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Full text of "La Suisse historique et pittoresque, comprenant l'histoire, la géographie et la statistique de ce pays, avec un précis des antiquités, du droit public, de la littérature, des arts et de l'industrie des vingt-deux cantons .."

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LA  SUISSE 

HISTORIQUE  ET  PITTORESQUE. 


II. 

LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Cet  «uvrase  se  treuve  «uml  i 

A  Bai.k  cl  à  LKii'Ziii,  à  la  librairie  Neikirch. 
  Bërnk,  à  la  librairie  J.  Dali». 

A  LA  Chaux-de-Fonds,  chez  G.  Bidognet,  libraire-commissionnaire. 

A  Paris,  cliez  Borram  el  Droz,  libraires,  rue  des  Saints-Pères,  0. 

—       chez  Joél  Cherbumez,  libraire,  rue  de  la  Monnaie,  iO. 

El  chez  les  prinvipaiw  libraires  ilv  la  Suisse  et  de  V étranger. 


impriinerie  Oh.  Gruaz,  à  (ieiiève. 


LA  SUISSE 

HISTOKIOUE  ET  PmOKESOll E 

COMIMIKNAM 

L'HISTOIRE,  L4  GËO^APHIE  ET  LA  STATISTIQUE  DE  CE  PAYS. 

AVEC   UN  PRÉCIS  DES   AM'IQUITÉS,  IIU  DKOIT   l>lllil.lC, 
DE  LA  LITTÉRATURE,  DES  ARTS  ET  DE  l'iSDUSTRIK  DES  VISGT-DEUX  CANTONS. 


V 

SECONDE  PAKTIE^ 

LA  SUISSE   PITTORESQUE 

Par  Ch.  lyCHAUB, 

avec  la  collaboration  de 
H.  E.H.  6ADLLIEUR,    DE  BONS,    ED.  HALLET  et  L.  fULLIElIN. 

OHNÉE  DUNE  CENTAINE  DE  PLANCHES  ET  VIGNETTES  UKAVÉES. 


GENÈVE 


cil.  CUUAZ,  IMI'UIMEUR  EDITEUR,  CHANl)  MEZEL,  45îi. 

BERNE 

A    LA    LIRRAIRIK    E.    MATIIEY. 


1856      . 


/ 


Dans  un  ouvrage  qui  doil  contenir  une  infinité  de  faits  de  détail,  il  est  bien 
difficile  qu'il  ne  se  glisse  pas  çà  et  li  des  ineiactiludes  ;  nous  donnons  a  la  fin 
quelques  RicTiriCATiOFis  sur  des  points  que  nous  avons  eu  l'occasion  de  vérifier 
dans  le  cours  de  la  publication.  Nous  attirons  l'attention  sur  ces  rectifications, 
dont  plusieurs  sont  importantes. 

Nous  donnons  en  même  temps  quelques  additions  relatives  à  des  Taits  omis 
ou  à  des  circonstances  récentes. 


PRÉCIS 


DE 


L'HISTOIRE  DE  LA  SUISSE, 


m  jm^wir  »< 


I.  TOPOGRAPHIE.— ETHNOGRAPHIE. 

L'histoire  de  la  Confédération  suisse  est  en  quelque  sorte  gravée  dans  le  sol.  Nulle 
part  ailleurs  les  institutions  politiques  ne  sont  plus  en  harmonie  avec  la  conGgura- 
tion  et  l'aspect  du  pays. 

La  Suisse,  placée  au  centre  de  l'Europe,  adossée  aux  plus  hautes  ramifications  de 
la  grande  chaîne  des  Alpes,  enceinte  des  autres  côtés  par  le  Jura,  le  Rhin  et  le 
bassin  du  Rhône,  dominant  une  immense  étendue  de  pays,  est  appelée  à  jouer  dans 
l'histoire  un  rôle  particulier.  Ses  innombrables  glaciers,  placés  sur  la  pente  des  plus 
hautes  montagnes,  sont  le  réservoir  d'où  coulent,  dans  diverses  directions  et  à  tra- 
vers une  multitude  de  pays,  les  principaux  fleuves  de  notre  continent,  le  Rhin,  le 
Rhône,  le  Tessin  (le  Pô),  l'Inn  (le  Danube),  pour  aller  se  jeter  dans  les  mers  les  plus 
opposées.  La  Suisse  devait  ainsi  servir  naturellement  de  rendez-vous,  de  point  de 
jonction  aux  principales  nations  de  l'Europe,  avec  leurs  diversités  d'idées,  d'idiomes, 
de  mœurs  et  de  culture. 

II,  1.  4 


LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Divisée  d'ailleurs  en  plusieurs  grandes  vallées,  auxquelles  aboutissent  un  grand 
nombre  de  vallées  latérales  et  secondaires,  ainsi  que  divers  plateaux,  la  Suisse 
semble  formée  par  la  Providence  pour  la  forme  fédérative.  En  effet,  une  vallée  avec 
ses  aflluents,  ou  un  plateau  avec  ses  déi)cndances,  forment  une  unité  ou  un  grou|)e 
d'unités  plus  petites,  et  l'ensemble  de  toutes  ces  vallées  et  de  tous  ces  plateaux  pré- 
sente un  caractère  propre,  original,  distinct  de  toutes  les  contrées  voisines.  La 
Suisse  est  un  pays  unique  sur  notre  globe;  mais  son  unité  est  une  unité  complexe. 

Ces  caractères  fondamentaux  du  pays,  savoir  :  1®  sa  position  centrale  et  dominante 
en  Europe,  2**  sa  division  et  ses  subdivisions  en  vallées  et  en  plateaux,  S"*  l'unité  et 
la  diversité  de  ce  groupe  morcelé,  donnent  le  caractère  des  institutions  de  la  Suisse 
et  de  son  histoire.  C'est  pour  cela  qu'elle  forme  une  Confédération.  De  là  vient  que 
cette  confédération  se  compose  des  principaux  peuples  qui  occupent  le  centre  de 
l'Europe  et  des  races  qui  la  constituent,  et  qu'elle  les  embrasse  comme  par  le  sommet. 
C'est  pour  cela  enfin  qu'elle  se  divise  en  plusieurs  Etats  ou  cantons,  qui  ont  chacun 
leur  constitution  particulière  ;  que  ces  canton!^  se  divisent  et  se  subdivisent  à  leur 
tour  dans  leur  intérieur  jusqu'à  la  commune,  qui  est  l'unité  politique  élémentaire  de 
l'Etat,  de  telle  sorte  que  tel  canton  n'est  parfois  lui-môme  qu'une  confédération  de 
ligues  plus  petites  ou  de  communes,  tandis  que  d'autres  cantons  offrent  plus  d'ho- 
mogénéité et  d'unité. 

On  comprend  dès-lors  que  tous  ces  Etats  ou  cantons,  si  divers  de  configuration, 
d'étendue,  de  besoins,  d'intérêts,  d'idées,  de  mœurs,  de  langage,  d'institutions  et 
même  de  religion,  aient  néanmoins  un  besoin  commun,  un  but  commun,  des  inté- 
rêts, des  mœurs,  des  idées,  des  institutions  communes,  un  gouvernement  fédératif 
commun,  un  lien  commun.  Ce  lien,  c'est  la  Confédération  suisse,  qui  les  réunit  en 
faisceau  et  en  forme  une  nation  au  milieu  des  autres,  la  nation  suisse. 

La  cmnmune  à  la  base;  les  cantons  comme  intermédiaires,  et  la  confédércUion  au 
sommet:  telle  est  la  Suisse  actuelle.  Telle  elle  existait  déjà,  avec  différentes  nuances 
extérieures  et  avec  divers  accidents  nés  des  événements  de  l'histoire,  dans  des  temps 
très-anciens. 

C'est  donc  bien  à  tort  que  l'on  a  contesté  à  la  Suisse  sa  raison  d'être  et  de  vivre 
comme  nation,  sous  prétexte  qu'elle  se  compose  de  nations  distinctes  et  différentes 
par  la  langue  ou  le  caractère,  comme  les  Allemands,  les  Français,  les  Italiens.  C'est 
vainement  aussi  qu'on  annonce,  dans  certaines  théories  politiques,  qu'elle  devra  se 
fondre  et  se  dissoudre  en  autant  d'éléments,  qui  seront  assimilés  par  la  nation  qui  les 
avoisine  immédiatement  et  à  laquelle  ils  appartiennent  au  fond.  La  nation  suisse  a 
ses  raisons  d'être  en  Europe  aussi  bien  et  mieux  que  beaucoup  d'autres  nations.  Au 
fond,  y  en  a-t-il  une  seule  qui  soit  homogène?  La  France  n'est-elle  pas  formée  de 
Celles  ou  Gaulois,  de  Francs,  de  Bourguignons,  de  Flamands,  d'Allemands,  de 
Bretons,  d'Espagnols  et  de  Languedociens?  L'Angleterre  n'a-t-elle  pas  ses  Bretons, 
ses  Anglo-Saxons ,  ses  Ecossais,  ses  Irlandais?  La  Prusse,  ses  Brandebourgeois, 
ses  Saxons,  ses  Polonais,  ses  Français?  L'Autriche,  ses  Bohèmes,  ses  Hongrois, 
ses  Allemands,  ses  Italiens  ?  L'Allemagne  elle-même,  ses  Souabes,  ses  Saxons,  ses 
Autrichiens,  ses  Prussiens,  ses  Polonais,  ses  Suédois,  ses  Westphaliens,  peuples  dont 
les  uns  ne  comprennent  souvent  pas  les  autres,  bien  que  tous  soient  censés  parler 
l'allemand.  Tous  ces  peuples  ne  sont-ils  pas  divisés  par  la  religion  et  la  politique 


LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


autant  que  par  les  intérêts,  la  race  et  le  langage?  N*est-il  pas  de  même  au  fond  dans 
les  autres  continents?  La  Chine,  que  Ton  présentait  jusqu'ici  comme  le  type  de  l'unité, 
de  Fimmobilité  et  de  l'isolement,  n'a-t-elle  pas  dans  son  sein  des  éléments  divers,  dont 
le  conflit  éclate  aujourd'hui  d'une  manière  évidente? 

Cette  absence  d'homogénéité  parfaite  qu'on  remarque  dans  chaque  nation  a  un 
but  providentiel.  Le  mélange  des  races,  des  langues,  des  religions  et  des  institutions 
dans  les  nations,  est  comme  le  ciment  qui  les  lie  à  une  unité  plus  vaste,  celle  de 
l'humanité. 

La  Suisse  présente  même  un  caractère  particulier  sous  ce  rapport.  La  diversité 
des  peuples  dont  elle  se  compose  n'est  pas  seulement,  comme  chez  les  autres  nations, 
un  lien  humanitaire;  mais,  en  unissant  en  une  confédération  des  peuples  appartenant 
aux  trois  principales  nations  qui  occupent  le  centre  de  l'Europe,  la  France,  l'Alle- 
magne et  l'Italie ,  elle  forme  comme  le  sommet  ou  la  couronne,  où  se  joignent  ces 
trois  nations,  qui  sont  elles-mêmes  une  agglomération  de  nations  plus  petites.  La 
Suisse  est  donc  comme  la  clef  de  voûte,  le  noyau  de  la  Confédération  européenne,  le 
symbole  de  l'unité  humanitaire  des  peuples.  Telle  est  sa  grande  raison  d'être.  Tel  est 
aussi  le  véritable  motif  de  sa  neutralité.  C'est  pourquoi  elle  est  également  le  rendez- 
vous  de  tous  les  étrangers  attirés  par  la  sublimité  de  la  nature  et  absorbés  chez  elle 
dans  une  sorte  de  contemplation  cosmopolite. 

Mais  la  Suisse,  semblable  à  la  plante  ou  à  l'individu  qui  traverse  plusieurs  âges  et 
change  d'aspect  avant  d'avoir  rempli  le  but  de  son  existence,  n'a  pas  toujours  été 
précisément  ce  qu'elle  est  aujourd'hui.  Il  est  à  croire  non  plus  que  ses  institutions 
n'ont  pas  atteint  encore  le  degré  de  développement  et  de  perfection  auquel  elle  est 
destinée.  Elle  a  subi  bien  des  vicissitudes,  et  peut-être  en  subira-t-elle  encore  beau- 
coup d'autres  avant  d'avoir  achevé  le  grand  travail  que  Dieu  lui  a  imposé  sur 
cette  terre. 


II.  HISTOIRE. 

I  I.  L'ancienne  Helvétie. 
(Ayant  Fére  chrétienne.) 

Dans  cet  exposé  très-sommaire,  nous  cherchons  à  faire  saisir  la  présence  des 
caractères  fondamentaux  des  institutions  suisses,  dans  les  diverses  périodes  de  l'his- 
toire de  ce  pays.  Il  ne  saurait  être  ici  question  d'une  histoire  de  la  Suisse,  qui  forme 
un  volume  particulier  dans  cette  publication.  Nous  y  renvoyons  les  personnes  qui 
voudraient  connaître  autre  chose  que  les  traits  généraux  de  cette  histoire. 

Les  plus  anciens  habitants  de  la  Suisse,  appelés  les  Helvètes  ou  les  Helvétiens, 
étaient  un  peuple  gaulois  ou  gaélique,  dont  l'origine  se  perd  dans  la  nuit  des  siècles. 
Ils  étaient  venus  de  la  Germanie,  et  occupaient  primitivement  les  deux  rives  du  Rhin. 
Autour  d'eux  étaient  venus  se  grouper  des  peuplades,  comme  les  Rauraques  et  les 
Wendes,  qui  s'étaient  établis  au  nord-est  de  la  Suisse  actuelle,  sur  le  territoire  qui 
forme  aujourd'hui  le  canton  de  Bâle  et  l'évêché  de  Bâle  ;  les  Rhétiens  et  les  Lépon- 


LA   SUISSE   P1TT0BBSQUE. 


tiens,  de  race  italique,  qui  se  fixèrent  au  sud  et  au  sud-est,  dans  les  cantons  actuels 
des  Grisons  et  du  Tessin;  au  sud-ouest,  les  Sédunois,  les  Yéragres,  les  Nantuates, 
les  AUobroges,  étaient  répartis  dans  les  vallées  qui  forment  aujourd'hui  le  canton  du 
Vallais,  et  sur  les  rives  du  lac  Léman,  jusqu'à  Genève;  les  Séquanais,  les  Eduenset 
d'autres  tribus  habitaient  au  nord-ouest,  dans  une  partie  du  canton  de  Vaud  et  dans 
celui  de  Neuchâtel. 

Toutes  ces  peuplades,  d'origine  plus  ou  moins  commune  et  appartenant  à  la  grande 
race  celtique  ou  pélagienne  qui  a  peuplé  l'Europe  occidentale,  étaient  divisées  en 
tribus  ou  cantons  liés  entre  eux  par  des  traités  d'une  durée  temporaire.  Le  danger  ou 
certains  intérêts  les  unissaient  d'une  manière  précaire,  mais  suffisante  pour  qu'on 
puisse  déjà  saisir  chez  eux  les  éléments  d'une  forme  fédérative.  Les  anciens  Helvètes, 
entre  autres  (car  la  nation  exista  avant  le  pays,  et  il  serait  impossible  d'assigner  des 
limites  à  l'ancienne  Helvétie),  formaient  une  de  ces  confédérations  primitives,  divi- 
sées en  cantons  {fxjlai  Pagi,  Ga^t,  en  grec,  en  latin  et  en  allemand).  Quatre  de  ces 
cantons  ou  tribus  constituaient  le  corps  de  la  nation  (cimlas  Helvetiœ,  comme  l'appelle 
Jules-César  dans  ses  Commentaires),  Ces  quatre  cantons  occupaient,  avec  les  Raura- 
ques,  les  Tulingiens  et  quelques  autres  peuplades,  tout  le  territoire  compris  entre  le 
Jura,  les  Alpes  et  le  Rhin.  Ils  avaient  même  eu  des  établissements  de  l'autre  côté  de 
ce  fleuve  ;  mais  des  revers  les  leur  avaient  fait  perdre  et  avaient  amoindri  la  nation 
des  Helvétiens.  Petit  à  petit  ils  s'étaient  retirés  sur  la  rive  gauche  du  Rhin,  et  la  rive 
droite  était  devenue  ce  que  les  anciens  géographes  appelaient  le  désert  des  Helvétiens 
(eremt^  Helvetiorum). 

Les  quatre  cantons  étaient  :  {""  Celui  des  Tiguriens  ou  Zigurins  (Zurich,  Thur- 
govie,  etc.) 

2^  Celui  des  Tugéniens  ou  Ztigéniens  (Zoug,  Luceme  et  les  cantons  primitife). 

3®  Celui  des  Verbigènes  ou  UrUghies  (Vaud,  Fribourg,  une  partie  de  Berne  et  de 
Soleure). 

4®  Celui  des  Ambrons  (l'Ârgovie,  une  partie  des  cantons  actuels  de  Soleure  et  de 
Berne). 

Chacun  de  ces  cantons  avait  son  gouvernement  à  part.  Ils  avaient  eu  même  un 
gouvernement  central  ou  fédéral,  des  assemblées  générales  des  députés  de  la  nation, 
où  se  traitaient  les  affaires  communes  et  où  l'on  délibérait  sur  les  moyens  de  repousser 
les  dangers  qui  menaçaient  la  farouche  indépendance  des  cantons.  Il  y  avait  des  chefs 
communs  pour  exécuter  les  décisions  prises  en  commun  et  conduire  la  nation  à  la 
guerre.  Tels  étaient  un  Divico,  un  Orgétorix.  Il  parait  que  ce  lien  fédéral  primitif 
était  déjà  assez  serré,  au  temps  de  ces  chefs,  pour  que  les  délibérations  de  la  majorité 
obligeassent  la  minorité  dans  tous  les  cas  importants.  La  religion,  qui  était  celle  des 
anciens  Druides,  contribuait  aussi  à  entretenir  ce  lien  entre  ces  républiques  fédérées, 
qui  étaient  un  mélange  de  théocratie,  d'aristocratie  sacerdotale  et  guerrière,  et  de 
démocratie.  Il  y  avait,  en  effet,  dans  chaque  canton  un  sénat  ou  assemblée  de  nobles, 
une  assemblée  du  peuple  ou  de  la  nation,  et  un  chef  éligible.  Rien  d'important  n'était 
entrepris  sans  consulter  les  Druides  et  sans  des  sacrifices  solennels. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


%  II.  Domination  romaine  en  Helvétie. 

(De  Tan  58  tvtnt  J.-C.  jusqu'à  Fân  455  de  Tére  chrétienne.) 

Lorsque  Jules-César  conquit  les  Gaules,  les  Helvétiens  durent  subir  le  joug  de 
Rome.  On  sait  comment  le  projet  d'émigration  d'Orgétorix  servit  de  prétexte  à  la 
conquête  romaine,  et  de  quelle  manière  ce  grand  capitaine  défit  les  Helvétiens  sur  les 


bords  de  TArar  (la  Saône),  l'an  S8  avant  J.-C,  et  les  força  à  rentrer  dans  leur  pays. 
Les  Romains  firent  pénétrer  dans  les  cantons  leur  langue,  leurs  mœurs,  et  ils  les  ad- 
ministrèrent comme  une  dépendance  de  la  province  des  Gaules.  Tantôt  l'Helvétie  fut 
annexée  à  l'une  et  tantôt  à  l'autre  des  grandes  préfectures  entre  lesquelles  était 
subdivisée  la  grande  province  gauloise.  On  la  trouve  réunie  un  moment  à  la  Lyon- 
naise, et  aussi  à  la  Gaule-Belgique.  Elle  modifia  sa  forme  de  gouvernement  local  sur 
le  modèle  du  gouvernement  municipal  des  Romains;  et  pour  l'intérieur,  elle  conserva 
assez  longtemps,  sous  la  domination  romaine,  son  gouvernement  fédératif.  Avant 
d'avoir  un  gouvernement  provincial  parfait,  elle  eut  une  indépendance  nominale. 
Mais  depuis  la  grande  conjuration  à  laquelle  les  Helvétiens  prirent  part,  avec  tous 
les  autres  Gaulois,  au  temps  de  Vercingétorix,  pour  secouer  le  joug  de  Rome,  elle 
tomba  entièrement  sous  le  gouvernement  absolu  et  purement  monarchique  des 
empereurs  romains  et  de  leurs  proconsuls.  La  Rauracie  fut  unie  à  l'une  des  pro- 
vinces de  la  Germanie  (l'Allemagne),  et  la  Rhétie,  comprenant  les  territoires  des 
Grisons,  de  Glaris  et  d'une  partie  de  St.-Gall,  forma,  avec  le  Tyrol  et  le  Vorarlberg, 
la  province  rhétique  ou  rhétienne.  Les  libertés  des  Helvétiens  furent  anéanties  avec 
celles  de  toutes  les  nations  qui  avaient  été  absorbées  dans  la  monarchie  universelle 
de  Rome,  où  toutes  les  indépendances  nationales  et  locales  furent  sacrifiées  à  un 
besoin  d'uniformité,  d'ordre,  d'hiérarchie  et  de  fausse  unité. 


LA   SUISSE  PITTORESQUE. 


2  in.  Invasion  des  peuples  germaniques.  —  Etablissements  des  Bourguignons,  des 

ALLEMANDS,  DES  GoTlIS  ET  DES  LoMBARDS  EN  HeLVÊTIE. 
(De  Tan  455  de  J.-C.  â  Fan  534.) 

L'irruption  des  peuples  du  nord,  qu'on  appelle  ordinairement  Vinvasian  barbare^ 
fut  une  réaction  contre  cet  ordre  de  choses  artificiel,  et  commença  Tordre  moderne 
et  la  société  moderne  basée  sur  le  christianisme.  Ces  peuples  barbares  commencèrent 
à  entamer  Tcmpire  romain  dans  les  troisième  et  quatrième  siècles  de  notre  ère.  Le 
monde  ancien,  dont  la  civilisation  païenne  était  déjà  décrépite,  avait  besoin  de  se 
retremper  dans  un  sang  nouveau. 

L'occident  et  le  centre  du  pays  des  Helvétiens,  jusqu'à  la  Reuss,  furent  occupés 
par  les  Bourguignons  ou  Burgondes,  qui  s'étaient  aussi  fort  étendus  de  l'autre  côté 
du  Jura.  C'est  ce  qu'on  a  appelé  le  premier  royaume  de  Bourgogne.  Le  nord  et  une 
autre  partie  du  centre  de  THelvétie,  jusqu'à  la  Reuss,  furent  le  partage  desSouabes 
ou  Allemands,  qui  occupaient  une  grande  étendue  au-delà  du  Rhin.  Le  midi,  c'est- 
à-dire  le  sud  de  la  Rhétie  (l'Oberland  grison)  et  le  Tessin,  avec  les  vallées  a  voisi- 
nantes, devinrent  le  partage  des  Goths,  des  Visigoths,  des  Lombards  et  d'autres 
peuples,  qui,  après  diverses  alternatives  de  succès  et  de  revers  qui  se  lient  à  l'his- 
toire de  la  chute  de  l'empire  romain  et  de  l'Italie  au  moyen-ftge,  finirent  par  domi- 
ner dans  le  nord  de  celte  péninsule.  Telle  est  la  base  de  la  division  ethnographique 
et  linguistique  de  la  Suisse  actuelle.  L'allemand  prévalut  dans  le  nord;  la  langue 
latine  devint,  en  se  modifiant,  la  langue  romane,  à  l'occident  et  au  midi,  pour  se 
séparer  plus  tard  en  langue  française,  avec  ses  divers  patois,  et  en  langue  italienne. 

Les  peuples  barbares  qui  opérèrent  cette  révolution  introduisirent  en  Suisse, 
comme  dans  le  reste  de  l'Europe,  le  système  féodal,  qu'ils  avaient  apporté  des  forêts 
de  la  Germanie.  Ce  système  consistait  essentiellement  en  ce  que  toutes  les  terres 
appartenaient  à  l'Etat,  représenté  par  le  chef  ou  le  prince,  qui  en  inféodait  ou  con- 
fiait des  étendues  plus  ou  moins  grandes  aux  principaux  de  la  nation  ou  aux  chefs  du 
peuple.  Ceux-ci,  sous  le  nom  de  ducs  et  de  comtes,  l'accompagnaient  dans  les  expé- 
ditions guerrières  et  le  représentaient  dans  les  duchés  et  les  comtés.  Ils  formaient  la 
classe  des  grands  vassaux.  A  leur  tour,  ceux-là  sous-inféodaient  à  d'autres  seigneurs 
d'un  rang  inférieur  ou  moins  élevé,  qu'on  appelait  barons  ou  chevaliers  (milites)^  des 
domaines  plus  restreints.  Les  barons  ou  chevaliers  avaient  à  leur  tour  les  cultiva- 
teurs ou  colons  pour  vassaux. 

Le  système  féodal  constituait  donc,  quant  à  la  propriété  foncière,  un  fermage  ou 
sous-fermage  à  divers  degrés.  Dans  les  débuts  de  l'établissement,  la  concession  féodale 
était  faite  à  terme.  Toutes  les  terres,  concédées  en  vue  des  services  personnels  du 
vassal,  faisaient  fréquemment  retour  au  suzerain  ou  souverain  représentant  l'Etat. 
Quelques  siècles  plus  tard,  à  mesure  que  la  royauté  s'affaiblit,  les  fiefs  ou  les 
domaines,  ainsi  affermés  et  confiés,  devinrent  héréditaires.  Le  prix  de  la  ferme  con- 
sistait en  dîmes,  cens,  lods  et  autres  redevances,  tant  en  argent  qu'en  nature  et 
en  travaux  ou  corvées,  que  chaque  vassal  acquittait  dans  une  certaine  mesure,  à 
celui  de  qui  il  tenait  sa  terre,  et  ainsi  de  degré  en  degré,  jusqu'au  prince,  qui  ne 
recevait  souvent,  pour  ses  droits  de  suzeraineté,  qu'une  redevance  très-faible  ou  pure- 


LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


ment  nominale  et  honorifique.  Mais  le  prince  avait  en  revanche  ses  biens  en  propre, 
qui  constituaient  le  domaine  royal. 

Les  fiefe  étaient  concédés  à  titre  de  traitement  pour  l'exercice  des  fonctions  admi- 
nistratives et  judiciaires  qui  y  étaient  attachées;  car  les  chaînes  publiques,  comme 
les  domaines  ou  territoires  sur  lesquels  elles  s'exerçaient,  étaient  données  en  fiefs. 
L'Eglise  avait  aussi  reçu  ses  fiefs  particuliers,  appelés  les  bénéfices  ecclésiastiques^  comme 
salaires  de  ses  ministres.  A  côté  des  fiefs  il  y  avait,  par  exception,  certains  domaines 
dont  le  propriétaire  était  incommutable,  et  qui  ne  payaient  rien  aux  souverains  ou 
aux  seigneurs  sous  sa  dépendance.  C'étaient  ce  qu'on  appelait  les  francs-alleus.  Une 
des  principales  obligations,  l'obligation  fondamentale  attachée  à  la  possession  ou  à  la 
jouissance  d'un  fief,  était  le  service  miliiaire.  Le  nombre  d'hommes  de  guerre,  tant  à 
pied  qu'à  cheval,  à  fournir  par  chaque  seigneur  ou  vassal,  et  la  durée  de  leur  service 
ou  la  chevauchée  (service  à  cheval),  dépendait  de  l'étendue  du  fief  et  des  conditions 
de  l'investiture. 

Le  système  féodal  reposait  sur  les  hommes  comme  sur  les  choses.  Le  roi  ou  le 
chef  de  l'Etat,  bien  qu'élu  par  ses  compagnons  d'armes,  n'en  était  pas  moins  consi- 
déré comme  tenant  son  pouvoir  de  Dieu  même,  une  fois  qu'il  avait  été  sacré  ou  con- 
sacré par  l'Eglise.  Il  tenait  de  Dieu  ou  de  la  conquête  le  pays  occupé  par  sa 
nation,  et  il  l'administrait  comme  un  grand  fief  qu'il  devait  rendre  à  sa  mort. 
C'est  à  Dieu  qu'il  prêtait  foi  et  hommage.  A  leur  tour,  les  grands  officiers  et  fonc- 
tionnaires, comme  ducs,  comtes,  barons,  qu'on  appelait  les  grands  feudataires  ou  les 
grands  vassaux  de  la  couronne,  prêtaient  foi  et  hommage  au  prince,  pour  les  duchés, 
comtés,  baronnies,  qu'ils  en  avaient  reçus  en  fief.  A  leur  tour  aussi,  ces  grands  vas- 
saux de  la  couronne  recevaient  l'hommage  des  officiers  ou  fonctionnaires  leurs 
subordonnés,  à  qui  les  vassaux  inférieurs  juraient  de  même  fidélité.  Ainsi,  la  hiér- 
archie ou  1  échelle  féodale  était  continue.  Tous  ces  seigneurs  de  degrés  divers,  depuis 
le  roi,  qui  en  était  le  chef,  jusqu'au  dernier  chevalier,  étaient  les  maîtres  du  pays  et 
en  constituaient  l'aristocratie. 

A  côté  d'eux,  mais  dans  un  autre  ordre,  étaient  les  hommes  libres  (hmnims  liberi), 
c'est-à-dire  d'anciens  habitants  du  pays  conquis,  qui  avaient  su,  par  quelques  sacri- 
fices faits  à  propos,  se  conserver  une  position  indépendante  lors  de  la  conquête.  Ces 
hommes  libres  étaient  ou  des  propriétaires  de  fonds  ruraux,  ou  les  habitants  de  quel- 
ques villes,  anciens  municipes  romains,  qui  avaient  réussi  à  se  maintenir  au  milieu 
des  dévastations  de  la  conquête.  Le  clergé  inférieur  ou  les  gens  d'Eglise  (clerici), 
appartenaient  aussi  à  la  classe  des  hommes  libres.  Le  clergé  supérieur  appartenait  à 
la  classe  des  seigneurs.  Du  reste,  l'Eglise  avait  aussi  son  organisation  féodale  parti- 
culière :  chaque  diocèse,  chaque  abbaye  ou  monastère  avait  ses  fiefs.  Tout  au  bas  de 
réchclle  était  le  peuple,  qui  vivait  dans  le  servage  ou  dans  une  sorte  de  demi-ser- 
vitude. 

Les  serfs  (servi)  appartenaient  à  diverses  catégories.  C'étaient  d'abord  d'anciens 
esclaves  des  Helvétiens  et  des  Romains,  attachés  au  domaine  ou  à  la  glèbe  ;  des  cap- 
life  que  les  peuples  germains  conquérants  avaient  amenés  avec  eux,  esclaves  qui 
étaient  ou  des  prisonniers  faits  sur  des  tribus  vaincues,  ou  des  condamnés,  ou  des 
hommes  que  la  misère  avait  obligés  de  vendre  leur  liberté.  On  comptait  aussi  parmi 
les  serfs  (servi)  des  propriétaires,  jadis  libres  sous  la  domination  romaine,  mais  que 


8  LA   8U188E   PITTORESQUE. 


ia  conquête  avait  réduits  en  servitude.  Enfin,  cette  grande  catégorie  se  composait 
d'hommes  jetés  dans  la  pauvreté  et  dans  la  dépendance  par  mille  causes  diverses. 
Presque  tous  ceux  qui  exerçaient  des  métiers  ou  des  arts  manuels  étaient  serls,  ou 
de  condition  serve  ou  servile.  Les  serfs  étaient  attachés  aux  personnes  ou  aux  choses. 
Les  premiers  étaient  les  domestiques  ou  serviteurs  des  maîtres  qu*ils  suivaient;  les 
autres,  voués  à  Tagriculture,  étaient  attachés  à  la  glèbe,  c/est-à-dire  au  domaine,  sur 
lequel  ils  avaient  été  parqués  comme  du  bétail. 

La  constitution  politique  de  l'Helvétie  féodale  était  en  même  temps  fédérative  et 
représentative.  Les  principales  affaires  du  pays  se  traitaient  dans  des  assemblées 
générales.  Celles  où  siégeaient  les  grands  feudataires  du  royaume,  les  députés  des 
assemblées  provinciales  et  le  haut  clergé,  étaient  présidées  par  le  roi,  et  rendaient  les 
lois  générales.  Dans  les  assemblées  provinciales,  présidées  par  les  lieutenants  de  la 
couronne,  siégeaient  les  grands  barons  de  la  province,  la  noblesse  inférieure  ou  ses 
députés,  les  évoques  et  les  délégués  du  clergé  inférieur,  les  députés  des  hommes 
libres  réunis  en  commune.  Le  pouvoir  militaire,  administratif  et  judiciaire,  était  entre 
les  mains  des  ducs,  des  comtes  ou  d'autres  officiers  du  prince,  de  grades  divers, 
ayant  des  attributions  et  des  compétences  plus  ou  moins  étendues. 

Tels  étaient  les  traits  principaux  du  système  féodal,  qui  embrassait  toutes  les 
relations  sociales  en  Helvétie,  comme  en  général  dans  les  pays  de  l'Europe  centrale  au 
moyen-àge.  Il  faut  nécessairement  le  connaître,  si  l'on  veut  comprendre  les  événe- 
ments de  l'histoire  suisse  à  cette  époque.  Simple  d'abord,  ce  système,  qui,  dans  le 
principe,  avait  été  institué  au  profit  de  l'Etat  ou  de  la  société  conquérante,  finit  par 
absorber  l'Etat  dans  les  individus,  et  les  intérêts  généraux  dans  les  intérêts  parti- 
culiers, surtout  alors  que  les  fiefe  furent  devenus  héréditaires. 

A  cette  époque,  il  ne  pouvait  être  question  de  l'unité  de  la  Suisse  dans  le  sens 
moderne  de  ce  mot.  Cette  unité,  absorbée  dans  la  monarchie  universelle  des  Romains, 
ne  s'était  pas  retrouvée  dans  la  division  du  pays  entre  les  conquérants  bourguignons, 
allemands,  goths  et  lombards.  Les  noms  généraux  d'Helvètes  et  d'Helvétie  dispa- 
rurent peu  à  peu  dans  les  noms  des  peuples  qui  occupaient  cette  contrée  et  qui 
avaient  formé  de  nouvelles  divisions  territoriales.  Au  reste,  ce  qui  se  passait  alors 
en  Suisse  avait  lieu  dans  tous  les  autres  pays  de  l'Europe  démembrés  de  l'empire 
romain.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  dans  les  Gaules,  en  Germanie,  en  Italie,  le 
territoire  était  divisé  en  autant  de  royaumes  qu'il  y  avait  de  tribus  conquérantes  ou 
occupant  le  pays.  Il  n'était  pas  encore  question  d'un  royaume  de  France  ou  d'un 
empire  d'Allemagne. 

^  IV.  L'Helvétie  sous  la  domination  des  Francs. 

(De  Fan  53i  à  Kao  888  de  J.-G.) 

Ce  fut  seulement  vers  le  milieu  du  VI''  siècle  de  notre  ère  (S34),  que  les  Francs, 
ayant  réussi  à  dominer  peu  à  peu  les  autres  peuples  germains  qui  avaient  envahi 
le  centre  de  l'Europe,  devinrent  aussi  maîtres  de  toute  l'Helvétie,  soit  bourguignonne, 
soit  allémanique,  soit  gothique  ou  lombarde.  Ce  fut  sous  leur  domination  que  le 
christianisme,  qui  déjà  avait  été  prêché  sous  la  fin  de  l'époque  romaine,  fut  surtout 
propagé  en  Helvétie.  La  religion  chrétienne  était  l'auxiliaire  de  la  politique  des  Francs. 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  9 


Le  grand  règne  civilisateur  de  Charlemagne,  qui  s'clendait  à  la  fois  sur  la  France, 
TÂilemagne  et  l'Italie,  se  fit  particulièrement  ressentir  dans  rilelvétie,  qui  formait 
comme  le  centre  de  ses  vastes  Etats  (768  à  814). 

L'Heivétie  fut  divisée,  dans  rétablissement  monarchique  des  Francs,  en  comtés, 
qui  étaient  administrés  par  des  comtes  ou  officiers  du  roi  ou  de  Tempereur.  La  con- 
stitution féodale  de  l'établissement  précédent  subsista,  avec  cette  différence  que  la  classe 
des  hommes  libres  s'augmenta,  qu'un  plus  grand  nombre  de  villes  s'établirent,  et 
que  le  pouvoir  royal,  impérial  ou  central,  exerçait  plus  d'autorité  sur  les  seigneurs 
féodaux.  Quant  aux  institutions  représentatives,  il  y  avait  alors  des  assemblées  ou 
Etats  généraux  pour  tout  l'empire,  qu'on  appelait  les  champs  de  mars  ou  les  champs 
(le  mai,  suivant  l'époque  où  ils  se  tenaient.  Les  comtes  de  l'Helvétie  figuraient  dans 
ces  assemblées  comme  les  autres.  Le  pays  était  représenté  par  les  grands,  qui  déli- 
béraient et  discutaient  les  lois  générales  de  l'empire,  appelées  les  Capiialaires,  lois 
qui  avaient  déjà  été  discutées  préalablement  dans  les  assemblées  de  provinces  ou  de 
comtés. 

g  V.  L'Helvétie  sous  les  rois  bourguignons  de  la  Transjurane,  et  sous  les  ducs 

d'Allémanie. 

(De  lao  888  à  Fan  1033.) 

Après  que  les  descendants  de  Charlemagne  se  furent  affaiblis  et  divisés,  l'un  pre- 
nant pour  lui  l'Allemagne,  un  autre  la  France,  et  un  troisième  l'Italie,  l'hérédité  des 
fiels  se  consolida,  chaque  grand  vassal  profitant  de  la  faiblesse  du  gouvernement  cen- 
tral pour  faire  passer  son  fief  &  ses  enfants  ou  à  ses  héritiers.  Un  morcellement  indé- 
fini fut  la  suite  de  ce  premier  partage  de  l'empire  des  Francs  carlovingiens.  L'Hel- 
vétie fut  donc  aussi  démembrée.  Vers  la  fin  du  IX""  siècle,  l'an  888,  après  la  déposition 
de  Gharles-le-6ros,  ce  faible  descendant  de  Charlemagne  qui  succomba  sous  le  poids 
de  ses  couronnes,  la  partie  occidentale  de  l'Helvétie,  comprise  entre  la  chaîne  du 
Jura,  TAar  et  le  Grand  St. -Bernard,  cessa  d'être  soumise  aux  Francs,  pour  passer 
sous  la  domination  des  seigneurs  puissants  du  pays,  qui  prirent  le  titre  de  rois  de  la 
Petite  Bourgogne  ou  de  la  Bourgogne  transjurane,  pour  la  distinguer  de  la  Gisjurane, 
qui  comprenait  la  Bourgogne  et  la  Franche-Comté  de  Bourgogne  actuelles,  de  l'autre 
côté  du  Jura. 

Le  reste  de  l'Helvétie,  soit  la  partie  septentrionale  et  orientale,  demeura  plus  ou 
moins  soumis  aux  princes  de  l'Allemagne,  jusqu'à  ce  que,  après  deux  cents  ans  de 
troubleset  de  guerres  dont  nous  avons  tracé  le  tableau  dans  notre  histoire  de  la  Suisse, 
l'Helvétie  entière  fut  de  nouveau  réunie  sous  un  seul  maître.  Durant  celte  époque 
transitoire,  la  constitution  demeura  la  même,  avec  cette  différence  que  les  seigneurs 
féodaux  devinrent  toujours  plus  puissants  et  accaparèrent  le  pouvoir,  au  détriment 
de  l'autorité  royale  et  de  la  sécurité  publique.  En  même  temps,  les  guerres  privées 
que  se  faisaient  entre  eux  les  seigneurs  devinrent  si  fréquentes  et  si  meurtrières, 
qu'il  fallut  étabhr  la  Trêve- Dieu  (Treaga  Dei),  c'est-àrdire  un  espace  de  temps  pen- 
dant lequel  les  hostilités  étaient  interdites. 

La  terreur  qu'inspirèrent  les  invasions  hongroises  et  sarrazincs,  obligèrent  les  habi- 
tants des  villes  à  s'enfermer  dans  des  enceintes  de  murailles  et  les  seigneurs  à  élever 
II,  I.  S 


10  LA   SlISSB   PITTORESQUE. 


des  tours  fortifiées,  pour  servir  de  refuge  contre  ces  nouveaux  barbares.  Les  Hongrois 
s'étaient  jetés  sur  le  jxiys  par  le  Jura,  et  les  Maures  ou  Sarrazins,  venant  d'Afrique 
et  d'Espagne,  par  la  Rhétie  et  les  AIjkîs.  Ces  peuples  finirent  par  en  venir  aux  prises 
l'un  contre  l'autre,  ce  qui  facilita  la  délivrance  du  pays  dans  ces  temps  de  désolation 
et  de  ténèbres. 

g  VI.  L'Helvétie  sots  l'empire  germanique. 

(De  Tan  1032  à  Tan  1307  de  J.-G.) 

L'an  1032,  Rodolphe  111,  dit  le  Fainéant,  le  dernier  des  princes  rodolphiens  ou 
des  rois  de  la  Petite  Bourgogne  ou  Transjurane,  qui  comprenait  l'Ilelvétie  occiden- 
tale, la  Savoie  et  la  Franche-Comté,  déc»éda  sîins  |)ostérilé  légitime.  11  laissait  un 
testament,  qui  instituait  |)our  héritier  de  son  royaume  son  beau-frère,  Conrad  II,  le 
Saliqm,  déjà  maître  de  l'Ilelvétie  allémaniquc  et  de  la  Rhétie.  Ainsi,  tous  les  pays 
qui  constituent  la  Suisse  actuelle  se  trouvèrent  de  nouveau  réunis  sous  le  môme  gou- 
vernement. L'Helvétie  entière  déixîndait  de  l'empire  germanique,  le  plus  puissant 
établissement  du  moyen-iVge.  C'est  le  cas,  |)ar  conséquent,  de  jeter  un  conp-d'œil  sur 
ce  vaste  édifice  politique.  Nous  examinerons  :  1"  s(m  étendue  ;  2"  sa  constitution  primi- 
tive; y  les  changements  survenus  dans  cette  constitution;  4°  l'inHuence  que  l'admi- 
nistration et  la  constitution  imi)ériales  exercèrent  sur  les  destinées  de  l'Ilelvétie. 

1**  Etendue  rfe  l'empire  germanique. 

L'étendue  de  cet  empire,  comme  sa  constitution,  a  varié  avec  les  siècles,  bien  que 
certains  traits  généraux  soient  demeurés  les  mêmes.  Les  peuplades  germaniques,  qui 
avaient  envahi  l'empire  romain,  formèrent  d'abord  autant  de  royaumes  que  de  races. 
Mais  les  Frajics  étant  parvenus,  |)eu  à  peu,  gn\ce  à  des  circonsliinces  favorables  et 
surtout  à  Tappui  qu'ils  reçurent  des  évéques  et  de  l'Eglise  chrétienne,  à  soumettre 
ces  iKîuples  à  leur  domination,  Charlemagne,  leur  roi,  sacré  à  Rome  l'an  800  jiar 
le  pape  Léon,  rétiiblit  l'empire  romain  d'Occidenl,  ou  fonda,  si  l'on  veut,  l'empire 
germanique.  Il  régnait  sur  la  France,  l'Allemagne  jusqu'à  l'Elbe,  l'Italie,  les  pays 
voisins  et  l'Espagne,  jusqu'à  TEbre.  L'Helvétie  était,  comme  nous  l'avons  dit,  à  peu 
|)rès  au  centre  de  S(«  Etals. 

Mais  les  successeurs  de  Charlemagne  s'étant  partagés  l'empire  à  diverses  reprises. 
Tan  888  eut  lieu  le  démembrement  général  dont  nous  avons  parlé.  L'Helvétie  orien- 
tale et  la  Rhétie  suivirent  le  sort  de  rAllemagne,  et  l'ancienne  Bourgogne  fut  par- 
tagée ainsi  :  1"  au  nord,  le  duché  de  Bourgogne,  composé  de  ce  qu'on  apiielle  encore 
aujourd'hui  la  province  de  Bourgogne;  2"  au  sud,  le  second  royaume  de  Bourgogne, 
qui  se  subdivisa  à  son  tour  en  Transjurane,  comprenant  depuis  la  Franche-Comté 
jusqu'à  la  Sarine  et  la  Savoie,  et  en  Cisjuranc,  api)eléc  aussi  le  royaume  d'Arles,  qui 
comprenait  la  Provence,  le  Comtat,  le  Dauphiné,  la  Bresse,  le  Bugey  et  une  partie 
(lu  Languedoc. 

Malgré  ces  partages,  la  dignité  im|)ériale  demeura  attachée  à  la  couronne  d'Alle- 
magne. Ce  royaume,  avec  les  pays  <iui  en  dépendaient,  forma  ce  qu'on  appela  plus 
tard  l'empire  d'Allemagne  et  le  saint  empire  romain.  Le  chef  de  cet  Etat  portait  au 
commencement  le  titre  de  roi  (n'.r)  de  (îermanic,  et  non  celui  d'empereur  (imperator), 
qui  ne  lui  fut  donné  que  plus  tard. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  14 


L'Italie,  la  Bohême,  la  Pologne,  la  Lorraine,  reconnaissaient  plus  ou  moins  la 
suzeraineté  de  l'empire;  mais  l'autorité  de  l'empereur  était  sans  cesse  mise  en  ques- 
tion dans  ces  pays.  Il  en  fut  de  même  dans  les  pays  au  nord  de  l'Elbe,  jusqu'aux 
confins  de  la  Suède,  du  Danemarck  et  de  la  Russie,  qui  furent  ensuite  incorporés  à 
l'empire  (H56). 

A  dater  de  l'an  1032,  les  deux  royaumes  de  Bourgogne,  transjurane  et  cisjurane, 
en  dépendirent,  à  l'exception  de  plusieurs  fiefs  puissants,  qui  s'en  détachèrent  suc- 
cessivement, comme  la  Provence,  le  Dauphiné,  la  Savoie  et  la  Franche-Comté.  Encore 
ces  contrées  étaient-elles  envisagées  plus  ou  moins  comme  pays  d'empire,  et  les 
princes  qui  les  gouvernaient  se  disaient-ils  les  vicaires  impériaux.  Dans  la  Bourgogne 
transjurane,  ou  dans  l'IIelvétie  burgonde,  l'autorité  impériale  se  faisait  naturellement 
moins  sentir  que  dans  l'Helvétie  allémanique  ou  orientale,  qui  touchait  immédiate- 
ment à  l'Allemagne  et  à  l'empire. 

2"  Constitution  de  Vempire  germanique. 

La  Suisse,  incorporée  à  l'empire  germanique,  subit  toutes  les  destinées  de  ce 
vaste  corps.  Durant  plusieurs  siècles,  elle  n'a  pas  d'autre  histoire  que  celle  de 
l'empire,  et  il  est  impossible  de  se  rendre  compte  des  événements  dont  elle  fut  le 
théâtre  si  l'on  n'a  pas  une  idée  de  la  constitution  de  l'empire. 

La  base  de  cette  constitution  était  le  régime  féodal  dont  nous  avons  tracé  un 
aperçu.  Ce  système  ne  fit  que  croître  et  se  développer  depuis  le  XI*  siècle  jusqu'au 
XIIP,  à  mesure  que  les  conséquences  de  l'hérédité  des  fiefs  se  firent  de  plus  en 
plus  sentir. 

Nous  avons  vu  que  la  population  de  l'empire  se  divisait  en  trois  classes  :  les 
nobles,  les  hommes  libres  et  les  vassaiLv,  et  que  dans  chaque  classe  il  y  avait  divers 
degrés.  En  général ,  la  noblesse  occupait  les  premiers  emplois  et  servait  dans  la 
chevalerie.  Les  hommes  libres  étaient  voués  aux  lettres,  aux  arts,  aux  sciences, 
à  l'enseignement,  à  la  jurisprudence  ou  aux  emplois  subalternes  dans  les  cours  de 
justice ,  au  commerce  et  à  l'industrie  comme  maîtres  de  métiers  ou  comme  chefs 
d'ateliers,  à  l'agriculture  comme  propriétaires  fonciers.  Les  emplois  les  plus  pénibles 
dans  les  arts  et  les  métiers,  le  commerce,  l'agriculture,  le  service  mihtaire  même, 
étaient  le  partage  des  classes  inférieures.  Ceux  qui  étaient  attachés  &  la  glèbe  et 
que  l'on  vendait  avec  la  terre  à  laquelle  ils  appartenaient,  avaient  au  moins  cet 
avantage  que  leur  maître  ou  propriétaire  devait  les  loger  et  les  nourrir,  ainsi  que 
leur  famille,  et  qu'il  ne  pouvait  les  renvoyer  arbitrairement  après  les  avoir  écrasés 
de  travail. 

Le  clergé ,  tant  régulier  que  séculier,  réparti  dans  les  ordres  monastiques  ou  dans 
les  paroisses,  appartenait  aux  trois  classes  de  la  société.  Un  serf  devenait  libre 
en  recevant  les  ordres  sacrés.  Sauf  quelques  exceptions ,  les  hautes  dignités  ecclé- 
siastiques, comme  celles  d'évêques  et  d'abbés  des  riches  monastères,  étaient  dévolues 
à  la  noblesse  et  plus  particulièrement  aux  familles  princières,  aux  cadets  et  aux 
enfants  illégitimes  des  rois  et  des  princes  ou  des  ducs. 

Organisation  primitive  de  l'empire.  Dans  l'origine,  l'empire  était  divisé  en  duchés 
ou  en  provinces,  essentiellement  pour  le  commandement  des  armées,  et  en  comtés 
ou  cantons  ou  pays  (pagi)  pour  l'exercice  des  fonctions  judiciaires,  administratives 


42  LA    SUISSE    PITTOBESQUE. 


cl  militaires.  Les  comtés,  &  leur  tour,  étaient  divisés  en  baronnies  ou  districts,  et  les 
baronniesen  communes  (villes,  bourgs  et  villages).  Ces  divisions  territoriales  étaient 
plus  ou  moins  étendues.  Les  ducs,  les  comtes,  les  barons,  les  avoyers  des  villes,  les 
châtelains  des  bourgs,  et  les  maires  ou  mayors  des  villages,  étaient  d*al)ord  des  fonc- 
tionnaires temporaires;  ils  furent  ensuite  nommés  à  vie,  puis  devinrent  héréditaires, 
d*abord  de  fait  et  ensuite  de  droit.  Voilà  comment  en  Suisse  pendant  longtemps  les 
emplois  de  cette  sorte  semblaient  être,  dans  les  familU^  principales,  des  apanages,  ou 
constituer  des  droits  acquis.  L'empereur,  nous  l'avons  dit,  étant  censé  avoir  reçu 
le  |)ouvoir  suprême  de  Dieu,  inféodait  les  fonctions  suprêmes  aux  grands  vassaux, 
qui  lui  prêtaient  foi  et  hommage,  comme  il  les  prêtait  lui-même  à  Dieu  lorsque  le 
pape  le  sacrait.  Les  comtes  recevaient  l'hommage  de  fidélité  des  barons,  ceux-ci  de 
leurs  sul)ordonnés  jusqu'aux  derniers  rangs  de  la  hiérarchie. 

Les  baronnies  étaient  subdivisait  parfois  en  diruins  (dezennm)  ou  cercles,  présidés 
par  un  dizenier.  Les  maires  étaient  de  différentes  espèces,  comme  les  maires  du 
palais,  qui  gouvernaient  quelquefois  une  province,  et  qui  devinrent  les  ministres 
souverains  des  rois  francs,  et  les  maires  de  villages  ou  de  communes.  Dans  la 
Bourgogne  transjurane,  le  représentant  de  l'empereur  porta  d'abord  le  titre  de /w/riVf, 
ensuite  celui  de  maire. 

Charlemagne,  |)our  contrôler  toute  cette  hiérarchie  de  fonctionnaires  civils  et 
ecclésiastiques,  institua  les  commissaires  impériaux  ou  royaux  (missi  dominici),  qui, 
imrcourant  les  provinces,  étaient  chargés  de  redresser  les  abus  et  de  faire  rapport 
au  souverain  du  résultat  de  leur  examen. 

Les  fonctions  de  tous  les  degrés,  depuis  la  couronne  jusqu'à  la  mayorie  ou  mairie 
inférieure,  étaient  rétribués  au  moyen  de  terres  qui  constituaient  un  bénéfice  ou  pef 
IK)ur  lequel  on  prêtait  foi  et  hommage.  Ces  bénéfices  produisaient  des  dimes,  des 
cem,  des  loda,  et  une  foule  d'autres  revenus  divers.  Les  jyéages,  les  droits  sur  les 
marchandises  et  les  voyageurs  qui  circulaient  d'une  contrée  à  l'autre,  étaient  aussi 
donnés  en  fief.  Les  souverains  et  les  ducs  ou  fonctionnaires  du  premier  ordre  avaient 
leurs  biens  en  propre,  soit  le  fisc  royal,  et  les  francs-allcus.  Les  hommes  déi)endant 
du  fisc  royal  étaient  appelés  les  fiscalius. 

La  puissance  de  l'empereur ,  qui  était  héréditaire  chez  les  Francs ,  était  limitée 
imr  les  champs  de  mai ,  sorte  de  diètes  générales  de  l'empire,  qui  se  tenaient  chaque 
année  et  auxquels  assistaient  les  grands  fonctionnaires  laïques  et  ecclésiastiques. 
Dans  ces  assemblées  générales  on  délibérait  sur  les  grandes  affaires,  mais  on  ne 
pouvait  rien  changer  à  la  constitution  ni  aux  coutumes  des  divers  peuples  de  l'em- 
pire sans  le  consentement  de  ceux-ci,  qui  délibéraient  dans  des  assemblées  provin- 
ciales ou  de  comté,  de  district,  de  dixain  et  de  commune. 

La  diêie  générale  était  présidée  par  l'empereur.  Les  assemblées  inférieures,  appelées 
plaids  (placita),  étaient  présidées  par  le  représentant  de  l'empereur,  qui  était  ordi- 
nairement un  comte  ou  un  baron.  Des  plaids  ou  plaids  étaient  tenus  aussi  dans  les 
comtés  et  les  districts  pour  l'administration  de  la  justice  civile  et  pénale.  Les  juge- 
ments étaient  rendus  par  le  prince  ou  par  le  comte ,  le  châtelain,  le  maire,  au  nom 
du  prince.  Ces  fonctionnaires  étaient  assistés  de  jurés  ou  d'assesseurs.  La  procédure 
était  publique  et  orale.  Les  juges  prononçaient  sur  preuves  résultant  de  titres  écrits, 
do  Taveu  de  la  partie ,  des  dépositions  des  témoins  ou  de  la  déclaration  corroborée 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  43 


par  serment  d'un  certain  nombre  de  pairs  ou  d'experts  (conjuratores).  Le  condamné 
pouvait  appeler  de  cette  preuve  au  jugement  de  Dieu,  qui  consistait  dans  le  duel 
judiciaire  ou  dans  diverses  épreuves,  comme  celles  du  feu  et  de  Teau,  qui  consistaient 
à  saisir  un  fer  rougi ,  à  marcher  dessus,  ou  à  saisir  un  anneau  ou  tel  autre  objet  au 
fond  d'un  vase  d'eau  bouillante.  Suivant  que  l'on  sortait  intact  ou  blessé  de  l'épreuve, 
on  était  condamné  ou  absout. 

La  plupart  des  délits  et  des  crimes,  même  capitaux  ,  pouvaient  se  racheter  par 
une  composition  (tcehrgeld)  ou  une  amende  plus  ou  moins  élevée,  suivant  la  qualité 
et  le  rang  de  la  personne  lésée.  Chaque  peuple  de  l'empire  avait  ses  lois  ou  son 
code  particulier,  recueil  des  anciennes  coutumes  germaniques,  avec  quelques  frag- 
ments de  droit  romain.  C'est  ainsi  que  les  Francs  saliens  avaient  leur  loi  salique  (lex 
salua),  qui  fut  révisée  par  Cliarlemagne  (pacim  legis  salicœ),  les  Francs  ripuaires  la 
loi  Ripuaire  (7ex  Ripmriorum),  les  Bourguignons  la  loi  des  Burgondes  (lex  Burgun- 
dionum),  qu'on  appelait  aussi  le  code  de  Gondebaud  (lex  Gnndobaldn)  ou  la  loi  Gom- 
bette,  du  nom  du  roi  législateur  Gondebaud  ;  les  Yisigoths  la  loi  des  Visigoths  (lex 
Visigothornm) ;  les  Allemands,  Saxons  et  Souabes  les  lois  de  leur  nation  respective. 
Les  Romains  étaient  régis ,  dans  les  premiers  temps  de  la  conquête ,  par  le  droit 
romain;  mais,  plus  tard,  ce  droit  se  confondit  avec  le  droit  barbare.  L'Eglise  avait 
son  droit  à  elle,  le  droit  canonique.  Les  capitulaires ,  les  recueils  de  lettres  et  de 
diplômes  des  rois,  les  recueils  de  formules,  les  chartes,  les  statuts  et  les  coutumiers 
en  langue  vulgaire  complétaient  la  législation.  En  Helvétie,  la  Sarine  et  un  affluent 
du  lac  de  Morat,  le  Cbandon,  séparaient  les  terres  régies  par  la  loi  bourguignonne  de 
celles  qui  reconnaissaient  la  loi  salique  des  Francs  germains  ou  Franconiens. 

Modifications  survenues  dans  la  constitution  impériale.  Après  le  partage  définitif 
de  Tan  888,  dont  nous  avons  parlé,  et  qui  fit  de  l'Allemagne,  de  l'Italie,  de  la 
France  et  des  deux  Bourgognes  des  royaumes  particuliers,  cette  constitution  subit 
nécessairement  des  changements  essentiels. 

L'empire  d'Occident,  devenu  l'empire  d'Allemagne  et  des  pays  adjacents  (Italie, 
Bourgogne,  Bohême,  Pologne,  etc.,)  vit  d'abord  la  couronne  devenir  élective,  d'héré- 
ditaire qu'elle  était  d'abord.  Les  grands  feudataires  de  la  couronne,  à  mesure  que  le 
pouvoir  royal  allait  en  s'aflaiblissant,  devinrent  peu  à  peu  de  véritables  souverains, 
à  force  de  faire  tourner  à  leur  profit  et  à  celui  de  leur  famille  des  fonctions  qui  leur 
avaient  d'abord  été  confiées  à  cause  de  leur  mérite  personnel  et  en  vue  du  bien 
général.  Ainsi,  les  dmhés  devinrent  de  véritables  souverainetés,  dont  les  maîtres 
reconnaissaient  bien  la  suzeraineté  de  l'empereur,  tout  en  la  foulant  aux  pieds 
quand  ils  pouvaient.  Ces  souverainetés  portaient  des  titres  divere,  suivant  leur  im- 
portance :  royaumes,  principautés,  électorals,  duchés,  comtés,  margraviats,  landgraviats, 
burgraviats. 

Non-seulement  ces  souverainetés  furent  érigées  par  des  seigneurs  laïques;  des 
évêques,  prieurs  ou  abbés  de  puissants  monastères  étaient  parvenus  à  se  rendre 
seigneurs  temporels  des  domaines  dont  les  rois  et  les  empereurs  avaient  enrichi  les 
^lises  dans  un  but  de  piété  ou  de  charité.  Ces  donations  avaient  eu  lieu  surtout 
aux  environs  de  l'an  4000  de  notre  ère,  alors  que  l'idée  de  la  fin  prochaine  du 
monde  était  devenue  populaire. 

Quand  un  fief  souverain ,  même  héréditaire,  venait  à  manquer  par  l'extinction 


H  LA   SUISSE    PITTOBCSQrE. 


de  la  ligne  masculine,  il  retournait  à  Tempereur.  On  disait  alors  que  le  domaine 
utile  était  réuni  au  domaine  direct.  Cette  réunion  de  ViUile  à  la  directe  avait  lieu 
aussi  en  cas  de  félonie. 

Quand  les  villes  commencèrent  à  prendre  de  Textension  et  à  se  peupler,  plusieurs 
d'entre  elles  se  rendirent  également  souveraines  en  profitant  des  privilèges  que  les 
empereurs  ou  les  ducs  qui  les  avaient  fondées  leur  avaient  accordés.  C'est  ainsi 
que  la  Suisse  compta  plusieurs  villes  impériales,  comme  Zurich ,  Berne,  Lausanne, 
Genève. 

Cliaque  petit  souverain  avait  au-dessous  de  lui  des  vassaux ,  soit  des  nobles,  des 
villes,  des  bourgs,  des  villages,  qui  contestaient  souvent  son  autorité  et  cherchaient 
à  obtenir  de  l'empereur  des  franchises  et  des  privilèges.  Parfois  ces  franchises  étaient 
accordées  par  le  souverain  lui-même,  moyennant  des  compensations. 

Toutefois,  à  côté  de  ces  souverainetés,  sur  lesquelles  l'empereur  et  l'empire 
n'avaient  qu'une  suprématie  contestée  ou  restreinte ,  il  existait  des  districts  et  des 
territoires  appartenant  au  domaine  royal,  où  les  empereurs  avaient  conservé  leur 
ancienne  autorité.  Dans  ces  districts,  ils  se  faisaient  représenter  par  des  haillis  ou 
ofRciers  impériaux.  Ainsi,  par  exemple,  dans  de  petits  cantons  forestiers  de  l'Hel- 
vétie  [Waldsiœilen)  ^  défrichés  jadis  par  des  colons  fiscalins,  on  trouvait  de  pareils 
fonctionnaires.  Mais,  presque  toujours,  des  privilèges  accordés  par  l'empereur  à  ces 
cantons  ou  bailliages  restreignaient  singulièrement  l'autorité  centrale. 

Quand  la  couronne  impériale  fut  devenue  d'héréditaire  élective,  l'élection  se  fit 
d'abord  par  l'universalité  des  six  nations  composant  le  corps  germanique,  savoir  les 
Francs  ou  Franconiens,  les  Souabes,  les  Bavarois,  les  Saxons,  les  Lotharingiens  ou 
Lorrains,  et  les  Frisons.  Petit  à  petit  le  droit  d'élection  se  restreignit  et  se  concentra 
entre  les  mains  de  quelques  princes  de  ces  nations  germaniques,  qu'on  appelait  les 
sept  électeurs  de  l'empire.  C'étaient  les  archevêques  de  Mayence,  de  Trêves,  de 
Cologne,  le  palatin  du  Rhin,  l'électeur  de  Saxe,  le  margrave  de  Brandebourg  et  le 
roi  de  Bohême.  Par  son  élection  à  Aix-la-Chapelle,  le  monarque  n'était  que  roi  ;  il 
ne  devenait  empereur  que  lorsqu'il  avait  été  sacré  à  Rome  par  le  pape. 

Le  choix  des  électeurs  devait  être  approuvé  par  les  autres  princes  de  l'empire. 
Souvent  ils  ne  tombaient  pas  d'accord,  et  on  voyait  alors  éclater  une  guerre  entre 
les  deux  compétiteurs,  qu'on  appelait  le  César  ei  VAnti-Cémr.  Cette  anarchie  ame- 
nait parfois  un  interrègne.  Ce  fut  le  cas  avant  l'élection  de  Rodolphe  de  Habsbourg. 

La  Diète  de  Veinpire  participait  à  toutes  les  affaires  générales,  qui  se  traitaient  dans 
trois  collèges  :  celui  des  électeurs ,  celui  des  princes,  et  celui  des  villes  impériales. 
Dans  chaque  principauté  il  y  avait  aussi  des  Diètes  locales  ou  des  Etats  provinciaux. 
C'est  ainsi  que  la  baronnie  de  Vaud  avait  ses  Etats  à  Moudon,  et  que  l'évêchè  de 
Lausanne  tenait  les  siens  dans  cette  ville  impériale  et  épiscopale. 

Chaque  prince  exerçait  dans  les  limites  de  ses  Etats  les  droits  A'aimkerie  ou  d'ad- 
vocatie  (Castvogtey)  sur  les  évêques  et  les  monastères  de  son  ressort.  Ce  protectorat 
dégénérait  parfois  en  oppression.  De  là  les  luttes  incessantes  entre  les  comtes  de 
Genevois  et  de  Vaud,  les  ducs  de  Zœhringen,  les  comtes  de  Habsbourg,  les  comtes  de 
Savoie  et  d'autres  seigneurs,  avec  les  évêques  de  Genève,  de  Lausanne,  de  Sion,  de 
Bâle,  de  Constance. 

Les  districts,  villes,  bourgs  et  communautés,  avaient  aussi  leurs  assemblées  locales 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  IS 


(Landsgemeinde).  C'est  ainsi  que  les  pays  (pagi)  ou  cantons  d'Uri,  de  Schwylz  cl 
d'Unterwald  avaient  de  telles  assemblées  depuis  un  temps  immémorial. 

Dans  Torigine ,  la  constitution  des  villes  et  des  communes  était  démocratique. 
Elles  élisaient  leurs  fonctionnaires  sous  le  nom  de  bourgnieslve,  d'avoyer,  de  syndic, 
de  banneret,  de  trésorier,  etc.  Les  affaires  se  traitaient  en  commune  bourgeoisie.  On 
devenait  bourgeois  après  un  an  d'habitation.  Les  fonctionnaires  communaux  étaient 
renouvelés  annuellement.  Petit  à  petit  ces  constitutions  municipales  devinrent 
aristocratiques  à  l'aide  des  événements  dont  l'histoire  suisse  présente  le  tableau. 
Ues  familles  privilégiées  ou  jMlriciefines  usurpèrent  les  fonctions  communales,  et  les 
attributions  des  boui^eois  passèrent  aux  Conseils,  qui  finirent  par  se  recruter  eux- 
mêmes  dans  une  oligarchie  bien  déterminée.  Parfois  les  boui-geois  des  villes,  orga- 
nisés en  corporations  ou  tribus,  selon  les  métiers  qu'ils  exerçaient,  protestaient 
contre  ces  tendances  aristocratiques.  De  là  des  conflits  et  même  |)arfois  des  révo- 
lutions. Souvent  les  villes  étaient  unies  entre  elles  |)ar  des  romltourgeoisies  plus  ou 
moins  étroites  contre  les  seigneurs  féodaux  ou  même  contre  le  prince.  C'est  ainsi 
que  Berne  avait  avec  Sienne,  Fribourg,  Neuchàtel,  des  combourgcoisies  très-serrées. 

3®  Administration  impériale  en  Hekétie. 
Rectorat  de  Bourgogne  el  duché  de  Souibe. 

L'empereur  faisait  gouverner  l'Helvélie  par  des  ducs.  Le  duc  de  Souabe  avait  dans 
son  ressort  une  partie  de  rHelvélic  orientale  et  allémanique.  L'Helvétie  Iwur- 
guignonne  et  la  i)artie  occidentale  de  l'Helvélie  allemande  étaient  sous  le  pouvoir, 
devenu  héréditaire,  des  ducs  de  Zaehringcn.  Ce  pouvoir  avait  pris  le  nom  de  redorai. 
Ainsi  l'on  disait  que  le  duc  de  Zo^hringen  était  recteur  de  la  Transjurane.  Après 
Textinction  de  cette  famille,  celle  des  Kybourg  hérita  d'une  partie  de  ses  domaines, 
mais  non  du  rectorat  (1263).  Cette  autorité  des  recteurs  s'éteignit  dans  le  temps 
où  Rodolphe,  comte  de  Habsbourg,  landgrave  d'Alsace,  héritier  de  la  maison  de 
Kybourg,  plaça  sur  sa  tête  la  couronne  impériale.  Alors  il  se  fit  dans  sa  famille  une 
confusion  du  pouvoir  de  remi)ereur  et  de  celui  de  comte  ou  landgrare.  Celui  de  recteur 
de  la  Transjurane  lui  fut  disputé  par  les  comtes  de  Savoie. 

Durant  toute  cette  époque,  l'Helvétie  releva  de  la  Diète  générale  de  l'empire. 
Le  recteur,  représentant  l'empereur,  cherchait  constamment  à  réprimer  les  ten- 
dances des  seigneurs  féodaux  qui  visaient  à  l'indépendance.  Pour  y  réussir,  il  leur 
<ipposait  un  nouvel  élément,  celui  des  villes  et  des  bourgeoisies,  auxquelles  il  accor- 
dait de  nombreux  privilèges.  Alors  furent  fondées  Fribourg  en  Uechtiand ,  Berne, 
Berthoud  et  d'autres  cités,  qui  doivent,  comme  celles-là,  leur  origine  aux  Zœhringen. 
Les  habitants  étaient  protégés  par  des  franchises  très-élcndues.  Ainsi  s'accrut  l'élé- 
ment bourgeois  dans  les  villes.  Bientôt  cet  élément  frappera  d'un  coup  redoutable 
la  féodalité  ;  il  finira  par  prendre  la  place  de  celle-ci  et  par  s'approprier  la  souve- 
raineté dans  maint  canton  important. 

Démembrement  de  rilclvétie. 

Cependant  la  puissance  centrale  de  l'empire  d'Allemagne  s'affaiblissait  visible- 
ment jKir  Teffet  des  divisions  des  princes  qui  prétendaient  à  la  couronne  iin|)ériaie, 


16  LA    SUISSE    PITTORESQte. 


par  suite  de  la  grande  lutte  entre  les  jMipes  et  les  empereurs,  qui  (>ccui)c  une  si  grande 
place  dans  le  moyen-âge,  et  par  les  usurpations  des  seigneurs  laïques  et  ecclésias- 
tiques et  des  villes  nouvelles  qui  visaient  à  Tindépendanee.  Cet  état  de  choses  pré- 
para de  très-loin  l'émancipation  de  THelvétie.  Dès  la  fin  du  Xll*  siècle  et  au  commen- 
cement du  XIll",  les  évêques  de  Lausanne,  de  Genève,  de  Sion,  devinrent  pour  le 
temporel  de  véritables  souverains.  Les  comtes ,  qui  devinrent  plus  lard  ducs  de 
Savoie,  acquirent,  au  moyen  de  circonstances  favorables,  de  nombreuses  seigneuries 
et  des  terres  dans  le  pays  de  Vaud.  Ils  finirent,  sous  le  règne  de  Tun  d'eux,  Pierre 
de  Savoie,  surnommé  le  Petit  Charleniagne,  par  faire  de  ce  pays  un  grand  fief  (1263) 
qui  ne  relevait  plus  de  l'empire  que  d'une  manière  nominale.  Les  mêmes  souverains 
étendirent  aussi  leur  puissance  dans  le  Vallais,  et  se  firent  même  reconnaître  un 
moment  à  Berne.  Les  comtes  de  Neuch&tel  fondaient  en  même  temps  la  puissance  de 
leur  maison  depuis  les  bords  du  lac  de  ce  nom  jusqu'aux  rives  de  l'Âar.  Les  comtes 
de  Gruyère  devenaient  prépondérants  dans  les  Alpes  fribourgeoises  et  vaudoises.  Les 
comtes  de  Kybourg  possédaient  le  pays  situé  entre  les  lacs  de  Constance  et  de  Zurich, 
ainsi  que  Zug  et  une  partie  de  l'Àrgovie.  La  maison  de  Habsbourg  avait  dans  le 
reste  de  l'Argovie  ses  seigneuries  héréditaires.  Bientôt  elle  doubla  sa  puissance  par 
l'héritage  des  Kybourg,  la  mère  de  Rodolphe  de  Habsbourg  appartenant  à  cette  famille. 
Zurich  s'était  séparée  du  duché  de  Souabe,  pour  devenir  une  ville  impériale,  possé- 
dant un  territoire  et  des  privilèges  étendus.  Bàle  reconnaissait  l'autorité  temporelle 
desonévêque;  Soleure  et  SchaiThouse,  celle  de  leur  haut  clergé  ou  chapitre.  Lucerne, 
ancienne  propriété  du  couvent  de  Murbach  en  Alsace,  avait  passé  par  échange  aux 
Habsbourg.  La  vallée  d'Uri,  ancienne  possession  du  couvent  des  Dames  de  Zurich 
(Fra(ieuinUiisler)  par  l'effet  d'une  donation  royale  du  roi  Louis-le-Germanique,  petit- 
fils  de  Charlemagne,  prétendait  relever  directement  de  l'empire.  Schwytz  et  Untcr- 
wald  affectaient  la  même  prétention,  parce  que  ces  cantons  échappaient  par  là  au 
|)ouvoir  intermédiaire  des  comtes  ou  landgraves,  entre  autres  à  celui  des  Habsbourg, 
qui  affectaient  l'indépendance  dans  le  landgraviat  de  l'Argovie  jusqu'aux  sources  de 
la  Reuss.  Les  souverains  ou  ducs  de  Milan  avaient  des  droits  dans  les  vallées  du  Tessin 
et  de  la  Rhétie.  Les  comtes  de  Toggenbourg,  de  Sargans,  Tévéque  de  Coire,  l'abbé 
de  St.-Gall ,  étaient  aussi  de  véritables  souverains.  Le  nombre  des  seigneurs  qui  se 
partageaient  la  Suisse  allait  ainsi  en  augmentant.  Les  nobles,  les  évêques,  les  abbés, 
les  villes,  tendaient  de  plus  en  plus  à  s  émanciper.  L'avènement  de  Rodolphe  de  Habs- 
bourg à  la  couronne  impériale  d'Allemagne  ne  fit  que  retarder  un  moment  cette 
dissolution,  en  réunissant  sur  une  même  tête,  dans  un  seigneur  d'Helvétie,  le  pouvoir 
suprême  de  l'empire  et  la  souveraineté  réelle  et  virtuelle  de  la  plus  grande  partie  de 
la  Suisse  orientale. 

Premières  alliaoces  et  origines  des  confédéraUons  eo  HelvéUe. 

Le  moment  allait  arriver  pour  l'Helvétie  de  former  de  nouveau  un  Etat  constitué 
à  part,  non  pas  en  faveur  d'un  prince  ou  d'une  dynastie,  mais  pour  inaugurer  en 
Europe  l'ère  des  confédérations  et  pour  accomplir  ses  destinées  providentielles.  Nous 
allons  assister  à  l'affranchissement  successif  de  presque  toutes  les  parties  du  territoire 
helvétique,  et  &  la  formation  de  la  nationalité  suisse. 

Le  berceau  miraculeux  de  cette  confédération  nouvelle,  de  celle  qui  devait  être  le 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  47 


type  de  la  grande  lutte  de  la  bourgeoisie  et  du  peuple  contre  la  féodalité ,  se  trouve 
au  centre  de  l'immense  chaîne  des  Alpes,  au  pied  du  massif  du  Saint-Gothard,  qui 
réunit  comme  dans  un  nœud  gigantesque  les  grandes  vallées  des  Grisons  à  Test,  du 
Vallais  à  l'ouest,  du  Tessin  au  midi ,  et  de  la  Suisse  proprement  dite  vers  le  nord. 
Les  montagnes  et  les  vallées  d'Uri ,  de  Schwytz  et  d'Unterwald ,  sont  baignées  par 
le  lac  des  Waldstœtten  ou  des  cantons  forestiers  (le  lac  des  Quatre-Cantons),  le  plus 
central  de  la  Suisse,  celui  dont  les  paysages  offrent  les  plus  sublimes  aspects.  Leurs 
habitants  jouissaient  depuis  un  temps  immémorial  d'une  grande  liberté.  Leurs  fran- 
chises remontaient  à  Gharlemagne,  qui  avait  encouragé  le  défrichement  de  ces  hautes 
vallées  par  des  colons  (fiscalins)  allemands.  Les  empereurs  qui  lui  succédèrent,  entre 
autres  Louis-le-Débonnaire,  leur  avaient  octroyé  de  nouveaux  privilèges.  L'empe- 
reur Frédéric  II ,  de  la  maison  de  Souabe ,  étant  en  guerre  avec  le  pape,  dans  le 
XIII*  siècle ,  au  sujet  de  la  querelle  des  investitures  ou  des  rapports  de  l'Etat  et  de 
l'Eglise,  s'attacha  les  Waldstœtten,  qui  lui  fournirent  un  contingent  de  braves  mon- 
tagnards pour  l'aider  dans  ses  guerres  d'Italie.  En  récompense  il  leur  accorda,  par 
un  diplôme  daté  de  Faénza  en  1240,  des  droits  très-étendus,  et  il  leur  fit  la  pro- 
messe solennelle  de  les  traiter  constamment  comme  des  hommes  libres  (tanqmm 
honiines  liheri)  qui  s'étaient  mis  volontairement  sous  sa  protection  ou  sous  les  ailes 
de  l'empire  (si^  alis  nostris). 

Animés  de  l'esprit  d'affranchissement  qui  poussait  toutes  les  communes  de 
l'époque  contre  la  féodalité,  les  habitants  des  vallées  d'Uri,  de  Schwytz  et  d'Unter- 
wald, profitèrent  de  l'interrègne  qui  précéda  l'élection  de  Rodolphe  de  Habsbourg  à 
l'empire  pour  limiter  les  prétentions  de  leur  noblesse,  car  ils  avaient  parmi  eux 
des  descendants  de  chevaliers  anoblis  pour  leurs  services  personnels.  Rodolphe 
ménagea  une  transaction  entre  les  deux  partis  aristocratique  et  démocratique.  Ge 
mouvement  révolutionnaire  ne  fut  pas  limité  aux  trois  cantons  forestiers  ou  primi- 
tifs d'Uri,  de  Schwytz  et  d'Unterwald.  De  toutes  parts,  non-seulement  en  Helvétie, 
mais  dans  l'Europe  en  général,  il  y  avait  une  tendance  marquée  à  l'émancipation. 
Zurich,  Berne,  Genève,  Bâle,  Lucerne  et  bien  d'autres  villes  de  la  Suisse  actuelle, 
avaient  obéi  à  cette  impulsion.  Les  pâtres  de  l'Âppenzell,  de  la  Rhétie,  du  Tessin, 
de  rOberland,  des  Alpes  romanes,  de  St.-Gall,  de  la  Thurgovie,  de  l'Argovie,  du 
pays  de  Vaud,  respiraient  aussi  l'amour  de  la  liberté.  Partout,  dans  les  villes  comme 
dans  les  campagnes,  dans  les  vallées  comme  sur  les  montagnes,  les  confédérations  ou 
ligttes  étaient  à  l'ordre  du  jour.  En  Helvétie  comme  en  Italie,  où  prospéraient  de 
nombreuses  républiques ,  en  Allemagne  et  dans  les  Pays-Bas ,  dans  toute  l'Europe 
chrétienne,  ce  mouvement  était  général.  Déjà,  pendant  le  grand  interrègne  qui  avait 
précédé  l'avènement  de  Rodolphe  de  Habsbourg ,  une  alliance  ou  combourgeoisie 
avait  été  conclue  entre  Berne  et  Fribourg,  en  1243;  une  autre,  entre  Berne  et  le 
Vallais,  datait  de  1250;  celle  de  Zurich  avec  Un  et  Schwytz  est  de  l'année  4251. 
Neuchâtel  et  ses  comtes  particuliers,  dont  le  monument  sépulcral  existe  encore  dans 
la  collégiale  de  cette  ville,  avaient  aussi  des  combourgeoisies  avec  Berne,  Fribour<^ 
et  d'autres  cités  suisses.  Ges  alliances  avaient  en  général  pour  but  de  protéger  les 
franchises  et  les  libertés  des  peuples  contre  la  noblesse.  Rodolphe  de  Habsbourg  lui- 
même  s'était  mis  à  la  tête  d'une  de  ces  ligues  comme  chef  militaire  :  elle  compre- 
nait les  villes  de  Zurich,  de  Bâle,  de  Strasbourg,  et  les  Waldstœtten.  Ainsi  le  mou- 
II,  s.  3 


48  LA   SUISSE  PITTORESQUE. 


vement  d'émancipation  était  déjà  bien  caractérisé  avant  l'avènement  de  ce  prince  à 
l'empire. 

Sous  le  règne  de  Rodolphe ,  il  y  eut  comme  un  repos  ou  une  trêve  entre  l'autorité 
et  l'esprit  de  révolution.  On  avait  été  tellement  agité  par  les  troubles  de  l'interrègne, 
qu'une  sorte  de  lassitude  s'était  emparée  des  esprits.  Ce  qu'on  voulait  avant  tout, 
c'était  de  l'ordre  et  de  la  tranquillité ,  même  au  détriment  de  la  liberté  locale. 
Rodolphe,  par  son  caractère  sûr  et  conciliant,  inspirait  d'ailleurs,  dans  la  seconde 
partie  de  sa  carrière ,  une  confiance  générale.  Mais  les  choses  changèrent  après  sa 
mort,  arrivée  en  4294 .  Le  caractère  de  son  fils  Albert  faisant  concevoir  de  légitimes 
appréhensions,  s'il  était  élu  à  sa  place  ou  si  un  nouvel  interrègne  venait  à  commen- 
cer, les  communes  de  l'Helvétie  avisèrent  à  la  défense  de  leurs  droits.  Les  Wald- 
stœtten  ou  cantons  forestiers  furent  des  premiers  à  s'engager  par  serment  à  s'aider 
mutuellement  et  à  se  défendre  en  cas  d'attaque.  C'est  cette  alliance  qui  leur  a  fait 
donner  le  nom  de  Confédérés  (Eidgenossen).  Ce  pacte  primitif,  du  42  août  4291, 
est  le  premier  document  écrit  que  l'on  possède  sur  la  ligue  ou  l'alliance  des  trois 
premiers  cantons  ou  cantons  primitifs  de  la  Confédération  suisse. 

g  VU.  La  première  Confédération  suisse. 

(De  rail  1307  A  l'an  f 332  de  J.-C.) 

CoDJaration  do  GrOlli.  —  Bataille  de  Morgarten.  —  Premier  pacte  fédéral,  ou  pacte  de 

Brannen  (1315). 

Les  événements  justifièrent  la  prévoyance  des  Waldstœtten.  Le  duc  Albert  de 
Habsbourg ,  déjà  souverain  de  rAutriche  et  des  nombreux  domaines  de  sa  maison, 
ayant  été  élu  empereur  en  4298,  forma  le  projet  de  soumettre  toute  THelvétie  à  son 
pouvoir,  pour  en  faire  une  propriété  héréditaire  de  sa  famille.  II  avait  besoin  de  ce 
pays,  qui  comprend  les  principaux  passages  des  Alpes,  pour  l'accomplissement  de  ses 
projets  sur  l'Italie.  Les  cantons  primitifs  s'opposèrent  avec  énergie  à  de  telles  pré- 
tentions. Ils  voulaient  bien  être  pays  d'empire  et  dépendre  de  l'empereur  ;  mais  ils 
n'entendaient  pas  que  leur  pays  devint  une  propriété  particulière,  qui  aurait  pu  être 
divisée  et  aliénée  sans  leur  consentement  et  par  le  bon  plaisir  du  souverain. 

La  ville  de  Berne  résista  avec  non  moins  d'énergie  aux  prétentions  d'Albert 
d'Autriche.  Ayant  tourné  ses  forces  contre  cette  ville,  il  fut  repoussé  avec  perte  et 
battu  avec  les  Fribourgeois ,  qui  le  soutenaient ,  au  Donnerbiihel ,  sur  la  route  de 
Fribourg,  le  2  mars  1298.  Les  habitants  des  Waldstœtten  n'ayant  pas  comme 
Berne  des  remparts  pour  les  protéger,  durent  accepter  les  baillis  qu'Albert  envoya 
chez  eux  pour  les  régir,  au  mépris  de  leurs  privilèges,  qui  leur  garantissaient  des 
magistrats  pris  dans  leur  pays.  Deux  de  ces  baillis,  Hermann  Gessler  et  Berenger 
de  Landenberg,  paraissent  s'être  rendus  particulièrement  odieux  ;  du  moins  leur  nom 
est-il  resté  dans  une  sorte  d'exécration  populaire.  Exaspérés  par  leur  tyrannie,  les 
Waldstœtten  résolurent  de  s'affranchir.  C'est  alors  que  WernerStauffacher  deSchwyii, 
Arnold  du  Melchthal  de  l'Unterwald,  et  Walter  Fûrst  d'Uri,  formèrent  le  projet  de 
sacrifier,  s'il  le  fallait,  leurs  biens  et  leurs  vies  pour  le  rétablissement  des  anciennes 
libertés  du  pays.  Ils  formèrent  avec  quelques  hommes  d'élite  de  chaque  vallée  use 
association,  où  l'on  entrait  en  se  liant  par  un  serment  (cùiijuraiio),  laquelle  était  ani- 
mée d'un  même  esprit  et  qui  poursuivait  un  mémo  but  (conspiraUo).  Les  conjurés  se 


LA    SUISSE   PITTORESQUE. 


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réunissaient  de  nuit  dans  un  lieu  écarté,  la  prairie  du  Mtli  ou  Grûtli,  située  sur  le 
bord  du  lac  des  Waldstœtten ,  et  là  ils  avisaient ,  sans  crainte  d'être  surpris ,  aux 
moyens  de  délivrer  leur  commune  patrie.  Ce  fut  là  que,  dans  la  nuit  du  7  novembre 
1307 ,  chacun  des  trois  chefs  de  la  conjuration  ayant  amené  avec  lui  dix  hommes 
d'un  courage  éprouvé ,  tous  levèrent  la  main  vers  le  ciel  et  jurèrent  :  a  d'entre- 
»  prendre  et  de  supporter  tout  en  commun  ;  de  ne  pas  souffrir  d'injustice ,  mais 
M  aussi  de  n'en  pas  commettre  ;  de  respecter  les  droits  et  les  propriétés  de  la  famille 
»  de  Habsbourg;  de  ne  faire  aucun  mal  aux  baillis,  mais  de  s'opposer  à  leurs  actes 
»  oppressifs,  et  de  les  éloigner  du  pays,  s'ils  persistaient  à  en  commettre.  » 

La  nuit  du  1*' janvier  1308  fut  fixée,  assure-t-on,  pour  l'exécution  des  projets 
du  Grûtli.  Mais  le  mouvement  fut  avancé  par  l'héroïsme  de  Guillaume  Tell,  qui, 
pour  défendre  sa  vie  menacée  de  la  manière  la  plus  arbitraire  et  la  plus  odieuse. 


Guillaume  Tell  épiant  le  passage  de  Gessler. 

perça  de  sa  flèche  le  bailli  Gessler.  Les  conjurés,  surpris  par  cet  événement  inat- 
tendu, hâtèrent  l'exécution  de  leur  plan.  Ils  s'emparèrent  des  châteaux  des  baillis 
par  force  ou  par  stratagème,  allumèrent  des  signaux  sur  les  hauteurs,  et  appelèrent 
les  populations  alpestres  à  l'insurrection.  Landenberg,  le  collègue  de  Gessler,  fut 
chassé,  et  les  forteresses  élevées  dans  le  pays  pour  le  tenir  opprimé  furent  rasées. 
L'empereur  Albert,  irrité  au  suprême  degré  de  cette  insurrection,  se  préparait  à 
aller  en  tirer  vengeance,  quand  il  périt,  au  passage  de  la  Reuss,  assassiné  par  son 
neveu  Jean  de  Souabe  et  par  des  nobles  de  l'Ârgovie  qui  avaient  à  se  plaindre  de  ses 
violences.  Cet  événement  fit  sortir  pour  longtemps  la  couronne  impériale  de  la 
maison  de  Habsbourg,  et  fut  très-favorable  à  l'émancipation  des  Waldstœtten.  Henri 
de  Luxembourg,  Louis  de  Bavière  et  d'autres  princes  qui  se  succédèrent  sur  le  trône 
impérial,  ne  firent  aucune  difficulté  de  confirmer  les  cantons  forestiers  dans  la 


20  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


jouissance  de  leurs  droits  traditionnels  ;  mais  la  maison  de  Habsbourg-Autriche  ne 
put  se  résoudre  si  vite  à  renoncer  à  ses  vues  ambitieuses.  La  lutte  entre  elle  el  les 
I)euples  des  Waldsta5tten  dura  deux  siècles,  et  tous  les  avantages  en  furent  pour 
ceux-là.  Au  mois  de  novembre  1315,  ces  intrépides  montagnards  remportèrent  au 
Morgarten,  près  du  peûi  lac  d'Egeri,  à  l'entrée  du  |)ays  deSchwytz,  leur  première 
victoire  sur  Léojïold'leGhrieiix,  fils  d'Albert  d'Autriche,  et  sur  la  noblesse  pesam- 
ment armée  de  la  Souabe  et  de  TAutriche.  La  même  année  encore  ils  conGrmèrent 
cl  étendirent  Talliance  du  Griitli  par  le  pacte  de  Brunnen,  qui  rendit  leur  Confédé- 
ration perpétuelle. 

I  VIIL  Formation  de  la  ligue  des  huit  anciens  cantons. 
(Deranl332àl390.) 

Après  avoir  reçu  au  Morgarlen  le  baptême  du  sang,  la  confédération  primitive 
des  trois  WaUistœUen  devint  un  centre  autour  duquel  se  rallièrent  bientôt  Lucerne 
en  1332,  Zurich  en  1351,  Claris  etZug  en  1352,  et  Berne  Tannée  suivante.  Dans 
cette  nouvelle  période,  dite  des  huit  anciens  cantons,  de  nouvelles  victoires  vinrent 
consolider  la  liberté  naissante  de  la  Suisse,  car  tel  fut  dès-lors  le  nom  de  THelvétie, 
emprunté  au  plus  considérable  des  cantons  qui  avaient  été  le  noyau  de  Talliance, 
le  canton  de  Schwytz.  La  victoire  de  Laupen  (1339),  remportée  par  les  Bernois, 
aidés  des  Waldsteetten ,  sur  la  noblesse  de  la  Suisse  occidentale ,  dévouée  à  TAu- 
triche,  prépara  Tacceptation  de  rimporlantc  ville  de  Berne  dans  la  Confédération. 

Les  confédérés,  durant  toute  la  première  période  de  leur  lutte  contre  TAutriche, 
firent  preuve  d'une  extrême  réserve  et  du  respect  le  plus  parfait  pour  les  droits 
d'autrui.  Quand  les  progrès  de  leurs  armes  ou  des  transactions  leur  procuraient  des 
agrandissements,  ils  attiraient  dans  leur  alliance  et  traitaient  sur  le  pied  de  l'égalité 
les  populations  des  territoires  nouvelleincnt  réunis.  Mais  cetle  modération  disparut  de 
leurs  principes  quand  la  brillante  victoire  de  Scmpaeh  (9  juillet  1386)  et  celle  de  Nœ- 
fels  (i  3  avril  1 389)  les  eurent  délivrés  de  toute  crainte  sérieuse  de  la  part  de  la  maison 
de  Habsbourg,  qui  avait  d'ailleurs  de  graves  afifaircs  en  Allemagne.  A  la  première  de 
ces  deux  batailles,  que  le  sublime  dévouement  d'Arnold  de  Winkelried  a  rendue  A 
jamais  célèbre,  le  duc  Léojwld  Ul  d'Autriche  périt  lui-môme  à  la  léte  de  ses  vassaux 
de  l'Argovie  et  de  la  Souabe. 

Ces  victoires  consolidèrent  la  liberté  suisse,  en  abattant  l'orgueil  de  l'Autriche. 
On  vil  la  noblesse  ambitionner  la  combourgeoisie  des  villes.  Celles-ci  augmentèrent 
leurs  territoires  par  l'achat  de  nombreuses  hypothèques  impériales  et  par  des  con- 
quêtes sur  les  seigneurs  voisins.  Gersau  s'allia  aux  Waldstœtten  ;  Soleure  devint 
ralliée  de  plusieurs  cantons.  Quelques  bases  de  la  confédération  primitive  furent 
modifiées.  C'est  ainsi  que  l'on  institua  un  arbitrage  fédéral  pour  régler  les  différends 
qui  pourraient  s'élever  entre  les  cantons ,  et  qu'il  fut  statué  que  les  traités  parti- 
culiers des  cantons  avec  l'étranger  seraient  soumis  à  l'approbation  générale.  Zurich, 
lors  de  son  admission ,  obtint  la  préséance  et  la  direction  des  affaires  fédérales.  Zug 
et  Claris  furent  admis  à  des  conditions  moins  favorables  que  Zurich,  car  ils  devaient 
souscrire  d'avance  à  tous  les  changements  qu'il  plairait  aux  autres  cantons  d'intro- 
duire dans  le  pacte  fédéral.  L'ordonnance  de  1370,  appelée  Pfalfenbrief  {le  code  des 
prêtres),  régla  la  juridiction  ecclésiastique.  Le  Conveimnl  ou  la  convention  de  Sem- 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  21 


pach  (1390)  perfectionna  l'organisation  militaire  et  défendit  aux  cantons  de  com- 
mencer des  hostilités  à  l'oLtérieur  sans  le  consentement  général. 

I IX.  Premières  conquêtes  des  Suisses.  —  Guerres  de  Bourgogne.  —  Admission 
DE  Fribourg  et  de  Soleure  dans  la  Confédération. 

(De  Fan  1390  à  ran  1481.) 

Depuis  leurs  grands  succès  sur  rAutriche  et  la  noblesse,  les  Suisses,  qui  jus- 
qu'alors n'avaient  fait  que  repousser  d'injustes  oppressions,  commençaient  à  devenir 
agresseurs  à  leur  tour.  Ils  convoitaient  les  vastes  domaines  de  la  maison  de  Habs- 
bourg dans  l'Argovie,  où  elle  avait  son  château  patrimonial,  et  dans  la  Thurgovie. 
Ils  portèrent  aussi  leurs  vues  sur  l'héritage  du  comte  de  Toggcnbourg  et  sur  les  dis- 
tricts fertiles  qui  s'étendent  sur  le  versant  méridional  des  Alpes  jusqu'au  lac  Majeur. 
Dans  celte  lutte,  leurs  armes  furent  encore  généralement  heureuses ,  en  dépit  de 
quelques  échecs.  Mais  les  habitants  des  provinces  conquises,  soit  par  tel  ou  tel  canton 
en  particulier,  soit  par  toute  la  Confédération,  loin  d'être  admis  au  bienfait  de  l'indé- 
pendance et  de  Y  autonomie,  reçurent  pour  administrateurs  des  baillis  nommés  par 
les  cantons  souverains. 

A  cette  époque  d'agrandissements  territoriaux  se  rapporlent  aussi  les  premières 
divisions  graves  qui  compromirent  l'unité  de  la  Confédération.  Ainsi,  pendant  une 
des  interminables  guerres  de  celle-ci  avec  l'Autriche,  Zurich  se  trouva  pendant 
dix  ans  (de  1440  à  1450)  en  hostilité  ouverte  avec  Schwytz,  dont  tous  les  autres 
cantons  avaient  pris  le  parti  et  adopté  les  couleurs.  Ce  serait  de  là,  selon  les  historiens, 
que  serait  venue  la  croix  fédérale  qui  figure  dans  les  armes  de  la  Suisse  et  dans 
l'écusson  de  Schwytz ,  comme  aussi  le  nom  de  Confédération  suisse  (Schweizerische 
Eidgenossenschaft),  bien  que  ce  nom  paraisse  remonter  plus  haut. 

Le  26  août  1444,  une  poignée  de  ces  montagnards,  retranchés  derrière  les  murs 
de  l'hospice  de  Saint-Jacques  sur  la  Birse,  près  de  la  ville  de  Bàle,  étonnèrent 
Louis  XI,  encore  dauphin,  par  l'héroïsme  de  leur  résistance  à  une  nombreuse  armée 
d'Armagnacs,  avec  laquelle  ce  prince  menaçait  leur  frontière. 

Mais  bientôt  un  orage  d'une  nature  plus  formidable  vint  fondre  sur  les  confédérés. 
Charles-k-Hardi  ou  le  Téméraire,  duc  de. Bourgogne,  le  plus  puissant  prince  de 
l'Europe  occidentale,  s'était  mis  dans  la  tcte  de  les  soumettre.  Le  grand  coup  qu'il 
méditait,  également  dirigé  contre  le  duc  de  Lorraine  et  les  villes  libres  d'Alsace, 
poussa  ces  alliés  des  Suisses  à  s'unir  encore  plus  étroitement  avec  eux  contre  Ten- 
nemi  commun.  Avec  environ  35,000  hommes  la  Confédération  reçut  le  choc  et 
marcha  à  la  rencontre  de  la  superbe  armée  des  Bourguignons.  La  Suisse,  à  l'instiga- 
tion de  Louis  XI,  prit  même  l'initiative  des  hostilités  à  Héricourt.  Complètement 
défait  dans  les  batailles  de  Grandson  et  de  Morat  (1476),  Charles-le-Téméraire, 
échappé  à  ces  terribles  désastres,  trouva  la  mort  l'année  suivante  sous  les  murs  de 
Nancy,  où  il  avait  encore  les  Suisses  à  combattre. 

Les  vainqueurs  rapportèrent  des  guerres  de  Bourgogne  un  immense  butin  ;  mais 
la  pureté  de  leurs  mœurs  et  de  leur  patriotisme  souiTrit  en  même  temps  de  l'attrait 
que  les  richesses  commencèrent  dès-lors  à  exercer  sur  eux.  Sortis  de  cette  lutte 
mémorable,  qui  leur  valut  aussi  un  grand  renom  militaire,  les  Suisses  se  décidèrent, 


2St  LA   SUISSE  PITTORESOUE. 


non  sans  de  vifs  débats,  terminés  par  Tintervention  du  pieux  Nicolas  de  Fine,  à 
s'adjoindre  deux  nouveaux  cantons,  Fribourg  et  Soleure,  en  1481,  tout  en  resser- 
rant les  liens  de  leur  alliance  avec  d'autres  villes  et  Etats  voisins.  Les  nouveaux 
alliés  avec  divers  cantons,  et  à  différents  titres,  étaient  Appenzell,  B&le,  l'abbé  de 
Saint-Gall ,  la  ville  de  Saint-Gall ,  Scbaffhouse,  le  Vallais ,  Bienne ,  les  Grisons  et 
Neuchàtel.  C'est  aussi  alors  que  les  Suisses  augmentent  le  nombre  de  leurs  sajets.  La 
vallée  Levantine  passe  sous  la  domination  d'Uri  et  d'Unterwald  ;  Berne  fait  la  con- 
quête de  l'Argovie;  Baden,  les  bailliages  libres,  la  Thurgovie,  sont  conquis  et  régis 
en  commun;  Morat,  Orbe,  Grandson,  Echallens,  trouvent  des  maîtres  dans  Berne  et 
Fribourg.  Des  princes  puissants  recherchent  l'alliance  des  Suisses  et  font  avec  eux 
des  capitulations  militaires.  La  France  donne  l'exemple  et  prodigue  de  l'or  en 
échange  de  soldats.  Le  goût  des  expéditions  aventureuses  se  propage.  L'esprit  de 
l'ancienne  Confédération  s'altère  et  se  perd.  La  réunion  orageuse  de  la  Diète  suisse 
à  Stanz  montre  que  des  principes  de  dissolution,  déposés  dans  le  sein  de  la  Confé- 
dération, ont  déjà  fait  de  rapides  progrès.  Par  le  Convenant  de  Stanz,  les  huit  anciens 
cantons  se  promettent  une  protection  mutuelle  et  le  maintien  de  leurs  constitutions 
respectives.  C'est  une  alliance  des  gouvernements  cantonaux  contre  les  peuples. 
S'ils  consentent  à  l'admission  de  Fril)ourg  et  de  Soleure,  c'est  avec  diverses  restric- 
tions et  sous  plusieurs  conditions,  celle  entre  autres  que  ces  deux  villes  ne  se  mê- 
leront pas  de  leurs  débats  particuliers. 

I X.  Confédération  des  treize  cantons. 
(De  l'an  1481  à  l'an  1513.) 

La  Confédération  suisse  était  arrivée  à  l'époque  de  sa  fortune  et  de  sa  gloire.  Son 
c|K)que  héroïque  était  passée.  Toutes  les  puissances,  à  l'imitation  de  la  France, 
recherchaient  l'amitié  des  cantons,  et  se  montraient  jalouses  d'obtenir  d'eux ,  pour 
leurs  guerres,  des  corps  d'infanterie  recrutés  parmi  ces  hommes  invincibles,  dont  le 
renom  avait  retenti  dans  toute  l'Europe.  Les  rois  de  France,  Venise,  Milan,  les 
I)apes,  les  empereurs,  l'Autriche  elle-même,  n'épargnent  ni  l'or,  ni  la  flatterie,  ni  la 
diplomatie,  pour  attirer  dans  leurs  intérêts  ces  petites  républiques.  Des  citoyens 
éloquents  et  éclairés  s'élèvent  en  vain  contre  l'établissement  de  ces  services  étrangers. 
Cet  usage  l'emporte,  et  la  valeur  militaire  des  Suisses,  sans  baisser  néanmoins,  perd 
l'auréole  de  pur  patriotisme  qui  l'avait  si  longtemps  entourée.  Le  rôle  politique  de 
la  Suisse  se  rapetisse  sous  l'influence  de  l'étranger.  Les  intrigues  de  la  diplomatie  se 
croisent  dans  les  cantons,  et  leur  font  méconnaître  l'intérêt  fédéral ,  le  premier,  le 
plus  sacré  de  tous. 

L'action  de  ces  ferments  de  discorde  devint  surtout  manifeste  après  une  nouvelle 
crise,  dans  laquelle  les  Suisses  s'étaient  vus  attaqués  pour  la  dernière  fois  dans  leur 
indépendance  politique  par  la  maison  d'Autriche.  L'empereur  Maximilien  1",  de  la 
maison  de  Habsbourg-Autriche,  ayant  vu  la  dignité  impériale  rentrer  dans  sa  famille, 
essaya  défaire  rentrer  les  Suisses  sous  la  dépendance  de  l'empire,  que  depuis  longtemps 
ils  ne  reconnaissaient  plus  que  de  nom.  Voulant,  disait-il,  rétablir  l'ordre  et  l'unité 
de  l'empire  germanique,  il  comprit  la  Confédération  suisse  dans  la  division  en  cercles 
qu'il  s'occupait  d'organiser.  Sur  le  refus  des  confédérés  de  se  prêter  à  ses  vues ,  il 


LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


23 


leur  déclara  la  guerre,  arma  contre  eux  la  ligue  de  Souabe,  en  1498,  et  les  attaqua 
simultanément  sur  toutes  leurs  frontières  du  nord  et  de  Test.  La  lutte  fut  vive ,  mais 
les  Suisses  en  sortirent  vainqueurs  après  une  bataille  livrée  aux  forces  impériales, 
dont  le  camp  fut  surpris  près  de  Dornach,  et  l'empire,  à  la  paix  de  Bàle  (22  septembre 
1499),  fut  obligé  de  se  désister  de  toutes  ses  prétentions  à  leur  égard.  La  réunion  de 


6arprise  du  camp  «iilrichieD,  k  lioroacb. 

Bâle  et  de  Schafifhouse,  en  1501,  et  celle  d'Appenzell,  en  1513,  portèrent  définitive- 
ment à  treize  le  nombre  des  cantons.  Ces  trois  nouveaux  cantons  furent  reçus  aux 
mêmes  conditions  que  Soleure  et  Fribourg.  Les  huit  anciens  conservèrent  toujours 
des  relations  plus  étroites. 

§  XI.  La  réforme  en  Suisse. 

(1519  à  1689.) 

En  Suisse,  comme  ailleurs,  Tévénement  le  plus  grave  du  siècle  fut  la  réformation 
religieuse.  Elle  fut  précédée  par  diverses  expéditions  militaires  au  dehors,  surtout  en 
Italie.  En  1512,  les  confédérés  firent  la  conquête  du  Milanais  pour  le  compte  du  faible 
Maximilien  Sforze,  et  en  1513  ils  remportèrent  sur  les  Français  de  Louis  XII  une 
victoire  éelalaote  à  Novarre.  Ils  restèrent  les  maîtres  de  celte  belle  contrée  jusqu'à 
la  bataille  de  Marignan  (1515),  qu'ils  perdirent  contre  François  P^  Ce  combat  de 
géants  leur  enleva  la  prépondérance  en  Italie;  mais  François  P%  rempli  d'admira- 
tion pour  leur  valeur,  conclut  avec  eux  en  1516  une  alliance  fmyélnelle . 


24  LA  SUISSE   PITTORESQUE. 


Cependant,  la  Suisse  était  devenue  le  théâtre  d'une  révolution  religieuse.  A 
Texemple  de  Luther  en  Allemagne,  Zwingle  à  Zurich,  Œcolampade  à  Bàle,  Farel 
et  Calvin  à  Neuch&tel  et  à  Genève,  entreprirent  de  réformer  la  Suisse.  Il  résulta  de 
cette  tentative  des  collisions  sanglantes.  Zwingle  fut  tué  en  1531,  à  Cappel,  où  les 
Zuricois  réformés  furent  défaits  par  les  cantons  restés  catholiques.  Les  querelles  de 
religion,  en  absorbant  pendant  longtemps  les  forces  de  la  Confédération,  achevèrent 
de  la  priver  de  toute  influence  &  Textérieur.  Mais  Berne,  poursuivant  le  système  de 
conquêtes  à  l'aide  des  idées  religieuses,  enleva  en  1535  et  1536  le  pays  de  Vaud  au 
duc  de  Savoie,  et  devint  de  beaucoup  le  canton  le  plus  puissant  de  la  Suisse. 

Lors  de  la  guerre  de  Trente  ans,  les  Grisons,  alliés  des  Suisses,  et  la  Valteline, 
pays  sujet  des  Grisons,  servirent  comme  de  champs-dos  aux  armées  de  TAutriche, 
de  l'Espagne  et  de  la  France.  Cette  guerre  politique  et  religieuse  se  termina,  en 
1648,  par  la  paix  de  Westphalie,  qui  fit  prendre  rang  à  la  Suisse  parmi  les  Etats 
souverains  de  l'Europe.  Sa  neutralité  fut  reconnue.  A  la  suite  de  ce  grand  événe- 
ment, la  tranquillité  intérieure  fut  plusieurs  fois  compromise,  notamment  en  1653, 
par  la  guerre  des  imymns.  C'était  une  tentative  des  populations  des  campagnes  pour 
se  soustniire  à  l'oppression  des  villes  souveraines  et  des  Conseils  patriciens.  L'insur- 
rection fut  étouffée  par  la  mort  de  Leuenberg;  mais  elle  laissa  des  traces  profondes. 

La  Suisse  dès-lors  cessa  de  faire  des  conquêtes.  Elle  vit  la  France  se  rsq)procher 
de  ses  frontières  par  la  conquête  de  la  Franche-Comté,  dont  elle  avait  repoussé  l'al- 
liance en  1480.  L'ambition  de  Louis  XIV  fit  adopter  à  la  Diète  un  plan  éventuel  de 
défense  appelé  le  Défemiimnal^  qui  réglait  le  contingent  militaire  des  cantons,  des 
sujets  et  des  alliés.  La  révocation  de  l'édit  de  Nantes  procura  à  la  Suisse  un  surcroit 
considérable  de  population  protestante. 

§  XII.  La  Suisse  au  xYin*"  siècle. 

(1700  à  1708.) 

La  guerre  civile  de  religion  qui  signala  les  premières  années  du  XVIIl*  siècle  fut 
suivie  d'une  paix  qui  assura  la  prépondérance  de  Zurich  et  de  Berne,  et  fixa  sur  le 
pied  d'une  égalité  complète  les  droits  des  cantons  catholiques  et  réformés.  Vint 
ensuite  une  période  de  près  d'un  siècle,  dans  laquelle  on  vit  éclater  des  troubles  sur 
plusieurs  points  du  territoire.  Leur  cause  était  la  même,  savoir  l'inégalité  dans  les 
différentes  classes  de  citoyens.  Tantôt  c'est  à  Zurich,  ou  dans  le  pays  de  Vaud,  à  Berne, 
à  Schaffhouse,  dans  la  Levantine,  que  l'on  signale  ces  causes  de  malaise.  On  distin- 
guait en  Suisse  trois  sortes  de  personnes  :  les  nobles,  les  bourgeois  et  les  paysans. 
Zurich  était  la  ville  directoriale  ou  le  Vorort,  Les  Diètes  s'assemblaient  tantôt  dans 
un  endroit  et  tantôt  dans  un  autre,  le  plus  souvent  à  Baden  ou  à  Frauenfeld.  I^es 
alliés  (ztigewandte  Orle)  l'étaient  à  différents  titres  :  quelques  uns  étaient  représentés 
dans  les  Diètes  ;  d'autres  n'avaient  d'alliances  qu'avec  certains  cantons.  Les  sujets 
relevaient  d'un  nombre  plus  ou  moins  grand  de  cantons.  Quelques  cantons,  Berne 
en  particulier,  avalent  aussi  leurs  sujets  à  eux,  entre  autres  l'Argovie  et  le  pays  de 
Vaud. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  iH 


%  XIII.  La  Suisse  pendant  la  révolution. 

(1796  à  1803.) 

Telle  était  la  situation  de  la  Suisse,  quand  éclata  la  révolution  française,  qui  ne 
pouvait  manquer  de  trouver  dans  ce  pays  plus  de  retentissement  que  dans  aucun  Etat 
voisin.  Il  devint  très-difficile  pour  la  Confédération  de  faire  respecter  sa  neutralité. 
Les  gouvernements  cantonaux  redoublèrent  de  précautions,  afin  d'ôter  tout  prétexte 
à  l'intervention  étrangère.  Malheureusement  pour  eux,  il  importait  trop  au  Directoire 
de  se  rendre  maître  des  grands  passages  des  Alpes  et  d'établir  l'influence  de  la  France 
dans  un  pays  si  propre  à  couvrir  une  partie  de  ses  frontières.  Il  profita  donc,  au 
mois  de  janvier  1798,  de  l'état  du  pays  de  Vaud  insurgé  contre  les  autorités  bernoises, 
et  dont  les  habitants  reçurent  les  Français  comme  des  libérateurs.  Dès  les  premiers 
moments  de  cette  intervention,  les  populations  sujettes  des  autres  cantons  se  soule- 
vèrent comme  à  un  signal  donné.  Ce  soulèvement  les  empêcha  de  prêter  secours  à 
Berne,  dont  la  résistance,  bien  que  vive  et  désespérée,  fut  inutile  :  le  S  mars  1798, 
cette  ville  tomba  au  pouvoir  des  Français  avec  son  trésor,  et  sa  chute  entraîna  celle 
de  Toligarchie  qui  y  régnait,  et  des  cantons  primitifs,  qui  firent  une  défense  héroïque. 
Une  nouvelle  constitution,  élaborée  à  Paris,  fut  alors  imposée  à  la  Suisse.  Elle  sub- 
stituait le  régime  unitaire  au  régime  fédératif. 

La  Suisse  ne  devait  plus  former,  sous  son  ancien  nom  gaulois  A'Helvétie,  qu'une 
république  une  et  indivisible,  composée  de  dix-huit  cantons  égaux,  savoir  :  Léman, 
Fribourg,  Berne,  Soleure,  Bàle,  Ârgovie,  Baden,  Zurich,  SchaShouse,  Thurgovie, 
Sàntis,  Linth,  Waldstœtten,  Lucerne,  Oberland,  Vallais,  Bellinzone  et  Lugano. 
Genève,  l'évèché  de  Bàle,  Mulhouse,  furent  incorporés  dans  la  république  française. 
La  Valteline  fut  réunie  à  la  république  cisalpine.  Deux  chambres  l^slatives,  le  Sénat 
et  le  Grand  Conseil,  partageaient,  comme  en  France,  le  pouvoir,  avec  un  Directoire 
exécutif  de  cinq  membres. 

Cette  république  unitaire  était  à  peine  installée,  quand  la  Suisse  devint  le  théâtre 
de  la  guerre  entre  les  Français  et  les  Autrichiens  aidés  des  Russes,  guerre  à  laquelle 
prirent  part  les  confédérés,  soit  en  faveur  soit  contre  l'ordre  de  choses  nouveau.  La 
bataille  de  Zurich,  remportée  par  le  général  français  Masséna  sur  les  Austro-Russes 
(septembre  1799),  anéantit  promptement  l'espoir  que  les  partisans  de  l'ancien  ordre 
de  choses  avaient  conçu. 

Cependant,  le  nouveau  gouvernement,  privé  des  conditions  nécessaires  d'autorité 
et  de  dignité,  ne  sut  ni  gagner  la  confiance  des  cantons,  ni  celle  des  Français.  11  fut 
modifié  et  bouleversé  en  1800  et  en  1801 .  Aloys  Reding,  d'une  ancienne  famille  de 
Schwytz,  qui  s'était  distingué  comme  chef  des  montagnards  des  petits  cantons  contre 
les  Français,  entreprit  de  le  renverser  en  1802,  quand  le  départ  des  troupes  fran- 
çaises, à  la  suite  de  la  paix  d'Amiens,  eut  ranimé  les  espérances  du  cantonalisme. 
Le  Vallais  se  sépara  de  ses  confédérés.  La  plupart  des  cantons  s'insurgèrent  contre 
le  gouvernement  helvétique,  qui  fut  rejeté  de  Berne  à  Lausanne.  Une  Diète  générale, 
convoquée  à  Schwytz,  allait  traiter  des  bases  de  la  constitution  à  rétablir,  quand 
la  présence  des  drapeaux  français  fit  encore  tomber  une  fois  les  armes  des  mains 
des  partis. 

II.  s.  4 


Il 

96  LA   BUISBB   PITTOIIISQUE.  ' 


%  XIV.  La  Suisse  sous  l'Acte  de  médiation. 

(1803  i  1814.) 

Bonaparte,  premier  consul,  jugeant  ce  moment  décisif  pour  régler  Tétat  politique 
de  ia  Suisse,  intervint  à  titre  de  Médiateur,  et  manda  à  Paris  les  députés  des  cantons 
appartenant  aux  diverses  opinions.  VActe  de  médiation,  rédigé  à  Paris  en  1803  par  la 
Cmisulta  helvétique,  renfermait  non  seulement  la  constitution  générale  de  la  Suisse, 
mais  aussi  les  constitutions  particulières  des  dix-neuf  cantons,  dont  se  composa  la 
nouvelle  Confédération,  savoir  :  les  treize  anciens  cantons  et  les  six  nouveaux  d'Ar- 
govie,  de  Vaud,  du  Tessin,  de  Saint-Gall,  des  Grisons  et  de  Thurgovie. 

VActe  de  médiation  fut  un  compromis  entre  les  anciens  et  les  nouveaux  principes. 
Le  principe  de  la  nationalité  y  fut  consacré  par  l'espèce  de  représentation  proportion- 
nelle accordée  en  Diète  aux  grands  cantons  :  ceux  qui  comptaient  au  moins  cent 
mille  âmes  de  population  avaient  deux  voix.  D'un  autre  côté,  on  y  confirma  l'abo- 
lition des  rapports  de  souverains  à  sujets,  ainsi  que  celle  des  privilèges  et  des  droits 
exclusifs,  attribués  à  certaines  villes  ou  à  certains  pays.  On  y  conserva  aussi  le 
principe  du  rachat  des  dîmes  et  des  redevances  féodales.  Les  cantons  recouvrèrent 
leur  souveraineté  en  matière  d'administration  intérieure.  Les  différends  de  cantons  à  * 

cantons  étaient  portés  à  la  Diète,  qui  s'assemblait  alternativement  à  Fribourg,  Berne, 
Soleure,  Bàle,  Zurich  et  Lucerne,  et  dont  le  président  portait  le  titre  nouveau  de 
Landammann  de  la  Suisse.  La  Confédération  était  tenue  de  fournir  à  l'empereur  un 
contingent  de  12,000  hommes.  Elle  dut  à  l'Acte  de  médiation  dix  ans  de  tran- 
quillité. 

§  XV.  La  Suisse  sous  la  Restauration.  Pacte  fédéral  de  181  S. 

(1814  à  1830.) 

Rien  ne  paraissait  devoir  s'opposer  à  l'affermissement  progressif  de  cet  état  de 
choses,  quand  le  changement  subit  de  la  fortune  de  Napoléon  détermina  une  nouvelle 
violation  de  la  neutralité  helvétique.  Le  11  décembre  1813,  les  troupes  de  la  Sainte- 
Alliance  entrèrent  sur  le  territoire  suisse.  Cette  invasion  de  la  coalition  armée  contre 
la  France  avait  été  appelée  par  des  membres  des  anciennes  olygarchies  suisses,  qui 
s'empressèrent  de  poursuivre  auprès  des  alliés  la  réalisation  de  leurs  vues  réaction- 
naires. Ils  réussirent  en  partie.  Le  régime  aristocratique  fut  remis  en  vigueur  dans 
plusieurs  cantons  ;  mais  les  Etats  de  formation  nouvelle  tinrent  ferme  à  la  conserva- 
tion de  leur  existence  et  de  leur  liberté  cantonales. 

La  vivacité  de  cette  opposition  détermina  le  congrès  de  Vienne  à  prendre  pour 
base,  dans  le  Pacte  fédéral  qui  devait  être  substitué  à  l'Acte  de  médiation,  l'intégrité 
politique  et  territoriale  de  tous  les  dix-neuf  cantons.  Il  fut  arrêté  qu'en  dédomma- 
gement de  ses  sujets  d'Argovie  et  du  pays  de  Vaud,  perdus  à  jamais,  Berne  obtien- 
drait révêché  de  Râle  repris  sur  la  France,  tandis  qu'on  indemniserait  par  une 
somme  d'argent  les  autres  cantons  qui  avaient  des  réclamations  à  faire  valoir. 

Le  Vallais,  Neuchàtel  et  Genève,  trois  anciens  alliés  des  Suisses  qui  avaient  suivi 
les  destinées  de  la  France  impériale,  furent  réincorporés  dans  la  Confédération,  mais 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  97 


eo  qualité  de  cantons.  Le  20  novembre  4815,  les  grandes  puissances  garantirent 
collectivement  à  la  Suisse ,  par  le  traité  de  Paris,  la  neutralité  perpétuelle  de  son 
territoire.  Déjà  la  Diète  extraordinaire,  assemblée  depuis  le  mois  d'avril  1814,  avait 
adopté  le  nouveau  Pacte  fédéral,  le  7  août  1815. 

Ce  Pacte  offrait  la  reproduction  de  Tancien  système  fédératif,  avec  de  notables 
améliorations.  Les  vingt-deux  cantons  souverains  se  réunissaient  pour  le  maintien 
de  leur  liberté  et  de  leur  indépendance.  — 11  n'existait  plus  en  Suisse  de  pays  sujets. 

—  Les  cantons  ne  pouvaient  former  entre  eux  des  liaisons  préjudiciables  au  Pacte. 

—  Les  péages  étaient  conservés.  —  L'existence  des  couvents  et  chapitres,  et  la  con- 
servation de  leurs  propriétés,  étaient  garantis.  —  Gbaque  canton  menacé  dans  son 
intérieur  avait  droit  d'invoquer  l'assistance  fédérale.  —  La  première  autorité  fédé- 
rale était  la  Diète  (Tagsaizung  ou  Tagleistung),  composée  des  députés  des  vingt-deux 
cantons,  votant  d'après  les  instructions  de  leurs  gouvernements.  —  Chaque  canton 
n'avait  qu'une  voix,  quelles  que  fussent  sa  population,  ses  richesses  et  son  étendue. 

—  Lorsque  la  Diète  n'était  pas  réunie,  la  direction  des  affaires  fédérales  était  confiée 
à  un  Directoire  (Vorortjj  qui  alternait  tous  les  deux  ans  entre  les  cantons  de  Zurich, 
Berne  et  Luceme.  Le  président  du  Directoire  était  en  même  temps  président  de  la 
Diète,  et  avait  le  titre  A*Excellence.  Les  travaux  de  chaque  Diète  étaient  recueillis 
dans  un  volume  appelé  Recès  (Abschied).  —  L'armée  fédérale  se  composait  de  contin- 
gents cantonaux  dans  la  proportion  de  deux  soldats  sur  cent  âmes,  et  était  divisée 
en  iUley  réserve  et  landsturm.  Une  base  proportionnelle  était  également  admise  pour 
les  contingents  en  argent. 

Les  constitutions  cantonales  furent  modifiées  dans  le  sens  du  Pacte  de  1815. 


§  XVI.  La  Suisse  depuis  les  revolutioiNS  de  1831  jusqu'à  la  Constitution 

FÉDÉRALE   DE    1848. 
(1831  a  1848.) 

L'édifice  politique  élevé  par  les  hommes  de  1814  et  de  1815  ne  présentait  pas 
des  bases  de  solidité  et  de  durée,  puisqu'il  reposait  encore  sur  la  base  des  privilèges. 
Néanmoins,  jusqu'en  1830,  la  marche  générale  des  événements  en  Europe  retint  la 
politique  intérieure  de  la  Suisse  sous  l'influence  des  principes  de  la  Sainte-Alliance. 
La  censure  s'établit  même  dans  plusieurs  cantons.  Mais  l'opposition  contre  les  abus 
devint  si  forte,  que  même  avant  1830  elle  emporta  des  réformes  dans  diverses  con- 
stitutions cantonales.  La  révolution  française  de  juillet  vint  hâter  une  explosion 
générale.  L'hiver  de  1830  à  1831  vit  la  plupart  des  cantons  réformer  leurs  consti- 
tutions, soit  par  des  assemblées  constituantes,  soit  par  des  renouvellements  intégraux 
des  Grands  Conseils.  D'autres  cantons  restèrent  étrangers  à  ce  mouvement.  La  lutte 
entre  les  partisans  du  mouvement  et  ceux  du  statu  quo  fut  vive,  et  alla  jusqu'à  faire 
couler  le  sang.  L'intervention  fédérale  dut  se  déployer  à  Bàle,  à  Schwytz,  à  Neu- 
chàtel.  Dans  le  canton  de  Bàle  en  particulier,  le  conflit  entre  la  ville  et  la  campagne 
ne  finit  que  par  la  séparation  de  cet  Etat  confédéré  en  deux  demi-cantons,  comme 
c'était  déjà  le  cas  pour  Âppenzell  et  l'Unterwald. 

Les  réformes  cantonales  une  fois  opérées,  l'attention  publique  se  porta  sur  le  Pacte 


28 


LA  SUISSE  PITTORESQUE. 


fédéral,  qui  se  trouvait  en  désharmonie  avec  les  principes  de  liberté  et  d'alité  con- 
sacrés dans  les  nouvelles  constitutions  cantonales. 

La  question  de  la  révision  du  Pacte  fédéral  de  4  81 S  fut  introduite  à  la  Diète  de 
1831  par  l'Etat  de  Thurgovie.  En  1832,  la  Diète  de  Lucerne  fut  nantie  de  pétitions 
sur  cet  objet.  Une  Commission  fut  nommée,  qui  rédigea  un  projet  d'Acte  fédéral,  en 
120  articles,  connu  sous  le  nom  de  Projet  Rossi,  parce  que  le  professeur  Rossi, 
député  de  Genève,  était  le  rapporteur  de  cette  Commission.  En  1833,  ce  projet  fut 
révisé  par  la  Diète  de  Zurich  dans  un  sens  un  peu  moins  favorable  à  la  centralisa- 
tion. Mais  les  cantons  ne  purent  s'entendre  sur  une  révision  générale,  et  le  Vorort  de 
Zurich  pensa  qu'une  révision  partielle  conviendrait  peut-être  mieux.  En  1834,  cette 
importante  question  n'ayant  fait  aucun  progrès,  plusieurs  cantons  en  conclurent  que, 
vu  son  impuissance  constatée,  la  révision  du  Pacte  ne  pouvait  avoir  lieu  que  par  une 
Constituante  fédérale  nommée  par  le  peuple.  Â  la  Diète  de  1835,  la  nécessité  de  la 
révision  fut  de  nouveau  reconnue  par  treize  cantons  et  demi,  et  Berne,  Zurich, 
Lucerne,  St.-Gall,  Thurgovie,  Bàle-Campagne,  se  prononcèrent  pour  une  Consti- 
tuante. Mais  la  majorité  des  cantons  se  prononça  contre  ce  mode  de  révision. 

Tel  était  le  point  où  la  question  de  la  révision  était  parvenue,  lorsque  d'autres 
affaires  très-graves  vinrent  détourner  l'attention  publique  de  cet  objet.  Il  est  d'ail- 
leurs certain  que  cette  grande  réforme  ne  touchait  pas  assez  directement  à  la  situa- 
tion matérielle  des  cantons,  préoccupés  de  leurs  débats  particuliers,  pour  avoir  dès- 
lors  des  chances  de  succès.  Elle  inspirait  une  profonde  répugnance  aux  petits  cantons 
démocratiques,  dont  une  révision  dans  le  sens  d'une  représentation  proportionnelle 
à  la  population  des  Etats  confédérés  aurait  effacé  l'importance  historique  et  politique. 
De  plus,  elle  était  en  opposition  avec  les  intérêts  du  clergé  catholique,  parce  que  les 
exigences  financières  du  système  proposé  menaçaient  ses  biens  et  ses  revenus. 

Les  exigences  réitérées  des  puissances  étrangères  au  sujet  de  la  présence  des  réfu- 
giés en  Suisse,  les  notes  diplomatiques  qui  furent  échangée  à  ce  sujet,  les  griefs  par- 
ticuliers de  la  France  en  1836,  à  propos  de  l'espion  Conseil,  l'insistance  du  ministère 
Mole  à  demander,  en  1838,  l'éloignement  du  prince  Louis-Napoléon  Bonaparte, 
reconnu  en  Suisse  citoyen  du  canton  de  Thurgovie,  absorbèrent  la  Diète  et  les  Con- 
seils des  cantons  pendant  plusieurs  années.  Toutefois,  la  révision  du  Pacte  continua 
de  figurer  dans  les  Tractanda  ou  matières  à  traiter  dans  les  Diètes.  Les  troubles  sus- 
cités par  la  Conférence  de  Baden,  qui  voulait  amener  le  changement  des  rapports  de 
l'Etat  avec  l'Eglise  dans  les  cantons  catholiques,  amena  aussi  de  l'agitation.  La  sécu- 
larisation des  couvents  dans  le  canton  d'Argovie  alimenta  encore  ce  débat,  dans  lequel 
l'Autriche  se  trouva  incidemment  intéressée.  A  Zurich,  les  dissentiments  religieux 
entre  les  réformés  au  sujet  de  l'appel  du  professeur  Strauss,  auteur  de  la  Vie  de  Jésus, 
provoquèrent  au  mois  de  septembre  1839  un  soulèvement,  qui  entraîna  une  révolu- 
tion dans  le  gouvernement  à  la  suite  du  triomphe  de  l'orthodoxie.  Des  tentatives 
réactionnaires  furent  réprimées  dans  le  Tessin  ;  mais,  dans  le  Yallais,  les  avantages 
remportés  par  les  libéraux  du  Bas- Yallais  en  18&0  se  convertirent  en  184&  en  une 
défaite  pour  les  vainqueurs.  Le  Haut-Yallais  fit  la  loi.  En  1845,  la  question  de  l'appel 
des  Jésuites  à  Lucerne  excita  une  très- vive  agitation,  et  amena  plusieurs  révolutions 
cantonales  dans  le  sens  radical,  entre  autres  dans  les  cantons  de  Yaud  et  de  Berne, 
à  la  suite  des  malheureuses  expéditions  des  corps-francs  contre  Lucerne.  En  18&6, 


LA    SU1S8B   PITTORESQUE.  99 


une  révolution  eut  lieu  à  Genève  dans  le  même  sens,  pour  vaincre  la  résistance 
des  Conseils,  qui  ne  voulaient  pas  donner  les  mains  au  renvoi  de  ces  religieux. 

En  18&7,  une  majorité  de  douze  voix  s'étant  enfin  formée  dans  la  Diète  pour 
décider  le  renvoi  des  Jésuites,  la  minorité  protesta  et  forma  une  alliance  séparée  (Son- 
derbund),  qu'il  fallut  réduire  par  les  armes.  Alors  eut  lieu  la  guerre  dite  du  Sonder- 
bund,  qui  excita  dans  les  pays  voisins  de  la  Suisse  un  très- vif  intérêt,  et  qui  ne  fut 
pas  étrangère  aux  grands  mouvements  qui  eurent  lieu  alors  en  Europe,  et  entre 
autres  à  la  révolution  française  de  février  4848. 

§  XYIl.  Changement  de  la  Constitution  fédérale. 

(1848  à  1854.; 

La  victoire  de  la  majorité  des  cantons,  en  faisant  cesser  la  résistance  des  petits 
cantons  à  une  révision  quelconque  du  Pacte  fédéral,  et  les  révolutions  européennes 
de  18&8,  en  écartant  l'opposition  de  la  diplomatie  des  grands  cabinets  qui  ne  vou- 
laient pas  entendre  parler  d'un  changement  radical  dans  la  Constitution  de  la  Suisse, 
rendirent  extrêmement  facile  la  révision  de  cette  Constitution.  Le  Pacte  fédéral  de 
181 S  fut  abandonné  par  tout  le  monde.  Une  Commission  nombreuse  fut  nantie  de  la 
question  de  la  réforme  de  ce  Pacte  dans  la  Diète  de  48(8.  La  question  la  plus  vive- 
ment discutée  et  disputée  fut  celle  des  autorités  fédérales.  Le  député  de  Zurich 
(M.  Zebnder)  voulait  une  Chambre  unique  ;  Argovie  (M.  Frey-Hérosé)  partageait 
cette  opinion.  Le  système  des  deux  Chambres  l'emporta,  grâce  surtout  au  député  de 
Genève  (M.  James  Fazy),  qui  combattit  celui  d'une  seule  Chambre,  comme  condui- 
sant la  Suisse  au  régime  unitaire  qui  lui  est  antipathique.  La  nouvelle  Constitution 
fédérale  fut  acceptée  par  quinze  Etats  et  demi,  savoir  :  Zurich,  Berne,  Luceme, 
Claris,  Fribourg,  Soleure,  Bàle  (ville  et  campagne),  Schaffhouse,  St.-Gall,  les  Gri- 
sons, Argovie,  Thurgovie ,  Yaud ,  Neuchàtel ,  Genève  et  Appenzell-Rhodes-Exté- 
rieures. 

Soumise  à  la  ratification  des  populations  dans  les  divers  cantons,  la  Constitution 
élaborée  par  la  dernière  Diète  suisse  rencontra  d'assez  vives  oppositions.  En  général, 
les  Grands  Conseils  lui  furent  plus  favorables  que  les  assemblées  électorales.  Ainsi, 
dans  le  Yallais,  tandis  que  le  Grand  Conseil  adoptait  le  projet  de  Constitution  fédé- 
rale à  la  presque  unanimité  (70  voix  contre  7),  il  était  rejeté  par  la  majorité  du 
peuple,  surtout  dans  le  Haut- Yallais.  Dans  le  canton  du  Tessin  la  même  chose  arri- 
vait, et  le  Grand  Conseil,  tout  en  se  prononçant  pour  l'acceptation,  réservait  formel- 
lement une  indemnité  pour  la  suppression  de  ses  péages  intérieurs,  que  la  centrali- 
sation des  droits  de  péages  supprimait.  Dans  les  cantons  de  Schwytz,  d'Uri,  de  Zug, 
d'Unterwald  (Haut  et  Bas),  le  peuple  se  soumit  à  la  nouvelle  Constitution,  en  cédant 
à  la  force  inévitable  des  circonstances. 

Toutefois,  la  majorité  du  peuple  suisse  se  prononça  pour  l'acceptation,  comme  le 
prouva  le  rapport  qui  fut  soumis  à  la  Diète,  dans  sa  séance  du  12  septembre  1848, 
sur  le  résultat  de  la  votation  dans  les  vingt-deux  cantons.  L'arrêté  suivant  fut  en  con- 
séquence adopté  : 

«  Considérant  qu'il  résulte  de  la  vérification  exacte  des  procès-verbaux  sur  la 
votation  qui  a  eu  lieu  dans  tous  les  cantons,  que  la  Constitution  de  la  Confédération 


30  LA   SUISSE   PITTORiSQUE. 


guîase,  délibérée  par  la  Diète,  a  été  approuvée  et  acceptée  par  quiiue  cantons  el 
demi,  représentant  ensemble  une  population  de  1 ,897,887  âmes,  par  conséquent  la 
grande  majorité  des  citoyens  suisses  actifs,  ainsi  que  la  grande  majorité  des  vingt- 
deux  cantons  ; 

»  La  Diète  arrête  :  La  Constitution  fédérale  de  la  Confédération  suisse,  délibérée 
par  la  Diète  du  45  mai  au  27  juin  1848,  et  soumise  1  la  votation  de  tous  les  cantons, 
est  déclarée  solennellement  acceptée  et  reconnue  comme  loi  fondamentale  de  la  Con- 
fédération suisse.  )) 

La  Diète  resta  en  fonctions,  ainsi  que  le  Directoire  fédéral,  jusqu'à  l'installation 
de  l'Assemblée  fédérale  instituée  par  la  Constitution  nouvelle.  Cette  installation  eut 
lieu  le  6  novembre  18&8,  et  le  Pacte  fédéral  de  1815  cessa  alors  d'exister. 

Le  28  novembre,  cent  et  un  coups  de  canon  annoncèrent  aux  habitants  de  la  ville 
de  Berne  que  les  deux  Conseils  formant  l'Assemblée  fédérale,  savoir  :  le  Conseil 
National,  élu  par  le  peuple  en  proportion  de  la  population  des  cantons,  et  le  Conseil 
des  Etats,  élu  par  les  Grands  Conseils  ou  les  législatures  cantonales,  avaient  résolu  la 
question  du  choix  du  chef-lieu  de  la  Confédération  en  faveur  de  Berne,  la  capitale 
du  plus  grand  des  cantons.  Le  29,  la  Diète,  avant  de  se  séparer,  vota  une  procla- 
mation au  peuple  suisse,  qui  se  terminait  ainsi  : 

«  Citoyens,  chers  confédérés  ! 

u  Ne  nous  le  dissimulons  pas,  l'horizon  est  encore  couvert  de  nuages,  et  dans  un 
prochain  avenir  peut-être  nous  aurons  encore  bien  des  tourmentes  à  surmonter.  Ce 
qui  importe  avant  tout  dans  ces  temps  difficiles,  c'est  l'accord  indissoluble  du  peuple 
et  des  autorités,  pour  travailler  de  toutes  leurs  forces  au  bonheur  de  la  Confédéra- 
tion, au  maintien  de  l'honneur,  de  la  dignité  et  de  l'indépendance  de  la  nation.  » 

Effectivement,  la  mise  en  vigueur  de  la  nouvelle  Constitution  fédérale  ne  fut  pas 
exempte  de  difficultés  et  d'entraves.  A  l'extérieur,  les  divers  mouvements  révdu- 
tionnaires  qui  surgirent  en  Italie,  en  Allemagne  et  dans  d'autres  pays,  à  la  suite  de 
la  révolution  française  de  février  18&8,  réagirent  sur  la  Suisse.  Un  moment,  un  parti 
eut  quelque  velléité  d'intervenir  dans  ces  contrées,  surtout  en  Lombardie,  dans  le 
sens  de  la  révolution  ;  mais  le  grand  parti  de  la  neutralité  l'emporta.  La  Suisse  ne 
put  cependant  pas  empêcher  l'entrée  sur  son  territoire  d'une  foule  de  réfugiés  et  de 
proscrits  politiques.  Elle  dut  même  recevoir  à  sa  frontière  du  nord  une  portion  de 
l'armée  républicaine  badoise,  battue  et  refoulée  par  les  Prussiens  accourus  au  secours 
du  grand-duc.  L'hospitalité  à  donner  à  tant  d'hommes  armés  et  mécontents,  dans 
des  moments  très-difficiles,  ne  fut  pas  exempte  de  dangers  et  d'embarras.  D'un  autre 
côté,  l'Autriche  ne  cessait  de  se  plaindre  des  secours  et  des  encouragements  que  ses 
sujets  d'Italie,  révoltés  contre  la  couronne  impériale,  trouvaient  dans  les  cantons  du 
Tessin  et  des  Grisons.  Enfin,  la  France  réclamait  contre  le  séjour  des  réfugiés  politi- 
ques dans  les  cantons  occidentaux,  surtout  dans  ceux  de  Yaud  et  de  Genève.  Le  gou- 
vernement fédéral,  nouvellement  installé,  parvint  à  conjurer  tous  ces  orages,  dont  le 
plus  sérieux  fut  le  blocus  mis  par  l'Autriche  aux  frontières  du  canton  du  Tessin, 
blocus  qui  interrompit  totalement,  pendant  l'année  1853  et  une  partie  de  1854,  les 
rapports  internationaux  et  de  commerce  entre  la  Lombardie  et  le  canton  du  Tessin. 
La  Suisse  dut  entretenir  à  grands  frais,  et  assez  inutilement,  un  commissaire  fédéral 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  31 


en  permanence  à  cette  frontière.  Le  blocus  ne  fut  levé,  au  milieu  de  188&,  que  grâce 
aux  événements  de  la  guerre  d'Orient,  qui  imposèrent  à  TÂutriche  une  nouvelle 
politique. 

D'un  autre  côté,  à  l'intérieur,  plusieurs  cantons,  et  surtout  les  cantons  frontières, 
se  plaignaient  de  la  lourdeur  des  droits  d'entrée  et  de  péages  que  la  nouvelle  Con- 
stitution fédérale  imposait  à  toutes  les  marchandises  venues  du  dehors.  La  souverai- 
neté cantonale,  blessée  de  la  perte  de  plusieurs  de  ses  prérogatives  et  de  ses  attribu- 
tions, sacrifiées  par  la  Constitution  fédérale  de  1848,  faisait  aussi  entendre  des  plaintes 
assez  amères.  Quelques  tentatives  de  réaction  eurent  lieu  à  Fribourg  et  sur  quelques 
autres  points.  Mais  la  Suisse  sentait  trop  généralement  le  besoin  de  rester  tranquille 
dans  la  situation  embarrassée  où  se  trouvait  l'Europe,  et  elle  était  encore  sous  une 
impression  encore  trop  vive  des  dangers  qu'elle  avait  courus  récemment,  pour  se 
lancer  de  nouveau  dans  la  carrière  des  agitations  et  des  révolutions.  On  peut  dire 
que  c'est  grâce  à  ce  concours  de  circonstances  extérieures  et  intérieures,  bien  plus 
qu'à  l'excellence  des  institutions  fédérales  actuelles,  que  la  Suisse  a  dû  de  conserver 
l'ordre  et  la  paix  qui  en  font  encore  en  ce  moment  un  des  pays  les  plus  tranquilles 
et  les  plus  calmes  de  l'Europe  ^ 

EusÈBB-H.  Gaullieur. 


i.  Nous  ayoDs  beaucoup  emprunté,  pour  la  première  parUe  de  ce  résumé,  i  deux  exceUents 
arUcles,  publiés  par  M.  Henri  Drubt,  membre  du  Conseil  fédéral,  dans  VAlnumaeh  national  de 
i844  et  de  1845. 


STATISTIQUE   GÉNÉRALE, 


CONSTITUTION  FÉDÉRALE  ACTUELLE. 

Nous  avons  rapporté,  dans  le  résumé  historique  qui  précède,  comment  l'on  est 
arrivé  à  la  révision  complète  du  Pacte  et  à  Tadoption  d'une  nouvelle  Constitution 
fédérale.  L'importance  de  cet  acte  nous  engage  à  en  donner  ici  un  résumé  de  quelque 
étendue. 

Dispositions  générales.  —  La  Confédération  a  pour  but  d'assurer  l'indépendance  de 
la  patrie  contre  l'étranger,  de  maintenir  la  tranquillité  et  l'ordre  à  l'intérieur,  de  pro- 
téger la  liberté  et  les  droits  des  confédérés,  et  d'accroître  leur  prospérité  commune.  — 
Les  cantons  sont  souverains,  en  tant  que  leur  souveraineté  n'est  pas  limitée  par  la 
Constitution  fédérale.  —  Tous  les  Suisses  sont  égaux  devant  la  loi  ;  il  n'y  a  ni 
sujets,  ni  privilèges  de  lieux,  de  naissance,  de  personnes  ou  de  familles.  —  La  Con- 
fédération garantit  aux  cantons  leurs  territoires,  leurs  constitutions,  la  liberté  et  les 
droits  du  peuple,  ainsi  que  les  droits  et  les  attributions  que  le  peuple  a  conférés  aux 
autorités.  Â  cet  effet,  les  cantons  sont  tenus  de  demander  à  la  Confédération  la  ga- 
rantie de  leurs  constitutions.  Cette  garantie  est  accordée,  pourvu  que  celles-ci  ne  ren- 
ferment rien  de  contraire  à  la  Constitution  fédérale,  qu'elles  assurent  l'exercice  des 
droits  politiques  d'après  les  formes  républicaines,  représentatives  ou  démocratiques, 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  33 


qu'elles  aient  été  acceplées  par  le  peuple,  et  qu'elles  puissent  être  révisées  lorsque  la 
majorité  absolue  des  citoyens  le  demande. 

Toute  alliance  particulière  d'une  nature  politique  est  interdite  entre  les  cantons; 
mais  ceux-ci  ont  le  droit  de  conclure  entre  eux  des  conventions  sur  des  objets  de 
législation ,  d'administration  et  de  justice  ;  toutefois,  ils  doivent  les  porter  à  la  con- 
naissance de  l'autorité  fédérale ,  laquelle ,  si  les  conventions  renferment  quelque 
chose  de  contraire  à  la  Confédération  ou  aux  droits  des  autres  cantons,  est  autorisée 
à  en  empêcher  l'exécution.  —  La  Confédération  a  seule  le  droit  de  déclarer  la 
guerre  et  de  conclure  la  paix ,  ainsi  que  des  alliances  ou  traités  de  commerce  avec 
les  Etats  étrangers.  Toutefois,  les  cantons  conservent  le  droit  de  conclure  avec  ces 
derniers  des  traités  sur  des  objets  concernant  l'économie  publique ,  les  rapports  de 
voisinage  ou  la  police. 

Tout  Suisse  est  tenu  au  service  militaire.  Une  loi  fédérale  détermine  l'organi- 
sation générale  de  l'armée.  Il  ne  peut  être  conclu  de  capitulations  militaires.  —  La 
Confédération  n'a  pas  le  droit  d'entretenir  des  troupes  permanentes.  Nul  canton  ne 
peut  avoir  plus  de  300  hommes  de  troupes  permanentes ,  sans  l'autorisation  du 
pouvoir  fédéral;  la  gendarmerie  n'est  pas  comprise  dans  ce  nombre.  Dans  le  cas 
d'un  danger  subit  provenant  du  dehors ,  le  gouvernement  du  canton  menacé  doit 
requérir  le  secours  des  Etats  confédérés ,  et  en  avertir  immédiatement  l'autorité 
fédérale.  Les  cantons  requis  sont  tenus  de  prêter  secours.  Les  frais  sont  supportés 
parla  Confédération.  —  En  cas  de  troubles  à  l'intérieur,  ou  lorsque  le  danger  pro- 
vient d'un  autre  canton ,  le  gouvernement  du  canton  menacé  doit  en  aviser  immé- 
diatement le  Conseil  fédéral ,  afin  qu'il  puisse  prendre  les  mesures  nécessaires  ou 
convoquer  l'Assemblée  fédérale.  En  cas  d'urgence,  le  gouvernement  est  autorisé  à 
requérir  le  secours  d'autres  Etals  confédérés,  et  ceux-ci  sont  tenus  de  le  prêter.  — 
Lorsque  le  gouvernement  est  hors  d'état  d'invoquer  ce  secours ,  l'autorité  fédérale 
peut  intervenir  sans  réquisition;  elle  est  tenue  d'intervenir  lorsque  les  troubles 
compromettent  la  sûreté  de  la  Suisse.  Les  frais  sont  supportés  par  le  canton  qui  a 
requis  l'assistance  ou  occasionné  l'intervention. 

Ce  qui  concerne  les  damnes  relève  de  la  Confédération.  Celle-ci  a  le  droit,  moyen- 
nant une  indemnité ,  de  supprimer  en  tout  ou  en  partie  les  péages  sur  terre  ou  sur 
eau,  les  droits  de  transit,  de  chaussée,  de  pontonnage ,  et  autres  droits  de  ce  genre 
accordés  ou  reconnus  par  la  Diète,  soit  que  les  droits  appartiennent  aux  cantons  ou 
qu'ils  soient  perçus  par  des  communes ,  des  corporations  ou  des  particuliers.  Les 
droits  de  chaussée  et  les  péages  qui  grèvent  le  transit  sont  rachetés  dans  toute  la 
Suisse.  —  La  Confédération  pourra  percevoir  à  la  frontière  des  droits  d'importation, 
d'exportation  et  de  transit.  La  liberté  du  commerce  des  denrées,  du  bétail  et  des 
marchandises,  ainsi  que  des  autres  produits  du  sol  et  de  l'industrie,  leur  libre  sortie 
et  leur  libre  passage  d'un  canton  h  l'autre,  sont  garantis  dans  toute  l'étendue  de  la 
Confédération.  Les  cantons  ne  pourront,  sous  quelque  dénomination  que  ce  soit, 
établir  de  nouveaux  péages  ;  ils  sont  cependant  autorisés  à  percevoir  des  droits  de 
consommation  sur  les  vins  et  autres  boissons  spiritueuses,  pourvu  que  leur  percep- 
tion ne  grève  nullement  le  transit. 

La  Confédération  se  charge  de  l'administration  des  postes  dans  toute  la  Suisse. 
Elle  indemnise  les  cantons  pour  la  cession  qu'ils  lui  font  de  leur  droit  régalien.  L'in- 

II,  3.  5 


54  LA   SUISSE   PITTOBE80CR. 


violabililé  du  secret  des  lettres  est  garantie.  —  La  Confédération  exerce  tous  les 
droits  compris  dans  la  régale  des  monnaies,  et  peut  seule  faire  frapper  le  numéraire. 
Une  loi  fédérale  fixera  le  pied  monétaire ,  ainsi  que  le  tarif  des  espèces  en  circu- 
lation. —  La  Confédération  introduira  Tuniformité  des  poids  et  mesures.  —  La 
fabrication  et  la  vente  de  la  poudre  à  canon  appartiennent  exclusivement  à  la 
Confédération. 

La  Confédération  garantit  à  tous  les  Suisses  de  Tune  des  c^onfessions  chrétiennes 
le  droit  de  s'établir  librement  dans  toute  retendue  du  territoire  suisse.  Pour  s'établir 
dans  un  autre  canton  que  celui  auquel  il  appartient,  un  Suisse  doit  simplement  être 
muni  d'un  acte  d'origine,  d'un  certificat  de  bonnes  mœurs,  et  prouver,  s'il  en  est 
requis,  qu'il  est  en  état  de  s'entretenir  lui  et  sa  famille.  On  ne  peut  exiger  de  lui  un 
cautionnement.  —  Tout  citoyen  d'un  canton  est  citoyen  suisse.  En  s'établissant 
dans  un  autre  canton,  le  Suisse  entre  en  jouissance  de  tous  les  droits  des  citoyens  de 
ce  canton,  à  l'exception  de  celui  de  voter  dans  les  affaires  communales,  et  de  la  par- 
ticipation aux  biens  des  communes  et  des  corporations.  11  peut  y  exercer  les  droits 
politiques  pour  les  afCsiires  fédérales,  et,  après  un  séjour  de  deux  années  au  plus,  il  a 
le  même  droit  relativement  aux  affaires  cantonales.  11  ne  peut  être  renvoyé  que  par 
sentence  du  juge  en  matière  pénale  et  par  ordre  des  autorités  de  police,  s'il  a  perdu  ses 
droits  civiques  et  a  été  légalement  flétri,  si  sa  conduite  est  contraire  aux  mœurs,  et 
s'il  tombe  à  la  charge  du  public.  —  Nul  ne  peut  exercer  des  droits  politiques  dans 
plus  d'un  canton.  Aucun  canton  ne  peut  priver  un  de  ses  ressortissants  du  droit  d'ori- 
gine et  de  cité.  Les  étrangers  ne  peuvent  être  naturalisés  dans  un  canton  qu'autant 
qu'ils  seront  affranchis  de  tout  lien  envers  l'Etat  auquel  ils  appartiennent. 

Le  libre  exercice  du  culte  des  confessions  chrétiennes  reconnues  est  garanti  dans 
toute  la  Confédération.  Toutefois,  les  cantons  et  la  Confédération  pourront  toujours 
prendre  les  mesures  propres  au  maintien  de  l'ordre  public  et  de  la  paix  entre  les 
confessions.  —  La  liberté  de  la  presse  est  garantie.  Toutefois,  les  lois  cantonales 
statuent  les  mesures  nécessaires  à  la  répression  des  abus  ;  ces  lois  sont  soumises  à 
l'approbation  du  Conseil  fédéral.  —  Le  droit  de  pétition  est  garanti.  Il  en  est  de 
même  du  droit  de  former  des  associations,  pourvu  qu'il  n'y  ait,  dans  le  but  de  ces 
associations  ou  dans  les  moyens  qu'elles  emploient,  rien  d'illicite  ou  de  dangereux 
pour  l'Etal. 

Les  jugements  définitifs  rendus  dans  un  canton  sont  exécutoires  dans  toute  la 
Suisse.  Nul  ne  peut  être  distrait  de  son  juge  naturel  ;  il  ne  pourra  donc  être  établi  de 
tribunaux  extraordinaires.  —  La  peine  de  mort  ne  pourra  être  prononcée  pour  cause 
de  délit  politique.  —  Une  loi  fédérale  statuera  sur  l'extradition  des  accusés  d'un 
canton  à  l'autre;  toutefois,  l'extradition  ne  peut  être  rendue  obligatoire  pour  les 
délits  politiques  et  ceux  de  la  presse.  —  Une  loi  fédérale  déterminera  à  quels 
cantons  ressortissent  les  gens  sans  patrie,  dits  heimaihloses,  —  La  Confédération  a 
le  droit  d'expulser  les  étrangère  qui  compromettent  la  sûreté  intérieure  ou  extérieure 
de  la  Suisse.  —  L'ordre  des  jésuites  et  les  sociétés  qui  lui  sont  affiliées  ne  peuvent 
être  reçus  dans  aucune  partie  de  la  Suisse. 

Autorités  fédérales.  —  L'autorité  suprême  de  la  Confédération  est  exercée  par 
VÂssenibUe  fédérale,  qui  se  compose  de  deux  sections  ou  Conseils,  savoir  :  le  Conseil 
national  et  le  Conseil  des  Etats. 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  3S 


Le  Conseil  national  se  compose  des  députés  du  peuple  suisse,  élus  à  raison  d'un 
membre  par  chaque  20,000  âmes  de  la  population  totale.  Les  fractions  en  sus 
de  10,000  âmes  sont  comptées  pour  20,000.  Les  élections  pour  le  Conseil  national 
sont  directes;  elles  ont  lieu  dans  des  collèges  électoraux  fédéraux,  qui  ne  peuvent 
être  toutefois  formés  de  parties  de  différents  cantons.  Tout  Suisse  ftgé  de  20  ans  est 
électeur  et  éligible ,  s'il  n'est  point  exclu  du  droit  de  citoyen  actif  par  la  législation 
du  canton  où  il  a  son  domicile.  Toutefois,  les  ecclésiastiques  ne  sont  pas  éligibles, 
et  les  Suisses  devenus  citoyens  par  la  naturalisation  ne  sont  éligibles  qu'après  cinq 
ans  de  possession  du  droit  de  cité.  —  Le  Conseil  national  est  élu  pour  trois  ans,  et 
renouvelé  intégralement.  Le  Conseil  national  choisit  dans  son  sein,  pour  chaque 
session,  un  président  et  un  vice-président.  Les  membres  du  Conseil  national  sont 
indemnisés  par  la  caisse  fédérale. 

Le  Conseil  des  Etats  se  compose  de  44  députés  des  cantons.  Chaque  canton  nomme 
deux  députés.  Dans  les  cantons  partagés,  chaque  demi-état  en  élit  un.  Le  Conseil 
des  Etats  choisit  dans  son  sein,  pour  chaque  session ,  un  président  et  un  vice-prési- 
dent. Le  président  et  le  vice-président  ne  peuvent  être  élus  parmi  les  députés  du 
canton  dans  lequel  a  été  choisi  le  président  pour  la  session  ordinaire  précédente.  Les 
députés  au  Conseil  des  Etats  sont  indemnisés  par  les  cantons. 

Les  affaires  de  la  compétence  du  Conseil  national  et  du  Conseil  des  Etats  sont  les 
lois  et  décrets  pour  la  mise  en  vigueur  de  la  Constitution  fédérale,  notamment  sur  la 
formation  des  cercles  électoraux  et  le  mode  d'élection,  sur  l'organisation  et  le  mode 
de  procéder  des  autorités  fédérales,  ainsi  que  sur  la  formation  du  jury  ;  —  l'élection 
du  Conseil  fédéral,  du  Tribunal  fédéral,  du  chancelier,  du  général  en  chef,  du  chef 
de  rétat-major-général ,  et  des  représentants  fédéraux  ;  la  reconnaissance  d'Etats  et 
de  gouvernements  étrangers  ;  les  alliances  et  traités  avec  les  Etats  étrangers  ;  l'ap- 
probation des  traités  conclus  par  les  cantons  entre  eux  ou  avec  les  Etats  étrangers, 
mais  seulement  dans  le  cas  où  le  Conseil  fédéral  ou  un  autre  canton  élève  des  récla- 
mations; les  mesures  pour  la  sûreté  extérieure,  ainsi  que  le  maintien  de  l'indépen- 
dance et  de  la  neutralité  de  la  Suisse  ;  les  déclarations  de  guerre  et  la  conclusion  de 
la  paix  ;  la  garantie  des  constitutions  et  du  territoire  des  cantons  ;  les  mesures  pour 
la  sûreté  intérieure  et  le  maintien  de  l'ordre  ;  l'amnistie  et  l'exercice  du  droit  de 
grâce;  les  mesures  pour  faire  respecter  la  Constitution  fédérale  et  assurer  la  garantie 
des  constitutions  cantonales. 

Les  attributions  des  deux  Conseils  comprennent  encore  les  dispositions  législatives 
touchant  l'organisation  militaire  fédérale,  l'instruction  des  troupes ,  les  prestations 
des  cantons ,  l'établissement  de  l'écheUe  des  contingents  d'hommes  et  d'argent  ;  les 
diiq)Osiiion8  l^slatives  sur  l'administration  et  l'emploi  des  fonds  de  guerre,  la  levée 
des  contingents  d'argent,  les  emprunts,  le  budget  et  les  comptes;  les  lois  et  décrets 
concernant  les  péages,  les  postes ,  les  monnaies,  les  poids  et  mesures ,  la  fabrication 
et  la  vente  de  la  poudre  à  canon,  des  armes  et  des  munitions  ;  les  réclamations  des 
cantons  et  des  citoyens  contre  les  décisions  ou  mesures  prises  par  le  Conseil  fédéral  ; 
les  différends  entre  les  cantons,  lorsqu'ils  touchent  au  droit  public;  les  conflits  de 
compétence  ;  la  révision  de  la  Constitution  fédérale. 

Les  deux  Conseils  s'assemblent  chaque  année  une  fois  en  session  ordinaire  ;  ils 
sont  extraordinairement  convoqués  par  le  Conseil  fédéral,  ou  sur  la  demande  du  quarl 


36  LA   SlISSE   PITTORESQUE. 


des  membres  du  (Conseil  national  ou  sur  celle  de  cinq  cantons.  —  Un  Conseil  ne 
peut  délibérer  qu'autant  que  les  députés  présents  forment  la  majorité  absolue  du 
nombre  total  de  ses  membres.  Dans  chacun  des  deux  Conseils,  les  délibérations  sont 
prises  à  la  majorité  absolue  des  votants.  Les  lois  et  les  arrêtés  fédéraux  ne  peuvent 
être  rendus  qu'avec  le  consentement  des  deux  Conseils.  Les  membres  des  deux 
Conseils  votent  sans  instruction.  Chaque  Conseil  délibère  séparément.  Toutefois, 
lorsqu'il  s'agit  des  élections  mentionnées  ci-dessus,  d'exercer  le  droit  de  grftce,  ou  de 
prononcer  sur  un  conflit  de  compétence ,  les  deux  Conseils  se  réunissent  pour  déli- 
bérer en  commun,  sous  la  direction  du  président  du  Conseil  national,  et  c'est  la 
majorité  des  votants  des  deux  Conseils  qui  décide.  L'initiative  appartient  à  chaque 
Conseil  et  à  chacun  de  leurs  membres.  Les  séances  de  chacun  des  Conseils  sont  ordi- 
nairement publiques. 

L'autorité  directoriale  et  executive  supérieure  de  la  Confédération  est  exercée  par 
un  Coiuieil  fédéral,  composé  de  sept  membres.  Les  membres  de  ce  Conseil  sont  nom- 
més pour  trois  ans  par  1  Assemblée  fédérale  et  choisis  parmi  tous  les  citoyens  suisses 
éligibles  au  Conseil  national.  On  ne  pourra  toutefois  choisir  plus  d'un  membre  dans 
le  même  canton.  Les  membres  du  Conseil  fédéral  ne  peuvent  être  en  même  temps 
membres  du  Conseil  national  ou  du  Conseil  des  Etats.  Le  Conseil  fédéral  est  renou- 
velé intégralement  après  chaque  renouvellement  du  Conseil  national.  Le  Conseil 
fédéral  est  présidé  par  le  préshlenl  de  lu  Confédération.  Il  a  un  vice-président.  Le 
président  de  la  Confédération  et  le  vice-président  du  Conseil  fédéral  sont  nommés 
pour  une  année  par  l'Assemblée  fédérale  entre  les  membres  du  Conseil.  I^e  président 
sortant  de  charge  ne  peut  être  élu  président  ni  vice-président  pour  l'année  qui  suit. 
Le  même  membre  ne  peut  revêtir  la  charge  de  vice-président  deux  années  de  suite. 
Le  Conseil  fédéral  ne  peut  délil)érer  que  lorsqu'il  y  a  au  moins  quatre  membres 
présents. 

Les  principales  attributions  et  obligations  du  Conseil  fédéral  sont  les  suivantes  :  Il 
dirige  les  affaires  fédérales  conformément  aux  lois  et  décrets  de  la  Confédération.  Il 
veille  à  l'observation  de  la  Constitution,  des  lois  et  décrets  de  la  Confédération,  et  à  la 
garantie  des  constitutions  cantonales.  Il  présente  des  projets  de  lois  et  d'arrêtés  à 
l'Assemblée  fédérale,  et  donne  son  préavis  sur  les  propositions  qui  lui  sont  adressées 
par  les  Conseils  ou  par  les  cantons.  Il  pourvoit  à  l'exécution  des  jugements  du  Tri- 
bunal fédéral,  ainsi  que  des  transactions  ou  des  sentences  arbitrales  sur  des  différends 
entre  cantons.  Il  fait  les  nominations  que  la  Constitution  n'attribue  pas  à  une  autre 
autorité.  11  nomme  les  commissaires  pour  des  missions  à  l'intérieur  ou  au  dehors. 
Il  est  chargé  des  relations  extérieures.  Il  veille  à  la  sûreté  extérieure  et  intérieure 
de  la  Suisse,  et  au  maintien  de  la  tranquillité  et  de  l'ordre.  En  cas  d'urgence  et  lors- 
que l'Assemblée  fédérale  n*est  pas  réunie ,  il  est  autorisé  h  lever  les  troupes  néces- 
saires, sous  réserve  de  convoquer  immédiatement  les  Conseils,  si  le  nombre  des 
troupes  levées  dépasse  20,000  hommes  et  si  elles  restent  sur  pied  au-delà  de  trois 
semaines. 

Il  examine  les  lois  et  ordonnances  des  cantons  qui  doivent  être  soumises  à  son 
approbation  ;  il  exerce  la  surveillance  sur  les  branches  de  l'administration  cantonale 
que  la  Confédération  a  placées  sous  son  contrôle,  telles  que  le  militaire,  les  péages, 
les  routes  et  les  ponts.  Il  administre  les  ftnances  de  la  Confédération ,  propose  le 


.-••/>.  '  l 


TP.013PF.5     FftofeRALKS. 

Quijç,  Colonel  clélal-major. 


LA   SUISSE    PITTOBESQUE.  37 


budget,  et  rend  les  comptes.  Il  surveille  la  gestion  de  tous  les  Tonctionnaires  et  em- 
ployés ;  il  rend  compte  de  sa  gestion  à  l'Assemblée  fédérale ,  à  chaque  session  ordi- 
naire, et  lui  présente  son  rapport  sur  la  situation  de  la  Confédération,  tant  à  Tinté- 
rieur  qu'au  dehors. 

Les  affaires  du  Conseil  fédéral  sont  réparties  par  départements  entre  ses  membres. 
(]etle  répartition  a  uniquement  |)our  but  de  Taciliter  rexi)édition  des  affaires  :  les 
décisions  émanent  du  Conseil  fédéral  comme  autorité.  —  Une  chancellerie  fédérale, 
à  la  tète  de  laquelle  se  trouve  le  chancelier  de  la  Confédération ,  est  chargée  du 
secrétariat  de  TÀssemblée  fédérale  et  de  celui  du  Conseil  fédéral.  Le  chancelier  est 
élu  par  r Assemblée  fédérale  pour  trois  ans,  en  même  temps  que  le  Conseil  fédéral. 

Un  Tribunal  fédéral  est  chargé  de  l'administration  de  la  justice  en  matière  fédérale, 
li  y  a,  de  plus,  un  jury  pour  les  affaires  pénales.  Le  Tribunal  se  compose  de  onze 
membres,  avec  des  suppléants,  dont  la  loi  détermine  le  nombre.  Les  membres  et  les 
suppléants  sont  nommés  pour  trois  ans  par  l'Assemblée  fédérale.  Le  Tribunal  est 
renouvelé  intégralement  après  chaque  renouvellement  du  Conseil  national.  Le 
président  et  le  vice-président  du  Tribunal  sont  nommés  |iar  l'Assemblée  fédérale, 
chacun  pour  trois  ans,  parmi  les  membres  du  corps. 

Comme  Cour  de  justice  civile,  le  Tribunal  fédéral  connaît,  en  tant  qu*ils  ne 
touchent  pas  au  droit  public,  des  différends  entre  cantons,  entre  la  Confédération  et 
un  canton,  entre  la  Confédération  d'un  côté  et  des  corporations  ou  des  iiarticuliers  de 
l'autre,  enfin  des  différends  concernant  les  hehnathloses.  —  L'action  du  Tribunal 
fédéral  comme  Cour  de  jmtke  péimle  est  déterminée  par  une  loi  qui  sUUuc  sur  les 
Cours  d'assises  et  sur  la  casstition.  La  Cour  d'assises ,  assistée  du  jury,  connaît  des 
cas  concernant  les  fonctionnaires  déférés  à  la  justice  {)énale  par  l'autorité  fédérale 
qui  les  a  nommés;  des  cas  de  haute  trahison  envei*s  la  Confédération,  de  révolte  ou 
de  violence  contre  les  autorités  fédérales  ;  des  crimes  et  des  délits  contre  le  droit  des 
gens  ;  des  délits  politiques  qui  sont  la  cause  ou  la  suite  des  troubles  par  lesquels  une 
intervention  fédérale  armée  a  été  occasionnée.  L'Assemblée  fédérale  i)eut  toujours 
accorder  l'amnistie  ou  faire  grâce  au  sujet  de  ces  crimes  et  délits.  Le  Tribunal  connaît 
de  plus  de  la  violation  des  droits  garantis  par  la  présente  Constitution,  lorsque  des 
plaintes  à  ce  sujet  sont  renvoyées  devant  lui  par  l'Assemblée  fédérale.  La  législation 
peut  encore  placer  d'autres  affaires  dans  la  compétence  du  Tribunal  fédéral.  —  Une 
loi  déterminera  l'organisation  du  ministère  public,  ainsi  que  les  formes  de  la  procé- 
dure, qui  sera  publique  et  orale. 

Le  siège  des  autorités  de  la  Confédération  est  fixé  par  une  loi.  (Cette  loi  posté- 
rieure a  décidé  que  Berne  serait  le  siège  de  ces  autorités.)  —  Les  trois  principales 
langues  parlées  en  Suisse,  l'allemand,  le  français  et  l'italien,  sont  langues  natio- 
nales de  la  Confédération. 

I^  Constitution  peut  être  révisée  en  tout  temps.  Lorsqu'une  section  de  l'Assem- 
blée fédérale  décrète  la  révision,  et  que  l'autre  section  n'y  consent  pas ,  ou  bien 
lorsque  S0,000  citoyens  suisses  demandent  la  révision,  la  question  est  soumise  à  la 
votation  du  peuple  suisse.  Si  la  majorité  des  citoyens  suisses  prenant  part  à  la 
votation  se  prononce  pour  Taffirmative ,  les  deux  Conseils  seront  renouvelés  pour 
travailler  à  la  révision.  —  La  Constitution  fédérale  révisée  entre  en  vigueur  lors- 
qu'elle a  été  acceptée  par  la  majorité  des  citoyens  suisses  prenant  part  h  la  votation, 
et  parla  majorité  des  cantons. 


38 


LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


ORGANISATION  MILITAIRE. 

D*après  la  Constitution  Tédérale,  tout  Suisse  est  tenu  au  service  militaire.  L'armée 
fédérale  (loi  du  8  mai  1850)  se  compose  des  contingents  des  cantons;  elle  com- 
prend :  4^  Vêlile,  pour  laquelle  chaque  canton  fournit  trois  hommes  sur  400  ftmes 
de  population  suisse,  et  dans  laquelle  on  entre  après  20  ans  accomplis;  V  la  ré- 
serre, qui  est  de  la  moitié  de  Télile,  et  qui  se  compose  des  hommes  sortant  de  Télite. 
Cette  sortie  a  lieu  ordinairement  vers  TAge  de  ^8  ans,  et  au  plus  tard  à  34  ans.  En 
cas  de  danger,  la  f^onfëdération  peut  aussi  disposer  de  la  seconde  réserve  ou  land- 
nehr,  qui  se  compose  des  autres  forces  militaires  des  cantons,  et  qui  est  formée  des 
hommes  sortis  de  la  réserve  fédérale  et  n*ayant  pas  dépassé  leur  hV  année.  L'ef- 
fectif de  réiite  est  de  69,569  hommes,  et  celui  de  la  réserve  de  34,785  ;  ce  qui  forme 
un  total  de  404,354.  On  évalue  la  landwehr  à  un  chiffre  au  moins  semblable.  — 
IjCs  contingents  à  fournir  par  chaque  canton,  pour  chaque  espèce  d*armes,  sont 
Tixés  par  une  loi.  Cette  échelle  des  contingents  d*hommes  est  révisée  tous  les  vingt 
ans,  ainsi  que  celle  des  contingents  d'argent. 

Voici  réchelle  actuelle  des  deux  sortes  de  contingents,  telle  qu'elle  a  été  fixée 
après  le  recensement  de  4850  : 


CoalinKCot 
d'bommei. 


Zurich  ....    7,353 
Berne 13,840 


Lucerne.    .     . 
Uri.      .     .     . 
Schwylz.   . 
Unlerwald-Haut. 

»  Bas. 
Glaris.  .  .  . 
Zug.  .  .  . 
Fribourg.  .  . 
Soleure.  .  . 
Bâle- Ville. .  . 
Bàle-Campagne. 

  reporter. 


3,967 
429 

4,315 
410 
337 
898 
516 

2,955 

2,061 
682 

1,382 


Cootingent 

125,349 

229,112 

53,137 

1,450 

8.834 

1,932 

1,588 

7,553 

5,238 

39,956 

27,869 

29,698 

19,154 


35,845       550,870 


Report. 
Schailhouse.  .  . 
ÂppenzellRh.-Exl. 
»  Rb.-Inl. 
St.-Gall.  .  .  . 
Grisons.  .     . 

Argovie.  .  .  . 
Thurgovie.      .     . 

Tessin 

Vaud 

Vallais.  .  .  . 
Neuchàtel.  .  .  . 
Genève.     .     .     . 

Total. 


CooltDKent 
d'homiaM. 

35,845 
1,018 
1,294 
329 
4,990 
2,631 
5,905 
2,609 
3,298 
5,827 
2,392 
1,964 
1,467 


CttatioRcat 
d'arfent. 

550,870 
14,120 
17,448 
1,578 
67,850 
17,979 
99,926 
35,563 
35,327 
99,792 
16,812 
38,914 
44,902 


69,569   1,041,081 


Les  troupes  suisses  ne  sont  pas  divisées  en  régiments,  h'miité  tactique  pour  l'in- 
fanterie, c'est  le  batailbii,  lequel  est  formé  de  6  compagnies,  dont  2  de  chasseurs; 
pour  les  autres  armes,  l'unité,  c'est  la  compagnie.  Plusieurs  compagnies  ou  batteries 
d'artillerie,  réunies  sous  un  même  commandement,  forment  une  brigade  d'artillerie  : 
deux  compagnies  de  cavalerie,  réunies  de  même,  forment  un  escadron,  et  plusieurs 
escadrons  réunis  forment  une  brigade  de  cavalerie.  Plusieurs  bataillons  (ordinaire- 
ment 3  à  4)  forment  une  brigade  d'infanterie  ;  plusieurs  brigades  d'infanterie,  avec 
des  armes  spéciales,  forment  une  division  ;  enfin  pluaeurs  divisions  forment  un  corps 
d'armée. 

L'élite  et  la  réserve  réunies  comprennent  les  unités  tactiques  suivantes  .  12  com- 


LA   SUISSE    PlTTOBESgUE.  39 


pagnies  du  génie,  et  6  Ae  pontotmiers  ;  75  compagnies  d'artillerie  (soil  38  batteries 
attelées,  i  batteries  dites  de  montagne,  8  batteries  à  fusées,  13  compagnies  de  posi- 
tion, et  12  de  parc);  35  compagnies  de  dragons,  7  compagnies  et  9  demi  com- 
pagnies de  guides;  71  compagnies  de  mrabiniers;  105  bataillons  d'infanterie  et  20 
demi-bataillons,  plus  22  compagnies  isolées.  Ces  bataillons  incomplets  résultent  de 
Tobligation  de  répartir  les  contingents  entre  les  divers  cantons  d*après  Téchelle  fixée  ; 
mais,  comme  il  y  a  en  général  beaucoup  de  surnuméraires,  plusieurs  de  ces  demi- 
bataillons  sont  organisés  comme  des  bataillons  entiei^.  L'infanterie  est  munie  de 
fusils  à  percussion,  et  les  carabiniers  doivent  être  armés  d'une  carabine  dont  le 
modèle  a  été  perfectionné  tout  récemment  par  une  commission  d'experts,  tant  sous 
le  rapport  de  la  longue  portée  que  sous  celui  de  la  justesse. 

Les  officiers  formant  les  cadres  des  unités  tactiques  sont  nommés  et  promus  par 
les  gouvernements  cantonaux  et  d'après  les  lois  cantonales.  Mais  il  y  a  en  outre  un 
état-major  fédéral  ;  les  officiers  qui  le  composent  sont  nommés  et  promus  par  le 
Conseil  fédéral  ;  les  cantons  peuvent  adresser  à  celui-ci  des  présentations,  de  même 
que  le  commandant  en  chef  et  les  colonels  inspecteurs.  —  Le  plus  haut  grade 
des  officiers  qui  composent  l'état-major  fédéral  est  celui  de  colonel.  L'état-major 
général,  et  ceux  du  génie  et  de  l'artillerie,  comptent  ensemble  46  colonels,  43  lieu- 
tenants-colonels et  49  majors,  et  un  nombre  indéterminé  d'officiers  subalternes.  Il  y  a 
enfin  des  états-majors  spéciaux  pour  l'administration  de  la  justice,  pour  le  commis- 
sariat et  pour  le  service  de  santé. 

Les  cantons  ont  à  pourvoir  à  ce  que  l'infanterie  de  leur  contingent  soit  complète- 
ment instruite  conformément  aux  prescriptions  des  règlements  fédéraux.  Chaque 
année,  l'élite  et  la  réserve  fédérales  sont  inspectées  par  des  colonels  fédéraux.  La  Con- 
fédération se  charge  de  l'instruction  des  troupes  du  génie,  de  l'artillerie,  de  la  cava- 
lerie et  des  carabiniers  ;  à  cet  effet ,  ces  troupes  sont  réunies  sur  divers  points,  où 
elles  sont  exercées  et  inspectées.  Il  y  a  en  outre  tous  les  deux  ans  un  rassemblement 
plus  considérable  de  troupes  de  toutes  armes.  Ce  rassemblement  a  lieu  quelquefois 
dans  les  plaines  de  Thoune,  qui  appartiennent  à  la  Confédération,  quelquefois  aussi 
sur  d'autres  points  convenables.  C'est  également  à  Thoune  que  se  tiennent  à  l'ordi- 
naire diverses  écoles  militaires  centrales,  comme  celle  destinée  au  perfectionnement 
des  officiers  d'état-major,  celle  des  instructeurs  en  chef  cantonaux ,  celle  du  génie,  etc . 
Celle-ci  a  été  pendant  bien  des  années  sous  la  direction  supérieure  du  général  Dufour. 

Lorsque  l'Assemblée  fédérale  met  sur  pied  une  brigade  ou  une  division ,  elle  en 
désigne  le  commandant.  Si  elle  met  sur  pied  une  partie  considérable  de  l'armée 
fédérale,  elle  désigne  le  commandant  en  chef  et  le  chef  d'état-major  général.  Le 
commandant  répartit  en  brigades,  en  divisions  et  en  corps  d'armée,  les  troupes  mises 
à  sa  disposition.  Il  nomme  les  commandants  des  corps  d'armée,  ceux  de  divisions  et 
de  brigades,  ainsi  que  l'adjudant-général.  Les  colonels  qui  ont  été  appelés  à  com- 
mander un  corps  d'armée  prennent  le  titre  de  général  et  le  conservent  dans  la  suite. 
C'est  ainsi  qu'à  la  tète  des  colonels  de  l'état-major  fédéral  figure  le  général  Dufour, 
qui  commanda  en  chef  les  troupes  fédérales  mises  sur  pied  dans  l'automne  de  1847 
pour  réduire  les  cantons  du  Sonderbund.  —  Les  militaires  blessés  ou  mutilés  au 
service  fédéral ,  les  veuves  et  les  orphelins  de  ceux  qui  ont  péri ,  reçoivent  une 
indemnité  ou  des  secours,  si  leur  position  l'exige.  Une  caisse  fédérale  a  été  formée  à 


hO  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


cel  effet  ;  la  majeure  partie  de  ses  fonds  résulte  d'un  legs  de  plus  de  l  ,200,000 
Trancs  fail  à  la  Confédération  par  M.  le  baron  de  Grenus,  originaire  du  canton  de 
Genève. 

l/arinée  suisse  est  en  général  bien  habillée  et  bien  équipée  ;  elle  peut  se  réunir 
facilement  en  très-peu  de  jours.  Sans  doute,  elle  n'est  pas  exercée  comme  le  sont  les; 
armées  permanentes ,  mais  on  peut  dire  que  chaque  milicien  possède  une  instruction 
militaire  bien  su|)érieure  ù  ce  que  pourraient  faire  supposer  le  peu  de  temps  consacré 
chaque  année  au  service,  et  la  faiblesse  des  sommes  consacrées  au  militaire  par  les 
cantons  et  par  la  Confédération.  —  La  population  mâle  de  20 à  kh  ans,  déduction 
faite  des  étrangei*s,  est  en  Suisse  de  ^22,000  individus.  En  supposant  qu'il  y  ait, 
comme  en  France,  25  conscrits  sur  100  qui  soient  impropres  au  service,  il  resterait 
3i6,S00  hommes  valides.  Il  faudrait  retrancher  encore  les  hommes  devenus  im- 
propres postérieurement  à  leur  20""  année.  Or,  tout  Suisse  valide  devant  être  soldat 
de  20  à  'i4  ans,  sauf  un  très-petit  nombre  d'exceptions  admises  à  raison  de  certaines 
fonctions,  il  en  résulte  que  l'armée  suisse,  y  compris  toutes  les  réserves  cantonales, 
doit  présenter  un  chiffre  assez  respectable. 

La  plus  grande  partie  des  frontières  de  la  Suisse  se  trouve  couverte  par  des  chaînes 
de  montagnes  ou  par  des  coui*s  d'eau  ;  sur  quelques  points  importants,  par  où  des 
corps  d'armée  |)ourraient  être  dirigés  |)our  ren\ahir,  des  travaux  permanents  de 
fortification  ont  été  établis  :  à  Aarberg,  sur  la  roule  de  Neuchàtel  à  Berne  ;  au  défilé 
de  St. -Maurice,  dans  le  Vallais;  à  celui  de  Bellinzone,  dans  le  Tessin:  et  à  celui  de 
Luziensteig,  non  loin  du  Rhin,  dans  le  canton  des  Grisons. 


JUSTICE  MILITAIRE. 

Un  état-major  judiciaire  est  chargé  de  l'administration  de  la  justice  militaire 
fédérale;  il  a  à  sa  tête  un  auditeur  en  chef  ayant  rang  de  colonel.  La  justice  est 
rendue  conformément  à  une  loi  fédérale  sur  la  justices  pénale,  en  date  du  27  août 
1881.  D'api*ès  cette  loi,  les  simples  fautes  de  discipline  sont  punies  par  les  supé- 
rieui*s  militaires  ;  quant  aux  délits  (terme  qui  comprend  aussi  les  crimes),  ils  sont 
jugés  par  des  tribunaux  militaires  assistés  d'un  jnrj.  11  doit  être  établi  un  tribunal 
militaire  dans  chaque  brigade  au  service  actif.  Chaque  tribunal  est  présidé  par  un 
grand-juge,  lequel  est  choisi  parmi  les  fonctionnaires  de  l'état-major  judiciaire  et 
préside  tous  les  tribunaux  d'une  même  division.  Il  est  composé  en  outre  de  deux 
juges  et  de  deux  suppléants,  nommés  |)ar  le  commandant  supérieur  parmi  tous  les 
officiers  de  la  brigade. 

Pour  composer  le  jury,  on  forme  trois  listes,  l'une  comprenant  tous  les  officiers 
de  la  brigade  (sauf  le  commandant  même  de  la  brigade) ,  une  seconde  comprenant 
tous  les  sous-officiers,  et  une  troisième  où  figurent  tous  les  caporaux  avec  4  simples 
soldats  tirés  au  sort  dans  chaque  compagnie.  On  tire  ensuite  au  sort,  dans  la  liste 
des  officiers,  14  noms,  et  7  dans  chacune  des  deux  autres,  ce  qui  fait  une  liste  de  28 
noms.  Chaque  partie  peut  récuser  h  officiers,  2  sous-officiers  et  2  caporaux  ou  sol- 
dats. Après  les  récusations  faites,  le  grand-juge  tire  au  sort,  entre  les  jurés  non 


Canonnier. 


TROUPFS    PftD^RALIlS. 

Carabinier. 


Chasseur. 


r-'K    \r    .V     / 


:n'  I 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  41 


récusés,  4  officiers,  2  sous^officiers  et  2  caporaux  ou  soldats,  et,  pour  les  ac<;usations 
capitales,  6  officiers,  3  sous-officiers  et  3  caporaux  ou  soldats. 

Cette  innovation,  qui  n'a  pas,  que  nous  sachions,  d'antécédent  sur  notre  continent, 
est  beaucoup  trop  récente  pour  qu'on  puisse  la  juger  dès  à  présent  d'après  les  résultats. 
Mais  on  peut  admettre  que  les  jurys,  composés  comme  il  est  indiqué  ci-dessus,  doivent 
être  en  moyenne  doués  d'une  intelligence  égale  à  celle  des  jurys  appelés  à  prononcer 
un  verdict  dans  les  affaires  non  militaires.  —  Une  autre  innovation  importante 
consiste  en  ce  que  tous  les  crimes  et  délits,  même  non  militaires ,  commis  par  des 
miliciens  en  tenue,  seront  jugés  par  les  tribunaux  militaires,  à  l'exemple  de  ce  qui 
a  lieu  pour  les  soldats  appartenant  aux  armées  permanentes.  —  La  procédure  est 
publique  et  orale.  Quant  aux  peines  fixées  par  la  loi,  elles  sont  passablement  rigou- 
reuses. 

La  loi  fixe  une  composition  spéciale  du  jury  pour  les  cas  où  il  s'agirait  de  juger 
le  général ,  le  chef  d'état-major-général ,  ou  le  commandant  d'un  corps  d'armée, 
d'une  division  ou  d'une  brigade.  Elle  établit  aussi  un  tribunal  de  cassation,  composé 
de  S  officiers,  dont  3  appartenant  &  l'état-major  judiciaire.  Au  commandant  en  chef 
appartient  un  droit  de  grâce  assez  étendu ,  mais  il  doit  en  délibérer  avec  les  trois 
officiers  les  plus  élevés  en  rang  après  lui,  et  avec  l'officier  supérieur  de  l'état-major 
judiciaire  présent  à  son  quartier-général. 

Les  cantons  doivent  mettre  cette  loi  à  exécution  pour  les  troupes  au  service  can- 
tonal. Toutefois,  ils  ont  la  facultéde  oréer  des  Conseils  de  discipline  pour  juger  une 
partie  des  fautes  disciplinaires;  quant  aux  délits;  ils  doivent  les  faire  juger  par  des 
tribunaux  assistés  du  jury;  du  reste,  une  latilude  leur  est  laissée  aussi  pour  l'en- 
semble de  l'organisation  ;  mais  ils  sont  tenus,  pour  la  composition  même  du  jury, 
d'observer  les  proportions  indiquées  plus  haut. 


CAPITULATIONS. 

Depuis  trois  ou  quatre  siècles,  les  Suisses  ont  eu  des  régiments  au  service  de 
diverses  puissances  étrangères,  en  particulier  au  service  de  France,  et  plus  tard 
à  celui  de  l'Espagne,  de  la  Hollande,  de  Rome  et  de  Naples.  Maintes  fois  leur  sang 
a  coulé  pour  la  défense  des  monarques  qu'ils  servaient.  Ainsi  l'on  connaît  l'hé- 
roïque défense  du  Louvre  au  40  août  1792.  Les  régiments  suisses  au  service  de 
France  furent  alors  renvoyés.  Sous  Napoléon,  la  Suisse  dut,  d'après  un  nouveau 
traité,  fournir  16,000  hommes,  qui  servirent  dans  les  armées  françaises.  En  1812,  ce 
corps  fit  partie  de  la  grande  armée,  et  il  s'illustra  particulièrement  lors  de  la  retraite 
au  passage  de  la  Bérésina.  Sous  la  Restauration,  de  nouvelles  capitulations  furent 
conclues  avec  le  gouvernement  français;  mais,  après  la  révolution  de  1830,  les 
Suisses  furent  de  nouveau  congédiés.  Les  services  capitules  avec  l'Espagne  et  la  Hol- 
lande ayant  aussi  cessé,  il  ne  restait  plus,  dans  ces  dernières  années,  de  capitulations 
qu'avec  les  Etats  de  Naples  et  de  Rome.  Dix  cantons  seulement  ont  pris  part  à  celles 
avec  Naples,  savoir  :  Berne,  Lucerne,  Uri ,  Schwytz,  Unlerwald,  Soleure,  Fribourg, 

11.3.  6 


42  LA   StlS8E    PITTOReSQlE. 


Grisons,  VallaisctÂppenzell  Rhodes-Intérieures.  Quelques-uns  de  œs  cantons  avûent 
en  même  temps  des  soldats  au  service  du  pape,  qui,  naturellement,  n'admettait  que 
des  catholiques.  C'est  surtout  à  la  bravoure  des  Suisses  que  le  roi  de  Naples  a  dû  le 
rétablissement  de  son  autorité  en  Sicile.  Les  Suisses  au  service  de  Rome  se  sont  dis^ 
tingués  aussi  lors  de  la  défense  de  la  ville  de  Vicence  contre  les  Autrichiens,  à  la  fin 
de  Tété  de  1848.  Mais,  lors  de  la  révolution  romaine,  leur  renvoi  fut  décrété.  Toute- 
fois la  république,  ayant  besoin  de  défenseurs,  le  licenciement  ne  fut  pas  immédiat, 
et  les  Suisses  prirent  part  à  la  défense  de  Rome  contre  les  Français.  Après  le  réta- 
blissement du  pape  au  Vatican,  un  certain  nombre  d'entre  eux  s'engagèrent  dans  les 
troupes  nationales  romaines,  mais  en  dehors  de  toute  capitulation. 

Cependant,  le  rôle  de  ces  soldats  républicains  répandant  leur  sang  pour  la  défense 
des  monarchies  absolues  paraissait  depuis  longtemps  à  beaucoup  de  citoyens  suisses 
tout-à-fait  incompatible  avec  l'honneur  national.  Aussi,  lors  de  la  discussion  de  la 
Constitution  fédérale  en  18&8,  la  majorité  de  la  Diète  décida-t-elle  qu'il  ne  pourrait 
plus  à  l'avenir  être  conclu  de  capitulations.  Celles  qui  existent  encore  actuelle- 
ment, et  qui  expirent  en  1855,  ne  pourront  donc  plus  être  renouvelées.  Mais,  après 
les  événements  de  Naples  et  de  Sicile  en  4848 ,  l'opinion  s'était  prononcée  encore 
plus  fortement  contre  les  capitulations,  et,  au  printemps  de  1849,  des  pétitions  éma- 
nant surtout  de  la  Suisse  occidentale  furent  adressées  à  l'Assemblée  fédérale  pour 
demander  qu'elles  fussent  rompues.  L'Assemblée  prit,  le  20  juin  1849,  un  arrêté  qui 
porte  que  l'existence  ultérieure  des  capitulations  militaires  est  incompatible  avec 
l'esprit  politique  de  la  Suisse  comme  république  démocratique,  et  elle  invita  le  Con- 
seil fédéral  à  ouvrir  sans  délai  les  négociations  nécessaires  en  vue  d'obtenir  la  rési- 
liation des  capitulations  encore  existantes.  Tout  recrutement  pour  service  militaire 
fut  interdit  dans  toute  l'étendue  de  la  Confédération. 

Mais,  quelques  jours  après,  le  ministre  napolitain  déclara  à  la  Confédération  que 
son  souverain  lui  avait  transmis  l'ordre  de  demander  le  maintien  des  capitulations 
dans  toute  leur  rigueur;  qu'il  attendait  cela  de  la  loyauté  du  peuple  suisse,  et  qu'en 
cas  de  refus  il  se  croirait  délivré  de  ses  engagements,  et  recourrait  aux  mesures  les 
plus  rigoureuses,  qui  ne  pourraient  être  considérées  que  comme  de  justes  représailles. 
Dès-lors,  tant  par  suite  de  celte  opposition  du  roi  des  Deux-Siciles  que  par  suite  des 
réclamations  de  quelques  gouvernements  cantonaux,  effrayés  des  charges  pécuniaires 
qui  résulteraient  de  l'obligation  d'indemniser  les  soldats  rappelés,  l'affaire  est  restée 
dans  le  statu  quo.  Néanmoins,  malgré  la  défense  expresse  de  l'Assemblée  fédérale  et 
les  mesures  prises  pour  empêcher  les  enrôlements,  un  grand  nombre  de  jeunes 
Suisses,  soit  par  goût  militaire,  soit  par  manque  d'occupation  dans  leur  pays,  con- 
tinuent à  aller  s'engager  en  Italie,  de  sorte  que  les  régiments  sont  maintenant,  i  oe 
qu'on  assure,  aussi  complets  que  jamais. 


ei 


POPULATION,  CULTES,  ÉMIGRATION,  etc. 

Lorsque  la  Dièlcfixa,  en  1817,  l'échelle  des  contingents  d'hommes  et  d'ai^nt. 
Ile  évaluait  la  population  totale  de  la  Suisse  à  1,689,000  habitants.  Cette  éva- 


LA    SUI8SR    PITTORESOrR. 


43 


luation,  qui  était  basée  sur  des  données  remontant  à  quelques  années  antérieures, 
devait  être  au-dessous  de  la  réalité.  D'après  le  i*ecensement  officiel  de  4837,  la  po< 
pulation  de  la  Suisse  était  de  2,490,258  âmes:  d'après  celui  de  mars  1850,  elle 
était  de  2,392,740. 

L'accroissement  dans  l'espace  de  43  ans  a  donc  été  de  202,482,  et  l'accroissement 
annuel  de  45,576,  ou  de  i  sur  447  habitants. 

Voici,  canton  par  canton,  le  résultat  de  ce  recensement  de  4850,  avec  les  propor- 
tions des  divers  cultes  : 

l'opnUlion         ProiekUnls  CaltioliqufS  Iaraélite«. 

toliile. 

Zurich 250,698  245,928  6,690  80 

Berne 488,301  403,768  84,045  488 

Luœrne 432,845  1,863  131,285  — 

Un 14,505  12  14,493  — 

Schwytz 44,168  188  44,013  — 

Unterwald-le-Haul.       .     .     .  13,799  16  13,783  — 

Unterwald-Ie-Bas 11,539  12  11,327  — 

Claris 30,213  26,281  3,952  — 

Zug 17,461  125  17,556  — 

Fribour^ 99,891  12,153  87,785  8 

Soleure 69,674  8,097  61,886  21 

Bâle-Ville 29,698  24,085  8,508  107 

Bàle-Campagne 47,885  38,818  9,052  15 

Schaffhouse 55,500  35,880  1,411  9 

Appenzell  Rhodes-Extérieures .  45,621  42,746  875  — 

Appenzell  Rhodes-Intérieures.  .  11,272  42  11,250  — 

Saint-GaU 169,628  64,192  105,570  65 

Grisons 89,898  51,855  58,059  1 

AiTgovie 199,852  107,194  91,096  1,562 

Thurgovie.    ......  88,908  66,984  21,921  5 

Tessin 117,759  50  117,707  2 

Vaud 199,875  192,228  6,962  '  588 

Vallais 81,559  465  81,096  — 

Ncuchâtel 70^53  64,952  5,570  234 

Genève 64^146  54,212  29,764  170 

Total.     2,392,740    971,809     1,417,786    3,148 

Ainsi,  la  population  protestante  compte  89  '/,,  habitants  sur  100,  la  population 
catholique  40  ^|^^,  et  la  population  Israélite  Vio-  On  peut  donc  dire  en  ternies  plus 
simples  que  les  '/,  des  Suisses  sont  protestants,  et  les  */,  catholiques.  Il  y  a  des  Israé- 
lites dans  16  cantons  ;  c'est  dans  celui  d'Argovie  qu'ils  se  trouvent  en  plus  grand 
nombre;  viennent  ensuite  ceux  de  Berne,  Vaud,  Neuchâtel,  Genève,  Bàle-Ville. 

Les  cantons  de  Zurich,  Vaud,  B&Ie,  Schaffhouse,  Glaris  et  Neuchâtel,  sont  presque 
exclusivement  protestants;  ceux  de  Luceme,  Un,  Schwytz,  Unterwald,  Zug,  Fri- 
boui^,  Soleure,  Vallais  et  Tessin,  sont  presque  exclusivement  catholiques.  Les 
autres  cantons  peuvent  être  appelés  mixtes.  Dans  ceux  de  Berne,  Thurgovie,  Gri- 


h  h  LA   SriSftE   PITTORESQUE. 


sons,  Appenzell  et  Genève,  c'est  la  foi  réformée  qui  domine;  dans  ceux  de  St.-Gall 
et  d'Argovie,  c'est  la  foi  catholique. 

Le  nombre  des  feux  est,  en  Suisse,  de  485,087  ;  celui  des  propriétaires  fonciers 
est  de  382,359. 

Au  nombre  des  2,392,740  habitants  de  la  Suisse,  sont  compris  71,570  étrangers 
et  2,498  heimathloses  ou  individus  qui  n'appartiennent  à  aucune  nationalité.  11  y  a 
en  outre  157,382  citoyens  suisses  qui  demeurent  dans  les  cantons  dont  ils  ne  sont 
pas  ressortissants,  et  qui  sont  comptés  dans  la  population  de  ces  cantons.  Sur  ce 
nombre,  les  *l^  environ  sont  établis;  les  autres  sont  de  simples  habitants. 

Les  étrangers  forment  à  peu  près  trois  pour  cent  de  la  population  générale.  Cet 
élément  étranger  est  réparti  d'une  manière  très-inégale  dans  les  divers  cantons;  les 
'^/ioo  ^  trouvent  dans  les  14  cantons  frontières.  Voici  ceux  où  il  fournit  la  plus 
forte  proportion  de  la  population  : 

SniMet 
RNbiijnl*.  EirtbRert  Heimathlotct         d'autre*  canton*. 

Bàle-Ville  compte  sur.     .     29,698  6,819  462  41,473 

Genève  id.     .     .     64,146  4S,142  407  9,444 

Neuchàtel  id.     .     .     70,753  4,980  307  24,434 


Ainsi,  sur  400  habitants  : 

SuiiMi         T.lal  (l«  «Iranucrt 
RtraaK.n.  d'tulrM  caolont.      .m  canlost.  Nalimus 

Bâle-Villea 23  39(38,6)      62  38 

Genève 24  14  38  62 

Neuchàtel 7  30  37  63 

Les  cantons  où  la  population  nationale  est  la  plus  forte,  sont  Luceme,  Schwytz, 
Claris  et  Vallais,  où  l'on  compte  96  nationaux  sur  100  âmes;  Berne,  Appenzell 
Rh. -Intérieures  et  Argovie,  95  ;  Uri,  Unterwald,  Grisons,  94. 

Sur  100  étrangers,  il  y  a  22  Français,  20  Sardes,  19  Badois,  12  Autrichiens 
(Lombards  compris),  12  Wûrtembergeois,  9  Allemands  d'autres  Etats,  et  6  Italiens, 
Anglais  ou  autres. 

Dans  le  chiffre  officiel  de  la  population  suisse,  n'ont  pas  été  compris  les  citoyens 
suisses  absents  du  territoire  de  la  Confédération.  D'après  les  registres  spéciaux 
ouverts  pour  y  inscrire  cette  catégorie  de  citoyens,  les  absents  seraient  au  nombre 
de  72,506,  dont  51 ,797  hommes,  20,301  femmes,  et  8  sans  indication  ;  ce  serait  le 
3  ^/o  de  la  population  entière.  Ce  nombre  est  à  peu  près  exactement  balancé  par  la 
population  étrangère  habitant  la  Suisse;  mais  il  doit  être  bien  inférieur  au  chiffre 
réel,  vu  la  difficulté  d'obtenir  des  renseignements  complets  à  ce  sujet.  Les  derniers 
tableaux  statistiques,  publiés  à  Berne  en  1854  par  le  I>épartement  fédéral  de  l'Inté- 
rieur, mais  toujours  basés  sur  le  recensement  de  1850,  indiquent  que  parmi  les 
absents  38,255  le  sont  avec  esprit  de  retour,  33,831  sans  esprit  de  retour,  et  720 
sont  sans  indication  à  cet  égard.  Le  Tessin  et  les  Grisons  sont  les  cantons  qui  comp- 
tent le  plus  grand  nombre  d'absents;  ils  fournissent  entre  eux  près  d'un  tiers  du 
nombre  total.  Sur  les  72,506  absents,  on  en  comptait  16,166  en  France,  7,276 
dans  l'empire  d'Autriche,  10,385  en  Italie,  7,409  en  Allemagne,  1139  dans  la 
Grande-Bretagne,  1670  en  Russie,  20,226  en  Amérique,  etc. 

D'après  un  rapport  du  Département  fédéral  de  l'Intérieur,  l'émigration  aux  Etats- 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  4S 


Unis  s'est  élevée  de  4841  à  18S0  annuellement  à  3500  ;  en  4851 ,  elle  a  été  de  6000, 
et  en  4852  de  7500.  Un  peu  moins  de  la  moitié  des  émigrants  appartiennent  au 
canton  de  Berne;  Argovie,  Schaffhouse,  Tessin,  Zurich,  sont  ceux  qui  en  fournis- 
sent le  plus  après  Berne.  —  La  Californie  compte  une  colonie  de  1500  Suisses.  — 
L'émigration  au  Brésil  est  de  2  à  300  par  année.  On  suppose  qu'à  la  fin  de  1853,  au 
moins  45,000  Suisses  devaient  se  trouver  sur  le  continent  américain,  dont  quelques 
milliers  avec  esprit  de  retour.  —  La  colonie  du  Sétif  commence  aussi  à  prendre  de 
l'extension. 

Les  chef&-lieux  les  plus  peuplés  de  la  Suisse  sont  :  Genève,  qui  compte  31,238 
habitants;  Berne,  qui  en  a  27,558;  Bàle,  27,313;  Lausanne,  17,108  (y  compris 
sa  banlieue);  Zurich,  17,040;  St.-Gall,  11,234;  et  Lucerne,  10,068.  Les  moins 
peuplés  sont:  Âppenzell,  avec  1516  habitants;  Stanz,  avec  1877;  et  Bellinzone,  avec 
1926.  Mais  la  Ghaux-de-Fonds,  dans  le  canton  de  Neuchàtel,  compte  12,638  habi- 
tants, et  occupe  ainsi  le  sixième  rang,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  chef-lieu  d'un  canton. 

La  population  totale  des  28  chefs-lieux  de  la  Suisse  (Bàle  et  Unterwald  ont 
chacun  2  che£s-lieux,  Âppenzell  et  Tessin  en  ont  3)  est  de  234,128,  soit  d'environ 
un  dixième  de  la  population  totale.  —  Franscini  compte  en  Suisse  92  villes  et  63 
bourgs,  et  il  évalue  le  nombre  des  villages  à  6800.  La  population  des  92  villes  et 
des  63  bourgs  est  de  492,600,  ou  d'environ  V s  de  la  population  totale;  il  y  a  donc 
4  habitant  des  villes  pour  4  habitants  des  campagnes. 

La  population  étant  de  2,392,740  âmes,  et  la  surface  de  la  Suisse  étant,  d'après 
Franscini,  de  4748  lieues  carrées  (la  lieue  suisse  est  de  4800  mètres) ,  il  en  résulte 
qu'il  y  a  en  Suisse  4370  âmes  par  lieue  carrée;  ce  serait  4480  par  lieue  carrée  de 
France,  3288  par  mille  carré  d'Allemagne,  et  205  par  mille  géographique  d'Italie. 
D'après  les  tableaux  statistiques  qui  viennent  d'être  cités,  la  surface  de  la  Suisse  n'est 
que  de  4732  lieues  carrées;  la  population  par  lieue  carrée  est  alors  de  4384  âmes. 
Les  cantons  qui  ofirent  la  population  la  plus  condensée  sont  :  Genève,  où  l'on  compte 
5473  âmes  par  lieue  carrée;  AppenzeU  Rhodes-Extérieures,  4494;  Bdle-Ville  et  Bdle- 
Campagfne  réunis,  3484  {Bdle-Ville  seul  comfie  48,564  âmes  par  lieue)  ;  Zurich,  3472  ; 
Argovie,  3287.  Les  cantons  où  la  population  relative  est  la  plus  faible  sont  :  les  Gri- 
sons, avec  299  habitants  par  lieue  ;  Uri,  avec  309,  et  Vallais,  avec  425. 

Sous  le  rapport  du  genre  de  vie,  on  peut  distinguer  la  population  suisse  en  trois 
classes  principales  :  la  population  pastorale,  la  population  agricole,  et  la  population 
commerçante  et  industrielle.  La  première  habite  les  hautes  vallées  et  les  plateaux  des 
montagnes,  et  se  voue  essentiellement  aux  soins  des  troupeaux  et  aux  diverses  occu- 
pations qui  s'y  rapportent.  Cette  population  est  en  partie  à  demi-nomade,  beaucoup 
de  bei^ers  passant  le  printemps,  l'été  et  l'automne  sur  des  pâturages  différents.  Elle 
est  douée  en  général  d'une  robuste  constitution  et  d'une  haute  taille.  C'est  parmi 
cette  population  que  l'on  trouve  les  types  les  plus  remarquables.  On  reconnaît  géné- 
ralement que  le  plus  beau  peuple  de  la  Suisse  est  celui  du  Hasli,  dans  l'Oberland  ber- 
nois, qu'une  tradition  qui  se  conserve  encore  dans  le  pays  fait  descendre  d'une  origine 
suédoise.  On  peut  citer  comme  venant  en  seconde  ligne,  sans  être  de  beaucoup  infé- 
rieures à  la  précédente,  les  peuplades  qui  habitent  les  parties  hautes  des  cantons 
d'Uri  et  d'Unterwald,  la  vallée  de  l'Emmenthal  au  canton  de  Lucerne,  les  monta- 
gnes d'Âppenzell,  de  Fribourg  et  du  Haut-Vallais. 


46  LA   StlSftE   PnrORESQLE. 


La  population  agricole  habite  les  vallées  inférieures  des  Alpes,  ainsi  que  la  partie 
la  moins  montagneuse  de  la  Suisse  entre  les  Alpes  et  le  Jura.  On  trouve  aussi  chez 
elle  quelques  races  très-vigoureuses,  comme  les  cultivateurs  de  Montreux,  etc.  Mais 
dans  certaines  contrées  basses,  privées  de  bonne  eau  ou  trop  peu  éclairées  du  soldl, 
une  partie  de  la  population  est  affligée  de  diverses  infirmités;  on  y  trouve  des  goi- 
treux et  des  idiots  ou  crétins,  particulièrement  dans  les  vallées  basses  d'Un  et  du 
Tessin,  dans  quelques  vallées  de  Berne,  d'Argovie,  St.-Gall,  mais  surtout  dans  le 
Bas-Vallals.  Heureusement  que  le  nombre  de  ces  créatures  misérables  tend  depuis 
quelques  années  à  diminuer,  grâce  à  une  plus  grande  propreté  introduite  dans  les 
habitations,  et  à  l'usage  d'élever  une  partie  des  enfants  sur  les  montagnes,  au  mflieu 
d'un  air  pur  et  salubre. 

Une  partie  de  la  population  que  nous  nommons  agricole  voue  une  proportion 
notable  de  son  temps  à  des  travaux  industriels,  par  exemple  au  tisslige  des  étoffes, 
dans  les  cantons  du  nord.  (Voyez  l'article  hulustrie,)  Nous  la  regardons  ici  comme 
comprise  dans  la  population  agricole,  pour  la  distinguer  de  la  troisième  classe,  la 
population  commerçante  et  industrielle,  qui  habite  principalement  dans  les  villes.  On 
ne  trouve  pas  parmi  cette  dernière  des  types  aussi  vigoureux  que  sur  les  montagnes 
ou  dans  les  campagnes  ;  mais,  grâce  à  la  salubrité  des  lieux  choisis  pour  l'établisse- 
ment des  villes,  grâce  aux  habitudes  actives  de  la  jeunesse  qui  contrebalancent  l'efFet 
d'occupations  trop  sédentaires,  on  ne  trouve  point  dans  les  villes  suisses  de  population 
chétive,  étiolée,  comme  celle  qu'on  voit  dans  les  grandes  villes  manufacturières 
d'autres  pays,  et  la  jeunesse  n'y  est  pas  moins  propre  au  service  militaire  et  à  la 
défense  du  pays  que  celle  qui  habite  les  montagnes. 


INSTRUCTION  PUBLIQUE. 

La  Constitution  fédérale  réserve  à  la  Confédération  le  droit  d'établir  une  Uni- 
versité suisse  et  une  Ecole  polytechnique.  En  vertu  de  cette  disposition,  le  Conseil 
fédéral  avait  nommé  une  Commission  chargée  d'examiner  la  convenance  de  créer 
ces  établissements.  Cette  Commission,  ainsi  que  celles  nommées  plus  tard  par  l'As- 
semblée fédérale,  se  partagèrent  en  majorité  et  en  minorité.  La  majorité  faisait 
valoir  les  avantages  qui  résulteraient  pour  la  Suisse  d'un  établissement  central  qui 
dispenserait  beaucoup  de  jeunes  gens  d'aller,  à  grands  frais,  chercher  dans  les  Uni- 
versités étrangères  le  complément  de  leur  éducation,  et  qui,  en  même  temps,  crée- 
rait de  bonne  heure  des  relations  entre  les  jeunes  gens  de  divers  cantons.  La  minorité 
opposait  que  cet  établissement  central  nuirait  nécessairement  aux  institutions  can- 
tonales, dont  plusieurs  avaient  acquis  une  juste  célébrité;  elle  représentait  que  beau- 
coup de  jeunes  gens,  qui  trouvent  maintenant  dans  leur  canton  l'instruction  qu'ils 
peuvent  désirer,  seraient  obligés  de  se  rendre  au  si^e  de  l'Université;  tous  ne  pou- 
vant pas  faire  ces  frais,  il  en  résulterait  que  le  niveau  moyen  de  l'instruction  dans  le 
pays  tendrait  plutôt  à  baisser. 

D'après  le  projet,  Zurich  devait  devenir  le  siège  de  l'Université  fédérale,  et 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  47 


Tavantage  de  posséder  l'Ecole  polytechnique  était  réservé  par  compensation  à  quel- 
qu'une des  villes  de  la  Suisse  française.  Mais  une  vive  opposition  se  manifesta  dans 
cette  partie  de  la  Suisse  contre  le  projet  d'Université;  des  pétitions,  couvertes  de  nom- 
breuses signatures,  furent  adressées  à  l'Assemblée  fédérale  ;  dans  le  seul  canton  de 
Vaud  on  compta  plus  de  28,000  signatures.  Néanmoins,  le  projet  de  loi  portant  créa< 
lion  de  l'Université  fiit  voté  par  le  Conseil  national,  mais  il  échoua  au  Conseil  des 
Etats.  Alors  les  deux  Conseils  tombèrent  d'accord  pour  créer  une  sorte  d'école  poly- 
technique, où  l'on  enseignera  principalement  les  sciences  mathématiques  et  physiques. 
Cet  établissement,  dont  Zurich  sera  le  siège,  a  été  décrété  en  janvier  18S4,  et  ne 
pourra  être  ouvert  que  dans  le  courant  de  iSSS.  D'après  le  règlement  adopté  le  31 
juillet,  l'Ecole  polytechnique  se  subdivisera  en  six  écoles  spéciales  :  école  des  con- 
structeurs, école  du  génie  civil,  école  de  mécanique,  école  de  chimie,  école  des  fores- 
tiers, enfin  école  scientifique  supérieure,  des  sciences  naturelles  et  mathématiques, 
des  sciences  littéraires  et  des  sciences  morales  et  politiques.  L'enseignement  sera 
donné  dans  les  langues  allemande,  française  ou  italienne,  au  choix  des  professeurs. 
De  nombreuses  collections  et  divers  laboratoires  et  bibliothèques  sont  créés  pour 
l'usage  de  l'Ecole. 

Sauf  ses  écoles  mihtaires,  la  Suisse  ne  possède  pas  d'autre  établissement  central 
d'instruction.  Nous  renvoyons  aux  articles  destinés  à  chaque  Etat  tout  ce  qui  con- 
cerne les  institutions  cantonales.  Nous  dirons  seulement  que  l'instruction  publique 
est  répandue  d'une  manière  assez  inégale  dans  la  population  des  divers  cantons  suisses. 
Tandis  que  plusieurs,  tels  que  Yaud,  Zurich,  Bàle,  Argovie,  etc.,  peuvent  supporter 
la  comparaison  avec  les  Etats  les  plus  avancés  de  l'Europe,  d'autres,  au  contraire, 
et  surtout  quelques-uns  des  cantons  catholiques,  sont  restés  bien  en  arrière  sous  ce 
rapport. 


LANGUES  ET  DIALECTES. 

On  compte  en  Suisse  trois  langues  principales:  l'allemand,  le  français  et  l'italien, 
auxquelles  on  peut  ajouter  le  rhéHen  ou  romanche.  Ces  langues  rappellent  les  trois 
races  différentes  qui  ont  concouru  à  former  la  popuLition  de  la  Suisse.  D'après  le 
recensement  de  4850,  l'allemand  est  la  langue  de  1 ,680,896  habitants  de  la  Suisse; 
le  français,  celle  de  540,072;  l'italien,  celle  de  129,333;  et  le  romanche,  celle  de 
42,439;  ainsi,  sur  iOO  habitants,  70  parlent  allemand,  23  le  français,  5  l'italien, 
et  2  le  romanche. 

L'allemand  est  parlé  dans  le  centre  de  la  Suisse,  dans  les  cantons  du  nord  et  du 
nord-est ,  ainsi  que  dans  quelques  vallées  septentrionales  et  centrales  du  canton  des 
Grisons  ;  mais  l'allemand  qu'on  entend  généralement  en  Suisse  est  très-loin  d'être  la 
langue  dont  on  fait  usage  dans  le  nord  de  l'Allemagne,  il  est  presque  inintelligible 
pour  la  plupart  des  Allemands  ;  c'est  un  dialecte  qui  se  rapproche  beaucoup  de  celui 
qu'on  appelle  le  haut-allemand  (Oberdeatsch),  et  qui  est  parlé  dans  la  Souabe  et  dans 
quelques  provinces  de  l'Autriche.  Mais  les  personnes  qui  en  ont  fait  une  étude  ap- 
profondie, telles  que  Stadier,  de  Lucerne,  y  distinguent  près  de  40  sous-dialectes.  On 
lui  attribue  une  haute  antiquité.  L'historien  Jean  de  Mûller  fait  observer  qu'il  existe 


48  LA   SUISSE   PITTORESQtE. 


des  rapports  frappants,  soit  pour  les  mots,  soit  pour  la  prononciation',  entre  le  dia- 
lecte  allemand  tel  qu'on  le  parle  encore  actuellement  en  Suisse,  et  la  langue  em- 
ployée dans  le  poème  des  Nibelufigen,  qui  date  du  milieu  du  moyen-àge;  G.  Schlegel 
assure  que  si  Ton  mettait  ces  vieilles  poésies  germaniques  entre  les  mains  d'un 
paysan  suisse,  il  pourrait  les  lire  et  les  comprendre  avec  très-peu  de  peine.  Un  de 
ces  rapports  consiste  dans  l'emploi  fréquent  du  verbe  auxiliaire  thnn,  faire  (prononcez 
toûne).  Ce  verbe  correspond  exactement  au  verbe  auxiliaire  do  (doù)  de  la  langue 
anglaise.  Ce  n'est  pas  le  seul  rapport  que  Ton  trouve  entre  cette  langue  et  le  dialecte 
suisse. 

On  reproche  généralement  à  Tallemand  suisse  ses  fortes  aspirations,  ses  sons  durs 
et  gutturaux.  Il  faut  dire  cependant  que  le  dialecte  suisse  supprime  souvent  les  sons 
les  moins  harmonieux  de  Tallemand .  Ainsi  t  will  nit,  pour  ich  toill  nichh  je  ne  veux 
pas;  mi,  di,  si,  |K)ur  mich,  dich,  sich,  me,  te,  se.  Il  fait  un  usage  fréquent  des  dimi- 
nutifs, et  remplace  les  terminaisons  ordinaires  des  diminutifs  allemands  chm  ou  lein 
par  {t  ou  eli;  ainsi  Modeli,  au  lieu  de  Mîidchen,  jeune  fille  ;  Migeli,m\e  de  pain  ;  Seeli, 
petit  lac;  Dùrfli,  pour  Dùrfchen,  village  ou  petit  village;  Liedli,  chant  ;  Bettli,  lit;  RiUi, 
Rûtli  ou  GrûUi,  défrichement,  etc.  Il  supprime  fréquemment  Yn  finale  des  termi- 
naisons sourdes  et  un  peu  nasales  de  Tallemand  en  (prononcez  enne)  :  il  supprime 
de  même  quelquefois  les  n4  et  les  doubles  nn  à  la  fin  des  mots,  ainsi  que  certaines 
syllabes  brèves  finales  ;  ainsi  Md,  pour  Mann,  homme  ;  Wi,  pour  Wein,  vin  ;  chlih, 
pour  klein;  Abe  ou  Ohe,  pour  Abend,  soir;  hd,  pour  hdbe  ou  hdhen,  ai  ou  avoir;  e\ 
pour  ein,  eine,  un,  une.  Il  substitue  souvent  le  son  o  au  son  a;  un  i  final  à  un  e  final. 
Le  dialecte  appenzellois  substitue  même  aux  terminaisons  brèves  en  e  des  termi- 
naisons plus  sonores  en  a,  ainsi  Freuda,  pour  Fretide,  joie  ;  allsatMua  mil  Nama,  pour 
allsammen  mit  Namen,  toutes  ensemble  avec  vos  noms  (Ranz-des- Vaches  appenzel- 
lois). 

D'après  ces  quelques  données,  on  peut  comprendre  que  le  dialecte  suisse  est  loin 
d'être  dénué  de  mots  harmonieux,  et  qu'il  n'est  pas  moins  susceptible  que  tout  autre 
langage  de  fournir  des  accents  à  la  poésie.  Et  l'on  peut,  en  effet,  jusqu'à  certain 
point,  le  comparer  à  ce  qu'était  chez  les  anciens  Grecs  le  dialecte  dorien.  Du  reste, 
à  mesure  que  l'instruction  publique  fait  des  progrès  en  Suisse,  la  connaissance  de  la 
langue  littéraire  de  l'Allemagne  se  répand  toujours  davantage.  C'est  dans  cette  langue 
qu'écrivent  en  général  les  auteurs  suisses,  et  qu'est  rédigée  la  presque  totalité  des 
journaux  du  pays. 

La  langue  française  est  parlée  par  les  trois  cantons  de  Neuchàtel,  Vaud  et  Genève, 
par  plus  des  ^/^  des  habitants  du  Vallais,  soit  par  les  dictricts  occidentaux  et  par  la 
moitié  de  la  partie  centrale  jusque  près  de  Sierre  ;  par  les  '/^  du  canton  de  Fribourg 
(la  partie  allemande  est  comprise  entre  la  Sarine  à  l'ouest,  et  la  vallée  de  Charmey 
ou  de  Bellegarde  au  sud);  enfin,  il  est  en  usage  dans  la  presque  totalité  du  Jura 
bernois,  comprenant  environ  Ve  des  habitants  du  canton.  La  ligne  de  démarcation 
entre  l'allemand  et  le  français  est  tracée  presque  exactement  par  une  ligne  partant 
de  Délémont  et  passant  par  Bienne,  Fribourg  et  Sien.  Mais,  outre  le  français  pro- 
prement dit,  que  tous  les  habitants  des  campagnes  et  des  villes  comprennent  et 

J.  Le  rapport  quant  à  la  prononciation  peut  se  déduire  des  combinaisons  de  voyelles. 


LA    SllISSR    PITTORESOI'E.  49 


parient  dans  la  Suisse  française,  les  campagnards  parlent  encore  un  patois  auquel 
on  donne  le  nom  de  roman  ou  romand,  ce  qui  fiiit  désigner  souvent  la  Suisse  française 
sous  le  nom  de  Suisw  romande.  Ce  patois  se  divise  lui-même  en  une  vingtaine  de 
variétés  plus  ou  moins  dissemblables;  ainsi,  on  en  compte  six  dans  le  seul  canton 
de  Yaud.  La  plupart  des  habitants  des  villes  et  des  gens  les  plus  instruits  ne  parlent 
ni  ne  comprennent  complètement  ce  patois,  tandis  que  dans  la  Suisse  allemande  le 
dialecte  suisse  est  compris  et  parlé  par  tout  le  monde. 

La  troisième  langue  de  la  Suisse  est  l'italien,  que  Ton  parle  dans  tout  le  canton  du 
Tessin,  à  l'exception  de  la  commune  allemande  de  Gurin  (ou  Bosco),  située  vers  le 
nord  du  canton  ;  l'italien  est  aussi  la  langue  des  vallées  grisonnes  de  Misocco,  de 
Bregaglia  et  Poschiavo.  On  compte  huit  dialectes  italiens,  dont  sept  dans  le  Tessin, 
et  un  dans  les  Grisons. 

La  quatrième  et  la  plus  remarquable  des  langues  de  la  Suisse,  c'est  le  rhétien, 
qu'on  appelle  aussi  le  romanche,  et  qui  mérite  une  attention  spéciale  par  sa  haute 
antiquité  et  par  ses  rapports  avec  la  langue  parlée  jadis  par  le  peuple  de  Rome  et 
de  l'Etrurie.  Il  se  divise  en  deux  dialectes  principaux,  le  romanche  en  usage  dans 
rOberland  (partie  nord-ouest  des  Grisons),  lequel  se  subdivise  en  quatre  sous-dialectes, 
et  le  romanche  de  l'Engadine,  appelé  aussi  ladin,  et  qui  comprend  deux  sous-dialectes, 
celui  de  la  Haute  et  celui  de  la  Basse-Engadine.  On  remarque  également  divers 
rapports  singuliers  entre  le  romanche  et  quelques  dialectes  provençaux  et  catalans, 
tels  que  les  terminaisons  féminines  en  as  :  ainsi  las  armas,  les  armes  ;  duos  huras, 
deux  heures;  et  les  substantifs  en  tàd:  majestàd,  majesté;  societàd,  société.  Cette  forme 
provient  peut-être  simplement  du  vieux  italien.  On  trouve  des  journaux  imprimés 
en  langue  romanche  ;  un  dictionnaire  romanche-allemand  et  allemand-romanche  a 
été  rédigé  par  Matthias  Gonradi,  pasteur  à  Andeer,  et  imprimé  à  Zurich  en  4823- 
1828.  Divers  ouvrages  ont  paru  aussi  dans  cette  langue.  Un  village  de  la  Basse- 
Engadine  possédait  dans  le  XVI°**  siècle  une  imprimerie,  qui  fit  paraître  une  traduc- 
tion de  la  Bible  dans  le  dialecte  du  pays. 


MONNAIES. 


Jusqu'en  4851  la  Suisse  eut  une  unité  monétaire  légale  appelée  franc  ou  livre,  et 
qui  se  divisait  en  10  batz;  le  batz  se  divisait  en  10  rappes.  Le  batz,  qui  était  la 
monnaie  la  plus  abondante  dans  le  pays,  valait  environ  14  centimes  et  demi;  le 
franc  suisse  valait  donc  à  peu  près  1  franc  45  centimes  de  France.  Du  reste,  chaque 
canton  conservait  le  droit  de  battre  monnaie  et  de  suivre  des  systèmes  différents.  Dans 
plusieurs  cantons  l'on  comptait  en  florins  valant  45  batz  ou  40  schellings;  le  Tessin 
comptait  en  lires  et  en  sols.  Les  Grisons  avaient  des  bloutzgers,  dont  9  valaient  2 
batz,  etc.  Jusqu'en  4839,  le  canton  de  Genève  avait  conservé  son  ancien  système 
monétaire  et  comptait  en  florins  valant  46  centimes.  Mais,  à  cette  époque,  il  adopta 
la  monnaie  décimale,  et  frappa  des  pièces  de  50  et  de  25  centimes,  et  quelques 
autres  petites  pièces. 

II.  4.  7 


SO  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Son  exemple  a  été  suivi  par  la  Confédération,  mais  non  sans  une  forte  opposition 
de  la  part  de  quelques  cantons  orientaux,  qui  avaient  avec  l'Allemagne  leurs  rela- 
tions les  plus  usuelles.  Une  loi  fédérale  sur  la  réforme  monétaire,  en  date  du  7  mai 
1850,  a  consacré  l'adoption  d'un  système  décimal,  conforme  au  système  français, 
belge  et  piémontais.  D'après  cette  loi,  5  grammes  d'argent  fin,  au  titre  de  ^/^^  ^^ 
fin,  constituent  l'unité  monétaire  suisse,  sous  le  nom  de  franc.  Le  franc  se  divise  en 
cent  centimes  ou  rappes.  Le  nom  de  rappe  étant  usuel  dans  la  plus  grande  partie  de 
la  Suisse,  on  l'a  conservé  pour  faciliter  la  transition  ;  mais  10  rappes  ne  valent  main- 
tenant que  10  centimes,  au  lieu  d'en  valoir  14  Vi- 

Dès-lors  il  a  été  retiré  pour  15,022,417  francs  d'anciennes  monnaies,  soit  22,700 
de  monnaies  d'or,  9,728,000  de  monnaies  d'argent,  et  plus  de  500,000  en  pièces  de 
billon  et  de  cuivre.  Il  a  été  frappé,  jusqu'en  1853, 17,41&,76&  francs  en  nouvelles 
monnaies,  soit  2  Vs  millions  en  pièces  de  5  francs,  3  millions  en  pièces  de  2  francs, 
5  millions  en  pièces  de  1  franc,  2  millions  en  pièces  de  demi-franc,  et  près  de  5 
millions  en  billon  et  en  cuivre.  Les  monnaies  d'argent  et  de  cuivre  ont  été  frappées 
à  Paris,  et  le  billon  à  Strasbourg. 


FINANCES  FÉDËHALES. 

Les  dépenses  de  la  Confédération  sont  couvertes  par  les  intérêts  des  fonds  de  guerre 
fédéraux,  par  le  produit  des  péages  fédéraux,  par  celui  des  postes  et  des  poudres,  enfin 
par  les  contributions  des  cantons,  lesquelles  ne  peuvent  être  levées  qu'en  vertu 
d'arrêtés  de  l'Assemblée  fédérale.  Les  contributions  sont  payées  par  les  cantons 
d'après  l'échelle  des  contingents  d'argent.  Pour  établir  cette  échelle,  on  prend  pour 
base  tant  la  population  des  cantons  que  leur  fortune  et  les  ressources  de  leurs  habi- 
tants: Uri  paie  10  centimes  par  habitant;  Unterwald  et  Appenzell-Intérieur,  14; 
Schwytz,  Grisons,  Vallais,  20;  Claris,  25;  ZugetTessin,  30;  Luceme,  Fribourg, 
Soleure,  Bàle-Campagne,  Appenzell-Extérieur,  St.-Gall,  Schaffhouse,  Thurgovie,  40; 
Zurich,  Berne,  Argovie,  Vaud,  50;  Neuchâlel,  55;  Genève,  70;  Bàle-Yille,  100, 
ou  un  franc  par  tète.  Le  contingent  total  s'élève  à  1,041,081  fir.  (voyez  page  38). 
Cette  somme  corresponde  44  centimes  par  tète. 

D'après  les  comptes  présentés  l'an  dernier  par  le  Conseil  fédéral,  l'état  présumé  de 
la  fortune  de  la  Confédération,  au  31  décembre  1854,  s'élevait  à  Fr.  11 ,771 ,035  57 

Le  passif  se  montant  à 2,355,663  65 

La  fortune  nette  présumée  au  31  décembre  1854  était  donc  de  Fr.  9,415,371  02 
Les  principales  rubriques  de  l'actif  sont  :  Immeubles,  760,227  francs;  capitaux 
du  ci-devant  fonds  de  guerre,  4,200,000  francs;  mobilier,  2,365,000  francs;  en 
caisse,  2,214,780  francs;  fonds  des  invalides  (y  compris  1,200,000  francs  prove- 
nant du  legs  Grenus),  1,677,000  francs,  etc. 

Les  rubriques  du  passif  sont:  Restant  de  l'emprunt  fédéral,  1,926,804;  dette 
hypothécaire,  soit  restant  du  prix  d'achat  de  la  plaine  de  l'AUmend  près  Thoune, 
destinée  aux  écoles  militaires,  108,695  francs  ;  restant  de  l'emprunt  des  télégraphes, 
320,164  francs. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  81 


Le  budget  des  recettes  de  la  Gonrédération,  pour  Tannée  18S4, 

s'élevait  à Fr.  15,468,500 

Et  le  budget  des  dépenses,  à 15,500,000 

Il  y  avait  donc  un  excédant  présumé  de Fr.        168,500 

Les  principaux  articles  de  recettes  sont  :  Produits  des  immeubles,  de  capitaux 
placés,  intérêts  divers,  217,150  francs;  recette  brute  de  rÂdministralion  des  péages, 
5,200,000  francs;  recette  des  postes,  7,500,000  francs  (les  voyageurs  sont  portés 
pour  5,600,000  francs;  les  lettres  pour  2,100,000  francs;  les  paquets  et  valeurs 
pour  1,545,000  francs  ;  les  journaux  pour  95,000  francs,  etc.  );  recette  des  tél^a- 
phes,  125,000  francs;  recette  des  poudres,  502,604  francs,  etc. 

Les  principaux  articles  de  dépenses  sont  les  suivants:  Intérêts  de  l'emprunt  fédé- 
ral et  divers  autres,  154,975  francs  ;  frais  d'administration  (Conseil  national.  Conseil 
fédéral,  Cbancellerie),  268,550  francs  ;  frais  des  départements,  employés  divers,  etc., 
159,900  ;  administration  militaire  (commissariat,  instruction  des  recrues  des  armes 
spéciales,  écoles  des  dites  armes,  école  des  instructeurs,  rassemblement  de  troupes, 
matériel,  fortifications,  travaux  trigonométriques),  1,608,085  francs;  administra- 
tion des  péages  (directeurs,  receveurs,  loyers),  5,147,000  francs;  administration 
des  postes  (y  compris  un  boni  de  1 ,481 ,977  francs  qui  se  répartira  entre  les  cantons), 
7,500,000  francs;  administration  des  télégraphes,  160,000  francs;  administration 
des  poudres,  442,604  francs,  etc.;  dépenses  imprévues,  57,056  francs. 


INDUSTRIE,  COMMERCE. 

Nous  indiquerons  ici  brièvement  les  principales  industries  établies  en  Suisse,  ren- 
voyant aux  articles  consacrés  aux  divers  cantons  les  détails  qui  concernent  ceux-ci 
plus  particulièrement.  —  L'industrie  qui  est  la  plus  répandue  en  Suisse  est  la  fabri- 
cation des  étoffes  de  coton;  elle  occupe  de  45  à  50,000  ouvriers.  Cette  industrie  s'est 
développée  surtout  lors  du  blocus  continental;  mais  après  l'établissement  du  système 
prohibitif,  on  fut  obligé  de  chercher  des  débouchés  au-delà  des  mers.  On  compte  en 
Suisse  131  filatures,  dans  les  cantons  de  Zurich,  St.-Gall,  Ârgovie,  Thurgovie,  Cla- 
ris, etc.;  il  y  a  en  outre  un  très-grand  nombre  de  métiers  dans  les  maisons  des  tisse- 
rands. Le  nombre  des  bobines  est  de  660,000,  dont  la  moitié  dans  le  seul  canton  de 
Zurich.  La  position  des  ouvriers  est  devenue  difficile  par  la  concurrence  du  tissage 
mécanique  indigène  ou  étranger.  A  St.-Gall  et  à  Appenzell  on  joint  la  broderie  au 
tissage,  et  ces  cantons  livrent  des  mousselines  brodées  qui  rivalisent  avec  celles  de 
Paris,  et  qui  rapportent  500,000  francs  par  an.  On  évalue  à  26  millions  la  valeur 
de  l'importation  du  coton  en  balle  et  en  fil,  et  à  70  millions  la  valeur  de  la  pro- 
duction. En  admettant  que  la  Suisse  consomme  des  cotonnades  à  raison  de  sept 
francs  par  habitant,  la  consommation  totale  du  pays  ne  serait  que  de  16  millions, 
soit  d'environ  un  quart  de  la  production.  —  La  fabrication  des  dentelles  occupe  près 
de  4000  ouvriers,  répartis  dans  les  cantons  de  Berne,  Soleure,  Thurgovie,  Vaud  et 
Neuchàtel.  —  II  y  a  en  Suisse  un  grand  nombre  d'établissements  de  blanchisserie. 


S2  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


teinturerie  et  imprimerie  d'étoffes,  occupant  6000  ouvriers;  le  canton  de  Zurich 
est  celui  qui  en  possède  le  plus. 

Une  autre  branche  importante  de  Tindustrie  suisse,  c'est  la  fiibrication  des  soieries 
fines  et  grossières.  Elle  fleurissait  à  Zurich  dès  le  XV!*"*  siècle,  et  à  Bàle  au  XVIl"*. 
Mais  c'est  depuis  181 S  qu'elle  a  pris  plus  de  développements.  On  la  trouve  encore 
dans  les  cantons  de  Berne,  Soleure,  Argovie,  Zug  et  Schwytz,  et  le  nombre  des  ou- 
vriers est  évalué  à  40,000.  On  a  introduit  depuis  quelque  temps  des  métiers  à  la 
Jacquart,  mais  cette  fabrication  a  à  lutter  avec  la  fabrique  de  Lyon,  qui  jouit  d'a- 
vantages particuliers.  Les  métiers  (sauf  ceux  à  la  Jacquart)  sont  en  général  dissé- 
minés chez  les  habitants  de  la  campagne,  et  leur  appartiennent,  ce  qui  diminue  le 
prix  de  la  main-d'œuvre.  On  importe  en  Suisse  1,300,000  kilogrammes  de  soie,  et 
200,000  kilogrammes  de  bourre.  La  production  est  évaluée  à  76  millions  de  firancs. 
En  supposant  que  la  consommation  soit  de  S  francs  par  tête,  elle  serait  de  12  millions 
environ  pour  tout  le  pays,  soit  de  V 7  ou  de  Va  ^^  '^  production.  Dans  le  canton  du 
Tessin,  on  se  livre  aux  travaux  préparatoires  de  la  soie  en  même  temps  qu'à  la  cul- 
ture des  mûriers.  —  La  fftbrication  des  toileries  (toiles  de  lin  et  de  chanvre),  et  celle 
des  laineries^  sont  beaucoup  moins  importantes  que  celle  des  soieries.  C'est  dans  les 
cantons  de  Berne,  Lucerne,  Argovie,  que  l'on  trouve  quelques  établissements  de 
filature  de  lin,  mais  ils  luttent  avec  désavantage  contre  la  concurrence  étrangère.  On 
évalue  à  5000  le  nombre  des  artisans  s'occupant  de  cette  industrie,  et  à  2000  seu- 
lement celui  des  ouvriers  qui  travaillent  la  laine  ;  ces  derniers  appartiennent  aux 
cantons  de  Zurich,  Soleure,  Argovie,  Claris.  La  Suisse  tire  de  l'étranger  des  laines 
non  travaillées  pour  une  valeur  de  2  millions  de  francs,  et  des  draps  de  diverses  qua- 
lités  pour  celle  de  31  millions,  c'est-à-dire  à  peu  près  la  moitié  de  sa  consommation  ; 
elle  aurait  donc  un  grand  intérêt  à  élever  un  plus  grand  nombre  de  moutons,  et  à 
fabriquer  elle-même  une  plus  grande  quantité  de  draps. 

L'horlogerie  est  une  des  industries  les  plus  renommées  de  la  Suisse;  ses  produits 
ont  une  grande  valeur  sous  un  petit  volume,  ce  qui  est  très-favorable  à  l'exportation. 
Cette  industrie  a  été  introduite  à  Genève  dès  1587;  plus  tard  elle  a  été  portée  dans 
les  vallées  peu  fertiles  du  Jura,  particulièrement  au  Locle  et  à  la  Chaux-de-Fonds» 
ainsi  que  dans  le  Jura  bernois.  On  fait  maintenant  des  essais  pour  l'introduire  à  Lau- 
sanne,  à  Morat  et  ailleurs.  Le  nombre  des  ouvriers  dans  cette  branches'élèveà20,500, 
et  le  produit  annuel,  qui  est  de  200  à  230,000  montres,  s'exporte  pour  la  plus  grande 
partie.  Plusieurs  fabricants  d'horlogerie  suisse  ont  obtenu  des  prix  à  l'exposition 
de  Londres,  en  1850,  et  à  celle  de  New-York,  en  1853.  —  La  bijotUerie  n'est  fabri- 
quée en  grand  qu'à  Genève;  c'est  surtout  depuis  1814  que  cette  branche  y  a  pris 
de  l'extension.  On  attribue  à  cette  industrie  environ  3000  ouvriers,  dont  plus  des 
deux  tiers  sont  établis  à  Genève.  ;—  Il  existe  en  Suisse  une  vingtaine  de  hauts  four- 
neaux, forges  et  martinets  qui  travaillent  du  fer  indigène  et  étranger.  Ils  fournissent 
de  la  gueuse,  des  ustensiles,  des  fourneaux,  de  la  clouterie,  etc.  Leurs  produits  sont 
en  général  excellents,  mais  ils  ne  suffisent  pas  à  la  consommation  et  les  produits 
étrangers  leur  font  une  concurrence  redoutable  par  le  bon  marché.  Cette  industrie 
occupe  6000  ouvriers.  Argovie  fabrique  de  la  coutellerie,  et  Schaffhouse  des  creusets 
et  de  l'acier,  etc.  —  La  construction  des  machifies  occupe  aussi  un  millier  d'ouvriers; 
cette  branche  a  acquis  depuis  quelques  années  un  certain  degré  de  développement  à 


LA   SUISSB   PITTORESQUE.  K3 


Zurich,  Berne,  Soleure,  Bàle,  St.-Gall,  ainsi  que  dans  TArgovie  et  la  Thurgovie; 
l'éUblissement  le  plus  important  est  celui  de  MM.  Escher  et  Wyss,  de  Zurich,  lequel 
oonstroit  et  exporte  des  machines  de  toutes  espèces. 

Les  industries  suivantes  méritent  encore  d'être  mentionnées.  On  compte  en  Suisse 
500  tanneries,  occupant  seulement  3000  ouvriers  ;  les  cantons  qui  en  ont  le  plus 
sont  Berne,  Yaud,  Zurich.  Les  douanes  allemandes  empêchent  la  Suisse  d'exporter 
autant  de  cuirs  qu'autrefois.  —  Les  cantons  d'Ârgovie,  Fribourg  et  Tessin,  fabriquent 
des  ouvrages  en  paille  tressée,  particulièrement  des  chapeaux,  qu'ils  exportent  dans 
les  autres  cantons  et  même  hors  de  la  Suisse  ;  on  fait  aussi  quelques  ouvrages  de  ce 
genre,  mais  plus  grossiers,  dans  les  cantons  d'Uri,  Schwytz,  Unterwald  et  Glaris  ; 
4000  individus  trouvent  dans  cette  fabrication  leurs  principaux  moyens  de  subsis- 
tance. — -  Une  cinquantaine  depapeteHes,  où  travaillent  un  millier  d'ouvriers,  expor- 
tent une  partie  considérable  de  leurs  produits.  —  La  première  imprimerie  suisse  fut 
introduite  en  4470  dans  le  couvent  lucemois  de  Beromûnster,  par  le  chanoine  Elle 
de  Laofen.  A  la  fin  du  XV""*  siècle,  il  y  avait  en  Suisse  6  ou  7  imprimeries,  et  c'est 
de  ce  pays  que  le  premier  établissement  de  ce  genre  fut  introduit  en  France.  Bàle, 
Genève,  et  plus  tard  Zuridi,  Lausanne,  Berne,  Neuchàiel,  possédèrent  de  nombreuses 
imprimeries,  qui  publièrent  et  répandirent  au  loin  des  éditions  distinguées.  La  litho- 
graphie fut  introduite  vers  4818;  aujourd'hui,  les  deux  tiers  des  imprimeries  s'oc* 
eapent  aussi  de  cette  nouvelle  branche.  On  compte  qu'il  y  a  maintenant  en  Suisse 
146  imprimeries  et  9S  lithographies,  et  on  évalue  à  4500  le  nombre  des  ouvriers 
qu'elles  emploient.  Les  imprimeries  de  la  Suisse  allemande  trouvent  facilement  des 
débouchés  en  Allemagne  pour  leurs  produits  ;  les  conditions  sont  moins  fiivorables 
pour  la  Suisse  française,  vu  la  prohibition  qui  frappe  en  France  la  librairie  étrangère. 
—  Douze  verreries,  établies  dans  divers  cantons,  donnent  de  l'ouvrage  à  4800  ou- 
vriers, et  suffisent  à  la  consommation  de  la  Suisse.  Elles  fabriquent  toutes  les  espèces 
de  verres,  sauf  les  glaces  ;  celle  de  Semsales,  au  canton  de  Friboui^,  fabrique  même 
des  objets  de  luxe  ;  celle  de  Monthey ,  en  Vallais,  fabrique  des  cristaux  de  bonne  qua- 
lité et  des  tuiles  en  verre.  —  Enfin,  les  cantons  qui  cultivent  le  tabac  ont  des  éta- 
blisBements  pour  le  préparer,  particulièrement  ceux  de  Bàle  et  du  Tessin  ;  mais,  en 
outre,  on  importe  en  Suisse  plus  d'un  million  de  kilogrammes  de  tabac  non  préparé  ; 
on  le  travaille  dans  les  cantons  de  Bàle,  Fribourg,  Grisons,  Argovie,  Thurgovie, 
Tessin,  Yaud,  Neuchàtel,  Genève  et  Vallais,  et  ces  cantons  en  réexportent  une  partie. 
Mais  la  consommation  de  cette  substance  en  Suisse  est  très-considérable,  s'il  est  vrai 
qu'elle  soit  d'un  kilogramme  par  tête,  ce  qui  serait,  dit-on,  la  moitié  de  celle  de  la 
Belgique  et  de  la  Hollande. 

En  additionnant  les  chiffres  attribués  par  Franscini  à  chacune  des  branches  d'in- 
dustrie ci-dessus  énumérées,  on  obtient  un  total  de  444,500  ouvriers.  II  faut  obser- 
ver cependant  qu'un  grand  nombre  de  ces  ouvriers  consacrent  une  partie  de  leur 
temps  à  la  culture  de  leurs  champs  et  de  leurs  jardins.  On  pourrait  mentionner 
encore  la  fabrication  de  divers  ouvrages  en  bois,  qui,  durant  l'hiver,  occupe  un  certain 
nombre  de  montagnards,  surtout  à  Brienz,  dans  TOberland  bernois.  Plusieurs  de  ces 
ouvrages  de  sculpture  et  d'ébénisterie  exigent  une  grande  adresse,  et  ont  été  remar- 
qués  dans  les  expositions  industrielles;  tel  est  un  secrétaire  qui  fut  exposé  à 
Londres  en  48B4  et  qui  fut  acquis,  dit-on,  pour  quelques  milliers  de  francs,  par  la 


34  LA  SUISSE  PITTOftESQUB. 


reine  d'Angleterre.  Une  industrie  semblable  s'est  introduite  dernièrement  dans 
quelques  villages  voisins  de  Vevey.  —  Enfin,  Ton  peut  compter  comme  une  indnslrie 
suisse  la  fabrication  des  fromages,  qui  forme  une  des  principales  occupations  de  la 
population  des  Hautes-Alpes.  Les  plus  renommés  sont  ceux  du  pays  de  Gruyère,  au 
canton  de  Fribourg;  ensuite  viennent  ceux  de  TEmmenthal ,  du  Simmenthal  et  du 
Gessenay,  au  canton  de  Berne,  et  des  Ormonds,  au  canton  de  Yaud,  lesquels  ont 
Tavantage  de  pouvoir  se  conserver  longtemps.  On  calcule  qu'il  se  consomme  en 
Suisse  48  livres  de  fromage  par  tète,  ce  qui  fiiit  une  consommation  totale  de 
431 ,000  quintaux  ;  on  suppose  que  l'exportation  n'est  que  de  58,000  quintaux  ;  la 
production  totale  serait  donc  d'environ  490,000  quintaux. 

Après  cette  énumération ,  il  ne  sera  pas  bors  de  propos  de  rappeler  en  quels 
termes  l'industrie  suisse  a  été  louée  en  Angleterre  lors  de  la  dernière  expoûtion. 
Le  D'  Bowring,  dans  son  rapport  au  Parlement,  n'hésite  pas  à  dire  que  le  progrès 
des  Suisses  dans  l'industrie  mérite  d'être  appelé  un  progrès  sans  exemple,  et  il 
l'attribue  en  grande  partie  à  la  liberté  illimitée  de  la  concurrence.  Le  journal  le 
Daily-Netcs  s'exprime  ainsi  sur  la  Suisse  :  «  Parmi  les  produits  de  la  Suisse  nous 
remarquons  surtout  les  soieries,  les  broderies  et  les  objets  en  bois  sculpté.  Les 
soieries  sont  du  genre  le  plus  simple  et  le  plus  utile.  Elles  n'ont  aucun  rapport 
avec  les  magnifiques  étoffes  brochées  de  Lyon,  c'est  vrai,  mais  les  couleurs  en  sont 
si  pures,  si  brillantes,  et  le  tissu  en  est  si  parfait,  qu'elles  peuvent  affronter  la  com- 
paraison avec  tout  ce  que  les  fabriques  du  reste  du  monde  offrent  d'analogue.  E^ 
vérité,  rien  n^est  aussi  remarquable  dans  l'histoire  du  tissage  en  Europe  que  la 
rapidité  des  progrès  faits  par  la  Suisse  dans  les  tissus  de  soie  depuis  484K.  Les 
soieries  exposées  proviennent  principalement  d'un  village  des  bords  du  lac  de  Zurich, 
où  il  n'existait,  il  y  a  quarante  ans,  qu'une  manufiicture,  et  où  l'on  en  compte 
maintenant  15  en  pleine  activité,  sans  parler  de  celles  en  construction. — Mais  c'est 
dans  la  broderie  des  étoffes  de  soie  et  des  mousselines  que  les  exposants  suisses  ont 
obtenu  les  résultats  les  plus  frappants.  Gomme  marque  de  la  dextérité  des  doigts, 
ces  ouvrages  sont  déjà  admirables;  il  faut  convenir  qu'ils  deviennent  étonnants 
comme  manifestation  du  génie  artistique  d'un  peuple  de  pâtres.  Car,  ne  l'oubliez 
pas,  ces  broderies  surprenantes  sont  l'ouvrage  de  jeunes  filles  de  la  campagne, 
capables  par  conséquent  d'imiter  avec  l'aiguille  les  dessins  d'artistes  accomplis.  — 
Quant  à  la  perfection  à  laquelle  la  sculpture  des  ouvrages  en  bois  est  parvenue  en 
Suisse,  elle  est  entière;  on  ne  peut  s'en  faire  aucune  idée  par  tout  ce  qu'on  a  vu 
jusqu'ici  isolé  dans  les  magasins.» 

D'après  l'énumération  des  industries,  on  voit  que  les  exportations  du  commerce 
suisse  doivent  consister  principalement  en  soieries  et  cotonnades,  en  horlogerie, 
bijouterie,  machines,  cuirs,  fromages,  tabacs,  ouvrages  en  bois  sculpté,  etc.  A  ces 
objets  manufacturés  on  peut  ajouter  des  bestiaux,  ainsi  qu'une  certaine  quantité 
de  produits  agricoles,  tels  que  des  vins  et  des  bois  de  chauffage  et  de  construction. 
Quelques-uns  des  produits  de  la  Suisse,  tels  que  l'horlogerie,  les  soieries  et  les  co- 
tonnades, sont  expédiés  dans  des  pays  lointains. 

Les  renseignements  sur  la  valeur  des  exportations  suisses  sont  très-incomplets  ; 
voici  quelques-uns  des  chiffres  que  Franscini  donne  à  ce  sujet  :  On  calcule  qu'il 
s'exporte  annuellement  des  cotonnades  suisses  en  Italie  pour  35  millions  de  francs, 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  BS 


en  France  pour  46  millions,  et  en  Allemagne  pour  22  millions  (  y  compris  les  fils  et 
le  coton  brut);  quant  aux  soieries,  on  estime  que  l'Allemagne  en  reçoit  pour  la 
valeur  de  21  millions,  la  France  pour  48,  et  Tltalie  pour  5.  Les  produits  de  Thorlo- 
gerie  et  de  la  bijouterie  exportés  de  Suisse  en  France  sont  évalués  à  6  ou  7  millions. 
Une  grande  partie  de  toutes  ces  marchandises  ne  passent  qu'en  transit  dans  les  pays 
indiqués,  et  sont  expédiées  par  les  ports  du  Havre,  de  Hambourg,  de  Triestç,  etc., 
pour  le  Levant  ou  pour  l'Amérique.  La  Suisse  exporte,  en  outre,  des  bestiaux  pour 
une  valeur  de  près  de  5  millions  de  francs ,  des  fromages  et  du  beurre  pour  près  de 
h  millions,  des  bois,  écorces,  charbons,  pour  6  millions.  —  Quant  aux  importations 
en  Suisse,  on  les  évalue  en  total  à  225,000,000  de  kilogrammes,  ou  à  4  Vs  millions 
de  quintaux  suisses,  soit  à  environ  250,000,000  de  francs.  Les  importations  con- 
sistent surtout  en  grains,  vins,  denrées  coloniales,  matières  premières  pour  les  arts, 
comme  soie,  coton,  indigo,  garance,  en  fers  et  autres  métaux,  etc.  etc.  Les  grains 
qui  entrent  en  Suisse  sont  estimés  à  46  millions  de  francs;  ils  viennent  surtout  du 
nord  de  l'Italie  et  du  sud  de  l'Allemagne  ;  les  vins  et  liqueurs  importés  ont  une 
valeur  de  6,000,000  de  francs  ;  le  lin,  les  fils  et  coton,  celle  de  27  millions  ;  la  soie, 
bourre,  etc. ,  celle  de  35  millions  ;  la  laine,  celle  de  2  ou  3  millions.  Les  divers  produits 
manufacturés  sont  estimés  à  90  millions,  et  les  denrées  coloniales  à  43  ou  44  mil- 
lions de  kilogrammes,  etc.  Les  importations  de  marchandises  étrangères  en  France 
n'atteignent  qu'une  valeur  de  4,405,000,000  de  francs,  et  en  Angleterre  que  celle 
de  4,075,000,000.  Il  s'ensuit  que  les  importations  que  reçoit  la  Suisse  sont  égales 
à  un  peu  moins  que  le  quart  des  importations  reçues  par  chacun  de  ces  pays,  ce  qui 
est  une  quantité  très-remarquable. 


DOUANES  FÉDÉRALES. 

Jusqu'à  ces  dernières  années,  la  Suisse  avait  joui  du  grand  avantage  de  ne  pas 
être  entourée  d'une  ligne  de  douanes,  comme  le  sont  la  plupart  des  autres  pays. 
Un  petit  nombre  d'objets  seulement,  tels  que  les  vins  et  les  fers  importés  de  l'étran- 
ger, avaient  un  dro'.t  à  payer  à  la  Confédération.  Mais  il  existait,  il  est  vrai,  dans 
divers  cantons,  des  péages  intérieurs,  droits  de  chaussée,  de  pontonage  et  autres  ; 
certains  objets  étaient  assujettis  à  un  droit  d'importation  ou  de  transit  à  la  frontière 
de  quelques  cantons.  La  Constitution  fédérale  de  4848  ayant  décidé  la  centralisation 
des  péages,  l'Assemblée  fédérale  adopta  en  4849  une  loi  qui  établit  sur  toutes  les 
frontières  suisses  une  véritable  ligne  de  douanes,  et  qui  soumet  à  un  droit  plus  ou 
moins  fort  tous  les  objets  importés  en  Suisse  ou  exportés  de  ce  pays,  ou  qui  y 
passent  en  transit.  Une  minorité  aurait  voulu  qu'on  se  bornât  à  faire  rentrer  par 
les  douanes  la  somme  nécessaire  pour  le  rachat  des  péages  intérieurs  ;  elle  proposa 
sans  succès  un  tarif  beaucoup  moins  élevé  ;  son  but  était  de  sauvegarder  davantage 
le  principe  de  la  liberté  du  commerce,  auquel  la  Suisse  avait  dû  jusqu'alors  sa 
prospérité,  et  en  même  temps  de  prévenir  la  contrebande,  qui,  sous  un  régime 
moins  onéreux,  aurait  eu  bien  moins  d'intérêt  &  se  produire.  Cependant  les  douanes 
suisses  ne  sont  point  vexatoires  pour  les  étrangers,  comme  celles  des  autres  pays; 


B6  LA   suisse   PITTORESQUE. 


tous  les  effets  des  voyageurs,  destinés  à  leur  usage,  ne  sont  soumis  à  aucun  droit  ni 
à  aucune  visite  ;  il  en  est  de  même  des  voitures  de  voyage  non  destinées  à  rester  en 
Suisse.  Dans  l'intérêt  des  habitants  des  frontières,  on  a  déclaré  également  libres  de 
tout  droit  les  légumes,  le  lait,  les  œufs,  etc.,  introduits  par  les  vendeurs  pour  alimen- 
ter les  marchés,  de  même  que  les  produits  bruts  provenant  des  terres  cultivées  en 
pays  étranger  par  des  habitants  de  la  Confédération,  à  une  distance  n'excédant  pas 
deux  lieues. 

Les  frontières  suisses  ont  été  divisées  en  six  arrondissements  douaniers,  dont  les 
chefs-lieux  sont  Bàle,  Schaffhouse,  Goire,  Lugano,  Lausanne  et  Genève.  La  direction 
supérieure  appartient  au  Conseil  fédéral  et  fait  partie  des  attributions  du  département 
du  commerce  et  des  péages.  Le  Conseil  fédéral  nomme  tous  les  fonctionnaires  et 
employés  de  cette  branche  d'administration.  Il  y  a  un  directeur  général  et  un  revi- 
seur général  des  péages,  et  dans  chaque  arrondissement  un  directeur  et  un  réviseur, 
outre  les  employés  inférieurs,  et  des  gardes-frontières  organisés  militairement. 
Divers  lieux  d'entrepêt  ont  été  établis,  dans  lesquels  les  négociants  peuvent,  moyen- 
nant finance,  déposer  pendant  quelque  temps  leurs  marchandises.  Les  contraventions 
douanières  sont  punies  d'une  amende  qui  peut  être  portée  de  40  à  30  fois  la  valeur 
du  droit  auquel  on  voulait  se  soustraire.  Un  tiers  des  amendes  est  remis  au  dénon* 
ciateur,  un  tiers  au  canton  où  la  contravention  a  eu  lieu  et  où  elle  a  été  poursuivie, 
un  tiers  à  la  Confédération.  Les  contraventions  sont  déférées  aux  tribunaux  can- 
tonaux; mais  il  est  arrivé  souvent  que  l'autorité  supérieure,  mécontente  de  la  sen- 
tence de  ces  tribunaux,  a  formé  appel,  renvoyé  l'affaire  devant  les  juges  d'un  autre 
canton,  et  obtenu  de  ceux-ci  qu'ils  cassassent  même  des  verdicts  prononcés  en  dernier 
ressort  par  des  jurys  correctionnels.  Le  Conseil  fédéral  avait  conçu  en  1853  l'idée 
de  centraliser  la  justice  en  matière  de  contraventions  douanières;  mais  son  projet  de 
loi,  qui  renfermait  des  dispositions  odieuses  pour  un  pays  libre,  souleva  d'énergiques 
réclamations,  et  fut  retiré  par  ses  auteurs. 

En  même  temps  que  la  loi  des  douanes  a  été  mise  à  exécution,  ont  été  supprimés 
tous  les  péages  intérieurs  sur  terre  et  sur  eau,  droits  de  diaussée,  pontonage,  etc., 
sauf  ceux  qui  seront  spécialement  réservés  et  approuvés  par  l'Assemblée  fédérale. 
Les  communications  intérieures  ont  été  par-là  affranchies  des  gènes  qui  existaient 
encore  sur  quelques  points  ;  mais  les  n^ociants  des  cantons  frontières,  et  tout  par* 
ticulièrement  de  ceux  qui  sont  placés  sur  les  grandes  routes  commerciales,  tels  que 
Bàle  et  Genève,  ont  été  assujettis  à  des  entraves  et  à  des  vexations  journalières 
auxquelles  ils  n'étaient  point  habitués  jusqu'alors. —  Quant  au  produit  des  douanes, 
on  avait  calculé  que,  d'après  le  tarif  adopté,  il  devrait  être  d'environ  3,700,000 
francs;  or,  nous  avons  vu  plus  haut,  à  l'article  des  finances,  qu'on  le  porte  maintenant 
au  budget  pour  plus  de  5,000,000  de  francs;  il  a  ainsi  notablement  dépassé  les  pré- 
visions. Les  dépenses  de  cette  branche  d'administration  s'élèvent  à  plus  de  3 
millions. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  S7 


CHEMINS   DE   FER. 

Le  premier  chemin  de  fer  qui  a  été  créé  en  Suisse  fut  établi  en  i847  sur  la  ligne 
de  Zurich  à  Baden,  au  canton  d'Ârgovie.  La  distance  entre  ces  deux  villes  est  d'en- 
viron cinq  lieues  ;  la  plaine  qui  les  sépare  n'offrait  aucune  difficulté  à  vaincre,  sauf 
un  rocher  à  percer  près  de  Baden.  Bien  des  personnes  regardaient  d'abord  comme 
une  chose  presque  impossible  l'établissement  de  voies  ferrées  traversant  toute  la 
Suisse,  vu  les  grandes  inégalités  de  niveau  que  présente  le  territoire  de  ce  pays. 
Cependant,  les  chemins  de  fer  allaient  s'approcher  de  la  Suisse  de  cfjvers  côtés. 
Déjà  Bàle  était  presque  au  débouché  d'un  chemin  venant  de  Strasbourg  ;  d'autres 
voies  étaient  à  l'étude,  soit  dans  le  sud  de  l'Allemagne,  soit  entre  Genève  et  les 
villes  de  Lyon  et  de  Chambéry.  On  fut  donc  amené  à  considérer  que  si  la  Suisse 
continuait  à  être  privée  de  ces  moyens  accélérés  de  communication,  elle  resterait 
aussi  en  dehors  de  tout  mouvement  commercial.  En  même  temps,  de  nombreux 
chemins  de  fer  étaient  créés  en  divers  pays,  dans  des  localités  qui  présentaient  de 
très-sérieuses  difficultés  à  vaincre  :  des  tunnels  d*une  longueur  considérable  avaient 
été  percés  en  Angleterre,  en  France,  en  Allemagne.  Une  étude  plus  détaillée  du 
pays  fit  reconnaître  que,  sur  certaines  lignes  du  moins,  la  création  de  voies  ferrées  ne 
sortait  point  des  limites  du  possible;  on  en  vint  même  à  aborder  l'idée  de  percer  non- 
seulement  le  Jura,  mais  aussi  la  grande  chaîne  centrale  des  Alpes.  Des  compagnies 
présentant  toutes  les  garanties  désirables  se  formèrent,  soit  pour  l'étude,  soit  pour 
l'établissement  et  l'exploitation  de  diverses  lignes,  et  des  ingénieurs  expérimentés 
furent  appelés  de  l'étranger  et  invités  à  donner  leur  avis  sur  les  points  difficiles. 

La  question  générale  des  chemins  de  fer  avait  donc  fait  bien  des  progrès  en  Suisse, 
lorsqu'on  1851  l'Assemblée  fédérale  adopta  une  loi,  d'après  laquelle  la  Confédération 
pourrait  seule  approuver  définitivement  les  concessions  qui  seraient  faites  par  les 
cantons  à  des  compagnies.  Cette  disposition  était  naturelle,  puisque  les  postes  appar- 
tiennent  à  la  Confédération.  —  Le  17  août  1852,  l'Assemblée  fédérale  approuva  une 
concession  faite  par  le  canton  de  Vaud  pour  un  chemin  tendant  de  Morges  à  Yverdon, 
avec  un  embranchement  sur  Lausaune.  En  même  temps,  l'Assemblée  approuva  une 
autre  concession  relative  à  un  chemin  entre  Lucerne  et  Zofingen.  Dans  ses  deux 
sessions  de  1853  elle  ratifia  de  même  un  grand  nombre  de  concessions  faites  par  les 
divers  cantons,  et  dont  l'ensemble  formera  un  véritable  réseau  de  voies  ferrées 
suisses. 

La  ligne  d'Yverdon  à  Morges  sera  prolongée  d'un  côté  jusqu'à  Genève,  par  Rollc 
et  Nyon,  de  l'autre  jusqu'à  Berne,  par  Estavayer,  Payerne,  Avenches,  Morat  et 
Laupen.  De  Berne  la  ligne  se  dirigera  sur  Aarau  et  Baden,  où  elle  se  réunira  à 
lancien  chemin;  puis  de  Zurich  sur  Frauenfeld,  St.-Gall  et  Rorschach.  Une  voie 
partant  de  cette  dernière  ville  remontera  le  Rhin,  passera  à  Coire,  Reichenau  et 
Uissentis;  de  là  elle  entrera  dans  la  vallée  de  Médels,  passera  par  un  tunnel  le 
mont  Luckmanier,  et  débouchera  en  Tessin  par  le  val  Blegno  ;  de  Bellinzone  elle  se 
bifurquera  d'un  côté  vers  Lugano,  de  l'autre  vers  Locarno  et  Brissago  à  la  frontière 
sarde.  A  cette  grande  artère  principale  se  relieront  divers  embranchements,  savoir: 

II.  4  8 


58  LA    SUSSE   PITTOBESQfE. 


de  Berne  à  Thoune  et  à  Neuchàlel,  d'Herzogenbuchsee  à  Soleure  et  à  Bienne,  de 
Winterthour  à  Scha&house,  de  Zurich  dans  la  direction  du  Glatthal. 

De  Bàle  parlironl  deux  lignes,  dont  Tune  ira  se  relier  à  Baden  avec  la  ligne  de 
Berne  à  Zurich,  et  l'autre,  traversant  le  Jura  sous  le  Bas-Hauenstein,  viendra  se 
joindre  h  la  ligne  de  ZoBngen  à  Lucerne  :  ce  passage  servira  aussi  pour  les  commu- 
nications entre  Bâleel  la  ville  fédérale.— Une  autre  ligne,  parlant  de  Lausanne,  se 
dirigera  vers  Sion  par  St. -Maurice  et  Martigny,  avec  un  embranchement  vers  le 
Boveret.  La  ligne  de  Sion  à  Brigg  vient  en  outre  d'être  concédée  par  le  gouvernement 
vallaisan  dans  l'automne  de  1854.  Enfin,  un  tronçon  isolé  sera  établi  entre  Wallen- 
slatt  et  Rapperschwyl,  par  la  rive  méridionale  du  lac  de  Wallenstatt, 

Toutes  ces  concessions  sont  faites  pour  le  terme  de  99  ans,  lequel,  pour  les  plus 
anciennes  concessions,  courra  de  l'époque  du  commencement  de  l'exploitation,  et 
pour  les  autres,  du  1"  mai  1858.  Néanmoins,  la  Confédération  s'est  réservé  le  droit 
de  les  racheter,  moyennant  une  indemnité  proportionnée  au  temps  qui  resterait  à 
courir,  à  l'expiration  des  30,  45,  60,  75,  90  et  99'"' années;  elle  devra  déclarer  cinq 
ans  à  l'avance  son  intention  d'user  de  ce  droit.  Elle  s'est  réservé  aussi  la  faculté  de 
|)ercevoir  un  droit  de  concession,  qui  ne  dépassera  pas  500  fr.  pour  un  rayon  d'une 
lieue.  —  Quand  le  réseau  sera  terminé,  l'on  pourra  faire  presque  le  tour  de  la  Suisse 
en  chemin  de  fer  :  partant  de  Sion,  l'on  pourra  se  rendre  à  Bàle  par  Lausanne  et 
Berne, et  delà,  passant  par  St.-Gall  et  Coire,  arriver  à  Lugano.  Ce  trajet  s'exécutera 
probablement  en  moins  de  trois  jours,  c'est-à-dire  dans  le  même  temps  qu'il  faut 
maintenant  pour  se  rendre  directement  de  Sion  à  Lugano,  en  supposant  qu'on  prenne 
la  diligence  de  Sion  à  Brigg,  puis  d' Airolo  à  Lugano. 

La  section  de  Bâie  à  Liestal  a  été  ouverte  à  la  circulation  le  19  décembre  1854. 
La  voie  de  Morges  à  Yverdon  sera  sans  doute  prête  pour  le  printemps  1855.  Quant 
au  tunnel  du  Bas-Hauenstein,  il  ne  sera  guère  terminé  que  dans  deux  ans.  La  voie 
qui  sera  probablement  achevée  la  dernière,  à  raison  des  difficultés  qu'elle  aura  à 
surmonter,  c'est  celle  du  Luckmanier.  La  décision  du  Grand  Conseil  du  Tessin  qui 
a  donné  la  préférence  à  celte  voie  plutôt  qu'à  celle  du  St.-Gothard,  a  été  critiquée 
comme  sacrifiant  les  intérêts  de  la  Suisse  centrale,  et  parce  qu'elle  aura  pour  résultat 
d'établir  la  communication  entre  le  Tessin  et  la  Suisse  septentrionale  par  une  voie 
qui  longera  le  Rhin  à  portée  du  canon  autrichien.  Cependant  il  nous  semble  que, 
sous  le  point  de  vue  des  difficultés  d'exécution,  la  voie  du  Luckmanier  était  réelle- 
ment préférable  à  l'autre.  En  effet,  le  tunnel  sous  le  St.-Gothard  n'aurait  guère  moins 
de  deux  lieues  de  longueur;  il  devrait  nécessairement  déboucher  dans  la  vallée 
d'Urseren,  à  4500  pieds  d'élévation.  Le  lac  des  Quatre-Cantons  étant  à  1340  pieds, 
la  différence  de  niveau  entre  le  village  de  l'Hôpital  et  les  rives  du  lac  est  donc  de 
3160  pieds  ;  il  faudrait  effectuer  cette  descente  le  long  du  cours  de  la  Reuss  sur  une 
longueur  d'environ  8  lieues,  ce  qui  nécessiterait  une  pente  moyenne  d'à  peu  près 
3  Iq  ;  il  faut  ajouter  qu'une  partie  de  ce  trajet  est  exposée  en  hiver  à  de  grandes 
avalanches.  Du  côté  méridional,  la  pente  serait  plus  longue  et  moins  rapide.  Au 
Luckmanier,  le  tunnel  doit,  dit-on,  déboucher  dans  le  vallon  latéral  de  Cristallina, 
à  la  hauteur  de  5267  pieds  ;  il  aura  5200  mètres  ou  un  peu  plus  d'une  lieue  de 
longueur;  la  pente  jusque  vers  Coire  est  de  3400  pieds;  mais  cette  pente,  étant 
repartie  sur  une  dislance  de  14  lieues,  ne  sera  en  moyenne  que  de  1  et  ^/,  pour  ^ 


0* 


LA    St'ISSR    PITTORESQUE.  59 


Du  cdlé  du  TessÎD  le  débouché  du  tunnel  devra  sans  doute  être  plus  bas ,  soit  à 
environ  4500  pieds;  mais,  vu  la  faible  distance  entre  le  Luckmanier  et  le  village 
d'Olivone,  qui  est  à  2800  pieds,  et  la  différence  de  niveau  qui  existera  entre  ce  vil- 
lage et  le  débouché  méridional  du  tunnel,  la  pente  devra  commencer  par  être  assez 
considérable:  sur  une  longueur  de  3  lieues  elle  devra  être  d'au  moins  4®/^.  C*esl 
lÀ,  à  notre  avis,  une  des  principales  difficultés  qu'offre  cette  voie.  Peut-être  rétablis- 
sement de  la  voie  près  d'Olivone  à  un  niveau  supérieur  à  ce  village  permet tra-t-il 
d'adoucir  un  peu  cette  pente.  On  annonce  cependant  qu'une  partie  des  pentes  de  la 
voie  du  Luckmanier  nécessitera  des  moyens  de  traction  autres  que  les  locomotives. 
En  employant  les  procédés  de  forage  dont  on  a  fait  l'essai  au  Mont-Cenis,  on  a  calculé 
que  le  percement  du  tunnel  serait  achevé  dans  l'espace  de  cinq  ans. 

H  nous  reste  à  dire  quelques  mots  des  diverses  voies  qui  viendront  aboutir  au 
territoire  de  la  Confédération  et  se  relier  avec  les  lignes  suisses.  Nous  avons  men- 
tionné la  ligne  de  Strasbourg  à  Bàle  ;  une  autre  ligne  a  été  créée  postérieurement  sur 
le  territoire  badois.  Par  le  moyen  de  ces  lignes,  Bùle  est  déjà  en  communication  avec 
Paris  et  avec  le  centre  et  le  nord  de  l'Allemagne.  Une  autre  ligne  fera  communiquer 
l'intérieur  de  la  Bavière  avec  les  rives  septentrionales  du  lac  de  Constance.  Celle  de 
Coire  h  Bellinzone  par  le  Luckmanier  sera  prolongée  sur  le  territoire  piémontais  le 
long  de  la  rive  droite  du  lac  Majeur,  et  se  reliera  avec  la  ligne  de  Turin  à  Gènes. 
Les  lignes  de  Lyon  à  Genève  et  de  Chambéry  à  Genève  ont  aussi  été  décrétées  ;  elles 
feront  communiquer  la  Suisse  occidentale  avec  le  midi  de  la  France  et  le  Piémont. 
La  première  de  ces  lignes  est  en  voie  d'exécution;  la  seconde  ne  sera  probablement 
opérée  qu'après  l'achèvement  de  la  ligne  de  Chambéry  au  pied  du  Mont-Cenis.  Une 
voie  doit  être  créée  à  travers  le  Chablais,  et  venir  se  relier  à  la  voie  vallaisanne.  Enfin 
il  a  été  question  d'une  voie  qui,  partant  d' Y verdon,  entrerait  en  France  par  le  Jura 
du  côté  de  Jougne,  et  d'une  autre  qui,  de  Neuchâtel,  conduirait  dans  le  même  pays 
par  la  vallée  de  Couvet  et  les  Verrières  ;  mais  ces  embranchements  ne  sont  point 
encore  prêts  à  être  décrétés.  Ajoutons  que  le  gouvernement  du  Piémont,  ainsi  que 
celui  du  Vallais,  aidé  de  ceux  des  cantons  voisins,  s'occupent  activement  du  projet  de 
iaciliter  les  communications  au  moyen  d'un  tunnel  qui  percerait  les  Alpes  dans  le 
voisinage  du  Grand  St.-Bernard  au  col  de  Menouve;  mais,  vu  la  hauteur  où  devra 
être  ce  tunnel,  il  ne  serait  pas  relié  par  une  voie  ferrée  avec  la  ligne  de  Sion  à  Lau- 
sanne. 


TELEGRAPHES. 

Une  loi  du  23  décembre  1881  porte  que  le  droit  d'établir  des  télégraphes  électri- 
ques, et  celui  d'accorder  des  concessions  à  ce  sujet,  appartiennent  uniquement  à  la  Con- 
fédération. L'Assemblée  fédérale  décréta  en  même  temps  l'établissement  des  lignes 
suivantes  :  1®  De  Rheineck  (petite  ville  près  l'embouchure  du  Rhin  dans  le  lac  de 
Constance)  à  Genève,  en  passant  par  St.-Gall,  Frauenfeld,  Winterthour,  Zurich, 
Aarau ,  Berne  et  Lausanne,  avec  embranchement  de  St  .-Gall  à  Hérisau ,  de  Winterthour 
à  Schaffhouse,  d'Herzogenbuchsée  à  Soleure,  de  Morat  d'un  côté  vers  Fribourg,  de 


60  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Taulre  vers  Neuch«\tel  et  la  Chaux-de-Fonds,  et  de  Lausanne  à  Vevey.  —  2®  De 
Zurich  à  Ghiasso  (au  sud  de  Mendrisio),  par  Brunnen  et  Bellinzone,  avec  un  embran- 
chement sur  Claris  et  Goire,  et  un  autre  sur  Locarno.  —  3®  Et  une  troisième  ligne 
(le  Bàle  par  Zofingen  et  Lucerne,  traversant  la  première  près  deZofingen,  et  se  reliant 
avec  la  seconde  à  Brunnen.  —  Ces  lignes  ont  été  créées  au  moyen  d'un  emprunt  de 
400,000  francs  ne  portant  pas  d'intérêt;  elles  sont  ouvertes  depuis  la  fin  de  1852. 
Elles  ont  été  établies  sous  l'habile  direction  de  M.  le  professeur  Steinheil,  qui  avait 
déjà  été  chargé  de  la  création  des  télégraphes  autrichiens  ;  le  système  admis  est  de 
son  invention  et  porte  son  nom.  De  nouveaux  embranchements  seront  créés  pour 
relier  ces  lignes  avec  les  localités  qui  seraient  disposées  à  fournir  des  contributions 
suffisantes,  et  où  l'importance  du  mouvement  commercial  et  industriel,  ou  les  inté- 
rêts de  la  Confédération,  l'exigeraient.  Une  Direction  spéciale  a  été  créée  sous  la  sur- 
veillance du  Département  fédéral  des  Postes  et  des  Travaux  publics.  Le  prix  est  de 

4  franc  pour  une  dépêche  de  2S  mots,  pour  toute  la  Suisse  ;  2  francs  pour  50  mots  ; 

5  francs  pour  iOO  mots,  etc. 


SOCIETES  ET  FETES  FEDERALES. 

Les  liens  entre  les  confédérés  sont  resserrés  par  des  réunions  fréquentes  qui  rap  - 
prochent  les  citoyens  des  divers  cantons  cultivant  une  même  science  ou  un  même 
art,  poursuivant  un  même  but  patriotique.  Si  elles  sont  utiles  pour  l'avancement 
des  sciences  et  des  lettres,  ces  réunions  le  sont  encore  plus  par  les  relations  qu'elles 
créent  ou  rendent  plus  intimes  entre  les  confédérés  accourus  des  diverses  parties  de 
la  Suisse.  Par  la  sympathie  générale  qu'elles  rencontrent  et  la  part  qu'y  prend  la 
population  tout  entière,  plusieurs  de  ces  réunions  deviennent  de  véritables  fêtes 
nationales.  En  première  ligne  nous  devons  nommer  la  Société  fédérale  des  Carabiniers, 
Le  premier  tir  fédéral  eut  lieu  en  1824  à  Aarau;  c'est  là  que  fut  organisée  cette 
société.  L'article  1*"^  de  ses  statuts  porte  que  u  le  but  de  la  société  est  de  réunir  en 
frères  d'armes  tous  les  carabiniers  de  la  Suisse  qui  aiment  la  patrie,  de  perfectionner 
le  tir  à  la  carabine,  et  de  rendre  les  carabiniers  propres  à  défendre  la  patrie  au 
moment  du  danger  » .  Les  réunions  sont  à  l'ordinaire  bisannuelles.  Les  premiers 
tirs  ont  commencé  par  être  simples  et  modestes  ;  mais  peu  à  peu  ils  ont  acquis 
une  grande  splendeur  :  chaque  canton  appelé  à  offrir  l'hospitalité  à  ses  confédérés  a 
cherché  à  dépasser  ses  prédécesseurs.  La  valeur  des  prix  offerts  à  l'adresse  des 
tireurs  a  aussi  constamment  tendu  à  s'élever;  les  Suisses  même  établis  à  l'étranger 
n'oublient  jamais  d'adresser  à  la  société  du  tir  de  riches  cadeaux  qui  témoignent  de 
rattachement  qu'ils  conservent  pour  leur  patrie  jusque  dans  les  régions  les  plus 
lointaines. 

Deux  autres  sociétés  attirent  aussi  un  grand  concours  de  public  :  nous  voulons 
parler  de  la  Société  musicale  et  de  \sl  Société  de  Gymnastiqxie,  La  première  se  rassemble 
tous  les  deux  ans  dans  une  des  principales  villes  suisses.  Longtemps  à  l'avance  on  met 
à  rétude  les  œuvres  musicales  qui  doivent  être  exécutées;  aussi  les  concerts  helvé- 
tiques ont-ils  à  l'ordinaire  parfaitement  réussi,  et  l'on  peut  les  compter  comme  étant, 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  61 


après  les  tirs  fédéraux,  la  principale  solennité  fédérale.  Indépendamment  de  cette 
société,  il  existe  une  Société  fédérale  de  Chant,  mais  elle  ne  compte  encore  ses  mem- 
bres que  dans  les  cantons  septentrionaux.  La  Société  de  Gymnastiqm,  par  la  nature 
même  de  son  objet,  donne  lieu  à  un  spectacle  assez  captivant,  et  qui  doit  tout  na- 
turellement attirer  une  affluence  considérable.  C'est  en  présence  de  cette  foule  que 
les  jeunes  gymnastes  des  divers  cantons  viennent  lutter  de  vigueur  et  d'adresse,  et 
des  prix  de  nature  très-diverse  sont  décernés  à  ceux  qui  se  distinguent  le  plus.  Quel- 
ques-uns de  leurs  exercices,  tels  que  le  jet  de  la  pierre,  la  lutte,  la  course,  etc., 
rappellent  les  jeux  antiques  de  la  Grèce. 

Les  autres  sociétés  s'occupent  d'objets  qui,  bien  que  présentant  pour  la  masse  du 
public  un  intérêt  moins  immédiat  et  moins  général,  n'en  sont  pas  moins  importants 
pour  le  pays.  Telle  est  la  Société  d'Utilité  pMique,  fondée  en  4840,  qui  discute 
diverses  questions  intéressant  tout  ou  partie  de  la  Suisse,  et  s'occupe  des  améliorations 
morales  ou  matérielles  à  introduire.  C'est  elle  qui  a  patroné  ou  créé  plusieurs  in- 
stitutions philanthropiques. 

La  Société  helvétique  des  Sciences  fiaturelles,  divisée  en  section  de  physique,  section 
de  botanique,  section  de  zoologie,  s'occupe,  comme  son  nom  l'indique,  des  diverses 
branches  de  sciences  qui  se  rapportent  aux  choses  physiques;  les  phénomènes  si 
variés  que  présente  la  nature  en  Suisse  ofirent  un  vaste  champ  d'étude  aux  savants. 
Cette  société  a  pris  naissance  dans  une  réunion  qui  eut  lieu  à  Mornex  (  en  Savoie,  à 
la  frontière  de  Genève),  chez  M.  Gosse,  pharmacien,  le  6  octobre  4815  ;  elle  a  tenu 
sa  première  session  régulière  à  Berne  en  4846.  —  La  Société  médicale  entend  la 
lecture  de  mémoires  et  discute  des  questions  concernant  sa  branche  spéciale.  —  La 
Société  d'Histoire  suisse  s'occupe  principalement  de  recherches  archéologiques  ou  rela- 
tives au  moyen-âge.  —  La  Société  d* Histoire  de  la  Suisse  romande  est  restreinte,  d'après 
la  nature  de  son  but,  à  quelques  cantons  occidentaux.  —  Les  ecclésiastiques  protestants 
ont,  depuis  quelques  années,  des  réunions  annuelles  pour  entendre  des  communications 
sur  le  progrès  de  l'Evangile.  —  Les  instituteurs  suisses  ont  de  même  créé  des  réunions 
pour  discuter  les  améliorations  à  introduire  dans  les  méthodes  d'enseignement.  — 
La  Société  militaire  dirige  son  attention  sur  diverses  questions  de  la  science  de  la 
guerre  et  sur  les  améliorations  dont  seraient  susceptibles  l'organisation  de  l'armée 
et  nos  moyens  de  défense. 

Les  étudiants  des  académies  suisses  ont  aussi  formé  une  association  depuis  l'an 
4849,  et  chaque  année  ils  se  rassemblent  vers  la  fin  de  l'été  dans  un  lieu  central. 
Ils  sont  divisés  en  autant  de  sections  qu'il  y  a  d'académies  en  Suisse,  section  de 
Zurich,  section  de  Bàle,  de  Berne,  Lausanne,  Genève,  Neuchàtel,  St.-Gall,  Lucerne, 
Goire.  Malheureusement,  la  politique  est  venue,  il  y  a  quelques  années,  semer  la 
division  entre  les  étudiants,  et  la  société  s'est  fondue  en  deux  autres  :  l'une  a  con- 
servé l'ancien  nom  de  Société  de  Zofingen,  d'après  celui  de  son  lieu  ordinaire  de  ré- 
union; la  nouvelle,  sous  le  nom  d'Helvétia,  se  compose  des  jeunes  gens  dont  les 
opinions  politiques  sont  le  plus  radicales. 


62  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


SITUATION  GÉOGRAPHIQUE,  ÉTENDUE,  FRONTIÈRES. 

La  Suisse  est  située  entre  le  ftS""  SO'  et  le  ^7''  50*  de  latitude.  Ses  points  saillants 
sont:  au  midi,  le  Grand  St. -Bernard,  dans  le  Yallais,  et  le  district  de  Mendrisio,  dans 
le  Tessin;  au  nord,  le  territoire  de  Schaffhouse;  à  l'orient,  la  vallée  de  la  Basse- 
Engadine  ;  à  l'occident,  le  vallon  des  Dapi)es  derrière  la  DAle,  et  l'extrémité  du  terri- 
toire genevois.  Sa  plus  grande  longueur  de  l'orient  à  l'occident,  de  Munster,  frontièredu 
Tyrol,  au  vallon  des  Dappes,  est  d'environ  80  lieues  de  28  au  degré,  et  sa  plus  grande 
largeur  du  nord  au  sud,  entre  le  nord  du  canton  de  Schaffhouse  et  l'extrémité  du 
district  de  Mendrisio,  est  de  plus  de  50  lieues.  Les  pays  limitrophes  sont  :  la  France  à 
l'ouest ,  les  Etats  sardes  et  la  Lombardie  au  sud ,  le  Tyrol  et  la  principauté  de  Lich- 
tenstein  à  l'est,  le  grand-duché  de  Bade  au  nord.  On  peut  compter  aussi,  comme 
touchant  à  la  Suisse  au  nord,  le  Wurtemberg  et  la  Bavière,  qui  possèdent  chacun 
quelques  lieues  de  la  rive  septentrionale  du  lac  de  Constance.  Quatorze  cantons  suisses 
confinent  à  des  Etats  étrangers  ;  dix  seulement  sont  à  l'intérieur. 

La  ligne  des  frontières  de  la  Suisse  offre  un  développement  de  3^9  lieues,  dont 
202  lieues  de  frontières  de  montagnes,  à  l'ouest,  au  sud  et  en  partie  à  l'est  ;  68  lieues 
de  frontières  d'eau:  le  Rhin,  à  l'est  et  au  nord;  le  Doubs,  sur  une  longueur  de  10 
lieues,  entre  la  France  et  les  cantons  de  Neuchâtel  et  de  Berne  ;  les  lacs  de  Constance 
et  de  Genève,  et  le  lac  Majeur.  Enfin,  il  reste  79  lieues  de  frontières  en  plaine  :  le 
canton  de  Schaffhouse,  celui  de  Genève,  partie  du  district  de  Mendrisio,  et  quelques 
lieues  de  la  frontière  de  Vaud,  Berne  et  Bâle.  On  voit  que  la  Suisse,  sur  la  plus  grande 
partie  de  ses  limites,  possède  des  remparts  naturels,  très-faciles  à  défendre,  et  qu'elle 
n'est  exposée  que  sur  quelques  points  seulement.  Du  côté  de  Genève,  le  traité  de 
Vienne  lui  a  accordé  une  garantie  qui  pourra,  dans  certaines  conjonctures,  être  d'une 
haute  importance,  en  étendant  la  neutralité  suisse  à  une  grande  partie  de  la  Savoie, 
comprenant  le  Chablais,  le  Faucigny,  ainsi  que  tout  le  territoire  situé  au  nord 
d'Ugine. 

D'après  les  dernières  mesures,  la  superficie  totale  de  la  Suisse  est  (dit  Franscini) 
de  2030  lieues  carrées,  de  25  au  degré,  ou  de  17&8  lieues  suisses  (de  4800  mètres). 
Les  tableaux  statistiques  publiés  en  1854  (voyez  ci-dessus  page  ft5),  n'évaluent  la 
superficie  totale  qu'à  1732  lieues  suisses.  Mais  les  travaux  de  triangulation  n'étant 
pas  terminés  pour  quelques  cantons,  en  particulier  pour  les  plus  grands,  ce  chiflGre 
n'est  pas  définitif.  Quant  aux  divers  cantons,  leur  grandeur  varie  considérablement. 
Les  plus  étendus  sont  le  canton  des  Grisons,  qui  a  301  lieues  carrées  suisses,  et 
celui  de  Berne,  qui  en  a  294.  Ces  cantons  forment  chacun  un  sixième  de  la  Suisse 
entière.  Le  Vallais  a  192  lieues,  et  forme  Vg  du  territoire  suisse.  Ceux  qui  le  suivent 
en  étendue  sont  les  Etats  de  Vaud,  Tessin,  St.-Gall  et  Zurich.  Ce^  sept  cantons  forment 
ensemble  les  ''/^q  de  la  Suisse.  Les  sept  cantons  qui  viennent  ensuite  dans  l'ordre  de 
grandeur  en  forment  les  *|^Q;  enfin,  les  huit  plus  petits  Etats  en  forment  à  peine 
*|^Q.Les  moins  considérables  sont  ceux  de  Schaffhouse,  qui  a  13^/ ^^  lieues  carrées; 
Genève,  qui  en  a  12*/^^^,  et  Zug,  10  ^/^q.  Ce  dernier  n'est  donc  pas  même  un  170"** 
de  la  Suisse  ;  il  est  au  canton  de  Berne  ou  à  celui  des  Grisons  dans  la  proportion  de 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  63 


1  à  30.  La  Suisse  est  à  peu  près  égale  à  la  moitié  de  retendue  de  la  Bavière  ou  de 
celle  du  Piémont  ;  la  population  de  ces  deux  Etats  se  trouve  aussi  à  peu  près  le  double 
de  la  sienne. 

La  Suisse  française,  composée  de  trois  cantons,  Neuchàtel,  Yaud  et  Genève,  et 
d'une  partie  de  trois  autres,  Berne,  Fribourg,  Vallais,  compte  plus  de  400  lieues 
suisses  ;  la  Suisse  italienne,  comprenant  le  Tessin  et  les  trois  vallées  grisonnes  de 
Misocco,  Bregaglia  et  Poschiavo,  compte  environ  150  lieues;  le  territoire  où  Ton 
|)arle  le  romanche  est  d'une  égale  étendue.  11  reste  donc  pour  la  Suisse  allemande 
1000  à  1050  lieues  carrées. 


ÉLÉVATION,  CLIMAT, 


ETC. 


La  Suisse  est,  dans  son  ensemble,  le  pays  le  plus  élevé  de  l'Europe.  Les  parties 
les  plus  basses  sont:  au  sud,  les  bords  du  lac  Majeur,  qui  n'est  qu'à  696  pieds  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer  ;  et  ceux  du  lac  de  Lugano,  qui  est  à  874  pieds  ;  et  au 
nord,  le  Rhin,  qui,  près  de  Bâle,  n'est  plus  qu'à  762  pieds;  il  est  descendu  de  ftOO 
pieds  depuis  sa  sortie  du  lac  de  Constance. —  Entre  les  deux  grandes  chaînes  de 
montagnes  dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure,  s'étend  un  plateau  dont  la  hauteur 
est  inhale  et  varie  de  1800  à  1200  pieds;  il  est  d'une  largeur  de  8  à  10  lieues. 
On  regarde  ce  plateau  comme  le  plus  élevé  de  l'Europe;  ceux  qui  approchent  le  plus 
de  cette  hauteur  sont  celui  de  l'Auvergne,  en  France,  et  le  plateau  central  d'Espagne, 
où  est  située  la  ville  de  Madrid  :  ils  atteignent  aussi  une  hauteur  de  1800  pieds; 
puis,  le  plateau  central  de  la  Bavière,  où  est  situé  Munich,  et  qui  est  à  1500  ou 
1600  pieds. 

Les  chefs-lieux  les  plus  élevés  de  la  Suisse  sont  ceux  du  canton  d'AppenzelP.  Le 
bourg  d'Appenzell  est  à  2350  pieds  au-dessus  de  la  mer;  Hérisau,  à  2330,  et 
Trogen,  à  2670.  Ensuite  viennent  St.-Gall ,  qui  est  à  2020  pieds,  soit  à  800  et 
quelques  pieds  au-dessus  du  lac  de  Constance;  Fribourg,  qui  est  à  1950  pieds;  Coire, 
à  1840  ou  1875;  Sion,  à  1790;  Berne,  à  1680;  Lausanne,  à  1500  ou  1600. 
Les  moins  élevés  sont  Bâle,  qui  est  à  762  pieds  (niveau  du  Rhin);  Lugano,  à  874  ; 
Bellinzone,  à  706  ;  Locarno,  à  696. 

Jusqu'à  2000  ou  2500  pieds  au-dessus  de  la  mer,  la  Suisse  est  très-peuplée  ;  on 
rencontre  à  cette  hauteur  quantité  de  bourgs  et  de  petites  villes.  A  une  plus  grande 
élévation,  on  voit  cependant  encore  beaucoup  de  villages,  même  assez  considérables. 
Ainsi,  vers  le  haut  des  vallées  bernoises,  on  trouve  des  villages  qui  tous  sont  à  plus 
de  3000  pieds;  Gessenay,  à  3150;  Gestad,  à  3230;  Gsteig  ou  leChâtelet,  à  3694: 

1.  Pour  les  hautears  des  montagnes  et  autres  localités,  nous  avons,  en  général,  donné  la  pré- 
férence aui  chiffres  indiqués  dans  VHypsométrie  de  la  Suisse,  de  Ziegler,  publiée  à  Zurich  en  1853 
par  rétablissement  topographique  de  WusteretC*,deWinterthour.  Quand  cet  ouvrage  indiquait 
lai-méme  diverses  évaluations  des  hauteurs,  nous  avons  adopté  celle  qui  nous  paraissait  la 
plus  accréditée.  Nous  avons  consulté  aussi  VHypsométrie  de  DOrheim,  publiée  à  Berne  en  1850, 
ainsi  que  VHypsométrie  des  environs  de  Genève,  publiée  en  1830  par  M.  le  professeur  A.  de  Can- 
dolle,  et  qui  comprend  les  hauteurs  mesurées  dans  un  espace  de  25  lieues  autour  de  cette  ville. 
Tontes  les  mesures  que  nous  donnerons  sont  en  anciens  pieds  français,  appelés  pieds  de  roi. 


64  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Lauenen,  à  3860;  Lenk,  à  3340;  Adelboden,  à  3990;  Kandersteg,  à  3280; 
Grindeiwald,  à  3180;  Guttanen,  à  3290;  Gadmen,  à  3770. 

Dans  le  canton  du  Yallais,  un  grand  nombre  de  villages  situés  vers  le  haut  des 
vallées  sont  à  une  élévation  de  3  à  4000  pieds  ;  plusieurs  se  trouvent  plus  haut 
encore  :  tels  sont  St. -Pierre,  sur  la  route  du  Grand  St. -Bernard,  à  4890  pieds; 
Grimenze,  vallée  d'Anniviers,  à  4873  ;  Ayer,  même  vallée,  à  4482  ;  Banda,  vallée 
de  St.-Nicolas,  à  4535;  Zermatt,  à  Textrémité  de  la  même  vallée,  à  5073;  Saas, 
à  4550.  Ceux  de  Torbel,  d'Emd  et  de  Visperterminen,  situés  plus  près  du  Bhdnc 
que  les  derniers,  mais  sur  des  plateaux  élevés,  sont  à  4700,  4251  et  4205  pieds. 
Le  village  de  Simplon  est  à  4550;  Binn,  à  4488;  Obergestelen,  à  deux  lieues  du 
glacier  du  Rhône,  à  4200  ;  les  bains  de  Louèche,  à  4410.  —  Dans  le  canton  d'Uri, 
la  vallée  d'Urseren  est  très-élevée  ;  le  village  d'Andermatt  est  à  4450  pieds;  celui 
de  Réalp,  à  4730  ;  dans  celui  du  Tessin,  Airolo,  au  pied  du  St.-Golhard,  est  à 
3900  pieds;  Fusio,  dans  le  val  Lavizzara,  est  à  3890. 

Un  grand  nombre  de  villages  grisons,  situés  soit  dans  les  vallées,  soit  sur  le  flanc 
des  montagnes  ou  sur  des  plateaux  élevés,  sont  également  à  plus  de  4000  pieds  ; 
tels  sont  :  Sedrun,  à  Touest  de  Dissentis,  à  4370  pieds;  Panix,  au  nord  du  Rhin,  à 
4280;  le  village  de  Splûgen,  au  pied  du  passage  de  ce  nom,  à  4640;  celui  de 
llinterrhein,  au  pied  du  col  du  St.-Bernardin,  à  4987;  Parpan,  au  sud  de  Goire,  à 
4370;  Lenz,  à  4170;  Bergun,  route  de  TAlbula,  &  4150;  Davos,  à  4500.  La 
Ilaute-Engadine  dépasse  même  toutes  ces  hauteurs.  Les  plaines  qui  forment  le  sol  de 
cette  vallée  et  où  Ton  trouve  plusieurs  villages,  s'élèvent  insensiblement  jusqu'à 
5000  et  même  5600  pieds.  C'est  à  5580  pieds  qu'est  le  village  de  St.-Moritz,  où 
il  existe  un  établissement  de  bains  très-fréquenté.  Plusieurs  villages  de  la  Basse- 
Engadine,  où  la  rivière  est  profondément  encaissée,  sont  encore  à  plus  de  4000  pieds. 
Dans  la  vallée  qui  conduit  au  col  Julier  et  au  Septimer,  on  trouve  le  village  de  Bivio 
ou  Stalla,  à  5680  pieds.  Nommons  enfin  la  sauvage  vallée  d*Avers,  qui  débouche 
dans  la  vallée  du  Rhin  postérieur,  à  deux  lieues  au-dessous  du  village  de  Splûgen, 
et  dont  la  partie  supérieure  est  plus  élevée  que  la  Haute-Engadine  ;  mais  les  villages 
habités  toute  l'année  n'y  dépassent  pas  5000  pieds. 

Dans  les  vallées  du  Jura,  l'on  trouve  aussi  des  habitations  à  une  grande  hauteur  ; 
ainsi,  dans  le  canton  de  Neuchâtel,  la  Chaux-de-Fonds  est  à  3070  pieds,  et  le 
Locle  à  2835  ;  ce  sont  les  deux  villes  les  plus  hautes  de  la  Suisse.  Le  village  des 
Planchettes  est  à  3287  pieds  ;  Brévine,  à  3205  ;  les  BoUes,  près  la  Côte-aux-Fées, 
à  3208  ;  les  Ponts,  à  3064.  La  vallée  de  Joux,  dans  le  canton  de  Vaud,  renferme 
plusieui-s  villages  qui  sont  tous  au-dessus  de  3050  pieds,  niveau  du  lac.  Enfin,  quel- 
ques villages  du  Jura  bernois  sont  à  une  hauteur  pareille  :  tels  sont  Saignelégier,  à 
3050;  Genevez,  à  3310  ;  les  Bois,  à  3210,  etc.  St.-Imier  n'est  qu'à  2540  pieds. 

Nous  donnons  cette  énumération  pour  mieux  montrer  qu'une  partie  notable  de  la 
|)opulation  suisse  vit  à  une  grande  hauteur,  qui,  dans  d'autres  pays,  est  celle  du 
sommet  des  montagnes.  Elle  doit  suffire  aussi  pour  faire  comprendre  que  la  ma- 
jeure partie  de  la  Suisse  est  loin  d'avoir  un  climat  semblable  à  celui  des  pays  situés 
sous  la  même  latitude.  Ainsi,  des  observations  qui  ont  été  faites,  il  résulte  que  Berne, 
Zurich  et  Coire,  situés  vers  le  47*"  degré,  ont  pour  chaleur  moyenne  du  mois  le  plus 
chaud  environ  18  degrés  Réaumur,  c'est-à-dire  à  peu  près  la  même  que  Copen- 


LA    SUIS8E   PITTORESQUE.  6S 


hague  au  55'  degré  et  St.-Pétersbourg  au  60'.  Mais  la  température  moyenne  du 
mois  le  plus  froid  n'y  est  que  de  2  ou  3  degrés  au-dessous  de  0,  c'est-à-dire  qu'elle 
est  d'environ  10  Aegr^  plus  élevée  que  celle  de  St.-Pétersboui^.  Ce  n'est  que  dans 
les  hivers  très-rigoureux  que  le  thermomètre  descend  et  se  maintient  quelques  jours 
au-dessous  de  12  d^és,  dans  les  lieux  d'une  hauteur  moyenne.  Cependant,  il  n'est 
pas  rare  qu'à  la  Cbaux-de-Fonds  il  descende  à  — 20,  quelquefois  même  il  y  descend 
à  — 25.  Au  Grand  St. -Bernard,  le  plus  élevé  des  lieux  habités  toute  l'année,  la  cha- 
leur moyenne  de  l'année  est  de  0,93,  soit  environ  1  degré  au-dessous  de  0  ;  ce  n'est 
qu'un  petit  nombre  de  jours  que  le  thermomètre  y  descend  au-dessous  de  15  degrés. 

La  neige  tombe  en  grande  abondance  dans  quelques  contrées.  Dans  les  vallées  et 
sur  les  montagnes  d'une  élévation  moyenne,  il  en  tombe  souvent  5  pieds,  quelque- 
fois 8  à  10  pieds  et  plus;  tel  est  le  cas  des  hautes  vallées  de  Neuchàtel.  Dans  la 
plaine  elle  tombe  en  plus  grande  quantité  que  dans  d'autres  pays  à  la  même  lati- 
tude, mais  le  froid  n'est  pas  toujours  proportionné  à  cette  quantité  de  neige  ;  ainsi 
il  arrive  quelquefois  que  la  France  et  l'Allemagne,  où  il  tombe  moins  de  neige, 
souffrent  d'un  froid  plus  rigoureux  que  la  Suisse. 

Si  la  majeure  partie  de  la  Suisse  a  un  climat  qui  mérite  d'être  appelé  rude,  on 
peut  dire  cependant  que,  vu  les  différences  de  hauteur  et  d'exposition,  ce  pays 
offre  sous  ce  rapport  une  très-grande  variété.  D'après  leur  disposition  générale,  la 
plus  grande  partie  des  vallées  suisses  sont  exposées  aux  vents  du  nord ,  ce  qui  aug- 
mente le  froid  rigoureux  qui  y  règne.  Les  contrées  exposées  aux  vents  du  midi  sont 
plus  favorisées.  Ainsi  Goire,  expo^  aux  vents  du  sud  et  d'ouest,  a  une  température 
moyenne  de  9,&5,  tandis  qu'à  Zurich,  exposé  aux  vents  du  nord,  la  température 
moyenne  est  de  8,8;  cependant  l'élévation  de  Coire  est  de  1875  pieds,  et  celle  de 
Zurich  n'est  quede  1258.  Le  Tessin,  grâce  à  sa  position,  jouitd'une  température  douce  ; 
et  le  Vallais ,  dans  sa  partie  centrale ,  sur  la  rive  droite  du  Rhâne ,  abritée  par  de 
hautes  montagnes  se  dirigeant  de  l'est  à  l'ouest,  présente  des  localités  jouissant 
aussi  d'une  chaude  température.  Dans  l'espace  de  quelques  lieues,  on  peut  rencon- 
trer en  Suisse  des  climats  de  pays  très-divers.  Ainsi  l'on  n'exagère  point  quand  on 
affirme  que  dans  moins  d'une  journée  on  peut  passer  des  régions  glacées  de  la  z6ne 
glaciale  aux  chaleurs  de  la  Sicile  ou  du  Sénégal,  que  dans  l'espace  de  quelques  heures 
on  peut  cueillir  la  mousse  d'Islande  et  l'opuntia  de  l'Amérique  du  sud,  entendre  le 
tonnerre  des  avalanches  au  milieu  du  silence  d'une  nature  morte,  et  le  chant  de  la 
cigale  au  milieu  d'une  vallée  brûlante. 

Ce  qu'offre  encore  de  particulier  le  climat  de  la  Suisse,  ce  sont  les  brusques  va- 
riations de  température  et  les  fréquents  orages.  Il  arrive  souvent  au  printemps  que 
la  végétation,  déjà  fort  avancée  dans  les  parties  basses  du  pays,  est  frappée  d'une 
gelée  subite  et  désastreuse.  L'humidité  perpétuelle  des  monts  et  des  vallées  y  faci- 
lite le  développement  des  phénomènes  électriques.  Les  tonnerres  sont  souvent  dans 
les  Alpes  accompagnés  de  grêle,  et  ce  refroidissement  subit  occasionne  des  chutes  de 
neige.  Même  en  juin  et  juillet,  il  n'est  pas  rare  qu'il  neige  sur  les  montagnes  élevées 
de  5000  ou  de  6000  pieds.  A  la  fin  d'août,  il  neige  fréquemment  jusqu'à  la  hauteur  de 
4000  pieds.  Sur  le  St.-Gothard,  il  ne  se  passe  jamais  un  mois  d'été  sans  qu'il  neige 
au  moins  une  fois.  Un  savant  Suédois,  M.  Georges  Wahlenberg,  qui  a  étudié  le  climat 
de  la  I^ponie  et  celui  de  la  Suisse,  a  fait  ressortir  les  différences  frappantes  qu'ils 

11.  5.  9 


66  LA   SUSSE   PITTORESQUE. 


présenteDt.  Tandis  que  le  voyageur  qui  parcourt  en  été  les  Alpes  laponnes,  y  passe 
des  mois  entiers,  ne  se  servant  de  sa  tente  que  pour  s'abriter  contre  les  moustiques 
et  non  point  contre  les  intempéries,  celui  qui  passe  quelques  nuits  sur  les  monta- 
gnes de  la  Suisse  durant  la  même  saison  a  peine  à  se  défendre,  dans  des  cabanes  de 
pierres,  contre  la  grêle  et  le  vent.  —  De  même  que  les  chaleurs  de  Tété  sont  inter- 
rompues par  des  refroidissements  subits,  les  rigueurs  de  Thiver  sont  souvent  tem- 
pérées par  un  vent  tiède  dltalic,  appelé  le  Fôhn  dans  la  Suisse  allemande.  Ce  ne  sont 
pas  seulement  les  vallées  situées  au  sud  des  Alpes  qui  en  éprouvent  les  effets:  ils  se 
font  sentir  aussi  particulièrement  dans  les  contrées  situées  au  nord  du  St.-Gothard, 
tels  que  les  Petits-Cantons  et  Zurich.  Ce  vent  excite  quelquefois  de  violentes  tem- 
pêtes sur  les  lacs,  et  occasionne  une  fonte  rapide  des  neiges  et  de  terribles  avalan- 
ches. En  adoucissant  Tàpre  température  du  sommet  des  Alpes,  il  y  fait  naître  sur 
quelques  points,  sur  le  St.-Gothard  par  exemple,  des  plantes  qui  appartiennent  à  la 
végétation  des  vallées. 


MONTAGNES. 

Le  plateau  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus  est  limité  par  deux  grandes  chaînes 
de  montagnes,  les  Alpes  à  l'est  et  au  sud-est,  et  le  Jura  à  l'ouest  et  au  nord- 
ouest.  Disons  quelques  mots  de  chacune  de  ces  chaînes.  Les  Alpes  se  composent 
elles-mêmes  de  plusieurs  chaînes,  dont  la  principale  est  celle  qui  forme  la  ligne 
de  démarcation  pour  les  eaux,  lesquelles  s'écoulent  ou  du  côté  de  l'Italie,  ou  du 
côté  de  l'Allemagne  et  de  la  France.  Cette  chaîne,  dans  laquelle  se  trouve  le 
Mont-Blanc,  à  quatre  lieues  de  la  frontière  suisse  à  vol  d'oiseau,  atteint  la  Suisse 
au  col  Ferret  ;  de  là,  se  dirigeant  vers  l'est,  elle  sert  de  limite  au  Yallais  et  au 
Piémont;  puis,  pénétrant  dans  l'intérieur  de  la  Suisse,  elle  sépare  le  canton  d'Uride 
celui  du  Tessin  ;  de  là  elle  suit  une  direction  assez  tortueuse  :  sur  une  ligne  d'environ 
douze  lieues,  elle  forme  la  frontière  des  Grisons  et  du  Tessin  ;  ensuite  elle  entre  dans 
les  Grisons  près  du  mont  Bernardin  et  du  Splûgen  ;  elle  borne  la  Haute-Engadine  du 
côté  du  sud,  sous  le  nom  de  Bernina  ;  elle  appartient  à  la  Yalteline  sur  une  longueur 
de  &  lieues,  près  du  col  Foscagno,'à  l'ouest  de  Bormio  ;  elle  rentre  dans  les  Grisons 
près  du  col  Buffalora,  et  atteint  la  frontière  tyrolienne  à  l'est  du  col  Scarla  ou  Scharl  ; 
enfin,  après  avoir  formé,  sur  une  ligne  de  4  lieues,  la  limite  entre  les  Grisons  et  le 
Tyrol,  elle  se  prolonge  dans  ce  dernier  pays  au  nord  des  sources  de  l'Adige  (Etsch). 
La  partie  de  cette  chaîne  comprise  maintenant  sur  le  territoire  suisse  portait  diffé- 
rents noms  chez  les  anciens  :  ils  appelaient  Alpes  pennines  celles  qui  s'étendent  dû 
Mont-Blanc  au  Mont-Rose  et  au  Simplon  ;  ils  désignaient  sous  le  nom  d'Alpes  Upon- 
Unes  celles  qui  s'élèvent  entre  le  Simplon  et  le  Bernardin  et  qui  comprennent  tout 
le  groupe  du  St.-Gothard,  et  sous  celui  à* Alpes  rhétiennes  celles  qui,  à  partir  du 
Bernardin,  traversent  le  pays  des  Grisons  et  le  Tyrol. 

Plusieurs  ramifications  se  rattachent  à  cette  chaîne  principale:  l'une,  partant  du  col 
Ferret,  forme  la  limite  entre  le  Vallais  et  la  Savoie,  et  aboutit  au  lac  de  Genève  au- 
dessus  de  St.-Gingolph  ;  plusieurs  chaînons  de  8  à  10  lieues  de  longueur  enferment  les 
vallées  latérales  du  Vallais;  du  groupe  massif  du  Mont-Rose  partent  quelques  petites 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  67 


chaînes  qui  se  dirigent  vers  le  sud,  et  vont  mourir  dans  les  plaines  du  Piémont.  Au 
groupe  du  St.  Gothard  se  rattachent  également  deux,  ou  trois  chaînes  qui  traversent 
le  canton  du  Tessin.  Vers  le  nord-est  du  St.-Gothard  se  dirige  une  ramification 
importante,  qui  forme  la  limite  entre  les  Grisons  et  les  cantons  d'Uri,  de  Glaris  et  de 
St.-Gall,  et  va  expirer  au  bord  du  Rhin  vis-à-vis  de  Malans.  Deux  bifurcations  de 
cetle  chaîne  enferment  le  canton  de  Glaris,  en  le  séparant  d*Uri  et  de  St.-Gall.  D'au- 
tres ramifications  sillonnent  Tintérieur  des  Grisons  dans  diverses  directions  :  la  prin- 
cipale est  celle  qui  borne  au  nord-est  la  grande  vallée  de  TEngadine,  et  où  se  trouvent 
les  passages  du  Julier  et  de  TÂlbula. 

On  compte  comme  seconde  chaîne,  ou  chaîne  secondaire,  celle  qui,  à  partir  de  la 
chaîne  principale  au  col  de  la  Furka,  forme  la  séparation  du  Yallais  et  du  canton  de 
Berne,  et  va  se  terminer  par  la  dent  de  Mordes  à  la  frontière  de  Yaud  et  du  Yallais. 
Cette  chaîne  n'est  proprement  que  la  ramification  la  plus  importante  de  la  chaîne 
centrale.  On  considère  quelquefois  comme  étant  le  prolongement  de  cette  chaîne  des 
Alpes  bernoises,  celle  qui  borne  les  Grisons  du  côté  du  nord  ;  celle-ci  a,  en  efifet,  la 
même  direction  que  la  chaîne  bernoise,  et  la  continuité  n'est  interrompue  que  par  le 
défilé  étroit  qui  donne  passage  à  la  Reuss,  et  où  se  trouve  le  fameux  Pont-du-Diable. 

De  la  chaîne  bernoise  partent  plusieurs  ramifications.  L'une,  partant  de  la  Furka, 
se  dirige  vers  le  nord,  et,  en  se  bifurquant,  enferme  complètement  le  canton  d'Unter- 
wald;  Tune  de  ces  bifurcations  vient  expirer  près  du  Grûtli,  au  bord  du  lac  des 
Quatre-Gantons;  l'autre  aboutit  au  mont  Pilate,  près  Lucerne.  D'autres  chaînons 
moins  étendus  se  dirigent  aussi  vers  le  nord,  et  viennent  se  terminer  au  bord  des 
lacs  de  Brientz  et  de  Thoune;  ils  séparent  les  diverses  valléesde  l'Oberland  ber- 
nois. Un  autre,  vers  l'ouest,  enferme  la  vallée  des  Ormonds  au  canton  de  Yaud,  et 
se  rattache  par  le  col  de  Jaman  à  la  petite  chaîne  du  Molesson. 

On  comprend  quelquefois  sous  le  nom  de  troisième  chaîne  des  chaînons  plus  ou 
moins  indépendants,  qui  se  trouvent  à  peu  près  sur  une  même  ligne,  coupant  la  Suisse 
en  diagonale,  de  la  dent  de  Jaman,  au-dessus  de  Montreux,  au  Sentis  dans  le  canton 
d'Àppenzell.  A  cette  chaîne  appartiendraient  le  Molesson,  le  Stockhorn,  le  Brienzer- 
grat  (crête  de  Brienz),  au  nord  du  lac  de  Brienz,  le  mont  Pilate,  le  Righi,  le 
Mythen,  le  Kurfûrsten  au  canton  de  St.-Gall,  et  le  Sentis;  mais  le  Molesson,  le 
Brienzergrat  et  le  Pilate  se  rattachent  à  la  haute  chaîne  bernoise  par  une  suite  non 
interrompue  de  sommités. 

La  Suisse  ne  possède  pas  la  montagne  la  plus  élevée  de  l'Europe.  Le  Mont-Blanc, 
comme  tout  le  monde  sait,  est  situé  sur  le  territoire  sarde,  entre  la  Savoie  et  le  Pié- 
mont, et  non  loin  de  la  frontière  suisse;  mais  elle  possède  plusieurs  des  sommités  qui 
le  suivent  en  élévation.  Les  mensurations  auxquelles  on  a  procédé  pour  la  grande 
carte  de  la  Suisse,  ont  fait  reconnaître  que  plusieurs  sommités  avaient  une  hauteur 
plus  grande  qu'on  ne  l'avait  cru  jusqu'alors.  Yoici  quelques-unes  des  principales 
cimes  des  Alpes. 

Le  Mont-Blanc,  14,760  pieds  de  roi;  les  diverses  mensurations  varient  de  100  à 
200  pieds. 

Le  Mont-Rose j  14,220;  d'autres  mesures  lui  donnent  100  à  200  pieds  de  plus. 
Cette  montagne,  qui  est  située  entre  le  Yallais  et  le  Piémont,  présente  un  groupe  de 
cimes  disposées  à  peu  près  en  forme  de  cirque  (De  Saussure,  §  2138).  C'est  peut- 


68  LA  SUISSE  PITTORESQUE. 


être  de  cette  circonstance  que  lui  vient  son  nom.  Plusieurs  des  cimes  dépassent 
14,000  pieds. 

Le  Dom  (Dôme)  ou  Grabenhom,  un  des  pics  Mischabel,  au  nord  du  Mont-Rose, 
entre  la  vallée  de  Saas  et  celle  de  Zermatt,  d'après  la  topographie  de  la  vallée  de 
Saas  par  M.  le  curé- Imseng,  44,040;  d'après  V Hypsoméirie  Durheim,  14,031; 
d'après  YHypsométrie  Ziegler,  14,020.  Malgré  ces  diàërences  dans  les  chiffres,  ces 
trois  ouvrages  se  réfèrent  tous  aux  mensurations  du  chanoine  Berchthold. 

Le  Lâgerhorn  ou  Tàschhorn,  un  autre  des  pics  Mischahel,  situé  au  sud  du  précé- 
dent, 14,032,  d'après  Ziegler.  Si  les  mesures  de  ces  deux  montagnes  sont  exactes, 
elles  seraient  les  sommités  les  plus  élevées  de  l'intérieur  de  la  Suisse.  Mais,  d'après  la 
hauteur  apparente  qu'elles  présentent  pour  l'observateur  qui  les  regarde  du  village 
de  Fee,  et  diaprés  leur  position  relativement  aux  autres  pics  Mischd)el,  nous  suppo- 
sons que  ces  évaluations  sont  trop  fortes.  Le  professeur  Ulrich,  placé  sur  le  plus  bas 
des  pics  Mischahel,  dont  il  évalue  la  hauteur  à  12,323  pieds,  estimait  que  le  Dam  ne 
dépassait  ce  dernier  que  d'un  millier  de  pieds  environ. 

Le  Silbersattel  (Selle  d'argent),  sommité  voisine  du  Mont-Rose,  et  nommée  par 
VHypsométrie  Ziegler,  14,004.  Elle  confine  au  Piémont. 

Le  Weissharn  (Pic blanc),  13,900,  à  l'ouest  du  village  de  Randa,  dans  la  vallée 
de  St.-Nicolas,  à  3  lieues  au  nord  du  Matterhorn  ;  c'est  une  magnifique  pyramide 
qui  se  termine  par  une  pointe  aiguë  ;  le  chiffre  indiqué  ne  s'écarte  vraisemblablement 
pas  de  la  vérité.  Si  les  deux  sommités  ci-dessus  (le  Dôme  et  le  Lagerhorth)  ont,  ce 
qui  est  bien  possible,  quelques  centaines  de  pieds  de  moins  qu'on  ne  leur  attribue, 
le  Weisshorn  sera  la  plus  haute  des  sommités  complètement  suisses.  (  Le  Pizzo 
Bianco,  escaladé  par  De  Saussure,  est  situé  en  Piémont,  tout  près  du  Mont-Rose;  il 
n'a  que  9600  pieds.) 

Le  Matterhorn,  ou  Mont  Cervin,  13,901  d'après  Ziegler,  13,838  suivant  d'au- 
tres ;  au  fond  de  la  vallée  de  St.-Nicolas  ou  de  Zermatt.  C'est  une  pyramide  élancée, 
dont  les  parois  paraissent  presque  verticales,  mais  dont  le  sommet  est  tronqué.  — 
La  Dent  blanche,  à  l'ouest  du  mont  Gervin,  13,421.  (On  l'appelle  aussi  quelque- 
fois Weisshorn;  mais  les  trois  vallées  qui  y  aboutissent  parlent  français.)  —  Le  Mont 
Combin,  13,260,  entre  le  St.-Bernard  et  la  vallée  de  Bagnes.  Le  sommet  a  la  forme 
d'une  énorme  coupole  blanche.  —  La  Cima  di  Jazzi,  13,240,  au  nord-nord-est  du 
Mont-Rose.  —  Ces  quatre  dernières  montagnes  sont  situées  entre  le  Valais  et  le  Pié- 
mont; la  Dent  Blanche  est  cependant  un  peu  au  nord  de  la  frontière. 

Le  Mont  Pelvoux  13,287,  ou  13,236  d'après  la  carte  Ghaix;  c'est  la  plus  haute 
sommité  de  France  ;  elle  est  située  entre  le  département  de  l'Isère  et  celui  des 
Hautes- Alpes,  à  trois  lieues,  à  vol  d'oiseau,  de  la  chaîne  centrale  et  de  la  Maurienne. 

Le  Finsteraarhorn  (Sombre  pic  de  l'Aar),  ainsi  nommé  parce  qu'une  partie  de  ses 
pentes  restent  dégarnies  de  neige  ;  ou  bien  Pic  de  VAar  sombre,  car  on  trouve  plus  au 
nord  le  Lauteraarhorti  (Pic  de  l'Aar  limpide),  avec  un  glacier  du  même  nom,  13,234, 
ou  suivant  d'autres  13,160.  Ce  pic,  situé  entre  le  canton  de  Berne  et  le  Vallais,  près 
des  sources  de  l'Aar,  était  regardé  autrefois  comme  la  quatrième  en  hauteur  des 
montagnes  d'Europe,  et  comme  la  plus  élevée  de  l'intérieur  de  la  Suisse.  Il  a  dû 
céder  la  prééminence  à  quelques  autres  cimes  ;  il  ne  lui  reste  plus  maintenant  que 
l'honneur  d'être  la  plus  haute  sommité  des  Alpes  bernoises.  —  Le  Silberbast  (Ecorce 


LA   SUISSE  PITTORESQUE.  69 


d'argent),  ou  Lyskamm  (Crète de  Lys),  13,074,  à  Touest  du  Mont-Rose,  et  au  nord 
du  Val  de  Lys  ou  Val  Lésa.  —  La  Pointe  de  Zinal,  au  nord-ouest  du  mont  Gervin  et  au 
fond  du  val  Ânniviers,  un  peu  au  nord  de  la  frontière  du  Piémont,  13,065.  —  Le 
Géant,  13,040,  à  deu?L  lieues  du  Mont-Blanc  et  de  la  frontière  suisse. 

On  nomme  encore  deux  ou  trois  autres  sommités  voisines  du  Mont-Rose  et  qui 
doivent  dépasser  13,000  pieds.  De  toutes  ces  montagnes,  le  Mont-Blanc  seul  a  été 
escaladé  un  grand  nombre  de  fois.  La  plus  haute  sommité  du  Mont*  Rose  a  été  gravie 
en  iSki  par  H.  Maduz,  guide  du  professeur  Ulrich  ;  une  autre  des  cimes  a  été  esca- 
ladée par  M.  Zumstein  de  Gressonay,  dont  elle  porte  maintenant  le  nom,  Zurnstein- 
SpUze.  L'ascension  du  Finsteraarhorn  a  été  exécutée  pour  la  première  fois  en  1829. 
Le  mont  Pelvoux  a  été  escaladé  aussi,  à  ce  qu'on  nous  a  assuré  dans  le  voisinage  de 
cette  montagne. 

U  serait  trop  long  et  fastidieux  d'énumérer  toutes  les  sommités  de  13  à 
10,000  pieds,  ainsi  que  les  innombrables  sommités  inférieures  à  10,000  ;  il  faudrait 
pour  cela  un  volume  complet.  Nous  devons  nous  borner  à  mentionner  quelques-unes 
des  plus  connues  ou  des  plus  remarquables. 

Le  Dùteïhorn,  12,966,  et  le  Mmmchhom,  12,905,  tous  deux  près  du  Mont- 
Rose;  VAletschhom,  au-dessus  du  glacier  d'Âletsch  dans  le  Haut-Vallais,  au  sud  de 
la  Jungfrau,  12,874;  la  Jungfrau  (la  Vierge),  12,872,  et  le  Moine,  12,670,  tous 
deux  sur  la  frontière  de  Berne  et  du  Vallais.  La  Jungfrau  est  regardée  comme  la  plus 
belle  des  montagnes  bernoises,  à  cause  de  ses  pentes  d'une  blancheur  éblouissante. 
Elle  a  été  gravie  cinq  fois  depuis  1811  ;  elle  est  à  peine  maintenant  la  vingtième 
des  montagnes  d'Europe  pour  la  hauteur.  —  L'Eiger,  12,272,  au  nord  du  Moine; 
leSchreckhom  (Pic  terrible),  12,566,  et  le  Wetterhorn  (Pic  du  temps),  11,412,  tous 
deux  à  l'est  du  Moine.  Il  y  a  trois  pics  nommés  Wetterhôrner,  savoir  :  le  Rosetihoni 
(Pic  des  roses),  au  sud-est;  le  Mittelhorn  (Pic  du  milieu),  et  le  Wetterhorn  propre- 
ment dit,  au  nord-ouest  ;  le  premier  a  été  escaladé  en  1844  par  MM.  Desor,  Dollfuss 
et  autres.  Le  Trifihorn  ou  Breithorn,  près  du  Lyskamm,  à  l'ouest  du  Mont-Rose, 
12,770;  lePollux,  un  des  Gémeaux,  près  du  Lyskamm,  12,644;  laDentd'Hérens, 
12,670,  pyramide  au  fond  de  la  vallée  d'Hérens,  et  frontière  du  Vallais  et  du  Pié- 
mont, comme  les  deux  cimes  précédentes.  Le  Feehorn  ou  Allelinhom,  au-dessus  de 
Fee,  au  fond  de  la  vallée  de  Saas,  12,498.  Le  Fletschhorn,  à  l'ouest  du  village  du 
Simplon,  12,391.  Les  sommités  du  Fletschhorn  ont  été  escaladées  pour  la  première 
fois  en  août  1854,  par  M.  le  curé  du  Simplon  et  deux  chasseurs  de  chamois.  Le 
Bitschhorn,  à  l'ouest  du  glacier  d'Aletsch,  12,169;  le  Viesckhorn,  entre  ce  glacier 
et  celui  de  Viesch,  12,021. 

Plusieurs  pics  du  groupe  du  Bernina,  au  pied  de  la  Haute-Engadine  dans  les  Gri- 
sons, dépassent  12,000  pieds;  le  Piz  Mortiratsch,  12,475  ;  le  Piz  Rosso  diDentro, 
12,313  ;  le  PizPalù,  12,044.  (On  lit  dans  le  Manuel  de  Bâdeker  de  1854,  que  le 
Rossa  di  Dentro,  ou  Munterasch,  a  été  escaladé  pour  la  première  fois  en  1850,  et  que 
sa  hauteur  est  évaluée  à  13,508  pieds  [?])  VOrteler-Spitz,  12,060,  entre  le  Tyrol 
et  la  Valteline,  non  loin  de  la  frontière  des  Grisons.  Vus  de  l'ouest,  ses  trois  som- 
mets inégaux  lui  donnent  un  peu  la  forme  du  Mont-Blanc.  La  hauteur  de  ce  mont 
a  été  évaluée  par  quelques  voyageurs  à  13,000  pieds;  nous  croyons  que  ce  chiffre 
doit  s'approcher  beaucoup  de  la  vérité. 


70  LA  SUISSE   PITTORESQUE. 


Le  Motit'Velan,  près  du  Grand  St. -Bernard,  H, 69»  pieds;  le  Balfrin,  entre  Saas 
et  St  .-Nicolas,  1 4 ,636  ;  ce  sont  les  sommités  neigeuses  de  cette  montagne  que  Ton  voit 
du  pont  de  Viège,  et  que  Ton  indiquait  autrefois  comme  étant  celles  du  Mont-Rose.  Le 
Breithorn  {?\c  large),  11,690  ;  la  Blûmlisalp  (Alpe  de  la  petite  fleur,  appelée  aussi 
Frau,  la  Femme),  11,298;  le  Tschhigelhom,  11,230,  tous  trois  au  sud-ouest  de  la 
Jungfrau  ;  le  Galenstock,  le  plus  haut  pic  de  la  Furka,  entre  Uri  et  le  Vallais,  1 1 ,330  ; 
le  Tôdi,  entre  Glaris  et  les  Grisons,  11,153;  le  Tiîlis,  la  plus  haute  montagne 
d*Unterwald,  10,710;  le  Piz  Limrd,  au  nord  de  la  Basse-Engadine,  10,700;  le 
Piz  Valrhein,  source  du  Rhin  postérieur,  10,220;  la  Déni  du  Midi,  au-dessus  de 
St.-Maurice  en  Vallais,  10,107,  suivant  d*autres  9800  ;  les  Dwifcteré»/*,  entre  Vallais 
et  Vaud,  10,008;  VUnerempHz,  la  plus  haute  sommité  du  St.-Golhard,  10,000; 
vu  leur  position  assez  remarquable  au  point  de  jonction  de  plusieurs  hautes  diaines, 
et  près  des  sources  de  plusieurs  rivières  importantes  (le  Rhône,  TÂar,  la  Reuss,  le 
Rhin,  le  Tessin  et  la  Toccia),  on  croyait  autrefois  que  les  sommités  du  St.-Gothard 
étaient  notablement  plus  élevées  qu'elles  ne  le  sont  réellement. 

Le  Tambohorn,  ou  Schneehorn  (Pic  de  la  neige),  entre  le  Bernardin  et  leSplûgen, 
98&0  ;  la  Dent  de  Morcks,  au  sud-est  de  Bex,  904&;  le  Glârnisch,  au-dessus  de  la 
ville  de  Glaris,  8895  ;  le  Galanda,  au  nord  de  Goire,  86S0  ;  le  Faulhorn,  au  sud 
du  lac  de  Brienz,  8260;  le  Sentis,  le  plus  haut  sommet  d'Appenzell,  7670;  le 
Niesen,  au-dessus  de  Wimmis,  près  Thoune,  7340  ;  le  Pilate,  près  Lucerne,  7080 
(suivant  d'autres,  7116  ou  6565);  le  Molenson,  6180;  le  Mythen,  au-dessus  de 
Schwytz,  5850;  le  Righi,  5600.  (Le  Faulhorn,  le  Niesen,  le  Molesson  et  le  Righi 
sont  faciles  à  gravir  et  renommés  pour  leur  magnifique  vue.) 

Voici  maintenant  les  hauteurs  des  cols  les  plus  fréquentés  des  Alpes  :  Le  col  Fer- 
ret,  7260  ;  le  col  de  la  Fenêtre,  entre  le  col  Ferret  et  le  Grand  St.-Bernard,  8250  ; 
le  Grand  St.'Bernard,  7680;  le  col  St.'Théodule,  10,242;  le  Simplon,  6200;  le 
St.'Gothard,  6420;  le  LMAmanfer  occidental,  entre  Airolo  et  Santa-Maria,  6720; 
le  Lid*man/er  oriental,  entre  Olivone  et  Santa-Maria,  5948,  suivant  d'autres  5650  ; 
entre  ces  deux  cols,  un  troisième  plus  élevé  fait  communiquer  Faido  avec  Santa- 
Maria  ;  le  Bernardin,  6390  ;  le  Splûgen,  6500  ;  le  Septimer,  7360  ;  le  Malqja, 
5830  ;  le  Bernina,  6390  ;  le  col  de  Scarla  ou  Scharl,  entre  la  Basse-Engadine  et  le 
Mûnsterthal,  7150.  Tous  ces  cols  se  trouvent  sur  la  chaîne  centrale;  le  Simplon, 
le  St.-Gothard,  le  Bernardin,  le  Splûgen,  le  Maloja,  le  Septimer,  le  Bernina  et  le  col 
Scarla,  sont  praticables  pour  les  chars,  mais  les  trois  derniers  ne  le  sont  que  pour  des 
voitures  légères.  Sauf  le  Simplon  et  le  St.-Gothard,  toutes  ces  routes  appartiennent 
au  canton  des  Grisons,  ainsi  que  celles  de  l'Albula  et  du  Julier  nommées  plus  bas  ; 
ce  canton  est  donc  plus  favorisé  que  le  Vallais,  qui  ne  possède  sur  les  Hautes-Alpes 
qu'une  seule  voie  accessible  aux  chars,  et  que  le  canton  de  Berne,  qui  n'en  possède 
aucune. 

Il  est  à  remarquer  que  le  passage  oriental  du  Lukmanier  et  le  Maloja  sont  les  points 
les  plus  bas  de  la  chaîne  centrale,  depuis  le  département  des  Basses-Alpes  jusqu'au 
Tyrol.  Une  autre  échancrure  encore  plus  sensible  de  cette  chaîne  se  voit  dans  le 
Tyrol,  tout  près  de  la  frontière  suisse;  le  bassin  de  l'Inn  et  celui  de  l'Adige  (Etsch) 
n'y  sont  séparés  que  par  une  basse  montagne,  où  se  trouve  le  hameau  de  Reschen. 
Ce  col,  situé  entre  les  villages  élevés  de  Nauders  (4090)  et  de  Graun,  doit  être  tout 


LA  SUISSE   PITTORESQUE.  71 


au  plus  à  4S00  pieds.  Il  y  passe  une  grande  route.  Faisons  remarquer  aussi  que 
le  col  de  Maloja  présente  une  particularité  unique  en  Suisse  et  peut-être  dans  toutes 
les  Alpes  :  c'est  que,  la  vallée  de  l'Inn  s'élevant  considérablement,  il  ne  reste  plus 
que  i  à  300  piols  à  peine  à  gravir  pour  atteindre  la  crête  de  la  chaîne  centrale 
et  pour  descendre  sur  le  revers  méridional  ;  on  peut  donc  remonter  cette  rivière  le 
long  du  Tyrol  et  de  TEngadine,  et  s'élever  insensiblement  jusqu'à  la  crête  des  Alpes, 
sans  s'apercevoir  qu'on  a  gravi  une  montagne  :  mais  la  pente  du  côté  d'Italie  est 
beaucoup  plus  rapide  :  sur  un  espace  de  six  lieues,  du  Maloja  à  Ghiavenna,  on  des- 
œnd  47S0  pieds. 

Les  cols  que  l'on  trouve  dans  les  autres  chaînes  sont  :  Dans  celle  qui  limite  au 
nord  le  canton  des  Grisons,  le  col  du  Galanda  ou  de  Kunkels,  qui  conduit  dans  le 
canton  de  St.-Gall,  4260;  le  Panixer-Pass,  qui  mène  dans  celui  de  Glaris,  742S  ; 
XOheralp,  entre  les  Grisons  et  Uri,  63S0  ;  à  l'ouest  de  la  Haute-Engadine,  le  Jnlier, 
6830,  et  YAlhula,  7060.  —  Dans  la  chaîne  bernoise,  le  Grinml,  6770;  la  Genimi, 
7160;  le  Rawyi  6930;  le  SanetscK  6940;  tous  entre  Yallais  et  Berne;  le  Mont- 
Chevilk  ou  col  d'Anzeindaz,  sous  les  Diablerets,  entre  Sion  et  Bex,  6880.  De  l'Ober- 
land  bernois  on  passe  dans  le  canton  d'Uri  par  le  Smtenpass,  6980  ;  dans  celui  d'Un- 
terwald  par  le  Joch,  6890,  et  par  le  Brûnig,  3880.  Enfin  l'un  des  plus  fréquentés, 
c'est  le  col  de  Balme,  entre  Martigny  et  Chamonix,  7090,  par  lequel  on  franchit  la 
chaîne  qui  aboutit  au  lac  Léman.  De  toutes  ces  voies,  le  Jnlier  et  YAlbula  sont  les 
seules  praticables  pour  les  voilures. 

Quant  à  la  chaîne  du  Jura,  elle  est  loin  d'être  aussi  élevée  que  les  Alpes.  Elle 
commence  sur  le  territoire  français,  à  environ  1 5  lieues  au  sud-ouest  de  Genève  et 
le  long  du  Rhône,  puis  s'étend  avec  une  légère  courbe  dans  la  direction  du  nord-est, 
sur  une  étendue  d'environ  90  lieues,  jusque  près  de  Schaffhouse.  Cette  chaîne  offre 
une  disposition  toute  différente  de  celle  des  Alpes  ;  au  lieu  d'être  composée  de  rami- 
fications qui  partent  en  quelque  sorte  d'un  Ironc  commun,  elle  ne  présente  guère 
que  des  chaînons  parallèles,  semblables  aux  longues  vagues  de  la  mer.  La  chaîne 
orientale  est  la  plus  élevée  ;  elle  commence  au-dessus  du  défilé  du  Fort-de  l'Ecluse, 
à  6  lieues  de  Genève.  Les  principales  sommités  du  Jura  sont  :  en  France,  le  Crêt  de 
la  Neige  ou  du  Creux  de  la  Neige,  5301  pieds  ;  les  Prés-Marmiers,  5300  ;  le  Recalety 
5280  ;  le  Grand-Colombier ,  5220  ;  ces  quatre  sommets  se  trouvent  dans  la  partie  la 
plus  voisine  de  Genève  ;  le  Grand-Colombier  est  le  plus  au  nord,  et  le  Reculet  le  plus 
au  sud  ;  les  deux  autres,  au  lieu  d'être  comme  ceux-ci  commodes  à  atteindre  et  re- 
vêtus de  gazon,  font  partie  d'une  crête  où  le  roc  est  en  grande  partie  à  nu  et  cre- 
vassé. Ces  deux  points  sont  très-rapprochés,  ou  plutôt  il  est  bien  probable  que  les 
mesures  se  rapportent  au  même  point  :  le  Creux  de  la  Neige  est  au  nord-est  du  Crêt 
de  la  Neige,  et  au  sud-ouest  des  Prés-Marmiers.  Le  Crédoz  ou  Crét-d'eau,  ou  Crêt  de 
la  Goutte,  au-dessus  du  Fort-de-l'Ecluse,  4999.  —  En  Suisse,  la  Dôle,  au-dessus  de 
Nyon,  5475;  cette  sommité,  la  plus  haute  du  Jura  suisse,  n'est  inférieure  que  de 
35  à  125  pieds  à  trois  ou  quatre  sommets  français:  le  Mont-Tendre,  au-dessus  de  la 
vallée  de  Joux,  5170;  le  Mont-Suchet,  au-dessus  d'Orbe,  4830;  le  Chasseron,  au- 
dessus  d'Yverdon,  4960  ;  le  Chasserai  ou  Gestler,  au-dessus  du  lac  de  Bienne,  4970  ; 
la  Dent  de  Vaulion,  au  nord  du  lac  de  Joux,  4580  ;  la  Hasenmatt  (Prairie  des  lièvres), 
point  culminant  du  canton  de  Soleure,  4480;  le  Weissenstein,  près  Soleure,  3960. 


72  LA   SUISSE   PirrORESQUE. 

J 

Les  passages  les  plus  Tréquentés  dans  la  chaîne  du  Jura  sont  :  La  Fatêcille,  au-dessus 
de  Gex,  à  4073  pieds;  le  Col  de  St.-Cergues,  au  nord  de  la  Dôle,  5860;  ces  deux 
cols  conduisent  de  Genève  et  de  Nyon  dans  la  direction  de  Paris  ;  le  Marckairuz,  au- 
dessus  de  la  vallée  de  Joux,  4470;  le  passage  de  Jougne,  entre  Orbe  et  Pontarlier, 
3829;  les  Verrières,  au  canton  de  Neuchàtel,  3130;  le  Haul-Hauenstein,  entre  So- 
leure  et  Bàle,  3350  ;  le  Bas-Hanenslein,  entre  OIten  et  Bàle,  2140;  tous  ces  passages 
sont  très-commodes  pour  les  chars. 

Il  nous  reste  à  parler  de  quelques  hauteurs  qui  s'élèvent  au-dessus  du  plateau 
situé  entre  les  deux  grandes  chaînes  de  montagnes.  Tel  est  le  Pèlerin,  à  la  frontière 
fribourgeoise,  au-dessus  de  Vevey,  3743;  la  Tour  de  Gourze,  au-dessus  de  CuUy, 
2828;  le  passage  du  Chalet  à  Gobet,  sur  le  Jorat,  entre  Lausanne  et  Moudon,  2663; 
le  Mont'Gibloîix,  entre  Romont  et  Bulle,  au  canton  de  Fribourg,  2820  ;  YAlbis,  sur 
la  rive  occidentale  du  lac  de  Zurich,  2682. 

La  Suisse  a  le  bonheur  de  ne  pas  avoir  de  volcans  et  de  ne  pas  être  ravagée  par 
ces  terribles  tremblements  de  terre  si  fréquents  dans  les  pays  montagneux  voisins  de 
la  mer.  Cependant,  on  en  ressent  quelquefois,  surtout  dans  les  cantons  méridionaux, 
et  particulièrement  dans  celui  du  Vallais  et  celui  des  Grisons.  Il  en  est  de  même  dans 
le  canton  de  Zurich.  Mais  une  autre  espèce  de  calamité,  qui,  à  diverses  époques,  a 
affligé  certaines  contrées  de  la  Suisse,  ce  sont  les  chutes  de  montagnes.  Ainsi,  en 
1S12,  une  montagne  s'écroula  sur  le  bourg  de  Biasca,  dans  le  district  Riviera,  au 
canton  du  Tessin  ;  beaucoup  de  gens  périrent,  et  la  rivière  Brenno  fut  interceptée  ; 
pendant  deux  ans  ses  eaux  refluèrent  et  inondèrent  le  pays  ;  enfin,  elles  forcèrent  le 
passage  et  firent  de  grands  dégâts  jusqu'au  lac  Majeur.  Le  4  mars  1584,  un  trem- 
blement de  terre  causa  la  chute  d'une  montagne  dans  le  district  d'Aigle  ;  les  villages 
d'Yvorne  et  de  Gorbeiry  en  furent  couverts;  127  hommes,  ainsi  que  700  pièces  de 
bétail,  périrent.  En  1714  et  1749  d'énormes  masses  de  rochers  se  détachèrent  des 
Diablerets,  en  Vallais.  Le  2  septembre  1806,  une  partie  du  Rossberg,  au  canton  de 
Schwy tz,  s'écroula,  et  couvrit  de  ses  débris  toute  une  vallée  ;  484  hommes  y  trou- 
vèrent la  mort. 

Quelques  localités  de  la  Suisse  ont  été  aussi  dévastées  par  des  torrents  de  fange  qui 
descendaient  des  montagnes.  Ainsi,  en  1673,  un  pareil  torrent  couvrit  de  ses  ^ulis 
un  grand  nombre  de  maisons  de  Casaggia,  dans  la  vallée  de  Brégell,  canton  des  Gri- 
sons. Au  mois  de  juillet  1795,  un  fleuve  de  fange  rouge  et  épaisse  sortit  d'une  cre- 
vasse sur  le  revers  méridional  du  Righi  ;  il  avait  plusieurs  toises  d'épaisseur,  et  sa 
largeur  était  d'un  quart  de  lieue.  Ce  torrent  charria  pendant  quinze  jours  ses  flots 
bourbeux  jusqu'au  lac,  et  ensevelit  une  quantité  de  maisons  et  d'excellents  fonds  de 
terre  appartenant  au  village  lucernois  de  Weggis  ;  grâce  à  la  lenteur  de  sa  marche, 
personne  ne  périt,  et  l'on  put  sauver  tous  les  biens  meubles  des  habitants.  En  1797, 
deux  petits  villages  voisins  de  Brienz  perdirent,  par  un  pareil  événement,  une  partie 
de  leurs  maisons  et  un  grand  nombre  de  prés  et  de  jardins.  Nous  parlerons  ailleurs  des 
ravages  que  causent  les  avalanches  et  les  débordements. 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  73 


NEIGES  PERMANENTES  ET  GLACIERS. 

La  chaleur  de  l'atmosphère  décroissant  rapidement  à  mesure  qu'on  s'élève,  il  en 
résuite  qu'à  une  certaine  hauteur  il  règne  un  hiver  perpétuel.  En  Suisse,  la  limite 
des  neiges  éternelles  est  à  7S00  ou  8000  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Mais  on  com- 
prend que  cette  limite  ne  peut  suivre  une  ligne  uniforme  et  horizontale  ;  elle  est 
plus  ou  moins  élevée,  suivant  les  diverses  expositions,  la  nature  des  pentes,  le  voisi- 
nage plus  ou  moins  immédiat  de  grandes  hauteurs,  etc.  Des  pentes  douces  se  dégar- 
nissent de  neige  moins  vite  que  des  pentes  rapides,  où  la  neige  est  nécessairement 
moins  profonde,  et  où  d'ailleurs  elle  a  pu  être  enlevée  par  les  avalanches.  Souvent 
la  neige  accumulée  au  bas  des  grands  escarpements  persiste  tout  l'été,  tandis  que 
ceux-ci  sont  complètement  découverts.  Dans  le  voisinage  des  hauteurs  flanquées  de 
glaciers,  la  température  est  sensiblement  refroidie;  ainsi,  une  pente  ou  un  plateau 
s'appuyant  à  des  montagnes  beaucoup  plus  élevées  restera  couvert  de  neige,  tandis 
qu'une  montagne  de  même  hauteur,  si  elle  est  isolée,  pourra  être  revêtue  de  beaux 
pâturages.  Les  pentes  méridionales  et  occidentales  des  montagnes  se  dégarnissent 
aussi  plus  vite  que  celles  des  autres  revers.  Ainsi,  sur  plusieurs  des  cols  hauts  d'en- 
viron 7S00  pieds,  les  pentes  dirigées  vers  le  nord  restent  à  l'ordinaire  couvertes 
d'une  certaine  quantité  de  neige,  qui  ne  provient  qu'en  partie  d'avalanches  ;  telle  est, 
par  exemple,  le  cas  du  Grand  St. -Bernard,  du  Panixer-Pass  entre  les  Grisons  et 
Claris,  et  du  Bonhomme  entre  la  Tarentaiseet  le  Faucigny.  Enfin,  la  quantité  de 
neige  qui  tombe  durant  l'hiver  différant  beaucoup  d'une  année  à  l'autre,  il  en 
résulte  que  sur  un  même  point  la  limite  est  sujette  à  varier  ;  l'on  voit  même  quel- 
quefois la  neige  disparaître  complètement  sur  des  pentes  qui  restent  ordinairement 
couvertes  toute  l'année  ;  dans  le  même  cas,  l'on  trouve  dégarnies  de  neige,  dès  le 
commencement  de  juillet,  des  hauteurs  qui,  à  l'ordinaire,  n'en  sont  dépourvues  qu'en 
septembre.  Tel  a  été  le  cas  de  l'année  1854. 

Mais,  outre  ces  neiges  éternelles,  qu'on  appelle  dans  la  Suisse  française  des  névés, 
on  trouve  dans  les  Alpes  des  champs  ou  des  vallons  de  glace  qu'on  nomme  des  gla- 
ciers (en  allemand  Glelscher),  et  qui  sont  un  des  phénomènes  les  plus  intéressants 
que  présentent  ces  montagnes.  Ils  proviennent  d'énormes  entassements  de  neige, 
formés  à  une  grande  hauteur,  soit  par  les  vents,  ou  par  les  avalanches  parties 
des  escarpements  supérieurs,  soit  par  les  chutes  successives  qui  ont  lieu  durant  les 
hivers.  La  structure  et  la  marche  des  glaciers  ont  été  depuis  près  de  vingt  ans 
Tobjet  d'une  étude  minutieuse  et  approfondie  de  la  part  de  plusieurs  savants  suisses 
et  étrangers  :  MM.  De  Charpentier,  directeur  des  mines  du  canton  de  Vaud  ;  le  cha- 
noine Rendu  (actuellement  évêque  d'Annecy);  l'Anglais  Forbes;  Agassiz,  profes- 
seur à  Neuchâtel  ;  Desor,  etc.  Ces  deux  derniers,  avec  d'autres  Neuchâtelois,  ont 
fait  en  particulier  plusieurs  séjours  prolongés  près  des  glaciers  de  l' Aar  * . 

i.  Voyez  Essai  sur  les  glaciers  et  sur  le  terrain  erratique  du  bassin  du  Rhàne,  par  De  Char- 
penUer,  1841.  —  Théorie  des  glaciers  de  la  Savoie,  par  le  chaDoine  Rendu,  1840.  ~  Etudes  sur 
les  glaciers,  par  Agassiz,  1840.  ^  Excursions  et  s^ours  dans  les  glaciers  et  les  hautes  régions  des 
^Ipes,  de  Af.  Agassix  et  de  ses  compagnoru  de  voyage,  par  Desor,  184i;  et  Nouvelles  excursions^  elc* 
par  le  même,  1845. 

II,  5.  10 


74 


LA    SUSSE    PITTORESQUE. 


Le  gliicicr  de  lAar,  séjour  tle  M.  Agasiit  e(  de  ses  compagaoDS. 

Voici  comment  on  explique  la  conversion  des  névés  en  glaciers.  Ces  névés  étant 
formés,  surtout  à  leur  surface,  de  grains  de  grésil,  ils  absorbent  facilement  Teau  qui 
résulte  de  la  fonte  durant  le  jour.  Cette  eau,  absorbée  par  les  interstices  de  la  neige, 
se  congèle  pendant  la  nuit,  et  cimente  les  grains;  il  se  forme  ainsi  peu  à  peu  une 
masse  solide  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  glacier.  Au  retour  de  la  saison  froide, 
une  partie  des  neiges  tombées  dans  les  hivers  précédents  se  trouve  transformée  en 
glace;  chaque  année  des  neiges  nouvelles  s'entassent  à  la  partie  supérieure  du  gla- 
cier, et  une  partie  de  ces  neiges  subit  la  même  transformation.  Il  se  trouve  par  là 
que  beaucoup  de  névés  ne  sont  réellement  tels  qu'à  la  surface,  car,  dans  leur  inté- 
rieur, ils  deviennent  de  vrais  glaciers.  M.  De  Charpentier  donne  le  nom  de  hatUs- 
névés,  correspondant  à  l'allemand  suisse  Firn,  à  ceux  qui  se  transforment  en  gla- 
ciers, et  qui  doivent  être  situés  à  une  hauteur  où  le  dégel  et  les  pluies  commencent 
à  être  rares,  sans  avoir  complètement  cessé,  car  un  glacier  peut  se  former  sans  eau  ; 
et  il  appelle  bas-névés  les  neiges  permanentes  qui  se  trouvent  à  une  hauteur  où  il 
dégèle  et  où  il  pleut  fréquemment,  mais  qui,  n'ayant  pas  une  épaisseur  suffisante 
pour  retenir  les  eaux  qui  les  pénètrent,  ne  peuvent  se  changer  en  glaciers,  et  sont 
par  conséquent  immobiles.  Ce  n'est  qu'après  un  hiver  où  il  y  a  eu  une  grande 
accumulation  de  neiges,  que  ces  névés,  retenant  en  partie  l'eau,  se  transforment  peu 
à  peu  en  glaciers;  mais  il  suffit  d'une  ou  de  quelques  années  chaudes  pour  les  rame- 
ner à  l'élat  de  névés.  —  M.  Agassiz  distingue  dans  les  grands  glaciers  trois  régions  : 
i*"  Le  glacier  proprement  dit,  où  la  neige  qui  tombe  en  hiver  fond  complètement 


LA*SUISSE   PITTORESQUE.  7S 


pendant  Télé  ;  2"*  le  névé,  qui  occupe  le  fond  des  hautes  vallées,  et  dont  la  surface 
est  de  neige  grenue  ;  S""  les  champs  ou  plateatix  supérieurs  de  neige,  lesquels  recou- 
vrent les  hauts  cols,  et  sont  composés  d'une  neige  ordinairement  fine  et  poudreuse. 

Du  mode  de  formation  des  glaciers,  il  résulte  que  leur  glace  n'est  point  compacte 
comme  celle  qui  se  forme  en  hiver  sur  les  lacs  et  sur  les  rivières  ;  elle  est  plus  opa- 
que, plus  huileuse,  moins  polie,  et  remplie  d'une  multitude  de  petites  fissures  qui  la 
traversent  dans  tous  les  sens  et  la  divisent  en  fragments  irréguliers,  dont  la  grosseur 
varie  de  quelques  lignes  à  quelques  pouces.  C'est  vers  le  haut  des  glaciers  que  la 
glace  est  la  moins  dense  et  la  plus  légère  ;  la  densité  et  la  pesanteur  sont  sensible- 
ment plus  considérables  vers  la  partie  inférieure,  par  suite  de  la  congélation  succes- 
sive de  l'earu  qui  s'y  est  infiltrée  durant  une  série  d'années. 

C'est  un  fait  connu  dès  longtemps,  que  tous  les  glaciers  ont  une  marche  lente  et 
qu'ils  glissent  insensiblement  sur  leur  base  vers  la  partie  inférieure  des  vallons  éle- 
vés qu'ils  occupent.  On  avait  attribué  ce  mouvement  au  poids  des  glaces  nouvelles 
qui  se  forment  à  la  partie  supérieure  des  glaciers  et  à  l'inclinaison  du  plan  sur  lequel 
ils  reposent  ;  mais  on  a  reconnu  depuis  quelque  temps  que  ce  n'étaient  pas  là  les 
principales  causes  de  leur  progression  ;  car  plusieurs,  en  particulier  les  plus  grands, 
reposent  sur  un  plan  très-peu  incliné,  où  la  pente  ne  suffirait  pas  pour  déterminer 
leur  mouvement;  et  d'autres,  situés  sur  un  escarpement  très-raide,  sont  loin  d'avoir 
une  marche  accélérée  à  proportion  de  la  rapidité  de  cette  pente.  L'observation  atten- 
tive des  glaciers  a  fait  reconnaître  que  la  principale  cause  qui  leur  imprime  un  mou- 
vement, c'était  la  congélation  de  l'eau  absorbée  et  distribuée  dans  tout  leur  intérieur 
par  la  multitude  de  très-minces  fissures  dont  ils  sont  remplis;  la  congélation 
augmente  le  volume  de  l'eau,  et  communique  une  sorte  d'expansion  à  toute  la 
masse.  Cette  dilatation  doit  agir  surtout  dans  les  directions  où  elle  rencontre  le 
moins  de  résistance,  c'est-à-dire  dans  le  sens  de  la  pente  et  dans  celui  de  son  épais- 
seur. Ces  expansions  se  répétant  de  la  même  manière  toutes  les  nuits  d'été,  leur 
effet  serait  de  faire  avancer  indéfiniment  les  glaciers,  si  le  soleil  et  la  température 
de  l'air  n'y  mettaient  obstacle  par  la  fonte  qu'ils  opèrent  à  la  surface.  Cette  cause 
de  leur  mouvement  explique  comment  les  glaciers  soulèvent  peu  à  peu  et  rejet- 
tent hors  de  leur  sein  tous  les  fragments  de  roche  qui  ont  pu  tomber  dans  des  cre- 
vasses, pourvu  qu'ils  n'aient  pas  atteint  le  sol  inférieur.  Elle  fait  comprendre  auss 
comment  il  se  fait  que  la  marche  des  glaciers  s'arrête  ordinairement  en  hiver,  pour 
recommencer  au  printemps,  en  même  temps  que  la  première  fonte  des  neiges. 

Si,  dans  le  courant  de  l'été,  la  température  est  telle  que  les  glaciers  se  fondent 
d'une  quantité  égale  à  celle  dont  ils  augmentent,  tant  par  la  congélation  de  l'eau 
absorbée  que  par  l'avancement  des  hauts-névés,  on  dit  qu'ils  sont  stationnaires  ;  si 
la  dilatation  est  plus  forte  que  la  diminution  opérée  par  la  fonte,  on  dit  qu'ils  avan- 
cent; et,  dans  le  cas  contraire,  on  dit  qu'ils  reculerU  ou  se  retirent;  mais  cette  expres- 
sion est  impropre:  il  faudrait  plutôt  dire  qu'ils  diminuent.  Il  n'existe  pas  de  période 
septennale  pour  les  avancements  ou  les  reculs,  comme  quelques  montagnards  le 
croyaient  ;  la  marche  des  glaciers  n'a  rien  de  régulier,  et  dépend  de  la  longueur  et  de 
la  rigueur  de  l'hiver,  de  l'abondance  des  neiges  et  des  pluies,  de  la  température  plus 
ou  moins  chaude  de  l'été.  Après  un  hiver  à  neige  abondante  et  un  été  pluvieux,  les 
glaciers  avancent  :  les  pluies,  en  refroidissant  l'air,  diminuent  la  fonte  superficielle, 


76  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


sans  les  priver  d'eau.  Les  étés  secs  et  chauds,  après  ud  hiver  où  la  chute  de  neiges 
n'a  pas  été  considérable,  font  diminuer  les  glaciers.  Pendant  les  étés  secs  et  froids, 
ils  restent  en  général  stationnaires. 

Les  étés  froids  et  pluvieux  qui  alternèrent  avec  des  hivers  très-abondants  en  neiges 
depuis  4812  à  1817  inclusivement,  firent  grandir  extraordinairement  tous  les 
glaciers  (dit  M.  De  Charpentier,  en  parlant  des  glaciers  de  la  Suisse  occidentale  et 
du  Mont-Blanc).  En  1818,  on  observa  le  maximum  d'accroissement;  les  vieillards 
ne  se  souvenaient  pas  de  les  avoir  vus  avancer  autant.  Les  glaciers  de  Chamonix 
envahissaient  les  prés  et  les  champs,  et  menaçaient  les  hameaux  d'Argentière  et  des 
Bois.  En  1819,  ils  restèrent  à  peu  près  stationnaires;  en  1820,  ceux  de  Miage  et 
de  Brenva,  au  sud  du  Mont-Blanc,  continuèrent  à  progresser  ;  en  1821,  ils  commen- 
cèrent à  diminuer  sensiblement.  Les  chaleurs  précoces  de  1822,  qui  durèrent  jusqu'au 
milieu  d'octobre,  hâtèrent  singulièrement  la  fonte.  Les  glaciers  restèrent  à  peu  près 
stationnaires  jusqu'en  1826,  et  avancèrent  de  nouveau  jusqu'en  1830.  Dès-lors, 
ils  ne  firent  plus  guère  de  progrès  jusqu'en  1833.  Alors  ils  grandirent  un  peu,  et 
diminuèrent  derechef  en  1836  et  1837.  En  1838,  on  observa  que  quelques  glaciers 
étaient  en  progression  ;  mais  en  1839  et  1840,  ils  allèrent  tous  en  diminuant.  —  En 
1844,  M.  Desor  et  ses  collègues  trouvèrent  les  glaciers  de  TOberland  en  progression, 
par  suite  de  l'été  froid  et  pluvieux  de  1843,  et  des  neiges  abondantes  tombées  pen- 
dant l'hiver  suivant.  A  la  fin  de  l'été  sec  et  chaud  de  l'année  1854,  on  aura  sans 
doute  observé  la  décroissance  de  quelques  glaciers. 

Il  arrive  quelquefois  que  la  même  année  des  glaciers  avancent,  tandis  que  d'au- 
tres diminuent;  cela  tient  à  ce  que  la  quantité  de  neige  tombée  varie  d'un  endroit  à 
l'autre  ;  mais  cela  arrive  quelquefois  dans  une  même  vallée,  tellement,  qu'un  des 
affluents  d'un  glacier  peut  avancer  et  un  autre  diminuer  ;  cette  diflérence  s'explique 
d'après  les  vents  qui  ont  dominé,  et  qui  ont  pu  accumuler  la  neige  plutôt  sur  un 
versant  que  sur  un  autre  ;  c'est  la  cause  pour  laquelle  le  grand  glacier  de  Gorner, 
au  fond  de  la  vallée  de  Zermatt  en  Yallais,  avançait  en  1840  depuis  cinq  ou  six  ans, 
et  avait  détruit  une  douzaine  de  granges  près  d'Aroleit,  tandis  que  celui  de  Findelen, 
au  contraire,  avait  considérablement  diminué. 

D'après  les  expériences  qui  ont  été  faites  sur  les  glaciers  de  l'Aar,  on  a  trouvé 
que  le  mouvement  du  principal  glacier  vers  le  milieu  avait  été,  de  1842  à  1844,  de 
84  mètres  par  an.  Vers  les  bords,  ainsi  que  vers  la  partie  inférieure,  l'avancement 
avait  été  beaucoup  moindre  ;  mais  cette  marche  doit  varier  d'une  année  à  l'autre, 
selon  les  diverses  circonstances  atmosphériques  dont  nous  avons  parlé;  elle  se 
répartit  aussi  d'une  manière  inégale  sur  les  diverses  saisons  ;  durant  quinze  jours 
d'été,  elle  a  été  en  moyenne  d'environ  un  quart  de  mètre  par  jour  vers  le  milieu 
du  glacier  ;  elle  se  ralentissait  les  jours  où  la  température  avait  baissé.  Les  traces 
évidentes  de  frottement  que  l'on  a  observées  jusqu'à  des  hauteurs  considérables  au- 
dessus  d'un  grand  nombre  de  glaciers,  font  conjecturer  qu'ils  ont  dû  jadis,  à  une 
époque  difficile  à  déterminer,  être  bien  plus  considérables  qu'aujourd'hui.  Mais  on 
cite  aussi  quelques  glaciers  qui  ont  fini  par  envahir  complètement  des  vallées  jadis 
cultivées  et  habitables  ;  tel  est  celui  de  Yiesch  en  Yallais,  lequel  remplit  la  vallée  de 
ce  nom  et  descend  du  Finsteraarhorn  ;  ce  glacier  avait  encore  envahi  des  prairies 
au  commencement  de  l'été  de  18B4. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  77 


loL  surface  et  la  figure  des  glaciers  sont  déterminées  par  le  genre  du  sol  sur  lequel 
ils  reposent.  Dans  les  vallées  peu  inclinées,  ils  sont  unis  et  ne  présentent  que  peu 
de  fentes;  mais  lorsqu'ils  descendent  le  long  d'une  pente  raide  et  sur  un  terrain 
offrant  beaucoup  d'a^érités,  leur  surface  est  couverte  de  crevasses  et  d'élévations 
qui  vont  quelquefois  jusqu'à  SO  ou  même  100  pieds  de  hauteur,  et  dont  l'aspect  est 
semblable  à  celui  des  vagues  de  la  mer.  Les  crevasses  sont  ordinairement  transver- 
sales, c'est-à-dire  en  sens  perpendiculaire  à  l'aKC  ou  à  la  longueur  des  glaciers. 
Leurs  dimensions  varient  beaucoup  ;  quelquefois  elles  ont  plusieurs  pieds  de  lar- 
geur, et  leur  profondeur  atteint  plusieurs  centaines  de  pieds.  Elles  changent  fréquem- 
ment d'aspect  dans  la  saison  chaude  :  elles  s'élargissent  ou  se  ferment,  ou  bien  il 
s'en  forme  de  nouvelles.  Ces  phénomènes  sont  ordinairement  accompagnés  d'horri- 
bles craquements  ou  de  mugissements  semblables  au  bruit  du  tonnerre.  Quelquefois 
les  glaciers  aboutissent  à  une  pente  abrupte  ;  alors  on  voit  de  grandes  pyramides 
su^ndues  au  bord  du  précipice,  jusqu'au  moment  où,  perdant  l'équilibre,  elles  sont 
lancées  dans  l'abime  et  s'y  pulvérisent  avec  fracas;  il  en  est  de  même  lorsque  le 
glacier  entoure  complètement  un  précipice  ;  quand  il  rencontre  des  pentes  de  30  à 
40  degrés  d'inclinaison,  les  masses  de  glace  se  brisent,  se  déplacent  et  s'accumulent, 
en  prenant  les  formes  les  plus  variées  et  les  plus  bizarres.  Les  hauts-névés  qui  ali- 
mentent les  glaciers  sont  aussi  traversés  par  de  grandes  crevasses,  surtout  quand  ils 
présentent  une  inclinaison  considérable. 

On  observe  sur  les  glaciers  des  phénomènes  très-divers.  Ainsi,  les  changements 
subits  de  l'atmosphère  font  parfois  sortir  des  fentes  des  courants  d'air  d'un  froid 
insupportable,  lesquels  entraînent  avec  eux  de  petits  grains  de  glace  et  les  dispersent 
au  loin  comme  une  poussière  de  neige.  Partout  on  entend  dans  les  glaciers  le  mur- 
mure des  ruisseaux  qui  se  frayent  un  passage  au-dessous  des  glaces  ;  on  voit  aussi 
des  filets  d'eau  couler  à  la  surface,  jusqu'à  ce  qu'ils  rencontrent  une  crevasse  où  ils 
s'engouffrent.  Quelquefois,  au  contraire,  les  eaux  intérieures  ne  trouvant  pas  d'issue, 
ou  leur  issue  inférieure  étant  obstruée  par  une  débâcle  de  glaces,  elles  s'accumulent 
en  grande  quantité,  et  finissent  par  jaillir  d'une  crevasse  à  une  hauteur  considérable. 
Au  bas  d'un  certain  nombre  de  glaciers,  on  observe  des  voûtes,  d'où  sort  le  torrent 
alimenté  par  ces  masses  de  glace.  En  hiver,  ces  voûtes  sont  obstruées  de  neige  ou 
de  glace,  et  le  ruisseau  qui  en  sort  est  faible;  mais  au  printemps  et  en  été,  les  eaux, 
considérablement  enflées,  rompent  la  glace  et  forment  de  vastes  portiques  ayant 
jusqu'à  80  à  80  pieds  de  hauteur,  sur  une  largeur  pareille.  Ce  n'est  pas  à  l'époque 
du  plus  grand  froid,  mais  vers  la  fin  de  l'hiver,  que  les  torrents  de  glacier  sont  les 
plus  faibles  ;  on  explique  cela  par  la  supposition  très-plausible  que  pendant  les  froids 
rigoureux  ces  torrents  sont  alimentés  principalement  par  des  sources  jaillissant  du 
sol  recouvert  par  les  glaciers;  ces  sources  n'étant  pas  alors  alimentées  elles-mêmes 
par  la  fonte  des  neiges,  leurs  eaux  doivent  décroître,  jusqu'au  moment  où  celle-ci 
aura  recommencé.  L'eau  des  glaciers  est  ordinairement  d'une  couleur  blanchâtre,  qui 
provient  de  ce  qu'elle  charrie  de  nombreuses  particules  de  rocher  excessivement 
atténuées  par  les  frottements.  Quant  aux  voûtes  et  aux  crevasses,  elles  ont  fré- 
quemment une  teinte  bleuâtre  ou  verdâtre  plus  ou  moins  foncée. 

