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LA SUISSE
HISTORIQUE ET PITTORESQUE.
II.
LA SUISSE PITTORESQUE.
Cet «uvrase se treuve «uml i
A Bai.k cl à LKii'Ziii, à la librairie Neikirch.
 Bërnk, à la librairie J. Dali».
A LA Chaux-de-Fonds, chez G. Bidognet, libraire-commissionnaire.
A Paris, cliez Borram el Droz, libraires, rue des Saints-Pères, 0.
— chez Joél Cherbumez, libraire, rue de la Monnaie, iO.
El chez les prinvipaiw libraires ilv la Suisse et de V étranger.
impriinerie Oh. Gruaz, à (ieiiève.
LA SUISSE
HISTOKIOUE ET PmOKESOll E
COMIMIKNAM
L'HISTOIRE, L4 GËO^APHIE ET LA STATISTIQUE DE CE PAYS.
AVEC UN PRÉCIS DES AM'IQUITÉS, IIU DKOIT l>lllil.lC,
DE LA LITTÉRATURE, DES ARTS ET DE l'iSDUSTRIK DES VISGT-DEUX CANTONS.
V
SECONDE PAKTIE^
LA SUISSE PITTORESQUE
Par Ch. lyCHAUB,
avec la collaboration de
H. E.H. 6ADLLIEUR, DE BONS, ED. HALLET et L. fULLIElIN.
OHNÉE DUNE CENTAINE DE PLANCHES ET VIGNETTES UKAVÉES.
GENÈVE
cil. CUUAZ, IMI'UIMEUR EDITEUR, CHANl) MEZEL, 45îi.
BERNE
A LA LIRRAIRIK E. MATIIEY.
1856 .
/
Dans un ouvrage qui doil contenir une infinité de faits de détail, il est bien
difficile qu'il ne se glisse pas çà et li des ineiactiludes ; nous donnons a la fin
quelques RicTiriCATiOFis sur des points que nous avons eu l'occasion de vérifier
dans le cours de la publication. Nous attirons l'attention sur ces rectifications,
dont plusieurs sont importantes.
Nous donnons en même temps quelques additions relatives à des Taits omis
ou à des circonstances récentes.
PRÉCIS
DE
L'HISTOIRE DE LA SUISSE,
m jm^wir »<
I. TOPOGRAPHIE.— ETHNOGRAPHIE.
L'histoire de la Confédération suisse est en quelque sorte gravée dans le sol. Nulle
part ailleurs les institutions politiques ne sont plus en harmonie avec la conGgura-
tion et l'aspect du pays.
La Suisse, placée au centre de l'Europe, adossée aux plus hautes ramifications de
la grande chaîne des Alpes, enceinte des autres côtés par le Jura, le Rhin et le
bassin du Rhône, dominant une immense étendue de pays, est appelée à jouer dans
l'histoire un rôle particulier. Ses innombrables glaciers, placés sur la pente des plus
hautes montagnes, sont le réservoir d'où coulent, dans diverses directions et à tra-
vers une multitude de pays, les principaux fleuves de notre continent, le Rhin, le
Rhône, le Tessin (le Pô), l'Inn (le Danube), pour aller se jeter dans les mers les plus
opposées. La Suisse devait ainsi servir naturellement de rendez-vous, de point de
jonction aux principales nations de l'Europe, avec leurs diversités d'idées, d'idiomes,
de mœurs et de culture.
II, 1. 4
LA SUISSE PITTORESQUE.
Divisée d'ailleurs en plusieurs grandes vallées, auxquelles aboutissent un grand
nombre de vallées latérales et secondaires, ainsi que divers plateaux, la Suisse
semble formée par la Providence pour la forme fédérative. En effet, une vallée avec
ses aflluents, ou un plateau avec ses déi)cndances, forment une unité ou un grou|)e
d'unités plus petites, et l'ensemble de toutes ces vallées et de tous ces plateaux pré-
sente un caractère propre, original, distinct de toutes les contrées voisines. La
Suisse est un pays unique sur notre globe; mais son unité est une unité complexe.
Ces caractères fondamentaux du pays, savoir : 1® sa position centrale et dominante
en Europe, 2** sa division et ses subdivisions en vallées et en plateaux, S"* l'unité et
la diversité de ce groupe morcelé, donnent le caractère des institutions de la Suisse
et de son histoire. C'est pour cela qu'elle forme une Confédération. De là vient que
cette confédération se compose des principaux peuples qui occupent le centre de
l'Europe et des races qui la constituent, et qu'elle les embrasse comme par le sommet.
C'est pour cela enfin qu'elle se divise en plusieurs Etats ou cantons, qui ont chacun
leur constitution particulière ; que ces canton!^ se divisent et se subdivisent à leur
tour dans leur intérieur jusqu'à la commune, qui est l'unité politique élémentaire de
l'Etat, de telle sorte que tel canton n'est parfois lui-môme qu'une confédération de
ligues plus petites ou de communes, tandis que d'autres cantons offrent plus d'ho-
mogénéité et d'unité.
On comprend dès-lors que tous ces Etats ou cantons, si divers de configuration,
d'étendue, de besoins, d'intérêts, d'idées, de mœurs, de langage, d'institutions et
même de religion, aient néanmoins un besoin commun, un but commun, des inté-
rêts, des mœurs, des idées, des institutions communes, un gouvernement fédératif
commun, un lien commun. Ce lien, c'est la Confédération suisse, qui les réunit en
faisceau et en forme une nation au milieu des autres, la nation suisse.
La cmnmune à la base; les cantons comme intermédiaires, et la confédércUion au
sommet: telle est la Suisse actuelle. Telle elle existait déjà, avec différentes nuances
extérieures et avec divers accidents nés des événements de l'histoire, dans des temps
très-anciens.
C'est donc bien à tort que l'on a contesté à la Suisse sa raison d'être et de vivre
comme nation, sous prétexte qu'elle se compose de nations distinctes et différentes
par la langue ou le caractère, comme les Allemands, les Français, les Italiens. C'est
vainement aussi qu'on annonce, dans certaines théories politiques, qu'elle devra se
fondre et se dissoudre en autant d'éléments, qui seront assimilés par la nation qui les
avoisine immédiatement et à laquelle ils appartiennent au fond. La nation suisse a
ses raisons d'être en Europe aussi bien et mieux que beaucoup d'autres nations. Au
fond, y en a-t-il une seule qui soit homogène? La France n'est-elle pas formée de
Celles ou Gaulois, de Francs, de Bourguignons, de Flamands, d'Allemands, de
Bretons, d'Espagnols et de Languedociens? L'Angleterre n'a-t-elle pas ses Bretons,
ses Anglo-Saxons , ses Ecossais, ses Irlandais? La Prusse, ses Brandebourgeois,
ses Saxons, ses Polonais, ses Français? L'Autriche, ses Bohèmes, ses Hongrois,
ses Allemands, ses Italiens ? L'Allemagne elle-même, ses Souabes, ses Saxons, ses
Autrichiens, ses Prussiens, ses Polonais, ses Suédois, ses Westphaliens, peuples dont
les uns ne comprennent souvent pas les autres, bien que tous soient censés parler
l'allemand. Tous ces peuples ne sont-ils pas divisés par la religion et la politique
LA SUISSE PITTORESQUE.
autant que par les intérêts, la race et le langage? N*est-il pas de même au fond dans
les autres continents? La Chine, que Ton présentait jusqu'ici comme le type de l'unité,
de Fimmobilité et de l'isolement, n'a-t-elle pas dans son sein des éléments divers, dont
le conflit éclate aujourd'hui d'une manière évidente?
Cette absence d'homogénéité parfaite qu'on remarque dans chaque nation a un
but providentiel. Le mélange des races, des langues, des religions et des institutions
dans les nations, est comme le ciment qui les lie à une unité plus vaste, celle de
l'humanité.
La Suisse présente même un caractère particulier sous ce rapport. La diversité
des peuples dont elle se compose n'est pas seulement, comme chez les autres nations,
un lien humanitaire; mais, en unissant en une confédération des peuples appartenant
aux trois principales nations qui occupent le centre de l'Europe, la France, l'Alle-
magne et l'Italie , elle forme comme le sommet ou la couronne, où se joignent ces
trois nations, qui sont elles-mêmes une agglomération de nations plus petites. La
Suisse est donc comme la clef de voûte, le noyau de la Confédération européenne, le
symbole de l'unité humanitaire des peuples. Telle est sa grande raison d'être. Tel est
aussi le véritable motif de sa neutralité. C'est pourquoi elle est également le rendez-
vous de tous les étrangers attirés par la sublimité de la nature et absorbés chez elle
dans une sorte de contemplation cosmopolite.
Mais la Suisse, semblable à la plante ou à l'individu qui traverse plusieurs âges et
change d'aspect avant d'avoir rempli le but de son existence, n'a pas toujours été
précisément ce qu'elle est aujourd'hui. Il est à croire non plus que ses institutions
n'ont pas atteint encore le degré de développement et de perfection auquel elle est
destinée. Elle a subi bien des vicissitudes, et peut-être en subira-t-elle encore beau-
coup d'autres avant d'avoir achevé le grand travail que Dieu lui a imposé sur
cette terre.
II. HISTOIRE.
I I. L'ancienne Helvétie.
(Ayant Fére chrétienne.)
Dans cet exposé très-sommaire, nous cherchons à faire saisir la présence des
caractères fondamentaux des institutions suisses, dans les diverses périodes de l'his-
toire de ce pays. Il ne saurait être ici question d'une histoire de la Suisse, qui forme
un volume particulier dans cette publication. Nous y renvoyons les personnes qui
voudraient connaître autre chose que les traits généraux de cette histoire.
Les plus anciens habitants de la Suisse, appelés les Helvètes ou les Helvétiens,
étaient un peuple gaulois ou gaélique, dont l'origine se perd dans la nuit des siècles.
Ils étaient venus de la Germanie, et occupaient primitivement les deux rives du Rhin.
Autour d'eux étaient venus se grouper des peuplades, comme les Rauraques et les
Wendes, qui s'étaient établis au nord-est de la Suisse actuelle, sur le territoire qui
forme aujourd'hui le canton de Bâle et l'évêché de Bâle ; les Rhétiens et les Lépon-
LA SUISSE P1TT0BBSQUE.
tiens, de race italique, qui se fixèrent au sud et au sud-est, dans les cantons actuels
des Grisons et du Tessin; au sud-ouest, les Sédunois, les Yéragres, les Nantuates,
les AUobroges, étaient répartis dans les vallées qui forment aujourd'hui le canton du
Vallais, et sur les rives du lac Léman, jusqu'à Genève; les Séquanais, les Eduenset
d'autres tribus habitaient au nord-ouest, dans une partie du canton de Vaud et dans
celui de Neuchâtel.
Toutes ces peuplades, d'origine plus ou moins commune et appartenant à la grande
race celtique ou pélagienne qui a peuplé l'Europe occidentale, étaient divisées en
tribus ou cantons liés entre eux par des traités d'une durée temporaire. Le danger ou
certains intérêts les unissaient d'une manière précaire, mais suffisante pour qu'on
puisse déjà saisir chez eux les éléments d'une forme fédérative. Les anciens Helvètes,
entre autres (car la nation exista avant le pays, et il serait impossible d'assigner des
limites à l'ancienne Helvétie), formaient une de ces confédérations primitives, divi-
sées en cantons {fxjlai Pagi, Ga^t, en grec, en latin et en allemand). Quatre de ces
cantons ou tribus constituaient le corps de la nation (cimlas Helvetiœ, comme l'appelle
Jules-César dans ses Commentaires), Ces quatre cantons occupaient, avec les Raura-
ques, les Tulingiens et quelques autres peuplades, tout le territoire compris entre le
Jura, les Alpes et le Rhin. Ils avaient même eu des établissements de l'autre côté de
ce fleuve ; mais des revers les leur avaient fait perdre et avaient amoindri la nation
des Helvétiens. Petit à petit ils s'étaient retirés sur la rive gauche du Rhin, et la rive
droite était devenue ce que les anciens géographes appelaient le désert des Helvétiens
(eremt^ Helvetiorum).
Les quatre cantons étaient : {"" Celui des Tiguriens ou Zigurins (Zurich, Thur-
govie, etc.)
2^ Celui des Tugéniens ou Ztigéniens (Zoug, Luceme et les cantons primitife).
3® Celui des Verbigènes ou UrUghies (Vaud, Fribourg, une partie de Berne et de
Soleure).
4® Celui des Ambrons (l'Ârgovie, une partie des cantons actuels de Soleure et de
Berne).
Chacun de ces cantons avait son gouvernement à part. Ils avaient eu même un
gouvernement central ou fédéral, des assemblées générales des députés de la nation,
où se traitaient les affaires communes et où l'on délibérait sur les moyens de repousser
les dangers qui menaçaient la farouche indépendance des cantons. Il y avait des chefs
communs pour exécuter les décisions prises en commun et conduire la nation à la
guerre. Tels étaient un Divico, un Orgétorix. Il parait que ce lien fédéral primitif
était déjà assez serré, au temps de ces chefs, pour que les délibérations de la majorité
obligeassent la minorité dans tous les cas importants. La religion, qui était celle des
anciens Druides, contribuait aussi à entretenir ce lien entre ces républiques fédérées,
qui étaient un mélange de théocratie, d'aristocratie sacerdotale et guerrière, et de
démocratie. Il y avait, en effet, dans chaque canton un sénat ou assemblée de nobles,
une assemblée du peuple ou de la nation, et un chef éligible. Rien d'important n'était
entrepris sans consulter les Druides et sans des sacrifices solennels.
LA SUISSE PITTORESQUE.
% II. Domination romaine en Helvétie.
(De Tan 58 tvtnt J.-C. jusqu'à Fân 455 de Tére chrétienne.)
Lorsque Jules-César conquit les Gaules, les Helvétiens durent subir le joug de
Rome. On sait comment le projet d'émigration d'Orgétorix servit de prétexte à la
conquête romaine, et de quelle manière ce grand capitaine défit les Helvétiens sur les
bords de TArar (la Saône), l'an S8 avant J.-C, et les força à rentrer dans leur pays.
Les Romains firent pénétrer dans les cantons leur langue, leurs mœurs, et ils les ad-
ministrèrent comme une dépendance de la province des Gaules. Tantôt l'Helvétie fut
annexée à l'une et tantôt à l'autre des grandes préfectures entre lesquelles était
subdivisée la grande province gauloise. On la trouve réunie un moment à la Lyon-
naise, et aussi à la Gaule-Belgique. Elle modifia sa forme de gouvernement local sur
le modèle du gouvernement municipal des Romains; et pour l'intérieur, elle conserva
assez longtemps, sous la domination romaine, son gouvernement fédératif. Avant
d'avoir un gouvernement provincial parfait, elle eut une indépendance nominale.
Mais depuis la grande conjuration à laquelle les Helvétiens prirent part, avec tous
les autres Gaulois, au temps de Vercingétorix, pour secouer le joug de Rome, elle
tomba entièrement sous le gouvernement absolu et purement monarchique des
empereurs romains et de leurs proconsuls. La Rauracie fut unie à l'une des pro-
vinces de la Germanie (l'Allemagne), et la Rhétie, comprenant les territoires des
Grisons, de Glaris et d'une partie de St.-Gall, forma, avec le Tyrol et le Vorarlberg,
la province rhétique ou rhétienne. Les libertés des Helvétiens furent anéanties avec
celles de toutes les nations qui avaient été absorbées dans la monarchie universelle
de Rome, où toutes les indépendances nationales et locales furent sacrifiées à un
besoin d'uniformité, d'ordre, d'hiérarchie et de fausse unité.
LA SUISSE PITTORESQUE.
2 in. Invasion des peuples germaniques. — Etablissements des Bourguignons, des
ALLEMANDS, DES GoTlIS ET DES LoMBARDS EN HeLVÊTIE.
(De Tan 455 de J.-C. â Fan 534.)
L'irruption des peuples du nord, qu'on appelle ordinairement Vinvasian barbare^
fut une réaction contre cet ordre de choses artificiel, et commença Tordre moderne
et la société moderne basée sur le christianisme. Ces peuples barbares commencèrent
à entamer Tcmpire romain dans les troisième et quatrième siècles de notre ère. Le
monde ancien, dont la civilisation païenne était déjà décrépite, avait besoin de se
retremper dans un sang nouveau.
L'occident et le centre du pays des Helvétiens, jusqu'à la Reuss, furent occupés
par les Bourguignons ou Burgondes, qui s'étaient aussi fort étendus de l'autre côté
du Jura. C'est ce qu'on a appelé le premier royaume de Bourgogne. Le nord et une
autre partie du centre de THelvétie, jusqu'à la Reuss, furent le partage desSouabes
ou Allemands, qui occupaient une grande étendue au-delà du Rhin. Le midi, c'est-
à-dire le sud de la Rhétie (l'Oberland grison) et le Tessin, avec les vallées a voisi-
nantes, devinrent le partage des Goths, des Visigoths, des Lombards et d'autres
peuples, qui, après diverses alternatives de succès et de revers qui se lient à l'his-
toire de la chute de l'empire romain et de l'Italie au moyen-ftge, finirent par domi-
ner dans le nord de celte péninsule. Telle est la base de la division ethnographique
et linguistique de la Suisse actuelle. L'allemand prévalut dans le nord; la langue
latine devint, en se modifiant, la langue romane, à l'occident et au midi, pour se
séparer plus tard en langue française, avec ses divers patois, et en langue italienne.
Les peuples barbares qui opérèrent cette révolution introduisirent en Suisse,
comme dans le reste de l'Europe, le système féodal, qu'ils avaient apporté des forêts
de la Germanie. Ce système consistait essentiellement en ce que toutes les terres
appartenaient à l'Etat, représenté par le chef ou le prince, qui en inféodait ou con-
fiait des étendues plus ou moins grandes aux principaux de la nation ou aux chefs du
peuple. Ceux-ci, sous le nom de ducs et de comtes, l'accompagnaient dans les expé-
ditions guerrières et le représentaient dans les duchés et les comtés. Ils formaient la
classe des grands vassaux. A leur tour, ceux-là sous-inféodaient à d'autres seigneurs
d'un rang inférieur ou moins élevé, qu'on appelait barons ou chevaliers (milites)^ des
domaines plus restreints. Les barons ou chevaliers avaient à leur tour les cultiva-
teurs ou colons pour vassaux.
Le système féodal constituait donc, quant à la propriété foncière, un fermage ou
sous-fermage à divers degrés. Dans les débuts de l'établissement, la concession féodale
était faite à terme. Toutes les terres, concédées en vue des services personnels du
vassal, faisaient fréquemment retour au suzerain ou souverain représentant l'Etat.
Quelques siècles plus tard, à mesure que la royauté s'affaiblit, les fiefs ou les
domaines, ainsi affermés et confiés, devinrent héréditaires. Le prix de la ferme con-
sistait en dîmes, cens, lods et autres redevances, tant en argent qu'en nature et
en travaux ou corvées, que chaque vassal acquittait dans une certaine mesure, à
celui de qui il tenait sa terre, et ainsi de degré en degré, jusqu'au prince, qui ne
recevait souvent, pour ses droits de suzeraineté, qu'une redevance très-faible ou pure-
LA SUISSE PITTORESQUE.
ment nominale et honorifique. Mais le prince avait en revanche ses biens en propre,
qui constituaient le domaine royal.
Les fiefe étaient concédés à titre de traitement pour l'exercice des fonctions admi-
nistratives et judiciaires qui y étaient attachées; car les chaînes publiques, comme
les domaines ou territoires sur lesquels elles s'exerçaient, étaient données en fiefs.
L'Eglise avait aussi reçu ses fiefs particuliers, appelés les bénéfices ecclésiastiques^ comme
salaires de ses ministres. A côté des fiefs il y avait, par exception, certains domaines
dont le propriétaire était incommutable, et qui ne payaient rien aux souverains ou
aux seigneurs sous sa dépendance. C'étaient ce qu'on appelait les francs-alleus. Une
des principales obligations, l'obligation fondamentale attachée à la possession ou à la
jouissance d'un fief, était le service miliiaire. Le nombre d'hommes de guerre, tant à
pied qu'à cheval, à fournir par chaque seigneur ou vassal, et la durée de leur service
ou la chevauchée (service à cheval), dépendait de l'étendue du fief et des conditions
de l'investiture.
Le système féodal reposait sur les hommes comme sur les choses. Le roi ou le
chef de l'Etat, bien qu'élu par ses compagnons d'armes, n'en était pas moins consi-
déré comme tenant son pouvoir de Dieu même, une fois qu'il avait été sacré ou con-
sacré par l'Eglise. Il tenait de Dieu ou de la conquête le pays occupé par sa
nation, et il l'administrait comme un grand fief qu'il devait rendre à sa mort.
C'est à Dieu qu'il prêtait foi et hommage. A leur tour, les grands officiers et fonc-
tionnaires, comme ducs, comtes, barons, qu'on appelait les grands feudataires ou les
grands vassaux de la couronne, prêtaient foi et hommage au prince, pour les duchés,
comtés, baronnies, qu'ils en avaient reçus en fief. A leur tour aussi, ces grands vas-
saux de la couronne recevaient l'hommage des officiers ou fonctionnaires leurs
subordonnés, à qui les vassaux inférieurs juraient de même fidélité. Ainsi, la hiér-
archie ou 1 échelle féodale était continue. Tous ces seigneurs de degrés divers, depuis
le roi, qui en était le chef, jusqu'au dernier chevalier, étaient les maîtres du pays et
en constituaient l'aristocratie.
A côté d'eux, mais dans un autre ordre, étaient les hommes libres (hmnims liberi),
c'est-à-dire d'anciens habitants du pays conquis, qui avaient su, par quelques sacri-
fices faits à propos, se conserver une position indépendante lors de la conquête. Ces
hommes libres étaient ou des propriétaires de fonds ruraux, ou les habitants de quel-
ques villes, anciens municipes romains, qui avaient réussi à se maintenir au milieu
des dévastations de la conquête. Le clergé inférieur ou les gens d'Eglise (clerici),
appartenaient aussi à la classe des hommes libres. Le clergé supérieur appartenait à
la classe des seigneurs. Du reste, l'Eglise avait aussi son organisation féodale parti-
culière : chaque diocèse, chaque abbaye ou monastère avait ses fiefs. Tout au bas de
réchclle était le peuple, qui vivait dans le servage ou dans une sorte de demi-ser-
vitude.
Les serfs (servi) appartenaient à diverses catégories. C'étaient d'abord d'anciens
esclaves des Helvétiens et des Romains, attachés au domaine ou à la glèbe ; des cap-
life que les peuples germains conquérants avaient amenés avec eux, esclaves qui
étaient ou des prisonniers faits sur des tribus vaincues, ou des condamnés, ou des
hommes que la misère avait obligés de vendre leur liberté. On comptait aussi parmi
les serfs (servi) des propriétaires, jadis libres sous la domination romaine, mais que
8 LA 8U188E PITTORESQUE.
ia conquête avait réduits en servitude. Enfin, cette grande catégorie se composait
d'hommes jetés dans la pauvreté et dans la dépendance par mille causes diverses.
Presque tous ceux qui exerçaient des métiers ou des arts manuels étaient serls, ou
de condition serve ou servile. Les serfs étaient attachés aux personnes ou aux choses.
Les premiers étaient les domestiques ou serviteurs des maîtres qu*ils suivaient; les
autres, voués à Tagriculture, étaient attachés à la glèbe, c/est-à-dire au domaine, sur
lequel ils avaient été parqués comme du bétail.
La constitution politique de l'Helvétie féodale était en même temps fédérative et
représentative. Les principales affaires du pays se traitaient dans des assemblées
générales. Celles où siégeaient les grands feudataires du royaume, les députés des
assemblées provinciales et le haut clergé, étaient présidées par le roi, et rendaient les
lois générales. Dans les assemblées provinciales, présidées par les lieutenants de la
couronne, siégeaient les grands barons de la province, la noblesse inférieure ou ses
députés, les évoques et les délégués du clergé inférieur, les députés des hommes
libres réunis en commune. Le pouvoir militaire, administratif et judiciaire, était entre
les mains des ducs, des comtes ou d'autres officiers du prince, de grades divers,
ayant des attributions et des compétences plus ou moins étendues.
Tels étaient les traits principaux du système féodal, qui embrassait toutes les
relations sociales en Helvétie, comme en général dans les pays de l'Europe centrale au
moyen-àge. Il faut nécessairement le connaître, si l'on veut comprendre les événe-
ments de l'histoire suisse à cette époque. Simple d'abord, ce système, qui, dans le
principe, avait été institué au profit de l'Etat ou de la société conquérante, finit par
absorber l'Etat dans les individus, et les intérêts généraux dans les intérêts parti-
culiers, surtout alors que les fiefe furent devenus héréditaires.
A cette époque, il ne pouvait être question de l'unité de la Suisse dans le sens
moderne de ce mot. Cette unité, absorbée dans la monarchie universelle des Romains,
ne s'était pas retrouvée dans la division du pays entre les conquérants bourguignons,
allemands, goths et lombards. Les noms généraux d'Helvètes et d'Helvétie dispa-
rurent peu à peu dans les noms des peuples qui occupaient cette contrée et qui
avaient formé de nouvelles divisions territoriales. Au reste, ce qui se passait alors
en Suisse avait lieu dans tous les autres pays de l'Europe démembrés de l'empire
romain. C'est ainsi, par exemple, que dans les Gaules, en Germanie, en Italie, le
territoire était divisé en autant de royaumes qu'il y avait de tribus conquérantes ou
occupant le pays. Il n'était pas encore question d'un royaume de France ou d'un
empire d'Allemagne.
^ IV. L'Helvétie sous la domination des Francs.
(De Fan 53i à Kao 888 de J.-G.)
Ce fut seulement vers le milieu du VI'' siècle de notre ère (S34), que les Francs,
ayant réussi à dominer peu à peu les autres peuples germains qui avaient envahi
le centre de l'Europe, devinrent aussi maîtres de toute l'Helvétie, soit bourguignonne,
soit allémanique, soit gothique ou lombarde. Ce fut sous leur domination que le
christianisme, qui déjà avait été prêché sous la fin de l'époque romaine, fut surtout
propagé en Helvétie. La religion chrétienne était l'auxiliaire de la politique des Francs.
LA SUISSE PITTORESQUE. 9
Le grand règne civilisateur de Charlemagne, qui s'clendait à la fois sur la France,
TÂilemagne et l'Italie, se fit particulièrement ressentir dans rilelvétie, qui formait
comme le centre de ses vastes Etats (768 à 814).
L'Heivétie fut divisée, dans rétablissement monarchique des Francs, en comtés,
qui étaient administrés par des comtes ou officiers du roi ou de Tempereur. La con-
stitution féodale de l'établissement précédent subsista, avec cette différence que la classe
des hommes libres s'augmenta, qu'un plus grand nombre de villes s'établirent, et
que le pouvoir royal, impérial ou central, exerçait plus d'autorité sur les seigneurs
féodaux. Quant aux institutions représentatives, il y avait alors des assemblées ou
Etats généraux pour tout l'empire, qu'on appelait les champs de mars ou les champs
(le mai, suivant l'époque où ils se tenaient. Les comtes de l'Helvétie figuraient dans
ces assemblées comme les autres. Le pays était représenté par les grands, qui déli-
béraient et discutaient les lois générales de l'empire, appelées les Capiialaires, lois
qui avaient déjà été discutées préalablement dans les assemblées de provinces ou de
comtés.
g V. L'Helvétie sous les rois bourguignons de la Transjurane, et sous les ducs
d'Allémanie.
(De lao 888 à Fan 1033.)
Après que les descendants de Charlemagne se furent affaiblis et divisés, l'un pre-
nant pour lui l'Allemagne, un autre la France, et un troisième l'Italie, l'hérédité des
fiels se consolida, chaque grand vassal profitant de la faiblesse du gouvernement cen-
tral pour faire passer son fief & ses enfants ou à ses héritiers. Un morcellement indé-
fini fut la suite de ce premier partage de l'empire des Francs carlovingiens. L'Hel-
vétie fut donc aussi démembrée. Vers la fin du IX"" siècle, l'an 888, après la déposition
de Gharles-le-6ros, ce faible descendant de Charlemagne qui succomba sous le poids
de ses couronnes, la partie occidentale de l'Helvétie, comprise entre la chaîne du
Jura, TAar et le Grand St. -Bernard, cessa d'être soumise aux Francs, pour passer
sous la domination des seigneurs puissants du pays, qui prirent le titre de rois de la
Petite Bourgogne ou de la Bourgogne transjurane, pour la distinguer de la Gisjurane,
qui comprenait la Bourgogne et la Franche-Comté de Bourgogne actuelles, de l'autre
côté du Jura.
Le reste de l'Helvétie, soit la partie septentrionale et orientale, demeura plus ou
moins soumis aux princes de l'Allemagne, jusqu'à ce que, après deux cents ans de
troubleset de guerres dont nous avons tracé le tableau dans notre histoire de la Suisse,
l'Helvétie entière fut de nouveau réunie sous un seul maître. Durant celte époque
transitoire, la constitution demeura la même, avec cette différence que les seigneurs
féodaux devinrent toujours plus puissants et accaparèrent le pouvoir, au détriment
de l'autorité royale et de la sécurité publique. En même temps, les guerres privées
que se faisaient entre eux les seigneurs devinrent si fréquentes et si meurtrières,
qu'il fallut étabhr la Trêve- Dieu (Treaga Dei), c'est-àrdire un espace de temps pen-
dant lequel les hostilités étaient interdites.
La terreur qu'inspirèrent les invasions hongroises et sarrazincs, obligèrent les habi-
tants des villes à s'enfermer dans des enceintes de murailles et les seigneurs à élever
II, I. S
10 LA SlISSB PITTORESQUE.
des tours fortifiées, pour servir de refuge contre ces nouveaux barbares. Les Hongrois
s'étaient jetés sur le jxiys par le Jura, et les Maures ou Sarrazins, venant d'Afrique
et d'Espagne, par la Rhétie et les AIjkîs. Ces peuples finirent par en venir aux prises
l'un contre l'autre, ce qui facilita la délivrance du pays dans ces temps de désolation
et de ténèbres.
g VI. L'Helvétie sots l'empire germanique.
(De Tan 1032 à Tan 1307 de J.-G.)
L'an 1032, Rodolphe 111, dit le Fainéant, le dernier des princes rodolphiens ou
des rois de la Petite Bourgogne ou Transjurane, qui comprenait l'Ilelvétie occiden-
tale, la Savoie et la Franche-Comté, déc»éda sîins |)ostérilé légitime. 11 laissait un
testament, qui instituait |)our héritier de son royaume son beau-frère, Conrad II, le
Saliqm, déjà maître de l'Ilelvétie allémaniquc et de la Rhétie. Ainsi, tous les pays
qui constituent la Suisse actuelle se trouvèrent de nouveau réunis sous le môme gou-
vernement. L'Helvétie entière déixîndait de l'empire germanique, le plus puissant
établissement du moyen-iVge. C'est le cas, |)ar conséquent, de jeter un conp-d'œil sur
ce vaste édifice politique. Nous examinerons : 1" s(m étendue ; 2" sa constitution primi-
tive; y les changements survenus dans cette constitution; 4° l'inHuence que l'admi-
nistration et la constitution imi)ériales exercèrent sur les destinées de l'Ilelvétie.
1** Etendue rfe l'empire germanique.
L'étendue de cet empire, comme sa constitution, a varié avec les siècles, bien que
certains traits généraux soient demeurés les mêmes. Les peuplades germaniques, qui
avaient envahi l'empire romain, formèrent d'abord autant de royaumes que de races.
Mais les Frajics étant parvenus, |)eu à peu, gn\ce à des circonsliinces favorables et
surtout à Tappui qu'ils reçurent des évéques et de l'Eglise chrétienne, à soumettre
ces iKîuples à leur domination, Charlemagne, leur roi, sacré à Rome l'an 800 jiar
le pape Léon, rétiiblit l'empire romain d'Occidenl, ou fonda, si l'on veut, l'empire
germanique. Il régnait sur la France, l'Allemagne jusqu'à l'Elbe, l'Italie, les pays
voisins et l'Espagne, jusqu'à TEbre. L'Helvétie était, comme nous l'avons dit, à peu
|)rès au centre de S(« Etals.
Mais les successeurs de Charlemagne s'étant partagés l'empire à diverses reprises.
Tan 888 eut lieu le démembrement général dont nous avons parlé. L'Helvétie orien-
tale et la Rhétie suivirent le sort de rAllemagne, et l'ancienne Bourgogne fut par-
tagée ainsi : 1" au nord, le duché de Bourgogne, composé de ce qu'on apiielle encore
aujourd'hui la province de Bourgogne; 2" au sud, le second royaume de Bourgogne,
qui se subdivisa à son tour en Transjurane, comprenant depuis la Franche-Comté
jusqu'à la Sarine et la Savoie, et en Cisjuranc, api)eléc aussi le royaume d'Arles, qui
comprenait la Provence, le Comtat, le Dauphiné, la Bresse, le Bugey et une partie
(lu Languedoc.
Malgré ces partages, la dignité im|)ériale demeura attachée à la couronne d'Alle-
magne. Ce royaume, avec les pays <iui en dépendaient, forma ce qu'on appela plus
tard l'empire d'Allemagne et le saint empire romain. Le chef de cet Etat portait au
commencement le titre de roi (n'.r) de (îermanic, et non celui d'empereur (imperator),
qui ne lui fut donné que plus tard.
LA SUISSE PITTORESQUE. 14
L'Italie, la Bohême, la Pologne, la Lorraine, reconnaissaient plus ou moins la
suzeraineté de l'empire; mais l'autorité de l'empereur était sans cesse mise en ques-
tion dans ces pays. Il en fut de même dans les pays au nord de l'Elbe, jusqu'aux
confins de la Suède, du Danemarck et de la Russie, qui furent ensuite incorporés à
l'empire (H56).
A dater de l'an 1032, les deux royaumes de Bourgogne, transjurane et cisjurane,
en dépendirent, à l'exception de plusieurs fiefs puissants, qui s'en détachèrent suc-
cessivement, comme la Provence, le Dauphiné, la Savoie et la Franche-Comté. Encore
ces contrées étaient-elles envisagées plus ou moins comme pays d'empire, et les
princes qui les gouvernaient se disaient-ils les vicaires impériaux. Dans la Bourgogne
transjurane, ou dans l'IIelvétie burgonde, l'autorité impériale se faisait naturellement
moins sentir que dans l'Helvétie allémanique ou orientale, qui touchait immédiate-
ment à l'Allemagne et à l'empire.
2" Constitution de Vempire germanique.
La Suisse, incorporée à l'empire germanique, subit toutes les destinées de ce
vaste corps. Durant plusieurs siècles, elle n'a pas d'autre histoire que celle de
l'empire, et il est impossible de se rendre compte des événements dont elle fut le
théâtre si l'on n'a pas une idée de la constitution de l'empire.
La base de cette constitution était le régime féodal dont nous avons tracé un
aperçu. Ce système ne fit que croître et se développer depuis le XI* siècle jusqu'au
XIIP, à mesure que les conséquences de l'hérédité des fiefs se firent de plus en
plus sentir.
Nous avons vu que la population de l'empire se divisait en trois classes : les
nobles, les hommes libres et les vassaiLv, et que dans chaque classe il y avait divers
degrés. En général , la noblesse occupait les premiers emplois et servait dans la
chevalerie. Les hommes libres étaient voués aux lettres, aux arts, aux sciences,
à l'enseignement, à la jurisprudence ou aux emplois subalternes dans les cours de
justice , au commerce et à l'industrie comme maîtres de métiers ou comme chefs
d'ateliers, à l'agriculture comme propriétaires fonciers. Les emplois les plus pénibles
dans les arts et les métiers, le commerce, l'agriculture, le service mihtaire même,
étaient le partage des classes inférieures. Ceux qui étaient attachés & la glèbe et
que l'on vendait avec la terre à laquelle ils appartenaient, avaient au moins cet
avantage que leur maître ou propriétaire devait les loger et les nourrir, ainsi que
leur famille, et qu'il ne pouvait les renvoyer arbitrairement après les avoir écrasés
de travail.
Le clergé , tant régulier que séculier, réparti dans les ordres monastiques ou dans
les paroisses, appartenait aux trois classes de la société. Un serf devenait libre
en recevant les ordres sacrés. Sauf quelques exceptions , les hautes dignités ecclé-
siastiques, comme celles d'évêques et d'abbés des riches monastères, étaient dévolues
à la noblesse et plus particulièrement aux familles princières, aux cadets et aux
enfants illégitimes des rois et des princes ou des ducs.
Organisation primitive de l'empire. Dans l'origine, l'empire était divisé en duchés
ou en provinces, essentiellement pour le commandement des armées, et en comtés
ou cantons ou pays (pagi) pour l'exercice des fonctions judiciaires, administratives
42 LA SUISSE PITTOBESQUE.
cl militaires. Les comtés, & leur tour, étaient divisés en baronnies ou districts, et les
baronniesen communes (villes, bourgs et villages). Ces divisions territoriales étaient
plus ou moins étendues. Les ducs, les comtes, les barons, les avoyers des villes, les
châtelains des bourgs, et les maires ou mayors des villages, étaient d*al)ord des fonc-
tionnaires temporaires; ils furent ensuite nommés à vie, puis devinrent héréditaires,
d*abord de fait et ensuite de droit. Voilà comment en Suisse pendant longtemps les
emplois de cette sorte semblaient être, dans les familU^ principales, des apanages, ou
constituer des droits acquis. L'empereur, nous l'avons dit, étant censé avoir reçu
le |)ouvoir suprême de Dieu, inféodait les fonctions suprêmes aux grands vassaux,
qui lui prêtaient foi et hommage, comme il les prêtait lui-même à Dieu lorsque le
pape le sacrait. Les comtes recevaient l'hommage de fidélité des barons, ceux-ci de
leurs sul)ordonnés jusqu'aux derniers rangs de la hiérarchie.
Les baronnies étaient subdivisait parfois en diruins (dezennm) ou cercles, présidés
par un dizenier. Les maires étaient de différentes espèces, comme les maires du
palais, qui gouvernaient quelquefois une province, et qui devinrent les ministres
souverains des rois francs, et les maires de villages ou de communes. Dans la
Bourgogne transjurane, le représentant de l'empereur porta d'abord le titre de /w/riVf,
ensuite celui de maire.
Charlemagne, |)our contrôler toute cette hiérarchie de fonctionnaires civils et
ecclésiastiques, institua les commissaires impériaux ou royaux (missi dominici), qui,
imrcourant les provinces, étaient chargés de redresser les abus et de faire rapport
au souverain du résultat de leur examen.
Les fonctions de tous les degrés, depuis la couronne jusqu'à la mayorie ou mairie
inférieure, étaient rétribués au moyen de terres qui constituaient un bénéfice ou pef
IK)ur lequel on prêtait foi et hommage. Ces bénéfices produisaient des dimes, des
cem, des loda, et une foule d'autres revenus divers. Les jyéages, les droits sur les
marchandises et les voyageurs qui circulaient d'une contrée à l'autre, étaient aussi
donnés en fief. Les souverains et les ducs ou fonctionnaires du premier ordre avaient
leurs biens en propre, soit le fisc royal, et les francs-allcus. Les hommes déi)endant
du fisc royal étaient appelés les fiscalius.
La puissance de l'empereur , qui était héréditaire chez les Francs , était limitée
imr les champs de mai , sorte de diètes générales de l'empire, qui se tenaient chaque
année et auxquels assistaient les grands fonctionnaires laïques et ecclésiastiques.
Dans ces assemblées générales on délibérait sur les grandes affaires, mais on ne
pouvait rien changer à la constitution ni aux coutumes des divers peuples de l'em-
pire sans le consentement de ceux-ci, qui délibéraient dans des assemblées provin-
ciales ou de comté, de district, de dixain et de commune.
La diêie générale était présidée par l'empereur. Les assemblées inférieures, appelées
plaids (placita), étaient présidées par le représentant de l'empereur, qui était ordi-
nairement un comte ou un baron. Des plaids ou plaids étaient tenus aussi dans les
comtés et les districts pour l'administration de la justice civile et pénale. Les juge-
ments étaient rendus par le prince ou par le comte , le châtelain, le maire, au nom
du prince. Ces fonctionnaires étaient assistés de jurés ou d'assesseurs. La procédure
était publique et orale. Les juges prononçaient sur preuves résultant de titres écrits,
do Taveu de la partie , des dépositions des témoins ou de la déclaration corroborée
LA SUISSE PITTORESQUE. 43
par serment d'un certain nombre de pairs ou d'experts (conjuratores). Le condamné
pouvait appeler de cette preuve au jugement de Dieu, qui consistait dans le duel
judiciaire ou dans diverses épreuves, comme celles du feu et de Teau, qui consistaient
à saisir un fer rougi , à marcher dessus, ou à saisir un anneau ou tel autre objet au
fond d'un vase d'eau bouillante. Suivant que l'on sortait intact ou blessé de l'épreuve,
on était condamné ou absout.
La plupart des délits et des crimes, même capitaux , pouvaient se racheter par
une composition (tcehrgeld) ou une amende plus ou moins élevée, suivant la qualité
et le rang de la personne lésée. Chaque peuple de l'empire avait ses lois ou son
code particulier, recueil des anciennes coutumes germaniques, avec quelques frag-
ments de droit romain. C'est ainsi que les Francs saliens avaient leur loi salique (lex
salua), qui fut révisée par Cliarlemagne (pacim legis salicœ), les Francs ripuaires la
loi Ripuaire (7ex Ripmriorum), les Bourguignons la loi des Burgondes (lex Burgun-
dionum), qu'on appelait aussi le code de Gondebaud (lex Gnndobaldn) ou la loi Gom-
bette, du nom du roi législateur Gondebaud ; les Yisigoths la loi des Visigoths (lex
Visigothornm) ; les Allemands, Saxons et Souabes les lois de leur nation respective.
Les Romains étaient régis , dans les premiers temps de la conquête , par le droit
romain; mais, plus tard, ce droit se confondit avec le droit barbare. L'Eglise avait
son droit à elle, le droit canonique. Les capitulaires , les recueils de lettres et de
diplômes des rois, les recueils de formules, les chartes, les statuts et les coutumiers
en langue vulgaire complétaient la législation. En Helvétie, la Sarine et un affluent
du lac de Morat, le Cbandon, séparaient les terres régies par la loi bourguignonne de
celles qui reconnaissaient la loi salique des Francs germains ou Franconiens.
Modifications survenues dans la constitution impériale. Après le partage définitif
de Tan 888, dont nous avons parlé, et qui fit de l'Allemagne, de l'Italie, de la
France et des deux Bourgognes des royaumes particuliers, cette constitution subit
nécessairement des changements essentiels.
L'empire d'Occident, devenu l'empire d'Allemagne et des pays adjacents (Italie,
Bourgogne, Bohême, Pologne, etc.,) vit d'abord la couronne devenir élective, d'héré-
ditaire qu'elle était d'abord. Les grands feudataires de la couronne, à mesure que le
pouvoir royal allait en s'aflaiblissant, devinrent peu à peu de véritables souverains,
à force de faire tourner à leur profit et à celui de leur famille des fonctions qui leur
avaient d'abord été confiées à cause de leur mérite personnel et en vue du bien
général. Ainsi, les dmhés devinrent de véritables souverainetés, dont les maîtres
reconnaissaient bien la suzeraineté de l'empereur, tout en la foulant aux pieds
quand ils pouvaient. Ces souverainetés portaient des titres divere, suivant leur im-
portance : royaumes, principautés, électorals, duchés, comtés, margraviats, landgraviats,
burgraviats.
Non-seulement ces souverainetés furent érigées par des seigneurs laïques; des
évêques, prieurs ou abbés de puissants monastères étaient parvenus à se rendre
seigneurs temporels des domaines dont les rois et les empereurs avaient enrichi les
^lises dans un but de piété ou de charité. Ces donations avaient eu lieu surtout
aux environs de l'an 4000 de notre ère, alors que l'idée de la fin prochaine du
monde était devenue populaire.
Quand un fief souverain , même héréditaire, venait à manquer par l'extinction
H LA SUISSE PITTOBCSQrE.
de la ligne masculine, il retournait à Tempereur. On disait alors que le domaine
utile était réuni au domaine direct. Cette réunion de ViUile à la directe avait lieu
aussi en cas de félonie.
Quand les villes commencèrent à prendre de Textension et à se peupler, plusieurs
d'entre elles se rendirent également souveraines en profitant des privilèges que les
empereurs ou les ducs qui les avaient fondées leur avaient accordés. C'est ainsi
que la Suisse compta plusieurs villes impériales, comme Zurich , Berne, Lausanne,
Genève.
Cliaque petit souverain avait au-dessous de lui des vassaux , soit des nobles, des
villes, des bourgs, des villages, qui contestaient souvent son autorité et cherchaient
à obtenir de l'empereur des franchises et des privilèges. Parfois ces franchises étaient
accordées par le souverain lui-même, moyennant des compensations.
Toutefois, à côté de ces souverainetés, sur lesquelles l'empereur et l'empire
n'avaient qu'une suprématie contestée ou restreinte , il existait des districts et des
territoires appartenant au domaine royal, où les empereurs avaient conservé leur
ancienne autorité. Dans ces districts, ils se faisaient représenter par des haillis ou
ofRciers impériaux. Ainsi, par exemple, dans de petits cantons forestiers de l'Hel-
vétie [Waldsiœilen) ^ défrichés jadis par des colons fiscalins, on trouvait de pareils
fonctionnaires. Mais, presque toujours, des privilèges accordés par l'empereur à ces
cantons ou bailliages restreignaient singulièrement l'autorité centrale.
Quand la couronne impériale fut devenue d'héréditaire élective, l'élection se fit
d'abord par l'universalité des six nations composant le corps germanique, savoir les
Francs ou Franconiens, les Souabes, les Bavarois, les Saxons, les Lotharingiens ou
Lorrains, et les Frisons. Petit à petit le droit d'élection se restreignit et se concentra
entre les mains de quelques princes de ces nations germaniques, qu'on appelait les
sept électeurs de l'empire. C'étaient les archevêques de Mayence, de Trêves, de
Cologne, le palatin du Rhin, l'électeur de Saxe, le margrave de Brandebourg et le
roi de Bohême. Par son élection à Aix-la-Chapelle, le monarque n'était que roi ; il
ne devenait empereur que lorsqu'il avait été sacré à Rome par le pape.
Le choix des électeurs devait être approuvé par les autres princes de l'empire.
Souvent ils ne tombaient pas d'accord, et on voyait alors éclater une guerre entre
les deux compétiteurs, qu'on appelait le César ei VAnti-Cémr. Cette anarchie ame-
nait parfois un interrègne. Ce fut le cas avant l'élection de Rodolphe de Habsbourg.
La Diète de Veinpire participait à toutes les affaires générales, qui se traitaient dans
trois collèges : celui des électeurs , celui des princes, et celui des villes impériales.
Dans chaque principauté il y avait aussi des Diètes locales ou des Etats provinciaux.
C'est ainsi que la baronnie de Vaud avait ses Etats à Moudon, et que l'évêchè de
Lausanne tenait les siens dans cette ville impériale et épiscopale.
Chaque prince exerçait dans les limites de ses Etats les droits A'aimkerie ou d'ad-
vocatie (Castvogtey) sur les évêques et les monastères de son ressort. Ce protectorat
dégénérait parfois en oppression. De là les luttes incessantes entre les comtes de
Genevois et de Vaud, les ducs de Zœhringen, les comtes de Habsbourg, les comtes de
Savoie et d'autres seigneurs, avec les évêques de Genève, de Lausanne, de Sion, de
Bâle, de Constance.
Les districts, villes, bourgs et communautés, avaient aussi leurs assemblées locales
LA SUISSE PITTORESQUE. IS
(Landsgemeinde). C'est ainsi que les pays (pagi) ou cantons d'Uri, de Schwylz cl
d'Unterwald avaient de telles assemblées depuis un temps immémorial.
Dans Torigine , la constitution des villes et des communes était démocratique.
Elles élisaient leurs fonctionnaires sous le nom de bourgnieslve, d'avoyer, de syndic,
de banneret, de trésorier, etc. Les affaires se traitaient en commune bourgeoisie. On
devenait bourgeois après un an d'habitation. Les fonctionnaires communaux étaient
renouvelés annuellement. Petit à petit ces constitutions municipales devinrent
aristocratiques à l'aide des événements dont l'histoire suisse présente le tableau.
Ues familles privilégiées ou jMlriciefines usurpèrent les fonctions communales, et les
attributions des boui^eois passèrent aux Conseils, qui finirent par se recruter eux-
mêmes dans une oligarchie bien déterminée. Parfois les boui-geois des villes, orga-
nisés en corporations ou tribus, selon les métiers qu'ils exerçaient, protestaient
contre ces tendances aristocratiques. De là des conflits et même |)arfois des révo-
lutions. Souvent les villes étaient unies entre elles |)ar des romltourgeoisies plus ou
moins étroites contre les seigneurs féodaux ou même contre le prince. C'est ainsi
que Berne avait avec Sienne, Fribourg, Neuchàtel, des combourgcoisies très-serrées.
3® Administration impériale en Hekétie.
Rectorat de Bourgogne el duché de Souibe.
L'empereur faisait gouverner l'Helvélie par des ducs. Le duc de Souabe avait dans
son ressort une partie de rHelvélic orientale et allémanique. L'Helvétie Iwur-
guignonne et la i)artie occidentale de l'Helvélie allemande étaient sous le pouvoir,
devenu héréditaire, des ducs de Zaehringcn. Ce pouvoir avait pris le nom de redorai.
Ainsi l'on disait que le duc de Zo^hringen était recteur de la Transjurane. Après
Textinction de cette famille, celle des Kybourg hérita d'une partie de ses domaines,
mais non du rectorat (1263). Cette autorité des recteurs s'éteignit dans le temps
où Rodolphe, comte de Habsbourg, landgrave d'Alsace, héritier de la maison de
Kybourg, plaça sur sa tête la couronne impériale. Alors il se fit dans sa famille une
confusion du pouvoir de remi)ereur et de celui de comte ou landgrare. Celui de recteur
de la Transjurane lui fut disputé par les comtes de Savoie.
Durant toute cette époque, l'Helvétie releva de la Diète générale de l'empire.
Le recteur, représentant l'empereur, cherchait constamment à réprimer les ten-
dances des seigneurs féodaux qui visaient à l'indépendance. Pour y réussir, il leur
<ipposait un nouvel élément, celui des villes et des bourgeoisies, auxquelles il accor-
dait de nombreux privilèges. Alors furent fondées Fribourg en Uechtiand , Berne,
Berthoud et d'autres cités, qui doivent, comme celles-là, leur origine aux Zœhringen.
Les habitants étaient protégés par des franchises très-élcndues. Ainsi s'accrut l'élé-
ment bourgeois dans les villes. Bientôt cet élément frappera d'un coup redoutable
la féodalité ; il finira par prendre la place de celle-ci et par s'approprier la souve-
raineté dans maint canton important.
Démembrement de rilclvétie.
Cependant la puissance centrale de l'empire d'Allemagne s'affaiblissait visible-
ment jKir Teffet des divisions des princes qui prétendaient à la couronne iin|)ériaie,
16 LA SUISSE PITTORESQte.
par suite de la grande lutte entre les jMipes et les empereurs, qui (>ccui)c une si grande
place dans le moyen-âge, et par les usurpations des seigneurs laïques et ecclésias-
tiques et des villes nouvelles qui visaient à Tindépendanee. Cet état de choses pré-
para de très-loin l'émancipation de THelvétie. Dès la fin du Xll* siècle et au commen-
cement du XIll", les évêques de Lausanne, de Genève, de Sion, devinrent pour le
temporel de véritables souverains. Les comtes , qui devinrent plus lard ducs de
Savoie, acquirent, au moyen de circonstances favorables, de nombreuses seigneuries
et des terres dans le pays de Vaud. Ils finirent, sous le règne de Tun d'eux, Pierre
de Savoie, surnommé le Petit Charleniagne, par faire de ce pays un grand fief (1263)
qui ne relevait plus de l'empire que d'une manière nominale. Les mêmes souverains
étendirent aussi leur puissance dans le Vallais, et se firent même reconnaître un
moment à Berne. Les comtes de Neuch&tel fondaient en même temps la puissance de
leur maison depuis les bords du lac de ce nom jusqu'aux rives de l'Âar. Les comtes
de Gruyère devenaient prépondérants dans les Alpes fribourgeoises et vaudoises. Les
comtes de Kybourg possédaient le pays situé entre les lacs de Constance et de Zurich,
ainsi que Zug et une partie de l'Àrgovie. La maison de Habsbourg avait dans le
reste de l'Argovie ses seigneuries héréditaires. Bientôt elle doubla sa puissance par
l'héritage des Kybourg, la mère de Rodolphe de Habsbourg appartenant à cette famille.
Zurich s'était séparée du duché de Souabe, pour devenir une ville impériale, possé-
dant un territoire et des privilèges étendus. Bàle reconnaissait l'autorité temporelle
desonévêque; Soleure et SchaiThouse, celle de leur haut clergé ou chapitre. Lucerne,
ancienne propriété du couvent de Murbach en Alsace, avait passé par échange aux
Habsbourg. La vallée d'Uri, ancienne possession du couvent des Dames de Zurich
(Fra(ieuinUiisler) par l'effet d'une donation royale du roi Louis-le-Germanique, petit-
fils de Charlemagne, prétendait relever directement de l'empire. Schwytz et Untcr-
wald affectaient la même prétention, parce que ces cantons échappaient par là au
|)ouvoir intermédiaire des comtes ou landgraves, entre autres à celui des Habsbourg,
qui affectaient l'indépendance dans le landgraviat de l'Argovie jusqu'aux sources de
la Reuss. Les souverains ou ducs de Milan avaient des droits dans les vallées du Tessin
et de la Rhétie. Les comtes de Toggenbourg, de Sargans, Tévéque de Coire, l'abbé
de St.-Gall , étaient aussi de véritables souverains. Le nombre des seigneurs qui se
partageaient la Suisse allait ainsi en augmentant. Les nobles, les évêques, les abbés,
les villes, tendaient de plus en plus à s émanciper. L'avènement de Rodolphe de Habs-
bourg à la couronne impériale d'Allemagne ne fit que retarder un moment cette
dissolution, en réunissant sur une même tête, dans un seigneur d'Helvétie, le pouvoir
suprême de l'empire et la souveraineté réelle et virtuelle de la plus grande partie de
la Suisse orientale.
Premières alliaoces et origines des confédéraUons eo HelvéUe.
Le moment allait arriver pour l'Helvétie de former de nouveau un Etat constitué
à part, non pas en faveur d'un prince ou d'une dynastie, mais pour inaugurer en
Europe l'ère des confédérations et pour accomplir ses destinées providentielles. Nous
allons assister à l'affranchissement successif de presque toutes les parties du territoire
helvétique, et & la formation de la nationalité suisse.
Le berceau miraculeux de cette confédération nouvelle, de celle qui devait être le
LA SUISSE PITTORESQUE. 47
type de la grande lutte de la bourgeoisie et du peuple contre la féodalité , se trouve
au centre de l'immense chaîne des Alpes, au pied du massif du Saint-Gothard, qui
réunit comme dans un nœud gigantesque les grandes vallées des Grisons à Test, du
Vallais à l'ouest, du Tessin au midi , et de la Suisse proprement dite vers le nord.
