyacinthe (Viviers;.
Grépieux (S.-J.).
Carmoi, Père-Blanc.
Cléret (d'Arras).
Comte (Grenoble).
Charvériat, Marc (Lyon).
Cohendet, Cohendet (An-
necy) .
Crispin, capucin de Paris.
Commet, Henri (Paris) .
Cozic, Yves, congrég. du
St-Esprit.
Frère Beck, Jean (Père Blanc).
Frère
Abbé Borrel, Edmond (Paris).
— Brun, Antoine (Digne).
Abbé
R. P. Burfm (Dominicain) (Gre-
—
noble).
Frère
Abbé Bories, Georges (Cahors) .
— Bonnaud, Louis (Poitiers).
R. P.
— Badin, Robert.
Frère Jean Berkmans (M. Jean
R. P.
Blauc), de la Ste-Famille
de Belley.
Abbé
Abbé Beckensteiner, J. (Lyon).
— Bourdiol, Siméon (Montpel-
—
lier)
R. P.
— Becquerel, Hippoly te (Beau-
vais).
Abbé
— Bertrand, Aug. (Laval).
—
R. P. Buget, Maurice (S.-J.).
—
Abbé Belladen, G. (Aix).
—
— Berthet, Jacques (Annecy) .
— Benoît, Albert-Jules (Paris).
—
— Bourdry, Louis (St-Claude).
—
— Bescond,J.-P. (Quimper).
Frère Léonce (M. Alex. Bous-
—
suge).
—
— Bauguin, Emile (Frère Ma-
—
riste).
—
R. P. Biaise (M. Luc Babaqui,
Capucin) (Toulouse).
—
Abbé Blanchard, Marie-AI. (Gap).
R. P.
— Bertrand, Marcel (La-Ro-
Abbé
chelle).
—
— Béziat, Albert (Rodez).
R. P.
— Burgard, E. (Troyes).
Frère
— Besnoux (St-Brieuc).
Abbé
Frère Briquet, JuUien (Salésien
—
de Don Bosco).
—
Abbé Birabent, J.-B., curédeGand
—
(Toulouse).
R. P. Bindler (Congrég. du St-
Frère
Esprit).
Abbé
R. P. deBlic (S. J.).
—
AbbéBilande (Bouges).
J
LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A L'ENNEMI 21)3
Abbé Gord'homme, Bernard.
— Cochard, Paul (Orléans).
— Corven, Auguste (Vannes).
— Cavalié (Rodez).
— Ghamoux, L.-J.-J. (Annecy).
— Ghaptal, Marcel (Mende).
— Gapron, Gabriel (Arras).
— Courtiol (Montpellier).
— Clément, Claude (Lyon).
— Gurvelier, Emile, congrég.
du St-Sacrement.
Frère Robert, M. Chaudron, Ber-
nard, trappiste.
Abbé Caries J.-B. (Angoulême).
— Gaillaud, Alph. (Angers).
— de Glerck, curé de Buecken.
— Gharo.
— Ghalvidan, Léon (Mende).
— Cavaillés (Albi).
— Ghaumet, Alexis (Autun).
— Chabot, curé de Forêt, (Lille)
— Choquet, Léon (Beauvais).
— Ghaumeil, René (Glermont).
— Caillau, Mathieu, curé de
Goutz (Auch).
— Chiron, Henri (Luçon).
R. P. Gussin, missions étrangères.
Abbé Cazin, curé de Grand-
Failly (Nancy).
— Galba (Nancy).
— Cornet, Joseph (Arras).
— Chuette, Robert (Versailles).
— Démolis, (F. -M.) (Annecy).
— Dudrupt, Léon (Saint-Dié).
R. P. Dirberger dominicain de
Saulchoir.
Abbé Depardon, Edouard (Paris).
— Delbecque, curé de Maing
(Cambrai).
— Dechaume,Georges(Meaux).
— Danset, Joseph (Lille).
— Duret, François (Annecy).
— Degouey, Joseph (Bayeux).
Abbé Denis, Claudius (Lyon).
R. P. Doucel (S.-J.).
Frère Valentin, M. Delattre, Al-
phonse, rédemptoriste.
(Lille).
— Dandonneau, Moïse (La Ro-
chelle).