Les  glaciers  sont  quelquefois  dans  leur  ensemble  d'une  blancheur  remarquable; 
tels  sont  quelques-uns  des  plus  beaux,  le  grand  glacier  du  Rhône,  par  exemple. 


78  LA   SCBBB   mTOHeSQUE. 

celui  des  Bossons  dans  la  vallée  de  Chamonii,  œox  du  mont  Bemina  dans  les 
Grisons,  etc.  Mais  il  en  est  beaucoup  dont  la  surCux  est  d'une  couleur  sale  et  noi- 
râtre, qui  provient  d'une  multitude  de  débris  que  les  tempêtes  et  les  lavanges  oût 
précipités  du  haut  des  montagnes  les  plus  élevées,  et  qui  souvent  se  décomposent  et 
se  réduisent  en  une  espèce  de  terre  boueuse.  Ces  débris,  de  dimensions  très-diverses, 
finissent  ordinairement  par  former  sur  les  bords  et  vers  l'extrémité  inférieure  des 
glaciers,  des  collines,  qui  ont  jusqu'à  400  pieds  de  haut.  Le  glacier,  par  sa  force  irré- 
sistible, entraîne  très-fréquemment  avec  lui  cette  espèce  de  digue,  qu'on  nomme  dans 
les  Alpes  de  la  Suisse  allemande  Gandeken  ou  Gatida,  en  Savoie  et  dans  la  Suisse 
française  moraine,  et  en  Tyrol  trockene  Maurefi  (murailles  sèches).  On  a  donné  le 
nom  de  moraine  latérale  à  celle  qui  se  forme  sur  les  flancs  des  glaciers,  et  celui 
de  moraine  frontale  à  celle  qui  s'accumule  au  bas  même  du  glacier.  Il  arrive  sou- 
vent que  les  moraines  se  trouvent  à  quelque  distance  d'un  glacier  ;  elles  indiquent 
alors  que  celui-ci  était  autrefois  plus  avancé,  et  qu'il  a  abandonné  une  partie  du  sol 
qu'il  avait  envahi.  Quelques  glaciers,  tels  que  celui  de  Triolet  dans  la  vallée  de 
Ferret  près  Courmayeur,  ont  déposé  successivement  plusieurs  moraines  parallèles 
ou  concentriques,  qui  marquent  autant  de  retraits  successifs  du  glacier. 

Il  existe  une  autre  espèce  de  moraine,  à  laquelle  on  donne  le  nom  de  moraine 
superficielle,  parce  qu'elle  est  placée  sur  le  glacier,  parallèlement  à  sa  direction.  Des 
moraines  pareilles  se  forment  lorsque  la  montagne  qui  borde  le  cdté  d'un  glacier  a 
une  pente  trop  rapide  pour  qu'il  y  dépose  sa  moraine  ;  le  glacier  alors  entraîne  les 
débris  ;  et  si  plus  bas  il  se  réunit  à  un  autre  affluent,  les  débris  resteront  sur  le  milieu 
des  glaces  au-dessous  de  la  jonction  ;  c'est  de  là  que  vient  le  nom  de  moraine  médiane 
qu'on  donne  aussi  dans  ce  cas  à  ces  amas  de  débris.  Il  en  sera  de  même  si  le  point 
de  jonction  des  deux  bras  de  glacier  est  dominé  par  de  vastes  roches  sujettes  à 
s'ébouler  ;  si  ces  éboulements  sont  à  peu  près  périodiques  ou  annuels,  la  moraine 
prendra,  par  suite  de  la  marche  du  glacier,  la  forme  d'une  série  de  tertres  ou  de 
petits  monticules.  Le  grand  glacier  de  Gorner,  formé  de  plusieurs  affluents  et  situé 
au  pied  du  Mont-Rose,  au  fond  de  la  vallée  de  Zermatt,  est  un  des  plus  appropriés 
à  l'étude  des  glaciers  et  à  celle  des  moraines  médianes  ou  superficielles  en  particulier. 
Ces  moraines  ont  un  piédestal  ou  soubassement  de  glace,  résultant  de  ce  que  la 
partie  de  la  glace  qui  est  couverte  n'a  pu  fondre  ou  s'évaporer  autant  que  la  partie 
découverte. 

On  rencontre  quelquefois  sur  la  surface  des  glaciers,  par  exemple  sur  ceux  de 
TAar,  et  sur  celui  de  St.-Théodule  près  de  Zermatt,  de  gros  blocs  de  roche  supportés 
par  un  socle  ou  pyramide  de  glace,  qui  a  la  même  origine  que  le  piédestal  des 
moraines  superficielles.  On  remarque  seulement  que  le  socle  est  entouré  d'une 
espèce  de  fossé  creusé  dans  la  glace,  soit  par  la  réverbération  du  soleil,  soit  par  les 
eaux,  qui,  pendant  les  pluies  ou  les  fontes  de  neige,  dégouttent  des  bords  du  bloc. 
Dès  qu'un  socle  a  atteint  une  certaine  hauteur,  le  soleil  et  les  vents  l'entament  et 
Tamincissent  en  fondant  la  glace  du  côté  où  ils  l'atteignent.  11  arrive  alors  que  le 
bloc,  n'étant  plus  suffisamment  appuyé,  se  met  à  pencher  d'un  côté,  et  finit  par 
retomber  sur  la  surface  du  glacier,  où,  donnant  lieu  à  un  nouveau  socle,  il  est  de 
rechef  soulevé.  Ces  blocs  sont  désignés  sous  le  nom  de  tables  onde  champignons  de  gla- 
cier. Ailleurs,  au  contraire,  on  rencontre  des  puits  de  forme  plus  ou  moins  circulaire. 


rnTQusQCK.  79 


creusés  yerticdaneiit  dtns  le  ^bàer  ;  ils  résollenl  quelquefois  d^uue  cieT>sse  élar- 
gie peu  à  peu  par  un  petit  nûsseau  qui  s'y  esl  prédpité.  Si  Teau  n  a  pas  d*issue, 
ou  n'en  a  qu'une  insuflbanle,  la  crevasse  ou  le  puits  reste  rempli  d*eau.  La  surbor 
de  cette  eau  étant  écbaufiée  par  le  soleil,  tend  à  fondre  et  i  évaser  davantage  les 
bords  du  puits.  On  voit  aussi  des  excavations  causées  par  des  morceaux  de  bois  ou 
par  des  pierres  {dates,  minces  et  de  couleur  sombre,  susceptibles  de  se  réchauCEn' 
par  l'action  du  soleil  et  de  fondre  la  glace  qui  se  trouve  au-dessous  ;  mais  ces  corps 
ne  s'enfoncent  guère  au-delà  du  point  où  ils  commencent  à  être  constamment  à 
l'ombre. 

On  ne  compte  en  Suisse  pas  moins  de  605  glaciers  (  non  compris,  sans  doute,  un 
certain  nombre  qui  ne  reçoivent  point  de  nom,  vu  leurs  très-petites  dimensions,  et 
que  l'on  reconnaît  sur  des  pentes  de  neige,  i  quelques  lignes  d'un  gris  bleuâtre). 
Sur  ces  605  glaciers,  le  canton  des  Grisons  en  possède  25S  ;  celui  de  Berne,  1 55  ; 
et  celui  du  Vallais,  130  ;  les  65  autres  se  trouvent  répartis  dans  dix  cantons.  Les 
oeuf  cantons  qui  n'en  ont  pas,  sont  Zug,  Soleure,  Bàle,  Argovie,  Zurich,  Schaflhouse, 
Thurgovie,  Neucbàtel  et  Genève.  Un  certain  nombre  de  glaciers  ne  sont  pas  très- 
étendus  :  c'est  le  cas  de  ceux  qui  se  trouvent  sur  des  montagnes  peu  élevées,  ou  qui 
se  terminent  vers  des  précipices  ;  beaucoup  d'autres  sont  longs  de  2  ou  3  lieues  ;  un 
petit  nombre  ont  une  longueur  de  5  à  6  lieues,  sur  une  largeur  de  \',  ou  '\  de 
lieue.  Souvent  plusieurs  glaciers  qui  sont  séparés  dans  leur  partie  inférieure,  abou- 
tissent à  une  même  vaste  plaine  de  glace.  Les  glaciers  descendent  bien  au-dessous  de 
la  ligne  des  neiges  étemelles  ;  on  en  trouve  à  5000  et  4000  pieds  au-dessus  de  la 
mer,  et  même  encore  plus  bas  ;  ils  se  terminent  à  côté  de  champs  de  blé,  ou  de  prés 
émaillés  de  fleurs.  Le  glacier  inférieur  de  Grindelwald  est  celui  qui  descend  le  plus 
bas,  soit  jusqu'à  la  hauteur  de  3200  pieds  ;  sa  partie  inférieure  se  trouve  donc 
^tuée  beaucoup  plus  bas  que  nombre  de  grands  villages  des  cantons  de  Berne, 
Vallais,  Grisons,  Uri  et  Tessin. 

Le  massif  de  glaciers  le  plus  considérable  dans  toutes  les  Alpes  doit  être  celui  qui 
entoure  la  Juogfrau,  le  Finsteraarhorn  et  plusieurs  autres  sommités  voisines  sur  la 
frontière  de  Berne  et  du  Vallais.  Les  groupes  de  glaciers  qui  revêtent  les  flancs  du 
Mont-Blanc  et  du  Mont-Rose,  ainsi  que  le  groupe  des  glaciers  du  Bernina,  ne  vien- 
nent qu'en  seconde  ligne.  Le  Mont-Blanc  ne  peut  avoir  les  glaciers  les  plus  étendus, 
à  cause  de  ses  pentes,  en  général  très-escarpées,  et  de  l'absence  de  plateaux  et  de 
chaînes  latérales  venant  s'appuyer  contre  sa  masse,  comme  c'est  le  cas  surtout  près 
de  la  Jungfrau  et  du  Finsteraarhorn. 

Parmi  les  plus  longs  glaciers,  on  peut  citer  celui  d'Aletsch,  qui  part  du  Finsteraar- 
horn, et  se  termine  à  2  lieues  au-dessus  de  Bri^  ;  il  a  une  longueur  d'environ 
6  lieues  comptées  à  vol  d'oiseau,  en  suivant  ses  sinuosités.  Celui  de  Gorner,  le  plus 
grand  des  glaciers  du  Mont-Rose,  et  celui  de  Zinal,  au  fond  du  Val  Anniviers,  celui 
de  Gorbassière,  au  nord  du  mont  Gombin,  ont  au  moins  3  lieues  de  longueur. 

Les  principaux  glaciers  de  l'Aar  et  le  Glacier  des  Bois  (Mer  de  Glace)  à  Cba- 
monix,  ont  une  longueur  à  peu  près  pareille.  On  a  calculé  que  l'étendue  totale  des 
glaciers  suisses  est  de  470  lieues  carrées.  Franscini  suppose  qu'elle  est  même  plus 
grande,  et  qu'elle  doit  équivaloir  à  peu  près  à  un  huitième  de  la  surface  de  la  Suisse 
entière  ;  nous  croyons  ces  calculs  plutôt  au  dessus  de  la  réalité. 


80  LA   SCISSC   mTOMSQCE. 

Vus  à  dislance,  d'une  position  fiivorable,  les  glaciers  el  les  neiges  éternelles  des 
Alpes  présentent  an  magnifique  ooup-d'oeil,  surtout  lorsqu'ils  se  revêtent  d'une  belle 
teinte  rose  au  lever  ou  au  coucher  du  soleil  ;  vus  de  près,  les  glaciers  oflfrent  aussi 
beaucoup  de  sublimes  horreurs,  qui  leur  attirent  des  visiteurs  nombreux.  Mais  le  pas- 
sage sur  les  glaciers  n'est  jamais  sans  quelque  danger  ;  plus  d'un  agile  chasseur  de 
chamois  a  trouvé  la  mort  dans  les  profondes  crevasses  qui  les  sillonnent.  Les  étran- 
gers qui  veulent  visiter  les  glaciers  doivent  donc  se  munir  d'un  bon  guide  ;  il  est 
même  prudent  d'en  avoir  plus  d'un,  si  l'on  se  propose  une  excursion  un  peu  longue 
sur  les  glaces.  Le  danger  augmente  lorsque  les  glaciers  sont  recouverts  d'une  neige 
fraîche  assez  épaisse  pour  masquer  les  crevasses  ;  même  avec  de  bons  guides,  on  n'est 
pas  à  l'abri  d'accidents.  Si  la  neige  qui  forme  une  espèce  de  pont  au-dessus  d'une  cre- 
vasse n'est  pas  assez  durcie  ou  assez  ^isse  pour  porter  le  poids  d'un  homme,  on 
risque  de  la  voir  céder  et  d'être  englouti,  nus  d'un  voyageur  a  vu  tout  k  coup  son 
guide,  qui  marchait  devant  lui,  disparaître  dans  une  crevasse  masquée.  Il  arrive 
aussi  quelquefois  que  le  passage  du  premier  voyageur  a  ébranlé  un  mince  pont  de 
neige,  et  que  le  second  qui  y  hasarde  ses  pas  court  un  danger  beaucoup  plus  grand. 
Grftce  aux  précautions  que  prennent  les  guides  pour  assurer  leur  marche,  les  acci- 
dents sur  les  glaciers  sont  rares  ;  mais  il  n'est  peut-être  pas  sans  utilité  d'en  citer 
quelques  exemples,  pour  mieux  faire  comprendre  la  nécessité  de  ne  s'avancer  qu'avec 
prudence  sur  les  champs  de  glace. 

Ainsi,  le  6  août  4800,  un  jeune  Danois,  nommé  Eschen,  qui  faisait  l'ascension 
du  Buet,  en  Savoie,  s'obstinant  à  marcher  à  quelque  distance  en  avant  de  son  guide, 
disparut  tout  à  coup  dans  une  fissure.  Son  compagnon  et  son  guide  allèrent  chercher 
du  secours  ;  le  lendemain  matin  on  retira  le  malheureux  jeune  homme  de  la  crevasse, 
dont  la  profondeur  élait  de  90  pieds,  mais  il  était  complètement  gelé.  —  Il  y  a  une 
vingtaine  d'années,  un  guide  de  Sixt  tomba  lui-même  dans  une  crevasse,  en  montant 
au  Buet  ;  le  voyageur  qui  le  suivait  fut  obligé  d'aller  appeler  du  secours  aux  chalets 
de  Villy,  distants  de  trois  lieues;  le  guide  fut  retiré  vivant;  mais  un  séjour  prolongé 
entre  des  parois  de  glace  avait  altéré  sa  constitution,  de  sorte  qu'il  ne  survécut 
qu'un  an  ou  deux  à  cet  accident.  Ajoutons  qu'en  4839,  un  autre  guide  de  Sixt  disait 
k  un  voyageur  sur  le  même  glacier  :  <*  Venez  sans  crainte,  il  n'y  a  pas  de  crevasse  »; 
c'était  au  commencement  de  septembre;  le  glacier  était  recouvert  d'environ  un  pied 
de  neige  fraîche  ;  au  bout  de  dix  minutes,  ils  arrivèrent  au  bord  d'une  crevasse  in- 
franchissable ;  à  vingt  pas  plus  à  droite  ou  à  gauche,  la  fissure  était  masquée  par 
une  même  couche  de  neige.  —  Pendant  Télé  de  4790,  un  berger,  nommé  Christian 
Bohren,  en  traversant  le  glacier  supérieur  de  Grindeiwald,  dans  l'Oberland  bernois, 
tomba  dans  une  crevasse  profonde  de  plus  de  300  pieds.  Quand  il  revint  à  lui,  il  se 
trouva  dans  une  obscurité  complète,  enclavé  entre  deux  murailles  de  glace  ;  de  l'eau 
coulait  au-dessous  de  lui.  Concevant  aussitôt  quelque  espoir,  il  se  mit  à  remonter  le 
cours  de  ce  ruisseau,  tantôt  marchant,  tantôt  rampant;  enfin,  après  des  peines 
inouïes,  après  avoir  plusieurs  fois  creusé  le  lit  du  ruisseau  pour  se  frayer  un  passage, 
après  avoir  mis  trois  ou  quatre  heures  pour  faire  400  pas  environ,  il  arriva  au  point 
où  ce  ruisseau  entre  sous  le  glacier,  et  il  revit  la  lumière  du  jour.  C'est  alors  seu- 
'ment,  à  ce  qu'on  assure,  qu'il  s'aperçut  que  son  bras  gauche  était  cassé.  —  Le  34 

l  4824,  un  ecclésiastique  du  canton  de  Vaud,  M.  Mouron,  se  trouvait  sur  le 


UNE    AVALANCHE. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  *  84 


même  glacier.  Penché  sur  une  crevasse  pour  admirer  les  belles  teintes  azurées  de 
ses  parois,  il  s'appuyait  sur  son  bâton,  qu'il  avait  fixé  contre  la  glace,  sur  le  bord 
opposé  à  celui  où  il  se  trouvait.  Tout  à  coup,  le  bâton  mal  arrêté  glisse,  M.  Mouron 
perd  l'équilibre,  et  tombe  dans  l'abtme.  Son  guide  revint  le  lendemain  matin  avec 
plusieurs  montagnards  ;  l'un  d'eux  se  fit  descendre  dans  la  crevasse,  mais  il  n'en 
ressortit  qu'un  cadavre  mutilé  et  inanimé.  —  Le  2  septembre  1852,  un  robuste  et 
intrépide  montagnard,  nommé  Welf,  syndic  du  village  de  Gressoney  au  pays 
d'Aoste,  en  franchissant  un  des  vastes  glaciers  du  mont  Gervin,  pour  se  rendre  en 
Vallais,  tomba  dans  une  immense  crevasse,  qui  partageait,  dit-on,  à  peu  près  tout 
le  glacier.  Le  lendemain,  seize  hommes  arrivèrent,  munis  de  longues  cordes;  l'un 
d'eux  eut  le  courage  de  se  faire  descendre  jusqu'à  près  de  400  pieds  de  profondeur  ; 
mais  la  crevasse  se  prolongeait  beaucoup  plus  bas,  en  suivant  une  direction  inclinée 
et  irrégulière;  il  n'en  put  apercevoir  le  fond.  On  fut  obligé  d'abandonner  le  malheu- 
reux Welf  dans  ce  tombeau  glacé;  il  avait  vraisemblablement  péri  avant  d'arriver 
au  fond  de  l'abîme.  Quelques  jours  après,  une  nouvelle  tentative  eut  lieu  ;  on 
descendit  jusqu'au  fond  de  la  crevasse,  mais  on  n'y  retrouva  plus  le  cadavre  de 
Welf:  il  avait  été  entraîné  par  un  courant  d'eau.  Quelques  années  auparavant,  un 
guide,  qui  conduisait  un  voyageur  à  Zermatt  par  le  même  glacier,  s'était  précipité 
dans  une  crevasse,  et  y  avait  péri  également. 

Enr^istrons,  pour  terminer,  deux  accidents  arrivés  l'année  dernière  (48S&). 
Le  Courrier  du  Valhis  nous  a  appris  que,  le  6  septembre,  un  habile  chasseur  de 
chamois  du  village  d'Orsières,  nommé  Joseph  Bisel,  en  traversant  avec  son  fils  le 
glacier  d'Omex,  au  fond  du  Val  Ferret,  se  précipita  dans  une  fissure  légèrement 
couverte  de  neige.  Le  lendemain  son  cadavre  fut  retiré  ;  la  crevasse  avait  une  pro- 
fondeur de  70  pieds,  dont  14  étaient  remplis  d'eau.  —  Dans  la  seconde  quinzaine  de 
septembre,  les  journaux  ont  rapporté  que  Sébastien  Stoffel,  de  Vais  au  canton  des 
Grisons,  après  avoir  tué  un  chamois  sur  le  Yogelberg,  près  des  sources  du  Rhin 
postérieur,  était  tombé  avec  son  butin  dans  une  crevasse  du  glacier  de  Zaport,  pro- 
fonde de  plus  de  400  pieds.  Quelques  montagnards,  venus  à  sa  recherche  les  jours 
suivants,  parvinrent  à  sortir  son  cadavre  du  fond  de  l'abime.  Le  malheureux  avait 
survécu  quelque  temps  à  sa  chute,  car  il  avait  taillé  des  marches  dans  la  glace  avec 
son  couteau,  mais  le  froid  avait  dû  l'engourdir  avant  qu'il  eût  pu  avancer  son 
ouvrage. 

Il  nous  reste  encore  à  mentionner  un  phénomène  singulier  :  c'est  celui  de  la  neige 
rouge.  Il  se  forme  fréquemment,  sur  la  neige  des  hautes  Alpes,  de  grandes  taches 
d'une  teinte  rosée,  qui,  quelquefois,  deviennent  pourpres.  Il  y  a  des  années  où  ces 
taches  acquièrent  une  grande  extension,  et  envahissent  des  champs  de  neige  consi- 
dérables; ceux-ci  prennent  alors  un  reflet  orange,  qu'on  reconnaît  de  fort  loin.  La 
matière  colorante  n'est  d'abord  que  superficielle,  mais  elle  pénètre  aussi  quelquefois 
jusqu'à  la  profondeur  de  plusieurs  pieds.  On  a  cru  longtemps  que  cette  coloration  de 
la  neige  était  due  à  des  substances  végétales.  Ainsi  De  Saussure  estimait  qu'on 
pouvait  avec  vraisemblance  l'attribuera  une  poussière  d'étamines.  Lorsque  M.  La- 
mont,  prieur  du  Grand  St.-Bernard,  émit,  à  la  réunion  de  la  Société  helvétique 
d'Histoire  naturelle  à  Lausanne,  en  1828,  l'opinion  que  la  neige  rouge  pourrait 
bien  être  douée  de  la  vie  animale,  cette  opinion  fut  repoussée  comme  inadmissible 
II,  «.  14 


82  LA   SUI8BR   PITTOmCSQUE. 


par  De  Candolle.  Quelques  observateurs  allaient  même  jusqu'à  reconnaître  dans 
cette  neige  de  petits  corps  présentant  des  racines,  des  tiges  et  des  branches. 
D'après  Desor  {Excursions  dans  les  Alpes),  ce  fut  M.  Schuttleworth  qui  le  premier 
examina  sur  les  lieux  la  neige  rouge  avec  un  appareil  d'optique  suffisant  ;  ce  natu- 
raliste ne  tarda  pas  à  reconnaître  que  les  petits  corps,  qu'on  envisageait  comme  des 
plantes,  étaient  doués  d'un  mouvement  spontané  comme  les  infusoires,  et  il  n'hésita 
pas  à  proclamer  leur  nature  animale.  M.  Vogt,  un  des  compagnons  d'Agassiz  sur  le 
glacier  de  l'Aar,  maintenant  professeur  à  Genève,  a  soumis  aussi  cette  neige  à 
l'analyse  la  plus  minutieuse,  et  il  est  arrivé  à  un  résultat  semblable.  Il  affirme 
avoir  même  réussi  à  reconnaître  le  mode  de  propagation  de  ces  animalcules. 


AVALANCHES  OD  LAVANGB8,  TOURITBNTBS. 

Un  autre  phénomène  remarquable  et  très-fréquent  dans  les  hautes  Alpes,  est 
celui  des  avalanches  (en  allemand  Lawinen  ou  Lauinen).  On  appelle  ainsi  des  masses 
de  neige  ou  de  glace  qui  se  précipitent  du  haut  des  monts,  et  qui  souvent,  par  leur 
propre  force  ou  par  la  pression  de  l'air ,  causent  de  très-grands  ravages.  Elles  sont 
accompagnées  d'un  fracas  semblable  au  bruit  du  tonnerre.  On  peut  les  diviser  en  trois 
ou  quatre  classes;  mais  il  arrive  quelquefois  que,  pendant  sa  chute,  une  avalanche 
change  de  nature  et  offre  ainsi  des  transitions  d'une  classe  à  l'autre.  On  distingue 
les  avalanches  poudreuses,  les  avalanches  en  masse,  les  avalanches  rampantes,  les 
avalanches  des  glaciers,  et  les  avalanches  d'été. 

Les  avalanches  poudreuses  (Slaublauinen),  appelées  aussi  avalanches  froides  ou 
venteuses  (Windlauinen),  sont  celles  dont  la  masse  se  réduit  en  poussière  pendant  la 
chute ,  et  qui ,  par  conséquent ,  ne  nuisent  que  par  l'ébranlement  de  l'air  qu'elles 
occasionnent,  plus  que  par  leur  masse.  Elles  ont  lieu  ordinairement  en  hiver,  après 
d'abondantes  chutes  de  neige.  Quelquefois  elles  grossissent  en  roule  et  deviennent 
monstrueuses  ;  quelquefois  elles  ne  sont  pas  très-considérables.  La  neige  de  ces  ava- 
lanches n'étant  pas  compacte,  ceux  qui  en  sont  atteints  parviennent  souvent  à  se  faire 
jour  eux-mêmes,  en  tenant  leur  corps  dans  un  mouvement  continuel. —  Les  ava- 
lanches en  nuisse  (Chrundlautnen)  ont  lieu  ordinairement  au  moment  du  d^el,  qui 
amollit  la  neige  et  la  rend  propre  à  se  pelotonner;  ces  avalanches  grossissent  sans 
cesse  dans  leur  marche,  entraînent  tout  ce  qu'elles  rencontrent,  ensevelissent  sous 
leurs  ruines  champs,  maisons,  villages,  renversent  des  forêts  entières  avec  une  im- 
pétuosité irrésistible,  étouffent  même  à  de  grandes  distances  des  êtres  vivants.  On 
donne  aussi  à  ces  avalanches  le  nom  d'avalanches  de  printemps,  parce  que  c'est 
surtout  en  cette  saison  qu'elles  se  produisent,  et  elles  rendent  alors  le  passage  dans 
les  hautes  Alpes  très-dangereux  ;  mais  elles  ont  lieu  souvent  en  hiver,  quand  un  vent 
tiède  occasionne  un  dégel.  Ainsi,  dans  la  nuit  du  12  au  43  décembre  1808,  il  souffla 
un  vent  du  sud  qui  donna  lieu  à  un  grand  nombre  de  lavanges  dans  toutes  les  Alpes 
de  la  Suisse  et  du  Tyrol.  Quantité  de  personnes  perdirent  la  vie;  beaucoup  de  bes- 
tiaux furent  écrasés;  d'immenses  forêts  furent  déracinées;  des  p&turages,  des  jardins. 


LA   SUtSSB   PITTORESQUE.  83 


des  bâtiments,  furent  détruits  ou  entraînés.  On  a  évalué  à  plusieurs  millions  les  dom- 
mages causés  en  Suisse.  On  donne  le  nom  de  Fôhn  (en  italien  favonio)  à  ces  vents 
tièdes  du  midi  qui  soufflent  avec  une  grande  violence  par-dessus  les  Alpes,  et  y 
interrompent  les  rigueurs  de  Thiver. 

Les  avalanches  rampantes  (Schleichlaninen)  sont  celles  qui,  faute  de  force  et  à 
cause  de  la  pente  trop  faible  du  sol,  ne  se  meuvent  qu'avec  lenteur,  et  sont  ar- 
rêtées par  les  objets  qui  se  trouvent  sur  leur  chemin,  jusqu'à  ce  que  ces  derniers 
cèdent  ou  qu'ils  divisent  la  masse  de  neige.  Souvent,  dans  l'origine,  une  avalanche 
est  simplement  rampante,  surtout  si  le  d^el  n'a  pas  rendu  le  sol  glissant;  mais  si 
elle  atteint  une  pente  escarpée,  elle  se  change  en  avalanche  en  masse  ;  son  mouvement 
augmente  en  vitesse  et  son  volume  en  consistance,  et  elle  entraine  tout  ce  qu'elle 
rencontre.  Mais  lorsqu'elle  vient  à  se  briser  contre  les  angles  de  quelque  rocher,  sa 
masse  se  brise  et  se  convertit  partiellement  ou  tout  entière  en  avalanche  poudreuse. 

On  donne  le  nom  d'avalanches  des  glaciers  aux  chutes  des  quartiers  de  glace  qui 
s'en  détachent  fréquemment.  Il  faut  naturellement,  pour  qu'elles  puissent  se  produire, 
que  les  glaciers  aboutissent  à  des  précipices  ou  à  des  pentes  très-escarpées.  Elles  ont 
lieu  le  plus  souvent  en  été,  mais  elles  peuvent  se  produire  en  toute  siûson.  Elles  ne 
sont,  pour  l'ordinaire,  pas  fort  considérables,  ni  très-dangereuses  ;  mais,  suivant  les 
localités,  elles  peuvent  aussi  occasionner  de  grands  désastres. 

Ainsi,  dans  la  nuit  du  27  décembre  1819,  la  vallée  de  St.-Nicolas,  en  Vallais, 
fut  témoin  d'une  de  ces  catastrophes,  due  à  un  éboulement  de  glacier.  Le  village 
de  Randa,  situé  à  &500  pieds  au-dessus  de  la  mer,  est  dominé  par  d'immenses  pré- 
cipices. Une  partie  d'un  glacier,  qui  repose  sur  les  pentes  supérieures  du  Weisshorn, 
se  détacha  et  se  précipita  dans  la  vallée  avec  un  fracas  épouvantable.  Les  champs  et 
prairies  au-dessous  du  village  furent  couverts  d'un  mélange  de  neige,  de  glace  et  de 
pierres,  sur  une  longueur  moyenne  de  2400  pieds,  sur  une  largeur  de  1000  et  une 
épaisseur  de  150.  On  a  calculé  que  la  masse  de  l'avalanche  équivalait  à  360  millions 
de  pieds  cubes.  Déjà,  avant  l'éboulement,  des  chasseurs  de  chamois  avaient  aperçu 
avec  effroi  des  fissures  énormes  dans  le  glacier.  Le  village  de  Randa  ne  fut  pas  atteint 
lui-même  par  les  débris,  mais  l'ouragan  occasionné  par  cette  chute  enleva  la  flèche 
du  clocher,  renversa  un^grand  nombre  de  granges  et  de  maisons  d'habitation,  trans- 
porta une  partie  de  leur  charpente  à  plus  d'un  quart  de  lieue.  Plusieurs  familles 
furent  enlevées  avec  leurs  maisons  et  ensevelies  dans  leurs  décombres  ;  par  un  bonheur 
providentiel,  deux  personnes  seulement  perdirent  la  vie.  En  1636,  le  même  village 
avait  été  détruit  ^v  une  semblable  avalanche,  et  trente-six  personnes  avaient  péri. 
—  L'inondation  de  la  vallée  de  Bagnes,  en  juin  1818,  est  un  autre  exemple,  bien  plus 
terrible  encore,  des  désastres  que  peuvent  causer  les  avalanches  de  glacier.  Les  débris 
qui  tombaient  sans  cesse  du  glacier  de  Gétroz,  avaient  fini,  au  printemps  de  cette 
année,  par  obstruer  complètement  le  lit  de  la  Dranse.  Les  eaux  de  ce  torrent  s'accu- 
mulèrent et  formèrent  un  lac  ;  lorsqu'elles  rompirent  les  obstacles  qui  les  retenaient, 
elles  se  précipitèrent  avec  furie  et  portèrent  au  loin  la  dévastation.  (Nous  donnerons 
plus  de  détails  sur  cet  événement  dans  l'article  du  Vallais,) 

Enfin,  on  appelle  avalanches  d'été  celles  qui  ont  lieu  pendant  cette  saison  sur  les 
parties  les  plus  élevées  des  montagnes  où  la  neige  séjourne  toute  l'année.  Elles  ne  sont 
pas  dangereuses,  en  ce  qu'elles  ont  lieu  dans  des  régions  inhabitées.  11  est  rare  qu'on 


84  LA   8CISSC   PITTORESQUE. 


puisse  passer  un  jour  aux  environs  de  Chamonix  ou  de  Grindeiwald  sans  entendre 
ou  voir  plusieurs  de  ces  avalanches;  le  passage  de  la  Wenaern-Alp,  en  foce  de  la 
Jungfrau,  est  particulièrement  propice  pour  être  témoin  de  ce  phénomène.  Quant  i 
leur  nature,  ces  avalanches  d'été  sont  ordinairement  des  avalanches  poudreuses  ou 
des  avalanches  de  glacier. 

On  désigne  sous  le  nom  de  ionnuenies  ces  ouragans  mêlés  d'une  abondante  pous- 
sière de  neige,  dont  les  effets  sont  fort  redoutables  pour  les  voyageurs.  Dans  les  mon- 
tagnes de  la  Suisse  allemande,  les  tourmentes  sont  connues  sous  le  nom  de  Botix^n 
ou  Gouxen.  Des  tourbillons  impétueux  font  élever  les  neiges  nouvellement  tombées 
dans  les  passages  de  montagnes,  les  transportent  en  masses  semblables  à  des  nuages, 
obstruent  en  peu  d'instants  les  gorges  et  les  enfoncements,  couvrent  les  chemins  et 
ensevelissent  jusqu'aux  perches  qui  en  indiquent  la  direction.  Les  voyageurs  qui 
ont  le  malheur  d'être  surpris  par  ces  ouragans  sont  exposés  au  plus  grand  danger, 
car  les  tourbillons  de  neige,  dont  les  flocons  très-subtils  font  rougir  et  enfler  la  peau, 
en  causant  de  vives  douleurs,  ne  leur  permettent  pas  de  tenir  les  yeux  ouverts  et 
de  voir  leur  chemin,  ce  qui  est  cause  qu'ils  s'égarent  et  courent  risque  de  tomber 
dans  des  précipices.  D'ailleurs,  la  marche  dans  une  neige  profonde  cause  bientôt  une 
forte  lassitude;  malheur  au  voyageur  qui,  succombant  à  la  fatigue,  s'assied  sur  la 
neige  ;  si  le  sommeil  le  saisit,  il  ne  se  réveillera  plus.  Les  tourmentes,  comme  cela 
se  comprend,  ont  principalement  lieu  en  hiver,  pendant  ou  après  les  grandes  chutes 
de  neige,  et  c'est  pendant  ces  rudes  intempéries  des  Alpes  que  les  refuges  et  les 
hospices  établis  sur  quelques-uns  des  passages  les  plus  fréquentés  rendent  les  plus 
grands  services  aux  voyageurs. 


RIVIÈRES  ET  TORRENTS. 

Des  immenses  glaciers  et  des  neiges  étemelles  qui  couvrent  les  Alpes  sortent, 
hiver  et  été,  une  foule  de  torrents  et  de  ruisseaux,  qui,  en  se  réunissant,  forment 
de  grandes  rivières,  dont  le  cours  va  arroser  les  plaines  lointaines,  et  se  terminer 
dans  les  différentes  mers  qui  baignent  l'Europe.  Les  quatre  fleuves  ou  rivières 
par  lesquelles  s'écoule  la  presque  totalité  des  eaux  de  la  Suisse,  sont  le  Rhin, 
le  Rhôtie,  le  Tessin  et  l'/wn.  —  Le  Rhin,  qui  reçoit  à  peu  près  toutes  les  eaux 
du  nord  des  Alpes  suisses,  et  la  plus  grande  partie  des  eaux  du  Jura  suisse,  est  le 
plus  beau  des  fleuves  d'Europe.  Il  a  ses  sources  dans  le  canton  des  Grisons;  il  est 
formé  de  trois  bras  principaux  :  le  premier,  appelé  le  Rhin  antérieur  (  Vorderrhein), 
est  alimenté  par  les  neiges  de  quelques  sommités  voisines  du  St.-Gothard,  il  se 
réunit  à  Dissentis  avec  le  Rhin  du  Milieu,  dont  la  source  est  au  fond  du  Val  Cade- 
lina  au  pied  du  Luckmanier,  et  qui  arrose  la  vallée  de  Med^k  (ou  du  Milieu  );  puis, 
à  Reichenau,  il  reçoit  les  eaux  du  Rhin  postérieur  {Hinterrhein),  qui  sort  du  glacier 
de  Rheinwald,  au  fond  de  la  vallée  du  même  nom.  Le  Rhin  est  déjà  une  grosse 
rivière  quand  il  quitte  le  territoire  grison,  pour  faire  la  limite  entre  le  canton  de 
St.-Gall  et  le  Tyrol  ;  il  se  jette  ensuite  dans  le  lac  de  Constance,  pour  en  ressortir 
près  de  Stein,  petite  ville  schafihousoise  ;  au-dessous  de  Schaffhouse,  il  fait  une 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  8S 


chute  remarquable,  et  plus  bas  il  sert  encore  de  limite  à  la  Confédération.  Enfin, 
il  quitte  la  Suisse  à  Bàle,  pour  continuer  sa  course  directement  vers  le  nord  ;  après 
un  trajet  de  300  lieues^  il  verse  ses  eaux  dans  la  mer  du  Nord.  On  a  calculé  que 
la  masse  d'eau  qui  coule  près  de  Bàle  lors  des  plus  hautes  eaux,  est,  par  seconde, 
de  22S,000  pieds  cubes;  que,  lors  des  plus  basses  eaux,  elle  est  de  12,500  pieds 
cubes,  et  lors  des  moyennes  de  52,000,  ce  qui  fait  annuellement  1,009,152  mil- 
lions de  pieds  cubes  (ou  1  trillion  9  billions  152  millions). 

Tous  les  cantons,  sauf  Genève  et  Yallais,  paient  leur  tribut  au  Rhin  ;  le  canton 
du  Tessin  lui-même  envoie  le  sien  par  Tintermédiaire  de  la  Reuss,  qui  a  Tune  de 
ses  sources  dans  le  petit  lac  tessinois  de  Luzendro  sur  le  St.-Gothard.  Le  plus 
considérable  des  afQuents  du  Rhin  sur  le  territoire  suisse,  c'est  YAar,  qui  est  lui- 
même  la  plus  grande  des  rivières  entièrement  suisses.  L'Âar  a  ses  sources  dans 
les  glaciers  qui  portent  son  nom,  et  qui  descendent  du  Finsteraarhorn  ;  il  forme  les  | 

lacs  de  Brienz  et  de  Thoune,  et,  après  avoir  passé  à  Berne,  il  s'approche  du  Jura,  | 

qu'il  suit  à  peu  près  parallèlement  jusqu'à  sa  jonction  avec  le  Rhin  dans  le  canton 
d'Ai^vie.  Les  principales  rivières  qui  grossissent  ses  eaux,  sont  :  la  Sarine,  qui 
vient  de  la  vallée  de  Gessenay  au  canton  de  Berne,  et  traverse  un  district  alpestre 
du  canton  de  Vaud,  puis  le  canton  de  Fribourg;  la  Thièle,  qui  sort  des  lacs  de 
Neuchàtel  et  de  Bienne,  auxquels,  sous  le  nom  i*Orhe,  elle  a  amené  les  eaux  de  la 
vallée  de  Joux  ;  la  Reuss,  dont  les  sources  sont  dans  la  vallée  d'Urseren  et  sur  le 
St.-Gothard,  et  qui  traverse  le  canton  d'Uri  et  se  jette  dans  le  lac  des'Quatre- 
Cantons,  pour  en  ressortir  à  Lucerne;  son  cours  est  de  50  à  55  lieues  ;  enfin  la  Linth, 
formée  des  eaux  du  canton  de  Glaris,  et  qui  se  jette  par  un  canal  dans  le  lac  de 
Wallenstadt,  en  ressort  sous  le  nom  de  Caïuil  de  la  Linth,  traverse  le  lac  de  Zurich, 
puis,  sous  le  nom  de  Limmat,  va  se  joindre  à  l'Aar,  après  un  cours  d'environ 
30  lieues,  et  presque  au  même  point  que  la  Reuss.  Chacune  de  ces  rivières  reçoit 
elle-même  les  eaux  d'un  grand  nombre  de  torrents. 

A  roccident  du  St.-Gothard  et  à  côté  du  passage  de  la  Furka,  Ton  voit  un 
magnifique  groupe  de  glaciers  qui  donne  naissance  au  Rhône.  Ce  fleuve  traverse 
dans  toute  sa  longueur  le  canton  du  Vallais,  la  plus  grande  des  vallées  de  la  Suisse. 
Une  centaine  de  ruisseaux  et  de  torrents  lui  amènent  les  eaux  des  glaciers  dont  sont 
couvertes  les  deux  hautes  chaînes  qui  forment  la  vallée.  Les  plus  considérables  sont 
la  Viége,  qu'alimentent  les  vastes  glaciers  du  Mont-Rose,  YUsenz  ou  Namzence,  qui 
sort  des  glaciers  auxquels  aboutit  le  val  d'Anniviers;  la  Borgne,  qui  arrose  la  vallée 
d'Héremenoe^  et  la  Dranse,  qui  amène  les  eaux  du  St.-Bernard,  du  val  Ferret,  et 
de  la  vallée  de  Bagnes.  Après  un  cours  d'environ  40  lieues,  le  Rhône  vei*se  ses 
eaux  dans  le  lac  de  Genève,  dont  il  ressort  au  milieu  de  la  ville  du  même  nom. 
Après  avoir  fait,  sur  une  longueur  d'environ  20  lieues,  la  limite  entre  la  France  et 
la  Savoie,  il  se  dirige  vers  Lyon  et  vers  la  Méditerrannée. 

Les  eaux  de  la  Suisse  méridionale  s'écoulent  presque  en  entier  par  le  Tessin. 
Cette  rivière,  dont  la  source  est  au  St.-Gothard,  se  jette  dans  le  lac  Majeur,  forme 
ensuite  la  limite  du  Piémont  et  de  la  Lombardie,  jusqu'à  son  confluent  avec  le  Pô 
près  de  Pavie. 

Enfin,  la  Haute-Engadine  possède  les  sources  de  VInn,  qui,  après  avoir  arrosé 
cette  grande  vallée  grisonne,  ainsi   que  la  Basse-Engadine,   traverse  le   Tyrol 


86 


Là   S1IS6C   nTTOReSQCC. 


et  devient  un  des  principaux  afDuents  du  Danul»?.  L*Inn  ne  reçoit  les  eaux 
que  d'un  trentième  au  plus  de  la  Suisse,  mais  il  est  proportionnellement  considé- 
rable,  à  cause  des  nombreux  glaciers  qui  ralimeolent.  Le  canton  des  Grisons  envoie 
donc  la  masse  de  ses  eaux  par  le  Rhin  et  Tlnn,  dans  la  mer  du  Nord  et  dans  la  mer 
Noire;  un  de  ses  torrents,  le  Rhum,  qui  arrose  la  vallée  de  Munster  à  l'est  de  la 
Basse-Engadine,  va  grossir  les  eaux  de  TAdige.  Deux  autres,  le  Po$chiûvino  et  la 
Maira,  au  sud  de  la  Haute-Engadine,  versent  leurs  eaux  dans  l'Adda.  En  outre,  un 
torrent,  nommé  Broggia,  sort  du  mont  Generoso  dans  le  district  de  Mendrisio,  et  se 
jette  dans  le  lac  de  Cdme  ;  la  D*jrfria  descend  du  Simplon,  sur  le  revers  méridional 
appartenant  encore  au  Vallais,  et  se  jette  dans  la  Toccia.  On  peut  aussi  nommer 
comme  rivières  suisses  le  Donks,  qui  forme  la  frontière  de  la  France  et  des  cantons 
de  Neuchàtel  et  de  Berne,  sur  une  longueur  de  10  lieues.  Enfin  deux  rivières,  venant 
de  l'étranger,  terminent  leur  cours  sur  le  territoire  suisse  :  c'est  la  Wiese,  qui  vient 
du  grand-duché  de  Bade,  et  se  jette  dans  le  Rhin  prés  de  Bàle,  et  VArve,  qui  sort 
des  glaciers  du  Mont-Blanc,  et  se  joint  au  Rhône  un  peu  au-dessous  de  Genève. 

Si  ce  n'est  point  trop  puéril,  nous  ferons  remarquer  que  les  quatre  grandes 
rivières  par  lesquelles  s'écoulent  les  eaux  des  Alpes  suisses,  correspondent  presque 
exactement  aux  quatre  langages  principaux  qu'on  parle  dans  le  pays.  Le  Rhin, 
quoique  ayant  toutes  ses  sources  en  pays  romanche,  peut  être  appelé  un  fleuve  alle- 
mand; le  Rhône,  quoique  prenant  son  origine  dans  le  Haut- Vallais,  pays  allemand, 
arrose  principalement  la  Suisse  française  ;  le  Tessin  est  une  rivière  toute  italienne  ; 
enfin  l'Inn  ne  parcourt  en  Suisse  que  la  grande  vallée  de  l'Engadine,  dout  la  langue 
est  le  romanche. 


L'inoodalioa  fin  Val  Lis  en  1834. 


Malheureusement,  les  grandes  rivières  de  la  Suisse,  et  particulièrement  le  Rhin  et 
le  Rhône,  causent  fréquemment  de  grandes  inondations,  soit  après  les  grandes 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  87 


pluies,  soit  quand  des  chaleurs  extraordinaires  accélèrent  trop  la  fonle  des  neiges. 
La  vallée  du  Bheinthal  au  canton  de  St.-Gall,  et  le  Bas-Yallais,  sont  les  contrées  les 
plus  exposées  à  ce  fléau.  Mais  beaucoup  d'autres  vallées  subissent  aussi  de  grandes 
pertes,  quand  les  torrents  enflés  subitement  par  les  orages  entraînent  une  niasse 
de  cailloux  et  de  sable,  dont  ils  recouvrent  les  terrains  les  plus  fertiles. 


CASCADES  ET  LACS. 

Après  les  montagnes  et  les  glaciers,  ce  que  la  nature  présente  de  plus  admirable 
en  Suisse,  ce  sont  les  lacs  et  les  cascades.  Les  Alpes  françaises  et  les  Alpes  alle- 
mandes sont  beaucoup  moins  favorisées  sous  ce  rapport  que  celles  de  la  Suisse. 
Parlons  d'abord  de  ses  cascades.  Peu  de  pays  en  postent  autant  de  remarquables 
que  celui  dont  nous  faisons  la  description.  Les  sites  qui  les  entourent  sont  d'une 
extrême  variété,  et  ils  servent  souvent  d'étude  au  pinceau  des  peintres.  Les  unes 
se  précipitent  du  haut  d'une  paroi  de  rocher,  ou  jaillissent  des  flancs  d'un  glacier 
suspendu  au  bord  d'un  abîme;  d'autres  s'engouffrent  dans  une  fissure  resserrée 
entre  deux  rocs  à  pic,  et  grondent  dans  des  profondeurs  où  les  regards  ne  peuvent 
atteindre.  Ici,  elles  sont  entourées  de  toutes  les  horreurs  d'une  nature  âpre  et  sévère  ; 
ailleurs,  elles  murmurent  au  fond  de  gracieux  et  romantiques  vallons;  ailleurs 
encore,  la  verdure  luxuriante  qui  les  encadre  fait'  ressortir  la  blancheur  de  leur 
nappe  d'eau.  Il  en  est  qu'on  ne  peut  contempler  qu'en  se  plaçant  vers  le  bas  de  leur 
chute  ;  il  en  est  d'autres  qu'il  est  possible  d'observer  de  près,  en  s'avançant  avec 
précaution  jusqu'au  point  où  elles  s'engouffrent  en  mugissant  dans  un  abîme. 
Lorsqu'on  s'approche  d'une  cascade  à  une  heure  et  par  un  temps  favorables,  on 
voit  quelquefois  un  bel  arc-en-ciel  produit  par  les  rayons  du  soleil  au  milieu  de  la 
vapeur  plus  ou  moins  dense  lancée  par  la  masse  d'eau  qui  se  pulvérise  en  partie 
pendant  sa  chute. 

Nous  nous  bornerons  ici  à  mentionner  quelques-unes  de  celles  qui  méritent  le 
mieux  d'être  visitées.  La  plus  grande  chute  d'eau  en  Suisse  et  même  en  Europe, 
c'est  celle  du  Rhin  près  de  Schaffhouse.  Le  Rhin  antérieur  forme  aussi  plusieurs 
chutes  considérables  dans  la  gorge  des  Roffeln,  au  pays  des  Grisons;  celle  de  la 
Handeck,  formée  par  l'Aar  dans  la  vallée  du  Grimsel,  et  celle  de  la  Reuss,  près  du 
Pont-du-Diable,  au  sortir  de  la  vallée  d'Urseren,  sont  dans  des  sites  extrêmement  sau- 
vages. La  cascade  du  Slatibbach  (Ruisseau  de  poussière),  vis-à-vis  de  Lauterbrunnen 
(Source  limpide),  est  la  plus  haute  de  toutes  celles  de  la  Suisse  :  elle  se  précipite  d'une 
paroi  d'environ  800  pieds  d'élévation.  Nommons  encore  celle  du  Giessbach,  au-dessus 
du  lac  de  Brienz  ;  celles  que  forme  la  Simmen,  près  de  ses  sources  au  fond  du  Sim- 
menthal  ;  celle  du  Schreienbach,  au  canton  de  Claris  ;  celle  du  Pissevache,  près  Mar- 
tigny,  et  le  Saut  du  Doubs,  au  canton  de  Neuchàtel. 

Les  lacs  de  la  Suisse  ne  sont  pas  moins  dignes  d'attirer  l'attention  que  ses  cascades. 
Aucun  pays  en  Europe,  sauf  la  Suède  et  la  Finlande,  n'en  possède  un  aussi  grand 
nombre.  Ses  lacs  sont  pour  la  Suisse  ce  que  sont  pour  l'Italie  méridionale  les  rivages 


88  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


de  ses  mers,  ce  que  sont  pour  la  Grèce  ses  golfes  profondément  découpés,  et  ses  ar- 
chipels aux  Iles  nombreuses.  Quelques-uns  des  lacs  suisses  sont  enfermés  au  milieu 
de  hautes  montagnes  aux  pentes  rocheuses  et  abruptes;  d'autres  sont  entourés  de 
collines  verdoyantes  et  couverts  de  riantes  habitations.  Les  plus  considérables  sont  les 
suivants  :  Le  lac  de  Genève,  appelé  aussi  le  lac  Léman  ;  ses  rives  appartiennent  aux 
cantons  de  Vallais,  Vaud  et  Genève,  et  à  la  Savoie.  Il  est  arrondi  en  forme  de 
croissant  ;  sa  longueur,  en  la  comptant  du  milieu  de  sa  courbure,  est  de  1 7  à  1 8  lieues  ; 
sa  plus  grande  largeur,  entre  Rolle  et  Thonon,  est  de  3  lieues;  sa  superficie  est  de 
28  lieues  carrées,  et  sa  hauteur  de  1450  pieds.  Sa  plus  grande  profondeur,  près  des 
côtes  de  Savoie,  va  jusqu'à  900  ou  950  pieds.  II  gela  en  762  et  805  à  un  tel  degré, 
que  des  chars  purent  passer  de  Nyon  à  Thonon.  —  Le  lac  de  Constance,  dont  les  rives 
méridionales  appartiennent  aux  cantons  de  St.-Gall  et  de  Thurgovie,  la  rive  orien- 
tale à  l'Autriche,  et  celle  du  nord  à  la  Bavière,  au  Wurtemberg,  au  grand-duché 
de  Bade,  et  pour  une  petite  partie  au  canton  de  Schaffbouse.  Sa  longueur  est  de 
Ift  lieues,  et  sa  plus  grande  largeur,  entre  Rorschach  et  Lindau,  de  &  lieues;  sa 
plus  grande  profondeur  est  de  795  pieds;  mais  elle  est  beaucoup  moindre  entre 
Rorschach  et  Lindau,  par  suite  des  attcrrissements  considérables  qu'amène  le  Rhin. 
Sa  hauteur  est  de  4218  pieds,  et  sa  superficie  de  25  lieues.  Il  est  partagé  en  deux 
parties  par  une  presqu'île  qui  s'avance  jusqu'en  face  de  la  ville  de  Constance.  Le  lac 
inférieur  (Untersee  ou  Zellersee)  est  moins  profond  que  l'autre,  et  gèle  presque  chaque 
année.  Le  lac  supérieur  n'a  gelé  que  cinq  fois  en  quatre  siècles,  en  4ft77,  1572, 
1596,  1695  et  1830.  —  Le  lac  Majeur,  dont  l'extrémité  septentrionale  appartient 
au  Tessin.  Plus  au  sud,  sa  rivé  orientale  appartient  à  la  Lombardie,  et  sa  rive  occi- 
dentale au  Piémont.  Sa  longueur  est  de  46  lieues,  et  il  a  28  lieues  de  superficie.  Sa 
hauteur  est  de  696  pieds.  Il  ne  gèle  jamais. 

Le  lac  des  Waldstatten  ou  des  Quatre-Cantons,  dont  la  forme  est  irrégulière,  el 
qui  forme  plusieurs  golfes  profonds  ;  sa  hauteur  est  de  4340  pieds.  La  gelée  la  plus 
forte  sur  ce  lac  parait  avoir  eu  lieu  en  janvier  4593.  On  transporta  à  cette  époque 
des  marchandises  sur  des  traîneaux,  attelés  de  bœufs  ou  de  chevaux,  de  Stanzstad, 
d'Àlpnach  et  de  Winkel  aux  bords  opposés.  On  put  aller  de  Luceme  à  Àltorf  sur  la 
glace,  qui,  en  plusieurs  endroits,  avait  deux  pieds  d'épaisseur.  Le  froid  dura  sept 
semaines.  En  janvier  4830,  des  traîneaux  chargés  passèrent  aussi  de  Stanzstad  à 
Hergiswyl  et  à  Winkel.  Mais  le  golfe  oriental,  qu'on  appelle  le  lac  d'Uri,  ne  gèle  pas 
à  l'ordinaire,  quand  le  reste  du  lac  est  pris,  ou,  du  moins,  ne  se  couvre  que  d'une 
mince  croûte  de  glace.  —  Le  lac  de  Zurich,  dont  la  longueur  est  de  8  lieues,  et  la 
largeur  de  demi-lieue.  Sa  hauteur  est  de  4258  pieds.  Le  lac  entier  fut  gelé  vingt-deux 
fois  dès  4233  à  4830,  et  en  particulier  deux  fois  dans  ce  siècle,  en  4840  et  4830. 
Cette  dernière  année,  il  resta  gelé  pendant  sept  semaines;  mais  la  partie  supérieure 
jusqu'à  Rapperschwyl  gèle  bien  plus  souvent  que  le  reste  du  lac.  —  Le  lac  de  Neu- 
chdlel,  long  de  7  lieues,  sur  4  Vs  de  largeur.  Sa  hauteur  est  de  4339  pieds.  Il  gela 
entièrement  en  4573,  4656,  4795  et  4830,  soit  quatre  fois  en  trois  siècles. —  Le 
lac  de  Lugano,  dans  la  partie  méridionale  du  Tessin.  Sa  hauteur  est  de  874  pieds  ; 
il  est  donc  de  480  pieds  supérieur  au  lac  Majeur.  Ses  deux  extrémités  appartiennent 
à  la  Lombardie.  Dans  les  hivers  très-froids,  la  surface  de  quelques  baies  se  couvre 
d*une  légère  croûte  de  glace. 


CASCADB    GKLÉB    DU    GIBSSBAGH. 


I.A   SUISSE   frrruRKSQl'E. 


89 


Lacs  (ir  Thuuae  et  de  Briroi. 

Les  lacs  de  Brimz  et  de  Tlwutie,  dans  l'Oberland  bernois,  sont  sensiblement  plus 
élevés  que  les  précédents;  le  premier  est  à  1735  pieds,  et  le  second  à  1713  pieds. 
Le  lac  de  Wallenstadt  est  à  1306  pieds,  et  celui  de  Zug  à  1277.  Le  lac  de  Bienii€j 
qui  est  à  1336  pieds,  est  très-peu  inférieur  au  lac  de  Neuchàtel;  celui  de  Marat  est 
presque  de  niveau  avec  ce  dernier,  auquel  il  envoie  ses  eaux  par  l'intermédiaire  de 
la  Broie.  Nommons  encore  les  lacs  suivants,  qui  sont  d'une  moindre  étendue  :  Le 
lac  de  Joiuc,  dans  le  Jura  vaudois  ;  ceux  de  Setnpach  et  de  BaUeck^  au  canton  de 
Lucerae  ;  celui  de  Hallwylj  au  canton  d'Ârgovie  ;  ceux  de  Surnen  et  de  Lufigern, 
dans  rUnterwald;  celui  de  Lowerz\  au  canton  de  Schwytz  ;  celui  à'Egeri,  au  canton 
de  Zug;  ceux  de  PfUffikan  et  de  Greifensee,  au  canton  de  Zurich  ;  ceux  de  Poschiavo 
et  de  Davos,  dans  les  Grisons.  Enfin,  on  trouve  aussi  de  petits  lacs  sur  un  grand 
nombre  de  montagnes:  par  exemple,  sur  le  St.-Gothard,  sur  le  St.-Bernard,  sur  la 
Gemmi,  le  Grimsel,  TOberalp,  le  Pilate,  le  Bernina,  etc.,  ou  dans  des  vallées  très- 
élevées,  comme  ceux  de  la  Haute-Eogadine.  Ces  lacs  élevés  gèlent  presque  tous 
pendant  plusieurs  mois.  Le  k  mai  1799,  des  voitures  d'artillerie  française  passèrent 
sur  les  lacs  de  l'Engadine.  Ceux  du  St.-Gothard  restent  gelés  jusqu'à  la  fin  de  mai, 
et  quelquefois  jusqu'en  juin.  Celui  du  St.-Bernard  reste  aussi  gelé  jusqu'au  com- 
mencement de  l'été. 


BAINS  ET  SOURCES  MINÉRALES. 

Aucun  pays  proportionnellement  ne  possède  une  aussi  grande  quantité  de  sources 
minérales,  chaudes  ou  froides.  On  compte  en  Suisse  une  vingtaine  de  bains  de  premier 
rang,  et  plus  de  200  de  second  rang  ;  en  outre,  350  sources  minérales  de  diverse 
nature,  sulfureuses,  acides,  ferrugineuses,  salées  ou  alcalines.  Nous  serons  appelés 
à  parler  plus  en  détail  des  établissements  de  bains  les  plus  fréquentés.  Nous  nous 
contenterons  de  nommer  ici  les  suivants  :  Les  bains  de  Baden  et  de  Schinznach,  dans 

11.  6  12 


90  LA   susse   PITTORESQtE. 


le  caaton  d'Argovie;  ceux  de  Pfeffers,  au  canton  de  St.-Gall;  ceux  de  Lou&^he  et  de 
Saxon  en  Vallais;  ceux  de  St. -Maurice  et  de  Bernardin,  au  canton  des  Grisons;  ceux 
du  Gournigel  et  de  Blumenslein,  au  canton  de  Berne,  à  l'ouest  de  Tboune;  ceux  de 
Nidelbad,  près  du  lac  de  Zurich  ;  ceux  de  Weissbad,  près  d*Âppenzell  ;  ceux  de  Lavey, 
au  canton  de  Vaud.  —  Ajoutons  que  la  Suisse,  avec  ses  nombreux  torrents  d'eau 
glacée,  possède  toutes  les  facilités  pour  la  création  d'établissements  bydrothérapi- 
ques.  Cependant,  ce  genre  d'établissement  n'est  pas  très-commun  jusqu'à  ce  jour  en 
Suisse;  le  plus  connu  et  le  plus  considérable  est  celui  i' Albisbiunnen,  au  canton  de 
Zuricb.  Le  Kaltbad  ou  Bain  froid,  sur  le  Righi,  a  aussi  de  la  réputation. 


HISTOIRE  NATURELLE. 

Il  nous  reste,  avant  de  passer  à  la  description  des  divers  cantons,  à  dire  quelques 
mots  sur  les  trois  règnes  de  la  nature  en  Suisse. 

Règne  animal,  bestiaux,  chasse,  pêche.  —  Une  des  principales  ricbesses  de  la 
Suisse,  ce  sont  les  nombreux  bestiaux  et  particulièrement  les  grands  troupeaux  de 
vacbes  qui  paissent  les  gras  pâturages  de  ses  montagnes.  Dans  certaines  localités,  les 
vacbes  sont  remarquables  par  les  dimensions  de  leur  taille.  Celles  qui  paissent  sur 
les  alpages  de  moyenne  élévation  ou  sur  des  pentes  douces,  atteignent  communément 
la  grosseur  la  plus  considérable  ;  dans  les  régions  où  les  pentes  sont  en  général  très- 
raides,  les  bestiaux  n'ont  qu'une  taille  moyenne.  Les  plus  grosses  sont  les  vacbes 
des  vallées  du  Simmenthal  et  du  Gessenay,  au  canton  de  Berne,  et  du  pays  de 
Gruyère,  dans  celui  de  Fribourg.  Celles  de  Scbwylz  ne  leur  sont  que  peu  inférieures; 
mais  les  bœufs  de  ce  canton  sont  au  nombre  des  plus  gros  de  la  Suisse.  Ensuite 
viennent  les  vacbes  d'Âppenzell,  celles  de  l'Entlibucb,  au  canton  de  Lucerne;  celles 
de  la  vallée  du  Prœttigau,  dans  les  Grisons;  celles  de  Claris,  etc.  Les  vacbes  d*Uri, 
d'Unterwald,  du  Tessin,  du  Yallais  et  des  Grisons  (sauf  celles  du  Proattigau),  sont  en 
général  petites  ;  il  en  est  de  même  de  celles  du  Jura.  Dans  quelques  cantons,  la  quan- 
tité des  bestiaux  est  plus  considérable  au  printemps  et  en  été  qu'en  automne  et  en 
biver,  vu  l'exportation  qui  s'en  fait  à  la  fin  de  la  belle  saison.  Ainsi,  Schwytz  a 
environ  20,000  vacbes  en  juillet  et  août,  et  14t  à  15,000  seulement  en  janvier.  On 
évalue  à  475,000  le  nombre  des  vaches  en  Suisse  ;  à  85,000  celui  des  bœufs,  et  à 
290,000  celui  des  veaux  et  des  génisses,  ce  qui  fait  un  total  de  850,000;  c'est  une 
tête  de  race  bovine  par  trois  habitants.  La  valeur  de  ces  bestiaux  est  d'environ 
94  millions. 

La  Suisse  possède  aussi  un  assez  grand  nombre  de  chevaux  :  on  l'évalue  à  105,000, 
y  compris  les  juments  et  les  poulains.  Ces  animaux  prospèrent  particulièrement  sur 
les  pâturages  bas.  Les  cantons  qui  en  ont  le  plus  sont  ceux  du  nord  et  de  l'occident, 
particulièrement  ceux  de  Soleure,  Berne,  Fribourg,  Vaud  ;  ces  cantons  en  vendent 
à  l'étranger  une  certaine  quantité.  On  trouve  aussi  de  forts  chevaux  dans  quelques 
contrées  basses  des  cantons  de  Lucerne,  Claris,  St.-Gall.  —  Quant  aux  mulets  et 
aux  ânes,  il  y  en  a  peu  en  Suisse,  vu  la  rigueur  du  climat  ;  on  n'en  trouve  guère 
que  dans  les  parties  les  plus  chaudes,  au  Tessin  et  en  Yallais.  —  Le  nombre  des 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  91 


moutons  est  évalué  à  423,000;  mais  leur  race  est  misérable  à  côté  de  celle  des 
vaches;  elle  est  petite  et  donne  peu  de  laine;  on  a  essayé  de  Taméliorer  par  Tim- 
porlation  de  brebis  espagnoles,  mais  on  n'a  pas  partout  réussi,  soit  à  cause  d*un 
climat  rigoureux,  soit  faute  de  soins.  Nous  avons  déjà  fait  remarquer  que  la  Suisse 
aurait  intérêt  à  élever  un  plus  grand  nombre  de  moutons,  afin  de  n'avoir  plus  besoin 
(l'une  aussi  grande  importation  de  laines  et  de  draps  étrangers.  —  La  Suisse  possède 
347,000  chèvres  ;  mais  cet  animal  cause  beaucoup  de  dégâts  dans  les  forêts  et  dans  les 
jardins;  il  serait  avantageusement  remplacé  par  des  moutons.  Enfin  Ton  compte  en 
Suisse  318,000  porcs,  et  ce  nombre  n'est  pas  suffisant  pour  la  consommation  :  l'on  est 
obligé  d'en  importer. 

La  valeur  totale  de  tous  ces  bestiaux,  y  compris  les  vaches,  est  évaluée  à  plus  de 
425  millions  de  francs.  Le  revenu  annuel  est  de  42  ^/^  ou  environ  iS  millions.  Le 
produit  des  vaches  varie  beaucoup  suivant  leur  taille.  Les  bonnes  vaches  du  Sim- 
mentbal  et  de  l'Emmenthal  donnent,  sur  les  pâturages  d'été,  plus  de  20  livres  de 
lait  par  jour  ;  les  meilleures  en  donnent  jusqu'à  30  et  40  livres.  Les  12,000  vaches 
du  pays  de  Gruyère  donnent  en  moyenne  chacune  deux  quintaux  de  fromage,  du 
IS  mai  aux  premiers  jours  d'octobre.  On  compte,  en  moyenne,  95  vaches  pour  400 
quintaux.  Ce  calcul  se  rapporte  assez  avec  la  quantité  totale  du  fromage,  490,000 
quintaux  pour  475,000  vaches;  à  50  ou  55  centimes  la  livre,  la  valeur  totale  est 
de  25  à  26  millions.  Il  faut  y  ajouter  40  millions  pour  la  valeur  du  lait  consommé 
en  nature,  le  beurre,  le  céré  et  les  veaux. 

Les  bêtes  à  plumes  ne  sont  ni  nombreuses  ni  belles  en  Suisse,  vu  que  ce  pays  n'a 
pas  beaucoup  de  blé  ni  de  petites  graines  pour  les  nourrir.  Cependant,  dans  quelques 
contrées,  on  nourrit  passablement  de  volailles,  par  exemple  dans  les  environs  des 
principales  villes.  —  Les  abeilles  ne  prospèrent  pas  partout  en  Suisse,  vu  la  rigueur 
et  l'instabilité  des  saisons.  Il  y  en  a  pourtant  beaucoup  dans  quelques  localités  où 
l'on  en  prend  soin,  particulièrement  dans  les  cantons  du  Tessin,  du  Vallais,  d'Ap- 
penzell,  de  Neuchâtel,  deSoleure,  etc.  On  a  aussi  cherché  à  améliorer  et  augmenter 
cette  branche  d'économie  rurale  dans  quelques  parties  du  canton  de  Berne.  Les  miels 
les  plus  renommés  de  la  Suisse  sont  ceux  d'Appenzell  et  de  l'Oberland  grisou.  La 
Suisse  exporte,  dit-on,  2000  quintaux  de  miel,  outre  une  assez  grande  quantité 
de  cire. 

La  chasse  la  plus  renommée  de  la  Suisse  est  celle  des  chamois.  Cet  animal,  qui 
ressemble  beaucoup  à  la  chèvre,  habite  les  montagnes  qui  s'élèvent  au-dessus  de 
la  limite  des  neiges.  Il  faut  beaucoup  de  hardiesse  pour  le  poursuivre  au  milieu  des 
glaciers  et  des  précipices.  Bien  que  leur  race  ait  été  considérablement  réduite  par  le 
grand  nombre  des  chasseurs,  on  trouve  cependant  encore  des  chamois  dans  les  cantons 
de  Berne,  Vallais,  Uri,  Unterwald,  Claris,  Grisons  et  Tessin.  Il  n'est  pas  très-rare, 
à  de  certaines  hauteurs,  de  reconnaître  leurs  traces  sur  la  neige,  ou  même  d'aper- 
cevoir de  petits  troupeaux  de  dix  à  quinze  têtes.  Si  l'on  passe  certaines  montagnes 
au  commencement  de  l'été,  on  en  voit  paître  au  bord  de  la  neige  sur  des  pâturages 
où  plus  tard  on  conduira  des  troupeaux  ;  mais  on  ne  peut  les  approcher  que  si  l'on 
se  trouve  sous  le  vent,  et  que  l'on  ne  fasse  aucun  bruit;  dès  que  l'on  est  aperçu,  on 
les  voit  s'élancer  aussitôt  et  gravir  avec  une  agilité  incroyable  contre  les  flancs 
escarpés  des  rochers.  On  entend  quelquefois  un  léger  sifflement  poussé  par  un  chamois 


92  LA   SriSSE   PITTORESQUE. 


placé  un  peu  à  Técart  comme  sentinelle.  Dans  le  fort  de  Tété,  ils  se  tiennent  de  pré- 
férence à  de  grandes  hauteurs.  En  automne,  quand  les  sommités  des  montagnes  sont 
couvertes  de  neige  fraîche,  il  arrive  qu'ils  descendent,  pour  trouver  un  peu  d'herbe 
à  brouter,  jusque  vers  le  haut  de  la  région  des  forêts,  mais  toujours  dans  des  lieux 
de  difficile  accès  et  écartés  de  toute  circulation.  On  profite  quelquefois  de  ce  moment 
pour  les  chasser  ;  dans  ce  cas,  on  peut  se  faire  accompagner  de  chiens  ;  mais  à  l'or- 
dinaire  cet  animal  ne  pourrait  qu'embarrasser  le  chasseur,  qu'il  serait  hors  d'état 
de  suivre  partout.  Beaucoup  de  chasseurs,  après  avoir  longtemps  poursuivi  le  chamois, 
ont  fini  par  trouver  la  mort  dans  quelque  précipice  ou  dans  quelque  crevasse  de 
glacier.  On  cite,  entre  autres,  deux  chasseurs  de  Glaris,  célèbres  par  le  grand  nombre 
de  diamois  qu'ils  avaient  frappés,  savoir:  J.  Heitz  et  D.  Zwicki,  qui,  assure-t-on, 
en  avaient  tué,  le  premier  900,  et  le  second  1300. 

Une  autre  chasse,  à  laquelle  se  livrent  les  montagnards  suisses,  est  celle  des  mar- 
mottes, qui  habitent  dans  des  trous  sur  de  hautes  montagnes,  souvent  non  loin  de 
la  limite  des  neiges.  Les  bergers  en  prennent  beaucoup  avec  des  trappes  qu'ils  placent 
à  l'une  des  issues  de  leur  trou,  en  bouchant  l'autre.  Quelquefois  on  les  déterre  toutes 
engourdies  par  le  froid,  et  elles  ne  se  réveillent  que  lorsqu'elles  ont  été  portées  dans 
des  chambres  chaudes.  La  marmotte  est  grasse  en  été  et  en  automne,  et  maigre  en 
hiver.  Les  uns  la  salent  et  la  fument,  d'autres  la  mangent  fraîche.  On  estime  sa 
graisse  autant  que  sa  chair;  on  s'en  sert  pour  guérir  les  entorses  et  d'autres  maux. 
Une  grosse  marmotte  donne  une  demi-mesure  de  graisse  et  18  livres  de  chair.  —  On 
trouve  aussi  dans  les  montagnes  de  la  Suisse  des  lièvres,  des  écureuils,  des  blaireaux 
et  des  renards.  Les  lièvres  qu'on  prend  dans  les  hautes  Alpes  en  hiver  et  au  prin- 
temps, sont  blancs;  on  les  chasse  avec  des  chiens  et  des  armes  à  feu,  ou  bien  avec 
des  trappes  et  des  filets.  —  Quant  aux  loups  et  aux  ours,  ils  sont  peu  nombreux  en 
Suisse,  par  la  raison  que  les  gouvernements  accordent  des  primes  à  ceux  qui  en 
détruisent.  On  en  trouve  cependant  encore  dans  quelques  forêts  de  Berne,  des  Gri- 
sons, du  Tessin,  du  Yallais,  ainsi  que  dans  celles  du  Jura.  Une  partie  des  loups  sont 
de  l'espèce  qu'on  appelle  loup-cervier. 

On  chasse  en  Suisse  un  grand  nombre  des  oiseaux  d'Europe,  soit  dans  les  plaines, 
soit  sur  les  eaux  ou  sur  les  montagnes.  Les  contrées  qui  passent  pour  être  les  plus 
riches  en  gibier,  sont  les  cantons  d'Ârgovie,  Solcure,  Lucerne,  et  le  district  de 
Lugano.  Les  perdrix  sont  au  nombre  des  oiseaux  les  plus  communs  en  Suisse,  ainsi 
que  les  faisans;  ceux-ci  se  trouvent  plutôt  sur  le  pied  méridional  des  montagnes, 
par  exemple  dans  le  Yallais. 

Yu  Tabondance  de  ses  eaux  courantes  et  de  ses  lacs,  la  Suisse  a  beaucoup  de 
poissons.  Elle  possède  en  particulier  les  meilleures  espèces  du  genre  saumon.  Ainsi, 
dans  lel  Rhin  et  dans  beaucoup  d'eaux  qui  sont  en  communication  avec  ce  fleuve, 
on  trouve  le  saumon  salar  (salmo  salar).  Près  de  Bàle,  ce  poisson  est  gros  et  abondant. 
On  trouve  aussi  la  truite  (salmo  trutta)  dans  plusieurs  lacs  et  rivières.  Dans  le  lac  de 
Constance,  oiTen  voit  de  15  à  20  livres  ;  celui  de  Genève  en  a  de  plus  grosses  encore. 
Dans  presque  toutes  les  grandes  et  petites  rivières,  on  trouve  le  sabno  fario  ou 
forelle,  qui  est  une  excellente  espèce.  On  en  prend  beaucoup  dans  le  Tessin,  et  on 
en  sale  une  partie  pour  l'hiver.  Nous  mentionnerons  ailleurs  les  espèces  les  plus 
communes  dans  chacun  des  principaux  lacs. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  93 


On  trouve  aussi,  dans  quelques  localités  de  la  Suisse,  une  assez  grande  variété  de 
papillons  rares,  surtout  en  Vallais. 

RàcNB  végIetal,  cultures  diverses.  —  Quelques  mots,  maintenant,  sur  les  cultures 
les  plus  usitées  en  Suisse.  Les  cantons  où  l'agriculture  est  en  général  la  plus  avancée, 
sont  ceux  du  nord  et  de  Touest.  La  Suisse  est  peu  propre  à  la  culture  des  céréales, 
vu  rinconstance  de  la  chaleur;  aussi  n'en  produit-elle  pas  suffisamment  pour  sa  con- 
sommation annuelle,  qui  est  de  33,000,000  de  quarterons  ou  5  millions  d'hectoli- 
tres. La  production  de  son  sol  suffît  ordinairement  pour  neuf  ou  dix  mois  de  l'année. 
Soleore,  Luceme,  Fribourg,  Schaffhouse,  sont  les  seuls  cantons  qui  en  produisent 
plus  qu'il  ne  leur  en  faut;  Berne,  Àrgovie,  Vaud,  en  achètent  dans  les  bonnes  années. 
Le  froment  croit  dans  les  régions  de  plaine;  mais,  dans  plusieurs  contrées  de  la  Suisse 
allemande,  on  le  remplace  par  l'épeautre,  espèce  moins  estimée,  mais  qui  donne  du 
pain  très-blanc.  A  une  certaine  hauteur,  le  froment  cède  la  place  au  seigle,  qui  se 
récolte  jusqu'à  4000  pieds,  dans  des  terrains  qui  ne  sont  pas  trop  inclinés  ou  exposés 
au  froid  ou  aux  vents.  Quant  à  l'orge,  on  le  cultive  dans  les  plaines  et  sur  les  mon- 
tagnes. —  L'insuffisance  du  blé  est  en  grande  partie  suppléée  par  les  pommes  de 
terre,  que  les  disettes  de  la  fin  du  dernier  siècle  et  du  commencement  du  lO"*  ont 
fait  multiplier  en  Suisse;  cette  plante  est  beaucoup  moins  sensible  aux  intempéries, 
et  peut  prospérer  tant  sur  les  montagnes  que  dans  les  plaines;  malheureusement, 
depuis  quelques  années,  la  récolte  a  été  bien  réduite  par  les  maladies;  aussi  les  con- 
trées dont  la  principale  ressource  était  la  pomme  de  terre  ont-elles  été  bien  misérables. 

Le  jardinage  et  les  légumes  sont  cultivés  en  assez  grande  quantité  dans  la  Suisse 
occidentale  et  autour  des  villes  principales.  Le  lin  et  le  chanvre  prospèrent  dans 
quelques  contrées  de  la  Suisse  ;  c'est  surtout  dans  le  canton  de  Thurgovie  que  cette 
culture  réussit  le  mieux  et  qu'elle  est  le  mieux  entendue .  On  y  fait  en  quelques  endroits 
jusqu'à  deux  récoltes  par  an.  Cette  culture  prend  aussi  de  l'extension  dans  les  cantons 
de  Berne  et  d'Ârgovie.  La  culture  du  tabac  a  pris  également  quelques  développe- 
ments, surtout  dans  les  parties  plates  des  cantons  de  Yaud,  Friboui^  et  Tessin. 

Les  pâturages  soit  alpages  (on  entend  par  là  les  prés  destinés  à  être  pâturés  sans 
être  fauchés)  sont  nombreux  et  excellents  en  Suisse,  soit  dans  les  Alpes,  soit  dans  le 
Jura.  Les  meilleurs  sont  en  général  les  plus  élevés  ;  comme  ils  sont  longtemps  recou- 
verts par  la  neige,  le  gazon  y  reste  court,  mais  il  est  savoureux  et  nourrissant,  et 
donne  une  qualité  exquise  au  lait.  Aussi,  dans  les  quatre  mois  d'été,  les  vaches  des 
montagnes  donnent-elles  presque  autant  de  lait  que  pendant  le  reste  de  l'année. 
Quant  aux  prairies  cultivées,  tant  naturelles  qu'artificielles,  elles  occupent  aussi  une 
grande  place  dans  l'économie  agricole  de  la  Suisse.  Les  prairies  naturelles  sont  très- 
bien  soignées  dans  les  cantons  septentrionaux  et  dans  ceux  d'Unterwald,  Schwytz  et 
Zug  ;  dans  la  Suisse  occidentale,  on  donne  aussi  beaucoup  de  soin  aux  prairies  arti- 
ficielles, surtout  dans  ceux  de  Fribourg  et  de  Vaud.  Dans  la  Suisse  méridionale,  les 
prairies  sont  en  général  négligées;  cependant  on  se  donne  une  grande  peine,  surtout 
dans  le  Vallais,  pour  ménager  les  irrigations  ;  dans  quelques  localités  qui  en  sont 
dépourvues,  on  amène  l'eau  de  plusieurs  lieues  de  distance,  au  moyen  de  canaux 
suspendus  quelquefois  à  une  grande  hauteur  contre  le  flanc  des  monts,  et  qu'on 
nomme  des  risses.  Chaque  pose  de  pré  donne  en  moyenne  45  quintaux  de  fourrage 
sec;  cela  fait  45,000,000  de  quintaux  en  total  ;  à  2  fr.  SO  c.  le  quintal,  cela  fait 
lli  millions  V^  de  francs,  ou  47  francs  par  habitant. 


9&  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Les  vignes  se  cultivent  jusqu'à  1800  pieds  sur  le  plateau  situé  enlre  les  Alpes  et 
le  Jura  ;  dans  le  Vallais  et  le  Tessin,  jusqu'à  2200  pieds  ;  près  du  lac  Léman,  jusqu'à 
i  650  pieds  ;  près  du  lac  de  Thoune,  jusqu'à  1 900.  On  en  cultive  beaucoup  dans  toute 
la  vallée  du  Rhin,  de  Coire  à  Bàle  ;  dans  celle  du  Rhône,  de  Viège  à  Genève;  le  long 
du  Jura,  de  La  Sarraz  à  Brugg  dans  l'Argovie,  et  dans  les  vallées  basses  de  la  Reuss, 
de  la  Limmat,  de  la  Toe^  et  de  la  Thur.  Les  cantons  du  nord,  Zurich,  St.-Gall, 
Thurgovie,  SchaiThouse,  Ârgovie,  en  ont  dans  les  bonnes  positions;  les  cantons  de 
Neuchàtel,  Yaud,  Genève,  en  ont  aussi  beaucoup.  Les  vins  les  plus  renommés  de 
la  Suisse  sont  le  Malvoisie,  de  Sion  et  de  Sterne,  en  Vallais,  lequel  ressemble  au  vin 
d'Asti  ;  le  rouge  de  Neuchàtel,  qui  approche  du  Bourgogne,  et  les  vins  d'Yvorne,  de 
La  Vaux  et  de  la  Côte,  au  canton  de  Vaud.  Les  vins  rouges  de  Sion,  ceux  de  Fully, 
de  Salgesch,  de  Lamarque  et  de  Goquempey,  en  Vallais,  ne  sont  pas  sans  réputation, 
ainsi  que  les  blancs  de  Malans  dans  les  Grisons  ;  quelques  vins  d'Argovie,  de  Zurich, 
de  Schaflliouse  et  du  Rheinthal  sont  aussi  estimés.  Les  vins  de  Vaud  et  de  Neuchàtel 
se  conservent  20  à  30  ans  ;  celui  de  la  Côte  augmente  de  valeur  avec  le  temps  et 
devient  semblable  au  vin  du  Rhin.  Le  Tessin  produit  aussi  beaucoup  de  vin,  mais  il 
ne  se  conserve  pas.  La  Suisse  produit  900,000  hectolitres  de  vin  ;  mais  elle  en 
exporte  environ  100,000  hectolitres,  et  en  importe  230,000.  Elle  consomme  donc 
plus  d'un  million  d'hectolitres,  soit  29  pots,  ou  40  à  45  litres  par  individu. 

Il  est  peu  de  pays  où  la  culture  des  arbres  fruitiers  ait  pris  autant  d'extension  et 
soit  aussi  bien  entendue  qu'en  S;iisse,  et  particulièrement  dans  la  Thurgovie.  Ce 
canton  ressemble  à  une  vaste  forêt  de  pommiers  et  de  poiriers,  au  milieu  desquels 
sont  cachés  les  villages.  Une  partie  des  fruits  sert  à  faire  du  cidre;  on  sèche  le 
reste,  en  le  coupant  en  tranches,  et  on  le  conserve  pendant  une  année.  On  sèche 
aussi  beaucoup  de  pruneaux  en  Suisse,  et  l'on  y  fait  une  assez  grande  quantité 
d'eau  de  cerises  {kirschwasser).  La  meilleure  est  celle  d'Appenzell  et  de  Bàle.  Les 
noyers  sont  peu  nombreux  ;  les  plus  grands  sont  ceux  qui  croissent  dans  le  Vallais 
et  entre  les  lacs  de  Thoune  et  de  Brienz.  Les  châtaigniers  ne  viennent  guère  que 
dans  la  Suisse  italienne  et  dans  quelques  parties  des  cantons  de  Zug,  Vaud,  Vallais. 
Les  amandiers,  citronniers  et  orangers  viennent  dans  les  bonnes  expositions  des 
districts  méridionaux  du  Tessin.  Les  figuiers  et  les  pêchers  ne  croissent  que  dans 
les  lieux  exposés  au  midi  et  qui  ne  s'élèvent  pas  à  plus  de  500  pieds  au-dessus  du 
lac  Majeur.  On  trouve  aussi  des  figuiers  et  des  amandiers  aux  environs  de  Sion  ei 
de  Sierre.  Les  oliviers  croissent  seulement  sur  les  bords  du  lac  de  Lugano  et  du 
lac  Majeur.  On  a  essayé  la  culture  des  mûriers  dans  les  cantons  de  Bàle-Campagne, 
Soleure,  Lucerne,  Grisons  et  Genève;  mais  elle  n'y  a  pas  acquis  beaucoup  d'impor- 
tance. Dans  le  Tessin  elle  réussit  mieux,  ainsi  que  l'éducation  des  vers-à-soie.  Ce 
canton  produisait,  il  y  a  une  dizaine  d'années,  environ  70,000  livres  de  soie.  Le 
tabac  est  cultivé  dans  les  cantons  du  Vallais,  de  Fribourg,  de  Vaud,  des  Grisons  et 
du  Tessin  ;  on  en  récolte  environ  12,000  quintaux  en  Suisse.  —  Il  y  a  aussi  des 
cultures  considérables  de  houblon  à  l'orient  et  au  nord  de  la  Suisse,  mais  elles  sont 
insuffisantes  pour  la  fabrication  de  la  bière.  La  Suisse  doit  tirer  encore  de  l'étranger 
2200  quintaux  de  houblon  et  S600  quintaux  de  bière. 

La  Suisse  possède  une  assez  grande  quantité  de  foréis;  on  y  trouve  surtout  le 
chêne,  l'érable,  le  hêtre,  l'aune,  le  bouleau,  le  pin,  le  sapin,  le  mélèze.  Ce  sont  les 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  OS 


pins  et  les  sapins  qui  dominent  ;  quant  au  mélèze,  il  n'est  commun  que  dans  le 
Vallais  et  les  Grisons.  Les  cantons  les  plus  riches  en  forêts  sont  ceux  de  Berne,  Uri, 
Schwytz,  Unterwald,  Fribourg,  Appenzell,  St.-Gall,  Grisons,  Tessin,  Yallais, 
Argovie  et  Yaud.  La  Suisse  a  sans  doute  plus  de  bois  qu*il  ne  lui  en  faut,  mais 
Tabondance  n'est  pas  si  grande  qu'on  le  croirait  d'abord,  car  on  doit  respecter  cer- 
taines forêts  qui  servent  de  protection  contre  les  avalanches;  beaucoup  d'autres 
croissent  dans  des  lieux  d'un  difficile  accès,  et  restent  sans  exploitation,  faute  de 
chemins  commodes;  de  plus,  on  consomme  en  Suisse  beaucoup  de  bois,  soit  pour  les 
constructions,  soit  pour  chauffer  les  demeures  et  pour  le  travail  des  fabriques. 
Enfin,  l'on  n'a  pas  partout  donné  à  l'économie  forestière  tous  les  soins  qu'elle  méri- 
tait, et  beaucoup  de  communes  ont  exploité  leurs  forêts  d'une  manière  inconsidérée, 
et  n'ont  pris  aucune  précaution  pour  les  entretenir. 

Voici  les  diverses  zones  de  v^étation  que  l'on  peut  distinguer  en  Suisse  ;  mais  on 
comprend  que  ces  limites  ne  sont  pas  tout-à-fait  absolues,  vu  les  variétés  qui  résul- 
tent de  la  différence  d'exposition  et  du  plus  ou  moins  de  distance  des  montagnes 
couvertes  de  neiges  éternelles.  1^  La  zone  de  la  vigne,  qui  est  comprise  entre  la 
hauteur  de  700  pieds  et  celle  de  1700.  Une  partie  de  la  Suisse  italienne  se  trouve  à 
la  limite  supérieure  ;  Lausanne  et  Maienfeld  dans  les  Grisons,  sont  situés  près  de  la 
limite  supérieure.  2**  Celle  des  chênes,  de  1700  à  2800  pieds.  Dans  cette  zone,  la 
culture  de  l'épeautre  remplace  généralement  celle  du  blé;  les  bonnes  prairies 
donnent  deux  coupes  et  en  outre  une  quantité  de  très-bonne  herbe  qu'on  fait  paître 
en  octobre.  Thoune,  Meyringen,  Coire,  St.-Gall,  sont  compris  dans  celte  zone.  Sur 
quelques  points,  on  trouve  encore  un  peu  de  vignes  :  tel  est  Mœrel  dans  le  Haut- 
Vallais,  à  deux  lieues  à  peine  des  grands  glaciers  qui  descendent  des  Alpes  ber- 
noises. 3"*  Celle  des  hêtres,  de  2800  à  4100  pieds.  L'orge  et  le  seigle  n'y  mûrissent 
guère  que  vers  la  fin  de  septembre  ou  au  commencement  d'octobre.  Les  pommes 
de  terre  y  viennent  très-bien,  mais  sont  petites.  On  y  trouve  d'excellentes  prairies. 
Les  pommiers,  poiriers,  cerisiers,  atteignent  à  peu  près  la  limite  supérieure  de 
cette  zone  ;  les  autres  arbres  fruitiers  s'arrêtent  plus  bas.  Le  noyer  ne  dépasse  pas  la 
hauteur  de  3500  pieds;  le  prunier  croît  jusqu'à  3700;  le  châtaignier  atteint  la 
même  hauteur  dans  quelques  localités  de  la  Suisse  ital'enne,  mais  ses  fruits  n'y 
mûrissent  pas  dans  les  mauvaises  années.  Sauf  le  Locle  et  la  Chaux-de-Fonds,  on  ne 
trouve  aucune  ville  dans  celte  zone,  mais  on  y  voit  de  nombreux  villages  dans  plu- 
sieurs cantons.  4®  La  zone  des  sapins,  de  4100  à  5500  pieds.  L'hiver  y  dure  huit  à 
neuf  mois:  le  reste  du  temps,  il  faut  souvent  chauffer  les  poêles;  on  n'y  voit  plus 
de  moissons;  on  y  fait  croître  cependant  un  peu  de  jardinage,  mais  les  pommes  de 
terre  n'atteignent  que  la  grosseur  des  noix.  Les  espèces  d'arbres  sont  peu  nom- 
breuses dans  cette  zone  ;  l'érable  ne  dépasse  pas  5200  pieds  ;  on  y  trouve  peu  de 
villages  d'hiver,  mais  beaucoup  de  chalets  au  milieu  de  pâturages  excellents,  que 
vont  paître  en  été  de  nombreux  troupeaux.  5**  La  région  alpestre  inférieure,  de 
5S00  à  6500  pieds;  on  n'y  voit  aucune  culture,  mais  uniquement  des  pâturages 
naturels.  Les  arbres  sont  remplacés  par  des  buissons  bas.  Les  seules  habitations 
qu'on  y  rencontre  sont  des  chalets  occupés  pendant  deux  ou  trois  mois  d'été.  Le 
sommet  du  Righi  et  celui  du  Molesson  se  trouvent  dans  cette  zone,  ainsi  qu'un 
grand  nombre  des  passages  fréquentés  des  Alpes  (voyez  ci-dessus  l'article  montagnes). 


96 


LA    SUISSE    PITTORESQIK. 


Fin  de  moniagne. 


6**  La  région  alpestre  supérieure,  de  6500  à  8000  pieds  ;  celle  zone  présenle  encore 
des  pàlurages  el  quelques  buissons;  ainsi  le  rhododendron  se  voil  jusqu'à 
6800  pieds;  mais çà  et  i&,  dans  les  endroits  peu  exposés  au  soleil,  la  neige  ne  fond 
pas,  et  les  lieux  dominés  par  des  hauteurs  plus  élevées  sont  souvent  couverts  de 
glaciers  ou  de  neiges  d'avalanche.  Les  passages  de  la  Gemmi,  du  St. -Bernard,  de  la 
Furka,  du  Bernina,  etc.,  se  trouvent  dans  cette  zone,  ainsi  que  les  sommités  du 
Sentis  et  du  Pilate.  7**  La  dernière  zone  est  celle  des  neiges  éternelles,  comprenant 
toute  la  partie  supérieure  des  Alpes,  de  8000  à  14,000  pieds.  Cette  zone  n'est 
cependant  pas  dépourvue  de  toute  végétation  :  quelques  mousses  et  lichens  croissent 
contre  les  rocs  dégarnis  de  neige,  et  quelques  petites  herbes  poussent  leurs  racines 
dans  les  interstices  des  rochers. 

Terminons  par  quelques  chiffres  sur  la  proportion  des  diverses  cultui*es  en  Suisse. 
On  a  fait  les  calculs  suivants  pour  les  douze  cantons  du  nord  et  de  l'ouest,  Genève, 
Vaud,  Fribourg,  Neuchâlel,  Berne,  Soleure,  Bâle,  Argovie,  Zurich,  Schaffhouse, 
Thurgovie  et  St.-Gall.  Ces  douze  cantons  ont  une  superficie  de  5,568,000  arpents, 
égale  à  peu  près  à  la  moitié  de  la  Suisse,  laquelle  contient  12,096,000  arpents. 
(L'arpent  OU  pose  suisse  est  de  40,000  pieds  carrés,  et  équivaut  à  36  ares.)  On 
compte  dans  ces  cantons  1,193,000  arpents  cultivés  en  champs. 

928,000  en  prés. 

949,000  en  pâturages  alpestres. 

949,000  en  forêts. 
61,000  en  vignes. 

4,080,000. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


97 


C'est  dans  les  cantons  de  Vaud  et  Zurich  que  croit  la  moitié  de  ces  vignes.  II  reste 
l ,  588,000  arpents  pour  l'espace  occupé  par  les  eaux,  les  rochers,  les  terrains  incultes. 
Comme  les  autres  cantons  ont  une  proportion  plus  considérable  de  pâturages  et 
de  forêts,  et  moins  de  terres  arables,  Franscini  suppose  que  pour  la  Suisse  entière 
les  proportions  ne  doivent  pas  s'éloigner  beaucoup  des  chiffres  suivants  : 
2,400,000  arpents  en  pâturages  alpestres. 
2,400,000  en  prairies. 
2,000,000  en  forêts,  soit  V«  de  la  Suisse. 
4,330,000  en  terres  arables. 
110,000  en  vignes. 

8,240,000. 

Il  resterait  3,856,000  arpents,  ou  un  peu  moins  que  le  tiers  de  la  superficie  du 
pays,  pour  les  eaux,  les  rocs,  les  glaciers,  etc. 

Bègnb  minéral,  structure  des  montagnes,  blocs  erratiques,  fossiles,  mines.  —  Les 
montagnes  de  la  Suisse  présentent  au  géologue  bien  des  phénomènes  à  étudier,  et 
donnent  lieu  à  une  foule  de  questions  difficiles  à  résoudre.  Ce  n'est  point  le  lieu 


La  moatagae  qui  se  feuil.  -  Rocher  Ju  A^'inkelfluh,  près  tlu  lac  de  Krieoi 


11,7 


13 


98  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


d^examiner  les  diverses  théories  qui  ont  été  mises  en  avant,  ni  de  faire  une  énumé- 
ration  et  une  description  de  toutes  les  espèces  de  roches  ;  nous  devons  nous  borner  à 
donner  en  peu  de  mots  quelques  traits  principaux.  —  La  chaîne  centrale  des  Alpes 
et  quelques-unes  des  principales  ramifications  appartiennent  en  grande  partie  à  la 
formation  qu'on  appelle  généralement  primitive,  parce  qu'elle  doit  être  antérieure 
aux  bouleversements  qui  ont  changé  la  surface  de  notre  globe,  et  qu'elle  ne  renferme 
aucun  débris  d'êtres  oi^aniques.  Les  roches  appartenant  à  cette  formation  sont  le 
granit,  le  gneiss  (ou  granit  feuilleté),  le  schiste  micacé,  etc.  La  plupart  de  ces 
roches  sont  très-dures  et  compactes  ;  les  granits  paraissent  ce|iendant  composés  de 
petits  fragments  de  diverses  roches  (quartz,  feldspath,  mica  ou  amphibole),  agrégés 
les  uns  aux  autres  comme  par  une  sorte  de  cristallisation.  C'est  sans  doute  à  cette 
apparence  que  le  granit  doit  son  nom.  L'on  regarde  communément,  comme  apparte- 
nant encore  aux  terrains  primitifs,  une  formation  calcaire  dont  l'apparence  est 
cristalline,  et  qui  se  distingue  des  autres  roches  calcaires  par  l'absence  presque 
complète  de  pétrifications;  on  la  désigne  sous  le  nom  de  calcaire  des  hautes-  Alpes. 
Une  partie  des  montagnes  qui  s'élèvent  dans  le  voisinage  immédiat  de  Grindelwald 
et  de  Meyringen,  appartiennent  à  cette  formation.  Aux  roches  primitives  succèdent 
des  terrains  qu'on  a  appelés  intermédiaires,  ou  de  transition,  ou  mixtes,  parce  qu'ils 
font  le  passage  des  roches  primitives  aux  roches  secondaires,  et  s'enchevêtrent 
même  en  quelques  lieux  au  milieu  des  unes  et  des  autr^.  Il  est  presque  impossible 
de  déterminer  rigoureusement  les  limites  de  ces  terrains,  dont  les  plus  anciens  ont 
une  grande  analogie  avec  les  terrains  priraitife,  tandis  que  d'autres  contiennent 
quelquefois  des  débris  organiques. 

Les  chaînes  inférieures  des  Alpes  sont  de  formation  secondaire,  c'est-à-dire  qu'elles 
doivent  leur  existence  aux  grands  changements  survenus  sur  la  surface  de  la  terre  ; 
c'est  du  moins  ce  que  font  conjecturer  les  nombreux  fossiles  que  l'on  rencontre 
jusqu'à  des  hauteurs  considérables  dans  les  roches  secondaires,  et  qui  en  font  le 
caractère  essentiel.  Ces  fossiles  sont  principalement  des  coquillages  d'eau  marine, 
des  feuilles  pétrifiées,  telles  que  des  fucoïdes  (ou  fougères).  La  dent  de  Morcles,  les 
Diablerets,  les  montagnes  du  Gessenay  et  du  Simmenthal,  celles  des  cantons  de 
Fribourg,  Lucerne,  Unterwald,  Schwytz,  Glaris  et  Appenzell,  et  la  chaîne  septen- 
trionale des  Grisons,  appartiennent  en  grande  partie  à  la  formation  secondaire,  et 
présentent  des  roches  très-diverses.  Ce  sont  de  nombreuses  variétés  de  calcaires,  de 
grès,  de  roches  crétacées,  etc.  Quant  au  Jura,  il  appartient  en  entier  aux  terrains 
calcaires  de  cette  même  formation,  et  les  pétrifications  y  abondent. 

Les  montagnes  primitives  se  distinguent  par  leurs  formes  hardies,  par  leurs  nom- 
breuses aiguilles  et  leurs  arêtes  étroites  et  déchirées  ;  les  montagnes  de  formation 
secondaire,  et  surtout  le  Jura,  affectent  des  formes  plus  arrondies.  Les  chaînes  juras- 
siques, y  compris  quelques  petites  chaînes  de  Savoie  voisines  du  Jura,  telles  que  le 
Salève,  présentent  encore  ceci  de  particulier,  que  leurs  couches  ont  une  tendance  à 
prendre  la  forme  de  voûte  ou  de  dos  d'àne. 

Les  terrains  ou  dépôts  tertiaires,  c'est-à-dire  formés  de  matériaux  provenant  de 
la  dissolution  des  terrains  antérieurs,  viennent  s'appuyer  contre  les  chaînes  alpines 
secondaires,  et  s'élèvent  jusqu'à  la  hauteur  de  S  à  6000  pieds;  ils  forment  aussi  des 
collines  de  1000  à  2000  pieds  entre  les  Alpes  et  le  Jura.  Celte  formation  tertiaire 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  99 


en  Suisse  se  compose  essenlieilement  de  molasse,  (on  appelle  ainsi  un  grès  marneux 
très-tendre  en  quelques  endroits,  ailleurs  très-dur  et  propre  à  bâtir,  et  qui  contient 
des  empreintes  de  palmiers  et  des  dépôts  de  lignite  et  de  coquillages  d'eau  douce  et 
d*eau  de  mer,  ainsi  que  des  dents  et  des  ossements  d'animaux  terrestres).  Une  autre 
roche  tertiaire,  c'est  la  brèche  (ou  nagelflue),  laquelle  est  formée  de  cailloux  arron- 
dis, soudés  par  un  ciment  calcaire  très-dur.  Le  Rigbi,  entre  autres  montagnes,  est 
composé  de  couches  de  brèche.  Il  en  est  de  même  du  Rossberg,  situé  au  nord  du 
Rigbi,  mais  les  couches  de  brèche  y  sont  superposées  sur  des  couches  de  sable,  qui, 
en  s'afiTaissant  peo  à  peu,  causent  la  chute  des  couches  supérieures  plus  solides. 
Enfin,  le  sol  de  quelques  vallées  et  la  plaine  suisse  sont  recouverts  de  couches  de 
sable  et  de  gravier,  qui  atteignent  quelquefois  une  assez  grande  épaisseur.  Ces 
dépôts,  auxquels  on  donne  le  nom  de  diluvium  ou  celui  A'alluviuin,  suivant  qu'on 
les  attribue  à  l'époque  diluvienne  ou  à  une  époque  postérieure,  renferment  souvent, 
au  milieu  des  cailloux,  des  blocs  d'une  grosseur  beaucoup  plus  considérable. 

Ceci  nous  amène  à  dire  quelques  mots  des  blocs  erratiques.  On  appelle  ainsi  en 
général  des  fragments  de  roche  que  l'on  rencontre  à  une  certaine  distance  des  mon- 
tagnes dont  ils  ont  été  détachés.  On  en  trouve  le  long  d'un  grand  nombre  de  vallées 
des  Alpes,  et  en  face  de  leur  débouché.  Mais  on  a  particulièrement  examiné  les 
débris  qui  sont  épars  le  long  de  la  grande  vallée  du  Rhône  et  dans  les  contrées 
situées  en  face  de  l'ouverture  de  celle-ci,  surtout  sur  la  pente  du  Jura,  dans  les  can- 
tons de  Vaud  et  de  Neuchàtel,  jusqu'à  une  hauteur  de  3000  pieds.  On  en  voit  aussi 
plus  au  nord,  dans  le  canton  de  Soleure,  et  plus  au  sud,  sur  le  mont  Salève,  dans  le 
voisinage  de  Genève.  Une  grande  partie  de  ces  pierres  ont  conservé  des  formes 
irrégulières  et  anguleuses  ;  elles  ont  souvent  une  ou  deux  toises  dans  tous  les  sens  ; 
il  en  est  un  certain  nombre  qui  ont  jusqu'à  40  ou  KO  pieds  de  longueur,  sur  une 
largeur  et  une  épaisseur  à  peu  près  pareilles.  Le  plus  gros  bloc  que  l'on  connaisse 
se  trouve  au-dessus  de  Bex,  sur  la  pente  de  la  montagne.  D'après  leur  nature,  tous 
les  débris  qu'on  rencontre  dans  la  Suisse  occidentale  ont  été  reconnus  comme  ayant 
appartenu  aux  chaînes  qui  enferment  la  grande  vallée  du  Vallais  ou  ses  vallées 
latérales.  Diverses  opinions  ont  été  mises  en  avant  pour  expliquer  la  manière  dont 
ils  ont  été  transportés  à  une  distance  de  20  à  30  lieues  ;  on  a  même  trouvé  des 
blocs  qui  ont  dû  partir  du  fond  du  Vallais,  et  qui  sont  maintenant  à  &0  ou  50  lieues 
de  leur  ancien  gisement.  L'opinion  qui  a  été  la  plus  accréditée  parce  qu'elle  avait 
l'appui  de  célèbres  géologues,  c'est  qu'ils  ont  été  transportés  par  de  puissants  cou- 
rants d'eau;  mais  cette  hypothèse  est  sujette  à  de  bien  fortes  objections;  car  un 
courant  eût  distribué  autrement  les  débris  en  n'emportant  au  loin  que  les  moins 
volumineux,  et  l'on  a  peine  à  concevoir  que  des  blocs  énormes  ne  se  fussent  pas 
précipités  au  fond  du  courant,  au  lieu  de  se  maintenir  à  sa  surface.  D'autres  ont 
supposé  que  le  transport  s'était  effectué  sur  des  glaces  flottantes,  faisant  l'ofSce  de 
radeaux,  ou  bien  qu'un  soulèvement  des  Alpes  avait  offert  un  plan  incliné  et  uni 
sur  lequel  les  débris  auraient  glissé.  Mais  bien  des  objections  s'élèvent  aussi  contre 
ces  hypothèses.  Depuis  vingt  ou  vingt-cinq  ans,  quelques  géologues  ont  eu  l'idée 
d'attribuer  la  dispersion  des  blocs  à  de  vastes  glaciers  qui  auraient  rempli  tout  l'es- 
pace entre  les  Alpes  et  le  Jura.  Cette  hypothèse,  qu'avaient  conçue  aussi  de  simples 
montagnards,  et  qui  a  été  soutenue  en  particulier  pftr  MM.  Venetz,  ingénieur  du 


400  LA   SUISSB  PITTORESQUE. 


VallaiSfde  Charpentier,  et  Àgassiz,  paraît  au  premier  abord  bien  hardie;  cependant 
elle  explique  d'une  manière  plus  satisfaisante  que  les  autres,  dans  tous  leurs  détails, 
les  phénomènes  du  terrain  erratique ,  et  Texistenoe  de  ces  immenses  glaciers  est 
devenue  bien  plus  admissible  depuis  qu'on  a  examiné  avec  soin  quelle  était  l'action 
des  glaciers,  soit  sur  les  roches  qui  les  enferment,  soit  sur  les  débris  tombés  sur  leur 
surface ,  depuis  qu'on  a  reconnu  à  des  hauteurs  considérables  et  à  de  grandes 
distances  de  tout  glacier  actuellement  existant,  des  traces  frappantes  d'anciens 
frottements  qui  ont  usé  et  poli  les  roches. 

La  Suisse  ne  peut  pas  passer  pour  être  riche  en  métaux.  On  ya  découvert,  il  est 
vrai,  et  même  exploité,  quelques  filons  d'or,  d'argent,  de  plomb,  de  zinc,  etc.  ;  mais 
la  plupart  de  ces  mines  n'ont  pas  couvert  les  frais  d'exploitation,  et  on  a  dû  les 
abandonner  ;  telles  sont  les  mines  d'or  de  Gondo  près  du  Simplon,  celle  du  Galanda 
dans  les  Grisons,  celles  d'argent  et  de  plomb  dans  lit  vallée  de  Schams,  dans  le  même 
canton.  Les  mines  de  fer  de  la  Suisse  donnent  cependant  un  produit  considérable. 
Le  Jura  bernois  fournit  annuellement  100,000  quintaux  de  fer  et  de  cuivre  excel- 
lents ;  les  mines  de  Soleure  donnent  38,000  quintaux;  celle  de  Laufen,  près  Schaff- 
bouse,  22  à  2K,000,  et  celle  de  Chamozon,  en  Vallais,  au  moins  10  à  12,000.  Le 
fer  extrait  des  mines  suisses  s'élève  donc  en  total  à  près  de  200,000  quintaux  ou 
10,000  kilogrammes,  et  sa  valeur  approximative  est  de  8,000,000  fr.  ;  cette  quan- 
tité est  insuffisante  pour  la  consommation  du  pays.  On  exploite  une  mine  de  nickel 
dans  la  vallée  d'Anniviers  en  Vallais;  on  utilise  maintenant  ce  métal  pour  la  frappe 
d'une  partie  des  monnaies  helvétiques. 

On  trouve  en  Suisse  plusieurs  carrières  d'excellent  marbre ,  telles  sont  celles  des  can- 
tons  d'Unterwald  et  des  Grisons.  Le  canton  de  Soleure  fournit  d'excellentes  meules; 
ceux  de  Glaris,  Vallais,  Berne,  des  ardoises  ;  et  le  val  Ma^ia,  de  la  pierre  oUaire.  On 
a  reconnu  en  divers  endroits  des  traces  de  bouille  ;  mais  les  veines  en  sont  générale- 
ment peu  productives  ;  on  ne  les  exploite  que  dans  quelques  localités  des  cantons  du 
nord.  On  exploite  aussi  une  mine  d'anthracite  près  de  Sien.  On  trouve  en  abondance 
de  la  tourbe  en  divers  lieux,  par  exemple  dans  la  vallée  des  Ponts  (Neuchàtel), 
dans  le  district  de  Tschapina,  près  Domlescbg  (Grisons),  près  d'Einsiedeln,  etc. 

Enfin,  la  Suisse  possède  quelques  mines  de  sel.  La  plus  ancienne  est  celle  de  Bex, 
au  canton  de  Vaud;  elle  est  exploitée  depuis  1KK&,  et  produit  annuellement  2B  à 
30,000  quintaux.  Celle  de  Schweizerhalle,  découverte  dans  le  canton  de  Bàle  en 
1836,  donne  6  à  700  quintaux  par  jour,  soit  230,000  par  an.  Il  y  a  quelques  années, 
on  en  a  découvert  aussi  une  dans  le  canton  d'Ârgovie,  entre  Rheinfelden  et  Kaiser- 
Àugst;  elle  a  produit  130  à  150,000  quintaux  par  an;  mais  on  l'a  maintenant, 
dit-on,  abandonnée.  La  Suisse  fournit  donc  environ  400,000  quintaux  de  sel,  ce 
qui  fait  moins  que  les  */g  de  sa  consommation,  qui  est  de  620,000  quintaux,  soit 
de  27  livres  par  habitant.  La  consommation  du  sel  est  proportionnellement  plus  forte 
en  Suisse  que  dans  tout  autre  pays  d'Europe  ;  c'est  une  conséquence  soit  du  bas 
prix  de  cette  denrée  dans  les  cantons,  soit  de  la  grande  quantité  des  troupeaux. 


THE  NEW  YORK 


L 


CANTON   DE  ZURICH. 


►oOO^l^l^^Doo* 


Nous  commençons  les  notices  relatives  aux  divers  cantons  de  la  Suisse  par  celle 
concernant  le  canton  de  Zurich.  Ce  canton,  dès  son  entrée  dans  la  Confédération  en 
13S1,  avait  occupé  le  premier  rang.  Depuis  1803,  Zurich  avait  partagé  avec  d'autres 
l'honneur  d'être  à  tour  de  rôle  le  siège  du  gouvernement  fédéral.  Bien  que  ce  pri- 
vilège ait  cessé  depuis  la  nouvelle  Constitution  de  18&8,  on  lui  a  cependant  conservé 
la  première  place  dans  les  actes  officiels. 

Limites,  étendue,  climat,  etc.  —  Le  canton  de  Zurich  est  borné  au  nord  par  les 
cantons  de  Thurgovie  et  de  Schaffhouse  et  par  le  grand-duché  de  Bade,  dont  il  est  sur 
deux  points  séparés  par  le  Rhin;  à  l'est,  par  la  Thurgovie  et  St.-Gall;  au  sud,  par 
Sdiwytz  et  Zug  ;  à  l'ouest,  par  l'Argovie.  Son  territoire  est  le  septième  en  grandeur 
dans  la  Confédération,  et  contient  72  lieues  carrées.  Sa  population  était,  en  mars 
1850,  de  250,698  âmes.  Berne  seul  le  dépasse  sous  ce  rapport.  On  ne  voit  dans  le 
canton  ni  glaciers,  ni  neiges  perpétuelles  ;  aussi  jouit-il  d'un  climat  généralement 
doux  ;  il  s'y  trouve  un  grand  nombre  d'expositions  favorables  à  la  culture  de  la 
vigne.  Zuridi  et  une  partie  de  ses  environs  sont  exposés  aux  vents  du  nord  ;  mais  le 
Fôkn  ou  vent  du  midi  vient  souvent  adoucir  les  rigueurs  de  l'hiver,  surtout  dans 
la  partie  supérieure  de  la  vallée  du  lac.  On  a  même  observé  que  son  influence  se 
fait  sentir  plutôt  sur  les  plateaux  élevés,  qu'il  peut  plus  facilement  atteindre,  que 
dans  le  fond  des  vallées. 

Montagnes  et  plaines.  —  Le  canton  de  Zurich  n'est  pas  au  nombre  des  cantons 
montagneux  de  la  Suisse.  Cependant,  vers  le  sud  et  vers  l'est,  quelques  petites 
chaînes  atteignent  une  hauteur  assez  considérable.  1®  Celle  du  Hôrnli,  vers  la  fron- 
tière saint-galloise  ;  ses  plus  hautes  sommités  sont  le  Schnebelhorn,  point  culminant 
du  canton,  4013  pieds;  et  le  Hùmli,  3496  ;  c'est  le  point  de  jonction  des  frontières 
des  cantons  de  Zurich,  St.-Gall  et  Thurgovie  ;  entre  ces  deux  sommités  se  trouve  le 
passage  de  la  Hûlftegg,  haut  de  3252  pieds.  2"^  Â  l'ouest  du  Hômli  et  du  cours  de 
la  TOss,  s'étend  une  chaîne  qu'on  appelle  quelquefois  l'ÂlImann,  et  dont  le  point  le 


102  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


plus  élevé  est  le  Bachtel,  3392.  S""  A  Textrémité  méridionale  du  canton,  s'élève  le 
Hohe-Rohne,  sur  le  point  culminant  duquel,  3808,  est  placée  une  pierre  qui  forme 
le  point  de  contact  des  cantons  de  Zurich,  Schwytz  et  Zug.  V"  Parallèlement  au 
lac  de  Zurich  et  à  Touest,  court  la  chaîne  de  VAlbis,  dont  les  deux  principaux  som- 
mets sont  YUetliberg,  près  de  Zurich,  2682,  et  le  Schtiabel,  à  trois  lieues  plus  au 
sud,  au-dessus  de  la  route  de  Zurich  à  Zug,  2673.  6""  Vis-à-vis  de  TAlbis,  sur 
l'autre  rive  du  lac,  la  chaîne  dû  Pfannemiiel  atteint  2639  pieds  au-dessus  de  Meilen. 
V  Nommons  enfin  le  Lôgerberg,  situé  au  nord-ouest,  dernier  prolongement  du 
Jura,  263S.  De  toutes  ces  hauteurs  on  jouit  d'une  vue  étendue  et  magnifique  sur 
les  Alpes.  Le  centre  et  le  nord  du  canton  contiennent  quelques  contrées  de  plaine, 
telles  que  celles  de  Rloten,  de  Dûbendorf,  Winterthour,  etc.  ;  mais  on  y  trouve  aussi 
quelques  chaînes  de  collines  qui  s'élèvent  jusqu'à  2000  pieds  au-dessus  de  la  mer, 
ou  environ  à  1000  pieds  au-dessus  du  Rhin.  La  hauteur  de  ce  fleuve  à  Eglisau  est 
de  1023  à  lOSO  pieds. 

Rivières,  vallées.  —  Les  principales  rivières  du  canton  de  Zurich  sont  le  Rhitts 
la  Limmatj  la  Reitës,  la  Thnr,  la  Tôss,  la  Glatt,  et  la  Sihl.  —  Le  Rhin  coule  au  nord 
du  canton  de  Zurich  ;  ce  n'est  que  vers  Eglisau  que  ses  deux  rives  appartiennent  à 
ce  canton  sur  une  longueur  d'une  lieue  et  demie.  Nous  parlerons  de  la  chute  du 
Rhin  à  l'article  de  Schafihouse.  —  La  Limmat  {Undimoeus,  Lindemaga)  sort  du 
lac  de  Zurich.  Ses  eaux  sont  d'un  beau  bleu  et  d'une  grande  limpidité,  qui  est  trou- 
blée plus  loin  par  celles  de  la  Sihl,  quand  ce  torrent  est  enflé  par  de  grandes  pluies 
ou  par  la  fonte  des  neiges.  Sa  largeur  est  d'abord  de  600  pieds,  mais  elle  se  rétrécit 
considérablement  à  une  lieue  au-dessous  de  Zurich.  Après  un  cours  de  3  Vs  heues, 
cette  rivière  entre  dans  le  canton  d'Argovie  ;  malgré  sa  rapidité,  elle  est  navigable, 
et  depuis  une  haute  antiquité  l'on  a  fait  usage  de  cette  voie  de  transport,  pour 
laquelle  on  se  sert  de  bateaux  longs  et  étroits.  Le  chemin  de  fer  la  fera  probablement 
tomber  en  désuétude.  —  La  Reuss  (Rusa)  fait  la  limite  des  cantons  de  Zurich  ei 
d'Argovie  sur  une  longueur  d'une  lieue  et  demie.  —  La  Tkur  (  Ttwa,  Dura),  qui 
vient  des  cantons  de  St.-Gall  et  de  Thurgovie,  arrose  la  partie  nord-est  du  canton  de 
Zurich,  et  se  jette  dans  le  Rhin  entre  Rheinau  et  Eglisau.  —  La  Tôss  (  Tkosa  ou 
Toussa)  a  sa  source  dans  le  Fischenthal,  sur  les  flancs  de  la  chaîne  du  Hôrnli;  après 
avoir  traversé  le  canton  dans  toute  sa  longueur,  elle  se  jette  dans  le  Rhin  au-dessous 
de  Rorbass.  —  La  Glatt  se  jette,  sous  le  nom  d'Aa,  à  Aabourg,  dans  le  lac  de 
Pf&ffikon  ;  elle  en  ressort,  traverse  le  lac  de  Greifensee,  et  verse  ses  eaux  dans  le 
Rhin,  au-dessous  de  Glattfelden.  Ainsi  que  la  précédente,  cette  rivière  appartient 
en  entier  au  canton.  A  la  suite  d'inondations  désastreuses,  de  grands  travaux  de 
correction  ont  été  exécutés  de  1813  à  1830;  en  particulier,  l'on  a  creusé  un  canal 
dans  le  roc  entre  Rûmiang  et  Oberglatt.  Plusieurs  milliers  d'arpents  ont  été  rendus 
à  la  culture.  —  La  Sihl,  qui  sort  de  la  vallée  d'Einsiedeln  au  canton  de  Schwytz, 
forme  la  limite  méridionale  sur  une  longueur  de  deux  lieues.  Elle  coule  ensuite 
au  pied  de  l'Albis,  où  elle  arrose  une  belle  vallée  boisée,  séparée  du  lac  de  Zurich 
par  une  chaîne  de  collines.  Elle  se  jette  dans  la  Limmat  un  peu  au-dessous  de  la 
ville.  Elle  occasionne  souvent  des  inondations,  ainsi  que  la  Tôss.  La  débâcle  des 
glaces  cause  quelquefois  aussi  du  danger;  tel  fut  le  cas  le  9  février  1830:  ce  fut 
à  l'aide  du  canon  qu'on  réussit  à  frayer  un  passage  au  torrent.  —  Les  rivières 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  103 


qu'on  vient  de  nommer  coulent  presque  toutes  du  sud<est  au  nord-ouest,  et  for- 
ment autant  de  vallées  plus  ou  moins  larges  et  profondes,  et  à  peu  près  parallèles. 
La  plus  remarquable  est  celle  qui  renferme  le  lac  de  Zurich. 

Lacs.  —  Le  lac  de  Zurich  a  huit  lieues  de  longueur;  sa  plus  grande  largeur 
est  de  trois  quarts  de  lieue  entre  Stœfa  et  Richterschwyl.  Près  de  la  presqu'île 
nommée  Au  (prairie),  sa  profondeur  est  de  600  pieds;  son  niveau  est  de  1258 
pieds  au-dessus  de  la  mer.  Pendant  Tété,  il  éprouve  une  crue  considérable,  ainsi 
que  tous  les  lacs  où  se  versent  les  eaux  qui  découlent  des  Alpes.  La  nature  n'a 
pas  entouré  le  lac  de  Zurich  de  scènes  sublimes  et  grandioses,  comme  plusieurs 
autres  lacs  de  la  Suisse  ;  mais  elle  s'est  plu  à  favoriser  ses  rives  des  paysages  les 
plus  riants  et  les  plus  gracieux  ;  elle  en  a  fait  une  des  contrées  les  plus  intéres- 
santes par  la  multitude  et  la  variété  des  points  de  vue.  Le  voyageur  est  surtout 
ravi  de  la  brillante  verdure  dont  ce  beau  lac  est  encadré,  et  du  milieu  de  laquelle 
se  détachent  dix-huit  villages  et  une  grande  quantité  de  villas  et  d'habitations 
rustiques.  Quand  on  se  rend  de  Zurich  à  Rapperschwyl,  on  voit  fuir  derrière  soi 
Zurich,  ses  ponts  et  ses  tours;  à  droite  se  prolongent  les  croupes  de  l'Albis,  cou- 
ronnées de  forêts  de  sapins;  des  coteaux  couverts  de  vignes  s'étendent  à  gauche; 
peu  à  peu  les  montagnes  escarpées  et  neigeuses  s'élèvent  sur  le  fond  du  tableau. 
Les  deux  rives  du  lac  ressemblent  à  une  grande  rue  traversée  par  un  long  canal, 
tant  les  habitations  sont  multipliées  ;  aussi  un  voyageur  disait-il  que  Zurich  a  des 
faubourgs  longs  de  quatre  lieues.  Le  lac  forme  une  espèce  de  croissant  dans  la 
direction  de  l'ouest  à  l'est  ;  c'est  quand  on  a  navigué  trois  lieues  sur  la  surface,  qu'on 
voit  le  bassin  s'agrandir  et  se  prolonger  au  loin.  C'est  entre  Oberried  et  Meilen 
que  le  lac  se  déploie  dans  toute  sa  magnificence;  c'est  là  qu'apparaissent  dans 
toute  leur  richesse  ses  rives  délicieuses,  les  collines  et  les  montagnes  qui  en  for- 
ment le  cadre.  La  petite  presqu'île  nommée  Au  a  été  chantée  par  KIopstock,  dans 
une  belle  ode  intitulée  le  Lac  de  Zurich.  L'espace  entre  Stafa  et  Rappersehwyl 
forme  comme  un  second  bassin  ;  les  sommités  neigeuses  du  Gl&rnisch,  qui  s'élè- 
vent au-dessus  des  montagnes  boisées,  y  produisent  un  effet  extraordinaire.  Plus 
loin,  le  lac  se  trouve  tout  à  coup  resserré  par  deux  langues  de  terre  :  sur  l'une  est 
la  ville  saint-galloise  de  Rappersehwyl  ;  à  l'extrémité  de  l'autre,  qui  est  beaucoup 
plus  prolongée,  est  le  joli  hameau  schwytzois  de  Hurden.  La  largeur  n'est  ici  que 
de  1800  pas  ou  4500  pieds.  Ces  deux  langues  de  terre  ont  été  jointes  par  un  pont 
dès  l'an  1580.  Avant  d'arriver  à  ce  pont,  l'on  passe  devant  deux  petits  îlots  cou- 
verts de  bosquets  et  de  riantes  prairies;  l'un  est  l'île  d'Ufenau,  le  second  l'île  de 
Lûzelau.  Rien  n'est  comparable  à  la  situation  de  la  première,  placée  au  milieu  de 
la  partie  la  plus  large  du  lac,  entre  les  rives  romantiques  de  Richterschwyl,  Sl&fa 
et  Rappersehwyl,  et  dominée  par  les  montagnes  de  Claris  et  du  Tockenbourg.  C'est 
là  que  mourut  et  fut  enseveli  le  chevalier  Ulrich  de  Hutten,  qui  fut  tour  à  tour 
guerrier,  poète,  courtisan  et  ermite;  il  fut  lié  avec  Luther  et  avec  Erasme,  et 
contribua  beaucoup  par  ses  écrits  à  la  renaissance  des  lettres.  Après  une  vie 
agitée,  il  vint  chercher  le  repos  dans  cet  asile  que  lui  avait  procuré  Zwingli.  Au- 
delà  du  pont  s'étend  un  troisième  bassin,  appelé  Obersee  ou  lac  supérieur,  qui 
change  de  parure  et  revêt  un  caractère  simple  et  champêtre  qui  ne  manque  cepen- 
dant pas  de  majesté.  Au  sud,  on  voit  briller  le  village  de  Lachen,  chef-lieu  du  district 


104  U   8UIS6E   PITTORESQUE. 


septentrional  de  Schwylz;  à  l'est,  celui  de  Schmerikon.  L'intervalle  est  occupé  par 
d'épaisses  forêts  qui  couvrent  le  mont  Buchberg;  au  sud-ouest  s'élève  le  mont  Etzel, 
dont  le  pied  est  garni  de  villages.  Cette  partie  du  lac  af^rtient  aux  cantcms  de 
SchwytzetdeSt.-Gall. 

A  l'est  de  Zurich  est  le  lac  de  Greifensee,  ainsi  nommé  d'un  village  situé  sur  sa 
côte  orientale.  Ce  lac  a  une  lieue  et  demie  de  longueur,  et  une  demi-lieue  de  lar- 
geur. Ses  eaux  sont  d'une  limpidité  remarquable  ;  les  rivages  en  sont  fertiles  et  bien 
cultivés.  Du  haut  des  coteaux  qui  l'entourent,  on  découvre  de  beaux  points  de  vue. 
A  l'est  s'élève,  près  du  village  du  même  nom,  le  château  d'Uster,  qui  a  appar- 
tenu pendant  le  13*  siècle  à  la  fomille  des  Bonstetten.  C'est  dans  ce  di&teau  qu'eu- 
rent lieu,  en  1830,  les  grandes  assemblées  populaires  qui  réclamèrent  une  révision 
de  la  Constitution,  et  en  proposèrent  les  nouvelles  bases.  —  Le  canton  de  Zurich 
possède  encore  quelques  lacs  plus  petits.  Nous  nommerons  seulement  le  lac  de 
Pfaffikon,  long  de  demi-lieue,  et  qui  se  décharge  dans  celui  de  Greifensee  ;  ses 
bords  sont  moins  agréables  que  ceux  de  ce  dernier  ;  —  et  le  joli  petit  lac  de  Tûr- 
lersee,  à  l'ouest  de  l'Albis. 

Sources,  eaux  minérales,  rains.  —  Le  canton  abonde  en  bonnes  sources;  on  y 
trouve  aussi  plusieurs  fontmnes  périodiques  ou  intermittentes,  que  le  peuple  appelle 
Fontaines  de  disette  (Hungerbrunnen),  parce  que  leur  non-apparition  annonce,  d'après 
une  croyance  populaire,  une  année  de  disette.  Les  plus  remarquables  sont  le  Haarsee 
ou  lac  de  Haar,  près  de  Henggard  ;  le  Kemensee,  près  de  Neerach.  Le  canton  possède 
plusieurs  sources  d'eaux  minérales  et  établissements  de  bains.  Ceux  qui  méritent 
d'être  mentionnés,  sont  les  suivants  :  Deux  établissements  portent  le  nom  de  Gp-m- 
had.  Le  premier,  qu'on  appelle  le  Gyrenbad  extérieur,  est  situé  près  de  Turbenthal. 
Ses  deux  sources,  dont  l'eau  contientdu  gaz  acide  carbonique,  de  la  chaux,  de  l'oxide 
de  fer,  sont  bonnes  contre  les  rhumatismes,  les  maladies  des  nerfs  et  de  la  peau. 
Il  est  fréquenté  chaque  année  par  les  habitants  de  la  Thurgovie  et  de  Winterthour. 
Le  Gyrmbad  intérieur  est  situé  dans  la  commune  de  Hinweil  ;  on  lui  donne  le  nom 
de  Fresshad,  Bains  des  gourmands  ou  plutôt  des  affamés,  parce  que  ses  eaux  excitent 
l'appétit.  Elles  contiennent  de  l'alun,  et  sont  efficaces  contre  les  hydropisies,  la  jau- 
nisse, les  maladies  de  foie,  etc.  Par  suite  d'un  vieux  préjugé,  les  paysans  viennent 
de  préférence  user  de  ces  bains  pendant  la  période  croissante  de  la  lune.  Dans  la 
même  commune  se  trouvent  les  bains  d'EhrIosen,  près  du  village  de  ce  nom.  C'est  en 
1801  qu'un  paysan  a  découvert  une  source  très-abondante  sur  son  propre  fonds,  et 
qu'il  a  créé  l'établissement,  dont  la  position  est  très-agréable.  Le  AdssItAad,  près  de 
Zurich;  le  Nidelbad  (Bain  de  crème)  sur  la  Sihl,  au  pied  de  l'Albis,  dans  une  con- 
trée riche  en  beaux  points  de  vue;  cette  source  est  connue  depuis  1709;  le  bain 
du  Bocken,  appelé  aussi  Bockenhaits,  sur  une  colline  à  demi  lieue  d'Horgen,  dans  une 
belle  position;  son  établissement  date  de  1775;  le  Wengibad,  près  d'Augst,  très- 
anciennement  connu;  les  bains  de  Stammheim,  près  la  frontière  de  Thurgovie;  le 
bâtiment  des  bains  date  de  1827.  11  faut  nommer  encore  l'établissement  hydrothéra- 
pique  d'Albisbrunnen  (ou  Fontaine  de  l'Albis),  qui  date  de  quelques  années  et  qui  est 
un  des  plus  considérables  de  ce  genre  en  Suisse. 

Histoire  naturelle.  Règne  animal.  -—  Le  canton  de  Zurich  renferme  un  grand 
nombre  d'animaux  sauvages,  mais  peu  d'animaux  nuisibles;  on  y  trouve  cependant 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  108 


encore  des  reoards.  A  Texceplion  des  oiseaux  qui  habitent  seulement  les  Alpes,  tous 
les  autres  oiseaux  de  la  Suisse  se  trouvent  dans  le  canton;  mais  les  oiseaux  aquati- 
ques, canards,  oies  sauvages,  plongeons,  deviennent  de  plus  en  plus  rares,  à  cause 
de  la  navigation  très-fréquente  des  lacs  et  du  dessèchement  des  marais.  Les  lacs  du 
canton  ne  renferment  pas  d'autres  poissons  que  ceux  communs  aux  autres  lacs  de  la 
Suisse.  Les  meilleurs  sont  la  truite  saumonée  (salmo  trutta),  qui  pèse  souvent 
30  livres  ;  ce  sont  les  plus  grosses  qui  ont  la  chair  la  plus  recherchée  ;  la  lotte,  dont 
le  poids  va  quelquefois  à  8  ou  9  livres  ;  Tombre  (salmo  umbra),  qui  atteint  rarement 
une  livre,  mais  dont  la  chair  est  excellente;  le  brochet,  la  perche,  etc.  On  trouve 
dans  le  canton  plus  de  5700  espèces  d'insectes,  entre  autres  1600  espèces  de  scara- 
bées et  un  grand  nombre  d'espèces  de  papillons.  —  Peu  de  personnes  s'occupent  de 
l'exploitation  des  abeilles. 

Règne  végétal.  —  L'Uetliberg,  le  Hôrnli,  le  Lâgerberg,  offrent  une  abondante 
moisson  de  plantes  rares.  Les  environs  du  lac  de  Zurich,  les  marais  de  Dûbendorf  et 
de  Rifferswyl,  méritent  aussi  d'être  visites.  Les  amateure  peuvent  consulter  le  Cata- 
logue des  plantes  rares  du  D'  Hegetschweiler,  botaniste  distingué,  et  le  Tableau  du 
cmUm  de  Zurich^  par  Gerold  Meyer  de  Knonau. 

Règne  minéral.  —  Les  roches  de  la  formation  la  plus  ancienne  qu'on  trouve  dans 
le  canton  de  Zurich,  sont  celles  du  Lâgerberg,  qui  est  un  prolongement  du  Jura,  et 
qui  se  compose  de  couches  calcaires;  on  y  trouve,  sur  la  pente  nord,  beaucoup  de 
gypse  d'une  bonté  remarquable.  Le  reste  du  canton  appartient  à  la  formation  ter- 
tiaire; les  couches  de  grès  et  de  marne  y  dominent.  On  trouve  du  poudingue  (ou 
brèche,  ou  Nagelflue)  sur  divers  points;  cette  espèce  de  pierre  recouvre  les  plus 
hautes  sommités  des  montagnes  de  grès,  entre  autres  celles  du  Hôrnli  et  de 
rUetliberg.  D'énormes  débris  de  brèche  tombés  du  haut  de  cette  cime  sont  épars  du 
càté  du  sud-ouest.  On  a  trouvé  en  divers  endroits  des  lits  de  houille  entre  des  cou- 
ches de  molasse  ;  le  plus  important  et  le  seul  dont  l'exploitation  ait  continué  jus- 
qu'ici ,  est  celui  de  Kâpfnach ,  près  de  Horgen .  En  1 844  on  s'était  avancé  jusqu'à  1 700 
pieds  dans  la  montagne.  On  en  tire  15  à  20,000  quintaux  par  an  ;  mais  cette  houille 
est  de  très-médiocre  qualité.  —  On  suppose  que  le  Rhin  coulait  autrefois  dans  le 
bassin  du  lac  de  Zurich  et  de  la  Sihl,  après  avoir  traversé  le  bassin  du  lac  de  Wallen- 
slatt.  On  reconnaît  au-dessus  de  la  Limmal  des  terrasses  de  différentes  hauteurs 
qui  indiquent  que  les  eaux  ont  coulé  successivement  à  divers  niveaux  bien  au-dessus 
du  niveau  actuel.  —  Les  tremblements  de  terre  sont  assez  fréquents  dans  le  canton, 
et  particulièrement  aux  environs  d'Eglisau  sur  le  Rhin. 

Antiquités.  —  Le  canton  de  Zurich  est  un  des  plus  intéressants  pour  les  amateurs 
d'archéologie.  Déjà,  dans  le  cours  du  siècle  dernier,  plusieurs  savants  portèrent  leur 
attention  sur  les  antiquités  éparses  dans  le  canton  ;  mais  ce  n'est  que  depuis  la  fon- 
dation de  la  Société  archéologique  zuricoise  (antiquarischer  Verein)  en  1832,  que 
l'on  s'est  occupé  d'une  manière  suivie  de  les  étudier,  sous  la  direction  de  son  infati- 
gable président,  M.  Ferd.  Keller.  —  On  a  découvert  en  divers  lieux  des  tombeaux 
qu'on  regarde  comme  celtiques,  et  où  l'on  a  retrouvé  un  certain  nombre  de  squelettes  : 
par  exemple,  à  Underweil,  à  Rôrbass,  à  Unter-  et  Ober-Entstringen,  à  Horgen,  près 
de  Zurich,  etc.  Quelques-unes  des  tombes  renfermaient  en  même  temps  des  armes, 
des  anneaux  d'or,  des  ustensiles,  des  monnaies  celtiques,  etc.  On  a  reconnu  aussi 

11,7.  14 


106  L\    SUISSE   PITTORESQUE. 


des  tombes  romaines  à  Oberwinterthour,  à  Rôrbass,  etc.  Mais  les  traces  les  plus 
remarquables  de  la  domination  romaine  sont  des  restes  considérables  de  murailles, 
qui  doivent  indiquer  les  emplacements  qu'occupaient  les  camps  permanents  et  for- 
tifiés des  légions  romaines  (caftrum,  mansio).  D'après  les  marques  qu'on  voit  sur 
un  grand  nombre  de  briques,  il  parait  que  les  légions  11*,  ^l""  et  90*  ont  fait  un 
séjour  prolongé  dans  ce  pays. 

Les  murailles  les  mieux  conservées  et  les  plus  étendues  sont  celles  qui  se  voient 
à  Neflenbach  (à  l'ouest  de  Winterthour  ),  et  qui  ont  été  découvertes  en  1780  par  un 
paysan,  dont  la  charrue  fut  arrêtée  au  milieu  des  débris.  Elles  ont  500  pieds  de 
longueur  sur  500  de  largeur,  et  i  pieds  d'épaisseur;  leur  hauteur  est  encore 
d'environ  6  pieds.  On  y  reconnaît  les  cloisons  des  diverses  salles,  ainsi  que  les 
bains,  dont  le  sol  est  en  marbre  blanc  ;  on  prétend  même  pouvoir  indiquer  la  salle 
où  les  officiers  prenaient  leurs  repas.  D'autres  murailles  à  peu  près  semblables  ont 
été  retrouvées  à  Ober-Winierthour,  village  à  une  demi-lieue  de  Winterthour,  sur  la 
route  de  Frauenfeld,  et  qui  doit  occuper  l'emplacement  de  l'ancien  Vitodurum;  à 
Ober-Wenigen,  frontière  d'Argovie;  k  Kloten,  où  des  paysans  découvrirent  une 
mosaïque  en  172&,  ce  qui  donna  l'idée  de  faire  des  fouilles  beaucoup  plus  étendues. 
En  1837  on  y  mit  à  nu  la  base  de  deux  bâtiments,  divisés  chacun  en  plusieurs  salles, 
dont  une  partie  étaient  des  chambres  d'habitation  ou  de  bains,  et  les  autres  étaient 
consacrées  à  divers  usages  économiques.  Dans  quelques  salles  le  parquet  était  une 
belle  mosaïque,  et  les  murs  étaient  revêtus  de  peintures  sur  un  fond  blanc.  A 
DdUikon,  où  des  thermes  furent  découverts  en  1789,  et  d'autres  en  18&2  ;  en  1837 
on  y  découvrit  un  mur  de  300  pieds  de  longueur,  sur  6  d'épaisseur;  au  Undmhof, 
près  Zurich,  où  les  fouilles  opérées  en  1857  ont  montré  que  Zurich  avait  été  le  siège 
d'un  établissement  assez  important  ;  à  Lunnern,  près  de  la  Reuss,  où  l'établissement 
d'une  route,  en  1741 ,  fit  mettre  au  jour  des  murailles  et  des  chambres  de  dimensions 
diverses,  et  bien  conservées;  à  Alhisaffoltern,  au  nord-est  de  Lunnern;  klrgenhatisen, 
près  du  lac  de  Pf&ffikon,  où  l'on  voit  sur  une  colline  une  muraille  carrée  de  huit 
pieds  d'épaisseur.  On  prétend  qu'il  existait  ici  un  castellum  ayant  huit  tours  avec 
des  murs  de  16  pieds  d'épaisseur,  et  qu'il  a  été  détruit  en  ll&î. 

Dans  la  plupart  de  ces  lieux  et  d'autres  encore,  on  a  trouvé  divers  ustensiles  en 
métal  et  en  terre,  des  armes,  des  monnaies  datant  de  la  République  et  des  quatre 
premiers  siècles  de  l'Empire,  des  statues  d'empereurs,  ainsi  que  de  plusieurs  divinités, 
telles  que  Mercure,  Mars,  Vénus,  Osiris,  etc.  On  a  découvert  aussi  quelques  vestiges 
de  temples.  Ainsi,  sur  une  colline  qui  s'élève  près  d'Ottenbach  et  de  Lunnern,  et  qui 
se  nomme  Ylsenberg  ou  Iselisberg,  on  voit  les  restes  d'un  temple  romain,  où  se  trou- 
vaient encore,  au  milieu  du  siècle  dernier,  les  bases  et  les  tiges  de  quelques  colonnes. 
Le  nom  de  cette  colline  a  fait  supposer  que  le  temple  était  consacré  à  la  déesse  Isis. 
Le  culte  de  cette  divinité  égyptienne,  introduit  par  les  Romains  dans  l'Helvétie,  parait 
y  avoir  été  en  grand  honneur  :  c'est  ce  que  prouve  une  inscription  conservée  à 
Wettingen,  en  Argovie.  D'autres  localités  du  canton  de  Zurich  rappellent  aussi  le 
nom  de  la  même  déesse  :  tel  est  un  monticule  situé  près  de  Benken,  au  nord  du 
canton,  et  qu'on  nomme  henbuk.  On  y  a  reconnu  aussi  les  vestiges  d'un  petit  temple, 
et  on  y  a  trouvé  en  1838  un  couteau  de  sacrifice. 

Nommons  encore  Seeb  ou  Seebach,  où  Ton  a  découvert  en  1842  les  restes  d'une 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  407 


villa  romaine,  et  Buchs,  où  existent  des  restes  de  constructions  qu'on  attribue  à  des 
villas  particulières,  ainsi  qu'à  une  mamio  ou  grande  hôtellerie  pour  les  voyageurs. 
Sur  le  sommet  de  TUetliberg  on  a  trouvé  des  antiquités  celtiques  et  romaines  ;  on 
suppose  qu'il  y  avait  là  jadis  un  poste  romain  ou  celto-romain,  destiné  à  allumer  des 
signaux  pour  annoncer  au  loin  l'approche  de  l'ennemi.  —  Les  vestiges  de  diverses 
voies  romaines  qui  traversaient  le  canton,  existent  encore.  L'une  tendait  de  Pfyn 
(ad  fines)  à  Viiodurum  ( Winterthour),  et  de  là  à  Vindonissa,  dans  le  canton  d'Ar- 
govie;  une  autre  conduisait  de  Winterthour  à  Kaiserstuhl,  près  du  Rhin  ;  une  troi- 
sième, de  Winterthour  à  Rheinau.  Une  voie  suivait  la  rive  droite  du  lac  de  Zurich, 
puis  passait  sur  la  rive  gauche  de  la  Limmat  et  tendait  à  Bade  ;  enfin  une  voie 
existait  le  long  de  la  rive  droite  de  la  Reuss.  —  Un  champ,  près  de  Oberurdorf,  où 
Ton  trouve  une  grande  quantité  de  débris,  porte  le  nom  de  Heidenkeller  (cave  des 
païens);  une  colline,  près  de  Wattweil,  porte  dès  une  haute  antiquité  celui  de 
Heidenkirche  (église  des  païens);  ce  nom  est  dû  probablement  à  l'existence  d'un 
temple  antique  dans  ce  lieu-ci.  —  Un  grand  nombre  d'objets  d'antiquité  se  trouvent 
réunis  dans  les  collections  de  Zurich  et  de  Winterthour. 

Histoire.  —  Zurich  existait  du  temps  des  Romains  sous  le  nom  de  Turicum.  Ce 
ne  fut  que  vers  le  commencement  du  T""**  siècle  qu'eUe  embrassa  le  christianisme. 
Sa  position  avantageuse  sur  une  des  voies  importantes  par  lesquelles  l'Allemagne 
faisait  le  commerce  avec  l'Italie  et  la  Bourgogne,  la  fit  bientôt  prospérer  et  s'enri- 
chir. En  1248,  elle  fut  déclarée  ville  libre  et  impériale  ;  en  12S1,  elle  s'allia  avec 
les  pays  d'Uri,  Schwytz  et  Unterwald,  afin  d'assurer  le  maintien  de  ses  droits  et 
privil^es.  C'est  vers  cette  époque,  qu'avec  l'aide  du  comte  Rodolphe  de  Habsbourg, 
Zurich  conquit  et  détruisit  les  châteaux  des  seigneurs  du  voisinage,  ses  ennemis 
irréconciliables.  Elle  osa  braver  les  foudres  du  Vatican,  en  chassant  les  moines  qui 
voulaient  exécuter  quelques  mesures  de  rigueur  prescrites  par  le  pape.  Vers  1356, 
elle  secoua  le  joug  des  nobles  qui  gouvernaient  dans  ses  murs,  et  établit  une  consti- 
tution démocratique.  Mais  les  ducs  d'Autriche  épousèrent  la  querelle  des  nobles,  et 
il  en  résulta  une  guerre  sanglante.  Zurich  sentant  le  besoin  d'alliés,  accéda  en 
1351  à  la  confédération  qu'avaient  formée  Un,  Schwytz,  Unterwald  et  Lucerne,  et 
ces  Etats  consentirent  même  à  lui  céder  la  prééminence.  L'Autriche  irritée  conçut  le 
dessein  d'anéantir  cette  ligue,  dont  les  progrès  lui  faisaient  ombrage,  et  une  nom- 
breuse armée,  commandée  par  le  duc  Albert,  vint  assiéger  Zurich  en  1352;  mais 
l'héroïque  résistance  de  cette  ville  et  le  secours  de  ses  voisins  rendirent  inutiles  les 
efforts  des  assaillants. 

Les  possessions  de  la  ville  au  milieu  du  ik^"  siècle  consistaient  en  quelques  do- 
maines situés  sur  les  bords  du  lac  et  de  la  Sihl.  Mais  vers  la  fin  du  siècle  suivant, 
elle  les  avait  considérablement  agrandis,  soit  par  des  conquêtes,  soit  par  des  acqui- 
sitions à  prix  d'argent.  Vers  le  milieu  du  15"'  siècle,  des  dissensions  civiles  déso- 
lèrent et  ensanglantèrent  la  Suisse  ;  et  Zurich,  qui  eut  la  funeste  idée  de  s'allier  avec 
rAutriche,  soutint  une  lutte  contre  ses  confédérés,  qui  vinrent  ravager  son  terri- 
toire et  mettre  le  siège  devant  ses  murs.  C'est  vers  ce  temps  qu'il  se  forma  dans 
Zurich  une  société  militaire  que  la  bravoure  de  ses  membres  fit  surnommer  la  So- 
ciété des  boucs.  Le  bourgmestre  Rodolphe  Stûssi  en  était,  à  ce  que  l'on  croit,  le  fonda- 
teur; c'est  lui  qui,  avec  l'élite  de  ses  amis,  se  chargea  de  défendre  le  pont  de  la  Sihl 


108  LA  SUISSE  PITTORESQUE. 


près  de  St.-Jacques,  contre  les  troupes  de  Schwytz  et  de  Claris;  mais,  après  des  pro- 
diges de  valeur,  il  tomba  couvert  de  blessures  dans  la  rivière,  et  son  cadavre  devint 
le  jouet  de  quelques  soldats  furieux.  Les  houes  se  chargeaient  des  expéditions  les 
plus  périlleuses,  et  faisaient  un  grand  mal  à  l'ennemi;  et  après  des  revers,  ils  s'en 
vengeaient  par  des  railleries  piquantes  sur  le  compte  des  vainqueurs.  Telle  était  la 
terreur  qu'ils  inspiraient,  que,  lorsque  Zurich  signa  la  paix  avec  ses  ennemis, 
Schwytz  et  Claris  exigèrent  comme  condition  que  cette  société  serait  dissoute  et  ses 
membres  exilés.  Zurich  y  ayant  consenti,  les  boucs  se  retirèrent  la  plupart  dans  une 
forteresse  de  Souabe,  nommée  Hohenkragen  ;  mais  ils  obtinrent  ensuite  de  rentrer 
dans  leur  patrie  par  l'intercession  du  landammann  Pries  d'Uri,  qui  jouissait  d'un 
grand  crédit  à  Zurich,  et  qu'ils  avaient  enlevé  dans  ce  canton  et  emmené  captif,  tout 
en  lui  témoignant  les  plus  grands  égards.  Ce  fut  vers  4450  que  Zurich  fit  la  paix 
avec  ses  confédérés,  qui  annulèrent  son  alliance  avec  l'Autriche,  et  la  déclarèrent 
incompatible  avec  sa  position  comme  membre  de  la  Confédération  helvétique. 

Zurich  fut  la  première  ville  de  Suisse  et  une  des  premières  de  l'Europe  qui  em- 
brassèrent la  réforme.  Ce  fut  dans  les  années  4523  à  4525  que,  malgré  les  conseils 
et  les  menaces  de  ses  confédérés,  le  peuple  zurioois  se  prononça  hautement  pour 
les  doctrines  prèchées  par  les  réformateurs.  Ce  fut  Ulrich  Zwingli,  natif  de  Wildhaus 
dans  le  Tockenbourg,  et  ci-devant  curé  à  Claris  et  à  Einsiedeln,  qui  donna  l'impulsion 
h  ce  mouvement  ;  Zwingli  joua  alors  un  rôle  important  à  Zurich  :  il  réunissait  aux 
profondes  connaissances  d'un  savant  les  lumières  et  la  prudence  d'un  homme  d'état. 
En  4534,  les  troupes  des  Etats  catholiques,  aidées  d'Italiens  soldés  par  le  pape, 
vinrent  envahir  le  territoire  de  Zurich.  Deux  à  trois  mille  Zuricois  tentèrent  de 
repousser  l'ennemi  ;  mais  ils  furent  défaits,  le  4  4  octobre,  à  Cappel,  près  de  la  frontière 
de  Zug,  et  plus  de  500  des  plus  braves  citoyens  perdirent  la  vie;  dans  ce  nombre 
était  Zwingli.  Dans  le  siècle  suivant,  Zurich  s'interposa  activement  auprès  des  ducs 
de  Savoie  en  faveur  des  Vaudois  du  Piémont,  et  accorda  asile  et  assistance  aux 
protestants  français  que  de  cruelles  persécutions  forçaient  à  s'expatrier. 

Durant  les  premières  années  de  la  révolution  française,  le  peuple  zuricois  resta 
tranquille;  en  4794  commença  l'agitation  dans  les  districts;  elle  ne  fut  apaisée  que 
lorsque,  le  5  février  4798,  Zurich  eut  consacré  l'égalité  des  droits  entre  la  ville  et  la 
campagne.  Mais  cette  même  année,  Zurich  fut  envahi  comme  le  reste  de  la  Suisse 
par  les  armées  françaises,  et  devint  bientôt  le  théâtre  de  batailles  sanglantes  entre 
celles-ci  et  les  armées  alliées.  Ce  fut  le  27  avril  4798  que  les  Français  occupèrent 
Zurich;  le  6  juin  4799,  les  Autrichiens  les  forcèrent  à  évacuer  cette  ville;  le 
8  septembre  suivant,  les  Russes  et  les  Français  en  vinrent  aux  mains  près  de  Wol- 
lishofen,  non  loin  de  Zurich.  Le  général  Souwaroff,  qui  avait  traversé  à  marches  for- 
cées le  St.'Cothard,  arrivait  avec  des  forces  nombreuses.  Telle  était  la  confiance  de 
l'ambassadeur  d'Angleterre  et  des  officiers  russes,  qu'aucune  famille  ne  quitta  la 
ville.  On  raconte  même  qu'on  disposa  un  dîner  magnifique  pour  le  25  septembre 
chez  l'ambassadeur  anglais,  afin  de  fêter  l'arrivée  du  célèbre  général.  Cependant,  ce 
jour  même,  les  Français,  commandés  par  Masséna,  ayant  passé  la  Limmat  entre 
Dietikon  et  Schlieren,  sur  un  pont  de  radeaux,  coupèrent  la  ligne  des  Russes,  qui 
durent  battre  en  retraite.  Le  combat  se  prolongea  toute  la  journée  du  26,  et  les 
Français  pénétrèrent  en  vainqueurs  dans  la  ville,  chassant  devant  eux  l'ennemi. 


LA   SU185B  PITTORESQUE.  109 


Celte  journée  coûta  la  vie  à  deux  grands  citoyens,  à  Lavater  et  au  tribun  Irrainger. 
Le  premier  accourait  au  secours  d'un  de  ses  compatriotes  menacé  par  des  soldats, 
lorsqu'il  reçut  un  coup  de  feu  dans  la  poitrine;  il  mourut  le  2  janvier  1801,  des 
suites  de  cette  blessure  ;  Irminger  fut  massacré  dans  son  jardin  par  des  Russes,  qui 
le  prirent,  à  son  habit  bleu,  pour  un  Français. 

En  1802,  la  ville  ayant  refusé  d'accepter  la  nouvelle  constitution  unitaire,  fut 
assiégée  et  bombardée  par  le  général  helvétique  Ândermatt,  qui  fut  obligé  de  se 
retirer  précipitamment,  sur  l'avis  de  l'approche  d'un  corps  nombreux  d'insurgés  des 
Petits-Cantons.  En  1803,  Zurich  se  soumit  à  l'ordre  de  choses  qui  fut  établi  par 
l'Acte  de  médiation.  Cependant,  les  campagnards  étaient  mécontents  de  la  position 
inférieure  que  leur  donnait  cet  Acte  relativement  à  la  ville  ;  en  1804,  une  insurrec- 
tion assez  grave  éclata  dans  une  grande  partie  du  canton  ;  le  gouvernement,  avec  le 
secours  d*autres  cantons,  parvint  à  la  réprimer  ;  mais  quatre  des  meneurs  furent 
exécutés,  et  un  grand  nombre  d'autres  condamnations  diverses  furent  prononcées 
contre  les  insurgés. 

Zurich  était  un  des  six  cantons  appelés  par  l'Acte  de  médiation  à  être,  à  tour  de 
rôle,  le  siège  du  gouvernement  fédéral.  En  18i3,  il  se  trouvait  Canton  directeur 
(ou  Vorart),  quand  des  événements  graves  changèrent  la  face  de  l'Europe.  La 
Diète  se  réunit  à  Zurich  le  29  décembre,  au  moment  où  les  armées  alliées  venaient 
de  violer  la  neutralité  de  la  Suisse.  Les  députations  de  la  plupart  des  cantons  invi- 
tèrent Zurich  à  continuer  de  diriger  les  affaires  fédérales.  Les  ministres  étrangers 
reconnurent  en  même  temps  cette  ville  comme  Vorort,  et  c'est  là  que  furent  déli- 
bérés plusieurs  actes  d'une  haute  importance  pour  la  Suisse.  Le  8  septembre  1814, 
les  dix-neuf  cantons  établis  par  l'Acte  de  médiation  furent  reconnus,  et  trois  nou- 
veaux cantons  furent  admis  dans  la  Confédération  (Vallais,  Neuchàtel  et  Genève). 
Le  7  août  1815,  les  Etats  votèrent  le  nouveau  Pacte,  d'après  lequel  Zurich,  Berne 
et  Luceme  étaient  tour  à  tour  Vorort  pendant  deux  ans.  Le  1**^  janvier  1817, 
Zurich  transmit  à  Berne  l'autorité  directoriale,  qu'elle  avait  exceptionnellement  con- 
servée pendant  quatre  ans. 

Par  la  nouvelle  Constitution  votée  le  11  juin  1814,  la  ville  de  Zurich  eut  dans  le 
Grand  Conseil  130  représentants,  et  la  campagne  82  ;  en  même  temps,  les  citoyens 
de  la  ville  pouvaient  être  élus  dans  la  campagne,  ce  qui  donnait  à  la  ville  une  pré- 
pondérance marquée.  Pendant  les  années  de  la  Restauration,  les  idées  libérales 
firent  peu  à  peu  des  progrès;  ainsi,  tandis  qu'en  1821  le  gouvernement  avait  pro- 
noncé la  suppression  d'un  journal  {Schweizerische  Volksblatt),  vu  ses  tendances  trop 
avancées,  une  loi,  votée  le  15  juin  1829,  supprima  toute  censure,  et  la  remplaça  par 
une  loi  répressive.  L'impulsion  avait  été  donnée  par  un  nouveau  journal  {Y  Observa- 
teur suisse),  qui  paraissait  depuis  1828,  et  qui  exerçait  une  grande  influence.  Un 
nouveau  règlement  du  Grand  Conseil,  adopté  le  18  février  1830,  restreignit  les  attri- 
butions du  Petit  Conseil. 

La  révolution  française  de  juillet  1830  eut  un  grand  retentissement  dans  le 
canton  de  Zurich,  comme  dans  le  reste  de  la  Suisse.  Le  13  octobre,  trente-un 
membres  du  Grand  Conseil  se  réunirent  à  Uster  pour  rédiger  une  pétition,  qu'ils 
présentèrent  au  Grand  Conseil,  au  sujet  d'une  révision  de  la  Constitution,  en  parti- 
culier relativement  au  rapport  de  la  représentation  et  des  élections  indirectes.  Une 


410  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


nombreuse  Commission  du  Grand  Conseil  proposa  d*accorder  420  représentants  à 
la  campagne,  et  92  à  la  ville.  Mais  cette  proposition  paraissant  insuffisante  aux 
campagnards,  8  à  10,000  citoyens  s'assemblèrent  le  ii  novembre  à  Uster  de  toutes 
les  parties  du  canton,  et  volèrent  que  les  '/^  de  la  représentation  étaient  le  mi- 
nimum que  le  gouvernement  pût  accorder  à  la  campagne,  et  que  les  Ve  ^^  députés 
devaient  être  élus  directement.  On  demandait  en  outre  l'abolition  de  tout  cens,  la 
sanction  de  la  Constitution  par  le  peuple,  la  séparation  des  pouvoirs,  la  liberté  de  la 
presse,  la  publicité  des  séances  du  Grand  Conseil,  etc.  Le  25  novembre,  le  Grand 
Conseil  accorda  à  la  campagne  les  '/,  de  la  représentation  ;  quelques  jours  après 
eurent  lieu  les  élections.  La  nouvelle  Constitution  fut  adoptée  par  le  peuple  le 
20  mars  1831,  à  la  majorité  de  &0,S00  voix  contre  1721.  Cet  acte  était 
rédigé  avec  modération  et  sans  tendances  exagérées;  il  laissait  à  la  ville  une  cer- 
taine prépondérance,  vu  sa  position  historique.  Le  11  avril  1832,  le  Grand  Conseil 
adhéra  au  concordat  des  sept  cantons  (Zurich,  Berne,  Lucerne,  Soleure,  St.-Gall, 
Ârgovie  et  Thurgovie),  qui  se  promettaient  réciproquement  leur  assistance  pour 
défendre  leurs  nouvelles  constitutions.  Le  30  janvier  18S3,  le  Grand  Conseil, 
à  une  forte  majorité,  décréta  la  destruction  des  remparts  de  Zurich.  Cette  décision 
blessait  une  partie  des  citoyens  de  la  ville,  mais  elle  mit  fin  à  la  défiance  que  beau- 
coup de  campagnards  nourrissaient  contre  cette  vieille  place  fortifiée,  et  aux  deman- 
des qu'ils  avaient  faites  de  répartir  rartillerie  dans  les  districts;  elle  procura  en 
même  temps  à  la  ville  l'avantage  de  communications  plus  faciles,  et  la  possibilité 
de  s'étendre  et  de  s'embellir.  En  même  temps,  toutes  les  branches  de  l'administra- 
tion reçurent  d'importantes  améliorations  ;  en  particulier,  tout  l'ensemble  des  éta- 
blissements d'instruction  fut  réorganisé,  et  le  réseau  des  routes  considérablement 
développé  ;  on  bâtit  un  hôpital  cantonal,  un  hôtel  des  postes,  etc.  Le  terme  prescrit 
pour  la  Constitution  de  1831  étant  écoulé,  on  procéda  à  une  nouvelle  révision  en 
1838,  et  tout  privilège  de  représentation  fut  aboli  pour  le  chef-lieu.  En  1839,  l'ap- 
pel du  professeur  étranger  Strauss,  connu  pour  ses  opinions  non-orthodoxes,  à  une 
chaire  de  théologie  dans  l'Université,  donna  lieu  à  une  insurrection  qui  éclata  pen- 
dant la  session  de  la  Diète,  et  qui  coûta  la  vie  à  plusieurs  citoyens.  En  1846  et  18&7, 
Zurich  prit  parti  contre  le  Sonderbund  catholique.  Par  la  nouvelle  Constitution  fédé- 
rale, adoptée  en  18&8,  Zurich  a  perdu  le  privilège  d'être  à  son  tour  le  chef-lieu 
directorial.  Elle  espérait  avoir  en  compensation  une  Université  fédérale;  mais  cet 
établissement  a  été  refusé,  au  commencement  de  18S4,  par  l'Assemblée  fédérale; 
celle-ci  n'a  voté  qu'une  Ecole  polytechnique,  à  laquelle  elle  a  accordé,  il  est  vrai,  un 
assez  grand  développement,  et  qui  doit  s'ouvrir  dans  le  courant  de  18BS.  Zurich  en 
sera  le  siège. 

Caractère,  moeurs,  usages,  etc.  —  L'activité,  l'amour  de  l'ordre,  l'économie, 
de  la  franchise  dans  le  caractère,  de  rintelligence,  et  une  grande  aptitude  pour  les 
arts  mécaniques,  sont  les  traits  caractéristiques  des  habitants  de  ce  canton  ;  ils  se 
distinguent  aussi  par  une  grande  simplicité  dans  les  habitudes  de  la  vie  domestique, 
une  hospitalité  affectueuse,  du  goût  pour  les  améliorations,  et  surtout  un  grand 
amour  du  bien  public.  Patriotes  par  principes,  ils  sont  fort  attachés  à  leurs  anciennes 
coutumes,  et  fiers  avec  raison  de  leurs  annales  héroïques  et  de  leurs  institutions 
héréditaires.  Les  usages  suivants  méritent  d'être  mentionnés.  Quand  un  enfant  vient 


LA   SUISSE   PITTOBESQUE.  114 


au  monde  dans  une  famille  aisée,  une  jeune  fille  en  habit  de  fête,  et  portant  un 
énorme  bouquet,  composé  des  fleurs  les  plus  rares  et  orné  de  longs  rubans,  va  de 
porte  en  porte  annoncer  aux  parents  et  aux  amis  de  raccouchée  cette  heureuse 
nouvelle.  Cet  usage  date  du  siècle  dernier.  Le  jour  de  l'Ascension,  les  jeunes  gens  et 
les  jeunes  filles  des  campagnes  zuricoises  gravissent  par  bandes  nombreuses  le 
mont  Uetliberg,  voisin  du  chef-lieu  ;  de  son  cdté,  la  jeunesse  de  la  ville  ne  manque 
pas  de  s'y  rendre,  et  du  haut  de  ce  plateau  élevé,  de  ce  belvédère  où  l'œil  jouit  de 
la  vue  de  la  terre  natale,  tous  entonnent  des  hymnes  en  l'honneur  de  la  Providence 
et  de  la  patrie. 

De  tous  les  arts  cultivés  par  les  Zuricois,  celui  dont  le  goût  est  le  plus  générale- 
ment répandu,  c'est  la  musique.  Ces  dispositions  naturelles  sont  d'autant  plus 
remarquables,  qu'elles  contrastent  singulièrement  avec  leur  langage  habituel,  fort 
peu  musical  et  harmonieux.  Dès  le  moyen-âge,  la  musique,  tant  vocale  qu'instru- 
mentale, était  en  honneur  à  Zurich,  et  les  musiciens  formaient  même  une  corpora- 
tion, dont  le  chef  portait  le  titre  de  roi.  Dans  le  17™*"  siècle,  des  sociétés  musicales 
furent  créées  à  Zurich  et  à  Winterthour,  et  contribuèrent  beaucoup  à  entretenir  le 
goût  de  cet  art.  —  Le  goût  des  représentations  théâtrales  date  aussi  d'une  époque 
assez  reculée:  à  diverses  occasions  solennelles,  surtout  dans  le  lô""*  siècle,  des 
sociétés  d'amateurs  représentèrent  des  pièces  dont  les  sujets  étaient  ou  bibliques 
ou  nationaux.  Non  seulement  les  villes  de  Zurich  et  de  Winterthour  possédèrent  à 
diverses  époques  des  théâtres  privés,  mais  il  s'en  établit  même,  durant  le  premier 
quart  de  ce  siècle,  dans  quelques-uns  des  grands  villages,  tels  que  Wâdensweil,  Rich- 
tensweil  et  d'autres.  Plusieurs  amateurs  faisaient  preuve  d'un  talent  d'artiste  remar- 
quable. Cependant,  cette  espèce  de  divertissement  était  loin  d'être  sans  inconvénients, 
et  la  bonne  harmonie  ne  se  maintenait  pas  longtemps  entre  les  principaux  person- 
nages. De  1800  à  1830,  des  troupes  d'artistes  de  profession  obtinrent  plusieurs  fois 
l'autorisation  de  donner  des  représentations  à  Zurich.  Mais  depuis  1834,  un  petit 
théâtre  permanent  a  été  organisé  dans  cette  ville.  Plusieurs  artistes  distingués 
d'Allemagne  s'y  sont  quelquefois  fait  entendre. 

LÉGISLATION.  —  Zurich  parait  avoir  eu,  dès  la  première  moitié  du  13*  siècle, 
un  code  particulier  de  lois  ou  de  coutumes,  lequel  se  rapprochait  beaucoup  des  lois 
allemandes,  et  n'était  presque  pas  mélangé  de  droit  romain,  malgré  une  domination 
romaine  qui  avait  duré  plusieurs  siècles.  La  justice  pénale  était  passablement  bar- 
bare et  en  grande  partie  conforme  au  code  appelé  la  Carolim;  aussi,  dès  la  seconde 
moitié  du  18""  siècle,  pensait-on  à  le  réformer.  Ce  n'est  cependant  que  depuis  1830 
que  les  diverses  parties  de  la  législation  ont  subi  de  grandes  améliorations.  Le  code 
pénal,  qui  date  de  1835,  abolit  toutes  les  peines  corporelles,  mais  la  peine  de  mort 
fut  maintenue  par  85  voix  contre  25.  M.  J.-G.  Ulrich  a  travaillé  plus  particulière- 
ment à  la  réforme  des  lois  pénales,  et  M.  le  professeur  Bluntschli  à  celle  des  lois  civiles. 

Cultes.  —  Les  paroisses  réformées  du  canton  sont  au  nombre  de  1 49.  L'élection  des 
pasteurs,  depuis  la  Constitution  de  1 831  jusqu'en  1 849 ,  a  eu  lieu  par  les  paroisses  elles- 
mêmes,  sur  une  triple  présentation  faite  par  le  Consistoire.  Une  loi  constitutionnelle  de 
novembre  1849  confère  aux  paroisses  le  droit  complet  d'élection.  Chaque  paroisse  a  un 
Conseil  paroissial.  Le  clergé  réformé  se  divise  en  onze  chapitres,  autant  qu'il  y  a  de  dis- 
tricts dans  le  canton .  Chaque  chapitre,  composé  des  eccléi^iastiques  du  district,  a  un  pré- 


112  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


sident  ou  doyen,  un  trésorier  et  un  secrétaire  ;  le  doyen  a  inspection  sur  les  pasteurs. 
Chaque  district  a  un  Consistoire  (  Aafsichlsbehôrde,  autorité  de  surveillatue),  composé 
du  doyen  comme  président,  de  deux  ecclésiastiques  et  de  deux  laïques.  11  y  a  en 
outre  un  Consistoire  cantonal  ou  Conseil  ecclésiastique  {Kirchenrath),  composé  de 
VAnthtès  ou  président,  de  cinq  nombres  laïques  nommés  par  le  Grand  Conseil,  et  de 
neuf  membres  ecclésiastiques  désignés  par  le  Synode.  VAntistês  préside  aussi  le 
Sytwde  ou  assemblée  de  tous  les  ecclésiastiques  du  canton,  qui  se  réunit  à  l'ordi- 
naire une  fois  par  an.  Ces  fonctions  ont  appartenu  jusqu'en  1833  au  pasteur  de  la 
cathédrale  de  Zurich  ;  depuis  lors,  elles  peuvent  être  remplies  aussi  par  un  pasteur 
résidant  hors  du  cheMieu.  —  Bien  que  la  réforme  n'ait  été  définitivement  acceptée 
|)ar  le  peuple  zuricois  qu'en  15^23  et  1524,  cependant  le  premier  jubilé  de  la 
Réformation  fut  célébré  à  Zurich  en  1619  ;  on  le  rapportait  non  à  la  complète  con- 
version du  peuple,  mais  aux  premiers  actes  par  les(|ucls  Zwingli  s'était  séparé  du 
catholicisme.  La  fête  fut  renouvelée  dès-lors  en  1719  et  en  1819  ;  cette  dernière  fois 
elle  eut  lieu  avec  la  plus  grande  solennité. 

D'après  le  recensement  de  1850,  on  compte  dans  le  canton  de  Zurich  6690  catho- 
liques, dont  1559  dans  le  chef-lieu;  les  autres  se  trouvent  principsilement  dans  la 
petite  ville  de  Rheinau  et  dans  le  village  de  Dietikon,  à  la  frontière  d'Argovie.  Il  y  a 
environ  400  frères  moraves  et  80  Israélites. 

Instruction  publique.  —  Zurich  avait  reçu  déjà  dans  le  moyen-àge  le  surnom 
de  savante j  et  de  nos  jours  on  lui  donne  celui  d'Athènes  de  la  Suisse  allemande.  Il 
est  peu  de  pays,  en  effet,  où  le  goût  de  l'instruction  soit  aussi  généralement  répandu 
que  dans  le  canton  de  Zurich,  et  où  l'enseignement  des  premiers  éléments  de  toute 
connaissance  soit  aussi  commun  et  aussi  peu  dispendieux.  Il  n'est  point  de  ville, 
point  de  hameau,  qui  n'ait  son  école,  et  plusieurs  de  ces  écoles  sont  établies  dans  des 
maisons  communes  ou  particulières  qui  ressemblent  à  de  jolies  maisons  de  cam- 
|)agne.  II  est  peu  de  pays  aussi  qui  soit  doté  d'autant  d'institutions  i)our  l'enseigne- 
ment supérieur.  Depuis  une  vingtaine  d'années,  l'ensemble  des  établissements 
d'instruction  publique  a  reçu  encore  de  nouveaux  développements.  Une  loi  de 
1832  a  réorganisé  les  écoles  primaires.  Au-dessus  de  celles-ci,  une  loi  de  1840  a 
institué  quarante  écoles  secondaires,  destinées  aux  jeunes  gens  et  jeunes  filles  qui, 
après  avoir  terminé  leur  cours  d'instruction  primaire,  veulent  poursuivre  leurs 
études  ou  entrer  dans  les  écoles  supérieures. 

Les  établissements  supérieurs  d'instruction  publique  sont  Y  Ecole  cantonale  et  V  Uni- 
versité, L'Ecole  cantonale^  ouverte  en  avril  1833,  se  compose  de  deux  divisions  : 
le  Gymnase  et  l'Ecole  industrielle,  qui  chacun  se  subdivisent  en  deux  degrés.  Le 
Gymnase  est  destiné  à  ceux  qui  se  vouent  à  une  vocation  scientifique;  l'Ecole 
industrielle,  à  ceux  qui  doivent  embrasser  une  vocation  technique.  L'Ecole  canto- 
nale a  remplacé  diverses  institutions  moins  complètes  qui  existaient  auparavant. 
La  gymnastique  est  au  nombre  des  objets  d'enseignement.  —  L'Université,  décrétée 
par  une  loi  de  septembre  1832,  et  ouverte  le  29  avril  1833,  se  divise  en  quatre 
facultés  (théologie,  médecine,  sciences  politiques,  et  philosophie).  Elle  compte 
trente  à  quarante  professeurs,  non  compris  ceux  qui  sont  désignés  sous  le  nom  de 
Privat'Docenten  ou  maîtres  privés.  Le  nombre  des  étudiants  est  d'environ  200, 
dont  la  moitié  étudient  la  médecine.  Plusieurs  savants  distingués  ont  enseigné  ou 


KA   SUIS8R   PITTOttR^UR.  113 


enseignent  encore  dans  rUniversité.  —  Il  existe  en  outre  une  école  spéciale,  desti- 
née à  former  de  bons  régents  pour  les  écoles  primaires  et  secondaires,  et  qui  a  été 
fondée  eo  1831 ,  sous  le  nom  de  Sémitiaire  des  Régents.  Les  cours  y  durent  trois  ans. 

Indépendamment  de  ces  établissements  cantonaux,  Zurich  doit  devenir,  dès  1858, 
le  sî^  d'une  Ecole  polytechnique  fédérale  (voyez  page  51).  Nous  avons  encore  à 
nommer  divers  établissements  particuliers,  tels  que  VEcok  des  pauvres  (  Armen- 
sckule),  destinée  à  donner  une  instruction  complètement  gratuite  à  un  grand 
nombre  d*enfants  pauvres  généralement  mal  surveillés  ;  un  établissement  pour  les 
aveugles  et  pour  les  soards-^uetSj  fondé  par  la  Société  de  Secours  en  1809  pour  les 
premiers,  en  1816  pour  les  seconds;  enfin,  il  existe  dans  ce  canton  plusieurs  pen- 
sionnats  privés  :  le  pensionnat  Hûni,  à  Horgen,  est  un  de  ceux  qui  ont  acquis  le 
plus  de  réputation. 

Constitution.  —  Nous  avons  raconté  les  événements  qui  amenèrent  à  la  fin  de 
1830  la  révision  de  la  Constitution.  Voici  les  principales  dispositions  de  celle  qui  fut 
adoptée  par  le  peuple  à  une  gi*ande  majorité,  le  20  mars  1831,  et  modifiée  sur 
quelques  points  en  1838  et  18&0.  L'égalité  des  droits,  la  liberté  religieuse,  celle  de 
la  presse,  celle  du  commerce,  le  droit  de  pétition,  la  publicité  des  tribunaux,  etc., 
sont  garantis.  La  souveraineté  appartient  au  peuple,  mais  il  l'exerce  par  le  Grand 
Conseil,  qui  représente  l'ensemble  des  citoyens.  On  est  électeur  à  19  ans  accomplis, 
et  éligihle  à  29  ans.  Jusqu'en  1838  les  13  tribus  de  la  ville  ont  nommé  60  députés, 
les  52  de  la  campagne,  1 1 9,  et  le  Grand  Conseil  lui-même  les  33  autres  ;  total,  212. 
Depuis  1838  le  canton  est  partagé  en  52  cercles,  qui  élisent  un  député  par  1200 
âmes,  soit  en  tout  204.  Le  Grand  Conseil  est  nommé  pour  quatre  ans;  il  est  pou- 
voir législatif,  il  vote  les  impôts  et  exerce  le  droit  de  grâce.  Il  élit  les  membres  du 
Conseil  d'Etat,  du  Tribunal  d'Appel,  du  Tribunal  criminel,  du  Conseil  ecclésiastique, 
et  du  Conseil  d'Instruction  publique,  et  les  présidents  de  ces  corps.  Il  s'assemble 
régulièrement  quatre  fois  par  an,  et  extraordinairement  quand  les  affaires  l'exigent, 
ou  sur  la  demande  écrite  de  2&  députés.  Les  séances  sont  publiques.  Les  membres 
ne  reçoivent  de  l'Etat  aucune  indemnité,  mais  leurs  commettants  peuvert  leur  en 
accorder  une.  Le  Conseil  d'Etat  était  composé  de  19  membres;  depuis  1840,  le 
nombre  est  réduit  à  13.  Ce  Conseil  est  présidé  par  deux  bourguemestres,  dont  chacun 
a  la  préséance  pendant  un  an.  Dans  chacun  des  onze  districts  il  y  a  une  assemblée  de 
200  électeurs,  désignés  par  les  communes  proportionnellement  au  nombre  de  leurs 
bourgeois  ayant  le  droit  électoral;  cette  assemblée  élit  les  juges  de  district  et  le  Con- 
seil de  district,  composé  d'un  préfet  et  de  deux  conseillers.  Toutefois,  les  préfets  doi- 
vent être  présentés  en  nombre  triple  au  choix  du  gouvernement.  Dans  chaque  com- 
mune, les  électeurs  nomment  un  Conseil  communal  pour  quatre  ans,  approuvent  les 
imp6ts  et  les  dépenses  extraordinaires,  et  confèrent  le  droit  de  bourgeoisie  communal. 
Tous  les  six  ans  la  Constitution  peut  être  modifiée  ;  tout  projet  de  loi  constitutionnelle, 
après  avoir  été  délibéré  par  le  Grand  Conseil,  doit  être  soumis  six  mois  plus  tard  & 
une  seconde  discussion,  avant  d'être  présenté  à  la  sanction  du  peuple. 

Agriojltuae.  —  La  superficie  totale  du  canton  est  de  480,000  arpents,  dont 

400,000  environ  sont  susceptibles  de  culture.  Sur  ce  nombre,  on  en  compte 

15,000  en  vignes,  96,000  en  forêts,  129,000  en  prairies  et  pâturages,  160,000 

en  diverses  cultures.  Les  propriétés  sont  très-morcelées  ;  les  fonds  de  50  à  100 

II,  s.  15 


m  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


arpents  sont  trës-rares;  on  n'en  comptait  en  18ft4  que  cinq  qui  comprissent  plus 
de  200  arpents.  En  outre,  les  parcelles  appartenant  à  un  même  propriétaire  ne 
sont  souvent  pas  réunies  en  un  seul  bloc.  Ce  morcellement  est  désavantageux  sous 
divers  rapports  ;  cependant,  on  peut  dire  que  le  canton  de  Zurich  est  un  exemple 
de  tout  ce  que  l'activité  peut  tirer  du  sol.  L'agriculture  y  a  a6quis  un  haut  degré 
de  perfection,  surtout  sur  les  deu\  rives  du  lac.  Dans  le  siècle  dernier,  une  impul- 
sion avait  été  donnée  par  plusieurs  agronomes  distingués  et  par  la  section  d'agri- 
culture de  la  Société  d'Histoire  naturelle  de  Zurich.  Depuis  18&2,  il  s'est  forme 
en  outre  une  Société  spéciale  d'horticulture  et  d'agriculture,  dont  le  but  est  d'intro- 
duire de  nouvelles  cultures  ou  de  nouvelles  méthodes.  Le  Gouvernement  a  fait  aussi 
de  son  cAté  tout  ce  qui  dépendait  de  lui  pour  favoriser  les  progrès  de  l'économie 
rurale. 

Presque  toutes  les  espèces  de  graines  réussissent  parfaitement  dans  le  canton,  et 
en  abondance;  on  y  cultive  aussi  avec  succès  les  pommes  de  terre,  le  chanvre,  le 
lin  et  les  plantes  potagères.  Dans  aucune  partie  de  la  Suisse,  peut-^tre,  on  n'entend 
également  bien  l'art  des  engrais  et  celui  de  l'irrigation  des  prairies.  On  cultive  en 
grande  quantité  et  avec  soin  les  arbres  fruitiers;  c'est  sur  les  bords  du  lac  de  Zurich 
et  dans  les  districts  d'Afibltem,  d'Uster  et  de  Winterthour,  que  la  récolte  des  fruits 
est  la  plus  abondante  ;  on  en  emploie  une  partie  à  faire  du  cidre  et  de  l'eau  de 
cerises.  La  culture  de  la  vigne  dans  le  canton  remonte  à  l'an  1145;  elle  y  est 
très-bien  entendue;  elle  prospère  surtout  aux  environs  de  Winterthour  et  sur 
les  bords  du  lac  de  Zurich;  les  rouges  des  meilleurs  vignobles  de  Winterthour 
ont  une  grande  analogie  avec  le  Bourgogne  et  le  Bordeaux  ;  on  fait  aussi  un  vin 
excellent  près  de  la  chute  du  Rhin.  Quelques  parties  du  canton  sont  riches  en 
forêts,  particulièrement  la  vallée  de  la  Tôss  et  celle  de  la  Sihl,  et  le  district  d'Affol- 
tern  à  l'ouest  de  l'Albis;  ces  forêts  se  composent  presque  uniquement  de  conifères. 
Les  Zuricois  sont  grands  amateurs  des  fleurs;  aussi  en  cultive>t-on  beaucoup  autour 
des  habitations,  dans  le  voisinage  du  lac  de  Zurich.  Le  canton  possède  peu  de  pâtu- 
rages alpins;  cependant  il  compte  plus  de  S0,000  bêtes  à  cornes,  et  en  outre 
environ  4000  chevaux,  5000  moutons,  7000  chèvres,  20,000  porcs.  Sur  les  bords 
du  lac,  on  a  l'habitude  de  tenir  les  bêtes  à  l'étable  toute  l'année.  Quant  à  l'exploi- 
tation des  abeilles,  elle  est  très-peu  considérable. 

Industhie,  oommerge.  —  Dès  le  IS**  siècle,  Zurich  possédait  des  fabriques  de  laine, 
de  soie,  de  toile  et  de  cuir  ;  mais  ce  fut  surtout  à  l'époque  de  la  Réformation  que 
s'accrut  son  activité  commerciale;  elle  le  dut  surtout  à  un  certain  nombre  de  citoyens 
de  Locamo  en  Tessin,  qui  avaient  quitté  leur  pays  pour  cause  de  religion,  et  parmi 
lesquels  se  trouvaient  d'excellents  ouvriers.  Les  diverses  manufactures  zuriooises 
prirent  alors  un  tel  accroissement,  que  leurs  produits  se  répandirent  jusque  dans 
les  contrées  les  plus  éloignées.  Vers  le  milieu  du  16*  siècle.  Tours  et  Lyon  virent 
aussi  s'élever  dans  leur  sein  des  fabriques  de  soie  qui  firent  un  grand  tort  à  celles  de 
Zurich.  Cette  ville  chercha  alors  un  dédommagement  dans  une  nouvelle  industrie, 
celle  des  cotons.  A  la  fin  du  17'  siècle,  les  protestants  français  émigrés  donnèrent 
une  nouvelle  impulsion  à  l'industrie,  en  introduisant  diverses  améliorations  et  en 
établissant  en  particulier  des  fabriques  de  mousseline.  Vers  1790,  la  fabrication  des 
soieries  avait  repris  un  certain  degré  de  splendeur,  et  de  nos  jours  même,  Zurich 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  445 


rivalise  avec  Lyon  ;  la  main-d'œuvre  y  étant  moins  chère,  la  matière  première  n'ayant 
pas  de  droit  onéreux  à  payer ,  on  peut  y  fabriquer  et  livrer  les  étoffes  à  bien  meil- 
leur marché  que  dans  cette  ville.  Nous  avons  rappelé,  en  parlant  de  l'industrie  suisse 
en  général  (page  440),  les  éloges  que  les  soieries  de  Zurich  ont  mérités  à  l'Exposition 
de  Londres;  nous  avons  indiqué  les  qualités  particulières  qu'on  leur  reconnaît  et  les 
points  de  vue  sous  lesquels  elles  paraissent  inférieures  aux  soieries  françaises.  Les 
districts  où  l'on  s'occupe  de  cette  industrie  sont  surtout  la  rive  gauche  du  lac  de 
Zurich  et  lesdistricUd'Uster,  Hinweilet  Affoltern;  elle  occupe  46  à  47,000 individus; 
les  métiers  sont  dans  les  habitations  et  appartiennent  aux  ouvriers.  Les  filatures  de 
coton  sont  au  nombre  de  70,  et  comptent  plus  de  330,000  bobines  en  activité;  il  y 
a  en  outre  environ  4  700  métiers.  Les  filatures  et  les  métiers  se  trouvent  principalement 
dans  la  partie  orientale  du  canton  et  des  deux  côtés  de  l' Albis.  Ils  occupent  26  à  27,000 
individus,  dont  un  tiers  sont  des  enfants  de  42  à  4  6  ans.  Il  y  a  encore  dans  le  canton 
des  fabriques  d'étoffes  de  laine,  des  chapelleries,  des  papeteries,  des  fonderies,  des 
tanneries  au  nombre  d'environ  KO,  plusieurs  fabriques  de  machines,  dont  la  princi- 
pale est  celle  de  MM.  Escher  et  Wyss,  laquelle  compte  près  de  600  ouvriers  et  a 
construit  un  assez  grand  nombre  de  bateaux  à  vapeur  pour  la  Suisse  et  pour  l'Au- 
triche. Onze  imprimeries  donnaient  de  l'ouvrage  à  près  de  480  ouvriers  en  4843. 
Dans  quelques  localités  l'on  fabrique  des  chapeaux  de  paille,  etc.  Toutes  ces  diverses 
industries  occupent  plus  de  50,000  ouvriers  des  deux  sexes;  mais  un  grand  nombre 
d'entre  eux  consacrent  aussi  une  partie  de  leur  temps  aux  travaux  agricoles. 

Quant  au  commerce  de  Zurich,  il  comprend  toutes  les  productions  qui  viennent 
d'être  énumérées  ;  autrefois,  il  y  avait  en  outre  un  transit  très-considérable  entre 
l'Allemagne,  l'Italie  et  la  France  ;  il  a  diminué  dans  les  derniers  temps,  par  suite  des 
entraves  qui  existaient  dans  l'intérieur  de  la  Suisse  et  des  facilités  nouvelles  créées 
pour  le  commerce,  soit  en  France,  soit  sur  la  voie  de  Trieste. 

La  branche  principale  du  commerce  de  Zurich,  ce  sont  ses  étoffes;  un  tiers  des 
cotonnades  vont  en  Italie,  en  Turquie,  Belgique,  Hollande;  les  deux  autres  tiers  vont 
dans  l'Amérique  du  nord  et  du  sud.  Plus  de  la  moitié  des  soieries  exportées  sont 
aussi  destinées  à  l'Amérique,  surtout  à  l'Amérique  du  nord  ;  le  reste  est  envoyé  en 
Allemagne,  en  Belgique,  en  Hollande,  dans  les  duchés  d'Italie  et  en  Orient.  Les 
exportations  zuricoises  pour  l'Amérique  du  nord  seule  s'élèvent  au  total  à  24  mil- 
lions par  an.  —  Zurich  exporte  encore  annuellement  3  à  4000  bétes  à  cornes  et 
une  certaine  quantité  de  produits  agricoles:  42  &  45,000  mesures  de  blé,  400  à 
4SO,000  quarts  de  pommes  de  terre,  des  vins  pour  une  valeur  de  400  à  450,000 
Trancs,  etc. 

Bateaux  a  vapeur  et  chemin  de  fer.  —  Des  bateaux  à  vapeur  partent  trois  à 
quatre  fois  par  jour  de  Zurich  et  touchent  à  divers  points  des  deux  rives.  Ils  sont  en 
rapport  à  Rapperschwyl  avec  la  diligence  de  St.-Gall  et  de  Goire,  à  Richtenschweil 
avec  celle  de  Claris ,  à  Horgen  et  à  Wftdenschweil  avec  les  omnibus  qui  vont  à  Zug 
et  à  Arth,  au  pied  du  Righi.  —  Le  chemin  de  fer  de  Zurich  à  Baden  existe  depuis 
4847;  le  trajet  entre  ces  deux  villes  s'exécute  en  moins  d'une  heure.  Le  débarcadère 
se  trouve  au  nord  de  la  ville,  à  côté  de  la  Place  des  Carabiniers,  et  à  45  minutes  du 
lieu  de  débarquement  des  bateaux  à  vapeur.  Les  stations  sur  le  canton  de  Zurich  sont 
à  Altstetten,  à  Schlieren  et  à  Dietikon.  On  entre  dans  le  canton  d'Argovie  au-delà  de 


416  LA   atlflW   MTTOIIBOtR. 

Dieiikon,  et  avant  d'arriver  à  Baden,  on  passe  sous  un  cbàteau  par  un  tunnel  taillé 
dans  le  roc  vif. 

Savants  bt  hommes  mstingcbs,  etc.  —  Dès  le  moyen-àge,  les  sciences,  les  lettres 
et  les  arts  furent  cultivés  avec  succès  à  Zurich  ;  peu  de  pays  ont  été,  dans  toutes  les 
branches  des  connaissances  humaines,  aussi  léconds  en  hommes  distingués.  Nous  ne 
pouvons  en  faire  ici  qu'une  énumération  bien  incomplète.  Un  grand  nombre  de 
Zuricois  se  sont  fait  un  nom  comme  historiens.  Le  diacre  Ra^iert,  mort  vers  Tan 
900,  a  écrit  une  histoire  du  couvent  de  St.-Gall,  où  il  raconte  particulièrement  les 
contestations  entre  le  couvent  et  plusieurs  évèques  de  Constance.  Félix  Hâmmerlin 
ou  MaUedus,  dans  son  livre  De  nobililate,  a  déièndu  les  privilèges  de  la  noblesse,  sous 
la  forme  d'un  dialogue  entre  un  gentilhomme  et  un  paysan.  Dans  d*aulres  ouvrages, 
il  s'éleva  avec  force  contre  les  abus  et  les  vices  du  clergé  de  son  temps  (le  15*  siode). 
GiroU  Edlibach  a  exposé  avec  véracité  l'histoire  de  Zurich  pendant  ce  même  aiède. 
Siumpfesi  le  premier  Zuricois  dont  on  ait  imprimé  un  ouvrage  sur  l'histoire  suisse. 
Sa  chronique  fut  longtemps  une  lecture  favorite  du  peuple,  et  elle  est  encore  con- 
sultée par  les  Ustoriens.  BuUhiger  a  écrit  une  chronique  suisse  très-estiroée.  L'ou- 
vrage de  JosioM  SimwUer,  De  repuldké  Hehtthrmm,  a  eu  de  nombreuses  éditions,  et  a  élé 
traduit  en  plusieurs  langues.  J.-J,  HoUitÊger  a  publié  une  histoire  de  l'Elise,  pour 
laquelle  il  a  consulté  un  grand  nombre  de  documents.  J.-C.  FlUtli  a  écrit  sur  l'his- 
toire de  la  Réformation  en  Suisse.  Boimêr,  SoioMOM  Hirjiel,  M.  Utteri  et  H.  Fûssli 
ont  tous  lût  des  travaux  et  des  redierches  approfondies  sur  l'histoire  suisse.  Ce  der- 
nier a  été  collaborateur  du  célèbre  Jean  de  MQller.  Un  second  J.-J.  HoUinger  a  aussi 
travaillé  i  la  continuation  du  grand  ouvrage  de  cet  historien. 

Zurich  peut  citer,  entre  autres  géogra|dies,  Fëix  Fakr ,  qui  a  laissé  une  description 
déUiUée  des  voyages  qu'il  fit  en  1 480  el  1 483  dans  la  Palestine,  l'Arabie  et  l'Egypte  ; 
il  accompagnait  comme  chapelain  des  chevaliers  qui  faisaient  un  pèlerinage.  Robinson, 
savant  voyageur  anglais  des  temps  modernes,  rend  hautement  justice  à  son  exactitude. 
J.-C.  Fàsi,  mort  en  4790,  est  le  premier  qui  ait  publié  un  ouvrage  systématique  sur 
la  géographie  et  la  statistique  de  la  Suisse.  H.  Heideffer  est  l'auteur  d'un  ÎÊanuel 
pour  les  îxnfogeurs  en  Suisse,  qui  a  donné  à  Ebel  Vidée  de  publier  ses  Diredians  sur  la 
manière  la  plus  utile  de  rarager  daus  ce  poffs,  ouvrage  qui  contient  sur  chaque  localité 
et  par  ordre  alphabétique  une  foule  de  renseignements  divers,  et  qui  a  acquis  une 
réputation  plus  qu'européenne. 

Comme  astronomes,  nous  nommerons  Ferr,  qui  a  obtenu  l'établissement  d'un 
observatoire  et  a  le  premier  déterminé  avec  exactitude  la  latitude  de  Zurich; 
Gaspard  HirzeL  qui  a  publié  VAstnmomie  de  Vamaieur,  ouvrage  écrit  en  français,  et 
remarquable  par  la  pureté  et  la  grice  de  son  langage  et  surtout  par  la  chaleur  avec 
laquelle  l'auteur  exprime  les  sentiments  religieux  que  lui  inspirait  cette  étude 
sublime.  G.  Horuer,  qui  a  accompagné  dans  son  voyage  autour  du  monde  le  navi- 
gateur Krusenstem  ;  ks  observatiotts  qu'il  a  publiées  font  preuve  de  ses  profondes 
^connaissances  en  mathématiques  et  en  physique. 

Plusieurs  Zuricois  se  sont  illustrés  dans  les  sciences  naturdles.  CoimiinI  G^sni^r^ 
mort  en  IS65«  était  un  des  savants  les  plus  universek  de  son  époque;  il  était 
géologue,  botaniste  et  médecin*  et  fut  surnommé  le  Pline  des  temps  modernes  par 
i  empereur  Ferdinand.  J.  de  HhimU^  dans  son  ISsradisus  tfWcrtùp,  a  décrit  les  plantes 


LA   8V1S8B   PlTTORISOtE.  447 


de  la  Suisse  ;  il  a  publié  d'autres  traités  remarquables  sur  des  objets  d'histoire  natu- 
relle. Sekeuehzer  a  écrit  des  voyages  dans  les  Alpes  {Itinera  Alpina)  et  une  Hhimre 
miwreUe  de  la  Smsge,  qui  sont  d'un  grand  mérite.  Ces  deux  derniers  étaient  aussi 
médecins;  sur  la  recommandation  du  célèbre  Leibnilz,  Scheucbzer  fut  appelé  en 
cette  qualité  à  la  cour  de  Pierre-le-Grand  ;  mais  l'amour  de  son  pays  l'empéclia 
d'accepter  cette  position.  P.  Usteri  a  lait  paraUre  de  nombreux  écrits  sur  la  bota- 
nique ;  il  suivait  la  méthode  de  Jussieu.  HegeUchweiler  a  publié  divers  ouvrages  trè»- 
distingués^  tels  que  ses  Plantes  vénéneuses  et  sa  Flore  de  la  Suisse,  d'après  la  classifi- 
cation de  Linné.  Oken  a  poursuivi  aussi  avec  une  grande  ardeur  l'étude  des  sciences 
naturdles,  et  a  imprimé  une  heureuse  impulsion  à  l'Université.  Ebel,  déjà  cité,  et 
Eseher  de  la  Unth^  ont  publié  des  travaux  importants  sur  la  géologie  de  la  Suisse. 
Arnold  Eseher,  fils  du  précédent,  suit  les  traces  de  son  père.  Nommons  en  outre  les 
médeeiiis  Rahn  et  de  Pommer. 

Dans  la  théologie,  Zurich  possède  encore  de  plus  nombreuses  illustrations.  Zwingli 
était  le  plus  savant  des  réformateurs.  Léo  Juda,  son  ami  intime,  a  travaillé  à  l'édi- 
tion allemande  zuricoise  de  la  Bible.  Pellican,  Wolff,  Zimmermann,  StoUz,  J.-J.  Hess, 
/.  SchuHkess,  méritent  d'être  nommés  comme  profonds  commentateurs.  Bullmger 
fut  le  législateur  de  l'Eglise  de  Zurich  ;  on  le  surnomma  pour  cela  le  Numa  de  l'Eglise 
réformée.  Il  fut  l'oracle  de  son  temps,  et  eut  des  correspondances  avec  plusieurs  sou- 
verains du  16*  siècle.  Gomme  éloquents  prédicateurs,  on  peut  nommer  entre  autres 
Breilmger,  Clauser,  Lavater,  J.-G.  SchuUhess,  Hâfeli,  J.-Conrad  Orelli. 

Soil  par  les  ouvrages  qu'il  a  publiés,  soit  par  les  établissements  d'instruction  qu'il  a 
dirigés,  Peslalozzi  a  rendu  d'éminents  services  à  la  Suisse.  La  méthode  élémentaire 
d'enseignement  qu'il  a  appliquée  a  conservé  le  nom  de  son  auteur.  Seherr  a  aussi 
été  trëft-utile  au  canton  de  Zurich,  en  travaillant  à  la  réforme  des  écoles  primaires  ; 
son  Manuel  de  pédagogie  contient  un  trésor  d'observations  et  d'expériences.  —  Zurich 
a  produit  de  savants  philologues»  tels  que  Conrad  Gessner,  déjà  cité,  et  qui  posa  les 
fondements  d'une  comparaison  philosophique  des  langues;  Sleinbrûekel,  premier  tra- 
ducteur de  Sophocle  et  d'Euripide,  et  les  orientalistes  Bibliander,  H.  Hottinger  et 
Bernard  Hirzel,  etc. 

J.'J.  Leu  a  publié,  dans  le  milieu  du  18'  siècle,  un  ouvrage  sur  le  Droit  des  villes  et 
des  campagnes  (Eidsgen.  Stadt-und  Landrecht),  qui  fit  connaître  au  public  les  diverses 
conslitutionsexistant  en  Suisse,  et  attira  l'attention  sur  leur  étude.  Depuis  un  quart 
de  siècle,  de  Meiss,  L  Keller,  J.-J.  Pestalulz,  Bluntsekli  et  d'autres,  ont  fait  paraître 
des  ouvrages  remarquables  sur  diverses  parties  de  la  législation.  Gomme  économiste, 
nous  citerons  le  pasteur  Waser,  dont  le  Traité  de  l'argent  contient  des  données  inté- 
ressantes sur  le  système  monétaire  de  la  Suisse  et  sur  celui  de  Zurich  en  particulier. 
Ses  Camidératians  sur  les  habitations  zuricoises  ont  contribué  &  l'établissement  des 
assurances  contre  l'incendie.  (G'est  ce  même  auteur  qui  périt  sur  l'échafaud  en  1780, 
pour  avoir  abusé  de  documents  officiels.) 

Au  nombre  des  Zuricois  qui  se  sont  le  plus  distingués  comme  philosophes  ou 
comme  critiques,  nous  remarquons  les  suivants  :  Jean-George  Sulzer,  auteur  d'une 
Théorie  des  heauoharts,  fut  nommé  par  Frédéric-le-Grand  directeur  de  la  classe  phi- 
losophique de  l'Académie  de  Berlin.  Bodmer  et  son  ami  Breitinger  commencèrent  une 
lutte  victorieuse  contre  le  mauvais  goût  qui  menaçait  de  se  répandre  toujours  plus  en 


418  LA  8UI98B  prmmnQUB. 


Allemagne.  Us  publièrent,  en  172%  et  4723,  le  Peintredes  mœurs,  ouvrage  dans  lequel 
ils  abordaient  divers  sujets  de  morale  et  de  haute  littérature.  Plus  tard  parurant 
d'autres  traités,  intitulés  :  De  l'influence  et  de  l'usage  de  Vmaginaiian  pour  corriger  le 
goAt;  —  Du  merveilleux  dam  la  poésie,  etc.  Longtemps  Zurich  fut  regardé  comme  le 
trône  de  la  critique;  Bodmer  fut  nommé  le  Platon  de  l'Athènes  suisse.  /.-/.  HoUinger 
(autre  que  les  précédents)  a  montré  un  grand  talent  dans  son  Essai  d'une  comparaisofî 
etUre  les  poêles  allemands  et  ceux  de  la  Grèce  et  de  Rome  ;  J.-J.  Homer,  dans  ses  Tableanx 
de  l'antiquité  grecque,  et  H.  Meyer,  ami  de  Gœthe  et  de  Schiller,  dans  son  Histoire 
de  la  peinture  et  de  la  sculpture  (bildendeti  Kûnste)  en  Grèce,  ont  bit  preuve  d'une 
profonde  érudition.  Le  pasteur  Lavater  s'est  rendu  célèbre  par  son  système  de  phy- 
siognomonie;  les  ouvrages  de  J.-H,  Meister  le  font  connaître  comme  un  profond 
penseur  et  un  homme  du  goût  le  plus  pur. 

La  poésie  n'a  point  été  négligée  à  Zurich.  Ratpert,  l'historien,  passait  pour  un 
excellent  poète  lyrique;  Conrad  de  Mure,  qui  vivait  au  43*  siècle,  composa  un  éloge 
de  Rodolphe  de  Hatebourg  et  une  chronique  rimée  de  Charlemagne.  La  maison  des 
seigneurs  de  Maness,  à  la  fin  du  43*  siècle  et  au  commencement  du  suivant,  était  le 
rendez-vous  des  troubadours.  Maness  et  son  fils  possédèrent  une  collection  de  poésies 
sentimentales  précieuses,  soit  par  leur  beauté  intrinsèque,  soit  par  les  riches  peintures 
dont  elles  sont  ornées;  elles  appartiennent  maintenant  à  une  bibliothèque  de  Paris. 
Ces  poésies  n'étaient  admises  qu'après  avoir  subi  un  examen  rigoureux  de  la  part  de 
la  noblesse  des  deux  sexes  de  Zurich  et  des  contrées  voisines.  Un  des  troubadours  les 
plus  aimables  et  les  plus  habiles  fut  Hartmann  von  der  Aue  (de  la  Prairie),  de  la  famille 
des  chevaliers  de  Wesperspûi.  /.  Hadloub,  bourgeois  de  Zurich,  avait  porté  ses  vœux 
sur  une  demoiselle  de  haute  famille,  qui  les  dédaigna;  il  exprima  ses  regrets  dans  des 
poésies  gracieuses  et  délicates  qui  ne  sont  point  tombées  dans  l'oubli.  Bullinger, 
Bodmer  et  lavater  réussirent  aussi  dans  ki  poésie  ;  ce  dernier  a  composé  des  Chénts 
suisses  où  respire  le  plus  ardent  patriotisme.  Usteri,  nommé  comme  historien,  était 
né  poète;  quelques-unes  de  ses  nombreuses  poésies  sont  aussitôt  devenues  populaires, 
et  passeront  à  la  postérité.  L.  Meyer  de  Ktionau  a  publié  des  fables  riches  en  instruc- 
tions délicates  et  morales  et  en  observations  psychologiques.  Les  poésies  pastorales 
de  Salomon  Gessner  sont  comparables  à  Théocrite,  que  l'auteur  s'était  proposé  pour 
modèle.  Elles  transportent  dans  un  paisible  âge  d'or,  à  l'existence  duquel  on  voudrait 
être  disposé  à  croire,  comme  l'auteur  parait  l'être.  Aucun  poëte  allemand  n'a  eu  dans 
le  siècle  dernier  autant  de  lecteurs  à  l'étranger.  Nommons  enfin  Tobler,  qui,  dans  ses 
Descendants  de  Winkelried,  a  dignement  chanté  la  lutte  héroïque  des  habitants  de 
Nidwald  contre  l'armée  française. 

Zurich  n'a  pas  été  moins  fécond  en  artistes  remarquables  qu'en  savants  et  en  litté- 
rateurs. Gomme  compositeurs  habiles,  nous  nommerons  Léo  Juda,  l'ami  de  Zwingli  ; 
le  pasteur  H.  Goldschmid;  Rapkaél  Egli,  qui,  en  4598,  décida  le  Grand  Gonseil  de 
Zurich  à  réintroduire  le  chant  dans  le  service  divin;  les  chantres  Backofen,  Schmidli, 
H.  Egli,  WMer;  enfin  l'immortel  Nâgeli,  qui  poussa  son  art  bien  plus  loin  que  ses 
devanciers,  et  en  exposa  les  principes  dans  un  ouvrage  classique.  Ses  mélodies  admi- 
rables ont  été  accueillies  avec  enthousiasme,  soit  dans  sa  patrie,  soit  à  l'étranger.  Une 
foule  de  peintres,  de  graveurs  et  d'arehitectes,  ont  honoré  Zurich.  Parmi  les  peintres 
d'histoire  et  de  genre,  nous  nommerons  Salomofi  Gessner,  Landolt,  J.-H.  Fûssli, 


LA   8I3188B   PITTORESQUE.  119 


Frendweiler;  parmi  les  peintres  de  portraits,  Graf,  D.  Sulzer,  Hitz;  parmi  les  paysa- 
gistes, Aberlis  L.  Hess,  Wûst,  J.  Meyer,  /.  Ubrkh.  —  L'un  des  plus  célèbres  sculpteurs 
zuricois  est  Balthasar  Relier,  qui  fondit  d'un  seul  jet  la  statue  de  Louis  XIV  ;  cette 
statue  en  bronze  pesait  80  quintaux,  et  avait  21  pieds  de  hauteur  ;  les  jardins  de 
Versailles  et  des  Tuileries  sont  pleins  des  chefs-d'œuvre  de  cet  artiste,  qui  mourut  à 
Paris  en  1702.  Nommons  encore  les  architectes  Felder  et  MzisUjrfer,  dont  le  pre- 
mier a  construit  plusieurs  églises,  et  entre  autres  la  Wasserkirche  de  Zurich,  et  le 
second  a  achevé  la  construction  des  tours  de  la  cathédrale,  vers  Fan  1502. 

Il  nous  reste  à  citer  quelques-uns  des  hommes  de  guerre  remarquables  auxquels 
Zurich  a  donné  le  jour;  tels  sont  Roger  Maness,  qui  commandait  les  Zuricois  en 
1322  et  qui  gagna  la  bataille  de  Tâtwyl  ;  Félix  Keller,  Rod.  Stûssi,  Landenberg, 
Ulrich  Stapfer,  Conrad  Engelhard,  le  bourguemestre  Waldmann.  Ce  dernier  eut  le 
courage  d'attaquer  les  privilèges  de  la  noblesse  et  de  bannir  les  patriciens  turbu- 
lents; mais  plus  tard,  par  son  inflexible  dureté,  il  s'aliéna  le  peuple,  qui  se  porta 
à  rbôtel-de-ville  et  demanda  sa  tète.  Ses  ennemis  réussirent  à  le  faire  condamner 
comme  traître. 

Villes,  bourgs,  et  autres  lieux  remarquables.  —  Zurich.  Cette  ville,  située  à 
rexlrémité  septentrionale  du  lac  du  même  nom,  est  divisée  en  deux  parties  presque 
^les  par  la  Limmat,  quoiqu'on  désigne  par  le  nom  de  ^anâs  ville  la  partie  qui 
occupe  la  rive  droite.  Quatre  ponts  font  communiquer  la  grande îXXdipetiie ville.  Les 
deux  ponts  supérieurs  sont  seuls  praticables  pour  les  voitures.  Le  premier  et  le  plus 
remarquable  ne  date  que  de  1838.  Il  s'appelle  Mûnsterbrûcke  (pont  du  Munster),  à 
cause  du  voisinage  du  Frauenmûnster,  cathédrale  ou  église  de  Notre-Dame  ;  ses 
voûtes  et  son  revêtement  sont  en  marbre  noir  du  lac  de  Wallenstadt,  et  sa  princi- 
pale corniche  est  en  granit  blanc  du  St.-Gotbard.  Le  second,  appelé  maintenant 
pont  inférieur,  est  très-large,  et  sert  ordinairement  de  place  de  marché.  Des  deux 
côtés  de  la  rivière,  une  partie  des  rues  sont  étroites,  irrégulières  et  sur  un  plan 
incliné;  mais  on  voit  aussi  plusieurs  larges  rues  :  les  plus  remarquables  sont  le  Thal- 
aeker  (champ  de  la  vallée),  la  rue  de  la  Poste,  et  le  quai  supérieur.  La  ville  a 
passablement  changé  d'aspect  depuis  la  démolition  de  ses  fortifications  ;  des  quartiers 
entiers  se  sont  formés -autour  de  l'ancienne  Zurich,  de  sorte  qu'indépendam- 
ment de  sa  position,  elle  doit  maintenant  être  mise  au  nombre  des  plus  belles 
comme  des  plus  florissantes  de  la  Suisse.  Plusieurs  maisons  particulières  sont 
de  fort  belle  apparence;  telles  sont  la  maison  Bodmer  dans  le  Thalacker,  la 
maison  Orelli  dans  la  Thalgasse  (rue  de  la  vallée),  la  maison  Bûrkii  au  Marché 
neuf.  On  peut  citer  aussi  les  trois  nouveaux  hôtels:  l'hôtel  Baur,  vis-à-vis  la 
Poste,  VHôtel  du  lac,  et  la  Couronne  d'or,  sur  le  quai  supérieur.  Le  premier.de  ces 
hôtels  est  le  plus  étendu  ;  mais  le  second  jouit,  par  sa  position  favorable,  d'une  vue 
remarquable  sur  le  lac  et  les  Alpes  ;  ce  bâtiment  se  distingue  non-seulement  par  son 
extérieur  plein  de  goût,  mais  aussi  par  son  excellente  distribution.  L'hôtel  de  la 
Couronne  a  une  vue  moins  étendue,  mais  il  est  aussi  très-convenablement  distribué. 
Le  toit  de  ces  trois  hôtels  est  une  plate-forme.  Une  grande  partie  des  constructions 
nouvelles  sont  couvertes  en  ardoise;  telles  sont  la  Poste,  le  nouvel  Arsenal,  l'hôpital 
St.-Léonard. 

Edifices  ou  établissements  publics.  Sur  la  rive  droite,  on  peut  nommer  VHôtel'de- 


lâO  LA    StISSe   PITTCNIESQrE. 


pille,  ou  bâtiment  du  Conseil  {Rathhans),  b&ti  de  4697  h  1699.  Dans  une  anlicbam- 
bre,  on  voit  trois  grands  tableaux  de  Melcbior  Fussli,  représentant  tous  les  poissons 
du  lac  et  de  la  Limmat  en  grandeur  naturelle.  On  trouve  aussi  dans  l'ancienne  salle 
du  Tribunal  suprême  un  tableau  à  Thuile  de  Henri  FûssIi,  représentant  les  trois 
premiers  confédérés  ;  mais  on  critique  Texpression  des  6gures,  qui  est  un  peu  gro- 
tesque. La  salle  jadis  trop  basse  du  Grand  Conseil  est  maintenant  considérablement 
rehaussée;  les  tribunes  sont  bien  arrangées,  mais  elles  ne  peuvent  contenir  qu'un 
nombre  assez  restreint  d*aiuditeur5.  —  V Hôtel  da  Gonvert^emenî  {Regierungsgebàude) 
n'est  qu'une  partie  d'un  ancien  couvent  de  dominicains,  qu'on  a  transformé  depuis 
1833  pour  en  faire  le  siège  de  la  plupart  des  autorités  de  l'Etat.  En  1806,  une  autre 
partie  du  couvent  avait  été  cédée  pour  la  construction  d'un  Casino;  en  1839,  Tan- 
donne  église,  dont  on  avait  fait  un  magasin  à  blé,  fut  vendue  pour  l'établissement 
d'un  tlié&tre.  —  L*Ecole  cantonale^  bâtie  de  1839  à  4841,  est  remarquable  par  son 
architecture;  i  l'étage  inférieur  sont  (riticés  le  laboratoire  de  chimie  et  une  partie 
de  l'Ecole  industrielle  ;  le  second  est  consacré  à  la  même  école,  et  le  troisième  au 
Gymnase.  —  UlmlitiU  des  avetêgles  et  des  sot^rds-muets,  datant  de  1809.  —  La 
Maison  des  orphelins,  vers  le  nord  de  la  ville.  —  Le  nouvel  Hàpital,  situé  dans  une 
magnifique  position,  qui  domine  toute  la  ville,  et  sur  un  emplacement  jadis  occupe 
paries  remparts.  —  La  nouvelle  Prison,  terminée  en  18&1,  et  renfermant  462 
cellules  simples  et  ih  doubles.  La  tour  de  Wellenberg,  qui  était  bâtie  au  milieu  de 
la  Limmat,  k  sa  sortie  du  lac,  et  où  l'on  enfermait  les  prisonniers  d'état  et  les  cri- 
minels, a  été  démolie  en  1838.  C'est  là  qu'avait  été  détenu  jadis,  pendant  deux 
ans,  le  comte  Jean  de  Habsbourg-Rapperschwyl  ;  et  le  bourgmestre  Waldmann  y  fiit 
aussi  renfermé  en  1488.  —  Enfin  le  Grossmûnster  ou  cathédrale,  monument  remar- 
quable de  l'architecture  du  moyen-Age  ;  les  connaisseurs  le  comparent  avec  l'église  de 
Monza  et  avec  les  églises  d'Ambroise  et  d'Eustorgius  A  Milan,  il  occupe  un  emplace- 
ment où  avait  existé  une  plus  ancienne  église  ;  sa  construction  a  dû  commencer  vers 
966,  et  a  été  terminée  à  la  fin  du  11'  siècle;  il  est  bâti  dans  le  style  byzantin  le 
plus  simple,  et  ne  hit  quelque  impression  que  par  ses  nobles  proportions.  Les  deux 
tours  ayant  été  détruites  en  partie  par  des  accidents,  en  4763  et  en  4770,  elles  ont 
été  surmontées  en  4779  d'un  étage  supérieur,  couvert  d'une  sorte  de  dôme  en  bois 
revêtu  de  cuivre.  Suc  un  côté  de  la  tour  de  Charlemagne  (  Carkihurm  ),  on  voit  une 
figure  colossale  placée  dans  une  niche,  sous  un  baldaquin,  avec  une  couronne  de 
pierre  dorée  sur  la  tête  et  un  glaive  A  la  main  ;  on  ne  sait  pas  exactement  si  elle 
représente  Charlemagne  ou  l'empereur  Othon  ;  on  ignore  aussi  l'époque  précise  où 
elle  a  été  placée.  De  deux  autres  côtés,  on  voit  des  statues,  dont  l'une  doit  re|M^- 
senter,  d'après  une  tradition,  un  général  allémanique,  ou,  selon  d'autres,  un  duc 
Burkhard  deSouabe.  Le  portail  principal,  orné  de  divers  groupes  de  figures,  mérite 
d'être  remarqué  ;  quant  A  l'intérieur  de  l'église,  il  n'a  rien  de  frappant  ;  il  a  une 
longueur  de  98  pieds  français,  et  une  hauteur  de  72  pieds  dans  la  nef  du  milieu. 
C'est  dans  le  Munster  que  le  réformateur  Zwingli  a  prêché  depuis  le  4*'  janvier 
1K49  jusqu'en  octobre  4534 ,  époque  de  sa  mort.  (  La  maison  qu'il  a  habitée  dans 
les  six  dernières  années  de  sa  vie  doit  être  celle  qui  porte  le  n^  48S  dans  la  grande 
ville.) 


> 


I.A    SUISSE    PITTORESQUE: 


121 


La  Bibitolhi'que  île  la  ville  el  la  culhcdrale. 


I.<es  édifices  à  mentionner  sur  la  rive  gauche  sont  les  suivants  : 
Le  Fraummûnster,  ou  église  de  Noire-Dame,  construite  sur  remplacement  d'une 
ancienne  petite  église,  suivant  les  uns  après  le  milieu  du  IS""*  siècle,  suivant  d'autres 
vers  884,  par  Hildegarde  et  Berthe,  petites -filles  de  Charlemagne.  Elle  est  en  style 
gothique.  Le  chœur  est  d'une  date  plus  reculée  que  le  reste  de  l'église  ;  la  partie 
sud-est  est  regardée  comme  le  monument  le  plus  ancien  que  Zurich  puisse  montrer 
sous  le  rapport  de  l'architecture.  Elle  avait  autrefois  deux  tours;  il  n'y  en  a  main- 
tenant plus  qu'une,  qu'on  a  élevée  en  4732  à  la  hauteur  de  285  pieds.  —  V église 
des  Augmtim,  employée  comme  magasin  à  blé  durant  trois  siècles,  a  été  en  1848 
restaurée  et  restituée  au  culte  catholique  ;  elle  est  un  modèle  d'une  exécution  simple 
et  de  bon  goût.  Les  tableaux  de  Deschwanden,  le  Christ  sur  le  mont  des  Oliviers,  et 
le  Sauveur  ressuscité,  sont  excellents  ;  le  maitre-autel  et  la  chaire  méritent  aussi 
d'être  remarqués.  Wéglhe  de  Saint-Pierre,  dont  Lavater  a  été  23  ans  pasteur  (ses 
restes  reposent  dans  l'ancien  cimetière  Sainte-Anne,  situé  du  côté  de  l'ouest,  et 
dans  lequel  on  ne  trouve  d'autre  nom  connu  que  celui  du  professeur  Ebel). — 
V hôtel  des  Postes,  qui  fut  commencé  en  1835  et  terminé  en  1838,  peut  servir  de 
modèle  aux  établissements  du  même  genre.  Sa  principale  façade,  le  long  de  la  rue 
de  la  Poste,  compte  246  pieds;  il  contient  une  vaste  cour,  et  un  large  portique 
intérieur,  formé  par  des  colonnes  d'ordre  dorique  et  ionique,  y  sert  d'abri  au  public. 
Le  rez-de-chaussée  est  consacré  h  l'administration  :  l'aile  orientale  contient  les 

16 


11.8. 


122 


LA    SUISSE    PITTORESQUE. 


bureaux  d'expédition  des  lettres  ;  la  disposition  est  faite  de  telle  sorte,  que  les  divers 
bureaux  peuvent  se  faire  des  communications  par  le  moyen  de  tuyaux.  Au-dessus 
du  rez-de-chaussée  sont  des  logements  pour  les  premiers  employés,  et  une  grande 
salle  pour  le  Département  des  Postes.  De  vastes  remises  sont  attenantes  au  bâtiment 
principal.  —  La  Caserne,  située  dans  la  rue  nommée  le  Thalacker,  est  un  ancien  ma- 
gasin à  blé.  Le  muvean,  Magasin  à  blé,  bâti  de  1837  à  1839,  au  bord  du  lac  ci-devant 
le  port,  est  un  bâtiment  de  250  pieds  de  longueur.  —  L'ancien  Arsetial,  près  de 
réglise  de  St.-Pierre,  renferme  un  grand  nombre  d'anciennes  armes,  morgensterns, 
hallebardes,  cuirasses,  etc.,  quelques  drapeaux  et  des  arbalètes,  dont  l'une  est 
donnée  pour  celle  de  Tell.  La  hache  d'armes  de  Zwingli,  conquise  par  les  Lucernois 
à  la  bataille  de  Cappel,  et  conservée  dès-lors  à  l'arsenal  de  Lucerne,  a  été  transportée 
ici  en  1847,  après  la  guerre  du  Sonderbund.  Le  nouvel  Arsenal  est  situé  près  de  la 
place  des  Carabiniers  (Schûtzenplatz),  au  nord  de  la  ville.  —  Le  b&timent  de 
VUniversUé,  comprenant  une  parlie  de  l'ancien  couvent  des  Augustins. 

Bihliothèqiies  et  autres  collections  scientifiques.  —  La  Bibliothèque  de  la  ville,  placée 
dans  l'ancienne  église  dite  Wasserkirche,  a  été  fondée  en  1634,  et  conlient  plus  de 


La  ff^'asserkirchc^  avant  \*  transibrmalion  de  celle  église  en  bibliothèque  niiinicipalc. 


68,000  volumes.  Elle  possède  des  manuscrits  précieux  :  une  des  meilleures  copies 
de  Quintilien;  trois  lettres  latines  que  Jane  Gray  (depuis  femme  de  Henri  VIII,  et 
décapitée  à  Londres  en  1553  ),  adressa,  à  Tàge  de  18  ans,  au  doyen  BuUinger;  sept 
lettres  de  /.-/.  Rousseau;  deux  volumes  de  figures  chinoises  coloriées;  un  code 
birman,  écrit  sur  des  feuilles  de  palmier  ;  trois  lettres  de  Frédéric  II,  roi  de  Prusse, 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  423 


au  professeur  Mûller  de  Berlin,  sur  la  publication  d'un  recueil  de  poésies  allemandes 
du  42""^  au  ik^^  siècle;  plusieurs  bréviaires  remarquables  par  leur  ancienneté  ou 
par  la  beauté  de  leurs  miniatures;  la  Bible  grecque  de  Zvniigli,  avec  des  observa- 
tions marginales  de  sa  main  en  langue  hébraïque,  et  divers  autres  manuscrits  du 
même  réformateur  ;  700  manuscrits  relatifs  à  Thistoire  de  la  Suisse  ;  une  collection 
de  portraits  des  bourguemestres  de  Zurich,  curieuse  parce  qu'elle  représente  les  cos- 
tumes des  divers  siècles.  On  y  trouve  aussi  le  portrait  de  Zwingli,  par  Jean  Asper; 
le  buste  colossal  en  marbre  de  Lavater,  par  Danneker  ;  deux  volumes  de  gravures 
(l'Albert  Durer  et  d'autres  ;  le  panorama  en  rçlief,  par  Tingénieur  Mûller  d'Engel- 
berg  ;  il  est  plus  petit  que  celui  du  général  Pfyffer  de  Lucerne,  mais  il  est  conçu 
d  après  un  meilleur  plan,  et  représente,  avec  une  grande  exactitude,  un  tiers  de  la 
Suisse  et  le  Yorarlberg.  Des  antiquités  romaines  et  turques,  entre  autres  une  pierre 
tumulaire  romaine,  qui  la  première  a  fixé  le  nom  latin  de  Zurich  (Turicum),  etc. 
—  En  483S,  on  a  réuni  sous  le  nom  de  Bihliothèqm  cantaiiale  diverses  autres  col- 
lections plus  ou  moins  importantes,  telles  que  :  la  bibliothèque  de  l'Université,  celle 
du  Gymnase,  celle  de  l'Industrie,  celle  de  l'Ecole  vétérinaire,  etc.  Cette  bibliothèque 
contient  au  moins  22,000  volumes.  Il  existe  encore  d'autres  bibliothèques  spéciales  : 
celle  de  la  Société  d'Histoire  naturelle,  renfermant  40,000  volumes;  celle  de  méde- 
cine ;  celle  de  droit  ;  la  bibliothèque  militaire,  etc. 

Zurich  est  riche  en  collections  scientifiques  :  Le  Musée  zoologique  a  été  fondé  par 
la  Société  de  Physique,  et  a  été  cédé  en  1837  à  l'Etat,  pour  le  prix  modeste  de 
4000  francs;  la  collection  mitiéralogique  renfermée  dans  le  bâtiment  universitaire; 
la  collection  analomique,  placée  dans  le  nouvel  hôpital  ;  le  laboratoire  de  chimie, 
placé  dans  l'école  cantonale;  le  cabinet  des  médailles;  la  collection  des  antiquités 
celtiques  et  romaines  trouvées  dans  le  canton  ;  le  Jardin  botanique,  dont  l'étendue 
est  de  trois  ou  quatre  arpents,  et  qui  possède  plusieurs  serres,  ainsi  que  le  riche  her- 
bier du  docteur  Hegetschweiler  ;  V Observatoire,  établi  depuis  4842  près  des  anciens 
remparts  de  la  rive  droite;  il  a  remplacé  celui  qui  existait  depuis  4790  dans  la 
tour  de  Charlemagne,  et  qui  avait  été  le  premier  en  Suisse.  La  Société  des  Artistes 
possède  une  nombreuse  collection  de  peintures,  de  gravures,  etc.  Il  existe  en  outre 
un  grand  nombre  de  collections  particulières,  tant  scientifiques  qu'artistiques. 

Sociétés  diverses.  —  Parmi  les  nombreuses  sociétés  qui  existent  à  Zurich,  nous 
nommerons  les  suivantes  :  la  Société  helvétique,  fondée  par  Bodmer,  en  4762,  pour 
l'avancement  de  l'histoire  et  de  la  politique,  devenue  en  4848  la  Société  d'Histoire 
suisse;  la  Société  archéologique,  créée  en  4832  ;  la  Société  de  Physique,  d'Écono- 
mie et  d'Histoire  naturelle,  fondée  en  4747  par  J.  Gessner  ;  les  Sociétés  suisse  et 
cantonale  d'Utilité  publique,  qui  datent  de  4840  et  de  4829;  la  Société  d'Agricul- 
ture et  d'Horticulture,  instituée  en  4843;  la  Société  de  Médecine  et  de  Chirurgie, 
reconstituée  en  4840;  la  Société  charitable  ou  de  Secours,  fondée  en  4799;  la 
Société  ascétique,  destinée  à  perfectionner  l'exercice  des  fonctions  pastorales,  insti- 
tuée en  4768  ;  la  Société  militaire,  existant  depuis  4777  ;  la  Société  du  Salon  des 
Arts,  fondée  par  Sal.  Gessner,  en  4775  ;  la  Société  de  Musique  et  plusieurs  sociétés 
de  chant. 

Promenades,  points  de  vue,  excursions.  —  La  Promenade  haute,  dans  la  grande 
ville,  est  très -agréablement  ombragée  d'arbres  ;  on  y  jouit  d'une  magnifique  vue 


42A  LA   SUISSE   PITTORESQLE. 


sur  le  iac  et  sur  les  Alpes  lointaines,  surtout  de  riiémicyele  où  est  le  monument  de 
J.-6.  Nûgeli^  élevé  à  ce  compositeur  par  les  sociétés  de  chant  de  la  Suisse.  Tout 
auprès  sont  les  nouveaux  cimetières,  dans  l'enceinte  desquels  il  y  a  une  chapelle  et 
des  tombes  qui  méritent  quelque  attention  :  la  tombe  d'Oken  se  compose  d'un  simple 
bloc  de  pierre,  sur  lequel  est  gravé  le  nom  avec  la  date  de  la  naissance  et  celle  de 
la  mort  (1881)  de  ce  naturaliste.  —  Le  Lindenhof,  ou  Ciour  des  Tilleuls,  sur  la  rive 
gauche,  est  une  terrasse  élevée  d'environ  80  pieds  au-dessus  de  la  Limmat  ;  il  y 
avait  là  jadis  une  station  de  péage  romain,  plus  tard  un  château,  où  résidaient  les 
gouverneurs  impériaux  ;  c'est  dans  ce  lieu  que  se  rendait  publiquement  la  justice 
dans  les  O""  et  10*"  siècles;  aussi  ce  lieu  a-t-il  joué  un  grand  rôle  dans  l'histoire  du 
pays.  —  Vers  l'ouest  de  la  ville  s'élève  la  promenade  qu'on  appelle  la  Kalze  (  la 
chatte)^;  c'est  un  ancien  bastion  qui  se  trouve  maintenant  au  centre  d'un  b^u 
jardin  botanique.  On  peut  citer  encore  dans  l'intérieur  de  la  ville,  comme  offrant  de 
beaux  points  de  vue  :  la  Batischanze^  ou  Baïuchanzchen  (petit  rempart),  située  sur 
les  bords  du  lac  vers  la  sortie  de  la  Limmat  ;  les  jardins  de  la  maison  des  orphelins; 
plusieurs  points  élevés  de  la  grande  ville  sur  la  pente  du  Zurichberg;  enfin  les  tours 
de  la  cathédrale. 

Hors  de  la  ville  on  trouve,  du  côté  du  nord,  la  Place  des  Carabiniers  (Schûtzenpiatz); 
pour  s'y  rendre,  on  traverse  un  canal  d'eau  courante  qui  entoure  toute  la  partie  de 
la  ville  située  sur  la  rive  gauche,  et  un  autre  canal  dérivé  de  la  Sihl  et  qui  met  en 
mouvement  un  grand  nombre  d'usines.  A  côté  de  la  place  du  tir  s'élève  le  débarca- 
dère du  chemin  de  fer  de  Baden,  et  au-delà  s'étend  une  promenade  plantée  de 
tilleuls  et  de  peupliers  avec  de  longues  allées  ;  elle  forme  une  longue  presqu'île 
et  aboutit  au  confluent  de  la  Limmat  et  de  la  Sihl.  Cette  belle  promenade  était  très- 
fréquentée  il  y  a  un  demi-siècle;  elle  était  devenue  dès-lors  plus  solitaire;  mais  le 
voisinage  du  débarcadère  lui  redonne  aujourd'hui  de  l'animation.  Elle  était  le  séjour 
favori  du  poète  Gessner;  aussi  est-ce  là  qu'un  simple  monument  est  élevé  à  sa 
mémoire.  Plus  au  sud,  le  Sihlhôlzli  (petit  bois  de  la  Sihl )  est  dan&  un  site  sombre 
et  mélancolique  en  même  temps  que  pittoresque.  Toute  la  contrée  entre  Zuridi  et 
l'Uetlibergest  extrêmement  verdoyante  et  champêtre,  et  peut  être  considérée  comme 
une  promenade  ;  on  y  voit  plusieurs  belles  maisons  de  campagne,  dans  l'une  des- 
quelles la  duchesse  d'Orléans  a  fait  un  séjour  antérieurement  à  1830.  Wieland  y 
avait  demeuré  aussi  en  1796.  A  un  quart  de  lieue  de  la  ville,  le  Bi^rgli  (chàtelet)  est 
un  point  favorable  pour  contempler  la  vue  du  lac  et  de  ses  rives  ;  plus  loin,  la  belle 
ferme  du  Hœckler,  située  sur  une  éminence  au  pied  de  l'Uetliberg,  attire  de  nombreux 
promeneurs  par  son  site  magnifique;  dans  le  voisinage  se  voient  les  ruines  pittores- 
ques du  château  de  Manegg,  autrefois  le  rendez-vous  favori  des  troubadours  alle- 
mands. Sur  la  rive  droite,  la  colline  de  Wipkingen,  à  trois  quarts  de  lieue  au  nord-ouest 
de  la  ville,  offre  des  stations  avantageuses  pour  contempler  les  tableaux  admirables 

1.  Il  ne  sera  peoUétre  pas  hors  de  propos  d'indiquer  à  ceux  de  nos  lecteurs  k  qui  la  langue 
allemande  n*esl  pas  familière,  quelques-unes  des  particularités  de  la  prononciation  de  cette 
langue.  Dans  les  mots  allemands,  la  royellc  u,  quand  elle  n*est  pas  marquée  â,  doit  se  pro- 
noncer ou;  ge  et  gi  se  prononcent  9^«  etgAt;  la  terminaison  fréquente  en  se  prononce  mne; 
it  se  prononce  t.  Ajoutons  que  le  mot  Berg  signifie  montagne;  Hom  et  Stock  veulent  dire  pic; 
See,  lac;  Bach,  ruisseau;  Thaï,  Tallée;  Au  et  Maiie,  prairie;  Fluh,  roc  ou  paroi  de  rocher.  Ainsi 
Abendberg  vcul  dire  montagne  du  soir,  Kanderthal,  vallée  de  la  Kander,  etc. 


LA    SUISSE   PITTORESQUE. 


425 


que  présente  la  nalure  du  côté  de  la  partie  supérieure  du  lac,  surtout  vers  le  coucher 
du  soleil.  Sur  le  penchant  de  la  colline  on  voit  un  vasle  édifice,  nommé  la  Weid; 
c'est  un  lieu  de  récréation  très-fréquenté  par  les  Zuricois. 


Toinhean  de  Ges^orr. 

Excursimus,  iMais  l'amateur  des  vastes  panoramas  ne  peut  se  dispenser  de  faire 
rascension  des  sommités  de  TAlbis.  Du  signal  du  Schnabelberg,  à  trois  lieues  de 
Zurich,  on  jouit  d'une  vue  enchanteresse.  Au  levant  se  déploie  le  magnifique  spec- 
tacle  du  lac  de  Zurich,  avec  son  riche  encadrement  de  verdure  et  d'habitations; 
on  voit  autour  de  soi,  au  bas  de  la  montagne,  une  grande  étendue  des  cantons  de 
Zurich,  Luceme,  Argovie  et  Zug,  qui  étalent  leurs  innombrables  villages,  leurs 
châteaux  et  leurs  collines  verdoyantes,  sillonnées  par  le  cours  de  la  Limmat  et  celui 
de  la  Sihl.  Tout  ce  beau  panorama  est  ceint  à  l'ouest  et  au  nord  par  le  Jura  et  les 
montagnes  de  la  Forét-Noire,  puis  par  le  Randenberg  au  canton  de  SchafThouse  ;  à 
l'orient  s'élèvent  les  monts  d'Appenzell,  deSt.-Gall  et  deGlaris.  Au  sud,  l'œil  du 
spectateur  est  frappé  de  la  foule  des  pics  des  hautes  Alpes.  Par  une  illusion  d'optique, 
le  Righi  et  le  Pilate  paraissent  n'être  séparés  que  par  une  étroite  crevasse,  à  travers 
laquelle  on  distingue  une  petite  partie  du  lac  de  Lucerne.  On  parvient  facilement 
sur  le  Schnabelberg  en  quittant  la  route  de  Zurich  à  Lucerne,  qui  traverse  l'Albis  au 
nord  de  cette  sommité;  de  l'auberge  de  l'Albis  on  atteint  celle-ci  en  moins  d'une 
demi-heure.  Quelques  personnes  préfèrent  la  vue  de  l'Uetliberg,  du  haut  duquel  le 
spectateur  domine  la  ville  de  Zurich  avec  tous  ses  détails.  Deux  ou  trois  chemins  y 
mènent  de  Zurich  dans  une  heure  et  demie  ou  deux  heures  ;  l'un  de  ces  chemins  est 


126  LA   SUISSE   PITTOHESQUE. 


praticable  pour  des  voitures  légères  jusqu'à  peu  de  distance  du  sommet.  Une  grande 
auberge,  visible  de  très-loin,  y  existe  depuis  4840;  elle  est  souvent  pleine  le  samedi 
soir,  de  sorte  qu'il  est  difficile  d'y  trouver  place.  On  peut  se  rendre  de  l'IIetliberg  au 
Schnabelberg  en  suivant  la  crête  de  la  montagne  :  la  distance  est  de  deux  ou  trois 
lieues. 

La  vue  du  Lâgerberg  est  aussi  l'une  des  plus  remarquables  de  la  Suisse  ;  le  pano- 
rama qu'on  y  découvre  est  encore  plus  étendu  et  plus  grandiose  que  celui  de  l'Albis. 
On  peut  se  rendre  en  voiture  jusqu'à  Regensberg,  et  passer  la  nuit  dans  cette  petite 
ville,  connue  dans  le  pays  sous  le  nom  de  Barg  (château  ),  afin  de  jouir  de  l'aspect 
de  la  chaîne  des  Alpes  éclairée  par  les  rayons  du  soleil  couchant,  puis  par  ceux 
de  l'aurore;  mais  il  est  nécessaire  que  le  temps  soit  parfaitement  serein.  Plusieurs 
autres  points  de  l'intérieur  du  canton  offrent  également  un  horizon  très-étendu  : 
tel  est  le  sommet  d'une  haute  colline  qui  domine  la  Tôss  et  que  franchit  la  route 
de  Zurich  à  Winterthour.  Voyez  en  outre  les  localités  indiquées  plus  bas. 

Wintertlwur,  jolie  ville  à  quatre  lieues  de  Zurich,  sur  la  route  de  Frauenfeld  et  de 
Constance,  compte  53&0  habitants;  c'est  le  principal  endroit  après  Zurich.  Elle  est 
située  au  milieu  d'une  contrée  boisée,  entrecoupée  de  riantes  collines.  Elle  se  com- 
pose de  deux  grandes  rues  parallèles,  coupées  par  huit  autres  transversales.  Ober- 
irin/er(Aoiir (Winterthour  supérieur),  village  situé  vers  le  nord,  est  le  Vitodurum  ou 
Vitatodurum  des  Romains.  Nous  avons  parlé  des  antiquités  qu'on  y  trouve  encore. 
En.4180,  le  comte  Hartmann  fit  bâtir  la  ville  de  Winterthour,  qui  devint  la  capitale 
de  toute  la  Thurgovie,  dont  il  était  souverain.  En  4292,  les  Zuricois  furent  défaits 
près  de  Winterthour  par  les  Autrichiens,  commandés  par  le  duc  Albert.  Le  comte 
Rodolphe  de  Habsbourg  s'empara  de  la  ville  dans  le  courant  du  43*  siècle,  et  elle 
passa  sous  la  domination  des  ducs  d'Autriche,  qui  la  possédèrent  jusqu'en  4445, 
époque  à  laquelle  elle  fut  déclarée  ville  impériale.  Les  souverains  de  l'Autriche  lui 
avaient  accordé  de  grands  privilèges;  aussi  resta-t-elle  fidèle  à  cette  puissance  et  prit- 
elle  parti  pour  elle  contre  les  Suisses.  En  4&47,  l'avoyer  Gôtz  avait  conclu  une 
alliance, dite  éternelle,  avec  Zurich;  mais  cette  alliance  ne  dura  pas  six  mois,  et  son 
auteur  fut  condamné  à  subir  la  peine  capitale.  En  44&2,  elle  se  redonna  volontaire- 
ment à  l'Autriche,  et  elle  souffrit  beaucoup  dans  le  coui*s  des  guerres  de  cette  puis- 
sance contre  les  Suisses.  En  4  460,  elle  soutint  un  siège  de  neuf  semaines  contre  une 
forte  armée  fédérale,  et  ses  habitants,  sans  distinction  d'ftge  ni  de  sexe,  firent  des 
prodiges  de  valeur  et  de  dévouement  ;  sept  ans  plus  tard,  elle  dut  se  soumettre  à  la 
domination  de  Zurich,  pour  le  prix  de  40,000  florins  du  Rhin,  mais  en  se  réservant 
de  grands  privilèges. 

Winterthour  lutte  avec  Zurich  dans  la  carrière  des  sciences,  des  arts  et  du  com- 
merce ;  elle  est  une  des  villes  les  plus  riches  et  les  plus  industrieuses  de  la  Suisse.  On 
y  trouve  un  grand  nombre  de  maisons  qui  font  des  affaires  immenses  en  cotonnades 
et  en  laine.  Elle  a  des  filatures,  des  manufactures  de  mousselines,  de  toiles  peintes, 
des  teintureries,  etc.  etc.  Elle  possède  depuis  longtemps  divers  établissements  d'in- 
struction ou  d'utilité  publique,  un  gymnase,  des  écoles  gratuites  pour  les  enfants 
pauvres,  un  hospice  des  orphelins,  une  caisse  d'épargne,  etc.  Les  édifices  remarqua- 
bles sont  l'hôtel-de-ville,  l'église,  qui  a  deux  tours  de  484  pieds  suisses  et  possède 
de  belles  orgues  depuis  4808  ;  le  nouveau  bfttiment  des  écoles,  terminé  en  4842. 


LA    SUISSE    PITTORESOrK. 


127 


et  qui  renferme  la  bibliothèque  et  une  colleetion  de  plusieurs  milliers  de  médailles 
romaines  et  de  pierres  gravées,  trouvées  dans  les  environs  de  la  ville  et  du  village 
d'Ober-Winterthour.  Plusieurs  particuliers  possèdent  des  collections  de  tableaux  et 
de  gravures,  etc.  Les  habitants  de  Winterthour  cultivent  la  musique  :  en  hiver,  il  se 
donne  des  concerts  d'amateurs  et  des  bals.  Les  environs  sont  ornés  de  charmantes 
maisons  de  campagne,  et  Ton  y  trouve  des  promenades  agréables.  A  une  forte  lieue 
vers  le  sud,  s'élève  le  chÀteau  de  Kybourg,  résidence  d'une  puissante  famille  du 
moyen-àge,  dont  les  biens  échurent  par  héritage  à  Rodolphe  de  Habsbourg,  et  dont 
le  nom  figure  encore  parmi  les  titres  des  empereurs  d-Autrichc  et  des  rois  d'Espiigne. 


K,G 


Chiteaii  (le  Kjrlouii;. 


A  demi-lieue  de  la  ville,  on  voit  l'ancien  couvent  de  Tôss,  au  bord  de  la  rivière  de 
ce  nom;  il  est  maintenant  converti  en  fabrique;  c'est  ce  couvent  qu'habitait  fré- 
quemment Agnès,  fille  d'Albert  I",  au  commencement  du  14"  siècle  ;  c'est  là  que  sii 
belle-fille,  sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  se  décida  à  prendre  le  voile  en  1310.  Du 
côlc  du  nord  s'élève  le  château  de  Marsbourg,  sur  une  colline,  d'où  Ton  jouit  d'une 
vue  étendue  sur  les  Alpes. 

Wœdemchweil  (ou  WaBdenschwyl),  grand  et  beau  l)ourg  à  4  ou  5  lieues  de  Zurich, 
sur  la  rive  gauche  du  lac,  avec  environ  5000  habitants.  Son  château  était  la  résidence 
de  la  famille  noble  d'Eschenbach-Weedenschwcil  ;  la  ville  de  Zurich  l'acheta  en  1S49. 
En  1646  et  1804,  Wtedenschweil  fut  le  foyer  de  dçux  insurrections  populaires,  à  la 
suite  desquelles  plusieurs  habitants  périrent  sur  l'échafaud.  Le  beau  château  de  ce 
lieu  fut  brûlé  pendant  celle  de  1804  ;  mais  il  a  été  rebâti  depuis  ;  on  y  jouit  d'une 
vue  ravissante.  On  trouve  aussi  dans  le  voisinage  des  ruines  remarquables.  Les 
habitants  sont  extrêmement  actifs  et  industrieux  ;  des  bibliothèques  de  louage  répan- 
dent Tinstruction  parmi  eux. 


128  LA  snssR  piTTonESQre. 


Rirhlefischweil,  grand  et  superbe  village,  à  peu  de  distance  du  précédent.  Les  mar- 
chandises destinées  pour  riialie  y  sont  débarquées,  pour  être  transportées  par  terre 
jusqu'à  Brunnen,  sur  les  bords  du  lac  des  Quatre-Cantons.  Les  pèlerins  souabes,  qui 
se  rendent  par  Zurich  à  Einsiedien,  débarquent  à  Richtenschweil.  La  position  de  ce 
village  est  délicieuse,  et  les  environs  offrent  des  promenades  très-intéressantes.  Sur  le 
chemin  de  Wsedenschweil  on  rencontre  deux  jolies  cascades,  près  d'un  moulin  situé 
au  fond  d'une  petite  vallée  fort  sombre;  les  collines  de  Wollerau,  l'église  de  Feusi- 
berg,  plus  loin  le  mont  Etzel,  etc.,  offrent  des  points  de  vue  admirables.  Les  bourgs 
schwytzois  de  Lachen  et  d'EinsiedeIn  sont  à  la  distance  de  3  lieues. 

Stùfa  ou  SliifUij  situé  vis-à-vis  de  Richtenschweil,  est  un  des  plus  beaux  villages  de 
la  Suisse;  il  est  formé  de  plusieurs  groupes  de  maisons,  et  compte  &000  habitants, 
dont  une  grande  partie  travaillent  la  soie  et  le  coton.  L'extrémité  du  môle,  qui  ferme 
le  port,  offre  un  magnifique  point  de  vue  ;  près  de  l'auberge  de  la  Couronne,  il  y  a 
des  bains,  connus  sous  le  nom  de  Wannenbad.  Ce  village  fut,  en  1794,  le  foyer  d'une 
insurrection,  dont  les  funestes  suites  ont  causé  beaucoup  d'animosité  entre  les  habi- 
tants de  Stàfa  et  ceux  des  bords  du  lac. 

Horgen,  à  3  lieues  de  Zurich,  est  aussi  un  grand  village  de  &000  âmes,  Oorissant 
par  son  industrie;  on  y  voit  plusieurs  belles  habitations;  à  demi-lieue  vers  le  sud, 
sont  les  bains  de  Bocken,  dans  une  position  magnifique,  d'où  l'on  découvre  à  peu 
près  toute  la  surface  du  lac. 

Usler,  sur  une  colline  à  l'est  du  lac  de  Greifensee,  est  au  milieu  d'une  contrée  fer- 
tile ;  ce  village  possède  h  à  SOOO  habitants  et  d'iniiK)rtantes  manufactures. 

Greifensee,  sur  le  lac  de  même  nom,  et  Eglisaay  sur  le  Rhin,  sont  d'anciennes 
petites  villes,  jadis  fortifiées,  qui  sont  loin  d'être  aussi  prospères  que  les  villages 
ci-dessus.  Nous  avons  dit  que  les  tremblements  sont  fréquents  à  Eglisau;  ce  qui  est 
singulier,  c'est  que  le  plus  souvent  on  ne  s'en  a|)er(oit  pas  dans  les  villages  les  plus 
voisins;  ils  sont  toujours  accompagnés  d'un  bruit  sourd. 

Cappel,  village  situé  sur  le  revers  occidental  de  l'Albis,  près  de  la  frontière  de 
Zug.  Les  bains  de  Wengi  sont  dans  les  environs.  On  y  remarque  plusicui*s  ruisseaux, 
qui  recouvrent  les  mousses  d'une  croule  de  tuf.  Ciip[)cl  est  célèbre  par  la  bataille  qui 
s'y  livra  en  1S31,  et  par  la  mort  de  Zwingli.  Ce  village  est  le  berceau  de  Josias 
Simmier,  qui  y  naquit  en  lb'30,  et  qui  est  connu  par  plusieui*s  ouvrages  de  théo 
logic,  de  nuilhémaliqucs  et  d'histoire. 


CANTON   DE   BERNE. 


Situation,  étendob,  climat,  etc.  —  Le  canton  de  Berne  est  borné  au  nord  par 
l'Alsace  et  les  cantons  de  Soleure  et  de  Bâle-Campagne  ;  à  l*est,  par  les  cantons  de 
Soleare,  Ai^ovie,  Lucerne,  Unterwald  et  Uri  ;  au  sud,  par  le  Vallais  ;  à  l'ouest,  par  les 
cantons  de  Yaud,  Friboui^  et  Neucbâtel,  et  par  le  département  du  Doubs.  Le  point 
le  plus  noéridional  est  le  mont  Oldenhorn,  situé  sous  le  46"*'',  20^  de  latitude;  les 
cantons  de  Vaud  et  du  Vallais  aboutissent  à  cette  même  sommité.  Le  point  le  plus 
septentrional  est  à  47, 35^,  près  de  Délie,  dans  le  département  du  Haut-Rhin.  La  plus 
grande  longueur  du  canton  est  de  35  lieues  du  nord  au  sud,  et  sa  plus  grande  lar- 
geur est  de  20  lieues  de  Test  à  l'ouest.  —  Sa  superficie  est  évaluée  à  294  lieues 
carrées  suisses  ;  il  ne  le  cède  donc  en  grandeur  qu'au  seul  canton  des  Grisons,  dont 
retendue  est  de  301  lieues.  Toutefois,  les  travaux  de  triangulation  dans  ces  deu\ 
cantons  n'étant  pas  complètement  terminés,  ces  évaluations  ne  sont  pas  rigoureu- 
sement exactes.  Sous  le  rapport  de  la  population,  le  canton  de  Berne  est  le  premier  ; 
d'après  le  recensement  de  18S0,  il  comptait  458,301  habitants;  ce  chiffre  dépassait 
de  208,000  celui  du  canton  de  Zurich.  Depuis  son  entrée  dans  la  Confédération, 
Berne  a  occupé  le  second  rang  ;  il  cédait  la  prééminence  à  Zurich  seul  ;  il  est  aussi 
nommé  le  second  dans  le  Pacte  fédéral  de  1848.  Maintenant  que  Berne  est  devenu 
le  chef-lieu  permanent  de  la  Confédération  et  le  siège  de  toutes  les  autorités  fédé- 
rales, il  n'en  continue  pas  moins  à  n'être  nommé  qu'en  second  lieu  dans  tous  les 
actes  officiels. 

Le  canton  étant  occupé  presque  en  entier  par  des  montagnes  ou  par  des  collines 
élevées,  son  climat  est  plutôt  rigoureux  que  doux  ;  cependant,  on  comprend  que  les 
diversités  d'exposition  et  de  hauteur  occasionnent  une  grande  variété  dans  la  tempé- 
rature. Ainsi,  plusieurs  villages  situés  vers  le  haut  des  vallées  qui  aboutissent  aux 
grandes  Alpes,  sont  privés  de  soleil  durant  quelques  semaines  :  tel  est  celui  de  Gsteig; 
les  environs  d'Interlacken,  au  contraire,  jouissent  d'un  climat  assez  doux,  grâce  à 
la  direction  de  la  vallée,  qui,  courant  de  Testa  l'ouest,  est  par  là  préservée  de  l'at- 

11,9.  17 


130  LA   StfffiC   PTTTMISQn. 

U^înU*  *-*  vpnU  TphtIs.  C«*st  par  rette  raL^oo  que  b  vi;me  croît  sur  les  rives  septen- 
trR>naks  du  bc  de  TlK^jne.  H  que  les  noyers  pro(>pèreol  remarquaUemeni  entre 
les  brs  de  TtKMine  et  de  Brienz,  et  sur  les  rives  de  ce  dernier.  Mais  le  froid  se  iail 
a.*4Aez  vivement  sentir  en  hiver  à  Berne,  ainsi  qu*au\  environs,  vu  leur  situation  sur 
un  plateau  élevé.  Les  alternatives  subites  de  chaud  et  de  froid  y  sont  fréquentes;  les 
neiges  et  les  gelées  blanches  y  srKit  tardives  au  printemps,  et  hâtives  en  aotomne. 
Les  vallées  du  Jura  sont  froides,  vu  leur  direction  générale  du  sud-ouesl  au  nord-est. 

Mo?iTAG!^es  ET  GLiacas.  —  Nous  avons  parié,  dans  la  partie  générak,  de  la  haute 
chaîne  alpine,  qui,  partant  de  la  Furka,  forme  la  limite  des  cantons  de  Berne  et  du 
Vallais,  et  à  laquelle  appartiennent  plusieurs  des  sommités  les  plus  colossales  de  la 
Suisse,  telles  que  le  Finsteraarfaom,  la  Jungfrau,  etc.  Des  ramiBcations  qui  partent 
de  cette  grande  chaîne  et  qui  enCerment  les  diverses  vallées  de  TOberland,  s'élancent 
àum  plusieurs  pi(^  couverts  de  neiges  étemelles,  mais  ils  sont  tous  à  peu  de  dis- 
tance de  la  principale  chaîne.  Nous  avons  indiqué  la  plupart  de  ces  cimes,  avec  leur 
élévation,  dans  Fénumération  des  principales  sommités  de  la  Suisse  ;  il  serait  fasti- 
dieux de  les  rappeler  ici,  d'autant  plus  que  nous  serons  appelés  à  les  mentionner  de 
nouveau  en  décrivant  les  vallées.  Les  hautes  Alpes  bernoises,  comme  nous  l'avons 
dit  aussi,  présentent  sur  leurs  flancs  un  très-grand  nombre  de  glaciers;  on  en  a 
compté  jusqu'à  155.  Les  plus  remarquables  sont  ceux  de  l'Aar,  celui  de  Rosenlaui, 
ceux  de  Grindeiwald  et  de  Lauterbrunnen,  etc.  Nous  en  reparlerons  plus  loin.  Nous 
renvoyons  du  reste,  pour  les  généralités,  à  l'article  sur  les  glaciers  (page  73). 

Dans  le  voisinage  immédiat  des  lacs  de  Thoune  et  de  Brienz,  les  montagnes  n'at- 
teignent plus  qu'une  hauteur  de  6  à  8000  pieds.  Plus  au  nord,  elles  s'abaissent  en- 
core. Aux  environs  de  Berne  et  jusqu'au  lac  de  Bienne  et  aux  frontières  de  Soleure 
et  d'Argovie,  on  ne  voit  plus  que  de  hautes  collines.  Mais  la  partie  occidentale  du 
canton  est  sillonnée  par  les  chaînes  du  Jura,  qu'on  appelle  en  allemand  Ltberberg. 
Le  point  culminant  du  Jura  sur  le  territoire  bernois  est  le  Chasserai  (Gestler),  au- 
dessus  du  lac  de  Bicnnc  (  4970  )  ;  les  autres  sommités  ne  dépassent  guère  4000 
pieds;  tels  sont  le  mont  Moron,  4121  ;  le  Mmilo,  au  nord  de  Bienne,  4100;  le  mont 
Rahmiix,  à  l'est  de  Moutiers,  4020.  Vers  les  frontières  du  département  du  Doubs 
et  de  celui  du  Haut-Rhin,  les  chaînes  du  Jura  s'abaissent  considérablement. 

Rivières.  —  Le  canton  abonde  en  rivières  et  en  torrents,  la  plupart  alimentés  par 
les  glaciers  et  les  neiges  éternelles  dont  les  montagnes  sont  couvertes.  Le  principal 
(M)urs  d'eau  du  canton  est  VAar,  qui  est  aussi  la  plus  considérable  des  rivières  ap|)ar- 
tenant  entièrement  à  la  Suisse.  L'Aar  a  sa  source  dans  les  vastes  glaciers  qui 
descendent  du  Finsteraarhorn.  Il  arrose  le  Hasli,  traverse  les  lacs  de  Brienz  et  de 
Thoune,  passe  à  Berne,  à  Aarberg,  à  Soleure,  et  quitte  le  canton  près  de  Mor- 
^cnthal.  Il  est  navigable  depuis  sa  sortie  du  lac  de  Brienz,  mais  c'est  surtout  depuis 
Thoune  qu'il  sert  comme  voie  de  transport;  toutefois,  plus  bas  que  Berne,  quelques 
|)ctites  chutes  empêchent  le  passage  des  bateaux  chargés  de  marchandises.  L'Aar  est 
grossi  par  un  grand  nombre  de  rivières  et  de  torrents  qui  lui  amènent  toutes  les  eaux 
de  rOberland  et  celles  de  la  plus  grande  partie  de  la  Suisse  occidentale.  Les  prin- 
cipaux affluents  sur  la  rive  gauche  sont  :  La  Lnischine,  qui  se  jette  dans  le  lac  de 
Brienz,  près  Bœnigcn,  et  qui  est  formée  de  la  jonction  de  deux  torrents,  qui  se 
i*éunissent  au  village  de  Zwcylutschinen  (ou  des  deux  Lutschines),  la  Lutschine 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  131 


noire,  qui  vient  du  Grindelwald,  et  la  Lutschînc  blanche,  qui  vient  de  la  vallée  de 
Lauterbrunoen  ;  —  la  Konder,  qui  sort  du  glacier  de  Tschingel,  et  arrose  la  vallée 
de  Gastern  et  celle  de  Frutigen.  Près  du  bourg  de  ce  nom,  elle  reçoit  VEngstligen, 
qui  vient  de  la  vallée  d'Adelboden  ;  puis,  réunie  à  la  Simine,  elle  se  jette  dans  le  lac 
de  Thoune  par  un  large  canal  creusé  de  1712  à  171  &,  et  long  de  quelques  milliers 
de  pieds.  Elle  se  jetait  jadis  directement  dans  TÀar,  au  nord  de  Thoune  ;  mais  on  a 
détourné  son  cours  pour  prévenir  les  inondations  qu'elle  causait  sur  des  terrains 
Tertiles.  —  Quant  à  la  Simme,  elle  arrose  la  grande  vallée  du  Simmenthal,  et  a  ses 
sept  sources  (  Siebenbrannen)  au-dessous  du  glacier  de  Rœtzli  :  —  la  Sarine  a  sa 
source  dans  le  Haut-Gessenay ,  sur  le  col  de  Sanetsch,  et  après  avoir  arrosé  le  district 
vaudoîs  de  Ghâteau-d'OEx  et  le  canton  de  Fribourg  dans  toute  sa  longueur,  elle 
rentre  sur  le  canton  de  Berne,  près  de  Laupen,  et  se  jette  dans  l'Âar  au-<lessus 
d'Aarberg.  —  La  Thièle,  continuation  de  la  rivière  vaudoise  TOrbe,  sort  du  lac  de 
Neuchàt£l,  traverse  celui  de  Bienne,  et  verse  ses  eaux  dans  TÂar,  à  une  lieue  et 
demie  de  Nidau.  Cette  rivière  amène  ainsi  en  même  temps  les  eaux  de  la  Suze,  qui 
descend  de  la  vallée  de  St.-Imier  et  se  jette  dans  le  lac  de  Bienne.  —  Sur  la  rive 
droite,  TÂar  reçoit  la  grande  Emtne,  dont  les  sources  sont  situées  au  nord  du  lac  de 
Brienz;  elle  arrose  l'Emmenthal,  passe  à  Burgdorf  (Berthoud),  et  se  joint  à  l'Âar  un 
peu  au-dessous  de  Soleure,  après  un  cours  de  seize  lieues.  —  Nommons  encore  la 
Birse,  qui  a  sa  source  au  fond  de  la  belle  vallée  de  Moutiers  dans  le  Jura  ;  elle  forme 
deux  jolies  cascades  près  de  Laufen  et  de  Dornach,  et  se  jette  dans  le  Rhin  à  demi- 
lieue  de  Bàle.  Enfin  le  Doubs,  qui  forme  la  limite  du  territoire  bernois,  sur  une 
étendue  de  cinq  à  six  lieues,  et  qui  fait  un  cours  de  pareille  longueur  dans  l'intérieur 
du  canton,  près  de  Sainte-Ursanne. 

Lacs  et  cascades.  —  Le  canton  de  Berne  possède  trois  lacs  principaux  :  ceux 
de  Thoune,  de  Brienz,  et  de  Bienne.  Nous  en  parlerons  plus  en  détail  dans  la 
description  des  diverses  vallées  du  canton.  Il  confine  aussi  à  l'extrémité  nord  du  lac 
de  Neuchàtel.  Mais  on  rencontre  sur  les  hautes  montagnes  un  certain  nombre  de 
petits  lacs*  ordinairement  d'un  aspect  très-sauvage.  Tels  sont  le  Bachsee,  sur  le 
Faulbom,  à  la  hauteur  d'environ  7000  pieds  ;  c'est  le  plus  élevé  de  tous  ;  le  Dau- 
bensee,  sur  la  Gemmi  (6790),  entouré  de  rocs  nus,  de  même  que  le  Todiensee 
(lac  des  morts),  sur  le  passage  du  Grimsel;  le  lac  de  l'Hospice,  au-dessous  du  précé- 
dent; le  Trûbesee,  au  pied  du  Siedelhorn,  et  non  loin  du  Grimsel;  VEngsîknsee,  sur 
l'Engstlenalp,  près  du  Titlis;  le  lac  de  Lauenen,  dans  la  vallée  de  ce  nom;  le  lac 
d'Arnoti,  dans  le  Gessenay  ;  le  lac  i'Œschinen,  près  Kandersteg,  etc.  Ces  derniers 
sont  entourés  d'une  belle  verdure.  —  Quant  aux  cascades,  le  canton  de  Berne  en 
possède  un  grand  nombre,  dont  plusieurs  sont  comptées  parmi  les  plus  remarquables 
de  la  Suisse;  telles  sont  celle  de  l'Âar  à  la  Handeck,  celles  du  Staubbach  et  du  Schma- 
dribach  dans  la  vallée  de  Lauterbrunnen,  celles  du  Reichenbach  près  Meyringen, 
celles  du  Giessbach  au-dessus  du  lac  de  Brienz,  celles  de  la  Simme  près  des  sources 
de  cette  rivière.  Nous  nous  bornons  à  les  mentionner  ;  leur  description  trouvera 
mieux  sa  place  plus  loin. 

Bains  et  eaux  minérales.  —  On  compte  dans  le  canton  de  Berne  plus  de  soixante 
sources  minérales.  Plusieurs  jouissent  d'une  réputation  méritée,  qui,  autant  que  leurs 
sites  pittoresques,  attire  dans  la  belle  saison  un  grand  concours  d'étrangers.  Les 


433  LA   SUISSE   PITTORESQUB. 


principaux  établissements  de  bains  sont  ceux  de  Blumenstein,  situés  près  du  village 
de  ce  nom,  au  pied  du  Stockborn,  à  cinq  lieues  de  Berne.  La  source  est  dans  l'éta- 
blissement même;  Teau  en  est  claire,  sans  odeur,  mais  elle  a  un  goût  Apre;  elle  se 
décompose  à  Tair,  et  dépose  de  Tocre  jaune.  L'auberge  est  vaste  et  bien  tenue.  On  ne 
fait  usage  de  ces  eaux  que  pour  s'y  baigner  ;  elles  sont  très-efficaces  dans  les  cas  d'as- 
théhie  générale  ou  de  faiblesse  nerveuse,  ainsi  que  pour  guérir  des  rhumatismes 
dironiques  et  des  maladies  asthritiques.  En  prenant  ces  bains,  on  boit  à  l'ordinaire 
quelque  autre  eau  minérale,  nommément  les  eaux  du  Gournigel,  qui  se  trouvent 
dans  le  voisinage.  —  Les  bains  soufrés  du  Gournigel,  situés  à  six  lieues  de  Berne, 
sur  la  pente  de  la  montagne  du  même  nom,  qui  s'appuie  contre  la  chaîne  du 
Stockborn.  Ils  sont  construits  à  côté  d'un  beau  bois  de  sapins,  et  à  une  Irès-pelile 
distance  des  diiiérentes  sources.  Celles-ci  sont  limpides  et  ont  une  légère  odeur  de 
soufre;  le  contact  de  l'air  les  décompose  très- vite,  et  les  rend  aussi  blanches  que 
du  lait.  Elles  ont  la  vertu  de  guérir  des  obstructions,  des  vapeurs,  des  maux  d'es- 
tomac, de  ranimer  ou  régulariser  la  circulation  du  sang.  Les  douches  sont  surtout 
excellentes  contre  les  maladies  nerveuses  et  les  rhumatismes.  Les  eaux  du  Gournigel 
sont  en  particulier  très-propres  à  rétablir  la  santé  des  hommes  de  cabinet  et  des  sa- 
vants, qui  mènent  habituellement  une  vie  trop  sédentaire.  La  pureté  et  la  bonté  de 
l'air  contribuent  à  augmenter  l'heureuse  influence  de  ces  eaux.  Le  bâtiment  des 
bains  est  commode  ;  des  appartements  et  surtout  de  la  terrasse,  on  jouit  d'une  vue 
très-étendue  sur  toute  la  partie  du  canton  comprise  entre  le  Jura  et  les  montagnes 
de  l'Emmenthal.  En  une  heure  de  marche,  on  peut  se  rendre  au  sommet  de  la 
montagne,  d'où  l'on  découvre  une  partie  des  cimes  neigeuses  de  l'Oberland.  —  Les 
bains  de  Weismibourg  (autrement  nommés  bains  d'Obertoyl  ou  de  Buntschi)^  sont 
situés  au  fond  d'une  gorge  romantique  à  demi-lieue  du  village  du  même  nom,  à  cinq 
lieues  de  Thoune,  dans  le  Bas-Simmenthal.  La  source  est  à  un  quart  de  lieue  de  l'é- 
tablissement, et  sort  d'une  horrible  fente  de  rocher,  dont  le  ruisseau  de  Buntschi 
occupe  toute  la  largeur.  Lorsque  le  ruisseau  n'est  pas  grossi  par  les  pluies,  on  peut 
aller  jusqu'à  la  source  sans  danger,  mais  il  faut  pour  cela  passer  sur  des  blocs  de 
rocher,  et  même  sur  des  échelles.  Les  eaux  de  ces  bains  sont  limpides  et  légères; 
elles  exhalent  une  vapeur  sulfureuse,  et  leur  température  à  la  source  est  de  iS""  Réau- 
mur  ;  elles  sont  excellentes  contre  les  maladies  de  poitrine,  la  phthisie,  et  certaines 
directions  nerveuses.  On  s'en  sert,  suivant  les  cas,  pour  en  boire  et  pour  s'y  baigner. 
On  se  rend  de  ces  bains  en  cinq  heures  à  ceux  du  Gournigel,  en  franchissant  les 
montagnes  de  Morgeten  et  de  Ganterisch.  —  On  peut  citer  encore  les  bains  de 
Thalgut,  aux  bords  de  l'Aar,  à  deux  lieues  de  Thoune  ;  ceux  A^Engistein,  près  Worb, 
qui  tous  deux  ont  à  peu  près  les  mêmes  propriétés  que  ceux  de  Blumenstein,  mais 
sont  moins  actifs  ;  ceux  du  GltUschbad,  à  une  lieue  au  sud  de  Thoune,  lesquels  ont 
eu  une  assez  grande  vogue  pendant  quelques  années;  le  SchniUtceyer  et  le  Rim- 
pachbad,  près  Thoune  ;  le  Kûblisbad,  au  bout  du  lac  ;  les  bains  de  Leimgen,  au  sud 
du  lac  ;  ceux  de  Rosenlaui,  près  du  glacier  de  ce  nom,  etc.  —  Aux  portes  de  Berne 
on  trouve  les  bains  de  Gutenhurg,  qui  sont  très-recommandables  par  leur  bonne 
organisation,  et  ceux  de  Marzihli,  aux  bords  de  l'Aar,  tout  près  de  la  ville.  Le 
Lochhad  ou  Sommerham  (maison  d'été),  près  Berthoud,  est  très^fréquenté.  —  Le 
Jura  possède  aussi  de  bonnes  sources  minérales  :  telles  sont  celles  de  Baderm,  près 


LA   SUISSE   PITTORESQUE*  133 


Moutiers;  de  SonviUiers,  près  St.-Imier;  de  la  Bourg,  près  Laufen,  à  la  frontière 
d'Alsace  ;  près  d'Undervîlliers,  sur  la  Sorne,  on  voit  sortir  d'une  caverne  des  eaux 
minérales  savonneuses,  dont  les  habitants  font  un  grand  usage,  et  qui  ont  reçu  le 
nom  de  Fontaine  de  Sainte-Colombe. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animal.  La  race  bovine,  qui  compte  de  200  à 
220,000  têtes,  est  dans  plusieurs  vallées  remarquable  par  sa  force  et  sa  belle  taille. 
Le  Gessenay,  le  Simmenthal  et  l'Emmenthal  possèdent  les  troupeaux  les  plus 
renommés  du  canton.  La  race  chevaline,  au  nombre  de  32,000  têtes,  est  aussi 
d'une  assez  belle  espèce.  —  Les  animaux  sauvages  qu'on  trouve  encore  dans  le 
canton,  sont  :  l'ours  brun,  qui  se  réfugie  dans  les  hautes  forêts,  surtout  celles  du  Jura  ; 
le  loup,  qui  est  rare  dans  les  Alpes,  mais  assez  commun  dans  les  bois  du  Jura  ;  le 
lynx  ou  loup-cervier,  grand  ennemi  des  troupeaux  et  des  chamois,  et  qui  vient  du 
Vallais;  le  renard,  qui  est  commun  dans  tout  le  canton.  Quant  au  chamois,  dont 
l'espèce  est  considérablement  diminuée,  on  en  voit  encore  de  petites  troupes  sur  les 
montagnes  alpestres;  on  ne  peut  le  chasser  qu'avec  une  autorisation  particulière.  La 
race  du  bouquetin  est  encore  plus  réduite.  La  marmotte  et  la  souris  blanche  n'est 
pas  rare  dans  les  montagnes  de  l'Oberland,  ainsi  que  le  lièvre,  qui  blanchit  en  hiver. 
On  trouve  aussi  dans  le  canton  tous  les  oiseaux  des  hautes  Alpes  :  le  grand  aigle, 
remarquable  par  sa  grosseur  et  sa  force  prodigieuse  ;  le  vautour  barbu  ou  LUmmer- 
geier  (vautour  des  agneaux);  le  hobereau  à  pieds  roux,  l'effraye,  le  choucas  des 
Alpes,  le  coq  de  bruyères,  la  gelinotte,  le  pinson  des  neiges,  le  merle  à  plastron 
blanc,  la  fauvette  des  Alpes,  l'hirondelle  des  rochers,  etc. 

Les  lacs  et  les  rivières  sont  très-poissonneux.  La  truite  saumonée  {salmo  fario), 
le  brochet  et  la  perche  se  trouvent  dans  les  trois  lacs  de  Thoune,  Brienz  et  Bienne, 
et  dans  les  rivières.  La  lotte  et  la  truite  du  Rhin  (salmo  trntta)  se  trouvent  dans 
l'Aar  et  les  lacs.  Le  lac  de  Bienne  contient  des  truites  de  vingt-cinq  livres,  une 
espèce  de  goujon  très-estimée,  et  la  fera  du  lac  de  Genève.  Le  poisson  le  plus  re- 
cherché du  lac  de  Thoune  est  VAalbock,  qui  est  particulier  à  ce  lac,  et  qui  diffère  peu 
de  la  fera  du  lac  de  Genève.  Le  meilleur  poisson  du  lac  de  Bienne  est  le  Brienzling, 
qui  ne  se  trouve  pas  ailleurs;  il  y  est  tellement  abondant,  qu'on  en  prend  jusqu'à 
plus  d'un  millier  d'un  seul  coup  de  filet.  —  Vu  la  variété  de  son  sol  et  de  ses  pro- 
ductions, le  canton  de  Berne  offre  à  l'entomologiste  une  grande  quantité  d'insectes 
de  toutes  espèces;  il  visitera  avec  un  égal  intérêt  les  Alpes,  le  Jura,  les  bords  des  lacs 
et  les  environs  de  Berne. 

Règne  végétal  et  agriculture.  La  flore  bernoise  n'offre  pas  moins  de  richesse. 
L'Obcrland,  ainsi  que  les  environs  de  Berne,  présentent  un  certain  nombre  d'espèces 
rares.  —  Le  canton  renferme  dans  son  étendue  tous  les  genres  de  végétation.  On 
trouve  d'abord  sur  la  limite  méridionale  la  région  des  neiges,  où  il  ne  croit  guère 
que  des  lichens,  des  mousses,  et  quelques  graminées;  puis  les  hauts  et  les  bas 
alpages,  ridies  en  herbes  de  toutes  espèces  ;  ensuite  vient  une  région  comprenant  les 
pentes  inférieures  des  montagnes  et  les  vallées,  et  occupée  par  des  forêts  et  par  des 
pftturages  qui  fournissent  le  fourrage  nécessaire  pour  nourrir  les  troupeaux  pendant 
rhiver;  enfin,  la  région  des  collines  et  des  plaines,  où  l'on  cultive  les  céréales,  les 
arbres  fruitiers  et  même  la  vigne.  Au-delà  des  plaines  s'élève  le  Jura,  où  l'on  retrouve 
la  région  des  forêts  et  celle  des  pâturages.  Mais  les  sommets  du  Jura,  habites  l'été  par 


43&  U   SDISSK   PITTOIIBSQLB. 


les  troupeaux,  atteignent  à  peine  à  Télévation  des  plus  hauts  villages  d'hiver  dans 
les  Alpes,  lesquels  sont  entourés  de  prairies  que  Ton  fauche  pendant  que  le  bétail 
est  conduit  sur  les  alpages. 

Les  plaines  du  canton  et  même  beaucoup  de  ses  collines,  jadis  couvertes  de  forêts, 
mais  défrichées  maintenant,  offrent  à  l'œil  un  agréable  mélange  de  champs  de  Ué, 
de  prairies  artificielles  et  naturelles,  de  jardins  potagers  et  de  vergers,  et  le  terrain, 
sauf  quelques  marécages  plus  ou  moins  étendus,  est  assez  fertile.  L'agriculture  est 
en  général  assez  avancée  ;  mais  la  récolte  des  céréales  est  insuffisante  pour  ki  con- 
sommation du  pays.  L'orge  et  la  pomme  de  terre  prospèrent  jusqu'à  environ 
4000  pieds.  Dans  le  jardin  de  l'auberge  de  Schwaribach  sur  la  Geromî,  situé  à 
6420  pieds,  on  cultive  même  divers  légumes.  Les  bords  septentrionaux  du  lac  de 
Bienne  sont  particulièrement  propres  à  la  vigne  ;  près  du  lac  de  Thoune  on  trouve 
quelques  coteaux,  où,  à  la  faveur  de  certaines  circonstances  locales,  la  vigne  pros- 
père à  1800  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Il  est  peu  de  localités  en  Suisse  où  l'on  voie 
de  la  vigne  à  une  plus  grande  élévation.  Sur  les  monts  qui  dominent  Brienz,  dans 
les  endroits  exposés  au  soleil,  le  noyer,  le  plus  délicat  des  arbres  fruitien,  porte  des 
fruits  à  2835  pieds  au-dessus  de  la  mer  ;  mais  dans  la  vallée  de  HasU  im  Grand  on 
ne  le  trouve  pas  au-delà  de  2080  pieds.  Les  autres  espèces  d'arbres  fruitiers,  pru- 
niers, pommiers,  poiriers,  cerisiers,  croissent  à  de  plus  grandes  hauteurs,  comme 
nous  l'avons  déjà  indiqué  dans  la  statistique  générale. 

Bien  qu'on  en  ait  défriché  beaucoup,  les  forêts  abondent  encore  dans  le  canton  : 
elles  couvrent  plus  d'un  sixième  de  la  surface  du  pays.  Dans  le  centre  du  canton 
et  sur  la  partie  inférieure  du  Jura,  les  hêtres  dominent  ;  on  en  voit  aussi  beau- 
coup dans  quelques-unes  des  vallées  des  Alpes.  Ce  n'est  qu'entre  Berne  et  Soleure 
qu'on  trouve  quelques  forêts  de  chêne  vulgaire.  L'érable  de  montagne  est  assez 
commun  dans  la  région  où  le  hêtre  devient  rare  ;  il  ne  dépasse  pas  5000  pieds. 
L'ormeau  et  le  frêne  prospèrent  jusqu'à  4400  pieds.  Le  bouleau  blanc,  commun 
dans  la  plaine,  surtout  dans  les  terrains  marécageux,  ne  croit  qu'épars  dans  les 
Alpes.  Parmi  les  arbres  résineux,  ce  sont  le  sapin  ronge  et  le  sapin  blanc  qui  sont 
les  plus  communs  ;  ils  croissent  jusqu'à  6500  pieds;  ce  dernier  ne  descend  pas  aussi 
bas  que  le  premier.  On  trouve  aussi  despim  sauvages,  surtout  sur  les  pentes  exposées 
au  soleil.  Le  mélèze,  qui  prospère  également  bien  dans  la  plaine  et  sur  les  montagnes, 
croit  dans  les  vallées  d'Oberhasli  et  de  Gadmen,  jusqu'à  6000  pieds.  Le  cimbre,  pinm 
cimbra,  y  croît  dans  les  hautes  régions  jusqu'à  6350  pieds. 

Règne  minéral.  La  chaîne  principale  de  l'Oberland  est  en  partie  composée  de  roches 
primitives,  en  particulier  le  groupe  du  Finsteraarhom,  formé  de  granit  et  de  gneiss  ; 
mais  la  formation  calcaire  y  occupe  aussi  une  grande  place.  Le  calcaire  recouvre  le 
gneiss  au  Wetterhorn  ;  au  Schreckhom,  le  granit  alterne  avec  les  couches  de  gneiss  et 
de  calcaire  ;  la  Jungfrau  parait  presque  entièrement  composée  de  calcaire  reposant  sur 
la  roche  primitive  ;  les  avalanches  détachent  d'une  grande  hauteur  des  roches  cal- 
caires, où  l'on  trouve  quelquefois  des  pétrifications  ;  cependant,  sur  le  sommet  même, 
on  ne  voit  que  du  gneiss,  d'après  Desor.  De  la  Gemmi  au  Sanetsch,  la  chaîne  est  aussi 
calcaire.  Il  en  est  de  même  des  montagnes  qui  entourent  le  lac  de  Thoune.  Des  bancs 
de  pierre  calcaire  et  de  schiste  argileux  forment  celles  qui  bordent  les  rives  du  lac  de 
Brienz.  —  L'Oberland  possède  diverses  mines,  mais  aucune  dont  l'exploitation  ait 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  ISS 


été  productive.  Ainsi,  Ton  trouve  du  fer,  du  plomb  et  de  l'argent  au  fond  de  la  vallée 
de  Lauterbrunnen,  du  fer  magnétique  ou  aimant  au  Wetterhorn,  etc.  Mais  les  cris- 
tallières  méritent  surtout  d'être  mentionnées.  La  plus  riche  qu'on  ait  exploitée  en 
Suisse  est  celle  du  Zinkenstock,  sur  le  glacier  de  l'Aar,  laquelle  fut  découverte  en 
1720.  Elle  avait,  dit-on,  une  profondeur  de  120  pieds  sur  18  de  largeur,  et  contenait 
des  cristaux  du  poids  de  quatre,  cinq  et  même  huit  quintaux  ;  ceux  de  un  et  deux 
quintaux  y  étaient  communs.  En  1807,  on  a  découvert  une  autre  mine  de  cristal  non 
loin  de  l'hospice  du  Grimsel  ;  on  y  trouva,  dans  un  lit  de  terre  glaise,  des  cristaux  de 
formes  assez  bizarres,  et  pour  la  plupart  aplaties,  et  dont  quelques-uns  pesaient  40  à 
50  livres.  On  trouve  de  la  pierre  ollaire  près  Guttannen,  dans  l'Oberhasli  ;  de  Tasbeste 
à  Lauterbrunnen;  du  marbre,  dans  les  vallées  de  Grindelv^ald  et  de  Gadmen,  et  à 
Merlingen,  au  sud  du  lac  de  Thoune  ;  de  la  houille,  près  de  Boltigen  dans  le  Simmen- 
thaï,  au  Béatenberg  au  nord  du  lac  de  Thoune,  etc.  L'Emme  charrie  des  paillettes 
d'or,  mais  moins  aujourd'hui  qu'autrefois.  —  Dans  la  région  basse  ou  centrale,  les 
roches  qui  dominent  sont  des  grès,  qui  contiennent  une  quantité  de  débris  organi- 
ques. Tels  sont  les  bancs  de  fossiles  que  l'on  voit  près  de  Berthoud.  Plusieurs  collines 
fournissent  des  grès  à  bâtir  de  diverses  qualités. 

Le  Jura  est  composé  de  roches  calcaires  compactes,  alternant  avec  des  couches 
de  gypse  et  d'argile,  remplies  de  pétrifications  ;  on  y  rencontre  aussi  des  filons  de 
diverses  autres  substances  minérales.  Les  districts  du  Jura,  et  surtout  les  environs  de 
Porrentruy  et  le  val  Moutiers,  offrent  un  vaste  champ  d'observation  au  naturaliste. 
On  trouve  des  mines  de  fer  à  Corroux,  Correndelin,  Liesberg,  Péry,  Vauffelin,  etc. 
Ces  mines  produisent  environ  100^000  quintaux  de  fer  par  an.  On  a  reconnu  en 
divers  lieux  des  indices  d'argent,  de  plomb,  de  cuivre,  etc.  On  rencontre  des  filons 
de  marbre  près  de  Laufen  et  de  Ste.-Ui*sanne  et  dans  le  val  St.-Imier.  On  exploite 
des  carrières  de  gypse  h  Gornol  et  à  Courgenay,  près  Porrentruy  ;  et  plusieurs  car- 
rières de  belles  pierres  de  construction  :  à  Bienne,  où  la  pierre  est  jaune  ;  près  de  la 
Pierre-Pertuis,  où  elle  est  bleue;  à  Movelier  et  Bourrignon,  où  elle  est  blanchâtre;  à 
Porrentruy,  où  elle  est  grisâtre.  11  existe  au-dessus  de  Glovelier  une  grotte  remar- 
quable par  quelques  stalactites  et  surtout  par  une  température  opposée  à  celle  de 
l'air  ambiant  :  en  hiver,  sa  température  est  douce  et  fait  l'effet  de  celle  d'une  chambre 
chaude  ;  en  été,  elle  est  au  point  de  la  congélation,  de  sorte  que  les  filtrations  d'eau 
y  déposent  souvent  des  glaçons.  Le  même  phénomène  se  reproduit  aussi  en  quel- 
ques autres  endroits,  dans  des  excavations  profondes  en  forme  d'entonnoirs  :  par 
exemple,  sur  la  peate  du  Chasserai,  au-dessus  de  Courtélary.  Les  bergers  y  prennent 
quelquefois  de  la  glace  pour  la  manipulation  du  beurre  et  du  fromage.  —  Au-kIcssus 
de  Bienne  on  voit  un  grand  nombre  de  gros  blocs  erratiques  de  granit. 

Antiquité.  —  Le  canton  de  Berne  n'est  pas  aussi  riche  en  restes  d'antiquités  que 
les  contrées  qu'il  gouvernait  autrefois  (Vaud  et  Argovie).  On  n'a  reconnu  aucune 
trace  d'une  occupation  romaine  dans  l'Oberland  au-delà  de  Thoune.  Quant  à  Berne, 
comme  on  le  sait,  elle  ne  date  que  du  milieu  du  moyen-âge.  On  a  déterré  des  mon- 
naies romaines  à  Hindelbank,  près  Berthoud  ;  à  Langenthal  ;  aux  environs  de  Bienne  ; 
à  Mury,  près  Berne;  à  Thierachern;  à  Bûrgistein  et  à  Rûggisberg,  aux  environs 
de  Thoune.  On  a  trouvé  à  Amsoldingen,  près  Thoune,  une  inscription  latine  qui  est 
un  indice  de  la  domination  romaine  plus  concluant  que  les  monnaies,  car  il  est 


136  LA   suisse    PITTOBESQCE. 


possible  que  ce  soit  à  I^approche  des  hordes  de  barbares  du  Nord  que  les  habitants 
aient  enfoui  leur  argent.  On  a  reconnu  aussi  quelques  restes  celtiques  sur  le  Belp- 
berg,  entre  Berne  et  Thoune.  On  a  découvert  dans  le  cimetière  d'Herzogenbuchsee 
un  superbe  pavé  de  mosaïque  et  les  tombeau^L  des  martyrs  Félin  et  Régula,  dont 
les  cadavres  furent  apportés  en  ce  lieu  après  leur  exécution  à  Zurich,  vers  Tan  300. 
Dans  le  Jura,  entre  Sonceboz  et  Tavannes,  se  trouve  une  roche  percée,  connue  sous 
le  nom  de  Pierreport  ou  Pierre-Pertuis  {Petraj)erttisa).  Cette  ouverture,  sous  laquelle 
liasse  la  roule  de  Bienne  à  Bàle,  a  40  à  50  pieds  de  hauteur  ;  la  paroi  dans  laquelle 
elle  est  pratiquée  peut  avoir  40  à  15  pieds  d'épaisseur.  Du  côté  du  nord,  au-dessus 
de  Touverture,  on  lit  les  restes  d'une  inscription  romaine,  dont  le  temps  a  efiaoé 
plusieurs  lettres,  et  dont  le  sens  parait  être  :  En  rhofineur  des  empereurs  cette  voie  a 
été  établie  par  M.,.,  Durvus  Paterniis,  duumvir  de  la  colonie  helvétienne.  Quelques 
antiquaires  croient  qu*il  faut  lire  20^  duumvir,  etc.  Comme  Avenches  fut  créé  le 
siège  de  la  colonie  des  Helvétiens  sous  Vespasien,  Tan  61  ou  62,  et  que  le  duum- 
viral  était  une  charge  qui  durait  cinq  années,  la  date  de  l'inscription  tomberait 
environ  à  l'an  161.  Si,  comme  quelques  personnes  l'ont  soutenu,  l'ouverture  de  la 
roche  est  naturelle,  le  nom  de  Petra  pertusa,  roche  percée,  ne  lui  aura  été  donné 
que  postérieurement  à  l'établissement  de  la  voie  romaine,  à  une  époque  où  Ion 
aura  commencé  à  attribuer  celle  ouverture  à  la  main  de  l' homme. 

Sur  une  colline  à  gauche  de  la  route  de  Courgenay  à  Porrentruy  Ton  voit  une 
colonne  de  pierre  qui  a  été  un  objet  de  discussion  entre  les  antiquaires.  Elle  est 
percée  orbiculairement  à  jour,  ce  qui  fait  qu'on  l'appelle  pierre  percée.  Sa  hauteur 
est  de  dix  pieds  au-dessus  du  sol,  et  sa  largeur  de  cinq  pieds.  Elle  est  enchâssée 
dans  une  autre  pierre  couchée  horizonlalemenl  sur  la  terre.  Les  uns  ont  fait  de 
cette  colonne  un  autel  druidique;  mais  elle  est  trop  haute  pour  avoir  eu  cette 
destination  ;  les  autres  supposent  qu'elle  se  rapporte  à  une  victoire  que  Jules-César 
a  dû  remporter  en  ce  lieu  sur  Arioviste,  chef  des  Helvétiens,  et  que  ce  fut  un  mo- 
nument que  les  Gaulois  élevèrent  par  reconnaissance  pour  le  service  qu'il  leur  avait 
rendu  en  les  délivrant  de  la  présence  de  leurs  oppresseurs.  Les  arguments  à  l'appui 
de  celte  opinion  sont  tirés  soit  des  renseignements  que  César  lui-même  donne  sur 
le  théâtre  du  combat,  soit  de  la  circonstance  que  le  lieu  où  aurait  campé  César  avant 
et  après  la  bataille,  est  un  mont  qui  offre  des  traces  de  lignes  et  de  fossés,  et  qui 
conserve  encore  de  nos  jours  le  nom  de  Jules-César.  En  outre,  le  lieu  où  est  placée 
la  pierre  était  rempli  d'ossements  et  de  débris  de  lances,  de  casques  et  de  cuirasses, 
déterrés  autrefois  par  les  paysans  qui  y  labouraient,  ce  qui  prouve  que  la  pierre 
dont  il  s'agit  a  été  dressée  là  pour  conserver  le  souvenir  d'une  bataille.  Quoi  qu'il  en 
soit,  elle  est  un  objet  d'intérêt  sous  d'autres  rapports.  Tous  les  ans,  les  assemblées 
du  pays  se  réunissaient  jadis  autour  de  la  pierre,  sous  un  tilleul,  et  y  tenaient  les 
assises  appelés  plaids,  où  se  rendait  la  justice.  On  connaît  des  conventions  du  onzième 
siècle  datées  du  tilleul  de  Courgenay.  Une  tradition  superstitieuse  attribuait  à  la 
pierre  un  pouvoir  merveilleux  :  elle  passait  pour  guérir  certaines  maladies;  il  fallait 
pour  cela  que  le  malade  se  glissât  à  travers  le  trou  dont  elle  est  percée. 

Histoire  de  la  ville  et  du  canton  de  Berne.  —  Les  chroniques  et  diverses 
inscriptions  s'accordent  à  assigner  à  l'origine  de  la  ville  de  Berne  l'année  1191,  et 
attribuent  sa  fondation  au  duc  de  Zœhringen  Berthold  V,  dont  les  Etats  oompre- 


LA    SUISSE    PITTORKS<.»UR.  157 


liaient  alors  toul  le  pays  situé  en  deçà  du  Jura  et  du  lac  de  Genève  jusqu'à  la  Reuss. 
Puissant  autant  que  valeureux,  Berthold  était  surtout  redoutable  à  la  noblesse,  qu'il 
contenait  dans  le  devoir,  en  réprimant  avec  sévérité  les  vexations  et  les  abus  qu'elle 
se  permettait  envers  ses  sujets.  Odieux  par  cette  raison  aux  comtes  et  aux  barons, 
ceux-ci  profilèrent  d'une  absence  qu'il  fit  dans  Tannée  1(89,  pour  susciter  des 
troubles  qui  devaient  leur  fournir  l'occasion  de  ressaisir  avec  impunité  un  pouvoir 
arbitraire.  A  son  retour,  il  trouva  la  plus  grande  partie  de  la  Suisse  livrée  au  dés- 
ordre et  à  la  rébellion,  ce  qui  l'obligea  de  lever  des  troupes  et  de  marcher  contre 
Ifô  séditieux.  Il  parvint  aisément  à  les  faire  rentrer  dans  le  devoir,  et,  ayant  fait 
prisonniers  plusieurs  vassaux  félons,  il  fit  exécuter  les  plus  coupables  à  Burgdorf, 
où  il  résidait  habituellement.  La  noblesse  factieuse  fut  ainsi  réduite  à  l'obéissance, 
mais  sa  haine  envers  un  suzerain  aussi  sévère  s'accrut  de  jour  en  jour,  et  finit  par 
un  acte  de  vengeance  atroce  :  la  femme  et  les  deux  fils  de  Berthold  furent  dési- 
gnés pour  victimes,  et  périrent  tous  trois  par  le  poison.  (D'après  quelques  historiens, 
cependant,  ce  fait  ne  se  serait  passé  qu'en  1217,  un  an  seulement  avant  la  mort  de 
Berthold.  )  Justement  irrité,  le  père,  qui  voyait  sa  race  s'éteindre  avec  lui,  songea 
au  moyen  d'écraser  ses  ennemis,  et  conçut  l'idée  de  fonder  une  ville  nouvelle,  à 
laquelle  il  accorderait  des  institutions  et  des  privilèges  qui  devaient  nécessairement 
exciter  la  jalousie  et  créer  une  animosité  entre  les  habitants  et  la  noblesse  des  envi- 
rons, dont  les  suites  seraient  un  jour  l'anéantissement  de  celle-ci. 

Il  possédait  alors  un  château  de  chasse,  appelé  la  Nydeck,  qui  se  trouvait  sur 
l'emplacement  où  l'on  a  élevé  plus  tard  une  église  du  même  nom.  La  position  de  ce 
château  sur  une  éminence  entourée  par  l'Aar  en  rendait  l'approche  difficile,  en 
même  temps  qu'elle  le  rendait  propre  à  protéger  la  ville  qui  s'élèverait  sous  ses  murs. 
Ce  fut  le  plateau  de  cette  colline  que  Berthold  choisit  pour  l'exécution  de  son  projet. 
Ce  plateau  était  alors  couvert  de  grands  chênes.  Après  avoir  reconnu  le  terrain, 
Berthold  confia  l'exécution  de  son  plan  à  l'un  de  ses  vassaux,  le  chevalier  Cunon 
de  Bubenberg.  Les  premières  maisons  furent  bâties  avec  des  chênes  coupés  sur  la 
place  même.  Les  chroniques  rapportent  que  Berthold  ayant  tué  un  ours  à  l'endroit 
où  la  ville  fut  bâtie,  il  la  nomma  Berne,  du  nom  de  cet  animal,  appelé  Bar  en  langue 
allemande.  Dans  le  hwX  d'attirer  une  nombreuse  population  dans  la  nouvelle  ville,  le 
duc  de  Z(ehringen  accorda  plusieurs  franchises  à  quiconque  vint  s'y  établir.  Le 
nombre  de  ses  habitants  s'accrut  rapidement;  plusieurs  nobles  chevaliers  quittèrent 
leurs  donjons,  et  vinrent  s'associer  à  une  bourgeoisie  qui  se  gouvernait  par  des  ma- 
gistrats pris  dans  son  sein,  et  qui  était  sous  le  patronage  d'un  seigneur  puissimt. 
Berthold,  qui  déjà  en  1195  avait  mis  sa  nouvelle  ville  sous  la  protection  de  l'em- 
pereur Henri  IV,  conserva  néanmoins  son  droit  de  souveraineté  jusqu'à  sa  mort, 
arrivée  en  1218. 

A  cette  époque,  Frédéric  II,  qui  occupait  le  siège  de  l'empire,  en  môme  temps 
qu'il  confirma  toutes  les  anciennes  immunités,  lui  accorda  de  nouveaux  privilèges, 
et  la  déclara  même  indépendante.  Une  foule  d'étrangers  s'empressèrent  de  venir  s'y 
établir  et  de  se  faire  recevoir  au  nombre  de  ses  bourgeois,  et  contribuèrent  à  l'a- 
grandir et  à  la  rendre  florissante.  En  1291,  Berne  remporta  sur  les  hauteurs  du 
Donnersbûhel  une  grande  victoire  sur  l'empereur  Bodolphc  de  Habsbourg.  Pierre  de 
Savoie  étendit  la  ville  depuis  la  tour  de  l'Horloge  jusqu'à  celle  des  Prisons;  la  bour- 

11.9.  18 


438  LA    SUISSE   PITTORESQUE. 


gcoisie  de  Berne  lui  décerna  pour  celle  munificence  et  pour  d'autres  services  le  litre 
de  second  fondateur  de  Berne.  Dans  Tannée  1546,  la  ville  fut  de  nouveau  prolongée 
jusqu'à  la  tour  de  Goliath  (ou  Chrislopheltharm),  et  à  cette  époque  elle  fui  aussi 
entourée  d'une  muraille  flanquée  de  tours. 

C'est  vers  ce  temps  que  Berne  réunit  l'Oberland  à  son  territoire.  Déjà  Tboune  el 
son  comté  étaient  devenus  partie  du  territoire  bernois.  Au  commencement  du 
44*"  siècle,  le  vieux  comte  Hartmann  de  Kybourg,  qui  dominait  tout  l'Oberland  el 
I)ossédait  un  grand  nombre  de  cbàteaux  dans  l'Argovie,  vint  à  mourir.  Ses  deux  fils, 
llartmann  et  El)erbard,  se  disputèrent  son  héritage,  et,  soutenus  par  leurs  partisans, 
ils  étaient  sur  le  point  d'en  venir  aux  mains.  Le  duc  Léopold  d'Autriche  ordonna  que 
llartmann  jouirait  du  pouvoir  suprême,  et  qu'Eberhard  résiderait  auprès  de  lui,  au 
château  de  Thoune.  Pour  célébrer  la  réconcilialion  des  deux  frères,  on  convoqua 
dans  cette  ville  toute  la  noblesse  du  voisinage;  mais,  au  milieu  du  festin,  Harlmann 
apostrophe  Eberhard  en  termes  si  oiïensanls,  que  les  amis  de  ce  dernier  courent  aux 
armes.  Un  combat  opiniâtre  a  lieu  ;  Hartmann  est  tué,  et  son  cadavre  précipité  dans 
la  rue.  Eberhard,  pour  s'assurer  la  protection  de  la  ville  de  Berne  dans  une  cir- 
constance aussi  critique,  offre  de  lui  céder  une  partie  de  ses  domaines  el  la  souverai- 
neté de  Thoune.  Les  Bernois  acceptent,  et  cette  ville  devient  dès  ce  moment  l'une 
des  villes  municipales  du  canton.  —  Les  habitants  des  vallées  de  Hasli  et  de  Grin- 
delwald  avaient,  dès  le  12'  siècle,  repoussé  les  agressions  de  la  maison  d'Autriche  el 
des  seigneurs  de  Kybourg  et  de  Strassberg,  et  avaient  su  conserver  leurs  privil^es 
menacés.  En  1333,  mécontents  de  leur  nouveau  maître,  le  baron  Jean  de  Weissen- 
bourg,  qui  gouvernait  au  nom  de  l'empereur,  ils  s'insurgèrent  contre  lui  et  l'assié- 
gèrent dans  son  château  d'Unspunnen  près  d'Interlaken  ;  mais  ils  furent  repoussés, 
et  cinquante  des  principaux  insurgés  furent  faits  prisonniers  et  enfermés  dans  les 
cachots.  Alors  les  montagnards  offrirent  à  Berne  de  se  soumettre  à  sa  domination,  s'il 
consentait  à  maintenir  tous  leurs  privilèges  et  à  délivrer  leurs  prisonniers.  Berne 
accepta  ces  conditions,  et  s'empressa  de  saisir  cette  occasion  d'étendre  son  territoire. 
Quelques  années  plus  tard  (  1356  ),  il  est  vrai,  se  trouvant  opprimés  par  les  seigneurs 
de  Rinkenberg,  bourgeois  de  Berne,  les  montagnards  se  soulevèrent,  avec  l'aide  des 
Unterwaldois  ;  mais  ils  furent  vaincus  et  forcés  de  rentrer  dans  l'obéissance.  Dcs- 
lors,  l'histoire  de  ces  peuplades  fut  liée  avec  celle  de  la  capitale. 

En  1339,  Berne  ne  voulant  pas  recevoir  la  monnaie  que  le  comte  Eberhard  de 
Kybourg  frappait  avec  privilège  impérial,  ni  reconnaître  même  l'empereur  Louis  de 
Bavière,  parce  que  le  pape  l'avait  excommunié,  les  seigneurs  du  voisinage  saisirent 
avec  joie  ce  prétexte  pour  châtier  les  rebelles,  et  décidèrent  qu'il  fallait  détruire  de 
fond  en  comble  la  ville  de  Berne.  La  noblesse  de  Souabe,  d'Alsace,  de  Bourgogne, 
de  Neuchâlel,  de  Savoie,  etc.,  s'assembla,  et  700  seigneurs  armés  de  casques  cou- 
ronnés, 1200  chevaliers  cuirassés,  s'avancèrent  contre  Berne  avec  18,000  hommes  à 
pied  et  5000  chevaux.  Le  comte  Nidau,  chef  de  la  ligue,  avait  à  son  service  un 
jeune  guerrier  bernois,  Rodolphe  d'Erlach  ;  il  eut  la  générosité  de  le  laisser  partir 
pour  aller  offrir  son  bras  à  sa  patrie.  D'Erlach  fut  élu  chef  de  l'armée  bernoise,  qui, 
avec  le  secours  des  Petits-Cantons,  de  Soleure  et  du  Hasli,  s'élevait  à  6000  hommes. 
Celle  petite  armée,  à  laquelle  d'Erlach  communiqua  son  ardent  patriotisme,  attaqua 
intrépidement  l'ennemi,  qui  assiégeait  Laupcn,  où  les  Bernois  avaient  placé  une 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  439 


garnison  de  400  hommes.  Les  nobles  ne  purent  résister  à  Timpétuosité  des  troupes 
suisses,  et  furent  mis  en  complète  déroute  ;  ils  laissèrent  4500  hommes  et  27  ban- 
nières sur  le  champ  de  bataille. 

Mais,  vers  ce  temps,  une  ère  nouvelle  avait  commencé  pour  THelvétie  ;  Schwylz, 
Uri  et  Unterwald  s'étaient  soulevés,  avaient  chassé  les  baillis  autrichiens  qui  les 
opprimaient,  et  s'étaient  affranchis  de  toute  dépendance  et  constitués  en  république. 
Ils  avaient  vigoureusement  repoussé  les  attaques  de  l'empereur  Albert,  qui  tentait 
de  les  replacer  sous  le  joug.  En  1553,  Berne  entra  dans  la  Confédération  helvétique, 
et  le  second  rang  lui  fut  assigné  entre  les  cantons.  Depuis  cette  époque  mémorable, 
sa  puissance  ne  cessa  de  s'agrandir  ;  elle  recula  peu  à  peu  les  limites  de  son  territoire, 
et  des  alliances  nombreuses  affermirent  ses  institutions  et  son  autorité.  —  En  1375, 
les  bandes  farouches  d'Enguerrand  de  Goucy,  composées  d'Anglais,  de  Bretons,  de 
Normands,  etc.,  après  avoir  dévasté  l'Alsace,  pénétrèrent  en  Suisse  par  Bàle,  tra- 
versèrent les  défila  du  Hauenstein  dans  le  Jura,  et  envahirent  les  territoires  bernois 
et  lucernois.  Les  troupes  de  Berne  et  des  villes  voisines  marchèrent  à  leur  rencontre, 
et  les  défirent  à  Anet  (lus)  et  à  Fraubrunnen.  Battu  aussi  dans  l'Entlibuch,  Enguer- 
rand  se  vit  contraint  de  repasser  en  Alsace,  où  ses  bandes  se  dispersèrent. 

Au  commencement  du  l^  siècle  (1415),  Berne  s'agrandit  en  particulier  du  côté 
du  nord.  L'empereur  ayant  déclaré  le  duc  Frédéric  coupable  du  crime  de  lèze-majesté 
envers  sa  personne  et  envers  l'empire,  le  dépouilla  de  ses  droits  de  souverain  et  de 
ses  fiefs.  Tous  les  sujets  de  l'empire  furent  sommés  de  prendre  les  armes  contre  lui, 
et  la  même  injonction  fut  adressée  aux  confédérés.  Alors  les  Bernois,  dans  l'espace 
de  quelques  semaines,  s'emparèrent  de  dix-sept  forteresses  et  villes  fortifiées,  et  d'une 
vaste  et  riche  contrée,  formant  la  plus  grande  partie  de  l'Argovie.  En  même  temps, 
l(^  troupes  des  autres  cantons  occupèrent  la  partie  orientale  de  ce  pays.  Berne  garda 
ensuite  ses  conquêtes  ;  le  reste  de  la  contrée  fut  gouverné  en  commun  par  les  autres 
cantons. 

En  1476,  Berne  se  réunit  à  ses  alliés  pour  s'opposer  à  l'invasion  dont  Gharles-le- 
Téméraire  les  menaçait.  Les  victoires  de  Grandson  et  dé  Morat  les  délivrèrent  du  con- 
quérant; mais  l'immense  butin  qui  devint  la  proie  des  Suisses  causa  parmi  eux  des 
discussions  graves.  C'est  à  cette  époque  que  les  Suisses  commencèrent  à  s'enrôler 
sous  les  drapeaux  de  plusieurs  souverains.  Le  luxe  et  la  mollesse  s'étaient  introduits 
dans  leurs  mœurs,  et  la  corruption  avait  pénétré  jusque  dans  les  couvents,  quand 
Berthold  Haller  prêcha  publiquement  la  Réforme  à  Berne,  ainsi  que  Musculus  (Mûslin) 
et  Nicolas  Manuel.  Le  nouveau  culte  fut  solennellement  reconnu  en  1530.  En  1536, 
le  Pays  de  Vaud  fut  enlevé  par  les  Bernois  au  duc  de  Savoie.  Celui-ci,  engagé  dans 
une  guerre  contre  le  roi  de  France,  ne  put  opposer  aucune  résistance  ;  d'ailleurs,  les 
villes  et  les  campagnes  vaudoises  étaient  fatiguées  du  joug  pesant  de  la  maison  de 
Savoie,  et  se  soumirent  volontiers  aux  Bernois.  En  même  temps,  la  Réforme  fut  prê- 
chée  et  facilement  introduite  dans  le  pays  conquis.  L'année  suivante,  le  duc  de  Savoie 
renonça  à  tous  sqs  droits  sur  cette  contrée  en  faveur  des  vainqueurs.  Berne,  assisté 
des  Genevois,  poussa  même  ses  conquêtes  jusque  dans  le  Chablais;  mais  la  possession 
de  ce  pays  ne  fut  que  momentanée. 

Cependant,  l'aristocratie  bernoise  était  devenue  de  jour  en  jour  plus  puissante,  et 
les  familles  iiatriciennes  avaient  fini  par  composer  seules  le  gouvernement.  Vingt-sept 


i40  LA   SUISSB   PITTORiSQUE. 


palrieiens  Tormèrenl  le  Petit  Conseil,  nommé  par  un  Grand  Conseil,  auquel  n^élaicnt 
éligibles  que  243  familles,  qui  accaparaient  toutes  les  places  lucratives  et  s^arro- 
^eaicnt  les  plus  grands  privilèges  et  des  distinctions  insultantes  pour  le  reste  des 
habitants.  En  mémo  temps,  la  noblesse  se  rendait  odieuse  par  son  luxe.  En  1653,  les 
imysans  du  canton  ayant  tenté  de  se  soustraire  à  son  oppression,  Berne  fut  obligée 
d'employer  la  force,  {lour  les  soumettre  et  les  réduire  à  l'obéissance.  Depuis  cette 
époque,  la  république  de  Berne  jouit  d'un  long  intervalle  de  paix,  troublé  à  peine  par 
quelques  querelles  intestines,  passagères,  ainsi  que  par  une  tentative  d*insurrection 
(|ui  éclata  dans  le  Pays  de  Vaud  en  4723.  D'imi)ortantes  améliorations  matérielles 
eurent  lieu  durant  le  18*  siècle  ;  l'administration  bernoise  s'appliqua  à  gouverner  avec 
ordre  et  économie,  en  même  temps  qu'avec  une  rare  équité;  en  particulier,  elle  fut 
Tune  des  premières  ù  porter  son  attention  sur  l'amélioration  des  voies  publiques,  qui, 
jusqu'au  milieu  du  dernier  siècle,  étaient  détestables  dans  la  plus  grande  partie  de 
la  Suisse. 

Loi^ue  éclata  la  révolution  française,  les  idées  nouvelles  ne  tardèrent  pas  à  s'in- 
troduire en  Suisse  ;  les  campagnes  et  les  pays  sujets  réclamèrent  leur  affranchisse- 
inent  ;  l'Argovie  et  le  Pays  de  Vaud  redemandèrent  avec  plus  d'énergie  que  jamais 
les  libertés  que  Berne  leur  avait  enlevées.  Les  Vaudois  implorèrent  même  la  média- 
tion de  la  France,  en  vertu  d'anciens  traités.  Le  Pays  de  Vaud  fut  envahi,  en  février 
1798,  par  les  troupes  françaises,  qui  y  furent  accueillies  avec  enthousiasme;  et  sous 
leur  protection  le  |)ays  se  déclara  indépendant  de  Berne.  Comme  d'autres  gouverne- 
ments suisses,  celui  de  Berne  fit  alors  quelques  concessions  tardives;  le  Grand  Con- 
seil reçut  au  nombre  de  st^s  membres  82  représentants  de  la  campagne,  et  engageai 
le  peuple  à  s'unir  ù  lui  dans  le  danger  commun.  Berne,  Soleure  et  Friboui^  opposè- 
rent leurs  trou])es  &  l'armée  française,  qui  s'avançait  sous  les  oi-dres  des  généraux 
Brune  et  Schauenbourg.  Quelques  secours  arrivèrent  aussi  de  Lucerne,  Glaris  et  des 
Petits-Cantons.  C'était  encore  un  d'Erlach  qui  commandait  les  Bernois,  comme  à  la 
journée  de  Laupen.  Mais,  après  une  résistance  intrépide  et  des  combats  sanglants 
livrés  à  Bt^lmont  près  Bienne,  à  Bûren,  ù  Neueneck  et  dans  la  Forôt-Grise  {Granliolz), 
ils  durent  céder  au  nombre.  Voyant  que  tout  était  perdu,  les  paysans  armés  se  dis- 
pei-sèrent  ;  poussés  par  le  désespoir,  ils  crièrent  à  la  trahison,  et  assassinèrent  plusieurs 
de  leurs  ofRciere,  et  entre  autres  d'Erlach.  Déjà  Fribourg  cl  Soleure  avaient  été  occu- 
pés. Berne  fut  obligé  de  capituler,  le  5  mars  1798,  et  de  renoncer  à  sa  domination  et 
à  son  palriciat.  Une  grande  partie  de  son  trésor  devint  la  proie  des  vainqueurs.  La 
Suisse  fut  bientôt  complètement  occupée,  et  fut  divisée  en  18  cantons  ;  l'ancien  terri- 
toire bernois  en  forma  quatre  :  ceux  de  Berne,  de  l'Oberland,  du  Léman  et  d'Ar- 
govie.  Cette  constitution  n'eut  qu'une  existence  éphémère,  et  en  1803,  Bonaparte, 
premier  consul,  intervint  par  l'Acte  de  médiation,  pour  apaiser  les  dissensions  inté- 
rieures* de  la  Suisse,  et  divisa  le  pays  en  19  cantons.  L'indépendance  de  Vaud  et 
d'Argovie  fut  de  nouveau  proclamée,  et  ces  deux  contrées  restèrent  définitivement 
constituées  en  cantons  distincts. 

Dès  que  les  événements  eurent  annulé  l'Acte  de  médiation  à  la  fin  de  1813,  les 
patriciens  s'empressèrent  de  ressaisir  une  |)artie  de  leurs  anciens  privilèges;  ils  orga- 
nisèrent un  Grand  Conseil  de  200  membres  citadins,  auxquels  ils  joignirent  seule- 
ment 99  députés  des  districts  du  canton  ;  encore  ceux-ci  n'élaient  pas  directement 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  441 


élus  par  le  peuple,  mais  en  partie  par  des  collèges  électoraux  entièrement  soumis  aux 
fonctionnaires  publics,  et  en  partie  par  le  Grand  Conseil  lui-même.  Tout  ce  qui  resta 
de  libertés  au  peuple  consista  dans  les  institutions  municipales,  qu'on  laissa  aux 
communes  qui  les  possédaient  d'ancienne  date.  L'aristocratie  avait  espéré  aussi  recou- 
vrer ses  anciens  territoires;  mais  en  4815,  le  Congrès  de  Vienne  donna  à  Berne  la 
ville  de  Bienne  et  son  territoire,  avec  une  grande  partie  du  ci-de^nt  évéché  de  Bàle, 
en  dédommagement  de  la  perte  de  ses  anciennes  possessions. 

Le  canton  de  Berne  fut  un  des  premiers  qui  éprouvèrent  le  contre-coup  de  la  révo- 
lution française  de  4830.  Le  gouvernement  aristocratique  fut  renversé;  une  nouvelle 
Constitution  démocratique  fut  élaborée,  et  l'Etat  de  Berne  fut  dès-lors  un  des  cantons 
radicaux  les  plus  avancés.  II  prit  part  au  concordat  dit  des  sept  cantons,  par  lequel 
les  Etats  de  Berne,  Soleure,  Lucerne,  Argovie,  Zurich,  Thurgovie  et  St.-Gall,  se 
promettaient  assistance  réciproque  pour  la  défense  de  leurs  Constitutions.  Berne 
insistait  aussi  en  Diète  pour  une  révision  totale  du  Pacte  fédéral,  par  laquelle  il  espé- 
rait obtenir  une  influence  plus  grande.  En  48/li5,  le  gouvernement  ne  se  déclarant 
pas  favorable  aux  expéditions  de  corps-francs  qui  furent  tentées  contre  Lucerne,  fut 
renversé,  et  remplacé  par  un  gouvernement  plus  radical  ;  l'année  suivante,  la  Con. 
slitution  fut  révisée  aussi  dans  un  sens  plus  démocratique.  C'est  à  Berne  que  siégeait 
la  Diète  en  4847,  lorsque  la  guerre  civile  éclata  en  Suisse  et  que  les  cantons  de  la 
majorité  levèrent  des  troupes  pour  forcer  la  ligue  catholique  du  Sonderbund  à  se 
dissoudre.  Après  la  victoire,  un  nouvel  Acle  fédéral  fut  délibéré  à  Berne,  et  depuis 
l'adoption  de  cette  nouvelle  Constitution  par  la  grande  majorité  de  la  Suisse,  Berne 
est  devenu  chef-lieu  permanent  de  la  Confédération  helvétique  et  le  siège  des  auto- 
rités fédérales. 

En  4850,  après  une  nombreuse  assemblée  populaire  qui  eut  lieu  le  25  mars  à 
Mûnsingen,  entre  Berne  et  Thoune,  les  élections  au  Grand  Conseil  ne  furent  pas 
favorables  au  gouvernement  radical,  dont  M.  Slâmpfli  élait  l'&mc.  Un  nouveau  gou- 
vernement, élu  par  ce  Grand  Conseil,  fut  pris  parmi  l'ancien  parti  conservateur, 
quoique  un  ou  deux  membres  seulement  appartinssent  à  des  familles  aristocratiques. 
Ce  gouvernement  fut  attaqué  violemment  par  les  meneurs  radicaux.  Bien  qu'animé 
d'intentions  excellentes,  et  gouvernant  conformément  à  la  Constitution,  il  ne  fut  réélu 
qu'en  partie  en  4854.  Le  Grand  Conseil  se  trouvant  partagé  en  deux  parties  presque 
(^les,  l'avis  d'une  fusion  l'emporta.  Quatre  membres  furent  pris  dans  chaque  parti  ; 
le  neuvième  devait  être  nommé  par  le  parti  le  plus  nombreux  :  ce  fut  le  candidat  du 
parti  conservateur  qui  l'emporta  de  quelques  voix.  M.  Stâmpfli,  qui  avait  été  l'un 
des  principaux  adversaires  du  gouvernement  de  4850,  entra  lui-même  dans  ce  gou- 
vernement de  fusion  ;  mais,  en  décembre  4854,  il  fut  élu  membre  du  Conseil  fédéral, 
en  remplacement  de  M.  Ocbsenbein. 

Constitutions.  —  Le  gouvernement  de  Berne  était  autrefois  une  république  aristo- 
cratique pure;  tous  les  emplois  se  trouvaient  concentrés  dans  un  petit  nombre  do 
iamilles;  l'autorité  résidait  dans  un  Conseil,  dit  des  Deux-Cents,  lequel,  réuni  au 
Petit  Conseil,  composé  de  27  membres,  prenait  le  titre  de  Conseil  et  Bourgeoisie  de  la 
Ville  de  Berne.  Il  y  avait  encore  un  Conseil,  dit  des  Seize,  élu  par  la  ville  de  Berne, 
et  chaiigé  spécialement  des  fonctions  municipales;  un  Conseil  secret,  chargé  des  fonc- 
tions politiques;  enfin,  un  Conseil  de  guerre.  La  première  charge  était  celle  d'à- 


I&2  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


voyer.  Il  y  en  avait  deux,  qui  se  succédaient  annuellement.  Après  eux,  venaient  les 
deux  trésoriers  chargés  de  percevoir  les  revenus  des  bailliages  allemands  et  français. 
Il  y  avait  quatre  bannerets,  élus  par  les  quatre  principales  abbayes  de  Berne  :  celles 
des  boucbei*s,  des  boulangers,  des  tanneurs  et  des  maréchaux,  dont  ils  gardaient  les 
bannières.  Les  chambres  des  bannerets,  présidées  par  les  trésoriers,  recevaient  les 
comptes  des  baillis..  Berne  i)ossédait  encore  une  institution  appelée  Catiseil  d'Etal 
exUrieur,  composée  des  jeunes  bourgeois  des  Tamilles  les  plus  considérables  de  la 
ville,  qui  avait  ses  avoyers,  ses  trésoriers,  ses  bannerets,  ses  Conseils,  et  qui  corres- 
pondait d*une  manière  fictive  avec  k^s  diiïérentes  branches  du  gouvernement  ;  cet 
établissement  familiarisiiit  de  bonne  heure  la  jeunesse  avec  la  constitution  du  pays; 
c'était  plus  une  sorte  d'école  administrative  qu'une  assemblée.  Le  canton,  y  compris 
TArgovie  et  le  Pays  de  Vaud,  était  partagé  en  50  chàtellenies  ou  bailliages.  — Après 
la  Restauration,  le  canton  fut  divisé  en  27  préfectures  ou  bailliages,  dont  22  pour 
le  territoire  ancien  et  5  pour  le  district  du  Jura,  ou  ci-devant  évéché  de  Bàle.  Le 
pouvoir  souverain  était  exercé  par  deux  Conseils  électifs,  il  est  vrai ,  mais  où  il  n'y 
avait  qu'une  apparence  de  renouvellement.  Le  Grand  Conseil  était  composé  de  299 
membres,  dont  200  élus  par  la  seule  ville  de  Berne,  et  99  par  les  autres  villes  et 
par  les  cami)agnes.  Pour  être  éligible,  il  fallait  être  &gé  de  29  ans  et  remplir  di- 
verses conditions  pécuniaires  et  autres.  Le  Grand  Conseil  tirait  de  son  sein  les 
27  membres  du  Petit,  y  compris  les  deux  avoyers.  Berne  avait  une  administration 
munici])ale  particulière,  à  la  tète  de  laquelle  étaient  deux  bourgmestres.  Les  autres 
villes  et  les  communes  rurales  avaient  une  administration  semblable,  composée  de 
magistrats  élus  par  leurs  concitoyens. 

D'après  la  Constitution  de  1854,  qui  fut  acceptée  le  31  juillet  par  27,802  voix 
contre  2153,  Berne  est  devenue  une  république  démocratique.  La  liberté  de  la 
presse,  la  liberté  de  croyance,  l'égalité  devant  la  loi,  etc.,  ont  été  consacrées;  toutes 
les  fonctions  civiles  n'ont  plus  été  confiées  que  pour  un  temps  limité.  D'après  cette 
Constitution,  il  fallait,  pour  être  électeur  primaire,  avoir  23  ans  accomplis;  et  pour 
être  éligible,  avoir  29  ans,  et  posséder  5000  livres  de  Suisse.  Chaque  paroisse  for- 
mait une  assemblée  primaire  qui  élisait  un  électeur  sur  100  âmes.  Les  électeurs 
ainsi  nommés  élisaient  eux-mêmes  200  membres  du  Grand  Conseil  ;  ces  200  députés 
nommaient  ensuite  les  40  autres  membres  de  l'assemblée.  Le  Grand  Conseil  était 
nommé  pour  six  ans  et  renouvelé  par  tiers.  Le  Grand  Conseil  élisait  dans  son  sein 
un  président  portant  le  titre  de  landammann.  Il  élisait  de  même  un  Conseil  exécutif 
composé  d'un  avoyer  et  de  16  membres,  qui  restaient  en  fonction  tant  qu'ils  étaient 
membres  du  Grand  Conseil.  Il  élisait  en  outre  chaque  année  16  autres  membres,  qui 
devaient  prendre  part  aux  travaux  préparatoires  du  Conseil  exécutif  sur  les  objets 
constitutionnels  et  sur  les  principales  lois,  ainsi  qu'à  l'élection  et  à  la  révocation  des 
fonctionnaires.  Le  Conseil  exécutif  élisait  pour  six  ans  les  préfets  de  districts.  Le 
Grand  Conseil  nommait  pour  quinze  ans  une  Cour  d'Appel,  dont  les  membres  étaient 
renouvelés  par  tiers  ;  il  y  avait  en  outre  des  tribunaux  de  district  et  des  juges  de 
paix.  Les  assemblées  communales  nommaient  pour  six  ans  les  autorités  municipales. 

Cette  Constitution  a  été  révisée  en  1846  ;  le  nouveau  projet,  rédigé  par  une  Consti- 
tuante, a  été  adopté  le  31  juillet  par  34,079  voix  contre  1257.  La  révision  a  porté 
principalement  sur  les  points  suivants  :  On  est  électeur  à  20  ans  révolus  et  éligible 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  443 


à  25.  Chaque  paroisse  {Kirchgemeindsbezirk)  forme  une  assemblée  politique,  et 
celles  de  plus  de  2000  âmes  peuvent  être  partagées  en  plusieurs  assemblées.  Ces 
assemblées  votent  sur  les  Constitutions  fédérale  et  cantonale  et  sur  les  changements 
à  ces  Constitutions,  et  prennent  part  à  la  nomination  du  Grand  Conseil.  Le  territoire 
est  divisé  en  cercles  élisant  un  député  par  2000  âmes  de  population.  Le  Grand  Con- 
seil est  nommé  pour  quatre  ans,  et  renouvelé  intégralement.  Il  peut  être  renouvelé 
extraordinairement  si  la  majorité  des  citoyens  le  décident  ;  si  8000  citoyens  en  font 
la  demande,  cette  question  est  soumise  au  peuple.  La  présence  de  80  membres  est 
nécessaire  pour  toute  délibération  et  décision  du  Grand  Conseil.  Le  Grand  Conseil 
nomme  un  Conseil  d'Etat  de  9  membres  sachant  les  deux  langues,  et  il  en  élit  le 
président.  Il  nomme  les  préfets  de  district  sur  une  double  présentation  faite  par  les 
assemblées  de  district  et  par  le  Conseil  exécutif.  Il  nomme  pour  huit  ans  un  Tribunal 
d'Appel  de  15  membres,  renouvelés  par  moitié  tous  les  quatre  ans.  Les  membres 
des  tribunaux  de  district  sont  nommés  pour  quatre  ans  par  les  assemblées  de  dis- 
Irict,  sauf  les  présidents.  Le  jury  est  établi  pour  toutes  les  affaires  criminelles,  poli- 
tiques ou  de  presse.  Si  le  Grand  Conseil  le  propose,  ou  si  8000  citoyens  le  demandent, 
le  peuple  est  appelé  à  décider  si  la  Constitution  sera  révisée,  et  si  la  révision  aura 
lieu  par  une  Constituante  ou  par  le  Grand  Conseil. 

LÉGISLATION.  —  Lorsque  les  districts  du  Jura  furent  réunis  au  canton  de  Berne,  en 
1815,  la  législation  française  y  était  en  vigueur  ;  elle  a  continué  dès-lors  à  y  être 
appliquée;  la  Constitution  de  1846  maintient  encore  les  codes  français  pour  cette 
partie  du  territoire,  sous  réserve  d'une  révision.  Quant  à  la  législation  de  l'ancienne 
partie  du  canton,  on  a  travaillé  depuis  plus  de  vingt  ans  à  l'améliorer. 

Cultes.  —  Sur  la  population  totale  du  canton,  qui  est,  comme  nous  l'avons  dit, 
de  458,301  habitants,  on  compte  403,768  protestants,  54,045  catholiques  et 
488  israêlites.  Les  catholiques  habitent,  pour  la  plupart,  dans  les  vallées  du  Jura  qui 
formaient  ci-devant  l'évêché  de  Bàle.  Toutefois,  les  habitants  du  val  St.-Imier  sont 
presque  tous  protestants,  et  le  même  culte  domine  aussi  dans  le  district  de  Moutiers. 
Ce  sont  les  districts  de  Laufen,  Délémont,  Porrentruy,  et  celui  des  Franches-Mon- 
tagnes (au  sud  de  Porrentruy),  qui  sont  presque  exclusivement  catholiques.  Les 
ressortissants  des  deux  communions  vivaient  paisiblement  sous  les  mêmes  lois, 
et  jouissaient  de  la  même  prot^tion.  Par  une  singularité  bien  remarquable,  c'était 
Tévêque  qui  nommait  et  salariait  les  ministres  des  deux  cultes,  et  la  sage  tolérance 
qui  animait  le  chef  avait  passé  dans  l'esprit  des  sujets.  On  trouve  en  outre,  dans  le 
Jura,  un  certain  nombre  de  familles  d'anabaptistes,  qui,  chassés  du  canton  de  Berne 
il  y  a  deux  siècles  pour  s'être  refusés  au  port  d'armes  et  à  la  prestation  du  serment, 
vinrent  se  réfugier  dans  ce  pays,  où,  à  l'ombre  d'une  sage  tolérance,  elles  ont  cultivé 
les  arides  sommités  qu'elles  habitent.  Elles  ont  constamment  donné  l'exemple  de 
mœurs  simples  et  irréprochables.  Quant  à  Bienne  et  à  ses  environs,  ils  sont  réfor- 
més. Depuis  1815,  une  église  a  été  consacrée  au  culte  catholique  dans  la  ville  de 
Berne;  mais  il  est  question,  depuis  quelque  temps,  d'y  construire  une  nouvelle  église 
destinée  à  ce  culte.  Les  catholiques  de  la  ville  de  Berne  dépendent  de  l'évéque  de 
Fribourg;  ceux  du  Jura  dépendent  maintenant  de  l'évéque  de  Soleure.  D'après  les 
Constitutions  de  1831  et  1846,  les  affaires  intérieures  de  l'Eglise  réformée  sont  diri- 
gées ^lar  UD  synode.  —  Les  journaux  faisaient  récemment  remarquer  (avril  1855), 


Hk  LA   SUISSE   PiTTORESQVe. 


comme  un  exemple  remarquable  des  progrès  de  la  tolérance,  que  les  foncUons  de 
président  du  Grand  Conseil  et  du  Conseil  exécutif  se  trouvent  maintenant  confiées  à 
deux  catholiques,  MM.  Carlin  et  Migy. 

Instruction  publique.  —  Chaque  préfecture  du  canton  possède  deux  collèges  et  un 
certain  nombre  d'écoles  primaires.  Berne,  Thoune,  Déicmont  et  Porrentruy,  possè 
dent  des  gymnases  entretenus  en  partie  par  le  gouvernement.  On  y  professe  rhistoire, 
la  philosophie,  les  langues  anciennes,  Tallemand,  le  français  et  les  mathématiques. 
En  outre,  la  capitale  possède  une  école  normale  et  une  académie.  Cclle-<;i  se  divise  en 
supérieure  et  inférieure.  Cette  dernière  se  compose  principalement  d*un  lycée  ou 
gymnase;  la  haute  académie  se  divise  en  S  sections  ou  facultés;  on  y  professe  la 
théologie,  la  jurisprudence,  la  médecine  et  la  chirui^ie,  les  sciences  physiques  et 
mathématiques,  la  philosophie  et  la  philologie.  Elle  compte  plusieurs  hommes  dis- 
tingués parmi  ses  professeurs,  et  ses  étudiants  sont  au  nombre  d'environ  200. 

Mais,  bien  qu'il  ait  cessé  d'exister  depuis  deux  ou  trois  ans,  nous  ne  devons  pas 
oublier  de  mentionner  l'institut  d'Hofwyl.  C'est  en  1799  que  M.  Emmanuel  de  Fellen- 
berg,  cet  homme  également  distingué  par  ses  connaissances  varices,  les  nobles  qua- 
lités de  son  cœur  et  l'extrême  simplicité  de  ses  goûts,  commença  à  Hofwyl,  ferme 
située  dans  une  contrée  fertile,  non  loin  de  lajroute  de  Berne  à  Soleure,  les  essais 
agronomiques  qui  ont  élevé  à  une  grande  perfection  les  diverses  branches  de  Pcco 
nomie  rurale,  et  qui,  joints  &  d'excellents  établissements  d'éducation,  ont  attiré  \(^ 
regards  d'une  foule  de  savants  et  de  philanthropes.  Le  domaine  d'Hofwyl  contenait 
deux  fermes,  destinées,  l'une  à  servir  de  modèle,  l'autre  à  l'essai  des  perfectionne^ 
ments  et  des  nouvelles  découvertes,  et  en  outre  un  établissement  d'éducation,  où 
plus  de  vingt  maîtres  enseignaient  les  langues  anciennes  et  modernes,  l'histoire,  les 
sciences  et  les  arts,  à  un  grand  nombre  de  jeunes  gens  envoyés  de  l'étranger.  On 
n'employait  dans  cet  institut  aucun  des  moyens  ordinaires  d'encouragement  et  de 
répression  :  on  ne  distribuait  ni  prix  ni  médailles,  et  le  redoublement  des  tâches  pen- 
dant les  heures  de  récréation  était  la  seule  punition  à  laquelle  on  recourait.  Les 
enfants  étaient  écoutés  avec  patience  et  repris  avec  douceur.  Il  n'y  avait  peut-être 
aucun  institut  d'éducation  dans  lequel  on  sut  allier  autant  d'amusements  au  travail, 
autant  de  liberté  à  la  règle  établie,  et  où  les  élèves  eussent  plus  d'occasions  de  se 
préparer  à  l'usage  du  monde,  par  l'exemple  de  manières  distinguées  et  polies.  Aussi, 
l'institut  de  Fellenberg  était-il  visité  par  une  affluence  d'étrangers. 

Une  autre  création,  qui  fait  encore  plusd'honneur  à  Fellenberg,  c'est  Vécole  despaa- 
rresy  qui  fut  dirigée  sous  sa  surveillance  pr  le  fils  d'un  ancien  maître  d'école  de  Thur- 
govie,  M.  Wehrli.  On  y  tenait  un  journal  de  tout  ce  qui  regardait  chacun  des  enGants 
depuis  le  moment  de  son  admission,  de  ses  dispositions  naturelles,  de  son  caractère, 
de  ses  progrès  religieux,  moraux  et  intellectuels,  de  son  application  au  travail.  On 
s'attachait  à  maintenir  constamment  la  gaité  et  l'activité  des  élèves,  en  les  invitant  à 
la  confiance  et  leur  parlant  avec  douceur.  Le  maître  travaillait,  lisait,  causait  avec 
eux ,  et  ne  les  quittait  jamais.  Le  travail,  l'ordre,  la  douceur,  joints  à  la  persévérance, 
triomphaient  de  tous  les  obstacles  moraux,  de  toutes  les  habitudes  perverses.  Ces 
enfants  vagabonds,  ramassés  çà  et  là  dans  la  plus  profonde  misère,  mais  accueillis  et 
soignés  avec  une  bonté  aiïectueuse,  n'avaient  jamais  besoin  d'un  seul  châtiment  pour 
être  ramenés  in  une  conduite  régulière.  Le  fondateur  se  proposait  en  même  temps  de 


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•i. 


LA    SUISSE    PITTOBESQUe.  14S 


cultiver  leur  intelligence  et  de  les  mettre  en  état  de  pourvoir  honorablement  à  leurs 
besoins.  11  les  destinait  à  diriger  des  exploitations  agricoles,  ou  seulement  à  faire  de 
bons  garçons  de  ferme,  selon  leur  degré  de  talent  ou  d'activité.  Il  les  employait 
donc  principalement  à  des  travaux  agricoles  en  rapport  avec  leur  âge  et  avec  leurs 
forces. 

Hommes  distingués,  savants,  etc.  —  Un  grand  nombre  de  Bernois  se  sont  illustrés 
dans  les  carrières  administrative  et  militaire,  ou  se  sont  fait  un  nom  dans  les  diverses 
branches  des  connaissances  humaines.  II  serait  difficile  de  nommer  tous  les  hommes 
qui  ont  honoré  leur  patrie  par  leurs  vertus  civiques,  ou  par  leur  génie  et  leur  talent. 
Parmi  les  hommes  de  guerre,  nous  citerons  Rodolphe  d^Erlach,  le  vainqueur  de 
Laupen,  qui  appartenait  à  une  des  plus  puissantes  familles  de  Berne.  Jean-Louis 
d'Erlach  se  distingua  dans  les  guerres  de  Flandre  sous  Louis  XIV,  et  parvint  au  grade 
de  lieutenant-général.  Un  troisième  fut  amiral  en  Hollande.  Ce  fut  aussi  un  d'Erlach 
(Charles-Louis)  qui  commandait  les  Bernois  en  1798,  et  qui  fut  massacré  par  les 
siens.  Nommons  encore  les  Diesbach,  les  Bubenberg,  les  Lentalus,  Un  des  amis  du 
grand  Frédéric,  le  général  Lentulus,  était  de  Berne.  —  Dans  la  magistrature,  bril- 
lèrent particulièrement  les  noms  des  Bubenberg,  des  Tscharner,  des  Sleiger,  —  Au 
premier  rang  des  réformateurs  bernois, .  nous  devons  nommer  Berthold  Huiler ,  qui 
prêcha  la  Réforme  à  Berne  vers  1520.  Il  fut  secondé  par  le  savant  Wolfgang  MiischIus 
(Mûslin).  De  nos  jours,  un  descendant  de  Musculus,  M.  D,  Mûslin,  a  été  pasteur 
à  Berne,  et  s'est  fait  connaître  par  ses  sermons.  Nicolas  Mamiely,  ami  de  Zwingli  et 
de  Halier,  magistrat  éclairé  et  courageux,  contribua  beaucoup  à  faire  triompher  la 
nouvelle  doctrine.  Poêle  et  peintre  à  la  fois,  il  se  plaisait  surtout  à  ridiculiser  les 
abus  du  clergé  et  les  superstitions  du  peuple.  La  Dame  des  Moris,  peinture  à  fresque, 
est  un  de  ses  principaux  ouvrages;  ses  personnages  étaient  de  grandeur  naturelle. 
Jean  et  Daniel  Stapfer  furent,  l'un  un  théologien  profond,  l'autre  un  prédicateur 
éloquent. 

Dans  la  carrière  des  lettres^et  des  sciences,  les  noms  les  plus  saillants  sont  les 
suivants  :  De  Wattewille,  historien  de  la  ville  de  Berne  ;  Bertuird  Tscharner,  auteur 
d'une  histoire  de  Suisse  et  d'une  traduction  des  poésies  de  Halier  ;  Loais  de  Murait, 
qui  publia  sur  la  fin  du  17"  siècle  ses  Leilres  sur  les  Anglais  et  les  Français;  Sinner, 
dit  de  Ballaigues,  qui  publia  un  Voyage  historique  et  littéraire  dans  la  Suisse  occidentale; 
André  Morell,  célèbre  numismate,  auteur  du  Specitnen  universœ  rei  numniariœ  anti- 
quœ,  et  que  Louis  XIV  nomma  garde  de  son  cabinet  des  médailles  ;  Michel  Schup- 
pach,  dit  le  médecin  de  la  montagne,  qui  vécut  dans  le  18*"  siècle  et  qui  devint  célèbre 
par  le  moyen  qu'il  employait  pour  reconnaître  les  maladies  ;  Samuel  Kônig,  mathé- 
maticien connu  par  ses  démêlés  avec  Maupertuis  ;  Thomas  Wittenbach,  philosophe 
célèbre  du  16"  siècle.  Mais  tous  ces  noms  furent  éclipsés  par  celui  de  Halier,  Albert 
Halier,  justement  appelé  le  Grand,  naquit  en  1708,  fut  tout  à  la  fois  poète,  orateur, 
philosophe,  publiciste,  magistrat,  médecin  et  naturaliste  ;  son  nom  fut  un  de  ceux 
qui  illustrèrent  le  plus  le  18''  siècle  ;  il  se  place  naturellement,  dans  les  annales  de  la 
science,  immédiatement  après  ceux  de  Bacon,  de  Descartes,  de  Leibnitz  et  de  BuiTon. 
Dans  la  seconde  partie  du  même  siècle,  se  fit  connaître  M.  de  Bonstelten,  écrivain 
ingénieux,  et  fin,  doué  d'une  grâce  attique,  en  même  temps  que  d'une  forte  érudition. 
Il  avait  adopté  la  langue  française;  parmi  ses  nombreux  ouvrages,  les  plus  remar- 
II,  10.  19 


146  L\    susse    PITTORESQIR. 


qucibles  sfint  le  Yoytuie  dnm  It  Lnlinm,  VHomtne  rfii  Aorrf  ei  VHmnme  du  Midi,  et  les 
S(nuehir^,  livre  écTil  avec  Télexante  simplicité  et  le  gracieux  sans-façon  d*un  homme 
du  monde,  mais  qui  n*en  a  pas  moins  un  double  mérite  littéraire  et  historique.  M.  de 
Ronstetten,  mort  en  183i  dans  un  âge  avancé,  appartenait  à  notre  siècle  et  au  18*", 
dont  il  a  reproduit  avec  un  égal  bonheur  la  physionomie  dans  ses  écrits.  —  Schœrer 
s'est  Tait  connaître  comme  bon  orientaliste  ;  Lutz  et  Dœderlein ,  comme  d'habiles 
hellénistes  et  latinistes  :  Jahn,  par  ses  profondes  connaissances  dans  la  littérature 
ancienne  et  moderne.  Ajoutons  à  cette  énumération  bien  incomplète,  M.  de  TiUiei\ 
mort  depuis  |)eu  d'années,  et  auteur  d'une  histoire  de  la  Suisse  de  181 4i  à  1830;  et 
le  pasteur  Bilzins,  décédé  en  1854^,  et  qui  est  connu  par  d'excellents  ouvrages  popu* 
laires,  publiés  sous  le  pseudonyme  de  Jérémias  Gotthelf.  —  Schnell  a  écrit  avec 
succ*ès  sur  le  droit  civil,  et  Henke  sur  le  droit  criminel.  Les  savants  ouvrages  de 
MM.  Tschariier,  Knhn,  Seringe,  Stiider  et  Manuel,  sur  les  diverses  branches  de  l'his- 
toire naturelle,  décèlent  chez  ces  écrivains  contemporains  des  connaissances  variées 
et  étendues.  M.  de  Fellenbenj,  le  pasteur  Grnner,  et  Kasihofer,  ont  écrit  avec  un 
égal  succès  sur  l'éducation,  l'agriculture  et  l'exploitation  des  forêts. 

BiTue  a  produit  aussi  de  nombreux  artistes.  Joseph  Heinz,  né  à  Berne  en  1530, 
étudia  à  Venise  sous  Paul  Yéronèse,  et  a  passé  pour  le  meilleur  peintre  de  la  Suisse 
après  Holbein.  Quelques-uns  de  ses  tableaux  ont  été  attribués  à  Jules  Romain,  et 
d'autres  au  Corrège.  Le  Musée  de  Berne  possède  son  portrait,  peint  par  lui-même. 
Jaseph  Werner  s'appliqua  principalement  à  |)eindre  la  miniature,  genre  dans  lequel  il 
excella.  Il  se  rendit  à  Paris  en  16G0,  et  travailla  dans  le  cabinet  du  roi.  Revenu  dans 
sa  patrie,  Werner  la  quitta  bientôt  de  nouveau,  pour  aller  remplir  la  place  de  direc- 
teur de  la  nouvelle  Académie  de  peinture  de  Berlin.  Il  mourut  dans  sa  ville  natale 
en  1710.  Nommons  encore,  parmi  l)eaucoup  d'autres,  les  peintres  George  Volmar, 
Lfjtj,  Kimig,  Rheiner,  Ldifond,  Wisard  et  Freîidenberger,  qui  ont  enrichi  les  collections 
des  amateurs  de  scènes  cham|)étres,  de  costumes  divers  et  de  charmants  [Kiysages. 

I.NDusTBiE  ET  COMMERCE.  —  Lc  commcrcc  du  canton  de  Berne  n'est  pas  aussi  con- 
sidérable qu'il  devrait  l'être  pro|K)rtionnellement  à  son  étendue  et  à  sa  population.  11 
est  néanmoins  quelques  endroits  où  l'industrie  est  florissante.  Une  des  branches  les 
plus  importantes  de  l'industrie  et  du  commerce  bernois,  c'est  l'horlogerie,  qui  a  été 
introduite  il  y  a  environ  un  siècle  dans  le  Val  St.-Imier,  où  elle  occupe  maintenant 
un  grand  nombre  d'ouvriers.  Cette  vallée  exporte  une  quantité  considérable*  de 
montres  de  toutes  espèces,  qui  rivalisent  avec  celles  de  Genève  et  de  Paris.  La  fabri- 
cation des  toiles  de  lin  a  reçu  quelque  extension  dans  l'Emmenthal  ;  les  produits  de 
la  culture  du  lin,  quoique  très-abondants,  sont  loin  de  suffire  à  la  quantité  des 
métiers  ;  aussi  en  tirc-t-on  une  partie  assez  considérable  de  l'Alsace.  Ces  toiles, 
renommées  pour  leur  qualité,  trouvent  un  prompt  débit  à  l'étranger  et  rapportent 
(les  sommes  importantes.  Burgdorf  possède  une  fabrique  de  rubans  de  soie,  et  Berne 
plusieurs  fabriques  de  soierie.  Les  fabriques  d'indienne  de  Bienne  et  de  Kirchberg 
sont  renommées  dans  le  pays.  Berne,  Frutigen,  le  Simmenthal  et  St.-Imier  possè- 
dent plusieurs  fabriques  de  dra|)s;  il  y  a  aussi  à  Interlaken  et  à  Brienz  des  fabri- 
ques de  dentelles,  de  soie  noire  et  de  blondes. 

1.  D'après  l'ouvrage  de  Morel,  on  portail,  il  y  a  10  ans,  à  210,000  le  nombre  des  montres 
établies  par  année  à  St.-Imier. 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  147 


La  poterie  occupe  un  grand  nombre  de  bms,  particulièremenl  à  Heimberg,  à  une 
lieue  de  Thoune,  et  cette  fabrication  est  favorisée  par  l'abondance  du  bois,  d'où  Ton 
lire  également  beaucoup  de  potasse,  qui  sert  à  alimenter  les  verreries  du  pays.  La 
Tabrication  de  la  poudre  à  canon  avait  lieu  pour  le  compte  du  gouvernement  bernois; 
cette  poudre  jouissait  d'une  réputation  étendue  ;  il  s'en  fabriquait  environ  1300 
quintaux  par  an,  dans  les  moulins  de  Berne,  Thoune  et  Langnau.  La  fouille  et  le 
raffinage  du  salpêtre  brut  se  faisait  par  des  ouvriers  patentés;  ils  en  livraient  an- 
nuellement 4S00  quintaux  pour  la  confection  de  la  poudre;  mais  cette  quantité 
surpassant  les  besoins,  le  tiers  leur  était  abandonné  pour  leur  trafic  particulier.  La 
Conrédération  s'étant  emparée  de  la  fabrication  de  la  poudre,  la  quantité  fabriquée  doit 
élremaintenantplusconsidérable. —  Les  hauts  fourneauxdeGorrendelin,Bellefontaine 
et  Undervilliers,  travaillent  le  fer  du  Jura  et  en  fournissent  plus  de  100,000  quintaux 
par  an.  On  fabrique  de  la  tôle  à  Bellefontaine  et  d'excellent  acier  à  Undervilliers.  Il 
y  a  aussi  une  manufacture  d'armes  à  Porrentruy.  Les  districts  du  Jura  renferment 
un  grand  nombre  d'usines  où  Ton  transforme  en  planches  les  sapins  dont  le  pays 
abonde  ;  les  bois  de  construction  se  vendent  avec  avantage  en  France.  Les  charpen- 
tiers de  l'Emmenthal  fabriquent  des  maisons  entières  en  bois,  lesquelles  peuvent  se 
démonter  et  se  voiturer  au  loin.  On  fabrique  avec  une  habileté  remarquable  beaucoup 
de  petits  ouvrages  en  bois  sculpté  à  Meyringen  et  à  Brienz;  ces  ouvrages  s'exportent 
en  partie.  EnBn ,  la  fabrication  des  fromages  occupe  aussi  un  grand  nombre  d'indi- 
vidus dans  les  Alpes  et  dans  le  Jura,  et  le  commerce  de  ces  produits,  ainsi  que  celui 
du  bétail,  forme  un  des  revenus  importants  du  pays.  La  quantité  des  produits  du 
laitage  dépasse  annuellement  100,000  quintaux. 

MœuRS,  COUTUMES,  CARACTÈRE.  —  Il  Serait  difficile  de  caractériser  par  des  trails 
généraux  l'habitant  du  canton  de  Berne,  car  on  comprend  combien  il  doit  exister 
de  différences  entre  le  bourgeois  de  la  capitale,  le  montagnard  de  l'Oberland,  et  l'ar- 
tisan du  Jura.  Quelques-uns  des  voyageurs  qui  ont  écrit  sur  la  Suisse  ont  reproché 
un  peu  de  fierté  et  de  froideur  à  la  haute  classe  delà  société  bernoise  ;  mais,  en  même 
temps,  d'autres  ont  remarqué  aussi  que  dans  les  campagnes  un  air  de  contentement 
et  de  dignité  brillait  sur  tous  les  visages.  Les  habitants  de  l'Oberland  sont  en  général 
affables  ;  ceux  du  Flasli,  en  particulier,  se  distinguent  par  des  manières  plus  polies  et 
plus  engageantes.  Les  montagnards  ne  sont  point  insensibles  aux  beautés  de  la  na- 
ture. Malgré  la  rudesse  de  la  vie  qu'ils  mènent,  ils  conservent  une  remarquable  éga- 
lité d'humeur,  et  savent  apprécier  l'existence  indépendante  dont  ils  jouissent  sur 
leurs  Alpes.  Les  habitants  de  l'Oberland  sont  moins  éclairés  que  ceux  de  l'Emmen- 
thal, et  montrent  une  grande  inertie  contre  toutes  les  nouveautés;  on  reproche 
même  de  l'indolence  à  ceux  d'Interlacken  et  de  Grindeiwald  ;  pendant  l'hiver,  un 
petit  nombre  d'entre  eux  seulement  s'adonne  à  quelque  occupation  industrielle  et 
lucrative.  Dans  plusieurs  vallées  étaient  répandues  jadis  des  croyances  superstitieuses 
qui  n'ont  probablement  pas  encore  complètement  disparu,  quoique  les  voyageurs 
n'aient  pas  l'occasion  de  s'apercevoir  de  la  crédulité  des  habitants.  Ces  traditions 
populaires  étaient  pleines  de  naïveté  et  de  poésie;  ainsi,  l'on  croyait  à  l'existence 
d'êtres  surnaturels,  particulièrement  de  nains  {Bergmùnnlein),  qui  hantaient  les 
monts  el  séjournaient  autour  des  chalets.  Ces  êtres  tantôt  témoignaient  aux  bergers 
leur  bienveillance,  ils  ramenaient  leurs  bestiaux  égarés,  ils  leur  coupaient  du  bois; 


ihS  LA    SUISSE   PITTORESQUE. 


tanlôl,  prenant  de  l'humeur  si  Ton  avait  oublié  de  leur  faire  la  libation  obligée,  ils 
mettaient  pendant  la  nuit  tout  en  désordre  dans  l'habitalion.  En  hiver,  ces  nains 
demeuraient  dans  des  palais  souterrains,  où  ils  se  nourrissaient  de  fromages  faits  avec 
le  lait  des  chamois  qui  formaient  leurs  troupeaux.  Le  Rothenthal,  vallon  voisin  de  la 
Jungfrau,  passait  pour  être  le  séjour  d* une  troupe  de  sorcières  exilées  dans  cette  ré- 
gion glacée.  —  Depuis  un  temps  très-reculé,  les  exercices  gymnastiques  sont  en 
usage  dans  les  Alpes  bernoises.  A  diverses  époques  fixées,  les  bergers  se  réunissent 
sur  certaines  alpes,  et  les  jeunes  gens  des  contrées  voisines  y  accourent  pour  disputei^ 
le  prix  de  la  force  et  de  Tadresse.  Ces  réunions  s'appellent  Bergdôrfer,  villages  de 
montagne.  Des  vieillards  sont  les  juges  du  combat,  et  doivent  veiller  à  ce  que  tout  s'y 
passe  suivant  les  règles  convenues.  Les  lutteurs  de  TOberland  et  de  rEmmenlhal 
viennent  aussi  à  Berne  le  lundi  de  Pâques,  pour  se  livrer  à  leurs  exercices  en  présence 
d'une  nombreuse  population.  —  Les  habitants  du  Jura  bernois  se  distinguaient  au- 
trefois par  la  simplicité  de  leurs  mœurs  et  par  leur  probité  ;  mais  depuis  que  l'indus- 
trie s'est  répandue  parmi  eux,  l'aisance  qui  en  est  résultée  n'a  pas  exercé  une  in- 
fluence heureuse  sur  l'état  moral  du  pays.  Nous  regrettons  aussi  de  devoir  ajouter  que 
soit  par  suite  de  l'insuffisance  des  récoltes,  soit  par  suite  de  l'abus  des  liqueurs  et  de 
rimprévoyance  qui  en,  résulte,  la  plaie  du  paupérisme  s'est  propagée  depuis  un  certain 
nombre  d'années  dans  diverses  parties  du  canton,  particulièrement  aux  environs  de 
Thoune  ;  maintenant,  les  communes  et  l'Etat  sont  obligés  de  s'imposer  de  grands  sa- 
crifices pour  porter  remède  à  cette  calamité;  et  c'est  là  une  des  plus  graves  préoccu- 
pations du  gouvernement  bernois. 

Quant  aux  costumes,  les  classes  aisées  et  la  bourgeoisie  des  villes  suivent  en  gé- 
néral les  modes  françaises.  Dans  les  campagnes,  on  trouve  encore  quelques  restes 
d'un  costume  national.  Dans  la  partie  allemande  du  canton,  les  femmes  portent  de 
larges  manches  de  chemise,  ordinairement  d'une  blancheur  recherchée  ;  près  de 
Berne,  elles  portent  sur  la  tête  une  sorte  d'auréole  de  dentelles  noires,  et  souvent, 
par-dessus  leur  corset,  des  chaînes  d'argent.  Aux  environs  de  Thoune,  le  costume 
est  à  peu  près  le  même,  mais  avec  moins  de  luxe.  Dans  le  Hasli,  les  femmes  s'ha- 
billent d'une  manière  un  peu  lourde  et  qui  leur  est  désavantageuse  ;  elles  ont  souvent 
la  tête  nue,  et  les  jeunes  filles  laissent  pendre  de  longues  tresses.  Dans  l'Oberland  et 
la  partie  centrale  du  canton,  beaucoup  de  paysans  portent  des  habits  d'un  drap 
grossier  fabriqué  dans  le  pays,  et  de  couleur  jaunâtre.  Dans  le  Jura,  le  costume 
ressemble  à  celui  des  contrées  françaises  du  voisinage  ;  il  est  peu  gracieux  et  n'offre 
rien  de  remarquable. 

Ville  de  Berne.  La  ville  de  Berne  est  bâtie  sur  une  longue  presqu'île  formée 
par  l'Aar,  qui  l'entoure  au  nord,  à  l'est  et  au  sud.  La  plus  grande  partie  de  la  ville 
occupe  un  plateau  élevé  de  400  pieds  au-dessus  de  la  rivière;  la  partie  basse,  du 
côté  du  sud,  s'appelle  la  Malte  {l^ prairie)  ;  c'est  là  que  se  trouvent  réunis  un  grand 
nombre  de  moulins  et  toutes  les  usines  qui  ont  besoin  d'un  cours  d'eau.  Du  côté 
du  couchant  l'enceinte  de  la  cité  fut  successivement  reculée;  c'est  en  1622  qu'on 
construisit  des  fortifications  régulières,  dont  une  partie  existe  encore  aujourd'hui. 
Les  rues,  qui  sont  en  général  larges  et  droites,  s'étendent  presque  toutes  de  Test  à 
l'ouest.  La  principale  {Kramgasse  ou  rue  du  commerce),  où  se  concentre  l'activité 
liernoise,  présente  un  coup  d'œil  extrêmement  animé,  surtout  les  jours  de  marché. 


LA  SUISSE   PITTORESQUE.  449 


Presque  toutes  les  rues  ont  des  arcades  fort  commodes  pour  la  circulation  et  bordées 
de  magasins,  mais  un  peu  humides  et  sombres,  surtout  du  côté  du  nord,  où  pénètre 
rarement  un  rayon  de  soleil.  Comparée  aux  autres  villes  de  la  Suisse,  Berne  a 
l'avantage  d'avoir  sU  le  mieux  garder  une  physionomie  nationale.  Les  maisons 
modernes,  habitées  en  partie  par  l'aristocratie  et  par  les  résidents  étrangers,  sont 
pour  la  plupart  du  côté  le  plus  méridional  du  plateau.  La  principale  rue  aboutit  du 
cdté  de  Test,  par  une  pente  rapide,  à  un  pont  de  pierre  à  trois  arches,  qu'on  appelle 
la  porte  de  Soleure  ou  porte  inférieure.  L'accès  de  cette  partie  de  la  ville  est  très- 
pénible  et  même  dangereux  pour  les  voitures;  on  y  a  remédié  par  la  construction 
d'un  nouveau  pont,  situé  en  amont,  jeté  sur  la  rivière  et  sur  la  vallée;  c'est  un 
gigantesque  monument,  élevé  de  93  pieds  au-dessus  de  l'Aar,  et  qui  fut  terminé  en 
1847.  L'arche  du  milieu  a  une  ouverture  de  450  pieds.  Ce  pont,  qu'on  appellede  la 
Nydeck^  est  construit  en  granit  tiré  en  grande  partie  des  blocs  erratiques  qu'on 
Irouve  non  loin  de  Meyringen.  Quand  on  est  sur  l'ancien  pont,  l'arche  du  milieu 
parait  colossale.  Outre  ces  deux  ponts,  auxquels  il  faut  ajouter  une  passerelle  située 
du  côté  du  nord,  la  ville  a  encore  deux  portes  principales  :  la  porte, ou  barrière 
d'Âarberg,  du  côté  du  nord-ouest,  et  la  porte  ou  barrière  de  Morat  (  ou  porte  supé- 
rieure, Oberthor),  à  l'ouest.  Enfin,  du  côté  du  sud-ouest  on  peut  sortir  de  la  ville  par 
une  porte  moins  importante,  qui  conduit  vers  les  bords  de  l'Âar,  et  qu'on  appelle  la 
porte  A'Aarzihli  ou  de  Marzihli. 

Les  rues  de  Berne,  remarquables  par  leur  propreté,  sont  traversées  dans  leur 
longueur  par  des  ruisseaux  d'eau  vive,  coulant  dans  de  petits  canaux  de  pierre  de 
taille.  On  y  voit  aussi  de  distance  en  distance  de  belles  fontaines.  Celles-ci  sont  pres- 
que toutes  ornées  de  statues  représentant  Samson,  Moïse,  Thémis,  etc.  La  plus 
singulière  est  celle  du  Kindlifresser  (ogre,  ou  mangeur  d'enfants),  près  de  la  Tour  de 
l'Horloge.  On  y  voit  une  figure  grotesque,  vraisemblablement  Saturne,  qui  est  sur 
le  point  d'avaler  un  enfant  ;  d'autres  enfants  que  le  même  sort  attend,  sortent  à 
demi  des  poches  et  de  la  ceinture.  On  sait  que  l'ours,  surnommé  Mutz  ou  le  vieux 
Mutz,  est  le  symbole  de  la  puissance  de  Berne  ;  aussi  les  Bernois  se  sont-ils  plu  à  le 
représenter  en  maint  endroit.  On  le  voit  au-dessus  d'une  fontaine,  armé  en  guerre, 
avec  casque,  bouclier,  glaive  au  côté,  et  bannière  dans  la  patte.  La  porte  de  Morat 
est  gardée  aussi  par  deux  énormes  ours  de  granit,  travail  du  sculpteur  Abbarth,  et 
qui  méritent  d'être  remarqués.  (Voyez  aussi  plus  loin  la  Tour  de  l'Horloge.  )  Depuis 
des  siècles  une  famille  d'ours  a  été  entretenue  sur  un  fonds  spécial  dans  un  fossé  de 
l'enceinte.  Cette  famille,  maintenant  éteinte,  a  été  remplacée  en  481S3  par  de  jeunes 
ours  envoyés  de  Paris  et  de  Russie.  Les  fossés  aux  ours  sont  situés  près  de  la  porte 
d'Àarberg;  il  s'y  trouve  une  fontaine  avec  un  bassin  assez  spacieux  pour  que  ces 
animaux  puissent  s'y  baigner.  —  La  ville  de  Berne  comptait,  en  4850,  27,588 
habitants,  dont  4477  catholiques. 

Edifices  publics.  La  cathédrale  (ou  Munster)  est  un  bel  édifice,  long  de  260  pieds, 
large  de  408.  Elle  a  été  commencée  en  4424,  et  terminée  en  4502.  Bâtie  dans  le 
style  gothique  du  moyen-âge,  son  architecture  est  imposante,  et  se  distingue  parti- 
culièrement par  la  hardiesse  des  ogives  et  par  une  multitude  d'aiguilles  de  toutes 
formes  qui  couronnent  les  arcs-boutants  et  les  piliers.  Elle  possède  quelques  orne- 
ments qui  ne  le  cèdent  en  rien  pour  le  dessin  et  l'exécution  à  ceux  de  la  cathe- 


450  LA   Misse   PITTORBSQl'K. 


drale  de  Slrnsbciur*;,  lois  que  la  balusirade  qui  régne  autour  do  toil,  el  qui  csl  d*un 
remarquable  travail  à  jour,  dont  le  dessin  change  entre  chaque  are-boulant.  Ia* 
\)t}Tl3i\  occidental  est  d*une  grande  beauté  :  les  sculptures  représentent  le  jogeoienl 
dernier;  sur  les  cAih  Ton  voit  les  prophètes  et  les  apôtres,  les  vierges  sages  et  les 
vierges  folles.  Le  portail  oiïre  trois  entrées,  dont  la  principale  est  exléneuremenl 
fermée  par  une  grille  en  fer,  décorée  de  nombreux  écussons  aux  armes  de  familles 
liernoises,  el  de  sculptures  remarquables,  dues  à  un  artiste  westphalien,  Erfaard 
Kungou  Kônig.  C'est  aunlessus  de  ce  portail  que  s*élève  la  tour,  haute  de  191 
pieds.  Uans  les  deux  tourelles  dont  elle  est  flanquée  sont  les  escaliers  qui  conduisent 
h  riiabitation  du  guet  et  à  la  galerie,  qui  offre  une  vue  remarquable.  Les  eloclies 
sont  au  nombre  de  neuf;  la  plus  grosse  pèse,  dit-on,  203  quintaux;  il  faut  huil 
hommes  pour  la  mettre  en  mouvement  ;  c'est  le  plus  gros  bourdon  de  la  Suisse. 

La  sculpture  des  stalles  et  la  peinture  des  vitraux  du  chœur  méritent  FatteDlion: 
elles  décèlent  en  quelque  sorte  l'esprit  de  controverse  qui  a  régné  sur  ta  fin  du 
15'  siècle.  On  remarque  sur  les  premières  quelques  traits  malins  contre  le  cleiigé: 
sur  les  dossiers  des  stalles  sont  représentés  d'un  côté  les  apôtres,  de  l'autre  les  pro- 
phètes. En  examinant  les  vitraux,  on  reconnaît  sans  peine  que  le  peintre  a  voulu 
faire  la  satire  du  dogme  de  la  transsubstantiation,  qu'il  personnifie  en  représentant 
le  pape  versant  avec  une  pelle  les  quatre  évangélistes  dans  un  moulin,  duquel  on 
voit  sortir  une  multitude  d'hosties,  qu'un  évéquc  reçoit  dans  une  coupe  surmontée 
d'un  Christ  ;  le  peuple  à  genou  semble  tout  ébahi  du  miracle. 

Sur  un  des  pilastres  du  chœur  on  voit  les  armes  du  duc  de  Zœhringen  et  la  statue 
de  l'un  des  architectes,  qui  repose  sur  un  piédestal  soutenu  par  deux  frêles  colonnes, 
avec  ces  mots  tracés  en  lettres  gothiques  :  Maeh's  na  (  imite-le),  et  qui  formaient, 
dit-on,  la  devise  de  cet  artiste.  Dans  la  salle  contiguê  &  la  sacristie  on  conserve  une 
grande  tenture  brodée  représentant  le  martyre  de  St.-Vincent  de  Saragosse,  et  quel- 
ques autres  qui  servirent  à  décorer  les  tentes  du  duc  de  Bourgogne. 

La  nef,  dont  la  voûte,  élevée  de  72  pieds  et  portée  par  dix  piliers,  étiût  autre- 
fois décorée  d'un  grand  nombre  de  bannières  conquises  dans  les  anciennes  guerres: 
on  n'y  voit  aujourd'hui  d'autres  ornements  que  quelques  vitraux  représentant  les 
armoiries  de  plusieurs  familles  de  Berne.  Ce  qu'elle  renferme  de  plus  remarquable, 
ce  sont  les  mausolées  du  duc  Berthold  de  Zœhringen  et  de  l'avoyer  Fréd.  de  Steiger. 
Sur  le  premier,  qui  se  trouve  à  droite  du  chœur,  et  qui  a  été  élevé  aux  frais  de  la 
ville  en  1600,  on  voit,  entre  les  armes  impériales  el  celles  des  Zsehringen,  les 
armoiries  de  la  république  de  Berne,  avec  une  inscription  latine  en  l'honneur  du 
fondateur  de  la  cité.  Six  tables  de  marbre  disposées  autour  du  monument  élevé  à  la 
mémoire  de  Steiger,  placé  à  la  gauche  du  chœur,  indiquent  les  noms  des  700  Bernois 
qui  ont  succombé  dans  les  divers  combats  qui  eurent  lieu  en  4798  entre  les  Français 
el  les  Bernois.  On  a  remanié  en  1848  un  côté  de  l'intérieur  de  l'édirice  pour  y  placer 
Torgue,  qui  doit  valoir  celui  de  Fribourg.  Il  y  a,  jour  el  nuit,  sur  la  lour  de  la  catiié- 
dralc,  un  guel  chargé  de  sonner  les  heures  el  de  donner  l'alarme  en  cas  d'incendie. 

La  place  de  l'ouest  de  la  cathédrale  est  ornée  d'une  statue  équestre  en  bronze  de 
Hodolph  d^Erlach,  vainqueur  de  Laupen,  érigée  en  18S1  ;  aux  quatre  coins  se  retrou- 
vent les  inévitables  ours.  Le  modèle  est  de  M.  Volmar  de  Berne,  el  il  a  été  coulé  dans 
les  fonderies  de  M.  Hûtscrlii  d'Aarau  ;  ainsi  la  Suisse  seule  a  Thonneur  de  lexéculion. 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  1S1 


V Eglise  du  St, -Esprit,  bâlie  en  1704,  csl  un  édifice  d'un  bon  goûl.  —  V Eglise 
fmnçnise,  ou  église  catholique,  a  été  bâtie  en  1265  par  les  Dominicains.  Elle  fut 
consacrée  à  saint  Pierre  et  saint  Paul,  et  renfermait  plusieurs  autels  richement 
ornés.  Cet  édifice  était  autrefois  plus  considérable  et  se  prolongeait  jusqu'au  cime- 
tière, au-devant  duquel  régnait  une  longue  muraille,  sur  laquelle  était  peinte  la 
Dafise  des  Morts  de  Nicolas  Manuel.  Cette  église  a  clé  réparée  à  divei'ses  époques. 
Douze  colonnes  supportent  la  voûte  de  la  nef,  qui  est  surmontée  d'une  campanille, 
cl  celle-ci  d'une  flèche  recouverte  en  fer-blanc.  En  1728,  on  y  plaça  des  orgues, 
construites  par  un  paysan  de  Rubischweil,  nommé  Joachim  Rychener,  et  qui  pas- 
sèrent pour  les  meilleures  de  Berne. 