Les montagnes et les vallées d'Uri , de Schwytz et d'Unterwald , sont baignées par
le lac des Waldstœtten ou des cantons forestiers (le lac des Quatre-Cantons), le plus
central de la Suisse, celui dont les paysages offrent les plus sublimes aspects. Leurs
habitants jouissaient depuis un temps immémorial d'une grande liberté. Leurs fran-
chises remontaient à Gharlemagne, qui avait encouragé le défrichement de ces hautes
vallées par des colons (fiscalins) allemands. Les empereurs qui lui succédèrent, entre
autres Louis-le-Débonnaire, leur avaient octroyé de nouveaux privilèges. L'empe-
reur Frédéric II , de la maison de Souabe , étant en guerre avec le pape, dans le
XIII* siècle , au sujet de la querelle des investitures ou des rapports de l'Etat et de
l'Eglise, s'attacha les Waldstœtten, qui lui fournirent un contingent de braves mon-
tagnards pour l'aider dans ses guerres d'Italie. En récompense il leur accorda, par
un diplôme daté de Faénza en 1240, des droits très-étendus, et il leur fit la pro-
messe solennelle de les traiter constamment comme des hommes libres (tanqmm
honiines liheri) qui s'étaient mis volontairement sous sa protection ou sous les ailes
de l'empire (si^ alis nostris).
Animés de l'esprit d'affranchissement qui poussait toutes les communes de
l'époque contre la féodalité, les habitants des vallées d'Uri, de Schwytz et d'Unter-
wald, profitèrent de l'interrègne qui précéda l'élection de Rodolphe de Habsbourg à
l'empire pour limiter les prétentions de leur noblesse, car ils avaient parmi eux
des descendants de chevaliers anoblis pour leurs services personnels. Rodolphe
ménagea une transaction entre les deux partis aristocratique et démocratique. Ge
mouvement révolutionnaire ne fut pas limité aux trois cantons forestiers ou primi-
tifs d'Uri, de Schwytz et d'Unterwald. De toutes parts, non-seulement en Helvétie,
mais dans l'Europe en général, il y avait une tendance marquée à l'émancipation.
Zurich, Berne, Genève, Bâle, Lucerne et bien d'autres villes de la Suisse actuelle,
avaient obéi à cette impulsion. Les pâtres de l'Âppenzell, de la Rhétie, du Tessin,
de rOberland, des Alpes romanes, de St.-Gall, de la Thurgovie, de l'Argovie, du
pays de Vaud, respiraient aussi l'amour de la liberté. Partout, dans les villes comme
dans les campagnes, dans les vallées comme sur les montagnes, les confédérations ou
ligttes étaient à l'ordre du jour. En Helvétie comme en Italie, où prospéraient de
nombreuses républiques , en Allemagne et dans les Pays-Bas , dans toute l'Europe
chrétienne, ce mouvement était général. Déjà, pendant le grand interrègne qui avait
précédé l'avènement de Rodolphe de Habsbourg , une alliance ou combourgeoisie
avait été conclue entre Berne et Fribourg, en 1243; une autre, entre Berne et le
Vallais, datait de 1250; celle de Zurich avec Un et Schwytz est de l'année 4251.
Neuchâtel et ses comtes particuliers, dont le monument sépulcral existe encore dans
la collégiale de cette ville, avaient aussi des combourgeoisies avec Berne, Fribour<^
et d'autres cités suisses. Ges alliances avaient en général pour but de protéger les
franchises et les libertés des peuples contre la noblesse. Rodolphe de Habsbourg lui-
même s'était mis à la tête d'une de ces ligues comme chef militaire : elle compre-
nait les villes de Zurich, de Bâle, de Strasbourg, et les Waldstœtten. Ainsi le mou-
II, s. 3
48 LA SUISSE PITTORESQUE.
vement d'émancipation était déjà bien caractérisé avant l'avènement de ce prince à
l'empire.
Sous le règne de Rodolphe , il y eut comme un repos ou une trêve entre l'autorité
et l'esprit de révolution. On avait été tellement agité par les troubles de l'interrègne,
qu'une sorte de lassitude s'était emparée des esprits. Ce qu'on voulait avant tout,
c'était de l'ordre et de la tranquillité , même au détriment de la liberté locale.
Rodolphe, par son caractère sûr et conciliant, inspirait d'ailleurs, dans la seconde
partie de sa carrière , une confiance générale. Mais les choses changèrent après sa
mort, arrivée en 4294 . Le caractère de son fils Albert faisant concevoir de légitimes
appréhensions, s'il était élu à sa place ou si un nouvel interrègne venait à commen-
cer, les communes de l'Helvétie avisèrent à la défense de leurs droits. Les Wald-
stœtten ou cantons forestiers furent des premiers à s'engager par serment à s'aider
mutuellement et à se défendre en cas d'attaque. C'est cette alliance qui leur a fait
donner le nom de Confédérés (Eidgenossen). Ce pacte primitif, du 42 août 4291,
est le premier document écrit que l'on possède sur la ligue ou l'alliance des trois
premiers cantons ou cantons primitifs de la Confédération suisse.
g VU. La première Confédération suisse.
(De rail 1307 A l'an f 332 de J.-C.)
CoDJaration do GrOlli. — Bataille de Morgarten. — Premier pacte fédéral, ou pacte de
Brannen (1315).
Les événements justifièrent la prévoyance des Waldstœtten. Le duc Albert de
Habsbourg , déjà souverain de rAutriche et des nombreux domaines de sa maison,
ayant été élu empereur en 4298, forma le projet de soumettre toute THelvétie à son
pouvoir, pour en faire une propriété héréditaire de sa famille. II avait besoin de ce
pays, qui comprend les principaux passages des Alpes, pour l'accomplissement de ses
projets sur l'Italie. Les cantons primitifs s'opposèrent avec énergie à de telles pré-
tentions. Ils voulaient bien être pays d'empire et dépendre de l'empereur ; mais ils
n'entendaient pas que leur pays devint une propriété particulière, qui aurait pu être
divisée et aliénée sans leur consentement et par le bon plaisir du souverain.
La ville de Berne résista avec non moins d'énergie aux prétentions d'Albert
d'Autriche. Ayant tourné ses forces contre cette ville, il fut repoussé avec perte et
battu avec les Fribourgeois , qui le soutenaient , au Donnerbiihel , sur la route de
Fribourg, le 2 mars 1298. Les habitants des Waldstœtten n'ayant pas comme
Berne des remparts pour les protéger, durent accepter les baillis qu'Albert envoya
chez eux pour les régir, au mépris de leurs privilèges, qui leur garantissaient des
magistrats pris dans leur pays. Deux de ces baillis, Hermann Gessler et Berenger
de Landenberg, paraissent s'être rendus particulièrement odieux ; du moins leur nom
est-il resté dans une sorte d'exécration populaire. Exaspérés par leur tyrannie, les
Waldstœtten résolurent de s'affranchir. C'est alors que WernerStauffacher deSchwyii,
Arnold du Melchthal de l'Unterwald, et Walter Fûrst d'Uri, formèrent le projet de
sacrifier, s'il le fallait, leurs biens et leurs vies pour le rétablissement des anciennes
libertés du pays. Ils formèrent avec quelques hommes d'élite de chaque vallée use
association, où l'on entrait en se liant par un serment (cùiijuraiio), laquelle était ani-
mée d'un même esprit et qui poursuivait un mémo but (conspiraUo). Les conjurés se
LA SUISSE PITTORESQUE.
49
réunissaient de nuit dans un lieu écarté, la prairie du Mtli ou Grûtli, située sur le
bord du lac des Waldstœtten , et là ils avisaient , sans crainte d'être surpris , aux
moyens de délivrer leur commune patrie. Ce fut là que, dans la nuit du 7 novembre
1307 , chacun des trois chefs de la conjuration ayant amené avec lui dix hommes
d'un courage éprouvé , tous levèrent la main vers le ciel et jurèrent : a d'entre-
» prendre et de supporter tout en commun ; de ne pas souffrir d'injustice , mais
M aussi de n'en pas commettre ; de respecter les droits et les propriétés de la famille
» de Habsbourg; de ne faire aucun mal aux baillis, mais de s'opposer à leurs actes
» oppressifs, et de les éloigner du pays, s'ils persistaient à en commettre. »
La nuit du 1*' janvier 1308 fut fixée, assure-t-on, pour l'exécution des projets
du Grûtli. Mais le mouvement fut avancé par l'héroïsme de Guillaume Tell, qui,
pour défendre sa vie menacée de la manière la plus arbitraire et la plus odieuse.
Guillaume Tell épiant le passage de Gessler.
perça de sa flèche le bailli Gessler. Les conjurés, surpris par cet événement inat-
tendu, hâtèrent l'exécution de leur plan. Ils s'emparèrent des châteaux des baillis
par force ou par stratagème, allumèrent des signaux sur les hauteurs, et appelèrent
les populations alpestres à l'insurrection. Landenberg, le collègue de Gessler, fut
chassé, et les forteresses élevées dans le pays pour le tenir opprimé furent rasées.
L'empereur Albert, irrité au suprême degré de cette insurrection, se préparait à
aller en tirer vengeance, quand il périt, au passage de la Reuss, assassiné par son
neveu Jean de Souabe et par des nobles de l'Ârgovie qui avaient à se plaindre de ses
violences. Cet événement fit sortir pour longtemps la couronne impériale de la
maison de Habsbourg, et fut très-favorable à l'émancipation des Waldstœtten. Henri
de Luxembourg, Louis de Bavière et d'autres princes qui se succédèrent sur le trône
impérial, ne firent aucune difficulté de confirmer les cantons forestiers dans la
20 LA SUISSE PITTORESQUE.
jouissance de leurs droits traditionnels ; mais la maison de Habsbourg-Autriche ne
put se résoudre si vite à renoncer à ses vues ambitieuses. La lutte entre elle el les
I)euples des Waldsta5tten dura deux siècles, et tous les avantages en furent pour
ceux-là. Au mois de novembre 1315, ces intrépides montagnards remportèrent au
Morgarten, près du peûi lac d'Egeri, à l'entrée du |)ays deSchwytz, leur première
victoire sur Léojïold'leGhrieiix, fils d'Albert d'Autriche, et sur la noblesse pesam-
ment armée de la Souabe et de TAutriche. La même année encore ils conGrmèrent
cl étendirent Talliance du Griitli par le pacte de Brunnen, qui rendit leur Confédé-
ration perpétuelle.
I VIIL Formation de la ligue des huit anciens cantons.
(Deranl332àl390.)
Après avoir reçu au Morgarlen le baptême du sang, la confédération primitive
des trois WaUistœUen devint un centre autour duquel se rallièrent bientôt Lucerne
en 1332, Zurich en 1351, Claris etZug en 1352, et Berne Tannée suivante. Dans
cette nouvelle période, dite des huit anciens cantons, de nouvelles victoires vinrent
consolider la liberté naissante de la Suisse, car tel fut dès-lors le nom de THelvétie,
emprunté au plus considérable des cantons qui avaient été le noyau de Talliance,
le canton de Schwytz. La victoire de Laupen (1339), remportée par les Bernois,
aidés des Waldsteetten , sur la noblesse de la Suisse occidentale , dévouée à TAu-
triche, prépara Tacceptation de rimporlantc ville de Berne dans la Confédération.
Les confédérés, durant toute la première période de leur lutte contre TAutriche,
firent preuve d'une extrême réserve et du respect le plus parfait pour les droits
d'autrui. Quand les progrès de leurs armes ou des transactions leur procuraient des
agrandissements, ils attiraient dans leur alliance et traitaient sur le pied de l'égalité
les populations des territoires nouvelleincnt réunis. Mais cetle modération disparut de
leurs principes quand la brillante victoire de Scmpaeh (9 juillet 1386) et celle de Nœ-
fels (i 3 avril 1 389) les eurent délivrés de toute crainte sérieuse de la part de la maison
de Habsbourg, qui avait d'ailleurs de graves afifaircs en Allemagne. A la première de
ces deux batailles, que le sublime dévouement d'Arnold de Winkelried a rendue A
jamais célèbre, le duc Léojwld Ul d'Autriche périt lui-môme à la léte de ses vassaux
de l'Argovie et de la Souabe.
Ces victoires consolidèrent la liberté suisse, en abattant l'orgueil de l'Autriche.
On vil la noblesse ambitionner la combourgeoisie des villes. Celles-ci augmentèrent
leurs territoires par l'achat de nombreuses hypothèques impériales et par des con-
quêtes sur les seigneurs voisins. Gersau s'allia aux Waldstœtten ; Soleure devint
ralliée de plusieurs cantons. Quelques bases de la confédération primitive furent
modifiées. C'est ainsi que l'on institua un arbitrage fédéral pour régler les différends
qui pourraient s'élever entre les cantons , et qu'il fut statué que les traités parti-
culiers des cantons avec l'étranger seraient soumis à l'approbation générale. Zurich,
lors de son admission , obtint la préséance et la direction des affaires fédérales. Zug
et Claris furent admis à des conditions moins favorables que Zurich, car ils devaient
souscrire d'avance à tous les changements qu'il plairait aux autres cantons d'intro-
duire dans le pacte fédéral. L'ordonnance de 1370, appelée Pfalfenbrief {le code des
prêtres), régla la juridiction ecclésiastique. Le Conveimnl ou la convention de Sem-
LA SUISSE PITTORESQUE. 21
pach (1390) perfectionna l'organisation militaire et défendit aux cantons de com-
mencer des hostilités à l'oLtérieur sans le consentement général.
I IX. Premières conquêtes des Suisses. — Guerres de Bourgogne. — Admission
DE Fribourg et de Soleure dans la Confédération.
(De Fan 1390 à ran 1481.)
Depuis leurs grands succès sur rAutriche et la noblesse, les Suisses, qui jus-
qu'alors n'avaient fait que repousser d'injustes oppressions, commençaient à devenir
agresseurs à leur tour. Ils convoitaient les vastes domaines de la maison de Habs-
bourg dans l'Argovie, où elle avait son château patrimonial, et dans la Thurgovie.
Ils portèrent aussi leurs vues sur l'héritage du comte de Toggcnbourg et sur les dis-
tricts fertiles qui s'étendent sur le versant méridional des Alpes jusqu'au lac Majeur.
Dans celte lutte, leurs armes furent encore généralement heureuses , en dépit de
quelques échecs. Mais les habitants des provinces conquises, soit par tel ou tel canton
en particulier, soit par toute la Confédération, loin d'être admis au bienfait de l'indé-
pendance et de Y autonomie, reçurent pour administrateurs des baillis nommés par
les cantons souverains.
A cette époque d'agrandissements territoriaux se rapporlent aussi les premières
divisions graves qui compromirent l'unité de la Confédération. Ainsi, pendant une
des interminables guerres de celle-ci avec l'Autriche, Zurich se trouva pendant
dix ans (de 1440 à 1450) en hostilité ouverte avec Schwytz, dont tous les autres
cantons avaient pris le parti et adopté les couleurs. Ce serait de là, selon les historiens,
que serait venue la croix fédérale qui figure dans les armes de la Suisse et dans
l'écusson de Schwytz , comme aussi le nom de Confédération suisse (Schweizerische
Eidgenossenschaft), bien que ce nom paraisse remonter plus haut.
Le 26 août 1444, une poignée de ces montagnards, retranchés derrière les murs
de l'hospice de Saint-Jacques sur la Birse, près de la ville de Bàle, étonnèrent
Louis XI, encore dauphin, par l'héroïsme de leur résistance à une nombreuse armée
d'Armagnacs, avec laquelle ce prince menaçait leur frontière.
Mais bientôt un orage d'une nature plus formidable vint fondre sur les confédérés.
Charles-k-Hardi ou le Téméraire, duc de. Bourgogne, le plus puissant prince de
l'Europe occidentale, s'était mis dans la tcte de les soumettre. Le grand coup qu'il
méditait, également dirigé contre le duc de Lorraine et les villes libres d'Alsace,
poussa ces alliés des Suisses à s'unir encore plus étroitement avec eux contre Ten-
nemi commun. Avec environ 35,000 hommes la Confédération reçut le choc et
marcha à la rencontre de la superbe armée des Bourguignons. La Suisse, à l'instiga-
tion de Louis XI, prit même l'initiative des hostilités à Héricourt. Complètement
défait dans les batailles de Grandson et de Morat (1476), Charles-le-Téméraire,
échappé à ces terribles désastres, trouva la mort l'année suivante sous les murs de
Nancy, où il avait encore les Suisses à combattre.
Les vainqueurs rapportèrent des guerres de Bourgogne un immense butin ; mais
la pureté de leurs mœurs et de leur patriotisme souiTrit en même temps de l'attrait
que les richesses commencèrent dès-lors à exercer sur eux. Sortis de cette lutte
mémorable, qui leur valut aussi un grand renom militaire, les Suisses se décidèrent,
2St LA SUISSE PITTORESOUE.
non sans de vifs débats, terminés par Tintervention du pieux Nicolas de Fine, à
s'adjoindre deux nouveaux cantons, Fribourg et Soleure, en 1481, tout en resser-
rant les liens de leur alliance avec d'autres villes et Etats voisins. Les nouveaux
alliés avec divers cantons, et à différents titres, étaient Appenzell, B&le, l'abbé de
Saint-Gall , la ville de Saint-Gall , Scbaffhouse, le Vallais , Bienne , les Grisons et
Neuchàtel. C'est aussi alors que les Suisses augmentent le nombre de leurs sajets. La
vallée Levantine passe sous la domination d'Uri et d'Unterwald ; Berne fait la con-
quête de l'Argovie; Baden, les bailliages libres, la Thurgovie, sont conquis et régis
en commun; Morat, Orbe, Grandson, Echallens, trouvent des maîtres dans Berne et
Fribourg. Des princes puissants recherchent l'alliance des Suisses et font avec eux
des capitulations militaires. La France donne l'exemple et prodigue de l'or en
échange de soldats. Le goût des expéditions aventureuses se propage. L'esprit de
l'ancienne Confédération s'altère et se perd. La réunion orageuse de la Diète suisse
à Stanz montre que des principes de dissolution, déposés dans le sein de la Confé-
dération, ont déjà fait de rapides progrès. Par le Convenant de Stanz, les huit anciens
cantons se promettent une protection mutuelle et le maintien de leurs constitutions
respectives. C'est une alliance des gouvernements cantonaux contre les peuples.
S'ils consentent à l'admission de Fril)ourg et de Soleure, c'est avec diverses restric-
tions et sous plusieurs conditions, celle entre autres que ces deux villes ne se mê-
leront pas de leurs débats particuliers.
I X. Confédération des treize cantons.
(De l'an 1481 à l'an 1513.)
La Confédération suisse était arrivée à l'époque de sa fortune et de sa gloire. Son
c|K)que héroïque était passée. Toutes les puissances, à l'imitation de la France,
recherchaient l'amitié des cantons, et se montraient jalouses d'obtenir d'eux , pour
leurs guerres, des corps d'infanterie recrutés parmi ces hommes invincibles, dont le
renom avait retenti dans toute l'Europe. Les rois de France, Venise, Milan, les
I)apes, les empereurs, l'Autriche elle-même, n'épargnent ni l'or, ni la flatterie, ni la
diplomatie, pour attirer dans leurs intérêts ces petites républiques. Des citoyens
éloquents et éclairés s'élèvent en vain contre l'établissement de ces services étrangers.
Cet usage l'emporte, et la valeur militaire des Suisses, sans baisser néanmoins, perd
l'auréole de pur patriotisme qui l'avait si longtemps entourée. Le rôle politique de
la Suisse se rapetisse sous l'influence de l'étranger. Les intrigues de la diplomatie se
croisent dans les cantons, et leur font méconnaître l'intérêt fédéral , le premier, le
plus sacré de tous.
L'action de ces ferments de discorde devint surtout manifeste après une nouvelle
crise, dans laquelle les Suisses s'étaient vus attaqués pour la dernière fois dans leur
indépendance politique par la maison d'Autriche. L'empereur Maximilien 1", de la
maison de Habsbourg-Autriche, ayant vu la dignité impériale rentrer dans sa famille,
essaya défaire rentrer les Suisses sous la dépendance de l'empire, que depuis longtemps
ils ne reconnaissaient plus que de nom. Voulant, disait-il, rétablir l'ordre et l'unité
de l'empire germanique, il comprit la Confédération suisse dans la division en cercles
qu'il s'occupait d'organiser. Sur le refus des confédérés de se prêter à ses vues , il
LA SUISSE PITTORESQUE.
23
leur déclara la guerre, arma contre eux la ligue de Souabe, en 1498, et les attaqua
simultanément sur toutes leurs frontières du nord et de Test. La lutte fut vive , mais
les Suisses en sortirent vainqueurs après une bataille livrée aux forces impériales,
dont le camp fut surpris près de Dornach, et l'empire, à la paix de Bàle (22 septembre
1499), fut obligé de se désister de toutes ses prétentions à leur égard. La réunion de
6arprise du camp «iilrichieD, k lioroacb.
Bâle et de Schafifhouse, en 1501, et celle d'Appenzell, en 1513, portèrent définitive-
ment à treize le nombre des cantons. Ces trois nouveaux cantons furent reçus aux
mêmes conditions que Soleure et Fribourg. Les huit anciens conservèrent toujours
des relations plus étroites.
§ XI. La réforme en Suisse.
(1519 à 1689.)
En Suisse, comme ailleurs, Tévénement le plus grave du siècle fut la réformation
religieuse. Elle fut précédée par diverses expéditions militaires au dehors, surtout en
Italie. En 1512, les confédérés firent la conquête du Milanais pour le compte du faible
Maximilien Sforze, et en 1513 ils remportèrent sur les Français de Louis XII une
victoire éelalaote à Novarre. Ils restèrent les maîtres de celte belle contrée jusqu'à
la bataille de Marignan (1515), qu'ils perdirent contre François P^ Ce combat de
géants leur enleva la prépondérance en Italie; mais François P% rempli d'admira-
tion pour leur valeur, conclut avec eux en 1516 une alliance fmyélnelle .
24 LA SUISSE PITTORESQUE.
Cependant, la Suisse était devenue le théâtre d'une révolution religieuse. A
Texemple de Luther en Allemagne, Zwingle à Zurich, Œcolampade à Bàle, Farel
et Calvin à Neuch&tel et à Genève, entreprirent de réformer la Suisse. Il résulta de
cette tentative des collisions sanglantes. Zwingle fut tué en 1531, à Cappel, où les
Zuricois réformés furent défaits par les cantons restés catholiques. Les querelles de
religion, en absorbant pendant longtemps les forces de la Confédération, achevèrent
de la priver de toute influence & Textérieur. Mais Berne, poursuivant le système de
conquêtes à l'aide des idées religieuses, enleva en 1535 et 1536 le pays de Vaud au
duc de Savoie, et devint de beaucoup le canton le plus puissant de la Suisse.
Lors de la guerre de Trente ans, les Grisons, alliés des Suisses, et la Valteline,
pays sujet des Grisons, servirent comme de champs-dos aux armées de TAutriche,
de l'Espagne et de la France. Cette guerre politique et religieuse se termina, en
1648, par la paix de Westphalie, qui fit prendre rang à la Suisse parmi les Etats
souverains de l'Europe. Sa neutralité fut reconnue. A la suite de ce grand événe-
ment, la tranquillité intérieure fut plusieurs fois compromise, notamment en 1653,
par la guerre des imymns. C'était une tentative des populations des campagnes pour
se soustniire à l'oppression des villes souveraines et des Conseils patriciens. L'insur-
rection fut étouffée par la mort de Leuenberg; mais elle laissa des traces profondes.
La Suisse dès-lors cessa de faire des conquêtes. Elle vit la France se rsq)procher
de ses frontières par la conquête de la Franche-Comté, dont elle avait repoussé l'al-
liance en 1480. L'ambition de Louis XIV fit adopter à la Diète un plan éventuel de
défense appelé le Défemiimnal^ qui réglait le contingent militaire des cantons, des
sujets et des alliés. La révocation de l'édit de Nantes procura à la Suisse un surcroit
considérable de population protestante.
§ XII. La Suisse au xYin*" siècle.
(1700 à 1708.)
La guerre civile de religion qui signala les premières années du XVIIl* siècle fut
suivie d'une paix qui assura la prépondérance de Zurich et de Berne, et fixa sur le
pied d'une égalité complète les droits des cantons catholiques et réformés. Vint
ensuite une période de près d'un siècle, dans laquelle on vit éclater des troubles sur
plusieurs points du territoire. Leur cause était la même, savoir l'inégalité dans les
différentes classes de citoyens. Tantôt c'est à Zurich, ou dans le pays de Vaud, à Berne,
à Schaffhouse, dans la Levantine, que l'on signale ces causes de malaise. On distin-
guait en Suisse trois sortes de personnes : les nobles, les bourgeois et les paysans.
Zurich était la ville directoriale ou le Vorort, Les Diètes s'assemblaient tantôt dans
un endroit et tantôt dans un autre, le plus souvent à Baden ou à Frauenfeld. I^es
alliés (ztigewandte Orle) l'étaient à différents titres : quelques uns étaient représentés
dans les Diètes ; d'autres n'avaient d'alliances qu'avec certains cantons. Les sujets
relevaient d'un nombre plus ou moins grand de cantons. Quelques cantons, Berne
en particulier, avalent aussi leurs sujets à eux, entre autres l'Argovie et le pays de
Vaud.
LA SUISSE PITTORESQUE. iH
% XIII. La Suisse pendant la révolution.
(1796 à 1803.)
Telle était la situation de la Suisse, quand éclata la révolution française, qui ne
pouvait manquer de trouver dans ce pays plus de retentissement que dans aucun Etat
voisin. Il devint très-difficile pour la Confédération de faire respecter sa neutralité.
Les gouvernements cantonaux redoublèrent de précautions, afin d'ôter tout prétexte
à l'intervention étrangère. Malheureusement pour eux, il importait trop au Directoire
de se rendre maître des grands passages des Alpes et d'établir l'influence de la France
dans un pays si propre à couvrir une partie de ses frontières. Il profita donc, au
mois de janvier 1798, de l'état du pays de Vaud insurgé contre les autorités bernoises,
et dont les habitants reçurent les Français comme des libérateurs. Dès les premiers
moments de cette intervention, les populations sujettes des autres cantons se soule-
vèrent comme à un signal donné. Ce soulèvement les empêcha de prêter secours à
Berne, dont la résistance, bien que vive et désespérée, fut inutile : le S mars 1798,
cette ville tomba au pouvoir des Français avec son trésor, et sa chute entraîna celle
de Toligarchie qui y régnait, et des cantons primitifs, qui firent une défense héroïque.
Une nouvelle constitution, élaborée à Paris, fut alors imposée à la Suisse. Elle sub-
stituait le régime unitaire au régime fédératif.
La Suisse ne devait plus former, sous son ancien nom gaulois A'Helvétie, qu'une
république une et indivisible, composée de dix-huit cantons égaux, savoir : Léman,
Fribourg, Berne, Soleure, Bàle, Ârgovie, Baden, Zurich, SchaShouse, Thurgovie,
Sàntis, Linth, Waldstœtten, Lucerne, Oberland, Vallais, Bellinzone et Lugano.
Genève, l'évèché de Bàle, Mulhouse, furent incorporés dans la république française.
La Valteline fut réunie à la république cisalpine. Deux chambres l^slatives, le Sénat
et le Grand Conseil, partageaient, comme en France, le pouvoir, avec un Directoire
exécutif de cinq membres.
Cette république unitaire était à peine installée, quand la Suisse devint le théâtre
de la guerre entre les Français et les Autrichiens aidés des Russes, guerre à laquelle
prirent part les confédérés, soit en faveur soit contre l'ordre de choses nouveau. La
bataille de Zurich, remportée par le général français Masséna sur les Austro-Russes
(septembre 1799), anéantit promptement l'espoir que les partisans de l'ancien ordre
de choses avaient conçu.
Cependant, le nouveau gouvernement, privé des conditions nécessaires d'autorité
et de dignité, ne sut ni gagner la confiance des cantons, ni celle des Français. 11 fut
modifié et bouleversé en 1800 et en 1801 . Aloys Reding, d'une ancienne famille de
Schwytz, qui s'était distingué comme chef des montagnards des petits cantons contre
les Français, entreprit de le renverser en 1802, quand le départ des troupes fran-
çaises, à la suite de la paix d'Amiens, eut ranimé les espérances du cantonalisme.
Le Vallais se sépara de ses confédérés. La plupart des cantons s'insurgèrent contre
le gouvernement helvétique, qui fut rejeté de Berne à Lausanne. Une Diète générale,
convoquée à Schwytz, allait traiter des bases de la constitution à rétablir, quand
la présence des drapeaux français fit encore tomber une fois les armes des mains
des partis.
II. s. 4
Il
96 LA BUISBB PITTOIIISQUE. '
% XIV. La Suisse sous l'Acte de médiation.
(1803 i 1814.)
Bonaparte, premier consul, jugeant ce moment décisif pour régler Tétat politique
de ia Suisse, intervint à titre de Médiateur, et manda à Paris les députés des cantons
appartenant aux diverses opinions. VActe de médiation, rédigé à Paris en 1803 par la
Cmisulta helvétique, renfermait non seulement la constitution générale de la Suisse,
mais aussi les constitutions particulières des dix-neuf cantons, dont se composa la
nouvelle Confédération, savoir : les treize anciens cantons et les six nouveaux d'Ar-
govie, de Vaud, du Tessin, de Saint-Gall, des Grisons et de Thurgovie.
VActe de médiation fut un compromis entre les anciens et les nouveaux principes.
Le principe de la nationalité y fut consacré par l'espèce de représentation proportion-
nelle accordée en Diète aux grands cantons : ceux qui comptaient au moins cent
mille âmes de population avaient deux voix. D'un autre côté, on y confirma l'abo-
lition des rapports de souverains à sujets, ainsi que celle des privilèges et des droits
exclusifs, attribués à certaines villes ou à certains pays. On y conserva aussi le
principe du rachat des dîmes et des redevances féodales. Les cantons recouvrèrent
leur souveraineté en matière d'administration intérieure. Les différends de cantons à *
cantons étaient portés à la Diète, qui s'assemblait alternativement à Fribourg, Berne,
Soleure, Bàle, Zurich et Lucerne, et dont le président portait le titre nouveau de
Landammann de la Suisse. La Confédération était tenue de fournir à l'empereur un
contingent de 12,000 hommes. Elle dut à l'Acte de médiation dix ans de tran-
quillité.
§ XV. La Suisse sous la Restauration. Pacte fédéral de 181 S.
(1814 à 1830.)
Rien ne paraissait devoir s'opposer à l'affermissement progressif de cet état de
choses, quand le changement subit de la fortune de Napoléon détermina une nouvelle
violation de la neutralité helvétique. Le 11 décembre 1813, les troupes de la Sainte-
Alliance entrèrent sur le territoire suisse. Cette invasion de la coalition armée contre
la France avait été appelée par des membres des anciennes olygarchies suisses, qui
s'empressèrent de poursuivre auprès des alliés la réalisation de leurs vues réaction-
naires. Ils réussirent en partie. Le régime aristocratique fut remis en vigueur dans
plusieurs cantons ; mais les Etats de formation nouvelle tinrent ferme à la conserva-
tion de leur existence et de leur liberté cantonales.
La vivacité de cette opposition détermina le congrès de Vienne à prendre pour
base, dans le Pacte fédéral qui devait être substitué à l'Acte de médiation, l'intégrité
politique et territoriale de tous les dix-neuf cantons. Il fut arrêté qu'en dédomma-
gement de ses sujets d'Argovie et du pays de Vaud, perdus à jamais, Berne obtien-
drait révêché de Râle repris sur la France, tandis qu'on indemniserait par une
somme d'argent les autres cantons qui avaient des réclamations à faire valoir.
Le Vallais, Neuchàtel et Genève, trois anciens alliés des Suisses qui avaient suivi
les destinées de la France impériale, furent réincorporés dans la Confédération, mais
LA SUISSE PITTORESQUE. 97
eo qualité de cantons. Le 20 novembre 4815, les grandes puissances garantirent
collectivement à la Suisse , par le traité de Paris, la neutralité perpétuelle de son
territoire. Déjà la Diète extraordinaire, assemblée depuis le mois d'avril 1814, avait
adopté le nouveau Pacte fédéral, le 7 août 1815.
Ce Pacte offrait la reproduction de Tancien système fédératif, avec de notables
améliorations. Les vingt-deux cantons souverains se réunissaient pour le maintien
de leur liberté et de leur indépendance. — 11 n'existait plus en Suisse de pays sujets.
— Les cantons ne pouvaient former entre eux des liaisons préjudiciables au Pacte.
— Les péages étaient conservés. — L'existence des couvents et chapitres, et la con-
servation de leurs propriétés, étaient garantis. — Gbaque canton menacé dans son
intérieur avait droit d'invoquer l'assistance fédérale. — La première autorité fédé-
rale était la Diète (Tagsaizung ou Tagleistung), composée des députés des vingt-deux
cantons, votant d'après les instructions de leurs gouvernements. — Chaque canton
n'avait qu'une voix, quelles que fussent sa population, ses richesses et son étendue.
— Lorsque la Diète n'était pas réunie, la direction des affaires fédérales était confiée
à un Directoire (Vorortjj qui alternait tous les deux ans entre les cantons de Zurich,
Berne et Luceme. Le président du Directoire était en même temps président de la
Diète, et avait le titre A*Excellence. Les travaux de chaque Diète étaient recueillis
dans un volume appelé Recès (Abschied). — L'armée fédérale se composait de contin-
gents cantonaux dans la proportion de deux soldats sur cent âmes, et était divisée
en iUley réserve et landsturm. Une base proportionnelle était également admise pour
les contingents en argent.
Les constitutions cantonales furent modifiées dans le sens du Pacte de 1815.
§ XVI. La Suisse depuis les revolutioiNS de 1831 jusqu'à la Constitution
FÉDÉRALE DE 1848.
(1831 a 1848.)
L'édifice politique élevé par les hommes de 1814 et de 1815 ne présentait pas
des bases de solidité et de durée, puisqu'il reposait encore sur la base des privilèges.
Néanmoins, jusqu'en 1830, la marche générale des événements en Europe retint la
politique intérieure de la Suisse sous l'influence des principes de la Sainte-Alliance.
La censure s'établit même dans plusieurs cantons. Mais l'opposition contre les abus
devint si forte, que même avant 1830 elle emporta des réformes dans diverses con-
stitutions cantonales. La révolution française de juillet vint hâter une explosion
générale. L'hiver de 1830 à 1831 vit la plupart des cantons réformer leurs consti-
tutions, soit par des assemblées constituantes, soit par des renouvellements intégraux
des Grands Conseils. D'autres cantons restèrent étrangers à ce mouvement. La lutte
entre les partisans du mouvement et ceux du statu quo fut vive, et alla jusqu'à faire
couler le sang. L'intervention fédérale dut se déployer à Bàle, à Schwytz, à Neu-
chàtel. Dans le canton de Bàle en particulier, le conflit entre la ville et la campagne
ne finit que par la séparation de cet Etat confédéré en deux demi-cantons, comme
c'était déjà le cas pour Âppenzell et l'Unterwald.
Les réformes cantonales une fois opérées, l'attention publique se porta sur le Pacte
28
LA SUISSE PITTORESQUE.
fédéral, qui se trouvait en désharmonie avec les principes de liberté et d'alité con-
sacrés dans les nouvelles constitutions cantonales.
La question de la révision du Pacte fédéral de 4 81 S fut introduite à la Diète de
1831 par l'Etat de Thurgovie. En 1832, la Diète de Lucerne fut nantie de pétitions
sur cet objet. Une Commission fut nommée, qui rédigea un projet d'Acte fédéral, en
120 articles, connu sous le nom de Projet Rossi, parce que le professeur Rossi,
député de Genève, était le rapporteur de cette Commission. En 1833, ce projet fut
révisé par la Diète de Zurich dans un sens un peu moins favorable à la centralisa-
tion. Mais les cantons ne purent s'entendre sur une révision générale, et le Vorort de
Zurich pensa qu'une révision partielle conviendrait peut-être mieux. En 1834, cette
importante question n'ayant fait aucun progrès, plusieurs cantons en conclurent que,
vu son impuissance constatée, la révision du Pacte ne pouvait avoir lieu que par une
Constituante fédérale nommée par le peuple. Â la Diète de 1835, la nécessité de la
révision fut de nouveau reconnue par treize cantons et demi, et Berne, Zurich,
Lucerne, St.-Gall, Thurgovie, Bàle-Campagne, se prononcèrent pour une Consti-
tuante. Mais la majorité des cantons se prononça contre ce mode de révision.
Tel était le point où la question de la révision était parvenue, lorsque d'autres
affaires très-graves vinrent détourner l'attention publique de cet objet. Il est d'ail-
leurs certain que cette grande réforme ne touchait pas assez directement à la situa-
tion matérielle des cantons, préoccupés de leurs débats particuliers, pour avoir dès-
lors des chances de succès. Elle inspirait une profonde répugnance aux petits cantons
démocratiques, dont une révision dans le sens d'une représentation proportionnelle
à la population des Etats confédérés aurait effacé l'importance historique et politique.
De plus, elle était en opposition avec les intérêts du clergé catholique, parce que les
exigences financières du système proposé menaçaient ses biens et ses revenus.
Les exigences réitérées des puissances étrangères au sujet de la présence des réfu-
giés en Suisse, les notes diplomatiques qui furent échangée à ce sujet, les griefs par-
ticuliers de la France en 1836, à propos de l'espion Conseil, l'insistance du ministère
Mole à demander, en 1838, l'éloignement du prince Louis-Napoléon Bonaparte,
reconnu en Suisse citoyen du canton de Thurgovie, absorbèrent la Diète et les Con-
seils des cantons pendant plusieurs années. Toutefois, la révision du Pacte continua
de figurer dans les Tractanda ou matières à traiter dans les Diètes. Les troubles sus-
cités par la Conférence de Baden, qui voulait amener le changement des rapports de
l'Etat avec l'Eglise dans les cantons catholiques, amena aussi de l'agitation. La sécu-
larisation des couvents dans le canton d'Argovie alimenta encore ce débat, dans lequel
l'Autriche se trouva incidemment intéressée. A Zurich, les dissentiments religieux
entre les réformés au sujet de l'appel du professeur Strauss, auteur de la Vie de Jésus,
provoquèrent au mois de septembre 1839 un soulèvement, qui entraîna une révolu-
tion dans le gouvernement à la suite du triomphe de l'orthodoxie. Des tentatives
réactionnaires furent réprimées dans le Tessin ; mais, dans le Yallais, les avantages
remportés par les libéraux du Bas- Yallais en 18&0 se convertirent en 184& en une
défaite pour les vainqueurs. Le Haut-Yallais fit la loi. En 1845, la question de l'appel
des Jésuites à Lucerne excita une très- vive agitation, et amena plusieurs révolutions
cantonales dans le sens radical, entre autres dans les cantons de Yaud et de Berne,
à la suite des malheureuses expéditions des corps-francs contre Lucerne. En 18&6,
LA SU1S8B PITTORESQUE. 99
une révolution eut lieu à Genève dans le même sens, pour vaincre la résistance
des Conseils, qui ne voulaient pas donner les mains au renvoi de ces religieux.
En 18&7, une majorité de douze voix s'étant enfin formée dans la Diète pour
décider le renvoi des Jésuites, la minorité protesta et forma une alliance séparée (Son-
derbund), qu'il fallut réduire par les armes. Alors eut lieu la guerre dite du Sonder-
bund, qui excita dans les pays voisins de la Suisse un très- vif intérêt, et qui ne fut
pas étrangère aux grands mouvements qui eurent lieu alors en Europe, et entre
autres à la révolution française de février 4848.
§ XYIl. Changement de la Constitution fédérale.
(1848 à 1854.;
La victoire de la majorité des cantons, en faisant cesser la résistance des petits
cantons à une révision quelconque du Pacte fédéral, et les révolutions européennes
de 18&8, en écartant l'opposition de la diplomatie des grands cabinets qui ne vou-
laient pas entendre parler d'un changement radical dans la Constitution de la Suisse,
rendirent extrêmement facile la révision de cette Constitution. Le Pacte fédéral de
181 S fut abandonné par tout le monde. Une Commission nombreuse fut nantie de la
question de la réforme de ce Pacte dans la Diète de 48(8. La question la plus vive-
ment discutée et disputée fut celle des autorités fédérales. Le député de Zurich
(M. Zebnder) voulait une Chambre unique ; Argovie (M. Frey-Hérosé) partageait
cette opinion. Le système des deux Chambres l'emporta, grâce surtout au député de
Genève (M. James Fazy), qui combattit celui d'une seule Chambre, comme condui-
sant la Suisse au régime unitaire qui lui est antipathique. La nouvelle Constitution
fédérale fut acceptée par quinze Etats et demi, savoir : Zurich, Berne, Luceme,
Claris, Fribourg, Soleure, Bàle (ville et campagne), Schaffhouse, St.-Gall, les Gri-
sons, Argovie, Thurgovie , Yaud , Neuchàtel , Genève et Appenzell-Rhodes-Exté-
rieures.
Soumise à la ratification des populations dans les divers cantons, la Constitution
élaborée par la dernière Diète suisse rencontra d'assez vives oppositions. En général,
les Grands Conseils lui furent plus favorables que les assemblées électorales. Ainsi,
dans le Yallais, tandis que le Grand Conseil adoptait le projet de Constitution fédé-
rale à la presque unanimité (70 voix contre 7), il était rejeté par la majorité du
peuple, surtout dans le Haut- Yallais. Dans le canton du Tessin la même chose arri-
vait, et le Grand Conseil, tout en se prononçant pour l'acceptation, réservait formel-
lement une indemnité pour la suppression de ses péages intérieurs, que la centrali-
sation des droits de péages supprimait. Dans les cantons de Schwytz, d'Uri, de Zug,
d'Unterwald (Haut et Bas), le peuple se soumit à la nouvelle Constitution, en cédant
à la force inévitable des circonstances.
Toutefois, la majorité du peuple suisse se prononça pour l'acceptation, comme le
prouva le rapport qui fut soumis à la Diète, dans sa séance du 12 septembre 1848,
sur le résultat de la votation dans les vingt-deux cantons. L'arrêté suivant fut en con-
séquence adopté :
« Considérant qu'il résulte de la vérification exacte des procès-verbaux sur la
votation qui a eu lieu dans tous les cantons, que la Constitution de la Confédération
30 LA SUISSE PITTORiSQUE.
guîase, délibérée par la Diète, a été approuvée et acceptée par quiiue cantons el
demi, représentant ensemble une population de 1 ,897,887 âmes, par conséquent la
grande majorité des citoyens suisses actifs, ainsi que la grande majorité des vingt-
deux cantons ;
» La Diète arrête : La Constitution fédérale de la Confédération suisse, délibérée
par la Diète du 45 mai au 27 juin 1848, et soumise 1 la votation de tous les cantons,
est déclarée solennellement acceptée et reconnue comme loi fondamentale de la Con-
fédération suisse. ))
La Diète resta en fonctions, ainsi que le Directoire fédéral, jusqu'à l'installation
de l'Assemblée fédérale instituée par la Constitution nouvelle. Cette installation eut
lieu le 6 novembre 18&8, et le Pacte fédéral de 1815 cessa alors d'exister.
Le 28 novembre, cent et un coups de canon annoncèrent aux habitants de la ville
de Berne que les deux Conseils formant l'Assemblée fédérale, savoir : le Conseil
National, élu par le peuple en proportion de la population des cantons, et le Conseil
des Etats, élu par les Grands Conseils ou les législatures cantonales, avaient résolu la
question du choix du chef-lieu de la Confédération en faveur de Berne, la capitale
du plus grand des cantons. Le 29, la Diète, avant de se séparer, vota une procla-
mation au peuple suisse, qui se terminait ainsi :
« Citoyens, chers confédérés !
u Ne nous le dissimulons pas, l'horizon est encore couvert de nuages, et dans un
prochain avenir peut-être nous aurons encore bien des tourmentes à surmonter. Ce
qui importe avant tout dans ces temps difficiles, c'est l'accord indissoluble du peuple
et des autorités, pour travailler de toutes leurs forces au bonheur de la Confédéra-
tion, au maintien de l'honneur, de la dignité et de l'indépendance de la nation. »
Effectivement, la mise en vigueur de la nouvelle Constitution fédérale ne fut pas
exempte de difficultés et d'entraves. A l'extérieur, les divers mouvements révdu-
tionnaires qui surgirent en Italie, en Allemagne et dans d'autres pays, à la suite de
la révolution française de février 18&8, réagirent sur la Suisse. Un moment, un parti
eut quelque velléité d'intervenir dans ces contrées, surtout en Lombardie, dans le
sens de la révolution ; mais le grand parti de la neutralité l'emporta. La Suisse ne
put cependant pas empêcher l'entrée sur son territoire d'une foule de réfugiés et de
proscrits politiques. Elle dut même recevoir à sa frontière du nord une portion de
l'armée républicaine badoise, battue et refoulée par les Prussiens accourus au secours
du grand-duc. L'hospitalité à donner à tant d'hommes armés et mécontents, dans
des moments très-difficiles, ne fut pas exempte de dangers et d'embarras. D'un autre
côté, l'Autriche ne cessait de se plaindre des secours et des encouragements que ses
sujets d'Italie, révoltés contre la couronne impériale, trouvaient dans les cantons du
Tessin et des Grisons. Enfin, la France réclamait contre le séjour des réfugiés politi-
ques dans les cantons occidentaux, surtout dans ceux de Yaud et de Genève. Le gou-
vernement fédéral, nouvellement installé, parvint à conjurer tous ces orages, dont le
plus sérieux fut le blocus mis par l'Autriche aux frontières du canton du Tessin,
blocus qui interrompit totalement, pendant l'année 1853 et une partie de 1854, les
rapports internationaux et de commerce entre la Lombardie et le canton du Tessin.
La Suisse dut entretenir à grands frais, et assez inutilement, un commissaire fédéral
LA SUISSE PITTORESQUE. 31
en permanence à cette frontière. Le blocus ne fut levé, au milieu de 188&, que grâce
aux événements de la guerre d'Orient, qui imposèrent à TÂutriche une nouvelle
politique.
D'un autre côté, à l'intérieur, plusieurs cantons, et surtout les cantons frontières,
se plaignaient de la lourdeur des droits d'entrée et de péages que la nouvelle Con-
stitution fédérale imposait à toutes les marchandises venues du dehors. La souverai-
neté cantonale, blessée de la perte de plusieurs de ses prérogatives et de ses attribu-
tions, sacrifiées par la Constitution fédérale de 1848, faisait aussi entendre des plaintes
assez amères. Quelques tentatives de réaction eurent lieu à Fribourg et sur quelques
autres points. Mais la Suisse sentait trop généralement le besoin de rester tranquille
dans la situation embarrassée où se trouvait l'Europe, et elle était encore sous une
impression encore trop vive des dangers qu'elle avait courus récemment, pour se
lancer de nouveau dans la carrière des agitations et des révolutions. On peut dire
que c'est grâce à ce concours de circonstances extérieures et intérieures, bien plus
qu'à l'excellence des institutions fédérales actuelles, que la Suisse a dû de conserver
l'ordre et la paix qui en font encore en ce moment un des pays les plus tranquilles
et les plus calmes de l'Europe ^
EusÈBB-H. Gaullieur.
i. Nous ayoDs beaucoup emprunté, pour la première parUe de ce résumé, i deux exceUents
arUcles, publiés par M. Henri Drubt, membre du Conseil fédéral, dans VAlnumaeh national de
i844 et de 1845.
STATISTIQUE GÉNÉRALE,
CONSTITUTION FÉDÉRALE ACTUELLE.
Nous avons rapporté, dans le résumé historique qui précède, comment l'on est
arrivé à la révision complète du Pacte et à Tadoption d'une nouvelle Constitution
fédérale. L'importance de cet acte nous engage à en donner ici un résumé de quelque
étendue.
Dispositions générales. — La Confédération a pour but d'assurer l'indépendance de
la patrie contre l'étranger, de maintenir la tranquillité et l'ordre à l'intérieur, de pro-
téger la liberté et les droits des confédérés, et d'accroître leur prospérité commune. —
Les cantons sont souverains, en tant que leur souveraineté n'est pas limitée par la
Constitution fédérale. — Tous les Suisses sont égaux devant la loi ; il n'y a ni
sujets, ni privilèges de lieux, de naissance, de personnes ou de familles. — La Con-
fédération garantit aux cantons leurs territoires, leurs constitutions, la liberté et les
droits du peuple, ainsi que les droits et les attributions que le peuple a conférés aux
autorités. Â cet effet, les cantons sont tenus de demander à la Confédération la ga-
rantie de leurs constitutions. Cette garantie est accordée, pourvu que celles-ci ne ren-
ferment rien de contraire à la Constitution fédérale, qu'elles assurent l'exercice des
droits politiques d'après les formes républicaines, représentatives ou démocratiques,
LA SUISSE PITTORESQUE. 33
qu'elles aient été acceplées par le peuple, et qu'elles puissent être révisées lorsque la
majorité absolue des citoyens le demande.
Toute alliance particulière d'une nature politique est interdite entre les cantons;
mais ceux-ci ont le droit de conclure entre eux des conventions sur des objets de
législation , d'administration et de justice ; toutefois, ils doivent les porter à la con-
naissance de l'autorité fédérale , laquelle , si les conventions renferment quelque
chose de contraire à la Confédération ou aux droits des autres cantons, est autorisée
à en empêcher l'exécution. — La Confédération a seule le droit de déclarer la
guerre et de conclure la paix , ainsi que des alliances ou traités de commerce avec
les Etats étrangers. Toutefois, les cantons conservent le droit de conclure avec ces
derniers des traités sur des objets concernant l'économie publique , les rapports de
voisinage ou la police.
Tout Suisse est tenu au service militaire. Une loi fédérale détermine l'organi-
sation générale de l'armée. Il ne peut être conclu de capitulations militaires. — La
Confédération n'a pas le droit d'entretenir des troupes permanentes. Nul canton ne
peut avoir plus de 300 hommes de troupes permanentes , sans l'autorisation du
pouvoir fédéral; la gendarmerie n'est pas comprise dans ce nombre. Dans le cas
d'un danger subit provenant du dehors , le gouvernement du canton menacé doit
requérir le secours des Etats confédérés , et en avertir immédiatement l'autorité
fédérale. Les cantons requis sont tenus de prêter secours. Les frais sont supportés
parla Confédération. — En cas de troubles à l'intérieur, ou lorsque le danger pro-
vient d'un autre canton , le gouvernement du canton menacé doit en aviser immé-
diatement le Conseil fédéral , afin qu'il puisse prendre les mesures nécessaires ou
convoquer l'Assemblée fédérale. En cas d'urgence, le gouvernement est autorisé à
requérir le secours d'autres Etals confédérés, et ceux-ci sont tenus de le prêter. —
Lorsque le gouvernement est hors d'état d'invoquer ce secours , l'autorité fédérale
peut intervenir sans réquisition; elle est tenue d'intervenir lorsque les troubles
compromettent la sûreté de la Suisse. Les frais sont supportés par le canton qui a
requis l'assistance ou occasionné l'intervention.
Ce qui concerne les damnes relève de la Confédération. Celle-ci a le droit, moyen-
nant une indemnité , de supprimer en tout ou en partie les péages sur terre ou sur
eau, les droits de transit, de chaussée, de pontonnage , et autres droits de ce genre
accordés ou reconnus par la Diète, soit que les droits appartiennent aux cantons ou
qu'ils soient perçus par des communes , des corporations ou des particuliers. Les
droits de chaussée et les péages qui grèvent le transit sont rachetés dans toute la
Suisse. — La Confédération pourra percevoir à la frontière des droits d'importation,
d'exportation et de transit. La liberté du commerce des denrées, du bétail et des
marchandises, ainsi que des autres produits du sol et de l'industrie, leur libre sortie
et leur libre passage d'un canton h l'autre, sont garantis dans toute l'étendue de la
Confédération. Les cantons ne pourront, sous quelque dénomination que ce soit,
établir de nouveaux péages ; ils sont cependant autorisés à percevoir des droits de
consommation sur les vins et autres boissons spiritueuses, pourvu que leur percep-
tion ne grève nullement le transit.
La Confédération se charge de l'administration des postes dans toute la Suisse.
Elle indemnise les cantons pour la cession qu'ils lui font de leur droit régalien. L'in-
II, 3. 5
54 LA SUISSE PITTOBE80CR.
violabililé du secret des lettres est garantie. — La Confédération exerce tous les
droits compris dans la régale des monnaies, et peut seule faire frapper le numéraire.
Une loi fédérale fixera le pied monétaire , ainsi que le tarif des espèces en circu-
lation. — La Confédération introduira Tuniformité des poids et mesures. — La
fabrication et la vente de la poudre à canon appartiennent exclusivement à la
Confédération.
La Confédération garantit à tous les Suisses de Tune des c^onfessions chrétiennes
le droit de s'établir librement dans toute retendue du territoire suisse. Pour s'établir
dans un autre canton que celui auquel il appartient, un Suisse doit simplement être
muni d'un acte d'origine, d'un certificat de bonnes mœurs, et prouver, s'il en est
requis, qu'il est en état de s'entretenir lui et sa famille. On ne peut exiger de lui un
cautionnement. — Tout citoyen d'un canton est citoyen suisse. En s'établissant
dans un autre canton, le Suisse entre en jouissance de tous les droits des citoyens de
ce canton, à l'exception de celui de voter dans les affaires communales, et de la par-
ticipation aux biens des communes et des corporations. 11 peut y exercer les droits
politiques pour les afCsiires fédérales, et, après un séjour de deux années au plus, il a
le même droit relativement aux affaires cantonales. 11 ne peut être renvoyé que par
sentence du juge en matière pénale et par ordre des autorités de police, s'il a perdu ses
droits civiques et a été légalement flétri, si sa conduite est contraire aux mœurs, et
s'il tombe à la charge du public. — Nul ne peut exercer des droits politiques dans
plus d'un canton. Aucun canton ne peut priver un de ses ressortissants du droit d'ori-
gine et de cité. Les étrangers ne peuvent être naturalisés dans un canton qu'autant
qu'ils seront affranchis de tout lien envers l'Etat auquel ils appartiennent.
Le libre exercice du culte des confessions chrétiennes reconnues est garanti dans
toute la Confédération. Toutefois, les cantons et la Confédération pourront toujours
prendre les mesures propres au maintien de l'ordre public et de la paix entre les
confessions. — La liberté de la presse est garantie. Toutefois, les lois cantonales
statuent les mesures nécessaires à la répression des abus ; ces lois sont soumises à
l'approbation du Conseil fédéral. — Le droit de pétition est garanti. Il en est de
même du droit de former des associations, pourvu qu'il n'y ait, dans le but de ces
associations ou dans les moyens qu'elles emploient, rien d'illicite ou de dangereux
pour l'Etal.
Les jugements définitifs rendus dans un canton sont exécutoires dans toute la
Suisse. Nul ne peut être distrait de son juge naturel ; il ne pourra donc être établi de
tribunaux extraordinaires. — La peine de mort ne pourra être prononcée pour cause
de délit politique. — Une loi fédérale statuera sur l'extradition des accusés d'un
canton à l'autre; toutefois, l'extradition ne peut être rendue obligatoire pour les
délits politiques et ceux de la presse. — Une loi fédérale déterminera à quels
cantons ressortissent les gens sans patrie, dits heimaihloses, — La Confédération a
le droit d'expulser les étrangère qui compromettent la sûreté intérieure ou extérieure
de la Suisse. — L'ordre des jésuites et les sociétés qui lui sont affiliées ne peuvent
être reçus dans aucune partie de la Suisse.
Autorités fédérales. — L'autorité suprême de la Confédération est exercée par
VÂssenibUe fédérale, qui se compose de deux sections ou Conseils, savoir : le Conseil
national et le Conseil des Etats.
LA SUISSE PITTORESQUE. 3S
Le Conseil national se compose des députés du peuple suisse, élus à raison d'un
membre par chaque 20,000 âmes de la population totale. Les fractions en sus
de 10,000 âmes sont comptées pour 20,000. Les élections pour le Conseil national
sont directes; elles ont lieu dans des collèges électoraux fédéraux, qui ne peuvent
être toutefois formés de parties de différents cantons. Tout Suisse ftgé de 20 ans est
électeur et éligible , s'il n'est point exclu du droit de citoyen actif par la législation
du canton où il a son domicile. Toutefois, les ecclésiastiques ne sont pas éligibles,
et les Suisses devenus citoyens par la naturalisation ne sont éligibles qu'après cinq
ans de possession du droit de cité. — Le Conseil national est élu pour trois ans, et
renouvelé intégralement. Le Conseil national choisit dans son sein, pour chaque
session, un président et un vice-président. Les membres du Conseil national sont
indemnisés par la caisse fédérale.