— Doumenc (Carcassonne).
— Daugé (Aire).
R. P. Demoustier, Emman. (S. J.).
Abbé DécourtjGeorges (Poitiers).
— Desgaches, J.-Marie (Lyon).
— Daugé, Auguste (Aire)
— Durand, Victor (Lyon).
— Delmont, E. (Paris).
— Degand, Alfred, (Arras).
— Delmont, E. (Saint-Flour).
— Dissard (Paris).
— Décréaux (Autun).
R. P. Du Pierreux (S.J.) Brabant.
Abbé Delagrange, Maurice
(Ghambéry).
— Deschanet, Marcel, mission-
naire du Sacré-Cœur.
Frère Delavalle, novice domini-
cain.
Abbé Druet, curé d'Acor.
— Dossogne, curé de Ho-
ckay.
— Docq.
— Delorme, Victor (Luçon).
— Delmas, G. P. (Bordeaux).
— Delbos, Louis (Avignon).
— Delpous, Edouard, mission.
congrég. du St-Esprit.
R. P. Deslandes, Jean (S. J.).
Abbé Desmoulins, Etienne (Beau-
vais).
— Degand, Alfred (Arras).
— Dupont, Gyr (Arras).
Frère Delmas, Marius~J.-B. (des
Écoles chrétiennes).
— Dcchavanne, Honoré (Lyon).
294 LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A L'ENNEMI
Frère Domergue, Paul (Lyon).
R. P. Escalère, Fernand (P. du
Sl-Esprit).
— Estrangin, Alexandre (S. J.)-
Frère, Évangéliste (capucins de
Paris).
Abbé Enault (S. J.).
— Ehienspiller (S. J.).
— Fumey.
— Finot.
— Fougère, Charles.
— Fauré-Gignoux.
— Filley.
— Forir.
Frère Fridolin (Institut St- Ga-
briel).
Abbé Fustier, Joseph (Lyon).
— Falconnet, Charles (Anne-
cy)-
— Fouque, Donat (congrég.
du St-Espril).
— Fiégel, Alphonse.
— Faive (Nancy).
— Foulon, Alf'-ed (Laval).
— Faraud, André, curé de
Bords (La Rochelle).
— Foucault, Henri (Meaux).
— Faverjon, Claude (Lyon).
— Gavard (Annecy).
R. P. Guigue (S. J.).
Abbé Gayon, Emile.
— Granier, Louis (Valence).
— Grandet.
— Gaulon, Henri (Nevers).
R. P. Gléonec (P. du St-Esprit).
Abbé Gavard (Montpellier).
— Gléhello L-M. (Vannes).
— Grandgérard, Gaston (Ver-
dun).
— Guitton.
— Gosset, Henri (Soissons).
— Génu (S. J.).
— de Gailbard-Bancel (S. J.).
Abbé Gros, Francis (Le Mans).
— Gathier, Joseph (Lyon).
— Gauroy L-F. (Ghàlons).
— Gastesoleil, l. (Périgueux).
— Gerey /'chartreux).
— Guignard, Raymond
(Meaux).
R. P. Grenier, Epiphane (S. J.).
Abbé Gibault, Ernest (Paris).
— Gervais, Joseph (Paris).
— Goutard J.-G. (Lyon).
— Galland, Marcel (Grenoble).
— Gérard, Paul (Amiens).
— * Granger, Jean (congrég. des
P. du S.-G. de J.).
— Grangette, Antoine (Le Puy).
Frère Bénédict, M. Gau, Pierre.
R. P. de Gironde (S. J.).
— Galaup, Marins (Toulouse).
— Gutzwiller, Georges (Be-
sançon).
— Gilbert, Joseph (Moulins).
Abbé Gautier, Joseph (Blois).
— Gille, curé de Couyin?
R. P. Gillet, bénédictin.
Abbé Georges, curé de Tintigny ?
— Glouden, curé de Latour
(Verdun).
— Giraud, Emmanuel.
— Gallay, Maurice (La Ro-
chelle).
Frère Félix-Joseph M. Gigaud
(Institut Si-Gabriel).
Abbé Girod, Charles (St-Claude).