Vers  le  milieu  de  la  ville  s'élève  la  Tour  de  l'Horloge,  qui  date  de  la  fon- 
dation de  la  cité.  Elle  se  trouvait  alors  à  une  extrémité,  et  servait  de  beffroi.  Il 
y  a  encore  dans  la  même  rue  deux  tours  semblables,  situées  plus  à  l'ouest  :  le  Kàfig- 
thurtn  (Tour  des  cages),  qui  sert  de  prison,  et  la  Tonr  de  Goliath  ou  de  St  .-Christophe, 
sur  laquelle  se  trouve  une  figure  colossale.  Deux  minutes  avant  que  l'heure  sonne  à 
la  Tour  de  l'Horloge,  une  troupe  d'ours  en  diverses  postures  grotesques  défile  devant 
une  figure  assise,  qui  à  l'heure  sonnante  élève  et  abaisse  son  sceptre  pour  marquer 
le  nombre  des  heures  qu*un  homme  cuirassé  frappe  sur  une  cloche  avec  un  marteau  ; 
une  minute  avant  et  une  minute  après,  un  coq  de  bois  parait,  chante  deux  fois  et 
bat  des  ailes. 

VHôtel-de- Ville,  édifice  d'un  style  plutôt  lourd  qu'élégant,  date  de  plus  de  trois 
siècles.  Un  double  escalier,  adossé  à  la  façade  principale,  conduit  au  1"^  étage.  Cette 
façade  est  ornée  d'écussons  aux  armes  des  préfectures  du  canton.  L'hôtel  renferme 
de  belles  salles,  entre  autres  celles  du  Grand  et  du  Petit  Conseil,  et  l'on  y  voit  plu- 
sieurs tableaux  remarquables. 

Là  Bibliothcqae  de  la  ville  possède  40,000  volumes  et  environ  1500  manuscrits. 
xVutour  de  la  grande  salle  règne  une  galerie,  supportée  |)ar  douze  colonnes  de  stuc 
jaune  et  ornée  d'une  légère  balustrade;  le  plafond  est  décoré  d'une  peinture  à  fresque, 
représentant  Minerve  couronnée  par  Apollon.  Cette  bibliothèque  commença  h  se 
former  à  Tépoque  de  la  Réformalion  par  le  dé|)ôt  des  livres  et  manuscrits  trouvés 
dans  les  couvents  sécularisés.  Le  célèbre  llaller  fut  à  la  tète  de  ce  bel  établissement 
lie  1734  à  1736.  Ce  fut  surtout  à  celte  é|)0(iue  que  la  bibliothèque  prit  de  l'accrois- 
sement, soit  par  des  achats  d'ouvrages  précieux  que  fit  le  gouvernement,  soit  par 
les  dons  d'un  grand  nombre  de  particuliers.  La  Bibliothèque  possède  un  cabinet  de 
médailles,  qui  renferme  quelques  pièces  curieuses  et  très-rares.  Le  plus  grand  nombre 
de  ces  pièces  ont  été  trouvée»  aux  environs  d'Âvenches,  de  Moudon  et  de  l'ancienne 
Vindonissa,  en  Argovie. 

Le  Mfisée,  situé  à  côté  de  la  Bibliothèque,  communique  avec  cet  établissement  par 
un  corridor.  Sa  façade,  sur  laquelle  on  lit  Mmis  et  Patrice,  est  surmontée  de  la  statue 
de  Minerve,  sculptée  en  grès.  Le  rez-de-chaussée  se  compose  de  trois  salles  ;  l'étage 
supérieur  est  formé  d'une  seule  galerie  de  60  pas  de  longueur;  elle  est  ornée  des  por- 
traits des  avoyers  de  la  république  et  de  quelques  autres  Bernois  célèbres,  parmi 
lesquels  on  remarque  le  grand  Haller.  Le  musée  possède  une  très-belle  collection 
d'oiseaux  et  de  quadrupèdes  de  la  Suisse.  On  y  voit  empaillé  un  chien  du  St. -Bernard, 
nommé  Barry,  qui  a  sauvé  la  vie  à  quinze  personnes.  Celte  collection  zoologique  est 


1S2  LA  suisse  piTTonesQi'E. 


la  plus  considérable  de  loulc  la  Suisse.  On  y  trouve  aussi  une  collection  de  plantes  et 
de  minéraux  de  la  Suisse,  et  de  pétrifications.  On  peut  acheter  de  petits  herbiers  dos 
Alpes,  qui  coûtent  de  6  à  SO  francs.  Le  Musée  contient  en  outre  une  riche  collection 
d^antiquités,  où  Ton  v(Ht  entre  autres  des  objets  du  Japon,  du  Canada,  de  Pompeî  el 
de  Rome  ancienne  ;  l'autel  de  campagne  de  Charles-le-Téméraire,  décoré  de  sculp- 
tures avec  des  ornemenis  d'or,  et  d'autres  reliques  de  Grandson  et  de  Morat;  enfin 
plusieurs  bas-rclicfs  représentant  TOberland,  le  Vallais,  le  canton  de  Vaud,  le  Saint- 
Gothard,  etc. 

Au  Musée  sont  attenants  :  le  Jardin  botaniqiie,  orné  du  buste  d'Albert  Haller,  et  le 
Bdimenl  universikiire,  qui  possède  une  collection  d'instruments  de  physique  et  de 
mathématiques. 

Non  loin  de  ces  divers  établissements,  tous  situés  du  côté  sud  de  la  ville,  l'on 
trouve  un  petit  Casim  ou  salle  de  concert,  qui  sert  aussi  quelquefois  de  salle  de  spec- 
tacle. Près  de  la  terrasse  du  Casino  s'élève  le  nouveau  Palais  fédéral,  dont  la  con- 
struction doit  être  achevée  en  185S.  C'est  un  édifice  grandiose,  en  pierres  de  taille, 
long  de  32S  pieds,  et  destiné  à  servir  de  siège  au\  autorités  de  la  Confédération. 

L'Arsenal,  situé  du  côté  du  nord,  se  compose  de  plusieurs  grands  bâtiments,  qui 
entourent  une  vaste  cour.  Il  contient  un  grand  attirail  de  guerre  et  beaucoup  d'ar< 
mures  anciennes.  On  y  conserve  celle  de  Jean-Fr.  Naegeli,  qui  conquit  le  pays  de 
Vaud  en  1536.  Une  partie  des  trophées  que  possédait  l'arsenal  a  été  enlevée  par  les 
Français.  —  Le  grand  Grenin  à  blé  est  un  Intiment  de  80  pas  de  longueur,  au  rez- 
de-chaussée  duquel  est  une  vaste  salle  où  se  tient  le  marché  des  céréales.  Un  escalier 
d'une  trentaine  de  marches  conduit  dans  la  grande  cave,  où  l'on  voit  des  tonneaux 
d'une  capacité  énorme.  —  Berne  possède  un  Hôlel  de  la  Monnaie,  et  deux  prisons,  la 
maison  de  correction  ou  Blaahans,  et  la  maison  de  force,  Schellenu:^k.  Celle-ci  est  à 
côté  de  la  porte  d'Aarberg,  et  peut  contenir  ftOO  détenus. 

Il  existe  à  Berne  plusieurs  institutions  de  bienfaisance  :  deux  maisons  d'orphelins, 
une  maison  d'aliénés,  un  institut  pour  les  sourds-muets,  un  institut  pour  les  aveugles, 
et  deux  magnifiques  hôpitaux.  Le  Grand  Hôpital,  ou  Hôpital  des  bourgeois,  est  situé 
près  de  la  porte  de  Morat.  Il  est  d'une  belle  architecture.  Une  grande  entrée,  fermée 
par  une  élégante  grille  de  fer,  au-dessus  de  laquelle  on  lit  ces  mots  gravés  sur  une 
plaque  de  marbre  :  Christo  et  paaperibm,  conduit  dans  une  cour  spacieuse;  tout 
autour  règne  une  longue  galerie  couverte,  qui  offre  en  tout  temps  une  promenade 
salutaire  aux  convalescents  et  aux  infirmes.  Au  milieu  de  la  cour  s'élève  une  belle 
fontaine,  ombragée  d'arbrisseaux  et  entourée  de  fleurs.  —  V Hôpital  dit  de  Vile  est 
situé  dans  la  rue  de  l'Ile,  à  côté  du  Casino  ;  il  se  compose  de  deux  pavillons  et  d'un 
corps-de-logis  principal.  L'entrée  est  ornée  de  bas-reliefs  représentant  le  Samaritain 
secouru  par  des  personnes  charitables.  La  façade  opposée,  qui  domine  la  campagne,  est 
bordée  d'une  terrasse,  de  laquelle  on  jouit  d'une  des  plus  belles  vues  de  la  chaîne 
des  Alpes,  en  même  temps  qu'on  y  respire  un  air  pur,  à  l'ombre  d'arbres  majes- 
tueux .  L'intérieur  de  l'hôpital  est  vaste  et  bien  distribué.  —  Il  y  a  en  outre,  à  Berne, 
une  Caisse  pour  les  veuves  et  les  orphelins,  une  Société  de  secours  pour  les  indigents, 
une  Caisse  générale  pour  les  malades. 

Parmi  les  diverses  Sociétés  littéraires  ou  scientifiques  qui  existent  à  Berne,  nous 
nommerons  la  Société  helvétique  d'Histoire,  la  Société  d'Histoire  naturelle,  la  Société 


o 
a 

X 
M 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  153 


de  médecine,  la  Société  des  Artistes,  la  Société  de  Lecture,  qui  possède  une  bibliothèque 
assez  considérable,  et  la  Société  Economique,  qui  fut  instituée  en  17S8,  et  eut  pour 
président  le  grand  Haller.  Elle  a  été  autrefois  une  des  plus  actives,  et  a  rendu  de 
grands  services  au  pays. — Outre  les  bibliothèques  et  les  collections  déjà  mentionnées, 
il  y  a  encore  des  cabinets  particuliers  et  des  bibliothèques  spéciales,  telles  que  celle 
des  médecins,  celle  des  étudiants,  celle  des  pasteurs,  celle  des  maîtres  d'école,  etc. 

Promenades.  —  La  Plaie-forme,  ou  terrasse  de  la  cathédrale,  était  autrefois  un 
cimetière  ;  il  a  été  converti  en  une  belle  promenade  ombragée  de  lignes  de  marron- 
niers, et  ornée  de  la  statue  de  Berthold  de  Zœhringen,  fondateur  de  Berne,  due  à 
M.  de  Tscharner.  La  terrasse  est  élevée  de  108  pieds  au-dessus  de  TÀar,  et  jouit 
d'une  vue  étendue  sur  la  chaîne  des  Alpes.  Elle  a  140  pieds  de  longueur;  elle  est 
flanquée  sur  les  angles  extérieurs  de  deux  élégants  pavillons  ou  rotondes.  Sur  le 
parapet  Ton  voit  une  plaque  de  marbre,  où  on  lit  une  inscription  qui  rappelle  qu'en 
1654  un  étudiant,  nommé  Tbéobald  Weinzôpfli,  s'étant  avisé  de  monter  sur  un  cheval 
qui  paissait  sur  le  gazon ,  cet  animal,  effarouché  par  d'autres  jeunes  gens,  s'élança 
par-dessus  le  parapet  et  se  précipita  avec  son  cavalier  dans  l'abtme.  Celui-ci  se  cassa 
un  bras  et  une  jambe,  mais  il  se  guérit,  et  remplit  ensuite  pendant  30  ans  les  fonc- 
tions de  pasteur. 

On  désigne  sous  le  nom  des  Petits  remparts  les  deux  bastions  situés  au  sud-ouest 
de  la  viUe,  et  qui  sont  arrangés  en  délicieuses  promenades  et  ombragés  de  magnifi- 
ques tilleuls.  L'une  des  entrées  se  trouve  à  côté  de  la  barrière  de  Morat,  l'autre  près 
de  l'ancienne  porte  d'AarzihIi.  Le  bastion  le  plus  rapproché  de  l'Aar,  celui  qui  domine 
Aarzibli,  a  été  disposé  comme  un  jardin  anglais  ;  le  point  de  vue  dont  on  jouit  du 
haut  du  bastion  est  enchanteur  :  on  voit  d'abord  tout  le  quartier  d'AarzihIi,  la 
rivière  et  plusieurs  petites  îles  ;  au-delà  de  ce  premier  plan  se  déroule  une  riche 
contrée,  partout  ornée  de  jolies  maisons  de  campagne  ;  de  petits  bois  tapissent  d'un 
vert  varié  les  pentes  des  montagnes  qui  s'élèvent  en  amphithéâtre  jusqu'à  la  chaîne 
majestueuse  des  Alpes.  Les  pics  les  plus  élevés  de  cette  chaîne  se  découpent  parfaite- 
ment sur  l'azur  du  ciel  ;  on  distingue  de  gauche  à  droite  le  Wetterhorn ,  le 
Schreckhorn,  le  Finsteraarhorn,  les  Viescherhôrner,  l'Eiger,  le  Moine,  la  Jungfrau,  la 
Biûmlisalp,  le  Doldenhorn,  etc.  L'autre  bastion  sert  quelquefois  à  des  spectacles 
publics  et  à  des  exercices  gymnastiques.  C'est  là  que  se  réunissent,  le  lundi  de 
Pâques  de  chaque  année,  les  paysans  de  l'Oberland  et  de  l'Emmenthal  qui  viennent 
à  Berne  pour  essayer  leurs  forces  à  la  lutte.  Une  partie  du  fossé  qui  entoure  les  rem- 
parts est  peuplé  de  cerfe  et  de  daims;  une  autre  partie  est  consacrée  en  été  aux 
exercices  gymnastiques  de  la  jeunesse  bernoise. 

Du  côté  du  nord  on  trouve  aussi  des  promenades  sur  la  pente  qui  domine  l'Aar, 
mais  elles  n'ont  pas  de  vue  lointaine.  De  l'autre  côté  de  l'Aar,  sur  la  colline  de  l'Al- 
tenberg,  on  jouit  à  la  fois  de  l'aspect  de  la  ville  et  de  celui  des  Alpes.  Il  en  est  de  même 
sur  la  colline  où  est  placé  l'Observatoire  et  qui  se  trouve  à  l'ouest  de  la  porte  d'Aar- 
berg.  Au  nord  de  cette  porte,  on  trouve  la  Schûtzenmatt,  ou  Prairie  des  tireurs;  plus 
loin  s'étçnd  la  belle  promenade  de  VEngi,  avec  ses  frais  ombrages  et  une  vue  magni- 
fique. A  l'extrémité  de  la  promenade,  la  grande  route  de  gauche  conduit  à  Aarberg; 
en  continuant  à  marcher  devant  soi,  l'on  traverse  une  belle  forêt  de  sapins  qui  occupe 
la  crête  d'une  longue  presqu'île,  et  l'on  arrive  au  bord  de  l'Aar,  à  peu  près  en  face 
11, 10.  90 


454  LA   SUISSE   PITTOBESQUE. 


du  château  de  Heichenbach,  qui  appartenait  au  vainqueur  de  Laupen,  qui  y  fiit  tué 
à  un  âge  avancé,  par  son  gendre  Jobst  de  Rudenz  d*Unterwald.  Maintenant,  la  pres- 
qu'île est  traversée  par  la  nouvelle  route  de  Soleure,  qui  passe  l'Aar  sur  un  pont 
gigantesque,  plus  haut  et  plus  long  que  celui  de  la  Nydeck  à  Berne,  et  qui  Tut  ter- 
miné en  4851.  —  Le  chemin  des  Philosophes  conduit  au  Donnerbûhel,  dont  la  posi- 
tion est  admirable.  Ce  lieu  excite  vivement  l'intérêt,  parce  qu'il  a  été  le  théfttre  du 
premier  combat  que  les  Bernois  livrèrent  en  1294  aux  Autrichiens  et  aux  chevaliers. 
On  peut  aussi  citer,  pour  leurs  |x)ints  de  vue  remarquables,  la  colline  de  Bantigeth 
au  nord-est  de  Berne,  et  celles  de  Gurten  et  de  Belpberg,  au  sud,  sur  la  rive  gauche 
de  l'Aar,  etc. 

Nous  passons  à  la  description  des  diverses  parties  du  canton.  Nous  commencerons 
par  Thoune  et  l'Oberland,  qui  sont  la  partie  la  plus  fréquentée  par  les  étrangers; 
nous  dirons  ensuite  quelques  mots  de  la  partie  centrale  et  du  Jura. 

Ville  et  lac  de  Thoune.  Deux  routes  conduisent  de  Berne  à  Thoune;  la  principale 
suit  la  rive  droite  de  l'Aar  et  passe  par  le  grand  village  de  Mûnsingen,  devenu  célèbre 
par  deux  nombreuses  assemblées  populaires:  la  première  eut  lieu  en  1831,  et  amena 
la  chute  de  l'ancien  gouvernement  aristocratique  ;  la  seconde  eut  lieu  le  25  mars 
1850,  et  fut  suivie  du  renversement  du  gouvernement  radical  qui  régissait  le  pays 
depuis  1846.  Les  deux  partis  s'étaient  assemblés  dans  deux  vastes  prairies  séparées 
par  un  sentier,  et  qui  portent  les  noms  de  Leueiitnatte  ou  prairie  des  lions,  et  de 
BârenmaHe  ou  prairie  des  ours.  Un  peu  plus  loin,  l'on  passe  au  village  de  Wichtrach, 
où  le  général  d'Erlach  fut  massacré  en  1798.  Il  a  été  inhumé  derrière  le  chœur  de 
l'église.  La  route  qui  suit  la  rive  gauche  est  plus  variée,  et  passe  sous  la  colline  de 
Belp.  La  vallée  de  l'Aar  est  verdoyante  et  parsemée  de  beaux  villages.  En  se  diri- 
geant vers  Thoune,  on  a  constamment  en  face  de  soi  plusieurs  des  sommets  neigeux 
de  l'Oberland.  La  ville  de  Thoune  comptait,  en  1850,  3379  habitants  ;  elle  est  située 
sur  l'Aar,  à  un  quart  de  lieue  du  lac  auquel  elle  donne  son  nom.  Elle  est  dominée 
|)ar  l'église  paroissiale  et  par  l'ancien  château  des  comtes  de  Kybourg.  Non  loin  du 
pont,  un  escalier  couvert,  d'environ  200  marches,  conduit  à  l'église,  construite  en 
1738.  A  la  droite  du  portail,  une  pierre  tumulaire,  engagée  dans  le  mur  et  à  moitié 
dégradée,  rappelle  l'accident  arrivé  à  sept  jeunes  gens  et  jeunes  filles  qui  périrent  sur 
le  lac  en  ramenant  un  fiancé.  La  vue  qu'on  a  du  cimetière  est  très-pittoresque  :  on 
domine  la  ville,  les  deux  bras  de  la  rivière,  la  plaine  fertile  qu'elle  sillonne.  On  a 
devant  soi  le  Niesen,  à  gauche  duquel  paraissent  les  neiges  de  la  Blûmlisalp  et  une 
partie  de  la  Jungfrau. 

D'après  quelques  historiens,  le  château  de  Thoune  aurait  été  construit  vers  Tan 
1182  par  Berthold,  duc  de  Zœhringen,  fondateur  de  Berne.  Selon  d'autres,  il 
serait  plus  ancien  encore.  A  la  mort  de  Berthold,  il  passa  par  héritage  à  la  maison 
des  Kybourg,  qui,  un  siècle  environ  plus  tard,  le  cédèrent  aux  Bernois  avec  le  comté 
de  Thoune '.  Quant  â  la  ville  elle-même,  on  ignore  la  date  de  son  origine;  on  fait 
dériver  son  nom  d'une  racine  celtique  doun  (  probablement  synonyme  du  town  des 
Anglais),  et  qui  reparaît  dans  plusieurs  noms  latins  de  villes  de  la  Gaule  et  de  l'Hel- 

1.  Des  rejetons  de  Tancienne  maison  des  seigneurs  de  Thoune  quiUèrent  le  pays  et  aUérent 
s'établir  en  Tyrol  et  en  Bohême,  où  ils  fondèrent  de  nouvelles  maisons,  qui  fleurissent  encore 
90US  le  nom  des  comtes  de  Thoune. 


LA  scissK  nntmesQi'E.  155 


vélie,  telles  que  Augusiodimum,  Autun  ;  Novhdanum,  Nyon  ;  EbrodHHum,  Yverdon  ; 
iftfifiÀftiiiNtii^  Moiidon.  On  trouve  déjà  dès  le  6***  siècle  une  mention  du  tactis  duiiensis, 
ce  qui  fiiii  supposer  que  la  ville  existait  dès  celte  époque  et  donnait  son  nom  au  lac 
voisin.  Thoune  est  maintenant  cheMieu  d'une  préfecture  ;  elle  est  aussi  le  siège  de 
diverses  écoles  fédérales  militaires,  école  pour  le  génie  et  rartilierie,  école  des 
instructeurs,  etc.  Il  y  a  ordinairement  tous  les  deux  ans  des  camps  de  manœu- 
vres, qu'on  établit  dans  la  plaine  de  Thoune  ou  YAUmefidy  laquelle  appartient  à  la 
Ck)nfédération. 

Les  environs  de  Thoune  abondent  en  beaux  points  de  vue.  Un  des  sites  les  plus 
favorables  est  une  éminence  qui  s'élève  au-dessus  de  l'hôtel  de  Bellevue,  placé  au 
bord  du  hic,  et  qui  est  couverte  de  délicieux  bosquets  et  surmontée  d'une  rotonde  rus- 
tique. Ce  parc  porte  le  nom  de  Bachi.  La  Jungfrau  et  les  sommités  voisines  s'y 
montrent  entièrement  dévoilées.  A  quelque  distance  du  pavillon,  sous  un  chêne  au 
vaste  ombrage,  on  lit  une  inscription  consacrée  au  souvenir  d'un  vieux  troubadour, 
Henri  de  Strœttlingen,  issu  d'une  famille  puissante.  Dépouillant  la  rudesse  des  mœurs 
réodales,  ce  chevalier  chanta  ses  exploits  et  ses  amours  dans  des  romances  qui  se  sont 
conservées  jusqu'à  nous  dans  la  mémoire  du  peupleV  Tout  près  de  là,  sa  tombe  est 
presque  cachée  sous  l'épais  gazon  qui  l'environne.  —  A  l'ouest  de  Thoune,  on  peut 
visiter  la  contrée  intéressante  où  se  trouvent  les  bains  de  Blumenstein  et  de  Gour- 
nigel,  dont  nous  avons  parlé,  et  le  pays  du  Gtêggisberg,  dont  les  habitants  se  font 
remarquer  par  leur  vivacité  et  par  la  beauté  de  leur  sang. 

On  peut  se  rendre  de  Thoune  à  Interlaken,  soit  par  la  voie  du  lac  avec  le  bateau 
à  vapeur,  soit  par  les  deux  rives;  la  route  principale  passe  sur  la  rive  gauche.  Près 
(le  la  ville,  les  deux  rives  sont  encore  bordées  de  villages  et  de  jardins  ;  mais,  plus 
loin,  la  rive  septentrionale  est  escarpée,  et  présente  peu  de  villages.  Au-delà  de  Mer- 
lingen,  on  voit  s'avancer  dans  le  lac  un  promontoire  de  roc  appelé  la  Nase  ou  le  Nez, 
Après  avoir  dépassé  la  Nase,  on  aperçoit  sur  les  flancs  du  Bealcnberg  la  caverne  de 
Sl.-Béat;  il  en  jaillit  un  ruisseau,  qui  souvent  grossit  avec  une  telle  rapidité,  qu'il 
remplit  la  caverne  et  en  sort  avec  fracas.  St.-Béat,  premier  missionnaire  de  l'Evan- 
gile dans  cette  contrée,  doit,  suivant  une  légende,  l'avoir  habitée.  Elle  fut  un  lieu  de 
pèlerinage  très-fréquenté  jusqu'à  la  Réforme.  La  vue  que  Ton  aperçoit  de  l'entrée  de 
la  grotte  est  fort  belle.  —  Les  paysages  qu'offre  la  rive  méridionale  sont  plus  variés 
et  plus  gracieux,  quelquefois  même  majestueux.  A  l'angle  formé  par  l'Aar  et  le  lac, 
s'élève,  au  milieu  d'un  parc,  le  château  de  Schadau,  avec  de  nombreuses  tourelles, 
qui  produisent  un  effet  assez  pittoresque.  Plus  loin,  l'on  aperçoit  sur  une  langue  de 
terre  qui  fait  saillie  dans  le  lac  l'ancien  château  de  Spietz,  dont  la  construction  pri- 
mitive est  attribuée  à  Rodolphe  de  Slrsettlingen,  qui  se  fît  en  888  roi  de  la  Bour- 
gogne. A  l'époque  de  la  chevalerie,  il  s*y  tint  une  cour  brillante,  que  les  vieilles 
chroniques  appelèrent  le  goldetie  Hof,  la  cour  d'or.  Plus  tard,  ce  cbàleau  fut  le  ma 
noir  de  la  famille  des  Bubenberg;  depuis  1516,  il  appartient  à  la  famille  d'Erlach. 
On  voit,  entre  le  Stockhornet  la  pyramide  du  Niesen,  une  gorge  étroite,  qui  donne 
accès  dans  la  grande  vallée  du  Simmenthal;  puis,  à  la  gauche  du  Niesen,  on  voit 
s'ouvrir  la  vallée  de  Kander,  au  fond  de  laquelle  se  font  remarquer  les  glaciers  de 

t.  D'après  Wyss,  auteur  du  Yoyagt  dam  VOberland^  trois  de  ces  romances  ont  clé  iiupriiiiées. 


4K6  LA   SUISSE   PITTOBESQUE. 


TAItels  et  de  la  Blûmlisalp.  Quand  on  approche  de  rextrémité  du  lac,  on  aperçoit,  au 
fond  de  la  vallée  de  Lauterbrunnen,  les  sommets  de  la  Jungfrau,  du  Moine  et  de 
TEiger.  M.  de  Bonstetten  a  décrit  le  lac  de  Thoune,  qu'il  appelait  un  des  plus  beaux 
spectacles  de  la  nature.  Ses  bords,  dit-il,  tour  à  tour  riants  et  majestueux,  offrent 
aux  regards  du  voyageur  tous  les  divers  genres  de  beauté  de  la  nature  que  renferme 
la  Suisse  septentrionale. 

Interlaken.  Le  bateau  à  vapeur  aborde  à  Neuhaus,  d'où  Ton  se  rend  à  Unter- 
seen,  petite  ville  bâtie  en  bois,  et  située  sur  la  rive  droite  de  rÂar;  plusieurs  de  ses 
maisons  sont  entièrement  brunies  de  vétusté,  et  offrent  une  construction  singulière, 
remontant  à  deux  ou  trois  siècles.  On  y  traverse  l'Aar  sur  un  pont  qui  offre  une  vue 
grandiose  sur  la  rivière,  sur  les  rochers  à  pic  de  la  rive  droite  et  sur  une  vaste  forèl 
de  sapins,  au-dessus  de  laquelle  resplendissent  les  neiges  de  la  Jungfrau.  Une  allée 
de  magnifiques  noyers,  longue  d'une  demi-lieue,  traverse  la  plaine  basse  qui  s'étend 
d'Unterseen  au  lac  de  Brienz,  et  qu'on  appelait  autrefois  le  BcBdeli.  Cette  allée  est 
bordée  d'une  série  d'hôtels.  Â  peu  de  distance  de  l'Âar,  sur  la  rive  gauche,  à  ^le 
distance  du  lac  de  Thoune  et  de  celui  de  Brienz,  est  situé  le  beau  village  d'interlaken, 
qui  a  complètement  changé  d'aspect  depuis  30  à  40  ans.  On  y  a  établi,  ainsi  qu'aux 
environs,  de  nombreux  hôtels  et  pensions,  qui  reçoivent  en  été  une  grande  affluenoe 
d'étrangers  ;  on  y  trouve  des  cabinets  de  lecture,  des  bains  élégants  et  des  magasins 
bien  fournis.  Sur  une  colline  boisée,  nommée  le  petit  Rugen,  à  droite  de  la  route  de 
Lauterbrunnen,  est  situé  l'hôtel  du  Jnngfranblick  (Vue  de  la  Jungfrau),  le  seul  de 
cette  contrée  qui  offre  pleinement  la  vue  de  cette  montagne  et  des  deux  lacs. 

Placé  dans  une  vallée  salubre  et  fertile,  à  portée  des  excursions  les  plus  intéres- 
santes de  la  Suisse,  Interlaken  a  grandi  chaque  année  en  réputation.  Il  est  un 
excellent  quartier-général  pour  ceux  qui  se  proposent  des  excursions  dans  les  vallées 
voisines.  Les  alentours  plus  immédiats  offrent  aussi  de  charmantes  promenades.  De 
la  colline  du  Hohbûhl,  à  demi-lieue  d'interlaken,  on  jouit  d'une  belle  vue  sur  le 
lac  de  Thoune,  le  Morgenberg  (  ou  Montagne  du  matin)  au  sud  du  lac,  le  Niesen,  le 
Stockhorn,  etc.  Le  Thurmberg,  situé  à  même  distance  au-dessus  de  Gotzwyl,  sur  la 
nouvelle  route  de  Brienz,  offre  également  un  beau  point  de  vue  et  un  horizon  loin- 
tain.  On  peut  aussi  se  rendre  dans  la  vallée  de  Habkern,  au  nord  d'Unterseen.  Dans 
la  môme  direction  se  trouve  le  Guggisgrat  ou  Gemmeralp,  dont  le  sommet  élevé  de 
6600  pieds  présente  un  magnifique  panorama.  Il  est  à  cinq  lieues  d'interlaken: 
les  deux  premières,  jusqu'à  Waldeek,  se  font  par  un  chemin  un  peu  escarpé;  ensuite, 
des  prairies  en  pente  douce  conduisent  jusqu'au  sommet.  Du  côté  du  sud,  on  va 
visiter  la  vallée  de  Saxelen,  et  les  cascades  du  Wyssbach  et  du  Gurmenbach.  A 
Gsteig,  sur  la  route  de  Lauterbrunnen,  on  peut  prendre  à  droite  la  direction  de 
Wilderschwyl  et  de  l'Abendberg.  On  voit,  à  droite,  sortir  des  bois  les  ruines  pitto- 
resques du  château  d'Unspunnen,  habité  jadis  par  des  seigneurs  puissants,  dont  les 
querelles  sanglantes  avec  la  maison  de  Zasbringen  désolèrent  pendant  des  âècles  les 
contrées  voisines.  Plus  tard,  on  a  souvent  célébré  près  de  ces  ruines  des  fêles  g>  m- 
nastiques.  En  4808,  on  donna  à  la  fête  plus  de  solennité,  à  l'occasion  du  cinquième 
jubilé  de  la  fondation  des  républiques  suisses.  C'est  sur  VAbendberg  (Montagne  du 
soir  ),  à  plus  de  3000  pieds  au-dessus  de  la  mer,  que  le  docteur  Gugçenbûhl  a  fondé 
en  1841  une  maison  de  santé  pour  déjeunes  crétins,  confiés  aux  soins  de  sœurs  de 


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LA    SUISSE    PITTORESQUE. 


157 


la  charité  de  Soleure.  L'établissement  guérit  environ  un  tiers  des  enfants  qu'on  y 
envoie. 

Lac  de  Brienz  et  le  Giessbaeh,  Dirigeons-nous  maintenant  vers  le  lac  de  Brienz  et 
vers  les  vallées  les  plus  orientales  du  canton.  Le  lac  de  Brienz  n'a  pas  trois  lieues  de 
longueur;  il  a  500  pieds  de  profondeur  près  du  Giessbach,  et  on  prétend  que  près 
d'Oberried  il  en  a  plus  de  2000.  Il  n'est  que  de  quatre  pials  plus  élevé  que  le  lac 
de  Thoune,  avec  lequel  il  doit  avoir  été  autrefois  réuni.  Un  bateau  à  vapeur  le  par- 
court en  une  heure.  L'embarcadère  est  à  Bœnigen.  Le  lac  est  entouré  de  hautes 
montagnes  aux  pentes  en  partie  nues  et  stériles  et  en  partie  boisées.  Sur  la  rive 
droite,  un  chemin  mène  à  Brienz  ;  il  passe  au-dessous  des  ruines  de  l'ancien  château 
de  Rinkenberg,  à  peu  près  cachées  au  milieu  des  vergers,  et  traverse  plusieurs  vil- 
lages entourés  d'une  forêt  de  cerisiers.  On  construit  maintenant  une  meilleure  roule 
sur  cette  rive.  Brienz  est  un  village  considérable,  dans  une  situation  gracieuse  au 
pied  du  Brienzergrat,  qui  sépare  le  lac  de  Brienz  de  l'Entlibuch.  On  fabrique,  dans  ce 
village  et  aux  environs,  beaucoup  d'ouvrages  divers  en  bois  sculpté.  On  y  jouit  d'une 
belle  vue  sur  le  lac,  sur  une  partie  des  chutes  du  Giessbach  et  sur  d'autres  cascades. 
Le  point  culminant  du  Brienzergrat  est  le  Rothhorn,  haut  de  7260  pieds  ;  on  y  par- 
vient en  quatre  heures.  La  vue  y  est  moins  grandiose  qu'au  Faulhorn,  situé  sur 
l'autre  rive,  parce  qu'on  n'y  aperçoit  pas  la  base  des  grandes  Alpes,  mais  elle  est 
plus  gracieuse  et  plus  étendue.  Les  chemins  sont  mauvais,  mais  on  doit  en  établir  un 
plus  commode,  et  bâtir  une  auberge  au  sommet.  Un  sentier  un  peu  rude  en  quelques 
endroits  suit  la  rive  gauche  du  lac,  et  passe  par  Iseltwald  et  Sengg,  le  long  des 


L'une  liti  chutes  du  Giessbach. 


188  LA   SUISSE   PITTOIlEdQVR. 


bases  du  Faulhom.  On  perd  bientAi  de  vue  les  soromels  neigeux  de  la  Jungfrau, 
cachés  par  des  montagnes  plus  rapprochées.  On  arrive  en  trois  heures  et  demie  au\ 
célèbres  cascades  du  Gies$bach,  lesquelles  attirent  chaque  année  une  foule  de  voya- 
geurs sur  les  bords  du  lac  de  Brienz.  On  ne  voit  du  lac  que  la  cascade  inférieure,  la 
moins  remarquable  de  toutes  ;  ce  n'est  que  de  près  et  sur  le  flanc  ïnème  de  la  mon- 
tagne qu'on  voit  les  vraies  chutes  qui  ont  donné  au  Giessbach  son  renom  européen. 
Cette  cascade  se  compose  d'une  série  de  chutes  qui  se  précipitent  de  roc  en  roc,  et 
dont  l'effet  est  très-pittoresque  par  le  charmant  encadrement  de  forêts  et  de  fraîche 
verdure  qui  donne  à  ce  tableau  l'apparence  d'un  parc  gigantesque.  On  peut  se  placer 
derrière  une  des  chutes  inférieures,  et  gagner  par-là  l'autre  rive  sur  un  chemin 
glissant.  L'effet  que  produit  le  paysage  vu  au  travers  de  cette  nappe  d'eau  est  très- 
original;  il  ne  l'est  pas  moins  si  l'on  y  allume  de  nuit  des  broussailles  pour  considérer 
la  chute  elle-même  à  quelque  distance.  Chacune  des  quatorze  chutes  a  reçu  une 
désignation  particulière  ;  il  y  a  la  cascade  de  Bertkold  de  Zœhrmgen,  fondateur  de  la 
ville  de  Berne  ;  celle  de  Rodolphe  d'Erlach,  le  héros  de  Laupen  ;  celle  d'Adrien  de 
Babenherg,  le  héros  de  Morat,  etc.,  etc.  Ce  n'est  que  depuis  le  commencement  de  ce 
siècle  que  le  Giessbach  est  connu.  Auparavant,  il  était  presque  inaccessible.  A  cette 
époque,  le  maître  d'école  Kehrli  fraya  un  chemin,  et  se  fit  payer  un  petit  dédom- 
magement de  chaque  voyageur.  De  là  l'origine  de  la  modeste  auberge  établie  auprès 
des  chutes,  et  qui  a  été  récemment  améliorée.  Un  sentier  très-pénible  mène  en  cinq 
heures  du  Giessbach  au  Faulhom  ;  un  autre  sentier,  aussi  assez  difficile,  y  mène  du 
village  de  Sengg.  De  Brienz  on  se  rend  au  Giessbach,  soit  en  traversant  le  lac,  soit 
|Kir  terre,  en  deux  heures,  en  faisant  le  lourde  l'extrémité  orientale  du  lac.  À  demi- 
licue  de  Brienz,  non  loin  de  l'embouchure  de  l'Aar  dans  le  lac,  était  jadis  le  village 
de  Kienholz,  qui  fut  détruit  en  1499  par  un  tremblement  de  terre;  sur  l'emplace- 
ment (|u'il  occupait,  on  trouve  maintenant  l'hâlel  et  pension  de  l!ellevue.  Le  long 
du  lac  sont  disperses  de  grands  amas  de  débris  qui  couvrent  un  sol  autrefois  fertile. 
Un  torrent  de  vase  détruisit  en  1797  une  partie  considérable  des  hameaux  de 
Schwanden  et  de  Hoffstetten,  dépendants  de  Brienz.  Un  éboulement  couvrit  en  1826 
40  arpents  de  terrain. 

Meyringen  el  le  Reichenkich,  La  route  conduit  de  Brienz  à  Meyringen  en  trois 
heures,  en  traversant  deux  fois  l'Aar;  elle  passe  au-dessous  de  plusieurs  cascades, 
entre  autres  celle  de  l'Oltscbibach,  qui  est  très-belle.  Près  de  Brienzwyler,  on  laisse 
à  gauche  le  sentier  qui  mène  au  col  du  Brûnig  et  dans  l'Unterwald.  Meyringen  est  le 
chef-lieu  de  la  vallée  du  Hasii.  Cette  vallée,  qui  s'étend  jusqu'au  col  du  Grimsel,  a  10 
ou  11  lieues  de  longueur.  Ses  habitants  passent  pour  l'une  des  plus  intéressantes  et 
des  plus  belles  peuplades  qu'il  y  ait  dans  les  Alpes.  Il  est  hors  de  doute  qu'ils  sont 
d'une  autre  origine  que  celles  dont  ils  sont  entourés  ;  ils  descendent,  à  ce  qu'on 
assure,  d'une  colonie  partie  de  la  Frise  ou  de  la  Suède,  ou  peut-être  de  ces  deux 
pays.  Cette  colonie  serait  arrivée,  dans  le  B"**  siècle,  vers  le  lacdesWaldstâtten,  el 
plus  tard  elle  aurait  passé  le  Brûnig  et  se  serait  fixée  dans  le  Hasli.  Une  antique 
chanson  populaire  a  transmis  cette  tradition  à  travers  les  siècles.  Us  se  distinguent 
soit  par  leur  taille  et  la  beauté  de  leurs  traits,  soit  par  leur  langage,  qui  .est  moins 
rude  que  celui  des  autres  Suisses.  Le  costume  des  femmes  présente  aussi  quelques 
particularités.  Meyringen  est  situé  dans  une  plaine  large  d'environ  une  lieue,  et  au 


7l^^S-^ 


LR    PLATEAU    DR    MRTRI.NGR!«. 


LA   SUISSE   PITTOIieSQUE.  4S9 


milieu  de  montagnes  aux  formes  piltoresques.  Du  côté  du  nord,  diverses  cascades 
descendent  du  Haslibei^  par  plusieurs  gradins;  le  principal  ruisseau  est  VAlpbach, 
qui  a  causé  souvent  des  ravages,  en  couvrant  une  grande  étendue  de  terrain  de  boue 
et  de  débris  de  roc.  En  4762,  une  partie  du  village  fut  détruite  par  un  semblable 
désastre.  Pour  en  prévenir  le  retour,  on  a  creusé  un  large  canal  qui  aboutit  à  TAar. 
Du  côté  du  sud,  l'attention  est  attirée  par  les  chutes  du  Reichenbach,  qui  sont  au 
nombre  de  sept  ;  la  première  et  la  dernière  sont  les  plus  belles,  et  s'aperçoivent 
d'une  grande  distance  ;  leur  fracas  se  fait  aussi  entendre  au  loin.  Ces  chutes  sont 
remarquables,  soit  par  leur  volume,  soit  par  la  fraîche  verdure  et  par  l'ensemble  du 
paysage  qui  les  entoure.  On  a  établi  des  cabanes  aux  lieux  les  plus  favorables  pour, 
les  observer.  C'est  avant  midi  qu'il  convient  de  contempler  la  cascade  supérieure, 
parce  que  pendant  cette  partie  de  la  journée  les  rayons  du  soleil  forment  trois  iris 
circulaires  sur  la  colonne  d'eau  ;  sa  chute  inférieure  n'est  éclairée  que  dans  l'après- 
midi.  En  continuant  à  monter  par  le  chemin  qui  conduit  aux  cascades,  on  rencontre 
des  points  de  vue  très-pittoresques  sur  le  Wetterhorn,  le  Wellhorn,  etc.,  et  en  deux 
heures  on  arrive  aux  bains  de  Rosenlaui,  d'où  l'on  peut  se  rendre  en  demi-heure 
au  glacier  du  même  nom,  renommé  pour  la  pureté  cristalline  de  la  glace  et  la 
transparence  azurée  des  crevasses.  La  propreté  de  ce  glacier  résulte  sans  doute  de 
la  nature  des  montagnes  voisines,  dont  la  pierre  calcaire  noire  ne  se  décompose  pas 
et  ne  dépose  pas  sur  le  glacier  les  masses  de  débris  qui  gâtent  l'effet  de  ceux  du 
Grindelwald.  Le  torrent  qui  sort  du  glacier,  et  qu'on  nomme  le  Weissbach  (Nant- 
Blanc),  coule  d'abord  au  1ms  d'une  profonde  crevasse  de  rocher,  sur  laquelle  on  a 
jeté  un  petit  pont.  De  Rosenlaui,  une  ascension  de  deux  heures  mène  au  sommet 
du  col  de  la  grande  Scheideck,  par  où  passe  le  chemin  de  Grindelwald.  Meyringen 
et  ses  environs  sont  une  des  contrées  que  fréquentent  le  plus  les  peintres,  car, 
comme  l'a  dit  un  voyageur  :  ((  C'est  à  Meyringen  que  la  nature  a  placé  l'école  du 
paysage;  c'est  là  qu'elle  a  réuni  tous  les  éléments  du  style  héroïque  de  ce  genre,  et 
l'artiste,  pour  être  original  et  sublime,  n'a  besoin  que  d'y  être  constamment  exact 
et  vrai.  » 

Oberhasli,  Grirnsel,  la  Hàndeck,  Si  de  Meyringen  on  remonte  la  vallée  du  Hasli, 
il  faut  huit  heures  de  marche  pour  atteindre  l'hospice  du  Grimsel.  Une  haute  colline 
calcaire  et  boisée,  le  Kirchet,  barre  la  vallée  de  TAar  comme  une  sorte  de  digue,  et 
ne  laisse  à  la  rivière  qu'un  étroit  passage,  nommé  la  Finstere  Schlauche  ou  Sombre 
Gorge;  le  roc  semble  comme  scié  du  haut  en  bas;  c'est  peut-être  une  crevasse 
produite  par  un  tremblement  de  terre.  Cette  colline  est  couverte  d'une  grande 
quantité  d'énormes  blocs  erratiques  de  granit,  dont  plusieurs  ont  été  employés  à  la 
construction  du  beau  pont  de  la  Nydeck  à  Berne.  Ces  blocs  doivent  être  les  restes  de 
la  moraine  d'un  immense  glacier,  qui  aurait  jadis  rempli  la  vallée  jusqu'en  ce  lieu, 
et  qui,  dans  le  cours  des  siècles,  se  serait  retiré  vers  le  sommet  des  vallées  voisines. 
Le  chemin  est  praticable  pour  les  voitures  jusqu'à  Im  Hof;  il  longe  pendant  quelque 
temps  le  Kirchet,  et  traverse  les  fertiles  prairies  du  fond  de  la  vallée.  Ici,  Ton  voit  à 
droite  et  à  gauche  déboucher  des  vallées  latérales  :  à  droite,  c'est  la  sauvage  vallée 
iïUrbach,  aboutissant  à  des  glaciers  qui  s'appuient  contre  le  Wetterhorn.  La  vallée 
de  gauche  s'appelle  le  MûhlUhal\  elle  se  bifurque  un  peu  plus  haut,  et  aboutit  aux 
montagnes  d'Unterwald  et  d'Uri.  La  bifurcation  de  gauche  est  le  GenteUhal,  qui 


160  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


présente  de  belles  cascades,  et  conduit  à  V Engstkfmlp,  sur  laquelle  on  trouve  un  petit 
lac  de  ce  nom,  Efigstlensee,  et  une  source  intermittente,  connue  sous  le  nom  de 
Wunderbninnen,  Fontaine  merveilleuse.  Elle  commence  à  couler  au  printemps,  lors- 
que les  troupeaux  viennent  sur  la  montagne  ;  et  dès  qu'ils  la  quittent  en  automne,  on 
voit  disparaître  ses  eaux.  Pendant  Télé,  elle  coule  régulièrement  depuis  huit  heures 
du  matin  jusqu'à  quatre  heures  après  midi  ;  le  reste  du  temps  elle  est  à  sec.  Cependant, 
la  rareté  ou  Tabondance  des  pluies  trouble  un  peu  cette  r^larité  périodique.  Au- 
dessus  de  TEngstlenalp  s'élève  le  passage  appelé  le  Joch  ou  col  du  Titlis,  par  lequel 
on  se  rend  dans  la  vallée  unterwaldoise  d'Engelberg.  De  ce  col,  élevé  de  6890  pieds, 
on  peut  contempler  d'assez  près  les  belles  sommités  glacées  du  Titlis.  C'est  sur 
l'Engstlenalp  qu'ont  lieu,  le  26  juillet,  des  Têtes  de  lutteurs.  Des  réunions  semblables 
ont  lieu  sur  d'autres  Alpes  du  Hasli,  en  particulier  le  10  août  sur  la  Tannalp,  où  les 
bergers  d'Unterwald  se  rendent  aussi.  La  bifurcation  de  droite  est  la  riante  vallée  de 
Gadmen,  où  Ton  trouve  un  village  du  même  nom.  Delà,  un  bon  sentier,  plus  facile 
que  le  Joch,  conduit  par  le  col  de  Susten  {Siistenpass  ou  Sasten-Scheideck)  au  canton 
d'Uri;  sur  l'autre  revers,  on  descend  dans  le  Mayenthal,  qui  débouche  à  Wasen,  sur 
la  route  du  St.-Gothard.  Le  canton  de  Berne  avait  projeté,  quand  le  Yallais  est  devenu 
français,  de  pratiquer  une  bonne  route  sur  le  Susten  ;  mais  elle  n'a  pas  été  exécutée. 
Au  col  de  Susten  on  est  voisin  d'un  pic  du  même  nom,  et  dont  l'élévation  égale  celle 
du  Titlis  (  10,700  pieds).  On  voit  aussi,  en  montant,  deux  glaciers,  dont  le  premier, 
celui  de  Triften^  communique  par  son  sommet  avec  le  grand  glacier  du  RhAne.  Au 
bas  de  la  vallée  de  Gadmen,  il  existe  une  exploitation  de  marbre  blanc  d'un  grain 
très-pur. 

Après  Im  Hof,  le  chemin  du  Grimsel  pénètre  par  une  forte  montée  dans  la  gorge 
étroite  où  l'Aar  coule  depuis  sa  source  :  c'est  VOberhasli  ou  Haut-Hasli.  Plus  haut, 
l'on  a  dû  faire  sauter  un  rocher  pour  donner  place  au  chemin.  Au  bout  de  deux 
fortes  heures,  depuis  Im  Hof,  on  arrive  à  Guttannen,  le  plus  grand  et  le  plus  pauvre 
village  de  l'OberhasIi.  On  voit  çà  et  là,  dans  les  prairies,  des  pierres  amenées  par  les 
avalanches,  et  que  les  paysans  mettent  en  monceaux  pour  qu'elles  n'entravent  pas 
la  végétation.  11  faut  encore  plus  de  deux  heures  de  marche,  dans  un  pays  de  plus 
en  plus  sauvage,  au  milieu  des  rochers  et  d'une  forêt  de  pins,  pour  arriver  à  la  cas- 
cade de  la  Handeck.  En  quittant  la  route,  on  s'approdie  avec  précaution  d'un  abime 
de  200  pieds,  où  les  flots  de  l'Aar  se  précipitent  en  masse  compacte,  et  d'où  s'élève 
un  épais  brouillard.  C'est  sans  contredit,  après  la  chute  du  Rhin,  la  plus  remarquable 
de  la  Suisse,  tant  à  cause  de  la  hauteur  de  la  cataracte  et  de  la  masse  d'eau,  qu'à 
cause  de  la  nature  sauvage  de  la  gorge.  La  chute  de  l'Aar  a  une  telle  force,  que  l'eau 
parcourt  près  de  la  moitié  de  l'abime  sans  se  diviser;  mais,  en  rebondissant  sur  les 
roches,  elle  développe  un  vaste  cercle  de  vapeurs,  sur  lesquelles  le  soleil  produit  de 
10  à  1  heure  des  iris  dont  les  arcs  montent  et  descendent  sans  cesse.  L'^rlenbach, 
venant  des  glaciers  du  même  nom,  se  précipite  dans  la  même  gorge,  et  rejoint,  à 
demi-hauteur  de  la  chute,  les  eaux  de  l'Aar,  ce  qui  augmente  considérablement 
l'effet  général  du  tableau.  Le  chalet  de  la  Handeck  est  situé  à  quelques  minutes  de  la 
cascade,  et  l'on  peut  au  besoin  y  trouver  un  gite. 

Au-dessus  de  la  Handeck,  on  ne  voit  plus  que  des  sapins  nains,  qui  finissent  bientAt 
par  disparaître.  Le  sol  desséché  et  pierreux  ne  produit  qu'une  herbe  maigre  et  de  la 


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LA    SUISSE    PITTORESQUE. 


1(51 


mousse,  et  çà  et  là  quelques  touffes  de  rhododendron.  À  demi-lieue  du  chalet,  on 
arrive  à  un  plateau  de  granit  arrondi,  et  dans  lequel  on  a  taillé  des  degrés  ;  on  rap- 
pelle le  Mauvais  coin  {bôse  Seite),  Plus  loin,  on  rencontre  un  plateau  du  même  genre, 
qu*on  nomme  \e  plateau  glissant  ou  luisant  {helle  Platte)  ;  il  est  poli  comme  du  marbre, 
ce  qu'Agassiz  et  d'autres  attribuent  au  frottement  d'un  glacier.  Vis-à-vis,  le  Gelmer- 
bacb,  qui  descend  d'un  petit  lac,  forme  une  belle  cascade.  La  vallée  devient  toujours 


Vallée  de  la  Haadeck. 

plus  étroite  et  désolée,  et  la  végétation  y  cesse  presque  entièrement.  Enfin,  après 
avoir  passé  trois  fois  TAar  sur  des  ponts  très-élevés,  on  tourne  à  gauche,  et  au  bout 
d'un  quart  d'heure  on  arrive  à  l'hospice  du  Grimsel,  qui  fut  primitivement  un  asile 
pour  les  voyageurs  qui  passaient  la  montagne;  il  est  la  propriété  de  la  vallée 
d'Oberhasli,  qui  le  donne  à  ferme.  Le  fermier  fait  ordinairement  pendant  l'hiver  une 
collecte  dans  quelques  cantons.  Pendant  plusieurs  années,  l'hospice  a  été  tenu  par 
un  des  hommes  les  plus  notables  de  la  vallée;  mais  ce  fermier,  l'ayant  incendié,  le 
6  novembre  1852,  a  été  condamné  en  18S3  à  vingt  ans  de  prison.  Le  bâtiment  a  été 
reconstruit  à  neuf.  Il  est  à  S800  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Tout  auprès  se  trouve 
un  petit  lac,  de  l'autre  côté  duquel  est  un  maigre  pâturage,  où  l'on  nourrit  pendant 
un  ou  deux  mois  les  vaches  de  l'hospice.  La  contrée  d'alentour  est  d'un  aspect 
extrêmement  rude  et  sauvage. 

Il  faut  encore  gravir  plus  d'une  demi-heure,  par  un  chemin  escarpé,  pour  atteindre 
le  sommet  du  col  du  Grimsel,  haut  de  6770  pieds.  Le  chemin  est  marqué  par  des 
pieux  plantés  de  distance  en  distance,  pour  guider  le  voyageur  sur  la  neige,  qui  le 
recouvre  jusqu'au  milieu  de  juillet.  Au  sommet,  la  neige  ne  disparaît  complètement 
que  quand  l'été  est  très-chaud.  On  y  trouve  un  petit  lac,  le  Todlensee,  Lac  des  morts. 
Le  sentier  qui  descend  vers  le  glacier  du  Rhône  par  la  pente  escarpée  qu'on  nomme 
la  Meyenwand,  passe  au  nord  de  ce  lac;  celui  qui  descend  à  Obergestelen,  passe  au 
sud.  Le  Grimsel  a  été  le  théâtre  d'un  combat  dans  l'été  de  1799.  Les  Autrichiens, 
réunis  avec  les  Vallaisans,  s'étaient  retranchés  sur  le  sommet  et  près  de  l'hospice. 
11.  il  21 


162  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Les  Français,  commandés  par  le  général  I^iecourbe,  n'ayant  pas  réussi  à  les  débusquer 
en  les  attaquant  par  le  bas  de  la  vallée,  un  petit  corps,  guidé  par  un  montagnard, 
fit  un  long  détour  par  des  sentiers  difficiles,  et  parvint  à  prendre  Tennemi  en  flanc  et 
à  dos.  Celui-ci,  surpris  par  cette  attaque  inattendue,  fut  repoussé  avec  de  grandes 
|)ertes.  On  trouve  encore  quelquefois,  dans  les  alentours  du  col,  des  débris  d'armes  ou 
d'équipement.  Du  haut  du  col,  on  a  une  belle  vue  sur  la  Furka,  sur  le  Galenstock, 
sur  quelques  pics  du  St.-Gothard  et  sur  une  partie  de  la  chaîne  méridionale  du  Val- 
lais,  jusqu'au-delà  du  Mont-Rose.  Mais  si  l'on  prend  la  peine  de  gravir  la  sommité 
du  Siedelhorn,  située  à  l'ouest  du  col,  et  qui  le  domine  de  5S000  pieds  (8644),  on 
jouit  d'un  panorama  bien  plus  étendu,  surtout  du  côté  du  Finsteraarhom  et  des 
cimes  voisines.  C'est  une  ascension  d'environ  deux  heures,  à  partir  du  col,  et  qui 
n'est  difficile  que  pour  le  dernier  quart  d'heure,  parce  que  le  sommet  est  couvert  de 
gros  blocs  de  granit  disjoints,  comme  le  sont  plusieurs  des  cimes  des  environs. 

Glaciers  de  VAar,  L'Aar  sort  de  deux  puissants  glaciers,  à  l'ouest  de  l'hospice  du 
Grimsel  :  le  glacier  supérieur  {Oberaarglelscher),  et  le  glacier  inférieur  {Ufiteraar- 
gletscher).  Le  premier,  séparé  du  second  par  le  Zinkenstock,  est  à  trois  lieues  de 
l'hospice,  et  descend  d'une  crête  élevée,  le  col  i*Oberaar,  qui  fait  le  prolongement  du 
Finsteraarhom.  Un  sentier  praticable  pour  les  chevaux  conduit  facilement  en  deux 
heures  au  glacier  inférieur,  que  l'on  parcourt  aussi  sans  danger.  Il  forme  lui-même  le 
prolongement  des  glaciers  du  Finsteraar  (  Aar  sombre),  et  du  Lauteraar  (Aar  limpide 
ou  éclairé).  Le  premier  descend  du  Finsteraarhom,  et  le  second  du  Schreckhorn.  A 
la  rencontre  des  deux  glaciers,  il  s'est  formé  une  énorme  moraine  de  glace  et  de 
granit,  haute  en  quelques  endroits  de  80  à  (00  pieds,  et  qui,  par  suite  de  la  marche 
du  glacier,  se  prolonge  jusqu'au  bas  de  celui-ci  (voyez  page  78).  Les  glaciers  de 
l'Aar  sont  remarquablement  propices  pour  étudier  les  divers  phénomènes  de  la  for- 
mation et  du  mouvement  des  glaciers.  Le  naturaliste  suisse  Hugi  avait  fait 
construire  en  1827  sur  le  glacier  inférieur,  au  pied  même  de  la  dernière  saillie  du 
rocher  nommé  Abschwung,  qui  sépare  les  deux  glaciers,  une  cabane,  maintenant 
ruinée,  qui,  en  1840,  avait  été  transportée  à  4600  pieds  de  ce  rocher  par  la  marche 
constante  du  glacier.  C'est  sur  ce  même  glacier  que  le  célèbre  Agassiz  d'Orbe,  alors 
professeur  à  Neuchàtel,  s'établit  en  1840,  avec  quelques  compagnons,  MM.  Desor, 
Nicolet,  Vogt,  etc.,  et  plus  tard  M.  DoUfuss-Aussèt  de  Mulhouse.  Ces  savants 
s'étaient  réparti  entre  eux  les  recherches  dans  les  diverses  branches  de  l'histoire 
naturelle,  la  minéralogie,  la  botanique,  l'entomologie,  la  météorologie,  etc.  Ils 
publièrent  dans  les  journaux  des  observations  très-intéressantes,  datées  de  VHôlel  des 
NeucMtelois.  Cet  hôtel  était  une  cabane,  composée  d'un  simple  mur  construit  en 
pierres  sèches  sous  un  énorme  bloc  de  schiste  micacé.  C'est  là  qu'ils  habitèrent  pen- 
dant quelques  semaines  dans  les  étés  de  1840  et  1841  ;  mais  comme  le  rocher  qui 
recouvrait  leur  cabane  laissait  filtrer  l'eau  de  pluie,  et  que  le  mouvement  du  glacier 
disjoignait  quelquefois  le  mur  et  le  bloc  qui  servait  de  toit,  ils  firent  dresser  en 
1842,  tout  près  du  même  lieu,  une  tente  soutenue  par  une  charpente.  En  1843,  la 
([uantité  de  neige  tombée  pendant  l'hiver  était  telle,  qu'ils  durent  s'établir  environ 
une  lieue  plus  bas;  ils  firent  construire,  sur  une  éminence  à  côté  du  glacier,  une 
cabane,  qu'ils  décorèrent  du  nom  de  pavillon.  Au  milieu  des  scènes  de  cette  nature 
grandiose,  ces  messieurs  recevaient  de  nombreuses  visites,  et  ils  exerçaient  dans  leur 


LA  SUISSE   PITTORESQUE.  163 


modeste  demeure  la  plus  aimable  hospitalilé.  Us  profitèrent  de  leur  séjour  dans  ces 
régions  élevées,  pour  faire,  non  sans  quelques  dangers  parfois,  l'ascension  de  pinceurs 
des  hautes  cimes  du  voisinage  ;  c'est  ainsi  qu'ils  escaladèrent,  en  18&1 ,  la  Jungfrau  ; 
en  4842,  le  Schreckhorn;  en  184&,  le  Rosenhorn,  le  pic  le  plus  oriental  du 
Wetterhorn.  (La  cime  occidentale,  appelée  aussi  Hasli-Jungfrau  ou  Vierge  du  Hasli, 
a  été  gravie  la  même  année;  le  Pic  du  milieu  ou  MiUelhorn,  l'a  été  l'année  suivante.) 
Les  observations  sur  le  glacier  furent  continuées  les  années  suivantes  par  M.  DoU- 
Tuss-Ausset.  Les  glaciers  de  l'Aar  se  joignent  par  leur  sommet  à  ceux  du  Grindel- 
wald  et  à  ceux  qui  descendent  en  Vallais,  au  sud  du  Finsteraarhorn  et  de  la  Jungfrau. 
On  évalue  à  près  de  40  lieues  carrées  l'étendue  de  ce  vaste  désert  glacé. 

Grindeltoald,  Faulham.  Retournons  maintenant  à  Interlaken,  et  dirigeons-nous 
vers  les  vallées  de  Grindelvald  et  de  Lauterbrunnen.  Après  avoir  traversé  des  ver- 
gers et  de  fraîches  prairies,  on  pénètre  dans  une  gorge  étroite,  en  remontant  le  cours 
du  gros  torrent  de  la  Lutschine.  A  une  lieue  et  demie  d'Interlaken,  la  vallée  se 
partage  en  deux  :  à  droite,  s'ouvre  la  vallée  de  Lauterbrunnen,  qu'arrose  la  Lutschine 
blanche  ;  à  gauche,  celle  de  Grindelwald,  d'où  vient  la  Lutschine  noire.  Ces  deux 
torrents  se  réunissent  près  du  village  des  Deux  Lutschines  (Zweilûtschinen).  Us 
doivent  la  couleur  de  leurs  eaux  à  la  nature  des  roches  dont  ils  entraînent  des  par- 
celles. Avant  d'arriver  au  village  de  Grindelwald,  on  voit  la  vallée  s'élargir  consi- 
dérablement ;  le  village  est  composé  de  jolies  maisons  de  bois  éparses  ;  il  est  à  la  hau- 
teur de  32S0  pieds;  le  climat  y  est  rude,  à  cause  du  voisinage  des  glaciers;  la 
population  en  est  essentiellement  pastorale.  On  a  élevé  dans  le  cimetière,  contre 
le  mur  de  Téglise,  un  petit  monument  au  pasteur  vaudois  Mouron,  qui  en  1821 
tomba  dans  une  crevasse  du  glacier  inférieur  (voyez  page  80).  Grindelwald  doit  sa 
réputation  soit  à  ses  montagnes  imposantes,  soit  aux  deux  glaciers  considérables  qui 
descendent  jusque  dans  la  vallée  et  même  jusqu'auprès  des  habitations,  et  sont  ainsi 
d'un  accès  plus  facile  qu'aucun  autre  en  Suisse.  Trois  montagnes  gigantesques 
forment  le  côté  méridional  de  la  vallée  :  TEiger,  le  Mettenberg,  qui  est  la  base  du 
Schreckhorn,  et  le  Wetterhorn.  C'est  entre  ces  trois  sommets  que  descendent  les 
deux  glaciers,  sentinelles  avancées  de  la  vaste  mer  de  glace  qui  couvre  les  plateaux 
et  les  gorges  élevées  de  ces  montagnes. 

Le  glacier  supérieur,  distant  d'une  lieue  de  Grindelwald,  est  le  plus  remarquable  ; 
la  glace  en  est  plus  pure  que  celle  du  glacier  inférieur,  et  il  offre  des  voûtes  plus 
grandioses;  c'est  sur  ce  glacier  qu'arriva,  en  1787  ou  1790,  à  Chr.  Bohren  l'acci- 
dent dont  nous  avons  parlé  page  80  ;  son  fils,  âgé  de  77  ans  et  père  d'une  nombreuse 
famille,  était  encore  en  18S2  le  gardien  du  glacier.  Le  glacier  inférieur,  nommé  aussi 
le  petit  glacier,  quoiqu'il  soit  quatre  fois  plus  grand  que  l'autre,  n'est  qu'à  une  bonne 
demi-lieue  de  Grindelwald  ;  la  partie  inférieure  n'est  qu'à  5200  pieds  au-dessus  de  la 
mer.  On  donne  le  nom  de  mer  de  glace  au  grand  bassin  supérieur  où  se  forme  le 
glacier  avant  de  descendre  dans  la  vallée.  On  y  remarque  un  grand  nombre  de  pyra- 
mides ou  d'aiguilles,  qui  affectent  les  formes  les  plus  étranges.  Cette  vaste  vallée  de 
glace  est  entourée  des  imposants  sommets  de  TElger,  du  Schreckhorn,  du  Viescher- 
hom»  etc.  En  traversant  la  mer  de  glace,  on  arrive  à  un  misérable  chalet,  situé  au 
pied  du  Mettenberg,  et  qui  sert  à  l'exploitation  de  quelques  maigres  pâturages.  De 
là,  on  peut  se  rendre  à  l'hospice  du  Grimsel,  en  suivant  le  pied  du  Schreckhorn  et 


46&  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


par  le  col  de  la  Sirahleck  ;  il  y  a  environ  40  heures  de  marche  sur  la  glace  et  sur  la  | 

neige.  Il  y  a  trois  siècles,  les  glaces  étaient  beaucoup  moins  étendues,  et  l'on  passait  | 

commodément  de  Grindelwald  en  Vallais. 

Au  nord  de  Grindelwald  court  la  petite  chaîne  du  Faulhom,  qui  le  sépare  du  lac  \ 

de  Brienz.  Le  Faulhorn,  ou  Pic  pourri,  est  élevé  de  8260  pieds  ;  il  a  donc  4900  pieds 
au-dessus  de  Grindelwald  ;  mais  l'ascension  ne  présente  aucun  passage  difficile,  et  a 
lieu  en  grande  partie  sur  des  pâturages;  elle  exige  au  moins  quatre  heures.  Le  prin-  ■ 

cipal  sentier  traverse  la  Bach-Alp,  au-dessus  de  laquelle  est  un  petit  lac,  le  BachSee, 
La  vue  dont  on  jouit  du  sommet  est  aussi  célèbre  que  celle  du  Righi.  L'horizon  s'é-  ^ 

tend  du  côté  de  l'ouest  jusqu'aux  sommités  du  Jura  ;  du  cAté  du  nord  et  par-dessus  le  i 

Brienzergrat,  jusqu'au  Randen,  point  culminant  du  canton  de  Schaffhouse;  du  cdté 
de  Test  jusqu'aux  montagnes  des  Petits-Cantons,  lePilate,  le  Righi,  le  Mythen,  etc. 
Du  cAté  du  sud  la  vue  est  moins  étendue,  mais  elle  est  plus  grandiose  :  elle  embrasse 
la  plus  grande  partie  de  la  chaîne  des  hautes  Alpes  bernoises;  sur  le  premier  plan, 
le  Wetterhorn,  le  Schreckhorn,  l'Eiger;  sur  un  plan  un  peu  plus  reculé,  le 
Finsteraarhorn,  le  Moine,  la  Jungfrau,  le  Breithom,  la  Blûmlisalp,  etc.,  et  au  loin 
les  Diablerets.  On  aperçoit  le  lac  de  Thoune  presque  en  entier,  une  partie  du  lac  de 
Brienz,  et  quelques  bandes  de  celui  des  Quatre-Cantons  et  de  celui  de  Zug.  Le 
sommet  du  Faulhorn  est  taillé  à  pic  du  côté  du  nord.  C'est  une  trentaine  de  pieds 
au-dessous  de  la  cime,  du  côté  du  sud,  qu'est  placée  une  auberge,  qui  a  été  agrandie 
en  1852  ;  on  y  trouve  la  table  d'hôte  la  plus  élevée  de  toute  la  Suisse  et  bien  proba- 
blement de  toute  l' Europe  ^ 

On  se  rend  de  Grindelwald  à  Meyringen  par  le  col  de  la  Grande  Scheideck,  que  Ton 
atteint  après  trois  heures  de  montée  douce.  On  traverse  constamment  de  beaux  pâtu- 
rages. Un  des  ruisseaux  que  l'on  passe  est  le  Bergclbach,  qui  vient  du  Schwarzborn 
ou  Pic  noir,  voisin  du  Faulhorn  ;  c'est  à  ce  ruisseau  qu'est  due  surtout  la  teinte 
noirâtre  de  la  Lutschine  de  Grindelwald.  Le  col  est  une  longue  arête  qui  joint  le 
Wetterhorn  avec  la  chaîne  du  Faulhorn  ;  la  vue  qu'on  y  embrasse,  sans  être  étendue, 
n'est  pas  cependant  sans  mérite  ;  on  y  découvre  la  jolie  vallée  de  Grindelwald,  avec 
ses  fraîches  prairies  et  ses  innombrables  cabanes  ;  plus  loin,  les  forêts  et  les  pâturages 
de  la  Wengernalp  contrastent  pittoresquement  avec  les  flancs  nus  et  escarpés  du 
Wetterhorn,  qui  s'élève  à  pic  au-dessus  de  la  Scheideck.  La  pente  orientale  du  col 
conduit  à  Rosenlaui  et  aux  cascades  du  Reichenbach  (voyez  ci-dessus). 

Wengernalp,  Jungfrau.  La  route  de  Grindelwald  â  Lauterbrunnen  suit  le  cours 
de  la  Lutschine  noire  jusqu'à  Zweilûtschinen,  et  remonte  ensuite  celui  de  la  Lutschine 
blanche.  Mais  on  peut  prendre  un  chemin  beaucoup  plus  intéressant,  et  franchir  le 
col  de  la  Wengernalp  ou  de  la  Petite  Scheideck,  Le  sentier  gravit  une  pente  aisée, 
couverte  de  pâturages  et  de  débris  de  rochers.  On  est  à  proximité  des  flancs  gigan- 
tesques de  l'Eiger  et  du  Moine,  et  il  est  rare  qu'on  ne  soit  pas  témoin  de  quelques 
avalanches  neigeuses.  Le  haut  du  col  est  à  6280  pieds.  En  se  retournant,  on  a  la 
vue  de  toute  la  vallée  de  Grindelwald  et  des  pentes  verdoyantes  du  Faulhorn  et  de 
la  Grande  Scheideck,  en  face  de  laquelle  on  se  trouve,  à  la  distance  de  quatre  à  cinq 
lieues.  ^La  vallée,  dit  un  voyageur,  ressemble  à  une  immense  corbeille  pleine  de 
fleurs,  d'herbes  et  de  feuillage.  » 

1.  La  dachesse  d'Orléans  el  ses  flls  ont  fail  rascension  du  Faulhorn  le  5  août  1852. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  i65 


Quand  on  a  dépassé  le  sommet,  on  arrive  bientôt  aux  chalets  et  à  la  modeste 
hôtellerie  de  l'Alpe  de  Wengern  ;  on  est  ici  en  face  des  pentes  immenses  de  la  Jung- 
frau,  qui  apparaît  dans  toute  sa  magnificence.  L'œil  se  fait  illusion,  et  s'en  croit 
à  une  portée  de  fusil,  tandis  que  la  dislance  est  d'environ  une  demi-lieue.  Les 
sommets  et  les  pentes  supérieures,  et  en  particulier  les  deux  Silberhômer  ou  Pics 
d'argent,  sont  tapissés  de  la  neige  la  plus  éblouissante  ;  les  pentes  inférieures,  partout 
où  elles  ne  sont  pas  verticales,  sont  revêtues  aussi  de  neiges  et  de  glaciers.  Les 
flancs  escarpés  de  la  base  de  la  Jungfrau  sont  constamment  sillonnés  par  les  ava- 
lanches. On  les  voit  et  on  les  entend  le  plus  ordinairement  l'après-midi,  quand  les 
rayons  du  soleil  ont  amolli  la  neige,  et  qu'il  s'en  détache  quelques  parties,  qui 
entraînent  successivement  de  plus  grandes  masses.  L'attention  est  d'abord  éveillée 
par  un  murmure  éloigné  qui  ressemble  assez  à  celui  du  tonnerre  ;  après  une  demi- 
minute,  on  voit  une  longue  traînée  de  neige  descendre  comme  une  cascade  le  long 
d'un  escarpement  de  la  pente  supérieure  de  la  montagne.  Quelquefois,  au  contraire, 
lorsque  l'attention  de  l'observateur  se  trouve  fixée  sur  les  flancs  de  la  montagne,  on 
aperçoit  une  masse  de  neige  s'en  détacher,  longtemps  avant  que  le  bruit  en  parvienne 
aux  oreilles.  A  part  le  craquement  qui  interrompt  le  silence  solennel  des  hautes 
Alpes,  les  avalanches  d'été,  bien  différentes  des  énormes  avalanches  du  printemps  et 
de  l'hiver,  ne  peuvent  s'appeler  grandioses,  et  elles  font  éprouver  un  moment 
de  déception  au  voyageur,  qui  ne  peut  s'expliquer  que  le  bruit  qu'il  entend 
soit  produit  par  une  si  petite  cause.  Il  doit  cependant  réfléchir  que  les  masses  de 
neige  que  la  distance  fait  paraître  si  faibles  pèsent  souvent  plusieurs  centaines  de 
quintaux,  et  qu'elles  seraient  de  force  à  renverser  des  maisons,  s'il  s'en  trouvait  sur 
leur  passage.  Vers  le  commencement  de  l'été,  il  n'est  pas  rare  de  voir  tomber  en 
une  heure  trois  ou  quatre  de  ces  avalanches  ;  cela  arrive  plus  rarement  par  un  temps 
frais  et  à  la  fin  de  l'été.  Elles  terminent  leur  chute  dans  une  gorge  profonde  et  inha- 
bitée qui  sépare  la  Wengernalp  de  la  base  de  la  Jungfrau,  et  où  elles  se  fondent  peu  à 
peu.  La  Jungfrau,  longtemps  regardée  comme  inaccessible,  a  été  escaladée  pour  la 
première  fois  en  1811  par  les  deux  frères  Meyer  d'Aarau,  en  1812  par  les  mêmes, 
en  1828  par  des  guides  de  Grindelwald,  en  1841  par  MM.  Agassiz,  Desor,  l'Anglais 
Forbes,  etc.,  en  1842  par  le  célèbre  géologue  Studer  de  Berne.  Ces  ascensions  ont 
été  exécutées  du  côté  du  sud  par  les  glaciers  de  Viesch  et  d'Aletsch.  Quelques  autres 
tentatives  d'ascension  ont  échoué,  en  particulier  celles  qu'on  a  faites  en  partant  de 
la  vallée  de  Lauterbrunnen.  —  Au  nord  de  la  Scheideck  s'élève  la  sommité  nommée 
le  Lauberhorn,  que  l'on  peut  atteindre  en  deux  bonnes  heures  de  la  Wengeraalp,  et 
d'où  l'on  embrasse  un  panorama  plus  étendu  que  de  celle-ci. 

Lauterbrunnen,  leStaubbach.  En  descendant  de  la  Wengernalp  à  Lauterbrunnen^ 
le  voyageur  peut  contempler  à  loisir  la  vue  extrêmement  pittoresque  qu'offrent  les 
glaciers  et  les  montagnes  qui  dominent  le  fond  de  la  vallée;  à  l'ouest  de  la  Jungfrau, 
s'élèvent  le  Breithom,  leTschingelhorn,  le  Gspaltenhorn,  etc.  ;  sur  l'autre  flanc  de  la 
vallée,  on  aperçoit  le  haut  de  plusieurs  cascades  qui  se  précipitent  d'un  plateau 
escarpé.  A  peu  près  vers  le  milieu  de  la  descente,  on  traverse  une  prairie  légèrement 
incUnée;  c'est  là  que  se  célèbre  la  fête  des  lutteurs,  le  premier  dimanche  d'août.  La 
dernière  heure  de  la  descente  est  la  partie  la  plus  rapide  de  tout  le  trajet  de  Grindelwald 
à  Lauterbrunnen.  On  a  alors  vis-à-vis  de  soi  la  grande  cascade  du  Staubbach,  dis- 


168  L\   StISSB    PITTORESQIE. 


noble  famille,  d'où  sont  issus  des  chevaliers,  des  troubadours  et  même  des  rois  puis- 
sants. On  longe  ensuite  la  Kander,  qui  coule  dans  le  canal  qu'on  creusa  de  4712  à 
1714,  afin  de  la  diriger  vers  le  lac.  On  laisse  à  gauche  le  grand  village  de  Wimmis 
et  son  château,  ancienne  résidence  des  familles  de  Brandis  et  de  Scharnachthal.  Le 
voyageur  a  eu  jusqu'ici  la  vue  d'une  partie  des  hautes  sommités  neigeuses,  la  Blûm- 
lisaip,  la  Jungfrau,  etc.  A  quelque  distance  de  Wimmis,  on  pénètre  dans  leSimmen- 
thaï  par  un  étroit  et  sauvage  défilé,  situé  entre  les  bases  du  Niesen  et  du  Stockhom. 
La  vallée  est  en  général  large  et  fertile;  elle  est  riche  en  excellents  pâturages  alpins, 
et  possède  de  nombreux  troupeaux.  La  race  de  ses  bètes  â  cornes  passe  pour  la  plus 
belle  de  toute  la  Suisse  ;  on  ne  peut  lui  comparer  que  celle  de  l'Emmenthal,  du  Ces- 
senay  et  de  la  Gruyère.  Les  villages  y  sont  nombreux,  bien  bâtis,  et  présentent  géné- 
ralement l'aspect  d'une  grande  aisance.  Les  principaux  sont  ceux  d'Erlenbach,  d'où 
l'on  gravit  le  plus  facilement  sur  le  Stockhorn,  haut  de  6770  pieds;  Weissenbourg, 
près  duquel  s'ouvre  la  gorge  profonde  où  sont  situés  les  bains  de  ce  nom  ;  Boltig^n, 
d'où  l'on  peut  se  rendre  directement  à  Bulle,  dans  le  canton  de  Fribourg,  par  des  cols 
faciles;  Zweisimmen,  au  confluent  de  la  grande  et  de  la  petite  Simme.  Au-dessus 
de  ce  village,  la  vallée  prend  le  nom  de  Haut-Simmenthal,  et  s'approche  de  la  grande 
chaîne  des  Alpes.  Le  dernier  village  considérable  est  celui  de  Lenk  ou  an  der  Lenk; 
les  femmes  y  possèdent  le  privilège  d'entrer  les  premières  dans  l'église,  en  souvenir 
d'une  guerre  entre  Berne  et  le  Vallais,  où  les  vaillantes  bernoises  du  village,  en 
l'absence  de  leurs  maris,  repoussèrent  les  Vallaisans  qui  avaient  pénétré  dans  le  pays. 
C'est  à  deux  lieues  de  Lenk  que  la  Simme  a  ses  sources,  appelées  les  Siebefibrunneti 
(les  Sept  sources),  parce  qu'elles  jaillissent  par  plusieurs  trous  d'une  haute  paroi  de 
rocher;  le  précipice  est  couronné  par  le  glacier  de  Rsetzli,  qui  forme  trois  étages  et 
qui  descend  du  Wildstrubel  ;  des  masses  de  glace  se  détachent  fréquemment  du  bord 
de  l'abime,  et  se  brisent  avec  fracas  dans  leur  chute.  Non  loin  de  ses  sources,  la 
Simme  fait  trois  superbes  chutes.  Près  de  Lenk  s'ouvre  le  vallon  d'Ifligen  ;  des  chalets 
qui  portent  ce  nom,  un  sentier  très-scabreux,  pratiqué  sur  le  flanc  de  grands  préci- 
pices, conduit  au  passage  de  Rawyl  (les  Ravins),  par  où  l'on  se  rend  à  Sien  et  à 
Sierre  en  Yallais.  Sa  hauteur  est  de  6970  pieds. 

Le  GessetMy.  Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  des  deux  belles  vallées  du  pays 
de  Gessenay  (Saafienlatui).  Gessenay  ou  Saanefi  est  un  grand  et  beau  village,  peuplé 
de  3600  habitants;  il  est  séparé  de  Zweisimmen  par  la  haute  colline  des  Saanenmôser, 
sur  laquelle  la  petite  Simme  prend  sa  source.  La  contrée  est  verdoyante  et  de  l'as- 
pect le  plus  agréable.  A  deroi-licue,  à  l'ouest,  se  trouve  la  frontière  vaudoise.  En 
remontant  la  Sarine  (Saam),  on  arrive  bientôt  à  Gestad,  où  la  vallée  se  bifurque.  A 
gauche  est  la  vallée  très-pittoresque  et  peu  fréquentée  de  Lauenen,  qui  se  termine 
au  glacier  du  Geltenberg  ;  on  y  trouve  un  joli  lac  et  de  belles  cascades  ;  elle  commu- 
nique par  des  sentiers  très-faciles  avec  le  Haut-Simmenthal  et  avec  Gsteig;  à  droite 
continue  la  vallée  de  la  Sarine,  dont  le  dernier  village  est  celui  de  Gsteig  ou  le  Châ- 
telet,  entouré  d'une  contrée  sauvage.  Un  chemin  rapide,  mais  nulle  part  difficile,  con- 
duit au  col  du  Sanetsch,  haut  de  6914  pieds.  La  Sarine  prend  sa  source  au  glacier  de 
Sanetsch,  qui  se  termine  au  sommet  du  col,  et  descend  de  l'Oldenhorn;  elle  arrose 
le  plateau  du  Kreuzboden  (Sol  de  la  croix),  dont  les  chalets  sont  occupés  par  des  ber- 
gers vallaisans.  De  Gsteig,  un  sentier  commode  conduit  dans  la  vallée  des  Ormonds 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  169 


par  une  contrée  très-pastorale  et  par  le  col  du  Pillon,  5900  pieds.  Le  vallon  roman- 
tique et  boisé  au  fond  duquel  se  trouve  le  petit  lac  d'Ârnon  {Amenseé),  mérite 
aussi  d*étre  visité. 

Emmenthal,  Berthoud,  etc.  La  partie  du  canton  de  Berne  située  entre  la  capi- 
tale et  la  frontière  luoernoise  est  sillonnée  d'un  grand  nombre  de  vallons  frais  et 
verdoyants,  où  l'on  trouve  des  villages  de  la  plus  belle  apparence  :  tel  est  le  vallon 
de  Worb  et  celui  de  Summiswald,  etc.  ;  le  village  de  Summiswald  est  très-florissant, 
et  possède  même  une  banque  hypothécaire;  son  château,  jadis  habité  par  les  baillis, 
a  été  converti  en  une  maison  de  pauvres.  Nous  devons  mentionner  surtout  la  grande 
vallée  de  Y  Emmenthal,  renommée  *pour  la  beauté  de  ses  troupeaux  et  de  ses  pâtu- 
rages, et  qui  passe  pour  une  des  plus  riches  et  des  plus  fertiles  de  la  Suisse.  Son  prin- 
cipal village  est  celui  de  Langnau;  on  y  a  élevé  en  1849  un  monument  en  mémoire 
des  Bernois  tombés  en  18&7  dans  la  guerre  du  Sonderbund.  Entre  Eggiwyl  et  Schang- 
nau,  TEmme  disparait  pour  quelque  temps  sous  une  voûte  de  rocher.  Le  village  de 
Lûtzelfluh  a  été  habité  par  le  pasteur  Bitzius,  décédé  en  1854,  et  qui  est  devenu 
célèbre  comme  écrivain  populaire,  sous  le  pseudonyme  de  Jérémie  Gotthelf.  La  partie 
septentrionale  de  la  vallée  se  prolonge  en  dehors  des  Alpes,  entre  des  collines  riantes. 
On  y  voit  la  petite  ville  de  Burgdorf  ou  Berthoud,  l'un  des  endroits  les  plus  industrieux 
du  canton.  Une  partie  des  maisons  sont  bordées  d'arcades,  comme  celles  de  Berne. 
C'est  dans  le  château  de  Berthoud  que  Pestalozzi  fonda,  en  1798,  son  célèbre  institut, 
qu'il  transporta  ensuite  â  Mûnchenbuchsee  près  d'Hofwyl,  puis  à  Yverdon.  De  l'é- 
glise du  château  l'on  jouit  d'une  belle  vue  sur  les  hautes  Alpes.  Dans  l'église  d'Hin- 
delbank,  village  sur  la  route  de  Berthoud  à  Berne,  on  visite  un  beau  monument 
érigé  dans  l'église  à  la  femme  du  pasteur  Langhans,  décédée  en  1751.  Un  peu  au 
nord  de  l'Emmenthal,  non  loin  de  la  frontière  d'Argovie  et  de  Lucerne,  se  trouve  le 
village  de  Langenthal,  un  des  plus  beaux  et  des  plus  grands  de  la  Suisse,  et  floris- 
sant par  son  industrie  et  son  commerce. 

Aarberg.  A  trois  ou  quatre  lieues  à  l'ouest  de  Berne,  sur  la  route  de  cette  ville 
à  Bienne  et  à  Neuchâtel,  est  située  la  ville  d'Aarberg,  qui  occupe  une  colline  entiè- 
rement entourée  par  les  eaux  de  l'Aar  à  l'époque  des  hautes  eaux.  Sa  position  est 
importante  sous  le  rapport  stratégique  ;  aussi  la  Confédération  y  a-t-elle  fait  établir, 
sur  une  colline  voisine,  quelques  travaux  de  fortification,  destinés  à  défendre  le  pas- 
sage de  l'Aar.  Au  sud  d'Aarberg  s'étend  une  grande  plaine  marécageuse,  appelée  le 
marais  du  Seeland  (Pays  des  lacs)  ;  il  a  été  depuis  longtemps  question  de  la  dessécher, 
en  abaissant  le  niveau  des  trois  lacs  voisins,  et  en  agrandissant  le  lit  de  la  Thièle 
entre  le  lac  de  Bienne  et  l'Aar  ;  mais  cette  entreprise  n'a  pu  encore  recevoir  son  exécu- 
tion, faute  de  l'accord  nécessaire  entre  les  divers  cantons  intéressés. 

Ville  et  lac  de  Bienne.  Bienne  {Biel)  est  une  jolie  petite  ville,  distante  d'un  quart 
de  lieue  du  lac  du  même  nom,  dont  elle  est  séparée  par  une  belle  allée  de  peupliers. 
Elle  fut  libre  et  indépendante  de  1250  à  1797,  et  figura  au  nombre  des  alliés  des 
Suissçs.  A  cette  dernière  date,  elle  fiit  envahie  par  la  France;  elle  fut  cédée  en  1815  à 
la  ville  de  Berne.  Elle  possède  quelques  fabriques,  des  tanneries,  des  usines,  et  ses 
environs  sont  fertiles.  Près  du  village  de  Belmont,  on  a  une  belle  échappée  de  vue 
sur  le  lac  et  sur  l'île  St.-Pierre;  on  voit  sur  une  hauteur,  près  d'une  forêt  de  pins, 
une  colonne  érigée  en  mémoire  des  Suisses  tombés  à  cette  place  en  1798,  en  corn- 
11,  II.  ââ 


170  U   SUISSE   PITTORESQUE. 


battant  contre  les  Français.  Du  cAté  du  nord,  les  rives  du  lac  sont  escarpées  et  cou- 
vertes de  vignobles.  Le  lac  doit  sa  renommée  à  Jean- Jacques  Rousseau,  qui  séjourna 
deux  mois  dans  Tile  Saint-Pierre  en  176S,  après  avoir  quitté  MoUers-Travers  au 
canton  de  Neuchàtel,  où  il  était  resté  trois  ans.  Son  Emile  l'avait  eipulsé  de  Genève; 
les  Lettres  de  la  monUigm  l'avaient  chassé  de  Motiers  ;  le  gouvernement  de  Berne  ne 
tarda  pas  à  l'éloigner  de  l'île  Saint-Pierre.  Cette  lie  est  à  deux  lieues  de  Bienne  ;  elle 
présente  des  sites  variés;  une  partie  de  ses  bords  offre  une  pente  douce,  couverte  de 
champs,  de  prairies  et  de  pâturages;  à  l'est  sont  étages  des  vignobles  que  surmonte 
un  verger,  dominé  à  son  tour  par  un  bois  de  chênes,  au  centre  duquel  est  un  pavillon 
octogone.  Cette  charmante  lie,  qu'avaient  occupée  autrefois  des  religieux  de  l'ordre 
de  Clugny,  et  qui  appartient  maintenant  à  l'hdpital  de  Berne,  se  rattache  sous  l'eau  à 
la  petite  lie  des  Lapins.  Du  côté  de  l'ouest,  à  dix  minutes  du  lac,  se  trouve  la  maison 
de  l'économe,  qui  renferme  la  chambre  de  Rousseau,  restée  intacte,  à  l'exception  des 
milliers  de  noms  dont  les  parois  sont  tapissées.  Rousseau  dit  dans  ses  Rêveries  d^nn 
promeneur  solitaire  :  «  De  toutes  les  habitations  où  j'ai  demeuré  (et  j'en  ai  eu  de  char- 
mantes), aucune  ne  m'a  rendu  si  véritablement  heureux  et  ne  m'a  laissé  de  si  ten- 
dres regrets  que  l'ile  St.-Pierre.  »  A  l'époque  de  la  vendange,  on  célèbre  dans  l'ile 
une  fête  qui  réunit  la  jeunesse  de  toutes  les  contrées  voisines.  Vis-à-vis  de  l'ile,  sur  la 
rive  occidentale,  on  fait  remarquer  au  voyageur  un  écho  qui  imite  parfoitement  le 
bruit  du  tonnerre,  et  un  peu  plus  au  nord  on  voit  une  fort  belle  cascade.  Près  de 
l'extrémité  du  lac,  on  aperçoit  la  Neuveville,  dominée  par  les  ruines  du  château  de 
Schlossbei^;  plus  loin,  les  villages  de  Landeron,  de  Cerlier,  et  l'ancienne  abbaye  de 
St.-Jean,  près  de  l'embouchure  de  la  Thièle. 

Jura  bernois.  Â  l'ouest  du  lac  de  Bienne,  s'élève  par  gradins  successif  la  sommité  du 
Chasserai  (Gestler),  qui  atteint  4970  pieds;  on  peut  arriver  à  peu  de  distance  de  la 
cime  par  des  chemins  praticables  aux  voitures.  La  perspective  qu'on  y  embrasse  s'é- 
tend d'un  côté  jusqu'aux  Alpes,  de  l'autre  jusqu'à  la  diaine  des  Vosges  et  à  la  Forèt- 
Noire.  Rousseau  a  fait  sur  le  Chasserai  une  partie  d'herborisation,  dont  un  de  ses 
compagnons  a  donné  un  charmant  récit.  La  sommité  du  Monlo,  située  au  nord  de 
Bienne,  présente  une  vue  à  peu  près  semblable  â  celle  du  Chasserai.  —  Au-delà  du 
Chasserai  court  la  vallée  de  St.-Imier,  longue  de  sept  lieues,  et  florissante  par  Tin- 
dustrie  de  l'horlogerie  (voyez  ci-dessus)  et  par  l'élève  du  bétail.  Elle  est  arrosée  par  la 
Suze.  Plus  au  nord  et  non  loin  de  la  Pierre-Pertuis,  commence  la  vallée  de  Munster 
ou  Val  Moutiers,  où  coule  la  Birse.  Cette  vallée  est  sans  contredit  la  plus  remarquable 
de  toutes  celles  de  la  région  jurassique  ;  ses  défilés  et  ses  goi^es  étroites,  bordées 
tantôt  de  pentes  boisées,  tantôt  de  rocs  abruptes  aux  formes  bizarres,  offrent  les  aspects 
les  plus  sauvages  et  les  plus  pittoresques.  Moutiers-Grandval  est  un  beau  village, 
dont  l'église  a,  dit-on,  été  fondée  au  7*  siècle.  Plus  loin,  l'on  trouve  les  foires  de 
Roche  et  de  Courrendelin  ;  Roche  possède  aussi  des  verreries.  La  vallée  de  la  Birse 
se  prolonge  du  côté  du  nord  jusqu'au  canton  de  Bâle.  De  nombreuses  ruines  de  diâ- 
teaux,  la  plupart  dans  des  sites  escarpés,  y  varient  très-pittoresquement  le  paysage; 
telles  sont  les  vastes  ruines  de  Vorburg,  celles  de  Soihières  (Saugem),  d'Angen- 
stein,  etc. 

A  peu  de  distance  de  la  Birse,  on  trouve  la  jolie  ville  de  Délémont,  située  dans 
une  large  et  riante  vallée;  on  y  voit  un  château  de  plaisance  d'une  arehitecture 


I.A    SUISSE    PITTORESQUE.  171 


moderne,  qui  a  élé  une  résidence  des  anciens  princes-évéques  de  Bàle.  La  Sorne,  qui 
coule  dans  la  vallée  de  Délémont,  a  sa  source  dans  les  cours  de  Fancien  couvent  de 
Bellelay,  situé  dans  une  contrée  élevée  et  solitaire,  au  milieu  des  bois,  à  deux  lieues  de 
Pierre-Pertuis;  près  du  village  de  Sornelan,  elle  se  jette  dans  \es  précipices  de  Pichoi^x, 
A  quelques  lieues  plus  à  Touest,  dans  la  partie  la  plus  septentrionale  du  canton,  est 
le  Pays  d'Ajoie  (EUgau),  dont  le  cbef-lieu  est  Porrentruy  (Pruntrut),  qui  occupe  un 
site  agréable,  non  loin  du  Mont-Terrible.  Avant  1792,  cette  ville  était  la  résidence 
de  révéque  de  B&le  et  de  la  noblesse  des  environs.  Les  collines  du  voisinage  offrent 
des  vues  ravissantes  sur  les  Vosges  et  les  plaines  de  l'Alsace.  Ste.-Ursanne,  au  sud  de 
Porrentruy,  est  une  jolie  petite  ville,  bâtie  sur  les  bords  du  Doubs.  Nous  avons  déjà 
parlé  des  diverses  antiquités  que  possède  le  Jura  bernois,  et  de  l'intérêt  qu'il  offre  au 
géologue  et  au  minéralogiste.  Les  habitants  parlent  généralement  français,  mais  leur 
patois  présente  quelques  particularités,  et  a  conservé  un  grand  nombre  d'expressions 
celtiques. 


CANTON   DE  LUCERNE. 


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Situation,  étendue,  climat.  —  Le  canton  de  Lucerne  occupe  la  partie  la  plus  cen- 
trale de  la  Suisse;  il  est  borné  au  nord  par  le  canton  d'Argovie,  à  Test  par  ceux  d'Ar- 
govie,  de  Zug  et  de  Schwytz,  au  sud  par  ceux  d'Unterwald  et  de  Berne,  et  à  l'ouest 
par  celui  de  Berne.  Il  compte  14  à  12  lieues  de  longueur,  sur  10  de  largeur.  Sa  super- 
ficie est  de  54  lieues  carrées  suisses.  On  y  éprouve  de  grandes  variations  de  tempéra- 
ture, et  le  climat,  plutôt  froid  que  chaud,  est  à  peu  près  le  même  que  celui  de  la 
partie  centrale  du  canton  de  Berne,  dont  il  est  voisin  ;  il  est  extrêmement  salubre. 
Aux  environs  de  Lucerne,  le  vent  qui  souffle  le  plus  souvent  est  celui  d*ouest  ;  la 
proximité  du  lac  y  rend  l'air  humide  ;  les  brouillards  y  sont  fréquents  en  automne,  et 
les  pluies  assez  longues  en  hiver. 

Montagnes  et  vallées.  —  La  moitié  méridionale  du  canton  est  seule  hérissée  de 
montagnes.  La  principale  chaîne  est  une  continuation  de  celle  qui,  partant  de  la 
Furka,  sépare  le  canton  de  Berne  de  ceux  d'Uri  et  d'Unterwald.  Vers  le  Rothhorn 
(7260  pieds),  auquel  confinent  les  cantons  de  Berne,  Unterwald  et  Lucerne,  cette 
chaîne  se  bifurque  ;  une  des  ramifications,  sous  le  nom  de  Brienzergrat  et  de  Tannhom 
(6570),  se  prolonge  vers  l'ouest  et  sépare  le  canton  de  Lucerne  de  celui  de  Berne; 
l'autre  se  dirige  vers  le  nord-est  et  forme  la  limite  des  cantons  de  Lucerne  et  d'Un- 
terwald.  Cette  ramification,  qui  comprend  le  Nesselstock  (5760)  et  la  haute  paroi  de 
rocher  du  Schlierenberg,  se  termine  par  le  mont  Pilate,  dont  les  bases  viennent  plon- 
ger dans  les  golfes  de  Winkel  etd'Alpnach.  Il  y  a  en  outre  d'autres  petits  chaînons 
plus  ou  moins  isolés  ;  la  SchafmaU  (Prairie  des  moutons)  et  le  Feuersiein  (Pierre  de 
feu)  (6700)  se  rattachent  au  Schlierenberg;  la  Srfcra«en/ïwA (Roche crevassée) (6290), 
montagne  bouleversée  cl  sillonnée  d'énormes  fentes,  touche  au  sud  à  l'Emmenthal  ber- 
nois; le  Gsteig  {MIO),  qui  fait  le  prolongement  de  la  Schrattenflub  du  côté  du  nord, 
est  au  contraire  couvert  de  beaux  pâturages;  VEnlzi  ou  Napf{U7^0),  duquel  rayon- 
nent cinq  ou  six  petits  chaînons  de  3  ou  4  lieues  de  longueur,  séparés  par  autant 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  173 


de  vallons,  forme  un  massif  isolé  et  confine  au  canton  de  Berne  ;  le  Bramegg  (3090), 
riche  en  pâturages,  se  rattache  au  Pilate.  —  Les  plus  hautes  de  ces  montagnes  n'at- 
teignent qu'une  hauteur  de  7000  à  7200  pieds.  On  n'y  voit  ni  glaciers  ni  neiges  éter- 
nelles, mais  beaucoup  d'excellents  pâturages,  dont  les  plus  élevés  ne  sont  dégarnis  de 
neige  qu'au  miheu  de  l'été.  Plusieurs  sommets,  tels  que  le  Pilate,  le  Rothhorn,  le 
Tannhorn,  le  Napf,  etc.,  offrent  des  vues  ravissantes.  Une  partie  de  la  pente  méri- 
dionale du  Righi  appartient  aussi  au  canton  de  Lucerne.  (Voyez  canton  de  Schwytz.) 

La  principale  vallée  du  canton  est  YEntUhuchy  renommé  par  ses  pâturages  et  ses 
troupeaux,  et  arrosé  parla  Petite  Emme.  Cette  vallée  tire  son  nom  d'une  autre  rivière 
moins  considérable,  VEntle^  qui  se  jette  dans  l'Emme  près  du  village  d'Entlibuch  ;  la 
partie  supérieure  de  l'Entlibuch  porte  aussi  le  nom  de  Marienthal.  Plusieurs  vallons 
latéraux  vont  s'appuyer  à  la  chaîne  du  Pilate  et  au  Napf.  Dans  la  partie  septentrio- 
nale du  canton,  quelques  chaînes  de  collines  partagent  le  pays  en  vallées  à  peu  près 
parallèles:  telles  sont  celles  où  se  trouvent  les  lacs  de  Baldeck  et  de  Sempach,  celle 
de  Munster,  etc.  La  principale  chaîne  de  collines  est  le  Lindenberg  (Mont  des  Til- 
leuls), qui  commence  près  du  pont  de  Gislikon  sur  la  Reuss,  et  se  prolonge  dans  le 
canton  d'Ârgovie,  après  en  avoir  formé  la  limite. 

Rivières  et  torrents.  —  La  Reuss,  qui  sort  du  lac  des  Waldstœtten,  n'a  qu'un 
cours  de  trois  lieues  sur  le  canton  de  Lucerne  ;  elle  le  quitte  un  peu  au-dessous  du 
pont  de  Gislikon,  situé  près  de  la  frontière  d'Ârgovie  et  de  Zug,  et  devenu  célèbre 
par  la  vive  canonnade  dont  il  fut  témoin  pendant  la  guerre  du  Sonderbund.  La  prin- 
cipale rivière  après  la  Reuss  est  la  Petite  Emme,  qu'on  appelle  aussi  Wald'Emm£  ou 
Emme  des  bois,  pour  la  distinguer  de  la  Grande  Emme  qui  arrose  l'Emmenthal  ber- 
nois. Ses  deux  sources,  qui  portent  le  nom  d'Emmensprung  (Saut  de  VEmme),  jaillissent 
de  terre  dans  le  voisinage  du  Rothhorn  ;  on  croit  qu'elles  sont  l'écoulement  du  petit 
lac  de  Mai,  qui  se  trouve  un  peu  plus  haut.  Elle  coule  d'abord  vers  le  nord  jusqu'à 
Wohlhausen,  au  milieu  de  verdoyantes  prairies,  puis  se  dirige  à  l'est  pour  se  jeter 
dans  la  Reuss  un  peu  au-dessous  de  Lucerne ,  après  un  cours  de  dix  lieues.  Elle 
reçoit  plusieurs  torrents  qui  descendent  des  vallons  latéraux  :  YEntle,  qui  a  ses  sources 
au  Schlierenberg,  et  dont  la  course  impétueuse  traverse  d'affreux  ravins  et  forme 
plusieurs  chutes  pittoresques;  le  Rûmlig  et  le  Retighach  ou  Kriensbach,  qui  descendent 
da  mont  Pilate;  le  premier  arrose  le  frais  vallon  d'Eigenthal,  qui  possède  une  tren- 
taine d'alpes;  le  second  coule  à  travers  le  Rengloch,  ouverture  profonde  entre  les 
monts  Sonnenberg  et  Plattenberg.  Ce  torrent  débordait  souvent  autrefois,  et  causait 
des  dévastations  du  côté  de  Lucerne.  Un  canal  artificiel  de  1500  pas  de  longueur, 
creusé  en  partie  dans  le  roc,  le  force  à  se  jeter  toujours  directement  dans  l'Emme. 
Ce  travail,  qui  a  exigé  beaucoup  de  temps  et  de  dépenses,  fut  commencé,  à  ce  qu'on 
assure,  au  ly  siècle.  h'Ilfis,  qui  se  joint  à  la  Grande  Emme  près  Langnau,  dans 
le  canton  de  Berne,  coule  à  l'ouest  de  la  Schrattenfluh.  Quelques  autres  petites 
rivières  s'écoulent  vers  le  nord  et  terminent  leur  cours  sur  le  territoire  argovien  ;  la 
Wigger,  dont  les  deux  sources  se  joignent  à  Willisau,  grossie  plus  bas  des  eaux  de  la 
Lulhem,  qui  descend  du  mont  Napf,  se  jette  dans  l'Aar  près  d'Aarbourg  ;  la  Sur,  qui 
sort  du  lac  de  Sempach  à  Oberkirch  et  passe  à  Sursee,  se  verse  dans  l'Aar  au-dessous 
d'Aarau;  la  Wyna,  qui  coule  dans  la  vallée  de  Munster,  se  réunit  à  la  Sur  près 
d'Aarau  ;  VAa,  qui  sort  du  lac  de  Baldeck,  se  jette  dans  celui  de  Halwyl. 


47i  LA   SUISSE   PITTOmSQIE. 


Lacs.  —  Le  canton  de  Lucerne  est  un  de  ceux  entre  lesquels  se  partagent  les  rives 
du  lac  des  Waldstœtten  ou  des  Quatre-Cantons.  il  possède  la  partie  occidentale  de  ce 
lac,  auquel  il  prête  aussi  son  nom,  et  qu'on  peut  considérer  k  juste  titre  comme  le 
plus  remarquable  de  tous  ceux  de  la  Suisse,  tant  à  cause  de  ses  formes  irrégulières,  de 
ses  gorges  profondes  et  des  sites  variés  qui  Tentourent,  qu'à  cause  des  événements 
importants  dont  ses  rives  furent  le  théâtre  à  l'époque  où  la  Confédération  prit  nais- 
sance. Ce  laça  9  lieues  de  longueur,  et  600  pieds  de  profondeur  en  quelques  endroits: 
il  est  à  1320  ou  1340  pieds  au-dessus  de  la  mer.  —  Le  canton  de  Lucerne  possède 
encore  le  joli  lac  de  Sempach,  d'une  lieue  et  demie  de  longueur,  sur  trois  quarts  de 
lieue  de  largeur.  Il  est  élevé  de  1590  pieds,  et  se  trouve  encadré  par  un  amphi- 
théâtre de  charmantes  collines;  la  ville  de  Sempach  est  à  l'extrémité  sud-est  ;  celle 
de  Sursee,  à  quelque  distance  de  l'autre  extrémité.  Le  lac  de  Baldeck  est  situé  non 
loin  du  canton  d'Ârgovie;  celui  de  Mauen  est  à  une  lieue  à  l'ouest  de  celui  de 
Sempach,  et  renferme  l'Ile  et  le  château  auquel  il  a  donné  son  nom.  Mentionnons 
encore  le  petit  lac  à'Egolzwgl,  à  l'ouest  du  précédent;  le  Rothsee  ou  Lac  rouge,  tout 
près  de  Lucerne;  le  Dartensee,  source  de  la  Wigger;  le  Sappensee,  au  nord  de  ce 
dernier  ;  le  Marne,  près  des  sources  de  TEmme  ;  enfin  le  fameux  petit  lac  de  la 
Brûndlis-Alp,  sur  le  mont  Pilate. 

Bains  et  eaux  minérales.  —  Le  canton  est  assez  riche  en  sources  minérales.  Les 
bains  qui  ont  le  plus  de  vogue  sont  ceux  de  Knuttpyl,  situés  à  une  lieue  au  nord  do 
Sursee,  dans  une  plaine  agréable,  arrosée  par  la  Sour,  et  entourée  de  collines  ver- 
doyantes. Le  bâtiment  est  vaste,  commode,  d'un  fort  bon  goût,  et  l'on  y  est  fort  bien 
servi.  Une  allée  de  peupliers,  qui  aboutit  â  un  petit  bois  de  chênes,  offre  une  jolie 
promenade.  On  recourt  â  ces  bains  avec  succès  contre  les  maladies  rhumatismales, 
les  maux  de  reins,  les  convulsions,  certaines  paralysies,  les  maladies  scrofuleuses,  el 
toutes  celles  qui  procèdent  de  l'atonie  du  système  lymphatique.  On  a  coutume  do 
boire  les  eaux  et  de  prendre  les  bains  jusqu'à  ce  qu'il  s'ensuive  une  éruption  cutanée. 
Les  bains  d' Ybenmoos,  entre  le  pied  du  mont  Lindenberg  et  le  lac  de  Baldeck,  sont 
aussi  très-fréquentes.  On  peut  citer  encore  ceux  A'Augstholz,  au  sud  des  précédents; 
ceux  de  Farnbûhl,  sur  la  pente  du  Bramegg  ;  de  la  Luthern,  au  nord  du  Napf  ;  de 
Russwyl,  vers  le  centre  du  canton  ;  ceux  d'/m  Roihefi,  près  Lucerne,  et  ceux  de 
Meggen,  près  des  ruines  du  château  de  Neu-Habsburg.  Enfin,  non  loin  du  sommet 
du  Righi  et  de  la  frontière  de  Schwy tz,  on  trouve  l'établissement  du  Kaltbad  ou  Bain 
froid,  près  d'une  source  dont  la  température  n^est  que  de  quatre  degrés,  et  qui  jouit 
dans  le  pays  d'une  certaine  réputation. 

HiSTomE  NATURELLE.  —  Règne  aninial/Les  pâturages  du  canton  de  Lucerne  nour- 
rissent de  nombreux  troupeaux  de  bétes  à  cornes.  La  race  bovine  dans  le  canton 
atteint  presque  le  chiRre  de  SÔ,000  tètes.  Les  vaches  de  Lucerne  sont  d'une 
taille  un  peu  inférieure  à  celle  des  vaches  de  Schwylz.  On  remarque  parmi  ce 
bétail  une  espèce  particulière  à  l'Entlibuch  et  au  canton  de  Schwylz  ;  sa  couleur 
est  d'un  brun  noirâtre,  avec  une  raie  d'un  gris  pâle  sur  l'échiné;  les  oreilles,  le 
museau  et  le  dessous  des  cuisses  sont  blancs.  Les  Lombards  estiment  particulière- 
ment cette  espèce  ;  ils  paient,  au  marché  de  Bellinzone,  une  vache  pareille  huit  à  dix 
écus  plus  cher  qu'une  autre.  Le  gibier  est  abondant,  et  les  lacs  du  canton  sont  très- 
poissonneux.  Les  poissons  les  plus  estimés  du  lac  de  Lucerne  sont  ceux  que  les  liabi- 


LA   suisse   PITTORESQUE.  47S 


tants  appellent  Balle  {ïAalbock  du  lac  de  Thoune,  ou  salmo  lamretus),  et  Rôtele 
{ialmo  salveliniis).  On  y  pèche  aussi  des  saumons,  des  perches,  des  truites,  des  bro- 
chets, des  carpes,  des  tanches,  des  ombres  et  des  anguilles.  (On  assure  que  le  lac 
Dourrit  même  des  loutres  et  des  castors.)  Le  lac  de  Sempach  contient  en  particulier 
des  aalbocks  et  des  truites  ;  on  y  trouve  aussi  des  écrevisses,  de  même  que  dans  le 
Rothsee,  près  Lucerne  ;  celles  que  produit  la  Sour  sont  d'une  grosseur  remarquable. 
L'ornithologie  ne  présente  aucune  espèce  particulière  au  canton.  —  On  ne  trouve 
dans  le  pays  aucun  animal  nuisible. 

Règne  végétal,  La  flore  lucernoise  est  extrêmement  variée.  Toutes  les  montagnes 
du  canton  sont  riches  en  belles  plantes  ;  on  cite  particulièrement  le  mont  Nesselstock, 
vers  le  sud  de  TEntlibuch,  et  le  Pilate,  comme  celles  où  Ton  peut  faire  la  moisson  la 
plus  abondante;  on  nomme  comme  particulière  au  Pilate  la  rtUa  montana  (raede  mon- 
tagne); on  y  trouve  le  papaver  alpinum,  pavot  alpestre,  espèce  très-rare  que  les  bota- 
nistes ont  rencontrée  aussi  sur  de  hautes  montagnes  d'Uri  et  de  Schwytz.  La  partie 
du  Pilate  comprise  entre  le  Widderfeld  et  le  Knappstein  est  la  plus  riche  en  plantes 
rares.  —  Le  canton  de  Lucerne  est  un  des  plus  fertiles  de  la  Suisse  ;  avec  Télève  du 
bétail,  l'agriculture  est  sa  principale  source  de  richesse.  Sa  récolte  en  blé  est  plus 
que  suffisante  pour  sa  consommation.  Quelques  localités  voisines  de  Berne  et  d'Ar- 
govie  produisent  du  lin  en  grande  quantité.  Quant  à  la  vigne,  elle  ne  croit  que  dans 
le  district  de  Hochdorf,  près  du  lac  de  Baldeck,  et  ne  donne  qu'un  vin  très-médiocre. 
On  cultive  dans  le  canton  beaucoup  d'arbres  fruitiers  ;  les  châtaigniers  et  même  les 
amandiers  et  les  figuiers  croissent  autour  de  Weggis,  localité  qui  est  abritée  par  le 
Righi  contre  les  vents  du  nord,  et  qui  jouit  d'un  climat  plus  tempéré.  Le  canton  pos- 
sède des  forêts  considérables,  mais  elles  ne  sont  pas  d'un  grand  rapport  pour  le  pays, 
parce  qu'elles  occupent  en  grande  partie  des  lieux  d'un  difficile  accès.  Les  sapins, 
les  érables,  les  bouleaux  et  les  frênes,  y  dominent. 

Rêgfie  minéral.  Le  canton  de  Lucerne  renferme  un  grand  nombre  de  minéraux. 
Non  loin  de  Lucerne,  on  voit  encore  les  traces  d'une  mine  de  fer  dont  les  travaux 
ont  été  abandonnés  depuis  longtemps.  11  existait  dans  l'Entlibuch,  au  IS*"  et  au 
16'  siècles,  une  mine  d'argent.  Ses  montagnes  doivent  même  renfermer  quelques 
filons  d'or,  puisque  l'Emme  et  la  Luthern  charrient  des  parcelles  de  ce  métal,  mais 
elles  ne  sont  pas  en  assez  grande  abondance  pour  qu'on  prenne  la  peine  de  les  recueillir  ; 
on  assure  cependant  qu'on  en  avait  recueilli  autrefois,  et  qu'on  s'en  était  servi  pour  frap- 
per quelques  ducats  à  Lucerne.  On  a  découvert  des  traces  de  mines  de  houille,  qui  sont 
probablement  le  prolongement  des  couches  que  l'on  observe  au  Beatenberg,  au  nord 
du  lac  de  Thoune.  La  chaîne  du  mont  Pilate  est  composée  de  pierre  calcaire,  mêlée 
de  quartz  et  d'argile.  On  y  trouve  un  grand  nombre  de  pétrifications,  particulière- 
ment près  du  Tomlishorn,  à  la  Kastlen-Àlp  et  sur  le  Widderfeld,  dont  la  sommité  est 
composée  d'une  roche  calcaire  remplie  de  nummulithes  et  autres  coquillages  brisés. 
On  trouve  aussi  des  empreintes  de  poissons  dans  les  ardoises  du  mont  Pilate.  Au- 
dessus  de  la  Matt-Alp,  au  pied  de  la  sommité  nommée  Esel,  on  voit  deux  troncs 
pétrifiés  à  une  hauteur  où  il  ne  croit  plus  d'arbres  aujourd'hui.  Les  montagnes  de 
TEntUbuch  sont  formées  de  sable,  d'argile  et  de  pierres  roulées;  les  autres  mon- 
tagnes et  collines  du  canton  appartiennent  à  la  formation  de  grès  et  de  marne.  On 
observe  beaucoup  de  brèche  sur  les  bords  du  lac,  entre  Lucerne  et  Kûssnacht,  sur- 


176  LA   SinSSB  PITTORESQUE. 


tout  près  de  Meckenhorn  et  dans  Tile  d'Altstadt,  de  même  qu'entre  Lucerne  et 
Stanzstadt,  sur  les  collines  de  Viereck  et  de  Schattenberg.  —  Le  Righi  est  aus» 
composé  de  brèche.  Nous  avons  déjà  parlé  d'un  torrent  de  boue  compacte  et  rou- 
geàtre  qui  sortit  dt^  flancs  du  Righi  le  15  juillet  479S,  et  qui  inonda  une  partie  du 
village  de  Weggis.  Ce  courant  avait  plusieurs  toises  d'épaisseur,  et  plus  de  2000  pieds 
de  largeur.  On  trouve  dans  le  canton  beaucoup  de  carrières  de  roche  calcaire  ;  mais 
cette  pierre,  qui  est  facile  à  travailler,  est  sujette  à  s'altérer  à  l'air.  On  voit  épars, 
sur  toutes  les  collines  du  canton,  un  grand  nombre  de  blocs  granitiques,  dont  quel- 
ques-uns sont  d'une  grosseur  extraordinaire. 

Antiquités.  —  On  a  beaucoup  disputé  sur  Tétymologie  du  mot  Lucerne.  Quelques 
personnes  prétendent  que  le  nom  est  dérivé  du  mot  latin  Incerna,  et  qu'un  fanal  ou 
lanterne  a  dà  être  placé  jadis  à  l'endroit  où  depuis  a  été  construite  la  ville,  pour 
guider  les  bateliers  dans  leurs  courses  nocturnes.  Quelques  monnaies  romaines,  trou- 
vées à  peu  de  distance  de  Lucerne,  semblent  établir  l'existence  d'une  ville  antique  sur 
le  sol  qu'occupe  de  nos  jours  cette  cité.  On  a  déterré  aussi  une  quantité  de  pareilles 
monnaies  à  Hochdorf,  près  du  lac  de  Baldeck,  à  quatre  lieues  au  nord  de  Lucerne. 

Histoire  de  la  ville  et  du  canton.  —  Vers  la  fin  du  septième  siècle,  un  seigneur 
du  pays,  nommé  Wickard,  fit  choix  d'une  colline  sur  laquelle  existait  déjà  une  cha- 
|)elle  consacrée  au  patron  des  pécheurs  et  des  bateliers,  pour  y  bâtir  un  couvent  en 
l'honneur  de  St.-Léod^ar  ou  St.-Léger,  dont  il  fut  le  premier  abbé.  Wickard  mourut 
en  685.  Les  rois  de  France  assurèrent  au  couvent  la  possession  du  lieu  qu'on  nom- 
mait alors  Lucerne,  et  ce  fut  sous  la  protection  des  religieux  qu'il  s'établit  une 
commune  qui  prit  aussi  ce  nom.  L'an  768,  Lucerne  portait  déjà  dans  les  chroniques 
le  titre  de  ville.  A  cette  époque,  Pepin-le-Bref  donna  le  couvent  avec  la  ville  à  l'ab- 
baye de  Murbach  dans  la  Haute-Alsace,  mais  Lucerne  conserva  certaines  frandiises. 
Les  abbés  de  Murbach  en  restèrent  possesseurs  jusqu'à  la  fin  du  13*  siècle;  ils 
vendirent  alors  à  Rodolphe  de  Habsbourg  et  à  ses  fils  tous  les  droits  qu'ils  possé- 
daient sur  la  ville,  ainsi  que  le  couvent  et  vingt  châteaux  et  bailliages,  tels  que 
Kûssnacht,  Alpnach,  Malters,  etc. 

Mais  Lucerne,  excédée  des  guerres  continuelles  qu'il  lui  fallait  soutenir  contre  ses 
voisins  les  habitants  des  Waldstœtten,  et  ne  pouvant  plus  supporter  les  rigueurs 
de  la  domination  autrichienne,  contracta,  l'an  1332,  cette  alliance  perpétuelle  avec 
les  trois  cantons  d'Uri,  Schwytz  et  Unterwald,  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  de  Ligue 
des  Quatre-Gantons  ou  des  Waldstœtten.  La  noblesse  amie  de  l'Autriche  déclara  sur- 
le-champ  la  guerre  aux  Lucernois,  et  mit  à  feu  et  à  sang  les  environs  de  la  ville. 
Les  bourgeois  de  Lucerne  prirent  aussi  les  armes  pour  défendre  leur  bon  droit,  et  se 
vengèrent  en  faisant  une  expédition  contre  le  bailli  de  Rothenbourg,  dont  ils  détrui- 
sirent le  château.  Quelques  familles  patriciennes  vendues  à  l'Autriche  voulurent 
arrêter  ce  noble  élan,  et  formèrent  le  projet  d'exterminer  pendant  une  nuit  les  chefe 
du  parti  populaire  et  de  livrer  la  ville  au  duc.  Cette  conspiration  est  connue  sous 
le  nom  de  Mordnacht  (nuit  de  meurtre).  Un  jeune  garçon  qui,  sans  être  aperçu,  avait 
assisté  à  la  dernière  conférence  des  conjurés,  tenue  durant  la  nuit  fixée  pour  l'exé- 
cution du  complot,  et  à  qui  ceux-ci  avaient  fait  jurer  de  ne  révéler  à  personne  ce 
qu'il  avait  entendu,  s'échappa  et  se  rendit  aussitôt  dans  la  salle  de  la  corporation  des 
bouchers,  où  des  bourgeois  buvaient  et  jouaient  encore  ;  s'adressant  alors  à  un  poêle. 


ÏA   8UISSR   PITTORESgrK.  177 


il  s'exprima  ainsi  :  «  0  poêle,  je  te  dis  qu'il  y  a  auprès  de  restaminet  des  tailleurs 
des  hommes  armés  qui  ont  projeté  de  massacrer  cette  nuit  tou»  ceux  qui  ont  con- 
seillé ralliance  avec  les  trois  cantons  suisses.  J'ai  juré  de  ne  le  dire  à  personne,  mais 
c'est  à  toi,  poêle,  que  je  fais  cette  confidence.  »  Les  assistants  l'écoutèrent  avec 
étonnement,  et  allèrent  en  hâte  éveiller  toute  la  ville  ;  on  s'empara  des  nobles  et  on 
les  exila;  grftce  à  la  médiation  des  Waldstœtten,  aucun  ne  fut  mis  à  mort.  La 
liberté  de  Lucerne  fut  ainsi  sauvée  par  la  présence  d'esprit  et  le  patriotisme  d'un 
enfant;  la  ville  secoua  une  seconde  fois  le  joug  de  l'oligarchie,  et  l'alliance  avec 
les  Confédérés  fut  maintenue.  Le  vieux  poêle  et  la  vieille  table  autour  de  laquelle 
buvaient  les  bourgeois,  sont  conservés  encore  à  l'abbaye  des  bouchers. 

En  4375,  les  Lucernois  se  signalèrent  par  une  victoire  sur  les  bandes  d'Enguer- 
rand  de  Coucy,  qui  s'étaient  avancées  dans  le  canton  jusqu'à  Willisau.  Une  colline 
prés  de  Buttisbolz,  entre  Willisau  et  le  lac  de  Sempach,  porte  encore  le  nom  de  Tertre 
des  Anglais,  parce  que  les  troupes  de  Coucy  qui  furent  battues  consistaient  principale- 
ment en  Anglais  qu'il  avait  pris  à  sa  solde.  Ce  n'était  pas  aux  Suisses,  mais  au  duc 
Léopokl  d'Autriche,  que  le  sire  de  Coucy  faisait  la  guerre,  pour  reprendre  un  héritage 
de  famille  sur  les  possessions  autrichiennes  en  Suisse.  Son  armée  était  évaluée  à 
60,000  hommes,  dont  une  partie  seulement  pénétra  sur  le  territoire  de  Lucerne. 
Coucy  avait  établi  son  quartier-général  à  l'abbaye  de  St.-Urbain,  et  le  comte  d'Ar- 
magnac dans  Willisau.  Les  montagnards  lucernois  se  levèrent  pour  repousser  ces 
bandes  mercenaires,  et  les  mirent  en  déroute  à  Buttisbolz,  entre  Willisau  et  Sursee, 
avec  l'aide  de  quelques  braves  des  cantons  voisins. 

Maïs  ce  fut  surtout  la  journée  de  Sempach  qui  illustra  Lucerne  dans  les  annales 
de  la  Confédération  helvétique.  En  1386,  l'Entlibuch,  que  gouvernait  un  sire  de 
Tborfaerg,  s'était  allié  avec  la  ville.de  Lucerne  par  un  traité  de  combourgeoisie. 
Thorberg  fit  périr  sur  l'échafaud  tous  les  habitants  qui  avaient  été  les  auteurs  de  ce 
traité.  Les  Lucernois  envoyèrent  alors  contre  lui  leur  avoyer  Gundoldingen,  qui 
détruisit  les  châteaux  de  WoUhausen,  de  Baldeck,  et  s'empara  de  Sempach.  Le  duc 
Léopold,  voulant  châtier  les  paysans  qui  s'étaient  soustraits  à  l'oppression  seigneu- 
riale et  les  faire  rentrer  sous  le  joug,  rassembla  toute  la  noblesse  d'Argovie,  de 
Souabe,  du  Tyrol,  de  l'Autriche,  de  l'Alsace  et  de  la  Franche-Comté,  et  s'avança 
avec  son  armée  jusque  vers  Sempach,  qui  avait  été  sa  propriété,  mais  qui  venait  de 
faire  cause  commune  avec  la  Confédération.  La  noblesse  formait  une  cavalerie  ma- 
gnifique, forte  de  plusieurs  milliers  d'hommes.  Le  terrain  étant  peu  favorable  â  la 
cavalerie,  le  duc,  sans  attendre  ses  fantassins,  lui  fit  mettre  pied  â  terre.  Armés  de 
pesantes  cuirasses  et  de  longues  lances,  serrés  les  uns  contre  les  autres,  ces  cheva- 
liers formèrent  un  bataillon  carré  qui  présentait  de  tous  côtés  un  véritable  mur 
de  fer.  Les  Suisses  étaient  au  nombre  de  l&OO,  dont  400  hommes  de  Lucerne,  900  des 
trois  petits  cantons,  100  de  Claris,  Zug,  etc.  ;  ils  n'avaient  d'autres  armes  qu'une 
épée  et  une  courte  hallebarde  ou  une  massue  ;  au  lieu  de  boucliers,  ils  portaient  au 
bras  une  petite  fascine  ou  une  planche  de  sapin.  Tous  se  jettent  â  genoux,  lèvent  les 
mains  au  ciel,  et  adressent  une  prière  fervente  au  Tout-Puissant.  Us  se  relèvent,  se 
rangent  en  colonne  triangulaire,  et  se  précipitent  contre  le  bataillon  ennemi,  en  pous- 
sant de  grands  cris.  Mais  leur  courage  vient  échouer  devant  cette  phalange,  que  ses 
longues  lances  ne  permettaient  pas  d'atteindre.  Déjà  un  grand  nombre  de  braves, 
11.  is.  23 


478  LA    SUISSE   P1TT0RI»QUE. 


entre  autres  Gundoldingen  et  Moos,  avoyers  de  Lucerne,  ont  expiré.  Les  AutridiîaB 
poussent  des  cris  de  joie,  et  la  phalange  va  se  déployer  sur  les  ailes,  pour  enve- 
lopper les  Confédérés.  C'est  alors  qu'Arnold  de  Winkelried,  chevalier  d'UnterwaM, 
se  retourne  vers  les  siens  :  «  Amis,  s'écrie-t-il,  prenez  soin  de  ma  femme  et  de  mes 
enfants;  je  vais  vous  frayer  un  chemin;  suivez-moi!  »  Aussitôt,  se  mettant  à  la  tête 
de  la  colonne  triangulaire,  il  se  précipite  vers  Tennemi,  saisit  de  ses  bras  autant  de 
lances  qu'il  en  peut  détourner  contre  lui,  les  enfonce  dans  sa  poitrine,  et  tombe.  Les 
Confédérés  s'élancent  dans  les  rangs  ennemis  par  l'ouverture  qui  leur  est  faîte,  et  en 
font  un  horrible  carnage.  Embarrassés  de  leurs  longues  lances  et  de  leurs  pesantes 
cuirasses,  rendues  brûlantes  par  l'ardeur  du  soleil,  les  nobles  ne  peuvent  se  défendre, 
et  tombent  écrasés  sous  les  coups  de  massue.  Ceux  qui  voulurent  courir  à  leurs 
chevaux  ne  purent  les  trouver  dans  la  bagarre  :  leurs  gens  et  leurs  chevaux  avaient 
déjà  pris  la  fuite.  On  pressa  Léopold  de  se  sauver  sur  le  sien  ;  il  répondit  qu'il  ne 
voulait  pas  abandonner  les  chevaliers  qui  se  sacrifiaient  pour  sa  cause.  Il  périt  avec 
676  gentilshommes  dans  cette  terrible  journée. 

La  lignée  de  plusieurs  maisons  allemandes  se  trouva  éteinte  par  suite  de  la  mort 
de  tant  de  nobles.  Ce  fiit  un  deuil  général  dans  la  Souabe,  l'Alsace,  TAutnche, 
tandis  que  la  Suisse  célébra  par  des  actions  de  grâces  son  triomphe,  qui  détournait  i 
jamais  de  la  patrie  de  Tell  le  joug  de  la  féodalité  et  de  la  domination  étrangère.  Léopdd 
fut  enseveli,  avec  vingt-^sept  des  principaux  nobles,  dans  l'abbaye  de-Kœnigsfeld, 
fondée  par  sa  sœur  Agnès.  On  prétend  qu'un  coffre,  dans  lequel  on  avait  apporté  des 
cordes  pour  lier  les  Suisses,  lui  servit  de  cercueil.  Les  Confédérés  avaient  perdu 
deux  cents  des  leurs.  Un  Lucernois  ayant  demandé  à  l'avoyer  Gundoldingen,  au 
moment  où  il  allait  expirer,  s'il  n'avait  rien  à  dire  à  ses  parents  :  «t  Non,  répondit 
le  héros;  mais  recommande  à  mes  concitoyens  de  ne  jamais  souffrir  qu'un  avoyer 
reste  plus  d'une  année  en  charge.  )>  Et  il  rendit  le  dernier  soupir.  Le  dévoùment  de 
Winkelried  et  le  conseil  de  l'avoyer  furent  deux  traits  remarquables  de  cette  grande 
journée  du  9  juillet  4386. 

Dès-lors,  jusqu'en  I&IK,  la  ville  de  Lucerne  agrandit  son  territoire,  et  l'Autriche 
fui  plus  tard  obligée  de  renoncer  formellement  à  toutes  ses  prétentions  sur  le  canton. 
En  H79,  la  ville  se  racheta  de  tous  les  droits  qu'exerçaient  sur  elle  les  chanoines 
de  St.-Léodegar.  Depuis  cette  époque,  l'histoire  de  Lucerne  n'offre  plus  aucun  évé- 
nement saillant.  Les  habitants  des  campagnes  étaient  sujets  de  la  ville,  dont  le 
gouvernement  avait  fini  par  tomber  entre  les  mains  d'un  petit  nombre  de  familles 
patriciennes.  Cette  oligarchie,  contre  laquelle  les  citoyens  se  révoltèrent  à  diverses 
époques  des  trois  derniers  siècles,  en  particulier  en  4712  et  4764,  subsista  jusqu'à 
la  révolution  française.  Le  34  janvier  4798,  les  Conseils  de  Lucerne  publièrent 
spontanément  une  proclamation  par  laquelle  ils  abolissaient  l'ancien  régime,  et  con- 
voquaient les  repr^ntants  du  peuple  pour  l'établissement  d'une  Constitution  basée 
sur  l'égalité  des  droits  politiques.  Bientôt  après,  la  ville  accepta  la  Constitution  uni- 
taire helvétique  imposée  par  la  république  française.  Le  30  avril,  elle  fut  surprise 
par  les  milices  des  Petits-Cantons;  il  en  résulta  qu'un  corps  de  troupes  françaises  y 
entra  dès  le  lendemain,  et  elle  fut  obligée  de  payer  de  fortes  contributions  de  guerre. 
Depuis  le  24  septembre  4798  au  34  mai  4799,  Lucerne  fut  le  siège  du  Gouv^ne- 
nient  et  des  Conseils  législatifs  de  la  république  helvétique.  Plus  tard,  elle  fut  deux 


HfTOUBQrK.  179 


fois  le  quartier-génénl  des  troupes  françaises,  et  l*aii  des  points  omtfaux  de  b 
guerre  civile  qui  écbta  en  180i.  Luoeroe  fut  un  des  six  Etats  qui.  d  après  l'Acte  de 
médiation,  élaîent  à  leur  tour  canton  direetorial. 

A  la  Restauration,  le  gouvernement  redevînt  aristocratique.  Lucenie*  avec  Zurick 
et  Berne,  Tut  à  tour  de  rftie  pendant  deui  années  le  sié^  du  Gouvernement  fédéral  et 
le  lieu  de  rassemblement  de  la  Diète.  En  1830,  le  canton  se  donna  une  OmstitutioQ 
démocratique,  et  il  accéda  ensuite  au  Concordat  des  sept  canioos  i  Zuridi,  Berne,  etc.  ) 
qui  se  garantissaient  réciproquement  leurs  nouvelles  institutions  d'une  manière  phis 
parliculiëre.  En  4832,  lorsqu*un  projet  d*Acte  fédéral  fut  élaboré  par  uneOmmis- 
sioD  de  la  Dièle,  Luœrne  fut  désignée  pour  devenir  le  siège  permanent  des  autorités  de 
la  Confédération  ;  néanmoins,  Luœme  lut  un  des  cantons  qui  refusèrent  cette  nouvelle 
Constitution.  Plus  tard,  par  un  contre-coup  de  b  suppression  des  couvents  d*Argovie 
eo  1843,  le  parti  ultramontain,  étant  devenu  puissant  dans  le  canton,  se  proposait 
d'appeler  les  jésuites  pour  leur  confier  l'enseignement  public  ;  le  Grand  Conseil  vota 
œt  appel  le  2&  octobre  1844  ;  et,  malgré  les  remontrances  de  plusieurs  Etats  conlë- 
dérés,  le  Gouvernement  persista  dans  cette  intention.  Deux  expéditions  de  corps- 
francs,  parties  des  cantons  voisins  en  décembre  1844  et  avril  184S,  formèrent  le 
projet  de  renverser  le  Gouvernement  lucemois,  avec  Taide  des  amis  assez  nombreux 
qu'elles  comptaient  dans  la  ville  ;  mais  elles  furent  repouasées,  et  un  certain  nombre 
d*agresBeurs  restèrent  prisonniers.  C'est  alors  que  se  forma  la  ligue  des  cantons 
ultramontains,  dite  Sanderbiênd  ou  ligue  séparée.  En  1845,  le  Gouvernement  bernois, 
que  présidait  l'avoyer  Neubaus,  fut  r«iversé  à  cause  de  sa  modération  et  pour 
avoir  voulu  réprimer  les  corps-francs.  En  1847,  la  majorité  de  la  Diète  rassemblée  à 
Berne  somma  les  cantons  ultramontains  de  dissoudre  leur  ligue,  qu'elle  déclarait 
incompatible  avec  la  Confédération  générale;  sur  le  refus  de  ces  cantons,  elle  ne 
recula  pas  devant  la  guerre  civile,  et  mit  sur  pied  une  nombreuse  armée,  qu'elle 
plaça  sous  les  ordres  du  général  Dufour.  A  la  suite  de  quelques  combats,  Lucerne 
fut  occupé  par  les  Confédérés  le  24  novembre  1847.  Le  Gouvernement  ultramontain 
fut  remplacé  par  un  Gouvernement  radical,  et  un  procès  de  baute  trahison  fut  intenté 
aux  anciens  magistrats,  dont  plusieurs  avaient  quitté  le  pays  ;  ce  procès  n*est  pas 
encore  terminé.  Le  canton  de  Lucerne  a  dû  se  soumettre  à  la  nouvelle  Constitution 
fédérale  de  1848,  et  la  pacification  a  fait  dès-lors  de  grands  progrès  dans  ce  pays, 
bien  que  le  Gouvernement  ne  se  soit  pas  toujours  abstenu  de  mesures  vexatoires  à 
l'égard  des  citoyens  qui  ne  sont  pas  ses  partisans. 

CoNSTiTOTioHs.  —  Jusqu'à  la  fin  du  dernier  siècle,  la  bourgeoisie  de  Lucerne  avait 
possédé  seule  le  droit  de  nommer  les  membres  du  Conseil  des  Cent  ou  Grand  Con- 
seil, dont  les  fonctions  étaient  à  vie,  et  qui  était  présidé  par  deux  avoyers,  également 
nommés  à  vie.  Ce  privilège  ne  fut  rétabli  qu'en  partie  à  l'époque  de  la  Restauration  ; 
les  villes  et  communes  du  canton  furent  admises  à  nommer  la  moitié  du  Grand 
Conseil.  C'est  dans  le  sein  de  cette  assemblée  de  cent  membres  que  se  recrutait  le 
Conseil  quotidien,  composé  de  36  membres  ;  ce  dernier  était  investi  de  l'autorité 
executive,  et  désignait  12  de  ses  membres  pour  composer  le  Tribunal  d'Appel.  Trente 
et  un  membres  seulement  du  Grand  Conseil  étaient  élus  directement,  soit  10  par  la 
bourgeoisie  de  la  ville,  et  21  par  les  villes  municipales  et  les  districts  du  canton  ;  le 
Grand  Conseil  élisait  lui-même  les  69  autres  membres,  dont  40  devaient  être  prin 


180  LA   SUISSR    PITTOItGSQUK. 


dans  la  bourgeoisie  de  la  ville,  et  29  dans  le  reste  du  canton.  Mais  les  membres  étant 
élus  à  vie,  il  n'y  avait  pas  de  renouvellement  périodique.  Pour  être  électeur,  il  fal- 
lait payer  l'impôt  sur  un  bien  de  4i^  à  KOO  livres,  et  pour  être  éligible,  il  fallait  le 
payer  sur  une  propriété  de  4000  livres.  —  Ce  régime  tout  aristocratique  fut  ren- 
versé en  4830,  et  remplacé  par  une  Constitution  démocratique;  cette  Constitution  fut 
révisée  en  1841  et  en  1848.  Voici  les  principales  dispositions  de  cette  Constitution 
révisée  :  Un  Grand  Conseil  de  cent  membres  est  nommé  par  les  districts  proportion- 
nellement à  la  population;  pour  être  élu,  il  faut  avoir  2S  ans  et  posséder  au  moins 
2000  livres  ;  tous  les  trois  ans  un  tiers  des  membres  sortent  de  fonction  et  sont  ré- 
éligibles.  Le  Grand  Conseil  nomme  le  Conseil  d'Etat,  le  Conseil  d'instruction  publique, 
les  juges,  les  préfets,  etc.  Le  Conseil  d'Etat  est  composé  de  neuf  membres,  dont  cinq 
pris  dans  les  cinq  districts  (savoir  :  ceux  de  Luoerne,  Hochdorf,  Sursee,  Willisau 
et  Entlibuch),  et  les  quatre  autres  indifféremment  dans  tout  le  canton.  Ses  membres 
peuvent  être  choisis  dans  le  sein  du  Grand  Conseil.  Tous  les  trois  ans,  la  moitié  des 
membres  du  Conseil  d'Etat  sortent  de  charge  et  sont  rééligibles.  Chaque  année,  le 
Grand  Conseil  nomme  parmi  les  membres  du  Conseil  d'Etat  un  avoyer  et  son  lieute- 
nant (Statthalter).  Ces  deux  magistrats  ne  peuvent  remplir  la  même  charge  qu  après 
une  année  d'intervalle.  Le  Conseil  d'instruction  publique  est  composé  de  sept  mem- 
bres, dont  deux  ecclésiastiques.  Chaque  commune  nomme  un  Conseil  municipal, 
composé  de  trois  à  cinq  membres,  parmi  lesquels  elle  choisit  un  syndic  ou  Amman$i. 
Pour  voter  dans  les  affaires  politiques,  il  faut  être  catholique,  bouigeoisdu  canton  et 
âgé  de  vingt  ans  accomplis  ;  mais  pour  voter  dans  les  affaires  communales,  il  faut 
en  outre  payer  l'impôt  sur  un  bien  de  400  livres,  et  pour  être  éligible  au  Conseil 
municipal,  il  faut  posséder  un  bien  d'au  moins  1000  livres.  Les  lois,  alliances  et 
concordats  sont  soumis  au  veto  de&  assemblées  communales,  et  ne  peuvent  entrer  en 
vigueur  avant  l'expiration  du  terme  accordé  pour  l'exercice  de  ce  veto.  Le  canton  est 
divisé  en  25  cercles  électoraux. 

Cultes.  —  Le  canton  professe  la  religion  catholique,  et  relève  de  Tévêque  de 
Soleure.  Le  cleif;é  est  divisé  en  quatre  chapitres.  (1  existe  encore  plusieurs  monastères 
dans  le  canton  :  deux  cloîtres  franciscains,  l'un  à  Lucerne,  l'autre  à  Werth^ostein 
dans  l'EnUibuch;  trois  cloîtres  de  capucins,  dont  l'un  près  de  Lucerne;  un  cloître 
d'ursulines  et  un  de  sœurs  de  Ste.-Claire  à  Lucerne  ;  deux  abbayes  de  femmes  de 
l'ordre  de  Citeaux.  Il  y  avait  aussi  à  St.-Urbain,  à  la  frontière  de  Berne  et  d'Âi^vie, 
non  loin  de  Langenthal,  un  couvent  de  moines  de  cet  ordre  ;  mais  ce  beau  monas- 
tère, qui  datait  de  1148  et  possédait  de  nombreuses  collections  et  bibliothèques,  a 
été  sécularisé  depuis  quelques  années  par  le  Gouvernement  lucernois.  Il  y  a  encore 
dans  le  canton  deux  chapitres  de  chanoines  et  deux  commanderies  de  Malte.  C'est  à 
Lucerne  que  réside  le  nonce  du  pape  en  Suisse.  —  Depuis  un  certain  nombre  d'an- 
nées, les  protestants  ont  un  pasteur  et  une  église  à  Lucerne.  Sur  les  10,068  habi- 
tants que  la  ville  comptait  en  18S0,  ils  étaient  au  nombre  de  317. 

Instruction  publique.  —  Les  principaux  établissements  d'éducation  du  canton  de 
Lucerne  sont  le  Gymnase,  qui  occupe  le  ci-devant  collège  des  jésuites,  près  de  Té- 
glise  dite  des  jésuites  ;  un  Lycée  pour  l'enseignement  de  la  théologie  et  de  la  philo- 
sophie ;  une  Ecole  de  dessin,  fondée  par  le  peintre  Wursch  en  1784,  et  où  les  ama- 
teurs et  les  jeunes  artistes  |)euvent  faire  des  éludes  gratuites;  un  Gymnase  |)our  les 


2. 


LUCKBNK. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  181 


beaux-arts,  une  Académie  de  chant,  etc.  Toutes  les  communes  rurales  possèdent  des 
écoles  primaires.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années,  l'illustre  père  Girard  de  Fribourg 
vint  porter  à  Luoerne  sa  méthode  d'enseignement,  qui  avait  eu  de  si  grands  succès 
dans  son  canton.  Plus  tard,  le  projet  de  placer  l'instruction  de  la  jeunesse  entre  les 
mains  des  jésuites  n'a  pu  recevoir  son  exécution,  grâce  à  l'opposition  de  la  majorité 
de  la  Suisse.  Lucerne  est  une  des  villes  de  la  Confédération  où  le  goût  des  beaux-arts, 
particulièrement  de  la  peinture  et  de  la  musique,  est  le  plus  répandu  dans  toutes  les 
classes  de  la  société.  Des  prix  et  encouragements  de  toute  espèce  ont  été  accordés  par 
l'Etat  et  par  les  citoyens,  pour  seconder  ces  dispositions  générales.  Le  canton  et  la 
ville  possèdent  plusieurs  bibliothèques  considérables. 

I^MEs  DISTINGUÉS,  SAVANTS,  ctc.  —  Lc  cautou  dc  Lucemc  a  produit,  dans  la 
carrière  des  armes  et  dans  celle  de  l'administration,  un  grand  nombre  d'hommes 
distingués.  Parmi  ces  illustrations,  nous  nommerons  l'avoyer  Gundoldingetij  dont 
la  mort  fut  si  glorieuse  à  la  bataille  de  Sempach;  Antoine  Rim,  qui  trouva  le 
trépas  dans  le  cimetière  de  St.-Jacques  près  de  Bâie,  où  une  poignée  de  Suisses  sou- 
tint le  choc  de  18,000  Français;  Jost  de  Sillhien,  prévôt  de  Béromûnster,  qui  joua 
depuis  l'an  1470  à  l'an  1480  un  rôle  politique  de  la  plus  haute  importance;  Jean 
Viol,  qui  combattit  à  la  bataille  de  Bellinzone;  Louis  Pfyffer,  qui,  en  1569,  à  la  tète 
de  6000  Suisses,  sauva  du  milieu  de  l'armée  des  réformés  Catherine  de  Médicis, 
reine  de  France,  le  roi  Charles  IX,  son  fils,  ainsi  que  toute  la  maison  royale,  et 
les  ramena  heureusement  de  Meaux  à  Paris. 

Parmi  les  hommes  qui  se  sont  fait  un  nom  dans  les  lettres,  les  sciences  et  les  arts, 
on  pejft  citer  le  chanoine  Elied^  Laufen,  connu  pour  avoir,  en  1470,  établi  dans  le 
couvent  de  Béromûnster  (fondé  au  9*  siècle  par  Béro,  comte  d'Argovie)  la  première 
imprimerie  qui  ait  existé  en  Suisse  ;  c'est  là  que  Ulrich  Geriag,  de  Munster,  apprit 
l'art  de  la  composition,  qu'il  transporta  ensuite  à  Paris,  où  il  créa  le  premier  établis- 
sement d'imprimerie.  De  1472  à  1510  il  y  exerça  son  art,  dont  il  fit  longtemps  un 
mystère;  les  premiers  livres  qui  aient  paru  en  France  sont  sortis  de  ses  presses.  Il 
amassa  une  grande  fortune,  qu'il  légua  aux  étudiants  et  aux  pauvres  de  Paris;  aussi 
la  Sorbonne  célébrait-elle  tous  les  ans  une  fête  en  son  honneur.  —  Ignace  Zimmer- 
tnann,  poète  dramatique;  Jean  Barze,  natif  de  Sursee,  chanoine  de  Schônenwerth 
au  canton  de  Luoerne,  et  célèbre  poète  latin  ;  Lang,  naturaliste;  Meyer  de  Schauensée, 
né  en  1720,  et  qui  fut  un  des  meilleurs  organistes  d'Europe.  —  Joseph  Stalder, 
habile  compositeur  et  maître  de  musique  du  prince  de  Conti  ;  le  lexicographe  Franz- 
Joseph  SlaUer,  doDt  YIdiotiœn  helvétique  ou  dictionnaire  des  dialectes  suisses,  publié 
en  1813,  a  obtenu  dans  le  monde  savant  une  réputation  méritée;  Joseph  Ritter, 
habile  architecte,  mort  en  1809,  à  qui  Ton  doit  le  beau  pont  de  Mellingen  ;  le  peintre 
Beinhard;  l'historien  Balthasar,  qui  a  écrit,  entre  autres  ouvrages,  un  Musœum  virorum 
lucernatum  famd  et  meritis  illustriam,  ou  Musée  des  Lucernois  illustres,  etc.  Nous 
pouvons  ajouter  au  nombre  des  savants  le  général  Pfyffer,  mort  en  1802,  qui  a  créé 
le  relief  d'une  partie  de  la  Suisse,  et  qui  a  le  mérite  d'avoir  conçu  la  première  idée 
de  ce  genre  d'imitation. 

MoeuBS,  USAGES,  CARACTÂRB,  clc.  —  On  trouvc  à  Lucerne  beaucoup  d'urbanité  et 
de  politesse  ;  les  étrangers  y  reçoivent  une  hospitalité  cordiale  et  sont  facilement 
admis  dans  les  sociétés  des  deux  sexes.  Nous  avons  déjà  mentionné  le  goût  général 


482  LA  8U1S8B  PITTORESQUE. 


des  Lucernois  pour  les  beaux-arts;  les  jeux  du  théâtre  y  sont  accueillis  avec  plus  de 
faveur  que  dans  aucun  autre  canton.  Des  sociétés  d'amateurs  y  donnât  quelquefois 
en  hiver  des  concerts  ou  des  représentations  théâtrales,  dont  le  produit  est  oonsaeré 
au  soulagement  de  Tindigence.  Mais  les  habitants  de  TEntlibuch  méritent  une  men- 
tion particulière  ;  ils  sont  une  des  peuplades  alpines  les  plus  remarquables  de  la  Suisse. 
Ils  se  distinguent  par  leur  énergie  et  par  leur  amour  pour  la  liberté,  pour  leur  pays 
et  pour  leurs  anciens  usages,  en  même  temps  que  par  leur  afiabilité,  l'originalité  de 
leur  esprit  et  leur  goût  pour  la  poésie,  la  musique  et  la  gymnastique.  Seuls  en  Suisse, 
les  Appenzellois  peuvent  leur  être  comparés  pour  la  gaité  et  la  vivacité  de  leur  carac- 
tère. L'esprit  poétique  de  ces  montagnards  se  manifeste  par  des  compositions  que  des 
poètes  rustiques  chantent  le  dernier  lundi  du  carnaval  devant  le  peuple  de  chaque 
commune,  et  où  ils  passent  en  revue  la  conduite  des  habitants  pendant  la  dernière 
année.  Ces  espèces  de  satyres,  souvent  très-spirituelles,  sont  écoutées  avec  un  vif 
intérêt.  Dès  que  le  service  divin  est  terminé,  on  plante  dans  chaque  village  un  dra- 
peau devant  la  maison  commune,  et  le  peuple  s'assemble.  On  voit  bientôt  arriver  le 
poète  à  cheval,  portant  un  costume  bigarré,  un  grand  chapeau  orné  de  fleurs  el  db 
petits  miroirs.  A  son  arrivée,  les  magistrats  le  complimentent  et  lui  présentent  le  vin 
d'honneur.  Sans  descendre  de  cheval,  il  tire  ensuite  de  son  sein  un  grand  papier,  sur 
lequel  est  apposé  le  sceau  de  l'Entlibuch  et  qui  contient  la  critique  des  individus,  qui 
se  reconnaissent  ou  que  la  foule  reconnaît,  sans  qu'il  soit  besoin  de  les  nommer.  Leur 
portrait  est  souvent  une  caricature  bouffonne,  mais  c'est  justement  ce  qui  divertit  la 
multitude.  Le  poète  s'arrête  de  temps  en  temps  pour  se  rafraîchir  par  un  verre  de 
vin.  Une  partie  de  la  pièce  est  ordinairement  consacrée  à  persiffler  le  villagg  tout 
entier  ;  elle  est  terminée  par  une  exhortation  édifiante  à  se  bien  conduire  à  l'avenir. 
Quand  la  lecture  est  achevée,  le  poète  est  régalé  par  les  magistrats;  puis  il  se  retire 
et  retourne  à  son  village,  où  il  reçoit  les  mêmes  honneurs.  On  dit  qu'il  a  toujours  la 
précaution  de  se  retirer  dans  sa  commune  avant  la  chute  du  jour,  pour  ne  pas  s'ex- 
poser à  la  vengeance  des  individus  aux  dépens  desquels  il  a  fait  rire  son  auditoire. 

Les  mariages  sont  ordinairement  célébrés  d'après  d'antiques  usages.  Après  le 
festin,  l'on  entonne  des  chansons  remontant  à  plusieurs  siècles,  et  l'on  exécute  de 
vieilles  danses  suisses.  Une  femme,  qu'on  appelle  la  femme  jaum,  prend  la  couronne  de 
la  jeune  mariée  et  le  bouquet  de  l'époux,  et  les  jette  dans  le  feu;  si  la  couronne  et  le 
bouquet  ne  pétillent  pas,  les  vieilles  femmes  disent  que  c'est  un  heureux  augure, 
et  présagent  un  bon  ménage. 

Les  montagnards  de  l'Entlibuch  sont  une  race  extrêmement  vigoureuse  et  d'une 
taille  élancée  ;  les  femmes  sont  remarquables  par  la  blancheur  de  leur  teint.  Les  luttes 
gymnastiques  sont  en  honneur  dans  la  contrée;  toute  la  population  assiste  &  ce  diver- 
tissement, et  les  vieillards  sont  ordinairement  les  juges  du  combat.  Les  jeunes  gens 
choisissent  leur  adversaire  parmi  les  gargons  des  villages  voisins,  qui  mettent  tous 
leur  orgueil  national  au  succès  de  leurs  champions.  Il  faut  qu'un  athlète  ait  succombé 
deux  fois  et  qu'il  soit  tout-à-fait  couché  sur  le  dos,  pour  être  déclaré  vaincu.  Des 
danses  terminent  la  fête.  Il  y  a  chaque  année  plusieurs  grandes  luttes,  qui  ont  lieu  en 
des  endroits  différents.  Elles  ont  lieu  le  29  juin,  fête  de  saint  Pierre  et  saint  Paul, 
dans  le  pré  communal  de  SchQpfheim,  chef-lieu  de  la  vallée,  le  second  dimanche 
d'août,  sur  les  pâturages  de  Sôrenberg,  non  loin  des  sources  de  l'Emme  ;  le  premier 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  183 


dimanche  de  septembre  et  le  premier  dimanche  qui  suit  le  21  du  même  mois  (St.- 
Mathieu),  à  Enneteck,  sur  la  pente  du  mont  NapF,  à  Touest  d*Ent1ibuch  ;  le  29  sep- 
tembre (St.-Michel)  et  le  premier  dimanche  d'octobre,  près  de  St. -Joseph,  au-dessus 
de  Schûpfbeim.  Les  jeunes  hommes  des  vallées  voisines  viennent  ces  jours-là  lutter 
avec  ceux  de  l'Entlibuch  ;  les  plus  redoutables  rivaux  sont  les  jeunes  gens  de  l'Ober- 
land  bernois.  —  Les  montagnards  de  l'Entlibuch  ont  donné  de  tout  temps  des  preuves 
de  leur  valeur.  Ils  étaient  terribles  avec  leurs  pesantes  massues,  garnies  de  pointes  de 
fer  (Margenstem).  A  la  bataille  de  Morat,  ils  se  distinguèrent  à  l'avant-garde,  et 
commencèrent  le  succès  de  cette  mémorable  journée;  ils  furent  aussi  les  premiers  à 
attaquer  les  bandes  du  comte  d'Armagnac. 

Indostrie,  commerce.  —  Le  commerce  de  ce  canton  consiste  principalement  dans 
l'expédition  des  marchandises  entre  la  Suisse  et  l'Italie,  par  le  St.-Gothard.  Il  y  a  à 
Luceme  une  fabrique  de  soierie,  et  dans  l'Entlibuch  plusieurs  filatures  de  laine,  de  coton, 
de  chanvre  et  de  lin,  qui  occupent  un  assez  grand  nombre  d'ouvriers.  Escholzmatt 
et  Marpach  passent  pour  récolter  le  plus  beau  fil  de  lin.  Le  canton  produisant,  comme 
nous  l'avons  dit,  une  récolte  de  blé  qui  dépasse  la  quantité  nécessaire  pour  les  besoins 
de  ses  habitants,  on  en  exporte  une  partie  considérable  dans  les  cantons  d'Uri, 
Schv^tz  et  Unterwald.  On  exporte  aussi  des  vins  de  fruit  et  des  eaux  distillées.  Mais 
la  principale  industrie  du  canton  est  l'élève  du  bétail,  et  les  bétes  à  cornes  et  les 
moutons  forment  une  branche  importante  du  commerce,  ainsi  que  les  fromages.  Chaque 
vache  donne  deux  quintaux  de  fromage  pendant  l'été.  Dans  l'Entlibuch,  on  achète 
des  moutons  au  printemps  ;  on  les  conduit  sur  des  pâturages  qui  seraient  trop  élevés 
ou  trop  escarpés  pour  les  vaches,  et  on  les  abandonne  à  eux-mêmes  pendant  la  plus 
grande  partie  de  la  belle  saison. 

Ville  de  Lucerne.  —  Lucerne,  chef-lieu  du  canton,  est  située  à  l'extrémité  du  lac 
des  Quatre-Cantons  ;  elle  est  partagée  en  deux  parties  inégales  par  la  Reuss,  et  entourée 
du  côté  de  terre  de  murs  et  de  tours  datant  de  1385.  Du  côté  du  nord,  cette  enceinte 
s'élève  sur  le  flanc  d'un  coteau,  et  contribue,  avec  les  nombreux  clochers  dont  la 
ville  est  parsemée,  à  produire  un  effet  très-pittoresque.  La  situation  de  Lucerne  sur 
le  lac  des  Waldstietten,  entre  le  Righi  et  le  Pilate,  en  vue  des  Alpes  de  Schwytz  et 
d'Unterwald,  est  extrêmement  frappante  ;  de  tous  les  côtés  les  coups-d'œil  sont  ravis- 
sants. Od  trouve  encore  dans  la  ville  des  rues  étroites  et  tortueuses  ;  mais  elle  s'est 
bien  embellie  de  nos  jours,  en  particulier  depuis  une  douzaine  d'années. 

Trois  ponts  sont  jetés  sur  la  Reuss,  dont  les  eaux  impétueuses  sont  d'un  beau  vert 
d'émeraude  ;  un  quatrième  pont  est  construit  sur  une  partie  du  lac.  Le  seul  prati- 
cable aux  voitures  est  celui  qu'on  appelle  simplement  ;ion<  de  la  Reuss  (lietissbriicke); 
il  est  de  construction  moderne,  mais  il  est  situé  sur  l'emplacement  d'un  ancien  pont 
qui  existait  du  temps  des  abbés  de  Murbach  ;  il  n'est  pas  couvert  ;  mais  les  trois  autres 
le  sont,  et  donnent  à  la  ville  une  physionomie  particulière.  Le  pont  supérieur, 
Cappellbrilcke  ou  Pont  de  la  chapelle,  est  construit  obliquement  sur  la  rivière,  à  l'en- 
droit où  elle  sort  du  lac  ;  il  a  1000  pieds  de  longueur  et  date  de  1303.  Les  chevrons 
qui  supportent  le  toit  soutiennent  77  tableaux  peints  sur  bois  et  représentant  les 
deux  patrons  de  la  ville,  saint  Léger  et  saint  Maurice,  et  divers  événements  de 
l'histoire  suisse.  Ces  tableaux  datent  du  16**  siècle.  Près  de  ce  pont,  au  milieu  de  la 
Reuss,  s'élève  une  ancienne  tour,  Wasserthurm  ou  Tour  d'eau,  où  sont  conservées  les 


I8&  LA    SVISSE   PITTORESQI'R. 


archives  de  la  ville.  Selon  la  tradition,  elle  doit  avoir  servi  de  phare,  Incema,  el 
avoir  donné  son  nom  à  la  cité.  Au-dessous  du  pont  de  la  Reuss  se  trouve  le  Potif  âe$ 
moulim,  MiihlenhrOcke,  qui  est  long  de  300  pieds  et  date  de  1403.  H  est  décoré  de 
36  tableaux,  (jui  sont  des  copies  de  la  Tameuse  fhtuse  des  Morts  de  BAIe.  Quant  au 
(|uatrième  pont,  on  rappelle  HoPnitvke  ou  Pont  de  la  cathédrale,  et  il  sert  de  commu 
nication  entre  la  ville  et  Téglisc  paroissiale.  Il  avait  autrefois  1380  pieds  de  longueur; 
il  n'a  plus  maintenant  que  44  à  4^200  pieds  ;  il  est  orné  d*unc  centaine  de  tableaux, 
dont  les  sujets  sont  tirés  de  Tbistoire  suisse.  Tous  ces  tableaux  sont  triangulaires  et 
peints  à  double  sur  deux  faces,  de  sorte  que  le  pmmeneur  peut  les  observer  dans 
quelque  sens  qu'il  passe  les  |ionts;  sans  doute,  il  ne  faut  pas  chercher  dans  ces  pein- 
tures le  mérite  du  pinceau,  mais,  comme  monument,  ils  offrent  un  intérêt  to«it  par- 
ticulier, en  ce  qu'ils  donnent  une  idée  des  mœurs,  des  habitudes  et  du  caractère  de 
l'époque  où  ils  ont  été  tracés;  les  vieilles  légendes  qui  les  accompagnent  en  rehaus- 
sent encore  le  prix. 

Edifices  publics,  établissements  divers.  On  compte  à  Lucarne  dix  églises.  Les  plus 
remarquables  sont  la  cathédrale,  ou  église  de  St. -Léger  ou  Hofkirche,  située  sur  une 
|)eUte  hauteur  non  loin  du  nouveau  quai  ;  sa  fondation  remonte  k  l'an  79S.  Elle  a 
deux  tours  élancées,  un  orgue  qui  passe  pour  un  chef-d'œuvre,  un  beau  maitre-autel 
f>rné  d'un  tableau  de  Lamfranc.  Le  bas-relief  sur  bois  représentant  la  mort  de  Marie, 
à  l'autel  latéral  du  nord,  est  du  45*"  siècle.  On  trouve  quelques  monuments  dans  le 
cimetière.  —  L Eglise  des  Jésuites,  commencée  en  4667,  est  d'une  gracieuse  architec- 
ture. On  y  voit  un  tableau  de  Torriani,  élève  du  Guide,  une  table  d'autel  représentant 
Nicolas  de  Fltie,  et  le  vêtement  du  saint.  —  L'Eglise  des  Frat^iscaim  ou  Cordeliers 
est  d'une  haute  antiquité;  elle  renferme,  suspendus  au  haut  de  la  nef,  des  fac-similé 
de  tous  les  étendards  enlevés  par  les  Lucernois  à  la  bataille  de  Sempach.  —  Le  ci-de> 
vaut  Collège  des  Jésuites  est  le  plus  bel  édifice  de  Lucerne.  —  LHôtel-de-  Ville,  érigé 
en  4606,  est  un  joli  édifice  renfermant  de  belles  salles  et  les  drapeaux  pris  sur  l'en- 
nemi dans  les  anciennes  guerres:  on  y  voit  de  belles  sculptures  sur  bois,  exécutées 
au  47*^  siècle  par  un  artiste  de  Breslau  ;  une  collection  de  portraits  des  anciens  chefs 
de  l'Etat,  et  des  peintures  relatives  à  l'histoire  suisse.  La  Fontaine  du  marché  au  vin 
(Weinmarkl)  date  de  l'an  4484.  —  L'Arsenal  est  un  des  plus  considérables  de  la 
Suisse;  il  contient  en  grande  quantité  des  Morgensterns  ou  massues,  des  haches 
d'armes,  des  cuirasses,  des  casques  enlevés  par  les  Confédérés  aux  Bourguignons  et 
aux  Autrichiens  ;  on  y  voit  entre  autres  l'armure  complète  du  bailli  de  Landenberg  ; 
la  bannière  jaune,  les  éperons  et  la  cotte  de  mailles  du  duc  Léopold  d'Autriche,  tué  à 
Sempach,  le  carcan  destiné  à  l'avoyer  Gundoldingen  et  garni  de  pointes  de  fer,  etc. 
Quant  à  l'armure  de  Zwingli,  tué  à  la  bataille  de  Cappel,  elle  a  été  emportée  en  4847 
par  les  Zuricois.  On  y  remarque  aussi  de  très-longs  étendards  turcs,  conquis  à  la 
bataille  de  Lépante  et  rapportés  par  un  chevalier  de  Malte,  d'origine  lucernoise,  qui 
y  assistait. 

Lucerne  possède  en  outre  deux  hôpitaux,  dont  l'un  destiné  aux  incurables;  une 
belle  maison  des  orphelins,  bâtie  en  4809  près  de  la  porte  de  Bàle;  un  théâtre,  un 
casino  et  plusieurs  bibiiotliëques  ;  celle  des  ex-jésuites,  appartenant  au  lycée  et  au 
gymnase;  celle  des  capucins,  spéciale  pour  l'histoire  ecclésiastique;  celle  delà  ville, 
très-riclie  en  manuscrits  et  ouvrages  importants  relatifs  à  Tbistoirede  la  Suisse;  elle 


LA    SUISSE    PITTORESQrE. 


i8S 


contient  aussi  une  collection  de  portraits  de  citoyens  et  d'hommes  d'Etat  qui  ont 
illustré  Lucerne  dans  les  siècles  passés.  Divers  particuliers  possèdent  des  cabinets 
d'histoire  naturelle  ou  de  peinture.  Il  existe  à  Lucerne  une  Caisse  d'Epargne,  une 
Caisse  des  Pauvres,  un  établissement  pour  les  ouvriers  malades,  etc. 

Panorama  en  relief.  On  visitera  avec  intérêt  le  panorama  en  relief  d'une  partie  de 
la  Suisse,  levé  d'après  nature  par  le  général  Pfyffer.  Cet  ouvrage  représente  une 
étendue  de  Ikk  lieues  carrées,  dont  Lucerne  occupe  le  centre,  et  qui  comprend  les 
cantons  de  Lucerne  et  d'Unterwald,  une  grande  partie  de  ceux  d'Uri,  Schwytz  et 
Zug,  et  les  contrées  limitrophes  de  ceux  de  Berne,  Zurich  et  Ârgovie.  On  a  donné 
aux  plus  hautes  montagnes  s'élevant  à  10,000  pieds  une  hauteur  de  10  pouces 
au-dessus  du  lac  des  Waldstœtten.  L'ensemble  a  22  pieds  de  longueur,  sur  12  de 
largeur;  il  est  composé  de  136  pièces,  qu'on  peut  démonter.  On  ne  peut  voir  sans 
admiration  la  précision  avec  laquelle  les  formes  des  monts  ont  été  figurées  et  l'exac- 
titude qui  brille  jusque  dans  les  plus  minutieux  détails.  Pour  mieux  jouir  d'une  illu- 
sion, il  faut  se  baisser  de  manière  que  les  regards  effleurent  la  surface  du  relief;  dans 
cette  position,  l'on  distingue  les  formes  et  les  hauteurs  relatives  des  montagnes  et 
des  collines.  L'exécution  de  ce  travail  a  exigé  une  grande  habileté  jointe  à  une 
persévérance  incroyable. 

Lion  de  Thorwaldsen.  Après  les  beautés  de  la  nature,  ce  lion  est  l'objet  qui  mérite 
le  plus  d'attirer  l'attention  des  étrangers.  C'est  à  un  colonel  Pfyffer,  le  descendant  de 
celui  qui  s'illustra  à  Meaux  par  sa  belle  retraite,  qu'est  due  la  première  idée  de  ce 
monument  du  10  août,  élevé  à  la  mémoire  des  officiers  et  soldats  suisses  qui  ont  suc- 


■v^A'^.«A\i,-w 


.lluaiimenl  du  10  Août. 


il.    IS. 


n 


186  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


combé  victimes  de  leur  héroïque  fidélité  dans  cette  fatale  journée.  Rien  de  plus  simple 
et  de  plus  poétique  à  la  fois  que  cette  pensée,  qui  a  été  rendue  par  Thorwaldsen  avec 
tout  le  succès  qu'on  devait  attendre  d'un  artiste  aussi  célèbre.  Un  lion,  percé  d'une 
lance,  expire  en  couvrant  de  son  corps  un  bouclier  fleurdelisé  qu'il  ne  peut  plus 
défendre,  a  L'expression  du  lion  est  sublime,  dit  le  comte  Walsch;  le  tronçon  de  la 
lance  qui  l'a  percé  est  resté  enfoncé  dans  son  flanc  ;  il  étend  sa  griffe  redoutable 
comme  pour  repousser  une  nouvelle  attaque  ;  ses  yeux  à  demi  fermés  vont  s'éteindre 
à  jamais  ;  cependant  son  regard  semble  menacer  encore  ;  sa  face  majestueuse  offre 
l'image  d'une  noble  douleur  et  d'un  courage  tranquille  et  résigné.  »  Le  lion  a  28  pieds 
et  demi  de  longueur,  sur  18  de  hauteur  ;  il  est  sculpté  en  haut-relief  dans  une  grotte 
peu  profonde,  creusée  elle-même  dans  un  pan  de  rocher  vertical.  Un  jeune  sculpteur 
de  Constance,  Ahorn,  a  exécuté  ce  travail  sur  le  modèle  en  plâtre  envoyé  de  Rome 
par  l'artiste  danois,  et  sous  la  direction  du  colonel  Pfyffer  d'Âltishofen.  Au-dessus  de 
la  grotte,  qui  est  longue  de  kk  pieds  et  haute  de  28,  on  lit  l'inscription  suivante  : 
Helvetiarum  fidei  ac  virtuti,  die  iO  Atig.^  2  et  S  Sept.  4792.  Hœc  sunt  nomina  eorum 
quij  ne  sacramenti  fidem  {allèrent  ^  fortimme  pugnanles  ceciderunt.  (A  la  fidélité  et  à  la 
vertu  des  Helvétiens,  10  août,  2  et  3  septembre  1792.  Voici  les  noms  de  ceux  qui, 
pour  ne  pas  faillir  à  leur  serment,  tombèrent  en  combattant  vaillamment).  Au-des- 
sous on  lit  les  noms  des  officiers  et  soldats  qui  périrent,  et  de  ceux  qui,  ayant  échappé 
à  la  mort,  ont  contribué  à  l'érection  de  ce  monument  national,  dont  l'inauguration 
a  eu  lieu  le  10  août  1821.  Une  pièce  d'eau  vive,  alimentée  par  plusieurs  sources, 
baigne  le  pied  du  rocher,  dont  le  sommet  est  couvert  de  végétation.  Tout  autour  sont 
disposés  de  beaux  groupes  d'arbres.  A  quelques  pas  du  monument  s'élève  une  petite 
chapelle,  surmontée  de  l'inscription  :  Piuo  invictis  (Paix  aux  invincibles  ou  plutât  aiix 
invaincus),  et  où  se  trouvent  les  armoiries  des  officiers,  dont  26  sont  tombés  le  10 
août,  et  16  le  2  et  3  septembre.  L'autel  est  couvert  d'une  nappe  de  soie  brodée  de 
la  main  de  la  duchesse  d'Angouléme,  fille  de  Louis  XVI.  On  y  lit  ces  mots  :  a  Ouvrage 
de  Madame  la  Dauphine  Marie-Thérèse  de  France,  en  1825,  donné  à  la  chapelle  du 
Monument  du  10  août  1792,  à  Lucerne.  »  Un  riche  ostensoir  a  été  donné  par  la 
duchesse  de  Berry.  Le  10  août  de  chaque  année,  on  dit  la  messe  des  morts  dans  cette 
chapelle. 

Points  de  vue  et  excursions.  Lucerne  a  été  dispensé  de  créer  des  promenades,  car  la 
nature  y  a  pourvu  :  tout  est  promenade  à  l'entour;  peu  de  villes  au  monde  sont  aussi 
favorisées  sous  ce  rapport .  De  quelque  côté  que  se  dirige  le  voyageur,  qu'il  monte  sur  les 
collines  ou  suive  les  vallons,  partout  les  sites  les  plus  variés  et  les  plus  admirables  se 
présentent  à  ses  regards.  Sans  sortir  de  la  ville,  le  quai  et  le  pont  supérieur  offrent 
sur  le  lac  et  sur  l'amphithéâtre  des  montagnes  un  coup-d'œil  ravissant,  qui  est  sur- 
tout admirable  au  coucher  du  soleil.  A  l'est,  s'élève  le  Righi  aux  pentes  verdoyantes; 
au  sud,  le  sombre  et  sauvage  Pilate,  et  entre  ces  deux  montagnes  les  rochers  escarpés 
du  Bûrgenstock,  en  avant  duquel  on  voit  le  lac  et  ses  rives  gracieuses.  Au-dessus  du 
Bûrgenstock  on  aperçoit  la  Blum-Alp  au  canton  d'Unterwald,  montagne  à  forme 
singulière,  et  dont  on  distingue  parfaitement  les  chalets  vers  le  soir;  à  l'est  et  à  l'ouest, 
un  grand  nombre  de  montagnes  bornent  l'horizon,  entre  autres  le  Titlis  près  de  la 
Blum-Alp,  le  Crispait  entre  le  Righi  et  la  Blum-Alp,  le  Wetterhom  entre  la  Blum- 
Alp  et  le  Pilate.  —  Si  l'on  sort  de  la  ville,  on  peut  visiter,  du  côté  de  l'ouest,  la  col- 


LA  SUISSE   PITTORESQUE.  187 


line  du  Gûtschj  située  tout  près  de  la  porte  de  B&Ie,  celle  de  Sonnenberg,  et  plus  au 
sud  le  château  de  Schauensee  sur  le  mont  Schaltenberg  ;  du  côté  du  nord,  la  colline  de 
la  Museck  et  les  jardins  d'Allen  winden  (ou  à  tous  vmts)  ;  tous  ces  points  jouissent  d'une 
vue  délicieuse.  Le  confluent  de  l'Emme  et  de  la  Reuss,  près  des  ruines  du  château 
de  Stossberg,  et  le  Rothsee  (Lac  rouge),  dans  un  vallon  champêtre,  le  Rengloch,  canal 
pratiqué  dans  les  rochers  depuis  quelques  siècles  pour  servir  d'écoulement  au  Krienz- 
bacb,  méritent  également  d'être  pris  pour  buts  de  promenades. 

Lac  de  Lticeme.  Ce  lac  a  un  caractère  tout  particulier.  Ses  rives  ne  sont  pas  ornées 
d'une  multitude  de  villes,  de  villages,  de  maisons  de  campagne,  de  jardins,  de  vigno- 
bles ;  des  coteaux  riants  et  couverts  d'une  riche  et  vigoureuse  végétation  n'encadrent 
pas  ses  bords  ;  et  cependant  l'aspect  qu'il  offre  est  d'un  attrait  irrésistible;  il  laisse  à 
l'âme  des  souvenirs  ineffaçables.  La  nature  y  déploie  tout  l'empire  de  sa  majesté,  et 
en  même  temps  une  inépuisable  variété  d'images.  À  mesure  qu'on  pénètre  dans  les 
golfes  divers  qui  découpent  ses  bords,  on  voit,  pour  ainsi  dire,  â  chaque  coup  de 
rame,  changer  les  formes  des  montagnes,  et  les  scènes  les  plus  douces  et  les  plus 
romantiques  succéder  aux  sites  les  plus  sauvages  et  les  plus  grandioses.  Les  diffé- 
rents effets  de  la  lumière  et  des  ombres  produisent  aussi  une  diversité  infinie,  surtout 
quand  les  rives  du  lac  et  les  monts  qui  les  dominent  sont  éclairés  par  les  rayons  du 
soleil  le  matin  et  le  soir.  De  quelque  point  que  l'on  contemple  ce  lac,  on  voit  régner 
dans  toutes  ses  parties  un  caractère  sublime  et  extraordinaire,  qui  excite  la  surprise 
et  l'admiration. 

Dans  le  voisinage  de  Lucerne,  les  scènes  qu'offrent  les  rives  du  lac  sont  d'une 
nature  bien  moins  sévère  que  celles  de  l'extrémité  orientale.  Si  l'on  veut  se  rendre 
dans  le  canton  d'Unterwald,  on  peut  s'embarquer  à  Lucerne  pour  le  golfe  d'Âlpnach, 
qu'entourent  des  pentes  sombres  et  boisées,  qui  lui  donnent  un  aspect  mélancolique  ; 
ou  bien  on  peut  aller  par  voie  de  terre  jusqu'à  Horn  et  Winkel,  puis  traverser  le 
golfe  de  Winkel  pour  descendre  à  Stanzstad  ou  à  Âlpnach.  On  trouve  aussi  à  Winkel 
un  sentier  qui  mène  à  Âlpnach  par  le  col  peu  élevé  de  la  Renk,  d'où  l'on  découvre 
une  belle  vue  sur  le  lac  jusqu'à  Kûssnacht.  Avant  de  monter  sur  le  col,  on  passe  au 
village  unterwaldois  de  Hergiswyl,  non  loin  duquel  il  existe  des  grottes  où  il  règne 
une  telle  fraîcheur,  qu'on  peut  y  conserver  du  lait  pendant  un  mois.  On  y  trouve 
même  quelquefois  de  la  glace  en  été.  A  l'est  du  golfe  d'Alpnach,  on  peut  prendre  terre 
pour  aller  visiter  la  gorge  sauvage  du  Rotzloch  et  la  cascade  du  Mehlbach  (ruisseau 
de  farine). 

Le  trajet  de  Lucerne  au  fond  du  golfe  de  Kûssnacht  n'offre  pas  moins  d'intérêt. 
Près  de  la  pointe  de  Meggenhorn,  on  passe  devant  l'ile  d'Altstad,  où  l'abbé  Raynal 
avait  érigé  à  la  gloire  des  libérateurs  de  la  Suisse  une  pyramide  de  granit  de  quarante 
pieds  de  hauteur;  mais  la  foudre  ne  la  laissa  pas  longtemps  debout.  On  y  lisait  les 
noms  des  trois  héros  et  celui  du  fondateur.  Au  sommet  était  une  flèche  dorée,  à  laquelle 
était  attachée  la  pomme  de  Tell.  Raynal  avait  eu  le  dessein  de  placer  le  monument 
dans  la  prairie  même  du  Grûtli  ;  mais  les  magistrats  du  canton  d'Uri,  auxquels  il 
s'adressa  pour  en  obtenir  la  permission,  la  lui  refusèrent;  u  car,  répondirent-ils,  tant 
que  les  Suisses  sauront  être  libres  et  sentir  le  prix  de  leur  liberté,  ils  n'auront  aucun 
besoin  d'éterniser  par  un  monument  cette  belle  page  de  leur  histoire;  et  si  jamais  leur 
postérité  venait  à  perdre  ces  sentiments,  un  semblable  monument  n'aurait  pas  plus 


488  LA   SUIS8E   PITTORESQUE. 


d'utilité  pour  la  Suisse  que  n'en  eurent  pour  Rome  tombée  dans  l'esclavage  les  nom- 
breux marbres  des  temps  où  la  vertu  et  la  liberté  régnaient  dans  ses  murs,  v  C*est 
non  loin  de  Tile  d'Altstad  qu'est  l'endroit  qu'on  appelle  KreHztrichter,  croisée  ou 
entonnoir  croisé,  c'est-à-dire  la  place  où  la  ligne  de  Kûssnacbt  à  Âlpnach  coupe  h 
angle  droit  la  partie  du  lac  comprise  entre  Luceme  et  les  deux  promontoires  appelés 
Obernase  et  Unieniase,  ou  la  Nase  supérieure  et  la  Nase  inférieure.  L'aspect  que  pré- 
sentent en  cet  endroit  les  divers  golfes  voisins  et  les  montagnes  qui  les  entourent,  est 
extrêmement  remarquable.  En  continuant  à  voguer  dans  la  direction  de  Kûssnacbt, 
on  passe  sous  la  colline  de  Ramflue  et  sous  les  ruines  du  cbàteau  de  Nen-Habsbourg 
(Nouveau-Habsbourg),  qui  fut  un  lieu  de  plaisance  où,  disent  les  chroniques,  l'empe- 
reur Rodolphe  de  Habsbourg  aimait  à  séjourner  et  à  se  livrer  aux  divertissements  de 
la  chasse  et  de  la  pèche.  En  43S2,  après  un  siège  de  quelques  jours,  le  château  fut 
pris  par  les  Confédérés.  Ses  ruines  commandent  un  beau  point  de  vue.  lia  route  de 
Lucerne  à  Kûssnacht  peut  également  se  faire  par  terre,  le  long  des  collines  du  Meg- 
genberg  et  par  le  village  de  Meggen.  On  se  rend  fréquemment  au  Righi  par  Kûssnacht 
et  Arth,  villages  du  canton  de  Sehwytz  ;  mais  des  chemins  également  commodes  par- 
tent de  Weggis  et  de  Fitznau,  villages  lucernois  situés  au  pied  méridional  de  la 
montagne  et  entourés  d'une  riche  végétation.  Les  masses  de  verdure  de  cette  sorte 
d'oasis  contrastent  avec  les  flancs  sauvages  du  Bûrgenstock,  placé  vis-à-vis.  L'ascen- 
sion exige  environ  3  heures.  Le  voyageur  qui  part  de  Luceme  peut  donc  atteindre 
le  sommet  en  k  heures,  s'il  prend  le  bateau  à  vapeur  jusqu'à  Weggis;  il  faut  une  ou 
deux  heures  de  plus  s'il  se  dirige  du  côté  d'Arth  pour  entreprendre  l'ascension. 

Mont  Pilate.  L'ascension  du  mont  Pilate  n'est  point  aussi  facile  que  celle  du  Righi, 
mais  elle  est  également  intéressante.  On  n'est  point  encore  d'accord  sur  la  hauteur 
de  cette  montagne,  qui  est  cependant  une  des  plus  fameuses  de  la  Suisse.  Le  général 
Pfyfler  attribue  à  sa  plus  haute  sommité  une  élévation  de  7080  pieds  au-dessus  de  la 
mer,  soit  5760  au-dessus  du  lac.  D'après  d'autres,  cette  élévation  serait  de  7H6, 
ou  6906.  L'Hypsomctrie  Ziegler  ne  lui  donne  que  6595  pieds. 

Le  Pilate  dépasse  donc  de  1000  à  1400  pieds  la  hauteur  du  Righi,  qui  est  d'environ 
5600.  Longtemps  la  superstition  a  fait  de  cette  montagne  le  théâtre  d'événements 
surnaturels.  Il  parait  que  le  nom  de  la  montagne  a  été  la  cause  innocente  de  ces 
fables.  Mont  Pilate  est  probablement  la  traduction  de  Mom  Pileatus,  ou  montagne  à 
cha|)eau,  nom  que  l'on  donne  à  plusieurs  hautes  montagnes  dont  la  cime  s'enveloppe 
de  nuages  avant  les  pluies  ou  les  orages.  De  Pileatus  le  peuple  a  fait  Pilate,  et  pour 
trouver  un  rapport  entre  celte  montagne  et  le  gouverneur  de  Jérusalem,  on  a  in- 
venté une  assez  étrange  histoire. 

D'après  les  uns,  Ponce-Pilate,  exilé  des  Gaules  par  Tibère,  et  poursuivi  par  ses 
remords,  se  serait  précipité  dans  un  lac  voisin  de  la  cime  du  mont  lucernois.  D'après 
une  autre  tradition,  Ponce-Pilate,  appelé  à  Rome,  s'y  donna  la  mort  de  désespoir,  et 
l'on  jeta  son  corps  dans  le  Tibre  ;  mais  il  y  fit  un  tel  vacarme,  que,  pour  avoir  la  paix, 
on  prit  le  parti  de  le  retirer  du  fleuve  et  de  le  faire  porter  dans  le  RhAne.  Le  même 
vacarme  s'y  fit  entendre,  et  les  habitants  des  bords  se  débarrassèrent  également  du 
corps  de  Ponce-Pilate,  en  le  portant  auprès  de  Lausanne;  il  y  fut  encore  un  si  mau- 
vais voisin,  que  les  Lausannois  le  jetèrent  dans  un  des  petits  lacs  du  mont  auquel 
plus  lard  on  a  donné  son  nom.  Depuis  ce  temps,  il  exerça  ses  fureurs  sur  le  moni  ; 


VACHI8     UU     B16U1. 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  189 


toutes  les  fois  qu'on  jetait  quelque  pierre  dans  les  lacs,  Pilate  se  vengeait  par  des 
orages  et  des  tonnerres.  Un  habile  magicien  fut  appelé  pour  le  mettre  à  la  raison. 
Après  une  lutte  très-vive,  l'ancien  gouverneur  de  Jérusalem  se  laissa  enfin  bannir  au 
fond  des  lacs,  à  condition  qu'il  en  sortirait  tous  les  ans  le  Vendredi  Saint  pour  se  pro- 
mener sur  la  montagne  en  robe  de  magistrat,  et  que  ceux,  qui  viendraient  alors  en  sa 
présence  mourraient  dans  Tannée  ;  à  moins  d'être  harcelé  lui-même  au  fond  de  l'eau, 
il  promit  de  ne  plus  troubler  personne.  Ces  fables  s'étaient  si  bien  accréditées  au 
raoyen-àge,  que  les  magistrats  de  Luccrne  défendirent  de  gravir  le  Pilate  et  de  jeter 
des  pierres  dans  le  lac. 

C'est  chez  un  auteur  zuricois  du  IS**  siècle,  Conrad  de  Mur,  qu'on  trouve  la 
première  indication  de  la  légende  de  Pilate  ;  depuis  lors,  les  auteurs  ont  enchéri  l'un 
sur  l'autre  jusqu'au  moment  où  la  Réformation  vint  éclairer  les  esprits. 

Six  chemins  différents  mènent  au  sommet  du  Pilate  :  quatre  du  côté  du  nord,  et 
deux  du  côté  du  sud.  Le  plus  commode  est  celui  qui  monte  d'Alpnach  à  la  plus  haute 
sommité,  qu'on  nomme  le  Tomlishorn.  En  partant  de  Lucerne,  on  passe  ordinairement 
par  le  village  de  Rriens,  puis  on  gravit  par  Herrgotlswald  (  Forêt  du  Seigneur  Dieu), 
où  Ton  trouve  une  jolie  église  et  un  ermitage  souvent  visité  par  les  pèlerins;  on  tra- 
verse ensuite  l'Eigenthal,  charmant  vallon  où  l'on  envoie  des  gens  maladifs  jouir 
d'un  air  salubre.  Jusque-là  on  peut  faire  la  route  à  cheval.  Deux  sentiers,  dont  l'un 
plus  court  et  plus  pénible,  conduisent  de  là  à  la  Brûndleii-Alp  ou  Brûndlis-Alp,  C'est 
sur  cette  alpe  qu'on  trouve  un  petit  lac  dont  les  bords  sont  plantés  de  sapins,  et  qui 
n'a  guère  que  150  pieds  de  longueur,  sur  80  de  largeur.  Il  est  devenu  fameux  par 
la  tradition  rapportée  ci-dessus.  Il  s'en  élève  souvent  des  vapeurs  qui  s'étendent  et 
enveloppent  les  pics  de  la  montagne,  et  sont  ordinairement  l'indice  d'un  orage  pro- 
chain. Des  deux  côtés  de  la  Brûndlis-ÂIp  s'élèvent  les  sept  pics  du  Pilate;  à  gauche 
ou  du  côté  de  l'est  et  du  sud,  YEsel  (Âne),  VOberhaupt  (Tête  supérieure),  le  Band  et 
le  Tomlishorn,  le  plus  élevé  de  tous;  à  droite  ou  du  côté  du  nord  et  de  l'ouest,  le 
GemsmâUli  (Petit  pré  des  chamois),  le  Widderhorn  ou  Widderfeld  (Pic  ou  Champ  des 
béliers),  et  le  Knappstein  (Pierre  chancelante).  Indépendamment  de  la  Brûndlis-Alp, 
on  trouve  autour  de  ces  pics  plusieurs  autres  alpes,  qui  toutes  ensemble  nourrissent 
près  de  4000  bêtes  à  cornes.  Le  second  lac  du  Pilate  est  situé  sur  la  Mait-Alp.  On 
remarque  sur  la  Brûndlis-Alp  un  écho  extraordinaire,  qu'on  peut  regarder  comme 
un  des  plus  curieux  de  la  Suisse;  mais  pour  en  tirer  des  sons,  il  faut  être  doué  d'une 
poitrine  robuste  et  d'une  voix  forte.  Les  bergers  habitués  à  le  faire  retentir  se  placent 
vis-à-vis  de  la  paroi  de  rocher,  et,  se  tournant  lentement  en  demi-cercle,  émettent 
par  intervalles  des  sons  qui,  mille  fois  répétés  par  toutes  les  anfractuosités  des  rochers, 
produisent  une  musique  harmonieuse  dont  l'effet  est  ravissant  pendant  le  calme  so- 
lennel d'une  belle  soirée. 

Au  sud  du  Tomlishorn,  on  voit  une  caverne  haute  de  16  pieds,  sur  9  de  largeur, 
dont  il  sort  un  air  glacé,  et  un  ruisseau,  qui,  en  coulant  sur  les  rochers  de  la  grotte, 
produit  un  sifflement  singulier;  on  lui  a  donné  le  nom  de  Mondloch  (Trou  de  la  Lune), 
parce  qu'on  y  trouve  beaucoup  de  lait  de  lune  ;  elle  contient  des  voûtes  spacieuses, 
mais  à  la  distance  de  3  à  400  pas  elle  se  rétrécit  tellement,  que  si  l'on  veut  pénétrer 
plus  avant,  on  est  obligé  de  se  traîner  sur  le  ventre  au  milieu  de  l'eau  qui  coule  en 
abondance.  On  est  presque  certain  que  cette  caverne  communique  avec  une  autre 


190  LA   SUISSE   PITTORESOUE. 


que  Ton  aperçoit  de  la  Brûndlis-Alp  sur  Taulre  revers  de  la  montagne,  à  une  hauteur 
de  plus  de  cent  toises.  Au  fond  de  cette  grotte,  devant  laquelle  est  un  prédpice 
inaccessible,  on  aperçoit  un  rocher  blanchâtre  en  forme  de  statue,  haut  de  30  pieds, 
et  qui  ressemble  à  un  homme  dont  les  bras  sont  appuyés  sur  une  table  et  les  jambes 
croisées.  La  grotte,  ainsi  que  la  statue,  porte  le  nom  de  SaitU-Dominique.  Il  n'y  a 
d'autre  moyen  d'y  entrer  que  de  s'attacher  à  des  cordes  et  de  se  faire  dévaler  du 
haut  de  la  paroi  à  quelques  centaines  de  pieds  de  profondeur.  Un  nommé  Huber,  de 
Kriens,  i)erdit  la  vie  en  tentant  d'y  pénétrer;  en  4814,  un  chasseur  de  chamois, 
Ignace  Matt,  vint  heureusement  à  bout  de  cette  périlleuse  aventure. 

De  la  Brûndlis-Alp  on  peut  escalader  le  Widderfeld,  qui  est  la  sommité  la  plus 
sauvage  du  Pilate,  et  qui  est  de  quelques  pieds  inférieur  au  Tomlishorn.  De  la  même 
alpe  on  peut  aussi  atteindre  au  Kfiappstein,  qui  a  reçu  ce  nom  à  cause  d'un  quartier 
de  roc  de  la  grandeur  d'une  maison,  qui  se  trouve  placé  sur  le  sommet,  et  qui  chan- 
celle aussitôt  qu'on  veut  le  gravir.  Le  Tomlishorn,  l'Oberhaupt  et  le  Band,  ne  sont 
accessibles  que  du  côté  du  sud  ;  c'est  aussi  de  ce  côté  qu'on  fait  l'ascension  de  l'Esel, 
qui  n'est  difficile  que  pour  les  dix  dernières  minutes;  la  pointe  en  est  aiguë  et  en- 
tourée d'effrayants  prâcipices  ;  elle  est  de  480  pieds  moins  élevée  que  le  Tomlishorn. 
Le  général  Pfyffer,  qui  avait  souvent  gravi  le  Pilate,  assure  que  du  haut  de  ses  divers 
pics  on  peut,  par  un  temps  très-serein  et  à  l'aide  d'une  bonne  lunette,  découvrir 
treize  lacs,  ainsi  que  la  tour  de  la  cathédrale  de  Strasl)Ourg. 

Entlibwk,  Napf.  La  vallée  de  l'Entlibuch  est  entourée  de  montagnes  couvertes  de 
pâturages  fertiles  et  bien  arrosés.  La  partie  supérieure  de  la  vallée  présente  cepen- 
dant quelques  régions  sauvages  ;  on  y  trouve  laSchrattenfluh,  montagne  remplie  de 
crevasses  et  de  cavernes,  et  qui  offre  partout  les  traces  remarquables  d'affreux  bou- 
leversements. Non  loin  de  là,  près  du  village  de  Klausstalden,  l'Emme  fait  une  cas- 
cade. Une  des  routes  de  Lucerne  à  Berne  remonte  la  vallée  de  l'Entlibuch  jusqu'à 
Schûpfheim,  village  qui  occupe  une  belle  position;  de  là,  elle  s'approche  de  l'Em- 
menthal bernois,  en  suivant  le  vallon  latéral  d'Escholzmatt,  arrosé  par  l'Emme 
blanche.  Une  route,  rendue  praticable  aux  chars  depuis  peu  d'années,  évite  le  oon- 
tour  que  fait  l'Emme  près  de  Wohlhausen  ;  elle  passe  près  des  bains  solitaires 
de  Farnbûhl,  et  franchit  les  hauteurs  du  Bramegg,  prolongement  du  Pilate.  Du 
sommet  du  passage,  la  vue  s'étend  au  loin  sur  les  campagnes  fertiles  des  environs 
de  Lucerne,  et  jusqu'au  lac  et  à  la  ville  de  Zug  et  à  la  chaîne  de  l'Albis.  On  aperçoit 
aussi  très-bien  les  sommités  du  Pilate.  Un  sentier  remonte  la  vallée  de  l'Entle, 
arrosée  par  le  torrent  de  ce  nom,  dont  les  eaux  déchaînées  parcourent  des  gorges 
affreuses  et  entraînent  souvent  dans  leur  cours  des  quartiers  de  roc;  il  passe  ensuite 
au  sud  du  Pilate,  entre  le  Schlierenberg  et  le  Feuerstein,  et  conduit  à  Alpnach  et  à 
Sarnen.  Au  fond  de  l'Entlibuch,  un  sentier  dangereux  en  quelques  endroits  part  du 
joli  vallon  de  Marienthal,  franchit  la  crête  du  Brienzergrat  et  conduit  à  Brienz  ;  un 
second,  assez  pénible,  mène  par  la  vallée  de  Habkern  à  Unterseen.  Un  troisième, 
plus  commode,  mène  à  Lungern  par  le  col  de  Nessel. 

Au  nord  de  l'Entlibuch  s'élève  le  groupe  du  mont  Entzi,  dont  le  sommet,  qui 
porte  le  nom  de  Napf,  est  élevé  de  47K0  pieds  ;  on  peut  l'atteindre  focilement  de 
divers  côtés,  en  particulier  en  partant  des  villages  d'Entlibuch,  Schûpfheim  et 
Trubschachen.  On  trouve  des  chalets  sur  la  cime.  La  ravissante  vue  qu'il  offre  aux 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  191 


regards  ne  le  cède  que  peu  à  celle  du  Righi .  Sur  la  pente  septentrionale  du  Napf, 
on  trouve  les  bains  de  la  Luthern,  d'où  Ton  peut  se  rendre  à  Willisau  et  à  Sursee. 

Outre  celui  qui  porte  le  nom  d*£ntlibuch,  les  principaux  villages  de  la  vallée  sont 
ceux  de  Schûpfheim,  qui  en  est  le  chef-lieu,  de  Hasli,  de  Wohlhausen,  etc.  Les  habi- 
tations sont  en  général  propres,  construites  avec  goût,  et  contiennent  des  chambres 
spacieuses  ;  quelques-unes  sont  même  aussi  élégantes  que  les  demeures  des  plus  riches 
paysans  bernois.  Les  costumes  sont  aussi  d'une  propreté  remarquable,  mais  on  re- 
marque que  le  costume  des  femmes  de  TEntlibuch  est  plus  simple  et  moins  gracieux 
que  celui  des  villageoises  des  environs  du  lac,  qui  ont  Thabitude  de  porter  un  corset 
rouge  et  un  chapeau  orné  de  rubans  et  de  fleurs. 

Sursee.  Cette  petite  ville  est  située  à  cinq  lieues  de  Lucerne,  à  l'extrémité  septen- 
trionale du  lac  de  Sempach,  dans  une  contrée  fort  agréable.  On  y  trouve  de  très- 
beaux  points  de  vue,  en  particuUer  près  de  la  chapelle  de  Mariazell,  à  un  quart  de 
lieue  de  la  ville,  dans  l'endroit  où  la  Sur  sort  du  lac.  C'est  à  une  lieue  et  demie  du 
côté  du  sud-ouest  qu'est  le  village  de  Buttisholz,  près  duquel  est  situé  le  Tertre  des 
Anglais,  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus.  A  demi-lieue  de  Sursee  du  côté  de  l'ouest, 
on  voit  le  romantique  petit  lac  de  Mauen,  au  milieu  duquel  s'élève  le  château  du 
même  nom.  Un  peu  plus  au  nord  sont  les  bains  de  Knutwyl  ;  du  haut  de  la  colline 
de  St.-Erard,  entre  ces  bains  et  le  lac  de  Mauen,  on  découvre  un  point  de  vue  qui 
s'étend  jusqu'au  lac  de  Lucerne.  Ce  fut  en  1418,  pendant  que  le  duc  Frédéric 
d'Autriche  était  au  ban  de  l'empire,  que  les  Lucernois  firent  le  siège  de  Sursee,  s'en 
emparèrent  et  le  réunirent  à  leur  territoire. 

Ville  et  lac  de  Sempach.  La  ville  de  Sempach  est  située  sur  la  rive  orientale  du  lac 
du  même  nom.  Les  eaux  de  ce  lac  sont  d'un  beau  vert  clair;  ses  bords  sont  cou- 
verts de  prairies,  de  forêts  et  d'arbres  fruitiers,  et  forment  un  paysage  d'un  aspect 
champêtre  et  agréable.  Le  Pilate  et  les  hautes  montagnes  qui  environnent  le  lac  de 
Lucerne  offrent  un  coui>-d'œil  magnifique  aux  environs  de  Sempach.  C'est  sur  une 
éminence  à  demi-lieue  de  la  ville  que  se  livra  la  fameuse  bataille  de  Sempach.  Une 
chapelle  a  été  érigée  sur  le  champ  de  bataille  ;  l'autel  est  placé  à  l'endroit  même  où 
avait  péri  le  duc  d'Autriche  ;  un  tableau  représente  l'acte  héroïque  d'Arnold  Win- 
kelried,  et  l'on  a  inscrit  sur  les  murs  les  noms  des  nobles  de  l'armée  autrichienne 
avec  leurs  écussons,  et  les  noms  plus  glorieux  des  défenseurs  de  la  liberté  suisse  qui 
trouvèrent  la  mort  dans  le  combat.  Quatre  croix  de  pierre  marquent  à  rentrée  de 
la  chapelle  l'emplacement  où  le  sang  helvétique  coula  pour  la  patrie.  Tous  les  ans, 
au  jour  anniversaire,  on  célèbre  avec  solennité  le  service  divin  dans  celle  cha|)elle 
antique.  Les  ossements  des  combattants  ont  été  déposés  dans  un  charnier  ombragé 
d'arbres. 


CAIVTOX'    D'il  RI. 


— ^CJ^^-, 


Situation,  étrndik,  cijmat.  —  Le  canton  d'Uri  est  borné  au  nord  par  le  lac  des 
Qualre-Canlons  et  jKir  le  canton  de  Schwylz,  à  Test  par  les  cantons  de  Claris  et  des 
Grisons,  au  sud  par  le  Tessin,  à  Touest  par  les  cantons  du  Vallais,  de  Berne  et 
d'Unterwald.  Il  a  une  longueur  de  12  lieues,  sur  une  largeur  qui  variede  4  à  7  lieues  ; 
sa  superGcie  est  de  47  lieues  carrées.  C'est  le  canton  le  moins  peuplé  de  toute  la 
Suisse,  car  il  ne  conapte  que  14, SOS  habitants,  soit  309  par  lieue  carrée.  Depuis 
Tadmission  de  Lucerne,  Zurich  et  Berne  dans  la  Confédération,  Uri  n*y  a  plus  que 
le  quatrième  rang.  —  Le  climat  du  canton  est  très-inégal,  et  les  changements  de 
température  y  sont  très-fré(|uents  ;  tandis  que  les  hautes  vallées  ont  huit  mois  d*hi ver, 
la  partie  inférieure  de  la  vallée  de  la  Reuss,  de  Fluelen  à  Àmste^,  jouit  d'un  air  très- 
tem|>éré,  ce  qui  est  dû  au  vent  du  midi,  appelé  le  Fôhn  (Favonio),  qui  soufQe  d'Italie 
par-dessus  le  St.-Gothard.  Ce  vent  se  fait  sentir  le  plus  souvent  au  printemps  et  en 
automne;  mais  il  fait  quelquefois  fondre  rapidement  les  neiges  en  quelques  heures  au 
milieu  de  l'hiver,  et  développe  prématurément  la  végétation  ;  il  souffle  avec  une 
violence  excessive,  bien  qu'avec  de  soudains  intervalles  de  calme;  il  occasionne  de 
grandes  avalanches,  et  soulève  des  tempêtes  redoutables  sur  le  lac  ;  il  déracine  les 
arbres,  enlève  les  toits,  et  propage  rapidement  l'incendie  :  aussi  prend-on  les  plus 
grandes  précautions  quand  il  s'élève  par  un  temps  sec.  Il  produit  un  effet  funeste  sur 
la  constitution  physique  des  habitants  de  la  basse  vallée,  et  cause  des  ap|)esantissc- 
ments  de  tcte  comme  le  sirocco.  Il  rend  l'air  très-électrique  ;  toutefois,  ce  n'est  pas  ce 
vent,  mais  celui  d'ouest,  qui  amène  ordinairement  les  orages  de  pluie.  Le  vent  du 
nord  et  du  nord-est  domine  en  hiver  et  au  printemps  ;  on  l'appelle  GeislôJler  ou 
tueur  de  chèvres,  parce  qu'il  arrive  souvent  que  des  chèvres,  mal  nourries  durant 
l'hiver  dans  les  étables,  succombent  aux  atteintes  de  ce  vent  quand  on  recommence 
à  les  faire  pâturer. 


THE  NEW  YORK 
PUBLIC  LIBRARY 


til:    '   1 
p. 


ANl- 

•  •  l(•N^ 


A     ALTORF. 


iO. 


LA    SUISSE   PlTTORESQt'E.  195 


Montagnes,  vallées,  rivières.  —  Ce  canton,  l'un  des  plus  montagneux  de  la 

Suisse,  est  enfermé  entre  deux  ramifications  qui  se  détachent  de  la  chaîne  centrale 

près  du  groupe  du  St.-Gothard  ;  celle  de  Test  se  prolonge  entre  les  cantons  de  Glaris 

et  de  Schwytz  ;  celle  de  l'ouest  se  termine  au  promontoire  de  Treib,  au-dessous  du 

mont  Seelisberg.  Plusieurs  chaînons  intérieurs  qui  partent  de  ces  deux  chaînes  forment 

quelques  vallée  latérales,  et,  se  rapprochant  de  la  Reuss,  ne  laissent  à  cette  rivière 

qu'un  lit  très-étroit.  Les  montagnes  d'Uri  s'élèvent  généralementde 8à  11 ,000  pieds. 

Les  principales  sommités  du  canton  sont,  au  St.-Gothard  :  la  Pointe  d'Urseren,  10,000  ; 

le  Luzetidro,  9730;  la  Fibia,  9370;  le  Fiudo,  9470  ;  la  Prosa,  8360,  etc.  ;  dans  la 

chaîne  de  l'est,  le  mont  Baduz,  9165  ;  le  Crispait,  10,240  ;  YOberalpstock,  10,280; 

le  Scheerhom,  10,140,  lesquels  touchent  aux  Grisons;  au  Crispait  s'appuie  le 

Bristenstock,  9900,  et  au  Scheerhom  la  Witidgàlle,  9790;  les  Alpes  Clarides, 

10,030,  qui  touchent  à  Glaris  ;  dans  la  chaîne  d'ouest,  le  Weisshorn,  9220,  d'où 

descend  le  grand  glacier  de  Weissenwasser  ou  d'Eau  blanche;  le  Mutthom,  au  sud 

de  la  Furka,  95K0;  le  Galenstock,  au  nord  de  la  Furka,  11,300,  lequel  domine  le 

beau  glacier  du  Rhône,  et  confine  avec  les  cantons  du  Vallais  et  de  Berne  ;  le  Thier- 

berg,  40,946;  le   Winterberg  ou  Montagne  de  l'hiver,   10,600;  le  Sustenhom, 

10,760;  le  Spitzliberg,  Montagne  aiguë,  comme  son  nom  l'indique,  10,635;  les 

Uratzhômer,  partie  du  Titlis,  aux  confins  de  Berne  et  d'Unterwald,  10,240;  les 

Spanùrter,  9960;  le  Blackenstock,  8000  j  VUrner  Rothstock,  9570.  Plus  au  nord,  le 

Brisen  ne  s'élève  qu'à  7700;  le  Niederbauen  à  6660,  et  le  mont  Achsenberg,  situé 

vis-à-vis,  à  5450.  La  plupart  de  ces  montagnes  sont  flanquées  dévastes  glaciers,  et 

il  est  peu  de  pays  où  les  avalanches  et  les  éboulements  soient  plus  fréquents  que  dans 

le  canton  d'Uri. 

La  principale  vallée  est  celle  qu'arrose  la  Reuss,  qui  se  jette  dans  le  lac  des 
Quatre-Gantons,  et  dont  les  sources  sont  au  St.-Gothard  et  aux  environs;  la  plus 
abondante  et  celle  dont  le  cours  est  le  plus  long,  vient  de  la  Furka  et  des  glaciers 
voisins;  une  autre  sort  du  lac  tessinois  de  Luzendro,  situé  sur  le  plateau  même  du 
St.-Gothard;  la  troisième  sort  du  lac  d'Oberalp,  voisin  des  Grisons;  et  la  quatrième 
est  le  torrent  de  l'Unteralp,  dont  les  eaux  se  réunissent  à  celles  de  l'Oberalp,  au- 
dessus  d'Ândermatt.  Les  vallées  latérales  sont  arrosées  par  plusieurs  autres  torrents. 
Dans  le  Schâchenthal  coule  le  Schàchenbach  ;  dans  le  val  Maderan,  le  Kerstlenbach; 
dans  l'Erstfelderthal,  le  TkUbach;  dans  le  Mayenthal,  le  Mayenbach,  Ces  torrents 
causent  souvent  de  grandes  dévastations.  Les  limites  ne  suivant  pas  partout  les  crêtes 
des  monts,  le  canton  possède  les  sources  de  VAa,  qui  descend  des  Alpes  Surènes  et 
coule  dans  la  vallée  unterwaldoise  d'Engelberg;  celles  du  Fatschbach,  qui  se  jette 
dans  la  Linth  au  canton  de  Glaris  ;  enfin  un  torrent,  sur  le  revers  septentrional  du 
Kinzig-Kulm,  s'écoule  vers  la  vallée  schwytzoise  de  Muotta. 

Lacs.  —  Le  canton  d'Uri  possède  la  partie  orientale  du  lac  des  Quatre-Cantons, 
qu'on  appelle  golfe  ou  lac  d'Uri  (  Umersee  )  ;  ce  golfe  a  une  profondeur  de  800  pieds 
au-dessous  de  l'Âcbsenberg,  près  de  la  chapelle  de  Tell.  Nous  en  ferons  plus  bas  la 
description.  On  peut  nommer  encore  le  lac  d'Oberalp  et  ceux  d'Unteralp,  dont  l'écou- 
lement forme  une  des  principales  sources  de  la  Reuss  ;  celui  d'Oberalp  a  un  quart  de 
lieue  de  longueur  et  contient  d'excellentes  truites  ;  le  Golzersee,  |)etit  lac  très-poisson- 
neux au  pied  de  la  Windgâlle  ;  le  lac  d'Obersee,  qui  sert  de  réservoir  aux  eaux  d'un  gla- 
II,  13.  25 


494  I.A    SliISSe   PITTORESQUE. 


cier  au  fond  de  la  vallée  d'Erstfeld  :  le  joli  lac  du  Seelisherg  (  Montagne  du  pelil  lac  ), 
près  du  chemin  de  Slanz  au  Grûtii.  Plusieurs  de  ces  lacs  sont  très-profonds  ;  quelques- 
uns  sont  à  une  très-grande  hauteur,  de  sorte  qu'on  y  voit  souvent  flotter  encore  des 
glaçons  au  mois  d'août. 

Bains  et  eaux  minérales.  —  Entre  Altorf  et  Fluelen,  on  trouve  le  Moasbad  (Bain 
de  mousse),  passablement  fré(]uenté  dans  la  belle  saison.  La  vallée  de  Schâeben 
|)ossède  une  source  sulfureuse  qui  jaillit  près  du  village  d'Unterschâchen.  Les  habi- 
tants font  encore  usage  de  ses  eaux  et  en  vantent  les  effets,  mais  on  ne  voit  plus  qu<^ 
les  ruines  de  rétablissement  qui  a  existé  pendant  deux  ou  trois  siècles. 

Histoire  nati-relle.  —  Règne  animaL  La  race  bovine  compte  7  à  8000  tètes  dans 
le  canton.  Dans  la  vallée  d'Urseren  et  la  partie  su|)érieure  de  celle  de  la  Reuss,  on 
trouve  des  vaches  de  petite  taille,  appelées  vaches  grisonnes,  et  qui  peuvent  grim|)er 
comme  les  chèvres  les  pentes  les  plus  raides.  Dans  la  partie  inférieure,  les  vaches 
sont  de  la  race  brune  de  Schwytz,  mais  elles  y  sont  un  peu  plus  petites  que  dans  les 
cantons  de  Schwytz  et  d'Unterwald  ;  cela  vient  de  ce  qu'elles  sont  moins  bien  nour- 
ries et  de  ce  que  les  alpes  sont  plus  escarpées.  13,000  moutons  et  15,000  chèvres 
I)àturent  sur  les  pentes  d'un  accès  diffîcile.  Les  Bergamasques  amènent  pendant  Tété 
de  grands  troupeaux  de  moutons;  le  fermage  qu'ils  paient  est  une  source  de  béné- 
fice pour  le  canton.  —  Les  chamois  sont  rares;  cependant  on  en  trouve  encore  sur 
les  hautes  sommités  ;  on  ne  jKîut  les  chasser  qu'en  automne.  Les  ours,  les  lynx,  les  re- 
nards, sont  rares  aussi.  On  y  trouve  des  vautours,  des  aigles,  et  un  assez  grand 
nombre  d'autres  espèces  d'oiseaux  ;  l'amateur  d'entomologie  peut  aussi  faire  une 
ample  moisson  ;  on  voit  plusieurs  espèces  de  vipères  dans  la  vallée  basse. 

Rcfjne  végétal.  La  plus  grande  partie  du  sol  qui  n'est  pas  occupé  par  des  rochers  ou 
des  glaces  est  couverte  de  pâturages  ou  de  prairies;  cependant  la  partie  inférieure  de 
Fluelen  à  Amsleg  est  très-propre  à  la  culture  ;  grâce  à  la  douceur  du  climat,  la 
végétation  y  est  de  quinze  jours  plus  avancée  qu'à  Lucerne.  On  y  cultive  avec  succès 
du  blé,  du  chanvre,  des  pommes  de  terre;  on  y  trouve  beaucoup  de  beaux  vergers, 
où  croissent  des  pruniers,  des  jiéchers,  des  abricotiers,  des  noyers;  sur  quelques 
pentes  exposées  au  soleil  on  voit  des  châtaigniers,  et  même  des  figuiers  dans  des  lieux 
abrités  contre  le  vent  du  nord.  Au-dessus  de  2800  pieds,  il  ne  vient  plus  que  des 
cerisiers.  La  vigne,  qu'on  cultivait  autrefois  à  Altorf,  a  presque  disparu  ;  on  ne  voit 
plus  que  quelques  espaliers.  Les  forêts  abondent  dans  tout  le  canton,  sauf  dans  le 
district  d'Urseren,  où  l'on  est  oblige  de  faire  venir  le  bois  de  loin  et  à  grands  frais.  — 
La  vallée  delà  Reuss,  celle  d'Urseren,  la  Furka,  leSt.-Golhard,  scmt  très-riches  en 
plantes  rares;  on  cite  comme  particulières  à  cette  dernière  montagne  la  primuln 
mifwna  et  \QJuncm  sqtiarrostis. 

Règne  minéral,  La  plus  grande  partie  du  canton  appartient  à  la  formation  primi 
tive  ;  mais,  vers  le  nord,  les  montagnes  sont  composées  de  roches  calcaires  et  de 
couches  schisteuses  et  argileuses.  Celles  qui  forment  la  chaîne  du  St.-Gothard  pa- 
raissent déchirées  et  bouleversées;  elles  ont  dû  être  autrefois  beaucoup  plus  élevées 
qu'aujourd'hui  ;  la  vallée  des  Rochers,  où  était  situé  l'ancien  hospice,  est  obstruée  de 
débris  tombés  des  sommités  voisines  ;  cela  résulte  sans  doute  de  la  nature  des  roches, 
qui  sont  du  gneiss  peu  compact,  à  grains  fins,  et  du  granit  veiné.  Il  n'existe  peut- 
être  aucune  partie  de  la  chaîne  des  Alpes  où  l'on  trouve,  dans  un  espace  si  resserré. 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  195 


un  nombre  aussi  prodigieux  de  substances  rares  que  le  St.-Gothard.  Près  du  glacier 
(le  Sainte-Anne,  le  minéralogiste  trouvera  de  Tasbesle,  de  Tamiante  et  du  liège  fos- 
sile ;  sur  le  Guspis,  de  la  rayonnante  verte  ou  delphinite  ;  ailleurs,  la  même  roche  est 
renfermée  dans  du  talc  blanc  ;  aux  environs  de  Réalp,  on  voit  des  cristaux  de  spath 
fluor  couleur  de  rose  ;  on  trouve  aussi  des  cristaux  de  pierre  ferrugineuse  magné- 
tique, des  améthystes,  des  grenats,  des  hyacinthes,  des  cristaux  de  couleur  jaune 
imitant  la  topaze,  de  la  cornaline,  du  titane,  etc.  On  exploitait  autrefois  des 
mines  de  fer  dans  Tlsenthal  et  dans  le  val  Maderan,  non  loin  du  sommet  de  la 
Windgàlle,  et  des  mines  de  plomb  et  de  cuivre  dans  la  vallée  de  la  Reuss,  au-dessus 
d*Amsteg. 

Histoire.  —  Les  habitants  du  canton  étaient  désignés  autrefois  sous  le  nom  de 
Tanrisci;  et  comme  ils  portaient  sur  leur  étendard  l'image  d'une  tête  de  taureau,  on 
les  appela  ensuite  Ures^  et  leur  pays  Urn  ou  Uri  (de  unis,  aurochs).  On  ignore 
quels  furent  leurs  rapports  avec  les  autres  Helvétiens,  et  s'ils  prirenf  part  à  leurs 
expéditions;  mais  il  est  certain  qu'ils  tombèrent  comme  eux  sous  la  domination 
romaine,  et  que  le  district  d'Uri  fit  partie  de  la  province  dont  Zurich  (Turicum) 
était  chef-lieu,  et  le  val  d'Urseren  de  la  Rhétie.  Les  franchises  de  cette  petite  peu- 
plade datent  de  la  plus  haute  antiquité.  Quelques  personnes  les  font  remonter  à 
l'empereur  Théodose  ou  à  son  fils  Honorius  ;  d'autres  soutiennent  que  Charlemagne, 
qui  récompensa  les  gens  d'Uri  pour  le  service  qu'ils  lui  avaient  rendu  en  repoussant 
les  Lombards,  et  qui  fit  améliorer  et  rendre  praticable  pour  les  mulets  la  route  du 
Sl.-Gothard,  fut  celui  qui  leur  accorda,  en  809,  leurs  premières  libertés,  et  que  le 
pape  Gr^oire  IV,  à  qui  Uri  avait  envoyé  deux  fois  du  secours  contre  les  Sarrasins, 
leur  fit  concéder  par  le  roi  Louis-le-Pieux,  en  829,  le  droit  de  se  gouverner  suivant 
leurs  propres  lois.  Louis-le-Germanique  céda,  en  853,  à  l'abbesse  du  couvent  qu'il 
avait  fondé  à  Zurich,  une  partie  du  territoire  d'Uri,  avec  les  églises,  les  bâtiments 
et  les  serfs  qu'il  possédait  dans  ce  pays  ;  mais  les  hommes  libres  restèrent  affran- 
chis de  toute  redevance  directe,  et  conservèrent  les  droits  déjà  obtenus.  Un  docu- 
ment conservé  dans  les  archives  du  pays  le  constate,  ainsi  que  la  protection  accordée 
par  Charlemagne. 

Plus  tard,  les  nobles  et  les  couvents  cherchèrent  à  opprimer  les  montagnards.  Un 
différend  s'étant  élevé,  au  sujet  de  quelques  pâturages,  entre  l'abbaye  d'EinsiedIen  et 
les  gens  de  Schwytz,  ceux-ci,  n'ayant  pu  obtenir  justice,  formèrent  en  1147  une 
alliance  offensive  et  défensive  avec  les  gens  d'Uri  et  d'Unterwald.  Les  trois  petits 
peuples  furent  mis  au  ban  de  l'empire,  et  l'évêque  de  Constance  les  excommunia  ;  mais 
ils  bravèrent  cette  excommunication,  ne  comprenant  pas  que  ce  fût  un  crime  que 
de  défendre  ses  droits.  L'empereur  Frédéric  II,  qui  marchait  contre  les  Guelfes, 
obtint  d'eux  un  secours  de  600  hommes;  Struth  de  Winkelried,  qui  les  comman- 
dait, fut  créé  chevalier,  et  l'empereur  accorda  aux  trois  cantons  une  sorte  de  charte  où 
il  déclarait  que,  sur  leur  demande,  ils  étaient  reçus  sous  la  protection  de  l'empire,  qu'ils 
ne  relèveraient  jamais  que  de  l'empereur,  et  que  les  baillis  ne  devraient  pas  habiter 
dans  leurs  vallées,  mais  ne  s'y  rendraient  que  dans  les  cas  indispensables.  Rodolphe 
de  Habsbourg,  qui  dans  sa  lutte  contre  la  noblesse  avait  besoin  de  l'appui  des  bour- 
geois et  des  pâtres,  confirma  leurs  franchises  en  1274.  Toutefois,  en  1291,  les  trois 
pays  conclurent  une  nouvelle  alliance,  et  rédigèrent  le  plus  ancien  document  écrit 


196  LA   SDIflSB   PITTORESQUE. 


que  l'on  connaisse  maintenant;  c'est  de  ce  traité  que  date  le  nom  i'Eidgenostm, 
Gonrédérés,  ou  compagnons  de  serment. 

En  4298,  ils  demandèrent  au  nouvel  empereur  Albert  la  confirmation  de  leurs 
Tranchises;  celui-ci  repoussa  leurs  demandes,  fit  administrer  le  bailliage  d  Urseren 
au  nom  de  la  maison  d'Autriche,  et  engagea  les  trois  pays  à  renoncer  à  la  protec- 
tion inefficace  de  l'empire,  et  à  se  laisser  incorporer  dans  les  Etats  héréditaires  de 
l'Autriche.  En  4  304,  il  envoya  un  jeune  gentilhomme,  Hermann  Gessler  de  Bruneck, 
qui  traita  les  montagnards  avec  une  grande  hauteur,  et,  au  mépris  des  anciennes 
franchises,  résida  tantôt  à  Kûssnacht,  tantôt  à  Altorf.  En  4307,  ce  gouverneur 
commença  la  construction  d'un  ch&leau,  qu'il  nomma  par  dérision  Ztcing-Uri  (Joug 
d'Uri).  C'est  alors  que  trois  hommes  énergiques,  Walter  Fûrst  d'Un,  Wemer 
Stauffacher  de  Schwytz,  et  Arnold  Anderhalden  du  Melchthal  au  canton  d'Unter- 
wald,  après  s'être  préalablement  concertés  seuls  sur  les  moyens  d'affranchir  leur 
patrie,  se  rendirent  au  Grûtii  dans  la  nuit  du  7  novembre  4307\  accompagnés 
chacun  de  dix  hommes  courageux  ;  ces  trente-trois  citoyens  firent  vœu  de  délivrer 
leur  pays  du  joug  arbitraire  des  baillis.  L'exécution  du  projet  fut  fixée  au  4^'  jan- 
vier 4308.  Mais,  afin  de  faire  éclater  prématurément  la  rébellion,  Gessler  fit  élever,  le 
46  novembre,  sur  la  place  d' Altorf,  une  grande  perche  surmontée  d'un  chapeau 
ducal,  et  il  obligea  les  passants  à  saluer,  en  s'inclinant,  ces  signes  d'oppression.  Ici 
se  placent  la  résistance  de  Guillaume  Tell  à  cet  ordre  humiliant,  l'histoire  de  la 
pomme  qu'il  dut  frapper  sur  la  télé  de  son  enfant,  celle  de  sa  délivrance  presque 
miraculeuse  au  milieu  d'une  tempête,  et  enfin  celle  de  la  mort  de  Gessler. 

A  la  suite  de  ces  événements,  le  4'*^  janvier  4308,  le  bailli  Landenberg  fut  expulsé 
du  canton  d'Unterwald,  ainsi  que  ses  satellitas,  et  le  château  deZwing-Uri  fut  rasé. 
Alors,  le  7  janvier,  les  députés  des  hommes  libres  des  trois  cantons  se  réunirent  à 
Brunnen  pour  jurer  de  nouveau  une  alliance  solennelle.  Henri  VII  confirma  leurs 
franchises  ;  mais  les  dispositions  de  la  maison  d'Autriche  devinrent  toujours  plus 
hostiles.  Le  duc  Léopold  étant  venu  les  attaquer,  les  montagnards  des  trois  cantons 
remportèrent,  le  45  novembre  4345,  à  Morgarten,  une  victoire  complète,  qui  porta 
dans  toute  l'Allemagne  le  nom  de  cette  peuplade  de  bergers,  jusqu'alors  peu  connue. 
En  4323,  les  gens  d'Uri  occupèrent  le  val  Urseren  et  en  chassèrent  le  baiUi  autri- 
chien. En  4332,  la  ligue  accrut  ses  forces  par  l'admission  de  Lucerne,  et  quelques 
années  plus  tard  par  celle  des  cantons  de  Zurich,  Glaris,  Zug  et  Berne.  L'acte  d'al- 
liance des  huit  cantons  fut  dressé  le  6  mars  4353;  il  fut  approuvé  par  l'empereur. 
En  4386,  une  nouvelle  victoire  fut  remportée  à  Sempach  par  les  Confédérés;  en 
4389,  la  paix  fut  signée  avec  la  maison  d'Autriche,  et  le  peuple  d'Uri  obtint  la 
pleine  et  entière  souveraineté  de  son  pays.  En  4402,  dans  le  but  d'assurer  la  pro- 
tection de  ses  frontières  et  la  liberté  du  passage  du  St.-Gothard,  Uri  soumit  le  val 
Léventine;  24  ans  après  il  perdit  cette  vallée,  mais  il  la  recouvra  en  4467.  Plus 
tard  il  conquit,  avec  Schwytz  et  Unterwald,  Bellinzone  et  les  vallées  de  Riviera  et  de 
Poleggio  ;  puis,  avec  tous  les  autres  Confédérés,  Lugano,  Mendrisio  et  Locarno.  Ces 
diverses  contrées  furent  traitées  comme  des  pays  sujets.  Les  troupes  des  petits  can- 
tons figurèrent  dans  l'armée  qui  vainquit  deux  fois  Charles-le-Téméraire,  et  les 

1.  D'après  Millier,  ce  fui  la  nuit  du  jeudi  avant  la  fêle  dé  St.-Hartin,  laquelle  est  maiotenanl 
le  11  novembre  ;  d'après  Zschokke  et  d'autres,  ce  fut  le  17  novembre. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  197 


funestes  conséquences  de  ces  victoires  s'étendirent  aussi  à  leur  pays.  L'histoire  d*Uri 
se  trouve  dès-lors  plus  intimement  liée  avec  celle  de  la  Confédération.  Lorsque  éclata 
la  Réformation,  les  petits  cantons  restèrent  fidèles  à  l'Eglise  catholique,  et  ils  prirent 
part  aux  guerres  religieuses  de  4529,  1655  et  1712.  Uri  eut  en  1755  à  réprimer 
une  révolte  dans  le  val  Léventine,  qui  supportait  son  joug  impatiemment;  en  1797 
il  dut  enfin  Taffranchir,  ainsi  que  le  district  d'Urseren. 

Les  Landsgemeindesd'Uri,  deSchwytz  et  d'Unterwald  décidèrent  en  1798  de  re- 
pousser l'invasion  française,  et  une  lutte  héroïque  eut  lieu  conti*e  une  armée  bien 
supérieure  en  nombre,  à  Morgarten,  à  Rothenthurm,  au  mont  Etzel  ;  mais  une  capi- 
tulation, conclue  le  4  mai  avec  le  général  Schauenbourg,  imposa  aux  trois  cantons 
Tobligation  d'accepter  la  Constitution  helvétique  ;  et  les  Français  leur  promirent  de 
ne  pas  occuper  leur  pays.  Les  anciennes  autorités  d'Uri  furent  dissoutes,  et  un  arbre 
de  la  liberté  fut  érigé  sur  le  lieu  même  où  Gessler  avait  fait  élever  un  chapeau  ducal. 
Dès-lors,  toutes  les  calamités  ne  tardèrent  pas  à  fondre  sur  ce  malheureux  pays 
d'Uri.  Le  peuple  de  Nidwald  ayant  refusé  de  prêter  le  serment  civique,  et  ayant 
succombé,  après  une  héroïque  résistance  en  septembre  1798,  Uri  fut  subitement  oc- 
cupé et  désarmé,  sous  prétexte  qu'il  avait  rompu  la  capitulation,  parce  que  quelques 
citoyens  d'Uri  avaient  prêté  secours  à  ceux  d'Unterwald  et  combattu  avec  eux 
contre  les  Français  ;  l'arsenal  d'Altorf  fut  dépouillé  de  ses  trophées,  et  pillé,  ainsi  que 
la  caisse  publique.  Malgré  toutes  les  belles  proclamations  qui  annonçaient  le  règne 
de  la  liberté,  de  la  fraternité  et  de  l'égalité,  le  peuple  d'Uri  se  sentait  opprimé  et 
malheureux.  Pour  surcroit  d'infortune,  un  terrible  incendie  détruisit  presque  com- 
plètement Altorf  le  5  avril  1799.  A  la  fin  de  ce  mois,  l'exaspération  générale  fit 
explosion.  Les  Français  venus  pour  forcer  la  levée  de  la  milice  furent  attaqués  par 
les  troupes  du  canton  et  expulsés.  Toute  la  population,  y  compris  les  femmes  et  les 
enbnts,  se  leva  pour  la  défense  du  pays,  et,  quoique  très-mal  armée,  repoussa  éner- 
giquement  plusieurs  tentatives  de  débarquement;  mais  elle  dut  céder  enfin  devant  le 
nombre.  Après  avoir  perdu  leur  chef  Vincent  Schmidt,  les  gens  d'Uri  continuèrent  à 
défendre  opiniâtrement  le  terrain  jusqu'au  bas  du  St.-tiothard. 

Le  général  Soult,  qui  commandait  les  Français,  fit  sa  jonction  avec  le  général 
Lecourbe,  qui  avait  dû  battre  en  retraite  dans  les  Grisons  devant  une  armée  autri- 
chienne, et  pénétra  jusqu'au  Tessin.  Mais  bientôt  les  Autrichiens  chassèrent  les 
Français  du  Tessin  et  des  Grisons,  occupèrent  le  St.-Gothard  le  26  mai,  et  parvinrent 
à  se  rendre  maîtres  de  tout  le  canton  vers  le  6  juin  ;  ils  rétablirent  l'ancienne  Consti- 
tution, et  il  se  forma  un  corps-franc  destiné  à  combattre  les  Français  et  les  troupes 
helvétiques,  qui  faisaient  cause  commune  avec  les  ennemis  de  leur  patrie.  Du  14  au 
46  août,  les  Autrichiens  furent  à  leur  tour,  et  après  de  sanglants  combats,  repoussés 
par  les  Français  jusqu'aux  frontières  des  Grisons.  Uri  retomba  aussi  au  pouvoir  des 
Français  ;  mais  un  grand  nombre  de  jeunes  gens  en  ftge  de  porter  les  armes  avaient 
suivi  les  Autrichiens  ou  s'étaient  cachés  dans  les  forêts  et  les  lieux  déserts.  Le  24 
septembre,  le  général  russe  Souwarow,  débouchant  du  St.-Gothard,  força  les  Fran- 
çais à  la  retraite,  et  arriva  le  26  à  Altorf.  Lecourbe,  qui  avait  défendu  le  terrain  pied 
à  pied,  s'était  retranché  sur  la  rive  gauche  de  la  Reuss  et  avait  détruit  les  ponts  ;  il 
inquiéta  la  marche  de  la  colonne  russe,  qui  se  dirigea  vers  la  vallée  de  Muotta,  au 
canton  de  Schwytz,  par  le  Schâchenthal  et  le  passage  très-difficile  du  Kinzig-Kulm. 


498  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


En  mai  1800,  4 S, 000  Français  traversèrent  encore  le  pays,  sous  le  commande- 
ment du  général  Moncey ,  qui  les  conduisait  en  Italie.  Le  canton  d*Uri,  épuisé  par  les 
pillages  et  les  réquisitions,  ne  respira  que  lorsqu'on  apprit  que  la  Suisse  était  enfin 
libre  de  se  constituer  elle-même.  11  se  prononça  énergiquement  pour  le  rétablisse- 
ment de  l'ancien  ordre  de  choses,  et  saisit  les  armes  en  4802  avec  d'autres  cantons 
pour  dissoudre  le  Gouvernement  helvétique.  Mais  Uri  eut  encore  le  malheur  de  voir 
des  troupes  étrangères  dans  sc^  vallées,  et  ce  ne  Tut  que  le  9  mars  4803  que  le 
député  Emmanuel  Jauch,  revenant  de  la  Consulte  de  Paris,  apporta  au  peuple  d*Uri 
TActe  de  médiation,  d'après  lequel  il  fut  libre  de  rétablir  son  ancien  gouvernement. 
Le  peuple,  joyeux,  adressa  des  remercicmenls  à  Bonaparte,  et,  le  28  mars,  élut  ses 
fonctionnaires  en  présence  des  Français  ;  il  confirma  ses  lois  d'après  les  formes  anti- 
ques et  au  milieu  de  la  plus  grande  jubilation.  Une  misère  affreuse  et  dont  on  ne  peut 
se  faire  nulle  idée,  avait  désolé  le  pays  depuis  l'incendie  du  chef-lieu  et  les  désastres 
de  la  guerre.  Un  grand  nombre  d'habitants  s'enrôlèrent  au  service  de  divers  pays  ; 
une  centaine  d'enfants  avaient  été  recueillis  par  les  soins  du  Gouvernement  helvé- 
tique. 

A  la  Restauration,  Uri  chercha,  mais  sans  succès,  à  recouvrer  le  val  Léventine, 
qui  resta  définitivement  incorporé  dans  le  nouveau  canton  du  tessin.  Après  4830, 
le  peuple  d'Uri  se  prononça  en  grande  majorité  contre  l'établissement  d'un  nouveau 
Pacte  et  pour  le  maintien  du  système  fédératif  et  de  la  souveraineté  cantonale.  En 
4  846,  Uri  fit  partie  de  la  ligue  du  Sonderbund  et  envoya  ses  troupes  à  Lucerne;  mais, 
après  l'occupation  de  cette  ville  en  4847,  il  dut  capituler,  et,  le  29  novembre,  il  fui 
occupé  lui-même  par  une  brigade  de  troupes  fédérales,  qui  fut  très-bien  accueillie. 
Le  canton  a  dû  se  soumettre  au  nouveau  régime  fédéral.  En  4850,  il  a  révisé  son 
ancienne  Constitution. 

Constitution  et  Landsgemeinde.  —  Le  canton  d'Uri  se  gouverne  d'après  les 
formes  de  la  démocratie  pure.  Voici  ses  principales  autorités,  d'après  la  Constitution 
garantie  en  4846.  L'assemblée  générale  des  citoyens,  ou  Lafidsgetneiiide  [Commune 
du  Pays),  exerce  l'autorité  souveraine;  on  en  fait  partie  dès  l'âge  de  20  ans;  avant 
l'Acte  de  médiation,  on  n'exigeait  que  l'ftge  de  44  ans.  La  Landsgemeinde  décide  des 
afiaires  importantes  de  l'Etat;  elle  nomme  par  mains  levées  le  landammann,  son  lieu- 
tenant ou  Statthalter,  le  banneret,  le  capitaine  du  pays,  les  deux  enseignes,  le  tré- 
sorier, l'inspecteur  de  l'arsenal  (loys  fonctionnaires  que  Ton  nomme  Messieurs  les 
Présidents,  vorsilzende  Herren),  en  outre  les  quatre  secrétaires  d'Etat  et  divers 
employés  inférieurs.  Elle  s'assemble  tous  les  premiers  dimanches  de  mai  à  Bôtzlingen, 
à  une  demi-lieue  d'AItorf,  au  milieu  de  la  plus  grande  solennité.  En  tête  du  cortège 
marchent  la  musique,  les  tambours,  et  une  compagnie  de  miliciens  qui  entoure  la 
bannière  nationale  ;  ensuite  viennent  deux  hommes  vêtus  de  l'antique  costume  suisse, 
et  portant  sur  leurs  épaules  d'énormes  cornes  de  buffle  ornées  d'argent  ;  puis  les 
huissiers  aux  couleurs  du  pays,  noir  et  jaune,  et  portant  les  sceaux,  les  clefe  des  ar- 
chives, le  glaive  de  la  justice,  et  le  bâton  surmonté  du  globe  de  l'empire,  auquel  tient 
une  petite  pomme  percée  d'une  flèche  ;  suivent,  à  cheval,  les  magistrats,  vêtus  de  noir 
avec  un  manteau  de  soie  et  l'épée,  enfin  les  conseillers  et  le  reste  des  citoyens. 
Quand  les  autorités  ont  pris  place  sur  une  estrade,  et  que  la  musique  a  joué  l'air  du 
vieux  chant  de  Tell,  la  séance  est  ouverte  par  le  landammann,  qui  invite  les  citoyeus 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  199 


à  implorer  la  bénédiction  du  Toul-Puissanl  ;  alors  tout  le  peuple  se  découvre  et  fait 
sa  prière.  Ensuite,  le  landammann  met  en  délibération  les  propositions  du  gouverne- 
ment, et  celles  que  sept  citoyens  honorables,  qui  doivent  appartenir  à  des  familles 
différentes,  ont  communiquées  un  mois  d'avance  au  Landrath  ;  après  que  chacun  a  eu 
la  facullé  d'énoncer  son  avis,  on  procède  à  la  votation  à  mains  levées;  si  le  résultat 
est  douteux,  on  compte  les  suffrages  en  faisant  défiler  séparément  les  partisans  des 
deux  avis.  Puis,  le  landammann  rend  un  compte  sommaire  des  affaires  importantes 
qui  ont  signalé  l'année  échue,  dépose  sa  charge  et  quitte  sa  place.  Le  plus  ancien 
des  ex-landammanns  est  invité  à  désigner  un  candidat  ;  le  sortant  est  rééligible,  mais 
il  est  rare  que  le  même  magistrat  soit  élu  trois  ou  quatre  fois  sans  intervalle.  Le 
nouvel  élu  prête  serment  et  prononce  un  discours;  après  quoi,  l'on  procède  de 
même  à  l'élection  et  à  l'assermentation  des  autres  fonctionnaires.  Tout  se  passe  à 
Tordinaire  avec  un  ordre  et  un  calme  remarquables.  La  colline  voisine  du  lieu  de 
réunion  est  couverte  de  spectateurs  attirés  par  cette  cérémonie,  aussi  simple  que 
solennelle. 

Le  Landrath,  ou  Conseil  du  Pays,  se  compose  des  principaux  magistrats,  qu'on 
nomme  les  présidents,  et  en  outre  de  quarante-quatre  membres,  dont  quatre  élus 
dans  chacune  des  onze  communautés,  Genossanien  (le  district  d'Uri  se  divise  en  dix 
communautés,  celui  d'Urseren  n'en  forme  qu'une).  Ce  Conseil  est  une  autorité  exe- 
cutive et  délibérante;  les  conseillers  sont  élus  à  vie.  Le  Conseil  hebdomadaire,  com- 
posé des  présidents  et  des  conseillers  des  communautés  les  plus  voisines  du  chef-lieu, 
est  l'autorité  judiciaire  et  administrative  pour  les  affaires  ordinaires.  Le  Conseil 
secret,  composé  des  présidents  et  de  cinq  conseillers  du  district  d'Uri  et  d'un  conseiller 
d'Urseren,  s'occupe  des  affaires  financières,  des  affaires  sanitaires  et  de  police,  des 
travaux  publics,  etc.  —  L'assemblée  générale  de  district  {Bezirksgenieinde),  se 
réunit  le  second  dimanche  de  mai  ;  elle  s'occupe  des  affaires  concernant  le  district  et 
nomme  ses  autorités  particulières,  entre  autres  un  Conseil  de  district,  Bezirksraih. 
Enfin,  chaque  assemblée  de  commune  {Dorfgenieinde)  nomme  ses  fonctionnaires 
a'clésiastiques  et  civils.  Des  tribunaux  de  district  et  un  tribunal  d'appel  jugent  les 
causes  civiles  en  première  et  en  seconde  instances  ;  les  membres  sont  pris  parmi  les 
magistrats  et  les  conseillers.  Les  affaires  criminelles  sont  jugées  par  un  Landrath 
double,  et,  dans  les  cas  les  plus  graves,  par  un  Latidrath  triple;  dans  ce  dernier  cas, 
c'est  chaque  membre  qui  se  choisit  lui-même  un  adjoint. 

La  Constitution  votée  en  18S0  a  simplifié  un  peu  les  rouages  administratifs;  elle 
a  institué  un  Conseil  d'Etat,  consacré  la  séparation  des  pouvoirs,  réduit  la  durée  des 
fonctions  des  membres  du  Landrath,  etc.  Les  autorités  législatives  sont  la  Landsge- 
nieinde  et  le  Landrath,  qui  se  compose  des  six  premiers  magistrats  nommés  par  la 
Landsgemeinde  ( les  enseignes  sont  supprimés),  et  de  quarante-sept  députés  nommés 
par  les  dix-sept  communes  du  canton,  à  raison  d'un  pour  trois  cents  âmes.  L'autorité 
executive  est  un  Conseil  d'Etat  (  Regierungsralh  ),  composé  de  onze  membres,  soit  des 
six  premiers  magistrats  et  de  cinq  membres  nommés  par  le  Landrath  dans  son  sein  ; 
il  y  a  en  outre  un  Conseil  d'éducation  et  un  Conseil  diocésain,  composés  par  moitié 
de  laïques  et  d'ecclésiastiques.  Les  autorités  judiciaires  sont  un  Tribunal  cantotial  ou 
d  appel,  dont  le  président  et  la  moitié  des  membres  sont  nommés  par  la  Landsge- 
meinde, les  autres  par  le  Landrath;  un  Tribunal  criminel,  nommé  par  le  Landrath. 


900  LA   suisse   PITTOHGSQl'K. 


Dans  les  cas  de  condamnations  capitales  ou  pour  affaires  politiques,  les  recours  en 
grâce  sont  soumis  à  un  double  Latidrath,  qui  se  forme  au  moyen  d^assesseurs  nommés 
|)ar  les  communes.  Les  membres  du  Landralh,  du  Conseil  d*Etat  et  des  tribunaux 
sont  nommés  pour  quatre  ans  et  renouvelés  par  moitié.  Il  en  est  de  même  des  Con- 
seils et  tribunaux  de  district  ;  mais  les  Conseils  communaux  ne  sont  nommés  que 
|K>ur  deux  ans  et  sont  renouvelés  aussi  par  moitié. 

Religion.  —  L'évéque  Martin,  patron  d*Uri  et  de  Schwytz,  passe  pour  avoir 
achevé,  vers  Fan  630,  la  conversion  de  ces  peuples,  commencée  probablement  par 
St.-Béat  ou  par  Félix  et  Régula.  Dès  longtemps  le  petit  peuple  d*Uri  fut  en  rap- 
port avec  les  papes.  Nous  avons  déjà  dit  que  ce  fut  à  la  demande  de  Grégoire  IV 
que  LfC^is-le-Pieux  lui  accorda  ses  premières  franchises,  vers  Tan  829.  Au  commen- 
cement du  46'  siècle,  ils  obtinrent  de  Jules  II  et  de  Léon  X  le  droit  de  nommer  et 
de  révoquer  les  ecclésiastiques.  Jules  11  leur  envoya  une  bannière,  que  Ton  conserva 
depuis  lors  dans  la  salle  du  Conseil,  et  leur  donna  le  titre  de  Protecteurs  de  la  foi 
catholique.  Le  canton  d*Uri  compte  15  paroisses;  il  dé|)endait  autrefois  de  l'évèché 
de  Constance  ;  il  ressortit  maintenant  à  celui  de  Coire.  11  y  a  trois  couvents  dans  le 
canton  :  un  de  capucins  et  un  de  capucines  à  Altorf,  et  un  de  bénédictines  à  See- 
dorf  ;  ce  dernier  date  de  Tan  4007.  Les  communes  nomment  et  paient  elles-mêmes 
leurs  curés  et  leur  fixent  leurs  obligations. 

Instruction  publique.  —  On  cherche  avec  plus  de  soin  qu'autrefois  à  répandre 
l'instruction.  Chaque  paroisse  et  même  chaque  village  a  son  école  ;  mais  comme  une 
grande  partie  de  la  population  habite  en  été  sur  les  hautes  montagnes,  la  plupart  des 
écoles  ne  peuvent  être  fréquentées  que  l'hiver.  Altorf  possède  en  outre  une  Ecole 
normale  et  un  Gymnase,  où  enseignent  quatre  professeur.  Le  clergé  a  fait  instituer 
par  le  gouvernement  une  Commission  centrale  scolaire,  qui  inspecte  toutes  les  écoles 
et  stimule  leurs  progrès.  Il  manque  encore  à  Altorf  un  établissement  pour  l'enseigne- 
ment des  langues  vivantes,  celui  de  la  musique  et  du  dessin  ;  mais  il  existe  des 
bourses  pour  aider  les  jeunes  gens  qui  veulent  apprendre  les  sciences  hors  du  pays, 
en  particulier  pour  ceux  qui  se  vouent  à  la  carrière  ecclésiastique.  11  n'y  a  pas  de 
bibliothèques  publiques  ;  mais  les  capucins  en  possèdent  une  considérable. 

Industrie  et  commerce.  —  La  principale  industrie  du  pays  consiste  dans  l'élève  et 
le  commerce  du  bétail  ;  les  bœufs  et  les  vaches  s'exportent  principalement  pour  le 
Tessin  ;  les  moutons  et  les  chèvres  pour  le  nord  de  la  Suisse.  On  exporte  aussi  de 
grandes  quantités  de  fromages;  ceux  d'Urseren  sont  comptés  parmi  les  plus  gras  et 
les  meilleurs  de  la  Suisse,  et  peuvent  se  conserver  longtemps.  Le  transit  par  le  St.- 
Gothard  fait  vivre  un  grand  nombre  de  voituriers,  expéditeurs,  aubergistes,  mule- 
tiers, etc.  Les  sentiers  de  la  Furka  et  de  l'Oberalp,  conduisant  dans  le  Vallais  et  dans 
les  Grisons,  occupent  aussi  un  certain  nombre  de  muletiers  et  de  bètes  de  somme.  On 
fabrique  dans  le  canton  des  draps  grossiers  pour  la  consommation.  Il  serait  focile 
d'établir  des  filatures  de  laine  dans  un  pays  où  il  y  a  tant  de  moutons,  et  même  des 
filatures  de  soie,  vu  le  voisinage  de  l'Italie;  la  contrée  d' Altorf  a  d'ailleurs  été 
reconnue  favorable  à  l'exploitation  de  celle  substance.  Jadis,  des  centaines  de  familles, 
jusque  dans  les  vallées  les  plus  reculées,  gagnaient  leur  vie  en  travaillant  la  laine  et 
la  soie  ;  il  n'y  en  a  plus  maintenant  qu'un  petit  nombre  qui  se  livrent  à  ce  travail 
pour  les  fabricants  de  Zurich  et  de  Gei*sau.  On  pourrait  aussi  exploiter  la  serpentine 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  201 


et  la  pierre  oUaire  qu'on  trouve  à  Urseren,  le  beau  porphyre  vert  et  rouge  de  la  Wind- 
gœlle,  le  marbre  de  Rhinacbt,  etc.  La  pèche  occupe  beaucoup  de  bras  sur  les  bords  du 
lac.  Enfin  l'exportation  des  bois  à  brûler  et  à  bâtir  n'est  pas  sans  importance. 

Hommes  distingués.  —  En  premier  lieu,  nous  devons  nommer  Guitlaume  Tell,  le 
libérateur  de  sa  patrie.  Tell  était  né  à  Bûrglen,  à  demi-lieue  d'Altorf;  outre  les  évé- 
nements de  1307,  tout  ce  qu'on  sait  de  sa  vie,  c'est  qu'il  combattit  à  Morgarten.  On 
sait  aussi  qu'il  perdit  la  vie  en  15S0,  en  cherchant  à  sauver  un  enfant  qui  se  noyait 
dans  les  eaux  du  Schsechenbach.  C'est  tout  ce  que  les  chroniques  et  les  souvenirs 
transmis  d'âge  en  âge  racontent  sur  cet  homme.  Tell  laissa  deux  fils,  Guillaume  et 
Walter;  le  dernier  descendant  mâle  de  cette  noble  famille  fut  Jean-Martin  Tell,  qui 
mourut  vers  168&.  La  Landsgemeinde  décida  en  1350  que  tous  les  ans  on  prononce- 
rait un  sermon  dans  le  lieu  où  était  la  maison  de  Tell,  en  mémoire  éternelle  des  bien- 
faits de  Dieu  et  des  heureux  coups  du  héros;  38  ans  plus  tard,  on  bâtit  une  chapelle 
sur  le  sol  qu'avait  occupé  cette  maison.  —  Walter  Fûrst  d'Attinghausen,  beau-père 
de  Tell,  fiit  un  des  trois  hommes  du  Grûtli.  Ses  concitoyens  reconnaissants  laissèrent 
pendant  près  d'un  siècle  la  fonction  de  landammann  dans  sa  famille.  Les  Beroldingefh, 
le&Sillinen,  les  Pûniinenj  furent  des  familles  qui  occupèrent  du  là""  au  IT''  siècle  les 
premières  charges  civiles  et  militaires  du  canton,  et  assistèrent  à  la  plupart  des 
batailles  livrées  par  la  Suisse  pour  la  défense  de  la  liberté  commune.  Un  Beroldingen 
et  un  d'Attinghausen  furent  tués  à  Morgarten,  un  Sillinen  à  Sempach,  un  Pûntinen 
à  la  bataille  de  Bellinzone,  en  1&22  ;  le  landammann  Arnold  Schick  à  St.-Jacques. 
Arnoldi  commandait  l'aile  gauche  des  Suisses  à  Grandson  en  1475.  Dès  lé  16*^  siècle, 
plusieurs  officiers  du  canton  ont  servi  avec  distinction  en  Espagne,  en  France,  en 
Portugal,  à  Rome,  et  sont  parvenus  aux  plus  hauts  grades  militaires.  —  Uri  n'a  pas 
produit  un  grand  nombre  de  savants  et  de  littérateurs.  Nous  pouvons  cependant  citer 
Melchior  Acontius,  poète  latin;  Vificent  Schmidt,  auteur  d'une  histoire  du  canton,  et 
qui  périt  en  1798  dans  un  combat  contre  les  Français;  Albert  Altorfer,  peintre  et 
graveur  du  16*  siècle;  le  peintre  de  portraits  Diogg,  né  à  Andermatt,  et  qui  s'était 
établi  à  Rapperschwyl  ;  le  sculpteur  Imhof,  qui  s'était  fixé  à  Rome;  les  compositeurs 
Zwjsig  et  Mûller;  celui-ci  est  mort  capitaine  à  Naples  ;  l'ingénieur  Millier,  frère  de 
ce  dernier,  s'est  distingué  par  la  construction  des  ponts  et  de  la  route  du  St.-Gothard 
dans  la  gorge  de  Schœllenen. 

Moeurs,  Coutumes,  Caractère.  —  Les  habitants  d'Uri  sont  très-attachés  à  leur 
religion  et  aux  coutumes  de  leurs  pères;  ils  ont  un  amour  ardent  pour  la  liberté,  et 
un  grand  respect  pour  les  anciens  droits  et  pour  la  parole  donnée.  L'art  du  tireur  est 
resté  toujours  en  honneur  parmi  eux.  Ils  sont  intrépides  dans  le  danger,  probes, 
moraux,  francs  envers  leurs  concitoyens;  quoique  bons  et  hospitaliers,  ils  sont  froids 
et  réservés  vis-à-vis  des  étrangers  et  des  inconnus  ;  ils  accueillent  aussi  avec  défiance 
les  innovations  ;  du  reste,  ils  s'inquiètent  peu  des  événements  du  monde,  pourvu 
qu'ils  ne  portent  pas  atteinte  à  leur  Uberté  et  à  leur  religion.  Ils  ont  une  certaine 
indolence  naturelle  qu'on  retrouve  chez  d'autres  peuplades  de  montagnards  vouées 
à  la  vie  pastorale.  Un  trait  remarquable  de  leur  caractère,  c'est  leur  goût  pour  le 
langage  poétique  ;  les  paysans  se  servent  d'images  pittoresques  et  d'expressions  har- 
dies, et  un  style  semblable  se  retrouve  même  dans  les  publications  du  gouvernement. 
Le  peuple  est  un  peu  crédule  et  superstitieux,  et  toute  foi  aux  génies  des  montagnes 
11.  13  â6 


202  LA   8VI88E   PrrTORBSQL'K. 


n'a  pas  encore  cessé  ;  d'après  les  idées  populaires,  ces  génies  soulèveDl  el  dispersent 
les  tempêtes,  veillent  aux  sources,  aux  cavernes,  aux  mines,  égarent  ou  protègent 
les  chasseurs  sur  les  sommets  des  rochers  et  au  bord  des  précipices.  Celte  mythologie 
des  hautes  Alfies  a  donné  lieu  à  plusieurs  légendes  poétiques. 

La  misère  inouïe  dans  laquelle  fut  plongé  le  peuple  à  la  suite  des  guerres  contre 
les  Français,  fut  une  occasion  qui  fit  éclater  ses  vertus.  Les  crimes  et  les  délits  restè- 
rent extrêmement  rares,  et  les  prisons  ne  se  remplirent  pas.  Le  caractère  national 
se  conserva  mieux  dans  les  vallées  écartées  de  la  circulation,  que  dans  celle  de  la 
Reuss.  Déjà,  à  la  fin  du  siècle  dernier,  les  habitants  de  celle^i,  enrichis  par  le  passage 
du  St.-Gothard,  n'avaient  pas  repoussé  toutes  les  innovations  du  luxe,  et  le  relâche- 
ment des  mœurs  commençait  à  pénétrer  chez  eux.  Cette  aisance  avait  excité  la 
jalousie  des  populations  voisines;  aussi,  lors  du  grand  incendie  de  4799,  accouru- 
rent-elles pour  piller,  tout  en  feignant  d'être  venues  pour  éteindre  les  flammes. 

Altorf.  —  Le  boui^  d'Altorf,  chef-lieu  du  canton,  est  assez  bien  bftti  ;  il  a  de  larges 
rues,  quelques  places,  et  une  jolie  église  ornée  de  beaux  tableaux,  entre  autres  d'une 
Nativité,  de  Yan  Dyck;  dans  une  chapelle  voisine,  on  voit  une  Descente  au  tom- 
beau, de  Garacci.  Nous  avons  parlé  de  l'incendie  qui  détruisit  Altorf  le  K  avril  1799; 
la  perte  fut  estimée  à  trois  millions  d'anciennes  livres;  pareil  désastre  était  déjà 
arrivé  en  1400,  et  une  moitié  du  bourg  avait  aussi  été  la  proie  des  flammes  en  1693. 
Ce  qui  intéresse  le  plus  les  voyageurs  à  Altorf,  ce  sont  les  souvenirs  de  Gtiillaïune 
Tell  ;  on  y  voit,  sur  une  des  places,  une  fontaine  surmontée  de  la  statue  de  Tell,  à 
l*endroit  même  où  il  doit  avoir  bandé  son  arc  pour  percer  la  pomme;  il  a  son  arba- 
lète sous  le  bras,  et  presse  son  fils  contre  son  cœur,  en  levant  fièrement  les  regards, 
comme  si  Gessler  était  encore  devant  lui.  A  une  distance  de  cent  pas,  est  une  autre 
fontaine,  ornée  de  la  statue  d'un  magistrat  d'Altorf,  nommé  Besler,  qui  l'a  élevée  à 
ses  frais  sur  l'emplacement  qu'occupait  le  tilleul  auquel  fut  attaché  l'enfant  ;  cet  arbre 
tombait  de  vétusté,  et  fut  enlevé  en  1567.  Quelques  personnes  ont  prétendu  que  l'en- 
f&nt  fut  attaché  à  l'endroit  où  s'élève  une  tour  couverte  de  fresques  grossières,  repré- 
sentant  l'histoire  de  Tell  et  de  Gessler;  mais  il  est  prouvé  que  cette  tour  existait  déjà 
à  l'époque  de  Guillaume  Tell.  Altorf  possède  un  hôpital  destiné  à  recevoir  les  pauvres 
voyageurs  et  à  secourir  les  pauvres  de  la  commune  ;  mais,  faute  de  fonds  suffisants, 
l'administration  n'a  pu  extirper  la  mendicité.  Le  nouvel  arsenal  est  privé  de  beau- 
coup d'anciens  trophées,  mais  il  s'y  trouve  encore  des  drapeaux  pris  à  Morgarten  et 
à  Sempach.  Le  couvent  des  capucins  est  situé  sur  une  éminence;  c'est  le  plus  ancien 
de  la  Suisse;  il  offre,  ainsi  que  le  pavillon  voisin,  nommé  Waldeck,  une  belle  vue  sur 
la  vallée,  sur  ses  riches  vergers  et  sur  les  montagnes  qui  la  dominent.  Avant  l'in- 
cendie de  1799,  on  voyait  près  du  pavillon  les  traces  d'un  château  que  Tschudi 
croyait  avec  beaucoup  de  vraisemblance  être  les  restes  de  celui  dont  la  construction 
fut  commencée  par  Gessler.  —  Au  nord  d'Altorf  est  le  village  de  Flûelen,  qui  lui  sert 
de  port;  c'est  là  qu'est  l'embarcadère  des  bateaux  à  vapeur  et  que  les  voyageurs  qui 
arrivent  de  Lucerne  trouvent  des  voitures  pour  monter  au  St.-Gothard.  Derrière 
l'église,  on  voit  le  petit  château  de  Rudenz,  qui  appartenait  autrefois  à  la  fiimille 
d'Attinghausen,  qui  avait  reçu  en  fief  de  l'empire  le  péage  établi  en  ce  lieu. 

Lac  ou  Golfe  d'Uri.  —  On  appelle  ainsi  la  partie  du  lac  des  Quatre-Cantons  située 
en  face  de  la  vallée  de  la  Reuss  et  comprise  dans  le  territoire  d'Uri.  C'est  la  partie  la 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  903 


plus  sauvage  du  lac.  Quand  on  vient  de  Lucerne  et  qu'on  a  dépassé  la  pointe  de  Treib, 
on  voit  subitement  s'ouvrir  vers  le  sud  le  bassin  de  Flûelen,  entre  des  montagnes 
escarpées;  à  gauche,  la  Frohn-Alp  et  TAcbsenberg;  à  droite,  le  Seelisberg;  dans  le 
fond  on  aperçoit  plusieurs  sommités  couvertes  de  neiges,  qui  s'étagent  majestueuse- 
ment les  unes  au-dessus  des  autres.  C'est  le  golfe  d'Uri  qui  présente  le  plus  de  dangers 
pour  la  navigation,  lorsqu'on  est  surpris  par  une  tempête  violente;  les  rochers  des- 
cendent verticalement  dans  le  lac,  et  l'on  ne  trouve  qu'un  petit  nombre  de  places  où 
il  soit  possible  d'aborder. 

Le  Grûtli.  —  Un  peu  au  sud  du  promontoire  de  Treib  et  d'un  rocher  qui  sort  du 
lac,  qu'on  nomme  Mythenstein,  est  située  la  prairie  escarpée  du  Grutli,  au  pied  du 
Seelisberg.  On  y  voit  une  cabane  habitée  par  des  bateliers,  et  une  autre  qui  recouvre 
la  place  où  jaillissent  trois  sources.  C'est  dans  ce  lieu  que  les  trois  libérateurs  des 
|)etils  cantons  se  donnèrent  plusieurs  fois  rendez-vous  pendant  la  nuit  ;  c'est  là  que 
ces  hommes  magnanimes  jurèrent  de  rompre  les  fers  de  leur  patrie.  Plus  tard,  le 
7  novembre  1307,  chacun  d'eux  s'y  rendit  accompagné  de  dix  autres  patriotes.  Les 
trois  chefs  s'avancèrent  au  milieu  de  l'assemblée,  jurèrent,  les  mains  levées  vers  le 
ciel,  au  nom  du  Dieu  devant  qui  les  empereurs  et  les  paysans  sont  égaux,  de  tout 
entreprendre  et  supporter  en  commun  ;  de  ne  pas  souffrir,  mais  aussi  de  ne  pas  com- 
mettre d'injustice;  de  ne  faire  aucun  mal  aux  baillis,  mais  de  mettre  des  bornes  à 
leurs  actes  arbitraires;  enfin,  de  combattre  courageusement  pour  la  liberté,  et  de  la 
transmettre  à  leurs  descendants.  Les  30  autres  confédérés  répétèrent  ce  serment 
solennel.  On  prétend  que  les  trois  sources  jaillirent  à  la  place  même  où  étaient  les 
trois  principaux  conjurés.  En  (713,  les  trois  cantons  renouvelèrent  leur  vieille 
alliance  au  Grûtli.  Le  Ift  octobre  1798,  dans  des  circonstances  bien  différentes,  le 
président  du  Grand  Conseil  et  plusieurs  représentants  de  la  République  helvétique  s'y 
rendirent  aussi,  pour  célébrer  par  des  discours  et  des  chants  la  fête  de  la  régénéra- 
tion de  la  Suisse.  Mais  cette  régénération  n'eut  pas  la  durée  de  l'ancienne  Confédé- 
ratioD. 

Le  Grutli  est  à  quelques  centaines  de  pieds  au-dessus  du  lac.  Quand  on  vient  par 
terre  du  canton  d'Unterwald,  on  arrive  dans  le  canton  d'Uri  par  le  village  de  Seelis- 
berg, dont  la  position  est  magnifique.  De  ce  lieu,  élevé  de  1000  pieds  au-dessus  du 
lac,  un  étroit  sentier  descend  &  travers  les  bois  vers  le  Grûtli.  Un  autre  sentier  suit 
les  hauteurs  au-dessus  du  Grûtli,  et  mène  à  Âltorf  par  Bauen,  Isleten  et  Seedorf.  Non 
loin  de  Bauen ,  on  passe  près  du  château  de  Beroldingen ,  manoir  primitif  d'une 
famille  de  Souabe  encore  florissante.  Ce  nom  n'est  pas  non  plus  éteint  en  Suisse. 

Plateau  et  Chapelle  de  Tell.  —  À  une  lieue  du  Grûtli  et  sur  l'autre  rive  du  lac, 
on  voit  une  chapelle  au  pied  d'une  pente  boisée  du  mont  Âchsenberg.  Devant  cette 
chapelle  s'avance  un  quartier  de  roc.  C'est  là  que  Guillaume  Tell,  que  l'infàmc 
Gessler  conduisait  au  château  de  Kûssnacht,  et  à  qui  l'on  avait  ôtc  ses  fers  pour  qu'il 
guidât  la  nacelle  pendant  la  tempête,  s'élanga  lestement  sur  la  rive  ;  d'une  main 
vigoureuse,  il  repoussa  la  nacelle  au  milieu  des  flots;  puis,  prenant  le  devant  par  des 
sentiers  de  montagne,  il  alla  attendre  le  tyran  près  de  Kûssnacht,  dans  un  chemin 
creux,  où  sa  flèche  le  frappa  mortellement.  On  a  donné  à  ce  roc  le  nom  de  Plateau  ou 
Saut  de  Tell  (Tellenplatte  ou  Tellensprung).  Trcntc-un  ans  après  sa  mort,  ses  compa- 
triotes érigèrent  une  chapelle  en  ce  lieu,  ainsi  qu'à  Bûrglen,  où  il  était  né.  L'an  1388, 


204 


LA   SUISSE    PITTORESQUE. 


"**• 


Chapelle  de  Guillaume  Tell. 

le  vendredi  après  l'Ascension,  on  célébra  pour  la  première  fois  la  fête  du  héros  dans 
la  chapelle,  et  il  se  trouva  parmi  les  assistants  H4  vieillards  qui  l'avaient  connu. 
Toutes  les  années  encore,  à  pareil  jour,  on  vient  y  dire  une  messe,  et  un  grand  nombre 
de  personnes  assistent  à  cette  cérémonie.  En  face  de  la  chapelle,  on  voit  le  hameau 
de  Bauen  et  Touverture  de  la  vallée  d'Isenthal,  célèbre  par  la  résistance  désespérée 
que  ses  habitants  opposèrent  aux  Français  en  mai  1798.  Ils  ne  posèrent  les  armes 
qu'à  la  suite  d'une  capitulation  particulière.  Au  fond  de  cette  vallée  s'élève  le  Roth- 
stock,  qui  touche  aux  glaciers  des  Alpes  Surènes.  Un  sentier  mène  par  le  ool  de 
Schonegg  (6380)  à  Wolfenschiess,  vers  le  bas  de  la  vallée  d'Engelberg.  De  la  cha- 
l)elle  de  Tell  on  arrive  à  Flûelen,  en  côtoyant  les  précipices  du  mont  Acbsenbei^g, 
d'où  descend  le  Mikhhach  (Ruisseau  de  lait),  qui  sort  d'un  petit  lac  d'une  Alpe  voisine. 
Vallée  de  la  Reuss,  Trou  d'Uri.  —  En  sortant  d'Altorf,  on  passe  un  torrent  fan- 
geux qui  descend  de  la  vallée  de  Schfichen.  En  montant  un  peu  sur  la  gauche,  on 
ne  tarde  pas  à  arriver  au  village  de  Bûrglen,  lieu  natal  de  Tell.  Sur  l'emplacement 
de  sa  maison,  l'on  a  construit,  en  1388  selon  les  uns,  en  1522  selon  d'autres,  une 
chapelle  dont  les  murs  retracent  les  principaux  faits  de  sa  vie.  De  l'autre  côté  de  la 
Reuss  est  situé  le  village  d'Attinghausen,  avec  les  restes  d'un  château  dans  lequel 
mourut  en  1307  Werner  d'Attinghausen,  connu  par  le  drame  de  Schiller;  Walter 
Furst,  un  des  trois  hommes  du  Grûtli,  était  de  ce  village,  et  l'on  montre  encore  une 
maison  qu'on  prétend  lui  avoir  appartenu.  Bientôt  la  route  passe  à  Bôtzlingen,  puis 
à  côté  d'une  grande  prairie  où  s'assemble  la  Landsgemeinde.  Elle  se  rapproche  peu  à 
peu  de  la  base  de  la  Windgâllef,  montagne  aux  formes  hardies  et  aux  flancs  nus  et 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  205 


escarpés.  Vers  le  hameau  de  Klus,  la  vallée  se  resserre,  et  la  route  côtoie  la  Reuss. 
Elle  laisse  sur  la  gauche  le  village  de  Sillinen,  caché  par  des  arbres  fruitiers,  et  les 
ruines  du  manoir  des  nobles  de  Sillinen,  famille  célèbre  dans  Thistoire.  Plus  loin, 
sur  une  hauteur,  se  trouvent  des  restes  de  murs  que  quelques  personnes  prennent 
pour  les  ruines  de  la  forteresse  de  Zwing-Uri. 

À  la  sortie  d'Âmsteg  commence  la  route  du  St.-Gothard  proprement  dite,  qui  a 
9  à  10  lieues  jusqu'à  Airolo  dans  le  Tessin.  Après  l'achèvement  de  la  belle  route  du 
Simplon,  en  4806,  celle  du  St.-Gothard,  où  passaient  annuellement  9000  chevaux 
chargés  et  18  à  20,000  voyageurs,  avait  été  peu  à  peu  délaissée.  Alors,  le  pauvre 
canton  d'Uri,  menacé  de  la  perte  de  son  industrie,  entreprit  un  ouvrage  qui  parais- 
sait bien  au-dessus  de  ses  moyens;  le  roc  fut  taillé;  onze  ponts  furent  construits  sur  la 
Reuss,  et  en  1830,  après  dix  années  de  pénibles  travaux,  la  route  fut  rendue  prati- 
cable pour  les  voitures.  Cette  route  s'élève  insensiblement  en  faisant  de  nombreux 
contours,  et  ayant  à  sa  gauche  l'énorme  pyramide  du  Bristenstock  ;  un  des  torrents 
qu'elle  franchit  s'élance  d'une  gorge  sauvage  qu'on  appelle  Teufelsthal,  ou  Vallée  du 
diable  ;  dans  l'espace  de  deux  lieues,  elle  passe  trois  fois  la  Reuss,  qui  est  profon- 
dément encaissée,  et  qui  tombe  en  mugissant  de  chutes  en  chutes.  En  quelques  en- 
droits, les  avalanches  accumulent  dans  le  lit  de  la  rivière  de  grandes  masses  de  neige 
qui  ne  disparaissent  qu'au  milieu  de  l'été.  Le  troisième  pont  s'appelle  le  Saut  du 
Moine  (Pfaffèmprungjy  parce  que,  d'après  une  légende,  un  moine,  ayant  une  jeune 
fille  sous  le  bras,  franchit  en  ce  lieu  la  Reuss  d'un  seul  bond.  Après  les  villages  de 
Wasen  et  de  Wattingen,  la  route  passe  et  repasse  la  Reuss  et  arrive  à  GOschenen  ; 
près  de  ce  village,  on  voit  un  énorme  bloc  de  rocher,  appelé  Teufelssteinj  ou  Pierre  du 
diable.  On  raconte  que  le  diable  avait  parié  avec  un  moine  de  porter  ce  bloc  à  la 
distance  d'une  lieue,  mais  que,  se  trouvant  las,  il  fut  obligé  de  jeter  là  son  fardeau,  et 
perdit  son  pari.  La  vallée  prend  un  caractère  de  plus  en  plus  sauvage  et  se  resserre 
encore  pour  former  la  gorge  effrayante  des  Schôllenen,  longue  d'une  lieue  et  demie, 
et  dominée  par  d'immenses  parois  de  granit  ;  le  soleil  n'y  pénètre  qu'au  milieu  du 
jour,  et  l'on  n'y  entend  que  le  mugissement  étourdissant  de  la  rivière,  qui  a  donné 
à  la  vallée  le  nom  de  Krachenthal,  Vallée  du  fracas.  Elle  est  très-exposée  aux  dévas- 
tations des  avalanches,  et  en  quelques  endroits  on  a  taillé  dans  le  roc  des  niches  pour 
protéger  le  voyageur  ;  on  trouve  aussi  une  galerie  au  lieu  le  plus  dangereux  ;  de  pe- 
tites croix  plantées  le  long  de  la  route  indiquent  la  place  où  des  malheurs  sont  arrivés. 
La  route  serpente  d'une  rive  à  l'autre,  jusqu'au  fameux  Pont  du  Diable,  dont  le  site 
est  extrêmement  grandiose.  La  Reuss  se  précipite  au-dessous  du  pont  dans  une  gorge 
profonde  et  effrayante,  d'où  s*élève  sans  cesse  une  fine  poussière.  Le  nouveau  pont 
ne  date  que  de  1830  ;  on  a  laissé  subsister  l'ancien,  qui  est  à  vingt  pieds  au-dessous, 
et  qui  est  si  étroit,  que  trois  hommes  peuvent  à  peine  y  passer  de  front;  il  n'a  pas 
de  parapet,  et  son  arche  est  large  de  75  pieds.  Des  luttes  opiniâtres  eurent  lieu  ici  en 
1799  entre  les  Autrichiens  et  les  Français,  puis  entre  ceux-ci  et  les  Russes.  Immé- 
diatement après  le  Pont  du  Diable,  la  route  traverse  le  Trou  d'Uri,  Vrnerhch,  ga- 
lerie de  180  pieds  de  longueur,  Ift  de  hauteur  et  16  de  largeur,  qui  fut  ouverte  dans 
le  roc  vif  en  1707,  et  qui  fut  longtemps  admirée  comme  une  œuvre  extraordinaire. 
Autrefois  on  contournait  les  précipices  du  Teufehberg,  Mont  du  Diable,  sur  des  ponts 
hardis,  suspendus  au  moyen  de  chaînes. 


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U   StlME   PITTOIIESQIR. 


Vallée  o'Urseren,  St.-Gothard,  Furka.  —  Au  sortir  de  la  sombre  voùle  de  la  ga- 
lerie, la  vue,  fatiguée  durant  bien  des  heures  de  Taridité  des  rochers  et  de  la  tristesse 
(les  gorges  sauvages,  se  repose  avec  délices  sur  la  paisible  et  verdoyante  vallée  d*Ur- 
seren.  Avant  de  s  engouffrer  bruyamment  entre  des  précipices,  la  Reuss  y  serpente  au 
milieu  de  belles  prairies.  Il  serait  difBcilc  de  trouver  un  changement  de  scène  plus 
frappant.  Cette  vallée  a  vraisemblablement  été  occupée  par  un  lac  avant  que  la  Reuss 
se  fàt  ouvert  un  passage.  Longue  d^environ  trois  lieues,  et  large  d*un  quart  de  lieue, 
elle  est  entourée  de  hautes  montagnes  en  partie  couvertes  de  neige  ;  elle  est  élevée  de 
^450  à  4700  pieds;  aussi  Thiver  y  dure-t-il  huit  mois,  et  il  n'est  pas  rare  qu'il 
faille  y  fiiire  du  feu  en  été.  La  seule  forèl  qu'on  y  voie  est  sur  la  pente  du  mont 
Sainte-Anne,  qui  domine  Andermatt.  Elle  a  été  éclaircie  en  1799  par  les  Français, 
les  Autrichiens  et  les  Russes  ;  mais  on  la  ménage  avec  soin,  car  elle  protège  le  village 
coïïive  les  avalanches.  L'église,  qui  porte  le  nom  de  St.-€olomban,  doit  avoir  été 
bâtie  par  les  Lombards.  Un  sentier  facile,  mais  un  peu  triste  et  monotone,  conduit  par 
la  vallée  d'Oberalp  dans  le  canton  des  Grisons  ;  le  col  est  situé  entre  le  Crispait  et  le 
Baduz,  et  élevé  de  6350  pieds.  Un  sentier  difficile  conduit  dans  le  Tessin  par  le  vallon 
«rUnteralp  et  le  val  Canaria. 

A  trois  quarts  d'heure  d'Andermatt,  on  trouve  le  village  d'Hospital,  qui  est  placé 
au  pied  de  la  montée  même  du  mont  St.-Gothard.  Il  reste  encore  4900  pieds  à  gravir 
|K)ur  atteindre  le  sommet  du  passage.  La  route  s'élève  contre  le  flanc  de  la  montagne 
en  remontant  le  bras  de  la  Reuss  qui  sort  du  lac  Luzendro  ;  on  la  traverse  pour  la 
dernière  fois  sur  le  pont  de  Rodunt,  place  près  de  la  limite  du  Tessin.  L'hospice  est  à 
une  demi-lieue  plus  loin  :  il  est  au  milieu  d'un  vaste  plateau  ondulé,  élevé  de 
6400  pieds,  d'où  les  neiges  ne  disparaissent  que  vers  la  fin  de  juillet,  et  que  plu- 
sieurs sommités  dominent  encore  de  2  à  3000  pieds.  Un  ancien  hospice  fut  détruit 
par  les  avalanches;  le  nouveau  a  été  construit  aux  frais  du  canton  du  Tessin  ;  il  est 
tenu  par  un  prêtre;  non  loin  de  l'hospice,  on  trouve  aussi  une  auberge,  ainsi  que  la 
chapelle  des  morts,  où  Ton  conserve  des  ossements  provenant  des  guerres  de  1799.  Le 


Hospice  du  Sl.-(>olhtrd. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  207 


passage  du  St.-Gothard  n'est  pas  sans  danger  en  hiver,  soit  à  cause  des  avalanches 
qui  tombent  surtout  dans  les  gorges  au-dessous  d'Urseren,  soit  à  cause  de  l'énorme 
quantité  de  neige  qui  recouvre  le  plateau.  Il  se  passe  rarement  une  année  sans  que 
quelques  voyageurs  y  périssent.  Après  les  grandes  chutes  de  neige,  le  passage  reste 
quelquefois  interrompu,  mais  cela  dure  rarement  plus  d'une  semaine. 

Le  chemin  d'Urseren  au  Vallais  conduit  par  le  cbétif  hameau  de  Réalp,  dont  la 
hauteur  est  de  &730  pieds.  Ce  hameau  fut  anéanti  en  1733  par  une  énorme  ava- 
lanche; 36  individus  périrent  sous  les  décombres.  Il  fut  menacé  du  même  malheur 
en  mars  4817,  mais  les  avalanches  tombèrent  de  tous  les  côtés  autour  du  village 
sans  l'endommager.  On  logeait  autrefois  chez  les  capucins  ;  on  y  a  récemment  établi 
un  hAtel.  De  là,  il  reste  encore  trois  heures  de  montée  pour  atteindre  le  sommet  de 
la  Furka,  élevé  de  7795  pieds,  et  qui  n'est  jamais  complètement  dégarni  de  neige. 
On  y  voit  à  droite  le  Galenstock  (11,300  pieds),  à  gauche  le  Mutthorn  (9S50). 

Vallées  latérales.  —  Nous  avons  déjà  parlé  de  la  vallée  d'isenthal,  voisine  du 
lac.  Les  autres  vallées  qui  débouchent  sur  la  rive  gauche  de  la  Reuss,  sont  :  Celle  de 
Gôschenen^  qui  est  étroite  et  peu  intéressante  à  son  entrée  ;  mais,  après  avoir  marché 
deux  ou  trois  heures  au  milieu  des  débris,  puis  dans  une  forêt  sauvage,  on  arrive 
sur  une  alpe  magnifique,  entourée  de  grands  glaciers  et  des  hautes  sommités  du 
Galenstock,  du  Winterberg,  du  Sustenborn,  du  Spitzliberg,  et  du  Spitzberg.  Le 
hameau  de  Gôschenenalp  est  habité  toute  l'année.  Plus  haut,  on  trouve  une  cristal- 
lière,  la  Sandbalm,  qui  a  été  jadis  très- riche  en  minéraux.  —  Le  MayerUhalj  qui 
communique  avec  le  canton  de  Berne  par  le  Sustenpass  (6981  pieds)  ;  sa  population 
ressemble  un  peu  à  celle  du  Hasli.  Au-dessus  de  Wasen,  près  de  Majef^chanz  (Re- 
doute de  Mayen),  il  y  avait  autrefois  une  redoute,  qui  fut  établie  lors  des  guerres 
religieuses;  elle  fut  détruite  par  les  Français.  —  La  vallée  A'Erstfeld,  qui  s'ouvre 
vis-à-vis  de  la  Klus,  est  très-remarquable  ;  elle  aboutit  au  grand  glacier  du  Schlossberg  ; 
on  y  voit  la  superbe  cascade  du  Faulenbach,  et  deux  petits  lacs,  dont  l'un  baigne  le 
pied  d'un  glacier.  —  D'Âttinghausen  ou  de  Ribshausen,  on  monte  dans  un  vallon 
qui  conduit  au  col  des  Alpes  Surènes  (7315).  Ce  passage,  par  lequel  on  se  rend 
dans  la  vallée  unterwaldoise  d'Ëngelberg,  offre  de  belles  vues  sur  les  glaciers  des 
Spanôrter,  du  Titlis,  etc. 

Sur  la  rive  droite  de  la  Reuss  les  principales  vallées  sont  :  Le  val  Maderan,  qui 
s'ouvre  à  Amsteg  entre  la  Windgâlle  et  le  Bristenstock.  Cette  vallée  intéressante 
aboutit  aux  vastes  glaciers  des  Alpes  Glarides,  qui  touchent  à  ceux  de  la  Sandalp  au 
canton  de  Claris.  Celui  de  Hûfi  peut  être  comparé  à  celui  du  Rhône.  Un  vallon  latéral 
se  dirige  au  sud  vers  le  Crispait,  et  conduit  au  passage  difficile  du  Kreuzlipass,  ou 
Col  de  la  petite  croix  (7100),  qui  confine  avec  les  Grisons.  Quelques  milliers  d'Âu- 
tricbiens  l'ont  franchi  en  1799.  —  Enfin  la  vallée  de  Schàchen,  qui  commence  à 
Bùrglen,  est  habitée  par  une  peuplade  à  la  taille  élancée,  et  qui  est  regardée  comme 
la  plus  belle  race  d'hommes  du  pays.  On  y  voit  plusieurs  belles  cascades,  entre  autres 
celleduStftubi,  au  pied  du  col  de  la  Balmwand  qui  conduit  à  Claris.  Du  côté  du  nord 
est  le  col  du  Kinzig-Kulm,  devenu  célèbre  par  le  passage  des  Russes. 


CANTON   DE   SCHWYTZ, 


Situation,  Etendue,  Climat.  —  Le  canlon  de  Schwytz  est  limité  au  nord  par  le 
lac  de  Zurich,  à  Test  par  les  cantons  de  St.-Gall  et  de  Claris,  au  sud  par  le  canton 
d*Uri  et  le  lac  des  Quatre-Cantons,  à  Touest  par  les  cantons  de  Luceme,  Zug  et 
Zurich.  Sa  superficie  totale  est  de  40  lieues  carrées,  et  sa  population  de  &4,468  habi- 
tants. La  partie  méridionale  du  pays  (Schwytz,  Gersau,  et  la  vallée  de  Mouotla), 
vu  sa  position  à  Tabri  des  vents  du  nord,  jouit  d'un  climat  plutôt  doux,  quoique  sujet 
à  de  grandes  variations  de  température.  Schwytz  se  trouve  en  outre  exposé  aux  at- 
teintes du  fbhn,  qui  arrive  par  le  golfe  d'Uri.  Mais  il  n'y  a  point  dans  le  canton  de 
contrées  insalubres  comme  dans  celui  d'Uri,  et  la  population  y  a  partout  un  air  très- 
vigoureux. 

Montagnes,  Vallées,  Rivières.  —  Les  montagnes  du  canton  de  Schwytz  n'at- 
teignent qu'une  hauteur  moyenne.  Les  deux  chaînes  qui  le  séparent  des  cantons 
d'Uri  et  de  Claris  ne  dépassent  que  sur  quelques  points  celle  de  7000  pieds.  Tels  sont  le 
Rosstock  près  de  l'Achsenberg,  7700;  le  Reiselh  8632;  le  Mutriberg,  7110.  De  la 
chaîne  gîaronaise  partent  deux  ramifications  qui  traversent  l'intérieur  du  canton  ; 
dans  la  plus  méridionale  on  trouve  les  Miesern,  6990  ;  le  grand  et  le  petit  Mythen 
(ou  sommets  du  Haken),  B860  et  5586;  dans  la  seconde,  le  Fluhbrig,  6470: 
YAubrig,  5239;  et  près  du  lac  de  Zurich,  le  mont  Etzel,  3310.  De  cette  disposition 
des  montagnes  il  résulte  que  le  canton  comprend  trois  vallées  principales  :  celle 
arrosée  par  la  Momtta,  qui  prend  sa  source  à  la  frontière  de  Claris  et  se  verse 
dans  le  lac  des  Quatre-Cantons  à  Brunnen  ;  la  vallée  qui  s'étend  de  Schwytz  au  lac 
de  Zug  n'en  est  que  le  prolongement  ;  celle  à'Eimiedlen^  où  coule  la  SiU,  qui  a  sa 
source  sur  la  Sihl-Àlp,  au  nord  du  mont  Miesern,  et  va  se  jeter  dans  la  Limmat,  au- 
dessous  de  Zurich  ;  enfin,  la  vallée  de  WcBggiy  où  coule  la  petite  rivière  de  l'^la^  qui 
se  jette  dans  le  lac  de  Zurich  près  de  Lachen.  Le  canton  possède  encore  une  partie 
de  la  vallée  de  la  Linth,  et  le  cours  de  cette  rivière  lui  sert  de  limite  sur  une  Ion- 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  209 


gueur  de  près  de  deux  lieues.  —  On  trouve  en  outre,  dans  le  canton  de  Schwytz, 
deux  ou  trois  montagnes  isolées:  la  chaîne  du  Rigi  ou  Righi,  longue  de  quatre 
lieues,  entre  Schwytz  et  le  golfe  de  Kûssnacht,  et  dont  Je  point  culminant  est  élevé 
de  5550  pieds  ;  le  Rossberg,  entre  le  lac  de  Zug  et  celui  d'Egeri,  4870  ;  et  le  Hohe- 
Rohne,  au  sud  de  la  Sihl,  3650.  Au  sommet  de  cette  montagne  viennent  aboutir 
aussi  les  cantons  de  Zug  et  de  Zurich.  Plusieurs  de  ces  monts,  le  Righi,  le  grand 
Mythen,  TEtzel  et  le  Hohe-Rohne,  sont  renommés  pour  leurs  vues  étendues. 

Lacs.  —  Le  canton  possède  la  partie  des  rives  du  lac  des  Waldstœtten  comprise  entre 
le  promontoire  appelé  Nase  supérieure  ei  le  village  de  Sissigen,  au  pied  de  TÂcbsenberg, 
ainsi  que  le  fond  du  golfe  de  Kûssnacht;  une  partie  des  rives  du  lac  de  Zurich  avec 
les  deux  petites  îles  d*Ufenau  et  Lûtzelau,  situées  vis-à-vis  de  Rapperschwyl,  lui  ap- 
partient aussi,  de  même  que  la  rive  méridionale  du  lac  de  Zug.  Entre  Schwytz  et 
Arlh,  on  trouve  le  petit  lac  de  Lowerz,  long  de  près  d'une  lieue  et  large  d'un  quart 
de  lieue;  il  a  54  pieds  de  profondeur,  et  il  gèle  tous  les  hivers  ;  il  en  sort  un  ruisseau 
qui  se  jette  dans  la  Mouotta.  On  peut  nommer  encore  le  lac  de  la  Glatt-Alp,  qui 
fournit  une  des  sources  de  la  Mouotta. 

Bains,  Eaux  minérales.  —  On  trouve  à  Seewen,  au  bord  du  lac  de  Lowerz,  une 
source  ferrugineuse  et  un  établissement  de  bains  assez  bien  tenu  depuis  quelques 
années,  et  que  Ton  fréquente  pendant  la  belle  saison.  11  en  est  de  même  de  l'établis- 
sement de  Nuolen,  sur  les  bords  du  lac  de  Zurich,  dont  les  sources  sont  alumineuses  ; 
leur  efficacité  leur  mériterait  une  plus  grande  vogue.  Il  existe  à  Yberg  une  source 
sulfureuse  abondante,  qui  coule  dans  une  fontaine  pour  l'usage  du  public;  on  pour- 
rait en  tirer  un  plus  grand  parti.  Sur  la  pente  nord  du  Haken,  non  loin  de  l'auberge, 
jaillit  une  eau  sulfureuse  dont  on  a  fait  usage  autrefois.  Sur  la  route  de  Gersau,  au 
sommet  du  Righi,  on  rencontre  l'établissement  de  la  Righi-Scheideck,  avec  une 
source  ferrugineuse.  Nous  avons  mentionné  ailleurs  le  Kaltbadj  Bain  froid,  situé  sur 
le  territoire  lucernois  près  du  Righi-Kulm. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animal.  La  race  bovine  du  canton  est  renommée  et 
passe  pour  la  plus  belle  de  la  Suisse;  20,000  tètes  de  gros  bétail  paissent  en  été  sur 
les  alpes  de  Schwytz,  et  il  s'en  vend  chaque  année  quelques  milliers;  il  n'en  reste 
que  14  à  15,000  en  hiver.  Les  vaches  sont  noirâtres  ou  brunes,  ont  les  jambes 
courtes,  et  la  peau  mince.  Elles  sont  inférieures  pour  la  taille  à  celle  du  Simmenthal 
et  de  la  Gruyère  ;  mais  les  plus  gros  bœufs  qu'on  ait  vus  en  Suisse  ont  été  élevés  dans 
la  vallée  de  la  Sihl;  ils  vont  jusqu'à  SOJquintaux.  Les  moutons,  les  chèvres  et  les 
chevaux  sont  en  nombre  beaucoup  moins  considérable  ;  Einsiedlen  élève  cependant 
el  exporte  de  bons  chevaux.  On  ne  trouve  dans  le  canton  que  très-peu  d'animaux 
sauvages  ;  les  chamois  n'y  paraissent  que  sur  les  hautes  montagnes  frontières  de 
Olaris;  la  marmotte  n'habite  que  dans  quelques  endroits  élevés,  tels*  que  les  alpes 
du  vallon  de  Bisi.  Les  lacs  sont  très-poissonneux  ;  la  Sihl  et  la  Muotta  fournissent 
d'excellentes  truites. 

Règne  végétal.  L'agriculture  est  peu  développée  dans  le  canton,  bien  que  plusieurs 
contrées  y  soient  très-fertiles,  telles,  que  les  environs  de  Schwytz,  d'Arth  et  de 
Lacben.  Mais  on  y  préfère  la  vie  pastorale,  comme  plus  commode  et  soumise  à  moins 
de  chances;  aussi,  ne  voit-on  guère  dans  le  canton  que  des  pâturages  et  des  prai- 
ries. On  culUve  cependant  des  céréales  et  des  pommes  de  terre,  etc.,  à  Sleinen,  à 
u,  14.  27 


210  LA   susse   PITTORESQUE. 


Sattel,  et  dans  la  Marche,  district  de  Lachen.  On  voit  aussi  dans  le  canton  une 
grande  quantité  d'arbres  fruitiers,  surtout  près  de  Schwytz,  et  dans  la  Marche,  qui 
n>st jusqu'à  mi-cdte  des  montagnes  qu'un  vaste  verger;  aussi,  au  printemps,  Tairy 
est-il  embaumé,  et  la  contrée  présente-t-elle  un  coup-d'œil  charmant.  11  croit  quelques 
vignes  près  du  lac  de  Zurich,  surtout  près  de  Pfipffikon  et  Wollerau  ;  il  y  a  aussi 
quelques  treilles  à  Gcrsau.  Il  y  aurait,  près  de  Schwytz,  des  expositions  très-favo- 
rables à  cette  culture,  si  le  fôhn  ne  venait  au  printemps  activer  trop  tôt  la  végéta- 
tion, qui  souffre  ensuite  des  retours  du  froid.  Le  canton  possède  encore  de  grandes 
forêts,  surtout  dans  le  district  de  Schwytz  et  sur  les  hauteurs  qui  dominent  le  lac  de 
Zurich.  On  y  voit  aussi  de  vastes  tourbières,  particulièrement  près  d'Altmalt  et 
d'Einsiedlen.  Les  montagnes  de  Schwytz  abondent  en  plantes  alpines,  mais  la  flore  y 
est  cependant  moins  riche  que  dans  le  canton  d'Uri,  vu  l'élévation  moindre  des  som- 
mités. Sur  les  revers  méridionaux,  et  particulièrement  sur  celui  du  Righi,  on  ren- 
contre un  assez  grand  nombre  de  plantes  des  pays  chauds. 

Régne  minéral.  La  plus  grande  partie  des  montagnes  du  canton  sont  composées  de 
couches  de  brèche  alternant  avec  des  couches  de  grès;  tel  est  en  particulier  le  Righi, 
qui  est  une  des  montagnes  les  plus  intéressantes  pour  le  géologue  ;  la  brèche  con- 
tient des  cailloux  roulés  de  toutes  grandeurs,  depuis  celle  d'un  grain  de  sable  jusqu'à 
des  blocs  de  50  pieds  cubes.  Ces  cailloux  sont  liés  entre  eux  par  une  pâte  de  grès  à 
grains  grossiers,  mêlée  d'un  ciment  calcaire  si  solide,  que  lorsqu'on  casse  la  brèche, 
on  parvient  plutôt  à  rompre  ses  fragments  de  pierre  qu'à  les  en  détacher.  Les  pierres 
roulées  qu'on  trouve  dans  ces  brèches  sont  très-diverses  :  granit,  gneiss,  porphyre, 
schiste  siliceux,  silex,  roche  calcaire  primitive  ou  commune,  etc.  ;  un  grand  nombre 
de  débris  sont  rougeàtres,  argileux  et  imprégnés  de  fer;  leur  décomposition  teint  en 
rouge  le  ciment  de  la  brèche,  et  colore  en  violet-rouge  les  flancs  des  rochers.  Sur  le 
revers  méridional  du  Righi,  on  voit  aussi  quelques  couches  calcaires  d'un  gris  foncé. 
Le  calcaire  domine  dans  la  chaîne  qui  touche  au  canton  d'Uri.  Les  montagnes  de 
Schwytz,  surtout  celles  du  Wu^{;githal,  contiennent  beaucoup  de  fossiles  et  de  pétri- 
fications très-curieuses.  On  trouve  du  marbre  près  de  Schwytz  et  d'Einsiedlen,  dans 
le  WsBggithal  et  ailleurs;  on  exploite  des  carrières  de  calcaire  près  de  Seewen,  et 
de  mollasse  sur  le  mont  Etzel. 

•  Antiquités.  —  Les  seules  traces  de  la  domination  romaine  dans  le  canton  sont  des 
monnaies  trouvées  en  divers  lieux,  à  Altmatt,  dans  le  Mouottathal,  sur  l'Ybergeregg, 
etc.  ;  enfin,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  on  a  trouvé  à  Kûssnacht  4000  pièces  de 
cuivre,  la  plupart  de  l'empereur  Gallienus,  des  années  259  à  268.  Mais  les  restes  du 
moyen-âge  sont  encore  assez  nombreux  ;  ainsi  l'on  voit,  dans  l'île  de  Schwanau, 
une  tour  carrée  qui  appartenait  au  château  détruit  en  1308.  Une  grande  masse  de 
décombres  indique  la  place  qu'occupait  celui  de  Brunnen  ;  il  en  est  de  même  du  ma- 
noir de  la  famille  Reding  à  Biberegg.  11  reste  encore  une  tour  des  châteaux  de  Rothen- 
Ihurm  et  de  Schorno.  Dans  la  Marche,  on  voit  celui  de  Grynau,  sur  les  bords  de  la 
Linth,  et  près  d'Altendorf  les  ruines  de  celui  du  Vieux-Rapperschwyl,  etc. 

Histoire.  —  Comme  les  habitants  d'Uri,  ceux  de  Schwytz  furent,  à  ce  qu'on  croit, 
convertis  au  christianisme  par  St. -Béat.  Il  paraît  qu'au  commencement  du  9^  siècle 
ils  se  placèrent  sous  la  protection  du  roi  Louis-le-Germanique,  en  faisant  la  réserve 
de  toutes  leurs  anciennes  franchises.  En  1114,  un  différend  s'éleva  entre  eux  et  l'abbé 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  2H 


(l'Einsiedlen  au  sujet  des  limites  de  leurs  pâturages.  La  sentence  inique  rendue  par 
l'empereur  Henri  V  les  engagea  à  contracter,  l'année  suivante  (suivant  d'autres  en 
il47),  avec  Uri  et  Unterwald,  un  traité  d'alliance,  qu'on  peut  regarder  comme  la 
base  de  la  Confédération  helvétique*.  Ayant  refusé  de  se  soumettre,  ils  furent  excom- 
muniés et  mis  au  ban  de  l'empire.  La  sentence  fut  maintenue  en  1144  par  l'empe- 
reur Conrad  111,  et  ils  étaient  menacés  des  vengeances  impériales,  lorsque  ce  prince 
mourut  en  1152.  Son  successeur,  Frédéric  Barbcrousse,  appuya  leurs  réclamations, 
et  leva  l'interdit.  Pour  lui  témoigner  sa  reconnaissance,  Schwytz  lui  envoya,  en 
ilS5,  lorsqu'il  alla  en  Italie  combattre  ses  ennemis,  un  corps  auxiliaire  de  600 
hommes,  commandé  par  Ulrich  de  Lenzbourg  ;  ce  ne  fut  qu'après  la  réconciliation 
de  l'empereur  avec  le  pape  Alexandre  111,  que  l'excommunication  fut  levée.  En 
12S1,  Schwytz  s'allia  avec  la  ville  de  Zurich,  afin  de  pourvoir  à  sa  sûreté  pendant 
l'interrègne  anarchique  qui  suivit  la  mort  de  Frédéric  11.  En  12S7,  ils  prirent  pour 
protecteur  le  comte  Rodolphe  de  Habsbourg,  qui  plus  tard,  fut  élevé  à  la  dignité  im- 
périale. Mais  Âlhert,  fils  de  Rodolphe,  envoya  dans  les  Waldstœtten  des  baillis  qui 
gouvernèrent  despotiquement  et  donnèrent  lieu  à  la  conspiration  du  Grûtli,  laquelle 
eut  pour  suite  l'affranchissement  des  trois  cantons  (voyez  l'article  Uri). 

A  cette  époque,  le  canton  de  Schwytz  n'avait  pas  la  moitié  de  l'étendue  qu'il  a 
maintenant  ;  ce  ne  fut  qu'au  15*  siècle  qu'il  acheta  Arth  et  Kûssnacht  ;  en  1408,  les 
Appenzellois,  en  reconnaissance  des  services  qu'il  leur  avait  rendus,  lui  cédèrent  le 
district  de  la  Marche,  qui  avait  appartenu  à  l'Autriche.  En  1440,  il  conquit  sur  les 
Zuricois  le  petit  pays  situé  sur  les  bords  du  lac  de  Zurich,  à  l'ouest  de  la  Marche,  et 
connu  sous  le  nom  des  Fermes  ou  Métairies,  Hôfe.  Plus  lard,  il  acquit  la  vallée  d'Ein- 
siedlen.  Ces  divers  districts  furent  gouvernés  comme  pays  sujets.  Pendant  les  siècles 
qui  suivirent,  Schwytz  prit  part  aux  guerres  que  les  Suisses  eurent  à  soutenir  contre 
des  souverains  étrangers,  ainsi  qu'aux  guerres  civiles  qui  éclatèrent  dans  le  sein  de 
la  Confédération.  En  1798,  cette  peuplade  de  bergers  brava  la  puissance  de  la  Répu- 
blique française  et  résista  avec  un  héroïsme  digne  des  temps  antiques  aux  bataillons 
de  Schauenbourg.  On  vit  alors  sa  population  toute  entière,  depuis  l'enfant  jusqu'au 
vieillard,  prendre  les  armes  pour  repousser  les  Français  et  la  Constitution  unitaire 
qu'ils  voulaient  imposer  au  canton.  On  vit  même  les  femmes,  vêtues  de  sarreaux, 
s'atteler  à  des  canons  transportés  de  Lueerne  à  Brunnen,  et  les  amener  aux  combat- 
tants. WoUerau,  Rothenthurm,  Arth,  Morgarten  et  le  mont  Elzel,  virent  des  pro- 
diges de  valeur.  Dans  toutes  ces  affaires,  les  Schwytzois  étaient  commandés  par 
Aloys  Reding,  capitaine-général  du  pays.  Le  général  français  rendit  justice  au  cou- 
rage des  vaincus  et  de  leur  digne  chef,  et  accorda  une  capitulation  honorable,  qui  fut 
acceptée  le  4  mai  par  la  Landsgemeinde  armée  ;  une  centaine  de  citoyens  persistèrent 
à  la  repousser.  Schwytz  dut  accepter  la  Constitution  helvétique  et  faire  partie  du 
canton  des  Waldstœtten.  Les  districts  de  Wollerau  et  Pfseffikon  furent  détachés  et 
réunis  au  canton  delà  Linth.  L'année  suivante,  l'approche  des  armées  ennemies  des 
Français  inspira  aux  Schwytzois  l'espoir  de  secouer  le  joug  de  ces  derniers.  Le 
28  avril  fut  fixé  pour  leur  anéantissement  dans  le  district  de  Schwytz.  On  se  battit 

1.  On  ne  connaît  pas  d'une  manière  certaine  la  date  de  cette  première  aUJanccqui  fut  rendue 
perpétneUa  le  1*'  août  1291,  puis  renouvelée  le  19  décembre  1315.  C'est  le  docteur  Lusser  d'Ori 
qui  indique  Tan  1147. 


212  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


dans  les  rues  du  bourg,  et  les  Français  furent  obligés  de  s*embarquer  à  Brunnen; 
mais  le  général  Soult  ne  tarda  pas  à  entrer  par  le  nord  du  canton,  et  arriva  le  3  mai 
à  Schwytz.  La  même  année,  le  canton  fut  traversé  aussi  par  des  armées  autrichiennes 
et  russes,  qui  y  livrèrent  plusieurs  combats  aux  Français.  Souwarow  dut  se  retirer 
par  le  col  du  Pragel  vers  le  canton  de  Claris,  pour  se  diriger  de  là  vers  les  Grisons. 

En  automne  1802,  Aloys  Reding  fut  élu  premier  landammann  du  nouveau  canton 
des  Waldstœtten.  Mais  lorsqu*on  vint  à  voter  sur  la  Constitution  helvétique  du 
20  mai  1802,  on  compta  à  Schwytz  S317  rejetants  contre  150  acceptants;  28  élec- 
teurs seuls  s'étaient  abstenus.  Le  30  juillet,  le  commissaire  fédéral  Keller  trouva  à 
Schwytz  une  vigoureuse  résistance  contre  les  mesures  du  Couvernement  helvétique. 
Bientôt,  Schwytz,  de  concert  avec  Uri  et  Unterwald,  déclara  se  séparer  de  la  Répu- 
blique helvétique.  Plus  tard,  quand  l'insurrection  se  fut  étendue  aux  cantons  de 
Berne  et  d'Ârgovie,  il  se  tint  à  Schwytz  une  Diète  des  trois  cantons  et  de  ceux  de 
Claris  et  d'Âppenzell.  Cette  Diète  promit  que  tous  les  droits  nouveaux  accordés  aux 
populations  seraient  maintenus,  et  invita  tous  les  anciens  cantons  à  envoyer  leurs 
députés  à  Schwytz.  Le  8  octobre,  la  Diète  s'adressa  au  Premier  Consul,  dans  le  but  de 
réclamer  pour  la  Suisse  le  droit  de  se  reconstituer  elle-même;  mais  quand  les  Fran- 
çais s'avancèrent  de  nouveau  dans  l'intérieur  de  la  Suisse,  la  Diète  se  sépara,  en  dé- 
clarant qu'elle  regardait  le  Couvernement  helvétique  comme  imposé  par  la  France. 
Enfin,  par  l'Acte  de  médiation,  le  canton  de  Schwytz  fut  rétabli;  mais  l'égalité  des 
droits  fut  maintenue  pour  les  anciens  districts  sujets,  et  Cersau  resta  annexé  au 
canton.  A  la  suite  de  cette  époque  désastreuse,  une  grande  partie  de  la  population 
de  Schwytz  avait  été  réduite  à  la  misère  ;  les  maisons  avaient  été  pillées,  les  four- 
rages enlevés,  beaucoup  de  bestiaux  emmenés  par  les  troupes  ou  employés  à  leur 
usage;  236  citoyens  avaient  péri  dans  les  combats  de  1798  seulement.  Mais  le 
canton  s'est  remis  assez  promptement  de  ses  désastres;  car  c'est  l'avantage  des 
peuples  pasteurs  sur  ceux  qui  se  vouent  principalement  à  l'agriculture  et  au  com- 
merce :  n'ayant  d'autres  richesses  que  leurs  chaumières,  leurs  troupeaux  et  leurs 
pâturages,  ils  souffrent  beaucoup  plus  que  les  autres  des  calamités  de  la  guerre, 
mais  leurs  plaies  sont  plus  facilement  guéries. 

En  1814,  quand  la  majorité  des  cantons  reconnaissaient  la  Diète  assemblée  à 
Zurich,  il  y  eut  pendant  quelque  temps  à  Lucerne  une  Diète  particulière,  où  étaient 
représentés  les  trois  Petits-Cantons,  Berne,  Lucerne,  Zug,  Fribourg,  Soleure;  sur  l'in- 
vitation pressante  des  ambassadeurs  étrangers,  la  plupart  de  ces  cantons  envoyèrent 
enfin  leurs  députés  à  Zurich;  mais  Schwytz  persista  à  s'y  refuser,  ainsi  que  Nidwald. 
Enfin,  le  30  avril  1815,  la  Landsgemeinde  accepta  le  nouveau  Pacte,  sous  quelques 
conditions;  mais  Schwytz  restreignit  les  droits  des  districts  extérieurs  ou  ci-devant 
sujets,  soit  la  Marche,  Pfaenikon,  WoUerau,  Einsiedlen  et  Kûssnacht,  sous  prétexte 
que  quand  il  avait  accordé  l'égalité,  le  peuple  n'avait  pas  été  libre,  mais  était  con- 
traint par  les  circonstances.  Lorsqu'en  1830  et  1831  des  changements  politiques 
eurent  lieu  dans  plusieurs  cantons  aristocratiques,  ces  districts  extérieurs  réclamèrent 
l'égalité  qui  leur  avait  été  octroyée  en  1798,  et,  malgré  l'opposition  de  l'ancien  pays, 
ils  rédigèrent  une  Constitution  particulière,  qui  fut  acceptée  par  eux  le  6  mai  1832. 
En  même  temps,  l'ancien  canton  s'opposait  formellement  à  la  révision  du  Pacte  de 
181  S,  que  demandait  une  partie  des  Etats;  et  pendant  qu'une  Commission  de  la  Diète 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  213 


travaillait  à  Lucerne  à  élaborer  un  projet  de  Pacte,  les  députés  des  trois  Petits-Can- 
tons, de  Bàle  et  de  Neuchàtel,  s'assemblèrent  à  Sarnen  pour  protester;  ces  cantons 
s'abstinrent  de  la  Diète  tenue  à  Zurich  en  mars  1833,  sur  le  motif  qu'on  avait  admis 
une  représentation  de  Bàle-Gampagne.  Deux  sommations  adressées  à  ces  cantons 
étant  restées  sans  effet,  la  Diète  admit  alors,  le  25  avril,  des  députés  des  districts  exté- 
rieurs. Le  district  de  Kûssnacht  n'étant  pas  unanime  pour  sa  réunion  aux  districts 
extérieurs,  un  corps  de  600  hommes  de  l'ancien  canton  y  fut  envoyé,  le  31  juillet, 
pour  appuyer  les  citoyens  qui  prenaient  parti  pour  celui-ci.  Le  l'''  août,  la  Diète  ré- 
solut de  faire  occuper  le  canton  par  des  troupes  fédérales,  et  le  8  août  cette  occupa- 
tion fut  effectuée  sans  résistance  ni  effusion  de  sang  ;  le  19,  les  députés  de  Schwytz 
se  présentèrent  enfin  à  la  Diète  de  Zurich.  Le  17  août,  des  délégués  de  tous  les  dis- 
tricts se  réunirent  à  Schwytz,  et  il  fut  convenu  qu'une  Constituante,  nommée  par  tous 
les  districts,  élaborerait  une  Constitution.  Le  29,  les  Landsgemeindes  de  tous  les  dis- 
tricts acceptèrent  le  projet  de  Constitution,  à  la  majorité  de  plus  des  deux  tiers.  Enfin 
une  Landsgemeinde  cantonale,  tenue  à  Rothenthurm  le  13  octobre,  prêta  serment  à 
la  Constitution,  et  élut  les  trois  premiers  magistrats  du  pays. 

Trois  ou  quatre  ans  plus  tard,  la  Diète  dut  intervenir  de  nouveau  pour  pacifier  le 
canton,  qui  s'était  divisé  en  deux  partis,  les  Klauenmànner  ou  libéraux,  et  les 
Hommânner  ou  conservateurs.  Schwytz,  ainsi  qu'Uri  et  Unterwald,  fut  au  nombre 
des  cantons  qui  protestèrent  en  1843  contre  la  suppression  de  quelques  couvents 
d'Ârgovie.  Lorsque  Lucerne,  en  1844,  voulut  appeler  les  jésuites,  Schwytz,  qui  avait 
lui-même  depuis  quelques  années  un  établissement  de  cet  ordre  près  du  chef-lieu, 
prit  parti  contre  les  cantons  qui  formèrent  opposition.  11  entra  donc  dans  la  ligue  du 
Sonderbund  ;  mais,  après  l'occupation  de  Lucerne,  il  dut  aussi  capituler,  et  il  fut 
occupé  par  les  troupes  fédérales  le  28  novembre  1847.  Le  canton  a  dû  ensuite  se 
soumettre  à  la  Constitution  fédérale,  acceptée  par  la  majorité  de  la  Suisse  en  1848. 
Dès-lors,  Schwytz  a  marché  dans  une  voie  modérée  et  progressive;  la  cause  des  amé- 
liorations administratives  et  législatives  y  a  été  prise  en  main  par  des  hommes  ca- 
pables et  influents.  Toutefois,  une  grande  partie  du  peuple  conserve  beaucoup  de 
défiance  pour  les  innovations.  Ainsi  les  journaux  ont  annoncé  que  diverses  lois 
constitutionnelles  soumises  au  peuple  en  février  1855,  ont  été  repoussées. 

Constitutions.  —  D'après  le  Pacte  de  1815^  toutes  les  Constitutions  cantonales 
devaient  être  soumises  à  la  garantie  fédérale.  Malgré  plusieurs  invitations  de  la  part 
de  la  Diète,  ce  ne  fut  qu'en  juillet  1821  que  Schwytz  déclara  que  jusqu'à  l'époque  de 
la  Médiation  il  n'avait  pas  eu  de  Constitution  écrite,  mais  qu'il  se  gouvernait  d'après  des 
usages  remontant  à  plusieurs  siècles,  ainsi  que  d'après  les  lois  existantes  et  les  arrêtés 
de  la  Landsgemeinde  ;  et  il  se  borna  à  soumettre  à  la  garantie  un  petit  nombre  d'ar- 
ticles énonçant  les  principales  bases  de  sa  Constitution.  La  Landsgemeinde  générale 
s'assemblait  à  Schwytz  tous  les  deux  ans,  le  premier  dimanche  de  mai  ;  elle  se  compo- 
sait de  tous  les  citoyens  du  canton  âgés  de  plus  de  16  ans.  Elle  élisait  à  mains  levées 
le  landammann,  le  statthalter,  le  trésorier,  le  banneret  et  l'inspecteur  de  l'arsenal, 
ainsi  que  les  députés  à  la  Diète;  elle  délibérait  sur  les  concordats,  les  déclarations 
de  guerre  et  les  traités  de  paix,  et  sanctionnait  les  lois  générales.  La  Landsgemeinde 
de  chaque  district  se  réunissait  une  fois  par  an,  pour  nommer  ses  magistrats  et 
faire  les  ordonnances  de  sa  compétence.   Le  Landrath  ou  Conseil  cantonal  était 


214  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


composé  des  principaux  magistrats  et  de  96  conseillers,  donl  60  nommés  par 
le  district  de  Schwytz,  6  par  celui  de  Gersau,  et  30  par  les  autres  districts 
(Schwytz  et  Gersau  ne  comprenaient  cependant  pas  la  moitié  de  la  population  du 
pays).  Un  Landrath  double  jugeiiit  les  cas  capitaux  ;  un  Landrath  triple  s'assemblait 
deux  fois  par  an  pour  donner  des  instructions  aux  députés  à  la  Diète  et  entendre  leur 
rapport.  Le  Tribunal  cantonal,  composé  dans  la  même  proportion  que  le  Landrath, 
jugeait  en  dernier  ressort  les  procès  civils  dont  on  appelait  des  tribunaux  de  district. 
Chaque  commune  avait  un  Conseil  d*Ëglise  ou  communal,  s'occupant  de  Tadminis* 
tration  de  T Eglise  et  de  la  commune,  des  affaires  de  tutelle  et  de  pauvres.  Les 
membres  en  étaient  nommés  par  TAssemblée  communale,  qui  décidait  elle-même 
les  affaires  importantes. 

D'après  la  Constitution  de  1833,  la  Landsgemeinde  générale,  composée  de  tous  les 
citoyens  depuis  T&ge  de  18  ans,  se  tient  tous  les  deux  ans,  à  RothetUhurm,  le  premier 
dimanche  de  mai,  ou,  en  cas  de  mauvais  temps,  Tun  des  dimanches  suivants.  Elle 
nomme  lelandammann,  le  statthalter  et  le  trésorier  (  les  deux  premiers  ne  sont  pas 
rééligibles  immédiatement);  elle  vote  sur  les  lois  proposées  par  le  Grand  Conseil,  et 
donne  les  instructions  pour  les  députés  en  Diète.  Un  Grand  Conseil,  composé  de 
108  membres,  nommés  par  les  districts  proportionnellenienl  à  leur  papiUaiion,  est 
élu  pour  six  ans  et  renouvelé  par  tiers.  Un  Conseil  d'Etat  est  composé  des  trois 
premiers  magistrats  et  de  36  membres,  répartis  entre  les  districts  d'après  leur 
population.  11  y  a  en  outre  une  Commission  Executive,  composée  du  landam- 
mann  et  de  cinq  membres  pris  dans  le  Conseil  d'Etat.  Les  autorités  de  district  sont  : 
la  Landsgemeinde  particulière,  qui  s'assemble  tous  les  ans  ;  le  Conseil  de  district, 
pouvoir  exécutif  et  dans  certains  cas  judiciaire;  et  le  Triple  Conseil,  pouvoir  délibé- 
rant. 11  y  a  en  outre  un  Tribunal  cantonal,  des  tribunaux  de  districts  et  des  justices 
de  paix.  Plusieurs  changements  constitutionnels  ont  été  présentés  à  la  sanction  du 
peuple  en  février  185S;  mais  le  peuple  a  repoussé  une  loi  sur  les  communes,  une 
loi  qui  réduisait  le  nombre  des  membres  du  Conseil  exécutif  et  simplifiait  l'adminis- 
tration, etc.  ;  il  a  seulement  accepté  les  changements  qu'on  lui  proposait  dans  le  but 
de  simplifier  l'organisation  judiciaire. 

Instruction  publique.  —  On  accorde  plus  de  soins  qu'autrefois  à  l'instruction  pu- 
blique depuis  la  Constitution  de  1833,  laquelle  a  prescrit  que  l'Etat  devait  pourvoir 
à  l'éducation  du  peuple.  Il  y  a  dans  chaque  district  une  Commission  scolaire,  mais 
ces  commissions  ne  sont  pas  très-actives.  Chaque  commune  a  une  école;  les  maîtres 
sont  ecclésiastiques  ou  laïques.  L'instruction  n'est  gratuite  que  dans  quelques  corn- 
munes.  Sauf  dans  les  principaux  endroits,  les  leçons  ne  se  donnent  que  pendant  cinq 
à  six  mois  d'hiver  ;  mais  tous  les  enfants  ne  fréquentent  pas  les  écoles,  soit  à  cause 
de  la  distance,  soit  manque  de  moyens  pour  payer  l'écolage.  Il  y  a  aussi  un  petit 
nombre  d'écoles  privées,  entre  autres  une  école  de  jeunes  filles  à  Schwytz.  On  a 
institué  dans  le  district  de  Schwytz  une  Société  scolaire,  dont  sont  membres  les 
maîtres  et  les  amis  des  écoles.  Il  existe  à  Einsiedien  un  établissement  pour  les 
sourds-muets,  fondé  par  un  maître  d'hôtel  dont  la  fille  était  affligée  de  cette  infirmité, 
et  qui  prit  la  peine  d'étudier  une  méthode,  afin  de  pouvoir  l'instruire.  — Schwytz 
possède  un  Gymnase,  où  enseignent  trois  professeurs  ;  les  élèves,  au  nombre  de  vingt 
ii.  vingt-cinq,  sont  répartis  en  six  classes;  on  y  apprend  la  géographie,  le  latin» 


LA   SVIS8B   PITTORESQUE.  SIS 


l'allemand,  la  rhétorique,  un  peu  d'histoire,  etc.  Il  y  a  aussi,  dans  le  couvent 
d'ËinsiedIen,  un  Lycée  où  professent  six  ecclésiastiques;  les  élèves  sont  au  nombre 
de  trente  à  quarante,  dont  une  partie  aspirent  au  noviciat,  et  on  y  enseigne  le 
français,  le  grec,  la  physique,  la  musique,  mais  surtout  le  latin  et  la  théologie. 

Clilte,  Couvents.  —  La  religion  catholique  est  seule  professée  dans  le  canton,  qui 
dépend  de  Tévéché  de  Coire.  On  y  compte  trente  églises  paroissiales,  dont  la  plus 
ancienne  doit  être  celle  d' Yberg,  et  en  outre  six  couvents  :  Tabbaye  d'Einsiedlen  ou 
de  Notre-Dame  des  Ermites,  de  Tordre  des  bénédictins,  et  dont  Tabbé  a  le  titre  de 
prince,  devenue  célèbre  par  ses  richesses  et  par  la  foule  de  pèlerins  qu'elle  attire  ; 
Tabbaye  de  femmes  du  même  ordre,  établie  à  Au,  près  d'Einsiedlen  j  deux  autres  ab- 
bayes de  femmes.  Tune  de  Tordre  St.-François,  dans  la  vallée  de  Mouotta  ;  l'autre 
de  Tordre  St. -Dominique,  à  Schwytz  ;  et  deux  couvents  de  capucins,  l'un  à  Schwytz, 
le  second  sur  le  Righi.  Il  y  a  eu  aussi,  pendant  quelques  années,  un  établissement  de 
jésuites  à  Schwytz,  mais  les  prêtres  de  cet  ordre  ont  dû  quitter  le  canton  en  1847. 
Commerce,  Industrie.  —  La  plus  grande  partie  de  la  population  se  voue  à  la  vie 
|)astorale.  La  principale  exportation  consiste  en  &  à  5000  têtes  de  gros  bétail,  dont 
le  produit  est  évalué  à  plus  de  1,S00,000  francs  (nouveaux).  On  emporte  aussi  un 
])eu  de  petit  bétail  pour  les  cantons  du  nord,  et  Einsiedien  envoie  un  certain  nombre 
de  chevaux  en  Italie.  Une  grande  partie  des  fromages  s'exporte  aussi;  mais  ils  ne 
jouissent  pas  de  la  même  réputation  que  le  bétail,  car  une  partie  des  pâturages  de 
Schwytz,  tels  que  ceux  du  Pragel,  du  Haken,  du  Rossberg,  ne  sont  pas  comptés  au 
nombre  des  plus  gras  des  environs.  Le  commerce  de  Schwytz  comprend  encore  des 
eaux-de-vie,  une  grande  quantité  de  tourbe  envoyée  d'Einsiedlen  à  Zurich,  et  les 
produits  des  fabriques.  Gersau  possède  des  fabriques  de  coton  et  de  soie,  particuliè- 
rement de  rubans.  Brunnen  a  une  filature  de  soie,  appartenant  à  une  société  de 
Cersau,   et  comptant  450  à  200  ouvriers.  La  Marche  possède  deux   filatures; 
Wollerau  a  une  filature  et  une  papeterie,  et  Einsiedien  plusieurs  imprimeries,  qui 
font  paraître  et  débitent  des  livres  de  prières  et  d'édification  en  diverses  langues,  en 
allemand,  français,  latin,  italien,  rhétien.  Il  y  aussi  un  commerce  de  transit.  Les 
marchandises  arrivant  de  Zurich  par  le  lac  jusqu'à  Waedenschwyl,  traversent  le 
canton  jusqu'à  Brunnen,  et  sont  transportées  par  eau  à  Fluelen,  d'où  elles  scmt  diri- 
gées sur  la  route  du  St.-Gothard. 

Hommes  distingués.  Artistes,  etc.  —  Le  premier  nom  qui  mérite  d'être  rappelé,  est 
celui  de  Werner  Stauffacher,  qui  fut  un  des  trois  fondateurs  de  l'indépendance.  Il  était 
issu  d'une  famille  aisée,  et  fils  de  Rod.  Stauffacher,  ancien  landammann  de  Schwytz. 
Il  faisait  bâtir  à  Steinen  une  maison  de  bonne  apparence.  Un  jour  que  le  bailli 
Gessler  passait  à  cheval  devant  cette  maison,  Stauffacher  le  salua;  Gessler  lui 
demanda  à  qui  appartenait  ce  bâtiment.  Sur  sa  réponse,  il  lui  déclara  qu'il  ne  vou- 
lait pas  que  des  paysans  construisissent  de  si  belles  habitations  sans  sa  permission. 
Ces  paroles  causèrent  à  Stauffacher  un  vif  chagrin  ;  mais  il  le  dissimula,  pour  ne  pas 
faire  de  la  peine  à  sa  femme  Marguerite  Vorlobig.  Celle-ci,  s'apercevant  qu'il  avait 
quelque  chose  sur  le  cœur,  le  pressa  tant,  qu'il  finit  par  tout  avouer.  Cette  femme 
énergique  lui  donna  alors  le  conseil  d'aller  visiter  quelques  amis  d'Uri  et  d'Unterwald 
auxquels  il  pût  se  confier,  afin  de  concerter  avec  eux  les  moyens  de  faire  cesser 
l'oppression  qui  pesait  sur  le  pays.  Stauffacher  suivit  ce  conseil  et  se  rendit  chez 


216  LA    SU198B   PimmESQUE. 


Walter  Fûrst,  qui  approuva  fort  les  paroles  de  Marguerite,  et  6t  connaître  à  son  ami 
un  jeune  Unterwaldoîs  du  Melchthal,  qui,  ayant  frappe  un  valet  du  bailli  Landenberg, 
avait  dû  fuire  de  son  canton.  En  l&OO,  on  a  élevé  à  la  mémoire  de  Stauffocber,  sur 
la  place  qu'avait  occupé  sa  maison,  une  chapelle  qu'on  voit  encore  aujourd'hui. 

La  noble  famille  des  Reding,  originaire  du  hameau  de  Biberegg,  près  de  Rothen 
thurm,  a  fourni  une  longue  série  de  magistrats  et  de  militaires  distingués.  Rodolphe 
Reding,  landammann,  se  trouva  à  la  bataille  de  Morgfirten;  Ithal  Reding,  son  arrière- 
petit-fils,  fut  un  administrateur  habile  et  un  grand  citoyen.  Son  frère  Jusl  foi  tué  à 
St. -Jacques  près  de  B&le;  son  fils,  Ithal  Reding,  fut  pendant  vingt  ans  landammann 
du  canton,  et  il  est  célèbre  dans  l'histoire  comme  un  des  meilleurs  capitaines  du 
siècle;  il  a  contribué  à  l'agrandissement  du  canton.  En  1798,  Aloys  Reding  fut 
nommé  par  acclamation  commandant  des  troupes  de  Schwy  tz,  et  il  opposa  aux  Fran- 
çais une  résistance  digne  de  la  valeur  héroïque  de  ses  ancêtres.  Son  nom  est  aujour- 
d'hui profondément  gravé  dans  la  mémoire  de  ses  concitoyens.  —  Lie  landammann 
Ratzi  commandait  Tavant-garde  à  la  bataille  de  Morat.  —  Plusieurs  familles  ont 
produit  des  officiers  qui  ont  parcouru  une  carrière  brillante  dans  les  services  étran- 
gers :  tels  sont  les  Betschard,  les  Keidt,  les  Hessi  et  les  Reding. 

Le  canton  peut  aussi  s*honorer  d'un  certain  nombre  d'illustrations  dans  les  arts 
et  dans  les  sciences.  Un  Werner  Stauffacher,  oncle  du  libérateur,  fut  abbé  d'Einsied- 
len  ;  les  annales  de  ce  couvent  font  un  haut  éloge  de  sa  science.  Un  Redifig,  sur- 
nommé l'Eloquent,  prononça  un  discours  devant  le  Concile  de  Constance  au  nom  des 
Confédérés  ;  ParaceUe,  né  à  Einsiedien  en  1 493,  fut  un  célèbre  médecin.  Après  avoir 
parcouru  les  universités  les  plus  savantes,  il  opéra  quelques  cures  merveilleuses,  qui 
répandirent  bientôt  son  nom  dans  toute  l'Allemagne.  11  possédait  une  foule  de  secrets, 
et  avait,  dit-on,  découvert  une  panacée  ou  élixir  qui  guérissait  tous  les  maux.  Il 
fut  appelé  à  Bàle  pour  professer  la  médecine.  Il  s'occupait  aussi  d'alchimie,  d'astro- 
logie, etc.,  et  prétendait  l'emporter  en  science  sur  tous  les  docteurs  de  la  terre.  Il 
fit  réellement  progresser  la  chimie  et  la  médecine,  et  mourut  à  Salzbourg  en  Autri- 
che. —  Hedlinger,  mort  en  1774,  fut  un  habile  graveur  et  numismate;  il  imitait 
les  médailles  antiques  avec  une  grande  perfection.  Il  fut  membre  des  académies  de 
Berlin  et  de  Stockholm.  —  C.-H.  Ah-Yberg  a  écrit  une  histoire  d'une  partie  du 
17''  siècle.  Placidtis  Raymann,  prince  du  couvent  d'Eînsiedlen,  était  un  grand  ami 
de  rhistoire,  et  a  laissé  plusieurs  volumes  traitant  de  sujets  historiques  et  diploma- 
tiques. Plusieurs  autres  moines  se  sont  distingués  aussi  comme  savants;  parmi  eux 
se  trouvent  plusieurs  Reding.  Nommons  encore  Seh.  Steiner,  qui  fut  architecte  et 
peintre  ;  Birchler,  Fôhn,  Ganginer,  peintres,  et  Martin  Baumann,  qui  a  fait,  d'après 
la  manière  de  Pfyffer,  un  bas-relief  représentant  les  trois  Petite-Cantons,  et  d'autres 
qui  représentent  le  Pilate,  le  Righi,  le  Rossberg  et  Goldau. 

MœuBS,  Coutumes,  Caractère.  —  Dans  nul  autre  canton  l'amour  de  la  liberté  et 
de  la  patrie  n'est  plus  ardent  ;  nul  autre  n'est  plus  attaché  à  ses  vieilles  coutumes  et 
à  son  ancienne  foi  ;  nulle  part  aussi  l'on  n'est  plus  fier  du  nom  de  Suisse.  Les 
Schwytzois  sont  pleins  de  franchise,  de  loyauté  et  de  bonhomie  ;  leur  caractère  est 
remarquablement  vif  et  gai.  Au  milieu  des  époques  les  plus  malheureuses  de  la  révo- 
lution, on  les  a  vus  conserver  leur  gaité,  et  ne  se  livrer  que  momentanément  à  la 
douleur  et  à  l'abattement.  Ces  traits  s  appliquent  particulièrement  aux  habitants  de 


LA    SUISSB    PITTORESQUE.  217 


la  partie  méridionale,  qui  avait  exercé  les  droits  de  souveraineté,  et  surtout  à  ceux 
du  Mouottathal,  qui  forment  une  race  remarquable  par  leur  énergie,  par  l'expression 
mobile  de  leur  physionomie  et  par  leur  hospitalité  ;  on  prétend  qu'ils  descendent  des 
Gotbs,  qui  furent  chassés  d'Italie  au  6**  siècle.  Quant  aux  habitants  de  la  vallée 
d'Einsiedlen  et  des  bords  du  lac  de  Zurich,  ils  ont  moins  de  gai  té,  et  sont  plus  froids 
et  réservés;  le  peuple  d'Einsiedlen,  quoique  robuste,  est  généralement  indolent;  sûr 
de  voir  affluer  les  pèlerins,  il  a  une  tendance  à  négliger  le  travail.  On  y  voyait 
autrefois  beaucoup  de  mendiants,  mais  la  mendicité  y  a  été,  depuis  un  certain  nombre 
d'années,  sévèrement  interdite,  ainsi  que  dans  les  districts  voisins  du  lac  de  Zurich. 
Ce  que  les  costumes  dans  le  canton  de  Schwytz  offrent  de  plus  particulier,  c'est  la 
coiffure  des  femmes,  qui  portent  sur  leur  bonnet  des  espèces  de  crêtes  en  dentelles 
noires  pour  les  filles,  et  blanches  pour  les  personnes  mariées.  Cette  coiffure  ressemble 
à  peu  près  aux  deux  ailes  d'un  papillon. 

Schwytz.  —  Le  bourg  de  Schwytz,  chef-lieu  du  canton,  est  pittoresquement  situé 
au  pied  des  Mythen  et  dans  une  contrée  fertile  et  couverte  d'arbres  fruitiers.  On  voit 
plusieurs  belles  maisons,  soit  dans  ses  murs,  soit  dans  les  campagnes  voisines.  La 
population  de  la  commune  comprend  S432  âmes,  mais  dont  une  partie  seulement 
habite  dans  le  bourg.  L'église  paroissiale  ou  de  St.-Martin,  achevée  en  1774,  passe 
pour  une  des  plus  belles  de  la  Suisse.  Près  de  l'église  est  une  petite  chapelle,  appelée 
le  Kerker  ou  Cachot,  où  l'on  célébrait  le  culte  quand  l'église  était  en  interdit  ;  selon  la 
tradition,  elle  doit  avoir  été  terminée  en  trois  jours.  Dans  le  cimetière,  on  voit  la 
tombe  d'Âloys  Reding  ;  elle  est  couverte  d'une  simple  pierre  portant  une  inscription 
latine,  dont  le  sens  est  :  Aloys  Reding  de  Biberegg,  cmnte;  soti  nmn  suffit  à  sa  louange; 
1808.  L'hdtel-de-ville  contient  les  portraits  de  45  landammanns,  à  dater  de  l'an 
1554  ;  un  grand  nombre  portent  les  noms  de  Reding,  Âb-Yberg,  Àuf-der-Mauer,  etc. 
Dans  l'une  des  salles,  on  voit  de  belles  sculptures  à  la  manière  gothique.  On  montre 
chez  le  capitaine  Schindler  le  panorama  en  relief  de  la  vallée  de  Mouotta,  avec  la 
représentation  du  combat  entre  les  Français  et  les  Russes.  On  peut  visiter  aussi  la 
belle  collection  de  médailles  de  Hedlinger,  appartenant  à  sa  famille  comme  pro- 
priété déclarée  inaliénable.  Schwytz  possède  un  hôpital,  un  arsenal  et  même  un 
petit  théâtre.  On  voit  sur  la  hauteur  un  vaste  bâtiment  et  une  église,  qui  étaient 
destinés  à  un  établissement  de  jésuites.  Cet  édifice  était  presque  terminé  en  1847, 
lorsque  les  propriétaires  furent  forcés  de  quitter  le  canton  avant  l'occupation  fédérale. 
Non  loin  de  là  est  la  maison  des  Reding,  vieux  bâtiment  surmonté  de  deux  tours 
rouges  et  revêtu  des  armes  de  cette  illustre  famille.  Des  particuliers,  amis  des  sciences, 
ont  fondé  en  1825  une  bibliothèque,  qui,  en  1855,  comptait  4000  volumes,  en 
grande  partie  relatifs  à  l'histoire  suisse.  Le  couvent  des  capucins  possède  aussi  une 
bibliothèque. 

Un  peu  au  sud  de  Schwytz,  est  le  village  d'Ybach,  où  s'assemblait  autrefois  la 
Landsgemeinde  générale.  Plus  loin  est  Brunnen,  le  port  de  Schwytz  ;  c'est  un  beau 
village,  qui  sert  de  dépôt  pour  les  marchandises  expédiées  vers  le  St.-Gothard  ou  qui 
en  viennent.  C'est  à  Brunnen  que  les  députés  des  trois  cantons  se  réunirent  plusieurs 
fois  pour  jurer  leur  alliance  et  se  consulter  sur  les  intérêts  communs;  c'est  là,  en  par- 
ticulier, que  le  19  décembre  1518,  un  mois  après  la  bataille  de  Morgarlen,  fut  renou- 
velée l'alliance  perpétuelle  des  trois  Waldstaetten.  L'Entrepôt  est  orné  de  fresques 
II,  i«.  28 


248 


L\    «nS8R    riTTORRSOrF.. 


Purt  de  Brunucn. 


qui  représenlenl  cet  important  événement.  En  1815,  on  a  célébré  solennellement  à 
Schwytz  l'anniversaire  demi-millénaire  de  cette  alliance;  entre  autres  divertissements, 
des  amateurs  jouèrent  un  drame  de  Mûller-Fricdberg,  intitulé  :  La  bataille  de  Mor- 
garten.  Toutes  les  hauteurs  qui  entourent  Schwylz  offrent  de  très-beaux  coups-d'œil. 
Au  nord-est  de  Schwytz  s'élèvent  les  deux  cimes  escari)ées  du  Mylhen;  Tascension 
de  la  plus  haute  ne  se  fait  pas  sans  difTiculté  ;  mais  l'on  y  découvre  un  panorama  qui 
l'emporte  en  beauté  sur  celui  de  Righi  ;  on  y  aperçoit  la  ville  et  le  lac  de  Zurich, 
qu'on  ne  peut  voir  de  ce  dernier.  La  montagne  surmontée  des  deux  pics  porte  pro- 
prement le  nom  de  Haken  (croc),  et  elle  se  prolonge  vers  le  nord  sous  ce  nom.  Un  sen- 
tier, qui  conduit  en  quatre  heures  de  Schwytz  à  Einsiedien,  passe  sur  le  Haken  ;  du 
sommet  du  col  on  n'a  plus  qu'un  quart  d'heure  à  monter  pour  atteindre  une  cime 
élevée  de  4470  pieds,  qu'on  appelle  le  Hochsiûckli,  et  d'où  l'on  jouit  d'une  vue 
remarquable. 

Vallée  de  Mouotta.  —  Cette  vallée  est  la  plus  pittoresque  de  tout  le  canton  ;  les 
montagnes  y  prennent  des  formes  variées,  et  l'on  y  remarque  plusieurs  belles  casca- 
des; mais  la  Mouotta,  que  grossissent  un  grand  nombre  de  torrents,  y  cause  souvent 
des  dévastations.  La  Frohn-Alp,  qui  domine  l'entrée  de  la  vallée,  offre  un  très-beau 
point  de  vue.  On  se  rend  en  8  heures  de  Mouotta  à  Glaris  par  le  mont  Pragel,  élevé 
de  S160  pieds.  Pendant  une  heure  la  montée  est  pénible;  au  sommet,  le  sol  est 
humide  et  il  n'y  a  pas  de  vue  ;  mais  on  ne  tarde  pas  à  arriver  de  l'autre  côté  dans 
le  Klônthal,  belle  vallée  glaronaise,  dominée  par  les  cimes  neigeuses  du  Glœrnisch. 
C'est  par  le  Pragel  que  se  retira  Souwarow,  qui  était  arrivé  dans  le  val  Mouotta  par  le 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  249 


canton  d'Uri.  Ne  pouvant  se  frayer  un  passage  du  côté  de  Schwytz,  que  défendaient 
Mortier,  Masséna  et  Lecourbe,  il  dut  se  diriger  vers  le  canton  de  Glaris.  Il  eut  sur 
la  montagne  à  culbuter  Tavant-garde  du  générai  Molitor.  Repoussé  aussi  du  défilé 
de  Naefels,  il  fut  forcé  de  battre  en  retraite  et  de  rentrer  dans  les  Grisons  par  le  pas- 
sage difficile  de  Panix,  sans  pouvoir  opérer  sa  jonction  avec  Korsakoff.  Souwarow  et 
le  grand-duc  Constantin  eurent  pendant  deux  ou  trois  jours  leur  quartier-général  à 
Mouotta,  dans  le  couvent  de  St. -Joseph,  habité  par  des  religieuses  de  Tordre  fran- 
ciscain. Au-dessus  de  Mouotta  la  vallée  prend  le  nom  de  Bisi  ;  plus  loin  elle  se 
bifurque,  et  l'on  trouve  deux  autres  sentiers  qui  conduisent  dans  le  canton  de  Glaris, 
l'un  par  le  vallon  de  la  Glatt-Âlp,  où  se  trouve  le  joli  lac  de  ce  nom,  l'autre  par  la 
vallée  étroite  et  sauvage  de  la  Karren-Âlp. 

Lac  de  Lowerz,  Goldau.  —  La  route  de  Schwytz  à  Arth  et  au  Righi  passe  à  See- 
wen,  où  l'on  trouve  un  bon  établissement  de  bains,  puis  longe  la  rive  sud  du  joli  lac 
de  Lowerz.  Au  milieu  de  ce  lac  s'élèvent  les  petites  iles  de  Lowerz  et  de  Schwanau 
(Prairie  des  cygnes).  Sur  cette  dernière  on  voit  les  ruines  pittoresques  d'un  cbftteau, 
qui  fut  détruit  le  4"  janvier  1308.  Une  jeune  fille  d'Arth  avait  été  enlevée  par  le 
seigneur  de  Schwanau  ;  ses  deux  frères,  aidés  des  Schwytzois,  s'emparèrent  du  châ- 
teau et  firent  périr  le  ravisseur.  A  l'extrémité  du  lac  on  arrive  sur  le  vaste  espace 
qui  a  été  recouvert,  le  2  septembre  1806,  par  la  chute  d'une  partie  du  Rossberg. 
Cette  montagne  est  composés  de  couches  de  brèche  alternant  avec  des  couches  de 
sable,  qui  s'affaissent  sous  l'action  du  temps  et  celle  des  eaux  souterraines,  de  sorte 
que  les  couches  plus  solides  finissent  par  manquer  de  base.  L'été  de  1806  avait  été 
très-pluvieux.  Le  2  septembre,  dès  le  matin,  on  observa  des  crevasses  et  on  entendit 
des  craquements  ;  vers  2  heures  de  l'après-midi  les  chutes  de  pierres  devinrent  plus  fré- 
quentes, et  un  bruit  sourd  se  fit  entendre  jusqu'au  Righi.  Les  fissures  se  transformè- 
rent en  ravins  profonds,  et  d'énormes  rochers  commencèrent  à  s'incliner.  Enfin,  vers 
5  heures,  une  partie  du  Rossberg,  longue  d'environ  une  lieue  et  large  de  1000  pieds, 
se  précipita  sur  la  vallée  et  engloutit  les  villages  de  Goldau,  Rôthen  et  Busingen 
dessus  et  dessous.  En  quelques  minutes,  cette  belle  contrée  fut  transformée  en  un 
champ  de  désolation.  Une  partie  de  l'éboulement  atteignit  même  le  pied  du  Righi  et 
l'extrémité  du  lac  de  Lowerz.  Les  eaux  refoulées  s'élevèrent  de  70  pieds,  détruisirent 
une  partie  du  village  de  Lowerz  et  causèrent  des  ravages  jusqu'au  lac  des  Quatre- 
Cantons.  Les  victimes  du  désastre  furent  au  nombre  de  457,  y  compris  quelques 
voyageurs;  14  personnes  furent  retirées  vivantes  des  décombres.  Le  terrain  perdu 
est  évalué  à  plus  de  #7000  arpents,  et  la  perte  totale  à  3  millions  de  livres.  Une  partie 
du  bétail  avait  pris  la  fuite  à  temps;  de  grandes  bandes  d'oiseaux  avaient  aussi  pris 
leur  vol  avant  le  désastre.  Une  cérémonie  religieuse  est  célébrée  annuellement  à 
Arth,  en  souvenir  de  cette  terrible  catastrophe.  Une  chapelle  indique  l'emplacement 
qu'occupait  Goldau.  De  temps  en  temps,  des  masses  plus  ou  moins  considérables  de 
rochers  se  détachent  encore  du  Rossberg. 

ÂRTu,  KfJssNAGHT.  —  Arth  est  un  joli  village,  situé  sur  les  bords  du  lac  de  Zug, 
entre  le  Righi  et  le  Rossberg,  mais  il  n'a  rien  à  craindre  des  éboulements  qui  partent 
de  cette  dernière  montagne.  Un  retranchement,  construit  au  milieu  du  IZ^  siècle  et 
qui  s'étendait  d'une  montagne  à  l'autre,  défendait  jadis  Arth  contre  les  invasions  de 
Tennemî.  En  1315,  quelques  jours  avant  la  bataille  de  Morgarten,  un  noble,  ami  des 


220 


LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Suisses,  Henri  de  Hùnenberg,  lança  sur  le  sol  schwylzois,  dît  rhislorien  Tschudi, 
une  flèche  à  laquelle  était  attaché  un  billet  portant  les  mots  :  a  Veillez  au  passage  de 
Morgarlen.  »  La  famille  de  Reding  ayant  acheté  la  seigneurie  d*Arth,  donna  à  ses  habi- 
tants une  entière  liberté  en  4448.  La  route  de  Kûssnacht  côtoie  le  lac  de  Zug  et 
les  bases  du  Righi.  Entre  Immensee  et  Kûssnacht,  on  passe  près  d'une  chapelle  qui 
a  été  remise  à  neuf  depuis  quelques  années;  c'est  la  fameuse  chapelle  de  Tell,  ornée 
de  fresques,  représentant  quelques  événements  de  Thistoire  nationale.  C'est  là  que 
se  trouvait  ce  chemin  creux  où  Tell  attendit  Gessier;  c'est  là  que  le  bailli,  après 
avoir  échappé  aux  fureurs  de  la  tempête,  fut  atteint  par  la  flèche  vengeresse.  Dans 
le  voisinage,  on  voit  encore  quelques  restes  de  murs  qui  doivent  avoir  fait  partie 
d'un  château  démoli  en  1308 ;  c'était  une  des  résidences  de  Gessier;  c'est  là  qu'il 
avait  l'intention  d'enfermer  Guillaume  Tell,  quand  celui-ci,  grâce  à  une  soudaine 
tempête,  vit  rompre  ses  fers  et  parvint  à  recouvrer  sa  liberté.  Les  bateaux  à  vapeur 
de  Lucerne  viennent  aborder  à  Klissnacht  dans  la  belle  saison  et  amènent  des  voya- 
geurs qui  se  proposent  de  visiter  le  Righi. 

Righi,  Notre-Dame  des  Neiges. —  On  peut  entreprendre  de  divers  points  l'ascension 
du  Righi;  le  sentier  qui  part  de  Kûssnacht  est  le  plus  rapide;  ceux  qui  partent  de 
Lowerz,  de  Goldau  ou  d'Arth  sont  plus  commodes;  ceux  de  Gersau,  de  Fitznau  et 
de  Wœggis,  sur  la  pente  méridionale,  sont  bons  aussi;  mais  en  montant  du  c6té  du 
nord,  où  la  vue  est  restreinte,  on  a  l'avantage  de  se  ménager  une  surprise  pour  le 


Cliapclle  liu   Righi 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  221 


moment  où  Ton  atteint  le  sommet.  L'ascension  exige  3  à  4  heures  ;  le  chemin  le 
plus  long  est  celui  de  Gersau.  Le  Righi  n'est  point  une  haute  montagne,  car  son 
point  culminant,  le  Righi-Kulm  (Sommet  du  Righi),  n'est  élevé  que  de  5S50  pieds, 
soit  4210  au-dessus  du  lac  des  Quatre-Gantons;  mais  sa  position  isolée  et  à  peu  près 
au  centre  de  la  Suisse  en  fait  une  des  stations  les  plus  favorables  pour  embrasser 
d'un  seul  coup-d'œil  un  horizon  de  100  lieues  de  circonférence.  Et  comme  il  n'est  point 
d'un  accès  difficile,  le  nombre  des  visiteurs  n'est  pas  forcément  restreint,  comme  c'est 
le  cas  pour  beaucoup  d'autres  sommités  qui  n'offrent  pas  le  même  avantage.  Bien 
qu'on  prétende  faire  dériver  le  nom  du  Righi  de  Mons  Regins,  Mont  royal,  ou  de 
Mons  Rigidus,  Mont  escarpé,  l'origine  de  la  réputation  de  cette  montagne  parait  être 
la  source  froide  près  de  laquelle  est  établi  le  Kaltbad  (Bain  froid).  Ce  fut  en  1689  que 
les  habitants  d'Ârth  construisirent,  à  trois  quarts  d'heure  au-dessous  du  sommet,  une 
petite  chapelle  avec  un  bâtiment  soit  hospice  pour  les  capucins,  le  Klôslerli.  L'année 
suivante,  on  plaça  sur  l'autel  une  image  de  la  Sainte- Vierge,  qui  acquit  bientôt  le 
renom  de  faire  des  cures  merveilleuses.  Le  11  juillet  1700,  le  nonce  du  pape  con- 
sacra la  chapelle,  sous  le  nom  de  Sainte-Marie  des  Neiges  ou  Notre-Dame  des  Neiges, 
Quelques  années  plus  tard,  la  chapelle  étant  insuffisante  pour  contenir  la  foule  des 
pèlerins,  on  en  construisit  une  plus  grande.  Des  bulles  de  1734  et  1779  accordèrent 
une  indulgence  plénière  aux  pèlerins  qui  viendraient  assister  à  la  fête  de  la  Sainte- 
Vierge.  Les  bergers  viennent  tous  les  jours  de  fête  à  la  chapelle  pour  le  service 
divin  ;  mais  c'est  le  8  septembre,  jour  de  la  Nativité,  qu'a  lieu  le  plus  grand  con- 
cours de  pèlerins.  Jusqu'en  1760  ce  n'était  guère  que  les  habitants  du  pays  et  des 
contrées  voisines  qui  montaient  au  Righi  ;  plus  tard,  les  étrangers  commencèrent 
aussi  à  s'y  rendre;  maintenant  on  évalue  le  nombre  des  visiteurs  à  10,000  par  an. 
L'hôtel  du  Righi-Kulm,  rebâti  à  neuf  en  1880,  est  à  quelques  pas  au-dessous  du 
sommet  ;  une  demi-heure  ou  trois  quarts  d'heure  plus  bas,  on  en  trouve  plusieurs 
autres.  11  convient  d'arriver  vers  le  soir  sur  la  montagne,  afin  de  pouvoir  y  assister 
au  spectacle  du  coucher,  puis  à  celui  du  lever  du  soleil.  Malheureusement,  les  dé- 
ceptions causées  par  les  brouillards,  la  pluie  ou  la  neige,  ne  sont  pas  rares.  Une 
légère  lueur,  qui  parait  à  l'orient,  annonce  le  jour  naissant  ;  elle  se  change  bientôt 
en  une  ligne  dorée  s'étendant  le  long  de  l'horizon  et  projetant  un  reflet  d'un  rouge 
pâle  sur  les  cimes  les  plus  élevées  des  glaciers  de  l'Oberland  bernois.  Toutes  les 
cimes  se  dorent  l'une  après  l'autre  ;  la  nuit  qui  couvre  encore  toutes  les  autres  par- 
ties du  tableau,  se  dissipe  peu  à  peu  ;  on  voit  apparaître  forêts,  lacs,  collines,  villes 
et  villages;  mais  tout  ce  vaste  ensemble  garde  encore  un  aspect  glacé,  jusqu'à  ce 
qu'enfin  le  disque  rouge  du  soleil,  se  dessinant  derrière  les  montagnes,  s'élève  rapi- 
dement, et  ranime  de  ses  rayons  l'immense  panorama.  Il  est  rare  qu'une  demi- 
heure  après  les  brouillards  ne  commencent  pas  à  voiler  çà  et  là  quelques  cimes. 
Par  un  temps  clair,  on  peut  compter  treize  lacs,  grands  et  petits.  Du  côté  du  nord, 
on  voit  le  Rossbei^,  le  lac  et  la  ville  de  Zug,  le  clocher  du  village  de  Gappel,  où 
Zwingli  fut  tué»  la  chaîne  de  l'Âlbis,  quelques  maisons  de  la  ville  de  Zurich  et 
quelques  points  de  son  lac;  derrière  le  Rossberg,  une  petite  partie  du  lac  d'Egeri  ; 
la  chaîne  de  la  Forêt-Noire  borne  l'horizon.  Â  l'ouest,  la  vue  est  plus  dégagée  ;  au 
pied  de  la  montagne  est  Kûssnacht  avec  la  chapelle  de  Tell  ;  plus  loin,  se  dessine 
presque  tout  le  canton  de  Lucerne  ;  on  distingue  une  partie  du  cours  de  la  Reuss  et 


222  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


I 


de  l^Emme,  le  lac  de  Sempach,  la  vaste  abbaye  de  Mûri  ;  plus  près,  la  ville  de 
Lucerne,  dominée  par  les  cimes  déchirées  du  Pilate  ;  au  loin,  la  chaîne  du  Jura  forme  I 

la  limite  du  tableau.  Au  sud  se  présentent  quelques  parties  du  lac  des  Quatre-Gan- 
tons;  le  golfe  d  Alpnach,  le  lac  de  Sarnen,  et,  aundessus  de  belles  pentes  verdoyantes, 
la  majestueuse  chaîne  des  glaciers  de  Berne,  d'Unterwald  et  d'Uri.  Enfin,  du  côté 
de  Test,  la  ligne  des  montagnes  s'étend  au  loin  ;  on  y  voit  dominer  le  Tosdi,  le  Gls^r- 
nisch  et  le  Sentis  ;  plus  près  de  soi,  les  deux  pics  du  My  then,  le  Mouottathal,  le  bourg 
de  Schwytz  et  le  lac  de  Lowerz.  Il  arrive  souvent  qu'on  n'aperçoit  que  partielle- 
ment le  vaste  panorama  qui  vient  d'être  décrit,  un  grand  nombre  de  sommités  se 
trouvant  enveloppées  dans  les  nuages;  il  arrive  aussi,  surtout  en  automne,  qu'une 
mer  de  brouillards  couvre  les  plaines  et  les  vallées,  et  qu'on  en  voit  sortir,  comme 
des  Ilots,  une  multitude  de  pics  verdoyants  ou  neigeux.  Le  lever  du  soleil  produit 
alors  des  effets  de  lumière  remarquables.  On  est  quelquefois  témoin  sur  le  Righi 
d'un  phénomène  singulier  :  lorsque  les  nuées  s'élèvent  perpendiculairement  du  fond 
des  vallées  opposées  au  soleil,  les  personnes  ou  les  objets  placés  sur  le  Righi  pro- 
jettent sur  les  nuages  des  ombres  gigantesques,  entourées  d'une  vapeur  qui  se  colore 
parfois  des  teintes  de  l'arc-en-ciel.  Si  la  nue  est  épaisse,  l'image  est  double. 

Avant  d'arriver  au  Righi-Rulm,  on  passe  près  de  l'auberge  du  Staffel,  où  l'on  com- 
mence à  apercevoir  tout  à  coup  une  partie  du  panorama.  Un  peu  au-dessus  de  ce 
point,  on  peut  gravir  le  Rothstock,  sommité  haute  de  81 40  pieds,  d'où  l'on  a  une 
vue  très-pittoresque  sur  la  partie  centrale  du  lac,  qu'on  ne  voit  pas  depuis  le  Kulm. 
Près  de  l'auberge  de  la  Righi-Scheideck,  située  sur  le  chemin  de  Gersau  au  Kulm,  on 
voit  aussi  quelques  détails  qui  ne  sont  pas  aperçus  depuis  le  sommet.  Cette  auberge 
est  fréquentée  non-seulement  par  les  personnes  qu'attire  son  eau  minérale  ferrugi- 
neuse, mais  aussi  par  celles  qui  veulent  faire  une  cure  de  petit-lait  et  d'air  de  mon- 
tagne. Non  loin  du  Kaltbad  est  une  chapelle  où  l'on  dit  tous  les  jours  en  été  la  messe 
pour  les  bergers  d'alentour.  L'établissement  du  Kaltbad  a  été  incendié  en  1850; 
il  est  maintenant  reconstruit.  C'est  dans  le  voisinage  que  les  bergers  s'assemblent  le 
10  août  pour  se  livrer  à  des  exercices  gymnastiques  ;  le  22  juillet  de  semblables 
divertissements  ont  lieu  près  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  des  Neiges.  Ces  fêtes 
attirent  un  grand  concours  d'assistants.  A  un  quart  d'heure  de  la  chapelle,  il  existe 
deux  grottes  où  l'on  trouve  quelques  stalactites.  Les  troupeaux  vont  quelquefois  y 
chercher  un  asile.  On  compte  sur  les  plateaux  et  les  croupes  du  Righi  cent  et  quelques 
chalets,  autour  desquels  paissent  en  été  2  ou  3000  pièces  de  gros  bétail. 

Gersau.  —  Le  village  de  Gersau  était  autrefois,  avec  la  république  de  St.-Marin 
dans  la  Romagne,  le  plus  petit  Etat  libre  de  l'Europe.  Son  territoire  avait  deux  lieues 
de  longueur,  et  une  de  largeur,  à  partir  des  bords  du  lac  jusqu'au  sommet  de  la  mon- 
tagne. Les  habitants  de  Gersau,  qui  ne  comptaient  que  vingt  familles,  se  rachetèrent 
en  1590  de  tous  droits  seigneuriaux  pour  690  livres.  L'empereur  Sigismond  con- 
firma leurs  privilèges  en  1433,  et  dès-lors  l'indépendance  de  ce  petit  Etat  fut  res- 
pectée, jusqu'à  la  fin  du  IS""  siècle;  mais  les  Français  le  réunirent* au  canton  des 
Waldst«Btten,  et  ensuite  à  celui  de  Schwytz.  Plus  tard,  Gersau  fit  quelques  démarches 
inutiles  auprès  de  la  Diète  pour  le  rétablissement  de  son  existence  distincte.  Dès 
Tannée  1318,  Gersau  était  lié  par  un  traité  avec  les  trois  petits  cantons,  et  en 
1359  cette  alliance  fut  étendue  à  Lucerne.  Il  servit  la  cause  des  Suisses  dans  leurs 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  223 


guerres  contre  la  maison  d'Autriche.  Sa  constitution  avait  une  grande  analogie  avec 
celle  des  cantons  voisins.  La  Landsgemeinde  était  souveraine,  et  se  composait  de  tous 
les  citoyens  âgés  de  plus  de  seize  ans.  Elle  élisait  un  landammann  qui  restait  deux 
ans  en  charge,  un  statthalter,  un  trésorier,  un  secrétaire,  et  neuf  conseillers  d'Etat. 
La  population  s'élevait  à  1500  âmes  à  la  fin  du  siècle  dernier,  et  le  nombre  des  ci- 
toyens actife  montait  à  4S0;  c'était  moins  qu'il  n'y  a  de  députés  dans  la  Chambre 
des  communes  d'Angleterre.  Actuellement,  la  population  est  de  1585  âmes.  Gersau, 
entouré  d'un  massif  d'arbres  fruitiers,  offre  un  très-joli  coup-d'œil.  Il  a  quelques 
terrains  cultivés  au  bord  du  lac.  Ses  pâturages  et  ses  troupeaux,  sont  sa  principale 
richesse.  Cependant,  depuis  près  d'un  siècle,  la  préparation  de  la  soie  et  la  filature  du 
ooton  y  ont  été  introduites  et  ont  procuré  des  gains  considérables.  Les  maisons  sont 
bien  bâties.  La  maison-de-ville  a  aussi  une  belle  apparence.  La  population  a  conservé 
quelque  chose  d'original  dans  ses  mœurs  et  dans  ses  usages. 

EiNsiRDLEN,  Notre-Dame  des  Ermites.  —  La  grande  route  de  Schwytz  à  Einsiedlen 
|)asse  par  Steinen,  lieu  de  naissance  de  Werner  Stauffacher.  Sur  l'emplacement  de 
sa  maison,  hors  du  village,  on  a  élevé  en  1400  une  chapelle  dont  les  fresques  re- 
tracent quelques  événements  de  la  vie  de  Stauffacher.  Plus  loin,  l'on  arrive  à 
Rothcnthurm,  où  s'assemble  tous  les  deux  ans  la  Landsgemeinde  générale  du  can- 
ton, au  nombre  de  près  de  10,000  citoyens.  Non  loin  de  ce  village  est  le  hameau  de 
Biberegg,  berceau  de  la  famille  des  Beding.  Près  de  Bothenthurm,  mais  sur  le  terri- 
toire de  Zug,  se  trouvent  aussi  le  lac  d'Egeri  et  le  défilé  de  Morgarten,  célèbres  par 
la  victoire  des  Confédérés. 

Einsiedlen  est  un  gros  bourg,  bien  bâti,  et  dont  un  tiers  des  maisons  sont  des  au- 
berges. Il  est  à  2600  pieds  au-dessus  de  la  mer,  au  milieu  d'une  contrée  un  peu  triste 
et  uniforme.  La  fondation  du  couvent  remonte  à  l'époque  de  Charlemagne.  Meinrad, 
comte  de  Hohenzollern,  construisit,  dit  la  chronique,  une  chapelle  sur  le  mont  Etzel, 
puis  une  autre  sur  l'emplacement  du  couvent,  en  l'honneur  d'une  merveilleuse 
image  de  la  Sainte-Vierge,  que  lui  avait  donnée  Uildegarde,  abbesse  de  l'Eglise  de 
Notre-Dame  de  Zurich.  Il  y  vécut  en  ermite,  et  fut  assassiné  vers  l'an  803  ;  mais  ses 
meurtriers  furent  découverts  par  les  corbeaux  que  le  saint  avait  nourris,  et  ils  furent 
exécutés  à  Zurich.  Après  la  mort  de  Meinrad,  le  renom  de  sa  sainteté  s'accrut  rapi- 
dement, et  un  autre  comte,  Eberard,  fonda,  le  siècle  suivant,  un  couvent  de  bénédictins 
sur  le  lieu  qu'avait  occupé  sa  cellule,  et  obtint  de  l'empereur  la  propriété  des  vastes 
déserts  qui  l'entouraient.  Le  14  septembre  948,  jour  de  la  consécration,  des  voix 
d'anges  annoncèrent,  dit  la  légende,  que  le  Sauveur  lui-même  avait  béni  l'église. 
Une  bulle  de  Léon  YIII  confirma  le  miracle  et  accorda  des  indulgences  plénières  aux 
pèlerins  qui  se  rendraient  à  Notre-Dame  des  Ermites.  Le  couvent  devint  bientôt  le 
plus  riche  de  la  Suisse,  après  l'abbaye  de  St.-Gall.  L'empereur  Rodolphe  de  Habsbourg 
éleva  l'abbé  au  rang  de  prince  de  l'empire,  en  1274,  et  actuellement  encore  l'abbé 
conserve  le  titre  de  prince.  Cent  cinquante  ans  plus  tard,  l'Autriche  céda  à  Schwytz 
tous  ses  droits  sur  le  couvent  et  le  pays  d'Einsiedlen,  qui  dès-lors  jusqu'en  1798  sont 
demeurés  sujets  de  ce  canton.  Zwingli  fut  curé  d'Einsiedlen  de  1515  à  1519.  En 
i 51 7,  le  jour  de  la  consécration,  il  prêcha  avec  tant  de  force  contre  les  indulgences, 
les  pèlerinages  et  les  vœux,  que  les  moines  embrassèrent  la  réforme  et  quittèrent  le 
couvent;  mais  les  efforts  de  Schwytz  les  y  ramenèrent  pour  la  plupart.  En  1793, 


224  LA   SUISSE   PITT0HG8QUB. 


les  archevêques  de  Paris  et  de  Vienne,  et  beaucoup  d'autres  ecclésiastiques  français, 
trouvèrent  un  asile  à  Einsiedlen.  Le  couvent  fut  pillé  en  1798  et  1799  par  les  troupes 
françaises  ;  on  dit  que  limage  sacrée  de  la  Vierge  fut  envoyée  à  Paris;  mais,  avant  cet 
événement,  les  moines  avaient  eu  soin  de  mettre  en  sûreté  les  objets  les  plus  précieux, 
et  ils  assurent  que  l'image  véritable  et  miraculeuse  fut  rapportée  du  Tyrol  en  1803. 
Dès-lors,  l'affluence  des  pèlerins  a  recommencé,  et  leur  nombre  est  actuellement  de 
100  à  150,000  par  an.  Les  jours  de  fête,  et  surtout  le  1&  septembre,  jour  de  la 
consécration  par  les  anges,  la  foule  est  immense  :  elle  accourt  des  cantons  catho- 
liques, de  rAllemagne  méridionale,  d'Alsace,  de  Lorraine,  et  de  pays  plus  éloignés. 
En  d'autres  temps,  il  arrive  aussi  des  troupes  de  pèlerins,  surtout  les  deux  derniers 
jours  de  la  semaine.  Après  Notre-Dame  de  Lorette  en  Italie  et  St.-Jacques  de  Com- 
postelle  en  Espagne,  Einsiedlen  est  le  lieu  de  pèlerinage  le  plus  fréquenté  du  monde. 

Sur  la  vaste  place  qui  sépare  le  bourg  du  couvent,  on  voit  une  fontaine  de  marbre 
noir  avec  quatorze  tuyaux  ;  elle  est  ornée  de  l'image  de  la  Vierge  et  d'une  grande 
couronne  d'or.  La  tradition  veut  que  le  Sauveur  ait  bu  de  l'un  des  tuyaux  ;  mais 
comme  on  ignore  duquel,  les  pèlerins  vont  d'un  tuyau  à  l'autre,  pour  ne  pas  manquer 
celui  dont  l'eau  a  été  sanctifiée.  Sous  les  arcades  voisines  du  couvent  et  sur  la  place  elle- 
même  est  rangée  une  multitude  de  boutiques,  dans  lesquelles  on  vend  des  images,  des 
chapelets,  des  crucifix  et  autres  objets  de  dévotion.  Les  statues  à  droite  et  à  gauche 
de  l'entrée  de  l'édifice  doivent  représenter  les  empereurs  Othon  1*'  et  Henri  !•',  pro- 
tecteurs du  couvent.  Le  bâtiment  a  été  reconstruit  de  170&  à  1719,  à  la  suite  d'un 
incendie;  il  est  dans  le  style  italien.  La  façade  a  une  longueur  de  hH  pieds,  dont 
117  sont  occupés  par  l'église  et  ses  deux  tours  élancées.  On  compare  celle-ci  à 
l'église  de  St. -Jean  de  Latran.  Dans  la  nef  centrale  s'élève  la  chapelle  de  la  Sainte- 
Vierge,  en  marbre  noir,  entourée  d'une  grille,  au  travers  de  laquelle  on  entrevoit,  à 
la  lueur  d'une  lampe,  le  palladium  du  couvent,  une  petite  image  de  la  Vierge  avec 
l'enfant  Jésus  ;  ces  figures  sont  revêtues  de  splendides  habits  et  surmontées  de  cou- 
ronnes d'or  ornées  de  pierreries.  Le  couvent  compte  soixante  pères  et  vingt  frères, 
outre  le  nombre  nécessaire  de  valets.  On  y  trouve  une  bibliothèque  de  26,000  vo- 
lumes, en  majeure  partie  relatifs  à  l'histoire.  Les  manuscrits  qu'elle  possède  ont  été 
consultés  par  plusieurs  écrivains,  en  particulier  par  l'historien  Mûller.  Un  Séminaire 
et  un  Lycée  sont  établis  dans  le  couvent. 