Le Conseil des Etats se compose de 44 députés des cantons. Chaque canton nomme
deux députés. Dans les cantons partagés, chaque demi-état en élit un. Le Conseil
des Etats choisit dans son sein, pour chaque session , un président et un vice-prési-
dent. Le président et le vice-président ne peuvent être élus parmi les députés du
canton dans lequel a été choisi le président pour la session ordinaire précédente. Les
députés au Conseil des Etats sont indemnisés par les cantons.
Les affaires de la compétence du Conseil national et du Conseil des Etats sont les
lois et décrets pour la mise en vigueur de la Constitution fédérale, notamment sur la
formation des cercles électoraux et le mode d'élection, sur l'organisation et le mode
de procéder des autorités fédérales, ainsi que sur la formation du jury ; — l'élection
du Conseil fédéral, du Tribunal fédéral, du chancelier, du général en chef, du chef
de rétat-major-général , et des représentants fédéraux ; la reconnaissance d'Etats et
de gouvernements étrangers ; les alliances et traités avec les Etats étrangers ; l'ap-
probation des traités conclus par les cantons entre eux ou avec les Etats étrangers,
mais seulement dans le cas où le Conseil fédéral ou un autre canton élève des récla-
mations; les mesures pour la sûreté extérieure, ainsi que le maintien de l'indépen-
dance et de la neutralité de la Suisse ; les déclarations de guerre et la conclusion de
la paix ; la garantie des constitutions et du territoire des cantons ; les mesures pour
la sûreté intérieure et le maintien de l'ordre ; l'amnistie et l'exercice du droit de
grâce; les mesures pour faire respecter la Constitution fédérale et assurer la garantie
des constitutions cantonales.
Les attributions des deux Conseils comprennent encore les dispositions législatives
touchant l'organisation militaire fédérale, l'instruction des troupes , les prestations
des cantons , l'établissement de l'écheUe des contingents d'hommes et d'argent ; les
diiq)Osiiion8 l^slatives sur l'administration et l'emploi des fonds de guerre, la levée
des contingents d'argent, les emprunts, le budget et les comptes; les lois et décrets
concernant les péages, les postes , les monnaies, les poids et mesures , la fabrication
et la vente de la poudre à canon, des armes et des munitions ; les réclamations des
cantons et des citoyens contre les décisions ou mesures prises par le Conseil fédéral ;
les différends entre les cantons, lorsqu'ils touchent au droit public; les conflits de
compétence ; la révision de la Constitution fédérale.
Les deux Conseils s'assemblent chaque année une fois en session ordinaire ; ils
sont extraordinairement convoqués par le Conseil fédéral, ou sur la demande du quarl
36 LA SlISSE PITTORESQUE.
des membres du (Conseil national ou sur celle de cinq cantons. — Un Conseil ne
peut délibérer qu'autant que les députés présents forment la majorité absolue du
nombre total de ses membres. Dans chacun des deux Conseils, les délibérations sont
prises à la majorité absolue des votants. Les lois et les arrêtés fédéraux ne peuvent
être rendus qu'avec le consentement des deux Conseils. Les membres des deux
Conseils votent sans instruction. Chaque Conseil délibère séparément. Toutefois,
lorsqu'il s'agit des élections mentionnées ci-dessus, d'exercer le droit de grftce, ou de
prononcer sur un conflit de compétence , les deux Conseils se réunissent pour déli-
bérer en commun, sous la direction du président du Conseil national, et c'est la
majorité des votants des deux Conseils qui décide. L'initiative appartient à chaque
Conseil et à chacun de leurs membres. Les séances de chacun des Conseils sont ordi-
nairement publiques.
L'autorité directoriale et executive supérieure de la Confédération est exercée par
un Coiuieil fédéral, composé de sept membres. Les membres de ce Conseil sont nom-
més pour trois ans par 1 Assemblée fédérale et choisis parmi tous les citoyens suisses
éligibles au Conseil national. On ne pourra toutefois choisir plus d'un membre dans
le même canton. Les membres du Conseil fédéral ne peuvent être en même temps
membres du Conseil national ou du Conseil des Etats. Le Conseil fédéral est renou-
velé intégralement après chaque renouvellement du Conseil national. Le Conseil
fédéral est présidé par le préshlenl de lu Confédération. Il a un vice-président. Le
président de la Confédération et le vice-président du Conseil fédéral sont nommés
pour une année par l'Assemblée fédérale entre les membres du Conseil. I^e président
sortant de charge ne peut être élu président ni vice-président pour l'année qui suit.
Le même membre ne peut revêtir la charge de vice-président deux années de suite.
Le Conseil fédéral ne peut délil)érer que lorsqu'il y a au moins quatre membres
présents.
Les principales attributions et obligations du Conseil fédéral sont les suivantes : Il
dirige les affaires fédérales conformément aux lois et décrets de la Confédération. Il
veille à l'observation de la Constitution, des lois et décrets de la Confédération, et à la
garantie des constitutions cantonales. Il présente des projets de lois et d'arrêtés à
l'Assemblée fédérale, et donne son préavis sur les propositions qui lui sont adressées
par les Conseils ou par les cantons. Il pourvoit à l'exécution des jugements du Tri-
bunal fédéral, ainsi que des transactions ou des sentences arbitrales sur des différends
entre cantons. Il fait les nominations que la Constitution n'attribue pas à une autre
autorité. 11 nomme les commissaires pour des missions à l'intérieur ou au dehors.
Il est chargé des relations extérieures. Il veille à la sûreté extérieure et intérieure
de la Suisse, et au maintien de la tranquillité et de l'ordre. En cas d'urgence et lors-
que l'Assemblée fédérale n*est pas réunie , il est autorisé h lever les troupes néces-
saires, sous réserve de convoquer immédiatement les Conseils, si le nombre des
troupes levées dépasse 20,000 hommes et si elles restent sur pied au-delà de trois
semaines.
Il examine les lois et ordonnances des cantons qui doivent être soumises à son
approbation ; il exerce la surveillance sur les branches de l'administration cantonale
que la Confédération a placées sous son contrôle, telles que le militaire, les péages,
les routes et les ponts. Il administre les ftnances de la Confédération , propose le
.-••/>. ' l
TP.013PF.5 FftofeRALKS.
Quijç, Colonel clélal-major.
LA SUISSE PITTOBESQUE. 37
budget, et rend les comptes. Il surveille la gestion de tous les Tonctionnaires et em-
ployés ; il rend compte de sa gestion à l'Assemblée fédérale , à chaque session ordi-
naire, et lui présente son rapport sur la situation de la Confédération, tant à Tinté-
rieur qu'au dehors.
Les affaires du Conseil fédéral sont réparties par départements entre ses membres.
(]etle répartition a uniquement |)our but de Taciliter rexi)édition des affaires : les
décisions émanent du Conseil fédéral comme autorité. — Une chancellerie fédérale,
à la tète de laquelle se trouve le chancelier de la Confédération , est chargée du
secrétariat de TÀssemblée fédérale et de celui du Conseil fédéral. Le chancelier est
élu par r Assemblée fédérale pour trois ans, en même temps que le Conseil fédéral.
Un Tribunal fédéral est chargé de l'administration de la justice en matière fédérale,
li y a, de plus, un jury pour les affaires pénales. Le Tribunal se compose de onze
membres, avec des suppléants, dont la loi détermine le nombre. Les membres et les
suppléants sont nommés pour trois ans par l'Assemblée fédérale. Le Tribunal est
renouvelé intégralement après chaque renouvellement du Conseil national. Le
président et le vice-président du Tribunal sont nommés |iar l'Assemblée fédérale,
chacun pour trois ans, parmi les membres du corps.
Comme Cour de justice civile, le Tribunal fédéral connaît, en tant qu*ils ne
touchent pas au droit public, des différends entre cantons, entre la Confédération et
un canton, entre la Confédération d'un côté et des corporations ou des iiarticuliers de
l'autre, enfin des différends concernant les hehnathloses. — L'action du Tribunal
fédéral comme Cour de jmtke péimle est déterminée par une loi qui sUUuc sur les
Cours d'assises et sur la casstition. La Cour d'assises , assistée du jury, connaît des
cas concernant les fonctionnaires déférés à la justice {)énale par l'autorité fédérale
qui les a nommés; des cas de haute trahison envei*s la Confédération, de révolte ou
de violence contre les autorités fédérales ; des crimes et des délits contre le droit des
gens ; des délits politiques qui sont la cause ou la suite des troubles par lesquels une
intervention fédérale armée a été occasionnée. L'Assemblée fédérale i)eut toujours
accorder l'amnistie ou faire grâce au sujet de ces crimes et délits. Le Tribunal connaît
de plus de la violation des droits garantis par la présente Constitution, lorsque des
plaintes à ce sujet sont renvoyées devant lui par l'Assemblée fédérale. La législation
peut encore placer d'autres affaires dans la compétence du Tribunal fédéral. — Une
loi déterminera l'organisation du ministère public, ainsi que les formes de la procé-
dure, qui sera publique et orale.
Le siège des autorités de la Confédération est fixé par une loi. (Cette loi posté-
rieure a décidé que Berne serait le siège de ces autorités.) — Les trois principales
langues parlées en Suisse, l'allemand, le français et l'italien, sont langues natio-
nales de la Confédération.
I^ Constitution peut être révisée en tout temps. Lorsqu'une section de l'Assem-
blée fédérale décrète la révision, et que l'autre section n'y consent pas , ou bien
lorsque S0,000 citoyens suisses demandent la révision, la question est soumise à la
votation du peuple suisse. Si la majorité des citoyens suisses prenant part à la
votation se prononce pour Taffirmative , les deux Conseils seront renouvelés pour
travailler à la révision. — La Constitution fédérale révisée entre en vigueur lors-
qu'elle a été acceptée par la majorité des citoyens suisses prenant part h la votation,
et parla majorité des cantons.
38
LA SUISSE PITTORESQUE.
ORGANISATION MILITAIRE.
D*après la Constitution Tédérale, tout Suisse est tenu au service militaire. L'armée
fédérale (loi du 8 mai 1850) se compose des contingents des cantons; elle com-
prend : 4^ Vêlile, pour laquelle chaque canton fournit trois hommes sur 400 ftmes
de population suisse, et dans laquelle on entre après 20 ans accomplis; V la ré-
serre, qui est de la moitié de Télile, et qui se compose des hommes sortant de Télite.
Cette sortie a lieu ordinairement vers TAge de ^8 ans, et au plus tard à 34 ans. En
cas de danger, la f^onfëdération peut aussi disposer de la seconde réserve ou land-
nehr, qui se compose des autres forces militaires des cantons, et qui est formée des
hommes sortis de la réserve fédérale et n*ayant pas dépassé leur hV année. L'ef-
fectif de réiite est de 69,569 hommes, et celui de la réserve de 34,785 ; ce qui forme
un total de 404,354. On évalue la landwehr à un chiffre au moins semblable. —
IjCs contingents à fournir par chaque canton, pour chaque espèce d*armes, sont
Tixés par une loi. Cette échelle des contingents d*hommes est révisée tous les vingt
ans, ainsi que celle des contingents d'argent.
Voici réchelle actuelle des deux sortes de contingents, telle qu'elle a été fixée
après le recensement de 4850 :
CoalinKCot
d'bommei.
Zurich .... 7,353
Berne 13,840
Lucerne. . .
Uri. . . .
Schwylz. .
Unlerwald-Haut.
» Bas.
Glaris. . . .
Zug. . . .
Fribourg. . .
Soleure. . .
Bâle- Ville. . .
Bàle-Campagne.
 reporter.
3,967
429
4,315
410
337
898
516
2,955
2,061
682
1,382
Cootingent
125,349
229,112
53,137
1,450
8.834
1,932
1,588
7,553
5,238
39,956
27,869
29,698
19,154
35,845 550,870
Report.
Schailhouse. . .
ÂppenzellRh.-Exl.
» Rb.-Inl.
St.-Gall. . . .
Grisons. . .
Argovie. . . .
Thurgovie. . .
Tessin
Vaud
Vallais. . . .
Neuchàtel. . . .
Genève. . . .
Total.
CooltDKent
d'homiaM.
35,845
1,018
1,294
329
4,990
2,631
5,905
2,609
3,298
5,827
2,392
1,964
1,467
CttatioRcat
d'arfent.
550,870
14,120
17,448
1,578
67,850
17,979
99,926
35,563
35,327
99,792
16,812
38,914
44,902
69,569 1,041,081
Les troupes suisses ne sont pas divisées en régiments, h'miité tactique pour l'in-
fanterie, c'est le batailbii, lequel est formé de 6 compagnies, dont 2 de chasseurs;
pour les autres armes, l'unité, c'est la compagnie. Plusieurs compagnies ou batteries
d'artillerie, réunies sous un même commandement, forment une brigade d'artillerie :
deux compagnies de cavalerie, réunies de même, forment un escadron, et plusieurs
escadrons réunis forment une brigade de cavalerie. Plusieurs bataillons (ordinaire-
ment 3 à 4) forment une brigade d'infanterie ; plusieurs brigades d'infanterie, avec
des armes spéciales, forment une division ; enfin pluaeurs divisions forment un corps
d'armée.
L'élite et la réserve réunies comprennent les unités tactiques suivantes . 12 com-
LA SUISSE PlTTOBESgUE. 39
pagnies du génie, et 6 Ae pontotmiers ; 75 compagnies d'artillerie (soil 38 batteries
attelées, i batteries dites de montagne, 8 batteries à fusées, 13 compagnies de posi-
tion, et 12 de parc); 35 compagnies de dragons, 7 compagnies et 9 demi com-
pagnies de guides; 71 compagnies de mrabiniers; 105 bataillons d'infanterie et 20
demi-bataillons, plus 22 compagnies isolées. Ces bataillons incomplets résultent de
Tobligation de répartir les contingents entre les divers cantons d*après Téchelle fixée ;
mais, comme il y a en général beaucoup de surnuméraires, plusieurs de ces demi-
bataillons sont organisés comme des bataillons entiei^. L'infanterie est munie de
fusils à percussion, et les carabiniers doivent être armés d'une carabine dont le
modèle a été perfectionné tout récemment par une commission d'experts, tant sous
le rapport de la longue portée que sous celui de la justesse.
Les officiers formant les cadres des unités tactiques sont nommés et promus par
les gouvernements cantonaux et d'après les lois cantonales. Mais il y a en outre un
état-major fédéral ; les officiers qui le composent sont nommés et promus par le
Conseil fédéral ; les cantons peuvent adresser à celui-ci des présentations, de même
que le commandant en chef et les colonels inspecteurs. — Le plus haut grade
des officiers qui composent l'état-major fédéral est celui de colonel. L'état-major
général, et ceux du génie et de l'artillerie, comptent ensemble 46 colonels, 43 lieu-
tenants-colonels et 49 majors, et un nombre indéterminé d'officiers subalternes. Il y a
enfin des états-majors spéciaux pour l'administration de la justice, pour le commis-
sariat et pour le service de santé.
Les cantons ont à pourvoir à ce que l'infanterie de leur contingent soit complète-
ment instruite conformément aux prescriptions des règlements fédéraux. Chaque
année, l'élite et la réserve fédérales sont inspectées par des colonels fédéraux. La Con-
fédération se charge de l'instruction des troupes du génie, de l'artillerie, de la cava-
lerie et des carabiniers ; à cet effet , ces troupes sont réunies sur divers points, où
elles sont exercées et inspectées. Il y a en outre tous les deux ans un rassemblement
plus considérable de troupes de toutes armes. Ce rassemblement a lieu quelquefois
dans les plaines de Thoune, qui appartiennent à la Confédération, quelquefois aussi
sur d'autres points convenables. C'est également à Thoune que se tiennent à l'ordi-
naire diverses écoles militaires centrales, comme celle destinée au perfectionnement
des officiers d'état-major, celle des instructeurs en chef cantonaux , celle du génie, etc .
Celle-ci a été pendant bien des années sous la direction supérieure du général Dufour.
Lorsque l'Assemblée fédérale met sur pied une brigade ou une division , elle en
désigne le commandant. Si elle met sur pied une partie considérable de l'armée
fédérale, elle désigne le commandant en chef et le chef d'état-major général. Le
commandant répartit en brigades, en divisions et en corps d'armée, les troupes mises
à sa disposition. Il nomme les commandants des corps d'armée, ceux de divisions et
de brigades, ainsi que l'adjudant-général. Les colonels qui ont été appelés à com-
mander un corps d'armée prennent le titre de général et le conservent dans la suite.
C'est ainsi qu'à la tète des colonels de l'état-major fédéral figure le général Dufour,
qui commanda en chef les troupes fédérales mises sur pied dans l'automne de 1847
pour réduire les cantons du Sonderbund. — Les militaires blessés ou mutilés au
service fédéral , les veuves et les orphelins de ceux qui ont péri , reçoivent une
indemnité ou des secours, si leur position l'exige. Une caisse fédérale a été formée à
hO LA SUISSE PITTORESQUE.
cel effet ; la majeure partie de ses fonds résulte d'un legs de plus de l ,200,000
Trancs fail à la Confédération par M. le baron de Grenus, originaire du canton de
Genève.
l/arinée suisse est en général bien habillée et bien équipée ; elle peut se réunir
facilement en très-peu de jours. Sans doute, elle n'est pas exercée comme le sont les;
armées permanentes , mais on peut dire que chaque milicien possède une instruction
militaire bien su|)érieure ù ce que pourraient faire supposer le peu de temps consacré
chaque année au service, et la faiblesse des sommes consacrées au militaire par les
cantons et par la Confédération. — La population mâle de 20 à kh ans, déduction
faite des étrangei*s, est en Suisse de ^22,000 individus. En supposant qu'il y ait,
comme en France, 25 conscrits sur 100 qui soient impropres au service, il resterait
3i6,S00 hommes valides. Il faudrait retrancher encore les hommes devenus im-
propres postérieurement à leur 20"" année. Or, tout Suisse valide devant être soldat
de 20 à 'i4 ans, sauf un très-petit nombre d'exceptions admises à raison de certaines
fonctions, il en résulte que l'armée suisse, y compris toutes les réserves cantonales,
doit présenter un chiffre assez respectable.
La plus grande partie des frontières de la Suisse se trouve couverte par des chaînes
de montagnes ou par des coui*s d'eau ; sur quelques points importants, par où des
corps d'armée |)ourraient être dirigés |)our ren\ahir, des travaux permanents de
fortification ont été établis : à Aarberg, sur la roule de Neuchàtel à Berne ; au défilé
de St. -Maurice, dans le Vallais; à celui de Bellinzone, dans le Tessin: et à celui de
Luziensteig, non loin du Rhin, dans le canton des Grisons.
JUSTICE MILITAIRE.
Un état-major judiciaire est chargé de l'administration de la justice militaire
fédérale; il a à sa tête un auditeur en chef ayant rang de colonel. La justice est
rendue conformément à une loi fédérale sur la justices pénale, en date du 27 août
1881. D'api*ès cette loi, les simples fautes de discipline sont punies par les supé-
rieui*s militaires ; quant aux délits (terme qui comprend aussi les crimes), ils sont
jugés par des tribunaux militaires assistés d'un jnrj. 11 doit être établi un tribunal
militaire dans chaque brigade au service actif. Chaque tribunal est présidé par un
grand-juge, lequel est choisi parmi les fonctionnaires de l'état-major judiciaire et
préside tous les tribunaux d'une même division. Il est composé en outre de deux
juges et de deux suppléants, nommés |)ar le commandant supérieur parmi tous les
officiers de la brigade.
Pour composer le jury, on forme trois listes, l'une comprenant tous les officiers
de la brigade (sauf le commandant même de la brigade) , une seconde comprenant
tous les sous-officiers, et une troisième où figurent tous les caporaux avec 4 simples
soldats tirés au sort dans chaque compagnie. On tire ensuite au sort, dans la liste
des officiers, 14 noms, et 7 dans chacune des deux autres, ce qui fait une liste de 28
noms. Chaque partie peut récuser h officiers, 2 sous-officiers et 2 caporaux ou sol-
dats. Après les récusations faites, le grand-juge tire au sort, entre les jurés non
Canonnier.
TROUPFS PftD^RALIlS.
Carabinier.
Chasseur.
r-'K \r .V /
:n' I
LA SUISSE PITTORESQUE. 41
récusés, 4 officiers, 2 sous^officiers et 2 caporaux ou soldats, et, pour les ac<;usations
capitales, 6 officiers, 3 sous-officiers et 3 caporaux ou soldats.
Cette innovation, qui n'a pas, que nous sachions, d'antécédent sur notre continent,
est beaucoup trop récente pour qu'on puisse la juger dès à présent d'après les résultats.
Mais on peut admettre que les jurys, composés comme il est indiqué ci-dessus, doivent
être en moyenne doués d'une intelligence égale à celle des jurys appelés à prononcer
un verdict dans les affaires non militaires. — Une autre innovation importante
consiste en ce que tous les crimes et délits, même non militaires , commis par des
miliciens en tenue, seront jugés par les tribunaux militaires, à l'exemple de ce qui
a lieu pour les soldats appartenant aux armées permanentes. — La procédure est
publique et orale. Quant aux peines fixées par la loi, elles sont passablement rigou-
reuses.
La loi fixe une composition spéciale du jury pour les cas où il s'agirait de juger
le général , le chef d'état-major-général , ou le commandant d'un corps d'armée,
d'une division ou d'une brigade. Elle établit aussi un tribunal de cassation, composé
de S officiers, dont 3 appartenant & l'état-major judiciaire. Au commandant en chef
appartient un droit de grâce assez étendu , mais il doit en délibérer avec les trois
officiers les plus élevés en rang après lui, et avec l'officier supérieur de l'état-major
judiciaire présent à son quartier-général.
Les cantons doivent mettre cette loi à exécution pour les troupes au service can-
tonal. Toutefois, ils ont la facultéde oréer des Conseils de discipline pour juger une
partie des fautes disciplinaires; quant aux délits; ils doivent les faire juger par des
tribunaux assistés du jury; du reste, une latilude leur est laissée aussi pour l'en-
semble de l'organisation ; mais ils sont tenus, pour la composition même du jury,
d'observer les proportions indiquées plus haut.
CAPITULATIONS.
Depuis trois ou quatre siècles, les Suisses ont eu des régiments au service de
diverses puissances étrangères, en particulier au service de France, et plus tard
à celui de l'Espagne, de la Hollande, de Rome et de Naples. Maintes fois leur sang
a coulé pour la défense des monarques qu'ils servaient. Ainsi l'on connaît l'hé-
roïque défense du Louvre au 40 août 1792. Les régiments suisses au service de
France furent alors renvoyés. Sous Napoléon, la Suisse dut, d'après un nouveau
traité, fournir 16,000 hommes, qui servirent dans les armées françaises. En 1812, ce
corps fit partie de la grande armée, et il s'illustra particulièrement lors de la retraite
au passage de la Bérésina. Sous la Restauration, de nouvelles capitulations furent
conclues avec le gouvernement français; mais, après la révolution de 1830, les
Suisses furent de nouveau congédiés. Les services capitules avec l'Espagne et la Hol-
lande ayant aussi cessé, il ne restait plus, dans ces dernières années, de capitulations
qu'avec les Etats de Naples et de Rome. Dix cantons seulement ont pris part à celles
avec Naples, savoir : Berne, Lucerne, Uri , Schwytz, Unlerwald, Soleure, Fribourg,
11.3. 6
42 LA StlS8E PITTOReSQlE.
Grisons, VallaisctÂppenzell Rhodes-Intérieures. Quelques-uns de œs cantons avûent
en même temps des soldats au service du pape, qui, naturellement, n'admettait que
des catholiques. C'est surtout à la bravoure des Suisses que le roi de Naples a dû le
rétablissement de son autorité en Sicile. Les Suisses au service de Rome se sont dis^
tingués aussi lors de la défense de la ville de Vicence contre les Autrichiens, à la fin
de Tété de 1848. Mais, lors de la révolution romaine, leur renvoi fut décrété. Toute-
fois la république, ayant besoin de défenseurs, le licenciement ne fut pas immédiat,
et les Suisses prirent part à la défense de Rome contre les Français. Après le réta-
blissement du pape au Vatican, un certain nombre d'entre eux s'engagèrent dans les
troupes nationales romaines, mais en dehors de toute capitulation.
Cependant, le rôle de ces soldats républicains répandant leur sang pour la défense
des monarchies absolues paraissait depuis longtemps à beaucoup de citoyens suisses
tout-à-fait incompatible avec l'honneur national. Aussi, lors de la discussion de la
Constitution fédérale en 18&8, la majorité de la Diète décida-t-elle qu'il ne pourrait
plus à l'avenir être conclu de capitulations. Celles qui existent encore actuelle-
ment, et qui expirent en 1855, ne pourront donc plus être renouvelées. Mais, après
les événements de Naples et de Sicile en 4848 , l'opinion s'était prononcée encore
plus fortement contre les capitulations, et, au printemps de 1849, des pétitions éma-
nant surtout de la Suisse occidentale furent adressées à l'Assemblée fédérale pour
demander qu'elles fussent rompues. L'Assemblée prit, le 20 juin 1849, un arrêté qui
porte que l'existence ultérieure des capitulations militaires est incompatible avec
l'esprit politique de la Suisse comme république démocratique, et elle invita le Con-
seil fédéral à ouvrir sans délai les négociations nécessaires en vue d'obtenir la rési-
liation des capitulations encore existantes. Tout recrutement pour service militaire
fut interdit dans toute l'étendue de la Confédération.
Mais, quelques jours après, le ministre napolitain déclara à la Confédération que
son souverain lui avait transmis l'ordre de demander le maintien des capitulations
dans toute leur rigueur; qu'il attendait cela de la loyauté du peuple suisse, et qu'en
cas de refus il se croirait délivré de ses engagements, et recourrait aux mesures les
plus rigoureuses, qui ne pourraient être considérées que comme de justes représailles.
Dès-lors, tant par suite de celte opposition du roi des Deux-Siciles que par suite des
réclamations de quelques gouvernements cantonaux, effrayés des charges pécuniaires
qui résulteraient de l'obligation d'indemniser les soldats rappelés, l'affaire est restée
dans le statu quo. Néanmoins, malgré la défense expresse de l'Assemblée fédérale et
les mesures prises pour empêcher les enrôlements, un grand nombre de jeunes
Suisses, soit par goût militaire, soit par manque d'occupation dans leur pays, con-
tinuent à aller s'engager en Italie, de sorte que les régiments sont maintenant, i oe
qu'on assure, aussi complets que jamais.
ei
POPULATION, CULTES, ÉMIGRATION, etc.
Lorsque la Dièlcfixa, en 1817, l'échelle des contingents d'hommes et d'ai^nt.
Ile évaluait la population totale de la Suisse à 1,689,000 habitants. Cette éva-
LA SUI8SR PITTORESOrR.
43
luation, qui était basée sur des données remontant à quelques années antérieures,
devait être au-dessous de la réalité. D'après le i*ecensement officiel de 4837, la po<
pulation de la Suisse était de 2,490,258 âmes: d'après celui de mars 1850, elle
était de 2,392,740.
L'accroissement dans l'espace de 43 ans a donc été de 202,482, et l'accroissement
annuel de 45,576, ou de i sur 447 habitants.
Voici, canton par canton, le résultat de ce recensement de 4850, avec les propor-
tions des divers cultes :
l'opnUlion ProiekUnls CaltioliqufS Iaraélite«.
toliile.
Zurich 250,698 245,928 6,690 80
Berne 488,301 403,768 84,045 488
Luœrne 432,845 1,863 131,285 —
Un 14,505 12 14,493 —
Schwytz 44,168 188 44,013 —
Unterwald-le-Haul. . . . 13,799 16 13,783 —
Unterwald-Ie-Bas 11,539 12 11,327 —
Claris 30,213 26,281 3,952 —
Zug 17,461 125 17,556 —
Fribour^ 99,891 12,153 87,785 8
Soleure 69,674 8,097 61,886 21
Bâle-Ville 29,698 24,085 8,508 107
Bàle-Campagne 47,885 38,818 9,052 15
Schaffhouse 55,500 35,880 1,411 9
Appenzell Rhodes-Extérieures . 45,621 42,746 875 —
Appenzell Rhodes-Intérieures. . 11,272 42 11,250 —
Saint-GaU 169,628 64,192 105,570 65
Grisons 89,898 51,855 58,059 1
AiTgovie 199,852 107,194 91,096 1,562
Thurgovie. ...... 88,908 66,984 21,921 5
Tessin 117,759 50 117,707 2
Vaud 199,875 192,228 6,962 ' 588
Vallais 81,559 465 81,096 —
Ncuchâtel 70^53 64,952 5,570 234
Genève 64^146 54,212 29,764 170
Total. 2,392,740 971,809 1,417,786 3,148
Ainsi, la population protestante compte 89 '/,, habitants sur 100, la population
catholique 40 ^|^^, et la population Israélite Vio- On peut donc dire en ternies plus
simples que les '/, des Suisses sont protestants, et les */, catholiques. Il y a des Israé-
lites dans 16 cantons ; c'est dans celui d'Argovie qu'ils se trouvent en plus grand
nombre; viennent ensuite ceux de Berne, Vaud, Neuchâtel, Genève, Bàle-Ville.
Les cantons de Zurich, Vaud, B&Ie, Schaffhouse, Glaris et Neuchâtel, sont presque
exclusivement protestants; ceux de Luceme, Un, Schwytz, Unterwald, Zug, Fri-
boui^, Soleure, Vallais et Tessin, sont presque exclusivement catholiques. Les
autres cantons peuvent être appelés mixtes. Dans ceux de Berne, Thurgovie, Gri-
h h LA SriSftE PITTORESQUE.
sons, Appenzell et Genève, c'est la foi réformée qui domine; dans ceux de St.-Gall
et d'Argovie, c'est la foi catholique.
Le nombre des feux est, en Suisse, de 485,087 ; celui des propriétaires fonciers
est de 382,359.
Au nombre des 2,392,740 habitants de la Suisse, sont compris 71,570 étrangers
et 2,498 heimathloses ou individus qui n'appartiennent à aucune nationalité. 11 y a
en outre 157,382 citoyens suisses qui demeurent dans les cantons dont ils ne sont
pas ressortissants, et qui sont comptés dans la population de ces cantons. Sur ce
nombre, les *l^ environ sont établis; les autres sont de simples habitants.
Les étrangers forment à peu près trois pour cent de la population générale. Cet
élément étranger est réparti d'une manière très-inégale dans les divers cantons; les
'^/ioo ^ trouvent dans les 14 cantons frontières. Voici ceux où il fournit la plus
forte proportion de la population :
SniMet
RNbiijnl*. EirtbRert Heimathlotct d'autre* canton*.
Bàle-Ville compte sur. . 29,698 6,819 462 41,473
Genève id. . . 64,146 4S,142 407 9,444
Neuchàtel id. . . 70,753 4,980 307 24,434
Ainsi, sur 400 habitants :
SuiiMi T.lal (l« «Iranucrt
RtraaK.n. d'tulrM caolont. .m canlost. Nalimus
Bâle-Villea 23 39(38,6) 62 38
Genève 24 14 38 62
Neuchàtel 7 30 37 63
Les cantons où la population nationale est la plus forte, sont Luceme, Schwytz,
Claris et Vallais, où l'on compte 96 nationaux sur 100 âmes; Berne, Appenzell
Rh. -Intérieures et Argovie, 95 ; Uri, Unterwald, Grisons, 94.
Sur 100 étrangers, il y a 22 Français, 20 Sardes, 19 Badois, 12 Autrichiens
(Lombards compris), 12 Wûrtembergeois, 9 Allemands d'autres Etats, et 6 Italiens,
Anglais ou autres.
Dans le chiffre officiel de la population suisse, n'ont pas été compris les citoyens
suisses absents du territoire de la Confédération. D'après les registres spéciaux
ouverts pour y inscrire cette catégorie de citoyens, les absents seraient au nombre
de 72,506, dont 51 ,797 hommes, 20,301 femmes, et 8 sans indication ; ce serait le
3 ^/o de la population entière. Ce nombre est à peu près exactement balancé par la
population étrangère habitant la Suisse; mais il doit être bien inférieur au chiffre
réel, vu la difficulté d'obtenir des renseignements complets à ce sujet. Les derniers
tableaux statistiques, publiés à Berne en 1854 par le I>épartement fédéral de l'Inté-
rieur, mais toujours basés sur le recensement de 1850, indiquent que parmi les
absents 38,255 le sont avec esprit de retour, 33,831 sans esprit de retour, et 720
sont sans indication à cet égard. Le Tessin et les Grisons sont les cantons qui comp-
tent le plus grand nombre d'absents; ils fournissent entre eux près d'un tiers du
nombre total. Sur les 72,506 absents, on en comptait 16,166 en France, 7,276
dans l'empire d'Autriche, 10,385 en Italie, 7,409 en Allemagne, 1139 dans la
Grande-Bretagne, 1670 en Russie, 20,226 en Amérique, etc.
D'après un rapport du Département fédéral de l'Intérieur, l'émigration aux Etats-
LA SUISSE PITTORESQUE. 4S
Unis s'est élevée de 4841 à 18S0 annuellement à 3500 ; en 4851 , elle a été de 6000,
et en 4852 de 7500. Un peu moins de la moitié des émigrants appartiennent au
canton de Berne; Argovie, Schaffhouse, Tessin, Zurich, sont ceux qui en fournis-
sent le plus après Berne. — La Californie compte une colonie de 1500 Suisses. —
L'émigration au Brésil est de 2 à 300 par année. On suppose qu'à la fin de 1853, au
moins 45,000 Suisses devaient se trouver sur le continent américain, dont quelques
milliers avec esprit de retour. — La colonie du Sétif commence aussi à prendre de
l'extension.
Les chef&-lieux les plus peuplés de la Suisse sont : Genève, qui compte 31,238
habitants; Berne, qui en a 27,558; Bàle, 27,313; Lausanne, 17,108 (y compris
sa banlieue); Zurich, 17,040; St.-Gall, 11,234; et Lucerne, 10,068. Les moins
peuplés sont: Âppenzell, avec 1516 habitants; Stanz, avec 1877; et Bellinzone, avec
1926. Mais la Ghaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchàtel, compte 12,638 habi-
tants, et occupe ainsi le sixième rang, quoiqu'elle ne soit pas chef-lieu d'un canton.
La population totale des 28 chefs-lieux de la Suisse (Bàle et Unterwald ont
chacun 2 che£s-lieux, Âppenzell et Tessin en ont 3) est de 234,128, soit d'environ
un dixième de la population totale. — Franscini compte en Suisse 92 villes et 63
bourgs, et il évalue le nombre des villages à 6800. La population des 92 villes et
des 63 bourgs est de 492,600, ou d'environ V s de la population totale; il y a donc
4 habitant des villes pour 4 habitants des campagnes.
La population étant de 2,392,740 âmes, et la surface de la Suisse étant, d'après
Franscini, de 4748 lieues carrées (la lieue suisse est de 4800 mètres) , il en résulte
qu'il y a en Suisse 4370 âmes par lieue carrée; ce serait 4480 par lieue carrée de
France, 3288 par mille carré d'Allemagne, et 205 par mille géographique d'Italie.
D'après les tableaux statistiques qui viennent d'être cités, la surface de la Suisse n'est
que de 4732 lieues carrées; la population par lieue carrée est alors de 4384 âmes.
Les cantons qui ofirent la population la plus condensée sont : Genève, où l'on compte
5473 âmes par lieue carrée; AppenzeU Rhodes-Extérieures, 4494; Bdle-Ville et Bdle-
Campagfne réunis, 3484 {Bdle-Ville seul comfie 48,564 âmes par lieue) ; Zurich, 3472 ;
Argovie, 3287. Les cantons où la population relative est la plus faible sont : les Gri-
sons, avec 299 habitants par lieue ; Uri, avec 309, et Vallais, avec 425.
Sous le rapport du genre de vie, on peut distinguer la population suisse en trois
classes principales : la population pastorale, la population agricole, et la population
commerçante et industrielle. La première habite les hautes vallées et les plateaux des
montagnes, et se voue essentiellement aux soins des troupeaux et aux diverses occu-
pations qui s'y rapportent. Cette population est en partie à demi-nomade, beaucoup
de bei^ers passant le printemps, l'été et l'automne sur des pâturages différents. Elle
est douée en général d'une robuste constitution et d'une haute taille. C'est parmi
cette population que l'on trouve les types les plus remarquables. On reconnaît géné-
ralement que le plus beau peuple de la Suisse est celui du Hasli, dans l'Oberland ber-
nois, qu'une tradition qui se conserve encore dans le pays fait descendre d'une origine
suédoise. On peut citer comme venant en seconde ligne, sans être de beaucoup infé-
rieures à la précédente, les peuplades qui habitent les parties hautes des cantons
d'Uri et d'Unterwald, la vallée de l'Emmenthal au canton de Lucerne, les monta-
gnes d'Âppenzell, de Fribourg et du Haut-Vallais.
46 LA StlSftE PnrORESQLE.
La population agricole habite les vallées inférieures des Alpes, ainsi que la partie
la moins montagneuse de la Suisse entre les Alpes et le Jura. On trouve aussi chez
elle quelques races très-vigoureuses, comme les cultivateurs de Montreux, etc. Mais
dans certaines contrées basses, privées de bonne eau ou trop peu éclairées du soldl,
une partie de la population est affligée de diverses infirmités; on y trouve des goi-
treux et des idiots ou crétins, particulièrement dans les vallées basses d'Un et du
Tessin, dans quelques vallées de Berne, d'Argovie, St.-Gall, mais surtout dans le
Bas-Vallals. Heureusement que le nombre de ces créatures misérables tend depuis
quelques années à diminuer, grâce à une plus grande propreté introduite dans les
habitations, et à l'usage d'élever une partie des enfants sur les montagnes, au mflieu
d'un air pur et salubre.
Une partie de la population que nous nommons agricole voue une proportion
notable de son temps à des travaux industriels, par exemple au tisslige des étoffes,
dans les cantons du nord. (Voyez l'article hulustrie,) Nous la regardons ici comme
comprise dans la population agricole, pour la distinguer de la troisième classe, la
population commerçante et industrielle, qui habite principalement dans les villes. On
ne trouve pas parmi cette dernière des types aussi vigoureux que sur les montagnes
ou dans les campagnes ; mais, grâce à la salubrité des lieux choisis pour l'établisse-
ment des villes, grâce aux habitudes actives de la jeunesse qui contrebalancent l'efFet
d'occupations trop sédentaires, on ne trouve point dans les villes suisses de population
chétive, étiolée, comme celle qu'on voit dans les grandes villes manufacturières
d'autres pays, et la jeunesse n'y est pas moins propre au service militaire et à la
défense du pays que celle qui habite les montagnes.
INSTRUCTION PUBLIQUE.
La Constitution fédérale réserve à la Confédération le droit d'établir une Uni-
versité suisse et une Ecole polytechnique. En vertu de cette disposition, le Conseil
fédéral avait nommé une Commission chargée d'examiner la convenance de créer
ces établissements. Cette Commission, ainsi que celles nommées plus tard par l'As-
semblée fédérale, se partagèrent en majorité et en minorité. La majorité faisait
valoir les avantages qui résulteraient pour la Suisse d'un établissement central qui
dispenserait beaucoup de jeunes gens d'aller, à grands frais, chercher dans les Uni-
versités étrangères le complément de leur éducation, et qui, en même temps, crée-
rait de bonne heure des relations entre les jeunes gens de divers cantons. La minorité
opposait que cet établissement central nuirait nécessairement aux institutions can-
tonales, dont plusieurs avaient acquis une juste célébrité; elle représentait que beau-
coup de jeunes gens, qui trouvent maintenant dans leur canton l'instruction qu'ils
peuvent désirer, seraient obligés de se rendre au si^e de l'Université; tous ne pou-
vant pas faire ces frais, il en résulterait que le niveau moyen de l'instruction dans le
pays tendrait plutôt à baisser.
D'après le projet, Zurich devait devenir le siège de l'Université fédérale, et
LA SUISSE PITTORESQUE. 47
Tavantage de posséder l'Ecole polytechnique était réservé par compensation à quel-
qu'une des villes de la Suisse française. Mais une vive opposition se manifesta dans
cette partie de la Suisse contre le projet d'Université; des pétitions, couvertes de nom-
breuses signatures, furent adressées à l'Assemblée fédérale ; dans le seul canton de
Vaud on compta plus de 28,000 signatures. Néanmoins, le projet de loi portant créa<
lion de l'Université fiit voté par le Conseil national, mais il échoua au Conseil des
Etats. Alors les deux Conseils tombèrent d'accord pour créer une sorte d'école poly-
technique, où l'on enseignera principalement les sciences mathématiques et physiques.
Cet établissement, dont Zurich sera le siège, a été décrété en janvier 18S4, et ne
pourra être ouvert que dans le courant de iSSS. D'après le règlement adopté le 31
juillet, l'Ecole polytechnique se subdivisera en six écoles spéciales : école des con-
structeurs, école du génie civil, école de mécanique, école de chimie, école des fores-
tiers, enfin école scientifique supérieure, des sciences naturelles et mathématiques,
des sciences littéraires et des sciences morales et politiques. L'enseignement sera
donné dans les langues allemande, française ou italienne, au choix des professeurs.
De nombreuses collections et divers laboratoires et bibliothèques sont créés pour
l'usage de l'Ecole.
Sauf ses écoles mihtaires, la Suisse ne possède pas d'autre établissement central
d'instruction. Nous renvoyons aux articles destinés à chaque Etat tout ce qui con-
cerne les institutions cantonales. Nous dirons seulement que l'instruction publique
est répandue d'une manière assez inégale dans la population des divers cantons suisses.
Tandis que plusieurs, tels que Yaud, Zurich, Bàle, Argovie, etc., peuvent supporter
la comparaison avec les Etats les plus avancés de l'Europe, d'autres, au contraire,
et surtout quelques-uns des cantons catholiques, sont restés bien en arrière sous ce
rapport.
LANGUES ET DIALECTES.
On compte en Suisse trois langues principales: l'allemand, le français et l'italien,
auxquelles on peut ajouter le rhéHen ou romanche. Ces langues rappellent les trois
races différentes qui ont concouru à former la popuLition de la Suisse. D'après le
recensement de 4850, l'allemand est la langue de 1 ,680,896 habitants de la Suisse;
le français, celle de 540,072; l'italien, celle de 129,333; et le romanche, celle de
42,439; ainsi, sur iOO habitants, 70 parlent allemand, 23 le français, 5 l'italien,
et 2 le romanche.
L'allemand est parlé dans le centre de la Suisse, dans les cantons du nord et du
nord-est , ainsi que dans quelques vallées septentrionales et centrales du canton des
Grisons ; mais l'allemand qu'on entend généralement en Suisse est très-loin d'être la
langue dont on fait usage dans le nord de l'Allemagne, il est presque inintelligible
pour la plupart des Allemands ; c'est un dialecte qui se rapproche beaucoup de celui
qu'on appelle le haut-allemand (Oberdeatsch), et qui est parlé dans la Souabe et dans
quelques provinces de l'Autriche. Mais les personnes qui en ont fait une étude ap-
profondie, telles que Stadier, de Lucerne, y distinguent près de 40 sous-dialectes. On
lui attribue une haute antiquité. L'historien Jean de Mûller fait observer qu'il existe
48 LA SUISSE PITTORESQtE.
des rapports frappants, soit pour les mots, soit pour la prononciation', entre le dia-
lecte allemand tel qu'on le parle encore actuellement en Suisse, et la langue em-
ployée dans le poème des Nibelufigen, qui date du milieu du moyen-àge; G. Schlegel
assure que si Ton mettait ces vieilles poésies germaniques entre les mains d'un
paysan suisse, il pourrait les lire et les comprendre avec très-peu de peine. Un de
ces rapports consiste dans l'emploi fréquent du verbe auxiliaire thnn, faire (prononcez
toûne). Ce verbe correspond exactement au verbe auxiliaire do (doù) de la langue
anglaise. Ce n'est pas le seul rapport que Ton trouve entre cette langue et le dialecte
suisse.
On reproche généralement à Tallemand suisse ses fortes aspirations, ses sons durs
et gutturaux. Il faut dire cependant que le dialecte suisse supprime souvent les sons
les moins harmonieux de Tallemand . Ainsi t will nit, pour ich toill nichh je ne veux
pas; mi, di, si, |K)ur mich, dich, sich, me, te, se. Il fait un usage fréquent des dimi-
nutifs, et remplace les terminaisons ordinaires des diminutifs allemands chm ou lein
par {t ou eli; ainsi Modeli, au lieu de Mîidchen, jeune fille ; Migeli,m\e de pain ; Seeli,
petit lac; Dùrfli, pour Dùrfchen, village ou petit village; Liedli, chant ; Bettli, lit; RiUi,
Rûtli ou GrûUi, défrichement, etc. Il supprime fréquemment Yn finale des termi-
naisons sourdes et un peu nasales de Tallemand en (prononcez enne) : il supprime
de même quelquefois les n4 et les doubles nn à la fin des mots, ainsi que certaines
syllabes brèves finales ; ainsi Md, pour Mann, homme ; Wi, pour Wein, vin ; chlih,
pour klein; Abe ou Ohe, pour Abend, soir; hd, pour hdbe ou hdhen, ai ou avoir; e\
pour ein, eine, un, une. Il substitue souvent le son o au son a; un i final à un e final.
Le dialecte appenzellois substitue même aux terminaisons brèves en e des termi-
naisons plus sonores en a, ainsi Freuda, pour Fretide, joie ; allsatMua mil Nama, pour
allsammen mit Namen, toutes ensemble avec vos noms (Ranz-des- Vaches appenzel-
lois).
D'après ces quelques données, on peut comprendre que le dialecte suisse est loin
d'être dénué de mots harmonieux, et qu'il n'est pas moins susceptible que tout autre
langage de fournir des accents à la poésie. Et l'on peut, en effet, jusqu'à certain
point, le comparer à ce qu'était chez les anciens Grecs le dialecte dorien. Du reste,
à mesure que l'instruction publique fait des progrès en Suisse, la connaissance de la
langue littéraire de l'Allemagne se répand toujours davantage. C'est dans cette langue
qu'écrivent en général les auteurs suisses, et qu'est rédigée la presque totalité des
journaux du pays.
La langue française est parlée par les trois cantons de Neuchàtel, Vaud et Genève,
par plus des ^/^ des habitants du Vallais, soit par les dictricts occidentaux et par la
moitié de la partie centrale jusque près de Sierre ; par les '/^ du canton de Fribourg
(la partie allemande est comprise entre la Sarine à l'ouest, et la vallée de Charmey
ou de Bellegarde au sud); enfin, il est en usage dans la presque totalité du Jura
bernois, comprenant environ Ve des habitants du canton. La ligne de démarcation
entre l'allemand et le français est tracée presque exactement par une ligne partant
de Délémont et passant par Bienne, Fribourg et Sien. Mais, outre le français pro-
prement dit, que tous les habitants des campagnes et des villes comprennent et
J. Le rapport quant à la prononciation peut se déduire des combinaisons de voyelles.
LA SllISSR PITTORESOI'E. 49
parient dans la Suisse française, les campagnards parlent encore un patois auquel
on donne le nom de roman ou romand, ce qui fiiit désigner souvent la Suisse française
sous le nom de Suisw romande. Ce patois se divise lui-même en une vingtaine de
variétés plus ou moins dissemblables; ainsi, on en compte six dans le seul canton
de Yaud. La plupart des habitants des villes et des gens les plus instruits ne parlent
ni ne comprennent complètement ce patois, tandis que dans la Suisse allemande le
dialecte suisse est compris et parlé par tout le monde.
La troisième langue de la Suisse est l'italien, que Ton parle dans tout le canton du
Tessin, à l'exception de la commune allemande de Gurin (ou Bosco), située vers le
nord du canton ; l'italien est aussi la langue des vallées grisonnes de Misocco, de
Bregaglia et Poschiavo. On compte huit dialectes italiens, dont sept dans le Tessin,
et un dans les Grisons.
La quatrième et la plus remarquable des langues de la Suisse, c'est le rhétien,
qu'on appelle aussi le romanche, et qui mérite une attention spéciale par sa haute
antiquité et par ses rapports avec la langue parlée jadis par le peuple de Rome et
de l'Etrurie. Il se divise en deux dialectes principaux, le romanche en usage dans
rOberland (partie nord-ouest des Grisons), lequel se subdivise en quatre sous-dialectes,
et le romanche de l'Engadine, appelé aussi ladin, et qui comprend deux sous-dialectes,
celui de la Haute et celui de la Basse-Engadine. On remarque également divers
rapports singuliers entre le romanche et quelques dialectes provençaux et catalans,
tels que les terminaisons féminines en as : ainsi las armas, les armes ; duos huras,
deux heures; et les substantifs en tàd: majestàd, majesté; societàd, société. Cette forme
provient peut-être simplement du vieux italien. On trouve des journaux imprimés
en langue romanche ; un dictionnaire romanche-allemand et allemand-romanche a
été rédigé par Matthias Gonradi, pasteur à Andeer, et imprimé à Zurich en 4823-
1828. Divers ouvrages ont paru aussi dans cette langue. Un village de la Basse-
Engadine possédait dans le XVI°** siècle une imprimerie, qui fit paraître une traduc-
tion de la Bible dans le dialecte du pays.
MONNAIES.
Jusqu'en 4851 la Suisse eut une unité monétaire légale appelée franc ou livre, et
qui se divisait en 10 batz; le batz se divisait en 10 rappes. Le batz, qui était la
monnaie la plus abondante dans le pays, valait environ 14 centimes et demi; le
franc suisse valait donc à peu près 1 franc 45 centimes de France. Du reste, chaque
canton conservait le droit de battre monnaie et de suivre des systèmes différents. Dans
plusieurs cantons l'on comptait en florins valant 45 batz ou 40 schellings; le Tessin
comptait en lires et en sols. Les Grisons avaient des bloutzgers, dont 9 valaient 2
batz, etc. Jusqu'en 4839, le canton de Genève avait conservé son ancien système
monétaire et comptait en florins valant 46 centimes. Mais, à cette époque, il adopta
la monnaie décimale, et frappa des pièces de 50 et de 25 centimes, et quelques
autres petites pièces.
II. 4. 7
SO LA SUISSE PITTORESQUE.
Son exemple a été suivi par la Confédération, mais non sans une forte opposition
de la part de quelques cantons orientaux, qui avaient avec l'Allemagne leurs rela-
tions les plus usuelles. Une loi fédérale sur la réforme monétaire, en date du 7 mai
1850, a consacré l'adoption d'un système décimal, conforme au système français,
belge et piémontais. D'après cette loi, 5 grammes d'argent fin, au titre de ^/^^ ^^
fin, constituent l'unité monétaire suisse, sous le nom de franc. Le franc se divise en
cent centimes ou rappes. Le nom de rappe étant usuel dans la plus grande partie de
la Suisse, on l'a conservé pour faciliter la transition ; mais 10 rappes ne valent main-
tenant que 10 centimes, au lieu d'en valoir 14 Vi-
Dès-lors il a été retiré pour 15,022,417 francs d'anciennes monnaies, soit 22,700
de monnaies d'or, 9,728,000 de monnaies d'argent, et plus de 500,000 en pièces de
billon et de cuivre. Il a été frappé, jusqu'en 1853, 17,41&,76& francs en nouvelles
monnaies, soit 2 Vs millions en pièces de 5 francs, 3 millions en pièces de 2 francs,
5 millions en pièces de 1 franc, 2 millions en pièces de demi-franc, et près de 5
millions en billon et en cuivre. Les monnaies d'argent et de cuivre ont été frappées
à Paris, et le billon à Strasbourg.
FINANCES FÉDËHALES.
Les dépenses de la Confédération sont couvertes par les intérêts des fonds de guerre
fédéraux, par le produit des péages fédéraux, par celui des postes et des poudres, enfin
par les contributions des cantons, lesquelles ne peuvent être levées qu'en vertu
d'arrêtés de l'Assemblée fédérale. Les contributions sont payées par les cantons
d'après l'échelle des contingents d'argent. Pour établir cette échelle, on prend pour
base tant la population des cantons que leur fortune et les ressources de leurs habi-
tants: Uri paie 10 centimes par habitant; Unterwald et Appenzell-Intérieur, 14;
Schwytz, Grisons, Vallais, 20; Claris, 25; ZugetTessin, 30; Luceme, Fribourg,
Soleure, Bàle-Campagne, Appenzell-Extérieur, St.-Gall, Schaffhouse, Thurgovie, 40;
Zurich, Berne, Argovie, Vaud, 50; Neuchâlel, 55; Genève, 70; Bàle-Yille, 100,
ou un franc par tète. Le contingent total s'élève à 1,041,081 fir. (voyez page 38).
Cette somme corresponde 44 centimes par tète.
D'après les comptes présentés l'an dernier par le Conseil fédéral, l'état présumé de
la fortune de la Confédération, au 31 décembre 1854, s'élevait à Fr. 11 ,771 ,035 57
Le passif se montant à 2,355,663 65
La fortune nette présumée au 31 décembre 1854 était donc de Fr. 9,415,371 02
Les principales rubriques de l'actif sont : Immeubles, 760,227 francs; capitaux
du ci-devant fonds de guerre, 4,200,000 francs; mobilier, 2,365,000 francs; en
caisse, 2,214,780 francs; fonds des invalides (y compris 1,200,000 francs prove-
nant du legs Grenus), 1,677,000 francs, etc.
Les rubriques du passif sont: Restant de l'emprunt fédéral, 1,926,804; dette
hypothécaire, soit restant du prix d'achat de la plaine de l'AUmend près Thoune,
destinée aux écoles militaires, 108,695 francs ; restant de l'emprunt des télégraphes,
320,164 francs.
LA SUISSE PITTORESQUE. 81
Le budget des recettes de la Gonrédération, pour Tannée 18S4,
s'élevait à Fr. 15,468,500
Et le budget des dépenses, à 15,500,000
Il y avait donc un excédant présumé de Fr. 168,500
Les principaux articles de recettes sont : Produits des immeubles, de capitaux
placés, intérêts divers, 217,150 francs; recette brute de rÂdministralion des péages,
5,200,000 francs; recette des postes, 7,500,000 francs (les voyageurs sont portés
pour 5,600,000 francs; les lettres pour 2,100,000 francs; les paquets et valeurs
pour 1,545,000 francs ; les journaux pour 95,000 francs, etc. ); recette des tél^a-
phes, 125,000 francs; recette des poudres, 502,604 francs, etc.
Les principaux articles de dépenses sont les suivants: Intérêts de l'emprunt fédé-
ral et divers autres, 154,975 francs ; frais d'administration (Conseil national. Conseil
fédéral, Cbancellerie), 268,550 francs ; frais des départements, employés divers, etc.,
159,900 ; administration militaire (commissariat, instruction des recrues des armes
spéciales, écoles des dites armes, école des instructeurs, rassemblement de troupes,
matériel, fortifications, travaux trigonométriques), 1,608,085 francs; administra-
tion des péages (directeurs, receveurs, loyers), 5,147,000 francs; administration
des postes (y compris un boni de 1 ,481 ,977 francs qui se répartira entre les cantons),
7,500,000 francs; administration des télégraphes, 160,000 francs; administration
des poudres, 442,604 francs, etc.; dépenses imprévues, 57,056 francs.
INDUSTRIE, COMMERCE.