Frère Goïty, Sixte-Marie (Frères
de l'Instruction chré-
tienne).
Abbé Gauroy, Jean (Châlons).
— Gandy (xMeaux).
— Grandgérard, Gaston (Ver-
duH;.
— Gasq (Rodez).
— Gren.^er (S. J.).
LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A L ENNEMI
295
Abbé Guffroy (Soissonsj.
— Gallois, Albert (Verdun).
— Guibert (S. J.)
— Hennequin, curé de Marthil
(diocèse de Metz).
— Hilleriteau, Félix.
— Huftier, Marcel (Cahors).
— Houdoyer, J.-B.
— Heydon, J.-M. (Quiraper).
R. P. Hinard, Edouard (Missionn.
du S.-G.).
Abbé Hotlet, curé des Alloux ?
Frère de Henaff , Pierre (Salésien
de Don Bosco).
Abbé Hoybel, Jean (Paris).
— Héricourt, Edmond (Arras).
— Herrengt (Arras).
— Hastey (S. J.).
— Humbert (S. J.).
— Imparato, A.-M. (Montpel-
lier).
— Jean Jacques, curé d'Archiac
(La Rochelle).
— de Johannis, Yves.
— Jeanpierre, curé de Saulcy-
s.-Meurthe (St-Dié).
Frère Joseph, Rédemptoriste.
Abbé Jourlin, Raoul (Lyon).
— Jordan, Pierre (Paris).
— Jaslier, Victor, curé de
Domfront (Le Mans).
Frère Jeanmaire (Rédemptoriste)
(St-Dié).
Abbé Jacoby, Charles (Lyon).
— Jacques.
— Janssen, curé d'Heure-le-
Romain ?
R. P. Jules (Carmes déchaussés).
Frère Juge, Félix (Oblats de St-
François de Sales).
— Jacquier, André (Bénédictin)
(Nantes).
— Joliot, Léon (Troyes).
— Jourdan, Emile (Mende).
Abbé Jacob,CLiré de Lexy (Nancy).
— Jouve, Barthélémy (Lyon).
— Kupperschmitt, Pierre (Pa-
ris).
— Kerjean, Ernest (Quimper).
— Krotz (Soissons).
— Lavergne, Claudius (Paris).
— Lidy, PauL
— Le Tohic, Pierre (Vannes).
— Lahache, curé de la Voivre
(St-Dié.)
— Luchat, Jean (Limoges),
— Lenain, curé de Louvroil
(Lille).
— Le Roy, François (Vannes;.
— Laurens.
— Laperrousaz, Jules (Lyon) .
— Le Tobic (La Rochelle).
— Lelièvre.
— Le Chevalier, Francisque
(Paris).
Frère Lesage, Donat (Assomptio-
niste.)
Abbé Leson, Jules.
— Lespinasse, Emile (Tulle).
— Léger, François (Glermont).
— Lehodey (Coutances).
— Laurent (Langres).
R. P. Laurent, Henri (Missionn.
de N.-D. de Sion).
Abbé Lefèvre,Joseph (Versailles).
— Laforgue, V.-B. (Toulouse).
— Laisné, Louis (Coutances).
— Lauraire (Mende).
— Légué, Julien (Chartres).
Frère Hermann, M. Laussel, J.-M.
(Prémonlrés).
AbbéLoriod, Emile (Besançon).
— Leguéré, Charles (Blois).
— Le Chanu (St-Brieuc).
— Laurans, Albert (Rodez).
— Lhériau, Alfred (P. du St-
Sacrement, Nantes).
296 LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A L'ENNEMI
Abbé Lemaître (S. J.).
— Legrand (S. J.).
— Labéye, curé de Blegny-
Trembleur?
— Lemoine, Victor (Bourges).
— Lemaître, Jules (Evreux).
— Lesage, Paul (Paris).
— Lagrue, René (Chartres).
— Lataste, Pierre (Bordeaux).
— Lantiaux (St-Dié).
— Leguéré, Charles (Blois).
Frère Bernard, M. Lefebvre, Louis
(Capucins, Paris).
Abbé Lagarrigue (Missions étran-
gères).
— Lange, Louis (Orléans).
— Lenfant, Paul (Arras).
— Lamy, Henri (St-Claude).