Le  MONT  Etzel,  Laghen.  —  Au  nord  du  plateau  d'Einsiedlen  s'élève  le  mont  Etzel, 
qui  fut  témoin  de  la  résistance  héroïque  des  Schwytzois  en  1798,  ainsi  que  le  défilé 
de  Schindellégi,  où  coule  la  Sihl.  Du  sommet  de  l'Etzel,  haut  de  3310  pieds,  on  jouit 
d'une  vue  magnifique.  Entre  l'Etzel  et  le  lac  s'étend  une  contrée  fertile.  Le  principal 
endroit  qu'on  y  trouve  est  le  joli  bourg  de  Lachen,  chef -lieu  du  district  de  la  Marche, 
et  peuplé  de  ISOO  habitants.  Les  bains  de  Nuolen  n'en  sont  qu'à  un  quart  de  lieue. 
Nous  avons  déjà  parlé,  dans  l'article  Zurich  j  de  ce  long  pont  qui  joint  la  presqu'île  de 
Hûrden  avec  la  ville  de  Rapperschwyl,  et  des  deux  petites  îles  schwytzoises  de 
Lûtzelau  et  d'Ufenau.  Celle  ci  appartient  au  couvent  d'Einsiedlen.  Il  s'y  trouve  une 
ferme,  une  église  et  une  chapelle  qui  doit  remonter  au  12''  siècle. 


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Pàlwio»  fl  fis  i»r**>> 

î*rk2iîrjirj»r»  f^-  *•  f^  Vnr^  2n  'r^»»*  i'  '•"  '  n  .-•r»    tu  iiri  «n  ^^t    '  j^. 
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se  muAi^  j^  FciLrtâftv^    4^I«VI     p  i/w.  ^-i^f,  ^  /    V»*^**     #»  r^.,  i,^j.  ^.     f.  r^,  ^^ 
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226  LA    SUISSK    PITTORESOUF.. 


frontière  bernoise,  le  col  iuJoch,  6890;  le  Geissberg,  7990;  le  Hochstollen,  7900; 
le  Schorren,  8600  ;  le  col  du  Brûnig,  3880  ;  le  Wylerhorn,  8900  ;  \eRothhorn,  7260. 
Du  Rolhhorn  part  la  chaîne  qui  se  termine  au  mont  Pilate  et  qui  sépare  Unterwald 
de  Lucerne.  Du  Geissberg,  voisin  du  Titlis,  part  une  autre  chaîne  qui  se  dirige  vers  le 
nord  et  se  termine  par  le  Stanzerhorn  ou  Blum-Alp,  qui  domine  Stanz.  Cette  chaîne 
sépare  la  vallée  d*Engelberg  de  celle  du  Melchthal.  Celle-ci  est  séparée  de  la  vallée 
de  Sarnen  et  du  Petit-Melchthal  par  une  autre  ramification  qui  se  détache  du 
Hochstollen  et  se  prolonge  jusqu'à  Sachseln.  Les  principales  vallées  du  canton  sont 
celles  de  Sarnen  et  de  Lungern,  qu'arrose  VAa,  qui  sort  du  lac  de  Lungem  et  se  jette 
dans  le  golfe  d'Alpnach;  les  vallons  latéraux  du  Petit-Melchthal,  du  Melchthal, 
arrosés  par  les  deux  Melch-Aa,  et  du  Schlierenthal,  arrosé  par  la  Schlieren;  enfin 
la  vallée  d'Engelberg,  arrosée  par  une  autre  Aa,  qui  est  alimentée  par  les  glaciers 
du  Titlis  et  des  Alpes  voisines.  Cette  rivière  va  verser  ses  eaux  dans  le  lac  de  Lu- 
cerne,  près  de  Buochs.  Outre  les  montagnes  indiquées  ci-dessus,  on  peut  nommer 
encore  le  Bûrgemiock,  3660,  entre  Stanzstad  et  Buochs,  qui  se  termine  à  la  Nase 
inférieure,  et  le  Rotzberg,  le  long  du  golfe  d'Alpnach,  entre  Alpnach  et  Stanzstad; 
on  y  voit  les  ruines  du  chftteau  de  Rotzberg. 

Lacs  et  Cascades.  —  Le  canton  possède  une  grande  partie  des  rives  méridionales 
du  lac  des  Quatre-Cantons,  et  en  particulier  les  golfes  pittoresques  d' Alpnach  et  de 
Buochs.  Dans  le  golfe  d' Alpnach  et  au  nord  du  Bûrgenstock,  jusqu'au  promontoire 
de  la  Nase  inférieure,  les  rives  sont  escarpées;  de  Buochs  jusqu'au  promontoire  de 
Treib,  voisin  de  la  frontière  d'Uri,  les  pentes  verdoyantes  descendent  jusqu'au  lac. 
Dans  rinlérieur  du  canton  Ton  trouve  le  lac  de  Sarnen,  long  d'une  lieue  et  demie 
et  large  d'une  demi-lieue.  Celui  de  Lungern  avait  une  longueur  d'une  lieue«  sur 
une  largeur  d'un  quart  de  lieue;  les  travaux  terminés  en  4836  par  une  société 
d'actionnaires  pour  l'abaisser  de  120  pieds,  l'ont  réduit  de  près  de  moitié,  et  ont  fait 
gagner  une  étendue  de  800  arpents  ;  mais  le  sol  y  est  rocailleux  et  risque  de  rester 
en  grande  partie  improductif.  Entre  ces  deux  lacs  il  y  en  avait  autrefois  un  troisième, 
près  du  village  de  Giswyl;  mais  en  1760  la  commune  le  fit  saigner  et  dessécher,  et 
il  est  maintenant  converti  en  terrain  de  bon  rapport.  Le  lac  de  Trûh,  au-dessus 
d'Engelberg,  et  le  lac  de  Melch,  au  fond  du  Melchthal,  n'ont  qu'une  demi-lieue  de 
tour;  ce  dernier  a  pour  écoulement  le  torrent  de  Melch-Aa,  qui  bientôt  se  perd 
sous  une  montagne,  pour  reparaître  plus  bas. — Les  cascades  les  plus  remarquables  du 
canton  sont  celles  du  Rotzloch,  entre  Alpnach  et  Stanzstad  ;  celles  du  Tâtschbach  et 
du  Slierenbach,  dans  la  vallée  d'Engelberg  ;  celle  d'Ematten,  sur  les  bords  du  lac  des 
Waldslœtten  ;  celle  du  GiessenbacK  près  de  Lungern  ;  celles  de  YAa,  près  de  Giswyl. 

Sources  minérales.  —  Il  n'existe  dans  le  canton  aucun  établissement  de  bains 
fréquenté  par  les  étrangers.  On  y  compte  cependant  plusieurs  sources  minérales  ; 
mais  on  en  fait  peu  d'usage.  Ainsi  l'on  trouve  une  source  sulfureuse  au  bord  du  lac 
de  Lungern,  et  plusieurs  autres  dans  la  même  vallée,  entre  le  Brûnig  et  Alpnach; 
on  en  a  découvert  une  dans  la  gorge  du  Rotzbach,  à  une  lieue  de  Stanz,  et  à  Saint- 
Antoine,  ail-dessus  de  Rems.  Les  bains  froids  de  Schwândi,  au-dessus  de  Sarnen, 
près  la  frontière  de  Lucerne,  sont  visités  de  temps  en  temps  par  les  gens  du  pays. 
L'eau  contient  du  fer,  du  soufre  et  de  l'alun  ;  on  doit  la  chaufier  pour  en  faire  usage  : 
elle  est  efficace  contre  les  rhumatismes  et  les  maladies  cutanées,  etc.  On  exploitait 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  327 


autrefois  avec  succès  à  Humlingen  une  source  salée;  mais  elle  a  disparu  h  la  suite 
d'un  tremblement  de  terre  qui  renversa  le  village  de  Humlingen. 

Histoire  naturelle.  —  H  y  a  peu  de  chose  à  dire  sur  le  règne  animal.  On  ne  trouve 
dans  le  canton  que  très-peu  d'animaux  sauvages.  Les  vaches  y  sont  en  général  d'une 
petite  espèce:  elles  pèsent  rarement  plus  de  quatre  à  cinq  quintaux. — La  flore  res- 
semble à  celle  des  cantons  d'Uri  et  de  Schwytz;  c'est  près  du  Titlis  qu'elle  est  la 
plus  riche.  Le  canton  abonde  en  foréLs,  et  le  Bas-Unterwald  en  arbres  fruitiers. —  Les 
montagnes  sont  composées  de  calcaire  mêlé  de  quartz  et  d'ai^ile,  ou  de  calcaire 
noir;  on  y  trouve  des  ardoises  et  des  schistes  argileux,  noirs,  verdâtres  ou  rougeà- 
ires.  Le  Melchthal  fournit  plusieurs  espèces  de  marbres,  parmi  lesquels  le  noir  mêlé 
de  veines  blanches  est  le  plus  estimé  ;  on  y  a  trouvé  aussi  quelques  traces  de  mines 
de  fer.  Dans  les  Alpes  Surènes,  près  du  Titlis,  une  roche  calcaire  se  trouve  super- 
posée au  gneiss  (  roche  primitive).  On  observe,  aux  environs  de  Sarnen,  des  débris  de 
pierre  qui  renferment  beaucoup  de  nummulites,  et  l'on  rencontre  des  pétrifications 
sur  la  montagne  voisine  de  Kaiserstuhl. 

Antiquités.  —  On  n'a  découvert  dans  le  pays  aucune  trace  de  la  domination  ro- 
maine. Près  de  l'entrée  de  la  vallée  du  Melchthal,  du  côté  du  nord,  s'élève  une 
vieille  tour  qui,  à  ce  qu'on  croit,  a  appartenu  à  un  temple  païen.  Près  de  la  tour 
est  une  vieille  chapelle,  nommée  St.-Nicolas,  qui  passe  pour  la  plus  ancienne  église 
du  pays.  Celle  de  St.-Jacques,  entre  Sarnen  et  Stanz,  a  la  même  réputation.  11  y 
avait  dans  TUnterwald,  durant  le  moyen-ftge,  un  certain  nombre  de  châteaux  sei- 
gneuriaux ;  mais  ils  ont  presque  tous  disparu,  sans  même  laisser  de  ruines  recon- 
naissables. 

Histoire.  —  Les  habitants  d'Unterwald  se  liguèrent  avec  ceux  d'Uri  et  Schwytz 
à  l'occasion  du  différend  qui  était  survenu  en  4115  entre  ce  dernier  canton  et  l'abbé 
d'Einsiedlen  ;  en  1206  et  1291  cette  alliance  fut  renouvelée.  Dès  l'an  1180  le  can- 
ton fut  divisé  en  deux  Etats,  ayant  leur  administration  et  leurs  lois  distinctes,  et 
portant  les  noms  d'Obwald  et  de  Nidwald.  Au  commencement  du  Ik"  siècle,  il  fut, 
comme  les  autres  Waldstœlten,  opprimé  par  des  baillis  autrichiens,  et  il  contribua 
énergiquement  à  l'affranchissement  du  pays.  Un  jeune  homme  du  Melchthal,  Arnold 
an  der  Halden,  fut  un  des  trois  conjurés  du  Grûtli.  Le  bailli  Landenberg  lui  ayant  fait 
enlever  une  paire  de  bœufs,  Arnold  avait  frappé  un  valet  de  ce  dernier.  Landenberg 
s'était  vengé  en  faisant  arracher  les  yeux  au  père  d'Arnold,  pendant  que  le  fils  avait 
dû  chercher  un  refuge  dans  le  canton  d'Uri.  Le  1**'  janvier  1308,  les  châteaux  de 
Sarnen  et  de  Rotzberg  furent  pris  et  détruits  par  les  paysans.  Le  jour  de  la  bataille 
de  Morgarten,  le  comte  de  Strassberg  envahit  Unterwald  par  le  mont  Brûnig,  à  la 
tête  de  &000  hommes,  et  s'avança  jusqu'à  Alpnach,  tandis  que  les  Lucernois  faisaient 
une  attaque  sur  un  autre  point.  Les  Unterwaldois,  vainqueurs  à  Morgarten,  accou- 
rurent en  toute  hâte,  et,  réunis  avec  les  citoyens  restés  dans  le  pays,  ils  repoussèrent 
partout  l'ennemi.  A  la  bataille  de  Sempach,  le  principal  honneur  du  succès  appar- 
tint à  Arnold  de  Winkelried,  qui  se  dévoua  héroïquement  pour  le  salut  de  sa  patrie. 
Durant  le  15*  siècle,  Unterwald  prit  part  à  diverses  conquêtes,  soit  dans  le  Tessin, 
soit  dans  le  nord  de  la  Suisse,  de  concert  avec  d'autres  cantons.  Après  la  bataille  de 
Morat,  en  1&76,  Fribourg  et  Soleure  firent  la  demande  d'entrer  dans  la  Confédéra- 
tion. Zurich,  Berne  et  Luceme  appuyèrent  leur  requête,  et  les  Waldstœtten  la  re- 


2i8  LA   «JISSB   PlTTOaSSOUK. 


poussèrent.  En  1481,  la  Diète  s'était  assemblée  à  Stanz  pour  délibérer  de  nouveau 
sur  cette  demande,  ainsi  que  sur  le  partage  du  butin  de  Morat;  mais  la  discorde 
n'avait  hit  que  s'accroître,  et  les  députés  allaient  se  séparer,  la  haine  dans  le  cœur, 
lorsqu'un  vénérable  ermite  du  Melchtbal,  Nicolas  de  Fiûe  {Niklauê  Vonflûe  ou  Von 
der  Flûh)^  prévenu  par  un  prêtre  de  ce  qui  se  passait,  accourut  à  Stanz,  et,  pareil  au 
génie  tutélaire  de  la  Confédération,  se  présenta  dans  l'assemblée.  Il  y  parla  le  lan- 
gage de  la  sagesse  et  de  la  raison  ;  exhorta,  au  nom  du  Gel,  les  députés  à  oublier 
leurs  ressentiments  et  à  recevoir  Fribourg  et  Soleure  dans  le  Corps  helvétique  pour 
les  services  qu'ils  avaient  rendus  à  la  patrie.  La  beauté  de  sa  figure  et  la  majeslé 
de  sa  taille  ajoutèrent  du  poids  à  ses  paroles,  et  peu  de  jours  après,  l'alUanœ  des 
dix  cantons  hit  signée  par  les  députés.  Ce  fut  ce  qu'on  appela  le  CanvenarU  de 
Slanz.  Nicolas  recommanda  en  outre  aux  Confédérés  de  se  tenir  en  garde  oontre  la 
séduction  des  cours  et  des  mœurs  étrangères,  et  de  rester  toujours  unis  et  pauvres, 
pour  être  éternellement  heureux  et  libres.  Après  ces  sages  conseils,  il  retourna  se 
renfermer  dans  sa  cellule. 

En  1798,  le  canton  d'Unterwald,  et  surtout  Nidwald,  se  distingua  par  l'énergie 
avec  laquelle  il  résista  à  l'occupation  française.  Nidwald  ayant  refusé  de  se  sou- 
mettre à  la  Constitution  helvétique,  et  de  laisser  procéder  à  la  levée  de  la  milice 
sur  son  territoire,  un  corps  de  12  à  1S,000  Français  se  mit  en  marche  pour  atta- 
quer le  pays  sur  plusieurs  points  à  la  fois.  Tous  les  habitants  se  levèrent  au  son  du 
tocsin;  ils  n'étaient  que  2000,  et  il  y  avait  dix  postes  à  garder.  Les  4,  5  et  8 sep- 
tembre, les  Français  firent  diverses  attaques  pour  reconnaître  leurs  positions;  mais 
l'attaque  générale  eut  lieu  le  9  au  point  du  jour,  soit  par  TObwald,  soit  par  six 
points  du  rivage,  dont  ils  s'approchèrent  avec  un  grand  nombre  de  bateaux.  Les 
Unterwaldois  repoussèrent  les  assaillants  avec  un  courage  héroïque  ;  tous  les  pas- 
sages furent  défendus  pied  à  pied.  Après  plusieurs  heures  d'une  lutte  acharnée,  les 
succès  étaient  balance,  lorsque  survinrent  de  nouvelles  colonnes  de  Français; 
hommes,  femmes,  enfants,  jeunes  filles,  vieillards,  tous  continuèrent  à  combattre 
en  désespérés,  et  moururent  plutôt  que  de  se  rendre.  C'était,  écrivait  le  général 
Schauenbourg,  l'afiaire  la  plus  chaude  qu'il  eut  jamais  vue.  Dix-huit  jeunes  filles 
combattirent  près  de  la  chapelle  de  Winkelried  à  Stanz,  et  y  trouvèrent  une  mort 
glorieuse.  Le  nombre  des  morts,  du  côté  des  Unterwaldois,  s'éleva  à  386,  au  nombre 
desquels  on  compta  102  femmes  et  25  enfants.  Cette  résistance,  qui  fit  éprouver 
aux  troupes  françaises  des  pertes  considérables,  les  exaspéra  tellement,  qu'elles  se 
rendirent  coupables  des  plus  affreux  excès.  Ce  malheureux  pays  fut  livré  d'abord 
au  pillage,  ensuite  au  fer  et  au  feu  par  le  vainqueur  ;  600  bâtiments  furent  la  proie 
des  flammes.  Les  pertes  occasionnées  par  l'incendie  et  le  pillage  furent  évaluées  i 
un  million  et  demi  de  livres,  et  l'on  estima  à  une  valeur  égale  celles  que  cau- 
sèrent les  réquisitions  et  les  occupations  militaires.  Le  pays,  si  pauvre  déjà,  se 
trouva  plongé  dans  une  affreuse  misère  ;  un  sixième  des  habitants  étaient  réduits  à 
la  mendicité.  Le  Haut-Unterwald,  qui  s'était  conduit  avec  plus  de  prudence,  souSnt 
beaucoup  moins  des  suites  de  la  guerre,  et  chercha,  dans  la  mesure  de  ses  moyens,  i 
alléger  les  maux  de  ses  frères  plus  infortunés  que  lui.  Les  autres  Suisses,  ainsi  que 
l'Angleterre  et  l'Allemagne,  envoyèrent  d'abondants  secours.  C'est  alors  que  Pesta- 
lozzi  fonda  à  Stanz  une  maison  d'éducation,  où  il  recueillit  plus  de  80  enfants  pauvres 


LA  SUISSE   PITTORESQUE.  229 


OU  orphelins  des  deux  sexes;  il  y  fit  l'essai  de  sa  nouvelle  méthode,  qui  bientôt  se 
répandit  en  Europe;  mais  deux  ans  plus  tard,  la  guerre  dont  les  Petits-Cantons  furent 
le  Ihéàtre,  le  força  à  transporter  son  établissement  à  Berthoud. 

L'Acte  de  médiation  rendit  à  Unterwald  son  ancienne  Constitution.  Obwald  s'é- 
tait fait  représenter  à  la  Consulte  qui  précéda  cet  Acte,  par  un  député  qui  se  nom- 
mait Ignace  de  Flûe.  En  1814,  Nidwald  fut,  avec  Schwytz,  le  dernier  canton  qui 
persista  à  ne  pas  reconnaître  la  Diète  de  Zurich.  C'est  alors  que  la  vallée  d'En- 
gelberg,  qui  jusqu'en  1798  avait  été  gouvernée  par  l'abbé  du  couvent,  et  qui  à 
cette  époque  avait  été  réunie  à  Nidv^ald,  ne  partageant  pas  les  sentiments  des  ci- 
toyens de  cet  Etat,  demanda  et  obtint  d'être  réunie  à  celui  d'Obwald.  Nous  avons 
déjà  dit  qu'après  1830  Unterwald  fut  au  nombre  des  cantons  qui  s'opposèrent  à 
tout  changement  du  Pacte  de  181K,  et  que  ce  fut  à  Sarnen  que  se  réunirent  en 
1833  les  députés  des  trois  Waldstœtten,  de  Bàle  et  de  Neuchàtel,  pour  rédiger  leur 
protestation  collective. 

Plus  tard,  Unterwald  fit  partie  de  la  ligue  du  Sonderbund  ;  mais  après  l'occupa- 
tion de  Lucerne,  il  capitula,  et  fut  occupé  sans  résistance  par  les  troupes  fédérales,  à 
la  fin  de  novembre  18&7.  Dès-lors,  le  canton  s'est  soumis  sans  opposition  à  la  nou- 
velle Constitution  fédérale  de  1848.  Les  deux  parties  du  pays  ont  révisé  leurs 
Constitutions  en  1850.  Sous  le  Pacte  de  1815,  chacun  des  deux  demi-cantons  en- 
voyait à  la  Diète  un  député  qui  n'avait  qu'une  demi-voix,  de  telle 
sorte  que  quand  leurs  avis  étaient  diflérents,  la  voix  du  canton  se 
trouvait  annulée.  Sous  la  Constitution  actuelle,  chacun  des  demi- 
Etats  envoie  un  député  au  Conseil  des  Etats,  et  un  député  au  Conseil 
National.  Les  armoiries  d'Obwald  sont  une  simple  clé;  celles  de  Nid- 
wald, une  double  clé. 

Constitutions.  —  Voici  les  principaux  traits  des  Constitutions  que  les  deux  Etats 
d'Unterwald  soumirent  en  1815  à  la  garantie  fédérale,  et  qui  n'étaient  que  le  main- 
tien des  anciennes  institutions  qui  les  régissaient  avant  1798.  Nous  indiquerons  aussi 
les  changenients  les  plus  importants  introduits  par  les  révisions  de  1850. 

Obwald.  La  souveraineté,  suivant  l'ancienne  Constitution,  réside  dans  l'assemblée 
générale  des  citoyens  âgés  au  moins  de  20  ans  ;  cette  assemblée  se  réunit  chaque 
année  le  dernier  dimanche  d'avril  ;  elle  élit  à  main  levée  les  quatre  landammanns, 
le  statthalter,  le  trésorier,  l'inspecteur  des  bâtiments,  le  banneret,  les  deux  capi- 
taines, les  deux  enseignes  et  les  deux  inspecteurs  de  l'arsenal ,  tous  fonctionnaires 
qui  portent  le  titre  de  Chefs  du  pays  (  Landsvorgesetzten  ) .  Elle  élit  en  outre  les  députés 
à  la  Diète ,  adopte  ou  rejette  les  projets  de  lois  présentés  par  le  triple  Landrath.  — 
Le  Conseil  Cantonal  ou  Landralh  se  compose  des  Chefs  du  pays,  et  de  65  membres 
nommés  par  les  paroisses  ^  ;  il  exerce  le  pouvoir  exécutif  et  administratif  ;  il  juge  aussi 
les  causes  de  police  et  les  causes  criminelles  non  capitales  ;  pour  les  causes  crimi- 
nelles les  plus  graves,  il  convoque  le  double 'on  le  triple  Conseil.  Le  landammann 
régnant  préside  les  assemblées  générales,  ainsi  que  les  divers  Conseils;  en  cas 

1.  Les  fonclîoDS  des  membres  do  Landrath  étaient  à  vie  ;  c*est  ce  qui  résoUe,  non  point  du 
texte  de  la  GonsUtotion,  qui  n'était  pas  du  tout  clair,  mais  d*une  note  qu*on  lit  dans  le  Maniiêl 
du  Drcit  public  tuUsê  (HafM,  de»  sehweix.  SlaatsrechU),  de  Snell.  Les  Chefs  du  pays  étaient  aussi 
nommés  à  vie,  sauf  le  trésorier,  Tinspecteur  des  bâUroents  et  le  landammann  en  charge. 


230  LA   SUISSE   PITTOneSQUE. 


d*absence,  le  statlhalter  le  remplace.  La  justice  civile  est  administrée  en  première 
instance  par  les  Tribunaux  des  Sept;  il  y  en  a  un  dans  chaque  paroisse,  et  ils  se 
renouvellent  tous  les  ans;  et  en  seconde  instance  par  le  Tribunal  assermenté 
{GeschtcorneU'Gerkht),  qui  se  compose  du  landammann  en  charge  et  de  16  juges 
nommés  par  les  paroisses  et  changés  tous  les  ans. 

D'après  la  (Constitution  adoptée  en  iSSO,  les  autorités  cantonales  sont  :  la  Laiidsge- 
meitide,  qui  vote  la  Constitution  et  les  lois,  élit  un  Conseil  d*Ètal  et  les  députés  à 
FAssemblée  fédérale  ;  —  le  triple  Conml,  composé  des  membres  du  Conseil  d*Ètat  et  du 
liandrath  et  de  140  députés  nommés  par  les  7  communes,  à  raison  de  1  sur  125  ha- 
bitants; il  est  autorité  législative;  il  examine  les  projets  de  lois,  et  exerce  le  droit 
de  grâce  ;  —  le  Landrath,  composé  des  12  membres  du  Conseil  d'Etat  et  de  !(5  dé- 
putés nommés  par  les  communes,  à  raison  de  1  sur  250  habitants;  il  est  autorité  exe- 
cutive et  administrative,  de  même  que  le  Conseil  d'État,  qui  lui  est  subordonné;  la 
Landsgemeinde  choisit  chaque  année,  parmi  les  membres  de  celui-^i,  le  landammann, 
le  statlhalter,  et  le  trésorier  ;  —  enfin  le  Tribunal  cantonal  ou  d'Appel,  composé  de  1 3 
membres  nommés  par  le  triple  Conseil.  —  Les  assemblées  de  communes  nomment 
les  députés  au  triple  Conseil  et  au  Landrath,  le  président  du  Conseil  commiina/ (  lequel 
se  compose  des  membres  du  Conseil  d'État  et  du  Landrath  habitant  la  commune), 
enfin  un  Tribunal  des  Sept  ou  de  première  instance.  Des  assemblées  de  paroisse  élisent 
des  Conseils  paroissiaux.  Les  membres  de  tous  ces  Conseils  sont  nommés  pour  4  ans, 
et  renouvelés  par  quart  ;  les  membres  des  tribunaux  sont  nommés  pour  le  même 
terme,  et  renouvelés  par  moitié. 

NidîDald.  La  Landsgemeinde,  d'après  l'ancienne  Constitution,  se  compose,  pour 
les  élections,  de  tous  les  citoyens  âgés  de  14  ans,  et  pour  le  vote  des  lois,  de  tous  les 
citoyens  âgés  de  16  ans.  Elle  s'assemble  le  dernier  dimanche  d'avril,  et  nomme  les 
quatre  landammanns  et  les  autres  principaux  magistrats.  Le  statthalter  et  le  trésorier 
sont  seuls  soumis  à  une  confirmation  annuelle .  La  Landsgemeinde  postérieure  (  Nachge- 
meinde  )  se  tient  quinze  jours  après,  et  vote  sur  les  lois  et  les  impôts.  Toute  loi  qui  doit 
lui  être  portée  est  lue  publiquement  huit  jours  à  l'avance  dans  toutes  les  paroisses. 
Le  Conseil  simple  se  compose  des  premiers  magistrats  et  de  88  conseillers  nommés 
par  les  communes;  il  s'occupe  des  objets  d'administration.  Pour  certaines  décisions, 
le  Conseil  est  double  ou  triple,  par  l'adjonction  d'un  ou  deux  hommes  prudents  par 
chaque  conseiller  de  commune.  Le  Conseil  extraordinaire  se  compose  de  7  membres 
au  moins,  et  peut  être  convoqué  par  le  landammann  en  charge,  dans  les  cas  urgents. 
11  y  a  en  outre  un  Conseil  de  guerre,  un  Conseil  sanitaire,  etc.  Le  Tribunal  de  sang,  qui 
prononce  la  peine  capitale,  se  compose  du  Conseil  simple  et  de  tous  les  citoyens  qui 
ont  atteint  l'âge  de  30  ans.  La  justice  civile  est  rendue  par  les  Justices  de  Paix,  les 
Tribunaux  des  Sept,  et  le  Tribunal  assermenté. 

Le  Nidwald  n'a  pas  innové  en  1850  autant  que  l'Obwald.  La  Landsgemeinde  nomme 
les  premiers  magistrats,  et  en  outre  le  Landrath  et  les  députés  à  l'Assemblée  fédérale  ; 
quinze  jours  après,  elle  vote  les  lois  ;  chaque  citoyen  a  le  droit  de  présenter  des  projets 
de  lois,  mais  il  doit  les  annoncer  à  l'avance.  Le  Landrath,  autorité  executive  et  admi- 
nistrative, se  compose  des  premiers  magistrats  et  de  50  membres  nommés  pour  six 
ans.  Il  nomme  pour  deux  ans,  dans  son  sein,  un  Co9iseil  hebdomadaire,  composé  du 
landammann  et  de  12  membres,  qui  gère  les  affaires  courantes,  il  nomme  les  divers 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  231 


tribunaux.  Le  Tribunal  criminel  se  compose  des  membres  du  Tribunal  assermenté 
et  de  ceux  du  Landrath.  Les  paroisses  nomment  pour  trois  ans  un  Tribunal  de  Con- 
ciliation, et  pour  six  ans  un  Conseil  d'Eglise.  Les  communes  nomment  un  Clonseil 
communal  pour  six  ans,  un  président  pour  deux  ans,  une  Commission  scolaire  et 
les  régents.  Les  six  paroisses  du  pays  forment  onze  communes. 

Culte.  —  Le  canton  d'Unterwald  professe  exclusivement  la  religion  catholique, 
et  dépend  de  l'évéché  de  Coire.  On  y  compte  13  églises  paroissiales  (  7  dans  Obwald, 
6  dans  Nidwald),  et  un  certain  nombre  de  chapelles  qui  ont  des  desservants  parti- 
culiers; plusieurs  sont  placées  sur  les  pâturages  d'été,  près  des  villages  de  chalets. 
Les  plus  anciennes  paroisses  sont  celle  de  Sarnen,  qui  date  de  Tan  848,  celles  de  Kerns 
et  de  Sachsein,  qui  sont  de  1036,  celles  de  Stanz  et  de  Buochs,  de  1148  et  1168.  Il 
y  a  en  outre  dans  le  canton  cinq  couvents  :  un  de  capucins  et  un  de  femmes  de  Tordre 
Sainte-Claire,  à  Stanz  ;  un  de  capucins  et  un  de  bén^ictines,  à  Sarnen,  et  Tabbaye  de 
bénédictins  d'Engelberg.  Les  religieuses  de  Sarnen  avaient  résidé  à  Engelberg  du 
IS""  au  17**  siècle.  Du  temps  de  la  reine  Agnès,  leur  couvent  renfermait  un  grand 
nombre  de  demoiselles  nobles. 

Instruction  publique.  —  Les  écoles  sont  bien  meilleures  qu'elles  ne  Tétaient  jadis. 
La  plupart  des  enfants  les  fréquentent,  et  ceux  qui  n'y  vont  pas,  reçoivent  une  in- 
struction chez  eux  ou  dans  des  établissements  particuliers.  Les  curés  n'admettent 
guère  à  la  communion  des  enfants  qui  ne  sachent  pas  lire  et  étudier  par  eux-mêmes 
leur  catéchisme.  Dans  chaque  partie  du  canton  il  y  a  un  Conseil  scolaire,  qui  doit 
visiter  toutes  les  écoles  de  l'Etat  et  proposer  les  améliorations  désirables  ;  il  y  a  aussi 
dans  chaque  commune  une  Commission  scolaire.  D'après  une  loi  du  Nidwald,  tous 
les  enfants,  riches  et  pauvres,  doivent  suivre  Técole  de  8  à  12  ans;  l'instruc- 
tion est  gratuite  pour  les  pauvres.  En  1835,  Obwald  avait  18  écoles,  qui  comptaient 
1542  enfants;  Nidwald  en  avait  19,  avec  1356  écoliers.  Les  maîtres  étaient  au 
nombre  de  44,  dont  la  moitié  n'appartenaient  pas  au  clergé.  Il  existe  en  outre  à 
Stanz  et  à  Sarnen  des  collèges,  et  au  couvent  d'Engelberg  un  gymnase,  dans  les- 
quels on  enseigne  le  latin,  la  rhétorique,  la  géographie,  Thisloire,  etc.  Au  gymnase 
d'Engelberg  on  y  ajoute  la  musique,  le  dessin,  la  langue  française.  Cet  établissement 
fut  fondé  par  l'abbé  Léodegar,  mort  en  1798,  et  on  y  admet  des  élèves  qui  se  desti- 
nent à  Tétat  ecclésiastique.  Les  enfants  d'Unterwald  montrent  en  général  une  grande 
intelligence.  On  trouve  dans  le  canton  beaucoup  de  personnes  qui  ont  reçu  leur 
éducation  dans  des  établissements  scientifiques  de  l'étranger,  et  qui  connaissent  plu- 
sieurs langues  ou  passèdent  diverses  branches  des  sciences.  Chaque  citoyen  connaît 
aussi  assez  bien  les  lois  et  les  usages  de  son  pays. 

Industrie,  Commerce. —  De  même  que  les  habitants  d'Uri  et  de  Schwytz,  ceux 
d'Unterwald  ont  peu  de  goût  pour  l'industrie  et  pour  l'agriculture;  ils  se  vouent  de 
préférence  à  la  vie  pastorale.  Leur  principale  branche  de  commerce  est  la  vente  des 
bestiaux,  ainsi  que  celle  des  fromages.  Ceux-ci  deviennent  excellents  et  se  durcissent 
considérablement  avec  le  temps,  ce  qui  fait  qu'ils  peuvent  se  conserver,  et  qu'ils 
sont  recherchés  pour  les  voyages  de  long  cours.  Le  canton  doit  s'approvisionner  de 
blé  et  de  vin  à  Lucerne  ;  mais  les  arbres  fruitiers  du  Bas-Unterwald  et  de  la  vallée 
d'Alpnach  et  de  Sarnen  produisent  un  bon  revenu  ;  on  en  fait  du  vin  de  fruit.  On 
exporte  beaucoup  de  bois  à  brûler  et  à  bâtir;  on  pourrait  exporter  aussi  avec  avan- 


232  L\   SUISSE   PITTORESQUE. 


tage  des  ardoises  et  des  marbres.  Les  communes  riveraines  du  lac  vivent  en  partie 
du  produit  de  la  pèche  et  de  la  navigation.  La  vallée  d'Engelberg  est  la  contrée  où 
il  règne  le  plus  d'industrie  et  le  plus  d'aisance.  L'abbé  Léodegar  Salzmann,  mort  en 
1798,  eut  le  premier  l'idée  d'y  introduire  des  filatures  de  soie  et  de  coton.  Il  établit 
aussi  dans  l'abbaye  un  entrepôt  pour  le  débit  de  leurs  marchandises,  et  des  ateliers 
pour  la  préparation  de  la  soie. 

Hommes  distingués,  Artistes,  etc. —  Un  grand  nombre  de  citoyens  se  sont  illustrés 
par  les  services  qu'ils  ont  rendus  à  leur  pays. 

Obwald.  —  Arnold  an  der  Halden,  du  Melchthal ,  fut  un  des  trois  fondateurs  de  la 
liberté  helvétique.  Le  landammann  Tiesselbach,  d'Obwald,  mourut  à  Sempadi.  Ni- 
colas de  Flûe,  que  ses  compatriotes  vénèrent  comme  un  saint,  naquit  près  de 
Sachsein,  le  24  mars  ihhl.W  appartenait  à  une  des  premières  familles  du  pays.  Il  [ 
se  distingua  en  combattant  contre  Sigismond,  duc  d'Autriche,  et  montra  au  miUea 
des  fureurs  de  la  guerre  les  vertus  les  plus  touchantes.  Les  Suisses,  enivrés  de  leurs 
succès,  voulant  mettre  le  feu  à  un  couvent,  il  les  en  empêcha,  en  disant:  «Quand 
Dieu  vous  accorde  la  victoire,  respectez  les  édifices  qui  lui  sont  consacrés.»  Il  fut 
ensuite  un  des  magistrats  de  son  canton ,  mais  il  ne  voulut  point  accepter  la  chai^ 
de  landammann.  A  47  ans  il  quitta  sa  femme  et  ses  dii  enfants,  qu'il  avait  soigneu- 
sement élevés,  et  se  retira  dans  la  gorge  du  Melchthal,  pour  y  prier  et  jeûner  dans  la 
solitude.  Sa  sagesse  et  sa  vertu  le  rendirent  bientôt  l'objet  de  la  vénération  univer- 
selle; de  toutes  parts  on  venait  le  visiter  dans  sa  cellule  et  lui  demander  des  conseils 
et  des  prières.  On  lui  attribua  un  grand  nombre  de  miracles.  Durant  les  vingt-trois  ans 
qu'il  passa  dans  son  ermitage,  il  ne  le  quitta  qu'une  seule  fois  :  ce  fut  pour  sauver 
sa  patrie  de  la  guerre  civile.  Nous  avons  raconté  son  apparition  dans  la  Diète  de 
Stanz,  et  l'effet  heureux  que  produisirent  sa  parole  grave  et  son  maintien  austère  et 
majestueux .  Nicolas  de  Flûe  mourut  le  21  mars  1 487 ,  après  quelques  jours  de  maladie, 
entouré  de  sa  famille  et  de  ses  nombreux  amis.  Plus  tard,  il  fut  béatifié.  Deux  de  s^ 
fils  parvinrent  à  la  dignité  de  landammann;  un  autre  étudia  à  Bàle,  et  fut  reçu 
docteur  en  théologie  à  Paris.  Sa  famille  subsiste  encore  dans  l'Obwald.  L'ermitage 
continue  à  être  visité  par  de  nombreux  pèlerins.  L'abbé  Udelrich  d'Engelberg  est 
connu  par  sa  clémence  envers  des  paysans  révoltés.  L'abbé  Léodegar  Salznuinn  est 
regardé  à  juste  titre  comme  un  des  bienfaiteurs  de  l'Unterwald.  Nous  avons  parlé 
de  ses  efforts  pour  favoriser  l'industrie  dans  sa  vallée,  et  de  la  fondation  d'un  collège 
dans  son  couvent.  Il  institua  ei\  outre  un  registre  pour  les  hypothèques. 

Nidwald  peut  nommer  avec  orgueil  Arnold  de  Winkelried^  qui,  par  son  dévouement 
héroïque,  assura  la  victoire  aux  Confédérés  sur  les  champs  de  Sempach.  Un  autre 
Winkelried,  nommé  StrtUhy  avait,  d'après  les  chroniques,  délivré  le  pays  d'un  animal 
monstrueux  qui  avait  son  repaire  sur  le  mont  Rotzberg.  Melchior  Lûssi  fut  un  homme 
d'État  distingué.  Il  remplit  dix  fois  la  charge  de  landammann;  il  fut  capitaine-géné- 
ral, ambassadeur  à  la  cour  de  Rome,  en  Espagne,  à  Venise  et  près  du  Concile  de 
Trente  ;  et  dans  tous  ces  postes  importants  il  soutint  dignement  le  nom  du  peuple 
helvétique,  et  sut  se  concilier  la  faveur  des  princes  et  l'estime  de  tous  les  partis. 

Plusieurs  Unterwaldois  ont  cultivé  avec  succès  diverses  branches  des  arts,  des 
sciences  et  des  lettres  :  /.-/.  Eichhorn,  né  près  de  Spire  en  4578,  s'était  établi  en 
1600  dans  VObwaldj  où  il  fut  chapelain  de  St.-Nicolas.  Il  a  écrit  en  bon  latin  une  vie 


V  V 


L'  NTKRWALD. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  233 


de  Nicolas  de  Flûe. — Nicodème  de  Flûe  a  laissé  en  manuscrit  de  Iwns  travaux  concer- 
nant rhistoire  du  pays.  H  fut  consulté  par  Thistorien  Mûiler,  qui  visitait  son  canton. 
Ignace  de  Flûe,  son  fils,  chef  de  bataillon  au  service  de  France  sous  Napoléon,  a 
laissé  aussi  des  manuscrits  historiques  et  un  drame  patriotique  :  Le  frère  Nicolas  à  la 
Diète  de  Stanz.  —  Abarl,  originaire  du  Tyrol,  et  Durrer  de  Kerns,  furent  des  sculp- 
teurs distingués.  Bâcher  de  Kerns,  Heimann  de  Sarnen,  MaUer  et  Catani  d'Engelberg, 
se  sont  fait  connaître  comme  peintres.  Millier,  ingénieur  à  Engelberg,  a  fait  un  grand 
nombre  de  reliefe  de  montagnes,  etc. 

Nidwald  n'a  pas  moins  de  noms  à  citer.  Zelger,  landammann,  et  Basinger,  curé, 
tous  deux  de  Stanz,  ont  écrit  ensemble  une  histoire  du  peuple  d'Unterwald.  Le 
landammann  Kaiser,  de  Stanz,  a  écrit  plusieurs  pièces  dramatiques,  entre  autres  :  Le 
Nouvel  an  de  1308  dam  VUnterwald,  qui  fut  représenté  à  Stanz  avec  beaucoup  de 
succès  pour  fêter  le  S"*  jubilé  de  la  liberté  helvétique.  Wûrsch  ou  Wyrsch,  de  Buochs, 
fut  un  célèbre  peintre;  il  était  aveugle  quand  il  périt  dans  les  flammes,  lors  de  la 
prise  de  Stanz  par  les  Français.  Obersteg,  J,  Zelger,  H.  Kaiser;  Melchior  et  Théodore 
Deschfvanden,  ont  cultivé  ou  cultivent  encore  le  même  art.  Enfin,  parmi  les  noms 
de  plusieurs  sculpteurs,  celui  de  Chrisien  de  Wolfenschiessen  est  le  plus  saillant. 
Un  grand  nombre  des  œuvres  de  ces  divers  artistes  décorent  les  églises  du  canton. 

Moeurs,  Coutumes,  Caractère.  —  Le  peuple  d'Unterwald  est  bon  et  afifable,  quoi- 
que un  peu  défiant  vis-à-vis  des  étrangers;  il  est  courageux  et  intrépide  au  milieu 
du  péril.  On  remarque  que  l'habitant  de  TObwald  se  distingue  par  plus  de  prudence 
et  de  réserve,  et  celui  du  Nidwald  par  un  caractère  plus  vif  et  plus  impétueux.  Ce 
petit  peuple  dédaigne  la  politique ,  mais  aime  à  jouir  paisiblement  de  sa  vie  pasto- 
rale. Il  est  ferme  et  fidèle  dans  la  foi  de  ses  pères;  il  pousse  même  ce  sentiment 
jusqu'à  l'enthousiasme,  si  l'on  attaque  sa  foi  et  sa  liberté,  et  il  est  prêt  à  sacrifier  sa 
vie  pour  les  défendre.  Il  aime  à  s'entendre  appeler  le  pieux  Unterwaldois.  On  ren- 
contre le  long  des  chemins  un  grand  nombre  de  petits  oratoires,  où  se  trouvent  des 
images  de  la  Vierge  ou  des  Saints.  Il  n'y  a  pas  de  pays  où  le  peuple  ait  une  plus 
grande  vénération  pour  ces  images  sacrées;  elles  sont  quelquefois  nichées  assez 
pittoresquement  dans  des  troncs  d'arbres  et  entourées  de  feuillage.  On  voit  souvent 
des  femmes  s'inclinant,  le  chapelet  en  main,  devant  ces  saintes  reliques.  C'est  surtout 
l'image  de  saint  Nicolas  de  Flûe  que  l'on  retrouve  au  coin  des  routes  et  des  jardins 
et  dans  l'intérieur  des  chaumières.  On  lit  aussi  sur  les  murs  extérieurs  de  beaucoup 
de  maisons,  comme  dans  les  cantons  de  Berne  et  du  Vallais,  quelques  versets  de  la 
Bible. 

Les  habitants  d'Unterwald  ont  coutume  de  mêler  la  religion  dans  tous  les  actes 
de  leur  vie  et  jusque  dans  leurs  fêtes.  Ainsi,  les  corporations  ou  confréries  d'ouvriers 
sont  toutes  sous  la  protection  d'un  saint,  et  leur  fête  a  un  caractère  religieux.  Dans 
Nidwald,  la  confrérie  des  tailleurs  et  des  cordonniers  est  sous  la  protection  de  saint 
Crispin  ;  celle  des  ouvriers  à  profession  bruyante,  tels  que  les  forgerons,  les  ser- 
ruriers, etc. ,  est  sous  celle  de  François-Xavier  et  de  Népomucène  ;  celle  des  com- 
merçants, des  artistes,  etc.,  a  pour  patron  saint  Joseph.  Leurs  fêtes  se  célèbrent  en 
automne  ou  au  temps  du  carnaval.  Dans  l'Obwald,  tous  les  ouvriers  forment  une 
seule  corporation,  dont  la  fête  a  lieu  le  dernier  dimanche  de  janvier,  à  Sarnen  ou  à 
Kerns.  Les  confréries  de  bergers  ont  pour  patrons  saint  Wendelin  et  saint  Antoine  ; 
II,  15.  30 


234  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


leur  fête  se  célèbre  quand  les  troupeaux  sont  redescendus  des  pâturages  alpins^  et 
présente  des  particularités  curieuses.  Les  chefs  de  Tassociation,  portant  à  leurs  habits 
et  à  leurs  chapeaux  de  gros  bouquets  artificiels,  se  rendent  à  Téglise,  où  Timage  de 
leur  saint  est  placée  sur  Tautel.  Après  la  messe  et  une  prédication  où  Ton  a  fait  la 
louange  de  la  vie  pastorale,  le  cortège  se  promène,  musique  et  drapeau  en  tête;  trois 
individus,  déguisés  en  génies  des  montagnes  et  armés  de  branches  de  pin,  balaient 
la  route  devant  la  procession,  dont  font  partie  les  images  des  patrons  et  le  clergé  de 
Tendroit.  On  se  rend  enfin  dans  une  luHellerie,  au  milieu  des  cris  joyeux  de  toute  la 
population.  Le  banquet  est  suivi  d'une  nouvelle  promenade  et  d'une  distribution  de 
vivres  aux  familles  les  plus  pauvres.  Le  lendemain  matin,  après  le  service  religieux, 
commencent  les  danses.  Cette  fête  s'appelle  Aelperkilwi,  La  fête  des  tireurs  (Schûtzett- 
kilui)  se  célèbre  d'une  manière  à  peu  près  semblable.  Leur  patron  est  saint  Sébastien . 
De  jeunes  garçons,  à  la  tête  de  la  procession,  portent  les  prix  destinés  aux  plus 
adroits:  ce  sont  des  fromages,  de  l'argent,  un  agneau  orné  de  bandelettes,  etc.  —  Il 
existe  encore  un  grand  nombre  de  confréries  en  l'honneur  de  divers  saints,  en  par- 
ticulier celle  de  Saint-Nicolas  de  Flûe  ;  puis,  dans  les  principaux  endroits,  des  sociétés 
musicales,  dont  la  patrone  est  sainte  Cécile,  et  dont  les  concerts  font  partie  des 
cérémonies  religieuses. 

Les  exercices  gymnastiques,  et  particulièrement  la  lutte,  sont  aussi  au  nombre 
des  divertissements  nationaux.  Les  fêtes  des  lutteurs  ont  lieu  à  des  jours  fixés  et  sur 
diverses  montagnes,  où  se  réunissent  tous  les  pâtres  des  environs  et  même  ceux  des 
chantons  voisins.  Les  principales  de  ces  fêtes  ont  lieu  le  26  juillet  sur  une  alpe  au- 
dessus  de  Sachseln,  le  40  août  sur  la  Tannalp,  appartenant  à  la  paroisse  de  Kerns,  et 
située  près  du  lac  de  Melch,  et  le  1*"^  dimanche  d'août  sur  la  Stadtalp  au  fond  du  petit 
Melchthal;  ces  deux  dernières  alpes  sont  limitrophes  du  Hasli;  le  deuxième  et  le 
dernier  dimanche  d'août,  d'autres  réunions  ont  lieu  sur  la  frontière  de  l'Entlibuch. 
—  Le  peuple  d'Unterwald  prend  beaucoup  de  plaisir  aux  représentations  théâtrales, 
et  l'on  a  quelquefois  joué  des  pièces  sur  de  petits  théâtres  établis  momentanément  à 
Stanz,  à  Sarnen,  à  Engelberg  et  ailleurs.  Il  y  a  même  â  Stanz  une  société  théâtrale. 
On  a  aussi  représenté  quelquefois  en  plein  air  des  scènes  tirées  de  l'histoire  nationale. 
Ainsi,  en  1788,  on  a  représenté  diverses  scènes  de  l'histoire  du  pays  sur  les  localités 
mêmes  où  elles  s'étaient  passées.  Dans  l'hiver  de  1807,  on  a  célébré  â  Sarnen  de  la 
même  manière  le  cinquième  jubilé  centenaire  de  l'affranchissement.  —  Enfin  les 
Landsgemeindes  sont  de  véritables  solennités  nationales,  qui  attirent  une  nombreuse 
affluence  d'assistants.  Après  le  service  du  matin,  les  citoyens,  précédés  des  magistrats 
et  des  huissiers  en  costume  officiel,  se  rendent  sur  le  lieu  de  l'assemblée.  En  tête 
marche  un  corps  de  musique,  ainsi  que  quelques  hommes  vêtus  aux  couleurs  natio- 
nales, blanc  et  rouge,  qui  de  temps  en  temps  font  retentir  les  airs  du  son  des 
anciens  cors  de  guerre.  Après  la  prière  et  l'exécution  d'un  cantique  par  le  clergé,  le 
landammann  dépose  sa  chaire,  et  l'on  procède  aux  élections.  Ensuite,  le  cort^  se 
rend  â  l'église  au  son  des  cloches  ;  le  clergé  reçoit  le  nouveau  landammann ,  lui 
adresse  une  harangue,  et  chante  un  Te  Deum,  La  fête  se  termine  par  un  grand  banquet. 

Stanz,  Stanzstad,  Buoghs.  —  La  vallée  où  est  situé  le  bourg  de  Stanz,  chef-lieu 
du  Bas-Unterwald,  est  l'une  des  contrées  les  plus  belles  et  les  plus  riantes  de  la 
Suisse.  Les  magnifiques  vergers  qui  entourent  ce  bourg,  ressemblent  â  une  véritable 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  238 


forêt,  où  de  jolis  seniiera  forment  les  promenades  les  plus  champêtres.  La  vallée  est 
dominée  au  sud  par  le  Stanzerhorn  bu  la  Blum-Alp,  et  au  nord  par  le  Bûrgenstock, 
qui  la  préserve  des  vents  froids  et  lui  assure  un  climat  plus  tempéré  que  celui  des 
autres  vallées  du  pays.  Le  bourg  compte  18  à  4900  habitants.  L'h6tel-de-ville  est 
orné  d'un  grand  nombre  de  portraits  représentant  d'anciens  magistrats  dans  le 
costume  du  temps.  On  montre  dans  l'arsenal  la  cotte  de  mailles  que  portait  Winkelried 
à  la  bataille  de  Sempach.  La  statue  du  héros  est  placée  sur  une  colonne  à  côté  de 
l'église.  Sa  maison,  située  tout  près  du  bourg,  existe  encore.  L'église  est  un  édifice 
remarquable,  orné  de  belles  colonnes  en  marbre  noir.  On  voit  dans  une  petite  cha- 
pelle un  monument  élevé  aux  Suisses  qui  moururent  en  4798  en  défendant  la  patrie. 
Le  sommet  du  Bûrgenstock  offre  de  divers  côtés  des  coup&Hl'œil  admirables. 

La  vallée  de  Stanz  aboutit  aux  deux  golfes  d'Alpnach  et  de  Buochs  ;  au  bord  de 
celui  d'Alpnach  est  le  village  de  Stanzstad  {Rivage  ou  Port  de  Sianz),  dont  la  vieille 
tour  blanche,  qui  date  de  4300,  se  reconnaît  de  très-loin  de  divers  côtés.  Le  village 
fut  réduit  en  cendres  le  9  septembre  4798.  Au  sud  de  Stanzstad  et  le  long  du  golfe 
d'Alpnach  s'élève  le  mont  Rotzberg,  où  se  trouvent  les  ruines  du  château  de  ce  nom, 
qui  avait  été  la  résidence  de  Wolfenschiess,  lieutenant  de  Landenberg,  et  dont  les 
Confédérés  s'emparèrent  le  4'"' janvier  4308.  Un  jeune  homme  s'y  fit  introduire 
par  sa  maîtresse  à  l'aide  d'une  échelle  de  corde,  et  se  servit  du  même  moyen  pour 
faciliter  l'entrée  à  ses  compagnons  d'armes.  Ceux-ci  se  saisirent  de  tous  ceux  qui 
occupaient  le  château.  Entre  le  Rotzberg  et  le  Plattiberg  est  située  la  gorge  sauvage 
du  Rotzloch,  où  l'on  voit  des  cascades  et  un  moulin  à  papier.  Un  chemin  partant  de 
Stanzstad  y  passe  pour  aller  rejoindre  la  route  de  Sarnen.  — A  demi-lieue  de  Stanz, 
sur  le  chemin  de  Buochs,  est  une  place  ornée  de  tilleuls  et  garnie  de  bancs,  où  s'as- 
semble la  Landsgemeinde.  Buochs  est  un  beau  village,  qui  donne  son  nom  à  un  large 
golfe  du  lac  de  Lucerne.  On  y  jouit  d'une  belle  vue  sur  le  bassin  que  forme  le  lac  jus- 
qu'à Bninnen,  sur  les  rives  délicieuses  de  Gersau  et  sur  les  pics  du  Mythen.  C'est  là 
que  naquit  le  peintre  Wûrsch,  dont  les  ouvrages  ont  contribué  à  la  fois  à  l'avancement 
de  l'art  et  à  la  gloire  de  son  pays.  Lucerne,  Sarnen,  Engelberg,  possèdent  plusieurs 
belles  productions  de  cet  artiste.  Son  atelier  fut  consumé  lors  de  l'incendie  du  vil- 
lage par  les  Français.  De  Buochs,  un  bon  sentier  suit  les  bords  du  lac  jusqu'à 
Beckenried,  et  s'élève  ensuite  le  long  des  pentes  verdoyantes  et  pittoresques  d'Ematten 
jusqu'au  village  de  Seelisberg,  qui  domine  les  deux  bassins  du  lac,  et  d'où  l'on  peut 
aller  visiter  le  Grutli. 

Bourg  et  Lac  de  Sarnen.  —  Le  chef-lieu  d'Obwald  est  un  bourg  de  3400  âmes, 
bien  bâti,  et  situé  dans  une  vallée  romantique,  au  bord  du  lac  du  même  nom.  L'hôtel- 
de-ville  est  orné  des  portraits  de  tous  les  chefs  de  la  république  depuis  4384,  et  de 
deux  tableaux  du  peintre  Wûrsch,  dont  l'un  représente  saint  Nicolas  de  Flûe,  et 
l'autre  les  atroces  traitements  que  subit  le  père  d'Arnold  du  Melchthal.  Au-dessus 
de  Sarnen  s'élève  une  colline  où  était  jadis  le  château  du  bailli  Landenberg,  qui 
fut  pris  le  4*'  janvier  4308  par  vingt  paysans  qui  apportaient  les  présents  d'usage. 
C'est  sur  le  lieu  même  qu'il  occupait  que  s'assemble  maintenant  le  peuple  souverain 
d'Obwald.  Près  de  là  est  l'arsenal,  la  place  du  tir,  et  une  église  de  belle  architecture. 
La  coilîne,  qui  a  conservé  le  nom  de  Landenberg,  offre  un  point  de  vue  admirable. 
Le  lac  de  Sarnen  se  dessine  au  milieu  de  rives  pittoresques.  Ses  formes  onduleuses. 


236  LA   8IJ18SE   PITTOKESQUE. 


les  habitations  éparses,  les  fraîches  prairies  et  les  groupes  d'arbres  dont  il  est  en- 
touré, en  font  un  charmant  tableau  pastoral.  Le  calme  qui  règne  sur  ses  bords 
convie  Tàme  à  une  douce  mélancolie;  un  diorama,  qui  représentait  cette  gradense 
contrée,  a  obtenu  à  Paris  et  à  Londres  un  véritable  succès.  Vers  l'extrémité  du  lac, 
on  aperçoit  de  sombres  forêts  et  quelques  sommités  neigeuses  du  canton  de  Berne. 
Du  côté  du  nord,  la  vue  s* étend  jusqu'au  golfe  d'Àlpnach,  où  l'Àa  va  verser  le  tri- 
but de  ses  eaux  ;  on  voit  le  village  d'Alpnach,  situé  au  pied  du  Pilate.  Ce  village 
possède  une  très-belle  église,  et  il  exploite  les  grandes  pentes  boisées  qui  le  dominent. 

Kerns,  Sachseln,  Melchthal.  —  Le  joli  village  de  Kerm  est  au  milieu  d'une 
riante  contrée  couverte  d'arbres  fruitiers.  Son  église  est  neuve  et  d'une  architecture 
remarquable.  Snchseln  est  un  beau  village  sur  le  lac  de  Sarnen,  à  demi-lieue  du  bourg. 
On  y  voit  une  belle  église,  ornée  d'un  grand  nombre  de  colonnes  de  marbre,  dont 
huit  sont  d'une  seule  pièce  ;  une  partie  des  murs  est  aussi  revêtue  de  marbre  blanc. 
On  conserve  dans  cette  église  les  ossements  de  Nicolas  de  Flûe.  Us  sont  cou- 
verts de  vêtements  précieux  et  enfermés  dans  un  cercueil  placé  devant  le  mattre- 
autel.  Les  vêtements  du  saint  sont  conservés  aussi  dans  une  armoire.  Ces  reliques 
attirent  de  nombreuses  troupes  de  pèlerins.  De  jolis  sentiers  conduisent  sur  la  colline 
où  est  situé  le  hameau  de  Flûhli  (Petit  Rocher),  dont  Nicolas  a  tiré  son  nom  de 
famille.  L'une  des  maisons  qu'on  y  voit  est,  dit-on,  celle  où  il  naquit  ;  l'autre  lui 
servit  d'habitation.  De  là,  un  sentier  descend  dans  la  gorge  du  Melchthal,  au  lieu 
nommé  Ranft,  où  l'on  trouve  deux  chapelles  et  la  cellule  du  frère  Klaus  (pour 
Niklaus),  dans  laquelle  on  voit  encore  la  pierre  qui,  dit-on,  lui  tenait  lieu  d'oreiller; 
il  ne  se  servait  de  couvertures  que  dans  les  plus  grands  froids  d'hiver.  On  conserve 
encore  deux  épées,  deux  cuillers  de  bois  et  un  gobelet  d'argent,  dont  il  se  servait 
avant  sa  retraite.  En  remontant  la  paisible  et  romantique  vallée  du  Melchthal,  cou- 
verte d'une  multitude  de  cabanes,  on  arrive  au  village  du  même  nom,  et  plus  haut 
au  lac  de  Melcb,  à  la  belle  alpe  du  même  nom,  et  à  celte  de  Tann,  qui  confine  avec 
Berne.  Un  sentier  y  passe  et  conduit  dans  le  Hasii. 

Lac  de  Lungern,  Brunig.  —  Entre  le  lac  de  Sarnen  et  celui  de  Lungern,  on  monte 
quelques  centaines  de  pieds.  L'Aa,  qui  sort  du  second  de  ces  lacs,  fait  deux  chutes 


Le  Ue  de    LuoKero. 


pittoresques.  Le  vallon  de  Lungern  est  aussi  une  délicieuse  et  pastorale  contrée  ;  son 
joli  lac  est  encadré  de  prairies  gracieuses  et  de  sombres  massifs  d'arbres,  au  milieu 
desquels  contraste  la  blancheur  éblouissante  d'une  cascade.  Par-dessus  les  forêts,  on 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  237 


aperçoit  quelques  cimes  neigeuses  du  canton  de  Berne.  Il  reste  1300  pieds  à  gravir 
pour  atteindre  le  col  du  Brûnig,  d'où  Ton  découvre  toute  la  vallée  du  Bas-Hasli  avec 
les  montagnes  qui  le  séparent  du  Grindelwald.  Ce  col,  qui  est  très-bas  (3S80),  est 
une  voie  très-fréquentée  pour  se  rendre  de  Luccrne  dans  TOberland.  Il  est  question 
depuis  quelque  temps  d'y  établir  une  route  de  voiture. 

Couvent  et  Vallée  d'Engelberg.  —  L'abbaye  d'Engelberg  est  située  dans  une 
vallée  verdoyante,  qu'entourent  de  grandioses  montagnes  couvertes  de  glaces  et  de 
neiges  éternelles.  Elle  fut  fondée  par  Conrad  de  Seldenbûren  en  1083.  On  y  conserve 
encore  la  crosse  d'Adhelm,  le  premier  abbé  ;  elle  est  en  bois  d'érable  et  surmontée 
d'une  corne  de  chamois.  Les  abbés  exercèrent  dans  leur  plénitude  les  droits  de  souve- 
raineté sur  les  habitants  de  la  vallée  jusqu'en  1798.  A  cette  époque,  l'abbé  les  éman- 
cipa complètement.  Nous  avons  parlé  de  l'abbé  Léodegar  Salzmann,  qui  fut  le  bien- 
faiteur de  la  contrée,  en  y  favorisant  l'industrie  et  instituant  un  collée  (  voyez 
ci-dessus).  L'église  est  à  1860  pieds  au-dessus  du  lac  de  Lucerne,  et  à  3180  au- 
dessus  de  la  mer.  Non  loin  du  couvent,  vingt  sources  abondantes  se  réunissent  pour 
former  le  ruisseau  d'Ërlenbach.  L'Aa,  qui  vient  des  neiges  des  Alpes  Surènes,  sort  d& 
la  vallée  par  une  gorge  étroite,  pour  se  diriger  vers  la  spacieuse  vallée  de  Stanz. 
Dans  le  vallon  d'Horbis,  qui  s'ouvre  au  nord  de  l'abbaye,  et  qu'on  appelle  le  BotU 
du  monde j  une  source  périodique  ne  coule  que  depuis  le  mois  de  mai  à  celui  d'oc- 
tobre. Une  grande  partie  de  la  vallée  d'Engelberg  est  très-exposée  aux  avalanches 
et  aux  inondations.  Le  Titlis,  la  plus  haute  des  sommités  voisines,  a  été  escaladée 
bien  des  fois  depuis  le  milieu  du  siècle  dernier  ;  sa  cime  est  couverte  d'une  couche 
de  glace  d'une  épaisseur  qu'on  évalue  à  17S  pieds.  Le  vaste  panorama  qu'on  y 
embrasse  s'étend  de  la  Savoie  au  Tyrol. 

Divers  chemins  parlent  d'Engelberg.  L'un  conduit,  par  le  col  des  Alpes  Surènes, 
à  Âltorf.  En  remontant  l'Aa,  on  voit  les  belles  cascades  du  Tâtschbach  et  du 
Stierenbach;  puis  on  arrive  à  la  Black-Alp,  d'où  le  Titlis,  les  Spanôrter,  le  Schloss- 
berg  et  leurs  glaciers  offrent  le  point  de  vue  le  plus  admirable.  A  mesure  qu'on 
s'est  élevé,  le  Titlis  a  pris  des  proportions  plus  colossales.  Au-dessus  de  cette  alpe, 
il  faut  monter  plus  d'une  heure  pour  atteindre  le  sommet  du  passage  (7220  pieds). 
C'est  une  étroite  échancrure,  large  de  cinq  pieds,  entre  deux  rocs  (la  Suremn-Eck), 
A  gauche,  s'élèvent  le  Blackenstock  et  l'Uri-Rothstock  ;  à  droite,  le  Schlossberg,  qui 
fait  partie  de  la  chaîne  du  Titlis.  Le  sommet  du  col  ne  se  dépouille  jamais  de  neige. 
De  l'autre  côté,  la  vue  plonge  sur  le  Schœchenthal  et  sur  une  partie  des  Alpes  d'Uri 
et  de  Claris.  Une  division  française,  commandée  par  Lecourbe,  pénétra  en  1799  par 
le  col  Surène  dans  la  vallée  de  la  Reuss,  et  y  attaqua  les  Autrichiens  ;  mais  elle  dut 
se  replier  bientôt  après  devant  Souwarow.  —  Un  autre  sentier,  rapide  en  quelques 
endroits,  mais  point  difRcile,  conduit  par  le  Joch  (6890)  à  l'Engstlen-Alp  et  à  Mey- 
ringen.  Il  passe  près  du  Trûbsee.  Du  sommet  Ton  peut  contempler  d'assez  près  les 
glaces  du  Titlis.  Enfin,  on  se  rend  d'Engelberg  dans  le  Melchthal  par  deux  sentiers  : 
celui  de  la  Storegg  (6280)  est  le  plus  facile;  celui  du  Jochli  (6690)  a  des  pentes 
beaucoup  plus  raides. 


CANTON   DE  GLARIS. 


SiTLATiON,  Etendue,  Climat.  —  Le  canton  de  Claris  est  limité  au  nord  par  le  lac 
de  Wallenstadt  et  par  le  canton  de  St.-Gall,  à  l'est  par  le  même  canton,  au  sud  par 
les  Crisons,  à  l'ouest  par  les  cantons  d*Uri  et  Schwytz.  Trois  chaînes  de  montagnes 
le  séparent  de  ces  cantons.  Sa  population  est  de  30,213  habitants.  Sa  superficie  est 
de  29  ^|^Q  lieues  carrées.  Sa  longueur  est  de  12  lieues,  sur  une  largeur  qui  varie  de 
4  à  6.  Mais  une  septième  partie  du  pays  seulement  se  trouve  en  plaine  ou  dans  le 
terre-plein  des  vallées;  tout  le  reste  est  occupé  par  les  pentes  et  les  plateaux  des 
montagnes.  Le  climat  n'est  pas  si  rude  qu'on  pourrait  le  croire  au  premier  aspect, 
en  considérant  les  montagnes  élevées  qui  couvrent  le  pays.  L'hiver  est  froid  à  la 
vérité,  et  il  tombe  d'immenses  quantités  de  neige  sur  les  hauteurs,  mais  les  neiges 
Tondent  de  bonne  heure  au  printemps  sous  l'influence  du  vent  du  sud  ou  fôhn,  et 
les  montagnes  du  canton  de  St.-Gall  protègent  une  partie  du  pays  contre  les  rigueurs 
des  vents  du  nord;  on  assure  même  que  souvent  on  cueille  des  fraises  parfaitement 
mûres  vers  la  fin  d'avril,  et  des  cerises  au  mois  de  mai.  D'ailleurs,  toute  la  contrée 
habitée  de  la  vallée  principale,  qui  est  la  plus  populeuse,  n'atteint  pas  une  élévation 
considérable.  Linththal,  chef-lieu  de  la  commune  la  plus  rapprochée  des  plus  hautes 
montagnes,  n'est  qu'à  20S0  pieds  au-dessus  de  la  mer. 

Montagnes,  Vallées  et  Rivières.  —  Les  montagnes  de  Claris  s'élèvent  de  5  à 
12,000  pieds.  Leurs  points  culminants  se  trouvent  sur  les  confins  des  Crisons  ;  on  y 
voit  le  Piz  Rosein,  pyramide  gigantesque  de  12,760  pieds*  ;  le  PelH  Tœ4%,  11 ,153;  le 
Bifertenstock,  10,860;  le  Selbsanft,  9740;  leHaasstock,  9710;  le  Tschingelspils^  ou 
aiguille  de  Segnês,  8950  ;  la  Scheibe,  qui  touche  à  St.-Call,  9500.  Sur  les  confins 
d'Uri  s'élèvent  le  Scheerharn,  10,140;  les  Alpes  Clarides,  10,000;  sur  les  confins 

1.  Le  Pi%  Rosein^  inférieur  à  la  JungHrau  d'une  centaine  de  pieds  seulement,  aurait  dû  être 
mentionné  à  la  page  69. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  239 


de  Schwytz,  le  Scheyenstock,  6500  ;  le  Reiselt,  8632,  dont  le  Glœrnisch,  8920,  est 
le  prolongement  ;  le  Pfannemtock,  6610;  le  Mutriberg,  7110;  le  Flachsempitz,  au- 
quel se  rattache  le  Wiggis  ou  RaiHi,  6950  ;  le  Hirzli,  5120;  sur  ceux  de  St.-Gall, 
kRiseten,  7700;  le  Spitzmeilen,  7709  ;  le  Schillberg,  7370  ;  le  Murischetistock,  7270. 
Une  ramification  qui  se  détache  de  la  chaîne  grisonne,  et  dont  le  plus  haut  sommel 
est  le  Karpfstock,  8600,  court  vers  le  nord  sous  le  nom  de  Freyberg,  et  sépare  les 
deux  principales  vallées  glaronaises,  celle  de  la  Linth  ou  Linththal,  arrosée  par  la 
Linth,  qui  prend  ses  sources  dans  les  vastes  glaciers  du  Toedi  et  des  Alpes  Glarides, 
et  le  Sernflthal,  arrosé  par  la  Sernft,  qui  descend  des  environs  du  col  Panix.  Cette 
vallée  s'appelle  aussi  le  Kleinthal  ou  petite  vallée  ;  elle  forme  un  demi-cercle,  et 
débouche  dans  celle  de  la  Linth  à  Schwanden.  Il  y  a  en  outre  quelques  autres  vallons 
de  peu  de  longueur  et  la  plupart  inhabités  :  le  principal  est  le  romantique  vallon  de 
Klœnthal,  situé  au  nord  du  Glœrnisch  et  voisin  de  Claris;  if  est  arrosé  par  le  Klœn- 
bach,  qui  prend  le  nom  de  Lœntsch  à  sa  sortie  du  lac  de  Klœn. 

Par  suite  de  la  raideur  des  pentes  de  montagnes,  les  pluies  qui  tombent  sur  les 
sommités  se  précipitent  avec  une  telle  vitesse  dans  les  vallées,  qu'elles  y  occa- 
sionnent de  terribles  inondations.  La  Linth  déborde  souvent  à  la  suite  des  fontes  de 
neige  ou  des  pluies  ;  en  1762  et  en  176&  elle  convertit  en  un  lac  une  grande  partie 
de  ses  rives.  La  masse  de  débris  et  de  sable  qu'elle  charrie  rendant  son  lit  peu  élevé 
et  ralentissant  son  cours,  elle  avait  fini  par  former  au  nord  du  canton  un  immense 
marais,  qui  rendait  très-insalubre  toutes  les  contrées  voisines.  Elle  se  dirigeait  vers 
le  lac  de  Zurich,  sans  se  jeter  dans  celui  de  Wallenstadt,  et  faisait  refluer  les  eaux  de 
la  Mag,  qui  sortait  de  ce  dernier  lac.  Les  villes  de  Wesen  et  de  Wallenstadt,  situées 
aux  deux  extrémités  du  lac,  étaient  inondées  tous  les  étés.  En  1807,  la  Diète  adopta 
les  plans  proposés  par  M.  Conrad  Escher  pour  corriger  le  cours  de  la  Linth.  De 
Mollis,  la  rivière  a  été  détournée  dans  un  canal  d'une  lieue  de  longueur,  qui  la  con- 
duit dans  le  lac  de  Wallenstadt;  on  lui  a  tracé,  entre  le  lac  de  Wallenstadt  et  celui 
de  Zurich,  un  lit  plus  profond,  afin  d'abaisser  le  niveau  du  lac,  et  on  l'a  dirigée  en 
ligne  droite,  afin  d'augmenter  la  pente.  Ce  lit  est  digue  et  navigable.  Ces  travaux 
importants  ont  été  achevés  en  dix  ans,  et  ont  donné  des  résultats  heureux  :  ils  ont 
rendu  à  la  culture  des  terrains  considérables,  et  assaini  la  contrée.  Ils  ont  été  exé- 
cutés au  moyen  d'une  souscription  patriotique,  qui  s'est  élevée  à  4000  actions  de 
200  livres  anciennes,  ne  portant  aucun  intérêt.  Les  services  rendus  à  la  Suisse  dans 
cette  entreprise  par  M.  Escher,  lui  ont  fait  décerner  par  la  Diète  le  nom  à'Escher 
de  la  linth. 

Lacs  et  Cascades.  —  Le  canton  de  Claris  possède  une  partie  des  rives  du  lac  de 
Wallenstadt  et  plusieurs  autres  petits  lacs  situés  dans  des  vallons  et  sur  des  plateaux 
élevés.  Le  principal  est  celui  de  Klœn,  qui  donne  son  nom  à  un  gracieux  vallon  ; 
il  a  près  d'une  lieue  de  longueur,  sur  vingt  minutes  de  largeur  ;  il  est  élevé  de 
2730  pieds,  et  nourrit  plusieurs  espèces  de  poissons,  truites,  lottes,  brochets,  etc. 
VOherhlegiSee,  à  l'ouest  de  Schwanden,  s'écoule  par  le  Lengelbach,  qui  forme  plu- 
sieurs cascades  ;  le  MiUlensee,  près  des  glaciers  du  Kistenberg,  est  presque  toujours 
gelé;  il  s'écoule  par  un  dégorgement  souterrain,  qui  forme  le  Limmernbach,  une  des 
sources  de  la  Linth.  VOberseeei  le  Niedersee  (lac  supérieur  et  inférieur),  au-dessus 
deNsefels,  sur  la  pente  nord  du  Wiggis,  donnent  naissance  au  Raûtibach,  qui  forme 


ikO  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


une  belle  chute.  —  Les  cascades  les  plus  remarquables  sont  celles  du  Fœtsehback  et 
du  Schreienbaclh  près  de  Linlhlhal  ;  celles  i'Oberstaffel  et  du  Ummernbach,  près  des 
sources  de  la  Linth  ;  celle  du  Plattenberg,  dans  le  SernIUhal  près  d'Engi,  etc. 

Eaux  minérales.  —  La  source  minérale  la  plus  renommée  du  canton  est  celle  du 
Stachelberg,  près  du  village  de  Linththal  ;  rétablissement  est  Irès-fréquenté,  et  dans 
une  belle  situation  ;  la  source  est  fortement  sulfureuse  et  alcaline,  mais  elle  est  peu 
abondante;  elle  sort  d'une  petite  fissure  de  la  montagne,  à  demi-lieue  de  rétablisse- 
ment. On  a  découvert  à  Mollis,  en  1823,  une  nouvelle  source  minérale,  et  un  bâti- 
ment de  bains  y  a  été  construit  sur  les  bords  de  la  Linth.  Une  source  d'eau  soufrée 
jaillissait  autrefois  sur  la  Wichlen-Alp,  à  une  lieue  d'Elm,  au  pied  du  Panixerpass; 
on  en  faisait  usage  pour  des  bains,  mais  elle  s'est  perdue  en  1764. 

Histoire  naturelle.  —  Règfie  animal,  La  chasse  a  considérablement  réduit  le 
nombre  des  animaux  sauvages  sur  les  montagnes  de  Glaris.  L'espèce  des  bouquetins 
est  détruite  depuis  plus  de  deux  siècles.  Pour  protéger  le  chamois  contre  une  en- 
tière destruction,  le  Gouvernement  avait  mis  des  restrictions  au  droit  de  chasse  sur 
la  chaîne  du  Freyberg.  Le  nom  de  cette  montagne  (  franche  ou  libre  montagne  ) 
vient  de  cette  espèce  d'asile  accordé  à  cet  animal.  Pendant  longtemps,  la  chasse  n'y 
a  été  permise  que  trois  mois  environ  par  année,  de  la  St.-Jacques  à  la  St.-Martin.  On 
cite  les  noms  de  quelques  fameux  chasseurs,  qui  ont  tué  chacun  plusieurs  centaines 
de  chamois.  —  Les  vaches  du  canton  sont  d'une  espèce  plus  petite  que  celles  de 
Schwy tz,  mais  elles  donnent  beaucoup  de  lait  ;  elles  sont  plus  grandes  que  celles  du 
canton  de  St.-Gall;  environ  10,000  vaches,  10,000  moutons  et  6000  chèvres  pâ- 
turent en  été  sur  les  alpes  du  pays;  mais  les  fourrages  recueillis  pour  l'hiver  sont 
bien  insuffisants  pour  nourrir  toute  cette  quantité  de  bétail.  Le  canton  élève  aussi 
un  certain  nombre  de  chevaux  ;  cet  animal  est  estimé  pour  sa  force. 

Règne  végétal,  culture.  Les  montagnes  de  Glaris  sont  riches  en  plantes  alpines, 
dont  plusieurs  sont  très-rares.  On  y  recueille  aussi  une  grande  quantité  d'une  espèce 
de  trèfle,  le  méiilot  bleu,  qu'on  emploie  pour  la  fabrication  des  fromages,  ainsi  que 
du  lichen  d'Islande  et  de  l'écorce  de  garou,  qu'on  exporte  dans  divers  pays  étran- 
gers. Au-dessus  de  Schwanden,  les  vallées  du  pays  ne  présentent  guère  que  des 
pâturages  ;  mais  la  partie  septentrionale  de  la  vallée  de  la  Linth,  de  Schwanden  à 
Bilten,  offre  des  terrains  fertiles  et  bien  cultivés.  Les  arbres  fruitiers  y  prospèrent; 
on  y  voit  croître  des  pêchers,  des  abricotiers,  et  même  des  amandiers  dans  des  val- 
lons bien  abrités.  Il  y  croit  aussi  de  la  vigne  en  quelques  localités,  par  exemple  près 
de  Mollis  et  d'Ennenda.  Plusieurs  montagnes  sont  couvertes  de  forêts,  mais  elles 
n'ont  pas  été  ménagées  avec  assez  de  prudence,  et  le  bois  manque  dans  quelques 
communes. 

Règm  minéral.  Les  montagnes  de  Glaris  sont  principalement  composées  de  roches 
calcaires  grises  ;  mais  vers  le  sud,  au  Toedi  et  aux  montagnes  voisines,  le  calcaire  a 
pour  base  une  roche  primitive.  Ailleurs,  les  roches  calcaires  sont  mélangées  de 
couches  de  schiste  argileux  ou  de  grauwacke  rouge  d'une  grande  variété  de  nuances. 
Le  mont  Plattenberg,  au-dessus  d'Engi,  est  renommé  pour  ses  belles  ardoises  et 
pour  ses  poissons  pétrifiés.  On  trouve  aussi  du  gypse  sous  les  schistes  argileux  au- 
dessus  d'Engi.  Sur  plusieurs  points,  on  trouve  du  marbre  noir  ou  veiné  de  blanc. 
On  rencontre,  parmi  les  cailloux  roulés  du  lit  de  la  Linth,  du  spath  fluor  couleur  de 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  2&1 


rose,  et  des  cristaux  quartzeux  d'un  bleu  améthyste,  qui  proviennent  des  roches  pri- 
mitives des  environs  du  Tœdi.  Il  y  a  sur  la  Sand-Alp,  au  pied  du  Tœdi,  des  pyrites 
cuivreuses,  dont  la  forme  est  sphérique  et  Tintérieur  étoile,  ce  qui  fait  que  les  pfttres 
les  désignent  sous  le  nom  de  Strahlstein,  ou  pierre  étoilée.  On  a  reconnu  un  grand 
nombre  de  pétrifications  sur  diverses  montagnes,  entre  autres  des  cornes  d'ammon 
sur  le  Glœrnisch  ;  sur  la  Limmern-Âlp  on  sent  une  forte  odeur  de  pétrole  ;  sur  la 
même  montagne  et  ailleurs,  les  parois  de  schiste  calcaire  sont  couvertes  d'un  sel 
nommé  Salzlakine;  les  chamois  viennent  par  bandes  pour  lécher  ces  roches.  Il  existe 
dans  le  canton  plusieurs  mines  d'argent,  de  cuivre  et  de  fer,  mais  les  difficultés  et 
les  frais  d'exploitation  les  ont  fait  négliger;  au  16''  siècle  on  avait  commencé  l'ex- 
ploitation d'une  mine  d'argent  sur  le  mont  Guppel.  —  Le  canton  de  Claris  est  une 
des  contrées  de  la  Suisse  où  l'on  ressent  le  plus  grand  nombre  de  tremblements  de 
terre.  On  en  a  compté  33  dans  le  17®  siècle;  il  y  en  eut  37  depuis  août  1701  à 
février  1702,  et  50  de  1763  à  1764. 

Histoire.  —  On  assure  que  les  Romains  ont  occupé  le  bas  de  la  vallée  de  Claris  ; 
on  a  trouvé  près  de  Mollis,  en  1765,  200  pièces  de  monnaie  de  divers  empereurs. 
En  490,  un  moine  irlandais,  nommé  Fridolin,  qui  avait  fondé  plusieurs  couvents, 
entre  autres  celui  de  Seckingen,  sur  les  bords  du  Rhin  (rive  badoise),  vint  propager 
la  foi  chrétienne  aux  environs  de  Claris,  et  y  bâtit  une  église.  Plus  tard,  tous  les  ha- 
bitants du  pays,  à  l'exception  de  quarante  familles,  telle^s  que  les  Tschudi,  les  Elmer, 
lesSchindler,  lesGallati,  les  Trûmpi,  les  Freuler,  devinrent  serfs  de  cette  abbaye  de 
Seckingen.  Plusieurs  membres  de  la  famille  Tschudi,  une  des  plus  illustres  du  pays, 
administrèrent  la  vallée  au  nom  de  l'abbé  ;  mais,  dès  1 264 ,  la  maison  d'Autriche  s'en  at- 
tribua la  souveraineté,  et  la  fit  gouverner  par  des  baillis,  dont  les  exactions  causèrent 
une  foule  de  mécontentements.  Plusieurs  familles  libres  allèrent  s'établir  dans  les  pays 
d'Uri,  de  Schwytz  et  de  Zurich,  dont  les  habitants  venaient  de  secouer  le  joug  de 
TÂutriche.  Les  Claronais  conclurent  un  traité  avec  Schwytz  en  1323  ;  mais  ils  furent 
encore  opprimés  par  des  baillis  étrangers.  Les  Confédérés  occupèrent  Claris  en  hiver 
1351,  pour  prévenir  les  dangers  dont  ils  étaient  menacés  sur  ce  point  de  la  part  de 
rAutriche,  et  les  Claronais  profitèrent  de  cette  circonstance  pour  conquérir  leur  liberté. 
Le  bailli  W.  de  Stadion,  qui,  à  l'approche  des  Suisses,  s'était  enfui  de  NsBfels,  rentra 
dans  le  pays  l'année  suivante,  mais  il  en  fut  bientôt  repoussé.  Le  8  juin  1352,  Claris 
fut  admis  dans  la  Confédération.  C'était  le  sixième  canton  (  mais  il  n'eut  plus  que  le 
septième  rang  après  l'admission  de  Berne  en  1353).  En  1386,  les  Claronais  prirent 
part  à  la  bataille  de  Sempach.  Le  9  avril  1388,  aidés  de  quelques  Schwytzois,  ils 
remportèrent  la  mémorable  victoire  de  Nœfels.  Les  Autrichiens  avaient  forcé  la  mu- 
raille qui  protégeait  le  pays  du  côté  du  nord.  Les  350  hommes  qui  défendaient  le 
passage  s'étaient  battus  pendant  cinq  heures,  puis  s'étaient  retirés  du  côté  de  la 
montagne,  où  ils  trouvèrent  quelques  renforts;  alors  ils  se  précipitèrent  sur  l'ennemi 
engagé  dans  le  défilé  de  Nœfels,  le  culbutèrent,  et  le  poursuivirent  jusqu'à  Wesen. 
On  trouva  sur  le  champ  de  bataille  les  corps  de  183  comtes  ou  chevaliers,  et  de  2500 
simples  soldats.  Onze  bannières  étaient  restées  au  pouvoir  des  vainqueurs.  Les  Claro- 
nais et  Schwytzois  perdirent  55  des  leurs.  Quelques  années  après,  les  Claronais  rache- 
tèrent tous  les  droits  que  l'abbaye  de  Seckingen  possédait  encore  dans  le  pays,  et  l'em- 
pereur Sigismond  les  releva  aussi  de  toutes  redevances.  Dans  le  15""  siècle,  ils  aidèrent 

II.  16  51 


242  I.A  snmR  pirmnRaorR. 


Appenzell  à  secouer  le  joug  des  abbés  de  St.-GaU,  et  firent  quelques  conquêtes,  de 
concert  avec  d'autres  Confédérés,  entre  autres  en  1 441  celle  des  bailliages  de  Gastem 
et  d*Utznach,  qu'ils  prirent  avec  Schwylz.  Les  Glaronais  combattirent  avec  gloire 
dans  diverses  batailles;  à  Marignan,  ils  perdirent  400  des  leurs.  Zwingli  fut  curé 
de  Glaris  de  4506  à  4515.  Ses  disciples  Fréd.  Brunner,  Valentin  Tscbudi,  Hans 
Heer,  secondèrent  ses  efforts,  et  la  Réformation,  qui  d'abord  Tut  introduite  dans  la 
vallée  de  la  Sernfl,  se  répandit  bientôt  dans  la  plus  grande  partie  du  pays. 

Le  canton  n'avait  vu  aucune  armée  étrangère  depuis  410  ans,  lorsqu'il  fut  dés- 
armé par  les  Français  le  17  septembre  1798.  11  perdit  alors  ses  sujets.  L'annét* 
suivante  il  se  livra  plusieurs  combats  entre  les  Français  et  les  Autrichiens,  à 
Mollis  le  28  mai  et  31  août,  h  Nsefels  le  30  août,  près  de  Glaris  le  27  et  29  sep- 
tembre, elc.  Les  Autrichiens  furent  repoussés  alors  dans  la  vallée  de  la  Sernfl: 
mais,  le  30  septembre,  Souwarow  arriva  de  Schwytz  par  le  Pragel,  et  entra  le 
1*'  octobre  à  Glaris,  après  s'être  battu  avec  les  Français  dans  le  Klônthal.  Ses  sol- 
dats étaient  affamés  et  presque  sans  chaussures;  1200  étaient  blessés.  Après  s'être 
arrêté  trois  jours  à  Glaris,  Souwarow  dut  faire  sa  retraite  par  le  Sernfltbal  et  par  le 
col  élevé  de  Panix  ;  mais  une  grande  quantité  de  chevaux  chargés  de  canons  et  de 
bagages  tombèrent  en  chemin  et  durent  être  abandonnés  ;  beaucoup  d'hommes  suc- 
combèrent aussi  aux  fatigues  de  cette  marche.  —  L'histoire  du  pays  offre  dès-lors 
peu  de  faits  saillants.  L'industrie  eut  réparé  bientôt  les  désastres  de  la  guerre.  Glaris 
a  suivi  à  l'ordinaire  dans  les  Diètes  une  voie  sage  et  modérée.  Plus  heureux  que 
bien  d'autres  cantons,  il  n'a  point  été  déchiré  par  des  dissensions  intérieures. 

Constitution.  —  Voici  les  principaux  traits  de  la  Constitution  qui  fut  garantie  en 
1814  ;  elle  est  remarquable  |)ar  les  larges  concessions  que  la  partie  protestante  fai- 
sait à  la  minorité  catholique.  Le  canton  se  gouverne  comme  une  démocratie  pure.  La 
Ijandsgemeinde  se  compose  des  citoyens  &gés  de  18  ans,  et  s'assemble  le  second  di- 
manche de  mai;  elle  exerce  le  pouvoir  souverain,  nomme  à  diverses  magistratures, 
sanctionne  les  lois  et  les  impôts  ;  mais  elle  ne  s'occupe  d'aucune  proposition  qui  n'ait 
été  communiquée  au  Landrath  au  moins  un  mois  à  l'avance.  L'assemblée  particu- 
lière des  réformés,  réunie  à  Schwanden,  nomme  pour  trois  ans  le  landammann,  et 
les  catholiques,  assemblés  à  Nœfels,  le  nomment  ensuite  pour  deux  ans;  le  statthalter 
est  toujours  nommé  par  la  partie  qui  n'a  pas  élu  le  landammann.  Le  Landrath  s'oc- 
cupe de  l'administration,  et  des  affaires  fédérales;  il  exerce  la  police,  et  projette  les 
lois.  Il  se  compose  de  60  conseillers,  dont  45  réformés  et  15  catholiques,  et,  en 
outre,  du  landammann,  du  statthalter,  des  anciens  landammanns,  et  de  quelques 
autres  principaux  fonctionnaires.  Les  divers  tribunaux  sont  présidés  par  le  landam- 
mann; mais  si  un  différend  existe  entre  des  personnes  des  deux  cultes,  le  tribunal 
doit  être  composé  de  juges  pris  en  nombre  égal  dans  les  deux  communions  ;  le  pré- 
sident (landammann  ou  statthalter)  doit  être  de  la  religion  de  l'accusé  ou  défendeur. 
Il  y  a  en  outre  une  Chambre  des  finances,  un  Conseil  de  guerre,  un  Conseil  secret, 
et  une  Commission  des  pauvres,  nommés  par  le  Landrath.  Le  canton  est  divisé  en 
15  communautés  ou  Tagwen,  dont  3  sont  catholiques;  chacun  pourvoit  à  son  admi- 
nistration particulière. 

D'après  la  Constitution,  telle  qu'elle  a  été  révisée  en  1836,  la  Landsgemeiode, 
compo&ée  des  citoyens  âgés  de  18  ans,  vote  la  Constitution  et  les  lois,  nomme  le 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  245 


landammann,  le  landstatthalter,  les  membres  de  la  Commission  d'Etat  et  des  tri- 
bunaux. Le  corps  législatif  chargé  de  préparer  les  lois  s'appelle  Triple  Lafulrath;  il 
compte  119  membres,  et  se  compose  du  landammann,  du  statthalter,  des  9  autres 
membres  de  la  Commission  d'Etat  {StatulesCommission),  de  55  membres  du  Conseil 
(Rath),  nommés  par  les  17  communes  proportionnellement  à  la  population;  de 
70  autres  membres  nommés  de  même  ;  enfin,  de  5  membres  catholiques  nommés 
|)ar  le  Landrath  lui-même  pour  représenter  les  catholiques  habilatU  dam  les  corn- 
mwies  en  majorité  protestantes.  Les  autorités  executives  sont  :  1"*  Le  Cotiseil,  com- 
posé de  47  membres,  soit  des  11  membres  de  la  Commission  d'Etat,  des  55  membres 
nommés  par  les  communes,  et  d'un  des  5  membres  catholiques  nommés  par  le 
Landrath  ;  i""  la  Commission  d'Etat,  qui  remplace  le  Conseil  pour  les  affaires  de 
moindre  importance.  Il  y  a  en  outre  diverses  Commissions  auxiliaires.  Le  land- 
ammann préside  la  Landsgemeinde  et  les  divers  Conseils.  Chaque  confession  a  son 
Conseil  d'Eglise.  Les  membres  de  tous  les  Conseils  et  des  tribunaux  sont  nommés 
pour  5  ans.  Les  communes  élisent  leur  président  et  leur  Conseil  communal,  dont 
font  partie  les  membres  du  Conseil;  les  paroisses  élisent  leur  pasteur  et  leur  Conseil 
paroissial,  dont  le  pasteur  est  président. 

Culte  et  Instruction  publique.  —  Sur  les  50,215  habitants  que  comptait  le 
canton  en  1850,  il  y  avait  5952  catholiques.  Ces  derniers  habitent  principalement 
les  villages  de  Naefels  et  de  Nieder-Urnen.  On  compte  aussi  5  à  600  catholiques  à 
Glaris,  ainsi  qu'à  Nettstall.  Il  y  a  à  Claris  une  église  qui  sert  aux  deux  cultes.  Le 
Synode  se  compose  des  18  pasteurs  du  canton  et  des  candidats  au  saint  ministère  ;  il 
est  présidé  par  un  doyen.  Le  Gouvernement  y  assiste  par  unedéputation.  Le  clergé 
catholique  se  compose  de  5  curés,  de  4  ou  5  chapelains,  et  des  capucins  de  Nsefels.  — 
Le  canton  possède  de  bonnes  écoles  dans  chaque  commune.  L'instruction  est  assez 
répandue  dans  le  pays,  mais  il  n'a  pas  d'établissement  supérieur.  Les  jeunes  gens 
qui  se  destinent  au  commerce  vont  souvent  apprendre  le  français  dans  quelque 
canton  de  la  Suisse  occidentale  ou  dans  quelque  ville  de  l'étranger.  Ceux  qui  se 
vouent  à  la  carrière  ecclésiastique  sont  aussi  obligés  d'aller  étudier  hors  du  pays.  11 
existe  à  Glaris,  sur  les  bords  de  la  Linth,  une  école  industrielle  destinée  aux  enfants 
pauvres,  dont  Escher  avait  conçu  le  projet.  Une  Commission  philanthropique,  dont 
M.  de  Fellenberg  faisait  partie,  l'a  instituée,  et  a  placé  à  sa  tête  un  élève  de  l'Institut 
de  Hofwyl,  aé  dans  le  canton  de  Glaris.  Elle  compte  une  trentaine  d'élèves,  qu'on 
instruit  pour  la  vocation  d'instituteur  ou  pour  une  profession  industrielle  ou  agricole. 

CoMMBRGB,  Industrie.  —  Les  habitants  de  Glaris  sont  un  des  peuples  les  plus  in- 
dustrieux de  la  Suisse.  Ils  commencèrent  dans  le  17*"  siècle  à  établir  des  manufac- 
tures dans  le  pays;  ils  travaillèrent  d'abord  pour  des  négociants  de  Zurich,  mais 
bientôt  ils  se  mirent  à  le  &ire  pour  leur  compte.  Ils  ont  maintenant  des  fabriques  de 
coton  et  de  soierie,  des  teintureries,  des  imprimeries  d'indienne,  des  tanneries,  etc. 
Glaris,  Mollis,  Ennenda  et  Schwanden,  sont  les  principaux  centres  des  fabriques  et 
du  commerce  du  canton.  Mais  un  grand  nombre  de  Glaronais,  qu'on  évalue  à  un 
millier,  parcourent  les  pays  étrangers  ou  s'y  établissent  dans  les  grandes  villes  com- 
merciales, pour  faire  le  trafic  des  produits  de  leur  pays  et  d'autres  marchandises. 
Glaris  exporte  aussi,  surtout  pour  la  France,  divers  ouvrages  en  paille  tressée,  qui, 
pour  la  beauté  et  la  finesse,  rivalisent  avec  ceux  de  Florence.  Au  milieu  du  17*  siècle 


244  LA   8LIS8B   PirrOKESQlE. 


on  exportait  des  plateaux  d  ardoise  tirés  des  carrières  de  Mail  et  d*Engi  ;  celte  indus- 
trie est  maintenant  négligée.  Les  nnenuisiers  de  Schwanden  préparaient  des  feuilles 
minces  en  noyer,  cerisier  ou  érable,  connues  sous  le  nom  de  Teuilles  de  violon,  et 
d*autres  feuilles  en  bois  divers  pour  les  ouvrages  en  marqueterie;  mais  depuis  que 
r  Amérique  envoie  à  V  Europe  ses  bois  précieux ,  ce  genre  de  travail  a  beaucoup  diminué. 
La  culture  des  prairies,  Téconomie  alpestre,  sont  loin  d*étre  n^igées  dans  le  canton  ; 
les  excellents  pâturages  qui  couvrent  ses  alpes  sont  une  de  ses  principales  richesses, 
et  on  y  entend  fort  bien  l'éducation  des  bestiaux.  Chaque  année  on  exporte  i  à 
3000  têtes  de  gros  bétail  et  2  à  300  chevaux,  ainsi  qu*une  grande  quantité  de  fro- 
mages. Une  des  branches  considérables  d'exportation  est  celle  des  fromages  verts  dits 
Schubziger,  dont  la  fabrication  est  presque  particulière  &  Claris.  On  broyé  le  rhet 
dans  une  sorte  de  moulin  avec  du  sel  et  du  mélilot  bleu  {trifolium  melilotum  carn- 
leum),  qu'on  cueille  sur  les  hautes  montagnes.  Cette  herbe  entre  pour  3  p.  ®  ^ 
dans  le  mélange.  On  met  ensuite  cette  pâte  dans  des  formes,  et  on  la  fait  sécher 
à  l'air.  C'est  surtout  à  Claris  et  à  Mollis  que  s'opère  cette  fabrication.  Le  nord  du 
canton  possède  quelques  terres  cultivables,  qui  sont  exploitées  avec  intelligence  ;  la 
culture  des  arbres  fruitiers  y  est  très-étendue.  Enfin,  l'on  exporte  du  lichen,  de  la 
mousse  d'Ecosse,  et  une  certaine  quantité  d'herbes  aromatiques  qui  croissent  seule- 
ment dans  le  canton,  et  dont  on  fait  une  sorte  de  thé,  connu  sous  le  nom  de  thé 
suisse. 

Hommes  oisTiNCués  et  Savants.  —  Parmi  les  hommes  d'Etat  et  les  capitaines  aux- 
quels Claris  a  donné  le  jour,  on  remarque  particulièrement  Rodolphe  Stûssi,  qui  fut 
bourgmestre  de  Zurich  dans  le  IS*  siècle;  Jost  Tschttdi,  qui  de  1449  &  4450  joua 
un  grand  rôle  dans  toutes  les  affaires  et  les  guerres  de  son  temps,  et  qui  fut  antago- 
niste de  Stûssi.  Il  appartenait  à  une  famille  noble  dont  le  titre  remontait  à  Tan  906, 
et  qui  de  4029  à  4!2S6  fournit  les  maires  de  Claris.  En  4346,  Rodolphe,  baron  de 
Tschudi,  étant  brouillé  avec  un  beau- frère  nommé  Seedorf,  fut  surpris  un  jour  dans 
un  défilé  par  une  troupe  de  soldats  commandés  par  ce  dernier  ;  après  qu'il  eut  ter- 
rassé plusieurs  de  ses  agresseurs,  ses  armes  se  brisèrent;  il  déracina  alors  un  jeune 
sapin,  et  avec  cette  singulière  lance  il  mit  en  fuite  le  reste  de  ses  ennemis.  (C'est 
depuis  cette  époque  que  les  Tschudi  ont  placé  un  sapin  dans  leurs  armes.  )  Wemer 
^bli,  qui  fut  couvert  de  blessures  à  la  bataille  de  St. -Jacques,  et  fut  le  seul  survivant 
des  SO  Glaronais  qui  y  assistaient.  Ham  ^bli,  landammann  de  Claris,  qui  préserva 
son  pays  d'une  guerre  civile  en  4S29.  Mathias  et  Henri  Am  fiu^/ commandaient 
les  héros  de  Nœfels.  Hans  Wala  fit  en  4499,  pendant  la  guerre  de  Souabe,  des 
prodiges  de  valeur  au  défilé  de  Luziensteig,  dans  le  pays  des  Crisons.  Beaucoup 
d'autres  se  sont  distingués  dans  les  guerres  des  Suisses,  ou  se  sont  élevés  par  leur 
mérite  aux  plus  hauts  grades  dans  les  services  étrangers.  Les  familles  Tschudi, 
Freuler,  Jauch,  Bachtnann,  Mûller,  Marti,  Paravicini,  Schifidkr,  etc.,  ont  produit 
une  quantité  de  généraux  et  de  maréchaux.  L'un  des  plus  célèbres  est  le  maréchal 
de  camp  Gallati,  qui,  pendant  69  ans,  rendit  des  services  signalés  aux  rois  Henri  III, 
Charles  IX,  Henri  lY  et  Louis  XHI. 

Dans  la  carrière  des  lettres,  Claris  a  plusieurs  noms  à  citer.  ValerUin  Tschudi,  curé 
de  Claris,  mort  en  488K,  a  composé  une  Histoire  de  la  Réformatian  du  canton  de 
Glaris.  Il  ne  cessa  de  recommander  la  concorde  A  ses  paroissiens,  qui  étaient  partagés 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  245 


entre  TEglise  romaine  et  le  culte  protestant.  Le  matin  il  disait  la  messe,  et  le  soir  il 
prêchait  aux  réformés,  évitant  avec  soin  toute  question  de  controverse.  A  ceux  qui 
étaient  formalisés  de  cette  singulière  tolérance,  il  répondait  :  Croyez-vous  que  lors- 
qu'on est  catholique  le  matin  et  réformé  le  soir,  on  ne  soit  pas  chrétien  tout  le  jour? 
Plus  tard,  il  renonça  complètement  au  catholicisme.  jEgidim  Tschudi,  mort  en 
4572,  est  Tun  des  meilleurs  historiens  de  la  Suisse.  H,  Tschtidi  a  publié  en  4714 
une  chronique  du  canton  de  Glaris,  et  J.-P,  Tschièdi,  en  4726,  une  description  du 
bailliage  (aujourd'hui  saint-gallois)  de  Werdenberg.  Rod,  Steinmûller  fut  un  natu- 
raliste et  un  auteur  estimé.  —  Gomme  poëte,  on  peut  nommer  H.  Larentin  ou  Loritz, 
né  à  Mollis  en  4488,  et  surnommé  Glareanus  (Glaronais).  Il  fut  célèbre  par  son 
vaste  savoir  et  par  son  poème  latin  sur  les  Treize  Gantons. 

Mœurs,  Goutumes,  Garagtère.  —  Les  habitants  de  Glaris  se  distinguent  par  leur 
intelligence,  leur  jugement  et  leur  esprit  actif  et  industrieux  ;  mais  ils  ne  sont  pas 
moins  recommandables  par  leur  bienveillance  envers  les  étrangers,  l'union  qui  existe 
entre  eux,  et  la  simplicité  de  leurs  mœurs,  que  n'a  point  fait  disparaître  l'aisance 
répandue  par  l'industrie.  De  même  que  les  populations  des  cantons  voisins,  ils  sont 
très-attachés  à  leurs  institutions  démocratiques  ;  mais,  comme  ils  sont  plus  éclairés, 
ils  ont  mieux  compris  l'exigence  de  l'époque  actuelle,  et  ne  sont  pas  opposés  aux 
changements  dans  l'organisation  fédérale.  Les  Glaronais  ont  toujours  eu  un  grand 
goût  pour  le  métier  des  armes,  ainsi  que  pour  la  chasse.  Il  faut  une  grande  intrépi- 
dité pour  braver  les  périls  que  présentent  les  monts  escarpés  qui  hérissent  le  canton. 
Il  ne  fout  pas  moins  de  hardiesse  pour  aller  récolter  les  herbes  aromatiques  qui 
entrent  dans  la  composition  du  schabziger,  et  qui  croissent  sur  les  flancs  des  mon- 
tagnes et  presque  sur  la  cime  de  rochers  inaccessibles.  Le  faucheur  glaronais,  se 
fiant  à  ses  crampons  et  &  sa  bonne  tète,  risque  souvent  sa  vie  pour  un  mince  salaire, 
sur  les  pentes  les  plus  raides.  Le  costume  ordinaire  des  pâtres  est  une  camisole  en 
toile,  derrière  laquelle  pend  un  capuchon,  dont  il  se  couvre  la  tête  quand  il  pleut. 

Glaris.  —  Le  bourg  de  Glaris,  chef-lieu  du  canton,  compte  4080  habitants,  dont 
570  catholiques.  Il  est  à  4480  pieds  au-dessus  de  la  mer.  On  y  voit  de  belles  maf- 
sons,  de  larges  rues,  une  cathédrale  gothique,  un  hôpital.  Dans  la  maison  des  écoles 
sont  les  archives  et  une  bibliothèque  fondée  en  47S8.  Glaris  possède  plusieurs  fila- 
tures de  coton,  des  fabriques  d'indienne,  et  des  moulins  à  schabziger.  La  plupart 
des  hommes  se  vouent  à  l'industrie  et  au  commerce,  et  l'aisance  y  est  assez  générale. 
La  situation  de  Glaris  est  remarquable  :  aucun  autre  chef-lieu  de  la  Suisse  n'est  do- 
miné de  si  près  par  d'aussi  hautes  montagnes;  d'un  côté  s'élèvent  les  parois  de 
rochers  du  Schilt,  haut  de  7370  pieds  au-dessus  de  la  mer  ;  de  l'autre,  le  sauvage 
Glsrnisch  aux  assises  gigantesques,  et  dont  la  hauteur  absolue  (8920  pieds)  dépasse 
celle  de  Glaris  de  7440  pieds.  En  hiver,  le  bourg  ne  jouit  que  pendant  peu  d'heures 
des  rayons  du  soleil.  De  la  colline  dite  du  Château  {Burghûgel)  la  vue  découvre 
toute  la  vallée.  On  y  trouve  une  chapelle  consacrée  à  Félix  et  à  Régula  ;  on  assure 
qoe  ce  couple  a  séjourné  jadis  dans  une  grotte  du  voisinage.  —  Le  grand  et  indus- 
trieux village  d'Ennenda,^situé  au  pied  du  Schilt,  est  séparé  de  Glaris  par  une  belle 
avenue  d'arbres  qui  sert  de  promenade. 

KusNTHAL.  —  Un  peu  au-dessous  de  Glaris  s'ouvre  à  l'ouest  l'intéressante  vallée 
de  Klœnthal.  On  monte  par  un  chemin  assez  raide,  à  côté  d'une  gorge  profonde,  où 


2i6  LA   SU1S8K   PITTORESQUE. 


mugit  le  Lœntsch,  en  tombant  de  chute  en  chute;  tout  &  coup  on  aperçoit  une  des 
vallées  les  plus  attrayantes  qu*il  y  ait  dans  les  Alpes;  elle  s'étend  entre  le  Wiggis  et 
le  Glœrnisch  ;  un  glacier  couvre  les  sept  cimes  de  ce  dernier.  Au  bout  du  vallon,  l'œil 
découvre  le  joli  lac  de  Klœn,  dont  les  rives  sont  couvertes  des  plus  fraîches  prairies, 
parsemées  de  cabanes  et  de  bouquets  d'érables  et  de  hêtres.  Le  contraste  des  scènes 
les  plus  sauvages  et  les  plus  riantes  donne  à  l'ensemble  de  cette  vallée  un  caractère 
unique.  C'est  dans  cette  contrée  romantique  que  l'immortel  Salomon  Gessner  aimait 
A  venir  passer  quelques  semaines,  dans  un  chalet,  pour  méditer  ses  idylles  au  milieu 
des  scènes  pastorales;  c'est  dans  cette  paisible  retraite  qu'il  aimait  à  rêver,  et  à  en- 
tendre résonner  au  loin  les  clochettes  des  troupeaux  et  le  cor  des  bergers  des  Alpes. 
Une  simple  inscription  a  été  gravée  en  son  honneur  contre  un  immense  bloc  de  rodber, 
dans  un  lieu  écarté,  du  côté  du  lac  opposé  à  la  route  ;  dans  le  voisinage,  les  eaux 
d'une  cascade  vont  en  murmurant  se  jeter  dans  le  lac.  —  De  l'extrémité  du  lac, 
il  y  a  encore  trois  lieues  pour  atteindre  le  col  du  Pragel,  qui  mène  dans  la  vallée 
schwy tzoise  de  Muotta  ;  on  trouve  au  pied  du  col  l'auberge  de  Vorauen,  très-fré- 
quentée  par  les  Glaronais.  On  peut  aussi  gravir  sur  le  Wiggis,  d'où  la  vue  s'étend 
au  loin  du  cAté  du  nord  et  de  l'est.  Quant  à  l'ascension  du  Glœrnisch,  elle  n'est  point 
sans  danger. 

NiEFELs,  Mollis.  —  Entre  Glaris  et  Nœfels,  on  passe  à  Nettstall,  grand  village  au 
pied  des  immenses  pentes  du  Wiggis,  et  très-exposé  aux  avalanches  du  printemps. 
Nœfels  est  aussi  un  lieu  considérable.  Son  ^lise  passe  pour  la  plus  belle  du  canton. 
Sur  une  hauteur  est  le  couvent  de  capucins  de  Marienbourg,  qui  occupe  l'emplace- 
ment d'un  ancien  château.  Au  nord  de  Nœfels,  sur  l'ancien  champ  de  bataille,  on  voit 
encore  les  onze  bornes  plantées  en  mémoire  des  onze  attaques  qu'il  fallut  repousser. 
Chaque  année,  le  second  jeudi  d'avril,  en  vertu  d'un  ancien  décret,  on  célèbre  solen- 
nellement le  souvenir  de  cette  mémorable  victoire,  par  une  procession  sur  le  théâtre 
du  combat  et  par  un  service  religieux.  On  s'y  arrête  pour  donner  lecture  d'un  récit 
de  la  bataille  et  de  la  liste  des  Glaronais  qui  moururent  pour  la  patrie.  Depuis  16SS, 
les  protestants  ont  cessé  d'assister  à  la  procession,  mais  ils  célèbrent  ordinairement 
la  fête  dans  leurs  paroisses.  Cependant,  le  42  avril  1855  la  solennité  a  eu  lieu  à 
Nœfels  en  présence  d'un  grand  nombre  de  protestants.  Un  magistrat  a  prononcé  un 
discours  politique,  et  le  célèbre  capucin  de  Coire,  Théodosius,  un  sermon,  dont  il 
avait  pris  le  texte  dans  le  livre  des  Macchabées  :  Sùiivetiez-vous  des  faits  de  m»  aïeux, 
et  imitez-les.  Les  55  Glaronais  tombés  à  Nœfels  sont  ensevelis  dans  le  cimetière  de 
Mollis,  et  leurs  noms  sont  gravés  en  lettres  d'or  dans  l'église.  Mollis  est  dans  une 
charmante  situation,  au  milieu  de  superbes  prairies  et  d'une  forêt  d'arbres  fruitiers. 
Il  a  de  jolies  maisons,  un  établissement  de  bains,  des  fabriques  d'indienne  et  de 
schabziger.  Un  sentier  conduit  de  Mollis  à  Kerenzen  et  à  d'autres  villages  situés  sur 
les  hauteurs  qui  dominent  le  lac  de  Wallenstadt. 

LiNTHTHAL,  Sand-Alp.  —  Près  de  Schwanden,  gros  bourg  à  une  lieue  au  sud  de 
Glaris,  on  aperçoit  au  fond  de  la  vallée  les  cimes  majestueuses  et  les  glaciers  du  mont 
Toedi  ;  à  mesure  qu'on  avance  vers  sa  base,  il  se  cache  derrière  les  montagnes  plus 
rapprochées  du  spectateur.  On  voit  à  gauche  l'ouverture  de  l'étroite  vallée  de  la 
Sernfl.  Quant  à  la  vallée  de  la  Linth,  appelée  aussi  Grossthal  ou  grande  vallée,  elle 
présente  une  série  de  frais  paysages,  animés  de  distance  en  distance  par  de  jolies  cas- 


LA    SUISSE    PITTOBESQUR.  2&7 


cades  :  à  droite  celle  du  Lengenbach,  à  gauche  celles  du  Diesbach  et  de  Durnacb.  Le 
chemin,  qui  est  presque  uni,  traverse  constamment  de  belles  prairies  parsemées  de 
hameaux.  On  aperçoit  au  loin  le  bfttiment  des  bains  du  Stachelberg,  sur  la  rive  droite 
de  la  Linth,  et  le  village  de  Linththal.  Melcbior  Thout,  géant  de  plus  de  sept  pieds, 
que  Ton  conduisait  de  ville  en  ville  pour  le  montrer  aux  curieux,  est  né  dans  cette 
partie  de  la  vallée.  A  un  quart  de  lieue  de  Linthtbal  s'ouvre  une  gorge  où  le  Tœtsch- 
bach  fait  une  cbute  pittoresque,  qui  mérite  d'être  vue  de  près.  C'est  à  côté  de  ce 
torrent  que  commence  un  sentier  qui  conduit  à  ÂUorf  par  Talpe  qu'on  nomme  Ur- 
nerboden  (sol  d'Uri),  ou  Marchalp  (alpe  frontière),  et  par  le  col  de  Kiausen.  Une 
demi-lieue  plus  loin,  on  se  trouve  en  face  d'une  cascade  non  moins  belle,  le  Schreyen- 
bacb  ;  on  l'aperçoit  de  très-loin,  semblable  à  une  écbarpe  mouvante.  D'ici,  pour  s'ap- 
procher  du  Toedi,  il  faut  maintenant  gravir  sur  une  pente  rapide  ;  au  bout  de  demi- 
heure,  on  arrive  au  fameux  pont  nommé  Pantenbrûcke.  L'ancien  pont,  qui  datait 
de  quatre  siècles,  se  composait  d'une  arche  de  20  pieds,  établie  à  1 50  pieds  au-dessus 
de  la  Linth,  qui  bouillonne  au  fond  de  l'abtme  ;  il  s'est  écroulé  en  mai  18S2,  proba- 
blement par  suite  d'une  avalanche.  On  l'a  remplacé  par  un  pont  en  bois.  Ce  site  est 
remarquable  par  l'afiTreuse  solitude  qui  y  règne  et  par  les  horribles  déchirements  des 
rochers.  Plus  haut,  les  torrents  qui  s'écoulent  des  glaciers  du  Tœdi,  et  dont  la  ré- 
union forme  la  Linth,  font  encore  de  grandes  cascades.  Le  sentier  passe  successive- 
ment sur  la  Limmern-Alp  et  sur  les  trois  gradins  de  la  Sand-Alp.  Le  voyageur  est 
constamment  entouré  des  scènes  les  plus  sauvages  et  les  plus  grandioses.  De  la 
Sand-AIp  supérieure,  la  vue  du  Tœdi  est  magnifique.  En  traversant  des  glaciers,  on 
peut  se  rendre  à  Dissentis  dans  les  Grisons,  ou  dans  le  val  Maderan  au  canton  d'Uri. 
Sernftthal,  Panix.  —  Retournons  maintenant  à  Schwanden,  et  pénétrons  dans  la 
gorge  étroite  qui  s'ouvre  à  l'est.  Après  avoir  franchi  un  défilé  long  d'une  lieue,  on 
arrive  à  Engi,  le  village  inférieur  de  la  vallée  de  la  Sernft.  Cette  vallée  est  partout 
Irès-resserrée,  et  n'a  presque  aucun  terrain  plat.  Elle  s'élève  beaucoup  plus  que  le 
Linththal  ;  car,  tandis  que  le  village  de  Linththal  n'est  qu'à  2050  pieds,  celui  d'Elm 
est  à  3400  pieds.  De  Matt,  deux  sentiers  conduisent  à  Weisstannen  et  à  Sargans  au 
canton  de  St.-Gall,  par  le  Krauchthal  et  par  le  mont  Riseten.  Le  village  d'Elm, 
étant  trës-rapproché  des  hautes  sommités  qui  enferment  la  vallée,  se  trouve  privé 
des  rayons  du  soleil  pendant  six  semaines  de  l'hiver.  Au  sud-est  d'Elm  on  aperçoit, 
vers  le  haut  du  Tschingelspitz,  un  grand  trou  nommé  Martinsloch  :  trois  matins  du 
mois  de  mars  et  deux  du  mois  de  septembre,  les  rayons  du  soleil  traversent  le  trou 
et  viennent  éclairer  le  clocher  d'Elm.  Un  sentier  parlant  d'Elm  mène  à  Sargans. 
Un  autre,  plus  difficile,  conduit  par  le  Segnespass  à  Flims  dans  les  Grisons.  Enfin,  si 
Ion  continue  pendant  une  heure  à  remonter  la  Sernfl  le  long  des  prairies,  on  arrive 
au  pied  du  col  du  Panix,  haut  de  7425  pieds,  et  qui  conduit  au  village  du  même 
nom  dans  les  Grisons.  C'est  par  là  que  Souwarow  opéra  sa  retraite.  Ce  col,  difficile 
pour  une  armée,  n'est  point  du  tout  dangereux  pour  des  voyageurs  accompagnés  d'un 
guide;  mais  on  y  trouve  encore  en  été  d'épaisses  masses  de  neige,  surtout  sur  la 
pente  glaronaise. 


CANTON   DE   ZUG. 


Situation,  Etendue,  Climat.  —  Le  canton  de  Zug  est  borné  au  nord  par  le  canton 
de  Zurich,  à  Test  par  celui  de  Schwytz,  au  sud  par  ceux  de  Schwytz  et  de  Luceme, 
à  Touest  par  celui  d'Argovie.  Sa  superficie  n*est  que  de  40  ^/^^  lieues  carrées;  il  est 
donc  le  moins  étendu  de  tous  les  cantons  ;  mais,  comme  il  n'est  pas  très-montagneux, 
sa  population  est  plus  forte  que  celle  du  canton  d*Uri,  dont  le  territoire  est  pour- 
tant quatre  fois  et  demie  plus  grand.  Elle  était  en  4880  de  17,4^61  habitants,  soit 
1678  par  lieue  carrée.  On  ne  voit  dans  le  canton  ni  glaciers,  ni  neiges  étemelles; 
aussi  son  climat  est-il  tempéré. 

Montagnes,  Vallées,  Rivières.  —  La  plus  haute  montagne  est  le  Rufiberg  ou 
Rossberg,  qui  sépare  le  canton  de  celui  de  Schwytz  ;  il  court  du  lac  de  Zug  à  celui 
d'Egeri,  et  s'élève  à  4836  pieds.  Du  Rossberg  se  détache,  vers  le  nord,  le  Zuger- 
herg,  qui  longe  le  lac  de  Zug,  et  le  Kaiserslock,  qui  domine,  au  sud,  le  lac  d'Egeri. 
A  Test  et  au  nord  de  ce  lac,  court  une  chaîne  de  hautes  collines,  appelée  le  Mor- 
garteti  ;  on  l'appelle  aussi  le  Jostenberg  ou  le  Mangliberg.  Toutes  ces  montagnes  sont 
en  grande  partie  boisées  ou  couvertes  de  beaux  pâturages.  A  l'angle  nord-est  du 
canton,  le  territoire  de  Zug  aboutit,  ainsi  que  ceux  de  Zurich  et  de  Schwytz,  au 
sommet  du  Hohe-Rohne,  élevé  de  3650  pieds,  et  renommé  pour  sa  belle  vue.  La 
principale  et  presque  la  seule  vallée  est  celle  qui  enferme  le  lac  d'Egeri,  et  qu'ar- 
rose la  Lorze  ou  Loretz,  qui  sort  de  ce  lac  et  se  dirige  vers  celui  de  Zug,  en  décri- 
vant un  demi-cercle.  Du  lac  de  Zug,  il  sort,  près  de  Ghaam,  une  rivière  à  laquelle 
on  donne  le  même  nom  de  Loretz,  et  qui  va  se  jeter  dans  la  Reuss,  à  l'angle  nord- 
ouest  du  territoire  zugois.  De  Zug  à  Baar  et  à  Ghaam  s'étend  une  plaine  assez  large 
et  très-fertile.  La  Reuss  sépare  le  canton  de  celui  d'Argovie  ;  la  Sihl,  sur  une  lon- 
gueur de  deux  lieues,  sert  de  limite  aux  cantons  de  Zug  et  de  Zurich. 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  249 


Lacs.  —  Le  canton  possède  ia  plus  grande  piirtie  du  lac  auquel  il  donne  son  nom. 
Ce  lac  est  long  de  trois  à  quatre  lieues,  et  large  de  près  d'une  lieue  ;  on  assure  avoir 
trouvé  4200  pieds  de  profondeur  dans  la  partie  méridionale,  au-dessous  du  Rossberg  ; 
près  de  Zug,  il  est  profond  de  180  pieds.  Le  vent  du  sud  ou  Fôhn,  et  ceux  du  sud- 
ouest  et  du  nord-ouest,  y  sont  quelquefois  dangereux.  Ce  lac  est  élevé  de  4330  pieds 
au-dessus  de  la  mer  ;  il  n'est  donc  inférieur  à  celui  de  Lucerne  que  d'une  vingtaine  de 
pieds.  11  parait  hors  de  doute  que  ces  deux  lacs  n*en  faisaient  qu'un  jadis,  et  se  trou- 
vaient réunis  par  un  détroit  qui  s'étendait  entre  Immensee  et  Kûssnacbt.  —  Le  lac 
ilEgeri,  long  d'une  lieue,  et  large  de  demi-lieue,  appartient  tout  entier  au  canton; 
il  est  situé  dans  une  vallée  agréable  et  paisible.  C'est  sur  la  rive  septentrionale  de 
ce  lac  qu'est  le  défilé  du  Morgarten,  où  les  Confédérés  remportèrent  leur  première 
victoire  sur  la  maison  d'Autriche.  Il  y  a  encore  deux  autres  petits  lacs  :  le  Finstersee 
ou  Lac  sombre,  près  Menzingen,  et  le  Bihnsee  (Lac  des  castors),  près  du  hameau  de 
Biber.  Ce  nom,  qui  signifie  castor,  fait  supposer  que  ce  quadrupède  existait  en  effet 
jadis  dans  la  contrée. 

Histoire  naturelle,  Agriculture,  etc.  —  La  race  bovine  est  plus  petite  dans  le 
o>anton  de  Zug  que  dans  celui  de  Schwytz  ;  elle  y  compte  près  de  SOOO  tètes.  Le  lac 
(le  Zug  est  très-poissonneux  ;  ses  carpes  et  ses  brochets  passent  pour  les  plus  gros 
qu'il  y  ait  en  Suisse.  Les  brochets  atteignent  40  livres  ;  quant  aux  carpes,  on  en 
prend,  à  ce  qu'on  assure,  du  poids  de  50  à  80  livres  ;  on  les  pèche  principalement  en 
juin  et  juillet  ;  mais  on  trouve  surtout  dans  le  lac  une  espèce  de  truite  qu'on  nomme 
Rœiele  ou  truite  rouge  [salmo  salmlinm),  et  qui  ressemble  à  la  fera  du  lac  de  Genève 
et  à  Taalbock  du  lac  de  Thoune;  on  la  pèche  en  novembre  et  décembre;  elle  ne 
dépasse  pas  6  à  7  livres;  on  en  sale  et  en  exporte.  Le  lac  d'Egeri  fournit  aussi 
d'excellentes  petites  truites  rouges.  —  L'existence  de  communaux  étendus  a  retardé 
les  progrès  de  l'agriculture  ;  cependant,  la  plaine  au  nord  du  lac  de  Zug  est  renommée 
|M)ur  sa  fertilité  ;  on  y  voit  une  grande  quantité  de  beaux  arbres  fruitiers  ;  chaque 
Iwurgeois  était  tenu  d'en  planter  à  certaines  occasions.  La  rive  orientale  est  couverte 
de  noyers  et  de  châtaigniers.  Ces  derniers  sont  (avec  ceux  de  Weggis  et  de  Wallen- 
stadt)  les  seuls  qui  croissent  dans  la  Suisse  septentrionale.  On  voit  aussi  de  la  vigne 
en  divers  endroits,  mais  son  produit  est  peu  estimé.  —  Les  montagnes  de  Zug  sont 
composées  de  brèche,  de  marne  et  de  grès.  On  trouve  dans  la  plaine  et  sur  la  pente 
des  montagnes  d'énormes  blocs  de  granit,  dont  quelques-uns  atteignent  le  poids  de 
plusieurs  milliers  de  quintaux  ;  ils  ont,  suivant  toute  apparence,  été  apportés  autre- 
fois par  des  courants  partis  du  St.-Gothard  et  du  Crispait.  Les  habitants  en  ont  dé- 
truit beaucoup  pour  les  employer  comme  pierres  de  construction.  —  Il  existait  à 
Walterschwyl  des  bains  qui  étaient  jadis  très-fréquentés,  mais  qui  ont  été  aban- 
donnés depuis  le  milieu  du  48''  siècle,  époque  à  laquelle  ils  ont  cfôsé  d'appartenir  A 
l'abbaye  de  Wettingen  dans  l'Argovie. 

Histoire.  —  La  ville  de  Zug  s'appelait,  à  ce  qu'il  parait,  Tngimi,  du  temps  de 
la  domination  romaine,  et  elle  était  le  chef-lieu  du  peuple  helvétien  des  Tugeni  ; 
mais  on  n'y  a  trouvé  aucune  trace  de  cette  domination.  Dans  le  moyen-âge,  elle  appar- 
tint successivement  aux  comtes  de  Lenzbourg,  de  Kybourg  et  de  Habsbourg.  Ce  fut 
sur  le  territoire  de  ce  canton  que  se  livra  la  glorieuse  bataille  de  Morgarten.  Léopold, 
due  d'Autriche,  avait  rassemblé  une  armée  de  i 5,000  hommes,  avec  laquelle  il  st» 
11.  16  3i 


250  LA   SUISSE   PITTOHCSQUE. 


proposait  de  dompter  les  paysans  des  Petits-Cantons.  Il  se  dirigea  vers  le  défilé  qui 
existe  entre  le  lac  d'Egeri  et  la  montagne  de  Morgarten,  et  marcha  lui-même  à  la 
tête  de  Tarmée  avec  sa  nombreuse  cavalerie.  Quand  il  fut  engagé  dans  ce  passage 
étroit,  une  troupe  de  SO  bannis  schwytzois,  qui  s'étaient  postés  sur  les  hauteurs,  fit 
rouler  sur  la  cavalerie  des  troncs  d'arbres  et  de  gros  blocs  de  pierre,  qui  renver- 
sèrent hommes  et  chevaux.  La  noblesse  ne  pouvait  ni  tourner  bride,  ni  s'arrêter, 
parce  que  la  masse  de  l'inranterie  qui  la  suivait  lui  fermait  le  passage.  Alors, 
1300  (]onfédérés,  après  avoir  imploré  à  genoux  l'aide  du  Tout-Puissant,  s'élan- 
cèrent, armés  de  massues  et  d'épées  à  deux  mains,  sur  cette  cavalerie  déjà  mise  en 
déroute,  et  en  firent  un  grand  carnage.  Les  cavaliers  qui  purent  échapper  à  leurs 
coups  se  rejetèrent  sur  l'infanterie,  qu'ils  culbutèrent;  celle-ci  ne  résista  pas  non 
plus  à  l'attaque  des  Confédérés  ;  les  troupes  de  Zug  et  de  Winterthour  tinrent  ferme 
les  dernières,  pendant  que  le  reste  fuyait.  La  cavalerie  perdit  ISOO  hommes,  dont  une 
partie  avait  trouvé  la  mort  dans  le  lac  ;  la  perte  de  l'infanterie  fut  encore  plus  con- 
sidérable. Les  Confédérés  honorèrent  la  valeur  des  soldats  de  Zug  en  leur  rendant 
les  derniers  devoirs  sur  le  champ  de  bataille.  Ils  ne  perdirent  eux-mêmes  que 
45  hommes.  Plus  tard,  Zug  combattit  vaillamment  dans  les  rangs  des  Suisses.  En 
1352,  la  ville  de  Zug  fut  admise  dans  la  Confédération  comme  septième  canton  (elle 
devint  le  huitième  après  l'admission  de  Berne).  Son  territoire  ne  s'est  pas  sensible- 
ment agrandi  dès-lors.  Pierre  Collin,  de  Zug,  fut  le  premier  de  son  canton  qui  par- 
vint à  la  dignité  de  landammann;  celte  place,  qui  lui  fut  donnée  en  4&15,  avait 
toujours  jusqu'alors  été  occupée  par  des  étrangers.  Les  Zugois  se  battirent  vaih 
lamment  contre  les  Français,  en  4798,  dans  les  combats  qui  eurent  lieu  le  26  avril 
près  de  Dietikon,  dans  les  bailliages  libres  d'Argovie,  et  ils  y  perdirent  beaucoup  de 
monde.  L'histoire  de  Zug  présente  dès-lors  peu  d'événements  saillants.  En  4846,  il 
fit  partie  du  Sonderbund;  mais,  vu  sa  situation,  la  ville  et  le  canton  furent  occupés 
par  les  troupes  fédérales  avant  la  capitulation  de  Lucerne. 

Constitution.  —  Jusqu'en  4798,  une  partie  de  la  campagne  était  sujette  de  la 
ville  de  Zug.  A  cette  époque,  l'égalité  complète  fut  consacrée.  La  Landsgemeinde, 
composée  de  tous  les  citoyens  âgés  de  49  ans,  se  tient  chaque  année  à  Zug,  le  pre- 
mier dimanche  de  mai,  pour  nommer  le  landammann  et  les  autres  principaux 
fonctionnaires  de  l'Etat.  Le  landammann  est  élu  pour  deux  ans,  et  pris  alternati- 
vement dans  le  cercle  intérieur  et  dans  le  cercle  extérieur.  Ce  dernier  comprend 
les  deux  villages  d'Egeri,  Menzingen,  Neuheim  et  Baar;  l'autre  comprend  Zug  et 
le  reste  du  canton.  Les  assemblées  communales  se  réunissent  chaque  année,  le  second 
dimanche  de  mai,  pour  élire  les  membres  du  Conseil  cantonal,  du  Conseil  triple,  du 
Tribunal  cantonal  et  du  Conseil  de  commune.  Le  Conseil  cantonal  est  composé  du 
landammann  et  de  Hk  membres;  il  est  pouvoir  administratif,  exécutif  et  judiciaire. 
Le  Conseil  triple  est  l'autorité  législative  ;  il  s'assemble,  dans  la  règle,  trois  fois  par 
an,  et  extraordinairement  quand  le  Conseil  cantonal  le  juge  nécessaire.  Les  assem- 
blées communales  peuvent  proposer  de  nouvelles  lois,  mais  elles  doivent  remettre 
leurs  propositions  au  Conseil  cantonal  six  semaines  au  moins  avant  que  ces  lois  soient 
soumises  à  l'autorité  législative.  Chaque  commune  a  un  tribunal  communal  qui  juge 
les  contestations  minimes. 

Culte  et  Instruction  publique.  —  Le  canton  professe  exclusivement  la  religion 


LA   SUIS8B   PITTORESQUE.  284 


catholique.  Il  est  partagé  en  neuf  paroisses.  On  y  trouve  quatre  couvents  :  un 
couvent  de  capucins  à  Zug,  et  trois  cloitres  de  religieuses,  dont  l'un  au  cheMieu, 
un  autre  à  une  lieue  de  Zug,  et  le  troisième,  celui  de  Frauenthal  (Vallée  des  dames), 
dans  une  lie  de  la  Loretz,  à  la  frontière  zuricoise.  —  Les  écoles  publiques  ont  été 
sensiblement  améliorées  depuis  le  commencement  de  ce  siècle.  Zug  possède  une  école 
de  jeunes  filles,  dirigée  par  des  religieuses,  et  dont  on  loue  l'organisation,  et  un 
gymnase  destiné  aux  jeunes  gens  qui  se  consacrent  à  la  carrière  ecclésiastique.  On 
a  observé  que  Zug  fournit  un  grand  nombre  de  prêtres  à  la  Suisse  catholique. 

Commerce,  Industrie.  —  Sans  y  être  bien  active,  l'industrie  n'est  point  complè- 
tement négligée  dans  ce  canton,  et  l'aisance  y  est  générale.  Le  chef-lieu  possède  des 
filatures  de  soie,  des  tanneries,  une  fonderie  de  cloches,  et  des  fabriques  de  tissus  de 
paille.  On  trouve  aussi  des  tanneries  et  des  papeteries  considérables  à  Baar  et  à  Chaam. 
Situé  sur  la  route  de  Zurich  au  St.-Gothard,  Zug  fait  un  petit  commerce  de  transit; 
mais  une  grande  partie  des  habitants  se  vouent  à  la  vie  pastorale  ;  l'agriculture 
occupe  également  un  certain  nombre  de  bras.  La  plaine  au  nord  du  lac  produit 
beaucoup  de  fruits;  on  y  fait  du  cidre  et  une  grande  quantité  d'eau  de  cerises.  Ce 
dernier  article  s'exporte,  ainsi  que  les  bestiaux  et  les  produits  des  fabriques.  L'ex- 
ploitation des  abeilles  et  la  pèche  sont  aussi  des  branches  productives. 

Hommes  DisnNGuis,  SAVi^n^,  etc.  —  Le  canton  a  fourni  un  grand  nombre  de 
militaires  qui  se  sont  illustrés  sur  les  champs  de  bataille.  /.  Waldmann,  le  héros 
de  Morat  et  bourgmestre  de  Zurich,  était  né  dans  le  canton  de  Zug.  Werner  de 
Steiner  combattit  à  Marignan,  où  ses  fils  périrent  à  ses  cAtés.  Son  père  avait  été  tué 
à  Grandson,  son  beau-père  à  St. -Jacques,  ses  deux  oncles  à  la  bataille  de  Bellinzone. 
Le  capitaine  J.  Seiler,  de  Zug,  fut  tué  à  St.-Jacques.  /.  Landwing  se  distingua  à 
Bellinzone;  Pierre  Collin  et  son  fils  périrent  avec  gloire  dans  cette  même  journée. 
Plusieurs  autres  membres  des  familles  Collin  et  Steiner  ont  versé  leur  sang  pour  la 
défense  de  la  patrie.  Zug  a  donné  le  jour  à  plusieurs  savants.  Tels  sont  :  Gaspard 
Sang,  auteur  d'une  histoire  ecclésiastique  de  la  Suisse  ;  P.  Collin,  professeur  de 
littérature  grecque  à  Zurich,  connu  par  d'excellentes  traductions:  Gaspard  Weis- 
senbach,  auteur  de  poésies  estimées  et  d'une  pièce  dramatique  intitulée  :  la  Demoi- 
selle Helf?etia  dans  son  accroissement  et  sa  décadence,  remplie  de  saillies  et  d'allusions 
ingénieuses,  et  jouée  dans  le  temps  avec  succès  par  les  jeunes  gens  de  Zug.  Mais  le 
nom  le  plus  remarquable  dont  Zug  puisse  s'honorer  dans  la  carrière  des  lettres,  est 
celui  du  baron  de  Zurlanhen,  dernier  rejeton  d'une  illustre  famille  originaire  du 
Vallais.  11  fut  lieutenant-général  au  service  de  France,  et  membre  de  l'Académie  des 
belles-lettres.  Il  avait  fait  de  vastes  et  savantes  recherches  sur  la  Suisse  du  moyen- 
àge,  et  a  publié,  entre  autres  ouvrages,  une  Histoire  militaire  des  Suisses  au  service  de 
la  France,  et  des  Tableaux  pittoresques  de  la  Suisse.  Ajoutons  les  noms  du  facteur 
d'orgues  Bossard,  du  graveur  Clausner,  des  peintres  Millier,  ^fosH  et  Brandenherg, 
du  peintre  et  architecte  Wickard, 

Moeurs,  Coutumes,  Caractère.  —  L'habitant  de  Zug  est  remarquablement  attache 
au  sol  qui  l'a  vu  naître.  Les  lois  prescrivaient  même  autrefois  cet  amour  de  la  patrie, 
et  défendaient  aux  citoyens  de  quitter  le  pays,  sous  peine  de  perdre  une  partie  de 
leurs  droits.  IjC  peuple  de  Zug  est  pieux,  et  aime  les  solennités  de  sa  religion,  mais 
il  est  moins  superstitieux  que  celui  des  Waldstsetten.  Il  est  i)eu  d'endroits  où  le  culte 


252  LA  sri88e  niTonesotiE. 


des  morts  soil  poussé  aussi  loin  :  les  cimetières  sont  de  véritables  parterres  de  fleurs, 
qu'on  entretient  avec  un  soin  tout  particulier.  Les  habitants  de  la  ville  de  Zug  se 
distinguent  par  leur  amabilité;  les  deux  sexes  s  y  rassemblent  souvent  en  société: 
en  hiver,  les  amateurs  donnent  des  concerts  et  jouent  la  comédie.  Les  habitants  de 
la  partie  montagneuse  se  font  remarquer  par  la  franchise  et  la  gaité  de  leur  carac 
tère.  Les  jeunes  gens  aiment,  les  jours  de  fête  et  de  bal,  à  se  parer  de  nœuds  de 
rubans  et  de  bandelettes  :  les  jeunes  paysannes  portent,  les  jours  de  toilette,  des 
jupons  d*étoffc  verte  et  des  bas  rouges,  et  elles  aiment  aussi  à  porter  des  rubans  el 
des  fleurs  à  leurs  chapeaux  et  à  leurs  corsets. 

Ville  rt  Lac  i>k  Zi;g.  —  La  petite  ville  de  Zug  compte  3300  habitants;  elle  a 
conservé  une  enceinte  de  murailles,  et  elle  a  cependant  des  rues  assez  larges  et  bien 
bâties.  Son  plus  bel  édifice  est  Téglise  de  St.-Oswald,  érigée  en  1478  par  Eberhard, 
curé  de  la  ville.  On  y  voit  le  monument  funéraire  du  général  Zurlauben.  Le  tableau 
du  mattre-autel,  dû  au  peintre  Brandenberg,  de  Zug,  mort  en  1726,  représente 
Sl.'Oswald,  à  la  tète  de  son  armée,  prosterné  devant  la  croix.  Ce  saint,  le  patron 
de  Zug,  était  un  roi  du  Northumberland,  et  fut  un  des  apAtres  de  la  Suisse.  La  ville 
possède  un  hospice,  un  gymnase,  et  une  bibliothèque  fondée  au  15*  siècle.  L'arsenal 
renferme  un  grand  nombre  d'armures  conquises  dans  les  batailles,  et  la  bannière 
du  canton  teinte  du  sang  de  Pierre  Collin  et  de  son  fils,  qui  périrent  en  1482  à 
Beliinzone.  Le  5  mars  1435,  une  rue  entière  et  une  partie  des  tours  et  des  murs  de 
la  ville  s'abîmèrent  dans  le  lac  :  60  personnes,  entre  autres  un  landammann  Gollin, 
périrent  dans  ce  désastre,  qui  était  dû  vraisemblablement  à  un  tremblement  de 
terre.  Les  archives  de  la  ville  furent  perdues  ;  un  enfant,  fils  de  Tarchitecte  Wickard, 
fut  trouvé  surnageant  dans  son  berceau,  et  il  fui  dans  la  suite  le  père  d'une  fa 
mille  qui  se  distingua.  C*est  à  cette  époque  que  l'on  commença  à  bâtir  la  ville  neuve 
du  côté  opposé  au  lac.  En  1594,  quelques  maisons  s^écroulèrent  de  nouveau;  une 
grande  partie  de  la  cité  fut  consumée  en  1795.  —  La  ville  est  dominée  par  le 
Zugerberg,  dont  la  pente  fertile  s*élèvc  à  900  pieds  au-dessus  du  lac,  et  offre  de 
beaux  points  de  vue;  on  y  trouve  le  Gembad,  établissement  pour  des  cures  de 
petit-lait.  La  situation  de  Zug  est  très-riante  ;  de  tous  côtés  l'on  trouve  de  char 
mantes  promenades.  Les  rives  du  lac  sont  très-gracieuses  et  presque  partout  en- 
tourées d'une  belle  végétation.  La  côte  occidentale  est  pittoresquement  découpée  par 
deux  promontoires,  sur  l'un  desquels  est  l'ancien  château  de  Buonas.  Sur  l'autre 
bord,  on  voit  la  cascade  de  Grendweschen  et  des  maisons  de  campagne  ombragées 
par  des  bosquets  de  noyers  et  de  chAtaigniers.  Le  lac  est  dominé  au  sud  par  le 
Righi  ;  entre  cette  montagne  et  le  Pilate,  on  aperçoit  au  loin  plusieurs  sommités 
neigeuses  de  l'Oberland.  Depuis  1852,  un  petit  bateau  à  vapeur  fait  le  trajet  de  Zug 
à  Immensee  et  à  Ârth. 

Baar,  Ghaam,  Hûnenberg.  —  Les  chemins  de  Zug  à  Baar  et  à  Ghaam  traversent 
de  magnifiques  vergers.  Le  cimetière  du  premier  de  ces  villages  contient  un  grand 
nombre  de  tombeaux  richement  dorés  et  ornés  d'inscriptions  ;  les  crânes  sont  en- 
tassés dans  un  ossuaire.  A  l'ouest  de  Ghaam  et  non  loin  de  la  Reuss,  on  voit  \e^ 
restes  du  ch&teau  qui  fut  la  résidence  de  ce  seigneur,  Henri  de  Hûnenbei^,  qui  en 
1315  fit  parvenir  aux  Schwytzois,  par  le  moyen  dune  flèche,  le  conseil  de  garder 
le  défilé  de  Morgartcn.  En  1386,  après  la  bataille  de  Sempach,  les  Gonfédérés  détrui 
sircnt  le  chÀteau,  dont  le  possesseur  avait  soutenu  la  cause  de  leurs  ennemis. 


LA    SUISSE    PITTORKSOI'E. 


25.1 


Egeri,  Morgarten.  —  Les  deux  villages  d'Egeri  sont  situés  dans  une  vallée 
tranquille  et  solitaire;  leurs  habitants,  de  même  que  ceux  de  Menzingen,  se  dis- 
tinguent par  une  physionomie  mâle  et  une  taille  élevée  ;  ils  mènent  une  vie  pasto- 
rale. Le  chemin  d'Egeri  à  Schwytz  côtoie  la  rive  orientale  du  lac,  dominée  par  la 
haute  colline  du  Morgarten;  c'est  à  l'extrémité  de  ces  Thermopyles suisses,  près  de 
la  frontière  de  Schwytz,  qu'on  voit  la  chapelle  élevée  en  souvenir  de  la  victoire  du 
16  novembre  131  S.  Chaque  année,  à  pareille  date,  on  y  célèbre  un  service  religieux. 
Non  loin  de  ce  lieu,  entre  le  Morgarten  et  Rothenthurm,  les  Suisses  vainquirent,  le 
i  mai  1798,  une  division  française.  Mor  ou  Moor  en  celtique  et  en  anglais,  Mohr 
ou  Moor  en  allemand,  signifient  marais;  Morgarten  ou  Morland  indiquent  donc  un 
terrain  marécageux.  Le  sol  l'est  en  effet  aux  environs  de  la  chapelle. 


fVk 


CANTON   DE  FRIBOURG. 


Ce  canton  fut  admis  en  148i  dans  la  Confédération  suisse;  il  y  tint  dès-lors  le 
neuvième  rang.  Il  doit  son  admission  dans  le  faisceau  helvétique  aux  nombreux  ser- 
vices qu'il  rendit  aux  Suisses,  dont  il  partagea  longtemps  les  périls  et  la  gloire  mili- 
taire, et  surtout  aux  paroles  éloquentes  que  Nicolas  de  Flûe  prononça  en  sa  faveur 
à  la  Diète  de  Stanz. 

Limites,  Étendue,  Climat,  etc.  —  Situé  dans  la  partie  occidentale  de  la  Suisse, 
le  canton  de  Fribourg  est  presque  entièrement  entouré  par  les  territoires  bernois  et 
vaudois  ;  il  est  borné  au  nord  et  à  l'est  par  le  canton  de  Berne,  et  à  l'ouest  par  le  lac 
de  NeuchAtel.  Le  canton  de  Vaud  le  limite  vers  le  midi,  et  va  se  joindre  à  l'ouest  au 
lac  de  Neuchàtel,  en  enclavant  complètement  dans  son  sein  quelques  communes  fn- 
bourgeoises.  Sa  superficie  est  de  26  milles  géographiques,  soit  72  lieues  suisses,  et  sa 
population  de  99,891  &mes.  Le  climat  est  en  général  doux  et  tempéré;  cependant, 
en  raison  de  l'inclinaison  du  terrain,  la  température  est  plus  froide  vers  le  midi  que 
vers  le  nord.  A  Fribourg  même,  les  vents  qui  régnent  le  plus  souvent  sont  ceux  du 
nord-est  et  du  sud-ouest;  les  variations  de  la  température  sont  parfois  très-subites 
et  occasionnent  des  maladies  qui  éclatent  simultanément  dans  beaucoup  de  localités. 
Le  canton  étant  relativement  peu  montagneux  et  ses  sommités  assez  basses,  la  neige 
qui  y  tombe  pendant  l'hiver  ne  séjourne  guère,  même  dans  les  régions  supérieures;  il 
est  par  conséquent  très-rare  de  voir  au  fort  de  l'été  le  Moléson  enveloppé  de  sa  robe 
de  neige,  et  l'on  chercherait  en  vain,  sur  des  sommités  encore  plus  élevées,  les  glaciers 
éblouissants,  les  neiges  éternelles,  diadèmes  magnifiques  de  la  plupart  des  Alpes 
suisses. 

Montagnes  et  Plaines.  —  Le  canton  de  Fribourg  n'est  couvert  de  montagnes  un 
peu  élevées  que  dans  sa  partie  sud-est  ;  un  grand  nombre  de  mamelons  et  de  collines 
sont  répandus,  il  est  vrai,  çà  et  lii,  mais  on  ne  saurait  les  comprendre  dans  le  système 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  255 


général.  —  Les  montagnes  qui  couvrent  la  partie  méridionale  du  canton  sont  des 
ramifications  de  la  chaîne  centrale  des  Alpes  suisses  comprises  entre  leRhôneetTÂar  : 
la  chaîne  qui  côtoie  la  rive  gauche  de  la  Sarine  se  dirige  vers  le  nord,  et  se  termine 
près  de  Gruyère  par  le  Moléson,  pic  époinlé,  rival  orgueilleux  du  Righi,  qui  élève 
la  croix  qui  le  surmonte  à  6167  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Le  panorama  que  l'œil  y 
embrasse  est  l'un  des  plus  magnifiques  de  la  Suisse  ;  de  nombreux  troupeaux  paissent 
sur  les  flancs  verdoyants  de  la  montagne  ;  d'innombrables  villages,  des  chalets  pitto- 
resques, apparaissent  partout  suspendus  aux  flancs  des  collines  ou  assis  dans  la 
plaine;  semblables  à  d'immenses  reptiles  aux  écailles  argentées,  la  Sarine  et  la  Broyé 
sillonnent  capricieusement  le  tapis  de  verdure  étalé  à  vos  pieds,  et  vont  se  perdre  dans 
un  lointain  brumeux.  Le  Léman  et  sa  ceinture  de  vieilles  cités,  de  villages  coquets, 
enfouis  dans  la  verdure;  à  l'ouest,  le  lac  de  Neuchàtel,  et  tout  près  de  lui  le  lac  de 
Morat,  aux  grands  souvenirs  ;  puis,  plus  loin  encore,  les  ondes  bleuâtres  de  celui  de 
Bienne,  frappent  délicieusement  les  regards.  Enfin,  pour  terminer  ce  magique  tableau, 
une  forêt  de  pics  couverts  de  neiges  éblouissantes  se  dressent  au  midi  et  se  dessinent 
vigoureusement  sur  le  ciel  bleu;  au  milieu  d'eux,  le  Mont-Blanc  élève  sa  tète  majes- 
tueuse et  resplendit  encore  longtemps  après  que  les  ombres  ont  envahi  les  montagnes 
couchées  à  ses  pieds. 

La  chaîne  qui  se  trouve  à  la  droite  de  la  Sarine  se  divise  en  deux  branches  à  la 
Jogne  :  l'une  se  dirige  vers  l'ouest  et  se  termine  près  de  Lessoc  ;  la  dent  de  Brenlaire, 
qui  en  fait  partie,  est  la  plus  haute  montagne  du  canton,  et  offre  un  vaste  champ  aux 
explorations  des  botanistes.  L'autre  chaîne  court  vers  le  nord-ouest,  enfermant  dans 
^n  sein  la  vallée  de  la  Jogne  et  le  lac  d'Omène  ;  la  Berra,  haute  de  5332  pieds,  en  est  la 
sommité  la  plus  élevée. 

Vers  le  nord,  et  surtout  vers  le  nord-ouest,  on  remarque  quelques  ramifications  du 
Jorat  ;  Tune  d'elles  sépare  la  Broyé  du  lac  de  Neuchàtel.  Le  Gibloux  s'avance  jusque 
près  de  Bulle,  et  forme  la  limite  entre  le  bassin  de  ce  nom  et  celui  de  Romont  ;  il  ne 
s'élève  pas  à  plus  de  3708  pieds. 

Les  plaines  les  plus  vastes  sont  celles  qui  bordent  la  rive  droite  du  lac  de  Morat; 
malheureusement,  près  de  la  Broyé  elles  se  changent  en  marais  d'une  étendue  con- 
sidérable. 

Rivières,  Vallées.  —  En  raison  de  l'inclinaison  du  sol,  toutes  les  rivières  du  can- 
ton de  Fribourg  courent  du  midi  vers  le  nord.  La  Sarine  (Sanona,  Saane),  la  plus 
emportante  d'entre  elles,  prend  sa  source  vers  le  Sanetsch,  col  qui  sépare  Berne  du 
Vallais  ;  après  avoir  traversé  le  territoire  bernois,  et  reçu  dans  son  sein  de  nombreux 
Aifluents,  elle  arrose  le  Pays  d'Enhaut,  puis  entre  par  le  défilé  de  la  Tine  dans  le 
canton  de  Fribourg,  qu'elle  traverse  dans  toute  sa  longueur.  Rentrant  de  nouveau 
sur  le  territoire  bernois  à  Laupen,  elle  va  se  jeter  dans  l'Aar  à  Wyler-Oltingen  ;  son 
cours  est  d'environ  trente  lieues.  Grâce  aux  travaux  considérables  exécutés  sur  ses 
nves,  on  est  parvenu  à  l'encaisser  à  peu  près  complètement  ;  on  voit  encore  dans  la 
Gruyère  les  traces  de  nombreux  dégâts  occasionnés  par  la  crue  considérable  de  ses 
eaux  en  4825.  —  Ses  principaux  affluents  sont  l'Hongrin,  la  Jogne,  la  Gérine,  la 
grande  Glane,  la  Singine,  etc.  L'Hongrin  sort  du  lac  Liozon,  dans  les  Ormonts,  et 
après  quelques  détours,  entre  dans  la  vallée  d'Allière,  pour  se  jeter  dans  la  Sarine 
près  de  Montbovon.  A  quelque  distance  du  pont  de  la  Latte,  il  perd  une  partie  de 


256  LA  stisse  pittoresque. 


ses  eaux,  qui  disparaissenl  dans  des  fissures  de  rochers,  pour  reparaître  une  lieue  et 
demie  plus  bas,  sous  le  nom  de  Neiri  vue.  —  La  Jogne  n'est,  à  proprement  parler,  qu'un 
ruisseau,  qui  prend  sa  source  près  de  Schlundi,  montagne  d'AIflentscben,  canton  de 
Berne;  après  avoir  arrosé  la  vallée  de  ce  nom,  il  se  dirige  vers  l'ouest,  entre  dans 
les  vallées  de  Bellegarde  et  de  Charmey,  et  va  se  perdre  dans  la  Sarine,  à  peu  près 
en  face  de  Bulle.  —  La  Gérine  descend  du  Gibloux  et  se  jette  dans  la  Sarine  au- 
dessus  du  Petit  Marly.  —  La  grande  Glane  est  plus  importante  ;  son  cours  est  doux 
et  paisible  ;  elle  nait  près  de  Vauderens,  et  va  se  jeter  dans  la  Sarine  près  de  Villars. 
Non  loin  de  cet  endroit  s'élèvent  encore  les  vestiges  du  manoir  des  seigneurs  de  la 
Glane,  famille  fort  ancienne,  qui  s'éteignit  en  1142  dans  la  personne  de  Guillaume, 
fondateur  du  couvent  d'Hauterive.  —  La  Singine  sert  de  ligne  de  démarcation  entre 
le  territoire  bernois  et  le  canton  de  Fribourg  ;  cette  rivière  est  un  voisin  fort  dange- 
reux dans  les  endroits  de  son  cours  où  elle  n'est  pas  encaissée  par  des  rochers  :  après 
un  cours  d'une  dizaine  de  lieues,  elle  entre  dans  la  Sarine  à  Laupen. 

Outre  les  affluents  de  la  Sarine  que  nous  venons  de  nommer,  nous  citerons  la  Broyé, 
rivière  impétueuse,  qui  a  sa  source  près  de  Semsales,  traverse  le  lac  de  Morat,  et  va 
se  perdre  dans  celui  de  Neuchàtel  ;  elle  est  navigable  sur  une  petite  étendue,  et  sort 
souvent  de  son  lit. 

Le  grand  bassin  de  la  Sarine  constitue  à  peu  près  tout  le  canton  de  Friboui^;  néan- 
moins, la  Jogne,  la  Gérine,  la  Glane,  forment  des  vallées  latérales  assez  importantes, 
qui  viennent  déboucher  dans  celle  de  la  Sarine.  De  ce  nombre  est  celle  de  Cbanney, 
vallée  d'une  moindre  étendue,  mais  couverte  de  pâturages  magnifiques,  au  milieu  des- 
quels s'élève  le  beau  village  du  même  nom. 

Lacs.  —  Fribourg  ne  possède  à  lui  seul  que  deux  petits  lacs  :  le  lac  d'Omène  et 
celui  de  Seedorf.  Le  lac  d'Omène,  plus  connu  sous  le  nom  de  Lac  Noir  (Schwarzsee), 
occupe  le  fond  d'une  vallée  boisée  qui  fait  partie  de  la  paroisse  de  Planfayon  ;  des 
bosquets  parfumés,  des  forêts  de  sapins  entourent  ses  eaux  d'une  verte  ceinture,  dont 
la  couleur  s'harmonise  si  bien  avec  le  cristal  de  ses  ondes  ;  les  pics  aigus  du  Kaiser- 
egg,  des  Schweinsberge,  les  splendeurs  du  firmament,  les  nuages  du  ciel  s'y  reflètent 
et  scintillent  dans  son  sein,  et  tel  est  le  calme  paisible  de  ce  lac,  qu'on  le  prendrait 
pour  une  glace  immense  aux  reflets  bleuâtres  ;  l'air  des  alentours  est  embaumé  des 
senteurs  enivrantes  de  mille  fleurs  alpestres,  qui,  avec  le  doux  gazouillement  des 
clochettes  des  troupeaux,  les  cascades  qui  tombent  en  pluie  ai^ntée,  achèvent  de 
ravir  le  spectateur  que  sa  bonne  fortune  aura  conduit  dans  ces  lieux  enchantés. 

Le  lac  de  Seedorf,  entouré  de  prairies  marécageuses  qui  en  rendent  l'accès  difficile, 
est  profond  et  dangereux  dans  sa  petite  circonférence,  qui  est  d'environ  une  demi- 
lieue.  Il  est  situé  à  deux  lieues  de  Fribourg,  dans  la  paroisse  de  Prez. 

11  nous  reste  à  dire  quelques  mots  des  lacs  de  Neuchàtel  et  de  Morat,  qui  n'appar- 
tiennent qu'en  partie  au  canton  de  Fribourg.  Tout  porte  à  croire  qu'à  une  époque 
très-reculée,  ces  deux  lacs,  joints  à  celui  de  Bienne,  n'en  formaient  qu'un  seul,  qui 
couvrait  tout  le  territoire  compris  entre  Avenches,  Yverdon,  Neuchàtel  et  Bienne: 
ce  fait  s'est  répété  en  1816,  à  la  suite  de  pluies  prolongées.  Le  lac  de  Neuchàtel  est 
alimenté,  du  cdté  de  Fribourg,  par  la  Broyé  et  la  Glane  ;  sa  circonférence  est  d'environ 
cinq  lieues;  la  pèche  y  est  fort  abondante,  et  la  navigation  peu  dangereuse;  ses  rives 
n'ont  ni  la  sauvage  majf'sté  de  quelques  lacs  de  la  Suisse,  ni  la  grâce  et  la  fraîcheur 


i_^— 


LA    SUI88R    PITTOHESQUR.  257 


de  quelques  autres  ;  cependant  la  côte  neuchâteloise  est  assez  riante.  —  Le  lac  de 
Morat  a  24,000  pieds  de  longueur,  sur  9500  de  largeur  ;  il  s'étend  parallèlement  à 
celui  de  Neuchàtel.  On  trouve  souvent  sur  ses  rivages  historiques  des  armures,  des 
pièces  de  monnaie  rejetées  par  les  eaux  du  lac  et  qui  datent  de  la  défaite  de  Gharles- 
le-Hardi.  Moins  romantique  surtout  que  le  Lac  Noir,  celui  de  Morat  offre  des  aspects 
charmants,  couronnés  par  le  mont  du  Vuilly  et  ses  pittoresques  villages. 

Sources,  Eaux  minérales.  Bains.  —  Les  eaux  vives  de  ce  canton  sont  pour  la 
plupart  abondantes  et  très-salubres  ;  on  y  trouve  de  plus  un  assez  grand  nombre  de 
sources  d'eaux  minérales  et  quelques  établissements  de  bains.  Le  plus  important  est 
celui  de  Montbarry  ;  il  est  assez  fréquenté  dans  la  bonne  saison,  et  convient  surtout 
aux  tempéraments  nerveux  et  délicats.  Sa  position  est  riante,  et  le  panorama  le  plus 
gracieux  se  déroule  tout  autour  :  le  Moléson,  le  Gibloux,  les  Alpes  de  la  haute 
Gruyère  encadrent  majestueusement  l'horizon.  A  leurs  pieds  sont  assis  Gruyère  et 
son  château  monumental.  Bulle  dont  le  clocher  resplendit  aux  feux  du  soleil,  et  les 
innombrables  chalets  de  Charmey.  Quant  au  bâtiment  lui-même,  il  est  simple  et 
d'un  goût  moitié  rustique,  qui  plaît  à  l'œil  du  citadin  ;  vingt  colonnes  d'ordre  toscan 
lui  servent  de  supports.  La  source  minérale,  découverte  en  4788,  par  le  docteur Thorin, 
contient  des  sulfates  et  des  carbonates  de  chaux  et  de  magnésie;  son  odeur  est  fétide, 
et  sa  saveur  fade  et  nauséabonde.  —  Les  bains  de  la  Glane  sont  situés  à  peu  de 
distance  de  Romont;  ils  ne  datent  que  de  4829.  —  La  source  thermale  du  lac 
d'Omène,  découverte  en  4783  par  un  pécheur  de  Planfayon,  a  à  peu  près  les  mêmes 
propriétés  que  celle  de  Montbarry.  Une  route  récemment  construite  en  facilite  l'accès, 
et  le  lac  d'Omène,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  embellit  ses  alentoui*s.  —  Les 
bains  de  Ghamp-OIivier,  à  20  minutes  de  Morat,  sont  recommandés  aux  personnes 
atteintes  de  faiblesse  et  d'atonie.  À  Morat,  on  trouve  un  établissement  du  même  genre, 
qui  jouit  d'une  certaine  réputation.  —  Les  bains  de  Bonn,  à  8  lieues  de  Fribourg,  et 
ceux  de  Golombettes,  près  de  Bulle,  sont  assez  fréquentés. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animal.  Le  canton  de  Fribourg,  jadis  couvert  de 
forêts,  renfermait  un  grand  nombre  d'animaux  féroces  et  de  bêtes  sauvages,  qui 
n'existent  plus  maintenant  ;  des  cerfs  et  des  sangliers,  dont  la  race  a  disparu,  hantaient 
autrefois  les  taillis  et  les  bois.  Parmi  les  quadrupèdes  nous  citerons  le  lynx,  la  martre, 
la  loutre,  le  chamois,  le  blaireau,  etc.,  et  la  plupart  des  animaux  domestiques.  Parmi 
les  oiseaux  on  remarque  le  Isemmergeyer,  la  perdrix  rouge  des  Alpes,  la  caille,  la 
grive,  le  coq  de  bruyère,  le  canard  sauvage,  l'ibis,  la  cigogne  noire,  le  vanneau 
maritime  dans  les  marais  de  Morat  ;  la  plus  grande  partie  des  oiseaux  chanteurs  de 
la  Suisse  se  retrouvent  dans  ce  canton  ;  il  en  est  de  même  des  reptiles.  Les  lacs  sont 
en  général  poissonneux  ;  le  silure,  que  l'on  trouve  dans  le  lac  de  Morat,  pèse  jusqu'à 
ftO  livres.  Les  insectes  sont  fort  nombreux. 

Règne  cégétaL  La  flore  fribourgeoise  est  très-riche:  le  Moléson,  le  Kaiseregg,  la 
chaîne  des  Morteys,»sont  tapissés  des  fleurs  les  plus  rares  ;  les  marais  de  Lussy,  de 
Morat,  de  Seedorf,  contiennent  aussi  des  plantes  remarquables,  entre  autres  la  rosa 
(jliuinosa,  que  l'on  ne  trouve  nulle  part  en  Suisse,  que  dans  les  pâturages  de 
Charmey. 

Règne  minéral.  Les  terrains  du  canton  ne  sont  pas  d'une  formation  très-ancienne; 
ils  appartiennent  pour  la  plupart  à  la  période  tertiaire.  La  molasse  domine,  et  occupe 
II.  17  33 


2S8  LA  srissB  pirroRCSQUR. 


presque  tout  le  territoire  du  canton  ;  la  molasse  marine,  sur  laquelle  est  bàlie  Fri- 
l)Ourg,  occupe  la  partie  septentrionale,  tandis  que  la  molasse  d*eau  douce  s*élend  de 
Gbàtel-St. -Denis  à  Hauterive,  sur  une  largeur  souvent  de  plus  de  3  lieues.  On 
trouve  de  i'éocène  à  la  source  de  la  Singine  et  entre  Chàtel-St.-Denis  et  Gruyère.  — 
Le  reste  du  canton  appartient  à  la  période  secondaire;  c'est  du  Jura  moyen.  On 
trouve  çà  et  là  quelques  traces  de  gypse,  de  houille,  de  grès,  etc. 

Antiquités .  —  La  Société  archéologique,  fondée  par  M.  Tavoycr  Diesbach  el 
M.  Fégely,  a  fait  exécuter  de  nombreuses  fouilles,  qui,  pour  la  plupart,  ont  été  cou 
ronnées  de  succès.  On  a  réuni  dans  le  Musée  de  Fribourg  beaucoup  d'objets  et  de 
médailles  antiques;  en  outre,  plusieurs  amateurs  possèdent  des  collections  d'anti- 
quités très-intéressantes.  Près  de  Marsens,  il  existe  deux  pierres  orientées  que  Ton 
s'accorde  à  regarder  comme  ayant  servi  aux  sacrifices  des  druides;  dans  le  vallon 
de  Vercbamp  on  remarque  une  enceinte  régulière,  formée  de  rochers  isolés  les  uns 
des  autres,  et  qui  parait  être  un  Men-hir.  Un  autre  monument  du  même  genre  a  été 
découvert  aux  pieds  du  rocher  que  couronnent  les  ruines  des  châteaux  de  la  Roche. 
On  s'est  occupé  à  chercher  Tétymologie  d'un  grand  nombre  de  noms  de  localités  du 
canton,  et  plusieurs  paraissent  d'origine  celtique.  —  Les  Romains  ont  laissé  des 
traces  plus  nombreuses  et  plus  certaines  de  leur  passage  ;  le  souvenir  du  peuple-roi 
ne  s'est  point  effacé  de  ces  contrées,  et  la  tradition  leur  attribue  maints  débris 
actuellement  informes.  C'est  ainsi  qu'une  voie  romaine  qui  passe  par  le  village  de 
Montiller  et  se  dirige  vers  Soleure,  s'appelle  encore  Route  des  Païens  {Heidentceg). 
Près  de  Chiètres  {Kerzeiz  en  allemand),  il  existe  des  restes  de  maçonnerie  antique, 
qui  prouvent,  à  n'en  pas  douter,  qu'une  via  strata,  ancienne  voie  romaine, 
passait  par-là;  on  montre  encore  à  Allerswyll  el  à  Montbarry  l'emplacement  oc- 
cupé jadis  par  des  temples  païens.  A  Bulle,  à  Patraclion,  au  Mouret,  à  Ependes, 
À  Sorens,  et  récemment  à  Tronche-Bélon,  commune  de  Riaz,  on  a  déterré  quantité 
de  médailles  romaines  plus  ou  moins  précieuses,  de  différentes  époques  et  de  divers 
modules.  A  Gourtepin,  à  une  profondeur  de  5  pieds,  on  a  trouvé,  ensevelie  dans  un 
lit  d'argile,  une  charmante  statuette  en  bronze,  représentant  un  athlète  ou  un 
soldat;  de  plus,  une  médaille  du  même  métal,  portant  d'un  côté  le  buste  d'Au- 
guste, el  sur  le  revers  la  façade  d'un  temple  avec  les  lettres  S.  G.  des  deux  côtés, 
el  au-dessous  l'inscription  :  Provident.  A  Gormerod,  village  distant  d'une  lieue 
d'Avenches,  on  a  mis  à  nu  une  mosaïque  d'une  grande  dimension,  remarquable 
par  son  exécution  large  el  surtout  par  sa  composition  ;  malheureusement,  ce  mor- 
ceau précieux  n'est  pas  intact  :  la  bordure  manque  presque  complètement,  et  il  est 
assez  difficile  de  distinguer  le  jeu  des  physionomies  :  il  représente  Thésée  terrassant 
le  Minotaure  dans  le  labyrinthe  de  Grète.  Ge  précieux  pavé  a  été  transporté  au  Musée 
de  Fribourg.  A  Gheire,  M.  Gaslella  de  Villardin  a  pareillement  découvert,  en  1778, 
un  vaste  parquet  en  mosaïque,  représentant  Orphée  entouré  d'animaux  séduits  par 
les  accents  de  sa  lyre.  —  Des  fouilles  opérées  à  Bossonens  on¥mis  au  jour  un  bâti- 
ment romain  de  54  pieds  de  largeur,  sur  une  longueur  presque  double;  c'était, 
semble-t-il,  un  établissement  de  bains;  on  y  a  trouvé  divers  ustensiles,  des  mé- 
dailles, des  débris  d'urnes,  etc.  ;  des  pilastres  en  briques  supportaient  l'édifice.  — 
Enfin,  nommons  encore  Palaisieux,  Misery,  Antigny,  où  tout  récemment  encore 
on  a  découvert  des  thermes  et  des  hypocaustes,  qui  paraissent  dater  du  séjour  des 
Romains  dans  ces  contrées. 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  259 


Histoire.  —  Les  premiers  habitants  de  Fribourg  furent,  selon  toute  apparence, 
(les  Helvètes  ou  des  Celtes  soumis  à  la  théocratie  druidique,  et  qui  prirent  part  à 
l'expédition  dirigée  par  Divicon.  Refoulés  dans  leurs  montagnes  par  Jules-César,  ils 
virent  les  Romains  pénétrer  dans  leur  pays  et  établir  un  poste  militaire  à  Morat. 
Au  4*  et  au  5*  siècles,  quand  les  peuplades  du  nord  se  ruèrent  sur  l'Europe,  Fri- 
bourg n'échappa  point  à  leurs  dévastations,  et  fut  changé  par  eux  en  un  vaste  désert, 
couvert  de  forêts  impénétrables;  des  bêtes  féroces  troublaient  seuls  de  leurs  cris 
le  repos  et  le  silence  de  ces  profondes  solitudes  ;  de  là  le  nom  d'Uechtland  (Pays 
désert)  dont  on  se  servait  alors  pour  désigner  ces  contrées.  Bientôt  les  Burgundes 
et  les  ÀUemanes,  peuples  de  la  Vistule  et  de  la  Vandalie,  cherchant  à  leur  tour  des 
cieux  moins  inhospitaliers,  vinrent  s'établir,  les  premiers  à  Test,  dans  les  vallées 
entre  la  Sarine  et  Planfayon,  et  les  autres  sur  tout  le  reste  du  territoire  de  ce  pays. 
Les  Burgundes,  souche  des  Bourguignons,  furent  vaincus  par  Clovis  et  ses  fils,  et 
durent  subir  la  domination  des  Francs,  jusqu'à  Rodolphe  V\  roi  de  la  Transjurane, 
qui,  en  888,  érigea  l'IJechtland  et  les  pays  voisins  en  Etat  indépendant.  Les  Rhein- 
felden,  les  Zœhringen  le  gouvernèrent  successivement,  après  qu'il  eut  été,  en  1032, 
réuni  avec  la  Cisjurane  à  l'empire  d'Allemagne,  sous  le  nom  de  rectorat  de  la  petite 
Bourgogne.  Les  ducs  de  Zœhringen  furent  des  gouverneurs  habiles  et  cléments; 
Berchthold  lY,  l'un  d'eux,  qui  voyait  l'augmentation  du  pouvoir  de  l'empereur, 
son  maître,  dans  l'abaissement  des  seigneurs  romans  et  la  fondation  de  bourgeoisies 
libres,  bâtit  Fribourg  en  1179,  lui  donna  un  territoire  de  3  lieues,  et  la  dota  d'une 
Constitution  calquée  sur  celle  de  Cologne.  Un  grand  nombre  de  colons  se  hâtèrent  de 
venir  s'abriter  sous  l'égide  des  franchises  accordées  à  la  ville;  celle-ci,  dans  l'esprit 
de  son  fondateur,  faisait  partie  du  vaste  système  de  défense  de  l'empire  qui  s'étendait 
du  lac  Léman  jusqu'au-delà  de  Berne,  système  organisé  contre  les  nobles  bourgui- 
gnons, remuants  et  guerriers,  qui  voyaient  d'un  œil  jaloux  la  domination  allemande. 
A  l'extinction  de  la  famille  de  Zaehringen,  Fribourg  passa  à  la  maison  de  Kybourg, 
qui  ne  put  parvenir  à  s'attacher  ces  peuples  ;  de  plus,  les  comtes  de  Savoie,  et 
notamment  Pierre,  surnommé  le  Petit  Charlertiagne^  dirigeaient  toutes  leurs  convoi- 
tises sur  les  pays  de  Vaud  et  de  Fribourg.  Le  génie  de  ce  prince,  son  adresse,  sem- 
blaient de  sûrs  garants  de  la  réussite  de  ses  plans,  lorsque  le  dernier  des  Kybourg, 
Hartmann  le  jeune,  mourut  en  1264.  Eberhard  de  Habsbourg,  qui  lui  succéda,  fit 
cession  de  son  rectorat  au  trône  de  l'Allemagne.  Fribourg  fut  vendu  ensuite  à  Rodolphe 
de  Habsbourg,  le  fondateur  de  la  maison  d'Autriche,  pour  la  somme  de  3000  marcs 
d'argent.  —  Pendant  tout  ce  temps,  Fribourg  soutint  des  guerres  acharnées  contre 
Berne,  et  ces  deux  villes  semblaient  s'être  juré  une  haine  à  mort.  —  En  14S0, 
Albert  d'Autriche,  après  avoir  iniquement  spolié  les  Fribourgeois,  les  délia  du  ser- 
ment de  fidélité.  Abandonné  ainsi  à  lui-même  et  ne  pouvant  payer  une  dette  consi- 
dérable, ce  malheureux  pays  se  vit  forcé  de  se  donner  à  Louis  de  Savoie.  Yolande, 
veuve  d'Amédée,  s'étant  alliée  à  Charles-le-Hardi,  Fribourg  se  détacha  de  sa  domi- 
nation pour  rentrer  dans  le  giron  de  l'empire  d'Allemagne;  puis,  après  les  guerres 
de  Bourgogne,  auxquelles  Fribourg  prit  une  part  glorieuse  dans  les  rangs  suisses, 
cette  contrée  forma  le  neuvième  canton  suisse. 

Dès  cette  époque,  l'histoire  de  Fribourg  est  essentiellement  liée  à  celle  de  la  Con- 
fédération; ce  canton  prit  part  à  presque  toutes  les  guerres  que  soutinrent  les 


260  LA   SUISSE   PITTORESQCE. 


Suisses  dans  la  suite.  Il  s'agrandit  successivement,  soit  par  des  conquêtes,  soit  par 
des  achats;  de  concert  avec  Berne,  il  s'empara  de  Morat,  de  Grandson,  d'Ecbal- 
lens  et  d'Orbe  ;  après  la  conquête  du  Milanais,  il  eut  sa  part  aux  bailliages  italiens 
de  Lugano,  Locamo,  etc.  En  1S36,  lors  de  la  conquête  de  Vaud  par  les  Bernois. 
Romont,  Rue,  Surpierre  se  donnèrent  à  la  jeune  république  pour  échapper  aux 
réformateurs.  —  Le  gouvernement,  démocratique  dans  son  principe,  devint  peu  à 
peu  aristocratique  et  même  oligarchique  ;  quelques  familles  s' étant  déclarées  de  leur 
chef  seules  habiles  à  gouverner  TElat,  surent  adroitement  s'emparer  du  pouvoir  ; 
une  chambre  secrète  devint  l'autorité  suprême;  le  Sénat  des  24,  le  Corps  des  60 
et  le  Grand  Conseil  virent  leur  influence  détruite  par  ce  redoutable  tribunal,  triste 
parodie  du  Conseil  des  Dix  de  Venise.  Le  peuple  se  vit  aussi  arracher  l'élection  des 
bannerets,  tribuns  populaires  dont  le  veto  était  tout  puissant.  Plus  tard,  le  gouver- 
nement abolit  certaines  cérémonies  religieuses,  et  le  couvent  de  Val-Sainte  fut  sup- 
primé avec  le  consentement  de  l'évêque  et  du  pape.  Mais,  les  paysans,  blessés  dans 
ce  qu'ils  avaient  de  plus  cher,  levèrent,  en  4781 ,  l'étendard  de  la  révolte  et  marchè- 
rent sur  Fribourg  ;  puis  là,  ils  furent  obligés  de  poser  les  armes,  cernés  qu'ils  étaient 
par  des  troupes  bernoises,  appelées  en  toute  hâte  par  le  gouvernement.  La  réaction 
fut  terrible  :  bon  nombre  d'insurgé^  furent  bannis  ou  emprisonnés,  et  le  cadavre  de 
l'infortuné  Chenaux,  chef  de  l'insurrection,  livré  au  bourreau.  Les  bourgeois  et  les 
nobles  eux-mêmes ,  exclus  de  certaines  charges  par  les  patriciens ,  réclamaient  des 
droits  ;  mais  Lucerne,  Berne  et  Soleure,  ayant  proclamé  le  maintien  de  la  forme 
aristocratique,  le  gouvernement,  fort  de  leur  appui,  continua  ses  vexations  et  ses 
abus  de  pouvoir.  Les  nobles  seuls  obtinrent  Tégalité  avec  les  patriciens  dans  l'Etat, 
et  le  peuple  dut  se  résigner  et  attendre.  Enfin,  en  4798,  l'armée  française  vint 
mettre  un  terme  à  cette  situation,  et  la  démocratie  fut  proclamée.  Le  grand  land- 
ammann  d'Âffry,  chef  d'un  parti  composé  des  nobles  et  des  députés  de  la  campagne, 
put  contenir  quelque  temps  les  patriciens;  mais  ceux-ci  l'emportèrent  bientôt,  et  en 
4844,  en  plein  Grand  Conseil,  I  Acte  de  médiation  fut  annulé  et  le  patriciat  rétabli. 
En  vain  le  peuple  protesta-t-il  solennellement,  le  gouvernement  ne  voulut  rien 
entendre,  et  il  se  maintint  jusqu'au  2  décembre  4830,  où  l'envahissement  de  l'hô- 
tel-de-ville  par  des  bandes  armées  décida  le  Grand  Conseil  à  proclamer  Tégalité  des 
droits  et  la  souveraineté  du  peuple  ;  puis,  une  Constitution  démocratique  fut  éla- 
borée par  une  assemblée  constituante,  et  octroyée  au  peuple  le  24  janvier  4834. 
La  lutte  ne  cessa  point  toutefois,  mais  se  transporta  sur  un  autre  terrain  :  de  poli- 
tique elle  devint  religieuse. 

Fribourg  est  l'un  des  sept  cantons  qui,  en  4846,  formèrent  l'alliance  séparée 
dite  Sonderbund.  Les  troupes  fédérales  occupèrent  le  chef-lieu,  presque  sans  coup 
férir,  au  début  de  la  campagne  ;  un  nouveau  gouvernement  fut  élu  et  une  nouvelle 
Charte  constitutionnelle  promulguée.  Dès-lors  ont  éclaté  diverses  insurrections  ten- 
dant à  renverser  l'ordre  des  choses  actuel,  mais  aucune  d'elles  n'a  été  couronnée 
de  succès,  non  plus  qu'une  grande  assemblée  populaire  qui  a  eu  lieu,  dans  le  même 
but,  &  Posieux,  en  48S2. 

CAnACTÈRES,  Moeurs,  Usages.  —  Le  type  fribourgeois  est  beau  ;  la  partie  féminine 
de  la  population  se  distingue  par  sa  grâce  et  l'originalité  de  son  langage.  Une  haute 
stature,  une  constitution  robuste,  une  physionomie  joviale,  des  mœurs  simples. 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  261 


pures  et  une  bonhomie  mêlée  d'un  peu  de  rudesse,  distinguaienl  jadis  le  peuple  fri- 
bourgeois.  Ces  caractères  tendent  un  peu  à  s'effacer  sous  Tcmpire  d'habitudes  moins 
régulières,  de  troubles  continuels  et  d'idées  cosmopolites.  Le  service  étranger,  ^ur 
lequel  les  Fribourgeois  ont  un  goût  prononcé,  contribue  aussi  à  l'altération  de  ces 
qualités  natives.  Dans  quelques  vallées  reculées  vivent  encore  les  traditions  des 
ancêtres,  les  coutumes  séculaires  et  les  superstitions  naïves.  Les  armaiUiH  de 
Gruyère  racontent  toujours  avec  plaisir,  à  la  lueur  vacillante  du  foyer,  les  légendes 
de  la  montagne,  chroniques  charmantes,  où  les  fées  et  les  esprits  jouent  un  si  grand 
rôle.  Une  hospitalité  bienveillante  est  partout  réservée  à  l'étranger  ;  et  si  l'accueil  est 
simple,  il  est  au  moins  cordial. 

Diverses  peuplades,  distinctes  d'origine  et  de  langage,  se  sont  répandues,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit,  dans  le  canton  de  Fribourg,  et  chacune  d'elles  a  conservé  une 
manière  d'être  et  des  coutumes  qui  la  distinguent  des  autres.  Les  indigènes  alle- 
mands sont  moins  industrieux,  plus  attachés  aux  croyances  superstitieuses,  que  ceux 
qui  parlent  le  français;  on  trouve,  en  revanche,  dans  les  familles  honnêtes,  une 
droiture  et  une  bonne  foi  qui  rachètent  bien  des  défauts.  Les  Fribourgeois  aiment 
beaucoup  la  danse  ;  autrefois,  ils  ne  pouvaient  s'y  livrer  qu'en  automne,  à  la  dédi- 
cace générale  des  danses  ou  bénichon,  les  jours  de  noc«  et  à  l'époque  des  moissons. 
Aujourd'hui,  la  danse  est  permise  toute  l'année.  Les  rixes,  qui  terminaient  ordinai- 
rement ces  sortes  de  divertissements,  ont  beaucoup  diminué,  comme  ces  fameuses 
luttes  de  village  à  village,  qui,  il  y  a  peu  de  temps,  étaient  encore  si  fréquentes 
dans  la  Gruyère.  A  Morat,  on  fête,  le  22  juin,  l'anniversaire  de  la  glorieuse  bataille 
de  ce  nom.  Dans  quelques  localités  du  district  d'Estavayer,  pendant  les  soirées  d'été, 
on  s'assemble  sur  la  place  du  village  et  l'on  chante  des  rondes  {caraoulès)  dans  le 
dialecte  de  l'endroit.  La  place  de  Moudon  à  Estavayer  est  célèbre  par  ses  caraoulès, 
auxquels  prenaient  part  des  personnes  de  toute  condition.  Cet  usage  n'a  pas  encore 
totalement  disparu  à  Fribourg.  Des  réunions  d'un  genre  tout  particulier  ont  lieu  de 
temps  en  temps  dans  cette  ville  :  ce  sont  les  fêles  de  voisinage,,  où  tous  les  rangs  de 
la  société  sont  confondus  de  la  manière  la  plus  piquante  et  la  plus  fraternelle.  La 
fête  se  compose  d'une  grand'messe,  d'un  festin,  et  d'un  bal,  où  chaque  homme  du 
voisinage  doit  conduire  la  femme,  jeune  ou  vieille,  que  le  sort  lui  a  donnée  en  partage. 
Cette  loterie  d'un  nouveau  genre  est  l'occasion  des  rapprochements  les  plus  bizarres. 

LÉGISLATION.  —  La  loi  de  Gondebault,  les  codes  francs  et  allémaniques  servirent 
longtemps  de  base  à  la  législation  fribourgeoise.  Le  Handfesle,  publié  en  12&9,  devint 
ensuite  loi  fondamentale  avec  le  code  de  Souabe,  et  la  Caroline  comme  loi  pénale 
depuis  1540.  La  municipale  de  Fribourg  et  le  coutumier  de  Vaud,  Gruyère,  La 
Roche,  Estavayer,  firent  loi  jusqu'en  1830,  où  un  code  civil  conforme  aux  idées 
actuelles  fut  décidé;  il  a  été  terminé  en  1849.  On  doit  aussi  au  régime  actuel  un 
code  pénal,  un  code  de  commerce,  un  code  forestier,  des  codes  de  procédure  civile 
et  pénale,  et  un  très-grand  nombre  de  lois  spéciales. 

Cultes.  —  Les  Fribourgeois  sont  essentiellement  religieux.  Le  canton  comptait 
jadis  un  nombre  fort  élevé  de  couvents,  parmi  lesquels  nous  citerons  les  capucins 
de  Fribourg,  Bulle  et  Romont,  les  chartreux  de  la  Part-Dieu,  les  trapistes  de  Val- 
Sainte,  les  bernardins  d'Hauterive,  les  cordeliers,  les  augustins,  les  jésuites  de 
Fribourg,  etc.  —  Lorsque  les  doctrines  des  réformateurs  commencèrent  à  pénétrer  en 


262  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Suisse,  le  gouvernemenl  fribourgeois  prit  les  mesures  les  plus  sévères  pour  empêcher 
la  prédication  de  la  nouvelle  religion  ;  aussi  le  district  de  Morat  embrassa-tril  seul  le 
protestantisme.  Â  Theure  qu'il  est,  l'immense  majorité  de  la  population  est  catho- 
lique, et  la  religion  réformée  ne  compte  qu  environ  12,000  sectateurs.  Le  clergé 
romain  relève  de  l'évéque  de  Lausanne,  dont  le  siège  fut  transporté  à  Fribourg  après 
la  Réforme.  L'évèque  actuel  fut  exilé  à  la  suite  des  événements  de  1847;  il  gou> 
verne  néanmoins  le  diocèse  par  l'entremise  de  ses  vicaires  généraux  et  de  ses  se- 
crétaires particuliers. 

Lnstbuction  publique.  —  Le  système  d'instruction  publique  a  été  entièrement 
refondu  en  18&8.  Sauf  pendant  les  beaux  jours  de  l'école  du  père  Girard  (1804  à 
1823),  l'instruction  avait  été  très-arriérée;  avant  la  réforme  tentée  par  le  grand 
pédagogue,  l'instruction  primaire  surtout  était  presque  nulle.  L'introduction  des 
jésuites,  en  1818,  peupla  le  collège  et  le  pensionnat  de  700  élèves,  tant  internes 
qu'externes,  français  pour  la  plupart,  appartenant  à  l'opinion  légitimiste.  —  Les 
établissements  actuels  d'instruction  publique  sont,  outre  les  écoles  primaires  que 
l'on  trouve  dans  chaque  commune,  et  dont  la  fréquentation  est  obligatoire,  les  écoles 
secondaires  et  l'école  cantonale.  Les  écoles  secondaires,  où  les  élèves  sont  admis 
gratuitement,  préparent  les  jeunes  gens  aux  études  classiques  et  à  l'industrie.  Il  ne 
peut  y  en  avoir  plus  d'une  par  district;  trois  seulement  ont  été  établies  jusqu'à  pré- 
sent :  Tune  (pour  les  filles)  à  Fribourg,  la  seconde  à  Bulle,  et  la  troisième  à  Morat,  où 
existe  aussi  un  petit  collège  classique.  L'école  cantonale  (à  Fribourg)  est  divisée  en 
trois  parties  :  1"*  Le  progymnase;  2^  le  gymnase,  lequel  comprend  les  trois  sections 
pédagogique,  industrielle  et  classique  ;  et  S""  les  cours  supérieurs  ou  académiques, 
qui  sont  de  trois  espèces  :  cours  de  philosophie,  de  droit,  et  de  théologie,  sous  l'habile 
direction  de  M.  Aviger,  de  Lucerne.  Le  recteur  des  cours  académiques  et  le  directeur 
de  l'école  cantonale  sont  à  la  tète  de  tout  l'établissement.  M.  le  professeur  Alexandre 
Daguet  remplit  depuis  1848  les  deux  fonctions.  Le  directeur  de  l'instruction  publique 
(M.  Schaller  depuis  1848)  a  la  haute  surveillance  sur  les  établissements  scolaires 
de  tout  le  canton  ;  il  est  assisté  d'une  commission  permanente  des  études,  du  direc- 
teur de  l'école  cantonale,  de  la  commission  spéciale  de  cette  école,  des  inspecteurs 
d'arrondissement,  etc.  En  outre,  les  préfets  et  les  Conseils  communaux  sont  chaiigés 
de  la  surveillance  des  écoles  primaires.  Une  école  normale  et  un  cours  de  répétition 
forment  et  perfectionnent  les  instituteurs;  ceux-ci  se  réunissent  par  districts  en 
conférences,  et  possèdent  une  caisse  d'association  alimentée  par  un  subside  de  l'Etat, 
qui  est  destinée  à  venir  en  aide  aux  instituteurs  infirmes  ou  en  retraite  de  tout  le 
canton.  Il  existe,  en  outre,  une  Société  cantonale  des  Instituteurs,  fondée  en  1849, 
et  qui  a  une  séance  annuelle. 

Constitution.  —  Les  principales  dispositions  de  la  Constitution  du  4  mars  1848  % 
sont  les  suivantes  :  L'exercice  de  la  religion  catholique  et  de  la  religion  protestante 
est  garanti.  La  peine  de  mort  est  abolie.  Le  droit  de  pétition,  l'égalité  devant  la  loi, 
le  droit  de  libre  établissement,  la  liberté  individuelle,  l'inviolabilité  de  la  propriété  et 
du  domicile,  sont  proclamés  et  sauvegardés  par  la  loi.  La  souveraineté  réside  dans 
le  peuple,  qui  l'exerce  dans  les  assemblées  électorales  ;  celles-ci  sont  composées  des 
Fribourgeois  laïques  résidant  dans  le  canton  et  âgés  de  20  ans,  qui  jouissent  de 
leurs  droits  civils  et  politiques.  Le  pouvoir  législatif  est  exercé  par  un  Grand  Conseil 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  263 


nommé  par  le  peuple;  de  plus,  ce  corps  choisit  lui-même  10  de  ses  membres  Le 
Conseil  d'Etat  est  composé  de  7  membres,  nommés  par  le  Grand  Conseil,  et  respon- 
sables de  leur  gestion,  dont  ils  doivent  rendre  compte  chaque  année.  Le  Tribunal 
cantonal  est  l'autorité  judiciaire  suprême  ;  il  est  composé  de  7  membres,  dont  Télec- 
lion  appartient  au  Grand  Conseil.  Ensuite,  viennent  les  tribunaux  de  district,  lés 
justices  de  paix,  le  jury,  le  tribunal  militaire,  le  tribunal  de  cassation.  —  L'ensei- 
gnement ne  peut  être  confié  à  une  corporation  religieuse.  Les  biens  du  clergé  sont 
soumis  à  l'administration  civile;  la  coUaturedes  bénéfices  ecclésiastiques  est  dévolue 
à  l'Etat.  Le  canton  est  divisé  en  sept  districts  administratifs  et  judiciaires  :  celui  de 
la  Sarine,  de  la  Singine,  de  la  Gruyère,  du  Lac,  de  la  Glane,  de  la  Broyé,  et  de  la 
Veveyse.  Les  cercles  électoraux  sont  un  peu  différents  des. districts,  et  se  réduisent 
à  six,  la  Yeveyse  votant  avec  la  Gruyère  à  Bulle,  en  vertu  d'une  loi  spéciale.  Les 
élections  se  font  en  vote  public  et  par  mains  levées,  dans  le  chef-lieu  du  cercle  élec- 
toral ;  ce  mode  de  votation  n'est  pas  sans  inconvénients  dans  un  pays  agité  par  les 
luttes  civiles. 

Agriculture.  —  Le  sol  du  canton  est  en  général  fertile,  et  les  céréales  les  plus 
répandues,  telles  que  le  froment,  le  seigle,  l'orge,  l'avoine,  y  croissent  sans  diffi- 
culté. Les  vallées  et  les  montagnes  qui  occupent  la  partie  méridionale  sont  couvertes 
presque  exclusivement  de  pâturages,  tandis  que  vers  le  nord  de  vastes  plantations 
de  tabac,  de  lin,  de  chanvre,  de  pommes  de  terre,  de  blé,  occupent  les  bras  des 
laboureurs.  La  culture  de  la  vigne  est,  pour  ainsi  dire,  nulle  :  les  districts  d'Estavayer 
et  de  Morat  fournissent  seuls  des  vins,  et  encore  sont-ils  d'une  qualité  inférieure,  à 
l'exception  du  rouge  de  Chabloz  et  de  Lugnorre. 

L'agriculture  a  fait  depuis  quelques  années  des  progrès  remarquables,  progrès 
auxquels  l'ancienne  Société  économique  de  Fribourg,  fondée  en  1813  par  le  père 
Girard,  et  la  nouvelle  Société  d'agriculture,  ont  contribué  pour  leur  bonne  part;  le 
partage  et  le  défrichement  des  biens  communaux,  l'élan  donné  par  les  autorités  à 
l'économie  rurale,  la  création  de  fermes-modèles,  ont  fait  le  reste.  Une  école  d'agri- 
culture a  été  fondée  par  le  nouveau  régime  à  Hauterive,  et  donne  quelques  espérances. 
Partout  les  prairies  artificielles,  les  arbres  fruitiers,  remplacent  les  taillis  et  les  plaines 
incultes  ;  une  organisation  nouvelle  permet  au  gouvernement  de  surveiller  et  de 
diriger  les  coupes  de  bois,  jadis  mal  organisées,  et  les  marais,  dans  plusieurs  localités, 
sont  rendus  à  la  culture,  à  force  de  travail  et  de  peine.  Le  canton  est  très-riche  en 
forêts,  et  peut  se  suffire  à  lui-même,  à  peu  de  chose  près.  Les  environs  de  Morat 
renferment  beaucoup  de  jardins,  vraiment  remarquables  par  le  nombre  et  le  choix 
des  fleurs  qui  y  croissent,  et  par  le  bon  goût  qui  préside  à  leur  culture.  Sur  une 
superficie  de  428,000  arpents,  Fribourg  en  compte  740  en  vignes,  68,760  en  prés, 
100,000  en  champs,  33,800  en  pâturages,  et  34,480  en  bois. 

Industrie,  Commerce.  —  Les  branches  principales  de  l'industrie  fribourgeoise  sont  : 
l'élève  des  bestiaux,  la  fabrication  des  fromages,  l'exportation  des  bois  et  du  tabac,  le 
tressage  des  pailles,  et  le  tannage  des  cuirs.  On  compte  dans  le  canton  28,000  vaches, 
2000  bœufs,  20,320  génisses,  10,400  chevaux,  26,000  moutons,  7700 chèvres; 
ces  chiflres  élevés  disent  assez  quelle  est  l'importance  des  troupeaux  pour  le  canton. 
Les  bêtes  à  cornes  forment  une  race  particulière,  très-recherchée,  qu'on  préfère  sou- 
vent à  celle  de  l'Oberland;  les  taureaux  surtout  sont  d'une  vigueur  et  d'une  force 


Î64  l,A   M:I88K   PITTORBSQrR. 


extraordinaires.  Lesehevaux  sont  forts  et  corpulents,  mais  ils  ne  se  distinguent  pas 
|mr  l'élégance  des  formes;  ils  sont  estimés  comme  bétes  de  trait. 

La  Gruyère  et  surtout  la  vallée  de  Charmey  sont  le  centre  de  la  fabrication  des 
fromages,  dont  on  livre  annuellement  au  commerce  plus  de  50,000  quintaux  ;  une 
i*élébrité  européenne  est  acquise  à  ce  produit  vraiment  national,  dont  Texportatioit 
ù  rétranger  est  fort  considérable. 

Le  tressage  des  pailles  occupe  aussi  un  grand  nombre  de  bras,  et  produit  environ 
400,000  francs  annuellement  ;  cette  industrie  est  surtout  exercée  par  la  partie  fémi- 
nine de  la  |)opulalion  de  la  partie  méridionale  du  c^inton.  Bulle  et  Chàtel-St. -Denis 
sont  les  principaux  entrepôts  des  bois  que  Ton  exporte,  soit  bruts,  soit  travaillés. 
Le  commerce  des  peaux  est  considérable,  et  occupe  plus  de  150  fosses,  qui  tannent 
annuellement  près  de  30,000  peaux.  Près  de  Bellegarde,  on  exploite  une  mine  de 
houille,  qui  fournit  environ  1000  quintaux  de  combustible  par  an.  La  verrerie  de 
Semsales,  Tun  des  premiers  établissements  de  la  Suisse  dans  ce  genre,  livre  au  com- 
merce des  marchandises  fort  estimées;  ses  fours  sont  alimentés  par  une  tourbe  que 
Ton  trouve  dans  un  marais  du  voisinage.  —  H  existe  un  atelier  considérable  d^horlo- 
gerie  à  Morat;  Romont  et  Fribourg  ont  aussi  les  leurs. 

-  Savants  et  Hom.mes  distingués.  —  Le  canton  de  Fribourg  a  eu  dans  tous  les  temps 
des  hommes  marquants  par  leurs  talents  et  leurs  lumières.  Le  46*  siècle  cite  Ham 
Friess,  le  plus  célèbre  peintre  de  la  Suisse  avant  Holbein,  et  Guilliniann,  l'auteur 
de  De  rébus  Hehetiorum.  Le  17'  siècle  nous  montre  deux  peintres  en  renom, 
Wuillefet  et  Griittoïkr,  de  Romont.  Le  18*  siècle  a  produit  Thelléniste  Geinoz,  de 
Bulle,  et  le  polyglotte  Tercier,  de  Vuadens,  membres  de  l'Académie  des  inscriptions 
cl  belles-lettres  de  Paris.  La  fin  du  18*  et  le  commencement  du  19*  siècle  ont  vu 
fleurir  une  foule  d'hommes  illustres  dans  l'Etat,  l'Eglise  et  la  science  :  Le  i^ère 
Girard,  de  l'ordre  des  Cordeliers,  dont  la  réputation  comme  pédagogue  et  philosophe 
chrétien  est  européenne;  le  célèbre  facteur  d'orgues  Ahys  Mooser;  le  landammann 
iVAffry;  les  avoyers  Charles  Svhaller  et  Jean  de  MmUeiMch;  Téloquent  avocat  Lan- 
derset;  le  vénérable  et  savant  chanoine  Fontaine:  le  littérateur  allemand  Kuefdin; 
le  docteur  Bussard,  professeur  de  droit  et  auteur  d'un  traité  estimé  sur  la  matière  ; 
Perrotet,  du  Vully,  naturaliste,  voyageur  attaché  au  Jardin  des  Plantes  de  Paris.  La 
carrière  des  armes  a  illustré  une  foule  de  Fribourgeois,  dont  kO  environ  sont  par- 
venus aux  grades  les  plus  élevés  de  l'armée  française  ;  les  fastes  militaires  de  la 
France  ont  enregistré  les  noms  de  Cléry,  Heid,  Diesbach,  d'Affry,  Reynolds  Cas- 
tella,  etc.  Le  général  Gadfi  remplissait  les  fonctions  de  colonel  général  des  Suisses 
sous  Charles  X. 

Les  travaux  historiques  et  littéraires  les  plus  estimés  des  écrivains  friboui^eois 
actuels,  sont:  L'Histoire  de  la  Nation  suisse  et  des  Etudes  sur  l'histoire  littéraire,  par 
M.  le  professeur  A.  Daguet;  V Histoire  du  canton,  par  M.  le  docteur  Befxhthold;  les 
Chroniques  de  Fribourg  et  de  Morat,  par  MM.  Héliodore  Rœmy  et  Engelhard;  le 
Recueil  diplomatique  de  MM.  Werro,  Daguet  (archiviste)  et  Berchthold;  des  Etudes 
sur  la  Sgrie  de  M.  Février ,  M.  Glasson  s'est  fait  un  nom  comme  poète,  et  toute  une 
jeune  école  littéraire  éclot  au  sein  de  la  Société  d'études. 

Villes  et  autres  Lieux  remarquables.  —  Fribourg,  capitale  du  canton.  Cette  cité 
guerrière,  fondée  en  1178  par  Berchthold  IV,  duc  de  Zœhringen,  doit  son  nom  aux 


LA    SUISSE    PITTORESQUE. 


265 


franchises  qui  lui  furent  octroyées  par  son  fondateur  {Frei-Burg,  Ville  libre).  Con- 
temporaine de  Berne,  elle  a  seule  su  conserver,  dans  ses  mœurs,  ses  allures,  un  cachet 
d'originalité  qui  la  distingue  de  toutes  les  autres  villes  de  la  Suisse  ;  en  effet,  ses  rues 
tortueuses,  ses  longs  escaliers,  contrastent  singulièrement  avec  les  édifices  que  Tart 
moderne  y  élève  chaque  jour,  et  dans  certains  quartiers  on  pourrait  se  croire  en 
plein  moyen-âge,  à  voir  les  vieilles  maisons  surmontées  de  pignons,  les  tourelles,  les 
voûtes  en  ogives  qui  vous  entourent  de  toutes  parts.  —  Fribourg  est  assise  sur  un 
massif  de  rochers  entouré  de  trois  côtés  par  la  Sarine,  dont  les  falaises,  couronnées 
d'édifices  et  de  verdure,  descendent  presque  perpendiculairement  dans  le  fleuve.  Di- 
vers ponts,  entre  autres  celui  de  Gotteron,  et  le  fameux  pont  suspendu,  relient  les 
deux  rives.  La  ville  est  divisée  en  quatre  quartiers  :  le  Bourg,  TÂuge,  les  Places, 
et  la  Neuveville;  elle  compte  environ  10,000  habitants,  parmi  lesquels  on  trouve 
un  assez  grand  nombre  d'industriels.  Diverses  fabriques  de  tabac,  de  paille,  y  occu- 
pent une  partie  de  la  population.  Il  y  parait  quatre  journaux,  sans  compter  les  pu- 
blications de  la  Société  d'Études,  de  la  Société  d'Histoire,  etc.  On  y  trouve,  en 
outre,  des  sociétés  de  chant,  de  secours  mutuels,  de  gymnastique,  d'escrime,  etc. 
Au  milieu  de  la  ville,  s'élève,  imposante  et  majestueuse,  la  collégiale  de  Saint- 
Nicolas,  vieille  basilique  gothique  ;  d'innombrables  clochetons,  d'un  goût  et  d'un  travail 
exquis,  décorent  la  tour  qui  la  domine  et  se  découpent  gracieusement  sur  l'horizon.  La 
fondation  de  cette  église  parait  remonter  aux 

premiers  temps  de  Fribourg,  car  elle  fut  consa-  .  jfiiiHi^g^^  Jlfl  «HiL  Qj 
crée  en  1182,  par  Roger,  évêquede  Lausanne. 
La  tour  est  d'une  époque  plus  récente;  elle  ne 
date  que  de  1470.  Son  portail,  en  ogive,  est 
orné  d'un  relief  fort  remarquable,  représen- 
tant le  jugement  dernier.  Dans  l'intérieur  de 
l'église,  on  admire  les  fonts  baptismaux,  la 
chaire,  l'orgue  construit  par  Aloys  Mooser, 
instrument  vaste  et  puissant,  qui  passe  pour 
Pœuvre  la  plus  parfaite  qui  existe  en  ce  genre, 
et  enfin  le  monument  élevé  à  ce  grand  artiste, 
et  qui  est  surmonté  par  son  buste  en  marbre  '"^"'«"'^  '*•  *'  «ihcdraie  de  Fribourg 
blanc.  Parmi  les  autres  monuments  de  la  ville,  nous  citerons  :  l'Hôtel-de-ville,  édifice 
du  16*  siècle,  qui  est  bâti,  dit-on,  sur^  l'emplacement  de  l'ancien  chfttcau  des  ducs 
de  Zaehringen  ;  un  peu  au-devant  s'élève  un  arbre  quatre  fois  séculaire,  planté  à 
répoque  de  la  bataille  de  Morat:  c'est  le  tilleul  chéri  des  Fribourgeois,  si  vieux, 
hélas!  qu'il  ne  peut  supporter  le  poids  de  ses  propres  rameaux  ;  —  le  Collège  de 
St.-Michel,  auquel  est  adossée  la  belle  église  du  même  nom;  il  renferme  le  Pro- 
gymnase, le  Gymnase  et  la  Bibliothèque  cantonale,  laquelle  contient  30,000  vo- 
lumes; —  le  Pensionnat,  magnifique  palais,  commencé  en  1825,  qui  domine  tout  le 
paysage  de  ses  blanches  murailles,  pendant  que  le  Collège,  noirci  par  les  ans,  semble 
peser  sur  la  ville  comme  une  sombre  forteresse.  Entre  ces  deux  bâtiments  se  trouve 
le  Lycée,  bel  édifice,  de  récente  création  aussi.  La  grande  salle  du  rez-de-chaussée, 
qui  servait  sous  les  jésuites  aux  exercices  dramatiques,  a  été  convertie,  assez  mal  à 
propos  selon  nous,  en  salle  de  gymnastique.  Le  premier  étage  est  consacré  aux  cours 
II,  17.  34 


266 


LA    SUISSE    PITTORESQUE. 


académiques;  le  second  renferme  le  musée  dliistoire  naturelle el  un  cabinet  d'anti- 
quités, et  le  troisième,  Técole  secondaire  des  demoiselles.  Le  cabinet  d'antiquités 
renferme  de  véritables  trésors  numismatiques,  dons  du  pape  Léon  XII  et  du  roi  de 
France  Charles  X  ^  le  musée  proprement  dit  offre  des  collections  géologiques  et 
minéralogiques,  des  pétrifications  et  des  ossements  fossiles  rares  et  précieux.  —  Au 
centre  de  la  ville,  on  trouve  la  Chancellerie,  qui  contient  les  bureaux  et  les  archives 
du  Conseil  d'Etat.  Dans  la  partie  su|)érieure  de  la  cité,  s'élève  un  hôpital  bourgeois 
dont  il  est  déjà  fait  mention  dans  un  litre  de  1248.  —  Parmi  les  couvents  qui 
subsistent  encore,  nous  nommerons  celui  des  capucins,  qui  possède  une  descente  de 
croix  d'Annibal  Carrache.  La  belle  église  des  cordeliers  renferme  un  monument 
sépulcral  élevé  au  père  Girard  \iav  la  ville  de  Fribourg,  en  attendant  que  la  statue 
de  ce  grand  homme  soit  posée  sur  la  place  Notre-Dame. 

Mais  le  monument  de  Fribourg  le  plus  remarquable  est,  sans  contredit,  le  pont 
de  fil  de  fer  jeté  sur  la  Sarine,  et  qui  n'a  pas  moins  de  900  pieds  de  longueur.  Rien 
de  plus  hardi,  de  plus  gracieux,  que  cette  voie  aérienne,  chef-d'œuvre  de  l'industrie 
humaine,  suspendue  sur  un  abime  de  474  pieds  de  profondeur.  De  loin,  on  croit 
voir  un  fil  léger,  un  sillon  lumineux  qui  traverse  l'espace,  et  de  près  on  reste  muet 
devant  tant  d'audace  et  de  génie.  Deux  portes  monumentales  décorent  les  deux 
extrémités  du  pont  et  en  soutiennent  les  câbles  suspenseurs. 


Le  poat  de  Fribour^'. 


Dans  les  environs  de  la  ville,  plusieurs  endroits  charmants  méritent  Tattention: 
tels  sont  les  bains  de  Ncigles,  les  Etangs,  Grandfey.  On  va  aussi  admirer  le  site 
romantique  où  se  trouve  placé  l'ermitage  de  Ste.-Madeleine.  La  Sarine,  encaissée 
dans  un  lit  profond,  mugit  sourdemcnl  en  rongeant  le  pied  des  rochers  qui  la  domi 
nent.  Ceux-ci,  hauts  de  plus  de  400  pieds,  et  taillés  à  pics,  élèvent  vers  le  ciel  leurs 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  267 


tètes  couronnées  de  hêtres  séculaires,  et  ne  laissent  qu'un  jour  douteux  pénétrer  au 
fond  de  la  vallée  ;  c'est  là,  dans  le  flanc  même  de  Tun  de  ces  rochers,  qu'un  pieux 
cénobite  s'est  creusé  une  retraite.  Tout  est  taillé  dans  le  roc  vif,  salles,  réfectoire, 
église;  seul  le  clocher,  comme  un  phare  élancé,  élève  bien  haut  dans  les  airs  la 
croix  qui  le  surmonte. 

Gruyère,  chef-lieu  du  district  de  ce  nom.  Mollement  assise  sur  une  colline  de 
verdure,  que  domine  le  manoir  des  sires  de  Gruyère,  cette  ville  est  entourée  d'une 
ceinture  de  remparts  qui  attestent  son  antique  splendeur.  Le  souvenir  de  la  domi- 
nation paternelle  des  sires  de  Gruyère,  les  nombreux  combats  livrés  sous  ces  murs, 
les  écussons  armoriés  sculptés  çà  et  là  sur  les  portes,  les  maisons  surmontées  de  pi- 
gnons, tout  y  fait  respirer  un  parfum  de  vétusté  qui  vous  transporte  bien  des  siècles 
en  arrière;  mais,  hélas!  bien  mieux  que  tous  ces  glorieux  souvenirs,  la  tristesse 
et  la  désolation  planent  sur  ces  débris  et  semblent  s'appesantir  sur  la  ville  entière. 
Seul  le  donjon  s'élève  fier  et  menaçant  comme  aux  temps  de  la  féodalité,  bravant 
le  temps  et  les  orages  ;  ses  gracieuses  tourelles,  ses  murs  épais,  percés  de  meur- 
trières, ses  vastes  corridors,  semblent  encore  attendre  le  retour  de  leurs  anciens 
maîtres.  La  vue  dont  on  y  jouit  est  magnifique.  MM.  Bovy,  de  Genève,  qui  l'ont 
acheté,  le  restaurent  dans  le  goût  antique,  et  le  décorent  de  peintures  dont  le  sujet 
est  emprunté  à  l'histoire  et  à  la  légende  gruyérienne.  L'église  paroissiale,  dédiée  à 
saint  Théodule,  fut  fondée,  en  1254,  par  le  comte  Rodolphe  III;  elle  est  peu  remar- 
quable. 

Bulle,  jolie  petite  ville  de  2000  habitants,  dent  on  fait  remonter  la  fondation  à 
856.  Complètement  détruite  par  un  incendie  en  4805,  elle  s'est  relevée  de  ses  ruines, 
et  forme  une  longue  rue  large  et  bien  bâtie.  Sous  le  rapport  du  mouvement  com- 
mercial, c'est  l'une  des  villes  les  plus  importantes  du  canton;  elle  est  l'entrepôt  des 
fromages  de  Gruyère,  des  pailles  tressées  et  des  bois.  On  remarque  dans  l'église 
quelques  beaux  autels  et  un  orgue  construit  par  Aloys  Mooser.  Bulle  possède  en 
outre  une  maison-de-ville  remarquable,  l'hôtel  de  la  préfecture,  et  un  couvent  de 
capucins.  —  A  une  demi-lieue  de  Bulle  est  le  village  de  la  Tour  de  Trême,  lieu  natal 
de  Chenaux,  le  conspirateur  de  1781,  et  dont  les  compatriotes  se  distinguent  par 
leur  esprit  vif,  caustique  et  industrieux.  Une  fabrique  de  parqueterie  y  est  en  pleine 
activité. 

Estamyer,  charmante  petite  ville,  dont  les  flots  du  lac  de  Neuchâlel  baignent  le 
pied.  Les  murs  qui  la  défendent  du  côté  de  terre  furent  élevés  par  Louis,  fils  de 
Bozon,  roi  de  Bourgogne.  Le  donjon  des  seigneurs  d'Estavayer  subsiste  encore  au 
haut  de  la  colline,  d'où  il  domine  la  ville  et  ses  environs;  il  est  remarquable  par  son 
architecture,  bizarre  mélange  de  constructions  anciennes  et  modernes,  et  par  les 
tours  rondes  qui  flanquent  chacun  de  ses  angles  ;  ce  château  renferme  un  cachot 
souterrain,  dans  lequel  on  descend  par  une  échelle  de  20  pieds  de  longueur.  L'é- 
glise des  dominicains,  avec  son  sarcophage  de  Guillaume  d'Estavayer,  chanoine  de 
Lincoln;  l'église  paroissiale  et  ses  orgues,  méritent  l'attention.  Plusieurs  seigneurs 
d'Estavayer  se  sont  fait  un  nom  dans  l'histoire;  nous  citerons  Gérard,  qui  tua  en 
champ  clos  Othon  de  Grandson,  dont  on  voit  le  tombeau  dans  la  cathédrale  de 
Lausanne. 

Marut,  sur  les  bords  du  lac  du  même  nom.  Son  origine  se  perd  dans  la  nuit  des 


268  LA   SUISSE    PITTORESQUE. 


temps;  il  en  esl  déjà  fait  mention  dans  les  actes  du  Concile  d*Epaune.  Plus  tard»  cette 
ville  s'est  encore  immortalisée  par  Théroique  défense  d'Adrien  de  Bubenberg  et  par 
la  bataille  livrée  sous  ses  murs.  Un  obélisque  en  marbre,  de  56  pieds  de  hauteur,  a 
remplacé  sur  le  lieu  du  combat  Tossuaire  détruit  par  les  troupes  françaises  en  1798  ; 
il  porte  l'inscription  suivante  :  Victoriam  XXII,  Junii  MCCCCLXXVI,  pairumcon- 
cordia  partam  novo  signât  lapide  Resp.  Friburg.  MDCCCXXIL 

La  ville  elle-même  n'a  rien  de  remarquable,  si  ce  n'est  la  couleur  de  ses  maisons, 
construites  en  pierres  jaunes  comme  celles  de  Neuch&tel;  il  y  règne  cependant  un 
assez  grand  mouvement  commercial.  Elle  possède  un  château,  une  bibliothèque,  une 
caisse  d'épargne,  etc.  L'église,  anciennement  dédiée  à  la  sainte  Vierge,  sert  uni- 
quement au  culte  protestant  ;  on  voit  encore  dans  le  chœur  les  écussons  des  Bu- 
benberg, des  Folly,  des  Gléry,  etc. 

Roniont,  à  6  lieues  sud-ouest  de  Fribourg.  Sa  situation,  au  sommet  d'un  mamelon 
qu'entoure  une  vaste  plaine,  les  remparts  qui  l'environnent,  le  château  à  fossés, 
tourelles  et  mâchicoulis  dont  elle  est  dominée,  lui  donnent  un  aspect  pittoresque. 
Le  Mont-Blanc  apparaît  à  son  horizon.  Bâtie,  dit-on,  vers  920,  elle  fut  en  4440 
érigée  en  comté,  souffrit  beaucoup  durant  la  guerre  de  Bourgogne,  et  devint  un 
bailliage  Iribourgeois  en  1S36.  Ses  foires  de  chevaux  sont  renommées. 


R.  DE  Bons. 


&3ê%k 


CANTON   DE  SOLEURE. 


Limites,  Etendue,  Climat.  —  Ce  canton,  le  sixième  de  la  Confédération,  ne  pré- 
sente pas  de  limites  naturelles  ;  son  territoire  se  compose  de  trois  langues  de  terre 
assez  irrégulières,  qui  s'avancent  Tune  le  long  de  TAar,  l'autre  vers  le  lac  de  Bienne, 
et  la  troisième  vers  le  nord.  Quelques  communes,  les  unes  même  assez  considérables, 
sont  complètement  détachées  du  reste  du  canton  :  telles  sont  Lûssel,  Steinhof,  etc. 
Au  sud  et  à  l'ouest  s'étend  le  territoire  bernois  ;  au  nord  se  déroulent  les  cantons  de 
Berne  et  de  Bâle,  et  à  l'est  Argovie  et  Berne.  Sa  superficie  est  de  32  lieues  carrées, 
et  sa  population  de  69,674  âmes.  Il  a  13  lieues  dans  sa  plus  grande  longueur, 
d'AUerheiligen  à  Erlinsbach,  et  11  dans  sa  plus  grande  largeur,  de  Meissen  à 
Dornacb.  —  Fort  montagneux  sur  la  moitié  de  sa  superficie,  le  canton  est  élevé  de 
nos  à  &479  pieds  au-dessus  de  la  mer  ;  le  climat  en  est  tempéré,  mais  il  varie  avec 
la  hauteur  de  chaque  localité.  VOberluft  (vent  de  l'ouest)  y  souffle  assez  fréquemment, 
tandis  que  le  Fœhn  se  fait  rarement  sentir. 

Montagnes  et  Plaines.  —  Les  nombreuses  montagnes  qui  couvrent  la  partie 
septentrionale  du  canton  appartiennent  à  la  grande  chaîne  du  Jura  ;  elles  forment 
sept  longues  murailles  à  peu  près  parallèles,  qui  se  dirigent  du  nord-ouest  au  sud-est. 
Entrecoupée  de  vallées  fertiles,  de  routes  pittoresques,  terminée  brusquement  çà  et 
là  par  des  défilés,  des  scissures  profondes,  cette  partie  du  Jura  s'aligne  majestueu- 
sement au-dessus  de  Soleure,  en  face  de  la  grande  chaîne  des  Alpes,  et  forme  comme 
un  magnifique  rempart  sur  une  longueur  de  plus  de  60  lieues;  de  nombreux  châteaux 
couvrent  ses  flancs,  en  élevant  au-dessus  des  forêts  leurs  gothiques  tourelles,  ou  bien, 
placés  au  sommet  d'une  coHine,  dominent  encore  fièrement  les  alentours,  comme 
au  temps  de  leur  splendeur.  Le  Jura  semble  ici  s'élever  brusquement  en  pentes  prati- 
cables :  ce  sont  des  superpositions  géologiques,  dans  lesquelles  les  Ages  et  un  travail 
continu  ont  pu  seuls  ouvrir  quelque  accès  à  la  culture.  Les  quatre  plus  hautes 
sommités  du  canton  sont  relativement  peu  élevées  :  la  HasenmaU  ne  dépasse  pas 


270  LA    SLISSE    PITTORESQUE. 


&500  pieds;  la  Rœthe,  4335;  le  Weissemiein,  3960;  et  la  Wannefifluh,  3980.  — 
La  plus  vaste  plaine  du  canton  s*étend  entre  Staad,  Grenges  et  Soleure;  une  autre 
assez  considérable  se  déroule  entre  OItcn  et  OEnsingen.  La  pente  du  terrain  que  par- 
court TAar  étant  nulle,  le  territoire  qui  s'étend  de  Staad  à  Soleure  est  coupé  de 
marécages.  De  grands  travaux  sont  en  voie  d'exécution  pour  assainir  ces  terrains  el 
canaliser  TAar,  TEmme  et  la  Thièle. 

Rivières,  Lacs  et  Vallées.  —  Cinq  rivières  arrosent  le  canton  de  Soleure  :  ce 
sont  VAar,  VEmme,  la  Birse,  la  Ihlnnern,  et  la  Litcelle.  L'Aar  y  pénètre  à  Staad,  el 
en  ressort  près  de  Flumenthal  ;  après  avoir  traversé  le  district  bernois  d'Aarwangen, 
il  serpente  entre  TArgovie  et  Soleure,  puis  rentre  dans  ce  dernier  canton  un  peu 
avant  OIten,  pour  en  ressortir  en-deçà  d'Aarau  ;  il  reçoit  dans  son  sein  les  eaux  de 
TEmme,  au-dessous  de  Soleure.  La  Dûnnern  prend  sa  source  à  la  base  septentrionale 
du  Rœthi,  et  disparaît  dans  TAar  à  OIten,  après  avoir,  vers  le  milieu  de  son  cours, 
Tranchi  le  défilé  de  Kluss.  —  Le  canton  n'a  que  deux  petits  lacs  :  celui  lïAschi  (Burg 
See),  dans  la  paroisse  du  même  nom,  et  celui  de  Bolken,  qui,  comme  le  précédent, 
compte  environ  une  demi-lieue  de  circonférence.  Tous  deux  ceints  d'une  verte 
colonnade  de  hêtres,  ces  lacs,  vus  au  travers  des  rameaux  de  la  forêt,  semblent  les 
fragments  d'une  glace  épars  ou  cachés  dans  la  verdure.  —  La  vallée  de  l'Aar  forme 
une  bonne  partie  du  canton  ;  le  reste  du  territoire,  c'est-à-dire  la  partie  montagneuse, 
se  compose  d'une  longue  suite  de  vallées  comprises  entre  les  diverses  chaînes  du  Jura: 
celle  de  Guldeiithal,  entre  autres,  est  longue  de  deux  lieues.  La  vallée  de  Lûssel, 
adossée  au  Blauen,  est  très-resserrée. 

Sources,  Eaux  minérales,  Bains.  —  La  partie  montagneuse  du  canton  ne  manque 
pas  de  sources  abondantes  et  salubres  ;  quelques-unes  sont  périodiques.  Par  contre, 
dans  le  reste  du  pays,  les  habitants  de  la  campagne  ont  dû  se  creuser  des  puits  pour 
se  procurer  de  l'eau  potable.  —  Les  bains  d'Attisholz  sont  assez  fréquentés;  les  eaui 
ferrugineuses  et  sulfureuses  de  leurs  sources  sont  préalablement  chaufiees.  Durant 
l'été,  les  étrangers  qui  y  séjournent  vont  quelquefois  faire,  pendant  la  nuit,  une 
excursion  à  la  Hasenmatt.  Cette  course,  d'une  piquante  originalité,  présente  un 
attrait  tout  nouveau,  et  le  spectacle  le  plus  singulier,  mais  aussi  le  plus  grandiose, 
attend  le  voyageur  parvenu  à  la  cime  de  la  montagne.  Un  silence  profond,  ua  calme 
solennel,  régnent  dans  la  nature  ;  seule,  la  voix  majestueuse  de  l'Aar  mugit  dans  la 
campagne  et  fait  résonner  Técho  de  la  forêt.  Vallées,  plaines,  montagnes,  tout  a 
disparu,  tout  se  confond  dans  une  teinte  uniforme,  et  ne  semble  former  qu*un  vaste 
lac  ténébreux.  Bientôt  la  lune,  apparaissant  tout  à  coup  à  l'horizon  lointain,  lance 
de  toutes  parts  des  gerbes  d'une  clarté  douce,  mais  plus  que  suffisante  pour  faire 
démêler  le  chaos  de  la  nuit  et  ressortir  en  traits  de  feu  les  glaciers  des  Alpes,  les 
lacs  et  les  rivières.  —  Citons  encore  les  bains  de  Lostorf,  qui  datent  de  1412  ;  ceux 
de  Grenges,  de  Mcltingen,  etc. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animal.  Le  canton  de  Soleure  ne  possède  que  des 
animaux  communs  à  toute  la  Suisse,  tels  que  le  blaireau,  la  martre,  la  loutre,  le 
putois,  le  chat  sauvage,  le  lièvre,  le  coq  de  bruyère,  etc.  Relativement  aux  autres 
cantons,  Soleure  compte  un  nombre  fort  élevé  de  chevaux.  On  y  chercherait  vaine- 
ment, à  l'heure  qu'il  est,  des  ours,  des  sangliers  et  des  cerfs.  La  Dûnnern  et  la  Lu- 
celle  fournissent  des  truites  excellentes,  mais  de  plus  en  plus  rares. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  274 


Règne  végétal.  Le  canton  est  plus  intéressant  sous  le  rapport  des  plantes  qu'il  ren- 
ferme. Les  bords  de  l*Aar,  les  sommilés  du  Jura,  offrent  aux  botanistes  une  ample 
moisson  de  végétaux  rares.  I^e  sapin  rouge  et  le  blanc,  le  chêne,  le  hêtre,  composent 
à  peu  près  exclusivement  les  forêls  du  canton.  Grâce  à  une  cullure  bien  entendue,  le 
sol  se  couvre  sur  toute  son  étendue  de  céréales  et  d'arbres  fruitiers. 

Règne  minéral.  Le  terrain  jurassique  forme  plus  delà  moitié  du  territoire  soleurois  : 
le  portlandien  et  le  conchylien  y  dominent.  La  molasse  compose  la  partie  sud  et 
sud-est  du  canton.  La  rive  gauche  de  TAar  offre  des  amas  de  brèche  ou  poudingue 
qui  paraissent  être  des  dépôts  laissés  par  ce  fleuve  dans  le  lit  qu'il  occupait  primiti- 
vement. Dans  les  environs  de  Soleure,  on  trouve  des  blocs  erratiques  qui  proviennent 
(le  la  chaîne  du  Grimsel,  des  Alpes  grisonnes,  etc.  La  conformation  de  ces  masses, 
dont  les  arêtes  n'ont  pas  même  été  tronquées,  prouve  en  faveur  de  la  théorie  de  M.  de 
Charpentier.  —  Outre  les  pétrifications  communes  à  tous  ces  terrains,  on  a  trouvé  en 
1684  un  squelette  d'éléphant,  et  en  1826  un  os  de  mammouth.  On  exploite  le  gypse 
dans  plusieurs  localités,  et  notamment  à  Soleure  et  à  Lostorf,  où  il  offre  un  bel  al- 
bâtre. Le  marbre  de  Soleure  est  estimé  :  l'exploitation  en  augmente  chaque  année. 
Près  de  Goesgen,  il  existe  un  banc  de  tuf  considérable.  Les  mines  de  fer  de  Rammis- 
wyl,  d'Erzmatt,  deHolz,  fournissent  environ  50,000  quintaux  de  minerai  brutparan. 

Antiquités.  —  Le  canton  de  Soleure  est  riche  en  souvenirs  et  en  monuments 
romains.  Ultinnm  (Olten),  Solodurum  (Soleure),  Alla  Ripa  (Altren),  étaient  déjà 
connus  bien  avant  l'ère  chrétienne.  Dans  ce  dernier  endroit,  on  voit  encore  les  restes 
de  la  voie  romaine  militaire  qui  reliait  Aventicum  et  Solodurum,  et  que  le  peuple 
appelle  Heidenweg  (Route  des  Païens).  La  chaussée  est  pavée,  et  porte  ce  cachet 
de  grandeur  que  les  Romains  savaient  imprimer  à  toutes  leurs  œuvres  :  elle  fran- 
chissait l'Âar  sur  un  pont  dont  on  voit  encore  les  culées  quand  les  eaux  sont  basses. 
L'herbe  qui  y  croît  appartient  de  droit  au  valet-de-ville  de  Grenges.  —  Olten  est 
ceinte  de  murailles,  dont  une  partie  parait  remonter  à  l'époque  romaine;  des  mé- 
dailles, trouvées  dans  les  alentours,  corroborent  cette  assertion  de  quelques  anti- 
quaires. Soleure  revendique  le  même  honneur;  une  partie  de  son  enceinte,  celle  que 
I  on  voit  dans  la  rue  du  Lion,  porte  le  nom  de  Hcidenmauer.  Lorsque  Ton  creusa  les 
fondements  de  l'église  de  Saint-Ours,  les  ouvriers  déterrèrent  une  quantité  d'objets 
îinliques,  tels  que  vases  de  terre,  lampes  funéraires,  armes,  médailles,  inscriptions. 
Ces  dernières  figurent  actuellement  dans  le  vestibule  de  l'hôlel-de-villc  ;  ce  sont, 
[K)iir  la  plupart,  des  inscriptions  tumulaires  plaintives  et  touchantes,  comme  le  sen- 
liment  qui  les  dictait.  Un  petit  monument,  consacré  à  Epona,  porte  une  inscription 
dans  laquelle  Soleure  est  appelée  Vicas,  Ce  fait  se  rapportant  au  deuxième  consulat 
d'Anlonin  Elogabole,  cette  inscription  date  de  l'an  129  de  l'ère  chrétienne.  On  a 
placé  près  de  l'église  de  Saint-Ours  deux  colonnes  de  marbre,  trouvées  sur  la  colline 
de  Hermann  ;  mais  comme  on  les  a  entourées  de  lames  de  cuivre,  on  ne  peut  les 
examiner.  —  L'établissement  de  bains  d'Attisholz  était  déjà  connu  des  Romains,  car 
on  y  a  trouvé  des  vestiges  de  thermes,  d'aqueducs,  ainsi  qu'un  autel  consacré  au 
dieu  Apis.  A  peu  de  distance  de  cet  endroit,  était  enfouie  une  belle  statue  de  Vénus, 
taillée  dans  du  marbre  de  Carrare.  Olten,  Grenges,  Hagendorf,  Witterswyl,  pos- 
sèdent des  inscriptions  et  des  tombeaux  romains. 

Histoire.  —  Les  Ambrons  et  les  Urbigènes  sont  les  premiers  habitants  du  territoire 


279  LA   8UIS8E   PITTORESQTe. 

Holeuroi»;  Ich  Romains  les  vainquirent  et  pénétrèrent  en  dominateurs  dans  le  pays. 
Comme  l'atleslcnt  les  nombreuses  inscriptions  trouvées  çà  et  là,  plusieurs  familles 
aux  noms  historiques  florissaient  à  Salodurum.  Ours  et  Victor,  débris  de  la  légion 
Ihébécnne,  massacrée  à  Tamade  (Saint-Maurice  en  Vallais),  vinrent,  en  302,  prêcher 
le  christianisme,  et  convertir  les  populations  à  la  nouvelle  foi.  Leurs  ossements, 
objets  de  la  vénération  publique,  furent  pieusement  recueillis  par  leurs  néophytes, 
cl  sont  encore  conservés  à  la  cathédrale  de  Saint-Ours.  Le  christianisme  s'affermit  de 
plus  en  plus  sous  la  domination  franque,  et,  après  que  les  peuples  du  Nord  se  furent 
constitués  en  nations  distinctes,  Soleure  devint  la  résidence  des  rois  de  Bourgogne  de 
la  seconde  race.  Rodolphe  II  s  y  établit,  et  gouvernait  de  là  son  vaste  empire;  sa 
femme,  la  reine  Berthe,  fonda  en  930  le  chapitre  de  Saint-Ours.  Quand  le  dernier 
iTJoton  de  la  famille  de  Stratlingen  fut  descendu  dans  la  tombe,  l'empereur  Conrad- 
le  Salique  s'empara  de  Soleure,  et  en  fit  un  de  ses  séjours  favoris  pendant  les  loisirs 
que  lui  laissait  le  gouvernement  de  l'Allemagne  et  de  l'Italie.  Une  assemblée  de  la 
nation,  cimvoquée  à  Soleure  par  ses  soins  paternels,  proclama  son  fils  Henri-le-Noir 
(1038)  n>i  de  Bourgogne.  Sur  les  instances  des  députés  du  clei^é,  celui-ci  revint  à 
Soleure,  après  avoir  présidé  à  Constance  un  synode  provincial.  Les  seigneurs  y  vinrent 
lui  prêter  un  nouvel  hommage;  des  fêtes  brillantes,  des  joutes,  des  tournois,  signa- 
lèrent aux  habitants  la  munificence  impériale.  Soleure,  réunie  à  son  royaume  par 
Tompereur  Lothaire,  passa  ensuite  aux  mains  de  Conrad  de  Zsehringen  avec  tout  le 
landgraviat  de  Bourgogne,  et,  à  l'extinction  de  cette  illustre  famille,  lut  de  nouveau 
nHmieà  l'empire  par  Frédéric.  Celui-ci  mort,  la  bourgeoisie  de  Soleure  sut  habile- 
ment profiter  des  tnnibles  et  de  l'anarchie  qui  ébranlèrent  les  pays  voisins,  en  s'al- 
lianl  avoi*  Berne»  Les  envoyés  de  Soleure  assistèrent  au  couronnement  de  Rodolphe 
de  HalistMHii^,  et  reçurent  de  lui  la  amfirmation  des  privilèges  dont  jouissait  la  ville, 
en  lunl  que  ville  im|)ériale.  Plus  tard,  Soleure  ayant  embrassé  la  cause  de  Louis  de 
Bavièn^  iH^nlre  le  duc  Frédéric  d  Autriche,  Léopold  vint  mettre  le  si^  devant  se^ 
nuirs.  IVpuis dix  sentaines,  les si^ldats  autrichiens  sépuisaient  en  vains  efforts  pour 
s  emjvin^r  de  la  cité,  lorsque  TAar,  grossi  subitement  par  les  pluies,  emporta  un 
|H>nt  qu\HXHqviienl  U^  î>c>ldats  du  duc  :  oubliant  leur  querelle,  les  Soleurois  volèrent  à 
leur  îî^Hvurs  el  w  sauvèn^nt  un  in^nd  mnnbre.  Tant  de  grandeur  d'àme  toucha  le 
txvur  do  Uv|vKK  qui  k^va  inuinxliatenienl  le  siège.  —  Les  SoleunHS  oombattircnl 
Mvu\ont  ^K\<  K^r^  lUns  les  raiurs  de  larmêe  suisse,  et  notamment  à  Laupen,  où  leur 
|vtao  tivu|v  i\>nlrilHw  puis5stnuwonl  à  U  victoire,  lis  eurent  beaucoup  à  souffrir  de 
1  iiùmitiô  ^K^  ^vîntes  %W  K>tvur>:  B^ir^ik^rf,  qui,  à  forte  d  intrigues,  parvinrent  à 
oi>iïnuM^r  ivntiY  euv  un  ivmpU  dvMil  le  but  était  un  maissacre  général  ;  «plan 
tVIuHia  fort  h^Hiwi^  uHMit,  Aprvs  les  pn^rcs  de  Bour^^tne.  Soleure  lut  reçu  dans  la 
t^M^KsKM^tion  tM^  morne  tenïjtsi  que  Fnkmrv.  La  réforme  y  fit  de  nombieux  prosé- 
l^^t>^;  uKMs.  ;hmVs  1;!  KaUv.IU^  A^  ijip{x4.  W  ivirti  prv4eslmt/sauvé  par  le  dévouement 
\W  1  aw^N^H^  Weiv^i.  .txH\t  I  AllAv^vnHnil  à  U  Rm  catK.  lique  est  cependant  bien  ooonu, 
dul  qniUor  U  x UW^ .  oi i.hU  W^ cji^v^.m, à loxct-j^îKHï du BucbesjAeig, revint i VaDcienDe 
ivliiiuxn  SvO^nuw  ;i^T^i\ti  |vu  .k>s  *.îvt:>  <4K\r^fe,  \  il  peu  à  peu  sa  dttnocratie  dé- 
K^^HMw  tH^  Au:stvv>i-HH\  et  k  |VNU>vHr  pas^^^  Ajins  W  mains  de  quelques  lamilles.  U 
MHïKSvmont  xK^  ivtNxi^As  on  It^XS  lut  S4;îxi  .V  q^K-ique  aHêgement  apporté  dans  la 
^v^kIukm^  .W  ^>>>  ^'t^HH^:  nvAï^  jim-^  U  xvtxrr  que  les  villes  ée  Zvridi  et  de  Berne 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  273 


remportèrent  sur  les  campagnards,  le  joug  devint  de  plus  en  plus  pesant.  Pour  se 
mettre  à  couvert  de  nouvelles  insurrections,  la  ville  de  Soleure  fit  construire,  vers 
1667,  le  mur  d'enceinte  dont  elle  est  encore  entourée.  Soleure  fut  longtemps  la  rési- 
dence de  l'ambassade  française;  aussi  les  jeunes  Soleurois,  séduits  par  le  faste  dé- 
ployé par  les  membres  de  la  légation,  s'enrôlaient-ils  en  foule  au  service  des  rois  de 
France. —  Le  2  mars  4798,  l'armée  française,  commandée  par  Schauenbourg,  entra 
à  Soleure.  La  réaction  de  1814  renversa  le  régime  démocratique  établi  par  l'Acte  de 
médiation,  et  ce  ne  fut  qu'en  1830  qu'une  Constitution,  fruit  de  l'assemblée  popu- 
laire de.  Ballsthal  (22  décembre  1830),  et  basée  sur  les  grands  principes  démocra- 
tiques, fut  proclamée. 

Constitution.  —  Avant  1830,  le  Grand  Conseil  disposait  des  biens  de  l'Etat,  avait 
le  droit  de  grâce,  votait  l'impôt,  concluait  les  traités  et  les  capitulations,  et  pouvait 
sommer  le  Petit  Conseil  de  lui  présenter  des  projets  de  loi  sur  telle  ou  telle  matière. 
Chacune  des  onze  tribus  de  Soleure  nommait  k  membres  à  cette  assemblée,  tandis  que 
les  autres  bailliages  en  nommaient  4  au  plus  chacun.  En  outre,  le  Grand  Conseil 
nommait  3S  de  ses  membres,  et  24  devaient  être  pris  dans  la  ville  même.  Pour  faire 
partie  de  cette  assemblée,  il  fallait  avoir  24  ans,  2000  francs  de  fortune,  et  être 
domicilié  depuis  dix  ans  sur  le  territoire  du  collège  électoral.  Le  Grand  Conseil  choi- 
sissait dans  son  sein  les  membres  du  Tribunal  d'Appel,  du  Tribunal  du  canton,  du 
Petit  Conseil,  et  désignait  lui-même  les  deux  avoyers.  L'assemblée  populaire  de 
Ballsthal  modifia  une  bonne  partie  de  ces  institutions  ;  la  souveraineté  du  peuple  fut 
proclamée  en  principe.  Le  Grand  Conseil  compta  S6  membres  nommés  directement 
par  le  peuple,  40  nommés  par  des  collèges  électoraux,  et  9  choisis  par  le  Grand 
Conseil  lui-même.  Le  Conseil  d'Etat,  présidé  par  un  landammann,  fut  composé  de 
9  membres.  Le  canton  révisa  en  1851  sa  constitution.  Les  élections  sont  maintenant 
directes;  le  Grand  Conseil  est  une  assemblée  de  107  députés,  et  le  Conseil  d'Etat  un 
corps  de  7  membres. 

Instruction  publique.  —  Au  commencement  du  17*  siècle,  l'instruction  publique 
était  assez  avancée,  favorisée  qu'elle  était  par  les  efforts  d'un  gouvernement  sage  et 
éclairé.  Mais  ensuite  de  la  révolte  des  paysans  (1633),  les  autorités  cantonales 
crurent  de  leur  devoir  de  laisser  le  peuple  dans  une  profonde  ignorance,  et  on  l'y 
laissa  en  effet  jusqu'à  la  fin  du  siècle  dernier.  Les  populations  de  la  campagne  étaient 
littéralement  sans  instruction,  et  c'était  réellement  une  rareté  qu'un  paysan  sachant 
lire  et  écrire.  Ignace  Glutz,  frappé  de  ce  triste  état  de  choses,  résolut  d'y  mettre  un 
terme,  et,  à  cet  effet,  fonda  un  institut  pour  les  régents.  Le  P.  Gabriel  Leupi,  con- 
ventuel de  Saint-Urbain  et  curé  de  Deitingen,  marcha  sur  les  traces  de  ce  vrai 
philanthrope,  et  une  ère  nouvelle  s'ouvrit  bientôt  pour  l'instruction  publique.  Après 
l'Acte  de  médiation  (1811  ),  on  créa  une  école  normale,  ainsi  que  des  cours  de 
répétition  pour  les  régents,  et  un  décret  du  gouvernement  obligea  chaque  commune 
à  avoir  une  école.  La  réaction  de  1814  suspendit  malheureusement  le  cours  de  ces 
améliorations,  et  n'eussent  été  quelques  généreux  patriotes  qui  se  vouèrent  coura- 
geusement au  perfectionnement  moral  du  peuple,  le  canton  serait  retombé  dans 
l'ignorance  où  il  croupissait  naguère.  La  révolution  de  1830  vint  donner  une  nou- 
velle impulsion  à  l'instruction  publique,  et,  dès  cette  époque,  Soleure  tient  en  Suisse 
un  rang  honorable  sous  le  rapport  du  nombre  et  de  la  bonne  tenue  des  écoles. 
II,  t8  55 


i7k  LA  susse  imttohesqik.  | 

CrLTEs.  — Le  lerriloire  soleurois  faisait  autrefois  partie  de  trois  diocèses  :  deceu\ 
de  Bàle,  de  Lausanne  et  de  Constance.  Tout  ce  qui  se  trouvait  à  gauche  de  TAar 
appartenait  aux  évéchés  de  Bàle  et  de  Lausanne,  tandis  que  le  reste  du  caolon  rele-  | 
vait  de  Tév^'que  de  Constance.  Otte  organisation  fut  détruite  en  18*28  par  la  créa- 
tion du  nouvel  évéclié  de  BAIe,  auquel  apiuirtint  dès-lors  tout  le  canton.  L'évéque 
réside  à  Soleure  ;  Téglise  de  Saint-Ours  est  sa  cathédrale,  et  son  chapitre  se  com- 
|)Ose  de  vingt  un  chanoines.  —  Le  gouvernement  a  la  collature  de  la  plupart  de» 
cures ,  ainsi  que  la  nomination  du  prévôt  et  du  chapitre  de  Saint-Ours.  Les  cinq 
paroisses  réformées  du  canton  appartiennent  au  déc*anat  de  Bûren.  —  On  compte 
dans  la  ville  de  Soleure  cinq  c^mvents  :  trois  de  femmes  et  deux  d*hommes.  L*abba\e 
de  bénédictins,  fondée  à  Beinwyil  en  1085 ,  et  transportée  en  1G48  à  Mariastein, 
est  un  lieu  de  pèlerinage  très-fréquenlé.  —  Le  canton  renferme  61,556  catholiques, 
8,097  protestants,  et  21  israélites. 

Aghiciltl're.  —  La  culture  des  champs  a  été  portée  à  un  haut  degré  de  perfec- 
tion par  les  Soleurois,  et  ce  canton  est  un  de  ceux  où  Tagriculture  occupe  le  plus 
grand  nombre  de  bras.  Le  sol,  déjà  fertile  de  lui-même,  produit  les  céréales  en  abon- 
dance ,  et  les  perfectionnements  successifs  ap|)ortés  chaque  année  à  la  culture  en 
augmentent  considérablement  le  produit.  La  Société  économique  de  Soleure,  fondée 
dans  le  siècle  passé,  et  l'exemple  des  cantons  voisins,  ont  contribué  à  ce  résultat  ;  les 
autorités  n*y  sont  pas  non  plus  restées  étrangères,  en  rendant  obligatoire  le  rachat 
des  dîmes,  en  al)olissant  le  parcours,  et  en  faisant  apprendre  aux  régents  Tart  de 
tailler  et  de  greffer  les  arbres.  —  L'irrigation  des  prairies  se  fait  sur  une  vaste 
échelle,  avec  autant  d'intelligence  que  de  soin;  déjà  en  1537  les  habitants d'Olten 
creusèrent  un  canal,  long  d'une  lieue,  pour  amener  les  eaux  de  la  Diimnern  sur  un 
terrain  infertile.  Les  arbres  fruitiers  couvrent  en  grande  quantité  les  campagnes,  el 
leurs  produits  servent  à  la  fabrication  du  cidre  el  de  l'eau-de-vie  ;  celle-ci  surtout 
est  fort  estimée  et  s'exporte  assez  loin.  Une  administration  plus  sage  des  lorêls  règle, 
depuis  1809,  l'exploitation  des  bois;  de  plus,  chaque  village  possède,  pour  son  usage 
particulier,  une  pépinière  ordinairement  bien  composée.  La  culture  de  la  vigne  n'est 
pas  importante;  si  l'on  en  croit  une  tradition  fort  répandue,  elle  était  autrefois  plus 
considérable.  L'élève  des  bêles  à  cornes,  industrie  favorisée  par  le  nombre  et  Tex- 
cellence  des  pâturages,  occupe  beaucoup  d'individus,  surtout  dans  le  district  de 
Bucheggberg.  On  compte  dans  le  canton  4,169  chevaux,  24,398  bœufs,  vaches  el 
génisses,  1*>,302  moulons,  6,460  chèvres,  et  18,395  porcs.  Les  Soleurois  élèvent 
principalement  ces  bestiaux  dans  le  but  de  les  revendre  après  les  avoir  engraissés; 
il  les  achètent  tout  jeunes  dans  TOberland.  Les  fromages  des  montagnes  de  Limmern 
jouissent  d'une  bonne  réputation  ;  on  prétend  qu'ils  valent  ceux  de  l'Emmenthal. 
Beaucoup  de  laiteries  ont  été  bâties  récemmenl  dans  la  campagne.  Les  fromages  de 
chèvres  sont  une  spécialité  du  pays.  On  les  appelle  ainsi  à  cause  de  leur  petitesse, 
bien  que  fabriqués  avec  du  lait  de  vaches.  Ils  se  vendent  de  quinze  à  vingt  centimes 
la  pièce.  Les  chevaux,  dont  le  nombre  est  fort  élevé,  scmt  principalement  de  la  race 
l)ernoise,  et  se  vendent  en  grande  quantité  aux  célèbres  foires  d'Ollen  et  de  Soleure. 
L'éducation  des  abeilles  n'est  piis  sans  importance  La  culture  du  mûrier,  qui  avait 
pris  un  grand  accroissement  depuis  1830,  est  malheureusement  presque  abandonnée. 

Commerce.  —  La  vente  des  bestiaux  et  des  céréales,  Texploilation  des  mines  de 


LA    SUISSR    PITTORESQtiE.  27K 


fer,  des  carrières  de  marbre  et  de  pierres  meulières  de  Schnollwyl ,  la  fabrication 
de  la  bonneterie  drapée ,  des  fleurs  artificielles  et  des  dentelles,  sont  les  principales 
branches  de  Tindustrie  soleuroise.  Ollen  surtout,  la  localité  la  plus  industrielle  du 
cnnlon,  se  distingue  par  le  nombre  et  l'activité  de  ses  fabriques  et  de  ses  lithogra- 
phies renommées  :  elle  fleurissait  déjà  anciennement  sous  ce  rapport.  On  exporte 
surtout  des  cuirs  tannés,  des  cartes  à  jouer,  des  bas  et  des  bonnets  de  laine,  des 
fruits  secs,  du  bois  et  des  produits  du  règne  minéral.  Soleure  n'est  pas  sans  impor- 
tance sous  le  rapport  commercial  ;  elle  renferme  des  fabriques  d'instruments  d'op- 
tique et  de  chirurgie,  de  chars,  de  savon,  etc.  Quelques  manufactures  d'étofles  de 
soie  et  de  coton  occupent  un  assez  grand  nombre  d'ouvriers  à  Dornach,  à  Olten,  etc.  ; 
la  verrerie  de  Goldenthal  livre  au  commerce  des  articles  estimés.  Le  transit  est 
considérable,  grâce  à  la  position  de  Soleure  entre  plusieurs  cantons  très-commer- 
çants et  au  bon  état  de  ses  routes. 

Caractère,  Moeurs.  —  Les  Soieurois  sont  forts  et  bien  constitués  :  ils  présentent 
trois  types  assez  distincts.  Les  districts  de  Kriegstetten  et  de  Bucheggberg  renfer- 
ment des  hommes  d'une  taille  moyenne,  d'une  organisation  solide,  tandis  que  le 
Sehwarzbube  est  plus  vif,  plus  industrieux  et  d'une  stature  plus  élevée.  Le  reste  de 
la  population  est  encore  plus  élancée.  —  La  physionomie  du  Soieurois  est  douce  et 
joviale  ;  elle  respire  une  naïve  candeur,  qui  dispose  tout  d'abord  en  sa  faveur.  Le 
fond  de  son  caractère  est  une  loyauté  toute  helvétique,  une  honnêteté  à  toute 
épreuve,  et  une  grande  compassion  pour  le  malheur;  on  lui  reproche  de  manquer 
d'esprit  public,  mais  ce  défaut  disparait  insensiblement.  L'usage  des  liqueurs  fortes 
tend  malheureusement  à  se  généraliser.  Les  repas  de  baptême  et  des  funérailles  sont 
les  seules  occasions  où  les  campagnards  aiment  à  montrer  du  luxe.  Les  Soieurois 
sont,  parmi  les  Suisses  allemands,  les  plus  propres  au  service  militaire.  Le  costume 
national  existe  encore  ;  mais  il  s'altère  et  disparaît  peu  à  peu.  Il  est  à  regretter  qu'il 
en  soit  ainsi ,  car  le  bandeau  d'argent  qui  ceint  la  tête  des  jeunes  filles ,  leurs  jupes 
rouges,  leurs  petits  chapeaux  de  paille,  tout  cela  constituait  un  ensemble  assez 
agréable,  qui  empruntait  son  principal  charme  à  une  exquise  propreté  et  surtout  à 
la  nature ,  car  les  Soleuroises  sont  en  général  jolies. 

Hommes  célèbres.  —  L'un  des  premiers  chroniqueurs  du  canton  de  Soleure,  est 
François  Haffnn,  né  en  1610,  et  mort  en  1670;  il  fut  longtemps  chancelier  du 
Sénat,  et,  devenu  aveugle,  il  se  mit  à  écrire  l'histoire  de  son  canton.  Sa  fille  l'aidait 
dans  ses  recherches,  et  déchiffrait  pour  lui  les  manuscrits  poudreux  d'où  Haffner  a 
tiré  tant  de  choses  intéressantes.  Georges  Wagner,  secrétaire  d'Etat,  poursuivit  les 
mêmes  travaux,  et  a  laissé  de  précieuses  chroniques.  Les  annales  soleuroises  citent 
encore  Jacoh  Hermann,  mort  en  1786  ,  historien  et  poète  dramatique;  le  publiciste 
Ga^mann,  qui  rédigea  longtemps  la  Feuille  de  Soleure  ;  Falkemtein,  conservateur  de 
la  bibliothèque  royale  à  Dresde,  historien  estimé;  Etienne  Glatz,  dont  les  poésies 
populaires  sont  fort  répandues.  Vhisiorien  Robert  GliUz-Blotzheim,  qui  mourut  en 
4818  à  Munich,  avait  entrepris  la  continuation  de  l'histoire  de  Jean  de  Mûller.  Au 
dire  même  de  Zschokke,  il  ne  resta  pas  trop  inférieur  à  son  modèle.  En  1806 ,  il 
publia  un  ouvrage  d'un  mérite  réel,  sous  le  titre  de  :  Des  intérêts  actuels  de  la  Suisse. 
Les  sciences  naturelles  citent  Joseph  Hugi  et  le  D'  Zi^glei-;  et  le  droit,  Conrad  Mayer, 
mort  en  1813.  M.  le  conseiller  fédéral  Munzinger,  décédé  en  1885,  était  du  canton 


276  LA  stissK  PiTTonesQix. 


de  Soleure.  Le  célèbre  sculpteur  Eggensckwyler  a  laissé  plusieurs  œuvres  d'un  grand 
mérite;  son  bas-relief  de  Cléobis  et  Biton  a  obtenu  le  grand  prix  d'honneur  à  Paris, 
en  1802.  Cet  artiste  éminent  fut  honoré  par  l'empereur  Napoléon  de  distinctions 
flatteuses.  D'autres  artistes  soleurois  méritent  d'être  signalés;  tels  sont  :  Rust,  Dis- 
teli,  Sefin,  Sesseli,  l'opticien  Ditgtirt,  le  fabricant  d'oi^es  Kibury,  etc.  etc. 

Villes  et  autres  lieux  remarquables.  —  Soleure,  capitale  du  canton.  Cette  cité 
est  fort  ancienne,  car  elle  passe  pour  être,  avec  Trêves,  la  première  ville  fondée  en 
deçà  des  Alpes.  Elle  compte  S,370  habitants,  parmi  lesquels  200  protestants.  — 
Nonchalamment  couchée  aux  pieds  du  Jura,  la  ville  occupe  une  colline  qui  s'élève  en 
pente  douce ,  et  se  couronne  d'arbres  et  de  verdure ,  tandis  que  l'Aar  traverse  ma- 
jestueusement la  cité,  abandonnant  de  blanches  touffes  d'écume  aux  piliers  de  ses 
ponts  et  aux  murs  qui  l'encaissent.  Les  remparts  qui  ceignaient  jadis  la  ville  ont  été 
en  partie  rasés,  comme  devenus  désormais  inutiles.  La  première  pierre  en  fut  posée 
avec  solennité,  et  l'on  déposa  dans  les  fondements  des  reliques  de  Saint- Victor.  — 
Les  rues  de  Soleure  sont  larges  et  bordées  de  quelques  beaux  édifices  :  un  ruisseau 
couvert  traverse  la  plupart  d'entre  elles.  Plusieurs  jolies  fontaines,  décorées  de  sta- 
tues, ornent  les  places  publiques;  celle  qui  se  trouve  sur  la  place  du  Marclié  est 
surtout  remarquable. 

L'édifice  le  plus  remarquable  de  Soleure  est  la  cathédrale  de  Saint-Ours,  qui  passe 
pour  l'un  des  plus  beaux  monuments  dans  ce  genre  de  la  Suisse.  Elle  s'élève  sur 
l'emplacement  qu'occupait  une  autre  église,  qui  s'écroula,  en  4762,  sous  le  poids  de 
ses  7 a  apnées  d'existence.  L'édifice  actuel  a  coûté  800,000  francs;  Pisoni,  d'An- 
cdne,  en  a  donné  le  plan.  Douze  colonnes  corinthiennes  et  autant  de  statues  décorent 
la  façade  principale  ;  on  y  parvient  par  un  triple  perron  de  trente-trois  marches  ; 
deux  fontaines,  surmontées  des  statues  de  Moïse  et  de  Gédéon,  bordent  les  extré- 
mités de  l'escalier.  L'intérieur  de  l'église  a  200  pieds  de  long,  sur  4  40  de  large  ;  la 
nef  principale  a  deux  petites  coupoles,  surmontées  d'une  autre  plus  grande.  Un  cer- 
cueil, placé  au-dessus  de  l'autel  principal,  renferme  les  ossements  de  quelques  mar- 
tyrs de  la  légion  thébéenne.  On  y  remarque  en  outre  quelques  bons  tableaux  de  Corvi, 
de  Esper,  l'orgue  construit  par  Bossart  de  Zug,  des  missels  des  8*,  42*  et  43' 
siècles,  la  bannière  donnée  par  Léopold  lorsqu'il  leva  le  siège  de  Soleure,  etc.  Le 
trésor  de  Saint-Ours  renfermait  des  richesses  immenses  avant  l'invasion  des  Fran- 
çais; à  l'heure  qu'il  est,  il  passe  encore  pour  le  plus  riche  de  la  Suisse.  La  tour, 
haute  de  470  pieds,  s'élève  au  cdté  gauche  du  chœur;  elle  domine  les  alentours 
et  leur  jette  les  suaves  éclats  de  son  harmonieuse  sonnerie  et  la  voix  majestueuse 
de  son  bourdon  de  83  quintaux.  —  L'église  des  Jésuites,  consacrée  en  4689,  est 
fort  mal  placée.  Son  maitre-autel  est  haut  de  80  pieds;  on  y  remarque  un  Christ  en 
croix,  d'HoIbein.  L'église  des  Franciscains  renferme  les  tombeaux  de  plusieurs  am- 
bassadeurs étrangers.  On  prétend  que  le  tableau  du  grand  autel  est  de  Raphaël.  — 
L'hôtel-de-ville ,  édifice  sombre  et  irrégulier,  est  dominé  par  plusieurs  tours.  On 
admire  dans  l'une  de  ses  salles  diverses  œuvres  d'Eggenschwyler ,  entre  autres  le 
buste  de  Nicolas  de  Flûe,  le  bas-relief  de  Cléobis  et  Biton,  etc.  Nous  avons  déjà  parlé 
plus  haut  des  inscriptions  romaines  enchâssées  sous  son  portique  ;  l'escalier  tournant 
mérite  d'être  visité.  —  L'Arsenal,  situé  tout  près  de  la  cathédi*ale,  possède  la  plus 
riche  collection  d'armures  de  la  Suisse ,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  hallebardes 


LA   SUISSE   PITTOHESQUE.  277 


et  (le  piques,  trophées  de  la  victoire  arrachés  aux  Bourguignons  et  aux  Autrichiens. 
Nicolas  de  Fiûe  y  est  représenté  entouré  d'un  groupe  nombreux  de  Confédérés.  La 
lente  de  Charles-le-Hardi  a  été  découpée  en  chasubles,  qui  servent  encore  à  la  ca- 
thédrale. —  La  Tour  de  l'Horloge  montre  avec  orgueil  son  inscription  :  In  Celtis 
nihil  est  Soloduro  antiquim  unis  exceptis  Treviris  quarum  ego  dicta  soror.  Mais  les 
connaisseurs  s'accordent  à  reconnaître  cette  construction  comme  datant  du  5""  siècle. 
L'ancien  hôtel  des  ambassadeurs  français  a  été  converti  en  caserne.  Le  théâtre  a  trois 
rangs  de  loges,  et  peut  contenir  un  millier  de  spectateurs.  La  Bibliothèque  est  sur- 
tout riche  en  ouvrages  historiques;  Glutz-Blotzheim  y  consacra  longtemps  ses  soins. 
On  y  voit  un  relief  du  Gothard ,  ainsi  que  des  antiquités  romaines.  Le  Musée  d'his- 
toire naturelle ,  placé  dans  la  Maison  des  Orphelins ,  est  surtout  riche  en  pétrifica- 
tions rares.  —  Koscziusko  a  longtemps  habité  Soleure;  un  monument  lui  a  été 
élevé  à  Zuchwyl. 

De  Soleure,  les  étrangers  se  rendent  au  WeLssenstein,  d'où  l'on  jouit  d'une  vue 
magnifique ,  moins  pittoresque  peut-être  que  celle  du  Righi ,  mais  plus  étendue  et 
plus  variée.  Nulle  part  on  n'embrasse  mieux  la  plaine  qui  sépare  les  Alpes  du  Jura, 
plaine  immense  aux  lacs  bleuâtres,  aux  prairies  veloutées,  aux  forêts  sombres  et 
majestueuses.  Quelques  cimes  élancées  apparaissent  à  l'horizon  lointain,  dominant 
cette  multitude  de  pics  qui  se  dressent  autour  d'elles;  parmi  ces  géants  des  Alpes 
on  remarque  le  Wetierhorn,  leFinsteraarhorn,  la  Jungfrau,  l'Allels,  le  Mont  Rosa, 
le  Gervin  et  le  Mont-Blanc.  A  l'est  apparaissent  le  Sentis,  le  Glœrnisch,  le  Righi,  le 
Pilate  et  le  Titlis;  à  l'opposé,  les  Vosges  et  les  monts  de  la  Souabe.  Enfin,  au  pied 
du  belvédère,  Soleure,  l'Aar  aux  contours  sinueux,  les  lacs  de  Neuchâtel,  deBienne 
et  de  Morat,  Berne  et  sa  haute  cathédrale ,  Aarbourg  et  sa  forteresse ,  sont  dissémi- 
nés dans  l'étendue.  —  Le  Weissenstein  est  très-fréquenté ,  parce  que,  outre  la  vue 
dont  on  y  jouit,  il  y  règne  un  air  pur  et  salubre  qui  en  fait  un  séjour  de  santé  des 
plus  agréables.  Une  bonne  route  à  char  serpente  sur  les  flancs  de  la  montagne ,  et 
s'élève  insensiblement  jusqu'à  l'hôtel  situé  sur  la  cime. 

Sainte-Vérène ,  ermitage  très-fréquenté,  est  situé  dans  une  gorge  qu'arrose  le 
Kreuzenbach,  à  une  demi-lieue  de  Soleure.  Le  chemin  qui  y  conduit  est  très-pitto- 
resque; il  fut  établi  par  M.  de  Breteuil,  émigré  français.  On  aperçoit,  à  travers  des 
massifs  de  verdure,  des  grottes,  des  ravins  qui  sillonnent  les  flancs  de  la  montagne. 
Un  peu  plus  loin,  une  cascade  livre  au  vent  sa  blanche  poussière,  la  gorge  s'ouvre, 
et  l'on  arrive  à  l'ermitage  fondé  par  Arsénius,  moine  égyptien.  Une  grotte,  creu- 
sée dans  le  roc  vif,  renferme  un  Saint-Sépulcre  entouré  de  divers  personnages. 
Après  avoir  admiré  la  jolie  église  de  Kreuzen,  on  gravit  le  Wengistein,  d'où  l'on  jouit 
d'une  vue  très-étendue.  Une  colonne  en  granit  y  rappelle  deux  événements  célè- 
bres dans  les  fastes  soleurois  :  le  siège  de  Soleure  en  1318,  et  le  dévouement  de 
l'avoyer  Wengi  en  1533.  —  Entre  le  village  de  Saint-Nicolas  et  l'Ermitage,  on 
trouve  une  pierre  funéraire  entourée  de  cyprès ,  élevée  à  la  mémoire  de  l'historien 
Glutz-Blolzheim. 

OUen,  entouré  de  ruines  pittoresques  et  de  châteaux  démantelés,  est  bâti  sur 
l'Aar,  à  l'endroit  où  se  réunissent  les  routes  de  Bâle,  de  Soleure,  de  Lucerne  et 
d'Aarau.  Son  église  paroissiale  possède  une  Ascension  de  Disteli,  peintre  d'un  talent 
original,  et  l'église  des  Capucins,  une  madone  de  Deschwanden.  C'est  à  Ollen  qu'aura 
lieu  la  jonction  du  chemin  de  fer  projeté  de  Bàle  à  Lucerne. 


278  LA    SUISSE   PITTOReSQtE. 


Dornach  est  situé  dans  le  district  du  même  nom.  Son  église  renferme  le  tombeau 
du  célèbre  mathématicien  Maupertuis,  mort  en  47S9.  Dornach  est  célèbre  dans  les 
annales  suisses  par  la  victoire  qu*y  remportèrent  les  Confédérés  sur  les  troupes  de 
Tempereur,  commandées  par  Henri  de  Furstenberg  (4499)  ;  surpris  dans  leur  camp, 
les  impériaux  opposèrent  en  vain  une  résistance  désespérée,  et  quatre  mille  des  leurs 
restèrent  sur  le  champ  de  bataille.  Vingt  canons,  dix  drapeaux,  devinrent  la  proie 
des  vainqueurs,  et  allèrent  orner  les  arsenaux  de  Soleure,  de  Berne  et  de  Luceroe. 
Un  ossuaire  encore  debout  renferme  les  crânes  des  guerriers  qui  succombèrent  dans 
la  mêlée. 

Près  de  Ballsthal  commence  le  célèbre  défilé  de  Kluss,  où  la  route  et  la  Dùnnem 
se  disputent  un  passage  entre  des  rochers  élevés.  Ce  défilé  était  gardé  par  les  sires 
de  Falkenstein,  qui  pillaient  et  rançonnaient  souvent  les  voyageurs.  On  voit  encore, 
sur  un  rocher  à  pic,  les  ruines  de  leur  manoir,  suspendu  comme  un  nid  d'aigle  au- 
dessus  de  Tablme. 

Mimlisicyl  est  renommé  par  ses  nombreux  métiers  à  la  Jacquart  et  la  fabrication 
de  ses  rubans. 

Waldegg,  beau  manoir,  entouré  de  jardins  magnifiques,  est  situé  dans  une  contrée 
charmante.  Le  célèbre  sculpteur  Eggenschwyler  repose  dans  le  cimetière  voisin. 

R.  DE  Bons. 


CANTON   DE    BALE. 


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SiTtATiON,  Etendue,  Climat,  etc.  —  Le  canton  de  Bàle  a  une  configuration  assez 
iirégulière.  Une  petite  partie  de  son  territoire  est  située  sur  la  rive  droite  du  Rhin  et 
entourée  presque  de  tous  côtés  par  le  grand-duché  de  Bade  ;  le  reste  du  canton  est 
borné  à  Fouest  par  TAIsace,  par  le  canton  de  Soleure,  et  par  le  district  bernois  de 
Lauflen;  au  sud  et  au  sud-est  par  le  canton  de  Soleure;  à  Test  et  au  nord-est  par 
l'Argovie.  Le  canton  a  une  longueur  de  huit  lieues,  sur  une  largeur  qui  varie  de  deux, 
à  six.  Sa  superficie  est  de  20 '/,^,  lieues  carrées,  et  sa  population  était  en  1850  de 
77,583,  soit  3841  habitants  par  lieue  carrée.  Mais,  par  suite  d'événements  que  nous 
mentionnerons  plus  loin,  le  canton  a  été  partagé  en  deux  demi-états  :  celui  de  Bdle- 
Ville,  qui  comprend  la  ville  de  Bàle,  le  district  situé  sur  la  rive  droite  du  Rhin,  et  un 
territoire  large  d'environ  une  demi-lieue  sur  l'autre  rive;  sa  superficie  est  de  i  ^|^Q 
lieue  carrée,  et  sa  population  de 29,698 âmes;  et  celui  de Bâle-Campague,  qui  com- 
prend tout  le  reste  du  canton,  ou  18 ^/^^  lieues  carrées,  et  dont  la  population  est  de 
47,885  âmes,  ou  de  2575  âmes  par  lieue  carrée.  Le  canton  forme  Tangle  nord-ouest 
de  la  Suisse;  son  pont  sur  le  Rhin  et  le  voisinage  de  TAllemagne  et  de  la  France 
rendent  sa  position  importante  sous  le  point  de  vue  stratégique.  Malgré  sa  situation 
septentrionale,  le  canton  a  un  climat  plus  tempéré  que  bien  d'autres  lieux  situés  plus 
au  sud,  et  le  printemps  y  est  précoce.  Les  bords  du  Rhin,  dans  le  canton  de  Bâie,  sont 
une  des  localités  de  la  Suisse  les  moins  élevées  au-dessus  de  la  mer,  le  Rhin,  dans 
la  ville,  n'étant  qu'à  la  hauteur  de  763  pieds.  En  outre,  la  plupart  des  vallées  bâioises 
ue  se  dirigent  pas  vers  le  nord-est,  d'où  vient  le  vent  le  plus  froid,  comme  c'est  le 
cas  dans  une  grande  partie  du  Jura,  et  en  particulier  dans  le  canton  de  Neuchâtel  ; 
la  principale  vallée  se  dirige  presque  de  l'est  à  l'ouest,  et  d'autres  courent  vers  le 
nord  et  le  nord-ouest.  Aussi  le  sol  est-il  propre  à  toutes  sortes  de  cultures.  Le  pays 
abonde  en  arbres  fruitiers,  et  la  vigne  prospère  dans  beaucoup  de  localités  abritées 
contre  les  vents  du  nord. 


280  LA    SUISSE    PITTORESQre. 


Montagnes  et  Vallées.  —  Le  canton  est  borné  au  sud-est  par  Tune  des  chaînes 
du  Jura,  qui  court  parallèlement  à  celle  du  Weissenstein.  Les  sommités  les  plus 
remarquables  sur  celte  frontière  sont  :  le  Bôlchefi,  3385;  le  Wyaenberg,  3090:  la 
Sehnffmtl.  Cette  chaîne  est  franchie  par  les  routes  du  Haut  et  du  Ba$-Ha\iemiein, 
2254  et  2138,  et  par  celle  de  la  Schafmatt,  2585,  qui  font  communiquer  Bàleel 
Ijestal  avec  Soleure,  OIten  et  Arau.  Plusieurs  petites  chaînes  traversent  le  canton 
du  sud-est  au  nord-ouest,  c'est-à-dire  dans  une  direction  perpendiculaire  à  celle  de  la 
chaîne  princi{)ale.  (xHte  dis|K)sition  des  montagnes  et  des  vallées  bàloises  diflère  tota- 
lement de  celle  qui  domine  dans  le  Jura  français,  ainsi  que  dans  les  cantons ^e  Neu- 
chàtel  et  de  Berne,  où  les  chaînes  sont  en  général  parallèles.  Les  montagnes  s*abaissent 
à  mesure  qu'elles  s'approchent  du  Rhin.  Vers  la  frontière  sud,  non  loin  de  Wîjden- 
Iwurget  de  Reigoldswyl,  s'élèvent  le  Yogelhcrg»  3597  ;  le  Gaitenkopf,  3529  ;  leHelfen- 
berg,  3469  ;  et  la  Watine,  3396 .  Plusieurs  des  vallons  transversaux  débouchent  dans  la 
vallée  de  TErgolz,  où  sont  situés  Liestal  et  Sissach,  les  deux  endroits  les  plus  impor- 
tants du  canton  de  Bàle-Campagne.  On  peut  dire  que  c'est  au  sud  de  cette  vallée  qu'est 
située  la  partie  du  canton  qui  mérite  lé  nom  de  montagneuse.  Cette  contrée  est  en 
général  verdoyante  ;  les  flancs  et  les  sommets  des  monts  sont  couverts  de  forêts  et  de 
prairies  et  parsemés  d'habitations.  Le  reste  du  ciinton,  au  nord  et  à  l'ouest  de  Liestal 
et  de  Sissach,  n'ofTre  plus  que  des  collines  et  des  plaines  ;  ce  district  est  riant  et  fertile. 
Dans  le  voisinage  même  de  la  ville  de  Bftle  on  ne  voit  que  de  légères  éminences,  et 
le  paysage  est  animé  par  de  nombreuses  maisons  de  campagne. 

Rivières.  —  Le  Rhin  forme  la  limite  du  territoire  bàlois  sur  une  longueur  de  deux 
lieues;  il  traverse  ensuite  la  partie  septentrionale  du  canton,  et  partage  la  ville  de 
Bàle.  l.ies  autres  rivières  de  quelque  importance  sont  la  Birse,  qui  vient  des  vallées 
bernoises  de  Moutiers  et  de  Ta  vannes,  entre  sur  le  sol  bàlois  près  d'Aesch,  à  2*', 
lieues  du  chef-lieu,  et  se  jette  dans  le  Rhin  à  une  demi-lieue  au-dessus  de  Bàle;  elle 
fait  deux  chutes  près  de  Birseck.  Des  digues  solides  et  bien  construites  préservent 
ses  rives  de  ses  dangereuses  inondations.  Ses  eaux  sont  employées  aux  irrigations 
dans  les  environs  de  Bàle.  L^Ergoh  a  ses  sources  sur  la  Schafmatt,  passe  à  Sissacl) 
et  à  Liestal,  et  se  réunit  au  Rhin  près  d*Augst  ;  elle  appartient  tout  entière  au  canton, 
siuif  que  celui  d'Argovie  vient  toucher  son  embouchure;  elle  se  grossit  de  plusieurs 
torrents,  dont  le  principal  est  la  Frenke,  qui  arrose  la  vallée  de  Waldenbourg.  Le 
Birstg  arrose  une  enclave  soleuroise  et  la  vallée  française  de  Leimenthal,  et  se  verse 
dans  le  Rhin  au  milieu  de  la  ville  de  Bàle.  Au  nord  du  Rhin,  la  Wiese,  qui  a  ses 
sources  dans  les  montagnes  de  la  Forét-Noire,  et  qui  a  été  célébrée  dans  les  poésies  de 
Hebel  en  langage  allémanique,  vient  terminer  son  cours  sur  le  territoire  bàlois. 

Eadx  minkrales.  —  Le  canton  est  riche  en  sources  minérales,  mais  aucune  ne 
jouit  d'une  grande  réputation.  Les  bains  froids  de  Schauenbourg,  près  du  château 
de  même  nom,  à  une  lieue  de  Liestal,  sont  bons  contre  les  fièvres.  Ceux  de  Buben- 
dorf,  au  sud  de  la  même  ville,  ont  une  eau  aussi  légère  que  celle  de  Pfseffers  au 
canton  deSt.-Gall.  I^es  eaux  d'Eptingen,  au  pied  duBas-Hauenstein,  sont  alumineuses 
et  sulfureuses,  et  sont  employées  contre  les  obstructions,  les  fièvres  et  diverses 
autres  maladies.  La  source  du  Neubad  (  Bain  neuf),  près  de  Bàle,  a  été  découverte 
en  1842  par  le  professeur  Stâhelin.  On  peut  nommer  encore  les  bains  d'Oberdorf 
près  de  Waldenbourg,  ceux  d'Oltingen  au  pied  de  la  Schafmatt,  etc.  Enfin  on  a  créé 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  284 


un  établissement  de  bains  d'eau  salée  près  des  salines  de  la  Schweizerhalie  ;  il 
commence  à  être  fréquenté. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animal.  Les  hauteurs  du  Jura  sont  trop  entrecoupées 
de  vallées  populeuses,  pour  qu'elles  puissent  receler  encore  beaucoup  d'animaux  mal- 
faisants. Les  ours  et  les  loups  ont  depuis  longtemps  disparu  h  peu  près  complètement 
du  pays;  mais  on  y  trouve  des  renards,  des  hérissons,  des  belettes,  des  martres,  etc. 
En  général,  le  gibier  n'y  est  point  abondant.  On  compte  autour  de  Bâie  70  espèces 
d'oiseaux,  dont  une  vingtaine  sont  des  oiseaux  chantants.  Nulle  part  peut-être  en 
Suisse  on  ne  voit  une  variété  plus  grande  de  poissons.  Le  Rhin  produit  surtout  des 
saumons,  dont  la  grosseur  est  considérable  ;  on  y  pêche  aussi  beaucoup  de  truites, 
de  m^e  que  dans  les  autres  rivières  du  canton.  Vu  la  richesse  de  la  flore  bàloise  et 
la  douceur  du  climat  des  environs  de  Bâle,  l'entomologiste  peut  y  faire  une  ample 
moisson;  on  évalue  à  4000  le  nombre  des  insectes  connus  autour  de  Bâie.  —  Quant 
au  bétail,  il  est  assez  nombreux  dans  le  canton;  on  évalue  la  race  bovine  à 
12,000  têtes;  il  y  a  aussi  plus  de  7000  moutons,  7000  porcs,  etc. 

Règne  végétal,  agriculture,  La  flore  des  environs  de  Bâle  est  très-riche  ;  elle  offre 
des  végétaux  rares  et  curieux,  et  dont  plusieurs  même  ne  se  trouvent  nulle  part 
ailleurs  en  Suisse.  La  végétation  présente  des  difierences  assez  notables  sur  les  hau- 
teurs calcaires  du  Jura,  sur  les  collines  formées  de  couches  de  marne  et  d'argile,  et 
sur  les  montagnes  de  la  Forêt-Noire.  Le  genre  des  orchis  entre  autres  est  représenté 
près  de  Bâle  par  de  nombreuses  et  belles  espèces.  —  L'agriculture  est  très-perfec- 
tionnée  dans  le  canton;  les  prairies  sont  bien  soignées  et  arrosées;  la  culture  des 
céréales  a  pris  une  grande  extension  dans  la  partie  septentrionale,  ainsi  que  celle  des 
arbres  fruitiers  et  des  légumes  ;  on  y  voit  aussi  beaucoup  de  vignobles,  quoique 
moins  qu'autrefois.  On  a  calculé  que  V4  de  la  surface  du  pays  est  cultivé  en  prés, 
V»  en  forêts,  près  de  */»  en  champs  et  cultures  diverses,  */i5  en  pâturages,  */»©  ^" 
2600  arpents  en  vignes. 

Règne  minéral.  Les  diverses  ramifications  du  Jura  sont  toutes  composées  de  pierre 
calcaire  compacte,  dont  les  couches  sont  inclinées  au  sud-ouest.  Il  y  a  aussi,  en  divers 
endroits,  beaucoup  de  marne  et  de  grès  reposant  sur  le  calcaire.  On  trouve  du  char- 
bon de  terre  dans  les  environs  de  Mûnchenstein,  de  Liestal  et  de  Sissach.  Près  de 
Bàle  le  sol  est  formé  d'alluvions,  et  composé  de  sable,  d'argile  et  de  pierres  roulées. 
Vers  l'embouchure  de  la  Birsc  on  voit  une  grande  quantité  de  cailloux  de  diverses  cou- 
leurs, et  dont  la  plupart  sont  des  débris  de  roches  primitives,  granit,  gneiss,  por- 
phyre, jaspe,  sléatite,  etc.  Le  canton,  et  surtout  les  environs  de  Bâic  (la  carrière 
St.-Jacques,  Miittenz,  Prattelen,  Augst,  Richen),  sont  très-abondants  en  pétrifications, 
dont  plusieurs  sont  très-rares.  Dans  les  vallées  de  Waldenbourg,  de  Reigoldswyl,  de 
TErgolz,  et  près  de  Farnsbourg  et  de  Liestal,  on  a  trouvé  une  vingtaine  d'esi>èccs 
différentes  de  cornes  d'ammons.  Près  de  Binningen  on  remarque  des  couches  enlières 
d'ostracites,  etc.  —  Les  salines  de  Schweizerhalie,  près  d'Augst,  exploitées  depuis 
une  vingtaine  d'années,  donnent  plus  de  200,000  quintaux  de  sel  par  an. 

Antiquités.  —  A  deux  lieues  à  l'est  de  Bàle  est  situé  le  village  d'Augst,  sur  l'em- 
placement d'une  ancienne  colonie  romaine,  Colonia  Augnsta  Rauracorum,  fondée  sous 
Auguste,  vers  l'an  27  avant  J.-C,  parMunatiusPlancus.  Les  fouilles  qu'on  y  a  oi)érces 
depuis  1580  y  ont  fait  découvrir  des  restes  d'un  théâtre  et  d'un  temple,  des  vestiges 
II.  18  56 


282  LA  stisse  pittoresque. 


de  bains,  et  même  un  atelier  monétaire.  IjC  théâtre  pouvait  contenir  12,000  specta- 
teurs. Une  partie  des  monnaies  et  autres  objets  qu*on  a  recueillis  dans  les  décombre^ 
sont  réunis  au  Musée  de  B&le.  On  a  aussi  trouvé  dans  la  ville  de  Bàle,  près  de  la 
cathédrale,  divers  objets  d'antiquités.  —  Il  est  peu  de  cantons  où  Ton  rencontre  autant 
de  traces  de  la  féodalité,  où  Ton  a|)erçoive  sur  les  hauteurs  autant  de  vieilles  tours  se 
dessinant  sur  Thorizon. 

Histoire.  —  Le  territoire  de  Bàle  faisait,  du  temps  des  Romains,  partie  de  la  Rau- 
racie,  dont  la  capitale  était  Awjst,  ou  (lolonia  AiujHsta.  Amm.  Marcellin,  qui  en  o7h 
avait  assisté  à  tous  les  événements  militaires  dont  les  bords  du  lac  de  (Constance  et 
du  Rhin  furent  le  théâtre,  parle  dans  son  Histoire  d'un  chàteau-fort  nommé  Banilin, 
construit  16  ans  auparavant  par  Valentinien  1.  Ce  château  avec  un  iMilalhim  (palais) 
occupait  la  place  de  la  cathédrale  actuelle,  dont  la  terrasse  porte  encore  aujourdhui 
le  nom  de  Pfalz  (palatium  ).  Cest  ce  que  paraissent  confirmer  les  monnaies  romaines 
ou  autres  antiquités  qu'on  a  trouvées  à  diverses  époques  en  creusant  dans  le  voisi- 
nage de  cette  place.  Après  la  destruction  d'Augst,  dans  le  5"^  siècle,  par  les  Huns, 
un  grand  nombre  des  habitants  de  cette  ville  s'établirent  à  Bàle,  qui  dut  ensuite  de 
nouveaux  accroissements  à  sa  position  favorable  pour  le  commerce  et  à  la  translation 
dans  ses  murs,  vers  740,  de  Tancien  siège  épiscopal  d'Augst.  A  la  suite  du  partage 
de  Tempire  de  Charlemagne,  Bàle  appartint  probablement  au  royaume  de  Bourgogne, 
mais  il  ne  tarda  pas  à  imsser  sous  la  souveraineté  de  Tempire  germanique.  11  fut 
dévasté  en  917  par  les  Hongrois  ou  Madgyares;  Tempereur  Henri  rOiseleur  le  rebâtit 
en  924 — 933,  et  lui  accorda  certaines  franchises.  En  1019,  l'empereur  Henri  II  fit 
construire  la  cathédrale  et  la  terrasse  voisine.  Vers  la  fin  du  11*"  siècle,  Bàle  était 
la  plus  grande  de  toutes  les  cités  de  THelvétie.  H  était  ville  libre  impériale;  mais 
en  même  temps  les  évoques  prétendaient  à  la  souveraineté  temporelle  sur  la  ville, 
et  soutenaient  avoir  reçu  de  Charlemagne  les  droits  régaliens  et  la  dignité  de  prince. 
Ils  avaient  en  effet  reçu  des  souverains  de  Bourgogne  et  d'Allemagne  la  propriété  de 
territoires  étendus. 

Pendant  tout  le  13*"  siècle  Bàle  eut  à  lutter  contre  l'oppression  de  la  noblesse, 
dont  les  châteaux  l'entouraient  de  toutes  parts.  En  1202,  cette  ville  (où  saint  Bernard 
doit  avoir  prêché  la  croisade  et  fait  des  miracles  dans  le  siècle  précédent)  fut  le  lieu 
de  rassemblement  que  choisirent  les  croisés  français  qui  dans  la  suite  s'emparèrent  de 
Jérusalem.  Le  pont  du  Rhin  fut  construit  en  1225  (selon  d'autres  en  1270),  et  l'année 
suivante  on  entoura  de  murs  le  Pctit-Bàle,  situé  sur  la  rive  droite.  Les  privil^es 
des  bourgeois  de  Bàle  furent  pour  la  première  fois  rédigés  par  écrit  vers  l'an  1260, 
cl  dès-lors  tous  les  évêques  durent  en  jurer  l'observance  en  prenant  possession  de 
leur  souveraineté.  En  1273,  Rodolphe  de  Habsbourg  avait  épousé  la  querelle  de  quel- 
ques nobles  bannis  de  Bàle,  et  assiégeait  celte  ville,  quand  il  apprit  son  élévation  à 
la  dignité  impériale.  Le  siège  fut  aussitôt  levé,  la  paix  conclue,  et  la  ville  ouvrit  ses 
portes  à  l'empereur.  Dans  le  14*  siècle  les  Bàlois  éprouvèrent  de  grandes  calamités. 
En  1312,  la  peste  en  fit  i)érir  1400,  et  en  1356,  pendant  la  nuit  du  18  (la  St. -Luc) 
au  19  octobre,  plusieurs  secousses  de  tremblement  de  terre  reoversèrent  presque  toute 
la  cité;  durant  huit  jours  le  feu  s'entretint  dans  ses  ruines,  sans  qu'il  fût  possible  de 
l'éteindre;  des  eaux  imprégnées  de  soufre  sortirent  de  terre;  300  personnes  périrent 
dans  les  décombres.  Un  grand  nombre  de  châteaux  des  environs  furent  renversés 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  283 


par  la  même  catastrophe.  Malgré  tous  ces  désastres,  Bêle  s'était,  déjà  peu  d'années 
après,  relevé  de  ses  ruines,  plus  populeux  que  jamais.  On  publia  des  lois  sévères  pour 
(lélourner,  par  le  rétablissement  des  bonnes  mœurs,  la  colère  de  Dieu;  et  chaque 
année,  le  jour  de  la  St. -Luc,  on  fit  une  procession  où  les  magistrats  et  les  bourgeois 
riches  portaient  des  robes  grises  qu'ils  donnaient  ensuite  aux  pauvres  ;  c'est  ce  qui  fut 
l'origine  d'une  distribution  de  vêtements  qui  se  fait  encore  au  dit  jour.  —  Bâle  courut 
un  grand  danger  à  l'approche  des  bandes  d'Enguerrand  deCoucy,  en  4368  et  en  4376  ; 
la  première  fois,  les  remparts  n'étaient  pas  encore  relevés,  mais  il  obtint  un  secoui's 
(le  4500  hommes  des  huit  cantons  suisses,  quoiqu'il  n'eût  pas  encore  d'alliance  avec 
eux,  et  l'ennemi  se  retira  devant  cette  petite  armée  ;  la  seconde  fois,  la  ville  fut 
préservée  par  ses  murailles,  mais  les  campagnes  eurent  beaucoup  à  souffrir  du  passage 
de  ces  bandes  farouches. 

Le  45'' siècle  fut  fécond  pour  Bâle  en  événements  divers.  Comme  presque  tout  le 
reste  de  l'Europe,  il  fut  ravagé  par  la  peste  en  4438  et  4484  ;  mais  les  pertes  cruelles 
qu'il  éprouva  n'arrêtèrent  pas  le  développement  de  son  industrie.  Le  Concile  général 
qui  se  tint  dans  cette  cité  depuis  l'an  4434  jusqu'en  4448,  fut  une  des  assemblées 
les  plus  nombreuses  qui  aient  jamais  eu  lieu  dans  l'Eglise  chrétienne,  et  lui  procura  un 
accroissement  de  réputation  et  de  richesse.  Le  44  décembre  4434  commencèrent  les 
délibérations,  auxquelles  prirent  part  plus  de  500  ecclésiastiques,  et  entre  autres  le 
savant  iEneas  Sylvius,  qui  y  remplissait  les  fonctions  de  secrétaire  (et  qui  fut  plus 
lard  le  pape  Pie  II).  11  y  avait  parmi  eux  des  Bohémiens  et  des  Hussites,  dont  le 
costume  et  le  langage  devaient  être  nouveaux  pour  les  Bâlois.  Le  but  de  la  convo- 
cation était  de  reprendre  la  réforme,  différée  lors  du  Concile  de  Trente,  et  d'opérer  la 
réunion  des  Eglises  d'Orient  et  d'Occident.  L'an  4439,  le  pape  Eugène  IV  fut  déposé 
par  le  Concile  et  remplacé  par  Amédée  V,  duc  de  Savoie,  qui  prit  le  nom  de  Félix  V. 
Ce  nouveau  pape  fit  son  entrée  à  Bàle,  à  la  tête  d'un  brillant  cortège.  Les  empereurs 
Sigismond  et  Frédéric  visitèrent  aussi  le  Concile,  le  premier  en  4433,  le  second  en 
1442.  L'empereur  ne  voulant  pas  reconnaître  le  pape  Félix,  les  Bâlois,  intimidés 
par  les  menaces  de  ce  prince,  furent  obligés  de  retirer  au  Concile  les  saufs-conduits 
nécessaires  à  sa  sûreté,  et  cette  assemblée  quitta  Bâle  en  4448,  pour  aller  siéger  à 
Lausanne. 

C'est  en  4444,  pendant  la  durée  du  Concile,  qu'eut  lieu,  sous  les  murs  de  Bâle,  la 
fameuse  bataille  de  St.-Jacques.  Les  Suisses  étaient  alors  en  guerre  avec  l'empereur 
d'Allemagne,  et  Zurich  ayant  embrassé  la  cause  de  ce  dernier,  était  assiégée  par  une 
armée  de  Confédérés,  ainsi  que  le  château  de  Farnsbourg,  dans  le  canton  de  Bâle,  à 
la  frontière  d'Argovie.  Le  roi  de  France  Charles  VII  envoya  vers  Bâle,  au  secoui's 
de  l'empereur,  30,000  hommes,  sous  le  commandement  du  Dauphin,  qui  fut  dans 
la  suite  Louis  XI.  Le  pape  Eugène  se  flattait  que  les  Français  jetteraient  l'épouvante 
à  Bâle,  et  le  vengeraient  du  Concile  qui  l'avait  déposé.  Bâle  demanda  en  hâte  l'as- 
sistance de  ses  alliés,  et  les  Suisses  détachèrent  des  deux  camps  de  Zurich  et  de 
Farnsbourg  4300  à  4400  hommes,  qui  eurent  l'ordre  de  repousser  l'armée  française 
et  d'entrer  à  Bâle.  Le  26  août,  au  point  du  jour,  un  engagement  eut  lieu  â  Prattelen, 
entre  les  Suisses  et  les  troupes  d'avant-garde,  commandées  par  le  comte  Dammartin  ; 
celles-ci,  malgré  leur  nombre,  durent  se  replier  sur  Muttenz,  où  se  trouvait  un  corps 
plus  considérable.  Là,  commença  un  second  combat  plus  opiniâtre  que  le  premier;  la 


284  LA  stisse  pittoresolb. 


victoire  resta  encore  aux  soldats  suisses.  Ils  conlinuèreat  leur  marche  en  colonnes 
serrées  vers  le  pont  de  St.-Jacques,  défendu  par  une  batterie  de  canons,  et  gardé  par 
des  forces  nombreuses.  A  la  suite  d*un  combat  meurtrier,  une  partie  des  Confédérés, 
au  nombre  d'environ  500,  se  jetèrent  dans  une  petite  ilc  de  la  Birse,  et  là,  vendirent 
chèrement  leur  vie;  tous  y  périrent,  sauf  le  Uinneret  de  Claris,  qui  fut  trouvé  res> 
pirant  encore  deux  jours  après  sous  un  monceau  de  cadavres.  L'autre  partie  des 
Confédérés  s'était  retranchée  près  de  la  chapelle  de  St. -Jacques,  dans  un  cimetière 
entouré  de  murs;  ils  s'y  défendirent  en  désespérés  ;  l'incendie  de  la  chapelle  les  ayant 
forcés  à  la  retraite,  ils  se  frayèrent  un  chemin  jusqu'à  l'hospice,  ou  lazaret  voisin, 
où  ils  soutinrent  encore  une  attaque  meurtrière  jusqu'à  ce  que  de  nouveau  l'in- 
cendie de  l'édifice  et  l'écroulement  des  murs  battus  par  l'artillerie,  les  forçassent  de 
chercher  la  mort  dans  les  rangs  ennemis.  La  bataille  dura  dix  heures,  et  la  victoire 
fut  sanglante  pour  les  Armagnacs,  qui  demeurèrent  maîtres  du  champ  de  bataille, 
l'emportant  par  le  nombre,  et  nullement  par  la  valeur.  On  évalue  leur  perte  à  6  ou 
8000  hommes.  Du  côlédes  Suisses,  1150  guerriers  périrent  sur  le  champ  de  bataille; 
99  furent  trouvés  étouffés  dans  les  caveaux  de  Thospice,  d'où  les  flammes  les  avaient 
empêchés  de  se  sauver.  Douze  Suisses  seuls  survécurent  sans  blessures,  et  furent  notés 
d'infamie.  La  Confédération  se  préparait  à  envoyer  à  la  rencontre  du  Dauphin  une 
armée  plus  nombreuse,  lorsque  le  prince,  jugeant  de  la  résistance  qu'opposeraient  les 
Suisses  réunis,  par  celle  du  petit  nombre  qu'il  avait  vaincus  avec  tant  de  peine,  prit 
le  piirti  de  rechercher  l'alliance  de  si  braves  guerriers,  et  retira  ses  troupes  de  la 
Suisse.  Longtemps  après,  quand  Charles-le-Téméraire,  refusant  toutaax)mmodement, 
s  avançait  vers  Crandson,  Louis  dit  à  ses  courtisans:  u  Mon  cousin  Charles  ne  sait 
pas  encore  comme  moi  à  quelle  nation  il  aura  affaire.  » 

En  1460,  Bâle  fonda  son  Université,  qui  fut  si  longtemps  célèbre  dans  toute  1  Eu- 
rope. La  bourgeoisie  s'adressa  dans  ce  but  au  pape  Pie  11  (ifSneas  Sylvius),  qui,  jeune 
et  pauvre  encore,  était  venu  à  Bâle  pendant  le  Concile,  et  ce  pape  accorda  sa  per- 
mission par  une  bulle  qui  fait  grand  honneur  à  sa  mémoire,  et  octroya  à  l'Université 
les  mêmes  privilèges  que  possédait  Bologne.  Il  n'existait  alore  que  sept  Universités 
en  Europe  (Bologne,  Paris,  Cologne,  Heidelberg,  Fribourg  en  Brisgau,  Ërfurt  et 
Vienne).  En  1474,  Bàle  possédait  déjà  plusieurs  imprimeries,  dont  il  sortit  un 
grand  nombre  d'ouvrages  remarquables,  qui  répandirent  dans  les  pays  étrangers  la 
gloire  de  son  Université.  Après  la  guerre  de  Souabe,  entre  l'empereur  et  les  Confé- 
dérés, ce  fut  à  Bâle  que  la  paix  fut  conclue,  en  1499.  Malgré  les  guerres  et  les  luttes 
perpétuelles  que  Bâle  eut  à  soutenir  durant  le  IS*"  siècle,  son  industrie  et  son  com- 
merce avaient  continué  à  prospérer.  L'évéque,  ayant  besoin  d'argent,  lui  avait  vendu 
en  1396  plusieurs  bailliages;  Bâle  était  ainsi  devenu  une  république  considérable, 
lorsqu'il  fut  admis,  en  1501,  dans  la  Confédération  suisse. 

Ce  fut  au  commencement  du  16'  siècle  que  Bâle,  de  même  que  la  Suisse,  avait 
atteint  le  plus  haut  période  de  sa  gloire  et  de  sa  prospérité.  C'est  alors  qu'Erasme, 
I  homme  le  plus  érudit  et  le  premier  écrivain  de  son  temps,  le  fameux  peintre  llolbein, 
et  divei*s  personnages  illustres,  vivaient  dans  ses  murs.  En  1527,  les  citoyens, 
entraînés  surtout  par  les  éloquentes  prédications  d'OEcolampade,  embrassèrent  la  ré- 
forme de  Zwingli.  Dès  1516,  Erasme  avait  publié  le  texte  original  du  Nouveau 
Testament;  en  1532,  on  avait  imprimé  la  traduction  de  la  Bible  de  Lutlier.  En 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  28S 


4529,  révêquc  transporta  son  siège  à  Porrenlruy  ;  les  moines  quittèrent  leurs  cou- 
vents, et  leurs  biens  furent  consacrés  au  soulagement  des  pauvres.  Plus  tard,  la  ville 
(le  Bâle  racheta  définitivement  tous  les  droits  que  les  évéques  prétendaient  encore 
conserver  sur  elle.  Durant  la  guerre  de  Trente  ans,  Bàle  eut  beaucoup  à  souffrir  : 
deux  batailles  se  livrèrent  à  quelques  lieues  de  ses  murs,  et  plusieurs  villages  b&lois 
de  lu  frontière  furent  pillés.  La  Suisse  fut  représentée  au  congrès  de  Munster  par  le 
bourgmestre  Wettstein  de  Bàle,  et,  avec  Taidede  la  France,  cet  habile  homme  d'Etat 
obtint  que  la  Suisse  fût  enfin  reconnue  par  toute  TEurope  comme  Etat  indépendant, 
et  que  Bàle  en  particulier  n'eût  plus  rien  à  démêler  avec  la  juridiction  de  l'empire.  La 
position  de  Bàle  fut  encore  très-critique  à  l'époque  de  la  conquête  de  l'Alsace  par  les 
Français,  et  à  celle  de  la  guerre  pour  la  succession  espagnole,  événements  qui  ame- 
nèrent des  armées  étrangères  près  de  ses  murs.  Ce  fut  surtout  avec  un  vif  chagrin 
que  l'on  vit  construire  à  la  frontière,  par  ordre  de  Louis  XIV  (1680),  la  forteresse 
de  Hûningen,  que  le  peuple  appela  un  Zwing-Basel  (  contrainte  de  Bàle).  Vers  la  fin 
du  IS*"  siècle,  la  ville  ne  comptait  guère  que  la  moitié  des  habitants  qu'elle  avait 
renfermés  dans  sa  période  la  plus  florissante. 

Pendant  la  révolution  française,  un  grand  nombre  d'émigrés  trouvèrent  un  refuge 
à  Bàle.  L'an  1795,  deux  traités  de  paix  furent  signés  dans  cette  ville,  le  premier 
entre  la  république  française  et  le  roi  de  Prusse,  le  second  entre  cette  république  et 
l'Espagne.  Cependant,  la  guerre  ne  tarda  pas  à  se  rapprocher  de  ses  frontières,  et  en 
1796  Hûningen  fut  assiégé  et  occupé  par  les  Allemands.  Mais  les  idées  nouvelles 
s'étaient  répandues  dans  la  campagne  de  Bàle  comme  dans  d'autres  contrées  de  la 
Suisse;  au  commencement  de  1798,  les  paysans  s'insurgèrent,  plantèrent  des  arbres 
de  liberté,  détruisirent  les  châteaux  des  baillis,  et  le  20  janvier,  l'ancienne  Consti- 
tution de  Bàle  fut  abolie,  et  les  habitants  de  la  campagne  furent  mis  en  possession  de 
tous  les  droits  civils  et  politiques  dont  jusqu'alors  la  ville  avait  joui  exclusivement. 
Le  24  octobre  de  la  même  année,  les  Français  entrèrent,  pour  la  première  fois  depuis 
U44,  sur  le  territoire  et  dans  les  murs  de  Bàle.  Le  canton  se  soumit  au  nouveau 
régime  introduit  à  la  suite  de  l'invasion  française;  mais,  en  1802,  il  fut  au  nombre 
de  ceux  qui  s'insurgèrent  contre  le  gouvernement  helvétique.  L'Acte  de  médiation  y 
fut  bien  accueilli,  parce  qu'il  avait  le  mérite  de  concilier  les  idées  nouvelles  avec  le 
maintien  des  anciennes  formes. 

En  1813  et  181  S,  Bâle  dut  ouvrir  ses  p'jrtes  aux  armées  coalisées,  et  dans  l'hiver 
de  1814  il  fut  même  le  quartier-général  des  souverains  alliés.  Un  acte  du  congrès 
de  Vienne  annexa  au  territoire  bàlois  le  district  de  Birseck,  détaché  de  l'ancien  évêché 
de  Bàle;  une  autre  stipulation  imposa  à  la  France  la  démoUtion  de  la  forteresse  de 
Hûningen.  L'émancipation  des  habitants  de  la  campagne  fut  sanctionnée  par  une 
nouvelle  Constitution. 

Cependant,  après  la  révolution  française  de  1830,  la  campagne  se  plaignit  de  la 
prépondérance  trop  marquée  que  possédait  la  ville,  en  particulier  de  ce  que  les  bour- 
geois de  celle-ci,  quoique  moins  nombreux  que  ceux  de  la  campagne,  eussent  un 
plus  grand  nombre  de  représentants  dans  le  Grand  Conseil.  Les  15  tribus  de  la  ville 
nommaient  30  députés  ;  les  districts  de  la  campagne  en  nommaient  34  ;  ces  députés 
directs  nommaient  eux-mêmes  les  90  autres  représentants,  dont  ils  devaient  prendre 
k'sdeux  tiers  dans  la  ville  et  l'autre  tiers  dans  la  campagne.  Une  pétition  adressée 


280  LA  snsse  pittoresoie. 


aa  Grand  Conseil  demanda  que  le  partage  des  représentants  fût  proportionnel  au 
chiffre  de  la  |)opulation.  Le  Grand  Conseil,  entrant  dans  les  vues  des  réclamants, 
décida,  en  décembre  4830,  qu'une  (Commission  C4mstituante,  composée  moitié  di' 
citadins  et  moitié  de  campagnards,  serait  nommée  pour  réviser  la  Constitution.  En 
même  temps,  on  posa  |K)ur  base  que  la  ville,  dont  les  citoyens  formaient  les  deux 
cinquièmes  de  la  population,  mais  qui  sup|K)rtait  une  part  beaucoup  plus  considérable 
des  charges  (inancièrcs  de  TEtal,  aurait  75  représentants,  et  la  campagne  79.  Olle 
l)ase  ne  siitisfaisant  point  les  meneurs,  ceux-ci  soulevèrent  la  campagne,  convo- 
quèrent une  assemblée  populaire  à  Liestal,  firent  nommer  un  Gouvernement  provi- 
soire, et  occu|)er  par  des  troupes  armées  les  villages  voisins  de  la  ville.  Mais  à  la 
suite  de  plusieurs  combats  qui  eurent  lieu  du  42  au  46  janvier  4834,  et  dans 
lesquels  la  milice  url)aine,  commandée  par  le  colonel  Wieland,  eut  l'avantage  sur 
les  troupes  de  la  campagne,  Liestal  fut  occupé  par  la  première,  et  l'insurrection 
apaisée.  Des  commissaires  fédéraux  arrivèrent  jiour  chercher  à  rétablir  l'union.  La 
(Constituante  continua  son  travail,  et  la  nouvelle  Constitution  fut  acceptée  à  une 
grande  majorité,  soit  parla  ville,  soit  par  la  campagne.  Cette  Constitution  fut  aussitiM 
mise  à  exécution,  et  le  49  juillet  elle  fut  garantie  par  la  Diète. 

Mais  le  mécontentement,  entretenu  par  quelques  agitateurs  ambitieux,  n'avait  pas 
cessé  ;  le  défaut  d'une  représentation  rigoureusement  proportionnelle  à  la  population, 
était  toujours  le  principal  grief  auquel  on  eut  recours.  On  se  plaignait  aussi  des 
restrictions  que  Bâie  avait  mises  à  une  amnistie.  Le  49  août  4834  éclata  une  nou- 
velle insurrection  ;  un  nouveau  Gouvernement  provisoire  fut  installé  à  Liestal.  Le 
24,  le  colonel  Wieland  s'avança  à  la  tète  de  700  hommes  pour  occuper  cette  ville: 
mais,  après  im  assez  long  combat,  ne  voyant  pas  arriver  le  renfort  des  communes 
fidèles,  il  dut  se  replier  sur  Bàle.  La  Diète  envoya  des  commissaires  fédéraux  pour 
faire  cesser  la  guerre  civile,  et  ils  furent  suivis  d'un  corps  de  troupes  fédérales.  Mais 
la  querelle  étant  loin  de  s'apaiser,  le  gouvernement  bâiois  prit  le  parti,  malgré  les 
protestations  du  Vorort  et  de  la  Diète,  de  retirer  son  administration  aux  42  com- 
munes qui  lui  étaient  hostiles,  et  celles-ci  s'empressèrent  de  profiter  d'une  mesure 
qui  mettait  toute  l'apparence  du  droit  de  leur  côté.  Un  nouveau  conflit  eut  lieu  les 
6et7avril4832àGelterkinden.  Alors  la  Diète  reconnut,  le  42  mai,  la  division  comme 
un  fait  accompli,  et  admit  dans  son  sein,  dès  le  5  octobre,  les  députés  de  la  Campagne 
bâloise.  A  la  suite  de  cette  décision,  les  députés  des  trois  cantons  primitifs,  avec 
ceux  de  Ncuchâlel  et  de  Bàle- Ville,  se  retirèrent  de  la  Diète  et  se  réunirent  en  confé- 
rence à  Sarnen.  L'année  suivante,  la  Diète,  prétendant  que  les  troubles  du  canton  de 
Schwytz  étaient  fomentés  par  la  conférence,  et  en  particulier  par  les  Bàlois,  décida, 
le  4''^  août,  de  faire  occuper  le  canton  de  BâIe  par  des  troupes  fédérales.  Le  3  août, 
une  dernière  collision  eut  lieu  entre  les  deux  partis,  dans  la  forêt  de  la  Hard,  au- 
dessous  de  Prattelen,  où  les  campagnards  occupaient  une  position  avantageuse.  Après 
un  long  et  sanglant  combat,  qui  leur  coûta  64  morts  et  405  blessés,  les  milice  de 
la  ville  durent  se  retirer  sur  Bâle.  A  l'arrivée  des  bataillons  fédéraux,  cette  ville 
dut  capituler  et  ouvrir  ses  portes.  Une  séparation  complète  de  toute  la  campagne, 
sauf  une  étroite  banlieue,  fut  consacrée  ;  tous  les  fonds  de  l'Etat  et  de  l'Université, 
ainsi  que  l'arsenal,  furent  partagés  entre  les  deux  demi-cantons  par  des  arbitres 
fédéraux. 


LA   SUISSE    PITTOHESQDE.  287 


Tel  fut  le  dénoûmenl  de  celle  funesle  el  trop  longue  guerre  civile.  Depuis  lors, 
Bàle-Campagne  a  figuré  au  nombre  des  Elals  où  le  radicalisme  étail  le  plus  avancé. 
La  voix  du  canlon  élail  partagée  :  chacun  des  deux  demi-Elals  envoyail  en  Diète 
ses  députés  distincts,  et  les  deux  demi-voix,  en  se  prononçant  pour  des  avis  opposés, 
se  neutralisaient  fréquemment.  Depuis  le  nouveau  Pacte  fédéral,  Bâle- Ville  et  Bâle- 
Campagne  nomment  chacun  un  député  au  Conseil  des  Etats;  mais  Bàle-Campagnc, 
vu  sa  population,  envoie  deux  représentants  au  Conseil  National,  tandis  que  Bâle- 
Ville  n'en  a  qu'un.  —  Hâtons-nous  d'ajouter,  en  terminant,  que  la  bonne  harmonie 
s'est  peu  à  peu  rétablie  entre  les  habitants  et  les  gouvernements  des  deux  parties  du 
canton  ;  et  l'on  a  remarqué  avec  un  vif  plaisir  que  la  première  section  de  chemin  de 
fer  ouverte  à  la  circulation,  depuis  que  les  Conseils  fédéraux  ont  voté  le  réseau  des 
voies  ferrées  suisses,  s'est  trouvée  précisément  la  ligne  de  BâleàLiestal.  (Le  l""^  jan- 
vier 4855,  cette  voie  a  transporté  3600  personnes  d'un  chef-lieu  à  l'autre;  du 
19  décembre  1854  au  31  mai  1855,  elle  a  transporté  114,260  personnes  et 
44,627  quintaux  de  marchandises.  Depuis  le  1*"^  juin,  la  voie  est  terminée  jusqu'à 
Sissach  ;  du  1"  au  30  juin,  elle  a  transporté  34,806  voyageurs  et  42,203  quintaux.) 

Constitutions.  —  D'après  les  arrêtés  de  la  Diète  d'août  1833,  l'Etat  de  Bdle- Ville 
ne  devait  être  évacué  par  les  troupes  fédérales  que  lorsqu'il  aurait  adopté  une 
Constitution  particulière.  Une  Constituante,  nommée  par  les  citoyens  de  la  ville, 
élabora  donc  un  projet  qui,  soumis  au  peuple  le  3  octobre,  fut  adopté  par  1033  ci- 
toyens, et  rejeté  par  190.  La  souveraineté,  suivant  cet  acte,  appartient  à  tous  les 
citoyens  âgés  de  20  ans  accomplis  ;  elle  ne  s'exerce  que  par  le  vote  sur  la  Constitution 
et  les  lois  constitutionnelles,  et  par  l'élection  au  Grand  ConseiL  Pour  cette  élection, 
les  citoyens  sont  répartis:  1**  en  18  corporations,  élisant  chacune  2  députés,  et 
f  en  6  collèges,  dont  5  dans  la  ville,  élisant  chacun  i  5  députés,  et  1  dans  la  cam- 
pagne, qui  n'en  nomme  que  8.  Les  corporations  tirent  leur  origine  du  13*^  siècle; 
elles  furent  abolies  en  1798  et  rétablies  par  l'Acte  de  médiation  ;  elles  ont  à  s'occuper 
de  Tentretien  des  veuves  et  des  orphelins,  et  des  affaires  de  tutelle.  Il  y  en  a  16 
dans  la  ville  :  celle  des  négociants,  celle  des  merciers,  celle  des  boulangers,  celle  des 
tailleurs,  celle  des  vignerons,  celle  des  bateliers,  etc.  La  16*^  est  la  corporation  aca- 
démique. Tout  citoyen  âgé  de  20  ans  doit  s'inscrire  dans  une  corporation  ;  ceux  qui 
exercent  une  profession  industrielle,  dans  celle  de  leur  métier  ;  les  autres,  dans  celle 
dont  leur  père  fait  partie.  Les  deux  corporations  de  la  campagne  ne  sont  que  des 
corps  électoraux.  Le  Grand  Conseil  est  le  corps  législatif;  il  vote  les  impôts,  exerce 
le  droit  de  grâce,  nomme  le  Petit  Conseil,  le  chancelier,  divers  tribunaux,  etc.  Les 
membres  peuvent  faire  des  propositions,  mais  elles  doivent  toujours  être  renvoyées 
au  Conseil  d'Etat.  La  présence  de  50  membres  sur  les  119  est  nécessaire  pour  la 
validité  de  toute  décision.  Les  fonctions  sont  gratuites,  mais  les  députés  du  district 
de  la  campagne  reçoivent  une  indemnité  pour  chaque  séance  (15  batz).  Le  Grand 
Conseil  est  nommé  pour  six  ans,  et  renouvelé  par  tiers.  A  la  suite  de  chaque  renou- 
vellement par  tiers,  le  Grand  Conseil  se  rassemble  solennellement,  pour  assister  à 
un  service  divin  el  pour  être  assermenté. 

Le  Grand  Conseil  élit  dans  son  sein  un  Pelil  Conseil,  composé  de  15  membres; 
ceux-ci  sont  nommés  pour  six  ans,  et  renouvelés  par  tiers.  Si,  lors  d'un  renouvel- 
lement partiel  du  Grand  Conseil,  un  membre  du  Petit  Conseil  n'est  pas  réélu,  il  cesse 


288  LA    Sl'lSSE   PITTOBESOrE. 


aussi  de  faire  partie  du  corps  exécuUr.  Deux  bourgmestres  sont  pris  dans  le  sein  du 
Petit  Conseil,  et  ont  chacun  la  préséance  pendant  un  an.  Le  premier  bourgmestre 
préside  le  Grand  et  le  Vêtit  Cons(Ml.  Des  Ck)mmissions  ou  collèges  sont  adjointes  au 
gouvernement  |K)ur  rex|)édilion  desaflaires,  finances,  instruction  publique,  travaux, 
police,  militaire,  etc.  Il  y  a  un  Tribunal  d'appel,  une  Cour  criminelle,  et  une  Cour 
correctionnelle.  —  Les  aflaires  municipales  de  la  ville  sont  administrées  par  un 
Grand  Conseil  de  Ville  de  80  membres,  nommés  pour  six  ans  par  les  citoyens  répartis 
en  8  quartiers.  Ce  Conseil  nomme  dans  son  sein  un  Petit  Conseil  de  Ville  de 
H  membres.  Il  y  a  en  outre  des  Gimmissions  municifmles  auxiliaires.  —  Les  trois 
communes  de  la  c<impagne  forment  un  district,  à  la  tête  duquel  il  y  a  deux  fonction 
naires,  le  préfet  et  un  secrétaire.  Enfin,  chaque  commune  nomme  un  Conseil  Muni 
cipal,  dans  le  sein  duquel  le  gouvernement  choisit  un  président  de  la  commune. 
Elle  approuve  ses  imi)ôts  et  emprunts,  vote  son  budget,  et  reçoit  les  comptes  de 
Fautorité  municipale. 

D'après  la  Constitution  votée  le  6  mai  4832  par  TEtat  de  Biile-CamiKigne,  la 
souveraineté  appartient  à  Tcnscmble  des  citoyens  Agés  de  20  ans  accomplis.  Cette 
souveraineté  s'exerce  soit  par  le  vote  de  la  Constitution  et  des  lois  constitutionnelles, 
et  par  le  choix  des  représentants,  soit  au  moyen  du  droit  de  veto.  Le  jiouvoir 
législatif  est  le  Limlraih,  dont  les  membres  sont  nommés  par  les  cercles  électoraux, 
à  raison  d'un  député  pour  SOO  âmes  ;  les  membres  sont  élus  pour  six  ans,  et  renouvelés 
par  tiers  tous  les  deux  ans.  Le  Landrath  a  la  haute  surveillance  sur  les  autres  auto 
rités;ilconclut  les  traités,  nomme  les  députés  à  la  Diète,  etc.  Aucune  loi  n'est  valide 
qu'autant  qu'elle  n'est  pas  rejetée,  dans  la  quinzaine  après  sa  promulgation,  |)arles 
deux  tiers  au  moins  du  peuple  souverain  ;  c'est  ce  qui  constitue  le  droit  de  veto  accordé 
aux  citoyens.  Les  membres  du  Landrath  reçoivent  une  indemnité  de  1,  2  ou  3  Hvit.^ 
suisses  par  jour,  suivant  la  distance  de  leur  domicile.  L'autorité  executive  est  un 
Cmiseil  d'Etat  de  5  membres  nommés  par  le  Landrath,  dans  son  sein  ou  au  dehors. 
Le  président  est  nommé  annuellement  par  le  Landrath,  et  n'est  pas  rééligible  l'année 
suivante.  Les  membres  sont  nommés  pour  quatre  ans  ;  tous  les  ans  deux  ou  trois  d'entre 
eux  sont  renouvelés.  Outre  les  tribunaux  de  district,  il  y  a  un  Tribunal  d'appel  di* 
7  membres  et  4  assesseurs,  nommés  pour  six  ans,  et  renouvelés  par  tiers  tous  les  deux 
ans.  —  En  4838  eut  lieu  une  révision,  qui  réduisit  à  trois  ans  la  durée  des  fonctions 
des  membres  du  Landrath,  du  Conseil  d'Etat  et  des  juges,  et  rendit  leur  renouvellement 
intégral.  Le  Landrath  fut  réduit  dans  la  proportion  d'un  membre  pour  600  âmi*s.  On 
institua  un  Tribunal  criminel  et  correctionnel  pour  tout  le  canton,  en  maintenant  des 
tribunaux  de  district.  —  Une  nouvelle  révision,  opérée  en  1850,  a  porté  à  30  jours  le 
terme  fixé  pour  rcxercice  du  droit  de  veto,  et  a  réduit  le  Landrath  dans  la  proportion 
d'un  député  pour  800  âmes.  La  nouvelle  Constitution  porte  aussi  que  le  canton  devra 
prêter  la  main,  autant  que  possible,  à  l'introduction  du  jury,  ou  par  voie  de  centra- 
lisation, ou  par  voie  de  concordat  avec  d'autres  cantons. 

Cultes.  —  Le  canton  de  Bâlc  professe  en  grande  majorité  la  religion  réformée; 
on  y  compte  14,560  catholiques,  dont  5508  habitent  dans  l'Etat  de  Bàle- Ville,  et 
9052  dans  celui  de  Bâlc-Cam pagne.  Ces  derniers  résident  principalement  dans  un 
district  détaché  de  l'ancien  évêché  de  Bàle,  cl  dont  le  chef-lieu  actuel  est  Arlesheim. 
La  ville  de  Bâlc  forme  quatre  paroisses  principales,  dont  une  dans  le  petit  Bàle, 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  289 


trois  dans  le  grand  Bàlc,  mais  celle  de  la  cathédrale  comprend  trois  annexes.  On 
compte  aussi  comme  paroisses  l'hôpilal,  la  maison  des  orphelins,  et  le  cimetière  de 
Saint-Jacques,  dans  la  banlieue  au  sud  de  la  ville.  Ces  paroisses  et  annexes  sont 
desservies  par  17  ecclésiastiques.  Le  district  rural  au  nord  de  la  ville  forme  en  outre 
deux  paroisses,  celles  de  Biehen  et  de  Petit-Huningue.  Les  pasteurs  sont  nommés 
par  les  paroisses;  chaque  pasteur  est  assisté  par  des  diacres  et  une  sorte  de  Conseil 
de  paroisse.  Le  premier  pasteur  de  la  cathédrale  est  le  chef  du  clergé  protestant,  et 
porte  le  nom  d'antistès.  Outre  la  paroisse,  le  Grand  Conseil  et  le  clergé  bàlois  pren- 
nent part  à  son  élection.  L'antistës  préside  le  Conseil  ecclésiastique,  composé  des 
professeurs  de  théologie,  des  principaux  pasteurs  de  la  ville,  du  chef  des  diacres,  etc. 
OEcolampade  fut  le  premier  autistes  de  Bâle.  Il  y  a  en  outre  un  Synode,  composé  de 
tous  les  ecclésiastiques,  mais  il  s'assemhle  rarement.  Après  la  Saint-Barthélémy,  le 
gouvernement  céda  une  église  aux  protestants  français  qui  s'étaient  réfugiés  à  Bàle  ; 
on  a  continué  dès-lors  à  y  prêcher  en  français.  Il  y  a  aussi  à  Bàle  un  certain  nombre 
d'anabaptistes  et  de  frères  moraves  (Herrenhuter),  et  une  secte  qui,  sans  se  séparer 
de  TEglise  bàloise  quant  aux  doctrines  et  aux  formes  du  culte,  ne  se  distingue  que 
par  plus  d'austérité.  Depuis  1801,  on  a  accordé  aux  catholiques  de  la  ville  l'église 
de  Sainte-Claire,  mais  on  y  célèbre  chaque  semaine  aussi  un  service  protestant. 
Enfin,  les  Juifs  ont  une  synagogue  à  Bàle. 

Instruction  publique.  —  La  ville  de  Bàle  possède  depuis  longtemps  une  bonne 
organisation  scolaire.  Outre  les  écoles  primaires  instituées  par  l'Etat,  il  y  a  encore 
diverses  écoles,  dont  plusieurs  ont  été  créées  par  la  Société  d'Utilité  publique,  telles 
que  dos  écoles  de  fabrique  (Fabrikschulen)  et  une  école  industrielle  (Indusirieschule) 
destinées  aux  enfants  pauvres,  des  écoles  du  dimanche,  des  écoles  de  chant,  de 
Datation,  de  gymnastique,  etc.  Les  enfants  doivent  fréquenter  les  écoles  depuis  l'âge 
de  6  ans  à  celui  de  12,  à  moins  qu'ils  ne  reçoivent  ailleurs  une  éducation  convena- 
ble; depuis  l'âge  de  8  ans  jusqu'à  leur  admission  à  la  Sainte-Cène,  ils  doivent  suivre 
rinstniction  du  catéchisme.  Il  y  a  aussi,  depuis  1817,  des  écoles  de  petits  enfants 
dans  tous  les  quartiers  de  la  ville,  destinées  à  recueillir  les  enfants  dont  les  parents 
sont  obligés  de  vaquer  aux  devoirs  de  leur  profession;  elles  ont  été  instituées  par 
des  sociétés  de  dames.  —  Au-dessus  des  écoles  primaires  est  le  Gymnase,  qui  se 
divise  en  six  classes,  et  ensuite  le  Pœdagogium,  qui  avait  déjà  existé  au  l&^  siècle 
et  qui  a  été  rétabli  en  1819  pour  servir  de  passage  entre  le  Gymnase  et  l'Université  ; 
mais  ces  deux  établissements  ne  sont  pas  exclusivement  destinés  à  préparer  les 
jeunes  gens  à  l'enseignement  universitaire.  —  L'Université,  fondée  en  1460,  a  jeté 
autrefois  un  grand  lustre  sur  la  ville  de  Bàle.  Beaucoup  de  savants  distingués  y  ont 
professé;  beaucoup  d'autres  hommes  remarquables  y  ont  fait  leurs  études.  En  1460, 
elle  a  compté  220  étudiants,  mais  ce  nombre  ne  s'est  pas  soutenu  dès  les  années 
suivantes.  La  période  la  plus  brillante  de  l'Université  bàloise  est  la  fin  du  IS"*  et  le 
ooromencement  du  16"*  siècle.  Alors,  elle  compta  parmi  ses  professeurs  le  fameux 
Erasme  de  Botterdam,  le  médecin  Paracelse,  le  grec  Contoblacas  ;  un  peu  plus  tard, 
les  théolc^iens  C£colampade,  Grynœus,  Budeeus,  etc.  Toutefois,  une  des  principales 
causes  de  sa  décadence  remonte  précisément  à  l'époque  de  la  Béformation,  parce  que 
cet  événement  eut  pour  effet  d'éloigner  de  Bàle  beaucoup  de  savants  et  de  rétrécir 
la  sphère  d'action  de  son  Université.  Néanmoins,  elle  a  compté  encore,  dans  les  17**  et 
11,19  37 


290  LA  susse  pirroiiesQtE. 


48*  siècles,  bien  des  professeurs  et  des  élèves  qui  lui  ont  fait  grand  honneur.  Il  n'est 
besoin  que  de  citer  les  noms  de  Werenfels,  Zwinger,  Wettstein,  Buxtorf,  Plater,  Ber- 
nouilli,  Euler,  etc.  A  diverses  époques,  au  siècle  dernier  ainsi  qu'en  1818  et  en  1834. 
on  a  chercbé  à  lui  redonner  plus  de  vie,  mais  les  circonstances  ne  lui  ont  pas  été 
favorables.  L'Université  est  partagée  en  quatre  facultés,  qui  en  1840  comptaient 
ensemble  vingt  professeurs  ordinaires,  quatre  professeurs  extraordinaires,  et  dix 
mditres  privés  (l^imtdocenlm).  Ces  professeurs,  dont  plusieurs  sont  tr^s^isUngués. 
donnaient  80  cours  différents.  Quoique  le  nombre  des  étudiants  soit  borné  (environ 
60),  cependant  quelques-uns  des  cours  réunissaient  de  nombreux  auditeurs,  de  tout 
Age  et  de  tout  sexe.  La  liberté  d'enseignement  est  plus  complète  à  Bàle  que  dans 
d'autres  Universités;  les  étudiants  n'ont  à  payer  que  des  honoraires  modérés.  —  En 
dehors  de  l'Université,  il  existe  un  Institut  des  missions,  destiné  à  former  des  mis- 
sionnaires, qui  doivent,  outre  la  théologie,  étudier  diverses  langues. 

CoMMEBCB,  Industrie.  —  L'industrie  a  pris  une  grande  extension  à  Bàle  dès  le 
moyen-Age.  On  y  a  Eabriqué  pendant  longtcm|)s  des  toiles  de  lin  et  des  draps.  Ces 
industries  ont  fait  place  à  celles  du  coton  et  de  la  soie.  A  la  fin  du  siècle  dernier,  on 
comptait  à  Bftle  six  imprimeries  d'indiennes,  occupant  une  foule  d'ouvriers;  il  n y 
en  avait  plus  que  deux  en  1841,  mais  il  y  avait  en  outre  cinq  fabriques  d'étoffes 
de  coton  et  cinq  filatures.  Ces  dernières,  à  elles  seules,  employaient  1000  ouvriers 
et  35,000  bobines,  et  travaillaient  15,000  quintaux  de  coton  brut.  Mais  la  labri 
cation  de  la  soie  est  la  branche  la  plus  importante  de  l'industrie  bàloise.  En  17S4, 
on  comptait  dans  la  campagne  1635  métiers  à  rubans;  en  1800,  on  en  comptait 
3000,  et  en  1836,  4000,  occupant  12  à  15,000  ouvriers  (dans  la  ville,  il  y  avail 
à  cette  époque  46  fabricants  et  1 550  ouvriers).  Le  développement  que  cette  industrie 
a  pris  depuis  plus  d'un  demi-siècle  est  dû  en  particulier  à  la  décadence  des  fabriques 
d'indiennes  et  à  la  révolution  française,  qui  a  engagé  l'Allemagne  à  acheter  à  Bàle 
ce  qu'elle  tirait  de  Lyon  et  de  Saint-Etienne.  On  fabrique  surtout  des  rubans  unis, 
qui  l'emportent  toujours  sur  les  produits  étrangers  ;  quant  aux  rubans  façonnés,  ils 
sont  inférieurs  aux  produits  français  pour  le  goût  et  la  légèreté;  mais  ils  sont  à 
meilleur  marché,  parce  que  la  liberté  du  commerce  permet  d'importer  la  matière 
première  à  meilleur  compte,  parce  que  les  impôts  sont  faibles,  la  vie  peu  coûteuse  et 
la  main-d'œuvre  peu  élevée.  On  estipie  à  près  de  15,000,000  de  francs  la  valeur  des 
rubans  que  Bàle  exporte,  et  dont  la  moitié  va  dans  les  Etats-Unis,  l'autre  moitié  en 
France,  Allemagne  et  Hollande.  Bàle  possède  aussi  quelques  manufactures  d'étoffes 
de  soie  ou  demi-soie.  —  L'imprimerie  a  été  autrefois  une  industrie  importante  à 
Bàle.  Les  premières  imprimeries  ont  dû  y  être  établies  vers  l'an  1460;  on  conserve 
encore  des  ouvrages  imprimés  en  1474.  Des  presses  bàloises  sortirent  d'excellentes 
éditions  de  la  Bible,  des  Pères  de  l'Eglise ,  des  classiques  anciens  et  une  foule 
d'ouvrages  modernes.  C'est  ce  qui,  avec  l'Université,  attira  un  si  grand  nombre  de 
savants  à  Bàle  durant  le  16''  siècle.  C'est  à  cette  époque  que  l'imprimerie  y  obtint 
son  plus  grand  développement  ;  mais,  dans  le  siècle  suivant,  les  imprimeurs  bàlois 
envoyaient  encore  une  grande  quantité  de  livres  à  la  foire  de  Francfort.  En  1470. 
Bàle  a  possédé  la  première  papeterie  ou  moulin  à  papier  qu'il  y  ait  eu  en  Allemagne  ; 
il  en  possédait  huit  il  y  a  quelques  années.  Il  s'y  trouve  aussi  un  certain  nombre 
(le  tanneries,  quelques  fabriques  de  tabacs,  une  fabrique  de  pianos  qui  est  assi^is 


LA   suisse    PITTORESQUR.  ^29 1 


renommée,  etc.  Enfin,  ragricullure  est  une  industrie  qui  n'est  pas  sans  importance, 
surtout  aux  environs  de  la  ville,  mais  elle  emploie  beaucoup  d'ouvriers  étrangers. 
'  Le  commerce  de  BAIq  est  encore  plus  remarquable  que  son  industrie.  Sa  position 
sur  le  Rhin,  qui  le  fait  communiquer  avec  plusieurs  ports  de  mer,  la  réunion  des 
«grandes  voies  de  communication  ferrées  et  autres  entre  TAIIemagne  méridionale, 
la  France  et  l'Italie,  le  voisinage  du  canal  du  Rhône  au  Rhin,  enfin  l'activité  et  la 
richesse  de  ses  négociants,  et  surtout  la  pleine  liberté  du  commerce,  assurent  à  Bàle 
une  place  importante  dans  le  monde  commercial.  Bàle  est  le  principal  entrepôt  des 
marchandises  suisses  ;  il  exporte  des  étoffes  de  coton  et  de  soie,  des  bois,  des  cuirs, 
(les  fromages,  du  bétail,  des  vins  et  eaux  de  cerises,  etc.  Il  importe,  soit  pour  la 
consommation  de  la  Suisse,  soit  pour  le  transit,  des  blés,  des  vins,  des  sels,  des 
tabacs,  des  étoffes,  des  denrées  coloniales,  des  métaux,  et  des  produits  manufacturés 
de  presque  tous  les  pays  de  l'Europe.  On  compte  à  Bàle  environ  200  maisons  de 
négociants  en  gros.  Ses  marchés  hebdomadaires  et  ses  foires  trimestrielles  y  attirent 
une  grande  affluence  de  monde.  Bàle  est  aussi  l'un  des  points  par  où  arrivent  une 
foule  d'étrangers  qui  viennent  visiter  la  Suisse  dans  la  belle  saison. 

Hommes  distingués,  Savants,  etc.  —  Un  très-grand  nombre  de  savants  sont  nés 
à  Bàle  ou  ont  professé  dans  son  Université  ;  voici  quelques-uns  des  plus  célèbres  : 
Andronie  Conioblacas,  Grec  réfugié  de  Constantinople,  fut  le  premier  qui  y  enseigna 
la  langue  grecque.  Sim&n  Grgnœus,  de  Souabe,  fut  appelé  à  Bàle  pour  y  professer 
la  langue  latine,  et  il  contribua  notablement  au  développement  des  études  classiques. 
Conrad  Kûrschner  (Pellkanus),  ci-devant  moine,  y  enseigna  le  grec  et  l'hébreu. 
han  Biixtorf,  père  et  fils,  furent  de  savants  orientalistes  du  l?""  siècle;  le  père  s'était 
fait  connaître  dans  toute  l'Europe  par  ses  écrits,  et  les  rabbins  eux-mêmes  le  con- 
>ultaient  sur  leurs  lois  et  usages.  J.-R.  Wetlstein,  père  et  fils,  enseignèrent  la  litté- 
rature grecque  et  publièrent  de  nombreux  ouvrages  critiques.  —  Dans  la  philosophie, 
un  des  noms  les  plus  remarquables  est  celui  de  H.  Lorilz  (Glareanus),  né  à  Claris 
en  1488,  et  qui  était  aussi  poète  et  philologue.  Il  vint  à  Bàle  en  4514,  et  le  quitta 
en  1529,  après  la  Réformation.  Il  s'y  acquit  un  grand  renom  et  exerga  une  influence 
marquée  sur  la  jeunesse.  —  Gomme  mathématiciens,  on  peut  nommer  le  même 
Loriîz,  Gemusœus  de  Mulhouse,  et  Simon  Grynœiis,  qui  firent  connaître  les  travaux 
mathématiques  des  Grecs,  etc.  Mais  ce  sont  principalement  les  Bernouilli  et  Euler 
qui  ont  illustré  Bàle  dans  cette  branche  des  sciences.  Pendant  tout  un  siècle,  les  Ber- 
nouilli (Jacob,  son  frère  Jean,  les  trois  fils  de  ce  dernier,  Nicolas,  neveu  de  Jean,  et 
Daniel)  furent  en  possession  de  la  chaire  de  mathématiques.  Pendant  94  ans,  l'Aca- 
démie des  Sciences  de  Paris,  sur  ses  huit  membres  associés  étrangers,  compta  tou- 
jours au  moins  un  Bernouilli.  Tous  sont  connus  par  de  nombreux  écrits;  Daniel, 
en  particulier,  par  une  théorie  mathématique  sur  le  mouvement  des  fluides.  Nicolas 
fut  appelé  comme  professeur  à  Saint-Pétersbourg,  et  y  mourut.  Lémard  Euler,  né 
en  1707,  fut  appelé  à  Berlin  en  1744  pour  y  former  une  Académie  des  Sciences,  et 
en  1776  il  fut  appelé  à  Saint-Pétersbourg  par  l'impératrice  Gatherine,  qui  le  créa 
président  de  l'Académie  impériale  des  Sciences.  Ses  trois  fils  y  trouvèrent  aussi  une 
brillante  carrière.  Euler  a  laissé  de  nombreux  ouvrages  mathématiques  et  astrono- 
miques. 
Dans  les  sciences  naturelles  et  la  médecine,  les  noms  les  plus  saillants  sont  les 


292  LA   8UI88B   PITTORBSQUB. 


suivants.  Le  célèbre  médecin  Parac^Ue,  d'EinsiedIen,  professa  à  Bàle  de  4526  à  1S29. 
Félic  Plaier,  mort  en  1614,  y  enseigna  la  médecine,  et  fit  faire  des  progrès  à  l'élude 
de  Tanatomie  ;  il  professa  pendant  quarante  ans  et  attira  beaucoup  d'élèves  ;  il  créi 
le  premier  un  jardin  botanique.  G.  fiaiiAiii,  mort  en  1624,  fut  professeur  de  bota- 
nique et  de  médecine  ;  il  publia  un  catalogue  des  plantes  qui  croissent  aux  environs 
de  Bàle,  ce  qui  fut  un  des  premiers  exemples  d'une  Flore  locale.  Il  donna  l'iropulsion 
à  plusieurs  élèves  qui  se  distinguèrent,  entre  autres  &  son  fils  et  à  son  petit-fils.  Plus 
tard,  L,  Burckhardt,  mort  en  1817,  s'est  fait  connaître  par  un  voyage  scientifique 
en  Egypte,  Nubie,  Arabie,  etc.  —  Dans  la  science  du  droit,  Bàle  cite  ses  deux  Am- 
fpierbach,  UoUonum  de  Paris,  ses  quatre  Iselin,  ses  Fœsch,  etc.  —  Mais  c'est  surtout 
dans  la  Uiéologie  que  ses  illustrations  sont  les  plus  nombreuses.  Déjà  avant  la  Réfor- 
malion,  plusieurs  évéques  et  chanoines  s'étaient  fait  remarquer  par  leur  savoir.  A 
l'époque  de  la  Réformation,  Thomas  Witletibach,  né  en  1472,  réformateur  de  Sienne, 
sa  patrie,  professa  à  Bàle  de  1506  à  1522,  et  eut  pour  élèves  Zwingli  et  Léo  Juda. 
Le  savant  Erasme  de  Rotterdam  s'établit  à  Bàle  en  1521 ,  et  y  mourut  en  1536.  Un 
des  principaux  réformateurs  de  Bàle  fui  Jean-Hatisschein  (Œcolampade);  né  eo  1482 
à  Weinsberg,  il  devint  professeur  en  1521  et  autistes  en  1529,  et  mourut  en  1531. 
Kûrschiier,  déjà  nommé  comme  philologue,  Phrygio,  réformateur  du  Wurtembei^, 
et  plusieurs  autres,  contribuèrent  par  leurs  travaux  aux  progrès  de  la  Réforme. 
Plus  tard,  les  Grynœus,  dont  l'un  devint  autistes  en  1586,  Séh.  Beck,  qui  représenta 
l'Eglise  de  Bàle  au  synode  de  Dordrecht,  les  Ztcinger,  les  Wettstein,  les  Werenfek, 
etc.,  firent  honneur  à  l'Eglise  bàloise,  tant  par  leur  savoir  que  par  leurs  vertus. 

Bàle  n'a  pas  donné  le  jour  à  un  grand  nombre  de  diplomates  ;  nous  citerons  cepen- 
dant J.-A.  Wettslein,  qui  représenta  la  Suisse  au  congrès  de  Munster  et  d'Osnabrûek 
en  1648,  et,  avec  l'appui  de  la  France,  réussit  à  obtenir  que  la  Confédération  fût 
enfin  reconnue  comme  Etat  indépendant;  H  -R,  Fœsch,  qui  se  distingua  au  service 
de  Bade  et  de  Wurtemberg;  Lacas  Schaab,  qui,  revêtu  des  fonctions  de  chargé  d'af- 
faires d'Angleterre  à  Paris,  rendit  à  sa  patrie  d'importants  services  en  1736.  Isaac 
Iselin,  historien  et  philanthrope,  fut  le  fondateur  de  la  Société  d'Utilité  publique 
(1777).  —  Un  petit  nombre  de  Bàlois  sont  parvenus  à  de  hauts  grades  militaires. 
Il  y  a  eu  un  général  Fœsch  au  service  de  Saxe  pendant  la  guerre  de  Sept  ans  ;  un 
colonel  de  même  nom  en  France,  qui  assista  à  la  guerre  de  la  succession  espagnole; 
un  général  Under  au  service  des  Etat&-6énéraux;  un  général-major  Merian  au  ser- 
vice prussien  et  danois;  un  général  de  brigade  Iselin  en  France,  etc. 

Bàle  a  peu  de  poêles  à  citer.  Quelques  nobles  des  environs  furent  connus  comme 
troubadours  dans  les  13*  et  14*  siècles.  Plus  tard,  Loritz,  déjà  nommé,  fut  couronné 
comme  poète  par  l'empereur  Maximilien  I'*^;  il  enseigna  l'art  poétique  en  même 
temps  que  la  philosophie.  H.  PantaUan  fut  aussi  créé  poête-lauréat  par  Tempereur. 
Spreng,  né  en  1699,  a  fait  une  traduction  estimée  des  Psaumes,  et  composé  des 
chants  spirituels.  De  nos  jours,  quelques  Bàlois  cultivent  hi  poésie  avec  quelque 
succès.  —  Bàle  n'a  pas  produit  de  compositeurs  distingués.  Loritz,  F.  Plater,  l'an- 
tistès  S.  Sulzer  et  d'autres  ont  cultivé  la  musique  avec  ardeur  et  ont  cherché  à' 
imprimer  une  impulsion  à  cet  art.  Quant  au  goût  pour  la  peinture,  il  paraît  avoir 
été  répandu  jadis  à  Bàle  ;  l'usage  y  avait  introduit  les  peintures  à  fresque  pour  les 
façades  et  l'intérieur  des  maisons,  ^neas  Sylvius  en  parle  dans  sa  description  de 


LA   SI)I8SB   PITTORESQUE.  295 


Bàle,  écrite  en  4438.  C'est  en  4&39  que  doit  avoir  été  peinte  la  célèbre  Danse  des 
Morts.  Bàle  comptait  déjà  à  cette  époque  un  grand  nombre  de  peintres  ;  le  nom  le 
plus  célèbre  est  celui  des  Holbein,  Jean  Holbein,  le  père,  fut  appelé  d'Âugsbourg  à 
Bàle  pour  peindre  l'hôtel-de-ville  ;  ses  deux  fils,  Âmbroise  et  Jean,  cultivèrent  le 
même  art;  le  plus  remarquable  Tut  Jean,  né  à  Bàle  en  4498,  et  qui  devint  bourgeois 
en  1520;  on  a  conservé  encore  quelques-unes  de  ses  œuvres  à  la  Bibliothèque  et  à 
rhôteUde-ville.  Cependant,  le  goût  pour  les  arts  paraissant  s*étre  refroidi  à  Bàle,  il 
partit  pour  l'Angleterre  avec  une  recommandation  d'Erasme.  Parmi  les  artistes 
distingués  des  siècles  suivants,  nous  nommerons  R,  Werenfels,  G.  Brandmûller, 
J,-R.  Huber,  peintres  de  portraits;  Mirell,  mort  en  4834,  peintre  de  paysages; 
M.  Merian,  Chr.  de  Mecliel,  graveurs  ;  /.  Michel,  sculpteur  ;  c'est  ce  dernier  qui  a 
érigé  en  4580,  dans  la  cour  de  l'hdtel-de-ville,  la  statue  de  Munatius  Plancus. 
—  Enfin,  l'architecture  florissait  à  Bàle  dans  un  temps  où  les  sciences  étaient  encore 
dans  l'enfance.  Un  grand  nombre  d'architectes  y  travaillèrent  dans  le  style  byzantin, 
plus  tard  dans  le  style  gothique,  puis  dans  le  style  florentin.  Après  la  Réformation, 
on  donna  la  préférence  à  un  style  plus  simple  et  plus  austère,  et  l'on  se  plut  à 
décorer  les  maisons  de  sentences  et  de  représentations  bibliques.  Â  la  fin  du  48'' siècle, 
l'aisance  générale  fit  rechercher  plus  de  luxe  dans  les  constructions.  Plusieurs  beaux 
édifices  de  ce  temps  sont  dus  à  l'architecte  Bûchel. 

Moeurs,  Coutumes,  Caractère.  —  Les  Bàlois  sont  laborieux  et  probes  ;  ils  ont 
un  goût  prononcé  pour  les  spéculations  et  le  commerce,  et,  en  général,  ils  s'occu- 
pent plus  de  leurs  affaires  d'intérêt  que  des  plaisirs  de  la  vie.  Un  grand  nombre 
d'entre  eux  ont  acquis,  par  leur  activité  et  leur  esprit  d'ordre,  une  fortune  considé- 
rable, mais  ils  ne  cessent  point  pour  cela  de  suivre  le  train  de  leurs  affaires.  Les 
habitants  de  Bàle  mènent  en  général  une  vie  assez  retirée  et  sortent  peu  de  leurs 
familles  ;  ils  font  peu  de  dépenses  de  luxe  et  ne  donnent  pas  autant  de  fêtes  que  le 
ferait  supposer  leur  opulence  ;  ceux  qui  appartiennent  à  la  secte  qu'on  appelle  les 
piétistes  vivent  surtout  avec  une  grande  simplicité.  Ce  n'est  cependant  pas  à  une 
insociabilité  naturelle  qu'il  faut  attribuer  le  peu  de  goût  des  Bàlois  pour  les  plaisirs, 
mais  à  leur  esprit  d'assiduité  aux  affaires.  D'ailleurs,  toutes  les  fois  que  des  sociétés 
fédérales  se  sont  réunies  dans  leurs  murs,  les  Bàlois  se  sont  piqués  de  faire  à  leurs 
confédérés  l'accueil  le  plus  cordial  et  le  plus  distingué.  Il  serait  injuste  aussi  de  les 
accuser  d'avarice,  car  la  générosité  et  la  bienfaisance  des  Bàlois  sont  bien  connues, 
et  forment  un  autre  trait  de  leur  caractère.  Il  est  peu  de  villes  où  l'on  ait  créé 
autant  d'établissements  charitables  de  tout  genre.  Quelques  voyageurs,  habitués  à 
Taspect  animé  et  bruyant  qu'offrent  les  villes  françaises,  ont  exprimé  leur  surprise 
de  la  tranquillité  et  de  la  tristesse  qui  régnent  à  Bàle,  mais  ils  rendent  toute  justice 
à  l'exquise  propreté  de  ses  rues  et  de  ses  maisons. 

La  pompe  qui  accompagna  le  Concile  tenu  dans  ses  murs  au  45''  siècle,  avait  eu 
pour  conséquence  le  relâchement  des  mœurs,  mais  la  Réformation  avait  ramené 
plus  de  simplicité  et  d'austérité.  Cependant,  avec  l'accroissement  des  richesses,  le 
luxe  avait  fini  par  faire  de  grands  progrès,  et  les  dames  bàloises,  dont  on  vantait  la 
beauté  et  la  grâce,  se  foisaient  remarquer  par  l'élégance  de  leur  toilette.  Aussi,  au 
siècle  dernier,  les  magistrats  firent-ils  des  ordonnances  somptuaires  d'une  grande 
sévérité.  11  fut  défendu  d'être  vêtu  entièrement  de  soie  ;  le  dimanche,  tout  le  monde 


294  LA  SUISSE  piTTORRsgre. 


devait  élre  habillé  de  noir  pour  aller  à  Téglise  ;  aucun  habitant  ne  pouvait  faire 
monter  des  laquais  derrière  sa  voiture  dans  l'intérieur  de  la  ville,  ni  avoir  une  livrée. 
En  1777,  il  était  encore  interdit  de  circuler  en  voiture  dans  la  ville  après  40  heures 
du  soir,  et  personne  ne  pouvait  y  atteler  quatre  chevaux,  à  moins  qu'il  ne  prouvât 
qu'il  allait  à  plus  de  trois  lieues  de  distance. 

Balb.  —  La  ville  de  B&le,  peuplée  de  27,3<3  ftmes  en  18S0,  est  partagée  par  le 
Hhin  en  deux  quartiei's,  que  réunit  un  pont  de  bois,  long  de  630  pieds.  Le  grand 
Bàle,  situé  sur  la  rive  gauche,  est  bftti  sur  deux  collines  que  sépare  la  petite  rivièrr 
du  Birsig  ;  il  comprend  le  quartier  ancien  ou  la  ville  proprement  dite,  dont  les  rues 
sont  étroites  et  tortueuses,  et  six  faubourgs  enfermés  dans  ses  murs,  et  ayant  des 
rues  larges  et  bien  bâties.  Le  petit  Bàle,  sur  la  rive  droite,  est  construit  en  plaine 
et  a  des  rues  droites,  mais  pas  d'édifices  remarquables.  Bàle  oontienl  six  places 
publiques.  La  ville  s'est  beaucoup  emliellie  depuis  une  trentaine  d'années,  en  com- 
blant les  fossés  intérieurs  de  son  enceinte,  qui  furent  convertis  en  jardins  et  en  bou- 
levards. L'enceinte  ne  consiste  plus  maintenant  qu'en  un  large  fossé.  Un  grand 
nombre  de  maisons  ont  de  vastes  cours  ou  jardins  assez  joliment  arrangés. 

Edifices  el  monmnentH  Jii'ers,  L'édifice  le  plus  remarquable  de  Bàle  est  la  Cathé- 
drale, qui  fut  b&tie  au  commencement  du  li""  siècle  dans  le  style  byzantin.  Lt* 
tremblement  de  terre  de  1356  la  détruisit  en  majeure  partie,  et  elle  fut  reconstruite 
en  style  gothique.  Elle  est  en  grès  rougeâtre,  tiré  des  carrières  de  Rielien.  La  porte 
dite  de  Saint-Gall  appartient  à  la  construction  primitive  et  fut  peut-être  le  grand 
|M)rtail  ;  elle  est  ornée  de  belles  sculptures  byzantines.  L'élise  souterraine,  ou  cryfUe, 
placée  sous  le  chœur,  et  la  nef  presque  entière,  datent  aussi  de  la  première  époque, 
ainsi  que  divers  détails  d'architecture.  Le  frontispice,  où  se  trouvent  le  grand  por- 
tail et  deux  portes  latérales,  est  du  Ik'  siècle  et  richement  orné:  on  y  voit  les  statues 
équestres  de  saint  Georges  avec  le  dragon ,  et  de  saint  Martin ,  celle  de  la  sainte 
Vierge,  et,  à  ce  qu'on  suppose,  celle  de  Henri  II,  fondateur  de  l'édifice.  Le  fron- 
tispice est  surmonté  de  deux  tours,  portant  les  noms  de  saint  Geoi^es  et  de  saint 
Martin  ;  la  première,  haute  de  20S  pieds,  date  de  la  réédification  après  le  tremble- 
ment de  terre;  la  seconde,  qui  est  un  peu  moins  élevée,  fut  terminée  en  4500.  Elles 
sont  élancées  en  forme  d'obélisque,  et  ont  les  belles  proportions  de  la  meilleure 
époque  du  style  gothique.  On  y  trouve  huit  cloches,  dont  la  plus  grosse  est  de  405 
quintaux.  Divers  ornements  intérieurs  ont  été  supprimés  à  l'époque  de  la  Réfor- 
raalion,  et  l'intérieur  a  été  modifié  à  diverses  époques  des  47*  et  48*  siècles;  un  jubé 
gothique,  qui  séparait  la  nef  du  chœur,  a  été  abattu  récemment  ^  La  nef  a  de  chaque 
côté  deux  rangs  de  chapelles  latérales,  qui,  avec  le  chœur,  contenaient  autrefois  un 
grand  nombre  d'autels.  Les  bâtiments  contigus  contiennent  les  sacristies,  une  salle 
de  prière,  de  spacieux  cloîtres  ou  corridors  (Krenzgdnge),  et  le  palais  de  l'évéque. 
On  remarque  dans  l'intérieur  ;  la  chaire,  datant  de  4&86,  et  taillée  d'un  seul  bloc  de 
pierre,  beau  morceau  de  sculpture  en  style  gothique;  le  baptistère,  qui  est  du  même 
siècle;  l'orgue,  placé  en  4&0ft  et  jadis  orné  de  peintures  par  Holbein  (il  doit  être 
remplacé)  ;  les  96  stalles  du  chœur,  décorées  de  sculptures  fantastiques  ;  le  beau 
fauteuil  où  s'asseyent  les  premiers  magistrats,  et  datant  de  4598.  Du  chœur  on 

1.  CpMc  annëe  encore  ''1R55)  on  termine  A  la  catliédrale  divers  traTaox  de  retlaDraUon. 


LA   SUISSE   PlTTORESQt'E.  29S 


descend  par  un  escalier  dans  la  Salle  du  Concile,  où  se  réunissait  Tune  des  cinq  con- 
grégations de  cette  assemblée  ;  les  réunions  générales  avaient  toujours  lieu  dans 
réglise  même.  Cette  salle  est  encore  dans  l'état  où  elle  se  trouvait  il  y  a  ftOO  ans. 
Un  caveau  particulier  contenait  le  riche  trésor  de  l'église,  qui,  depuis  1529,  était 
resté  un  objet  de  litige  entre  la  ville  et  le  chapitre  de  la  cathédrale,  et  a  été  partagé 
on  1834  entre  la  Ville  et  la  Campagne.  On  y  voyait  la  table  d'autel  en  or,  donnée 
par  Henri  II,  plusieurs  beaux  ostensoirs  en  argent,  des  calices,  des  patènes,  et  de 
nombreuses  reliques.  Les  deux  tiers  de  ces  objets  ont  été  attribués  à  Bàle-Campagne 
et  ont  été  dès-lors  vendus  et  dispersés.  Le  cloître,  qui  fut  construit  en  136S,  1400 
et  1487,  est  un  bâtiment  remarquable:  il  sert  de  communication  entre  l'église  et  le 
|)alais  de  l'évèque;  on  y  voit,  ainsi  que  dans  l'église,  dans  les  chapelles  et  dans  la 
(rypte,  les  inscriptions  tumulaires  d'un  grand  nombre  de  personnes  distinguées,  entre 
autres  celle  de  l'impératrice  Anna,  épouse  de  Rodolphe  de  Habsbourg,  et  celles  de 
ses  fils  Hartmann  et  Charles;  celle  d'Erasme;  celles  des  réformateurs  de  Bàle, 
J.  Meier,  bourgmestre,  OEcolampade  et  S.  Grynœus;  celles  d'un  grand  nombre 
d'évêques,  d'antistès,  de  gentilshommes  et  de  savants.  Les  couloirs  du  cloître  s'éten- 
dent jusqu'à  la  plate-forme  ou  terrasse  de  la  cathédrale.  Cette  terrasse  porte  le  nom 
de  Pfalz,  palatium,  à  cause  de  l'ancien  château  impérial,  sur  l'emplacement  duquel 
elle  se  trouve;  elle  est  ombragée  de  beaux  marronniers  et  élevée  de  7S  pieds  au-dessus 
du  Rhin  ;  elle  offre  une  belle  vue  sur  le  cours  du  fleuve  et  sur  les  hauteurs  de  la 
Forêt-Noire  et  des  Vosges. 

Les  autres  églises  sont  les  suivantes  :  Celle  de  Saini- Martin,  bâtie  du  temps  de 
Clovis,  et  qu'on  croit  être  la  plus  ancienne  de  Bàle;  elle  fut  restaurée  en  1287, 
13S7  et  18S1  :  c'est  là  qu'OEcolampade  introduisit  en  premier  lieu  le  chant  des 
Psaumes  en  allemand,  baptisa  en  langue  allemande,  et  donna  la  Sainte-Cène  sous 
les  deux  espèces.  L'église  de  Saint-Alban,  restaurée  après  1417,  est,  avec  la  précé- 
dente, une  filiale  de  la  cathédrale.  Â  cette  église  est  attenant  le  couvent  de  Saint- 
Alban,  le  plus  ancien.de  Bâle;  ce  couvent  est  maintenant  une  propriété  particulière  ; 
on  y  voit  encore  quelques  restes  des  arcades  byzantines.  L'église  de  Saint-Pierre  est 
très-ancienne;  elle  est  d'un  style  très-simple,  et  fut  restaurée  dans  la  forme  actuelle 
au  quatorzième  siècle  ;  son  orgue  passe  pour  le  meilleur  de  la  ville  ;  elle  renferme  les 
tombes  d'un  grand  nombre  d'hommes  distingués,  des  Zwinger,  des  Bernouilli,  etc. 
L'église  des  Prédicateurs  (Predigerkirche)  appartenait  à  un  couvent  de  dominicains, 
dans  le  cimetière  duquel  on  voyait  peinte  sur  les  murs  la  fameuse  Danse  des  Aforts, 
qui  a  existé  jusqu'en  1805;  ces  peintures,  qui  dataient  de  1439,  furent  faites  en 
souvenir  de  la  peste  ;  on  les  a  faussement  attribuées  à  Ilolbein.  L'église  a  été  cédée 
à  la  communauté  française  en  1614.  Le  chœur  sert  de  magasin  à  sel.  L'église  de 
Saint' Léofiard,  la  plus  belle  de  Bâle,  fut  bâtie  probablement  peu  avant  la  Réforma- 
tion; le  cloître  attenant  est  converti  en  prison.  VégWs/o  de  Suint-Théodore,  église 
paroissiale  du  petit  Bâle,  date  du  11*'  siècle;  elle  a  une  sonnerie  harmonieuse;  l'an- 
cienne Chartreuse,  qui  en  était  voisine,  est  maintenant  la  maison  des  orphelins. 
Plusieurs  cardinaux  et  évêques  morts  de  la  peste  au  temps  du  Concile  y  furent 
enterrés.  L'ancien  couvent  de  Klingenthal  a  été  converti  en  caserne,  en  magasins  et 
maisons  de  travail  pour  les  pauvres.  C'est  dans  ses  corridors  qu'on  voit  une  Danse 
des  Morts  copiée  diaprés  celle  mentionnée  ci-dessus. 


296  LA   SU1S6B   PITTORESQUE. 


LHAlel-de-rille  (maison  du  Conseil,  Ralhkaiu),  sur  la  place  du  Mardié,  vers  le 
centre  de  la  ville,  a  été  bftti  de  1508  à  1527;  son  arcbiteclure  trahit  le  passage  du 
style  gothique  au  style  moderne  (style  hourguignon).  lia  façade  est  ornée  d'une 
inscription  en  bronze  rappelant  la  grande  inondation  du  Birsig  en  1529.  Dans  la 
cour  est  la  statue  de  Munatius  Plancus,  fondateur  d'Âugst.  Les  murs  e^ctérieurs  et  les 
corridors  sont  couverts  de  peintures  à  fresque  qui  datent  de  1609.  Dans  la  salle  da 
Grand  Conseil  se  trouvaient  jadis  des  peintures  de  Holbein,  mais  elles  n'existent  plus 
depuis  longtemps.  L'ancienne  salle  du  Conseil  secret  est  remarquable  par  ses  belles 
sculptures.  Dans  plusieurs  chambres  on  voit  de  très-beaux  vitraux  peints.  —  L*Ar- 
mMl,  bâti  en  1438,  contient  un  certain  nombre  d'armures  antiques,  entre  autres 
la  cotte  de  mailles  que  portait  Charles-le-Téméraire  à  la  bataille  de  Nancy.  —  La 
Poste  a  été  bâtie  à  la  fin  du  dernier  siècle  ;  c'est  dans  une  de  ses  salles  que  s'assembla 
la  Diète  en  1806  et  1812,  et  que  siège  maintenant  le  Grand  Conseil  de  ville.  La 
plus  remarquable  des  sept  portes  de  Bâle  est  la  porte  de  Spahlen  (Spahlenthor),  qui 
doit  dater  du  1 4*  siècle,  et  se  compose  d'une  tour  carrée  avec  un  sommet  en  pointe, 
et  flanquée  de  deux  tours  rondes.  —  Le  Casino,  destiné  aux  concerts  et  aux  bals,  et 
terminé  en  1824;  le  Casino  d^été;  le  Théâtre,  achevé  en  1832,  ont  été  construits 
au  moyen  de  souscriptions  particulières,  et  sont  d'une  bonne  architecture.  Les  fon* 
taines  qui  méritent  l'attention  sont  la  fontaine  gothique  du  Marché  aux  Poissons, 
du  commencement  du  16''  siècle;  celle  du  joueur  de  cornemuse,  construite  d'après 
le  dessin  d'Albert  Durer,  et  la  nouvelle  fontaine  de  THâpital.  Nommons  encore,  pour 
l'intérêt  historique  qui  s'y  rattache,  la  statue  de  l'empereur  Rodolidie  de  Habsbour]g, 
dans  la  cour  du  Seidenhof  (Hàlel  des  soies),  où  il  descendit  après  son  entrée  solen- 
nelle (c'était  la  demeure  d'un  bourgmestre  du  temps)  ;  la  maison  où  se  tint,  en 
1436,  le  conclave  qui  élut  le  pape  Félix  V;  celle  qu'habita  Erasme;  l'ancienne 
maison  Ochs,  où  fut  conclue,  en  1795,  la  paix  entre  la  Prusse  et  la  France;  la 
maison  de  campagne  Hiss,  près  la  porte  Saint-Jean,  où  la  duchesse  d'Angoulème  fut 
échangée  contre  des  membres  de  la  Convention.  —  Les  plus  beaux  jardins  de  BâJe 
sont  le  jardin  Vischer,  près  la  cathédrale,  avec  une  magnifique  vue  sur  le  Rhin  ;  le 
jardin  Forcard,  près  du  fossé  Saint-Âlban,  et  le  Jardin  botanique,  établi  depuis  1840 
hors  de  la  porte  Eschem  (Eschemer-Thor). 

Etablissements  et  Sociétés  scientifiques,  littéraires,  etc.  Nous  avons  déjà  parlé  de 
l'Université  et  de  l'Institut  des  missions.  Dans  la  rue  qui  conduit  de  la  cathédrale 
au  pont  du  Rhin  se  trouve  le  Nouveau  Musée;  c'est  un  grandiose  édifice,  où  sont 
réunies  toutes  les  principales  collections  de  la  ville.  Dans  une  des  ailes  est  placée  la 
Bibliothèque  publique,  qui  possède  près  de  60,000  volumes  et  environ  4,000  ma- 
nuscrits. Elle  est  assez  complète  en  littérature  ancienne,  et  l'on  y  voit  beaucoup 
d'éditions  rares.  Au  nombre  des  manuscrits  on  remarque  plusieurs  classiques,  un 
Evangile  auquel  on  donne  900  ans  d'antiquité,  un  manuscrit  remarquable  de  Gré- 
goire de  Naziance,  en  grec,  sur  un  tissu  de  coton  ;  onze  volumes  d'actes  du  Concile: 
une  grande  collection  d'autographes  des  premiers  réformateurs  et  des  principaux 
savants  des  IS*,  16"  et  l?*"  siècles;  une  copie  de  V Eloge  de  la  folie,  d'Erasme,  dont 
les  marges  sont  couvertes  de  dessins  à  la  plume  de  Holbein.  —  Le  même  édifice  con- 
tient le  Musée  de  peinture,  qui  possède  un  grand  nombre  de  beaux  ouvrages  de  l'an- 
cienne école  allemande,  de  Durer,  de  Kranach,  de  Manuel,  de  Schaufelin,  et  surtout 


LA  suisse  nrroKtsQUË.  !297 


de  Bo€;)c  et  des  Holbein.  On  regarde  comme  l'œuvre  la  pins  remarquable  la  célèbre 
Passiaih  en  huit  sujets,  de  Uolbein  le  jeune,  pour  laquelle  Télecteur  Maximilien  de 
Bavière  offrit  30,000  florins  en  1641.  On  cite  aussi  un  Christ  mort;  le  portrait  de 
la  femme  et  des  enfants  de  l'auteur  ;  une  Vénus  ;  une  Laïs  de  Ck)rinthe,  etc.  Dans 
d'autres  salles  on  trouve  la  collection  archéologique,  qui  se  compose  principalement  de 
monnaies  et  d'autres  antiquités  trouvées  dans  les  ruines  d'Augst  ;  le  Musée  dlmioire 
natarelle,  fondé  en  1821,  et  comprenant  des  collections  de  physique,  de  zoologie, 
d  anatomie,  de  minéralogie,  etc.  Au  Jardin  botanique,  qui  fut  fondé  en  1692,  est 
aUachée  une  riche  bibliothèque  de  botanique  avec  de  nombreux  herbiers. 

De  nombreuses  Sociétés  pour  l'avancement  des  sciences,  des  lettres  et  des  arts, 
existent  à  Bàle:  Une  Société  académique,  fondée  en  183S  pour  soutenir  les  établis- 
sements d'instruction  plus  ou  moins  compromis  par  le  partage  des  fonds  universi- 
laires  en  1833;  une  Société  des  prédicateurs;  une  Société  de  lecture  théologique  ; 
une  Société  de  droit,  fondée  en  1835  ;  une  Société  d'histoire,  fondée  en  1836  ;  une 
Société  d'histoire  naturelle,  qui  date  de  1817,  et  qui  a  succédé  à  la  Société  de  phy- 
sique et  de  médecine,  qui  existait  depuis  1748  ;  elle  est  en  relation  avec  la  Société 
des  naturalistes  suisses  ;  une  Société  de  médecine,  reconstituée  en  1838;  une  Société 
militaire,  fondée  en  1821,  et  qui  réunit  des  officiers  et  sous-ofGciers  de  toutes  armes 
|)our  entendre  des  mémoires  sur  quelques  parties  des  sciences  militaires;  elle  possède 
une  bibliothèque  spéciale  d'environ  2000  volumes  ;  une  Société  d'économie  rurale  ; 
une  Société  des  artistes  (Kunst-Verein),  fondée  en  1839,  et  qui  en  1840  comptait 
déjà  270  membres  ;  elle  organise  des  expositions  fréquentes  de  peinture,  et  se  met 
en  rapport,  dans  le  même  but,  avec  des  sociétés  semblables  existant  à  Berne  et  à 
Zurich;  diverses  Sociétés  de  musique  et  de  chant;  une  Société  de  lecture,  qui  s'abonne 
à  un  grand  nombre  de  journaux  et  achète  beaucoup  d'ouvrages  nouveaux  ;  elle 
compte  près  de  700  membres  et  possède  près  de  30,000  volumes  ;  le  bâtiment 
qu'elle  occupe  est  situé  en  face  de  la  cathédrale,  et  lui  appartient  ;  les  étrangers  y 
sont  très-facilement  introduits.  Il  y  a  aussi  un  établissement  de  lecture  du  dimanche, 
destiné  principalement  à  la  classe  ouvrière. 