Nous indiquerons ici brièvement les principales industries établies en Suisse, ren-
voyant aux articles consacrés aux divers cantons les détails qui concernent ceux-ci
plus particulièrement. — L'industrie qui est la plus répandue en Suisse est la fabri-
cation des étoffes de coton; elle occupe de 45 à 50,000 ouvriers. Cette industrie s'est
développée surtout lors du blocus continental; mais après l'établissement du système
prohibitif, on fut obligé de chercher des débouchés au-delà des mers. On compte en
Suisse 131 filatures, dans les cantons de Zurich, St.-Gall, Ârgovie, Thurgovie, Cla-
ris, etc.; il y a en outre un très-grand nombre de métiers dans les maisons des tisse-
rands. Le nombre des bobines est de 660,000, dont la moitié dans le seul canton de
Zurich. La position des ouvriers est devenue difficile par la concurrence du tissage
mécanique indigène ou étranger. A St.-Gall et à Appenzell on joint la broderie au
tissage, et ces cantons livrent des mousselines brodées qui rivalisent avec celles de
Paris, et qui rapportent 500,000 francs par an. On évalue à 26 millions la valeur
de l'importation du coton en balle et en fil, et à 70 millions la valeur de la pro-
duction. En admettant que la Suisse consomme des cotonnades à raison de sept
francs par habitant, la consommation totale du pays ne serait que de 16 millions,
soit d'environ un quart de la production. — La fabrication des dentelles occupe près
de 4000 ouvriers, répartis dans les cantons de Berne, Soleure, Thurgovie, Vaud et
Neuchàtel. — II y a en Suisse un grand nombre d'établissements de blanchisserie.
S2 LA SUISSE PITTORESQUE.
teinturerie et imprimerie d'étoffes, occupant 6000 ouvriers; le canton de Zurich
est celui qui en possède le plus.
Une autre branche importante de Tindustrie suisse, c'est la fiibrication des soieries
fines et grossières. Elle fleurissait à Zurich dès le XV!*"* siècle, et à Bàle au XVIl"*.
Mais c'est depuis 181 S qu'elle a pris plus de développements. On la trouve encore
dans les cantons de Berne, Soleure, Argovie, Zug et Schwytz, et le nombre des ou-
vriers est évalué à 40,000. On a introduit depuis quelque temps des métiers à la
Jacquart, mais cette fabrication a à lutter avec la fabrique de Lyon, qui jouit d'a-
vantages particuliers. Les métiers (sauf ceux à la Jacquart) sont en général dissé-
minés chez les habitants de la campagne, et leur appartiennent, ce qui diminue le
prix de la main-d'œuvre. On importe en Suisse 1,300,000 kilogrammes de soie, et
200,000 kilogrammes de bourre. La production est évaluée à 76 millions de firancs.
En supposant que la consommation soit de S francs par tête, elle serait de 12 millions
environ pour tout le pays, soit de V 7 ou de Va ^^ '^ production. Dans le canton du
Tessin, on se livre aux travaux préparatoires de la soie en même temps qu'à la cul-
ture des mûriers. — La fftbrication des toileries (toiles de lin et de chanvre), et celle
des laineries^ sont beaucoup moins importantes que celle des soieries. C'est dans les
cantons de Berne, Lucerne, Argovie, que l'on trouve quelques établissements de
filature de lin, mais ils luttent avec désavantage contre la concurrence étrangère. On
évalue à 5000 le nombre des artisans s'occupant de cette industrie, et à 2000 seu-
lement celui des ouvriers qui travaillent la laine ; ces derniers appartiennent aux
cantons de Zurich, Soleure, Argovie, Claris. La Suisse tire de l'étranger des laines
non travaillées pour une valeur de 2 millions de francs, et des draps de diverses qua-
lités pour celle de 31 millions, c'est-à-dire à peu près la moitié de sa consommation ;
elle aurait donc un grand intérêt à élever un plus grand nombre de moutons, et à
fabriquer elle-même une plus grande quantité de draps.
L'horlogerie est une des industries les plus renommées de la Suisse; ses produits
ont une grande valeur sous un petit volume, ce qui est très-favorable à l'exportation.
Cette industrie a été introduite à Genève dès 1587; plus tard elle a été portée dans
les vallées peu fertiles du Jura, particulièrement au Locle et à la Chaux-de-Fonds»
ainsi que dans le Jura bernois. On fait maintenant des essais pour l'introduire à Lau-
sanne, à Morat et ailleurs. Le nombre des ouvriers dans cette branches'élèveà20,500,
et le produit annuel, qui est de 200 à 230,000 montres, s'exporte pour la plus grande
partie. Plusieurs fabricants d'horlogerie suisse ont obtenu des prix à l'exposition
de Londres, en 1850, et à celle de New-York, en 1853. — La bijotUerie n'est fabri-
quée en grand qu'à Genève; c'est surtout depuis 1814 que cette branche y a pris
de l'extension. On attribue à cette industrie environ 3000 ouvriers, dont plus des
deux tiers sont établis à Genève. ;— Il existe en Suisse une vingtaine de hauts four-
neaux, forges et martinets qui travaillent du fer indigène et étranger. Ils fournissent
de la gueuse, des ustensiles, des fourneaux, de la clouterie, etc. Leurs produits sont
en général excellents, mais ils ne suffisent pas à la consommation et les produits
étrangers leur font une concurrence redoutable par le bon marché. Cette industrie
occupe 6000 ouvriers. Argovie fabrique de la coutellerie, et Schaffhouse des creusets
et de l'acier, etc. — La construction des machifies occupe aussi un millier d'ouvriers;
cette branche a acquis depuis quelques années un certain degré de développement à
LA SUISSB PITTORESQUE. K3
Zurich, Berne, Soleure, Bàle, St.-Gall, ainsi que dans TArgovie et la Thurgovie;
l'éUblissement le plus important est celui de MM. Escher et Wyss, de Zurich, lequel
oonstroit et exporte des machines de toutes espèces.
Les industries suivantes méritent encore d'être mentionnées. On compte en Suisse
500 tanneries, occupant seulement 3000 ouvriers ; les cantons qui en ont le plus
sont Berne, Yaud, Zurich. Les douanes allemandes empêchent la Suisse d'exporter
autant de cuirs qu'autrefois. — Les cantons d'Ârgovie, Fribourg et Tessin, fabriquent
des ouvrages en paille tressée, particulièrement des chapeaux, qu'ils exportent dans
les autres cantons et même hors de la Suisse ; on fait aussi quelques ouvrages de ce
genre, mais plus grossiers, dans les cantons d'Uri, Schwytz, Unterwald et Glaris ;
4000 individus trouvent dans cette fabrication leurs principaux moyens de subsis-
tance. — - Une cinquantaine depapeteHes, où travaillent un millier d'ouvriers, expor-
tent une partie considérable de leurs produits. — La première imprimerie suisse fut
introduite en 4470 dans le couvent lucemois de Beromûnster, par le chanoine Elle
de Laofen. A la fin du XV""* siècle, il y avait en Suisse 6 ou 7 imprimeries, et c'est
de ce pays que le premier établissement de ce genre fut introduit en France. Bàle,
Genève, et plus tard Zuridi, Lausanne, Berne, Neuchàiel, possédèrent de nombreuses
imprimeries, qui publièrent et répandirent au loin des éditions distinguées. La litho-
graphie fut introduite vers 4818; aujourd'hui, les deux tiers des imprimeries s'oc*
eapent aussi de cette nouvelle branche. On compte qu'il y a maintenant en Suisse
146 imprimeries et 9S lithographies, et on évalue à 4500 le nombre des ouvriers
qu'elles emploient. Les imprimeries de la Suisse allemande trouvent facilement des
débouchés en Allemagne pour leurs produits ; les conditions sont moins fiivorables
pour la Suisse française, vu la prohibition qui frappe en France la librairie étrangère.
— Douze verreries, établies dans divers cantons, donnent de l'ouvrage à 4800 ou-
vriers, et suffisent à la consommation de la Suisse. Elles fabriquent toutes les espèces
de verres, sauf les glaces ; celle de Semsales, au canton de Friboui^, fabrique même
des objets de luxe ; celle de Monthey , en Vallais, fabrique des cristaux de bonne qua-
lité et des tuiles en verre. — Enfin, les cantons qui cultivent le tabac ont des éta-
blisBements pour le préparer, particulièrement ceux de Bàle et du Tessin ; mais, en
outre, on importe en Suisse plus d'un million de kilogrammes de tabac non préparé ;
on le travaille dans les cantons de Bàle, Fribourg, Grisons, Argovie, Thurgovie,
Tessin, Yaud, Neuchàtel, Genève et Vallais, et ces cantons en réexportent une partie.
Mais la consommation de cette substance en Suisse est très-considérable, s'il est vrai
qu'elle soit d'un kilogramme par tête, ce qui serait, dit-on, la moitié de celle de la
Belgique et de la Hollande.
En additionnant les chiffres attribués par Franscini à chacune des branches d'in-
dustrie ci-dessus énumérées, on obtient un total de 444,500 ouvriers. II faut obser-
ver cependant qu'un grand nombre de ces ouvriers consacrent une partie de leur
temps à la culture de leurs champs et de leurs jardins. On pourrait mentionner
encore la fabrication de divers ouvrages en bois, qui, durant l'hiver, occupe un certain
nombre de montagnards, surtout à Brienz, dans TOberland bernois. Plusieurs de ces
ouvrages de sculpture et d'ébénisterie exigent une grande adresse, et ont été remar-
qués dans les expositions industrielles; tel est un secrétaire qui fut exposé à
Londres en 48B4 et qui fut acquis, dit-on, pour quelques milliers de francs, par la
34 LA SUISSE PITTOftESQUB.
reine d'Angleterre. Une industrie semblable s'est introduite dernièrement dans
quelques villages voisins de Vevey. — Enfin, Ton peut compter comme une indnslrie
suisse la fabrication des fromages, qui forme une des principales occupations de la
population des Hautes-Alpes. Les plus renommés sont ceux du pays de Gruyère, au
canton de Fribourg; ensuite viennent ceux de TEmmenthal , du Simmenthal et du
Gessenay, au canton de Berne, et des Ormonds, au canton de Yaud, lesquels ont
Tavantage de pouvoir se conserver longtemps. On calcule qu'il se consomme en
Suisse 48 livres de fromage par tète, ce qui fiiit une consommation totale de
431 ,000 quintaux ; on suppose que l'exportation n'est que de 58,000 quintaux ; la
production totale serait donc d'environ 490,000 quintaux.
Après cette énumération , il ne sera pas bors de propos de rappeler en quels
termes l'industrie suisse a été louée en Angleterre lors de la dernière expoûtion.
Le D' Bowring, dans son rapport au Parlement, n'hésite pas à dire que le progrès
des Suisses dans l'industrie mérite d'être appelé un progrès sans exemple, et il
l'attribue en grande partie à la liberté illimitée de la concurrence. Le journal le
Daily-Netcs s'exprime ainsi sur la Suisse : « Parmi les produits de la Suisse nous
remarquons surtout les soieries, les broderies et les objets en bois sculpté. Les
soieries sont du genre le plus simple et le plus utile. Elles n'ont aucun rapport
avec les magnifiques étoffes brochées de Lyon, c'est vrai, mais les couleurs en sont
si pures, si brillantes, et le tissu en est si parfait, qu'elles peuvent affronter la com-
paraison avec tout ce que les fabriques du reste du monde offrent d'analogue. E^
vérité, rien n^est aussi remarquable dans l'histoire du tissage en Europe que la
rapidité des progrès faits par la Suisse dans les tissus de soie depuis 484K. Les
soieries exposées proviennent principalement d'un village des bords du lac de Zurich,
où il n'existait, il y a quarante ans, qu'une manufiicture, et où l'on en compte
maintenant 15 en pleine activité, sans parler de celles en construction. — Mais c'est
dans la broderie des étoffes de soie et des mousselines que les exposants suisses ont
obtenu les résultats les plus frappants. Gomme marque de la dextérité des doigts,
ces ouvrages sont déjà admirables; il faut convenir qu'ils deviennent étonnants
comme manifestation du génie artistique d'un peuple de pâtres. Car, ne l'oubliez
pas, ces broderies surprenantes sont l'ouvrage de jeunes filles de la campagne,
capables par conséquent d'imiter avec l'aiguille les dessins d'artistes accomplis. —
Quant à la perfection à laquelle la sculpture des ouvrages en bois est parvenue en
Suisse, elle est entière; on ne peut s'en faire aucune idée par tout ce qu'on a vu
jusqu'ici isolé dans les magasins.»
D'après l'énumération des industries, on voit que les exportations du commerce
suisse doivent consister principalement en soieries et cotonnades, en horlogerie,
bijouterie, machines, cuirs, fromages, tabacs, ouvrages en bois sculpté, etc. A ces
objets manufacturés on peut ajouter des bestiaux, ainsi qu'une certaine quantité
de produits agricoles, tels que des vins et des bois de chauffage et de construction.
Quelques-uns des produits de la Suisse, tels que l'horlogerie, les soieries et les co-
tonnades, sont expédiés dans des pays lointains.
Les renseignements sur la valeur des exportations suisses sont très-incomplets ;
voici quelques-uns des chiffres que Franscini donne à ce sujet : On calcule qu'il
s'exporte annuellement des cotonnades suisses en Italie pour 35 millions de francs,
LA SUISSE PITTORESQUE. BS
en France pour 46 millions, et en Allemagne pour 22 millions ( y compris les fils et
le coton brut); quant aux soieries, on estime que l'Allemagne en reçoit pour la
valeur de 21 millions, la France pour 48, et Tltalie pour 5. Les produits de Thorlo-
gerie et de la bijouterie exportés de Suisse en France sont évalués à 6 ou 7 millions.
Une grande partie de toutes ces marchandises ne passent qu'en transit dans les pays
indiqués, et sont expédiées par les ports du Havre, de Hambourg, de Triestç, etc.,
pour le Levant ou pour l'Amérique. La Suisse exporte, en outre, des bestiaux pour
une valeur de près de 5 millions de francs , des fromages et du beurre pour près de
h millions, des bois, écorces, charbons, pour 6 millions. — Quant aux importations
en Suisse, on les évalue en total à 225,000,000 de kilogrammes, ou à 4 Vs millions
de quintaux suisses, soit à environ 250,000,000 de francs. Les importations con-
sistent surtout en grains, vins, denrées coloniales, matières premières pour les arts,
comme soie, coton, indigo, garance, en fers et autres métaux, etc. etc. Les grains
qui entrent en Suisse sont estimés à 46 millions de francs; ils viennent surtout du
nord de l'Italie et du sud de l'Allemagne ; les vins et liqueurs importés ont une
valeur de 6,000,000 de francs ; le lin, les fils et coton, celle de 27 millions ; la soie,
bourre, etc. , celle de 35 millions ; la laine, celle de 2 ou 3 millions. Les divers produits
manufacturés sont estimés à 90 millions, et les denrées coloniales à 43 ou 44 mil-
lions de kilogrammes, etc. Les importations de marchandises étrangères en France
n'atteignent qu'une valeur de 4,405,000,000 de francs, et en Angleterre que celle
de 4,075,000,000. Il s'ensuit que les importations que reçoit la Suisse sont égales
à un peu moins que le quart des importations reçues par chacun de ces pays, ce qui
est une quantité très-remarquable.
DOUANES FÉDÉRALES.
Jusqu'à ces dernières années, la Suisse avait joui du grand avantage de ne pas
être entourée d'une ligne de douanes, comme le sont la plupart des autres pays.
Un petit nombre d'objets seulement, tels que les vins et les fers importés de l'étran-
ger, avaient un dro'.t à payer à la Confédération. Mais il existait, il est vrai, dans
divers cantons, des péages intérieurs, droits de chaussée, de pontonage et autres ;
certains objets étaient assujettis à un droit d'importation ou de transit à la frontière
de quelques cantons. La Constitution fédérale de 4848 ayant décidé la centralisation
des péages, l'Assemblée fédérale adopta en 4849 une loi qui établit sur toutes les
frontières suisses une véritable ligne de douanes, et qui soumet à un droit plus ou
moins fort tous les objets importés en Suisse ou exportés de ce pays, ou qui y
passent en transit. Une minorité aurait voulu qu'on se bornât à faire rentrer par
les douanes la somme nécessaire pour le rachat des péages intérieurs ; elle proposa
sans succès un tarif beaucoup moins élevé ; son but était de sauvegarder davantage
le principe de la liberté du commerce, auquel la Suisse avait dû jusqu'alors sa
prospérité, et en même temps de prévenir la contrebande, qui, sous un régime
moins onéreux, aurait eu bien moins d'intérêt & se produire. Cependant les douanes
suisses ne sont point vexatoires pour les étrangers, comme celles des autres pays;
B6 LA suisse PITTORESQUE.
tous les effets des voyageurs, destinés à leur usage, ne sont soumis à aucun droit ni
à aucune visite ; il en est de même des voitures de voyage non destinées à rester en
Suisse. Dans l'intérêt des habitants des frontières, on a déclaré également libres de
tout droit les légumes, le lait, les œufs, etc., introduits par les vendeurs pour alimen-
ter les marchés, de même que les produits bruts provenant des terres cultivées en
pays étranger par des habitants de la Confédération, à une distance n'excédant pas
deux lieues.
Les frontières suisses ont été divisées en six arrondissements douaniers, dont les
chefs-lieux sont Bàle, Schaffhouse, Goire, Lugano, Lausanne et Genève. La direction
supérieure appartient au Conseil fédéral et fait partie des attributions du département
du commerce et des péages. Le Conseil fédéral nomme tous les fonctionnaires et
employés de cette branche d'administration. Il y a un directeur général et un revi-
seur général des péages, et dans chaque arrondissement un directeur et un réviseur,
outre les employés inférieurs, et des gardes-frontières organisés militairement.
Divers lieux d'entrepêt ont été établis, dans lesquels les négociants peuvent, moyen-
nant finance, déposer pendant quelque temps leurs marchandises. Les contraventions
douanières sont punies d'une amende qui peut être portée de 40 à 30 fois la valeur
du droit auquel on voulait se soustraire. Un tiers des amendes est remis au dénon*
ciateur, un tiers au canton où la contravention a eu lieu et où elle a été poursuivie,
un tiers à la Confédération. Les contraventions sont déférées aux tribunaux can-
tonaux; mais il est arrivé souvent que l'autorité supérieure, mécontente de la sen-
tence de ces tribunaux, a formé appel, renvoyé l'affaire devant les juges d'un autre
canton, et obtenu de ceux-ci qu'ils cassassent même des verdicts prononcés en dernier
ressort par des jurys correctionnels. Le Conseil fédéral avait conçu en 1853 l'idée
de centraliser la justice en matière de contraventions douanières; mais son projet de
loi, qui renfermait des dispositions odieuses pour un pays libre, souleva d'énergiques
réclamations, et fut retiré par ses auteurs.
En même temps que la loi des douanes a été mise à exécution, ont été supprimés
tous les péages intérieurs sur terre et sur eau, droits de diaussée, pontonage, etc.,
sauf ceux qui seront spécialement réservés et approuvés par l'Assemblée fédérale.
Les communications intérieures ont été par-là affranchies des gènes qui existaient
encore sur quelques points ; mais les n^ociants des cantons frontières, et tout par*
ticulièrement de ceux qui sont placés sur les grandes routes commerciales, tels que
Bàle et Genève, ont été assujettis à des entraves et à des vexations journalières
auxquelles ils n'étaient point habitués jusqu'alors. — Quant au produit des douanes,
on avait calculé que, d'après le tarif adopté, il devrait être d'environ 3,700,000
francs; or, nous avons vu plus haut, à l'article des finances, qu'on le porte maintenant
au budget pour plus de 5,000,000 de francs; il a ainsi notablement dépassé les pré-
visions. Les dépenses de cette branche d'administration s'élèvent à plus de 3
millions.
LA SUISSE PITTORESQUE. S7
CHEMINS DE FER.
Le premier chemin de fer qui a été créé en Suisse fut établi en i847 sur la ligne
de Zurich à Baden, au canton d'Ârgovie. La distance entre ces deux villes est d'en-
viron cinq lieues ; la plaine qui les sépare n'offrait aucune difficulté à vaincre, sauf
un rocher à percer près de Baden. Bien des personnes regardaient d'abord comme
une chose presque impossible l'établissement de voies ferrées traversant toute la
Suisse, vu les grandes inégalités de niveau que présente le territoire de ce pays.
Cependant, les chemins de fer allaient s'approcher de la Suisse de cfjvers côtés.
Déjà Bàle était presque au débouché d'un chemin venant de Strasbourg ; d'autres
voies étaient à l'étude, soit dans le sud de l'Allemagne, soit entre Genève et les
villes de Lyon et de Chambéry. On fut donc amené à considérer que si la Suisse
continuait à être privée de ces moyens accélérés de communication, elle resterait
aussi en dehors de tout mouvement commercial. En même temps, de nombreux
chemins de fer étaient créés en divers pays, dans des localités qui présentaient de
très-sérieuses difficultés à vaincre : des tunnels d*une longueur considérable avaient
été percés en Angleterre, en France, en Allemagne. Une étude plus détaillée du
pays fit reconnaître que, sur certaines lignes du moins, la création de voies ferrées ne
sortait point des limites du possible; on en vint même à aborder l'idée de percer non-
seulement le Jura, mais aussi la grande chaîne centrale des Alpes. Des compagnies
présentant toutes les garanties désirables se formèrent, soit pour l'étude, soit pour
l'établissement et l'exploitation de diverses lignes, et des ingénieurs expérimentés
furent appelés de l'étranger et invités à donner leur avis sur les points difficiles.
La question générale des chemins de fer avait donc fait bien des progrès en Suisse,
lorsqu'on 1851 l'Assemblée fédérale adopta une loi, d'après laquelle la Confédération
pourrait seule approuver définitivement les concessions qui seraient faites par les
cantons à des compagnies. Cette disposition était naturelle, puisque les postes appar-
tiennent à la Confédération. — Le 17 août 1852, l'Assemblée fédérale approuva une
concession faite par le canton de Vaud pour un chemin tendant de Morges à Yverdon,
avec un embranchement sur Lausaune. En même temps, l'Assemblée approuva une
autre concession relative à un chemin entre Lucerne et Zofingen. Dans ses deux
sessions de 1853 elle ratifia de même un grand nombre de concessions faites par les
divers cantons, et dont l'ensemble formera un véritable réseau de voies ferrées
suisses.
La ligne d'Yverdon à Morges sera prolongée d'un côté jusqu'à Genève, par Rollc
et Nyon, de l'autre jusqu'à Berne, par Estavayer, Payerne, Avenches, Morat et
Laupen. De Berne la ligne se dirigera sur Aarau et Baden, où elle se réunira à
lancien chemin; puis de Zurich sur Frauenfeld, St.-Gall et Rorschach. Une voie
partant de cette dernière ville remontera le Rhin, passera à Coire, Reichenau et
Uissentis; de là elle entrera dans la vallée de Médels, passera par un tunnel le
mont Luckmanier, et débouchera en Tessin par le val Blegno ; de Bellinzone elle se
bifurquera d'un côté vers Lugano, de l'autre vers Locarno et Brissago à la frontière
sarde. A cette grande artère principale se relieront divers embranchements, savoir:
II. 4 8
58 LA SUSSE PITTOBESQfE.
de Berne à Thoune et à Neuchàlel, d'Herzogenbuchsee à Soleure et à Bienne, de
Winterthour à Scha&house, de Zurich dans la direction du Glatthal.
De Bàle parlironl deux lignes, dont Tune ira se relier à Baden avec la ligne de
Berne à Zurich, et l'autre, traversant le Jura sous le Bas-Hauenstein, viendra se
joindre h la ligne de ZoBngen à Lucerne : ce passage servira aussi pour les commu-
nications entre Bâleel la ville fédérale.— Une autre ligne, parlant de Lausanne, se
dirigera vers Sion par St. -Maurice et Martigny, avec un embranchement vers le
Boveret. La ligne de Sion à Brigg vient en outre d'être concédée par le gouvernement
vallaisan dans l'automne de 1854. Enfin, un tronçon isolé sera établi entre Wallen-
slatt et Rapperschwyl, par la rive méridionale du lac de Wallenstatt,
Toutes ces concessions sont faites pour le terme de 99 ans, lequel, pour les plus
anciennes concessions, courra de l'époque du commencement de l'exploitation, et
pour les autres, du 1" mai 1858. Néanmoins, la Confédération s'est réservé le droit
de les racheter, moyennant une indemnité proportionnée au temps qui resterait à
courir, à l'expiration des 30, 45, 60, 75, 90 et 99'"' années; elle devra déclarer cinq
ans à l'avance son intention d'user de ce droit. Elle s'est réservé aussi la faculté de
|)ercevoir un droit de concession, qui ne dépassera pas 500 fr. pour un rayon d'une
lieue. — Quand le réseau sera terminé, l'on pourra faire presque le tour de la Suisse
en chemin de fer : partant de Sion, l'on pourra se rendre à Bàle par Lausanne et
Berne, et delà, passant par St.-Gall et Coire, arriver à Lugano. Ce trajet s'exécutera
probablement en moins de trois jours, c'est-à-dire dans le même temps qu'il faut
maintenant pour se rendre directement de Sion à Lugano, en supposant qu'on prenne
la diligence de Sion à Brigg, puis d' Airolo à Lugano.
La section de Bâie à Liestal a été ouverte à la circulation le 19 décembre 1854.
La voie de Morges à Yverdon sera sans doute prête pour le printemps 1855. Quant
au tunnel du Bas-Hauenstein, il ne sera guère terminé que dans deux ans. La voie
qui sera probablement achevée la dernière, à raison des difficultés qu'elle aura à
surmonter, c'est celle du Luckmanier. La décision du Grand Conseil du Tessin qui
a donné la préférence à celte voie plutôt qu'à celle du St.-Gothard, a été critiquée
comme sacrifiant les intérêts de la Suisse centrale, et parce qu'elle aura pour résultat
d'établir la communication entre le Tessin et la Suisse septentrionale par une voie
qui longera le Rhin à portée du canon autrichien. Cependant il nous semble que,
sous le point de vue des difficultés d'exécution, la voie du Luckmanier était réelle-
ment préférable à l'autre. En effet, le tunnel sous le St.-Gothard n'aurait guère moins
de deux lieues de longueur; il devrait nécessairement déboucher dans la vallée
d'Urseren, à 4500 pieds d'élévation. Le lac des Quatre-Cantons étant à 1340 pieds,
la différence de niveau entre le village de l'Hôpital et les rives du lac est donc de
3160 pieds ; il faudrait effectuer cette descente le long du cours de la Reuss sur une
longueur d'environ 8 lieues, ce qui nécessiterait une pente moyenne d'à peu près
3 Iq ; il faut ajouter qu'une partie de ce trajet est exposée en hiver à de grandes
avalanches. Du côté méridional, la pente serait plus longue et moins rapide. Au
Luckmanier, le tunnel doit, dit-on, déboucher dans le vallon latéral de Cristallina,
à la hauteur de 5267 pieds ; il aura 5200 mètres ou un peu plus d'une lieue de
longueur; la pente jusque vers Coire est de 3400 pieds; mais cette pente, étant
repartie sur une dislance de 14 lieues, ne sera en moyenne que de 1 et ^/, pour ^
0*
LA St'ISSR PITTORESQUE. 59
Du cdlé du TessÎD le débouché du tunnel devra sans doute être plus bas , soit à
environ 4500 pieds; mais, vu la faible distance entre le Luckmanier et le village
d'Olivone, qui est à 2800 pieds, et la différence de niveau qui existera entre ce vil-
lage et le débouché méridional du tunnel, la pente devra commencer par être assez
considérable: sur une longueur de 3 lieues elle devra être d'au moins 4®/^. C*esl
lÀ, à notre avis, une des principales difficultés qu'offre cette voie. Peut-être rétablis-
sement de la voie près d'Olivone à un niveau supérieur à ce village permet tra-t-il
d'adoucir un peu cette pente. On annonce cependant qu'une partie des pentes de la
voie du Luckmanier nécessitera des moyens de traction autres que les locomotives.
En employant les procédés de forage dont on a fait l'essai au Mont-Cenis, on a calculé
que le percement du tunnel serait achevé dans l'espace de cinq ans.
H nous reste à dire quelques mots des diverses voies qui viendront aboutir au
territoire de la Confédération et se relier avec les lignes suisses. Nous avons men-
tionné la ligne de Strasbourg à Bàle ; une autre ligne a été créée postérieurement sur
le territoire badois. Par le moyen de ces lignes, Bùle est déjà en communication avec
Paris et avec le centre et le nord de l'Allemagne. Une autre ligne fera communiquer
l'intérieur de la Bavière avec les rives septentrionales du lac de Constance. Celle de
Coire h Bellinzone par le Luckmanier sera prolongée sur le territoire piémontais le
long de la rive droite du lac Majeur, et se reliera avec la ligne de Turin à Gènes.
Les lignes de Lyon à Genève et de Chambéry à Genève ont aussi été décrétées ; elles
feront communiquer la Suisse occidentale avec le midi de la France et le Piémont.
La première de ces lignes est en voie d'exécution; la seconde ne sera probablement
opérée qu'après l'achèvement de la ligne de Chambéry au pied du Mont-Cenis. Une
voie doit être créée à travers le Chablais, et venir se relier à la voie vallaisanne. Enfin
il a été question d'une voie qui, partant d' Y verdon, entrerait en France par le Jura
du côté de Jougne, et d'une autre qui, de Neuchâtel, conduirait dans le même pays
par la vallée de Couvet et les Verrières ; mais ces embranchements ne sont point
encore prêts à être décrétés. Ajoutons que le gouvernement du Piémont, ainsi que
celui du Vallais, aidé de ceux des cantons voisins, s'occupent activement du projet de
iaciliter les communications au moyen d'un tunnel qui percerait les Alpes dans le
voisinage du Grand St.-Bernard au col de Menouve; mais, vu la hauteur où devra
être ce tunnel, il ne serait pas relié par une voie ferrée avec la ligne de Sion à Lau-
sanne.
TELEGRAPHES.
Une loi du 23 décembre 1881 porte que le droit d'établir des télégraphes électri-
ques, et celui d'accorder des concessions à ce sujet, appartiennent uniquement à la Con-
fédération. L'Assemblée fédérale décréta en même temps l'établissement des lignes
suivantes : 1® De Rheineck (petite ville près l'embouchure du Rhin dans le lac de
Constance) à Genève, en passant par St.-Gall, Frauenfeld, Winterthour, Zurich,
Aarau , Berne et Lausanne, avec embranchement de St .-Gall à Hérisau , de Winterthour
à Schaffhouse, d'Herzogenbuchsée à Soleure, de Morat d'un côté vers Fribourg, de
60 LA SUISSE PITTORESQUE.
Taulre vers Neuch«\tel et la Chaux-de-Fonds, et de Lausanne à Vevey. — 2® De
Zurich à Ghiasso (au sud de Mendrisio), par Brunnen et Bellinzone, avec un embran-
chement sur Claris et Goire, et un autre sur Locarno. — 3® Et une troisième ligne
(le Bàle par Zofingen et Lucerne, traversant la première près deZofingen, et se reliant
avec la seconde à Brunnen. — Ces lignes ont été créées au moyen d'un emprunt de
400,000 francs ne portant pas d'intérêt; elles sont ouvertes depuis la fin de 1852.
Elles ont été établies sous l'habile direction de M. le professeur Steinheil, qui avait
déjà été chargé de la création des télégraphes autrichiens ; le système admis est de
son invention et porte son nom. De nouveaux embranchements seront créés pour
relier ces lignes avec les localités qui seraient disposées à fournir des contributions
suffisantes, et où l'importance du mouvement commercial et industriel, ou les inté-
rêts de la Confédération, l'exigeraient. Une Direction spéciale a été créée sous la sur-
veillance du Département fédéral des Postes et des Travaux publics. Le prix est de
4 franc pour une dépêche de 2S mots, pour toute la Suisse ; 2 francs pour 50 mots ;
5 francs pour iOO mots, etc.
SOCIETES ET FETES FEDERALES.
Les liens entre les confédérés sont resserrés par des réunions fréquentes qui rap -
prochent les citoyens des divers cantons cultivant une même science ou un même
art, poursuivant un même but patriotique. Si elles sont utiles pour l'avancement
des sciences et des lettres, ces réunions le sont encore plus par les relations qu'elles
créent ou rendent plus intimes entre les confédérés accourus des diverses parties de
la Suisse. Par la sympathie générale qu'elles rencontrent et la part qu'y prend la
population tout entière, plusieurs de ces réunions deviennent de véritables fêtes
nationales. En première ligne nous devons nommer la Société fédérale des Carabiniers,
Le premier tir fédéral eut lieu en 1824 à Aarau; c'est là que fut organisée cette
société. L'article 1*"^ de ses statuts porte que u le but de la société est de réunir en
frères d'armes tous les carabiniers de la Suisse qui aiment la patrie, de perfectionner
le tir à la carabine, et de rendre les carabiniers propres à défendre la patrie au
moment du danger » . Les réunions sont à l'ordinaire bisannuelles. Les premiers
tirs ont commencé par être simples et modestes ; mais peu à peu ils ont acquis
une grande splendeur : chaque canton appelé à offrir l'hospitalité à ses confédérés a
cherché à dépasser ses prédécesseurs. La valeur des prix offerts à l'adresse des
tireurs a aussi constamment tendu à s'élever; les Suisses même établis à l'étranger
n'oublient jamais d'adresser à la société du tir de riches cadeaux qui témoignent de
rattachement qu'ils conservent pour leur patrie jusque dans les régions les plus
lointaines.
Deux autres sociétés attirent aussi un grand concours de public : nous voulons
parler de la Société musicale et de \sl Société de Gymnastiqxie, La première se rassemble
tous les deux ans dans une des principales villes suisses. Longtemps à l'avance on met
à rétude les œuvres musicales qui doivent être exécutées; aussi les concerts helvé-
tiques ont-ils à l'ordinaire parfaitement réussi, et l'on peut les compter comme étant,
LA SUISSE PITTORESQUE. 61
après les tirs fédéraux, la principale solennité fédérale. Indépendamment de cette
société, il existe une Société fédérale de Chant, mais elle ne compte encore ses mem-
bres que dans les cantons septentrionaux. La Société de Gymnastiqm, par la nature
même de son objet, donne lieu à un spectacle assez captivant, et qui doit tout na-
turellement attirer une affluence considérable. C'est en présence de cette foule que
les jeunes gymnastes des divers cantons viennent lutter de vigueur et d'adresse, et
des prix de nature très-diverse sont décernés à ceux qui se distinguent le plus. Quel-
ques-uns de leurs exercices, tels que le jet de la pierre, la lutte, la course, etc.,
rappellent les jeux antiques de la Grèce.
Les autres sociétés s'occupent d'objets qui, bien que présentant pour la masse du
public un intérêt moins immédiat et moins général, n'en sont pas moins importants
pour le pays. Telle est la Société d'Utilité pMique, fondée en 4840, qui discute
diverses questions intéressant tout ou partie de la Suisse, et s'occupe des améliorations
morales ou matérielles à introduire. C'est elle qui a patroné ou créé plusieurs in-
stitutions philanthropiques.
La Société helvétique des Sciences fiaturelles, divisée en section de physique, section
de botanique, section de zoologie, s'occupe, comme son nom l'indique, des diverses
branches de sciences qui se rapportent aux choses physiques; les phénomènes si
variés que présente la nature en Suisse ofirent un vaste champ d'étude aux savants.
Cette société a pris naissance dans une réunion qui eut lieu à Mornex ( en Savoie, à
la frontière de Genève), chez M. Gosse, pharmacien, le 6 octobre 4815 ; elle a tenu
sa première session régulière à Berne en 4846. — La Société médicale entend la
lecture de mémoires et discute des questions concernant sa branche spéciale. — La
Société d'Histoire suisse s'occupe principalement de recherches archéologiques ou rela-
tives au moyen-âge. — La Société d* Histoire de la Suisse romande est restreinte, d'après
la nature de son but, à quelques cantons occidentaux. — Les ecclésiastiques protestants
ont, depuis quelques années, des réunions annuelles pour entendre des communications
sur le progrès de l'Evangile. — Les instituteurs suisses ont de même créé des réunions
pour discuter les améliorations à introduire dans les méthodes d'enseignement. —
La Société militaire dirige son attention sur diverses questions de la science de la
guerre et sur les améliorations dont seraient susceptibles l'organisation de l'armée
et nos moyens de défense.
Les étudiants des académies suisses ont aussi formé une association depuis l'an
4849, et chaque année ils se rassemblent vers la fin de l'été dans un lieu central.
Ils sont divisés en autant de sections qu'il y a d'académies en Suisse, section de
Zurich, section de Bàle, de Berne, Lausanne, Genève, Neuchàtel, St.-Gall, Lucerne,
Goire. Malheureusement, la politique est venue, il y a quelques années, semer la
division entre les étudiants, et la société s'est fondue en deux autres : l'une a con-
servé l'ancien nom de Société de Zofingen, d'après celui de son lieu ordinaire de ré-
union; la nouvelle, sous le nom d'Helvétia, se compose des jeunes gens dont les
opinions politiques sont le plus radicales.
62 LA SUISSE PITTORESQUE.
SITUATION GÉOGRAPHIQUE, ÉTENDUE, FRONTIÈRES.
La Suisse est située entre le ftS"" SO' et le ^7'' 50* de latitude. Ses points saillants
sont: au midi, le Grand St. -Bernard, dans le Yallais, et le district de Mendrisio, dans
le Tessin; au nord, le territoire de Schaffhouse; à l'orient, la vallée de la Basse-
Engadine ; à l'occident, le vallon des Dapi)es derrière la DAle, et l'extrémité du terri-
toire genevois. Sa plus grande longueur de l'orient à l'occident, de Munster, frontièredu
Tyrol, au vallon des Dappes, est d'environ 80 lieues de 28 au degré, et sa plus grande
largeur du nord au sud, entre le nord du canton de Schaffhouse et l'extrémité du
district de Mendrisio, est de plus de 50 lieues. Les pays limitrophes sont : la France à
l'ouest , les Etats sardes et la Lombardie au sud , le Tyrol et la principauté de Lich-
tenstein à l'est, le grand-duché de Bade au nord. On peut compter aussi, comme
touchant à la Suisse au nord, le Wurtemberg et la Bavière, qui possèdent chacun
quelques lieues de la rive septentrionale du lac de Constance. Quatorze cantons suisses
confinent à des Etats étrangers ; dix seulement sont à l'intérieur.
La ligne des frontières de la Suisse offre un développement de 3^9 lieues, dont
202 lieues de frontières de montagnes, à l'ouest, au sud et en partie à l'est ; 68 lieues
de frontières d'eau: le Rhin, à l'est et au nord; le Doubs, sur une longueur de 10
lieues, entre la France et les cantons de Neuchâtel et de Berne ; les lacs de Constance
et de Genève, et le lac Majeur. Enfin, il reste 79 lieues de frontières en plaine : le
canton de Schaffhouse, celui de Genève, partie du district de Mendrisio, et quelques
lieues de la frontière de Vaud, Berne et Bâle. On voit que la Suisse, sur la plus grande
partie de ses limites, possède des remparts naturels, très-faciles à défendre, et qu'elle
n'est exposée que sur quelques points seulement. Du côté de Genève, le traité de
Vienne lui a accordé une garantie qui pourra, dans certaines conjonctures, être d'une
haute importance, en étendant la neutralité suisse à une grande partie de la Savoie,
comprenant le Chablais, le Faucigny, ainsi que tout le territoire situé au nord
d'Ugine.
D'après les dernières mesures, la superficie totale de la Suisse est (dit Franscini)
de 2030 lieues carrées, de 25 au degré, ou de 17&8 lieues suisses (de 4800 mètres).
Les tableaux statistiques publiés en 1854 (voyez ci-dessus page ft5), n'évaluent la
superficie totale qu'à 1732 lieues suisses. Mais les travaux de triangulation n'étant
pas terminés pour quelques cantons, en particulier pour les plus grands, ce chiflGre
n'est pas définitif. Quant aux divers cantons, leur grandeur varie considérablement.
Les plus étendus sont le canton des Grisons, qui a 301 lieues carrées suisses, et
celui de Berne, qui en a 294. Ces cantons forment chacun un sixième de la Suisse
entière. Le Vallais a 192 lieues, et forme Vg du territoire suisse. Ceux qui le suivent
en étendue sont les Etats de Vaud, Tessin, St.-Gall et Zurich. Ce^ sept cantons forment
ensemble les ''/^q de la Suisse. Les sept cantons qui viennent ensuite dans l'ordre de
grandeur en forment les *|^Q; enfin, les huit plus petits Etats en forment à peine
*|^Q.Les moins considérables sont ceux de Schaffhouse, qui a 13^/ ^^ lieues carrées;
Genève, qui en a 12*/^^^, et Zug, 10 ^/^q. Ce dernier n'est donc pas même un 170"**
de la Suisse ; il est au canton de Berne ou à celui des Grisons dans la proportion de
LA SUISSE PITTORESQUE. 63
1 à 30. La Suisse est à peu près égale à la moitié de retendue de la Bavière ou de
celle du Piémont ; la population de ces deux Etats se trouve aussi à peu près le double
de la sienne.
La Suisse française, composée de trois cantons, Neuchàtel, Yaud et Genève, et
d'une partie de trois autres, Berne, Fribourg, Vallais, compte plus de 400 lieues
suisses ; la Suisse italienne, comprenant le Tessin et les trois vallées grisonnes de
Misocco, Bregaglia et Poschiavo, compte environ 150 lieues; le territoire où Ton
|)arle le romanche est d'une égale étendue. 11 reste donc pour la Suisse allemande
1000 à 1050 lieues carrées.
ÉLÉVATION, CLIMAT,
ETC.
La Suisse est, dans son ensemble, le pays le plus élevé de l'Europe. Les parties
les plus basses sont: au sud, les bords du lac Majeur, qui n'est qu'à 696 pieds au-
dessus du niveau de la mer ; et ceux du lac de Lugano, qui est à 874 pieds ; et au
nord, le Rhin, qui, près de Bâle, n'est plus qu'à 762 pieds; il est descendu de ftOO
pieds depuis sa sortie du lac de Constance. — Entre les deux grandes chaînes de
montagnes dont nous parlerons tout à l'heure, s'étend un plateau dont la hauteur
est inhale et varie de 1800 à 1200 pieds; il est d'une largeur de 8 à 10 lieues.
On regarde ce plateau comme le plus élevé de l'Europe; ceux qui approchent le plus
de cette hauteur sont celui de l'Auvergne, en France, et le plateau central d'Espagne,
où est située la ville de Madrid : ils atteignent aussi une hauteur de 1800 pieds;
puis, le plateau central de la Bavière, où est situé Munich, et qui est à 1500 ou
1600 pieds.
Les chefs-lieux les plus élevés de la Suisse sont ceux du canton d'AppenzelP. Le
bourg d'Appenzell est à 2350 pieds au-dessus de la mer; Hérisau, à 2330, et
Trogen, à 2670. Ensuite viennent St.-Gall , qui est à 2020 pieds, soit à 800 et
quelques pieds au-dessus du lac de Constance; Fribourg, qui est à 1950 pieds; Coire,
à 1840 ou 1875; Sion, à 1790; Berne, à 1680; Lausanne, à 1500 ou 1600.
Les moins élevés sont Bâle, qui est à 762 pieds (niveau du Rhin); Lugano, à 874 ;
Bellinzone, à 706 ; Locarno, à 696.
Jusqu'à 2000 ou 2500 pieds au-dessus de la mer, la Suisse est très-peuplée ; on
rencontre à cette hauteur quantité de bourgs et de petites villes. A une plus grande
élévation, on voit cependant encore beaucoup de villages, même assez considérables.
Ainsi, vers le haut des vallées bernoises, on trouve des villages qui tous sont à plus
de 3000 pieds; Gessenay, à 3150; Gestad, à 3230; Gsteig ou leChâtelet, à 3694:
1. Pour les hautears des montagnes et autres localités, nous avons, en général, donné la pré-
férence aui chiffres indiqués dans VHypsométrie de la Suisse, de Ziegler, publiée à Zurich en 1853
par rétablissement topographique de WusteretC*,deWinterthour. Quand cet ouvrage indiquait
lai-méme diverses évaluations des hauteurs, nous avons adopté celle qui nous paraissait la
plus accréditée. Nous avons consulté aussi VHypsométrie de DOrheim, publiée à Berne en 1850,
ainsi que VHypsométrie des environs de Genève, publiée en 1830 par M. le professeur A. de Can-
dolle, et qui comprend les hauteurs mesurées dans un espace de 25 lieues autour de cette ville.
Tontes les mesures que nous donnerons sont en anciens pieds français, appelés pieds de roi.
64 LA SUISSE PITTORESQUE.
Lauenen, à 3860; Lenk, à 3340; Adelboden, à 3990; Kandersteg, à 3280;
Grindeiwald, à 3180; Guttanen, à 3290; Gadmen, à 3770.
Dans le canton du Yallais, un grand nombre de villages situés vers le haut des
vallées sont à une élévation de 3 à 4000 pieds ; plusieurs se trouvent plus haut
encore : tels sont St. -Pierre, sur la route du Grand St. -Bernard, à 4890 pieds;
Grimenze, vallée d'Anniviers, à 4873 ; Ayer, même vallée, à 4482 ; Banda, vallée
de St.-Nicolas, à 4535; Zermatt, à Textrémité de la même vallée, à 5073; Saas,
à 4550. Ceux de Torbel, d'Emd et de Visperterminen, situés plus près du Bhdnc
que les derniers, mais sur des plateaux élevés, sont à 4700, 4251 et 4205 pieds.
Le village de Simplon est à 4550; Binn, à 4488; Obergestelen, à deux lieues du
glacier du Rhône, à 4200 ; les bains de Louèche, à 4410. — Dans le canton d'Uri,
la vallée d'Urseren est très-élevée ; le village d'Andermatt est à 4450 pieds; celui
de Réalp, à 4730 ; dans celui du Tessin, Airolo, au pied du St.-Golhard, est à
3900 pieds; Fusio, dans le val Lavizzara, est à 3890.
Un grand nombre de villages grisons, situés soit dans les vallées, soit sur le flanc
des montagnes ou sur des plateaux élevés, sont également à plus de 4000 pieds ;
tels sont : Sedrun, à Touest de Dissentis, à 4370 pieds; Panix, au nord du Rhin, à
4280; le village de Splûgen, au pied du passage de ce nom, à 4640; celui de
llinterrhein, au pied du col du St.-Bernardin, à 4987; Parpan, au sud de Goire, à
4370; Lenz, à 4170; Bergun, route de TAlbula, & 4150; Davos, à 4500. La
Ilaute-Engadine dépasse même toutes ces hauteurs. Les plaines qui forment le sol de
cette vallée et où Ton trouve plusieurs villages, s'élèvent insensiblement jusqu'à
5000 et même 5600 pieds. C'est à 5580 pieds qu'est le village de St.-Moritz, où
il existe un établissement de bains très-fréquenté. Plusieurs villages de la Basse-
Engadine, où la rivière est profondément encaissée, sont encore à plus de 4000 pieds.
Dans la vallée qui conduit au col Julier et au Septimer, on trouve le village de Bivio
ou Stalla, à 5680 pieds. Nommons enfin la sauvage vallée d*Avers, qui débouche
dans la vallée du Rhin postérieur, à deux lieues au-dessous du village de Splûgen,
et dont la partie supérieure est plus élevée que la Haute-Engadine ; mais les villages
habités toute l'année n'y dépassent pas 5000 pieds.
Dans les vallées du Jura, l'on trouve aussi des habitations à une grande hauteur ;
ainsi, dans le canton de Neuchâtel, la Chaux-de-Fonds est à 3070 pieds, et le
Locle à 2835 ; ce sont les deux villes les plus hautes de la Suisse. Le village des
Planchettes est à 3287 pieds ; Brévine, à 3205 ; les BoUes, près la Côte-aux-Fées,
à 3208 ; les Ponts, à 3064. La vallée de Joux, dans le canton de Vaud, renferme
plusieui-s villages qui sont tous au-dessus de 3050 pieds, niveau du lac. Enfin, quel-
ques villages du Jura bernois sont à une hauteur pareille : tels sont Saignelégier, à
3050; Genevez, à 3310 ; les Bois, à 3210, etc. St.-Imier n'est qu'à 2540 pieds.
Nous donnons cette énumération pour mieux montrer qu'une partie notable de la
|)opulation suisse vit à une grande hauteur, qui, dans d'autres pays, est celle du
sommet des montagnes. Elle doit suffire aussi pour faire comprendre que la ma-
jeure partie de la Suisse est loin d'avoir un climat semblable à celui des pays situés
sous la même latitude. Ainsi, des observations qui ont été faites, il résulte que Berne,
Zurich et Coire, situés vers le 47*" degré, ont pour chaleur moyenne du mois le plus
chaud environ 18 degrés Réaumur, c'est-à-dire à peu près la même que Copen-
LA SUIS8E PITTORESQUE. 6S
hague au 55' degré et St.-Pétersbourg au 60'. Mais la température moyenne du
mois le plus froid n'y est que de 2 ou 3 degrés au-dessous de 0, c'est-à-dire qu'elle
est d'environ 10 Aegr^ plus élevée que celle de St.-Pétersboui^. Ce n'est que dans
les hivers très-rigoureux que le thermomètre descend et se maintient quelques jours
au-dessous de 12 d^és, dans les lieux d'une hauteur moyenne. Cependant, il n'est
pas rare qu'à la Cbaux-de-Fonds il descende à — 20, quelquefois même il y descend
à — 25. Au Grand St. -Bernard, le plus élevé des lieux habités toute l'année, la cha-
leur moyenne de l'année est de 0,93, soit environ 1 degré au-dessous de 0 ; ce n'est
qu'un petit nombre de jours que le thermomètre y descend au-dessous de 15 degrés.
La neige tombe en grande abondance dans quelques contrées. Dans les vallées et
sur les montagnes d'une élévation moyenne, il en tombe souvent 5 pieds, quelque-
fois 8 à 10 pieds et plus; tel est le cas des hautes vallées de Neuchàtel. Dans la
plaine elle tombe en plus grande quantité que dans d'autres pays à la même lati-
tude, mais le froid n'est pas toujours proportionné à cette quantité de neige ; ainsi
il arrive quelquefois que la France et l'Allemagne, où il tombe moins de neige,
souffrent d'un froid plus rigoureux que la Suisse.
Si la majeure partie de la Suisse a un climat qui mérite d'être appelé rude, on
peut dire cependant que, vu les différences de hauteur et d'exposition, ce pays
offre sous ce rapport une très-grande variété. D'après leur disposition générale, la
plus grande partie des vallées suisses sont exposées aux vents du nord , ce qui aug-
mente le froid rigoureux qui y règne. Les contrées exposées aux vents du midi sont
plus favorisées. Ainsi Goire, expo^ aux vents du sud et d'ouest, a une température
moyenne de 9,&5, tandis qu'à Zurich, exposé aux vents du nord, la température
moyenne est de 8,8; cependant l'élévation de Coire est de 1875 pieds, et celle de
Zurich n'est quede 1258. Le Tessin, grâce à sa position, jouitd'une température douce ;
et le Vallais , dans sa partie centrale , sur la rive droite du Rhâne , abritée par de
hautes montagnes se dirigeant de l'est à l'ouest, présente des localités jouissant
aussi d'une chaude température. Dans l'espace de quelques lieues, on peut rencon-
trer en Suisse des climats de pays très-divers. Ainsi l'on n'exagère point quand on
affirme que dans moins d'une journée on peut passer des régions glacées de la z6ne
glaciale aux chaleurs de la Sicile ou du Sénégal, que dans l'espace de quelques heures
on peut cueillir la mousse d'Islande et l'opuntia de l'Amérique du sud, entendre le
tonnerre des avalanches au milieu du silence d'une nature morte, et le chant de la
cigale au milieu d'une vallée brûlante.
Ce qu'offre encore de particulier le climat de la Suisse, ce sont les brusques va-
riations de température et les fréquents orages. Il arrive souvent au printemps que
la végétation, déjà fort avancée dans les parties basses du pays, est frappée d'une
gelée subite et désastreuse. L'humidité perpétuelle des monts et des vallées y faci-
lite le développement des phénomènes électriques. Les tonnerres sont souvent dans
les Alpes accompagnés de grêle, et ce refroidissement subit occasionne des chutes de
neige. Même en juin et juillet, il n'est pas rare qu'il neige sur les montagnes élevées
de 5000 ou de 6000 pieds. A la fin d'août, il neige fréquemment jusqu'à la hauteur de
4000 pieds. Sur le St.-Gothard, il ne se passe jamais un mois d'été sans qu'il neige
au moins une fois. Un savant Suédois, M. Georges Wahlenberg, qui a étudié le climat
de la I^ponie et celui de la Suisse, a fait ressortir les différences frappantes qu'ils
11. 5. 9
66 LA SUSSE PITTORESQUE.
présenteDt. Tandis que le voyageur qui parcourt en été les Alpes laponnes, y passe
des mois entiers, ne se servant de sa tente que pour s'abriter contre les moustiques
et non point contre les intempéries, celui qui passe quelques nuits sur les monta-
gnes de la Suisse durant la même saison a peine à se défendre, dans des cabanes de
pierres, contre la grêle et le vent. — De même que les chaleurs de Tété sont inter-
rompues par des refroidissements subits, les rigueurs de Thiver sont souvent tem-
pérées par un vent tiède dltalic, appelé le Fôhn dans la Suisse allemande. Ce ne sont
pas seulement les vallées situées au sud des Alpes qui en éprouvent les effets: ils se
font sentir aussi particulièrement dans les contrées situées au nord du St.-Gothard,
tels que les Petits-Cantons et Zurich. Ce vent excite quelquefois de violentes tem-
pêtes sur les lacs, et occasionne une fonte rapide des neiges et de terribles avalan-
ches. En adoucissant Tàpre température du sommet des Alpes, il y fait naître sur
quelques points, sur le St.-Gothard par exemple, des plantes qui appartiennent à la
végétation des vallées.
MONTAGNES.
Le plateau dont nous avons parlé ci-dessus est limité par deux grandes chaînes
de montagnes, les Alpes à l'est et au sud-est, et le Jura à l'ouest et au nord-
ouest. Disons quelques mots de chacune de ces chaînes. Les Alpes se composent
elles-mêmes de plusieurs chaînes, dont la principale est celle qui forme la ligne
de démarcation pour les eaux, lesquelles s'écoulent ou du côté de l'Italie, ou du
côté de l'Allemagne et de la France. Cette chaîne, dans laquelle se trouve le
Mont-Blanc, à quatre lieues de la frontière suisse à vol d'oiseau, atteint la Suisse
au col Ferret ; de là, se dirigeant vers l'est, elle sert de limite au Yallais et au
Piémont; puis, pénétrant dans l'intérieur de la Suisse, elle sépare le canton d'Uride
celui du Tessin ; de là elle suit une direction assez tortueuse : sur une ligne d'environ
douze lieues, elle forme la frontière des Grisons et du Tessin ; ensuite elle entre dans
les Grisons près du mont Bernardin et du Splûgen ; elle borne la Haute-Engadine du
côté du sud, sous le nom de Bernina ; elle appartient à la Yalteline sur une longueur
de & lieues, près du col Foscagno,'à l'ouest de Bormio ; elle rentre dans les Grisons
près du col Buffalora, et atteint la frontière tyrolienne à l'est du col Scarla ou Scharl ;
enfin, après avoir formé, sur une ligne de 4 lieues, la limite entre les Grisons et le
Tyrol, elle se prolonge dans ce dernier pays au nord des sources de l'Adige (Etsch).
La partie de cette chaîne comprise maintenant sur le territoire suisse portait diffé-
rents noms chez les anciens : ils appelaient Alpes pennines celles qui s'étendent dû
Mont-Blanc au Mont-Rose et au Simplon ; ils désignaient sous le nom d'Alpes Upon-
Unes celles qui s'élèvent entre le Simplon et le Bernardin et qui comprennent tout
le groupe du St.-Gothard, et sous celui à* Alpes rhétiennes celles qui, à partir du
Bernardin, traversent le pays des Grisons et le Tyrol.