Frère Jean-Marie, M. Lincy (Mis-
sonn. du St-Esprit).
Abbé Meunier, Alfred (Troyes).
— Monbru.
— Marquis, Emile (Mende).
— Mélandre.
— Marchand, Paul (Versailles) .
Frère Michée-Marie (Institut St-
Gabriel).
Abbé de Mesnildot.
— Morel, Alix (Verdun).
— Morice (Châlons).
— Mathieu, Alphonse-Marie,
curé d'Allarmonl ?
R. P. de Moustier, Emmanuel
(S. J.).
Abbé Manent (Sens).
— Merm et, Joseph (G renoble) .
— Marie, P.-L.-M.
— Maury (Carcassonne).
— Moreau, Paul-Emile (Char-
tres) .
■ — Marquis (Lille).
— Maillet, Georges (Mans).
— Marraud (Paris).
Abbé Mandin (Bordeaux).
— Moreau (Chartres).
— Mennesson,Paul (Cambrai).
— Magnien, Louis (Besançon).
— Moenner, Yves (Quimper).
— Mandin, Paul (Bordeaux).
Frère Martin (Trappiste).
Abbé Mauger, Gaston (Blois).
— Martin, André (Blois).
— Mahé, Charles (Orléans).
— Maignien (Belfort).
— Michelon, Marius (Moulins) .
— Murigneux, L. (Lyon).
— Martin, Arsène (Viviers).
— Martin, L.-B. (Autun).
— Morlon, Charles (Tours).
— Mathevet, René (Viviers).
Frère Zacharie (M. Morel, Jean,
de la Ste-Famille de Bel-
lay).
Abbé Ménard, A.-E.-V. (Missions
étrangères) (St-Brieue).
Frère Arthérac Martin (M. Martin
des Auguslins de l'As-
somption).
R. P. Masson, Georges (Domini-
cain).
— Mennesson, Gonzague
(S.-L).
Frère Lucien (M. Mallet, Léon,
des Frères du S.-C).
Abbé Maréchal.
— Manery, curé de Glavenas.
R. P. Masson, Georges (Domini-
cain).
Abbé Morand, Jean (Annecy).
— Meunier, Maurice (Séez).
— Ménéteau, Georges (Ver-
sailles).
— Michot, François (Nevers).
Mgr Mangin, curé doyen de Ste-
nay (Verdun).
Abbé Meunier, Pierre.
i
LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A L'ENNEMI 297
R. P. Moussié, Joseph (Pères
Blancs).
Abbé Mamias, curé de Vandières
(Nancy).
— Michelet, L.-A. (Limoges).
— Mabilat, Maurice (Bourges).
— Morellon, Joseph (Lyon).
— Moncé, Louis (Ghàlons).
— Magne (Rodez).
Frère Gilles (abbé Meulis) (Per-
pignan).
— Mazaud, Victor (Tulle).
— Mallet, Joannès (Lyon).
— Nicolas, Pierre (Valena).
— de Neuillac.
R. P. Neyrand, Guy (S. J.).
Abbé Nigon, Alfred (Rodez).
— Naude (Rayonne).
R. P. Nicolas (Prémontré).
— Norroy, curé de Brainville
(Nancy).
Abbé Olivier, Jules (Montpellier).
R. P. Omez (Dominicain).
Don Orcinolo, Vincenzo, Prêtre
de la Mission.
R. P. Orjubin, Claude (Cister-
cien).
Abbé Obaton (Arras).
— Pasquelin, Léon (Nevers).
— Priez.
— Paulus, J.-E. (Nancy).
— Piédalos, Ferdinand (Lyon).
Frère Pérou, Pierre (Gongrég. du
Saint-Esprit).
Abbé Pauty, Paul (Tulle).
— Potin, Henri (Quimper).
— Pennier, Albert.
— Peillex, X. (Annecy).
— Poisson, Alexis (Paris).
Frère Piolet, J.-M. (Oblat de Ma-
rie-Immaculée).
Abbé Poncet, Emile (Naney).
— Perret (Paris).
Abbé
Dom
Abbé
R.P.
Abbé
R.P.
Abbé
R.P.
Abbé
R.P.
Abbé
Piveteau (Nancy).