Fondations  pieuses  et  Sociétés  de  charité  ou  d'utilité  publique.  —  Il  existe  à  Bâle  un 
liôpilal,  dont  les  fonds  proviennent  en  partie  des  couvents  supprimés;  un  asile  pour 
les  personnes  âgées  et  infirmes  dos  deux  sexes;  une  maison  d'aliénés;  un  institut 
des  sourds-muets,  établi  à  Riehen  ;  un  hospice  pour  les  voyageurs  pauvres  ;  une 
i^msc  générale  d'auinànes  (dus  grosse  Âlmosen),  fondée  aussi  avec  des  biens  d'anciens 
couvents  ;  une  maison  d'orphelins,  fondée  en  1669  ;  une  fondation  pour  les  étudiants 
\)à\xyve&  (Collegium  alumnorum);  la  caisse  des  pauvres  des  paroisses  de  la  ville, 
formée  du  produit  des  troncs  d'église  ;  plusieurs  caisses  d'épargne  ;  des  caisses  de 
prévoyance  pour  les  veuves  et  les  orphelins  ;  des  caisses  pour  les  veuves  et  orphelins 
de  pasteurs  et  de  régents  ;  une  école  d'économie  rurale  pour  les  enfants  pauvres, 
créée  sur  le  modèle  de  l'école  de  Fellenberg  ;  plusieurs  sociétés  mutuelles  de  secours 
pour  les  malades  ;  une  société  de  secours  pour  les  heimathloses  (ceux-ci  étaient  en 
i8S0  au  nombre  de  200  dans  le  canton,  la  plupart  dans  Bâle-Ville).  Nommons 
surtout  la  Société  d'utilité  publique,  fondée  en  1777  par  Isaac  Iselin,  et  qui  compte 
cinq  à  six  cents  membres;  elle  a  créé  diverses  institutions  utiles,  entre  autres  des 
caisses  d'épargne,  un  comité  des  malades,  un  établissement  de  travail  {lour  les 

II.  19  o8 


298 


LA    SnSSB   PITTOUKSQl'K. 


pauvres,  une  éeole  de  dessin,  des  écoles  de  g\'mnastique  et  de  natation,  et  donw 
une  heureuse  impulsion  à  Tamélioration  des  écoles  et  des  prisons.  Mentionnoib 
enfin  la  Société  biblique,  fondée  en  1804  sur  le  modèle  de  celle  d'Angleterre,  et 
dont  le  but  est  de  répandre  des  traductions  de  la  Bible  dans  divers  pays  d'Europe. 
On  a  estimé  à  100,000  le  nombre  des  exemplaires  qu'elle  a  distribués  dans  Tespaee 
de  20  ans  (4814-4853);  la  Société  des  traités,  qui  fait  imprimer  et  répandre  des 
ouvrages  d'édification  ;  et  la  Société  des  missions,  créée  en  4846,  et  qui  a  pour  bul 
de  former  des  missionnaires  évangéliques  et  de  les  envoyer  dans  les  régions  loin- 
taines ;  elle  est  en  relation  avec  de  nombreuses  sociétés  semblables  d'Allemagne  el 
de  Suisse,  et  reçoit  des  sommes  importantes,  qui  proviennent  en  grande  partie  de 
l'étranger  ;  elle  a  de  fréquentes  assemblées,  el  a  fondé  un  institut  spécial  destiné  à 
l'instruction  de  jeunes  missionnaires,  lequel  compte  environ  40  élèves. 

Promenades^  —  Nous  avons  déjà  parlé  de  la  Pfalz,  ou  terrasse  de  la  cathédrale. 
Le  pont  du  Rhin  est  fréquenté  par  les  promeneurs  dans  les  soirées  d'été,  soit  à  cause 
de  la  fraîcheur  de  l'air,  soit  pour  la  vue  dont  on  y  jouit  :  ce  pont  est  en  bois  et  trcs- 


Le  |>out  (lu  Kliin,  à  Hâlc. 

ancien.  On  appelle  Dame  des  Morls  une  promenade  plantée  d'arbres  établie  sur 
l'emplacement  d'un  ancien  cimetière,  sur  les  murs  duquel  on  avait  représenté  une 
Danse  des  Morts.  La  place  de  Saint-Pierre,  plantée  d'arbres  depuis  4277,  a  été  sou 
vent  le  théâtre  de  jeux  el  d'exercices  gymnasliques;  c'est  là  qu'une  fêle  fut  donnée 
à  l'empereur  Sigismond  en  4  473,  et  qu'un  banquet  lui  fut  ofTerl  à  l'ombre  d'un 


1.  Nou§  ne  pensons  pas  qu'on  trouve  singulier  que  nous  placions  les  cimelières  au  nombre 
des  promenades.  A  Conslanlinople,  les  principales  et  presque  les  seules  promenades,  ne  sool-cp 
pas  ses  ciuieticres?  Seulement  on  n'a  pas  imaginé  de  les  entourer  de  murs,  comme  on  le  M 
dans  beaucoup  d'autres  pays 


IK   SUISSE    PITTORESQUE.  299 


tilleul.  Du  Rempart  du  Rhin  (Rhein-Schanze)  ron  a  une  belle  vue  sur  la  ville  et  sur 
la  rive  droite  du  fleuve.  Des  cinq  cimetières,  celui  de  la  petite  ville  est  le  mieux 
disposé,  mais  celui  de  Sainte-Elisabeth  contient  les  plus  beaux  monuments.  —  Sur 
la  rive  droite  du  Rhin,  le  Hôrnli,  à  la  frontière  badoise,  et  la  colline  de  SaiiUe-Chri- 
schona,  près  de  Riehen,  offrent  des  points  de  vue  intéressants.  Les  environs  de  Riehen 
sont  embellis  d'une  quantité  de  maisons  de  campagne.  Sur  les  bords  de  la  Wiese, 
non  loin  de  son  embouchure,  on  trouve  de  jolis  bosquets  ;  on  peut  visiter  plus  au 
nord  la  vallée  de  la  Wiese,  connue  par  les  poésies  de  Hébel  ;  on  y  voit  les  ruines 
(lu  château  de  Rôtelen,  détruit  en  1678.  A  quelques  lieues  vers  le  nord  est  le  bourg 
de  Bademoeiler,  lieu  fréquenté  pour  sa  belle  positron  et  son  excellent  établissement 
de  bains  chauds;  on  y  a  découvert  en  1784  des  bains  romains,  qui  sont  au  nombre 
des  plus  beaux  qui  existent  au  nord  des  Alpes  ;  on  peut  s'y  rendre  ou  par  les  bateaux 
à  vapeur  ou  par  le  chemin  de  fer  badois,  dont  le  prolongement  sur  le  sol  bàlois  a 
été  récemment  terminé.  Plus  à  Test  est  Todimoos,  lieu  de  pèlerinage  en  vogue,  et 
le  célèbre  monastère  de  Saint-Blaise.  Sur  la  rive  gauche,  à  quelques  minutes  de  la 
ville,  au  lieu  même  où  les  héros  de  Saint-Jacques  ont  été  ensevelis,  on  a  élevé,  en 
1824,  un  monument  destiné  à  rappeler  leur  mémoire.  Le  hameau  de  Saint- Jacques 
est  à  quelque  distance.  Une  plaque  de  marbre,  incrustée  dans  le  mur  de  l'église  en 
1844,  à  l'époque  du  jubilé  de  la  bataille  et  du  tir  fédéral,  porte  l'inscription  suivante 
en  allemand  :  Nos  dnies  à  Dieu,  nos  corps  atkc  ennemis.  Ici  moururefitj  le  26  août 
4  m,  dam  le  combal  contre  la  France  et  l'Autriche,  non  vaimiui,  nms  las  de  vaincre, 
4300  confédérés  et  alliés.  Plusieurs  points  des  environs  sont  remarquables  i)our  les 
vues  lointaines  qu'ils  présentent  aux  regards.  Telle  est  la  hauteur  de  Sainte-Mar- 
guerite, où  Rodolphe  de  Habsbourg  s'était  posté  pour  faire  le  siège  de  Bàle.  De  là, 
des  sentiers  conduisent  à  la  colline  du  Bois  des  Frères  [Braderholz),  qui  offre  un 
beau  panorama  sur  les  alentours  de  Bàle.  C'est  là  qu'en  1499,  dans  la  guerre  de 
Souabe,  un  petit  corps  de  confédérés  battit  une  division  de  l'armée  allemande  qui 
voulait  pénétrer  en  Suisse.  Le  village  français  de  Saint-Louis  a  possédé  pendant  près 
de  vingt  ans  l'embarcadère  du  chemin  de  fer  de  Strasbourg.  Cette  voie  se  prolonge 
maintenant  jusque  dans  l'intérieur  des  remparts  de  Bàle. 

ExccRSiONS  DANS  Bale-Campagne,  Liestal.  —  Les  jolies  plantations  de  la  vallée  du 
Birsig  la  font  ressembler  à  un  parc;  en  continuant  à  remonter  cette  rivière,  on 
arrive  dans  la  vallée  alsacienne  du  Leimenthal,  où  s'élèvent  les  ruines  du  château 
de  Landskrone,  remarquable  par  sa  belle  vue.  Elles  ne  sont  pas  très-éloignées  du 
couvent  soleurois  de  Mariastein,  lieu  de  pèlerinage  fréquenté.  —  En  remontant  le 
cours  de  la  Birse,  on  arrive  au  bourg  d'Arlesheim,  situé  dans  une  contrée  délicieuse  ; 
les  coUines  voisines  sont  couronnées  de  plusieurs  vieux  châteaux  ;  celui  de  Birseck 
est  au  débouché  d'un  étroit  vallon  et  au  milieu  d'un  magnifique  parc;  les  ruines 
mousseuses  du  manoir  d'Angenstein  sont  remarquables  par  leur  site  sauvage  et 
romantique,  et  celles  de  Pfeffingen  par  leur  point  de  vue.  Dans  le  voisinage  se  trouve 
aussi  une  chute  de  la  Birse,  ainsi  que  le  village  soleurois  de  Dôrnach,  où  6000 
Suisses  vainquirent  1S,000  Autrichiens,  le  22  juillet  1499.  D'Arlesheim  on  peut 
monter  sur  le  sommet  de  la  Gempenfluh  (1570  pieds),  d'où  l'on  découvre  toute  la 
ligne  des  Vosges  et  de  la  Forêt-Noire,  et  une  grande  partie  de  la  chaîne  du  Jura. 
Non  loin  de  là,  l'on  peut  visiter  les  bains  de  Schauenbourg,  dans  une  conlrée  soli- 


30(1  L%    SUSSE    PITT<«ESVIR. 


taire,  el  les  ruines  du  clùleiiu  de  ce  nom,  dêlniit  par  le  Iremblemenl  de  t^re  de 
1356.  —  La  route  de  Bàle  à  Uestal  traverse  b  forêt  de  la  Hard,  où  se  livra,  le  3 
août  1833,  un  sanglant  combat  qui  fut  fatal  pour  b  ville.  Elle  laisse  sur  la  droite 
le  village  de  Pratlein,  situé  S4ir  une  colline  au  milieu  d'un  massif  d'arbres  fruitiers. 
Elle  passe  ensuite  près  de  la  Maisi>n  rouge  (  A<4AA«in<k  ancienne  maison  de  campagne 
où  le  comte  d'Artois  et  d'autres  émigrés  trouvèrent  un  asile  lors  de  la  première 
rév4»lution.  Tout  pK^  de  là  sont  les  abondantes  salines  de  la  Schweizerhalle  el  leur 
établissement  de  bains.  Sur  la  gauclie  se  sépare  la  route  de  Zurich,  qui  passe  près 
du  village  d'Augst  et  de  ses  ruines  romaines. 

UeMal,  dans  la  vallée  de  TErgdlz  et  au  milieu  d*une  contrée  fertile,  est  le  siège  du 
gouvernement  de  K^le-Campagne.  II  compte  303i  habitants,  et  possède  un  arsenal,  un 
liopital,  une  bibliothèque,  une  fabrique  de  machines,  deu\  ou  trois  filatures  de  coton  ; 
la  fabrication  des  rubans  est  répandue  dans  la  vallée  de  TErgolz,  ainsi  que  dans  les 
vallées  voisines.  On  conserve  à  rhôtelnle-ville  la  coupe  dont  Charles-le-Téméraire 
faisait  usage  avant  la  bataille  de  Nancy.  G?  fut  Liestal  qui,  en  1798,  donna  aux 
contrées  d*alentour  Texemple  de  Tinsurrection  :  c'est  là  que,  le  h  janvier  1831 ,  se 
tint  une  assemblée  populaire  à  la  suite  de  laquelle  on  établit  un  gouvernement  pro- 
visoire (voyez  ci-dessus).  A  Liestal  on  est  à  portée  pour  visiter  les  diverses  vallées  qui 
débouchent  dans  celle  de  TErgolz:  i  demi-lieue  vers  le  sud  s'ouvre  un  vallon  qui  con- 
duit par  Bubendorf  et  le  château  de  Wildenstein  à  Reigoldswyl,  lieu  Irès-fréquenté 
dans  I  été  à  cause  de  sa  charmante  position.  De  là  on  peut  se  diriger  vers  Brezwyl  et 
le  château  de  Ramstein,  et  visiter  la  pittoresque  vallée  de  Beinwyl,  sur  le  territoire 
soleurois,  ainsi  que  le  col  du  Passzwang,  d*où  Ton  aperçoit  au  loin  les  Alpes  et  Tin- 
térieur  de  la  Suisse.  En  suivant  la  route  de  Liestal  à  Soleure  on  passe  près  des  bains 
d'Oberdorf  et  arrive  à  la  petite  ville  de  Waldenbourg,  entourée  de  précipices  el 
située  au  pied  du  Hauenstein  supérieur.  Le  château  dont  on  voit  les  ruines  sur  la 
liauteur  était  autrefois  la  résidence  des  baillis,  et  fut  détruit  en  1798.  Il  y  a  encore 
une  heure  de  montée  douce  pour  atteindre  le  village  de  Langenbruck,  placé  sur  le 
col,  à  2250  pieds.  Ce  village,  qui  est  le  plus  élevé  du  canton,  est  situé  au  milieu 
de  riches  pâturages  parsemés  de  nombreuses  métairies,  et  offre  un  séjour  d'été  que 
les  Bàlois  aflectionnent  beaucoup.  On  peut  de  là  visiter  le  Schônihal  (Belle- Vallée), 
où  sont  les  ruines  d'un  couvent,  faire  l'ascension  du  Bôlchen,  dont  la  vue  est  très- 
étendue,  et  redescendre  au\  bains  d'Eptingen,  situés  au  fond  d*une  espèce  d'entonnoir 
formé  de  rochers  à  pic,  et  d'où  un  nouveau  vallon  ramène  à  Sissach.  De  ce  dernier 
village,  une  route  conduit  à  OIten  par  le  Hauenstein  inférieur.  On  passe  sous  les 
ruines  pittoresques  du  château  de  Hombourg,  situé  à  gauche  à  une  grande  hauteur 
au-dessus  de  la  vallée.  Derrière  ces  ruines  s'élève  la  sommité  du  Wysenberg  (34 10), 
d*où  Ton  a  une  vue  magnifique  sur  les  Alpes.  De  cette  sommité,  l'on  peut  descendre 
au  sud  vers  les  bains  soleurois  de  Loslorf,  ou  à  Test  vers  le  vallon  sauvage  el 
romantique  d'Eythal,  qui  débouche  à  Gelterkinden  sur  les  bords  de  l'Ergolz.  De  ce 
lieu,  une  roule  se  dirige  dans  le  vallon  de  Teknau,  où  Ton  voit  une  cascade  et  plu- 
sieurs grottes,  et  aboutit  aux  bains  d'Oltingen  et  au  passage  de  la  Schafmatt,  qui 
conduit  à  Aarau.  Enfin,  au  nord  de  TErgolz,  les  vastes  ruines  de  la  forteresse  de 
Famsbourg,  délruile  en  4798,  méritent  d'être  visitées. 


CANTON  DE  SCHAFFHOUSE. 


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Situation,  Etendue,  Climat.  —  Le  canlon  de  Schafflioiisc  est  le  seul  qui  soit  silué 
en  entier  (sauf  un  faubourg  de  Slein)  sur  la  rive  droite  du  Rhin,  et  par  conséquent 
hors  des  limites  de  Tancienne  Helvétie.  Il  est  entouré  presque  de  toutes  parts  par  le 
grand-duché  de  Bade;  seulement  le  Rhin  forme  sa  limite  au  sud  sur  une  longueur 
(le  deux  ou  trois  lieues,  et  le  sépare  des  cantons  de  Zurich  et  de  Thurgovie.  Le 
canlon  possède  deux  petites  enclaves.  Tune  à  Test,  enfermée  entre  le  Rhin  et  le  ter- 
ritoire badois,  l'autre  au  sud,  bornée  par  le  district  zuricois  d'Eglisau,  le  territoire 
badois  et  le  Rhin,  en  «face  des  embouchures  de  la  Thur  et  de  la  Tôss.  Le  sol  schaff- 
housois  entoure  aussi  la  petite  enclave  badoise  de  Bûsingen,  non  loin  du  chef-lieu. 
D'après  les  dernières  mensurations,  la  superficie  totale  du  canton  est  de  43  '/^^  lieues 
carrées;  sa  plus  grande  longueur  est  de  sept  lieues,  et  sa  plus  grande  largeur  de  trois 
lieues.  Toute  la  contrée  est  d'une  salubrité  remarquable.  Bien  qu'étant  la  ville  la 
plus  septentrionale  de  la  Suisse,  SchaiThouse  a  un  climat  assez  tempéré;  il  en  est 
de  même  de  ses  environs  et  de  plusieurs  vallons  intérieurs,  ce  qui  est  dû  aux  col- 
lines qui  les  abritent  contre  les  vents  du  nord. 

Montagnes,  Vallées,  Rivières,  etc.  —  Le  canton  ne  peut  être  appelé  monta- 
gneux ;  il  ne  possède  que  des  collines  élevées,  qui  sont  comme  le  prolongement  de  la 
chaîne  du  Jura.  Les  principales  sont  :  au  nord-ouest,  le  Randenberg,  dont  le  point 
culminant,  le  Hohe-Randen,  a  2814  pieds  au-dessus  de  la  mer;  au  nord-est,  le  Reiat, 
haut  de  1970  pieds;  à  l'ouest  de  Schaffhouse,  la  petite  chaîne  du  Klettgan,  La  seule 
rivière  considérable  du  canton  est  le  Rhin,  qui,  à  trois  quarts  de  lieue  au-dessous 
de  Schaffhouse,  forme  sa  célèbre  cataracte,  que  nous  décrirons  plus  bas;  la  hauteur 
du  fleuve  près  du  pont  de  Schaffhouse  est  de  4 180  pieds  ;  au-dessous  de  la  cataracte 
elle  est  de  1108  pieds.  Les  autres  coui's  d'eau  sont  sans  importance  à  côté  du  Rhin. 
La  Bibern  ou  Biberach  coule  le  long  du  Reiat  et  arrose  la  vallée  où  sont  Thaingen  et 


r>Oi  L%    SIISSK    PintWESQl  F- 

Ramsen.  Près  de  son  embouchure  dans  le  Rhin,  ainsi  qu*au  nord  de  Thâingeo,  se 
trouvent  deux  villages  qui  s'appellent  Biber:  ce  nom,  qui  signifie  castor,  semble 
indiquer,  ainsi  que  celui  de  la  rivière,  que  cet  animal  vivait  jadis  sur  les  bords  de 
celle-ci  *.  La  Dttrarh,  qui  traverse  la  ville  de  Schaffhouse.  arrose  la  vallée  du  Mûh- 
lenthaL  La  Wntnch,  qui  a  sa  source  au  lac  Titi  dans  la  Forét-Noîre,  coule  au-delà 
du  Randenberg  et  forme  sur  deux  points  la  limite  du  canton .  Entre  le  Randenber^ 
et  la  chaîne  du  Klettgau  s'étend  la  large  vallée  du  Klettgau,  qui  débouche  près  de 
S<*haffhouse  au  défilé  d'E$è(fe.  Ses  eaux  s*écoulent  au  sud-ouest  dans  la  WutaM^i.  — 
Il  existe,  près  du  village  d*()sterfingen,  une  source  minérale  qui  contient  de  l'alun  et 
du  soufre,  et  qui  est  efficace  contre  la  goutte  et  les  rhumatismes.  L'établissement  de 
bains  qu'on  y  a  fondé  a  obtenu  une  certaine  vogue. 

Histoire  NATraEixe.  —  On  trouve  peu  d'animaux  sauvages  dans  le  pays;  on  ny 
chasse  guère  d'autres  quadrupèdes  que  des  renards  et  des  lièvres,  et  plus  rarement 
des  chevreuils  et  des  écureuils  :  quant  aux  volatiles,  ceux  qu'on  voit  en  [dus  grande 
quantité  sont  des  bécasses,  des  bécassines,  des  perdrix,  des  canards  sauvages,  de$i 
cigognes,  etc.  Le  Rhin  est  très-poissonneux  ;  de  même  qu'à  Râle,  c'est  le  saumon  qui 
est  le  poisson  le  plus  abondant;  il  atteint  une  grosseur  considérable.  La  race  bovine 
compte  9  à  10,000  têtes;  elle  est  d'une  moyenne  espèce  ;  on  cherdie  à  l'améliorer  : 
il  y  a  en  outre  environ  4500  chevaux,  2000  chèvres,  12  à  1400  moutons. 

Le  mont  Randenberg,  ainsi  que  les  environs  de  SchaS  bouse,  offrent  quelques  plantes 
rares  ;  on  a  remarqué  que  la  flore  schaffhousoise  présentait  une  grande  ressemblance 
avec  celle  de  Râle  et  de  Genève. 

Les  collines  du  canton  sont  presque  toutes  calcaires;  cependant,  vers  l'est  do 
Schaffhouse  et  à  Stein,  on  voit  de  la  mollasse.  Dans  le  voisinage  du  Rhin  le  sol  est 
composé  de  brèches  recouvertes  d'argile;  au-dessous  du  château  de  Laufen  on  voit 
succéder  à  la  pierre  calcaire  des  rochers  de  brèche,  dans  lesquels  est  creusé  le  lit  du 
fleuve  jusqu'à  Waldshut.  De  même  que  dans  les  montagnes  du  Jura,  on  trouve  dans 
les  collines  du  canton  de  nombreuses  pétrifications  ;  ce  sont  des  cornes  d'ammon  de 
toutes  les  espèces,  des  térébratuliles,  des  bélemnites,  etc.  etc. ,  et  une  espèce  de  coraux 
connue  sous  le  nom  de  fangites.  Le  Randenberg  est  surtout  renommé  par  le  grand 
nombre  de  ses  fossiles,  dont  plusieurs  renferment  des  traces  ou  des  restes  d'animaux 
marins  et  de  plantes.  Dans  les  carrières  d'OEningen,  près  de  Stein,  on  trouve  une 
espèce  de  roche  jaune  qui  renferme  beaucoup  de  typolithes,  pierres  portant  Tem- 
preinte  de  plantes  et  d'insectes,  etc.,  qu'on  croit  antédiluviens.  On  exploite  d'abon- 
dantes carrières  de  gypse  à  Schleitheim,  à  Re^ingen  et  à  Wunderklingen.  La  couche 
remarquable  de  fer  pisiforme  (ou  globuleux)  qui  s'étend  sur  tout  le  revers  oriental 
du  Jura,  se  montre  aussi  dans  le  canton  de  Schaff bouse  ;  on  l'exploite  près  de  Neun- 
kirch,  et  l'on  en  tire  une  quantité  considérable  de  minerai. 

Antiquité.  —  Le  canton  de  Schaff  bouse  possède  peu  d'antiquités  romaines.  Près 
de  Schleitheim,  dans  le  pays  des  Tnlingiefis,  on  a  rencontré  plusieurs  fois  en  labou- 
rant des  restes  de  murailles  qu'on  suppose  avoir  fait  partie  d'un  retranchement.  On 
a  trouvé  en  terre,  sur  quelques  petits  mamelons,  des  débris  de  vases  et  des  monnaies: 

1.  On  trouve  aussi  Bibereck,  au  cantoo  de  Schwyti;  Bibêntein,  sur  les  bords  de  TAar,  en 
Ar^ovie;  Biberitt,  sur  les  bords  de  FEmine,  prés  de  Soleure  ;  une  petite  rivière  nommée  Biber, 
et  lin  villa((e  du  nom  de  Bibern,  sur  la  frontière  bernoise,  entre  Morat  et  GUmminen. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  503 


«îlles-ci  oBrent  une  série  non  interrompue  des  empereurs  de  Vespasien  à  Théodose- 
le-Jeune;  elles  sont  la  plupart  en  bronze,  et  quelques-unes  en  argent.  Une  chronique 
assure  qu'on  a  déterré  en  1684,  dans  la  commune  de  Gâchlingen,  un  vase  plein  de 
monnaies  d'or  et  d'argent.  Près  de  Schaffhouse  on  a  trouvé  seulement  quelques 
monnaies;  mais  les  vestiges  d'antiquités  romaines  sont  moins  rares  sur  la  rive  droite 
(zuricoise).  D'après  le  chroniqueur  Riiger,  une  forteresse  (atstellnm  munitum  ou  mu- 
nitio)  avait  existé  sur  l'emplacement  du  fort  actuel  de  Munoth  ou  Unnoth,  mais  on 
n'en  reconnaît  plus  de  traces.  St^in  doit  être  bâti  en  partie  sur  l'emplacement  qu'oc- 
cupait la  forteresse  de  Gaunodunm,  une  des  douze  cités  de  l'Helvétie  qui  furent 
brûlées  lors  de  la  grande  migration  pour  la  Gaule.  Rebâti  par  les  Romains,  Gauno- 
durum  fut  détruit  par  les  Germains  sous  Valentinien  III.  —  Quant  aux  restes  du 
moyen-âge,  ils  sont  nombreux  dans  le  canton  ;  le  plus  remarquable  est  le  château 
de  Hobenklingen,  qui  domine  la  ville  de  Stein  et  date  du  Q^  siècle;  il  fut  jadis  le 
siège  des  barons  de  même  nom.  Une  tour  carrée  du  château  de  Munoth  doit  dater 
des  premiers  rois  francs.  Une  tour  près  de  l'église  de  Saint-Jean  remonte  au  9^  siècle, 
et  plusieurs  des  églises  de  Schaffhouse  aux  11''  et  IT  siècles. 

Histoire.  —  Lorsque  les  Romains  unirent  l'Helvétie  à  leur  empire,  la  vallée  du 
Klettgau  était  habitée  par  les  Latohriges,  peuplade  de  race  gauloise.  Sur  la  lisière 
occidentale  du  canton,  la  vallée  de  la  Wutach  était  la  demeure  des  TnUngims,  peuple 
également  gaulois.  Ces  deux  peuplades  étaient  alliées  des  Helvétiens.  Au  nord  du 
Randenberg  et  dans  le  Hôhgau,  contrée  qui  commence  à  l'est  de  Schaffhouse,  habi- 
laient  les  Vindélkimis,  nation  germanique.  Dans  le  S*'  siècle,  il  n'existait  sur  l'em- 
placement de  Schaffhouse  que  quelques  habitations  de  bateliers  occupés  à  passer  les 
voyageurs,  et  des  hangars  pour  servir  de  dépôt  aux  marchandises  dont  la  chute  du 
Rhin  nécessitait  le  débarquement.  C'est  sans  doute  de  cette  circonstance  que  vient  le 
nom  de  Schaffhouse,  en  allemand  Schaffhanseu,  station  de  bateaux  {Schaff,  dérivé  de 
Smpha,  étant  synonyme  de  Schiff,  bateau),  en  latin  Svafhusmu  ou  Sc^fhmum,  Au 
l)""  siècle,  les  vallées  w)isines  étaient  déjà  remplies  de  fermes  ;  un  grand  nombre  de 
châteaux  s'étaient  élevés  dans  ces  contrées,  et  les  cabanes  de  pécheui*s  avaient  fait 
place  à  un  Ijourg.  En  10S2,  Eberhard  de  Nellenbourg,  comte  des  vallées  de  Klettgau 
ol  de  Hôhgau,  possesseur  d'immenses  richesses  et  de  vassaux  nombreux,  fonda  à 
côté  du  bourg  l'abbaye  de  Tous-les-Saints  (Allerheilifieu),  à  laquelle  il  accorda  plu- 
sieurs domaines.  Celte  même  année,  le  pape  Léon  IX,  allant  en  Allemagne,  inau- 
l^ura  le  maître-autel  de  l'église  naissante.  Le  1"  novembre  1064,  jour  de  la  Tous- 
saint, révêque  de  Constance,  assisté  des  abbés  d'EinsiedIen,  de  Pfeffei-s  et  de  plusieurs 
autres,  consacra  le  monastère.  Le  comte  Eberhard  y  mourut  en  1070.  Sa  veuve 
Ida,  comtesse  de  Kirchberg,  fonda  alors  le  couvent  de  Sainte- Agnès  et  y  prit  le  voile. 
Le  couvent  de  Tous-les-Saints  compta  bientôt  jusqu'à  300  religieux,  et  ses  richesses 
s'accrurent  au  point  qu'il  possédait  200  fermes.  Schaffhouse,  dont  Burckhardt,  fils 
du  fondateur, '^avait  donné  la  propriété  à  l'abbé,  s'agrandit  si  rapidement,  qu'en  1190 
il  obtint  le  titre  de  ville  ;  l'empereur  Henri  VI  le  plaça  sous  sa  protection  et  sous 
celle  de  l'empire,  et  la  noblesse  du  voisinage  y  rechercha  les  droits  de  bourgeoisie. 
On  y  tint  les  assises  du  comté  de  Nellenbourg  sous  un  tilleul  planté  près  de  la  Fels- 
gasse  (rue  du  Rocher),  et  cet  arbre  vénérable  subsista  jusqu'en  1732.  Au  13*siècle, 
Schaffhouse  obtint  les  privilèges  de  ville  impériale  cl  fut  entourée  de  murs  et  de 


."SO^  LA  susse  nrrtmRsijrK. 


fossés.  En  1330,  rein|)ereur  Louis  de  Bavière  engagea  celle  ville  à  T Autriche  p«mr 
20,000  marcs.  Sa  population  bourgeoise  s*élant  accrue,  le  duc  Léopold  d'Aulriche 
lui  donna  une  charte,  d'après  laquelle  le  Grand  Conseil  devait  être  composé  par  moitié 
de  nobles  et  de  bourgeois,  de  même  que  le  Petit  Conseil  et  le  Tribunal  ;  mais  en 
1387  cette  distinction  fut  supprimée.  Les  gentilshommes  de  SchaiThouse  combalUrent 
dans  les  armées  de  TAutricbe  à  Morgarten,  à  Sem|)acb  et  à  Nœfels.  Leduc  Frédéric 
remit  ou  vendit  à  la  ville  une  imrtic  des  droits  qu'il  avait  sur  elle  ;  elle  racheta  en 
1411  le  dernier  droit  qui  restait  à  l'abbé,  celui  de  nommer  l'avoyer  (SrhtUtheUsj. 
Cette  charge  fut  alors  abolie,  et  un  bourgmestre  fut  plac^  à  la  tète  de  la  république; 
toute  la  bourgeoisie  fut  répartie  en  douze  tribus,  dont  la  nombreuse  noblesse  ne  for- 
mait qu'une.  Schaffhouse  était  alors  à  son  plus  haut  point  de  prospérité,  et  comptait 
12,000  habitants;  c'était  une  place  de  commerce  importante,  et  le  concile  tenu  à 
Constance  contribua  à  augmenter  encore  son  activité.  En  H15,  la  ville  profita  de  la 
mise  au  ban  de  l'empire  du  duc  Frédéric  pour  recouvrer  tous  ses  anciens  droits,  en 
payant  à  l'empereur  Sigismond  30,000  ducats,  qu'il  promit  de  remettre  à  Frédéric 
dès  qu'il  serait  relevé  du  ban;  mais  il  ne  tint  pas  sa  promesse,  et  soutint  même  la 
réclamation  de  l'Autriche,  qui  voulait  que  la  ville  se  soumit  de  nouveau  à  sa  domi- 
nation. La  noblesse  de  Souabc  prit  parti  pour  l'Autriche  et  vint  assiéger  Scbaflhouse, 
qui  allait  être  obligée  de  se  rendre,  lorsque  arriva  un  secours  des  Confédérés.  Schaff- 
house avait  déjà  depuis  un  siècle  contracté  des  alliances  avec  diverses  villes,  Bàle, 
Constance,  Saint-Gall,  Zurich,  et  le  1'^  juin  ihbk  elle  avait  conclu  une  alliance  de 
iK  ans  avec  Zurich,  Berne,  Lucerne,  Schwytz,  Zug,  Claris.  —  Schaffhouse  appor- 
tait auK  Confédérés  de  grands  avantages,  car  elle  était  la  clef  de  plusieurs  passages 
im|)ortants  du  côté  de  la  Souabe.  Les  Schaffhousois  combattirent  vaillamment  aviv 
les  Confédérés  dans  leur  guerre  contre  les  Bourguignons  et  dans  celle  de  Souabe  ;  les 
habitants  de  Thaingen  se  distinguèrent  dans  celle-ci  par  leur  bravoure,  en  résistant 
i\  une  invasion.  Le  fameux  gentilhomme  souabe  Gôtz  de  Berlichingen,  connu  par  la 
pièce  de  Gothc,  et  qui  était  jeune  à  cette  époque,  eut  un  cheval  tué  sous  lui  dans  ce 
combiit.  En  récompense  de  ses  services,  Schaffhouse  fut  reçu  en  1501  dans  la  Con- 
fédération comme  12*  canton. 

Les  premiers  réformateurs  de  Schaffhouse  furent  Séb.  Wagner  et  Hoffmann,  qui 
ptxV*hèt*ent  la  Réforme  en  loi'i,  mais  elle  ne  fut  généralement  adoptée  qu'en  1S:29. 
Les  moines  abandonnèrent  à  la  ville  leurs  couvents  et  leurs  revenus.  Une  grande 
|wrtie  des  familles  nobles  s  éloignèrent  de  Schaffliouse,  et  on  restreignit  considéra- 
blement les  prérogatives  de  celles  qui  y  restèrent.  Pendant  les  16^  et  17*  siècles,  les 
anabaptistes  excitèrent  des  troubles  dans  ses  murs  ;  il  en  fut  de  même  des  piétistes 
et  d'autres  sectaires  au  18*  siècle.  La  peste  fit  de  grands  ravages  à  Schaffhouse  au 
commencement  du  17*  siècle;  en  1630,  4!200  personnes  périrent  dans  la  ville  seule. 
En  1633,  au  milieu  de  la  guerre  de  Trente  Ans,  plusieurs  villages  du  canton  furent 
pillés  ou  incendiés  par  les  troupes  françaises,  espagnoles  et  suédoises.  —  Le  gouver- 
nement avait  eu  la  sagesse  de  faire  droit  successivement  à  diverses  réclamations  de 
ses  ressortissants;  aussi,  en  1798,  n*y  eut-il  dans  le  canton  aucune  insurrection;  mais 
il  ne  tanla  |)as  à  être  occuiié  par  les  troupes  françaises,  qui  le  forcèrent  &  abolir  sa 
Constitution,  qui  datait  de  1689,  et  lui  impos^èrent  la  Constitution  helvétique;  elles 
pillèrent  son  trésor  et  son  arsenal,  et  en  1799  incendièrent  son  fameux  pont,  quand 


LA    SUISSE    PITTORESQUR.  30!i 


elles  battirent  en  retraite  devant  une  armée  autrichienne.  Ce  pont,  dû  à  l'habile 
architecte  Grubenmann  d'Appenzell,  avait  été  une  des  choses  les  plus  curieuses  de 
la' ville;  sa  construction  était  ingénieuse  en  même  temps  que  sûre  et  commode;  il 
avait  une  longueur  de  3&0  pieds,  et  ne  formait  que  deux  arches;  il  était  couvert  d'un 
toit  de  bardeaux.  Le  10  octobre,  Tarmée  russe  opéra  sa  retraite  en  passant  le  Rhin 
à  Schaffhouse  et  près  du  couvent  thurgovien  de  Paradies.  En  4802,  Schaffhouse  se 
leva  franchement  contre  le  gouvernement  helvétique,  et  en  1803  accepta  avec 
empressement  l'Acte  de  médiation.  La  Constitution  faite  en  181  ft  sous  rinfluenee 
étrangère  fut  améliorée  déjà  en  1826  ;  on  réorganisa  particulièrement  à  cette  époque 
loul  Tensemble  des  écoles.  La  Constitution  rédigée  en  1831  laissa  encore  à  la  ville 
une  certaine  prépondérance,  qui  fut  diminuée  par  la  révision  de  1835.  Quelques  nou- 
velles modifications  ont  été  faites  encore  en  1852,  en  général  dans  un  sens  plus 
démocratique. 

Constitutions.  —  Voici  les  principales  dispositions  de  la  Constitution  de  1831 .  On 
est  électeur  à  20  ans  accomplis,  et  éligible  à  25.  Sur  78  députés,  la  campagne  en 
nomme  A8;  chacune  des  12  tribus  de  la  ville  de  Schaffhouse  en  nomme  2;  les  6 
députés  restants  sont  élus  parmi  24  candidats  désignés  de  même  par  les  tribus;  cette 
dernière  élection  est  faite  par  les  24  députés  des  tribus  et  par  les  24  candidats. 
Chaque  membre  du  Grand  Conseil  a  le  droit  de  proposer  des  lois  ou  arrêtés,  et  si  la 
majorité  des  membres  présents  adhère  à  ces  projets,  le  Petit  Conseil  doit  les  présenter 
k  la  session  suivante  ;  si  ce  Conseil  ne  le  fait  pas,  le  Grand  Conseil  peut  procéder  de 
lui-même,  en  soumettant  le  projet  à  une  Commissioir.  Le  Grand  Conseil  est  nommé 
|)our  quatre  ans;  il  nomme  lui-même  pour  pareil  temps  le  Petit  Conseil  et  le  Tribunal 
d'Appel.  Les  fonctions  des  membres  sont  gratuites;  toutefois  les  députés  de  la  cam- 
pagne reçoivent  une  indemnité  de  déplacement.  La  présence  de  45  membres  est 
nécessaire  pour  la  validité  de  toute  décision.  Le  Petit  Conseil  est  composé  de  11 
membres;  deux  bourgmestres,  élus  dans  son  sein  pour  quatre  ans,  ont  tour  &  tour  la 
préséance  pendant  une  année.  Les  membres  du  Grand  Conseil  qui  sans  excuse  suf- 
fisante ont  manqué  un  tiers  des  séances  pendant  un  an,  doivent  être  soumis  à  une 
réélection  ;  il  en  est  de  même  des  membres  du  Petit  Conseil  qui  ont  manqué  pendant 
un  an  le  quart  des  séances.  Il  y  a  des  tribunaux  cantonaux,  six  tribunaux  de  districts 
ou  de  première  instance;  un  juge  de  paix  dans  chaque  commune,  nommé  par  celle- 
ci.  Les  communes  nomment  pour  quatre  ans  leurs  Conseils  municipaux,  dans  le  sein 
desquels  le  Petit  Conseil  choisit  le  président  de  la  commune.  —  D'après  la  Constitu- 
tion de  1835,  la  ville,  divisée  en  trois  collèges,  élit  18  députés,  et  la  campagne  élit 
les  60  autres  ;  les  députés  peuvent  être  pris  indistinctement  dans  tous  les  citoyens 
éligibles  du  canton.  Le  Conseil  d'Etat  est  réduit  à  neuf  membres;  il  y  a  en  outre 
trois  suppléants,  qui  assistent  aux  séances  sans  droit  de  vote.  D'après  la  Consti- 
tution de  1852,  toutes  les  autorités  sont  renouvelées  par  moitié  tous  les  trois  ans; 
mais  le  Grand  Conseil  peut  être  révoqué  en  tout  temps;  si  1000  citoyens  le  deman- 
dent, la  question  est  soumise  aux  assemblées  électorales.  11  y  a  un  député  pour  600 
imes.  Le  peuple  peut  opposer  son  veto  aux  lois  qu'il  estime  contraires  à  ses  intérêts. 
Le  Grand  Conseil  élit  parmi  tous  les  citoyens  un  Conseil  d'Etat  de  sept  membres. 
I^  présidents  des  communes  sont  nommés  par  celles-ci. 
Cultes.  —  Le  canton  professe  la  religion  réformée,  sauf  un  tiers  de  la  commune 

n.  ûo.  59 


306  LA   8UI88B   PITTORISQtE. 


de  Rarnsen»  qui  n*a  été  réunie  à  SchaShouse  qu'en  4799.  Il  y  a  8  places  de  pasteurs 
à  Schaffhouse,  et  25  dans  le  reste  du  canton.  D'après  les  Consiitulions  de  1831  et 
4835,  Tantistès,  chef  du  clergé,  était  nommé  par  le  Grand  Conseil  sur  une  triple 
présentation  faite  par  le  Conseil  d'Eglise.  Il  présidait  le  Synode,  qui  s'assemblait 
chaque  année.  La  Constitution  de  185i  ne  parle  plus  de  l'antistès.  D'après  la  Con- 
stitution de  1831,  les  pasteurs  étaient  nommés  par  le  Petit  Conseil  sur  une  triple 
présentation  du  Conseil  d'Eglise.  D'après  celle  de  1835,  les  communes  étaient  auto- 
risées à  envoyer  trois  délégués  pour  prendre  part,  avec  le  Petit  Conseil,  au  choix  de 
leur  pasteur;  d'après  celle  de  1852,  ces  délégués  sont  en  nombre  proportionnel  à 
celui  des  électeurs  de  la  commune,  et  le  choix  des  pasteurs  porte  sur  tous  les  ecclé- 
siastiques admis  au  saint  ministère.  Un  Conseil  d'Eglise,  dont  la  moitié  au  moins  doit 
se  composer  de  laïques,  a  la  surveillance  sur  tout  ce  qui  concerne  l'Eglise  ;  il  examine 
et  admet  les  candidats  au  ministère. 

Instruction  publique.  —  L'ensemble  des  écoles  a  été  beaucoup  amélioré  en  1826. 
Toutes  les  communes  ont  leur  école.  Les  écoles  sont  divisées  en  7  cercles,  ayant 
chacun  leur  inspecteur  spécial.  Dès  l'âge  de  5  ans  tout  enfant  peut,  et  dès  celui  de 
7  il  doit  suivre  les  écoles  :  celles  d'été  jusqu'à  11  ans,  et  celles  d'hiver  jusqu'à  14.  Il 
existe  des  écoles  secondaires  à  Schaffhouse,  à  Stein,  Neunkirch,  Unterhallau  et 
Schleithcim.  Schaffhouse  possède  une  sorte  de  gymnase  cantonal,  où  enseignent  43 
maîtres.  Les  élèves  y  sont  au  nombre  de  80  environ  ;  ils  y  entrent  à  7  ou  8  ans,  et 
y  passent  8  années.  Les  jeunes  gens  qui  se  destinent  à  la  théologie,  au  droit  ou  à  la 
médecine,  peuvent  suivre  encore  pendant  trois  ans  le  collège  d'humanité  (CoUegium 
humanitatis),  où  ils  sont  préparés  aux  études  universitaires;  cet  établissement  a  été 
créé  en  1650  par  des  fondations  privées;  il  compte  huit  professeurs,  dont  un  de 
théologie.  Il  y  a  en  outre  une  école  pour  les  enfants  pauvres,  une  école  de  dessin, 
une  école  pour  les  jeunes  artisans  (Realschule),  et  une  école  supérieure  pour  les  jeunes 
filles. 

CoMifEBCE,  Industrie.  —  L'agriculture  est  la  principale  industrie  du  canton  de 
Schaffhouse;  elle  y  a  fait  d'assez  grands  progrès;  mais  le  sol,  en  général  infertile, 
exige  beaucoup  de  travail.  L'introduction  du  trèfle  et  des  prairies  artificielles  a  permis 
d'augmenter  le  nombre  du  bétail.  Les  récoltes  en  blé,  autrefois  insuffisantes  pour  les 
besoins,  sont  devenues  beaucoup  plus  considérables,  et  il  s'en  exporte  dans  les  bonnes 
années.  Les  forêts  fournissent  du  bois  en  abondance.  La  culture  des  arbres  fruitiers 
est  assez  étendue  à  Stein,  à  Thâingen,  à  Beringen.  Les  vignes  du  canton  sont  aussi 
une  des  cultures  importantes:  elles  fournissent  un  vin  rouge  qui  passe  pour  un  des 
meilleurs  de  la  Suisse  allemande.  Cependant  cette  culture,  qui  est  très-coûteuse,  tend 
à  diminuer,  et  les  communes  où  elle  existe  surtout  sont  les  plus  obérées.  On  évalue 
rétendue  des  vignes  à  3500  arpents;  celle  des  forêts  à  30,000  arpents  ou  environ  un 
tiers  du  sol  ;  celle  des  champs  et  prés  à  la  moitié  du  sol.  Mais  l'industrie  proprement 
dite  n'est  pas  négligée  à  Schaffhouse.  On  y  trouve  une  filature  et  une  imprimerie 
de  coton;  un  grand  nombre  de  tisserands  en  lin;  une  fabrique  d'acier,  établie  depuis 
30  ou  40  ans  par  M.  Fischer,  dont  les  produits  rivalisent  avec  ceux  de  l'Angleterre; 
une  fonderie  à  Neuhausen,  près  de  la  chute  du  Rhin;  plusieurs  brasseries  et  distille- 
ries ;  l'eau  de  cerises  de  Beringen  est  renommée  ;  un  grand  nombre  d'ouvriers  tra- 
vaillent dans  les  carrières  et  moulins  à  gypse,  etc.  —  Depuis  1836,  le  commerce  de 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  307 


Schaffhouse  a  subi  une  rude  atteinte  par  Taceession  du  grand-duché  de  Bade  à  l'as- 
sociation douanière  allemande  (Zollverein).  L'exportation  consiste  en  vins,  gypse, 
fers  fondus,  aciers,  blés,  eaux  de  cerises,  etc.  ^ 

HoBiMES  DISTINGUÉS,  Savants,  etc.  —  Schaffhouse  n'est  point  dépourvu  d'illustra- 
tions scientifiques,  littéraires  et  autres.  Il  a  compté  plusieurs  savants  théologiens  ; 
Sib.  Wagner j  un  des  premiers  réformateurs,  a  écrit  divers  ouvrages  sur  la  Réforme; 
il  en  est  de  même  de  Kirchhofer;  Ulmer,  Jezellerj  Oschtoald,  etc.,  ont  laissé  de  nom- 
breux écrits  théologiques  ;  Hurter  est  l'auteur  d'une  Histoire  du  pape  Innocent  III  et 
de  son  temps.  Plusieurs  autres  Schaffhousois  ont  laissé  des  travaux  historiques  ; 
ainsi  Berthold,  moine  de  Tous-les-Saints,  a  écrit  une  chronique  du  couvent  qui  va 
jusqu'à  l'an  1100,  année  de  sa  mort;  Adelphi,  médecin  et  zélé  réformateur,  a  écrit 
une  Histoire  de  Frédéric  Barberousse,  qui  parut  en  allemand  et  en  latin  en  1K30; 
Rfiger,  mort  en  15&8,  a  laissé  une  chronique  manuscrite  sur  l'histoire  de  sa  patrie, 
(|ue  l'on  conserve  aux  Archives  ;  Schalch  a  publié  des  Souvenirs  de  Vhistoire  de  Schaff- 
house, Mais  c'est  surtout  Jean  Mûller  qui  a  illustré  sa  ville  natale  et  a  pris  une  des 
premières  places  parmi  les  historiens  modernes.  Mûller,  né  en  1752,  était  petit-fils 
du  pasteur  Schoop,  qui  avait  fait  une  collection  de  matériaux  sur  l'histoire  suisse.  Il 
se  distingua  par  des  progrès  précoces  et  alla  en  1769  étudier  la  théologie  à  Gôttingen  ; 
il  en  revint  à  20  ans  pour  professer  la  langue  grecque  dans  sa  patrie.  Bonstetten 
l'appela  à  Genève  en  177&  et  l'y  mit  en  rapport  avec  des  hommes  supérieurs  ;  il  y 
donna,  dans  des  réunions  privée,  des  cours  qui  furent  le  fond  de  son  ouvrage  sur 
l'histoire  générale.  En  1780  il  se  rendit  à  Berlin,  où  il  fut  accueilli  avec  distinction  ; 
bientôt  après,  il  fut  professeur  d'histoire  à  Cassel.  Plus  tard,  il  remplit  au  service  de 
l'électeur  de  Mayence  diverses  fonctions  diplomatiques,  fut  conseiller  intime,  puis 
ambassadeur  à  Rome.  Après  l'occupation  de  Mayence  par  les  Français,  il  alla  à  Vienne, 
où  il  fut  créé  chevalier  d'empire.  Il  y  fut  pendant  quelque  temps  directeur  de  la 
Bibliothèque  impériale.  En  1804,  il  revint  dans  sa  patrie,  à  laquelle  il  avait  déjà 
cherché  à  rendre  tous  les  services  qui  étaient  en  son  pouvoir.  Il  alla  la  même  année 
à  Berlin,  où  il  fut  membre  de  l'Académie  et  historiographe  de  la  maison  de  Branden- 
bourg.  En  1806,  Napoléon  le  força  à  entrer  au  service  du  roi  de  Westphalie  comme 
ministre  secrétaire  d'Etat  et  directeur  général  de  l'instruction  publique  ;  il  eut  le 
bonheur  de  sauver  l'existence  des  Universités  de  Halle,  Marbourg  et  Gôttingen.  Le 
39  mai  1809  il  termina  sa  vie  agitée  à  Cassel,  où  le  roi  Louis  de  Bavière  lui  a  élevé 
un  monument.  Il  n'avait  aucune  fortune.  Il  a  laissé  inachevé  son  grand  ouvrage  sur 
rhistoire  suisse,  qui  a  trouvé  plus  tard  d'habiles  continuateurs.  —  Un  frère  cadet 
de  Mûller  fut  professeur  de  grec  et  d'hébreu  à  Schaffhouse,  puis  conseiller  d'Etat, 
et  rendit  de  grands  services  à  son  pays  comme  président  du  Conseil  scolaire  ;  il  a 
laissé  d'excellents  ouvrages  de  théologie  et  de  pédagogie. 

Dans  la  carrière  des  sciences,  nous  nommerons  Wepfer,  père  et  fils,  tous  deux 
médecins  célèbres  du  17*  siècle;  on  venait  les  consulter  de  loin,  et  ils  furent  appelés 
pour  exercer  leur  art  auprès  de  plusieurs  princes  d'Allemagne  ;  Pe%jer,  qui  fit  faire 
des  progrès  à  l'anatomie;  Conrad  Atnmann,  botaniste  et  médecin,  qui  étudia  les 
moyens  de  faire  parler  les  sourds-muets;  son  ouvrage  intitulé  Surdus  loquens,  le 
Sourd  parlant,  a  eu  une  grande  célébrité;  Jean  Ammann  était  botaniste  aussi,  et 
mourut  en  1740  à  Pétersbourg,  où  il  était  professeur  d'histoire  naturelle.  Comme 


308  us  siism:  pirnwDKiiE. 


|)liil(>siiphe  et  moraliste,  nous  devons  mentionner  Geiler,  né  en  1445,  qui  publia  de 
nombreuse  écrits  très-spirituels,  dont  le  plus  remarquable  est  sa  BMioîhêque  da  fom, 
à  laquelle  Erasme  a  emprunté  plusieurs  traits  pour  son  Eloge  de  la  folie.  Les  arts 
ont  aussi  été  eulti vés  par  plusieurs  Schaffhousois  :  tels  sont  les  frères  Habrechi,  fabri- 
cants d'horloges,  à  qui  les  catbédrales  de  Strasbourg  et  de  Cologne  doivent  leurs 
célèbres  horloges  astronomiques;  Tobie  Sli  miner,  peintre  de  fresques  et  de  portraits: 
Abel  Stimmer,  Litidtittayer  et  Kùbler,  peintres  sur  verre;  Sckakk  et  Beck,  paysagistes: 
&'lierrer,  qui  de  simple  ouvrier  maçon  devint  un  excellent  architecte;  il  a  oonslruil 
riKMel-de-vilIc  de  Zurich  ;  Moner,  graveur  et  sculpteur  à  Liondres,  où  il  mourut  eii 
1785,  étant  président  de  TAcadémie  de  peinture  de  la  Grande-Bretagne,  qu'il  avait 
fait  instituer  ;  Trifiiiel,  qui  étudia  la  sculpture  à  Copenhague  et  à  Paris,  puis  à  Rome, 
où  il  eut  dans  la  suite  Canova  pour  élève;  il  fut  un  des  premiers  sculpteurs  de  son 
tcm|)s,  et  mourut  en  I77S. 

MoeiRs,  CoLTt'MEs,  Cakactêre.  —  Le  fieuple  de  Schaffhouse  est  actif,  industrieux 
et  amoureux  de  Tordre;  aussi  Taisance  est-elle  répandue  dans  toutes  les  classes  de 
la  société.  Le  SchafThousois  se  distingue  aussi  par  sa  franchise  et  sa  probité,  par  sofi 
hospitalité  et  par  son  dévouement  au  bien  public.  Ses  demeures  sont  simples,  mais 
d*une  propreté  recherchée.  Bien  qu'attaché  sincèrement  à  la  Suisse,  il  estime  aussi 
beaucoup  sa  nationalité  allemande.  Un  usage,  qui  existe  Clément  à  Zuridi,  mérite 
d^élre  mentionné.  A  la  naissance  d'un  enfant,  on  envoie  chez  tous  les  parents  une 
servante  pâtée  de  fleurs  pour  leur  annoncer  cet  événement  ;  si  c'est  un  garçon,  elle 
porte  encore  un  gros  bouquet  à  la  main  ;  elle  reçoit  un  cadeau  dans  toutes  les  mai- 
sons où  elle  porte  son  message.  Les  décès  sont  annoncés  par  une  femme  vêtue  de  noir, 
qui  autrefois  se  couvrait  le  visage  d'un  masque  noir. 

ScHAKKHOLse.  —  Sans  posséder  beaucoup  de  curiosités  qui  puissent  retenir  lo 
voyageur,  celte  ville  n'est  ce|)endant  point  sans  intérêt.  Aucune  autre  ville  ni  de 
Suisse  ni  d'Allemagne,  sauf  peut-être  Nuremberg,  n'a  mieux  conservé  la  physionomie 
cl  le  caractère  qu'elle  avait  au  moyen-Age.  Cela  est  dû  en  particulier  à  la  circon- 
stance que  depuis  quatre  à  cinq  siècles  (1372)  aucun  de  ses  édifices  n'a  été  détruit, 
ni  |mr  un  incendie,  ni  par  un  tremblement  de  terre,  ni  par  les  désastres  d'un  siège. 
Elle  contient  donc,  beaucoup  plus  qu'aucune  autre  ville,  des  bâtiments  qui  remon- 
tent aux  Ik'  et  15*"  siècles.  Quelques-unes  de  ces  maisons  sont  couvertes  extérieu- 
rement de  peintures  à  fresque;  elles  sont  flanquées  d'une  tourelle  percée  de  plusieurs 
|)elitcs  fenêtres;  elles  |)orlent  souvent  le  nom  du  propriétaire,  quelquefois  celui  de 
rarchitecte  avec  la  date  de  la  construction.  La  ville  a  plusieurs  rues  larges  et  r^u- 
lières;  elle  a  conservé  une  enceinte,  |)ercée  de  six  portes  principales  et  de  deux  portes 
accessoires,  et  munie  de  distance  en  distance  de  vieilles  tours,  qui  lui  donnent  un 
aspect  assez  pittoresque. 

La  cathédrale,  commencée  en  1004  dans  le  style  byzantin,  fut  terminée  en  1101  : 
elle  était  autrefois  l'église  abbatiale  du  prieuré  de  Tous-les-Saints.  Les  cloîtres  gothi- 
ques sont  assez  bien  conservés,  mais  l'intérieur  a  clé  modifié  avec  une  complète 
absence  de  goùl  en  1753  ;  il  est  supporté  par  douze  colonnes,  dont  chacune  a  reçu 
le  nom  d'un  apôtre  (celle  de  Judas  est  fendue).  La  grosse  cloche,  fondue  en  1486, 
porte  l'inscription  :  Vireiiies  voco,  mortuos  plango,  fulgara  fraitgo  (J'appelle  les 
vivants,  je  pleure  les  morts,  je  brise  la  foudre),  laquelle  a  donné  à  Schiller  l'idée 


t^J  ^'11/ 


SCUAFFllOUSK. 


LA    StISSE    PITTOKKSQLE.  309 


de  son  |)oêine  célèbre  (la  Cloche).  —  L'église  gothique  de  Saint-Jean  a  été  construite 
en  1120  et  agrandie  à  diverses  époques;  elle  est  une  des  plus  vastes  de  la  Suisse. 
Une  chapelle  de  l'ancien  couvent  de  Tous-les-Saints  a  été  consacrée  au  culte  pro- 
testant français,  et  dernièrement  aussi  au  culte  catholique.  Les  autres  édifices  de  la 
ville  sont  THôtel-de-ville,  THÔpital,  la  Maison  des  orphelins,  l'Arsenal,  qui  possède 
quelques  canons  donnés  par  Napoléon  comme  indemnité  pour  les  perles  considérables 
que  la  ville  avait  subies  à  la  suite  des  occupations  françaises  ;  le  Cercle  (Gesell- 
schaflsraum)  des  négociants,  avec  une  salle  de  bal.  La  Bibliothèque  possède  une 
grande  partie  des  livres  de  l'historien  Mûller,  et  compte  plus  de  20,000  volumes.  11 
y  a  en  outre  à  Schaffhouse  quelques  bibliothèques  spéciales,  telles  que  la  Bibliothèque 
du  clergé  (Ministerial-Bibliothek),  qui  possède  beaucoup  de  manuscrits  et  un  modèle 
de  l'ancien  pont  du  Rhin,  brûlé  en  1799  par  ordre  du  général  Oudinot;  celle  de  la 
Société  de  médecine  ;  celle  de  la  Société  d'économie  rurale,  etc.  —  Le  fort  Unnoth 
est  un  grand  bastion  circulaire,  muni  d'une  grosse  tour  ronde;  il  fut  bâti  en  4S64 
dans  un  temps  de  disette,  dans  le  but  de  donner  de  l'ouvrage  aux  indigents.  Son 
nom  est  dû  à  cette  circonstance,  car  il  était  construit  Ohne  Noth  (sans  nécessité)  ; 
selon  d'autres,  ce  nom  vient  de  ce  qu'étant  dominé  par  des  hauteurs,  il  ne  peut  guère 
servir  pour  la  défense  de  la  ville.  On  l'appelle  aussi  Munoth,  et  l'on  fait  venir  ce  nom 
de  munitio  (forteresse).  11  contient  des  escaliers  en  forme  de  limaçon  et  de  vastes 
souterrains;  ses  murs  ont  18  pieds  d'épaisseur,  et  ses  voûtes  sont  à  l'épreuve  de  la 
bombe.  11  a  été  restauré  dans  ce  siècle,  au  moyen  de  souscriptions  volontaires  de  la 
bourgeoisie.  Sur  la  promenade  nommée  Fàsisktub  on  a  élevé  un  monument  à  l'histo- 
rien Mûller. 

Les  principales  Sociétés  qui  existent  à  Schaffhouse,  sont  :  une  Société  de  médecine  ; 
une  Société  de  botanique  et  d'économie  rurale  ;  une  Société  des  pasteurs  ;  une  Société 
des  régents  ;  une  Société  biblique  ;  une  Société  des  missions  ;  une  Société  de  secours, 
qui  distribue  des  vêtements  et  des  vivres  aux  pauvres  et  aux  infirmes;  c'est  cette 
Société  qui  a  fondé  un  établissement  pour  l'instruction  des  jeunes  filles  pauvres, 
ainsi  que  la  Maison  des  orphelins,  une  Caisse  d'Epargne,  une  Caisse  des  veuves  et 
des  orphelins,  etc. 

Les  environs  de  Schaffhouse  offrent  de  charmantes  promenades;  toutes  les  collines 
présentent  de  magnifiques  vues  lointaines;  telles  sont  la  Hoheflah  (Haut  rocher),  à 
un  quart  de  lieue  à  Touest  ;  on  y  voit  une  grande  partie  des  contrées  d'alentour  et 
les  Alpes  du  canton  de  Berne  jusqu'au  canton  de  Vaud;  la  ferme  Wydlen,  à  une 
demi-lieue  à  l'est  de  la  ville,  etc.  ;  on  peut  aussi  visiter  quelques  vallons  retirés  et 
champêtres. 

Chute  du  Rhin. —  Mais  ce  qui  attire  principalement  les  voyageurs,  c'est  la  fameuse 
cataracte  du  Rhin,  la  plus  grande  de  toutes  celles  d'Europe.  A  l'extrémité  inférieure 
de  la  ville  commencent  déjà  des  rapides,  et  l'on  y  utilise  la  force  du  courant 
pour  des  usines.  On  arrive  à  la  chute  en  iO  minutes,  en  suivant  la  rive  droite  ;  il 
faut  une  heure  si  Ton  suit  la  rive  gauche  sur  le  territoire  zuricois.  C'est  de  ce  côté 
qu'elle  se  présente  avec  le  plus  de  grandeur  et  de  majesté  et  qu'elle  cause  l'impres- 
sion la  plus  favorable.  La  chute  porte  le  nom  de  LaafeHj  et  donne  son  nom  au  châ- 
teau qui  la  domine  sur  la  rive  droite  et  qui  appartient  au  peintre  Bleuler.  Sur  l'autre 
rive,  un  peu  au-dessus  de  la  chute,  est  le  village  de  Neuhausen  avec  des  forges,  et 


310 


LA    SnSSK    PITTORESOIE. 


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Chule  (lu  Rbia. 


à  côté  même  de  la  chute  le  petit  château  de  Wôrth.  Au-dessous  du  château  de  Laufen, 
le  propriétaire  a  établi  plusieurs  stations,  dont  la  plus  basse  est  une  galerie  qui 
s'avance  au-dessus  du  fleuve  et  qu'on  appelle  le  Fischetz;  c'est  de  ce  lieu  que  le 
spectacle  est  le  plus  saisissant  et  même  presque  effrayant.  On  court  seulement  le 
risque  d'être  mouillé  par  le  brouillard  qui  s'élève  de  la  cataracte  ;  le  tonnerre  de 
celle-ci  est  si  terrible,  surtout  au  moment  des  grandes  eaux,  qu'il  couvre  entièrement 
la  voix  de  l'homme  et  qu'on  ne  peut  se  faire  entendre  de  la  personne  placée  à  côté 
de  soi;  par  une  nuit  calme  et  un  vent  favorable,  le  mugissement  des  eaux  s'entend 
À  trois  ou  quatre  lieues  de  distance.  Entre  le  château  de  Laufen  et  la  rive  opposée, 
quatre  grands  quartiers  de  roc  qui  s'élèvent  au-dessus  du  fleuve  partagent  la  cata- 
racte en  cinq  bras.  De  la  station  du  Fischetz  on  ne  voit  que  les  trois  premiers,  qui 
sont  les  plus  hauts.  Le  plus  rapproché  est  rongé  par  la  violence  des  eaux  dans  sa 
partie  inférieure,  et  se  termine  par  une  tête  arrondie,  couverte  d'un  bouquet  d'arbris- 
seaux. C'est  entre  ce  roc  et  la  rive  gauche  que  se  précipite  la  plus  grande  partie  des 
eaux  ;  la  hauteur  de  la  chute  est  de  SO  à  60  pieds  lors  des  basses  eaux,  de  75  pen- 
dant les  grandes  eaux  ;  la  hauteur  est  un  peu  moindre  sur  la  rive  droite;  la  largeur 
totale  du  fleuve  est  de  300  pieds.  Le  second  rocher  est  de  forme  conique;  le  troi- 
sième est  moins  élevé,  mais  d'une  largeur  considérable.  Pour  mieux  contempler  la 
cataracte  sous  tous  ses  aspects,  il  convient  de  la  visiter  le  matin  avant  huit  beur^ 
et  dans  la  soirée,  moment  où  les  vapeure  qui  s'élèvent  forment  aux  rayons  du  soleil 
d'innombrables  arcs-en-ciel  qui  paraissent  et  s'évanouissent  tour  à  tour.  Le  clair  de 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  314 


lune  donne  également  à  cette  scène  grandiose  de  la  nature  un  caractère  particulier. 
Il  convient  aussi  de  traverser  le  fleuve  à  SO  pas  au-dessous  de  la  chute,  ce  qui  se 
Fait  sans  aucun  danger;  le  fleuve  n'est  pas  profond,  et  Ton  passe  facilement  et  ra- 
pidement au  moyen  d*étires.  On  peut,  en  partant  de  la  rive  droite,  quand  les  eaux 
ne  sont  pas  hautes,  s'approcher  avec  une  nacelle  du  rocher  plat  et  y  descendre  ;  on 
voit  alors  à  droite  et  à  gauche  les  bras  du  fleuve  se  précipiter  dans  le  gouffre.  On 
a  élabli,  dans  les  châteaux  de  Laufen  et  de  Wôrth,  une  chambre  obscure  où  Ton  voit 
se  reproduire  en  miniature  l'image  exacte  de  la  cataracte.  De  nuit,  le  spectacle  ofl*re 
un  aspect  étrange,  lorsque  des  colonnes  d'étincelles  s'élèvent  des  forges  situées  sur  la 
rive  droite.  11  est  très-singulier  qu'aucun  auteur  de  l'antiquité  n'ait  fait  mention  de  la 
cataracte. 

Autres  Excursions  et  ville  de  Stein.  —  Les  points  les  plus  intéressants  à  visiter 
à  quelque  distance  de  SchafFhouse,  sont  le  signal  du  Hohe-Randen^  à  trois  lieues  et 
demie  vers  le  nord;  on  y  aperçoit  une  grande  partie  de  la  Forét-Noire,  les  cantons  de 
Schaffhouse,  Zurich  et  Thurgovie  presque  en  entier,  le  lac  de  Constance,  et  sur  le 
dernier  plan  la  chaîne  des  Alpes  du  Yorarlberg  au  Mont-Blanc.  La  vue  est  à  peu  près 
semblable,  mais  un  peu  moins  étendue,  sur  le  Reiat,  près  du  village  de  Lohn,  à  deux 
lieues  de  Schaffhouse.  On  passe  près  du  château  de  Herblingen,  dont  la  position  est 
aussi  très-belle. — Stein  obtint  en  945  le  titre  de  ville  de  fiurkhard  II,  duc  de  Souabe  ; 
quelques  années  plus  tard  elle  fut  entourée  de  murs.  Elle  racheta  en  1&59  tous  les 
droits  que  les  barons  de  Klingenberg  avaient  sur  elle,  et  s'allia  avec  Schaffhouse  et 
Zurich.  Elle  eut  beaucoup  à  souffrir  en  4659,  pendant  la  guerre  de  Trente  ans.  En 
1799  Stein  se  réunit  volontairement  au  canton  de  Schaffhouse,  et  l'Acte  de  médialion 
a  maintenu  cette  adjonction.  Le  faubourg  qui  se  trouve  sur  la  rive  gauche  du  Rhin 
appartient  aussi  au  canton  de  Schaffhouse.  Deux  citoyens  de  Stein  méritent  d'être 
mentionnés  :  le  baron  de  Schwarzenhorn,  qui,  après  avoir  été  prisonnier  en  Turquie, 
s'éleva  jusqu'au  poste  d'ambassadeur  de  la  cour  de  Vienne  à  Constantinople  ;  et  Rod. 
Sladler,  fils  d'un  magistrat  de  la  ville  de  Stein,  qui,  étant  parti  pour  l'Orient  avec 
Schwarzenhorn,  se  rendit  en  Perse,  où  son  habileté  comme  horloger  lui  acquit  l'amitié 
du  souverain.  Au  bout  de  quelques  années,  il  devint  le  fiancé  d'une  jeune  chrétienne 
de  la  secte  des  nestoriens;  mais  un  jour  il  surprit  un  noble  persan  qui  sortait  de  l'ap- 
partement de  celle-ci,  et  le  tua.  Stadler,  après  avoir  refusé  avec  persévérance  de 
prendre  le  turban  pour  obtenir  sa  grâce,  eut  la  tête  tranchée  sur  une  place  publique 
d'Ispahan.  La  ville  de  Stein  est  dominée  par  le  château  de  Hohenklingen,  dont  nous 
avons  mentionné  la  haute  antiquité.  Il  est  à  600  pieds  au-dessus  du  Rhin;  il  était 
jadis  la  résidence  des  barons  de  ce  nom  ;  maintenant  il  n'y  habite  qu'un  gardien  pour 
le  feu.  La  vue  sur  le  lac  de  Constance  et  sur  les  Alpes  y  est  magnifique.  Un  peu  plus 
à  l'ouest,  sur  la  même  colline,  sont  les  restes  du  château  de  Wolkeiistein  (Pierre  des 
nuages),  où  l'on  a  établi  un  belvédère.  Enfin,  plusieurs  localités  voisines,  situées  sur  le 
territoire  badois,  méritent  d'attirer  des  visiteurs,  particulièrement  les  vastes  ruines  de 
la  forteresse  de  Hoheniwiel,  à  trois  ou  quatre  lieues  au  nord  de  Stein. 


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CANTON   D  APPENZELL. 


Situation,  Etrndite,  Climat.  —  Le  canton  d*Appenzell  est  oomplètemani  entouré 
par  le  territoire  saint-gallois  ;  il  a  environ  huit  lieues  dans  sa  plus  grande  longueur, 
sur  une  largeur  de  deux  à  cinq  lieues;  sa  surface  est  de  17  ^/^^  lieues  carrées,  le 
canton  est  partagé  en  deux  demi-Etats  ayant  leur  adminislraiion  indépendante,  el 
qu'on  nomme  les  Rhodes-Intérieures  et  les  Rhodes-Extérieures.  Les  Rhodes-Intérieu- 
res comprennent  la  partie  la  plus  montagneuse  du  canton  ;  elles  ont  une  superficie  de 
7  \/^Q  lieues  carrées,  et  une  population  de  <  1,230  habitants,  soit  de  1&97  par  lieue 
carrée.  Les  Rhodes- Extérieures  comprennent,  sauf  Tenclaved'Oberegg  et  de  Hirsch- 
berg  vers  le  nord-est,  la  partie  occidentale  et  septentrionale  du  canton;  leur  super- 
ficie est  de  10  ^/^g  lieues  carrées,  et  leur  population  de  &3,621  habitants,  soit  de 
4494  par  lieue  carrée.  Ce  dernier  demi-canton  est  la  contrée  de  la  Suisse  où  la 
population  est  la  plus  condensée  ^  Cette  circonstance  est  d'autant  plus  remarquable 
que  le  sol  est  élevé  et  présente  peu  de  plaines  ;  elle  s'explique  par  le  développement 
considérable  de  Tindustrie.  —  Quant  au  climat,  il  est  Irës-variable,  mais  en  général 
froid,  ce  qui  est  dû  d'abord  à  l'élévation  du  pays,  qui  occupe  un  petit  plateau  presque 
isolé  des  régions  d'alentour.  Nous  avons  vu  ailleurs  que  les  chefs-lieux  du  canton 
d'Appenzell  sont  ceux  qui  ont  la  plus  grande  hauteur  absolue  (Trogen  2670  pieds, 
Hérisau  23S6,  Appenzell  2330)  ;  cette  rigueur  du  climat  résulte  aussi  de  ce  que  le 
pays  est  borné  au  sud  par  de  hautes  montagnes,  et  présente  une  inclinaison  générale 
vers  le  nord,  ce  qui  rend  l'accès  plus  facile  aux  vents  froids.  Il  neige  fréquemment 
au  milieu  de  l'été  sur  les  pâturages  supérieurs  ;  en  hiver,  le  thermomètre  descend 
souvent  à  10  ou  15"*  au-dessous  de  0,  quelquefois  jusqu'à  20  ou  22.  (C'est  à  peu 

1.  Le  canton  de  Genève  compte,  il  est  vrai,  5173  habitants  par  lieue  carrée,  mais  la  ville  t 
forme  prés  de  la  moiUé  de  la  popalaUon  ;  le  reste  da  canton,  pris  séparément,  n*a  ^ére  qae 
2740  habitants  par  liene  carrée. 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  313 


près  la  tempéraliire  qu'on  observe  dans  les  hautes  vallées  de  Neuebâtel  et  au  grand 
Saint-Bernard.)  Du  reste,  il  est  clair  qu'il  doit  y  avoir  de  grandes  différences  de 
climat  dans  un  pays  qui,  sur  une  étendue  de  huit  lieues,  touche  d'un  côté  à  la  limite 
des  neiges  éternelles  et  de  l'autre  à  la  région  des  vignes.  Malgré  les  brusques  chan- 
gements de  température,  le  pays  est  très-salubre,  et  un  grand  nombre  de  malades 
viennent  y  chercher  la  santé  dans  la  belle  saison.  Le  vent  d'est  est  le  vent  froid  et 
sec  :  il  amène  ordinairement  le  beau  temps  ;  le  vent  du  nord  amène  des  brouillards 
du  lac  de  Constance,  et  souvent  de  la  pluie.  Les  brouillards,  qui  sont  très-fréquents 
dans  le  pays,  surtout  au  printemps  et  en  automne,  sont  amenés  aussi  par  les  vents 
du  sud  et  d'ouest.  Mais  souvent,  en  hiver,  le  plateau  appenzellois  jouit  d'un  air  serein 
pendant  des  semaines  entières,  tandis  qu'un  épais  brouillard  enveloppe  les  contrées 
d'alentour,  qui  offrent  ainsi  l'aspect  d'une  grande  mer. 

Monts,  Vallées,  Rivières,  Lacs.  —  La  partie  méridionale  du  canton  est  couverte 
de  hautes  montagnes,  formant  plusieurs  petites  chaînes  parallèles,  qui  sont  jointes  par 
des  cols  sur  la  frontière  du  Toggenbourg,  et  qui  portent  le  nom  collectif  d'Alpstein. 
Une  chaîne  part  du  Sântis,  7790,  se  prolonge  par  une  suite  de  sommets  escarpés, 
tels  que  VOehrli  (Petite  oreille),  6649,  les  Thiirme  (les  Tours),  6800-6800,  le 
Schàfier,  S8&3,  etc  ,  et  se  termine  par  VEbenalp,  8049,  non  loin  de  Weissbad  ;  une 
autre,  partant  de  VAlimann,  7496,  se  termine  par  le  sommet  du  Siegel,  5326,  au- 
dessus  de  Brûllisau  ;  une  troisième  commence  près  de  la  Krai-Alp,  au  sud  de  l'Alt- 
mann;  ses  sommités  sont  le  Furglenfirtij  le  Hohe-Kasten,  5420,  le  Kamor,  5390,  les 
Fàhnem,  4642  ;  cette  chaîne  se  prolonge  avec  une  élévation  moindre  le  long  de  la 
frontière  orientale  du  canton  et  le  sépare  du  Rheinthal.  Il  y  a  encore,  à  l'ouest  du 
Santis,  des  sommités  qui  s'y  rattachent  :  ce  sont  le  Kronherg,  5049,  et  la  Hohm-Alp, 
4710.  La  partie  septentrionale  offre  un  sol  très-accidenté,  mais  les  collines  ne  s'y 
élèvent  que  de  quelques  centaines  de  pieds  au-dessus  des  vallons.  On  y  trouve  cepen- 
dant la  Hundwyler-Hôhe,  dont  la  hauteur  absolue  est  de  4042  pieds  ;  le  Gàbris,  qui 
atteint  celle  de  3856  pieds,  et  le  Kaym,  celle  de  3395  pieds.  Les  villages  sont  en 
général  à  la  hauteur  de  2300  à  2800  pieds.  Les  vallées  du  canton  ne  sont  pas  très- 
étendues;  les  plus  considérables  sont  l  Alpenthal  méridional,  ou  vallée  de  Fabien,  qui 
descend  de  la  Krai-Alp  et  court  entre  la  chaîne  du  Kamor  et  celle  de  l'Altmann;  on 
y  trouve  les  petits  lacs  de  Fàhlen  et  de  Sàmtis,  et  le  ruisseau  du  Bftrenbach  ou  Brûll- 
bach,  qui  a  sa  source  un  peu  au-dessous  de  ce  dernier  lac,  dont  il  doit  être  l'écou- 
lement; Y  Alpenthal  du  milieu,  entre  la  chaîne  de  l'Altmann  et  celle  du  Sântis,  arrosé 
par  le  Schwendibach,  qui  forme  le  joli  lac  de  Seealp  {Seealp-See,  Lac  de  l'Alpe  du  lac)  ; 
entre  le  Sântis  et  le  Kronberg  s'étend  une  troisième  vallée,  où  le  Weisswasser  (l'Eau 
blanche)  jaillit  d'une  grotte  de  la  Pendli-Alp,  et  se  perd  bientôt  sous  les  rochers,  pour 
reparaître  un  peu  plus  bas.>Ge  ruisseau,  réuni  près  de  Weissbad  avec  les  deux  ci- 
dessus  mentionnés,  forme  la  Siller,  Cette  rivière  se  dirige  vers  Appenzell  ;  elle  forme 
plus  loin  la  limite  entre  les  Rhodes-Intérieures  et  Extérieures,  puis  partage  les 
Rhodes  Extérieures  en  deux  districts,  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  Devant  la  Sitter 
(rive  droite)  et  Derrière  la  Sitter  (rive  gauche).  Elle  arrose  près  d' Appenzell  de  belles 
prairies;  plus  au  nord,  elle  coule  au  fond  de  sauvages  ravins;  elle  va  se  jeter  dans 
la  Thur,  près  de  Bischoffzell  en  Thurgovie.  Elle  reçoit  sur  la  rive  droite,  près  de 
Teufen,  la  Rôthi  ou  le  Rotkbach,  qui  vient  de  la  vallée  de  Gaïs;  sur  la  rive  droite, 
11.20.  40 


314  LA    SUISSE   PITTORESQUE. 


VUmâsch,  dont  les  nombreuses  sources  jaillissent  sur  TAIpe  de  Schwftg,  au  pied  du 
Sântis;  ce  torrent  arrose  dans  toute  sa  longueur  le  district  de  Hérisau,  et  la  partie 
inférieure  de  son  cours  est  profondément  encaissée.  On  peut  nommer  encore  la 
Goldach,  formée  de  plusieurs  ruisseaux  qui  arrosegl  les  environs  de  Trogen;  elle 
s'écoule  vers  le  lac  de  Constance. 

Sources  minérales.  —  Le  canton  possède  plusieurs  sources  minérales,  dont  on  fait 
usage,  soit  pour  en  boire,  soit  pour  des  bains;  telles  sont  les  eaux  ferrugineuses  des 
bains  de  Gonten,  Waldslatt,  Heinrichsbad ,  etc.;  elles  sont  fortifiantes  et  dépur»- 
tives;  les  eaux  sulfureuses  des  bains  de  Trogen,  Schônenbûbl,  Heiden,  et  de  diversi^s 
autres  sources;  elles  sont  résolutives  et  sudatives;  les  eaux  terreuses  des  bains 
d*Appenzell,  de  Weissbad,  Urnàsch,  Stein,  Gais,  Teufen,  etc.;  elles  son!  résolutives 
et  dépurativcs.  Les  plus  fréquentés  de  ces  bains  sont  le  Heinrichshad,  le  Wewbtiâ, 
ceux  de  GaU  et  de  Gonten.  Dans  plusieurs  de  ces  lieux  on  fait  aussi  des  cures  de 
petit-lait.  Quelques  autres  sources  sont  remarquables  par  leur  froide  température, 
et  la  superstition  leur  attribue  des  vertus  particulières  :  ainsi  l'on  croit  qu'il  n\v  a 
pas  de  danger  à  s'y  baigner  lors  même  qu'on  est  en  transpiration;  mais  c'est  une 
erreur  funeste. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animal.  L'accroissement  considérable  de  la  popula- 
tion et  le  défrichement  des  forêts  ont  fait  dès  longtemps  disparaître  tous  les  animaux 
malfaisants.  En  1673  a  été  tué,  à  Umftsch,  le  dernier  ours,  et  le  dernier  loup  à 
Steineggerwald,  en  1695.  On  a  tué  encore  des  sangliers  en  1658.  Les  cerfs  ont 
disparu  depuis  l'an  1600;  mais  on  chasse  encore  des  chamois,  des  renards,  des 
lièvres,  des  écureuils,  des  loutres,  et  des  hérissons.  Les  chamois  n'habitent  que  les 
hautes  sommités  près  du  Santis;  la  chasse  est  libre,  mais  n'est  permise  que  depuis  le 
milieu  d'octobre  au  1**^  février.  —  La  gent  volatile  est  très-nombreuse,  surtout  les 
oiseaux  chanteurs;  mais  les  oiseaux  de  proie  sont  rares.  On  ne  trouve  dans  le  can- 
ton que  quatre  espèces  de  poissons:  le  chabot,  le  goujon,  le  véron  et  la  truite;  cette 
dernière  se  pèche  dans  tous  les  gros  ruisseaux  et  dans  les  lacs  de  Sâmtis  et  de  Seealp; 
elle  ne  dépasse  pas  dix  livres.  Les  insectes  sont  très-nombreux  ;  on  a  compté  jusqu'à 
240  espèces  de  papillons.  Les  animaux  domestiques  sont  une  des  principales  richesses 
des  habitants.  La  race  des  bêles  à  cornes  est  plus  grande  que  celle  des  cantons  d'Uri, 
Unterwald  et  Glaris  ;  elle  est  d'un  brun  noirâtre,  a  la  tète  grosse,  les  jambes  et  les 
cornes  courtes. 

Règne  végétal.  Le  sol  du  canton  est  couvert  presque  en  entier  de  pâturages,  de 
prairies  et  de  forêts.  Les  arbres  les  plus  abondants  sont  les  sapins  et  les  pins.  Le  soi 
produit  un  grand  nombre  de  plantes  alpines  et  autres  ;  on  cite  surtout  le  Sântis^, 
TEbenalp,  le  Gâbris,  les  vallées  du  Sântis  et  de  la  Seealp,  comme  riches  en  espèces 
intéressantes. 

Règne  minéral.  Les  hautes  Alpes,  qui  s'élèventdans  la  partie  méridionale  du  canton, 
sont  de  formation  calcaire  ;  la  roche  y  est  grisâtre  et  mêlée  de  silex  et  de  rayons 
de  mine  de  fer  ;  elles  sont  percées  de  plusieurs  profondes  cavernes,  telles  que  celles 
du  Wildkirchli,  dans  quelques-unes  desquelles  on  trouve  de  belles  stalactites.  Sur  le 
haut  du  Sântis  on  observe  beaucoup  de  pétrifications,  telles  que  des  cornes  d'ammon, 
des  sélénites,  des  Irochiles,  des  oshacites,  etc.  Plus  au  nord  se  retrouve,  comme 
dans  d'autres  cantons,  la  formation  de  brèche,  composée  de  débris  de  granit,  de 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  345 


gneiss,  de  porphyre,  de  siénite,  etc.,  mélangés  d'argile  ferrugineuse  et  soudés  par 
un  ciment  solide.  Ces  brèches  sont  disposées  en  couches  régulières  ;  les  plus  anciennes 
renferment  des  blocs  considérables  et  forment  plusieurs  des  sommités  à  Touest  du 
Sântis,  telles  que  la  Hohen-Alp.  Enfin,  la  partie  la  plus  septentrionale  du  canton 
appartient  à  la  formation  des  grès  ;  on  voit  souvent  les  couches  de  brèche  et  de  grès 
alterner  entre  elles.  On  a  remarqué  en  divers  endroits  des  traces  de  charbon  de 
pierre,  mais  on  ne  Ta  pas  encore  exploité;  on  trouve  aussi  de  la  tourbe  et  on  l'em- 
ploie comme  combustible. 

Antiquités.  — On  ne  connaît  dans  le  canton  aucune  antiquité  romaine.  On  croit, 
d  après  son  mode  de  construction,  que  la  tour  du  clocher  de  Hérisau,  du  moins  les 
60  pieds  inférieurs,  ont  été  élevés  dans  le  6*  siècle  par  les  Allemani  ;  elle  est  carrée, 
formée  de  pierres  de  moyenne  grosseur,  placées  en  assises  inégales,  et  réunies  par  un 
ciment  très-solide.  Les  châteaux  de  Rosenbourg  et  Rosenberg  (Château  et  Montagne 
(les  roses),  près  de  Hérisau,  étaient  construits  de  la  même  manière  ;  on  les  attribue 
à  la  même  époque  ;  on  y  voit  encore  des  ruines  assez  étendues  de  murs  et  de  tours 
de  20  à  50  pieds  de  hauteur.  On  reconnaît,  près  d'Appenzell,  quelques  restes  de 
murailles  et  de  fossés  du  château  de  Glanx,  que  l'on  fait  remonter  à  l'an  92S;  mais 
cette  opinion  ne  repose  pas  sur  des  données  certaines.  Les  traces  de  beaucoup  d'au- 
tres manoirs  seigneuriaux  ont  complètement  disparu.  On  a  découvert  â  Speicher, 
lors  de  la  construction  de  l'église,  cinq  petits  caveaux  taillés  dans  le  roc  et  longs  de 
six  à  sept  pieds,  sur  un  et  demi  de  largeur,  que  l'on  regarde  comme  des  tombes 
païennes,  et  quelques  briques  de  fourneaux  peintes  en  vert  et  jaune,  et  ornées 
d'images  d'idoles. 

Histoire.  —  Lorsque  les  Helvétiens,  55  ans  avant  Jésus-Christ,  partirent  pour 
envahir  la  Gaule,  les  Rhétiens  vinrent  s'emparer  d'une  partie  de  la  contrée  qu'ils 
laissaient  déserte,  en  particulier  des  territoires  actuels  d'Appenzell  et  de  Saint-Gall; 
mais,  15  ans  après  Jésus-Christ,  ces  derniers  furent  domptés  par  les  Romains  et  leur 
pays  réduit  en  province.  Toutefois,  on  n'a  reconnu  dans  le  pays  d'Appenzell  aucune 
trace  de  colonie  romaine.  Les  Allemani  arrachèrent  ensuite  aux  Romains  cette  con- 
trée, en  406,  et  y  firent  des  établissements  ;  90  ans  plus  tard,  ils  furent  eux-mêmes 
dépossédés  par  les  Francs.  La  Rhétie  se  mit  aloi*s  sous  la  protection  des  Ostrogoths  ; 
ceux-ci  cédèrent,  en  558,  la  Rhétie  et  la  Windélicie  (Souabe)  à  un  roi  franc,  Dietbert, 
roi  d'Austrasie.  Dans  le  siècle  suivant,  ces  contrées  furent  gouvernées  par  un  duc 
allemanique,  Gottfried  ;  plus  tard,  elles  furent  incorporées  dans  l'empire  germanique. 
Le  couvent,  fondé  vers  la  fin  du  septième  siècle,  près  de  l'emplacement  qu'avait 
occupé  l'ermitage  de  l'apôtre  Gallus  (mort  en  640),  avait  rapidement  acquis  une 
grande  puissance,  et  étendu  son  autorité  sur  les  habitants  des  montagnes  voisines, 
chez  lesquels  la  lumière  de  l'Evangile  s'était  peu  â  peu  répandue.  Dans  le  11*"  siècle, 
le  peuple  d'Appenzell  eut  à  pâtir  des  hostilités  fréquentes  qui  éclatèrent  entre  les 
abbés  de  Saint-Gall  et  les  seigneurs  et  prélats  du  voisinage  ;  il  prêta  son  assistance 
à  l'abbé  Ulrich  d'Eppenstein,  auquel  il  était  attaché  à  cause  de  sa  popularité,  et  l'aida 
À  remporter  trois  victoires  sur  le  comte  de  Toggenbourg  et  à  conquérir  Brégenz, 
Kybourg,  Ittingen,  etc.  Le  pays  d'Appenzell  fut  à  son  tour  envahi  deux  fois  par 
Tennemi,  et  Hérisau  et  tous  ses  environs  ravagés.  Le  lit*  siècle  passa  plus  paisible- 
ment et  sans  événements  marquants,  et,  à  la  faveur  de  la  paix,  l'agriculture,  l'élève 


316  LA  si'isc  mriNiEsgi'c. 

du  bélail,  la  iabricalioo  des  toiles  de  lin  ei  du  drap,  se  dévetoppèrcDt  dans  le  pays: 
mais  eo  m^me  temps  les  abbés  ne  cessèrent  d*éleodre  lear  joridiclîoD,  de  lever  des 
dîmes  onéreuses,  et  beaucoup  de  paysans  appauvris  tombèrent  en  état  de  servage. 

En  Ii08,  sous  le  premier  prinœ-abbé,  Ulrich  de  Sa\ ,  ks  horreurs  de  la  guerre 
recommencèrent  :  Tabbé  fut  vaincu  par  Tévéque  de  Constance,  et  un  grand  nombre 
de  ses  gens  perdirent  la  vie.  Sous  ses  deui  successeurs  les  hostilités  ooolinuèrenl, 
au  grand  détriment  du  pays,  qui,  en  Ii47,  fut  ravagé  jusqu^au  bourg  d'A|qienidl 
par  leà  troupes  de  Tévèque.  Après  la  mort  de  l'abbé  BertboM  de  Falkenstesn,  ks 
montagnards  soutinrent  les  prétentions  d*Ulrich  de  Gûttingen,  qui,  pour  récompenser 
leur  fidélité,  leur  accorda  le  droit  d*élire  leur  propre  ammamn,  ou  bailli.  Leor  pre- 
mier choix  tomba  sur  llermann  de  Sclidnenbûhl.  Mais,  après  le  décès  d'Ulrich,  l'abbé 
Rumo  fit  Hermann  prisonnier  et  l'enferma  dans  le  château  de  Clanx.  Alors  les  Appen- 
zellois  hasardèrent  leur  première  insurrection,  et  assiégèrent  la  forteresse,  mais  sans 
succès  ;  le  landammann  ne  fut  mis  en  liberté  que  moyennant  une  rançon.  L'abbé 
ayant  continué  ses  vexations,  fut  forcé,  par  une  seconde  insurrection,  d'abdiquer  en 
4281.  Les  montagnards  ne  furent  pas  favorables  à  son  successeur,  Guillaume  de 
Montfort,  et  aidèrent  la  maison  de  Habsbourg  à  s'emparer  de  Qanx  ;  mais  Tabbé  leur 
ayant  concédé  quelques  privilèges,  ils  l'aidèrent  à  recouvrer  les  villes  et  les  châteaux 
qu'il  avait  perdus.  Pendant  l'absence  de  leur  troupe,  les  comtes  de  Werdenberg  ei 
de  Sargans  envahirent  leur  pays  et  le  mirent  â  feu  et  â  sang. 

La  fondation  de  la  ligue  helvétique  et  les  victoires  des  Gonlëdérés  causèrent  une 
vive  impression  dans  le  pays  d'Appenzell.  En  4367  le  bourg  d'Appeniell  fit  une  pre- 
mière ligue  avec  Hundwyl  et  peut-être  aussi  avec  d'autres  districts.  En  4378  Appen- 
zell,  Urn&sch,  Hundwyl  et  Teufen  réussirent  h  entrer  dans  l'alliance  des  villes  im- 
périales ;  ils  obtinrent  une  Constitution  libre,  d'après  laquelle  ils  purent  élire  leurs 
magistrats;  ils  s'engagèrent  en  même  temps  à  soutenir  énergiquement  les  drœts  de 
la  ligue.  En  4389  cette  alliance  fut  dissoute,  et  l'abbé  Kuno  de  Staulén  chercha  à 
remettre  complètement  le  pays  sous  sa  dépendance  ;  il  s'allia  avec  dix  villes  rive- 
raines du  lac  de  Constance,  avec  le  pape,  le  duc  d'Autriche  et  l'empereur,  et  il  obtint 
de  ce  dernier  un  décret  qui  lui  conférait  la  souveraineté  absolue  du  pays;  il  y  envoya 
ses  baillis  et  leva  les  dîmes  avec  une  extrême  rigueur.  Les  habitants  s'opposèrent 
vigoureusement  à  ses  prétentions.  En  4400  Appenzell  et  Trogen  conclurent  un  traité 
d'alliance  offensive  et  défensive,  auquel  accédèrent  tous  les  lieux  environnants  et 
même  la  ville  de  Saint-Gall.  En  4 402  l'insurrection  éclata:  les  châteaux  de  Clanx 
et  de  Rachenstein  (Pierre  de  la  vengeance)  furent  détruits  et  les  baillis  expulsés; 
l'abbé  lui-même,  plein  d'effroi,  se  réfugia  à  Wyl  et  invoqua  l'assistance  des  troupes 
autrichiennes.  Les  villes  impériales  intervinrent,  et,  après  des  négociations,  la  ville 
et  le  territoire  de  Saint-Gall  durent  se  retirer  de  l'alliance;  mais  les  districts  appen- 
zellois  tinrent  ferme;  Appenzell  devint  le  centre  de  la  ligue,  et  donna  dès-lors  son 
nom  aux  habitants  de  la  contrée  ;  les  paysans  des  divers  districts  s'y  assemblèrent 
sous  la  présidence  de  leur  landammann,  et  jurèrent  de  sacrifier,  s'il  le  fallait,  leurs 
biens  et  leurs  vies  pour  la  défense  du  pays. 

C'est  alors  que  commence  l'époque  héroïque  des  Appenzellois.  Avec  l'aide  de  quel- 
ques volontaires  de  Schwytz  et  de  Claris,  ces  montagnards  tinrent  tête  à  la  notriesse, 
au  clergé  et  aux  villes  impériales,  et  même  au  duc  d'Autriche.  Ils  attaquèrent  en 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  317 


1403  le  territoire  de  Tabbé,  brûlèrent  les  châteaux  des  nobles;  sous  le  commande- 
ment du  capitaine  schwytzois  Lôri,  ils  repoussèrent,  le  15  mai,  les  troupes  de  Tabbé 
et  de  ses  alliés,  qui  voulaient  pénétrer  dans  leur  pays  par  le  chemin  creux  de  la 
Vôgelisegg  (entre  Saint-Gall  et  Trogen)  ;  débouchant  vivement  des  hauteurs,  ils  se 
précipitèrent  sur  cette  armée ,  la  mirent  en  déroute,  et  lui  tuèrent  600  hommes  ; 
plusieurs  bannières,  entre  autres  celles  des  villes  de  Constance,  Lindau,  Ueberlingen, 
etc.,  tombèrent  au  pouvoir  des  vainqueurs,  qui  ne  perdirent,  dit-on,  que  huit 
hommes.  Ils  envahirent  alors  tout  le  territoire  de  Tabbé,  décidèrent  les  villes  à  con- 
clure la  paix,  et  firent  rentrer  Saint-Gall  dans  leur  ligue.  L'abbé,  qui  voulait  avoir 
sa  revanche,  obtint  un  secours  du  duc  Frédéric  d* Autriche  ;  les  Appenzellois  mirent 
à  leur  tête  le  comte  Rodolphe  de  Werdenberg,  qui  avait  été  dépouillé  de  Théritage 
de  ses  pères  par  le  duc,  et  qui  s'était  déclaré  leur  ami.  L'armée  autrichienne  se 
disposait  à  attaquer  Appenzell  du  côté  du  Rheinthal  ;  le  IS  juin  l&OS,  plusieurs  mil- 
liers d'hommes  s'avancèrent  par  la  route  de  Stoss  ;  les  Appenzellois,  au  nombre  de 
GOO,  se  postèrent  sur  les  hauteurs  qui  défendaient  le  passage  ;  quand  l'ennemi  y  fut 
engagé,  ils  firent  rouler  des  pierres  qui  arrêtèrent  la  marche  de  la  cavalerie  autri- 
chienne, puis  ils  s'élancèrent  sur  elle,  et,  après  une  lutte  de  plusieurs  heures,  par- 
vinrent à  la  repousser.  Le  terrain  était  rendu  glissant  par  de  longues  pluies;  les 
Appenzellois  avaient  ôté  leurs  chaussures  pour  marcher  plus  commodément  sur  des 
pentes  rapides.  Pendant  le  combat  on  vit  paraître  sur  une  hauteur  une  troupe  cou- 
verte de  sarreaux  blancs,  et  qui  s'avançait  en  poussant  des  cris  afireux  ;  c'étaient 
les  femmes  appenzelloises  qui  arrivaient  au  secours  de  leurs  pères  et  de  leurs  maris 
dans  le  costume  des  bergers  du  pays;  à  cet  aspect  imprévu,  l'ennemi  fut  saisi  d'une 
terreur  superstitieuse  et  prit  la  fuite;  80  bourgeois  de  Feldkirch,  l'avoyer  de  Win- 
terthour  et  100  de  ses  concitoyens  furent  au  nombre  des  morts  ;  IBO  armures  et  un 
grand  nombre  de  drapeaux  furent  les  trophées  de  cette  glorieuse  journée.  Une  cha- 
pelle fut  érigée  sur  le  lieu  du  combat,  et  les  habitants  du  canton  y  firent  dès-lors  un 
pèlerinage  annuel.  Les  femmes,  pour  avoir  contribué  au  succès,  obtinrent  la  dis- 
tinction honorable  de  précéder  les  hommes  à  la  communion  de  leurs  paroisses. 

Les  Appenzellois  envahirent  le  Rheinthal  et  remirent  leur  capitaine  Rodolphe  de 
Werdenbei^  en  possession  de  son  comté;  par  la  renommée  de  leur  bravoure  et  leur 
esprit  d'indépendance,  ils  se  trouvèrent  à  la  tète  d'une  ligue  comprenant  toutes  les 
contrées  d'alentour  et  même  quelques  districts  de  la  rive  droite  du  Rhin,  et  devant 
laquelle,  comme  devant  une  seconde  Suisse,  l'Autriche  et  la  noblesse  de  Souabe 
devaient  trembler.  Ils  entreprirent  plusieurs  expéditions  dans  les  pays  voisins  pour 
secourir  leurs  alliés,  soumirent  12  villes  et  64  châteaux;  leur  but  constant  était 
d'affranchir  les  populations  du  joug  de  la  noblesse.  Les  troupes  de  la  ligue  étaient 
occupées,  en  1408,  au  siège  de  Brégenz,  quand  elles  furent  défaites  par  8000  cheva- 
liers; toutes  les  conquêtes  d'outre-Rhin  furent  alors  perdues.  En  1410  le  duc  d'Au- 
triche enleva  le  Rheinthal  aux  Appenzellois,  et  ceux-ci  durent  se  borner  à  défendre 
l'indépendance  de  leurs  frontières.  En  1411  les  Confédérés  helvétiques  les  admirent 
dans  leur  alliance,  à  condition  qu'ils  ne  feraient  aucune  guerre  sans  leur  consente- 
inent,  qu'ils  serviraient  dans  leurs  rangs  sans  recevoir  de  solde,  mais  qu'ils  paie- 
niient  les  secours  qu'ils  recevraient  à  leur  tour.  Les  Appenzellois  prirent  part,  en 
effet,  dans  les  rangs  des  Suisses,  à  la  conquête  des  domaines  du  duc  Frédéric  en  141 5, 


348  LA   SUISSE   PITTORIESQUE. 


et  à  celle  des  bailliages  italiens  en  4422  et  14i5.  Cependant,  Tabbé  n'avait  point 
renoncé  à  toutes  ses  prétentions  sur  le  pays  d'Âppenzell,  et,  comme  les  habitants 
refusaient  de  se  soumettre,  il  prononça,  en  1426,  Tinterdit  sur  toute  la  cootrée. 
Mais  la  Landsgemeinde  décida  qu'elle  ne  voulait  point  entendre  parler  d'une  pardlie 
chose,  et  punit  les  prêtres  qui  refusaient  de  célébrer  la  messe  ;  les  districts  qui  vou- 
laient se  soumettre  à  l'interdit  furent  mis  à  feu  et  à  sang.  En  4428  le  comte  Fré- 
déric de  Toggenbourg  fit  la  guerre  aux  Âppenzellois;  mais,  l'année  suivante,  après 
des  succès  balancés,  la  paix  fut  rétablie  par  l'intervention  des  Ck>nfédérés.  En  1444 
les  Appenzellois  aidèrent  les  Suisses  dans  leur  guerre  contre  Zurich,  qui  s'était  alliée 
avec  r  Autriche  ;  ils  firent  une  expédition  dans  le  pays  de  Sargans  et  au-delà  du  Rhin, 
et  repoussèrent  une  invasion  autrichienne  au  passage  de  Wolfhalden.  En  considé- 
ration de  leurs  services,  la  Confédération  renouvela,  sous  des  conditions  plus  équi- 
tables, l'alliance  conclue  avec  eux.  Appenzell  se  montra  digne  de  cet  honneur  et 
prit  part  à  divei*ses  guerres  des  Suisses,  entre  autres  à  celles  contre  Charles-le-Témé- 
raire,  et  à  plusieurs  expéditions  en  Italie  ;  ils  se  distinguèrent  surtout  dans  la  guerre 
de  Souabe  en  1499,  aux  combats  de  Treisen,  de  Hard  et  de  Frastenz.  Enfin,  en  1513 
ils  furent  admis,  comme  13*  canton,  dans  la  Confédération.  Deux  ans  après,  leur 
contingent  perdit  226  hommes  à  la  désastreuse  bataille  de  Marignan. 

Les  principes  de  la  Réforme  devaient  trouver  un  facile  accès  chez  une  peuplade  à 
l'esprit  aussi  indépendant.  Dès  1518  les  paysans  étaient  allés  entendre  les  discours 
prononcés  à  Saint-Gall  sur  des  questions  religieuses  par  Yadian  et  Kessler.  En  1522 
Walther  Klarrer  fut  le  premier  réformateur  du  pays,  et  son  exemple  fut  suivi  par 
d'autres  curés.  En  1524  la  Landsgemeinde  décida  que  les  prêtres  ne  devaient  ensei- 
gner que  ce  qui  est  conforme  à  la  vérité  et  à  la  Sainte-Ecriture  ;  mais,  après  quel- 
ques dissentiments,  il  fut  décrété  que  les  affaires  de  religion  seraient  laissées  à  la 
décision  des  communes.  Alors  celles  des  Rhodes-Extérieures  se  prononcèrent  pour  le 
culte  réformé,  celles  des  Rhodes-Intérieures  pour  le  maintien  du  culte  catholique. 
Des  dissensions  très-vives  s'élevèrent  entre  les  deux  partis,  et  la  Confédération  dut 
intervenir  plus  d'une  fois  pour  les  apaiser.  Le  parti  catholique  ayant  conclu  secrète- 
ment une  alliance  avec  l'Espagne,  il  en  résulta  en  1597  un  partage  du  pays  en  deux 
demi-Etats,  qui  eurent  leurs  Conseils,  leurs  lois  et  leurs  arsenaux  distincts.  Trc^n 
devint  le  chef-lieu  des  Rhodes-Extérieures,  et  Appenzell  resta  celui  des  Rhodes-Inté- 
rieures. Mais  ce  dernier  district  s'aperçut  bientôt  combien  cette  division  lui  était  fu- 
neste. L'industrie,  qui  fleurissait  déjà  dans  les  Rhodes-Extérieures,  procurait  à  celles- 
ci  les  moyens  de  pourvoir  aux  frais  d'un  Gouvernement,  tandis  qu'il  en  résultait  une 
lourde  charge  pour  le  district  d'Appenzell,  qui,  restant  fidèle  à  ses  mœurs  et  à  ses 
usages  en  même  temps  qu'à  sa  foi,  se  vouait  exclusivement  à  l'économie  alpestre. 

En  1611,  la  peste,  appelée  la  mort  noire,  fit  de  grands  ravages  dans  le  canton. 
Durant  la  guerre  de  Trente  ans  les  Appenzellois  eurent  souvent  à  veiller  sur  leurs 
frontières.  Les  Rhodes-Extérieures  aidèrent  maintes  fois  lès  Grisons  à  repousser  les 
Autrichiens.  Le  pays  prit  part  aussi  aux  capitulations.  Les  Rhodes-lDtérieures  en- 
voyaient leurs  soldats  de  préférence  à  l'Espagne,  et  les  Rhodes-Extérieures  à  la 
France.  Lors  de  la  disette  de  1689,  un  grand  nombre  d' Appenzellois  allèrent  aussi 
servir  en  Angleterre  et  en  Hollande.  Durant  le  18'  siècle  des  dissensions  eurent  lieu 
dans  l'intérieur  de  chacun  des  deux  demi-cantons;  elles  étaient  occasionnées  surtout 


LA    SUISSE    PITTOKESQUE.  319 


par  les  jalousies  de  quelques-unes  des  familles  les  plus  influentes.  Un  magistrat  popu- 
laire, le  landammann  Suter,  des  Rhodes-Intérieures,  péril  en  178ft  par  la  main  du 
bourreau,  par  suite  des  intrigues  d'un  collègue  envieux.  En  1797  on  travaillait  dans 
les  Rhodes-Extérieures  à  mettre  le  Landhnch  (Code  du  pays)  en  harmonie  avec  les 
progrès  du  temps,  lorsque  tout  fut  changé  violemment  par  la  révolution.  En  1798 
le  district  de  Hérisau  se  prononça  pour  la  nouvelle  Constitution  helvétique;  le  district 
de  Trogen,  ainsi  que  les  Rhodes-Intérieures,  décidèrent  au  contraire  de  résister  à  la 
France  en  même  temps  que  les  petits  cantons  de  la  Suisse  centrale;  mais  l'arrivée 
des  troupes  françaises  les  contraignit  bientôt  à  se  soumettre  au  nouvel  ordre  de  choses. 
Âppenzell,  avec  la  plus  grande  partie  du  canton  actuel  de  Saint-Gall,  forma  le  canton 
du  Santis.  Mais  ce  nouveau  régime  ne  plaisait  point  au  peuple,  qui,  plusieurs  fois, 
se  souleva,  et,  suivant  le  parti  qui  dominait,  résista  tantôt  aux  Français  ou  aux 
Autrichiens,  tantôt  au  Gouvernement  helvétique.  Enfin,  en  1803,  le  canton  fut  ré- 
tabli. Pendant  la  disette  de  1815  un  quart  de  la  population  périt  de  misère.  Les 
magistrats  des  Rhodes-Extérieures  cherchèrent  de  nouveau,  quelques  années  plus 
tard,  à  améliorer  la  législation  de  leur  pays,  qui  était  très-arriérée;  mais,  vu  leur 
tendance  aristocratique,  le  peuple  refusa  tous  les  changements,  et  destitua  une  partie 
de  ses  magistrats.  Cependant,  en  1831,  la  Landsgemeinde  décida  que  des  améliora- 
tions seraient  introduites,  et  en  1834  une  nouvelle  Constitution  fut  en  effet  adoptée. 
Dans  les  Rhodes-Intérieures,  un  gouvernement  à  tendances  aristocratiques  avait  éga- 
lement  été  renversé  dès  1828,  et  la  Constitution  modifiée  le  26  avril  1829. 

Constitutions.  —  Nous  avons  dit  que  la  plus  ancienne  Constitution  appenzelloise 
date  de  1378;  depuis  lors  jusqu'à  la  séparation  en.  deux  Etats,  les  citoyens  nom- 
mèrent annuellement  13  magistrats  chargés  de  veiller  aux  intérêts  du  pays  et  de 
taxer  chacun  suivant  sa  fortune.  Après  la  séparation,  quelques  modifications  durent 
avoir  lieu  dans  l'administration  du  pays.  D'après  la  Constitution  des  Rhodes-Exté- 
rieures de  1834,  le  demi-canton  se  divise  en  20  communes,  dont  7  dans  le  district 
Derrière  la  SiUer  (rive  gauche)  et  13  dans  le  district  Devant  la  Sitter  (rive  droite). 
L'autorité  souveraine  est  la  Landsgemeinde,  qui  se  compose  de  tous  les  -citoyens 
ayant  atteint  leur  18*  année  et  ayant  reçu  l'instruction  religieuse.  Tout  citoyen  est 
tenu,  sous  peine  d'amende,  d'assister  à  la  Landsgemeinde  depuis  le  commencement 
jusqu'à  la  fin.  Elle  se  rassemble  tous  les  ans  le  dernier  dimanche  d'avril,  alternati- 
vement à  Trogen  ou  à  Hundwyl,  près  de  Hérisau.  Elle  nomme  ou  confirme  deux 
landammanns,  pris  chacun  dans  l'un  des  deux  districts;  elle  nomme  de  la  même 
manière  deux  statthalters,  deux  trésoriers,  deux  capitaines  du  pays  et  deux  ensei- 
gnes. Tous  les  deux  ans  la  préséance  passe  des  magistrats  de  l'un  des  districts  à 
ceux  de  l'autre.  La  Landsgemeinde  fait  et  abroge  les  lois,  conclut  les  alliances,  accorde 
la  naturalisation  ;  elle  décide  des  travaux  publics  importants,  reçoit  les  comptes 
annuels,  lesquels  doivent  être  imprimés  au  moins  quatre  semaines  à  l'avance,  et 
décide  s'ils  seront  soumis  à  une  Commission.  Une  convocation  extraordinaire  a  lieu 
lorsque  les  magistrats  l'estiment  convenable,  ou  que  dix  des  communes  au  moins  le 
demandent.  Les  motions  qu'un  citoyen  désire  faire  à  l'assemblée  doivent  être  com- 
muniquées au  Grand  Conseil;  elles  doivent  aussi,  de  même  que  les  propositions 
émanant  du  Gouvernement,  être  annoncées,  soit  en  chaire,  soit  par  voie  de  la  presse, 
quatre  semaines  à  l'avance. 


320  LA    SUSSE    PITTORESOI  K. 


La  seconde  autorité  est  le  double  Landrath,  qui  se  compose  des  dix  premiers  ma- 
gistrats ci-dessus  désignés,  de  deux  chefs  de  chaque  commune  (Hanylle^Ue,  capi- 
taines), et  des  députés  de  chaque  commune  nommés  à  raison  d*un  pour  1500.  Il 
s'assemble  huit  jours  après  la  Landsgemeinde,  alternativement  à  Trogen  el  à  Hérisau, 
assermenté  les  nouveaux  conseillers  et  juges,  élit  divers  autres  fonclionnaires  et  Com- 
missions auxiliaires,  fait  toules  les  ordonnances  nécessaires  pour  l'exécution  des  lois. 
Le  Grand  Conseil  se  compose  des  dix  premiers  magistrats,  des  deux  inspecteurs  des 
bâtiments,  du  chef  régnant  de  chaque  commune  (regierende  Hanpimann),  des  deux 
secrétaires  d'Elat  ;  il  s'assemble  aussi  souvent  que  les  affaires  l'exigent,  à  Trogen 
ou  à  Hérisau,  examine  l'état  des  finances,  et  exerce  le  pouvoir  exécutif  (il  nommait 
aussi  le  député  à  la  Diète  et  lui  donnait  des  instructions).  H  est  juge  en  dernière 
instance  des  affaires  civiles  et  criminelles.  Ces  dernières  sont  toujours  jugéesà  Trogen. 
Il  y  a  dans  chacun  des  districts  un  Petit  Comeil,  composé  de  13  membres,  dont  la 
nomination  est  répartie  entre  les  communes,  et  qui  ne  peuvent  siéger  dans  aucun 
autre  Conseil.  Ces  Petits  Conseils  se  rassemblent  tous  les  mois,  l'un  à  Hérisau, 
Urniisch  ou  Hundwyl,  l'autre  à  Trogen  ou  à  Heiden;  ils  sont  juges  en  seconde 
instance  des  affaires  civiles  et  criminelles.  Les  assemblées  communales  ou  parois- 
siales fAVrrAAdiYiiJ  s'assemblent  ordinairement  deux  fois  l'an,  en  particulier  le  pre- 
mier dimanche  de  mai,  pour  élire  les  chefs  et  conseillers  de  la  commune,  les  membres 
du  double  Lrindralh  et  du  Petit  Conseil  ;  elles  élisent  el  destituent  leur  pasteur,  déci- 
dent des  impôts  communaux,  reçoivent  les  comptes,  votent  sur  les  oonstnictions  el 
contrats  importants  et  sur  l'administration  de  leurs  biens,  l'achat  el  la  vente  de  leurs 
immeubles,  el  confèrent  les  droits  communaux.  Les  chefs  et  conseillers  sont  au 
nombre  de  7  au  moins,  et  de  24  au  plus  ;  ils  s'assemblent  au  moins  tous  les  mois  pour 
s'occuper  des  affiiires  communales,  nomment  les  tuteurs,  jugent  en  première  instance 
toutes  les  affaires,  etc.  Les  causes  matrimoniales  sont  examinées  en  première  instance 
par  le  pasteur  et  les  deux  chefs  de  la  commune,  et  en  seconde  el  dernière  instance  par 
un  tribunal  matrimonial,  composé  de  six  fonctionnaires  civils  et  de  trois  ecclésiasti- 
ques nommés  annuellement  par  le  double  Landrath.  Chaque  commune  doit  pourvoir 
à  l'assistance  de  ses  pauvres,  quelle  que  soit  leur  résidence.  Pour  obtenir  la  naturali- 
sation, il  faut  avoir  résidé  au  moins  cinq  ans  dans  le  pays.  Les  autorités  el  tout  citoyen 
ont  en  tout  temps  le  droit  de  proposer  des  changements  à  la  Constitution,  dans  la 
forme  indiquée  pour  les  motions  individuelles. 

D'après  la  Constitution  de  1829  d'Appenzell-Intérieur,  son  territoire  se  divise  en 
sept  Rhodes.  La  Landsgemeinde  se  compose  de  tous  les  citoyens  âgés  d'au  moins  18 
ans  ;  elle  nomme  deux  landammanns,  un  statthalter,  un  trésorier,  un  capitaine  du 
pays,  un  inspecteur  des  bâtiments,  un  enseigne,  le  trésorier  des  |iauvres,  Tadminis- 
trateur  des  fonds  des  pauvres,  le  directeur  de  l'arsenal,  le  secrétaire;  ces  fonction- 
naires sont  nommés  pour  un  an,  mais  rééligibles;  seulement,  le  landammann  ne  peut 
conserver  sa  charge  plus  de  deux  ans.  L'assemblée  reçoit  le  rapport  des  comptes, 
donne  le  droit  de  bourgeoisie  à  des  candidats  catholiques  ayant  obtenu  du  Grand  Con- 
seil Tautorisation  de  se  présenter  ;  aucun  objet  ne  peut  être  délibéré  sans  avoir  été 
communiqué  par  écrit  au  Grand  Conseil  au  moins  un  mois  à  l'avance,  el  examiné  par 
ce  corps  ;  les  projets  de  lois  el  motions  individuelles  doivent  être  lus  dans  toutes  les 
chaires,  el  tout  citoyen  peut  en  demander  communication  écrite. — La  seconde  autorité 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  32( 


est  le  Grand  Conseil,  qui  se  compose  des  premiers  fonctionnaires  et  des  petits  et  grands 
conseillers  de  toutes  les  Rhodes  ;  il  propose  les  lois  à  la  Landsgemeinde,  fixe  les  im- 
pôts, administre  le  bien  des  pauvres,  prononce  en  dernière  instance  sur  les  contesta- 
lions  civiles  et  les  affaires  capitales  (il  nommait  les  députés  à  la  Diète  et  leur  donnait 
des  instructions  sur  les  objets  non  réservés  à  la  Landsgemeinde)  ;  il  exerce  le  droit  de 
collalure.  Le  PeiU  Conseil  se  compose  des  premiers  fonctionnaires  et  des  petits  con- 
seillers nommés  par  chaque  Rhode.  Il  se  partage  en  trois  fractions  égales,  qui  siègent 
tour  à  tour,  et  qui  s'appellent  Cofiseil  hebdomadaire;  ce  Conseil  prononce  en  première 
instance  dans  les  affaires  civiles  et  dans  les  affaires  criminelles  non  réservées  au 
Grand  Conseil  ;  il  prononce  en  dernière  instance  dans  les  contraventions  de  police. 
Dans  les  cas  plus  importants,  le  président  appelle  des  suppléants.  Le  landammann  en 
charge  préside  toutes  les  séances  des  Conseils,  exerce  la  haute  surveillance  sur  la 
police  et  sur  Texécution  des  lois  ;  il  fait  rendre  compte  aux  couvents  et  aux  fonda- 
lions  pieuses.  Il  est  remplacé  par  le  statthalter  en  cas  d'empêchement. —  La  Constitu- 
tion peut  être  révisée  en  tout  temps  par  les  Conseils  et  par  la  Landsgemeinde. 

Chaque  demi-Etat  avait  une  demi-voix  à  la  Diète.  C'était  tour  à  tour  le  député  de 
l'un  ou  de  l'autre  demi -Etat  qui  avait  la  préséance  ;  les  instructions  étaient  délibérées 
[)ar  des  délégués  des  deux  parties  du  canton,  et  la  conférence  se  tenait  dans  la  partie 
du  canton  qui  nommait  le  second  député,  et  sous  la  présidence  du  premier  magistrat 
de  ce  même  demi-Etat.  Actuellement,  chacun  des  demi-Etats  envoie  un  député  au 
Conseil  des  Etats;  les  Rhodes-Intérieures  en  envoient  un  au  Conseil  National,  et  les 
Rhodes-Extérieures  deux. 

Cultes.  — -  Ce  fut  l'Irlandais  Gallus  ou  saint  Gall  qui  prêcha  le  premier  le  christia- 
nisme aux  environs  d'Âppenzell,  au  commencement  du  7"^  siècle,  mais  ce  ne  lut  que 
vers  l'an  4000  que  le  culte  des  idoles  y  fut  complètement  aboli.  Les  plus  anciennes 
paroisses  furent:  celle  de  Hérisau,  qui  date  à  peu  près  de  l'an  780  ;  celle  d'Appenzell, 
qui  date  de  4061,  et  celle  de  Teufenau,  qui  date  de  4302.  Plusieurs  furent  créées 
dans  le  siècle  suivant.  Le  droit  de  collature  appartint  d'abord  à  l'abbé  de  Saint-Gall 
ou  à  la  noblesse;  mais  les  habitants  du  pays  réclamèrent  ensuite  ce  droit,  et,  depuis 
le  15*  siècle,  l'exercèrent  sans  opposition.  Les  Appenzellois  ne  trouvaient  pas  tous 
les  ordres  de  l'Eglise  conformes  à  la  raison  ;  ainsi,  de  tout  temps  ils  se  sont  nourris 
de  laitage  pendant  le  carême,  et  le  pape,  pour  ne  pas  compromettre  son  influence, 
fut  obligé  de  leur  en  accorder  la  permission  en  4459  proprio  motu.  Un  landammann 
ayant  obtenu,  en  4489,  une  dispense  papale  pour  épouser  sa  filleule,  la  Landsge- 
meinde déclara  que  ce  dont  un  landammann  avait  obtenu  l'autorisation  pour  de 
l'argent,  devait  être  permis  pour  rien  à  tout  citoyen. 

D'après  leur  Constitution,  la  religion  des  Rhodes-Extérieures  est  la  religion  ré- 
formée. Celte  Constitulion  recommande  aux  citoyens  de  célébrer  convenablement  les 
fêles  et  de  se  rendre  assidûment  à  l'église  ;  elle  impose  aux  ecclésiastiques  le  devoir 
de  donner  aux  enfants  l'instruction  religieuse,  et  de  veiller,  de  concert  avec  les  ma- 
gistrats, au  maintien  des  bonnes  mœurs.  Les  affaires  de  l'Eglise  sont  administrées 
par  un  synode,  composé  des  six  membres  laïques  désignés  par  le  Landrath  pour  faire 
partie  du  Tribunal  matrimonial,  des  pasteurs  en  office,  et  d'autres  ecclésiastiques 
admis  à  y  siéger.  Ce  Synode  se  rassemble  ordinairement  une  fois  par  an,  alternati- 
vement à  Trogen  ou  à  Hérisau,  et  choisit  chaque  année  son  doyen  dans  son  sein. 

11.21.  41 


322  LA    SllSSR   PITTORESQCe. 


Les  services  du  dimanche  matin  sont  ordinairement  suivis  par  des  auditoires  nom- 
breux, surtout  lorsque  les  prédicateurs  sont  éloquents;  mais  les  publications  offi- 
cielles, qui  se  font  après  le  service  et  qui  souvent  concernent  des  affaires  triviales, 
nuisent  à  Tédification.  Le  Tribunal  matrimonial  a  malheureusement  beaucoup  à 
Taire,  les  divorces  et  les  séparations  de  biens  étant  assez  fréquents.  —  Le  mysti- 
cisme et  Tcsprit  de  secte  a  existé  dès  longtemps  dans  le  canton.  Durant  le  moyen- 
âge,  il  y  eut  toujours  plusieurs  ermites  qui  se  vouèrent  à  la  vie  contemplative  el 
vécurent  dans  des  lieux  écartés.  Au  moment  de  la  Réformation,  les  doctrines  des 
anabaptistes  comptèrent  plus  de  2000  adeptes;  leur  chef,  Jean  Krùsi,  fut  saisi  par 
les  papistes  et  brûlé  à  Lucerne.  Cette  secte  était  complètement  éteinte  depuis  long- 
temps, lorsqu'elle  reparut  momentanément  en  183&,  surtout  dans  la  paroisse  de 
Heiden.  Quelques  autres  sectes  qui  surgirent  n'eurent  également  qu'une  courte 
existence. 

La  religion  catholique  est  la  religion  nationale  des  Rhodes-Intérieures.  Les  ecclé- 
siastiques ont,  pour  la  plupart,  fait  leurs  études  aux  frais  de  TEtat  ou  de  fondatioi» 
pieuses.  Le  Grand  Conseil  nomme  les  curés;  ceux-ci  exercent  une  assez  grande  in- 
fluence sur  les  affaires  de  l'Etat.  Il  existe  encore  dans  le  canton  des  couvents 
d'hommes  et  de  femmes  de  l'ordre  franciscain,  qui  se  distinguent  par  leur  bienfai- 
sance envers  les  pauvres.  Il  y  a  aussi  des  capucins,  dont  les  prédications  attirent  un 
grand  nombre  d'auditeurs.  Deux  des  couvents  de  femmes,  ceux  de  Wonnenstein  et 
de  Grimmenstein  (Pierre  de  délices  et  Pierre  du  courroux),  sont  situés  sur  le  terri- 
toire des  Rhodes-Extérieures. 

Instruction  publique.  —  Après  la  Réformation,  les  pasteurs  ont  cherché  à  répandre 
l'instruction  parmi  la  jeunesse;  mais  ce  n'est  que  dans  le  17*  siècle  qu'on  a  établi 
dans  les  Rhodes-Extérieures  des  écoles  proprement  dites;  beaucoup  de  parents  qui 
désiraient  former  leurs  enfants  pour  les  vocations  commerciales,  étaient  obligés  de 
les  envoyer  à  l'étranger  pour  y  recevoir  une  éducation  plus  développée,  el  apprendre, 
en  particulier,  la  langue  française.  Depuis  le  commencement  de  ce  siècle,  les  écoles 
ont  reçu  des  améliorations  sensibles,  et  divers  établissements  supérieurs  ont  été  créés. 
Les  écoles  sont  surveillées  et  visitées  par  une  Commission  scolaire,  composée  d'ecclé- 
siastiques et  de  laïques,  ainsi  que  par  une  Commission  communale,  que  préside  ordi- 
nairement le  pasteur.  Les  enfants  doivent  suivre  l'école  de  6  à  12  ans.  Dans  la 
plupart  des  communes,  les  écoles  sont  gratuites  pour  les  enfants  qui  en  sont  ressor- 
tissants. Il  y  a  en  outre  dans  plusieurs  communes  une  école  hebdomadaire  de  per- 
fectionnement, el  dans  toutes  des  répétitions  mensuelles  et  une  instruction  religieuse. 
Dans  le  district  de  Hérisau,  sauf  dans  ce  chef-lieu  même,  les  progrès  ne  sont  pas 
aussi  grands  que  dans  le  reste  du  territoire,  parce  que  l'industrie  y  est  moins  ré- 
pandue, et  qu'on  y  sent  moins  les  avantages  de  rinstruclion.  On  comptait  en  1834, 
en  moyenne,  une  école  pour  bSO  habitants,  et  49&1  écoliers,  soit  un  sur  huit  habi- 
tants ;  ce  chiffre  avait  doublé  dans  l'espace  de  30  ans.  Trogen  possède  un  institut 
cantonal,  qui,  lors  de  sa  fondation,  commença  par  être  un  établissement  privé,  el 
qui  a  été  doté  par  plusieurs  citoyens  généreux,  entre  autres  par  MM.  Zell^eger. 
On  y  enseigne  les  langues  anciennes  et  modernes,  les  mathématiques,  la  géographie, 
l'histoire  naturelle,  etc.  ;  les  élèves  étaient  au  nombre  de  30  en  1834.  On  enseigne 
les  mêmes  branches,  sauf  les  langues  anciennes,  dans  le  provisorat  de  Heiden,  fondé 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  525 


en  1825' par  le  trésorier  Tobler.  Des  instituts  pour  les  demoiselles  ont  été  créés  à 
Trogen  et  à  Gais.  Il  existe  aussi  à  Trogen  un  institut  d*orphelins,  créé  sous  la  direc- 
tion d'un  élève  de  M.  Wehrli,  et  sur  le  modèle  de  celui  que  ce  dernier  avait  dirigé 
à  Hofwyl  ;  on  y  prépare  les  enfants  aux  professions  industrielles  ou  agricoles.  Une 
autre  maison  d'orphelins  a  été  fondée  en  1855  à  Teufen  par  quelques  citoyens;  elle 
a  été  confiée  à  M.  J.-U.  Bânziger,  autre  élève  de  M.  Wehrli.  Un  séminaire  de  ré- 
gents a  été  établi  à  Gais.  Enfin,  Hérisau  et  Trogen  possèdent  des  instituts  privés,  où 
Ton  fait  les  mêmes  études  que  dans  l'institut  cantonal. 

Dans  les  Rhodes-Intérieures,  les  écoles  sont  bien  moins  avancées;  elles  ont  reçu 
quelques  améliorations  depuis  une  quarantaine  d'années,  mais  les  maîtres  sont  encore 
peu  instruits  et  mal  payés.  Les  écoles,  au  nombre  de  17,  sont  surveillées  par  une 
Commission,  qui  doit  soumettre  au  Grand  Conseil  le  résultat  de  son  inspection,  et  qui 
est  chargée  d'examiner  les  régents  et  les  enfants.  Le  Grand  Conseil  nomme  les  ré- 
gents pour  six  années.  Les  parents  n'ont  pas  l'obligation  d'envoyer  leurs  enfants  à 
l'école.  Les  élèves  étaient  en  1854  au  nombre  de  1067,  ou  de  un  sur  dix  habitants. 
Appenzell  possède  deux  écoles  spéciales  de  filles,  tenues  par  des  religieuses. 

Industrie,  Commerce,  Economie  rurale.  —  Le  commerce  et  l'industrie  sont  les 
principales  occupations  des  habitants  des  Rhodes-Extérieures,  et  un  certain  nombre 
de  ceux  des  Rhodes-Intérieures  s'y  consacrent  aussi.  C'est  en  1857  que  s'établit  la 
première  société  de  commerce  à  Appenzell,  et  bientôt  après  Georges  Schlâpfer  de 
Wald  fut  le  premier  qui  fit  le  commerce  de  toiles  de  lin  dans  les  Rhodes-Extérieures. 
Depuis  1572  ce  commerce  prospéra  particulièrement,  mais  il  céda  peu  à  peu  la  place 
aux  manufactures  de  tissus  de  coton,  et  surtout  à  la  fabrication  de  la  mousseline. 
Actuellement,  10  à  12,000  personnes  se  vouent  à  cette  fabrication  dans  les  Rhodes- 
Extérieures  seules.  Ces  mousselines  sont  ou  unies  ou  ornées  des  broderies  les  plus 
délicates,  qui  ont  fait  l'admiration  du  public  à  l'Exposition  de  Londres.  On  fabrique 
aussi  des  gazes  de  coton,  des  percales,  des  indiennes,  des  tulles,  des  soieries;  mais, 
(le  même  que  dans  le  canton  de  Zurich,  les  ouvriers  consacrent  une  partie  de  leur 
temps  aux  travaux  agricoles  ;  c'est  ce  qui  fait  qu'ils  peuvent  soutenir  la  concurrence 
des  fabriques  proprement  dites.  Il  y  a  en  outre  dans  le  pays  des  tanneries,  des  fila- 
tures, des  teintureries  d'indiennes,  des  blanchisseries,  des  scieries,  des  fabriques  de 
produits  chimiques,  des  papeteries,  des  imprimeries  à  Trogen  et  à  Hérisau,  un  moulin 
à  poudre  à  Wolfshalden,  etc.  Outre  les  étoffes,  l'exportation  comprend  les  cuirs,  les 
bois,  les  eaux  distillées,  les  bestiaux  et  les  fromages;  l'importation  consiste  en  vins, 
blés,  tabacs,  sels,  denrées  coloniales,  etc. 

La  principale  culture  du  canton  est  celle  des  prairies,  mais  elle  n'y  a  pas  fait  tous 
les  progrès  désirables  ;  on  pourrait  y  introduire  avec  avantage  plus  de  prairies  arti- 
ficielles. Le  canton  possède  aussi  beaucoup  de  pâturages  alpestres.  On  compte  59 
alpes  dans  les  Rhodes-Intérieures,  et  18  dans  les  Rhodes-Extérieures;  plusieui*s  de 
ces  alpes  sont  communes,  et  chaque  berger  peut  y  tenir  un  certain  nombre  de  va- 
ches, en  payant  une  petite  somme,  qui  est  versée  dans  la  bourse  des  pauvres.  Telles 
sont  la  Seealp,  la  Meglisalp,  l'Ebenalp.  Sur  quelques-unes  on  trouve  des  villages 
entiers  de  chalets  ;  on  appelle  Seimlhum  un  troupeau  composé  de  2&  vaches  et  d'un 
taureau  ;  lorsque  plusieurs  troupeaux  semblables  sont  réunis,  on  voit  les  taureaux 
combattre  pour  la  possession  du  meilleur  pâturage,  et  les  plus  faibles  doivent  céder 


Zik  LA    SnSSE   PITTORESQrE. 


la  place  aux  plus  forts.  Chaque  auiiée  on  achète  un  grand  nombre  de  vaches  dans 
les  Grisons,  dans  le  Tyrol  et  le  Yorarlberg,  et  Ton  en  revend  en  automne,  après  les 
avoir  nourries  en  été  sur  les  alpages.  On  compte  dans  le  pays,  durant  cette  saison, 
42  à  4rS,000  vaches.  Il  y  a  en  outre  2000  moutons  et  3000  chèvres  ;  celles-ci  pais- 
sent sur  les  sommets  les  plus  élevés  ;  on  emploie  leur  lait  pour  Taire  des  fromages, 
et  leur  petit-lait  a  des  qualités  qui  le  font  rechercher  pour  des  cures.  —  Les  forêts 
sont  négligées,  et  une  consommation  très-considérable  tend  constamment  à  les  ré- 
duire. Les  arbres  fruitiers  n'abondent  que  dans  les  communes  les  plus  orientales  du 
canton;  la  vigne  ne  se  cultive  que  sur  la  lisière  nord-est,  dans  les  communes 
de  Heiden,  Wolfshalden  et  Walzenhausen.  On  cultivait  jadis  une  plus  grande  quan- 
tité de  céréales  ;  les  occupations  industrielles  ont  fait  presque  abandonner  cette  cul- 
ture  ;  mais  les  disettes  et  les  stagnations  de  Tindustrie  qui  sont  survenues  dans  le 
courant  de  ce  siècle  ont  fait  comprendre  combien  cela  était  fâcheux.  Aussi,  les  gou- 
vernements, ainsi  que  la  Société  d'Utilité  publique,  fondée  en  1832,  s'eflbrcent-ils 
maintenant  d'encourager  l'agriculture.  Un  grand  nombre  de  personnes  s'occupent  de 
l'exploitation  des  abeilles,  et  les  herbes  aromatiques  qui  se  trouvent  en  abondance 
dans  les  prairies  donnent  au  miel  une  qualité  excellente. 

Hommes  distingués.  Savants,  etc.  —  La  culture  des  lettres,  des  sciences  et  des  arts 
n'est  point  restée  complètement  étrangère  aux  Appenzellois.  Plusieurs  en  particu- 
lier se  sont  occupés  de  travaux  historiques.  Bischofberyei\  pasteur  à  Trogen,  a  publié 
en  4682  une  Histoire  d'Apfyenzell.  G.  WaUer,  de  Wolfshalden,  mort  en  4776,  a  écrit 
une  Chronique  qui  va  jusqu'à  l'an  4772,  et  qui  contient  beaucoup  de  documents  topo- 
graphiques et  statistiques  intéressants.  Groh,  de  Hérisau,  a  laissé  une  Hhloire  des 
Etats  italiens,  dans  laquelle  il  a  fait  preuve  d'une  grande  érudition.  Michel  SlurzeH- 
egger,  de  Trogen,  a  laissé  un  manuscrit  en  trois  volumes  in-8®,  intitulé  Evénemetits 
remarquables  qui  se  santimsses  à  Trogen  et  ailleurs  de  4775  à  iSi7.  Le  trésorier  FiVA, 
de  Hérisau,  a  recueilli  des  matériaux  pour  l'histoire  du  canton  de  4730  à  4849,  en 
neuf  volumes  in-folio,  qui  se  trouvent  aux  archives  de  Hérisau  ;  ce  manuscrit  est 
rédigé  avec  impartialité,  mais  sans  critique  suffisante.  Le  nom  qui  mérite  le  plus 
d'être  cité,  est  celui  de  J.-Gasp,  ZelUreger^  de  Trogen,  ancien  réviseur  des  péages 
suisses  et  président  de  la  Société  d'Utilité  publique,  né  en  4768,  mort  en  4855  ;  son 
Histoire  du  peuple  d'Appenzell,  qui  va  jusqu'à  l'admission  de  ce  pays  dans  la  Confédé- 
ration, est  regardée  comme  un  ouvrage  classique.  L'auteur  a  puisé  aux  meilleures 
sources  et  consulté  les  archives  avec  une  patience  infatigable  ;  ses  recherches  ont 
jeté  du  jour  sur  divers  points.  Il  a  fait  paraître  aussi  divers  ouvrages  sur  des  sujets 
statistiques  et  économiques. 

Pour  la  philosophie  et  la  pédagogie,  nous  citerons  Laurent  Zellweger,  docteur  mé- 
decin de  Trogen,  mort  en  476ft,  dont  on  a  imprimé  la  correspondance  scientifique 
avecBodmer,  Breitinger,  Hirzel,  Sulzer,  et  d'autres.  Jean  iVieder^r,  chef  d'un  institut 
de  demoiselles  à  Yverdon,  qui  a  reçu  des  Universités  de  Tubingue  et  deGiessen  le  titre 
de  docteur  en  philosophie,  pour  ses  divers  ouvrages  sur  la  méthode  de  Pestalozzi  ;  sa 
femme.  Rosette  Kasthofer,  a  écrit  sur  l'éducation  des  femmes.  Séb,  Scheuss,  doyen  de 
Hérisau,  a  publié  une  direction  pour  les  régents  des  Rhodes-Extérieures.  H,  KrUsi, 
de  Gais,  chef  du  séminaire  de  Gaïs,  a  publié  divers  ouvrages  sur  l'éducation  des 
enfants,  et  quelques  petits  écrits  pour  la  jeunesse.  Georges  Tobkr,  de  Wolfehalden. 


LA    suisse   PlTTOBESOrE.  32S 


né  en  1768,  est  l'auteur  de  plusieurs  romans  sur  des  sujets  de  morale,  tels  que 
Pierre  ou  ks  suites  de  rignorance,  la  Sainte  Famille,  Ali  et  Ala  ou  les  petits  Insu- 
laires, etc.  —  Àppenzell  peut  nommer  comme  théologiens  distingués  :  Wallher  Klarrer, 
né  à  Hundwyl  en  1499,  et  qui  fit  ses  éludes  à  Paris:  il  fut  le  premier  à  prêcher  la 
Réforme  dans  son  lieu  natal,  en  4524,  et  fut  en  correspondance  intime  avec  Zwingli, 
Vadian  et  d'autres  réformateurs.  Schurtanner,  pasteur  à  Teufen,  à  qui  Zwingli  a 
dédié  son  livre  intitulé  le  Pasteur;  J.-K,  Scheuss,  J.-J,  Frey,  et  Zuberbûhler,  au- 
teurs de  divers  ouvrages  théologiques  ou  d'édification.  —  G.  Srhlapfer,  docteur 
médecin,  a  formé  une  collection  considérable  d'objets  d'histoire  naturelle,  et  public 
divers  écrits  sur  celte  branche  des  sciences.  Les  médecins  Oberteufer,  grand-père  et 
pelil-fils,  et  Heim,  ont  écrit  sur  leur  art  ;  ce  dernier  a  traité  des  cures  de  petit-lait, 
et  Oberteufer  jeune,  de  la  petite-vérole  et  de  l'importance  des  eaux  minérales.  ROsch 
a  écrit  aussi  sur  l'usage  des  eaux  minérales,  et  fait  une  description  de  l'établissement 
de  bains  de  Nuolen  au  canton  de  Schwytz. 

Malgré  les  dispositions  naturelles  des  Âppenzellois  pour  la  poésie,  un  bien  petit 
nombre  ont  acquis  quelque  renommée  dans  cet  art;  on  peut  citer  cependant  Werner 
de  Teufen,  qui  fut  minnesinger,  ou  barde,  au  IS**  siècle;  J.  Grob,  né  dans  le  Toggen- 
Iwurg,  qui  vint  en  1672  à  Hérisau  et  y  publia  des  essais  poétiques;  en  1690,  il  fut 
envoyé  auprès  de  l'empereur  Joseph  V"  et  obtint  l'allégement  d'un  blocus  des  céréales, 
ce  qui  lui  fit  accorder  les  droits  de  bourgeoisie.  D.-A.  Grob,  son  arrière-petit-fils, 
qui  a  publié  des  tableaux  dramatiques  de  la  Suisse  en  1816,  des  chants  pour  les 
guerriers  suisses  en  1824,  etc.  Nanni,  élève  de  Pestalozzi,  a  écrit  un  Man^iel  de 
ianwur  et  de  l'amitié,  en  1833.  J.  Merz  a  fait  paraître  deux  volumes  intitulés  l' Ap- 
penzellois poétiqm,  en  1828-1832;  ses  poésies,  écrites  dans  le  dialecte  d'Âppenzell, 
contiennent  des  tableaux  de  mœurs,  des  descriptions  de  batailles,  etc.  —  J.-J,  Mock 
et  Tanner,  de  Hérisau,  Honnerlag,  de  Trogen,  Fitzi,  de  Bûhler,  etc.,  ont  de  la  ré- 
putation comme  peintres  de  paysages;  /.  Weiss,  de  Hundwyl,  et  M"''  Caroline  Reich, 
de  Trogen,  comme  peintres  de  portraits.  Les  |)ortraits  des  landaromanns  qui  déco- 
rent les  salles  du  Conseil  de  Trogen  et  de  Hérisau  sont  de  Weiss.  —  Plusieurs 
Appenzellois  se  sont  distingués  par  leur  génie  inventif  dans  les  arts  mécaniques, 
mais  surtout  Jean  Grubemann,  de  Teufen,  mort  en  1783,  qui  fut  l'inventeur  des 
ponts  en  bois  suspendus  ;  il  construisit  entre  autres  ceux  de  Schaff  bouse  et  de  Wet- 
tingen,  qui  furent  incendiés  pendant  les  guerres  de  la  Révolution,  à  la  fin  du  siècle 
dernier  ;  il  éleva  aussi  plusieurs  palais  et  une  trentaine  d'églises.  Jacob  Grubemann, 
frère  du  précédent,  marcha  sur  ses  traces  :  il  construisit  l'église  de  Trogen,  et  mourut 
en  tombant  de  la  tour  à  moitié  achevée.  Langenegger,  de  Gaïs,  a  réparé  plusieurs 
palais  impériaux  de  Saint-Pétersbourg.  Altherr,  de  Wald,  ami  du  précédent,  a  con- 
struit, de  concert  avec  lui,  plusieurs  édifices,  entre  autres  un  hôtel  des  monnaies  à 
Saint-Pétersbourg;  il  est  mort  dans  l'incendie  de  Moscou.  —  Appenzell  n'a  jamais 
considéré  comme  une  carrière  lucrative  le  service  militaire  à  l'étranger  ;  un  petit 
nombre  d' Appenzellois  y  ont  atteint  des  grades  supérieurs;  tel  esi  Adrien  Mayer,  de 
Hérisau,  mort  en  1767,  qui  s'éleva  au  rang  d'adjudant-général  de  l'armée  sarde. 

MoRURs,  Coutumes,  Caractère.  —  Si,  sous  certains  rapports,  il  existe  un  contraste 
entre  la  population  des  Rhodes-Intérieures  et  celle  des  Rhodes-Extérieures,  sous  plu- 
sieurs autres  ces  deux  populations  ont  une  grande  analogie  entre  elles.  La  première 


326  LA   StISSE   PITTORESOrB. 


est  catholique,  et  la  seconde  protestante  ;  la  première  a  conservé  le  type  ancien  des 
habitants  du  pays,  et  particulièrement  une  taille  élancée,  tandis  que  chez  la  seconde 
une  taille  moyenne  est  la  plus  ordinaire  ;  la  première  n*a  guère  que  de  petits  villages 
avec  un  grand  nombre  d'habitations  dispersées,  tandis  que  Tautre  est  plutôt  réunie 
dans  des  bourgs  et  des  villages  considérables  ;  enfin  les  habitants  des  Rhodes-Inté- 
rieures se  vouent  pres(]ue  exclusivement  à  la  vie  pastorale,  et  ont  conservé  leur 
costume  pittores(|ue  de  berger,  tandis  que  leurs  voisins  se  consacrent  avec  une  grande 
activité  aux  occupations  industrielles  et  commerciales,  et  ne  considèrent  que  comme 
accessoire  Téiève  du  bétail  et  les  travaux  ruraux.  Mais  tous  les  Appenzellois  en 
général  ont  une  vivacité  et  une  jovialité  remarquables;  ils  ont  une  intelligence  très- 
é veillée  et  de  Tesprit  naturel,  qui  se  manifeste  par  des  saillies  originales.  Leur  dia- 
lecte est  aussi  empreint  d'une  certaine  originalité;  leurs  chansons,  surtout  les  chan- 
sons pastorales,  sont  gracieuses,  expressives  et  pleines  d'une  mélodie  singulière.  Ils 
ont  la  même  bravoure,  le  même  amour  de  la  liberté,  et  surtout  le  même  goût  des 
divertissements  et  des  réjouissances  de  tout  genre ,  tels  que  la  danse ,  les  jeu\ 
gymnastiques,  le  chant,  etc.  Les  Landsgemeindes,  les  jours  de  revues  de  la  milice, 
et  les  fêtes  d'Eglise  {Kilben  ou  Killtenen  ou  Kirchiveihfeste,  en  français  vulgaire 
v(Hjues),  sont  pour  eux  l'occasion  d'autant  de  fêtes  nationales.  Ces  dernières  (qui  du 
reste  se  célèbrent  aussi  dans  d'autres  cantons,  surtout  dans  les  cantons  catholiques) 
ont  été  souvent  interdites  dans  les  communes  protestantes  d'Âppenzell,  ou  transpor- 
tées sur  un  jour  de  semaine,  à  cause  des  désordres  qui  les  accompagnaient  parfois. 
Le  lundi  de  Pâques  est  fêté  surtout  par  les  enfants;  ils  se  rendent  d'abord  à  l'élise, 
précédés  d'un  corps  de  musique,  et  ils  y  exécutent  des  chants;  ils  se  livrent  ensuite 
à  divers  amusements,  auxquels  prennent  part  beaucoup  de  grandes  personnes. 
Divers  jeux  particuliers  ont  été  autrefois  en  usage  dans  le  pays  ;  tel  est  le  jeu  du 
cercle  (Ringspiel),  qui  n'est  pas  encore  complètement  oublié.  Les  garçons  et  les  filles 
formaient  un  rond  et  se  mettaient  à  tourner,  avec  accompagnement  de  chansons  du 
pays  ;  un  des  joueurs,  resté  hors  du  cercle,  désignait  en  le  touchant  un  des  danseurs, 
qui  était  obligé  de  quitter  la  ronde  et  de  le  poursuivre  à  travers  les  prairies  et  les  rochers, 
et  de  l'amener  prisonnier  au  milieu  du  cercle,  où  une  pénitence  lui  était  imposée. 
Les  Rhodes-Extérieures  ont  conservé  quelques  fêtes  particulières.  Le  17  février, 
dans  quelques  communes  de  la  rive  gauche  de  la  Sitter,  on  promène  sur  un  char  un 
tronc  d*arbre  orne  de  fleurs  et  de  guirlandes  ;  un  homme  et  une  femme,  vêtus  de 
l'antique  costume  suisse  et  portant  des  clochettes,  se  promènent  gravement  devant  le 
cortège;  le  chef  de  la  fête,  assis  sur  le  tronc  d'arbre,  salue  gracieusement  la  foule. 
On  ignore  l'origine  et  le  but  de  cette  fêle.  A  Trogen,  à  Speicher  et  dans  d'autres 
communes  de  la  rive  droite  de  la  Sitter,  on  célèbre  la  fête  de  Nicolas  {Nikhusfest)  ; 
les  personnes  d'âge  mùr,  les  jeunes  gens  et  les  enfants  se  réunissent  dans  des  ban- 
quels,  et  se  divertissent  par  des  mascarades,  des  chants,  des  danses  ;  cette  fête  date 
du  temps  où  les  habitants  se  rendaient  à  Altstâtten  au  marché  au  fil,  et  se  livraient 
à  leur  retour  à  des  réjouissances.  Le  premier  dimanche  de  chaque  trimestre  on  se 
réunit  en  sociétés  pour  faire  des  excursions.  Les  Rhodes-Intérieures  ne  restent  point 
en  arrière  ;  la  saison  du  Carnaval  et  celle  des  bains  y  sont  également  l'occasioD  de 
diverses  réjouissances.  II  va  sans  dire  qu'à  tous  ces  jours  de  fêtes  l'on  ifréquente  les 
cabarets  et  l'on  y  fait  des  libations  prolongées.  Il  y  avait  aussi  autrefois  des  fêtes  de 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  327 


bergers,  Waid^  ou  Alpsti^enten  (Visites  des  pâturages),  qu'on  a  défendues,  à  cause  des 
abus  auxquels  elles  donnaient  souvent  lieu  ;  elles  ne  sont  permises  maintenant  que 
dans  deux  localités  des  Rhodes-Intérieures,  sur  la  Seealp  le  6  juillet,  et  la  Botersalp 
le  premier  beau  dimanche  après  le  25  juillet  ou  la  Saint-Jacques.  Quant  à  la  danse, 
elle  n*est  permise  dans  les  Rhodes-Extérieures  que  les  deux  derniers  jours  du  Car- 
naval, les  jours  de  revue  et  leurs  lendemains;  mais  on  se  soustrait  souvent  h  la 
prohibition  dans  les  lieux  de  bains  et  les  hôtelleries  écartées.  Dans  les  Rhodes-Inté- 
rieures, la  danse  n'est  interdite  que  les  dimanches  et  les  jours  de  fétc,  sauf  ceux 
des  réunions  pastorales.  Les  magistrats  des  Rhodes-Extérieures  avaient  même  poussé 
le  rigorisme  jusqu'à  interdire  les  jeux  de  cartes,  les  dés,  les  quilles,  etc.  Les  femmes 
sont  actives  et  aiment  Tordre;  elles  sont  économes  dans  leurs  ménages,  un  peu 
moins,  à  ce  qu'on  assure,  en  ce  qui  concerne  les  objets  de  parure.  Celles  des  Rhodes- 
Intérieures  ont  conservé  en  grande  partie  un  ancien  costume  national.  Leur  luxe 
fait  un  contraste  frappant  avec  la  grande  simplicité  du  costume  des  femmes  des 
Rhodes-Extérieures.  —  Ajoutons  que  les  citoyens  des  Rhodes-Intérieures  ont  encore 
coutume  de  se  rendre  le  sabre  au  côté  aux  Landsgemeindes,  ainsi  qu'à  la  procession 
qui  visite  le  champ  de  bataille  de  Stoss.  Autrefois,  le  port  de  cette  arme  était  très- 
fréquent  dans  le  pays,  et  il  fut  souvent  l'occasion  de  graves  excès.  Jusque  vers  la 
fin  du  18*  siècle,  les  citoyens  des  Rhodes-Extérieures  la  portaient  même  pour  se  pré- 
senter à  la  communion. 

ÂPPENZELL.  —  L'ancien  chef-lieu  de  tout  le  canton,  et  le  chef-lieu  actuel  des 
Rhodes-Intérieures,  est  le  bourg  d'Âppenzell,  qui  ne  compte  que  1516  habitants.  Il 
est  situé  sur  la  Sitter,  dans  un  vallon  dominé  à  l'ouest  par  le  Kamor  et  le  Hohen- 
Kasten,  au  sud  par  l'Ebenalp.  Ce  bourg  présente  peu  de  chose  de  remarquable;  il 
fut  jadis  la  résidence  d'été  des  abbés  de  Saint-Gall  ;  de  là  son  nom  Abbatis  cella  (Cel- 
lule de  l'abbé).  L'église  de  Saint-Maurice,  fondée  en  1061,  fut  la  deuxième  du  pays; 
elle  fut  restaurée  il  y  a  une  trentaine  d'années;  elle  renferme  des  fac-similé  des 
bannières  conquises  par  les  Appenzellois  au  15*  siècle;  les  bannières  elles-mêmes 
sont  conservées  aux  archives.  Près  de  l'église  est  la  chapelle  des  morts,  qui  contient 
un  ossuaire.  Le  bourg  possède  un  vieil  hôtel-de-ville,  un  arsenal,  une  maison  de 
bains,  un  couvent  de  capucins,  qui  fait  le  commerce  d'escargots,  etc. 

Weissbad,  Wildkirchli,  Ebenalp.  —  A  l'ouest  d'Appenzell  est  Gonten,  qui  possède 
des  bains  assez  fréquentés;  mais  à  trois  quarts  d'heure  au  sud  sont  ceux  de  Weissbad, 
qui  jouissent  d'une  plus  grande  vogue.  Ces  derniers  sont  au  pied  même  des  monta- 
gnes, près  de  l'ouverture  des  vallées  qui  séparent  les  petites  chaînes  des  Alpes  appen- 
zelloises.  Leurs  environs  présentent  diverses  excursions  très-intéressantes.  A  deux 
petites  lieues  de  Weissbad,  dans  un  site  extrêmement  sauvage  et  pittoresque,  et  sur 
le  flanc  oriental  de  la  chaîne  même  du  Santis,  s'ouvre  une  grotte  (4615)  au-dessus 
d'un  précipice  de  200  à  250  pieds;  on  y  trouve  un  ermitage  et  une  chapelle,  aux- 
quels on  arrive  au  moyen  d'un  escalier  de  bois  suspendu  au-dessus  de  l'abîme.  L'er- 
mitage fut  fondé  en  1756  par  Paul  Ulmann,  qui  le  dédia  à  l'archange  Michel  (selon 
d'autres  en  1610  ou  1656).  La  cloche  servit  à  indiquer  les  heures  de  la  prière  aux 
pieux  bergers  des  Alpes  d'alentour.  Le  jour  de  la  Saint-Michel  on  célèbre  dans  la 
chapelle  un  service  qui  est  suivi  d'une  fête  pastorale.  11  y  a  une  auberge  au  bas  du 
rocher,  mais  l'ermite  sert  aussi  des  rafraîchissements  aux  voyageurs.  De  l'entrée  de 


3i8  LA    SUISSE    PITTORESQre. 


la  j^rollc  on  jouil  d'une  belle  vue  sur  une  parlie  du  lac  de  Cunslance  et  de  ses  coh's 
septenlrionales,  sur  le  Kamor  et  rAltmann  ;  dans  le  Tond  du  vallon  Ton  aperçoit  te 
lac  de  Seealp.  La  caverne  est  longue  de  300  pas,  et  ses  parois  sont  couvertes  de 
stalactites;  son  sol  est  incliné;  de  son  issue  su|)érieure  un  sentier  un  peu  escarpé 
conduit  à  rKlx^nalp,  située  h  rextrémité  nord  de  la  cliaine  occidentale  de  rAlpstein. 
Cette  alpe  préstMite  un  l)eau  plateau,  riche  en  plantes  alpines;  mais  elle  est  aussi  in- 
téressiinte  pour  Tamateur  des  vastes  panoramas  que  pour  le  l)otaniste:  on  y  embrasse 
un  espace  bien  plus  étendu  que  du  Wildkirchli  ;  on  peut  y  arriver  également  sans 
traverser  la  grotte,  en  suivant  un  sentier  plus  commode.  On  va  quelquefois  passer 
la  nuit  dans  un  chAlet  |K)ur  assister  au  s|)ectaclc  du  lever  du  soleil.  On  y  voit  un 
enfoncement  en  h)rme  d'entonnoir,  de  50  pieds  de  circonférence,  qu'on  appelle 
WeUerMi  (Trou  du  temps),  et  qui  renferme  toute  Tannée  de  la  glace  et  delà  neige, 
dont  les  l)ergers  se  scTvent  pour  se  procurer  de  Teau.  —  Un  sentier  conduit  de 
Weisslmd  à  Wildbaus  dans  le  llaut-Toggenbourg,  par  Brûllisau  et  le  Fâhlentbal;  il 
liasse  près  des  deux  |K'tits  lacs  de  Sàmtis  et  de  Fabien,  et  \wv  la  Kraialp,  située  au 
pied  de  TAItmann;  il  est  un  |)eu  rude,  mais  sans  danger.  En  arrivant  au  somniei 
du  col,  on  découvre  une  belle  vue  sur  les  montagnes  du  Toggenbourg,  où  se  fonl 
remarquer  les  nombreux  pics  des  Kubiirsten.  Un  autre  sentier  conduit  également  à 
Wildbaus  |)ar  le  vallon  de  la  Seealp  et  par  la  M(^lisalp,  située  entre  le  Sântis  et 
l'Altmann.  Un  troisième  s'engage  dans  le  vallon  de  Weisswasser  (li^u  blanche),  et 
IMssc  imr  la  Schwitgalp,  la  principic  des  alpes  des  Hhod(^-Extérieures,  où  Ion 
trouve  une  vingtaine  de  chalets  et  de  nombreux  troupeaux  ;  il  descend  de  là  à  Nessiau 
dans  le  Toggenbourg.  Ue  Wcissbtid  on  peut  se  rendre  aussi  dans  le  Rheinthal  prie 
col  du  Kamor,  mais  le  commencement  de  la  descente  est  très-rude. 

Sentis.  —  L'ascension  du  Sântis  n'est  point  facile:  elle  exige  une  bonne  tête. 
[Plusieurs  chemins  y  conduisent,  dont  trois  partent  de  Weissbad;  le  seul  qui  soil 
exempt  de  danger  passe  par  la  Hûttenalp,  située  au-dessus  des  parois  escar|)ées  qui 
dominent  la  Seealp,  puis  par  la  Meglisalp,  qui  se  trouve  i\  moitié  chemin  du  sommet, 
et  où  l'on  peut  passer  la  nuit.  De  là  on  monte  à  la  Wageuliwke  (Echancrure  hasar- 
deuse); puis,  par  des  plaines  de  neige,  on  s'approche  du  sommet  du  Sântis,  qui  pré- 
sente deux  cimes  séparées  par  un  petit  glacier  ;  la  plus  septentrionale  s'appelle  la 
GyrempHz  ou  Geierspitz  (Pointe  du  vautour)  ;  la  cime  méridionale  est  le  Sàntis  pro- 
prement dit;  on  l'appelle  aussi  le  Grand  Messmer.  C'est  celui  qu'on  gravit  ordinai- 
rement ;  on  y  découvre  un  panorama  magnifique  sur  la  Suisse  septentrionale  et 
orientale,  sur  le  lac  de  Constance,  et  sur  la  chaîne  des  Alpes  du  Tyrol  au  canton  de 
Berne.  L'ingénieur  bernois  Buchwalder  était  occupé  sur  le  Santis,  en  1832,  à  des 
opérations  trigonométriques,  lorsqu'il  fut  sui^pris  par  un  violent  orage  ;  la  foudre  tua 
son  domestique,  et  le  blessa  lui-même  fortement  à  la  cuisse.  Sur  un  rocher  au-dessus 
de  la  Seealp,  on  a  gravé  une  inscription  en  mémoire  du  professeur  Jetzeler  de  Scbaff- 
house,  qui,  en  1791,  s'étant  aventuré  sans  guide  sur  ces  hauteurs,  trouva  la  mort 
dans  un  précipice.  Les  flancs  du  Santis  sont  escarpés  de  tous  les  côtés;  le  flanc  mé- 
ridional appartient  au  Toggenbourg  (Saint-Gall),  le  flanc  oriental  aux  Rhodes-Inté- 
rieures, les  deux  autres  aux  Rhodes-Extérieures.  Un  second  sentier  passe  par  la 
Seealp,  puis  derrière  les  rochers  de  l'OEhrli,  cl  va  rejoindre  le  premier  à  la  Wagen- 
lucke  ;  un  troisième  se  dirige  vei*s  la  Schwàgalp,  située  à  l'ouest  du  Santis,  puis 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  329 


s'élève  par  la  Wîdderalp,  etc.  On  peut  aussi  faire  rascension  en  partant  de  Saint- 
Jean  dans  le  To^enbourg,  ou  d'Urnàsch,  dans  les  Rhodes-Extérieures,  et  gagnant 
la  Schwâgalp.  De  Wildhaus  on  peut  également  atteindre  la  Meglisalp. 

Altmann,  Kamor,  Hohe-Kasten.  —  L'ascension  de  TAltmann  est  aussi  très-diffi- 
cile; celle  de  la  plus  septentrionale  de  ses  deux  cimes  n'est  cependant  point  dange- 
reuse. La  vue  qu'on  y  découvre  est  la  même  que  celle  du  Sàntis.  Quant  au  Kamor, 
à  l'est  de  Weissbad,  il  est  très-commode  à  gravir.  On  y  voit  plusieurs  grottes  qui 
sont  tapissées  de  lait  de  lune,  et  une  cavité  large  de  4  pieds  et  profonde  de  600 
pieds,  qu'on  appelle  Wetterloch,  A  un  quart  de  lieue  au  sud  du  Kamor  est  la  sommité 
du  Hohe-Kasten,  qui  n'est  accessible  que  par  le  Kamor,  et  qui  est  entouré  de  préci- 
pices de  tous  les  autres  côtés;  il  n'est  que  de  130  pieds  plus  élevé  que  le  Kamor. 
Ces  deux  sommités  offrent  une  vue  que  quelques  personnes  mettent  sur  la  même 
ligne  que  celle  du  Righi  ;  elle  embrasse  le  lac  de  Constance,  le  Kheinthal  et  une 
multitude  innombrable  de  montagnes  du  Yorarlberg,  du  Tyrol  et  de  la  Suisse. 

Trogen.  —  Le  bourg  de  Trogen  est  un  des  chefs-lieux  des  Rhodes-Extérieures; 
sa  population  est  de  2611  âmes.  Il  se  compose  en  partie  de  belles  maisons,  entourées 
de  jardins,  et  qui  forment  une  place  carrée  et  pavée  où  se  réunit  la  Landsgemeinde. 
On  y  remarque  l'église,  avec  une  belle  façade,  des  peintures  à  fresque  et  un  baptis- 
tère en  marbre  de  Carrare;  l'hôtel-de- ville,  où  l'on  voit  dans  les  salles  des  Conseils  les 
portraits  des  landammanns;  l'arsenal,  bâti  en  1824;  la  maison  du  statthalter  Zell- 
weger,  qui  contient  une  belle  bibliothèque.  Nous  avons  déjà  parlé  de  l'institut  can- 
tonal de  Trogen  et  de  sa  maison  d'orphelins.  Trogen  possède  encore  une  bibliothèque 
communale  d'environ  6000  volumes.  Parmi  les  collections  particulières,  méritent 
d'être  cités  :  le  cabinet  d'histoire  naturelle  de  feu  le  docteur  Schlâpfer,  la  collection 
entomologique  du  docteur  Leuthold,  et  la  galerie  de  tableaux  de  M.  Honnerlag. 

VôGELisEGG,  WoLFHALDEN,  ctc.  —  Lcs  cnvirons  de  Trogen  offrent  un  grand  nombre 
de  promenades  intéressantes.  De  toutes  les  collines  voisines  on  découvre  des  points 
de  vue  étendus;  les  bains  de  Tobel  sont  situés  dans  une  gorge  de  la  Goldach.  Non 
loin  de  Trogen  est  le  grand  et  industrieux  village  de  Speicher,  avec  une  belle  église 
de  1808;  il  est  dominé  par  la  hauteur  de  Vôgelisegg  (2960  pieds),  d'où  l'on  voit 
toutes  les  montagnes  d'Appenzell,  celles  du  Vorariberg,  le  lac  de  Constance,  la  Thur- 
govie  ;  c'est  sur  la  pente  septentrionale  de  cette  montagne  que  les  Appenzellois  rem- 
iwrtèrent  la  première  victoire  qui  assura  leur  liberté.  Dans  le  voisinage  est  la  gorge 
romantique  de  Lôchlimilhle  (Moulin  du  trou).  Plus  à  l'est  s'élève  le  Kayen  (3420), 
qui  offre  la  même  vue  que  la  Vôgelisegg.  Plus  loin  se  trouve  le  village  de  Heiden, 
qui  fut  incendié  le  1*'  septembre  1838;  c'était  un  village  vraiment  magnifique, 
pouvant  supporter  la  comparaison  avec  les  plus  beaux  endroits  du  canton  de  Berne  ; 
la  vue  qu'il  commande  est  aussi  très-remarquable.  Un  peu  plus  bas  que  Heiden  est 
le  village  de  Wolfhaldm  (Pente  des  loups),  devenu  célèbre  par  deux  victoires  rem- 
portées par  les  montagnards  sur  les  Autrichiens  et  sur  les  troupes  de  l'abbé. 

GiEBRis,  Gaïs,  le  Stoss.  —  Au  sud  de  Trogen  s'élève  le  mont  Gœbris  (3886),  dont 
la  sommité  arrondie  est  couverte  Ae§  plus  riches  pâturages  ;  l'ascension  en  est  très- 
facile  et  le  panorama  d'une  grande  étendue.  Au  sud  du  Gsebris  est  le  beau  village  de 
Gais,  renommé  pour  ses  cures  de  petit-lait,  et  qui  compte  2480  habitants  ;  il  est  à 
3810  pieds.  Il  possède  un  séminaire,  un  institut  de  filles,  une  maison  d'orphelins, 

II,  SI.  42 


330  LA  snssE  ptntmRSQiîE. 


une  caisse  d'épargne,  une  société  de  lecture,  des  moulins  curieux,  et  quatre 
sources  minérales.  La  route  de  Saint-Gall  à  Altslœtten  passe  à  Gais;  elle  sort 
du  canton  d^Appenzell  par  le  passage  du  Sloss;  près  du  hameau  de  ce  nom,  sur 
le  point  culminant,  on  a  élevé  une  petite  chapelle  en  souvenir  de  la  victoire  du  15 
juin  1405  ^  La  vue  de  ce  point  est  très-belle.  Entre  Gais  et  Saint-Gall  on  trouve 
les  villages  de  Bûhler  et  de  Teufcn,  florissants  par  leur  industrie;  près  du  premier,  le 
Hothbacli  fait  de  romantiques  cascades  ;  le  second  possède  une  maison  de  pauvres, 
une  maison  d'orphelins,  et  une  grande  et  belle  église,  b&tie  en  1777  par  Tardiitectt' 
Grubemann,  natir  de  Teuren.  Il  est  entouré  de  jolies  maisons  de  campagne. 

II£;RisAr.  —  Vjc  bourg  est  le  second  chef-lieu  des  Rhodes  Extérieures.  Il  a  une 
assez  belle  église,  restaurée  en  178&  ;  une  tour  carrée,  qui  remonte  probablement 
au  7*  sièi*le,  et  où  Ton  conserve  les  archives  du  pays;  elle  porte  une  cloche  de  170 
quintaux  ;  un  hdtel-de-ville,  de  1827,  et  de  belles  fabriques;  c'est  Tendroit  le  plus 
|)opulcu\  (8387  habitants)  et  en  même  tem|)s  le  plus  commerçant  et  le  plus  indus- 
trieux du  canton;  on  y  compte  un  grand  nombre  de  fabricants  et  de  négociants.  On 
trouve  pour  la  première  fois  le  nom  de  llérisau  (Herineshowa)  dans  un  document  de 
857,  à  l'occasion  de  rechange  d'une  propriété.  C'est  en  1637  que  Hérisau  obtint 
d'être  considéré  comme  deuxième  chef-lieu  des  Rhodes-Extérieures,  et  de  faire 
prendre  dans  les  communes  de  la  rive  gauche  de  la  Sitter  un  nombre  de  fonction- 
naires égal  à  ceux  choisis  sur  la  rive  droite.  On  jouit  de  vues  charmantes  sur  i& 
collines  voisines,  couronnées  des  ruines  des  châteaux  de  Rosenberg  et  de  Rosenbonrg; 
près  de  ces  dernières  on  célèbre  des  jeux  gymnastiques  dans  la  belle  saison.  Au  pied 
du  Rosenberg  est  un  joli  vallon,  où  un  riche  manufacturier,  Henri  Steiger,  a  fondé, 
en  1824,  un  établissement  de  bains,  Heinrichsbad  (Bains  de  Henri),  qui  est  un  des 
plus  élégants  de  toute  la  Suisse.  Le  bâtiment  a  plus  de  200  pieds  de  longueur,  et 
contient  une  salle  à  manger  de  190  pieds,  des  salles  de  lecture  et  de  danse,  etc.  ; 
les  environs  ofTrent  de  jolies  promenades.  Les  eaux  sont  ferrugineuses  ;  ellfô  sont 
efficaces  dans  le^  maladies  nerveuses  chroniques,  les  maladies  de  la  peau,  etc.  La 
route  de  Saint-Gall  au  Toggenbourg  passe  par  Hérisau  ;  deux  chemins  partant  de 
Hérisau  et  de  Saint-Gall  remontent  la  vallée  de  rUrnâsch,  remarquable  par  ses  gorges 
profondes,  et  se  joignent  près  du  village  de  ce  nom,  dont  la  position  est  agréable. 
Un  sentier  conduit  de  là  dans  le  Haut-Toggenbourg  ;  il  passe  près  de  la  cascade  de 
Leuenfall  et  d'une  grotte  remplie  de  stalactites,  et  non  loin  des  beaux  pâturages  de 
la  Schwagalp,  que  domine  le  Siintis.  Près  des  chalets  de  la  Schwâgalp  se  trouvent 
plusieurs  fissures,  d'où  s'échappent  constamment  des  courants  d'air,  qui  sont  un  in- 
dice de  beau  temps  s'ils  sont  forts  et  froids.  On  célèbre  à  Urnftsch,  au  mois  d'août, 
une  fête  pastorale  qui  y  attire  beaucoup  de  monde. 

1.  La  chapelle,  qui  est  catholique,  a  élé  respectée  quoiqu'elle  soit  maioteuanlsur  un  territoire 
protestant.  Les  habitants  des  Rhodes-Intérieures  y  viennent  en  procession  au  iô  mai.  Quant  à 
ceux  des  Rhodes-Extérieures,  ils  se  rendent  à  des  époques  irrégulléres  tantôt  an  Stoss,  tantôt  à 
la  Yôgelisegg  ou  à  la  Wolfhalden,  pour  y  entendre  des  prédicaUons. 


CANTON   DE   SAINT-GALL. 


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Situation,  Etendue,  Climat.  —  Le  canton  de  Saint-Gall  est  borné  au  nord  par  le 
lac  de  Constance  et  le  canton  de  Thurgovie,  à  Touest  par  ceux  de  Zurich,  de  Schwytz 
et  de  Claris,  au  sud  par  celui  des  Grisons,  à  Test  par  le  Rhin,  qui  le  sépare  de  la 
principauté  de  Lichlenstein  et  de  la  province  autrichienne  du  Vorarlberg.  Il  enclave 
complètement  le  territoire  appenzellois.  Sa  superficie  est  de  87  lieues  ^|^Q,  et  sa  po- 
pulation de  469,625  habitants,  soit  de  4928  par  lieue  carrée.  Sa  longueur  est  de 
45  à  46  lieues,  sur  44  à  42  de  largeur.  Le  climat  varie  considérablement,  suivant 
les  localités.  La  partie  septentrionale,  riveraine  du  lac  de  Constance,  ainsi  que  les 
districts  voisins  du  Rhin  et  de  la  Linth,  ont  un  climat  tempéré,  mais  non  partout 
salubre;  le  Haut-Toggenbourg  et  une  grande  partie  du  district  de  Sargans  ont  un 
climat  plus  rigoureux.  Il  en  est  de  même  de  la  ville  et  de  la  vallée  de  Saint-Gall, 
qui  sont  élevées  de  800  pieds  au-dessus  du  lac  de  Constance. 

Montagnes,  Vallées,  Rivières.  —  La  principale  chaîne  de  montagnes  comprise 
sur  le  territoire  saint-gallois  commence  au  Hômli  (3098),  à  la  frontière  de  Thur- 
govie et  de  Zurich  ;  elle  suit  la  rive  gauche  de  la  Thour,  et  se  termine  au  bord  du 
Rhin  près  de  Sargans  ;  cette  chaîne  s'abaisse  au-dessus  d'Utznach  et  forme  le  col  peu 
élevé  de  Hûmmelwald,  où  passe  la  grande  route  de  Rapperschwyl  à  Saint-Gall.  Ses 
plus  hautes  sommités  sont  le  Speer  (6020)  ;  les  sept  pics  des  Kuhfirstm  (Pics  des 
vaches,  6200  à  7400),  qui  dominent  le  lac  de  Wallenstadt  du  côté  du  nord  (les 
Kuhfirsten  s'appellent  aussi  les  Kurfûrsten  ou  les  Sieben  Kurfûrsten,  c'est-à-dire  les 
Sept  Princes-Electeurs);  le  Balfries  (7450),  à  l'est  de  Wallenstadt;  le  Sichelkanm 
(6280)  ;  VAlvier  (7274).  Une  autre  chaîne,  partant  des  bords  du  lac  de  Wallenstadt, 
sépare  le  canton  de  Saint-Gall  de  ceux  de  Claris  et  des  Grisons.  Ses  principaux 
sommets  sont  le  Spitztneilen  (7740),  le  Risetengrat  (6750),  qui  confinent  à  Claris; 
le  Ringelkopfou  Ringelspitz  (9730  à  40,002),  le  Galanda  (8650),  sur  la  frontière 


332  LA   SUISSE   PirrORESQUE. 


des  Grisons.  La  chaîne  se  lermine  par  la  sommité  du  Tabor,  au-dessus  de  P&efiers. 
A  cette  chaîne  se  rattachent  quelques  petites  ramifications  qui  sillonnent  le  ter- 
ritoire de  Sargans;  la  plus  haute  est  celle  des  Grauhœnier  (Cimes  grises),  8760, 
où  Ton  trouve  plusieurs  petits  glaciers.  Enfin,  la  chaîne  du  Sftntis,  de  rAltmannel 
du  Kamor,  dont  nous  avons  parlé  dans  l'article  Apitenzell,  confine  au  canton  de 
St.-Gall  du  cdté  du  sud  et  de  Test.  Du  Sântis  part  une  chaîne  qui  suit  la  rive 
droite  de  la  Thour,  puis  s'abaisse  peu  à  peu,  et  se  réduit  au  nord  du  Toggenbourg 
aux  proportions  de  simples  collines.  Entre  St.-Gall  et  Bischofzell  se  relève  la  som> 
mité  isolée  du  Tannenberg  (Mont  des  Sapins),  3720;  à  Test  de  St.-Gall,  le  mont 
Freudenberg  atteint  2724  pieds. 

Les  principales  vallées  du  canton  sont  :  celle  du  Rhin  ou  Rheinthal,  dont  la  rive 
gauche  seule  appartient  à  la  Suisse,  et  l'autre  à  la  principauté  de  Licbtenstein  et  à 
l'Autriche.  Le  fleuve  y  cause  souvent  de  grandes  inondations,  qui  rendent  ses  rives 
malsaines  en  quelques  localités  ;  l'Assemblée  fédérale  a  accordé  à  St.-Gall  une  allo- 
cation destinée  à  l'aider  dans  les  travaux  nécessaires  pour  prévenir  de  pareils  dés- 
astres. —  La  vallée  de  la  Thour,  qui  commence  au  sud  du  Sântis  près  de  Wildihaus, 
et  se  prolonge  jusqu'à  Bischofzell.  La  contrée  que  traverse  cette  rivière  porte  le  nom 
de  Toggenbourg,  La  Thour  reçoit  plusieurs  torrents,  dont  les  plus  considérables  sont 
le  Necker,  qui  a  sa  source  à  la  frontière  d'Appenzell,  non  loin  du  Saentis;  la  GkAi, 
qui  vient  de  Hérisau,  et  la  SiUern,  qui  sort  des  Alpes  appenzelloises,  traverse  le 
district  de  St.-Gall,  et  se  joint  à  la  Thour,  près  de  BischofiEell.  —  La  vallée  de  Sar- 
gam,  arrosée  par  la  Saar,  qui  a  sa  source  sur  les  Grauhœrner  et  qui  se  verse  dans 
le  Rhin,  et  par  le  torrent  plus  considérable  de  la  Seez,  qui  prend  sa  source  à  la  fron- 
tière de  Glaris,  au  fond  du  vallon  latéral  de  Weisstannen  (ou  des  Blancs  Sapins).  Le 
lac  de  Wallenstadt,  où  se  jette  la  Seez,  occupe  le  prolongemçjit  de  cette  longue 
vallée,  qui  débouche  à  l'ouest  dans  celle  de  la  Linth.  La  rive  droite  de  la  vallée  de 
la  Unth,  entre  le  lac  de  Wallenstadt  et  celui  de  Zurich,  appartient  aussi  au  canton 
de  St.-Gall.  —  La  vallée  de  la  Tamina,  dont  la  partie  supérieure  porte  le  nom  de 
KalfeuserthaL  La  Tamina  sort  du  glacier  de  Sardona,  aux  confins  de  Glaris  et  des 
Grisons  ;  elle  coule  ensuite  dans  la  fameuse  gorge  de  Pfœfiers,  et  se  jette  dans  le 
Rhin  au-dessous  de  Ragatz.  —  On  peut  nommer  encore  les  petites  rivières  de  la 
Goldach  et  de  la  Steitiach,  qui  versent  leurs  eaux  dans  le  lac  de  Constance,  entre 
Rorschach  et  Arbon.  —  Le  pays  renferme  peu  de  plaines;  on  n'en  trouve  que  sur 
les  bords  du  Rhin  et  de  la  Linth,  dans  la  vallée  de  Sargans,  et  vers  la  frontière 
septentrionale  du  canton. 

Lacs  et  Cascades.  —  Le  canton  possède  les  rives  du  lac  de  Constance  entre  Arbon 
et  l'embouchure  du  Rhin,  ainsi  que  la  partie  des  rives  du  lac  de  Zurich  comprise 
entre  Rapperschwyl  et  l'embouchure  de  la  Linth.  La  rive  septentrionale  et  plus  de 
la  moitié  de  la  rive  méridionale  du  lac  de  Wallenstadt  ou  Wallefisee  lui  appartiennent 
aussi.  Ce  lac  a  quatre  lieues  de  longueur,  sur  trois  quarts  de  lieue  de  largeur;  sa 
profondeur  est  de  4  à  BOO  pieds  ;  une  grande  partie  de  ses  rives  est  bordée  de  rocs  à 
pic,  et  il  est  sujet  à  de  violentes  tempêtes  ;  aussi,  la  navigation  y  est-elle  dangereuse; 
on  n'y  trouve  des  rades  sûres  qu'à  Wallenstadt,  à  Wesen  et  à  Mûhlihorn,  sur  la 
côte  sud.  Le  plus  dangereux  des  vents  est  celui  du  nord,  qu'on  appelle  le  Bœiiliser» 
et  qui  descend  par-dessus  de  hautes  montagnes,  et  vient  frapper  violemment  les 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  333 


rochers  situés  au  sud  du  lac,  lesquels  le  repoussent  contre  les  eaux,  où  il  élève 
d'énormes  vagues.  Ce  lac  se  trouve  sur  une  voie  de  communication  très-fréquentée 
entre  le  nord  de  la  Suisse  et  les  Grisons.  Un  petit  bateau  à  vapeur,  le  Dauphin,  qui 
faisait  le  service  de  la  poste,  a  sombré  pendant  une  nuit  orageusfe,  en  novembre  1851 , 
non  loin  de  Wallenstadt,  et  tout  Téquipage  a  péri,  au  nombre  de  17  personnes,  pas- 
sagers compris.  11  y  a  encore  divers  lacs  de  montagne,  tels  que  les  trois  petits  lacs 
de  Murg,  dans  un  vallon  très-pittoresque,  voisin  de  la  frontière  glaronnaise  ;  le  plus 
bas  des  trois  est  entouré  de  rochers  et  de  forêts,  et  au  milieu  s*élève  une  île  égale- 
ment plantée  d'arbres  ;  les  deux  autres  sont  couverts  de  glace  jusqu'en  juillet,  ce 
qui  ne  les  empêche  pas  d'être  remplis  de  truites  ;  les  trois  lacs  de  Gurel,  au-dessus 
de  Muls,  et  à  peu  de  distance  des  précédents  ;  les  deux  lacs  de  Schwœndi,  près  de 
Wildhaus,  dans  le  Haut-Toggenbourg,  et  les  Wildsee  (ou  Lacs  sauvages),  sur  les 
Grauhœrner.  —  On  voit  dans  le  canton  plusieurs  belles  cascades  ;  les  plus  remar- 
quables sont  celles  du  Baierbach  et  du  Serenbach,  au  nord  du  lac  de  Wallenstadt,  et 
celle  que  la  Saar,  torrent  qui  descend  des  Grauhœrner,  forme  près  de  Vilters.  11  y  a 
aussi  une  belle  chute  d'eau  près  des  petits  lacs  de  Murg,  et  d'autres  dans  le  vallon 
de  Weisstannen. 

Bains  et  Sources  minérales.  —  St.-Gall  possède  plusieurs  sources  minérales.  A 
Kobelwies,  dans  le  Rheinthal,  on  trouve  une  source  thermale  qui  a  une  forte  odeur 
de  soufre  ;  elle  sort  d'ui)e  caverne  voisine,  et  alimente  une  quarantaine  de  bains  ; 
on  l'emploie  surtout  contre  les  fièvres  intermittentes  causées  par  les  marais  du  Rhin. 
Plus  au  nord,  à  Thaï  près  Rheineck,  à  Sainte-Marguerite,  et  près  d'ÂlstSBtten,  il  y  a 
d'autres  établissements  d'eau  minérale.  Sargans,  ainsi  que  Gempeln,  près  Gambs, 
ont  aussi  des  sources  semblables.  Mogelsberg,  dans  le  Toggenbourg,  a  une  source 
alcaline  terreuse.  Balgach  a  des  eaux  ferrugineuses  et  sulfureuses,  efScaces  contre 
les  éruptions  de  la  peau.  Les  eaux  du  Riedbad,  dans  le  vallon  d'Ennetbûhl  (Haut- 
Toggenbourg),  sont  de  la  même  nature;  elles  sont  employées  intérieurement  et 
extérieurement.  Toutes  ces  eaux  sont  principalement  fréquentées  par  les  indigènes; 
mais  les  bains  les  plus  célèbres  du  canton  sont  ceux  de  Ragalz  et  de  Pfœffers,  ali- 
mentés par  une  même  source  abondante,  qui  jaillit  dans  la  gorge  extrêmement  sau- 
vage de  Pfœffers,  que  nous  décrirons  plus  bas.  On  l'emploie  pour  guérir  un  grand 
nombre  de  maux,  particulièrement  les  maladies  chroniques,  les  engorgements,  l'af- 
faiblissement de  l'estomac,  l'altération  des  humeurs,  etc. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animal.  Les  ours,  qui  étaient  nombreux  jadis  dans 
les  forêts  du  pays,  ont  presque  complètement  disparu,  ainsi  que  les  loups  et  autres 
animaux  malfaisants.  Les  montagnes  voisines  du  lac  de  Wallenstadt  sont  encore  la 
retraite  des  vautours  de  la  plus  grande  espèce  et  des  aigles  ;  ces  oiseaux  redoutables 
descendent  quelquefois  en  hiver  jusqu'au  village  d'Âmmon,  pour  y  chercher  leur 
pâture:  on  en  a  vu  un  enlever  un  très-gros  chien.  On  chasse  sur  les  lacs  plusieurs 
espèces  de  canards  ;  les  bécasses  sont  communes  dans  les  grands  marais  au  printemps 
et  en  automne.  (Nous  parlerons  à  l'article  Thurgovie  des  poissons  du  lac  de  Con- 
stance.) Les  lacs  et  les  rivières  du  canton  abondent  en  poissons;  on  pêche  surtout 
dans  le  lac  de  Wallenstadt  une  quantité  de  saumons;  ces  poissons  remontent  par  la 
Seez  jusque  dans  la  vallée  de  Weisstannen  ;  on  en  prend  de  30  à  40  livres.  —  Les  bêtes 
à  cornes  sont  en  nombre  considérable  dans  le  canton  ;  l'on  compte  près  de  30,000 


33&  LA   SU1S8K   PITTOBESQUE. 


vaches  el  4  à  SOOO  bœufs  ;  les  vaches  du  district  de  Sargans  sont  petites  ;  ceUesda  Haut- 
Toggeabourg  ressemblent  à  celles  d'Appenzell.  Il  y  a  aussi  environ  4^,000  chèvres, 
et  9000  moutons;  ces  derniers  se  trouvent  surtout  dans  le  district  de  Saiigans: 
chaque  année,  au  printemps,  on  achète  dans  les  Grisons  beaucoup  de  troupeaux  de 
moutons,  et  on  les  revend  en  automne.  On  entretient  à  St.-Gall  un  grand  troupeau 
de  chèvre]^,  dont  on  emploie  le  lait  pour  guérir  les  maladies  de  poitrine,  qui  sont 
Tréquentes  dans  cette  ville.  On  élève  beaucoup  de  chevaux  dans  le  districl  de  Sar- 
gans, mais  la  race  en  est  petite.  Enfin,  quelques  communes  des  districts  de  Sai^gans 
et  du  Rheinlhal,  ainsi  que  de  la  vallée  grisonne  du  Prœttigau,  élèvent  des  escaigots 
et  en  font  commerce.  Les  catholiques  les  achètent  en  hiver  comme  nourriture  maigre. 
D*après  les  relevés  des  douanes,  ces  escargots  s'exportent  par  quintaux. 

Règne  végétal.  Un  pays  qui  touche  d*un  côté  à  la  région  des  glaciers,  et  qui  s'étend 
de  l'autre  jusqu'au  bord  du  lac  de  Constance,  doit  présenter  de  grandes  différences 
dans  sa  végétation.  Les  districts  montagneux  possèdent  des  pâturages  étendus  ;  ceux 
d'Utznach  et  de  Sargans  ont  en  outre  de  vastes  forêts  ;  ce  sont  les  pins  et  sapins  qui  y 
dominent;  on  y  trouve  aussi  des  mélèzes  et  des  hêtres.  Mais,  dans  plu»eurs  autres 
districts,  les  forêts  n'ont  pas  été  ménagées  avec  prudence,  et  le  bois  est  rare.  La 
vigne  se  cultive  avec  succès  dans  le  Rheinthal  et  le  district  de  Sargans;  on  voit  de 
grandes  plantations  d'arbres  fruitiers  dans  le  Rheinthal  et  le  district  de  Rorschach. 
Le  maïs  prospère  sur  les  bords  du  Rhin  et  de  la  Linth  ;  le  lin  et  le  chanvre,  dans  le 
Toggenbourg;  les  céréales  et  les  pommes  de  terre,  dans  diverses  parties  du  pays.  — 
On  trouve  sur  les  montagnes  du  canton  une  grande  variété  de  plantes  alpines  ;  les 
plus  renommées  sous  ce  rapport  sont  les  montagnes  de  la  vallée  de  la  Tamina, 
entre  autres  les  alpes  de  Valenz,  le  Monte-Luna,  le  Galanda,  et  les  montagnes  de 
Kalfeusen.  Les  bois  qui  bordent  la  gorge  de  la  Tamina  et  quelques  lieux  des  envi- 
rons du  lac  de  Wallenstadt,  tels  que  Quinten,  sont  aussi  intéressants  à  visiter  pour 
le  botaniste. 

Régne  minéral.  Les  hautes  montagnes  de  la  partie  méridionale  du  pays  sont  com- 
|K)sées  de  pierre  calcaire  et  de  schistes  argileux.  Dans  la  vallée  de  la  Tamina,  surtout 
sur  la  rive  gauche,  les  couches  calcaires  et  schisteuses  alternent  entre  elles,  et  cette 
disposition  se  retrouve  jusqu'aux  Grauhœrner  ;  les  schistes  sont  noirs  et  mélangés 
de  noeuds  de  quartz  et  de  spath  calcaire.  Sur  le  Galanda,  la  pierre  calcaire  est  jaune. 
On  trouve  du  sel  gemme  sur  le  Monte-Luna.  Vers  le  nord,  les  montagnes  sont  for- 
mées de  grès  et  de  brèche.  On  exploite  d'excellentes  carrières  de  grès  dans  le  Rhein- 
thal et  près  de  St.-Gall;  celles-ci  renferment  divei*s  coquillages  marins  pétrifiés.  Non 
loin  des  bains  de  Kobelwies  se  trouvent,  sur  la  pente  du  Kamor,  de  fameuses  cavernes, 
connues  sous  le  nom  de  Grottes  de  cristal.  La  première  salle  ne  communique  avec  la 
seconde  que  par  un  passage  très-bas,  d'une  longueur  d'environ  vingt  pas,  où  il  fout 
ramper  avec  de  la  lumière.  Celte  grotte  intérieure  a  8  à  10  pieds  de  longueur  et  de 
largeur,  sur  16  à  20  de  hauteur.  Ses  parois  sont  revêtues  d'une  espèce  de  spath  cal- 
caire hexaèdre,  que  l'on  nomme  cristal  d'Islande,  et  recouvertes  en  quelques  en- 
droits d'une  couche  d'argile  jaunâtre.  Partout  où  il  n'est  pas  terni,  ce  cristal  pro- 
duit le  plus  bel  effet  à  la  clarté  des  flambeaux  ;  il  est  blanc  ou  gris  foncé,  et  à  moitié 
transparent  ;  en  le  faisant  calciner,  on  obtient  une  chaux  en  poudre  blanche  d'une 
grande  finesse,  et  très-propre  pour  les  ouvrages  de  sculpture.  Il  existe  encore  une 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  33S 


troisième  caverne,  qui  est,  dit-on,  plus  spacieuse;  mais  rentrée  est  devenue  si  étroite, 
qu'il  n'eBl  plus  possible  d*y  pénétrer.  —  On  a  exploité  autrefois  des  mines  de  fer  dans 
la  montagne  de  Gonzen,  à  deux  lieues  de  Sargans  ;  on  les  a  abandonnées^  à  la  fin  du 
dernier  siècle.  A  Oberkirch,  dans  le  district  d'Utznach,  on  exploite  une  belle  mine 
de  charbon  de  pierre,  dont  le  produit  se  vend  à  Zurich  ;  les  bancs  de  cette  mine  ont 
trois  à  quatre  pieds  d'épaisseur  ;  on  y  trouve  des  troncs  d'arbres  pétrifiés  et  très-bien 
conservés.  Tout  le  long  de  la  vallée  de  la  Tamina  est  répandue  une  grande  quantité 
de  blocs  de  granit  et  de  gneiss,  parmi  lesquels  il  y  en  a  d'énormes.  On  en  rencontre 
même  à  une  hauteur  considérable  sur  les  flancs  des  montagnes.  Cette  masse  de  débris 
n'a  pu  être  amenée  dans  c-ette  vallée  que  par  une  épouvantable  débâcle,  dont  les 
courants,  sortant  des  montagnes  primitives  de  la  Rhélie,  pénétrèrent  par  l'échancrure 
profonde  que  présente  le  col  du  Kunkelsberg,  à  l'ouest  du  Galanda.  Le  Schollenberg, 
montagne  calcaire  au-dessus  de  Sargans,  a  dû  jadis  ne  former  qu'une  seule  masse 
avec  la  montagne  de  Flfesch  et  la  chaîne  du  Rhœtikon,  qui  s'élèvent  de  l'autre  côté 
du  Rhin  ;  le  défilé  par  lequel  ce  fleuve  s'est  ouvert  un  passage  vers  le  nord,  au  lieu 
de  se  diriger  vers  lelae  de  Wallenstadt,  n'a  pu  résulter  que  d'une  violente  révolution. 
Antiquités.  —  On  trouve  peu  d'antiquités  romaines  dans  le  canton  ;  cependant,  il 
a  dû  être  conquis  par  les  Romains  en  même  temps  que  la  Rhétie.  Une  voie  romaine 
a  dû  suivre  les  bords  du  lac  de  Constance  d'Arbon  à  Bregenz  ;  il  ne  parait  pas  qu'on 
en  ait  reconnu  des  traces.  Des  monnaies  et  d'autres  antiquités,  trouvées  près  de 
Rapperschwyl,  attestent  l'existence  de  quelque  établissement  romain  dans  ce  lieu. 
L'église  de  Jonen,  près  de  Rapperschwyl,  renferme,  enchâssés  dans  un  de  ses  murs, 
un  autel  romain  et  une  inscription.  Cette  église,  qui  est  très-antique,  est  placée  sur 
une  haute  colline,  qui  doit  avoir  porté  un  temple  païen.  Il  est  probable  que  les  Ro- 
mains ont  pénétré  de  ce  côté  dans  la  Rhétie  ;  aussi  fait-on  dériver  le  nom  du  pays 
de  Gaster  de  Castra  ou  Castra  rfuFtica^,  camp,  ou  camp  rhétien;  ceux  des  villages  de 
Terzm,  Qwirten,  Oam(m,  si  tués  sur  les  bords  du  lac  de  Wallenstadt,  de  Tertia,  Qaarta, 
Quhita:  Troisième,  Quatrième,  Cinquième,  qui  indiquent  probablement  autant  de  sta- 
tions de  cohortes.  On  suppose  aussi  que  le  nom  du  hameau  de  Prœmsch  vient  de 
Prima,  et  le  nom  de  Gunzen  de  Secunda,  ce  qui  est  un  peu  moins  certain.  Dans  la 
partie  méridionale,  les  contrées  de  Werdenberg  et  de  Sargans,  on  trouve  des  traces 
évidentes  de  son  ancienne  réunion  avec  la  Rhétie.  Un  grand  nombre  de  désignations 
de  lieux  (on  en  compte,  dit-on,  quelques  centaines),  n'appartiennent  point  à  la 
langue  germanique,  mais  à  la  langue  romanche;  tels  sont  Montfort,  Monte-Luna, 
Motit-Palun,  Mont-Masix,  Valem,  Flums,  Malans  (au  nord  de  S'drgam),  Médians, 
Valasca,  Bertschis,  Tamina,  Sardona,  etc.  etc.  Quand  l'Helvélie  fut  envahie  par  les 
hordes  germaniques,  le  lac  de  Wallenstadt  servit  de  limite  entre  les  deux  races;  les 
Germains  appelèrent  les  Rhétiens  Walches  ou  Wœlsches^,  et  le  lac  Walchensee.  Le 

1.  Gaster  dérive  sans  doute  de  centra;  mais  nous  ignorons  si  le  nom  de  Castra  rhœtica  fut 
donné  réellement  à  une  localilé  du  pays  de  Gaster;  il  serait  singulier  que  les  Romains  eussent 
donné  le  nom  de  camp  rhitien  à  un  camp  occupé  par  des  troupes  destinées  à  combattre  les 
RhéUens. 

2.  On  sait  qu'encore  aujourd'hui  les  Suisses  allemands  désignent  par  le  nom  de  Welsches  tous 
ceux  qui  parlent  français,  italien  ou  romanche.  On  ne  peut  pas  voyager  en  Suisse  sans  en- 
tendre dire  quelquefois:  t  kann  nit  idcp/sc/i,  je  ne  sais  pas  parler  le  waeiscb.  Ce  nom  de  Wœlsch 
ou  anctenoement  Walch  parait  être  le  môme  que  celui  des  Walliser  ou  Walser  sous  lequel  une 


336  «  LA  srissB  pittoresole. 


bourg  qui  existait  à  peu  près  sur  remplacement  de  Wallenstadt  reçut  le  nom  de 
Walrhenxtaad,  Rivage  des  Walrhex  ou  Rhétiem  (dans  les  documents,  WalahaStade). 
Les  Rhétiens  eux-mêmes  appelèrent  ce  lieu  la  Riva,  et  le  lac,  lac  Rivaun.  Sargans 
s'appelait  Stirngnunis,  Il  n'y  a  guère  que  huit  siècles  que  le  romanche  a  cessé  d*étre 
|»arlé  dans  le  pays;  mais  le  dialecte  allemand,  qu'on  y  parle  actuellement,  a  coi^ervé 
quelques  particularilés  de  la  langue  rhétienne,  telles  que  de  fréquentes  terminaisons 
en  oHu;  ainsi.  Ton  dit  yaziotin,  Religioùn,  pour  Nazim,  Religion;  Moân,  SoAn,  pour 
Mofid,  lune,  Sohn,  fils.  On  peut  citer  aussi  comme  une  singularité  de  ce  dialecte 
(laquelle  doit  paraître  assez  bizarre  à  des  Allemands),  l'emploi  de  Y  s  pour  désigner 
les  génitifs  pluriels  et  le  génitif  singulier  des  substantifs  féminins. 

Histoire.  —  Nous  avons  déjà  dit,  à  l'occasion  d'Appenzell,  qu'à  Tépoque  de  la 
grande  migration  des  Heivé tiens  vers  les  Gaules,  les  Rhétiens  avaient  envahi  une 
partie  de  la  Suisse  orientale  (comprenant  les  territoires  actuels  d'Appenzell,  de 
St.-Gall,  et  partie  de  la  Thurgovie).  Nous  avons  parlé  des  dominations  successives 
qui  se  succédèrent  ensuite  dans  le  pays  :  celle  des  Allemanis,  celle  des  Francs,  celle 
des  ducs  de  Souabe  ou  d'Allemanie,  et  celle  des  comtes  de  Thui^ovie.  Nous  avoi» 
mentionné  aussi  plus  d*une  fois  l'abbaye  et  les  abbés  de  St.-Gall,  à  l'occasion  de  leurs 
différends  avec  Appenzell  et  les  autres  contrées  voisines.  Cette  abbaye  fut  fondée  à 
la  fin  du  7'  siècle,  sous  les  auspices  de  Pépin  de  lléristal,  maire  du  palais  en  France; 
on  lui  donna  le  nom  du  missionnaire  irlandais  Saint-Gall,  qui  avait  bâti  un  ermitage 
sur  les  bords  de  la  Steinach,  et  qui  était  mort  à  Arbon  vers  l'an  640.  Le  premier 
abbé,  nommé  Othmeyer,  établit  dans  le  monastère,  une  école,  qui  grandit  bientôt  en 
renommée,  et  où  se  conservèrent  pendant  trois  siècles  les  connaissances  qui  dispa- 
raissaient du  resle  de  l'Europe;  les  religieux  attiraient  des  artistes  dans  leur  couvent, 
et  achetaient  les  chefs-d'œuvre  des  arts  de  l'Italie  et  de  l'Orient  ;  ils  cultivaient  les 
mathématiques,  la  musique  et  la  poésie,  et  s'appliquaient  à  copier  les  livres  avec 
beaucoup  d'élégance.  Ils  écrivirent  des  annales,  qui  ont  contribué  à  faire  connaître 
l'histoire  du  moyen-àge.  Ils  fondirent  une  bibliothèque,  qui  devint  en  peu  de  temps 
une  des  plus  considérables  de  l'Europe;  c'est  des  précieux  manuscrits  de  cette  biblio- 
thèque qu'on  a  tiré  ce  qui  nous  reste  des  ouvrages  de  Quintilien,  de  Pétrone,  de  Silius 
Italiens,  de  Valérius  Flaccus,  d'Ammien  Marcellin,  etc.,  divers  traités  de  Cicéron,  et 
des  poésies  allemandes  des  10*,  1 1*,  12"  et  13'  siècles,  recueillies  par  Maness.  (Voyez 
Zurich.)  Les  fils  des  rois  et  des  empereurs  venaient  faire  leurs  études  dans  le  mo- 
nastère de  St.-Gall,  où  ils  trouvaient  parmi  les  religieux  les  savants  de  cette  époque. 
C'est  de  cette  abbaye  que  le  goût  et  la  connaissance  des  langues  grecque  et  latine  se 
répandirent  en  France  et  en  Allemagne.  Au  commencement  du  11*  siècle,  elle  four- 
nissait encore  d'habiles  professeurs  à  ces  deux  pays.  Mais,  depuis  lors,  la  plupart  des 
abbés  furent  des  chevaliers  et  des  seigneurs  arrogants,  et  les  sciences  abandonnèrent 
cet  asile,  pour  faire  place  au  génie  de  la  guerre  et  des  conquêtes. 

C'est  vers  l'an  1047,  que  l'abbé  Norlbert  donna  le  premier  exemple  d'une  guerre 
contre  l'évêque  de  Constance,  Rumold.  Plus  tard,  de  1075  à  1093,  l'abbé  Ulrich 
d'Eppenstein  guerroya,  avec  des  vicissitudes  diverses,  contre  les  seigneurs  du  voisi- 

partie  des  Rhétiens  ont  é(é  aussi  désignés  par  les  AUemands,  celui  des  WàUi$er  ou  YaUaisaDS, 
celui  des  Wallonâ  en  Belgique,  et  celui  du  pays  de  Wale»  (prononces  WouétMe)  ou  pajs  de  GaUes 
en  Angleterre.  Dans  une  parUe  de  la  Suisse,  todlen  signifie  parler  tintf  langue  non  compriie. 


LA    SUISSE    PITTOItESQUE.  337 


nage,  en  particulier  contre  les  comtes  de  Toggenbourg,  qu'il  défit  à  trois  reprises; 
il  conquit  Bregenz,  Kybourg,  Ittingen,  Reichenau,  etc.  Il  embrassa  le  parti  de  l'em- 
pereur Henri  IV  pendant  sa  proscription,  résista  au  duc  de  Souabe,  à  tous  les  princes 
et  à  tous  les  prélats  dont  il  était  entouré  ;  il  fut  excommunié  lui-même  et  persécuté 
jusque  dans  son  couvent;  mais  il  ne  perdit  point  courage,  n'abandonna  pas  l'empe- 
reur, et  ne  voulut  jamais  demander  la  paix  à  ses  ennemis.  L'an  1204,  Tabbé  Ulrich, 
baron  de  Hohen-Sax,  reçut  de  l'empereur  Philippe  le  titre  de  prince  d'empire,  titre 
que  ses  successeurs  ont  toujours  porté;  en  1208,  la  guerre  se  ralluma  entre  l'abbaye 
de  St.-Gall  et  l'évéché  de  Constance;  l'abbé  éprouva  un  sanglant  échec.  De  1228  à 
1236,  l'abbé  Conrad  de  Bussnang  prit  pour  but  de  ses  agressions  les  domaines  du 
comte  de  Toggenbourg,  qui,  de  son  côté,  incendia  plusieurs  villages  appenzellois. 
Son  successeur,  Berthold  de  Falkenstein,  recommença  la  lutte  avec  l'évéque  de 
Constance,  et  le  pays  eut  cruellement  à  souffrir  des  invasions  de  ce  dernier.  Mais  il 
serait  trop  long  de  parcourir  en  détail  toute  la  série  de  ces  hostilités,  qui  étaient 
une  source  toujours  nouvelle  d'oppression  et  de  misère  pour  les  malheureux  habi- 
tants. Ce  fut  déjà  vers  la  fin  du  13**  siècle  et  pendant  le  14%  que  quelques  villes 
et  bourgs  du  voisinage  songèrent  à  former  une  alliance  défensive  ;  mais  ce  ne  fut 
qu'en  1400  que  se  constitua,  d'une  manière  formidable,  la  ligue  appenzelloise,  dont 
la  ville  de  St.-Gall  elle-même  fit  partie.  En  1402,  quelques  actes  d'oppression  firent 
éclater  un  soulèvement;  les  baillis  du  prince-abbé  furent  expulsés,  ses  châteaux 
détruits,  et  lui-même  fut  forcé  de  se  réfugier  à  Wyl.  Alors  commença  une  lutte 
glorieuse  pour  la  ligue;  les  satellites  de  l'abbé  et  les  troupes  auxiliaires  envoyées 
par  les  villes  impériales  et  par  l'Autriche,  éprouvèrent  plusieurs  humiliantes  défaites 
de  la  part  des  montagnards;  labbé  vit  même  tous  ses  domaines  envahis  maintes  fois 
par  ses  belliqueux  voisins,  qui,  ne  se  bornant  pas  à  se  soustraire  à  son  autorité 
temporelle,  ne  tinrent  aucun  compte  de  l'interdit  rigoureux  qu'il  lança  sur  leur 
pays  en  1426. 

Les  collisions  entre  l'abbé  et  les  Appenzellois  ne  cessèrent  que  lorsque  l'indépen- 
dance de  ceux-ci  fut  complètement  assurée  par  leur  admission  comme  canton  dans 
la  ligue  helvétique.  L'abbaye  elle-même  avait  contracté  une  alliance  avec  trois  ou 
quatre  cantons.  Il  restait  encore  à  l'abbé  des  possessions  étendues,  qu'il  avait  acquises 
à  divers  titres  :  le  pays  de  Rorschach,  une  partie  du  Rheinthal  et  du  Toggenbourg,  etc. , 
et  même  quelques  seigneuries  situées  en  Souabe  et  dans  le  comté  de  Bregenz.  On 
y  comptait  environ  100,000  habitants.  Au  moment  de  la  Réforme,  une  grande 
partie  des  sujets  de  l'abbé  s'insurgèrent  et  expulsèrent  les  moines;  mais  en  1532  ils 
furent  remis  sous  le  joug,  et  les  religieux  rentrèrent  dans  l'abbaye.  Des  troubles 
eurent  encore  lieu  à  différentes  époques  ;  et  au  commencement  du  18*"  siècle,  le 
Toggenbourg  fut  le  théâtre  d'une  insurrection  générale.  Cet  événement  entraîna  une 
guerre  civile,  qui,  |)endant  plusieurs  années,  agita  toute  la  Suisse.  Un  soulèvement 
éclata  de  nouveau  en  1795,  et  l'abbé  Beda  Angern  accorda  alors  des  privilèges  im- 
portants à  ses  sujets  ;  mais  les  moines  signèrent  â  son  insu  un  acte  secret,  par  lequel 
ils  s'engageaient  à  ressaisir,  dès  qu'ils  le  pourraient,  leurs  anciens  droits.  En  1798, 
l'abbaye  fut  dépouillée  de  tous  ses  droits  de  souveraineté,  et  en  1808  l'obstination 
de  l'abbé  Pancrace  Vorster,  qui  est  mort  en  1829  dans  l'abbaye  de  Mûri,  força  le 
gouvernement  â  la  supprimer. 

n.M  43 


338  LA  sussK  nTTUResQte. 


Quant  à  la  ville  de  Sl.-Gall,  elle  sYlail  formée  suci'essivemenl  autour  de  Tabbavo. 
et  avait  été  entourée  de  murailles  en  9S3.  Ses  habitants  se  rachetèrent  de  la  seni 
lude  des  moines,  et  obtinrent  diverses  Tranchises  des  empereurs  d'Allemagne;  il> 
luttèrent  fréquemment  contre  les  abbés,  et  firent  même  pendant  quelques  année* 
partie  de  la  ligue,  à  la  tète  de  laquelle  figuraient  les  montagnards  d'Appenzell.  En 
1&54,  la  ville  s*allia  avec  six  cantons  (Zurich,  Berne,  Lucerne,  Unterwald,  Zug, 
(flaris),  et  reçut  le  titre  d'alliée  des  Suisses,  et  le  droit  d'envoyer  aux  Diètes  un 
député.  Dès  1567,  une  haute  muraille  sépara  la  ville  de  l'abbaye;  mais  ce  ne  fui 
qu*à  la  fin  du  47^  siècle  que  son  indépendance  civile  et  politique  fut  assurée  par  un 
traité.  En  1798,  elle  devint  cheMieu  du  canton  du  Saentis,  et  en  1803  celui  du 
canton  qui  |K)rte  son  nom. 

Outre  Tancien  territoire  de  l'évéché  et  celui  de  la  ville,  le  canton  de  St.-Gall  coin 
prend  le  comté  de  Toggenbourg,  les  bailliages  de  Hheinihal,  de  Sax,  de  Wcrdenberg  et 
.Gaml)s,  de  Gaster,  de  Sargans  et  d'Utznach,  la  ville  et  le  territoire  de  Rappersehwyl. 
Le  Toggenbourg  eut  pendant  plusieurs  siècles  s(*s  comtes  particuliers.  Le  comte  Fré 
déric,  qui  mourut  en  i&36,  intestat  et  sans  enfants,  |)ossédait  en  outre  les  seigneu- 
ries de  Sargans  et  d'Utznach,  la  Marche,  etc.  Cette  succession  fut  l'occasion  d'um* 
guerre  qui  dura  plusieurs  années,  et  dans  laquelle  on  vit  pour  la  première  fois  les 
Confédérés  se  combattre  entre  eux.  Pendant  ce  temps,  les  Toggenbourgeois  s'étaient 
réunis  en  Landsgemeinde,  afin  de  se  donner  un  gouvernement,  et  avaient  contraclo 
un  traité  de  combourgeoisie  avec  Schwytz  et  Claris;  mais  leur  pays  échut  en  partage 
à  Pétermann  de  Raron,  dernier  rejeton  de  Tune  des  plus  puissantes  familles  du  Val- 
lais,  lequel,  n'ayant  pas  d'enfants,  le  vendit  en  1469  à  Ulrich  Rœsch,  abbé  de 
St.-Gall,  moyennant  145,000  florins,  sous  la  réserve  des  franchises  dont  jouissaient 
les  habitants.  Plus  tard,  le^  abbés  cherchèrent  |)eu  à  peu  à  reprendre  ces  franchises, 
surtout  après  que  le  pays  se  fut  déclaré  pour  la  foi  réformée;  l'un  d'eux  traita  même 
ses  sujets  comme  des  serfs,  et  persécuta  les  protestants,  qui  étaient  en  majorité.  Poussés 
à  bout,  les  Toggenbourgeois  chassèrent  les  gouverneurs  et  les  soldats  de  l'abbé,  et 
lui  déclarèrent  la  guerre  ;  Zurich  et  Berne  se  joignirent  à  eux;  Lucerne  et  les  Petits 
Cantons  envoyèrent  des  secours  à  l'abbé;  alors  eut  lieu  la  guerre  connue  sous  le 
nom  de  Toggenbourg,  et  qui  se  termina  en  171*2  par  la  victoire  de  Willmeigeu, 
remportée  par  les  protestants.  Les  Toggenbourgeois  rentrèrent  sous  la  domination 
(les  abbés,  mais  avec  des  droits  plus  étendus  qu'auparavant,  et  sous  la  protection  de 
Zurich  et  de  Berne.  —  Le  Rheinthal  était  dans  le  13*^  siècle  gouverné  par  les  comtes 
(le  Werdenberg,  qui  le  cédèrent  à  l'Autriche  en  1396  ;  les  Âppenzellois  le  possédèrent 
momentanément,  à  deux  reprises,  api*ès  l'avoir  conquis  en  1405,  puis  en  1460: 
enfin,  dès  l'an  1500,  ce  pays  a  appartenu  aux  cantons  de  Zurich,  Lucerne,  S(*hwytz, 
Claris,  Uri,  Unterwald,  Zug  et  Appenzell,  auxquels  on  joignit  Berne  en  1712.  Quant 
aux  habitants  de  Werdenberg,  après  avoir  appartenu  aux  seigneurs  dont  le  château 
domine  leur  ville,  ils  furent  forcés  de  se  soumettre  à  la  domination  de  Claris,  qui 
les  gouverna  par  des  baillis,  et  qui  parvint  toujours  à  réprimer  leurs  révoltes.  Le 
pays  de  Sargans  appartint  successivement  aux  comtes  de  Werdenberg,  à  ceux  du 
Toggenbourg  et  à  T Autriche  ;  il  fut  conquis  par  les  Suisses  au  milieu  du  15*  siècle. 
En  1798,  les  districts  de  Werdenberg  et  de  Sargans  furent  incorporés  au  canton  de 
de  la  Linth,  et  en  1803  à  celui  de  St.-Gall. 


LA  si'isse  pnTOftes<H'E. 


La  Conslilution  qui  a  régi  St.-Gall  jusqu'en  1830  était  libérale,  sî  on  la  cc^n.fùrv 
à  celles  qui  furent  en  vigueur  sous  la  Restauration  dans  plusieurs  cantiHts  an>U*- 
craliques;  TensemMe  du  peuple  avail  une  grande  part  à  l'élection  de  ses  repiv^^n- 
tants,  et  les  renouvellements  étaient  fréquents:  eependanl,  après  la  révuiutî*:»n  dr 
1830,  le  Grand  GMiseil,  à  la  demande  du  peuple,  décréta,  le  li  décembre,  la  ixmvti 
ration  d'une  Assemblée  constituante.  Lei3  mars  1831,  la  nouvelle  Consli  tu  lion  fut 
adoptée  par  il. 883  sufiirages  contre  11,097.  St.-Oall  adhéra  ensuite  au  concordat 
(les  sept  cantons  qui  se  garantissaient  réciproquement  leurs  nouvelles  Constitutions. 
Plus  tard,  le  Grand  Conseil  se  trouva  partagé  en  deu\  Tractions  t  oinservatrioe  et 
radicale)  pariaîtement  égales,  tellement  qu'il  eut  beaucoup  de  peine  à  émettre  un 
vote  sur  certaines  questions  importantes  qui  ^  discutaient  à  la  Diète.  Depuis  les 
f'véneroents  du  Sonderbund,  la  majorité  a  été  ao^uiâe  dans  le  pa\s  et  dans  ses  Con- 
seils au  parti  radical,  qui,  il  but  le  reeunnaitre,  s'y  est  toujours  cr>nduit  avec  plus  de 
modération  que  dans  quelques  autres  cantons.  Les  dernières  élections  du  Grand  Con- 
seil (en  mai  185S)  ont  montré  que  la  majorité  appartient  ener>re  d'une  manière 
plus  décidée  à  œ  même  parti.  La  diffi^reooe  des  opinions  n'est  point  une  affaire 
ronfessionnelle,  car  dans  la  fraction  catholique  du  Grand  G>n5eil,  prise  séparément, 
les  deux  partis  se  trouvent  presque  également  représentés:  il  parait  même  quel  If 
renferme  une  majorité  libérale  ou  anti-ultram«»nlaine.   Voyez  l'art-cle  CuU^'^, 

GoxsnTmo^ss.  —  D'après  la  Gonstituti«>n  garantie  en  181  i,  un  Gri»t*1  O0N*^tl  dt* 

ISO  membres  (84  catholiques  et  66  réformé^     eien/ait  le  pimvoir  Si»uverain.  Il 

était  nommé  en  trois  séries:  31  membres  élaî^mt  éi-i<  direct^rr^ent  pir  les  cerck> 

électoraux  ;  49  l'étaient  par  des  coqis  électi.»rau\  de  dîMrict  :  le<  30  a-jlres  éi.ii^il 

nommés  par  le  Grand  Conseil  lui-même,  sur  la  pr*^r^iii**n  d'-jn  o-L-rje  é'^^rfiK-rTiï  «.-an 

lonal.  Tous  les  membres  étaient  élus  pi>ur  tr»î^an^.  et  ré^.*gi!«yr*.  Le  Grjrrl  0'**<ii 

nommait  dans  son  sein,  pour  le  terme  de  ur-uf  an*«.  un  Petit  G  r.-^.i  le  9  cj^tu'i:*^. 

renouvelés  par  tiers:  il  élisait  tou^  ks  deux  art^,  parmi  ks  fi-^fT«Lr*<  i-A  P-:  :  C^* 

seil,  deux  lafê^nmHutMUJi.  appartenant  aux  deux  c*jri5e>4-iri*.  H  J  u\  cî-*:--l  '^€>^u  » 

pendant  un  an  les  deux  Conseils.  Le  Grand  Offt*>rtï  éi.sait  au^  ^l  Ir.i*^'^.  â  ^f  ^- 

Je  i3  membres,  qui  jugeait  toutes  les  causes  en  dernier  ne^KKl.  F-y-./  ^::e  h^r^iz. 

il  fallait  avoir  il  ans  accomplis,  et  payer  1  im^^^  d'ui^e  pr^o^^é   1  kj  'zj,*.-^ 

iOO  livres;  pour  être  éligiUe  au  Grand  Grfï^^riL  il  biUit  en  c.v^  a'»'.*T  !»  ^tz^ 

accomplis;  et  pour  être  éligiUe  au  Petit  G^nseii  et  au  Tni*..'.^   s  ^V^--  V^':*^ 

l'impôt  sur  une  propriété  de  6000  livres.  Dans  -:i^^n  i^  8  i  *••.-//*    ,  }  * .  t  :  .-. 

préfet  nommé  par  le  Gouverneoient.  et  un  Tri-jw!  fc  i^^r^x  u.KL:jk  ;#  •.•  ^,  Virrr: 

Je  neuf  ans.  Dans  chacun  des  4i  cercles,  il  y  avi.t  lu  Tri»**^  ,-.'i*ri^-r.  «Xi*,  ^ 

commune  nommait  pour  six  ans  un  O^nsetl  c»ii.iii*^r^.  o.'Ll;#^  i  •:,  \\  -jti,  >£  >:  k  « 

12  membres,  renouvelés  par  tiers.  Le  libre  exer ?#*  >i^  v-.x  :.  j^  *:.x/  ^i*^\  * 

Le  parti  confessionnel  le  plus  nombre^jx    k*  catL  ■.-;  ^^    if.*.:  >-.  jt  ,..♦•.•>  wh 

le  Petit  Conseil  et  dans  le  Tribunal  d'apj^ej  «j'j  î>-"  Mnt  >*•  j...  ^  .-j*:  i^  -^y,  .^  , 

était  en  minorité. 

La  Constitution  de  1831  a  établi  lê.**^*  li  ô  '^r.^jç  p...»  ^..^  ^  |  >/  a:.>-v.'r*-»  •.  • 
Grand  Conseil  ;  cette  élection  a  lieu  daû^  le^  *i«r'j.:.*éj»  -^..v.  v.  .-^ir^  Lt  vr  t  -jî  Or^ 
seil  nomme  dans  son  sein  les  7  u^mttjn^  4u  P^.  î  Critft^  ir.*.  i  »a  •..•  -^jt^  ^ 
•)  protestants),  et  il  choî^t  parmi  e^x  •;•>  U'i^t",*".  |>*  ••-•r-;t-,t  »..i*^r*'  •> 


340  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


sont:  un  Tribunal  cantonal,  une  Cour  criminelle  et  une  Gourde  cassation,  dont  les 
membres  sont  nommés  par  le  Grand  Conseil.  Lies  fonctions  de  membre  du  Grand 
Conseil  durent  deux  ans;  celles  des  membres  du  Petit  Conseil,  quatre  ans;  odles  des 
Tribunaux  supérieui*s,  six  ans;  celles  des  Tribunaux  inférieurs,  quatre  ans;  celles 
des  préfets  de  district  et  des  autorités  communales,  deux  ans.  Les  préfets  et  les  Tri- 
bunaux inférieurs  sont  nommés  par  les  citoyens  qui  sont  leurs  ressortissants.  La 
Constitution  a  consacré  en  outre  le  droit  de  veto.  Les  lois  votées  par  le  Grand  Conseil 
ne  deviennent  exécutoires  que  4 S  jours  après  leur  promulgation,  et  que  dans  le  cas 
où  elles  ne  sont  pas  refusées  par  la  majorité  des  citoyens  pendant  cet  espace  de 
temps.  —  Le  Grand  Conseil  a  décidé,  à  la  fin  de  juin  48S5,  qu'au  mois  d'octobre 
Ton  consulterait  le  peuple  sur  la  convenance  de  réviser  la  Constitution. 

Cultes.  — Sur  les  169,808  habitants  du  canton,  Ton  en  compte  I0S,370  catho- 
liques, 64,192  protestants,  et  63  juifs.  La  plus  grande  partie  des  communes  catho- 
liques dépendirent  autrefois  de  Tévêché  de  Constance,  et  ensuite  du  vicaire-général  de 
Munster  ;  le  district  de  Sargans  seul  dépendait  de  Tévéché  de  Coite.  Mais,  depuis 
1846,  St.-Gall  est  devenu  le  siège  d'un  évéché  spécial.  Il  existe  encore  dans  le  canton 
un  assez  grand  nombre  de  monastères  :  3  de  capucins,  3  de  bénédictins,  2  de  domi* 
nicains,  k  de  franciscains,  2  de  religieuses  de  Tordre  de  Citeaux.  Il  existait  autre- 
fois à  Schœnnis,  près  Wesen,  un  couvent  de  dames  nobles,  fondé  en  801  par 
Humfried,  comte  de  Rhétie,  et  qui  fut  enrichi  par  les  comtes  de  Lenzbourg.  Il  a  été 
supprimé  il  y  a  une  quarantaine  d'années.  Nous  avons  déjà  mentionné  la  suppres- 
sion  de  la  puissante  abbaye  de  St.-Gall.  Quant  à  celle  de  Pfceffers,  elle  a  été  aussi 
supprimée  en  1838  par  un  décret  du  gouvernement  saint-gallois,  et  avec  le  con- 
sentement des  moines  eux-mêmes,  qui  reçoivent  une  pension  viagère.  Cette  abbaye 
de  bénédictins  avait  été  fondée  en  713,  et  dès  1196  Tabbé  avait  porté  le  titre  de 
prince.  Les  environs  de  Ragatz  et  toute  la  vallée  de  la  Tamina  lui  avaient  appar* 
tenu  jusqu'en  1798.  —  Le  clergé  évangélique  est  divisé  en  trois  chapitres  :  ceux  do 
St.-Gall,  du  Toggenbourg  et  du  Rbeinthal;  ces  trois  chapitres  forment  un  synode 
qui  s'assemble  une  fois  chaque  année  à  St.-Gall,  sous  la  présidence  de  Faniistès,  qui 
est  élu  par  le  synode  entre  tous  les  membres  du  clergé.  Les  réformés  ont  en  outre 
un  Consistoire  composé  de  laïques  et  d'ecclésiastiques.  Une  t)onne  intelligence  régne 
en  générai  entre  les  catholiques  et  les  réformés,  et  dans  quelques  endroits  une  même 
église  sert  aux  deux  cultes.  —  D'après  la  Constitution  de  1831,  les  membres  du 
Grand  Conseil  se  partageaient,  sous  le  rapport  confessionnel,  en  deux  collèges,  déli- 
bérant séparément  sur  toutes  les  affaires  qui  concernaient  leur  culte  respectif,  ainsi 
que  leurs  établissements  d'instruction  publique.  Le  Grand  Conseil  a  adopté,  en 
juin  18SS,  par  95  voix  contre  43,  une  loi  qui  abolit  les  collèges  confessionnels,  et 
qui  place  les  ecclésiastiques  des  deux  cultes  sous  la  dépendance  du  gouvernement,  et 
met  aussi  sous  sa  surveillance  toute  l'administration  des  couvents,  des  églises,  des 
écoles  et  des  fondations.  Cette  loi,  qui  a  rencontré  une  vive  opposition  de  la  part  du 
clergé  catholique,  et  dont  un  des  principaux  buts  est  d'arriver  à  une  amélioration 
des  établissements  supérieurs  d'instruction  publique,  a  été  promulguée  le  l**"  juillet, 
et  est  devenue  exécutoire  depuis  le  15  août,  à  l'expiration  du  terme  prescrit  pour 
l'exercice  du  droit  de  relo.  Une  forte  minorité  s'était  prononcée  pour  le  veto. 

Instruction  publique.  —  Le  gouvernement  a  donné  une  attention  spéciale  au 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  341 


perfeciionnemeDt  des  écoles  primaires.  Les  petites  villes  du  canton  possèdent  aussi 
des  écoles  secondaires  ou  collèges,  où  Ton  enseigne  le  latin,  le  français,  la  géogra- 
phie, rhistoire,  etc.  Il  existe  à  St.-Gall  un  gymnase  et  une  école  centrale  catho- 
liques; celle-ci  compte  46  professeurs;  un  gymnase  protestant,  qui  compte  une  di- 
zaine de  professeurs,  et  qui  est  une  fondation  particulière  ;  une  école  industrielle,  etc. 
On  trouve  aussi  à  St.-Gall  deux  bibliothèques  importantes  :  la  bibliothèque  ci-devant 
abbatiale,  qui  possède  un  millier  de  manuscrits,  dont  400  étaient  déjà  mentionnés 
dans  un  catalogue  de  Tan  823;  on  y  remarque  un  manuscrit  des  Nibelungen,  un 
Virgile  du  4*  siècle  écrit  avec  de  beaux  et  grands  caractères  romains;  les  Lois 
romaines,  etc.  Niebuhr  a  retrouvé  dans  celte  précieuse  bibliothèque  quelques  frag- 
ments du  poêle  païen  peu  connu  Merobaiulès.  Nous  avons  déjà  indiqué  les  services 
rendus  jadis  aux  lettres  et  aux  sciences  par  les  anciens  religieux,  qui  s'appliquè- 
rent à  recueillir  et  à  conserver  les  ouvrages  de  l'antiquité.  Beaucoup  de  manuscrits 
Furent  empruntés  par  des  évéques  du  concile  de  Constance,  qui  ne  les  ont  jamais 
rendus.  —  La  bibliothèque  de  la  bourgeoisie,  qui  possède  les  manuscrits  du  savant 
Vadianus  (outre  une  collection  de  médailles  et  de  bustes  d'hommes  distingués).  — 
lia  Société  liuéraire  possède  aussi  une  bibliothèque  qui  contient  une  collection  de 
livres  et  de  manuscrits  relatifs  à  l'histoire  de  la  Suisse  et  de  St.-Gall. 

Industrie,  Commerce,  Agriculture,  etc.  —  Dans  les  districts  septentrionaux,  elpar- 
ticulièrementdans  les  villes  de  St.-Gall,  Rorschach,  Rheineck,  Altstœtten,  Lichlensteg, 
la  population  se  voue  essentiellement  à  Tindustrie  et  au  commerce,  tandis  que  dans 
la  partie  méridionale  les  habitants  s'adonnent  presque  exclusivement  à  l'agriculture 
et  à  l'économie  alpestre.  Dès  le  43*"  siècle,  St.-Gall  faisait  un  important  commerce 
de  toiles,  qui  étaient  connues  sous  le  nom  de  toiles  de  Constance.  L'émigration  d'un 
grand  nombre  de  fabricants,  qui  quittèrent  Constance  à  l'époque  du  concile  en  4444, 
et  vinrent  s'établir  à  St.-Gall,  fit  de  celle  ville  un  centre  d'activité,  dont  l'influence 
s'étendait  jusque  dans  la  Souabe  et  dans  les  montagnes  de  Brégenz.  Ces  fabriques 
occupaient,  vers  la  fin  du  48^  siècle,  30  à  40,000  brodeuses,  réparties  dans  les  pays 
voisins  du  chef-lieu.  Au  commerce  des  toiles  de  lin  a  succédé  celui  du  colon  écru,  des 
mousselines,  des  toiles  de  coton,  des  broderies,  des  percales.  Aujourd'hui,  St.-Gall 
a  des  manufactures  qui  peuvent  rivaliser  avec  les  plus  considérables  de  France  et 
d'Angleterre.  Dès  le  commencement  du  siècle,  les  négociants  de  St.-Gall  y  avaient 
établi  des  machines  ingénieuses  de  filature,  à  l'instar  de  celles  qui  étaient  en  usage 
dans  la  Grande-Bretagne  ;  ces  machines,  au  moment  de  l'interruption  des  relations 
commerciales  entre  ce  pays  et  le  continent,  ont  donné  un  essor  extraordinaire  aux 
fabriques  et  à  l'industrie  de  St.-Gall.  Cette  ville  est  le  centre  de  la  fabrication  et  du 
commerce  des  mousselines  de  Suisse;  les  broderies  précieuses  se  font  à  St.-Gall 
même;  le  prix  d'une  pièce  de  mousseline  richement  brodée  en  or  et  en  argent 
s'élève  jusqu'à  60  louis,  soit  plus  de  4400  francs.  On  fait  aussi  des  tissus  destinés  à 
recevoir  des  broderies,  dans  les  pays  voisins,  surtout  dans  le  canton  d'Appenzell 
et  dans  les  montagnes  de  la  Souabe  et  du  Yorariberg.  St.-Gall  et  Rorschach  ont  en 
outre  des  blanchisseries;  on  file  le  coton  dans*le  Toggenbourg,  dans  une  partie  du 
pays  d'Utznach  et  du  Rheinthal,  et  à  Sargans,  etc.  Les  produits  des  fabriques  saint- 
{^lloises  s'exportent  principalement  en  Amérique,  en  Turquie,  en  Espagne,  en  Italie 
et  en  Hollande.  Le  commerce  comprend  en  outre  des  cuirs,  des  besliaux,  des  eaux  dis- 


3'l2  LA   SUI88B   PITTORBSQCE. 


tillées,  etc.  Les  districLs  de  Sargans  et  d'Utznach  exportent  une  quantité  de  bois 
considérable. 

Mais  l'agriculture  occupe  aussi  un  grand  nombre  de  bras  dans  le  canton  ;  elle  y  a 
Tait  d'assez  grands  progrès.  Beaucoup  de  gens  se  vouent  à  la  fois  au\  travaux  agri- 
(*oles  et  aux  occupations  industrielles.  On  trouve  des  vignobles  dans  plusieurs 
districts,  mais  surtout  dans  le  Rheinthal,  où  cetle  culture  a  été  importée  dès  le 
40**  siècle;  ils  produisent  des  vins  de  1res- bonne  qualité,  mais  qui  ne  se  gardent  pas. 
IjC  vin  rouge  qui  croit  sur  le  Buchl)crg,  près  de  Rheineck,  passe  pour  un  des  meil- 
leurs de  la  Suisse  allemande.  On  cultive  une  grande  quantité  d'arbres  fruitiers, 
surtout  dans  le  district  de  Rorschach  et  le  Rheinthal  ;  une  bonne  partie  des  fruits 
(^t  employée  à  faire  du  cidre.  On  voit  beaucoup  de  cerisiers  dans  les  districts  mon- 
tagneux ;  leurs  fruits  servent  h  faire  de  Teau  de  cerises.  La  plupart  des  districts 
produisent  des  céréales  et  des  pommes  de  terre;  le  Toggenbourg  produit  aussi  du 
lin  et  du  chanvre  ;  le  mais  prospère  le  long  du  Rhin  et  dans  le  pays  de  Sargans  et  de 
(jaster.  La  partie  montagneuse  du  canton  possède,  outre  les  alpages,  beaucoup  de 
prairies;  elles  y  sont  assez  bien  soignées.  Sur  566,000  arpents,  on  en  compte  en 
viron  49^2,000  en  pâturages,  ou  *  ',  ;  80,000  en  forêts,  ou  Vg  ;  45,000  en  champs, 
ou  */,,;  et  445,000  en  prés  et  vignes,  ou  *  ,;  etc. 

Hommes  distinglés.  Savants,  etc.  —  Nous  avons  déjà  mentionné  combien  Fabbaye 
de  St.-Gall  s'illustra  par  son  école  dans  les  premiers  siècles  de  son  existeooe.  Au 
nombre  des  religieux  qui  se  firent  un  nom  par  leur  savoir,  on  cité  en  particulier 
Eckard,  qui  fut  le  maître  d'iledwige,  duchesse  de  Souabe,  et  du  fils  de  Tempereur 
Othon  I""^;  Kèron,  qui  fut  un  des  premiers  à  cultiver  la  langue  allemande;  Noiker, 
dont  on  a  conservé  des  prières  et  des  hymnes  qui  se  chantaient  encore  au  40^  siècle 
dans  les  églises  d'Allemagne;  Salomon,  natif  de  Bischofzell,  qui  fut  abbé  de  St.-Gall 
de  894  à  949,  et  qui  fut  aussi  évéque  de  Constance.  11  composa  un  dictionDaire 
encyclopédique  qui  embrassait  toutes  les  sciences  connues  à  cette  époque;  il  se 
distingua  également  comme  homme  d'Etat.  Quelques  siècles  plus  tard,  St.-Gall 
donna  le  jour  à  JiMuhim  Watl  ou  Vadianm,  homme  d'un  génie  universel,  qui  a 
écrit  sur  diverses  matières  de  droit  et  de  théologie,  et  qui  coopéra  à  rétablissement 
de  la  Réforme;  il  fut  bourgmestre  de  St.-Gall,  et  mourut  en  4554  ;  —  à  Jmn  Kessler, 
qui  fut  disciple  de  Luther,  et  cultiva  aussi  la  poésie  ;  à  Melamhthon  (ou  Schtcarzerd), 
qui  fut,  avec  les  précédents,  un  des  réformateurs  de  St.-Gall.  Wildhaus,  village  du 
Haut-Toggenbourg,  fut  le  berceau  du  principal  réformateur  de  la  Suisse  allemande, 
Ulrich  Zwingli.  Né  en  4484,  dans  une  modeste  chaumière,  Zwingli  fut  curé  de 
Glaris  de  4506  à  4545,  puis  d'Einsiedlen,  de  4545  à  4549.  Ce  fut  en  4546  qu  il 
commença  à  jeter  les  fondements  de  la  Réforme.  Il  eut  de  longues  luttes  à  soutenir 
contre  le  clergé.  Il  vécut  longtemps  à  Zurich,  où  se  tint  une  célèbre  conférence,  à 
laquelle  assistèrent  les  délégués  du  catholicisme  et  les  représentants  de  la  Réforme, 
dont  Zwingli  était  le  chef.  Il  perdit  la  vie  en  4534,  à  la  bataille  de  Gappel,  où  il  se 
trouvait  eu  qualité  de  chapelain  de  Tarmée  zuricoise  ;  son  cadavre  fut  traité  avec 
barbarie  par  des  vainqueurs  fanatiques.  En  même  temps  périt  Gérold  Meyer,  fils  de 
la  femme  de  Zwingli,  ainsi  qu'un  beau-frère  et  un  gendre  de  celle-ci,  La  veuve  du 
réformateur,  Anne  de  Reinhard,  supporta  une  aussi  grande  infortune  avec  une  rési* 
ynation  remarquable.  J, -George  Zollikofer,  un  des  plus  célèbres  prédicateurs  de  la 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  3ft3 


Suisse  et  de  rAUemagne,  élail  né  à  Sl.-Gall.  Il  mourut  en  1788  h  Leipzig,  où  il 
était  pasteur  depuis  bien  des  années  ;  il  a  laissé  plusieurs  volumes  de  sermons,  et 
deux  volumes  de  Considératiom  philosojéiqièes  sur  Vorigine  du  mal. 

Plusieurs  seigneurs  du  pays  cultivèrent  la  poésie  au  milieu  du  moyen-âge;  au 
nombre  de  ces  troubadours,  se  distinguèrent  particulièrement  Henri  de  Hohensax,  et 
Rodolphe  de  Montfort,  qui  naquit  dans  le  pays  de  Werdenberg.  Ce  dernier  passe  pour 
Tun  des  meilleurs  poètes  du  1^5^  siècle  ;  il  est  aussi  Fauteur  d'une  chronique  univer- 
selle. Le  Rheinthal  a  donné  naissance  au  médecin  Jacques  Ruef,  qui  composa  le  pre- 
mier, au  46^  siècle,  des  ouvrages  dramatiques  en  langue  allemande  ;  il  fit  représenter 
la  plupart  de  ses  pièces  de  théâtre  sur  la  grande  place  de  Zurich  ;  elles  ont  été 
recueillies  et  publiées  en  1552.  Nommons  encore  Kessler,  le  réformateur,  et  Grob, 
natif  de  Lichtensteg,  et  qui  s'établit  dans  le  canton  d'Appenzell.  —  Haltiner  fut  un 
célèbre  architecte  ;  W,  Hartmann  s'est  distingué  comme  peintre  de  fleurs,  et  Isen- 
rimj  comme  paysagiste  et  graveur.  Au  nombre  des  militaires  qu'a  produits  le  canton 
de  St.-Gall,  on  peut  citer  Ulrich  WarnbUhler,  qui  commandait  la  bannière  saint- 
galloise  à  Grandson  et  à  Morat;  il  fut  élu  bourgmestre  en  4480,  et  rendit  des  ser- 
vices importants  à  sa  patrie;  Rodolphe,  comte  de  Werdenberg,  qui  fut  choisi  pour 
chef  par  les  Appenzellois,  au  commencement  du  15*  siècle,  à  l'époque  de  leur  glo- 
rieuse lutte  contre  l'abbé  de  St.-Gall  et  la  maison  d'Autriche  ;  Ulrich  de  Hohensax, 
([ui  combattit  glorieusement  à  Morat. 

Moeurs,  Coutumes,  Caractère.  —  Les  Saint-Gallois  sont  en  général  laborieux  et 
actifs,  et  doués  d'un  haut  degré  d'intelligence.  Presque  tous  ceux  qui  ont  de  la 
fortune  le  doivent  à  un  travail  opiniâtre.  Le  goût  de  l'industrie  et  des  spécula- 
tions, dans  le  but  d'acquérir  des  richesses,  se  fait  bien  plus  remarquer  parmi  les 
protestants  que  parmi  les  catholiques;  ces  derniers  préfèrent  ordinairement  se  livrer 
à  l'agriculture  et  à  la  vie  pastorale,  quand  les  produits  du  sol  peuvent  suffire  à  leur 
subsistance.  Malgré  son  ardeur  au  travail,  la  population  de  St.-Gall  participe  un 
|)eu  au  caraclèfe  vif  et  enjoué  de  ses  voisins  d'Appenzell.  A  St.-Gall  et  en  plusieurs 
autres  lieux,  il  exista  dès  longtemps  des  confréries  ou  associations  qui  se  réunis- 
saient de  temps  en  temps  pour  se  divertir  ;  on  se  livrait  A  la  danse,  au  chant,  et  à 
une  joie  bruyante,  qui  était  alimentée  par  des  souscriptions  hebdomadaires;  ces 
fonds  cependant  ne  servaient  pas  seulement  au  plaisir,  ils  servaient  aussi  â  aider 
des  confrères  tombés  dans  le  malheur.  Les  habitants  des  montagnes  du  Toggenbourg 
sont  grands  amateurs  de  musique.  Bien  que  la  population  se  voue  plus  à  l'industrie 
qu'à  la  culture  des  lettres,  l'instruction  est  assez  répandue  dans  la  ville  de  St.-Gall  ; 
la  plupart  des  femmes  y  entendent  et  parlent  le  français,  et  leurs  manières  et  leur 
langage  annoncent  une  bonne  éducation.  On  cite  comme  un  usage  particulier  l'ha- 
bitude qu'avaient  les  femmes  d'une  partie  du  Rheinthal,  de  Riiti  jusqu'à  ilaard,  de 
se  tatouer  la  peau  en  y  gravant  diverses  figures. 

Ville  DE  St.-Gall.  —  Ce  chef-lieu  du  canton  compte  11,234  habitants,  dont 
3102  catholiques;  il  est  à  plus  de  800  pieds  au-dessus  du  lac  de  Constance,  ou 
2080  au-dessus  de  la  mer.  Il  est  situé  dans  un  vallon  assez  étroit,  dont  il  occujie 
toute  la  largeur,  et  qu'enferment  de  verdoyantes  collines.  Sans  être  précisément 
régulière,  la  ville  a  de  larges  rues  ;  les  maisons  sont  d'une  propreté  remar(|uable  : 
elle  a  un  grand  nombre  de  fontaines  publiques  jaillissantes.  Ses  édifices  les  plus 


344  LA   SnSSK   PITTORCflQrR. 


remarquables  sont  les  suivants  :  L'HôteMe-Ville,  situé  sur  la  place  du  marché:  l'an- 
cien cloître  Pfalz,  vasie  bâtiment,  donl  la  partie  la  plus  moderne  sert  mainienaot 
de  résidence  au  Gouvernement,  tandis  que  les  parties  anciennes  contiennent  Técole 
cantonale  catholique,  l'ancienne  bibliothèque  abbatiale  et  les  archives:  —  la  Cathé- 
drale ou  église  ci-devant  abbatiale,  reconstruite  en  entier,  en  1755,  dans  le  style 
italien;  elle  possè<le  de  belles  Tresques  et  un  orgue  très-harmonieux.  L'église  de 
St.-Laurent,  restaurée  d'après  les  plans  de  l'habile  architecte  J.-G.  Mûller,  mort  à 
Vienne  en  4848;  le  nouvel  Arsenal  cantonal,  près  de  l'église  abbatiale  :  la  nouvelle 
Maison  pénitentiaire,  placée  hors  des  murs,  ainsi  que  la  Maison  des  orphelins,  un 
des  plus  beaux  bâtiments  de  la  ville;  l'Hôpital,  le  (^sino,  etc.  Nous  avons  déjà  fait 
mention  des  établissements  d'instruction  et  des  principales  bibliothèques  qui  existent 
h  St.-Gall  ;  on  y  trouve  encore  une  collection  d'antiquités  saint-galloises,  qui  appar- 
tient à  la  société  des  marchands,  et  des  cabinets  particuliers  d'histoire  naturelle  (de 
MM.  Zollikofer  et  Zyli;  de  tableaux  et  de  gravures  (de  M.  Gonzenbach).  Il  existe 
aussi  à  St.-Gall  une  caisse  d'épargne,  une  société  de  secours  mutuels,  une  société 
d'histoire  naturelle,  une  société  des  arts,  une  société  littéraire,  une  société  d^éco- 
nomie  rurale,  une  société  d'utilité  publique,  une  société  biblique,  une  société  des 
prédicateurs,  une  société  musicale,  etc.  —  Comme  nous  l'avons  dit,  St.-Gall  est  le 
centre  de  la  fabrication  et  du  commerce  de§  mousselines  et  des  broderies  suisse». 
Les  blanchisseries,  les  filatures,  les  tanneries,  y  occupent  aussi  un  grand  nombre 
d'ouvriers  ;  elle  a  des  maisons  de  banque  et  des  librairies  importantes  et  jouissant 
d'une  réputation  méritée. 

Les  hauteurs  des  environs  présentent  de  tous  côtés  de  magnifiques  points  de  vue: 
nous  nommerons  particulièrement  la  montagne  du  Freadenhei^,  qui  domine  la  ville 
du  côté  de  l'est,  et  où  se  trouve  le  couvent  de  Notkersegg;  on  y  découvre  le  lac  de 
Constance,  la  Thurgovie,  les  montagnes  de  St.-Gall  et  d'Âppenzell,  etc.  ; — la  sommité 
de  VcBgeliseck,  à  une  grande  lieue  de  la  ville,  sur  le  territoire  appenzellois  ;  elle  pré- 
sente à  peu  près  la  même  vue  ;  —  le  mont  Tanfienberg  (Mont  des  Sapins),  à  2  lieues 
de  la  ville,  à  gauche  de  la  route  de  Bischorzell  ;  le  château  de  Dotlenwyl,  à  i  lieue  *  ^, 
près  de  la  route  de  Constance.  Près  de  la  ville  on  trouve  la  jolie  promenade  de 
Brùhl,  et  des  moulins  construits  dans  une  situation  très-remarquable,  au  milieu 
d'une  gorge  où  la  Steinach  forme  plusieurs  cascades.  Sur  la  route  de  St.-Gall  à 
Hérisau,  l'on  passe  la  Sittern  sur  un  très-beau  pont  en  pierre,  élevé  de  80  jMeds  et 
long  de  plus  500;  il  a  été  terminé  en  1810  ;  on  le  nomme  la  KnBzernbrûcke. 

RoRSGBACH  est  uû  bourg  de  1500  habitants,  la  plupart  catholiques,  bâti  au  bord 
du  lac  de  Constance,  au  pied  d'une  colline  fertile.  Sa  position,  au  débouché  de  plu- 
sieurs routes  d'Allemagne  et  de  celles  du  Splûgen  et  du  Bernardin  dans  les  Grisons, 
est  éminemment  avantageuse  (H)ur  le  commerce.  Il  s'y  tient  tous  les  jeudis  un  marché 
de  céréales,  qui  est  le  plus  considérable  de  toute  la  Suisse.  Le  port  est  grand  et  fré- 
quenté. 11  existe  à  Rorschach  plusieurs  maisons  considérables  d'expédition,  une 
douane,  un  magasin  à  sel,  un  vaste  grenier  à  blé  construit  en  1784,  des  blandiis- 
series,  des  filatures,  des  fabriques  de  mousselines,  etc.  Sur  les  hauteurs  voisines,  an 
cloître  Mariaberg,  converti  en  maison  d'éducation,  au  château  de  Ste.-Anne  ou  de 
Rorschach,  etc.,  on  j<iuit  d'une  vue  très-belle  sur  le  lac  et  sur  ses  rives:  il  en  est 
de  même  de  la  route  qui  monte  dans  la  direction  de  St.-Gall;  si  Ton  gravit  au 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  34S 


sommet  des  collines,  et  surtout  sur  le  Rossbûhel  (à  une  lieue  de  Rorschach),  on  em- 
brasse un  panorama  bien  plus  étendu  encore  :  on  découvre  toutes  les  villes  rive- 
raines, ainsi  que  les  îles  de  Meinau  et  de  Reichenau,  les  montagnes  d'Âppenzell,  du 
Vorariberg,  etc. 

Rheinegr.  —  Si  de  Rorschach  Ton  se  dirige  du  côté  de  l'est,  on  passe  près  des 
châteaux  de  Warteck  et  de  Wartensee,  puis  sous  la  colline  de  Buchberg;  tous  ces 
points  commandent  des  vues  admirables.  Plus  loin.  Ton  arrive  à  Rheineck,  petite 
ville  industrielle  et  commerçante,  qui  compte  i  400  habitants,  en  majorité  réformés  ; 
elle  est  située  à  environ  une  lieue  de  Tembouchure  du  Rhin,  et  dans  une  position 
très-agréable.  La  pente  des  collines  s'élève  en  amphithéâtre  jusqu'aux  alpes  d'Ap- 
penzell;  elle  est  parsemée  de  villas,  de  fermes  et  de  châteaux,  et  couverte  de  prai- 
ries, de  vergers,  et  surtout  de  vignobles,  qui  produisent  un  vin  estimé.  Nous  avons 
mentionné  le  vin  rouge  du  Buchberg.  Rheineck  possède  un  hospice,  une  maison 
d'orphelins,  des  teintureries,  des  blanchisseries,  etc.  Son  église  est  ornée  de  beaux 
vitraux,  et  sert  aux  deux  cultes.  A  Sainte-Marguerite,  gros  village  situé  au  milieu 
d'une  forêt  d'arbres  fruitiers,  est  établi  un  bac  sur  le  Rhin,  que  l'on  passe  pour  se 
rendre  à  Bregenz  ;  le  fleuve  y  est  peu  profond  et  mal  encaissé. 

ALTSTiBTfEN.  —  La  Toute  de  Rheineck  à  Alstœtten  suit  le  pied  des  montagnes  qui 
font  la  limite  du  territoire  d'Appenzell.  Cette  dernière  ville  compte  6500  habitants, 
dont  près  des  deux  tiers  catholiques.  Elle  est  donc  l'endroit  le  plus  important  du 
canton,  après  le  chef-lieu.  Elle  est  dans  une  contrée  fertile,  au  milieu  de  vignobles 
et  d'arbres  fruitiers  ;  la  culture  de  ceux-ci  est  poussée  à  un  haut  degré  de  perfection, 
et  donne  d'excellents  produits.  La  ville  possède  une  bibliothèque  publique,  et  une 
jolie  ^lise  à  l'usage  des  deux  confessions.  Il  se  tient  à  Altstœtten  trois  grandes  foires 
annuelles,  et  un  transit  important  y  entretient  l'activité  commerciale  et  industrielle. 
Nous  avons  parlé  plus  haut  des  divers  bains  qui  se  trouvent  non  loin  d'Altstœtten, 
ainsi  que  des  Groiies  de  cristal  de  Kobelwies.  Plusieurs  chemins  montent  d'Altstsetten 
vers  le  territoire  d'Appenzell,  et,  des  hauteurs  qu'ils  franchissent,  les  regards 
découvrent  au  loin  toute  la  contrée.  Près  d'Altslœtten,  la  vallée  du  Rhin  est  très- 
large  ;  un  peu  plus  au  sud,  elle  se  rétrécit  et  aboutit  au  défilé  du  Hirschensprung 
(Saut du  Cerf),  formé  par  deux  chaînes  de  rochers.  Au  sortir  du  défilé,  l'on  arrive  aux 
grands  villages  de  Rûti  et  de  Sennwald,  situés  au  pied  du  Kamor.  Le  premier  est 
catholique,  et  le  second  protestant.  Toute  cette  contrée  est  la  partie  la  plus  sauvage 
du  Rheinthal. 

Werdenberg.  —  Au  sud  du  Sennwald,  on  rencontre  le  château  de  Forsteck,  situé 
au  milieu  d'une  forêt,  puis  les  ruines  de  ceux  de  Frischenberg  et  de  Hohen-Sax,  qui 
furent  détruits  par  les  Appenzellois  en  140S-,  plus  loin  est  Werdenberg,  jolie  petite 
ville  réformée,  entourée  de  vergers  et  de  champs.  On  y  file  du  coton  pour  les 
fabriques  de  St.-6all  et  d'Appenzell.  La  ville  est  dominée  par  le  vaste  château  des 
comtes  de  Werdenberg,  qui  offre  une  vue  étendue.  En  continuant  à  cheminer  vers 
le  sud,  on  passe  près  des  bains  de  Rams  et  des  ruines  pittoresques  des  châteaux  de 
Herrenberg  et  de  Wartau.  En  suivant  la  vallée  du  Rhin,  on  a  constamment  la  vue 
des  belles  montagnes  du  Vorariberg,  situées  sur  l'autre  rive.  Vis-â-vis  du  pays  de 
Werdenberg,  se  trouve  la  principauté  de  Lichtenstein,  longue  de  K  à  6  lieues,  sur 
2  lieues  de  largeur.  On  aperçoit  sur  une  élévation  la  petite  ville  de  Vaduz,  qui  en  est  le 
II.  n  kk 


346  LA   8UI86R   PITTOKBSQlîR. 


chef-lieu,  ainsi  que  les  ruines  de  son  château.  Elle  est  dominée  par  la  monlagnedes 
Traiê'Sœurs.  Au  sud  de  la  principauté,  à  la  frontière,  se  font  remarquer  les  mines 
imposantes  du  château  de  Guttenberg,  â  l'entrée  du  bmeux  défilé  du  Luâensteig,  par 
où  Ton  pénètre  dans  les  Grisons.  Au  fond  du  paysage  apparaît  la  pyramide  du 
Falkniss  (  7824),  dont  le  sommet  conserve  toujours  une  couronne  de  neige.  Près  du 
village  de  Trubbach  vient  se  terminer,  au  bord  du  Rhin,  la  chaîne  des  Kuhfirsten. 
pour  se  rendre  de  ce  village  â  Sargans,  on  passe  dans  un  défilé  entre  le  Rhin  et  la 
montagne  de  SchoUenberg.  Le  gouvernement  y  a  fait  construire  une  grande  route  en 
4802  ;  il  a  fallu  tailler  le  roc  sur  une  longueur  de  plus  de  2000  pieds. 

Sargans,  petite  ville  de  900  habitants  catholiques,  est  située  â  l'extrémité  d'une 
large  vallée,  qui  s'étend  jusqu'au  lac  de  Wallenstadt.  Elle  est  dominée  par  le  château 
qu'habitèrent  jadis  les  baillis  suisses  pendant  plus  de  trois  siècles  ;  on  y  découvre  une 
vue  admirable  sur  toute  la  vallée  jusqu'au  lac,  sur  les  vallées  latérales  de  Weiss- 
tannen  et  de  Pfœflers,  et  sur  toutes  les  montagnes  voisines.  Les  habitants  de  la 
vallée  de  Sargans  sont  presque  tous  catholiques  ;  ils  se  vouent  principalement  â  Féoo- 
nomie  alpestre  et  â  l'agriculture.  Une  légère  élévation  de  vingt  pieds  â  peine  empécbe 
le  Rhin  de  se  diriger,  par  la  vallée  de  Sargans,  vers  les  lacs  de  Wallenstadt  et  de 
Zurich,  direction  qu'il  parait  avoir  suivie  autrefois.  Vu  l'exhaussement  progressif  de 
son  lit  par  l'agglomération  du  gravier,  on  craint  qu'à  une  époque  plus  ou  moins 
rapprochée  il  ne  se  fraie  de  nouveau  un  passage  dans  cette  direction.  En  se  rendant 
à  Ragatz,  on  voit  sur  la  rive  droite  du  Rhin  la  chaîne  du  Rhœtikon,  aux  formes 
hardies  et  grandioses.  La  sommité  la  plus  rapprochée  du  fleuve  est  le  Flaesdierberg, 
au-delà  duquel  on  aperçoit  le  hameau  de  Guschen,  suspendu  sur  les  flancs  escarpés  de 
la  Guschenalp,  qui  domine  le  défilé  du  Luziensteig.  A  droite  de  la  route,  on  remarque 
une  belle  cascade,  que  forme  le  torrent  de  la  Saar,  qui  descend  des  Grauboerner. 

Bains  de  Ragatz  et  de  PFiEFFSBS,  Gouge  de  la  Tamina.  —  Il  existe  à  Ragatz,  depuis 
48&0,  un  nouvel  établissement  de  bains,  où  un  aqueduc,  long  de  42,500  pieds,  amène 
les  eaux  de  la  source  de  Pfœflers.  Ces  bains,  où  l'on  trouve  tout  le  comfort  désirable, 
sont  fréquentés  par  une  société  choisie  ;  mais  les  anciens  bains  de  Pfœflers,  situés  dans 
la  gorge  de  la  Tamina,  ne  sont  point  abandonnés  ;  le  séjour  y  est  moins  dispendieux. 
Trois  routes  y  mènent.  La  route  neuve,  la  seule  praticable  pour  les  chars,  fut  achevée 
en  4839  ;  elle  suit  la  gorge  même  du  torrent,  et  conduit  en  une  petite  heure  à  réta- 
blissement. Un  autre  chemin  gravit  une  pente  un  peu  raide  sur  la  rive  gauche  de  la 
Tamina  et  au  milieu  d'une  belle  forêt;  elle  traverse  ensuite  de  beaux  pâturages 
jusque  près  du  village  de  Valons,  puis  redescend  dans  la  gorge  par  un  sentier  rapide. 
Le  troisième  chemin  monte  également  par  une  pente  escarpés  vers  le  village  et  le 
couvent  de  Pfœflers,  situés  sur  la  rive  droite  et  sur  un  plateau  élevé,  d*où  Ton 
découvre  une  vue  magnifique.  Dans  le  voisinage,  on  voit  une  cascade  de  480  pieds. 
Nous  avons  dit  que  le  couvent  fut  supprimé  en  4839  ;  les  bâtiments  actuels,  qui  ne 
datent  que  de  4665,  n'offrent  rien  de  remarquable;  ils  ont  été  convertis  en  48i7 
en  un  hospice  d'aliénés.  Au  sortir  du  village,  le  chemin  traverse  de  magnifiques 
prairies,  et  côtoie  la  gorge  de  la  Tamina,  sans  qu'on  puisse  l'apercevoir.  Une  pente 
douce  conduit  plus  loin  sur  le  bord  même  de  cette  gorge,  où  un  long  escalier,  en 
partie  taillé  dans  le  roc,  en  partie  formé  de  troncs  d'arbres,  aboutit  à  un  pont 
naturel  de  rocher  sur  la  Tamina  ;  de  là,  l'on  se  rend  aux  bains  en  quelques  minutes. 


LA  SUISSE  pittohesoue.  347 


Ils  sont  à  2420  pieds  au-dessus  de  la  mer,  soit  à  500  environ  au-dessus  de  Ragatz. 

La  source  fut  découverte,  à  ce  qu'on  prétend,  en  4038,  par  un  chasseur  de  Tabbé 
de  Pfœffers;  il  est  certain  que  les  archives  du  43*"  siècle  en  font  souvent  mention. 
Dès  l'origine,  elle  acquit  de  la  célébrité,  mais  il  fallait  beaucoup  de  courage  pour 
aller  user  de  ses  eaux  ;  on  descendait  le  malade  au  fond  du  précipice  à  l'aide  d'é- 
chelles et  de  cordes  ;  on  exposait  sa  vie  pour  la  prolonger,  dit  un  auteur  du  46''  siècle. 
De  peur  de  vertiges,  les  malades  se  faisaient  bander  les  yeux,  comme  on  fait  encore 
quelquefois  de  nos  jours  à  ceux  qui  descendent  la  Gemmi  à  dos  de  mulet.  Jusqu'au 
commencement  du  45*"  siècle,  les  malades  prenaient  leurs  bains  à  la  source  même; 
ils  étaient  obligés  d'y  passer  sept  jours  consécutifs,  et  d'y  coucher,  à  cause  des  dan- 
gers auxquels  ils  s'exposaient  en  montant  et  descendant.  La  première  maison  qu'on 
Y  construisit  n'eut,  pendant  longtemps,  d'autre  porte  qu'une  ouverture  pratiquée 
dans  le  toit.  Ce  n'est  qu'au  milieu  du  47*"  siècle  qu'on  fonda  un  véritable  établis- 
sement sur  l'emplacement  des  bains  actuels,  à  quelques  minutes  de  la  source,  sur 
un  banc  étroit  de  rocher,  élevé  de  quelques  pieds  seulement  au-dessus  du  torrent, 
et  que  dominent  des  parois  verticales  de  roc  nu.  Au  commencement  du  siècle  dernier, 
on  fit  sauter  des  rochers  pour  agrandir  les  bâtiments,  qui  peuvent  recevoir  plus  de 
300  baigneurs.  Dans  les  plus  longs  jours,  le  soleil  n'y  est  visible  qu'après  9  heures, 
et  disparaît  à  4  heures;  en  août,  on  ne  le  voit  que  de  44  à  3  heures;  aussi,  un 
séjour  prolongé  à  ces  bains  ne  convient-il  pas  aux  malades  qui  ont  besoin  d'un 
air  pur  et  de  soleil.  —  Pour  aller  visiter  la  source,  il  faut  être  exempt  de  vertige, 
car  on  ne  peut  s'en  approcher  qu'en  suivant  un  pont  en  planches  étroit  et  glissant, 
long  de  6  à  700  pas,  élevé  de  30  pieds  au-dessus  de  la  Tamina,  et  sans  parapet. 
Cette  gorge  infernale  n'a  que  30  à  &0  pieds  de  largeur.  Les  parois  latérales  de 
Tabime  au  fond  duquel  bouillonne  le  torrent,  sont  contournées,  déchirées,  et  pré- 
sentent de  profondes  excavations;  elles  s'inclinent  l'une  contre  l'autre,  et  finissent 
par  se  rejoindre.  On  nomme  Beschluss,  ou  clôture,  le  pont  naturel  sous  lequel  on  est 
obligé  de  passer;  il  est  à  290  pieds  au-dessus  du  torrent.  Au-delà,  les  roches  s'é- 
cartent de  nouveau,  et  laissent  apercevoir  le  ciel.  Une  vapeur  s'élève  constamment 
au-dessus  des  sources,  dont  l'eau  est  recueillie  dans  une  caverne  longue  de  24  pieds. 
Elle  ne  coule  qu'en  été,  et  fournit  environ  4400  pintes  par  minute;  elle  a  29  à 
30  degrés  de  chaleur.  L'eau  est  sans  odeur,  sans  goût,  ni  couleur,  très-pure  et 
légère;  on  en  prend  en  boisson  et  à  l'extérieur;  on  en  exporte  une  bonne  quantité 
hors  du  pays. 

Environs  des  bains,  Vallée  de  la  Tamina.  —  Les  baigneurs  qui  font  un  séjour 
aux  bains  de  Ragatz  ou  de  Pfsefiers  peuvent  faire  un  grand  nombre  d'excui*sions 
intéressantes  dans  un  rayon  de  quelques  lieues.  Les  environs  mêmes  des  bains  de 
PraeiTers  ont  été  arrangés  aussi  bien  que  le  permettait  la  nature  des  localités.  Sur  la 
pente  de  la  rive  droite,  on  trouve  la  station  dite  la  Solitude,  d'où  l'on  monte  sur  la 
colline  qui  porte  le  nom  de  Belvédère  du  Galanda,  parce  qu'on  y  découvre  le  sommet 
de  cette  haute  montagne.  Sur  la  pente  qui  conduit  à  Valens,  on  a  établi,  sous  un  bel 
ombrage,  la  station  agréable  de  Moii  Repos,  d'où  part  un  sentier  horizontal  qui 
conduit  sous  des  érables  magnifiques  et  au  pont  naturel  de  la  Tamina.  Près  de  Valens, 
on  trouve  aussi  des  promenades  romantiques  et  solitaires,  au  milieu  des  prairies  et 
des  bouquets  de  mélèzes.  L'ensemble  de  la  vallée  de  la  Tamina  est  d'un  aspect  très- 


348  LA  stisse  PirroResQie. 


pittoresque  et  grandiose.  A  gauche,  s*élëve  le  mont  Galanda,  aux  immenses  et  raides 
escarpements  ;  à  droite,  les  Grauhœrner,  aux  sommités  hérissées  de  glaciers.  Le 
premier  est  d*un  accès  difficile  du  cAté  du  canton  de  St.-Gall  ;  on  le  gravit  plus  onli 
naircment  du  c6lé  de  Goirc.  Quant  aux  Grauhœrner,  Tascension  en  est  aussi  très 
|)énible,  mais  on  découvre  de  leur  sommet  une  vue  qui  dédommage  de  la  fotigue. 
outre  un  vaste  amphithéâtre  de  montagnes,  on  y  aperçoit  le  lac  de  Constance  par 
dessus  la  chaîne  des  Kuhfirsten.  En  remontant  le  cours  de  la  Tamina  depuis  Valeos. 
on  arrive  bientôt  près  d*unc  helle  cascade  que  fait  ce  torrent  au  fond  de  la  gorge:  on 
ne  peut  s*en  approcher  qu'avec  précaution.  Plus  loin  sont  les  villages  de  Vasoo  et 
de  Vtcttis,  au  pied  du  Monie-Luna,  sur  les  pentes  duquel  on  aperçoit  quelques  groupes 
de  chAlels.  Près  de  Va^ttis,  la  vallée  de  la  Tamina  cesse  de  se  diriger  au  sud  ;  sa 
|)artie  uUéricure  tourne  droit  à  Touest,  et  porte  le  nom  deKalfeuserthal.  Ce  vallon 
étroit  et  sauvage  est  couvert  de  pâturages  alpins,  et  aboutit  au  grand  glacier  de  Sar- 
dona»  où  la  Tamina  prend  sa  source.  Si  Ton  en  juge  d'après  les  ossements  humaiD> 
que  Ton  a  trouvés  dans  cette  vallée,  il  parait  qu'elle  a  été  habitée  jadis  par  une 
|)euplade  de  géants.  Il  en  est  de  même  des  vallées  reculées  du  canton  de  Glarb 
voisines  du  Kalfeuserthal.  C'est  au  nord  de  Va?ttis  qu'est  le  Drachenloch  (Trou  du 
Dragon);  c'est  une  caverne  composée  de  trois  grottes  profondes.  De  Vieitîsi  le  col 
facile  et  bas  de  Kunkcl  (4260)  conduit  à  Tamins  dans  les  Grisons,  et  de  là  à 
Reichenau  et  à  Coirc.  Au  sommet,  l'on  a  un  beau  point  de  vue,  surtout  si  l'on  s'é- 
carte  un  peu  de  la  route  sur  la  droite.  Une  brigade  française  y  passa  en  1799,  et 
surprit  les  Autrichiens  à  Tamins.  —  Au-dessus  du  village  de  Pbeflers  s'élève  la 
sommité  du  Tabor  (3450),  très-facile  à  atteindre,  et  d'où  le  coup-d'œil  est  admi- 
rable. On  y  découvre  en  particulier  très-bien  l'entrée  de  la  vallée  du  Pnettigau,  ainsi 
que  plusieurs  de  ses  telles  cimes.  Cette  vallée  grisonne  mérite  aussi  d'être  prise 
pour  but  de  promenade,  ainsi  que  le  défilé  de  Luziensteig,  et  le  mont  Flseschberg;  on 
peut  en  dire  autant  de  la  vallée  de  Weisstannen,  qui  s'ouvre  près  de  Sargans,  où  Ton 
voit  plusieurs  belles  chutes  d'eau,  et  d'où  des  sentiers  difficiles  conduisent  dans  le 
canton  de  Claris. 

Ville  et  Lac  de  Wallenstadt.  —  La  jxîtite  ville  de  Wallenstadt  est  située  à 
quelques  minutes  du  lac  du  même  nom,  et  au  milieu  d'une  contrée  marécageuse, 
mais  qui  l'est  cependant  moins  depuis  la  construction  du  canal  de  la  Linth,  à  l'autre 
extrémité  du  lac.  Au  sud  de  la  ville,  sur  le  haut  d'un  rocher,  sont  situées  les  ruines 
du  château  de  Grepplang  ou  Grapa  Langa,  ou  Langenstein,  manoir  dont  l'origine 
remonte  au  temps  des  Rhéliens,  et  qui  fut  possédé  longtemps  par  la  famille  Tschudi 
de  Claris  ;  le  célèbre  historien  de  ce  nom  y  a  résidé.  Le  lac  de  Wallenstadt  est  un 
des  plus  remarquables  de  la  Suisse;  la  nature  a  réuni  sur  ses  bords  les  tableaux 
les  plus  sauvages  et  les  plus  hardis.  Ses  côtes  ne  sont  dégarnies  de  montagnes quà 
ses  deux  extrémités.  La  rive  septentrionale  est  bordée  de  montagnes  qui  s'élèvent  à 
pic  jusqu'à  une  grande  hauteur.  Cette  chaîne  est  surmontée  de  sept  pointes  nues, 
qu'on  appelle  les  sept  Kuhfirsten,  et  qui  portent,  de  l'ouest  à  l'est,  les  noms  de 
Leistkamm,  Selunerruch,  Breitenalperherg,  Brest,  ScheibenstoU,  ZmloU,  Astrakaisara 
(ou  Kaeserruck).  Ces  noms  appartiennent  aussi  aux  alpages  voisins.  La  hauteur  de 
ces  cimes  est  d'environ  7000  pieds.  Plusieurs  cascades  se  précipitent  du  haut  des 
rochers,  entre  autres  le  Serrenhach,  qui  tombe,  en  formant  plusieurs  chutes,  de  la 


LA    SL'ISSE    PI'ITOUKiHîlK. 


349 


hauteur  de  1600  pieds;  le  Bayerbaeh,  qui  en  fail  une  de  950  pieds,  elc.  Elles  sont 
très-belles  lors  de  la  fonte  des  neiges,  et  animent  singulièrement  le  paysage.  Au-dessus 
de  ces  cascades,  est  le  village  d'Ammon,  au  milieu  d'une  pente  verdoyante.  Vers  le 
milieu  de  cette  rive  septentrionale,  se  trouve  le  petit  village  de  Quinlen,  qui  ne  peut 
communiquer  que  par  des  sentiers  dangereux  avec  Wesen  et  Wallensladt.  Il  est 
entouré  de  vignes  qui  produisent  un  vin  estimé.  Quant  à  la  rive  méridionale,  elle  est 
moins  sauvage  ;  un  chemin  pittoresque  conduit  de  Wallensladt  à  Mollis,  au  canton 
de  Claris;  il  traverse  plusieurs  villages,  Muls,  Terzen,  Quarten,  etc.,  entourés  de 
prairies  et  d'une  belle  végétation,  et  arrosés  par  quelques  ruisseaux  et  cascades.  A 
Mûhlihorn,  on  entre  sur  le  territoire  de  Claris;  de  là,  une  route  carrossable  conduit 
à  Mollis  par  les  hauteurs  de  Kerenzen,  d'où  le  coup-d'œil  est  très-remarquable.  Les 
principales  sommités  qui  dominent  cette  rive  du  lac  sont  le  Mûrtschenstock  (7270- 
7S17),  le  Wallenberg  et  le  Kerenzenberg. 

Wesen  est  un  bourg  situé  à  l'extrémité  occidentale  du  lac  de  Wallensladt,  et  qui 
compte  642  habitants  catholiques.  Il  souffrait  autrefois  beaucoup  du  voisinage  des 
marais  causés  par  la  Linlh,  et  était  même  quelquefois  envahi  par  des  inondations. 
Depuis  qu'on  a  conduit  cette  rivière  dans  le  lac  par  un  canal,  et  rectifié  ou  canalisé 
son  cours  jusqu'au  lac  de  Zurich,  la  contrée  s'est  sensiblement  assainie  (voyez 
rarlicle  Glatis),  C'est  sur  le  territoire  saint-gallois  qu'est  placé  le  monument  qui 
rappelle  les  services  éminents  rendus  dans  cette  entreprise  par  M.  Escher,  de  Zurich, 
à  qui  la  Diète  décerna  le  surnom  honorifique  de  la  Linlh.  Il  consiste  en  une  plaque 
de  marbre  noir,  scellée,  en  1832,  dans  le  rocher  par  une  décision  de  la  Diète,  et 


nonumeal  d'Eacher  de  la  Linlh. 


3!t0  LA   8UI8SE   PITTORBSQL'E. 


qui  porte  en  lettres  d'or  deux  inscriptions,  l'une  latine,  l'autre  allemande.  Non  loin 
de  i*c  monument  se  trouve  la  pierre  lumulaire  érigée  au  feld-marochal  autrichien 
Hotze,  originaire  de  Richtenschwyl,  et  qui  péril  dans  un  combat  livré  entre  Schânnis 
et  Wesen,  le  !25  septembre  1799.  Wesen  fut  brûlé  en  4488  par  les  Glaronnais,  peu 
de  temps  avant  la  bataille  de  Na^fels.  A  Test  de  Wesen,  on  voit  une  jolie  cascade; 
de  l'autre  côté  est  situé  le  mont  Biberlikopf  (lèie  du  petit  Castor),  saillie  de  rocher 
d'où  la  vue  s'étend  d'un  côté  sur  tout  le  lac  de  Wallenstadt,  de  l'autre,  sur  le  pays 
de  Gaster  et  sur  le  lac  de  Zurich.  On  jouit  aussi  d'un  magnifique  point  de  vue  du 
village  d'Ammon,  élevé  de  1300  pieds  au-dessus  du  lac,  et  situé  à  i  lieue  '  ,de 
Wesen.  LfC  sentier  qui  y  mène  est  taillé  en  partie  dans  une  paroi  de  rodiers. 
D'Ammon,  on  monte  sur  de  beaux  pâturages,  jusqu'au  sommet  d'un  col  d'où  Ton 
|)eut  descendre  dans  le  Haul-Toggenbourg,  à  Stein  ou  à  Starkenbach.  A  l'ouest  de 
ce  col  s'élève  la  sommité  du  Spccr  (6020),  dont  l'ascension  est  facile,  et  d'où  les 
regards  embrassent  un  des  panoramas  les  plus  étendus  et  les  plus  beaux  de  la  Suisse. 

Utznach.  —  Cette  petite  ville  catholique  est  le  chef-lieu  du  district  de  Gaster. 
Elle  est  située  sur  une  éminence,  au  milieu  d'une  plaine  fertile.  L'église,  que  Ton 
voit  avant  d'entrer  en  venant  de  Wesen,  commande  toute  la  vallée;  elle  fut  hàlic 
en  4 SOS  sur  les  ruines  de  l'ancien  chftteau  d'Utznaberg,  dont  les  abbés  de  St.-Gall 
et  les  comtes  de  Toggenbourg  se  disputèrent  longtemps  la  possession,  et  qui  fut 
détruit  en  1267  par  les  Zuricois,  que  commandait  Rodolphe  de  Habsbourg.  Prt^ 
d'Utznach  est  une  grande  filature  de  coton.  C'est  aussi  dans  les  environs  qu'on 
exploite  une  mine  de  charbon  de  terre,  épaisse  de  3  à  4  pieds,  et  qui  renferme  des 
troncs  pétrifiés. 

Rapperschwyl.  —  Cette  ville,  de  1950  habitants,  dont  les  '/^  catholiques,  est 
située  au  bord  du  lac  de  Zurich,  et  dans  une  belle  position.  Ses  tours  et  ses  clochera 
font  dans  le  paysage  un  eiïct  assez  pittoresque.  Elle  est  dominée  par  une  terrasse 
ombragée  de  tilleuls  près  de  laquelle  s'élèvent,  d'un  côté,  l'église  paroissiale  el 
Tancien  manoir  des  comtes  de  Rapperschwyl,  de  Tautre,  un  couvent  de  capucins  el 
le  bâtiment  du  tir.  La  ville  et  le  château  furent  fondés  en  1091.  A  l'extinction  de 
la  famille  du  fondateur,  en  128&,  Rapperschwyl  appartint  au  comte  de  Habsboui^ 
Lausenbourg,  puis,  en  1353,  elle  échut  à  la  maison  d'Autriche,  sous  la  domination 
de  laquelle  les  Zuricois  l'assiégèrent  et  la  prirent  plusieurs  fois.  En  1&58,  elle  se 
mit  sous  la  protection  des  Confédérés.  Pendant  la  guerre  de  1712,  elle  dut  se  sou- 
mettre aux  cantons  protestants,  et  reconnaître  leur  souveraineté;  mais  elle  n'en 
forma  pas  moins  une  petite  république,  jusqu'à  la  révolution.  En  1798,  elle  fut 
incorporée  dans  lecanton  de  la  Linth  ;  en  1802,  dans  celui  de  St.-Gall.  Rapperschwyl 
est  joint  avec  le  canton  de  Schwytz  par  un  pont  de  bois  long  de  1800  pas  et  large 
de  12  pieds,  et  sans  garde-fous.  Cependant,  les  chars  peuvent  le  traverser.  En 
avril  1855,  une  troupe  d'artilleurs  y  passa  avec  ses  pièces  sans  accident.  Il  repose 
sur  180  piles  en  bois  de  chêne.  Ce  pont  fut  fondé  vers  l'an  1350  par  Léopold  d'Au- 
triche, et  fut  reconstruit  en  1819  et  1820. 

To(iGENBOURG,  WiLDHAts,  LicHTENSTEG.  —  Dc  Rapperschwyl  et  d'Utznach,  deux 
routes  conduisent  dans  le  Toggenbourg;  elles  passent  près  du  beau  couvent  de 
femmes  nommé  Sion,  qui  occupe  un  site  remarquable,  et  se  réunissent  sur  le 
large  col  dc  llummeiwald  (2530  pieds),  dont  la  vue  est  très-riante  sur  le  lac  de 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  354 


Zurich,  surlesalpes  deSchwylzet  de  Glaris,  etc.  Le  plus  haut  village  du  Toggenbourg 
est  celui  de  Wildhaus  (Maison  sauvage,  soit  habitation  dans  un  pays  sauvage  ou 
désert),  élevé  de  3430  pieds,  et  dominé  d'un  côté  par  les  rudes  escarpements  du 
Sœntis  et  de  l'Âltmann,  de  l'autre,  par  les  belles  croupes  verdoyantes  qui  s'étendent 
jusqu'au  sommet  des  Kuhfirsten.  Ces  vastes  alpes  abondent  en  herbes  aromatiques; 
elles  nourrissent  de  nombreux  troupeaux,  et  l'on  y  fait  d'excellents  fromages.  C'est 
près  de  Wildhaus  (à  quelques  minutes  du  côté  de  l'ouest),  qu'on  voit  encore 
l'humble  habitation  où  naquit  Zwingli,  le  l*""^  janvier  1&8&;  le  futur  réformateur 
la  quitta  à  l'âge  de  40  ans,  pour  aller  étudier  à  Bàle.  Â  l'est  du  village,  et  près  d'un 
petit  lac,  sont  les  ruines  du  château  de  Wildberg,  et  plus  haut,  le  Sommerikopf, 
d'où  l'on  découvre  une  très-belle  vue.  De  Wildhaus,  deux  routes  descendent  à 
Gambs  et  à  Werdenberg,  dans  la  vallée  du  Rhin,  qui  est  d'environ  2000  pieds 
inférieure  au  Haut-Toggenbourg.  La  vallée  de  la  Thour  présente  une  particularité, 
que  nous  avons  déjà  fait  remarquer  (page  74  )  au  sujet  de  l'Engadine  (où  elle  est  bien 
plus  frappante  encore,  soit  à  ctiuse  de  la  plus  grande  hauteur  de  cette  vallée,  soit 
parce  qu'elle  aboutit  au  sommet  de  la  chaîne  centrale  des  Alpes):  c'est  qu'en  remon- 
tant la  rivière,  on  arrive,  par  une  pente  presque  insensible,  jusqu'au  sommet  d'un 
col  de  l'autre  côté  duquel  on  trouve  tout  à  coup  un  raide  escarpement;  aussi, 
descend-on  en  une  heure  tout  ce  qu'on  avait  monté  sur  un  espace  de  20  lieues. 

En  descendant  le  cours  de  la  Thour,  on  passe  près  des  ruines  du  ch&teau'  de 
Starkenbach,  puis  à  Nesslau,  où  s'ouvre  à  droite  la  jolie  vallée  d'Ennetbûhl,  qui 
conduit  aux  bains  du  Riedbad  et  dans  le  canton  d'Appenzell  ;  plus  loin,  l'on  rencontre 
l'ancien  couvent  de  Nouveau  St. -Jean,  mainTenant  converti  en  filature;  ce  couvent 
avait  remplacé  celui  de  Vieux  St. -Jean,  situé  près  de  Starkenbach,  et  qui  fut  détruit 
en  4626  par  un  incendie.  Près  de  Krummenau,  la  Thour  passe  sous  un  rocher  qui 
forme  un  pont  naturel,  nommé  Sprung  (Saut).  Deux  lieues  plus  au  nord  est  le  grand 
et  beau  village  de  Wattwyl,  qui  ne  compte  pas  moins  de  S006  habitants,  dont 
*/5  protestants.  Sur  une  éminence  à  gauche,  on  voit  le  château  d'Yberg,  célèbre  par 
plusieurs  sièges,  et  le  couvent  de Ste. -Marie  des  Anges.  A  une  demi-lieue  de  Wattwyl, 
on  arrive  à  la  jolie  petite  ville  de  Lichtensteg,  peuplée  de  875  habitants,  et  dont  le 
commerce  est  très-actif;  elle  possède  un  établissement  hydrothérapiquetrès-fréquenté. 
On  observe  tout  le  long  de  la  vallée  les  marques  d'une  grande  aisance;  au  milieu 
de  luxuriantes  prairies  sont  éparses  de  charmantes  maisons  de  campagne;  les  vil- 
lages ont  l'aspect  le  plus  florissant.  Les  habitants  sont  en  général  bien  faits  et  intel- 
ligents; ils  allient  aux  travaux  agricoles  la  fabrication  des  mousselines  et  des 
cotonnades.  De  Lichtensteg  se  détache  une  route  qui  conduit  à  St.-Gall  par  Hérisau  : 
elle  passe  près  des  ruines  du  château  de  Nouveau-Toggenbourg,  si  connu  dans 
l'histoire  par  l'aventure  tragique  de  la  comtesse  Ida,  que  son  mari,  sur  un  faux 
soupçon,  fit  précipiter  du  haut  des  tours  dans  les  fossés.  Quelques  lieues  plus  bas, 
sur  la  rive  gauche  de  la  Thour,  se  trouve  la  petite  ville  de  Weil  ou  Wyl  (4400  habi- 
tants). Elle  est  dans  une  contrée  de  vignobles,  et  à  la  frontière  du  canton  de  Thur- 
govie.  On  y  fabrique  des  toiles;  on  y  voit  un  couvent  de  capucins  et  un  de  religieuses 
dominicaines.  L'abbé  de  St.-Gall  y  a  souvent  fait  sa  résidence. 


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CANTON   DES  GRISONS. 


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Situation,  Etendir,  Cumat.  —  Le  canton  des  Grisons  ou  GranbftnJen  (Ligues 
grises),  forme  la  partie  sud-esl  de  la  Suisse.  Il  est  borné  à  l'ouest  par  les  cantons  du 
Tessin  et  d'Uri  ;  au  nord,  par  ceux  d(^GIaris  et  de  Sl.-Gall,  et  par  le  Vorarlberg; 
h  Test,  par  le  Tyrol;  au  sud,  par  la  grande  vallée  de  TAdda,  qui  porte  les  noms 
de  pays  de  Bormio  et  de  la  Valleline,  el  par  le  pays  de  Chiavenne.  D'après  les  der- 
nières mesures,  il  a  une  superficie  de  301  lieues  carrées,  soit  environ  7  lieues 
de  plus  que  le  canton  de  Berne  ;  c'est  la  sixième  partie  de  la  Suisse.  Sa  plus  grande 
longueur  est  d'au  moins  30  lieues,  de  l'ouest  à  l'est,  et  sa  plus  grande  largeur  de  20. 
Sa  population  était,  en  1850,  de  89,895  ftmes,  soit  de  299  par  lieue  carrée.  De 
même  que  celui  de  plusieurs  autres  cantons,  le  climat  des  Grisons  varie  extrême- 
ment d'après  les  différences  d'exposition  et  d'élévation.  Plusieurs  vallées  atteignent 
une  très-grande  hauteur,  et  sont  les  plus  froides  de  la  Suisse.  Ailleurs,  le  climat  est 
tempéré,  et  offre  une  végétation  à  peu  près  semblable  à  celle  des  pays  situés  sous 
la  même  latitude;  telle  est  la  vallée  de  Coirc.  Enfin,  les  vallées  qui  s'ouvrent  sur  le 
revers  méridional  des  Alpes  jouissent  déjù,  à  quelques  lieues  d'immenses  glaciers, 
d'un  ciel  italien,  et  se  revêtent  aussi  d'une  végétation  toute  italienne. 

Montagnes  et  Glaciers.  —  Le  canton  des  Grisons  est  partout  hérissé  d'énormes 
montagnes,  dont  les  pics  s'élèvent  généralement  à  9  ou  10,000  pieds;  plusieurs 
dépassent  même  la  hauteur  de  H  et  12,000.  Ces  montagnes  sont  couronnées  de 
neiges  et  de  glaces  éternelles,  qui  donnent  naissance  à  un  grand  nombre  de  rivières 
et  de  torrents.  La  partie  méridionale  du  canton  est  traversée  par  la  chaîne  princi- 
pale ou  centrale  des  Alpes,  qui  forme  la  ligne  de  séparation  entre  les  cours  d'eau. 
C'est  peut-être  improprement  que  nous  nous  servons  du  terme  de  chaîne  cetUrale, 
car  cette  chaîne  n'a  pas  de  direction  régulière,  comme  celles  qui,  après  avoir  formé 
au  nord  et  au  sud  les  confins  du  Vallais,  se  réunissent  au  St.-Gothard  ;  mais  elle 
fait  un  grand  nombre  de  zigzags  et  de  détours.  11  s'en  détache  des  deux  côtés  plu- 


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LA    SU1S8E    PITTORESQUE.  353 


sieurs  ramifications,  qui  suivent  des  directions  très-variées,  et  dont  quelques-unes 
se  subdivisent  elles-mêmes  en  diverses  branches.  Toutes  ces  ramifications  sont 
séparées  par  autant  de  vallées,  et  forment  dans  leur  ensemble  un  véritable  laby- 
rinthe. Commençons  par  indiquer  la  direction  et  les  détours  de  la  chaîne  principale. 
A  partir  du  groupe  du  St.-Gothard,  elle  forme  la  frontière  du  canton,  courant 
d'abord  vers  l'est  jusqu'au  Piz  Kamona,  et  ensuite  vers  le  sud  jusqu'au  Moschelhorn. 
De  là,  tournant  de  nouveau  vers  l'est,  elle  se  dirige  par  le  Bernardin  et  le  Splugen 
vers  le  Septimer,  en  faisant  un  crochet  aigu  au  fond  du  val  Léi  ;  elle  sépare  la 
vallée  du  Rhin  postérieur  d'abord  du  val  Misocco,  puis  du  pays  de  Chiavenne.  Après 
avoir  contourné  le  val  Léi,  elle  sépare  le  val  d'Avers  du  valBregaglia.  Au  sud  du 
Septimer,  elle  s'abaisse  vers  le  col  Maloja,  et  se  relève  au  massif  du  Bernina.  Elle 
forme  les  confins  entre  la  Haule-Engadine  et  la  Valteline,  puis  entre  la  môme 
vallée  et  le  val  Poschiavo  ;  à  l'est  du  col  Bernina,  elle  contourne  les  vais  Livigno  et 
Vallaccia,  puis  se  dirige  vers  le  nord,  en  traversant  le  pays  de  Bormio;  elle  rentre 
dans  les  Grisons  près  du  col  Buffalora  ;  puis,  du  Piz  Pisocco,  elle  tourne  encore  à 
Test  pour  atteindre,  non  loin  du  col  Scarla,  la  frontière  tyrolienne.  Là,  elle  reprend 
sa  direction  nord-est,  et  sert  de  confins  au  Tyrol  et  aux  Grisons,  sur  une  longueur 
de  quatre  lieues;  enfin,  elle  se  dirige  vers  l'intérieur  du  Tyrol,  après  s'ôtre  abaissée 
considérablement  au  col  de  Reschen  (4500),  qui  sépare  le  liassin  de  l'Inn  de  celui 
de  l'Adige;  ce  dernier  fleuve  a  une  de  ses  sources  au  lac  de  Reschen.  En  somme,  la 
chaîne  a  suivi,  malgré  ses  zigzags,  une  direction  générale  de  l'ouest  à  l'est.  Celte 
direction  parait  plus  compliquée  par  la  circonstance  que,  sur  plusieurs  points,  les 
limites  politiques  ne  coïncident  pas  avec  les  limites  naturelles  ;  non-seulement  les 
Grisons  possèdent  plusieurs  vallées  sur  le  versant  méridional,  mais  la  Lombardie 
possède  sur  le  versant  nord  le  val  Léi,  qui  appartient  au  bassin  du  Rhin,  et  les  vais 
Livigno  et  Vallaccia,  qui  appartiennent  à  celui  de  Tlnn. 

Les  sommets  les  plus  remarquables  de  cette  chaîne  sont  :  le  Scopi,  9850,  qui 
domine  le  Lukmanier;  le  Piz  Kamadraj  qui  domine  les  glaciers  de  Medels;  le  Piz 
Val  Rhein,  ou  RheinwaUhorn,  ou  Adula,  10,280;  le  Moschelhorn,  9410-9610;  le 
Tambohorn,  ou  Schneehorn,  9845  ou  10,086,  à  l'ouest  du  Splugen;  au  groupe  du 
Bernina,  le  Piz  Bernina  \  point  culminant  du  canton*,  12,475;  le  Piz  Rosso  di 
Deniro,  12,313  ;  le  Piz  Rom  di  Scersen  ou  Piz  Roseg,  12,139  ;  le  Piz  Palth  12,044  ; 
le  Cambrena,  11,104;  le  Monte  Caspoggio,  11,072;  le  Piz  CAena,  10,989;  le  Piz 
Morlek,  10,645  ;  le  Monte  Fora,  10,385  ;  le  Monte  d'Oio,  9894  ;  etc.  Tous  ces  pics 
sont  à  l'ouest  du  col  Bernina  ;  à  Test,  les  hauteurs  sont  en  général  moindres  ;  il  s'y 
trouve  cependant  le  Monte  Minnr,  9956  ;  plus  loin,  le  mont  Foscagno,  9540;  le  Piz 

1.  C'est  sous  ce  nom  que  le  point  culminant  est  désigné  dans  la  carte  Dufour.  Le  nom  de  Piz 
Mortiratsch  y  est  altribné  à  un  autre  pic  voisin,  élevé  de  3754  mètres,  ou  11,557  pieds.  VHypso- 
méirie  Ziegler  donne  le  nom  de  Moriirattch,  soit  au  point  culminant,  soit  à  un  autre  pic,  haut 
de  3998,4  métrés,  on  12,309  pieds. 

2.  On  trouve  indiqué,  pour  le  sommet  le  plus  élevé  du  Bernina,  la  hauteur  de  13,508  pieds 
(voyez  page  69}.  Mais  ce  chiffre  se  rapporte  au  pied  suisse  et  résulte  de  la  réduction  des  4052 
mètres,  qu*indique  la  carte  Dufour,  ou  plutôt  des  4052^47  mètres,  que  porte  Vnypsométrie  Ziegler. 
Trois  mètres  valant  10  pieds  suisses,  un  mètre  vaut  donc  3  pieds  suisses  et  un  tiers,  tandis  qu'il 
De  vaut  que  3  pieds  français  et  10  lignes  environ.  De  là  une  différence  d'un  miUier  de  pieds 
pour  des  hauteurs  de  dii  à  douze  mille  pieds. 

Il,  J3.  ^j5 


3K4  LA   SUISSE    PITTORESQUE. 


Pisocco,  9786  (suivant  d'autres  40,880);  etr.  —  Les  principaux  cols  par  lesquels 
on  rranchit  la  chaîne,  sont  :  le  Garnit o  del  H'omo,  67i0,  à  Touesl  de  Santa-Maria.  le 
col  proprement  dit  du  Lnkmnnier,  StiSO  à  S948  (le  troisième  col,  situé  entre ce> 
deux-là,  el  qui  mène  à  Faïdo,  a  ses  deux  versants  sur  le  lerriloire  tessinois;  on  n'v 
arrive  qu'après  avoir  franchi  le  plateau  du  Lukmanier  )  ;  la  Greina,  6120,  et  led 
MuHterasca,  7000,  entre  le  val  Sumvix  et  le  val  Blegno  ;  le  Plaitenberg,  entre  la 
vallée  de  Vais  et  le  val  Blegno;  le  Bmumlin,  6390-6S84;  leSplttgen,  6500;  le 
Septimer,  7300;  le  MnUtja,  5830;  le  Bernina,  7185-7380;  le  col  Foscagno,  entre  k» 
val  Vallaccia  et  Bormio  ;  le  Passo  rfi  Fraele,  7280,  entre  le  val  du  même  nom  el  le  val 
del  Forno;  le  liaffalora,  6780;  le  col  Scarla,  7150.  — Les  Alpes  comprises  entre  le 
Simplon  el  le  groupe  de  F  Adula  portaient  autrefois  le  nom  de  Lèponiienne^;  de  TAdub 
jusqu'au  milieu  du  Tyrol,  elles  s'appelaient  Alpes  RhHienne». 

De  la  chaîne  centrale  se  détachent,  du  cdté  du  nord,  trois  ramiBcations  impor- 
tantes :  La  première  est  celle  qui,  partant  du  St  .-Gothard,  forme  les  confins  des  Grisons 
et  des  cantons  d'Uri,  de  Claris  et  de  St.-Gall.  Nous  en  avons  déjà  parlé  en  décrivant 
ces  cantons.  Ses  sommités  les  plus  élevées  sont  le  Bmluz,  9160  ;  le  Crispait,  10,240: 
VOberalpstock,  10,200;  le  Pi;:  Rosein,  12,760;  le  Pelit  Tœdi,  11,153;  le  Biier- 
tenstock,  10,800  ;  le  Uamsiock,  9610  ;  le  Segnesspitz,  8900  ;  la  Scheihe,  9030-9300: 
le  Riugelspilz,  9730-10,002;  le  Galanda,  8650.  (D'autres  chaînons  de  moindre 
étendue  se  détachent  un  peu  plus  à  l'est,  et  sé|)arent  les  vallées  de  Medels,  de 
Sumvix  et  de  Vrin.)  La  seconde  part  du  Piz  Val  Rhein  et  se  bifurque  au  pic  Tomifc^ 
en  deux  bras,  qui  enferment  le  val  Safien  ;  la  plus  longue  de  ces  bifurcations  sépare 
cette  vallée  de  celles  de  Schams  et  de  Domleschg,  et  va  se  terminer  au  confluent  du 
Rhin  antérieur  et  du  Rhin  postérieur.  Cette  chaîne  porte  le  pic  Za/H>r/Aoni,  lO.âiO: 
le  Piz  Totnils,  le  Piz  Beverin,  9233  ;  le  Safierstock.  Du  Seplimer  part  une  troisième 
chaîne,  qui  court  vers  le  nord-est,  sur  la  rive  gauche  de  l'Inn.  Elle  porte  le  ft: 
Pûlasching,  près  du  Julicr,  9281  ;  le  Piz  dAlm  ou  Albalaspitz,  au-dessus  du  col  de 
l'Albula  ;  le  Schtmrzhorn  (Pic  noir),  au-dessus  de  la  Flûela,  9700  ;  le  mont  Selvretia, 
duquel  descendent  plusieurs  grands  glaciers  dans  le  fond  du  Prœttigau  ;  le  Piz  Limrà, 
10,580;  Xi^Fermunl  (ferrcus  mons),  9848;  le  Fœlschiohpilz,  \eFimberspilz,  9315. 
Plusieurs  cols  passent  cette  chaîne  ;  tels  sont  :  le  Jxdier,  6830  ;  YAlbnla,  7238  ;  la 
Scaleita,  7820  ou  8060;  la  Flûela,  7400.  Plusieurs  courtes  ramifications  se  rat- 
tachent à  cette  chaîne  du  côté  du  sud,  et  enferment  un  grand  nombre  de  petites 
vallées,  longues  de  2  à  3  lieues,  el  la  plupart  inhabitées,  qui  débouchent  dans 
l'Engadine.  Des  ramifications  plus  longues  se  détachent  du  côté  du  nord,  et  enferment 
les  vallées  d'Oberhalbslcin,  de  l'Albula,  etc.  Au  Fcrmunl  s'appuie  la  chaîne  du 
Rhœtikon,  qui  se  prolonge  jusqu'au  bord  du  Rhin,  près  de  Mayenfeld;  ses  sommités 
sont  le  RothbnhlspHzj  la  Sulzfluh,  le  Schtmrzhorn,  la  Scesa  Plana,  9207  ;  le  Falkiii^s, 
7899.  —  Les  montagnes  comprises  entre  les  vallées  de  Coire,  Domleschg,  Davos, 
et  du  Prseltigau,  forment  un  groupe  presque  isolé,  qui  se  rattache  cependant  aussi  à 
la  chaîne  septentrionale  de  l'Engadine  par  le  col  très-bas  du  Laret,  entre  le  Pneltigau 
et  Davos  ;  ce  groupe  porte  les  pics  du  Roihhorn,  9050  ;  du  Lenzerhorn,  8955  :  du 
Valbellahorn,  etc.  ;  on  y  trouve  les  cols  de  la  Strela,  7,317,  el  de  la  Heide,  4775. 

Mentionnons  enfin  les  ramifications  que  la  chaîne  centrale  envoie  du  côté  du  sud. 
Du  Moschelhorn  partent  deux  chaînes,  dont  l'une  fait  la  limite  entre  le  Tessin  et 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  3SS 


les  Grisons,  el  sépare  le  val  Blegno  du  val  Calanea,  tandis  que  Tautre  sépare  celui-ci 
du  val  Misocco.  Une  troisième,  partant  du  Schneehorn,  forme  les  confîns  du  val 
Misocco  et  du  val  lombard  San-Giacomo.  Du  Bernina  se  détachent  deux  petites  chaînes 
qui  enferment  le  val  Poschiavo  ;  à  l'ouest  de  cette  vallée  s*élève  le  Piz  Scalino, 
10,250.  Du  col  Fraelé,  part  la  chaîne  de  TUmbrail,  qui  aboutit  à  Glourns,  el  sépare 
les  Grisons  du  val  Fraele  et  de  la  vallée  tyrolienne  de  Stilfs.  A  Touest  du  mont 
Umbrail,  9340,  se  trouve  le  col  très-fréquenté  du  Wormserjoch  ou  Braglio,  7733. 

On  ne  compte,  dans  les  Grisons,  pas  moins  de  255  glaciers.  Ce  sont  les  ^j^^  de  tous 
ceux  de  la  Suisse,  qui  en  possède  605.  Les  plus  considérables  atteignent  une  lon- 
gueur de  2  à  3  lieues.  Les  groupes  de  glacière  les  plus  remarquables  sont  ceux  qui 
entourent  les  pics  du  Bernina,  de  TAdula,  du  Selvretla,  du  Fermunt  et  du  Tœdi  ; 
mais  les  plus  grands  glaciers  du  Tœdi  descendent  du  côté  de  Glaris.  Les  beaux 
fleuves  de  glace  du  Bernina  peuvent  être  comparés  aux  plus  vastes  glaciers  du 
Vallais  et  de  Berne.  (Voyez  plus  loin.) 

Vallées  et  Rivières.  —  Nous  ferons  plus  loin  la  description  des  principales  vallées  ; 
nous  nous  bornons  ici  à  les  indiquer,  en  mentionnant  les  cours  d'eau  qui  les  arrosent. 
Nous  nommerons  d'abord  la  vallée  du  Rhin  antérieur,  qui  court  de  Touest  à  Test 
depuis  le  col  d'Oberalp,  à  la  frontière  d'Uri,  jusqu'à  Coire,  et  de  là  tourne  vers  le 
nord.  La  partie  supérieure  au-dessus  deReichenau  porte  le  nom  d'Oberland  ou  Pays 
d'En-Haut.  Le  Rhin  antérieur  est  formé  par  plusieurs  torrents;  la  principale  source 
sort  du  sauvage  petit  lac  de  Tomasee,  au  pied  de  la  Cima  del  Baduz;  deux  autres 
bras  viennent  du  col  d'Oberalp  et  du  val  Cornaîra  ;  il  ne  reçoit  sur  la  rive  gauche 
que  des  cours  d'eau  de  peu  d'étendue  ;  mais  sur  la  rive  droite  il  est  grossi  par  un 
grand  nombre  d'affluents,  dont  quelques-uns  sont  très-considérables.  Il  reçoit  près 
de  Disentis  le  Rhin  du  milieu,  qui  arrose  la  vallée  de  Medels  (ou  du  Milieu),  et 
dont  les  sources  sont  fournies  par  le  lac  Dim  et  d'autres  petits  lacs  du  val  Cadelin\ 
Plus  loin,  il  est  grossi  par  le  Rhin  de  Sumvix,  qui  descend  de  la  vallée  de  ce  nom  ; 
par  le  Glenner,  qui  arrose  le  val  Lugnetz,  et  qui  est  formé  de  la  réunion  de  deux 
lorrents,  ayant  leurs  sources  au  fond  des  vallées  de  Vrin  et  de  Vais  ;  par  la  Rabiosa, 
qui  sort  du  val  Saiien.  (On  donne  aussi  à  ces  rivières  les  noms  de  Rhin  de  Vrin 
(Vrîne),  de  Vais  et  de  Safien.)  A  Reichenau,  il  est  plus  que  doublé  par  sa  jonction 
avec  le  Rhin  postérieur,  qui  a  déjà  plus  de  15  lieues  de  cours.  Ce  dernier  sort  des 
glaciers  de  Rheinwald,  arrose  la  vallée  de  Hinterrhein  (ou  du  Rhin  postérieur), 
puis  celles  de  Schams  et  de  Domleschg,  lesquelles  communiquent  ensemble  par  les 
longs  défilés  de  la  Via  Mala  ;  il  reçoit  lui-même  plusieurs  torrents  considérables  : 
au-dessus  d'Andeer,  le  torrent  ou  Rhin  d'Avers,  qui  descend  de  la  sauvage  vallée  de 
ce  nom  ;  puis,  à  Tusis,  le  Landwasser,  qui  apporte  les  eaux  de  la  vallée  de  Davos 
et  des  vallons  latéraux  d'Oberhalbstein,  d'Albula,  de  Sertig,  de  Dischma  et  de  Flûela. 
Près  de  Coire,  le  Rhin  reçoit  la  Plessur,  qui  descend  des  profonds  ravins  de  la  vallée 
deSchalfick,  et  que  grossit  la  Rabiosa,  qui  descend  de  Churwalden.  Enfin,  près  de 
Malans,  la  Latidquart,  qui  a  ses  sources  dans  les  glaciers  du  Selvretta,  lui  amène 
les  eaux  de  la  grande  vallée  du  Praettigau. 

1.  On  préteod  qae  le  mot  Cadelin  yieot  des  mots  ceUiques  Cad,  tête,  et  Lin,  eau  coursDte, 
cascade.  Le  sens  de  ce  dernier  est  connu  d*une  manière  certaine,  car  il  se  retrouve  encore  dans 
le  dialecte  écossais  ;  témoin  le  célèbre  yers  de  Burns  :  Spàke  o'  lopin*  oW  a  lynn. 


3!>>  L4  scts^  prm^Cs^ijcc. 

T'Mii»^  o-^  t;^iij\  ^Kit  enipi»ruHfs  |kir  le  Rbio  dins  b  mer  da  Xurd;  niais  les 
On'^rns  cnvMÛ-nl  ausc^i  Itiir  lnt><jl  à  la  mer  N«4re  par  b  rivière  de  rinn  (  Om  en 
rorriar><'l)»*  .  qui  arnise  rEn^.i<iine,  et  d«»nt  b  si^ree  est  prés  do  ool  Malofa,  au  sud 
«lu  S»'{itirm^.  L'inn  traverse  dan>  b  Haute-Eiuradine  plu>ieQrs  petits  lacs,  enire  ks- 
i]ijt*is  il  [ii»rt4-  le  nom  de  S>il*i  i>u  S<Lt:  et  après  an  ciiur»  de  18  à  iO  lieues,  il  sort  du 
t/*rritoin*  ^rri^m  au  i)«'liU'r  de  Martin^bnick.  Il  reç«»it  un  grand  nombre  de  torrents,  dont 
le  r-Miirs  a  p».'u  dVi^^ndue.  mji>  d<»nt  le  volume  d*eau  est  assez  eonsidéraUe.  Le  plus 
nolable  «M  le  NyW,  qui  $«»rt  des  vallées  k>mbardes  de  Livignoet  Valbccia,  et  arrose 
rn^uite  le  val  ^^i^m  de  Fomo.  A  sa  ji>notion  avec  le  Danube,  à  80  lieues  de  b 
Siii^^,  rinn  est  plus  br^e  que  ce  fleuve:  néanmoins,  c'est  ce  dernier  qui  ooosene 
^>n  nom.  Enfin,  quatre  pt.*lites  rivières  s'éciMilent  vers  Tltalie;  oe  sont  la  Jl#irr«ci. 
t|ui  de^iend  du  Bernardin  et  am«se  le  val  Misocco;  après  s'être  grossie  des  eaux  de 
b  (labnrasca,  qui  vient  do  val  (^bnca,  elle  se  jette  dans  le  Tessin,  au-dessus  de 
&llinzone;  b  Maha.  qui  des^^nd  du  Maloja,  arrose  le  val  Bregaglb,  et  se  jette 
(bns  le  lac  de  Cdme,  où  elle  mêle  ses  eau\  à  celles  de  l'Adda  :  le  PosckiaàiM,  dont 
b  sr)orce  est  au  Weiss>See  ou  Lago  Bianco,  sur  le  Bemina,  et  qui  arrose  le  va! 
hischiavo,  et  se  joint  aussi  à  TAdda  près  de  Tirano.  Les  eaux  de  ces  trois  rivières 
vont  se  perdre  dans  le  Pô,  avec  lequel  le  Tessin  et  TAdda  confondent  leurs  eaux. 
Quant  au  Rnm  ou  Rh^im,  qui  a  sa  source  au\  gbciers  du  Piz  Pisocoo,  et  arrose  le 
Mûnsterthal,  il  va  se  réunir  à  TAdige  près  de  Glums.  Les  eaux  des  Grisons  par- 
viennent donc  dans  les  diflerentes  mers  par  le  canal  de  quatre  fleuves  :  le  Rbîn,  le 
Danube,  le  Pô  et  TAdige.  Sur  les  2S5  glaciers  grisons,  150  au  moins  envoient  leurs 
eaux  au  Rbin,  et  70  à  Tlnn. 

Lacs  ct  Cascades.  —  Les  Grisons  ne  possèdent  aucun  lac  de  quelque  importance, 
mais  beaucoup  de  petits  lacs  de  montagne.  Les  principaux  sont  le  bcdeSi(s»  dans  b 
Haute-Engadine,  long  d'une  lieue,  sur  demi-lieue  de  largeur;  il  est  traversé  par  Tlnn, 
qui,  un  peu  plus  bas,  forme  trois  autres  lacs  moins  considérables  :  ceux  de  Silva-Plana. 
de  St.'Morilz  et  de  Kampfer.  Ces  lacs  sont  à  la  hauteur  de  5500  à  5600  pieds,  et 
restent  pendant  huit  mois  couverts  d'une  épaisse  couche  de  gbce.  Après  le  lac  de  Sils, 
le  plus  étendu  est  celui  de  Poschiaro,  long  de  trois  quarts  de  lieue,  sur  demi-lieue  de 
largeur,  ct  renommé  pour  ses  excellents  poissons.  Sur  le  Bemina  se  trouvent  quatre 
|)etils  lacs,  dont  le  plus  grand  est  le  Lago  Bianco,  long  de  trois  quarts  de  lieue,  et  qui 
se  décharge  dans  le  lac  de  Poschiavo,  ainsi  que  le  Lago  délia  Scala;  le  SchwarzSee 
ou  Lago  Nero  s'écoule,  ainsi  que  le  Lago  Piccolo,  du  côté  de  l'Engadine.  Ces  lacs 
sont  à  près  de  7000  pieds.  On  peut  nommer  encore  le  GrossSee  près  de  Davos,  le 
Schwarz-See  sur  le  col  Laret  ;  deux,  lacs  situés  près  de  Taubei^  de  Weissenstein, 
au  pied  de  l'Albula,  et  renfermant  d'excellentes  truites;  deux  autres  dans  le  val 
Tuorz,  qui  s'ouvre  au  nord  de  Bergûn.  11  y  a  de  même  de  petits  lacs  sur  diaeun 
des  cols  de  la  Scaletta  et  de  la  Flûela  ;  il  y  en  a  trois  sur  le  Falkniss,  dans  le 
Fra3tligau;  deux  aux  sources  de  la  Plessur,  au-dessous  du  Yalbelbhorn.  On  trouve, 
sur  le  mont  Heinzenberg,  le  Lûschersee,  qui  doit  alimenter  le  torrent  de  la  Nolla  ; 
au  pied  de  la  Gima  del  Baduz,  le  Tomasee,  d'où  sort  le  Rhin  antérieur;  dans  le  val 
Cadelin,  le  lac  Dim,  et  deux  ou  trois  autres  qui  donnent  naissance  au  Rhin  du 
milieu;  sur  le  Bernardin,  le  lac  Mœsola,  d'où  sort  la  Mœsa,  etc.  etc. 

On  voit  dans  les  Grisons  d'assez  nombreuses  cascades,  dont  plusieurs  sont  très- 


LA   SUISSB   PITTORESQUE.  357 


belles,  quoiqu'elles  n'aient  pas  la  même  réputation  que  celles  de  TOberland  bernois. 
Les  plus  remarquables  sont  les  chutes  du  Rhin  dans  la  gorge  des  RofDen,  que 
quelques  personnes  comparent  à  la  célèbre  chute  de  la  Handeck.  Le  Rhin  d'Avers 
fait  aussi  deux  chutes  avant  de  se  joindre  au  Rhin  postérieur,  au-dessous  de  la  même 
gorge.  Le  Rhin  du  milieu  en  fait  également  une  au  moment  de  se  réunir  au  Rhin 
antérieur.  Au  nord-ouest  de  Irons,  vers  le  haut  d'un  vallon  sauvage  qui  aboutit 
près  du  Piz  Rosein,  on  trouve  la  grande  cascade  de  Ferrœra.  On  voit  plusieurs 
belles  cascades  au  fond  de  la  vallée  de  Vais,  dans  les  gorges  du  val  d'Avers,  ainsi 
que  près  des  villages  de  St.-Peter  et  de  Vrin  ;  et  les  deux  Glenner  réunies  font  une 
chute  au-dessous  du  château  de  Surcasti.  Peu  après  sa  sortie  des  lacs  du  Weissenstein, 
TAIbula  forme  une  chute  remarquable;  l'Inn,  à  sa  sortie  du  lac  de  St.-Moritz,  se 
précipite  dans  un  profond  entonnoir  qu'on  nomme  Chiarnadûras.  Dans  les  vais 
Misocco  et  Bregaglia,  les  paysages  sont  aussi  embellis  par  de  nombreuses  et  pitto- 
resques chutes  d'eau  ;  etc. 

Eaux  minérales  et  Bains.  —  Le  canton  est  particulièrement  riche  en  sources 
minérales  ;  on  en  compte  dans  plus  de  50  localités.  Bien  que  sur  les  frontières  du  pays, 
à  Pfœffers  et  à  Bormio,  l'on  trouve  des  sources  chaudes,  il  n'en  jaillit  aucune  sem- 
blable sur  le  territoire  grison  (  il  y  a  seulement  une  source  tiède  à  Vais  )  ;  mais  le 
canton  possède  un  grand  nombre  de  sources  acidulées  d'une  grande  efficacité.  Plusieurs 
sources  sont  connues  et  fréquentées  depuis  les  temps  anciens  ;  d'autres,  qui  ont  eu 
de  la  réputation,  ont  disparu.  Mais  il  en  est  beaucoup  dont  on  ne  fait  aucun  usage, 
soit  que  leur  abord  soit  trop  difficile,  soit  que  les  habitants  du  voisinage  n'aient  pas 
su  en  tirer  le  parti  possible.  Ainsi,  il  jaillit  aux  environs  de  Schuols  et  de  Tarasp, 
dans  la  Basse-Engadine,  plus  de  20  sources  acidulées,  salées  et  sulfureuses,  qui  sont 
restées  presque  sans  emploi  jusqu'à  ces  dernières  années,  tandis  que  la  contrée, 
qui  est  agréable  et  salubre,  est  bien  propre  à  devenir  un  lieu  centfal  de  cures  pour 
les  malades  de  toute  catégorie.  Il  existe  des  établissements  de  bains  à  Fideris,  à 
Serneus,  à  Rothenbrunn,  à  Andeer,  à  Spina,  à  Alveneu,  à  Wilhelmsbad  près  Goire, 
à  Tusis,  à  Peiden,  à  Surrein,  à  St.-Moritz  et  à  Tarasp.  On  va  boire  les  eaux  dans 
les  établissements  de  Fideris,  de  St.-Moritz  et  du  St.-Bernardin.  IjCs  eaux  de  ces 
dernières  localités  sont  acidulés,  et  jouissent  d'une  réputation  méritée.  On  fait 
encore  usage  de  quelques  autres  sources,  sans  qu'on  y  ait  construit  de  bâtiment 
spécial  pour  les  malades. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animal.  Un  pays,  dont  une  grande  partie  est  occupée 
par  des  régions  désertes  ou  par  de  vastes  forêts,  doit  être  encore  habité  par  un  grand 
nombre  de  bétes  sauvages.  On  trouve  en  effet  dans  les  Grisons  l'ours  noir  et  l'ours 
gris,  le  lynx,  le  loup,  le  renard,  le  blaireau,  la  martre,  et  plus  rarement  le  chat 
sauvage,  ainsi  que  la  loutre  au  bord  des  rivières.  Le  loup  commence  &  devenir  rare; 
mais  les  ours  et  les  lynx  causent  encore  de  grands  ravages  parmi  les  troupeaux. 
La  race  du  bouquetin  a  habité  jusqu'au  milieu  du  17''  siècle  sur  les  hauteurs  de 
TAdula,  du  Septimer  et  du  Bernina.  Le  chamois  est  encore  nombreux  sur  toutes  les 
hautes  montagnes  du  pays.  Sur  celles  qui  avoisinent  le  Tyrol,  on  aperçoit  quel- 
quefois des  cerfs  et  des  chevreuils,  qui  se  sont  échappés  des  parcs  de  ce  pays  ou  de 
la  principauté  de  Lichtenstein.  On  trouve  dans  les  forêts  l'écureuil  et  le  lièvre 
commun  ;  quant  à  la  marmotte  et  au  lièvre  blanc,  ils  habitent  au-dessus  de  la  région 


358  L%   SLISSE   PITTORESQtE. 


(Ii's  Tonîls.  —  Tous  les  oiseaux  qui  habitenl  en  Suisse  se  relrouvenl  ^lemenl 
dans  les  Grisons;  en  particulier,  les  diverses  espèces  d*aigles  et  de  vautours,  plu- 
sieurs es|H»a*s  de  Taucons,  de  hilK>u\,  de  corbeaux,  de  pics,  de  loriots,  de  géli 
nottes,  etc.  Quand  la  plu|Kirt  de  ces  oiseaux  ont  émigré  en  automne  vers  des  régions 
plus  chaudes,  il  arrive  du  nord  des  vols  nombreux  de  corneilles,  de  vanneaux,  de 
grives,  diverses  es|)èces  de  canards  et  d'oies,  etc.  On  a  remarqué  que  le  nombre <ies 
ois<*aux,  et  surtout  des  oiseaux  chanteurs,  tend  à  diminuer;  on  attribue  cela  à  la 
chasse  trés-active  qui  se  fait  en  Italie,  surtout  durant  l'automne.  —  Les  rivière>. 
les  torrents  et  U^s  bu»  sont  très-poissonneux,  mais  ne  contiennent  qu'un  petit  nombre 
d*esi)èces.  L*al)ondance  du  {xûsson  paraît  avoir  été  autrefois  plus  grande;  cest 
probablement  la  liberté  presque  al)solue  de  la  pé(*he  qui  Ta  réduite.  Les  poissons  que 
Ton  trouve  en  plus  grande  quantité  sont  les  espèces  de  truite;  une  des  espèiv^ 
(mlmo  hnislris),  nommée  dans  le  pays  RheinUiuke,  remonte,  au  printemps,  du  lai- 
de Constance  dans  les  eaux  du  Rhin  et  de  la  Lindquart.  On  trouve  Tombredans  les 
eaux  de  Tlnn,  près  de  Fettan  et  de  Lavin;  on  assure  que  ce  poisson  y  était  autrefois 
complètement  inc<)nnu,  et  que  depuis  scm  arrivée  les  truites  ont  disparu.  —  L'enlo- 
mologistc  qui  se  propose  de  parcourir  le  canton,  peut  se  promettre  une  abondante 
récx)lte;  les  familles  les  plus  nombreuses  sont  celles  des  scarabées  et  des  papillons: 
on  a  compté  près  de  600  espèces  de  ces  derniers.  —  Les  Grisons  possèdent  une  grande 
quantité  de  bétail.  Nous  donnerons  plus  loin  quelques  détails  &  ce  sujet. 

Règne  vêyétaL  Une  grande  variété  de  plantes  croît  sur  les  montagnes  et  dans  les 
vallées  des  Grisons;  on  y  a  compté  2500  espèces  phanérogames.  Les  arbres  à  larges 
feuilles  sont  peu  nombreux  dans  le  pays;  le  hêtre,  dont  se  composent  beaucoup  de 
forêts  dans  le  nord  de  la  Suisse,  n'est  abondant  que  dans  le  Prœttigau.  Les  arbres  qui 
dominent  dans  les  Grisons,  sont  le  pin,  le  sapin,  le  mélèze,  et  Tarole,  qu'on  nomme 
aussi  pin  aimer  du  cimbre  {pintis  timbra) .  Plusieurs  vallées,  maintenant  dégarnies 
d'arbres,  étaient  jadis  toutes  boisées  :  telles  sont  celle  de  Davos,  celle  de  Stalla  à 
Stalvedro,  celle  d'Avers,  où  l'on  voit  sur  l'alpe  de  Bregaglia  les  ruines  d'une  ver 
rerie.  Les  cimbres  et  les  mélèzes  sont  les  arbres  qui  montent  le  plus  haut;  on  les 
trouve,  en  quelques  endroits,  jusqu'à  la  hauteur  de  7000  pieds.  Au  milieu  des 
sombres  forêts  de  pins,  la  nuance  plus  claire  des  mélèzes  produit  un  eflTet  agréable. 
L'aune  vert  (Aliwnerle)  revêt  quelquefois  à  lui  seul  des  pentes  entières,  et  parvient 
à  peu  près  à  la  même  hauteur.  —  On  cultive  beaucoup  d'arbres  fruitiers,  surtout  les 
pommiers  et  poiriers,  dans  les  vallées  basses  ou  bien  exposées,  telles  que  la  vallée 
de  Coire  jusqu'au  Luziensteig,  le  bas  Praettigau,  la  vallée  de  Domleschg,  le  pays 
de  Gruob,  au  nord  d'Ilanz,  et  les  vallées  italiennes  de  Misocco,  Bregaglia  et  Pos- 
chiavo.  Les  poiriers  et  les  pommiers  prospèrent  en  général  jusqu'à  3000  pieds;  les 
cerisiers  seuls  croissent  beaucoup  plus  haut.  Les  noyers  sont  communs  dans  les 
vallées  italiennes,  jusqu'à  2500  à  2800  pieds;  on  les  trouve  aussi  dans  la  vallée  du 
Rhin,  de  Tusis  à  Mayenfeld,  et  même  le  long  de  l'Albula,  et  près  de  Disentis,  à  la 
hauteur  de  3500  pieds.  Le  châtaignier  et  le  mûrier  croissent  dans  les  vallées  ita- 
liennes; ce  dernier  est  cultivé  aussi  près  de  Mayenfeld,  pour  l'exploitation  de  la  soie. 
La  vigne  croit  dans  la  vallée  de  Mayenfeld  et  dans  le  bas  des  vallées  de  Misocco  et 
de  Poschiavo.  Le  figuier  croît  naturellement  au  bas  des  vais  Bregaglia  et  Misocco. 
Le  maïs  est  cultivé  au  bas  des  mêmes  vallées  et  dans  celle  de  Mayenfeld.  Quant  aux 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  359 


pommes  de  terre,  elles  viennent  en  général  dans  le  pays  jusqu'à  5000  pieds,  et  même 
dans  la  vallée  de  Sertig,  près  Davos,  jusqu'à  5700;  le  seigle  croît  jusqu'à  4700  ou 
SOOO,  et  l'orge  jusqu'à  5000  ou  5600  dans  l'Engadine,  le  val  Scarla,  le  val 
Sertig,  etc.  Ainsi,  la  culture  des  céréales  et  des  arbres  fruitiers  s'élève  plus  haut 
dans  les  Grisons  que  dans  les  Alpes  occidentales  de  la  Suisse. 

Règne  minéraL  Une  grande  partie  du  canton  est  comprise  dans  la  formation  pri- 
mitive. On  trouve  du  gneiss  dans  les  montagnes  des  vallées  de  Tavetsch,  de  Medels, 
de  Misocco,  de  Ferrara,  et  dans  le  Haut-Praettigau.  Du  St.-Gothard  au  val  Medels,  le 
granit  accompagne  le  gneiss  ;  il  s'étend  jusqu'à  la  vallée  de  Sumvix  ;  on  en  trouve 
des  variétés  rouges  et  vertes  sur  le  Julier  et  au  sud  de  l'Albula.  Sur  le  Bemina  et 
sur  les  montagnes  de  Bregaglia,  il  est  mêlé  de  feldspath  bleu  et  blanc.  Mais  la  roche 
primitive  la  plus  abondante  est  le  schiste  micacé,  mélangé  de  quartz  et  de  talc.  Le 
schiste  argileux  forme  une  grande  partie  du  revers  septentrional  de  la  vallée  du 
Rhin  antérieur,  du  Toedi  au  Galanda.  Il  domine  de  même  dans  les  montagnes  des 
vallées  de  Lugnetz,  de  Vais,  jusqu'au  village.de  ce  nom,  de  Safien,  du  Rhin  posté- 
rieur, jusqu'à  Zillis,  de  Parpan  et  de  Schalfick.  Ce  schiste  argileux  renferme  des 
empreintes  de  fucoïdes  qu'on  n'a  trouvées  ailleurs  que  dans  la  formation  de  la  craie 
et  du  grès  vert.  La  chaîne  du  Toedi  renferme  aussi  du  calcaire  et  du  schiste  calcaire; 
le  Tœdi  et  le  Piz  Rosein  en  sont  eux-mêmes  composés,  et  on  y  rencontre  des  pétri- 
fications, telles  que  des  bélemnites  et  des  nummulites,  jusqu'à  la  hauteur  de 
9000  pieds.  La  chaîne  du  Rhaeticon  est  composée  de  calcaire  et  de  schiste  ;  sur  la 
Scesaplana,  de  même  que  sur  le  Galanda,  gisent  des  coraux  et  des  coquillages 
pétrifiés.  Une  autre  ligne  de  sommités  calcaires,  en  partie  primitives,  commence  au 
fond  des  vallées  de  Vais  et  de  Safien,  et  s'étend  jusqu'à  la  Haute-Engadine  par  celles 
de  Schams,  de  Ferrara  et  d'Oberhalbstein.  Ce  calcaire  se  présente  en  divers  lieux 
sous  la  forme  d'un  beau  marbre  blanc,  surtout  dans  le  val  Ferrara  et  sur  le  Spliigen  ; 
on  trouve  en  outre  du  marbre  noir  à  Schams,  et  sur  le  Bemina  des  marbres  blancs, 
rouges,  ou  veinés  de  bleu,  et  susceptibles  d'un  beau  poli.  On  rencontre  aussi  du 
gypse  au  milieu  du  schiste  argileux  et  du  calc$iire  :  sur  le  Falkniss,  au-dessus  de 
Mayenfeld,  près  du  pic  de  Madris  et  sur  l'alpe  Casanna  dans  le  Preettigau,  près  de 
Tiefenkasten  et  de  Tschappina,  à  Samaden  dans  la  Haute,  et  à  Fettan  dans  la 
Basse-Engadine,  etc.  On  trouve  sur  plusieurs  points  de  la  craie,  de  l'albâtre,  de  la 
pierre  ollaire,  etc.,  et  diverses  espèces  de  cristaux  plus  ou  moins  rares,  des  grenats, 
des  tourmalines,  des  pyrites  sulfureuses,  etc. 

Peu  de  jKiys  sont  aussi  riches  en  métaux  divers  que  les  Grisons;  mais  il  n'y 
t*xiste  néanmoins  aucune  exploitation  importante.  On  a  récolté  sur  la  pente  sud  du 
Galanda  de  beaux  minerais  d'or;  le  produit  a  été  employé,  en  1813,  à  frapper 
quelques  centaines  de  doublons.  D'après  une  tradition,  il  y  avait  autrefois  au-dessus 
(le  Parpan,  et  sur  l'alpe  Casanna,  au-dessus  de  Conters,  de  petits  ruisseaux  qui 
entraînaient  d'abondants  débris  d'or.  La  famille  Vertemati-Franchi,  de  Plurs,  exploi- 
tait jadis  plusieurs  mines  sur  divers  points  du  pays,  et  la  tradition  prétend  que 
chaque  semaine  plusieurs  bêtes  de  somme  transportaient  à  Plurs  des  charges  d'or 
et  d'argent.  Le  Rhin  postérieur  charriait  une  fois  des  paillettes  d'or;  on  avait  établi 
un  lavoir  dans  la  vallée  de  Schams.  On  a  exploité  aussi  des  mines  d'argent  sur  le 
Bernina,  sur  le  Buffalora,  dans  le  val  Scarla,  à  Filisur  (  Vallis  Aurea,  d'après 


360  U   StISSE   PITTOHESQI'R. 


Schcuchzer),  au-dessus  de  Davos,  de  Parpan,  d*Andeer,  etc;  mais  elles  élaienl 
loules  mélangées  de  plomb  et  de  cuivre,  et  peu  produclives.  Toulefois,  on  a  repris 
une  cxploilalion  près  du  col  Scarla.  On  a  remarqué  en  beaucoup  d'endroits  des 
traces  de  fer,  en  particulier  du  fer  aimante  près  de  Trons.  Depuis  quelques  années, 
on  travaille  une  mine  de  Ter  près  de  Bergûn  ;  on  en  fond  le  minerai  dans  les  bâti- 
ments de  Bellaluna.  —  Enfin,  on  trouve  de  la  tourbe  dans  plusieurs  des  hautes 
vallées,  à  Avers,  à  Vais,  sur  le  Maloja,  etc.  Mais  c'est  surtout  dans  la  vallée  d'Avers 
qu'on  l'emploie  comme  combustible. 

Les  ébouicments  et  les  chutes  de  montagnes  sont  fréquents,  surtout  dans  la 
vallée  de  Schalfick  et  dans  une  partie  du  Haut-Prai^ttigau,  où  les  schistes  se  trouvent 
dans  un  état  de  décomposition  qui  fait  donner  à  ces  montagnes  le  nom  de  Monis 
|K)urris  {faute  Berge).  Ainsi,  en  1768,  une  chute  a  détruit  une  grande  partie  du 
hameau  de  Mombiel,  près  de  KIosters.  En  1794,  l'éboulement  d'une  paroi  de  rocs 
a  amoncelé  un  vasie  chaos  de  débris  entre  Ferrâra  et  Canicûl.  Depuis  quelques 
années,  une  partie  du  Galanda  est  remplie  de  crevasses  qui  tendent  à  s'élargir;  déjà 
de  grands  ébouicments  ont  eu  lieu  le  9  novembre  et  le  !23  décembre  1834,  et  le 
i7  avril  1837,  et  l'on  peut  s'attendre  à  des  chutes  bien  plus  considérables.  Une 
partie  des  habitants  du  village  de  Feldsberg  se  sont  décidés  à  transporter  leurs 
demeures  dans  une  localité  moins  exposée.  Le  nouveau  village  est  situé  à  10  mi- 
nutcs  à  l'est  de  l'ancien  ;  mais  bon  nombre  d'habitants  de  celui-ci,  retenus  par 
l'amour  de  leurs  foyers,  persistent  à  y  affronter  le  |)éril.  La  chute  la  plus  désastreuse 
est  celle  qui,  le  4  septembre  1618,  détruisit  le  bourg  de  Plurs,  voisin  de  Chiavenne, 
et  coûta  la  vie  à  2430  individus.  —  Le  pays  des  Grisons  est  sujet  à  de  fréquents 
tremblements  de  terre.  Plusieurs  châteaux  ont  été  détruits  par  de  pareils  événe- 
ments ;  peut-être  peut-on  leur  attribuer  aussi  quelques-unes  des  chutes  de  mon- 
tagnes. Ce  sont  iMrticulièremenl  les  environs  de  Coire  et  la  Basse-Engadine  qui 
ont  éprouvé  le  plus  grand  nombre  de  secousses  ;  cependant,  ces  deux  contrées  n'ont 
pas  un  grand  rapport  entre  elles  ;  la  direction  des  vallées  y  est  tout-à-fait  diflG&rente, 
et  les  montagnes  de  la  Basse-Engadine  sont  formées  de  schistes  micacés  et  talqueux, 
tandis  que  près  de  Coire  on  ne  trouve  que  du  calcaire,  du  grès,  et  du  schiste  argileux. 

Antiquités.  —  Le  pays  qui  forme  aujourd'hui  le  canton  des  Grisons,  portait  du 
temps  des  Romains  le  nom  de  Rhétie.  On  fait  remonter  le  nom  des  Rhétiens  à  une 
nombreuse  migration  de  Tyrrhéniens  ou  Etrusques,  Ttisci,  qui  auraient  quitté  les 
régions  comprises  entre  le  Tibre  et  les  Alpes,  à  l'époque  de  l'invasion  des  Gaulois 
en  Italie,  environ  600  ans  avant  l'ère  chrétienne,  soit  près  d'un  siècle  et  demi  après 
la  fondation  de  Rome.  Cette  migration,  d'après  Pline,  doit  avoir  été  conduite  par  un 
chef  nommé  Rhaetus,  qui  aurait  donné  son  nom  au  pays.  On  attribue  à  ces  colonies 
l'origine  d'un  grand  nombre  de  noms  qu'on  retrouve  encore  dans  la  Rhétie.  La 
vall^  de  Domleschg  serait  la  vallée  totniUiisca  ou  Domestica;  les  châteaux  de  ReaUa, 
Rhœzûfis  et  de  Reambs  seraient  Rhœlia  alla,  ima  et  ampla;  le  nom  du  bourg  de 
Tusis  viendrait  des  Tusci.  On  suppose  que  les  noms  de  Fetlan,  Cernelz,  Lavin,  Sins, 
Scliuls,  qui  existent  maintenant  dans  l'Engadine,  rappellent  les  noms  des  peuplades 
de  rOmbrie  cités  par  Pline  :  VeUones,  Cernelani,  Lavinii,  Senlinales,  SniUales,  smU 
populi  de  regione  Vmbiia  qaormn  oppida  Tiusri  debellarunt.  Nommons  encore  les  noms 
A  Ardelz,  Flœsch,  Pehl,  Remûs,  Samnaun^  SimisciU,  Safen,  Tschapiua,  Umbrein  et 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  361 


le  mont  Umbrail,  qui  rappellent  ceux  d^Ardea^  Faliscij  Pœstmi,  Remuria,  SamniufiK 
Sinuessa,  SabitM,  Umbria,  Ces  ressemblances  sont  sans  contredit  bien  frappantes,  et 
donnent  beaucoup  de  poids  à  la  conjecture  qui  vient  d'être  indiquée  touchant  la 
fondation  de  ces  localités ^  Toutefois,  on  n'a  trouvé  dans  le  pays  aucun  monument 
antérieur  à  la  domination  romaine,  et  qui  puisse  corroborer  cette  conjecture.  Les 
traditions  relatives  au  culte  d'anciennes  divinités  ne  reposent  pas  sur  des  fondements 
plus  solides.  On  a  supposé,  mais  sans  pouvoir  nullement  le  prouver,  que  le  Lukma- 
nier  doit  son  nom  aux  Lmumofies  ou  princes  étrusques  ;  que  le  Julier  doit  le  sien  à 
la  divinité  celtique  Joui,  soleil,  ou  dieu  du  soleil,  et  que  celui  du  mont  Adula  vient 
(le  Al-JoiUa,  përe-soieil.  Les  deux  colonnes  de  granit  qui  existent  sur  le  sommet  du 
Julier,  ne  portent  aucune  inscription  qui  puisse  établir  leur  haute  antiquité.  Elles 
n'ont  point  la  forme  des  colonnes  milliaires  romaines  ;  mais  elles  pourraient  avoir 
été  des  autels,  ou  avoir  appartenu  à  un  lieu  de  sacrifice  celtique,  d'autant  plus  que, 
d'après  quelques  auteurs,  il  existait  autrefois  une  troisième  colonne,  et  que  d'an- 
ciennes monnaies  indiquent  que  c'était  sur  trois  colonnes  que  les  Celles  faisaient 
reposer  leurs  temples  rustiques. 

Malgré  les  quatre  siècles  de  la  domination  romaine,  malgré  les  stations  et  les 
forteresses  qui  furent  bâties  durant  cette  époque,  on  ne  trouve  en  Rbétie  que  très- 
peu  de  constructions  d'origine  romaine;  on  n'y  rencontre  non  plus  aucune  inscription 
qui  remonte  à  cette  époque  ;  mais  il  en  existe  dans  des  lieux  qui  furent  autrefois 
compris  dans  la  Rhétie,  tels  que  Vérone,  Augsbourg  et  le  Tyrol.  Le  seul  monument 
|)ortant  dans  sa  construction  le  caractère  romain,  est  la  tour  Marsœl  ou  Marsoila, 
située  du  cAté  septentrional  du  palais  épiscopal  de  Coire.  On  suppose  que  son  nom 
fut  jadis  Mars  in  oculis,  et  que  le  château  fut  habité  par  un  magistrat  romain.  A 
l'angle  nord-ouest  de  la  cour  épiscopale  s'élève  une  autre  tour,  qui  est  maintenant 
une  propriété  particulière,  et  qu'on  nomme  Spinœl  ou  Spirwila  (  Spina  in  oculis,  à 
ce  qu'on  suppose).  Il  y  avait  autrefois  dans  la  ville  et  à  St. -Salvador  des  restes  de 
construction  qu'on  attribuait  aux  Romains.  On  voyait  encore  il  y  a  trois  siècles,  à 
Tiefenkasten,  des  restes  d'une  forteresse  romaine.  On  voit  aussi  les  ruines  d'un 
ancien  château  près  de  Lavin,  dans  la  Basse-Engadine  ;  plus  bas,  près  de  Schleins, 
des  vestiges  d'une  fortification;  on  fait  remonter  au  temps  de  Vitellius  ces  ouvrages, 
qui  portent  tous  deux  le  nom  de  Serviezel  {Serra  Vilellii).  La  situation  de  Tiefen- 
kasten et  de  la  Basse-Engadine  rend  vraisemblable  qu'on  y  avait  établi  en  effet  des 
stations  ou  des  retranchements.  On  a  cru  aussi  reconnaître  l'emplacement  d'un  camp 
près  de  Scanfs,  dans  la  même  vallée,  et  on  l'a  appelé  camp  de  Drusus.  Il  a  dû  sou- 
vent exister  des  camps  romains  près  de  Coire,  mais  on  n'en  retrouve  aucun  vestige 
distinct.  — Le  chroniqueur  Félix  Faber  prétend  qu'il  existait  un  temple  des  nymphes 
près  des  sources  du  Rhin  postérieur,  au  pied  de  l'Adula  ;  mais  il  parait  ne  s'appuyer 
que  sur  la  coutume  générale  des  peuples  celtiques  de  célébrer  des  fêtes  religieuses  et 
de  faire  des  sacrifices  près  des  sources  des  fleuves  et  sur  le  bord  des  lacs  élevés.  On 

1.  QuADt  à  l'hypothèse  contraire,  qui  fait  peupler  les  villes  d*Etrurie  et  d'Ombrie  par  des 
peuplades  parties  de  la  RbéUe,  qui  auraient  importé  les  noms  de  leur  pays,  eUe  a  bien  peu  de 
vraisemblance;  il  en  est  de  même  de  celle  d'après  laquelle  les  Tusci  seraient  originaires  de  la 
Rhétie,  et  seraient  venus  soumettre  TOmbrie  et  y  bâUr  des  villes,  puis  seraient  retournés  dans 
leurs  montagnes  à  Tépoque  de  Tinvasion  gauloise. 

11.  23.  f|6 


362 


LA  MisM.  rrrujuix*  t. 


P'ul  n*|M*fHl«int.  à  TapiMii  do  sa  r<»njo*1urp,  njouler  que  dans  k*  ino\en-àpf  il  e\MaH 
dans  le  mcriK*  lieu  une  eh«ip(*ile,  dont  la  chielie  est  acluellcnient  à  llinterrhein.  Il 
««si  «rrUiin  que  les  Romains  ont  élaMi  des  roules  militaires  à  travers  la  Rbélie;  il  n*t>t 
Umlerois  |ias  dénH>nlK*  que  U-s  restes  d'une  voie  pavée  que  l'on  a  observés  sur  k 
Julier,  ainsi  que  h*s  ornièn*s  que  Ton  a  vu<*s  sur  le  me  vil  dans  la  llaule-Engadint* 
pr(*s  du  lar  de  Sils,  datent  ré(*llemenl  de  ré|NM|ue  romaine.  Mais  on  a  trouvé  en  divers 
lieux  d<'s  monn«ii<*s,  des  arm<*s,d(*s  usleasil(*s,  dont  Tori^ne  romaine  est  authentique 
i)e  |Mreill(*s  trou>aill<*s  ont  été  fréquenti*s  à  Oiire  et  aux  environs  Ainsi,  en  180t>. 
on  nMK*outra,  en  ereusant  un  caveau,  iOOpiètvs  de  monnaie,  dont  la  plupart  |K»f 
laient  d'un  vMv  renî«:ie  d*un  empereur,  de  l'autre  un  génie  eouronné,  avee  une 
e«iU|M*  ou  une  eorne  d'abondance  à  la  main,  et  l'inscription  fjmio  i^tpHti  rtmtani  mu 
^énic  du  |ieuple  romain  ).  Pri's  de  Conters,  dans  le  val  Oberbalbstein,  un  paysan 
tnmva  en  17H0,  non  loin  de  la  route,  deux  vases  de  cuivre  contenus  Tun  dans 
i*autre;  le  plus  |ielit  renfermait  di*s  bracelets  d'or  et  d'argent  de  diverses  grandeurs. 
d<*s  dés,  df^  monnai(*s  romaini^s  d'or  et  d'argent,  ayant  d'un  c6té  le  cheval  de  Troie, 
de  l'autre  une  tête  de  Vénus,  etc.  Dans  le  même  lieu,  I  on  découvrit  aussi  un  petit 
vase  d'argent,  un  encensoir  avec  une  chaînette  d'argent,  etc.  Diverses  trouvailles  ont 
été  faites  encore  sur  plusieurs  points  de  l'Engadine,  du  Pra*ttigau,  et  ailleurs. 

Parmi  les  antiquités  du  moyen-àge  figurent  aussi  des  monnaies  et  des  annes 
divers(*s.  Ainsi,  en  1811,  prés  du  château  de  Gryneck,  non  loin  d'ilanz,  furent 
trouvé(*s,  s<»us  un  bloc  de  rocher,  plus  de  50  pièces  de  monnaie  datant  de  l'époque 
des  rois  carlovingiens,  soit  du  8'  et  du  9*  siècle.  Mais  les  monuments  les  plus  remar- 
quables du  moyen-âge  sont  les  nombreuses  ruines  de  châteaux  qu'on  voil  encon» 
dans  toutes  l(*s  parties  de  la  contrée.  La  tradition  fait  remonter  l'origine  de  quelques- 
uns  de  ces  châteaux  &  ré|N)que  de  la  domination  romaine,  ou  même  aux  temps 
antérieurs;  mais  elle  n'est  point  confirmée  par  le  mode  de  leur  construction.  Il  en 
est  œfNmdant  un  certain  nombre  qui  doivent  dater  d'une  époque  reculée  du  moyen* 
âge.  Ainsi,  celui  de  Marschlins,  pri's  Malans,  date  probablement  de  l'an  7S5;  sa 
fondation  est  attribuée  â  un  primx;  souabe  ou  allémanique,  nommé  Marsilius  ;  celui 
de  Reams,  près  Gontei*s,  et  celui  de  Castellazzo,  près  de  Soglio  dans  le  val  Bre^glia. 
existaient  déjà  dès  le  commencement  du  10*"  siècle;  celui  de  Hobenrhsetien,  près 
de  Tusis,  dès  le  11*  ;  celui  de  llaldenstein,  dès  le  12',  etc.  Quelques-uns  de  ces  châ- 
teaux n'étaient  que  des  demeures  seigneuriales;  d'autres  étaient  destinés  à  proléger 
le  commerce  et  les  voyageurs;  mais  trop  souvent  aussi,  ces  manoirs  étaient  de 
véritables  repaires  habités  par  des  brigands  et  par  les  oppresseurs  du  pays.  Parmi 
ces  châteaux,  on  n'en  compte  guère  qu'une  dizaine  qui  soient  encore  habitables  ;  tels 
sont  ceux  de  Marschlins,  de  Rhœzûns,  de  Reichenau,  d'Ortenstein,  de  Tarasp,  etc. 
La  plu|)art  des  familles  qui  les  ont  habités  jadis  sont  éteintes,  ou  ont  émigré,  ou  sont 
rentrées  dans  la  foule  du  peuple.  Au  nombre  des  antiquités  du  moyen-âge»  on  |>eut 
compter  encore  quelques  églises,  dont  la  plus  remarquable  est  la  cathédrale  de  Ckiire, 
qui  remonte  au  8'  siècle  (nous  en  parlerons  plus  loin);  enfin,  quelques  tombeaux 
d'cvéqucs,  renfermés  soit  dans  cette  cathédrale,  soit  dans  des  couvents. 

Histoire.  —  La  lihêUe  paraît  avoir  été  dans  l'origine  habitée  par  des  peuples  de 
race  celtique,  et  l'on  prétend  avoir  retrouvé  la  trace  du  langage  celtique  dans  les 
noms  des  principales  rivières,  et  dans  ceux  de  beaucoup  de  montagnes  et  de  localités. 


LA    SUISSE    PlTTOBKSgUE.  303 


Quanl  au  nom  des  Uhélicns,  on  le  fait  remonler,  comme  nous  l'avons  dit,  à  une 
nombreuse  migration  de  Tyrrhéniens  ou  Etrusques,  Tmci,  qui  auraient  quitté 
rilalie  environ  six  siècles  avant  Tère  chrétienne,  sous  la  conduite  d'un  chef  nommé 
Khœtus.  Quelle  qu'ait  été  leur  origine,  les  'Rhétiens,  au  moment  où  ils  paraissent 
dans  l'histoire,  soit  vers  la  fin  de  la  république  romaine,  étaient  une  nation  puissante 
et  belliqueuse,  partagée  en  plusieurs  peuplades  portant  des  noms  distincts.  Ils  avaient 
étendu  leur  territoire  bien  au-delà  de  leui^  limites  actuelles:  à  l'est,  jusqu'aux  alpes 
Carnioles;  au  sud,  jusqu'au  lac  de  Garde  et  jusque  près  deCôme.  Ainsi  Vérone,  où 
croissait  ce  vin  rhétien  si  goûté  d'Auguste,  était  une  ville  de  la  Rhétie.  Du  côté  du 
nord,  ils  s'étendaient  jusqu'aux  lacs  de  Zurich  et  de  Constance.  Arbon  [Arhor  felix) 
et  Pfyn  {Ad fines),  dans  la  Thurgovie,  étaient  aux  confins  de  THelvétie  romaine  et 
de  la  Rhétie.  La  Marche,  dans  le  canton  de  Schwytz,  au  sud  du  lac  de  Zurich,  s'ap- 
|)elait  Marca  rhœlia,  frontière  rhétienne.  Quant  aux  Vindéliciens,  qui  sont  si  fré- 
quemment nommés  simultanément  avec  les  Rhétiens,  et  qui  formaient  avec  eux  une 
ligue  étroite,  ils  habitaient  au  nord  du  lac  de  Constance,  sur  les  bords  du  Lech,  et 
jusqu'au  confluent  du  Danube  et  de  l'Inn.  On  peut  donner  comme  preuves  de  cette 
ancienne  extension  de  la  Rhétie,  la  conservation  du  dialecte  romanche  dans  quelques 
vallées  retirées  du  Tyrol,  et  celle  d'un  certain  nombre  de  désignations  de  lieux  et 
de  montagnes  qui  se  rapportent  à  ce  même  dialecte.  L'an  665  de  Rome,  les  Rhétiens 
avaient  envahi  une  partie  de  la  Gaule  cisalpine,  et  dévasté  la  ville  romaine  de  Côme, 
lorsqu'ils  furent  vaincus  par  Pompée.  L'an  712,  Numatius  Plancus  les  défit  dans  le 
pays  des  Rauraques  (près  de  Bàle),  où  ils  avaient  poussé  une  de  leurs  excursions 
dévastatrices.  Mais  ce  ne  fut  que  sous  Auguste  que  leur  territoire  fut  conquis  par 
les  armées  romaines.  L'an  "739  (45  avant  J.-C),  cet  empereur  envoya  Tibère 
contre  les  Vindéliciens,  et  Drusus  contre  les  Rhétiens  ;  et  ce  ne  fut  qu'après  des 
sacrifices  considérables  et  des  efforts  inouïs  que  ce  dernier  parvint  à  dompter  ces 
peuplades  sauvages;  le  nom  de  ml  Druschanna  {vallis  Dntsiann)  que  porte  encore 
le  Montafaun  dans  le  Tyrol,  ainsi  que  le  Drusus-Thor  ou  col  de  Drusus,  rappellent 
quel  fut  le  conquérant  de  la  Rhétie.  Ce  pays  devint  une  province  romaine,  sous  le 
nom  de  Rhœtia  prima,  et  la  Vindélicie  en  forma  une  sous  celui  de  Rhœtia  secuiklu. 
Les  quatre  siècles  de  la  domination  de  Rome  introduisirent  dans  la  Rhétie  la  civi- 
lisation, ainsi  que  l'usage  de  la  langue  romaine,  lingua  romana  rmtica;  les  dialectes 
qui  se  parlent  encore  aujourd'hui  dans  le  pays  (le  romanche  et  le  ladin),  portent  des 
indices  évidents  de  leur  parenté  avec  cette  langue,  tandis  qu'on  n'y  a  pas  trouvé 
(sauf  en  ce  qui  concerne  quelques  noms  de  lieux  )  de  racines  du  langage  étrusque. 
On  profita  de  l'ardeur  belliqueuse  des  Rhétiens  pour  les  enrôler,  et  leurs  cohortes 
servirent  avec  gloire  en  Asie  et  en  Egypte;  16  ans  après  J.-C,  les  Rhétiens  sau- 
vèrent, dans  une  bataille  livrée  sur  les  bords  du  Weser,  leur  général  Germanicus, 
fils  de  leur  ancien  vainqueur.  L'an  69,  les  Helvétiens  s'étant  révoltés,  les  troupes 
de  la  Rhétie  aidèrent  les  Romains  à  les  remettre  sous  le  joug.  D'après  les  légendes, 
la  foi  chrétienne  aurait  été  importée  dans  le  21^  siècle  en  Rhétie;  on  cite  comme  le 
premier  apôtre  de  ce  pays  saint  Ltœius  Confessor,  qui  y  serait  arrivé  de  l'ile  de 
Bretagne,  et  y  aurait  subi  le  martyre  avec  sa  sœur  Emerita.  Des  légendes  confuses 
parlent  aussi  de  saint  Fridolin,  de  saint  Fidelis,  de  saint  Valentin  et  de  saint  Gaudenz  ; 
ce  dernier  serait  mort  à  Casaccia,  au  pied  du  Septimer,  dans  la  vallée  de  Bre^aglia. 


564  LA   SUISSB   PITTORESQUE. 


H  est  fait  mention  d'un  évéchc  qui  aurait  été  créé  à  Goire  dès  le  4*  siècle  ;  cepen- 
dant, on  s'accorde  généralement  à  citer  comme  ayant  été  le  premier  évèque  de 
Ck)ire,  saint  Asimo,  qui  vivait  vers  Tan  450.  Dans  les  siècles  suivants,  les  évéques 
acquirent  peu  à  peu  une  grande  puissance. 

A  répoque  de  Tinvasion  des  Barbares,  la  Rhétie  fut  envahie  particulièreroenl 
par  les  Allémani,  puis  par  les  Ostrogoths  sous  le  roi  Théodoric  ;  après  la  mort  de 
ce  dernier,  le  roi  Vitigès  fut  vaincu  par  les  Francs,  et  la  Haute-Rhétie  tomba  au 
pouvoir  de  Théodebert,  roi  de  ce  peuple,  et  elle  resta  trois  siècles  sous  celte  domi- 
nation. Elle  forma  un  comté  {comitalM  Cnriefws).  Pendant  près  de  deux  siècles,  la 
dignité  de  lirœses  ou  de  comte  de  la  Rhétie  fut  presque  héréditaire  dans  la  maison  de 
Victor  I*',  qui,  vers  Tan  600,  administra  celte  province.  Plusieurs  comtes  lurent 
en  môme  temps  revêtus  de  la  dignité  épiscopale.  Vers  l'an  644,  l'ermite  Sigîsbert, 
élève  de  Golomban,  fonda  au  milieu  d'une  contrée  inculte  la  cellule  De^ertina,  qui 
devint  par  la  suite  l'abbaye  de  Dlseniis.  Cette  abbaye  contribua  à  répandre  le 
christianisme  et  l'agriculture  parmi  les  habitants;  elle  étendit  son  autorité  jusqu'au 
val  d'Urseren,  dont  l'abbé  confirmait  le  premier  magistrat  (Tbalammann),  lequel, 
comme  signe  de  sujétion,  devait  donner  à  l'abbé  une  paire  de  gants  blancs.  Cette 
forme  d'hommage  a  duré  jusqu'en  4785.  Pendant  la  même  période,  plusieurs  nobles 
familles,  de  race  allémanique  ou  franque,  bâtirent  des  châteaux  forts,  et  acquirent 
des  serfs  nombreux  et  des  domaines  étendus.  Sous  les  faibles  successeurs  de  Charte- 
magne,  le  pouvoir  anarchique  des  seigneurs  s'accrut  encore,  et  il  n'y  eut  plus  de 
droit  dans  le  pays  que  celui  du  plus  fort.  Par  le  traité  de  843,  la  Rhétie  édiut  au 
roi  Louis-le-Gcrmanique.  En  888,  après  la  déposition  de  Charles-le-Gros,  la  Rhétie 
fut  réunie  à  l'Allemagne,  mais  tout  en  restant  sous  la  protection  de  ses  comtes  ;  et 
après  le  meurtre  du  comte  Burkhard  de  Lenzbourg,  le  comté  fut  adjugé  aux  ducs 
de  Souabe,  qui  le  gouvernèrent  de  l'an  946  à  l'an  4268.  C'est  au  milieu  de  cette 
période,  en  4470,  que  Tévéque  reçut  de  l'empereur  Frédéric-Barberousse  le  titre  de 
prince.  Parmi  les  seigneurs  les  plus  puissants  du  pays,  se  distinguaient  alors  ceux  de 
Vais,  de  Rho'.zûns,  de  Belmont,  de  Sacco  ou  Sax-Misocco,  d'Aspermont,  etc.  Gqien- 
dant,  malgré  l'oppression  générale  qui  pesait  sur  le  peuple,  plusieurs  petits  districts 
obtinrent  ou  réussirent  à  conserver  quelques  privilèges;  il  est  fait  mention  des 
hommes  libres  de  Bregaglia,  de  Lax,  de  Davos,  de  Flims,  etc.  ;  il  arriva  des  colonies 
d'Allemands  qui  formèrent  aussi  des  communes  libres,  telles  que  celles  deRhein^vald, 
d'Avers,  de  SaOen,  d'Obersaxen,  de  Vais. 

Après  l'extinction  de  la  dynastie  souabe  des  Hohenstaufen,  la  Rhétie  devinl  un 
membre  immédiat  de  l'empire.  Vers  ce  temps,  les  barons  de  Vatz  l'emportaient  de 
beaucoup  en  pouvoir  sur  tous  les  seigneurs  de  la  Rhétie  ;  ils  furent  d'abord  en  paix 
avec  les  évéques  ;  mais,  vers  4 324 ,  le  baron  Donat,  s'étant  allié  avec  les  Waldstœtten, 
déclara  la  guerre  à  l'évêque,  qui  avait  envoyé  des  secours  à  Léopold  d'Autridie, 
lorsqu'il  attaqua  les  Confédérés.  Les  troupes  de  l'évêque  furent  vaincues  à  Dischma 
près  Davos,  puis  à  Filisur  en  4323.  Le  baron  confirma  et  augmenta  les  privilèges 
de  Davos  ;  et  à  l'époque  de  sa  plus  grande  puissance,  il  avait  jeté  volontairement 
les  premiers  fondements  de  la  liberté  de  son  pays,  quand  en  4289  il  dédara 
hommes  libres  ses  serfs  de  Belmont,  en  récompense  de  leur  fidèle  assistance.  Cet 
homme,  qui  fut  décrié  par  ses  ennemis,  mourut  en  4333,  sans  postérité  mAle,  et 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  365 


ses  domaines  passèrent  aux  maisons  de  Toggenbourg  et  de  Werdenlierg-Sargans. 
L*évéque,  ainsi  que  d'autres  seigneurs,  envoya  de  nouveau  à  rAutricbe  des  auxi- 
liaires qui  combattirent  contre  les  Confédérés  à  Sempach  et  à  Naefels  ;  mais  ces 
Rhétiens,  qui  furent  ainsi  témoins  des  triomphes  des  Confédérés,  apprirent  par  là 
qu'en  se  liguant,  de  petits  peuples  deviennent  assez  focts  pour  se  délivrer  du  joug 
de  leurs  oppresseurs. 

Dans  le  cours  du  Ik^  siècle,  plusieurs  alliances  partielles  préparèrent  la  fédération 
de  toutes  les  contrées  de  la  Rhétie.  Telles  furent  une  alliance  conclue  en  4349  entre 
Fabbaye  de  Disentis  et  Uri;  une  autre  conclue  en  4339  entre  Disentis,  Belmont, 
Werdenberg  et  les  trois  Waldstœtten.  En  4390,  les  barons  de  Sax  conclurent  avec 
Tabbé  de  Disentis  une  alliance  qui  fut  appelée  Part  sura,  partie  ou  ligue  supérieure  ; 
en  4395,  les  comtes  de  Werdenberg  y  accédèrent,  plus  tard  ceux  de  Rhœztîns;  en 
4400,  ces  mêmes  seigneurs  conclurent  une  ligue  offensive  et  défensive  avec  Claris. 
Mais  ce  fut  en  mars  4&24  que  fut  réellement  fondée  la  Ligue  grise  ou  supérieure; 
cet  événement  important  s'accomplit  près  de  Trons,  sous  un  érable  dont  le  tronc 
porte  encore  quelques  branches  garnies  de  feuillage;  c'est  d'après  le  conseil  de 
P.  Pultinger  (ouPuntaningen),  abbé  de  Disentis,  que  les  principaux  du  peuple  avaient 
invité  la  noblesse  à  reconnaître  enfin  les  lois  de  la  justice.  L'abbé  de  Disentis,  les 
seigneurs  de  Rhsezûns,  de  Sax,  de  Werdenberg,  et  les  chefs  du  peuple,  jurèrent  une 
alliance  éternelle,  dont  le  but  était  d'assurer  leur  sécurité  commune  et  de  protéger 
les  droits  de  chacun.  La  commune  de  Disentis,  la  ville  d'flanz,  et  les  hommes 
libres  de  Rheinwald  et  de  Lax,  étaient  aussi  représentés  dans  cette  conférence.  —  La 
Ligue  des  Dix  Juridictions  fut  fondée  le  8  juin  4436.  Après  le  décès  du  comte 
Frédéric  de  Toggenbourg,  une  contestation  violente  s'étant  élevée  au  sujet  de  sa 
succession,  les  hommes  libres  et  les  sujets  résolurent  de  prévenir,  au  moyen  d'une 
alliance,  les  traitements  arbitraires  auxquels  ils  eussent  été  exposés  après  le  partage  ; 
la  ligue  fut  conclue  à  Davos,  sans  la  participation  des  seigneurs,  mais  n'avait  nulle- 
ment pour  but  d'attenter  à  leurs  droits.  Une  autorité  supérieure  fut  instituée,  et  le 
territoire  divisé  pour  l'administration  de  la  justice  en  onze  juridictions  (qui  dès  4  SOC 
furent  réduites  à  dix).  —  Quant  à  la  Ligue  Caddée  ou  de  la  Maùton-Dieu  {CasaDei), 
on  fixe  ordinairement  comme  date  de  sa  fondation  l'année  4396^  Elle  comprenait, 
comme  son  nom  l'indique,  les  principales  propriétés  et  les  sujels  de  l'évéché;  elle 
avait  pour  but  dans  l'origine  de  protéger  l'évéché  et  ses  domaines,  mais  les  com- 
munes elles-mêmes  figuraient  comme  partie  contractante. 

Les  trois  ligues  formèrent  ensuite  entre  elles  une  alliance  qui  remonte  à  l'an  4  454  ; 
mais  ce  ne  fut  qu'en  4474  qu'elle  prit  une  consistance  plus  précise  et  plus  formelle. 
Cette  année-là,  tous  les  seigneurs  laïques  et  ecclésiastiques,  et  les  délégués  des  com- 
munes et  juridictions,  se  réunirent  à  Vazerol,  près  Lenz,  au  centre  du  pays,  et 
jurèrent  une  éternelle  union  des  trois  Ligues  ou  parties  de  la  Rhétie.  Le  but  était  de 
proléger  les  droits  acquis  de  chacun  ;  l'ensemble  des  trois  Ligues  devait  décider  de 
la  paix  et  de  la  guerre  et  des  autres  affaires  importantes;  en  cas  de  conflit  entre 
deux  Ligues,  la  troisième  devait  être  prise  pour  arbitre.  La  Ligue  grise  donna  son 
nom  à  l'alliance  générale  {Graubûndner,  Grisons,  veut  dire  Ligués  gris).  Vers  ce 

1.  Selon  d*aolre8,  Tépoque  de  la  fondation  de  ceUe  ligue  ne  peut  être  précisée  eiactement, 
mais  elle  doit  élre  antérieure  à  Tan  1400. 


3G6  U   SUISSE   PITTOUBSOCK. 


temps,  plusieurs  ramilles  puiss^intes  s  éteignirent,  d'autres  vendirent  leurs  domaines; 
les  communes  profitèrent  de  ces  circonstances  pour  racheter  les  droits  seigiieoriaa\ 
et  s*affranchir  complètement.  C'est  ainsi  que  la  république  des  trois  Ligues  acquit  les 
seigneuries  de  Mayenfeld  et  d'Aspcrmont.  En  l<i76,  les  Grisons  furent  attaqués  par 
le  duc  d'Autriche,  qui  envahit  la  Basse-Engadine  ;  mais  ils  repoussèrent  vigoureu- 
sement Tennemi.  Pendant  la  guerre  deSouabe,  les  Grisons,  qui  s'étaient  alliés  avec 
les  Confédérés  suisses,  combattirent  glorieusement,  surtout  à  la  Makerheide*,  où  une 
petite  troupe,  conduite  par  Fontana,  Rink  et  Lombris,  fit  des  prodiges  de  valeur. 
Aussi,  par  le  traité  de  Bàle  de  1&99,  obtinrent-ils  de  TAutriche  et  de  la  Ligue  de 
Souabe  la  reconnaissance  de  leur  république.  Dans  les  années  suivantes,  les  Grisons 
prirent  part  à  plusieurs  expéditions  en  Italie.  En  4812,  à  la  suite  de  œlle  de  Pavie, 
ils  gagnèrent  la  possession  de  la  Valteline  et  des  pays  de  Bormio  et  de  Chiavenne, 
qui  avaient  autrefois  appartenu  en  grande  partie  à  Tévéché,  et  qui  furent  gouvernés 
dèS'Iors  comme  des  pays  sujets;  il- fut  convenu  que  Tévéché  recevrait  un  quart  des 
revenus.  Par  le  traité  de  1S18,  Tarchiduc  reconnut  les  trois  Ligues  comme  un  Elat 
indépendant  d'une  manière  plus  expresse  encore  que  par  celui  de  4499. 