Plusieurs ramifications se rattachent à cette chaîne principale: l'une, partant du col
Ferret, forme la limite entre le Vallais et la Savoie, et aboutit au lac de Genève au-
dessus de St.-Gingolph ; plusieurs chaînons de 8 à 10 lieues de longueur enferment les
vallées latérales du Vallais; du groupe massif du Mont-Rose partent quelques petites
LA SUISSE PITTORESQUE. 67
chaînes qui se dirigent vers le sud, et vont mourir dans les plaines du Piémont. Au
groupe du St. Gothard se rattachent également deux, ou trois chaînes qui traversent
le canton du Tessin. Vers le nord-est du St.-Gothard se dirige une ramification
importante, qui forme la limite entre les Grisons et les cantons d'Uri, de Glaris et de
St.-Gall, et va expirer au bord du Rhin vis-à-vis de Malans. Deux bifurcations de
cetle chaîne enferment le canton de Glaris, en le séparant d*Uri et de St.-Gall. D'au-
tres ramifications sillonnent Tintérieur des Grisons dans diverses directions : la prin-
cipale est celle qui borne au nord-est la grande vallée de TEngadine, et où se trouvent
les passages du Julier et de TÂlbula.
On compte comme seconde chaîne, ou chaîne secondaire, celle qui, à partir de la
chaîne principale au col de la Furka, forme la séparation du Yallais et du canton de
Berne, et va se terminer par la dent de Mordes à la frontière de Yaud et du Yallais.
Cette chaîne n'est proprement que la ramification la plus importante de la chaîne
centrale. On considère quelquefois comme étant le prolongement de cette chaîne des
Alpes bernoises, celle qui borne les Grisons du côté du nord ; celle-ci a, en efifet, la
même direction que la chaîne bernoise, et la continuité n'est interrompue que par le
défilé étroit qui donne passage à la Reuss, et où se trouve le fameux Pont-du-Diable.
De la chaîne bernoise partent plusieurs ramifications. L'une, partant de la Furka,
se dirige vers le nord, et, en se bifurquant, enferme complètement le canton d'Unter-
wald; Tune de ces bifurcations vient expirer près du Grûtli, au bord du lac des
Quatre-Gantons; l'autre aboutit au mont Pilate, près Lucerne. D'autres chaînons
moins étendus se dirigent aussi vers le nord, et viennent se terminer au bord des
lacs de Brientz et de Thoune; ils séparent les diverses valléesde l'Oberland ber-
nois. Un autre, vers l'ouest, enferme la vallée des Ormonds au canton de Yaud, et
se rattache par le col de Jaman à la petite chaîne du Molesson.
On comprend quelquefois sous le nom de troisième chaîne des chaînons plus ou
moins indépendants, qui se trouvent à peu près sur une même ligne, coupant la Suisse
en diagonale, de la dent de Jaman, au-dessus de Montreux, au Sentis dans le canton
d'Àppenzell. A cette chaîne appartiendraient le Molesson, le Stockhorn, le Brienzer-
grat (crête de Brienz), au nord du lac de Brienz, le mont Pilate, le Righi, le
Mythen, le Kurfûrsten au canton de St.-Gall, et le Sentis; mais le Molesson, le
Brienzergrat et le Pilate se rattachent à la haute chaîne bernoise par une suite non
interrompue de sommités.
La Suisse ne possède pas la montagne la plus élevée de l'Europe. Le Mont-Blanc,
comme tout le monde sait, est situé sur le territoire sarde, entre la Savoie et le Pié-
mont, et non loin de la frontière suisse; mais elle possède plusieurs des sommités qui
le suivent en élévation. Les mensurations auxquelles on a procédé pour la grande
carte de la Suisse, ont fait reconnaître que plusieurs sommités avaient une hauteur
plus grande qu'on ne l'avait cru jusqu'alors. Yoici quelques-unes des principales
cimes des Alpes.
Le Mont-Blanc, 14,760 pieds de roi; les diverses mensurations varient de 100 à
200 pieds.
Le Mont-Rose j 14,220; d'autres mesures lui donnent 100 à 200 pieds de plus.
Cette montagne, qui est située entre le Yallais et le Piémont, présente un groupe de
cimes disposées à peu près en forme de cirque (De Saussure, § 2138). C'est peut-
68 LA SUISSE PITTORESQUE.
être de cette circonstance que lui vient son nom. Plusieurs des cimes dépassent
14,000 pieds.
Le Dom (Dôme) ou Grabenhom, un des pics Mischabel, au nord du Mont-Rose,
entre la vallée de Saas et celle de Zermatt, d'après la topographie de la vallée de
Saas par M. le curé- Imseng, 44,040; d'après V Hypsoméirie Durheim, 14,031;
d'après YHypsométrie Ziegler, 14,020. Malgré ces diàërences dans les chiffres, ces
trois ouvrages se réfèrent tous aux mensurations du chanoine Berchthold.
Le Lâgerhorn ou Tàschhorn, un autre des pics Mischahel, situé au sud du précé-
dent, 14,032, d'après Ziegler. Si les mesures de ces deux montagnes sont exactes,
elles seraient les sommités les plus élevées de l'intérieur de la Suisse. Mais, d'après la
hauteur apparente qu'elles présentent pour l'observateur qui les regarde du village
de Fee, et diaprés leur position relativement aux autres pics Mischd)el, nous suppo-
sons que ces évaluations sont trop fortes. Le professeur Ulrich, placé sur le plus bas
des pics Mischahel, dont il évalue la hauteur à 12,323 pieds, estimait que le Dam ne
dépassait ce dernier que d'un millier de pieds environ.
Le Silbersattel (Selle d'argent), sommité voisine du Mont-Rose, et nommée par
VHypsométrie Ziegler, 14,004. Elle confine au Piémont.
Le Weissharn (Pic blanc), 13,900, à l'ouest du village de Randa, dans la vallée
de St.-Nicolas, à 3 lieues au nord du Matterhorn ; c'est une magnifique pyramide
qui se termine par une pointe aiguë ; le chiffre indiqué ne s'écarte vraisemblablement
pas de la vérité. Si les deux sommités ci-dessus (le Dôme et le Lagerhorth) ont, ce
qui est bien possible, quelques centaines de pieds de moins qu'on ne leur attribue,
le Weisshorn sera la plus haute des sommités complètement suisses. ( Le Pizzo
Bianco, escaladé par De Saussure, est situé en Piémont, tout près du Mont-Rose; il
n'a que 9600 pieds.)
Le Matterhorn, ou Mont Cervin, 13,901 d'après Ziegler, 13,838 suivant d'au-
tres ; au fond de la vallée de St.-Nicolas ou de Zermatt. C'est une pyramide élancée,
dont les parois paraissent presque verticales, mais dont le sommet est tronqué. —
La Dent blanche, à l'ouest du mont Gervin, 13,421. (On l'appelle aussi quelque-
fois Weisshorn; mais les trois vallées qui y aboutissent parlent français.) — Le Mont
Combin, 13,260, entre le St.-Bernard et la vallée de Bagnes. Le sommet a la forme
d'une énorme coupole blanche. — La Cima di Jazzi, 13,240, au nord-nord-est du
Mont-Rose. — Ces quatre dernières montagnes sont situées entre le Valais et le Pié-
mont; la Dent Blanche est cependant un peu au nord de la frontière.
Le Mont Pelvoux 13,287, ou 13,236 d'après la carte Ghaix; c'est la plus haute
sommité de France ; elle est située entre le département de l'Isère et celui des
Hautes- Alpes, à trois lieues, à vol d'oiseau, de la chaîne centrale et de la Maurienne.
Le Finsteraarhorn (Sombre pic de l'Aar), ainsi nommé parce qu'une partie de ses
pentes restent dégarnies de neige ; ou bien Pic de VAar sombre, car on trouve plus au
nord le Lauteraarhorti (Pic de l'Aar limpide), avec un glacier du même nom, 13,234,
ou suivant d'autres 13,160. Ce pic, situé entre le canton de Berne et le Vallais, près
des sources de l'Aar, était regardé autrefois comme la quatrième en hauteur des
montagnes d'Europe, et comme la plus élevée de l'intérieur de la Suisse. Il a dû
céder la prééminence à quelques autres cimes ; il ne lui reste plus maintenant que
l'honneur d'être la plus haute sommité des Alpes bernoises. — Le Silberbast (Ecorce
LA SUISSE PITTORESQUE. 69
d'argent), ou Lyskamm (Crète de Lys), 13,074, à Touest du Mont-Rose, et au nord
du Val de Lys ou Val Lésa. — La Pointe de Zinal, au nord-ouest du mont Gervin et au
fond du val Ânniviers, un peu au nord de la frontière du Piémont, 13,065. — Le
Géant, 13,040, à deu?L lieues du Mont-Blanc et de la frontière suisse.
On nomme encore deux ou trois autres sommités voisines du Mont-Rose et qui
doivent dépasser 13,000 pieds. De toutes ces montagnes, le Mont-Blanc seul a été
escaladé un grand nombre de fois. La plus haute sommité du Mont* Rose a été gravie
en iSki par H. Maduz, guide du professeur Ulrich ; une autre des cimes a été esca-
ladée par M. Zumstein de Gressonay, dont elle porte maintenant le nom, Zurnstein-
SpUze. L'ascension du Finsteraarhorn a été exécutée pour la première fois en 1829.
Le mont Pelvoux a été escaladé aussi, à ce qu'on nous a assuré dans le voisinage de
cette montagne.
U serait trop long et fastidieux d'énumérer toutes les sommités de 13 à
10,000 pieds, ainsi que les innombrables sommités inférieures à 10,000 ; il faudrait
pour cela un volume complet. Nous devons nous borner à mentionner quelques-unes
des plus connues ou des plus remarquables.
Le Dùteïhorn, 12,966, et le Mmmchhom, 12,905, tous deux près du Mont-
Rose; VAletschhom, au-dessus du glacier d'Âletsch dans le Haut-Vallais, au sud de
la Jungfrau, 12,874; la Jungfrau (la Vierge), 12,872, et le Moine, 12,670, tous
deux sur la frontière de Berne et du Vallais. La Jungfrau est regardée comme la plus
belle des montagnes bernoises, à cause de ses pentes d'une blancheur éblouissante.
Elle a été gravie cinq fois depuis 1811 ; elle est à peine maintenant la vingtième
des montagnes d'Europe pour la hauteur. — L'Eiger, 12,272, au nord du Moine;
leSchreckhom (Pic terrible), 12,566, et le Wetterhorn (Pic du temps), 11,412, tous
deux à l'est du Moine. Il y a trois pics nommés Wetterhôrner, savoir : le Rosetihoni
(Pic des roses), au sud-est; le Mittelhorn (Pic du milieu), et le Wetterhorn propre-
ment dit, au nord-ouest ; le premier a été escaladé en 1844 par MM. Desor, Dollfuss
et autres. Le Trifihorn ou Breithorn, près du Lyskamm, à l'ouest du Mont-Rose,
12,770; lePollux, un des Gémeaux, près du Lyskamm, 12,644; laDentd'Hérens,
12,670, pyramide au fond de la vallée d'Hérens, et frontière du Vallais et du Pié-
mont, comme les deux cimes précédentes. Le Feehorn ou Allelinhom, au-dessus de
Fee, au fond de la vallée de Saas, 12,498. Le Fletschhorn, à l'ouest du village du
Simplon, 12,391. Les sommités du Fletschhorn ont été escaladées pour la première
fois en août 1854, par M. le curé du Simplon et deux chasseurs de chamois. Le
Bitschhorn, à l'ouest du glacier d'Aletsch, 12,169; le Viesckhorn, entre ce glacier
et celui de Viesch, 12,021.
Plusieurs pics du groupe du Bernina, au pied de la Haute-Engadine dans les Gri-
sons, dépassent 12,000 pieds; le Piz Mortiratsch, 12,475 ; le Piz Rosso diDentro,
12,313 ; le PizPalù, 12,044. (On lit dans le Manuel de Bâdeker de 1854, que le
Rossa di Dentro, ou Munterasch, a été escaladé pour la première fois en 1850, et que
sa hauteur est évaluée à 13,508 pieds [?]) VOrteler-Spitz, 12,060, entre le Tyrol
et la Valteline, non loin de la frontière des Grisons. Vus de l'ouest, ses trois som-
mets inégaux lui donnent un peu la forme du Mont-Blanc. La hauteur de ce mont
a été évaluée par quelques voyageurs à 13,000 pieds; nous croyons que ce chiffre
doit s'approcher beaucoup de la vérité.
70 LA SUISSE PITTORESQUE.
Le Motit'Velan, près du Grand St. -Bernard, H, 69» pieds; le Balfrin, entre Saas
et St .-Nicolas, 1 4 ,636 ; ce sont les sommités neigeuses de cette montagne que Ton voit
du pont de Viège, et que Ton indiquait autrefois comme étant celles du Mont-Rose. Le
Breithorn {?\c large), 11,690 ; la Blûmlisalp (Alpe de la petite fleur, appelée aussi
Frau, la Femme), 11,298; le Tschhigelhom, 11,230, tous trois au sud-ouest de la
Jungfrau ; le Galenstock, le plus haut pic de la Furka, entre Uri et le Vallais, 1 1 ,330 ;
le Tôdi, entre Glaris et les Grisons, 11,153; le Tiîlis, la plus haute montagne
d*Unterwald, 10,710; le Piz Limrd, au nord de la Basse-Engadine, 10,700; le
Piz Valrhein, source du Rhin postérieur, 10,220; la Déni du Midi, au-dessus de
St.-Maurice en Vallais, 10,107, suivant d*autres 9800 ; les Dwifcteré»/*, entre Vallais
et Vaud, 10,008; VUnerempHz, la plus haute sommité du St.-Golhard, 10,000;
vu leur position assez remarquable au point de jonction de plusieurs hautes diaines,
et près des sources de plusieurs rivières importantes (le Rhône, TÂar, la Reuss, le
Rhin, le Tessin et la Toccia), on croyait autrefois que les sommités du St.-Gothard
étaient notablement plus élevées qu'elles ne le sont réellement.
Le Tambohorn, ou Schneehorn (Pic de la neige), entre le Bernardin et leSplûgen,
98&0 ; la Dent de Morcks, au sud-est de Bex, 904&; le Glârnisch, au-dessus de la
ville de Glaris, 8895 ; le Galanda, au nord de Goire, 86S0 ; le Faulhorn, au sud
du lac de Brienz, 8260; le Sentis, le plus haut sommet d'Appenzell, 7670; le
Niesen, au-dessus de Wimmis, près Thoune, 7340 ; le Pilate, près Lucerne, 7080
(suivant d'autres, 7116 ou 6565); le Molenson, 6180; le Mythen, au-dessus de
Schwytz, 5850; le Righi, 5600. (Le Faulhorn, le Niesen, le Molesson et le Righi
sont faciles à gravir et renommés pour leur magnifique vue.)
Voici maintenant les hauteurs des cols les plus fréquentés des Alpes : Le col Fer-
ret, 7260 ; le col de la Fenêtre, entre le col Ferret et le Grand St.-Bernard, 8250 ;
le Grand St.'Bernard, 7680; le col St.'Théodule, 10,242; le Simplon, 6200; le
St.'Gothard, 6420; le LMAmanfer occidental, entre Airolo et Santa-Maria, 6720;
le Lid*man/er oriental, entre Olivone et Santa-Maria, 5948, suivant d'autres 5650 ;
entre ces deux cols, un troisième plus élevé fait communiquer Faido avec Santa-
Maria ; le Bernardin, 6390 ; le Splûgen, 6500 ; le Septimer, 7360 ; le Malqja,
5830 ; le Bernina, 6390 ; le col de Scarla ou Scharl, entre la Basse-Engadine et le
Mûnsterthal, 7150. Tous ces cols se trouvent sur la chaîne centrale; le Simplon,
le St.-Gothard, le Bernardin, le Splûgen, le Maloja, le Septimer, le Bernina et le col
Scarla, sont praticables pour les chars, mais les trois derniers ne le sont que pour des
voitures légères. Sauf le Simplon et le St.-Gothard, toutes ces routes appartiennent
au canton des Grisons, ainsi que celles de l'Albula et du Julier nommées plus bas ;
ce canton est donc plus favorisé que le Vallais, qui ne possède sur les Hautes-Alpes
qu'une seule voie accessible aux chars, et que le canton de Berne, qui n'en possède
aucune.
Il est à remarquer que le passage oriental du Lukmanier et le Maloja sont les points
les plus bas de la chaîne centrale, depuis le département des Basses-Alpes jusqu'au
Tyrol. Une autre échancrure encore plus sensible de cette chaîne se voit dans le
Tyrol, tout près de la frontière suisse; le bassin de l'Inn et celui de l'Adige (Etsch)
n'y sont séparés que par une basse montagne, où se trouve le hameau de Reschen.
Ce col, situé entre les villages élevés de Nauders (4090) et de Graun, doit être tout
LA SUISSE PITTORESQUE. 71
au plus à 4S00 pieds. Il y passe une grande route. Faisons remarquer aussi que
le col de Maloja présente une particularité unique en Suisse et peut-être dans toutes
les Alpes : c'est que, la vallée de l'Inn s'élevant considérablement, il ne reste plus
que i à 300 piols à peine à gravir pour atteindre la crête de la chaîne centrale
et pour descendre sur le revers méridional ; on peut donc remonter cette rivière le
long du Tyrol et de TEngadine, et s'élever insensiblement jusqu'à la crête des Alpes,
sans s'apercevoir qu'on a gravi une montagne : mais la pente du côté d'Italie est
beaucoup plus rapide : sur un espace de six lieues, du Maloja à Ghiavenna, on des-
œnd 47S0 pieds.
Les cols que l'on trouve dans les autres chaînes sont : Dans celle qui limite au
nord le canton des Grisons, le col du Galanda ou de Kunkels, qui conduit dans le
canton de St.-Gall, 4260; le Panixer-Pass, qui mène dans celui de Glaris, 742S ;
XOheralp, entre les Grisons et Uri, 63S0 ; à l'ouest de la Haute-Engadine, le Jnlier,
6830, et YAlhula, 7060. — Dans la chaîne bernoise, le Grinml, 6770; la Genimi,
7160; le Rawyi 6930; le SanetscK 6940; tous entre Yallais et Berne; le Mont-
Chevilk ou col d'Anzeindaz, sous les Diablerets, entre Sion et Bex, 6880. De l'Ober-
land bernois on passe dans le canton d'Uri par le Smtenpass, 6980 ; dans celui d'Un-
terwald par le Joch, 6890, et par le Brûnig, 3880. Enfin l'un des plus fréquentés,
c'est le col de Balme, entre Martigny et Chamonix, 7090, par lequel on franchit la
chaîne qui aboutit au lac Léman. De toutes ces voies, le Jnlier et YAlbula sont les
seules praticables pour les voilures.
Quant à la chaîne du Jura, elle est loin d'être aussi élevée que les Alpes. Elle
commence sur le territoire français, à environ 1 5 lieues au sud-ouest de Genève et
le long du Rhône, puis s'étend avec une légère courbe dans la direction du nord-est,
sur une étendue d'environ 90 lieues, jusque près de Schaffhouse. Cette chaîne offre
une disposition toute différente de celle des Alpes ; au lieu d'être composée de rami-
fications qui partent en quelque sorte d'un Ironc commun, elle ne présente guère
que des chaînons parallèles, semblables aux longues vagues de la mer. La chaîne
orientale est la plus élevée ; elle commence au-dessus du défilé du Fort-de l'Ecluse,
à 6 lieues de Genève. Les principales sommités du Jura sont : en France, le Crêt de
la Neige ou du Creux de la Neige, 5301 pieds ; les Prés-Marmiers, 5300 ; le Recalety
5280 ; le Grand-Colombier , 5220 ; ces quatre sommets se trouvent dans la partie la
plus voisine de Genève ; le Grand-Colombier est le plus au nord, et le Reculet le plus
au sud ; les deux autres, au lieu d'être comme ceux-ci commodes à atteindre et re-
vêtus de gazon, font partie d'une crête où le roc est en grande partie à nu et cre-
vassé. Ces deux points sont très-rapprochés, ou plutôt il est bien probable que les
mesures se rapportent au même point : le Creux de la Neige est au nord-est du Crêt
de la Neige, et au sud-ouest des Prés-Marmiers. Le Crédoz ou Crét-d'eau, ou Crêt de
la Goutte, au-dessus du Fort-de-l'Ecluse, 4999. — En Suisse, la Dôle, au-dessus de
Nyon, 5475; cette sommité, la plus haute du Jura suisse, n'est inférieure que de
35 à 125 pieds à trois ou quatre sommets français: le Mont-Tendre, au-dessus de la
vallée de Joux, 5170; le Mont-Suchet, au-dessus d'Orbe, 4830; le Chasseron, au-
dessus d'Yverdon, 4960 ; le Chasserai ou Gestler, au-dessus du lac de Bienne, 4970 ;
la Dent de Vaulion, au nord du lac de Joux, 4580 ; la Hasenmatt (Prairie des lièvres),
point culminant du canton de Soleure, 4480; le Weissenstein, près Soleure, 3960.
72 LA SUISSE PirrORESQUE.
J
Les passages les plus Tréquentés dans la chaîne du Jura sont : La Fatêcille, au-dessus
de Gex, à 4073 pieds; le Col de St.-Cergues, au nord de la Dôle, 5860; ces deux
cols conduisent de Genève et de Nyon dans la direction de Paris ; le Marckairuz, au-
dessus de la vallée de Joux, 4470; le passage de Jougne, entre Orbe et Pontarlier,
3829; les Verrières, au canton de Neuchàtel, 3130; le Haul-Hauenstein, entre So-
leure et Bàle, 3350 ; le Bas-Hanenslein, entre OIten et Bàle, 2140; tous ces passages
sont très-commodes pour les chars.
Il nous reste à parler de quelques hauteurs qui s'élèvent au-dessus du plateau
situé entre les deux grandes chaînes de montagnes. Tel est le Pèlerin, à la frontière
fribourgeoise, au-dessus de Vevey, 3743; la Tour de Gourze, au-dessus de CuUy,
2828; le passage du Chalet à Gobet, sur le Jorat, entre Lausanne et Moudon, 2663;
le Mont'Gibloîix, entre Romont et Bulle, au canton de Fribourg, 2820 ; YAlbis, sur
la rive occidentale du lac de Zurich, 2682.
La Suisse a le bonheur de ne pas avoir de volcans et de ne pas être ravagée par
ces terribles tremblements de terre si fréquents dans les pays montagneux voisins de
la mer. Cependant, on en ressent quelquefois, surtout dans les cantons méridionaux,
et particulièrement dans celui du Vallais et celui des Grisons. Il en est de même dans
le canton de Zurich. Mais une autre espèce de calamité, qui, à diverses époques, a
affligé certaines contrées de la Suisse, ce sont les chutes de montagnes. Ainsi, en
1S12, une montagne s'écroula sur le bourg de Biasca, dans le district Riviera, au
canton du Tessin ; beaucoup de gens périrent, et la rivière Brenno fut interceptée ;
pendant deux ans ses eaux refluèrent et inondèrent le pays ; enfin, elles forcèrent le
passage et firent de grands dégâts jusqu'au lac Majeur. Le 4 mars 1584, un trem-
blement de terre causa la chute d'une montagne dans le district d'Aigle ; les villages
d'Yvorne et de Gorbeiry en furent couverts; 127 hommes, ainsi que 700 pièces de
bétail, périrent. En 1714 et 1749 d'énormes masses de rochers se détachèrent des
Diablerets, en Vallais. Le 2 septembre 1806, une partie du Rossberg, au canton de
Schwy tz, s'écroula, et couvrit de ses débris toute une vallée ; 484 hommes y trou-
vèrent la mort.
Quelques localités de la Suisse ont été aussi dévastées par des torrents de fange qui
descendaient des montagnes. Ainsi, en 1673, un pareil torrent couvrit de ses ^ulis
un grand nombre de maisons de Casaggia, dans la vallée de Brégell, canton des Gri-
sons. Au mois de juillet 1795, un fleuve de fange rouge et épaisse sortit d'une cre-
vasse sur le revers méridional du Righi ; il avait plusieurs toises d'épaisseur, et sa
largeur était d'un quart de lieue. Ce torrent charria pendant quinze jours ses flots
bourbeux jusqu'au lac, et ensevelit une quantité de maisons et d'excellents fonds de
terre appartenant au village lucernois de Weggis ; grâce à la lenteur de sa marche,
personne ne périt, et l'on put sauver tous les biens meubles des habitants. En 1797,
deux petits villages voisins de Brienz perdirent, par un pareil événement, une partie
de leurs maisons et un grand nombre de prés et de jardins. Nous parlerons ailleurs des
ravages que causent les avalanches et les débordements.
LA SUISSE PITTORESQUE. 73
NEIGES PERMANENTES ET GLACIERS.
La chaleur de l'atmosphère décroissant rapidement à mesure qu'on s'élève, il en
résuite qu'à une certaine hauteur il règne un hiver perpétuel. En Suisse, la limite
des neiges éternelles est à 7S00 ou 8000 pieds au-dessus de la mer. Mais on com-
prend que cette limite ne peut suivre une ligne uniforme et horizontale ; elle est
plus ou moins élevée, suivant les diverses expositions, la nature des pentes, le voisi-
nage plus ou moins immédiat de grandes hauteurs, etc. Des pentes douces se dégar-
nissent de neige moins vite que des pentes rapides, où la neige est nécessairement
moins profonde, et où d'ailleurs elle a pu être enlevée par les avalanches. Souvent
la neige accumulée au bas des grands escarpements persiste tout l'été, tandis que
ceux-ci sont complètement découverts. Dans le voisinage des hauteurs flanquées de
glaciers, la température est sensiblement refroidie; ainsi, une pente ou un plateau
s'appuyant à des montagnes beaucoup plus élevées restera couvert de neige, tandis
qu'une montagne de même hauteur, si elle est isolée, pourra être revêtue de beaux
pâturages. Les pentes méridionales et occidentales des montagnes se dégarnissent
aussi plus vite que celles des autres revers. Ainsi, sur plusieurs des cols hauts d'en-
viron 7S00 pieds, les pentes dirigées vers le nord restent à l'ordinaire couvertes
d'une certaine quantité de neige, qui ne provient qu'en partie d'avalanches ; telle est,
par exemple, le cas du Grand St. -Bernard, du Panixer-Pass entre les Grisons et
Claris, et du Bonhomme entre la Tarentaiseet le Faucigny. Enfin, la quantité de
neige qui tombe durant l'hiver différant beaucoup d'une année à l'autre, il en
résulte que sur un même point la limite est sujette à varier ; l'on voit même quel-
quefois la neige disparaître complètement sur des pentes qui restent ordinairement
couvertes toute l'année ; dans le même cas, l'on trouve dégarnies de neige, dès le
commencement de juillet, des hauteurs qui, à l'ordinaire, n'en sont dépourvues qu'en
septembre. Tel a été le cas de l'année 1854.
Mais, outre ces neiges éternelles, qu'on appelle dans la Suisse française des névés,
on trouve dans les Alpes des champs ou des vallons de glace qu'on nomme des gla-
ciers (en allemand Glelscher), et qui sont un des phénomènes les plus intéressants
que présentent ces montagnes. Ils proviennent d'énormes entassements de neige,
formés à une grande hauteur, soit par les vents, ou par les avalanches parties
des escarpements supérieurs, soit par les chutes successives qui ont lieu durant les
hivers. La structure et la marche des glaciers ont été depuis près de vingt ans
Tobjet d'une étude minutieuse et approfondie de la part de plusieurs savants suisses
et étrangers : MM. De Charpentier, directeur des mines du canton de Vaud ; le cha-
noine Rendu (actuellement évêque d'Annecy); l'Anglais Forbes; Agassiz, profes-
seur à Neuchâtel ; Desor, etc. Ces deux derniers, avec d'autres Neuchâtelois, ont
fait en particulier plusieurs séjours prolongés près des glaciers de l' Aar * .
i. Voyez Essai sur les glaciers et sur le terrain erratique du bassin du Rhàne, par De Char-
penUer, 1841. — Théorie des glaciers de la Savoie, par le chaDoine Rendu, 1840. ~ Etudes sur
les glaciers, par Agassiz, 1840. ^ Excursions et s^ours dans les glaciers et les hautes régions des
^Ipes, de Af. Agassix et de ses compagnoru de voyage, par Desor, 184i; et Nouvelles excursions^ elc*
par le même, 1845.
II, 5. 10
74
LA SUSSE PITTORESQUE.
Le gliicicr de lAar, séjour tle M. Agasiit e( de ses compagaoDS.
Voici comment on explique la conversion des névés en glaciers. Ces névés étant
formés, surtout à leur surface, de grains de grésil, ils absorbent facilement Teau qui
résulte de la fonte durant le jour. Cette eau, absorbée par les interstices de la neige,
se congèle pendant la nuit, et cimente les grains; il se forme ainsi peu à peu une
masse solide qu'on désigne sous le nom de glacier. Au retour de la saison froide,
une partie des neiges tombées dans les hivers précédents se trouve transformée en
glace; chaque année des neiges nouvelles s'entassent à la partie supérieure du gla-
cier, et une partie de ces neiges subit la même transformation. Il se trouve par là
que beaucoup de névés ne sont réellement tels qu'à la surface, car, dans leur inté-
rieur, ils deviennent de vrais glaciers. M. De Charpentier donne le nom de hatUs-
névés, correspondant à l'allemand suisse Firn, à ceux qui se transforment en gla-
ciers, et qui doivent être situés à une hauteur où le dégel et les pluies commencent
à être rares, sans avoir complètement cessé, car un glacier peut se former sans eau ;
et il appelle bas-névés les neiges permanentes qui se trouvent à une hauteur où il
dégèle et où il pleut fréquemment, mais qui, n'ayant pas une épaisseur suffisante
pour retenir les eaux qui les pénètrent, ne peuvent se changer en glaciers, et sont
par conséquent immobiles. Ce n'est qu'après un hiver où il y a eu une grande
accumulation de neiges, que ces névés, retenant en partie l'eau, se transforment peu
à peu en glaciers; mais il suffit d'une ou de quelques années chaudes pour les rame-
ner à l'élat de névés. — M. Agassiz distingue dans les grands glaciers trois régions :
i*" Le glacier proprement dit, où la neige qui tombe en hiver fond complètement
LA*SUISSE PITTORESQUE. 7S
pendant Télé ; 2"* le névé, qui occupe le fond des hautes vallées, et dont la surface
est de neige grenue ; S"" les champs ou plateatix supérieurs de neige, lesquels recou-
vrent les hauts cols, et sont composés d'une neige ordinairement fine et poudreuse.
Du mode de formation des glaciers, il résulte que leur glace n'est point compacte
comme celle qui se forme en hiver sur les lacs et sur les rivières ; elle est plus opa-
que, plus huileuse, moins polie, et remplie d'une multitude de petites fissures qui la
traversent dans tous les sens et la divisent en fragments irréguliers, dont la grosseur
varie de quelques lignes à quelques pouces. C'est vers le haut des glaciers que la
glace est la moins dense et la plus légère ; la densité et la pesanteur sont sensible-
ment plus considérables vers la partie inférieure, par suite de la congélation succes-
sive de l'earu qui s'y est infiltrée durant une série d'années.
C'est un fait connu dès longtemps, que tous les glaciers ont une marche lente et
qu'ils glissent insensiblement sur leur base vers la partie inférieure des vallons éle-
vés qu'ils occupent. On avait attribué ce mouvement au poids des glaces nouvelles
qui se forment à la partie supérieure des glaciers et à l'inclinaison du plan sur lequel
ils reposent ; mais on a reconnu depuis quelque temps que ce n'étaient pas là les
principales causes de leur progression ; car plusieurs, en particulier les plus grands,
reposent sur un plan très-peu incliné, où la pente ne suffirait pas pour déterminer
leur mouvement; et d'autres, situés sur un escarpement très-raide, sont loin d'avoir
une marche accélérée à proportion de la rapidité de cette pente. L'observation atten-
tive des glaciers a fait reconnaître que la principale cause qui leur imprime un mou-
vement, c'était la congélation de l'eau absorbée et distribuée dans tout leur intérieur
par la multitude de très-minces fissures dont ils sont remplis; la congélation
augmente le volume de l'eau, et communique une sorte d'expansion à toute la
masse. Cette dilatation doit agir surtout dans les directions où elle rencontre le
moins de résistance, c'est-à-dire dans le sens de la pente et dans celui de son épais-
seur. Ces expansions se répétant de la même manière toutes les nuits d'été, leur
effet serait de faire avancer indéfiniment les glaciers, si le soleil et la température
de l'air n'y mettaient obstacle par la fonte qu'ils opèrent à la surface. Cette cause
de leur mouvement explique comment les glaciers soulèvent peu à peu et rejet-
tent hors de leur sein tous les fragments de roche qui ont pu tomber dans des cre-
vasses, pourvu qu'ils n'aient pas atteint le sol inférieur. Elle fait comprendre auss
comment il se fait que la marche des glaciers s'arrête ordinairement en hiver, pour
recommencer au printemps, en même temps que la première fonte des neiges.
Si, dans le courant de l'été, la température est telle que les glaciers se fondent
d'une quantité égale à celle dont ils augmentent, tant par la congélation de l'eau
absorbée que par l'avancement des hauts-névés, on dit qu'ils sont stationnaires ; si
la dilatation est plus forte que la diminution opérée par la fonte, on dit qu'ils avan-
cent; et, dans le cas contraire, on dit qu'ils reculerU ou se retirent; mais cette expres-
sion est impropre: il faudrait plutôt dire qu'ils diminuent. Il n'existe pas de période
septennale pour les avancements ou les reculs, comme quelques montagnards le
croyaient ; la marche des glaciers n'a rien de régulier, et dépend de la longueur et de
la rigueur de l'hiver, de l'abondance des neiges et des pluies, de la température plus
ou moins chaude de l'été. Après un hiver à neige abondante et un été pluvieux, les
glaciers avancent : les pluies, en refroidissant l'air, diminuent la fonte superficielle,
76 LA SUISSE PITTORESQUE.
sans les priver d'eau. Les étés secs et chauds, après ud hiver où la chute de neiges
n'a pas été considérable, font diminuer les glaciers. Pendant les étés secs et froids,
ils restent en général stationnaires.
Les étés froids et pluvieux qui alternèrent avec des hivers très-abondants en neiges
depuis 4812 à 1817 inclusivement, firent grandir extraordinairement tous les
glaciers (dit M. De Charpentier, en parlant des glaciers de la Suisse occidentale et
du Mont-Blanc). En 1818, on observa le maximum d'accroissement; les vieillards
ne se souvenaient pas de les avoir vus avancer autant. Les glaciers de Chamonix
envahissaient les prés et les champs, et menaçaient les hameaux d'Argentière et des
Bois. En 1819, ils restèrent à peu près stationnaires; en 1820, ceux de Miage et
de Brenva, au sud du Mont-Blanc, continuèrent à progresser ; en 1821, ils commen-
cèrent à diminuer sensiblement. Les chaleurs précoces de 1822, qui durèrent jusqu'au
milieu d'octobre, hâtèrent singulièrement la fonte. Les glaciers restèrent à peu près
stationnaires jusqu'en 1826, et avancèrent de nouveau jusqu'en 1830. Dès-lors,
ils ne firent plus guère de progrès jusqu'en 1833. Alors ils grandirent un peu, et
diminuèrent derechef en 1836 et 1837. En 1838, on observa que quelques glaciers
étaient en progression ; mais en 1839 et 1840, ils allèrent tous en diminuant. — En
1844, M. Desor et ses collègues trouvèrent les glaciers de TOberland en progression,
par suite de l'été froid et pluvieux de 1843, et des neiges abondantes tombées pen-
dant l'hiver suivant. A la fin de l'été sec et chaud de l'année 1854, on aura sans
doute observé la décroissance de quelques glaciers.
Il arrive quelquefois que la même année des glaciers avancent, tandis que d'au-
tres diminuent; cela tient à ce que la quantité de neige tombée varie d'un endroit à
l'autre ; mais cela arrive quelquefois dans une même vallée, tellement, qu'un des
affluents d'un glacier peut avancer et un autre diminuer ; cette diflérence s'explique
d'après les vents qui ont dominé, et qui ont pu accumuler la neige plutôt sur un
versant que sur un autre ; c'est la cause pour laquelle le grand glacier de Gorner,
au fond de la vallée de Zermatt en Yallais, avançait en 1840 depuis cinq ou six ans,
et avait détruit une douzaine de granges près d'Aroleit, tandis que celui de Findelen,
au contraire, avait considérablement diminué.
D'après les expériences qui ont été faites sur les glaciers de l'Aar, on a trouvé
que le mouvement du principal glacier vers le milieu avait été, de 1842 à 1844, de
84 mètres par an. Vers les bords, ainsi que vers la partie inférieure, l'avancement
avait été beaucoup moindre ; mais cette marche doit varier d'une année à l'autre,
selon les diverses circonstances atmosphériques dont nous avons parlé; elle se
répartit aussi d'une manière inégale sur les diverses saisons ; durant quinze jours
d'été, elle a été en moyenne d'environ un quart de mètre par jour vers le milieu
du glacier ; elle se ralentissait les jours où la température avait baissé. Les traces
évidentes de frottement que l'on a observées jusqu'à des hauteurs considérables au-
dessus d'un grand nombre de glaciers, font conjecturer qu'ils ont dû jadis, à une
époque difficile à déterminer, être bien plus considérables qu'aujourd'hui. Mais on
cite aussi quelques glaciers qui ont fini par envahir complètement des vallées jadis
cultivées et habitables ; tel est celui de Yiesch en Yallais, lequel remplit la vallée de
ce nom et descend du Finsteraarhorn ; ce glacier avait encore envahi des prairies
au commencement de l'été de 18B4.
LA SUISSE PITTORESQUE. 77
loL surface et la figure des glaciers sont déterminées par le genre du sol sur lequel
ils reposent. Dans les vallées peu inclinées, ils sont unis et ne présentent que peu
de fentes; mais lorsqu'ils descendent le long d'une pente raide et sur un terrain
offrant beaucoup d'a^érités, leur surface est couverte de crevasses et d'élévations
qui vont quelquefois jusqu'à SO ou même 100 pieds de hauteur, et dont l'aspect est
semblable à celui des vagues de la mer. Les crevasses sont ordinairement transver-
sales, c'est-à-dire en sens perpendiculaire à l'aKC ou à la longueur des glaciers.
Leurs dimensions varient beaucoup ; quelquefois elles ont plusieurs pieds de lar-
geur, et leur profondeur atteint plusieurs centaines de pieds. Elles changent fréquem-
ment d'aspect dans la saison chaude : elles s'élargissent ou se ferment, ou bien il
s'en forme de nouvelles. Ces phénomènes sont ordinairement accompagnés d'horri-
bles craquements ou de mugissements semblables au bruit du tonnerre. Quelquefois
les glaciers aboutissent à une pente abrupte ; alors on voit de grandes pyramides
su^ndues au bord du précipice, jusqu'au moment où, perdant l'équilibre, elles sont
lancées dans l'abime et s'y pulvérisent avec fracas; il en est de même lorsque le
glacier entoure complètement un précipice ; quand il rencontre des pentes de 30 à
40 degrés d'inclinaison, les masses de glace se brisent, se déplacent et s'accumulent,
en prenant les formes les plus variées et les plus bizarres. Les hauts-névés qui ali-
mentent les glaciers sont aussi traversés par de grandes crevasses, surtout quand ils
présentent une inclinaison considérable.
On observe sur les glaciers des phénomènes très-divers. Ainsi, les changements
subits de l'atmosphère font parfois sortir des fentes des courants d'air d'un froid
insupportable, lesquels entraînent avec eux de petits grains de glace et les dispersent
au loin comme une poussière de neige. Partout on entend dans les glaciers le mur-
mure des ruisseaux qui se frayent un passage au-dessous des glaces ; on voit aussi
des filets d'eau couler à la surface, jusqu'à ce qu'ils rencontrent une crevasse où ils
s'engouffrent. Quelquefois, au contraire, les eaux intérieures ne trouvant pas d'issue,
ou leur issue inférieure étant obstruée par une débâcle de glaces, elles s'accumulent
en grande quantité, et finissent par jaillir d'une crevasse à une hauteur considérable.
Au bas d'un certain nombre de glaciers, on observe des voûtes, d'où sort le torrent
alimenté par ces masses de glace. En hiver, ces voûtes sont obstruées de neige ou
de glace, et le ruisseau qui en sort est faible; mais au printemps et en été, les eaux,
considérablement enflées, rompent la glace et forment de vastes portiques ayant
jusqu'à 80 à 80 pieds de hauteur, sur une largeur pareille. Ce n'est pas à l'époque
du plus grand froid, mais vers la fin de l'hiver, que les torrents de glacier sont les
plus faibles ; on explique cela par la supposition très-plausible que pendant les froids
rigoureux ces torrents sont alimentés principalement par des sources jaillissant du
sol recouvert par les glaciers; ces sources n'étant pas alors alimentées elles-mêmes
par la fonte des neiges, leurs eaux doivent décroître, jusqu'au moment où celle-ci
aura recommencé. L'eau des glaciers est ordinairement d'une couleur blanchâtre, qui
provient de ce qu'elle charrie de nombreuses particules de rocher excessivement
atténuées par les frottements. Quant aux voûtes et aux crevasses, elles ont fré-
quemment une teinte bleuâtre ou verdâtre plus ou moins foncée.
Les glaciers sont quelquefois dans leur ensemble d'une blancheur remarquable;
tels sont quelques-uns des plus beaux, le grand glacier du Rhône, par exemple.
78 LA SCBBB mTOHeSQUE.
celui des Bossons dans la vallée de Chamonii, œox du mont Bemina dans les
Grisons, etc. Mais il en est beaucoup dont la surCux est d'une couleur sale et noi-
râtre, qui provient d'une multitude de débris que les tempêtes et les lavanges oût
précipités du haut des montagnes les plus élevées, et qui souvent se décomposent et
se réduisent en une espèce de terre boueuse. Ces débris, de dimensions très-diverses,
finissent ordinairement par former sur les bords et vers l'extrémité inférieure des
glaciers, des collines, qui ont jusqu'à 400 pieds de haut. Le glacier, par sa force irré-
sistible, entraîne très-fréquemment avec lui cette espèce de digue, qu'on nomme dans
les Alpes de la Suisse allemande Gandeken ou Gatida, en Savoie et dans la Suisse
française moraine, et en Tyrol trockene Maurefi (murailles sèches). On a donné le
nom de moraine latérale à celle qui se forme sur les flancs des glaciers, et celui
de moraine frontale à celle qui s'accumule au bas même du glacier. Il arrive sou-
vent que les moraines se trouvent à quelque distance d'un glacier ; elles indiquent
alors que celui-ci était autrefois plus avancé, et qu'il a abandonné une partie du sol
qu'il avait envahi. Quelques glaciers, tels que celui de Triolet dans la vallée de
Ferret près Courmayeur, ont déposé successivement plusieurs moraines parallèles
ou concentriques, qui marquent autant de retraits successifs du glacier.
Il existe une autre espèce de moraine, à laquelle on donne le nom de moraine
superficielle, parce qu'elle est placée sur le glacier, parallèlement à sa direction. Des
moraines pareilles se forment lorsque la montagne qui borde le cdté d'un glacier a
une pente trop rapide pour qu'il y dépose sa moraine ; le glacier alors entraîne les
débris ; et si plus bas il se réunit à un autre affluent, les débris resteront sur le milieu
des glaces au-dessous de la jonction ; c'est de là que vient le nom de moraine médiane
qu'on donne aussi dans ce cas à ces amas de débris. Il en sera de même si le point
de jonction des deux bras de glacier est dominé par de vastes roches sujettes à
s'ébouler ; si ces éboulements sont à peu près périodiques ou annuels, la moraine
prendra, par suite de la marche du glacier, la forme d'une série de tertres ou de
petits monticules. Le grand glacier de Gorner, formé de plusieurs affluents et situé
au pied du Mont-Rose, au fond de la vallée de Zermatt, est un des plus appropriés
à l'étude des glaciers et à celle des moraines médianes ou superficielles en particulier.
Ces moraines ont un piédestal ou soubassement de glace, résultant de ce que la
partie de la glace qui est couverte n'a pu fondre ou s'évaporer autant que la partie
découverte.
On rencontre quelquefois sur la surface des glaciers, par exemple sur ceux de
TAar, et sur celui de St.-Théodule près de Zermatt, de gros blocs de roche supportés
par un socle ou pyramide de glace, qui a la même origine que le piédestal des
moraines superficielles. On remarque seulement que le socle est entouré d'une
espèce de fossé creusé dans la glace, soit par la réverbération du soleil, soit par les
eaux, qui, pendant les pluies ou les fontes de neige, dégouttent des bords du bloc.
Dès qu'un socle a atteint une certaine hauteur, le soleil et les vents l'entament et
Tamincissent en fondant la glace du côté où ils l'atteignent. 11 arrive alors que le
bloc, n'étant plus suffisamment appuyé, se met à pencher d'un côté, et finit par
retomber sur la surface du glacier, où, donnant lieu à un nouveau socle, il est de
rechef soulevé. Ces blocs sont désignés sous le nom de tables onde champignons de gla-
cier. Ailleurs, au contraire, on rencontre des puits de forme plus ou moins circulaire.
rnTQusQCK. 79
creusés yerticdaneiit dtns le ^bàer ; ils résollenl quelquefois d^uue cieT>sse élar-
gie peu à peu par un petit nûsseau qui s'y esl prédpité. Si Teau n a pas d*issue,
ou n'en a qu'une insuflbanle, la crevasse ou le puits reste rempli d*eau. La surbor
de cette eau étant écbaufiée par le soleil, tend à fondre et i évaser davantage les
bords du puits. On voit aussi des excavations causées par des morceaux de bois ou
par des pierres {dates, minces et de couleur sombre, susceptibles de se réchauCEn'
par l'action du soleil et de fondre la glace qui se trouve au-dessous ; mais ces corps
ne s'enfoncent guère au-delà du point où ils commencent à être constamment à
l'ombre.
On ne compte en Suisse pas moins de 605 glaciers ( non compris, sans doute, un
certain nombre qui ne reçoivent point de nom, vu leurs très-petites dimensions, et
que l'on reconnaît sur des pentes de neige, i quelques lignes d'un gris bleuâtre).
Sur ces 605 glaciers, le canton des Grisons en possède 25S ; celui de Berne, 1 55 ;
et celui du Vallais, 130 ; les 65 autres se trouvent répartis dans dix cantons. Les
oeuf cantons qui n'en ont pas, sont Zug, Soleure, Bàle, Argovie, Zurich, Schaflhouse,
Thurgovie, Neucbàtel et Genève. Un certain nombre de glaciers ne sont pas très-
étendus : c'est le cas de ceux qui se trouvent sur des montagnes peu élevées, ou qui
se terminent vers des précipices ; beaucoup d'autres sont longs de 2 ou 3 lieues ; un
petit nombre ont une longueur de 5 à 6 lieues, sur une largeur de \', ou '\ de
lieue. Souvent plusieurs glaciers qui sont séparés dans leur partie inférieure, abou-
tissent à une même vaste plaine de glace. Les glaciers descendent bien au-dessous de
la ligne des neiges étemelles ; on en trouve à 5000 et 4000 pieds au-dessus de la
mer, et même encore plus bas ; ils se terminent à côté de champs de blé, ou de prés
émaillés de fleurs. Le glacier inférieur de Grindelwald est celui qui descend le plus
bas, soit jusqu'à la hauteur de 3200 pieds ; sa partie inférieure se trouve donc
^tuée beaucoup plus bas que nombre de grands villages des cantons de Berne,
Vallais, Grisons, Uri et Tessin.
Le massif de glaciers le plus considérable dans toutes les Alpes doit être celui qui
entoure la Juogfrau, le Finsteraarhorn et plusieurs autres sommités voisines sur la
frontière de Berne et du Vallais. Les groupes de glaciers qui revêtent les flancs du
Mont-Blanc et du Mont-Rose, ainsi que le groupe des glaciers du Bernina, ne vien-
nent qu'en seconde ligne. Le Mont-Blanc ne peut avoir les glaciers les plus étendus,
à cause de ses pentes, en général très-escarpées, et de l'absence de plateaux et de
chaînes latérales venant s'appuyer contre sa masse, comme c'est le cas surtout près
de la Jungfrau et du Finsteraarhorn.
Parmi les plus longs glaciers, on peut citer celui d'Aletsch, qui part du Finsteraar-
horn, et se termine à 2 lieues au-dessus de Bri^ ; il a une longueur d'environ
6 lieues comptées à vol d'oiseau, en suivant ses sinuosités. Celui de Gorner, le plus
grand des glaciers du Mont-Rose, et celui de Zinal, au fond du Val Anniviers, celui
de Gorbassière, au nord du mont Gombin, ont au moins 3 lieues de longueur.
Les principaux glaciers de l'Aar et le Glacier des Bois (Mer de Glace) à Cba-
monix, ont une longueur à peu près pareille. On a calculé que l'étendue totale des
glaciers suisses est de 470 lieues carrées. Franscini suppose qu'elle est même plus
grande, et qu'elle doit équivaloir à peu près à un huitième de la surface de la Suisse
entière ; nous croyons ces calculs plutôt au dessus de la réalité.
80 LA SCISSC mTOMSQCE.
Vus à dislance, d'une position fiivorable, les glaciers el les neiges éternelles des
Alpes présentent an magnifique ooup-d'oeil, surtout lorsqu'ils se revêtent d'une belle
teinte rose au lever ou au coucher du soleil ; vus de près, les glaciers oflfrent aussi
beaucoup de sublimes horreurs, qui leur attirent des visiteurs nombreux. Mais le pas-
sage sur les glaciers n'est jamais sans quelque danger ; plus d'un agile chasseur de
chamois a trouvé la mort dans les profondes crevasses qui les sillonnent. Les étran-
gers qui veulent visiter les glaciers doivent donc se munir d'un bon guide ; il est
même prudent d'en avoir plus d'un, si l'on se propose une excursion un peu longue
sur les glaces. Le danger augmente lorsque les glaciers sont recouverts d'une neige
fraîche assez épaisse pour masquer les crevasses ; même avec de bons guides, on n'est
pas à l'abri d'accidents. Si la neige qui forme une espèce de pont au-dessus d'une cre-
vasse n'est pas assez durcie ou assez ^isse pour porter le poids d'un homme, on
risque de la voir céder et d'être englouti, nus d'un voyageur a vu tout k coup son
guide, qui marchait devant lui, disparaître dans une crevasse masquée. Il arrive
aussi quelquefois que le passage du premier voyageur a ébranlé un mince pont de
neige, et que le second qui y hasarde ses pas court un danger beaucoup plus grand.
Grftce aux précautions que prennent les guides pour assurer leur marche, les acci-
dents sur les glaciers sont rares ; mais il n'est peut-être pas sans utilité d'en citer
quelques exemples, pour mieux faire comprendre la nécessité de ne s'avancer qu'avec
prudence sur les champs de glace.
Ainsi, le 6 août 4800, un jeune Danois, nommé Eschen, qui faisait l'ascension
du Buet, en Savoie, s'obstinant à marcher à quelque distance en avant de son guide,
disparut tout à coup dans une fissure. Son compagnon et son guide allèrent chercher
du secours ; le lendemain matin on retira le malheureux jeune homme de la crevasse,
dont la profondeur élait de 90 pieds, mais il était complètement gelé. — Il y a une
vingtaine d'années, un guide de Sixt tomba lui-même dans une crevasse, en montant
au Buet ; le voyageur qui le suivait fut obligé d'aller appeler du secours aux chalets
de Villy, distants de trois lieues; le guide fut retiré vivant; mais un séjour prolongé
entre des parois de glace avait altéré sa constitution, de sorte qu'il ne survécut
qu'un an ou deux à cet accident. Ajoutons qu'en 4839, un autre guide de Sixt disait
k un voyageur sur le même glacier : <* Venez sans crainte, il n'y a pas de crevasse »;
c'était au commencement de septembre; le glacier était recouvert d'environ un pied
de neige fraîche ; au bout de dix minutes, ils arrivèrent au bord d'une crevasse in-
franchissable ; à vingt pas plus à droite ou à gauche, la fissure était masquée par
une même couche de neige. — Pendant Télé de 4790, un berger, nommé Christian
Bohren, en traversant le glacier supérieur de Grindeiwald, dans l'Oberland bernois,
tomba dans une crevasse profonde de plus de 300 pieds. Quand il revint à lui, il se
trouva dans une obscurité complète, enclavé entre deux murailles de glace ; de l'eau
coulait au-dessous de lui. Concevant aussitôt quelque espoir, il se mit à remonter le
cours de ce ruisseau, tantôt marchant, tantôt rampant; enfin, après des peines
inouïes, après avoir plusieurs fois creusé le lit du ruisseau pour se frayer un passage,
après avoir mis trois ou quatre heures pour faire 400 pas environ, il arriva au point
où ce ruisseau entre sous le glacier, et il revit la lumière du jour. C'est alors seu-
'ment, à ce qu'on assure, qu'il s'aperçut que son bras gauche était cassé. — Le 34
l 4824, un ecclésiastique du canton de Vaud, M. Mouron, se trouvait sur le
UNE AVALANCHE.
LA SUISSE PITTORESQUE. * 84
même glacier. Penché sur une crevasse pour admirer les belles teintes azurées de
ses parois, il s'appuyait sur son bâton, qu'il avait fixé contre la glace, sur le bord
opposé à celui où il se trouvait. Tout à coup, le bâton mal arrêté glisse, M. Mouron
perd l'équilibre, et tombe dans l'abtme. Son guide revint le lendemain matin avec
plusieurs montagnards ; l'un d'eux se fit descendre dans la crevasse, mais il n'en
ressortit qu'un cadavre mutilé et inanimé. — Le 2 septembre 1852, un robuste et
intrépide montagnard, nommé Welf, syndic du village de Gressoney au pays
d'Aoste, en franchissant un des vastes glaciers du mont Gervin, pour se rendre en
Vallais, tomba dans une immense crevasse, qui partageait, dit-on, à peu près tout
le glacier. Le lendemain, seize hommes arrivèrent, munis de longues cordes; l'un
d'eux eut le courage de se faire descendre jusqu'à près de 400 pieds de profondeur ;
mais la crevasse se prolongeait beaucoup plus bas, en suivant une direction inclinée
et irrégulière; il n'en put apercevoir le fond. On fut obligé d'abandonner le malheu-
reux Welf dans ce tombeau glacé; il avait vraisemblablement péri avant d'arriver
au fond de l'abîme. Quelques jours après, une nouvelle tentative eut lieu ; on
descendit jusqu'au fond de la crevasse, mais on n'y retrouva plus le cadavre de
Welf: il avait été entraîné par un courant d'eau. Quelques années auparavant, un
guide, qui conduisait un voyageur à Zermatt par le même glacier, s'était précipité
dans une crevasse, et y avait péri également.
Enr^istrons, pour terminer, deux accidents arrivés l'année dernière (48S&).
Le Courrier du Valhis nous a appris que, le 6 septembre, un habile chasseur de
chamois du village d'Orsières, nommé Joseph Bisel, en traversant avec son fils le
glacier d'Omex, au fond du Val Ferret, se précipita dans une fissure légèrement
couverte de neige. Le lendemain son cadavre fut retiré ; la crevasse avait une pro-
fondeur de 70 pieds, dont 14 étaient remplis d'eau. — Dans la seconde quinzaine de
septembre, les journaux ont rapporté que Sébastien Stoffel, de Vais au canton des
Grisons, après avoir tué un chamois sur le Yogelberg, près des sources du Rhin
postérieur, était tombé avec son butin dans une crevasse du glacier de Zaport, pro-
fonde de plus de 400 pieds. Quelques montagnards, venus à sa recherche les jours
suivants, parvinrent à sortir son cadavre du fond de l'abime. Le malheureux avait
survécu quelque temps à sa chute, car il avait taillé des marches dans la glace avec
son couteau, mais le froid avait dû l'engourdir avant qu'il eût pu avancer son
ouvrage.