Piet (Nancy).
Pinard (Nantes).
Puyade, Julien (Bénédictin).
Porsmoguer, Jean (Quim-
per).
Perrier, Ernest (Nevers).
Péterlé, Edmond (Dijon).
Pégeot, Jooeph (Besançon).
Perrin, Camille (Eudiste).
Pouységur (Aire).
Paradis (S. J.).
Prudhon,'Roger (Besançon) .
Payen (Sens).
Pays, Auguste (Missionnaire
du S.-C).
Piron, Maurice.
Pouvreau, Samuel (Luçon).
Portefaix, Antoine (Saint-
Flour).
Paravey, Edouard (Cham-
béry).
Pelle, René, curé des Mai-
sons (Troyes).
Pain, Louis (Mans).
Perret, Jean (St-Jean-de-
Maurienne).
Piéret (Reims).
Poskin, curé de Surice.
Pollart, curé de Roselies.
Pommois, curé doyen d'Es-
ternay (Ghàlons).
Peillon, Lazare (Bénédictin).
Pasteau (S. J.).
Papin (Missions étrangères) .
Persyn (Nancy).
Proust, Albert (Chartres).
Perrin, Paul (Salésien de
Dom Bosco).
Poulain, Hildeyert (Arras).
Pruvost, Procope (Arras).
Pagnier, Maurice (Arras).
Pasquelin, Léon (Nevers).
298 LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A L'ENNEMI
Abbé Pelle, René, curé des Mai-
sons (Troyes).
— Philippot, curé de Bettan-
court (Chàlons).
— Prévost, Robert (Bourges).
— Poux (Rodez).
— Perrin, Jean (Lyon).
— Pialat (S. J.).
— Queneau, Julien (Tours).
— Quesson, Joseph (Angers).
— Quillicini (Marseille).
— Robert, Léonce.
R. P. Raedlé (Pères Franciscains).
Abbé Roze, Ed. (Lyon).
— Rochon du Verdier, Serge
(Annecy).
R. P. Ricklin,Maurice(Trappiste)
— Rey, François (Annecy).
— Roy, Ernest (Paris).
— Rouzeire,Augustin(Mende).
Frère Régis, Dominique, Béné-
dictin.
Abbé Rood.
R. P. de la Rouviére (S. J.).
Abbé Reusonnet (Périgueux).
— Rousseau, Lucien (Nevers).
Frère Louis-Clément, M. Rous-
seau, J.-B.
Abbé Robert , curé de Gutry
(Nancy).
*- Royer, André (Versailles).
— Rollin (Meaux).
— Roux, Marius (Mende).
— Renaudin, curé de Viviers
(Nancy).
— Ricque, Richard (Arras).
— Rodes, Alexandre (Saint-
Flour).
— Rault, Alfred, curé de
Noyelles-Godault (Arras).
— Roux (S. J.).
— Roger (S. J.).
— Rouelle (S. J.).
Ahbé Salât, Etienne (St-Hour).
— Saint-d'Arpaion, Etienne.
— St-Aubert, curé d'Haucourl
(Cambrai).
R. P. Sébastien (Trappiste).
— Savey, missionnaire.
Abbé Ste-Marie (Rayonne).
— Sesboûé.
— Sergent, Pierre (Vannes).
R. P. Soudé (Dominicain).
Abbé Seguin, curé de St-Rome-
de-Dolan (Mende).
— St A.-I., curé de Campigny
(Bayeux).
— Sicot (Amiens).
— Scgonds, Albert (Paris).
— Sevrette, J.-B. (Arras).
— Schlôgel, curé d'Hastières
(Namur).
— Sommelet (Missions étran-
gères).
— Septfonds (Montauban).
— Spoden (Paris).
— Steux, Henri (Arras).
— Saquet, Hyacinthe (Nevers i .
— Sauvage, J.-B., curé de
Billy-Montigny (Arras).
— Salai, Gabriel (Saint-Flouri.
— Thiéry, curé de Gondre-
court (Nancy).
— Treussier, Joseph (Quim-
per).
— Thiriet, curé de Deuxville
(Nancy).
— Tropel, Noël (Grenoble).
R. P. Thélier, Marcel (S. J.).
Frère Toulemonde, A -L (Pères
Blancs).