La  Réforme  trouva  un  aussi  facile  accueil  dans  les  Grisons  que  dans  d'autres 
parties  de  la  Suisse.  Sa  cause  fut  soutenue  particulièrement  par  Salandronius 
(Salzmann),  ami  de  Zwingli  et  de  Vadianus,  et  par  Gomander  (Dorfmann),  qui  fut 
le  premier  antislès  de  Coire  depuis  4524,  et  qui  y  lutta  courageusement  pendant 
trente-trois  années  contre  l'évéché.  Leurs  efforts  furent  appuyés  et  continués  par 
Bûrkii,  Campell,  Gallicius,  Biveron,  etc.,  et  par  plusieurs  émigrés  italiens,  tels  que 
Paul  Vergerio,  ancien  archevêque  de  Capo  d'Istria,  et  qui  fut  pasteur  à  Vioosoprano 
dans  le  val  Bregaglia.  Le  7  janvier  4526  eut  lieu  à  Ilanz  une  conférence  religieuse, 
dans  laquelle  l'avantage  resta  du  côté  de  Gomander;  aussi,  quelques  mois  après,  la 
Diète  de  Davos  décréta- t-elle  une  liberté  générale  de  religion,  et  en  peu  .d'années 
les  deux  tiers  du  pays  eurent  embrassé  la  foi  évangélique.  Un  complot  ourdi  pour 
l'extermination  des  réformés  fut  déjoué,  et  l'abbé  de  St.-Lucius,  ThÀ)dore  Schlegd, 
fut  exécuté  à  Coire  en  4529.  Quelques  disputes  s'étant  élevées  sur  les  dogmes  el 
les  sacrements,  on  institua  en  4537  un  synode  réformé,  lequel,  en  4552,  adopta 
une  Confession  de  foi  rhétienne,  qui  fut  rédigée  par  Gallicius.  Les  Diètes  de  4544  el 
4552  admirent  en  principe  que,  dans  chaque  commune,  la  majorité  devait  décider 
du  maintien  ou  de  l'abolition  de  la  messe.  Après  la  mort  de  l'évéque  Paul  Ziegier, 
qui  s'était  réfugié  hors  des  Grisons,  et  qui  s'était  livré  à  des  menées  dangereuses 
pour  le  pays,  les  Ligues  prirent  des  mesures  pour  qu'un  étranger,  comme  l'était 
Ziegler,  ne  pût  plus  être  élevé  au  poste  épiscopal. 

La  suite  du  siècle  fut  marquée  dans  l'histoire  des  Grisons  par  de  longues  dissen- 
sions intestines,  causées  surtout  par  la  possession  des  pays  sujets,  source  de  cupidité 
et  d'ambition,  et  par  les  alliances  contractées  tour  à  tour,  et  quelquefois  même 
simultanément,  avec  diverses  puissances  étrangères,  Milan,  Venise,  la  France, 
l'Espagne  et  l'Autriche.  Suivant  que  l'emportaient  les  amis  de  telle  ou  telle  puis- 
sance, le  pays  se  trouvait  ballotté  d'un  parti  à  l'autre.  Souvent  la  faction  qui  avait 
momentanément  le  dessus,  établissait  des  tribunaux  extraordinaires,  appelés  à  pour- 


1.  Sur  le  territoire  tyrolien,  à  environ  3  lieues  au  nord  de  Glonrni. 


LA    SUISSE    PITTOKESQt'E.  367 


suivre  les  chefs  de  la  faction  opposée.  Ainsi,  lors  de  la  lutte  du  parti  français  contre 
le  parti  autrichien,  de  1541  à  1551,  ce  dernier  établit  à  Coire,  en  1542,  un  tribunal 
qui  frappa  25  pensionnés  du  parti  français.  En  1550,  la  Dicte  réunie  à  Davos  créa 
une  autre  cour,  qui  prononça  des  peines  très-rigoureuses  contre  un  grand  nombre 
de  citoyens  innocents  ;  une  nouvelle  cour,  qui  fonctionna  h  llanz  en  1551,  cassa 
ces  jugements,  et  la  Diète,  en  même  temps,  interdit  toute  brigue  et  toute  menée. 
Pendant  les  dissensions  qui  se  renouvelèrent  de  1564  à  1574,  la  Diète  de  Davos 
prescrivit,  en  1570,  que  toute  personne  qui  postulerait  une  place  dans  la  Valteline 
devrait  prouver  qu'elle  n'avait  pas  fait  d'intrigues  ou  acheté  des  voix.  Vers  ce 
temps,  Rome  faisait  tous  ses  efforts  pour  combattre  la  Réforme  dans  la  Valteline. 
Cellario,  pasteur  à  Morbegno,  fut  saisi  en  1568,  contre  le  droit  des  gens,  conduit  à 
Rome  et  brûlé;  en  1572,  le  pasteur  de  Mello  fut  tué  en  chaire.  Une  bulle  papale 
donna  à  Jean  Planta,  seigneur  de  RhŒizûns,  pleins  pouvoirs  pour  disposer  de  toutes 
les  places  ecclésiastiques  occupées  par  des  protestants  dans  la  Valteline  et  même 
dans  les  Grisons.  Un  pareil  acte  remplit  d'indignation  tous  les  habitants  des- Ligues, 
quelle  que  fut  leur  confession.  Planta  fut  exécuté  à  Coire  en  1572.  Un  tribunal 
établi  à  Tusis  en  1573  prononça  des  sentences  d'une  extrême  rigueur,  qui  furent 
cassées  par  une  autre  cour,  qui  siégea  à  Coire  la  même  année.  Fatiguées  enfin 
d'une  telle  anarchie,  les  trois  Ligues  votèrent,  en  1574,  une  loi  qui  réglait  la  procé- 
dure à  suivre  contre  ceux  qui  attenteraient  à  la  liberté  du  pays;  on  interdit  aussi 
au  clergé  des  deux  cultes  de  se  mêler  à  l'avenir  de  tous  débats  politiques. 

Des  événements  plus  funestes  encore  signalèrent  le  commencement  du  17*  siècle. 
L'Autriche  et  la  France  se  disputant  la  possession  de  la  Lombardie,  chacune  mettait 
un  grand  prix  à  compter  les  Grisons  comme  alliés.  En  1602,  les  Ligues  conclurent 
une  alliance  avec  Henri  IV,  et  promirent  d'ouvrir  le  passage  de  leurs  montagnes  aux 
armées  françaises,  et  de  les  fermer  aux  troupes  autrichiennes.  Venise,  dont  les  Etats 
confinaient  avec  ceux  des  Ligues  et  séparaient  ainsi  la  Lombardie  des  Etats  autri- 
chiens, conclut  aussi  avec  les  Grisons  une  alliance  de  dix  ans.  De  là,  grande  irri- 
tation de  l'Autriche  et  de  l'Espagne,  et  luttes  intérieures  entre  les  partis.  L'envoyé 
français  dans  les  Grisons  eut  beau  faire  de  grandes  distributions  d'argent  :  il  ne  put 
empêcher  une  partie  du  peuple  de  se  soulever  en  faveur  de  l'Autriche.  Le  gouver- 
neur espagnol  de  Milan,  comte  de  Fuentès,  construisit,  en  1603,  près  de  l'embou- 
chure de  TAdda  dans  le  lac  de  Côme,  une  forteresse  qu'il  appela  par  dérision  le 
Joug  des  Grisons,  et  il  intercepta  tout  commerce.  Des  tribunaux  extraordinaires, 
établis  successivement  à  Coire,  à  Tusis  et  à  Davos,  prononcèrent  l'amende,  l'exil  et 
même  la  peine  capitale  contre  les  chefs  des  partis  qui  leur  étaient  opposés.  La  guerre 
civile  éclata  même  ouvertement  à  Coire,  dans  l'Engadine  et  dans  l'Oberland,  de 
1618  à  1620,  et  l'évéque  Hugi  fut  déposé  et  banni. 

Pendant  la  guerre  de  Trente  ans,  les  Grisons  devinrent  le  théâtre  des  plus  hor- 
ribles scènes.  Les  chefs  de  la  faction  espagnole,  Rodolphe  et  Pompée  Planta,  ne 
pouvant  pardonner  à  leur  patrie  l'exil  dont  ils  avaient  été  frappés,  rentrèrent  en 
1620  dans  la  Valteline  à  la  tête  de  nombreuses  hordes  de  bandits,  qui  massacrèrent 
4  à  500  protestants,  à  Tirano,  Teglio,  Sondrio,  etc.  L'Autriche  fit  aussi  envahir  la 
vallée  de  Munster,  dont  les  habitants  firent  une  défense  opiniâtre  ;  500  réformés  se 
réfugièrent  en  Suisse  ;  3000  Confédérés  et  1500  Grisons  vinrent  combattre  l'ennemi 


368  LA    SUSSE   PITTOIIESQIB. 


en  Vallelinc,  mais  ils  furent  repoussés.  En  revanche,  la  Ligue  grise,  qui  prenait 
parti  pour  TEspagne  et  avait  appelé  des  auxiliaires  des  cantons  catholiques,  fut 
attaquée  par  le  parti  protestant,  et  subit,  près  de  Valendas,  un  échec,  à  la  suite  du- 
quel ses  alliés  se  retirèrent.  Pompée  Planta  fut  massacré.  Une  nouvelle  expédition, 
dirigée  sur  le  pays  de  Bormio  en  1621 ,  fut  sans  résultat,  et  fut  suivi  d'une  invasion 
des  Autrichiens  dans  le  MCinsterthal,  la  Basse-Engadine  et  le  Pnettigau,  qui  eurent 
à  subir  d'affreux  excès;  le  général  Baldiron  s'avança  même  jusqu'à  Mayenleld  et  à 
Coire.  En  même  temps,  le  duc  de  Feria  occupa  Chiavenne  et  le  val  Bregaglia.  La 
plus  grande  partie  du  pays  était  ainsi  au  pouvoir  de  l'ennemi,  et  le  dernier  jour  de 
la  liberté  juraissait  venu  pour  les  Grisons.  C'est  alors  (avril  16i2)  que  le  peuple 
des  juridictions  de  Gastels,  de  Sehiers  et  de  Klosters,  saisissant  les  armes  que  leur 
fournissait  le  désespoir,  et  conduits  par  Ulysse  et  Rodolphe  de  Salis,  par  P.  Guler, 
G.  Jenatsch,  J.  Tschamer  et  d'autres  braves,  attaquèrent  intrépidement  l'ennemi  à 
coups  de  bâton  et  de  massue,  enfermèrent  Baldiron  à  Coire  et  le  forcèrent  à  une 
retraite  honteuse.  Ulysse  de  Salis  marcha  ensuite  vers  l'Engadine,  la  délivra,  et 
même  poursuivit  les  Autrichiens  dans  le  val  Montafoun.  L'indépendance  du  pa\s 
fut  ainsi  sauvée  ;  Salis  peut  être  appelé  le  second  fondateur  de  la  république  rhé- 
tienne.  Mais  le  peuple  se  fui  trop  tôt  à  une  tranquillité  trompeuse  ;  l'ennemi  revint 
avec  des  forces  supérieures,  et  cette  invasion  fut  accompagnée  d'excès  plus  terribles 
encore  que  la  première.  Après  une  résistance  énergique  mais  inutile,  les  plus  braves 
se  réfugièrent  chez  les  Confédérés.  Le  peuple  gémit  de  nouveau  sous  le  joug  le  plus 
|)esant,  et,  pour  surcroît  de  malheur,  l'hiver  de  1622  à  1623  fut  une  époque  de 
disette. 

Les  Grisons  allaient  être  obligés  de  consentir  à  un  démembrement  et  à  la  perte 
de  leur  existence  politique,  lorsqu'ils  furent  sauvés  par  le  cardinal  Richelieu.  Une 
armée  française,  sous  le  maréchal  Cœuvres,  pénétra  dans  les  Grisons  en  même  temps 
qu'un  cx)rps  de  Confédérés  et  une  troupe  de  1100  émigrés,  et  les  Autrichiens  furait 
expulsés.  Le  25  novembre,  les  anciennes  Ligues  avaient  déjà  renouvelé  leur  serment, 
et,  il  faut  l'ajouter  à  leur  louange,  elles  ne  sortirent  point  de  la  limite  du  droit,  et 
respectèrent  tout  ce  qui  avait  appartenu  légalement  à  l'Autriche.  Les  Français  et  les 
Suisses  reconquirent  aussi  les  pays  sujets,  en  février  1628.  Mais,  par  le  traité  de  Mon- 
zone,  du  6  mars  1 626 ,  avec  l'Espagne,  la  France  stipula  que  la  religion  réforméedevrait 
être  exclue  de  ces  provinces  ;  qu'elles  formeraient  un  Etat  distinct,  avec  des  chefe  élus 
|)ar  les  habitants  eux-mêmes,  et  qu'elles  n'auraient  qu'un  tribut  annuel  à  payer  aux 
Grisons.  Ceux-ci  protestèrent,  mais  le  maréchal  livra  ces  pays  et  leurs  places  fortes 
aux  troupes  papales,  et  se  retira,  laissant  aux  trois  Ligues  cette  leçon  :  que  les  petites 
républiques  trouvent  des  maîtres,  quand,  au  jour  de  la  détresse,  elles  invoquent 
l'appui  des  cours  étrangères.  L'infidélité  de  la  France  rendit  des  forces  aux  partisans 
de  l'Autriche,  et  tout  à  coup  40,000  Autrichiens  pénétrèrent  dans  le  pays  par  le 
Luziensteig  et  prirent  partout  de  fortes  positions.  Les  Grisons  furent  forcés  de  nou- 
veau de  consentir  à  des  conditions  qui  menaçaient  leur  liberté  politique  et  religieuse. 
Mais  les  victoires  de  Gustave-Adolphe  et  les  armements  de  la  France  et  des  Conle- 
dérés  déterminèrent  l'empereur  à  faire  la  paix  avec  les  Ligues,  le  19  juin  1631,  et  à 
évacuer  leur  territoire.  Une  armée  française,  commandée  par  le  duc  de  Rohan,  ren- 
forcée de  Suisses  et  de  Grisons,  marcha  sur  la  Valteline  et  battit  sur  tous  les  points 


LA    suisse    PITTORESQUE.  369 


Ifs  Espagnols  et  les  Autrichiens;  toutefois,  la  politique  égoïste  et  perfide  de  la 
France  trompa  encore  une  fois  toutes  les  espérances  des  Grisons:  Rohan  reçut  la 
défense  de  leur  restituer  leurs  anciennes  provinces.  Ce  général  se  retira  bien  malgré 
lui,  et  laissa  aux  principaux  du  peuple  grison  le  soin  de  consolider  Tindépendance 
de  leur  patrie.  Us  ne  purent  atteindre  ce  but  que  par  des  traités  postérieurs  :  l'un 
conclu  avec  l'Espagne  en  1639,  un  autre  avec  TAutriche  en  1641,  et  enfin  par  le 
traité  de  Westplialie  de  1649.  Par  ce  dernier,  rAutriche  consentit  au  rachat  des 
droits  qu'elle  possédait  encore  sur  plusieurs  juridictions  et  sur  la  Basse-Engadine  ; 
mais  par  le  traité  avec  l'Espagne,  les  trois  Ligues  durent  consentir  au  sacrifice  de  la 
liberté  religieuse  dans  les  pays  sujets  ;  les  réformés  qui  y  étaient  propriétaires  ne 
purent  y  résider  que  trois  mois  par  année. 

Dès-lors,  les  provinces  sujettes  continuèrent  à  être  pour  les  Grisons  une  source 
d'abus;  les  charges  étant  vénales  et  données  au  plus  offrant,  les  fonctionnaires 
(levaient  pressurer  les  sujets  pour  rentrer  dans  leurs  déboursés.  Malgré  quelques 
améliorations  opérées  après  la  guerre  de  Trente  ans  dans  la  rédaction  des  lois  et  des 
statuts,  les  lois  criminelles  du  pays  restèrent  extrêmement  imparfaites;  en  outre, 
l'administration  de  la  justice  était  souvent  confiée  à  des  hommes  qui  étaient  dépourvus 
des  lumières  nécessaires.  De  là  sont  résultés  ces  nombreux  procès  de  sorcellerie.  En 
1583,  le  cardinal  Charles  Borromée  avait  déjà  fait  procéder  à  plusieurs  exécutions 
pour  pareil  fait  dans  la  vallée  de  Misocco  ;  de  nouvelles  poursuites  eurent  lieu,  et  des 
sentences  capitales  y  furent  prononcées  encore  en  1613,  puis  en  1656  et  1714, 
contre  des  personnes  de  tout  âge  et  de  tout  sexe.  En  1699  et  1700,  un  grand 
nombre  de  poursuites  semblables  eurent  lieu  aussi  dans  la  juridiction  de  Gruob 
(près  d'ilanz).  En  1718,  la  Diète,  réunie  à  Coire,  fit  rédiger  |>ar  trois  jurisconsultes 
une  Ordonnance  sur  les  maléfices,  extraite  du  Gode  de  la  Caroline  ;  elle  l'approuva  en 
1716,  et  le  recommanda  aux  communes;  mais  l'esprit  d'indépendance  qui  prévalait 
ne  permettait  pas  qu'on  la  leur  imposât  comme  règle.  —  Une  foule  de  jeunes  gens  con- 
tinuèrent à  aller  s'enrôler  au  service  de  diverses  puissances  ;  mais  on  négligent  d'établir 
une  bonne  organisation  militaire  dans  le  pays.  Beaucoup  d'autres  citoyens  allèrent 
exercer  quelque  industrie  à  l'étranger,  comme  on  le  fait  encore  aujourd'hui  ;  mais 
rien  ne  fut  foit  pour  encourager  l'industrie  dans  l'intérieur.  L'emploi  des  revenus 
publics  était  si  mal  entendu,  qu'au  lieu  d'être  appliqués  à  des  objets  d'utilité 
publique,  ils  étaient  répartis  entre  les  communes,  qui  les  partageaient  entre  leurs 
ri^ssortissants.  —  Rome  profita  des  divisions  qui  régnaient  encore  dans  le  pays  pour 
y  faire |)cu  à  peu  divers  envahissements.  Ainsi,  en  1661,  le  nonce  Frédéric  Borromée 
réussit,  au  moyen  de  ses  intrigues,  appuyées  par  les  menaces  de  l'ambassadeur 
J  Autriche,  à  faire  porter  au  siège  épiscopal  Bénédict  de  Rost,  quoique  étranger  aux 
firisons.  Dès-lors,  les  évêques  et  le  chapitre  essayèrent  systématiquement  de  se 
soustraire  à  toute  dépendance  vis-à-vis  de  l'Etat,  et  commencèrent  à  placer  hors  du 
|)ays  les  biens  de  l'évêché,  ce  qui  fut  cause,  par  la  suite,  de  la  perte  de  la  plus  grande 
partie  de  ses  possessions  temporelles.  En  1706,  l'arrivée  de  missionnaires  capucins 
tians  les  vais  Misocco  et  Calanca  y  causa  une  vive  fermentation  ;  le  15  août,  le  land- 
slurm  se  leva  et  chassa  les  capucins  de  toutes  les  paroisses  ;  les  trois  Ligues  leur  inter- 
dirent de  rentrer  dans  le  pays. 

Au  commencement  du  18*  siècle,  la  guerre  de  la  succession  ayant  mis  aux  prises 

11,24  fi'] 


570  la    M.ISSC   mTDRESQi'E. 


I  Autricbe  el  la  FraiHt»  clans  les  plaines  de  la  L<»mb8rdie,  ers  deux  Etats  recher 
ciiërenl  rallianiv  de^  Gri^Mis.  Le>  réformés  inelioaienl  pour  la  Franee,  et  les  i^atbo 
lN|iies  pi>ur  S4»n  adversaire.  La  lutte  des  partis  fui  trî's-vivc.  Malgré  les  prome>N> 
>éduisintes  de  I  Autrii-he,  la  Diète  de  Daviis  déeida  de  rester  neutre;  mais,  en  4707. 
lAnj^leterre  et  la  Hollande  obtinrent  qu'elle  se  prononçât  |N>ur  rAutriehe  et  permit 
à  si*s  trmi|)es  le  |vivni;^*  sur  le  territoire  de  la  république.  La  Franee,  viveoKml 
hles>ét\  liivn^ia  ausNitôt  le^  quinze  ci>mpa;:nies  grisonnes  qu'elle  avait  à  sa  solde. 
Toutef4>is.  en  171%,  l' Autriche  refusa  de  tenir  isi*s  engagements,  et  déclara  nulk> 
loute>  les  p^o^H'^>e^  de  sim  amlKissadeur.  En  1726,  elle  consentit  enfin  à  acermier 
(|uehiues  bu'ilités  oHiitnerciale>  ;  mais  elle  insista  sur  Texpulsion  des  réformés  de  li 
Valteline,  el  Ion  y  pnurda  a\ec  rigueur  au  milieu  de  Thiver  1729.  Aussi  le  parti 
fraiHjais  (MmmeiH;a  t-il  des  poursuites  contre  les  magistrats  qui  avaient  fait  aceept»^ 
un  paœil  traité.  La  guerre  ci\ile  ne  fut  prévenue  que  par  TintervenUon  d'um* 
ambiissiide  suiss^^. 

Vers  la  fin  du  siècle,  la  puis^sante  famille  des  Salis  se  trouvait  à  la  tète  du  parti 
dominiint,  lequel  se  rattachait  à  la  France.  Celaient  cu\  qui  exerçaient  la  tuiute 
pré|n»ndéRiiK'e  dans  le  cImmx  des  officiers  au  service  étranger  et  dans  celui  do^ 
divers  foiuiionnairo  des  Ligues  et  des  bailliages.  Le  |)arli  rival  s'appuyait  sur 
rAutriclie,  et  avait  à  sii  tête  les  Planta,  les  Sprcelier,  les  Tscharncr,  les  Bavier,  etc. 
Les  trois  Ligues  avaient  toujours  refusé  de  recevoir  les  pays  sujets  comme  leun* 
alliés  et  leurs  égaux,  et  axaient  re|K>ussé  toutes  les  propositions  tendant  à  améliorer 
le  régime  stms  le<iuel  ils  étaient  tenus,  entre  autres  une  pro|X)6ition  d'Ulysse  de 
Salis  Marschliiis,  représtMitant  de  la  France,  relative  à  une  réforme  complète  de 
radministnition  de  la  justice  dans  les  bailliages.  L'Autriche,  de  son  côté,  ne  négligeait 
aucune  «K'casit^n  d'inter\enir  dans  les  disputes  qui  s'élevaient  entre  les  souverains  l 
el  les  sujets.  IKH;  que  la  révolution  eut  fait  prévaloir  en  France  les  principes  de 
liberté,  la  Valteline  mit  tout  S4>n  es|)oir  dans  l'intervention  de  cet  Etat.  En  menu* 
lem|)s,  elle  entama  des  nég(H.Mati(ms  avec  le  gouvernement  de  Milan;  oehii-ci  invita 
k^  Ligues  à  une  amférence,  qui  eut  lieu  en  elTet  à  Milan  en  1792,  et  n'eut  aucun 
ivsultal.  Mais,  di»s  que  la  Loinbardie  fut  cKvu|M?e  par  les  Français,  la  Valteline  planlii 
tli^  arbres  de  likMlé,  expulsai  les  employés  grisons,  et,  le  19  juin  1797,  déclara 
refuser  loule  ol)éissiiu*e  aux  trois  Ligues.  Celles-ci  invoquèrent  alors  la  médiation  di* 
Bonaimrte,  el  lui  envoyèrent  une  députalion.  Le  général  français  exigea  que  les 
insurgés  fusMMit  émancipés  el  jouissent  d'une  complète  égalité  de  droit  avec  leurs 
anciens  maîtres.  Les  cHimmunes  se  prononcèrent  en  majorité  pour  racceptalion  de 
n»s  conditions;  mais,  quelques-unes  ayant  donné  des  votes  équivoques,  les  chefs  du 
|Miys  iKTdirenl  du  lemjis  à  les  consulter  de  nouveau,  cl  laissèrent  écouler  le  ternie 
lixé.  Alors  Bona|)arle  annonça,  le  10  octobre,  à  la  Valteline  el  aux  jwys  de  Bonim 
el  de  fihiavenne,  qu'ils  avaient  la  faculté  de  se  joindre  à  la  république  cisalpine. 
Le  22,  celle  république  déclara  que  ces  provinces  faisaient  désormais  partie  inté- 
grante de  son  territoire,  et  les  biens  que  des  Grisons  y  possédaient,  lesquels  s'âo'aienl 
ù  8,000,000  de  livres,  furent  confisqués  comme  caution  pour  les  réclamations 
c|u*elles  avaienl  à  faire  valoir. 

Ces  événcmeiUs  causèrent  une  grande  consternation  dans  les  trois  Ligues;  et  pour 
n'avoir  jms  su  les  prévenir,  les  hommes  les  plus  influents  subirent  Texil  ou  dcîi 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  374 


contiscalions.  La  Suisse,  dont  on  invoqua  l'assistance,  était  trop  agitée  elle-même 
pour  pouvoir  venir  en  aide  à  ses  alliés.  Des  députations  envoyées  à  Milan  et  à  Paris 
IVirenl  éconduites.  Alors  Talleyrand,  ministre  des  affaires  étrangères,  offrit  aux 
députés  l'annexion  des  Grisons  à  la  république  helvétique.  La  Diète  refusa  cette  pro- 
position, et  les  ennemis  de  la  réunion  facilitèrent  l'entrée  d'un  corps  de  20,000  Au- 
trichiens. Alors  les  partisans  de  l'annevion  furent  persécutés;  un  grand  nombre 
d'entre  eux  émigrèrent,  et  leurs  biens  furent  séquestrés;  mais  en  ventôse  1799 
arriva  Masséna  avec  une  armée  française,  qui  fit  prisonnier  le  général  autrichien  et 
une  partie  de  ses  troupes  ;  les  Français  trouvèrent  cependant  une  héroïque  résistance 
dans  le  Pnettigau  et  la  vallée  de  Tavetsch.  Masséna  établit  un  gouvernement  provi- 
soire, qui  entra  aussitôt  en  négociation  avec  le  gouvernement  helvétique,  et,  le 
30  avril  1799,  la  réunion  des  Grisons  à  la  république  helvétique  fut  conclue.  Plus 
de  soixante  pères  de  famille,  pris  parmi  les  chefs  du  parti  opposé,  furent  déportés  ù 
Aarbourg  en  Suisse,  puis  à  Salins:  mesure  funeste,  qui  ne  devait  pas  tarder  h 
amener  des  représailles  ;  car,  à  la  suite  des  échecs  de  Schérer  en  Italie,  et  de  Jourdan 
on  Allemagne,  les  troupes  françaises,  qui  avaient  aussi  à  résister  à  une  insurrection 
dans  l'intérieur,  durent  évacuer  les  Grisons  en  mai  1799,  et  furent  remplacées  par 
celles  de  l'archiduc  Charles.  Ce  dernier  établit  un  nouveau  gouvernement  inté- 
rimaire, et  fit  saisir  arbitrairement  comme  otages  plus  de  90  des  principaux 
citoyens»  qui  furent  transportés  à  Inspruck  et  plus  tard  à  Grœtz.  Il  survint  bientôt 
un  nouveau  changement  de  fortune.  Masséna  défit,  le  2S  septembre,  les  Autrichiens 
et  les  Russes,  et  les  força  à  battre  en  retraite.  Les  Français  les  poursuivirent  au 
milieu  des  montagnes.  Le  gouvernement  provisoire  dul  prendre  la  fuite,  en  laissant 
le  pays  en  proie  à  toutes  les  horreurs  de  la  guerre.  D'après  un  armistice  conclu  en 
juillet  1800,  les  Autrichiens  occupèrent  l'Engadine,  et  leS  Français  les  bords  du  Rhin. 
Le  général  Molitor  établit  un  conseil  de  préfecture  composé  de  six  membres,  et 
nomma  pour  préfet  M.  Gaudenz  de  Planta.  Ce  gouvernement  abolit  l'ancienne 
Constitution,  et  divisa  le  pays  en  neuf  districts,  ce  qui  simplifia  beaucoup  l'admi- 
nistration. Enfin,  le  1**'  décembre  1800,  les  troupes  étrangères  évacuèrent  le  pays, 
pl  tous  les  déportés  rentrèrent  dans  leur  patrie. 

La  paix  de  Lunéville,  en  février  1801,  rendit  au  peuple  grison  la  faculté  de  se 
constituer  comme  il  l'entendrait.  Les  partis  recommencèrent  aussitôt  à  s'agiter. 
L'un  d'eux  réclamait  l'ancienne  Constitution  ;  un  autre  demandait  la  réunion  à  la 
république  cisalpine.  Mais  une  décision  du  Premier  Consul,  du  24  juin,  déjoua  toutes 
les  intrigues,  et  accomplit  les  vœux  de  ceux  qui  désiraient  l'annexion  à  la  Suisse. 
liC  colonel  Andermatt,  envoyé  par  le  gouvernement  helvétique,  arriva  à  Coire  et 
opéra  formellement  cette  annexion.  Ainsi,  après  350  années  d'existence,  la  répu- 
blique des  trois  Ligues  vit  ses  libertés  consolidées  et  garanties  par  une  union  plus 
intime  avec  les  cantons  suisses.  —  En  octobre,  le  gouvernement  helvétique  fut 
renversé,  et  au  printemps  de  1802  une  assemblée  de  notables  nommés  dans  chaque 
canton  proportionnellement  à  la  population,  se  réunit  à  Berne  pour  rédiger  une 
nouvelle  Constitution  helvétique  plus  conforme  aux  mœurs  et  coutumes  de  la  Suisse 
que  celle  qui  avait  été  imposée  en  1798  par  la  France,  et  plus  éloignée  des  idées  de 
mUralisation.  Cette  Constitution,  d'après  laquelle  le  gouvernement  fédéral  se  com- 
imsait  d'un  Conseil  exécutif  et  d'un  Sénat,  n'obtint  pas  la  majorité  dans  les  Grisons. 


372  Uk   $lbe4:   rtTTt«E><KE. 

La  ni«*nie  annér.  rin^jm-itHm  (k>  WaUsU^Ittffi  eul  puur  cunséquenee  la  médialiun 
(lu  KrfmHT  C>»nMj|.  qui  lit  a[»(Hiyer  sa  %i>tonlé  par  une  armée  de  40,000  hommes. 
c(  le  LvrMTjl  H;i|»|i.im\a  i-i»fnroe  |>lt'-ni|vilenliaire  dans  les  Grisons,  où  un  parti  avait 
•l*>i  jwrlr  dt-$i'|i.ir.ih«»n.  Al«»rs.  MM.  FI.  Planta  d  Ulricb  Sprceher  furenl  cnvwés  a 
Paris  miiirm*  d«'>|*uU''s  à  la  Giinsuite  avec  des  pleins  pouvoirs,  et,  d*après  les  conseil 
du  Pn^nikT  0>n^l.  il>  nVligèrent  une  GMisUtutii»n  qui  sse  rapprocbail  beaoeriup  de 
raiH-irnnf»,  mais  é(al»liv>ait  on  pinivcitr  central  plus  (iNrt.  A  la  fin  de  mars  1803,  U 
n4Mj\i*lle  (^^rMiiutitKi  fut  ci»mmuniquée  au  peuple,  el  entra  aussitôt  en  vigueur.  Le 
:?(»uvcm*>fnent  pn»\i>4Mre  fut  remplacé  par  un  P^t  Conseil  permanent,  composé  dei^ 
cliefs  dos  tn»is  Li^rues,  et  la  Uièlc  Tut  convertie  en  un  Grand  Conseil  de  63  membre 
Votant  sans  instniclioas.  En  avril,  ce  Grand  Conseil  envoya  sa  députation  à  la  Diète 
heUélique  sic^vant  à  Fribuurg,  el  adressa  une  lettre  de  remerciements  au  Premier 
Consul. 

Durant  les  années  suivantes,  b  tranquillité  régna  dans  le  pays;  mais,  à  la  suite 
des  «ruerres  et  des  di>sen>ions,  sa  prospérité  était  détruite,  et  le  nouveau  canton  eut 
à  fournir  a^nme  les  autres,  ciiaque  année,  un  certain  nombre  d'hommes  pour  les 
K*î:iments  que  la  Suisse  devait  à  la  France.  Mais  ce  même  peuple,  qui  jadis  recber- 
cliait  avec  tant  d*empressement  les  services  étrangers,  avait  horreur  de  la  conscrip- 
tion. Il  Dallait  que  I  Etal  et  les  communes  payassent  des  primes  très-fortes  pour 
obtenir  des  ennMcments,  et  les  tribunaux  furent  autorisés  à  faire  remise  de  certaines 
peines,  sous  cvindition  que  Ton  partirait  pour  le  service.  Dans  les  dix  années  que  fut 
en  vigueur  TActe  de  Médiation,  Ton  fit  plus  de  progrès  et  d'améliorations  que  pen- 
dant les  trois  siècles  précédents.  Dès  1803,  on  créa  un  Tribunal  d'appel  cantonal; 
en  1804,  une  Ecole  cantonale  et  un  Conseil  scolaire,  un  Conseil  de  santé  cl  un 
corps  de  gendarmes;  en  1805,  on  institua  un  Synode,  et  en  1807  un  Conseil 
ecclésiastique  pour  b  religion  réformée  ;  la  même  année,  la  Commission  d'Etat,  qui, 
pour  les  afiaircs  importantes,  était  adjointe  au  Petit  Conseil  comme  autorité  délibé- 
rante; en  4813,  on  créa  rAdministration  cantonale  des  postes.  Dès  1803  fut  fondée 
une  Société  économique,  qui  chercha  à  introduire  des  améliorations  dans  les  écoles 
el  dans  diverses  branches  d'industrie;  c'est  elle  qui  créa  en  1808  une  Caisse 
d*é|Kirgne. 

Di^  les  premiers  jours  de  1814,  le  Grand  Conseil  déclara  la  Constitution  de  18(^ 
abolie  cl  remplacée  par  celle  qui  était  en  vigueur  avant  1798.  Les  communes  se 
prononcèrent  aussi,  mais  à  une  faible  majorité,  pour  celle  Constitution,  qui  fut  seu- 
lement modifiée  sur  quelques  points.  Toutefois,  ce  ne  fut  qu'en  18i0  que  la  Consti- 
tution fut  complétée  et  déposée  aux  archives  fédérales.  Quant  aux  anciennes  pro 
vinccs  sujettes,  le  Grand  Conseil  avait  décidé,  en  janvier  1814,  d'en  reprenda^ 
|)ossession  ;  mais  le  {ictil  corps  qu'on  envoya  pour  les  occuper  dut  se  retirer  devant 
les  Autrichiens;  el,  d'après  une  décision  des  Congrès,  ces  provinces  furenl  définitive- 
ment perdues  pour  les  Grisons.  Depuis  1814,  le  canton  a  joui  d'une  paix  non  inicr 
rompue.  H  en  a  profité  pour  introduire  de  nombreuses  améliorations  dans  diversfô^ 
branches  de  l'administration;  Ton  a  perfectionné  particulièrement  rinstruction 
publique,  el  Ton  a  crée  d'importantes  voies  de  communication.   Depuis  1830, 
on  a  amélioré  l'organisalion  militaire,  el  créé  la  landwehr,  qui  compte  près  de 
10,000  hommes.  Une  société  d'actionnaires  s'est  formée  en  1831  pour  encourager 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  373 


lexploilalion  de  la  soie;  elle  a  fait  planler  un  grand  nombre  de  mûriers.  Le  eanlon 
resta  parfaitement  calme  à  répoque  si  agitée  qui  suivit  la  révolution  de  1830;  car 
il  n*y  avait  dans  le  pays  aucune  aristocratie  à  renverser,  ni  aucune  ville  possédant 
des  privilèges,  et  la  Constitution  contenait  peu  de  restrictions  de  la  souveraineté 
populaire.  On  ne  fit  donc  que  quelques  réformes  de  détail.  Quant  à  la  révision  de  la 
Constitution  fédérale,  le  canton  ne  s'y  opposa  point,  mais  il  se  prononça  toujours 
pour  la  voie  de  la  modération  et  de  la  justice,  soit  dans  les  affaires  de  Bàle  et 
de  Schwytz,  soit  dans  les  questions  religieuses  qui  surgirent  plus  tard.  —  On  avait 
en  1824  célébré  à  Trons  le  quatrième  jubilé  séculaire  de  la  fondation  de  la  Ligne 
grise;  les  10  et  11  juillet  1836,  une  solennité  semblable  eut  lieu  à  Davos  pour  rap- 
peler celle  de  la  Idgiie  des  Dix-Juridiclions, 

Constitution.  —  D'après  la  Constitution  de  1820,  le  canton  des  Grisons  a  con- 
servé sa  division  en  trois  Ligœs;  celles-ci  se  divisent  en  26  hautes  juridictions  et 
justices  {Hochgerichle  et  Gerichte),  lesquelles  constituent  autant  de  petites  répu- 
bliques ayant  des  lois  et  des  Constitutions  plus  ou  moins  différentes  entre  elles,  et 
représentent  ainsi  une  démocratie  fédérative.  La  souveraineté  de  cette  confédé- 
ration repose  dans  la  totalité  des  communes,  se  prononçant  par  la  majorité  des 
opinions  légalement  recueillies.  Les  juridictions  nomment  leui^  magistrats  et  les 
autorités  chargées  de  l'administration  de  la  police  et  des  intérêts  communaux;  elles 
rendent  les  ordonnances  nécessaires,  lesquelles  ne  doivent  jamais  se  trouver  en 
opposition  avec  les  lois  générales  du  canton,  ni  avec  les  droits  de  propriété  d'un 
tiers.  Elles  nomment  leurs  membres  au  Grand  Conseil  parmi  tous  les  citoyens  de 
leur  juridiction,  et  ont  le  droit  de  délibérer  sur  les  lois  civiles,  traités  et  alliances 
politiques  qui  leur  sont  présentés  par  les  autorités  supéiieures.  Chaque  juridiction 
est  libre  de  modifier  plus  ou  moins  sa  constitution,  si  les  trois  quarts  de  ses  citoyens 
s'accordent  c^  ce  sujet,  et  sous  la  réserve  que  la  modification  ne  soit  pas  contraire 
aux  lois  du  canton,  et  qu'elle  ait  été  présentée  au  Grand  Conseil. 

Les  autorités  cantonales  sont  :  Un  Grand  Comeil,  composé  de  6S  membres,  qui 
restent  au  moins  une  année  en  place  et  peuvent  être  réélus.  (Ce  nombre  a  été 
porté  postérieurement  à  66,  puis  à  67  dès  1851.)  Les  membres  du  Petit  Conseil 
assistent  aux  séances  avec  voix  consultative.  Il  est  l'autorité  administrative  et  de 
police;  il  délibère  sur  les  lois,  les  traités  et  alliances,  qui  sont  ensuite  soumis  à  la 
sanction  des  communes  ;  il  nomme  les  fonctionnaires,  et  se  fait  rendre  compte  de  leur 
gestion  ;  il  juge  les  différends  des  communes.  —  Une  Commissim  d'Etat,  composée  de 
9  membres,  nommés  par  le  Grand  Conseil,  pour  discuter  préalablement  les  objets  qui 
doivent  lui  être  soumis,  pour  s'occuper  des  affaires  importantes  du  gouvernement,  et 
prendre  un  parti  dans  les  circonstances  majeures  et  urgentes  où  le  Grand  Conseil  ne 
peut  être  convoqué.  —  Un  Petit  Conseil,  composé  de  trois  membres,  pris  dans  chaque 
Ligue,  qui  gère  les  affaires  journalières  du  gouvernement,  assure  l'exécution  des 
décrets  rendus  par  le  Grand  Conseil  et  les  autorités  fédérales,  etc.  Ses  membres  sont 
rééligibles  au  bout  d'un  an,  mais  ne  peuvent  rester  plus  de  deux  ans  consécutifs  en 
place.  Dans  chaque  Ligue  il  y  a  un  Stalthalter,  qui  est  d'office  membre  de  la  Commis- 
sion d'Etat  ;  en  cas  d'absence  prolongée  d'un  membre  du  Petit  Conseil ,  le  Slatthalter 

1.  Les  prérogatives  des  juridictions  ont  dû  subir  quelques  restricUons,  par  suite  de  la  nouvelle 
Constitution  fédérale  de  1848. 


374  LA    SUISSE   PITTORESQrE. 


de  la  même  Ligue  esl  appelé  à  le  remplacer.  —  Un  Tribmml  r/'/yi/W  canUmal,  airo- 
posé  de  9  jug(*s,  connaît  en  dernier  ressort  des  caust^  les  plus  importantes.  Des  cours 
d'appel  |M)ur  les  aiïaires  minimes  peuvent  être  établies  par  une  ou  plusieurs  juri- 
dictions réunies. 

On  exerce  les  droits  de  citoyen  actif  dès  qu'on  esl  entré  dans  sa  47*  année:  mai'^ 
on  n'est  éligihle  aux  fonctions  c4intonales  qu*à  Tàge  de  20  ans  accomplis.  Tout 
c*iloyen  est  tenu  au  siTviœ  militaire  dés  TAge  de  4  6  ans  accomplis  à  celui  de  GO  ans. 
Les  religions  réformw  et  catholique  sont  reconnues  par  TEtat.  —  Le  changemeni 
d'une  loi  ou  d'un  décret  du  Grand  (lonst^il  ne  |)cut  avoir  lieu  qu'après  un  an  depuisque 
la  proposition  en  a  été  faite,  à  moins  que  les  deux  tiers  des  membres  du  Grand  (lonseil 
ne  déci^étenl  Turgence,  et  que  la  (Commission  d'Etal  n'en  ail  mùremenl  délibén''. 
Aucun  changemeni  de  loi  ne  peut  s'opérer  que  par  la  sanction  des  Conseils  el  com- 
munes. Aucun  changemeni  de  Conslitulion  ne  peut  être  décrété  que  par  les  deux  lier» 
des  votes  communaux.  —  On  comprend  qu'avec  ce  mode  de  révision,  on  n'a  pas  à 
redouter  des  modifications  trop  précipitées. 

Cl'ltes  et  Population.  —  D'après  le  recensement  fédéral  de  4850,  la  population 
totale  du  canton  était  de  89,895  habilants,  qui  se  divisaient  en  54,855  réformés, 
38,039  catholiques  el  4  israélite.  Les  tableaux  officiels  portent  qu'en  4858  cette 
|)opulation  avait  été  de  8&,506;  qu'ainsi  l'augmentalion  dans  douze  ans  avaîlétédo 
5389.  On  lil  ce|)endanl  dans  la  Description  statistique  par  Rœder  el  Tscharner,  de 
4838,  que  d'après  un  recensement  de  4835  (qui  comprenait  sans  doute  un  grand 
nombre  d'individus  absents),  la  population  s'élevait  à  95,059  habilanls,  répartis 
comme  suit  : 


Liga. 

Uiw 

Ligue  B^ÎM. 

de  la  Htiton.DUu. 

<lu  Dii-Jnridictieu. 

T.ut 

Réformés.     . 

14,327 

24,478 

48,383 

57,488 

(Catholiques  . 

24,103 

42,014 

4,757 

37,871 

38,430        36,489        20,440        95,059 

On  voit  que  dans  la  Ligue  grise  les  catholiques  dominent;  ce  sont  les  vallées 
de  Safien,  de  Schams,  de  Rhein>vald,  qui  professent  le  culte  réformé,  ainsi  que 
la  ville  d'Ilanz,  le  bourg  de  Tusis,  les  villages  du  mont  Heinzenberg,  et  quelques 
autres  des  bords  du  Rhin,  entre  Ilanz  el  Ems.  Quant  aux  habitants  des  vallées  de 
Sumvix,  de  Medels,  de  Lugnetz,  de  Misocco,  de  Galanca,  et  de  la  ])arUe  supérieure 
de  la  vallée  du  Rhin  antérieur,  ils  professent  la  religion  catholique.  Dans  la  Ligue 
de  la  Maison-Dieu,  c'est  le  culte  réformé  qui  domine;  les  catholiques  y  habitent  la 
vallée  d'OberhaIbstein,  partie  de  celles  de  l'Albula  et  de  Poschiavo,  les  communes 
de  Samnaun  au  nord  de  la  Basse-Engadinc,  de  Sanla-Maria  dans  le  Mûnsterthal,  etc.: 
il  y  a  aussi  près  d'un  millier  de  catholiques  à  Coire.  Les  protestants  habitent  TEnga- 
dine,  le  val  Bregaglia,  la  vallée  d'Avers  et  celle  de  Goire.  Quant  à  la  Ligue  des  Dix- 
Juridictions,  elle  est  en  grande  majorité  protestante  ;  les  catholiques  ne  s'y  trouvenl 
que  dans  quelques  villages,  tels  que  Lenz,  Brienz,  Alveneu,  etc.  On  compte  dans  lo 
canton  423  paroisses  réformées,  80  catholiques,  et  8  mixtes  ou  ayant  un  desservant 
de  chaque  culte. 

Le  Grand  Conseil  esl  partagé  en  deux  collèges  confessionnels,  qu'on  nomme  la 
Sefinimi  kamjèUiim  el  le  Cjorps  vathiAiqHe  (corpus  catholicum).  Le  Collège  évangéliquc 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  57S 


a  la  surveillance  sur  les  affaires  ecclésiastiques  et  fait  les  projets  de  loi  qui  y  sont 
relatifs,  lesquels  sont  soumis  à  l'approbation  des  communes.  Le  Corps  catholique  a 
la  surveillance  sur  les  |)ossessions  de  Févèché,  dont  Tadministration  appartient  en 
certains  cas  au  Grand  Conseil  tout  entier.  —  Le  clergé  protestant  de  chaque  Ligue 
tient  chaque  année  un  Synode,  où  Ton  traite  des  affaires  ecclésiastiques.  Chaque 
Synode  a  son  doyen,  qui  est  élu  par  le  Synode  général  des  trois  Ligues.  Ce  Synode 
évangélique  se  compose  de  tous  les  ecclésiastiques  du  culte  réformé  et  de  trois 
assesseurs  laïques  choisis  par  le  Collège  évangéliqUe.  il  fait  des  propositions  au  Grand 
Conseil  sur  les  affaires  extérieures  de  TEglise.  Il  y  a  en  outre  un  Conseil  d'Eglise* 
évangélique,  placé  immédiatement  sous  l'autorité  du  Gouvernement  ;  il  est  chargé 
de  l'exécution  des  lois  et  de  la  direction  des  affaires  ecclésiastiques.  Les  pasteurs 
réformés  sont  mal  payés,  et  leurs  habitations  sont  très-modestes.  —  Le  clergé  catho- 
li([ue  se  divise  en  quatre  chapitres,  et  relève  de  l'évéque  de  Coire.  (Quelques  paroisses 
ce|)endant  relèvent  de  celui  de  Côme.)  il  n'y  a  pas  de  Synode  catholique  ni  de  Con- 
seil d'Eglise:  la  cour  de  l'évéque  les  remplace.  —  En  1824,  une  bulle  papale  avait 
institué  le  double  évèché  de  Coire  et  de  &iint-Gall,  malgré  les  protestations  du 
Gouvernement  et  du  Grand  Conseil  des  Grisons,  et  Tévéque  Charles-Rodolphe  de  Buol 
avait  pris  possession  du  diocèse  de  Saint-Gall.  Le  7  juillet  1824,  sur  la  demande  du 
Collège  catholique,  le  Grand  Conseil  refusa  de  reconnaître  ce  double  évéché,  et  décida 
que,  dans  le  cas  de  vacance  future,  le  sé(iuestre  serait  mis  sur  la  résidence  et  tous 
les  biens  temporels  de  l'évéché.  Ce  décret  fut  mis  à  exécution  après  la  mort  de 
Tévêque  en  1833.  Le  vicaire  du  chapitre,  J. -George  Bossi,  fut  appelé  en  1835,  par 
une  bulle  de  Rome,  à  la  dignité  épiscopale;  mais  ce  nouveau  prélat,  bien  que  déjà 
sacré  par  le  nonce  à  Einsiedeln,  ne  fut  pas  reconnu  par  le  Gouvernement  grison. 
Cette  résistance,  jointe  à  celle  des  autorités  catholiques  de  Saint-Gall,  décida  enfin 
le  i)ape  à  dissoudre  le  double  évéché  par  un  bref  de  1836,  et  l'évéque  Bossi  fut 
alors  reconnu  et  mis  en  possession  de  la  résidence  et  des  propriétés  épiscopales.  — 
Les  pasteurs  et  les  curés  sont  nommés  par  les  communes,  et  peuvent  être  renvoyés  par 
elles,  s'ils  ne  leur  sont  pas  agréables.  —  Il  existe  encore  quatre  couvents  dans  le 
canton  :  celui  des  bénédictins  de  Disentis,  remontant  à  l'an  614  ;  celui  des  domini- 
caines de  Katzis,  aussi  très-ancien  ;  celui  des  bénédictines  de  Munster,  qui  date 
environ  de  l'an  800  ;  enfin  un  couvent  de  femmes  à  Poschiavo. 

Instruction  publique.  —  Les  écoles  étaient  autrefois  sous  la  seule  surveillance 
Jes  autorités  locales.  Deux  sociétés  scolaires,  l'une  évangélique,  fondée  en  1827, 
et  l'autre  catholique,  fondée  en  1833,  avaient  réussi  à  introduire  diverses  réformes, 
lorsque,  en  1838,  le  Grand  Conseil  institua  un  Conseil  d'éducation  cantonal,  chargé 
de  diriger  les  écoles  élémentaires  des  deux  confessions;  ce  Conseil  était  composé  de 
trois  membres,  dont  un  catholique,  et  de  deux  suppléants,  Tun  réformé  et  l'autre 
catholique.  Dès-lors,  on  a  introduit  plus  d'ordre  et  d'ensemble  dans  l'organisation 
des  écoles,  quoiqu'il  y  ait  eu  de  grandes  difficultés  à  vaincre  par  suite  de  l'indépen- 
dance des  communes.  Un  nouveau  pas  vers  la  centraUsation  a  été  fait  en  1843.  On 
avait  créé  à  Coire,  en  1804,  un  gymnase  ou  école  cantonale  réformée;  et  quelques 
années  après,  une  école  cantonale  catholique  avait  été  instituée  dans  l'ancien  cou- 
vent de  St.-Lucius,  où  existait  déjà  un  séminaire.  Mais,  dans  cette  dernière  école, 
Tinslruclion  avait  été  dirigée  exclusivement  en  vue  d'élever  de  futurs  séminaristes. 


376  LA  srisse  pittorksqie. 


et  Von  y  néjîli/^eail  complètomenl  Téducalion  en  vue  de  la  vie  civile  ;  aussi  beaucoup 
(Je  jeunes  (^ens  allaient-ils  faire  à  Télranger  leurs  éludes  de  gymnase.  C'est  ce  qui 
décida  le  Grand  Conseil,  en  1832,  à  transporter  à  Oisenlis  cette  école  catholique, 
pour  la  soustraire  à  Tinfluence  épiscopalc  :  mais  un  autre  inconvénient,  celui  de  la 
distance,  se  Taisant  scnlir,  on  la  transféra  de  nouveau  è  St. -Lucius,  en  I8&2.  L'évéque 
ayant  cherché  alors  h  la  replaaT  encore  sous  sa  direction,  le  Grand  Conseil  jugea 
convenable  d'instituer  un  Oinseil  d'éducation  cantonal,  charge  de  diriger  soit  lis 
écoles  élémentaires,  soit  les  élablisscments  supérieurs  des  deux  confessions.  Ce  Cun 
seil  a  remplacé  celui  créé  en  1838  |)our  la  surveillance  des  écoles  élémentaire.^, 
ainsi  que  les  deux  autorités  sfiécialcs  qui  étaient  précédemment  chargées  de  sur 
veiller  les  écoles  cantonales.  Il  est  composé  de  neuf  membres  et  d'autant  de  sup 
pléants  ;  les  deux  tiers  sont  évangéliques.  Depuis  1851 ,  les  deux  gymnases  spéciaui^. 
protestant  et  catholique,  ont  été  remplacés  |)ar  un  gymnase  cantonal  unique,  institué 
à  Coire.  Il  existe  en  outre  un  s(*minairc  de  régents  réformés.  Nous  devons  mention 
ner  aussi  deux  instituts  |)articuliers  d'éducation,  qui  ont  joui  d'une  réputation  mé 
ritée  :  celui  qui  fui  créé  en  1761  à  llaldenstein  par  MM.  Nesemann  el  Martin  Planta, 
puis  trans|M)rté  au  château  de  Marschlins,  en  1770,  et  dans  lequel  ont  été  élevés 
plusieurs  hommes  distingués  de  divers  pays  ;  et  celui  que  le  bourgmestre  Tscbarner 
de  Coire  fonda,  vers  la  fin  du  siècle,  à  Reichenau,  et  qui  servit  |)endant  quelque 
temps  d'asile  au  duc  de  Chartres  (Louis-Philip|)c  d'Orléans,  roi  des  Français). 

Langages.  —  Sur  100  habitants  des  Grisons,  38  ont  pour  langue  maternelle  I  al 
lemand,  13  l'italien,  et  49  le  roman  ou  romanche.  D'après  le  recensement  dont  nous 
avons  |)arlé  ci-dessus,  et  qui  fiorlail  à  95,059  la  {H)pulation  totale  du  canton,  voici 
comment  les  trois  Ligues  se  {larlagenl  sous  le  rapport  des  langages  : 


Lifuc 

Ligue 

Lieue  çj\*t 

rie  la  MiÏMm-Dieu 

lies  Dil-Jlirirfkliaat 

Tol.1 

Allemands.     . 

6,5K2 

40,806 

18,779 

36,197 

Romanches     . 

26,050 

19,585 

4,361 

46,994 

Italiens. 

5,828 

6,040 

0 

44,868 

38,430        36,489        20,140       95,059 

Ija  population  italienne  habite  les  vallées  de  Misocco,  de  Calanca,  de  Bregaglia  et 
de  Poschiavo;  les  Allemands  habitent  les  vallées  de  Vais,  de  Safien,  de  Rlieinwald. 
d'Avers,  de  Davos,  de  PraHtigau  el  de  Coire.  Aux  Romanches  api)artient  le  reste  du 
canton,  c'esl-à-dire  la  |)artie  la  plus  occidentale,  comprenant  les  vallées  de  Medels. 
(le  Sumvix,  de  Lugnetz,  et  TOberland  au-dessus  d'ihuiz,  el  en  outre  celles  de 
Scliams,  d'OI)erhall)stein,  de  TAIbula*  l'Engadine  et  le  Mlinsterlhal.  Dans  la  vallée 
(le  Domlcscbg  et  dans  celle  du  Rhin  entre  llanz  et  Coire,  les  Allemands  et  les  Ro 
manches  se  trouvent  mélangés;  Tusis  et  les  villages  de  Masein,  de  Tschapina,  de 
Versam,  de  Valendas,  el  même  celui  d'OI)ersax,  à  l'ouest  d'Ilanz,  parlent  allemand 

Nous  avons  déjà  dit  quelques  mots  (page  49)  au  sujet  de  la  langue  romanche  et 
(le  ses  rapports  remarquables,  soit  avet^  l'ancien  langage  du  |)euplc  romain  [lingm 
romana  rusliva),  soil  avec  les  dialectes  provençal  et  catalan;  quant  à  ses  rapports 
avec  le  langage  étrusque,  ils  se  l)ornent  à  une  certaine  quantité  de  noms  de  localités 
élrus<]ucs  ou  ombriennes,  qui  se  retrouvent  presque  exactement  semblables  dans  la 
Rhélie  (voyez  ci  dessus).  Cette  langue  est  très-harmonieuse;  elle  se  divise  en  deux 


LA    SUISSE    PITTORiilSQUE.  VJl 


dialectes  principaux  :  ie  romanche  de  TOberland,  qui  se  subdivise  en  quatre  sous- 
dialectes,  et  le  romanche  de  TEngadine,  qu'on  appelle  aussi  le  ladin,  et  qui  com- 
prend deux  sous-dialectes,  celui  de  la  Haute  et  celui  de  la  Basse-Engadine.  Le  dia- 
lecte d'Oberhalbstein  est  un  milieu  entre  celui  de  TOberland  et  celui  de  TEngadine. 
Le  dictionnaire  romanche  du  pasteur  Conradi,  dont  nous  avons  parlé,  se  rapporte 
principalement  au  dialecte  de  TOberland,  qui  est  mélangé  surtout  de  mots  allemands, 
tandis  que  le  laiin  s'est  enrichi  plutôt  de  mots  italiens.  Il  a  existé  longtemps  une 
imprimerie  à  Schuols,  dans  la  Basse-Engadine;  une  autre  fut  établie  à  Célérina, 
dans  la  Haute-Engadine.  Outre  la  traduction  romanche  de  la  Bible,  qui  fut  imprimée 
à  Schuols  dans  le  il^  siècle,  il  est  sorti  de  rimprimerie  de  ce  village  un  assez  grand 
nombre  d'ouvrages  religieux  en  langue  romanche.  Bien  que  l'allemand  ne  soit  pas 
Tunique  langue  officielle  des  Grisons,  cependant,  par  suite  du  voisinage  de  l'Alle- 
magne et  de  la  Suisse  allemande,  et  des  rapports  fréquents  avec  la  Confédération  et 
avec  le  chef-lieu  (Coire),  qui  parle  allemand,  cette  langue  a  une  tendance  à  se 
répandre  toujours  plus  dans  le  pays.  On  l'entend  assez  généralement  dans  les  au- 
berges des  villages  romanches.  11  n'y  a  qu'un  siècle,  à  ce  qu'on  assure,  que  les 
habitants  de  la  vallée  de  Schalfick  parlaient  encore  le  romanche,  tandis  qu'ils  ne 
|)arlent  plus  aujourd'hui  que  l'allemand. 

Commerce,  Industrie,  Agriculture.  —  On  trouve  dans  le  canton  très-peu  d'in- 
dustries proprement  dites;  les  gros  métiers  ne  sont  exercés  que  par  des  étrangers. 
La  |)opulatiGn  du  pays  se  voue  presque  exclusivement  à  l'élève  du  bétail  et  à  l'éco- 
nomie alpestre,  ainsi  qu'à  l'agriculture.  On  compte  dans  le  canton  environ  80,000 
Wtes  à  cornes,  entre  autres  38,000  vaches;  la  plus  belle  race  est  celle  de  Prœtti- 
fe'au,  de  la  vallée  de  Schalfick  et  du  mont  Heinzenberg.  On  exporte  en  Italie  un 
grand  nombre  de  vaches,  surtout  les  brunes  et  les  noires,  parce  qu'elles  sont  moins 
sujettes  à  être  piquées  par  les  mouches  ;  on  y  vend  aussi  des  bœufe  et  des  veaux 
de  couleur  claire,  parce  qu'ils  sont  plus  faciles  à  engraisser.  On  ne  se  donne  pas 
même  la  peine  d'engraisser  les  bœufs  nécessaires  à  la  consommation  du  pays:  on  en 
fait  venir  à  cet  effet  des  cantons  de  St.-Gall  et  de  Thurgovie.  On  fabrique  dans  la 
Haute-Engadine  plus  de  fromages  gras  que  dans  toute  autre  contrée  du  canton;  ces 
fromages  deviennent  mous  et  d'un  goût  approchant  du  gruyère  ;  ils  sont  très-estimés, 
cl  l'on  en  exporte  beaucoup,  surtout  en  Italie.  Il  n'existe  pas  de  vallée  dans  les  Alpes 
où  Ton  ait  pris  des  mesures  aussi  efficaces  que  dans  cette  vallée  pour  empêcher  la 
fraude  dans  la  fabrication  des  fromages  qu'on  livre  au  commerce.  Une  ordonnance» 
qui  date  de  1S63,  défend  non-seulement  de  fabriquer  sans  permission  des  fromages 
niaigres  ou  mi-gras,  mais,  afin  d'augmenter  encore  la  confiance  des  acheteurs  et  de 
prévenir  toute  tromperie  dans  la  vente,  les  fruitiers  sont  tous  assermentés. 

Quelques  communes  de  l'Oberland,  du  Piœltigau  et  du  Rheinwald  élèvent  des 
chevaux  ;  la  meilleure  race  est  celle  du  Praettigau.  On  fait  venir  pour  le  service  de 
la  jK)ste  et  les  charrois  beaucoup  de  chevaux  de  Bavière  et  du  Wurtemberg  ;  mais 
les  eaux  très-froides  et  le  foin  de  montagne  leur  causent  souvent  des  maladies.  Il  y 
a  aussi  dans  le  canton  près  de  70,000  chèvres,  26,000  porcs,  et  60  à  70,000  mou- 
lons. Vu  les  grands  dommages  que  cet  animal  cause  dans  les  forêts,  quelques  com- 
munes ont  limité  le  nombre  de  chèvres  que  chaque  ménage  peut  i)osséder  ;  quelques 
autres  en  ont  même  complètement  interdit  la  possession.  On  a  fait  depuis  80  ans 


378  LA    S1.IS8C   PfTTOUfSi^'e. 


A^p>sai^  priiir  intmdtiire  d<*s  moulins  mônn4it>:  |irHjr  di^ftses  i-aus*?.  ils  n't»nt  j..^ 
mivsi.  La  nice  indip^ne  osl  p(*lite.  inai>  elle  Amiie  uiie  chair  exirllenle  :  quani  a  >< 
laine,  elle  esl  ;rn»^siê^e;  chaque  moutim  en  d«»nne  lnH>  à  quatre  livres  en  «kiix 
tanli-s.  l'ne  linniM»  |iarlie  A-s  |iàlura;!e:^  des  vailêt<sde  Misnt.»,  de  Bregagiia,  de  T»»- 
chiavo  el  de  rEn;:adiiK\  et  m^me  quelques  uns  des  \allêe>  du  Rhein^aM.  dAvrh 
et  de  Stalla,  s^mt  loués  en  été  à  des  lier^rers  liergamaMjues,  qui  j  amènent  eoMi  «n 
4S,0()0  moutons,  dont  la  race  est  plus  grande  que  ve\W  du  pa\s.  et  qui  d«»nneDl  n  |i 
à  huit  livn*s  de  laine  f^rossière:  mais  leur  chair  n'est  pas  savoureuse.  Les  Ber::a 
mas(|U4*s  emploient  le  lait  de  hrehis  à  faire  des  fromagt's  gras,  mais  ils  le  mêlent  <iwi 
du  lait  àe  %ache  el  de  chèvre;  leurs  fnimap's  valent  à  peu  près  le  double  di*s  fp» 
magt's  gras  de  TEngadine  :  ces  Italiens  apportent  en  général  dans  celte  manulen 
lion  plus  d'habileté  et  d*cc«)nomic  que  les  bergers  gris4tns. 

Quant  à  Tagriculture,  elle  n'a  p«is  reçu  toute  l'extension  ni  tous  les  perfecli^MitM 
ments  désirables.  On  attribue  cela  à  plusieurs  caus4^,  en  particulier  au  dr(Ml  «W 
|»àlure  (  Weifhjang  ),  qui  existe  cnc4)re  en  divers  lieux,  el  qui  impost^  à  loul  pn»pnc 
taire  Tobligation  de  tolérer  que  les  bourgeois  de  la  commune  fassent  paître  leui> 
lroup(*aux  en  automne,  el  dans  quelques  endroits-aussi  au  printemps,  sur  toutes  le> 
terres  qu'il  n'a  pas  été  autorisé  à  clAturer.  Q*ltc  charge  Tempéche  de  convertir 
librement  ses  prés  en  champs  ou  en  vergers,  ou  même  en  prairies  artificielles.  E« 
outre,  on  observe  chez  les  Grisons  un  défaut  d'activité  et  un  esprit  de  routine  qui 
approchent  presque  de  la  paresse.  Les  gens  qui  ont  gagné  de  l'argent  à  l'étrangtT, 
el  qui  achètent  des  ternes  dans  leur  pays,  n'ont  pas  les  connaissances  nécessain> 
pur  gérer  convenablement  leurs  propriétés.  Une  grande  partie  des  terres  du  canton 
sont  en  pâturages  ou  en  prés,  mais  les  soins  que  demande  cette  culture  ne  sont  |w> 
(Mirtout  bien  entendus.  L'irrigation  est  faite  avec  intelligence  dans  quelques  valfc. 
telles  que  le  Pnettigau  et  la  vallée  du  Rhin  antérieur;  ailleurs  elle  est  plus  ou  Dv>iib 
négligée;  c'(*sl  le  cas  dans  une  partie  de  l'Engadine  et  de  la  vallée  de  Misocco.  —  ^Hi 
ne  réc4>ltc  guère  dans  le  canton  que  la  moitié  du  blé  nécessaire  à  sa  consommation: 
la  Bassc-Engadinc  est  la  seule  contrée  qui  en  exporte.  On  cultive  aussi  dans  le  pay> 
une  certaine  quantité  de  pommes  de  terre,  et  dans  quelques  endroits  du  lin,  du 
chanvre  et  des  légumes,  etc.  On  sèche  une  partie  des  fruits  que  l'on  récolte  dans  b 
Imsscs  vallées,  tels  que  poires,  pommes,  prunes,  cerises  ;  on  fabrique  aussi  des  eaux 
de-vie  et  des  eaux  de  cerises.  La  vigne  croît  dans  la  vallée  de  Misocco,  de  Cabiol" 
jusqu'à  la  frontière  du  Tessin  ;  elle  esl  disposée  en  treille  ou  monte  le  long  des  arbres; 
le  vin  rouge  qu'elle  produit  est  beaucoup  moins  estimé  que  les  vins  de  la  Valteline. 
Ce  sont  aussi  presque  exclusivement  des  plants  de  rouge  que  l'on  cultive  dans  la 
vallée  qui  s'étend  de  Coire  au  Luzicnslelg.  Les  positions  les  plus  favorables  produisent 
un  des  meilleurs  vins  de  la  Suisse;  mais  le  plus  renommé  est  un  vin  blanc  quVn 
nomme  vin  de  Compléter,  et  qui  croît  près  de  Malans.  Les  vins  grisons  ne  iieuvenl 
guère  se  conserver  plus  de  trois  ans.  —  L'exploitation  des  abeilles  n'a  pas  une 
grande  extension;  cependant  quelques-unes  des  vallées  hautes  produisent  de  Irès-bon 
miel  de  couleur  claire.  On  récolle  depuis  un  certain  nombre  d'années  une  assez  grande 
quantité  de  soie  dans  le  Bas-Misocco.  Une  société  d'aclionnaires,  créée  en  1831,  a 
introduit  une  pareille  exploitation  près  de  Maycnfeld  ;  elle  possédait  en  1838  environ 
4000  mûriers  ;  la  soie  qu'elle  récolle  l'emporte  en  finesse  et  en  élasticité  sur  la  soie 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  379 


italienne.  Les  habitants  du  Prœltigau  élèvent,  dans  des  enclos  faits  exprès,  des  escar- 
gots, que  Ton  vend  ensuite  aux  Italiens,  qui  s'en  servent  comme  nourriture  en  temps 
(le  carême. 

Tandis  que  divers  métiers  sont  exercés  par  des  étrangers,  que  beaucoup  de  pâtu- 
rages sont  loués  à  des  bergers  bergamasques,  et  que  même  il  vient  du  Tyrol  une 
foule  d'ouvriers  travailler  dans  TEngadine  au  temps  des  fenaisons,  un  grand  nombre 
(les  habitants  des  vais  Misocco,  Calanca,  Bregaglia  et  Poschiavo,  de  TEngadine  et  du 
Mûnsterthal,  émigrent  très-jeunes  et  se  rendent  dans  tous  les  pays  de  l'Europe,  et 
môme  hors  d'Europe;  ceux  de  l'Engadine  y  exercent  de  préférence  les  métiers  de 
(*onfiseur,  pâtissier,  cafetier,  liquoriste  et  fabricant  de  chocolat.  Quand,  par  leur  acti- 
vité et  leur  économie,  ils  ont  amassé  une  petite  fortune,  la  plupart  cèdent  leurs 
établissements  à  de  plus  jeunes  compatriotes,  et  reviennent  passer  la  fin  de  leurs 
jours  dans  leurs  vallées.  D'après  le  recensement  de  1880,  le  nombre  des  Grisons 
absents  du  pays  est  évalué  à  40,142,  dont  7391  hommes  et  2751  femmes.  La  popu- 
lation étant  d'environ  90,000  âmes,  les  absents  se  trouvent  dans  la  proportion  d'un 
à  neuf,  c'est-à-dire  qu'ils  forment  la  dixième  partie  des  citoyens  grisons.  —  L'expor- 
tation du  pays  consiste  en  bestiaux,  fromages,  bois,  eaux  distillées,  et  une  petite 
quantité  de  fruits  secs  et  de  vin.  L'importation  comprend  surtout  des  vins,  du  riz, 
(les  céréales,  des  tabacs,  et  une  foule  d'autres  objets  nécessaires  à  la  consommation. 

Moeurs,  Coutume^,  Caractère.  —  On  doit  s'attendre  à  ce  qu'un  pays  qui  présente 
des  différences  si  tranchées  sous  tant  de  rapports,  langue,  religion,  origine,  climat, 
productions,  en  offre  aussi  d'également  grandes  sous  le  rapport  des  mœurs  et  des 
coutumes.  Mais  on  peut  remarquer  cependant  quelques  traits  généraux.  Les  Grisons 
sont  i)our  la  plupart  simples  dans  leurs  mœurs,  honnêtes,  fidèles  à  leure  engagements, 
doux,  sobres,  hospitaliers,  prompts  à  rendre  service,  surtout  dans  les  vallées  qui  ne 
sont  pas  traversées  par  les  routes  de  commerce.  Les  Grisons  sont  courageux  et  ne 
redoutent  point  la  guerre;  élevés  au  sein  d'une  nature  âpre  et  rigoureuse,  ils  ap- 
prennent dès  leur  enfance  à  braver  les  dangers.  Ne  payant  point  d'impôts,  souverains 
dans  leurs  chaumières,  législateurs  dans  leurs  Landsgemeindes,  électeurs  de  leurs 
magistrats,  etéligibles  eux-mêmes  aux  premiers  emplois  politiques,  ils  aiment  avec 
passion  et  leur  patrie  et  leur  Constitution.  Le  bien  et  le  mal  leur  sont  presque  égale- 
ment chers,  s'ils  leur  viennent  de  leurs  ancêtres.  Les  anciens  préjugés  sont  sacrés 
|)our  eux  ;  ils  ont  de  la  répugnance  pour  tout  changement,  lors  même  que  leur  sort 
leurrait  en  être  amélioré.  Ils  sont  zélés  pour  leur  religion  ;  les  catholiques  emploient 
plus  d'un  cinquième  de  l'année  en  processions  et  jours  de  fête.  Le  défaut  d'éducation 
dans  lequel  le  peuple  grison  était  autrefois  plongé,  avait  favorisé  non-seulement  la 
superstition,  mais  l'esprit  de  parti,  les  dissensions  civiles  et  les  haines  invétérées, 
qui  ont  attristé  pendant  si  longtemps  l'histoire  de  ce  pays.  Maintenant  l'instruction 
(%t  plus  répandue,  et  ces  funestes  dissensions  sont  heureusement  apaisées.  Possédant 
des  terres  très-étendues  et  riches  en  produits  divers,  le  peuple  grison  semblerait  devoir 
(Hre  un  des  peuples  les  plus  aisés  de  la  terre;  mais  il  manque  essentiellement  d'in- 
dustrie; les  habitants  des  contrées  basses  sont  pauvres;  ceux  des  contrées  élevées 
(mt  moins  de  besoins,  et  savent  mieux  se  suffire  à  eux-mêmes. 

Cependant,  en  général,  le  Grison  est  passablement  bien  nourri;  on  peut  dire  aussi 
qu'il  est  commodément  logé;  il  a  des  cliambres  boisées  avec  de  petites  fenêtres,  et 


380  LA    SriSRE    PITTORESQI  E. 


des  fourneaux  massifs,  derrière  lesquels  un  petit  escalier  conduit  à  la  chambre  à  cou- 
cher, placée  au-dessus.  Dans  les  vallées  du  Rhin  et  dans  plusieurs  vallées  latérales, 
les  habitations  ne  présentent  aucun  caractère  particulier;  elles  sont  la  plupart  en 
pierre  et  à  deux  étages;  mais  beaucoup  de  villages  ne  sont  pas  d*une  propreté  remar 
quable.  Dans  le  Pnettigau,  Ton  construit  généralement  des  maisons  en  bois;  un 
escalier  extérieur  conduit  au  premier  étage,  où  sont  placées  les  chambres  d'Iiabi- 
tation  ;  le  rez-de-chaussée  est  consacré  aux  divers  usages  économiques.  Un  grand 
nombre  de  maisons  portent  une  inscription  au-dessus  de  la  ligne  des  fenêtres  du 
premier  étage  ;  des  vases  de  fleurs  placés  devant  les  fenêtres  donnent  à  l'ensemUo 
un  aspect  agréable.  On  voit  dans  les  vallées  italiennes  des  maisons  en  pierre,  mab 
couvertes  en  bardeaux;  les  habitations  des  gens  les  plus  aisés  sont  proprement  blan 
chies,  et  dans  l'intérieur  on  trouve  en  même  temps  de  grands  fourneaux  et  la  cbe 
minée  italienne.  Dans  le  val  Misocco,  Ton  voit  beaucoup  d'habitations  en  pierre  de 
très-chétive  apparence,  et  qui  font  un  triste  contraste  avec  les  jolies  maisons  de 
TEngadine  et  surtout  de  la  Haute-Engadine.  Vu  la  rareté  du  bois,  les  habitations  de 
cette  dernière  vallée  sont  aussi  construites  en  pierre;  mais  l'aisance  générale  permet 
d'y  mettre  une  certaine  élégance  ;  on  y  trouve  une  sorte  de  construction  qui  ne  se 
voit  nulle  part  ailleurs.  La  porte  de  la  maison,  assez  grande  pour  que  les  duii^  y 
puissent  passer,  conduit  dans  une  vaste  pièce,  de  laquelle  on  entre  dans  la  cuisine  et 
dans  les  chambres  d'habitation.  Les  chambres  sont  basses,  mais ^oprement  boisée> 
et  quelquefois  richement  meublées.  Le  pin  alvier  ou  cimbre,  dont  on  se  sert  pour 
les  boiseries,  de  même  que  dans  quelques  autres  vallées  élevées,  est  pénétré  d'une 
résine  odorante,  qui  forme  peu  à  peu  une  sorte  de  vernis  lustré,  dont  l'odeur  écarte 
les  insectes.  Les  murailles  sont  ordinairement  très-épaisses  et  percées  d'étroitfê^ 
fenêtres  qui  vont  s'élargissant  vers  l'extérieur  comme,  des  embrasures.  Les  plus 
élégantes  de  ces  habitations  appartiennent  à  des  conGseurs  enrichis;  elles  sont  fraî- 
chement recrépies  en  blanc  ou  en  rose,  et  quelques-unes  sont  ornées  de  fresques, 
de  colonnes  et  de  grillages  dorés,  mais  elles  ne  brillent  pas  toujours  par  leur  goût. 
Plusieurs  villages  de  la  Haute  et  de  la  Basse-Engadine  doivent  à  une  réunion  de  pa 
reiiles  maisons  une  certaine  apparence  de  ville. 

Les  costumes  offrent  moins  de  particularités  dans  les  Grisons  que  dans  d'autre^ 
contrées  de  la  Suisse.  Jusqu'à  la  fin  du  18*  siècle,  il  y  avait  eu  en  quelques  localités, 
surtout  pour  les  femmes,  un  costume  national  ;  mais  il  a  complètement  disparu  ; 
ainsi,  les  robes  écartâtes  des  femmes  de  la  Basse-Engadine,  les  bas  rouges  et  les  sou- 
liers à  hauts  talons  que  portaient  celles  de  Coire,  les  aiguilles  d'argent  qu'elles  pla- 
çaient dans  leurs  tresses  de  cheveux,  tout  cela  a  été  abandonné  pour  un  costume 
plus  simple.  La  nombreuse  émigration  des  citoyens  du  pays  a  dû  contribuer  beaucoup 
à  l'abandon  de  tout  costume  national.  Les  Grisons  portent  généralement  des  vêle- 
ments de  laine,  en  été  comme  en  hiver,  ce  qui  est  tout-à-bit  approprié  à  un  climat 
où  l'on  éprouve  de  brusques  changements  de  température  ;  mais  les  vêtements  de 
laine  de  couleur  foncée  tendent  moins  à  faire  contracter  des  habitudes  de  propreté 
que  des  vêtements  de  lin  ou  de  coton.  La  coupe  des  vêtements  des  hommes  de  la 
campagne  est  à  peu  près  semblable  à  celle  des  citadins.  Dans  les  vallées  de  Poschiavo, 
de  Bregaglia  et  de  Misocco,  les  hommes  ont  souvent  les  jambes  nues;  ils  portent  de 
larges  chapeaux,  et  rejettent  leurs  vestes  brunes  sur  l'épaule.  Les  iemmes  de  ces 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  384 


contrées  portent  un  costume  de  couleurs  bigarrées,  et  les  cheveux  tressés  et  ornés  de 
colifichets. 

Hommes  distingués,  Savants,  etc.  —  Le  canton  des  Grisons  a  donné  naissance  ii^ 
un  grand  nombre  d'hommes  d'Etat,  de  militaires  et  d'écrivains  remarquables.  Plu- 
sieurs familles  s'y  sont  illustrées  dès  une  époque  reculée  du  moyen-i\ge;  tels  sont 
les  Sa/M  et  les  Planta,  qui  furent  longtemps  rivales;  plus  tard,  les  Sprecher,  les 
Tschanier,  les  Buol,  et  d'autres,  jouèrent  un  rôle  important  dans  le  pays.  On  cite 
déjà  deux  Salis  (Adolphe  et  André)  dans  l'histoire  du  10*"  siècle;  plusieurs  Planta 
(Jean,  Pompée  et  Rodolphe)  furent,  au  16*  et  au  17*^  siècle,  les  chefs  de  la  faction 
austro-espagnole.  Le  baron  Donai  de  Valz  aiîranchi t  les  paysans  de  Belfort  au  i  S"*  siècle, 
et  résista  à  l'inQuence  autrichienne.  L'abbé  Pierre  de  Pontaningen  et  les  seigneurs 
de  RhœzûnSj  de  Sax  et  de  Werdenberg  furent  les  fondateurs  de  la  Ligue  grise.  Dans 
leur  glorieux,  combat  contre  les  Autrichiens  à  la  Malserheide,  en  4499,  les  Grisons 
étaient  conduits  par  Bénédict  Fontana,  W.  Rink  et  Lombris;  le  premier  y  trouva 
une  mort  héroïque.  Lors  de  la  lutte  courageuse  qui  eut  pour  résultat  l'expulsion  des 
Autrichiens  en  1622,  ils  avaient  pour  chefs  Rodolphe  et  Ulysse  de  Salis,  Pierre  Guler, 
J.  Jeuch,  G.  Jeiiatsch,  J.  Tscharmr,  Eiiderli,  etc.  Plusieurs  Grisons  se  sont  distingués 
aussi  dans  les  services  étrangers  :  tel  est  le  maréchal  Salis  de  Marschlim,  qui  a  servi 
en  France  et  à  Naples. 

Au  nombre  des  réformateurs  qui  propagèrent  dans  les  Grisons  les  pures  doctrines 
de  l'Evangile,  se  firent  remarquer  surtout  Salandronias  ou  Salzmann,  ami  de  Zwingli 
et  de  Vadianus  ;  Comander  ou  Dorfmann,  premier  autistes  de  Coire,  et  Ulrich  Cam- 
pell,  né  à  Sûss,  dans  la  Basse-Engadine.  On  peut  citer  encore  Jacob  Bilrkli,  /.  Spreiier, 
Biveron,  Saluz  ou  Gallicias,  Syfried,  Frick,  BoU,  Ulrich  de  Marmels,  Blasias  et  Jean 
Travers,  surnommé  le  chevalier  d'airain  au  service  du  Seigneur,  et  qui,  après  avoir 
rempli  les  plus  hautes  dignités  civiles  et  militaires  du  pays,  montait  en  chaire  h 
l'âgé  de  72  ans  pour  annoncer  l'Evangile. 

Parmi  les  savants  auxquels  le  canton  des  Grisons  a  donné  le  jour,  on  peut  nommer 
Ulrich  Campell,  le  réformateur,  qui  fut  en  même  temps  le  meilleur  historien  du  pays. 
Il  publia  une  Historia  rhœtica,  en  trois  volumes.  Jean  Guler  ei  For tufiatus  Sprecher ,  qui 
vécurent  quelques  années  plus  tard,  furent  aussi  des  historiens  estimés.  Le  premier, 
outre  un  ouvrage  historique,  a  publié  en  1616  une  description  détaillée  du  pays,  sous 
le  nom  de  Rhœiia;  le  second  a  publié  un  Chronicon  Rhœliœ,  in-4''.  De  Parla  a  fait 
paraître  à  Goire,  en  1771,  un  excellent  ouvrage  sur  la  Réforme  :  Historia  reformationis 
ecclesiarum  rhœticarum,  en  2  vol.  in-4°.  —  Ulysse  de  Salis-Marschlins,  J.-Ulr.  de 
SaliS'Seewis,  et  G.-W,  Rœder,  sont  auteurs  de  divers  écrits  relatifs  à  l'histoire 
des  Grisons.  Le  premier  cultivait  aussi  avec  succès  les  sciences  naturelles.  Martin 
Planta,  né  en  1725  à  Sûss,  fut  un  habile  physicien  et  mathématicien;  il  fut  le 
fondateur  de  la  première  société  économique  qui  ait  existé  dans  les  Grisons,  ainsi 
que  d'un  bon  institut  pour  la  jeunesse.  Le  pasteur  Conradi  est  le  premier  qui  ait 
publié  des  ouvrages  philologiques  sur  la  langue  romanche,  grammaire,  vocabu- 
laires, etc.  —  /.-G.  de  Salis-Seewis,  né  à  Seewis  dans  le  Prsettigau,  et  mort  en 
1834,  s'est  fait  connaître  par  de  bonnes  poésies.  Laluis,  né  dans  le  Munsterthal,  fut 
poète  et  juriste.  Le  littérateur  Lemnim  a  reçu  le  jour  dans  cotte  même  vallée,  qui 
est  aussi  la  patrie  d'un  réformateur  nommé  Galatin,  Frizzoni  est  un  peintre  distingué  ; 


38i  LA  srissE  pittoiiksqie. 


Lftnicca  s*est  Tait  un  nom  par  son  habileté  comme  ingénieur.  Les  Grisons  lui  doivent  U 
création  de  plusieurs  de  leurs  Utiles  routes  de  montagne.  Il  a  fait  aussi  un  projet  pour 
la  mrrei'tion  des  eaux  du  Seeland,  entre  les  lacs  de  Bienne,  de  Morat  et  de  NeuchàteL 

(loiRE.  —  La  ville  de  Ooire,  cheMieu  de  la  Ligue  de  la  Maison-Dieu  et  de  tout  le 
canton,  est  située  dans  une  large  vallée,  sur  les  bords  de  la  Plessur,  qui  va  se  jelor 
dans  le  Rhin,  une  demi-lieue  plus  bas.  La  ville  comptait,  en  <8S0,  S943  habitants, 
dont  958  catholiques.  On  appelle  Cmir  episroiMile  un  quartier  compris  dans  une 
enceinte  distincte,  et  qui  domine  le  reste  de  la  ville;  c'est  là  que  se  trouve  réuni  ce 
qu*il  y  a  de  plus  intéressant  à  Coire.  Telle  est  Téglise  épiscopale  ou  Dame  de  Stiiftt 
LwitiJt,  dont  on  attribue  la  fondation  à  Tévéque  Telle,  mort  en  773,  et  dont  une 
partie  date  en  effet  de  cette  époque.  Près  du  portail,  on  voit  les  statues  des  quatre 
évangélistes  debout  sur  des  li<ms  ;  on  croit  qu'elles  ont  appartenu  à  une  église  qui 
existait  dès  le  4*  siècle  sur  le  même  emplacement,  et  qui  avait  elle-même  été 
construite  sur  celui  d'un  ancien  temple  romain  dont  on  a  dû  conserver  une  partie 
des  fondements.  Dans  Tintérieur,  on  remarque  des  chapiteaux  très-curieux,  les 
s^*ulptures  du  maître-autel  attribuées  à  llolbein  père,  la  mensa  avec  des  colonnes  qui 
doivent  dater  du  k^  siècle,  un  beau  tabernacle  en  pierre,  du  ik^  siècle.  On  montre 
dans  la  sacristie  d'anciens  ostensoirs,  une  crosse  épiscopale  plus  ancienne,  une  cha- 
suble du  8*'  siècle.  La  cathédrale  possède  plusieurs  tableaux  de  mérite,  une  Descenle 
de  Croix  de  Durer,  une  vierge  Marie  de  Stumm,  élève  de  Rubens;  dans  la  chapelle 
Saint-Laurent,  un  tableau  de  llolbein  jeune,  représentant  Saint-Laurent  sur  le  gril: 
sur  le  maitre-autel,  deux  tableaux  du  même;  dans  le  caveau  des  capucins,  deux 
pièces  de  Tissoni  Gilvari,  représentant,  Tun  saint  François,  l'autre  saint  Antoine 
avec  le  Sauveur.  Elle  renferme  enfin  plusieurs  tombeaux  remarquables  d'évêques, 
de  chanoines  ou  de  seigneurs  laïques,  entre  autres  le  beau  sarcophage  en  marbre 
rouge  de  Tévéque  Ortlieb  Brandis.  La  cour  épiscopale  comprend  aussi  le  palais  de 
révéque  et  les  deux  tours  anciennes  que  nous  avons  mentionnées,  et  dont  Tune, 
nommée  Marsœl,  fait  partie  de  ce  palais.  C'est  dans  cette  tour  que  saint  Ludus,  dit- 
on,  subit,  en  176,  le  martyre  par  Tordre  du  gouverneur  romain. 

Derrière  le  palais  épiscopal,  un  chemin  qui  traverse  une  pente  couverte  de  vignes 
conduit  au  couvent  de  Saint-Lucius,  converti  en  séminaire,  et  d'où  l'on  a  une  vue 
pittoresque  sur  la  ville,  sur  ses  environs  et  les  cimes  neigeuses  du  Galanda.  C'est  là 
que  se  trouve  aussi  le  bel  édifice  de  T Ecole  cantonale,  qui  date  de  1851 .  La  popula 
tion  de  la  Cour  épiscopale,  qui  en  1850  s'élevait  à  240  âmes,  était  placée  autrefois 
en  dehors  de  la  juridiction  de  la  ville.  Cet  état  de  choses  n'a  cessé  que  depuis  ces 
dernières  années.  Dans  la  ville  basse,  on  remarque  l'église  de  Saint-Martin  ou  catbé 
drale  protestante,  l'hôtel  du  gouvernement,  l'hftlel-de- ville,  plusieurs  maisons  appar- 
tenant à  des  familles  riches  du  canton.  Les  établissements  publics  qui  s'y  trouvent 
sont  :  une  bibliothèque  et  un  cabinet  d'histoire  naturelle  formés  par  Rodolphe  de  Salis 
Marschlins,  une  autre  bibliothèque  appartenant  à  la  ville,  une  maison  des  pauvres, 
une  maison  de  correction,  une  société  de  lecture,  etc.  La  ville  est  aussi  le  siège  d'une 
société  de  médecine,  d'une  société  d'histoire  naturelle,  d'une  société  d'histoire,  d'une 
société  biblique,  etc.  Grâce  à  sa  position  au  débouché  de  plusieurs  passages  des 
Alpes,  Coire  est  un  entrepôt  important  de  marchandises,  et  fait  un  commerce  de 
transit  assez  considérable.  Elle  possède  une  fabrique  de  draps. 


LA    SUISSE   PITTOHESQUE.  383 


Les  sommités  qui  entourent  la  ville  présentent  des  points  de  vue  remarqUfibles. 
Au  nord-est  est  situé  le  Miltenbery,  où  Ton  arrive  en  deux  heures  de  montée  assez 
rapide.  On  y  domine  toute  la  vallée  du  Rhin  jusqu'à  Disentis  d'un  côte,  et  de  l'autre 
jusqu'à  Mayenfeld  et  Jenins;  au  sud-ouest  de  Coire  s'élèvent  les  Sponiis-Kœpfe  (5969), 
prolongement  de  la  chaîne  qui  s'étend  le  long  de  la  vallée  de  Domleschg  ;  la  cime  la 
plus  élevée,  le  Faule  Horn  (Pic  pourri),  est  d'un  abord  facile  ;  outre  le  cours  du  Rhin, 
on  y  découvre  les  vallées  de  Schalfick,  de  Churwalden,  de  Domleschg,  de  Schams,  et 
même,  plus  au  sud,  celle  d'Oberhalbstein.  Ixî  Galanda,  au  nord  de  Coire,  offre  un 
panorama  encore  bien  plus  grandiose  :  non-seulement  on  y  distingue  la  plupart  des 
innombrables  pics  qui  hérissent  le  sol  de  la  Rhétie,  mais  la  vue  s'étend  du  côté  du 
nord  sur  les  alpes  de  Glaris  et  de  Saint-Gall,  ainsi  que  sur  le  Rheinthal,  jusqu'au 
lac  de  Constance.  On  y  parvient  en  cinq  ou  six  heures  depuis  Coire.  Mais  le  sommet 
ne  se  dégarnit  de  neige  que  durant  un  ou  deux  mois  de  l'été. 

Vallée  de  Coire  et  de  Mayenfeld.  —  La  vallée  qui  s'étend  de  Reichenau  à 
Mayenfeld,  sur  une  étendue  de  six  à  sept  lieues,  ne  porte  aucun  nom  particulier. 
Cette  vallée,  qui  de  Reichenau  à  Coire  court  de  l'ouest  à  l'est,  et  tourne  au  nord 
près  de  Coire,  est  située  entre  le  Galanda  à  l'ouest,  le  Falkniss  au  nord,  le  Hochwang 
à  l'est,  et  le  Dreibûndenberg  au  sud;  cette  dernière  montagne  est  ainsi  nommée 
parce  que  le  point  de  contact  des  trois  Ligues  se  trouve  sur  son  sommet.  Cette  vallée 
est  large  et  extrêmement  fertile.  Elle  produit  un  des  meilleurs  vins  de  la  Suisse 
orientale.  Elle  doit  la  douceur  de  son  climat  et  sa  fertilité  particulièrement  au  fœhn 
ou  vent  du  sud-est,  qui  avance  la  maturité  de  toutes  les  plantes;  mais  il  cause  aussi 
(le  funestes  changements  de  température.  La  population  de  la  vallée  est  réunie  dans 
deux  villes  et  onze  villages,  et  compte  15,000  âmes,  ce  qui  fait  le  sixième  de  la 
population  du  canton.  La  plupart  de  ces  habitants  sont  réformés;  ils  parlent  tous 
l'allemand,  sauf  ceux  d'Ems.  Mayenfeld  est  une  petite  ville  où  règne  une  aisance 
11,'énérale.  On  fait  dériver  son  nom  (  champ  de  mai)  des  assemblées  judiciaires  qui  ont 
du  s'y  tenir  du  temps  des  rois  carlovingiens.  C'est  à  une  demi-lieue  au  nord  de 
Mayenfeld  qu'est  le  défilé  du  Luziensteig,  autrefois  fortifié  par  des  fossés  et  de  longs 
murs  ;  il  a  été  fréquemment  le  théâtre  de  violents  combats  entre  les  Suisses  et  les 
Autrichiens,  puis  entre  ceux-ci  et  les  Français  (en  1499,  1620  à  1624,  J799  et 
1800).  La  Confédération  a  fait  exécuter  en  1830,  comme  à  Saint -Maurice,  quelques 
ouvrages  modernes  sur  le  flanc  des  montagnes  qui  dominent  le  défilé.  Vers  le  haut 
du  passage  se  trouve  la  petite  église  de  Saint-Lucius,  probablement  la  plus  ancienne 
de  la  Rhétie.  On  n'y  prêche  que  le  jour  de  l'Ascension;  une  fêle  champêtre  succède 
au  service  divin.  Sur  la  .droite,  on  aperçoit  à  une  grande  hauteur  le  village  de 
Guschen  ou  Guscha,  dont  les  habitants  avaient  conservé  des  mœurs  toutes  patriar- 
cales; la  plupart  d'entre  eux  sont  partis  pour  l'Amérique,  il  y  a  quelques  années, 
après  avoir  vendu  leurs  propriétés.  C'est  non  loin  de  Malans  qu'est  le  pont  api)elé 
Pont  Péage  inférieur  (Untere  Zollbrûcke)  ou  Pont  Tardis,  du  nom  de  son  architecte 
Medardus  Heinzenberger  (1528).  Il  forme  la  limite  des  cantons  de  Saint-Gall  et  des 
Grisons.  11  a  été  construit  à  neuf  après  les  inondations  de  1834.  C'est  le  seul  pont 
à  voitures  qu'il  y  ait  sur  le  Rhin  entre  Reichenau  et  le  lac  de  Constance.  A  peu 
de  distance  se  trouve  le  Pont  supérieur,  jeté  sur  le  torrent  de  la  Landquart,  qui 
descend  du  Prœttigau  et  se  jette  dans  le  Rhin  un  peu  au-dessus  du  Pont  inférieur. 


584  LA  siissE  riTToiiefiQi^e. 


Plusieurs  anciens  manoirs  donnent  h  toute  la  contrée  un  caractère  mouuitiquo: 
tels  sont  ceux  de  llaldenstein  et  de  Lichtenslcin,  au  pied  du  Galanda.  Le  premier 
cUiit  la  résidence  des  harons  de  Schauenstein  ;  il  fut  détruit  par  un  trembleinent  de 
Icrre  en  1787  :  le  second  est  le  berceau  de  la  famille  des  princes  de  ce  nom.  Ldr- 
qu*on  construisit  à  Vienne,  au  siècle  passé,  le  palais  Lichtenstein,  le  prince  fil  prendre 
des  pierres  de  cette  ruine  et  les  mit  dans  les  fondements  du  nouvel  édifice.  Sur  Tautre 
rive  on  voit,  au  sud  de  Malans,  le  château  de  Marschlins,  dont  la  première  fondatiiK) 
remonte  au  8""  siècle,  et  qui  est  encore  habitable  :  et  près  de  Zizers,  une  résidencY 
de  ciimpagne  de  Tévèque  de  Coire,  nommée  Molinara.  A  deux  lieues  à  Tonest  de 
Coire,  au  confluent  du  Rhin  antérieur  et  du  Rhin  postérieur,  on  voit  le  château 
de  Reichenau,  où  Ton  avait  établi  à  la  fin  du  siècle  dernier  un  institut  d'éducation. 
C'est  là  que  le  duc  de  Chartres,  le  futur  roi  Louis-Philippe,  arriva  sous  le  nom  de 
Chiihol,  en  octobre  1793,  et  qu'il  remplit  pendant  huit  mois  les  fonctions  de  proles- 
seur  de  langue  franç^iisc  et  de  mathématiques.  Le  château  appartient  depuis  1819 
à  la  famille  Planta  ;  il  renferme  encore  beaucoup  de  souvenirs  de  Louis-Philippe,  entre 
autres  deux  grands  portraits  de  demi-grandeur  naturelle,  cadeau  du  roi  des  Français: 
Tun  représente  un  jeune  homme,  entouré  de  livres  et  de  splières;  Tautrc  S.  M.  le  mi 
des  Français,  en  uniforme  de  général,  une  main  sur  la  Charte  de  1830.  La  duchesse 
d'Orléans  a  visité  le  château  avec  ses  fils  en  185i  et  1855  ;  elle  a  envoyé  un  tableau 
représentant  ces  deux  princes  à  cheval.  La  reine  Amélie  a  visité  aussi  ReicJienau  en 
mai  1854  ;  elle  a  signé  sur  TAIbum  :  Marie- Amlie,  venre  du  professeur  Chabot,  itmi 
i'\*sl  un  des  plus  Idéaux  litres.  Elle  a  envoyé  un  médaillon  en  argent,  représentant  d^un 
cdté  le  roi  et  la  reine,  de  l'autre  leur  fils  et  leurs  petits-fils.  —  Au-dessous  du  coq- 
Huent,  un  pont  remarquable,  d'une  seule  arche,  est  jeté  sur  le  Rhin  ;  il  a  60  pieds 
de  hauteur  et  237  de  longueur. 

Oberland,  Ilanz,  Thons,  Disentis.  —  La  vallée  qui  s*étend  de  Reichenau  jusqu'aux 
sources  du  Rhin  antérieur,  porte  le  nom  d' Oberland  ou  Haut-Pays  (en  romanche  on 
rappelle  Sur  Selva,  Sur  la  Forél).  De  Reichenau  à  ilanz  on  a  le  choix  de  deux  routes: 
Tune  et  l'autre  s'écartent  du  Rhin  et  s'élèvent  sur  les  hauteurs.  Sur  la  rive  droite, 
la  route  passe  par  Bonaduz,  Vcrsam  et  Valendas  ;  près  de  Versam  elle  traverse  une 
région  extrêmement  sauvage,  et  franchit,  sur  un  hardi  pont  de  bois,  long  de  près  de 
!200  pieds,  un  ravin  effrayant,  de  iZ'i  pieds  de  profondeur,  au  bas  duquel  mugît  la 
Rabiosa,  qui  descend  de  la  vallée  de  Safien.  La  route  principale,  établie  sur  la  rive 
gauche,  offre  plusieurs  beaux  points  de  vue.  Elle  monte  d'abord  à  Tamins  (Doini' 
nium),  de  l'église  duquel  la  vue  embrasse  les  deux  vallées  du  Rhin  ;  puis  elle  pisse 
ù  Trins,  village  construit  en  amphithéâtre  dans  une  gorge,  et  entouré  d*une  forêt 
d'arbres  fruitiers  ;  on  y  jouit  aussi  d'un  beau  panorama  ;  les  ruines  voisines  sont 
celles  du  château  de  llohentrins,  bâti,  dit-on,  par  Pépin.  La  route  se  dirige  ensuite 
vers  Flims,  en  longeant  le  boixl  septentrional  d'un  large  et  fertile  bassin  qu'on 
ap|)elle  la  Foppa  (fovea)  ou  Gruob,  fosse.  A  Mulins  (Moulins),  hameau  pittoresque- 
ment  situé,  on  voit  à  droite  une  série  de  cascades;  on  voit  aussi  deux  jolis  petits 
lacs,  près  de  Trins  et  de  Flims.  Ce  dernier  village  tire,  à  ce  qu'on  suppose,  son 
nom  des  nombreux  ruisseaux  qui  descendent  de  roches  escarpées  {ad  flumina).  C*est 
là  que  commence  le  sentier  difficile  qui  conduit  dans  le  canton  de  Claris  par  le 
passage  du  Segnès  ou  Tschingel  ;  on  distingue  aussi  d'ici  le  Martinsloch  (v.  Claris). 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  38S 


A  gauche  de  la  route,  on  aperçoit  au  travers  des  forêts  plusieurs  petits  lacs,  entre 
autres  celui  de  Gauma,  de  trois  quarts  de  lieue  de  circonférence.  Puis  on  se  rap- 
proche du  Rhin  par  les  villages  de  Lax,  Sagens  et  Scbleuis. 

Ilanz  (Glion  en  romanche),  la  première  ville  qu'on  rencontre  sur  le  Rhin  lors- 
qu'on suit  le  fleuve  depuis  ses  sources,  occupe  une  situation  agréable  ;  ce  chef-lieu 
de  la  Ligue  grise  existait  déjà  au  huitième  siècle  ;  il  est  entouré  de  murs  en  ruines, 
et  compte  seulement  550  habitants,  professant  le  culte  réformé.  D'ilanz  à  Trons,  la 
vallée  est  remarquablement  belle,  surtout  les  pentes  de  la  rive  gauche  ;  partout  des 
villages,  des  chapelles,  des  ruines  de  châteaux  ;  plus  haut  on  aperçoit  des  chalets,  et 
Sur  le  dernier  plan  quelques  sommets  neigeux.  Plusieurs  villages  se  trouvent  comme 
étages  sur  des  plateaux  ;  le  plus  élevé  est  celui  de  Panix  (&200  pieds),  d'où  l'on 
passe  le  col  de  même  nom  (7425),  qui  conduit  dans  le  canton  de  Claris  (voyez  ce 
canton).  Au-dessus  du  village  de  Schlans  s'ouvre  à  droite  la  vallée  de  Frisai,  qu'ar- 
rose le  Flumbach  et  où  descendent  plusieurs  glaciers.  Avant  d'arriver  à  Trom,  on 
voit  à  droite  de  la  route,  près  d'une  chapelle  nommée  Ste.-Anne,  un  antique  érable, 
qui  fut  le  berceau  de  la  liberté  grisonne,  le  Grûtli  de  cette  contrée.  C'est  là  que, 
vers  le  milieu  de  mars  1424,  l'abbé  de  Disentis,  plusieurs  seigneurs  du  pays  (voyez 
ci-dessus  l'article  Histoire),  et  les  chefs  du  peuple,  se  réunirent  pour  fonder  la  Ligue 
grise  et  prêter  le  serment  d'alliance.  Dès-lors,  tous  les  dix  ans  l'alliance  fut  renou- 
velée; elle  le  fut  pour  la  dernière  fois  en  1778.  La  voûte  de  la  chapelle  est  parse- 
mée d'étoiles,  et  porte  les  devises  suivantes  en  lettres  d'or  :  In  libertatem  vocati  eslis. 
Ubi  spiritus  Dmnini  ibi  libeiHas.  In  Te  speraverunl  patres,  Speraverunt  et  libef^asti  eos. 
Fortes  facti  sunt  in  bello.  Et  honorabile  mmeti  eorum.  (Vous  avez  été  appelés  à  la 
liberté.  Là  où  est  l'esprit  du  Seigneur,  là  est  la  liberté.  Nos  pères  ont  espéré  en  Toi. 
Ils  ont  espéré  et  tu  les  a  délivrés.  Us  sont  devenus  forts  dans  la  guerre.  Et  leur  nom 
est  honorable.)  Les  fresques,  restaurées  en  4836,  représentent  le  serment  des  pre- 
miers confédérés  et  le  renouvellement  du  serment  en  1778.  La  première  montre 
l'abbé  de  Disentis,  le  vieux  comte  de  Sax  et  le  seigneur  de  Rhœzûns,  entourés  d'hom- 
mes armés  et  levant  les  mains  vers  le  ciel,  tous  avec  le  costume  sévère  de  l'époque  ; 
la  seconde  frappe  par  le  contraste  du  costume.  Sur  les  côtés,  on  peut  lire  des  vers 
allemands  qui  ont  rapport  au  sujet.  On  voit  à  Trons  un  vaste  bâtiment  qui  appartient 
au  couvent  de  Disentis  et  où  réside  un  de  ses  capitulaires.  Sur  les  murs  de  la  grande 
salle  sont  peintes  les  armoiries  des  communes  de  la  Ligue  grise.  Au  fond  de  la  sauvage 
vallée  de  Pontœljas,  qui  s'ouvre  au-dessus  de  Trons,  l'on  peut  visiter  la  belle  cas- 
cade de  Ferrâra,  qui  s'élance  des  glaciers  du  Tœdi.  Il  existe  dans  cette  vallée  une 
mine  de  fer  et  de  cuivre.  Après  le  village  de  Sumvix,  placé  sur  une  gracieuse  col- 
line, s'ouvre  un  autre  ravin,  où  s'engage  un  sentier  qui  conduit  par  les  glaciers  du 
Tœdi  vei*s  la  Sandalp,  au  canton  de  Claris;  mais  le  passage  est  très-diificiie.  Près 
de  Disla^  l'on  reconnaît  les  traces  d'un  ancien  éboulement  aux  énormes  blocs  qui 
gisent  sur  le  sol. 

Le  bourg  de  Disentis  (en  romanche  Mustèr,  monastère)  est  célèbre  par  son  abbaye 
(le  bénédictins,  qui  date  du  7^  siècle,  et  qui  contribua  beaucoup  à  répandre  le  christia- 
nisme dans  les  vallées  de  la  Rhélie.  Il  doit  son  nom  à  une  cellule,  nommée  Desertina, 
qui  précéda  la  fondation  de  l'abbaye.  Les  abbés  devinrent  bientôt  les  plus  puissants 
seigneurs  de  la  vallée,  et  en  1570  ils  reçurent  de  l'empereur  Maximilien  le  litre 

II.  J5.  UO 


386  LA   StlS8E   PITTORESQtE. 


de  prince  de  Tempire.  Aujourd'hui  encore  ils  exercent  une  grande  influence  dans  le 
pays  de  la  Ligue  grise.  —  Le  landsturm  s*étant  levé^  en  mai  1799,  pour  repousser  les 
Français,  le  général  Lecourbe  pénétra  jusqu'à  Disentis,  ravagea  le  boui^g  et  mit  en 
cendres  le  couvent.  On  eut  à  regretter  surtout  la  perte  de  la  bibliothèque,  ridieen 
manuscrits  amassés  depuis  des  siècles.  Le  couvent,  rebâti  dës-Iors,  a  servi  d'écok 
cantonale  catholique  pendant  dix  ans,  depuis  1832.  En  1842,  cette  éoole  fut  trans 
portée  à  Goire.  Un  nouvel  incendie  dévora  le  cloître  en  1846  ;  il  est  mainteoaDt 
réédiGé.  L'église  possède  les  tombeaux  de  saint  Placide  et  de  saint  Golomban.  D*uiie 
colline  qui  domine  le  bourg,  on  a  une  belle  vue  sur  la  vallée  du  Rhin,  sur  les  mon- 
tagnes de  la  vallée  de  Medels,  et  sur  les  cimes  de  la  chaîne  du  Toedi.  —  La  partie 
supérieure  de  la  vallée  du  Rhin  prend  le  nom  de  Tavetsch,  et  présente  moins  d'intérêt 
(fue  la  partie  inrérieure.  Le  sol  s'élève  considérablement.  Disentis  est  à  3700  pieds: 
Sedrun  ou  Tavetsch,  à  4370.  C'est  de  ce  village  que  part  un  sentier  difficile,  qui  mëoc 
par  le  Kreuzlipass  à  Âmsteg  au  canton  d'Uri.  A  Rouieras,  on  trouve  deux  sentiers 
par  lesquels  on  peut  atteindre  le  col  d'Oberalp,  qui  conduit  dans  le  val  d'Urseren; 
l'un  s'élève  sur  des  pâturages  et  passe  au  village  d'été  de  Grispansa  ;  l'autre  bit  uo 
détour  à  gauche  par  les  hameaux  de  Selva  et  de  Ghiamut,  élevés  de  5270  pieds,  et 
remonte  un  ruisseau  qui  forme  une  des  sources  du  Rhin.  Du  sommet  du  passage 
(6174),  on  voit  quelques-unes  des  cimes  de  la  chaîne  qui  forme  la  limite  septeD- 
trionale  des  Grisons,  et  quelques  autres  sommités  situ^  vers  le  sud.  De  l'aatre 
côté,  l'on  n'aperçoit  guère  que  le  lac  d'Oberalp,  situé  sur  le  territoire  d'Un,  au  fond 
d'un  ravin  triste  et  pierreux. 

Vallée  de  Medels  (ou  du  Milieu).  —  Gette  vallée  débouche  en  face  de  Disentis. 
Elle  est  arrosée  par  le  Rhin  du  milieu,  qui  forme  deux  belles  cascades  avant  de  se 
joindre  au  Rhin  antérieur.  De  cette  jonction  vient  le  nom  de  Confions,  donné  à  la 
gorge  étroite  et  profonde  par  laquelle  le  Rhin  du  milieu  s'est  ouvert  un  passage.  La 
vallée  s'élargit  au-delà  de  cette  gorge;  elle  se  couvre  de  pâturages  et  de  forêts;  à  l'est, 
se  montre  le  beau  glacier  de  Medels.  Le  chef-lieu  de  la  vallée  est  le  village  de  PlatU, 
distant  de  deux  lieues  de  Disentis.  11  n'y  a  pas  d'aubei^e,  mais  le  curé  reçoit  les 
voyageurs,  comme  cela  arrive  dans  un  certain  nombre  de  localités  peu  fréquentées 
du  canton  '.  A  une  lieue  et  demie  au-dessus  de  Platta  s'ouvre  à  gauche  le  val  Cristal- 
lina,  remarquable  par  ses  grands  glaciers  et  par  ses  belles  cascades,  dont  la  prioci- 
pale  est  celle  qu'on  nomme  la  Boikche  d'enfer  {Bocm  Ilufiern)  ;  on  y  trouve  aussi  de 
l)eau\  cristaux;  c'est  dans  cette  vallée  qu'on  a  recueilli  le  cristal  dont  est  formé  le 
tombeau  de  saint  Gharles  Borromée,  dans  la  chapelle  souterraine  du  dôme  de  MilaD. 
Non  loin  du  débouché  du  val  Gristallina,  le  Rhin  fait  lui-même  une  chute  de  cent 

1.  Lorsque  j'y  passais,  il  y  a  quelques  aunëes,  un  brave  montagnard,  qui  devinait  sansdoalc 
que  je  n*avais  pas  déjeuné,  me  dit,  en  me  montrant  la  cure  :  Boun  vin,  boun  vm.  J*entrai  en  efTei 
chez  le  curé,  et  je  fus  un  peu  surpris  d  y  trouver,  vers  huit  heures  du  maUn,  trois  ou  qaalrc 
paysans  d'un  certain  âge,  mais  non  pas  hors  d*âge  de  travail,  qui  jouaient  aux  cartes  à  cdié  d'un 
pot  de  vin.  Il  me  semblait  singulier  que  rhospitalité  accordée  par  les  ecclésiastiques  alUl  jos- 
qu  a  convertir  leur  chambre  de  réception  en  une  salle  de  cabaret.  J*eus  plus  tard,  en  arrivanl 
à  Disentis,  Texplicalion  de  la  chose:  j'appris  que  c'était  grand  jour  de  fête  dans  le  pays;  uoe 
immense  procession,  où  figuraient,  avec  de  nombreuses  reliques,  plusieurs  milliers  d'homnies 
et  de  femmes  accourus  des  villages  d'alentour,  serpentait  lentement  au  milieu  des  prairies 
émaillées  qui  entourent  le  bourg,  et  y  produisait  un  effet  extrêmement  pittoresque.  Leurâ;« 
avait  sans  doute  retenu  â  Platta  les  braves  hdtes  du  curé. 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  387 


pieds.  Le  chemin  passe  près  des  petits  hospices  de  St. -Jean  et  de  St.-Gall,  pourvus 
tous  deux  de  cloches,  au  moyen  desquelles  les  voyageurs  en  détresse  peuvent  appeler 
à  leur  secours;  enfin  il  arrive  à  l'hospice  de Ste. -Marie  (5760  pieds),  où  Ton  peut 
trouver  un  logement,  mais  qui  ne  consiste  qu'en  une  chétive  hôtellerie.  Cet  hospice, 
qui  Tut  fondé  par  un  abbé  de  Disentis,  date  du  14''  siècle.  Les  habitants  des  vallées 
voisines  s'y  rendaient  jadis  de  temps  à  autre  en  procession,  pour  y  célébrer  une  fête 
religieuse.  Au  nord-est  de  l'hospice  s'élève,  au-dessus  d'un  massif  couronné  de  gla- 
ciers, le  Scopi,  dont  on  atteint  la  cime  (9850  pieds)  en  quatre  ou  cinq  heures  depuis 
Sle.-Marie,  et  qui  offre  une  des  vues  les  plus  étendues  sur  les  Alpes,  depuis  le  Mont- 
Blanc  jusqu'au  Gross-Glockner  dans  l'intérieur  du  Tyrol. 

LuKMANiER.  —  De  Ste. -Marie  un  sentier  conduit  à  Airolo,  par  le  col  dit  Gassino  del 
Uomo  (6722)  et  par  le  val  Piora  ;  un  autre  se  dirige  au  sud  par  le  plateau  ou  le  col 
proprement  dit  du  Lukmanier  (5800),  et  mène  par  le  val  Zura  à  Olivone  dans  le 
val  Blegno  ;  un  troisième  passage  plus  élevé  conduit  à  Faïdo,  en  franchissant  la  chaîne 
latérale  qui  sépare  le  val  Léventine  des  vais  Zura  et  Blegno.  Nous  avons  vu  qu'on 
prétend  faire  dériver  le  nom  de  Lukmanier  des  Lucumones  ou  chefs  étrusques  ;  on  le 
dérive  aussi  de  Imtis  magnm  (grand  bois  sacré).  Les  Romanches  donnent  au  col  le 
nom  de  Ctwlm  Santa-Maria.  Quant  au  chemin  de  fer  projeté  (s'il  s'exécute),  il  passera 
probablement  la  montagne  un  peu  à  l'est  du  col,  sur  un  point  où  le  tunnel  à  pratiquer 
sera  plus  court  ;  au-dessous  de  Gasaccia  il  percerait  la  montagne  à  droite  dans  la  direction 
du  val  Gristallina,  par  lequel  il  déboucherait  sur  la  vallée  du  Rhin.  L'ouverture  du 
tunnel  du  côté  des  Grisons  serait,  d'après  les  premières  études,  à  5267  pieds.  Nous 
avons  dit  ailleurs  (page  58)  que  l'exécution  de  cette  voie  nous  paraissait  moins  diffi- 
cile que  n'eût  été  celle  du  St.-Gothard.  Sur  le  territoire  grisou,  la  pente,  à  partir  de 
Coire  jusqu'au  Lukmanier,  pourra  être  ménagée  assez  commodément.  De  Coire  jus- 
qu'à Disentis,  il  y  a  une  différence  de  niveau  de  1750  pieds,  sur  une  longueur  de 
onze  lieues,  ce  qui  fait  une  pente  d'environ  un  pour  cent  ;  de  Disentis  à  l'entrée  du 
tunnel,  la  différence  sera  de  1450  pieds,  sur  une  distance  de  quatre  à  cinq  lieues, 
ce  qui  fait  à  peu  près  deux  pour  cent.  La  difficulté  sera  plus  grande  sur  le  revers 
tessinois,  où  la  descente  est  plus  rapide  jusqu'à  Olivone'. 

Val  Sumvix.  —  En  face  du  village  de  Sumvix,  situé  entre  Disentis  et  Irons,  s'ou- 
vre une  vallée,  arrosée  par  le  Rhin  de  Sumvix,  et  longue  de  cinq  lieues.  A  l'entrée 
est  le  village  de  Surrein,  qui  donne  son  nom  à  un  établissement  de  bains  et  à  une 
source  minérale  qu'on  trouve  une  demi-lieue  plus  haut.  La  vallée  est  entourée  de 
montagnes  élevées,  que  surmontent  les  pics  Miedsdi,  Naedils,  etc.  Bien  qu'elle  soit 
riche  en  pâturages  et  en  forêts,  et  qu'elle  ne  soit  pas  plus  rude  que  bien  d'autres, 
elle  n'est  que  peu  habitée  ;  on  n'y  voit  que  quelques  hameaux  groupés  autour  de 
chapelles  solitaires.  C'est  probablement  la  chapelle  de  St.-Antoni  qui  a  fait  donner 
à  la  vallée  le  nom  de  Val  Tenji.  Elle  aboutit  à  un  col  nommé  la  Greina  (6120),  par 
où  l'on  se  rend  commodément  dans  le  val  Blegno  ;  le  chemin  est  pittoresque  et  riche 
en  points  de  vue.  Un  autre  sentier  conduit  à  la  même  vallée  par  le  col  plus  élevé  de 
Monterasca. 

1*  Qaelqaes  journaux  ont  annoncé,  en  septembre  1855,  que  la  compagnie  à  laqueUe  avait 
été  concédée  la  yole  du  Lukmanier  n'ayant  pas  rempli  certaines  condiUons  préalables,  le  gou- 
vernement du  Tessin  avait  déclaré  nulle  cette  concession. 


388  LA    SI'ISSF.    MTTOUF^MK. 


Val  Llgnetz.  —  Celle  vallée  débouche  près  d*llanz  par  une  gorge  assez  élroite; 
on  y  pénètre  par  deux  sentiers  établis  à  une  certaine  élévation  sur  les  deux  rives  da 
Glenner.  Sur  la  rive  droite,  au  bord  de  la  rivière,  on  trouve  les  bains  de  Peiden  ; 
vis-à-vis,  à  une  grande  hauteur,  sont  les  villages  de  Pleir  et  de  Villa,  qui  formenl 
ensemble  le  cheMieu  de  la  vallée.  La  vallée  se  divise  un  peu  plus  haut,  près  du  chà 
leau  de  Surcasti,  au-dessous  duquel  se  réunissent  le  Rhin  de  Yrtn  et  le  Rhin  de  Yak, 
pour  former  le  Glenner,  qui,  aussitôt  après  la  jonction,  fait  une  belle  chute.  Au-dessus 
de  Surcasti,  les  deux  vallées  deviennent  montueuses  et  s'élèvent  oonûdéraUement 
Le  village  qui  donne  son  nom  à  la  vallée  de  Vrln  est  situé  à  environ  3500  pieds  ;  on 
|)eut  de  là  se  rendre  par  deux  sentiers  dans  le  val  Sumvix.  On  parle  le  romanche  dans 
la  vallée  de  Vrin,  et  l'allemand  dans  celle  de  Vais.  Les  habitantssont  tous  catholiques, 
saufceux  du  village  de  Duwin,  au-dessus  de  Peiden.  La  vallée  de  Vais  ou  de  Sl.-Pierre 
est  d'abord  étroite  et  boisée.  De  loin  en  loin,  au  milieu  des  forêts,  on  rencootre  des 
clairières  avec  de  petits  groupes  d'habitations.  Près  de  St.-Pierre,  on  trouve  une 
plaine  cultivée  où  croissent  du  blé  et  des  pommes  de  terre.  Dans  le  voisinage,  jaillit 
une  source  tiède;  l'on  construisait,  dans  l'été  de  18S5,  un  bâtiment  destiné  aux  bai- 
gneurs. La  vallée  est  dominée  par  les  hautes  sommités  du  Dachberg  (9700),  du  Piz 
Tomils,  du  Piz  Gurgielatsch  {Gurleischhom),  etc.  Au  sud  de  Vais  elle  se  partage  ;  l'une 
des  bifurcations  conduit  au  vallon  de  Zavreila,  qui  présente  de  beaux  jÂturages  et  de 
grandes  chutes  d'eau,  et  se  prolonge  au  milieu  de  sauvages  montagnes;  die  aboutit  au 
glacier  de  Lenta,  qui  descend  au  nord  du  Piz  Vairhein.  Au  fond  d'un  vallon  latéral  se 
Irouve  un  autre  glacier,  qui  descend  du  Zaperthorn.  L'autre  bras  de  la  vallée  s'étend 
vers  le  sud,  sous  le  nom  de  Peil  ou  Pfeilthal  ;  il  aboutit  au  passage  du  Valserberg,  qui 
mène  à  Hinterrhein  et  dont  le  sommet  (7670  pieds),  facile  à  atteindre,  offre  une  bdie 
vue  sur  la  chaîne  que  franchit  le  Splûgen.  A  l'est  du  col  s'élève  un  pic,  d'où  la  vne  est 
encore  bien  plus  remarquable. 

Val  Safien.  —  Près  du  village  de  Versam  s'ouvre  la  vallée  de  Safien,  qui  a  une  lon- 
gueur de  sept  lieues.  Dans  sa  partie  inférieure,  ses  flancs  sont  très-escarpés;  ils  sodI 
revêtus  de  sombres  forêts,  où  croissent  des  arbres  d'une  grosseur  extraordinaire,  mais 
dont  l'exploitation  est  impossible.  Nous  avons  parlé  d'un  pont  très-hardi  jeté  sur  le 
profond  ravin  où  coule  la  Rabiosa.  Plus  loin,  la  vallée  s'élargit,  et  l'on  rencontre 
un  grand  nombre  d'habitations  éparses.  La  vallée  est  une  des  plus  riches  en  pAtura- 
ges;  elle  possède  25  grandes  alpes  et  de  nombreux  troupeaux.  L'alpe  de  Gumana 
est  une  des  plus  étendues  du  canton.  Les  habitants  descendent  d'une  colonie  qui  date 
de  la  dynastie  des  Hohenstaufen  ;  ils  sont  protestants,  et  forment  trois  communes, 
réparties  dans  quarante  hameaux.  Du  fond  de  la  vallée  deux  sentiers  mènent  par 
le  Lochlipass  (79!20  pieds),  et  par  le  col  Galendari  (7050),  dans  la  vallée  de  Rhdn- 
wald,  au  pied  du  Splûgen. 

Vallée  du  Rhin  postérieur.  —  La  vallée  que  parcourt  le  Rhin  postérieur  prend 
divers  noms  ;  la  partie  inférieure  s'appelle  vallée  de  Domleschg  ;  plus  haut  se  trouve 
le  long  défilé  de  la  Via  Mala,  auquel  succède  la  vallée  de  Schams,  puis  celle  de  Rhein 
wald,  qui  s'étend  jusqu'aux  sources  du  fleuve.  Cette  vallée,  dont  la  longueur  est  de 
1 5  lieues,  est  beaucoup  plus  remarquable  que  celle  du  Rhin  antérieur  ;  elle  est  aussi 
beaucoup  plus  fréquentée,  puisqu'il  y  passe  une  des  principales  routes  qui  font  com- 
muniquer rAIIcmagnc  et  la  Suisse  avec  l'Italie.  La  route  qui  remonte  la  vallée 


^qi^^^lw^T^* 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  389 


aboutit  à  deux  passages,  dont  l*un,  leSplûgen,  conduit  en  Lombardie  par  le  pays  de 
Ghiavenne  ;  et  l'autre,  le  St.-Bernardin,  mène  en  Piémont,  par  le  val  Misocco  et  le 
Tessin. 

Vallée  de  Domleschg,  Tusis.  —  La  vallée  Domleschg  (ou  mllis  Tomiliasca)  prend 
son  nom  du  grand  village  de  Tomils.  Elle  est  une  des  plus  larges  du  canton,  et  se 
distingue  par  sa  fertilité,  par  l'agrément  du  paysage,  et  par  les  châteaux,  la  plupart 
en  ruines,  qui  se  succèdent  de  colline  en  colline  ;  la  rive  gauche  est  bordée  par  le 
mont  Heinzenberg  (ap|)elé  en  romanche  la  Montagna),  qui  présente  de  magnifiques 
plateaux,  couverts  de  villages  entourés  de  prairies  et  de  cultures  diverses.  Le  duc  de 
Rolian  appelait  cette  montagne  la  plus  belle  de  l'univers.  Sur  la  rive  droite,  les  mon- 
tagnes sont  plus  rapides  ;  on  voit  cependant  aussi  sur  leurs  pentes  plusieurs  villages 
et  de  nombreux  manoirs.  On  ne  compte  dans  toute  la  vallée,  longue  de  quatre  lieues, 
pas  moins  de  22  villages  et  21  châteaux.  Sur  la  rive  gauche,  on  trouve  d'abord 
Rhœzûns,  avec  un  beau  château,  situé  sur  un  rocher  baigné  par  le  Rhin  ;  on  attribue 
sa  fondation  à  Rhœtus,  chef  étrusque  ;  après  l'extinction  des  anciens  seigneurs  de 
RhsBzûns,  il  passa  successivement  en  divei^ses  mains;  il  appartient  maintenant  à  la 
famille  Yieli.  Sur  la  même  rive,  on  rencontre  plus  loin  les  ruines  de  Realla.  Sur 
Tautre  rive  s'élèvent  celles  du  château  de  Juvalta;  puis,  sur  le  haut  d'un  rocher  sail- 
lant, le  grand  château  d'Ortenstein,  encore  habité  par  les  comtes  de  Travers  ;  viennent 
ensuite  les  restes  des  manoirs  de  Paspels,  d'Âlt-Sins,  de  Neu-Sins,  etc.  ;  celui  de 
Raldenstein,  assez  bien  conservé;  le  château  de  Fûrstenau,  converti  en  prison  péni- 
tentiaire. Non  loin  de  Tusis,  on  voit  Tagstein,  château  tout  moderne  de  la  famille 
de  Salis;  à  l'extrémité  de  la  vallée  est  le  joli  bourg  de  Tusis,  qui  fut  détruit  par  un 
incendie  en  I8&6.  Il  est  maintenant  rebâti  avec  de  larges  rues;  il  compte  près  de 
800  habitants,  la  plupart  réformés  et  allemands;  il  s'y  tient  des  foires  importantes. 
II  possède  des  bains  très-fréquentés  près  de  la  NoUa.  Ce  torrent  se  jette  dans  le  Rhin 
au  sud  de  Tusis;  il  a  fallu  élever  de  fortes  digues  pour  se  garantir  de  ses  dévasta- 
tions; ses  eaux  vaseuses,  rendues  noirâtres  par  des  débris  de  schistes  marneux, 
donnent  au  Rhin  une  couleur  foncée.  Elles  ne  contiennent,  à  ce  qu'on  assure,  aucun 
poisson.  La  vue  qu'offre  le  pont  de  la  Nolla  est  très-remarquable:  on  voit  au  fond 
de  la  vallée  s'élever  comme  une  tour  le  Piz  Beverin  (9234). 

YiA  Mala.  —  Au-delà  de  Tusis  la  vallée  semble  fermée  par  de  hautes  montagnes; 
ce  n'est  que  lorsqu'on  s'en  approche  qu'on  découvre  l'étroite  ouverture  que  s'est 
frayée  le  Rhin,  et  au  travers  de  laquelle  on  a  construit  la  route.  L'entrée  de  cette 
gorge  effrayante  est  gardée,  sur  la  rive  droite,  à  une  hauteur  de  près  de  600  pieds 
au-dessus  du  fleuve,  par  les  ruines  du  château  de  Haute-Rhélie  ou  Hoch-Ryalt,  un 
des  plus  anciens  de  tous  les  manoirs  de  l'Helvétie  ;  la  tradition  en  fait  aussi  remonter 
Torigine  à  Rhœtus.  Il  avait  quatre  tours,  mais  celle  du  nord  a  seule  résisté  aux 
ravages  des  temps.  Sur  la  hauteur  voisine,  se  trouvent  les  ruines  de  Ig  chapelle 
Saint-Jean,  la  plus  ancienne  et  longtemps  la  seule  église  de  la  vallée,  qui  n'em- 
brassa que  tard  le  christianisme.  Le  château  est  aussi  appelé  Sanct-Johannenstein, 
du  nom  de  cette  chapelle.  En  1&70,  on  avait  pratiqué  le  long  de  la  gorge  un  chemin 
large  de  trois  à  quatre  pieds  seulement.  On  y  pénètre  maintenant  par  une  galerie 
longue  de  216  pieds,  haute  de  10  â  1&,  et  large  de  15  à  18.  Cette  galerie,  qui  a 
été  construite  en  même  temps  que  la  nouvelle  roule,  en  1822,  porte  le  nom  de  Trou 


590  LA   SUIS8K   PITTOKKSQCE. 


Perdu  (  Verlorefies  Loch),  que  portail  dès  les  temps  anciens  la  gorge  eHeHooéme.  S'il 
^  retourne  après  être  entré  dans  celle-ci,  le  voyageur  aperçoit  la  riante  vallée  de 
Domleschg,  éclairée  d'un  brillant  soleil,  et  qui  Tait  un  contraste  remarquable  avec 
les  rochers  noirâtres  qui  s'élèvent  perpendiculairement  des  deux  oAtés.  La  Via  Mala 
n  une  longueur  d'une  lieue  ;  elle  est  ainsi  nommée  à  cause  des  nombreux  aceldeots 
que  causaient  autrefois  les  avalanches  et  les  chutes  de  pierres;  c'est  la  gorge  la  plus 
sauvage  et  la  plus  grandiose  qu'il  y  ait  dans  toutes  les  Alpes  généralement  connues. 
On  la  compare  quelquefois  avec  celle  de  Gondo  sur  la  descente  du  Simplon,  et  avec 
celle  de  Pfa>Rei^;  mais  celle  de  Gondo  n'est  ni  si  sauvage  ni  si  étroite;  quant  à 
celle  de  Ffseflers,  elle  est  plus  triste  et  plus  resserrée  que  la  Via  Mala,  mais  pas 
aussi  grandiose.  Il  peut  cependant  arriver  que  quelques  voyageurs  se  soient  fait  de 
celle-ci  une  idée  encore  plus  terrible  que  la  réalité,  et  qu'ils  éprouvent  quelque 
désappointement  en  la  parcourant.  Un  effort  de  la  nature  a  fendu  en  deux,  de  la 
base  au  sommet,  un  rocher  de  4500  pieds;  la  fente  par  laquelle  on  passe  n'a  en 
quelques  places  au-dessous  de  la  roule  que  30  à  &0  pieds  de  lai^ur.  Le  t^nps  a 
exercé  très-peu  d'influence  sur  ces  roches,  et  si  un  autre  jeu  de  la  nature  rejoignait 
les  deux  parois,  elles  s'emboîteraient  parfaitement.  Le  Rhin,  dont  le  lit  n'a  que  la 
largeur  d'un  ruisseau,  s'engouffre  à  une  telle  profondeur  (200  à  400  pieds),  que 
parfois  on  ne  le  voit  ni  ne  l'entend.  La  roule  est  si  étroite,  qu'à  certaines  places 
elle  laisse  à  peine  se  croiser  deux  voitures.  La  gorge  s'élargit  un  peu  près  du 
hameau  de  Rongella,  puis  se  resserre  de  nouveau,  et  l'on  passe  et  repasse  Tabime 
sur  deux  ponis.  C'est  l'espace  compris  entre  ces  ponts  qui  offre  le  plus  de  sublimes 
horreurs.  Le  second,  qui  est  à  près  de  400  pieds  au-dessus  du  fleuve,  surprend  par 
l'élégance  de  ses  proportions  et  par  la  hardiesse  de  son  arche.  Il  date  de  4739.  En 
4834,  lors  de  la  grande  inondation,  l'eau  ne  se  trouvait  plus  qu'à  quelques  pieds  au- 
dessous  de  la  voûte. 

Vallée  de  Schams.  —  Dès  que  l'on  a  passé  un  troisième  pont,  dont  Tâévalion 
n'a  rien  de  remarquable,  et  qui  fut  construit  à  la  place  de  celui  qu'avait  enlevé 
l'orage  de  4834,  on  entre  dans  une  vallée  nouvelle,  où  l'œil  peut  se  délasser  de  la 
vue  des  sauvages  horreurs  qu'il  vient  de  traverser.  Les  jolies  habitations  et  les 
vertes  prairies  de  cette  vallée,  toute  ouverte  aux  rayons  du  soleil,  font  une  impres- 
sion  des  plus  agréables  au  sortir  des  sombres  précipices  de  la  Via  Mala.  On  arrive 
bientôt  à  Zillis,  dont  l'église  fut  donnée  en  940  à  l'évéque  de  Goire  par  l'empereur 
Othon  l".  Sur  une  hauteur  de  la  rive  gauche,  on  voit  encore,  près  de  Donats, 
les  ruines  du  château  de  Fardûn,  ancienne  résidence  des  baillis  des  comtes  de 
Werdenberg.  L'un  d'eux  fut  la  cause  première  de  la  délivrance  du  pays  vers  le 
milieu  du  45*  siècle,  comme  Gessler  l'avait  été  pour  le  pays  d'Uri  un  siède  et 
demi  auparavant.  Deux  chevaux  du  seigneur  de  Fardûn  avaient  été  lâchés  dans 
les  champs  de  blé  de  Jean  Ghaldar;  celui-ci,  irrité,  assomma  ces  animaux;  il  expia 
celle  action  dans  les  fers,  jusqu'à  ce  que  les  siens  eussent  réussi  à  le  racheter  à  force 
d'argent.  Il  était  de  retour  dans  sa  famille,  lorsqu'un  jour  le  seigneur  de  Fardûn 
entra  à  l'heure  du  diner  dans  sa  cabane,  et  eut  l'extrême  insolence  de  cracher  dans 
le  potage  bouillant  qui  était  placé  sur  la  table.  Ghaldar,  prompt  comme  l'éclair,  saisit 
le  tyran  à  la  gorge,  et  plonge  sa  tête  dans  la  marmite,  en  lui  disant  :  a  Mange  le 
potage  que  tu  as  assaisonné!  »  puis  il  l'étrangle.  Ge  fut  le  signal  de  la  délivrance 


LA    SUISSE    IMTTORBSQUK. 


391 


générale.  —  Près  des  bains  de  Pignol  ou  Pigneu ,  la  roule  passe  un  beau  pont  moderne, 
sur  le  parapet  duquel  se  lit  une  inscription  latine  dont  voici  le  sens  :  La  route  vient 
d'être  ouverte  aiix  amis  et  aax  ennemis.  Rhétiens,  soyez  sur  vos  gardes  !  La  simplicité 
des  nwmrs  et  Vunion  sauveront  la  liberté,  héritage  de  vos  amix.  Quand  elle  a  dépassé 
le  village  d'Andeer  (3040),  cheMieu  de  la  vallée,  la  route  s'élève,  par  une  série  de 
contours,  dans  la  belle  gorge  de  Roffla  ou  des  Rofflen,  qui  ferme  au  sud  la  vallée  de 
Schams;  le  Rhin  y  forme  des  chutes  très-remarquables.  Elle  laisse  sur  la  gauche 
Touverture  de  la  vallée  d'Avers,  d*où  descend  un  affluent  considérable  du  Rhin.  Elle 
sort  de  la  gorge  par  la  galerie  de  Sasa  Plana,  qui  n'a  que  16  à  48  pas  de  longueur, 
et  qui  donne  entrée  dans  une  nouvelle  vallée. 

Le  Rheinwald,  le  Splugen,  le  Saint-Bernardin.  —  La  vallée  du  Rheinwald  s'élend 
sur  une  longueur  de  plus  de  six  lieues,  de  la  galerie  de  Sasa  Plana  aux  glaciers  de 
r Adula  et  aux  sources  du  Rhin.  Le  terre-plein  de  la  vallée  est  à  la  hauteur  de 
4500  à  &900  pieds  au-dessus  de  la  mer,  et  il  s'élève  encore  considérablement  près  des 
sources  du  fleuve.  Quoique  moins  dépourvue  d'arbres,  la  vallée  ressemble  un  peu  à 
celle  d'Urseren.  On  y  cultive  encore  des  pommes  de  terre,  de  l'orge,  et  même  du  lin 
et  du  chanvre;  mais  le  principal  produit  est  celui  des  prairies.  On  entretient  dans  la 
vallée  un  grand  nombre  de  chevaux  pour  le  service  des  routes.  Les  habitants,  au 
nombre  de  1400,  sont  répartis  dans  six  villages;  ils  sont  réformés,  et  descendent  des 
colonies  allemandes  qui  vinrent  au  milieu  du  moyen-âge  défricher  les  hautes  vallées, 
et  qui  furent  chargés  de  garder  le  passage  des  montagnes.  Le  charme  de  la  liberté 
convertit  pour  eux  le  désert  en  une  patrie,  à  laquelle  ils  vouèrent  toute  leur  affection. 


Au  Spltigen. 


392 


LA    susse    PITTOlIBSQrK. 


Ils  furent  appelés  des  geiis  libres  dans  les  documenls  dès  (277,  lorsque,  après  la 
morl  de  (lonradin,  ils  invoquèrent  la  proleclion  du  baron  de  Vatz.  Ils  ont  conservé 
leur  ancienne  langue,  tandis  que  dans  la  vallée  de  Scbams  et  une  partie  de  celle  de 
Domles^hg,  on  parle  le  romanche. 


L«  Spi&gea,  au-deU  (i«  Chiaveaoe. 

Du  village  de  Splûgen,  on  a  deux  heures  de  montée  pour  atteindre  le  sommet  du 
col  de  même  nom,  qui  est  à  6500  pieds  au-dessus  de  la  mer,  et  à  2000  au-dessus 
du  village.  Le  passage  n'offre  pas  une  vue  bien  remarquable  ;  il  est  dominé  d'en 
viron  3S00  pi^s  par  la  cime  du  Schneehorn  ou  Tambohorn  (98&6ou  10,086), 
qui  s*élève  à  Touest,  et  dont  on  aperçoit  la  pyramide  neigeuse  du  ddme  de  Milan;  à 
Test  s*élève  le  Soretto.  Le  passage  porte  aussi  le  nom  de  Colnw  del  Orso  (Sommet  de 
Tours  ).  Le  nom  de  Spliïgen  vient,  à  ce  qu'on  croit,  d*une  ancienne  tour  de  garde  qui 
Tut  construite  dès  les  temps  anciens  sur  le  sommet:  Spécula  aurait  été  converti  en 
Siwltiga.  Il  parait  que  les  Romains  ont  connu  le  passage  du  Splûgen,  mais  il  n'esl 
praticable  pour  les  voitures  que  depuis  4821.  Les  gouvernements  des  Grisons  et  du 
Tessin  faisant  construire  une  grande  route  sur  le  mont  Bernardin,  T Autriche,  afin 
de  ne  pas  perdre  le  transit,  entra  en  négociations  avec  les  Grisons  pour  l'établisse 
ment  d'une  autre  voie  sur  le  Splûgen.  Du  côté  de  Suisse,  la  route  passe  d'abord  sous 
une  galerie  longue  de  %2  pieds,  non  loin  du  village  de  Splûgen  ;  puis  elle  parvient 
sur  la  montagne  au  moyen  de  seize  contours.  A  peu  de  distance  du  sommet,  sur  la 
|)ente  sud,  on  rencontre  une  douane  autrichienne;  on  doit  ensuite  passer  sous  trois 
grandes  galeries,  établies  dans  des  lieux  très-exposés  aux  avalanches;  la  plus  longue 
a  1530  pieds.  Elles  sont  construites  en  forte  maçonnerie  et  revêtues  de  toits  indinè^ 
reposant  sur  des  piliers,  et  destinés  à  laisser  glisser  la  neige.  L'inondation  de  183i 
avait  considérablement  endommagé  la  roule;  elle  a  été  réparée  dès-lors,  et  sa  direc 
lion  changée  en  |)artie.  Au-dessous  du  village  d'Isola,  elle  passe  non  loin  d'une  cas 
cade  de  700  pieds,  que  forme  le  Madesimo.  Plus  bas,  on  trouve  Campo-Dolcino,  d'où 
il  n\v  a  plus  que  deux  lieues  et  demie  jusqu*à  Chiavenne,  petite  ville  de  3000  &mes. 
qui,  sauf  sa  belle  position,  offre  peu  de  chose  de  remarquable,  et  qui,  avec  sa  vallée, 


LA   SUISSE    PITTORESQUE. 


393 


fut,  comme  nous  Tavons  dit  ailleurs,  longtemps  sujette  des  trois  Ligues.  La  vallée 
emprunte  le  nom  de  San-Giacomo  à  un  village  situe  au  nord  de  Chiavenne. 

Une  distance  de  deux  lieues,  presque  en  plaine,  sépare  le  village  de  Spliigen  de 
celui  de  Hinterrhein;  la  route  passe  à  Ebi,  où  la  Landsgemeinde  de  la  vallée  se  ras- 
semble sur  une  prairie  le  premier  dimanche  de  mai.  C'est  de  Hinterrhein  (4980  pieds) 
ciue  la  route  du  Bernardin  s* élève  par  une  longue  série  de  zigzags  pratiqués  contre 
une  pente  escarpée  ;  elle  parvient  ensuite,  par  un  vallon  étroit  et  désert,  au  sommet 
du  col,  haut  de  658&  pieds,  ou  de  15  à  1600  au-dessus  de  Hinterrhein.  Le  passage 
était  déjà  connu  des  Romains;  il  s'appelait  Vogelberg  ou  Mmt  de  l'Oiseau  au  com- 


.--•.>-- 


Le  pasfage  du  Vogelberg. 


mencement  du  15*  siècle.  Le  nom  actuel  vient  d'une  chapelle  qui  fut  érigée  par 
sainl  Bernard  de  Sienne,  quand  il  prêcha  dans  la  contrée.  La  route  moderne  Tut 
conslruite  de  1819  à  1823.  Le  gouvernement  sarde  se  chargea  de  la  majeure  partie 
de  la  dépense,  à  raison  des  immenses  avantages  que  le  commerce  de  Gênes  et  de 
Turin  devait  retirer  d'une  communication  directe  avec  la  Suisse  et  l'Allemagne 
occidentale.  La  route  est  praticable  pour  les  voitures  durant  tout  l'hiver.  On  trouve 
au  sommet  une  grande  maison  de  refuge,  tenue  par  un  aubergiste  qui  reçoit  une 
subvention  de  l'Etat.  La  route  côtoie  ensuite  le  petit  lac^de  Moesola,  près  duquel 
croissent  quelques  fleurs  rares  des  Ali)es.  (  Voy.  Val  Misocco.  ) 

Sources  du  Rhin  postéuieur.  —  Du  village  de  Hinterrhein  il  faut  encore  quatre 
heures  de  marche  pour  s'approcher  des  sources  du  Rhin.  L'excursion  ne  peut  se 
faire  que  depuis  le  milieu  de  l'été  ou  en  automne,  vu  le  danger  des  avalanches ^  A 
une  lieue  du  village  on  commence  à  monter  au  milieu  d'afl*reux  débris  de  rochers  ; 
puis,  après  une  marche  peu  commode,  tantôt  sur  les  cailloux  roulés  qui  couvrcnl 
les  bords  du  fleuve,  tantôt  sur  des  restes  d'avalanches,  on  arrive  au-dessous  de  ral|K' 
de  Zaport;  on  parvient  par  une  montée  rapide  sur  cette  alpe,  qui  est  située  sur  la 
rive  gauche  et  exposée  au  sud;  on  y  trouve  des  bergers  bergamasques.  L'ali)e 

1.  Au  mois  d'aoùl  1855  on  no  pouvail  arriver  au  pied  de  Talpe  de  Zaporl  qu*en  marchaul 
plus  d'une  heure  sur  d'énormes  masses  de  neige,  accumulées  par  les  avalanches,  el  partagées  en 
quelques  endroits  par  de  grandes  crevasses.  11  fallait  passer  et  repasser  trois  fois  le  Rhin  sur 
des  voûtes  de  neige. 

II.  ».  50 


394  LA  siissi:  piTTcmesQtE. 


aboutit  à  un  ravin  siiuvaji^e,  bordé  de  précipices,  et  qu*on  nomme  V Enfer.  Sur  I  aulrt 
rive  est  un  |)etit  plateau  de  rocher  qui  se  tapisse  au  mois  d*aoùi  de  bdies  Oeu^ 
alpines,  et  auquel  on  donne  le  nom  d\4//ir  du  PanidU.  Un  peu  plus  haut,  se  tennine 
le  vaste  glacier  de  Rlieinwald,  d*où  jaillit  le  Rhin  ;  quelquefois  le  torrent  sort  d'uoe 
belle  voûte  de  glace  ;  il  est  immédiatement  grossi  par  les  eaux  qui  sortent  de  plu 
sieurs  crevasses  du  glacier.  L^alpe  de  Zaport  est  une  station  favorable  pour  ooniem 
pler  soit  la  ceinture  de  glace  qui  termine  et  enferme  la  vallée,  soit  les  cim> 
im|K>santes  qui  s*élèvent  au-dessus,  le  Moschelhorn,  d'où  se  précipitent  de  belb 
cascades,  le  Piz  Yalrhein  ou  Piz  d*Uccello,  le  Zaporthorn,  etc.  Sur  la  rive  droite, 
on  voit  une  partie  du  glacier  de  Za|)ort,  qui  s^appuie  contre  Taiguille  pointue  qui 
porte  ce  nom,  et  sur  lequel  est  arrivé  en  septembre  1854  Taccident  que  nous  aYOD> 
rap|K>rté  (page  81). 

Yallék  dk  FeRRi^RA  ET  D*  A  VERS.  —  Vcrs  le  bas  de  la  goi^e  des  BoHlen,  dool 
nous  avons  parlé,  débouche,  du  côté  du  sud,  une  autre  gorge,  qui  conduit  dans  uoe 
des  vallées  les  plus  sauvages  qu*il  y  ait  dans  les  Alpes.  Elle  a  sept  lieues  de  longueur 
et  est  arrosée  |)ar  le  Rhin  d'Avers.  A  \yc\x  de  distance  de  Touverlure,  ce  torrent,  qui 
l)ouillonne  au  milieu  de  gros  blocs  de  granit,  fait  deux  ou  trois  cascades  remar- 
quables. On  rencontre  d*abord  le  village  de  Bas-Ferrsera,  puis  le  hameau  deCankûi 
ou  Haut-Ferrœra.  Une  gorge  très-longue  et  très-étroite,  mais  qui  abonde  en  site> 
variés  et  pittoresques,  et  qu'animent  plusieurs  belles  cascades,  conduit  ensuite  au 
hameau  de  Campsut.  Plus  loin,  la  vallée  porte  plus  particulièrement  le  nom  d*Avei> 
Après  avoir  franchi  un  nouveau  défilé,  où  Ton  trouve  aussi  quelques  sites  remar- 
quables, on  arrive  au  village  paroissial  de  Gresta  ou  d'Avers,  où  commence  un 
vallon  revêtu  des  plus  verdoyants  pâturages.  La  partie  inférieure  de  la  vallée  a 
conservé  encore  quelques  forêts  de  mélèzes  et  de  cimbres,  mais  la  partie  supérieurr 
est  complètement  déboisée,  ce  qu'on  attribue  aux   fonderies  qui  étaient  établie' 
autrefois  dans  le  vallon  latéral  de  Bregaglia.  On  y  pourvoit  en  partie  au  manque  de 
bois  au  moyen  de  la  tourbe  et  de  la  fiente  de  mouton  et  de  chèvre.  La  vallée  d'Avers 
est  la  contrée  habitée  la  plus  haute  du  canton,  et  probablement  de  toutes  les  Alpe> 
Cresta  est  à  6300  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Le  31  mai  18S5,  le  sol  n'y  était  pa.^ 
encore  dégarni  de  neige.  Malgré  la  rigueur  du  climat,  on  réussit  à  y  faire  crollredes 
pommes  de  terre  et  quelque  jardinage.  La  vallée  est  limitée  au  sud  par  les  pics  de^ 
montagnes  de  Bregaglia  ;  deux  passages  mènent  du  côté  de  Ghiavenne  par  les  vallon!^ 
latéraux  de  Lei  et  de  Madris.  Des  ch&lets  de  Joff,  les  plus  hauts  de  la  vallée (6730), 
deux  autres  sentiers  conduisent,  par  des  crêtes  élevées,  l'un  par  Valetta  (8U0),  à 
Bivio,  dans  le  val  Oberhalbstein,  l'autre  par  le  col  de  la  Forcella(8300),  aucoidu 
Septimer.  Le  sommet  de  ces  passages  ne  se  dégarnit  pas  de  neige  en  été,  mais  ik 
n'offrent  aucune  difficulté.  La  population  est  réformée;  elle  descend  d'une  aDcienof 
colonie  allemande,  qui  a  toujours  joui  d'une  complète  liberté,  et  qui  a  conservé  i^ 
langue  et  la  simplicité  de  ses  mœurs  pastorales.  Elle  compte  environ  350  âmes,  ol 
se  trouve  dispersée  dans  seize  groupes  d'habitations. 

Vallée  de  l'Albula.  —  Un  peu  au-dessous  de  Tusis,  le  Rhin  est  grossi  par'^ 
eaux  de  l'Albula,  qui  sort  d'une  longue  gorge  où  elle  était  profondément  encaissée. 
Non  loin  du  confluent  est  Scharans,  dont  l'église  renferme  le  tombeau  d'Ulrich*' 
Marmels,  qui  contribua  beaucoup  à  la  propagation  de  la  Réforme  dans  les  Grisoos< 


LA    SIÎISSR   IMTTORESK^rE.  39ÎÎ 


Le  chemin  entre  ce  village  et  celui  d'Obervatx,  le  long  de  la  sauvage  gorge  de 
TÂIbula,  prend  le  nom  de  Schyn  ou  de  Mûrraz.  Obervatz  est  situé  sur  un  coteau 
au  milieu  de  belles  prairies;  on  y  Jouit  d'une  l)elle  vue  sur  le  mont  Heinzenberg  et 
SCS  nombreux  villages;  on  voit  dans  les  environs  les  ruines  considérables  du  château 
des  barons  de  Vatz,  la  plus  puissante  famille  des  Grisons  au  12^  et  au  Ift*"  siècle. 
Près  d'Alvaschein,  le  pont  de  Solis,  élevé  de  280  pieds  sur  TAlbula,  et  long  de 
72  pieds,  établit  la  communication  avec  plusieui^  villages  situés  sur  la  rive  gauche, 
contre  des  pentes  d'un  accès  peu  commode.  Au  hameau  de  Vazerol  se  sépare,  sur  la 
droite,  la  roule  qui  conduit  par  Tiefenkasten  vers  les  monts  Julier  et  Septimer.  C'est 
dans  une  ferme  de  Yazerol  que  fut  jurée  solennellement  la  fédération  des  trois  Ligues 
en  4471.  En  continuant  à  remonter  l'Albula,  on  rencontré  les  ruines  imposantes 
du  château  de  Belfort,  situées  sur  un  rocher  presque  inaccessible,  puis  les  bains 
sulfureux  d'Alveneu,  situés  près  du  confluent  de  l'Albula  et  du  Landwasser,  torrent 
qui  vient  de  la  vallée  de  Davos.  Aux  environs  de  Filisur,  village  dominé  par  les 
ruines  du  chftteau  de  Greifenstein,  on  a  exploité  plusieurs  mines  qui  fournissaient 
du  cuivre,  du  plomb,  du  fer,  et  même  de  l'argent  ;  on  exploite  encore  des  mines  de 
fer  productives  dans  les  hauts  vallons  de  Tuorz  et  de  Tisch,  au-dessus  de  Bergûn. 
Entre  Filisur  et  Bergun,  on  passe  dans  un  long  défilé,  où  la  route  est  taillée  dans  le 
roc  sur  un  espace  de  4000  pieds  de  longueur  ;  ce  travail  date  de  l'an  4696.  L'Albula 
mugit  au  fond  d'un  abime  de  ft  à  600  pieds  de  profondeur.  Dans  la  guerre  de  4799 
el  4800,  les  Autrichiens  et  les  Français  firent  passer  par-là  toute  leur  artillerie.  De 
Bergûn,  élevé  déjà  de  4275  pieds,  on  monte  encore  considérablement  pour  atteindre 
l'hôtellerie  du  Weissenstein  (6249),  située  dans  le  voisinage  de  deux  petits  lacs  qui 
donnent  naissance  à  l'Albula.  C'est  plus  haut  qu'on  reconnaît  les  traces  d'une 
ancienne  chaussée  qu'on  attribue  aux  Romains;  puis  on  traverse  la  rallée  du  Diable, 
contrée  sauvage,  toute  remplie  de  débris  de  rochers  amoncelés  par  les  nombreuses 
avalanches  qui  rendent  ce  passage  dangereux  au  printemps.  On  trouve  dans  les 
Alpes  peu  de  solitudes  plus  tristes  et  plus  affreuses  que  celle  qui  passe  entre  le 
Weissenstein  et  le  sommet  de  l'Albula  (7060  ou  7238).  Le  passage  est  dominé  par  les 
deux  aiguilles  de  l'Albula  ;  celle  du  sud  est  granitique,  et  celle  du  nord  de  calcaire 
primitif.  A  la  descente  vers  l'Engadine,  on  jouit  de  belles  vues  sur  les  chaînes 
voisines. 

Val  Oberhalbstein.  —  Retournons  maintenant  en  arrière  jusqu'à  Yazerol,  et 
suivons  la  route  qui  descend  à  Tiefenkasten,  village  profondément  encaissé,  comme 
son  nom  l'indique,  et  placé  au  confluent  de  l'Albula  et  d'un  torrent  nommé  Rhin 
<rOberhalbstein  ;  ce  torrent  descend  d'un  vallon  de  ce  nom  qui  aboutit  aux  passages 
du  Julier  et  du  Septimer.  Les  Romains,  qui  connaissaient  ces  passages,  avaient  b&ti 
près  de  Tiefenkasten  une  tour  destinée  à  protéger  le  pont  de  l'Albula.  Jusqu'au 
IS""  siècle,  époque  où  l'on  construisit  la  route  de  la  Via-Mala,  la  voie  du  Julier  est 
restée  une  des  principales  communications  entre  l'Italie  et  l'Allemagne.  Au-dessus 
de  Tiefenkasten,  la  route  monte  le  long  d'une  gorge  remarquable,  resserrée  par  un 
rocher  perpendiculaire  qu'on  nomme  Slein  ou  la  Roche.  De  là  vient  le  nom  de  la 
vallée,  qui  signifie  sur  la  roche,  de  même  que  le  nom  romanche  sur  seissa.  Au  sortir 
de  ce  défilé,  qui  est  long  de  près  d'une  lieue  et  ressemble  beaucoup  à  celui  de  Bergûn 
décrit  ci-dessus,  on  arrive  sur  de  belles  prairies  parsemées  de  villages  et  de  hameaux. 


591)  LA  srisse  pittoaesque. 


Trois  lieues  plus  haut,  la  vallée  se  resserre  encore,  et,  après  une  montée  un  peu 
raide  au  milieu  des  foréLs,  on  parvient  sur  un  nouveau  plan.  On  y  rencooire  plu- 
sieurs villages  et  plusieurs  ruines  de  ch&tcaux,  avant  d'arriver  kStalla  ou  Biri't 
{ Double  Voie  ),  lieu  ainsi  nomme  parce  que  les  routes  qui  descendent  du  Julier  el  du 
Septimer  s*y  réunissent.  Bivio  est  à  5600  pieds:  le  blé  n'y  croit  plus,  et  les  pommes 
<le  terre  y  mûrissent  rarement.  Il  Tant  encore  deux  heures  pour  atteindre  le  sommet 
du  Julier  (6830).  La  montée  n'est  point  pénible,  et  c'est  un  des  passages  des  Alpe^ 
qui  sont  le  moins  expost'^  aux  avalanches  et  le  plus  vite  débarrassés  de  neige.  En 
revanche,  la  vue  s'y  trouve  bornée  de  tous  les  côtés.  Mais,  à  mesure  qu'on  descend 
vers  TEngadine,  on  aperçoit  {leu  à  peu  des  points  de  vue  plus  étendus  et  plus  inté- 
ressanls.  On  trouve  maintenant  une  auberge  sur  le  sommet.  Nous  avons  parlé  ail 
leurs  des  deux  colonnes  anciennes  qu*on  y  remarque  à  côté  de  la  route.  —  Quant 
au  chemin  du  Septimer,  il  a  cessé  d'être  fréquenté  par  les  voitures,  à  cause  de 
l'escuirpement  du  flanc  méridional  ;  ce  passage  est  cependant  une  des  plus  anciennes 
routes  qu'on  ait  frayiVs  dans  les  Alpes,  et  les  empereurs  romains  et  allemands  lont 
rranchi  avec  leurs  armées.  De  Bivio,  l'on  atteint  en  deux  heures  le  haut  du  passage 
(  7360  ),  où  se  déploie  tout  à  coup  une  vue  étendue  sur  les  cimes  neigeuses  ou  gla- 
cé(»s  de  la  chaîne  du  Bernina,  le  Piz  Muretto,  le  Piz  d'Oro,  etc.  Les  eaux  qui 
découlent  du  Septimer  vont  se  jeter  dans  trois  mers  différentes,  car  elles  donnent 
naissance  au  Rhin  d^Oberhalbstein,  qui  va  grossir  le  Rhin,  à  l'Inn,  affluent  du 
Danube,  et  à  la  Maira,  qui  se  réunit  à  l'Adda. 

Vallée  de  Davos.  —  Si  l'on  remonte  le  Landwasser,  qui  grossit  l' Albula  près  des 
Imins  d'Alveneu,  on  rencontre  d'abord  les  villages  de  Wiesen  (  prairies  )  et  de  Glaris, 
séparés  par  un  défilé  que  sillonnent  en  hiver  et  au  printemps  d'impétueuses  ava- 
lanches. On  arrive  ensuite  dans  une  vallée,  dont  le  terre-plein,  ainsi  que  les  pentes 
des  montagnes,  sont  en  été  tout  émaillés  de  fleurs,  ce  qui  donne  à  la  contrée  un 
aspect  très-agréable;  un  grand  nombre  de  hameaux  et  d*habitations  isolées  y  sont 
épars,  et  portent  collectivement  le  nom  de  Davos.  I^e  cheMieu  s'appelle  Am  Plat:: 
eVst  I&  que  s'assemble  la  Landsgemeinde.  Le  mot  daws,  en  romanche,  signifie  là 
derrière.  Celte  vallée  fut  découverte  par  un  chasseur  du  baron  de  Vatz,  en  1233,  et 
elle  fut  concédée  à  une  colonie,  moyennant  quelque  redevance;  les  colons,  qui  étaient, 
dit-on,  Yallaisans,  furent  dès-lors  appelés  htmines  libres,  et  il  ne  s'éleva  jamais  chez 
eux  aucun  château  seigneurial.  C'est  à  Davos  que  fut  jurée,  en  1436,  la  Ligue  des 
onze  Juridictions  (  voyez  ci-dessus).  A  son  extrémité  supérieure,  la  vallée  commu- 
nique avec  celle  du  Pneltigau  par  le  col  de  Stûtze  ou  de  Laret,  à  peine  élevé  de 
300  pieds  au-dessus  de  Davos,  dont  la  hauteur  est  de  4500  à  4600  pieds.  Elle 
communique  avec  Coire  par  le  col  de  la  Strela  (7317)  et  la  vallée  de  Schalfick;  le 
sentier  est  rapide,  mais  n'a  rien  de  difficile.  Du  côté  du  sud  s'ouvrent  plusieurs  val- 
lons latéraux  :  ceux  de  Monslein  et  de  Sertig,  où  l'on  trouve  des  villages  du  même 
nom  ;  dans  ce  dernier  l'on  voit  une  belle  cascade  ;  ceux  de  Dischma  et  de  FlûeJa, 
où  passent  les  sentiers  un  peu  rudes  de  la  Scaletla  et  de  la  Flûela,  qui  conduisent 
dans  l'Engadine.  On  a,  sur  les  deux  pentes,  à  traverser  d'immenses  éboulements  de 
rochers,  pour  parvenir  au  sommet  de  la  Flûela;  le  col,  élevé  de  7400  pieds,  est 
dominé  par  le  Schwarzhorn  (9700),  d'où  descend  un  glacier.  On  y  trouve  une  ché- 
tive  maison  de  refuge,  el  dans  le  voisinage  deux  petits  lacs,  qu'on  voit  encore 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  397 


couverts  de  glace  au  cœur  de  Télé.  Toute  la  contrée  de  Davos  était  jadis  revêtue 
d'épaisses  forêts  qui  recelaient  un  grand  nombre  d'animaux  sauvages;  aussi,  la 
grande  salle  de  rhôtel-de-ville  de  Davos  est-elle  décorée  d'une  bordure  de  têtes 
d'ours  et  de  loups.  Sur  plusieurs  points  on  a  trouvé  du  minerai  ;  mais  les  pâturages 
du  pays  et  ses  7000  têtes  de  gros  bétail  sont  une  ressource  bien  plus  avantageuse 
que  les  mines.  Toute  la  population  est  réformée  et  parle  allemand. 

Vallées  de  Churwalden  et  de  Schalfick.  —  Ces  deux  vallées  débouchent  au- 
dessus  de  Coire.  Celle  de  Churwalden  se  dirige  vers  le  sud  ;  une  bonne  route  conduit, 
|)ar  les  villages  de  Malix,  Churwalden  et  Parpan,  au  col  de  Heide  (  4775  pieds),  d'où 
l'on  redescend  vers  Lenz,  et  va  rejoindre  les  routes  de  Davos,  de  l'Albula  et  du 
Julier.  Du  sommet,  on  a  une  belle  vue  sur  la  vallée  et  les  montagnes  d'Oberhalbstein. 
Churwalden  est  le  berceau  de  la  famille  des  BuoI,  dont  une  branche  est  établie  en 
Autriche.  La  Rabiosa,  qui  descend  de  cette  vallée,  se  jette  au-dessus  de  Coire  dans 
la  Plessur.  Quant  à  celle-ci,  elle  descend  de  la  vallée  de  Schalfick,  la  plus  sauvage 
et  la  plus  rude  de  toutes  celles  du  canton.  La  rivière  coule  au  fond  d'immenses 
précipices  ;  les  eaux  qui  descendent  des  hauteurs  ont  creusé  aussi  contre  les  flancs 
de  la  vallée  plusieurs  profonds  ravins  qui  séparent  les  divers  villages;  ceux-ci  ne 
communiquent  entre  eux  que  par  des  sentiers  en  zigzags,  pratiqués  à  grand'peinc 
le  long  des  précipices.  Le  village  d'Erosa  ou  Arosa  est  à  S82ft  pieds.  Les  habitants 
de  la  vallée  sont  allemands  et  réformés.  Plusieurs  sentiers  les  mettent  en  rapport 
avec  ceux  de  Davos  et  du  Praettigau. 

Vallée  du  PRiEmcAu.  —  Non  loin  de  Malans  est  le  débouché  de  cette  grande 
vallée,  qu'arrose  la  Landquart.  On  y  pénètre  par  un  défilé  étroit,  appelé  la  Klus, 
qui  était  autrefois  dominé  par  le  château  de  Fragstein  (Ferporta).  On  voit  encore 
les  ruines  d'un  mur  qui  s'abaissait  jusqu'à  la  rivière,  de  sorte  que  la  vallée  pouvait 
(Hre  entièrement  fermée.  Le  Prœttigau  (Pratigovie,  vallée  des  prés,  val  Pratenz  en 
romanche),  se  distingue  par  ses  excellents  pâturages  et  par  le  beau  bétail  qu'il 
élève,  en  même  temps  que  par  ses  sites  tour  à  tour  gracieux  ou  sauvages.  A  une 
lieue  et  demie  du  défilé  de  la  Klus,  est  le  village  de  Schiers,  dont  les  habitants,  aidés 
(le  leurs  femmes,  se  battirent  énergiquement  en  1622  Qpntre  les  Autrichiens,  com- 
mandés par  Baldiron,  et  restèrent  vainqueurs.  Dès-lors,  les  femmes  ont  joui  du  pri- 
vilège de  se  rendre  les  premières  à  la  table  de  la  communion.  En  souvenir  de  cette 
victoire,  le  drapeau  qui  leur  servait  de  ralliement  est  déployé  chaque  année  le  jour 
de  Pâques.  En  4799,  les  habitants  de  la  vallée  défendirent  aussi  contre  les  Français 
le  passage  de  la  Klus.  Plus  loin,  l'on  trouve  les  bains  de  Fideris  et  ceux  de  Serneus. 
Les  premiers  sont  situés  à  une  lieue  de  la  rivière,  sur  sa  rive  gauche.  Ils  sont  dans 
une  localité  peu  pittoresque,  et  leur  établissement  est  très-rustique,  mais  l'efficacité 
des  eaux,  semblables  à  celles  de  Saint-Moritz,  y  attire  une  nombreuse  affluence  de 
toutes  les  c-ontrées  voisines.  Ceux  de  Serneus  sont  au  bord  de  la  rivière,  sur  la  même 
rive;  ils  ont  aussi  quelque  vogue. 

La  vallée  de  Prœttigau  est  entourée  de  hautes  montagnes  aux  cimes  déchirées  et 
couvertes  de  glaciers.  Elle  se  termine  vers  les  grands  glaciers  de  Seivretta,  auxquels 
aboutissent  les  sauvages  vallons  de  Veraina  et  Sardaska,  où  la  Landquart  prend  ses 
sources.  Elle  est  séparée  du  Vorarlberg  par  la  chaîne  du  Rhœtikon,  que  l'on  passe 
par  un  grand  nombre  de  passages,  appelés  ;>or(é«^  dont  la  plupart  sont  assez  difficiles 


398  LA    ftl'ISSR   PITTORRSQrE* 


ri  deviennent  toujours  plus  impraticables  par  les  éboulements  ou  la  marche  d^ 
glaciers.  La  plus  haute  montagne  du  Rliœtikon  est  la  Scem  Plana,  dont  le  mmmi 
pyramidal  est  élevé  de  9^207  pieds,  et  s'appelle  aitssi  Sennhtpf  (Tèie  de  BergeriOo 
ne  peut  le  gravir,  depuis  Scewis,  que  par  des  sentiers  pénibles,  niais  on  \  j(rt)il 
d  un  magnifique  |Kinorama,  qui  sétend  sur  la  Souabe  jusqu'à  Ulm,  sur  une  grande 
imrtie  de  la  Suisse  et  du  Tyrol.  Le  sentier  qui  y  monte  du  côté  du  nord  longe  le 
lieau  lac  de  Luna,  dont  refoulement  forme  une  cascade.  Le  touriste  qui  frétr^ 
des  ascensions  moins  rudes,  peut  faire  celle  de  Y Aitgulenberg  ou  ViUtn,  cime  de 
755G  pieds  au  n<»rd  de  Seewis,  ou  celle  de  la  sommité  bien  moins  élevée  de  VMf. 
au  dessus  de  Malans.  Ia^s  principales  vallées  latérales  qui  débouchent  dans  celle  du 
Pra^ttigau,  sont  :  celle  de  Scewis,  qui  conduit  aux  sommités  qui  viennent  d'être  men- 
tionnées; Seewis  est  la  patrie  du  poète  Salis-Seewis,  mort  à  Malans  en  1834;  celle 
de  S<'liuders  ou  Druserthal,  par  où  Ton  gravit  au  col  appelé  Druserlhor,  Porte  de 
Drusus(67C0),  et  à  un  autre  qui  porte  le  nom  de  Schwei2erthof(  Porte  des  Suisse-: 
c*elle  de  Saint-Antoine,  que  ravagent  de  nombreuses  avalanches  et  qui  aboutit» 
plusieurs  cols,  ainsi  qu'à  une  montagne  nommée  Snlz-FliUè,  où  se  fait  entendre  un 
iVlio  multiple  très-remarquable  ;  enfin,  près  de  KIosters,  s'ouvre  le  vallon  de 
Schiapina  (Selva  pina  ),  d'où  Ton  atteint  par  une  pente  un  peu  escarpée  lecolJe 
Schiapinerjoch.  La  plupart  des  noms  du  Pnettigau  sont  romanches;  mais  les  habi 
tants,  qui  sont  au  nombre  de  plus  de  10,000,  parlent  tous  allemand.  Ils  sont  réformé» 
Encadine.  —  Cette  vallée,  qui  est  longue  de  18  à  19  lieues,  forme  deux  juridic- 
tions de  la  Ligue  de  la  Maison-Dieu,  sous  les  noms  de  Haute  et  Basse-Engadine.  U 
liaute-Engadine  ne  comprend  que  les  sept  lieues  supérieures,  et  s'étend  du  Mal')]^ 
jusqu'au  pont  appelé  Pimtaula  ou  Pont-Alto,  entre  Sinuscel  et  Gernetz,  el  près 
duquel  existait  jadis  une  muraille  de  500  pieds  de  longueur.  La  Basse-Engadine 
s*étend  de  ce  pont  jusqu'à  celui  nommé  Pomartin  ou  Martinsbrttck  (Mariinsbrùcke]. 
qui  confine  au  Tyrol.  La  hauteur  de  l'Engadine,  sa  végétation,  ses  eaux  minérales, 
les  magnifiques  glaciers  qui  l'avoisinent,  et  les  mœurs  de  ses  habitants,  font  de  celte 
vallée  une  des  plus  intéressantes  de  la  Suisse.  La  partie  supérieure  de  la  Haute- 
Engadine  est  surtout  remarquable  ;  ses  jolis  petits  lacs,  où  se  reflètent  de  vertes 
prairies  et  de  belles  forêts  de  cimbres,  surmontées  de  pics  neigeux,  lui  donnent  un 
charme  tout  particulier.  C'est  près  de  Samaden  que  la  vallée  présente  l'aspect  le 
plus  grandiose  ;  on  y  aperçoit,  du  côté  de  Ponteresina,  et  au  milieu  de  la  plus  rraiche 
verdure,  deux  grands  glaciers  d'une  éclatante  blancheur.  La  contrée  comprise  entre 
les  lacs  et  le  pont  de  Puntalta  est  une  belle  prairie,  large  de  près  de  demi-lieue,  et 
toute  émaillée  de  fleurs  au  mois  de  juillet.  Elle  est  presque  entièrement  dépouillée 
d'arbres,  mais  la  pente  des  monts  est  généralement  revêtue  de  forêts  jusqu'à  la  hau- 
teur d'un  millier  de  pieds.  Les  villages  les  plus  élevés  delà  vallée  sont  ceux  de  Sib, 
de  Silvaplana  et  de  Saint-MorHz,  qui  sont  à  5500-5700  pieds.  Samaden  est  à  S360 
ou  5&70.  Or,  la  zone  de  5600  pieds  dans  les  Alpes  a  un  climat  qui  correspond  ip^ 
près  à  celui  du  cap  Nord  en  Laponie.  Le  climat  de  la  Haute-Engadine  est  en  effet 
très-rigoureux  ;  il  y  fait,  comme  disent  les  habitants,  neuf  mois  d'hiver  et  trois 0ois 
de  froid.  Le  jour  le  plus  chaud  peut  être  suivi  d'une  brusque  variation  de  tempéra- 
ture. La  neige  y  tombe  souvent  dans  les  mois  de  l'été,  et  couvre  d'une  nappe  blanche 
toutes  les  prairies  de  la  vallée;  il  ne  s'y  passe  guère  de  semaine  dans  la  même  saison 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  399 


sans  qu'on  y  voie  de  la  gelée  blanche  ;  le  4  mai,  rarlillerie  française  put  passer  sans 
danger  sur  les  lacs  que  couvrait  encore  une  épaisse  couche  de  glace.  L'air  y  est  tres- 
sée et  très-pur  ;  aussi  y  sèche-t-on  la  viande  et  le  poisson  en  les  suspendant  à  Tair, 
d'octobre  à  mai.  On  assure  même  qu'on  peut  conserver  du  bœuf  pendant  plusieurs 
années.  Malgré  la  hauteur  du  sol  de  l'Engadine,  on  y  voit  croître  des  végétaux  qui 
n'atteignent  nulle  part  à  cette  élévation  sur  le  versant  nord  des  Alpes  ;  ainsi,  à  Samaden 
il  croît  un  peu  d'orge  et  de  froment;  l'orge  croît  jusqu'à  Campfer  ;  il  vient  aussi  un  peu 
de  jardinage  autour  des  villages,  et  même  de  celui  de  Feet,  situé  à  6050  pieds  dans  un 
vallon  latéraP.  11  ne  croît  peut-être  en  aucun  pays  autant  et  de  si  beaux  cimbres  ;  ils 
montent  sur  le  flanc  des  montagnes  jusqu'à  4500  pieds  au-dessus  du  terre-plain  de 
l'Engadine,  c'est-à-dire  jusqu'à  la  hauteur  absolue  de  7000  pieds.  Le  fruit  de  cet 
arbre  est  un  objet  de  friandise  pour  les  habitants  ;  ils  en  consomment  en  quantité, 
surtout  dans  les  réunions  d'hiver.  Mais  ce  qui  est  encore  plus  remarquable  que  la 
végétation,  c'est  qu'à  une  hauteur  où  l'on  ne  trouve  guère  ailleurs  que  de  simples 
chalets,  on  rencontre  ici  de  grands  villages  de  la  meilleure  apparence,  avec  des 
maisons  blanches  d'une  propreté  exquise,  et  même  décorées  de  jolis  balcons.  C'est 
ce  que  l'on  chercherait  vainement  dans  quelque  autre  région  d'Europe. 

L'aspect  de  la  Basse -Engadine  est  tout  autre  que  celui  de  la  partie  supérieure  de 
la  vallée.  Les  pentes  des  montagnes  se  rapprochent  presque  partout  du  cours  de 
l'Inn,  et  la  rivière  coule  dans  un  lit  si  profondément  encaissé,  qu'on  l'entend  sou- 
vent sans  la  voir.  La  route,  qui  avait  été  en  plaine  dans  la  Haute-Engadine',  devient 
ici  très-montueuse;  elle  continue  à  suivre  la  rive  gauche,  sur  laquelle  sont  situés 
la  plupart  des  villages  sur  des  pentes  bien  exposées  au  soleil  ;  plusieurs  sont  à  une 
grande  élévation,  et  dominés  par  de  vieilles  tours.  Les  pentes  de  la  rive  droite  sont 
couvertes  de  forêts  et  habitées  encore  par  un  grand  nombre  d'oui*s;  on  n'y  trouve 
qu'un  petit  nombre  de  lieux  habités.  Les  parties  les  plus  pittoresques  de  la  Basse- 
Engadine  sont  les  environs  de  Tarasp  et  l'espace  entre  Cernetz  et  Puntauta. 

La  population  de  l'Engadine  s'élève  à  9375  habitants^  dont  2917  dans  la  haute 
vallée,  répartis  en  onze  paroisses;  6458  dans  la  basse  vallée,  répartis  en  douze 
paroisses.  Deux  de  ces  dernières  sont  catholiques  :  celle  de  Samnaun,  à  l'extrémité 
nord,  et  celle  de  Tarasp.  Celle-ci  a  dû  conserver  son  ancien  culte  parce  qu'elle  est 
restée  sous  la  domination  autrichienne  jusqu'en  4845.  Tous  les  autres  habitants 
sont  protestants  zélés.  On  conserve  dans  chaque  maison  d'anciennes  Bibles  ou  de 
vieux  livres  de  prières  en  langue  allemande  ou  romanche.  Ainsi  que  des  notes 
écrites  à  la  main  sur  plusieurs  de  ces  Bibles  en  font  foi,  la  Réforme  a  compté  dans 
la  vallée  de  nombreux  martyrs  au  commencement  du  47*  siècle,  à  l'époque  où 

1.  On  aUribue  ce  phénomène  de  végétation,  qu'on  retrouve  dans  d'autres  vallées  grisonnes, 
particulièrement  à  la  circonstance  que  ces  vallées  sont  à  une  hauteur  considérable,  relalive- 
ment  aux  montagnes  qui  les  entourent,  de  sorte  que  le  soleil  peut  y  réchauffer  le  sol  plus  long- 
temps que  dans  des  vallées  où  le  terre-plein  n'atteint  pas  la  même  hauteur,  mais  se  trouve  do- 
miné par  des  montagnes  plus  élevées. 

2.  La  route  qui  traverse  la  Haute-Ëugadine  a  été  dernièrement  améliorée  et  rectifiée  en  divers 
endroits.  Celte  roule  neuve  a  été  prolongée  jusqu'à  Lavln,  dans  la  Bas^e-Eugadine. 

3.  11  faut  compter,  en  outre,  1002  habitants  deTËugadine  (1*277  hommes  et  325  femmes),  portés 
comme  absents  en  1850.  MM.  Rôder  et  Tscharner  parlent  d'un  recensement  d'après  lequel  la 
PopuIaUon  totale  de  l'Engadine  était  de  10,596  âmes  ;  ce  chiffre  comprend,  à  ce  qu'il  parait,  les 
Absents. 


400  LA   StISSe   PlTrORBSQLE. 


TEngadine,  de  mémo  que  P<)sc*hiavo,  la  Vallcline,  le  val  Bregagiia,  furent  persô- 
(*utés  par  les  Milanais  pour  qu'ils  rcnlrassenl  dans  le  giron  de  l'Eglise  romaine.  Lo 
dimanches  et  jours  de  Télés  simt  strictement  observés  dans  la  vallée  ;  le  coslume 
d'église  est  en  général  noir;  les  sexes  sont  sé|)arés  pendant  le  service.  —  La  pau- 
vrelé  est  rare  dans  TEngadine,  et  la  mendicité  inconnue.  On  y  rencontre  beaucoup 
d*hommcs  qui,  ayant  habité  dans  des  |)»ys  étrangers,  parlent  diverses  langues; 
quant  aux  femmes,  elles  ne  parlent  ordinairement  que  celle  de  leur  pays.  LiaConsti 
lution  de  la  vallée  est  démocratique,  sur  la  base  la  plus  large.  Un  vieux  proverbe 
dit  avec  vérité  qu'après  Dieu  et  le  soleil,  le  simple  citoyen  est  dans  TEngadinele 
|K)uvoir  suprême.  Cependant,  les  anciennes  familles  nobles  des  Planta  et  des  Salis  v 
conservent  encore  une  partie  de  Tinfluence  qu'elles  ont  exercée  depuis  des  siècles. 
Nous  avons  parlé  plus  haut  de  la  distribution  particulière  qu'on  trouve  dans  les 
habitations  de  TEngadine;  quelques  maisons  et  auberges  nouvellement  construites 
se  sont  soustraites  à  l'usage  du  pays. 

Les  principaux  endroits  de  la  Haute- Engadme  sont  :  Saint-Moritz,  dont  la  source 
acidulé,  soit  alcaline-gazeuse,  attire  une  grande  affluencc  de  malades;  ses  environs 
sont  très-pittoresques;  Samaden,  que  l'on  peut  api^eler  leChamonixdel'Engadine; 
Camogask,  vis-à-vis  de  Ponte,  en  face  du  débouché  de  la  route  du  Julier;  un  peu 
plus  loin,  sont  les  ruines  du  château  de  Guardaval,  qui  fut  construit  ]Mir  l'évéque 
Volkhard  en  l!251  pour  surveiller  la  vallée,  et  que  détruisirent  les  paysans,  sou 
levés  par  un  nommé  Adam  de  Camogask,  dont  le  seigneur  de  Guardaval  avait 
voulu  enlever  la  fille  ;  l'authenticité  de  cet  événement  n'est  point  avérée  ;  Scanfs, 
un  des  villages  les  plus  beaux  et  les  plus  peuplés  de  la  vallée,  non  loin  duquel  on 
voit  les  traces  d'un  ancien  camp  ou  retranchement  qu'on  prétend  faire  remonter  à 
Drusus.  Dans  la  Basse-Engadine,  nous  mentionnerons  :  Gernetz,  situé  au  milieu  dune 
contrée  fertile  et  au  débouché  du  val  del  Forno;  Sûss,  près  duquel  on  a  trouvé,  en 
1S7!2,  des  poignards,  des  flèches,  et  diverses  armures  et  monnaies  romaines  ;  Fettan, 
situé  à  une  grande  hauteur  (5070),  et  non  loin  d'une  source  d'eau  acidulé  et  dune 
caverne  où  l'on  trouve  des  stalactites  et  du  lait  de  lune;  Tarasp,  avec  un  châleau 
remarquable  encore  bien  conservé,  et  où  résidaient  autrefois  les  baillis  autricliiens: 
entre  ce  village  et  celui  de  Schuols,  on  trouve  un  établissement  de  bains  et  (k* 
Ixmnes  auberges  ;  Schuols,  où  était  établie  jadis  une  imprimerie,  qui  fut  Irès-activo 
|M)ur  la  publication  d'ouvrages  religieux  ;  sa  population,  qui,  dit-on,  fut  autrefois  de 
1800  habitants,  est  maintenant  réduite  de  moitié;  ses  eaux  minérales  lui  rendront 
(leut-étre  dans  l'avenir  son  ancienne  pros|)érité.  Mentionnons  enfin  Rcmûss,  dans 
une  contrée  riante  et  fertile,  et  près  de  l'ancien  château  de  Ghianùff;  c'est  à  deux 
lieues  de  Remùss  que  sont  les  ruines  du  retranchement  de  Serviezel  et  le  Mar- 
tinsbruck.  L'élévation  de  la  vallée  est  encore  à  ce  point  de  3234  pieds;  une  licuo 
plus  loin,  est  le  défile  intéressant  de  Finstermûnz. 

De  nombreux  vallons  latéraux  débouchent  dans  la  vallée  de  l'Engadine,  sur  les 
deux  rives  de  la  rivière.  Plusieurs  aboutissent  à  des  pâturages  ou  à  des  glaciers: 
d'autres  conduisent  à  des  imss^iges  plus  ou  moins  fréquentés,  qui  font  communiquer 
l'Engadine  avec  les  vallées  environnantes.  De  Silvaplana  et  de  Ponte  parlent  les 
roules  très-commodes  du  Julier  et  de  l'Albula;  elles  sont  praticables  même  en  hiver, 
et  servent  aux  communications  entre  l'Engadine  et  Goire;  il  n'y  a  que  1500  pieds 


LA    SUISSE    PITTORESQLe.  hO^ 


environ  à  gravir  pour  en  atteindre  le  sommet.  De  Sinuscel  et  de  Sûss,  on  monte  par 
les  valions  de  Salsanna  et  de  Sursura  aux  cols  plus  difficiles  de  Scaletta  et  Flûela,  qui 
conduisent  dans  la  vallée  de  Davos.  Sur  la  rive  droite  s'ouvrent  le  vallon  de  Feet, 
où  l'on  trouve  le  village  et  le  beau  glacier  de  même  nom;  le  val  Ponteresina,  qui 
conduit  au  col  et  aux  magnifiques  glaciei^  du  Bernina  (  nous  allons  y  revenir  )  ;  le 
val  Gasanna,  qui  mène  au  col  de  même  nom,  que  passa  le  duc  de  Rohan  pour  aller 
vaincre  les  Autrichiens  dans  le  val  Livino,  le  27  juin  163S  ;  le  val  del  Forno  (ou 
d'Ofen),  qui  doit  son  nom  aux  fourneaux  qu'on  avait  établis  pour  fondre  le  minerai, 
et  par  lequel  on  se  dirige  à  travers  de  vastes  forêts  vers  le  col  fréquenté  de  Buffa- 
lora  ;  en  face  de  Schuols,  le  val  de  Scarla,  qui  conduit  au  village  et  au  col  de  même 
nom  ',  et  où  l'on  reconnaît  les  traces  de  grandes  inondations. 

GLAGiEns  DU  Bernina  et  Vallée  de  Posghiavo.  —  Près  de  Samaden  débouche  le 
val  Ponteresina,  arrosé  par  le  Flaty,  qui  sort  des  glaciers  du  Bernina.  Dès  qu'on  a 
dépassé  le  village  de  Ponteresina,  on  voit  s'ouvrir  à  droite  le  vallon  latéral  de  Rosegg 
ou  Roseggio,  au  fond  duquel  resplendit  le  vaste  glacier  de  même  nom,  formé  de  la 
réunion  de  deux  glaciers,  ceux  de  Roseggio  et  de  Mortels  ;  le  premier  reçoit  lui-même 
comme  affluent  le  glacier  de  Cierva,  et  le  second  celui  d'Âgagliock.  L'ensemble  de 
ces  glaciers  se  trouve  dominé  par  plusieurs  importantes  sommités  :  le  Piz  Mortirasch, 
12,309  ;  le  Piz  Bernina,  12,475  (voy .  la  nt)te  page  583);  le  Piz  Roseggio,  12,139  ;  les 
Jumeaux,  laSelle,  enfin  leCapucchio  ou  Bonnet,  1 1 ,072  (si  du  moinsc'est  la  même  som- 
mité que  celle  indiquée  dans  l'Hypsométrie  Ziegler  sous  le  nom  de  Caspoggio).  Quatre 
grands  rochers  noirâtres,  qui  se  voient  au  milieu  des  neiges  sur  le  flanc  du  Capucchio, 
lui  donnent  grosso  modo  l'apparence  d'une  figure  humaine.  Le  Piz  Bernina,  le  point 
culminant  du  ""groupe  de  montagnes  qui  porte  ce  nom,  a  été  escaladé  en  18S2  par 
l'ingénieur  Ck)atz  de  Coire.  (Les  Autrichiens  donnent  le  nom  de  Rosso  di  Scersen  au 
Piz  Roseggio,  suivant  d'autres  au  Rosso  di  Denlro.  )  On  met  trois  heures  depuis  le 
village  de  Ponteresina  pour  se  rendre  aux  châlels  d'Alpota,  voisins  du  glacier  de 
Roseggio.  Au  pied  du  Piz  Roseggio  est  une  sommité  nommée  Agagliock',  isolée  au 
milieu  des  glaces,  et  sur  laquelle  on  trouve  un  petit  pâturage  ;  on  ne  peut  y  atteindre 
qu'en  franchissant  le  glacier  ;  mais  le  panorama  qu'on  y  découvre  n'y  est  pas  plus 
grandiose  que  celui  dont  on  jouit  de  l'alpe  d'Alpota.  Environ  une  lieue  au-dessus  do 
Ponteresina  débouche  encore  à  droite  un  second  vallon  latéral,  celui  de  Montaraccia 
ou  de  Mortiratsch,  d'où  descend  un  grand  glacier  formé  de  la  jonction  des  glaciers  de 
Mortiratsch  et  de  Bernina.  —  Pour  se  diriger  vers  le  col  du  Bernina,  on  laisse  sur  la 
droite  les  deux  vallons  latéraux  dont  il  vient  d'être  question.  Près  du  sommet,  on 

i.  Le  col  BafTalora  a  été  omis  (page  70)  dans  le  nombre  des  cols  praUcables  pour  de  légères  voi- 
lures. Quant  au  col  Scarla,  au  contraire,  c'est  seulement  sur  sa  pente  nord  qu'il  est  accessible, 
presque  jusqu'au  sommet,  aux  petits  chars  dont  on  se  sert  pour  descendre  les  fourrages. 

2.  M.  Kasthofcr  (Voyage  dans  les  Grisons)  cite  comme  une  particularité  remarquable  que 
des  masses  de  terre  précipitées  sur  les  glaces  par  les  avalanches  se  sont  recouvertes  d'une  forte 
végétation,  et  fournissent  depuis  trois  siècles  un  pâturage  où  l'on  mène  paître  un  troupeau. 
Ce  petit  pâturage  ne  repose  point  sur  le  glacier  même,  mais  simplement  sur  une  moraine  laté- 
rale, laquelle  s'appuie  contre  le  pied  de  l'Agagliock  et  n'est  pas  entraînée  par  le  glacier.  On 
observe  cependant  bien  quelquefois  de  la  végétation  même  sur  les  goulTrelignes  ou  moraines 
médianes  (voyez  page  78),  supportées  par  les  glaciers  et  participant  à  leur  mouvement.  Ainsi 
Ton  voit  plusieurs  espèces  de  plantes  alpines  sur  les  grandes  moraines  du  glacier  d'Unteraar,  à 
quelque  distance  de  l'hâlel  des  Neuchâlelois. 

11.96  51 


402  LA    SilSSC   nTTOUCS^E. 


pastie  devant  une  m<idesle  bolellerie.  Plus  loin.  Ton  Irouve  quatre  petits  lacs  (  voy .  d- 
dessus,  pa^e  5SC),  dont  la  hauteur  est  d'environ  7000  pieds;  aussi,  les  avons-nous 
vus  OiKJverts  d*une  couc^be  de  glare  de  demi-pouce  d'épaisseur,  apfès  une  nuit  claire 
de  b  fin  de  juillet  (  1837  ),  et  malgré  un  vent  très-vif.  Le  col  se  trouvait  eqie&dant 
cumplêlement  dégarni  de  neige.  A  droite,  c'est-à-dire  à  l'ouest  du  col,  on  voit  contre 
la  pente  de  la  montagne  les  glaciers  de  Diabolets,  d'Arli  et  de  Cambrena.  En  moo- 
tant  de  Ponlerestna  au  i*ol,  on  a  sur  la  gauche  une  sommité  nommée  le  Piz  LinçHani 
(Lanquard  sur  la  carte  Dufour  ),  et  haute  de  10,053  pieds.  Ce  piccomm^ioe  à 
recevoir  fréquemment  la  visite  des  touristes.  L'ascension,  qui  exige  au  moins  quatre 
heures,  et  n'est  pénible  que  durant  la  dernière  heure,  peut  se  bire  du  sommet  du 
col  ou  de  Ponteresina.  Par  la  première  voie,  on  doit  traverser  un  petit  glacier  et  un 
champ  de  neige  ;  par  la  seconde,  l'ascension  a  lieu  sur  des  pentes  où  la  neige  a 
disparu  vers  le  milieu  de  l'été.  Le  panorama  éblouissant  qui  s'ofiBre  aux  regards 
s'étend  d*un  cdté  jusqu'au  milieu  du  Tyrol,  de  Tautre  jusqu'aux  grandes  Alpes 
bernoises. 

On  lit  dans  quelques  ouvrages  que  les  glaciers  du  Bemina  n'ont  pas  moins  de 
46  lieues  d'étendue.  Ces  expressions  peuvent  (aire  concevoir  une  idée  très-erronée  de 
ce  qu'est  en  réalité  la  chaîne  du  Bemina.  On  peut  comparer  les  glaciers  du  Bemina 
compris  entre  celui  de  Bondasca,  à  l'extrémité  sud  du  val  Brqgaglia,  et  le  col  du 
Bemina,  au  groupe  des  glaciers  du  Mont-Blanc  compris  entre  le  col  du  Bonhomme 
et  le  col  de  Balme.  Chacun  de  ces  deux  massifs  a  sur  la  carte  environ  neuf  lieues 
de  longueur,  sur  une  largeur  qui  n'est  que  d'environ  trois  lieues  (  car  telle  est  la 
distance  sur  la  carte  ou  à  vol  d'oiseau,  entre  le  hameau  d'Entrèves  près  Corniayeur, 
et  Chamonix,  ou  entre  TAIlée-Blanche  et  lesOuches).  Le  plus  long  glacier  du  Mont- 
Blanc,  celui  des  Bois,  a  une  longueur  de  près  de  trois  lieues,  à  cause  de  sa  forme 
demi-circulaire.  Si  un  ou  deux  glaciers  du  Bemina  atteignent  une  longueur  pareille, 
cela  ne  peut  s'expliquer  que  par  leur  direction  parallèle  &  la  chaîne  elle-même.  On 
compte  autour  du  Mont-Blanc  plus  de  vingt  glaciers  ;  ceux  du  Bemina  sont  encore 
plus  nombreux  ;  plusieurs  des  principaux  descendent  sur  le  territoire  de  la  Valteline, 
au  fond  des  vais  Malenco  et  Masino.  Ce  n'est  que  depuis  quelques  années  qu'on  a 
parcouru  en  détail  ce  massif,  à  l'occasion  de  la  triangulation  fédérale;  auparavant, 
quelques  chasseurs  de  chamois  y  avaient  seuls  mis  les  pieds.  Ainsi  il  y  avait  à 
Ponteresina  un  fameux  chasseur,  nommé  Colany  ou  Couhiny,  mort  en  4837  à  l'âge 
de  66  ans,  et  qui  a,  dit-on,  tué  2000  à  2700  chamois  dans  sa  vie.  Il  s'était  attribué 
une  sorte  de  souveraineté  sur  un  district  étendu  de  ces  montagnes,  et,  comptant 
comme  siens  tous  les  troupeaux  de  chamois  qui  y  vivaient,  il  ne  souffrait  pas  que 
des  rivaux  vinssent  chasser  sur  son  domaine.  Son  fils,  Joseph  Colany,  qui  fait  le 
métier  de  guide,  tuait  autrefois  40  à  50  chamois  par  année  ^  Le  massif  qui  s'étend 
du  glacier  de  Bondasca  au  col  du  Bernina  est  partagé  en  deux  parties  par  le  col  de 
Muretto  (  80S0),  ou  l'on  passe  sur  le  glacier  de  ce  nom,  de  même  que  le  massif  du 
Mont-Blanc  est  partagé  par  le  col  trèsnSlevé  du  Géant.  On  considère  encore  comme 
appartenant  au  Bernina  le  groupe  de  montagnes  situé  entre  le  col  du  Bemina  et 

1.  J.  Colany  n'avait  plat  taé,  en  1854,  que  onte  chamois.  Soivantlai,  le  nombre  des  chamois 
a  diminoé  considérablement  dans  le  pays,  moins  à  cause  de  la  chasse  dont  ils  sont  Tobjet,  qne 
parce  qu'ils  se  seraient  réfugiés  sur  les  montagnes  de  la  Valteline,  où  la  chasse  est  interdite. 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  403 


celui  de  Gasanna,  mais  les  sommités  y  sont  beaucoup  moins  élevées  que  dans  la 
partie  plus  méridionale,  et  les  glaciers  n'y  ont  qu'une  étendue  bien  moins  consi- 
dérable. 

Du  sommet  du  col  du  Bernina,  deux  chemins  descendent  à  Poscbiavo.  L'un,  un 
peu  plus  direct  et  plus  rapide,  passe  à  l'ouest  des  lacs,  et  traverse  le  val  GavagUa,  au 
fond  duquel  descend  le  magnifique  glacier  de  Palù,  qui  s'appuie  au  pic  du  même 
nom  (42,044).  L'autre  passe  plus  à  l'est,  par  le  col  nommé  la  Groce  ou  la  Groix 
(7188),  par  la  gorge  qu'on  appelle  Camino  (cheminée),  et  par  le  village  de 
Pischiadella.  Ge  chemin  avait  été  depuis  quelques  années  rendu  praticable  pour  les 
chars  légers  ;  il  vient  d'être  amélioré  encore,  et  rendu  accessible  même  aux  dili- 
gences. Au-dessous  du  Gamino,  une  galerie  a  été  pratiquée  dans  un  endroit  exposé 
aux  avalanches.  (Plus  tard,  la  route  de  Ponteresina  au  sommet  du  col  doit  recevoir 
aussi  des  améliorations.  )  Poscbiavo  (3900)  est  un  grand  village  ayant  l'apparence 
d'une  ville  ;  il  est  dominé  par  les  ruines  du  château  Olgiati.  L'église  fut  déjà  donnée 
en  701  à  l'évêché  de  Gôme  par  Guniberg,  roi  des  Lombards.  Poscbiavo  avait  au 
16''  siècle  une  imprimerie,  qui  publiait  surtout  des  livres  spirituels,  et  dont  l'Espagne 
et  le  pape  demandèrent  inutilement  la  suppression  au  gouvernement  des  Grisons. 
La  majorité  de  la  population  de  Poscbiavo  est  réformée,  mais  les  deux  tiers  de  celle 
de  la  vallée  appartiennent  au  culte  catholique.  La  physionomie  des  habitants,  leur 
langage  et  leurs  mœurs,  indiquent  qu'ils  sont  de  race  italienne.  Ils  sont  actifs  et 
sobres  ;  beaucoup  d'entre  eux  vont  travailler  à  l'étranger.  Au  sud  de  Poscbiavo, 
plusieurs  petits  villages  appartiennent  encore  au  canton,  ainsi  que  le  lac  de  Poscbiavo, 
lequel  est  très-poissonneux  et  renommé  pour  ses  truites;  il  est  à  3200  pieds.  Le 
dernier  village  grison  est  Brusio,  où  l'on  commence  à  voir  les  noyers,  les  châtai- 
gniers et  les  vignes.  Plus  bas,  est  un  défilé  qui  était  autrefois  formé  par  un  retran- 
chement, et  au  sortir  duquel  on  découvre  les  riches  vignobles  de  la  Yalteline. 

Vallée  de  Mûnsterthal.  —  Gette  vallée  tire  son  nom  {Mustair)  d'un  monastère 
de  femmes  de  Tordre  des  bénédictines,  dont  la  fondation  est  attribuée  à  Gharle- 
magne.  De  hautes  montagnes,  surmontées  des  pics  Pisocco,  Uschadura,  et  du  massif 
Umbrait,  la  séparent  de  l'Engadine  et  du  pays  de  Bormio.  Elle  communique  par  les 
cols  de  Buffalora  et  de  Scarla  avec  la  Basse-Engadine,  et  par  celui  de  l'Umbrail,  ou 
Braglio,  ou  Wormserjoch,  avec  le  pays  de  Bormio;  c'est  par  ce  dernier  que  les 
habitants  vont  chercher  à  Bormio  du  vin,  du  riz,  etc.,  et  qu'ils  portent  en  échange 
des  fromages  et  du  sel  (tyrolien).  Le  haut  de  la  vallée  est  riche  en  forêts  et  en 
mines.  Les  habitants  parlent  le  romanche,  mais  leur  dialecte  se  mélange  d'allemand 
vers  le  bas  de  la  vallée.  Ils  sont  réformés,  sauf  ceux  de  la  paroisse  de  Munster,  la 
plus  voisine  de  la  frontière.  Un  grand  nombre  vont  à  l'étranger  exercer  diverses 
industries.  La  souveraineté  du  pays  a  longtemps  appartenu  en  partie  à  l'Autriche  et 
en  partie  à  l'évêché  de  Goire,  et  a  donné  lieu  à  de  longues  contestations;  mais, 
depuis  le  commencement  du  IS''  siècle,  les  habitants  se  sont  complètement  rachetés 
de  tous  droits. 

Le  col  de  l'Umbrail,  mentionné  ci-<lessus,  débouche  sur  la  route  du  SHlf^och 
(Stilvio),  par  laquelle  on  se  rend  du  Tyrol  dans  la  Yalteline.  Gette  belle  route,  qui 
forme  la  communication  la  plus  directe  entre  Vienne  et  Milan,  a  été  exécutée  il  y  a 
plus  de  trente  ans  ;  elle  s'élève  à  8600  pieds,  et  passe  tout  près  de  la  frontière  suisse  ; 


404  LA  susse  pirroHEsgiE. 

i»lle  est  prc'^scrvéc  cimlre  1rs  avalanches  par  de  nombreuses  et  longue  galeries, 
ronslruiles  en  maçonnerie  sur  le  versant  italien,  et  en  forts  madriers  sur  le  revei> 
allemand.  I)e  ce  m<>iue  côté,  Ton  est  longtemps  en  vue  des  blanches  sommités  de 
rOrlelerspilz,  qui  s  élèvent  à  l!2  ou  13,000  pieds,  et  d*oii  descendent  de  grande 
glaciers.  Pour  visiter  ce  (Kissage  intéressant,  on  peut  entrer  au  Tyrol  par  Mar- 
linsbruck  ou  |mr  le  Mûnsterthal,  ou  bien  aller  de  Poschiavo  à  Tirano  et  à  Bormio. 

Val  BRKiiAULiA.  —  Cette  valIcH^,  que  les  Romains  nommaient  ndlis  I^œgaUm. 
|»iirce  qu*elle  précédait  la  Gaule  Cisalpine,  est  située  sur  le  versant  sud-ouest  du 
Maloja,  et  arrosée  |)ar  la  Maira,  qui  s*écoule  vers  Chiavenne  et  le  lac  Majeur.  Li 
nature al|H^lrc  domine  dans  la  partie  supérieure;  mais,  plus  l^as,  la  vallée  est  revêtue 
d  une  végétation  méridionale.  Ses  habitants,  au  nombre  de  4800,  sont  réformés  et 
|Kuient  un  dialecte  italien;  dès  le  14'sièc*le,  ilsfurentalTranchisde  tout  joug  féodal. 
Ils  mènent  une  vie  laborieuse  et  frugale;  les  femmes  surtout  sont  ici  d'une  activité 
remarquable.  Tandis  que  les  hommes  s*ocvu|)ent  du  transport  des  marchandises  ou 
du  soin  des  troupeaux  sur  les  hauteurs,  ou  vont  gagner  leur  pain  à  Tétranger,  leur^ 
com|Kignes  sont  chargées  de  tous  les  travaux  agricoles  ;  elles  labourent,  moissonnent, 
Tauchent,  trans|K)rtent  les  recolles  sur  leurs  épaules,  sans  négliger  pour  cela  leurs 
enfants  et  leur  ménage.  Elles  stuit  rraiches  et  jolies  dans  leur  jeunesse,  mais  rexcê> 
du  travail  leur  fait  |)erdre  de  bonne  heure  ces  avantages*.  Les  villages  sont  bâtis  en 
pierre,  et  on  y  voit  beaucoup  de  maisons  bien  blanchies  et  de  très-bonne  apparence. 
Ijc  premier  village  que  Ton  rencontre  en  descendant  du  Maloja,  est  Casaccia,  qui  est 
à  4600  pieds  ;  son  église  remonte  k  une  haute  antiquité.  C'est  là  que  débouche  la 
route  qui  descend  du  Septimer.  Avant  d'arriver  à  Vico  Soprano,  Ton  voit  sur  la 
gauche  une  chute  im|K)sante  formée  par  TÂIbigna,  qui  descend  d*un  glacier.  Une 
lieue  plus  bas  est  le  village  de  Promonlogno,  dominé  par  les  ruines  considérables  du 
c;hàteau  de  Ccistelmur,  qu'on  attribue  aux  Romains  ou  aux  Lomltards.  Elles  doivent 
indiquer  la  place  d'une  station  romaine,  mentionnée  dans  Tltinéraire  d'Ântonin  sous 
le  nom  de  (Msiromnrum.  Ce  fut  le  l)erceau  et  la  résidence  de  Tantique  et  puissante 
famille  de  Gistelmur,  dont  on  fait  remonter  Torigine  au  temps  de  la  domination 
romaine.  Un  baron  de  Caslelmur,  rejeton  de  cette  famille,  possède  maintenant  au 
village  de  Coltura,  situé  un  peu  plus  haut  que  les  ruines,  une  maison  de  plaisana* 
moderne,  peinte  en  rouge  et  flanquée  de  deux  toui*s  crénelées. 

A  côté  des  ruines  s'élève  une  église  qui  avait  été  jadis  la  principale  de  la  vallée, 
et  ((ui  étiiit  depuis  longtemps  dans  un  état  de  délabrement,  lorsqu'elle  fut  restaurée 
en  1849.  Au-dessous  du  château,  deux  fortes  et  hautes  murailles  s'abaissaient  dans 
la  vallée,  qui  était  autrefois  lermée  réellement  par  une  porte.  Ce  lieu,  appelé  encore 
la  Paria,  sert  de  confins  à  deux  juridictions,  qu'on  nomme  Sopra  et  Infra  Porta.  H 
forme  aussi  la  limite  des  deux  végétations.  Le  changement  est  en  eflet  subit.  Au- 
dessus  de  Castelmur,  les  seuls  arbres  qu'on  voit  dans  la  vallée  sont  des  cimbres  et 
des  mélèzes.  Immédiatement  au-dessous  du  rocher  sur  lequel  est  bâti  le  château,  com- 
mencent à  paraître  les  noyers  et  les  châtaigniers.  Sur  la  droite  s'étend  une  grande 
forêt  de  châtaigniers,  qui  s'élève  jusqu'au  plateau  de  Soglio,  où  croissent  aussi 
quelques  cimbres.  Plus  bas  commence  la  vigne,  et  les  jardins  sont  garnis  de  figuiers. 

1.  On  voit  des  jeunes  filles  de  14  à  15  ans  transporter  des  charges  de  foin  semblables  à  celle$ 
que  portent  les  hommes  faits. 


LA    SUISSE    PITTORESOL'E. 


40» 


Du  pont  de  Bondo  Ton  a  une  belle  vue,  d'un  côté  sur  Gastelmur,  de  Taulre  sur  le 
glacier  de  Bondasca,  au  fond  d'un  vallon  latéral  de  même  nom.  Pendant  trois  mois, 
le  village  de  Bondo  est  privé  des  rayons  du  soleil.  Dans  le  voisinage  est  un  château, 
construit  en  1770  par  les  comtes  de  Salis.  Du  côté  opposé,  Ton  voit,  sur  la  pente  de 
la  montagne,  le  village  de  Soglio,  avec  les  restes  du  château  de  Castellazzo,  qui  fut 
le  berceau  de  l'illustre  famille  des  Salis-Soglio,  dont  la  noblesse  remonte  au  40* siècle. 
Non  loin  de  là  est  la  jolie  cascade  de  l'Acqua  di  StoU,  et  l'on  découvre  une  belle  vue 
sur  la  chaîne  du  Bernina.  Les  diiïérentcs  cimes  indiquent  par  leur  ombre  les  heures 
du  jour  ;  de  là  leurs  noms  de  Piz  deNove,  Piz  de  Dieci,  Piz  d'Undici,  Piz  Mezzodi,  etc. 
Le  dernier  village  suisse  est  Castasegna  (2300),  dont  le  nom  indique  qu'il  est  entouré 
de  plantations  de  châtaigniers.  Le  mûrier  blanc  y  prospère  aussi,  mais  il  ne  monte  jias 
plus  haut.  11  reste  encore  deux  lieues  de  chemin  pour  atteindre  Chiavenne.  C'est  sur 
la  rive  gauche  de  la  Maira,  et  en  face  d'une  belle  cascade  formée  par  l'Âcqua  Freggia, 
qu'était  jadis  la  petite  ville  de  Plurs  (  Piura),  entourée  de  maisons  de  campagne,  et 
(|ui  fut  ensevelie  sous  une  chute  de  montagne  en  1618.  Toute  trace  de  ce  malheur  est 
maintenant  effacée  :  de  beaux  groupes  de  châtaigniers  recouvrent  la  colline  formée 
|)ar  les  décombres. 

Val  Misocco  et  Val  Calanca.  —  Reportons-nous  maintenant  sur  le  sommet  du 
Bernardin,  et  descendons  dans  la  belle  vallée  de  Misocco.  La  pente  est  plus  rapide  sur 


Le  Saiol-Bernariiia. 

le  versant  méridional,  mais  la  route  fait  une  longue  série  de  zigzags,  qui  d'en  haut 
ressemblent  à  un  cable  tordu.  A  trois  quarts  d'heure  au-dessous  du  sommet,  on  passe 
la  Mœsa  sur  un  beau  pont  qu'on  nomme  Victor  Emmanuel,  en  mémoire  du  roi  de 
Sardaigne  qui  a  le  premier  mis  en  avant  le  projet  de  créer  cette  roule;  non  loin  de 
là,  la  rivière  forme  une  l>elle  cascade.  Plus  bas,  la  route  est  protégée  par  un  toit  contre 
les  avalanches.  A  moitié  chemin,  entre  Saint-Bernardin  et  San-Giacomo,  la  rivière 


406  LA    StISfte    PITTOURS^E. 


fait  encore  une  chute,  mais  on  ne  peut  la  voir  qu*en  suivant  un  senlier  qai  longe  U 
rive  droite.  A  mesure  qu\)n  descend,  de  charmants  points  de  vue  se  succèdent. 
L'un  des  plus  remarquables  est  celui  dont  on  jouit  du  pont  de  San-Giaoomo,  sar 
la  vallée  et  sur  les  ruines  grandioses  du  château  de  Misocco  (Misox,  Monsox,  MasuiL  i. 
situé  au-dessous  du  village  de  Misocco  ou  Cremeo.  Ce  village  est  lui-même  dans  un 
site  ravissant.  De  la  colline  qui  porte  les  ruines,  Ton  a  aussi  sur  la  partie  inférieure 
de  la  vallée  une  très-belle  vue,  qui  s'étend  jusqu'aux  sommités  du  mont  San-Giori 
et  du  Camoghé,  frontières  du  Tessin  et  de  la  Lombardie.  Les  montagnes  ont  les  formes 
les  plus  pittoresques;  leurs  |)entes  sont  animées  par  de  nombreuses  cascades,  et 
couvertes  de  l)elles  fonHs,  mélangées  d'arbres  divers.  Le  château  de  Misocco  servit 
jadis  de  rempart  contre  les  incursions  des  peuples  du  Nord;  il  fut  ensuite  occupé 
par  les  seigneurs  souverains  de  la  vallée.  Les  barons  de  Sax  jouèrent  un  grand  rôle 
dans  l'histoire  du  pays,  surtout  lorsqu'ils  eurent  aussi  étendu  leur  domination  sur 
le  Rhin  antérieur  ;  ils  concoururent  à  la  formation  de  la  Ligue  grise  à  Trons,  et  à 
la  fédération  des  trois  Ligues  à  Vazerol.  En  148i,  le  château  et  la  vallée  passèrent 
par  achat  à  la  puissante  famille  des  Trivulzio,  qui  tinrent  une  garnison  dans  le 
château,  et  résidèrent  dans  leur  palais  de  Roveredo.  Le  maréchal  Trivulzio  étant 
devenu  suspect  aux  Grisons,  ceux-ci  détruisirent  la  forteresse  en  1S26. 

De  même  que  la  Porta  dans  le  val  Bregaglia,  ici  c'est  le  château  de  Misocco  qui 
marque  la  limite  de  la  nature  alpestre  et  de  la  nature  italienne.  La  partie  inférieure 
de  la  vallée,  comparée  surtout  à  celle  du  Rheinwald,  présente  le  contraste  le  plus 
frappant,  tant  pour  la  langue  et  les  mœurs,  que  pour  la  v^étation  et  le  climat.  Id 
tout  est  italien,  jusqu'au  caractère  et  à  la  physionomie  des  habitants,  qui  professent 
tous  la  religion  catholique  depuis  que  le  cardinal  Borromée  a  réussi  à  étouffer  chez 
eux  les  germes  de  la  Réforme.  En  continuant  à  descendre,  on  chemine  maintenant 
au  milieu  de  plantations  de  maïs  et  des  autres  cultures  qui  prospèrent  sous  un  ciel 
d'Italie.  Dans  quelques  endroits,  des  treilles  de  vigne  ombragent  la  route;  la  cigale 
fait  entendre  son  chant;  et  cependant  on  ne  compte  pas  moins  de  onze  glaciers  sur 
les  montagnes  qui  enferment  la  vallée. 


CANTON    D'ARGOVIE. 


-srôt^t^  {^??^=- 


LiMiTES,  Étendue,  Climat.  —  Le  canton  d'Argovie,  l'un  des  plus  considérables  de 
la  Suisse,  est  situé  à  Textréine  frontière  nord;  le  Rhin  sert  de  ligne  de  démar- 
cation entre  son  territoire  et  celui  du  grand-duché  de  Bade,  depuis  Kaiserstuhl  jusqu'à 
Augst,  village  de  Bâle-Campagne.  Il  est  limité  au  sud  par  le  canton  de  Lucerne  à 
Test,  par  les  Etats  de  Lucerne  et  de  Zug  ;  à  l'ouest  s'étendent  les  territoires  de  Bàle, 
de  Soleure  et  de  Berne.  Le  canton  d'Argovie  est  formé  de  quatre  parties  bien  dis- 
tinctes: l'Argovie  proprement  dite;  le  comté  de  Baden,  qui  appartint  longtemps 
aux  villes  de  Berne,  de  Zurich  et  de  Glaris;  les  Bailliages  libres,  dont  une  partie 
reconnaissait  la  domination  des  mêmes  villes;  et  enfin  le  Frickthal,  détaché  de  l'em- 
pire d'Autriche  par  le  traité  de  Lunéville,  et  cédé  à  la  France,  qui  l'abandonna  en 
1802.  —  Il  compte  199,852  habitants,  disséminés  sur  60  lieues  carrées;  sa  popu- 
lation relative  est  donc  l'une  des  plus  élevées  de  la  Suisse,  et  Berne  et  Zurich  seuls 
l'emportent  sur  lui  sous  le  rapport  de  la  population  totale.  Le  climat  est  doux,  quoi- 
que l'hiver  y  soit  assez  rigoureux  ;  la  température  moyenne,  d'après  des  observations 
fait^  à  Aarau,  est  de  V  Réaumur  ;  au  fort  de  l'été  elle  atteint  SB"".  Le  canton  est  assez 
exposé  aux  vents,  et  les  orages  y  sont  fréquents. 

Montagnes,  Plaines.  —  Le  canton  d'Argovie  n'est,  pour  ainsi  dire,  qu'une  longue 
succession  de  collines,  couvertes  de  vastes  forêts  et  de  champs  bien  cultivés,  et  entre- 
coupées de  prairies  riantes  et  fertiles.  Point  de  glaciers,  de  neiges  éternelles  ;  à  peine, 
vers  la  frontière  nord-est,  quelques  montagnes  un  peu  élevées.  Aussi,  sous  le  rapport 
du  pittoresque  et  surtout  du  grandiose,  ce  canton  a-t-il  bien  à  envier  à  la  plupart  des 
Etats  suisses.  —  Parmi  les  sommités  à  mentionner,  nous  citerons  le  Geisfluh,  haut 
de  2900  pieds,  qui  se  dresse  en  avant  de  la  Schafmatt,  entre  les  cantons  de  Bàle,  de 
Soleure  et  d'Argovie;  cette  montagne,  relativement  assez  basse,  est  boisée,  et  les 
forêts  qui  la  tapissent  sont  bien  entretenues;  —  le  Gislifluh,  qui  atteint  2377  pieds,  et 
s'avance  jusqu'auprès  de  l'Aar  à  Bil)erstein.  C'est  le  but  de  nombreuses  excursions, 


408  LA    SUSSE    PITTOReSOl'E. 


car  de  la  cime  Tu'il  plane  sur  un  panorama  des  plus  pittoresques.  Vers  le  nord,  près 
de  Brugg,  trois  des  plus  grands  fleuves  de  la  Suisse,  TAar,  la  Reuss  et  la  Limmal. 
viennent  confondre  et  mêler  leurs  eaux  écumantes,  pour  aller,  quelques  lieues  plus 
loin,  se  perdre  dans  le  Rhin  :  aux  pieds  du  mont,  le  sol,  légèrement  ondulé,  se  couvre 
de  vignes  et  de  prairicîs  verdoyantes.  Lœil  aime  à  remonter  le  cours  de  la  Reuss  ma 
jestueuse,  qui,  sortant  de  la  vallée  du  même  nom,  baigne  les  rodiers  élevés,  senli 
nellos  avancées  de  la  grande  chaîne  des  Alpes  qui  se  déroule  vers  le  midi  ;  d  un 
autre  ccMé  se  dresse  le  Jura,  rempart  magnifique  qui  ferme  Thorizon  sur  une  longueur 
de  plus  de  soixante  lieues,  et  dont  le  Gisliflub  lait  partie.  On  aperçoit  encore  les 
lacs  de  Baldegg  et  de  Hallwyl,  qui  semblent  de  petits  diamants  enchâssés  dans  U 
verdure.  Enfin,  vers  le  nord,  le  Rhin  trace  un  long  sillon  d'argent,  tandis  que.  plus 
loin  encore,  la  Forét-Noire  étend  sur  la  terre  son  vert  rideau,  dont  les  teintes  har 
monieuses  se  nuancent  avec  majesté  sur  Tazur  du  ciel  lointain.  —  Le  Wasserfluk. 
dans  le  district  dAarau,  est  haut  de  2C7&  pieds.  Vers  la  frontière  zuricoise,  entre 
Baden  et  Regensperg,  s'étend  la  chaîne  des  L^Pf/^rn^  qui,  sur  le  territoire  argovieo. 
n'atteint  pas  plus  de  2628  pieds.  Le  Bôlzberg,  au  nord-est  de  Brugg,  fut  témoin  de  la 
défaite  des  Helvétiens  par  Gécina.  Toutes  ces  sommités  appartiennent  à  la  chaioe  du 
Jura,  qui  pénètre  dans  le  canton  et  s'abaisse  graduellement  jusque  vers  Baden. 

Les  plaines  les  plus  vastes  sont  situées  vers  le  centre  du  canton  ;  la  plus  considé 
rable  s'étend  entre  Brugg,  la  Reuss  et  Lenzbourg  ;  le  sol  en  est  fertile  et  se  couvre  de 
riches  moissons.  Une  autre  plaine,  d'une  moindre  dimension,  se  déroule  de  Lenzbourg 
à  Aarau,  sur  une  longueur  de  près  de  deux  lieues.  Nous  citerons  encore  celle  située 
entre  le  Frickberg,  le  B()tzt)erg  et  la  montagne  de  Schupforl;  elle  est  vaste  et  Ira- 
versée  par  le  BcUzerbach. 

RiviRBES,  Vallées.  —  VAar,  quittant  le  canton  de  Soleure,  la  Reiiss,  renaissant 
du  lac  des  Watdstirlten,  et  la  Limmat,  de  celui  de  Zurich,  s'enfoncent  toutes  trois 
dans  le  canton  d^Argovie,  qu'elles  traversent  en  divers  sens,  et,  non  loin  de  l'anliqur 
Vindonissa,  se  fondent  en  un  seul  fleuve,  qui  conserve  le  nom  de  TAar.  Rien  n'esl 
plus  l)eau,  plus  solennel,  que  l'endroit  où  ces  trois  cours  d'eau  viennent  se  réunir: 
la  nature  et  Thistoire  semblent  s'être  plu  à  faire  à  ce  tableau  un  cadre  digne  de  ce 
s|)ectacle  imposant.  On  retrouve  là  la  Suisse  tout  entière  avec  ses  fleuves  majestueux, 
ses  vertes  prairies,  ses  forêts  antiques,  ses  castels  féodaux  si  riches  en  souvenirs: 
les  ruines  de  Vindonissa,  éparses  çà  et  \k  sur  le  sol,  ou  couvertes  de  mousses  et 
de  ronces,  y  perpétuent  le  souvenir  de  la  domination  romaine  et  ajoutent  encore 
à  Tattrait  du  paysage.  —  L'Aar,  navigable  sur  tout  le  territoire  ai^ovien,  court 
ensuite  vers  le  nord,  pour  aller  vers  Goblenz  porter  au  Rhin  le  tribut  de  ses  ondes, 
à  une  hauteur  de  930  pieds  au-dessus  de  la  mer.  —  Le  Rhin  ne  peut,  à  propre- 
ment parler,  être  rangé  parmi  les  cours  d'eau  du  canton  d'Argovie,  car  il  lui  serl 
(le  limite  du  côté  du  grand-duché  de  Bade,  sans  |)énétrer  dans  son  territoire.  A 
Lauflenbourg,  ce  fleuve  se  couronne  d'une  blanche  écume  et  bondit  en  se  ^^m- 
pitant  dans  un  gouiTre  formé  de  roches  granitiques  ;  cependant,  malgré  les  tour- 
billons et  l'impétuosité  du  fleuve  en  cet  endroit,  les  saumons  qui  remontent  son  cours 
parviennent,  par  de  vigoureux  élans,  à  franchir  cet  obstacle.  On  jieut  aussi  y  fain' 
passer  les  embarcations,  en  les  retenant  du  rivage  au  moyen  d'un  long  câble.  Quatre 
ponts  franchissent  le  Rhin  :  à  Kaisei*sluhl,  à  Lauflenbourg,  à  So^kingen  et  à  Rbein- 


I.A    Sna8E   NTTORESOrE.  409 


fciden.  —  Les  principaux  affluents  de  l'Aar  arrivent  du  sud  :  la  Bûnz  descend  du 
Leidenberg,  dans  le  district  de  Mûri,  passe  à  Wohlen  et  se  jette  dans  TAar  près  de 
Wiidegg;  VAa  traverse  les  lacs  de  Baldegg  et  de  Hallwyl,  et,  après  avoir  côtoyé 
quelque  temps  la  Bûnz,  entre  dans  TAar  en  face  du  Gislifluh.  —  La  Wytnen  et  la 
Sahr  sortent  toutes  deux  du  canton  de  Lucerne  :  la  première  de  Neudorf,  et  la  seconde 
du  lac  de  Sempach  ;  elles  se  réunissent  à  Suhr  et  disparaissent  dans  TÂar  entre  Âarau 
et  Biberstein.  A  la  fonte  des  neiges,  la  Wymen  grossit  considérablement  et  sort  sou- 
vent de  son  lit.  La  Wigger  n'arrose  le  territoire  argovien  que  sur  une  petite  étendue; 
elle  quitte  le  canton  de  Lucerne  près  de  Mehlssecken,  embellit  les  alentours  de 
Zofingen,  et  atteint  TAar  près  d'Aarbourg.  Tous  ces  cours  d'eau  sont  plus  ou  moins 
|)oissonneux  ;  dans  certains  districts,  et  notamment  à  Lenzbourg,  la  pèche  est  une 
industrie  assez  considérable.  —  Un  grand  nombre  de  vallées  sillonnent  le  canton; 
les  plus  importantes  sont  vers  le  sud.  Les  Bailliages  libres  forment  un  long  bassin 
qui  s'étend  depuis  Rûthy  jusqu'à  Badcn.  On  remarque  de  même  la  vallée  de  Kulm, 
de  Menzikon  à  Grœnichen,  et  celle  de  Hallwyl,  qui  renferme  dans  son  sein  le  lac 
de  ce  nom,  et  dont  le  fertile  territoire  produit  un  vin  estimé. 

Lacs.  —  Le  lac  de  Hallwyl,  le  seul  du  canton  d'Argovie,  parait  avoir  deux  lieues 
de  longueur,  sur  une  largeur  d'environ  une  demi-lieue;  il  est  élevé  à  4300  pieds 
au-dessus  de  la  mer.  A  quelque  distance  de  ses  rives,  sur  un  îlot  formé  par  l'Aa, 
qui  s'échappe  du  lac,  s'élève  le  manoir  des  sires  de  Hallwyl,  berceau  d'une  des 
familles  les  plus  illustres  dont  s'honorent  les  annales  suisses.  L'un  d'eux,  Jean,  fut 
un  des  héros  de  la  journée  de  Morat,  et  l'histoire  se  plaît  à  lui  rendre  le  témoignage 
que  nul,  si  bien  que  lui,  ne  sut  joindre  la  bravoure  du  soldat  à  l'expérience  de 
rhomme  d'Etat.  Le  donjon  massif,  entouré  de  murs  épais,  le  fossé  qui  baigne  ses 
Jours,  sont  encore  là  comme  aux  temps  où  des  hommes  bardés  de  fer,  aux  armures 
étincelantes,  des  comtes,  des  varlets  animaient  de  leurs  cris  joyeux  et  de  leurs  exer- 
cices guerriers  ces  lieux  maintenant  tristes  et  solitaires.  —  Le  lac  est  charmant;  sa 
nappe  de  cristal  ondoie  aux  vents  légers  qui  passent,  et  se  couvre  çà  et  là  de  blanches 
fleurs  de  nénuphar;  leur  parfum  se  marie  délicieusement  avec  le  chant  d'une  mul- 
titude d'oiseaux  qui  voltigent  sur  ses  bords.  Des  langues  de  terre  s'avancent  partout 
dans  le  lac,  et  forment  entre  elles  de  petites  anses,  i)orts  naturels  où  viennent  se 
réfugier  des  nuées  de  canards  et  de  bécassines  ;  les  coteaux  voisins  s'inclinent  gra- 
duellement jusque  vers  le  bord  des  eaux,  et  semblent  se  mirer  amoureusement  dans 
le  bleu  miroir  déroulé  à  leurs  pieds.  Des  vignes  aux  fruits  dorés  tapissent  leurs 
lianes  et  les  couvrent  d'une  verte  parure,  tandis  que  leurs  sommités  se  couronnent  de 
maisons  pittoresques,  groupées  à  l'ombre  de  la  flèche  élancée  de  l'église.  En  hiver,  les 
eaux  du  lac  se  couvrent  d'une  épaisse  croûte  de  glace,  et  emprisonnent  dans  leur  sein 
des  légions  de  poissons,  dont  quelques  es])èces  sont  fort  estimées. 

Sources,  Eaux  minérales.  Bains.  —  Les  sources  d'eau  vive  du  canton  sont,  à  peu 
d'exceptions  près,  abondantes  et  salubres.  Le  Frickthal  possède  plusieurs  sources 
d'eau  salée,  notamment  à  Rûty,  à  Schweizerhall  ;  leur  exploitation,  ne  donnant  pas 
lie  résultats  satisfaisants,  a  été  abandonnée.  En  revanche,  les  nombreux  établisse- 
ments de  bains  que  renferme  le  canton  prennent  chaque  année  une  vogue  plus  con- 
sidérable. L'Argovie  est  très-riche  en  eaux  minérales,  et  la  simple  nomenclature  de 
toutes  celles  qu'elle  possède  nous  entraînerait  trop  loin  pour  trouver  place  ici.  Les  eaux 


tlO  LA    SriSSR    PITTOIIE.SQie. 


de  Baden  y  tiennent  sans  contredit  le  premier  rang:  année  commune,  dix  mille  étran- 
gers s  arrêtent  dans  cette  ville.  Les  eaux  ont  une  forte  odeur  de  soufre  ;  leur  tempé- 
rature est  de  37  à  58°  Réaumur  ;  sur  mille  parties,  elles  contiennent  0,613  de  gypse. 
0,291  de  sel  commun,  0,361  de  magnésie chlorique,  0,007 d'oxide  de  fer,  etc.  :  elles 
sont  limpides;  leur  saveur  est  un  peu  saline,  et  elles  se  couvrent  à  la  surface  dune 
pellicule  irisée.  Les  sources  sont  très-abondantes,  et  une  bonne  partie  de  leurs  eaux 
s  écoule  dans  la  Limmat. —  Les  bains  de  Schiuzttarh  ne  sont  pas  moins  célèbres;  l'effi- 
cacité de  leurs  eaux  contre  les  plaies  invétérées  et  les  maladies  cutanées  y  attire  chaque 
année  un  grand  nombre  de  malades.  Le  pied  confortable  sur  lequel  sont  tenus  les  bAtels. 
les  promenades  charmantes  des  alentours,  la  magnificenccde  quelques  bâtiments,  loul 
concourt  à  faire  des  bains  de  Schinznach  un  des  établissements  les  plus  célèbres  et  les 
plus  fréquentés  de  la  Suisse.  Les  eaux  sont  limpides  et  sulfureuses,  et  contiennent  sur- 
tout du  gaz  hydrogène  sulfuré,  du  gypse,  du  sel  Glauber,  etc.  Leur  température  moyenne 
ne  dépasse  pas  26"*  Réaumur;  elles  sont  amenées  au  moyen  de  pompes  dans  Tédifia- 
principal.  Celui-ci  est  vraiment  remarquable  par  son  éi^nte  architecture;  il  ren- 
ferme une  salle  immense,  où  plusieurs  centaines  de  |)ersonnes  peuvent  trouver  place 
sans  difficulté.  C'est  à  Schinznach  qu'eut  lieu  la  première  réunion  de  la  Société  Hel- 
vétique, en  1 7G0.  Les  ruines  du  chAteau  de  Habsbourg  et  du  couvent  de  Kœnigsfelden 
embellissent  les  alentours.  Mms-Leerau  possède  une  source  d'eau  minérale  riche  en 
gaz  acide  carbonique  et  en  carbonate  de  soude  ;  ces  l>ains  ne  sont  fréquentés  que  par 
les  habitants  du  pays,  qui  paraissent  fort  bien  s'en  trouver.  En  été,  les  établissements 
du  même  genre  de  Srhirarzenberg  sont  assez  animés.  Un  nouveau  bain  a  été  ouvert 
en  1839  à  Wohlen;  ses  eaux  contiennent  une  grande  quantité  de  fer.  Non  loin  du 
|)ctit  village  de  Nieilertnjl  sont  des  bains  très-agréablemenl  situés  sur  une  éminence. 
d'où  la  vue  embrasse  toute  la  contrée  d'alentour.  Nommons  encore  Mefizikmi  et 
Brefmtenberg ,  sur  les  bords  du  lac  de  Hallwyl,  où  un  établissement  hvdrothérapique 
vient  d'être  ouvert  tout  récemment. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  animnl.  Le  canton  d'Ai^ovie  n'est  pas  très-remar- 
quable sous  le  rapport  des  animaux  qu'il  renferme.  La  guerre  acharnée  que  Ton  a 
faite  depuis  longtemps  à  certaines  l)êtes  sauvages,  les  a  complètement  anéanties.  Les 
cerfs  et  les  sangliers  des  forêts  de  Kulm  ont  disparu;  à  peine  quelques  loups  se 
montrent-ils  dans  les  hivers  les  plus  rigoureux  ;  le  chat  sauvage  et  le  lynx  n'appa- 
raissent que  rarement.  Comme  on  le  voit,  les  animaux  dangereux  sont  peu  nom- 
breux ;  en  revanche,  le  canton  passe  pour  être  le  plus  giboyeux  de  la  Suisse  ;  il  abonde 
en  martres,  en  lièvres,  en  renards,  en  loutres,  etc.  On  remarque  de  même  une 
grande  quantité  d'animaux  domestiques.  Parmi  les  oiseaux,  nous  citerons  l'aigle 
royal,  plusieurs  espèces  de  faucons,  l'alcyon  et  une  grande  quantité  d'oiseaux  de 
rivage.  Les  poissons  sillonnent  en  grand  nombre  lés  cours  d'eau  du  canton  ;  la  lam- 
proie, l'anguille,  le  chabot,  la  perche,  le  saumon,  etc.,  sont  poursuivis  par  le 
pêcheur.  Le  canton  est  riche  en  insectes. 

Règne  vêgéiaL  Les  plantes  rares  qui  tapissent  les  sommités  des  Haules-Âlpes  des 
contrées  montagneuses  de  la  Suisse,  sont  inconnues  dans  le  canton.  Le  sol,  en  général 
fertile,  se  couvre  d'une  grande  quantité  d'arbres  fruitiers,  de  graminées,  et  de  vastes 
forêts  de  conifères. 

Règtie  minéral.  La  moitié  environ  du  canton  appartient  à  la  molasse;  l'autre 


LA    suisse    PITTORESQUE.  41 4 


partie  au  calcaire  jurassique.  Le  Jura,  entrecoupé  çà  et  là  de  bandes  de  trias, 
s'avance  sur  la  rive  droite  de  TAar,  et  depuis  Wildegg  traverse  tout  le  territoire 
argovien  jusque  près  de  Baden  ;  il  s'étend  de  là  jusqu^au  Rhin.  Néanmoins,  quoique 
enclavés  dans  cette  partie,  le  Bœtzberg  et  la  commune  de  Lenggern  appartiennent 
au  grès  ;  par  contre,  Aarau  est  bâti  sur  du  jurassique.  —  Sur  le  Staifeleck  on  exploite 
avec  succès  un  banc  d'albâtre,  qui  fournit  un  marbre  d'un  très-beau  grain.  Les 
pétrifications  sont  fort  nombreuses,  surtout  près  de  Brugg  ;  on  y  trouve  des  cornes 
d'Ammon  d'une  dimension  extraordinaire.  Des  bancs  de  houille  considérables  sont 
exploités  dans  le  Frickthal  et  à  Gundischwyl;  quelques  mines  de  fer  fournissent  un 
minerai  que  Ton  vend  à  l'étranger.  —  Tout  le  reste  du  canton,  c'est-à-dire  la  partie 
sud  et  sud-est,  appartient  à  la  formation  de  grès;  un  banc  de  molasse  marine 
s'étend  entre  Zofingen,  Rheinach  et  Vilmergen  :  on  trouve  du  gypse  sur  divers 
points,  et  notamment  à  StafFeleck,  à  Schupfart,  à  Rheinfelden,  etc.  —  Les  trem- 
blements de  terre  sont  assez  fréquents. 

Antiquités.  —  Il  est  peu  de  cantons  aussi  riches  en  souvenirs  et  en  monuments 
des  Romains  que  celui  d'Argovie.  Vindonissa,  l'un  de  leurs  établissements  les  plus 
considérables  dans  l'Helvétie,  était  à  la  fois  un  entrepôt  commercial*  et  une  place 
d'armes  fortifiée  par  l'art  et  la  nature  ;  cette  ville  était  le  centre  de  tous  les  mouvements 
des  troupes  romaines  contre  les  Germains.  Bâtie  sous  l'empereur  Auguste,  elle  fut 
considérablement  embellie  par  ses  successeurs,  et  comprenait  tout  le  territoire  qui 
forme  aujourd'hui  la  commune  de  Windisch.  Un  amphithéâtre,  qui  parait  dater  du 
siècle  de  Yespasien,  était  encore  en  partie  debout  dans  le  siècle  passé  ;  ses  ruines 
s'étendaient  sur  un  espace  de  52S  pieds  de  long.  Le  terrain,  fouillé  en  tous  sens,  a 
produit  un  grand  nombre  de  médailles  et  d'objets  d'art  ;  on  y  a  trouvé  en  outre  des 
ossements  de  divers  animaux,  et  notamment  d'ours  et  d'éléphants,  débris  des  jeux 
sanglants  de  l'arène.  Un  immense  aqueduc  apportait  l'eau  depuis  le  mont  Brunneck 
jusqu'au  centre  de  la  ville;  il  subsiste  encore,  et  sert  au  même  usage.  Quand  Attila 
et  ses  Huns  saccagèrent  l'Helvétie,  Yindonissa  n'échappa  pas  à  leur  fureur,  et  Ghil- 
debert,  roi  des  Francs,  acheva  de  la  détruire  en  594.  —  On  voit  encore  à  Brugg 
une  inscription,  qui  est  un  hommage  des  habitants  de  Yindonissa  à  l'empereur  Yes- 
pasien. Cette  dernière  ville  fut  longtemps  le  séjour  de  la  seizième  légion  romaine, 
qui  sut,  par  ses  brigandages  et  son  avidité,  mériter  le  nom  de  Rapax.  Elle  fut  rem- 
placée par  la  onzième  (Claudia),  sous  le  règne  de  Trajan.  Ces  deux  légions  ont 
laissé  de  nombreuses  traces  de  leur  passage  et  de  leur  séjour  dans  le  canton,  surtout 
à  Brunneck,  à  Lenzbourg,  à  Birmenstorf,  à  Kulm,  à  Baden,  etc.  Des  cohortes  déta- 
chées de  ces  légions  campaient  en  été  à  Grsenichen,  à  Mœriken,  à  Bûlisacker,  à 
Weinigen,  etc.  Le  camp  de  Mœriken  était  l'un  des  plus  importants;  on  y  a  trouvé 
un  grand  nombre  de  briques  qui  portaient  le  chiffre  des  légions  romaines  qui  y  sta- 
tionnèrent ;  des  fouilles  habilement  dirigées  ont  mis  à  découvert  les  fondements  du 
mur  d'enceinte  du  camp,  des  bains,  des  médailles,  des  urnes,  etc.  Le  château  de 
Lenzbourg  est  bâti  sur  l'emplacement  qu'occupait  un  castellum  romain  :  des  mon- 
naies, des  anneaux  de  chevaliers,  trouvés  dans  les  alentours,  l'attestent.  A  Bûlisacker, 
outre  les  traces  d'un  camp  des  mêmes  légions,  on  a  découvert,  en  1811  et  1812,  des 
thermes  romains  assez  bien  conservés.  Kulm  était  encore  plus  important  ;  sa  position 
au  milieu  d'une  vallée  riante,  et  sa  proximité  de  Yindonissa,  en  faisaient  une  des 


41i  L\  srissF.  pittouksqi'f.. 


résidences  les  plus  peuplées  des  Romains  el  un  oenlre  de  oommeroe  irès-fréqueoté  ; 
on  y  a  mis  à  nu,  en  1756,  un  bftlimenl  voùlé  qui  renfermait  un  grand  nombre 
d*objets  intéressants  :  un  pavé  en  mosaïque,  des  peintures  h  fresque,  des  vases  en 
marbre  blanc  ;  dans  le  voisinage,  un  aqueduc,  des  monnaies  frappées  au  coin  de 
Lucile,  sœur  d'Antonin,  de  Trajan,  d*Aurélien,  de  Dioctétien;  un  vase  d'al- 
bâtre, etc.  On  y  a  découvert,  en  outre,  les  ruines  d*un  établissement  de  bains  qui 
paraît  avoir  été  détruit  par  un  incendie  ;  des  plaques  de  marbre,  des  peintures, 
des  coquillages,  en  ornaient  les  [larois  intérieures.  —  Baden  était  déjà  sous  les 
Romains  une  cité  importante,  connue  sous  le  nom  de  Vicws  Aquarum;  elle  fut 
détruite  par  Cécina  et  rebâtie  par  Vespasien.  Wettingen  conserve  encore  une 
inscription,  qui  annonce  qu*un  temple  d'Isis  s  élevait  dans  le  voisinage.  Près  de 
Zofingen,  le  Tobinium  des  Romains,  on  a  découvert  un  vaste  bâtiment  avec  un 
magnifique  parquet  en  mosaïque  de  6iO  pieds  carrés.  Il  est  incroyable  la  quantité 
de  médailles  et  de  monnaies  romaines  que  Ton  a  trouvées  et  que  Ton  trouve  encore 
dans  le  canton,  surtout  à  Birmenstorf,  à  Dœttwyi,  à  Kœlliken,  à  KaisersthuI 
(SoUum  Cœsaris),  à  Coblenz  (Conftaentia),  à  Zurzach  (Forum  rih*f*icf),  etc.  Un 
grand  nombre  de  voies  romaines  sillonnaient  le  pays  et  rayonnaient  de  Vindonissa: 
des  restes,  pour  la  plupart  assez  bien  conservés,  en  attestent  la  solidité  et  la  magni- 
ficence. 

Histoire.  —  Les  premiers  habitants  de  TArgovie  dont  il  soit  fait  mention,  sont 
les  Ambrons,  qui  formaient  Tune  des  quatre  tribus  dont  était  composée  la  nation 
helvétique.  La  terrible  expédition  de  Cécina,  à  la  tète  de  sa  légion  Rapace,  ensan- 
glanta de  bonne  heure  le  sol  de  ce  |)ays;  battus  près  du  mont  Vocétius  et  traqués 
partout  comme  des  bètes  fauves,  les  malheureux  Ambrons  durent  chercher  un 
refuge  dans  les  forêts,  et  n'en  ressortirent  que  peu  à  peu.  Déjà  au  V  siècle,  d*ar- 
dents  missionnaires  de  la  nouvelle  foi  vinrent  évangéliser  ces  sauvages  peuplades,  el 
divers  sanctuaires  chrétiens  s'élevèrent  dans  le  pays.  Bientôt  les  AUémani,  séduits 
par  la  richesse  du  sol,  envahirent  ces  contrées  et  cherchèrent  à  s*y  fixer  ;  mais 
Constance  Chlore,  après  un  sanglant  combat  sous  les  murs  de  Vindonissa,  les  vain- 
quit et  les  rejeta  derrière  le  Rhin.  Cependant  Tempire  romain  allait  toujours  s'aflai- 
blissant  ;  des  hordes  de  peuples  du  Nord,  de  jour  en  jour  plus  audacieuses,  avançaient 
à  grands  pas  vers  le  Midi.  Les  Romains,  devant  des  forces  si  supérieures,  se  hâtèrent 
de  quitter  THelvétie,  et  TArgovie  devint  ainsi  la  proie  des  AUémani.  Ceux-ci  durent 
bientôt  céder  leur  nouvelle  possession  à  Gondebault,  roi  des  Francs,  qui  en  fit  la 
conquête  et  Tincorpora  à  son  royaume;  les  AUémani  furent  refoulés  jusque  dans  la 
Suisse  centrale,  où  ils  s'établirent.  Mais  le  sort  de  TArgovie  n'était  point  encore 
fixé.  Rodolphe  II  et  Burghard,  comte  de  Souabe,  s'en  disputèrent  longtemps  la  pos- 
session. Ensuite,  après  avoir  appartenu  quelque  temps  aux  ducs  de  Bourgogne,  ce 
pays  fut  soumis  par  l'Autriche  au  14^  siècle.  Les  landgraves  de  ce  pays  devinrent 
l'une  des  puissances  les  plus  redoutables  de  la  Suisse  ;  un  grand  nombre  de  monas- 
tères et  d'abbayes  fondées  par  le  zèle  pieux  de  ces  princes,  formèrent  des  centres  de 
civilisation  et  de  lumières,  et  contribuèrent  fortement  à  asseoir  la  suprématie  de  la 
maison  de  Lenzbourg.  Après  l'extinction  de  cette  famille,  l'Argovie  passa  aux  comtes 
de  Habsbourg,  dans  la  personne  d'Albert  ;  Rodolphe,  l'un  des  descendants  de  ce 
prince,  fut  appelé  au  trône  de  l'empire  en  1272,  et  fut  la  souche  de  la  iamUle 


LA    SUISSE    HlTTOIieS<llIR.  445 


d'Autriche.  Son  fils  Albert  s*alTermit  encore  par  la  défaite  d'Adolphe  de  Nassau;  et 
comme  il  allait  marcher  contre  les  Waldstaetten,  soulevées  par  les  conjurés  du  Grûtli, 
il  fut  assassiné,  non  loin  de  Vindonissa,  par  Jean  de  Souabe,  son  neveu.  Le  premier 
potentat  de  l'Europe,  lâchement  frappé  par  surprise,  expira  loin  de  sa  suite  dans  les 
bras  d'une  vieille  paysanne.  D'horribles  exécutions  signalèrent  la  vengeance  de 
l'implacable  Agnès,  fille  de  l'empereur;  la  noblesse  argovienne  fut  décimée.  On 
conserve  encore  dans  le  château  de  Hallwyl  le  glaive  qui  servit  à  décapiter  soixante 
seigneure.  —  Le  monastère  de  Kœnigsfelden,  monument  d'expiation,  s'éleva  sur  le 
lieu  du  meurtre. 

Les  troupes  argoviennes  prirent  part,  sous  la  bannière  d'Autriche,  à  la  plupart 
des  expéditions  tentées  par  cette  puissance  contre  la  jeune  Confédération  suisse. 
Les  défaites  sanglantes  qu'elles  y  essuyèrent  les  indisposèrent  fortement  contre  la 
domination  étrangère;  aussi,  le  duc  Frédéric  d'Autriche  ayant  été  mis  au  ban  de 
l'empire  en  4 41  S,  les  populations  assemblées  à  Sursée  s'empressèrent-elles  de 
demander  à  entrer  dans  la  Confédération  des  Etals  suisses,  au  moment  même  où 
les  troupes  bernoises,  excitées  par  l'empereur  Sigismond,  envahissaient  et  s'empa- 
raient presque  sans  coup  férir  de  Zofingen,  d'Aarau,  d'Aarbourg,  de  Lenzbourg,  etc. 
De  leur  côté,  les  cantons  voisins  ne  restèrent  point  inactifs;  Lucerne  s'empara  de 
Sursée,  et  Zurich  de  Dietikon.  Enfin,  à  l'exception  du  Frickthal,  conservé  à  la 
maison  d'Autriche,  tout  le  territoire  argovien  devint  la  proie  des  envahisseurs,  qui 
furent  confirmés  dans  leur  conquête  par  Sigismond.  Baden,  bailliage  commun  entre 
les  cantons  voisins,  devint  l'un  des  sièges  de  la  Diète  suisse.  Une  partie  des  Bailliages 
libres  appartenait  aux  villes  de  Berne,  de  Zurich  et  de  Claris.  L'histoire  de  la  plus 
grande  partie  de  TArgovie  est  donc,  dès  cette  époque,  celle  du  canton  de  Berne,  dont 
elle  partagea  les  destinées  jusqu'en  1798. 

L'Argovie  ne  resta  point  étrangère  aux  luttes  intestines  qui  déchirèrent  la  Suisse 
au  temps  de  la  Réforme;  la  moitié  environ  de  sa  population  embrassa  la  nouvelle 
foi.  A  deux  reprises,  Vilmei*gen  vit  ses  campagnes  se  couvrir  de  Suisses  armés  les 
uns  contre  les  autres  au  nom  de  la  religion  ;  vaincu  dans  la  première  de  ces  ren- 
contres, le  parti  protestant  prit  sa  revanche  dans  la  seconde.  Lors  de  la  guerre 
des  paysans,  une  lutte  acharnée  ensanglanta  les  alentours  de  Mellingen,  et  se 
termina  par  la  défaite  de  l'armée  de  Leuberger.  L'Argovie  et  surtout  le  Frickthal 
eurent  beaucoup  à  souffrir  pendant  la  guerre  de  Trente  ans;  des  armées  ennemies 
envahirent  et  dévastèrent  maintefois  son  territoire.  Rheinfelden  surtout,  ville 
fortifiée  sur  le  Rhin,  eut  à  souffrir  de  leurs  incursions;  assiégée  et  prisé^ d'assaut 
à  plusieurs  reprises,  elle  fut  rasée  par  les  Français  en  1744.  Baden  eut  le  privilège  de 
voir  terminer  dans  ses  murs  la  grande  querelle  de  la  succession  d'Espagne,  par  un 
traité  conclu  entre  le  prince  Eugène,  Villars,  et  les  députés  de  l'empire  germanique, 
le  7  septembre  1714.  Lorsque  la  révolution  française  éclata,  le  contre-coup  s'en  fit 
immédiatement  ressentir  en  Suisse;  les  pays  sujets,  et  de  ce  nombre  l'Argovie, 
commencèrent  à  entrevoir  l'espoir  d'une  prochaine  délivrance.  Ce  fut  pour  anéantir 
ces  idées  de  liberté  et  d'innovation  que  la  Diète  suisse,  réunie  à  Aarau  le  25  jan- 
vier 1798,  resserra  par  un  serment  solennel  les  nœuds  de  l'antique  Confédération. 
Mais  il  était  trop  tard  ;  les  troupes  françaises  étaient  aux  frontières,  et  les  pays  sujets 
se  soulevaient  en  masse.  Bientôt  le  général  Brune,  maître  de  Berne,  proclama  l'in- 


Hlh  LA  sLisae  pittoresqlk. 


dépendance  de  l*Argo  vie,  elTéngca  en  canton  séparé.  Aarau  fut  désigné  oomine  lien 
de  réunion  des  dcpulés  élus  par  chaque  canton  pour  reoooslituer  la  nalion  suisse  : 
le  42  avril  1798,  rassemblée  proclama  la  République  helvétique  une  et  indivisible. 
Aarau  en  devint  le  cheMieUt  et  le  siège  du  Corps  législatif,  ainsi  que  du  Directoire, 
jusqu'à  la  translation  du  gouvernement  à  Luoerne,  le  30  septembre  de  la  même 
année.  En  4801 ,  Baden  et  les  Bailliages  libres  furent  réunis  au  canton  d'Argovie,  et 
pexx  après,  par  le  traité  de  Luné  ville,  T  Autriche  abandonna  le  Frickthal,  qui  vint 
augmenter  le  territoire  de  la  jeune  république.  Dès-lors  éclatèrent  dans  le  canton 
diverses  insurrections,  surtout  en  180i  et  180&,  ainsi  qu'en  4830.  —  D'après  la 
Constitution  de  4844,  le  Grand  Conseil  était  composé  d*un  nombre  égal  de  catho- 
liques et  de  réformés  (75);  parmi  eux,  k%  étaient  nommés  directement  par  le 
peuple,  52  par  le  Grand  Conseil  lui-même,  et  50  par  un  collège  électoral  formé  de 
43  membres  du  Petit  Conseil,  de  43  juges  d'appel  et  de  43  membres  du  Grand 
(Conseil.  Tous  ces  fonclionnaires  devaient  posséder  une  certaine  fortune,  selon 
l'importance  de  leur  dignité  ;  les  membres  du  Grand  et  du  Petit  Conseil  étaient 
nommés  pour  42  ans;  un  représentant  du  gouvernement  {OberamtnMnn)  résidait 
dans  chaque  district.  La  révolution  française  de  4830  vint  démontrer  les  vices  de 
cette  Constitution.  Une  grande  agitation  se  manifesta  dans  les  campagnes  par  des 
assemblées  populaires  ;  le  mouvement  éclate,  et  le  5  décembre  la  ville  d' Aarau  est 
occupée  par  une  troupe  d'insurgés  commandés  par  Fischer  de  Merischwanden.  Le 
Grand  Conseil  dut  faire  place  à  une  Constituante,  qui  élabora  une  nouvelle  loi  fonda- 
mentale le  40  mai  4834.  Cette  Constitution  établissait  la  souveraineté  du  peuple, 
régalité  des  citoyens,  l'aptitude  de  tous  aux  emplois.  Le  nombre  des  membres  du 
Grand  Conseil  fut  porté  à  200,  et  celui  des  membres  du  Petit  Conseil  fut  réduit  à  9  ; 
les  premiers  étaient  nommés  directement  par  les  districts,  en  maintenant  l'égalité 
entre  les  deux  confessions.  Des  troubles  éclatèrent  en  4835,  et  furent  réprimés  par 
les  armes.  On  introduisit  quelques  réformes  dans  la  Constitution  en  4844  et  4842. 
En  4844,  le  Gouvernement  supprima  la  plupart  des  couvents  du  canton;  cette 
mesure,  qui  occasionna  de  longs  débats  au  sein  de  la  Diète  fédérale,  fut  Tune  des 
causes  qui  amenèrent  une  scission  entre  les  cantons  suisses,  scission  qui  se  ter- 
mina par  la  guerre  du  Sonderbund.  En  4854,  trois  projets  de  Constitution,  élaborés 
successivement  par  trois  législatures,  furent  rejetés  à  une  immense  majorité  ;  enfin 
l'année  suivante,  une  nouvelle  loi  fondamentale  fut  proclamée  et  adoptée  à  une 
majorité  de  près  de  20,000  voix. 

CoNSTiTUTiOiN.  —  Voici  Ics  principales  modifications  apportées  en  4852  à  la 
Constitution.  Les  ecclésiastiques  sont  exclus  des  fonctions  de  l'Etat;  les  Suisses  natu- 
ralisés ne  peuvent  être  revêtus  d'un  pouvoir  public  qu'après  huit  à  dix  ans  de  pos- 
session du  droit  de  citoyen.  Le  renouvellement  intégral  de  tous  les  fonctionnaires  a 
lieu  tous  les  quatre  ans;  tout  magistrat  est  personnellement  responsable  de  tout  ce 
qu'il  fait  dans  l'exercice  de  ses  fonctions.  Les  membres  du  Grand  Conseil  ne  peuvent 
être  rendus  responsables  de  leurs  votes  que  pour  autant  qu'ils  sont  contraires 
à  la  Constitution.  Les  délibérations  du  pouvoir  exécutif  et  du  pouvoir  judiciaire 
sont  publiques,  si  l'intérêt  de  l'Etat  et  la  moralité  ne  conseillent  pas  le  buis-dos. 
Les  instituteurs  sont  renommés  chaque  année,  et  sont  exclus  du  Grand  Conseil.  Les 
paroisses  de  chaque  confession  ont  droit  à  une  triple  présentation  de  candidats  pour 


LA    SlISSK    PITTOUESQtK.  4i5 

les  places  de  pasteurs.  L*âge  requis  pour  rexercicé  des  droits  politiques  est  de 
22  ans;  pour  les  actes  civils,  il  est  fixé  à  28  ans.  Les  droits  sur  le  timbre  sont 
abolis,  et  Yohmgeld  est  modifié;  un  impôt  est  établi  sur  le  luxe,  et  les  droits  de 
succession  sont  augmentés.  Sur  les  sept  membres  qui  composent  le  Corps  exécutif, 
on  ne  peut  en  nommer  qu'un  seul  au  Conseil  National  et  un  au  Conseil  des  Etats. 
Les  préfets  sont  nommés  par  le  Grand  Conseil,  sur  la  présentation  du  Conseil  d*Etat, 
qui  doit  choisir  ses  candidats  parmi  les  citoyens  résidant  dans  le  district  même  ;  ils 
doivent  être  âgés  de  plus  de  30  ans. 

Cultes.  — Sur  une  population  de  199,852  âmes,  le  canton  d'Argovie  compte 
107,194  protestants,  91 ,096  catholiques,  et  1 S62  juifs.  Comme  on  le  voit,  le  chiffre 
de  ceux-ci  est  relativement  fort  élevé,  car  ils  forment  la  moitié  du  chiffre  total  des 
Israélites  répandus  sur  toute  la  Suisse  ;  deux  communes,  celle  de  Lengnau  et  celle 
d'Endigen,  dans  le  district  de  Zurzach,  sont  entièrement  composées  de  juifs.  Les 
protestants  occupent  la  partie  sud  du  canton,  et  forment  en  outre  quelques  com- 
munes du  district  de  Baden;  ils  sont  divisés  en  six  décanats.  —  Chaque  confession 
possède  un  Conseil  d'Eglise  {Kirchenrath),  nommé  par  le  Grand  Conseil  et  composé 
de  neuf  membres.  Celui  de  ces  corps  qui  est  composé  de  catholiques  compte  trois 
membres  laïques  et  trois  pris  dans  le  clergé  ;  ceux-ci  sont  nommés  sur  une  qua- 
druple présentation  de  chacun  des  quatre  chapitres  du  pays  {Landcapitel),  Leur 
hiérarchie  ecclésiastique  se  compose  de  Févêque  de  Bâle,  d'un  chanoine  et  décan 
résidant  dans  le  canton,  de  deux  chanoines  hors  du  canton,  du  provicaire  de  Té- 
vêque,  des  curés,  des  vicaires  et  des  chapelains.  Les  trois  collégiales  du  canton, 
Baden,  Saint-Martin  à  Rheinfelden,  et  Sainte-Vérène  à  Zurzach,  possèdent  un  cha- 
pitre particulier.  —  Les  trois  membres  du  Conseil  d'Eglise  protestant  pris  dans  le 
clergé,  sont  nommés  sur  la  présentation  du  Chapitre  général.  L'Argovie  comptait 
autrefois  un  grand  nombre  de  couvents;  nous  citerons  ceux  de  Mûri,  de  Wellingen, 
de  Fahr,  de  Baden;  la  plupart  ont  été  supprimés  en  1841  et  1848.  Trois  couvents 
de  femmes  subsistent  encore  h  Gnadenthal,  à  Uermetschwyl  et  à  Baden,  mais  ils 
seront  supprimés  par  voie  d'extinction. 

Instruction  publique.  —  Le  conseiller  d'Etat  chargé  de  l'instruction  publique  est 
assisté  dans  ses  fonctions  de  deux  Commissions  :  l'une,  de  quatre  membres,  est 
chargée  de  l'inspection  de  l'Ecole  cantonale  :  l'autre  surveille  l'Ecole  normale  de 
Wellingen.  Dans  chaque  district  il  y  a  un  Conseil  d'instruction,  dont  le  président  est 
nommé  par  le  Conseil  d'Etat,  sur  la  présentation  du  directeur  de  l'instruction 
publique  ;  celui-ci  nomme  les  autres  membres.  En  outre,  des  inspecteurs,  dont  le 
nombre  varie  de  un  à  quatre,  sont  chargés  de  la  surveillance  des  écoles  primaires; 
ils  sont  pour  la  plupart  pris  dans  le  Conseil  d'instruction.  —  Le  principal  établis- 
sement du  canton  est  l'Ecole  cantonale,  placée  à  Aarau;  elle  est  divisée  en  deux 
parties:  le  Gymnase,  et  l'Ecole  industrielle.  Deux  recteurs  sont  à  la  tête  de  tout 
l'établissement  :  l'un  préside  au  Gymnase  et  à  l'Ecole  industrielle,  et  l'autre  est  son 
vice-recteur,  tout  en  dirigeant  l'Ecole  industrielle.  Les  élèves  qui  se  vouent  aux 
études  classiques  suivent  des  cours  de  langues  et  littératures  allemande,  grecque  et 
latine,  de  sciences  historiques,  de  sciences  naturelles,  de  mathématiques,  etc.  — 
L'Ecole  normale  de  Wettingen  forme  les  régents  ;  six  maîtres  et  un  directeur  y 
enseignent.  Chaque  district  possède  une  école  secondaire;  quelques-uns  même  en 


446  l.\    SUSSE    riTTORESI,H  F.. 


ont  deux;  tels  sont:  Bremgarten,  Kulm,  Zoiingen,  Zurzach.  Dans  la  plupart  on 
enseigne  les  langues  latine,  grecque,  française  et  allemande.  —  Outre  les  écoles 
primaires,  il  existe  encore  des  écoles  du  soir,  des  établissements  privés  d'instruc- 
tion, etc. 

G)LTtMKs,  MoF.rns,  Usagks.  —  1^  population  du  canton  d*Argovie  esl  en  généra) 
belle,  quoiqu*on  y  remarque  divei*s  tY|)es  assez  distincts.  Les  habitants  de  la  rive 
droite  de  TAar,  entre  Othmarsingen  et  Aarl)ourg,  se  distinguent  par  leur  taille  forte 
et  bien  prise,  et  leur  constitution  robuste  j  au  contraire,  de  l'autre  côté  de  TAar. 
aux  pieds  du  Jura,  on  trouve  une  race  d*une  taille  moyenne,  aux  membres  grêles. 
h  Tovale  du  visage  un  |)eu  allongé.  Le  comté  de  Baden,  les  Bailliages  libres  et  le 
Frickthal  renferment  une  population  vigoureuse  et  bien  constituée.  Sur  presque 
toute  rétendue  du  canton,  le  beau  sexe  porte  fort  bien  son  nom,  et  Télégant  costume 
Ijernois,  si  frais,  si  co(]uet,  relève  singulièrement  ses  charmes;  ce  n'est  cependant 
|)as  le  cas  dans  le  Frickthal,  où  les  Temmes  portent  des  jupes  rouges.  A  Grs^nicben 
et  dans  quelques  villages  environnants,  on  trouve  une  certaine  quantité  de  crétins, 
dont  la  triste  infirmité  doit  être,  sans  nul  doute,  attribuée  à  la  mauvaise  qualité 
de  Teau.  —  Chose  singulière,  malgré  le  grand  mouvement  commercial  qui  règne 
dans  tout  le  canton,  malgré  la  fertilité  du  sol,  il  règne  dans  certains  districts  une 
gène  assez  grande,  et  qui,  à  certaines  époques,  devient  une  véritable  misère:  la 
vallée  de  Kulm  se  distingue  sous  ce  rap|K)rt.  Le  canton  fournit  un  assez  fort  contin- 
gent à  rémigration.  Les  Argo viens  sont  industrieux  ;  sans  être  très-rudes,  ils  ne 
|)échent  passons  le  rap|)ort  de  la  trop  grande  aménité  ;  Tusage  assez  fréquent  des  bois 
sons  spiritueuses  contribue  peu,  comme  on  le  |)ense  bien,  à  les  rendre  plus  sociables. 
Les  discussions,  les  querelles  ont  pour  eux  un  véritable  attrait,  et  ils  ont  un  goût 
très-prononcé  i)our  les  procès  ;  on  cite  à  ce  propos  la  réponse  naïve  d'une  jeune 
imysanne,  à  qui  Ton  demandait  l'état  de  sa  fortune,  et  qui  répondit  en  souriant  : 
tt  Oh!  Dieu  merci,  nous  avons  bien  de  quoi  vivre,  et  encore,  au  bout  de  l'an,  nous 
reste-t-il  toujours  de  quoi  faire  un  petit  procès  pour  nous  égayer  pendant  l'hiver.  »  — 
Les  habitants  du  Frickthal  semblent  faire  une  classe  à  part;  longtemps  sous  la 
domination  de  l'Autriche,  ils  n'ont  pu  se  familiariser  entièrement  avec  leurs  nou- 
veaux concitoyens,  et  sont  encore  tout  imbus  des  idées  et  des  mœurs  de  leur  ancienne 
patrie.  Les  habitants  des  Bailliages  libres  se  distinguent  par  leur  vivacité  d'esprit  et 
leurs  fines  reparties  ;  ils  aiment  beaucoup  les  représentations  théâtrales,  que  donnent 
quelquefois  de  jeunes  villageois.  Dans  presque  tous  les  villages  de  TArgovie  et 
dans  la  plupart  des  villes,  on  retrouve  un  usage  très-commun  en  Allemagne, 
usage  d'une  grande  utilité,  vu  le  nombre  fort  élevé  d'incendies  qui  éclatent  annuel- 
lement. Un  crieur  public  traverse  à  chaque  heure  de  la  nuit  toutes  les  rues  de  la 
localité,  et  crie  d'une  voix  élevée  :  «  Ecoutez  mes  paroles;  il  est  telle  heure!  étei- 
gnez les  feux,  cl  que  Dieu  vous  ait  en  sa  sainte  garde  !  »  —  Ici,  ainsi  que  dans  la 
plupart  des  cantons  allemands,  le  Killgang  (visite  nocturne)  joue  un  grand  rôle 
imrmi  les  populations  de  la  campagne.  Chaque  soir,  les  jeunes  gens  vont,  souvent  à 
(le  fortes  dislances,  rendre  visite  à  leurs  fiancées;  celles-ci  les  attendent,  s'em- 
pressent de  les  recevoir,  et  l'entretien  se  prolonge  souvent  jusqu'au  matin.  Autre- 
fois, les  habitations  rustiques  étaient  ornées  de  peintures  à  la  façade  extérieure  du 
bâtiment;  ces  enluminures,  dont  la  naïveté  côtoyait  souvent  le  grotesque,  servaient 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  447 


h  désigner  et  à  reconnaître  entre  elles  les  maisons  des  particuliers.  —  Les  Argo- 
viens  aiment  beaucoup  la  musique,  et  Ton  trouve  dans  le  canton  un  grand  nombre 
de  sociétés  de  chant,  connues  sous  le  nom  de  Mœnnerchosre  (chœurs  d'hommes). 

Agriculture.  —  Il  est  peu  de  cantons  de  la  Suisse  qui  puissent  rivaliser  avec  celui 
d'Argovie  pour  la  fertilité  du  sol  et  la  bonne  tenue  des  champs.  Aussi,  une  bonne 
partie  de  la  population  se  livre  avec  ardeur  et  intelligence  à  l'agriculture,  et  des  prai> 
ries  magnifiques,  des  champs  bien  entretenus  couvrent  à  l'en  vile  territoire  du  canton. 
Le  système  d'irrigation  des  champs  est  surtout  porté  à  un  haut  degré  de  perfectionne- 
ment. Année  commune,  l'Argovie  produit  une  quantité  suffisante  de  céréales  pour 
sa  consommation.  La  pomme  de  terre,  les  légumes,  sont  très-répandus  et  croissent 
partout  sans  difficulté.  La  culture  du  lin  et  du  chanvre  est  d'une  grande  importance, 
soit  pour  les  besoins  de  la  population,  soit  pour  l'industrie  en  grand.  Dans  le  dis- 
trict d'Aarau,  le  sol  se  couvre  de  céréales  jusqu'au  pied  des  pentes  escarpées  du 
Jura;  la  plaine  de  Lenzbourg  surtout  ofifre  de  magnifiques  moissons.  Par  contre,  le 
district  de  Brugg  et  une  bonne  partie  de  celui  de  Zurzach  sont  peu  fertiles,  et  il  ne 
faut  rien  moins  qu'un  travail  opiniâtre  pour  vaincre  l'ingratitude  du  sol.  —  Le  canton 
est  couvert  de  forêts  magnifiques,  bien  entretenues,  et  composées  surtout  de  coni- 
fères; le  Lindenberg,  le  district  de  Zofingen,  se  distinguent  sous  ce  rapport.  La  forêt 
de  Bonnwald,  située  dans  ce  dernier,  fournissait  autrefois  des  sapins  gigantesques 
que  l'on  expédiait  jusqu'en  Hollande,  où  ils  servaient  de  mâts  pour  les  vaisseaux 
de  premier  ordre.  La  vigne  est  une  source  de  richesses  pour  la  plus  grande  i^artie 
du  canton,  à  l'exception  du  district  de  Zofingen  ;  certaines  qualités  de  vins  sont 
assez  estimées.  Les  districts  de  Brugg,  de  Laufenbourg,  de  Zurzach  et  de  Baden,  sont 
ceux  qui  en  fournissent  le  plus.  Les  meilleurs  vins  croissent  sur  la  rive  gauche  de 
TAar,  près  de  Thalheim,  Oberflachs,  Schinznach,  Kastelen,  et  dans  le  Frickthal 
près  de  Zeinigen,  d'Aschgen  et  de  Magden.  Les  nombreuses  prairies  artificielles  et 
les  gras  pâturages  qui  tapissent  les  collines  du  canton,  permettent  d'élever  un 
nombre  considérable  de  bêtes  à  cornes;  on  y  compte  8661  bœufs,  26,637  vaches, 
18,232  génisses,  4738  chevaux,  24,000  porcs,  3000  chèvres,  et  8300  moutons. 
En  outre,  les  prairies  et  les  vergers  sont  parsemés  d'une  grande  quantité  d'arbres 
fruitiers,  dont  les  produits  sont  séchés  avec  soin,  ou  bien  servent  à  la  fabrication  de 
l'eau-de-vie,  dont  les  Argoviens  font  grand  usage.  En  1806  fut  promulguée  une  loi 
en  vertu  de  laquelle  chaque  nouveau  marié  devait  â  l'avenir  planter  six  arbres  sur  les 
terrains  communaux,  et  chaque  père  deux  arbres  à  la  naissance  d'un  fils.  Cette  me- 
sure enrichit  chaque  année  le  canton  de  12  à  15,000  pieds  d'arbres.  Les  Argoviens 
ont  une  grande  prédilection  pour  les  fleurs,  et  il  existe  sur  leur  territoire  des  jardins 
admirablement  cultivés,  qui  renferment  des  plantes  rares,  des  arbres  magnifiques  ; 
telles  sont  la  plupart  des  maisons  de  campagne  qui  décorent  les  alentours  des  prin- 
cipales villes  de  l'Argovie.  —  La  superficie  du  canton,  de  302,100  arpents,  se  divise 
ainsi  :  18,000  en  pâturages,  75,000  en  terrains  boisés,  120,000  en  champs, 
95,000  en  prés,  et  4500  en  vignes. 

Industrie,  Commerce.  —  Le  canton  d'Argovie  se  place  en  première  ligne  parmi 
les  Etats  suisses  sous  le  rapport  de  l'industrie.  Déjà  dans  le  1 5°  et  le  lô"*  siècle,  quan- 
tité de  fabriques  florissaient  à  Rheinach  et  à  Aarau.  Sous  le  règne  de  Marie  la 
Catholique,  des  Anglais  fuyant  les  persécutions  de  leur  reine,  vinrent  se  fixer  à 
II,  V.  83 


*18  L.%    MISSE    «TTnHESMjlC. 


Aarau,  où  ils  apportèrenl  diverses  industries.  La  révncalioa  de  l'Edit  de  Xanle^  > 
amena  aussi  un  ^rand  nombre  d'industriels,  qui  achevèrenl  d'y  impUnier  Ytsfmi 
mercantile. 

I^  commerce  de  transit  est  considérable,  (iavorisé  qu*îl  est  par  b  poâtioo  du 
canton  et  ses  nombreuses  voi(*s  de  communication.  Les  principaux  centres  d'in 
dustrie  srmt  Aarau,  Zofirigen,  LenzlM>ur;i;  et  Aarbourg;  on  y  trouve  un  gran>i 
nombre  de  filatun's  mécaniques,  dont  les  produits  jouissent  en  général  d'une  b»f)CH' 
réputation.  On  y  travaille  la  soie  (  dans  dix-huit  établissements),  le  Un  et  le  chanvre 
Vingt  filatures  de  coton  font  mouvoir  plus  de  I  ^0,000  bobines.  De  vastes  teinta 
rerics,  des  imprimeries  sur  indienne,  des  tanneries,  des  blanchisseries,  occupent  dâ< 
centaines  d'ouvriers.  Dans  quelques  districts,  et  surtout  dans  celui  de  Bren^arten.  le^ 
gens  de  la  campagne  utilisent  leurs  loisirs  en  tressant  la  paille;  i  Theure  qu'il  est, 
cette  industrie  a  pris  une  extension  très-considérable,  et  est  devenue  un  gagne-pain 
|)our  bien  des  Tamilles.  Wohien  possède  de  nombreuses  manufactures  de  chapeaux  de 
paille  ;  ceux-ci  s'exportent  dans  toute  TEurope,  et  jusque  dans  le  Nouveau-Monde.  La 
matière  première  n'en  est  pas  tirée  uniquement  du  canton  ;  quelques  entrepreneurs  la 
font  venir  en  partie  dltalie  et  de  Fribourg.  Dans  ce  dernier  canton,  on  travaille 
surtout  la  paille  de  froment,  tandis  que  les  produits  argoviens  sont  principalement  en 
paille  de  seigle  ;  ces  deux  Etats  ne  se  font  donc  pas  précisément  concurrence.  —  Nous 
ne  pouvons  même  indiquer  ici  les  diverses  brandies  qu'embrasse  Tindustrie  ai^ 
vienne:  un  volume  entier  n'y  saurait  suffire.  Aussi  l'importation  dans  le  canton  est- 
elle  faible,  et,  à  part  quelques  matières  brutes  ou  en  partie  ouvrées  que  Ton  y  reçoit 
de  rélranger  pour  les  travailler  ensuite,  il  entre  fort  peu  de  produits  étrangers  daa> 
le  pays.  L'exportation  consiste  dans  les  objets  manufacturés,  les  bestiaux,  des  fruits 
secs,  un  |)eu  de  blé,  du  minerai  de  fer,  etc.  La  célèbre  coutellerie  d'Aarau,  dont  les 
produits  sont  si  estimes,  n'exporte  guère  au  dehors  de  la  Suisse  j  la  fonderie  do 
canons  et  de  cloches  de  la  même  ville  est  en  pleine  prospérité.  Dans  certaines  vallées, 
et  notamment  dans  celle  de  Kulm,  où  le  sol  est  infertile,  les  populations  se  livrent  à 
diverses  industries,  telles  que  le  tissage  des  toiles,  etc.  Enfin,  l'exploitation  des  salines 
de  Rhcinfelden,  de  quelques  houillères,  de  bancs  d'alb&tre,  la  pèche,  occupent  une 
|)artie  de  la  population. 

Chemins  de  fer.  —  Le  premier  chemin  de  fer  qui  ait  été  établi  en  Suisse  est 
celui  qui  relie  Baden  et  Zurich ,  villes  éloignées  de  près  de  cinq  lieues  :  il  fut 
tmvcrl  en  1847.  Au  sortir  de  Biidcn,  le  chemin  s'enfonce  dans  un  tunnel  pratiqué 
dans  le  rocher  que  surmonte  le  Slein  de  Baden.  Après  avoir  côtoyé  la  Limniât 
|)endanl  près  de  deux  lieues,  la  voie  ferrée  entre  dans  le  canton  de  Zurich  vers 
Dielikon,  et  se  dirige  sur  la  capitale  par  Schlieren  et  Allstœtten.  Un  autre  cheniio 
de  fer,  auquel  on  travaille  actuellement,  unira  Bàle  et  Baden,  et  se  reliera  à  la  ligne 
de  Zurich,  tandis  qu'une  autre  voie,  partant  aussi  deBàle,  traversera  le  district  de 
Zofingen  pour  se  rendre  à  Lucerne. 

Savants  et  Hommes  distingués.  —  Le  canton  d'Argovie  peut  s'enorgueillir  d'un 
grand  nombre  de  ses  enfants  qui  se  sont  distingués  dans  la  plupart  des  branches  des 
connaissances  humaines.  Au  nombre  des  historiens  argoviens,  noiis  citerons  :  Werner 
Schinlehr,  mort  en  1541,  auteur  d'une  histoire  de  la  Guerre  de  sept  ans  de  Zurich: 
Christophe  Silherehen,  auteur  d'une  Chronique  fort  estimée  ;  Waldmr  d'Aarau,  qui 


LA    SUISSE    PITTOUKSOrK.  419 


figura  avec  honneur  h  la  cour  d'Autriche;  Ernest  Mûnch,  de  Rheinfelden,  qui  fil 
paraître  vers  1842  plusieurs  ouvrages,  parmi  lesquels  on  remarque  une  Histoire  des 
guerres  entre  l'Europe  chrétienne  et  les  Oltomans;  et  enfin  Hmri  Zschokke,  qui  établit 
sa  réputation  comme  historien  par  T Histoire  de  la  Bavière  et  celle  de  la  Suisse.  Ce 
dernier  ouvrage,  en  langue  vulgaire,  est  un  des  meilleurs  écrits  qui  aient  paru  sur 
la  Suisse.  Zschokke,  Tune  des  gloires  contemporaines  du  pays,  naquit  à  Magde- 
bourg  le  22  mai  1774,  et  mourut  à  Aarau  à  Tàge  de  77  ans.  Il  excella  dans  les 
Jivei^  genres  de  littérature  qu'il  a  cultivés,  et  ses  nombreux  ouvrages,  répandus  au 
loin,  respirent  une  mâle  simplicité,  un  esprit  droit  et  un  vif  amour  de  la  liberté. 
Les  écrits  périodiques  de  Zschokke  ont  beaucoup  contribué  aux  grands  mouvements 
politiques  qui  se  firent  sentir  sur  toute  la  Suisse  en  1830.  Citons  encore  MM.  Charles 
Fetzer,  auteur  d'une  Histoire  du  Frickthal  ;  Aloys  Bock,  qui  décrivit  la  Guerre  des 
paysans  de  16S3  ;  et  Lanfer,  de  Zofingen. 

Parmi  les  géographes,  nous  citerons  Jean  Meyer,  qui  travailla  longtemps  à  un  Atlas 
de  la  Suisse,  et  les  deux  Rengger,  qui  écrivirent  sur  le  Paraguay.  —  Les  mathéma- 
tiques n'ont  point  non  plus  été  négligées:  Hassler,  ingénieur  au  service  des  Etats- 
Unis,  fit  paraître  en  langue  anglaise  plusieurs  ouvrages  fort  estimés  sur  l'astronomie 
et  la  trigonométrie.  —  Les  sciences  naturelles  citent  Rodolph  Meyer,  Suter,  Rengger, 
le  docteur  hnhoff,  auteur  d'un  ouvrage  sur  le  choléra.  —  Zimmermann,  de  Brugg, 
Rothpletz,  Gysi^  d' Aarau,  se  sont  fait  un  nom  comme  philosophes.  La  théologie 
compte  aussi  un  grand  nombre  d'illustrations.  —  La  poésie  a  été  cultivée  de  tout 
temps  avec  succès  dans  le  canton  d'Argovie  :  les  chants  de  plusieurs  Minnesinger  sont 
parvenus  jusqu'à  nous.  Quelques  comtes  et  des  landgraves  d'Argovie  savaient  aussi 
bien  se  servir  de  la  lyre  du  trouvère  que  de  la  lance  du  chevalier.  Tels  sont  Henri  de 
Fetlingen,  Werner  de  Homberg,  Walier  de  Klingen,  qui  nous  ont  transmis  des  poésies 
charmantes.  MaUhim  Rothpletz,  d'Aarau,  est  un  poëte  dramatique  qui  n'est  point  sans 
nfiérite.  Suter,  M"*  Egloff,  Tanner,  Bronner,  ont  publié  des  volumes  de  poésies.  Ici 
nous  avons  encore  à  citer  Henri  Zschokke.  —  La  peinture  sur  verre,  dont  on  admire 
de  magnifiques  échantillons  à  Wettingen,  à  Kœnigsfelden,  à  Mûri,  etc.,  a  été  cul- 
tivée avec  succès  ;  malheureusement,  la  plupart  des  artistes  qui  exécutèrent  ces  chefs- 
d'œuvre  nous  sont  inconnus.  On  cite  cependant  AUorfer,  le  premier  peintre  qui  exista 
en  Suisse,  et  Jean  de  Beyer,  né  à  Aarau  en  1705,  qui  brilla  à  Amsterdam,  où  il  fit  ses 
études  de  peintre.  Un  grand  nombre  d'artistes  contemporains  cultivent  avec  succès 
la  peinture.  —  Bremgarten  a  vu  naître  le  célèbre  réformateur  BnUinger,  qui  succéda 
à  Zwingli  dans  le  poste  de  pasteur  de  la  ville  de  Zurich.  Brugg  s'honore  de  la  nais- 
sance du  chancelier  bernois  Thuring  Frischhard,  du  théologien  Wapfer  et  de  l'antistès 
HumrneL 

Villes  et  autres  lieux  remarquables.  —  Aarau,  capitale  du  canton,  située  au 
sein  d'une  contrée  agréable  et  fertile,  à  1185  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Cette  ville 
est  assez  ancienne,  et  l'on  ne  peut  fixer  que  difficilement  la  date  précise  de  sa  fon- 
dation. Déjà  à  une  époque  fort  reculée,  les  comtes  de  Rohr,  qui  habitaient  un  château 
non  loin  de  l'emplacement  où  s'élève  Aarau,  virent  se  grouper  à  leurs  pieds  quelques 
habitations;  au  lO""  siècle,  des  murs  Qanqués  de  tours  ceignirent  la  jeune  cité 
et  la  défendirent  contre  les  excursions  des  Hongrois.  Aarau  appartint  ensuite  à  la 
famille  d'Altenbourg,  des  mains  de  laquelle  elle  passa  à  celle  de  Habsbourg.  Lorsque 


hiO  LA   SnSSR   PITTOKESQrR. 


Rodolphe  parvint  au  IrAne  impérial ,  il  se  plut  à  favoriser  les  babitanls  de  celle 
ville,  et  leur  accorda  de  nombreux  privilèges.  Ils  obtinrent  la  Taveur  de  n'être  inter- 
rogés que  par  leur  avoyer  seul,  de  ne  subir  que  les  châtiments  infligés  dans  les  villes 
impériales,  etc.  Après  que  les  Bernois  se  furent  emparés  de  TArgovie,  et  que  le  ter- 
rible ours  eut  remplacé  sur  les  tours  de  la  cité  la  bannière  impériale,  Aarau,  quoique 
sujette,  conserva  ses  franchises  et  ses  privilèges  ;  elle  fut  fréquemment  le  si^  des 
Diètes  helvétiques,  et  les  cantons  protestants  y  tinrent  de  nombreuses  conférences. 
C'est  dans  celte  ville  que  fut  signée  la  Paix  de  religion  en  4742.  Devenue  capitale  du 
canton  d'Argovie,  après  avoir  vu  dans  ses  murs  la  dernière  réunion  de  l'ancienne 
Diète  suisse,  Aarau  a  conservé  cette  position,  que  lui  assure  d'ailleurs  sa  nombreusi^ 
population  et  son  importance  commerciale. 

Aarau  est  située  au  pied  du  Jura,  dont  les  croupes  arrondies  se  couvrent  de  vignes 
dans  le  voisinage;  une  autre  chaîne  de  montagnes  peu  élevées,  qui  court  parallèle- 
ment au  Jura,  enferme  cette  ville  comme  dans  une  petite  vallée,  et  contribue  beaucoup 
à  embellir  ses  alentours.  De  nombreuses  ri7Ia^  répandues  dans  la  campagne,  des 
jardins  où  l'art  et  la  nature  rivalisent  d'agréments,  quelques  sombres  forêts  ceignent 
la  ville  d'un  vert  tapis,  qui  fuit  et  remonte  jusque  vers  les  sommités  acérées  des 
montagnes  voisines.  L'Aar  s'avance  fièrement  dans  la  campagne,  en  argentant  ses 
rivages  :  il  traverse  une  partie  de  la  ville,  et  un  beau  pont  suspendu,  achevé  en 
48SO,  s'élance  hardiment  sur  le  fleuve  indompté,  dont  les  débordements  sont  souvent 
si  terribles.  On  garde  encore  le  souvenir  de  l'inondation  de  4830,  où  les  eaux  fail- 
lirent emporter  entièrement  le  pont  couvert  qui  reliait  les  deux  rives.  —  Vu  de  loin, 
Aarau  est  d'un  aspect  très-agréable  ;  les  élégantes  maisons  qui  forment  les  quartiers 
nouveaux  sont  entourées  d'arbres  et  de  jardins  ;  des  eaux  courantes  y  entretiennent 
la  fraîcheur  et  la  propreté,  en  contribuant  à  l'embellissement.  Les  rues  sont  laiges, 
spacieuses  et  animées.  Depuis  4840,  de  nombreux  travaux  d'agrément  ont  été 
exécutés;  d'informes  constructions,  dont  l'aspect  déparait  la  ville,  ont  disparu.  Les 
remparts  qui  ceignaient  l'ancienne  ville  ont  été  abattus,  et,  à  part  une  rue  voûtée  et 
une  tour  construite  en  blocs  d'une  dimension  colossale,  il  ne  reste  plus  rien  de  In 
cité  des  comtes  de  Rohr.  La  nouvelle  ville,  essentiellement  industrieuse,  s'embellit 
chaque  jour,  et  voit  ses  maisons  s^éparpiller  joyeusement  dans  la  campagne  et  border 
de  leurs  blanches  façades  des  rues  et  des  places  nouvelles.  L'ancien  cimetière,  qui 
sétendait  entre  l'Ecole  cantonale  et  le  Casino,  a  été  converti  en  une  place  spacieuse, 
la  plus  vaste  de  la  ville  ;  celle  qui  se  trouve  entre  l'hôtel  du  Gouvernement  et  l'hôlel 
des  Postes  est  surtout  fort  animée.  La  Place  de  gymnastique,  située  hors  de  la  ville, 
et  la  Place  d'armes,  méritent  une  mention.  Des  promenades  ombrées  sillonnent  la  ville 
même,  et  se  déroulent  dans  les  alentours.  Une  seule  église  sert  aux  deux  cultes  ;  elle 
est  simple,  mais  d'une  architecture  de  bon  goût.  —  Aarau  possède  plusieurs  col- 
lections scientifiques  intéressantes  et  précieuses,  et  peu  de  villes  renferment  autant 
d'établissements  utiles.  La  Bibliothèque  est  fort  riche  en  manuscrits,  et  renferme  sur- 
tout des  ouvrages  concernant  l'histoire  suisse:  elle  fut  fondée  en  4803,  et  la  col- 
lection du  général  Zurlauben  en  fut  le  noyau.  L'Etat  possède  une  superbe  collection 
d'oryctognosie,  achetée  de  M.  Wagner  ;  on  y  trouve  des  pétrifications  que  l'on  cher- 
cherait vainement  ailleurs  ;  les  cabinets  zoologiques  et  ornithologiques,  riches  sur- 
tout en  animaux  indigènes,  méritent  aussi  une  visite.  Des  collections  particulières, 


LA   SUISSE   PITTORESQUR.  421 


que  leurs  possesseurs  s'empressenl  de  mettre  à  la  disposition  des  étrangers,  renfer- 
ment  des  objets  d'art  précieux  ;  une  galerie  de  tableaux  à  Thuile,  représentant  une 
grande  variété  de  costumes  suisses,  a  le  double  mérite  d'une  bonne  exécution  et 
d'une  parfaite  exactitude.  Nous  citerons  encore  le  beau  relief  de  M.  Meyer,  qui  com- 
prend une  bonne  partie  de  la  Suisse,  depuis  le  Léman  jusqu'au  lac  de  Constance. 

Les  principaux  édifices  d'Aarau  sont  les  suivants  :  l'Hôtel-de-Ville,  b&timent  triste 
et  sombre;  l'hôtel  du  Gouvernement,  de  récente  construction,  entouré  de  jardins 
et  de  promenades,  au  milieu  desquels  s'élève  la  salle  des  séances  du  Grand  Conseil, 
la  plus  belle  peut-être  de  toute  la  Suisse;  la  nouvelle  Caserne,  édifice  superbe; 
l'Hôpital,  dont  le  fronton  porte  l'inscription  uPiVe  egestati  »  ;  le  Casino«la  Maison  des 
orphelins,  l'Ecole  cantonale,  etc.  —  Aarau  possède  une  école  fédérale  d'artillerie  et 
de  cavalerie. 

Considérée  sous  le  point  de  vue  commercial  et  industriel,  Âarau  est  sans  contredit 
une  des  villes  suisses  les  plus  importantes.  Des  manufactures  d'indieiines,  de  rubans, 
des  fabriques  de  tissus  de  coton,  de  papier,  des  blanchisseries,  une  fonderie  de  canons, 
rimportante  librairie  de  M.  Sauerlœnder,  donnent  un  grand  mouvement  à  la  ville,  et 
contribuent  à  la  prospérité  de  ses  S500  habitants.  —  Âarau  a  possédé  le  célèbre 
Henri  Zschokke,  qui  y  jouit  longtemps  de  l'estime  et  de  l'admiration  de  ses  compa- 
triotes; il  habitait  une  maison  de  campagne  admirablement  placée  sur  une  colline 
des  environs.  C'est  là  que  l'illustre  écrivain  vivait  patriarcalement  au  milieu  de  sa 
nombreuse  famille.  —  Les  sociétés  de  la  ville  à  mentionner  sont  :  la  Société  pour 
l'instruction  nationale  (fur  vaterldndische  Cultar),  divisée  en  cinq  classes  ;  la  Société 
des  officiers  ;  plusieurs  Sociétés  de  chant,  etc. 

Baden,  ville  ancienne,  située  sur  la  rive  gauche  de  la  Limmat,  à  l'extrémité  de  la 
longue  chaîne  des  Lœggern.  La  nature  s'est  plu  à  embellir  ses  alentours  de  tableaux 
riants  et  pittoresques  et  de  points  de  vue  gracieux .  De  petits  vallons  frais  et  parfumés 
détx)uchent  dans  le  grand  bassin  de  la  Limmat,  et  leurs  pentes  fleuries  se  couvrent 
de  vignes  qui  descendent  jusque  vers  le  fleuve.  L'antique  donjon,  élevé  par  les  lé- 
gions romaines,  domine  encore  la  ville  du  haut  de  ses  noirs  créneaux,  quoiqu'il  tombe 
en  ruines  et  s'affaisse  de  plus  en  plus  chaque  jour  ;  le  lierre  et  les  ronces  ont  envahi 
ses  murs  épais,  ses  tourelles  en  saillie  et  quelques  grêles  arbustes,  livrant  aux 
zéphirs  leur  feuillage  léger,  ont  remplacé  sur  la  cime  du  château  la  bannière  soyeuse 
d'Autriche.  C'est  là  que  l'empereur  Albert  médita  le  plan  de  l'asservissement  des 
Waldstœtten  ;  c'est  là  aussi  que  les  deux  Léopold  se  bercèrent  de  l'espérance  d'as- 
servir les  Suisses:  l'un  à  Morgarten,  l'autre  à  Sempach,  payèrent  chèrement  leur 
témérité.  —  Baden  compte  3000  habitants  ;  elle  est  fort  industrieuse  et  fait  un 
coraraerce  considérable  de  vins.  La  fertilité  de  son  territoire,  le  transit  et  surtout 
le  grand  nombre  d'étrangers  qu'y  attirent  ses  bains  célèbres,  en  font  une  des  prin- 
cipales villes  de  l'Argovie.  On  y  remarque  l'Hôtel-de-Ville,  édifice  antique  et  sombre; 
la  belle  église  réformée,  construite  après  le  combat  de  Yilmergen  ;  un  Hôpital  bour- 
geois, fondé  et  richement  doté  par  la  reine  Agnès;  la  Maison  de  correction,  etc.  C'est 
dans  l'église  du  Chapitre  qu'eut  lieu  en  1526  une  discussion  solennelle  entre  les 
théologiens  catholiques  et  le  célèbre  OEcolampade. 

A  quelque  distance  de  la  ville  et  au  fond  d'une  gorge  s'élèvent  les  bains  de  Baden. 
Ce  vaste  établissement,  qui  à  lui  seul  forme  une  petite  ville,  est  le  plus  ancien  et  le 


49*2  LA    8l*ISSE   PITTORESOrE. 


plus  fréquenlé  de  la  Suisse.  Les  Romains  avaient  déjà  bâti  dans  cet  endroit  un  Tort, 
(Iu*o<*eupait  une  légion  et  qui  portait  le  nom  de  CasteUum  Thernuirum;  aussi  les 
Imins  actuels  semblent-ils  avoir  retenu  dans  leurs  proportions  quelque  chose  des 
Ihermes  antiques.  Les  bains  publies  sont  connus  sous  le  nom  de  Baimt  de Ste.- Irmif  : 
des  centaines  de  malades  s*y  plongent  sans  distinction  d*ige  ni  d'infirmité.  Les 
pauvres,  fort  nombreux  comme  on  peut  le  croire,  y  sont  soignés  gratuitement.  Les 
Imins  de  la  rive  gaucbe  sont  Tn^quentés  par  des  personnes  plus  aisées  :  plusieurs 
bôlels  offrent  aux  baigneurs  tout  le  luxe  et  le  comfort  des  grandes  villes  :  le  Suulthnf. 
le  Vai.Ksean,  le  Liiinmthof,  le  Corhmu,  tiennent  parmi  eux  le  premier  rang.  Rien 
n*est  é|)argné«|M)ur  rendre  agréable  aux  étrangers  le  séjour  de  Baden;  des  proroe 
nades  charmantt^  ont  été  ménagin^  dans  les  environs  et  sur  les  bords  de  la  Limniat  : 
bals,  concerts,  spectacles,  se  succèdent  sans  interruption  durant  la  saison  des  eaux. 
Aussi  chaque  année  Tafiluence  des  étrangers  est-elle  si  grande,  que  c'est  à  peine  si 
ces  vastes  établissements  peuvent  les  contenir  tous. 

Dans  les  environs,  s'élève  l'ancien  couvent  de  Wettingen,  riche  abbaye  de  Citeaux. 
convertie  actuellement  en  Ecole  normale.  Voici  ce  que  la  légende  raconte  au  sujet  de 
sa  fondation:  nllenri,  comte  de  Rapperschwyl,  après  avoir  visité  l'Egypte  et  la  Terre- 
Sainte  avec  Anne  de  llomberg,  sa  femme,  revenait  en  Europe  sur  une  galère  véni- 
tienne. Tout  à  coup,  une  tempête  effroyable  éclate  :  les  vents  déchaînés  soulèvent 
des  vagues  énormes  qui  vont  engloutir  le  frêle  esquif,  lorsque  le  ciel,  voilé  jusqu'alors 
d'un  rideau  de  nuages  sombres,  s'entr'ouvre,  et  une  blanche  étoile,  à  la  clarté  faible  et 
vacillante,  apparaît,  jetant  sur  le  navire  un  long  rayon  lumineux,  signal  de  sa  dé- 
livrance. Revenu  dans  ses  Etats,  Henri  éleva  l'abbaye  de  Wettingen  à  VEUnle  de  In 
nier,  w  —  L'église  renferme  le  sarcophage  de  l'empereur  Albert,  qui  y  fut  dépost* 
pendant  quinze  mois.  Des  vitraux  colorés,  chefs-d'œuvre  du  16'  et  du  \T  siècle,  pro- 
jettent sur  les  dalles  leurs  magnifiques  reflets.  On  y  remarque  en  outre  des  stalles 
sculptées,  une  inscription  romaine  à  l'honneur  d'Isis,  et  quelques  vieux  missels  aux 
gothiques  enluminures.  Wettingen  possédait  autrefois  une  imprimerie,  l'une  des 
premières  introduites  en  Suisse. 

Bmgg,  jolie  petite  ville  de  1200  Ames,  située  sur  l'Aar,  non  loin  du  confluent  de 
cette  rivière  avec  la  Reuss  et  la  Limmat  ;  c'est  le  chef-lieu  du  cercle  et  du  district 
du  même  nom.  Le  transit  des  marchandises  de  Bàle  à  Zurich  et  quelques  fabriques 
lui  donnent  une  certaine  importance.  Comme  la  plupart  des  villes  de  l'Argovie. 
elle  est  encore  pleine  des  souvenirs  de  la  domination  romaine,  et  tout  porte  à  croire 
que  l'emplacement  sur  lequel  elle  s'élève  faisait  partie  de  l'enceinte  de  Vindonissa. 
Devenue  propriété  de  la  maison  de  Habsbourg,  Brugg  vit  dans  ses  murs  le  célèbit^ 
Rodolphe  ;  en  1415,  elle  devint  la  proie  des  Bernois.  —  Bru^  n'a  de  remarquable 
que  sa  position  riante,  son  pont  d'une  seule  arche,  large  de  70  pieds,  son  riche  hôpi- 
tal bourgeois,  et  ses  écoles.  Près  du  pont,  on  remarque  un  fragment  de  sculpture 
antique,  qui  a  longtemps  exercé  la  curiosité  des  antiquaires  :  il  paratt  représenter  nn 
llun,  peut-être  même  Attila. 

Non  loin  de  Brugg  s'élève  l'ancienne  abbaye  de  Kœnigsfelden,  convertie  actuel- 
lement en  hospice  d'aliénés.  Fondée  par  l'impératrice  Elisabeth  et  sa  nièce  Agnès  de 
Hongrie,  elle  comprenait  un  couvent  de  clarisses  et  un  autre  de  frères  mineurs. 
Ce  double  monastère  s'éleva  à  l'endroit  même  où,  deux  ans  auparavant  (1308). 


LA    SUISSE    IMTTOIlESQtE. 


4^3 


l'empereur  Albert  élait  tombé  sous  le  fer  de  ses  assassins.  Des  quatre  conjurés,  Wart 
seul,  spectateur  impassible  du  crime,  porta  tout  le  poids  de  la  vengeance  d'Agnès, 
tandis  que  Jean  de  Souabe,  Balm,  Eschenbach,  purent,  à  la  faveur  de  déguisements, 
se  soustraire  au  supplice  qui  les  attendait.  —  L'église,  assez  mal  entretenue,  méri- 
terait cependant  plus  de  soins,  car,  outre  Tinlérêl  historiq^ue  qui  s'y  attache,  elle 
renferme  des  vitraux  du  46*  siècle  bien  conservés,  les  tombeaux  de  quelques  sei- 
gneurs tués  à  Sempach  et  de  plusieurs  membres  de  la  famille  de  Habsbourg  :  les  restes 
de  ceux-ci  ont  été  transportés  en  Carinthie  par  Tordre  de  Marie-Thérèse. 


Le  château  de  Habsbourg. 


A  une  lieue  de  Brugg,  on  va  visiter  le  château  de  Habsbourg,  bâti  en  1020  par 
Kadbod  d'Altenbourg.  II  ne  reste  qu'un  fragment  de  la  tour  principale  de  ce  beau 
manoir.  La  vue  y  est  charmante:  on  voit  à  ses  pieds  Kœnigsfelden,  les  ruines  de 
Vindonissa,  l'ancien  château  fort  de  Brunneck,  la  vieille  ville  de  Brugg,  les  bains 
de  Schinznach,  le  cours  de  l'Aar,  de  la  Reuss  et  de  la  Limmat,  et  enfin,  à  l'horizon, 
soixante  lieues  de  glaciers,  vaste  chaîne  azurée  qui  resplendit  sous  les  feux  du 
soleil. 

Aarbourg  est  située  sur  la  rive  droite  de  l'Aar,  à  trois  lieues  d'Aarau.  On  y  re- 
marque des  fabriques  de  tissus,  des  teintureries,  et  surtout  les  célèbres  manufactures 
de  coton  de  la  maison  Grossmann  ;  il  s'y  fait  en  outre  un  grand  commerce  de  vins. 
La  navigation  sur  l'Aar  et  le  transit  y  occupent  beaucoup  de  bras.  Aarbourg  pos- 
sède un  pont  jeté  sur  l'Aar  et  large  de  270  pieds,  et  un  château  fort,  le  seul  qui  existe 
en  Suisse;  il  s'élève  sur  une  éminence  voisine  de  la  ville,  où  il  fut  bâti  en  1660  par 
les  Bernois.  La  plupart  des  ouvrages  de  défense  sont  taillés  dans  le  roc  vif,  et  les 
casemates  sont  à  l'épreuve  de  la  bombe.  De  1802  à  1803,  Napoléon  y  fit  enfermer 


Hih  LA  siisse  piTToiiesQi'E. 


les  ehers  du  parti  fédéraliste  :  Aloys  Reding,  Auf-der-Mauer,  HineU  etc.  Ce  château 
sert  actuellement  d*arsenal  ;  on  y  a  aussi  établi  une  maison  de  force. 

Zopiigni,  bureau  central  des  télégraphes  suisses,  située  à  Textrémité  sud-ouest 
du  canton.  Cette  ville,  importante  par  ses  fabriques  de  tissus  de  coton,  compte  SOOO 
habitants.  Sa  rue  principale  est  large  et  bordée  de  beaux  bâtiments.  On  remarque 
dans  la  Maison  de  tir  deux  salles  de  danse  appuyées  sur  les  branches  d'énormes  tilleuls. 
C'est  dans  cet  édifice  que,  le  26  lévrier  1834,  quelques  patriotes  jetèrent  les  pre 
inières  bases  de  TÀssociation  nationale  suisse,  constituée  à  Schinznach  le  5  mai  de 
Tannée  suivante.  La  bibliothèque,  fondée  en  4695,  et  augmentée  par  des  dons  par- 
ticuliers, renferme  un  beau  médailler,  des  lettres  autographes  de  quelques  réforma- 
teurs suisses,  et  un  album  de  dessins  à  la  plume  exécutés  par  les  membres  de  la 
Société  artistique  suisse.  Zofingen  est  le  lieu  de  réunion  de  la  Société  des  Etudiante 
suisses.  —  Cette  ville,  fort  ancienne,  peut  être  considérée  comme  le  Tobiniam  d<s^ 
Romains.  Déjà  sous  la  domination  de  ce  peuple,  elle  possédait  le  droit  de  battre 
monnaie.  Après  avoir  fait  longtemps  partie  d^  domaines  de  rÂutriche,  Zofingen, 
iissiégée  par  les  Bernois  en  1415,  capitula,  et  obtint  la  conservation  de  ses  droib^ 
municipaux.  En  1798,  elle  fut  incorporée  au  canton  d'Ârgo vie. 

Lenzbourg  est  assise  au  pied  du  manoir  du  même  nom,  à  peu  de  distance  de  TÂar. 
Ville  éminemment  industrieuse,  elle  renferme  3000  habitants,  qu'occupent  de  nom- 
breuses fabriques.  —  Elle  est  traversée  par  la  grande  roule  de  Zuridi  à  Berne. 

Rheinfelilen,  au  centre  d'une  plaine  fertile,  sur  un  rocher  baigné  par  les  Qots  du 
Rhin.  On  y  aperçoit  les  vestiges  de  la  forteresse  de  Siein  za  Rheinfeldei^,  rasée  par 
les  Fmnçais  en  1744. 

Roger  de  Bons. 


rml^^ 


CANTON  DE  THURGOVIE. 


Situation,  Etendue,  Climat.  —  Le  canton  de  Thurgovie  est  borné  à  l'ouest  par 
le  canton  de  Zurich,  au  sud  par  celui  de  St.-Gall,  au  nord-est  par  le  lac  de  Constance, 
et  au  nord  par  le  Rhin  et  par  le  lac  Inférieur,  qui  le  séparent  du  canton  deSchaffhouse^ 
et  du  grand-duché  de  Bade  ;  mais  deux  points  de  la  rive  gauche  du  Rhin  n'appar- 
tiennent pas  à  la  Thurgovie  :  la  ville  de  Constance  fait  partie  du  grand-duché  de  Bade, 
et  un  faubourg  de  Slein,  séparé  de  cette  ville  par  le  fleuve,  appartient  au  canton  de 
Schafifhouse.  Sa  surface  est  de  43  ^|^Q  lieues  carrées,  et  sa  population  de  88,908  habi- 
tants, soit  de  2058  par  lieue  carrée  ;  sa  plus  grande  longueur  est  de  douze  à  treize 
lieues,  et  sa  plus  grande  largeur  de  sept  à  huit.  Vu  Tabsence  de  hautes  montagnes  et 
la  direction  générale  des  collines  de  Test  à  l'ouest,  le  climat  est  plus  tempéré  que  celui 
des  cantons  de  St.-Gall  et  d'Âppenzell  et  des  cantons  intérieurs  de  la  Suisse.  Les 
pentes  exposées  au  sud  ont  naturellement  une  température  plus  douce  que  celles 
exposées  au  nord  ;  cependant,  sur  la  pente  voisine  du  lac  l'hiver  est  adouci  par  de 
fréquents  brouillards,  qui  prolongent  l'automne  et  accélèrent  le  printemps.  Dans 
l'intérieur  du  canton,  l'on  craint  les  gelées  tant  que  les  montagnes  du  Vorarlberg  ne 
sont  pas  dépouillées  de  neiges.  L'air  est  salubre  dans  tout  le  pays,  excepté  dans  quel- 
ques parties  marécageuses  qui  avoisinent  le  lac  de  Constance. 

Montagnes,  Vallées,  Rivières.  —  Le  point  culminant  du  canton  est  la  sommité 
du  Hôrnli,  située  à  l'extrémité  méridionale  du  canton,  et  à  laquelle  confinent  aussi  les 
cantons  de  St.-Gall  et  de  Zurich  ;  sa  hauteur  est  de  3098  pieds  au-dessus  de  la  mer, 
ou  de  1873  au-dessus  du  lac  de  Constance.  Le  Hôrnli  et  quelques  autres  sommités  du 
voisinage  sont  les  seules  qui  puissent  mériter  le  nom  de  montagnes.  Mais  le  canton  esl 
traversé  par  plusieurs  chaînes  de  hautes  collines,  dont  quelques-unes  sont  parallèles 
au  lac;  la  principale  en  suit  les  bords,  de  Romanshorn  jusque  près  de  Diessenhofen, 
et  porte  le  nom  de  SeerUcken  (Dos  du  lac)  ;  au-dessus  de  Steckborn  elle  atteint  l'élé- 
vation de  1918  pieds,  soit  environ  700  au-dessus  du  lac.  Entre  cette  chaîne  et  la 

II.  J7.  54 


436  L%    M  IV«».    rtTTlMIKHJf  K. 


Thour  s>lè\o  le  mont  Oiimh^nj,  qui  atteint  i065  pieds.  Plus  à  Touesl,  non  i«»in 
(le  la  chartreuse  d'Ittingen,  omimencc  une  chaîne  qui  se  termine  au  bord  do  Rhin 
près  du  couvent  du  P*tnniir%.  Iles  environs  d*Arlion  part  une  autre  ligne  de  hauteurs, 
qui  est  intemimpue  près  de  Bischorzell  par  la  Thour.  et  se  dirige  vers  FrauenieM,  m 
elle  est  de  miuveau  coupée  par  le  lit  de  la  Slourg,  puis  vers  Winterthour  ;  ses  plus 
hauts  poinbi  s'élèvent  de  même  à  6  ou  800  pieds  au-dessus  du  lac;  le  Sonnenben:. 
près  Frauenfeld.  a  iiiOH  pieds:  le  Tutwylerberg,  vis-à-vis  du  Sonnenberg,  4845. 
Enfin,  deux  cliaines  de  i*<illines  qui  se  détachent  du  Ilômii  et  suivent  les  deux  rivt> 
de  la  Mourg,  atteignent  aussi  une  hauteur  pareille.  Ces  diverses  chaînes  comprennent 
plusieurs  vallées,  dont  les  principales  sont  celles  qu*arrosent  la  Thour  et  la  Mour^.  I^ 
Thonr,  qui  donne  s^m  nom  au  canton,  le  partage  de  Test  à  Touest  ;  elle  reçoit  près  de 
Bischorzell  la  Silttriê,  qui  lui  amène  les  eaux  du  canton  d*Appenzell.  Elle  s'enfle  quel- 
quefois considérablement  au  moment  de  la  fonte  des  neiges  du  Toggenboui^  el  d'Ap- 
penzell,  et  elle  est  navigable  à  rép(N|ue  des  grandes  eaux  ;  mais  comme  les  montagnes 
qui  ralimenlent  se  dégarnissent  de  neiges  en  été  (sauf  quelques  points  du  SântisU  m> 
eaux  S4»nt  très-basses  en  cas  de  longue  sécl>ercsse.  La  Monnj  prend  ses  sources  aux 
environs  du  Hômii  et  non  loin  du  château  du  Vieux-Toggenbourg;  elle  se  joint  à  la 
Thtiur  au-dessous  de  Frauenfeld.  Enfin,  la  rive  gauche  du  Rhin  appartient  au  canton 
au-dessous  de  Constance  jusqu'au  Zeller-See.  puis  au-dessous  de  Stein  jusqu'au  cou- 
vent du  Paradies. 

Lacs.  —  Une  partie  du  beau  lac  de  Constance  appartient  au  canton  de  Thurgovie. 
Ce  lac  emprunte  son  nom  français  à  la  plus  célèbre  des  villes  situées  sur  ses  bords  ;  il 
s  ap|)elle  en  allemand  B^idenaee,  vraisemblablement  du  nom  du  château  de  Btxlmnun, 
situé  près  de  rcxtrémilé  nord-ouest,  et  qui,  au  temps  des  rois  Carlovingiens,  était  une 
propriété  royale  et  la  résidence  ordinaire  des  gouverneurs  de  la  contrée.  Les  Atl^- 
inands  lui  donnent  aussi  quelquefois  le  nom  de  Mer  deSoiMbe,  Les  Romains  rappe- 
laient hinis  Bniftintihiix,  du  nom  de  la  cité  Brigantia,  maintenant  la  ville  autri 
chienne  Bre^^enz.  Le  lac  se  divise  en  deux  parties,  qui  sont  réunies  par  le  Rhin  et  qui 
sont  proprement  deux  lacs  différents.  Le  grand  lac,  ou  lac  Supérieur,  porte  ena>rc 
ordinairement  le  nom  de  lac  de  Bregenz,  Bmjpnzei-See,  et  le  golfe  du  nord-est  porte 
celui  de  lac  dT'eberlingen,  qu'il  emprunte  à  une  ville  située  à  son  extrémité.  Quant  au 
|)etit  lac,  on  rap|)clle  nihrsee  (ou  lar  lièfmeiu),  ou  Zeller-See,  du  nom  de  la  ville  de 
Radolfzell  ;  cette  dernière  désignation  appartient  plus  exactement  au  golfe  septentrio- 
nal, mais  non  à  celui  qui  s  étend  du  côté  de  Steckborn.  Le  lac  de  (>)nstance  est  tra- 
versé par  le  Rhin,  qui  a  son  embouchure  à  Tcxtrémité  sud-est,  cl  qui  lui  amène  les 
eaux  des  Grisons  et  du  Vorarlberg.  Il  reçoit  aussi  sur  ses  rives  allemandes  quelques 
cours  d*eau,  mais  ils  sont  comparativement  de  peu  d'importance.  Quant  aux  eaux 
(les  cantons  d*Appenzell,  St.-Gall  et  Thurgovie,  elles  s'écoulent  presque  toutes  par  la 
Thour,  qui  ne  se  réunit  au  Rhin  qu'au-dessous  de  SchafThouse.  I^a  superficie  totale  du 
lac  est  de  25  lieues  carrées*  :  il  a  envahi  depuis  quelques  siècles  plusieurs  milliers 
d'arpents,  ce  qui  doit  résulter  de  l'action  des  Ilots  contre  les  rives,  car  on  n'a  pas 
observé  que  le  niveau  moyen  du  lac  soit  plus  élevé  aujourd'hui  qu'il  n'était  jadis.  Le 
développement  de  ses  côtes  (les  deux  lacs  compris)  est  de  40  à  42  lieues,  et  se  répartit 

1.  Ce  chiffre,  donné  par  Franscini,  ne  doit  sans  doute  comprendre  qoe  la  surrace  du  lac  su- 
périeur. 


LA    SriSSK    PITTORESQUE.  *  'l27 


entre  sept  Etals.  La  Thiirgovie  en  possède  près  d'un  quart,  St.-Gall  un  vingtième: 
Bade  près  de  la  moitié  ;  TAutriche,  la  Bavière  et  le  Wurtemberg  ensemble  un  quart  ; 
Scbatf  bouse  une  longueur  d'environ  vingt  minutes.  Les  principaux  ports  sont,  sur  la 
côte  thurgovienne  :  Arbon,  Romansborn  et  Steckborn  ;  sur  la  côte  saint-galloise  : 
Rorscbacb;  sur  la  côle  aulricbienne  :  Bregenz  ;  sur  la  côte  bavaroise  :  Lindau,  située 
dans  une  petite  île  ;  sur  la  côte  wurtembergeoise  :  Friedrichsbafen  ;  enfin  sur  les 
c-ôtes  badoises  :  Constance,  Mersbourg,  Ueberlingen  et  Radolfzell. — La  hauteur 
moyenne  du  lac  au-dessus  de  la  mer  est  de  1225  pieds.  La  profondeur  du  grand  lac 
est  en  beaucoup  d'endroits  de  5  à  700  pieds  ;  elle  est  de  plus  de  800  entre  Friedrichs- 
liafen  et  Lindau  ;  au  milieu  de  la  distance  entre  Constance  et  Lindau  elle  est  de 
964,  et  entre  Lindau  et  Romansborn  de  884.  Entre  Rorscbacb  et  Lindau  elle  est 
très-inégale  ;  près  des  emboucbures  du  Rhin,  elle  varie  entre  30  et  400  pieds.  Le  lac 
Inrérieur  n'a  nulle  part  plus  de  100  pieds  de  profondeur.  Quant  au  Rbin,  le  lieu  le 
plus  profond  qu'on  ait  trouvé  est  près  de  Gottlieben,  où  l'on  a  mesuré  74  pieds.  Le 
lac  Inférieur  gèle  presque  tous  les  ans.  Depuis  quatre  siècles,  la  surface  du  grand 
lac  a  été  prise  cinq  fois  (  voy.  page  88).  En  1830,  les  habitants  de  ses  rives  ont 
fêlé  le  retour  de  ce  phénomène  comme  un  événement  dont  ils  ne  devaient  plus  étVe 
témoins.  On  en  a  profité  pour  mesurer  sur  la  glace  les  distances  entre  des  villes 
placées  sur  des  rives  opposées. 

Le  canton  possède  encore  trois  petits  lacs,  situés  entre  Frauenfeld  et  Stein  ;  le  plus 
grand  n'a  qu'une  demi-lieue  de  circuit  ;  plus  au  sud,  le  Bichelsee,  sur  la  frontière  de 
Zurich,  donne  naissance  à  un  bras  de  la  Mourg;  VEgels(}e,  ou  Lac  des  Sangsues,  près 
de  la  frontière  saint-galloise,  au  sud  de  Wyl,  n'est  plus  qu'un  marais  tourbeux. 

Histoire  naturelle.  — Règne  aninmL  II  n'y  a  rien  de  particulier  à  dire  des  mam- 
mifères, sinon  que  l'on  prend  quelquefois  des  loutres  dans  la  Thour,  où  elles  causent 
un  grand  dommage  à  la  pèche.  —  On  compte  dans  le  canton  environ  une  centaine 
d'espèces  d'oiseaux ,  tant  en  passage  qu'indigènes  ;  près  de  la  moitié  sont  des  oiseaux  de 
marais  ou  des  oiseaux  aquatiques;  parmi  ces  derniers,  quelques-uns  n'ont  été  vus 
que  de  temps  à  autre,  et  sont  cités  comme  très-rares  ;  tels  sont  le  lanis  parasiticus,  le 
|)élican  et  le  cormoran.  L'ornithologue  ne  fera  pas  sans  intérêt  un  séjour  près  du  lac. 
La  chasse  y  est  si  abondante,  que  jadis  Tévèque  de  Constance  n'avait  pas  de  scrupule, 
durant  la  saison  la  plus  favorable,  de  dispenser  les  chasseurs  de  la  célébration  des 
jours  saints,  et  considérait  comme  une  faveur  signalée  le  privilège  de  la  chasse  aux 
canards,  qu'il  accordait  à  ses  amis  les  bourgeois  de  Constance.  —  Le  lac  Antérieur  con- 
tient 26  à  27  espèces  de  poissons  ;  les  plus  abondants  sont  le  lavaret,  le  lavaret  blanc,  et 
le  lavaret  bleu  ;  les  deux  premiers  se  pèchent  surtout  près  de  Constance,  de  Gottlieben 
et  d'Ermatingen  ;  on  les  met  dans  le  vinaigre,  ou  bien  on  les  fume  comme  des  harengs, 
pour  les  exporter;  le  lavaret  bleu  se  mange  frit  ;  c'est  un  mets  excellent,  et  que  l'on 
préfère  souvent  à  la  truite.  On  trouve  encore  dans  le  lac  le  saumon  du  Rhin,  la  truite, 
Tanguille,  le  brochet,  la  lotte,  etc.  Celle-ci  se  prend  en  abondance  près  de  Steckborn  ; 
c'est  un  mets  recherché  comme  au  temps  des  Romains  ou  au  temps  d'Elisabeth  de 
Matzmgen,  abbesse  de  Notre-Dame  de  Zurich,  qui  vendit  pour  des  foies  de  lotte  un 
fief  situé  sur  le  mont  ZoUikon.  Les  autres  petits  lacs  contiennent  des  anguilles,  et  des 
brochets  qui  vont  jusqu'à  50  livres.  On  trouve  dans  la  Thour  une  vingtaine  d'espèces 
de  poissons;  l'anguille,  la  lotte,  le  saumon,  etc.  —  L'inseclologie  est  moins  riche 


4:28  LA    SriSAR   PITTORESQUE. 


dans  le  canton  que  dans  ceux  qui  possèdent  de  grands  pâturages  à  des  hanleurs 
diverses,  et  qui  ofirent  ainsi  une  bien  plus  riche  variété  de  fleurs. 

Rè^jne  véyétaL  Une  végétation  variée  couvre  le  pays  ;  on  y  cultive  les  céréales,  la 
vigne,  le  lin,  le  chanvre,  les  arbres  fruitiers,  etc.  (  Voyez  plus  bas  quelques  d^ils 
sur  ces  cultures.)  Mais  c'est  surtout  à  la  végétation  de  ces  derniers,  ainsi  qu'à  cdle 
des  forêts,  que  le  sol  du  pays,  par  sa  nature,  se  trouve  particulièrement  propice. 
Sur  les  hauteurs  de  la  partie  méridionale,  on  voit  de  belles  forêts,  composées  prin- 
cipalement de  sapins.  Celles  qui  croissent  sur  les  collines  voisines  du  lac  se  com- 
posent plutôt  d*arbres  à  larges  feuilles,  au  milieu  desquels  les  sapins  ne  sont  qu'qiars. 
Le  mélèze  n'est  pas  indigène,  mais  il  prospère  dans  les  lieux  où  on  Ta  planté.  Dans 
Ijeaucoup  de  forêts,  le  sol  est  couvert  tantôt  de  bruyères,  tantôt  de  myrtilles  rouges 
et  bleues  (  Vaccinium  MyriUhut  et  Vacciuinm  ritis  idœa  )  ;  ce  petit  arbuste,  ainsi  que 
les  mûriers  sauvages  des  haies,  produisent  une  telle  abondance  de  fruits,  que  les 
pauvres  gens  les  récoltent  e(  s'en  nourrissent  pendant  des  semaines  entières.  On 
c>ompte  dans  le  pays  4000  à  4800  plantes  phanérogames,  parmi  lesquelles  se 
trouvent  un  assez  grand  nombre  de  plantes  médicinales  ;  ces  plantes  appartiennent 
en  grande  majorité  à  la  flore  des  plaines  suisses  et  à  celle  des  alpes  inférieures  ;  sur 
le  Hœrnli  seul  on  a  trouvé  plusieurs  espèces  qui  appartiennent  à  des  régions  plus 
élevées,  et  dont  quelques-unes  sont  assez  rares. 

Règne  minéral.  La  plus  grande  partie  des  collines  du  canton  sont  formées  de  mol- 
lasse; ce  sont  seulement  les  hauteurs  méridionales  près  de  Bischofiell  et  de  Gabris, 
et  celles  du  Hœrnli,  qui  présentent  des  couches  de  brèche.  Sur  les  deux  rives  de  la 
Thour,  on  observe  sur  le  flanc  des  collines  des  bancs  horizontaux  de  cailloux  roulés. 
de  mollasse  à  grains  fins  et  de  marne  sablonneuse  alternant  ensemble.  La  mollasse 
est  en  général  tendre  ;  ce  n'est  qu'en  quelques  localités  qu'on  peut  Texploiter  comme 
pierre  à  bâtir.  En  plusieurs  endroits  on  trouve  aussi  des  couches  de  pierre  puante 
calcaire  et  de  marne  calcaire  ;  celle-ci  glt  au-dessous  de  la  mollasse,  entre  Bischof- 
zell  et  le  lac  ;  on  en  fait  un  bon  mortier  très-solide  ;  on  peut  la  préparer  également 
comme  engrais.  On  a  reconnu  au  milieu  de  la  mollasse  de  faibles  filons  de  charbon 
de  pierre,  dont  l'épaisseur  varie  d'un  demi-pouce  à  six  pouces;  à  Tœgerwylen  et 
Egoldshofen,  elle  va  jusqu'à  huit  ou  douze  pouces;  près  de  Frauenfeld,  ce  filon  se 
trouve  un  peu  au-dessus  du  lit  de  la  Mourg;  près  de  Wilhausen  et  de  Weinfelden,  il 
est  à  300  pieds  au-dessus  de  la  Thour  ;  on  a  fait  quelques  essais  d'exploitation.  Sur 
divers  points  de  la  Haute-Thurgovie,  on  voit  des  blocs  erratiques,  dont  plusieurs 
sont  de  roche  primitive;  ainsi  à  Romanshorn,  non  loin  du  rivage,  se  trouve  un  Uoe 
de  granit  de  27  pieds  de  diamètre.  Deux  blocs  de  cblorite,  de  dimensions  pareilles, 
sont  à  400  pieds  au-dessus  du  lac,  sur  la  hauteur  de  Birwinken;  beaucoup  de  ces 
blocs  ont  été  employés  comme  pierres  de  construction.  On  voit  aussi  près  de  Steck- 
i)orn,  d'Ermatingen,  de  Tœnikon,  etc.,  de  gros  blocs  d'une  mollasse  pleine  de 
coquillages  {Muschelsandstein),  dont  le  gisement  existe  dans  le  Rheinthal;  ces  blocs 
renferment  une  grande  quantité  de  pétrifications  ;  mais  dans  la  mollasse  même  de  la 
Thurgovie,  on  n'en  a  pas  rencontré.  C'est  dans  la  couche  de  houille  qui  passe  près  du 
Bichelsee  qu'on  a  trouvé  une  remarquable  dent  de  crocodile,  que  Ton  conserve  à 
Zurich.  —  il  existe  des  tourbières  en  divers  endroits  du  canton;  les  plus  grandes  se 
trouvent  près  de  Pfyn,  Eschlikon,  Lommis,  Zihlschlacht,  etc.  —  Depuis  le  tremble- 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  4^29 


menl  de  terre  de  1755,  qui  renvei'sa  Lisbonne,  on  n*en  avait  ressenti  aucun  jusqu'à 
celui  du  29  octobre  1835,  qui  fut  assez  fort  pour  abattre  quelques  cheminées  près 
de  Bischofzell. 

Sources  et  Bains.  —  Les  environs  du  lac  n'abondent  pas  en  sources;  les  habitants 
y  boivent  principalement  des  eaux  de  puits  ;  beaucoup  de  ces  puits  sont  dans  la 
marne,  et  donnent  une  eau  qui  a  une  odeur  sulfureuse  ;  un  puits  du  château  de 
Luxbourg  contient  aussi  de  Tocre,  et  on  emploie  efQcacement  son  eau  pour  des 
I)ains  de  santé;  on  n'a  cependant  pas  trouvé  dans  le  canton  des  sources  minérales 
proprement  dites,  quoiqu'il  y  ait  des  établissements  de  bains  à  Ârbon,  à  Bischofzell 
(  bains  de  Bitzi  et  bains  de  la  Thour),  à  Sulgen,  à  Wsengi  ;  ces  deux  derniers  portent 
tousdeux  lenomde  Jacobsbad.  Frauenfeld  et  le  couvent  du  Paradis  possèdent  aussi 
des  bains,  dont  on  vante  l'efficacité  contre  les  afifections  rhumatismales. 

Antiquités.  —  On  a  découvert  des  antiquités  romaines  et  celtiques  sur  divei-s 
points  du  canton,  particulièrement  à  Eschenz,  à  Pfyn,  à  Wydenhub  près  Bischofzell, 
et  à  Arbon.  On  trouve  souvent  à  Eschenz  des  monnaies  romaines  du  temps  de  l'em- 
pire. Pendant  les  basses  eaux  on  voit  les  traces  d'un  pont  qui  servait  aux  Romains 
pour  passer  à  la  petite  ile  de  Werd.  Le  voisinage  de  la  forteresse  de  Gaanodnrum 
(vis-à-vis  Slein),  dont  les  fondements  existent  encore,  paraissent  avoir  engagé  à  créer 
plusieurs  villas  près  d'Eschenz.  On  n'a  pu  décider  si  le  caveau  funéraire  qu'on  a 
découvert  il  y  a  quelques  années  dans  ce  village,  date  de  la  fin  de  l'époque  romaine,  ou 
du  siècle  mérovingien,  ou  d'une  époque  plus  récente  encore.  Trois  tertres  funéraires 
que  Ton  voit  près  d'Altenklingen,  sont  aussi  d'une  haute  antiquité.  —  Pfyn  {Ad 
Fines  )  fut  une  forteresse  bâtie  par  les  Romains  à  la  frontière  de  la  Rhétie  ;  l'existence 
d'un  établissement  romain  en  ce  lieu  est  prouvée,  soit  par  les  anciennes  murailles 
qu'on  y  voit  encore,  soit  par  la  grande  quantité  de  monnaies  qu'on  a  mises  au  jour 
dans  les  environs.  Quelques  antiquaires  prétendent  que  les  fondements  de  l'Eglise  ont 
dû  appartenir  jadis  à  un  temple  d'Isis.  Une  voie  romaine  qui  venait  de  Vindonissa  en 
Ârgovie  et  de  Vitodurum  (Ober-Wintertbur),  passait  par  Pfyn,  et  se  dirigeait  vers 
Àrbon  et  Bregenz  (Brigantia)  ;  on  en  reconnaît  encore  quelques  traces.  D'autres  voies 
faisaient  communiquer  Pfyn  avec  Constance  et  Gaunodurum.  —  On  a  trouvé  en 
1831  à  Wydenhub  un  vase  qui  contenait  6000  deniers  romains  du  temps  de  Vitel- 
lius  à  Valérien.  On  fait  quelquefois  des  trouvailles  semblables  à  Arbon,  qui  doit  avoir 
porté  le  nom  à'Arbor  felix  (Arbre  heureux),  et  qu'on  suppose  avoir  été  bâti  par 
Auguste  ou  par  Tibère,  quoiqu'il  n'en  soit  fait  mention  qu'à  la  fin  du  k^  siècle.  On 
attribue  aux  Romains  les  fondements  de  la  tour  de  son  château.  La  digue,  dont  on 
voit  les  ruines  lors  des  basses  eaux,  peut  leur  être  attribuée  avec  plus  de  proba- 
bilité. —  On  n'a  rien  trouvé  à  Romanshorn  qui  puisse  prouver  d'une  manière  posi- 
tive que  le  nom  de  ce  village  soit  la  traduction  de  Ronianorum  cornu,  qu'on  prétend 
avoir  été  son  ancienne  désignation.  On  ignore  aussi  si  le  mont  helisberg,  au-dessus 
d'Uesslingen,  a  reçu  son  nom  d'un  temple  d'Isis  qui  y  aurait  existé. 

En  travaillant  à  la  route  de  Steckborn  à  Berlingen  en  1830,  on  a  trouvé  des  mon- 
naies carlovingiennes  et  mauresques  qui  datent  du  temps  de  l'empire  des  Francs.  La 
tour  du  château  de  Bischofzell  a  été  construite  vers  l'an  910  par  l'évéque  Salomon, 
qui  y  chercha  un  refuge  contre  les  invasions  des  Huns;  l'église  de  cette  ville  date 
de  la  fin  du  même  siècle.  On  fait  remonter  aussi  au  10"*  siècle  les  figures  de  Joseph, 


^30  LA  snssK  piTTonesyiE. 

(le  Marie  et  des  apôtres  Pierre  et  Paul,  qui  sont  murées  dans  la  chapelle  des  pauvns 
à  Kreuziingen.  Enfin,  plusieurs  ehàteaux  encore  existants,  tels  que  ceux  deFraueo- 
Teld,  Arbon,  Gottlicben,  Mammertshofen,  etc.,  remontent  à  une  époque  reculée  du 
moven-àge,  ainsi  que  beaucoup  d*autres,  dont  il  ne  reste  plus  que  des  mines. 

IIisToiRR.  —  I^  Thurgovie  faisait  |)artie  de  la  grande  province  helvétienne  (ie> 
Tliinrini,  qui  était  comprise  entre  le  cours  du  Rhin  et  celui  de  la  Liinroat.  Quand  b 
Homains  curent  dissout  la  Ligue  des  llelvétiens  et  réduit  la  plus  grande  partie  de  leur 
|)aysen  province,  les  llhéliens  étendirent  momentanément  leurs  frontières  jusqu'au 
milieu  de  la  Thurgovie,  où  les  Romains  bâtirent  la  forteresse  Ad  Fhiex.  Vitodiinim 
servit  alors  de  chef-lieu  à  la  Basse-Thurgovic  et  à  une  grande  partie  du  tcrriloin^ 
actuel  de  Zurich.  Vers  le  même  lemps,  les  Romains  fondèrent  la  forteresse  de  Gannu 
ihirum  (  vis-à-vis Slein),  el  peut-être  Arhor  felir.  Quant  à  Constance,  elle  ne  doit  avoir 
acquis  quelque  importance  que  sous  Tempereur  Constance  ou  sous  Constantin.  Vef> 
l'an  1 80  commencèrent  les  invasions  des  Suèves  et  des  Allémani,  qui  ravagèrent  d 
dépeuplèrent  le  pays  au  point  qu*à  la  fin  du  4**  siècle  les  bords  du  lac  étaient  couvert 
d'une  fonH  marécageuse  et  impraticable.  Vers  Tan  370,  les  Allémani  occupèrent 
(H)mpiètement  le  pays:  mais  quand  ils  furent  vaincus  par  Clovis,  en  496,  rHelvétie 
tomba  aussi  sous  la  domination  franque.  I^a  propagation  de  l'Evangile  sur  les  bords 
du  lac  fut  activée  d*al)ord  par  la  translation  de  Tévéché  de  Vindonissa  (WinàM^ 
à  (Constance,  en  560,  et  plus  encore  par  l'arrivée  de  Sainl-Gallus  avec  son  maître 
(^olomban  et  plusieurs  compagnons  de  voyage.  Gallus  trouva  à  Arbon  une  oommu 
nauté  chrétienne  avec  deux  prêtres;  après  y  avoir  séjourné  quelque  temps,  il  alh 
fonder  un  ermitage  au  milieu  des  forêts;  puis  il  revint  à  Arbon,  où  il  mourut ve^ 
l'an  640. 

Durant  le  l''  siècle  et  une  partie  du  8',  la  Thurgovie  Gt  partie  d'un  duché  deSouabe 
ou  d'Allémaiiie,  qui  fut  envahi  par  Charles  Martel  et  par  Pépin,  et  supprimé  en  751. 
lia  Thurgovie  fut  aloi*s  gouvernée  par  une  série  de  comtes,  dont  les  donaaines  compre 
naient  aussi  les  environs  de  Saint-Gall  et  les  territoires  actuels  des  cantons  d'Ap 
|)enzell  et  de  Zurich.  Ce  comté  de  Thurgovie  se  divisa  plus  tard  entre  deux  frères. 
Ulrich  et  Gerold  ;  la  Tœss  et  la  Glatt  devinrent  leurs  limites,  et  séparèrent  le  Zurichgau 
du  Thurgau.  Au  commencement  du  10'  siècle,  le  pays  fut  ravagé  par  les  Huns.  \'o^ 
cette  époque,  le  comte  Burkhard  s  éleva  à  la  dignité  de  duc  de  Souabe  ;  le  comté  if 
Thurgovie  fut  dès-lors  gouverné  par  un  vicaire  ou  lieutenant  du  duc,  ainsi  que  par  h 
noblesse  inférieure;  les  vassaux  et  le  peuple  furent  plus  opprimés  que  jamais.  Â  la  léU' 
de  la  noblesse  de  Thurgovie  étaient  les  comtes  de  Winterthour,  qui  avaient  leur  rési- 
dence au  château  de  Kybourg;  ceux  de  WûlDingen,  et  ceux  de  Toggenbourg,  dont 
les  ch&teaux  s'élevaient  dans  les  vallées  de  la  Thour  et  de  la  Mourg.  Ils  prenaieot 
tous  le  titre  de  comtes,  à  cause  de  l'étendue  de  leurs  domaines;  le  comte  souverain 
prenait  le  titre  de  Lmdgraf  (comte  du  pays),  et  son  vicaire  celui  de  landrid^^^ 
(juge  du  pays).  Une  partie  des  nobles  ne  relevaient  que  de  l'empire;  les  aulreîi 
dépendaient  des  principaux  seigneurs  susmentionnés,  ou  des  prélats  (  l'évèque  de 
(k)nstance,  les  abbés  de  Saint-Gall,  de  Reichenau  et  de  Rheinau).  Les  châteaux  de»^ 
nobles  (on  en  a  compté  7:2),  qui  s'élevaient  sur  le  sommet  de  toutes  les  collines  el 
au  milieu  de  tous  les  défilés,  peuvent  se  comparer  â  un  réseau  d'airain  qui  séien- 
duit  sur  toute  la  contrée  el  qui  la  tenait  sous  le  joug.  Les  habitants  de  ces  manoii's 


LA    Sl'ISSK    rriTOHKSQlE.  ft34 


ne  songeaient  qu'à  la  chasse  el  à  la  guerre  ;  toutefois,  les  vertus  chevaleresques, 
rinspiration  poétique  et  les  sentiments  délicats  n'étaient  point  complètement  inconnus 
à  cette  époque  :  témoins  les  chants  des  Minnesœnger,  et  les  poèmes  héroïques  des 
hardes  du  temps.  Le  Lanceloi  d'Ulrich  de  Zazikofen  (Zezikon),  les  chants  de  Gast, 
d'Ulrich  de  Singenberg,  de  Walter  de  Klingen,  d'Henri  de  Rugge,  du  baron  de 
Wsengi,  et  de  plusieurs  autres,  montrent  que  ce  n'était  pas  toujours  le  rude  bruit 
des  armes  qui  faisait  retentir  les  salles  des  châteaux  thurgoviens,  mais  que  l'expres- 
sion des  sentiments  les  plus  tendres  y  trouvait  aussi  un  écho.  C'est  vers  le  même 
temps  qu'eut  lieu  la  fondation  de  plusieurs  couvents,  ceux  de  Fischingen,  Kreuz- 
lingen,  Mûnsterlingen,  Paradis,  etc.,  de  la  commanderie  de  Tobel,  et  d'une  foule 
d'églises  et  de  chapelles.  Beaucoup  de  nobles  prirent  part  aux  expéditions  vers  la 
Terre-Sainte.  En  126ft,  le  comté  de  Kybourg,  et  en  même  temps  le  landgraviat  de 
Thurgovie,  passèrent  par  héritage  du  comte  Hartmann  de  Kybourg  au  comte  Rodolphe 
de  Habsbourg,  lequel,  plus  tard,  fut  élevé  à  la  dignité  souveraine.  Le  temps  de  la 
chevalerie  approchait  de  sa  fin. 

Les  gentilshommes  de  Thurgovie  servirent  dans  les  rangs  des  armées  autri- 
chiennes aux  batailles  de  Morgarten,  Sempach,  Nœfels,  et  un  grand  nombre  d'entre 
eux  y  trouvèrent  le  trépas;  mais  ils  eurent  encore  plus  à  souffrir  des  guerres  contre 
les  Âppenzellois.  Après  leurs  victoires  à  la  Vœgeliseck  et  au  Stoss,  ces  derniers 
parcoururent  toute  la  Thurgovie,  brûlant  et  pillant  les  châteaux,  et  appelant  par- 
tout le  peuple  à  l'émancipation.  Après  le  rétablissement  de  la  paix,  l'Autriche  et 
les  prélats  recouvrèrent  bien  tous  leurs  droits  sur  leurs  sujets  de  Thurgovie,  mais 
la  noblesse  ne  put  jamais  se  relever  des  échecs  qu'elle  avait  subis  ;  nombre  de 
familles  émigrèrent  ou  s'éteignirent  par  la  mort.  Ce  fut  pendant  la  guerre  de  Zurich 
(|ue  les  Confédérés  mirent  pour  la  première  fois  le  pied  dans  le  landgraviat;  ils  dis- 
sipèrent facilement  le  landsturm  qu'on  assembla  pour  les  repousser;  en  1488,  ils 
re|)arurent  pour  la  seconde  fois,  el  forcèrent  Constance  &  leur  payer  une  contribu- 
lion  de  guerre.  Deux  ans  plus  lard,  ils  enlevèrent  à  la  maison  d'Autriche  tous  les 
droits  qu'elle  exerçait  sur  la  Thurgovie.  Lors  de  la  guerre  de  1499,  Constance  expia 
sa  fidélité  h  l'empire  par  la  perte  des  droits  de  juridiction  qu'elle  avait  conservés 
encore  sur  ce  même  pays.  Ces  droits  passèrent  aux  sept  anciens  cantons,  et  l'em- 
pereur Maximilien  fut  forcé  d'abandonner  formellement  à  ces  cantons  l'exercice  de 
sa  souveraineté.  Les  Thurgoviens  avaient  espéré  qu'ils  seraient  traités  par  les  Suisses 
comme  des  frères  et  des  alliés;  mais  les  Gouvernemenls  des  sept  cantons  leur  en- 
voyèrent des  baillis  et  des  juges,  comme  le  faisaient  auparavant  TAulriche  et 
<]onstance,  et  les  gouvernèrent  de  la  même  manière  que  des  souverains.  Les  baillis 
liaient  tirés  alternativement  de  chacun  des  cantons.  Une  convention  fut  conclue 
avec  la  noblesse,  qui  possédait  encore  la  basse  juridiction  ;  on  fixa  les  redevances, 
qui,  dans  chaque  localité,  devaient  être  attribuées  ou  aux  baillis  ou  aux  proprié- 
taires nobles.  Ceux-ci  formèrent  avec  le  clergé  une  corporation  dont  le  but  était  de 
soutenir  leurs  intérêts  vis-à-vis  des  baillis  el  du  peuple.  Le  sort  de  la  Thurgovie 
était  très-dur  sous  les  baillis,  qui  gouvernaient  pour  la  plupart  arbitrairement  et  avec 
uneextrême  rapacité.  Plusieurs  de  ces  fonctionnaires  payaient  jusqu'à  10,000  florins 
pour  acheter  une  préfecture  qui  ne  durait  que  deux  ans,  et  cherchaient  à  se  dédom- 
mager de  celte  dépense  par  toutes  sortes  d'exactions.  Cependant,  l'abus  de  la  véna- 


452  i..\  srissE  piTTORESQie. 


lilc  n'avait  pas  liea  dans  les  cantons  aristocratiques  :  aussi  les  habitants  se  fèlki 
laient-ils  d*avance  quand  c'était  le  tour  d'un  de  ces  cantons  de  leur  envoyer  un 
bailli.  En  même  temps,  les  seigneurs  du  pays,  qui  avaient  un  grand  nombre  de  serf^ 
et  qui  exerçaient  leurs  droits  soit  par  eux-mêmes,  soit  par  leurs  intendants,  se  per 
mettaient  de  leur  cAté  une  foule  de  vexations. 

Dès  que  Zurich,  SchafThouse  et  Saint-Gall  eurent  adopté  la  Réforme,  les  habitanb 
de  la  Thurgovie  s*cmpressèrent  de  se  prononcer  aussi  dans  le  même  sens.  Cetw 
émancipation  religieuse  Tut  accompagnée  d'une  tentative  d'émancipation  politique. 
De  1529  à  4531  il  exista  une  Commission  composée  de  députés  des  communes,  ft 
chargée  de  la  direction  des  affaires  religieuses  et  en  grande  partie  aussi  de  celle  de^ 
nRaires  civiles.  Mais,  après  la  funeste  bataille  de  Gappel,  cette  sorte  de  gouvememenl 
fut  dissout,  les  baillis  recouvrèrent  toute  leur  autorité,  et  même  en  plusieurs  endroit^ 
l'ancien  culte  fut  rétabli  ;  les  réformés  eurent  à  souffrir  quelques  persécutions  de  h 
|iart  des  cantons  catholiques  et  des  couvents  de  la  contrée.  Des  disputes  oonfessâoo- 
nelles  eurent  lieu  à  diverses  reprises.  Durant  la  guerre  de  Trente  ans,  les  nobles 
montrèrent  peu  de  bonne  volonté  à  défendre  le  pays  dans  l'intérêt  des  cantons  sou- 
verains; c'est  alors  que  fut  institué  un  corps  composé  de  représentants  des  com- 
munes, lequel  fut  chargé  de  veiller  à  la  sûreté  extérieure,  mais  qui  s'occupa  aussi 
d'intérêts  d'une  autre  nature.  A  la  suite  de  la  guerre  du  T(^genboui^,  en  i71i. 
Berne  obtint  d'être  associé  au  partage  de  la  souveraineté  avec  les  sept  autres  cantons. 
Dès  celte  époque,  la  concorde  et  la  tolérance  firent  de  grands  progrès  dans  le  pays. 
Dès-lors  aussi,  par  l'influence  de  Zurich  et  de  Berne,  quelques  améliorations  furent 
introduites  dans  diverses  branches  de  l'administration,  la  police,  les  écoles,  les 
routes,  etc.  Quelque  temps  avant  les  événements  de  1798,  on  s'était  occupé  de  faire 
disparaître  l'état  de  servage  qui  pesait  encore  sur  les  paysans  thurgoviens  ;  mais, 
le  2  février,  une  assemblée  populaire,  qui  eut  lieu  à  Weinfelden,  réclama  l'indépen- 
dance complète  du  pays  et  son  admission  dans  l'alliance  des  Confédérés;  les  envoyés 
des  huit  cantons,  craignant  l'approche  des  Français,  durent  accéder  à  ces  demandes, 
sous  réserve  de  ratification.  Le  comité  qui  fut  nommé  par  les  communes  fut  présidé 
\mv  Paul  Reinhard  ;  il  accepta  la  Constitution  qui  lui  fut  offerte  par  le  général  Brune- 
Mais  le  choix  de  Frauenfeld  comme  capitale  causa  quelque  mécontentement.  Quoique 
dépourvu  de  ressources,  le  Gouvernement  du  nouveau  canton  fit  ses  efforts  pour 
l'administrer  de  telle  manière  qu'il  ne  restât  pas  en  arrière  de  ses  confédérés.  —  En 
1814,  on  restreignit  le  droit  électoral  des  citoyens,  en  confiant  le  choix  des  deux 
tiers  des  députés  à  un  collège  aristocratique,  et  l'on  donna  au  Petit  Conseil  une 
prépondérance  marquée  sur  les  autres  corps  de  l'Etat.  Le  22  octobre  1830,  une 
assemblée  réunie  à  Weinfelden  adressa  une  pétition  au  Grand  Conseil  pour  demander 
une  révision  de  la  Constitution  ;  le  Grand  Conseil,  accédant  à  ce  vœu,  prononça  sîi 
dissolution,  et  un  autre  Conseil  fut  nommé  pour  procéder  à  la  révision.  La  nouvelle 
(Constitution,  acceptée  le  26  avril  1831  par  les  assemblées  électorales,  a  été  révisée 
partiellement  en  1837  et  en  1849.  Elle  est  entièrement  démocratique. 

Constitutions.  —  D'après  la  Constitution  établie  par  l'Acte  de  Médiation  en  1803, 
la  Thurgovie  avait  un  Grand  Conseil  de  100  membres,  dont  32  étaient  élus  directe- 
ment par  les  32  cercles  du  canton  ;  chacun  de  ces  cercles  désignait  en  outre  4  candi- 
dats ;  sur  ces  128  candidats,  le  sort  en  désignait  68  pour  compléter  le  Grand  Conseil, 


I.A    SL>ISSK    IMITOKESQUi:.  433 

(|ui  ensuite  élisait  dans  son  sein  un  Petit  Conseil  de  9  membres  et  un  Tribunal 
(l'appel  de  13  membres.  Dans  chaque  commune,  les  citoyens  âgés  de  30  ans  et 
|H)S6édant  500  livres  suisses,  nommaient  un  maire  ou  ammann,  ses  deux  adjoints  et 
un  Conseil  Municipal  de  8  à  16  membres.  Le  Petit  Conseil  nominait  un  juge  de 
imix  pour  chaque  cercle,  et  un  tribunal  pour  chacun  des  huit  districts.  Les  catho- 
liques devaient  posséder  un  tiers  des  places  dans  les  autorités  supérieures  du  canton. 
Sous  la  Constitution  de  181&,  les  cercles  continuèrent  à  élire  32  membres  du  Grand 
Conseil  et  128  candidats;  mais  32  membres  étaient  nommés  par  un  collège  com- 
posé du  Petit  Conseil,  des  juges  d'appel  et  des  16  plus  riches  propriétaires,  lequel 
devait  en  choisir  au  moins  16  parmi  les  candidats  ;  24  membres  étaient  nommés  par 
le  Grand  Conseil,  parmi  les  128  candidats;  enfin  les  12  restants  étaient  nommés 
|iar  le  même  corps,  mais  sur  présentation  double  faite  par  une  commission  composée 
de  trois  conseillers  d*Etat  et  de  six  membres  du  Grand  Conseil.  Le  Petit  Conseil  était 
élu  pour  trois  ans,  et  le  Grand  Conseil  pour  six  ans. 

La  Constitution  de  1831  pose  les  bases  les  plus  libérales.  Les  assemblées  de  cercles 
votent  sur  la  Constitution  et  les  changements  constitutionnels;  elles  élisent  les  juges 
de  paix  et  les  tribunaux  de  cercles.  Les  membres  du  Grand  Conseil  sont  aussi 
nommés  par  les  cercles,  proportionnellement  à  la  population;  23  des  100  membres 
doivent  être  catholiques.  Le  Grand  Conseil  est  élu  pour  deux  ans,  et  renouvelé  par 
moitié  tous  les  ans;  il  a  deux  sessions  ordinaires  par  année  ;  celle  d'hiver  se  tient  à 
Frauenfeld,  celle  d'été  à  Weinfelden.  Quatre  semaines  avant  les  sessions,  les  projets 
de  lois  doivent  être  communiqués  aux  membres,  ainsi  qu'au  public.  La  présence  des 
trois  quarts  des  membres  est  nécessaire  pour  la  validité  de  toute  décision.  Chaque 
membre  ^reçoit  une  indemnité  de  deux  francs  de  suisse  par  jour.  Le  Grand  Conseil 
élit  le  Petit  Conseil,  les  tribunaux  supérieurs,  le  Conseil  d'éducation,  le  Conseil  de 
guerre,  et  regoit  les  rapports  de  ces  diverses  autorités.  Le  Petit  Conseil  est  composé 
de  six  membres,  qui  ne  peuvent  faire  partie  du  Grand  Conseil  ;  il  est  élu  pour  six 
ans.  Chaque  district  a  un  préfet  nommé  pour  trois  ans,  et  un  Tribunal  de  première 
instance  ;  chaque  cercle  nomme  un  juge  de  paix  et  un  Tribunal  de  police.  Chaque 
commune  élit  son  président  (Orisvorsteher)  et  son  Conseil  Municipal,  dont  les 
membres,  élus  pour  trois  ans,  sont  renouvelés  par  tiers  annuellement;  elle  décide 
elle-même  du  nombre  des  conseillers  municipaux,  des  impôts  communaux,  de 
l'administration  de  ses  biens,  de  la  création  d'établissements  publics,  etc.  L'assem- 
blée de  commune  doit  être  convoquée  dès  qu'un  quart  des  citoyens  le  demandent. 
La  révision  de  1837  a  modifié  sur  quelques  points  l'organisation  judiciaire.  Celle 
de  1849  a  fixé  uniformément  à  trois  ans  la  durée  des  fonctions  du  Grand  et  du 
Petit  Conseil,  des  préfets,  des  tribunaux  et  des  autorités  communales,  et  a  rendu 
le  renouvellement  intégral.  Elle  a  porté  le  nombre  des  membres  du  Petit  Conseil  à 
sept,  dont  deux  catholiques.  D'après  la  proportion  de  la  population,  elle  a  réduit  à 
21  sur  100  le  nombre  des  membres  catholiques  du  Grand  Conseil. 

Cultes.  —  Lorsque  Zurich,  Schaffhouse,  Saint-Gall  et  Constance,  chef-lieu  de 
l'évéché,  eurent  accepté  la  Réforme,  la  Thurgovie  se  prononça  aussi  dans  le  même 
sens.  En  1S28  et  1529,  la  messe  et  les  images  furent  supprimées  dans  tout  le  pays; 
mais  après  la  bataille  de  Cappel,  une  minorité  catholique,  avec  l'appui  des  couvents 
et  des  cantons  qui  repoussaient  la  Réforme,  rétablit  le  culte  catholique  dans  plusieurs 


^5^  LA  sris8e  pirroRKaQre. 


rommunos,  et  It^s  droils  des  protestants  furent  restreints.  Depuis  la  guerre  de  Toggen- 
biuirg  en  1742,  ce  régime  d*oppression-  eessa,  et  la  concorde  et  la  tolérance  firent 
de  grands  progrès  dans  le  pays.  En  4850,  sur  88,908  habitants,  on  comptait 
66,98&  protestants,  24 ,924  catholiques,  et  3  juifs.  Les  ressortissants  des  deux  cultes 
se  trouvent  mélangés  dans  toutes  les  parties  du  pays,  de  telle  sorte  que  les  protes- 
tants l'emportent  dans  sept  des  huit  cercles;  dans  le  huitième  seul,  celui  de  Tobel, 
les  catholiques  sont  en  majorité,  dans  la  proportion  de  huit  contre  sept.  Le  Grand  et 
le  Petit  (>)nscil  se  partagent  en  deux  collèges  (  protestant  et  catholique  ),  dont  chacun 
nomme  un  (jmseil  d  Eglise,  compose  de  deux  ecclésiastiques,  trois  laïques  et  deux 
suppléants.  Les  fonctions  de  ces  Conseils  consistent  à  surveiller  Tadministration  di^ 
fonds  d*église  et  d*école,  et  ceux  des  pauvres  de  leur  confession,  à  examiner  l'éli- 
gibilité des  candidats,  etc.  Depuis  4803,  les  communes  protestantes  ont  possédé  le 
droit  de  nommer  leur  Conseil  fiaroissial  et  d'administrer  leurs  fonds  d'église  et  de 
pauvres,  sous  la  surveillance  du  Conseil  ecclésiastique;  mais  depuis  4834,  la  Consti- 
tution leur  a  conféré  aussi  le  droit  d'élire  leurs  pasteurs.  Le  Synode  évangélique, 
tel  qu'il  a  été  constitué  en  4832,  se  compose  de  tout  le  clergé,  des  membres  du 
Conseil  ecclésiastique,  et  de  six  délégués  de  la  partie  réformée  du  Grand  Conseil. 
Les  paroisses  protestantes  sont  réparties  en  trois  chapitres  :  ceux  de  Frauenfeld,  do 
Steckborn  et  de  la  Haute-Thurgovie.  —  Les  communes  catholiques  élisent  aussi 
leur  administration  d'église  et  leur  curé,  lesquels  sont  sous  la  surveillance  du  Conseil 
ecclésiastique  et  sous  la  juridiction  de  la  partie  catholique  du  Grand  ConseiK  ic  tout 
sous  réserve  de  la  hiérarchie  romaine;  ainsi,  le  Conseil  ecclésiastique  doit  s'entendn* 
avec  Tévéquc  au  sujet  de  l'admissibilité  des  candidats,  et  un  commissaire  épisco|Kil 
assiste  aux  séances  du  Conseil  ecclésiastique  avec  voix  délibérative.  Lesjtaroises 
catholiques  sont  réparties  en  deux  chapitres  :  ceux  de  Frauenfeld  et  de  Steckborn.  — 
Il  y  a  encore  dans  le  canton  une  dizaine  de  couvents.  Une  loi  de  4836  les  a  placés 
sous  l'administration  de  l'Etat,  principalement  par  le  inotif  que  la  gestion  de  leui^ 
fonds  n'était  |>as  bien  entendue.  Les  noviciats  ont  été  suspendus;  mais  le  l)oni  devra 
être  employé  aux  églises,  aux  écoles  et  aux  établissements  de  pauvres.  Le  couve«l 
du  Paradis  seul  a  été  supprimé,  parce  que  le  nombre  des  nonnes  y  était  réduit  à 
deux,  parce  qu'il  n'avait  pas  été  garanti  en  4803,  et  qu'il  devait  à  l'Etat,  depuis 
4796,  une  forte  somme,  dont  il  ne  payait  pas  d'intérêts.  La  fortune  totale  des  cou- 
vents thurgoviens  est  évaluée  à  environ  quatre  millions  de  francs  nouveaux. 

Instruction  publiqle.  —  Depuis  le  commencement  du  48*  siècle,  toutes  les 
paroisses  prolestantes  ont  eu  leur  école;  il  en  était  de  même  dans  les  paroisses 
catholiques,  quoique  leurs  ressortissants  fussent  plus  dispersés.  Mais  les  écoles  étaient 
peu  avancées.  Le  Conseil  scolaire,  institué  par  la  Constitution  de  4803,  chercha  à 
les  améliorer,  en  faisant  donner  des  cours  aux  régents  primaires.  Le  Conseil  d'édu- 
cation, créé  en  vertu  de  la  Constitution  de  4834,  a  établi  à  Diessenhofen  un  cours 
do  perfectionnement  pour  les  régents  et  les  candidats;  il  a  envoyé  à  Hofwyl  un 
certain  nombre  de  régents,  pour  y  suivre  aussi  des  cours,  et  créé  à  Kreuziingen 
un  séminaire  de  régents,  qui  a  été  pendant  plusieurs  années  sous  la  direction  judi- 
cieuse de  M.  Wehrli,  élève  distingué  de  Fellenberg.  Le  minimum  du  temps  d'école  a 
été  porté  de  48  à  32  semaines.  Les  enfants  sont  obligés  de  suivre  l'école  de  cinq  à 
douze  ans;  ils  doivent  en  outre,  de  4  2  à  4  5  ans,  suivre  l'école  de  répétition,  qui  occupe 


LA    SUISSR    PITTORESQUR.  455 


32  jours  par  année;  on  a  étendu  le  champ  des  études,  introduit  la  géographie  et 
l'histoire  de  la  Suisse  ;  on  a  alloué  des  fonds  aux  communes  peu  aisées,  placé  les 
régents  et  les  écoliers  sous  la  surveillance  de  commissions  scolaires  de  district,  dis- 
tribué des  pri\  aux  meilleurs  régents  à  Tépoque  des  examens  septannuels,  ce  qui  a 
('^té un  excellent  moyen  d'émulation;  mais  il  est  Tàcheux  que  les  régents  soient  trop 
|)eu  payés,  surtout  leurs  suppléants.  Quelques-unes  des  petites  villes,  ainsi  que  les 
couvents  de  Kreuziingen  et  Fischingen,  possédaient  des  écoles  secondaires  ;  mais  une 
loi  a  décrété  rétablissement  de  16  à  48  écoles  secondaires  dans  le  canton,  de  telle 
sorte  que  chaque  élève  n'ait  au  plus  qu'une  lieue  et  demie  de  chemin  à  faire  pour  s'y 
rendre.  Le  Grand  Conseil  a  aussi  décrété  en  1836  la  création  d'un  établissement 
cantonal. 

Industrie,  Commerce,  Agriculture.  —  La  plus  ancienne  industrie  qui  fut  intro- 
duite dans  le  pays  est  la  fabrication  des  toiles.  Depuis  plusieurs  siècles  la  toile  de 
lin  de  Thurgovie  est  une  marchandise  estimée;  mais  elle  passait  dans  le  commerce 
sous  le  nom  de  toile  de  Constance  ;  on  l'expédiait  en  France,  en  Italie,  en  Espagne, 
en  Allemagne,  etc.  Cette  industrie;^  a  fleuri  surtout  dans  la  seconde  moitié  du  dernier 
siècle  ;  pendant  bien  des  années,  il  s'expédiait  chaque  semaine,  et  d'Arbon  seule- 
ment, 300  à  &00  pièces  de  toile  de  lin  ;  au  commencement  de  la  révolution,  le 
reirait  des  privilèges  de  douane  a  porté  préjudice  à  cette  fabrication  ;  elle  occupe 
encore  environ  2000  ouvriers  dans  les  districts  d'Arbon,  de  Bischofzell,  de  Tobel, 
de  Weinfelden,  soit  dans  la  Haute-Thurgovie.  Le  campagnard  ne  consacre  h  cette 
industrie  que  des  moments  qui  resteraient  en  grande  partie  perdus;  s'il  devait  y 
consacrer  tout  son  temps,  il  ne  recevrait  pas  un  salaire  suffisant  pour  le  faire  vivre. 
Le  lin  qu'il  emploie  se  cultive  dans  le  pays.  On  y  cultive  aussi  du  chanvre,  mais 
surtout  dans  la  Basse-Thurgovie  ;  on  ne  l'emploie  guère  qu'aux  usages  domestiques. 
A  la  fin  du  siècle  dernier,  on  a  introduit  la  filature  du  coton  et  la  fabrication  des 
cotonnades;  cette  branche  d'industrie  s'est  répandue  dans  tout  le  canton,  surtout 
dans  la  Haute-Thurgovie ,  ainsi  que  dans  la  vallée  de  la  Mourg,  où  l'on  a  pu 
utiliser  quelques  cours  d'eau  ;  elle  compte  maintenant  près  de  6000  ouvriers,  dont 
un  quart  environ  travaillent  toute  l'année,  la  moitié  pendant  six  mois,  le  reste  pen- 
dant les  mois  d'hiver.  Frauenfeld,  Diessenhofen,  Arbon,  Islikon,  Hauptwyl,  etc., 
|K)ssèdent  des  teintureries  et  des  imprimeries  d'indienne.  Quant  à  la  soie,  ce  n'est 
que  sur  la  frontière  zuricoise  que  quelques  métiers  la  travaillent  pour  le  compte 
de  fabricants  zuricois.  On  fabrique  aussi  à  Arbon  des  rubans  de  soie,  de  demi-soie 
et  de  coton.  Frauenfeld  seul  possède  quelques  filatures  de  laine.  Il  y  a  en  outre  dans 
le  pays  plusieurs  papeteries;  des  tanneries,  particulièrement  à  Diessenhofen;  une 
fabrique  de  machines  pour  filatures  de  coton  à  Wœngi,  etc. 

Mais  le  pays  est  encore  plus  agricole  que  manufacturier  ;  il  se  prête  bien  à  l'agri- 
culture ;  les  vallées  sont  larges  et  les  collines  ont  des  pentes  douces;  le  sol,  quoique 
loin  d'être  partout  d'une  nature  fertile  (  car  se  composant  principalement  d'argile,  il 
est  plutôt  dur  et  froid),  est  néanmoins  susceptible  en  général  d'être  fertilisé  au 
moyen  des  engrais;  aussi  y  a-t-on  dès  longtemps  introduit  un  grand  nombre  de  cul- 
tures différentes.  Malgré  cela,  on  ne  peut  pas  dire  que  l'économie  agricole  soit 
avancée  en  Thurgovie  ;  ses  progrès  n'ont  été  que  trop  retardés  par  la  routine  et  les 
préjugés,  probablement  aussi  par  un  trop  grand  morcellement  des  propriétés.  Depuis 


4S6  LA    Sl'IiWE    PITTORRSOrK. 

un  demi-âiècle  environ,  plusieurs  agronomes  ont  cherché,  par  diverses  expériences,  à 
imprimer  Télan  à  des  perfectionnements;  plus  tard,  une  commission  de  laSodété 
d*Utilité  publique,  ainsi  que  M.  Wehrii,  directeur  du  séminaire,  ont  fait  tout  leur 
possible  pour  faire  comprendre  aux  campagnards  les  améliorations  nouvelles,  el 
leurs  eflbrts  n*ont  point  été  complètement  infructueux.  On  cultive  dans  le  pays  une 
grande  quantité  de  lin,  dont  le  produit  est  travaillé  par  les  ouvriers  indigènes:  on 
cultive  aussi  beaucoup  de  céréales,  en  faisant  alterner  Tépeautre,  le  froment  et  Forge, 
avec  de  Tavoine  et  des  pommes  de  terre,  ou  antres  plantes  de  ce  genre.  Les  prairies 
sont  en  général  mal  entretenues,  et  les  prés  artificiels  peu  nombreux.  La  culture 
des  arbres  fruitiers  est  beaucoup  mieux  entendue  ;  il  est  peu  de  pays  où  elle  ait  acquis 
un  développement  aussi  remarquable  que  dans  la  Thurgovie  (et  le  district  saint- 
gallois  de  Rorschach  )  ;  les  maisons  et  les  villages  sont  entourés  de  vergers,  el  on 
plante  atissi  beaucoup  d*arbres  à  fruits  au  milieu  des  champs,  de  sorte  que  dans  œr 
tiiins  districts  ils  paraissent  former  une  espèce  de  forêt;  les  terrains  marneux,  comme 
est  celui  de  la  Haute-Thurgovie,  leur  conviennent  mieux,  surtout  aux  arbres  h 
pépins,  que  ceux  qui  sont  sablonneux  ou  graveleux  :  aussi  viennent-ils  beaucoup 
mieux  sur  les  pentes  des  collines  que  dans  le  bas  des  vallées  de  la  Tbour  et  de  la 
Mourg.  La  plus  grande  partie  des  pommes  et  des  poires  est  employée  à  faire  des  vins 
de  fruits  ;  quand  il  est  bien  préparé,  ce  cidre  peut  se  conserver,  et  acquiert  la  saveur 
et  le  piquant  d'un  véritable  vin.  On  consomme  aussi  beaucoup  de  fruits  dans  le  pays, 
et  Ton  en  exporte  dans  les  contrées  voisines,  surtout  ceux  à  noyau.  Les  noyers  sont 
bien  moins  abcmdants  qu'autrefois,  et  Ton  a  remarqué  que  depuis  les  années  humides 
de  4813  à  4847,  les  cerisiers  produisent  sensiblement  moins.  En  4833,  on  a  estimé 
Tenseroble  du  produit  des  vergers  du  canton  à  800,000  ou  un  million  de  sacs  (  le  sac 
contenant  six  quarterons).  Un  grand  nombre  d'arbres  en  donnèrent  vingt  à  trente 
quintaux. 