Il nous reste encore à mentionner un phénomène singulier : c'est celui de la neige
rouge. Il se forme fréquemment, sur la neige des hautes Alpes, de grandes taches
d'une teinte rosée, qui, quelquefois, deviennent pourpres. Il y a des années où ces
taches acquièrent une grande extension, et envahissent des champs de neige consi-
dérables; ceux-ci prennent alors un reflet orange, qu'on reconnaît de fort loin. La
matière colorante n'est d'abord que superficielle, mais elle pénètre aussi quelquefois
jusqu'à la profondeur de plusieurs pieds. On a cru longtemps que cette coloration de
la neige était due à des substances végétales. Ainsi De Saussure estimait qu'on
pouvait avec vraisemblance l'attribuera une poussière d'étamines. Lorsque M. La-
mont, prieur du Grand St.-Bernard, émit, à la réunion de la Société helvétique
d'Histoire naturelle à Lausanne, en 1828, l'opinion que la neige rouge pourrait
bien être douée de la vie animale, cette opinion fut repoussée comme inadmissible
II, «. 14
82 LA SUI8BR PITTOmCSQUE.
par De Candolle. Quelques observateurs allaient même jusqu'à reconnaître dans
cette neige de petits corps présentant des racines, des tiges et des branches.
D'après Desor {Excursions dans les Alpes), ce fut M. Schuttleworth qui le premier
examina sur les lieux la neige rouge avec un appareil d'optique suffisant ; ce natu-
raliste ne tarda pas à reconnaître que les petits corps, qu'on envisageait comme des
plantes, étaient doués d'un mouvement spontané comme les infusoires, et il n'hésita
pas à proclamer leur nature animale. M. Vogt, un des compagnons d'Agassiz sur le
glacier de l'Aar, maintenant professeur à Genève, a soumis aussi cette neige à
l'analyse la plus minutieuse, et il est arrivé à un résultat semblable. Il affirme
avoir même réussi à reconnaître le mode de propagation de ces animalcules.
AVALANCHES OD LAVANGB8, TOURITBNTBS.
Un autre phénomène remarquable et très-fréquent dans les hautes Alpes, est
celui des avalanches (en allemand Lawinen ou Lauinen). On appelle ainsi des masses
de neige ou de glace qui se précipitent du haut des monts, et qui souvent, par leur
propre force ou par la pression de l'air , causent de très-grands ravages. Elles sont
accompagnées d'un fracas semblable au bruit du tonnerre. On peut les diviser en trois
ou quatre classes; mais il arrive quelquefois que, pendant sa chute, une avalanche
change de nature et offre ainsi des transitions d'une classe à l'autre. On distingue
les avalanches poudreuses, les avalanches en masse, les avalanches rampantes, les
avalanches des glaciers, et les avalanches d'été.
Les avalanches poudreuses (Slaublauinen), appelées aussi avalanches froides ou
venteuses (Windlauinen), sont celles dont la masse se réduit en poussière pendant la
chute , et qui , par conséquent , ne nuisent que par l'ébranlement de l'air qu'elles
occasionnent, plus que par leur masse. Elles ont lieu ordinairement en hiver, après
d'abondantes chutes de neige. Quelquefois elles grossissent en roule et deviennent
monstrueuses ; quelquefois elles ne sont pas très-considérables. La neige de ces ava-
lanches n'étant pas compacte, ceux qui en sont atteints parviennent souvent à se faire
jour eux-mêmes, en tenant leur corps dans un mouvement continuel. — Les ava-
lanches en nuisse (Chrundlautnen) ont lieu ordinairement au moment du d^el, qui
amollit la neige et la rend propre à se pelotonner; ces avalanches grossissent sans
cesse dans leur marche, entraînent tout ce qu'elles rencontrent, ensevelissent sous
leurs ruines champs, maisons, villages, renversent des forêts entières avec une im-
pétuosité irrésistible, étouffent même à de grandes distances des êtres vivants. On
donne aussi à ces avalanches le nom d'avalanches de printemps, parce que c'est
surtout en cette saison qu'elles se produisent, et elles rendent alors le passage dans
les hautes Alpes très-dangereux ; mais elles ont lieu souvent en hiver, quand un vent
tiède occasionne un dégel. Ainsi, dans la nuit du 12 au 43 décembre 1808, il souffla
un vent du sud qui donna lieu à un grand nombre de lavanges dans toutes les Alpes
de la Suisse et du Tyrol. Quantité de personnes perdirent la vie; beaucoup de bes-
tiaux furent écrasés; d'immenses forêts furent déracinées; des p&turages, des jardins.
LA SUtSSB PITTORESQUE. 83
des bâtiments, furent détruits ou entraînés. On a évalué à plusieurs millions les dom-
mages causés en Suisse. On donne le nom de Fôhn (en italien favonio) à ces vents
tièdes du midi qui soufflent avec une grande violence par-dessus les Alpes, et y
interrompent les rigueurs de Thiver.
Les avalanches rampantes (Schleichlaninen) sont celles qui, faute de force et à
cause de la pente trop faible du sol, ne se meuvent qu'avec lenteur, et sont ar-
rêtées par les objets qui se trouvent sur leur chemin, jusqu'à ce que ces derniers
cèdent ou qu'ils divisent la masse de neige. Souvent, dans l'origine, une avalanche
est simplement rampante, surtout si le d^el n'a pas rendu le sol glissant; mais si
elle atteint une pente escarpée, elle se change en avalanche en masse ; son mouvement
augmente en vitesse et son volume en consistance, et elle entraine tout ce qu'elle
rencontre. Mais lorsqu'elle vient à se briser contre les angles de quelque rocher, sa
masse se brise et se convertit partiellement ou tout entière en avalanche poudreuse.
On donne le nom d'avalanches des glaciers aux chutes des quartiers de glace qui
s'en détachent fréquemment. Il faut naturellement, pour qu'elles puissent se produire,
que les glaciers aboutissent à des précipices ou à des pentes très-escarpées. Elles ont
lieu le plus souvent en été, mais elles peuvent se produire en toute siûson. Elles ne
sont, pour l'ordinaire, pas fort considérables, ni très-dangereuses ; mais, suivant les
localités, elles peuvent aussi occasionner de grands désastres.
Ainsi, dans la nuit du 27 décembre 1819, la vallée de St.-Nicolas, en Vallais,
fut témoin d'une de ces catastrophes, due à un éboulement de glacier. Le village
de Randa, situé à &500 pieds au-dessus de la mer, est dominé par d'immenses pré-
cipices. Une partie d'un glacier, qui repose sur les pentes supérieures du Weisshorn,
se détacha et se précipita dans la vallée avec un fracas épouvantable. Les champs et
prairies au-dessous du village furent couverts d'un mélange de neige, de glace et de
pierres, sur une longueur moyenne de 2400 pieds, sur une largeur de 1000 et une
épaisseur de 150. On a calculé que la masse de l'avalanche équivalait à 360 millions
de pieds cubes. Déjà, avant l'éboulement, des chasseurs de chamois avaient aperçu
avec effroi des fissures énormes dans le glacier. Le village de Randa ne fut pas atteint
lui-même par les débris, mais l'ouragan occasionné par cette chute enleva la flèche
du clocher, renversa un^grand nombre de granges et de maisons d'habitation, trans-
porta une partie de leur charpente à plus d'un quart de lieue. Plusieurs familles
furent enlevées avec leurs maisons et ensevelies dans leurs décombres ; par un bonheur
providentiel, deux personnes seulement perdirent la vie. En 1636, le même village
avait été détruit ^v une semblable avalanche, et trente-six personnes avaient péri.
— L'inondation de la vallée de Bagnes, en juin 1818, est un autre exemple, bien plus
terrible encore, des désastres que peuvent causer les avalanches de glacier. Les débris
qui tombaient sans cesse du glacier de Gétroz, avaient fini, au printemps de cette
année, par obstruer complètement le lit de la Dranse. Les eaux de ce torrent s'accu-
mulèrent et formèrent un lac ; lorsqu'elles rompirent les obstacles qui les retenaient,
elles se précipitèrent avec furie et portèrent au loin la dévastation. (Nous donnerons
plus de détails sur cet événement dans l'article du Vallais,)
Enfin, on appelle avalanches d'été celles qui ont lieu pendant cette saison sur les
parties les plus élevées des montagnes où la neige séjourne toute l'année. Elles ne sont
pas dangereuses, en ce qu'elles ont lieu dans des régions inhabitées. 11 est rare qu'on
84 LA 8CISSC PITTORESQUE.
puisse passer un jour aux environs de Chamonix ou de Grindeiwald sans entendre
ou voir plusieurs de ces avalanches; le passage de la Wenaern-Alp, en foce de la
Jungfrau, est particulièrement propice pour être témoin de ce phénomène. Quant i
leur nature, ces avalanches d'été sont ordinairement des avalanches poudreuses ou
des avalanches de glacier.
On désigne sous le nom de ionnuenies ces ouragans mêlés d'une abondante pous-
sière de neige, dont les effets sont fort redoutables pour les voyageurs. Dans les mon-
tagnes de la Suisse allemande, les tourmentes sont connues sous le nom de Botix^n
ou Gouxen. Des tourbillons impétueux font élever les neiges nouvellement tombées
dans les passages de montagnes, les transportent en masses semblables à des nuages,
obstruent en peu d'instants les gorges et les enfoncements, couvrent les chemins et
ensevelissent jusqu'aux perches qui en indiquent la direction. Les voyageurs qui
ont le malheur d'être surpris par ces ouragans sont exposés au plus grand danger,
car les tourbillons de neige, dont les flocons très-subtils font rougir et enfler la peau,
en causant de vives douleurs, ne leur permettent pas de tenir les yeux ouverts et
de voir leur chemin, ce qui est cause qu'ils s'égarent et courent risque de tomber
dans des précipices. D'ailleurs, la marche dans une neige profonde cause bientôt une
forte lassitude; malheur au voyageur qui, succombant à la fatigue, s'assied sur la
neige ; si le sommeil le saisit, il ne se réveillera plus. Les tourmentes, comme cela
se comprend, ont principalement lieu en hiver, pendant ou après les grandes chutes
de neige, et c'est pendant ces rudes intempéries des Alpes que les refuges et les
hospices établis sur quelques-uns des passages les plus fréquentés rendent les plus
grands services aux voyageurs.
RIVIÈRES ET TORRENTS.
Des immenses glaciers et des neiges étemelles qui couvrent les Alpes sortent,
hiver et été, une foule de torrents et de ruisseaux, qui, en se réunissant, forment
de grandes rivières, dont le cours va arroser les plaines lointaines, et se terminer
dans les différentes mers qui baignent l'Europe. Les quatre fleuves ou rivières
par lesquelles s'écoule la presque totalité des eaux de la Suisse, sont le Rhin,
le Rhôtie, le Tessin et l'/wn. — Le Rhin, qui reçoit à peu près toutes les eaux
du nord des Alpes suisses, et la plus grande partie des eaux du Jura suisse, est le
plus beau des fleuves d'Europe. Il a ses sources dans le canton des Grisons; il est
formé de trois bras principaux : le premier, appelé le Rhin antérieur ( Vorderrhein),
est alimenté par les neiges de quelques sommités voisines du St.-Gothard, il se
réunit à Dissentis avec le Rhin du Milieu, dont la source est au fond du Val Cade-
lina au pied du Luckmanier, et qui arrose la vallée de Med^k (ou du Milieu ); puis,
à Reichenau, il reçoit les eaux du Rhin postérieur {Hinterrhein), qui sort du glacier
de Rheinwald, au fond de la vallée du même nom. Le Rhin est déjà une grosse
rivière quand il quitte le territoire grison, pour faire la limite entre le canton de
St.-Gall et le Tyrol ; il se jette ensuite dans le lac de Constance, pour en ressortir
près de Stein, petite ville schafihousoise ; au-dessous de Schaffhouse, il fait une
LA SUISSE PITTORESQUE. 8S
chute remarquable, et plus bas il sert encore de limite à la Confédération. Enfin,
il quitte la Suisse à Bàle, pour continuer sa course directement vers le nord ; après
un trajet de 300 lieues^ il verse ses eaux dans la mer du Nord. On a calculé que
la masse d'eau qui coule près de Bàle lors des plus hautes eaux, est, par seconde,
de 22S,000 pieds cubes; que, lors des plus basses eaux, elle est de 12,500 pieds
cubes, et lors des moyennes de 52,000, ce qui fait annuellement 1,009,152 mil-
lions de pieds cubes (ou 1 trillion 9 billions 152 millions).
Tous les cantons, sauf Genève et Yallais, paient leur tribut au Rhin ; le canton
du Tessin lui-même envoie le sien par Tintermédiaire de la Reuss, qui a Tune de
ses sources dans le petit lac tessinois de Luzendro sur le St.-Gothard. Le plus
considérable des afQuents du Rhin sur le territoire suisse, c'est YAar, qui est lui-
même la plus grande des rivières entièrement suisses. L'Âar a ses sources dans
les glaciers qui portent son nom, et qui descendent du Finsteraarhorn ; il forme les |
lacs de Brienz et de Thoune, et, après avoir passé à Berne, il s'approche du Jura, |
qu'il suit à peu près parallèlement jusqu'à sa jonction avec le Rhin dans le canton
d'Ai^vie. Les principales rivières qui grossissent ses eaux, sont : la Sarine, qui
vient de la vallée de Gessenay au canton de Berne, et traverse un district alpestre
du canton de Vaud, puis le canton de Fribourg; la Thièle, qui sort des lacs de
Neuchàtel et de Bienne, auxquels, sous le nom i*Orhe, elle a amené les eaux de la
vallée de Joux ; la Reuss, dont les sources sont dans la vallée d'Urseren et sur le
St.-Gothard, et qui traverse le canton d'Uri et se jette dans le lac des'Quatre-
Cantons, pour en ressortir à Lucerne; son cours est de 50 à 55 lieues ; enfin la Linth,
formée des eaux du canton de Glaris, et qui se jette par un canal dans le lac de
Wallenstadt, en ressort sous le nom de Caïuil de la Linth, traverse le lac de Zurich,
puis, sous le nom de Limmat, va se joindre à l'Aar, après un cours d'environ
30 lieues, et presque au même point que la Reuss. Chacune de ces rivières reçoit
elle-même les eaux d'un grand nombre de torrents.
A roccident du St.-Gothard et à côté du passage de la Furka, Ton voit un
magnifique groupe de glaciers qui donne naissance au Rhône. Ce fleuve traverse
dans toute sa longueur le canton du Vallais, la plus grande des vallées de la Suisse.
Une centaine de ruisseaux et de torrents lui amènent les eaux des glaciers dont sont
couvertes les deux hautes chaînes qui forment la vallée. Les plus considérables sont
la Viége, qu'alimentent les vastes glaciers du Mont-Rose, YUsenz ou Namzence, qui
sort des glaciers auxquels aboutit le val d'Anniviers; la Borgne, qui arrose la vallée
d'Héremenoe^ et la Dranse, qui amène les eaux du St.-Bernard, du val Ferret, et
de la vallée de Bagnes. Après un cours d'environ 40 lieues, le Rhône vei*se ses
eaux dans le lac de Genève, dont il ressort au milieu de la ville du même nom.
Après avoir fait, sur une longueur d'environ 20 lieues, la limite entre la France et
la Savoie, il se dirige vers Lyon et vers la Méditerrannée.
Les eaux de la Suisse méridionale s'écoulent presque en entier par le Tessin.
Cette rivière, dont la source est au St.-Gothard, se jette dans le lac Majeur, forme
ensuite la limite du Piémont et de la Lombardie, jusqu'à son confluent avec le Pô
près de Pavie.
Enfin, la Haute-Engadine possède les sources de VInn, qui, après avoir arrosé
cette grande vallée grisonne, ainsi que la Basse-Engadine, traverse le Tyrol
86
Là S1IS6C nTTOReSQCC.
et devient un des principaux afDuents du Danul»?. L*Inn ne reçoit les eaux
que d'un trentième au plus de la Suisse, mais il est proportionnellement considé-
rable, à cause des nombreux glaciers qui ralimeolent. Le canton des Grisons envoie
donc la masse de ses eaux par le Rhin et Tlnn, dans la mer du Nord et dans la mer
Noire; un de ses torrents, le Rhum, qui arrose la vallée de Munster à l'est de la
Basse-Engadine, va grossir les eaux de TAdige. Deux autres, le Po$chiûvino et la
Maira, au sud de la Haute-Engadine, versent leurs eaux dans l'Adda. En outre, un
torrent, nommé Broggia, sort du mont Generoso dans le district de Mendrisio, et se
jette dans le lac de Cdme ; la D*jrfria descend du Simplon, sur le revers méridional
appartenant encore au Vallais, et se jette dans la Toccia. On peut aussi nommer
comme rivières suisses le Donks, qui forme la frontière de la France et des cantons
de Neuchàtel et de Berne, sur une longueur de 10 lieues. Enfin deux rivières, venant
de l'étranger, terminent leur cours sur le territoire suisse : c'est la Wiese, qui vient
du grand-duché de Bade, et se jette dans le Rhin prés de Bàle, et VArve, qui sort
des glaciers du Mont-Blanc, et se joint au Rhône un peu au-dessous de Genève.
Si ce n'est point trop puéril, nous ferons remarquer que les quatre grandes
rivières par lesquelles s'écoulent les eaux des Alpes suisses, correspondent presque
exactement aux quatre langages principaux qu'on parle dans le pays. Le Rhin,
quoique ayant toutes ses sources en pays romanche, peut être appelé un fleuve alle-
mand; le Rhône, quoique prenant son origine dans le Haut- Vallais, pays allemand,
arrose principalement la Suisse française ; le Tessin est une rivière toute italienne ;
enfin l'Inn ne parcourt en Suisse que la grande vallée de l'Engadine, dout la langue
est le romanche.
L'inoodalioa fin Val Lis en 1834.
Malheureusement, les grandes rivières de la Suisse, et particulièrement le Rhin et
le Rhône, causent fréquemment de grandes inondations, soit après les grandes
LA SUISSE PITTORESQUE. 87
pluies, soit quand des chaleurs extraordinaires accélèrent trop la fonle des neiges.
La vallée du Bheinthal au canton de St.-Gall, et le Bas-Yallais, sont les contrées les
plus exposées à ce fléau. Mais beaucoup d'autres vallées subissent aussi de grandes
pertes, quand les torrents enflés subitement par les orages entraînent une niasse
de cailloux et de sable, dont ils recouvrent les terrains les plus fertiles.
CASCADES ET LACS.
Après les montagnes et les glaciers, ce que la nature présente de plus admirable
en Suisse, ce sont les lacs et les cascades. Les Alpes françaises et les Alpes alle-
mandes sont beaucoup moins favorisées sous ce rapport que celles de la Suisse.
Parlons d'abord de ses cascades. Peu de pays en postent autant de remarquables
que celui dont nous faisons la description. Les sites qui les entourent sont d'une
extrême variété, et ils servent souvent d'étude au pinceau des peintres. Les unes
se précipitent du haut d'une paroi de rocher, ou jaillissent des flancs d'un glacier
suspendu au bord d'un abîme; d'autres s'engouffrent dans une fissure resserrée
entre deux rocs à pic, et grondent dans des profondeurs où les regards ne peuvent
atteindre. Ici, elles sont entourées de toutes les horreurs d'une nature âpre et sévère ;
ailleurs, elles murmurent au fond de gracieux et romantiques vallons; ailleurs
encore, la verdure luxuriante qui les encadre fait' ressortir la blancheur de leur
nappe d'eau. Il en est qu'on ne peut contempler qu'en se plaçant vers le bas de leur
chute ; il en est d'autres qu'il est possible d'observer de près, en s'avançant avec
précaution jusqu'au point où elles s'engouffrent en mugissant dans un abîme.
Lorsqu'on s'approche d'une cascade à une heure et par un temps favorables, on
voit quelquefois un bel arc-en-ciel produit par les rayons du soleil au milieu de la
vapeur plus ou moins dense lancée par la masse d'eau qui se pulvérise en partie
pendant sa chute.
Nous nous bornerons ici à mentionner quelques-unes de celles qui méritent le
mieux d'être visitées. La plus grande chute d'eau en Suisse et même en Europe,
c'est celle du Rhin près de Schaffhouse. Le Rhin antérieur forme aussi plusieurs
chutes considérables dans la gorge des Roffeln, au pays des Grisons; celle de la
Handeck, formée par l'Aar dans la vallée du Grimsel, et celle de la Reuss, près du
Pont-du-Diable, au sortir de la vallée d'Urseren, sont dans des sites extrêmement sau-
vages. La cascade du Slatibbach (Ruisseau de poussière), vis-à-vis de Lauterbrunnen
(Source limpide), est la plus haute de toutes celles de la Suisse : elle se précipite d'une
paroi d'environ 800 pieds d'élévation. Nommons encore celle du Giessbach, au-dessus
du lac de Brienz ; celles que forme la Simmen, près de ses sources au fond du Sim-
menthal ; celle du Schreienbach, au canton de Claris ; celle du Pissevache, près Mar-
tigny, et le Saut du Doubs, au canton de Neuchàtel.
Les lacs de la Suisse ne sont pas moins dignes d'attirer l'attention que ses cascades.
Aucun pays en Europe, sauf la Suède et la Finlande, n'en possède un aussi grand
nombre. Ses lacs sont pour la Suisse ce que sont pour l'Italie méridionale les rivages
88 LA SUISSE PITTORESQUE.
de ses mers, ce que sont pour la Grèce ses golfes profondément découpés, et ses ar-
chipels aux Iles nombreuses. Quelques-uns des lacs suisses sont enfermés au milieu
de hautes montagnes aux pentes rocheuses et abruptes; d'autres sont entourés de
collines verdoyantes et couverts de riantes habitations. Les plus considérables sont les
suivants : Le lac de Genève, appelé aussi le lac Léman ; ses rives appartiennent aux
cantons de Vallais, Vaud et Genève, et à la Savoie. Il est arrondi en forme de
croissant ; sa longueur, en la comptant du milieu de sa courbure, est de 1 7 à 1 8 lieues ;
sa plus grande largeur, entre Rolle et Thonon, est de 3 lieues; sa superficie est de
28 lieues carrées, et sa hauteur de 1450 pieds. Sa plus grande profondeur, près des
côtes de Savoie, va jusqu'à 900 ou 950 pieds. II gela en 762 et 805 à un tel degré,
que des chars purent passer de Nyon à Thonon. — Le lac de Constance, dont les rives
méridionales appartiennent aux cantons de St.-Gall et de Thurgovie, la rive orien-
tale à l'Autriche, et celle du nord à la Bavière, au Wurtemberg, au grand-duché
de Bade, et pour une petite partie au canton de Schaffbouse. Sa longueur est de
Ift lieues, et sa plus grande largeur, entre Rorschach et Lindau, de & lieues; sa
plus grande profondeur est de 795 pieds; mais elle est beaucoup moindre entre
Rorschach et Lindau, par suite des attcrrissements considérables qu'amène le Rhin.
Sa hauteur est de 4218 pieds, et sa superficie de 25 lieues. Il est partagé en deux
parties par une presqu'île qui s'avance jusqu'en face de la ville de Constance. Le lac
inférieur (Untersee ou Zellersee) est moins profond que l'autre, et gèle presque chaque
année. Le lac supérieur n'a gelé que cinq fois en quatre siècles, en 4ft77, 1572,
1596, 1695 et 1830. — Le lac Majeur, dont l'extrémité septentrionale appartient
au Tessin. Plus au sud, sa rivé orientale appartient à la Lombardie, et sa rive occi-
dentale au Piémont. Sa longueur est de 46 lieues, et il a 28 lieues de superficie. Sa
hauteur est de 696 pieds. Il ne gèle jamais.
Le lac des Waldstatten ou des Quatre-Cantons, dont la forme est irrégulière, el
qui forme plusieurs golfes profonds ; sa hauteur est de 4340 pieds. La gelée la plus
forte sur ce lac parait avoir eu lieu en janvier 4593. On transporta à cette époque
des marchandises sur des traîneaux, attelés de bœufs ou de chevaux, de Stanzstad,
d'Àlpnach et de Winkel aux bords opposés. On put aller de Luceme à Àltorf sur la
glace, qui, en plusieurs endroits, avait deux pieds d'épaisseur. Le froid dura sept
semaines. En janvier 4830, des traîneaux chargés passèrent aussi de Stanzstad à
Hergiswyl et à Winkel. Mais le golfe oriental, qu'on appelle le lac d'Uri, ne gèle pas
à l'ordinaire, quand le reste du lac est pris, ou, du moins, ne se couvre que d'une
mince croûte de glace. — Le lac de Zurich, dont la longueur est de 8 lieues, et la
largeur de demi-lieue. Sa hauteur est de 4258 pieds. Le lac entier fut gelé vingt-deux
fois dès 4233 à 4830, et en particulier deux fois dans ce siècle, en 4840 et 4830.
Cette dernière année, il resta gelé pendant sept semaines; mais la partie supérieure
jusqu'à Rapperschwyl gèle bien plus souvent que le reste du lac. — Le lac de Neu-
chdlel, long de 7 lieues, sur 4 Vs de largeur. Sa hauteur est de 4339 pieds. Il gela
entièrement en 4573, 4656, 4795 et 4830, soit quatre fois en trois siècles. — Le
lac de Lugano, dans la partie méridionale du Tessin. Sa hauteur est de 874 pieds ;
il est donc de 480 pieds supérieur au lac Majeur. Ses deux extrémités appartiennent
à la Lombardie. Dans les hivers très-froids, la surface de quelques baies se couvre
d*une légère croûte de glace.
CASCADB GKLÉB DU GIBSSBAGH.
I.A SUISSE frrruRKSQl'E.
89
Lacs (ir Thuuae et de Briroi.
Les lacs de Brimz et de Tlwutie, dans l'Oberland bernois, sont sensiblement plus
élevés que les précédents; le premier est à 1735 pieds, et le second à 1713 pieds.
Le lac de Wallenstadt est à 1306 pieds, et celui de Zug à 1277. Le lac de Bienii€j
qui est à 1336 pieds, est très-peu inférieur au lac de Neuchàtel; celui de Marat est
presque de niveau avec ce dernier, auquel il envoie ses eaux par l'intermédiaire de
la Broie. Nommons encore les lacs suivants, qui sont d'une moindre étendue : Le
lac de Joiuc, dans le Jura vaudois ; ceux de Setnpach et de BaUeck^ au canton de
Lucerae ; celui de Hallwylj au canton d'Ârgovie ; ceux de Surnen et de Lufigern,
dans rUnterwald; celui de Lowerz\ au canton de Schwytz ; celui à'Egeri, au canton
de Zug; ceux de PfUffikan et de Greifensee, au canton de Zurich ; ceux de Poschiavo
et de Davos, dans les Grisons. Enfin, on trouve aussi de petits lacs sur un grand
nombre de montagnes: par exemple, sur le St.-Gothard, sur le St.-Bernard, sur la
Gemmi, le Grimsel, TOberalp, le Pilate, le Bernina, etc., ou dans des vallées très-
élevées, comme ceux de la Haute-Eogadine. Ces lacs élevés gèlent presque tous
pendant plusieurs mois. Le k mai 1799, des voitures d'artillerie française passèrent
sur les lacs de l'Engadine. Ceux du St.-Gothard restent gelés jusqu'à la fin de mai,
et quelquefois jusqu'en juin. Celui du St.-Bernard reste aussi gelé jusqu'au com-
mencement de l'été.
BAINS ET SOURCES MINÉRALES.
Aucun pays proportionnellement ne possède une aussi grande quantité de sources
minérales, chaudes ou froides. On compte en Suisse une vingtaine de bains de premier
rang, et plus de 200 de second rang ; en outre, 350 sources minérales de diverse
nature, sulfureuses, acides, ferrugineuses, salées ou alcalines. Nous serons appelés
à parler plus en détail des établissements de bains les plus fréquentés. Nous nous
contenterons de nommer ici les suivants : Les bains de Baden et de Schinznach, dans
11. 6 12
90 LA susse PITTORESQtE.
le caaton d'Argovie; ceux de Pfeffers, au canton de St.-Gall; ceux de Lou&^he et de
Saxon en Vallais; ceux de St. -Maurice et de Bernardin, au canton des Grisons; ceux
du Gournigel et de Blumenslein, au canton de Berne, à l'ouest de Tboune; ceux de
Nidelbad, près du lac de Zurich ; ceux de Weissbad, près d*Âppenzell ; ceux de Lavey,
au canton de Vaud. — Ajoutons que la Suisse, avec ses nombreux torrents d'eau
glacée, possède toutes les facilités pour la création d'établissements bydrothérapi-
ques. Cependant, ce genre d'établissement n'est pas très-commun jusqu'à ce jour en
Suisse; le plus connu et le plus considérable est celui i' Albisbiunnen, au canton de
Zuricb. Le Kaltbad ou Bain froid, sur le Righi, a aussi de la réputation.
HISTOIRE NATURELLE.
Il nous reste, avant de passer à la description des divers cantons, à dire quelques
mots sur les trois règnes de la nature en Suisse.
Règne animal, bestiaux, chasse, pêche. — Une des principales ricbesses de la
Suisse, ce sont les nombreux bestiaux et particulièrement les grands troupeaux de
vacbes qui paissent les gras pâturages de ses montagnes. Dans certaines localités, les
vacbes sont remarquables par les dimensions de leur taille. Celles qui paissent sur
les alpages de moyenne élévation ou sur des pentes douces, atteignent communément
la grosseur la plus considérable ; dans les régions où les pentes sont en général très-
raides, les bestiaux n'ont qu'une taille moyenne. Les plus grosses sont les vacbes
des vallées du Simmenthal et du Gessenay, au canton de Berne, et du pays de
Gruyère, dans celui de Fribourg. Celles de Scbwylz ne leur sont que peu inférieures;
mais les bœufs de ce canton sont au nombre des plus gros de la Suisse. Ensuite
viennent les vacbes d'Âppenzell, celles de l'Entlibucb, au canton de Lucerne; celles
de la vallée du Prœttigau, dans les Grisons; celles de Claris, etc. Les vacbes d*Uri,
d'Unterwald, du Tessin, du Yallais et des Grisons (sauf celles du Proattigau), sont en
général petites ; il en est de même de celles du Jura. Dans quelques cantons, la quan-
tité des bestiaux est plus considérable au printemps et en été qu'en automne et en
biver, vu l'exportation qui s'en fait à la fin de la belle saison. Ainsi, Schwytz a
environ 20,000 vacbes en juillet et août, et 14t à 15,000 seulement en janvier. On
évalue à 475,000 le nombre des vaches en Suisse ; à 85,000 celui des bœufs, et à
290,000 celui des veaux et des génisses, ce qui fait un total de 850,000; c'est une
tête de race bovine par trois habitants. La valeur de ces bestiaux est d'environ
94 millions.
La Suisse possède aussi un assez grand nombre de chevaux : on l'évalue à 105,000,
y compris les juments et les poulains. Ces animaux prospèrent particulièrement sur
les pâturages bas. Les cantons qui en ont le plus sont ceux du nord et de l'occident,
particulièrement ceux de Soleure, Berne, Fribourg, Vaud ; ces cantons en vendent
à l'étranger une certaine quantité. On trouve aussi de forts chevaux dans quelques
contrées basses des cantons de Lucerne, Claris, St.-Gall. — Quant aux mulets et
aux ânes, il y en a peu en Suisse, vu la rigueur du climat ; on n'en trouve guère
que dans les parties les plus chaudes, au Tessin et en Yallais. — Le nombre des
LA SUISSE PITTORESQUE. 91
moutons est évalué à 423,000; mais leur race est misérable à côté de celle des
vaches; elle est petite et donne peu de laine; on a essayé de Taméliorer par Tim-
porlation de brebis espagnoles, mais on n'a pas partout réussi, soit à cause d*un
climat rigoureux, soit faute de soins. Nous avons déjà fait remarquer que la Suisse
aurait intérêt à élever un plus grand nombre de moutons, afin de n'avoir plus besoin
(l'une aussi grande importation de laines et de draps étrangers. — La Suisse possède
347,000 chèvres ; mais cet animal cause beaucoup de dégâts dans les forêts et dans les
jardins; il serait avantageusement remplacé par des moutons. Enfin Ton compte en
Suisse 318,000 porcs, et ce nombre n'est pas suffisant pour la consommation : l'on est
obligé d'en importer.
La valeur totale de tous ces bestiaux, y compris les vaches, est évaluée à plus de
425 millions de francs. Le revenu annuel est de 42 ^/^ ou environ iS millions. Le
produit des vaches varie beaucoup suivant leur taille. Les bonnes vaches du Sim-
mentbal et de l'Emmenthal donnent, sur les pâturages d'été, plus de 20 livres de
lait par jour ; les meilleures en donnent jusqu'à 30 et 40 livres. Les 12,000 vaches
du pays de Gruyère donnent en moyenne chacune deux quintaux de fromage, du
IS mai aux premiers jours d'octobre. On compte, en moyenne, 95 vaches pour 400
quintaux. Ce calcul se rapporte assez avec la quantité totale du fromage, 490,000
quintaux pour 475,000 vaches; à 50 ou 55 centimes la livre, la valeur totale est
de 25 à 26 millions. Il faut y ajouter 40 millions pour la valeur du lait consommé
en nature, le beurre, le céré et les veaux.
Les bêtes à plumes ne sont ni nombreuses ni belles en Suisse, vu que ce pays n'a
pas beaucoup de blé ni de petites graines pour les nourrir. Cependant, dans quelques
contrées, on nourrit passablement de volailles, par exemple dans les environs des
principales villes. — Les abeilles ne prospèrent pas partout en Suisse, vu la rigueur
et l'instabilité des saisons. Il y en a pourtant beaucoup dans quelques localités où
l'on en prend soin, particulièrement dans les cantons du Tessin, du Vallais, d'Ap-
penzell, de Neuchâtel, deSoleure, etc. On a aussi cherché à améliorer et augmenter
cette branche d'économie rurale dans quelques parties du canton de Berne. Les miels
les plus renommés de la Suisse sont ceux d'Appenzell et de l'Oberland grisou. La
Suisse exporte, dit-on, 2000 quintaux de miel, outre une assez grande quantité
de cire.
La chasse la plus renommée de la Suisse est celle des chamois. Cet animal, qui
ressemble beaucoup à la chèvre, habite les montagnes qui s'élèvent au-dessus de
la limite des neiges. Il faut beaucoup de hardiesse pour le poursuivre au milieu des
glaciers et des précipices. Bien que leur race ait été considérablement réduite par le
grand nombre des chasseurs, on trouve cependant encore des chamois dans les cantons
de Berne, Vallais, Uri, Unterwald, Claris, Grisons et Tessin. Il n'est pas très-rare,
à de certaines hauteurs, de reconnaître leurs traces sur la neige, ou même d'aper-
cevoir de petits troupeaux de dix à quinze têtes. Si l'on passe certaines montagnes
au commencement de l'été, on en voit paître au bord de la neige sur des pâturages
où plus tard on conduira des troupeaux ; mais on ne peut les approcher que si l'on
se trouve sous le vent, et que l'on ne fasse aucun bruit; dès que l'on est aperçu, on
les voit s'élancer aussitôt et gravir avec une agilité incroyable contre les flancs
escarpés des rochers. On entend quelquefois un léger sifflement poussé par un chamois
92 LA SriSSE PITTORESQUE.
placé un peu à Técart comme sentinelle. Dans le fort de Tété, ils se tiennent de pré-
férence à de grandes hauteurs. En automne, quand les sommités des montagnes sont
couvertes de neige fraîche, il arrive qu'ils descendent, pour trouver un peu d'herbe
à brouter, jusque vers le haut de la région des forêts, mais toujours dans des lieux
de difficile accès et écartés de toute circulation. On profite quelquefois de ce moment
pour les chasser ; dans ce cas, on peut se faire accompagner de chiens ; mais à l'or-
dinaire cet animal ne pourrait qu'embarrasser le chasseur, qu'il serait hors d'état
de suivre partout. Beaucoup de chasseurs, après avoir longtemps poursuivi le chamois,
ont fini par trouver la mort dans quelque précipice ou dans quelque crevasse de
glacier. On cite, entre autres, deux chasseurs de Glaris, célèbres par le grand nombre
de diamois qu'ils avaient frappés, savoir: J. Heitz et D. Zwicki, qui, assure-t-on,
en avaient tué, le premier 900, et le second 1300.
Une autre chasse, à laquelle se livrent les montagnards suisses, est celle des mar-
mottes, qui habitent dans des trous sur de hautes montagnes, souvent non loin de
la limite des neiges. Les bergers en prennent beaucoup avec des trappes qu'ils placent
à l'une des issues de leur trou, en bouchant l'autre. Quelquefois on les déterre toutes
engourdies par le froid, et elles ne se réveillent que lorsqu'elles ont été portées dans
des chambres chaudes. La marmotte est grasse en été et en automne, et maigre en
hiver. Les uns la salent et la fument, d'autres la mangent fraîche. On estime sa
graisse autant que sa chair; on s'en sert pour guérir les entorses et d'autres maux.
Une grosse marmotte donne une demi-mesure de graisse et 18 livres de chair. — On
trouve aussi dans les montagnes de la Suisse des lièvres, des écureuils, des blaireaux
et des renards. Les lièvres qu'on prend dans les hautes Alpes en hiver et au prin-
temps, sont blancs; on les chasse avec des chiens et des armes à feu, ou bien avec
des trappes et des filets. — Quant aux loups et aux ours, ils sont peu nombreux en
Suisse, par la raison que les gouvernements accordent des primes à ceux qui en
détruisent. On en trouve cependant encore dans quelques forêts de Berne, des Gri-
sons, du Tessin, du Yallais, ainsi que dans celles du Jura. Une partie des loups sont
de l'espèce qu'on appelle loup-cervier.
On chasse en Suisse un grand nombre des oiseaux d'Europe, soit dans les plaines,
soit sur les eaux ou sur les montagnes. Les contrées qui passent pour être les plus
riches en gibier, sont les cantons d'Ârgovie, Solcure, Lucerne, et le district de
Lugano. Les perdrix sont au nombre des oiseaux les plus communs en Suisse, ainsi
que les faisans; ceux-ci se trouvent plutôt sur le pied méridional des montagnes,
par exemple dans le Yallais.
Yu Tabondance de ses eaux courantes et de ses lacs, la Suisse a beaucoup de
poissons. Elle possède en particulier les meilleures espèces du genre saumon. Ainsi,
dans lel Rhin et dans beaucoup d'eaux qui sont en communication avec ce fleuve,
on trouve le saumon salar (salmo salar). Près de Bàle, ce poisson est gros et abondant.
On trouve aussi la truite (salmo trutta) dans plusieurs lacs et rivières. Dans le lac de
Constance, oiTen voit de 15 à 20 livres ; celui de Genève en a de plus grosses encore.
Dans presque toutes les grandes et petites rivières, on trouve le sabno fario ou
forelle, qui est une excellente espèce. On en prend beaucoup dans le Tessin, et on
en sale une partie pour l'hiver. Nous mentionnerons ailleurs les espèces les plus
communes dans chacun des principaux lacs.
LA SUISSE PITTORESQUE. 93
On trouve aussi, dans quelques localités de la Suisse, une assez grande variété de
papillons rares, surtout en Vallais.
RàcNB végIetal, cultures diverses. — Quelques mots, maintenant, sur les cultures
les plus usitées en Suisse. Les cantons où l'agriculture est en général la plus avancée,
sont ceux du nord et de Touest. La Suisse est peu propre à la culture des céréales,
vu rinconstance de la chaleur; aussi n'en produit-elle pas suffisamment pour sa con-
sommation annuelle, qui est de 33,000,000 de quarterons ou 5 millions d'hectoli-
tres. La production de son sol suffît ordinairement pour neuf ou dix mois de l'année.
Soleore, Luceme, Fribourg, Schaffhouse, sont les seuls cantons qui en produisent
plus qu'il ne leur en faut; Berne, Àrgovie, Vaud, en achètent dans les bonnes années.
Le froment croit dans les régions de plaine; mais, dans plusieurs contrées de la Suisse
allemande, on le remplace par l'épeautre, espèce moins estimée, mais qui donne du
pain très-blanc. A une certaine hauteur, le froment cède la place au seigle, qui se
récolte jusqu'à 4000 pieds, dans des terrains qui ne sont pas trop inclinés ou exposés
au froid ou aux vents. Quant à l'orge, on le cultive dans les plaines et sur les mon-
tagnes. — L'insuffisance du blé est en grande partie suppléée par les pommes de
terre, que les disettes de la fin du dernier siècle et du commencement du lO"* ont
fait multiplier en Suisse; cette plante est beaucoup moins sensible aux intempéries,
et peut prospérer tant sur les montagnes que dans les plaines; malheureusement,
depuis quelques années, la récolte a été bien réduite par les maladies; aussi les con-
trées dont la principale ressource était la pomme de terre ont-elles été bien misérables.
Le jardinage et les légumes sont cultivés en assez grande quantité dans la Suisse
occidentale et autour des villes principales. Le lin et le chanvre prospèrent dans
quelques contrées de la Suisse ; c'est surtout dans le canton de Thurgovie que cette
culture réussit le mieux et qu'elle est le mieux entendue . On y fait en quelques endroits
jusqu'à deux récoltes par an. Cette culture prend aussi de l'extension dans les cantons
de Berne et d'Ârgovie. La culture du tabac a pris également quelques développe-
ments, surtout dans les parties plates des cantons de Yaud, Friboui^ et Tessin.
Les pâturages soit alpages (on entend par là les prés destinés à être pâturés sans
être fauchés) sont nombreux et excellents en Suisse, soit dans les Alpes, soit dans le
Jura. Les meilleurs sont en général les plus élevés ; comme ils sont longtemps recou-
verts par la neige, le gazon y reste court, mais il est savoureux et nourrissant, et
donne une qualité exquise au lait. Aussi, dans les quatre mois d'été, les vaches des
montagnes donnent-elles presque autant de lait que pendant le reste de l'année.
Quant aux prairies cultivées, tant naturelles qu'artificielles, elles occupent aussi une
grande place dans l'économie agricole de la Suisse. Les prairies naturelles sont très-
bien soignées dans les cantons septentrionaux et dans ceux d'Unterwald, Schwytz et
Zug ; dans la Suisse occidentale, on donne aussi beaucoup de soin aux prairies arti-
ficielles, surtout dans ceux de Fribourg et de Vaud. Dans la Suisse méridionale, les
prairies sont en général négligées; cependant on se donne une grande peine, surtout
dans le Vallais, pour ménager les irrigations ; dans quelques localités qui en sont
dépourvues, on amène l'eau de plusieurs lieues de distance, au moyen de canaux
suspendus quelquefois à une grande hauteur contre le flanc des monts, et qu'on
nomme des risses. Chaque pose de pré donne en moyenne 45 quintaux de fourrage
sec; cela fait 45,000,000 de quintaux en total ; à 2 fr. SO c. le quintal, cela fait
lli millions V^ de francs, ou 47 francs par habitant.
9& LA SUISSE PITTORESQUE.
Les vignes se cultivent jusqu'à 1800 pieds sur le plateau situé enlre les Alpes et
le Jura ; dans le Vallais et le Tessin, jusqu'à 2200 pieds ; près du lac Léman, jusqu'à
i 650 pieds ; près du lac de Thoune, jusqu'à 1 900. On en cultive beaucoup dans toute
la vallée du Rhin, de Coire à Bàle ; dans celle du Rhône, de Viège à Genève; le long
du Jura, de La Sarraz à Brugg dans l'Argovie, et dans les vallées basses de la Reuss,
de la Limmat, de la Toe^ et de la Thur. Les cantons du nord, Zurich, St.-Gall,
Thurgovie, SchaiThouse, Ârgovie, en ont dans les bonnes positions; les cantons de
Neuchàtel, Yaud, Genève, en ont aussi beaucoup. Les vins les plus renommés de
la Suisse sont le Malvoisie, de Sion et de Sterne, en Vallais, lequel ressemble au vin
d'Asti ; le rouge de Neuchàtel, qui approche du Bourgogne, et les vins d'Yvorne, de
La Vaux et de la Côte, au canton de Vaud. Les vins rouges de Sion, ceux de Fully,
de Salgesch, de Lamarque et de Goquempey, en Vallais, ne sont pas sans réputation,
ainsi que les blancs de Malans dans les Grisons ; quelques vins d'Argovie, de Zurich,
de Schaflliouse et du Rheinthal sont aussi estimés. Les vins de Vaud et de Neuchàtel
se conservent 20 à 30 ans ; celui de la Côte augmente de valeur avec le temps et
devient semblable au vin du Rhin. Le Tessin produit aussi beaucoup de vin, mais il
ne se conserve pas. La Suisse produit 900,000 hectolitres de vin ; mais elle en
exporte environ 100,000 hectolitres, et en importe 230,000. Elle consomme donc
plus d'un million d'hectolitres, soit 29 pots, ou 40 à 45 litres par individu.
Il est peu de pays où la culture des arbres fruitiers ait pris autant d'extension et
soit aussi bien entendue qu'en S;iisse, et particulièrement dans la Thurgovie. Ce
canton ressemble à une vaste forêt de pommiers et de poiriers, au milieu desquels
sont cachés les villages. Une partie des fruits sert à faire du cidre; on sèche le
reste, en le coupant en tranches, et on le conserve pendant une année. On sèche
aussi beaucoup de pruneaux en Suisse, et l'on y fait une assez grande quantité
d'eau de cerises {kirschwasser). La meilleure est celle d'Appenzell et de Bàle. Les
noyers sont peu nombreux ; les plus grands sont ceux qui croissent dans le Vallais
et entre les lacs de Thoune et de Brienz. Les châtaigniers ne viennent guère que
dans la Suisse italienne et dans quelques parties des cantons de Zug, Vaud, Vallais.
Les amandiers, citronniers et orangers viennent dans les bonnes expositions des
districts méridionaux du Tessin. Les figuiers et les pêchers ne croissent que dans
les lieux exposés au midi et qui ne s'élèvent pas à plus de 500 pieds au-dessus du
lac Majeur. On trouve aussi des figuiers et des amandiers aux environs de Sion ei
de Sierre. Les oliviers croissent seulement sur les bords du lac de Lugano et du
lac Majeur. On a essayé la culture des mûriers dans les cantons de Bàle-Campagne,
Soleure, Lucerne, Grisons et Genève; mais elle n'y a pas acquis beaucoup d'impor-
tance. Dans le Tessin elle réussit mieux, ainsi que l'éducation des vers-à-soie. Ce
canton produisait, il y a une dizaine d'années, environ 70,000 livres de soie. Le
tabac est cultivé dans les cantons du Vallais, de Fribourg, de Vaud, des Grisons et
du Tessin ; on en récolte environ 12,000 quintaux en Suisse. — Il y a aussi des
cultures considérables de houblon à l'orient et au nord de la Suisse, mais elles sont
insuffisantes pour la fabrication de la bière. La Suisse doit tirer encore de l'étranger
2200 quintaux de houblon et S600 quintaux de bière.
La Suisse possède une assez grande quantité de foréis; on y trouve surtout le
chêne, l'érable, le hêtre, l'aune, le bouleau, le pin, le sapin, le mélèze. Ce sont les
LA SUISSE PITTORESQUE. OS
pins et les sapins qui dominent ; quant au mélèze, il n'est commun que dans le
Vallais et les Grisons. Les cantons les plus riches en forêts sont ceux de Berne, Uri,
Schwytz, Unterwald, Fribourg, Appenzell, St.-Gall, Grisons, Tessin, Yallais,
Argovie et Yaud. La Suisse a sans doute plus de bois qu*il ne lui en faut, mais
Tabondance n'est pas si grande qu'on le croirait d'abord, car on doit respecter cer-
taines forêts qui servent de protection contre les avalanches; beaucoup d'autres
croissent dans des lieux d'un difficile accès, et restent sans exploitation, faute de
chemins commodes; de plus, on consomme en Suisse beaucoup de bois, soit pour les
constructions, soit pour chauffer les demeures et pour le travail des fabriques.
Enfin, l'on n'a pas partout donné à l'économie forestière tous les soins qu'elle méri-
tait, et beaucoup de communes ont exploité leurs forêts d'une manière inconsidérée,
et n'ont pris aucune précaution pour les entretenir.
Voici les diverses zones de v^étation que l'on peut distinguer en Suisse ; mais on
comprend que ces limites ne sont pas tout-à-fait absolues, vu les variétés qui résul-
tent de la différence d'exposition et du plus ou moins de distance des montagnes
couvertes de neiges éternelles. 1^ La zone de la vigne, qui est comprise entre la
hauteur de 700 pieds et celle de 1700. Une partie de la Suisse italienne se trouve à
la limite supérieure ; Lausanne et Maienfeld dans les Grisons, sont situés près de la
limite supérieure. 2** Celle des chênes, de 1700 à 2800 pieds. Dans cette zone, la
culture de l'épeautre remplace généralement celle du blé; les bonnes prairies
donnent deux coupes et en outre une quantité de très-bonne herbe qu'on fait paître
en octobre. Thoune, Meyringen, Coire, St.-Gall, sont compris dans celte zone. Sur
quelques points, on trouve encore un peu de vignes : tel est Mœrel dans le Haut-
Vallais, à deux lieues à peine des grands glaciers qui descendent des Alpes ber-
noises. 3"* Celle des hêtres, de 2800 à 4100 pieds. L'orge et le seigle n'y mûrissent
guère que vers la fin de septembre ou au commencement d'octobre. Les pommes
de terre y viennent très-bien, mais sont petites. On y trouve d'excellentes prairies.
Les pommiers, poiriers, cerisiers, atteignent à peu près la limite supérieure de
cette zone ; les autres arbres fruitiers s'arrêtent plus bas. Le noyer ne dépasse pas la
hauteur de 3500 pieds; le prunier croît jusqu'à 3700; le châtaignier atteint la
même hauteur dans quelques localités de la Suisse ital'enne, mais ses fruits n'y
mûrissent pas dans les mauvaises années. Sauf le Locle et la Chaux-de-Fonds, on ne
trouve aucune ville dans celte zone, mais on y voit de nombreux villages dans plu-
sieurs cantons. 4® La zone des sapins, de 4100 à 5500 pieds. L'hiver y dure huit à
neuf mois: le reste du temps, il faut souvent chauffer les poêles; on n'y voit plus
de moissons; on y fait croître cependant un peu de jardinage, mais les pommes de
terre n'atteignent que la grosseur des noix. Les espèces d'arbres sont peu nom-
breuses dans cette zone ; l'érable ne dépasse pas 5200 pieds ; on y trouve peu de
villages d'hiver, mais beaucoup de chalets au milieu de pâturages excellents, que
vont paître en été de nombreux troupeaux. 5** La région alpestre inférieure, de
5S00 à 6500 pieds; on n'y voit aucune culture, mais uniquement des pâturages
naturels. Les arbres sont remplacés par des buissons bas. Les seules habitations
qu'on y rencontre sont des chalets occupés pendant deux ou trois mois d'été. Le
sommet du Righi et celui du Molesson se trouvent dans cette zone, ainsi qu'un
grand nombre des passages fréquentés des Alpes (voyez ci-dessus l'article montagnes).
96
LA SUISSE PITTORESQIK.
Fin de moniagne.
6** La région alpestre supérieure, de 6500 à 8000 pieds ; celle zone présenle encore
des pàlurages el quelques buissons; ainsi le rhododendron se voil jusqu'à
6800 pieds; mais çà et i&, dans les endroits peu exposés au soleil, la neige ne fond
pas, et les lieux dominés par des hauteurs plus élevées sont souvent couverts de
glaciers ou de neiges d'avalanche. Les passages de la Gemmi, du St. -Bernard, de la
Furka, du Bernina, etc., se trouvent dans cette zone, ainsi que les sommités du
Sentis et du Pilate. 7** La dernière zone est celle des neiges éternelles, comprenant
toute la partie supérieure des Alpes, de 8000 à 14,000 pieds. Cette zone n'est
cependant pas dépourvue de toute végétation : quelques mousses et lichens croissent
contre les rocs dégarnis de neige, et quelques petites herbes poussent leurs racines
dans les interstices des rochers.
Terminons par quelques chiffres sur la proportion des diverses cultui*es en Suisse.
On a fait les calculs suivants pour les douze cantons du nord et de l'ouest, Genève,
Vaud, Fribourg, Neuchâlel, Berne, Soleure, Bâle, Argovie, Zurich, Schaffhouse,
Thurgovie et St.-Gall. Ces douze cantons ont une superficie de 5,568,000 arpents,
égale à peu près à la moitié de la Suisse, laquelle contient 12,096,000 arpents.
(L'arpent OU pose suisse est de 40,000 pieds carrés, et équivaut à 36 ares.) On
compte dans ces cantons 1,193,000 arpents cultivés en champs.
928,000 en prés.
949,000 en pâturages alpestres.
949,000 en forêts.
61,000 en vignes.
4,080,000.
LA SUISSE PITTORESQUE.
97
C'est dans les cantons de Vaud et Zurich que croit la moitié de ces vignes. II reste
l , 588,000 arpents pour l'espace occupé par les eaux, les rochers, les terrains incultes.
Comme les autres cantons ont une proportion plus considérable de pâturages et
de forêts, et moins de terres arables, Franscini suppose que pour la Suisse entière
les proportions ne doivent pas s'éloigner beaucoup des chiffres suivants :
2,400,000 arpents en pâturages alpestres.
2,400,000 en prairies.
2,000,000 en forêts, soit V« de la Suisse.
4,330,000 en terres arables.
110,000 en vignes.
8,240,000.
Il resterait 3,856,000 arpents, ou un peu moins que le tiers de la superficie du
pays, pour les eaux, les rocs, les glaciers, etc.
Bègnb minéral, structure des montagnes, blocs erratiques, fossiles, mines. — Les
montagnes de la Suisse présentent au géologue bien des phénomènes à étudier, et
donnent lieu à une foule de questions difficiles à résoudre. Ce n'est point le lieu
La moatagae qui se feuil. - Rocher Ju A^'inkelfluh, près tlu lac de Krieoi
11,7
13
98 LA SUISSE PITTORESQUE.
d^examiner les diverses théories qui ont été mises en avant, ni de faire une énumé-
ration et une description de toutes les espèces de roches ; nous devons nous borner à
donner en peu de mots quelques traits principaux. — La chaîne centrale des Alpes
et quelques-unes des principales ramifications appartiennent en grande partie à la
formation qu'on appelle généralement primitive, parce qu'elle doit être antérieure
aux bouleversements qui ont changé la surface de notre globe, et qu'elle ne renferme
aucun débris d'êtres oi^aniques. Les roches appartenant à cette formation sont le
granit, le gneiss (ou granit feuilleté), le schiste micacé, etc. La plupart de ces
roches sont très-dures et compactes ; les granits paraissent ce|iendant composés de
petits fragments de diverses roches (quartz, feldspath, mica ou amphibole), agrégés
les uns aux autres comme par une sorte de cristallisation. C'est sans doute à cette
apparence que le granit doit son nom. L'on regarde communément, comme apparte-
nant encore aux terrains primitifs, une formation calcaire dont l'apparence est
cristalline, et qui se distingue des autres roches calcaires par l'absence presque
complète de pétrifications; on la désigne sous le nom de calcaire des hautes- Alpes.
Une partie des montagnes qui s'élèvent dans le voisinage immédiat de Grindelwald
et de Meyringen, appartiennent à cette formation. Aux roches primitives succèdent
des terrains qu'on a appelés intermédiaires, ou de transition, ou mixtes, parce qu'ils
font le passage des roches primitives aux roches secondaires, et s'enchevêtrent
même en quelques lieux au milieu des unes et des autr^. Il est presque impossible
de déterminer rigoureusement les limites de ces terrains, dont les plus anciens ont
une grande analogie avec les terrains priraitife, tandis que d'autres contiennent
quelquefois des débris organiques.