Abbé Touche (Chartres).
— Tonneau (Belley).
T.C.F. Camille, M. Thiolier, Emile
(Frèresdes Écoles Chrét.)
Abhé Thiébaud, Henri (Paris).
LISTE DES ECCLÉSIASTIQUES TUÉS A L'ENNEMI
299
Abbé Tesserand, Georges (Blois).
Frère Dizier, M. Tarrare» Joseph
(Ste-Famille de ,Belley).
Abbé Talabardon (Quimper).
— Thomas, Joseph (Vannes).
— Thiélen, curé de Haccourl.
— Tromeur, Gustave (Quim-
per).
— Tinturier, Jean (Blois).
— Thury (Pamiers).
— Tabarly (Albi).
— de Tarnay (Nantes).
— Urguet de Saint-Ouen, Louis
(Paris).
— Warenghem, Abel (Arras).
— du Verdier (Paris).
Frère Viel^ Benoît (Prémontré).
Abbé Verquerre, curé de Dro-
couit (Arras).
R. P. Véron(S.-J).
Abbé Vaysse (Lyon).
— Viard, P. (Grenoble).
— Verrion (Nice).
— Valade (Meaux).
— Vignal (Lyon).
— Venisse, Gabriel (Rennes).
Abbé Vallièrc (Arras).
R. P. de Vrégille, Bernard (S. J.).
Abbé Valliére, Paul (Arras).
Frère Vaillant, Joseph (Capucins).
Abbé Vatan (Dijon).
— Vignais, Louis (Angers).
Frère Vialeltes (Frères des Écoles
Chrét.).
— Varron (Nantes).
Frère Van ara, Charles (clerc de
St-Vialeur).
R. P. Dom Vignau (Bénédictin) .
— Wagnon, Anatole (Salésien
de Dom Bosco).
Abbé Viala (Missions étrangères).
— Veillet ( do ).
— Vouaux (Nancy).
— Villeneuve, Maxime (Poi-
tiers).
— Vallens, Léon (Arras).
— Vérnet, Joseph (Lyon).
— Villamana, Maurice (Agen).
Mgr Walvarens (Tournai).
Abbé Zenden.
— Zahn.
TABLE DES MATIERES
Pages.
Préface : Déclaration de S. E. le Cardinal Amette, Arche-
vêque de Paris v
Avertissement, par Ms^ Baudrillart ix
Les Lois chrétiennes de la Guerre, par le chanoine B. Gau-
DE\U . 1
La « Culture » germanique et le Catholicisme, par Georges
GOYAU 31
Le Rôle catholique de la France dans le monde, par un mis-
sionnaire 47
La Guerre aux églises et aux prêtres, par François Veuillot. 81
La Religion dans l'Armée française 141
L'Aumônerie militaire et la situation canonique des prêtres
dans l'armée française. La piété des prêtres-soldats, par le
chanoine Couget 141
La Religion de nos soldats : notes d'un aumônier militaire, par
le chanoine G. Ardant 150
De la Profondeur du mouvement religieux qui s'est manifesté
dans l'armée française et comment les œuvres catholiques de
jeunesse l'ont préparé, par M»*" A. Baudrillart 191
Discours de S. Sj Benoit XV au Consistoire du 22 jan-
vier 1915 215
302 TABLE DES MATIERES
Pages.
Extrait de la lettre de S. E. le Cardinal Mercier : Patriotisme
et endurance 219
Les Cardinaux français au Cardinal Mercier 235
Adresse des évoques de la province de Lyon au Cardinal
Mercier 236
Lettre pastorale de S. G. M«^ Turinaz 242
Extrait de la Lettre pastorale de S. G. M«' Lobbbdey 253
Extraits dés Lettres sur la guerre de S. G. M»'" Mignot 266
Extrait de la Lettre pastorale de Mê^"" l'Evêque de Versailles
(Carême 1915) 276
Réponse de l'Université catholique de Paris au Manifeste des
représentants allemands 280
Appendices. 287
Listes des Ecclésiastiques et des Religieux tués à ou par
l'ennemi 291
Paris. — Imp. Paul Dupont (Cl.). 413.6.15
>
4
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