La  disposition  des  collines  de  la  Thurgovie  la  rendait  éminemment  propre  à  la  cul- 
ture de  la  vigne  ;  aussi  parait-elle  y  avoir  été  importée  en  quelques  localités  dès 
les  8'  et  9'  siècles  ;  au  47',  elle  avait  pris  une  telle  extension,  qu'on  fut  obligé,  par 
un  règlement,  de  prévenir  une  trop  grande  réduction  de  la  culture  du  blé.  AciueJle 
ment,  elle  occupe  6  à  7000  arpents,  soit  un  trentième  de  la  surface  cultivable.  On  la 
voit  particulièrement  le  long  du  lac  et  du  Rhin,  dans  la  vallée  de  la  Thour  et  dans  la 
partie  inférieure  de  celle  de  la  Mourg.  On  évalue  le  produit 
moyen  à  300,000 mesures  {eimers),  valant  4 ,200,000  francs 
nouveaux  ;  les  deux  tiers  sont  exportés.  En  4834,  le  produit 
dépassa  400,000  mesures,  et  la  valeur  deux  millions.  Les 
frais  de  culture  s'élèvent  à  420  ou  430  francs  par  arpent. 
Quant  à  la  qualité,  les  vins  de  Thurgovie  sont  sur  la  même 
ligne  que  ceux  de  Zurich  et  de  Schaffhouse  ;  quelque  plants 
ont  de  la  réputation,  tels  sont  ceux  de  Winzelnbergprësd'Ar- 
bon,  de  Mammerlshofen,  d'Eppishausen,  du  couvent  d'ittin- 
gen,  etc.,  dont  le  vin,  conservé  en  bouteilles,  n'est  point  inférieur  même  aux  vins  de 
luxe  étrangers.  On  a  fait  divers  essais  pour  améliorer  soit  les  plants,  soit  la  iabri- 
(*ation  des  vins  ;  ils  ont  été  encouragés  par  la  Société  d'Utilité  publique.  —  Quant  ù 
l'économie  alpestre,  on  ne  la  trouve  que  sur  les  hauteurs  du  Hœrnli.  Cependant,  le 


LA    SUISSE    PlTTOnESQlJE.  437 


bétail  est  assez  nombreux  dans  le  pays,  car  il  faut  des  bêles  de  trait  pour  l'agricul- 
ture; on  y  compte  près  de  3000  chevaux,  8  à  9000  boeufs,  43,000  vaches,  SOOO 
veaux  et  génisses.  Enfin,  sur  les  l)ords  du  lac  et  des  rivières,  la  pèche  occupe  un 
certain  nombre  d'individus. 

Quant  au  commerce,  il  n'est  pas  très-actif,  malgré  les  facilités  qu'offre  le  voisinage 
(lu  Rhin  et  du  lac;  il  a  été  longtemps  borné  aux  vins  et  aux  toiles  de  lin;  l'exportation 
comprend  aussi  maintenant  des  fils  de  coton,  des  indiennes,  des  rubans  de  colon  et  de 
soie,  des  broderies,  des  papiers,  des  pommes  de  terre,  des  fruits  secs  ou  frais,  du 
l)étail,  des  poissons  fumés,  du  gypse;  dans  cette  liste,  les  produits  agricoles  l'em- 
portent en  valeur  sur  ceux  de  l'industrie. 

Hommes  distingués.  Savants,  etc.  —  Parmi  les  Thurgoviens  qui  ont  acquis  de  la 
célébrité  dans  quelque  branche  des  sciences  ou  des  arts,  nous  nommerons  les  sui- 
vants: Iso,  propriétaire  à  Weinfelden  et  moine  à  Saint-Gall,  se  fit  tellement  remar- 
quer au  9'  siècle  par  l'étendue  de  ses  connaissances,  que  le  roi  Rodolphe  de  Bourgogne 
l'appela  pour  établir  une  école  de  savants  à  Grandval,  et  le  retint  auprès  de  lui 
jusqu'à  la  mort  prématurée  qui  l'enleva  en  874  à  l'âge  de  &2  ans.  Il  laissa  divers 
ouvrages  ;  on  lui  attribue  l'entreprise  d'une  Encyclopédie  de  la  science  de  son  siècle. 
Sdomon  III,  évèque  de  Constance,  et  natif  de  Bischofzell,  fut  élève  d'Iso,  et  jouit 
d'une  grande  influence  comme  homme  d'Etat  à  la  cour  des  rois  Arnolph,  Louis  et 
Conrad.  Il  a  dû  achever  le  dictionnaire  encyclopédique  qui  porte  son  nom.  Plus  tard, 
Jean  de  Klingenberg  écrivit  une  Chronique  suisse  {Res  helveiicas  sui  temporis  )  ;  elle  fut 
continuée  par  son  petit-fils,  qui  portait  le  même  nom,  et  qui  périt  à  Nsefels.  Plusieurs 
autres  ont  laissé  aussi  des  travaux  historiques.  Fr, -Jacob  d^Anwyh  ami  de  Luther,  a 
écrit  une  Chronique  helvétique  et  une  Description  de  la  Thurgovie  :  Fridolin  Sicher 
est  l'auteur  d'une  Chronique  estimée  des  événements  de  son  temps.  Ulrich  Hiigbald 
fut  professeur  à  Bâie,  et  publia  divers  ouvrages,  dont  le  plus  remarquable  traite  de 
Vmgine,  des  mœurs  et  des  insiiiatiom  des  Germains  {De  Germanoram  prima  ori- 
gine, etc.  ).  Melchior  Goldasl,  de  Bischofzell  comme  les  trois  précédents,  a  écrit  sur 
les  AUémani  ;  il  avait  fait  en  Allemagne  des  études  de  droit,  et  fut  employé  comme 
jurisconsulte  par  plusieurs  princes.  G.  Marer  a  écrit  l'histoire  des  couvents  de 
Fischingen,  Ittingen  et  autres,  et  une  Helvetia  Sancia,  ou  biographie  des  saints  de  la 
Suisse.  Rod.  Hanhart  a  écrit  des  Récits  de  l'histoire  snisse  d'après  les  chroniques; 
Papikofer,  une  Histoire  de  la  Thurgovie^  Stœhele,  un  poème  sur  l'apdtre  Gallus. 
Comme  philosophes  distingués,  on  peut  citer  Bibliander  (Buchmann),  né  en  4504  h 
Biscbo&elL  et  qui  fut  professeur  de  langues  orientales  à  Zurich,  et  Dasypodins  (ToU- 
fuss),  qui  professa  la  langue  grec^que  à  Strasbourg;  ses  dictionnaires  latin-grec  et 
latin-allemand  sont  estimés. 

Dans  les  sciences  naturelles  se  sont  fait  remarquer  surtout  :  Phil,  Schetb,  de 
Bichobell,  qui  fut  professeur  de  philosophie  et  de  médecine  à  Altorf  (en  Allemagne)  ; 
il  était  grand  partisan  d'Aristote.  Conrad  Brnnner,  de  Diessenhofen,  habile  médecin 
et  anatomiste,  qui  professa  à  Heidelberg  ;  son  fils  Erhard  y  professa  la  même  science  ; 
tous  deux  furent  appelés  auprès  de  plusieurs  princes.  Nicolas  Meyer,  chanoine  h 
Biscliofzell,  fit  une  collection  entomologique,  qui  fut  continuée  par  le  docteur  Chris- 
lophe  Scherb;  ce  dernier  est,  ainsi  que  Melchior  Aepli,  l'auteur  d'excellents  écrits 
populaires  de  médecine.  Scherb  fut  conseiller  d'Etat  après  la  création  du  canton,  et 


^x- 


%58  LA   SnSSR   PITTORESQl  e. 


Aepli  Tut  membre  du  Conseil  d*éducjition  et  du  Conseil  de  santé.  —  RaphaA  Egli  (ou 
Iconius),  fils  d*un  pasteur  de  Frauenfeld,  fut  un  savant  théologien;  il  écrivit  plu- 
sieurs ouvraj;es  sur  la  prédestination,  et  fit  réintroduire  le  chant  dans  les  ^tses  de 
Zurich.  Il  professa  la  théologie  à  Marbourg.  Auhorn,  HofnieUter  et  Waser,  pasteurs 
en  Thurgovie,  se  distinguèrent  aussi  par  leur  savoir  ou  par  leur  éloquence  (  le  pre- 
mier était  Grisou,  les  deux  autres  Zurioois).  Joackim  Seiler,  abbé  de  Fischino^ 
dans  le  17*  siècle,  possédait  un  grand  savoir;  il  fit  paraître  des  livres  d'édification 
|K>ur  le  peuple,  tels  que  la  Sainte  Thurginie,  ou  histoire  des  saints  qui  ont  vu  le 
jour,  vétm  ou  prêché  dans  ce  pays.  Anlohie  Lulz,  abbé  de  Kreuzlingen  dans  le 
1 8'  siècle,  était  grand  amateur  des  sciences  et  des  lettres,  et  publia  quelques  ouvrages 
Ihéologiques,  ainsi  que  WilMm  W'ilhelm,  chanoine  au  même  couvent,  et  ei^uile 
professeur  à  Fribourg  en  Brisgau.  —  On  peut  citer  comme  publicisle  BorfUmimn, 
imsteur  d*Arbon,  auteur  de  divers  écrits  sur  les  affaires  de  la  Suisse;  il  a  pris  une 
imrt  active  à  la  reconstitution  de  son  canton  en  1830;  il  a  aussi  publié  des  poésies. 
Mayr,  d*Arbon,  a  publié  en  1815  son  Voyage  à  Jérusalem.  Wehrli  s'est  hit  con- 
naître avantageusement  par  divers  écrits  pédagogiques,  et  par  les  services  qu*il  a 
rendus  comme  directeur  de  Técole  des  |muvres  à  Hofwyl,  puis  du  séminaire  de 
Kreuzlingen. 

La  poésie  fut  cultivée  au  li'  et  au  13'  siècle  par  plusieurs  gentilshomooes  thur- 
goviens.  Nous  en  avons  déjà  nommé  quelques-uns  ci-dessus.  Le  grand  et  beau  poème 
iMiicelol  du  Uw,  dû  à  Vlrich  de  Zazikofen,  est  un  des  monuments  les  plus  anciens  (Il  9i  ) 
et  les  plus  remarquables  de  la  littérature  allemande.  Les  seigneurs  de  Zazikofen 
étaient  vassaux  des  comtes  de  Toggenbourg.  Les  ruines  de  leur  château  sont  situées 
prèsdeWildenrain,  au-dessus  de  Zezikon.  Henri  de  Klitigenberg,  évéque  de  Constance, 
doit  avoir  travaillé  à  une  collection  des  chants  des  troubadours  allemands,  et  .en 
avoir  composé  lui-même  plusieurs;  il  jouit  d'une  grande  influence  comme  homme 
d'Etat  à  la  cour  impériale,  et  écrivit  une  histoire  des  comtes  de  Habsbourg  que  Ton 
conserve  en  manuscrit  à  Vienne.  Cmradd'Amfnenhaiisen,  prêtre  à  Stein  au  Ik"  siècle, 
écrivit  un  long  poëme  allégorique  sur  le  jeu  d'échecs  en  vers  allemands,  où  Ton 
trouve  une  foule  d'anecdotes  et  de  détails  sur  les  mœurs  du  temps.  Le  baron  de 
iMsxberg  a  publié,  il  y  a  trente  ans,  une  collection  d'anciens  poèmes  allemands  {Lieder- 
saal,  salle  des  chants),  une  édition  de  celui  des  Niebelungen,  d'après  un  manuscrit 
qu'il  possédait,  etc.  Parmi  les  Thurgoviens  qui  se  sont  voués  à  la  culture  des  beaux- 
arts,  nous  nommerons  /.-G.  Mœrikofer,  de  Frauenfeld,  qui  fut  un  très-habile 
médailleur;  la  plus  remarquable  de  ses  œuvres  représente  l'impératrice  Catherine. 
/.-//.  Boltshaii^r,  d'Ottenberg,  fut  médailleur  de  la  cour  à  Mannheim;  on  lui  doit, 
entre  autres,  d'excellentes  médailles  qui  reproduisent  les  traits  d'un  grand  nombre 
de  savants  de  la  Suisse.  Nommons  encore  Dûringer,  peintre  d'animaux  ;  Branschwyler 
et  Ou,  peintres  de  portraits;  Labhard  et  Rmich,  peintres  de  paysages  ;  Lœhrer,  peintre 
d'histoire. 

Moeurs,  Coutumes,  Caractère.  —  LeThurgovien  est  laborieux,  industrieux,  habile 
à  calculer  dans  les  affaires  d'intérêt;  il  aime  la  propreté  et  l'ordre  dans  ses  habita- 
tions ;  il  est  serviable,  compatissant,  prêt  à  faire  des  sacrifices,  soit  par  bonté  de 
(^ractère,  soit  peut-être  aussi  par  une  sorte  de  vanité.  Dans  les  questions  religieuses, 
Tintelligence  domine  en  général  chez  lui  sur  le  sentiment,  et  il  se  préoccupe  peu  des 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  459 


notions  qui  ne  sont  pas  pratiques.  En  politique,  de  même  qu'en  religion,  il  défend 
opini&trement  ses  droits  et  ses  opinions,  mais  il  ne  se  porte  pas  à  des  violences  contre 
ses  adversaires.  Ainsi  que  ses  voisins  d'Àppenzell,  il  a  une  grande  disposition  pour  le 
chant.  —  Parmi  les  usages  du  pays,  nous  signalerons  les  suivants  :  Le  premier  mai, 
les  jeunes  gens  élèvent  quelquefois,  pour  fêter  le  printemps,  un  arbre  de  maij  qu'ils 
décorent  de  guirlandes  que  leur  préparent  les  jeunes  filles.  Le  dernier  dimanche  du 
carême  est  une  occasion  de  réjouissance  chez  les  protestants,  et  le  premier  dimanche 
chez  les  catholiques.  Dans  la  campagne,  la  Saint-Nicolas  est  un  jour  de  fête  pour  les 
enfants,  quelquefois  aussi  pour  les  grandes  personnes.  Quand  les  moissonneurs  et 
les  batteurs  de  blé  ont  terminé  leurs  travaux,  les  propriétaires  des  fermes  leur 
donnent  un  banquet,  suivi  parfois  d'un  bal  champêtre  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  la 
Sichellegi  et  la  Pflegelhenki  (la  pose  des  faux  et  la  suspension  des  fléaux).  Dans 
la  vallée  de  la  Thour  et  la  Haute-Thurgovie,  on  suit  souvent  d'anciens  usages 
pour  la  célébration  des  noces.  Un  orateur  est  chargé  d'aller  inviter  les  convives  ; 
c'est  ordinairement  le  maître  d'école  qui  remplit  ce  message  ;  le  matin  de  la  noce, 
l'époux,  accompagné  de  son  ami,  se  rend  dans  la  maison  de  sa  fiancée,  où  on  lui 
sert  à  déjeûner  ;  ensuite  l'orateur  prend  la  parole  et  demande  au  père  de  la  fiancée 
de  remettre  celle-ci  à  l'époux,  dont  il  fait  valoir  toutes  les  qualités.  Le  père,  ou  un 
orateur  chargé  de  porter  pour  lui  la  parole,  soulève  des  difficultés,  et  fait  l'éloge  de 
l'épouse,  indispensable  dans  la  maison  paternelle  ;  alors  on  parlemente,  et  enfin  le 
départ  de  la  fiancée  a  lieu,  au  milieu  des  larmes,  des  vœux  et  des  remerciements,  et 
le  cortège,  violon  en  tête,  prend  le  chemin  de  l'église.  On  observe  aussi  quelques 
coutumes  singulières  pendant  le  repas;  ainsi,  la  nouvelle  mariée  ne  peut  manger 
que  ce  que  le  garçon  de  noce  glisse  secrètement  sur  son  assiette  ;  elle  doit  même  le 
faire  en  cachette,  etc. 

Frauenpeld.  —  Cette  petite  ville,  chef-lieu  du  canton,  comptait  en  1880 
5444  habitants,  dont  600  catholiques.  Elle  est  située  au  milieu  d'une  plaine  arrosée 
par  la  Mourg,  dont  le  cours  est  utilisé  pour  un  grand  nombre  de  manufactures.  Ses 
maisons  sont  bien  bâties,  et  ses  rues  larges  et  droites.  La  Diète  helvétique  s'est  sou- 
vent réunie  dans  son  hôtel-de-ville.  Elle  possède  deux  églises,  une  protestante  et 
une  catholique;  une  prison,  un  arsenal,  une  école  secondaire  et  des  classes  supé- 
rieures. Son  vaste  château,  qui  s'élève  sur  un  rocher,  produit  un  effet  imposant;  s^i 
tour  est  construite  en  gros  blocs  non  taillés;  il  doit  dater  au  moins  du  KK^  siècle,  et 
fut  bâti  par  un  parent  ou  un  vassal  des  comtes  de  Kybourg  ;  il  servit  plus  tard  de 
résidence  aux  baillis  suisses.  Frauenfeld  porta  le  titre  de  ville  dès  la  fin  du  iS**  siècle  ; 
il  doit  avoir  appartenu  d'abord  à  l'abbaye  de  Reichenau,  mais  il  était  en  même 
temps  soumis  aux  comtes  de  Kybourg,  et  ensuite  à  la  maison  d'Autriche,  qui  lui 
accorda  quelques  privilèges.  Une  grande  partie  de  la  ville  fut  incendiée  en  1771  cl 
1788.  Du  côté  du  sud  est  un  couvent  de  capucins,  dans  le  voisinage  duquel  eut  lieu, 
le  25  mai  1799,  un  combat  entre  les  Autrichiens  et  les  Français  commandés  par 
Oudinot.  Les  Suisses  auxiliaires  s'y  conduisirent  bravement;  le  général  soleurois 
Weber,  qui  les  commandait,  fut  tué;  on  lui  a  élevé  un  monument  sur  la  place 
même  où  il  tomba;  il  est  à  quelques  pas  de  la  route  de  Saint-Gall,  sur  la  droite.  Le 
chemin  de  fer  de  Winterthour  à  Romanshorn,  au  bord  du  lac  de  Constance,  passe 
près  de  Frauenfeld  et  par  la  vallée  de  la  Thour;  il  a  été  terminé  en  avril  1855. 


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HhO  LA  siissK  prrrmioQi  K. 


Wi:isFEi.peN  est  un  gnis  biHir^;  qui  œmplc  i256  babilants,  dont  90  calholique>. 
Il  est  à  peu  pn-s  au  crnlre  du  canton,  et  séparé  de  la  Thour  par  des  champs  fertiles  : 
il  (*st  dftminé  du  cAlé  du  n<»rd  |iar  des  vif^nobles  qui  s  élèvent  coolre  la  pente  du 
miMit  OttenheiT!.  et  qui  donnent  un  vin  estimé.  Cette  montagne,  ainsi  que  le  châ- 
teau situé  vers  le  milieu  de  la  |iente,  présentent  un  heau  panorama.  Cest  à  Wetn- 
Tolden  que  S('  réunirent  en  1798  les  délégués  des  communes  chargés  de  préparer 
rémam*ipation  du  pays.  Celte  ville  avait  espéré  devenir  le  cfaef4ieu  du  canton.  Elle 
a  seulement  obtenu  d*étre  le  siège  d'une  des  sessions  du  Grand  Conseil. 

Bis(.HorzeLL.  —  En  remontant  la  vallée  de  la  Thour,  on  arrive  à  Bisciioliell,  petit«* 
ville  hàtie  sur  une  colline,  à  la  jonction  de  cette  rivière  avec  la  Sittem;  elle  compte 
i500  habitants,  dont  un  tiers  catholique.  On  y  remarque  ThAtel-de-ville  et  un  vieux 
chAteau,  qui  Tut  une  résidence  des  baillis.  Bischofzell  doit  avoir  été  bàtîe  au  com- 
mencement du  10*  siècle  par  Tévéque  Salomon  III,  qui  y  chercha  un  refuge  contn* 
k*s  invasions  des  Huns.  1^  tour  du  château  date  prohablemenl  de  cette  époque.  On 
(Kisse  la  Thour  sur  un  pont  fondé  dans  le  moyen-Age  par  une  dame  noble  dont  les 
deux  fils  s*étaient  noyés  en  voulant  traverser  la  rivière.  Au  sud  de  la  ville,  près  de 
la  frontière  saint-galloise,  est  le  heau  village  de  Hauptwyl,  qui  possède  diverses 
rabriques. 

AfiBON.  —  Cette  petite  ville  est  située  dans  une  contrée  riche  en  vignes  et  ver- 
gers :  elle  compte  moins  d*un  millier  d'habitants  (  un  tiers  d'entre  eux  sont  catho- 
liques )  ;  mais  elle  renferme  de  vastes  jardins  dans  Tintérieur  de  ses  murailles.  Lies 
flots  du  lac  ont  envahi  peu  à  peu  une  grande  étendue  de  terrain;  pendant  les  basses 
eaux,  on  voit  A  cent  pas  du  rivage  une  ligne  de  pierres  qui  formait  jadis  une  digue  ; 
le  lac  est  peu  profond,  et  en  toute  saison  Tabord  n'est  pas  facile  pour  les  bateaux 
chargés.  Nous  avons  mentionné  les  fabriques  de  rubans  qui  existent  à  Arbon«La 
vieille  tour  du  château  rappelle  par  sa  construction  singulière  l'architecture  méro- 
vingienne; nuiis  le  château  lui-même  fut  bâti  dans  le  commencement  du  16**  siècle 
|Kir  révéque  Hugo  de  l^ndenberg.  De  son  jardin  l'on  jouit  d'une  belle  vue  sur  k 
lac  Supérieur  et  sur  les  montagnes  d'Appeozell  et  du  Vorarlberg.  La  ville  appartint 
jadis  à  des  barons  d'Arbon;  après  leur  extinction,  elle  passa  aux  seigneurs  de 
Kemoat,  amis  du  prince  Conradin,  qui  y  fit  un  séjour  et  accorda  des  privilèges  à 
la  ville,  en  1266.  Quelques  années  après,  ces  seigneurs  vendirent  Arbon,  avec  le 
ciiàteau  et  l'église,  à  levéque  de  Constance,  pour  2900  marcs  d'ai^geot,  sous  réserve 
dos  franchises  de  la  ville.  Pendant  les  guerres  des  Appenzellois,  elle  fut  une  de^ 
places  d'armes  de  l'Autriche.  On  montre  une  pierre  qui,  le  15  mars  169S,  fui  jetée 
hors  du  lac  par  la  force  des  glaces  jusqu'à  vingt-cinq  pas  du  rivage  ;  cet  hiver-là, 
toute  la  surface  du  lac  était  gelée*. 

RoMANSHORN  OU  RoMisHORN.  —  Cc  village  occupe  l'extrémité  d'un  petit  promon- 
toire situé  à  peu  prés  à  égale  distance  de  Constance  et  de  l'embouchure  du  Rhin. 
On  suppose  que  les  Romains  ont  eu  une  station  en  ce  lieu  dès  le  2*  siècle,  et  on  leur 

I.  On  sait  qu'un  Troid  de  13  degrés  un  peu  prolongé  suflil,  le  long  des  côtes,  pour  y  former 
une  glace  épaisse  de  trois  pieds,  et  que  les  glaces  brisées,  entraînées  par  on  léger  eoarani, 
lorsqu'elles  rencontrent  un  promontoire,  se  soulèvent  contre  la  côte  et  y  forment  de  peUtes 
rollines;  c'est  ce  qui  arrive  tous  les  ans  sur  quelques  points  des  Belts  et  du  Sand  à  Tépoque 
de  la  débâcle  des  glaces  de  la  Baltique.  On  sait  aussi  quelle  e%i  la  force  désastreuse  des  glacer 
amoncelées  par  les  rivières  et  arrêtées  par  des  glaces  non  encore  rompues. 


LA    SUISSE    PlTTOnESQUE.  ft/H 


attribue  la  construction  de  murailles,  dont  on  voit  quelques  restes.  La  contrée  voi- 
sine doit  avoir  été  cultivée  de  bonne  heure.  En  779,  l'église  fut  donnée  à  Tabbaye 
(le  Sainl-Gall  par  une  fille  du  comte  Waltram;  et  Tabbaye  posséda  le  village  et  ses 
alentours  pendant  plus  de  mille  ans  ;  elle  le  donnait  comme  fief  à  des  gentilshommes. 
Romanshorn  a  un  bon  embarcadère  sur  le  lac;  la  voie  ferrée  qui  vient  maintenant 
y  aboutir,  fera  acquérir  à  ce  lieu  une  plus  grande  importance. 

Constance.  —  En  continuant  à  suivre  les  bords  du  lac,  on  passe  aux  grands  vil- 
lages de  Kesswyl  et  de  Gûttingen,  et  près  des  couvents  de  Mûnsterlingen  et  de 
Kreuziingen.  C'est  près  de  ce  dernier,  et  ù  Tendroit  où  le  Rhin  sort  du  lac  Supérieur, 
qu'est  la  célèbre  ville  de  Constance,  qui  a  joué  jadis,  ainsi  que  ses  évoques,  un  si 
grand  rôle  dans  l'histoire  de  la  contrée.  Elle  fut  fondée  en  297  par  Constantin 
Chlore,  sur  l'emplacement  d'une  forteresse  nommée  Yaleria,  que  les  Allémani 
avaient  détruite.  Son  évéché,  fondé  en  630,  a  compté  une  série  de  87  évéqucs. 
Durant  le  moyen-âge.  Constance  eut  le  rang  de  ville  impériale,  et  acquit  un  haut 
degré  de  prospérité;  sa  population,  réduite  aujourd'hui  à  5  ou  6000  habitants, 
s'éleva  jusqu'à  40,000.  Le  fameux  Concile  qui  s'y  tint  de  \klk  à  1418,  y  attira 
une  immense  affluence  d'étrangers.  Au  commencement  du  16'' siècle,  elle  demanda, 
mais  en  vain,  d'être  admise  dans  la  Confédération.  La  Réformalion  y  fit  des  progrès 
si  rapides,  que  l'évéque  et  plusieurs  chanoines  durent  se  retirer;  mais  plus  tard  le 
culte  catholique  y  fut  rétabli,  et  Constance  se  vit  contrainte  en  1559  de  se  sou- 
mettre à  l'Autriche.  L'évéché  perdit  ses  possessions  en  1802,  et  trois  ans  plus  tard 
la  ville  fut  réunie  au  grand-duché  de  Bade  par  le  traité  de  Presbourg.  La  cathédrale 
a  été  bàlie  en  1048,  mais  le  chœur  et  d'autres  parties  ont  été  reconstruites  au 
i7i^  siècle;  on  y  voit  des  sculptures  intéressantes.  On  montre  dans  le  bâtiment 
d<àla  douane,  cx)nstruit  en  1588,  la  salle  où  se  réunit  le  Concile.  On  y  voit  les 
trônes  du  pape  Martin  et  de  l'empereur  Sigismond,  la  cassette  dorée  qui  servit  en 
1417  au  scrutin  pour  l'élection  du  pape  Martin  V,  le  missel  et  la  crosse  de  ce  pape, 
et  diverses  autres  reliques  d'une  origine  suspecte.  On  montre  encore  la  maison  où 
Jean  Huss  fut  arrêté  (c'est  la  deuxième  à  droite  après  le  Schnetzthor).  Son  bûcher 
fut  élevé  devant  la  porte  occidentale,  au  sud  de  la  route  de  Zurich.  Sur  le  même 
emplacement  fut  brûlé,  l'année  suivante,  Jérôme  de  Prague.  —  A  une  lieue  et  demie 
de  Constance,  dans  le  golfe  d'Ueberlingen,  est  située  la  petite  île  de  Meinau,  autre- 
rois  le  siège  d'une  commanderie  de  l'ordre  teutonique.  Cette  lie,  qui  n'a  qu'une 
demi-lieue  de  tour,  est  jointe  à  la  terre  ferme  par  un  pont  de  chevalets  long  de 
650  pas.  Elle  s'élève  en  terrasse,  et  offre  une  magnifique  vue;  aussi  l'a-t-on  sur- 
nommée l'Isola  Bella  du  lac  de  Constance. 

GoTTUEBEN,  Arenenberg.  —  Près  de  l'endroit  où  le  Rhin  entre  dans  le  lac  Infé- 
rieur, se  trouve  le  village  de  Gottlieben,  avec  un  ancien  château,  qui  date,  dit-on, 
du  10*  siècle,  et  dans  lequel  Jean  Huss,  Jérôme  de  Prague  et  le  pape  Jean  XXII 
furent  détenus  par  ordre  du  Concile.  C'est  à  une  lieue  plus  à  l'ouest  que  sont  le  châ- 
teau et  le  parc  A' Arenenberg,  qui  ont  appartenu  à  la  comtesse  de  Saint-Leu  (  Hor- 
tense  Beauharnais),  ex-reine  de  Hollande,  puis  ù  son  fils,  le  prince  Louis-Napoléon, 
maintenant  empereur  des  Français.  Le  prince  y  habitait  en  1836,  quand  il  partit 
pour  Strasbourg.  Il  y  séjourna  à  son  retour  d'Amérique  en  1838,  quand  la  Suisse, 
menacée  par  la  France  à  son  occasion,  dut  mettre  des  troupes  sur  pied.  Ce  châ- 

11.98  56 


442  LA    SL'ISSE    PITTORKSOtE. 


leau,  d'assez  modesle  a|)|>areiiec,  a  élé  vendu  en  4843  à  un  Neuchâlelois,  pour 
i  ,700,000  francs,  avec  loules  ses  dépendances,  ses  collections,  et  de  nombreuses 
reliques  du  temps  de  Tempire.  Les  journaux  ont  annoncé  (en  avril  1855)  que 
rim|)ératrice  Tavait  racheté  pour  en  faire  cadeau  à  son  époux;  on  y  a  travaillé  I éle 
suivant  à  divers  agrandissements.  —  Une  série  d'aulreseliàleauv 
s'élève  sur  les  hauteurs  voisines:  celui  du  Hard,  celui  de  Wulf^- 
Ikerg  ou  Wolfstein  (Pierre  du  Loup),  qui,  ainsi  que  les  ruines  pill^ 
resques  du  château  de  Siilemlein,  a  appartenu  au  colonel  français 
Farquin,  ami  du  prince  Louis-Napoléon  ;  celui  AEugrfisbtf^,  qui 
fut  construit  par  le  vice-roi  d'Italie,  Eugène  Beauhamais. 
IloHKNRAiN,  ReirjiENAU.  —  Lcs  châtcaux  susmentionnés  jouissent,  du  côté  du  nord, 
de  vues  ravissantes,  mais  ils  sont  tous  dominés  par  la  hauteur  de  Hohenrain,  lept»inl 
culminant  de  la  chaîne  de  collines  qui  borde  le  lac.  Ce  point  commande  un  panorama 
très-étendu  * .  Du  côté  de  Touesl  seulement,  la  vue  se  trouve  bornée  par  la  sommité  Je 
Hombourg,  distante  d'une  demi-lieue  ;  mais,  vers  le  nord-ouest,  l'œil  distingue  au- 
delà  du  lac  les  collines  volcaniques  du  Hégau  ;  au  milieu  du  lac  Inférieur,  la  belk' 
île  de  Reichenau  avec  sa  célèbre  abbaye  ;  en  se  tournant  vers  le  nord-est  et  vers 
l'est,  on  aperçoit  les  villes  de  Constance  et  de  Mœrsbourg,  puis  la  vaste  étendue 
du  lac  Supérieur,  les  tours  lointaines  de  Lindau,  les  montagnes  de  Bregenz;  par- 
dessus les  cimes  appenzelloisesdu  Gœbris  et  du  Kamor,  on  voit  s'élever  les  sommeLs 
glacés  du  Montafoun  et  des  Grisons;  mais  la  chaîne  du  Sœntis  et  les  Kuhfirslen 
interceptent  la  vue  d'un  grand  nombre  de  sommités  grisonnes,  ou  n'en  laissent 
apercevoir  que  les  plus  hautes  cimes.  Vers  le  sud  et  le  sud-ouest,  reparait  dans  loule 
sa  splendeur  la  ligne  des  Alpes  de  Claris,  Uri,  Unterwald  et  de  l'Oberland  bernois, 
jusqu'au  Stockhorn.  Dans  un  rayon  plus  raccourci,  on  voit  devant  soi  la  plupart  (te 
collines  du  canton,  l'Ottenberg,  le  Cabris,  etc.  Ce  panorama  du  Hohenrain  est  sans 
contredit  un  des  plus  beaux  qu'on  puisse  trouver  en  Suisse.  —  Ajoutons  quelques 
mois  au  sujet  de  l'île  badoise  de  Reichenau.  Cette  île,  longue  de  cinq  quarts  de 
lieue,  sur  une  largeur  de  demi-lieue,  renferme  deux  villages  et  un  cloître  de  béné- 
dictins, qui  fut  sécularisé  en  1799,  et  dont  la  fondation  remontait  à  l'an  724.  Celte 
abbaye  atteignit  un  haut  degré  de  splendeur  et  de  puissance.  L'église,  qui  fut  consa- 
"^^  ,  |r  crée  en  806,  contient  plusieurs  anciens  monuments,  entre  autres 
.r JlflHHiy>  '^  tombeau  de  Charles-le-Gros,  arrière-petit-fils  de  Charlemagne, 
détrôné  en  887,  et  qui  se  relira  dans  l'abbaye,  où  il  mourut  en 
^  888.  On  voit  aussi  dans  l'île  les  ruines  du  château  de  Schœpflen. 
u^^;  Elle  est  entièrement  couverte  de  vignes,  qui  produisent  un  vin 
yf^  très-renommé.  Près  de  la  croix  plantée  sur  la  colline  la  plus  éle- 
vée de  l'île,  on  découvre  une  vue  magnifique. 
Steckborn,  Eschenz.  —  Sur  les  bords  du  golfe  étroit  qui  s'étend  jusque  près  de 
Stein,  est  située  la  ville  de  Steckborn,  peuplée  de  2292  habitants,  dont  823  catho- 
liques; elle  est  bâtie  sur  une  petite  langue  de  terre  élevée,  entourée  de  murs,  et  ses 

1.  Une  Jiociélé  d'actionnaires  y  avait  fait  bâlir,  en  1830,  une  tour  en  bois,  donl  le  behédere 
dominait  les  forêts  voisines  et  permettait  de  découvrir  plus  facilement  tout  le  circuit  de  thon 
zon.  Les  frais  de  garde  et  d'entreUen  dépassant  le  produit  de  la  recette,  cette  tour  a  été  abattue 
en  juillet  1855. 


LA   SUISSE  PirrORESQUE.  443 


alentours  sont  couverts  de  vignobles.  Elle  a  un  vaste  hôtel-de-ville,  une  maison  de 
pauvres,  une  église  mixte  bâtie  en  1766,  deux  écoles  élémentaires  et  une  école 
secondaire.  Ses  habitants  s'occupent  de  la  navigation,  de  la  pèche,  de  la  culture  de  la 
vigne  et  du  chanvre;  quelques-uns  se  vouent  aussi  à  des  travaux  industriels;  les 
femmes  y  font  des  dentelles  {Spitzenklœppeln).  Elle  a  dû  exister  dès  le  8®  ou  9®  siècle, 
et  appartenait  à  Tabbaye  de  Reichenau.  La  ville  embrassa  la  Réforme  en  1528.  Un 
contrat  de  1644  porte  que  le  rideau  qui  cache  le  chœur  pendant  le  culte  réformé 
ne  devra  jamais  être  remplacé;  pour  se  conformer  à  cette  clause,  on  répare  le 
rideau  pièce  par  pièce,  sans  jamais  en  faire  un  neuf.  —  Vers  l'extrémité  du  golfe, 
et  à  peu  près  vis-à-vis  de  Slein,  est  le  grand  village  i'Eschenz,  dans  une  plaine 
fertile  en  blé  ;  au-dessus  du  village,  dans  la  gorge  de  Steinach,  est  établie  une  pape- 
terie remarquable.  Eschenz  appartenait  dans  le  10""  siècle  au  couvent  d'Einsiedeln. 
On  y  a  trouvé  souvent  des  monnaies  romaines,  et  Ton  y  voit  encore  les  restes  d'un 
pont  construit  par  les  Romains,  et  qui  la  joignait  à  la  petite  île  de  Werd  et  à  la  rive 
droite  du  fleuve.  On  voit  dans  Tile  un  hameau  et  une  ancienne  chapelle  où  fut 
enseveli  l'abbé  saint-gallois  Othmar,  qui  mourut  en  ce  lieu  en  7S9,  après  dix  ans 
de  captivité.  Plus  tard,  les  moines  de  Saint-Gall  ayant  reconnu  son  innocence  par 
quelques  signes  miraculeux,  transportèrent  ses  restes  à  Saint-Gall  et  les  y  expo- 
sèrent à  l'adoration.  La  chapelle  fut  jadis  un  lieu  de  pèlerinage. 

DiEssENHOFEN.  —  Ccttc  villc  comptc  1616  habitants,  dont  382  catholiques;  elle 
est  construite  en  partie  sur  un  plateau  élevé  de  60  pieds  au-dessus  du  Rhin,  et 
s'étend  aussi  jusqu'au  bord  du  fleuve;  vue  du  côté  du  nord,  elle  ofiTre  un  aspect 
pittoresque.  Elle  fut  fondée  en  1178  par  le  comte  Hartmann  de  Kybourg.  En  141 S 
elle  se  racheta,  sous  l'empereur  Sigismond,  de  tous  droits  de  souveraineté,  et  devint 
ville  libre  impériale;  mais  elle  dut  se  soumettre  en  1442  à  la  maison  d'Autriche. 
En  1460  elle  fut  conquise  par  les  Confédérés;  dès-lors  jusqu'en  1798,  elle  forma 
une  petite  république,  sous  la  protection  des  huit  anciens  cantons  et  de  Schafl'house. 
Son  église  sert  aux  deux  cultes;  elle  a  une  école  secondaire;  elle  est  commerçante 
et  industrielle,  et  il  s'y  tient  huit  foires  par  année,  surtout  pour  le  bétail.  Près  de 
la  ville  est  le  couvent  de  femmes  de  Val  Sainte-Catherine,  dont  les  religieuses,  faute 
de  prêtres,  choisirent  l'une  d'entre  elles  pour  faire  l'office  de  prédicateur  dans  l'église, 
à  l'époque  de  la  révolution.  Le  1"  mai  1800,  l'armée  française,  commandée  par 
Moreau,  Ijecourbe  et  Yandamme,  passa  le  Rhin  à  Diessenhofen,  ce  qui  eut  pour 
suite  la  prise  de  la  forteresse  de  Hohentwiel,  et  la  victoire  de  Hohenlinden,  où  s'il- 
lustra Moreau. 


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CANTON  DU  TESSIN. 


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Sm  ATioN,  Etkndi  E,  Climat,  elc.  —  Le  canton  du  Tessin  est  borné  au  noixl  par 
le  canton  d*Uri  et  celui  des  Grisons;  h  Test,  par  les  Grisons  et  par  la  Lombardi»^ 
(province  de  (]Ame);  au  sud,  |)ar  la  môme  provincx;,  qui  Fentoure  aussi  en  parlii* 
du  crtlé  de  Touesl  ;  le  reste  de  ses  confins  est  formé  par  le  Piémont  et  le  Vallais.  La 
plus  grande  largeur  du  CKintcm  est  de  1^  à  13  lieues;  sa  plus  grande  longueur, 
comptée  de  Chiasso  au  col  du  Saint  Gothard,  est  de  22  lieues;  mais  la  route  qui 
réunit  ces  deux  points  décrit  une  ligne  d'environ  27  lieues.  La  superficie  du  canton 
(*st  de  127, G  lieues  carrées,  et  sa  population  élait  en  1850  de  417,759  âmes,  soil 
923  âmes  par  lieue  carrée.  Le  Tessin  est  le  cinquième  canton  en  étendue  ;  il  ne  le 
cède  qu'aux  cantons  des  Grisons,  de  Berne,  Vallais  et  Vaud  ;  il  n'est  toutefois  que 
le  s(^pticme  en  population  ;  Grisons  et  Vallais,  sous  ce  rapport,  lui  sont  inférieurs, 
mais  il  cède  le  pas  à  ceux  de  Zurich,  Argovie,  Saint-Gall  et  Lucerne,  dont  l'étendue 
est  moins  considérable.  Bien  que  située  sur  le  versant  sud  des  Alpes,  la  partie 
septentrionale  du  canton,  comprise  entre  de  hautes  montagnes  couvertes  de  glaces 
et  de  neiges,  a  un  climat  assez  rude,  semblable  à  celui  des  vallées  voisines  apparte- 
tenant  aux  cantons  des  Grisons  et  du  Vallais.  Quant  à  la  partie  méridionale,  quoique 
aussi  très- montagneuse,  elle  jouit  du  climat  le  plus  tempéré  de  la  Suisse  ;  les  figuiers, 
les  amandiers,  les  grenadiei^s,  les  câpriers,  etc.,  y  croissent  en  pleine  terre  dans  le:^ 
vallées;  les  orangers  et  les  citronniers  réussissent  aussi  dans  les  jardins.  En  hiver 
et  au  printemps,  le  Favonio  ou  Fœhn,  vent  du  sud-ouest,  amène  des  chaleurs  pré- 
coces; quelquefois  l'on  voit  les  amandiers  fleurir  à  Lugano  au  milieu  de  février. 
Mais,  vu  le  voisinage  de  montagnes  élevées,  cette  partie  méridionale  n'est  point  ^ 
l'abri  de  froids  assez  vifs,  et  les  orages  d'été,  qui  sont  fréquents,  y  causent  souvent 
un  refroidissement  notable  de  la  température.  Le  pays  est  en  général  salubre;  les 
plaines  qui  bordent  le  Tessin,  entre  Bellinzone  et  le  lac  Majeur,  font  seules  exception. 


LA  SUISSE  PirroRmsQUE.  44 s 


Montagnes,  Glaciers.  —  La  principale  chaîne  des  Alpes  sert  de  limite  au  canton 
sur  une  longueur  d'environ  18  lieues,  du  glacier  de  Gries  au  Moschelhorn.  On  y  trouve 
le  Pizzo  Gallina,  9420,  à  la  frontière  du  Vallais;  le  Luzendro,  9720;  le  FHsciora, 
9494  ou  9898,  et  autres  sommités  du  Saint-Gothard  (voyez  canton  d*Uri,  au  sujet 
I  des  pics  et  du  passage  du  Saint-Gothard)  ;  —  au  groupe  du  Lukmanicr,  la  sommité  du 
Scopi,  9850;  plus  loin,  le  pic  Kumadra;  le  pic  Kanwiia,  9640;  le  Piz  Valrhein, 
\  10,280;  le  Moschelhorn  ou  Piz  d'Uccello,  9611  (voyez,  au  canton  des  Grisons,  la 
*■■  mention  des  cols  de  Cassino  del  TUomo,  du  Lukmanicr,  de  la  Greina,  de  Monterasca 
j  et  de  Plattenberg).  Plusieurs  glaciers  descendent  sur  le  revers  méridional  de  la 
chaîne,  surtout  au  Saint-Gothard  et  près  du  Moschelhorn.  Du  point  où  le  territoire 
tessinois  confine  à  la  fois  avec  le  Yallais  et  le  Piémont,  se  détachent  deux  grandes 
ramifications,  dont  Tune  se  dirige  vers  le  sud,  et  sépare  le  canton  du  territoire 
piémontais;  puis,  après  avoir  décrit  un  coude  dans  l'intérieur  de  ce  territoire,  vient 
se  terminer  à  une  lieue  au  nord  de  Locarno  ;  l'autre,  avec  une  direction  au  sud- 
est,  suit  la  rive  droite  du  Tessin  et  vient  aboutir  à  l'extrémité  du  lac  Majeur.  A  son 
origine,  s'élève  le  Nufenenstock,  8820,  et  le  Grieshorn,  9007,  qui  dominent  des 
glaciers;  plus  à  l'est,  les  deux  pics  Cavergno,  9608-10,085,  d'où  descend  aussi  un 
grand  glacier  ;  puis  le  Poticione  di  Vespero,  au-dessus  d'Airolo,  8354  ;  le  Pizzo  Massarij 
8502;  le  Campolungo^  8250;  la  CAnuidMePeccoi^e,  7945,  etc.  Quelques  chaînons  plus 
courts  s'appuient  à  cette  chaîne  du  côté  de  l'ouest,  et  enferment  plusieurs  vallées  : 
le  val  Lavizzara,  le  val  Verzasca,  etc.  Du  Lukmanicr  court  vers  le  sud  une  ramifi- 
cation qui  sépare  le  val  Blegno  de  la  Léventine  ou  vallée  du  Tessin,  et  se  termine 
à  leur  jonction  ;  on  y  trouve  le  mont  PioUino  ou  Platiferj  7705  ;  une  autre,  partant 
du  Moschelhorn,  sépare  le  val  Blegno  du  val  grison  de  Calanca;  elle  porte  le  pic 
Molajo,  7969,  et  le  Poncione  di  CAaro,  8373.  Près  d'Ascona,  à  l'ouest  de  Locarno, 
commence  une  chaîne  qui  atteint  à  la  frontière  la  hauteur  de  6725,  au  mont  Limi- 
dario  ou  Gridone.  Du  col  San-Jorio,  6210,  point  de  contact  des  Grisons,  du  Tessin  et 
de  la  Lorabardie,  partent  trois  ramifications,  dont  l'une  se  termine  devant  Bellinzone  ; 
une  autre,  celle  du  Monte  Génère,  n'atteint  au  col  de  ce  nom  que  la  hauteur  de 
1720  pieds,  mais  se  relève  au  Taniaro,  6037,  et  au  Sasso  di  Pino,  3697,  à  l'est  du 
lac  Majeur;  la  troisième  porte  le  Camoyhé,  8740,  et  s'approche  de  Lugano  sous  le 
nom  de  mont  Bré  ou  Gottardo,  2908.  La  presqu'île  qu'entoure  le  lac  de  Lugano  porte 
le  pic  Stf?i-Sa/t'afore,  2797,  et  le  mont  Arbostora,  Enfin,  le  district  dcMendrisio  est 
borné  à  l'est  par  une  chaîne  dont  les  points  culminants  sont  le  Caprino,  4048,  en 
face  de  Lugano;  le  Monte  Generoso,  5199,  et  X^Bishino,  4063. 

Vallées  et  Rivières.  —  La  principale  rivière  du  canton  est  le  Ticino  ou  Tessin, 
dont  les  sources  sont  à  la  frontière  du  Yallais  et  sur  le  Saint-Gothard,  et  qui  arrose 
une  longue  vallée  portant  successivement  les  noms  de  val  Bedretto,  val  Leventina  et 
val  Riviera.  Il  devient  navigable  au-dessous  de  Bodio,  mais  seulement  dans  le  temps 
des  hautes  eaux,  vu  la  grande  largeur  et  le  peu  de  profondeur  de  son  lit.  11  se  jette 
dans  le  lac  Majeur  près  Magadino.  Ses  plus  gros  affluents  sont  :  le  Blegno,  qui  arrose 
le  val  de  même  nom,  et  qui  a  ses  sources  au  Lukmanicr  et  sur  les  montagnes  voi- 
sines; il  se  réunit  au  Tessin  entre  Poleggio  et  Biasca;  et  la  Mœsa,  qui  descend  du 
Saint-Bernardin,  et,  après  avoir  arrosé  le  val  Misocco,  termine  son  cours  sur  le  terri- 
toire tessinois  au-dessus  de  Bellinzone.  Beaucoup  d'autres  torrents  grossissent  aussi 


446  LA  stisse  piTTonesQrR. 


le  Tossin  ;  Iris  juml,  sur  la  rive  droite,  la  Piumegna,  qui  descend  des  alpes  de  Campiv 
lungo,  el  rail  une  cîascade  vis-à-vis  de  Faido  ;  le  Ticinetto,  qui  descend  du  valkt 
latéral  de  (^hironico  ;  sur  la  rive  gauche,  la  Rogtjera,  qui  forme  des  cascades  non  loin 
d'Osogna,  et  la  Morohbia,  qui  arrose  le  val  de  même  nom  el  descend  du  San-Jorio.  La 
rivière  la  plus  considérable  après  le  Tessin  est  la  \î(iggia,  qui  se  jellc  dans  le  lac 
Majeur  entre  Ascona  et  Locarno  ;  elle  descend  des  vais  Maggia  el  Lavizzara,  et  reçoit 
comme  aflluents  la  Ronma,  qui  ap|M)rte  les  eaux  du  val  Cavergna  el  du  val  Camp), 
et  la  Melezza,  qui  a  ses  sourcil  sur  le  territoire  sarde  el  se  grossit  des  eaux  du  val 
Ontovalli  et  du  val  Onsernone.  Entre  la  Maggia  el  le  Tessin,  le  lac  Majeur  reçoit 
encore  les  eaux  de  la  Yerziisva,  qui  sort  de  la  sauvage  vallée  à  laquelle  elle  donne  son 
nom.  —  Toutes  ces  rivières  grossissent  quelquefois  au  moment  de  la  fonte  des  neiges 
ou  après  de  grandes  pluies,  au  i)oint  d'occasionner  d'immenses  désastres  le  long  de 
leurs  rives  :  tel  fut  le  cas  en  septembre  1829  el  les  26  el  27  août  1834.  Une  grande 
quantité  de  récolt<*s  furent  couvertes  de  sables  et  de  cailloux^  des  roules  furcnl 
em|)orlées,  des  ponis  détruits  ou  endommagés,  etc.  La  Lévenline  seule  perdit,  en 
1834,  six  |K)nls  de  pierre. 


L'înondalion  du  Tessin  en  \%Zi- 


Au  sud  du  Monte  Cencre  coule  le  Bedcfifiio  ou  Agno,  qui  a  ses  sources  au  Cannighô 
el  arrose  les  vais  Isone  et  Agno.  il  se  jette  dans  le  lac  de  Lugano,  au  golfe  d'Agno.  Le 
Cassnrate  amène  au  même  lac  les  eaux  des  vais  Colla  el  Capriasca,  qui  aboutissent  à 
la  pente  sud  du  Camoghé.  Le  Laceggio,  qui  a  sa  source  au  sud  de  Slabbio,  coule  à 
Mendrisio,  et  arrive  au  lac  sous  le  nom  de  Fhune  di  Riva.  La  Tresa  est  une  rivière 
considérable,  qui  emporte  au  lac  Majeur  le  superflu  du  lac  de  Lugano;  elle  fait  h 
limite  du  Tessin  et  de  la  Lombardie  sur  une  longueur  de  deux  lieues.  Elle  pourrait 
être  rendue  navigable  ou  canalisée,  ce  qui  aurait  Tavantage  de  faire  communiquer  le 
lac  Lugano  el  le  lac  Majeur.  Nommons  enfin  la  Breggia,  qui  descend  du  Monte 
Gemeroso,  et  va  se  jeter  dans  le  lac  de  Côme. 

Lacs  et  Cascades.  —  La  partie  septentrionale  du  lac  Majeur  apparlient  au  canton, 
(x  lac  portail  autrefois  le  nom  de  Verbano,  qu'il  devait  à  la  grande  quantité  de  ver- 
veine, cerbem,  qui  croît  sur  ses  bords.  Sa  superficie  est  de  28  lieues  carrées,  elson 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  447 


élévation  de  640  pieds.  Sa  profondeur  est  en  général  de  6  à  900  pieds  (on  prétend 
même  qu'elle  est  de  800  mètres  (V  )  entre  le  rocher  de  Sainte-Catherine  sur  la  rive 
orientale,  et  celui  de  Farré  sur  la  rive  occidentale  ;  elle  n'est  que  d'environ  200  pieds 
entre  Locarno  et  Magadino.  Ca  lac  (mi  alimenté  par  la  presque  totalité  des  eaux  du 
canton,  et  par  la  Toccia,  rivière  piémontaise.  La  navigation  y  est  très-considérable 
et  généralement  sûre,  parce  que  les  côtes  sont  presque  partout  facilement  abor- 
dables. Plusieurs  bateaux  à  vapeur  le  sillonnent.  Ses  rives  escarpées  et  sauvages 
sur  quelques  points  offrent  une  foule  de  tableaux  riants  ;  elles  sont  animées  par  un 
grand  nombre  de  bourgs  et  de  villages.  Deux  îlots,  situés  non  loin  d'Ascona,  portent 
le  nom  d'Iles  des  Lapins  {dei  Conifili).  A  l'entrée  d'un  golfe  qui  s'ouvre  sur  la  rive 
|)iémonlaise,  se  trouvent  les  célèbres  îles  Borromées,  qu'à  l'envi  la  nature  et  l'art  se 
sont  plu  à  embellir. 

La  plus  grande  partie  du  lac  de  Lugano  appartient  au  canton  du  Tessin,  et  le 
reste  à  la  Lombardie.  Ce  lac,  de  figure  très-irrégulière,  forme  plusieurs  golfes  pro- 
fonds; il  est  riche  en  points  de  vue  pittoresques.  De  Porlezza  à  Ponte-Tresa,  il  a  une 
longueur  de  neuf  lieues;  sa  profondeur  est  de  ft  à  500  pieds,  et  sa  hauteur  de 
874  pieds.  Il  a  sa  plus  grande  largeur  en  face  de  Lugano,  où  elle  est  d'environ  une 
lieue.  Les  eaux  que  les  torrents  lui  amènent  ne  paraissent  pas  suffisantes  pour 
fournir  celles  de  la  Tresa,  par  laquelle  il  se  décharge  ;  il  paraît  qu'il  en  reçoit  une 
certaine  quantité  par  des  canaux  souterrains;  on  assure  qu'en  mesurant  la  profon- 
deur, on  a  senti  des  courants  qui  devaient  sortir  de  pareils  canaux.  Il  paraît  que 
Grégoire  de  Tours,  qui  vivait  au  6*  siècle,  est  le  premier  auteur  qui  le  mentionne 
sous  le  nom  de  Ceresius;  de  là  le  nom  de  Cerenio  qu'on  lui  donne  souvent  encore.  La 
navigation  est  moins  active  que  sur  le  lac  Majeur,  qui  a  l'avantage  de  communiquer 
par  le  Tessin  avec  le  Pô  et  la  mer  Adriatique  ;  elle  n'est  cependant  pas  dangereuse, 
la  côte  offrant  un  grand  nombre  de  places  d'abordage.  Les  communications  entre  le 
district  de  Mendrisio  et  de  Lugano  sont  maintenant  facilitées  par  la  digue,  longue  de 
2510  pieds  et  large  de  24,  qui  a  été  jetée  entre  le  promontoire  de  Melide  et  Bissone. 
Elle  se  termine  aux  deux  extrémités  par  des  ponts;  elle  a  été  achevée  en  1848,  et 
a  coûté  650,000  francs. 

Le  canton  possède  en  outre  quelques  petits  lacs,  tels  que  le  lac  Muzzano,  entre 
Lugano  et  Agno;  le  lac  Origlio,  à  trois  lieues  au  nord  de  Lugano;  les  deux  lacs  du 
val  Piora,  entre  Airolo  et  Santa-Maria  sur  le  Luk manier  ;  les  lacs  du  Saint-Gothard, 
au  nord  de  l'hospice,  dont  l'un,  celui  de  Luzendro,  donne  naissance  à  la  Reuss,  et 
les  autres  au  Tessin  ;  le  lac  Chironko,  sur  l'alpe  Laghetto  ;  le  lac  de  Tramorcio,  de 
trois  quarts  d'heure  de  circonférence,  au-dessus  de  Fiesso  ;  ceux  où  la  Maggia  prend 
ses  sources,  au  fond  du  val  Lavizzara,  etc. 

Parmi  les  cascades  les  plus  remarquables  du  canton,  on  peut  citer  celles  que  forme 
le  Tessin  au-dessus  de  Giornico;  celles  de  la  Barolgia  et  de  la  Cremosina,  non  loin  du 
même  village;  celle  de  la  Piumegna,  près  Faido  ;  celles  de  la  Roggera,  près  Osogno  ; 
celles  de  San-Remo  et  de  la  Richiusa,  dans  le  val  Centovalli;  celle  de  Melano,  etc. 

Sources  minérales.  —  On  trouve  dans  le  Tessin  des  sources  tièdes  et  des  sources 
froides.  Au  nombre  des  premières  est  VAcqua  Rossa,  dans  le  val  Blegno,  avec  un 
|)etit  établissement  pour  les  baigneurs;  c^tte  source  est  ferrugineuse  et  acidulée; 
son  eau  est  employée  pour  des  bains  ou  prise  intérieurement.  Près  de  Stabbio,  il 


448  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


existe  une  source  sulfureuse  qu*on  ulilisi*  pour  guérir  les  maladies  de  la  penuelKs 
maladies  des  artieulalions.  Quant  aux  sources  froides,  la  principale  est  celle  de  là 
Navef^ia,  à  une  lieue  de  Locarno,  prt^s  de  la  route  de  Bellinzone;  elle  est  acidulé,  et 
a  les  mt^ines  verlus  que  la  source  du  Ssiinl-Bemardin,  avec  l'avantage  d'être  dans  un 
climat  plus  doux.  Il  jaillit  de  |)etites  sourcil  sulfureuses  entre  Magadino  et  Vira,  et 
près  de  Brissîigo,  et  une  source  ferrugineuse  sur  Talpe  de  Prato,  dans  le  val  Ma^a.  Il 
y  a  encore  d'autres  sources  près  d'Airolo,  près  d*Osasco  dans  le  val  Bedrello,  près 
d'Olivone,  etc. 

IIisToiRR  NATinEiXE.  —  Rèijne  animal.  De  môme  que  dans  les  cantons  voisins, 
Vallais  et  Grisons,  les  lou|>s  et  les  ours  ne  sont  pas  rares  dans  le  Tessin  ;  on  y  Irouve 
aussi  des  renards,  des  martres,  des  blaireaux,  des  lièvres  blancs,  des  écureuils,  des 
loutres,  des  chamois  et  des  marmottes.  —  On  y  voit  des  aigles,  des  vautours,  diverses 
espcH*es  de  faucons  ;  on  y  chasse  des  perdrix,  des  gelinottes,  des  bécasses,  des  faisans, 
des  cailles,  des  grives,  dcîs  merles,  des  pies,  etc.  Les  eaux  du  canton  sont  Irrs-pois* 
sonneuses;  la  truite  abonde  dans  les  deux  grands  lacs,  et  remonte  dans  les  rivières 
qui  s'y  déchargent  ;  l'anguille  se  trouve  en  grand  nombre  dans  la  Tresa  et  dans  le 
golfe  d'où  elle  sort.  Nommons  en  outre  l'alose,  l'aunée,  le  brème,  le  brochet,  la 
|)erche,  l'ombre,  la  tanche,  etc.  On  trouve  dans  les  expositions  chaudes  des  aspics 
et  des  vipfM'cs;  celles-ci  sont  venimeuses;  on  cite  particulièrement  les  e^ivirons  de 
Morcote  et  de  Castagnola  comme  infest<^  de  ces  reptiles.  On  vend  une  assez  grande 
quantité  d'escargots  comme  nourriture  maigre.  Les  cigales  se  font  entendre  dans  les 
vallées  basses  durant  les  heures  chaudes  de  la  journée.  On  voit  aussi  des  scorpions, 
qui  passent  |K>ur  venimeux. 

lièfine  mjftaL  Le  l)otaniste  jx^ul  faire  dans  le  canton  une  abondante  récolte.  Le 
Sainl-Gothard,  exjwsé  tour  h  tour  h  des  froids  intenses,  aux  vents  tièdes  d*Italie  et 
à  l'air  humide  de  la  Suisse,  offre  un  singulier  mélange  de  plantes  grasses  et  de 
plantes  de  Suède  et  de  Laponie.  On  y  trouve  un  grand  nombre  de  plantes  rares;  le 
Monte  Gencroso  n'est  jkis  moins  riche;  il  en  est  de  môme  du  val  Maggia,  du  San- 
Salvalorc  et  des  environs  de  Lugano.  Des  cultures  très-variées  réussissent  dans  le 
canton  ;  on  peut  le  diviser,  sous  le  rapi)ort  de  la  végétation,  en  cinq  zones,  un  peu  dif- 
férentes de  celles  qu'on  observe  dans  le  reste  de  la  Suisse.  La  première  est  la  r^on  de 
la  vigne  et  des  doubles  moissons;  elle  s'élèvejusqu'à  2000  pieds  au  moins;  on  y  Irouve 
le  grenadier,  le  laurier,  le  figuier,  le  pécher.  L'olivier,  l'oranger,  le  limon  et  le  citron- 
nier prosj)èrent  dans  quelques  localités  les  plus  favorables  au  bord  des  lacs  Majeur  et 
de  Lugano.  Vient  ensuite  la  région  des  châtaigniers,  qui  s'élève  jusqu'à  3000  pieds. 
Cet  arbre  croît  encore  plus  haut,  au  sud  du  Monte  Cenere.  Les  hêtres  et  beaucoup 
d'autres  arbres  croissent  dans  cette  zone  ;  les  pruniers,  les  poiriers,  les  pommiers  et  les 
mûriers  blancs  ne  la  dépassent  guère.  Les  sommets  du  San-Salvatore  et  du  mont  Bré 
y  sont  compris,  ainsi  qu'Olivone,  Ghirone,  Dazio-Grande,  etc.  La  troisième  est  la 
région  des  sapins,  qui  s'étend  de  la  hauteur  de  3000  à  celle  de  5000  pieds  ;  le  ceri- 
sier et  le  prunier  y  croissent  encore  dans  les  parties  les  plus  basses.  Airolo,  Fusio, 
dans  le  val  Lavizzara,  se  trouvent  dans  cette  zone,  ainsi  que  les  sommets  des  monts 
Caprino,  et  ceux  des  monts  Broglio,  4714,  et  Lucio,  4790,  voisins  de  Lugano.  Li 
région  suivante  est  celle  des  alpages,  qui  s'étend  de  KOOO  à  6500  pieds,  et  qui 
comprend  en  particulier  les  pâturages  du  Saint-Gothard,  du  val  Piora,  et  quelques 


LA    SUISSE   IMTTOHËSUIJE.  4&9 


aulres,  qui  abondent  en  herbes  aromatiques.  Vient  enfin  la  région  alpine  supérieure, 
où  l'on  trouve  encore  sur  quelques  points  des  pâturages  d'été,  tandis  qu'en  d'autres 
lieux  peu  accessibles  aux  rayons  du  soleil,  la  neige  persiste  toute  l'année. 

Règne  minéral.  Les  montagnes  du  Tessin  offrent  au  géologue  un  champ  varié 
il*études;  du  Saint-Gothard  à  Bellinzone  et  à  Loearno,  elles  appartiennent  pour  la 
plus  grande  partie  à  la  formation  primitive,  et  se  composent  essentiellement  de  gneiss, 
de  granit,  de  schiste  micacé,  de  calcaire  primitif,  de  pierre  ollaire,  etc.  La  chaîne 
du  Saint-Gothard  est  couverte  d'une  masse  énorme  de  débris^  et  porte  les  traces 
d'une  vaste  destruction  ;  il  est  hors  de  doute  que  la  hauteur  de  cette  chaîne  a  dû 
èive  jadis  plus  considérable,  et  que  des  sommités  entières  ont  dû  s'abimer.  Le  Saint- 
Gothard  est  remarquable  aussi  par  l'abondance  des  minéraux  divers  qu'on  y  ren- 
contre, topazes,  siénites,  grenats,  etc.  (voyez  canton  d'Uri).  Les  torrents  qui  des- 
cendent des  vais  Yerzasca,  Onsernone  et  Centovalli,  coulent  dans  des  gorges  étroites, 
qui  n'ont  pas  été  creusées  par  les  eaux  et  qui  doivent  résulter  de  secousses  et  de 
déchirures  violentes  ;  c'est  ce  que  prouvent  les  angles  saillants  correspondant  à  des 
angles  rentrants.  Près  de  Lugano,  l'on  trouve  encore  du  granit,  du  gneiss,  du  schiste 
micacé,  et  même  des  masses  de  porphyre  ;  celles-ci  se  voient  en  particulier  entre 
Melide  et  Morcote,  au  milieu  du  granit,  ainsi  qu'entre  Bissone  et  Maroggia,  et 
près  de  Melano  ;  malgré  les  ressemblances  qui  existent  entre  ce  porphyre  et  la  lave, 
il  ne  parait  pas  qu'on  doive  l'attribuer  à  des  éruptions  volcaniques.  Le  mont  Gene- 
roso  est  composé  de  calcaire  et  de  schiste  calcaire,  reposant  sur  du  gneiss  et  du 
schiste  micacé.  —  On  exploite  de  la  chaux  et  du  gypse  en  diverses  localités;  des 
grès  au  sud  du  lac  de  Lugano;  de  la  pierre  ollaire  au  nord  du  district  de  Maggia, 
dans  les  vais  Peccia  et  Bavone  ;  elle  est  préférable  à  celle  de  Chiavenne  pour  la 
fabrication  des  ustensiles  ;  celle  de  Bignasco  et  du  val  Bedretto  est  employée  pour 
des  plaques  de  fourneaux.  On  exploite  près  d'Azzo  et  de  Stabbio  des  marbres  verts  ; 
à  Azzo  et  à  Besazio,  ceux  connus  sous  les  noms  de  macchia  vecchia  et  de  hroccatello; 
ce  sont  des  marbres  rougeâtres,  ou  mélangés  de  rouge,  jaune  et  blanc,  et  susceptibles 
du  plus  beau  poli.  On  a  trouvé  des  traces  de  charbon  de  pierre  sur  divers  points  du 
district  de  Mendrisio.  On  a  observé  enfin  des  traces  de  plomb  et  de  cuivre  au  fond 
du  val  Bl^no  ;  de  fer  à  Brenno,  Aranno,  Sonvico  ;  et  d'or,  près  de  la  Tresa  et  à 
Quinte,  etc. 

Antiquités.  —  Dans  la  commune  de  Rovio,  située  sur  les  hauteurs  de  la  rive 
gauche  du  lac  de  Lugano,  ont  été  trouvées  quelques  belles  urnes  en  argile  fine,  dont 
plusieurs  sont  ornées  de  fleurs  en  relief  ;  elles  contenaient  des  cendres  et  des  restes 
d'os  et  de  charbon,  une  petite  aiguille  en  cuivre,  et  d'autres  instruments  du  même 
métal.  On  croit  que  ces  cendres  sont  celles  de  victimes  humaines  qui  auraient  été 
immolées  et  brûlées,  et  que  les  instruments  en  cuivre  auraient  servi  à  consommer  cet 
horrible  sacrifice  ;  on  attribue  à  ces  restes  une  antiquité  reculée,  remontant  à  l'époque 
où  l'usage  du  fer  était  encore  peu  répandu.  Au  village  de  Stabbio,  qui  doit  tirer  son 
nom  d'un  stabulum  ou  étable  de  la  cavalerie  de  César,  on  lit  à  un  angle  extérieur  de 
l'église  une  inscription  funèbre  gravée  contre  un  fort  pilier  de  marbre;  le  pilier 
|)orte  un  chapiteau  d'où  sort  un  beau  cep  de  vigne,  entre  les  branches  duquel  on  voit 
de  petits  oiseaux  piquer  des  raisins.  On  a  déterré  au  même  lieu,  en  1835,  une  urne 
funéraire  contenant  des  ossements,  des  armes,  des  objets  de  vêtement  et  de  parure 
II,  w-  57 


450  LA    Mlf»R   PintNIESQl  E. 


d^origine  romaine.  Dans  le  voisinage  est  Ligomelte,  dont  la  fontaine  porte  le  nom  df 
fimlahie  de  Mercure;  on  y  lisait  autrefois  le  nom  de  Mercnrio  sur  une  inscription.  Sur 
la  place  Saint-Joseph,  où  a  du  exister  autrefois  un  temple  de  Mercure,  on  trouva  en 
creusant,  à  |ieu  de  profondeur,  des  monnaies  romaines,  et  dans  les  environs,  desume> 
cinéraires  et  autres  objets.  En  construisant  la  route  de  Lugano  à  Melide  en  1847,  on 
a  découvert,  dans  la  paroisse  de  Calprino,  plus  de  &00  monnaies  romaines,  des  usten- 
siles en  fer,  des  urnes  lacrymatoires,  des  lampes,  etc.  ;  on  suppose  qu'il  y  avait  iû 
un  lieu  de  sépulture  d'une  colonie  romaine.  Plusieurs  noms  de  lieux  indiquent  une 
origine  romaine,  tels  sont  :  Mezzovko,  Stnnico  (Summo  vico),  Vico  Morade,  Agm, 
Stnhbio,  etc.  Lugano  vient  peut-être  de  Ltêcm  ou  Lneanns.  Brenno  (le  même  que 
Blegno)  vient,  à  ce  qu'on  croit,  d'un  mot  celtique,  bren,  qui  voulait  dire  forèl,  et 
qui  était  encore  usité  dans  le  moyen-âge.  Bellinzone  est  appelé,  dans  un  document  de 
l'an  4002,  Berinzona  et  Berizomi,  Berin  est  celtique  ou  ancien  allemand,  et  vent 
dire  pbine;  ton  ou  ttma  est  un  mot  saxon  qui  signifie  rillage.  Ce  serait  donc  rilltuf 
de  Ut  plaine.  D'autres  dérivent  ce  nom  du  latin  Belli-zima,  ceinture  ou  rempart  de 
guerre. 

Les  auteurs  de  Côme  parlent  d'une  série  de  tours  lombardes  qui  étaient  en  rapport 
avec  le  célèbre  castel  Baradello  à  Côme,  et  par  lesquelles  se  transmettaient  les  nou- 
velles à  l'aide  de  signaux  convenus.  A  cet  usage  a  dû  servir  le  castel  de  Pontegana. 
ou  celui  de  San-Pietro  près  Balerna,  puis  la  tour  Saint-Nicolas  près  Mendrisio:  des 
signaux  ont  dû  aussi  être  établis  sur  le  San-Salvatore,  qui  est  visible  de  toutes  les 
cAtes  du  lac  de  Lugano,  et  sur  le  Monte-Cencre.  Des  tours  semblables  s'élevaient  de 
distance  en  distance  au  noi*d  de  Bellinzone,  à  Giornico,  à  Chironico,  près  Faido,  à 
Airolo,  etc.  ;  on  en  voit  encore  des  rentes.  Plusieurs  châteaux  furent  construits  à 
Bellinzone  â  diverses  époijues.  il  y  avait  aussi,  sur  les  territoires  de  Lugano  et  de 
Locarno,  un  grand  nombre  de  châteaux,  dont  plusieurs  remontent  à  une  époque  très 
reculée  ;  tels  sont,  près  de  Sessa,  le  Castelrotto  ;  près  de  Magliaso,  le  castel  San- 
Giorgio,  dont  on  attribue  la  fondation  primitive  aux  Gaulois,  et  la  restauration  aux 
Lombards;  le  castel  de  Locarno,  qui  fut  une  des  forteresses  les  plus  importantes  de 
Tancien  Etat  de  Milan,  et  dont  on  fait  aussi  remonter  la  fondation  aux  Gau- 
lois. —  On  attribue  aux  Lombai*ds  la  construction  de  l'éghse  de  Torello,  dans  le 
district  de  Lugano  ;  elle  offre  des  traces  d'une  haute  antiquité,  de  même  que  celles 
de  Biasca,  de  San-Biagio  près  Bellinzone,  de  Giornico  et  de  Sonvico. 

Histoire.  —  Les  habitants  du  territoire  qui  forme  maintenant  le  canton  du  Tessin 
furent  soumis  par  les  Gaulois,  qui,  â  l'époque  de  Tarquin  l'Ancien,  passèrent  \^ 
Alpes  et  occupèrent  l'insubrie  et  le  pays  entre  l'Adda  et  le  Tessin.  Plus  tard,  celte 
contrée  fil  partie  de  la  province  que  les  Romains  appelaient  la  Ganle  Cimlpine.  On 
prétend  qu'en  se  rendant  dans  THelvétie  par  le  pays  de  Gdme,  César  bâtit  à  Bellin- 
zone une  grande  tour  carrée.  On  possède  très-peu  de  documents  sur  l'histoire  du  pays 
jusqu'au  11'  siècle.  On  suppose  que  l'Evangile  y  fut  prêché  par  le  quatrième  évéquc 
de  Côme,  saint  Abondio,  vers  l'an  450.  D'après  un  document  de  721,  mais  d'une 
authenticité  douteuse,  Luitprand,  roi  des  Lombards,  aurait  cédé  â  l'évèque  de  Côme, 
Théodat,  le  comté  de  Bellinzone,  dont  les  revenus  étaient  destinés  à  sa  mense.  Un  des 
successeurs  de  Charlcmagnc,  Charles-le-Gros,  passa  par  les  villes  tessinoises  et  v 
donna  en  882  Locarno  à  sa  femme  Egelberga.  Le  roi  Henri  donna,  dans  le  11'  siècle, 


I.A    SIJISSR    PITTOURSQUF^.  451  j 

î 


rinvestiture  du  comlé  de  Bellinzone  à  Benno,  évèque  de  (idme,  avec  des  droits  sur 
le  marché  de  Lugano  et  sur  la  pèche  dans  toutes  les  eaux  qui  coulent  dans  le  lac 
Majeur.  —  Au  commencement  du  l^^  siècle  éclata  entre  les  Milanais  et  les  habitants 
de  Côme,  à  Toccasion  d'une  double  nomination  à  Tévéché  de  cette  ville,  une  terrible 
guerre  civile,  durant  laquelle  les  vallées  tessinoîses  eurent  l)eaucoup  à  pàtir.  L'é- 
vêque  Landolf,  que  soutenaient  les  Milanais,  fut  expulsé  par  le  peuple,  et  se  réfugia 
dans  un  château  du  district  de  Lugano.  Mais  une  troupe  envoyée  par  Tévéque  Guido, 
son  rival,  surprit  le  château  durant  la  nuit,  et  fit  Landolf  prisonnier.  L*archevéque  de 
Milan  fit  alors  la  guerre  à  Côme,  et  les  bords  du  lac  de  Lugano  devinrent  fréquem- 
ment le  théâtre  de  la  lutte,  laquelle  se  renouvela  plusieurs  fois  jusqu'en  1127,  que 
Côme  fut  prise  et  démantelée  par  les  Milanais.  Quelques  années  plus  tard,  lors  des 
guerres  de  Frédéric  Barberousse  contre  la  fédération  des  villes  italiennes,  Côme  s'étant 
rangée  du  côté  de  l'empereur,  les  Milanais  envahirent  son  territoire,  et  s'emparèrent 
d'un  grand  nombre  de  châteaux  situés  aux  environs  de  Mendrisio  et  de  Lugano.  En 
1192,  Henri,  fils  de  Barberousse,  décida  que  les  habitants  des  territoires  de  Bellin- 
zone et  de  Locarno  seraient  en  toutes  choses  soumis  au  podestat  de  Côme.  Durant  le 
iy  siècle,  les  hostilités  et  les  actes  de  vengeance  entre  Milan  et  Côme  continuèrent 
ù  désoler  le  pays.  En  1242,  les  Milanais,  faisant  la  guerre  à  Frédéric  II  et  à  Côme, 
son  alliée,  pillèrent  Mendrisio,  et  occupèrent  Bellinzone,  dont  ils  détruisirent  le 
château.  Dans  les  années  suivantes,  les  Yitani,  famille  du  parti  guelfe,  et  lesRusca 
ou  Rusconi,  qui  étaient  gibelins,  précipitèrent  toute  la  contrée  dans  une  longue  série 
d'hostilités,  durant  lesquelles  les  villes  de  Lugano,  Locarno  et  Bellinzone  tombèrent 
successivement  au  pouvoir  de  l'un  ou  de  l'autre  parti. 

Ce  fut  en  1331  que  les  troupes  d'Uri  franchirent  pour  la  première  fois  le 
Sl.-Gothard,  pour  venger  les  habitants  d'Urseren  contre  ceux  de  la  Léventine, 
qui  étaient  soumis  au  chapitre  de  la  cathédrale  de  Milan,  et  qui  molestaient  les 
commerçants  à  leur  passage.  Ils  s'emparèrent  sans  résistance  des  anciennes  tours 
d'Airolo  et  de  Quinto,  ainsi  que  de  Faido,  chef-lieu  de  la  vallée,  et  ils  ne  se  reti- 
rèrent qu'après  un  arrangement  conclu  avec  Rusca,  capitaine  du  peuple  de  Côme. 
En  1339,  les  Rusconi  se  révoltèrent  contre  L.  Yisconti,  qui  gouvernait  Milan,  et 
occupèrent  le  château  de  Bellinzone  ;  mais  Yisconti  le  reprit  après  un  siège  de  deux 
mois,  et  s'empara  aussi  du  château  de  Locarno  ;  il  emmena  à  Milan  les  principales 
familles  de  ce  bourg,  et  y  bâtit,  en  1342,  une  forteresse,  où  il  mit  garnison.  La 
seconde  partie  du  li"*  siècle  fut  tranquille.  Mais  le  15""  siècle  fut  signalé  par  une  suite 
de  guerres  et  d'autres  calamités.  Il  commença  par  la  peste  de  1400,  qui  exerça  de 
grands  ravages  ;  le  fléau  reparut  à  diverses  reprises  dans  les  trente  années  suivantes. 
En  1402,  les  Suisses  (Uri  et  Obwald)  armèrent  de  nouveau  contre  les  Milanais,  parce 
que  quelques-uns  de  leurs  ressortissants  se  plaignaient  d'avoir  subi  des  vexations 
en  se  rendant  avec  leur  bélail  à  la  foire  de  Yarèse.  Ils  occupèrent  la  Léventine,  et 
Tirent  prêter  serment  d'obéissance  aux  habitants.  À  la  faveur  de  l'anarchie  qui  éclata 
sous  la  faible  domination  des  enfants  de  J.  Gai,  Yisconti,  Albert  de  Sax,  comte  de 
Misox  et  de  Lugnetz,  s'empara  de  Bellinzone.  En  1406,  les  Suisses,  apprenant  que 
leurs  nouveaux  sujets  étaient  molestés  par  les  fils  de  ce  seigneur,  envoyèrent  aussitôt 
une  troupe  dans  la  Léventine,  et  dictèrent  aux  agresseurs  les  conditions  d'arrange- 
ment. Peu  de  temps  après,  les  seigneurs  de  Sax  achetèrent  le  droit  de  bourgeoisie 


I 


4!Si  LA    StISSR    PITTORESQIC:. 


d'Uri  el  d^Obwald,  comme  proleclion  pour  leurs  domaines  ;  mais,  ayanl  avis  que 
Jean  deSax  se  proposait  de  livrer  Bellinzone  par  voie  d'échange  au  duc  Pbilippe>Marie 
Visconti,  les  deux  cantons  firent  occuper  celte  ville.  Par  suite  de  la  médiation  des 
autres  Confédérés,  de  Sa\  céda  aux  deux  cantons,  pour  une  somme  de  24^00  florin^, 
non  seulement  Bellinzone,  mais  aussi  tout  le  pays  compris  entre  la  Léventine  et  lo 
Monte-Cenere.  Cette  cession  fut  confirmée  par  Tcmpereur  Sigismond. 

Mais  Visconti  fit  surprendre  secrètement  Bellinzone  en  avril  H2i,  s'avança  avei^ 
des  troupes  nombreuses  jusqu^au  Saint'Gothard,et  força  les  l^éventins  à  lui  préterser- 
ment  de  fidélité.  AussitAl  les  milices  d*Uri  el  d'Unterwald,  aidées  de  leurs  confédérés, 
passèrent  les  monts,  au  nombre  de  près  de  3000.  Ce  petit  corps  se  laissa  surprendre. 
h  la  jonction  du  Tessin  et  de  la  Msesa,  par  Tarmée  ennemie,  forte  de  48,000  hommes, 
et  commandée  par  deux  bravt^  capitaines,  Angelo  délia  Pergola  et  Carmagnola  Une 
longue  el  sanglante  bataille  fut  livrée,  le  30  juin,  sur  la  plaine  entre  Arbedo  et  Bel- 
linzone. Les  Confédérés  perdirent  i^OO  des  leurs  el  une  partie  de  leurs  bagages ,  mai< 
ils  restèrent  maîtres  du  champ  de  bataille.  C'est  dans  ce  combat  que  périrent  glorieu 
sèment  P.  Collin,  landammann  de  Zug ,  ainsi  que  son  fils ,  en  défendant  la  bannière 
de  leur  canton;  les  Lucernois  s'emparèrent  de  la  bannière  de  Milan.  Les  Confédérés 
se  retirèrent,  mais  en  continuant  d*occui)er  la  Léventine.  D'après  un  traité  de  paix. 
(*onclu  en  4426  à  Bellinzone ,  Visconti  dut  payer  aux  Suisses  31,5(00  florins;  ceu\- 
ci  durent  lui  céder  Domo  d'Ossola  (dont  les  Schwytzois  s'étaient  emparés  Tannée  pré 
eédente),  ainsi  que  la  Léventine.  Bellinzone  fut  replacé  sous  la  juridiction  deCAme. 
En  4439,  à  la  suite  d*une  nouvelle  contestation ,  les  habitants  d'Uri  s'emparèrent  à 
rimproviste  de  la  Léventine  el  de  Bellinzone.  En  4444,  le  duc  conclut  avec  eux  un 
arrangement,  d'après  lequel  il  dut  leur  payer  3000  ducats  et  leur  accorder  l'affranchis 
sèment  de  tout  péage.  Il  paya  le  tiers  de  cette  somme,  et,  comme  gage  pour  le  reste, 
il  laissa  la  Léventine  entre  les  mains  d'Uri,  sous  la  seule  condition  de  la  bien  gou- 
verner. Quant  à  Bellinzone,  il  resta  au  pouvoir  du  duc. 

En  novembre  4478,  sur  un  léger  prétexte,  les  troupes  d'Uri,  renforcées  d'auxi- 
liaires d'autres  cantons,  franchirent  de  nouveau  le  Saint-Golhard  et  s'avancèrent 
jusqu'à  Bellinzone;  mais,  apprenant  l'arrivée  d'un  corps  ennemi ,  les  Confédérés  s** 
relirèrent  avant  que  la  saison  fût  devenue  trop  rude,  el  laissèrent  dans  la  Léventine 
un  petit  corps  composé  de  soldais  de  divers  cantons  et  d'une  troupe  de  Léventins. 
4  5,000  hommes ,  commandés  par  Torello ,  un  des  meilleurs  généraux  d'Italie ,  mar- 
chèrent sur  Giornico  avec  de  la  cavalerie  et  de  l'artillerie.  Alors,  d'après  le  conseil 
de  Slanga ,  capitaine  des  Léventins,  les  Suisses  firent  refluer  le  Tessin  durant  la  nuit 
sur  la  plaine  qui  s'étend  de  Giornico  vers  Poleggio,  el  qui  le  lendemain  se  trouva 
toute  couverte  de  glace.  En  même  temps,  une  troupe  placée  sur  les  hauteurs  fui 
chargée  de  précipiter  de  grosses  pierres  sur  l'ennemi.  Celui-ci  fut  repoussé  par  quel- 
ques centaines  de  Suisses,  et  perdit  beaucoup  de  monde,  ainsi  que  son  artillerie  el 
quantité  d'armes  et  de  munitions.  On  le  poursuivit  jusqu'à  Biasca  et  lui  fit  un  grand 
nombre  de  prisonniers.  Slanga  fut  blessé  mortellement  et  succomba.  Milan  conclut, 
en  1479,  par  l'entremise  de  Louis  XI,  une  paix  très-avantageuse  pour  les  Suisses: 
ils  reçurent  une  grosse  somme  et  conservèrent  leur  domination  sur  la  Léventine,  aux 
habitants  de  laquelle  revenait  cependant  en  grande  partie  l'honneur  de  la  victoire. 

A  la  fin  de  ce  siècle,  le  sort  des  vallées  lessinoises  était  très-malheureux.  La  lutte 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  /il53 


des  Guelfes  et  des  Gibelins  continuait  encore  et  attristait  le  pays  par  des  scènes  de  vio- 
lence et  de  cruauté.  Il  s'y  ajouta  toutes  les  calamités  d'une  occupation  étrangère. 
En  1500,  Bellinzone,  afin  de  se  soustraire  auK  maux  de  la  guerre,  se  plaça  sous  la 
puissante  protection  des  Suisses,  et  se  livra  volontairement,  sous  réserve  de  quelques 
libertés,  aux  cantons  d'Uri,  Schwytz  et  Unterwald.  Le  val  Riviera  et  le  val  Blegno 
lirent  de  même.  Louis  XII  chercha  en  vain  à  recouvrer  Timportanle  place  de  Bellin- 
zone. Les  Suisses  lui  déclarèrent  fièrement  qu'ils  espéraient  bien  la  conserver,  à 
l'aide  de  Dieu  et  de  leurs  hallebardes.  En  1503  ils  lui  déclarèrent  la  guerre,  et  s'em- 
parèrent de  Locarno  et  de  plusieurs  lieux  voisins  ;  mais,  manquant  de  vivres  et  d'ar- 
tillerie, ils  conclurent,  à  Arona,  un  traité  de  paix  par  lequel  ils  conservèrent  la  pos- 
session de  Bellinzone  et  de  son  territoire.  Quand  le  pape  se  fut  ligué,  en  4512,  avec 
diverses  puissances  contre  Louis  XII,  les  Suisses,  au  nombre  de  18,000,  descendirent 
des  Alpes,  chassèrent  les  Français  de  Lombardie,  et  placèrent  Maximilien  Sforza  à  la 
tète  du  duché  de  Milan.  Les  troupes  d'Uri,  de  Schwytz  et  d'Unterwald  occupèrent 
Lugano,  Mendrisio,  Locarno  et  le  val  Maggia.  L'année  suivante,  les  Suisses  gagnè- 
rent à  Novare  une  glorieuse  bataille  sur  les  Français;  mais  en  1515  ils  essuyèrent 
à  Marignan  un  sanglant  échec,  à  la  suite  duquel  ils  durent  se  retirer  dans  leurs  mon- 
tagnes. Enfin  en  1516  fut  conclu  un  traité  d'amitié  éternelle,  par  lequel  le  roi  Fran- 
çois I"  devait  leur  livrer  30,000  couronnes  pour  obtenir  la  restitution  des  territoires 
par  eux  conquis;  mais  l'option  leur  étant  laissée  entre  cette  somme  et  la  souverai- 
neté de  ces  territoires,  ils  optèrent  pour  celle-ci. 

Dès-lors  les  bailliages  de  Lugano,  Mendrisio,  Locarno,  val  Maggia,  furent  gou- 
vernés par  les  douze  cantons  (Appenzell  était  exclu).  Chaque  bailliage  eut  un  bailli  ou 
commissaire,  nommé  pour  deux  ans,  alternativement  par  chacun  des  douze  Etats 
souverains.  Chaque  canton  envoyait  tous  les  ans  un  député,  et  la  réunion  des  douze 
députés  formait  le  syndicat  ou  tribunal  d'appel  pour  les  affaires  civiles  et  crimi- 
nelles. Bellinzone,  val  Riviera  et  Blegno  étaient  soumis  de  même  aux  trois  cantons 
primitifs;  la  Léventine  resta  sous  la  domination  d'Uri  seul.  Chaque  bailliage  avait 
son  statut  et  ses  privilèges  particuliers.  Le  peuple  conserva  le  droit  d'élire  dans  cha- 
que commune  des  fonctionnaires  municipaux.  La  Léventine,  ainsi  que  les  vais  Blegno 
et  Lavizzara,  conservèrent  une  LdLnds^^ememde  (pariamenio)  ou  assemblée  générale  de 
tous  les  hommes  de  la  vallée.  Les  autres  bailliages  avaient  une  sorte  d'assemblée 
représentative,  à  laquelle  chaque  commune  envoyait  un  délégué.  La  domination  des 
Suisses  dura  près  de  trois  siècles,  pendant  lesquels  il  se  passa  peu  d'événements  im- 
I)ortants.  Les  guerres  désastreuses  cessèrent,  ainsi  que  les  dissensions  entre  les  partis  ; 
beaucoup  de  châteaux  et  de  manoirs  seigneuriaux  furent  détruits;  mais  le  peuple 
fit  peu  de  progrès  en  bien-être  et  en  civilisation,  et  eut  beaucoup  de  maux  à  endurer. 
Durant  la  première  moitié  du  16*"  siècle,  il  y  eut  de  fréquents  passages  de  troupes 
suisses  se  rendant  en  Italie.  Les  routes  étaient  infestées  de  brigands  et  sans  sécurité. 
Des  disettes  et  des  épidémies  se  succédèrent.  L'agriculture  était  languissante,  le 
commerce  et  l'industrie  soumis  à  une  foule  d'entraves.  L'administration  de  la  jus- 
lice  était  déplorable.  Les  baillis,  ayant  acheté  leur  place  pour  deux  ans,  devaient 
chercher  à  s'indemniser  en  vendant  la  justice  et  au  moyen  d'exactions.  Faisait-on 
appel  du  bailli  à  l'assemblée  des  syndics,  c'était  celui  qui  avait  réussi  à  acheter  les 
voix  du  plus  grand  nombre  des  membres  qui  avait  le  plus  de  chances  de  l'emporter. 


J 


hHh  lA  srissR  pirroRKSorR. 


Kl)  appelail-on  au\  douze  r4iiUoiis  souverains,  c'élail  encore  à  grands  frais  de  leuips 
ol  d*argent  qu^il  fallait  se  rendre  favorables  les  membres  des  Conseils.  Quelques  can- 
tons (!e|)endant,  tels  que  Zurirli,  Berne  et  Bàle,  se  |)ermettaient  moins  d^actes  d'in 
justice  et  de  vénalité. 

I.ies  lA'venlins  avaient  bravement  combattu  dans  les  rangs  des  Suisses  el  cun- 
Iribué  h  leurs  victoires  ;  ils  avaient  également  grossi  les  contingents  qu*Uri  mit  en 
campagne  durant  le^  guerres  religieuses  du  47'  siècle  et  du  commencement  du  18'  : 
cr|N^ndant  Uri  prétendait  que  les  frais  de  leui's  services  devaient  retomber  en  entier 
sur  le  bailliage.  Sur  la  vive  réclamation  de  celui-ci ,  les  députés  des  cinq  cantons 
c;atboliqucs  condamnèrent  Uri  h  payer  une  solde  au  peuple  de  la  Léventine.  Uri 
reconnut  s<^s  torts,  élargit  les  privilèges  des  Léventins,  et  résolut  de  ne  plus  les 
appeler  ses  sujets,  mais  st*s  chers  W  fidèles  conrUoyens,  —  En  1755,  Uri  ordonna,  dans 
rintérét  di^  veuves  et  des  orphelins,  qu'un  inventaire  de  leurs  biens  serait  dressé, 
et  qu*un  compte  exact  serait  soumis  au  syndicat  tous  les  deux  ans.  Cette  mesure 
excellente  fut  mal  comprise.  Quelques  meneurs  firent  croire  au  peuple  qu'on  voulait 
attenter  aux  droits  de  la  Léventine  ;  bientôt  la  révolte  fut  générale.  La  Lands^- 
meinde  d'Uri  ("27  avril)  somma  les  Léventins  de  se  soumettre.  Au  lieu  d'obtempérer 
à  cette  sommation ,  les  Léventins  attentèrent  à  la  vie  du  bailli  Gamma  et  du  rece- 
veur de  la  douane  du  Platifer,  et  envoyèrent  deux:  députés  qui  parlèrent  hardiment 
devant  le  peuple  d'Uri.  Cependant,  dès  que  les  contingents  d'Unterwald  et  d'Uri 
parurent  sur  le  Saint-Gothard  ,  les  chefs  perdirent  courage  et  se  réfugièrent  sur  les 
montagnes.  Tout  le  pays  fut  occupé  sans  coup  férir  et  désarmé,  et  les  meneurs  furent 
successivement  saisis.  Le  2  juin ,  tous  les  hommes  furent  convoqués  à  Faido  ; 
3000  s'y  rendirent  et  furent  entourés  par  les  Confédérés  armés.  Le  peuple  dut  jurer 
d'obéir  à  Uri  et  se  soumettre  sans  condition.  Il  dut  assister  à  genoux  à  rexécution 
de  ses  principaux  chefs,  le  banneret  Forni,  le  conseiller  Sartori,  et  le  capitaine  du 
pays  Orso.  Le  lendemain,  les  Suisses  repassèrent  le  Saint-Gothard,  emmenant  huit 
autres  des  meneurs  chargés  de  chaînes.  Ceux-ci  furent  exécutés  dans  le  canton 
d'Uri.  Les  libertés  qu'on  avait  laissées  à  la  Léventine  furent  retirées,  et  on  lui  im- 
posa de  se  servir  d'une  formule  humiliante  {très-humbles  sujets)  quand  elle  aurait  à 
s'adresser  à  ses  souverains.  Après  tout  cela,  on  daigna  prononcer  une  amnistie!  Dès- 
lors  la  tranquillité  ne  fut  plus  troublée,  jusque  vers  la  fin  du  siècle;  mais  l'état  de 
ce  malheureux  pays  ne  fit  qu'aller  en  empirant. 

Après  la  conquête  de  la  Lombardie  par  les  Français,  en  1796,  les  bailliages  con- 
çurent quelque  espérance  de  liberté  ;  un  parti  mit  en  avant  l'annexion  avec  la  répu- 
blique cisalpine  ;  mais  le  peuple  de  Lugano  el  de  Mendrisio  se  prononça  hautement 
pour  le  maintien  de  son  union  avec  la  Suisse;  il  éleva  des  arbres  de  liberté  sur- 
montés d'un  chapeau  de  Guillaume  Tell,  et  créa  un  Gouvernement  provisoire.  Vers 
ce  temps,  les  cantons  avaient  déclaré  renoncer  à  leurs  droits  de  souveraineté  sur  les 
bailliages,  et  la  république  helvétique  avait  été  proclamée.  Les  bailliages  formèrent 
deux  nouveaux  cantons;  l'un  comprit  Bellinzone  avec  la  Léventine,  les  vais  Riviera 
et  Blegno;  l'autre,  Lugano,  Mendrisio,  Locarno  et  val  Maggia.  En  1799,  à  la  suite 
des  succès  des  Russes  et  des  Autrichiens  en  Lombardie,  une  réaction  eut  lieu  à  Lu- 
gano :  le  parti  hostile  aux  nouvelles  idées  déchira  le  drapeau  suisse ,  massacra  plu- 
sieurs de  ses  adversaires,  et  renversa  le  Gouvernement.  En  mai,  le  pays  fut  envahi 


LA  si'issK  riTTORiisgrK.  4f$K 


par  les  Russes  et  les  Autrichiens ,  qui  pillèrent  ses  arsenau?c  et  rançonnèrent  cruel- 
lement les  babitaols.  Aussitôt  après  Marengo,  le  Tessin  fut  occupé  derechef  par 
les  Français.  Il  arriva  aussi  un  nouveau  commissaire  du  Directoire  helvétique,  le 
célèbre  Zschokke,  pour  réorganiser  le  pays.  Une  amnistie  générale  fut  proclamée. 
Trois  ans  plus  tard ,  quand  Bonaparte  intervint  pour  mettre  un  terme  aux  troubles 
qui  avaient  éclaté  en  Suisse,  un  député  tessinois  fut  envoyé  h  Paris  pour  exprimer 
au  Premier  Consul  les  vœux  du  peuple.  Par  l'Acte  de  Médiation,  les  huit  bailliages 
furent  réunis  en  un  seul  canton. 

Le  Gouvernement  de  ce  nouvel  Etat,  trouvant  le  pays  épuisé  par  plusieurs  années 
d'anarchie  et  par  les  exactions  des  armées  étrangères,  eut  une  grande  tâche  à  accom- 
plir. Il  favorisa  l'agriculture  en  ordonnant  le  rachat  des  dimes  et  le  partage  des 
biens  communs  entre  plusieurs  communes.  Il  améliora  l'administration  de  la  justice, 
abolit  la  torture,  la  confiscation,  la  participation  du  juge  au  produit  des  amendes. 
Il  entreprit  la  création  de  plusieurs  grandes  routes;  mais  il  en  résulta  une  augmenta- 
tion d'impôts,  qui  mécontenta  la  population.  Il  eut  aussi  à  créer  l'organisation  mili- 
taire, qui  imposa  des  charges  auxquelles  la  plupart  ne  voulaient  pas  se  soumettre, 
et  à  fournir  des  recrues  pour  le  corps  helvétique  dû  au  souverain  de  la  France.  En 
1810,  un  corps  français  envahit  le  canton,  sous  prétexte  qu'il  recelait  des  déser- 
teurs et  tolérait  la  contrebande.  Des  gendarmes  étrangers  procédèrent  à  des  perqui- 
sitions odieuses.  Le  but  secret  de  cette  occupation  était  de  détacher  de  la  Suisse  tout 
ou  partie  du  canton.  Le  Grand  Conseil  finit  par  consentir,  à  une  faible  majorité,  à 
la  cession  du  district  de  Mendrisio.  Mais,  heureusement,  rien  n'était  consommé  à  la 
fin  de  1813.  —  Les  Congrès  repoussèrent  les  prétentions  des  cantons  qui  espéraient 
recouvrer  leui-s  droits  de  souveraineté,  et  l'indépendance  du  Tessin  fut  de  nouveau 
consacrée.  Le  projet  de  Constitution  élaboré  par  le  Grand  Conseil  parut  trop  démo- 
cratique aux  ministres  étrangers  et  au  Vorort,  et  l'on  dut  le  revoir.  Puis,  sans  le 
faire  accepter  par  le  peuple,  on  convoqua  celui-ci  pour  le  H  août,  pour  procéder 
aux  élections.  Mais  le  peuple,  mécontent  du  défaut  de  publicité  et  des  tendances  de 
cette  Constitution,  s'assembla  à  Giubiasco  et  constitua  un  nouveau  Gouvernement. 
Il  s'ensuivit  l'arrivée  de  commissaires  fédéraux  et  d'un  corps  de  troupes  suisses 
commandé  fmr  le  colonel  de  Sonnenberg  ;  on  rétablit  l'ancien  Gouvernement  et  créa 
un  tribunal  spécial  pour  juger  les  chefs  de  l'insurrection.  Enfin,  le  14  décembre 
1814,  parut  une  nouvelle  Constitution,  appuyée  par  Taristocratie  suisse  et  par  la 
Sainte-Alliance.  Cette  Constitution,  qui  revêtait  le  Petit  Conseil  d'une  grande  auto- 
rité, fut  mise  à  exécution  sans  résistance. 

Après  le  rétablissement  complet  de  la  paix  en  181  S,  le  Gouvernement  put  rentrer 
dans  la  voie  des  améliorations.  Il  concourut  à  la  création  de  la  route  du  Bernardin, 
qui  fut  construite  avec  l'aide  du  Piémont.  Quelques  années  plus  tard,  il  créa  lui- 
même  l'admirable  route  du  St.-Gothard.  Une  loi  de  1823  fit  faire  quelques  progrès 
à  l'instruction  des  milices  ;  mais  la  population  montrait  toujours  une  grande  répu- 
gnance pour  le  service,  de  même  que  pour  le  trafic  des  capitulations,  qui  fut  exploité 
comme  une  source  de  lucre  par  quelques  magistrats  cupides.  On  s'occupa  aussi 
d'améliorer  la  législation;  on  rédigea  un  code  pénal,  un  code  d'instruction  crimi- 
nelle, un  code  de  procédure  civile;  mais  ces  travaux  étaient  loin  d'être  parfaits.  On 
entreprit  l'élaboration  d'un  code  civil.  Le  23  juin  1829,  le  conseiller  Maggi  proposa 


H^i\  u\  srissK  i*imtRKs<^i  K. 


(lo  réviser  la  Constitution;  cette  proposition  fut  repoussée  par  la  majorité  du  Grand 
(Conseil;  mais  le  |>euple,  ainsi  que  les  organes  de  la  presse,  se  prononcèrent  haute- 
ment en  faveur  de  la  motion.  Le  landammann  Quadri,  le  principal  adversaire  des 
réformes,  avait  en  vain  cherché  l'appui  des  aristocraties  suisses.  L'année  suivante, 
une  (x)mmission  du  Grand  Conseil  fut  chargée  de  rédiger  un  projet,  et  celuinri  fut 
adopté  le  23  juin  par  rassemblée,  puis  sanctionné  avec  empressement  par  le  peuple. 
(Il  faut  observer  que  ceci  se  passait  avant  la  révolution  française  de  juillet  18S0.  : 
IK*s  lors  le  canton  a  continué  à  marcher,  quoique  lentement,  dans  la  voie  du  pro- 
grt's;  on  s*est  occupé  particulièrement  de  Tinstruction  et  de  la  législation.  En  I84!>. 
un  projet  de  révision  de  la  Gmstitution  fut  refusé  par  la  majorité  du  peuple,  à  l'insti- 
gation du  clergé,  dont  l'éligibilité  au  Grand  Conseil  devait  être  restreinte.  Cependant. 
dans  les  aflaires  fédérales,  le  canton,  après  quelques  indécisions,  s'est  rangé  parmi  ceux 
<|ui  étaient  partisans  des  réformes  :  il  a  fait  partie  de  la  majorité  lors  de  la  guerre 
du  Sonderbund,  et  a  pris  part  à  la  lutte.  Puis  il  a  accepté  la  nouvelle  (>>nstîtution 
fédérale.  Un  de  ses  citoyens  les  plus  distingués,  M.  Franscini,  a  été  appelé  au  Gon- 
st»il  fédéral  en  1848,  et  a  été  réélu  deux  fois,  en  4851  et  1854. 

Vjï\  4855,  le  Gouvernement  décréta  la  suppression  d'un  couvent  de  capucins, 
dont  la  conduite  donnait  lieu  à  des  plaintes,  et  renvoya,  avec  un  viatique,  quelques 
moines  qui  ressor tissaient  à  l'Autriche,  (^tte  puissance  prit  aussitôt  fait  el  cause 
|K)ur  ceux-ci  ;  elle  exerça  des  représailles  sur  tous  les  citoyens  tessinois,  au  nomt>re  de 
5  à  COOO,  qui  se  trouvaient  établis  ou  domiciliés  en  Lombardie,  et  les  expulsa  impi- 
toyablement, au  cœur  de  l'hiver.  Un  grand  nombre  durent  quitter  des  établissements 
«m  des  industries  créées  depuis  plusieurs  années,  et  subirent  de  grandes  pertes.  Après 
deux  années  de  négociations,  le  Tessin  dut  c(msentir  à  payer  une  pension  à  («s 
moines,  et,  à  ce  prix,  les  frontières  lombardes  redevinrent  accessibles  aux  citoyens 
tessinois.  —  L'année  1855  a  été  marquée  par  de  nouvelles  dissensions.  Les  élections 
au  Conseil  National  d'octobre  1854  ayant  été  cassées  comme  irrégulières,  le  Gou 
vernement  devait  faire  procéder  à  un  nouveau  scrutin.  Mais,  comme  il  comprenait 
(|ue  la  majorité  du  pays  lui  était  opposée,  il  permit  à  ses  partisans  de  créer  un 
(Comité  de  salut  public,  et  d'organiser  des  bandes  armées,  destinées  à  terroriser  le 
pays.  Celles-ci  procédèrent  à  des  perquisitions  et  à  des  arrestations  arbitraires,  et 
commirent  une  foule  de  violences  et  d'extorsions.  Le  Grand  Conseil  procéda  le  28 
février  à  une  révision  rapide  de  la  Constitution,  révision  qui,  soumise  au  peuple  le 
h  mars,  fut  acceptée  par  un  petit  nombre  de  votants.  Alors,  le  41  mars,  on  dut  pro- 
céder dans  chaque  cercle  à  l'élection  des  députés  au  Conseil  National  et  des  députés 
au  Grand  Conseil  ;  mais  toutes  les  opérations  furent  troublées  par  la  présence  des 
bandes  soldées,  et  le  résultat  du  scrutin  fut  scandaleusement  falsifié.  Le  nouveau 
Grand  Conseil  s  empressa,  en  prononçant  une  amnistie  qui  n'était  au  fond  qu'un 
déni  de  justice,  de  passer  l'éponge  sur  tous  les  excès  dont  furent  victimes  des  citoyens 
appartenant  au  parti  vaincu. 

Constitutions.  —  D'après  la  Constitution  de  1844,  le  canton  était  administré  par 
un  Conseil  d'Etat  de  44  membres,  nommés  pour  six  ans  par  le  Grand  Conseil  et 
renouvelés  par  tiers.  Deux  landammanns  pris  dans  son  sein  présidaient  chacun  pen- 
dant un  an  le  Conseil  d'Etat  et  le  Grand  Conseil.  Ce  dernier  corps  était  composé  de 
76  membres,  nommés  pour  six  ans;  38  de  ces  membres  étaient  élus  directement  par 


LA    SUISSE    IMTTOHESQUE.  457 


les  38  cercles;  les  autres  étaient  élus  par  le  Grand  Conseil  lui-même,  sur  une  double 
présentation  faite  par  un  corps  électoral  nommé  par  les  cercles  (chaque  cercle  ayant 
quatre  électeurs).  Le  Grand  Conseil  et  leCk)nseil  d'Etat  résidaient  alternativement 
pendant  six  ans  à  Bellinzone,  à  Lugano  ou  à  Locamo.  Un  Tribunal  d'appel  de  treize 
membres  était  nommé  par  le  Grand  Conseil  pour  six  ans,  et  renouvelé  par  tiers.  Le 
Conseil  d'Etat  nommait  pour  six  ans  :  pour  chacun  des  huit  districts,  des  juges  de 
première  instance,  sur  une  triple  présentation  des  électeurs  du  district;  et  pour  chaque 
cercle  un  juge  de  paix,  sur  une  triple  présentation  des  assemblées  de  cercle.  Chaque 
commune  avait  un  Conseil  municipal  de  trois  membres  au  moins,  et  onze  au  plus  ; 
les  membres  étaient  élus  pour  trois  ans  et  renouvelés  par  tiers.  Les  comptes  étaient 
soumis  tous  les  ans  aux  communes.  Il  y  avait  pour  les  diverses  fonctions  certaines 
conditions  d'âge  et  de  fortune.  Ainsi,  les  conseillers  d'Etat  devaient  être  âgés  de 
30  ans  et  propriétaires  d'un  immeuble  de  8000  livres.  Pour  les  fonctions  munici- 
pales, il  fallait  30  ans  et  la  propriété  ou  jouissance  d'un  immeuble  de  300  livres. 
Pour  execcer  les  droits  de  citoyen  actif,  il  fallait  25  ans,  et  posséder  un  immeuble 
de  200  livres  ou  une  créance  de  300,  hypothéquée  sur  un  immeuble  du  canton. 
—  La  Constitution  du  23  juin  1830  a  réduit  le  nombre  des  membres  du  Conseil 
d'Etat  à  neuf,  et  la  durée  de  leurs  fonctions  à  quatre  ans.  Il  est  présidé  par  un  de 
ses  membres,  qui  change  de  mois  en  mois.  Le  nombre  des  membres  du  Grand  Con- 
seil a  été  porté  à  144  membres,  nommés  directement  pour  quatre  ans  par  les  assem- 
blées de  cercle  (trois  par  cercle).  Le  Grand  Conseil  nomme  son  président  dans  son 
sein.  Il  nomme  pour  quatre  ans  les  membres  du  Tribunal  d'appel,  ainsi  que  les  juges 
de  district,  ces  derniers  sur  une  présentation  des  cercles.  Les  juges  de  paix  sont 
élus  directement  par  Içs  cercles.  Les  conditions  d'Age  et  de  fortune  ont  été  réduites 
pour  les  membres  du  Grand  Conseil.  —  Par  suite  de  la  Constitution  fédérale ,  on  a 
dû  modifier  les  conditions  électorales  d'âge  et  de  fortune.  En  mars  1855,  quelques 
points  ont  aussi  été  révisés  ;  le  Conseil  d'Etat  a  été  réduit  à  sept  membres  ;  les 
ecclésiastiques  ont  été  déclarés  inéligibles  au  Grand  Conseil  ;  le  principe  du  jury  a 
été  consacré;  les  droits  politiques  accordés  aux  jeunes  gens  de  20  ans;  etc. 

Cultes.  —  La  religion  catholique  est  la  religion  de  l'Etat.  Autrefois,  lorsque  les 
baillis  appartenaient  à  la  religion  réformée,  il  ne  leur  était  pas  même  permis  de  se 
livrer  dans  leurs  demeures  aux  exercices  de  leur  culte.  Un  tiers  du  canton,  com- 
prenant la  Léventine  et  les  vais  Blegno  et  Riviera,  appartient  au  diocèse  de 
Milan,  et  suit  le  rite  ambrosien  ;  le  reste  du  pays  appartient  au  diocèse  de  Côme,  et 
suit  le  rite  romain.  Ces  rites  ditTèrent  dans  quelques  cérémonies  et  pratiques;  ainsi, 
dans  le  rite  ambrosien,  on  enterre  ordinairement  les  morts  dans  un  cimetière;  dans 
le  rite  romain,  on  le  fait  dans  l'église  même.  L'évêque  de  Côme  tire  du  canton  la 
majeure  partie  de  ses  revenus.  Des  démarches  infructueuses  ont  été  faites,  il  y  a  une 
vingtaine  d'années,  pour  obtenir  que  le  canton  formât  un  évêché  distinct.  On  compte 
dans  le  canton  650  églises  oy  chapelles,  et  environ  230  paroisses  ayant  en  moyenne 
moins  de  500  âmes.  Outre  les  curés,  il  y  a  un  grand  nombre  de  chapelains.  Le 
clergé  se  compose  de  600  personnes,  dont  une  centaine  dans  les  couvents  (les  reli- 
gieuses non  comprises).  H  existait  encore,  il  y  a  quelques  années,  près  de  vingt  cou- 
vents, dont  huit  ou  neuf  de  femmes  ;  plusieurs  étaient  habités  par  des  moines  men- 
diants. Depuis  1848,  quelques-uns  de  ces  couvents  ont  été  sécularisés.  — Dans  le 

II.  39.  58 


1S8  LA   suisse   PITTORESQtE. 


46*  siècle,  les  doctrines  de  la  Réforme  comptaient  un  grand  nombre  d'adhérent^  à 
Locarno,  qui  était  alors  plus  important  qu'aujourd'hui  ;  mais,  malgré  la  protection 
des  cantons  protestants,  ces  réformés  durent  émigrer  le  3  mars  { 555,  et  se  rendirent 
la  plupart  à  Zurich,  où  ils  trouvèrent  un  accueil  sympathique. 

Instriction  prBLiQii!:.  —  Malgré  les  améliorations  introduites  depuis  la  créatimi 
du  canton,  le  Tcssin  est  encore  bien  arriéré  sous  ce  rapport.  En  1834  et  1832,  on 
a  fait  une  loi  et  des  règlements  sur  l'instruction  publique  ;  on  a  créé  une  Commission 
scolaire  prise  dans  le  sein  du  Conseil  d'Etat,  des  inspecteurs  de  district  et  des  inspec- 
teurs de  cercle,  et  un  Conseil  d'éducation  composé  de  la  Commission  et  des  inspec- 
teurs. Mais  les  progrès  n'ont  pas  été  rapides,  vu  la  résistance  ou  l'insouciance  d^ 
communes:  un  grand  nombre  de  celles-ci  étant  obérées,  ne  veulent  faire  que  peu 
de  dépenses  pour  les  écoles  ;  beaucoup  de  locaux  sont  insuffisants;  les  maîtres  sont 
peu  payés,  et  le  temps  d*étude  très-reslreint.  Il  existe  des  collèges  dans  plusieurs 
couvents  ;  tel  est  celui  des  Bénédictins  à  Bellinzone,  créé  par  Trefoglio,  secrétaire 
du  cardinal  de  Médicis  (  Léon  X  )  ;  il  peut  recevoir  trente  pensionnaires  ;  les  61s  dcî^ 
bourgeois  de  la  ville  y  sont  admis  gratuitement.  Le  collège  Saint-Ànlonio  à  Lugano 
compte  plus  de  cent  élèves,  dont  un  quart  sont  pensionnaires.  Mendrisio  a  le  collège 
des  moines  servîtes;  Ascona  un  collège  ou  séminaire  fondé  dans  le  16^  siècle  par  les 
legs  de  deux  citoyens.  La  Léventine  possède  aussi,  à  Poleggio,  un  séminaire  fondé 
en  1622  par  le  cardinal  Frédéric  Borromée.  Locarno  a  une  Ecole  littéraire.  Mais, 
dans  tous  ces  établissements,  les  études  sont  très-incomplètes,  et  ont  plutôt  en  vue 
l'éducation  de  futurs  ecclésiastiques.  Aussi,  beaucoup  de  jeunes  gens  vont-ils  étudier 
à  l'étranger.  On  évalue  à  près  de  500  le  nombre  des  élèves  qui  suivent  les  étude> 
littéraires  ou  scientifiques,  soit  dans  le  pays,  soit  au  dehors.  Le  Gouvernement  actuel 
se  propose,  dit-on,  d'améliorer,  en  la  centralisant,  l'organisation  des  études.  Dans 
les  villes,  les  religieuses  tiennent  pour  les  filles  des  écoles  publiques,  où  rinstruction 
est  extrêmement  restreinte;  il  y  a  aussi  quelques  fondations  particulières.  Plusieurs 
couvents  possèdent  des  bibliothèques.  La  Société  d'Utilité  publique  a  créé  une  bibliiv 
thèque  populaire  à  Lugano.  La  Société  des  Amis  de  locarno  possède  aussi  une  col- 
lection, dont  l'accès  est  très-facile.  Une  autre  société  a  créé  à  Bellinzone  un  cabinet 
de  lecture. 

Agriculture,  Industrie,  Commerce.  —  La  plus  grande  partie  des  habitants  se 
voue  à  l'agriculture  et  à  l'économie  alpestre.  Jusqu'à  ces  dernières  années,  Tagri- 
culture  est  restée  assez  peu  avancée,  malgré  la  fertilité  générale  du  sol.  Les  terres 
sont  divisées  en  parcelles  trop  petites,  et  l'on  éprouve  le  manque  de  bras  suffisants 
dans  les  contrées  où  il  y  a  une  grande  émigration.  La  culture  de  la  vigne  est  très- 
étendue  dans  toute  la  partie  méridionale  du  canton.  Elle  se  fait  de  diverses  manières. 
Tantôt  la  vigne  est  en  hulins,  c'est-à-dire  en  lignes  régulières  au  milieu  des  champs  : 
ou  bien  elle  s'appuie  contre  des  ormeaux,  des  mûriers,  etc.  ;  c'est  ainsi  qu'on  la  voit 
dans  les  districts  de  Locarno  et  de  Mendrisio  ;  à  Bellinzone,  elle  est  attachée  à  des 
échalas;  dans  la  contrée  de  Lugano,  on  la  cultive  en  terrasses;  ailleurs  encore,  elle 
est  en  forme  de  treilles.  Il  croit  une  grande  variété  de  plants  rouges  et  blancs.  On 
cherche  dans  quelques  endroits  à  améliorer  la  qualité  des  vins.  On  les  garde  dans 
des  grottes  ou  caves  souterraines,  qui  les  conservent  frais;  telles  sont  celles  de 
(iiprino,  vis-à-vis  Lugano  ;  cellcsde  Morcote,  Melide,  Capolago,  Mendrisio,  Bîasca,  etc. 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  /»59 


Dans  les  bonnes  caves,  ils  se  conservent  quelques  années  el  s'y  améliorent.  Les  dis- 
tricls  méridionaux  sont  propres  à  la  culture  des  céréales  et  du  maïs  ;  on  y  fait  en 
l)eaucoup  d'endroits  deux  récoltes  par  an.  On  cultive  du  tabac  dans  les  districts  de 
Lugano  et  Mendrisio.  Diverses  espèces  de  châtaigniers  croissent  en  abondance,  et 
fournissent  à  un  grand  nombre  d'habitants  la  nourriture  d'un  ou  deux  mois.  La 
culture  des  mûriers  prospère  aussi,  et  l'élève  des  vers-à-soie  a  été  introduite  dès 
longtemps  ;  on  recueille  environ  56,000  livres  de  soie  par  an,  ou  180  balles.  On  cul- 
tive dans  les  parties  basses  beaucoup  d'autres  arbres  fruitiers.  Les  oliviei*s  ne  viennent 
guère  que  sur  les  bords  du  lac  de  Lugano,  à  Castagnola,  à  Gandria,  à  Melide,  etc., 
et  sur  ceux  du  lac  Majeur  ;  mais  ils  ne  sont  pas  bien  soignés  et  produisent  peu.  Le 
canton  possède  des  forêts  considérables  ;  au  nord  du  Monte-Cenere,  elles  se  composent 
surtout  de  pins,  de  mélèzes,  de  bouleaux,  de  hêtres  et  d'érables;  au  sud,  de  chênes, 
de  hêtres,  de  peupliers,  d'aunes  ;  elles  appartiennent  en  grande  partie  aux  com- 
munes. 11  existe  dans  le  canton  beaucoup  d'abeilles,  mais  pas  autant  que  le  com- 
porterait le  climat  et  sa  riche  végétation.  On  trouve  sur  les  montagnes,  surtout 
dans  la  partie  septentrionale,  i\pe  grande  quantité  de  pâturages,  où  l'on  mène  en  été 
de  nombreux  troupeaux  ;  on  compte  dans  le  pays  plus  de  S0,000  vaches,  23,000  mou- 
lons, 70,000  chèvres,  1500  chevaux  et  mulets.  Les  chèvres  étant  très-nuisibles  à 
Tagriculture,  on  ne  les  voit  en  grand  nombre  que  dans  les  contrées  montagneuses. 
La  race  bovine  est  inférieure  &  celle  des  cantons  voisins;  les  meilleures  vaches  sont 
celles  de  la  Léventine. 

On  trouve  aussi  diverses  industries  dans  le  canton.  Lugano  et  Mendrisio  possèdent 
des  filatures  de  soie,  des  teintureries,  des  tanneries;  on  y  fabrique  des  demi-draps 
el  des  toiles  de  lin,  des  briques,  des  ustensiles  en  pierre  ollaire;  on  y  prépare  des 
tabacs.  Beaucoup  d'habitants  sont  occupés  du  transport  des  marchandises  par  le 
Saint-Gothard  et  le  Bernardin.  D'autres  travaillent  comme  bûcherons,  ou  s'occupent 
de  chasse  et  de  pêche.  Il  vient  aussi  des  Bergamasques  pour  la  chasse  d'automne, 
qui  se  fait  avec  des  filets  ou  avec  un  instrument  nommé  rocolo,  —  Mais  un  grand 
nombre  de  Tessinois  se  rendent  dans  les  pays  étrangers,  surtout  en  Italie,  pour  y 
exercer  quelque  industrie.  Les  uns  ne  passent  qu'une  partie  de  l'année  dehors,  et 
reviennent  passer  l'autre  dans  le  pays  ;  tels  sont  les  tailleurs  de  pierres,  maçons  et 
vitriers,  qui  partent  au  printemps,  pour  revenir  à  l'entrée  de  l'hiver,  et  les  mar- 
chands de  châtaignes  rôties,  les  vachers,  les  porte-faix,  qui  partent  en  automne  et 
reviennent  au  printemps.  D'autres  s'expatrient  pour  plusieurs  années,  sans  rentrer 
dans  leur  pays;  c'est  surtout  parmi  ces  derniers  qu'il  en  est  qui  font  très-avanta- 
geusement leurs  affaires.  Les  environs  de  Lugano  et  de  Mendrisio  fournissent  une 
foule  de  maçons,  de  tailleurs  de  pierres  et  de  gypiers;  le  val  Colla,  des  magnins;  le 
district  de  Locarno  et  val  Maggia,  des  ramoneurs  et  des  fumistes;  Onzernone  et  la 
Basse-Léventine,  des  porte-faix; «la  Haute-Lé ventine,  des  vachers;  Blegno  et  la 
Moyenne-Léventine,  des  rôtisseurs  de  châtaignes;  Blegno  envoie  surtout  des  fabri- 
cants de  chocolat  ;  la  Léventine,  Biviera  et  Bellinzone,  des  vitriers.  De  diverses 
contrées  du  canton  partent  des  colporteurs  el  des  quincailliers.  Chaque  année, 
10  â  12,000  Tessinois  s'expatrient;  c'est  un  dixième  du  nombre  total  des  habi- 
tants. En  revanche,  il  vient  dans  le  canton  un  certain  nombre  d'ouvriers  étrangers, 
qui  travaillent  le  sol,  ainsi  que  des  cordonniers  de  la  Valteline,  des  forgerons,  des 


460  LA   8UISSK   PITTORB8QCE. 


charpentiers  de  Lorabardie,  etc.  —  H  se  tient  dans  le  canton  plusieurs  foires  impor- 
tantes; telle  est  surtout  celle  de  Lugano,  qui  a  lieu  du  8  au  14  oct<d»re;  il  s'y  vend 
7  à  8000  tètes  de  bétail.  —  Le  canton  exporte  principalement  des  vins,  des  fro- 
mages, des  Truits,  de  la  soie,  des  bois,  des  charbons^  etc.  ;  son  commerce  de  transît 
est  considérable. 

Hommes  distingués.  —  Au  nombre  des  savants  qu*a  produits  le  Tessin,  Ton  peut 
citer  le  père  Fr.  Stutie,  de  Lugano,  qui  fut  choisi  par  Napoléon  pour  être  un  des 
trente  premiers  membres  de  Tlnstitut  national  ;  il  fut  professeur  de  plûlosophie  à 
Modène  et  à  Pavie,  et  traduisit  divers  ouvrages  en  prose  ou  en  vers,  tels  que  les 
Idylles  de  Gessner,  les  Satires  d*Horace,  les  Legons  de  Blair,  et  publia  un  ouvrage 
sur  la  métaphysique,  la  logique,  etc.  —  CeUi,  de  Lugano,  qui  étudia  sous  le  célèbre 
Mezzofanti,  et  connaissait  toutes  les  langues  d'Europe,  ainsi  que  Thébreu  et  Tarabe; 
il  fut  récompensé  par  l'empereur  Alexandre  pour  avoir  fait  connaître  à  Tltalie 
quelques  ouvrages  russes.  —  Sittiiazzi,  qui  publia  une  traduction  d7iraM  Wuishigi», 
roman  satirique  et  moral  de  Thaddœus  Bulgarin  ;  il  fut  aussi  l'auteur  de  poèmes 
patriotiques. —  Oldelli,  de  Mendrisio,  qui  étTivit  un  dictionnaire  des  hommes  illustres 
du  Tessin.  —  Gianella,  savant  mathématicien,  qui  fut  ami  du  célèbre  Lagrange  :  — 
l'abbé  Fontatha,  qui  fut  directeur  des  gymnases  lombards,  et  fit  paraître  divers  écrits 
pédagogiques,  tels  qu'un  Manuel  pour  VMiuaiion,  —  Le  canton  a  donné  le  jour  à  plu- 
sieurs médecins  remarquables,  tels  que  Camazio,  qui /ut  médecin  de  l'empereur  Maxi- 
milien  II  ;  Pierre- Antoine  et  Pierre  Magistrati,  qui  pratiquèrent  à  Milan  ;  le  second, 
neveu  du  premier,  fut  un  célèbre  oculiste,  et  professa  l'anatomie  ;  Aima,  de  Mosogno. 
chirurgien  en  chef  des  hôpitaux  militaires  italiens  sous  Napoléon.  —  Un  grand 
nombre  d'ecclésiastiques  tessinois  se  sont  élevés  à  la  dignité  de  prélat,  ou  se  sont 
fait  connaître  par  leurs  écrits  ou  par  leurs  prédications.  Aug,  Oreggio,  de  Birc»- 
nico,  fut  cardinal  et  archevêque  de  Sipontum.  L.  Rfisca,  de  Lugano,  échangea  une 
polémique  avec  le  célèbre  théologien  Hottinger  de  Zurich,  touchant  la  Réforme. 
J,-M.  Liirifû,  de  Lugano,  prêcha  avec  succès  en  diverses  villes  d'Italie,  et  obtint 
à  Rome  les  fonctions  de  prédicateur  apostolique  et  d'examinateur  des  évèques;  il  fut 
évéque  de  Pesaro.  /.-P.  Rira,  de  Lugano,  fut  membre  de  la  Société  arcàdienne  à 
Rome,  et  publia  diverses  poésies,  entre  autres  une  traduction  en  vers  italiens  de 
Molière  et  de  Racine,  et  des  Psaumes  de  David,  etc.,  etc. 

Mais  c'est  surtout  dans  les  beaux-arts  que  le  Tessin  peut  nommer  avec  orgueil  de 
très-nombreuses  illustrations;  peu  de  pays  ont  produit  autant  d'habiles  peintres, 
sculpteurs  et  architectes.  Mentionnons-en  quelques-uns:  P.-F.  Mola,  de  Goldrerio, 
mort  en  1666,  fut  directeur  de  l'académie  Saint-Lucas,  à  Rome,  et  a  laissé  Àes 
tableaux  à  Rome  et  à  Gôme,  etc.  Dom.  Pozzi  remporta  à  21  ans  le  prix  de  peinture 
à  Parme,  et  plus  tard  à  Rome;  il  travailla  en  Allemagne  et  à  Milan.  C-F,  Rusca, 
de  Lugano,  né  en  1701,  fut  un  habile  peintre  de  portraits  à  Berne,  à  Soleure,  et 
dans  diverses  cours  allemandes.  Albertolli,  de  Bedano,  se  distingua  comme  peintre 
d'ornementation,  et  travailla  à  un  grand  n  jmbre  de  palais.  —  Parmi  les  sculpteurs, 
nous  nommerons  Roderi,  de  Maroggia,  qui  a  travaillé  à  la  catliédrale  de  Gôme,  et  a 
laissé  d'excellentes  œuvres.  G,  Mola,  de  Ck>ldrerio,  a  exécuté  les  quatre  évaogélisies 
de  la  cathédrale  de  Gôme.  Fr.  Carabelli  et  G.  Rusca  ont  travaillé  au  ddme  de  Milan. 
B,  Fakonij  de  Lugano,  fut,  avecZanelli  de  Pavie,  auteur  de  la  célèbre  statue  colos- 


u. 


TKS8IN. 


LA   SUISSE    PITTORESQI'E.  464 


sale  de  Charles  Borromée»  érigée  au-dessus  d'Arona  ea  4697.  —  Jacob  Merœli,  de 
Lugano,  et  Bonzanigo,  de  Bellinzone,  furent  des  graveurs  distingués,  qui  travail- 
lèrent le  premier  à  la  cour  de  Russie,  le  second  à  Turin. 

Trois  architectes  de  Garona,  nommés  Gaspard,  Thomas,  et  Marcas,  furent  chargés 
en  1399  de  la  construction  du  dôme  de  Milan.  /.  Piotta  fit  le  plan  de  la  forteresse 
de  Fuentès  sur  le  lac  de  Côme.  Dont.  Foniana,  de  Melide,  transporta  sur  la  place 
Saint-Pierre  de  Rome,  Tobélisque  qui  était  auparavant  au  cirque  de  Néron,  et  qui 
pèse  un  million  de  livres.  C.  Maderno  travailla  à  Téglise  de  Saint-Pierre  à  Rome  ; 
Borromini,  de  Bissone,  éleva  plusieurs  palais  et  églises,  et  travailla  pour  les  Vis- 
conti.  Sardi^  de  Morcote,  ingénieur  à  Venise,  fit  preuve  de  génie  en  redressant  le 
haut  clocher  des  Carmélites,  qui  était  incliné  et  menaçait  ruine.  Trezzini  travailla 
en  Danemarck,  et  fut  chargé  par  Pierre-le-Grand  de  la  création  de  Saint-Pétersbourg. 
L.  Rasca  éleva,  sous  Catherine,  quelques  édifices  remarquables  de  Moscou  et  de 
Pétersbourg.  Ch.  Fonkièui  fut^  ainsi  que  son  fils,  architecte  du  Vatican.  On  lui  doit 
le  tombeau  de  la  reine  Christine.  MoreUini  éleva,  sous  Louis  XIV,  une  forteresse  à 
Besançon,  et  rétablit  celle  de  Berg-op-Zoom  ;  il  conçut  et  exécuta  le  projet  de  la 
galerie  nommée  Trou  d*Uri,  sur  la  route  du  Saint-Golhard,  et  qui  fut  achevée  en 
4708.  Pieiri,  du  val  Maggia,  acquit  un  grand  renom  à  Tacadémie  de  Cadix,  et  fut 
envoyé  au  Chili  pour  y  créer  une  académie  ;  il  a  élevé  deux  grandioses  édifices  à 
Lima,  au  Pérou.  J.-0.  Ricca  dressa,  sous  Marie-Thérèse,  le  plan  du  palais  de  Schôn- 
brunn,  près  Vienne.  Le  chevalier  Alberiolli  créa  Técole  d'ornementation  de  Milan,  et 
publia  divers  ouvrages  d'art.  Gilardi  fut  employé  à  la  réédification  de  Moscou,  après 
4812.  Meschini  exécuta  la  belle  route  du  Saint-Gothard  :  Pocobelli  créa  celle  du 
mont  Cenis  et  celle  du  Saint-Bernardin,  dans  les  Grisons.  Un  FomUi  a  restauré,  il  y 
a  peu  d'années,  la  mosquée  de  Sainte-Sophie  à  Constantinople. 

Moeurs,  Coutumes,  Caractère.  —  La  physionomie  et  le  tempérament  du  peuple 
tessinois  diilèrent  notablement  de  ceux  des  habitants  du  revers  septentrional 
des  Alpes.  Il  est  doué  des  dispositions  les  plus  heureuses;  s'il  est  inférieur  à 
quelques  populations  suisses  sous  divers  rapports ,  par  exemple  sous  celui  de  l'in- 
struction, on  a  sans  doute  exagéré  ses  défauts,  en  le  représentant  comme  paresseux 
el  intempérant.  On  peut  dire  au  contraire  que  les  Tessinois  sont  hardis,  persévé- 
rants et  capables  d'endurer  les  plus  grandes  fatigues;  beaucoup  d'entre  eux  se 
vouent  à  une  foule  d'industries  diverses,  à  l'extérieur,  et  y  gagnent  de  petites  for- 
tunes, à  force  d'activité  et  d'économie  ;  pendant  leur  absence ,  un  rude  labeur  in- 
combe à  leurs  femmes.  Sous  le  rapport  de  l'intempérance ,  la  plupart  des  Suisses 
n'ont  probablement  rien  à  leur  reprocher.  Mais  les  habitants  du  Tessin  sont  en  gé- 
néral vi&  et  emportés;  il  y  a  chez  eux  des  haines  de  parti  très-violentes,  des  jalousies 
entre  les  campagnes  et  les  villes,  et  des  rivalités  entre  celles-ci.  Us  sont  processifs, 
et  beaucoup  de  familles  et  de  communes  se  ruinent  par  cette  manie  litigieuse  pour 
les  objets  quelquefois  les  plus  minimes.  —  Le  peuple  tessinois  est  très-dévot  et  va 
au-delà  de  ce  qu'on  exige  de  lui  en  fait  de  pratiques  religieuses  ;  il  fréquente  les  lieux 
de  pèlerinage.  Il  a  conservé  diverses  croyances  superstitieuses  :  beaucoup  de  gens 
croient  encore  aux  sorciers  et  à  des  puissances  'surnaturelles  qui  excitent  les  orages 
(les  procès  de  sorcellerie  furent  nombreux  autrefois  dans  les  vais  Maggia  et  Lavizzara 
et  dans  la  Léventine).  Dans  quelques  lieux,  certains  noms  de  famille  sont  regardés 


46i  LA    SriSHR   PITTOURS^/IE. 


œinme  étant  de  mauvais  augure  ;  la  foule  croit  que  les  morts  reviennent  de  l'autre 
monde  pour  avertir  leurs  parents  et  amis  qu'ils  ont  besoin  de  messes. 

Le  carnaval  donne  lieu  à  de  grandes  réjouissances ,  surtout  dans  les  contrées  où 
Von  récolte  en  abondan(*e  le  Truit  de  la  vigne.  La  danse  est  permise  durant  toute 
Tannée,  sauf  les  vendredis,  le  jour  de  TA  vent  et  le  temps  du  carême.  Le  jour  des  Trois- 
Rois  est  une  fête  pour  les  enfants  ;  la  veille,  au  soir,  ils  ont  soin  de  préparer  une 
<*orl)eille,  qui  le  lendemain  se  tn)uve  remplie  de  petits  cadeaux  et  de  friandises.  Le 
pn>mier  mai  (Saint-Jacob  et  Saint-Philippe)  est  un  jour  de  grande  fête,  surtout  à 
Bellinzone;  les  jeunes  gens  y  élèvent  l'arbre  de  mai,  et  vont  chanter  devant  les  mai- 
sons des  princi|)aux  citoyens  pour  obtenir  quelque  offrande.  Les  baptêmes  des  en- 
fants màlcs  se  œlèbrent  avec  plus  de  solennité  que  ceui  des  filles.  Le  jour  où  le 
bétail  descend  des  Alpes  pour  rentrer  dans  les  villages  est  une  vraie  iète  de  famille: 
hommes,  femmes,  enfants,  tous  vont  avec  de  la  musique  à  la  rencontre  de  leurs 
IxHes,  et  les  caressent  à  leur  arrivée.  Le  28  décembre,  anniversaire  du  combat  de 
Giornico,  était  jadis  solennisé  dans  toute  la  Léventine  ;  on  y  rendait  grâces  à  Dieu  pour 
celte  glorieuse  victoire  ;  la  fête  est  restreinte  maintenant  au  village  de  Giornico.  — 
Dans  les  contrées  élevées,  les  habitations  sont  généralement  construites  en  bois,  à  la 
manière  de  la  Suisse  allemande,  et  offrent  Tapparenoe  de  la  propreté  et  d'une  certaine 
aisance.  Dans  les  contrées  basses,  les  maisons  des  paysans  sont  bâties  en  pierres, 
mais  avec  peu  de  goût,  et  souvent  elles  présentent  l'aspect  de  la  misère.  Dans  les 
districts  de  Lugano  et  Mendrisio,  l'on  trouve  cependant  quelques  villages  bien  bâtis. 
Les  costumes  ne  présentent  presque  rien  de  particulier  ;  ce  n'est  que  dans  quelques 
vallées  peu  fréquentées  que  les  femmes  ont  conservé  quelques  restes  de  leur  ancien 
costume.  Le  dialecte  italien  que  parlent  les  Tessinois  est  moins  pur,  mais  plus  éner- 
gique et  plus  pittoresque  que  celui  qui  est  en  usage  près  de  Milan.  La  commune  de 
Bosco  ou  Gurin ,  au  nord  du  val  Maggia ,  parle  seule  un  allemand  semblable  à  celui 
du  Haut- Valais. 

Bellinzone.  — Cette  jolie  petite  ville,  qui  en  1850  comptait  1926  habitants,  est 
située  sur  la  rive  gauche  du  Tessin,  à  696  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Elle  est  en- 
tourée d'une  riche  végétation,  et  dominée  par  de  belles  montagnes.  Les  quatre  routes 
du  Saint-Gothard,  du  Saint-Bernardin,  de  Lugano  et  de  Locarno,  qui  s'y  réunissent, 
lui  donnent  une  assez  grande  importance  commerciale.  Placée  dans  un  défilé,  et  dé- 
fendue par  de  hautes  murailles  et  trois  châteaux,  elle  dut  être  aussi  une  place  impor- 
tante sous  le  point  de  vue  militaire  ;  aussi  a-t-elle  été  fréquemment  un  objet  de  con- 
lestation  entre  les  Milanais  et  les  Suisses.  Bellinzone  fut  gouverné  pendant  trois 
siècles  par  les  cantons  d'Uri ,  Schwy tz  et  Untervsrald,  auxquels  il  s'était  soumis  vo- 
lontairement en  1 499 .  Les  châteaux  qui  dominent  la  ville,  et  qui  lui  donnent  un  aspect 
très-pittoresque ,  étaient  la  résidence  des  trois  baillis  ;  ils  avaient  chacun  une  petite 
garnison  et  quelques  pièces  d'artillerie.  Le  grand  château,  Castel  gratide,  ou  château 
d'Uri,  est  situé  â  l'ouest  sur  une  colline  isolée  ;  on  y  voit  encore  deux  tours;  il  sert 
de  maison  de  force  et  d'arsenal.  A  l'est,  se  trouvent  le  château  du  milieu,  Castei  di 
mezzo,  qui  appartenait  à  Schwytz,  et  le  Cartel  di  cime  ou  Corbè,  ou  château  d'Unter- 
wald  ;  ce  dernier,  le  plus  élevé  des  trois,  tombe  en  ruines.  Depuis  la  création  du 
canton,  Bellinzone  fut  le  chef-lieu  jusqu'en  181&.  Dè$-loi*s,  il  a  alterné,  de  six  en  six 
ans,  avec  Lugano  et  Locarno;  il  est  le  siège  actuel  du  gouvernement. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  563 


La  principale  église ,  située  sur  la  place  du  marché,  esl  un  édifice  en  style  mo- 
derne; son  carillon  est  harmonieux;  la  chaire  a  quelques  bas-reliefs  historiques. 
L'église  Saint-Biaise ,  près  la  porte  de  Lugano,  doit  être  très-ancienne.  On  trouve  à 
-Bellinzone  un  collège  ou  pensionnat,  fondé  en  467S  par  Tabbaye  d'Einsiedlen  ;  un 
petit  hôpital;  deux  couvents,  dont  un  de  femmes;  une  Bourse,  et  une  caserne.  Â 
l'ouest  de  la  ville,  on  passe  le  Tessin  sur  un  pont  de  pierre  de  dix  arches,  long  de 
714  pieds.  Une  forte  digue,  longue  de  2400  pieds,  protège  la  ville  contre  les  débor- 
dements de  la  rivière.  On  jouit  de  beaux  points  de  vue  près  des  trois  châteaux  :  au 
village  de  Daro,  situé  au-dessus  de  la  porte  du  nord;  près  de  l'église  d'Artore  ou  de 
la  Madoiie  du  salut,  située  beaucoup  plus  haut;  près  de  l'église St.-Paul  ou  Chiesa 
rossa,  k  côté  de  laquelle  sont  enterrés  les  Suisses  morts  dans  la  bataille  de  1422  ';  à 
l'ermitage  de  la  Madone  de  la  neige,  et  surtout  au  lieu  nommé  aile  Motte,  au-dessus 
de  Giubiasco.  Près  de  ce  village  s'ouvre  le  val  Morobbia,  qui  conduit  au  col  San- 
Jorio  ;  les  villages  y  sont  cachés  par  des  forêts  de  noyers  et  de  châtaigniers. 

Val  RiviERA.  —  On  appelle  ainsi  la  partie  de  la  vallée  du  Tessin  qui  s'étend  du 
confluent  de  la  Mœsa  à  celui  du  Blegno.  Cette  contrée  forme  le  plus  petit  des  huit 
districts  du  canton.  I^a  végétation  y  est  riche;  mais  le  Tessin  et  d'autres  torrents  y 
causent  souvent  de  grandes  ({^vastations.  Le  chef- lieu  est  Osogm,  dont  l'église  est 
placée  sur  une  hauteur  ;  au  sud  du  village,  la  Roggera  se  précipite  de  la  montagne  en 
formant  des  cascades.  Près  de  l'entrée  du  val  Blegno  est  Biascu,  où  l'on  voit  plu- 
sieurs maisons  de  bonne  apparence.  Une  série  de  stations  conduisent  à  la  chapelle  de 
Sainte-Pétronille,  dans  le  voisinage  d'une  belle  cascade.  C'est  à  une  lieue  de  Biasca 
qu'une  chute  de  montagne  intercepta  en  1K12  le  cours  du  Blegno;  ses  eaux  formè- 
rent un  grand  lac,  dont  la  débilcle  causa,  deux  ans  plus  tard,  une  terrible  inondation. 
Le  village  dePontirone  est  situé  à  une  grande  hauteur  sur  une  montagne  escarpée; 
ses  habitants  s'occupent  de  descendre  les  pins  du  haut  des  monts  par  de  longs  cou- 
loirs de  bois;  ils  sont  hardis  et  adroits  dans  ce  dangereux  métier. 

Val  Léventine.  —  On  comprend  sous  ce  nom  toute  la  partie  supérieure  de  la 
vallée  du  Tessin,  depuis  les  sources  de  la  rivière  jusqu'à  Biasca.  Ce  district  possède  un 
grand  nombre  d'alpes,  et  produit  les  meilleurs  fromages  du  canton.  En  remontant  la 
vallée,  on  rencontre  d'abord  Poleggio,  où  se  trouve  un  séminaire  fondé  par  le  cardinal 
Fréd.  Borromée.  Entre  Bodio  et  Giornico  l'on  passe  près  des  Sassi  grossi,  gros  blocs  de 
pierres  placés  comme  monument  en  mémoire  de  la  victoire  remportée  en  ce  lieu,  le 
28  décembre  1 498,  par  600  Suisses  et  Léventins  sur  1 5,000  Autrichiens.  On  voit  h 
Giornico  une  très-vieille  et  haute  tour,  des  restes  d'antiques  fortifications ,  une  belle 
église  paroissiale ,  une  petite  é>glise,  S.  Nicolo  dà  Mira,  que  les  habitants  prétendent 
construite  sur  l'emplacement  d'un  temple  païen.  Le  village  possédait  autrefois  quel- 
ques canons,  conquis  par  les  Suisses,  et  que  l'état  des  routes  les  avait  empêchés  d'em- 
mener; mais  les  Autrichiens  les  enlevèrent  en  1799,  en  les  faisant  traîner  par  des 
paysans,  attelés  comme  des  bêtes  de  somme.  Les  environs  sont  romantiques,  ornés  de 
magnifiques  châtaigniers  et  de  grandioses  cascades  (  celles  de  la  Barolgia  et  de  la 

1.  Millier  donne  le  chiflTre  de  396  inorls,  et  regarde  comme  une  erreur  l'assertion  de  ceux 
qui  portent  â  2000  hommes  la  perte  des  Suisses  dans  celte  bataille  de  Bellinzone.  Il  dit  cepen- 
dant qae  le  contingent  de  Lucerne,  qui  était  parti  sur  sept  barques,  n*en  remplissait  que  deux  â 
son  retour,  et  que  le  deuil  était  grand  dans  cette  ville. 


464  U    SilS5B    PITTOIIRSQIE. 

Cremosina).  C*est  à  Giomico  que  finit  la  plaine  qui  commence  au  bord  du  lac  Ma- 
jeur ;  c'est  aussi  là  que  finit  le  climat  italien.  Pour  se  rendre  à  Faîdo,  Ton  passe  un 
long  défilé  où  le  Tessin  mugit  au  milieu  des  débris  de  rochers;  la  route  y  passe  deux 
fois  la  rivière.  Faiflo,  cheMieu  de  la  vallée,  est  un  bourg  de  61S  habitants;  il  possède 
quelques  belles  maisons ,  des  teintureries,  de  bonnes  prairies.  Aux  environs  croisfienl 
encore  des  mûriers  et  des  noyers.  Vis-à-vis  du  village  est  la  belle  cascade  de  la  Piu- 
megna,  et  à  quelque  distance  celle  de  la  Cribiascbina.  Au-dessus  de  Faido,  la  roule 
s*engage  dans  une  nouvelle  gorge  gigantesque ,  oii  elle  franchit  trois  fois  la  rivière. 
1^  vallée  est  presque  fermée  par  les  escarpements  du  mont  Platiier,  ou  Piottino.  Les 
eaux  du  Tessin  se  précipitent  avec  furie  dans  Tissue  étroite  qui  leur  est  laissée.  Au 
sortir  de  la  goi^ ,  on  voit  un  ancien  et  vaste  bâtiment  de  douane ,  Dazh  grande . 
Après  avoir  passé  devant  la  belle  cascadede  la  Calcaccia,  on  franchit  encore  un  défilé, 
celui  de  Stal vedro ,  où  la  roule  perce  quatre  galeries.  Sur  la  rive  droite  s'élèvent  les 
ruines  massives  d'une  tour  lombarde  en  marbre.  Ce  passage  fut  défendu  peodaot 
douze  heures  contre  3000  grenadiers  russes ,  par  600  Français ,  qui  durent  enfin  se 
retirer  en  Vallais. 

On  arrive  bientôt  à  Airolo,  village  élevé  de  3800  à  3900  pieds,  et  dominé  par  de 
hautes  montagnes,  sur  lesquelles  il  possède  de  vastes  pâturages.  On  y  voit  les  restes 
d'une  tour  attribuée  à  Desiderius  ou  Didier,  roi  des  Lombards.  C'est  à  Airolo  qu'on 
commence  à  gravir  la  pente  du  St.^Gotbard;  il  y  a  encore  2ti00  pieds  h  monter 
pour  atteindre  le  sommet  (64i0).  La  route  s'élève  peu  à  peu,  en  faisant  de  nombreux 
zigzags  dans  le  sauvage  val  Tremola,  où  tombent  d'énormes  avalanches,  et  qui  e»t 
exposé  à  des  tourmentes  de  neige.  Il  se  passe  rarement  une  année  sans  que  quelques 
hommes  y  périssent.  Au  sommet  s'étend  un  large  plateau  tout  couvert  de  débris  et 
entouré  de  cimes  neigeuses  ;  on  y  voit  plusieurs  petits  lacs.  Il  s'y  trouve  un  hospice 
habité  par  un  prêtre  ;  c'est  un  bâtiment  bien  construit  et  où  les  pauvres  sont  reçus 
gratis.  Non  loin  de  là,  il  y  a  aussi  une  auberge.  Prè^t  de  l'hospice  est  un  ossuaire. 
dont  les  ossements  proviennent  de  la  guerre  de  4799.  Les  Russes  réussirent  à  cul- 
buter les  Français  et  à  s'emparer  du  passage  ;  les  Français  durent  se  retirer  devaol      , 
un  nombre  supérieur,  après  une  lutte  opiniâtre.  La  masse  de  neige  qui  s'aocumule      i 
sur  le  plateau  est  souvent  très-considérable.  Au  milieu  d'août  185K,  on  en  voyait      I 
encore  à  côté  de  la  route  une  épaisseur  de  six  à  huit  pieds;  les  lacs  étaient  en  partie      I 
couverts  de  glace  et  de  neige.  Les  journaux  annoncent  que  le  1**^  novembre  il  était 
déjà  tombé  quatre  pieds  de  neige  sur  la  route,  et  qu'un  homme  avait  péri  tout  prfe 
de  l'hospice.  — On  peut  d'Airolo  se  rendre  au  Lukmanier  et  à  Disentis  par  le  val 
Piora,  où  l'on  trouve  deux  ou  trois  petits  lacs  et  de  très-beaux  pâturages;  un  autre 
sentier  conduit  dans  le  val  Lavizzara  par  un  col  assez  élevé  et  par  les  pâturages  «? 
Gampo  la  Torva.  Enfin,  d'Airolo  l'on  peut  remonter  le  val  Bedretto,  qu'arrose  un 
bras  du  Tessin,  qui  prend  sa  source  au  col  de  Nûfenen.  Cette  vallée,  qu'cntourenl 
plusieurs  glaciers,  est  élevée  et  froide;  il  y  croît  cependant  un  peu  de  seigle;  elleesl 
ravagée  en  hiver  par  de  formidables  avalanches.  Plusieurs  fois  l'église  et  la  cure* 
Bedretio  ont  été  atteintes  :  deux  curés  ont  trouvé  la  mort  dans  de  pareilles  cat^s- 
Irophes.  Les  habitants  de  la  vallée  ont  l'esprit  vif  et  content  ;  un  grand  nombre 
émigrent  en  hiver.  A  l'ouest  de  Bedretto  se  trouve  l'hospice  AWAcqua,  élevé  de 
4940  pieds.  Un  sentier  conduit  de  là  en  Vallais  par  le  col  de  Novena  ou  NûtwHîn 


LA    atlSSE    PITTOliESfJUË.  465 

(7820)  ;  un  autre  mène  en  Piémont  dans  la  belle  vallée  de  Formazza  ;  un  troisième 
aboutit  à  Bosco,  dans  le  val  Gavcrgna. 

Val  Blegno  (ou  Blenio,  ou  Brenno).  —  Cette  vallée  s'étend  entre  de  hautes  mon- 
lagnes  ;  elle  est  très-fertile  ;  on  y  cultive  la  vigne,  surtout  sur  la  rive  droite  de  la 
rivière.  Les  chàtaigners  prospèrent  jusqu'à  Aquila,  et  les  noyers  jusqu'à  Olivone. 
Une  très-bonne  route  suit  la  rive  gauche;  elle  traverse  d'abord  les  débris  de  l'ébou- 
jement  de  1512  ;  près  de  Malvaglia,  elle  passe  devant  l'issue  d'une  gorge  étroite  et 
sombre,  au  fond  de  laquelle  coule  le  torrent  nommé  Lorina.  Dans  le  voisinage  est 
aussi  le  profond  ravin  de  la  Leggiuna.  Quand  on  a  dépassé  les  bains  d'Acqua  rossa, 
on  arrive  à  LoHigna,  chef-lieu  du  district  et  ancienne  résidence  des  baillis.  Deux 
lieues  plus  haut  est  Olivone,  village  pittoresquement  situé  à  la  jonction  de  deux 
vallées;  à  l'ouest,  s'ouvre  le  val  Zura,  qui  conduit  au  Lukmanier;  on  y  trouve  les 
|)etits  hospices  de  Gamperio  et  de  Gasaccia,  tous  deux  fondés  par  Gharles  Borromée. 
(Au  sujet  du  Lukmanier  et  du  chemin  de  fer  projeté,  voyez  page  59  et  page  387.) 
L'autre  vallon  est  plus  sauvage  et  continue  dans  la  direction  du  nord  ;  il  se  bifurque 
à  Ghirone,  d'où  partent  des  sentiers  qui  conduisent  dans  le  val  Sumvix  et  dans  le 
val  St.-Pierre,  au  canton  des  Grisons.  Les  habitants  de  la  vallée  sont  laborieux  ; 
beaucoup  passent  l'hiver  au  dehors.  Plusieurs  familles  d 'Olivone  ont  acquis  une  for- 
tune considérable  et  ont  fait  des  legs  à  leur  commune. 

Val  Verzasga.  —  Gette  vallée,  peu  fréquentée,  débouche  un  peu  à  Test  de  Locarno. 
Elle  est  arrosée  par  la  rivière  de  même  nom  qui  coule  au  bas  d'une  profonde  cre- 
vasse, dont  les  parois  sont  tellement  escarpées,  qu'on  ne  peut  y  suivre  sans  danger 
les  sentiers  pratiqués  sur  leurs  flancs.  Les  hommes  de  la  vallée  sont  très-actifs,  et 
s'expatrient  en  grand  nombre  comme  ramoneurs  ou  fendeurs  de  bois.  Us  ont  la 
réputation  d'être  vindicatifs.  Us  portaient  autrefois  un  couteau  très-acéré,  d'un  pied 
de  longueur,  et  nommé  falce  ou  faux  ;  aussi,  les  meurtres  étaient-ils  fréquents  dans 
la  vallée.  Les  femmes  sont  généralement  chargées  de  tous  les  travaux  de  la  maison 
et  des  champs.  On  pénètre  dans  la  vallée  par  un  chemin  escarpé.  Le  premier  village 
qu'on  rencontre  est  celui  de  Merqoscia,  dont  les  habitations  sont  construites  les  unes 
au-dessus  des  autres  ;  la  vigne  y  couvre  les  toits  des  maisons.  Deux  lieues  plus  loin, 
on  passe  à  Val  délia  Porta,  et  l'on  franchit  un  pont  situé  dans  une  contrée  affreuse. 
I>e  nom  de  ce  lieu  vient,  dit-on,  d'une  porte  qu'on  tenait  fermée  lorsque  la  peste 
exerçait  ses  ravages  dans  les  contrées  inférieures.  Plus  haut,  la  vallée  s'élargit  et 
devient  riante.  Lavertezzo  est  dominé  par  une  montagne  de  môme  nom,  qui  porte 
deux  pics. 

Locarno,  ville  de  2676  habitants,  est  le  chef-lieu  du  plus  étendu  des  districts  du 
ciinton,  lequel  comprend  les  vallées  de  Verzasca,  de  Cenlovalli  et  d'Onsernone,  ainsi 
c|ue  les  rives  du  lac  Majeur,  jusqu'aux  frontières  du  Piémont  et  de  la  Lombardie. 
Locarno  occupe  une  situation  magnifique  au  bord  du  lac  Majeur;  mais  la  contrée  est 
peu  salubre.  Vu  son  exposition  au  sud-ouest,  il  jouit  d'un  climat  extrêmement  doux  ; 
la  végétation  y  a  un  caractère  tout  italien  ;  le  citronnier  et  l'oranger  n'exigent  que 
peu  de  soins  en  hiver.  La  ville  possède  un  port,  une  grande  place,  un  petit  jardin 
public,  près  duquel  on  a  construit,  il  y  a  quelques  années,  un  hôtel  destiné  aux  auto- 
rUés  cantonales;  un  hôpital,  une  école  littéraire,  plusieurs  églises  et  couvents;  la 
plus  belle  église  est  celle  de  San-Francesco.  G'est  dans  cette  ville  qu'a  été  fondée  la  plus 
II.».  .  59 


466 


LA    StISSE    PITTOHEàOUe. 


ancienne  des  Sofiélés  palrioliques  du  Tessin,  celle  des  Amis  de  Locarno,  qui  date  de 
181  j.  Tous  les  15  jours  il  s*y  lient  un  marché,  qui  attire  des  habilants  de  toutes  les  va) 
lées  voisines,  tessinoises  et  piémonlaises,  et  qui  offre  l'occasion  de  voir  les  c^lumesde 
quelques  contréc*s  très  peu  fréquentées.  Les  environs  présentent  de  Ircs-beaux  poinb 
de  vue  sur  le  lac  et  sur  ses  rives,  |>articulièremenl  le  coteau  où  s'élève  le  couvent 
de  la  Madone  du  Rocher  (Madoinm  del  Siisso)  ;  réalise  de  ce  couvenl  attire  de  nom 
breux  |)élerins  ;  elle  est  richemenl  ornée  el  contient  plusieurs  belles  statues.  Le  site 
de  Tenero,  près  remlK)uchure  de  la  Verzasca,  est  aussi  très-remarquable,  ainsi  que 
celui  du  Ponte  Brolla,  pont  en  pierre  jeté  au-dessus  de  la  gorge  profonde  de  la  Maggia. 
pi-ès  de  son  confluent  avec  la  Melezza  ;  on  y  découvre  une  vue  magniOque  sur  le  lac 
Majeur,  sur  l'ouverture  des  vais  Centovalli  et  Onsernone,  sur  le  mont  Finero,  elc. 
Au  sud  de  Locarno,  Ton  passe  la  Maggia  sur  un  pont  de  onze  arches  ;  non  loin 
de  là  est  Ascona,  village  dominé  par  les  restes  de  deux  ou  trois  châteaux,  el  qui 
|K)ssède  un  beau  collège  ou  séminaire,  dû  à  la  générosité  de  B.  Papi,  bourgeois  du 
lieu.  Le  grand  village  de  Brissmjo,  voisin  de  la  frontière  sarde,  a  de  jolies  maisons. 
(|ui  sont  rindice  d'un  bien-être  dû  à  Tindustrie  et  à  l'économie  de  ses  babitanLs 
lesquels  se  répandent  dans  toute  l'Italie.  Le  rivage  y  est  bordé  de  terrasses  d'orangers 
et  de  citronniers  ;  les  coteaux  voisins  sont  couverts  de  villas  entourées  de  figuier», 
d'oliviers,  de  grenadiers.  Oublié  dans  les  traités  de  cession,  Brissago  se  gouverna 
lui-même  comme  Etat  indépendant  durant  sept  années;  mais  à  la  suite  de  discordes 
intestines,  il  se  livra  aux  Suisses  en  1 520.  —  En  face  de  Locarno,  l'on  voit  Magadim. 
sur  la  rive  gauche  du  Tessin  ;  ce  village,  situé  dans  une  contrée  malsaine,  est  devenu 
le  port  principal  des  bateaux  à  vapeur  sur  le  territoire  tessinois. 


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Fariolo,  lac    Sajcur. 


Vals  Centovalli  el  Onsernone.  —  Près  de  Ponte  Brolla,  la  Melézza  se  joint  à  la 
Maggia,  après  avoir  serpenté  au  bas  de  profonds  précipices,  entre  deux  montagnes 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  467 


escarpées  el  sillonnées  par  un  grand  nombre  d'angles  saillanls  el  rentrants  tellement 
prononcés,  qu'ils  Torment  comme  autant  de  petits  vallons;  de  là  le  nom  de  Cento- 
valu.  Cent  Vallons.  Celte  vallée  est  une  des  plus  hautes  du  canton  ;  quelques  places 
du  revers  méridional  sont  privées  de  soleil  durant  trois  mois  d'hiver.  Une  roule 
conduit  par  cette  vallée  de  Locarho  à  Domo  d'Ossola.  Le  village  ilnlragna  est 
dans  une  belle  position,  au  confluent  de  la  Melezza  et  de  TOnsernone.  Près  de 
Borgmne,  on  admire  les  cascades  pittoresques  de  San-Remo  et  de  la  Richiusa  ;  Tas- 
pect  aiïreux  des  gorges  profondes  et  déchirées  qu'on  aperçoit  de  la  chapelle  délie 
Pêne;  le  superbe  site  du  hameau  délia  Rom;  les  formes  gigantesques  du  Finero,  qui 
s'élève  au  fond  de  la  vallée  piémontaise  de  Canobbia.  La  partie  supérieure  du  cours 
de  la  Melezza  appartient  au  Piémont;  la  limite  est  formée  par  la  Ribellasca.  — A 
Intragna  s'ouvre  la  vallée  d'Onsernone  par  une  gorge  très-étroite.  Cette  vallée  pos- 
sède de  beaux  p&turages  et  de  magnifiques  forêts.  Les  femmes  s'occupent  de  la  fabri- 
cation des  chapeaux  de  paille.  Le  village  d'Auressio  est  séparé  de  Loco  par  un  abîme 
d'une  immense  profondeur.  A  Mosogno,  la  contrée  prend  un  air  alpestre.  Plus  loin 
est  Riisso,  d'où  sont  originaires  les  Remondi,  dont  un  membre  employa  sa  fortune  à 
améliorer  les  chemins  de  la  vallée;  un  autre  siégea  dans  la  première  Assemblée 
constituante  en  France. 

Val  Maggia.  —  Cette  vallée,  qui  débouche  près  de  Ponte  Brolla,  est  parcourue 
par  une  belfe  route.  La  Maggia  y  cause  souvent  d'affreux  ravages.  On  y  fabrique 
d'excellents  fromages,  connus  sous  le  nom  de  fromages  de  paille,  parce  qu'on  les 
enveloppe  de  paille  pour  les  porter  au  marché.  En  remontant  la  vallée,  on  rencontre 
Maggia,  riche  eh  vignes  el  en  châtaigniers  ;  Gimiaglio,  où  un  torrent  forme  plu- 
sieurs cascades;  les  figuiers  croissent  jusqu'ici  :  Sonieo,  où  le  Soladino  fait  une  des 
cascades  les  plus  pittoresques  du  canton  :  Cevio,  chef-lieu  de  la  vallée  et  ancienne 
résidence  des  baillis.  Plus  haut,  la  vallée  prend  le  nom  de  Lavizzara  ou  Lavezzara,  du 
mot  laveggi,  vases  de  pierre  ollaire.  Au-delà  de  Peccia,  une  montée  rapide  avec  de 
nombreux  zigzags  conduit  au  village  de  Fmio  (3890  à  ftOSO),  situé  au  milieu 
d'excellents  pâturages,  vers  le  haut  desquels  sont  les  petits  lacs  de  Naret.  Près 
de  Cevio  s'ouvre  à  l'ouest  le  val  di  Campe,  qui  conduit  à  Bosco  ou  Gurin,  seul 
village  de  langue  allemande  ;  de  Bosco  l'on  se  rend  dans  le  val  piémontais  de  For- 
mazza  par  la  Furca  di  Bosco,  du  haut  de  laquelle  on  jouit  d'une  belle  vue  sur  le 
magnifique  glacier  de  Gries,  sur  la  chute  de  la  Toccia  et  sur  le  val  Formazza.  Au 
nord  de  Bosco,  se  prolonge  le  val  Cavergno,  couvert  des  plus  beaux  pâturages  et  de 
nombreux  chalets  ;  à  son  extrémité,  on  trouve  de  petits  lacs  et  un  glacier.  En  face  de 
Peccia  s'ouvre  aussi  à  l'ouest  le  val  de  même  nom,  au  fond  duquel  on  voit  la  belle 
cascade  de  Masnaro. 

Ville  et  Lac  de  Lugano,  San-Salvatore,  etc.  —  Lugano  est  situé  sur  le  penchant 
d'une  colline,  au  fond  d'un  golfe  gracieux  du  lac  de  même  nom.  Ses  habitants  sont  au 
nombre  de  5142  ;  c'est  l'endroit  le  plus  peuplé  du  canton.  Cette  ville  occupe  une  des 
situations  les  plus  remarquables  de  la  Suisse  ;  ses  environs  peuvent,  pour  l'extrême 
variété  de  ses  sites,  être  comparés  à  ceux  de  Luccrne  ;  ils  l'emportent  pour  la  richesse 
de  la  végétation.  Lorsqu'on  la  contemple  du  promontoire  de  Castagnola  ou  de  celui  de 
San-Martino,  ou  du  milieu  du  golfe,  elle  présente  un  asi)ect  magnifique.  A  l'est, 
*^' élèvent  les  pentes  du  mont  Bré,  couvertes  de  villages  et  de  maisons  de  campagne 


408  I.A    SUSSE    IMTTOIIES^E. 


enlourées  de  trcilk*s  de  vi<;ne,  d*uliviers,  de  citronniers,  d  amandiers,  que  reflèle 
|iitU)n^|uement  la  surraoe  verdoyante  dos  eaux  ^  au  sud-ouest,  se  dresse  la  pyramide 
du  San-Salvatore;  sur  la  rive  opposée,  les  |)entes  escarpées  du  mont  Caprino:  au- 
dissus  de  la  ville,  le  sol  s*élève  de  terrass4^  en  terrasses  ;  dans  le  lointain  apparaissent 
l(*s  cinu's  noigcusi's  du  Camoghé. —  Les  églises  les  plus  remarquables  de  Lugano  sont  : 
La  C4itliédnile  Siin-Lorenzo,  C4>nstruite  sur  une  éminence  qui  commande  un  beau  point 
de  vue;  le  |)ortail  i*st  richement  orné  de  sculptures  attribuées  à  divers  arlistes  distin- 
gue^, et  la  fiiçade  doit  avoir  été  faites  d*après  les  dessins  de  Bramante.  Dans  une  belle 
clia|)elle  de  la  Vierge  des  Grâces  scmt  suspendus  les  drapeaux  enlevés  en  1798  au\ 
<jsolpins,  qui  avaient  envahi  le  district.  L*église  de  Sainte-Marie  des  Anges,  rondée  en 
1 499,  |K)sséde  plusieurs  tableaux  de  B.  Luino,  entre  autres  un  admirable  erucifieinent 
où  figurent  un  nombre  infini  de  personnes  en  attitudes  et  costumes  divers,  et  une 
madone  plact^'e  au-dessus  de  la  porte  du  cloître.  Lugano  possède  aussi  un  hôpital 
qui  date  du  IS*"  siècle,  un  collège,  un  joli  théâtre,  construit  en  1805,  une  ancienne 
résidence  de  Tévéque  de  Q'ime,  et  plusieurs  belles  maisons  particulières.  La  position 
de  Lugano  est  très-favorable  au  commerce,  et  sa  foire  d'octobre  lui  procure  une 
grande  activité  d'afiaires.  On  y  trouve  des  filatures  de  soie,  des  fabriques  de  tabacs, 
des  tanneries,  des  teintureries,  des  papeteries,  des  ateliers  d'orfèvres,  etc. 

Soit  qu'il  navigue  sur  le  lac  de  Lugano  ou  quMI  se  promène  sur  ses  bords,  partout 
les  aspects  les  plus  pittoresques  surprennent  le  voyageur  ;  ses  divers  golfes  prés^tent 
une  succession  de  tableaux  les  plus  variés  ;  les  contrastes  de  la  nature  sauvage  et  de 
la  nature  civilisée  sW  rencontrent  presque  à  chaque  pas.  Du  cdté  de  l'est,  on  trouve 
Castagnoh,  une  des  contrées  les  plus  riantes  du  canton;  la  v^tation,  abritée  contre 
le  vent  du  nord,  y  est  très-précoce.  Plus  loin,  à  Gmidria,  la  rive  devient  escarpée,  ses 
maisons  blanches  s'élèvent  en  amphithéâtre,  et  sont  entourées  de  figuiers,  d'oliviers, 
de  citronniers.  Sur  l'autre  rive  est  Oaiem,  au  débouché  du  val  lombard  d'intaivi  ;  on 
y  voit  une  grotte  remplie  de  belles  stalactites.  Entre  Osteno  et  les  vais  du  Caprino, 
s'ouvre  le  val  Mara,  où  l'on  exploite  une  espèce  de  tuf  dont  se  servent  les  architectes 
de  Lugano.  La  base  du  mont  Caprino,  qui  s'élève  en  face  de  Lugano,  est  remplie  de 
fentes  ou  grottes  d'où  sort  toujours  en  été  un  vent  très-froid,  et  qu'on  nomme  caves 
ou  cantines,  ou  mvenws  dEole.  Les  habitants  de  Lugano  ont  construit  devant  ces 
ouvertures  un  grand  nombre  de  petits  bâtiments  où  ils  conservent  leurs  vins  au 
frais  ;  on  y  fait  des  promenades  pendant  l'été.  Du  pied  de  la  montagne,  on  découvre 
une  vue  magnifique.  Plus  au  sud,  est  une  petite  enclave  lombarde  où  est  situé  le 
village  de  Campiom*,  qui  a  produit  une  foule  de  peintres,  de  sculpteurs  et  d'ardii- 
lectes;  plus  loin,  BLssotu',  lieu  de  naissance  des  architectes Borromini  et  Cli.  Maderno; 
puis  Melano,  que  dominent  des  montagnes  pittoresques  et  qu'anime  une  belle 
cascade  ;  enfin  Capolago,  ainsi  nommé  à  cause  de  sa  position  à  l'extrémité  d'un  golfe  ; 
il  y  existe  une  imprimerie  considérable,  fondée  en  1830. 

Au  sud  de  Lugano  s'étend  une  presqu'île  longue  de  deux  à  trois  lieues,  où  s'élève 
le  mont  pyramidal  du  San-Salvatore.  De  la  langue  de  terre  de  San-Martino,  la  vue 
du  lac  dans  toutes  les  directions  est  vraiment  admirable.  Vis-à-vis  de  Bissone  se 
trouve  Melide,  |)alrie  des  célèbres  architectes  Fontana.  A  la  pointe  méridionale  de 
la  pres(iu'ilc,  sont  adossés  a  une  pente  pittoresque  les  villages  de  Morcole  et  de  Vicv 
}forcole.  Un  escalier  de  trois  cents  marches  conduit  à  l'église  de  Morcote.  On  voit 


o 

B 
3 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  469 


dans  le  voisinage  un  beau  jardin  de  citronniers  cl  les  restes  d'un  château  construit 
vers  l'an  1000.  Au  fond  des  deux  golfes  occidentaux,  Agno  et  Ponte  Tresa  occupent 
aussi  des  sites  remarquables.  Le  grand  autel  de  l'église  d'Agno  est  surn)onté  de 
colonnes  corinthiennes,  qui  forment  comme  un  petit  temple.  —  Mais  c'est  surtout 
le  San-Salvatore  que  les  voyageurs  ne  doivent  point  oublier  de  visiter.  En  partant 
de  Lugano,  on  s'approche  de  la  montagne,  au  milieu  d'une  contrée  riante,  ombragée 
de  treilles  et  de  vergers*.  Le  panorama  qu'on  découvre  du  sommet  est  magnifique. 
On  voit  s'étendre  au  sud  les  plaines  immenses  de  la  Lombardie,  dans  lesquelles  on 
peut,  par  un  temps  très-serein,  distinguer,  entre  les  monts  Generoso  et  Riva,  la  cathé- 
drale de  Milan.  On  embrasse  l'ensemble  du  lac  de  Lugano  avec  toutes  ses  baies,  et 
les  vallées  voisines,  ainsi  qu'une  petite  échappée  sur  le  lac  Majeur  ;  au-dessus  des 
forêts  de  ch&taigniers  qui  couronnent  les  hauteurs  au  nord  du  lac,  on  découvre  le 
massif  du  Camoghé,  le  Pizzo  Vachera,  et  les  montagnes  de  la  Valleline  et  des  Gri- 
sons. Par-dessus  la  chaîne  du  Monte-Cenere  et  du  sauvage  Gambarogno,  l'on  aper- 
çoit au  loin  les  nombreuses  sommités  du  Saint-Gothard,  du  Simplon,  du  Mont- 
Rose,  etc.  La  chapelle  qui  existe  au  sommet  attire  de  nombreux  pèlerins. 

Val  âgno.  Val  Capriasca,  Camoghé.  —  Les  vais  Âgno  et  Gapriasca  débouchent 
Tun  à  l'ouest,  l'autre  à  l'est  de  Lugano  ;  Pregazzone,  à  l'entrée  du  val  Gapriasca, 
occupe  un  site  pittoresque  ;  Canobbio  et  Sonvico  jouissent  de  belles  vues,  ainsi  que 
le  couvent  des  capucins  de  Bigorio,  placé  à  une  grande  hauteur.  On  voit,  près  de 
Sonvico,  les  restes  d'une  forteresse  ;  l'église  paroissiale,  qui  est  très-vieille,  renferme 
un  magnifique  autel  en  fin  marbre  et  de  date  récente.  Le  village  possède  aussi  une 
autre  église,  imitée  de  la  célèbre  chapelle  de  Lorette,  et  des  archives  où  l'on  conserve 
des  écrits  très-anciens.  La  partie  supérieure  de.la  vallée  porte  le  nom  de  val  Colla. 
FiCS  Taverne  inferiori,  dans  le  val  Agno,  sont  situées  Ains  une  belle  contrée  qui 
abonde  en  forêts  et  en  arbres  fruitiers;  plus  haut,  la  vallée  prend  le  nom  de  val 
Isone.  Quoique  au  sud  du  Monle-Genere,  le  val  Isone  faisait  partie  du  bailliage  de 
Bellinzone.  Les  vais  Colla  et  Isone  aboutissent  tous  deux  aux  belles  sommités  du 
Camoghé  et  du  Pizzo  Vachera.  On  peut,  par  les  deux  vallées,  faire  l'ascension  du 
Camoghé,  montagne  trois  fois  plus  haute  que  le  San-Salvatore;  le  chemin,  le  plus 
commode  part  du  val  Isone  ;  il  est  praticable  pour  les  mulets  et  sans  danger.  On 
peut  coucher  dans  un  des  chalets  épars  sur  les  pentes  inférieures,  afin  d'arriver  au 
sommet  avant  le  lever  du  soleil.  Par  un  beau  jour,  le  spectacle  est  bien  fait  pour 
exciter  l'admiration.  On  y  découvre  la  vallée  du  Tcssin,  le  lac  de  Lugpno  et  toutes 
les  contrées  voisines,  une  partie  du  lac  Majeur,  une  grande  partie  de  celui  de  Côme 
et  ses  montagnes  jusqu'à  la  Valteline,  les  innombrables  pics  des  Alpes,  du  Mont-Rose 
au  Bernina  et  à  l'Ortelerspitz,  enfin  les  plaines  de  Lombardie,  au  milieu  desquelles, 
par  un  temps  favorable,  on  distingue  le  dôme  de  Milan. 

Mendrisio,  Monte-Generoso.  —  Mendrisio,  chef-lieu  du  district  le  plus  méridional 
du  canton,  est  un  bourg  de  1972  habitants.  On  y  trouve  quelques  filatures  de  soie  ; 
l'église  des  Servîtes  est  un  bel  édifice.  Ce  bourg  est  le  berceau  de  la  puissante 
famille  milanaise  délia  Torre  ou  Torriani;  mais  la  fameuse  tour  qui  lui  donna  son 
nom  fut  détruite  dans  les  guerres  du  44''  siècle.  Ses  environs  sont  très-populeux 
et  très-fertiles,  et  abondent  en  sites  délicieux  ;  il  y  croît  beaucoup  d'oliviers.  C'est 
ordinairement  de  Mendrisio  qu'on  entreprend  l'ascension  du  Monte-Generoso,  élevé 


470 


LA    SUSSE    MTTOHESCKK. 


lie  5iOO  pieds.  (x'Ue  monla*;ne  est  ric*he  en  planles  rares;  aiisiû,  les  botanisles  onl- 
ils  donné  le  nom  de  Jardin  à  une  |»artie  de  ses  pentes.  EUIe  présente  plusieurs  som 
mois  de  diverses  hauteurs,  d'où  Ton  déi-ouvre  une  vue  magniGque  sur  les  lacs  de 
Lu;;ano,  de  Oime  el  de  Vart^se,  sur  une  partie  du  lac  Majeur,  sur  les  plaines  de  la 
Limbardieet  la  chaîne  des  Alpes.  On  Ta  surnommée  le  Righi  delà  Suisse  italienne. 
On  |)eut  rcdesi^'endre  du  ciité  du  sud,  par  le  val  Muggio,  belle  vallée  qui  débouche 
pri*s  de  Balerna  par  un  étroit  défilé.  Le  village  de  Bruzella  est  dans  une  posiliuii 
1res  piltores<|ue  ;  celui  de  Mfiif*jio  est  le  berceau  de  plusieurs  architectes  renommés.  — 
Elnlre  Mendrisio  et  (lùme  se  trouve  le  beau  village  de  Bulerna,  qui  possède  un  palais 
épisco|)al,  une  église  remarquable,  el  plusieurs  mais4>ns  de  bonne  apparence.  Plus 
prts  de  la  frontière  est  Chùnso,  avec  des  Tabriques  de  tabac  et  des  filatures  de  me. 
Une  C4»Hine  le  s4*|Kire  du  lac  de  O'ime. 


"^^^ 


* 


CANTON  DE  VAUD. 


Le  canton  de  Vaud  se  déploie  autour  du  lac  Léman  sur  un  espace  d'environ  120 
lieues  carrées.  Au  midi,  le  Léman  le  sépare  de  la  Savoie.  Le  Rhône  et  les  Alpes,  de  la 
Dent  de  Mordes  à  TAudon,  forment  sa  limite  du  côté  du  Vallais.  A  Test,  il  s'entre- 
mêle au  canton  de  Fribourg,  ses  frontières  étant  tantôt  marquées  par  une  ligne 
sinueuse,  et  tantôt  la  dépassant.  Surpierre,  Wuillens,  forment  des  enclaves  fribour- 
geoises  dans  le  canton  de  Vaud,  et  les  deux  langues  de  terre  sur  lesquelles  s'élèvent 
Payerne,  Avenches  et  les  monts  du  Vully,  forment  des  enclaves  vaudoises  dans  le 
canton  de  Fribourg.  Au  nord,  il  touche  au  territoire  de  Berne.  A  Touest,  le  lac  le 
sépare  de  Neuchâtel,  et  le  Jura  de  la  France.  —  Sa  population  est  de  200,000  âmes. 
(199,575  en  1850.) 

Monts  et  Plaines.  —  Comme  la  Suisse,  qu'il  reproduit  dans  un  cadre  resserré,  le 
canton  de  Vaud  a  ses  Alpes  et  son  Jura  ;  le  Jorat,  prolongation  des  Alpes,  les  lie  à 
la  chaîne  jurassique. 

Les  Alpes  vaudoises,  dernier  épanouissement  des  Alpes  qui  séparent  le  canton  de 
Berne  du  canton  du  Vallais,  se  composent  de  quatre  monts  géants  et  de  chaînes  secon- 
daires. La  Dent  de  Mordes,  haute  de  7876  pieds  au-dessus  du  niveau  du  Léman, 
de  8958  au-dessus  de  la  Méditerranée,  s'élève  en  face  de  la  Dent  du  Midi,  avec 
laquelle  elle  forme  au  Vallais  un  portique  d'une  structure  gigantesque.  Le  Rhône 
s'est  ouvert  un  passage  entre  leurs  parois  escarpées.  Un  pont,  celui  de  Saint-Maurice, 
servait  naguère  encore  à  clore  tous  les  soirs  l'entrée  de  la  vallée.  —  Le  Muveran, 
haut  de  9270  pieds,  porte  sur  ses  épaules  deux  glaciers,  celui  de  Plannévé  au  midi,  au 
nord  celui  de  Paneyrossaz.  —  Les  pâturages  d'Anseidaz,  traversés  par  un  sentier 
qui  descend  dans  le  Vallais,  lient  le  Paneyrossaz  aux  Diablerels,  vaste  massif  schis- 
teux, fameux  par  ses  éboulements,  et  entre  autres  par  celui  de  1714.  Hauts  de  9690 
pieds,  les  Diablerets  sont  liés  à  VAtidon  (Oldenhorn),  qui  s'élève  à  une  hauteur  de 
9626  pieds,  par  une  chaîne  de  glaciers,  de  laquelle  s'échappent  des  cascades  nom- 


ÏH-euwp*,  ai^t'îil»'-»*  Pi  bnj>antp»,  rt  qui  *iiol  (nmier,  1rs  unes,  les  soarws  de  l«i 
(frar><l«*  Liu.  I<>  aulre^,  fvl|t>  de  b  Sarine.  — neu\  ramificjtKHis  se  dêtacfaenl  de^ 
Ih.il*l«*rvt5,  N»u^  k*  n*>m  de  m«>nla;:n«*s  de  Gr^m  cl  tle  iDi>nUpies  AOlUm.  Ceikf<^n 
|»i»rU*nl  b  rriMi|H»  du  (Ihiimns^urf,  haute  de  CiiO  |»îeds,  et  qui  domine  le  vallofi  dt> 
OrniofilH.  — l>i'U\  ramifKMlion^  plu^  oHiMiléraUcs  se  dêlaehent  de  rAiMkm.  L'uik' 
|MKle  .1»  «76*4'i.  Jnm-iH  i5303'»,  S»i^  'STTO'i,  et  se  lenniDe  au  Molésim:  Tautn- 
^'{Kire  le  csintiKi  de  Vaud  de  (vlui  de  Berne  :  le  AmMi  •  S)89'i  la  lenniiie  au  iMird.  Cos 
fk*u\  efiaines  uni  <*n  la<'e  ciHIe  qui  séfKire  le  i*ant4.»n  de  Vaud  de  la  Gruyère  frihiur 
p*<M«»,  el  «k*  laqw'lle  se  détarlu-nl  le  H">hmnmi  i6349'»,  la  Ami  rf*-  BrenUire  (7380'., 
e(  les  monU  iniïTieurs  de  Crn^f  el  de  ChUih.  Le  défilé  de  la  Tine  ferme,  dans  la  pr«» 
r<KMleur,  l'c^nlrée  du  Pays  d'Enhaul  vaudois. 

Le  Jtffttt  [JnrnxtH*,  Jurlrn)  s*appuie  sur  les  Alpes  et  les  lie  au  Jura.  Il  pend  en 
n»toau\  vineux  le  long  du  Léman,  el  se  parta<!e  vers  le  nord  en  plusieurs  efaaines>. 
qui  se  prolon<!enl  jusqu*au  lae  <ie  Neuehàtel,  pareilks  aux  arêtes  d*un  peigne.  Ses 
princi|iale>  S4»mmilé»  s<int  le  Prhrhi  i383l'),  le  monl  de  Gonrzf  (î7S5')t  el  le  mont 
qui  s'élève  sur  le  ChiUi  à  G^t^^ri  ti8i3'). 

le  Jura  lJurn.K.uon,  Jurnssu*,  les  Jour  au  moyen-àge,  Ltherhnq)  sépare  le  canton 
de  Vaud  de  la  France  sur  une  lij;:ne  de  14  lieues ,  de  la  Dôle,  rronlière  du  Pays  de 
Gex,  au  Creux  du  Vent,  Trontièredu  canton  de  NeuebAlel.  Il  commence  par  se  séparer 
en  deux  chaînes,  dont  ki  nuiins  ékvée  porte  k?s  foréis  du  RiwhJ  (3970')  el  sert  de 
liniilc  à  la  France.  La  plus  haute  porte  la  DtUe  (5174^),  le  MarrkairH  (4490')  d  k* 
Motti-Tnidre  (5172').  Lorsque  celle  aréle  esl  près  de  se  perdre,  celle  qui  sépare  le 
canton  de  la  France  se  relève  pour  former  le  Miml-d'Or  (4500'),  en  même  lenips 
que  la  Iknlde  Ynalion  (%949'),  se  drcssanl  enlre  les  deux  chaînes,  ferme  la  vallét^ 
de  rOrbc  qui  les  sépare.  La  chaîne  frontière  de  France,  devenue  la  chaîne  unique, 
s*abaisse  pour  laisser  passer  ki  Jouguenaz,  se  redresser  fièrement,  el  donner  nais- 
sance au  SrirAel  (4890^)  el  à  VAujnillf  de  Baulmes  (4331^).  Les  pentes  du  mont  de 
Baulmes  descendent  dans  le  vallon  de  Sainle>Croi\,  d'où  Ton  remonte  rapidement  les 
flancs  ^'azonnés  du  Chamrofè  (S370').  La  chaîne  qui  du  Cbasseron  court  au  Moal 
Anbert^  termine  le  Jura  vaudois,  le  séparant  du  val  de  Travers,  el  aboutit  au  lac  de 
Neuch&lel. 

De  loin,  le  Jura,  dans  ses  ondulations,  semble  former  une  chaîne  ininterrompue. 
Cependant,  il  ne  laisse  pas  d'avoir  ses  cok  ou  points  de  dépression  :  les  principaux 
sont  ceux  de  la  Faucille,  de  Saint-Gcrgues,  de  Pétrafélix,  de  Ballaigues  el  de  Sainte- 
Croix. 

Entre  ces  grands  monts  et  à  leurs  pieds,  le  pays  descend  en  amphithéâtre  et  de 
gradins  en  gradins  vers  le  lac  de  Ncuchàlel,  au  nord,  et  vers  le  Léman,  au  midi.  On 
nomme  monts  de  la  Côte  ceux  qui  bordent  le  lac  de  Genève  cl  forment  le  pied  du  Jura, 
fmnls  de  La  Vatw  les  terrasses  qui  descendent  du  Jorat.  Les  seules  plaines  du  canton 
sont  celles  que  forment  la  vallée  du  Rhône,  les  rives  de  la  Broie,  et  les  marais 
d'Yverdon. 

Lacs,  Fleuves  et  Rivières.  —  La  ligne  qui  marque  le  partage  des  eaux  de  TEurope 
en  deux  versants,  Tun  tourné  vers  le  nord,  Tautrc  vers  le  midi,  passe  à  travers  le 
canton  de  Vaud.  Elle  suit  la  chaîne  qui  porte  TAudon,  Aï,  Jaman,  les  sommités  du 
Joral  ;  elle  iilc  près  de  La  Sarraz,  au  moulin  de  Pompaples,  dont  les  eaux  se  parla- 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  473 


genl  cnlrc  le  Rhin  cl  le  Rhône,  TOcéan  et  la  Méditerranée;  puis  elle  remonte  vers 
la  Dent  de  Vaulion,  et  suit  les  crêtes  du  Mont-Tendre  et  de  la  Dôle. 

Le  Rhône  (Rhoilanas)  recueille  toutes  les  eaux  du  bassin  méridional.  H  commence 
par  traverser  une  plaine  de  six  lieues,  d'inégale  largeur,  puis  verse  ses  flots  limoneux 
dans  le  Léman,  qui  recule,  lutte;  on  nomme  la  halaillcre  le  combat  qui  s'engage  entre 
le  lac  et  le  fleuve;  l'agitation  se  prolonge  à  un  quart  de  lieue  du  rivage.  Il  reçoit 
VAvençon,  sorti  du  glacier  de  Paneyrossaz;  la  Gryonne,  descendue  des  Alpes  de 
Taveyannaz;  la  Grande-Eau,  qui  traverse  le  val  desOrmonts;  V Eau-froide,  qui  naîl 


Les  OrmoDls. 


non  loin  des  tours  d'Aï.  La  Tinière,  venue  du  col  de  Chaude,  arrive  au  lac  à  Ville- 
neuve. 

De  Chilien  à  Lausanne,  il  ne  lombe  que  des  baies  ou  torrents,  eaux  rapides  et  vio- 
lenter, qui,  dans  leurs  jours  de  colère,  dévorent  leurs  rives  et  font  de  vastes  fissures 
sur  les  flancs  déchirés  des  monts.  Les  eaux  qui  coulent  du  Jura  suivent  un  cours 
plus  long  et  plus  ondulé.  La  Venoge,  la  Morges,  VAuhonnc  {Alpona,  Albonna, 
Aulabonna),  la  Promenlhouse,  VAasse,  le  Boiron,  limite  du  côté  de  la  France,  la 
Versoie,  née  sous  le  château  de  Divonne  {Divorum  unda),  descendent  au  Léman,  d'ac- 
cidents en  accidents,  à  travers  les  sites  les  plus  divers  et  les  scènes  les  plus  pitto- 
resques. 

Le  Léman  {Linien,  Lac  du  Désert,  Lcmanm,  Lac  Losanele,  Mare  Rhodnni,  Lac  de 
(knève)  baigne  le  pied  du  Jura,  du  Jorat  et  des  Alpes.  Il  se  courbe  en  un  limpide 
croissant,  de  Genève  à  Villeneuve.  Sa  longueur  est  de  18  lieues  et  demie;  sa  largeur 
varie.  On  nomme  Grand  Lie  celui  qui  s'élargit  entre  Villeneuve  et  l'embouchure  de 
la  Promenthouse  ;  Peiil  Lac  celui  qui  se  prolonge  jusqu'à  Genève.  Le  Grand  Lac  est 
large  de  7150  toises  entre  Rolle  et  Thonon,  de  6050  entre  Evian  et  Ouchy.  Le  tour 
du  lac  est  de  35  lieues.  On  mesure  500  pieds  de  profondeur  sous  Chilien,  1000  en 
lace  de  Meillerie,  1100  au  nord  d'Evian.  (Voyez  la  BiblioUiêqae  universelk  de  Genève, 
i8i9.)  Le  Grand  Lac  forme  un  vaste  entonnoir;  le  Petit  n'a  nulle  part  plus  de  200 
à  300  pieds  de  profondeur. 

C'est  dans  le  Léman  que  De  Saussure  a  fait  les  expériences  par  lesquelles  il  a 
constaté  que  la  température  de  l'eau,  à  150  pieds  dô  profondeur,  était  toujours  la 
même,  savoir  de  quatre  degrés  et  demi,  en  élé  comme  en  hiver.  C'est  dans  le  Léman 
11,  «9.  60 


h7h  i.A  snssK  nrroHi>xirK. 


que  M.  Oilladon  a  Tait  s<»s  M\vs  pxp<^rienci*s  sur  la  pro|)d<;ation  du  son  dans  l«> 
liquides  (IHhl  ).  —  Le  niveau  du  lae  varie  d'une  saison  à  rautrc.  L'époque  de> 
plus  hauU\s  eaux  est  le  milieu  d*aoùl.  Le  lae  esl  aussi  sujet  à  des  crues  subites,  qut* 
Ton  nomme  selchvs.  I^e  3  août  4763,  une  seiche  éleva  les  eaux,  dans  le  Petit  Lac,  A' 
quatre  pi4*ds  et  demi,  (('^insultez  les  Mémoires  de  la  ^tciêlé  de  Physiqtie  de  Geiien^  \v 
VnYtuje  dans  les  .i/;^».s  de  Ik"  Siiussure,  et  le  mémoire  de  Vallée,  du  Rhône  et  dn  Itu  i^* 
iieiièie,  Paris  I8'i3.)  —  Deux  fois,  en  17ti:2et  en  1805,  le  miroir  du  Léman  s «sr 
couvert  dune  ;;laaM|ui  a  |KTmisaux  patineurs  de  s'élancer  d'une  rive  à  Taulre. 

Le  tableau  du  î/^man  et  de  ses  rives  a  souvent  été  retracé.  Voltaire  n'a  pas  dit 
siins  raison  :  <«  Mon  lac  est  le  premier,  m  Rousseau  a  fait  répéter  en  t(»us  lieux  le  ntmi 
de  (^larens  et  de  s<»n  rivage.  Mathiss4»n  ne  demandait  au  ciel  qu'une  cabane  et  un 
l(»ml)eau  sur  S4's  rivt^.  B\ron,  l^amartine,  Hugo,  les  ont  chantées  de  nos  jours,  b^ 
Taldeaa  daeanUm  de  Yaad  (Lausanne,  1849)  a  dit  le  grand  nombre  des  élninp*^ 
illustix's  que  la  beauté  des  rivagt^  du  Léman  a  attirés  sur  ses  bords  (piige  51  ).  L**  U 
est  tantôt  ealme,  s(*rein  ;  tantôt  il  frémit  et  s'agite,  en  proie  à  des  vents  divers,  b 
hise  ^nord-esl)  S4)ufne  |>ar  riscc*s  dans  le  grand  lac  ;  la  randaire  (sud-est)  sort  du  creu\ 
du  Valais;  le  Immand  (sud-sud-ouest)  fond  h  l'improvistc  des  goi^es  de  Savoie;  k' 
reni  de  Génère  (sud-ouest)  précétie  la  pluie;  icjoran  (nord'OUi*st)  descend  du  Jura. 
Le  refnii,  vent  léger,  se  lève  h  midi,  dans  les  jours  d'été,  et  couvre  le  lac  de  losanges 
ou  de  iNirallélogrammes.  Le  sêehard  vient  du  nord;  le  numnjtiei,  du  midi. 

Une  nap|)e  d'eau  comme  cx'lle  du  lac  de  Genève  a  du  de  bonne  heure  inviter  à  U 
navigation.  Les  rap|M>rts  entre  les  deux  rivages  étaient  fréquents  au  temps  où  le^ 
ducs  de  Savoie  |N>ssédaient  le  Pays  de  Vaud.  Plus  tard,  des  galères  furent  construiles: 
le  |H)rt  de  Morges  fut  ciw,  sur  les  dessins  de  Du  Quesne,  réfugié  dans  les  environs.  Une 
flottille  était  d'ordinaire  amarrée  à  Chillon.  Vers  la  fin  du  18*  siècle,  le  comment 
avait  établi  des  entrepiMs  à  Nyon,  Morges,  Ouehy,  Vcvey;  plus  tard,  d'autres  voies 
se  sont  ouvertes,  et  le  C4)mmerce  du  Léman  ne  consiste  plus  guère  que  dans  rim|)or- 
tation  de  denrées  odcmiales,  dans  l'exportation  de  bois,  de  vins,  de  bestiaux,  de 
Tromages  et  de  gy|)se  |K>ur  Genève.  Trois  espèces  de  bâtiments  à  voiles,  les  barques, 
les  brigantins  et  les  em^hêres,  sont  employées  au  trans|)ort.  Les  bateaux  à  vapeur  onl 
été  introduits  |Kir  un  Américiiin,  M.  Church,  en  1 823.  Le  premier  a  été  le  GnilUmm 
Tell,  Le  liemnrqneHr,  le  Winkelried,  VAhjle,  le  Léman,  VUelréUe,  la  Ville  de-Sgon,  un 
nt)uveau  Gnillanme-Tell,  V Hirondelle,  lui  ont  succédé.  En  hiver,  un  seul  bateau,  par 
tant  à  10  heures,  fait  le  trajet  de  Genève  à  Villeneuve.  En  été,  deux  bateaux  parlent 
ttms  les  matins  des  deux  ports,  tandis  qu'un  troisième,  partant  de  Lausanne  à  sept 
heui-es,  traverse  le  lac  el  suit  la  cote  de  Savoie ,  pour  revenir  à  trois  heures,  en  sui- 
vant la  même  direction.  La  Ville-de-Syon  part  à  une  heure  plus  matinale,  et  touche  au 
Boveret.  Ces  bateaux  ne  servent  guère  qu'au  transport  des  voyageurs.  Dernicreinenl, 
un  biiteau  nouveau  s'est  mis  en  mule,  destiné  au  transport  des  marchandises  :  o'esl 
Vlndossiriel ^  de  la  forcée  de  50  chevaux,  et  qui  fait  deux  lieues  à  l'heure. 

Les  eaux  du  Jura  et  du  Jorat  qui  se  dirigent  vers  le  nord  prennent  la  direction  du 
lac  de  NeucluVtel.  Le  Sozon  des^vnd  de  la  dent  de  Vaulion  ;  VOrbe  sort  du  lac  reculé 
des  Rousses;  elle  forme  le  lac  de  Joux,  long  de  deux  lieues,  sur  25  minutes  de  large, 
se  iHMxl  à  son  extrémité  dans  des  enhnnoim,  |K)ur  reparaître  au  pied  du  mont,  sous 
un  nvlier  demi-circulaire ,  haut  de  iOO  |>ieds ,  el  couronné  de  vastes  sapins:  sourw 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  475 


limpide,  que  celle  de  Vaueluse  n'égale  ni  en  grandeur,  ni  en  fraîche  beauté;  puis 
rOrl)e  rajeunie  arrose  le  vallon  charinanlde  Vallorbe ,  passe  sous  la  ville  à  laquelle 
elle  donne  son  nom ,  et  va ,  sous  le  nom  de  Thièle,  se  perdre  dans  le  lac  de  Neuchâlel. 
WAnwn,  riche  en  truites,  arrose  la  vallée  de  Sainte-Croix,  et,  débouchant  dans  la 
plaine  ondulée  de  Grandson,  se  perd  pareillement  dans  le  lac  près  de  la  Poissine. 

Du  Joral  descendent  le  Talent,  le  Baron,  la  Menlae  et  la  Broie  (Brolius,  Brnw), 
molle  dans  ses  mouvements,  et  qui  sépare,  à  son  passiige  du  lac  de  Morat  dans  celui 
de  Neuchâtel ,  le  Vully  vaudois  du  canton  de  Berne. 

IjCS  chaînes  de  montagne  d'une  longueur  un  peu  considérable  ont  d'ordinaire  à 
leur  pied  des  vallées  marécageuses ,  et  lorsque  les  eaux  trouvent  un  bassin  de  quel- 
que profondeur,  elles  se  répandent  en  un  lac.  C'est  ainsi  que  se  sont  formés  les  lacs 
de  Neuchâtel,  de  Moral  et  de  Bienne.  Celui  de  Neuchâtel,  ou  d'Yverdon,  a  neuf  lieues 
de  longueur  sur  deux  de  largeur.  Sa  hauteur  est  de  1 ,328  pieds  au-dessus  de  la  Médi- 
terranée, de  186  au-dessus  du  Léman.  Sa  plus  grande  profondeur  est  de  400  pieds, 
sous  Cortaillod.  La  hauteur  des  eaux  varie  de  sept  pieds.  La  bise,  le  vent  et  hjaran  en 
rendent  la  navigation  dangereuse.  Son  bateau  à  vapeur,  VIndastriel,  vient  d'être 
remplacé  par  un  vapeur  plus  léger  et  plus  propre  à  naviguer  dans  de  basses  eaux, 
le  Cygne,  — Le  lac  d'Yverdon  appartient  aux  trois  cantons  de  Vaud,  de  Neuchâtel 
et  de  Fribourg;  celui  de  Morat,  à  ceux  de  Fribourg  et  de  Vaud.  Long  de  24, 000  pieds, 
il  ne  dépasse  pas  9,S00  pieds  en  largeur,  ni  492  pieds  en  profondeur.  Jadis  plus 
grand ,  il  baignait  les  murs  d'Avenches. 

Les  torrents  des  Alpes  prennent,  se  dirigeant  vers  le  nord,  une  autre  direction  que 
les  eaux  du  Jorat  et  du  Jura  ;  VHongrin,  sorti  du  joli  lac  de  Lioson,  et  la  Torneresse, 
qui  naît  dans  la  solitude  de  Saxiéma  {Saxa  ima),  coulent  l'un  et  l'autre  vers  la  Sa- 
rine  {Sanona,  Saane),  qui  descend  du  Sanetsch,  pour  arroser  les  vallées  de  Rougemont, 
de  Château-d'OEx ,  et  courir  ensuite  vers  l'Aar ,  à  travers  le  canton  de  Fribourg. 

Les  sources  abondent  dans  tout  le  canton.  Les  eaux  minérales  les  plus  connues 
sont  celles  de  Lavey,  Bex,  l'AUiaz,  l'Etivaz,  Saint-fjoup  et  Yverdon.  D'autres,  la 
plupart  sulfureuses  ou  ferrugineuses ,  au  nombre  d'une  trentaine,  sont  répandues  sur 
la  surface  du  canton. 

Histoire  naturelle.  —  Le  canton  de  Vaud  réunit  tous  les  climats.  La  douceur  du 
ciel  de  Montreux  rappelle  celui  de  la  Provence.  La  figue  y  mûrit  deux  fois  l'an.  Le 
grenadier,  le  laurier,  se  montrent  en  plein  vent.  Le  cœur  du  pays ,  que  l'on  nomme 
le  Gros  de  Vatul,  n'a  pas  le  climat  doux  du  rivage.  Dans  les  monts,  les  sommités,  les 
vallons ,  ont  tous  leurs  climats  divers.  L'air,  pur,  élastique,  est  l'un  des  plus  sains  de 
l'Europe;  mais  la  structure  inégale  du  sol,  et  la  variété  des  expositions,  sont  cause 
de  brusques  changements  de  température ,  souvent  dans  un  même  jour. 

Dans  de  telles  conditions,  la  flore  vaudoise  doit  être  riche  et  variée.  Elle  comprend 
la  plupart  des  plantes  de  la  Suisse.  Les  Alpes  sont  parées  avec  luxe  des  végétaux 
propres  aux  sols  calcaires  helvétiques.  La  végétation  du  Jura  est  moins  riche ,  mais 
c'est  à  son  domaine  qu'appartiennent  le  plus  grand  nombre  des  plantes  propres  au 
canton.  La  raison  en  est  simple  :  les  points  les  plus  élevés  de  la  chaîne,  et  son  versant 
méridional,  sont  compris  dans  les  limites  vaudoises.  Le  bassin  du  lac  de  Neuchâtel  a 
une  flore  différente  de  celle  du  reste  du  canton.  Orbe  et  Yvonand  sont ,  dans  des 
genres  divers,  les  lieux  les  plus  intéressants  à  explorer  decette  contrée. 


476  LA    SUSSE   PITTORESOIE. 


Moins  riche  qu*autreruis ,  la  faniu:  vaudoise  n*en  compte  pas  moins  encore  pr»- 
(|ue  toutes  les  espèces  zoologiques  de  la  région  tempérée  de  TEurope.  Les  aniiDao\ 
sauvages  deviennent  rares.  On  ne  chasse  plus  Tours  tous  les  hivers.  Le  loup  ne  se 
montre  plus  que  dans  les  grandes  neiges.  Le  lynx  a  cessé  de  répandre  l*eflh>i  daib 
les  alentours  de  Chàteau-d*OEx  et  dans  la  plaine  de  Be\.  Les  cerk,  les  chamois,  sont 
toujours  moins  communs.  —  Les  reptiles  appartiennent  à  trois  ordres  :  les  lé 
zards,  les  grenouilles  et  les  serpents.  La  salamandre  liabite  les  rochers  du  Pays 
d*Enliaut  ;  Torvet  est  itimmun  dans  les  prairies;  la  couleuvre  commune  atteint  jus 
qu'à  cinq  pieds  dans  k^  l)ois  de  Chillon;  on  trouve  la  vipère  à  Baulroes,  sur  le 
revers  du  Jorat  et  en  quelques  lieux  des  Alpes;  Taspic  se  cache  dans  les  rocaillesilt* 
La  Vaux.  —  Les  eaux  S4)nt  riclK's  en  poissons.  Presque  toutes  ont  la  Imite,  la 
perche  et  des  poissons  blancs,  du  genre  di's  caprins.  La  truite  du  Léman  atteint 
jusqu'à  50  livres  de  poids.  Elle  a  souvent  été  servie  sur  la  table  des  rois.  Le  silure 
habile  Tembouchure  de  la  Broie  ;  le  peuple  lui  donne  le  nom  de  Mlut,  La  Société 
des  Sciences  naturelles,  dans  une  de  ses  réunions  à  Lausanne ,  a  mangé  un  silure 
du  poids  de  86  livres.  L'anguille  se  montre  dans  plusieurs  rivières  et  dans  les  lacs: 
elle  y  est  rare,  il  est  vrai,  mais  non  pas  assez  pour  justifier  Toubli  qu'en  bilid 
Faune  heltyth^tte,  —  Sur  ^  74  espèces  de  inoUusqties  découvertes  en  Suisse,  le  canlon 
de  Vaud  en  possède  liC  :  deux  seules  lui  appartiennent  en  propre  :  le  limnofHs  m- 
pnlaceus  (Rossm.),  et  le  palndina  abbreriatn  ^Mich.).  —  Il  est  riche  en  animaux  sans 
vertèbres.  Les  monocles  ont  été  décrits  par  Jurine  (Genève,  1820).  I^es  insectes  onl 
été  énumérés  dans  la  troisième  partie  de  la  Fatêtie  helvriique,  par  M.  Heer. 

Le  rèijue  minerai  est  celui  qui  ressort  d'un  sol  composé  de  couches  primitives  sur 
la  limite  du  Vallais;  de  formations  secondaires  (lias,  calcaire  jurassique,  néocomiem 
et  de  terrain  tertiaire  (pouddingue,  grès  et  mollasse).  Partout  on  trouve  des  blw"^ 
erratiques;  il  en  est  qui  mesurent  jusqu'à  160,000  pieds  cubes.  La  houille  repose 
en  couches  qui  s'étendent  de  Paudex  vers  Oron  et  la  frontière  fribourgeoise. 

Antiquités. —  Aucun  canton  de  la  Suisse  n'est  plus  riche  en  antiquités,  et  parti 
culièrement  en  antiquités  celtiques  et  romaines,  que  ne  Test  le  canton  de  VauJ 
Beaucoup,  il  est  vrai,  ont  été  perdues  en  des  temps  d'incurie;  mais  ce  qui  reste esl 
d'une  grande  richesse  encore.  (Consultez  le  remarquable  article  de  M.  Troyon  (lan> 
les  Tableaux  de  la  Suisse  {Gemiplde  der  Schneiz),  au  tome  I"  des  deux  volumes  con- 
sacrés au  canton  de  Vaud,  et  à  la  page  39.  ) 

Partout  se  trouvent  des  antiquités  celtiques,  des  menhirs,  des  tumuli,  deskcbes 
en  pierre  et  en  bronze,  des  vases,  des  ornements  divers.  Dernièrement,  MM.  Fr.  Forel, 
de  Morlot  et  Troyon  ont  exploré  une  richesse  nouvelle,  enfouie  dans  les  lacs  depuis 
plus  de  vingt  siècles.  Sur  de  longues  rangées  de  pilotis  s'élevaient  des  villes  lacustres, 
probablement  pareilles  à  celles  dont  on  a  retrouvé  des  traces  dans  l'Inde  et  dans  des 
régions  australiennes.  Au  pied  de  pilotis  en  chêne  se  sont  trouvés  des  débris  nom- 
breux de  poterie,  d'armes,  d'instruments  divers,  restes  d'une  première  et  informe 
civilisation. 

La  culture  romaine  a  laissé  des  témoins  bien  plus  nombreux  encore  dans  le  sol 
du  canton  de  Vaud.  Nyon,  la  première  cité  romaine  dans  l'flelvétie,  la  Côte,  liau- 
sanne,  Vevey,  la  vallée  du  Rhdne,  celle  de  la  Broie,  et  le  bassin  d'Yverdon,  sont 
particulièrement  riches  en  restes  romains.  Ce  sont  des  monuments  d'art,  des  lom- 


LA   SUISSE   PITTOKESQUK.  477 


beaux,  des  colonnes,  des  mosaïques,  des  restes  de  bains,  des  milliaires,  des  inscrip- 
tions. (Consultez  sur  les  inscriptions  le  dictionnaire  de  Levade,  l'ouvrage  d'Orelli, 
et  le  l'ecueil  de  M.  Momsen.  )  Plusieurs  voies  romaines  ont  traversé  le  pays.  Celle 
qui  de  Gex  seprolongeait  le  long  des  monts  de  la  Côte,  et  se  dirigeait  par  La  Sarraz 
vers  Orbe  et  Grandson,  porte  encore  le  nom  de  voie  d'Eslraz  {viaslrata).  D'autres 
routes  la  croisaient,  venant  de  Coud/i«<?  (Saint-Claude),  et  d'Ariorica  (Pontarlier). 
Elles  se  perdaient  dans  la  route  qui  longeait  le  Léman.  Une  voie  militaire  descen- 
dait du  mont  de  Joux  (Saint-Bernard),  et  se  dirigeait  vers  Oron,  Moudon  et  Avencbes. 
Une  voie  liait  aussi  Âvenches  à  EburoJunum  (Yverdon). 

L'âge  burgonde  et  l'âge  Tranc  ont  aussi  laissé  leurs  monuments.  Ils  se  lient  à 
ceux  d'âge  plus  ancien  dans  les  tombeaux  de  Bel-Air,  près  de  Lausanne,  explorés 
par  M.  Troyon.  Les  couches  inférieures  de  ces  tombes  touchaient  à  l'âge  celtique, 
et  les  supérieures  renfermaient  des  monnaies  de  Charlemagne.  (Consultez  la  Descrip- 
iion  des  tombeaikv  de  Bel-Air,  avec  planches,  1841 .)  Mais  c'est  en  bien  d'autres  lieux 
que  la  pelle  ou  la  charrue  vont  déterrer  des  agrafes,  des  francisques,  des  haches 
d'arme,  des  colliers,  et  même  des  monnaies,  restes  de  cet  âge.  Le  meilleur  guide 
en  cette  étude  est  encore  M.  Troyon  {Gemœlde  der  Schweiz,  tome  1*',  page  77  et 
suivantes).  —  A  ces  restes  se  joignent  ceux  de  l'architecture  romaine  dans  la  con- 
trée. Peu  de  pays  en  possèdent  de  plus  remarquables.  L'art  rhénan  s'y  rencontre 
avec  l'art  byzantin,  combinés  par  le  génie  du  pays.  L'église  de  Romainmotier  et 
celle  de  Berthe  à  Payerne,  les  tours  de  Gourze,  de  Moudon  et  de  Saleucé,  en  sont  de 
remarquables  monuments.  (Consultez  Blavignac,  V Archileclnre  sacrée  dans  les  diocèses 
de  Genève j  Lausanne  el  Sion,  du  i^  au  40^  siècle,  un  beau  volume  in-8**,  avec  plan- 
ches et  un  atlas  in-folio,  et  comparez-le  avec  les  Monuments  de  Neuchdiel  par  Dubois, 
un  volume  in-folio). 

L'âge  suivant  a  vu  s'élever  la  belle  cathédrale  de  Lausanne,  monument  du 
13*  siècle;  les  églises  de  Moudon,  de  Nyon,  d'Orbe,  de  Lucens,  celle  de  Saint- 
François  à  Lausanne;  les  châteaux  d'Orbe,  de  Wufflens,  de  Grandson,  de  La  Sarraz, 
de  Lucens,  d' Avenches,  deBlonay,  duChâtelard,  de  Chilien,  d'Aigle,  de  Lausanne. 
Les  églises  de  Saint-Saphorin  (La  Vaux),  de  Montreux,  de  Villeneuve  et  de  Bex, 
appartiennent  à  une  même  famille  et  à  la  fin  du  moyen-âge.  Quelques  maisons  à 
Lausanne,  à  Moudon,  sur  les  collines  de  La  Vaux,  sur  celles  qui  dominent  Mon- 
treux, et  ailleui^s,  subsistent  encore  comme  témoins  de  la  manière  de  construire 
de  cet  âge.  Plusieurs  étaient  décorées  de  vitraux  ;  presque  partout  on  trouve  des 
escaliers  tournants. 

(Sur  les  monmies  anciennes  et  modernes  du  pays,  consultez,  dans  le  tome  XIII 
des  Métnoires  et  Documents  publiés  par  la  Société  d'histoire  de  la  Suisse  romane, 
le  mémoire  de  M.  Rodolphe  Blanchel,  page  171  à  398,  avec  planches.) 

Histoire.  —  Les  Celtes  ou  Galls  ont  laissé  leur  nom  au  pays.  Quand  les  Bur- 
gondes  ou  Bourguignons  l'occupèrent,  ils  se  mêlèrent  aux  Celto-Romains,  mais  en 
moins  grand  nombre  qu'ils  n'étaient  sur  les  rives  de  l'Aar  ;  de  là  vient  que  la  langue 
ancienne  ou  romane  prévalut  ici,  tandis  que  la  langue  germanique  l'emporta  dans 
la  contrée  où  les  Burgondes  s'établirent  plus  nombreux  ;  de  là  encore  le  nom  de 
GaUs,  de  Walles,  de  Welsches,  donné  par  les  voisins  aux  populations  dont  la  langue 
dérivait  de  la  romaine;  de  là  aussi  le  nom  de  Welschland,  Pagus  Valdensis,  plus 
lard  Patria  Vaudù 


478  LA  snsse  pirroAesQiB. 


La  chronique  légendaire  du  Pays  de  Vaud  fait  régner  Hercule  dans  ce  jiays,  en 
des  àgos  rocul<'*s.  N'esUte  point  un  souvenir  dt^  Phéniciens,  dont  Hercule  où  le  Soleil 
élail  le  dieu,  el  dont  les  factoreries  firent  remonter  par  le  Rhône  la  première  civili- 
sation dans  la  cx)ntréc?  I..es  Celtes  nommaient  le  Léman  Umei^  ou  Lie  du  J^Wl.  Déjà 
ils  étaient  partagés  en  (cantons,  el  formaient  une  confédération,  celle  des  IMcHts. 
On  »)it  leur  défaite  par  Q'^siir.  Le  premier  établissement  romain  en  Helvétie  fut 
celui  de  la  (Mlonîe  éqiu*stre  ou  julienne  (Nyon).  Aveniicum  (Avenches)  devint  la 
capitale  de  la  province  helvétique. 

Quand  les  Biirlmres  envahirent  lempire  romain,  Germains,  Slaves,  Huns,  pas 
stTent  sur  le  {xiys.  Les  Burgondes  s*y  établirent  sous  leur  roi  Gunlher  ou  Gotètahai 
(Gontier).  Ils  se  chargèrent  de  le  défendre  contrit  de  nouveauic  envahissements. 
(Cependant,  les  Allémani,  les  Huns,  les  Sarrazins,  se  montrèrent  encore  mainte- 
fois.  Les  villes  étaient  en  ruines.  Sous  la  domination  des  Francs,  qui  succéda  à  celle 
des  Burgondes,  Marins  trans|)orla  Tévéché  des  Aventiciens  d* Avenches  à  Lausanne, 
ù  la  rencontre  de  la  voie  qui  suivait  le  rivage  du  Léman  avec  celle  qui  débouchait 
de  France  par  Orbe  {aptul  Tnbenuis),  L*évéché  de  Lausanne  s*étendit  de  TAubonne 
à  la  rive  de  TAar.  Sous  les  derniers  Carlovingiens,  un  prince  de  leur  sang,  Rodolphe, 
fonda  le  secx)nd  royaume  de  B<mrgogne,  et  fut  sacré  à  Saint- Maurice.  Berthe,  épouse 
de  son  lils,  Thumble  reine,  fonda  des  tours  pour  la  défense  du  pays,  à  Gourze,  à 
Moudon,  à  la  Morlière  près  d'Estavayer.  Elle  fonda  le  monastère  de  Payeme.  Sa 
mémoire  est  encore  bénie.  Le  dernier  des  rois  Rodolphiens,  hors  d'état  de  tenir  ses 
vassaux  dans  Tobéissiince,  légua  ses  Etats  à  rem{)ereur  d'Allemagne. 

Mais  Tempereur  était  éloigné.  Tous  les  vassaux  levèrent  la  tète.  L'évéque  eût 
voulu  s'ériger  en  prince  d'empire,  comme  ceux  des  bords  du  Rhin.  Les  Grandson, 
les  Estavayer,  les  Gruyère,  les  comtes  de  Genève,  ceux  de  Savoie,  cherchèrent  à 
consolider  leur  puissance  dans  le  pays,  que  l'on  commençait  à  nommer  la  Pairie  de 
VamL  Les  comtes  de  Savoie  furent  ceux  qui  l'emportèrent.  Pierre,  surnommé  le 
Petit  Charlenuujne,  assit  sa  domination  sur  les  deux  rives  du  lac.  Sous  ses  succès- 
seurs,  le  Pays  de  Vaud  fut  tantôt  donné  en  apanage,  à  titre  de  baronnie,  à  des  cadets 
de  la  maison  de  Savoie,  tantôt  régi  par  les  comtes  eux-mêmes.  Dans  le  45'  siècle, 
(*etle  maison  vit  se  ternir  son  éclat.  Elle  régnait  avec  douceur.  Les  Etats  du  pays 
étaient  consultés  sur  les  mesures  de  législation  et  sur  l'impôt.  Quatre  bonnes  villes 
y  étaient  représentées:  celles  de  Moudon,  d'Yverdon,  de  Morges  et  de  Nyon.  Celle 
de  Moudon  était  capitiile.  Mais  le  pays  était  divisé.  L'évoque  possédait  La  Vaux, 
Luccns,  Avenches;  les  sires  l)ourguignons  de  Chàteauguyon,  Orbe,  Grandson  el 
Echallens,  que  Berne  et  Fribourg  leur  enlevèrent  dans  les  guerres  de  Boui^gogne 
(4476);  Aigle  eut  le  même  sort.  Yevey  faisait  partie  du  Ghablais.  La  division  était 
partout,  et  le  prince  était  fmpuissant. 

C'est  dans  ces  circonstances  que  Berne  s*empara  de  la  plus  grande  partie  du  Pays 
de  Vaud,  et  Fribourg  du  reste.  L'introduction  de  la  Réforme  acheva  de  séparer  ce  pays 
de  la  Savoie.  Il  perdit  ses  franchises,  mais  prit  part  à  la  liberté  suisse,  à  l'heure,  il 
est  vrai,  où  l'aristocratie  commençait  à  dominer.  Le  territoire  (ut  divisé  en  bail- 
liages. Les  baillis  étaient  chefs  civils  et  militaires.  Sous  leur  domination,  le  Pays  de 
Vaud  goûta  trois  siècles  de  paix,  peut-être  faut-il  dire  de  sommeil. 

Cependant,  une  Académie  avait  été  fondée  à  Lausanne,  et  celle  ville  était  devenue 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  479 


la  demeure  d'une  sociélé  brillante  et  nombreuse,  composée  d'indigènes  et  d'étran- 
gers. Voltaire  s'y  croisait  avec  J.-J.  Rousseau.  Des  princes,  des  gentilshommes, 
|)endanl  les  guerres  de  l'Europe  contre  Louis  XIV,  s'accoutumèrent  à  venir  vivre 
sur  cette  terre,  française  de  langage,  protestante,  et  d'une  douceur  remarquable  de 
mœurs.  De  leur  côté,  des  Vaudois  étaient  entrés  en  grand  nombre  dans  les  troupes 
données  à  la  France,  à  l'Allemagne,  aux  Etals-Généraux,  à  l'Anglelerre,  au  Pié- 
mont, par  les  cantons  protestants  de  la  Suisse.  Mis  en  contact  avqc  les  idées  du 
siècle,  le  Pays  de  Vaud  ne  tarda  pas  à  fermenter.  Déjà  Davel,  conspirateur  unique 
dans  l'histoire,  avait  appelé,  en  1723,  ses  concitoyens  à  l'indépendance.  Il  ne  fut  com- 
pris qu'à  la  fin  du  siècle.  Alors  la  liberté  politique  trouva  sur  la  rive  du  Léman  l'un  de 
SCS  points  d'appui,  comme  la  liberté  religieuse  l'avait  trouvé  deux  siècles  et  demi 
plus  tôt.  Naguère  gouverneur  dli  czar  Alexandre  de  Russie,  César  de  La  Harpe  fit 
entendre  à  sa  patrie  l'appel  de  Davel,  et  les  armées  françaises  répondirent  à  cet 
appel.  Le  28  janvier  1798,  une  division  de  l'armée  d'Italie  entra  dans  Lausanne. 
Il  fut  offert  aux  Vaudois  de  devenir  le  centre  d'une  république  rhodaniqiie;  ils  ne 
voulurent  point  d'une  séparation  de  la  patrie  suisse.  Après  avoir  fait  pendant  quatre 
ans  partie  de  la  Républiqm  helvéiiqm,  le  Pays  de  Vaud  devint,  en  1803,  le  Canton 
de  Vatd.  Le  14  avril  s'assembla  le  premier  Grand  Conseil  né  de  la  Constitution 
nouvelle. 

En  1815,  l'existence  du  canton  fut  menacée;  Berne  crut  l'heure  venue  de  ren 
Ircr  en  possession  de  son  ancien  territoire  ;  mais  la  fermeté  du  peuple  et  des  magis- 
trats d'un  côté,  de  l'autre  la  bienveillante  protection  d'Alexandre  I*"^  pour  la  patrie 
de  La  Har|M3,  sauva  rindé|)endancc  vaudoise.  La  Constitution  fut  modifiée  dans  l'es- 
prit du  jour.  Le  droit  électoral  fut  restreint,  le  cens  élevé.  Le  Grand  Conseil  fut 
apjHîlé  à  se  compléter  en  partie  lui-même.  Les  hommes  qui  présentèrent  la  nouvelle 
Constitution  au  peuple  étaient  ses  amis  sincères,  mais  ils  craignaient  les  excès  de 
la  démocratie. 

Leur  œuvre  fut  renversée  en  1830,  et  une  Constitution  •nouvelle,  basée  sur  le 
suffrage  univei'sel,  fut  sanctionnée  i>ar  les  suffrages  de  13,170  citoyens,  sur 
16,544  votants.  Le  peuple  se  déclarait  souverain.  Il  n'excluait  du  droit  de  suffrage 
que  les  faillis  et  les  assistés.  Le  Grand  Conseil  devait  être  renouvelé  intégralement 
tous  les  cinq  ans.  Une  initiative  lui  était  reconnue  dans  la  proposition  des  lois.  Le 
Conseil  d'Etat  n'avait,  au  Grand  Conseil,  que  voix  consultative.  Le  pouvoir  judi- 
ciaire était  déclaré  indépendant.  Les  communes  étaient  érigées  en  quatrième  pou- 
voir. La  presse  était  libre;  le  droit  de  i)étition  consacré. 

Le  canton  de  Vaud  a  prospéré  quatorze  ans  sous  cet  ordre  de  choses.  Ses  routes 
sont  devenues  des  meilleures  de  l'Europe,  son  instruction  publique  des  plus  avan 
cées,  ses  milices  des  plus  belles  et  des  mieux  disciplinées  de  la  Confédération.  En 
Diète,  sa  politique  était  médiatrice  entre  celle  de  Berne  et  de  Zurich  d'une  part,  des 
cantons  des  Alpes,  la  plupart  catholiques,  de  l'autre.  Sa  renonciation  à  cette  ligne 
de  conduite  dans  l'affaire  des  couvents  d'Argovie,  a  entraîné  la  Suisse  dans  des 
destinées  nouvelles,  et  a  eu  pour  premier  fruit  le  renversement,  le  14  février  1845, 
de  l'ordre  de  choses  fondé  dans  le  canton  en  1830;  pour  second  résultat,  la  guerre 
engagée  contre  le  Sonderbnnd  en  1847. 

La  Constitution  née  de  la  révolution  de  1845  a  été  acceptée,  le  10  août,  à  une 


^80  L\    SriSSR    PITTIHlESQrK. 


majorité  de  17,672  siiffrasos,  sur  28,522  votants.  Les  assistés  cessent  d'être  exclus 
du  droit  de  suiïra^e.  Tous  les  Ciinrédcrés  habitant  le  canton  sont  admis  à  re\ercicp 
des  droits  politiques,  sous  condition  de  réciprocité.  L*àgc  d*admission  au  rang  do 
citoyen  est  réduit  de  23  à  21  ans.  La  révolution  de  1830  avait  donné  au  Grand 
tIons<*il  une  initiative  dans  la  pro|>osition  des  lois  ;  celle  de  18&S  la  donne  au  peuple: 
KOOO  citoyens  peuvent  se  réunir  pour  porter  une  question  devant  le  Grand  Conseil. 

CoNSTiTt'TioN.  —  L*autorilé  cantonale  est  exercée  par  trois  ordres  de  fonction- 
naires. Le  Grand  Cimml  est  élu  par  les  assemblées  de  cercle,  dans  la  proportioD 
d  un  député  sur  mille  habitants.  Il  est  nomme  pour  quatre  ans.  Le  Conseil  d'Eini, 
composé  de  neuf  membres,  nommes  pour  quatre  ans  aussi,  est  renouvelé  tous  les 
deux  ans  |)ar  moitié.  L Ordre  judiciaire  est  placé  sous  la  surveillance  du  Grand 
(Conseil.  Un  Tribunal  cantonal,  nommé  par  rassemblée  législative,  est  chargé  de  la 
direction  des  aiïaires  et  de  la  surveillance  des  fonctionnaires  de  la  justice.  Chacun 
des  19  districts  a  son  tribunal,  chacun  des  60  cercles  sa  justice  de  paix.  —  La  Com- 
mnne  n*est  plus  mise  au  rang  des  pouvoirs.  Elle  conserve  toute  Tindépendance  com- 
IKitible  avec  le  bien  de  TEtat.  La  Municipalité,  le  Conseil  Communal  et  le  Conseil 
Général  de  Commune  sont,  dans  Tordre  de  la  commune,  ce  que  sont,  dans  l'ordre 
cantonal,  le  G)nseil  d*Etat,  le  Grand  Conseil  et  TAssemblée  des  citoyens. 

MoFXRS,  Ohti'mes  et  Caractère.  —  Les  mœurs  et  coutumes  du  pays  se  sont  com- 
posées de  traditions  gothiques,  romaines,  germaniques.  La  Réforme  les  a  modifiées, 
sans  les  détruire.  Sous  le  gouvernement  de  Berne,  les  Vaudois,  déchai^gés  par  leur^ 
seigneurs  des  soins  de  la  chose  publique,  montraient  une  gaité  irlandaise:  ils  faisaient 
consister  la  liberté  dans  le  plaisir  et  Ic^  jouissances  sociales.  La  société  de  Lausanne 
se  partageait  entre  le  bal,  la  comédie  et  le  jeu.  Les  femmes  étaient  jolies,  enjouée^ 
et  sages,  bien  qu'elles  jouissent  d*une  grande  liberté.  Gibbon  se  demandait  s'il  y  avait, 
dans  cette  société,  devenue  la  sienne,  autant  de  sensibilité  que  de  calcul,  il  accusai! 
les  Lausannois  d'une  triple  affectation  :  d'esprit,  de  dé[)ense  et  de  noblesse.  Gomme 
la  classe  élevée,  le  peuple  aimait  le  plaisir,  la  société,  la  danse.  Le  dimanche,  les 
filles  se  formaient  en  ronde  sur  la  place  publique,  et  dansaient  en  chantant  des 
chœurs  {cm-aules).  Les  foins,  les  moissons,  les  effeuilles,  la  vendange,  se  faisaient 
au  milieu  des  chants.  Telle  chanson  rustique,  commencée  à  Lausanne,  se  redisait 
de  vigne  en  vigne,  et  de  refrain  en  refrain,  jusqu'à  Vevey.  Les  étrangers  ne  par- 
laient de  la  rive  du  Léman  que  comme  d'une  vallée  de  Tempe,  le  jardin  de  l'Europe. 

La  liberté  politique  a  changé  ces  mœurs.  Sérieuse,  elle  remue  la  société^  et  fait 
naître  des  passions  nouvelles.  Le  canton  de  Vaud  célèbre  bien  encore,  à  Vcvej. 
V Abbaye  des  Vignerons,  image  fidèle  de  sa  nature  et  de  ses  mœurs;  mais  c'est  à  des 
époques  qui  s*éloignent  toujours  davantage.  Dans  cette  fêle  symbolique.  Paies,  Cércs, 
Silène,  Bacchus,  se  montrent  chacun  avec  leur  cortège;  Bacchus  a  le  premier  rôle. 
Le  vin  est  l'ami  du  Vaudois;  il  lie  plus  d'une  amitié,  il  console  de  plus  d'une  peine. 
C'est  au  cabaret,  le  verre  en  main,  que  les  alTaircs  se  nouent  et  se  terminent  le 
plus  souvent.  Le  Vaudois  a  des  fidèles  du  dieu  du  vin  l'abandon,  la  bonhomie 
fine  et  gausseuse,  l'insouciance  et  la  gaîté.  La  vie  agricole  exerce  l'esprit  d'obser- 
vation, la  réflexion  et  le  bon  sens.  Mais  quand  le  peuple  est  ami  du  vin,  il  s'y  mêle 
un  état  habituel  d'excitation.  On  s'enflamme  et  l'on  se  refroidit;  on  s'irrite  et  Ton 
s'apaise  ;  on  est ,  à  la  fois,  lourds  cl  mobiles ,  prompts  à  entreprendre  et  prompts  à 


VAUD. 


LA  SUISSE  rrrroiiicsgti!;.  'i8l 


se  lasser,  attachés  à  la  coutume  et  disposés  à  se  prêter  à  des  mœurs  nouvelles.  Tels 
sont  les  Vaudois,  doués  d*un  génie  naturel  qui  les  rend  propres  à  tout,  et  souvent 
retenus  par  une  force  d'inertie  qui  les  attache  à  la  médiocrité. 

Langue  romane  ou  romande.  —  Un  des  traits  les  plus  distinctifs  des  mœurs  et  du 
caractère  du  peuple  vaudois,  est  sa  langue,  son  patois,  né  de  la  décomposition  du 
latin  sous  le  souffle  de  la  race  germanique  des  Burgondes.  Sa  parenté  avec  le 
romanche  dans  les  Grisons,  avec  le  catalan  à  l'ouest,  avec  le  valaque  à  Test,  est 
digne  d'être  remarquée.  Réunis  autrefois  dans  un  même  régiment  en  France,  Vau- 
dois et  Grisons  romanches  n'étaient  pas  longtemps  sans  se  comprendre.  La  langue 
romane  du  Pays  de  Vaud  a  été  l'objet  des  études  sérieuses  de  Bochat,  de  Ruchat, 
de  Bertrand,  de  Ghavanne,  de  Muret,  de  Court  de  Gébelin,  de  Seigneux  de  Correvon, 
dans  le  siècle  passé;  du  doyen  Bridel  et  de  M.  Moratel,  dans  le  nôtre.  Le  libraire 
Gorbaz  en  a  réuni  des  morceaux  en  vers  et  en  prose,  dans  un  recueil  qui  renferme 
des  chefs-d'œuvre  {Morceaux  choisis  en  patois  de  la  Suisse  française.  Lausanne,  1842). 
M.  Moratel  eu  publie  une  collection  nouvelle,  accompagnée  d'une  traduction  et  de 
notes,  sous  le  titre  de  Bibliothèque  romane.  Le  doyen  Bridel  en  a  donné  plusieurs 
morceaux  aussi  dans  le  Conservateur  Suisse,  précieux  recueil  de  la  littérature  du 
pays.  Il  en  a  fait  un  Dictionnaire,  légué  à  la  Société  d'Histoire  de  la  Suisse  romane, 
et  qui  ne  tardera  pas  d'être  publié.  11  avait  essayé  d'en  esquisser  la  grammaire  ; 
mais,  désespérant  de  soumettre  à  des  lois  un  dialecte  dont  les  formes  lui  échappaient 
à  chaque  tentative  pour  les  fixer,  il  a  fini  par  jeter  au  feu  ses  essais.  (Consultez  les 
Gefuûlde  der  Schaoeiz,  tome  11,  pages  1  à  14.) 

LÉGISLATION.  —  D'anciennes  coutumes  ont  longtemps  régi  la  Patrie  de  Vaud.  Elles 
remontaient  à  la  loi  Gombette,  proclamée  par  Je  roi  Gondebaud.  C'était  un  mélange 
de  droit  romain ,  germanique ,  et  probablement  de  mœurs  plus  anciennes.  Sous 
Berne,  le  Coutumier  fut  écrit  et  corrigé.  Un  Code  civil,  publié  en  1819,  est  le  Code 
Napoléon,  réduit,  simplifié  et  modifié  par  les  anciennes  coutumes  du  pays.  Un  Code  de 
procédure  a  paru  en  1837,  et  un  Code  pénal  en  1843.  Si  les  auteurs  de  ce  dernier  code 
se  sont  écartés  de  la  législation  française,  c'est  qu'ils  ont  cru  la  clarté  de  ce  système 
plus  apparente  que  réelle.  Us  ont  tenté  de  nouveaux  sentiers,  et  l'ont  fait  souvent 
avec  succès. 

Cultes.  —  La  Réforme  du  Pays  de  Vaud  a  été  bien  moins  absolue  que  celle  de 
Calvin.  Berne  l'a  promptement  renfermée  dans  des  digues,  soumise  à  ses  ordon- 
nances, et  dépouillée  des  attributions  qui  entretenaient  la  chaleur  dans  le  sein  <le 
l'Eglise.  Les  Gouvernements  qui  ont  pris  sa  place  ont,  plus  ou  moins,  succédé  à  su 
politique.  Berne  avait  divisé  les  170  paroisses  en  quatre  classes  ou  arrondissements 
ecclésiastiques,  leur  interdisant  de  correspondre  entre  elles;  cet  ordre  fut  maintenu. 
Le  salaire  fut  réglé  sur  un  pied  d'égalité,  l'ordre  d'avancement  fixé  d'après  le  ran^ 
de  consécration.  Aucune  assemblée  synodale,  aucune  intervention  des  paroisses. 
Réveil  après  1815  ;  on  .a  nommé  de  ce  nom  un  mouvement  né  du  besoin  de  revenir 
(>  d'anciennes  doctrines,  chez  les  uns;  d'une  religion  vivante  et  consciencieuse,  chez 
un  grand  nombre.  Nous  n'avons  besoin  que  de  citer  les  noms  de  Gonthier,  Manuel, 
Vinet.  Les  besoins  qui  s'étaient  manifestés  furent  refoulés  plutôt  que  compris.  Une 
lutte  vive  s'engagea.  Cependant  la  tolérance  reparut  en  1830.  Le  mariage  civil  fut 
séparé  du  mariage  religieux.  L'Eglise  fut  réorganisée  en  1839.  La  séparation  des 

11,  30.  61 


48*2  LA   SUSSE   PITT0BeS4it'E. 


classes  fut  maintenue.  La  Confession  de  foi  helvétique  fut*  abolie  comme  formulaire, 
la  Bible  déclarée  seule  règle  d'enseignement.  L'Etat  se  réservait  les  droits  (k* 
révéque. 

Le  clergé  subit  cette  loi  plus  qu'il  ne  Taccepla.  Vinet  écrivit  son  Essai  sur  la  mmi 
feslaiion  des  amcictions  relujieiises,  couronné  à  Paris  par  la  Société  de  la  Morale  chré 
tienne,  en  1842.  Son  journal,  le  Seinenr,  publia  sa  pensée  :  «  L'homme  ne  peut 
donner  que  ce  qui  lui  appartient;  il  doit  à  sa  patrie  tous  les  sacrifices,  celui  de  sa 
conscience  excepté.  » 

Le  flot  populaire  se  releva  en  1845.  Le  Gouvernement,  qui  s'appuyait  sur  ce  Oot, 
laissa  attaquer  les  chapelles  des  dissidents,  les  oratoires  nationaux  et  les  réunions 
qui  avaient  la  religion  pour  objet.  Il  finit  par  les  interdire.  Alors  160  pasteurs,  la 
grande  majorité  du  clergé,  refusa  le  salaire  de  l'Etat  à  ces  conditions.  De  leur  démis 
sion  est  née  une  Eglise  libre,  qui  a  sa  Faculté  de  théologie,  son  organisation,  et 
compte  quarante  et  quelques  paroisses. 

L'Eglise  nationale  est  régie  par  des  pleins-pouvoirs,  rendus  nécessaires  par  la 
situation.  Le  nombre  de  ses  paroisses  a  été  réduit.  Le  culte  catholique  est  garanti 
par  la  Ck)nstitution  dans  un  certain  nombre  de  paroisses  du  district  d'Echallens.  Dan^ 
le  reste  du  canton,  l'exercice  du  culte  romain  est  réglé  par  une  loi  du  3  juin  1840. 
qui  a  permis  l'érection  de  chapelles  à  Lausanne,  Aigle,  Vevey,  Morges,  Rolle,  Nyon. 
Yverdon  et  Romainmotier.  —  Lausanne  et  Vevey  ont  des  paroisses  allemandes. 

Instruction  pidliqie.  —  L'Académie  de  Lausanne,  fondée  après  la  Réformation, 
fut  longtemps  moins  une  institution  scientifique  qu'un  séminaire.  Elle  eut  pourpro 
fesseurs  Virct,  Bèze,  Conrad  Gessner,  Gurion,  llottoman,  Jean  Serres,  Ramus,  Henri 
Estiennc,  Mathurin  Cordier,  Chandieu.  Puis  Barbeyrac,  P.  Grousaz,  Peliez,  Rudiat. 
Loys  de  Bochat,  Allamand,  Vicat,  Tissot,  Chavannes,  Durand,  Develey,  enseignè- 
rent avec  distinction.  L'instruction  publique  fut  réorganisée  en  1806.  Des  chaires 
nouvelles  furent  créées.  L'Académie  reçut,  avec  le  maintien  du  droit  de  consacrer 
les  ptistcui's,  celui  de  licencier  en  droit.  Le  collège  cantonal,  les  collèges  des  villes, 
furent  réorganisés.  L'instruction  primaire  reposa  sur  une  loi  modèle.  L'instniction 
était  gratuite,  et  la  fréquentation  de  l'école  obligatoire  de  sept  à  seize  ans. 

Nouvelle  impulsion  en  1830.  L'Académie  fut  organisée  en  trois  facultés  :  lellres. 
droit,  et  théologie.  Le  nombre  des  professeurs  ordinaires  fut  porté  à  dix-sept,  et  leur 
enseignement  complété  par  des  cours  extraordinaires.  Les  noms  de  Gurtat,  Daniel 
Alexandre  Ghavannes,  Vinci,  Monnard,  Sainte-Beuve,  Miskiéwitz,  Olivier,  Porchal, 
Gindroz,  honorèrent  l'Académie.  L'histoire,  les  lettres,  les  sciences  naturelles,  étaient 
l'objet  d'une  prédilection  particulière;  les  sociétés  occupées  à  ces  études  furent 
encouragées.  Deux  écoles  normales  furent  fondées  pour  former  des  instituteurs  et 
des  institutrices.  Une  école  modèle  fut  instituée  auprès  de  l'école  normale. 

Une  dernière  loi  sur  l'instruction  publique  (1846)  n'a  pas  essentiellement  nioditiê 
celte  organisation.  Désencombrer  a  été  le  but  du  législateur.  Il  a  réduit  à  treize  le 
nombre  des  professeurs,  et  divisé  l'enseignement  primaire  en  deux  degrés,  distin- 
guant les  objets  dont  l'étude  est  jugée  nécessaire  de  ceux  dont  l'étude  est  facul- 
tative. 

Agrigllturi!:.  —  La  surface  du  canton  est  de  600,000  poses,  ou  120  lieues  suisses 
carrées.  Les  forêts  couvrent  135,000  jwscs,  les  |H\turages  160,000,  les  cbain|fo 


LA   SIJ1SSR    PITTORESQUE.  485 


454,000,  les  prairies  420,000,  la  vigne  13,000,  les  jardins  3000.  On  estime  la 
valeur  des  terres  à  environ  360  millions,  et  celle  des  bfttiments  à  420  millions. 
Le  sol  est  plus  divisé  que  peut-être  nulle  part  ailleurs.  Le  canton,  qui  ne  produi- 
sait en  4803  que  les  deux  tiers  des  céréales  nécessaires  à  sa  subsistance,  est  bien 
près  aujourd'hui  de  suffire  à  son  alimentation.  Le  fermage  est,  en  moyenne,  de  20  h 
30  francs  par  pose.  La  vigne  occupe  les  bras  de  20,000  vignerons.  Son  produit  est, 
en  moyenne,  de  78,000  chars,  dont  25,000  sont  exportés.  Les  pâturages  des  Alpes 
nourrissent,  Tété,  35,000  têtes  de  bétail. 

Industrie,  Ck)MMERGE.  —  L'aisance  est,  dans  le  canton  de  Vaud,  le  fruit  du  travail 
(les  champs;  l'industrie  n'y  est  que  pour  une  moindre  part.  Beaucoup  de  Vaudoiss'ex- 
)3atrient  comme  précepteurs,  maîtres  d'école,  commerçants;  beaucoup  aussi  comme 
domestiques;  plusieurs  rapportant  de  la  fqrtune  dans  leur  patrie.  Le  prix  de  la  main 
il'œuvre  est  élevé,  et  cependant  ce  sont  des  étrangers  qui  construisent  les  routes, 
ol  exercent  de  nombreux  métiers.  Parmi  les  industries  florissantes,  citons  les  ateliei*s 
de  marbre  de  M.  Doret,  à  Vevey;  les  tanneries  de  M.  /.-/.  Mercier j  à  Lausanne;  la 
fabrication  de  rasoirs  de  M.  Lecoultre,  dans  le  val  de  Joux  ;  les  tôles  de  M.  HeeTj,  h 
Lausanne;  les  violons  de  M.  Pupunat,  —  Le  commerce  a  pour  objets  les  vins,  les 
iK)is,  les  cuirs,  les  fromages,  le  bétail.  Les  principales  importations  viennent  de 
France,  de  Hollande  et  du  Piémont  ;  les  exportations  ont  lieu  pour  les  cantons  voi- 
sins.  —  Le  transit  est  d'environ  450,000  quintaux.  —  Une  Compagnie  s'est  formée 
sous  le  nom  de  Compagnie  de  l'Ouest,  qui  a  commencé  la  construction  d'un  chemin 
de  fer,  lequel  doit  traverser  le  canton  de  Vaud  dans  sa  plus  grande  longueur. 

Savants  et  Hommes  distingués.  —  Nommons  le  chroniqueur  Marins,  dans  le  5« 
siècle;  les  chanoines  Conon  d'EsUivayer,  dans  le  43*,  et  Le  Franc,  dans  le  45*.  Ajou- 
tons aux  noms  des  hommes  qui  ont  honoré  l'Académie,  ceux  du  jurisconsulte  Qui- 
zard,  du  pasteur  La  Fléchère,  de  Gandin,  auteur  de  la  Flore  hdvétiqne,  de  Garcin  de 
CoUem,  botaniste  et  littérateur;  de  Reverdil,  auteur  d'une  histoire  du  Danemark. 
Monod  a  laissé  des  Mémoires.  Venel  a  fondé  l'orthopédie.  De  Félice  a  publié  l'Ency- 
clopédie d'Yverdon,  celle  du  droit  et  des  écrits  de  jurisprudence,  que  l'on  réimprime 
de  nos  jours.  L'ingénieur  Guisan  a  laissé  un  nom  cher  à  la  Guyane.  Exchaqnel 
a  écrit  sur  les  ponts  et  chaussées.  Le  grand  Haller  a  laissé  toute  une  école  de  natu- 
ralistes dans  la  contrée  qu'il  a  longtemps  habitée.  Louis  Muret  a  écrit  sur  la  Popu- 
lation. Dutoit  Membrini  était  un  mystique  original  et  profond;  Porta,  un  excellent 
jurisconsulte.  Seignenx  de  Correvon  appartenait  à  l'école  historique.  Loys  de  Cheseaux 
a  pris  rang  dans  l'histoire  de  l'astronomie  ;  Antoine  de  Poliez  dans  celle  des  mytho- 
logies.  Griffon,  Hilden,  Tissot,  Mathias  Mayor,  ont  écrit  leurs  noms  dans  les  annales 
de  la  médecine  et  de  la  chirurgie.  Parmi  les  romanciers.  M™*'  de  Charrière  et  de 
Moniolieu  ont  une  place  distinguée.  Cent  et  trente  romans  ont  été  écrits  à  Lausanne 
et  dans  le  Pays  de  Vaud,  vers  la  fin  du  siècle  dernier  et  dans  le  commencement  de 
celui-ci. 

Dans  ce  siècle,  doivent  s'ajouter  aux  noms  que  nous  avons  déjà  cités  ceux  des  trois 
frères  Bridel,  Louis,  Philippe  et  Samuel  ;  du  général  de  La  Harpe,  du  général  Jominy, 
du  colonel  de  Rovéréaz,  à  Antoine  Pellis,  de  G,-H.  de  Seigneux,  de  Miéville,  des  colla- 
iiorateurs  aux  Mémoires  de  la  Société  d'histoire,  MM.  de  Gingins,  Hisely,  Troyon, 
de  Charrière,  Gaullieur.  MM.  Monnarâ  et  Vulliemin  ont  continué  J.  de  Muller: 


<^ 


^84  L4    SI  t»%R   PITTORRSQrE. 


Ai.  Verdeil  a  écrit  la  meilleure  histoire  du  canton.  La  poésie  a  été  représentée  par 
Oliritr,  Porrhat,  Monneron,  Onrand,  Ogex;  la  philosophie  par  Piichard,  L^rrt  et 
Kk.  Secretan,  Une  femme  aimable.  M"'  Herminie  Ckarannea,  s'est  exercée  dans  pli» 
d*un  genre.  La  peinture  compte  les  noms  de  Bratuloin,  Dmtos,  Sablel,  Kaitermann, 
Midlener,  Arlaïul,  Strf,  Br^ner,  Bonnet,  Gle^re,  Alfred  Van  Muyden,  GwUar^  Baux. 
—  Parmi  les  géologues,  MM.  de  Charitenlier  ei  Agaxxh  se  sont  placés  au  premi^  rang. 

Villes,  Boiros  et  altrrs  lieix  rkmarquables.  —  Lausanne  {Lamonium,  Lan- 
sttnna),  capitale  du  canton,  est  née  sous  la  protection  de  TEglise,  au  pied  de  sa  ca- 
lliédrale.  La  Cite,  ville  de  IVvèque,  le  Bourg,  ville  des  nobles,  le  PofU,  la  Pahêd  et 
Sttint'Liurent,  quartiers  de  la  bouiigeoisie,  se  fondirent,  en  I&81,  en  une  dté,  qui 
se  constitua  sur  le  modèle  des  villes  suisses.  La  situation  de  Lausanne  est  admiraUe. 
Aucun  S4}\  n'est  plus  riche  en  aspects  enchanteurs  que  celui  qui  descend  du  Jorat  au 
lac,  de  terrasses  en  terrasses,  d'ondulations  en  ondulations.  La  population  est  de 
48,000  âmes.  Une  route ,  tracée  par  Adrien  Pischard ,  crée  autour  de  la  ville  an- 
cienne une  voie  de  circuit,  d'une  pente  insensible.  Le  pont  Pinchard  ou  Grand-Ponl 
lie  la  place  de  Saint-François  au  quartier  de  Saint-Laurent.  Ce  pont ,  haut  de  "ih  mè- 
tres, large  de  10,  a  180  mètres  de  longueur.  La  ville  s'étage  en  amphithéftlre  au- 
dessus  de  ce  pont.  Sur  la  place  à  laquelle  il  aboutit  se  voient  la  Maison  des  postes, 
le  (lercle  littéraire,  l'église  de  Saint-François,  où  vint  finir  le  concile  de  Bàle  (1449  ), 
et,  parmi  d'autres  hôtels,  celui  qui  s'élève  dans  les  jardins  de  la  maison  qu'liabilait 
Gibbon ,  et  qui  porte  son  nom.  La  rue  de  Bourg  est  le  prolongement  de  la  place 
de  Saint-François.  Sous  cette  rue  se  montrent  le  Casino,  la  promenade  de  derrière 
Bourg,  les  campagnes  de  Beau-Séjour,  de  Sainte-Luce ,  de  Mornex  ;  plus  bas,  celles 
des  Cours,  celle  de  Montriond,  jadis  habitée  par  Voltaire,  le  port  et  l'^se  d'Ouchy. 
qui  sert  au  culte  anglais  :  et  le  Denantou ,  jardin  toujours  ouvert  au  public  par  son 
généreux  propriétaire,  M.  Haldimand.  A  l'extrémité  de  la  rue  de  Bourg,  l'hôtel  du 
Faucon  domine  une  place  où  se  rencontrent  les  routes  de  Berne  et  de  Vevey.  Sur 
cette  route  s'élèvent  les  maisons  de  Bellevue,  Mon  Repos,  TEglantine.  Sous  la  route 
de  Berne  s'étend  la  Maison  pénitentiaire,  la  première  construite  sur  le  continent. 

La  Cité  porte  la  Cathédrale ,  le  Collège  académique ,  qui  renferme  la  Bibliothèque 
cantonale,  de  46,000  volumes,  et  les  musées  divers,  d'antiquités,  de  sciences  natu- 
relles, etc.  ;  le  Château ,  résidence  du  Gouvernement,  l'hôpital  cantonal,  et  l'église 
allemande.  1^  Cité  domine  la  place  de  la  Palud,  où  se  trouve  THÔtel-de- Ville.  A  son 
tour,  elle  est  dominée  par  la  campagne  de  l'Hermitage  et  par  le  Signal,  derrière  lequel 
s'étend  le  bois  de  Sauvabelin  {sylia  Belini).  La  place  de  la  Riponne  {Ripœ  unda)  sé- 
pare la  Cité  de  Saint-Laurent;  autour  de  cette  place  se  montrent  les  tilleuls  ée  la 
Madeleine,  la  Halle  aux  blés,  le  Musée  Arlaud ,  école  de  peinture ,  l'Ecole  de  charité . 
l'église  catholique ,  les  campagnes  du  Valentin  et  de  Riantmont.  Au  sortir  de  la 
place  du  faubourg  de  Saint-Liaurent,  on  trouve  l'Asile  des  aveugles,  belle  fondation 
de  M.  Haldimand  ;  puis  les  campagnes  de  Beaulieu,  du  Belvédère ,  de  Collonges,  de 
la  Chablière  et  du  Désert.  Une  route  nouvelle ,  qui  se  prolonge  vers  Yverdon,  passe 
entre  les  campagnes  de  Vernand,  et  conduit  à  Bel-Air,  habitation  de  M.  Troyon,  qui 
possède  un  riche  musée  d'antiquités.  —  Lausanne  est  le  centre  où  se  réunissent  les 
diverses  Sociétés  d'Utilité  publique,  des  Sciences  naturelles,  d'Histoire  de  la  Suisse 
romane,  celle  des  pauvres  incurables,  etc.  Une  société  artistique  et  littéraire  avait 


Û 


^       t 


LA   SUISSE   PITTORRSQrR.  48S 


naguère  encore  tous  les  quinze  jours ,  en  hiver,  des  réunions  de  chant,  de  musique 
et  de  lectures  publiques. 

A  l'occident  de  Lausanne  s'étalent ,  de  deux  en  deux  lieues ,  au  pied  des  monts 
de  la  Côte,  les  jolies  villes  de  Morges,  Rolle,  Nyon  et  Coppet,  ornements  du  rivage. 
Marges  {Morsee,  3300  âmes)  a  un  arsenal  et  de  jolies  promenades;  sur  les  coteaux 
qui  la  dominent  se  montrent  les  tourelles  du  château  de  WulTIens.  Saluons  en  pas- 
sant le  château  d'Allamand  {Ad  Lemannm).  Rolle  (1500  âmes)  se  cache  derrière 
Tile  qui  porte  le  monument  élevé  à  la  mémoire  de  La  Harpe.  Le  château  qui  se  voit 
h  gauche  de  la  ville  est  celui  de  Rosey.  Nyon  {Nems,  2460  âmes)  est  entourée  de 
lielles  habitations  de  campagne ,  parmi  lesquelles  mérite  d'être  remarqué  le  château 
de  Prangins,  naguère  la  propriété  du  général  Guigner,  et  qui  fut  en  4844  la  rési- 
dence de  Joseph  Bonaparte.  Le  château  qui  domine  le  bourg  de  Coppet  (500  âmes) 
est  plein  des  souvenirs  de  la  famille  Necker  et  de  M"""^  de  Staël.  Sur  les  collines  de 
la  Côte  se  dessinent  le  beau  village  de  Begnins  ;  le  signal  de  Bougy,  point  de  vue 
d'une  admirable  beauté;  l'Elysée  de  M.  Fr.  Delessert,  et  la  ville  d'Auhonue 
(4600  âmes),  avec  son  château,  jadis  la  retraite  de  Du  Quesne,  et  celle  du  voya- 
geur Tavernier.  Derrière  les  coteaux,  et  au  pied  du  Jura,  se  cachent  de  riches  vil- 
lages; celui  de  Bière  possède  à  lui  seul  quelques  mille  poses  de  forêts  et  de  pâturages, 
que  l'on  peut  estimer  quatre  à  cinq  millions.  Dans  le  Jura,  le  val  de  Joux  renferme 
une  active  population ,  partagée  entre  les  soins  de  la  vie  pastorale  et  les  travaux  de 
l'horloger.  On  y  descend  de  gradins  en  gradins,  jusqu'au  bassin  qui  renferme  les 
trois  lacs  de  Joux,  de  Ter  et  des  Brenets.  On  assure  que  les  moines,  premiers  coloni- 
sateurs de  cette  contrée ,  voulant  augmenter  la  pèche ,  fermèrent  les  entonnoirs  par 
lesquels  ces  lacs  se  dégorgeaient  dans  les  profondeurs  du  Jura,  et  en  élevèrent  le 
niveau  à  une  hauteur  inférieure  à  celle  qu'ils  doivent  avoir  eue  en  des  temps  reculés , 
mais  supérieure  à  celle  qu'ils  ont  de  nos  jours.  Longtemps  la  voix  de  la  prière  et  la 
hache  du  bûcheron  se  firent  seules  entendre  dans  la  vallée.  Enfin  Vinet-Rochat  vint 
(le  Bourgogne  fonder,  près  des  sources  de  la  Lionne ,  des  forges,  commencement  de 
l'industrie  aujourd'hui  florissante  de  la  contrée.  La  couche  végétale  n'a  que  quatre  h 
six  pouces  d'épaisseur,  douze  â  dix-huit  dans  les  lieux  les  meilleurs.  L'orge  ne  réussit 
que  dans  les  communes  de  l'Abbaye  et  du  Lieu  ;  dans  celle  du  Chenit  on  est  réduit 
h  l'avoine  et  aux  fourrages.  Le  lin  ne  prospère  pas.  Le  seigle  du  printemps  donne 
plus  de  paille  que  de  grain.  Du  côté  de  France ,  la  forêt  du  Risoud,  vaste  rideau  long 
(le  27,000  pas,  sépare  la  vallée  de  Joux  de  la  Franche-Comté.  Des  sommités  du 
Mont-Tendre  et  de  la  dent  de  Yaulion ,  des  monts  qui  lient  ce  bassin  au  reste  du 
canton ,  la  vue  s'étend  sur  le  Pays  de  Vaud ,  les  lacs ,  la  chaîne  des  Alpes,  la  moitié 
de  la  Suisse. 

Derrière  Lausanne,  et  au  cœur  du  pays,  se  trouvent  le  bourg  d'£c/iaitefw  (  Tscher- 
lilz)  et  les  petites  villes  de  Cossonay  et  de  La  Sarraz;  l'hospice  de  Saint-Loup^ 
fondation  bienfaisante  de  M.  Butini;  la  ville  d'Orbe  {Urba,  4900  âmes),  autrefois 
capitale  d'un  des  cantons  de  l'Helvétie,  résidence  des  patrices  dans  le  moyen-âge,  et 
qui  se  glorifie  encore  aujourd'hui  de  son  beau  pont  et  de  ses  alentours.  Romaimno- 
tier  (  Romanis  ^mmaslerium  )  repose  en  un  vallon  tranquille,  ombragé,  vraie  retraite 
monastique.  Une  arête  du  Jura  sépare  ce  bourg  du  village  de  Vallorbe  (4500  âmes), 
ancien  prieuré,  où  l'Orbe  met  aujourd'hui  en  mouvement  les  soufflets  de  trois  grands 


48(J  LA  snsse  pittori»o»'R. 


feux  de  Torges  el  quinze  marlinels.  Près  de  Vallorbe  sont  la  source  de  TOrbe,  le  sou- 
terrain le  Temple  ihs  Fées,  el  la  Ixîlle  casc*-ade  connue  sous  le  nom  de  SniU  du  Durs. 
Le  long  du  Jura  se  montrent  les  Iteaux  villages  de  Valeyres,  de  Ranoes  el  de 
Kaulmes,  rival  de  celui  de  Bière  |>ar  sa  richesse.  Derrière  les  roclies  de  Baulmes  est  le 
vallon  de  Sainlt*  Cmi.r,  où  Ton  faisait  naguère  encore  50,000  boites  <^  musique  par 
an,  el  qui  verse  annuellemenl  dans  le  cx)mmerce  plus  de  5000  montres. 

Le  vallon  de  Sainle-Ooix  débouche  dans  la  plaine  ondulée  qui  descend  au  lac  de 
NVuchilel,  couverte  de  nombreux  villages,  parmi  lesquels  se  font  remarquer  ceux 
de  Honiillais  el  de  Concis*».  C'est  entre  ces  villages  que  s'est  engagée  la  bataille  de 
(iratuUnn,  Le  clu\leau  et  la  ville  de  ce  nom  se  dessinent  sur  le  rivage.  A  rexlrémilé 
du  lac  repose  la  jolie  ville  d' Yrerdon  (  Qislrum  Ebrodnneine, 
Ifferteu,  3000  âmes),  avec  ses  promenades,  son  port,  sfô  débri^i 
romains ,  recueillis  dans  rhôtel-de-ville ,  sa  bibliothèque  pu- 
blique, son  château,  naguère  la  demeure  de  Pestalozzi,  et  nm 
inslilul  de  sourds-muets.  A  Test  d'Yverdon  s'élèvent  les  dernières 
ramiHcalions  du  Jorat,  Arcadie  couverte  de  forêts  de  chênes  et 
semée  de  villages  nombreux,  Ronai ,  Chanétiz,  Cshuvannr  h- 
(Ihène,  Biolfij;  au  pied  des  monts,  Yvonand  se  montre  à  quelque 
dislance  du  rivage,  qui  jadis  arrivait  jusqu'à  ses  jardins. 
La  roule  qui  conduit  de  Lausanne  à  Berne  gravit  péniblement  le  Jorat,  pour 
des(»endre  dans  la  tranquille  vallée  de  la  Broie,  et  s'y  prolonger  jusqu'à  Morat.  Elle 
Iravei^se  trois  villes.  Momlon  (Mhwlnnum,  Mihlen),  ancienne  capitale  du  pays, 
possède  encore  la  maison  dans  laquelle  on  assure  que  s'assemblaient  les  EtaU. 
L'église  de  Saint-Etienne  semble  reproduire  la  cathédrale  de  Lausanne  dans  des 
proportions  réduites.  Celle  de  la  reine  Berthe,  à  Payerne  (  Peierlhigen  ),  est  une  œuvre 
d'architecture  qui  mérite  d'être  étudiée.  Les  pierres,  tirées  des  ruines  d'Avenches, 
et  les  murs,  de  pierrailles  coulées  en  mortier,  ne  forment  qu'une  masse  compacte. 
Avpiiches  (  Wifflisbntg)  conserve  dans  un  musée,  commencé  trop  tard,  des  restes 
de  son  antique  grandeur. 

Une  voie  nouvelle,  qui  de  Lausanne  conduit  directement  à  Fribourg,  franchit  le 
Jorat  à  travers  les  vallons  de  Savigny  et  des  paysages  toujours  nouveaux,  toujours 
saisissants,  et  descend  dans  la  tranquille  vallée  A'Oron,  presque  enclavée  dans  le 
canton  de  Fribourg. 

Une  dernière  roule  part  de  Lausanne  pour  se  diriger  vers  le  Vallais  et  l'Italie. 
Elle  passe  sous  les  coteaux  vineux  de  La  Vaux  {Ryfflhnl),  à  travers  les  petites  villes 
de  Lntry,  Cally  el  Sainl-Saphovin.  Vevey,  ville  charmante,  peuplée  de  5  à  6000  âmes, 
esl  le  séjour  d'étrangers  nombreux  qu'attirent  la  beauté  du  site  et  la  douceur  des 
mœurs  des  habitants.  Le  voyageur  s'arrête  à  visiter  le  temple  de  Saint-Martin,  la 
maison  qu'a  habitée  Ludlow,  la  belle  place  du  Marché,  à  l'angle  de  laquelle  s'élève 
le  palais  Couvreu.  Tous  les  étrangers  qui  l'ont  habité,  s'accordent  à  nommer  le  bel 
hôtel  des  Trois-Couronnes,  l'hôtel  modèle.  Du  belvédère  de  l'hôtel,  la  vue  embrasse 
le  lac,  les  monts  de  Meillerie,  la  Dent  du  Midi,  la  chaîne  des  Alpes  vaudoises,  les 
châteaux  de  Blonay,  du  Châlelard,  de  Chillon,  une  nature  qu'aucune  autre  ne  sur- 
passe en  grâce  el  en  majesté.  Montretu  n'est  pas  le  séjour  d'étrangers  moins  nom- 
breux que  Vevey.  Son  climat  est  celui  de  l'Italie.  Les  Alpes  protègent  ce  rivage 


LA    Si:iSSK    PITTOUFXQIE. 


ltS7 


Le  château  île  Cliillon. 


coiilie  le  vent  du  nord.  Cliillon  est  plein  du  souvenir  de  Bonnivard.  y^illeneuce  est 
assise  à  Textrcmité  du  lac,  au  pied  de  la  colline  sur  laquelle  s'élève  l'hôtel  Byron. 
Plus  loin,  la  route  s'engage  dans  la  vallée  du  Rhône.  Elle  passe  à  Aùfle  et  h  Bex.  Les 
environs  de  Bex,  sa  plaine,  ses  vergers,  ses  bois  de  châtaigniers,  ses  l)elles  Alpes, 
ses  siilines  dans  la  profondeur  des  monts,  son  tiède  climat,  en  font  un  lieu  recherché 
des  étrangers.  Le  canton  se  termine  aux  bains  de  Lavey,  situés  au-delà  de  Saint- 
Maurice,  sur  la  rive  droite  du  Rhône.  (Consultez  sur  ces  bains  les  Annales  de  pluj- 
sûine  et  de  chimie,  LVIII,  109.)  Au-dessus  de  la  vallée  du  Rhône  s'étend  le  labyrinthe 
des  Al|)es  vaudoises,  riches  en  beautés  pittoresques,  en  scènes  de  grandeur  et  de 
paix.  L'habitant  de  la  plaine  vient  volontiers,  dans  Tété,  respirer  l'air  pur  et  frais 
dans  ce^  hauts  vallons.  La  cime  de  Naïe,  Janian,  la  belle  vallée  de  Chdteau-d'OEx, 
les  bords  encaissés  de  l'Hongrin,  les  lacs  charmants  de  Liaason  aidWrnon,  ceux  de 
Chamosaire,  le  inede  Cluinssy,  le  Plan  des  Iles,  avec  ses  nombreux  chalets  semés  au 
pied  de  l'amphithéâtre  des  Diablerets,  les  villages  de  chalets  de  Tareyanmz  et 
d'Enseindaz,  les  bords  enchanteurs  de  VAreneon,  les  forêls  de  mélèzes  (|ui  se  déploient 
comme  la  plus  riche  des  parures  autour  de  Gryon,  et  bien  d'autres  lieux  encore, 
rornement  de  cette  nature  magnifique,  sont,  chaque  année,  le  but  de  pèlerinages 
nombreux.  Partout  on  trouve  des  hôtels,  à  (jryon,  aux  Ormonts,  à  la  Comballaz, 
à  Chàteau-d'OEx,  et  à  la  Rossinière,  où  la  yrande  maison,  percée  de  113  fenêtres 
et  couverte  d'inscriptions,  selon  Tusage  des  Alpes,  réunit,  chaque  élé,  une  société 
cultivée  et  nombreuse  dans  la  liberté  des  Alpes. 

L.    VULLIKMIN. 


~^^^' 


CANTON  DU  VALLAIS. 


Limites,  Etkndie,  Climat.  —  Le  Vallais,  le  20*  Cîinlon  de  la  Confédération  suisîje. 
t*st  borné  au  nord  par  les  cantons  de  Berne  et  de  Vaud,  au  sud  par  les  Etats  sardes, 
à  Test  par  les  cantons  du  Tessin  et  d*Uri,  et  à  Touest  par  la  Savoie,  le  Léman  el  le 
canton  de  Vaud.  Il  consiste  en  une  longue  et  étroite  vallée,  creusée  dans  le  sein  des 
Alpes,  sur  une  longueur  de  hO  lieues,  touchant  d'un  cdté  aux  pics  neigeux  de  la  Furka. 
et  de  l'autre  aux  rives  enchanteresses  du4ac  de  Genève.  Deux  chaînes  de  montagnes 
hautes  et  escarpées  Tentourent,  gigantesques  remparts  qui  semblenten  vouloir  fermer 
complètement  l'accès.  Sur  leurs  cimes  s'étalent,  aux  rayons  du  soleil,  une  successioii 
|K)ur  ainsi  dire  non  interrompue  de  glaciers,  qui  forment  à  tout  le  pays  une  ceinture  de 
leurs  neiges  immaculées  ;  réservoirs  glacés  d'où  s'échappent  en  bouillonnant  une 
multitude  de  cours  d'eau.  Ceux-ci  ont  creusé  dans  les  deux  chaînes  principales  de 
profondes  vallées  latérales  ;  ils  vont  se  peixlre  dans  le  Rhône,  qui  traverse  la  plaine. 
Des  forêts  remontent  les  flancs  des  montagnes,  dont  les  croupes  se  couronnent  de  mai- 
sons éparses ,  de  villages  rustiques ,  de  chalets  tout  retentissants  des  clochettes  des 
troupeaux.  Dans  la  plaine ,  les  habitations  se  groupent  sur  quelque  éminence,  ou  se 
collent  aux  rochers  voisins,  pour  échapper  aux  dévastations  incessantes  du  Rhône. 
Placé  sur  les  confins  de  l'Italie,  le  Vallais  doit  naturellement  subir  rinfluence de  la 
température  de  cette  dernière  contrée  :  aussi,  tandis  que,  dans  les  hautes  régions, 
l'air  frais  de  la  montagne  se  joue  entre  les  sapins  et  les  plantes  appartenant  aux  con 
trées  du  nord ,  à  Sion  et  dans  la  partie  centrale  du  pays  les  amandiers  et  les  figuiers 
prosi)èrent  el  se  couronnent  de  fruits  sous  l'influence  d'une  chaleur  tropicale.  Du- 
rant l'été ,  la  rosée  ne  tombe  point  dans  les  localités  les  mieux  abritées  ;  aussi  la  sé- 
cheresse s'y  fait-elle  sentir  très-fréquemment.  — Des  catastrophes  de  tout  genre  ont 
éprouvé  el  éprouvent  encore  journellement  le  Vallais.  Aux  dévastations  annuelles 
causées  par  le  Rhône  el  ses  affluents,  viennenl  se  joindre  les  tremblements  de  terre, 
jqui ,  relativement  aux  pays  environnants,  y  sont  fréquents  «  el  se  font  sentir  surtout 


•;  V  YORK 


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VALLÉK     bU     RHÔNK 


13. 


LA   SUISSE   PIÎTORESQLE.  489 


dans  la  imrlic  supérieure  du  canton.  Un  désastre  de  ce  genre,  tout  récent,  vient  en- 
core d'épouvanter  les  populations,  en  causant  un  dommage  évalué  à  plus  de  500,000 
francs.  Les  chutes  de  montagnes  ne  sont  point  rares  :  on  cite  celle  du  Tauredunum, 
en  563;  un  éboulement  qui  détruisit  en  1545  les  bains  et  le  village  de  Bagnes;  la 
chute  d*une  montagne  au  Simplon,  en  4597,  etc.  Divers  pics  des  Diablerets  s'é- 
croulèrent en  1714  et  1749  ;  le  même  fait  se  répéta  à  la  Dent  du  Midi  en  1835.  A 
tout  cela ,  il  faut  encore  ajouter  les  désastres  causés  par  les  avalanches  et  la  chute 
des  glaciers;  le  village  des  Bains  de  Loêche  fut  maintes  fois  détruit  de  fond  en  comble 
par  ces  énormes  masses  de  neige.  Le  18  février  17^20,  une  avalanche  terrible  en- 
gloutit le  village  d'Obergestelen ,  vallée  de  Gonches,  et  88  personnes  trouvèrent  la 
mort  dans  ce  linceul  glacé.  On  grava  l'inscription  suivante  sur  la  tombe  qui  reçut 
leurs  dépouilles  :  0  Dieu  !  quel  deuil  !  88  dans  un  seul  sépulcre  !  —  Le  canton  du  Yal- 
lais  est  le  cinquième  en  grandeur  de  la  Confédération  :  il  a  19?  lieues  carrées.  Sa 
population  est  de  81,559  âmes. 

Montagnes,  Glaciers,  Plaines.  —  Deux  longues  chaînes  de  montagnes  se  déta- 
chant du  massif  du  Gothard ,  enceignent  le  Vallais  et  le  Umitent  par  leurs  contours. 
La  plaine,  i*esserrée  entre  ces  deux  puissantes  murailles,  atteint  à  peine  une  lieue 
dans  sa  plus  grande  largeur  ;  elle  présente  deux  défilés  remarquables,  l'un  à  l'entrée 
de  la  vallée  de  Gonches,  l'autre  près  de  St. -Maurice,  où  la  chaussée  et  le  fleuve  se 
disputent  un  étroit  passage  aux  pieds  des  gigantesques  pyramides  de  Morcks  el  du 
Midi.  Les  Alpes  bernoises  courent  à  peu  près  parallèlement  au  Rhône,  tandis  que  la 
chaîne  méridionale ,  s'écartant  graduellement  du  fleuve  pour  le  rejoindre  ensuite , 
s'arrondit  en  un  immense  demi-cercle,  d'où  descendent  treize  vallées.  Gettê  partie 
des  Alpes  était  connue  des  anciens  sous  le  nom  d'Alpes  Lépontiennes  et  Alpes  Pen- 
nines.  Sur  la  limite  entre  le  Yallais  et  les  Etats  sardes,  et  pour  ainsi  dire  immédia- 
tement au-dessus  des  plaines  fertiles  de  l'Italie,  s'élève  une  forêt  de  pics  de  10  à 
14,000  pieds  de  hauteur  :  ce  sont  le  Mont-Rosa,  le  Moni-Cervin,  les  Mischabel,  etc. 
A  leui's  pieds  s'étalent  les  glaciers,  avançant  ou  reculant  dans  les  vallées,  pous- 
sant au  loin  leurs  moraines,  et  remplissant  comme  une  coulée  de  lave  le  vide 
ouvert  devant  eux.  Les  plus  importants  de  ces  formidables  amas  de  neige  sont  le 
Gornergleischer  dans  la  vallée  de  Zeriuati,  le  glacier  de  Zinal  dans  le  val  d'Anni- 
viers,  celui  de  Ferpèck  dans  la  vallée  d'Hérens,  etc.  Les  passages  les  plus  fréquentés 
qui  traversent  cette  chaîne  et  conduisent  en  Italie  sont  le  Simplon,  le  Saint-Ber- 
nard ,  le  col  Saint-Théodule,  etc.  Au  Saint-Bernard,  la  chaîne  se  bifurque  :  l'un  des 
rameaux  court  vere  le  sud-est  et  entre  en  Savoie:  c'est  le  Mont-Blanc;  l'autre  se 
dirige  au  nord,  élevant  dans  les  airs  la  Dent  du  Midi,  à  10,107  pieds  au-dessus  de  la 
mer.  —  La  chaîne  septentrionale  court  du  nord-est  au  sud-ouest  jusqu'à  Martigny, 
d'où  ,  changeant  brusquement  de  direction ,  elle  se  dirige,  en  s'abaissant  considéra- 
blement, vers  le  nord-ouest.  La  partie  de  ces  montagnes  comprise  entre  la  Furka 
et  la  vallée  de  Lœtschen  fait  partie  de  l'énorme  massif  des  Alpes  bernoises,  au-dessus 
duquel  s'élancent  l'Eiger,  le  Mœnch  et  la  Jungfrau.  Nulle  part  en  Suisse  la  nature 
n'a  accumulé  un  amas  de  roches  aussi  compacte  ;  aussi  s'est-elle  plu  à  le  couronner 
du  glacier  A'Aletscli,  le  plus  étendu  que  l'on  connaisse.  Le  Rawyl,  au-dessus  d'Ayent, 
le  Sanetsch,  non  loin  de  Sion,  la  Gemmi,  aux  Bains  de  Loëche,  et  le  Grimsel, 
au  sommet  de  la  vallée  de  Gonches,  servent  de  communication  entre  le  Yallais  et 
11. 3u  6!2 


490 


LA    SliSSE    PnT0BE8Qi:e. 


\p  canton  de  Berne.  —  Le  Vallais  renferme  130  glaciers;  le  districl  d'Entremonl 
en  compte  17  à  lui  seul. 

Rivières  et  Vallées.  —  Le  Rbdne  traverse  le  Vallais  dans  toute  sa  longueur;  tv 
fleuve,  que  les  anciens  virent  sortir  des  /mvlrs  de  la  nitit  Hernellc,  est  Tun  des  plus 
considérables  de  FEuroix;.  Il  naît  au  pied  des  âpres  sommets  de  la  Furka,  fuit 
impétueux  au  milieu  des  terres  et  des  roches  éboulées;  puis,  parvenu  dans  la 
plaine,  coule  avec  majesté,  dessinant  dans  les  campagnes  des  méandres  eapricieui, 
semant  toute  la  contrée  de  marécages,  et  se  jouant  des  frêles  barrières  opposées  à 
^^es  dévastations.  Aux  jours  de  sa  fureur,  il  s'étend  dans  les  campagnes  et  les  con- 
vertit en  un  vaste  lac  aux  ondes  jaunâtres,  au-dessus  desquelles  apparaissent  comme 
des  oasis  les  bouquets  d'arbres  et  les  villages.  Les  plus  désastreuses  de  ces  inonda- 
tions furent  celles  de  U72, 1571,  1626,  1726,  1834  et  1849.  Parvenu  à  Martigny, 
le  fleuve  fait  un  angle  d'environ  60  degrés  et  se  dirige  vers  le  Léman ,  où  il  se 
plonge  â  peu  de  distance  du  Boveret.  Son  onde  grisâtre  trace  au  sein  du  lac  uu 
long  sillon  frangé  d'argent,  qui  tranche  vivement  sur  les  teintes  si  harmonieuses  du 
plus  beau  des  lacs,  lies  alluvions  que  le  fleuve  entasse  chaque  année  vers  son  em- 
bouchure, font  reculer  insensiblement  le  lit  du  Léman  :  la  tradition  raconte  que  Tou 
voyait  jadis  â  Port- Vallais  des  anneaux  scellés  aux  rochers ,  où  venaient  s'amarrer 
les  barques. 

Un  immense  glacier,  encaissé  entre  le  Gerstenhom  et  le  Galenstock ,  passe  pour 
être  le  réservoir  d'où  naît  le  Rhdne;  mais  trois  petites  sources,  placées  plus  haut, 
à  5382  pieds  au-dessus  de  la  mer,  et  dont  les  eaux  disparaissent  bientôt  sous  la 
voûte  du  glacier,  revendiquent  à  plus  juste  titre  cet  honneur.  Ces  sources  ne  gèlent 
jamais:  elles  ont  constamment  une  température  de  14".  On  prétend  qu'elles  ont 
une  légère  saveur  sulfureuse.  —  Le  glacier  du  Rhône  est  l'un  des  plus  beaux  que 
l'on  connaisse  :  il  ne  ressemble  pas  mal  â  une  immense  cataracte  subitement  con- 
gelée. La  partie  supérieure,  toute  hérissée  d'aiguilles  fantastiques,  de  pyramides 
aiguës,  chatoie  de  mille  reflets.  Ici,  ce  sont  les  gothiques  arceaux  d'une  basilique; 
là,  une  élégante  colonnade;  plus  loin,  un  péle-méle  admirable,  un  fouillis  indescrip- 
tible de  pics  épointés  ou  renversés,  d'aiguilles  élancées,  sur  lesquelles  la  lumière. 


Glacier  du  Rb6oe. 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  U9i 


en  se  jouant,  produit  des  effets  charmants.  Ija  partie  inférieure  du  glacier  se  présente 
au  contraire  sous  la  forme  d'une  masse  compacte  et  bombée ,  toute  zébrée  de  cre- 
vasses béantes.  Tout  au  bas,  d'une  voûte  peu  élevée,  naît  le  Rhône.  Il  reçoit  dans 
sa  course  jusqu'au  Léman  environ  80  affluents  que  dégorgent  les  glaciers  de  tout  le 
pays.  La  Drame,  le  plus  important  de  ces  cours  d'eau,  se  compose  de  trois  bras,  qui 
se  réunissent  à  Orsières  et  à  Sembrancher,  et  arrosent  la  triple  vallée  qui  forme  l'En- 
tremont.  Cette  rivière  s'est  acquise  une  triste  célébrité  par  les  ravages  qu'elle  a 
exercés,  notamment  en  1818,  dans  la  contrée  qu'elle  parcourt.  Celui  des  bras  de  la 
Dranse  qui  descend  du  glacier  de  Chermontanaz  s'était,  depuis  des  siècles,  frayé 
un  étroit  passage  entre  le  Mont-Pleureur  et  le  Mau voisin;  mais,  en  1818,  des  blocs 
de  glace,  descendant  du  Giétroz,  obstruèrent  le  canal,  et  il  s'y  forma  un  lac,  qui, 
déjà  au  16  mai,  n'avait  pas  moins  de  7200  pieds  de  longueur,  sur  180  de  profon- 
deur. Une  galerie,  taillée  à  grands  frais  dans  cette  muraille  de  glace,  promettait 
tes  plus  beaux  résultats,  et  le  lac  s'écoulait  insensiblement,  lorsque  la  digue,  se  rom- 
pant tout  à  coup,  le  18  juin,  les  eaux  se  précipitèrent  avec  une  force  indicible  dans 
la  vallée,  dévastèrent  tout  ce  qu'elles  purent  atteindre,  et  arrivèrent  en  moins  de 
deux  heures  au  lac  Léman.  Des  blocs  de  granit,  de  dimension  colossale,  déposés  le 
long  et  surtout  au  débouché  de  la  vallée ,  attestent  encore  la  puissance  de  la  colonne 
dévastatrice.  Une  cinquantaine  de  personnes  perdirent  la  vie:  digues,  ponts,  habi- 
tations ,  bétail ,  tout  ce  qui  se  trouvait  sur  les  bords  de  la  rivière  fut  emporté.  Les 
dommages  furent  évalués  à  1,200,000  francs  anciens.  —  La  Dranse  cause  encore 
chaque  année  des  dommages  plus  ou  moins  considérables  à  la  vallée  de  Bagnes  :  en 
18S5,  le  village  de  Chabloz  a  été  inondé  en  grande  partie,  et  les  prairies  voisines 
dévastées. 

La  Viége  arrose  la  vallée  à  laquelle  elle  a  donné  son  nom  ;  elle  est  formée  de  deux 
bras,  qui  se  réunissent  en  dessous  de  Stalden.  L'un  sort  du  lac  de  Saas,  sur  le 
Monte-Moro  ;  l'autre  naît  du  lac  de  Gorner,  au  fond  de  la  vallée  de  Zermatt.  Rivière 
impétueuse,  elle  l'emporte  souvent  en  volume  d'eau  sur  le  Rhône,  qu'elle  rejoint 
près  de  Viége.  Elle  a  souvent  ravagé  les  campagnes  voisines;  par  une  singularité 
assez  remarquable,  son  lit  est  de  treize  pieds  plus  élevé  que  le  bourg  de  Viége,  dont 
elle  rase  les  murs,  contenue  à  grand'peine  entre  des  digues  à  peine  suffisantes. 

Les  rivières  les  plus  importantes,  après  celles  que  nous  venons  de  nommer,  sont  la 
Uyiiza,  dans  la  vallée  de  Lœtschen  ;  la  Dala,  à  Loeche  ;  la  Navizence,  au  val  d'Anni- 
viers;  la  Borgne,  dans  la  vallée  d'Hérens;  la  Morge,  descendant  du  Sanetsch;  la 
Vièze,  dans  le  val  d'Ulier,  etc. 

On  compte  en  Vallais  seize  vallées  latérales  :  trois  dans  la  chaîne  septentrionale 
des  Alpes,  et  treize  dans  la  chaîne  méridionale.  Elles  débouchent  la  plupart  dans  le 
grand  bassin  du  Rhône.  La  vallée  de  Cotiches  n'est  que  la  continuation  de  la  grande 
vallée  du  Rhône,  qui,  à  partir  de  Brigue,  se  dirige  vers  le  nord-ouest;  nous  en  parle- 
rons plus  loin,  ainsi  que  de  la  remarquable  vallée  de  Viége.  La  vallée  de  Lœtschen, 
sur  la  rive  droite  du  Rhône,  aboutit  au  magnifique  glacier  d'Aletsch  ;  contrée  mysté- 
rieuse et  sauvage,  elle  semble,  en  rétrécissant  son  entrée,  vouloir  se  dérober  aux 
yeux  du  monde.  La  Lonza  roule  entre  les  deux  versants  des  monts,  en  frappant  les 
échos  du  tonnerre  de  sa  voix,  tandis  qu'une  route  nouvelle,  fruit  du  génie  moderne, 
serpente  à  mi-côte.  La  vallée  de  Lœtschen  communique  avec  le  canton  de  Berne  par 


493  u  suisse  pittoursque. 


le  Tschingel  et  le  Lœtsehberg.  —  Le  val  d'Anniviern  s*ou vre  en  face  el  un  peu  en  aval 
(le  Sierre;  il  offre  une  série  de  sites  romantiques  et  sauvages,  à  rextrémité  desquek 
pyramident,  comme  trois  sœurs  jumelles,  les  dents  de  Zinal,  de  Gabel  et  le  Rolhham. 
liC  col  de  Torrent  conduit  les  Anniviards  dans  la  vallée  AHèretis,  profonde  de  httil 
lieues.  La  vallée  de  Bagnes  n*est  pas  moins  intéressante  par  ses  vertes  pelouses,  ses 
la(!S  enchanteurs  et  ses  glaciers  immenses,  d'où  s*échappe  la  Dranse.  Plus  loin,  la  pîl- 
loresque  vallée  lïEulremanl  conduit  au  Grand  Saint-Bernard,  tandis  que  quelques 
touristes  hardis  s'acheminent  à  Chamonix  par  celle  de  Salrnn.  Enfin,  au-dessus  di' 
Monthey  s'ouvre  le  val  d'IlUer. 

Lacs  et  Cascades.  —  Le  Vallais  ne  renferme  pas  moins  d'une  trentaine  de  petiu 
lacs,  la  plupart  perdus  dans  les  hautes  Alpes,  dont  ils  réfléchissent  les  cimes  élancées. 
Nous  mentionnerons  le  lac  de  Saon,  d'une  lieue  de  circuit;  c*elui  AWletsch,  au  pied  du 
glacier  du  même  nom;  le  Danbemee,  sur  la  Gemmi,  lac  terne  et  mélancolique,  au 
sein  d'une  contrée  déserte  ;  le  lac  de  Gérofide,  où  se  mirent  les  ruines  de  la  chartreuse 
d'Aymon  de  la  Tour;  le  lac  de  Derboretitze,  formé  en  1749  par  la  Lizerne,  dont  le 
cours  fut  interrompu  par  l'écroulement  de  l'un  des  pics  des  Diablerets.  Le  lac  du 
Suint' Bernard  baigne  les  murs  de  l'hospice  ;  sa  teinte  grisâtre  s'harmonise  parfaite- 
ment avec  la  niture  sévère  des  rochers  qui  l'enceignent.  A  quelques  lieues  plus  bas, 
le  lac  de  (lhamj)ey  étincelle  comme  une  émeraude  dans  son  cadre  de  blocs  granitiques; 
un  ilôt  charmant  s'élève  du  sein  des  eaux,  supportant  un  bouquet  de  sapins  de 
l'aspect  le  plus  pittoresque.  Enfin,  n'oublions  pas  le  Léman,  qui  baigne  le  territoire 
vallaisan  sur  un  espace  d'environ  une  lieue,  de  l'embouchure  du  Rhône  à  Saint- 
Gingolph. 

Les  chutes  d'eau  les  plus  remarquables  sont  :  la  cascade  de  la  Pissem4:he,  entre 
Martigny  et  Saint-Maurice  ;  celle  de  la  Tourtefuagtie,  haute  de  80  pieds  ;  celle  de  In 
iiamsa,  dans  le  Nansthal;  celle  de  VEgine;  celle  de  la  Data,  aux  bains  de  Loêche;  et 
celle  de  la  Dranse,  de  Valsorey ,  près  du  bourg  de  Saint-Pierre,  route  du  Grand  Saint- 
Rernard.  La  Vièze  forme  dans  le  val  d'illier  une  série  de  chutes  assez  pittoresques. 

Sources,  Bains,  Eaux  minérales.  —  Le  voisinage  d'un  si  grand  nombre  de  glaciers 
indique  assez  que  les  sources  d'eau  doivent  être  abondantes  et  nombreuses  dans  le 
Vallais.  Elles  ne  sont  pas  cependant  d'une  bonne  qualité  dans  quelques  localités  de 
la  plaine,  telles  queSion,  Martigny,  Monthey,  etc. 

Les  sources  thermales  de  Loeche  jouissent  d'une  réputation  européenne.  Leur  effi- 
cacité  bien  constatée  pour  les  affections  cutanées,  les  scrophules,  les  affections 
rhumatismales  chroniques,  les  ulcères,  etc.,  y  attirent  chaque  année  une  foule  de 
baigneurs.  Les  sources  sont  au  nombre  de  douze  environ,  et  telle  est  leur  abondance, 
que  celle  de  Saint-Laurent  seule  fournit  chaque  jour  1,500,000  litres  d'eau. 
La  température  de  cette  même  source  est  de  Kl''.  Les  eaux  contiennent  du  gaz  acide 
carbonique,  des  sulfates  de  chaux,  de  magnésie,  de  soude,  de  potasse  et  de  strontiane, 
des  carbonates  de  chaux,  de  protoxide  de  fer  et  de  potassium,  de  la  silice,  etc.  elc. 
Une  pièce  d'argent  déposée  dans  cette  eau  se  couvre  d'une  couche  solide  jaunâtre.  — 
On  administre  de  diverses  manières  les  eaux  de  Loêche  :  en  bains,  en  boisson,  en 
douches.  Les  bnins  sont  pris  en  commun  dans  de  vastes  piscines,  qui  reçoivent  2S  à 
30  malades  à  la  fois.  Le  premier  jour,  le  baigneur  ne  reste  qu'une  heure  au  plus 
dans  l'eau  ;  mais  il  va  graduellement,  de  sorte  qu'à  la  moitié  de  sa  cure,  il  doil 


LA   S01SSE   PITTORESQUE.  h9Z  j 


rester  pendant  huit  heures  plongé  dans  le  bain.  Lorsque  Téruption  cutanée,  appelée 
poimée,  s'est  manifestée,  on  diminue  dans  la  même  proportion  la  durée  du  bain.  — 
Les  bains  de  Snxon  sont  peut-être  appelés  à  une  renommée  plus  grande  encore,  la 
présence  de  Tiode  dans  les  eaux  de  la  source  étant  dûment  constatée.  L'établisse- 
ment est  monté  sur  un  très-bon  pied,  et  est  pittoresquement  assis  à  la  base  du  pic 
de  Pierre-à-Voir.  —  Morgens,  petit  vallon  qui  sert  de  communication  entre  le  Bas- 
Vallais  et  la  vallée  d'Abondance,  offre  une  source  dont  les  propriétés  curatives  sont 
remarquables,  et  qui  est  connue  dans  les  environs  sous  le  nom  à' Eau  nmfe.  Elle  est 
«linsi  nommée  d'un  sédiment  ocreux  rougeàtre,  contenant  de  l'acide  ferrique,  qu'elle 
dépose  sur  ses  bords.  Une  analyse  faite  en  1853  a  démontré  qu'un  litre  de  cette  eau 
contient  0,20  centigrammes  de  carbonate  de  fer.  Un  grand  hôtel,  appartenant  à  la 
commune  de  Trois-Torrens,  s'élève  non  loin  de  la  source,  au  milieu  de  quelques 
chalets,  où  les  habitants  de  Monthey  viennent  passer  l'été.  —  Les  eaux  de  Brigue 
ont,  quoique  à  un  degré  inférieur,  les  mêmes  propriétés  que  celles  de  Loeche.  On  a 
découvert  en  4847  une  caverne  attenant  à  la  source,  et  qui  est  constamment  rem- 
plie d'une  vapeur  pareille  à  celle  d'une  étuve.  Geschenen,  Asp,  au-dessus  de  Loëche, 
Bovernier,  etc.,  possèdent  des  eaux  sulfureuses.  Le  Bothhach,  près  de  l'église  de  Saas, 
les  eaux  purgatives  et  fébrifuges  à'Anynport,  vallée  de  Viége,  jouissent  d'une  cer- 
taine réputation  parmi  les  gens  de  la  contrée.  Saillon,  Sembrmicher,  Bagms,  offrent 
en  outre  des  sources  d'eau  minérale.  Une  source  d'eau  salée,  découverte  en  1544,  h 
Combiolaz,  dans  la  vallée  d'Hérens,  ne  sert  plus  actuellement  qu'aux  ablutions  des 
campagnards  voisins. 

Histoire  naturelle.  —  Règne  aniniaL  La  faune  du  Yallais  renferme  environ  400 
espèces  de  vertébrés.  Quelques  familles  ont  disparu,  détruites  par  les  chasseurs  :  tels 
sont  les  cerfs,  les  chevreuils  du  bois  de  Finges,  les  bouquetins,  etc.  Ceux-ci,  cepen- 
dant, se  présentent  encore  à  de  rares  intervalles,  dans  les  environs  du  Mont-Rosa. 
Le  Yallais  est  très-riche  sous  le  rapport  ornithologique,  le  passage  du  Simplon  offrant 
aux  oiseaux  la  voie  la  plus  courte  pour  se  rendre  dans  le  Midi.  On  distingue  le 
lœmmergeyer,  le  coq  de  bruyère,  la  perdrix  grise,  la  perdrix  des  neiges,  etc.  Les 
insectes  sont  fort  nombreux,  et  ravagent  quelquefois  la  contrée:  en  1837,  des  nuées 
de  sauterelles  ont  fondu  sur  les  campagnes  de  Viége  et  y  ont  tout  dévasté.  Les  loca- 
lités les  plus  chaudes  du  pays  possèdent  la  menthe  religieuse  et  la  cigale.  Les  papil- 
lons sont  également  nombreux,  tandis  que  les  poissons,  vu  la  hauteur  des  lacs  et  la 
rapidité  des  torrents,  sont  rares.  Le  Rhône  seul  en  offre  une  assez  grande  variété, 
et  notamment  d'énormes  truites. 

Règne  végétal.  Le  Yallais  possède  les  sept  huitièmes  des  plantes  suisses  :  c'est  assez 
dire  quelle  est  la  richesse  de  sa  flore.  Le  pays  a,  en  outre,  ceci  de  particulier,  qu'il 
renferme  des  plantes  appartenant  les  unes  aux  contrées  méridionales,  et  les  autres 
aux  solitudes  glacées  du  Spitzberg.  La  végétation  présente  quatre  régions  verticales, 
qu'il  est  aisé  de  distinguer  :  la  première  est  celle  des  cultures;  la  seconde,  celle  des 
conifères;  les  pâturages  des  Alpes  forment  la  troisième,  tandis  que  les  lichens  végè- 
tent &  peine  dans  la  quatrième.  On  remarque  également  sous  le  même  rapport  deux 
régions  horizontales  :  l'une  comprend  le  Bas- Yallais  avec  ses  châtaigniers  et  ses 
ormes;  l'autre,  la  partie  supérieure  du  canton.  Le  point  le  plus  élevé  où  l'on  trouve 
des  phanérogames,  est  le  col  du  Cervin,  â  3400  mètt^es  au-dessus  de  la  mer. 


I 


h9h  LA  snssR  pittoresqI'E. 


Hègiui  minéral.  Le  Vallais  n*esl  pas  moins  iatéressant  pour  le  minéralogisle  et  If 
géologue.  La  struclure  de  ses  montagnes,  ses  glaciers,  ses  mines,  ailirent  Taitention 
des  hommes  de  la  science.  Les  blocs  erraliques  sont  nombreux  en  Vallais  :  on  en 
trouve  un  Tort  remarquable  à  Sion,  sur  le  versant  occidental  de  la  colline  de  Tour- 
billon. Les  alentours  de  Monthey  en  otTrent  pareillement  un  grand  nombre  :  TEtat 
du  Vallais  en  a  fait  don  h  M.  de  Charpentier,  récemment  décédé,  qui  s'en  était  princi- 
palement ocou|)é.  —  On  a  exploité  et  on  exploite  encore  plusieurs  mines  dans  k" 
(*anton  ;  mais,  soit  manque  de  minerai,  soit  difficulté  d'extraction,  le  succès  n*a  guère. 
jusqu^à  ce  jour,  couronné  les  efforts  des  entrepreneurs.  La  mine  d'argent  de  Peiloz 
(vallée  de  Bagnes)  occasionna  de  longs  débats  entre  les  évéques  de  Sion  et  deux  Ber- 
nois qui  la  découvrirent.  Le  cardinal  Schinner  termina  cette  affaire,  et  poussa 
vigoureusement  les  travaux.  A  Theure  qu'il  est,  ils  sont  abandonnés.  Les  mines 
actiiellement  exploitées  sont  les  suivantes  :  les  mines  de  plomb  argentiière  de  Lœt- 
s(*hen,  de  Nendaz,  d*Iserabloz;  la  mine  d'or  de  Gondo;  les  mines  de  fer  de  Chamoson 
et  de  (]hemin,  dont  Textension  donnée  en  1852  aux  forges  d'Ardon  a  accru  Tim- 
portancc  ;  les  mines  de  nickel  d' Annîviers,  dont  on  voit  la  fonderie  à  quelque  dtstaoce 
de  Sierre,  etc.  Dans  la  colline  des  Mayens  de  Sion,  on  exploite,  depuis  peu  d'années, 
une  mine  d'anthracite,  qui  fournit  des  produits  abondants.  Les  carrières  d'ardoises  de 
Vernayaz,  quelques  carrières  de  marbre,  de  pierres  à  fourneaux,  à  Bagnes,  à  Evolène, 
à  Viége  et  à  Imioch,  occupent  un  bon  nombre  de  bras.  Il  est  à  remarquer  que  le 
gouvernement  du  Vallais  n'exploite  aucune  mine  pour  son  propre  compte  :  il  se 
contente  d'en  céder  Texploitation  à  des  particuliers  pour  un  certain  laps  de  temps. 

Antiquités.  —  Le  séjour  des  Celtes  en  Vallais  est  attesté  par  divers  monumenbi 
et  par  les  noms  que  portent  quelques  localités  du  pays,  tels  que  Sedunum,  Bri^t, 
Oriodnrum .  La  dénomination  de  Vallh  PmnitM,  sous  laquelle  les  Romains  connaissaient 
la  contrée,  dérive  du  celte  {Penn,  sommité,  pointe).  Les  Sarrazins  et  les  Huns  ont  de 
même  laissé  des  traces  de  leur  passage,  soit  dans  les  mœurs  de  quelques  vallées 
reculées,  soit  dans  les  noms  de  certains  villages.  —  Les  Romains  comprirent  de  bonne 
heure  1  importance  de  la  position  du  Vallais,  comme  route  militaire  et  comme  route 
mercantile.  Aussi,  après  avoir  vaincu  les  indigènes  près  d'Octodurum,  Galba  sem- 
pressa-t-il  d'établir  des  postes  militaires  depuis  le  St.-Bernard  {Mom  /om)  jusqu'au 
Léman.  Auguste  fit  ouvrir  et  réparer  des  routes.  Un  temple  à  Jupiter  Pennin  s'éleva 
sur  le  sommet  du  passage  du  St. -Bernard,  et  chaque  voyageur  reconnaissant  témoi- 
gnait de  son  heureuse  traversée  en  appendant  aux  murs  de  l'édifice  un  ex-voto  gravé 
sur  une  plaque  de  méta|.  Les  religieux  du  St. -Bernard  en  ont  retrouvé  un  bon 
nombre  sur  l'emplacement  qu'occupait  le  temple,  et  en  ont  formé  un  petit  musée 
archéologique.  On  y  remarque  des  médailles,  des  statuettes  de  Pan  et  de  la  Victoire, 
des  armes,  des  instruments  de  sacrifice,  etc.  Saint-Pierre,  petit  village  placé  sur  la 
route,  offre  une  colonne  milliaire  datant  du  règne  de  Constantin,  tandis  que  Martigny, 
St.'Maurice,  Massongcr,  Fully,  Sierre  et  Sion  possèdent  des  inscriptions  romaines, 
la  plupart  assez  bien  conservées.  Dans  cette  dernière  localité,  on  remarque,  dans  le 
vestibule  de  l'hôtel-de-ville,  une  autre  pierre  milliaire  qui  porte  le  nom  de  Volu- 
sionus,  associé  à  l'empire  par  Gallus.  L'ancien  château  de  Valère,  qui  domine  cette 
même  ville,  a  conservé  le  nom  de  Valefia,  mère  de  Campanus,  préfet  du  prétoire 
de  Maximien,  dont  le  tombead,  élevé  par  cette  matrone,  se  voyait  au  pied  de  la 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  495 


colline.  Tarnade  (St. -Maurice),  point  stratégique  important,  renfermait  un  temple 
de  la  déesse  Hydine,  consacré  aux  dieux  mânes.  Les  Romains  morts  dans  les  Gaules, 
et  craignant  pour  leurs  cendres  les  fureurs  des  barbares,  s'y  faisaient  ensevelir.  Ceci 
explique  la  grande  quantité  de  pierres  tumulaires  que  Ton  y  a  déterrées  :  monuments 
si  nombreux,  que  l'ancien  pavé  de  Féglise  abbatiale  en  était  entièrement  composé. — 
Brigue  prétend  avoir  remplacé  le  Viam  Viberinis  du  Bas-Empire,  et  appuie  ses  préten- 
tions sur  les  restes  d'un  long  et  massif  rempart,  que  Ton  remarque  entre  Gliss  et  Viége, 
et  qui  pourrait  être  le  Munis  Vibmcas,  —  Les  bains  dé  Loëche  étaient  déjà  connus 
des  Romains.  Ils  y  ont  laissé  un  tombeau  et  des  médailles  récemment  découvertes 
dans  un  banc  de  tuf.  Les  autres  localités  du  pays  où  Ton  a  découvert  des  construc- 
tions et  des  monnaies  romaines,  sont  Yionnaz,  Ârdon,  Trois-Torrens,  etc.  Quel- 
ques-unes sont  déposées  au  Musée  cantonal.  La  voie  militaire  franchissait  le  Rhône 
à  Massonger,  sur  un  pont,  dont  on  voit  encore  les  culées  quand  les  eaux  sont  basses. 
Un  détachement  de  la  ^l""  légion  gardait  le  passage  pendant  le  règne  d'Alexandre 
Sévère  :  une  inscription  trouvée  sur  les  lieux  et  placée  actuellement  sur  le  portail 
du  théâtre  de  Saint-Maurice,  en  fournit  la  preuve. 

Histoire.  —  Les  premiers  habitants  du  Yallais  furent,  d'après  les  Commentaires 
de  César,  des  peuplades  de  la  Gaule  celtique.  Ils  se  partagèrent  le  pays  et  s'établi- 
rent, les  Vibériens  près  de  la  Furka,  les  Séduniens  dans  le  centre  du  pays,  les 
Véragres  à  Martigny,  et  les  Nantmtes  depuis  le  Mauvoisin  au-dessus  de  St. -Maurice 
jusqu'au  Léman.  Un  combat  terrible  entre  les  Helvètes  et  les  Romains,  entre 
Divicon  et  Cassius,  ensanglanta  de  bonne  heure  la  contrée  :  l'armée  romaine  y  fut 
anéantie,  et  ses  débris  sanglants  durent  passer  honteusement  sous  le  joug,  l'an  107 
avant  J.-C.  Bientôt  après,  Jules-César  envoie  Galba,  son  lieutenant,  soumettre  les 
Véragres,  les  Nantuates  et  les  Séduniens  ;  les  indigènes  assaillent  les  étrangers,  sont 
vaincus,  et  les  aigles  romaines  planent  sur  les  hauteurs  d'Octodurum.  Les  Vallai- 
sans  courbent  ainsi  la  tète  sous  la  domination  romaine  ;  Auguste  leur  confère  le 
titre  de  citoyens,  et  se  les  attache  en  leur  accordant  des  droits  et  des  prérogatives. 
En  69,  Cécina,  à  la  tête  de  ses  légions  dévastatrices,  travei'se  le  St.-Bernard,  tandis 
qu'en  302  Maximilien,  se  rendant  dans  les  Gaules,  ordonne  près  de  Tarnade  le  mas- 
sacre de  la  légion  Thébaine,  qui  refusait  de  sacrifier  aux  dieux  du  paganisme.  Le 
sang  de  ces  six  mille  martyrs  cimenta  dans  le  pays  l'établissement  de  la  foi  chré- 
tienne, et  saint  Théodore  fonda  le  monastère  de  Saint-Maurice,  où  il  déposa  reli- 
gieusement les  ossements  des  héroïques  légionnaires.  Les  Vandales  ariens  envahis- 
sent ensuite  tout  le  Vallais,  le  dévastent,  et  sont  remplacés  par  les  Bourguignons, 
qui  s'y  établissent.  Sigismond,  l'un  de  leurs  rois,  dote  royalement  l'abbaye  de  Saint- 
Maurice,  et  assemble  un  concile  à  Epaune,  ville  florissante,  engloutie  peu  d'années 
après  par  la  chute  d'une  montagne  voisine.  Le  Vallais  passe  ensuite  aux  Francs 
(53K),  qui  s'efforcent  de  tenir  en  respect  les  Lombards,  dont  les  hordes  sauvages, 
franchissant  le  Saint-Bernard,  avaient  à  plusieurs  reprises  dévasté  le  pays;  mais, 
déjà  trois  fois  vaincus,  ils  éprouvent  une  dernière  fois,  dans  les  champs  de  Bex,  la 
valeur  des  troupes  de  Mommole.  C'est  vers  cette  époque  (580)  qu'il  faut  rapporter  la 
translation  du  siège  de  l'épiscopat  d'Octodure  à  Sion. — Charlemagne  traverse  ensuite 
à  plusieurs  reprises  le  Vallais,  pour  se  rendre  en  Italie.  Dans  le  cours  de  ces  voyages, 
à  l'instigation  d'Althée,  son  parent,  il  comble  de  présents  et  de  terres  l'abbaye  de 


496  LA   St't8SB   PITTORESOie. 


Sainl-Maurk^e.  (On  admire  encore,  dans  le  trésor  du  monastère,  un  vase  d*agalhe  et 
une  aiguière  donnés  par  le  Roi  de  rEnro/Hf.)  Ses  fils  se  laissent  arracher  le  Valtai^ 
|mr  Rodolphe,  fils  de  Conrad  d*Au\erre,  qui  fonde  le  second  royaume  de  Boui^ogne. 
Il  est  siicré  roi  en  888,  dans  Téglise  abûtiale  de  Saint-Maurice,  aux  acclamations 
d*unc  multitude  de  soigneurs  et  d'évéques  rassemblés  autour  de  lui.  Avec  Tappui  de 
Waiter,  évoque  de  Sion,  Rodolphe  sut  habilement  se  maintenir  sur  son  trône. 
Rodolphe  11,  son  fils,  lui  succède  et  augmente  ses  Etals,  tandis  que  Conrad,  qui 
règne  ensuite,  voit  le  Vallais  envahi  par  les  Sarrazins,  qui,  maîtres  du  St. -Bernard, 
pillaient  la  contrée,  rançonnaient  les- voyageurs,  et  s*établissaient  dans  les  vallées 
jusqu'alors  désertes.  A  Textinction  de  la  famille  de  Rodolphe,  le  Vallais  passe,  par 
donation  de  Rodolphe  III,  aux  empereurs  d'Allemagne.  Conrad-le-Salique  le  cède 
avec  le  Chablais  au  comte  Hubert  aux  Blanches-Mains,  souche  de  la  maison  de 
Savoie.  Ermanfroi,  évéque  de  Sion,  s'attire  les  faveurs  de  Tempereur  Henri  IV,  en 
facilitant  son  passage  par  le  St. -Bernard;  ce  monarque  se  rendait  auprès  du  pape 
pour  faire  lever  l'excommunication  qui  pesait  sur  sa  tête.  En  1127,  Conrad  de 
Zuîhringue  est  nommé  par  l'empereur  Lothaire  recteur  de  la  Petite-Boui^ogne,  et  par 
conséquent  du  Vallais.  Irrités,  les  Haut-Vallaisans  prennent  les  armes,  obtiennent 
quelques  succès,  et  parviennent  à  se  maintenir  contre  les  aggressions  de  Berchtold  V. 
—  C'est  à  celle  époque  que  commence  la  longue  lutte  entre  les  patriotes,  la  noblesse 
et  les  évéques  du  pays,  lutte  trop  longue  pour  qu'il  nous  soit  permis  d'entrer  dan^^ 
quelques  détails  sur  son  développement.  En  1318,  les  |)atriotes  taillent  en  pièces  la 
noblesse,  près  de  Tourtemagne,  dans  la  prairie  den  Uirmes;  puis,  quelques  années 
après,  à  Saint-Léonard,  où  Antoine  de  la  Tour  paya  chèrement  l'odieux  attentat 
dont  il  se  souilla,  en  précipitant  du  haut  du  cliÀteau  de  la  Soie,  son  oncle  Guidiard 
Tavelli,  évéque  de  Sion.  Edouard  de  Savoie  cherche  ensuite,  avec  l'appui  des  Ber- 
nois, à  se  maintenir  sur  le  siège  épiscopal,  où  il  avait  été  placé  par  Amédée;  il  est 
expulsé  à  deux  reprises,  et  Guillaume  de  Rarogne  lui  succède.  Ombrageux  et  mé- 
fiants envers  tout  ce  qui  semblait  porter  atteinte  à  leur  indépendance,  les  patriotes 
lèvent  la  masse  contre  les  Rarogne,  et  Thomas  In  der  Bund  s'immortalise  à  la  jour 
née  d'Ulrichen,  en  1419.  Les  châteaux  de  ces  seigneurs  sont  détruits,  leurs  posses- 
sions saccagées,  et  le  duc  de  Savoie  Amédée  VUI,  ainsi  que  Guillaume  de  Challand, 
évéque  de  Lausanne,  ont  grand'peine  à  obtenir  des  Vallaisans  que  les  Rarogne  soient 
réintégrés  dans  leurs  seigneuries.  Jean-Louis  de  Savoie,  évéque  de  Genève,  est  battu 
le  15  novembrel47S,  aux  portes  de  Sion,  par  les  Haut- Vallaisans,  aidés  d'un  renfort 
de  Bernois  et  de  Soleurois.  Fiers  de  leur  succès,  les  patriotes  envahissent  les  dixaini^ 
inférieurs  et  les  arrachent  à  la  domination  des  ducs  de  Savoie. 

Jost  de  Sillinen,  puis  le  cardinal  Schinner,  attirent  bientôt  sur  le  Vallais  les 
regards  de  rEuro|)e  entière.  Ce  dernier  surtout,  par  la  part  qu'il  prit  aux  guerres 
d'Italie,  par  ses  démêlés  avec  Georges  Supersaxo,  par  l'ascendant  qu'il  sut  prendn* 
dans  les  Diètes  suisses  et  dans  les  cours  étrangères,  s'est  acquis  une  place  émi- 
nente  parmi  les  hommes  dont  la  Confédération  s'honore.  —  La  Réforme  pénètre 
ensuite  en  Vallais;  mais,  en  1605,  une  assemblée  populaire  décrète  le  maintien  de 
la  religion  catholique  :  les  dissidents  doivent  renoncer  à  la  foi  nouvelle,  ou  quitter 
le  pays.  Quelques  années  plus  tard,  les  Haut- Vallaisans  achèvent  d'établir  leur 
domination  sur  la  partie  inférieure  du  Vallais,  et  l'évêque  Hildebrand  Jost  renonce 


LA    SUISSE    PITTOnKSQUiî.  497 


Tormellemenl  en  pleine  Diète  à  la  Caroline,  charte  sur  laquelle  les  évéques  de 
Sion  étayaient  leurs  prétentions  à  la  souveraineté  temporelle  du  pays.  Mais  Hil- 
debrand  n'a  cédé  qu'aux  instances  de  ses  amis  et  à  la  force  des  choses  :  il  essaie 
de  faire  secrètement  sanctionner  la  Caroline  par  l'empereur  Ferdinand  II.  Les  pa- 
triotes s'en  émeuvent,  et  Antoine  Stockalper,  accusé  de  haute  trahison,  paie  de  sa 
tète  son  attachement  au  parti  épiscopal.  Enfin  Hildebrand,  brisé  par  une  lutte  de 
dix-sept  ans,  souscrit  de  nouveau  à  Sembrancher  la  renonciation  à  la  Caroline.  Dès 
cette  époque,  un  calme  plus  ou  moins  profond  remplace  ces  temps  de  luttes  inces- 
santes. Les  Vallaisans  se  contentent  de  vendre  leurs  services  aux  monarques  étran- 
gers, jusqu'en  1790,  où  les  Bas-Yallaisans,  fatigués  du  joug  et  las  des  exactions  de 
leurs  gouverneurs,  commencent  à  s'agiter,  entrevoyant  une  prochaine  délivrance. 
En  effet,  les  troupes  françaises  pénètrent  dans  le  pays  en  1798  ;  la  révolution  s'ac- 
complit sans  effusion  de  sang,  et  la  souveraineté  du  Bas-Yallais  est  solennellement 
proclamée  le  5  février.  Sion  résiste;  les  Français  emportent  la  position  de  la  Morge, 
refoulent  les  Haut- Vallaisans,  et  pillent  la  capitale,  le  17  juin.  — Le  pays  est  ensuite 
réuni  à  la  République  helvétique.  Il  se  révolte,  et  est  de  nouveau  ensanglanté  par 
une  lutte  terrible  entre  les  Français  et  les  patriotes.  Ceux-ci,  retranchés  dans  le 
bois  de  Finges,  opposent  à  l'ennemi  une  résistance  héroïque  ;  surpris  dans  leur  camp, 
ils  sont  poursuivis,  la  baïonnette  dans  les  reins,  jusqu'au  pied  de  la  Furka.  Le  14 
mai  1800,  Napoléon  Bonaparte,  premier  consul,  traverse  le  Saint-Bernard  à  la  tête 
d'une  armée  de  30,000  hommes.  Deux  ans  plus  tard,  le  Vallais  est  déclaré  Etat 
libre  et  indé|)endant;  puis  est  réuni  h  la  France,  sous  le  nom  de  Département  du  Sim- 
pion,  le  12  octobre  1810.  Enfin,  en  1818,  ce  pays  entre  comme  vingtième  canton 
dans  la  Confédération  suisse. 

Un  des  premiers  soins  de  la  nation  rendue  à  elle-même  est  d'élaborer  sa  constitu- 
tion future;  mais  le^  prétentions  de  suprématie  d'une  partie  du  pays  sur  l'autre 
rendant  tout  accord  impossible,  les  ambassadeurs  étrangers  résidant  à  Zurich  inter- 
viennent et  dotent  le  Yallais  delà  Constitution  du  12  mai  1815.  Les  quinze  années 
qui  suivirent  sont  une  période  de  calme,  durant  laquelle  le  canton  chercha  à  oublier 
les  recrues  que  la  conscription  lui  avait  coûtées,  et  les  pertes  dont  le  passage  des 
60,000  Autrichiens  du  général  Frimont  avait  été  pour  lui  Toccasion.  Plusieurs  lois 
utiles  sont  adoptées  dans  l'intervalle;  mais  l'esprit  de  réaction,  commun  à  cette 
époque  en  Suisse,  fait  adopter,  en  matière  d'élections  de  commune,  un  système  élec- 
toral peu  démocratique,  qui  soulève  les  répugnances  populaires,  amène  l'occupation 
militaire  de  Conthey  et  de  Martigny,  et  ne  s'écroule  que  devant  le  contre-coup  de 
la  révolution  de  juillet. 

En  1839,  le  Bas- Vallais  demande  que  chaque  district  soit  représenté  au  sein  du 
pouvoir  législatif  en  raison  de  sa  population.  Cette  réclamation,  repoussée  par  le 
Haut- Vallais,  est  la  «luse  d'une  scission  politique  importante;  bientôt  il  y  a  deux 
gouvernements  en  Vallais.  La  Confédération  intervient  et  ne  fait  qu'empirer  la 
situation.  Les  deux  parties  du  pays  en  viennent  aux  mains;  après  quelques  combats, 
heureusement  peu  meurtriers,  et  qui  tournent  à  l'avantage  des  districts  inférieurs, 
tout  le  canton  reconnaît  la  Constitution  du  3  août  1839,  qui  consacre  le  principe  de 
la  représentation  proportionnelle.  La  paix  semble  rétablie;  mais  bientôt  les  Bas- 
Vallaisans  se  divisent.  La  suppression  des  couvents  d'Argovie  fournit  à  quelques 
11.30.  63 


498  LA  susse  pittoresoi'c. 


esprils  remuants  un  prétexte  pour  de  nouvelles  agitations.  A  leur  vot\,  une  parlif 
de  la  population  croit  la  religion  en  danger  :  des  lois  nécessaires  et  très-utiles  sont 
rejeté»  par  le  refetendum.  LMrritation  fomentée  par  les  écarts  de  la  presse  gagne  de 
proche  en  proche.  La  Jeune  Snisne,  association  politique  jusqu'alors  peu  nombreuse, 
voit  ses  rangs  se  grossir  à  la  suite  de  Texcommunication  lancée  contre  ses  membres. 
Des  rixes,  des  voies  de  Tait,  le  bris  des  presses  de  la  Gazette  du  Simplon,  signalenl 
cette  triste  période.  Découragé,  le  Gouvernement  de  4840  se  retire.  Les  troubles 
continuent  de  plus  en  plus  intenses.  Tout  à  coup,  le  Haut-Vallais,  qui  s'était  aroié 
et  organisé  en  silence,  fond  sur  la  ville  de  Sion,  s'en  empare,  et  envahit  les  districts 
inférieurs.  La  Diète  cantonale  sanctionne  après  coup  le  mouvement.  Les  libérau\ 
des  districts  occidentaux,  accourus  pour  s'opposer  à  Tenvahissement  du  cheMieu, 
se  retirent  alors  des  environs  de  la  Morge,  où  ils  avaient  cru  devoir  s'arrêter.  Ils  se 
heurtent  au  Trient  contre  un  corps  de  la  Vieille  SuUse,  du  Bas-Vallais,  sont  vaincus 
et  dispersés. 

Des  persécutions,  des  exils,  l'institution  d'un  tribunal  exceptionnel,  marquèrent  le 
triomphe  de  la  réaction.  Pour  consolider  de  plus  en  plus  le  régime  inauguré  après  la 
sanglante  journée  du  Trient,  les  pouvoirs  publics  du  Vallais  adhérèrent  à  la  ligue  du 
Sonderbund.  Lorsque  la  Diète  fédérale  en  ordonna  la  dissolution,  le  peuple,  consulté 
à  la  veille  de  prendre  les  armes,  dut,  au  nom  de  sa  religion  et  de  sa  souveraineté 
menacées,  approuver  l'accession  à  l'alliance  séparée. 

Les  événements  de  1847  sont  connus.  Vaincu  dans  la  lutte,  le  Sonderbund  fut 
dissous,  et  la  Constitution  fédérale  du  42  septembre  4848  promulguée.  Le  Gouver- 
nement du  Vallais,  inauguré  à  la  suite  de  l'occupation  du  canton  par  les  troupes 
fédérales,  dut,  pour  se  libérer  des  frais  de  guerre,  proposer  au  peuple,  qui  y  donna 
son  adhésion,  la  réunion  au  domaine  de  l'Etat  des  biens  du  haut  clergé.  Des  con- 
ventions postérieures  firent  rentrer  celui-ci  en  possession  d'une  partie  considérable  de 
sa  fortune.  Dèslors,  aucun  fait  bien  saillant  ne  s'est  produit  dans  l'ordre  physique, 
politique  et  matériel,  à  l'exception  de  la  révision  de  la  Constitution  cantonale  en 
48S3,  de  l'octroi  d'un  chemin  de  fer  la  même  année,  et  du  tremblement  de  terre 
de  4855. 

CoNSTiTiTio.Ns.  —  La  première  Constitution  du  Vallais,  rédigée  dans  la  forme 
moderne,  est  celle  du  30  août  4802.  Une  Diète,  exerçant  le  pouvoir  législatif,  el 
composée  de  députés  choisis  dans  de  certaines  catégories  par  les  Conseils  de  dixains, 
proportionnellement  à  la  population,  et  où  l'évéque  avait  droit  de  siéger;  un  (k)nseil 
d'Etat  de  trois  membres  el  autant  de  suppléants,  chargé  du  pouvoir  exécutif;  un 
Conseil  de  Dixain,  dont  le  chef  siégeait  de  droit  à  la  Diète,  et  qui  réglait  les  affaires 
dixainales  ;  un  Conseil  de  Commune  administrant  les  biens  communaux  et  répartis 
sant  les  dépenses  locales;  dans  l'ordre  judiciaire,  un  Tribunal  Cantonal  civil  et  cri- 
minel, un  Tribunal  de  Dixain  civil  et  criminel,  el  un  juge  civil  sous  le  nom  de 
châtelain  :  telle  était  l'organisation  créée  par  cette  Constitution,  qu'authentiquèrent 
à  Bex,  le  34  août,  les  envoyés  des  Républiques  française,  italienne  el  helvétique. 

Après  la  chute  du  régime  français,  le  Vallais  fut  placé  sous  la  Constitution  de 
1845,  qui  ne  difTérait  de  la  précédente,  dans  les  parties  essentielles,  qu'en  ce  que  les 
Conseils  de  Dixains  envoyaient  à  la  Diète  un  nombre  égal  de  députés  ;  que  l'évéque 
y  était  représenté  comme  un  dixain;  que  le  personnel  du  Conseil  d'Etat  était  accru 


LA    SUISSE   PITTOBESQUE.  499 


de  deux  membres,  sans  suppléants;  que  la  sanction  des  lois  étail  réservée  aux  Con- 
seils de  Dixains,  et  dans  trois  cas  spéciaux  à  ceux  de  commune,  et  enfin  qu'elle 
exigeait,  pour  être  abrogée,  les  deux  tiers  des  suffrages  de  la  Diète. 

La  Constitution  du  30  janvier  1839  n'eut  qu'une  durée  de  quelques  mois.  Celle 
ilu  3  août  de  la  même  année  déclara  que  l'instruction  serait  appropriée  aux  besoins 
du  peuple;  rétablit  la  représentation  proportionnelle;  donna  deux  députés  au  clergé; 
introduisit  la  publicité  des  séances  du  Grand  Conseil  et  le  veto  facultatif  des  lois  par 
les  assemblées  primaires;  admit  le  quart  des  citoyens  vallaisans  domiciliés  dans  la 
(commune  à  faire  partie,  avec  les  bourgeois  ou  communiers,  de  ces  dernières  assemr 
hiées  ;  abolit  toute  candidature  aux  fonctions  civiles  ;  confia  l'élection  des  députés  au 
pouvoir  l^islatif  à  des  collèges  électoraux,  et  celle  des  juges  communaux  aux 
assemblées  primaires,  etc.  —  Celle  du  14  septembre  1844  écarta  les  laïques  de 
l'enseignement  supérieur;  maintint  Tinstilution  des  collèges  électoraux;  donna  trois 
représentants  au  Vén.  Clergé,  créa  un  tribunal  pour  les  crimes  et  délits  politiques,  et 
consacra  le  principe  que  les  lois  ne  seraient  exécutoires  qu'après  avoir  été  adoptées 
par  la  majorité  des  citoyens  convoqués  en  assemblées  primaires  et  prenant  part  au 
scrutin.    - 

La  Charte  du  10  janvier  1848  déclara  l'instruction  primaire  obligatoire;  abolit  la 
représentation  exceptionnelle  du  V  Clergé,  et  toute  espèce  de  référendum  ou  veto; 
porta  à  cinq  ans  (  au  lieu  de  deux)  la  durée  des  fonctions  des  autorités  supérieures, 
et  à  sept  le  nombre  des  conseillers  d'Etat  ;  institua  des  assemblées  électorales  de 
district  ou  de  cercle,  nommant  directement  les  membres  du  Grand  Conseil  ;  admit 
6000  citoyens  à  demander  en  tout  temps  la  révision  de  la  Constitution  ;  introduisit 
les  municipalités,  etc.  —  L»  Constitution  du  23  décembre  18S2,  qui  régit  actuelle- 
ment le  canton,  s'écarte  fort  peu  des  dernières  dispositions  qui  viennent  d'être  ana- 
lysées.  Elle  ramena  le  nombre  des  conseillers  d'Etat  à  cinq  ;  porta  à  quatre  ans  la 
durée  de  leurs  fonctions;  introduisit,  pour  l'élection  des  députés  au  Grand  Conseil,  la 
votation  par  commune,  avec  supputation  des  suffrages  émis  dans  le  district,  et  excep- 
tionnellement dans  le  cercle,  lorsque  la  demande  en  est  faite;  ouvrit  la  porte  à  la  con- 
clusion d'un  concordat  avec  l'Eglise;  réserva  la  sanction  du  peuple  pour  tout  change- 
ment au  système  financier  et  toute  élévation  de  taux  de  l'impôt  proportionnel,  etc. 

LÉGISLATION.  —  Un  Code  civil,  entré  en  vigueur  le  l*"^  janvier  1855  et  remplaçant 
les  Statuts,  recueil  de  lois  datant  de  trois  siècles  et  écrit  en  latin  ;  un  Code  de  procédure 
civile,  promulgué  en  1846,  et  qui  devra  être  révisé  prochainement,  par  suite  de 
l'adoption  du  Code  civil;  un  Code  de  procédure  pénale,  publié  en  1848,  et  qui  sera 
suivi  d'un  Code  péual,  ouvrage  auquel  on  travaille  en  ce  moment  ;  et  huit  ou  neuf 
volumes  de  lois,  dont  une  bonne  partie  est  rapportée  ou  modifiée,  forment  l'ensemble 
de  la  législation  du  canton.  Les  lois  les  plus  importantes  qui  composent  ce  dernier 
recueil  embrassent  l'instruction  publique,  la  police  des  routes,  des  auberges,  des 
forêts,  etc.,  la  nomination  des  autorités,  l'organisation  militaire,  la  santé  publique, 
les  privilèges  et  hypothèques,  l'abolition  du  parcours  et  des  dîmes,  le  régime  com- 
munal, les  attributions  des  préfets,  les  registres  de  l'état  civil,  les  impositions  can- 
tonales et  communales,  etc. 

Cultes.  — Le  peuple  vallaisan  professe  la  religion  catholique,  et  se  distingue  par 
une  piété  profonde  et  sincère.  L'évêque  de  Sion  est  nommé  par  le  Grand  Conseil, 


50<)  LA  srissE  pinxNies^i  E. 


sur  la  présentation  de  quatre  candidats ,  faite  par  le  Chapitre  de  la  cathédrale  :  ce* 
lui-ci  se  compose  de  douze  chanoines  effectifs  et  d'autant  de  titulaires.  L'évèque 
actuel  est  le  quatre-vingt-dixième  qui,  depuis  saint  Théodule,  ait  occupé  le  siège 
épiscopaidu  Vallais,  siège  transféré  de  Martigny  àSion  en  580.  Durant  le  moycD- 
ftge,  révéque  de  Sion,  en  sa  qualité  de  comte  et  préfet  du  Vallais,  était  une  véri- 
table puissance ,  par  la  facullé  qu'il  avait  d'ouvrir  ou  de  fermer  à  son  gré  cette 
porte  de  l'Italie.  Aussi  voyons-nous  plusieurs  de  ces  prélats  jouer  un  rAle  importanl, 
non-seulement  dans  leur  diocèse ,  où  ils  avaient  droit  de  glaive ,  de  monnaie  et  de 
grâce,  mais  encore  dans  les  affaires  de  rEuro|)e.  Durant  trois  siècles  ct>nsécutik. 
les  évéques  de  Sion  soutinrent  une  lutte  acharnée  contre  les  patriotes ,  qu'ils  pré- 
tendaient gouverner' au  temporel  en  vertu  de  la  Caroline;  vaincus,  ils oonservèreni 
encore  longtemps  une  grande  influence  dans  les  Diètes  cantonales ,  où  leur  suffrage 
équivalait  à  celui  d'un  dixain  tout  entier.  —  Le  canton  compte  deux  couvents  de 
religieux  de  saint  Augustin ,  l'un  à  Saint-Maurice ,  l'autre  au  Saint-Bernard ,  avec* 
une  succursale  au  Simplon;  deux  couvents  de  capucins,  Tun  à  Sion  ,  depuis  1628, 
l'autre  à  Saint-Maurice,  dès  4614  ;  un  couvent  d'ursulinesà  Brigue,  et  un  de  ber- 
nardines à  Collombey .  Les  jésuites,  renvoyés  en  4847,  furent  introduits  dans  le  pays 
en  4607  ;  congédia  et  rappelés  à  plusieurs  reprises,  ils  furent  chargés  de  l'ensei- 
gnement dans  les  collèges  de  Sion  et  de  Brigue.  Vabbaye  tk  Suinl-Maurice ,  le  plus 
ancien  monastère  en  deçà  des  Alpes ,  compte  environ  trente  religieux  ;  la  plupart 
desservent  des  cures;  les  auti*es  sont  employés  à  l'enseignement  dans  le  gymnase 
français  de  Saint-Maurice.  Après  avoir  été  r^is  par  différentes  constitutions  monas- 
tiques, ils  suivent ,  depuis  le  42'  siècle,  la  règle  de  saint  Augustin.  Leur  abbé ,  qu'ils 
élisent  eux-mêmes,  est  crosse  et  mitre;  il  porte  le  titre  de  comte,  est  grand'croix 
de  l'ordre  de  saints  Maurice  et  Lazare,  et  a  reçu  tout  récemment  du  Saint-Siège  la 
dignité  d'évéque  de  Bethléem.  Le  gouvernement  français  vient  de  confier  aux  reli- 
gieux de  l'abbaye  de  Saint-Maurice  la  direction  de  Torphelinat  de  Medjez-Amar, 
en  Algérie  ;  il  leur  a  concédé  par  le  fait  une  immense  étendue  de  terrains,  où  ils  se 
proposent  d'attirer  une  colonie  d'indigènes.  —  Les  religieux  du  Saint-Bernard  exer- 
œnt  l'hospitalité  sur  le  mont  Jou  et  sur  le  Simplon  ;  une  vingtaine  environ  résident 
à  l'hospice  ;  les  malades  et  les  vieillards  sont  placés  à  Martigny,  et  les  autres  des- 
servent quelques  cures  ou  l'établissement  du  Simplon.  L'hospice  du  Saint-Bernard 
remonte  à  la  plus  haute  antiquité;  saint  Bernard  de  Menthon,  archidiacre  d'Aoste. 
le  rétablit  en  962,  le  dota  et  y  plaça  des  religieux  de  Saint- Augustin.  —  On 
trouve,  dans  les  environs  de  Sierre  et  sur  une  légère  éminence,  un  ancien  doitre 
connu  sous  le  nom  de  Charireune  de  Géroiide.  Il  fut  successivement  habité  par  des 
chartreux,  des  carmes,  des  jésuites  et  destrapistes.  Ceux-<;i  l'abandonnèrent  en  4835, 
et  dès-lors  ce  bâtiment  n'a  plus  servi  d'asile  à  des  corporations  i*eligieuses.  —  Saint- 
Pierre  de  Clages  possédait  aussi  un  couvent  qu'habitèrent  des  bénédictins ,  puis  des 
Irapistes,  qui,  en  4794,  vinrent  se  fixer  à  Vile  à  Bernard,  près  de  Bovemier.  Grâce 
aux  libéralités  d'une  princesse  de  Condé,  ils  agrandirent  considérablement  le  menas- 
tère ,  mais  n'y  séjournèrent  pas  longtemps.  —  H  y  eut  de  même  des  couvents  à 
Loëcbe,  â  Ernen,  à  Brigue,  etc. 

Imstkuction  publique.  —  L'instruction  publique  a  été  longtemps  fort  négligée  en 
Vallais.  A  l'heure  qu'il  est,  ce  canton  fait  les  plus  louables  efforts  pour  se  mettre, 


LA    SDISSK    IMTTOKKSQl  K.  501 


SOUS  ce  rapport,  au  niveau  des  Etats  voisins.  Il  lui  reste  néanmoins  de  grands  pas  à 
foire,  car  le  traitement  minime  des  régents,  la  courte  durée  des  écoles,  paralysent  en 
partie  les  efforts  des  autorités,  et  influent  nécessairement ,  d'une  manière  fâcheuse, 
sur  l'avancement  de  Tinstruction  des  masses.  —  Des  quatre  lois  portées  à  ce  sujet, 
Tune,  celle  de  4828 ,  ne  fut  pas  mise  à  exécution;  la  seconde,  promulguée  en  4840 
et  soumise  au  referendam,  fut  rejetée  par  le  peuple.  Les  deux  dernières  seules  ont 
été  exécutées.  CiUle  de  4849  est  actuellement  en  vigueur.  Voici  ses  principales 
dispositions  :  Chaque  commune  est  tenue  d'ouvrir  une  école  ;  toutefois ,  avec  Tauto- 
risation  du  département  de  l'Instruction  publique,  deux  ou  plusieurs  communes 
peuvent  se  réunir  pour  ne  tenir  qu'une  école.  La  fréquentation  des  écoles  primaires 
est  obligatoire  pour  tous  les  enfants  du  canton,  jusqu'à  l'âge  de  quinze  ans;  les 
contrevenants  à  cette  disposition  sont  passibles  d'une  amende.  Le  minimum  de  la 
durée  annuelle  de  l'école  est  fixé  à  cinq  mois  ;  les  régents  sont  nommés  par  les 
Conseils  communaux  ,  sous  réserve  de  l'approbation  du  Conseil  d'Etat.  —  Le  canton 
compte  299  écoles,  fréquentées  par  43,200  enfants  des  deux  sexes;  l'enseignement 
y  est  confié  soit  à  des  régents  brevetés  sortis  de  l'Ecole  normale  cantonale,  établie 
depuis  4846,  soit  à  des  régents  autorisés  par  le  département  de  l'Instruction  pu- 
blique, mais  non  brevetés,  soit  enfin  à  des  ecclésiastiques.  Ces  derniers  sont  pour  la 
plupart  des  curés  ou  des  vicaires,  qui  sont  tenus,  en  vertu  de  conventions  antérieures, 
d'instruire  la  jeunesse  de  la  paroisse.  Un  journal  pédagogique  gratuit  tient  le  per- 
sonnel enseignant  au  courant  des  nouvelles  scolaires,  discute  les  questions  d'ensei- 
gnement, et  met  en  rapport  le  dicastère  et  ses  agents  inférieurs.  Dans  un  bon  nombre 
d'écoles,  un  seul  instituteur  enseigne  les  enfants  des  deux  sexes.  Cette  méthode  pré- 
sente de  graves  inconvénients  :  aussi  commence-t-on  à  les  sentir  vivement ,  et  une 
grande  amélioration  se  manifeste  généralement  sous  ce  rapport,  surtout  depuis  l'ou- 
verture d'une  école  normale  pour  les  institutrices.  Une  Commission  locale,  nommée 
par  le  Conseil  communal ,  est  chargée  de  la  surveillance  des  écoles;  la  même  tâche 
incombe  à  trois  inspecteurs  nommés  par  le  département  de  l'Instruction  publique, 
qui,  une  fois  chaque  année,  inspectent  toutes  les  écoles  du  canton.  Le  conseiller 
d'Etat  chargé  de  l'instruction  publique  est  assisté  d'un  conseil  de  deux  membres  nom- 
més par  le  Conseil  d'Etat,  qui  sont  convoqués  toutes  les  fois  que  les  circonstances 
I  exigent.  Les  établissements  supérieui*s  d'éducation,  où  l'enseignement  est  gratuit, 
sont  :  le  Séminaire,  l'Ecole  de  droit,  le  Lycée  cantonal  à  Sion,  le  Gymnase  fran- 
^-ais  à  Saint-Maurice ,  et  le  Gymnase  allemand  à  Brigue.  Ces  trois  derniers  sont 
sous  la  surveillance  d'un  Préfet  des  études.  Le  Lycée  cantonal  comprend  trois 
années  d'étude;  on  enseigne  aux  élèves  du  premier  cours  les  littératures  française, 
allemande  et  latine  ;  aux  élèves  du  second  cours,  la  physique  et  la  géométrie,  et 
à  ceux  du  troisième,  la  philosophie  et  la  chimie.  Les  élèves  suivent  en  commun  des 
cours  de  mathématiques,  d'histoire,  d'histoire  naturelle,  de  grec,  d'histoire  de  litté- 
rature ancienne ,  de  dessin,  etc.  Le  personnel  enseignant,  comme  celui  des  gym- 
nases, est  à  la  nomination  du  Conseil  d'Etat,  qui  peut  étendre  ou  modifier  la  sphère 
des  études.  —  La  ville  de  Sion  a  aussi  établi  un  Gymnase  dans  son  enceinte.  —  Une 
école  moyenne  existe  à  Saint-Maurice. 

Industrie,  Commerce.  —  Le  mouvement  commercial  est  faible  en  Vallais,  et  l'in- 
dustrie y  est  à  peu  près  nulle.  Le  commerce  de  transit  par  le  Simplon,  qui  senible- 


liOi  LK   SriMB   PITTOniWQlR. 


rait  devoir  élre  considérable,  n*a  aucuoe  importance,  el  n'occupe  que  quelques  iodi- 
vidus.  Si  on  exporte  peu ,  on  importe  peut-être  moins  encore,  car  le  Vallais,  à  peu 
d'exceptions  près ,  peut  se  suffire  à  lui-même ,  grâce  à  la  fertilité  du  sol  et  à  la  va- 
riété de  ses  produits.  Au  reste,  le  Vallaisan  est  simple  dans  ses  goûts  comme  dans 
.s(!s  mœurs  :  ses  troupeaux ,  son  petit  champ,  voilà  ses  richesses;  ils  lui  fournissent 
sa  nourriture  et  ses  vêtements,  et  ses  désirs  ne  s'étendent  pas  plus  loin.  La  grande 
(|uantité  de  bêtes  à  cornes  qu*élèvent  les  montagnards,  permet  cependant  la  vente 
hors  du  pays  d'une  certaine  quantité  de  beurre  et  de  fromage.  Les  habitants  de  b 
vallée  de  (Clenches  se  livrent  avec  succès  à  Télève  du  bétail  :  chaque  automne  ils 
s'en  vont  acheter  dans  le  canton  de  Berne  de  5  à  600  génisses,  et  les  revendent  en 
Italie  le  printemps  suivant ,  avec  une  augmentation  de  prix  de  70  à  90  francs.  Le 
tannage  des  peaux  occupe  dans  le  pays  un  certain  nombre  de  fosses  ;  on  vend  à  lé- 
tranger  les  fourrures  des  loutres,  des  renards,  tués  par  les  chasseurs.  Les  forêts, 
presque  toutes  communales,  qui  pourraient  être  d'une  précieuse  ressource  pour  le 
Vallais,  ont  été  de  tout  temps  fort  négligées,  et  n*ont  guère  été  utilisées  que  pour 
Tusage  particulier  des  bourgeois  propriétaires.  Dans  quelques  localités ,  une  coupe 
rase  a  dévasté  le  sol ,  tandis  que  dans  d'autres  les  forêts  sont  si  touffues,  que  les 
sapins  se  nuisent  réciproquement  et  empêchent  le  développement  des  jeunes  plantes. 
Le  règlement  forestier  qui  vient  d'être  tout  récemment  mis  en  vigueur,  mettra  sans 
doute  un  terme  à  cet  état  de  choses,  et  fera  comprendre  aux  communes  et  aux  par- 
ticuliers les  avantages  de  la  sylviculture.  Quelques  entrepreneurs  exploitent  cepen- 
dant depuis  quelques  années  les  forêts  du  canton  :  le  Rhêne  leur  sert  de  voie  de 
transport ,  et  les  bois,  abandonnés  à  eux-mêmes,  arrivent  au  Léman,  d'où  ils  sont 
dirigés  sur  Vevey  ou  Genève.  —  On  expédie  aussi  une  certaine  quantité  de  vins 
dans  les  cantons  voisins  :  cette  exportation  prend  des  proportions  considérables 
quand  la  récolte  vaudoise  manque.  On  cultive  le  mûrier  à  Monthey,  à  Saint-Mau- 
rice et  à  Sion  ;  dans  cette  dernière  localité  surtout,  cette  culture  a  de  Timportanœ, 
et  la  vaste  magnanerie  d*Uvrier,  où  Ton  élève  une  assez  grande  quantité  de  vers- 
à-soie,  promet  les  plus  beaux  résultats.  —  La  plupart  des  montagnards  du  Haut- 
Vallais  tissent  eux-mêmes  la  laine  de  leurs  troupeaux,  pour  s'en  faire  des  vêtements, 
tandis  qu'une  partie  de  ceux  du  Bas- Vallais  s'approvisionnent  à  la  fabrique  de  draps 
de  Bagnes.  Cet  établissement,  ne  pouvant  soutenir  la  concurrence  étrangère,  fabri- 
que presque  exclusivement  un  drap  brunfttre ,  connu  sous  le  nom  de  drap  du  pap, 
dont  se  vêtissent  les  indigènes.  La  verrerie  de  Monthey  est  rétablissement  industriel 
le  plus  important  du  canton  :  il  occupe  une  foule  de  bras,  et  est  en  pleine  voie  de 
prospérité.  Ses  tuiles  de  verre  et  ses  cristaux  ont  été  fort  remarqués  à  rexposition 
de  l'industrie  suisse  à  Berne,  en  1848.  La  papeterie  de  Vouvry  et  la  fabrique  de 
clous  et  de  fil  d'archal  de  Saint-Gingolph  méritent  aussi  une  mention.  Quant  à 
l'exploitation  des  ardoisières  et  à  la  fonte  du  minerai  extrait  des  mines  du  pays, 
nous  en  avons  parlé  à  l'article  minéralogie. 

Du  manque  de  mouvement  industriel  ou  commercial  en  Vallais ,  on  ne  saurait  con- 
clure que  l'habitant  de  ce  pays  soit  essentiellement  incapable  de  s'adonner  à  l'industrie  : 
non ,  car  certaines  peuplades  de  ses  vallées ,  celle  de  la  vallée  de  Gonches  en  parti- 
culier, ont  une  aptitude  innée  pour  certains  arts  d'élite ,  tels  que  la  peinture  et  la 
sculpture  ;  d'autres  se  distinguent  par  la  perfection  de  leur  système  d'irrigation  des 


LA    S()I51SR    PITTOUE80IT..  503 


champs,  et  toutes,  à  peu  d'exceptions  près,  se  suffisent  à  elles-mêmes.  Quelles  sont 
donc  les  causes  de  ce  défaut  d'industrie  en  Vallais?  Le  manque  de  capitaux  nécessaires 
à  toute  entreprise,  Tabsence  chez  les  indigènes  de  l'esprit  d'association,  la  défiance 
envers  les  étrangers,  et  les  services  militaires  de  Rome  et  de  Naples,  qui  enlèvent  la 
plus  grande  partie  de  la  jeunesse  intelligente  du  pays.  —  Le  gouvernement  avait 
introduit ,  il  y  a  quelques  années ,  le  tressage  de  paille  ;  mais  les  produits  de  cette 
industrie  manquant  de  débouchés,  les  populations  ne  peuvent  s'y  livrer  que  pour 
leur  propre  usage.  — -  En  traversant  la  vallée  du  Rhône ,  on  voit  dans  le  Haut 
Vallais,  à  mi-côte  des  montagnes,  des  lignes  horizontales  qui  en  coupent  les  flancs, 
souvent  sur  une  grande  étendue.  Ce  sont  des  bisses,  ou  canaux  ,  construits  par  les 
gens  des  localités  voisines  et  destinés  à  amener  les  eaux  sur  des  pentes  menacées  de 
stérilité.  Ces  aqueducs  exigent  souvent  de  grands  travaux  et  coulent  des  sommes 
considérables,  eu  égard  au  peu  de  ressources  dont  disposent  en  général  les  com- 
munes qui  les  font  établir.  Quelques-uns  de  ces  bisses  sont  des  prodiges  de  hardiesse; 
les  uns  se  cramponnent  à  des  parois  verticales,  s'appuyant  au  rocher  ou  à  de  lon- 
gues poutres  fichées  en  terre  ;  d'autres  s'enfoncent  dans  le  roc  même  que  l'on  a  dû 
ouvrir  à  grands  frais,  franchissent  audacieusement  les  abîmes,  puis  vont  doucement 
couler  dans  les  forêts,  à  l'ombre  des  sapins.  Des  étangs  reçoivent,  de  distance  en 
distance,  ces  eaux,  qui  s'écoulent  ensuite  par  des  écluses  dans  toutes  les  directions  : 
tels  sont  les  réservoirs  de  Levron ,  de  Visperterbinen ,  de  Bistiner ,  etc. 

AGRICULTURE.  —  L'agriculturc  et  l'élève  des  bestiaux  sont  les  principales,  pour  ne 
pas  dire  les  seules  occupations  du  peuple  vallaisan.  Il  y  a  dans  le  canton  56,000  vaches 
ou  génisses,  25,000  chèvres,  et  44,000  moutons;  ces  troupeaux  occupent  environ 
3000  personnes,  lorsqu'ils  se  transportent  dans  les  pâturages  des  Alpes.  L'agriculturc 
a  fait  depuis  peu  d'années  de  grands  progrès  en  Vallais  ;  néanmoins,  elle  est  encore 
arriérée,  et  les  vieux  systèmes  de  culture  cèdent  difficilement  le  pas  aux  nouveaux. 
La  partie  du  sol  vallaisan  que  l'on  cultive  est  fertile,  très-fertile  même,  et  suffit  à  la 
consommation  de^  habitants  ;  aussi,  que  serait-ce  si  les  agriculteurs  savaient  tirer 
parti  de  leurs  propriétés,  et  si  toute  la  grande  plaine  du  Rhône  était  convertie  en  terres 
arables,  au  lieu  de  ces  immenses  flaques  d'eau,  de  ces  marécages  que  le  fleuve  sème 
sur  tout  son  littoral?  Par  suite  du  défaut  de  digues,  ou  de  l'insuffisance  de  celles  qui  exis- 
tent, les  terres  cultivées  ne  sont  même  guère  à  l'abri  des  inondations;  lors  des  grandes 
chaleurs,  les  glaciers  dégorgent  des  quantités  d'eau  extraordinaires,  le  Rhône  s'enfle, 
sort  de  son  lit,  et  couvre  de  limon  et  de  gravier  tout  ce  que  ses  flots  peuvent  atteindre. 
Ces  désastres  incessants  sont  de  nature,  comme  on  le  pense  bien,  à  arrêter  ou  à 
comprimer  l'essor  de  l'agriculture;  les  variations  subites  de  la  tem|)érature  et  le  trop 
grand  morcellement  des  propriétés  produisent  le  même  effet .  Un  comité  et  un  journal 
agricoles  avaient  été  fondés,  il  y  a  quelques  années,  pour  venir  en  aide  aux  agricul- 
teurs et  propager  les  découvertes  et  les  innovations  utiles;  mais  ni  l'un  ni  l'autre  ne 
donnent  actuellement  signe  de  vie.  —  Parmi  les  améliorations  les  plus  fécondes, 
entreprises  depuis  peu  d'années,  nous  citerons  le  partage  et  le  défrichement  des  biens 
communaux.  Chaque  commune  possède  une  étendue  plus  ou  moins  considérable 
de  terrains  en  friche,  où  chaque  bourgeois  a  droit  de  mener  paître  ses  troupeaux  et  de 
s'approvisionner  de  bois  :  h  l'heure  qu'il  est,  on  commence  à  comprendre  tout  le  parti 
que  l'on  pourrait  tirer  de  ces  pâturages,  et  les  communes  les  plus  importantes  du 


S0%  LA    SriJ^R    PITTORESOrR. 


(Mîilon  les  onl  partagés  en  usurruil,  par  lois  égaux,  entre  tous  les  ayaot-droîl.  k  la 
eondilion  expresse  de  les  défrieher  et  de  les  mettre  en  culture.  Ce  mode  de  jouissance 
est  d'une  rigoureuse  équité,  car  chaque  famille  jouit  ainsi  de  sa  part,  tandis  qu*au- 
imravant  les  propriétaires  de  troupeaux  seuls  en  tiraient  parti.  —  Les  assolements 
sintroduisent  peu  h  peu,  en  remplacement  de  ce  procédé  de  culture  qui  voulait  que 
la  même  céréale  revint  sans  cesse  dans  le  même  champ.  I>a  maladie  terrible  qui, 
depuis  nombre  d'années,  annule  la  récolle  des  pommes  de  terre,  est  cause  que  la  cul- 
ture de  ce  tubercule  commence  h  faire  place  à  celle  du  maïs,  que  Ton  trouve  main- 
tenant dans  les  vallées  les  plus  reculées.  La  culture  de  la  vigne  subit  aussi  de  grandes^ 
améliorations  ;  on  replante  en  lignes  régulièrement  espacées  les  ceps  jusqu'alors  dis- 
séminés au  hassird,  ramimnt  sur  le  sol  et  sans  appuis.  Les  vins  du  Vallais  sont 
estimés  :  quelques-uns  même,  tels  que  la  Malvoisie  de  Sierre  et  de  Vétroz,  peuvent 
soutenir  la  comparaison  avec  les  vins  d'Espagne.  L'Arvine,  l'Humagne  de  Sion,  la 
Marque  et  le  Coquimpey  de  Martigny,  le  Ballioz  de  Vétroz,  sont  aussi  fort  reciier- 
chés.  —  fiCs  arbres  fruitiers  sont  nombreux  en  Vallais;  on  remarque  surtout  les 
noyers,  qui  atteignent  des  dimensions  considérables,  et  fournissent  une  huile  d'une 
Imnne  qualité.  I>es  régents  apprennent  h  greffent  l'école  normale.  La  culture  du  safran 
a  été  abandonnée,  pendant  que  celle  du  tabac  prospère  dans  les  environs  de  Sion. 

Caractrre,  MoKi'Rs,  Usages.  —  Le  Vallaisan  est  en  général  lH>n,  simple  et  naïf  : 
son  VKBUV  et  son  esprit  réfléchissent  dans  toute  leur  pureté  la  sévérité  du  paysage, 
l'àpreté  des  rochers  qui  l'entourent.  Pénétrez  dans  ces  vallées  profondes,  creusée 
dans  les  Alpes  vallaisannes,  vous  y  trouverez  chez  le  peuple  une  cordiale  hospitalité, 
des  mœurs  pures,  des  formes  un  |)eu  rudes  peut-être,  mais  empreintes  d'une  franche 
bonhomie.  I^s  lois  hiérarchiques  de  la  famille  y  sont  sévèrement  observée:  le 
vieillard  y  jouit  de  la  vénération  de  ses  descendants,  et  ses  avis  sont  religieusement 
écoulés.  La  voix  du  pasteur  de  la  vallée  ne  s'élève  jamais  en  vain  sous  ces  toits 
rustiques  :  l'humble  curé  de  village  est  consulté  dans  toutes  les  occasions  impor- 
tantes :  il  est  de  toutes  les  joies,  de  toutes  les  douleurs,  et  les  bénédictions  de  ses 
|)aroissiens  suivent  )K)rlout  ses  |)as.  A  l'ombre  de  ces  sapins  séculaires  nait  et  grandit 
une  race  forte  cl  vigoureuse,  que  n'a  point  encore  altérée  le  contact  des  étrangers. 
Pasteurs  robustes,  ils  semblent,  dans  ces  lieux  éloignés,  perpétuer  la  vie  des  patriarches 
(le  l'Ecriture  i  comme  eux  nomades,  ils  se  transportent,  avec  leurs  troupeaux,  des 
champs  fertiles  de  la  vallée  aux  sommets  glacés  de  l'alpe,  cl  leur  vie  s'écoule  paisi- 
blement dans  ces  monotones  occupations.  Quelques  ombres  ternissent  sans  doute  ce 
tableau,  mais  il  n'en  est  pas  moins  attrayant,  et  ne  présente  pas  moins  la  vie  pas- 
torale dans  toute  sa  simplicité.  —  Comme  on  le  j)ense  bien,  les  mêmes  caractères 
ne  distinguent  plus  les  |K)pulations  de  la  plaine  :  leurs  mœurs,  quoique  toujours 
pures,  ont  perdu  ce  C{)chet  de  simplicité  naïve  qui  leur  donnait  un  si  grand  attrait: 
une  finesse  réfléchie,  une  certaine  méfiance  envers  les  étrangers,  ont  remplacé  In 
cordiale  bonhomie  des  gens  de  la  montagne.  Cette  différence  de  caractère  se  fait 
principalement  sentir  dans  le  Bas- Vallais,  dont  les  populations  se  rapprochent  forte- 
ment de  celles  de  la  Savoie  et  du  canton  de  Vaud,  tandis  que  les  Haut-Vallaisans, 
plus  rudes  et  plus  austères,  conservent  encore  les  traits  distinctife  du  caractère  na- 
tional. 

Les  cérémonies  religieuses  (ml  un  grand  charme  pour  les  Vallaisans,  en  général 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  S05 


fort  attachés  à  leur  religion.  D'agrestes  oratoires,  des  ermitages 
solitaires  s'élèvent  partout,  dans  la  plaine,  sur  les  rochers,  dans 
les  forêts  ;  c'est  là  que  le  peuple  aime  à  venir  s'agenouiller  à  cer- 
taines époques  de  Tannée;  c'est  là  qu'il  vient  prendre  ses  seules 
jouissances.  Rien  n'est  plus  original,  mais  rien  n'est  plus  tou- 
chant, que  le  spectacle  qu'offrent  ces  ermitages  le  jour  de  la 
fête  du  saint  sous  la  protection  duquel  ils  sont  placés.  Les  pa- 
roisses voisines  s'y  rendent  processionnellement,  souvent  à  de 
fortes  distances;  vieillards,  femmes,  enfants,  personne  n'y 
manque;  leurs  chants  pieux,  répétés  par  les  échos  des  bois, 
s'élèvent  doucement  dans  les  airs,  el,  se  mariant  avec  la  voix  lointaine  des  cam- 
pagnes, forment  une  agreste  mélodie.  La  chapelle,  toute  enguirlandée,  toute  parée 
des  fleurs  de  la  vallée,  est  envahie  par  des  flots  de  pèlerins,  qui  témoignent  ensuite 
de  l'eflicacité  de  leurs  prières  par  des  ex-voto  appendus  aux  parois  de  l'ermitage.  — • 
Les  églises  paroissiales,  surtout  dans  certaines  vallées,  sont  des  modèles  d'élégance 
et  de  bon  goût. 

Les  anciens  Vallaisans  soutinrent  de  longues  luttes  pour  conquérir  leur  indépen- 
dance :  grands  et  courageux  aux  jours  des  combats,  ils  rongeaient  en  frémissant  le 
frein  que  leur  imposaient  des  vainqueurs.  Tenaces  à  l'excès,  ils  ont  poussé  la  pas- 
sion du  régime  démocratique  jusqu'à  admettre  comme  légal  l'ostracisme  dont  ils 
frappaient  ceux  de  leurs  concitoyens  qui  leur  portaient  ombrage.  Un  seigneur,  un 
cvêque  semblait-il  aspirer  à  la  souveraineté  du  pays,  la  Masse  se  levait,  hideuse  et 
menaçante,  et  parcourait  le  pays  en  appelant  des  vengeurs.  Voici  ce  qu'était  au 
fond  cette  singulière  coutume  de  la  Masse.  Lorsqu'un  personnage  haut  placé  s'était, 
par  quelque  action,  attiré  la  haine  des  patriotes,  les  plus  résolus  d'entre  eux  s'as- 
semblaient en  secret,  puis  un  tronc  d'arbre,  grossièrement  façonné  en  tête  humaine, 
était  arboré  par  eux  sur  la  place  publique.  La  foule  s'amassait  en  grondant,  u  De 
qui  as-tu  à  te  plaindre?  lui  disait-on;  parle.  Masse;  est-ce  Raron,  est-ce  Asper- 
lingV  »  Lorsque  le  nom  de  la  victime  vouée  à  l'exil  était  prononcé,  la  Masse  s'in- 
clinait profondément,  et  le  peuple  d'applaudir  en  poussant  des  cris  de  rage.  Chaque 
conjuré  enfonçait  alors  un  clou  dans  le  tronc,  et  lorsque  leur  nombre  était  jugé  suf- 
fisant, on  portait  le  redoutable  trophée  en  face  de  la  demeure  de  l'ennemi  commun. 
Celui-ci  se  hâtait  alors  de  fuir  le  pays,  car  au  jour  fixé  sa  demeure  était  rasée,  ses 
biens  dévastés,  et  ses  partisans  massacrés. 

L'usage  s'est  perpétué  dans  la  partie  allemande  du  canton  de  représenter  en  plein 
air  des  comédies  ou  drames,  dont  les  acteurs  sont  pris  parmi  le  peuple  et  dirigés  le 
plus  souvent  par  le  curé  de  Tendroit.  Ces  représentations  scéniques,  souvent  simples 
et  naïves,  sont  moins  grotesques  que  Ton  pourrait  le  croire,  et  ne  laissent  pas  que 
d'offrir  un  véritable  intérêt,  soit  comme  trait  de  mœurs,  soit  comme  souvenir  des 
MijHières  du  moyen-âge.  Tôpffer,  dans  ses  Nonveanor  Voyages  en  zigzag,  a  décrit  avec 
beaucoup  de  charme  Tune  de  ces  représentations,  à  laquelle  il  eut  la  bonne  fortune 
d'assister  à  Stalden  (vallée  de  Viége)  en  1839.  —  L'une  des  peuplades  les  plus 
curieuses  du  Vallais,  est  celle  qui  habite  la  vallée  d'Ànniviers.  Là,  chaque  villageois 
amasse,  sa  vie  durant,  des  provisions  en  assez  grande  quantité  pour  que,  le  jour 
de  sesiunérailles,  ceux  qui  suivent  son  convoi  puissent,  au  retour  de  la  cérémonie, 

11,  31.  6^ 


506  LA   Si'IWC   MTTOIIBSQIB. 

foire  un  repas  copieux.  Les  Anniviards  possèdent  beaucoup  de  vignes  dans  la  plaine, 
dans  les  environs  de  Sierre,  el  descendent  à  certaines  époques  de  Tannée,  soit  pour 
les  travailler,  soit  pour  en  récolter  les  fruits.  S*il  arrive  que  l'un  d*eus  meure  alors 
loin  du  toit  paternel,  on  ne  Tensevelira  point  dans  la  terre  étrangère.  On  hisse  son 
cadavre  sur  un  mulet  ;  puis,  quand  la  nuit  est  venue,  la  caravane  se  met  siiencieu- 
sèment  en  marche,  s'ara^tant  de  distance  en  distance,  pour  s'agenouiller  et  prier 
autour  du  voyageur  glacé  qu^elle  escorte. 

Le  costume  national  varie  avec  chaque  vallée;  ici,  raide,  empesé;  là,  gracieux 
et  charmant.  Dans  la  plaine,  il  s'efface  chaque  jour  et  disparait  insensibleaient.  La 
partie  la  plus  originale  de  ce  costume,  et  celle  qui  subsiste  le  plus  longtemps,  c'est  la 
coiffure. 

^  Hommes  cklèihies.  —  Le  cardinal  Mathien  .Srhinfitr  est  la  plus  grande  figure  dt* 
l'histoire  du  Vallais,  peut-être  même  de  l'histoire  de  la  Suisse.  Né  pauvre,  obscur, 
dans  un  chétif  hameau  de  la  vallée  de  Conches,  il  s'éleva,  par  ses  talents  et  ses 
actions,  plus  haut  qu'aucun  autre  de  ses  compatriotes,  et,  pendant  un  quart  de  siècle, 
attira  sur  lui  les  regards  de  l'Europe,  (lontempomn  de  Louis  XU,  de  François  I^. 
de  Jules  II,  de  Léon  X,  de  Maximilien,  de  Charles-Quint,  sa  gloire  ne  s'est  point 
éclipsée  à  côté  de  tant  de  noms  illustres;  homme  de  guerre  et  d'église,  la  part  qu'il 
prit  aux  événements  de  son  siècle  a  rendu  sa  mémoire  impérissable.  La  nature  Tavait 
richement  doté  :  il  était  éloquent,  d'une  éloquence  mâle  et  terrible,  mais  sans  onc- 
tion; général,  il  combattait  toujours  au  premier  rang,  la  pique  au  poing  et  le  man- 
teau de  pourpre  sur  l'épaule.  Il  fut  toujours  fidèle  au  parti  qu'il  avait  embrassé,  et 
resta  insensible  aux  séductions  dont  la  France  l'entoura,  séductions  qui,  à  cette 
époque,  avaient  tant  d'empire  sur  ses  compatriotes.  Il  était  fier  de  son  origine,  el, 
bien  loin  d'en  rougir,  s'en  faisait  un  titre  de  gloire.  Vers  4S7i,  âgé  de  45  ou  16  ans, 
il  étudie  à  Berne  et  à  CAme,  entre  dans  les  ordres,  et,  jeune  encore,  est  élevé  au  siège 
épiscopaldeSion.  Dës-lorsdeux  pensées  remplissent  sa  vie  et  deviennent  le  but  de  toutes 
ses  actions  :  arracher  le  Vallais  à  l'influence  de  la  France,  et  chasser  les  Français  de 
l'Italie.  Georges  Supersaxo,  homme  influent,  jusqu'alors  son  ami,  se  brouille  avec  lui 
et  lient  le  premier  rang  parmi  les  partisans  de  Louis  XII.  A  la  tète  de  20,000  Suisses, 
Schinner  s'empare  en  sept  semaines  de  la  Lombardie,  et  anéantit  l'armée  française 
à  Novarre,  en  1513.  Cette  glorieuse  campagne  lui  vaut  le  chapeau  de  cardinal  et  le 
titre  de  Ubératenr  de  r Italie  et  Défenseur  des  libefHfs  de  l'Eglise,  Envoyé  dans  la  suite 
à  la  cour  de  Henri  Vlll,  pour  négocier  une  alliance  entre  les  Suisses,  l'empereur  et 
la  Grande-Bretagne,  Schinner  échoue,  revient  en  Italie,  et  se  voit  arracher  à  Mari- 
gnan  les  fruits  de  tant  d'efforts.  Banni  du  Vallais  par  Supersaxo,  tout  puissant,  il  se 
retire  à  Zurich,  puis  à  la  cour  de  l'empereur,  où  il  profite  de  son  crédit  pour  foire 
mettre  son  pays  natal  et  ses  adversaires  au  ban  de  l'empire.  Vainqueur  une  demièrr 
fois  des  Français,  il  s'endort  sur  ses  lauriers,  et  expire  à  Rome  le  30  septembre  1522. 
Ses  cendres  y  reposent  encore  dans  l'église  Sainte-Marie  délia  Pielà.  —  Thomoi 
Flatter,  né  en  1&99  à  Gra^chen  (vallée  de  Viége),  n'a  pas  fourni  une  carrière  moins 
orageuse,  quoique  dans  un  champ  plus  modeste.  D'abord  misérable  gardeur  de  chè- 
vres, il  s'éleva,  par  ses  talents,  à  l'emploi  de  professeur  de  grec  à  l'Université  de 
Bàle.  Ses  Mémoires  sont  précieux,  en  ce  qu'ils  offrent  un  tableau  fidèle  des  mcrars 
(lu  temps,  et  principalement  de  celles  des  étudiants.  Flatter  y  raconte  dans  un  style 


LA    Sri88K    PITTOBRSQIJB.  507 


pittoresque  ses  mésaventures  et  ses  misères,  et  se  dépeint  successivement  berger, 
étudiant  à  Zurich,  à  Dresde  et  à  Munich,  correcteur  d'imprimerie,  combattant  à 
fiappel  aux  côtés  de  Zwingli,  libraire,  maître  d'école,  et  enfin  honoré  à  sa  juste 
valeur  par  Erasme,  Opocius  et  autres  savants  de  Tépoque.  Ses  deux  (ils  ont  été  pro- 
fesseurs  de  médecine,  et  son  petit-fils  professeur  de  physique  à  TUniversiié  de  Bàle. — 
Le  même  village  a  produit  Simon  Steiner,  plus  connu  sous  le  nom  de  Liihonim,  pro- 
fesseur dé  belles-lettres  latines  et  grecques  à  Strasbourg,  où  il  mourut  en  4K&3. 
—  Parmi  les  hommes  éminents  qui  ont  occupé  le  si^e  épiscopal  de  Sion,  nous  cite- 
rons Walier  de  Supermxo,  qui  arracha  le  Bas-Vallais  des  mains  des  ducs  de  Savoie  ; 
Hildehrmid  Joni,  l'intrépide  champion  de  la  Caroline,  qui  introduisit  en  Yallais  le 
calendrier  grégorien,  etc.  Les  seigneurs  de  Raro^ne  e%  de  la  Tour  Chdtillon  se  sont 
fait  un  nom  dans  l'histoire,  par  leur  puissance,  leurs  richesses  et  la  longue  lutte  qu'ils 
soutinrent,  soit  contre  les  patriotes,  soit  entre  eux.  Le  'château  des  premiers,  qui 
s*élevait  menaçant  au-dessus  de  la  contrée  environnante  et  dominait  le  village  de 
Rarogne,  a  été  rasé  en  1415. 