Les chaînes inférieures des Alpes sont de formation secondaire, c'est-à-dire qu'elles
doivent leur existence aux grands changements survenus sur la surface de la terre ;
c'est du moins ce que font conjecturer les nombreux fossiles que l'on rencontre
jusqu'à des hauteurs considérables dans les roches secondaires, et qui en font le
caractère essentiel. Ces fossiles sont principalement des coquillages d'eau marine,
des feuilles pétrifiées, telles que des fucoïdes (ou fougères). La dent de Morcles, les
Diablerets, les montagnes du Gessenay et du Simmenthal, celles des cantons de
Fribourg, Lucerne, Unterwald, Schwytz, Glaris et Appenzell, et la chaîne septen-
trionale des Grisons, appartiennent en grande partie à la formation secondaire, et
présentent des roches très-diverses. Ce sont de nombreuses variétés de calcaires, de
grès, de roches crétacées, etc. Quant au Jura, il appartient en entier aux terrains
calcaires de cette même formation, et les pétrifications y abondent.
Les montagnes primitives se distinguent par leurs formes hardies, par leurs nom-
breuses aiguilles et leurs arêtes étroites et déchirées ; les montagnes de formation
secondaire, et surtout le Jura, affectent des formes plus arrondies. Les chaînes juras-
siques, y compris quelques petites chaînes de Savoie voisines du Jura, telles que le
Salève, présentent encore ceci de particulier, que leurs couches ont une tendance à
prendre la forme de voûte ou de dos d'àne.
Les terrains ou dépôts tertiaires, c'est-à-dire formés de matériaux provenant de
la dissolution des terrains antérieurs, viennent s'appuyer contre les chaînes alpines
secondaires, et s'élèvent jusqu'à la hauteur de S à 6000 pieds; ils forment aussi des
collines de 1000 à 2000 pieds entre les Alpes et le Jura. Celte formation tertiaire
LA SUISSE PITTORESQUE. 99
en Suisse se compose essenlieilement de molasse, (on appelle ainsi un grès marneux
très-tendre en quelques endroits, ailleurs très-dur et propre à bâtir, et qui contient
des empreintes de palmiers et des dépôts de lignite et de coquillages d'eau douce et
d*eau de mer, ainsi que des dents et des ossements d'animaux terrestres). Une autre
roche tertiaire, c'est la brèche (ou nagelflue), laquelle est formée de cailloux arron-
dis, soudés par un ciment calcaire très-dur. Le Rigbi, entre autres montagnes, est
composé de couches de brèche. Il en est de même du Rossberg, situé au nord du
Rigbi, mais les couches de brèche y sont superposées sur des couches de sable, qui,
en s'afiTaissant peo à peu, causent la chute des couches supérieures plus solides.
Enfin, le sol de quelques vallées et la plaine suisse sont recouverts de couches de
sable et de gravier, qui atteignent quelquefois une assez grande épaisseur. Ces
dépôts, auxquels on donne le nom de diluvium ou celui A'alluviuin, suivant qu'on
les attribue à l'époque diluvienne ou à une époque postérieure, renferment souvent,
au milieu des cailloux, des blocs d'une grosseur beaucoup plus considérable.
Ceci nous amène à dire quelques mots des blocs erratiques. On appelle ainsi en
général des fragments de roche que l'on rencontre à une certaine distance des mon-
tagnes dont ils ont été détachés. On en trouve le long d'un grand nombre de vallées
des Alpes, et en face de leur débouché. Mais on a particulièrement examiné les
débris qui sont épars le long de la grande vallée du Rhône et dans les contrées
situées en face de l'ouverture de celle-ci, surtout sur la pente du Jura, dans les can-
tons de Vaud et de Neuchàtel, jusqu'à une hauteur de 3000 pieds. On en voit aussi
plus au nord, dans le canton de Soleure, et plus au sud, sur le mont Salève, dans le
voisinage de Genève. Une grande partie de ces pierres ont conservé des formes
irrégulières et anguleuses ; elles ont souvent une ou deux toises dans tous les sens ;
il en est un certain nombre qui ont jusqu'à 40 ou KO pieds de longueur, sur une
largeur et une épaisseur à peu près pareilles. Le plus gros bloc que l'on connaisse
se trouve au-dessus de Bex, sur la pente de la montagne. D'après leur nature, tous
les débris qu'on rencontre dans la Suisse occidentale ont été reconnus comme ayant
appartenu aux chaînes qui enferment la grande vallée du Vallais ou ses vallées
latérales. Diverses opinions ont été mises en avant pour expliquer la manière dont
ils ont été transportés à une distance de 20 à 30 lieues ; on a même trouvé des
blocs qui ont dû partir du fond du Vallais, et qui sont maintenant à &0 ou 50 lieues
de leur ancien gisement. L'opinion qui a été la plus accréditée parce qu'elle avait
l'appui de célèbres géologues, c'est qu'ils ont été transportés par de puissants cou-
rants d'eau; mais cette hypothèse est sujette à de bien fortes objections; car un
courant eût distribué autrement les débris en n'emportant au loin que les moins
volumineux, et l'on a peine à concevoir que des blocs énormes ne se fussent pas
précipités au fond du courant, au lieu de se maintenir à sa surface. D'autres ont
supposé que le transport s'était effectué sur des glaces flottantes, faisant l'ofSce de
radeaux, ou bien qu'un soulèvement des Alpes avait offert un plan incliné et uni
sur lequel les débris auraient glissé. Mais bien des objections s'élèvent aussi contre
ces hypothèses. Depuis vingt ou vingt-cinq ans, quelques géologues ont eu l'idée
d'attribuer la dispersion des blocs à de vastes glaciers qui auraient rempli tout l'es-
pace entre les Alpes et le Jura. Cette hypothèse, qu'avaient conçue aussi de simples
montagnards, et qui a été soutenue en particulier pftr MM. Venetz, ingénieur du
400 LA SUISSB PITTORESQUE.
VallaiSfde Charpentier, et Àgassiz, paraît au premier abord bien hardie; cependant
elle explique d'une manière plus satisfaisante que les autres, dans tous leurs détails,
les phénomènes du terrain erratique , et Texistenoe de ces immenses glaciers est
devenue bien plus admissible depuis qu'on a examiné avec soin quelle était l'action
des glaciers, soit sur les roches qui les enferment, soit sur les débris tombés sur leur
surface , depuis qu'on a reconnu à des hauteurs considérables et à de grandes
distances de tout glacier actuellement existant, des traces frappantes d'anciens
frottements qui ont usé et poli les roches.
La Suisse ne peut pas passer pour être riche en métaux. On ya découvert, il est
vrai, et même exploité, quelques filons d'or, d'argent, de plomb, de zinc, etc. ; mais
la plupart de ces mines n'ont pas couvert les frais d'exploitation, et on a dû les
abandonner ; telles sont les mines d'or de Gondo près du Simplon, celle du Galanda
dans les Grisons, celles d'argent et de plomb dans lit vallée de Schams, dans le même
canton. Les mines de fer de la Suisse donnent cependant un produit considérable.
Le Jura bernois fournit annuellement 100,000 quintaux de fer et de cuivre excel-
lents ; les mines de Soleure donnent 38,000 quintaux; celle de Laufen, près Schaff-
bouse, 22 à 2K,000, et celle de Chamozon, en Vallais, au moins 10 à 12,000. Le
fer extrait des mines suisses s'élève donc en total à près de 200,000 quintaux ou
10,000 kilogrammes, et sa valeur approximative est de 8,000,000 fr. ; cette quan-
tité est insuffisante pour la consommation du pays. On exploite une mine de nickel
dans la vallée d'Anniviers en Vallais; on utilise maintenant ce métal pour la frappe
d'une partie des monnaies helvétiques.
On trouve en Suisse plusieurs carrières d'excellent marbre , telles sont celles des can-
tons d'Unterwald et des Grisons. Le canton de Soleure fournit d'excellentes meules;
ceux de Glaris, Vallais, Berne, des ardoises ; et le val Ma^ia, de la pierre oUaire. On
a reconnu en divers endroits des traces de bouille ; mais les veines en sont générale-
ment peu productives ; on ne les exploite que dans quelques localités des cantons du
nord. On exploite aussi une mine d'anthracite près de Sien. On trouve en abondance
de la tourbe en divers lieux, par exemple dans la vallée des Ponts (Neuchàtel),
dans le district de Tschapina, près Domlescbg (Grisons), près d'Einsiedeln, etc.
Enfin, la Suisse possède quelques mines de sel. La plus ancienne est celle de Bex,
au canton de Vaud; elle est exploitée depuis 1KK&, et produit annuellement 2B à
30,000 quintaux. Celle de Schweizerhalle, découverte dans le canton de Bàle en
1836, donne 6 à 700 quintaux par jour, soit 230,000 par an. Il y a quelques années,
on en a découvert aussi une dans le canton d'Ârgovie, entre Rheinfelden et Kaiser-
Àugst; elle a produit 130 à 150,000 quintaux par an; mais on l'a maintenant,
dit-on, abandonnée. La Suisse fournit donc environ 400,000 quintaux de sel, ce
qui fait moins que les */g de sa consommation, qui est de 620,000 quintaux, soit
de 27 livres par habitant. La consommation du sel est proportionnellement plus forte
en Suisse que dans tout autre pays d'Europe ; c'est une conséquence soit du bas
prix de cette denrée dans les cantons, soit de la grande quantité des troupeaux.
THE NEW YORK
L
CANTON DE ZURICH.
►oOO^l^l^^Doo*
Nous commençons les notices relatives aux divers cantons de la Suisse par celle
concernant le canton de Zurich. Ce canton, dès son entrée dans la Confédération en
13S1, avait occupé le premier rang. Depuis 1803, Zurich avait partagé avec d'autres
l'honneur d'être à tour de rôle le siège du gouvernement fédéral. Bien que ce pri-
vilège ait cessé depuis la nouvelle Constitution de 18&8, on lui a cependant conservé
la première place dans les actes officiels.
Limites, étendue, climat, etc. — Le canton de Zurich est borné au nord par les
cantons de Thurgovie et de Schaffhouse et par le grand-duché de Bade, dont il est sur
deux points séparés par le Rhin; à l'est, par la Thurgovie et St.-Gall; au sud, par
Sdiwytz et Zug ; à l'ouest, par l'Argovie. Son territoire est le septième en grandeur
dans la Confédération, et contient 72 lieues carrées. Sa population était, en mars
1850, de 250,698 âmes. Berne seul le dépasse sous ce rapport. On ne voit dans le
canton ni glaciers, ni neiges perpétuelles ; aussi jouit-il d'un climat généralement
doux ; il s'y trouve un grand nombre d'expositions favorables à la culture de la
vigne. Zuridi et une partie de ses environs sont exposés aux vents du nord ; mais le
Fôkn ou vent du midi vient souvent adoucir les rigueurs de l'hiver, surtout dans
la partie supérieure de la vallée du lac. On a même observé que son influence se
fait sentir plutôt sur les plateaux élevés, qu'il peut plus facilement atteindre, que
dans le fond des vallées.
Montagnes et plaines. — Le canton de Zurich n'est pas au nombre des cantons
montagneux de la Suisse. Cependant, vers le sud et vers l'est, quelques petites
chaînes atteignent une hauteur assez considérable. 1® Celle du Hôrnli, vers la fron-
tière saint-galloise ; ses plus hautes sommités sont le Schnebelhorn, point culminant
du canton, 4013 pieds; et le Hùmli, 3496 ; c'est le point de jonction des frontières
des cantons de Zurich, St.-Gall et Thurgovie ; entre ces deux sommités se trouve le
passage de la Hûlftegg, haut de 3252 pieds. 2"^ Â l'ouest du Hômli et du cours de
la TOss, s'étend une chaîne qu'on appelle quelquefois l'ÂlImann, et dont le point le
102 LA SUISSE PITTORESQUE.
plus élevé est le Bachtel, 3392. S"" A Textrémité méridionale du canton, s'élève le
Hohe-Rohne, sur le point culminant duquel, 3808, est placée une pierre qui forme
le point de contact des cantons de Zurich, Schwytz et Zug. V" Parallèlement au
lac de Zurich et à Touest, court la chaîne de VAlbis, dont les deux principaux som-
mets sont YUetliberg, près de Zurich, 2682, et le Schtiabel, à trois lieues plus au
sud, au-dessus de la route de Zurich à Zug, 2673. 6"" Vis-à-vis de TAlbis, sur
l'autre rive du lac, la chaîne dû Pfannemiiel atteint 2639 pieds au-dessus de Meilen.
V Nommons enfin le Lôgerberg, situé au nord-ouest, dernier prolongement du
Jura, 263S. De toutes ces hauteurs on jouit d'une vue étendue et magnifique sur
les Alpes. Le centre et le nord du canton contiennent quelques contrées de plaine,
telles que celles de Rloten, de Dûbendorf, Winterthour, etc. ; mais on y trouve aussi
quelques chaînes de collines qui s'élèvent jusqu'à 2000 pieds au-dessus de la mer,
ou environ à 1000 pieds au-dessus du Rhin. La hauteur de ce fleuve à Eglisau est
de 1023 à lOSO pieds.
Rivières, vallées. — Les principales rivières du canton de Zurich sont le Rhitts
la Limmatj la Reitës, la Thnr, la Tôss, la Glatt, et la Sihl. — Le Rhin coule au nord
du canton de Zurich ; ce n'est que vers Eglisau que ses deux rives appartiennent à
ce canton sur une longueur d'une lieue et demie. Nous parlerons de la chute du
Rhin à l'article de Schafihouse. — La Limmat {Undimoeus, Lindemaga) sort du
lac de Zurich. Ses eaux sont d'un beau bleu et d'une grande limpidité, qui est trou-
blée plus loin par celles de la Sihl, quand ce torrent est enflé par de grandes pluies
ou par la fonte des neiges. Sa largeur est d'abord de 600 pieds, mais elle se rétrécit
considérablement à une lieue au-dessous de Zurich. Après un cours de 3 Vs heues,
cette rivière entre dans le canton d'Argovie ; malgré sa rapidité, elle est navigable,
et depuis une haute antiquité l'on a fait usage de cette voie de transport, pour
laquelle on se sert de bateaux longs et étroits. Le chemin de fer la fera probablement
tomber en désuétude. — La Reuss (Rusa) fait la limite des cantons de Zurich ei
d'Argovie sur une longueur d'une lieue et demie. — La Tkur ( Ttwa, Dura), qui
vient des cantons de St.-Gall et de Thurgovie, arrose la partie nord-est du canton de
Zurich, et se jette dans le Rhin entre Rheinau et Eglisau. — La Tôss ( Tkosa ou
Toussa) a sa source dans le Fischenthal, sur les flancs de la chaîne du Hôrnli; après
avoir traversé le canton dans toute sa longueur, elle se jette dans le Rhin au-dessous
de Rorbass. — La Glatt se jette, sous le nom d'Aa, à Aabourg, dans le lac de
Pf&ffikon ; elle en ressort, traverse le lac de Greifensee, et verse ses eaux dans le
Rhin, au-dessous de Glattfelden. Ainsi que la précédente, cette rivière appartient
en entier au canton. A la suite d'inondations désastreuses, de grands travaux de
correction ont été exécutés de 1813 à 1830; en particulier, l'on a creusé un canal
dans le roc entre Rûmiang et Oberglatt. Plusieurs milliers d'arpents ont été rendus
à la culture. — La Sihl, qui sort de la vallée d'Einsiedeln au canton de Schwytz,
forme la limite méridionale sur une longueur de deux lieues. Elle coule ensuite
au pied de l'Albis, où elle arrose une belle vallée boisée, séparée du lac de Zurich
par une chaîne de collines. Elle se jette dans la Limmat un peu au-dessous de la
ville. Elle occasionne souvent des inondations, ainsi que la Tôss. La débâcle des
glaces cause quelquefois aussi du danger; tel fut le cas le 9 février 1830: ce fut
à l'aide du canon qu'on réussit à frayer un passage au torrent. — Les rivières
LA SUISSE PITTORESQUE. 103
qu'on vient de nommer coulent presque toutes du sud<est au nord-ouest, et for-
ment autant de vallées plus ou moins larges et profondes, et à peu près parallèles.
La plus remarquable est celle qui renferme le lac de Zurich.
Lacs. — Le lac de Zurich a huit lieues de longueur; sa plus grande largeur
est de trois quarts de lieue entre Stœfa et Richterschwyl. Près de la presqu'île
nommée Au (prairie), sa profondeur est de 600 pieds; son niveau est de 1258
pieds au-dessus de la mer. Pendant Tété, il éprouve une crue considérable, ainsi
que tous les lacs où se versent les eaux qui découlent des Alpes. La nature n'a
pas entouré le lac de Zurich de scènes sublimes et grandioses, comme plusieurs
autres lacs de la Suisse ; mais elle s'est plu à favoriser ses rives des paysages les
plus riants et les plus gracieux ; elle en a fait une des contrées les plus intéres-
santes par la multitude et la variété des points de vue. Le voyageur est surtout
ravi de la brillante verdure dont ce beau lac est encadré, et du milieu de laquelle
se détachent dix-huit villages et une grande quantité de villas et d'habitations
rustiques. Quand on se rend de Zurich à Rapperschwyl, on voit fuir derrière soi
Zurich, ses ponts et ses tours; à droite se prolongent les croupes de l'Albis, cou-
ronnées de forêts de sapins; des coteaux couverts de vignes s'étendent à gauche;
peu à peu les montagnes escarpées et neigeuses s'élèvent sur le fond du tableau.
Les deux rives du lac ressemblent à une grande rue traversée par un long canal,
tant les habitations sont multipliées ; aussi un voyageur disait-il que Zurich a des
faubourgs longs de quatre lieues. Le lac forme une espèce de croissant dans la
direction de l'ouest à l'est ; c'est quand on a navigué trois lieues sur la surface, qu'on
voit le bassin s'agrandir et se prolonger au loin. C'est entre Oberried et Meilen
que le lac se déploie dans toute sa magnificence; c'est là qu'apparaissent dans
toute leur richesse ses rives délicieuses, les collines et les montagnes qui en for-
ment le cadre. La petite presqu'île nommée Au a été chantée par KIopstock, dans
une belle ode intitulée le Lac de Zurich. L'espace entre Stafa et Rappersehwyl
forme comme un second bassin ; les sommités neigeuses du Gl&rnisch, qui s'élè-
vent au-dessus des montagnes boisées, y produisent un effet extraordinaire. Plus
loin, le lac se trouve tout à coup resserré par deux langues de terre : sur l'une est
la ville saint-galloise de Rappersehwyl ; à l'extrémité de l'autre, qui est beaucoup
plus prolongée, est le joli hameau schwytzois de Hurden. La largeur n'est ici que
de 1800 pas ou 4500 pieds. Ces deux langues de terre ont été jointes par un pont
dès l'an 1580. Avant d'arriver à ce pont, l'on passe devant deux petits îlots cou-
verts de bosquets et de riantes prairies; l'un est l'île d'Ufenau, le second l'île de
Lûzelau. Rien n'est comparable à la situation de la première, placée au milieu de
la partie la plus large du lac, entre les rives romantiques de Richterschwyl, Sl&fa
et Rappersehwyl, et dominée par les montagnes de Claris et du Tockenbourg. C'est
là que mourut et fut enseveli le chevalier Ulrich de Hutten, qui fut tour à tour
guerrier, poète, courtisan et ermite; il fut lié avec Luther et avec Erasme, et
contribua beaucoup par ses écrits à la renaissance des lettres. Après une vie
agitée, il vint chercher le repos dans cet asile que lui avait procuré Zwingli. Au-
delà du pont s'étend un troisième bassin, appelé Obersee ou lac supérieur, qui
change de parure et revêt un caractère simple et champêtre qui ne manque cepen-
dant pas de majesté. Au sud, on voit briller le village de Lachen, chef-lieu du district
104 U 8UIS6E PITTORESQUE.
septentrional de Schwylz; à l'est, celui de Schmerikon. L'intervalle est occupé par
d'épaisses forêts qui couvrent le mont Buchberg; au sud-ouest s'élève le mont Etzel,
dont le pied est garni de villages. Cette partie du lac af^rtient aux cantcms de
SchwytzetdeSt.-Gall.
A l'est de Zurich est le lac de Greifensee, ainsi nommé d'un village situé sur sa
côte orientale. Ce lac a une lieue et demie de longueur, et une demi-lieue de lar-
geur. Ses eaux sont d'une limpidité remarquable ; les rivages en sont fertiles et bien
cultivés. Du haut des coteaux qui l'entourent, on découvre de beaux points de vue.
A l'est s'élève, près du village du même nom, le château d'Uster, qui a appar-
tenu pendant le 13* siècle à la fomille des Bonstetten. C'est dans ce di&teau qu'eu-
rent lieu, en 1830, les grandes assemblées populaires qui réclamèrent une révision
de la Constitution, et en proposèrent les nouvelles bases. — Le canton de Zurich
possède encore quelques lacs plus petits. Nous nommerons seulement le lac de
Pfaffikon, long de demi-lieue, et qui se décharge dans celui de Greifensee ; ses
bords sont moins agréables que ceux de ce dernier ; — et le joli petit lac de Tûr-
lersee, à l'ouest de l'Albis.
Sources, eaux minérales, rains. — Le canton abonde en bonnes sources; on y
trouve aussi plusieurs fontmnes périodiques ou intermittentes, que le peuple appelle
Fontaines de disette (Hungerbrunnen), parce que leur non-apparition annonce, d'après
une croyance populaire, une année de disette. Les plus remarquables sont le Haarsee
ou lac de Haar, près de Henggard ; le Kemensee, près de Neerach. Le canton possède
plusieurs sources d'eaux minérales et établissements de bains. Ceux qui méritent
d'être mentionnés, sont les suivants : Deux établissements portent le nom de Gp-m-
had. Le premier, qu'on appelle le Gyrenbad extérieur, est situé près de Turbenthal.
Ses deux sources, dont l'eau contientdu gaz acide carbonique, de la chaux, de l'oxide
de fer, sont bonnes contre les rhumatismes, les maladies des nerfs et de la peau.
Il est fréquenté chaque année par les habitants de la Thurgovie et de Winterthour.
Le Gyrmbad intérieur est situé dans la commune de Hinweil ; on lui donne le nom
de Fresshad, Bains des gourmands ou plutôt des affamés, parce que ses eaux excitent
l'appétit. Elles contiennent de l'alun, et sont efficaces contre les hydropisies, la jau-
nisse, les maladies de foie, etc. Par suite d'un vieux préjugé, les paysans viennent
de préférence user de ces bains pendant la période croissante de la lune. Dans la
même commune se trouvent les bains d'EhrIosen, près du village de ce nom. C'est en
1801 qu'un paysan a découvert une source très-abondante sur son propre fonds, et
qu'il a créé l'établissement, dont la position est très-agréable. Le AdssItAad, près de
Zurich; le Nidelbad (Bain de crème) sur la Sihl, au pied de l'Albis, dans une con-
trée riche en beaux points de vue; cette source est connue depuis 1709; le bain
du Bocken, appelé aussi Bockenhaits, sur une colline à demi lieue d'Horgen, dans une
belle position; son établissement date de 1775; le Wengibad, près d'Augst, très-
anciennement connu; les bains de Stammheim, près la frontière de Thurgovie; le
bâtiment des bains date de 1827. 11 faut nommer encore l'établissement hydrothéra-
pique d'Albisbrunnen (ou Fontaine de l'Albis), qui date de quelques années et qui est
un des plus considérables de ce genre en Suisse.
Histoire naturelle. Règne animal. -— Le canton de Zurich renferme un grand
nombre d'animaux sauvages, mais peu d'animaux nuisibles; on y trouve cependant
LA SUISSE PITTORESQUE. 108
encore des reoards. A Texceplion des oiseaux qui habitent seulement les Alpes, tous
les autres oiseaux de la Suisse se trouvent dans le canton; mais les oiseaux aquati-
ques, canards, oies sauvages, plongeons, deviennent de plus en plus rares, à cause
de la navigation très-fréquente des lacs et du dessèchement des marais. Les lacs du
canton ne renferment pas d'autres poissons que ceux communs aux autres lacs de la
Suisse. Les meilleurs sont la truite saumonée (salmo trutta), qui pèse souvent
30 livres ; ce sont les plus grosses qui ont la chair la plus recherchée ; la lotte, dont
le poids va quelquefois à 8 ou 9 livres ; Tombre (salmo umbra), qui atteint rarement
une livre, mais dont la chair est excellente; le brochet, la perche, etc. On trouve
dans le canton plus de 5700 espèces d'insectes, entre autres 1600 espèces de scara-
bées et un grand nombre d'espèces de papillons. — Peu de personnes s'occupent de
l'exploitation des abeilles.
Règne végétal. — L'Uetliberg, le Hôrnli, le Lâgerberg, offrent une abondante
moisson de plantes rares. Les environs du lac de Zurich, les marais de Dûbendorf et
de Rifferswyl, méritent aussi d'être visites. Les amateure peuvent consulter le Cata-
logue des plantes rares du D' Hegetschweiler, botaniste distingué, et le Tableau du
cmUm de Zurich^ par Gerold Meyer de Knonau.
Règne minéral. — Les roches de la formation la plus ancienne qu'on trouve dans
le canton de Zurich, sont celles du Lâgerberg, qui est un prolongement du Jura, et
qui se compose de couches calcaires; on y trouve, sur la pente nord, beaucoup de
gypse d'une bonté remarquable. Le reste du canton appartient à la formation ter-
tiaire; les couches de grès et de marne y dominent. On trouve du poudingue (ou
brèche, ou Nagelflue) sur divers points; cette espèce de pierre recouvre les plus
hautes sommités des montagnes de grès, entre autres celles du Hôrnli et de
rUetliberg. D'énormes débris de brèche tombés du haut de cette cime sont épars du
càté du sud-ouest. On a trouvé en divers endroits des lits de houille entre des cou-
ches de molasse ; le plus important et le seul dont l'exploitation ait continué jus-
qu'ici , est celui de Kâpfnach , près de Horgen . En 1 844 on s'était avancé jusqu'à 1 700
pieds dans la montagne. On en tire 15 à 20,000 quintaux par an ; mais cette houille
est de très-médiocre qualité. — On suppose que le Rhin coulait autrefois dans le
bassin du lac de Zurich et de la Sihl, après avoir traversé le bassin du lac de Wallen-
slatt. On reconnaît au-dessus de la Limmal des terrasses de différentes hauteurs
qui indiquent que les eaux ont coulé successivement à divers niveaux bien au-dessus
du niveau actuel. — Les tremblements de terre sont assez fréquents dans le canton,
et particulièrement aux environs d'Eglisau sur le Rhin.
Antiquités. — Le canton de Zurich est un des plus intéressants pour les amateurs
d'archéologie. Déjà, dans le cours du siècle dernier, plusieurs savants portèrent leur
attention sur les antiquités éparses dans le canton ; mais ce n'est que depuis la fon-
dation de la Société archéologique zuricoise (antiquarischer Verein) en 1832, que
l'on s'est occupé d'une manière suivie de les étudier, sous la direction de son infati-
gable président, M. Ferd. Keller. — On a découvert en divers lieux des tombeaux
qu'on regarde comme celtiques, et où l'on a retrouvé un certain nombre de squelettes :
par exemple, à Underweil, à Rôrbass, à Unter- et Ober-Entstringen, à Horgen, près
de Zurich, etc. Quelques-unes des tombes renfermaient en même temps des armes,
des anneaux d'or, des ustensiles, des monnaies celtiques, etc. On a reconnu aussi
11,7. 14
106 L\ SUISSE PITTORESQUE.
des tombes romaines à Oberwinterthour, à Rôrbass, etc. Mais les traces les plus
remarquables de la domination romaine sont des restes considérables de murailles,
qui doivent indiquer les emplacements qu'occupaient les camps permanents et for-
tifiés des légions romaines (caftrum, mansio). D'après les marques qu'on voit sur
un grand nombre de briques, il parait que les légions 11*, ^l"" et 90* ont fait un
séjour prolongé dans ce pays.
Les murailles les mieux conservées et les plus étendues sont celles qui se voient
à Neflenbach (à l'ouest de Winterthour ), et qui ont été découvertes en 1780 par un
paysan, dont la charrue fut arrêtée au milieu des débris. Elles ont 500 pieds de
longueur sur 500 de largeur, et i pieds d'épaisseur; leur hauteur est encore
d'environ 6 pieds. On y reconnaît les cloisons des diverses salles, ainsi que les
bains, dont le sol est en marbre blanc ; on prétend même pouvoir indiquer la salle
où les officiers prenaient leurs repas. D'autres murailles à peu près semblables ont
été retrouvées à Ober-Winierthour, village à une demi-lieue de Winterthour, sur la
route de Frauenfeld, et qui doit occuper l'emplacement de l'ancien Vitodurum; à
Ober-Wenigen, frontière d'Argovie; k Kloten, où des paysans découvrirent une
mosaïque en 172&, ce qui donna l'idée de faire des fouilles beaucoup plus étendues.
En 1837 on y mit à nu la base de deux bâtiments, divisés chacun en plusieurs salles,
dont une partie étaient des chambres d'habitation ou de bains, et les autres étaient
consacrées à divers usages économiques. Dans quelques salles le parquet était une
belle mosaïque, et les murs étaient revêtus de peintures sur un fond blanc. A
DdUikon, où des thermes furent découverts en 1789, et d'autres en 18&2 ; en 1837
on y découvrit un mur de 300 pieds de longueur, sur 6 d'épaisseur; au Undmhof,
près Zurich, où les fouilles opérées en 1857 ont montré que Zurich avait été le siège
d'un établissement assez important ; à Lunnern, près de la Reuss, où l'établissement
d'une route, en 1741 , fit mettre au jour des murailles et des chambres de dimensions
diverses, et bien conservées; à Alhisaffoltern, au nord-est de Lunnern; klrgenhatisen,
près du lac de Pf&ffikon, où l'on voit sur une colline une muraille carrée de huit
pieds d'épaisseur. On prétend qu'il existait ici un castellum ayant huit tours avec
des murs de 16 pieds d'épaisseur, et qu'il a été détruit en ll&î.
Dans la plupart de ces lieux et d'autres encore, on a trouvé divers ustensiles en
métal et en terre, des armes, des monnaies datant de la République et des quatre
premiers siècles de l'Empire, des statues d'empereurs, ainsi que de plusieurs divinités,
telles que Mercure, Mars, Vénus, Osiris, etc. On a découvert aussi quelques vestiges
de temples. Ainsi, sur une colline qui s'élève près d'Ottenbach et de Lunnern, et qui
se nomme Ylsenberg ou Iselisberg, on voit les restes d'un temple romain, où se trou-
vaient encore, au milieu du siècle dernier, les bases et les tiges de quelques colonnes.
Le nom de cette colline a fait supposer que le temple était consacré à la déesse Isis.
Le culte de cette divinité égyptienne, introduit par les Romains dans l'Helvétie, parait
y avoir été en grand honneur : c'est ce que prouve une inscription conservée à
Wettingen, en Argovie. D'autres localités du canton de Zurich rappellent aussi le
nom de la même déesse : tel est un monticule situé près de Benken, au nord du
canton, et qu'on nomme henbuk. On y a reconnu aussi les vestiges d'un petit temple,
et on y a trouvé en 1838 un couteau de sacrifice.
Nommons encore Seeb ou Seebach, où Ton a découvert en 1842 les restes d'une
LA SUISSE PITTORESQUE. 407
villa romaine, et Buchs, où existent des restes de constructions qu'on attribue à des
villas particulières, ainsi qu'à une mamio ou grande hôtellerie pour les voyageurs.
Sur le sommet de TUetliberg on a trouvé des antiquités celtiques et romaines ; on
suppose qu'il y avait là jadis un poste romain ou celto-romain, destiné à allumer des
signaux pour annoncer au loin l'approche de l'ennemi. — Les vestiges de diverses
voies romaines qui traversaient le canton, existent encore. L'une tendait de Pfyn
(ad fines) à Viiodurum ( Winterthour), et de là à Vindonissa, dans le canton d'Ar-
govie; une autre conduisait de Winterthour à Kaiserstuhl, près du Rhin ; une troi-
sième, de Winterthour à Rheinau. Une voie suivait la rive droite du lac de Zurich,
puis passait sur la rive gauche de la Limmat et tendait à Bade ; enfin une voie
existait le long de la rive droite de la Reuss. — Un champ, près de Oberurdorf, où
Ton trouve une grande quantité de débris, porte le nom de Heidenkeller (cave des
païens); une colline, près de Wattweil, porte dès une haute antiquité celui de
Heidenkirche (église des païens); ce nom est dû probablement à l'existence d'un
temple antique dans ce lieu-ci. — Un grand nombre d'objets d'antiquité se trouvent
réunis dans les collections de Zurich et de Winterthour.
Histoire. — Zurich existait du temps des Romains sous le nom de Turicum. Ce
ne fut que vers le commencement du T""** siècle qu'eUe embrassa le christianisme.
Sa position avantageuse sur une des voies importantes par lesquelles l'Allemagne
faisait le commerce avec l'Italie et la Bourgogne, la fit bientôt prospérer et s'enri-
chir. En 1248, elle fut déclarée ville libre et impériale ; en 12S1, elle s'allia avec
les pays d'Uri, Schwytz et Unterwald, afin d'assurer le maintien de ses droits et
privil^es. C'est vers cette époque, qu'avec l'aide du comte Rodolphe de Habsbourg,
Zurich conquit et détruisit les châteaux des seigneurs du voisinage, ses ennemis
irréconciliables. Elle osa braver les foudres du Vatican, en chassant les moines qui
voulaient exécuter quelques mesures de rigueur prescrites par le pape. Vers 1356,
elle secoua le joug des nobles qui gouvernaient dans ses murs, et établit une consti-
tution démocratique. Mais les ducs d'Autriche épousèrent la querelle des nobles, et
il en résulta une guerre sanglante. Zurich sentant le besoin d'alliés, accéda en
1351 à la confédération qu'avaient formée Un, Schwytz, Unterwald et Lucerne, et
ces Etats consentirent même à lui céder la prééminence. L'Autriche irritée conçut le
dessein d'anéantir cette ligue, dont les progrès lui faisaient ombrage, et une nom-
breuse armée, commandée par le duc Albert, vint assiéger Zurich en 1352; mais
l'héroïque résistance de cette ville et le secours de ses voisins rendirent inutiles les
efforts des assaillants.
Les possessions de la ville au milieu du ik^" siècle consistaient en quelques do-
maines situés sur les bords du lac et de la Sihl. Mais vers la fin du siècle suivant,
elle les avait considérablement agrandis, soit par des conquêtes, soit par des acqui-
sitions à prix d'argent. Vers le milieu du 15"' siècle, des dissensions civiles déso-
lèrent et ensanglantèrent la Suisse ; et Zurich, qui eut la funeste idée de s'allier avec
rAutriche, soutint une lutte contre ses confédérés, qui vinrent ravager son terri-
toire et mettre le siège devant ses murs. C'est vers ce temps qu'il se forma dans
Zurich une société militaire que la bravoure de ses membres fit surnommer la So-
ciété des boucs. Le bourgmestre Rodolphe Stûssi en était, à ce que l'on croit, le fonda-
teur; c'est lui qui, avec l'élite de ses amis, se chargea de défendre le pont de la Sihl
108 LA SUISSE PITTORESQUE.
près de St.-Jacques, contre les troupes de Schwytz et de Claris; mais, après des pro-
diges de valeur, il tomba couvert de blessures dans la rivière, et son cadavre devint
le jouet de quelques soldats furieux. Les houes se chargeaient des expéditions les
plus périlleuses, et faisaient un grand mal à l'ennemi; et après des revers, ils s'en
vengeaient par des railleries piquantes sur le compte des vainqueurs. Telle était la
terreur qu'ils inspiraient, que, lorsque Zurich signa la paix avec ses ennemis,
Schwytz et Claris exigèrent comme condition que cette société serait dissoute et ses
membres exilés. Zurich y ayant consenti, les boucs se retirèrent la plupart dans une
forteresse de Souabe, nommée Hohenkragen ; mais ils obtinrent ensuite de rentrer
dans leur patrie par l'intercession du landammann Pries d'Uri, qui jouissait d'un
grand crédit à Zurich, et qu'ils avaient enlevé dans ce canton et emmené captif, tout
en lui témoignant les plus grands égards. Ce fut vers 4450 que Zurich fit la paix
avec ses confédérés, qui annulèrent son alliance avec l'Autriche, et la déclarèrent
incompatible avec sa position comme membre de la Confédération helvétique.
Zurich fut la première ville de Suisse et une des premières de l'Europe qui em-
brassèrent la réforme. Ce fut dans les années 4523 à 4525 que, malgré les conseils
et les menaces de ses confédérés, le peuple zurioois se prononça hautement pour
les doctrines prèchées par les réformateurs. Ce fut Ulrich Zwingli, natif de Wildhaus
dans le Tockenbourg, et ci-devant curé à Claris et à Einsiedeln, qui donna l'impulsion
h ce mouvement ; Zwingli joua alors un rôle important à Zurich : il réunissait aux
profondes connaissances d'un savant les lumières et la prudence d'un homme d'état.
En 4534, les troupes des Etats catholiques, aidées d'Italiens soldés par le pape,
vinrent envahir le territoire de Zurich. Deux à trois mille Zuricois tentèrent de
repousser l'ennemi ; mais ils furent défaits, le 4 4 octobre, à Cappel, près de la frontière
de Zug, et plus de 500 des plus braves citoyens perdirent la vie; dans ce nombre
était Zwingli. Dans le siècle suivant, Zurich s'interposa activement auprès des ducs
de Savoie en faveur des Vaudois du Piémont, et accorda asile et assistance aux
protestants français que de cruelles persécutions forçaient à s'expatrier.
Durant les premières années de la révolution française, le peuple zuricois resta
tranquille; en 4794 commença l'agitation dans les districts; elle ne fut apaisée que
lorsque, le 5 février 4798, Zurich eut consacré l'égalité des droits entre la ville et la
campagne. Mais cette même année, Zurich fut envahi comme le reste de la Suisse
par les armées françaises, et devint bientôt le théâtre de batailles sanglantes entre
celles-ci et les armées alliées. Ce fut le 27 avril 4798 que les Français occupèrent
Zurich; le 6 juin 4799, les Autrichiens les forcèrent à évacuer cette ville; le
8 septembre suivant, les Russes et les Français en vinrent aux mains près de Wol-
lishofen, non loin de Zurich. Le général Souwaroff, qui avait traversé à marches for-
cées le St.'Cothard, arrivait avec des forces nombreuses. Telle était la confiance de
l'ambassadeur d'Angleterre et des officiers russes, qu'aucune famille ne quitta la
ville. On raconte même qu'on disposa un dîner magnifique pour le 25 septembre
chez l'ambassadeur anglais, afin de fêter l'arrivée du célèbre général. Cependant, ce
jour même, les Français, commandés par Masséna, ayant passé la Limmat entre
Dietikon et Schlieren, sur un pont de radeaux, coupèrent la ligne des Russes, qui
durent battre en retraite. Le combat se prolongea toute la journée du 26, et les
Français pénétrèrent en vainqueurs dans la ville, chassant devant eux l'ennemi.
LA SU185B PITTORESQUE. 109
Celte journée coûta la vie à deux grands citoyens, à Lavater et au tribun Irrainger.
Le premier accourait au secours d'un de ses compatriotes menacé par des soldats,
lorsqu'il reçut un coup de feu dans la poitrine; il mourut le 2 janvier 1801, des
suites de cette blessure ; Irminger fut massacré dans son jardin par des Russes, qui
le prirent, à son habit bleu, pour un Français.
En 1802, la ville ayant refusé d'accepter la nouvelle constitution unitaire, fut
assiégée et bombardée par le général helvétique Ândermatt, qui fut obligé de se
retirer précipitamment, sur l'avis de l'approche d'un corps nombreux d'insurgés des
Petits-Cantons. En 1803, Zurich se soumit à l'ordre de choses qui fut établi par
l'Acte de médiation. Cependant, les campagnards étaient mécontents de la position
inférieure que leur donnait cet Acte relativement à la ville ; en 1804, une insurrec-
tion assez grave éclata dans une grande partie du canton ; le gouvernement, avec le
secours d*autres cantons, parvint à la réprimer ; mais quatre des meneurs furent
exécutés, et un grand nombre d'autres condamnations diverses furent prononcées
contre les insurgés.
Zurich était un des six cantons appelés par l'Acte de médiation à être, à tour de
rôle, le siège du gouvernement fédéral. En 18i3, il se trouvait Canton directeur
(ou Vorart), quand des événements graves changèrent la face de l'Europe. La
Diète se réunit à Zurich le 29 décembre, au moment où les armées alliées venaient
de violer la neutralité de la Suisse. Les députations de la plupart des cantons invi-
tèrent Zurich à continuer de diriger les affaires fédérales. Les ministres étrangers
reconnurent en même temps cette ville comme Vorort, et c'est là que furent déli-
bérés plusieurs actes d'une haute importance pour la Suisse. Le 8 septembre 1814,
les dix-neuf cantons établis par l'Acte de médiation furent reconnus, et trois nou-
veaux cantons furent admis dans la Confédération (Vallais, Neuchàtel et Genève).
Le 7 août 1815, les Etats votèrent le nouveau Pacte, d'après lequel Zurich, Berne
et Luceme étaient tour à tour Vorort pendant deux ans. Le 1**^ janvier 1817,
Zurich transmit à Berne l'autorité directoriale, qu'elle avait exceptionnellement con-
servée pendant quatre ans.
Par la nouvelle Constitution votée le 11 juin 1814, la ville de Zurich eut dans le
Grand Conseil 130 représentants, et la campagne 82 ; en même temps, les citoyens
de la ville pouvaient être élus dans la campagne, ce qui donnait à la ville une pré-
pondérance marquée. Pendant les années de la Restauration, les idées libérales
firent peu à peu des progrès; ainsi, tandis qu'en 1821 le gouvernement avait pro-
noncé la suppression d'un journal {Schweizerische Volksblatt), vu ses tendances trop
avancées, une loi, votée le 15 juin 1829, supprima toute censure, et la remplaça par
une loi répressive. L'impulsion avait été donnée par un nouveau journal {Y Observa-
teur suisse), qui paraissait depuis 1828, et qui exerçait une grande influence. Un
nouveau règlement du Grand Conseil, adopté le 18 février 1830, restreignit les attri-
butions du Petit Conseil.
La révolution française de juillet 1830 eut un grand retentissement dans le
canton de Zurich, comme dans le reste de la Suisse. Le 13 octobre, trente-un
membres du Grand Conseil se réunirent à Uster pour rédiger une pétition, qu'ils
présentèrent au Grand Conseil, au sujet d'une révision de la Constitution, en parti-
culier relativement au rapport de la représentation et des élections indirectes. Une
410 LA SUISSE PITTORESQUE.
nombreuse Commission du Grand Conseil proposa d*accorder 420 représentants à
la campagne, et 92 à la ville. Mais cette proposition paraissant insuffisante aux
campagnards, 8 à 10,000 citoyens s'assemblèrent le ii novembre à Uster de toutes
les parties du canton, et volèrent que les '/^ de la représentation étaient le mi-
nimum que le gouvernement pût accorder à la campagne, et que les Ve ^^ députés
devaient être élus directement. On demandait en outre l'abolition de tout cens, la
sanction de la Constitution par le peuple, la séparation des pouvoirs, la liberté de la
presse, la publicité des séances du Grand Conseil, etc. Le 25 novembre, le Grand
Conseil accorda à la campagne les '/, de la représentation ; quelques jours après
eurent lieu les élections. La nouvelle Constitution fut adoptée par le peuple le
20 mars 1831, à la majorité de &0,S00 voix contre 1721. Cet acte était
rédigé avec modération et sans tendances exagérées; il laissait à la ville une cer-
taine prépondérance, vu sa position historique. Le 11 avril 1832, le Grand Conseil
adhéra au concordat des sept cantons (Zurich, Berne, Lucerne, Soleure, St.-Gall,
Ârgovie et Thurgovie), qui se promettaient réciproquement leur assistance pour
défendre leurs nouvelles constitutions. Le 30 janvier 18S3, le Grand Conseil,
à une forte majorité, décréta la destruction des remparts de Zurich. Cette décision
blessait une partie des citoyens de la ville, mais elle mit fin à la défiance que beau-
coup de campagnards nourrissaient contre cette vieille place fortifiée, et aux deman-
des qu'ils avaient faites de répartir rartillerie dans les districts; elle procura en
même temps à la ville l'avantage de communications plus faciles, et la possibilité
de s'étendre et de s'embellir. En même temps, toutes les branches de l'administra-
tion reçurent d'importantes améliorations ; en particulier, tout l'ensemble des éta-
blissements d'instruction fut réorganisé, et le réseau des routes considérablement
développé ; on bâtit un hôpital cantonal, un hôtel des postes, etc. Le terme prescrit
pour la Constitution de 1831 étant écoulé, on procéda à une nouvelle révision en
1838, et tout privilège de représentation fut aboli pour le chef-lieu. En 1839, l'ap-
pel du professeur étranger Strauss, connu pour ses opinions non-orthodoxes, à une
chaire de théologie dans l'Université, donna lieu à une insurrection qui éclata pen-
dant la session de la Diète, et qui coûta la vie à plusieurs citoyens. En 1846 et 18&7,
Zurich prit parti contre le Sonderbund catholique. Par la nouvelle Constitution fédé-
rale, adoptée en 18&8, Zurich a perdu le privilège d'être à son tour le chef-lieu
directorial. Elle espérait avoir en compensation une Université fédérale; mais cet
établissement a été refusé, au commencement de 18S4, par l'Assemblée fédérale;
celle-ci n'a voté qu'une Ecole polytechnique, à laquelle elle a accordé, il est vrai, un
assez grand développement, et qui doit s'ouvrir dans le courant de 18BS. Zurich en
sera le siège.
Caractère, moeurs, usages, etc. — L'activité, l'amour de l'ordre, l'économie,
de la franchise dans le caractère, de rintelligence, et une grande aptitude pour les
arts mécaniques, sont les traits caractéristiques des habitants de ce canton ; ils se
distinguent aussi par une grande simplicité dans les habitudes de la vie domestique,
une hospitalité affectueuse, du goût pour les améliorations, et surtout un grand
amour du bien public. Patriotes par principes, ils sont fort attachés à leurs anciennes
coutumes, et fiers avec raison de leurs annales héroïques et de leurs institutions
héréditaires. Les usages suivants méritent d'être mentionnés. Quand un enfant vient
LA SUISSE PITTOBESQUE. 114
au monde dans une famille aisée, une jeune fille en habit de fête, et portant un
énorme bouquet, composé des fleurs les plus rares et orné de longs rubans, va de
porte en porte annoncer aux parents et aux amis de raccouchée cette heureuse
nouvelle. Cet usage date du siècle dernier. Le jour de l'Ascension, les jeunes gens et
les jeunes filles des campagnes zuricoises gravissent par bandes nombreuses le
mont Uetliberg, voisin du chef-lieu ; de son cdté, la jeunesse de la ville ne manque
pas de s'y rendre, et du haut de ce plateau élevé, de ce belvédère où l'œil jouit de
la vue de la terre natale, tous entonnent des hymnes en l'honneur de la Providence
et de la patrie.
De tous les arts cultivés par les Zuricois, celui dont le goût est le plus générale-
ment répandu, c'est la musique. Ces dispositions naturelles sont d'autant plus
remarquables, qu'elles contrastent singulièrement avec leur langage habituel, fort
peu musical et harmonieux. Dès le moyen-âge, la musique, tant vocale qu'instru-
mentale, était en honneur à Zurich, et les musiciens formaient même une corpora-
tion, dont le chef portait le titre de roi. Dans le 17™*" siècle, des sociétés musicales
furent créées à Zurich et à Winterthour, et contribuèrent beaucoup à entretenir le
goût de cet art. — Le goût des représentations théâtrales date aussi d'une époque
assez reculée: à diverses occasions solennelles, surtout dans le lô""* siècle, des
sociétés d'amateurs représentèrent des pièces dont les sujets étaient ou bibliques
ou nationaux. Non seulement les villes de Zurich et de Winterthour possédèrent à
diverses époques des théâtres privés, mais il s'en établit même, durant le premier
quart de ce siècle, dans quelques-uns des grands villages, tels que Wâdensweil, Rich-
tensweil et d'autres. Plusieurs amateurs faisaient preuve d'un talent d'artiste remar-
quable. Cependant, cette espèce de divertissement était loin d'être sans inconvénients,
et la bonne harmonie ne se maintenait pas longtemps entre les principaux person-
nages. De 1800 à 1830, des troupes d'artistes de profession obtinrent plusieurs fois
l'autorisation de donner des représentations à Zurich. Mais depuis 1834, un petit
théâtre permanent a été organisé dans cette ville. Plusieurs artistes distingués
d'Allemagne s'y sont quelquefois fait entendre.
LÉGISLATION. — Zurich parait avoir eu, dès la première moitié du 13* siècle,
un code particulier de lois ou de coutumes, lequel se rapprochait beaucoup des lois
allemandes, et n'était presque pas mélangé de droit romain, malgré une domination
romaine qui avait duré plusieurs siècles. La justice pénale était passablement bar-
bare et en grande partie conforme au code appelé la Carolim; aussi, dès la seconde
moitié du 18"" siècle, pensait-on à le réformer. Ce n'est cependant que depuis 1830
que les diverses parties de la législation ont subi de grandes améliorations. Le code
pénal, qui date de 1835, abolit toutes les peines corporelles, mais la peine de mort
fut maintenue par 85 voix contre 25. M. J.-G. Ulrich a travaillé plus particulière-
ment à la réforme des lois pénales, et M. le professeur Bluntschli à celle des lois civiles.
Cultes. — Les paroisses réformées du canton sont au nombre de 1 49. L'élection des
pasteurs, depuis la Constitution de 1 831 jusqu'en 1 849 , a eu lieu par les paroisses elles-
mêmes, sur une triple présentation faite par le Consistoire. Une loi constitutionnelle de
novembre 1849 confère aux paroisses le droit complet d'élection. Chaque paroisse a un
Conseil paroissial. Le clergé réformé se divise en onze chapitres, autant qu'il y a de dis-
tricts dans le canton . Chaque chapitre, composé des eccléi^iastiques du district, a un pré-
112 LA SUISSE PITTORESQUE.
sident ou doyen, un trésorier et un secrétaire ; le doyen a inspection sur les pasteurs.
Chaque district a un Consistoire ( Aafsichlsbehôrde, autorité de surveillatue), composé
du doyen comme président, de deux ecclésiastiques et de deux laïques. 11 y a en
outre un Consistoire cantonal ou Conseil ecclésiastique {Kirchenrath), composé de
VAnthtès ou président, de cinq nombres laïques nommés par le Grand Conseil, et de
neuf membres ecclésiastiques désignés par le Synode. VAntistês préside aussi le
Sytwde ou assemblée de tous les ecclésiastiques du canton, qui se réunit à l'ordi-
naire une fois par an. Ces fonctions ont appartenu jusqu'en 1833 au pasteur de la
cathédrale de Zurich ; depuis lors, elles peuvent être remplies aussi par un pasteur
résidant hors du cheMieu. — Bien que la réforme n'ait été définitivement acceptée
|)ar le peuple zuricois qu'en 15^23 et 1524, cependant le premier jubilé de la
Réformation fut célébré à Zurich en 1619 ; on le rapportait non à la complète con-
version du peuple, mais aux premiers actes par les(|ucls Zwingli s'était séparé du
catholicisme. La fête fut renouvelée dès-lors en 1719 et en 1819 ; cette dernière fois
elle eut lieu avec la plus grande solennité.
D'après le recensement de 1850, on compte dans le canton de Zurich 6690 catho-
liques, dont 1559 dans le chef-lieu; les autres se trouvent principsilement dans la
petite ville de Rheinau et dans le village de Dietikon, à la frontière d'Argovie. Il y a
environ 400 frères moraves et 80 Israélites.
Instruction publique. — Zurich avait reçu déjà dans le moyen-àge le surnom
de savante j et de nos jours on lui donne celui d'Athènes de la Suisse allemande. Il
est peu de pays, en effet, où le goût de l'instruction soit aussi généralement répandu
que dans le canton de Zurich, et où l'enseignement des premiers éléments de toute
connaissance soit aussi commun et aussi peu dispendieux. Il n'est point de ville,
point de hameau, qui n'ait son école, et plusieurs de ces écoles sont établies dans des
maisons communes ou particulières qui ressemblent à de jolies maisons de cam-
|)agne. II est peu de pays aussi qui soit doté d'autant d'institutions i)our l'enseigne-
ment supérieur. Depuis une vingtaine d'années, l'ensemble des établissements
d'instruction publique a reçu encore de nouveaux développements. Une loi de
1832 a réorganisé les écoles primaires. Au-dessus de celles-ci, une loi de 1840 a
institué quarante écoles secondaires, destinées aux jeunes gens et jeunes filles qui,
après avoir terminé leur cours d'instruction primaire, veulent poursuivre leurs
études ou entrer dans les écoles supérieures.
Les établissements supérieurs d'instruction publique sont Y Ecole cantonale et V Uni-
versité, L'Ecole cantonale^ ouverte en avril 1833, se compose de deux divisions :
le Gymnase et l'Ecole industrielle, qui chacun se subdivisent en deux degrés. Le
Gymnase est destiné à ceux qui se vouent à une vocation scientifique; l'Ecole
industrielle, à ceux qui doivent embrasser une vocation technique. L'Ecole canto-
nale a remplacé diverses institutions moins complètes qui existaient auparavant.
La gymnastique est au nombre des objets d'enseignement. — L'Université, décrétée
par une loi de septembre 1832, et ouverte le 29 avril 1833, se divise en quatre
facultés (théologie, médecine, sciences politiques, et philosophie). Elle compte
trente à quarante professeurs, non compris ceux qui sont désignés sous le nom de
Privat'Docenten ou maîtres privés. Le nombre des étudiants est d'environ 200,
dont la moitié étudient la médecine. Plusieurs savants distingués ont enseigné ou
KA SUIS8R PITTOttR^UR. 113
enseignent encore dans rUniversité. — Il existe en outre une école spéciale, desti-
née à former de bons régents pour les écoles primaires et secondaires, et qui a été
fondée eo 1831 , sous le nom de Sémitiaire des Régents. Les cours y durent trois ans.
Indépendamment de ces établissements cantonaux, Zurich doit devenir, dès 1858,
le sî^ d'une Ecole polytechnique fédérale (voyez page 51). Nous avons encore à
nommer divers établissements particuliers, tels que VEcok des pauvres ( Armen-
sckule), destinée à donner une instruction complètement gratuite à un grand
nombre d*enfants pauvres généralement mal surveillés ; un établissement pour les
aveugles et pour les soards-^uetSj fondé par la Société de Secours en 1809 pour les
premiers, en 1816 pour les seconds; enfin, il existe dans ce canton plusieurs pen-
sionnats privés : le pensionnat Hûni, à Horgen, est un de ceux qui ont acquis le
plus de réputation.
Constitution. — Nous avons raconté les événements qui amenèrent à la fin de
1830 la révision de la Constitution. Voici les principales dispositions de celle qui fut
adoptée par le peuple à une gi*ande majorité, le 20 mars 1831, et modifiée sur
quelques points en 1838 et 18&0. L'égalité des droits, la liberté religieuse, celle de
la presse, celle du commerce, le droit de pétition, la publicité des tribunaux, etc.,
sont garantis. La souveraineté appartient au peuple, mais il l'exerce par le Grand
Conseil, qui représente l'ensemble des citoyens. On est électeur à 19 ans accomplis,
et éligihle à 29 ans. Jusqu'en 1838 les 13 tribus de la ville ont nommé 60 députés,
les 52 de la campagne, 1 1 9, et le Grand Conseil lui-même les 33 autres ; total, 212.