Aux  temps  plus  modernes  appartiennent  :  Antoine  de  Quartéry,  de  St. -Maurice, 
ami  et  correspondant  de  saint  François  de  Sales  ;  un  de  Lovimz,  de  Sierre,  précep-. 
leur  de  l'empereur  Charles  IV;  le  chanoine  Wagner,  de  Geschinen,  précepteur  de 
l'empereur  d'Autriche  Joseph  II  ;  Nicolas  Dufour,  prévôt  de  Nicolsberg  en  Moravie, 
et  agent  diplomatique  du  même  empereur;  Joseph-Innocent  de  Nwé,  chancelier  de 
l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  ;  Charles  de  Nncé,  conseiller  aulique  du  prince 
d'OEttingen-Wallerstein  ;  Rodolphe  de  Vantéry,  l'un  des  secrétaires  du  Concile  de  Bàle; 
le  chanoine  Sébastien  Brigmt,  auteur  de  Valesia  christiana;  Gaspard  Bérodi,  de  Saint- 
Maurice,  poète  et  historien,  et  son  frère  le  capucin  Sigis^nond,  auteur  d'une  Vie  de 
saint  SigUmond,  ouvrage  rare  et  excessivement  curieux  :  Philippe  de  Torrenté,  boui^- 
mesti*e  de  Sion,  jurisconsulte  estimé,  qui  commenta  les  Statuts  et  fit  de  nombreuses 
recherches  historiques;  Gaspard  Ambnel,  médecin  distingué,  qui  composa,  sous  le 
pseudonyme  de  Collinus,  un  traité  latin  sur  les  bains  du  Vallais,  imprimé  en  1569 
:\  Zurich,  à  la  suite  d'une  description  du  Vallais  par  Gessner  ;  le  grand-bailli  Mag- 
gheran,  de  Loêche,  président  du  tribunal  qui  condamna  à  mort  Antoine  Stockalper 
pour  crime  de  haute  trahison;  Charles- Emmanuel  de  Rivaz,  grand-baillif  et  membre 
du  corps  législatif  de  France  ;  Pierre-Joseph  de  Rivaz,  historien  et  mécanicien  ;  Anne- 
Joseph,  son  fils,  vicaire  général  du  diocèse  de  Dijon  et  chanoine  de  Sion,  qui  a  laissé 
des  manuscritâ  précieux,  fruits  de  trente  années  de  travail,  où  sont  réunis  une 
quantité  de  documents  historiques  puisés  dans  les  archives  des  diverses  communes 
du  pays;  le  vicaire  Clén^nl,  de  Champéry,  naturaliste,  correspondant  de  De  Saus- 
sure ;  le  chanoine  du  St.-Bernard  Murith,  mort  en  1818,  savant  botaniste  et  auteur 
d'un  Guide  du  Botaniste  en  Vallais,  etc. 

Un  grand  nombre  de  Vallaisans  se  sont  illustrés  dans  les  armées  étrangères  :  la 
famille  de  Courten,  entre  autres,  a  produit  une  dizaine  d'officiers  généraux  au  service 
de  la  France.  M.  Gaspard  Stockalper  de  la  Tour,  décédé  en  1852,  est  parvenu  au 
grade  de  maréchal  dans  les  armées  du  roi  des  Deux-Siciles  ;  il  fut  aussi  gouverneur 
de  la  ville  de  Naples. 

Villes,  Vallées  bt  autres  lieux  remarquables.  —  Sion,  capitale  du  canton,  siège 
des  autorités  cantonales,  civiles  et  ecclésiastiques.  Cette  ville,  l'une  des  plus  anciennes 


S08  LA   SUISSK   PITTORBSQCR. 


de  la  Suisse,  compte  environ  3000  habitants  ;  elle  est  située  à  peu  prés  au  centre  da 
Valiais,  à  une  faible  distance  du  Rhône. 

Le  voyageur  qui  se  dirige  de  Martigny  sur  Sion,  laisse  à  sa  droite,  une  demi-heure 
avant  d*arriver  à  cette  ville,  les  étangs  de  Corbassiéres,  qui  réfléchissent  pai^blc- 
ment  dans  leur  sein  les  plantes  aquatiques  qui  les  entourent  et  les  collines  qui  les 
dominent.  Tout  à  coup,  la  route,  par  un  brusque  contour,  dépasse  le  rodier,  et  Sion 
apparaît  soudain  comme  évoquée  par  la  baguette  d*un  magicien.  La  ville  s'assied  au 
pied  de  deux  hautes  collines,  couronnées  de  constructions  anciennes  et  modernes;  le^ 
maisons,  s*étageant  sur  leurs  flancs,  en  descendent  doucement,  pour  s'épandre  dans  la 
campagne  et  voiler  leur  front  de  Tombre  des  noyers  et  des  ormeaux.  Gomme  deux  sen- 
tinelles placées  au  sommet  d'un  donjon,  la  Majorie  et  Tourbilhn  regardent  fièrement, 
du  haut  de  leurs  créneaux,  la  plaine  avoisinante,  et  semblent  épier,  comme  aux 
temps  passés,  rapproche  de  quelque  bannière  ennemie.  Sur  la  colline  voisine, 
qu'une  profonde  scissure  sépare  de  Tourbillon,  s'élève  Notre-Dame  de  Valère  et 
quelques  édifices  de  récente  construction,  qu'une  vieille  muraille  presse  de  ses  flancs 
noircis  autour  de  la  basilique  sainte.  Des  milliers  d'arbres  cernent  de  tous  côtés  la 
cité,  et  tranchent  vivement  de  leur  végétation  magnifique  sur  le  fond  mat  des  rochers, 
pendant  que  l'horizon  lointain  se  festonne  de  pics  élancés,  dont  les  silhouettes  se 
dessinent  vivement  sur  l'azur  éclatant  d'un  ciel  tout  méridional.  —  Sion  perd  insen- 
siblement sa  physionomie  de  ville  du  moyen-àge,  qu'elle  a  conservée  si  longtemps;  les 
remparts  qui  enccignaient  jadis  toute  la  ville,  ont  disparu  en  grande  partie,  pour  faire 
place  à  des  édifices  modernes  ;  ils  subsistent  encore  cejiendanl  autour  de  quelques 
quartiers,  s'afTaissant  sous  le  poids  des  années  et  des  injures  du  temps.  Les  tours 
élancées  qui  flanquaient  la  muraille  sont  tombées  sous  le  marteau  des  démolisseurs, 
entraînant  dans  leur  chute  tout  un  monde  de  souvenirs;  les  fossés  sont  comblés;  la 
bannière  du  Vallais  épiscopal  ne  flotte  plus  au  haut  de  Tourbillon,  et  chaque  jour 
voit  disparaître  quelque  construction  originale,  quelque  antique  habitation,  précieux 
legs  du  moyen-àge. 

Le  ChiUeaade  Tourbillon  fut  bâti  en  4294,  par  Boniface  de  Challand;  ses  succes- 
seurs s'y  fixèrent  à  plusieurs  reprises.  Il  couronne  une  colline  escarpée,  à  laquelle 
sa  guirlande  non  interrompue  de  créneaux  forme  comme  un  diadème.  Un  incendie 
terrible  dévora  en  1788  l'intérieur  de  cette  résidence,  dont  il  ne  reste  plus  que  les 
murailles  extérieures.  On  reconnaît  encore  la  chapelle  épiscopale  aux  fresques  gros- 
sières qui  en  ornent  les  voûtes  et  les  parois.  Rien  n'est  plus  mélancolique  que  cet 
amas  de  constructions  désertes,  qui  ne  retentissent  que  du  cri  de  la  cigale  el  des  gé- 
missements du  vent.  De  Tourbillon,  la  vue  embrasse  la  plaine  du  Rhône  depuis  Loèche 
jusqu'à  Martigny.  D'un  côté,  la  tour  de  la  Bâtiaz,  de  l'autre,  le  château  de  Loèche 
marquent  les  limites  du  panorama.  Des  forêts  immenses  apparaissent  de  tous  côtés, 
dessinant  sur  le  flanc  des  montagnes  leurs  masses  ombreuses,  par-dessus  lesquelles 
s'élèvent  la  flèche  d'un  clocher  ou  la  girouette  armoriée  des  manoirs  des  de  la  Soie,  de 
Saillon,  de  Platéa.  A  gauche,  la  verdoyante  colline  des  Mayens  fuit  doucement, 
abritant  sous  ses  sapins  les  habitations  rustiques  où  les  Sédunois  vont  passer  l'été, 
pendant  que,  vers  la  droite,  Montonje  s'avance  hardiment  dans  la  plaine,  couvrant 
de  vignes  l'àpre  nudité  de  ses  pentes,  et  que  le  château  qui  le  domine  se  prend  a 
rêver  des  choses  d'autrefois,  en  se  mirant  dans  le  lac  couché  à  ses  pieds.  —  Sut  une 


LA    SUISSE   PITTORBSQLE.  SOd 


arête  de  rocher  qui  se  détache  de  Tourbillon  en  s  abaissant  vers  la  vitle,  s  élève  le 
château  de  la  Majorie,  paiement  dévasté  par  Tinoendie  de  4788.  L'autre  colline»  qui 
domine  également  Sion,  porte,  comme  nous  venons  de  le  dire,  Véglise  de  Valère  et 
le  Séminaire  cantonal.  L'église,  la  plus  ancienne  du  pays,  remonte  en  parlie  au 
8*,  en  partie  au  13*  siècle;  des  stalles,  véritable  chef-d'œuvre  de  sculpture,  un 
jubé  encore  intact,  des  chapiteaux  de  colonnes  curieusement  fouillés  par  le  ciseau 
d'un  artiste  original,  en  font  le  principal  ornement.  Un  peu  plus  bas  s  élève  la  pit- 
toresque chapelle  de  Toas-les-Saints ;  et  enfin,  sur  une  esplanade  qui  dépend  encore 
de  la  colline  de  Valère,  étincelle  le  clocher  de  Véglise  du  Lifcée,  édifice  moderne,  qui 
renferme  deux  tableaux  de  Della  Rosa.  Le  théâtre,  le  gymnase,  les  écoles  primaires, 
le  Lycée,  avec  un  cabinet  d'histoire  naturelle,  s'élèvent  à  ses  côtés. 

Voici  enfin  la  ville  proprement  dite,  avec  ses  édifices  modernes,  ses  rues  larges 
el  bien  dessinées,  son  palais  épiscopal,  son  hôtel  du  gouvernement,  son  arsenal,  ses 
églises,  etc.  h'Hotel-de-rille  s'élève  dans  la  rue  principale  :  il  est  surmonté  d'une  tour 
carrée,  dont  les  parois  extérieures  se  couvrent  des  cadrans  d'une  horloge  assez 
curieuse.  L'intérieur  de  l'édifice  offre  des  inscriptions  romaines,  des  portes  et  de 
belles  salles  ornées  de  sculptures  remarquables  ;  la  salle  où  s'assemble  le  Grand 
Conseil,  renferme  des  tableaux  d'£.  Richard,  élève  de  Rubens.  —  La  Cathédrale 
remonte  au  H**  siècle,  mais  ne  fut  achevée  que  par  le  cardinal  Schinner.  Le  clocher, 
couronné  d'une  galerie  crénelée,  est  plus  ancien,  car  il  faisait  partie  de  l'église  de 
Notre-Dame  du  Glarier,  sur  l'emplacement  de  laquelle  s'est  élevé,  l'édifice  actuel. 
L'intérieur  de  la  cathédrale  n'offre  rien  de  bien  remarquable.  Ses  grandes  fenêtres 
gothiques,  aux  treillis  de  plomb,  ses  colonneltes  grisâtres,  qui,  réunies  en  gerbes, 
s'épanouissent  ensuite  pour  soutenir  les  voûtes,  le  chœur  légèrement  incliné  à 
gauche,  prêtent  cependant  un  grand  charme  à  la  vieille  église.  Quelques  autels  lalé- 
'  raux  récents,  le  tombeau  de  l'archevêque  André  de  Guaido,  de  curieux  morceaux 
de  sculpture,  attirent  un  instant  l'attention.  —  U Eglise  de  Saint-Théodulcj  placée 
tout  à  côté,  présente  un  autre  aspect:  l'intérieur  en  esi  triste,  délabré;  tout  y 
respire  l'abandon,  depuis  les  arceaux  inégaux  de  la  voûte  jusqu'aux  autels  poudreux 
et  aux  grilles  menaçantes  qui  en  empêchent  l'accès.  A  l'extérieur,  le  chœur  se  pré- 
sente très-bien  avec  ses  niches  sculptées,  vides  de  leurs  saints  de  pierre,  ses  cloche- 
Ions  finement  découpés,  et  ses  longues  fenêtres  aux  capricieuses  arabesques.  Schinner, 
qui  fit  reconstruire  en  partie  cette  église,  y  a  religieusement  déposé  les  cendres  de 
son  oncle,  comme  lui  évêque  de  Sion.  Il  comptait  aller  prendre  place  à  ses  côtés,  mais 
la  Providence  en  a  disposé  autrement  :  le  turbulent  cardinal  ne  devait  pas  reposer 
sous  la  même  pierre  que  le  paisible  prélat,  son  prédécesseur.  La  maison  de  Lavallaz, 
construite  par  G.  Supersaxo,  offre  des  portes  et  des  plafonds  antiques  d'un  goût 
exquis. 

Sion  se  déroule  parallèlement  à  la  Sienne,  qui  coule  dans  un  lit  muré,  dont  la 
voûte  forme  le  sol  de  la  principale  rue,  le  Grand-Pont,  La  ville  se  divise  en  quatre 
quartiers.  L'industrie  y  est  sans  importance  ;  on  ne  peut  mentionner  que  la  fabrique 
de  tabac,  établie  dans  l'une  des  ailes  de  l'hôpital  :  les  cigarres  qui  en  sortent  sont 
recherchés.  Les  marchés  hebdomadaires  de  Sion  sont  très-fréquentés  par  les  gens 
des  vallées  voisines,  notamment  par  ceux  de  la  vallée  d'IIérens. 

Dans  les  environs  de  la  ville,  V Hôpital  étale  sa  triple  façade,  criblée  de  fenêtres; 


540  LA    Sl'IMR   PITTOlIttHMK. 


le  CoiUienî  de*  Cnpucim  s'abrite  sous  un  lilleul  immense  ;  et  la  Tour  des  Sarden, 
veuve  de  ses  sœurs,  s*isole  au  sein  d'un  bouquet  de  noyers.  La  place  d'armes  de 
la  Planta  se  déroule  aux  portes  de  Sion  ;  c'est  là  et  sur  la  colline  voiaioe  qu'eat  lieu 
la  célèbre  bataille  où  les  patriotes,  aidés  des  Bernois  et  des  Si>learois,  défirent  l'annét 
savoisienne,  le  13  novembre  H75.  —  Sion  fut  pillée  ou  brûlée  à  huit  reprises,  et 
chaque  fois  elle  s  est  relevée  de  ses  ruines. 

De  Sion,  une  route  bordée  de  noyers  et  d'ormeaux  conduit  à  Bramais,  en  paasanl 
le  Rhône,  et  à  travers  la  monotone  plaine  de  Champit-sec^t,  UErmitage  de  Limy- 
borgne  n'est  plus  alors  qu'à  une  faible  dislance.  On  y  parvient  par  un  chemin  ro- 
c*ailleu\,  bordé  de  petits  oratoires,  et  surplombé  par  des  rochers,  au  bas  desquels 
mugit  la  Borgne.  L'ermitage  est  enlièrement  taillé  dans  le  roc  vif;  c'est,  dit-on, 
l'ouvrage  d'un  seul  anachorète.  Des  vignes,  un  jardin,  péniblement  établis  sur  les 
rochers,  embellissent  les  alentours. 

BaiGue  ET  LA  V ALLÉS  DR  GoNCHiss.  —  Briguc  est  placé  à  l'extrémité  de  la  grande 
vallée  du  Rhône,  à  l'endroit  où  s'entrecroisent  la  route  du  Simplon  et  celle  de  ht 
vallée  de  Gonches.  Malgré  celte  circonstance  favorable,  la  ville  est  asseï  morne: 
l'herbe  croit  dans  ses  rues,  et  les  hautes  tours  de  ses  édifices  publics  et  particuliers 
projettent  leurs  grandes  ombres  sur  des  places  désertes.  Les  globes  de  fer  Uanc  qui 
étincellent  sur  ses  toits  lui  font  un  aspect  singulier,  qui  n'est  pas  sans  analogie 
avec  celui  que  présentent  les  villes  orientales.  Les  environs  offrent  des  points  de 
vue  charmants  ;  une  multitude  de  chalets  couvrent  les  collines;  au  nord  apparaît  le 
glacier  d'Aletsch,  et  à  l'opposé  une  ligne  blanche,  indice  de  la  chaussée  napoléo- 
nienne, se  laisse  apercevoir  à  travers  une  noire  forêt.  U Eglise  du  Collège,  apparie- 
nant  anciennement  aux  jésuites,  domine  la  ville  de  ses  murailles  grisâtres  :  l'inté- 
rieur est  d'une  rare  magnificence.  Des  vitraux  coloriés,  quelques  tableaux  estimés, 
un  riche  pavé  de  marbre,  en  font  une  des  belles  églises  de  la  Suisse.  A  ses  côtés  se 
pressent  le  Conreni  des  Urmlines,  qui  date  de  1663;  puis,  plus  bas,  la  grande  mai- 
son Stockalper,  flanqué  de  tours  et  de  tourelles.  Un  théâtre ,  un  hôpital  fortement 
endommagé  par  un  tremblement  de  terre,  en  18K0,  se  font  aussi  remarquer.  — 
Une  avenue  bordée  de  peupliers  conduit  en  droite  ligne  de  Brigue  à  Glyss ,  situé  à 
une  faible  distance.  On  va  voir  dans  l'église  paroissiale  de  ce  village  une  chapelle 
construite  par  Georges  Supersaxo.  L'autel,  établi  en  forme  d'armoire,  est  recouvert 
de  deux  portes,  sur  lesquelles  le  pinceau  a  retracé  Supersaxo  lui-même,  sa  femme 
Marg.  Lehner,  ses  douze  fils  et  ses  onze  filles. 

La  route  qui  conduit  dans  la  vallée  de  Gonches  franchit  le  Rhône  et  touche  en 
passant  au  village  de  Naters,  qui  se  couronne  des  donjons  démantelés  des  Supersaxo 
et  des  Weingarten;  puis,  elle  s'enfonce  dans  un  couloir  étroit,  au  fond  duquel  le 
Rhône  blanchit  les  rochers  qui  l'encaissent.  Peu  à  peu  la  vallée  s'élargit,  les  prairies 
apparaissent,  et,  à  partir  de  yidenvaU,  la  contrée  présente  un  aspect  gracieux.  Les 
villages  s'éparpillent  le  long  de  la  route,  qu'ils  bordent  de  leurs  maisons  de  bois  d'un 
brun  velouté,  se  serrant  les  unes  contre  les  autres,  et  s'appuyant  à  la  base  de  la 
montagne,  pour  fuir  les  marécages  qui  avoisinenl  le  Rhône.  Les  habitations  de  la 
vallée  de  Gonches  sont  peut-être  les  plus  belles  du  Vallais,  tant  elles  sont  propres  et 
coquettes;  les  églises  paroissiales  apparaissent  de  loin,  car  elles  sont,  pour  la  plupart. 
assises  sur  des  éminences.  La  population,  forte  et  bien  constituée,  présente  un  typi* 


LA    SUIS8R    PlîTORRSQtlC.  S4I 


remarquable.  —  De  Fiesch  un  chemin  pénible  conduit  à  VOEggischhorn,  montagne 
isolée,  d'où  l'on  peut  contempler  dans  toute  leur  splendeur  le  glacier  d'AIetsch,  qui 
n'a  pas  moins  de  six  lieues  d'étendue,  et  le  massif  des  Alpes  Bernoises,  du  haut  des- 
quelles il  descend.  Une  partie  des  eaux  de  cette  immense  mer  de  glace  s'écoule  dans 
le  lac  Meryelen ,  sur  la  surface  duquel  flottent  et  s'entrechoquent  péniblement  d'é- 
normes blocs  de  glace  d'un  aspect  singulier.  On  a  derrière  soi  la  chaîne  des  Alpes 
Vallaisanes,  le  Mont-Rosa,  le  Gervin,  le  Weisshorn,  tout  resplendissants  sous  leurs 
manteaux  de  neige.  À  droite  s'élève  la  double  cime  qui  a  donné  à  la  Furka  son 
nom,  le  Galenstock.  le  Geratenhorn ,  le  Gelmerhorn,  etc.  Le  2  août  18S5,  cinq 
guides  de  Fiesch ,  cherchant  à  faire  l'ascension  de  la  Jungfrau ,  gravirent  Taréte 
qui  relie  cette  montagne  et  le  Mœnch,  et  y  découvrirent  une  vue  magnifique,  in- 
connue jusqu'alors  des  gens  mêmes  de  la  contrée.  —  A  Ulricheih  village  situé  vers 
l'extrémité  de  la  contrée ,  on  remarque  deux  croix  de  bois  qui  rappellent  l'une  et 
l'autre  un  combat  livré  sur  les  lieux.  En  4211,  Thomas  In  der  Bund  y  culbuta  l'ar- 
mée de  Berchtold' V  de  Zœhringen,  et  208  ans  plus  tard,  les  Bernois  y  furent  de 
même  complètement  battus. —  Enfin,  on  arrive  à  Oberwald,  le  dernier  hameau  de 
Conches,  qu'une  distance  d'une  lieue  et  demie  sépare  du  glacier  du  Rhône.  Arrivée 
là ,  la  route  se  bifurque  :  un  chemin  conduit  à  la  Furka ,  l'autre  à  l'hospice  du 
Grimsel. 

Le  S1MP1.0N.  —  Si  le  Vallais  est  riche  en  merveilles  de  la  nature,  s'il  offre  à  cha- 
que pas  des  paysages  nouveaux,  des  tableaux  différents,  il  présente  aussi  une  mer- 
veille de  l'art  qui  peut  compter  pour  l'une  des  plus  remarquables  :  nous  voulons 
parler  de  la  route  du  Simplon.  Cette  entreprise  magnifique,  qu'il  était  réservé  à 
Napoléon  1'^  de  concevoir  et  d'exécuter,  a  servi  de  modèle  aux  autres  travaux  de  ce 
genre.  Destinée,  dans  l'esprit  de  son  fondateur,  à  relier  l'empire  français  au  royaume 
d'Italie ,  et  à  servir  principalement  au  passage  des  troupes,  elle  ne  remplit  plus  son 
but  principal,  et  le  transit  même  y  est  de  peu  d'importance;  30,000  personnes  y 
passent  annuellement.  Les  travaux  commencèrent  en  1800,  et  ne  Turent  achevés 
que  six  ans  plus  tard  ;  ils  ont  coûté  dix-huit  millions.  La  chaussée  a  toujours  de  25 
à  30  pieds  de  largeur;  dix  galeries  lui  donnent  passage  dans  les  rochers.  Neuf  mai- 
sons de  refuge,  vingt-deux  ponts,  trente  et  une  cascades  embellissent  le  paysage  ou 
contribuent  h  augmenter  la  sécurité  des  voyageurs. 

A  partir  de  Brigue ,  la  route  se  dirige  vers  l'est ,  puis  s'enfonce  dans  la  vallée  de 
la  Saltine,  laissant  derrière  elle  Brigue  et  la  vallée  du  Rhône  y  cette  partie  du  trajet 
offre  une  belle  vue  sur  les  Al|)es  Bernoises  et  le  glacier  d'Aletsch.  Au  bout  de  six 
heures,  on  atteint  l'Hospice,  fondé  par  Napoléon  et  achevé  par  les  religieux  du  Saint- 
Bernard.  Il  est  situé  sur  un  plateau,  à  6100  pieds  au-dessus  de  la  mer  :  le  sol  est 
aride  et  à  peine  gazonné;  les  âpres  cimes  qui  dentellent  l'horizon  donnent  au  pay- 
sage un  caractère  de  tristesse  et  de  grandeur  qui  ne  va  dès-lors  qu'en  augmentant. 
Après  plusieurs  heures  de  marche,  on  pénètre  dans  la  vallée  de  Gondo  par  la  galerie 
A*Algahy:  les  roches  se  resserrent,  plus  d'habitations.  Un  jour  douteux  éclaire  A 
peine  au  fond  de  l'abime  la  Docériu,  dont  la  voix  tonnante  s'élève  au  milieu  d'un 
silence  éternel.  La  galerie  de  Gondo,  longue  de  ti83  pieds,  ouvre  plus  loin  son  sein 
ténébreux,  et  ajoute  encore  à  l'effroi  dont  l'àme  est  saisie.  Au  sortir  de  ce  tunnel, 
Alpirnachbach  se  précipite  avec  l'rac«is  et  couvre  de  sa  blanche  écume  les  nx;hers 


^li  LA  sriîWK  ptTToncsQie. 


<|iii  surplombent  la  roule.  On  erre  ensuite  iongtempsdans  ces  solitudes  désolées;  puis 
Ton  atteint  le  village  de  ihmdo.  Les  rochers  se  rapprochent  ensuite  jusqu'au  pont  de 
(lirmia,  d'où  Tltalie  ap|)araU  tout  à  coup,  riante,  parfumée,  avec  ses  vignes  feston- 
nant les  habiUitions,  ses  villages  aux  maisons  blanches,  sa  végétation  magnifique  cl 
son  ciel  éclatant. 

Vallke  de  ViRiiE,  —  Li  vallée  de  Vieije ,  la  plus  intéressante  sous  bien  des  rapports 
de  toutes  celles  du  Vallais,  renferme  des  beautés  de  premier  ordre.  Inexplorée  jusqu  en 
1840,  elle  commence  à  peine  à  être  connue.  Chaque  année  les  étrangers  s'y  précipi- 
tent en  foule,  |)our  venir  admirer  l'étendue  et  la  beauté  de  ses  glaciers.  A  son  extré> 
mité,  une  multitude  de  pics  s'arrondissent  en  un  cirque  immense,  et  montent  en- 
semble vei*s  le  ciel,  laissant  descendre  de  leurs  lianes  de  longs  glaciers  aux  crevasses 
bleuâtres.  Au  pied  de  ces  vastes  solitudes  se  groupent  des  habitations,  au  milieu 
de  l)osquets  d'arbres  fruitiers.  Les  épis  jaunissants  frappent  de  leur  lourde  télé  le 
glacier  qui  s'avance  sous  l'empire  d'une  force  mvisible;  les  sapins  des  forêts  tou- 
chent, par  leurs  racines,  aux  limites  de  cet  océan  glacé.  Des  pics  qui  découpent 
l'horizon,  les  uns,  s'arrondissant  en  dômes  argentés,  brillent  de  mille  feux  soi»  les 
rayons  du  soleil;  les  autres,  formidables  pyramides,  s'en  vont  braver  la  foudre  au 
plus  haut  des  nuages.  Tel  est  le  Mmlilernu ,  que  la  fantaisie  d'un  artiste,  mais 
d'un  artiste  aux  conceptions  sublimes,  semble  avoir  jeté  h\  comme  un  éternel  défi  à 
Tesprit  aventureux  des  hommes;  pic  inaccessible,  d'un  seul  jet  il  s'élance  à  5000 
pieds  au-dessus  du  glacier  de  Fitrkm,  et  la  neige  ne  |)eut  qu'à  peine  s'attachera 
ses  parois.  Cet  immense  obélisque,  à  quatre  faces,  atteint  13,853  pieds  au-dessus  de 
la  mer;  et  telle  est  sii  structure,  qu'il  semble  dominer  le  Mont-Ra^  lui-même^  qui  le 
dé|K)sse  pourtant  de  quelques  centaines  de  pieds.  Que  si  l'œil  se  fatigue  de  contem 
pler  ce  pic  décharné,  et  cherche  à  se  reposer  sur  d'autres  points  de  vue,  il  ne  trouve 
partout  que  cimes  élancées,  montagnes  colossales,  glaciers  immenses.  On  n'entend 
de  toutes  parts  que  la  voix  des  eaux  et  des  foréls,  que  le  tonnerre  de  I  avalanche, 
que  les  sourds  craquements  des  glaciers.  En  présence  d'un  tel  spectacle,  de  tellf^ 
splendeurs,  l'àme  grandit,  l'imagination  s'exalte;  un  sentiment  indéfinissable  d'ad- 
miration et  de  tristesse  saisit  le  cœur,  l'étreint  et  l'emporte  vers  la  Divinité.  En  fiice 
de  ce  tableau ,  l'idée  de  Dieu  se  présente  plus  nette  et  plus  vive  :  le  sentiment  de  la 
faiblesse  humaine  s'éveille  aussi  et  fait  entendre  sa  voix  sévère.  On  se  sent  comme 
écrasé  devant  celte  œuvre  colossale,  noyée  dans  des  flots  de  lumière,  et  portant  le 
cachet  de  son  architecte  divin. 

C'est  de  Viêffe  que  l'on  s'enfonce  dans  la  vallée,  profonde  de  neuf  lieues,  à  Tex- 
trémité  de  laquelle  on  peut  contempler  la  chaîne  du  Rosa.  Ce  bourg  a  acquis 
une  triste  célébrité  par  la  manière  dont  il  vient  d'être  éprouvé  par  un  tt*emblement 
de  terre.  Le  cloch(?r  d'une  de  ses  églises  rcnvei-sé  en  partie:  les  maisons,  les  unes 
profondément  lézardées,  les  autres  absolument  inhabitables,  témoignent  de  la  vio- 
lence du  fléau.  —  À  Slalden,  au  pied  de  l'église  pittoresquement  juchée  sur  une 
éminence,  la  route  se  bifurque  :  l'une  des  branches  aboutit  au  Monte-Moro,  par  la 
vallée  de  Saaft;  Tautrc  se  dirige  à  droite  et  conduit  à  Zermatt,  en  longeant  la  Vi^e, 
Cette  route  est  des  plus  pittoresques,  ici  s'enfonçant  sous  les  rameaux  des  sapins, 
là  se  bordant  de  bouleaux,  tantôt  franchissant  sur  un  pont  hardi  la  rivière  qui 
s'agite  au  fond  de  la  vallée,  tantôt  gravissant  péniblement  les  pentes  abruptes  des 


L  K    S I  >l  P  L  o  :« . 


12. 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  S  1.1 


eonlreforls  du  Mont-Rosa.  Randa,  assise  au  pied  du  Weisshorn,  Tœach,  au  milieu  de 
prés  fleuris,  et  quelques  autres  petits  villages,  enferment  de  temps  à  autre  le  chemin 
ontre  deux  haies  d'habitations. 

A  Zermatt,  deux  hôtels  confortablement  établis  reçoivent  les  voyageurs,  d'année 
(*n  année  plus  nombreux.  De  là,  on  se  dirige  sur  le  Riffelbenf,  dont  le  sommet  porto 
le  nom  de  G()raer{irat;&e»i  une  montagne  placée  comme  un  belvédère  dans  le  cirque 
formé  par  la  chaîne  du  Mont-Rosa.  On  a  alors  i\  l'ouest  le  Mont-Cenin,  h  sa  gau- 
che le  passage  de  Saint-Théodule,  puis  le  Breilhorn  (12,720),  les  Jumeaux  (12,644), 
le  Lfinkamni  (13074),  le  Mont-Rosa,  masse  neigeuse  tachetée  de  roches  grisâtres  et  hé- 
rissée de  pics,  dont  l'un  d'eux,  perçant  le  tapis  qui  le  recouvre,  s'élève  à  1 4,220  pieds. 
C'est  la  plus  haute  cime  que  l'on  distingue  de  là  ;  elle  n'est  inférieure  que  de  S40  pieds 
au  Mont-Blanc.  Se  déroulent  ensuite  la  Cima  rf/Jn^w/ (13,240),  leMisrhabel  (14,040), 
quelques  sommités  des  Alpes  bernoises,  telles  que  le  Doldenhorn,  le  Weisshorn, 
(13,900),  le  Gahellwrn  et  la  Dent  Blanche  (13,421),  que  le  col  d'Evolène  relie  au 
Mont-Cervin.  Nous  ne  citons  ici  que  les  sommités  les  plus  importantes  :  il  serait 
trop  long  de  mentionner  une  multitude  d'autres  pics,  les  uns  fort  élevés,  et  plus  de 
vingt  glaciers. 

LoEC^E  ET  LES  Balns.  —  A  Cinq  lieues  de  Sion,  et  à  peu  de  distance  de  la  grande 
route,  est  bâti,  à  mi-côte,  le  bourg  de  Loêche,  d'où  l'on  domine  la  grande  plaine  du 
Rhône.  Les  ruines  éparses  de  deux  châteaux  féodaux  ,  ses  édifices  noircis  par  les 
ans,  lui  prêtent  un  aspect  mélancolique.  A  droite  du  bourg,  la  Dala  sort  frémis- 
sante d'une  fissure  de  la  montagne,  et  se  plonge  bruyamment  à  quelques  pas  de  là 
dans  le  Rhône.  Ce  fleuve  redoutable  s'éloigne  en  contours  gracieux ,  modifiant  à  son 
gré  la  nature  du  sol,  creusant  des  abîmes,  minant  ses  rivages;  on  peut  le  suivre  des 
yeux  jusqu'à  Sion ,  où  il  se  dérobe  soudain  aux  regards  et  disparaît  derrière  les  col- 
lines qui  dominent  la  ville.  En  face  de  Loëche,  s'étale  comme  un  vert  manteau  la 
forêt  de  Finges,  qui  remonte  la  monlagne  opposée,  en  hérisse  la  pente  abrupte,  el 
cache  à  l'ombre  de  ses  sapins  séculaires  les  restes  sanglants  des  Yallaisans ,  qui  y 
succombèrent  héroïquement  en  1799.  D'un  autre  côté,  l'œil  s'arrête  curieusement 
sur  le  joli  village  de  Varrone,  assis  sur  une  corniche  de  rocher.  —  Loëche  était  une 
localité  importante  du  Vallais  épiscopal;  les  Diètes  s'y  assemblèrent  à  plusieurs 
reprises.  Sa  position  était  .très-forte,  car  l'on  n'y  pouvait  parvenir  que  par  deux 
ponts  que  commandaienrde  hautes  tours,  celui  de  la  Dala  et  celui  du  Rhône. 

C'est  du  bourg  de  Loëche  que  part  la  route  à  char  qui  conduit  au  célèbre  établis- 
sement de  bains,  situé  au  fond  de  la  vallée.  Cette  chaussée,  de  construction  récente, 
s'élève  inseosiblement  jusqu'à  la  hauteur  de  la  chapelle  de  Sainte-Barbe,  d'où  elle  s'en- 
fonce dans  la  montagne,  se  dirigeant  sur  Inden,  et  de  là  sur  les  bains.  Les  flancs 
roides  et  escarpés  des  vallons  tout  rayés  des  zigzags  sans  nombre  de  la  route,  les 
cascades  qui  tombent  du  haut  des  rochers,  les  aqueducs  longeant  le  précipice,  la 
Dala  remplissant  les  airs  des  tonnants  éclats  de  sa  voix  :  tout  imprime  au  paysage 
un  caractère  de  pittoresque  grandeur.  Un  pont  magnifique,  jeté  à  grands  frais  à 
143  pieds  au-dessus  du  lit  du  torrent,  et  s'appuyant  sur  un  énorme  pilier  de  maçon- 
nerie, transporte  la  route  sur  le  versant  gauche  de  la  vallée  ;  il  a  remplacé  un  ancien 
pont  de  bois  qu'on  devait  aller  chercher  au  fond  de  cette  gorge.  D'Inden,  joli  vil- 
lage assis  sur  l'un  des  onduleux  replis  du  Rumling,  la  roule  s'enfonce  dans  le  vallon 

II,  31.  ()5 


SI  4  LA   SUISSB   PITTORESQVR. 


de  Chdlelard;  cesi  la  partie  la  plus  sauvage  du  trajet.  Enfin,  au  bout  de  quelques 
instants,  Ton  aperçoit  tout  à  coup,  au  milieu  d'un  riant  amphithéâtre  de  prairies,  le 
village  des  Bains  de  Loêche.  À  gauche,  la  longue  et  monotone  muraille  des  rodiers 
de  la  Gemmi  ferme  Thorizon,  tandis  qu*à  droite  une  forêt  dessine  les  formes  angu- 
leuses de  la  montagne  et  envoie  ses  derniers  sapins  oemer  le  village. 

Les  Bains  de  Loôche  sont  très-fréquentés  pendant  la  saison  des  eaux  ;  leurs  nom- 
breux hôtels  regorgent  de  malades  et  de  touristes.  Leurs  vastes  piscines  s'em|dîasent  de 
baigneurs,  qui  viennent  demander  &  la  naïade  des  eaux  la  vigueur  et  la  santé.  Gm- 
fondus  dans  le  plus  grand  péle-méle,  sans  aucune  distinction,  dans  le  même  carré, 
ceux-ci  sont  tous  uniformément  vêtus  de  longues  chemises  de  flanelle.  Les  uns,  gra- 
vement assis,  rêvent  en  se  livrant  à  la  lecture;  d'autres  causent  bniyamment,  rient, 
plaisantent;  ici  c'est  une  partie  de  jeu  engagée,  là  un  individu  qui  lutte  courageuse- 
ment contre  le  sommeil,  car  il  a  dû  s'éveiller  bien  avant  l'heure  accoutumée  pcmr 
venir  à  son  bain  ;  bref,  c*est  un  coup-d'œil  unique.  Les  sarcasmes,  les  cris  accueil- 
lent le  curieux  mal  avisé  qui  enfreint  l'usage  reçu  de  se  découvrir  en  entrant,  et 
gare  au  baigneur  qui  se  retire  du  carré  sans  se  baisser  et  s'envelopper  dans  son  vête- 
ment :  les  railleries  ne  lui  seront  pas  épargnées.  Telle  est  la  manière  de  prendre  les 
eaux  à  Loêche.  Quelques  personnes  y  voient  de  graves  inconvénients;  mais  l'ennui 
qui  résulterait  de  si  longues  baignées  faites  solitairement,  légitime  le  mode  générale- 
ment adopté.  Au  reste,  des  cabinets  particuliers  reçoivent  les  malades  auxquels  ce 
système  répugnerait  par  trop. 

Les  environs  du  village  offrent  des  promenades  charmantes  :  les  échelles  à'AlbineH, 
frêle  escalier  à  peine  assujetti  au  rocher,  et  qui  sert  de  voie  de  communication  pour 
toute  une  peuplade,  le  glacier  de  Balm,  la  cascade  de  la  Data,  le  Gukerkubel,  etc.  Les 
amateurs  de  vastes  panoramas  se  rendent  au  Torenthoni,  d'où  l'on  découvre  tout  un 
monde  de  pics  fuyant  comme  d'immenses  vagues  vers  le  Mont-Blanc  et  le  Mont-Rose, 
que  l'on  aperçoit  se  dressant  à  l'horizon  lointain.  De  Loêche,  une  route  très-intéres- 
sante et  unique  dans  son  genre  conduit  par  la  Gemmi  dans  le  canton  de  Berne.  Elle 
fut  ouverte  de  1736  à  1741,  aux  frais  de  deux  familles  de  Loêche.  La  route  s'élève 
par  d'ingénieux  détours  contre  les  flancs  perpendiculaires  de  la  Gemmi.  Un  précipice 
béant  s'ouvre  sur  toute  la  longueur  du  parcours  aux  côtés  du  voyageur  ;  c'est  la  vallée 
des  Bains  qui,  creusée  comme  une  corbeille  de  verdure  au  pied  de  la  montagne,  reste 
sous  les  yeux  du  touriste  jusqu'à  ce  qu'il  ait  atteint  le  sommet  du  passage.  De  frêles 
barrières  courent,  dans  les  endroits  difliciles,  le  long  du  rocher.  On  arrive  enfin  sur 
le  plateau  de  Schwarbach,  où  se  trouve,  non  loin  d'un  lac  de  l'aspect  le  plus  triste, 
celte  auberge  dont  Wcrner  a  fait  le  théâtre  de  son  drame  du  2i  /?rnVr.*De  ce  point, 
Ton  descend  dans  la  vallée  bernoise  de  Kandersteg. 

Le  Grand  St. -Bernard.  —  L'hospice  du  St. -Bernard,  fondé  par  Bernard  de  Men- 
thon,  est  situé  à  7542  pieds  au-dessus  de  la  mer.  Un  chemin  aride  et  rocailleux, 
s' élevant  insensiblement  depuis  Orsières,  serpente  dans  la  vallée,  gagne  des  régions 
plus  élevées,  et  conduit  le  voyageur  dans  le  petit  vallon  où  se  trouve  ce  lieu  de  refuge. 
L'établissement  se  compose  d'un  grand  bâtiment,  renfermant  l'église,  les  chambres 
des  religieux  et  celles  destinées  aux  voyageurs;  un  autre  édifice  moins  grand  est 
destiné  à  loger  les  femmes.  Le  site  est  funèbre  ;  il  est  rare  qu'il  ne  soit  pas  couvert 
de  neige.  Un  petit  lac  étend  ses  eaux  dormantes  au  pied  de  l'hospice  :  les  cimes  gigan- 


LA    suisse    PITTORESQUE. 


515 


<j-'r 


lesques  du  Velan,  de  Chenalettaz  cl  de 
Dronaz  s'y  reflèlenl  en  masses  grisa 
1res,  séparées  par  l'azur  éclalanl  du 
ciel.  Non  loin  de  là,  un  petit  bàUment 
attire  les  regards  :  c'est  la  Morgue  du 
St.'Bernard,  où  Ton  entasse,  dressés 
contre  les  parois,  les  cadavres  des  mal- 
heureux que  la  mort  a  surpris  sur  la 
montagne.  Us  sont  là  quinze  ou  vingt, 
livides,  hideux,  regardant  de  leurs 
yeux  sans  regards,  et  offrant  le  spec 
tacle  le  plus  terrible  qui  se  puisse  ima- 
giner ;  les  autres  gisent  à  terre  confon- 
dus dans  un  effroyable  pélc-mêle.  — 
L'église  du  couvent  renferme  un  mau- 
solée en  marbre  blanc,  qui  contient  les 
restes  de  Desaix,  tué  à  Marengo.  Une 
table  de  marbre  placée  dans  l'un  des 
corridors,  rappelle  le  passage  de  Na- 
poléon. Le  couvent  dépensa  à  celte 
occasion  30,000  francs,  qui  ne  lui 
furent  jamais  rendus.  Devenu  empe- 
reur, Napoléon  décréta  la  réunion  de 
l'abbaye  de  St. -Maurice  au  couvent 
hospitalier;  mais  ce  fait  n'eut  pas  de  durée. —  Année  commune,  10,000  voyageurs 
traversent  le  St.-Bernard;  tous  ont  droit  d'être  hébergés  gratuitement  pendant  trois 
jours;  mais  les  personnes  aisées  déposent  dans  le  tronc  de  l'église  l'équivalent  de 
leurs  dépenses.  Les  religieux  vont  en  hiver  à  la  recherche  des  voyageurs  égarés  dans 
les  neiges  ;  de  vigoureux  chiens,  d'une  race  particulière,  les  accompagnent  et  leur 
sont  d'un  grand  secours.  Ils  partent  :  ni  la  rafale  qui  soulève  la  neige  en  tour- 
billons, ni  l'avalanche  suspendue  sur  leurs  têtes,  ne  sauraient  les  arrêter.  Us  appel- 
lent les  voyageurs  égarés  dans  ces  régions  glacées,  dans  ces  ravins  neigeux  au  bas 
desquels  s'ouvre  l'abime;  ils  fouillent  les  avalanches,  interrogent  les  rochers,  et 
ont  bientôt  découvert  ceux  qu'a  surpris  la  tempête.  On  les  transporte  à  l'hospice, 
et  mille  soins  les  ont  bientôt  arrachés  à  la  mort.  Cette  vie,  toute  d'abnégation  et  de 
dévouement,  est  rude  et  difficile;  aussi  est-il  rare  que  ces  religieux  parviennent  à  un 
âge  avancé. 

La  Pissevache.  —  Marligny  est  situé  au  pied  du  rocher  de  Ravoire,  à  l'entre- 
croisement des  routes  de  Chamonix,  du  St.-Bernard,  de  St. -Maurice  et  de  Sion.  Le 
château  de  la  Batiaz,  qui  le  domine,  plonge  sur  tout  le  Vallais,  et  semble  ne  faire 
qu'un  avec  les  rochers  qui  le  supportent.  A  une  lieue  plus  bas,  sur  la  route  de  Saint- 
Maurice,  s'ouvre  dans  le  rocher  une  étroite  fissure,  antre  ténébreux  par  où  débouche 
en  grondant  le  torrent  du  Trient.  La  nature  a  entouré  cette  gorge  d'un  cadre  plus 
triste  encore;  la  désolation  semble  s'être  assise  dans  les  campagnes  voisines;  un  vent 
glacé  gémit  dans  les  interstices  des  rochers  et  se  brise  contre  leurs  parois.  —  La 


Le  St.-RerDartl. 


.*>I0  L%  Misse  rrmwci^E. 

c<iNi-ii«k'  f\e  la  Piv^>aflK»  n>^l  |ilii>  ijuà  une  laibie  distaiHT  :  elle  apparail  de  l*»in 
r«»oime  un  blaiK*  sjMxire.  h'alUcluinl  au  rutlier  et  labisanl  flotter  au  vent  !»es»  \éie 
nienU  nei^zeux.  L'air  ;!émit  m»u%  le  |M»îd>de  cette  niasse  d'eau  qui  se  précipite  enln* 
h'N  mifrdctii'Mlfxde  la  niontiiîn>e.  rejaillit,  retomtie  et  s'é\aniKiit  en  pluie  argculéi- 


l*rc«  lie  riuc««rlie 


Au  lever  du  s«»leil.  Tins  colore  cette  cascade  de  mille  feux  ;  on  dirait  un  torrent  de 
rubis,  d't'scartxiucles,  d'émeraudes,  qui  descendent  en  se  jouant  et  en  formant  mille 
dessins  capricieux.  Le  paysage  d'alentour  est  nu  et  stérile.  Le  Rhône  re^x)it  les  eaux 
limpides  de  la  rivière  et  les  confond  avec  ses  vagues  troublées. 

Saiyt  Mairice.  — Celle  petite  ville  est  située  à  la  base  de  Tundes  contreforts  de 
la  Ih'Hi  fin  Miilî.  Le  fleuve  el  le  roclier  l'enserrent ,  l'un  de  son  lit  fortement  eniraissé. 
l'autre  de  ses  [wirois  grisUres,  où  courent  à  peine  quelques  cordons  de  verdure.  En 
face,  la  chaîne  des  Alpes  vaudoises,  ici  boisée,  là  s'arrondissant  en  croupes  fantas- 
tiques, ferme  l'horizon,  tiindis  que  la  Ihut  de  }torrh*s  pyramide  vers  le  ciel  et  semble 
défier  la  cime  du  Mitli,  sa  sœur  et  sa  rivale.  Un  |K>nt  d'une  «eule  arche,  bâti  en 
1^19,  soude  à  leur  base  ces  deux  montagnes,  el  établit  la  communication  entre  le 
canton  de  Vaud  et  le  Vallais.  Il  était  autrefois  orné  d*unc  chapelle  pittoresque, 
tiétruite  en  1847,  aux  grands  regrets  des  amateurs  du  pittoresque.  Vers  le  sud,  la 
plaine  s'agrandit,  refoulant  des  deux  côtés  les  remparts  qui  la  pressent.  Un  éboule- 
menl  considérable  a,  dans  des  temps  reculés,  changé  ici  la  face  du  sol  et  chassé  le 
Rhône  jusqu'au  pied  de  la  Dent  de  Mordes.  Ici  s'est  accompli  le  martyre  de  saint 
Maurice  et  de  sa  valeureuse  légion.  Une  modeste  cha|)elle,  élevée  à  Tendroitoù  la 
tradition  raconte  que  le  primicier  fut  égorgé,  en  rappelle  le  souvenir.  Plus  haut,  el 
cramponné  au  rocher,  comme  un  nid  d'hirondelle  aux  parois  d'un  palais,  apparaît 
VHermiUuje  de  Snive  Ihtme  de  Sve.r,  où  conduisent  quelques  rampes  escarpées,  bordées 
de  stalioNs,  De  ce  |)oinl,  on  domine  Siiint- Maurice  et  les  campagnes  d'alentour,  riches 
de  champs  et  de  cullures,  le  Rhône  traversant  la  plaine  comme  un  trait  rapide,  les 
bains  de  Lavey,  le  village  du  même  nom,  délicieusement  caché  derrière  un  fouillis 
de  «Mands  arbivs,  le  Bois-Noir,  el  quelques  petits  hameaux  cachés  dans  la  forél  ou 
assis  sur  une  cininencc. 


LA    i>LISSE    riTTOHIâSQtK.  517 


La  ville  de  Saint-Maurice  offre  peu  de  monuments  remarquables.  La  grande  rue, 
longue,  mais  étroile,  est  bordée  d'habitations  dont  quelques-unes  ne  manquent  point 
d'élégance.  L'hôtel-de-ville,  avec  son  inscription  :  Christiana  mm  ah  nnno  LVIII; 
riiôpital  de  Saint-Jacques,  fondé  par  Gonrad-le-Pacifique  ;  Téglise  paroissiale,  tou- 
chant aux  anciens  remparts  de  la  cité,  attirent  un  moment  Tattention.  La  célèbre 
abbaye  de  Saint-Maurice  est  située  dans  la  ville  même  :  c*est  un  grand  bâtiment  peu 
élevé,  avec  de  vastes  corridors,  une  bibliothèque,  des  archives  précieuses,  un  petit 
musée  et  un  gymnase.  L'Eglise  abbatiale,  adossée  au  couvent,. est  décorée  avec 
goût  :  elle  est  sans  valeur  sous  le  rapport  monumental.  Des  peintures  murales  fraî- 
chement exécutées  en  tapissent  les  voûtes  et  frappent  agréablement  les  regards;  on 
y  admire  en  outre  des  stalles  magnifiquement  sculptées,  de  beaux  autels  et  quelques 
bons  tableaux.  La  Chapelle  du  Trésor,  placée  à  droite  du  maître-autel  et|  abritée 
derrière  une  grille,  resplendit  sous  les  feux  multiples  de  ses  vitraux  coloriés  ;  ses 
parois  de  marbre  cachent  aux  regards  des  reliques  précieuses  et  des  objets  d'art 
d'un  travail  merveilleux  :  tels  sont  la  châsse  renfermant  les  ossements  de  Saint- 
Maurice  ;  une  mitre  couverte  de  pierreries,  présent  de  l'anti-pape  Félix  V  ;  l'anneau 
de  Saint-Maurice,  curieux  spécimen  de  l'orfèvrerie  romaine;  un  vase  de  sardonyx, 
travaillé  en  camée  et  monté  en  or,  qui  passe  pour  l'un  des  chefs-d'œuvre  de  l'art 
du  lapidaire  ;  il  fut  donné  au  monastère  par  Charlemagne.  On  remarque  aussi  une 
aiguière  envoyée  au  même  empereur  par  le  calife  Haroun-al-Raschid  :  ce  vase  pré- 
cieux, exécuté  en  or  le  plus  pur,  présente  des  ornements  d'un  style  oriental,  et  pour- 
rait bien  remonter  au  9*^  siècle.  —  Le  clocher  de  l'abbaye  est  remarquable  par  son 
antiquité  :  il  compte  environ  neuf  cents  ans,  et  porte  cependant  aussi  fièrement  qu'au 
premier  jour  la  pyramide  octogone,  flanquée  de  quatre  cônes,  qui  le  surmonte.  Il  a 
vu  à  ses  côtés  se  succéder  les  diverses  églises,  les  unes  détruites  par  la  main  des 
hommes,  les  autres  effondrées  par  les  rochers,  et  semble  regretter  les  temps  reculés 
où  la  psalmodie  incessante  de  cinq  cents  moines  arrivait  jusqu'à  lui ,  et  où  les 
rois  de  Bourgogne  venaient  à  ses  pieds  ceindre  la  couronne,  ou  chercher  le  repos 
éternel  dans  ses  caveaux  funéraires. 

Le  château  de  Saint- Maurice  s' é\èwc  an  plus  étroit  du  défilé,  à  quelques  pas  de  la 
ville; -il  domine  le  jwnt  et  commande  entièrement  le  passage.  Bàli  en  1555  pour 
servir  de  résidence  aux  gouverneurs  envoyés  par  le  Haut-Vallais,  il  pouvait,  au  gré 
de  ceux-ci,  intercepter  toute  communication,  car  la  route  passait  sous  une  de  ses 
voûtes.  On  voit  sur  les  mamelons  voisins,  et  notamment  sur  ïArsittiez  et  les  Fimjles, 
des  ouvrages  de  fortifications,  les  uns  tout  modernes,  les  autres  d'une  époque  plus 
reculée,  ils  contribuent  à  faire  de  l'étroit  défilé  de  Saint-Maurice  un  point  straté- 
gique important,  où  quelques  poignées  d'hommes  pourraient  lenir  en  échec  une 
armée  nombreuse. 

MoNTHEY,  chef-lieu  du  district  du  même  nom.  Ce  bourg  est  délicieusement  situé 
au  débouché  du  Val  d'illier.  La  grande  route,  pour  aller  le  chercher  dans  le  coin 
charmant  où  il  s'est  niché,  doit  faire,  en  venant  de  Saint-Maurice,  un  brusque  con- 
tour, et  s'éloigner  diamétralement  du  Rhône,  qu'elle  rejoint  ensuite  et  côtoie  jus- 
qu'au Léman.  Monlhey,  dont  les  toits  apparaissent  à  peine,  pressés  qu'ils  sont  d'une 
triple  ceinture  d'arbres  magnifiques,  s'endort  paresseusement  au  soleil,  pour  s'éveiller 
chaque  semaine,  le  jourdu  marché,  au  tumultueux  encombrement  de  sa  grande  place. 


518 


LA    SUISSE    PITTOReSQLE. 


Les  montagnes  qui,  de  deux  côtés,  bordent  la  Vièze,  s'abaissent  avec  mollesse  vers  le 
bourg  en  se  couvrant  de  taillis  et  de  blanches  maisonnettes.  Tout  semble  se  réunir 
pour  rehausser  Taspect  déjà  si  agréable  de  Monibey  ;  à  droite  Choex  et  son  presbyte 
sohtaire,  où  s*éteignit  lentement  Aymon  de  Savoie;  en  face,  les  Alpes  vaudoises;  à 
leur  pied,  Bex,  Ollon,  Aigle  et  le  vignoble  d'Yvome  ;  à  gauche,  le  Léman,  recevant 


Le  Bonvrret,  près  d«  l'enbouchurc  du  RkAoe. 

les  eaux  du  Rhône  près  du  village  du  Bouveret,  puis  le  Jura  se  dessinant  vaguement 
à  rhorizon.  Le  bourg  de  Monthey  a  de  beaux  bâtiments,  une  verrerie  en  pleine  acti- 
vité, et  un  vieux  château,  ancienne  résidence  des  seigneurs  gouverneurs.  L'Eglise 
paroissiale,  récemment  construite,  est  belle;  elle  se  distingue  par  Tampleur  de  ses 
proportions  et  la  richesse  de  ses  ornements  ;  de  gigantesques  colonnes  de  granit  en 
supportent  le  portique. 

La  Vièze,  rivière  dangereuse,  qui  rase  les  murs  de  Monthey  et  en  dévaste  souvent 
les  champs,  descend  du  Val  dUUer,  petite  vallée  profonde  d'environ  cinq  lieues,  com 
muniquant  avec  la  Savoie  par  le  col  de  Coux  et  par  la  vallée  de  Morgens.  Les  pics 
du  Midi,  hauts  et  décharnés,  dominent  la  contrée,  tandis  que  sur  leurs  pentes  infé- 
rieures, de  riantes  habitations,  des  villages  coquets  s'échelonnent  entre  des  cascades 
murmurantes  et  des  paysages  gracieux.  Là  vit  une  peuplade  d'une  taille  élevée,  aux 
mœurs  simples,  à  la  probité  antique,  qu'une  tradition  fait  descendre  d'une  colonie  de 
soldats  romains.  Le  costume  national,  quoique  peu  gracieux,  s'y  conserve  dans  toute 
sa  pureté.  Les  femmes  sont  d'une  beauté  peu  commune;  elles  savent,  au  besoin, 
pour  traverser  les  neiges  ou  soigner  les  bestiaux,  se  servir  des  vêtements  de  l'autre 
sexe.  Champéry,  à  l'extrémité  de  la  vallée,  présente  l'aspect  des  villages  bernois. 

Roger  de  Bons. 


-c®<^«f.  ^>«=- 


CANTON    DE    NEUCHATEL. 


Situation,  Etendue,  Climat.  —  Le  canton  de  Neuchâtel,  qui  est  le  vingt-unième  en 
rang  dans  la  Confédération  suisse,  est  une  portion  du  Jura,  chaîne  de  montagnes  cal- 
caires, qui  s'étendent  de  Bâle  à  Genève,  séparant  la  France  de  la  Suisse.  Ce  pays,  vu 
des  plaines  des  cantons  de  Fribourg,  de  Berne  et  de  Vaud,  offre  à  l'œil  une  continuité 
de  montagnes  arrondies  et  bleuâtres.  Depuis  les  rives  du  lac  de  Neuchâtel,  le  territoire 
du  canton  s'élève  sur  une  pente  rapide,  qui  cache  les  vallées  situées  entre  les  rameaux 
du  Jura.  La  longueur  moyenne  du  canton  est  de  huit  à  neuf  lieues  ;  sa  largeur  de 
quatre  à  cinq,  de  sorte  que  sa  superficie  est  d'environ  38  à  40  lieues  carrées.  On  a 
calculé  que  cette  surface  est  de  256,000  poses  du  pays.  C'est  un  des  cantons  moyens 
quant  à  l'étendue. 

De  sa  situation  d'amphithéâtre  résultent  trois  climats  différents,  l""  L'étroite  bande 
de  terrain  baignée  par  les  eaux  du  lac,  jusqu'à  l'élévation  de  450  pieds  environ,  est 
appelée  la  région  du  vignoble;  2"*  les  grandes  vallées,  dont  l'élévation  n'excède  pas 
1200  pieds,  forment  la  région  des  champs;  3^  les  vallées  plus  élevées  et  les  cimes  du 
Jura  composent  la  répon  des  montagnes  ou  des  pâturages.  L'élévation  du  lac  est  de 
1312  pieds  de  roi,  et  celle  des  plus  hautes  cimes  du  Jura  d'environ  5000  pieds  au- 
dessus  de  la  mer.  —  Le  climat  est  tempéré  au  bord  du  lac,  frais  dans  les  grandes 
vallées  cultivées,  et  froid,  même  âpre,  dans  les  montagnes. 

Montagnes,  Vallées,  Rivières,  Lacs.  —  Les  montagnes  appartiennent  toutes  à  la 
chaîne  du  Jura.  Elles  se  composent  de  pierres  calcaires  grises,  recouvertes  de  couches 
jaunâtres;  elles  renferment  en  abondance  des  coquillages  marinsetdes  corps  pétrifiés. 
Pour  peu  qu'on  s'élève,  on  domine  tout  le  lac,  et  on  aperçoit  au  sud-est  les  vallées 
des  cantons  de  Berne  et  de  Fribourg.  Dans  le  fond,  on  voit  les  cimes  argentées  des 
Alpes,  depuis  celles  d'Appenzell  jusqu'au-delà  du  Mont-Blanc.  Les  principales  mon- 
tagnes sont  :  le  mont  Ancin,  qui  forme  au  nord  le  Val  de  Ruz;  le  Chdlelet,  près  de  la 
Brevine;  le  Chaamont,  qui  domine  la  ville  de  Neuchâtel  à  Test;  la  Cluzette,  près  de 


ri20 


L\    SrUWF    PfTTOHES4>rF. 


Brol,  au  val  de  Travers;  le  f>f7-r#i#7/#iii/,  près  du  Lode;  b  TrU  d^  Bam^.  Tune  iie< 
plus  hautes  cimes  du  Jura;  la  Tonme,  donl  une  des  poinles  se  Damme  b  TMrit*  : 
le  Giox  TtinretiH  et  le  Moiii  thi  Cerf,  dans  le  val  de  Travers,  à  b  froolière  de  France 

La  principale  vallée  est  le  Val  île  Rhz.  que  Ton  aperçiHl  en  montant  de  b  ville 
de  Neuchàlel  à  la  (]hau\-de-Fr>nds.  Les  points  les  plus  avantagett\  pour  le  découvrir 
sont  au-dessus  du  villa<:e  de  Fenin  et  à  Tauberge  du  \ilbge  des  Haats-GeneveN> 
Ih*  ces  deux  empla(*ements,  on  voit  toute  cette  grande  vallée,  ses  champs,  ses  prairies 
et  plus  de  vingt  villagt*s.  L'agriculture  règne  dans  ces  lieu\,  et  rindostrie  y  a  fail 
aussi  dans  ces  derniers  temps  de  rapides  progrès. 

Le  Val  tie  Tnireis  doit  surtout  la  beauté  de  son  site  à  b  rivière  de  b  Reuse,  qui  Ir 
traverse  dans  toute  sa  longueur.  De  nul  endroit,  ses  beau\  vilbges  ne  se  présentent 
mieux  qu'au-dessus  du  village  de  Motiers,  ou  de  Tantique  château  du  val  de  Travers, 
perché  sur  une  crête  de  rocher,  à  peu  de  dislance  de  ce  même  village. 

Le  htrie  et  la  CluuLr-ile  Fuiuh  occupent  une  des  vallées  les  plus  élevées  du  Jura,  à 
5000  pieds  environ  au-dessus  du  niveau  de  la  roer.  Ces  deux  villages  sont  plus  grands 
que  beaucoup  de  villes  de  la  Suisse.  L'industrie,  surtout  celle  de  l'horlogerie,  y  prend 
tous  les  jours  un  plus  grand  développement. 

Les  rivières  du  canton  sont  :  l""  la  Thieile.  qui  est  b  continuation  de  l'Orbe  (  voyez 
Catiton  de  Vnnd),  et  qui  joint  les  lacs  de  NeuchAtel  et  de  Bienne  l'un  à  l'autre,  dans 
un  cours  d'environ  une  lieue.  La  Thielle  sépare  le  canton  de  Neuchàtel  de  celui  d<* 
Berne.  '2''  Le  Donhs,  qui  prend  sa  source  dans  le  Jura,  et  après  avoir  parcouru  les 
montagnes  de  la  Franche-Comté,  atteint,  vis-à-vis  le  village  des  Brenets,  le  lerritoin^ 
neuch&telois,  qu1l  sépare  de  la  France  pendant  l'espace  de  trois  lieues.  Non  loin  dt' 
là,  cette  rivière  fait  une  chute  de  80  pieds,  appelée  le  Sunl  du  Doiiba.  La  rivière  a. 
dans  cet  endroit,  l'aspect  d'un  lac;  ses  eaux  sont  d'un  vert  foncé,  et  n'ont  aucune 


Saul  du  Doubs. 


LA  suisse  pirroRESQUE.  S21 


Tuitc  visible.  On  navigue  entre  des  parois  de  rochei*s  à  pic.  Â  fleur  d*eau  on  voit  la 
grotte  de  la  Tossière,  curieuse  par  la  force  de  son  écho  et  par  les  bancs  que  la  nature 
y  a  formés.  S""  La  Reme,  qui  est  le  principal  cours  d'eau  du  canton,  a  sa  source  à 
l'ouest,  au  fond  du  Val  de  Travers.  Grossie  par  les  ruisseaux  de  Buttes,  de  Fleurier, 
du  Bied,  parle  torrent  du  Sucre  et  la  petite  rivière  de  Noiraigue,  la  Reuse  sort  du 
Val  de  Travers,  se  précipite  dans  les  gorges  profondes  du  champ  de  Moulin,  d'où  elle 
s'échappe  au-dessus  de  la  ville  de  Boudry,  et  se  jette  dans  le  lac  de  Neuchàtel.  k"*  Le 
Seyon  sort  à  l'est,  du  fond  du  Val  de  Ruz,  qu'il  traverse.  Il  reçoit  les  eaux  de  deux 
ruisseaux,  le  Torret  et  la  Sauge.  Cette  rivière,  ou  plutôt  ce  torrent,  encaissé  dans  une 
profonde  gorge  de  rochers,  au-dessous  de  Valangin,  se  transformait  parfois  en  cours 
d'eau  impétueux,  qui,  à  plusieurs  reprises,  causa  d'immenses  dégâts  dans  la  ville  de 
Neuchàtel.  Aujourd'hui,  le  Seyon  a  été  encaissé  et  conduit  dans  un  lit  artificiel  qui 
est  un  chef-d'œuvre  de  l'art.  L'ancien  lit,  qui  traversait  la  ville,  a  été  comblé,  et  a 
fait  place  à  des  rues  et  à  un  nouveau  quartier.  8"  La  Serrière,  petite  rivière  d'eau 
de  montagne,  jaillit  à  l'extrémité  d'une  gorge  étroite  de  rochers,  au  fond  de  laquelle 
(m  a  construit  les  moulins  et  les  usines  qui  forment  le  village  de  Serrières.  Elle  tra- 
verse la  grande  route  sous  un  pont  qui  a  été  construit  au  commencement  de  ce  siècle, 
et  se  jette  dans  le  lac.  D'un  même  point,  on  voit  la  source  de  la  rivière  et  son 
embouchure. 

Outre  ces  cours  d'eau,  il  y  a  encore  quelques  ruisseaux  à  Saint-Biaise,  à  Bevaix, 
au  Locle,  à  Saint-Aubin.  Les  sources  sont  peu  abondantes  sur  la  pente  du  Jura  qui 
regarde  le  midi,  et  moins  rares  dans  celle  qui  fait  face  au  nord. 

Les  lacs  sont  :  1°  Celui  de  Nemhâiel,  long  de  neuf  lieues,  large  de  deux  environ 
(entre  Neuchàtel  et  Cudrefin),  et  dont  la  profondeur  atteint  jusqu'à  450  pieds.  Ses 
eaux  sont  limpides,  et  ses  rives  généralement  escarpées,  à  l'exception  de  quelques 
ports,  où  sont  bâtis  la  ville  de  Neuchàtel  et  les  villages  d'Epagniez,  Marin,  Saint- 
Biaise,  Serrières,  Auvernier,  Cortaillod,  Saint-Aubin,  Vaumarcus,  Chez-le-Bart.  Il 
est  très-poissonneux;  les  espèces  principales  qu'il  renferme  sont:  la  perche,  le  bro- 
chet, l'anguille,  la  truite,  l'ombre-chevalier,  qui  passe  pour  le  meilleur  des  poissons 
de  ce  lac.  T  Le  lac  de  Bienne,  beaucoup  plus  petit  que  le 
précédent,  ne  baigne  qu'une  petite  partie  du  territoire  neu- 
chàtelois,  dans  une  plaine  basse  et  marécageuse.  5"*  Le  lac 
de  la  Brevine,  ou  de  la  Chaux  d'Etalières,  a  été  formé,  selon 
toute  apparence,  par  un  enfoncement  subit  de  terrain,  dont 
la  surface  est  d'un  peu  plus  d'une  demi-lieue  carrée.  Quand 
les  eaux  sont  basses,  il  forme  comme  deux  étangs  séparés. 
Son  écoulement  a  lieu  dans  un  gouffre,  et  sert  à  faire  tourner 
le  un  moulin  très-remarquable.  U^  Le  Loclat  est  un  lac  encore 
plus  petit,  près  du  village  de  Saint-Biaise. 
Histoire  naturelle,  Agriculture.  —  Le  Jura  neuchàtelois  servait  jadis  de  repaire 
aux  ours,  aux  loups,  aux  cerfs  et  aux  chevreuils.  Ces  animaux  ont  diminué  ou  ont 
disparu  à  mesure  que  la  population  s'est  accrue.  Les  renards  et  même  les  lièvres  sont 
devenus  rares.  Les  oiseaux  sont  les  mêmes  que  ceux  du  Jura  et  des  Basses-Alpes. 
I^s  faucons,  que  l'on  trouvait  autrefois  au  Creux  du  Van  et  à  la  Roche  Blanche,  au- 
de^us  de  Buttes,  ont  disparu.  Les  coqs  de  bruyère  {Tetrao  Urogallus  et  Teirix), 
11,31  66 


SSi  LA   MISSE   PITTOReSQCE. 


9e  tiennent  dans  les  foréU  de  sapins  des  hautes  sommités  du  Jura.  Les  poissons 
sont:  Tanguille,  la  lotte,  la  perche,  le  chassot,  la  moustache  du  lac,  le  salai 
(Silurna  (ihnis),  qui  atteint  quelquefois  le  poids  de  100  livres,  la  truite  du 
lac  et  celle  de  TAreuse  et  du  Doubs,  Tamblc  {ombre  chetalier),  la  palée,  les  bon 
délies  ou  harengs  du  lac,  le  bro(*iiel,  le  barbeau,  la  carpe,  le  goujon,  la  tanche,  la 
platelle,  le  nasc,  et  quelques  espèces  de  cyprins.  Les  rivières  et  les  ruisseaux  eon 
tiennent  deux  variétés  d'écrevisses. 

La  situation  du  canton  entre  trois  des  plus  hautes  cimes  du  Jura,  offre  um* 
variété  de  sites  et  de  climats  très  favorables  à  la  botanique.  Parmi  les  plantes  qui 
lui  sont  particulières,  on  peut  citer  les  rnleriana  angiiMifolin,  herysimnm  hieran\*t 
linm,  fritillttria  mele(Ufns  (la  tulipe  de  Gondeba  ou  fritillaire),  cnrex  Chordorhiz^i, 
pHlmu'iit  acHta,  et  nombres  d*autres  plantes  rares  en  Suisse.  Le  grand  Haller, 
Gagnebin,  J.-J.  Rousseau,  Chaillet,  ont  laissé  des  descriptions  de  leurs  nombreuses 
herborisations  dans  ce  pays.  Rousseau  décrit  une  plante,  le  napel,  comme  impor- 
tante à  connaître  pour  se  garantir  de  ses  effets  dangereux.  Elle  est  belle,  haute  de 
trois  pieds,  garnie  de  jolies  fleurs  bleues,  qui  donnent  envie  de  la  cueillir  ;  mais  à 
peine  Ta-t-on  gardée  quelques  minutes,  qu*on  se  sent  saisi  de  maux  de  tète,  de 
vertiges  et  d'évanouissement.  On  s'en  délivre  en  jetant  ce  funeste  bouquet. 

Au  point  de  vue  géologique,  le  canton  de  NeuchAtel  appartient  à  la  formation 
jurassique,  distinguée  pur  la  couleur  claire  de  ses  couches  calcaires.  La  mollasse  ou 
grès  (nuire,  qui  fait  la  hase  des  plaines,  des  collines  et  des  vallées  inférieures  dans 
les  cantons  de  Fribourg,  de  Berne  et  de  Vaud,  se  montrée  peine  dans  celui  de  Neu 
chAtel,  et  seulement  dans  des  lieux  voisins  du  lac.  De  profondes  coupures,  appelées 
perdus,  peri)endiculaires  à  la  direction  des  vallées,  ont  permis  d'étudier  la  suite  des 
couches  dont  se  compose  le  Jura,  surtout  dans  la  gorge  où  coule  le  Seyon,  et  le  long 
de  Tancien  chemin  de  Neuch&tel  à  Valangin.  Il  résulte  des  observations  de  Tillustic 
géologue  Léopold  de  Buch ,  que  les  montagnes  du  Jura  sont  formées  de  plus  de 
900  couches,  plus  ou  moins  calcaires,  différant  entre  elles  pur  la  couleur,  la  densité, 
la  cassure,  la  compacité  ou  l'adhérence.  Prises  ensemble,  ces  couches  ont  une  épais- 
seur de  2900  à  3000  pieds.  La  face  méridionale  du  Jura  est  couverte  de  pierres  rou- 
lées alpines,  parmi  les(iuelles  on  trouve  des  blocs  de  granit  à  angles  émoussés  et 
arrondis,  superposés  au  sol,  et  dont  quelques-uns  sont  d'une  grosseur  prodigieuse, 
entre  autres  celui  de  Pierrabot,  à  une  demi-lieue  au  nord  de  Neuchàtel,  à  800  pieds 
au-dessus  du  lac.  Il  a  50  pieds  de  longueur,  40  de  hauteur,  et  20  d'épaisseur. 

Les  montagnes  du  Jura  neuchàtelois  offrent  plusieurs  grottes  remarquables,  entre 
autres  celles  de  Motiers  et  le  Teinple  des  Fées,  près  de  la  Côte  aux  Fées.  On  y  trouve 
aussi  quelques  glacières  naturelles,  et  plusieurs  sources  ferrugineuses,  comme  celles 
de  la  Brevine  et  des  Ponts. 

La  situation  du  canton  en  amphithéâtre  donne  lieu  à  trois  cultures  différentes, 
répondant  aux  trois  climats  que  nous  avons  indiqués  :  1^  La  vigne,  dans  les  terrains 
en  pente  au  bord  du  lac,  jusqu'à  une  élévation  de  SOO  pieds.  Les  terres  qui  reposent 
sur  la  formation  des  grès,  comme  à  St. -Biaise,  Boudry,  Bevaix  et  Gortaillod,  sont 
fortes  et  argileuses.  V  Les  champs,  dans  les  plaines  argileuses  des  bords  du  lac  et  dans 
les  vallées  de  Ruz  et  de  Travers,  jusqu'à  1400  pieds  au-dessus  du  lac.  3"*  Les  pdiu- 
ntges  et  prairies,  dans  les  vallons  supérieurs,  jusqu'aux  cimes  du  Jura.  Le  peu  de 


LA    SUISSE    PITTORKSQIE.  '  823 


profondeur  du  sol  a  nécessité  la  culture  de  la  vigne  basse  ;  la  bifurcation  des  ceps 
n'est  pas  élevée  à  plus  de  8  à  10  pouces  au-dessus  du  terrain.  On  donne  à  la  vigne 
trois  laboui*s  :  le  plus  profond  aux  mois  de  mars  et  d'avril,  le  second  en  mai  ou  juin, 
et  le  troisième  en  juillet.  Les  cépages  blancs  dominent;  le  vin  blanc  a  un  léger  goûl 
de  pierre  à  fusil.  Les  cépages  noirs,  qui  donnent  un  vin  rouge  très-estimé,  qui  n'a 
d'analogue  dans  aucun  vignoble,  occupent  les  terres  les  plus  arides,  et  souvent  leurs 
racines  végètent  dans  des  lits  de  cailloux  roulés.  Les  vins  rouges  les  plus  estimés 
croissent  à  Cortaillod  et  dans  les  vignes  voisines  de  la  ville  de  Neuchâtel.  L'abolition 
du  parcours  du  bétail,  en  1807,  a  donné  une  nouvelle  direction  à  la  culture  des 
champs.  Les  pommes  de  terre,  les  raves,  les  carottes,  le  chanvre,  le  colza,  la  navette, 
les  pois,  les  lentilles,  sont  cultivés  en  concurrence  avec  les  blés.  Dans  la  région  élevée 
des  pâturages,  les  gelées,  qui  souvent  surviennent  dès  le  mois  de  septembre,  compro- 
mettent parfois  la  récolte.  A  l'élévation  de  900  à  1000  pieds  commencent  les  forêts 
de  sapins. 

Histoire.  —  Le  petit  pays  qui  forme  le  canton  de  Neuchâtel  a  une  histoire  assez 
compliquée.  11  a  gardé  la  forme  féodale  beaucoup  plus  tard  que  la  plupart  des  autres 
pays  de  la  Suisse  et  de  l'Europe.  Les  habitants  de  cette  portion  de  la  pente  méridio- 
nale de  la  chaîne  du  Jura  appartenaient  à  la  nation  des  Helvétiens,  car  le  Jura  était 
une  des  limites  de  ce  peuple.  On  ne  sait  rien  de  l'histoire  de  ces  Neuchâtelois  pri- 
mitifs, et  jusqu'ici  on  n'a  pas  trouvé  dans  le  lac,  comme  dans  le  voisinage  près 
d'Yverdonet  près  de  Nidau,  des  débris  d'armes  et  d'ustensiles  attestant  leur  existence. 
Mais,  dans  diverses  parties  du  pays,  on  voit  des  pierres  druidiques  ou  menhirs. 
L'existence  d'une  cité  de  Noiielonex,  qui  aurait  été  l'une  des  douze  cités  des  Helvé- 
tiens brûlées  avant  leur  tentative  d'émigration,  est  révoquée  en  doute  avec  raison. 
On  ne  sait  rien  non  plus  sur  Neuchâtel  romain,  et  les  inscriptions  romaines  qui 
avaient  été  mises  en  avant  pour  prouver  l'existence  de  Noidelonex  et  de  Novum  Cas- 
trum,  ont  été  signalées  définitivement  comme  apocryphes.  Cependant,  il  est  certain 
que  plusieurs  localités  sur  les  bords  du  lac  de  Neuchâtel  étaient  peuplées  sous  la 
domination  romaine  en  Helvétie.  A  mesure  que  la  colonie  d'Avenches  s'accrut  et 
prospéra,  la  contrée  voisine  dut  être  nécessairement  habitée  et  cultivée.  Cette  grande 
cité  tirait  des  lieux  voisins  du  Jura  neuchâtelois  les  pierres  et  les  bois  nécessaires  à 
ses  constructions.  Le  village  de  St. -Biaise,  connu  dans  les  anciens  actes  sous  le  nom 
d'Arens  {Arena),  et  celui  de  Marin  {Mala  Are^ia),  paraissent  avoir  été  des  ports  fré- 
quentés par  les  Romains,  qui  chargeaient  en  ces  lieux  les  pierres  des  carrières 
d'Hauterive  {Alia  Ripa),  Serrières  {Serrœ)  était  un  lieu  propre  à  convertir  en  plan- 
ches les  sapins  du  Jura  et  â  les  embarquer  pour  Avenches.  Une  route  qui  porte 
encore  le  nom  de  Vidéira  {Via  dextra  ou  strata)  traversait  les  forêts  dont  le  pays  était 
couvert,  et  tendait  d'Yverdon  dans  la  Rauracie  (l'évêché  de  Bâle).  Bevaix  {Biviœ)^ 
Pont  &  Reuse,  Bole,  doivent  probablement  leur  existence  à  cette  route. 

Les  irruptions  des  Barbares  effacèrent  les  faibles  traces  de  la  culture  introduite 
par  les  Romains.  Dans  les  plus  anciennes  chartes  du  moyen-âge,  sous  les  Bourgui- 
gnons, le  pays  est  appelé  Nigri  Montes,  Nigra  Vallis,  et  par  corruption  Nugerol.  Aux 
7^  et  S^  siècles,  le  pays  qui  s'étend  depuis  la  ville  de  Neuchâtel  jusqu'à  l'Aar,  et  toute 
la  vallée  du  lac  de  Bienne,  appartenaient  à  une  famille  féodale  parente  des  derniers 
rois  de  Bourgogne.  Elle  résidait  au  château  de  Feni  {Vinels),  près  de  Cerlier. 


5*24  LA    SUI98K   PITTORESQIR. 


Les  Bourguignons,  en  s^éiablissant  dans  la  contrée  de  NeucliAtel,  n'y  absorbèrent 
|)as  plus  qu'ailleurs  l'ancienne  population  celto-romaine.  Les  deux  races  se  méUD- 
gèrent  sous  l'influence  de  la  vie  religieuse,  qui  prit  un  assez  grand  développement, 
et  contribua  à  maintenir  la  civilisation  et  la  liberté.  Le  personnage  historique  le  plus 
célèbre  à  cette  époque,  dans  l'histoire  neuchàteloise,  est  la  reine  Berthe,  fille  df 
Bourcard,  duc  d'Allémanie,  qui  é|)ousa  Rodolphe  II,  roi  de  la  Petite-Bourgogne  ou 
Bourgogne  Transjurane,  l'an  924  de  l'ère  chrétienne.  Berthe  administra  le  royaume 
pendant  que  son  époux  poursuivait,  de  l'autre  côté  des  Alpes,  la  couronne  de  Tltalie. 
Elle  trouva  à  Neuchàtel,  qui  n'était  alors  qu'un  bourg  fortifié,  un  asile  contre  les 
entreprises  des  Hongrois  (Mngyari)  et  des  Sarrazins. 

Rodolphe  II  eut  de  Berthe  un  fils,  Conrad  II,  qui  naquit  en  927,  et  fut  couronné 
à  Lausanne  en  937.  On  attribue  à  cette  reine  et  à  ce  roi  la  fondation  de  l'église  col- 
légiale de  Neuchàtel  (de  932  à  938).  Conrad  devint  beau-frère  d'Othon-le-Grand, 
empereur  d'Allemagne,  par  le  mariage  de  ce  monarque  avec  Adélaïde,  fille  de 
Rodolphe  II  et  de  Berthe,  et  veuve  de  Lothaire,  roi  d'Italie. 

A  Conrad,  qui  mourut  en  993,  succéda  son  fils  Rodolphe  III,  dit  le  Fainéant,  qui 
régna  jusqu'à  1032.  Par  un  acte  de  l'an  4014,  ce  roi  donne  à  son  épouse  Irmen- 
garde  la  ville  d'Aix,  Annecy,  l'abbaye  du  mont  Joux,  le  château  royal  de  Fau(, 
Yvoneml,  Neuchàtel,  siège  très-rotial  {regalmwM  sedes),  Arins  (St. -Biaise)  et  d'au- 
tres lieux. 

Après  la  mort  de  Rodolphe  III,  le  royaume  de  la  Petite-Bourgogne  ou  Transjurane 
passa  par  testament  de  ce  prince,  qui  s'était  retiré  en  Allemagne  pour  éviter  la 
guerre  que  lui  faisaient  ses  vassaux,  à  Conrad-le-Salique,  qui  s'empara  de  Neudiàtel 
et  le  donna  en  fief  à  Ulrich,  comte  de  Feni,  de  la  famille  nommée  plus  haut.  Celle 
famille  des  premiers  comtes  de  Neuchàtel  s'éteignit  dans  la  personne  du  comte  Louis; 
et  Conrad,  fils  d'Egon,  comte  de  Fribourg,  neveu  et  héritier  d'Isabelle,  fille  de  Louis 
de  Neuchàtel,  commença  la  seconde  race  des  comtes  de  Neuchàtel.  Jean  de  Friboui^, 
dernier  comte  de  cette  seconde  maison ,  institua  pour  son  héritier  universel  son 
parent  Rodolphe  de  Ilochberg  (4457),  qui  commença  une  troisième  maison  comtale. 
Sous  les  maisons  de  Fribourg  et  de  Hochberg,  beaucoup  de  familles  allemandes  s'éta- 
blirent dans  ce  pays  et  y  apportèrent  les  usages  de  leur  patrie.  Ce  fut  sous  la  com- 
tesse Jeanne  de  Hochberg  que  la  Réformation  s'introduisit  à  Neuchàtel  parles  prédi- 
cations de  Guillaume  Farel  (4530).  Par  Louis  d'Orléans  Longueville,  mari  de  Jeanne, 
commença  la  quatrième  maison  de  Neuchàtel.  Elle  dura  jusqu  en 
4707,  que  mourut  Marie  d'Oriéans,  fille  de  Henri  II  de  Longueville, 
veuve  de  Henri  de  Savoie,  duc  de  Nemours,  dernière  souveraine  de 
cette  branche.  Alors  treize  prétendants  se  présentèrent  devant  le  tri- 
bunal souverain  des  trois  Etats  de  Neuchàtel  pour  demander  l'inves- 
titure du  comté  de  Neuchàtel. 
Les  principaux  de  ces  prétendants  étaient  :  4**  Frédéric  I*',  roi  de  Prusse,  comme 
héritier  des  droits  de  Jean  de  Chàlon,  qui  en  4288  avait  reçu,  disait-on,  de  l'empe- 
reur Rodolphe  de  Habsbourg,  l'investiture  du  fief  de  Neuchàtel.  Il  appuyait  ses  droites 
d'un  mémoire  rédigé  par  le  célèbre  Leibnilz  ;  2"  le  prince  de  Conti  ;  3**  le  prince  de 
Carignan  ;  4**  le  duc  Léopold  Eberhard  de  Wurtemberg  ;  5°  la  duchesse  de  I^rcsdi- 
guières;  6**  le  comte  de  Matignon;  7"*  le  margrave  de  Baden;  8"  le  canton  d'Uri, 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  52K 


qui  se  fondait  sur  ce  que,  sous  la  comtesse  Jeanne  de  Hochberg,  les  cantons  suisses 
s'étaient  mis  en  possession  de  Neuchàtel,  à  Tépoque  des  guerres  des  Français  et  des 
Suisses,  sous  le  règne  de  Louis  XII. 

Les  trois  Etals,  par  leur  arrêt  du  3  septembre  4707,  adjugèrent  Neucliâtel  à 
Frédéric  I*%  roi  de  Prusse.  On  eut  égard,  pour  écarter  les  prétendants  français, 
(uirents  de  Louis  XIV,  à  la  situation  particulière  de  l'Europe  et  de  la  Suisse  protes- 
lanle,  qui  luttaient  alors  contre  le  despotisme  envahissant  du  roi  de  France.  Le  roi 
de  Prusse  confirma  tous  les  privilèges  des  bourgeoisies  et  des  corporations,  entre 
autres  ceux  de  la  ville  de  Neuchàtel,  ainsi  que  les  anciennes  alliances  entretenues 
avec  soin  et  de  tout  temps  par  les  Neuchàtelois  avec  les  cantons  suisses,  notamment 
avec  Berne,  Soleure,  Fribourg  et  Lucerne.  Depuis  cette  époque,  la  succession  des 
rois  de  Prusse  forma  une  cinquième  maison  de  princes  de  Neuchàtel,  jusqu'en  J806, 
que  Napoléon  P'  donna  Neuchàtel  au  maréchal  Berthier,  comme  fief  de  l'em- 
pire français.  En  1814,  la  chute  de  Napoléon  fit  rentrer  le  Pays  de  Neuchàtel  sous 
la  domination  de  Frédéric-Guillaume  III,  roi  de  Prusse,  en  même  temps  que  le  con- 
grès de  Vienne  l'incorporait  comme  vingt-unième  canton  dans  la  Confédération  suisse, 
dont  il  faisait  déjà  partie  de  fait  par  ses  limites,  ses  traités,  ses  mœurs  et  l'affection 
de  ses  habitants. 

En  1831,  sous  l'impression  de  la  révolution  française  de  juillet,  une  partie  des 
Neuchàtelois  tentèrent  de  se  soustraire  à  la  domination  prussienne,  pour  faire  de  leur 
patrie  uniquement  un  canton  suisse.  Mais  cette  tentative  échoua,  de  même  que  celle 
que  fit  un  peu  plus  tard  le  parti  qui  tenait  pour  la  Prusse,  afin  de  faire  sortir  Neu- 
chàtel de  la  Confédération  suisse.  La  position  mixte  dura  jusqu'en  1848.  Alors, 
après  la  révolution  française  de  février,  les  Neuchàtelois  qui  étaient  partisans  de  la 
rupture  avec  la  Prusse,  réussirent  à  faire  reconnaître  Neuchàtel  comme  canton  suisse, 
sans  relations  ultérieures  avec  la  cour  de  Berlin.  Le  30  avril  1848,  la  Constitution 
républicaine,  élaborée  par  un  Grand  Conseil  constituant,  fut  proclamée,  et  elle  a 
ré^i  dès-lors  le  canton. 

Constitution.  — Cette  constitution  nouvelle,  qui  a  remplacé  la  charte  que  le  roi 
de  Prusse  avait  donnée  en  1814  et  qui  avait  été  modifiée  en  1831 ,  renferme  7S  arti- 
cles et  des  dispositions  transitoires.  Elle  proclame  le  canton  de  Neuchàtel  une  Répu- 
blique démocratique  et  l'un  des  Etats  de  la  Confédération  suisse.  Le  territoire  du 
canton  est  inaliénable.  Il  est  divisé  en  six  districts  :  ceux  de  Neuchàtel,  de  Boudry, 
du  Val  de  Travers,  du  Val  de  Ruz,  du  Locle,  et  de  la  Chaux-de-Fonds.  Il  ne  reste 
dans  le  canton  aucun  privilège  de  lieu,  de  naissance,  de  personnes  ou  de  famille. 
L'Etat  ne  reconnaît  aucune  qualification  nobiliaire.  La  liberté  des  cultes,  celle  de  la 
presse,  celle  d'industrie,  sont  garanties  à  tous  les  Neuchàtelois.  Tout  Suisse  jouira  des 
mêmes  droits,  s'il  offre  les  garanties  nécessaires.  Tout  citoyen  neuchàtelois  et  tout 
citoyen  suisse  habitant  le  territoire  sont  tenus  au  service  militaire.  Il  ne  pourra  être 
conclu  de  capitulation  militaire  avec  aucune  puissance  étrangère.  (Depuis  1814, 
Neuchàtel  fournissait  un  bataillon  de  tirailleurs  à  la  garde  du  roi  de  Prusse.) 

Le  pouvoir  législatif  esi  exercé  par  un  Grand  Conseil  élu  directement  par  le  peuple, 
dans  la  proportion  d'un  député  pour  500  âmes.  Les  députés  sont  élus  pour  quatre 
ans,  et  rééligibles.  Le  Grand  Conseil  a  deux  sessions  régulières  par  an.  Le  imivoir 
exêciuifesi  confié  à  sept  conseillers  d'Etat,  élus  par  le  Grand  Conseil.  Le  Conseil 


fiiù  lA    SriSHR   PITTORESOrR. 


d'Etat  est  nommé  pcHir  six  ans,  el  rééligible.  Le  poiwoir  judiciaire  est  séparé  d» 
autres  pouvoirs  de  TEtat.  La  justice  civile  est  rendue  par  des  tribunaux  de  paix* 
des  tribunaux  de  première  instance,  dont  le  nombre  est  le  même  que  celui  des  dis- 
tricts, el  une  (bur  d*app<'l,  qui,  en  matière  criminelle,  a  les  attributions  d'une  Cour 
de  cassation. 

CiLTR,  Edi:<:ation.  —  Tous  les  cultes,  en  ce  qui  touche  le  temporel,  sont  placés 
sous  la  suprématie  du  gouvernement.  Il  ne  peut  y  avoir  de  corporations  eoclésiasli 
(|ues  indé|)endantes  du  |)ouvoir  souverain.  Les  biens  el  revenus  de  TEglise  ont  été 
réunis  au  domaine  de  TElal,  qui  salarie  les  ronctionnatres  ecclésiastiques.  Le  culte 
réformé  est  celui  de  la  totalité  du  canton ,  à  Texceplion  des  paroisses  du  Landeron, 
de  (^ressier,  et  du  Cerneux-Péquignot,  qui  suivent  le  culte  catholique  romain.  H  y  a 
aussi  des  chapelles  catholiques  h  Neuchàtel,  à  la  Chaux-de-Fonds,  et  un  hospice  de 
capucins  au  Landeron.  IjC  clergé  catholique  est  soumis  à  Tévéque  de  Lausanne,  dont 
la  résidence  ordinaire  est  à  Fribourg. 

Un  Synode,  où  siègent  des  députés  ecclésiastiques  et  laïques,  surveille  Tadmi* 
nistration  du  culte  réformé,  il  est  composé  de  six  Colloques,  correspondant  aux  six 
districts  du  canton.  Une  faculté  de  théologie  est  établie  à  Neuchàtel,  sous  la  surveil- 
lance du  Synode.  Le  district  de  Neuchàtel  compte  cinq  paroisses.  La  ville  de  Neu- 
chàtel a  quatre  pasteurs ,  un  diacre  et  une  paroisse  allemande.  Le  district  de  Boudry 
a  sept  paroisses;  celui  du  Val  de  Travers  neuf;  celui  du  Val  de  Ruz  six;  celui  du 
liocle  cinq,  dont  celle  du  Locle  compte  deux  pasteurs,  un  diacre  et  une  paroisse 
allemande;  et  celui  de  la  Chaux-de-Fonds  quatre,  dont  une,  celle  de  la  Chaux-de- 
Fonds,  a  deux  pasteurs,  un  diacre  et  une  paroisse  allemande.  Le  clergé  réformé 
compte  un  certain  nombre  de  ministres  impositionnaires,  sans  paroisse,  et  un 
ministre  pour  les  Allemands  disséminés. 

Des  Commissions  locales  sont  à  la  tète  de  l'éducation  dans  chaque  paroisse.  Elles 
sont  présidées  par  le  pasteur.  La  ville  de  Neuchàtel  entretient  un  Gymnase  supérieur 
qui  compte  neuf  professeurs  titulaires  et  huit  maîtres  spéciaux.  Le  Collège  de  Neu- 
chàtel, entretenu  aussi  par  la  ville,  compte  sept  classes  latines  et  françaises,  et 
l'Ecole  des  filles  est  divisée  en  six  classes,  sous  la  direction  de  six  institutrices.  Il  y 
a  dans  la  ville  trois  écoles  primaires  gratuites  pour  les  garçons,  et  deux  pour  1^ 
filles;  de  plus,  deux  écoles  catholiques,  et  un  certain  nombre  d'écoles  foraines. 

La  nouvelle  loi  sur  l'instruction  primaire  proclame  la  liberté  d'enseignement,  el 
rend  l'instruction  primaire  obligatoire.  Elle  est  à  la  charge  des  communes  ou  bour- 
geoisies et  des  parents.  L*instruction  des  enfants  pauvres  est  gratuite.  L'Etat  y 
|K)urvoit  quand  les  communes  sont  hors  d'état  de  le  faire.  Les  instituteurs  prêtent 
le  serment  constitutionnel.  L'administration  générale  et  l'inspection  supérieure  de 
l'instruction  publique  appartiennent  à  un  département  du  Conseil  d'Etat,  appelé  la 
Direction  de  l'éducation. 

Cette  Direction  surveille  les  Commissions  d'éducation  locales,  les  Colloques,  le 
Synode ,  les  cures  et  les  communes.  Il  y  a  dans  chaque  commune  au  mains  une 
école  primaire.  Le  Locle  en  a  sept  pour  les  garçons,  sept  pour  les  filles,  et  cinq 
classes  mixtes,  outre  un  certain  nombre  de  maîtres  spéciaux.  La  Cbaux-de-Fonds 
a  six  écoles  de  garçons,  six  de  filles,  cinq  classes  mixtes,  et  aussi  plusieurs  maîtres 
spéciaux.  L'enseignement  dans  les  écoles  primaires  comprend  deux  d^rés. 


LA    SUISSE    IMTTOMESQIK.  N47 

Une  loi  du  16  décembre  J853  a  constitué  aussi  des  Ecoles  industrielles.  Deux 
sont  en  activité  au  Locle  et  à  la  Cliaux-de-Fonds,  et  chacune  a  un  directeur  nommé 
par  TEtat,  qui  supporte  aussi  une  partie  du  traitement  des  instituteurs  de  ces  écoles. 
Il  y  a  dans  le  canton  un  certain  nombre  d'institutions  privées  d'éducation  pour  les 
deux  sexes.  En  général,  de  tout  temps  les  Neuchâtelois  se  sont  distingués  par  leurs 
efforts  pour  faire  avancer  l'instruction  publique.  Le  nombre  des  Commissions  d'é- 
ducation locale  était  en  18S4  de  82.  Le  nombre  des  régents  et  régantes  primaires 
était,  la  même  année,  de  272,  et  celui  des  écoles  primaires  de  266.  Les  régents  ne 
sont  nommés  que  sur  des  brevets  de  capacité.  Us  ont  une  caisse  de  prévoyance. 

Commerce,  Industrie,  Finances,  Etablissements  de  crédit. — L'industrie  est  très- 
tlorissante,  et  peu  de  pays  au  monde ,  proportion  gardée ,  lui  ont  vu  prendre  un  tel 
développement.  Elle  se  compose  de  trois  branches  principales:  les  dentelles,  les 
toiles  peintes  et  l'horlogerie.  Déjà  au  commencement  du  18°  siècle,  on  faisait  au 
Val  de  Travers  des  dentelles  que  des  colporteurs  allaient  vendre  à  Lyon.  En  1742, 
2800  individus  vivaient  de  cette  industrie,  qui  dès-lors  avait  plus  que  doublé.  Les 
femmes ,  les  enfants  et  même  quelques  hommes  travaillent  aux  dentelles,  qui  n'ont 
|)as  encore  atteint  la  perrection  de  celles  de  Flandres,  mais  qui  soutiennent  la  com- 
paraison avec  celles  de  la  Normandie.  Les  dentelles  de  Neuchàtel  se  vendent  surtout 
en  Italie,  dans  le  midi  de  la  France  et  dans  les  ports  de  la  Méditerranée.  On  en  ex- 
portait annuellement,  vers  1820,  pour  environ  1,500,000  francs.  La  fabrication 
des  dentelles  à  la  mécanique  a  contribué  à  faire  baisser  ce  chiffre. 

Les  fabriques  de  toiles  peintes  de  Neuchàtel,  dont  la  première  Tondation  remonte 
à  173S,  étaient  aussi  jadis  beaucoup  plus  florissantes.  On  les  exportait  en  Allemagne, 
en  Suisse,  en  Italie,  dans  l'Archipel  et  le  Levant.  Mais  les  manuractures  anglaises  et 
Trançaises  ont  nui  beaucoup  à  celles  de  Neuchàtel ,  bien  que  celles-ci  aient  successi- 
vement adopté  les  différentes  machines  inventées  à  l'étranger.  Plusieurs  fabriques, 
cefles  de  Marin ,  des  Iles ,  de  Grand-Champ ,  du  Bied ,  de  la  Borcarderie ,  de  Cor- 
taillod,  sont  successivement  tombées.  Celle  de  Boudry  travaille  encore.  En  revanche, 
rhorlogerie,  qui  est  la  troisième  branche  d'industrie,  est  en  progression  incessante. 
En  1679,  on  n'avait  pas  encore  vu  de  montres  dans  le  canton  de  Neuchàtel.  Un 
marchand  de  chevaux  en  apporta  une  à  la  Sagne.  Cette  montre,  faite  à  Londres, 
s  était  dérangée;  son  propriétaire  la  confia  à  Daniel-Jean  Richard,  né  à  la  Scigne, 
en  1665.  Ce  jeune  homme,  dont  l'adresse  était  connue,  entreprit  d'en  faire  une 
pareille,  et  commença  par  fabriquer  les  outils  dont  il  prévoyait  avoir  besoin.  Au 
bout  de  six  mois  il  avait  terminé  une  montre ,  dont  le  mouvement ,  le  ressort ,  la 
boite,  la  gravure,  la  dorure,  tout  était  de  sa  main.  A  Taide  de  ses  frères,  il  en  fabri- 
qua d'autres,  et  plusieurs  ouvriers  s' étant  formés  à  leur  exemple,  en  1741  on  fabri- 
quait, au  Locle  et  aux  environs,  200  à  300  montres  simples,  à  une  seule  aiguille 
pour  les  heures.  Vers  1750,  Abraham  Robert  et  Daniel  Perrelet  découvrirent  des 
machines  qui  facilitèrent  l'ouvrage  des  horlogers.  En  1760,  on  commença  à  faire 
des  montres  à  répétition,  et,  en  1763,  Ab. -Louis  Perrelet  découvrit  l'échappement 
à  ressort.  C'est  des  montagnes  de  Neuchàtel  que  sont  sortis  Ferdinand  Berthoud ,  de 
Couvet,  auteur  d'un  célèbre  traité  d'horlogerie  ;  son  neveu ,  qui  a  perfectionné  les 
pendules  marines,  Breguet,  le  plus  célèbre  horloger  de  Paris,  dont  la  maison,  dirigée 
par  son  petit-fils,  qui  a  fait  faire  des  progrès  à  la  télégraphie  électrique,  existe  encore. 


fS28  LA   StlSHE   PITTOIIESQl'K. 


En  1818,  on  exportait  des  montagnes  de  Neucliàlel  et  du  Val  de  Travers  130,000 
montres,  dont  un  neuvième  à  bottes  d*or,  et  plus  de  1000  pendules.  En  1854,  te> 
bureaux  de  eontrcMe  du  Locle  et  de  la  Chaux-de-Fonds  ont  poinçonné  268,166  mon- 
très  (39,129  de  moins  qu'en  1853),  dont  161, 1S7  à  boites  d'argent,  et  107,109  à 
boîtes  d'or. 

Après  ces  trois  branches  d'industrie,  il  faut  citer  la  fabrication  du  fromage  »  qui 
forme  un  objet  d'exportation  assez  considérable,  et  le  vin,  dont  une  partie  se  vend 
dans  les  cantons  voisins,  de  Berne,  de  Soleure,  etc.  On  fabrique  aussi  des  vins 
mousseux  &  l'imitation  du  Champagne. 

Le  système  d'impositions  et  de  finances  a  changé  radicalement  depuis  1848.  Au 
lieu  des  anciennes  dîmes  et  des  cens  que  les  propriétaires  payaient  à  l'Etat,  ou  au 
prince,  sous  forme  de  redevance  féodale,  une  loi  du  U  novembre  1849 a  établi  un 
impôt  direct.  Cette  loi  a  été  modifiée  en  décembre  1850  et  1853.  L'imp&t  direct  est 
prélevé  sur  les  fortunes,  les  revenus,  les  i*essources.  Chaque  année  le  Grand  Conseil 
détermine  le  taux  de  cet  impôt.  On  s'en  remet  pour  la  fixation  des  fortunes  à  la 
déclaration  des  contribuables.  Si  elle  est  jugée  insuffisante ,  un  comité  est  chai^gé  de 
la  taxation.  En  1853,  la  fortune  de  l'Etat  était  fixée  à  3,801,465  fr.  La  dette  de 
l'Etat  était  de  125,043  fr.  en  1854.  Les  recettes  ordinaires  de  cette  année  se  sont 
élevées  à  929,912  fr.,  et  les  dépenses  à  821,355  fr.  Une  caisse  hypothécaire  a  été 
instituée  |)ar  une  loi  de  1852.  Elle  place  les  capitaux  dont  elle  dispose  sur  des  pro- 
priétés immobilières,  situées  dans  le  canton.  Ces  capitaux  proviennent  essentielle- 
ment du  rachat  des  dîmes,  cens  et  autres  redevances  féodales.  Une  banque  canto- 
nale a  aussi  été  créée  par  une  loi  du  1*"^  décembre  1854.  Le  fonds  primitif  est  d'un 
million  de  francs  fédéraux ,  divisé  en  2000  actions  de  500  francs  chacune.  Ce  ca- 
pital pourra  être  augmenté.  LEtat  a  concouru  au  capital  de  la  banque  pour  une 
somme  de  250,000  fr.,  représentant  500  actions,  qui  demeurent  inaliénables  pen- 
dant la  durée  de  la  Société. 

LÉGISLATION.  —  L'ancien  droit  civil  neuchètelois  était  fondé  sur  la  coutume  nm\ 
écrite  et  séculaire,  et  il  ne  reposait  sur  aucun  texte  précis.  Cette  base  a  été  radica- 
lement changée  par  la  promulgation  d'un  Code  civil,  divisé  en  trois  livres,  et  con- 
tenant 1820  articles.  Ce  Code,  dont  la  dernière  partie  a  été  promulguée  le  20  mars 
1855,  est  fondé  essentiellement  sur  la  législation  française  et  le  code  Napoléon.  La 
législation  consistoriale ,  en  matière  matrimoniale,  a  aussi  complètement  disparu, 
et  le  mariage  civil  a  été  institué  par  un  décret  de  1851. 

'  Hommes  cklèbres  et  Savants.  —  Plusieurs  Neuchètelois  se  sont  distingués  dans 
les  lettres,  les  sciences  et  les  arts.  Parmi  les  premiers,  nous  citerons  :  Le  chancelier 
Georges  tie  MimtmoHin,  qui  a  laissé  des  mémoires  historiques  sur  l'administration 
iieuchàteloise  sous  les  derniers  princes  français;  ils  ont  été  publiés  en  1831  ;  —  le 
chancelier  Ihiy,  quia  laissé  des  poésies;  J.-F.  Ostenmld,  théolc^ien  distingué, 
auteur  d'un  catéchisme,  d'une  liturgie,  de  divers  traités,  de  sermons,  et  d'une  édi- 
tion de  la  Bible  avec  des  réHexions  (1724);  J.-fl.  0$tenvnld,  son  fils,  auteur  des 
neroirs  des  rommHfiiauts  et  de  la  Nonvriinre  de  l(Î99ie;  Sumiiel  Osierimld,  mort  en 
1767,  président  du  Conseil  d'Etat  et  rédacteur  d'un  coutumier  de  Neuchàtel; 
F.  S,  fhtenrald,  banneret  de  Neuchâlel,  auteur  d'un  précis  de  géographie  historique 
et  d'une  description  des  montagnes  de  Neuch&tel,  publiée  en  4766  ;  Louis  Bourguei, 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  529 


Français  d'origine  (de  Nimes),  auteur  d'un  Traité  des  pétrifications,  publié  à  Paris  en 
1742,  et  de  nombreux  opuscules  scientifiques  encore  très-estimés  ;  De  Vattel,  auteur 
du  Droit  des  gens,  ouvrage  devenu  classique  ;  Ferdinand-Olivier  Petitpierre,  pasteur 
à  la  Chaux-de-Fonds,  célèbre  par  ses  démêlés  avec  la  Classe  des  pasteurs  en  1760, 
au  sujet  de  sa  doctrine  de  la  non-éternité  des  peines  ;  L.-F.  Petitpierre,  qui  a  tra- 
duit la  Messiade  de  Klopstock;  /.  Boyve,  auteur  de  chroniques  neuchàteloises  res- 
tées jusqu'ici  inédites,  et  dont  on  a  commencé  l'impression;  J.-Em.  Boyve,  chan- 
celier, auteur  de  recherches  très-estimées  sur  l'indigénat  helvétique  de  Neuchàtel  ; 
Il.-D.  Chailkt,  ministre,  auteur  de  sermons,  et  rédacteur  du  Nouveau  Journal  helvé- 
tique, qui  se  distinguait  par  une  critique  fine  et  spirituelle  (  1783)  ;  le  trop  fameux 
Marat,  originaire  de  Sardaigne,  né  à  Boudry,  et  qui  se  fit  connaître  par  des 
ouvrages  de  physique  avant  de  se  faire  un  nom  en  politique.  Dans  les  noms  plus 
modernes,  nous  citerons  :  F.  Du  Bois  de  Montpéreux,  célèbre  par  un  voyage  au 
Caucase  (183S),  auteur  des  Antiquités  ou  monuments  de  Neuchdtel,  ouvrage  pos- 
thume; F,  De  Rougemont,  auteur  du  Peuple  primitif  eX  de  divers  ouvrages  de  géo- 
graphie ;  U,  Guinand,  qui  a  aussi  publié  des  éléments  de  géographie  ;  Perret  Gentil, 
auteur  d'une  traduction  des  Livres  prophétiques  de  la  Bible,  faite  sur  les  textes  ori- 
ginaux. Le  célèbre  Agassiz,  connu  par  ses  grands  travaux  d'histoire  naturelle, 
actuellement  aux  Etats-Unis,  a  professé  dans  l'Académie  de  Neuchàtel,  et  il  est 
bourgeois  de  cette  ville.  MM.  A,  Guyot  et  L.  Lesquereux,  deux  autres  naturalistes 
neuchâtelois,  ont  aussi  passé  en  Amérique,  ainsi  que  M.  Matile,  auteur  de  divers 
ouvrages  sur  l'ancien  droit  coutumier  de  Neuchàtel,  du  Musée  de  Neuchàtel  et  Va- 
Inngin,  et  du  Recueil  diplomatique  de  NeuchdteL  U.  F.  de  Chambrier  a  publié  en 
1840  une  histoire  de  Neuchàtel  jusqu'à  la  domination  de  la  maison  de  Prusse  (1707)  ; 
elle  a  été  continuée  jusqu'au  règne  de  Berthier  (1806)  par  M.  G.  de  Tribolet,  M.  S. 
de  Chambrier  est  auteur  d'une  excellente  description  de  la  Mairie  de  Neuchàtel  (1840), 
et  M.  de  Sandoz-Rollin  a  donné,  en  1818,  un  Essai  statistique  de  la  principauté  de 
Neuchàtel,  qui  est  toujours  estimé. 

Au  nombre  des  Neuchâtelois  qui  se  sont  distingués  dans  les  arts  mécaniques,  nous 
citerons,  après  les  Breguet  et  les  Berlhoud,  déjà  nommés,  les  mécaniciens  Jacquet- 
Droz  et  Maillardet,  connus  par  leurs  automates;  Droz,  graveur  et  conservateur 
des  médailles  à  la  Monnaie  de  Paris;  Guinand,  des  Brenets,  opticien  célèbre,  auquel 
son  flintglass  a  valu  une  réputation  universelle. 

Les  Neuchâtelois  qui  se  sont  signalés  dans  la  culture  des  beaux-arts  sont  nom- 
breux ;  plusieurs  se  sont  acquis  un  nom  illustre,  comme  Léopold  Robert,  né  à  la 
Chaux-de-Fonds.  Nous  citerons  encore  les  Girardet,  famille  qui  a  fourni  plusieurs 
générations  de  peintres  et  de  graveurs;  Grosclaude,  père  et  fils,  du  Locle;  Aurèle 
Robert;  Max,  de  Meuron;  Moritz,  père  et  fils;  Zuberbuhl;  les  frères  Tschaggeny, 
Tous  se  sont  distingués  dans  la  peinture,  et  appartiennent  à  ce  siècle.  Dans  le  der- 
nier, Prudhomme,  de  Peseux,  a  peint  le  portrait  avec  succès.  Brandt,  de  la  Chaux- 
de-Fonds,  habile  graveur  de  médailles,  est  mort  récemment  à  Berlin.  Forster,  du 
Locle,  l'un  des  premiers  graveurs  modernes,  vient  d'obtenir  la  grande  médaille 
d'honneur  à  l'exposition  de  Paris  en  1855. 

Neuchàtel  compte  plusieurs  philanthropes  :  J.J.  Lallemand,  négociant,  mort  dans 
c^tte  ville  en  1722,  fondateur  de  la  maison  des  orphelins;  David  Pury,  fils  du 

11.  33.  67 


iS!ÎO  LA   8UIS8K   WTTOUKSQI'R. 


(Milonel  Pury,  fondateur  de  Purysbourg,  dans  la  Caroline  du  Sud  (  Elals>Unis  ),  qui 
laissa  sa  fortune,  montant  à  plus  de  quatre  millions,  à  la  ville  de  Neochâtel  :  { son 
testament  est  daté  de  Lisbonne,  le  H  mai  1786  )  ;  Jar^iêen-L/tHU  Je  Ponrlalh,  fonda- 
teur de  l'hApital  qui  porte  son  nom;  M.  Ik  Menron,  fondateur  de  l'hospice  des 
aliénés  au  Pré  Fargier. 

Parmi  les  étrangers  célèbres  qui  ont  habité  Neuchàtel  ou  son  territoire,  nous 
citerons:  /.-/.  RoiUMeau;  Mylord  Mniirhal,  son  ami,  qui  fut  gouverneur  du  pajs 
|Miur  le  roi  de  Prusse  ;  M'"'  tle  Chaînera,  d'origine  hollandaise,  auteur  de  CMi*i^, 
des  Uiives  fèeiêfkAlehinex,  et  d'autres  charmants  écrits.  Les  noms  de  Du  Pe^rtm  et 
iVKscherny,  tous  deux  naturalisés  Neuchàtelois  et  auteurs  de  divers  écrits,  sont 
inséparables  de  celui  de  J.-J.  Rousseau. 

Population.  —  Il  résulte  du  recensement  officiel  de  la  population,  opéré  en  18S4. 
qu'à  la  fin  de  cette  année  la  population  du  canton  était  de  76,968  individus.  EUIe  se 
compose  de  44,84i  .Neuchàtelois.  i5,64i  Suisses,  et  6514  étrangers.  La  population 
se  subdivise  comme  suit:  37,809  individus  du  sexe  masculin,  39,1S9  du  sexe 
féminin,  dont  i4, 12k  sont  mariés,  &970  veufs,  et  47,874i  célibataires.  On  compte 
7069  propriétaires,  soit  près  d'un  dixième  de  la  population  totale. 

La  population  est  répartie  comme  suit:  district  de  la  Chaux-de-Fonds,  18,143: 
du  Locle,  14,723;  de  Neuchàtel,  13,313  -,  du  Val  de  Travers,  13,139;  de  Boudry. 
10,144;  du  Val  de  Ruz,7S06. 

Il  est  né  dans  le  canton  en  1854,  2501  enfants,  dont  1265  du  sexe  masculin,  et 
i  238  du  sexe  féminin  (  non  compris  1 49  morts-nés  ). 

Il  est  mort  dans  le  canton,  en  1854, 1983  individus,  1017  hommes  et  966  femmes. 

La  vie  moyenne  des  individus  décédés  dans  le  canton  a  été  de  29  ans  et  5  mois. 

Le  13  p.  100  des  décès  dépassait  71  ans;  le  4  p.  100,  l'âge  de  81  ans;  6  dépas 
saient  91  ;  aucun  ne  dépassait  95  ans. 

Il  a  été  célébré  dans  le  canton,  en  1854,  558  mariages. 

Le  nombre  des  bâtiments  assurés  à  l'assurance  mutuelle  neuchàtelnise  est  de 
1 1 ,172,  et  la  valeur  de  ces  bâtiments  est  estimée  à  79,647,800  francs. 

La  population  indigène  n'a  augmenté  que  de  deux  septièmes  en  60  ans,  tandis  que 
celle  des  étrangers  a  plus  que  triplé  dans  le  même  espace  de  temps. 

MoeiRs,  GouTUMis,  Caragtkre,  Langue.  —  Les  Neuchàtelois  sont  vifs,  industrieux, 
laborieux,  économes.  Us  s'entendent  à  gagner  de  l'argent,  et  ils  sont  très-circonspects 
quand  il  s'agit  de  le  dépenser.  «  Un  sentiment  d'honneur  et  de  loyauté,  disait  M.  de 
Sandoz-Roliin,  dans  sa  Statistique  (1818),  fait  la  base  de  leur  caractère.  De  l'inquié- 
tude sur  la  conservation  de  leurs  droits  et  une  disposition  constante  à  repousser  tout 
abus  du  pouvoir;  de  la  prétention  à  la  finesse  et  à  la  politique;  un  certain  abandon. 
de  la  légèreté  :  tels  sont  les  traits  généraux  de  leur  caractère.  Ajoutez-y  un  vif  atta- 
fïhement  à  leur  sol  natal  et  aux  institutions  de  leurs  pères.  » 

Dans  les  montagnes,  l'industrie  réclame  les  bras  de  toute  la  population,  même  ceux 
des  enfants;  elle  émancipe  de  bonne  heure  les  jeunes  gens,  en  leur  permettant  de 
vivre  honorablement  de  leur  travail  manuel  ;  le  Uen-étre  qui  en  résulte  conduit  en 
général  les  industriels  neuchàtelois  à  l'individualisme  et  à  la  recherche  presque 
exclusive  des  jouissances  matérielles.  Le  travail  essentiellement  manuel  abs^H-bant 
tous  les  instants  des  artistes  et  des  ouvriers,  il  ne  leur  reste  plus  guère  de  temps  pour 


LA   SUISSE   PirrORKSQLE.  5S1 


TcUide  des  sciences.  De  là  vient  que  Tinstruction  ne  s'élève  pas  généralement  au- 
dessus  d'une  certaine  moyenne.  L'esprit  naturel  fait  plus  que  l'éducation,  bien  que 
celle-ci  soit  très-soignée  pour  ce  qui  concerne  les  notions  primaires  et  secondaires. 

Si  l'accroissement  continuel  de  l'industrie  neuchàteloise  est  une  des  causes  qui 
entravent  le  développement  scientifique,  en  absorbant  toutes  les  forces  vitales  de  la 
population,  et  en  la  poussant  à  une  production  incessante,  il  est  certain  aussi  que 
cette  industrie  empêche  les  citoyens  du  canton  de  s'adonner  à  la  culture  des  terres. 
L'industrie  et  le  négoce  nuisent  à  l'agriculture.  ladis  le  Neuchàtelois  des  montagnes 
cultivait  son  héritage,  tout  en  travaillant  à  l'établi.  Aujourd'hui,  les  occupations 
rurales  sont  presque  entièrement  dévolues  à  des  Suisses  des  cantons  voisins,  essen- 
tiellement à  des  Bernois.  Il  résulte  de  cela  une  tendance  à  l'envahissement  de  la 
|)opulation  allemande  des  cantons  voisins  dans  le  canton  de  Neuchàtel,  qui  jadis 
était  exclusivement  un  canton  de  langue  française.  Certaines  industries,  certains 
métiers  sont  exploités  presque  exclusivement  par  des  Allemands  ou  des  Suisses  alle- 
mands. Dans  quelques  localités,  la  langue  allemande  semble  presque  la  langue  domi- 
nante. L'ancien  esprit  neuchàtelois  se  dénature  singulièrement  par  e^e  mélange, 
auquel  le  régime  ancien,  qui  favorisait  l'établissement  d'étrangers  allemands,  a 
contribué.  Au  reste,  la  liberté  d'établissement  a  été  de  tout  temps  fort  grande  dans 
le  canton  de  Neuchàtel. 

La  langue  dominante  du  pays  sera  néanmoins  toujours  le  français.  Le  peuple 
parle  encore  dans  quelques  districts,  mais  il  ne  parlera  bientôt  plus  le  patois,  dont 
le  fond  est  l'ancien  idiome  roman,  mélangé  de  mots  latins,  allemands,  italiens, 
et  même  espagnols.  On  croit  aussi  y  reconnaître  quelques  mots  grecs.  Ce  patois 
diffère  sensiblement  d'une  partie  du  canton  à  l'autre;  il  est  nazillard  et  traînant  au 
Landeron  et  à  Thièle  ;  plus  animé  dans  le  Vignoble,  à  l'ouest  de  la  ville  ;  lent  et 
lourd  au  Val  de  Ruz  ;  parlé  rapidement  et  avec  les  dents  serrées  aux  Montagnes. 

Les  habitations  dans  le  Vignoble  sont  bâties  en  pierre  et  couverte  en  tuiles.  Les 
villages  sont  grands,  bien  bâtis,  à  la  manière  des  villes,  les  maisons  attenantes  les 
unes  aux  autres.  Dans  le  Val  de  Travers,  au  Val  de  Ruz  et  aux  Montagnes,  les  bâti- 
ments agricoles  sont  de  grandes  maisons  carrées,  le  rez-de-chaussée  en  pierre,  et  le 
r^te,  ainsi  que  la  couverture,  en  bois.  Dans  les  anciennes  constructions,  qui 
deviennent  de  plus  en  plus  rares,  toute  la  capacité  de  la  cuisine  forme  la  base  d'une 
cheminée  construite  en  planches,  dont  le  canal,  en  se  rétrécissant,  s'élève  au-dessus 
(lu  toit. 

Il  n'y  a  plus  de  traces  d'un  habillement  national;  hommes  et  femmes  suivent 
(*n  général  les  modes  françaises.  Dans  le  Val  de  Auz  quelques  habitants  emploient 
encore  pour  leui*s  vêtements  des  deux  sexes  l'étoffe  appelée  mi- laine,  en  usage  chez 
leurs  pères.  C'est  un  tissu  de  couleur  noisette,  moitié  fil  et  moitié  laine,  fabriqué 
flans  le  pays. 

La  manière  de  vivre  perd  aussi  de  plus  en  plus  son  caractère  ancien  et  original. 

L'alimentation  est  celle  des  pays  de  montagnes,  où  l'air  vif  rend  nécessaire  une 
nourriture  plus  fréquente  et  plus  abondante.  Dans  le  Vignoble,  le  peuple  prend  jus- 
(|u'à  quatre  repas,  et  dans  les  grands  travaux  de  la  vigne,  il  boit  du  vin  largement. 
Dans  les  vallées  et  les  montagnes,  les  agriculteurs  se  nourrissent  plus  sobrement, 
de  pain  d'orge  et  d'avoine,  de  lait,  de  café,  de  pommes  de  terre  et  de  viande  fumée. 


S32  LA   SriSSe   PITTORESOtC. 


Chemins  de  fer.  —  Le  canton  de  Neuchàtel  n'a  point  encore  de  voie  ierrée  en 
activité.  Celle  du  Locle  à  la  Chaux-de-Fonds  est  eç  construction.  Ce  n'esl  qu'un 
premier  tronçon,  destiné  à  se  joindre  incessamment  à  d'autres  embrancheoients.  il 
est  question  de  le  prolonger  jusqu'au  littoral  du  lac,  où  il  rejoindrait  la  ligne  qui, 
du  réseau  général  des  chemins  de  fer  suisses,  à  Herzogenbuchsée,  se  dirigerait  par 
Soleure,  Sienne,  Neuchàtel,  Yverdon,  sur  Genève.  Le  Grand  Conseil  iieuchàteloi> 
a  voté  une  somme  de  3  millions  dans  ce  but.  D'un  autre  côté,  il  s'est  forme 
une  compagnie  nationale  pour  l'exécution  et  l'exploitation  d'un  cèemin  de  fer  dit 
des  Verrièfrs-Thiêle  et  Vanmarctis,  qui  serait  une  continuation  du  chemin  Paris- 
Lyon  en  Suisse.  Celte  voie  traverserait  le  Val  de  Travers,  et  pourrait  avoir  un 
embranchement  du  Val  de  Travers  sur  le  Locle  et  la  Chaux-de-Fonds.  Les  intérét> 
de  ces  deux  grandes  localités  n'étant  pas  les  mêmes  que  ceux  du  Val  de  Travers 
dans  celte  question,  l'antagonisme  du  chemin  projeté  par  les  Montagnes,  dit  du  Jnrn 
indmU'iel,  et  du  chemin  des  Verrières,  nuit  à  l'exécution .  il  serait  fâcheux  que 
les  deux  voies  se  fissent  un  tort  réciproque,  au  risque  de  n'avoir  lieu  ni  l'une  ni 
l'autre.  Aujourd'hui,  celle  des  Verrières  parait  la  plus  compromise. 

La  Ville  de  Neuchàtel  et  ses  environs.  —  La  ville  de  Neuchàtel,  peuplée  de 
6000  habitants,  a  été  bâtie  sur  deux  collines,  séparées  naguères  par  le  cours  d'eau 
du  Seyon,  aujourd'hui  détourné  de  son  ancien  lit.  Elle  s'est  successivement  étendue 
au  bord  du  lac  sur  les  alluvions  accumulés  par  le  torrent.  Dans  l'origine,  à  l'époque 
romaine,  ce  n'était  qu'un  bourg  qui  s'étendait  sur  la  pente  rapide  du  roc  escarpé, 
baigné  par  les  eaux  du  lac.  Il  servait  à  loger  les  carriers,  les  bateliers,  quelques 
laboureurs,  et  il  était  fermé  à  l'ouest  par  un  mur  et  par  une  tour,  sous  laquelle 
était  pratiquée  une  porte  d'entrée.  La  partie  inférieure  du  bourg  atteignait  la  rive 
du  lac  à  l'embouchure  du  Seyon.  Les  rois  du  second  royaume  de  Bourgogne,  les 
seigneurs  de  la  maison  de  Fenis,  et  leurs  successeurs  des  maisons  de  Fribourg  et  de 
Hochberg,  ajoutèrent  à  ce  bourg  primitif  diflérenles  constructions  :  l"*  la  Tonr  dite 
des  Prisofis,  élevée  sur  l'ancienne  porte  romaine,  et  dont  la  construction  date  du 
10^  siècle,  à  l'époque  des  invasions  des  Hongrois  ;  T  la  Tour  de  Diesse,  qui  protégeait 
la  partie  inférieure  du  bourg,  du  côté  du  lac  et  du  Seyon.  On  n'a  conservé  de  Tan- 
cienne  construction  de  cette  tour  que  le  mur  faisant  face  à  l'ouest  et  le  côté  qui 
regarde  la  rue  du  château  ;  le  reste  a  été  détruit  par  des  incendies  ;  S""  la  Tonr  dn 
Donym,  au  nord,  qui  domine  la  vallée  profonde  de  l'Ecluse,  et  autour  de  laquelle  se 
sont  groupées  des  constructions  plus  modernes;  4"*  V Eglise  collégiak  de  Notie-Damt, 
fondée  au  lO""  siècle  par  la  reine  Berthe,  veuve  de  Rodolphe  II,  roi  de  Bourgogne, 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  Il  est  certain  que  le  chœur  de  l'église  et  la  grande 
porte  latérale  au  midi  portent  tous  les  indices  de  l'architecture  lombarde  des  9'  el 
10*  siècles.  C'est  une  copie  exacte  du  chœur  de  Téglise  de  Payerne,  dont  la  construc 
lion  remonte  à  Tan  961 .  Un  ancien  bas-relief,  placé  sur  la  porte  principale,  et  détruit 
par  le  zèle  dévastateur  de  la  Réformation,  portait  une  inscription  où  on  lisait  :  Respia 
virgo  pia  me  Bertam  sancta  Maria  et  Simul  Ulriciis  it  fugiens  ini,.,.  Dans  le  cordon, 

au-dessous  du  bas-relief,  il  y  avait  :  Dat  Dom  .,.m..,.  facientibus  etparadi L'évêque 

Ulrich,  dont  il  s'agit  ici,  occupait  le  siège  d'Augsbourg,  et  était  le  cousin  germain  de 
Berthe.  Saint  Ulrich,  chassé  de  sa  résidence  par  les  Hongrois,  s'était  réfugié  auprès 
de  sa  parente.  Des  deux  côtés  de  la  môme  porte  sont,  entre  des  colonnes,  les  statues 


LA    SUISSE    IMTTORKSQUE. 


8S3 


mutilées  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul.  Le  comte  Ulrich  de  Neuchàlel  agrandit  le 
temple  de  la  reine  Berlhe,  en  y  ajoutant  la  nef  et  les  bas-côtés.  Ce  temple  devint  ainsi 


Aacteo  portail  ilc  l'église  de  Neuchllel 


église  collégiale.  A  côté  de  la  grande  porte  latérale  a  été  élevée  une  tour  carrée  de  87 
pieds  de  hauteur.  Elle  date  de  1276,  époque  de  la  dédicace  de  l'église  comme  collégiale. 
A  droite  du  maître-autel  existe  le  monument  gothique  des  comtes  de  Neuchâtel, 
remarquable  par  sa  forme  et  le  nombre  des  statues  qu'il  renferme.  C'est  comme  le 
résumé  de  l'histoire  ancienne  de  Neuchâtel.  Il  a  été  restauré  récemment.  En  face, 
on  voit  cette  inscription,  qui  rappelle  l'introduction  de  la  Réformation  :  u  L'an  1530, 
le  23  octobre,  ndoUUrie  fatôlée  et  ahnltne  de  céans  par  les  bourgeois.  »  Un  cloître  est 
attenant  au  mur  septentrional  de  l'église.  Il  était  borné  par  une  tour  servant  d'en- 
trée à  la  cave  du  chapitre.  Le  prévôt  et  les  douze  chanoines  étaient  logés  dans  les 
maisons  construites  près  de  la  terrasse  inférieure,  qui  servait  anciennement  de  cime- 
tière. La  grande  terrasse  est  remarquable  par  la  grosseur  et  l'antiquité  des  arbres 
séculaires  qui  la  décorent.  On  y  jouit  d'une  vue  admirable  sur  la  chaîne  des  Al|)es. 
S**  Le  château,  voisin  du  temple,  a  été  construit  au  milieu  du  14*'  siècle,  \mv  le 
comte  Louis  de  Neuchâtel,  au-dessus  de  l'ancienne  résidence  de  la  reine  Berthe,  dont 
on  remarque  encore  une  porte  et  une  fenêtre  décorées  de  sculptures,  dans  une  cave 
du  château  actuel.  Dans  la  cour  du  château  est  une  tour  hexagone  à  six  fenêtres, 
éclairant  un  escalier  en  limaçon ,  d'où  l'on  parvenait  dans  la  salle  des  chevaliers. 
Les  appartements  ont  reçu  dans  les  temps  modernes  d'autres  destinations.  Le  gou- 
verneur établi  par  le  roi  de  Prusse  faisait  sa  résidence  dans  ce  château ,  ainsi  que 
quelques  fonctionnaires  supérieurs.  Aujourd'hui ,  ce  vaste  bâtiment  est  occupe 
essentiellement  par  les  divers  dicaslères  du  Conseil  d'Etat.  La  salle  du  Grand  Conseil 
(ancienne  salle  des  Trois  Etats),  décorée  des  armoiries  des  anciens  comtes  et  des 
gouverneurs  sous  les  différents  régimes,  mérite  un  coup-d'œil. 

Dans  la  partie  basse  de  la  ville ,  qui  communique  â  la  ville  haute  par  des  rues 


HZh  U    SCIS8R    riTTOlIRSOIR. 


t^acarpées  el  dw  escaliers,  on  remarque  rhAlel-de-ville,  édifice  solide  el  d'une  arehi 
tecture  assez  belle ,  qui  fut  érigé  par  la  munificence  de  David  Pury ,  à  la  fin  du  dernier 
siècle.  Il  est  malheureusemenl  écrasé  et  masqué  par  les  constructions  voisines.  Cet  bitH 
est  occupé  par  les  Ck)nseils  et  l'administration  municipale  de  la  ville  et  boui^geoisie  de 
NeuchiUel.  L*h6pital  de  la  ville,  que  Ton  doit  au  même  citoyen,  est  en  face,  el  la 
maison  des  orphelins  est  tout  auprès.  Des  terrains  conquis  sur  les  eaux  du  lac  ont 
été  plantés  d  arbres  de  manière  à  former  une  belle  promenade,  qui  se  prolonge  der- 
rière le  faubourg,  (^ette  promenade  atteint  une  butte  de  rochers  nommée  le  Crèi, 
de  laquelle  la  ville  se  présente  d'une  manière  pittoresque. 

Le  Fnnbmtnj  est  une  rue  magnifique ,  décorée  de  belles  maisons  et  d'hôtels  parti 
ruliers  que  Ton  appellerait  des  iMlais  en  Italie.  On  remarque  entre  autres  riiôtel  Du 
IVyrou,  aujourd'hui  de  Rougemont,  construit  par  Du  Peyrou,  l'ami  de  Jean-Jacques 
Housseau,  et  des  hôtels  qui  appartiennent  à  des  membres  de  la  famille  Pourtalés.  A 
|K.Hi  de  distance  du  Crét,  el  en  dehors  de  ce  faubourg,  est  l'hôpital  fondé  en  4810  |Kir 
Jacques- Louis  de  Pourtalés,  le  chef  et  le  fondateur  de  la  fortune  de  celte  famille.  U 
ville  est  en  général  bien  li&tie ,  en  pierres  jaunes,  tirées  des  carrières  voisines,  lit' 
(lymnase  est  un  vaste  b&timent,  d'une  belle  architecture,  élevé  depuis  25  ans,  sur  un 
ancien  bassin  qui  servait  de  |H)rt.  Il  renferme,  outre  les  principaux  établissements 
d'éducation ,  une  belle  bibliothèque  publique ,  où  l'on  conserve  les  manuscrits  de 
Jean-Jacques  Rousseau,  le  musée  d'histoire  naturelle,  que  la  munificence  et  la 
science  de  MM.  Coulon  et  d'autres  citoyens  ont  beaucoup  enrichi,  et  qui  ferait 
honneur  à  une  grande  ville,  un  musée  de  peinture  où  l'on  voit  des  ouvrages  de 
MM.  Robert,  Calame,  Grosclaude,  Tschaggeny,  Meuron,  Girardet  et  d'autres  artistes 
neuchi\teIois  et  étrangers,  et  un  autre  musée  ethnographique  d'antiquités.  Les  belb 
maisons  voisines  ont  été  construites  plus  récemment  encore  sur  des  terrains  conquis 
aussi  sur  le  lac.  Une  nouvelle  place  est  décorée  de  la  statue  en  pied  de  David  Pury. 
|mr  David  d'Angers. 

Un  chemin  commode  et  carrossable  conduit  de  la  ville  de  Neuchàtel  jusqu'au 
sommet  de  la  montagne  de  Chaumont,  qui  la  domine  immédiatement,  et  d'où  Ton 
jouit  d'un  ponorama  aussi  étendu  que  remarquable. 

Les  hôtels  de  Neuch&tel  sont  en  général  bien  tenus.  Les  premiers  sont  l'hôtel  des 
Al|)es  et  le  Faucon.  Il  y  a  ensuite  plusieurs  hôtels  de  second  et  de  troisième  ordre. 

La  situation  de  la  ville  de  Neuch&tel ,  adossée  au  Jura,  et  placée  au  centre  d'un 
^rand  vignoble,  l'empêche  de  s'agrandir  ailleurs  qu'au  bord  du  lac.  Les  murs  qui 
forment  la  clôture  des  vignes  bordent  tous  les  chemins;  ils  ont  été  abaissés  de  ma- 
nière à  masquer  moins  complètement  la  vue  du  lac  et  des  Alpes.  Déjà  beaucoup  de 
ces  vignes  limitrophes  de  la  ville  ont  été  arrachées  et  ont  fait  place  à  des  maisons 
(le  campagne.  Quelques-unes  sont  remarquables  par  la  magnificence  de  leur  situation. 
Nous  citerons  la  RmlirUe,  immédiatement  au-dessus  de  la  ville,  et  le  Chdnet,  qui 
domine  la  nouvelle  roule  de  Neuchàtel  à  Yalangin.  De  ces  deux  habitations  on  jouit 
d'une  vue  très-étendue;  il  est  peu  de  lieux  situés  à  une  aussi  petite  élévation ,  d'où 
Ton  découvre  ainsi  les  deux  tiers  des  Alpes  de  la  Suisse  et  de  la  Savoie.  Lorsque 
l'air  est  pur,  on  aperçoit  les  montagnes  des  cantons  d'Uri  el  de  Schwylz,  et,  d'un 
autre  côté ,  le  Mont-Blanc.  Ce  tableau  est  admirable ,  surtout  au  soleil  levant.  Lti 
situation  du  Chànet  est  surtout  très-romantique,  au-dessus  d'une  forêt  traversée  par 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  53K 

le  torrenl  du  Seyon ,  doiil  on  entend  bouillonner  les  eaux  au  fond  d'un  précipice.  En 
suivant  le  bord  de  la  montagne,  on  arrive  par  une  route  nouvelle  sur  un  plateau, 
d'où  Ton  découvre  le  bourg  et  le  château  de  Valangin,  ancien  cheMieu  féodal  du 
comté  de  Valangin,  qui  fut  réuni  à  celui  de  Neuchàlel  en  1575.  Valangin  est 
aujourd'hui  une  triste  bourgade  de  400  âmes,  sans  importance.  La  bourgeoisie,  qui 
jouissait  de  privilèges  politiques  sous  le  précédent  régime,  a  été  récemment  abolie. 
Pour  connaître  la  partie  du  canton  à  l'orient  de  la  ville ,  il  faut  monter  à  l'ancienne 
abimye  de  Fontaine-André,  distante  de  la  ville  d'une  demi-lieue.  De  la  terrasse  de 
œ  lieu  élevé,  on  voit  à  ses  pieds  les  villages  de  l'ancienne  chàtellenie  de  Thièle , 
avec  leurs  vignes ,  leurs  vergei's  et  leurs  champs  ;  plus  loin ,  la  ville  du  Landeron , 
dont  le  temple  catholique  indique  l'emplacement  de  l'ancienne  ville  de  Nugerol;  dans 
le  lointain,  le  lac  de  Bienne  et  ses  iles.  A  l'ouest  de  la  ville,  en  suivant  les  bords  du  lac 
de  Neuchâtel,  sur  la  belle  route  de  la  Côte,  qui  mène  à  Yverdon,  le  premier  village  que 
Ton  rencontre  est  Serrières,  sur  le  ruisseau  du  même  nom,  dont  les  eaux  abondantes 
Itouillonnent  entre  deux  rochers,  et  font  mouvoir  des  moulins,  des  forges,  diverses 
usines,  et  entre  autres  la  belle  papeterie  de  M.  Erhard  Borel,  l'un  des  principaux  éta- 
blissements de  la  Suisse  pour  ce  genre  d'industrie.  C'est  à  Serrières  que  fut  imprimée, 
en  4535,  la  Bible  protestante  en  français,  dite  la  Bible  de  Robert  Olivetan.  Le  Nou- 
veau Testament  y  avait  déjà  été  imprimé  en  4532. 

De  là  on  arrive  à  Auvernier,  grand  village,  où  le  lac  forme  une  belle  baie;  les  vins 
blailcs  de  ses  environs  passent  pour  les  meilleurs  du  pays.  Au-dessus  de  la  route  sont 
Feseux,  Corcelles  et  Cormondrèche ,  entourés  aussi  de  riches  vignobles,  mais  qui 
dominent  moins  exclusivement,  et  se  mêlent  avec  les  champs  et  les  pâturages  au- 
dessous  des  bois.  On  arrive  ensuite  au  beau  village  de  Colom- 
bier, qui  offre  de  riants  points  de  vue  et  des  promenades  char- 
mantes, au  milieu  de  belles  allées  d'arbres  qui  aboutissent  au 
lac.  Colombier  était  le  séjour  de  M*"*  de  Charrière  ;  on  voit  sji 
maison  au  bas  du  village.  Le  château  sert  de  caserne  pour  les 
troupes  fédérales  et  cantonales  qui  viennent  chaque  année,  par 
i  détachements,  recevoir  l'instruction  militaire  dans  des  écoles 
'spéciales.  De  Colombier  on  arrive  à  Areuse,  situé  au  bord 
[d'un  cours  d'eau,  qui  forme  de  petites  cascades,  et  à  Boudry, 
^  petite  ville  près  de  la  Reuse,  où  l'on  pêche  d'excellentes  trui- 
^  les.  Après  Boudry  sont  Corlaillod,  où  l'on  recueille  le  meilleur 
vin  rouge  du  pays;  Bevaix,  avec  son  ancienne  abbaye,  l'un  des  plus  antiques  monu- 
ments du  pays;  Saint-Aubin,  où  il  y  a  une  mine  d'asphalte;  Vaumarcus,  avec  son 
château.  C'est  la  limite  du  territoire  neuchâtelois.  Concise,  sur  le  théâtre  de  la 
bataille  de  Grandson,  le  bourg  de  ce  nom,  et  enfin  Yverdon  situés  aussi  sur  le  lac 
de  Neuchâtel,  appartiennent  au  canton  de  Vaud.  Des  bateaux  à  vapeur  font  chaque 
jour  le  trajet  de  Neuchâtel  à  Yverdon,  en  s'arrêtant  aux  ports  de  Cortaillod,  Saint- 
Aubin  et  Concise.  Les  mêmes  bateaux  vont  aussi,  durant  l'été,  à  Nidau,  à  Bienne,  et 
jusqu'à  Soleure. 

Le  Val  de  Travers.  —  Du  village  agricole  de  Rocheforl,  qui  domine  Boudry  et 
le  vignoble  de  la  Côte,  on  entre  dans  le  Val  de  Travers,  qui  doit  surtout  la  beauté 
de  son  site  à  la  rivière  de  la  Reuse,  qui  le  traverse  dans  toute  sa  longueur.  Au-delà 


55C  LA    SriSSE    PITTORESQUE. 


d(*s  rocliers  de  la  (IluzeUe,  sur  le  flanc  desquels  une  roule  hardie  a  élé  pratiquée,  ou 
trouve  le  hameau  do  Brol,  el  l'on  voit  dans  le  fond  le  village  de  Noiraigue,  sur  le 
ruisseau  de  ce  nom,  où  il  y  a  des  forges  el  des  charbonnières.  De  Noiraigue  on  va  à 
Rosière,  ancienne  seigneurie  :  un  quarl  de  lieue  ;  de  I&  h  Travers,  village  considé- 
rable :  un  quarl  de  lieue  ;  puis  à  Couvel,  plus  beau  el  plus  considérable  encore,  où 
Ton  fabrique  de  Texlrail  dabsinlhe  :  un  quarl  de  lieue;  de  Couvel  à  Moliers,  un 
demi-quarl  de  lieue. 

Moîins,  ancien  prieuré,  esl  le  plus  antique  village  du  Val  de  Travers.  On  y  voil 
encore  le  vieux  château  féodal,  sur  un  roc  escarpé,  qui  avait  élé  converti  en  une  prison, 
aujounrhui  hors  d'usage.  De  ce  manoir,  on  domine  tout  le  vallon,  el  Ton  voit  des 
(*<)nstructions  aussi  élégantes  que  celles  de  grandes  villes,  alternanl  avec  des  habi- 
tations rurales.  Tout  annonce  que  dans  cette  conlrée  ragricullure  et  l'induslrie 
sont  émules.  Depuis  quelques  années,  la  première  cède  décidément  la  place  à  la 
seconde  ;  la  charrue  el  le  ràteau  sont  de  plus  en  plus  abandonnés  pour  la  lime  et  le 
fuseau.  L'horlogerie  du  Val  de  Travers  suit  de  très-près  celle  des  montagnes,  el  la 
devance  dans  certains  cas.  Moliers  est  célèbre  par  la  résidence  qu'y  fit  J.-J.  Rous- 
seau ;  c'est  là  qu'il  écrivit  les  Lettres  de  la  Montagne,  et  qu'il  soutint  avec  le  ministre 
Montmollin,  pasteur  de  Tcndroit,  une  polémique  devenue  fameuse.  La  maison  quba- 
hita  le  philosophe,  el  où  l'on  montrait  sa  chambre  aux  voyageurs,  a  changé  d'aspect 
par  suite  de  reconstruction.  Près  du  village,  au  midi,  se  précipite  une  cascade,  au 
pied  de  laquelle  on  trouve  rentrée  d'une  grotte  qui  pénètre  à  plus  d'un  quart  de 
lieue  dans  l'intérieur  de  la  montagne. 

De  Moliers,  après  un  tiers  d'heure  de  marche,  on  arrive  à  Fleurier,  très-beau 
village,  où  l'on  voil  des  maisons  d'une  extrême  élégance,  et  où  Ton  fabrique  beau- 
coup d'horlogerie,  qui  s'exporte  en  Chine  el  dans  d'autres  pays  d'outre-mer.  De  là 
on  va  à  St.-Sulpice,  où  Ton  voit  la  source  de  la  Reuse,  qui  sort  en  cinq  bras  d'une 
montagne  escarpée,  el  qui  met  déjà  plusieurs  usines  en  mouvement.  A  peu  de  dis- 
tance est  un  défilé  formé  par  deux  rochers,  à  l'un  desquels  esl  encore  suspendu  un 
l)oul  de  grosse  chaîne,  qui,  scellée  dans  le  roc,  servait  à  fermer  le  vallon.  C'est  à  tort 
qu'on  dit  qu'elle  fut  placée  là  pour  arrêter  le  passage  de  Charles-le-Hardi  dans  les 
guerres  de  Bourgogne.  Après  ce  défilé,  on  voit  dans  les  rochers  un  enfoncement  connu 
sous  le  nom  de  Comife  à  la  Vnira  ou  à  la  Vuhra,  appelée  ainsi  en  patois,  à  cause 
d'un  dragon  ou  serpent  fabuleux  qui  faisait  la  désolation  de  la  vallée,  et  qui  fui  tué, 
dit-on,  par  un  habitant  nommé  Sulpy  Raymond.  Plus  loin,  sur  le  sommet  du  Jura, 
un  torrent  se  précipite  dans  une  gorge,  au  haut  de  laquelle  on  a  construit  le  mouhn 
de  la  Roche.  Près  de  là  esl  une  glacière  naturelle.  En  suivant  le  fond  de  la  vallée, 
par  deux  routes  nouvellement  construites,  on  arrive  d'une  pari  aux  Verrières,  vil- 
lage limitrophe  de  la  France,  qui  fait  un  commerce  considérable  de  transit  el  de 
(commission,  et  de  l'autre  à  Buttes,  dernier  village  neuchàtelois,  d'où  sortent  de 
nombreux  maçons,  tailleurs  de  pierres,  entrepreneurs  et  architectes.  De  Bulles  on 
suit  la  roule  pittoresque  de  Longeaigue,  dans  une  conlrée  extrêmement  pittoresque 
el  sauvage,  qui  rappelle  en  petit  le  passage  de  la  Têle-Noire  à  Chamonix,  el  Ton 
arrive  au  village  populeux  de  Sainte-Croix  dans  le  canton  de  Vaud. 

Le  Val  de  Ruz.  —  Celte  vallée,  qui  faisait  jadis  partie  du  comté  de  Valangin,  el 
qui  est  restée  plus  agricole  que  les  autres  portions  de  ce  même  comté,  forme  dans 


LA   SUISSE    PITTORESQUE.  S37 


son  genre  un  charmant  paysage,  qui  s'élend  dans  une  longueur  de  quatre  lieues,  de 
Neucbàtel  au  pied  du  Chasserai.  Sa  largeur  est  d'une  lieue,  et  il  est  traversé  par  le 
Seyon.  Il  renferme  24  villages,  dont  les  principaux  sont  EngoUon,  Fenin,  Dombres- 
son,  le  Grand  et  le  Petit  Savagnier,  Villiers,  Pasquier,  St. -Martin,  le  Grand  et  le 
Petit  Chezard,  Fontaine,  Cernier,  Hauts-Geneveys,  Fontainemelon  (fabrique  d'ébau- 
ches de  montres),  Boudevillier,  Goflfrane,  Geneveys  sur  Coffrane,  et  Montmollin.  Les 
points  les  plus  avantageux  pour  découvrir  l'ensemble  de  ces  villages,  sont  au-dessus 
de  Fenin  et  à  l'auberge  des  Hauts-Geneveys,  sur  la  route  de  la  Chaux-de-Fonds.  On 
contemple  le  lac  et  les  Alpes  dans  l'éloignement.  Les  toits  couverts  en  bois  décèlent 
encore,  par-ci  par-là,  quel  était  l'aspect  du  pays  avant  que  l'industrie  vint  lui  faire 
revêtir  une  nouvelle  face.  La  route  de  Neucbàtel  à  la  Chaux-de-Fonds,  par  Valangin, 
traverse  le  Val  de  Ruz,  et  passe  à  Boudevillier,  la  Jonchère  et  les  Hauts-Geneveys. 
Au  commencement  du  siècle,  un  courrier  à  cheval  portait  deux  fois  la  semaine  les 
lettres  de  Neucbàtel  à  la  Chaux-de-Fonds.  Aujourd'hui  une  dizaine  de  diligences  et 
d'omnibus  parcourent  journellement  cette  route.  Encore,  ces  voies  de  communication 
ne  sont-elles  pas  jugées  suffisantes,  puisqu'on  presse  l'exécution  d'un  chemin  de  fer 
qui  traverserait  le  Val  de  Ruz  au  moyen  de  deux  tunnels  que  l'on  pratiquerait  dans 
deux  montagnes.  Sur  la  hauteur,  avant  d'arriver  à  la  Chaux-de-Fonds,  on  trouve  un 
hôtel  appelé  la  Vue  des  Alpes,  qui  mérite  son  nom  par  l'étendue  et  la  beauté  de  l'as- 
pect que  présente  de  là  cette  vaste  chaîne  de  montagnes.  De  cet  hôtel  on  arrive 
rapidement  à  la  Chaux-de-Fonds  par  une  pente  douce. 

Montagnes.  —  Les  montagnes  du  Jura  neuchàtelois  ne  sont  pas  moins  connues 
|mr  ràpreté  de  leur  climat  que  par  leur  active  industrie.  C'est  même  en  grande 
partie  cette  rigueur  de  la  température  qui  retient  les  industriels  dans  ces  localités. 
Privés  parfois  de  communications  avec  le  dehors,  de  moyens  de  distractions,  d'occa- 
sions de  se  dissiper  et  de  perdre  leur  temps,  ils  restent  entièrement  absorbés  dans 
leur  ouvrage,  et  toutes  leurs  facultés  intellectuelles  se  concentrent  dans  le  travail  de 
l'établi.  Le  ciel  de  ces  vallées  est  souvent  nébuleux.  Dans  celle  de  la  Chaux-de-Fonds, 
on  compte  en  moyenne  230  jours  de  pluie,  de  neige  ou  de  nuages,  et  43K  jours  à 
ciel  pur,  principalement  en  hiver  et  en  automne.  Il  ne  tombe  pas  cependant  une 
très-grande  quantité  d'eau  ;  celle  de. pluie  et  de  neige,  tombée  dans  le  courant  de 
i854,  a  été  de  1,300  millimètres.  Le  nombre  des  orages  est  très-restreint  ;  on  n'en 
compte  guère  que  dix  ou  douze  par  an.  Les  pluies,  presque  permanentes  dans  la  bonne 
saison,  donnent  à  ces  montagnes  un  aspect  sombre  et  triste  ;  les  édifices  saturés  d'eau 
revêtent  une  teinte  grisâtre  particulière,  ce  qui  ne  laisse  pas  de  réagir  dans  une  cer- 
taine mesure  sur  l'esprit,  en  lui  imprimant  quelque  chose  d'aigre  et  de  chagrin,  qui 
s'allie  avec  la  causticité  naturelle  à  l'habitant  du  Jura.  Ces  montagnards  sont  plutôt 
l>ortés  à  voir  le  côté  désobligeant  que  le  côté  obligeant  des  choses.  Leurs  plaisanteries 
ont  parfois  quelque  chose  de  spirituel  et  d'amer.  Mais  si  ces  pluies  assombrissent  la 
nature  entière,  en  revanche,  elles  fertilisent  convenablement  un  sol  qui,  sans  elles, 
serait  improductif;  car,  à  part  certains  terrains  tertiaires,  composés  de  couches  meu- 
bles, les  couches  de  terre  végétale  n'ont  qu'une  très-faible  épaisseur.  Enfin  ces  pluies 
contribuent  à  entretenir  dans  une  fraîcheur  perpétuelle  ce  tapis  de  verdure  qui  con- 
traste si  agréablement  avec  les  noirs  sapins  et  donne  au  Jura  un  as|)ect  particulier. 
Les  hivers  sont  longs  et  rigoureux,  mais  plutôt  secs  qu'humides.  La  neige  couvre  le 

II.  32.  68 


S38  LA    SlISSB   PITTOHeSQrE. 


sol  dès  le  mois  de  novembre  au  mois  d*avril.  Quand  ce  sol  est  couvert  de  neige,  on 
remarque  souvent  des  variations  extn^mes  dans  la  température.  Le  thermomètre 
s*élève  dans  le  jour  à  —  0°,  jxiur  retomber  après  le  coucher  du  soleil  à  —  2**,  el 
dans  la  nuit  à — i^.  De  même,  en  été  le  thermomètre  s'élève  quelquefois  à  i6  degrés. 
|)our  retomber  à  3  degrés  dans  la  nuit.  Quand  le  thermomètre  tombe  aussi  subite 
ment  à  —  ii**,  Tair  se  transforme  en  cristaux  de  glace,  et  la  neige  même  se  sature 
de  froid  k  une  assez  grande  profondeur.  Les  nuits  d'hiver  sont  splendides.  La  tran;^ 
imrence  de  Tatmcisphère  est  parfaite;  le  ciel,  d'un  noir  profond,  est  parsemé  d'étc)ile> 
scintillantes;  les  cristaux  de  neige  rayonnent  vers  la  voûte  descieux;  rillumination 
des  ateliers  iiarait  répondre  à  celle  des  régions  éthérées.  L'habitant  de  la  valléi' 
lutte  avec  persévérance  contre  l'action  des  vents  humides  du  sud-ouest,  qui  désagrè 
gent  les  pierres  des  maisons  et  détériorent  les  bâtiments.  L'architecture  doit  être 
naturellement  simple  et  uniforme  sous  un  tel  climat.  La  neige  qui  tomt)e  par  une 
température  d' un  ou  deux  degrés  centigrades,  présente,  lorsqu'elle  atteint  la  hauteur^* 
deux  pieds  et  plus,  une  belle  teinte  azurée.  Cette  teinte  n'est  pas  un  effet  du  firma 
ment,  puisqu'elle  se  montre  surtout  lorsque  le  ciel  est  couvert.  La  fréquence  des  gelée» 
rend  impossibles  certaines  cultures,  surtout  celle  du  froment.  Des  neiges  hâtives 
ruinent  trop  souvent  les  espérances  du  cultivateur.  La  pomme  de  terre  est  généra- 
lement cultivée,  mais  elle  n'est  pas  abondante. 

La  Chai'x-de-Fonds.  —  La  vallée  où  est  situé  ce  grand  centre  de  population  esl 
l'une  des  plus  élevées  du  Jura.  Sa  hauteur  est  de  997  mètres,  et  c'est  l'un  des  cli 
mats  les  plus  sévères  de  cette  chaîne  de  montagnes.  Sa  température  moyenne  est  de 
S, 73  degrés  centigrades.  Le  village  de  la  Chaux-de-Fonds  et  ses  environs  immédiats 
comptent  plus  de  15,000  âmes  de  population.  Â  la  fin  du  4S*  siècle,  il  ne  se  coropo 
sait  que  de  quelques  maisons,  dans  lesquelles  cinq  familles  seulement  étaient  réunies 
autour  d'une  chapelle  de  Saint-Hubert,  rendez- vous  de  chasse,  que  le  seigneur  de 
Valangin  possédait  dans  la  vallée,  encore  couverte  de  forêts.  Après  le  grand  incendie 
qui,  en  1794,  détruisit  une  partie  de  laChaux-de-Fonds,  celte  commune  comptait  déjà 
4392  habitants.  La  population  dut  s'imposer  d'immenses  sacrifices  pour  reconstruire 
les  édifices  publics,  les  collèges,  les  églises  et  les  hospices,  et  encore  aujourd'hui,  tous 
ces  bâtiments  ne  sont  plus  en  harmonie  avec  le  développement  inouï  que  la  Cbaux-de 
Fonds  a  pris  depuis  trente  ans,  et  dont  on  ne  retrouve  l'analogie  que  dans  certaines 
localités  des  Etats-Unis  d'Amérique.  Le  voyageur  qui  quitte  les  autres  parties  de  la 
Suisse,  où  les  maisons  sont  en  général  peu  élevées  et  les  croisées  fort  basses,  est  surpris 
de  trouver  â  la  Ghaux-de-Fonds  des  maisons  de  cinq  et  six  étages,  à  croisées  hautes, 
et  dont  l'architecture  est  assez  uniforme.  Chaque  année  il  se  construit  une  certaine 
quantité  de  ces  grands  bâtiments,  contenant  quelquefois  vingt  ou  trente  appartements, 
qui  sont  tous  retenus  et  loués  avant  que  les  murs  aient  atteint  leur  hauteur  et  que 
la  maison  soit  couverte.  Les  rues  modernes  sont  larges,  droites  et  bien  pavées;  elles 
aboutissent  à  une  assez  belle  place,  sur  laquelle  est  l'hôtel-de-ville.  Non  loin  de  là 
est  l'église,  avec  un  clocher  en  forme  de  coupole.  L'hôtel-des-postes  est  spacieux. 
La  principale  auberge  est  la  Fleur-de-Lis.  Il  y  en  a  beaucoup  d'autres,  ainsi  que  des 
cercles  et  des  cafés.  On  visite  les  comptoirs  des  principaux  fabricants  d'horlogerie, 
pour  avoir  une  idée  des  différentes  os|)èces  de  montres  expédiées  dans  tous  les  pays 
du  globe ,  et  certaines  pièces  de  mécanique  construites  par  d'habiles  ouvriers  de  la 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  539 


localité.  Les  deux  Jaquet-Droz,  J.-P.  Droz,  F.  Ducommun,  et  nombre  d'autres 
artistes ,  ont  acquis  une  réputation  méritée. 

Le  Locle.  —  Ce  grand  village  émule  de  la  Chaux-de-Fonds,  sans  être  toutefois 
aussi  peuplé,  en  est  éloigné  de  deux  petites  lieues,  dans  une  haute  vallée,  à  peu  près 
dépourvue  d'arbres.  Les  Eplatures  et  le  Crét  du  Locle ,  groupes  d'babitalions  semées 
le  long  de  la  route,  contribuent  à  unir  les  deux  grands  centres  industriels  des  Mon- 
tagnes. La  vallée  du  Locle  est  parcourue  par  le  Bied ,  dont  les  eaux  n'ont  d'autre 
(écoulement  qu'à  travers  les  crevasses  des  rochers.  La  température  y  est  à  peu  près 
la  même  que  dans  la  vallée  de  la  Chaux-de-Fonds.  Le  Locle  est,  comme  la  Chaux-de- 
Fonds,  enrichi  par  les  nombreuses  fabriques  d'horlogerie  et  l'industrie  remarquable 
des  habitants,  qui  sont  peut-être  un  peu  moins  mélangés  d'éléments  exotiques,  bien 
que  la  nuance  s'affaiblisse  tous  les  jours.  Hommes,  femmes,  enfants,  travaillent  en 
or  et  autres  métaux,  en  bois,  en  écaille,  en  émail,  en  ivoire,  en  verre,  et  fabriquent 
tout  ce  qui  est  nécessaire  à  l'industrie  si  compliquée  des  montres  et  des  pendules. 
Dans  les  vallées  voisines,  l'industrie  des  dentelles  se  joint  à  celle  de  l'horlogerie. 

Près  du  Locle,  on  montre  aux  voyageurs  les  moulins  souterrains  des  Roches,  situés 
verticalement  les  uns  au-dessous  des  autres,  à  cent  pieds  de  profondeur,  dans  des  caver- 
nes creusées  par  les  eaux  du  Bied,  qui  s'échappent  par  des  crevasses.  On  descend  dans 
cet  abime  à  la  clarté  d'une  lampe,  pour  admirer  ce  chef-d'œuvre  de  l'habileté  des  con- 
structeurs, les  frères  Robert.  Près  de  là,  on  voit  la  Roche  fmdm,  par  où  les  monta- 
gnards voulaient  pratiquer  une  route  pour  communiquer  en  droite  ligne  avec  la  Fran- 
che-Comté ,  que  l'on  aperçoit  à  travers  cette  ouverture.  Cette  échappée  de  vue  est  d'un 
effet  singulier.  L'exubérance  des  eaux ,  qui  réduisait  en  marais  fangeux  la  prairie 
entre  le  Locle  et  les  moulins  des  Roches,  a  été  évacuée  par  une  trouée  de  mille  pieds, 
creusée  dans  le  roc  vif.  Le  directeur  de  cet  ouvrage  a  été  M.  Huguenin ,  lieutenant 
delajustice  du  Locle.  —  Par  une  suite  de  petites  vallées,  on  arrive  aux  Brenets,  char- 
mant village  que  le  Doubs  sépare  de  la  Franche-Comté.  Ici  la  rivière  e^  l'aspect  d'un 
lac.  Elle  remplit  au-dessous  des  Brenets  plusieurs  bassins  formés  par  des  parois  de 
rochers  à  pic  de  plus  de  1000  pieds  d'élévation,  jusqu'à  l'endroit  où  elle  fait  une 
chute  de  80  pieds  (le  Saut  du  Doubs). 

Des  Brenets  il  faut  revenir  sur  ses  pas  pour  se  rendre  dans  la  vallée  tourbeuse  de 
la  Sagne,  qui  a  quatre  lieues  de  longueur,  et  qui  est  resserrée  entre  deux  lignes  de 
montagnes  couvertes  de  bois.  La  Sagne  ne  forme  pas  un  seul  centre  de  population; 
c'est  plutôt  une  grande  ligne  de  maisons,  semées  tout  le  long']de  la  vallée,  à  de  petites 
distances  les  unes  des  autres.  Les  habitants,  moins  nombreux  que  ceux  du  Locle  et 
de  la  Chaux-de-Fonds,  travaillent  aussi  à  l'horlogerie.  C'est  là  qu'a  pris  naissance 
Daniel-Jean  Richard,  le  père  de  l'horlogerie  dans  ces  montagnes.  De  cette  grande 
vallée  tourbeuse  on  arrive  aux  Ponts,  village  dont  les  habitants,  presque  privés  d'a- 
griculture, sont  aussi  occupés  de  l'horlogerie  et  surtout  de  la  fabrique  des  cadrans 
de  montres.  Après  avoir  traversé  la  montagne  qui  forme  la  vallée  du  côté  du  nord, 
on  entre  dans  le  vallon  de  la  Chaux-du-Milieu ,  triste  et  pauvre  contrée ,  qui  touche 
au  territoire  français.  Dans  la  même  direction ,  plus  au  sud,  est  la  Brévine,  dont  les 
eaux  minérales  avaient  autrefois  quelque  renom.  Enfin,  plus  au  midi  encore,  sont 
les  Bayards,  séparés  du  Yal  de  Travers  par  un  chaînon  du  Jura.  Pour  aller  du  Locle 
à  Neuchàtel,  la  route,  d'environ  six  lieues,  passe  par  la  montagne  de  la  Tourne,  près 


S4i  tA    SUSSE   PintmESQl'E. 


Il  forme  la  partie  inférieure  et  méridionale  de  la  vallée  du  Léman,  qui  sépare  le 
Jura  d(^  Alpes,  et  qui  est  bornée  au  nord  par  le  Jorat,  à  Touest  par  la  partie  la  plus 
rlev('*e  et  la  plus  es<*arpt''e  du  Jura,  au  sud  par  le  Vuacheet  le  mont  de  Sion;  àl'esl 
rlle  est  dominée  par  les  llautes-Alpes,  dont  les  vallées  intérieures  donnent  naissana* 
à  des  courants  dVau  qui  viennent  Tarroscr.  La  ville  de  Genève  en  particulier,  el  la 
IMirtie  méridionale  du  canton,  ont  leur  horizon  terminé  au  levant  par  le  mont  Std^rf, 
ilivisé  en  trois  parties  par  des  vallons  transversaux,  dont  le  plus  connu,  comnie  bat 
favori  de  promenade  des  Genevois,  est  le  n'eii.r  de  Monneiier  (Mounti).  Le  Peiit  Sal^f^, 
|iarties4*plentrionale,  n*a  que  896  mètres  de  hauteur;  le  Grand  Salêve,  partie  moyenne, 
atteint  1285  mètres  :  c'est,  du  a^té  de  Genève,  une  paroi  de  rochers  presque  verti- 
cale ;  la  partie  méridionale,  ou  les  Pitons,  haute  de  1382  mètres,  verte  et  boisée,  est 
(^pendant  beaucoup  moins  fréquentée,  vu  son  éloignement. 

Le  sol  genevois  est  une  plaine  accidentée,  ^ur  laquelle  s'élèvent  quelques  éminenees; 
il  va  en  s'abaissant  du  nord-est  au  sud-ouest.  Son  altitude  est  comprise  entre  519 
mètres  au-dessus  de  la  mer  (sommet  des  coteaux),  et  336  mètres,  niveau  du  Rhône 
au  sortir  du  canton. 

Climat.  —  1 .  Temjiérature,  La  température  moyenne  de  Tannée  n'est  guère  que  de 
9  degrés  centigrades.  Ce  chiffre  est  inférieur  d'un  degré  à  celui  que  la  longitude,  la  lati- 
tude et  l'élévation  de  Genève  sembleraient  lui  attribuer.  Loin  d'être  défavorable,  ce 
fait  est  au  contraire  avantageux,  car  Genève  a  moins  froid  en  hiver  et  moins  chaud 
en  été  que  les  villes  situées  dans  les  mêmes  conditions  de  latitude  el  de  hauteur.  U 
s'explique  principalement  par  le  voisinage  immédiat  du  lac,  bassin  d'une  superficto 
de  plus  de  600  kilomètres  carrés,  alimenté  en  été  par  la  fonte  des  glaces  et  des  neiges 
sur  les  hautes  montagnes.  L'afllux  d'eau  froide  est  très-considérable,  puisque  du  mois 
de  mai  à  celui  d'août  le  lac  monte  d'un  mètre  el  demi.  Cette  masse  d'eau  se  réchauffe 
au  détriment  de  la  température  des  rives,  et  occasionne  en  été  une  brise  fraîche  daas 
la  direction  du  nord-nord-est  :  il  en  résulte  un  refroidissement  de  plus  de  deux  degrés 
en  été.  En  hiver,  au  contraire,  la  masse  d'eau  ainsi  réchauffée  conserve  plus  de  chaleur 
que  l'air  ambiant,  et  adoucit  la  température  du  voisinage  du  lac  d'un  degré;  mais 
ce  réchauffement  ne  compensant  pas  le  refroidissement  de  Tété,  il  en  résulte,  en 
dernière  analyse,  l'abaissement  moyen  annuel  d'un  degré,  dont  nous  avons  parlé. 

En  été  le  thermomètre  monte,  année  moyenne,  à  33  degrés  centigrades;  en  hiver 
il  descend,  de  même,  à  — 14  degrés.  (Il  faut  déduire  de  ces  chiffres  un  cinquième, 
si  l'on  veut  avoir  des  degrés  selon  Réaumur,  au  lieu  de  ceux  de  l'échelle  centési- 
male). —  Il  y  a  en  moyenne  94  jours  par  an  où  la  température  s'abaisse  au-dessous 
de  zéro,  et  23  où  elle  ne  s'élève  pas  au-dessus  de  ce  point. 

!2.  Vents.  Les  vents  qui  soufflent  dans  la  direction  même  de  notre  vallée,  c'esl- 
à-dire  du  nord-est  au  sud-ouest,  ont  une  très-grande  prédominance  sur  les  autres, 
en  fréquence,  intensité,  durée  et  influence  sur  la  température  :  cela  tient  principa- 
lement aux  montagnes  qui  modifient  la  direction  des  vents  et  leur  imposent  la  leur 
propre.  —  On  appelle  le  venl  du  nord  et  nord-est,  bise;  et  celui  du  sud  et  sud-ouesU 
cent  ;  le  vent  d'est  a  reçu  le  nom  de  môlan,  parce  qu'il  soufDe  de  la  vallée  d'Arve 
ou  du  Faucigny,  dans  la  direction  de  la  montagne  du  Môle  ;  enfin  celui  d'ouest  est 
appelé  Jorati^  parce  qu'il  vient  du  mont  Jura. 

La  bise  est  le  plus  fort  et  le  plus  durable  de  nos  vents;  elle  est  le  souffle  dominant 


LA    SUISSE    PITTORESOrK. 


843 


pendant  le  prinlemps,  Télé  et  Taulomne;  mais  le  vent  l'emporle  un  peu  en  hiver; 
Tatmosphère  est  plus  fréquemment  agitée  au  printemps  et  en  été,  et  plus  fortement 
durant  les  deux  autres  saisons.  Ces  faits  prouvent  qu'au  point  de  vue  des  vents, 
Genève  appartient  au  bassin  méditerranéen. 

3.  Plaie  et  Neige.  La  quantité  de  pluie  et  de  neige  qui  tombe  ù  Genève,  est, 
d'après  la  moyenne  résultant  de  soixante  et  dix  ans  d'observations,  de  84  centi- 
mètres (2  pieds  7  pouces) .  Le  nombre  des  jours  de  pluie  est  de  H  8  par  an .  Mais  il  y 
a  d'une  année  à  Tautre  de  très-grandes  diflérences  :  ainsi,  1822  n'a  donné  que  435 
millimètres  d'eau;  1841  en  a  produit  1257  :  différence  du  simple  au  triple.  En  1825 
on  n'a  compté  que  76  jours  de  pluie;  en  1799,  1 59  :  différence  du  simple  au  double. 
Il  n'y  a  pas  à  ce  sujet  des  alternatives  d'année  en  année,  mais  plutôt  des  séries  d'un 
certain  nombre  d'années  consécutives,  tantôt  sèches,  tantôt  pluvieuses.  —  A  Genève, 
comme  dans  tout  le  bassin  du  Rhône,  les  pluies  d'automne  prédominent  sur  celles 
d'été,  qui  elles-mêmes  sont  plus  considérables  que  celles  du  printemps  ;  l'hiver  est  la 
saison  où  il  en  tombe  le  moins. 

HYDROGRApmE.  —  1.  Le  Lw.  Le  Ciinton  de  Genève  borde  les  rives  méridionales  et 
occidentales  de  ce  lac,  le  plus  grand  de  ceux  de  l'Europe  centrale,  dont  César  parle 
le  premier  sous  le  nom  de  Léman,  et  qu'un  usage  assez  général  appelle  Lac  de  Genève, 
du  nom  de  la  principale  des  villes  dont  il  baigne  les  murs. 


Le  lac  de  Genève 


Le  niveau  moyen  de  ses  eaux  est  à  375  mètres  (1154  pieds)  de  hauteur  au-dessus 
de  la  mer. 

Le  lac  de  Genève  est  alimenté  par  des  affluents  de  deux  natures  différentes.  Les 
uns  lui  fournissent  de  l'eau  pendant  toute  l'année,  et  dérivent  des  plaines  et  des 
montagnes  voisines  peu  élevées;  les  autres,  qui,  pendant  quelques  mois  d'été,  amè- 
nent le  produit  de  la  fonte  des  neiges  accumulées  en  hiver  sur  les  montagnes  élevées. 
—  Durant  les  sept  mois  d'octobre  à  avril,  le  lac,  ne  recevant  que  le  tribut  de  ses 
afQuents  permanents  ou  inférieurs,  s'élève  ou  s'abaisse  proportionnellement  à  la 
quantité  d'eau  plus  ou  moins  grande  qui  tombe  dans  la  basse  région  ;  il  est  alors  à 


Hhh  LA   Sl'ISSE   PITT(mESK)lE. 


s<m  niveau  normal  ;  aussi,  sa  hauteur  moyenne  se  trouve-t-elie  à  la  fin  d'avril  el  au 
c*ommenccment  d'octobre.  — Il  en  est  autrement  pendant  les  cinq  mois  de  mai  à 
septembre  :  alors  la  neige  fond  sur  les  hautes  cimes,  et  ie  lac  reçoit  pendant  ce  tem|)s 
la  quantité  considérable  d'eau  tombée  en  neige  pendant  la  plus  grande  partie  de 
Tannée  sur  les  montagnes  élevées,  qui  ont  leur  écoulement  dans  le  Rhône.  La  crue 
des  eaux  pendant  Tété  est  donc  indépendante  des  c^iuses  hydrométéoriques  qui  s'ob- 
servent, pendant  ce  temps,  dans  ses  environs  ;  elle  leur  est  même  opposée  :  une  ctui- 
leur  sèche,  accélérant  la  fonte  des  hautes  neiges,  amène  une  crue  rapide  ;  un  temp^ 
pluvieux,  et  par  conséquent  refroidi,  la  ralentit,  si  même  il  ne  produit  de  la  baisse: 
en  eflet,  les  affluents  inférieurs  ne  jouent  en  été  qu'un  rôle  insignifiant  comparati- 
vement à  celui  des  affluents  supérieurs,  qui  doivent  leur  origine  à  la  fonte  des  neiges. 

liCs  eaux  du  lac  sont  à  leur  minimum  de  hauteur  en  mars;  à  dater  de  oe  moment, 
elles  s'élèvent  ;  la  crue,  commencée  en  avril  et  encore  légère  en  mai,  devient  pro- 
noncée en  juin  et  surtout  en  juillet.  Elle  est  à  son  maximum  en  août,  baisse  lente- 
ment en  septembre,  et  d'une  manière  plus  prononcée  en  automne,  pour  revenir  à 
son  minimum  à  la  fin  de  l'hiver.  La  différence  annuelle  entre  les  hautes  et  les  basses 
eaux,  est  en  moyenne  de  mètre  1,84  (5  pieds  8  pouces). 

Dans  la  partie  du  lac  la  plus  rapprochée  de  Genève,  le  fond  est  relevé  par  un 
grand  banc  de  terre  glaise  ou  marne,  nommé  banc  du  Trarets,  qui  s'étend  d'un  bord 
à  l'autre,  et  gène  la  navigation  pendant  les  basses  eaux,  car  alors  la  passe  navigable 
ne  tire  guère  qu'un  mètre  et  demi  d'eau  [k  pieds  8  pouces).  —  Au-delà  de  ce  banc, 
la  profondeur  s'accroU  rapidement  ;  cependant  les  eaux  genevoises  ne  dépassent  pas 
SO  à  70  mètres  de  profondeur,  tandis  que  près  des  rives  escarpées  de  la  Savoie  elle 
atteint  300  mètres  (464  brasses  anglaises,  900  à  950  pieds). 

A  de  grandes  profondeurs,  le  lac  conserve  toute  l'année  la  même  température, 
six  degrés  centigrades.  Sa  surface  ne  gèle  jamais;  seulement  on  a  vu,  quand  il 
régnait  à  la  fois  un  froid  vif  et  une  forte  bise,  des  glaçons  formés  sur  les  bords,  déta- 
chés et  poussés  par  le  vent ,  se  réunir  pressés  vers  l'étroite  issue  du  lac  à  Genève, 
là  où  était  naguère  une  ligne  de  pieux  servant  d'enceinte  à  la  ville ,  s'agglomérer 
les  uns  avec  les  autres,  et  former  ainsi  une  surface  solide  sur  laquelle  on  peut,  pen- 
dant quelques  heures,  ou  au  plus  quelques  jours,  traverser  d'une  rive  à  l'autre.  Ce 
phénomène  s'est  vu  trois  fois  dans  ce  siècle,  en  1810,  1830  et  18S&,  et  d'une  ma- 
nière marquée  lors  des  deux  grands  hivers  du  siècle  passé,  en  1709  et  1789. 

L'eau  du  lac,  parfaitement  transparente,  est  aussi  voisine  que  possible  de  la  pureté 
absolue,  puisque,  évaporée,  elle  ne  laisse  qu'un  résidu  de  sels  terreux  de  V«om^^ 
son  poids. 

2.  Le  Rhône.  —  Ce  grand  fleuve,  connu  des  Grecs  sous  le  nom  de  Pe^avo;,  prend 
sa  source  dans  les  glaciers  du  Mont-Furca ,  travei-se  le  Yallais  entre  les  deux  plus 
hautes  chaînes  des  Alpes  suisses,  se  jette  dans  le  lac  entre  Villeneuve  (canton  de 
Vaud)  et  le  Bouveret  (canton  du.  Yallais),  el  y  dépose  le  sable  qu'il  entraînait  a vet* 
lui.  Il  se  confond  complètement  dans  la  masse  du  lac,  contrairement  à  la  fable  accré- 
ditée dans  l'antiquité,  d'après  laquelle  il  l'aurait  traversé  avec  tant  d'impulsion, 
qu'il  n'aurait  pas  mêlé  ses  eaux  avec  celles  du  Léman.  Il  en  ressort  à  Genève,  par- 
faitement limpide,  avec  une  vitesse  moyenne  de  mètre  1,24  (3  pieds  10  pouces) 
par  seconde,  et  plus  considérable  qu'à  son  entrée ,  puisqu'il  s'est  grossi  du  tribut 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  K4S 

des  eaux  des  autres  affluents  du  lac,  dont  cependant  aucun  n*est  bien  considé- 
rable. 

La  largeur  du  fleuve,  à  son  issue  au  pont  des  Bergms,  à  Genève,  est  de  195  mè- 
très  (600  pieds).  Un  peu  plus  bas,  dans  la  ville,  il  est  momentanément  partagé  en 
deux  bras  par  une  lie,  longue  de  21 S  mètres.  Au-delà,  il  coule  entre  le  coteau  abrupte 
de  Saint-Jean  (hauteur,  34  mètres)  et  les  terrains  plats  et  d'alluvion  des  jardins  de 
Plainpalais.  Un  kilomètre  et  demi  plus  loin,  il  reçoit  sur  son  flanc  gauche  la  rivière 
d'Ârve,  dont  les  eaux  troubles  altèrent  sa  limpidité.  De  là,  il  est  généralement  en- 
caissé sur  ses  deux  rives. 

Pendant  les  premières  lieues  de  son  cours ,  au  sortir  de  Genève ,  le  Rhône  est  navi- 
gable, mais  on  ne  l'utilise  pas  dans  ce  but ,  à  cause  de  l'obstacle  absolu  qu'apportent 
à  la  navigation ,  un  peu  en  aval  du  territoire  genevois ,  son  cours  resserré  entre  des 
rochers ,  pendant  plusieurs  lieues ,  depuis  le  fort  de  l'Ecluse ,  et  surtout  la  fameuse 
pef^ie  du  Rhône, 

3.  LAfDe.  —  Cette  rivière  torrentueuse  et  innavigable  prend  sa  source  dans 
les  Alpes  qui  dominent  la  vallée  de  Chamonix ,  en  Savoie ,  descend  la  vallée  princi- 
pale du  Faucigny,  passe  au  pied  septentrional  du  Petit- Salève,  arrive  au  sud  de 
Genève,  dont  elle  n'est  plus,  à  Garouge,  distante  que  d'un  quart  de  lieue,  et  va  un 
peu  plus  loin  se  jeter  dans  le  Rhône,  après  un  cours  de  103  kilomètres.  C'est  pour 
celui-ci  un  affluent  considérable,  car  on  a  calculé  que  dans  les  hautes  eaux  (qui  ont 
lieu  en  été  pour  TArve,  comme  pour  toutes  les  rivières  qui  écoulent  les  eaux  des 
hautes  cimes  neigeuses),  le  produit  était  de  9,208,958  mètres  cubes  dans  les  24  heures. 
Ses  eaux,  grises,  charient  du  sable  et  des  pierres,  comme  toutes  celles  qui  sortent 
des  glaciers  ;  mais  elles  sont  très-pures  une  fois  que  le  repos  les  a  débarrassées  de 
ce  sédiment.  Ne  mettant  que  18  à  20  heures  pour  venir,  des  glaciers  où  elles 
prennent  leur  source,  jusqu'auprès  de  Genève,  elles  y  arrivent,  en  été,  à  11  ou 
12  degrés  centigrades,  c'est-à-dire  fort  au-dessous  de  la  température  de  l'air  ambiant. 

De  plus,  TArve  ayant  une  forte  pente  (environ  2  '^!^Q  millim.  par  mètre)  et  une 
grande  vitesse  (de  1  met.  60  à  3  met.  par  seconde),  ces  deux  qualités  de  froidure  et 
de  rapidité  réunies  rendent  ses  eaux  particulièrement  propres  à  des  bains  froids  et 
toniques.  Aussi  les  utilise-t-on  beaucoup  dans  ce  but  ;  elles  sont  précieuses  pour  le 
rachitisme,  les  maladies  de  l'appareil  digestif,  celles  des  voies  inférieures,  certaines 
affections  nerveuses,  rhumatismales,  cutanées,  et  généralement  pour  combattre  la 
débilité,  redonner  de  l'appétit,  de  l'agilité,  accroître  la  force  musculaire,  et  faire 
éprouver  un  sentiment  de  bien-être.  Ces  bains,  pour  lesquels  des  établissements  ont 
élé  créés  à  Plainpalais,  banlieue  de  Genève,  ont  lieu  principalement  par  immersion  : 
on  ne  peut  guère  les  supporter  plus  de  deux  minules  de  suite. 

Histoire  naturelle.  —  L'histoire  naturelle  genevoise  ne  doit  pas  se  borner  aux 
seuls  produits  du  sol  du  canton  de  Genève ,  mais  embrasse  tout  naturellement  ceux  du 
bassin  du  Léman,  y  compris  les  montagnes  qui  le  dominent,  c'est-à-dire  les  animaux, 
les  plantes  et  les  minéraux  qu'on  peut  rencontrer  dans  des  chasses,  herborisations 
ou  courses,  qui  ont  Genève  pour  point  de  départ ,  et  dont  on  peut  atteindre  le  terme 
extrême  dans  une  journée.  Dans  ces  limites ,  les  expositions  et  les  circonstances  phy 
siques  varient  considérablement ,  ce  qui  fait  varier  d'une  manière  correspondante 
les  produits  des  trois  règnes  de  la  nature.  C'est  ainsi  que  les  rochers  échauffés  du 

11.32.  69 


546  LA   SUISSE   PITTORESQUE. 


Salève  abritent  des  êtres  des  régions  méridionales,  tandis  que  sur  les  hautes  cimes 
qui  couronnent  la  vallée  de  l'Ârve,  on  ne  voit  que  les  productions  de  la  nature  alpfêlre 
et  boréale.  Ces  contrastas  brusques  et  extrêmes  donnent  à  notre  faune  et  à  notre 
flore  beaucoup  de  diversité  et  de  richesse. 

Animaux.  —  Mammifères.  Il  ne  peut  y  avoir  de  gros  quadrupèdes  sauvages  dans  un 
pays  peuplé  et  cultivé  comme  le  S(mt  les  environs  de  Genève.  Le  seul  qu'on  y  aper- 
çoive quelquefois  dans  les  hivers  rigoureux,  c*est  le  loup.  Quelques  ours  existent 
encore  dans  le  Jura ,  des  chamois  et  quelques  rares  bouquetins  sur  les  Alpes  qui 
avoisinent  le  Mont-Blanc.  Le  cerf,  le  daim ,  le  sanglier  ont  disparu. 

Oiseaux,  Leur  nombre  est  accru  par  retendue  du  bassin  du  lac,  masse  d*eau  où  ^i 
réfugient  en  hiver  bon  nombre  d'oiseaux  des  mers  du  nord.  On  a  rencontré  en  tout 
307  es|xVes  d'oiseaux  dans  notre  pays  (soit  les  trois  cinquièmes  de  ceux  de  l'Europe 
entière),  dont  213  indigènes,  94  de  passage  plus  ou  moins  accidentel.  Sur  b 
il  3  indigènes,  105  appartiennent  à  la  plaine,  27  aux  montagnes,  4^7  aux  marais 
et  rivages,  Zh  au  lac;  on  en  compte  77  stationnaires,  ou  habitant  le  pays  toute 
l'année,  et  136  de  passage.  Sur  les  94  accidentelles,  35  appartiennent  A  la  plaine, 
h  aux  montagnes,  20  aux  marais  et  rivages,  35  au  lac.  — EnGn,  146  espèces  au 
moins  nichent  au  pays.  —  L*oiseau  dont  la  chasse  est  la  plus  fructueuse,  est  le  grihe 
du  lac  (Podiceps  cristatm)^  dont  le  plumage  épais,  d'un  blanc  pur  et  brillant ,  fournil 
une  fourrure  estimée. 

Poisfums,  Sans  être  remarquablement  poissonneux,  le  lacet  ses  affluents  donnent 
cependant  une  pèche  constante  et  des  poissons  estimés,  quoique  peu  variés  (il  n'y  en  a 
que  21  espèces).  Le  plus  renommé  pour  sa  bonté  et  le  plus  gros  de  tous,  est  la  truite 
(Salmo  Lemanas),  sorte  de  saumon  d'eau  douce,  à  peau  ordinairement  tachetée, à 
corps  ovale-allongé.  La  truite  aflectionne  les  eaux  fraîches  et  très-courantes  :  on  la 
prend  particulièrement  dans  des  nasses,  à  Genève  même,  à  la  fin  de  l'automne  et 
au  commencement  de  Thiver,  lorsqu'elle  remonte  dans  le  lac  après  avoir  frayé.  Les 
pièces  que  l'on  pèche  ainsi  pèsent  en  moyenne  quatre  kilogrammes,  mais  on  en  trouve 
fréquemment  de  onze,  et  il  y  en  a  qui  approchent  de  20  kilogrammes;  leur  plus  grande 
longueur  est  de  1  mètre  08  (40  pouces).  —  Un  autre  poisson  égal  en  bonté  à  la 
truite,  mais  moins  gros  et  moins  abondant,  est  Vombre-checalier  (Salmo  nmblaj.  — 
On  pêche  aussi  des  i)erches  et  des  brochets  excellents.  —  Mais  les  deux  poissons  le? 
plus  répandus,  sont  la  lotte,  et  une  espèce  particulière  au  lac  de  Genève,  la  fera 
(Coretjonmfera),  d'une  chair  très-blanche,  plus  délicate  que  ferme,  d'une  longueur 
de  30  à  50  centimètres,  et  d'un  poids  qui  va  de  demi-kilogramme  à  un,  et  rarement 
»^  deux  kilogrammes.  —  Ces  deux  derniers  poissons  sont  à  bon  marché,  tandis  que 
la  truite  se  vend  au  moins  trois  à  quatre  francs  le  kilogramme  et  souvent  bien 
au-delà. 

Plantcfi,  La  flore  du  bassin  du  Léman  ofi*re,  dans  ses  produits,  la  même  gradation 
successive  et  varice  que  sa  faune.  Dans  la  plaine,  la  vigne  prospère,  le  mûrier  réussit, 
les  végétaux  sont  correspondants  à  la  latitude  de  Genève  (47°  12')  et  à  sa  hauteur 
absolue.  A  mesure  qu'on  gravit  les  gradins  étages  des  montagnes  qui  circonscrivent 
l'horizon,  la  végétation  des  régions  froides  et  élevées  se  présente,  et  l'on  voit  fleurir 
les  plantes  alpestres,  le  rhododendron,  etc.  Les  botanistes  sont  arrivés  ainsi  à  un  total 
d'environ  1200  espèces  de  plantes  phanérogames. 


LA    SUISSE    PITTOBESQUE.  847 


Géologie,  La  plaine  du  canton  de  Genève  est  Tonnée,  sous  le  sol  végétal,  d'une 
double  couche  de  terrain  diluvien  ou  de  transport;  Tune,  supérieure,  par  conséquent 
plus  récente,  ou  déposée  la  dernière  :  c'est  le  diluvium  cataclystiqne  des  géologues; 
l'autre,  inférieure,  c'est  Valluvion  ancienne;  toutes  deux  sont  formées  d'un  mélange 
de  terre,  de  sable  et  de  cailloux  roulés  de  toutes  les  grosseurs  ;  chacune  a  une  épais- 
seur de  IS  à  20  mètres.  A  la  surface,  on  rencontre  dans  quelques  endroits,  des  blocs 
de  rochers,  dont  les  analogues  ne  se  rencontrent  que  fort  au  loin  dans  les  Alpes 
(granit  protogyne,  etc.),  qui  ont  été  déplacés  et  amenés  là  lors  de  l'une  des 
révolutions  du  globe ,  par  une  force  puissante  et  inconnue ,  que  l'on  a  cru  long- 
temps avoir  été  un  grand  courant  d'eau,  et  que  plusieurs  géologues  pensent  mainte- 
nant être  l'action  d'immenses  glaciers  qui  auraient  couvert  le  pays;  on  les  appelle 
blocs  erratiques,  en  raison  de  leur  dispersion  et  de  leur  éloignement  de  leur  base. 

Le  plan  horizontal,  composé  de  ces  deux  couches  diluviennes,  est  comme  percé, 
de  distance  en  distance ,  par  des  coteaux  de  molasse  en  couches  redressées  :  on 
appelle  molasse  un  grès  silicieux,  lié  par  un  ciment  calcaire,  tendre  lorsqu'il  n'a  pas 
été  longtemps  exposé  à  l'air. 

Les  montagnes  voisines  (Jura  et  Salève),  sont  formées  de  terrains  néocomiens, 
superposés  aux  jurassiques  ;  mais  nulle  part  dans  le  canton  de  Genève,  ces  roches 
calcaires  ne  viennent  affleurer  la  surface. 

Les  deux  étages  diluviens  se  voient  à  nu  sur  de  vastes  sections,  sur  le  flanc  des 
falaises  qui  bordent  en  divers  endroits  nos  deux  rivières  ;  telles  sont  les  crases  de 
VArve  et  les  roches  de  Saint-Jean  et  de  Cartignj  ;  ces  dernières  présentent  l'aspect 
pittoresque  de  pyramides  aiguës  et  irrégulières,  et  de  tours  de  forme  bizarre,  qui 
semblent  menacer  ruine  de  tous  côtés,  et  ofi'rent  l'image  de  la  dévastation  et  du 
chaos. 

Population.  —  Le  dernier  recensement,  fait  en  mars  1853,  en  vertu  d'une  loi 
fédérale,  a  donné  les  résultats  suivants  :  il  y  a  dans  le  canton  30,795  hommes, 
33,351  femmes:  en  tout  64,146  habitants.  Elle  s'est  graduellement,  mais  irrégu- 
lièrement accrue  depuis  le  recensement  de  1822,  qui  ne  donnait  que  51,120  habi- 
tants. L'accroissement  a  été  d'un  quart  en  28  ans,  soit  un  cent  dixième  par  an. 

Sur  les  64,146  habitants  du  canton,  il  n'y  a  que  39,756  Genevois;  on  compte 
9141  Suisses  d'autres  cantons,  107  heiimthloses  (gens  sans  patrie),  et  le  nombre 
des  étrangers  proprement  dits,  qui  n'appartiennent  pas  à  la  Suisse,  s'élève  à  15,142 
(23  pour  100). 

On  remarquera  la  forte  disproportion  qui  existe  entre  le  nombre  des  hommes  et 
celui  des  femmes;  sur  100  personnes,  il  n'y  en  a  que  48  du  sexe  masculin,  contre 
52  du  sexe  féminin. 

Cette  anomalie  tient  surtout  à  ce  que  la  population  genevoise  se  recrute  principa- 
lement par  immigrations,  car  l'excédant  des  naissances  sur  les  décès  est  très-peu 
considérable.  Aussi,  les  étrangers  des  contrées  voisines  et  même  des  pays  éloignés, 
abondent  tellement,  que  sur  le  nombre  total  de  ceux  qui  résident  en  Suisse,  près  du 
quart  se  trouve  dans  le  seul  petit  canton  de  Genève.  Ils  y  sont  attirés  par  son  mou- 
vement de  prospérité,  le  taux  assez  élevé  des  salaires,  etc.  La  domesticité  urbaine 
est  en  très-grande  partie  exercée  par  des  femmes,  ce  qui  explique  leur  chifiTre  si 
considérable. 


548  L\   SCISBC   NTTOKISOtE. 


La  population  du  canton  de  Genève  est  d'une  rare  damté,  puisqu'elle  arrive  a 
SI 73  habitants  par  lieue  carrée,  ou  i24  par  kilomètre  carré. 

Nos  64,1 4»6  àmcs  se  répartissent  entre  lS,i75  ftnx  ou  bmilles,  ce  qui  bit  une 
moyenne  de  quatre  et  deux  dixièmes  individus  par  famille. 

Il  y  a,  dans  le  canton,  7088  propriétaires  fonciers,  presque  un  sur  deux  Eunilles. 

Genève  est  un  canton  mixte,  où  le  nombre  des  protestants,  population  exclusive 
de  l'ancienne  République,  dépasse  celui  des  catholiques.  On  compte  eflfectivemeol 
34,2li  prolestants,  29,764  catholiques,  et  170  juifs. 

La  population  du  canton  est  ainsi  distribuée  :  Ville  de  Genève,  31 ,238  :  commune» 
suburbaines  (  Plainpalais,  Eaux-Vives),  5380:  ville  de  Garouge,  4403:  communes 
rurales,  23,125.  Toial  64,146. 

On  voit  donc  :  1*"  Que  Genève  est  la  ville  la  plus  populeuse  de  la  Suisse,  pub 
qu'elle  dépasse  Berne  et  Bàle  de  près  de  4000  âmes. 

2*"  Qu'une  population  à  peu  près  urbaine  de  près  de  10,000  àoies  vient  ^ 
grouper  autour  d'elle,  dans  les  faubourgs  et  dans  la  ville  contiguê  de  Carouge,  sur 
un  rayon  de  demi-lieue,  de  manière  à  former  une  agglomération  de  ki  ,000  Ames. 

3**  Que  la  population  rurale  ne  forme  guère  plus  du  tiers  du  canton  :  encore 
pourrait-on  en  déduire  les  communes  de  Chêne- Bougeries  et  Chéne-Thôneic,  qui 
forment  un  bourg  réuni  de  2416  habitants. 

Si  les  étrangers  aflluent  à  Genève,  les  Genevois  vont  volontiers  aussi  à  Tétranger; 
il  y  en  a  1475  qui  habitent  d'autres  cantons  de  la  Suisse  (principalement  ceux  de 
NeuchAtel  et  de  Berne).  On  a  fait  un  essai  pour  reconnaître  le  nombre  de  ceux  qui 
résident  à  l'étranger;  il  a  donné  1618  personnes;  mais  comme  on  était  dépourvu 
de  moyens  suffisants  pour  bien  faire  un  pareil  recensement,  on  a  dû  rester  bien  au 
dessous  de  la  vérité.  En  prenant  tels  quels  les  chiffres  ci-devant  indiqués,  ils  suffi- 
raient à  prouver  qu'un  Genevois  sur  treize  est  conduit  par  ses  affaires  à  aller  résider 
au  dehors,  avec  ou  sans  esprit  de  retour  ;  on  en  rencontre  en  effet  dans  presque 
tous  les  pays  du  monde. 

Enfin,  quant  à  la  répartition  de  la  population  par  âge,  on^  calculé  que,  parmi 
les  individus  du  sexe  masculin,  on  en  comptait  : 

35  pour  cent  au-dessous  de  19  ans.         10,3  pour  cent  de  50  à  59  ans 
25,5       ))       de  20  à  34  ans.  5,6        »        de  60  à  69    » 

8,0       »       de  35  à  40    »  2,6        »        de  70  à  79    » 

12,3       »       de  41  à  49    »  0,7        »        80  et  au-dessus. 

Ainsi,  la  population  genevoise  n'a  qu'une  proportion  peu  considérable  d'individus 
en  bas-âge,  et  ses  forces  actives  en  sont  d'autant  plus  grandes. 

11  meurt  en  moyenne  un  individu  par  an  sur  49  V',  habitants  du  canton  de 
Genève,  chiffre  mortuaire  remarquablement  faible  en  comparaison  de  ceux  d'autres 
pays.  Aussi,  la  longévité  y  est-elle  notable.  La  vie  moyenne  est  de  41  Vs  aûs(oe 
chiffre  est  un  peu  plus  faible  pour  la  ville,  un  peu  plus  fort  pour  la  campagne).  Des 
registres  mortuaires  qui  remontent  à  trois  siècles,  à  peu  près  sans  interruption,  ont 
permis  de  reconnaître  que  la  longévité  avait  toujours  été  en  augmentant,  depuis 
le  16'  siècle  jusqu'au  19*^.  Tous  les  décès  sont  vérifiés  par  un  homme  de  l'art  avant 
l'inhumation,  et  l'on  constate  autant  que  possible  la  cause  de  la  mort  ;  on  a  réuni 
ainsi  les  éléments  d'une  précieuse  statistique  médicale. 


LA   SI3IS8E   PITTORESQUE.  !(49 


Les  mariages  sonl  remarquablement  peu  féconds  dans  la  ville  de  Genève;  ils  pro- 
duisent &  peine,  Tun  dans  l'autre,  (rois  enfants.  Les  campagnes  élèvent  un  peu  ce 
chiffre,  sans  le  porter  toutefois  jusqu'à  quatre.  Il  y  a  un  enfant  mort-né  sur  vingt- 
trois  naissances. 

Histoire.  —  Genève  [Zéneva  dans  le  vieux  langage  du  pays,  Geneva  des  Latins, 
Gebenna  au  moyen-âge)  fait  sa  première  apparition  dans  l'histoire  écrite  au  temps  de 
César,  S8  ans  avant  Jésus-Christ.  C'était  alors  la  ville  la  plus  septentrionale  du 
puissant  peuple  des  AUobroges,  qui  habitait  des  bords  de  l'Isère  à  ceux  du  Léman, 
et  de  la  rive  gauche  du  Rhône  jusqu'à  la  chaîne  des  Alpes.  Leur  pays  était  alors, 
depuis  soixante-trois  ans  déjà,  compris  dans  cette  vaste  partie  de  la  Gaule  transal- 
pine dont  les  Romains  s'étaient  rendus  maîtres,  et  qu'ils  appelaient  leur  province 
Rome  y  avait  établi  ses  lois  et  même  ses  dieux  ;  car  le  culte  druidique,  dont  nos 
environs  offrent  encore  des  vestiges  debout  dans  la  Pierre  aux  Fées  de  Régny,  et  la 
Pierre  aux  Dames  de  Troinex,  disparut  en  se  confondant  avec  celui  du  peuple  vain- 
queur. Lorsque  la  Gaule  tout  entière,  conquise  par  les  armes  romaines,  fut  partagée 
en  dix-sept  provinces,  Genève  devint  le  chef-lieu  de  l'une  des  subdivisions  ou  civi- 
taies  de  la  province  viennoise  {Civitas  Genavetisium) .  Cette  époque  nous  a  laissé, 
comme  souvenirs  matériels,  un  certain  nombre  d'inscriptions  romaines,  des  vases, 
des  statuettes,  des  objets  mobiliers,  quelques  débris  de  monuments.  Un  vestige  curieux 
du  culte  païen  rendu  au  dieu  des  eaux,  ou  Neilh,  c'est  la  Pierre  à  Nilon,  bloc  erra- 
tique de  onze  pieds  de  haut,  qui  ressort  du  lac  tout  près  de  Genève,  et  au  pied 
duquel  on  a  trouvé  des  instruments  de  sacrifice  en  bronze,  vestiges  d'une  antiquité 
reculée. 

Le  christianisme  s'établit  à  Genève  au  4*  siècle,  et  cette  ville  fut  la  capitale  d'un 
assez  grand  diocèse. 

Au  5""  siècle,  lorsque  la  Gaule  fut  envahie  par  les  tribus  germaniques  et  les  hordes 
venant  du  nord-est  de  l'Europe,  Genève  fut  occupée  par  les  Bourguignom,  peuple 
déjà  converti  au  christianisme,  et  plus  doux  que  les  autres  barbares.  C'est  de  Genève 
que  partit  la  fameuse  Clotilde,  pour  épouser  ce  Clovis,  chef  des  bandes  franques, 
fondateur  de  la  royauté  française.  L'Etat  fondé  par  les  Bourguignons,  ou  premier 
royaume  de  Bourgogne,  ne  dura  que  jusqu'en  534,  et  tomba  alors  dans  les  mains  des 
rois  francs  de  la  première  race,  ou  mérovingiens,  qui  furent  plus  tard  supplantés  par 
ceux  de  la  seconde  dynastie,  ou  carlovingiens.  L'histoire  de  Genève  s'absorbe  dès- 
lors  dans  celle  de  France  pendant  354  ans,  soit  jusqu'en  888. 

Alors,  sur  les  ruines  de  l'empire  brillant  mais  éphémère  de  Charlemagne,  se  for- 
mèrent divers  petits  Etats,  entre  autres  le  royaume  de  Bourgogne  transjurane,  fondé 
par  Rodolphe,  comte  de  ce  pays.  Genève  en  fut  une  des  villes  principales. 

Quoique  cette  monarchie  en  raccourci  se  fût  plus  que  doublée,  un  demi-siècle  plus 
tard,  par  l'accession  du  royaume  de  Bourgogne  cisjurane  ou  d'Arles,  elle  demeura 
faible  et  peu  importante,  et  son  quatrième  roi,  Rodolphe  III,  qui  mourut  en  1033, 
légua  sa  couronne  à  l'empereur  Conrad-le-Salique  :  dès-lors  elle  fut  considérée  comme 
une  annexe  de  l'empire  germanique. 

Dès-lors  aussi  la  souveraineté  impériale  fut  regardée  comme  une  suzeraineté 
tutélaire,  assez  haute  et  forte  pour  protéger  au  besoin  ceux  qui  y  ressort issaient, 
assez  lointaine  pour  ne  former  qu'un  lien  peu  gênant,  pour  ne  pas  intervenir  dans 


550  L%   5IIS*C   PrTTMIfSQrC. 

1»-^  afrair»*s  onlifiiin-^  du  ;:«Hj%»*rfi*'fn*»nl  1««mI.  Olui-ci  se  lri>u%~ail,  par  suite  de  oa- 
rp«ions  roy.il^  dont  l*i»rijine  s**  [>r'rd  dans  la  nuit  des  temps*  entre  les  maios  de 
rév^jjij^.  s*-ijTM,*ur  ft'"»  Jal,  ///'«*« m*,  de  la  ville,  de  sa  banlieue  et  de  quelques  f^i\> 
di-ilncU  ruraui  dwiml^  !♦•>  un"*  d»?>  aijlr»*s. 

Au  13'  •»it*.  ^  l<»  onnl»'  d»»  Sivoir,  srf»iL'n»*ur  puissant  qui  dominait  dans  plusieu> 
provin<'e>  v«ii-in*'>d»*  Cjiw\f*,  prufitant  dune  vac^ance  du  siéje  épisor>pal  et  dcslrou- 
UN-s  qui  rar<N»rn|n;rn«*rvnl,  s'rmfiAra  dun  chAteau  fort  que  lévéque  avait  (ait  con 
Mruirc  dan^  ril»*  de  Gt»nê\e,  et  de  Texercii-e  de  la  justice  temporelle  que  ce  préiat 
faisait  rendre  à  s*^  siij«*K  laî«ju»*s  par  un  ofticier  institué  par  lui  et  nommé  Vidomnr 
1  IVr#»  ifuiHiuH^t.  Il  se  refusa  de  les  n*slituer  à  Tévéque  jusqu'à  ce  qu'on  lui  eût  rem- 
iMUirsé  les  frais  de  la  jruerre  qu'il  avait  faite  p<»ur  s'en  rendre  maître,  soi-disant  dans 
rintérèl  de  rEli.Mi'ie,  et  qu'il  élevait  à  un  chiffre  énorme.  Le  prélat,  GuilbumedeC  «- 
flans,  hors  d'état  de  se  prœurer  cette  somme,  fui  contraint  de  laisser  le  prince 
savoyard  en  pression  provisoire  de  ces  ^a£!es  jusqu'à  paiement  (I290i.  Ce  traité. 
tout  prmiire  dans  son  princi|>e.  fut  la  seule  base  légale  de  la  domination  que  la  maisc^o 
de  Savoie  exerça  dès-lors  pendant  iiS  ans  dans  Genève*  et  qui,  grAœ  à  diverses 
causes,  alla  en  se  développant,  et  finit  par  ressembler  à  une  part  de  souveraineté,  à 
une  quasi-seigneurie,  moins  le  droit  cependant,  qui  y  manqua  toujours. 

C'est  à  peu  pn'*s  à  la  même  é|)oque  que  les  citoyens  de  Genève  formèrent  une 
commune',  dévelop|)érent  leurs  anciennes  franchises,  se  donnèrent  une  organisation 
municiple  régulière,  et  élurent  quaire  pronêreurs  ou  syndics  aunuels^  assistés  de  c<>«- 
seillerx,  pour  gérer  les  affaires  de  la  ville  et  veiller  à  ses  intérêts.  Ces  libertés  furent 
solennellement  confirmeras  et  réunies  dans  un  même  code,  en  1387,  par  Tévéque 
Adémar  Fabri.  On  y  voit  deux  prérogatives  essentielles  accordées  aux  citoyens: 
Tune  est  la  juridiction  en  matière  criminelle  ;  Fautre,  plus  rare  et  plus  précieuse 
encore,  est  la  garde  et  la  police  de  la  ville  pendant  la  nuit,  à  Texclusion  de  toute 
autre  autorité. 

Genève  subsista  longtemps  avec  cette  organisation  de  pouvoirs  partagés.  Centre 
naturel  des  affaires  de  la  vallée  lémane,  placée  au  débouché  des  routes  qui  se  ren- 
daient, d'une  part  en  Italie  par  les  Alpes,  de  Fautre  en  Bourgogne  par  le  Jura,  dotée 
de  foires  importantes,  cette  ville  vit  graduellement  accroître  sa  prospérité  et  son 
importance.  Le  pouvoir  populaire,  né  vers  la  fin  du  13*  siècle,  se  développa:  celai 
de  révéque,  au  contraire,  tendit  à  diminuer,  ou  du  moins  à  se  laisser  effacer  et 
absorl)er  par  celui  du  duc  de  Savoie,  depuis  que  Tépiscopat  genevois  fut  devenu,  au 
1  y  siècle,  une  sorte  de  bénéfice  qui  passait  de  mains  en  mains  aux  cadets  ou  aux 
favoris  de  la  maison  savoisienne. 

Telle  était  Genève  à  la  fin  du  moyen-âge. 

Au  commencement  du  16*  siècle,  à  cette  époque  fameuse  de  mouvement  et  de 
rénovation  religieuse,  intellectuelle  et  sociale,  le  peuple  de  Genève,  stimulé  par 
l'exemple  de  ses  voisins  les  Suisses  arrivés  à  l'indépendance,  aspirait  à  s'énoanciper. 
De  son  côté,  le  duc  cherchait  à  renverser  la  barrière,  absolue  en  droit,  mais  légère 
en  fait,  qui  le  séparait  de  la  souveraineté  de  Genève,  et  à  en  devenir  le  prince,  sauf 
à  y  laisser  à  l'évéque  un  titre,  des  prérogatives  honorifiques  et  des  revenus.  Entre 
lui  et  la  bourgeoisie  de  Genève,  c'était  à  qui  serait  le  plus  habile  ou  le  plus  heureux 
dans  cette  lutte,  à  la  base  de  laquelle  était  une  question  légale,  mais  qui  tendait  à 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  5S1 


devenir  le  jeu  de  la  fortune,  de  la  force  ou  du  hasard.  Le  parti  populaire  se  décernait 
à  lui-même,  à  Timitation  de  Suisses,  le  nom  d' Eidgenossen  (liés  par  serment,  confé- 
dérés), par  corruption  Eidgnots;  il  donnait  au  parti  de  Savoie  le  nom  de  Mammelm, 
pour  le  stigmatiser  comme  serviie  à  la  façon  des  Mammeloucs  égyptiens. 

La  lutte  s'engagea  dès  1517  :  elle  fut  ardente  et  se  prolongea  plusieurs  années. 
Nous  ne  pouvons,  dans  ce  rapide  coup-d'œil,  en  reproduire  les  phases  :  disons  seu- 
lement que  la  cause  populaire  eut  ses  martyrs  (Berthelier  en  1519,  Lévrier  en 
1524,  etc.)  ;  elle  eut  aussi  ses  revers  et  ses  heures  de  défaillance.  Le  duc  Charles  III 
et  révéque  Jean,  bâtard  de  Savoie,  dévoué  à  la  cause  de  sa  famille,  firent  leurs 
coups  d'Etat  et  eurent  leure  jours  de  triomphe,  comme  le  Conseil  des  hallebardes 
(1525)  ;  mais  des  circonstances  étrangères  les  empêchèrent  de  pousser  jusqu'au  bout 
leurs  avantages,  et  la  cause  de  l'émancipation  genevoise  trouva  enfin  à  s'abriter  sous 
un  traité  de  combourgeoisie  avec  Berne  et  Fribourg,  c'est-à-dire,  au  point  de  vue 
politique,  une  alliance  offensive  et  défensive,  et,  au  point  de  vue  social  et  économique, 
une  réciprocité  de  droits  et  franchises  (1526). 

Mais  ce  résultat,  précaire  et  contesté,  n'était  qu'une  des  faces,  un  préliminaire  de 
la  question  de  l'indépendance.  Une  autre  et  plus  grave  révolution  s'accomplissait  alors 
dans  l'ordre  moral  :  nous  voulons  parler  de  la  Réformation  religieuse,  dont  Luther 
avait  levé  l'étendard  en  Allemagne  dès  1517.  Elle  se  répandit  rapidement  chez  des 
populations  qui  avaient  vu  de  près  la  corruption  envahissante  de  l'Eglise  romaine,  le 
trafic  des  indulgences,  etc. 

Berne  avait  adopté  le  zwinglisme  (1528).  L'exemple  de  ce  puissant  allié  exerça 
de  l'influence  sur  Genève.  Cette  ville,  abandonnée  depuis  un  certain  temps  par  son 
évêque,  l'égoïste  et  pusillanime  Pierre  de  la  Baume,  sollicitée  par  ses  propres  con- 
victions, désireuse  d'arriver,  à  tous  égards,  à  la  pleine  possession  d'elle-même, 
embrassa  officiellement  la  Réformation  en  1535.  Du  même  coup,  Genève  abolit  l'au- 
torité spirituelle  et  temporelle  de  Tévêque  ;  elle  se  substitua,  se  mit  aux  lieu  et  place 
de  l'autorité  civile  et  politique  du  prélat. 

Dès  ce  moment  (i535),  Genève,  sa  banlieue  et  les  terres  (très-peu  étendues  d'ail- 
leurs) que  l'évêque,  le  chapitre  .et  autres  dignitaires  ou  corps  ecclésiastiques  possé- 
daient dans  les  environs  de  la  ville,  formèrent  une  République  indépendante,  qui 
désigna  sa  souveraineté  en  se  donnant  la  qualification  de  Seigneurie.  Dès-lors  Genève 
fut,  non  plus  une  municipalité,  mais  un  Etat;  à  ce  titre,  elle  a  son  histoire. 

Le  duc  de  Savoie,  Charles  III,  ne  lut  pas  un  obstacle  à  cette  révolution,  car  les 
prérogatives  qu'il  avait  possédées  à  Genève  y  avaient  été  anéanties  de  fait  au  milieu 
des  luttes  des  partis  (1527).  Ce  prince  essaya  bien  de  les  ressaisir,  mais  des  affaires 
plus  importantes  qui  l'appelaient  ailleurs,  l'empêchèrent  de  diriger  toutes  ses  forces 
contre  la  cité  émancipée,  et  la  guerre  que  François  I*',  roi  de  France,  et  les  Bernois, 
lui  déclarèrent  en  1536,  en  lui  faisant  perdre  ses  Etats  en  deçà  des  monts,  laissèrent 
la  ville  en  repos  de  ce  côté- là. 

Genève  s'appliqua  donc  à  organiser  d'une  manière  ferme  et  durable  sa  jeune  indé- 
pendance, et  à  consolider  chez  elle  la  Réformation  religieuse  :  elle  y  réussit. 

Voyons  d'abord  en  quoi  consistaient  ses  institutions  politiques. 

Le  pouvoir  exécutif  résidait  essentiellement  dans  quatre  Syndics  ou  chefs  du  Gou- 
vernement, égaux  entre  eux,  sauf  la  présidence  et  quelques  attributions  spéciales 


5Si  LA  »tissc  piTTonesoïK. 


confiées  au  Premier  Syndic;  ils  éUienl  nommés  pour  un  an,  el  n'étaient  rééligibles 
qu*aprës  trois  ans  d'intervalle. 

Le  pouvoir  délibérant,  ié^^islatif  et  électif,  résidait  dans  quatre  Conseils. 

Le  premier,  appelé  Pelil  Conxeil,  Conseil  êtroil  ou  des  Vingt-Cinq  en  raison  du 
nombre  de  ses  membres,  était  le  véritable  Conseil  d'Elal  administrant  la  République. 

Ce  n*était  que  parmi  ses  membres  que  Ton  |)ouvait  choisir  les  syndics,  et  ceux-ci- 
en  sortant  de  charge,  rentraient  nécessairement  dans  ses  rangs.  Ses  membres  prési 
daient  les  départements  administratifs,  nommés  Chambres,  parce  qu*ils  étaient  formés 
chacun  de  la  réunion  d'un  certain  nombre  de  membres  siégeant  ensemble.  Les  deux 
Strréimres  d'Elal  et  le  Trésorier  étaient  aussi  pris  dans  son  sein. 

Le  second,  ou  Conseil  des  Siaxanie,  stKX'upait  des  aiïaires  diplomatiques;  il  avait 
peu  d'importance. 

Le  troisième,  ou  Conseil  des  Den,r-Cenls,  plus  tard  nommé  Grand  Conseil,  était 
une  assemblée  délibérante,  où  se  discutaient  les  afliiires  qui  n'étaient  pas  puremeol 
administratives.  11  exerçait  le  pouvoir  législatif  pour  tous  les  objets  qui  ne  parais- 
saient pas  exiger  la  sanclion  solennelle  de  la  nation.  C'était  un  corps  imposant,  le 
pouvoir  représentatif-parlementaire  du  pays. 

Enfin  le  Conseil  Général  était  la  réunion  de  l'universalité  des  citoyens,  lesqueb, 
vu  leur  petit  nombre  (1000  à  1500  personnes),  pouvaient  s'assembler  tous  à  la  fois 
au  même  lieu,  et  qui,  ainsi  réunis,  formaient  la  véritable  souveraineté  nationale, 
exerçant  en  masse  le  suffrage  universel  direct.  C'était  ce  Conseil  qui  élisait  les 
syndics,  le  trésorier  el  les  magistrats  judiciaires. 

Tout  Genevois  était  de  droit,  par  naissance  ou  par  bourgeoisie  à  lui  conférée, 
membre  du  Conseil  Général.  Quant  aux  autres  Conseils,  on  y  entrait  par  élection 
pour  la  vie,  sauf  exclusion  ou  destitution  en  C4is  de  démérite  (on  appelait  cela  le 
yrabeau).  Les  membres  du  Petit  Conseil  étaient  élus  par  le  Deux-Cents:  ceux  du 
Deux -Cents  par  le  Petit  Conseil. 

La  justice  ordinaire  était  rendue,  à  charge  d'appel,  par  un  magistrat  appelé  Uen- 
tenant,  assisté  de  six  Auditeurs,  La  justice  criminelle  était  exercée  par  le  Petit  Gon 
seil.  A  côté  de  celte  organisation  était  un  PnKureurgénéral,  qui,  à  ses  attributions 
judiciaires,  réunissait  un  droit  de  remontrance  dans  toute  matière  d'intérêt  public, 
qui  rappelait  de  très-loin  le  tribunal  de  Rome. 

Au  point  de  vue  religieux,  Genève  appela  et  reçut  du  dehors  plusieurs  ministres  de 
la  Parole  de  Dieu,  |M)ur  lui  prêcher  la  foi  évangélique,  et  mettre  autant  que  possible  les 
mœurs  publiques  à  Tunisson  avec  les  principes  de  la  Réformation.  L'un  d'eux  fat  le 
célèbre  Calvin,  théologien  et  siivant  éminent,  homme  qui  mettait  un  esprit  sévère, 
pour  lui-même  et  pour  les  autres,  au  service  de  profondes  convictions  chrétiennes, 
génie  du  premier  ordre,  appelé  par  de  hautes  facultés,  reconnues  de  tous,  à  exercer 
une  légitime  influence,  à  organiser  l'édifice  religieux  et  social  auquel  il  se  consacrait. 

Calvin  fut  le  créateur  de  l'organisation  de  l'Eglise  de  Genève,  qu'il  fit  adopter  par 
les  Conseils  sous  le  nom  d'Ordonmince  erclésiaslique.  La  base  en  était  l'égalité  entre 
tous  les  ministres  de  l'Evangile,  et  leur  réunion  en  Compagnie^  pour  traiter  des  afEûres 
de  l'Eglise;  c'était  substituer  l'autorilé  collective  des  conducteurs  du  troupeau  au 
pouvoir  hiérarchique  échelonné  de  l'Eglise  romaine,  conservé  jusqu'à  un  certain 
point  dans  les  autres  rameaux  de  la  Réformaliun  :  cétail  TEglise  de  majorité  ou  par- 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  5K5 


lementaire,  au  lieu  de  l'Eglise  aulocratique.  La  Compagnie  était  présidée  par  un  de 
ses  membres,  nommé  Modérateur;  mais  ce  n'était  là  qu'une  fonction  élective  et  tout- 
à-fait  transitoire,  nullement  une  dignité.  Réunis  à  des  Anciens  laïques,  les  Pasteurs 
formaient  le  Consistoire,  sorte  de  tribunal  de  mœurs,  chargé  de  veiller  à  ce  que  les 
citoyens  ne  s'écartassent  pas,  dans  leur  conduite,  de  la  loi  religieuse. 

Mais  l'édifice  moral  de  Calvin  ne  s'arrêtait  pas  là.  En  vrai  législateur,  il  pourvut  à 
tous  les  points  essentiels  de  l'activité  humaine.  Il  organisa  l'instruction  publique,  et 
fonda  une  Académie,  avec  une  faculté  de  théologie  protestante;  il  fut  le  promoteur  des 
lois  soniptmires,  destinées  à  entretenir  les  citoyens  dans  une  stricte  simplicité,  en  leur 
interdisant,  sous  des  peines  sévères,  tout  luxe,  tout  plaisir  désordonné  ou  dangereux 
pour  les  mœurs.  Ces  lois  nous  paraissent  aujourd'hui  d'un  rigorisme  raide  et  outré, 
mais  leur  auteur  avait  compris  que  la  petite  République  ne  réussirait  à  se  maintenir 
qu'en  demeurant  inébranlable  dans  les  voies  d'une  vertueuse  austérité,  et  que  l'élé- 
gant laisser-aller  de  l'Italie  et  des  Etats  monarchiques  l'aurait  bientôt  perdue. 

Calvin,  qui  était  aussi  un  jurisconsulte,  travailla  à  doter  sa  patrie  adoptive  de  lois 
civiles,  remarquables  pour  l'époque.  On  peut  dire  qu'il  n'y  a  pas  à  Genève  une  insti- 
tution qui  n'ait  été  l'objet  de  son  active  pensée,  et  qui  n'ait  bien  longtemps  conservé 
sa  durable  empreinte.  Sous  les  dehors  d'une  société  renouvelée,  bouleversée  même 
depuis  longtemps  par  des  révolutions  successives ,  un  œil  observateur  sait  encore  les 
retrouver. 

Genève,  réformée  et  libre,  vit  affluer  dans  ses  murs  les  prolestants  que  les  persé- 
cutions religieuses  chassaient  de  leur  patrie,  particulièrement  les  Français  ;  elle  fut 
leur  sympathique  asile  et  leur  sûre  retraite.  Les  réfugiés,  hommes  de  convictions 
indépendantes  et  éclairées,  d'activité  et  de  cœur,  exercèrent  assez  vite  une  influence 
notable  dans  Genève,  devenue  leur  nouvelle  patrie,  et  aidèrent  Calvin  à  triompher  de 
la  résistance  que  lui  opposait  la  fraction  des  anciens  patriotes  genevois,  auxquels  une 
conduite  mal  réglée  avait  fait  donner  le  nom  de  Libertins. 

Cette  première  période  de  l'histoire  de  Genève  indépendante  fut  comparativement 
tranquille.  Plus  tard,  la  maison  de  Savoie  ayant  été  rétablie  dans  ses  Etats  (1S88),  le 
duc  Charles-Emmanuel  voulut  profiter  des  guerres  de  la  Ligue  pour  se  rendre  maître 
de  Genève  et  y  rétablir  le  culte  catholique.  Une  guerre  tout  à  la  fois  politique  et  reli- 
gieuse s'engagea  (1590  et  années  suivantes);  car  alors,  autorité  absolue  et  catholi- 
cisme d'une  part,  réforme  et  liberté  d'une  autre,  étaient  tout  un,  et  les  hostilités 
s'imprégnaient,  de  part  et  d'autre,  de  ce  double  caractère.  Ces  deux  faces  de  la  ques- 
tion, toutes  deux  si  grandes  et  si  saisissantes,  passionnaient  les  âmes,  et  le  débat,  qui, 
s'il  n'avait  touché  que  Genève,  aurait  eu  peu  de  retentissement  au  dehors,  devenait 
ainsi  une  querelle  sérieuse,  qui  mettait  en  jeu  les  sympathies  et  les  intérêts  de  Romc^ 
des  protestants  français  et  des  Suisses. 

La  lutte  fut  longue  et  plusieurs  fois  renaissante  ;  il  fallait  une  série  de  circonstances 
heureuses  et  même  exceptionnelles,  un  dévouement  courageux,  une  persévérance  à 
toute  épreuve,  et  quelques  secours  étrangers  dans  les  nécessités  les  plus  urgentes, 
pour  que  le  peuple  genevois  pût,  en  dépit  de  son  exiguïté  numérique  et  de  celle  de  ses 
ressources,  résister  aux  forces  incomparablement  plus  considérables  de  son  adver- 
saire. Enfin,  la  dernière  et  la  plus  signalée  des  épreuves  auxquelles  les  Genevois 
furent  en  butte,  est  connue  sous  le  nom  d'Escalade.  N'ayant  pu  réussir  à  force  ouverte, 

II.  33.  70 


554  LA  snsse  pittoresoie. 


le  duc  essaya  d'une  surprise.  Des  corps  de  troupes  choisies  se  réunissent  mystérieu 
sèment,  et  arrivent  en  silence  jusque  dans  les  fossés  de  Genève,  pendant  la  nuit  longue 
et  obscure  du  4  2  (  3i  )  décembre  4  602 .  Des  échelles  à  ressorts  drapés  se  dressent  san.^ 
bruit  contre  les  murailles,  et  introduisent  dans  l'enceinte  extérieure  de  la  place 
quelques  centaines  d'hommes  déterminés;  il  semblait  que  ce  fût  ville  prise,  quand 
l'alarme  est  enfin  donnée  :  un  boulet  tiré  au  hasard  brise  les  échelles  ;  tes  Genevois, 
réveillés  en  sursaut,  courent  aux  armes  ;  une  lutte  ardente,  mais  courte,  les  débar- 
rasse des  envahisseurs;  le  corps  d'armée,  qui  comptait  que  le  détachement  eolré 
allait  lui  ouvrir  les  portes,  est  forcé  à  la  retraite,  et  Genève  est  sauvée.  Le  peuple 
genevois  célèbre  encore  aujourd'hui,  après  plus  de  deux  siècles  et  demi,  Tanniversaire 
de  cette  mémorable  délivrance,  qui  est  le  souvenir  le  plus  vivace  de  son  histoire. 

La  paix  suivit  cette  dernière  et  infructueuse  tentative  ;  paix  agitée,  sans  doute,  où 
Genève  suivait  avec  une  sympathique  anxiété  les  phases  de  la  lutte  de  cette  Réforma 
tion  à  laquelle  elle  avait  presque  exclusivement  voué  son  cœur  et  son  existence,  où 
elle  allait  jusqu'aux  dernières  limites  de  son  hospitalité  et  de  ses  ressources,  en  fa- 
veur de  ses  corréligionnaires  persécutés,  qui  fuyaient  en  foule  devant  rintoléranœ 
du  grand  Roi. 

Pendant  ce  temps,  le  gouvernement  de  la  République,  obligé  à  une  prudence  con- 
sommée et  à  des  ménagements  continuels  vis-à-vis  de  ses  puissants  voisins,  se  con- 
centra dans  les  Conseils,  et  devint  aristocratique  dans  ses  allures. 

Mais,  lorsqu'au  18' siècle,  la  bourgeoisie  genevoise,  enfin  rassurée  sur  son  indé 
pendance,  se  prit  à  porter  son  esprit  sur  les  questions  intérieures,  elle  trouva  que  ses 
anciens  droits  politiques,  très-étendus  en  théorie,  étaient  dans  la  pratique  singulière- 
ment réduits,  et  elle  voulut  faire  remonter  vers  sa  source  la  constitution,  déoiocra 
tique  à  son  origine.  L'aristocratie,  ayant  pour  elle  la  possession  de  tait  et  des  anté- 
cédents  plus  que  séculaires,  ne  voulut  pas  admettre  des  prétentions  qui,  quel  que 
fût  leur  fondement  originaire,  n'en  étaient  pas  moins  des  innovations  à  une  pratique 
devenue  constante  ;  de  là  les  troubles  politiques  qui  agitèrent  si  longteaips  Genève. 

En  1707,  première  lutte  :  ce  fut  une  tentative  populaire  courte  et  sévèrement 
réprimée. 

En  4755  le  débat  se  renouvela,  plus  long  et  plus  grave  ;  ce  fut  une  conflagration 
armée,  qui  ne  put  être  apaisée  que  par  l'intervention  pacificatrice,  non-seuleroent 
des  anciens  alliés  suisses  de  Genève,  Zurich  et  Berne,  mais  encore  de  la  couronne 
de  France;  il  en  résulta  le  Règlemeni  de  médialion  (4738)^  qui  fixa  la  Constitution 
genevoise,  et  procura  au  pays  plus  de  vingt  ans  de  paix .  —  Ce  fut  alors  l'apogée  de  la 
vieille  République.  Alors,  le  plus  célèbre  de  ses  enfants,  J.-J.  Rousseau,  en  lui 
dédiant  son  livre  sur  YOrighie  de  l'inégalité  entre  les  homtnes  (47S&),  adressait  à  ses 
concitoyens  ces  mémorables  paroles  :  <(  Mes  chers  concitoyens,  ou  plutôt  mes  frères* 
puisque  les  liens  du  sang,  ainsi  que  les  lois,  nous  unissent  presque  tous,  il  m'est 
doux  de  ne  pouvoir  penser  à  vous  sans  penser  en  même  temps  à  tous  les  biens  dont 
vous  jouissez...  Plus  je  réfléchis  sur  votre  situation  politique  et  civile,  et  moins  je 
puis  imaginer  que  la  nature  des  choses  humaines  puisse  en  comporter  une  meil- 
leure. . .  Votre  bonheur  est  tout  fait,  il  ne  faut  qu'en  jouir,  et  vous  n'avez  plus  besoin» 
pour  devenir  parfaitement  heureux,  que  de  savoir  vous  contenter  de  l'être.  Votre 
souveraineté  acquise  ou  recouvrée  à  la  pointe  de  Tépée,  et  conservée  durant  deu^ 


LA    SUISSE   PITTORESQL'e.  55S 


siècles  à  force  de  valeur  et  de  sagesse,  est  enfin  pleinement  et  universellement  re- 
connue. Des  traités  honorables  fixent  vos  limites,  assurent  vos  droits  et  afiermissent 
votre  repos.  Votre  Constitution  est  excellente,  dictée  par  la  plus  sublime  raison,  et 
garantie  par  des  puissances  amies  et  respectables  ;  votre  Etat  est  tranquille  ;  vous 
n'avez  ni  guerres,  ni  conquérants  à  craindre;  vous  n'avez  point  d'autres  maîtres 
que  de  sages  lois  que  vous  avez  faites,  administrées  par  des  magistrats  intègres,  qui 
sont  de  votre  choix  ;  vous  n*étes  ni  assez  riches  pour  vous  énerver  par  la  mollesse 
et  perdre  dans  de  vaines  délices  le  goût  du  vrai  bonheur  et  des  solides  vertus,  ni 
assez  pauvres  pour  avoir  besoin  de  plus  de  secours  étrangers  que  ne  vous  en  procure 
votre  industrie;  et  cette  liberté  précieuse  qu'on  ne  maintient  chez  les  grandes 
nations  qu'avec  des  impôts  exorbitants,  ne  vous  coûte  presque  rien  à  conserver. 

*((  Puisse  durer  toujours,  pour  le  bonheur  de  ses  citoyens  et  l'exemple  des  peuples, 
une  République  si  sagement  et  si  heureusement  constituée  !  Voilà  le  seul  vœu  qui 
nous  reste  à  foire,  et  le  seul  soin  qui  vous  reste  à  prendre.  C'est  à  vous  seuls,  désor- 
mais, non  à  foire  votre  bonheur,  vos  ancêtres  vous  en  ont  évité  la  peine,  mais  à  le 
rendre  durable  par  la  sagesse  d'en  bien  user.  C'est  de  votre  union  perpétuelle,  de 
votre  obéissance  aux  lois,  de  votre  respect  pour  leurs  ministres,  que  dépend  votre 
conservation.  S'il  reste  parmi  vous  le  moindre  germe  d'aigreur  ou  de  défiance, 
hàtez-vous  de  le  détruire  comme  un  levain  funeste,  d'où  résulteraient  tôt  ou  tard  vos 
malheurs  et  la  ruine  de  l'Etat,  etc.  » 

Après  avoir  rapporté  le  jugement  de  Rousseau  sur  l'ancienne  République,  citons 
encore  celui  de  Voltaire,  car  ces  deux  génies  dominateurs  du  48'  siècle  ont,  à  la 
même  époque,  rendu  témoignage  sur  elle.  Voici  ce  que  Voltaire  écrivait  en  4755, 
en  arrivant  près  de  Genève,  sur  les  rives  de  notre  lac  : 

Mon  lac  est  le  premier;  c'est  sur  ses  bords  heureux 
Qu'habite  des  humains  la  déesse  étemelle, 
L'âme  des  grands  travaux,  l'objet  des  nobles  vœux, 
Que  tout  mortel  embrasse,  ou  désire,  ou  rappelle  ; 
Qui  yit  dans  tous  les  cœurs,  et  dont  le  nom  sacré 
Dans  les  cours  des  tyrans  est  tout  bas  adoré: 
La  Liberté  I  J'ai  yu  cette  déesse  altière 
Ayec  égalité  répandant  tous  les  biens, 
Descendre  de  Bforat  en  habit  de  guerrière, 
Les  mains  teintes  du  sang  des  fiers  Autrichiens 

Et  de  Charles'le -Téméraire. 
Devant  elle  on  portait  ces  piques  et  ces  dards. 
On  traînait  ces  canons,  ces  échelles  fatales 
Qu'elle-même  brisa,  quand  ses  mains  triomphales 
De  Genève  en  danger  défendaient  les  remparts  I 


Liberté,  Liberté!  ton  trône  est  en  ces  lieux. 


Bientôt  cependant,  cette  liberté  ne  parut  plus  suffisante  aux  Genevois  ;  les  discus- 
sions intestines  se  renouvelèrent.  Pour  des  motifs  successifs  et  sous  des  formes 
diverses,  elles  remplirent  à  Genève  le  reste  du  18*  siècle.  Toutes  les  questions  poli- 
tiques y  furent  soulevées,  toutes  les  passions  y  furent  mises  en  jeu.  Une  presse,  qui 
s'émancipait  d'elle-même,  multiplia  à  l'infini  les  pamphlets.  Si  ce  qui  demeura  infi- 
niment petit,  dans  un  cadre  microscopique,  pouvait  être  comparé  à  ce  qui  fut  infini- 


f'K^  t  ^'''«îtd  K  uJi  r^L  j»  tt  n»  <A<k.  uci  |*i4irmjt  dire  que  9*:if  a£;i;AiMa^  >-^-  / 

S'^ir  :  jiy  p^*-;»»^  i  r-r-  'i.c  d*  là  m  «/-jr  du  ^^Mt^.\.  do  l»£*Li<>9a^.  ^  If  lîr.ti:  >  '^^  - 

N*  «rv«-i>:  p*.fc4i^  ♦•ut  uti  'jkm-t'rft:  p;iit  fcti'/iMi.  Lct  tOm^rs^.  Iimjiiarv  »i«iirr.\ 
4  iM^arxr .  '/!•>-. à •*-*■:  b  •  i^nj^it  u  pHnLt**ï«i  *  d  j  buiiUf'.  mm»  Lt>  diScMcafL  . 

'''^  li^'i?  K*  uk'»*^    i  i*'  fe;.*!*'  .  b  V  «>UiK^it  iHu^  n»  •iw  I  Laii  iM  lit  *<samsKt%.  L^s.j 

•     •  •  ■  «  c 

V  -» ,  li  d^^r.t  :  •*•  \Êr  d*-  cdiriu^iir  k-  jtnni-rjie-  rv'/iiiaî  çu.  refaaul  Um^  ér-«*^;«  ■ 

{*»*  d  a  jîr**  faîr*<: .  f>^j*f-rila:ii  k  o4^p^  dr  la  U«rjr**.<sie-  qa.  JutUit 

•*>  dr-.l5  |*.!.t.ii^>,  Musait  d>fi  i^^^Arr  «uc-uxie  p*n  â  otf  luufe^  se»  frères*  c»â^> 

•if  la  d^  dr-ti^U  qui  aU.-uîJiTîjt  a  de  D'iuvd^^ui  lr«.*aliÉe^    1770,  ^7^^    . 

T<^»  o-ft  é^rD^filt^  d  a;^itatMfi .  qui  (ermr^itamt  dr}tatf  k«c^«Mps  éams^  ie  sc/ 
d  uri#r  (»*}wuti"Ci  u/tiâirte  et  iiidu«^tri«rÎK' .  fir.zr^nt  par  une  frise  d'ariBe»  qvi  rni^ers,. 
if  ^•'U\fTTA*'fi*frrjt    8  a^ril  I7»î  . 

Hni^  la  Frarif^  et  le  carjt«.*D  de  BeiTie.  putî«i*iKi(^  Dedathcf»  cl  çmates  da  A'- 
'^UfM^tii  dr  1758.  r»e  ^«•ulufvfit  pa>  le  lai^^^r  imfiUoriDeot  renvierser  aisâ  fm  li  «v 


^tKnf.  De  o>D«ifTt  a^ e<:  le  n^i  de  Sardai.zDe ,  ik  e&%o\èfTiit  «ne  arwée  «Mitiv  Génère.      I 
qui ,  a|*rt>  avoir  fait  mirie  de  révi^UruY.  capitula  sans  c^mbaU  k  i  jaiUet  I7^i.  1/^      ' 
médiateur^  ne  »e  ciifitpntpn^il  pas  de  rétalJir  le  r  uurfcal  déposé  :  ils  eûièreol 
l^dK-f^du  parti  pi.pjUire,  privèrent  temporairemoil  de  Texcreicede  lc«rs  *\»i»^ 
p"litiqueN  c>  u\  qui  a^ai^nt  pris  part  au  OHKJveiDent  d*aTril.  et  inposèrent  à  h  Repu 
Mique  une  nouvelle  0>n^tituti<.»n  tres-n-stridive  des  droits  populaires. 

Lp  ré^'inie  d^  (i^mprYfSsion  ainsi  créé,  disparut,  oq  do  Boins  se  Bodîfia  profondé- 
ruerit.  au  premier  s-^uffle  de  la  révolutir«  française  ■  10  Cvricr  1789».  Genève  espcn 
quelque  U'Ui\tfi  pr^uvoir  \ivre  s«»us  un  système  de  transaction  2i  mars,  14  noTein- 
bre  1791  :  mais  la  propagande  de  la  République  française  n^élait  pas  disposée  à  le 
lui  perm«^ltre.  En  allant  amquérir  la  Savoie,  une  armée  française  fut  sur  le  poîol 
d'envahir  Genève;  mais  sr»n  cbef*  le  lovai  général  M ontesquîou  «  traita  honorable- 
ment avec  la  ville .  et  le  dan<!er  s'éloigna  (  i±  octobre  179i  t. 

A  peine  Genève  avait-elle  écbappé  à  un  péril,  qu'elle  allait  échouer  devant  un 
autre  :  elle  ne  put  résister  au  sr»uHle  anarehique  qui  venait  de  Paris;  son  gouverne- 
ment céda,  sans  combat,  au  flot  révolutionnaire;  il  cessa  ses  fonctions,  et  des  Camth 
prorisoln%  d tuîmhmtratwn  et  de  sûreié  furent  établis  1 28  décembre  I79Î).  Far  une 
imitation  servile,  on  data  de  ce  moment  Tiifi  premier  de  rêgalité  genfvoise. 

Ce  qui  suit  se  devine  :  on  parodia  à  Genève  la  révolution  française  ;  on  imita  sa 
terreur,  sans  pouvoir  imiter  son  grandiose.  Détournons  nos  rc^rds  de  ces  tristes  pages 
de  notre  histoire,  où  Genève ,  imperceptible  satellite  de  la  sanglante  planète  révolu- 
tionnaire, en  adopta  les  coupables  aberrations.  Lorsque  T^isement  succéda  à  ces 
saturnales,  Genève,  enlacée  par  les  intrigues  du  Résident  que  le  Directoire  entre- 
tenait à  Genève,  Féli\  Desportes,  fut  amenée,  par  une  contrainte  moitié  morale  et 
moitié  matérielle,  à  se  laisser  réunir  à  la  République  française  (15  avril  1798),  et 


LA   SUISSE   PITTORESQUE.  557 


dès-lors  elle  suivit  pendant  plus  de  quinze  ans  les  destins  de  la  France.  Elle  forma  le 
chef- lieu  du  département  du  Léman.  Chose  remarquable!  pendant  cette  longue 
absorption,  son  individualité,  son  caractère  national  se  conservèrent  intacts,  et  résis- 
tèrent à  la  fusion. 

Aussi,  lorsqu'à  la  fin  de  1813  le  colosse  impérial  s'ébranla  sur  sa  base,  lorsque 
la  coalition  européenne  s'apprêta  à  envahir  la  France,  Genève  se  retrouva  soupirant 
après  une  indépendance  à  laquelle  elle  n'avait  jamais  pris  son  parti  de  dire  adieu. 
Aussitôt  que  les  premières  colonnes  allemandes  se  présentèrent,  elle  leur  ouvrit  ses 
portes,  proclama  la  Restauration  de  sa  nationalité,  et  parvint  à  la  faire  reconnaître 
par  les  puissances  alliées  réunies  en  Congrès  à  Vienne,  et  à  la  mettre  sous  la  sanction 
de  la  Confédération  helvétique,  à  laquelle  elle  fut  réunie  comme  Canton  (181&).  Elle 
reçut  dans  ce  but ,  aux  dépens  de  la  France  et  surtout  de  la  Savoie ,  une  adjonction 
de  territoire  destinée  à  en  désenclaver  les  diverses  parcelles  et  à  la  rendre  contiguê 
à  la  Suisse  (novembre  1816). 

On  crut  alors  clore  l'ère  des  incessantes  agitations  du  18''  siècle,  en  abolissant  l'an- 
cien Conseil  général,  suffrage  universel  ou  exercice  direct  de  la  souveraineté  par  l'uni- 
versalité des  citoyens:  on  adopta  la  forme  représentative;  le  pouvoir  législatif  suprême 
fut  exercée  par  un  Conseil  représefitatif  nombreux  (278  membres),  nommé  parles 
citoyens  payant  un  modique  cens  électoral ,  et  renou  vêlé  de  trente  places  chaque  année . 
Ce  corps  élisait  le  Conseil  dEtat,  pouvoir  administratif  supérieur.  Cette  Constitution, 
dans  laquelle  les  souvenirs  et  les  traditions  de  l'ancienne  République  jouèrent  à  l'ori- 
gine un  rôle  peut-être  trop  considérable,  pouvait  être  modifiée,  quand  on  le  jugeait 
convenable,  au  moyen  de  lois  dites  constitutionnelles,  sous  la  seule  condition  d'être 
votées  par  une  majorité  des  deux  tiers  des  membres  des  Conseils.  On  ne  tarda  pas  à 
user  largement  de  ce  moyen  facile  de  changement;  c'est  ainsi  qu'on  abaissa  graduel- 
lement le  cens  électoral  jusqu'à  trois  francs  vingt-cinq  centimes  (montant  de  la  taxe 
personnelle),  que  l'on  établit  l'amovibilité  des  membres  du  Conseil  d'Etat  et  des  tri- 
bunaux ,  etc. 

Les  années  qui  suivirent  cette  restauration  de  la  République  furent  une  époque 
heureuse,  où  Genève,  foyer  de  vie  intellectuelle  et  morale,  d'activité  industrieuse 
et  de  patriotisme  désintéressé,  développa  librement  et  avec  largeur  les  germes  de 
prospérité  qu'elle  renfermait  dans  son  sein. 

Mais  tout  s'use  chez  une  population  mobile,  libre  de  tout  frein  et  essentiellement 
démocratique.  Une  partie  du  peuple  de  Genève,  sollicitée  notamment  par  l'exemple 
des  mouvements  radicaux  opérés  en  Suisse  depuis  1830,  fit,  le  22  novembre  1841, 
une  manifestation  qui  renversa  Tordre  de  choses  dont  l'établissement  remontait  à 
1814.  Dès-lors,  bien  des  mouvements  intérieurs  se  sont  succédé,  de  graves  chan- 
gements ont  été  accomplis,  deux  Constitutions  ont  été  votées  (1842  et  1847  )  ;  une 
démocratie  sans  contrepoids  et  un  suffrage  universel  sans  garanties  ont  été  établis, 
et  Genève  a  fait,  dans  toute  son  étendue,  l'expérience  des  résultats  du  nouveau 
système  dans  lequel  elle  était  entrée.  Mais  ces  questions  sont  trop  palpitantes  pour 
qu'il  y  ait  lieu  de  les  traiter  ici  avec  plus  de  détail. 

Constitution.  —  La  Constitution  actuelle  de  Genève,  votée  en  1847,  déclare  en 
principe  que  la  souveraineté  réside  dans  le  peuple,  en  ce  sens  que  les  pouvoirs  poli- 
tiques et  les  fonctions  publiques  émanent  de  lui  ;  mais  la  forme  du  gouvernement 


5S8  LA  SCISftB  PnrORISQCE. 


C6i  une  démocratie  représentative.  Elle  garantit  la  propriété,  la  liberté  individueUe, 
celle  de  la  presse,  celle  d'établissement  et  d'industrie,  des  cultes,  d'enseignemeot, 
et  établit  le  service  de  la  milice  obligatoire.  Tout  Suisse  né  dans  le  canton  peuU 
dans  Tannée  qui  suit  sa  majorité,  réclamer  la  qualité  de  citoyen  genevois.  D  en  est 
de  même  de  tout  natif  étranger  de  la  seconde  génération,  c'est-à-dire  de  celui  qui 
est  né  dans  le  canton  d'un  përn  étranger  qui  y  était  né  lui-même.  Tous  les  dtoyeDs 
majeurs,  soit  âgés  de  21  ans  accomplis,  ont  rexereice  des  droits  politiques,  saaf 
ceux  qui  ont  été  frappés  d'une  condamnation  infamante.  Réunis  en  une  seule  assem- 
blée non  délibérante,  qualifiée  de  Comeil  général,  ils  nomment  directement  le  pou- 
voir exécutif,  et  votent  sur  les  changements  constitutionnels  :  on  a  réuni  ainsi  en 
un  seul  jour  et  dans  un  même  édifice  plus  de  10,000  votants. 

Le  pouvoir  législatif  est  exercé  par  un  Grand  Conteil,  composé  de  93  membres, 
élus  par  le  suffrage  universel,  dans  trois  collèges  d'arrondissement,  formés,  l'un  de 
tous  les  électeurs  de  la  ville  de  Genève,  l'autre  de  ceux  domiciliés  entre  la  rive 
gauche  du  lac  et  le  Rhêne,  le  troisième  de  ceux  habitant  sur  la  rive  droite.  Tout 
électeur  laïque  est  éligible,  à  la  seule  condition  d'être  Agé  de  2S  ans  ;  il  n*y  a  pas 
plus  de  cens  d'éligibilité  que  de  cens  électoral.  Le  Grand  Conseil  est  élu  pour  deux 
ans,  et  renouvelé  intégralement  ;  ses  séances  sont  publiques  ;  il  a  le  droit  d'initia- 
tive, celui  de  grâce  et  d'amnistie,  vote  les  traités,  les  impôts,  décrète  les  dépenses, 
reçoit  les  comptes  de  l'Etat  et  de  l'administration. 

Le  pouvoir  exécutif  est  confié  à  un  Conseil  d'Etal  de  sept  membres,  nommés, 
comme  on  l'a  dit,  par  tous  les  citoyens  réunis  en  une  seule  assemblée.  Il  est  renou- 
velé intégralement  tous  les  deux  ans  ;  mais  ses  membres,  comme  ceux  du  Grand 
Conseil,  sont  indéfiniment  rééligibles.  Les  seules  conditions  d'éligibilité  sont  d'être 
laïque  et  d'avoir  37  ans.  Chaque  Conseiller  est  le  chef  d'un  département  adminis- 
Iratif  ;  il  reçoit  un  traitement  de  5000  francs.  Le  Conseil  d'Etat  a  l'initiative  légis- 
lative, promulgue  et  fait  exécuter  les  lois,  nomme  et  révoque  les  fonctionnaires, 
dispose  de  la  force  armée,  a  la  surveillance  et  la  police  de  toutes  les  branches 
d'administration  ;  en  un  mot,  il  gouverne,  mais  est  responsable  de  ses  actes. 

Les  élections  du  Conseil  d'Etat  alternent  d'année  en  année  avec  celles  du  Grand 
Conseil. 

L'ensemble  du  droit  civil  genevois  n'est  autre  que  les  Codes  français  de  l'Empire, 
que  Genève  restaurée  eut  soin  de  conserver,  tout  en  y  faisant  de  notables  et  utiles 
modifications,  comme  pour  la  procédure  civile,  le  système  hypothécaire,  etc. 

Le  pouvoir  judiciaire  est  séparé  des  pouvoirs  législatif  et  exécutif.  Il  est  exercé  : 

Au  civil,  —  par  des  juges  de  paix,  statuant  en  dernier  ressort  sur  les  affaires 
personnelles  et  mobilières  jusqu'à  150  francs;  —  par  un  Tribunal  civil  et  un  Tri- 
bunal de  commerce,  composés,  le  premier  de  magistrats  si^eant  seuls  (système  dit 
du  jti^^  unique),  jugeant  seuls  sur  toutes  affaires  civiles,  en  dernier  ressort  jusqu'à 
300  francs,  à  charge  d'appel,  quelles  que  soient  la  valeur  ou  la  nature  du  litige;  le 
second,  d'un  collège  de  juges  négociants,  siégeant  au  nombre  de  trois,  statuant  sur 
les  affaires  commerciales,  en  dernier  ressort  jusqu'à  500  francs,  et  au-delà,  à  charge 
d'appel  ;  —  par  une  Cour  de  justice,  jugeant  en  appel,  composée  de  magistrats  sié- 
geant au  nombre  de  trois.  En  matière  pénale,  —  par  des  Juges  de  paix,  jugeant  les 
contraventions  de  simple  police  ;  par  une  Cour  d'assises,  présidée  par  un  magistral 


LA    SUISSE   PITTORESQUE.  K59 


de  la  Cour  de  justice,  et  composée  de  douze  jurés  pour  les  affaires  criminelles,  et  de  | 

six  pour  les  correctionnelles.  La  liste  du  jury  est  choisie,  sur  la  totalité  des  élec-  ! 

teurs,  par  une  Commission  du  Grand  Conseil;  la  liste  annuelle  des  jurés  est  de 
500  personnes  ;  le  tour  de  service  revient  tous  les  trois  ans. 

Les  débats  sont  oraux  et  publics;  les  magistrats  judiciaires  sont  élus  par  le  Grand 
Conseil. 

Chaque  Commune  est  administrée  par  un  Maire  et  un  Conseil  municipal,  élus  par 
le  suffrage  universel  pour  quatre  ans.  Au  lieu  d'un  maire ,  la  ville  de  Genève  a  un 
Conseil  administratif ,  composé  de  sept  membres  salariés.  Les  séances  des  Conseils 
municipaux  sont  publiques. 

L'Eglise  protestante  nationale  est  administrée  par  un  Consistoire,  composé  de 
2S  membres  laïques  et  de  six  ecclésiastiques,  élus  pour  quatre  ans,  par  le  suffrage  uni- 
versel des  citoyens  protestants.  Les  Pasteurs  sont  nommés  par  le  suffrage  universel 
des  paroissiens.  Ils  se  réunissent  en  Compagnie  des  Pasteurs,  chargée  de  l'instruction 
religieuse  et  de  l'enseignement  théologique  dans  les  établissements  d'instruction  pu- 
blique, de  l'admission  et  de  la  consécration  des  candidats  au  saint  ministère. 

Le  culte  catholique,  salarié  par  l'Etat,  a  une  position  spéciale,  par  suite  des  traités 
conclus  &  l'occasion  des  cessions  de  territoires  catholiques  faites  à  Genève  après  la 
Restauration.  Faits  en  vue  de  donner  une  garantie  de  maintien  au  culte  de  ces  par- 
celles de  territoire,  ils  ont  fini  par  lui  créer  une  situation  privilégiée.  Le  Conseil 
d'Etat  a  cependant  le  droit  d'approbation  sur  la  nomination  des  curés ,  faite  par  l'évê- 
que.  Celui-ci,  qui  porte  le  titre  d'Evêque  de  Lausanne  et  de  Genève,  a  sa  résidence  à 
Fribourg,  et  relève  immédiatement  de  Rome. 

Description  de  la  Ville.  —  La  partie  la  plus  grande  et  la  plus  ancienne  de 
Genève  est  construite  sur  un  coteau  de  cent  pieds  de  hauteur,  situé  à  l'endroit  où 
le  Rhône  sort  du  lac,  sur  la  rive  gauche.  La  ville  descend  de  là  en  s'étageant  vers 
le  nord  jusqu'au  bord  du  fleuve.  Sur  la  rive  droite  est  le  quartier,  ci-devant  fau- 
bourg, de  Saint-Gervais,  qui  tire  son  nom  du  saint  auquel  était  dédiée  l'église  parois- 
siale :  il  va  en  s'élevant  graduellement  jusqu'à  une  hauteur  de  trente  et  quelques 
pieds.  Les  rues  de  la  ville  haute,  et  les  rues  en  pente  qui  la  réunissent  à  la  ville 
basse,  sont  généralement  étroites,  comme  dans  la  plupart  des  cités  du  moyen-âge  ; 
les  rues  basses  sont  plus  larges;  c'est  là  qu'est  le  centre  du  commerce;  les  maisons 
sont  hautes,  et  ont  communément  trois  ou  quatre  étages. 

Genève  n'offre  qu'un  seul  monument  vraiment  digne  de  ce  nom:  c'est  son 
ancienne  cathédrale,  Saint-Pierre,  Cette  église,  dont  la  fondation  remonte  au  10"  ou 
au  H*  siècle,  porte  l'empreinte  d'une  école  tout  à  la  fois  artistique  et  cléricale, 
qu'un  architecte  de  notre  pays,  très-versé  dans  l'archéologie  sacrée,  appelle  école 
sacerdotale  secondaire.  Elle  fut  dès-lors  et  successivement  continuée,  retouchée  et 
réparée,  et  elle  conserve  les  traces  bien  marquées  des  divers  styles  qui  se  sont  suc- 
cédé jusqu'au  16*"  siècle.  §on  étendue  (206  pieds  sur  112),  ses  heureuses  propor- 
tions, le  caractère  plein  d'unité  et  l'ornementation  sévère  de  son  intérieur,  produisent 
un  ensemble  empreint  d'une  remarquable  harmonie,  et  d'une  grandeur  qu'on  peut 
qualifier  de  majestueuse.  Contre  le  flanc  droit  de  la  cathédrale  est  appuyée  la  grande 
chapelle  des  Macchabées,  fondée  en  1408  par  le  cardinal  de  Brogny,  prélat  qui  pré- 
sida à  ce  célèbre  concile  de  Constance  qui  déposa  trois  papes,  en  élut  un  nouveau. 


^60 


Mt»€.  rmoftc^i:. 


ri  rrirvlaroru  Jean  Hu^  H  JérAme  ât  Prague.  —  Ao  mWitm  é%  18"  svclf  te  v-f^L^;^ 
de  Saint-Pierre  ayant  nè-e^té  une  restaoration  partieUe.  4m  rteco^rcA  i>i:ix 
par  <itf*\ant.  en  MjMiluant  à  l'ancien  portail  cankiértMiqoe  it  iêéifire.  wmt  ÎK^ty 


Adcich  portail  da  Icmple  de  Sjaial- Pierre. 

imitée  de  celle  du  Panthéon  de  Rome,  et  qui,  belle  en  elle-même,  a  le  tort  de  con- 
traster avec  tout  le  reste  de  cet  édifice,  spécimen  distingué  de  l'art  au  moyen-Age. 

Jusqu'au  commencement  du  siècle  passée  il  n'y  eut  guère  à  Genève  que  de 
modestes  habitations  particulières.  Mais  à  cette  dernière  époque,  le  développement 
des  fortunes  permit  d'élever  un  certain  nombre  de  belles  maisons  d'un  assez  grand 
style.  Ce  mouvement  s'arrêta  bientôt  :  l'étroite  enceinte  des  fortifications,  refaites  en 
1734,  ne  comportait  pas  d'extension. 

Après  la  Restauration,  une  nouvelle  ère  de  prospérité  favorisa  des  construciions 
ultérieures.  Non-seulement  on  utilisa  les  derniers  espaces  disponibles,  mais  on  créa  et 
on  conquit  sur  les  deux  rives  du  fleuve  de  larges  quais  ;  on  les  fit  communiquer  par  un 
pont  en  fer  (grand  quai,  quartier,  pont  et  quai  des  Bergues,  etc.)  ;  enfin,  on  peut  dire 
que  l'on  sut,  avec  bonheur,  mettre  pour  la  première  fois  les  Genevois  à  même  de  jouir, 
sans  sortir  de  leur  ville,  de  l'admirable  aspect  que  la  nature  revêt  sous  leurs  yeux.  On 
trouverait  difficilement  quelque  chose  de  comparable  à  ce  large  fleuve  aux  eaux  si 
pures,  qui  coule  entre  deux  belles  lignes  d'édifices,  à  ces  quais  d'où,  au  milieu  d'une 
ville  populeuse  et  animée,  on  aperçoit  à  côlé  de  soi  le  lac,  sur  le  premier  plan  de 
riants  coteaux,  en  arrière  un  triple  rang  de  montagnes  s'élevant  en  gradins  jusqu'au 


LA    SUISSE    PITTOIIËSUUE. 


SOI 


G«acve  vu  du  lac. 


géant  des  Alpes,  le  Monl-Blanc.  Qu'un  beau  soleil  couchant  vienne  empourprer  de  ses 
reflets  la  ligne  lointaine  des  neiges  éternelles,  rien  ne  manquera  à  la  majesté  saisis- 
sante de  ce  tableau,  dont  on  pourra  encore  diversifier  la  scène  en  allant  visiter 
(|uelques-uncs  des  élégantes  villas  qui  se  pressent  aux  environs.  El  on  s'écriera  avec 

Voltaire  : 

Que  tout  platl  en  ces  lieux  à  mes  sens  étonnés! 
D'un  IranquHle  océan  Teau  pure  el  Iransparenle 
Baigne  les  bords  fleuris  de  ces  champs  fortunés; 
D'innombrables  coteaux  ces  champs  sont  couronnés; 
Bacchus  les  embeUit;  leur  insensible  pente 
Vous  conduit  par  degrés  à  ces  monts  sourcilleux 
Qui  pressent  les  enfers,  el  qui  fendent  les  cicux. 

La  démolition  des  fortifications,  commencée  en  1849,  en  rendant  disponibles  de 
vastes  terrains  à  bâtir  tout  autour  de  l'ancienne  ville,  a  permis  aux  nouveaux  quais, 
créés  vingt  ans  auparavant,  de  s'étendre  en  amont,  sur  les  deux  rives  du  Rhône  ;  de 
grandes  et  belles  constructions  s'y  sont  élevées,  et  s'élèvent  encore  de  jour  en  jour  : 
c'est  une  nouvelle  ville,  aux  commencements  de  laquelle  nous  assistons. 

Contributions  publiques.  —  Elles  sont  assez  élevées  en  ce  qui  touche  les  capitaux 
acquis;  elles  le  sont  très-peu  pour  Tindustrie.  Voici  leurs  principales  blanches  : 

Droits  de  sairessiou.  Les  successions  sont  sujettes  à  des  droits,  qui,  augmentés  en 
1851 ,  sont  :  tf)de  60  centimes  par  100  francs  en  ligne  directe,  et  entre  époux  lorsqu'il 
existe,  à  l'époque  du  décès,  des  descendants  issus  du  mariage  ;  —  b)  de  Z  fr.  60  cent. 
|)ar  100  francs  entre  frères  et  sœurs,  oncles  et  neveux  ou  petits-neveux  ;  — c)de 
5  fr.  40  cent,  par  100  francs  entre  cousins-germains,  et  entre  époux  lorsqu'il  n'y  a 
pas  de  descendants  ;  —  d)  de  12  francs  pour  100  francs  dans  tous  les  autres  cas. 

Ventes  d'immeubles.  Elles  supjwrtent  un  droit  de  cinq  pour  cent. 

1I.3J.  71 


S69  LA  SUISSE  pittoiies(h:e. 


Enregistrement,  Timbre.  La  plupart  des  actes  civils  et  judiciaires  sont  sujets  i  des 
droits  d^enregistremeiit  variés  ;  le  papier  pour  ces  actes  et  les  effets  de  commerce  est 
sujet  au  timbre. 

Contribution  foncière.  Les  immeubles,  bâtis  ou  non,  y  sont  assujettis.  Dans  son 
I  assiette,  on  a  singulièrement  ménagé  les  campagnes.  Ainsi,  tandis  que  le  sol  non-bàli 

du  canton  ne  paie  que  34,615  francs  par  an,  soit  kO  centimes  par  pose,  mesure  de 
Genève  (ou  1  fr.  51  cent,  par  hectare),  les  propriétés  bâties  en  paient  110,472.  El 
sur  ce  chiffre,  tandis  que  les  maisons  de  la  ville  de  Genève  valant,  de  constnictioD, 
j  54,572,500  francs,  paient  75,203  francs  d'impôt  (soit  1  fr.  37  cent,  par  an 

pour  1000  francs  de  capital),  les  bâtiments  de  la  campagne,  estimés  de  même 
I  65,392,500  francs,  ne  paient  que  35,268  francs  d*impAt  (  52  cent,  par  an  pour 

1000  francs  de  capital).  Moyenne  générale  de  la  contribution  foncière  sur  les  bâti- 
ments, 92  centimes  sur  1000  francs. 

Tiue  mr  les  fortunes.  Cette  taxe  dilïère  de  Vincome-ta.r  d'Angleterre,  en  ce  qu'elle 
ne  frappe  que  les  capitaux  mobiliers,  et  non  les  revenus  de  Tindustrie.  Elle  fut  éta- 
blie en  1816,  à  raison  de  demi  pour  mille  de  5  â  50,000  francs,  et  de  un  pour  mille 
sur  l'excédant  ;  elle  produisait,  de  1841  à  1850,  un  revenu  moyen  de  107,551  francs. 
Elle  fut  donbléeen  1851,  et  est  arrivée  à  produire,  en  1854,  238,007  francs;  elle 
est  payée  par  1465  contribuables. 

Taxes  de  luxe  sur  les  domestiques  (croissant  suivant  leur  nombre):  (il  y  en  a 
4076,  dont  3561  femmes);  et  sur  les  voitures  (il  y  en  a  799,  réparties  entre 
536  propriétaires). 

Droit  d'inscription,  soit  tare  sur  r industrie.  Il  y  a  quatre  classes  de  contribuables, 
depuis  50  centimes  jusqu'à  12  francs  par  an.  Les  plus  importantes  industries  ne 
dépassent  pas  ce  dernier  chiffre,  sauf  les  auberges,  cafés  et  débits  de  vin,  et  le  col- 
portage. Le  nombre  des  personnes  imposées  est  de  6216. 

Taxe  fiersonnelle  de  3  fr.  25  cent.  Elle  est  imposée  à  tout  chef  de  ménage  ayant  do- 
mestiques ou  un  appartement  d'un  loyer  excédant  160  francs  à  la  ville,  95  francs  à  la 
campagne.  Il  y  en  a  6957  d'imposés  ;  or,  comme  la  population  du  canton  se  répartit 
en  15,275  feux  ou  familles,  il  y  en  a  8318,  ou  plus  de  moitié,  qui  ne  paient  rien. 

Résultats  ijénéraux.  Si  l'on  compare  ensemble  ceux  des  vingt  dernières  années,  on 
trouve  que  dans  la  première  période  décennale,  de  1835  â  1844,  les  dépenses  du 
canton,  tant  ordinaires  qu'extraordinaires,  étaient  en  moyenne  de  1 ,095,030  francs; 
elles  étaient  couvertes  par  les  recettes,  qui  laissaient  même  à  la  fin  de  cette  période 
un  solde  en  caisse  de  388,133  francs;  il  n'existait  aucune  dette  publique.  Dans  la 
dernière  période  décennale,  de  1845  à  1854,  les  dépenses  se  sont  élevées  à  une 
moyenne  de  1,472,344  francs  (augmentation  d'un  tiers);  les  receltes,  loin  de  suivre 
cette  proportion,  ont  présenté  un  déficit  moyen  annuel  de  123,645  francs;  le  boni 
antérieur  a  été  absorbé  ;  un  Grand  livre  de  la  dette  publique  a  été  ouvert  (  loi  du 
14  août  1848),  et  100,000  francs  de  rente  y  sont  inscrits,  sans  parler  de  la  dette 
flottante  par  rescript  ions,  etc. 

Instruction  publliqle.  —  Elle  est  montée  sur  un  pied  considérable ,  car  Genève 
y  a ,  dès  le  moment  de  la  Réforme ,  attaché  une  grande  importance ,  et  Calvin  fut 
le  fondateur  de  l'Académie  en  1559.  L'instruction  particulière  a  aussi  toujours  été 
Irès-développée  :  beaucoup  de  jeunes  gens  viennent  de  très-loin  recevoir  leur  édu- 


LA    SUISSE    PITTORESQUE.  Îf63 


cation  à  Genève;  celte  ville  fournit  beaucoup  d'instituteurs  et  d'institutrices  aux 
pays  étrangers. 

L'instruction  primaire  est  entièrement  gratuite  ;  chaque  commune  a  au  moins 
une  école.  Les  écoles  primaires  publiques  comptent  plus  de  5000  élèves  des  deux 
sexes,  soit  un  douzième  de  la  population  totale. 

L'instruction  secondaire  est  donnée ,  pour  les  garçons ,  dans  deux  collèges ,  celui 
de  Genève  (473  élèves),  et  celui  de  Carouge  (seulement  49),  partagés  chacun  en 
deux  divisions,  l'une  classique ,  l'autre  industrielle  et  commerciale  ;  pour  les  filles, 
dans  une  école  secondaire  (152  élèves). 

Au-dessus  du  Collège  classique  est  un  Gymnase,  après  lequel  les  élèves  passent 
dans  la  faculté  des  sciences  et  des  lettres  de  l'Académie.  Enfin  le  haut  enseignement 
se  termine  par  une  faculté  de  théologie  protestante  et  une  faculté  de  droit.  L'Aca- 
démie et  le  Gymnase  réunis  ont  en  tout  27  professeurs  ordinaires  ;  ils  ont  compté 
jusqu'à  270  étudiants. 

Divers  établissements  auxiliaires  et  spéciaux  viennent  se  rattacher  à  cet  ensemble. 
Tels  sont  une  Ecole  industrielle  (dessin,  mathématiques,  sciences  physiques  et  mé- 
caniques), une  Ecole  de  Gymnastique,  une  Institution  de  sourds- muets ,  un  Obser- 
vatoire, une  Bibliothèque,  particulièrement  riche  en  ouvrages  anciens,  et  libéra- 
lement ouverte  à  tous  les  citoyens,  pour  la  lecture  et  pour  le  prêt  des  livres  à 
domicile. 

Institutions  scientifiques,  etc.  —  Au  18*  siècle,  l'esprit  genevois  s'était  dirigé 
vers  les  sciences  et  les  arts,  plus  que  vers  les  lettres.  Mais  une  étude  individuelle  et 
solitaire  ne  suffit  pas  pour  les  faire  fleurir;  il  leur  faut  le  travail  collectif,  l'aide  et 
l'encouragement.  L'exiguité  du  pays  ne  comportait  pas  les  savantes  académies,  ni 
les  établissements  libéraux  que  les  grands  Etats  ont  fondés  dans  ce  but.  On  ne  pouvait 
rien  attendre  que  de  l'initiative  et  de  l'action  des  particuliers,  réunis  par  l'esprit 
d'association.  On  y  fit  appel,  et  ce  ne  fut  pas  en  vain.  Les  premiers  efforts  furent 
dirigés  vers  le  côté  le  plus  pratique  et  le  plus  généralement  utile  au  pays  ;  on  fonda 
en  1776  une  Société  pour  l'avancement  des  arts:  elle  avait  surtout  pour  but  les 
beaux-arts  et  l'industrie.  L'Etat  lui  confia,  comme  à  la  réunion  des  meilleurs  ex- 
perts, la  direction  de  l'Ecole  gratuite  de  dessin  qu'il  avait  ouverte  quelques  années 
auparavant.  La  Société  y  ajouta  un  enseignement  et  des  primes  pour  les  sciences 
les  plus  utiles  à  l'industrie  nationale,  comme  la  mécanique,  etc. 

Un  peu  plus  tard,  on  vit  naître  une  association  exclusivement  scientifique.  En 
1790,  une  Société  de  Physique  et  d'Histoire  naturelle  vint  réunir  les  amateurs  de  ces 
belles  et  attrayantes  sciences.  Rappeler  que  cette  Société,  toujours  subsistante ,  a  eu 
pour  membres  les  Charles  Bonnet,  les  De  Saussure,  les  De  Candolle  et  tant  d'autres, 
c'est  dire  qu'elle  a  compté  dans  son  sein  des  hommes  qui  ont  été  à  la  tète  des 
sciences  qu'ils  ont  cultivées.  C'est  à  son  initiative  que  l'on  doit  la  fondation  du 
Jardin  botanique  et  du  Musée  d'histoire  naturelle. 

A  la  Restauration,  la  Société  des  Arts  s'augmenta  d'une  troisième  section  ou  Classe, 
celle  d'Agriculture  :  c'était  consacrer  l'importance  que,  depuis  un  certain  nombre 
d'années,  la  culture  du  sol  avait  conquise  dans  le  pays.  Grâce  à  quelques  hommes 
éclairés,  elle  s'était  singulièrement  développée,  elle  était  devenue  un  objet  d'é- 
tudes, de  recherches  comparées  et  d'expérimentation.  La  Classe  stimula  et  " 


5r>i  |.%    SI  ISSfC    WTTimK-SKE. 


IV  priigrës  |iar  des  primes  anntieiles.  par  rinspection  de  I  elal  des  terres,  par  Fin- 
(nidurtion  de  nouveaux  instruments  aratoires,  des  plus  belles  et  meîlleares  races 
d'animaut  domestiques,  de  cultures  nouvelles  et  de  méthodes  perfiectioanées,  et  en 
honorant  Ta^rriculture.  S4»rtie  de  la  pratique  routinière,  pour  devenir  la  pios  utile 
di*s  scieno's  appliquées. 

En  1837,  une  S^M-irté  d'Hi^ioht*  ei  d' An'h^btt^ic  réunit  les  amateurs  de  ces  sciences, 
e|»diri<;ea  s|)écial(Mnent  leurs  études  vers  tout  ce  qui  peut  éclairer  d*un  jour  exact  et 
complet  le  pas.sé  de  la  vieille  République  genevcMse. 

Ajoutims  eni*ore  la  S«w*»#7#»  nMioih,  et  Vlnstilui  geféevoh  de.<  hcinwes,  des  leUres,  de$ 
hftinr-ath,  J/»  /'fin/fM/nV  et  d**  ViviricHUHrf,  fondé  par  la  loi  du  i8  avril  1852.  Ces 
diverses  sociétés  publient  des  Bnlleùn*  et  des  Mémoires, 

Etablisschots  df.  bif.maisav:c.  —  Ils  S4>nt  très-multipliés  :  nous  ne  pouvons  en 
dire  que  quelques  mots  généraux. 

L'ancienne  République  et  S4^  citoyens  avaient  fondé  et  doté  plusieurs  institutions 
de  charité.  La  principale,  IHôftihil  de  Génère  actuel,  établi  place  du  Bourg-de-Four, 
dans  de  vastes  lK\timenls  bien  aérés,  décorés  d'une  belle  façade  et  construits  en  4709, 
est  à  la  fois  un  iitK^picr  où  sont  S(»ignés  les  malades,  et  une  caisse  de  secours  à  domi- 
cile pour  les  indi<zents.  — (lomme  lidpital,  il  reçoit,  chiffre  moyen,  environ  900 
malades  |)ar  an,  et  il  en  a  une  centaine  par  jour  simultanément  :  la  mortalité  n'y 
est  que  de  10  à  ii  pour  cent  :  la  journée  de  malade  y  revient  à  1  fr.  80  c.  par  jour. 
(>>mme  lK)urse  de  charité,  il  savourait  en  4843  plus  de  iOOO  individus;  ses  dépenses 
étaient  de  iiO  à  i40  mille  francs,  dont  les  deux  tiers  pour  assistances;  il  y  était 
pourvu  pour  une  forte  moitié  par  les  revenus  de  ses  fonds  ou  capitaux  accumulés, 
pour  le  reste  imr  les  offrandes  annuelles  de  la  charité,  et  par  le  produit  de  quelques 
concessions  gouvernementales,  C4)mme  les  pompes  funèbres,  etc.  —  Il  y  avait  en 
outre  des  Bourses  fondées  pour  les  protestants  réfugiés,  originaires  de  France,  Italie, 
Allemagne,  etc. 

Au  commencement  de  ce  siècle,  les  fonds  de  ces  établissements  furent  réservés 
aux  anciens  Genevois,  et  de  nouvelles  institutions  furent  créées  par  la  générosité  par- 
ticulière, même  en  quelque  partie  avec  les  deniers  publics,  pour  subvenir  aux 
besoins  des  malades  et  des  |iauvrcs  des  communes  réunies  au  canton  de  Genève, 
dépourvues  d*inslitutions  charitables.  C'est  ainsi  que  furent  établis  le  Bîtreau  de 
bienfaisance,  la  Fondation  Tronchin ,  la  Commission  de  secours  pour  les  commuius 
rurales,  etc.  —  Le  gouvernement  fonda  en  outre  un  vaste  Hospice  pour  les  aUênes, 
qui  a  acquis  un  grand  développement  (400  personnes  à  la  fois),  et  se  soutient  par 
lui-même. 

Mais  ce  système  de  charité  publique  ne  suffisait  ni  à  tous  les  besoins,  ni  surtout 
aux  vues  de  toutes  les  personnes  bienfaisantes.  Divers  établissements  d'un  genre 
plus  particulier  et  plus  intime  furent  créés,  soit  pour  les  malades  qui  n'avaient  pas 
besoin  d'aller  à  Thôpital  {Dispensaires),  soit  pour  les  vieillards,  les  convalescents,  etc., 
soit  en  vue  de  la  jeunesse  abandonnée  ou  exposée  à  de  fâcheuses  influences,  comme 
les  Orphelims,  V Asile  de  l  enfance,  les  Ecoles  rurales,  la  Société  de  secours  pour  appren- 
tissages, etc.  Tous  ces  établissements  ont  été  exclusivement  dotés  et  soutenus  par  des 
souscriptions,  dons  et  legs  particuliers. 

On  a  calculé  en  1844  que  Tensemble  de  ces  divers  secours,  non  compris  ceux  des 


LA    suisse    PITTORESQUE.  S6K 


bourses  ecclésiastiques  des  deux  cx)[nmunions  et  des  institutions  privées  qui  ne  fai- 
saient pas  appel  à  la  publicité  pour  se  procurer  des  ressources,  montait  à  plus  de 
400,000  francs  par  an,  et  s'appliquait  à  plus  de  4000  personnes  malades,  infirmes, 
vieillards  ou  simples  indigents. 

Les  derniers  événements  politiques  ont  profondément  modifié  cet  état  de  choses  : 
on  a  décrété  un  Hospice  des  Orphelim,  un  Asile  des  Vieillards,  un  Hôpital  cantonal  ; 
ces  vastes  constructions  sont  achevées  ;  la  première  seule  est  en  activité  ;  il  faut 
attendre  les  résultats  de  Texpérience  pour  apprécier  la  portée  de  ces  changements. 

Prisons.  —  Genève  en  a  deux,  qui  méritent  d'être  étudiées  au  milieu  des  établis- 
sements de  ce  genre. 

Une  Maison  de  détention,  construite  sur  l'emplacement  de  l'ancien  Evéché,  d'après 
le  sysième  exclusivement  cellulaire.  Elle  contient  les  prévenus,  les  hommes  con- 
damnés à  un  emprisonnement-  inférieur  à  un  an,  les  femmes  et  les  enfants,  quelle 
que  soit  la  durée  de  leur  peine;  elle  compte  ordinairement  100  détenus. 

Une  Prison  pénitentiaire,  construite  en  1822  d'après  le  système  dit  d'Auburn,  soit 
la  cellule  la  nuit,  et  le  travail  en  commun  ou  atelier  le  jour.  Elle  ne  renferme  que 
les  hommes  condamnés  à  une  détention  d'un  an  ou  plus,  et  en  contient  60  en 
moyenne.  Ils  sont  répartis  en  quatre  quartiers,  soumis  à  des  travaux  obligatoires  et 
h  des  disciplines  différentes,  suivant  leur  degré  de  sévérité. 

Industrie.  —  La  principale  et  la  plus  riche  industrie  de  Genève,  celle  qui  jouit 
de  plus  de  réputation  et  qui  a  les  plus  vastes  débouchés,  est  sa  fabrique  d'horlogerie 
et  de  bijouterie.  Comme  elle  ne  met  point  le  public  dans  la  confidence  de  la  quantité 
et  de  la  valeur  de  ses  produits,  nous  sommes  à  cet  égard  dans  l'ignorance.  Mais  le 
recensement  de  population  fait  en  1843  avec  distinction  de  professions,  nous  donnera 
au  moins  une  idée  du  nombre  de  bras  que  cette  industrie  occupe,  et  qu'elle  rétribue 
d'une  manière  rémunératrice.  On  comptait  alors  dans  le  canton  3335  hommes  et  778 
femmes  employés  activement  dans  Isifabrique;  en  outre,  1026  femmes  et  21 02  enfants 
vivaient  du  produit  de  ce  même  travail  :  total  7238  personnes  relevant  de  cette 
industrie,  soit  une  sur  huit  et  demie  de  la  population  totale. 

Quant  au  commerce  de  Genève,  c'est  surtout  celui  de  consommation  d'une  ville 
qui  est  le  centre  de  la  vallée  du  Léman,  et  qui  est  traversée  chaque  année  par  un 
très-grand  nombre  de  voyageurs  et  d'étrangers. 

Institutions  de  crédit.  — Il  y  en  a  plusieurs,  que  nous  allons  mentionner  dans 
l'ordre  de  leur  création. 

Banque  du  Commerce,  fondée  en  1845  :  pour  faire  face  à  l'extension  de  ses  affaires, 
elle  a  en  1855  doublé  son  capital  primitif,  et  l'a  porté  à  3  millions. 

Banque  de  Genève,  d'escompte,  dépôt  et  circulation,  créée  en  1848;  capital, 
1 ,500,000,  fr.  pris  sur  les  fonds  appartenant  aux  anciens  Genevois;  plus  160,000  fr. 
fournis  par  des  actionnaires. 

Caisse  Hypothécaire,  dotée,  à  la  même  date,  du  surplus  des  capitaux  des  anciens 
Genevois  (fonds  capital,  2,130,000  fr.),  destinée  à  prêter  sur  hypothèque  de  biens 
immeubles  situés  dans  le  canton,  et  &  émettre  des  cédules  transmissibles,  correspon- 
dant aux  titres  hypothécaires  créés  en  sa  faveur  ;  le  produit  de  leur  négociation  est 
destiné  à  faire  de  nouveaux  prêts  hypothécaires;  l'émission  de  ces  cédules  s'élève  à 
1,513,500  fr. 


566  LA    StISSE    PITTOKKSQte. 


Banque  yètiérale  misse  de  crédit  fmcier  et  mobilier,  fondée  en  48S3,  au  capital  de 
5  millions,  réalisé  pour  un  peu  moins  des  deux  cinquièmes. 

CnmpUfir  d'Escompte,  fondé  en  4855,  au  capital  de  1,500,000  fr. 

Caisse  d'EiKirgne,  fondée  en  4846;  elle  a  été  toujours  en  progrès  dès-lors,  el 
compte  plus  de  sept  mille  déposants  par  an.  A  la  fin  de  1854,  elle  devait  à  lO^SOi 
déposants  une  somme  totale  de  h,iZ9,hi{  francs  (avoir  moyen  de  chacun,  hM  fr.V. 
elle  leur  bonifie  un  intérêt  de  3  *  ,  pour  cent. 

AssiRANCK  CONTRE  L*iNCENDiB.  — Gcnève  a,  dcpuis  1821,  une  assurance  mutuelle 
obligatoire  entre  tous  les  propriétaires  de  bâtiments,  de  ville  et  de  campagne,  d'ha- 
bitation ou  de  simple  dépendance. 

Les  b&timents  de  la  ville  de  Genève  sont  assurés  pour   fr.    54,572,500 
Ceux  des  autres  communes »     65,392,500 

Total.*  .  .  fr.  119,965,000 
Et  le  mouvement  des  constructions  nouvelles  ou  d^amélioration  des  anciennes  a 
été  si  prononcé,  que  la  valeur  estimative  des  bâtiments,  qui  n'était  en  1824  que 
de  56,030,900  fr.,  a  plus  que  doublé  en  33  ans.  Cette  somme,  divisée  entre  les 
64,146  habitants  du  canton,  fait  que  Thabitation  de  chacun  d'eux  ressort  à  un  ca- 
pital moyen  de  1870  fr.  Le  montant  des  sinistres,  également  réparti  entre  tous 
sur  la  base  unique  de  la  valeur,  et  sans  distinction  des  catégories  de  risques,  est, 
en  moyenne  annuelle,  de  43  centimes  par  1000  francs. 

Chemins  de  fer  et  voies  de  comminication.  — Genève  doit  en  1857  communiquer 
avec  Lyon  par  un  chemin  de  fer  établi  sur  la  rive  droite  du  Rhône,  et  dont  la  cons- 
truction est  déjà  très-avancée.  Elle  doit  aussi  être  reliée  avec  Berne  et  le  nord  de  la 
Suisse  par  une  voie  ferrée  :  cet  objet  est  à  l'heure  qu'il  est  soumis  aux  délibérations 
des  Conseils  de  la  Confédération. 

Quant  aux  bateaux  à  vapeur,  ils  sillonnent  notre  lac  depuis  1823,  et  mettent 
Genève  en  rapports  journaliers,  faciles,  prompts  et  économiques,  avec  toutes  les 
villes  du  littoral. 


Nous  aurions  encore  beaucoup  â  dire  pour  passer  en  revue,  même  sommairement, 
une  foule  de  points  essentiels  concernant  le  canton  de  Genève  ;  mais  l'espace  nous 
manque,  et  il  faut  savoir  s'arrêter. 

Edoiard  Mallet. 


THE  NEW  yovx     I 


COîyTRÉES  VOISINES  DE  LA  SUISSE. 


-«=sx^rf^>^=» 


De  quelque  côté  qu'il  arrive  ,  Télranger  ne  peut  s'approcher  de  la  Suisse  qu'en 
traversant  des  régions  intéressantes..  Le  but  de  cet  ouvrage  n*est  point  de  faire  une 
description  détaillée  de  ces  contrées  qui  entourent  la  Suisse  ;  jetons  y  cependant  un 
rapide  coup-d'œil. 

4 .  Jura  français.  —  Une  grande  partie  de  la  région  jurassique  appartient  à  la 
France  (voyez  page  71  ).  Si  la  nature  revêt  en  général  dans  le  Jura  un  caractère 
plus  âpre  et  plus  sévère  qu'au  milieu  des  Alpes,  si  l'on  n'y  trouve  pas  des  sites  aussi 
grandioses,  des  paysages  aussi  pittoresques  et  aussi  variés,  on  y  rencontre  toutefois 
non-seulement  des  plateaux  arides  et  monotones,  et  de  sauvages  déserts  de  rochers, 
mais  de  frais  vallons,  de  beaux  pâturages,  de  grandes  forêts,  des  sources  limpides, 
jaillissant  à  grands  flots,  des  chutes  d'eau  remarquables.  —  C'est  dans  Tarrondisse- 
raent  de  Gex,  voisin  de  Genève,  que  s'élèvent  les  plus  hautes  sommités  du  Jura,  le 
Reculet,  le  Grand-Colombier,  leCrédoz,  etc.,  d'où  l'on  embrasse  un  horizon  magni- 
fique. On  y  découvre  moins  distinctement  les  Alpes  centrales  de  la  Suisse,  que  du 
sommet  de  la  Dôle  ou  des  autres  cimes  du  Jura  situées  plus  au  nord,  mais  en  revan- 
che on  y  aperçoit  un  grand  nombre  de  sommités  neigeuses  dans  la  direction  de  Gre- 
noble. Non  loin  de  la  frontière  vaudoise,  l'abondante  source  de  la  Divonne  est  utilisée 
pour  un  vaste  établissement  hydrothérapique.  Près  de  Gex,  la  source  de  la  London 
jaillit  au  fond  d'un  vallon  paisible  et  romantique.  Au  point  où  se  termine  la  pre- 
mière chaîne  du  Jura  est  situé  le  défilé  du  Fort-de  l'Ecluse,  qui  est  gardé  par  la  for- 
teresse de  ce  nom.  Le  chemin  de  fer  de  Genève  à  Lyon  passera  au-dessous  de  celle- 
ci  ;  c'est  un  peu  au-delà  du  fort  que  s'ouvrira  le  tunnel  qui  débouchera  au-dessus  de 
Bellegarde.  Ce  tunnel,  qui  ne  doit  être  achevé  qu'en  1857,  aura  une  longueur  de 
plus  de  3900  mètres,  ou  11,800  pieds  (plus  de  trois  quarts  de  lieue).  Près  de  Belle- 
garde,  le  Rhône  s'engouffre  avec  fracas  entre  des  parois  de  rocher  très-rapprochées; 
pendant  les  basses  eaux,  il  est  en  partie  caché  par  des  rochers  surplombants:  c'est  ce 
qu'on  appelle  la  Perte  du  Rhône.  Un  pont  d'une  seule  travée  est  jeté  d'un  bord  à 
l'autre.  Une  demi-lieue  plus  haut  est  le  pont  de  Grésin,  appuyé  sur  un  rocher  qui 
occupe  le  milieu  du  fleuve.  Une  demi-lieue  au-dessous  de  la  Perte,  près  du  village 
d'Arlod,  le  fleuve  est  encore  tellement  resserré  qu'on  le  passe  sur  un  pont  formé 
simplement  de  deux  pièces  de  bois.  Entre  ce  pont  et  la  Perte,  au  confluent  du  Rhône 
et  de  la  Valserine,  torrent  qui  est  aussi  profondément  encaissé,  on  voit  des  moulins 
dans  un  site  extrêmement  sauvage  et  pittoresque. 


^<'>8  LA    SUSSE    flTTOReàiflE. 


1^  eonirrr  comprise  entre  le  Rhdne  et  le  cours  de  l'Ain  portait  autrefois  le  nom 
de  Btttjnj  :  elle  a  lon«;tem|»s  appartenu,  ainsi  que  le  pays  de  Gex,  ausL  ducs  de  Savoie. 
Les  buts  d'excursion  U»s  plus  intéressants  sont  les  environs  de  Bellev  (petite  ville 
tju'on  sup|N)se  avoir  existé  antérieurement  à  lepoque  de  César,  et  qui  devint  épb 
co|iale  en  414);  le  défilé  de  Pierre-Châtel,  entre  Bellev  et  Yenne,  défendu  par  une 
forteresse  du  côté  de  France;  les  environs  de  Saint-Rambert  ;  le  vallon  de  rAIltariiie. 
où  ve  torrent  fait  la  cascade  de  Charabotte  :  le  val  Romay,  avec  la  belle  cascade  de 
t>»rveirieux  ;  le  joli  vallon  où  se  trouvent  les  ruines  de  la  Chartreuse  de  Meyriat,  au 
sud  de  Nanlua  ;  la  vallée  et  le  lac  de  Nantua,  etc.  Le  Bugey  fournit  un  cbamp  d'c 
tude  à  rarchéohigue.  Ainsi,  près  de  Bellev,  et  dans  le  val  Romay,  Ton  a  trouvé  des 
inscriptions,  des  monnaii's,  des  statues  et  des  restes  de  murailles  d*origine  romaine: 
près  d'Ambérieux,  on  a  reconnu  des  traces  de  campements.  Mais  le  village  d'Isernoie, 
à  deux  lieues  de  Nantua,  mérite  surtout  d'attirer  l'attention  :  on  y  voit  encore  le> 
fondements  d*un  temple,  dont  il  reste  debout  trois  colonnes-pilastres  angulaires, 
hautes  de  18  à  40  pieds;  on  y  reconnaît  au  centre  la  base  du  sanctuaire.  Ce  temple, 
qui  avait  une  longueur  de  68  pieds  sur  58,  a  dû  être  consacre,  selon  les  uns,  à  M^n^ 
ou  à  Mercure,  selon  d*autres,  à  une  déesse.  Les  fouilles  opérées  dans  le  voisinage  ont 
fait  découvrir  en  outre  des  salles  de  bains,  des  aqueducs,  des  mosaïques,  etc.  Isemore 
a  été  ville  épisc*opale  sous  les  rois  bourguignons.  On  dérive  son  nom  de  Isaruj  demh 
dieu  des  anciens  Goths,  ou  de  henwdurum,  soit  Imrndore,  qui  signifie  porte  de  fer 
(  Eiserne  Thor)  dans  Tidiôme  germanique.  —  On  trouve  également  sur  divers  poinb 
du  Bugey  des  antiquités  celtiques,  telles  que  des  poy/^i,  ou  petits  tertres,  qu'on 
regarde  comme  des  tombeaux,  et  des  piei  res  levées  ou  planlées,  c'est-à-dire  des  pierres 
de  forme  allongée,  enfoncées  en  terre  par  une  de  leurs  extrémités,  et  qu'on  suppose 
être  des  monuments  druidiques.  La  partie  méridionale  du  Bugey  a  beaucoup  de  vigno- 
bles dans  les  expositions  favorables.  La  plus  haute  sommité  du  pays  est  celle  du  Co- 
lombier, qui  domine  Seyssel. 

Les  hauteurs  du  Jura  couvrent  aussi  une  grande  partie  des  départements  du  Jura 
et  du  Doubs  ;  près  de  Lons-le-Saulnier  et  de  Besançon  elles  ne  sont  plus  que  des 
collines.  On  exploite  dans  cette  contrée  des  mines  de  fer  et  plusieurs  salines.  VAin  i 
sa  source  dans  le  département  du  Jura  ;  il  fait  un  grand  nombre  de  chutes  pittores- 
ques dans  la  partie  supérieure  de  son  cours.  Les  sources  de  la  Seille,  au  nord  de  Lons- 
le-Saunier,  et  celles  du  Listtn,  près  de  Salins,  méritent  aussi  d'être  visitées.  En  divers 
lieux,  par  un  caprice  de  la  nature,  les  rochers  ont  pris  des  formes  très-bizarres;  tek 
sont  les  rochers  de  Syrotl,  non  loin  de  la  source  de  l'Ain,  et  les  foriificûlmis  naturelles, 
entre  Clairvaux  et  Saint-Laurent.  A  Loysia,  près  Saint-Amour,  s'ouvrent  de  vastes 
grottes  remplies  de  stalactites.  Le  déparlement  du  Doubs  cite  comme  curiosités  na- 
turelles, une  source  intéressante,  dite  Fontaine  ronde,  à  trois  lieues  au  sud  de  Pon- 
tarlier  ;  les  sources  de  la  Lone,  dans  un  vallon  de  rochei^,  à  trois  lieues  au  nord  de  la 
même  ville;  les  grottes  dOsselles  ou  de  Quingey,  au  sud  de  Besançon;  on  y  voit  des 
stalactites  des  formes  les  plus  singulières  et  les  plus  variées,  représentant  des  chapi- 
teaux, des  colonnes,  des  statues,  des  autels,  des  tombeaux,  des  orgues,  etc.  Le  dépar- 
tement possède  plusieurs  glacières  naturelles,  à  Chaux-les-Passavants,  à  Pierre- 
Fontaine,  etc.  Enfin,  la  belle  cascade  qu'on  appelle  le  Saut  du  Doubs,  appartient 
à  la  France  en  même  temps  qu'à  Neucliàtel. 


LA    StISSK    nTTUKIiSQlK.  569 


2.  Alsace,  Vosges.  —  L'Alsace  a  depuis  quinze  ans  des  communications  fréquentes 
(*t  rapides  avec  la  Suisse,  par  le  moyen  de  la  voie  ferrée  de  Strasbourg  à  Bàle,  la 
première  qui  ail  abouti  au  territoire  suisse.  La  distance  entre  ces  deux  villes  est 
franchie  en  quatre  ou  cinq  heures.  L'Alsace  a  de  vastes  et  fertiles  plaines,  limitées  d'un 
côté  par  le  Rhin,  de  l'autre  par  la  chaîne  des  Vosges,  dont  quelques  cimes  dépassent 
4000  pieds.  Ces  montagnes  sont  riches  en  mines;  on  y  exploite  de  l'argent,  du 
plomb,  du  fer,  de  l'asphalte,  etc.,  et  elles  ne  sont  pas  dénuées  de  beautés  pittores- 
ques.  On  y  trouve,  à  quelques  lieues  à  l'ouest  de  Strasbourg,  les  cascades  de  Nydeck, 
(le  Sulzbach  et  de  Kappelbrunn.  Strasbourg  est  une  place  de  guerre  très-forte.  La 
tour  de  sa  cathédrale,  haute  de  490  pieds,  est  l'édifice  le  plus  élevé  de  l'Europe  ; 
commencée  en  4276,  cette  tour  ne  fut  achevée  qu'en  1439.  Sur  des  places  publi- 
(|ues  sont  érigées  la  statue  du  général  Kléber  et  celle  de  Gutenberg,  inventeur  de 
rimprimerie,  et  dans  une  île  du  Rhin  le  monument  du  général  Desaix,  mort  à  Ma- 
rengo.  A  quelques  lieues  de  Bàle  est  Mulhouse,  ancienne  ville  libre,  alliée  des 
Suisses,  et  qui  fleurit  par  son  industrie;  elle  possède  plusieurs  fabriques  de  draps 
d'indiennes,  de  rubans,  etc. 

3.  FoRÊT-NoiRE.  —  La  partie  méridionale  du  Grand-duché  de  Bade  est  traversée 
par  une  chaîne  de  montagnes,  en  partie  granitique,  qui  porte  le  nom  de  Forét-Noire, 
et  au  milieu  de  laquelle  le  Danube  prend  ses  sources,  près  de  Donaueschingen  ;  la  prin- 
ei|)ale  jaillit  dans  le  jardin  du  prince  de  Fûrstenberg.  Le  point  culminant  de  la 
chaîne  est  le  Feldbenj,  haut  de  4600  pieds,  d'où  l'on  découvre  un  immense  pano- 
rama, que  limitent  au  loin  les  sommets  des  Vosges,  du  Jura  et  des  Alpes.  Du  côté 
(lu  sud-ouest,  s'élèvent  le  Bôlchm,  4370  pieds,  et  le  Blatieii,  3586  pieds.  Vers  le 
nord-ouest  s'étend  le  HôllentkU,  ou  vallée  de  l'Enfer,  dont  la  partie  supérieure  a  un 
(^ractère  sauvage  et  grandiose;  le  point  le  plus  remarquable  s'appelle  Hirschempriuigj 
saut  du  cerf.  C'est  par  cette  vallée  que  Moreau  opéra  sa  retraite,  en  1796.  Elle  dé- 
bouche près  de  Fribonrg  en  Brisgau,  ville  situ(3e  dans  une  contrée  riante,  à  douze 
lieues  de  Bàle.  La  cathédrale  de  Fribourg  est  une  des  églises  gothiques  les  plus  belles 
de  l'Allemagne;  elle  est  admirée  tant  pour  l'harmonie  de  ses  proportions  que  pour  le 
bon  goût  qui  règne  dans  son  ornementation.  Elle  fut  commencée  en  1152;  mais  la 
lour,  qui  est  élevée  de  385  pieds,  ne  le  fut  qu'en  1236.  L'Université  de  Fribourg 
est  renommée  pour  sa  faculté  de  théologie  catholique.  Une  lieue  au  nord  de  la  ville 
sont  situées  les  ruines  du  château  des  comtes  de  Zâhringen,  desquels  descend  la 
famille  des  grands-ducs  de  Bade.  A  quelques  lieues  vers  le  sud,  au  pied  du  Blauen, 
se  trouve  Badenweiler,  qui  possède  des  eaux  thermales,  et  où  Ton  voit  des  restes 
(le  bains  romains  (Voy.  p.  299).  Les  ruines  de  son  château,  ainsi  que  celui  de 
Bûrglen,  commandent  une  belle  vue  sur  le  Rhin  et  les  Vosges.  Du  sommet  du 
Blanen,  la  vue  s'étend  aussi  jusqu'aux  Alpes  et  au  Jura. 

4.  Rives  septentrionales  du  l.\c  de  Constance.  —  Entre  le  canton  de  Schafl' bouse 
et  le  lac  de  Constance  s'élèvent  plusieurs  collines  de  forme  conique,  qu'on  regarde 
comme  un  groupe  de  petits  volcans  éteints,  et  sur  lesquelles  on  trouve  maintenant 
des  ruines  de  châteaux  :  tels  sont  ceux  de  UohenstolTeln,  de  Hohenkrfiehen  et  de 
HohenlwieL  Ce  dernier,  qui  était  très-fort,  fut  pris  et  détruit  par  les  Français  en 

11  33  72 


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Stf^Uifi:  TiWe  H  I>r'j«^-i*  j  %ajri  ]  jjrerit  fc>  Vir*irlj.>-ri*'.  La  pr-L;*  v.  -r  or  F-u 
kjf'h.  HiW  4  f|u<-li»*«^  li^-ij^  au  «*Ji4.  e«4  voi^oe  d  un  d-ir-  q.^.  'w*.  st-^ti--:'   » 
t>*«ràirif  'J**  H<fri;;liriU  r^^fnl^dU  :  Ma^^-^ria  el  }l*'bhj€  \  fureiît  rr(».iiis6eî>  fiitr  iftï«  All" 
i  Ui^-mt-ii  IIU'J  4^  1>^H),  A  l>a  *f  FeWLirc'L  sVmvre  la  Ta..^  -t  I  L.  ç-^  i*  ic 
lonj^e  au  Mid  i-^t^  wiij%  br  norn  d^r  >al  Monlafoun,  en  s'apfinclkaiit  ia  RbrCik-c    L* 
MtlU'i'  Lfié-t'àU: tUt  K\*^U'r  al»u(it au  pd'.^a;:^  d<.' rAriberg    fm  A%^- ^^ : .  id.<ïIjct>:  > 
ïnv^U'f.  l'fUHK   1^  Urile  rou(#f  qui  le  franchit  Ci»Dduit  daoi>  le  T}a4  fofv^rarr-. 
dit,  l't  d^;U/u''lK'  («ar  le  romantique  val  Kosanna  à  Laodeck.  sur  les  k<^  et  l  lis, 
Ih'AiX  iintfnhs  vMi^-s  t\roliennr-s  confinent  a%'ec  les  Grisons:  crfle  de  linu  -; 
i*tl\i*  Ait  rAdi;;<^  XjA  première  n*e>t  que  le  prolongemenl  de  b  vallée  griâMMie  ôc 
I  Kfif^dinc.  \à%  \nnu\s  Urs  plus  intéressants  sr^nt  :  la  gorge  grandiose  de  /1rii««rr»«ii^j. 
d  |M'U  de  distance  de  la  frontière;  elle  est  défendue  par  un  retrancfaeiBent ;  plvs  knr:. 
la  raM*ade  du  Letzliach  ;  les  ruines  de  la  forteresse  de  Kronberg,  etc.  A  plus  d*? 
vin^  lieucK  de  la  Suîsm;  est  situé  Innshnuk,  que  domine  le  S^tUirim,  haut  do 
94  00  pie^is.  On  visite  surtout  dans  cette  ville  le  pompeux  sarcophage  de  Ma^imi- 
lien  r%  et  le  monument  élevé  à  André  Hofer,  paysan  qui  s'illustra  dans  h  glorieuse 
lutte  c^intre  les  Français.  —  La  vallée  de  TAdige  commence  non  loin  de  Finst^mûnz. 
dont  elle  n'est  M'^paréc  que  par  un  col  très-bas.  De  Glourns  elle  se  dirige  à  Test, 
sous  le  nom  de  Vintschgau,  vers  Meran  et  Botzen.  Elle  est  rendue  pittoresque  par 
les  ruim*s  d'un  grand  nombre  de  manoirs  féodaux;  d'autres  châteaux  sont  plus  ou 
moins  bien  conscMvés ;  tel  est  C4*lui  de  Tjrol,  qui  a  donné  son  nom  au  pays,  et  qui 


LA   SriSSK   PinORKSOlK.  57i 


fut  la  première  résidence  de  ses  princes.  Il  commande  une  vue  admirable,  qui 
s'étend  jusqu'aux  glaciers  de  l'Ortelerspilz.  C'est  dans  une  vallée  voisine  de  Meran, 
celle  de  Pamir,  qu'est  le  lieu  de  naissance  d'André  Hofer.  Le  Tyrol  est,  comme  la 
Suisse,  riche  en  glaciers  et  en  cascades  ;  mais  la  nature  ne  lui  a  pas  prodigué  les 
lacs.  Sauf  quelques  petits  lacs  de  montagne,  il  ne  peut  guère  citer  que  YAchemee, 
long  de  trois  lieues,  et  qui  occupe  un  frais  et  mélancolique  vallon,  à  quelques  lieues 
d'Innsbruck,  au  nord  de  l'Inn.  Le  Tyrol  est  la  province  autrichienne  qui  possède  le 
plus  de  privilèges  ;  c'est  la  seule  où  la  classe  des  paysans  soit  représentée  dans  les 
Etats.  La  franchise,  la  loyauté,  l'attachement  à  leur  souverain,  et  l'amour  de  leur 
pays,  sont  quelques-uns  des  principaux  traits  du  caractère  des  Tyroliens.  Ils  ont 
combattu  avec  acharnement  contre  l'agression  française. 

6.  Valteline.  —  Nous  avons  nommé  plusieurs  fois  la  Valteline  dans  le  résumé 
de  l'histoire  des  Grisons.  Après  avoir  longtemps  gémi  sous  le  joug  des  Ligues  grises, 
la  Valteline  fut  annexée,  en  1797,  à  la  République  cisalpine;  plus  tard,  elle  passa 
sous  la  domination  de  l'Autriche,  qui  en  avait  dès  longtemps  convoité  la  possession. 
Le  voyageur  qui  vient  de  parcourir  la  Suisse  ou  le  Tyrol,  éprouve  une  impression 
pénible  en  traversant  la  Valteline.  Sa  population  a  l'air  triste  et  sombre;  elle  est 
pauvre,  ignorante,  et  peu  civilisée;  beaucoup  de  villages  ont  un  aspect  misérable. 
La  Valteline  est  une  vallée  longue  de  20  lieues,  qui  s'étend  des  sources  de  TAdda 
au  lac  de  Côme.  La  partie  supérieure  s'appelle  pays  ou  comté  de  Bormio  (ou 
Worms).  Cette  région  est  très-élevée  et  environnée  de  montagnes  de  1 0  à  12, 000 pieds. 
Bormio  est  à  3864  pieds;  plusieurs  vallons  latéraux  aboutissent  à  des  glaciers;  tel 
est  celui  qui  porte  le  nom  de  Bout  du  Monde,  et  qui  s'approche  de  la  base  de  l'Or- 
teler.  Bormio  communique  avec  les  Grisons  par  plusieurs  sentiers  de  mulets,  et 
avec  le  Tyrol  par  la  belle  route  du  Siekio  (Stilfsjoch)  (  voy.  page  403).  Cette  route, 
qui  s'élève  à  8600  pieds,  est  la  plus  haute  de  l'Europe  ;  c'est  la  voie  militaire  la 
plus  directe  entre  Milan  et  Vienne  par  le  Finstermûnz  etinnsbruck.  Elle  passe  près 
d'une  grande  cascade  qu'on  appelle  Fonte  d'Adda,  source  de  l'Adda,  et  qui  s'élance 
d'un  trou  percé  au  milieu  d'une  paroi  dérocher.  C'est  quand  on  a  franchi  le  défilé  de  la 
Serra,  au  sud  de  Bormio,  qu'on  arrive  sous  un  ciel  italien  et  dans  une  région  d'une  ex- 
trême fertilité,  qui  produit  une  riche  récolte  de  maïs  et  une  grande  quantité  de  vins. 
Il  y  croît  aussi  des  forêts  de  châtaigniers,  des  figuiers,  des  grenadiers,  des  oliviers,  etc. 
A  Tirano  s'ouvre  la  vallée  grisonne  de  Poschiavo,  qui  conduit  au  col  du  Bernina. 
Sondrio,  chef-lieu  de  la  vallée,  est  au  débouché  du  val  Malengo,  dont  les  deux  bifur- 
cations aboutissent  aux  vastes  glaciers  de  la  chaîne  du  Bernina.  Les  habitants  de  cette 
vallée  se  distinguent  avantageusement  de  leurs  voisins  par  leur  industrie  et  leur  acti- 
vité. Enfin,  à  deux  lieues  de  Morbegno,  le  plus  beau  bourg  du  pays,  on  arrive  au  lac 
de  Cdme.  Morbegno  est  dominé  par  le  Monte-Lignone,  qui  élève  sa  tête  jusqu'à 
8040  pieds,  et  d'où  l'on  embrasse  un  panorama  majestueux.  —  Quant  à  Chiavenm, 
situé  au  nord  de  ce  lac,  nous  en  avons  dit  quelques  mots  à  l'occasion  du  SplOgen.  Son 
sort  a  été  le  même  que  celui  de  la  Valteline. 

7 .  Lac  de  Côme  .  —  Ce  lac,  le  kciis  Larim  des  anciens,  est  élevé  de  650  pieds,  et  long 
de  43  à  14  lieues.  Vers  le  milieu  de  sa  longueur,  il  se  divise  en  deux  bras,  à  l'extré- 


57i  L4  Sl'ISSF.  wrmREsoïK. 


mité  desquels  sont  les  villes  de  Côme  el  de  Leoco.  Il  est  formé  par  TAdda,  qui  ea  re^- 
M>rt  par  le  golfe  de  Leoco.  La  route  qui  conduit  en  Valteline  et  au  col  du  Steivio,  soil 
la  vAie  orientale:  elle  passe  au  sud  de  Varenna,  sous  plusieurs  lielles  galeries.  Le 
lac  de  CAme  est  renommé  le  plus  beau  de  tous  les  lacs  italiens.  Il  est  dominé  par 
dos  montagnes  dont  la  hauteur  varie  de  3  à  8000  pieds.  Ses  rives  sont  couvertes 
de  la  plus  riche  végétation,  et  parsemées  de  bourgs,  de  villages,  de  maisons  de  cam- 
pagne, qu'entourent  de  magnifiques  jardins.  Plus  haut  on  voit  s*étager  d'abord  des 
groupes  de  châtaigniers,  puis  des  forêts  de  pins.  On  voit  aussi  sur  ses  bords  les 
ruines  pittoresques  de  divers  châteaux,  celles  de  la  forteresse  de  Fuentès,  celles  de^ 
châteaux  de  Musso,  de  Rezzonico,  etc.  ;  ce  dernier,  situé  en  face  de  Bellano,  avait 
été  construit  par  le  aMèbre  général  Trivulzio.  Au  milieu  des  massifs  de  verdure 
brillent  h*s  blanches  nappes  de  plusieurs  cascades;  telles  sont  :  près  Bellano,  VOrrîdt* 
di  BelUîHo,  haute  de  200  pieds:  près  Varenna,  le  Fimoi^  di  latte,  ou  fieure  de  lail: 
cette  chute  est  haute  de  900  pieds,  et  très-belle  au  printemps;  celles  de  Cologna. 
de  Moltrasio,  de  Nesso,  etc.  Quant  aux  villas  qui  décorent  les  bords  enchantés  de 
ce  lac,  les  plus  remarquables  sont  :  la  rilla  Serbelloni,  vers  la  pointe  du  promontoire 
qui  sépare  les  deux  golfes:  ses  terrasses  présentent  une  végétation  toute  méridionale, 
et  la  vue  y  est  ravissante  ;  du  point  le  plus  élevé  Ton  embrasse  du  regard  les  trois 
bras  du  lac  ;  dans  le  voisinage,  la  rilUi  Melzi,  où  Ton  voit  un  monument  élevé  à 
Dante,  et  un  autre  â  Scipion  :  sur  la  rive  opposée  (  celle  d'ouest),  la  rilla  Sommarim, 
parfumée  de  myrtes  et  de  citronniers,  et  qui  appartient  à  une  princesse  de  Prusse  : 
on  peut  y  visiter  des  appartements  qui  contiennent  une  collection  précieuse  d'objets 
d*art,  en  particulier  une  série  de  bas-reliefs,  représentant  Ventrée  triomfdiale 
d'Alexandre  à  Babylone,  par  Thorwaldsen;  la  villa  Pliniana,  qui  appartient  à  b 
princesse  Belgiojoso:  elle  tire  son  nom  d'une  source  intermittente  décrite  par  Pline 
le  jeune  ;  la  rilla  d'Esté,  qui  fut  longtemps  la  résidence  de  la  reine  d'Angleterre, 
femme  de  Georges  IV,  etc.  —  Cdme  est  une  ville  de  20,000  âmes,  qui  possède  un 
ddme  remarquable;  elle  n'est  qu'à  40  lieues  de  Milan,  où  un  chemin  de  fer  conduit 
en  une  heure  et  demie. 

8.  Lac  Majeur,  lacs  de  Varèse  et  d'Orta.  —  Les  rives  du  lac  Majeur  offrent  de 
"grandes  beautés,  quoiqu'on  les  regarde  comme  inférieures  sous  ce  rapport  à  celles 
du  lac  de  Gôme:  cepi^ndant,  les  environs  des  iles  Borromées  rivalisent  avec  ce  der- 
nier pour  la  magnificence  des  points  de  vue.  Ces  iles  sont  situées  dans  le  golfe  de 
Baveno  :  ce  sont  :  V Isola  Bella,  V Isola  Madré,  V Isola  San-Giovanni  ou  Isolitèo,  qui 
toutes  trois  appartiennent  à  la  famille  Borromée  :  la  quatrième,  V Isola  d^  Pescatori, 
appartient  aux  chanoines  de  Pallanza,  petite  ville  sarde  située  sur  la  côte  voisine. 
C'est  en  1670,  que  l'Isola  Bella,  qui  n'était  qu'un  rocher  stérile,  a  été  converti  en 
riches  jardins,  s'élevant  de  terrasses  en  terrasses  jusqu'à  cent  pieds  au-dessus  du 
lac.  Ces  jardins  offrent  une  vue  magnifique  et  une  admirable  végétation  méridio- 
nale :  l'oranger,  le  laurier,  le  myrte,  l'aîoës,  le  camphrier,  et  même  le  palmier  y 
prospèrent  en  pleine  terre.  On  y  voit  des  jets  d'eau,  des  grottes,  des  obélisques,  des 
statues,  des  mosaïques.  Le  château  est  somptueusement  décoré.  Une  partie  de  l'Isola 
Madré  est  aussi  embellie  par  une  luxuriante  végétation,  mais  l'art  y  a  prodigué 
moins  de  luxe.  —  Du  cùlé  du  nord-ouest,  on  voit  se  refléter  dans  les  eaux  quelques 


LA    SUISSG    P1TTORES01T-.  K73 


cimes  blanches:  ce  sont  celles  du  Siinplon;  c'est  seulement  de  la  partie  méridionale 
du  lac  qu'on  aperçoit  au  loin,  par-dessus  des  croupes  verdoyantes,  les  majestueuses 
crêtes  glacées  du  Mont-Rose.  Ârona,  près  de  l'extrémité  méridionale  du  lac,  fut  le 
lieu  de  naissance  du  cardinal  Charles  Borromée  (4K38).  Sa  famille  et  les  habitants 
de  la  ville  lui  ont  érigé  une  statue  sur  une  colline.  Cette  statue  colossale,  haute 
de  66  pieds,  repose  sur  un  socle  de  40  pieds;  une  sorte  d'escalier  intérieur  con- 
duit jusqu'à  la  tête,  qui  peut  contenir  sept  personnes.  —  Entre  le  lac  Majeur  et 
celui  de  Lugano  se  trouve  le  lac  de  Varèse,  au  milieu  d'une  contrée  délicieuse;  A 
deux  lieues  au  nord  est  la  Madanna  del  Monte,  qui  attire  une  foule  de  pèlerins.  À 
l'ouest  du  lac  Majeur,  le  lac  A'Orta,  élevé  de  1440  pieds,  offre  aussi  des  paysages 
charmants.  Un  petit  bourg  est  pittoresquement  bâti  sur  l'ilot  de  San-Giulio. 

9.  DoMo  d'Ossola  et  Val  Formazza.  —  Des  bords  du  lac  Majeur  on  se  rend  au 
Simplon  en  remontant  la  belle  et  large  vallée  qu'arrose  la  Tosa  ou  Toccia.  Les  mon- 
tagnes y  deviennent  plus  grandioses  à  mesure  qu'on  avance  vers  Domo  d'Ossola, 
Jolie  petite  ville,  dont  le  caractère  est  tout  italien.  C'est  une  lieue  plus  au  nord 
qu'on  passe  le  beau  pont  de  Crevola,  jeté  sur  la  Doveria  qui  descend  du  Simplon,  et 
d'où  l'on  a  sur  le  val  d'Ossola  un  point  de  vue  remarquable.  Cette  perspective 
surprend  agréablement  le  voyageur  qui  se  dirige  vers  l'Italie.  Au-delà  du  pont, 
la  route  du  Simplon  s'engage  dans  de  longs  et  sauvages  défilés,  bordés  de  grands 
précipices  ;  elle  y  passe  sous  deux  galeries  avant  d'atteindre  la  frontière,  au-delà 
du  village  d'Isella.  —  Au-dessus  de  Crevola  la  vallée  de  la  Toccia  porte  le  nom  de 
val  Antigorio,  et  plus  haut  celui  de  val  Formazza.  La  culture  des  vignes,  des  figuiers 
et  des  châtaigniers  s'étend  dans  ce  dernier  jusqu'au  majestueux  défilé  de  Foppiano, 
au-delà  duquel  on  trouve  les  villages  de  Foppiano  (  en  allemand  Unterstalden  ),  d'An 
der  Matt,  de  Wald  (  ou  Pommât,  ou  Formazza  ),  et  de  FruttwaI,  qui  tous  parlent  alle- 
mand. C'est  un  peu  au-dessus  de  FruttwaI  que  la  Toccia  fait  une  magnifique  cataracte, 
large  de  80  pieds  et  haute  de  400,  mais  qui  s'étend  sur  une  pente  inclinée  longue  d'un 
millier  de  pieds.  Les  eaux  se  précipitent  de  chute  en  chute,  et  forment  des  nappes 
variées,  en  bouillonnant  avec  fracas  au  milieu  des  blocs  de  rochers.  Aucune  cascade 
suisse  n'offre  une  pareille  masse  d'eau,  à  l'exception  de  celle  du  Rhin,  près  Schaff- 
liouse,  dont  l'élévation  est  beaucoup  moindre.  Plus  haut  on  arrive  successivement  sur 
plusieurs  plateaux,  qu'animent  quelques  chalets.  Un  sentier  escarpé  conduit  en  Val- 
lais  par  le  glacier  de  Gries,  sur  lequel  on  doit  marcher  durant  20  minutes;  l'élévation 
du  passage  est  de  7340  pieds  ;  un  autre  sentier  conduit  dans  le  val  tessinois  de  Bedretto. 

40.  Vallées  piémontaises  voisines  du  Mont-Rose. — Plusieurs  vallées  se  dirigent  sur 
le  revers  méridional  des  grandioses  sommités  du  Mont-Rose.  Elles  sont  séparées  par 
des  chaînes  élevées,  qui  se  détachent,  à  peu  près  comme  des  rayons,  de  la  chaîne  cen- 
trale, au  sud  du  vaste  cirque  qui  termine  la  vallée  suisse  dé  Zermatt.  Ces  vallées  sont, 
de  l'est  à  l'ouest  :  le  val  Anzasca,  qui  s'ouvre  en  face  de  Vogogna  sur  la  Toccia,  et 
aboutit  à  Macugnaga.  A  gauche  de  ce  village  s'élève  le  Pizzo  Bianco  et  le  Mont-Rose 
lui-même,  en  face,  la  Cima  di  Jazzi,  facile  à  atteindre  du  côté  du  Vallais;  à  droite, 
le  Monle-Moro,  par  lequel  un  passage  difficile  (8386),  et  recouvert  d'un  glacier, 
londuit  dans  la  vallée  de  Saas.  Le  val  Anzasca  est  remarquable  par  sa  fertilité  et  par 


574  LA    SUSSE    PITTORESQrE. 


la  beauté  de  ses  femmes.  —  Le  val  Sesia,  qui  débouche  au  sud  de  VaraUo,  petite  ville 
qui  possède  sur  une  colline  pittoresque,  le  Sacro  Monte,  un  lieu  célèbre  de  pèlerinage; 
celle  vallée  aboutit  presque  au  sud  du  Mont-Rose.  —  Le  val  Lésa  (  ou  Lysthal  ),  qui 
se  termine  au  pied  du  Lyskamm  (crête  de  Lys),  d*où  descend  le  vaste  glacier  de 
Lys.  —  Le  val  ChnlUml,  qui  se  dirige  vers  le  Breithorn,  le  Petit  Mont-Cervin  cl 
les  grands  glaciers  d*Ayas  et  d'Aventine.  —  Enfin,  le  val  Tounianches  dont  les  plus 
hauts  chalets  (sur  le  plan  du  Breuil  à  6188  pieds)  sont  dominés  par  la  pyramide 
hardie  du  Mont-Cervin  ou  Matterhorn  et  les  larges  glaciers  qui  descendent  de  la  crête 
du  col  de  Saint-Théodule.  (On  se  rend  de  Tournanche  à  Zermatt  en  dix  heures  de 
marche,  dont  quatre  environ  sur  la  neige  et  la  glace).  Ces  trois  dernières  vallées 
débouchent  dans  le  val  d*Aosle.  On  parle  italien  dans  les  vais  Anzasca  et  Sesia,  et 
français  dans  les  trois  autres  ;  mais  la  partie  supérieure  de  toutes  ces  vallées  (  sauf 
le  val  Tournanche),  est  habitée  par  des  colonies  allemandes,  qui  ont  conservé  leur 
ancien  langage  et  se  distinguent  aussi  par  leur  honnêteté.  Ces  vallées  sont  remplies 
de  sites  grandioses  et  de  sublimes  horreurs.  Si  Ton  veut  les  visiter  successivement, 
on  peut  imsser  de  Tune  à  l'autre  par  des  cols  très-élevés,  voisins  de  la  chaîne  cen- 
trale, et  dont  quelques-uns  sont  très-difficiles;  mais  l'on  peut  se  rendre,  sans  de 
grandes  difficultés,  de  Macugnaga  à  Chàtillon,  au  débouché  du  val  Tournanche,  en 
franchissant  le  col  Tkirlo,  qui  conduit  dans  le  val  Sesia  (  7890) ,  le  col  Dobbia,  entre 
ce  dernier  et  le  val  Lésa  ;  puis  le  col  de  Ramola,  entre  le  val  Lésa  et  le  val  Chai- 
lant;  enfin  le  col  de  Joti,  qui  conduit  à  Chàtillon.  Du  sommet  verdoyant  de  ce  der- 
nier col,  on  aperçoit  au  loin,  au  fond  du  val  d'Aoste,  les  belles  sommités  du  Mont- 
Blanc.  Le  premier  de  ces  passages  est  le  seul  qui  soit  pénible. 

1 1 .  Val  d'Aoste  et  Cobmayeub.  —  Le  val  d'Aoste  est  une  longue  et  belle  vallée, 
arrosée  par  la  Doire,  dont  les  sources  jaillissent  des  glaciers  du  Mont-Blanc,  et  qui 
sort  des  Alpes  près  d'ivrée  pour  aller  réunir  ses  eaux  à  celles  du  Pô.  La  ville  d'/rrA» 
occupe  une  position  remarquable  ;  dominée  d'un  côté  par  les  dernières  sommités 
alpines,  elle  voit  de  l'autre  s'étendre  d'immenses  plaines.  Elle  est  à  2S  lieues  du  lac 
Majeur  et  à  20  lieues  de  Varallo,  dans  le  val  Sesia,  et  l'on  peut  se  rendre  dans  cette 
direction  en  suivant  le  pied  des  Alpes,  et  passant  par  les  villes  de  Biella  et  Gatinara. 
Si  d'ivrée  on  remonte  la  Doire,  on  rencontre  le  fameux  fort  du  Bard,  bâti  sur  un 
rocher  isolé,  et  qui  était  réputé  imprenable,  mais  dont  Na|)oléon  s'empara  ;  puis  le  pitto- 
resque château  de  Verrex,  au  débouché  du  valChallant  ;  plus  loin,  l'étroit  défilé  du  mont 
Jovet,  où  la  rivière  a  peine  à  se  frayer  une  issue,  et  où  la  route  est  taillée  dans  le 
roc,  et  franchit  même  une  galerie  (travail  attribué  à  Annibal,  et  qui  porte  son  nom). 
Près  de  Chàtillon,  qui  possède  un  château  royal,  la  vallée  prend  la  direction  de  Test 
à  l'ouest.  En  approchant  d'Aoste,  on  passe  au-dessous  de  trois  anciennes  forteresses 
féodales,  celles  de  Fénis,  Nuz  et  Quart,  dont  les  tours  imposantes  sont  assez  bien 
conservées.  Aoste  est  une  jolie  ville  de  6  à  7000  habitants,  dominée  du  côté  du 
sud  par  le  Bec  de  44  heures,  et  par  le  mont  Emilius,  sommités  de  9  à  H  ,000  pieds. 
Elle  s'appelait  jadis  Atigmia  Prœloria,  et  fut  fondée  sur  l'emplacement  d'un  ancien 
camp  romain.  On  y  reconnaît  les  restes  des  murailles  romaines,  formant  un  paral- 
lélogramme régulier;  à  l'un  des  angles  s'élève  encore  une  tour  appelée  Tour  Cor- 
nière, et  qui  sert  de  prison.  Entre  la  ville  et  le  faubourg,  situé  à  l'est,  il  existe  une 


LA    SUISSE    PITTORESQUE. 


575 


-àvi  :";T^'r^'^>x-^-  »  -t^^i/:; 


Roches  cl  Porte  d'Annibal. 


porte  romaine,  qui  a  dû  êlre  la  Porte  Prétorienne,  et  qu'on  appelle  maintenant  Porte 
de  la  Trinité;  elle  offre  trois  arcades,  dont  la  plus  élevée  est  celle  du  centre.  Au 
bout  du  faubourg,  on  voit  le  bel  arc  de  triomphe  érigé  en  l'honneur  d'Auguste,  pour 
perpétuer  le  souvenir  de  ses  victoires  sur  les  Salasses,  habitants  du  val  d'Aoste  ;  il  est 
orné  de  dix  colonnes  corinthiennes  et  très-bien  conservé.  Les  autres  souvenirs  de 
l'antiquité  sont  les  ruines  d'un  pont,  les  restes  d'un  cirque,  ceux  d'un  amphithéâtre 
ou  basilique,  des  souterrains,  des  inscriptions,  etc.  Une  tour  ronde,  datant  du 
moyen-âge,  s'appelle  aujourd'hui  la  Tour  des  Lépreux;  elle  est  connue  par  la  char- 
mante nouvelle  de  X.  de  Maistre.  La  place  Charles-Albert  est  décorée  d'un  bel  Hôtel- 
de-ville  moderne.  Le  chemin  qui  descend  du  grand  Saint-Bernard  débouche  au  nord 
d'Aoste;  on  jouit  vers  le  bas  de  la  descente  d'une  très-belle  vue  sur  la  cité  et  sur 
ses  fertiles  et  riants  alentours. 

A  l'ouest  d'Aoste,  la  roule  passe  sous  des  pentes  couvertes  de  vignes  en  terrasse, 
et  les  paysages  sont  embellis  par  un  grand  nombre  de  châteaux.  A  huit  lieues  de  la 
cité,  on  arrive  aux  bains  et  au  village  de  Pré  Saint-Didier,  situés  au  pied  du  col  du 
Petit  Saint-Bernard,  qui  conduit  en  Tarentaise*.  Non  loin  de  là  est  Cormayeur, 

1.  D'après  les  recherches  savantes  et  consciencieuses  du  général  Melville,  et  surtout  de 
M.  André  De  Luc,  il  paraît  que  c'est  par  le  Petit  Saint-Bernard  qu'Annibal  a  franchi  la  chaîne 
centrale  des  Alpes,  après  être  entré  en  Savoie  par  le  Mont  du  Chat,  qui  domine  le  lac  du  Bourget. 
Un  opuscule  récent  de  M.  Jacques  Replat,  jurisconsulte  d'Annecy,  prétend  faire  passer  Annibal 
par  la  vallée  de  Beaufort,  et  par  les  cols  du  Bonhomme  et  de  la  Seigne  ;  mais  les  difficultés  que 
devait  présenter  cette  route,  surtout  à  la  fin  d'octobre,  époque  du  passage  des  Carthaginois, 
rendent  extrêmement  peu  vraisemblable  cet  ilinéraire,  qui,  sur  la  carte,  paraît  en  effet  le  plus 
direct.  L'opinion  de  M.  Replat  se  fonde  principalement  sur  des  passages  de  Polybe,  ou  tronqués 
ou  cités  d'après  une  traduction  défectueuse.  La  voie  du  Petit  Saint-Bernard,  que  les  Romains 
rendirent  praticable  aux  voitures,  et  qui  pourrait  aujourd'hui  le  redevenir  à  peu  de  frais,  devait 
nécessairement  être  connue  du  prince  des  Insubres  et  des  guides  qui  étaient  allés  à  la  rencontre 


57ri 


t%  MtssK  rrrriniRHii  K. 


renommi^  pKir  î<»s  fau%  roioérales.  [>e  Pré  Saint-Didier  et  de  Connayeur,  le  Monl 
BI.IIK-  el  l'Ai;:uillc  du  Gt'^ant  font  une  vive  impression  sur  le  voyageur  par  leurs 
f«»riiH>  ;:i::<ink->i]iK*s.  CVsi  entre  ces  deu\  cimes  que  se  trouve  le  col  du  Géant,  élevé 
ile  |II,:>IN)  piiils.  et  sur  lofiuel  IV»  Sau<«ure  passa  seize  jiKirs  en  1788;  le  passage 
^ur  l«-> ^'ljiM»rs  e>l  difficile.  Dans  l'été  de  1855,  un  Anglais  a  tenté  de  faire  Tascen- 
M.fi  du  M'»nl  BI.UJC.  en  priant  de  Girmayeur  el  Tranchissanl  le  col  du  Géant,  et  il 
a  n  joint  de  Taulre  cùté  la  voie  ordinaire,  en  remontant  la  vallée  de  la  Mer  de  Glace. 
Ou«l«|uo>  s»mniitcs  V(»isino$  de  G>raiayeur,  el  particulièrement  le  Crament,  soni 
•k>  >taliou%  propiirs  p«»ur  omlempier  la  majestueuse  cliaincdu  Mont-Blanc.  Prés  de 
<:«»nna>cur  i-sl  le  omfluent  dos  deux  liras  de  la  Doire,  dont  Tun  sort  des  gtaciersdu 
%al  Fcrre\,  el  Taulre  de  ceu\de  rAllée-Blancbe.  Ces  deux  vallées  sonl  également 
|il«»iiH*s  de  sau\a;:(*s  beautés.  —  Le  val  d*Aoste  est  ricbe  en  vignobles  et  en  diverses 
autans  cultures.  On  exploite  plusieurs  mines  dans  ses  vallées  latérales.  Les  Romains 
y  cxploHèrcnl  jadis  des  mines  d*argent. 

li.  S%\oiE.  —  Nous  avons  encore  à  dire  quelques  mots  d'une  contrée  qui  abonde 
(^n  beautés  pittoresques.  Enumérons  les  principales  localités  qui  attirent  les  touristes, 
ou  qui  sont  les  plus  dignes  d'attirer  leur  attention.  Le  lieu  le  plus  fréquenté  de  la 
Sa\t»ie  est  la  vallée  de  Chttmtmir.  située  au  pied  du  Mont-Blanc.  Il  ne  se  passe 
puères  d'été  siins  (]ue  des  pas  humains  n'atteignent  la  cime  de  ce  roi  des  montagnes 
d'Eurii|)e;  cette  ascension  exige  deux  jours,  ou  au  moins  un  jour  el  demi.  On  monte 
(MMiIre  les  ilam's  du  n»lo>se  pour  plisser  la  nuit  dans  la  cabane  établie  près  des 
nicbers  nomnRS>  les  Gntwh  Mufrh;  le  malin  suivant  on  gravit  jusqu'à  la  sommité, 
d'où  l'im  fieiit  le  ménn?  jour  redescendre  à  Chamonix*.  La  fatigue  ou  un  change- 
ment  de  temps  survenu  brusquement  force  quelquefois  les  voyageurs  à  renoncer  à 
leur  entreprise.  Ceux  qui  réussissent  à  l'accomplir  sonl  témoins  d'un  spectacle 
sii>iv!>iint,  et  s'ils  sont  favorisés  d'un  beau  clair  de  lune,  la  nuit  passée  sur  le> 
hauteurs  leur  pnicure  aussi  les  plus  vives  émotions.  Mais  la  grande  masse  des 
touristes  se  borne  à  faire  des  excursions  moins  pénibles.  Contre  le  massif  même  du 
.Mont-Blanc,  ils  visitent  :  le  Monl-Anrerl,  qui  domine  la  Mer  de  Glace  ;  le  Glacier 
flt*s  litHs  ou  .Vt  i/t*  tjhin\  le  plus  grand  des  glaciers  du  Mont-Blanc;  il  est  long  d'en- 
\  iron  trois  lieues,  et  de  forme  demi-circulaire  :  il  descend  dans  la  vallée  à  une  petite 

«I  ionibal  jusqu'au  bord  dn  Rhdne.  Cesl  vraisemblablemeot  celle  qu^avaieDl  suivie  les  diverses 
iniisralious  i^auloises  qui  eD«ahirent  rilalie.  Dans  le  premier  volume  du  prëseal  ouvrage  (la 
Suisse  Hisioriq^^  par  M.  Gaullieur},on  lit,  pa^elS,  une  noie  à  Tappni  de  lalliéorie  de  M.  Replat. 
.Nous  croyions  cependant,  en  toute  assurance,  pouvoir  repousser  l'opinion  du  savant  professeur 
d'histoire,  m^me  étayée,  comme  elle  Test  dans  cette  note,  de  ravis  de  Tillustre  i^néral  Dafour. 
Nous  crovonsque  l'inspection  des  localités,  jointe  à  Tétude  du  teite  de  Poljbe,  suffit  pour  faire 
écarter  les  idces  émises  par  M.  Replat.  Nous  avons  consacré  à  leur  récitation  un  opuscule 
spécial  qui  a  paru  en  1851. 

â.  C'est  le  8  août  1786  que  la  cime  dn  Mont-Blanc,  après  plusieurs  teotaUves  infructueuses, 
a  été  gravie  pour  la  première  fois.  Ce  fut  le  sieur  Paccard  et  J.  Balmat  qui  firent  cette  ascension. 
Le  3  août  1787.  le  célèbre  de  Saussure  atteignit  aussi  la  cime.  Dès-lors,  un  grand  nombre  d'autres 
ascensions  ont  été  eiécutées,  surtout  par  des  voyageurs  anglais.  Une  Française,  M"«  d'Ange  ville, 
et  une  paysanne  de  la  %  allée  de  Chamonit,  Marie  Paradis,  qui  l'avait  précédée,  sont  les  deui 
>eHles  femmes  qui  soient  parvenues  au  sommet  du  Mont>Blanc.  L*horiion  qn*on  y  embrasse  n'a 
'  pas  moins  de  60  lieues  de  rayon  ;  cependant  comme  les  lointains  sont  souvent  trés-vaporeni,  ce 
panorama  ne  l'emporte  réellement  pas  en  magnificence  sur  ceui  qui  se  déroulent  aui  regards 
du  %o,^ageur,  qui  a  gra%i  des  montagnes  inférieures  au  Mont-Blanc  de  4  à  5000  pieds. 


LA    StISSE    PITTOKESQUE.  877 

lieue  de  Chamonix,  et  fournit  la  source  de  TArveyron,  qui  tantôt  sort  d'une  voûte  de 
glace,  tantôt  se  fraie  plus  haut  une  issue  en  formant  une  grande  cascade  ;  le  Jardin, 
])etite  oasis  entourée  déglaces  ;  c'est  un  plateau  de  rocher  qui  se  tapisse  de  fleurs  au 
mois  d'août  ;  sa  hauteur  est  de  8&84  pieds  ;  le  Glacier  des  Bossons,  remarquable  par 
sa  blancheur  et  par  les  belles  aiguilles  qui  le  terminent  ;  dans  le  voisinage  est  la 
belle  cascade  des  Pèlerins,  dont  les  nappes  d'eau  prennent  des  formes  singulières. 
Sur  la  chaîne  opposée,  on  escalade  la  sommité  escarpée  du  Brévent  (7840),  la  station 
la  plus  favorable  pour  contempler  les  magnifiques  pentes  glacées  du  Mont-Blanc  ; 
on  en  distingue  tous  les  détails  de  la  base  au  sommet  ;  on  peut  y  suivre  la  marche 
des  caravanes  qui  en  font  l'ascension.  De  la  sommité  de  la  Flégère,  moins  haute  et 
d'un  abord  plus  facile,  on  jouit  aussi  de  l'admirable  panorama  qu'offrent  les  cimes 
du  Mont-Blanc  et  les  aiguilles  voisines.  Le  Chapeau,  petit  plan  couvert  de  gazon  et 
situé  en  face  du  Mont-Anverl,  est  un  point  d'où  l'on  embrasse  tout  l'ensemble  de  la 
vallée;  on  peut  en  même  temps  y  observer  toutes  les  déchirures  et  les  pyramides  du 
Glacier  des  Bois.  Du  col  de  Bahne,  limitrophe  du  Vallais,  on  découvre  également 
une  vue  remarquable  sur  la  vallée  de  Chamonix  et  sur  le  Mont-Blanc. 

La  vallée  qui  conduit  de  Chamonix  à  Genève,  et  qu'arrose  l'Arve,  offre  plusieurs 
points  pittoresques,  particulièrement  la  cascade  de  Chèdêj  celle  A'Arpemiz,  haute  de 
800  pieds,  etc.  Une  surprise  attend  le  voyageur  qui  arrive  de  Genève  à  Sallanches: 
il  ne  peut  voir  sans  admiration  se  dévoiler  tout  à  coup  à  ses  regards  les  majestueuses 
cimes  du  Mont-Blanc.  De  Sallanches,  on  peut  visiter  la  vallée  de  Saint-Germis,  qui 
s'ouvre  près  des  bains  et  de  la  belle  cascade  de  ce  nom.  Cette  vallée,  qui  est  riche 
en  sites  pittoresques,  conduit  au  sauvage  col  du  Bonhomme  (7580),  par  où  l'on  se 
rend  dans  l'Allée  Blanche  et  à  Cormayeur.  A  l'ouest  de  la  vallée  s'élève  le  Mont-Joly, 
(7900),  d'où  les  cimes  du  Mont-Blanc,  vues  en  profil,  présentent  aussi  l'aspect  le 
plus  grandiose.  La  vallée  de  Sirt,  située  au  nord  de  Chamonix,  possède  un  site 
unique  dans  les  Alpes:  c'est  une  réunion  de  20  à  2S  cascades  qui  descendent  d'une 
même  pent«  escarpée,  couronnée  de  vastes  glaciers,  réunion  qu'on  nomme  Fer  à 
Cheval,  à  cause  de  la  configuration  de  la  montagne  ;  la  plupart  de  ces  ruisseaux 
forment  plusieurs  chutes  successives,  en  coulant  sur  des  pentes  de  gazon  étagées  les 
unes  au-dessus  des  autres,  et  séparées  par  des  parois  à  pic.  Sixt  ne  communique 
avec  le  Yallais  que  par  des  passages  très-difficiles.  On  fait  de  Sixt  en  six  ou  sept 
heures  l'ascension  du  Buet,  cime  arrondie  en  forme  de  coupole,  et  haute  de  9576 
pieds;  il  n'y  a  que  deux  heures  de  marche  sur  la  neige  et  sur  la  glace.  La  vue  y 
est  de  toute  beauté;  elle  s'étend  à  l'ouest  jusqu'à  laJigne  du  Jura, et  elle  plonge  dans 
la  longue  vallée  du  Vallais.  Cette  montagne  peut  s'escalader  aussi  du  côté  de  Va- 
lorsine  ou  de  celui  de  Servez. 

Vers  l'ouest  de  la  Savoie,  les  bains  d'Aix  jouissent  d'une  réputation  méritée,  qui 
fait  affluer  une  foule  de  malades.  Dans  le  voisinage  s'étend  le  beau  lac  du  Bourgel, 
dominé  d'un  côté  par  la  Dent  de  Nivolet,  de  l'autre  par  le  Mont  du  Chat,  montagnes 
qui  s'élèvent  à  4  ou  5000  pieds.  Le  passage  par  lequel  on  franchit  le  Mont  du  Chat 
doit  avoir  été  témoin  d'un  combat  d'Annibal.  Les  environs  d'Aix  sont  en  même  temps 
fertiles  et  pittoresques.  Il  en  est  de  même  de  ceux  de  Chamhénj,  chef-lieu  de  toute  la 
province.  C'est  à  20  minutes  au  sud  de  cette  ville  que  sont  les  ChanneUes,  maison 
de  campagne  située  sur  un  coteau  délicieuse,  et  rendue  célèbre  par  le  séjour  qu'y  fit 

11.33  73 


578  u  M IS8R  mTORCsore. 

J.-J.  Rousseau.  Non  loin  de  Chambéry  s*ouvre  une  vallée  qui  conduit  à  Lyon,  par 
le  passage  des  Echrll^^t,  longue  galerie  qui  date  de  1 81 7,  et  au  débouché  de  laquelle  on 
arrive  subitement  en  vue  du  territoire  français*.  Un  peu  plus  loin  oommence  la  large 
et  majestueuse  vallée  du  Grawvn^nn,  par  laquelle  on  se  rend  à  Grenoble.  Cesl  au 
milieu  du  groupe  de  montagnes  qui  s*élève  à  Touest  de  cette  vallée  que  se  cache 
la  Grnnâê  Chnrtreuxe,  ou  ChartrenM»  df  Grenoble;  de  Taulre  côté  se  trouvent  les  bains 
AWU^rnrd  et  ceux  à^l'nmjf,  au  f(i>nd  de  vallons  latéraux,  ainsi  que  plusieurs  contrées 
sauvages,  telles  que  le  plateau  AesSe^l  Lun  {Sept  Ltr^K  Au-delà  de  Mootmélian,  se 
réunissent  deux  autres  routes:  Tune  conduit  au  Mont-Genis,  par  Tétroite  vallée 
de  l'Arc  (la  Maurienne).  où  Ton  travaille  actuellement  à  un  chemin  de  fer:  Tautre 
remonte  l'Isère,  et  conduit  par  Albertville  et  Moutiers  au  pied  du  Petit  Saint- 
Bernard.  M'uilirrx,  cheMieu  de  la  Tarentaise,  possède  des  salines,  et,  à  quelque  dis- 
tance, des  bains  d*eaux  minérales.  La  Tarentaise  recèle  de  grands  glaciers  et  des 
vallées  intéressantes,  mais  peu  fréquentées,  telles  que  celle  de  Bozel,  celle  de  Tignes, 
près  les  sources  de  Tlsère,  celle  de  Pr's^y,  où  Ton  exploite  des  mines  de  plomb  et  d'ar- 
gent. —  Il  nous  reste  à  nommer  Annecy,  ville  située  au  bord  d'un  joli  lac,  et  qui 
s'est  bien  embellie  depuis  quelques  années;  enfin  les  villes  de  Tkonon  et  d'Etian, 
sur  les  bords  du  lac  de  Genève.  Les  bains  d'Evian  ont  acquis  une  certaine  vogue, 
due  soit  à  Teflicacité  de  leurs  eaux,  soit  aux  promenades  variées  qu'offrent  les  rives 
du  lac,  les  hauteurs  voisines  et  leurs  beaux  groupes  de  châtaigniers,  ainsi  que  les 
champêtres  et  paisibles  vallées  du  Chablais.  La  route  qui  suit  les  bords  du  Léman  a 
été,  près  du  Vallais,  taillée  au  bas  des  sauvages  rochers  de  Meillerie,  qui  font  bce 
aux  gracieuses  rives  de  Clarens  et  de  Montreux.  Le  prolongement  de  cette  route  con- 
duit en  Italie  par  le  Simplon. 

1.  CeUe  galerie,  loofoe  d*eii>iron  325  métrés,  avait  été  commeocée  loot  NapoléoD. 


RECTIFICATIONS  ET  ADDITIONS. 


.-•i«»*^A  :t?>>«V:Att*«*^ 


Page  42.  Quelques-unes  des  capitulations  avec  les  divers  cantons  étant  échues  et 
les  autres  devant  Tétre  dans  un  ou  deux  ans,  le  roi  de  Naples  a  conclu  directement, 
avec  les  régiments  à  son  service,  une  nouvelle  capitulation  pour  le  terme  de  30 
années,  par  laquelle  il  confirme  tous  les  avantages  qu'assuraient  les  précédentes. 

P.  43.  Le  chiffre  total  de  la  population  protestante  en  Suisse  et  celui  de  la  popu- 
lation catholique  doivent  être  transposés,  afin  d*étre  placés  au-dessous  de  leur  colonne 
respective. 

P.  54.  Les  produits  de  Tindustrie  suisse  ont  figuré  aussi  avec  honneur  à  Texpo- 
sition  de  Paris  en  4855.  Plusieurs  industriels  ont  reçu  des  décorations  ou  des 
médailles  d'honneur. 

P.  61.  Au  nombre  des  sociétés  suisses,  il  faut  ajouter  une  Société  industrielle,  qui 
a  été  créée  dans  les  cantons  allemands,  et  qui  a  pour  but  de  développer  l'industrie 
et  d'encourager  des  expositions.  —  Les  deux  sociétés  d'étudiants  qui  ont  été  men- 
tionnées se  sont  réunies,  dans  l'automne  de  1855,  en  une  seule,  sous  le  nom  de 
Nouvelle  société  de  Zofingen. 

P.  68,  1.  10.  Nous  ne  persistons  pas  dans  les  doutes  énoncés  au  sujet  de  la  hau- 
teur des  pics  Mischabel.  Vus  du  sommet  du  Siedelhorn  qui  domine  le  Grimsel,  les 
plus  hauts  de  ces  pics  paraissent,  en  effet,  au  moins  égaux  au  Weisshorn  en  élé- 
vation . 

P.  69.  Au  sujet  de  l'élévation  des  pics  du  Bernina,  voyez  les  notes  page  353. 

P.  70,  ligne  31.  La  hauteur  du  col  de  Bernina  n'est  pas  de  6390  pieds,  mais  de 
7390  ;  d'autres  mesures  ont  donné  7185.  —  Le  col  de  Buffalora,  entre  le  Mûnster- 
thal  et  Cernetz  dans  l'Engadine,  doit  être  compté  au  nombre  des  cols  praticables 
pour  des  voitures  légères.  Relativement  au  col  Scarla,  voyez  la  note  page  401 . 
Quant  au  Séptimer,  il  a  cessé  d'être  fréquenté  par  les  chars,  vu  la  raideur  de  sa  pente 
méridionale. 

P.  80,  1.  35.  Au  lieu  de  nœtne  couche  de  neige,  lisez  mifice  couche  de  neige. 

Berne.  P.  154,  1.  3.  Le  nouveau  pont  monumental  construit  sur  l'Aar  au  nord 
de  Berne,  s'appelle  le  pont  de  la  Tiefenau;  sa  hauteur  est  de  près  de  100  pieds,  et 
ses  trois  arches  peu  évasées  franchissent  un  espace  d'environ  300  pieds. 

P.  163.  Le  sentier  qui  conduit  de  Grindelwald  à  la  Mer  de  Glace  n'est  pas  com- 
plètement sans  danger,  même  en  été.  Le  18  août  1855,  au  matin,  une  grande  ava- 
lanche de  neige,  descendue  des  pentes  de  l'Eiger,  se  précipita  sur  le  Glacier  Inférieur 
(à  2  lieues  de  Grindelwald),  et  quelques  débris  de  neige  furent  lancés  contre  la 
pente  opposée  par  dessus  tout  le  glacier  et  le  sentier  qui  en  suit  le  bord. 


580  LA    SUSSE    PITTORKHMK. 


Llc£RNe.  p.  177,  I.  10.  Le  poêle  de  l*abbaye  des  Bouchers,  devenu  célèbre 
depuis  la  conspiration  de  la  Mordnncht  (nuit  de  meurtre),  a  été  détruit  depuis  une 
dizaine  d*annét*s  ;  on  n*en  a  conservé  qu'une  seule  brique,  ^e  Ton  montre  encore, 
ainsi  que  la  table  des  buveurs,  qui  a  été  seulement  recouverte  de  planches  neuves. 

P.  184,  I.  6.  Le  pont  nommé  Hofhrfirkf,  qui  traversait  une  petite  baie  du  lac  et 
qu*on  avait  raccourci  il  y  a  quelques  années,  a  été  dès-lors  supprimé  complètem^t. 

P.  191.  Une  exposition  industrielle  très-intéressante  a  eu  lieu  durant  Tété  de 
1855  dans  la  petite  ville  de  Willisau.  Environ  10,000  objets  de  toute  espèce  ont 
été  envoyés  de  10  cantons  diiïérents;  ils  remplissaient  un  grand  nombre  de  salles. 

ScHWYTz.  P.  il9.  On  peut,  de  Mouotta,  se  rendre  dans  le  Schâchenthal  au  canton 
dXVi,  par  la  sauvage  et  solitaire  vallée  de  Bisi  et  par  un  col  facile,  quoique  assez 
élevé,  le  BoUi,  d*où  Ton  jouit  d'une  vue  admirable  sur  les  sommités  de  la  Wind- 
gâlle,  du  Ruchihom,  du  Scheerhorn  et  du  Claridengrat,  et  sur  les  grands  glaciers 
qui  en  descendent.  Du  sommet  du  passage  on  peut  se  diriger,  à  gauche,  du  côté  du 
Klausenpass,  et  desi*endre  par  rUrnentioden  vers  le  canton  de  Glaris.  Le  B<Mi  est 
très-peu  fréquenté  et  en  général  omis  ou  mal  indiqué  sur  les  cartes. 

Unterwald.  p.  2i6,  I.  47.  L'espace  gagné  par  le  dessèchement  partiel  du  lac  de 
Lungern  est  maintenant  couvert  de  cultures  et  parsemé  d'habitations. 

P.  SiS,  I.  Si.  D'après  Tinscription  qu*on  lit  dans  le  cimetière  de  Stanz,  le  nombre 
des  Unterwaldois  qui  périrent  en  repoussant  les  Français  en  1798,  est  de  4H  et 
non  de  386. 

P.  i35.  Un  nouveau  monument  doit  être  dans  quelque  temps  érigé  à  Stanz  en 
rhonneur  de  Winkelried.  Dans  la  mais<m  qu'il  doit  avoir  habitée,  une  chambre  esl 
disposée  en  forme  de  chapelle,  et  Ton  y  dit  la  messe  toutes  les  semaines. 

P.  i36.  On  voit  au  hameau  de  FiCihli  une  chapelle  pittoresquement  située,  et 
tout  auprès  est  une  jolie  habitation  qu'occ*upe  enœre  la  famille  de  Flûe.  —  Le  site 
de  la  Melch-Àlp  est  très- remarquable:  on  y  voit  se  refléter  dans  le  lac  de  Melcb, 
long  d'environ  demi-lieue,  une  longue  ligne  de  sommités  neigeuses,  entre  autres  le 
Titlis.  Après  être  sorti  du  lac,  la  Meleh-Alp  se  précipite,  en  formant  une  cascade, 
dans  un  grand  trou  de  rocher.  Le  sentier  qui  de  là  conduit  à  Meyringen  par  la  Tann- 
Alp  et  par  les  plateaux  du  Hasiiberg,  offre  une  série  de  grandioses  perspectives. 

Glaris.  P.  ih6.  On  a  passablement  exagéré  la  beauté  de  la  vallée  du  Klônthal, 
où  est  placé  le  monument  de  Gessner.  Le  fait  est  qu'on  ne  peut  approcher  du  monu- 
ment que  par  des  prairies  marécageuses,  presque  impraticables  à  Tépoque  des  hautes 
eaux,  c'est-à-dire  pendant  une  grande  partie  de  l'été.  La  pente  qui  domine  le  lac 
du  côté  du  nord  est  couverte  de  rocailles,  et  est  loin  d'avoir  un  aspect  pastoral. 

P.  !2&7,  I.  6.  A  l'entrée  de  la  sauvage  gorge  qui  conduit  à  la  Sand-Alp,  le  pont 
dit  Papètenbiilcke  qui,  après  avoir  été  emporté  par  une  avalanche,  avait  été  d'abord 
remplacé  par  un  pont  en  bois,  a  été  reconstruit  en  pierre  par  les  propriétaires  des 
alpes  voisines. 

ZuG.  P.  252,  1.  11.  L'enceinte  de  murailles  de  la  ville  de  Zug  a  été  supprimée 
presque  entièrement  il  y  a  quelques  années. 

Bale.  p.  299,  I.  15.  Le  monastère  badois  de  Saint-Biaise  fut  supprimé  par  les 
Français  à  l'époque  de  leurs  invasions;  les  moines  se  retirèrent  en  Carinthie. 

St.-Gall.  p.  336,  1.  15.  Au  lieu  de  vdlt' des  AUeffianis,  lisez  celle  des  AltetmnM, 


LA    SUISSE    PlTTOnKSQUE.  581 


P.  340,  1.  41.  La  proposition  de  réviser  la  Constitution  a  été  repoussée  le  28 
octobre  par  le  peuple  à  une  très-forte  majorité. 

Grisons.  P.  374.  Un  nouveau  code  civil  a  été  adopté  par  le  peuple  au  printemps 
de  1855. 

P.  360.  Â  la  suite  des  grandes  pluies  des  8  et  9  août  1855,  des  blocs  de  rochers 
se  sont  détachés  de  la  montagne  qui  domine  Felsberg  ;  ils  n'ont  pas  causé  d'acci- 
dents. On  a  observé  que  la  crevasse  qui  existe  sur  la  pente  de  la  montagne  s'est 
élargie. 

P.  348,  1.  ^l.  Vers  le  haut  de  la  gorge  du  Kunkels,  au-dessus  de  Tamins,  on 
voit  sur  un  petit  plateau  verdoyant  plusieurs  cuisines  de  camp,  formées  de  tertres 
gazonnés  en  forme  de  fer  à  cheval.  Ce  sont  sans  doute  les  restes  d'un  bivouac  des 
Français  ou  des  Autrichiens  en  1799. 

Tessin.  p.  456,  1.  14.  Le  Grand  Conseil  avait  accepté  la  Constitution  fédérale  en 
1848;  mais  la  majorité  du  peuple  s'était  prononcée  en  sens  contraire. 

P.  467.  Le  village  de  Brontallo  dans  le  val  Maggia  est  menacé,  d'une  manière 
imminente,  d'une  catastrophe  semblable  à  celle  qui  menace  Felsberg  dans  les 
Grisons. 

Vallais.  p.  511.  Nous  pouvons  citer  comme  une  particularité  assez  curieuse 
qu'en  1826  une  galerie  longue  de  80  pas  environ  avait  été  creusée  sous  une  énorme 
avalanche,  qui  avait  recouvert  la  route  du  Simplon  au-dessus  de  Gondo.  Voitures 
et  piétons  y  passaient  encore  au  milieu  de  juillet  ;  la  voûte  n'avait  plus  alors  que 
quelques  pieds  d'épaisseur.  Ce  n'est  sans  doute  pas  le  seul  exemple  d'une  galerie 
pareille,  soit  sur  cette  route,  soit  sur  d'autres. 

P.  513.  De  l'hôtel  établi  sur  le  Riffelberg,  on  peut  commodément  en  un  jour  faire 
l'ascension  de  la  Cima  di  Jazzi,  voisine  du  Mont-Rose,  et  redescendre  à  l'hôtel  ;  sauf 
deux  ou  trois  heures,  toute  la  marche  se  lait  sur  un  glacier,  qui,  jusque  près  de  la 
sommité,  n'a  qu'une  faible  inclinaison.  L'existence  de  l'hôtel  facilite  aussi  l'ascen- 
sion du  Mont-Rose  qui  commence  à  devenir  moins  rare  et  n'exige  également  qu'une 
journée. 

P.  514,  1.  40.  En  quittant  à  Orsières  la  route  du  St.-Bernard,  on  peut  pénétrer 
à  droite  dans  le  val  Ferrex  et  se  rendre  à  Cormayeur  par  le  col  de  même  nom. 
Plusieurs  glaciers  descendent  dans  cette  vallée,  qui  est  riche  en  sites  pittoresques. 

P.  518.  A  l'ouest  de  Vauvrier,  vers  la  frontière  de  Savoie,  s'élève  la  Cornette  de 
Bise,  haute  de  7508  pieds,  et  dont  on  atteint  facilement  la  cime  en  partant  soit  de 
Vauvrier,  soit  de  Chapelle  dans  le  val  d'Abondance.  La  vue  y  est  très-belle. 


589  LA  snsse  pittoresqie. 


IKDVa 


Frontispice en  iéle  du  volntme. 

Cosluuifs  mililaires,  cavaliers,  M  19 page        36 

id.            id.          fanUssins,  V  ii »  10 

Une  Avalanche,  ^•  5 «  80 

Cascade  gelée  du  Giesbach,  M  6 »  88 

Vue  de  Zurich,  ^^  k »  100 

Vue  de  Berne,  VI «  I» 

CosUimes  bernois,  V  iS »»  145 

U  Wetlerhom,  M  14 »  453 

Maison  rustique  près  de  Thoune,  M  16 »  456 

Le  plateau  de  Meyringen,  N*  8 »  458 

Orage  à  la  Handeck,  ^^  9 »  160 

lie  de  St.-Pierre,  N»  »6 «  469 

Costumes  lucemois,  ^*  iO »  484 

Vaches  du  Righi,  M  7 »>  488 

Vue  d'Altorf,  ^•  10 n  493 

Costumes  dXnterwald,  N*  23 »  f33 

Vue  de  Fribourg.  ^•  t »  S56 

Costumes  de  Schalfhouse,  M  94 »  308 

Bolladore  en  Valteline,  N*  17 »  353 

Via-Mala,  MU »  389 

Costumes  tessinois,  N*  18 »  464 

Vue  de  Lugano,  N*  15 »  %6S 

r«4>slumes  vaudois,  N*  95 >»  480 

Vue  de  Lausanne,  ^*  S »  485 

Vallée  du  Rhône,  M  13 n  489 

Le  Simplon,  Ml» «  5I« 

Mer  de  Glace,  M  «7 ' »  567 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Précis  db  l'Histoirb  de  la  Suisse (M.  Gaullieuk.)  i 

I.  Topographie,  Ethnographie t 

II.  Histoire 3 

Statistique  générale (M.  Scbaub.)  5S 

Conslilution  fédérale  actuelle 39 

Organisation  militaire.          38 

Justice  inililaire ^0 

Capitulations ^t 

Population,  Cultes,  Emigration,  etc ht 

Instruction  publique 46 

Langues  et  Dialectes 47 

Monnaies 49 

Finances  fédérales 50 

Industrie,  Commerce 3i 

Douanes  fédérales 33 

Chemins  de  fer 37 

Télégraphes 89 

Sociétés  et  Fêtes  fédérales 60 

Situation  géographique,  Etendue,  Frontières 63 

Elévation,  Climat,  etc 63 

Montagnes 66 

Neiges  permanentes  et  glaciers 73 

Avalanches  ou  Lavanches,  Tourmentes 82 

Rivières  et  Torrents 84 

Cascades  et  Lacs 87 

Bains  et  Sources  minérales 89 

Histoire  naturelle 90 

Canton  de  Zurich (M.  Schaub.)  101 

Canton  de  Berne id.  129 

Canton  de  Lucrrnb id.  173 

Canton  dTri id.  498 

Canton  de  Schwytz .         id.  208 

Canton  d'Unterwald id.  228 

Canton  de  Glaris id.  238 

Canton  de  Zug id.  248 

Canton  de  Friboukg (M.  db  Bons.)  254^ 

Canton  db  Soleurk id.  269 


K8t  TABLE    DRS    MATIKRkS. 


Pa<ci 

Canton  de  Balk (M.  Schaub.)  i79 

Canton  de  ScHArPHOusK id.  301 

Canton  d*Appenzkll îd.  31  i 

Canton  di:  Saint-Gall M.  351 

Canton  des  Grisons id.  352 

Canton  d'Arcovik (M.  de  Boxs.)  <i07 

Canton  dk  Thirgovik (M.  Scbacb.)  %Ti 

Canton  du  Tkssin îd.  h'ih 

Canton  dr  Vaud (M.  Vuluebin.)  *7I 

Canton  do  Vallais (M.  de  Bons.)  4H8 

Canton  de  ^KUCHATKl {M.  Gaulucub.)  519 

Canton  de  Genève (M.  Ed.  Mallct.)  5^t 

Contrées  voisines  de  la  Suisse (M.  Schaub  )  567 

I.  Jura  français 567 

i.  Alsace,  V4»sges 369 

5.  Forêl-Noire 569 

h.  Rives  septentrionales  du  lac  de  Constance 569 

5    Vorarlberg,  Tyrol 370 

6.  Vallellne 57t 

7.  LacdeCôine 571 

8    Lac  Majeur,  lacs  de  Varèse  et  d*OrU 572 

9.  Domo-d'Ossola  et  Val  Formazza 373 

10.  Vallées  piéniontaises  voisines  du  Mont-Rose 573 

i  I .  Val  d'AosIe  et  Cormayenr 57i 

42.  Savoie 376 

RKCTIPICATIONS,  ET   ADDITIONS (M.  ScRAUB.)  579 


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