Depuis 1838 le canton est partagé en 52 cercles, qui élisent un député par 1200
âmes, soit en tout 204. Le Grand Conseil est nommé pour quatre ans; il est pou-
voir législatif, il vote les impôts et exerce le droit de grâce. Il élit les membres du
Conseil d'Etat, du Tribunal d'Appel, du Tribunal criminel, du Conseil ecclésiastique,
et du Conseil d'Instruction publique, et les présidents de ces corps. Il s'assemble
régulièrement quatre fois par an, et extraordinairement quand les affaires l'exigent,
ou sur la demande écrite de 2& députés. Les séances sont publiques. Les membres
ne reçoivent de l'Etat aucune indemnité, mais leurs commettants peuvert leur en
accorder une. Le Conseil d'Etat était composé de 19 membres; depuis 1840, le
nombre est réduit à 13. Ce Conseil est présidé par deux bourguemestres, dont chacun
a la préséance pendant un an. Dans chacun des onze districts il y a une assemblée de
200 électeurs, désignés par les communes proportionnellement au nombre de leurs
bourgeois ayant le droit électoral; cette assemblée élit les juges de district et le Con-
seil de district, composé d'un préfet et de deux conseillers. Toutefois, les préfets doi-
vent être présentés en nombre triple au choix du gouvernement. Dans chaque com-
mune, les électeurs nomment un Conseil communal pour quatre ans, approuvent les
imp6ts et les dépenses extraordinaires, et confèrent le droit de bourgeoisie communal.
Tous les six ans la Constitution peut être modifiée ; tout projet de loi constitutionnelle,
après avoir été délibéré par le Grand Conseil, doit être soumis six mois plus tard &
une seconde discussion, avant d'être présenté à la sanction du peuple.
Agriojltuae. — La superficie totale du canton est de 480,000 arpents, dont
400,000 environ sont susceptibles de culture. Sur ce nombre, on en compte
15,000 en vignes, 96,000 en forêts, 129,000 en prairies et pâturages, 160,000
en diverses cultures. Les propriétés sont très-morcelées ; les fonds de 50 à 100
II, s. 15
m LA SUISSE PITTORESQUE.
arpents sont trës-rares; on n'en comptait en 18ft4 que cinq qui comprissent plus
de 200 arpents. En outre, les parcelles appartenant à un même propriétaire ne
sont souvent pas réunies en un seul bloc. Ce morcellement est désavantageux sous
divers rapports ; cependant, on peut dire que le canton de Zurich est un exemple
de tout ce que l'activité peut tirer du sol. L'agriculture y a a6quis un haut degré
de perfection, surtout sur les deu\ rives du lac. Dans le siècle dernier, une impul-
sion avait été donnée par plusieurs agronomes distingués et par la section d'agri-
culture de la Société d'Histoire naturelle de Zurich. Depuis 18&2, il s'est forme
en outre une Société spéciale d'horticulture et d'agriculture, dont le but est d'intro-
duire de nouvelles cultures ou de nouvelles méthodes. Le Gouvernement a fait aussi
de son cAté tout ce qui dépendait de lui pour favoriser les progrès de l'économie
rurale.
Presque toutes les espèces de graines réussissent parfaitement dans le canton, et
en abondance; on y cultive aussi avec succès les pommes de terre, le chanvre, le
lin et les plantes potagères. Dans aucune partie de la Suisse, peut-^tre, on n'entend
également bien l'art des engrais et celui de l'irrigation des prairies. On cultive en
grande quantité et avec soin les arbres fruitiers; c'est sur les bords du lac de Zurich
et dans les districts d'Afibltem, d'Uster et de Winterthour, que la récolte des fruits
est la plus abondante ; on en emploie une partie à faire du cidre et de l'eau de
cerises. La culture de la vigne dans le canton remonte à l'an 1145; elle y est
très-bien entendue; elle prospère surtout aux environs de Winterthour et sur
les bords du lac de Zurich; les rouges des meilleurs vignobles de Winterthour
ont une grande analogie avec le Bourgogne et le Bordeaux ; on fait aussi un vin
excellent près de la chute du Rhin. Quelques parties du canton sont riches en
forêts, particulièrement la vallée de la Tôss et celle de la Sihl, et le district d'Affol-
tern à l'ouest de l'Albis; ces forêts se composent presque uniquement de conifères.
Les Zuricois sont grands amateurs des fleurs; aussi en cultive>t-on beaucoup autour
des habitations, dans le voisinage du lac de Zurich. Le canton possède peu de pâtu-
rages alpins; cependant il compte plus de S0,000 bêtes à cornes, et en outre
environ 4000 chevaux, 5000 moutons, 7000 chèvres, 20,000 porcs. Sur les bords
du lac, on a l'habitude de tenir les bêtes à l'étable toute l'année. Quant à l'exploi-
tation des abeilles, elle est très-peu considérable.
Industhie, oommerge. — Dès le IS** siècle, Zurich possédait des fabriques de laine,
de soie, de toile et de cuir ; mais ce fut surtout à l'époque de la Réformation que
s'accrut son activité commerciale; elle le dut surtout à un certain nombre de citoyens
de Locamo en Tessin, qui avaient quitté leur pays pour cause de religion, et parmi
lesquels se trouvaient d'excellents ouvriers. Les diverses manufactures zuriooises
prirent alors un tel accroissement, que leurs produits se répandirent jusque dans
les contrées les plus éloignées. Vers le milieu du 16* siècle. Tours et Lyon virent
aussi s'élever dans leur sein des fabriques de soie qui firent un grand tort à celles de
Zurich. Cette ville chercha alors un dédommagement dans une nouvelle industrie,
celle des cotons. A la fin du 17' siècle, les protestants français émigrés donnèrent
une nouvelle impulsion à l'industrie, en introduisant diverses améliorations et en
établissant en particulier des fabriques de mousseline. Vers 1790, la fabrication des
soieries avait repris un certain degré de splendeur, et de nos jours même, Zurich
LA SUISSE PITTORESQUE. 445
rivalise avec Lyon ; la main-d'œuvre y étant moins chère, la matière première n'ayant
pas de droit onéreux à payer , on peut y fabriquer et livrer les étoffes à bien meil-
leur marché que dans cette ville. Nous avons rappelé, en parlant de l'industrie suisse
en général (page 440), les éloges que les soieries de Zurich ont mérités à l'Exposition
de Londres; nous avons indiqué les qualités particulières qu'on leur reconnaît et les
points de vue sous lesquels elles paraissent inférieures aux soieries françaises. Les
districts où l'on s'occupe de cette industrie sont surtout la rive gauche du lac de
Zurich et lesdistricUd'Uster, Hinweilet Affoltern; elle occupe 46 à 47,000 individus;
les métiers sont dans les habitations et appartiennent aux ouvriers. Les filatures de
coton sont au nombre de 70, et comptent plus de 330,000 bobines en activité; il y
a en outre environ 4 700 métiers. Les filatures et les métiers se trouvent principalement
dans la partie orientale du canton et des deux côtés de l' Albis. Ils occupent 26 à 27,000
individus, dont un tiers sont des enfants de 42 à 4 6 ans. Il y a encore dans le canton
des fabriques d'étoffes de laine, des chapelleries, des papeteries, des fonderies, des
tanneries au nombre d'environ KO, plusieurs fabriques de machines, dont la princi-
pale est celle de MM. Escher et Wyss, laquelle compte près de 600 ouvriers et a
construit un assez grand nombre de bateaux à vapeur pour la Suisse et pour l'Au-
triche. Onze imprimeries donnaient de l'ouvrage à près de 480 ouvriers en 4843.
Dans quelques localités l'on fabrique des chapeaux de paille, etc. Toutes ces diverses
industries occupent plus de 50,000 ouvriers des deux sexes; mais un grand nombre
d'entre eux consacrent aussi une partie de leur temps aux travaux agricoles.
Quant au commerce de Zurich, il comprend toutes les productions qui viennent
d'être énumérées ; autrefois, il y avait en outre un transit très-considérable entre
l'Allemagne, l'Italie et la France ; il a diminué dans les derniers temps, par suite des
entraves qui existaient dans l'intérieur de la Suisse et des facilités nouvelles créées
pour le commerce, soit en France, soit sur la voie de Trieste.
La branche principale du commerce de Zurich, ce sont ses étoffes; un tiers des
cotonnades vont en Italie, en Turquie, Belgique, Hollande; les deux autres tiers vont
dans l'Amérique du nord et du sud. Plus de la moitié des soieries exportées sont
aussi destinées à l'Amérique, surtout à l'Amérique du nord ; le reste est envoyé en
Allemagne, en Belgique, en Hollande, dans les duchés d'Italie et en Orient. Les
exportations zuricoises pour l'Amérique du nord seule s'élèvent au total à 24 mil-
lions par an. — Zurich exporte encore annuellement 3 à 4000 bétes à cornes et
une certaine quantité de produits agricoles: 42 & 45,000 mesures de blé, 400 à
4SO,000 quarts de pommes de terre, des vins pour une valeur de 400 à 450,000
Trancs, etc.
Bateaux a vapeur et chemin de fer. — Des bateaux à vapeur partent trois à
quatre fois par jour de Zurich et touchent à divers points des deux rives. Ils sont en
rapport à Rapperschwyl avec la diligence de St.-Gall et de Goire, à Richtenschweil
avec celle de Claris , à Horgen et à Wftdenschweil avec les omnibus qui vont à Zug
et à Arth, au pied du Righi. — Le chemin de fer de Zurich à Baden existe depuis
4847; le trajet entre ces deux villes s'exécute en moins d'une heure. Le débarcadère
se trouve au nord de la ville, à côté de la Place des Carabiniers, et à 45 minutes du
lieu de débarquement des bateaux à vapeur. Les stations sur le canton de Zurich sont
à Altstetten, à Schlieren et à Dietikon. On entre dans le canton d'Argovie au-delà de
416 LA atlflW MTTOIIBOtR.
Dieiikon, et avant d'arriver à Baden, on passe sous un cbàteau par un tunnel taillé
dans le roc vif.
Savants bt hommes mstingcbs, etc. — Dès le moyen-àge, les sciences, les lettres
et les arts furent cultivés avec succès à Zurich ; peu de pays ont été, dans toutes les
branches des connaissances humaines, aussi léconds en hommes distingués. Nous ne
pouvons en faire ici qu'une énumération bien incomplète. Un grand nombre de
Zuricois se sont fait un nom comme historiens. Le diacre Ra^iert, mort vers Tan
900, a écrit une histoire du couvent de St.-Gall, où il raconte particulièrement les
contestations entre le couvent et plusieurs évèques de Constance. Félix Hâmmerlin
ou MaUedus, dans son livre De nobililate, a déièndu les privilèges de la noblesse, sous
la forme d'un dialogue entre un gentilhomme et un paysan. Dans d*aulres ouvrages,
il s'éleva avec force contre les abus et les vices du clergé de son temps (le 15* siode).
GiroU Edlibach a exposé avec véracité l'histoire de Zurich pendant ce même aiède.
Siumpfesi le premier Zuricois dont on ait imprimé un ouvrage sur l'histoire suisse.
Sa chronique fut longtemps une lecture favorite du peuple, et elle est encore con-
sultée par les Ustoriens. BuUhiger a écrit une chronique suisse très-estiroée. L'ou-
vrage de JosioM SimwUer, De repuldké Hehtthrmm, a eu de nombreuses éditions, et a élé
traduit en plusieurs langues. J.-J, HoUitÊger a publié une histoire de l'Elise, pour
laquelle il a consulté un grand nombre de documents. J.-C. FlUtli a écrit sur l'his-
toire de la Réformation en Suisse. Boimêr, SoioMOM Hirjiel, M. Utteri et H. Fûssli
ont tous lût des travaux et des redierches approfondies sur l'histoire suisse. Ce der-
nier a été collaborateur du célèbre Jean de MQller. Un second J.-J. HoUinger a aussi
travaillé i la continuation du grand ouvrage de cet historien.
Zurich peut citer, entre autres géogra|dies, Fëix Fakr , qui a laissé une description
déUiUée des voyages qu'il fit en 1 480 el 1 483 dans la Palestine, l'Arabie et l'Egypte ;
il accompagnait comme chapelain des chevaliers qui faisaient un pèlerinage. Robinson,
savant voyageur anglais des temps modernes, rend hautement justice à son exactitude.
J.-C. Fàsi, mort en 4790, est le premier qui ait publié un ouvrage systématique sur
la géographie et la statistique de la Suisse. H. Heideffer est l'auteur d'un ÎÊanuel
pour les îxnfogeurs en Suisse, qui a donné à Ebel Vidée de publier ses Diredians sur la
manière la plus utile de rarager daus ce poffs, ouvrage qui contient sur chaque localité
et par ordre alphabétique une foule de renseignements divers, et qui a acquis une
réputation plus qu'européenne.
Comme astronomes, nous nommerons Ferr, qui a obtenu l'établissement d'un
observatoire et a le premier déterminé avec exactitude la latitude de Zurich;
Gaspard HirzeL qui a publié VAstnmomie de Vamaieur, ouvrage écrit en français, et
remarquable par la pureté et la grice de son langage et surtout par la chaleur avec
laquelle l'auteur exprime les sentiments religieux que lui inspirait cette étude
sublime. G. Horuer, qui a accompagné dans son voyage autour du monde le navi-
gateur Krusenstem ; ks observatiotts qu'il a publiées font preuve de ses profondes
^connaissances en mathématiques et en physique.
Plusieurs Zuricois se sont illustrés dans les sciences naturdles. CoimiinI G^sni^r^
mort en IS65« était un des savants les plus universek de son époque; il était
géologue, botaniste et médecin* et fut surnommé le Pline des temps modernes par
i empereur Ferdinand. J. de HhimU^ dans son ISsradisus tfWcrtùp, a décrit les plantes
LA 8V1S8B PlTTORISOtE. 447
de la Suisse ; il a publié d'autres traités remarquables sur des objets d'histoire natu-
relle. Sekeuehzer a écrit des voyages dans les Alpes {Itinera Alpina) et une Hhimre
miwreUe de la Smsge, qui sont d'un grand mérite. Ces deux derniers étaient aussi
médecins; sur la recommandation du célèbre Leibnilz, Scheucbzer fut appelé en
cette qualité à la cour de Pierre-le-Grand ; mais l'amour de son pays l'empéclia
d'accepter cette position. P. Usteri a lait paraUre de nombreux écrits sur la bota-
nique ; il suivait la méthode de Jussieu. HegeUchweiler a publié divers ouvrages trè»-
distingués^ tels que ses Plantes vénéneuses et sa Flore de la Suisse, d'après la classifi-
cation de Linné. Oken a poursuivi aussi avec une grande ardeur l'étude des sciences
naturdles, et a imprimé une heureuse impulsion à l'Université. Ebel, déjà cité, et
Eseher de la Unth^ ont publié des travaux importants sur la géologie de la Suisse.
Arnold Eseher, fils du précédent, suit les traces de son père. Nommons en outre les
médeeiiis Rahn et de Pommer.
Dans la théologie, Zurich possède encore de plus nombreuses illustrations. Zwingli
était le plus savant des réformateurs. Léo Juda, son ami intime, a travaillé à l'édi-
tion allemande zuricoise de la Bible. Pellican, Wolff, Zimmermann, StoUz, J.-J. Hess,
/. SchuHkess, méritent d'être nommés comme profonds commentateurs. Bullmger
fut le législateur de l'Eglise de Zurich ; on le surnomma pour cela le Numa de l'Eglise
réformée. Il fut l'oracle de son temps, et eut des correspondances avec plusieurs sou-
verains du 16* siècle. Gomme éloquents prédicateurs, on peut nommer entre autres
Breilmger, Clauser, Lavater, J.-G. SchuUhess, Hâfeli, J.-Conrad Orelli.
Soil par les ouvrages qu'il a publiés, soit par les établissements d'instruction qu'il a
dirigés, Peslalozzi a rendu d'éminents services à la Suisse. La méthode élémentaire
d'enseignement qu'il a appliquée a conservé le nom de son auteur. Seherr a aussi
été trëft-utile au canton de Zurich, en travaillant à la réforme des écoles primaires ;
son Manuel de pédagogie contient un trésor d'observations et d'expériences. — Zurich
a produit de savants philologues» tels que Conrad Gessner, déjà cité, et qui posa les
fondements d'une comparaison philosophique des langues; Sleinbrûekel, premier tra-
ducteur de Sophocle et d'Euripide, et les orientalistes Bibliander, H. Hottinger et
Bernard Hirzel, etc.
J.'J. Leu a publié, dans le milieu du 18' siècle, un ouvrage sur le Droit des villes et
des campagnes (Eidsgen. Stadt-und Landrecht), qui fit connaître au public les diverses
conslitutionsexistant en Suisse, et attira l'attention sur leur étude. Depuis un quart
de siècle, de Meiss, L Keller, J.-J. Pestalulz, Bluntsekli et d'autres, ont fait paraître
des ouvrages remarquables sur diverses parties de la législation. Gomme économiste,
nous citerons le pasteur Waser, dont le Traité de l'argent contient des données inté-
ressantes sur le système monétaire de la Suisse et sur celui de Zurich en particulier.
Ses Camidératians sur les habitations zuricoises ont contribué & l'établissement des
assurances contre l'incendie. (G'est ce même auteur qui périt sur l'échafaud en 1780,
pour avoir abusé de documents officiels.)
Au nombre des Zuricois qui se sont le plus distingués comme philosophes ou
comme critiques, nous remarquons les suivants : Jean-George Sulzer, auteur d'une
Théorie des heauoharts, fut nommé par Frédéric-le-Grand directeur de la classe phi-
losophique de l'Académie de Berlin. Bodmer et son ami Breitinger commencèrent une
lutte victorieuse contre le mauvais goût qui menaçait de se répandre toujours plus en
418 LA 8UI98B prmmnQUB.
Allemagne. Us publièrent, en 172% et 4723, le Peintredes mœurs, ouvrage dans lequel
ils abordaient divers sujets de morale et de haute littérature. Plus tard parurant
d'autres traités, intitulés : De l'influence et de l'usage de Vmaginaiian pour corriger le
goAt; — Du merveilleux dam la poésie, etc. Longtemps Zurich fut regardé comme le
trône de la critique; Bodmer fut nommé le Platon de l'Athènes suisse. /.-/. HoUinger
(autre que les précédents) a montré un grand talent dans son Essai d'une comparaisofî
etUre les poêles allemands et ceux de la Grèce et de Rome ; J.-J. Homer, dans ses Tableanx
de l'antiquité grecque, et H. Meyer, ami de Gœthe et de Schiller, dans son Histoire
de la peinture et de la sculpture (bildendeti Kûnste) en Grèce, ont bit preuve d'une
profonde érudition. Le pasteur Lavater s'est rendu célèbre par son système de phy-
siognomonie; les ouvrages de J.-H, Meister le font connaître comme un profond
penseur et un homme du goût le plus pur.
La poésie n'a point été négligée à Zurich. Ratpert, l'historien, passait pour un
excellent poète lyrique; Conrad de Mure, qui vivait au 43* siècle, composa un éloge
de Rodolphe de Hatebourg et une chronique rimée de Charlemagne. La maison des
seigneurs de Maness, à la fin du 43* siècle et au commencement du suivant, était le
rendez-vous des troubadours. Maness et son fils possédèrent une collection de poésies
sentimentales précieuses, soit par leur beauté intrinsèque, soit par les riches peintures
dont elles sont ornées; elles appartiennent maintenant à une bibliothèque de Paris.
Ces poésies n'étaient admises qu'après avoir subi un examen rigoureux de la part de
la noblesse des deux sexes de Zurich et des contrées voisines. Un des troubadours les
plus aimables et les plus habiles fut Hartmann von der Aue (de la Prairie), de la famille
des chevaliers de Wesperspûi. /. Hadloub, bourgeois de Zurich, avait porté ses vœux
sur une demoiselle de haute famille, qui les dédaigna; il exprima ses regrets dans des
poésies gracieuses et délicates qui ne sont point tombées dans l'oubli. Bullinger,
Bodmer et lavater réussirent aussi dans ki poésie ; ce dernier a composé des Chénts
suisses où respire le plus ardent patriotisme. Usteri, nommé comme historien, était
né poète; quelques-unes de ses nombreuses poésies sont aussitôt devenues populaires,
et passeront à la postérité. L. Meyer de Ktionau a publié des fables riches en instruc-
tions délicates et morales et en observations psychologiques. Les poésies pastorales
de Salomon Gessner sont comparables à Théocrite, que l'auteur s'était proposé pour
modèle. Elles transportent dans un paisible âge d'or, à l'existence duquel on voudrait
être disposé à croire, comme l'auteur parait l'être. Aucun poëte allemand n'a eu dans
le siècle dernier autant de lecteurs à l'étranger. Nommons enfin Tobler, qui, dans ses
Descendants de Winkelried, a dignement chanté la lutte héroïque des habitants de
Nidwald contre l'armée française.
Zurich n'a pas été moins fécond en artistes remarquables qu'en savants et en litté-
rateurs. Gomme compositeurs habiles, nous nommerons Léo Juda, l'ami de Zwingli ;
le pasteur H. Goldschmid; Rapkaél Egli, qui, en 4598, décida le Grand Gonseil de
Zurich à réintroduire le chant dans le service divin; les chantres Backofen, Schmidli,
H. Egli, WMer; enfin l'immortel Nâgeli, qui poussa son art bien plus loin que ses
devanciers, et en exposa les principes dans un ouvrage classique. Ses mélodies admi-
rables ont été accueillies avec enthousiasme, soit dans sa patrie, soit à l'étranger. Une
foule de peintres, de graveurs et d'arehitectes, ont honoré Zurich. Parmi les peintres
d'histoire et de genre, nous nommerons Salomofi Gessner, Landolt, J.-H. Fûssli,
LA 8I3188B PITTORESQUE. 119
Frendweiler; parmi les peintres de portraits, Graf, D. Sulzer, Hitz; parmi les paysa-
gistes, Aberlis L. Hess, Wûst, J. Meyer, /. Ubrkh. — L'un des plus célèbres sculpteurs
zuricois est Balthasar Relier, qui fondit d'un seul jet la statue de Louis XIV ; cette
statue en bronze pesait 80 quintaux, et avait 21 pieds de hauteur ; les jardins de
Versailles et des Tuileries sont pleins des chefs-d'œuvre de cet artiste, qui mourut à
Paris en 1702. Nommons encore les architectes Felder et MzisUjrfer, dont le pre-
mier a construit plusieurs églises, et entre autres la Wasserkirche de Zurich, et le
second a achevé la construction des tours de la cathédrale, vers Fan 1502.
Il nous reste à citer quelques-uns des hommes de guerre remarquables auxquels
Zurich a donné le jour; tels sont Roger Maness, qui commandait les Zuricois en
1322 et qui gagna la bataille de Tâtwyl ; Félix Keller, Rod. Stûssi, Landenberg,
Ulrich Stapfer, Conrad Engelhard, le bourguemestre Waldmann. Ce dernier eut le
courage d'attaquer les privilèges de la noblesse et de bannir les patriciens turbu-
lents; mais plus tard, par son inflexible dureté, il s'aliéna le peuple, qui se porta
à rbôtel-de-ville et demanda sa tète. Ses ennemis réussirent à le faire condamner
comme traître.
Villes, bourgs, et autres lieux remarquables. — Zurich. Cette ville, située à
rexlrémité septentrionale du lac du même nom, est divisée en deux parties presque
^les par la Limmat, quoiqu'on désigne par le nom de ^anâs ville la partie qui
occupe la rive droite. Quatre ponts font communiquer la grande îXXdipetiie ville. Les
deux ponts supérieurs sont seuls praticables pour les voitures. Le premier et le plus
remarquable ne date que de 1838. Il s'appelle Mûnsterbrûcke (pont du Munster), à
cause du voisinage du Frauenmûnster, cathédrale ou église de Notre-Dame ; ses
voûtes et son revêtement sont en marbre noir du lac de Wallenstadt, et sa princi-
pale corniche est en granit blanc du St.-Gotbard. Le second, appelé maintenant
pont inférieur, est très-large, et sert ordinairement de place de marché. Des deux
côtés de la rivière, une partie des rues sont étroites, irrégulières et sur un plan
incliné; mais on voit aussi plusieurs larges rues : les plus remarquables sont le Thal-
aeker (champ de la vallée), la rue de la Poste, et le quai supérieur. La ville a
passablement changé d'aspect depuis la démolition de ses fortifications ; des quartiers
entiers se sont formés -autour de l'ancienne Zurich, de sorte qu'indépendam-
ment de sa position, elle doit maintenant être mise au nombre des plus belles
comme des plus florissantes de la Suisse. Plusieurs maisons particulières sont
de fort belle apparence; telles sont la maison Bodmer dans le Thalacker, la
maison Orelli dans la Thalgasse (rue de la vallée), la maison Bûrkii au Marché
neuf. On peut citer aussi les trois nouveaux hôtels: l'hôtel Baur, vis-à-vis la
Poste, VHôtel du lac, et la Couronne d'or, sur le quai supérieur. Le premier.de ces
hôtels est le plus étendu ; mais le second jouit, par sa position favorable, d'une vue
remarquable sur le lac et les Alpes ; ce bâtiment se distingue non-seulement par son
extérieur plein de goût, mais aussi par son excellente distribution. L'hôtel de la
Couronne a une vue moins étendue, mais il est aussi très-convenablement distribué.
Le toit de ces trois hôtels est une plate-forme. Une grande partie des constructions
nouvelles sont couvertes en ardoise; telles sont la Poste, le nouvel Arsenal, l'hôpital
St.-Léonard.
Edifices ou établissements publics. Sur la rive droite, on peut nommer VHôtel'de-
lâO LA StISSe PITTCNIESQrE.
pille, ou bâtiment du Conseil {Rathhans), b&ti de 4697 h 1699. Dans une anlicbam-
bre, on voit trois grands tableaux de Melcbior Fussli, représentant tous les poissons
du lac et de la Limmat en grandeur naturelle. On trouve aussi dans l'ancienne salle
du Tribunal suprême un tableau à Thuile de Henri FûssIi, représentant les trois
premiers confédérés ; mais on critique Texpression des 6gures, qui est un peu gro-
tesque. La salle jadis trop basse du Grand Conseil est maintenant considérablement
rehaussée; les tribunes sont bien arrangées, mais elles ne peuvent contenir qu'un
nombre assez restreint d*aiuditeur5. — V Hôtel da Gonvert^emenî {Regierungsgebàude)
n'est qu'une partie d'un ancien couvent de dominicains, qu'on a transformé depuis
1833 pour en faire le siège de la plupart des autorités de l'Etat. En 1806, une autre
partie du couvent avait été cédée pour la construction d'un Casino; en 1839, Tan-
donne église, dont on avait fait un magasin à blé, fut vendue pour l'établissement
d'un tlié&tre. — L*Ecole cantonale^ bâtie de 1839 à 4841, est remarquable par son
architecture; i l'étage inférieur sont (riticés le laboratoire de chimie et une partie
de l'Ecole industrielle ; le second est consacré à la même école, et le troisième au
Gymnase. — UlmlitiU des avetêgles et des sot^rds-muets, datant de 1809. — La
Maison des orphelins, vers le nord de la ville. — Le nouvel Hàpital, situé dans une
magnifique position, qui domine toute la ville, et sur un emplacement jadis occupe
paries remparts. — La nouvelle Prison, terminée en 18&1, et renfermant 462
cellules simples et ih doubles. La tour de Wellenberg, qui était bâtie au milieu de
la Limmat, k sa sortie du lac, et où l'on enfermait les prisonniers d'état et les cri-
minels, a été démolie en 1838. C'est là qu'avait été détenu jadis, pendant deux
ans, le comte Jean de Habsbourg-Rapperschwyl ; et le bourgmestre Waldmann y fiit
aussi renfermé en 1488. — Enfin le Grossmûnster ou cathédrale, monument remar-
quable de l'architecture du moyen-Age ; les connaisseurs le comparent avec l'église de
Monza et avec les églises d'Ambroise et d'Eustorgius A Milan, il occupe un emplace-
ment où avait existé une plus ancienne église ; sa construction a dû commencer vers
966, et a été terminée à la fin du 11' siècle; il est bâti dans le style byzantin le
plus simple, et ne hit quelque impression que par ses nobles proportions. Les deux
tours ayant été détruites en partie par des accidents, en 4763 et en 4770, elles ont
été surmontées en 4779 d'un étage supérieur, couvert d'une sorte de dôme en bois
revêtu de cuivre. Suc un côté de la tour de Charlemagne ( Carkihurm ), on voit une
figure colossale placée dans une niche, sous un baldaquin, avec une couronne de
pierre dorée sur la tête et un glaive A la main ; on ne sait pas exactement si elle
représente Charlemagne ou l'empereur Othon ; on ignore aussi l'époque précise où
elle a été placée. De deux autres côtés, on voit des statues, dont l'une doit re|M^-
senter, d'après une tradition, un général allémanique, ou, selon d'autres, un duc
Burkhard deSouabe. Le portail principal, orné de divers groupes de figures, mérite
d'être remarqué ; quant A l'intérieur de l'église, il n'a rien de frappant ; il a une
longueur de 98 pieds français, et une hauteur de 72 pieds dans la nef du milieu.
C'est dans le Munster que le réformateur Zwingli a prêché depuis le 4*' janvier
1K49 jusqu'en octobre 4534 , époque de sa mort. ( La maison qu'il a habitée dans
les six dernières années de sa vie doit être celle qui porte le n^ 48S dans la grande
ville.)
>
I.A SUISSE PITTORESQUE:
121
La Bibitolhi'que île la ville el la culhcdrale.
I.<es édifices à mentionner sur la rive gauche sont les suivants :
Le Fraummûnster, ou église de Noire-Dame, construite sur remplacement d'une
ancienne petite église, suivant les uns après le milieu du IS""* siècle, suivant d'autres
vers 884, par Hildegarde et Berthe, petites -filles de Charlemagne. Elle est en style
gothique. Le chœur est d'une date plus reculée que le reste de l'église ; la partie
sud-est est regardée comme le monument le plus ancien que Zurich puisse montrer
sous le rapport de l'architecture. Elle avait autrefois deux tours; il n'y en a main-
tenant plus qu'une, qu'on a élevée en 4732 à la hauteur de 285 pieds. — V église
des Augmtim, employée comme magasin à blé durant trois siècles, a été en 1848
restaurée et restituée au culte catholique ; elle est un modèle d'une exécution simple
et de bon goût. Les tableaux de Deschwanden, le Christ sur le mont des Oliviers, et
le Sauveur ressuscité, sont excellents ; le maitre-autel et la chaire méritent aussi
d'être remarqués. Wéglhe de Saint-Pierre, dont Lavater a été 23 ans pasteur (ses
restes reposent dans l'ancien cimetière Sainte-Anne, situé du côté de l'ouest, et
dans lequel on ne trouve d'autre nom connu que celui du professeur Ebel). —
V hôtel des Postes, qui fut commencé en 1835 et terminé en 1838, peut servir de
modèle aux établissements du même genre. Sa principale façade, le long de la rue
de la Poste, compte 246 pieds; il contient une vaste cour, et un large portique
intérieur, formé par des colonnes d'ordre dorique et ionique, y sert d'abri au public.
Le rez-de-chaussée est consacré h l'administration : l'aile orientale contient les
16
11.8.
122
LA SUISSE PITTORESQUE.
bureaux d'expédition des lettres ; la disposition est faite de telle sorte, que les divers
bureaux peuvent se faire des communications par le moyen de tuyaux. Au-dessus
du rez-de-chaussée sont des logements pour les premiers employés, et une grande
salle pour le Département des Postes. De vastes remises sont attenantes au bâtiment
principal. — La Caserne, située dans la rue nommée le Thalacker, est un ancien ma-
gasin à blé. Le muvean, Magasin à blé, bâti de 1837 à 1839, au bord du lac ci-devant
le port, est un bâtiment de 250 pieds de longueur. — L'ancien Arsetial, près de
réglise de St.-Pierre, renferme un grand nombre d'anciennes armes, morgensterns,
hallebardes, cuirasses, etc., quelques drapeaux et des arbalètes, dont l'une est
donnée pour celle de Tell. La hache d'armes de Zwingli, conquise par les Lucernois
à la bataille de Cappel, et conservée dès-lors à l'arsenal de Lucerne, a été transportée
ici en 1847, après la guerre du Sonderbund. Le nouvel Arsenal est situé près de la
place des Carabiniers (Schûtzenplatz), au nord de la ville. — Le b&timent de
VUniversUé, comprenant une parlie de l'ancien couvent des Augustins.
Bihliothèqiies et autres collections scientifiques. — La Bibliothèque de la ville, placée
dans l'ancienne église dite Wasserkirche, a été fondée en 1634, et conlient plus de
La ff^'asserkirchc^ avant \* transibrmalion de celle église en bibliothèque niiinicipalc.
68,000 volumes. Elle possède des manuscrits précieux : une des meilleures copies
de Quintilien; trois lettres latines que Jane Gray (depuis femme de Henri VIII, et
décapitée à Londres en 1553 ), adressa, à Tàge de 18 ans, au doyen BuUinger; sept
lettres de /.-/. Rousseau; deux volumes de figures chinoises coloriées; un code
birman, écrit sur des feuilles de palmier ; trois lettres de Frédéric II, roi de Prusse,
LA SUISSE PITTORESQUE. 423
au professeur Mûller de Berlin, sur la publication d'un recueil de poésies allemandes
du 42""^ au ik^^ siècle; plusieurs bréviaires remarquables par leur ancienneté ou
par la beauté de leurs miniatures; la Bible grecque de Zvniigli, avec des observa-
tions marginales de sa main en langue hébraïque, et divers autres manuscrits du
même réformateur ; 700 manuscrits relatifs à Thistoire de la Suisse ; une collection
de portraits des bourguemestres de Zurich, curieuse parce qu'elle représente les cos-
tumes des divers siècles. On y trouve aussi le portrait de Zwingli, par Jean Asper;
le buste colossal en marbre de Lavater, par Danneker ; deux volumes de gravures
(l'Albert Durer et d'autres ; le panorama en rçlief, par Tingénieur Mûller d'Engel-
berg ; il est plus petit que celui du général Pfyffer de Lucerne, mais il est conçu
d après un meilleur plan, et représente, avec une grande exactitude, un tiers de la
Suisse et le Yorarlberg. Des antiquités romaines et turques, entre autres une pierre
tumulaire romaine, qui la première a fixé le nom latin de Zurich (Turicum), etc.
— En 483S, on a réuni sous le nom de Bihliothèqm cantaiiale diverses autres col-
lections plus ou moins importantes, telles que : la bibliothèque de l'Université, celle
du Gymnase, celle de l'Industrie, celle de l'Ecole vétérinaire, etc. Cette bibliothèque
contient au moins 22,000 volumes. Il existe encore d'autres bibliothèques spéciales :
celle de la Société d'Histoire naturelle, renfermant 40,000 volumes; celle de méde-
cine ; celle de droit ; la bibliothèque militaire, etc.
Zurich est riche en collections scientifiques : Le Musée zoologique a été fondé par
la Société de Physique, et a été cédé en 1837 à l'Etat, pour le prix modeste de
4000 francs; la collection mitiéralogique renfermée dans le bâtiment universitaire;
la collection analomique, placée dans le nouvel hôpital ; le laboratoire de chimie,
placé dans l'école cantonale; le cabinet des médailles; la collection des antiquités
celtiques et romaines trouvées dans le canton ; le Jardin botanique, dont l'étendue
est de trois ou quatre arpents, et qui possède plusieurs serres, ainsi que le riche her-
bier du docteur Hegetschweiler ; V Observatoire, établi depuis 4842 près des anciens
remparts de la rive droite; il a remplacé celui qui existait depuis 4790 dans la
tour de Charlemagne, et qui avait été le premier en Suisse. La Société des Artistes
possède une nombreuse collection de peintures, de gravures, etc. Il existe en outre
un grand nombre de collections particulières, tant scientifiques qu'artistiques.
Sociétés diverses. — Parmi les nombreuses sociétés qui existent à Zurich, nous
nommerons les suivantes : la Société helvétique, fondée par Bodmer, en 4762, pour
l'avancement de l'histoire et de la politique, devenue en 4848 la Société d'Histoire
suisse; la Société archéologique, créée en 4832 ; la Société de Physique, d'Écono-
mie et d'Histoire naturelle, fondée en 4747 par J. Gessner ; les Sociétés suisse et
cantonale d'Utilité publique, qui datent de 4840 et de 4829; la Société d'Agricul-
ture et d'Horticulture, instituée en 4843; la Société de Médecine et de Chirurgie,
reconstituée en 4840; la Société charitable ou de Secours, fondée en 4799; la
Société ascétique, destinée à perfectionner l'exercice des fonctions pastorales, insti-
tuée en 4768 ; la Société militaire, existant depuis 4777 ; la Société du Salon des
Arts, fondée par Sal. Gessner, en 4775 ; la Société de Musique et plusieurs sociétés
de chant.
Promenades, points de vue, excursions. — La Promenade haute, dans la grande
ville, est très -agréablement ombragée d'arbres ; on y jouit d'une magnifique vue
42A LA SUISSE PITTORESQLE.
sur le iac et sur les Alpes lointaines, surtout de riiémicyele où est le monument de
J.-6. Nûgeli^ élevé à ce compositeur par les sociétés de chant de la Suisse. Tout
auprès sont les nouveaux cimetières, dans l'enceinte desquels il y a une chapelle et
des tombes qui méritent quelque attention : la tombe d'Oken se compose d'un simple
bloc de pierre, sur lequel est gravé le nom avec la date de la naissance et celle de
la mort (1881) de ce naturaliste. — Le Lindenhof, ou Ciour des Tilleuls, sur la rive
gauche, est une terrasse élevée d'environ 80 pieds au-dessus de la Limmat ; il y
avait là jadis une station de péage romain, plus tard un château, où résidaient les
gouverneurs impériaux ; c'est dans ce lieu que se rendait publiquement la justice
dans les O"" et 10*" siècles; aussi ce lieu a-t-il joué un grand rôle dans l'histoire du
pays. — Vers l'ouest de la ville s'élève la promenade qu'on appelle la Kalze ( la
chatte)^; c'est un ancien bastion qui se trouve maintenant au centre d'un b^u
jardin botanique. On peut citer encore dans l'intérieur de la ville, comme offrant de
beaux points de vue : la Batischanze^ ou Baïuchanzchen (petit rempart), située sur
les bords du lac vers la sortie de la Limmat ; les jardins de la maison des orphelins;
plusieurs points élevés de la grande ville sur la pente du Zurichberg; enfin les tours
de la cathédrale.
Hors de la ville on trouve, du côté du nord, la Place des Carabiniers (Schûtzenpiatz);
pour s'y rendre, on traverse un canal d'eau courante qui entoure toute la partie de
la ville située sur la rive gauche, et un autre canal dérivé de la Sihl et qui met en
mouvement un grand nombre d'usines. A côté de la place du tir s'élève le débarca-
dère du chemin de fer de Baden, et au-delà s'étend une promenade plantée de
tilleuls et de peupliers avec de longues allées ; elle forme une longue presqu'île
et aboutit au confluent de la Limmat et de la Sihl. Cette belle promenade était très-
fréquentée il y a un demi-siècle; elle était devenue dès-lors plus solitaire; mais le
voisinage du débarcadère lui redonne aujourd'hui de l'animation. Elle était le séjour
favori du poète Gessner; aussi est-ce là qu'un simple monument est élevé à sa
mémoire. Plus au sud, le Sihlhôlzli (petit bois de la Sihl ) est dan& un site sombre
et mélancolique en même temps que pittoresque. Toute la contrée entre Zuridi et
l'Uetlibergest extrêmement verdoyante et champêtre, et peut être considérée comme
une promenade ; on y voit plusieurs belles maisons de campagne, dans l'une des-
quelles la duchesse d'Orléans a fait un séjour antérieurement à 1830. Wieland y
avait demeuré aussi en 1796. A un quart de lieue de la ville, le Bi^rgli (chàtelet) est
un point favorable pour contempler la vue du lac et de ses rives ; plus loin, la belle
ferme du Hœckler, située sur une éminence au pied de l'Uetliberg, attire de nombreux
promeneurs par son site magnifique; dans le voisinage se voient les ruines pittores-
ques du château de Manegg, autrefois le rendez-vous favori des troubadours alle-
mands. Sur la rive droite, la colline de Wipkingen, à trois quarts de lieue au nord-ouest
de la ville, offre des stations avantageuses pour contempler les tableaux admirables
1. Il ne sera peoUétre pas hors de propos d'indiquer à ceux de nos lecteurs k qui la langue
allemande n*esl pas familière, quelques-unes des particularités de la prononciation de cette
langue. Dans les mots allemands, la royellc u, quand elle n*est pas marquée â, doit se pro-
noncer ou; ge et gi se prononcent 9^« etgAt; la terminaison fréquente en se prononce mne;
it se prononce t. Ajoutons que le mot Berg signifie montagne; Hom et Stock veulent dire pic;
See, lac; Bach, ruisseau; Thaï, Tallée; Au et Maiie, prairie; Fluh, roc ou paroi de rocher. Ainsi
Abendberg vcul dire montagne du soir, Kanderthal, vallée de la Kander, etc.
LA SUISSE PITTORESQUE.
425
que présente la nalure du côté de la partie supérieure du lac, surtout vers le coucher
du soleil. Sur le penchant de la colline on voit un vasle édifice, nommé la Weid;
c'est un lieu de récréation très-fréquenté par les Zuricois.
Toinhean de Ges^orr.
Excursimus, iMais l'amateur des vastes panoramas ne peut se dispenser de faire
rascension des sommités de TAlbis. Du signal du Schnabelberg, à trois lieues de
Zurich, on jouit d'une vue enchanteresse. Au levant se déploie le magnifique spec-
tacle du lac de Zurich, avec son riche encadrement de verdure et d'habitations;
on voit autour de soi, au bas de la montagne, une grande étendue des cantons de
Zurich, Luceme, Argovie et Zug, qui étalent leurs innombrables villages, leurs
châteaux et leurs collines verdoyantes, sillonnées par le cours de la Limmat et celui
de la Sihl. Tout ce beau panorama est ceint à l'ouest et au nord par le Jura et les
montagnes de la Forét-Noire, puis par le Randenberg au canton de SchafThouse ; à
l'orient s'élèvent les monts d'Appenzell, deSt.-Gall et deGlaris. Au sud, l'œil du
spectateur est frappé de la foule des pics des hautes Alpes. Par une illusion d'optique,
le Righi et le Pilate paraissent n'être séparés que par une étroite crevasse, à travers
laquelle on distingue une petite partie du lac de Lucerne. On parvient facilement
sur le Schnabelberg en quittant la route de Zurich à Lucerne, qui traverse l'Albis au
nord de cette sommité; de l'auberge de l'Albis on atteint celle-ci en moins d'une
demi-heure. Quelques personnes préfèrent la vue de l'Uetliberg, du haut duquel le
spectateur domine la ville de Zurich avec tous ses détails. Deux ou trois chemins y
mènent de Zurich dans une heure et demie ou deux heures ; l'un de ces chemins est
126 LA SUISSE PITTOHESQUE.
praticable pour des voitures légères jusqu'à peu de distance du sommet. Une grande
auberge, visible de très-loin, y existe depuis 4840; elle est souvent pleine le samedi
soir, de sorte qu'il est difficile d'y trouver place. On peut se rendre de l'IIetliberg au
Schnabelberg en suivant la crête de la montagne : la distance est de deux ou trois
lieues.
La vue du Lâgerberg est aussi l'une des plus remarquables de la Suisse ; le pano-
rama qu'on y découvre est encore plus étendu et plus grandiose que celui de l'Albis.
On peut se rendre en voiture jusqu'à Regensberg, et passer la nuit dans cette petite
ville, connue dans le pays sous le nom de Barg (château ), afin de jouir de l'aspect
de la chaîne des Alpes éclairée par les rayons du soleil couchant, puis par ceux
de l'aurore; mais il est nécessaire que le temps soit parfaitement serein. Plusieurs
autres points de l'intérieur du canton offrent également un horizon très-étendu :
tel est le sommet d'une haute colline qui domine la Tôss et que franchit la route
de Zurich à Winterthour. Voyez en outre les localités indiquées plus bas.
Wintertlwur, jolie ville à quatre lieues de Zurich, sur la route de Frauenfeld et de
Constance, compte 53&0 habitants; c'est le principal endroit après Zurich. Elle est
située au milieu d'une contrée boisée, entrecoupée de riantes collines. Elle se com-
pose de deux grandes rues parallèles, coupées par huit autres transversales. Ober-
irin/er(Aoiir (Winterthour supérieur), village situé vers le nord, est le Vitodurum ou
Vitatodurum des Romains. Nous avons parlé des antiquités qu'on y trouve encore.
En.4180, le comte Hartmann fit bâtir la ville de Winterthour, qui devint la capitale
de toute la Thurgovie, dont il était souverain. En 4292, les Zuricois furent défaits
près de Winterthour par les Autrichiens, commandés par le duc Albert. Le comte
Rodolphe de Habsbourg s'empara de la ville dans le courant du 43* siècle, et elle
passa sous la domination des ducs d'Autriche, qui la possédèrent jusqu'en 4445,
époque à laquelle elle fut déclarée ville impériale. Les souverains de l'Autriche lui
avaient accordé de grands privilèges; aussi resta-t-elle fidèle à cette puissance et prit-
elle parti pour elle contre les Suisses. En 4&47, l'avoyer Gôtz avait conclu une
alliance, dite éternelle, avec Zurich; mais cette alliance ne dura pas six mois, et son
auteur fut condamné à subir la peine capitale. En 44&2, elle se redonna volontaire-
ment à l'Autriche, et elle souffrit beaucoup dans le coui*s des guerres de cette puis-
sance contre les Suisses. En 4 460, elle soutint un siège de neuf semaines contre une
forte armée fédérale, et ses habitants, sans distinction d'ftge ni de sexe, firent des
prodiges de valeur et de dévouement ; sept ans plus tard, elle dut se soumettre à la
domination de Zurich, pour le prix de 40,000 florins du Rhin, mais en se réservant
de grands privilèges.
Winterthour lutte avec Zurich dans la carrière des sciences, des arts et du com-
merce ; elle est une des villes les plus riches et les plus industrieuses de la Suisse. On
y trouve un grand nombre de maisons qui font des affaires immenses en cotonnades
et en laine. Elle a des filatures, des manufactures de mousselines, de toiles peintes,
des teintureries, etc. etc. Elle possède depuis longtemps divers établissements d'in-
struction ou d'utilité publique, un gymnase, des écoles gratuites pour les enfants
pauvres, un hospice des orphelins, une caisse d'épargne, etc. Les édifices remarqua-
bles sont l'hôtel-de-ville, l'église, qui a deux tours de 484 pieds suisses et possède
de belles orgues depuis 4808 ; le nouveau bfttiment des écoles, terminé en 4842.
LA SUISSE PITTORESOrK.
127
et qui renferme la bibliothèque et une colleetion de plusieurs milliers de médailles
romaines et de pierres gravées, trouvées dans les environs de la ville et du village
d'Ober-Winterthour. Plusieurs particuliers possèdent des collections de tableaux et
de gravures, etc. Les habitants de Winterthour cultivent la musique : en hiver, il se
donne des concerts d'amateurs et des bals. Les environs sont ornés de charmantes
maisons de campagne, et Ton y trouve des promenades agréables. A une forte lieue
vers le sud, s'élève le chÀteau de Kybourg, résidence d'une puissante famille du
moyen-àge, dont les biens échurent par héritage à Rodolphe de Habsbourg, et dont
le nom figure encore parmi les titres des empereurs d-Autrichc et des rois d'Espiigne.
K,G
Chiteaii (le Kjrlouii;.
A demi-lieue de la ville, on voit l'ancien couvent de Tôss, au bord de la rivière de
ce nom; il est maintenant converti en fabrique; c'est ce couvent qu'habitait fré-
quemment Agnès, fille d'Albert I", au commencement du 14" siècle ; c'est là que sii
belle-fille, sainte Elisabeth de Hongrie, se décida à prendre le voile en 1310. Du
côlc du nord s'élève le château de Marsbourg, sur une colline, d'où Ton jouit d'une
vue étendue sur les Alpes.
Wœdemchweil (ou WaBdenschwyl), grand et beau l)ourg à 4 ou 5 lieues de Zurich,
sur la rive gauche du lac, avec environ 5000 habitants. Son château était la résidence
de la famille noble d'Eschenbach-Weedenschwcil ; la ville de Zurich l'acheta en 1S49.
En 1646 et 1804, Wtedenschweil fut le foyer de dçux insurrections populaires, à la
suite desquelles plusieurs habitants périrent sur l'échafaud. Le beau château de ce
lieu fut brûlé pendant celle de 1804 ; mais il a été rebâti depuis ; on y jouit d'une
vue ravissante. On trouve aussi dans le voisinage des ruines remarquables. Les
habitants sont extrêmement actifs et industrieux ; des bibliothèques de louage répan-
dent Tinstruction parmi eux.
128 LA snssR piTTonESQre.
Rirhlefischweil, grand et superbe village, à peu de distance du précédent. Les mar-
chandises destinées pour riialie y sont débarquées, pour être transportées par terre
jusqu'à Brunnen, sur les bords du lac des Quatre-Cantons. Les pèlerins souabes, qui
se rendent par Zurich à Einsiedien, débarquent à Richtenschweil. La position de ce
village est délicieuse, et les environs offrent des promenades très-intéressantes. Sur le
chemin de Wsedenschweil on rencontre deux jolies cascades, près d'un moulin situé
au fond d'une petite vallée fort sombre; les collines de Wollerau, l'église de Feusi-
berg, plus loin le mont Etzel, etc., offrent des points de vue admirables. Les bourgs
schwytzois de Lachen et d'EinsiedeIn sont à la distance de 3 lieues.
Stùfa ou SliifUij situé vis-à-vis de Richtenschweil, est un des plus beaux villages de
la Suisse; il est formé de plusieurs groupes de maisons, et compte &000 habitants,
dont une grande partie travaillent la soie et le coton. L'extrémité du môle, qui ferme
le port, offre un magnifique point de vue ; près de l'auberge de la Couronne, il y a
des bains, connus sous le nom de Wannenbad. Ce village fut, en 1794, le foyer d'une
insurrection, dont les funestes suites ont causé beaucoup d'animosité entre les habi-
tants de Stàfa et ceux des bords du lac.
Horgen, à 3 lieues de Zurich, est aussi un grand village de &000 âmes, Oorissant
par son industrie; on y voit plusieurs belles habitations; à demi-lieue vers le sud,
sont les bains de Bocken, dans une position magnifique, d'où l'on découvre à peu
près toute la surface du lac.
Usler, sur une colline à l'est du lac de Greifensee, est au milieu d'une contrée fer-
tile ; ce village possède h à SOOO habitants et d'iniiK)rtantes manufactures.
Greifensee, sur le lac de même nom, et Eglisaay sur le Rhin, sont d'anciennes
petites villes, jadis fortifiées, qui sont loin d'être aussi prospères que les villages
ci-dessus. Nous avons dit que les tremblements sont fréquents à Eglisau; ce qui est
singulier, c'est que le plus souvent on ne s'en a|)er(oit pas dans les villages les plus
voisins; ils sont toujours accompagnés d'un bruit sourd.
Cappel, village situé sur le revers occidental de l'Albis, près de la frontière de
Zug. Les bains de Wengi sont dans les environs. On y remarque plusicui*s ruisseaux,
qui recouvrent les mousses d'une croule de tuf. Ciip[)cl est célèbre par la bataille qui
s'y livra en 1S31, et par la mort de Zwingli. Ce village est le berceau de Josias
Simmier, qui y naquit en lb'30, et qui est connu par plusieui*s ouvrages de théo
logic, de nuilhémaliqucs et d'histoire.
CANTON DE BERNE.
Situation, étendob, climat, etc. — Le canton de Berne est borné au nord par
l'Alsace et les cantons de Soleure et de Bâle-Campagne ; à l*est, par les cantons de
Soleare, Ai^ovie, Lucerne, Unterwald et Uri ; au sud, par le Vallais ; à l'ouest, par les
cantons de Yaud, Friboui^ et Neucbâtel, et par le département du Doubs. Le point
le plus noéridional est le mont Oldenhorn, situé sous le 46"*'', 20^ de latitude; les
cantons de Vaud et du Vallais aboutissent à cette même sommité. Le point le plus
septentrional est à 47, 35^, près de Délie, dans le département du Haut-Rhin. La plus
grande longueur du canton est de 35 lieues du nord au sud, et sa plus grande lar-
geur est de 20 lieues de Test à l'ouest. — Sa superficie est évaluée à 294 lieues
carrées suisses ; il ne le cède donc en grandeur qu'au seul canton des Grisons, dont
retendue est de 301 lieues. Toutefois, les travaux de triangulation dans ces deu\
cantons n'étant pas complètement terminés, ces évaluations ne sont pas rigoureu-
sement exactes. Sous le rapport de la population, le canton de Berne est le premier ;
d'après le recensement de 18S0, il comptait 458,301 habitants; ce chiffre dépassait
de 208,000 celui du canton de Zurich. Depuis son entrée dans la Confédération,
Berne a occupé le second rang ; il cédait la prééminence à Zurich seul ; il est aussi
nommé le second dans le Pacte fédéral de 1848. Maintenant que Berne est devenu
le chef-lieu permanent de la Confédération et le siège de toutes les autorités fédé-
rales, il n'en continue pas moins à n'être nommé qu'en second lieu dans tous les
actes officiels.
Le canton étant occupé presque en entier par des montagnes ou par des collines
élevées, son climat est plutôt rigoureux que doux ; cependant, on comprend que les
diversités d'exposition et de hauteur occasionnent une grande variété dans la tempé-
rature. Ainsi, plusieurs villages situés vers le haut des vallées qui aboutissent aux
grandes Alpes, sont privés de soleil durant quelques semaines : tel est celui de Gsteig;
les environs d'Interlacken, au contraire, jouissent d'un climat assez doux, grâce à
la direction de la vallée, qui, courant de Testa l'ouest, est par là préservée de l'at-
11,9. 17
130 LA StfffiC PTTTMISQn.
U^înU* *-* vpnU TphtIs. C«*st par rette raL^oo que b vi;me croît sur les rives septen-
trR>naks du bc de TlK^jne. H que les noyers pro(>pèreol remarquaUemeni entre
les brs de TtKMine et de Brienz, et sur les rives de ce dernier. Mais le froid se iail
a.*4Aez vivement sentir en hiver à Berne, ainsi qu*au\ environs, vu leur situation sur
un plateau élevé. Les alternatives subites de chaud et de froid y sont fréquentes; les
neiges et les gelées blanches y srKit tardives au printemps, et hâtives en aotomne.
Les vallées du Jura sont froides, vu leur direction générale du sud-ouesl au nord-est.
Mo?iTAG!^es ET GLiacas. — Nous avons parié, dans la partie générak, de la haute
chaîne alpine, qui, partant de la Furka, forme la limite des cantons de Berne et du
Vallais, et à laquelle appartiennent plusieurs des sommités les plus colossales de la
Suisse, telles que le Finsteraarfaom, la Jungfrau, etc. Des ramiBcations qui partent
de cette grande chaîne et qui enCerment les diverses vallées de TOberland, s'élancent
àum plusieurs pi(^ couverts de neiges étemelles, mais ils sont tous à peu de dis-
tance de la principale chaîne. Nous avons indiqué la plupart de ces cimes, avec leur
élévation, dans Fénumération des principales sommités de la Suisse ; il serait fasti-
dieux de les rappeler ici, d'autant plus que nous serons appelés à les mentionner de
nouveau en décrivant les vallées. Les hautes Alpes bernoises, comme nous l'avons
dit aussi, présentent sur leurs flancs un très-grand nombre de glaciers; on en a
compté jusqu'à 155. Les plus remarquables sont ceux de l'Aar, celui de Rosenlaui,
ceux de Grindeiwald et de Lauterbrunnen, etc. Nous en reparlerons plus loin. Nous
renvoyons du reste, pour les généralités, à l'article sur les glaciers (page 73).
Dans le voisinage immédiat des lacs de Thoune et de Brienz, les montagnes n'at-
teignent plus qu'une hauteur de 6 à 8000 pieds. Plus au nord, elles s'abaissent en-
core. Aux environs de Berne et jusqu'au lac de Bienne et aux frontières de Soleure
et d'Argovie, on ne voit plus que de hautes collines. Mais la partie occidentale du
canton est sillonnée par les chaînes du Jura, qu'on appelle en allemand Ltberberg.
Le point culminant du Jura sur le territoire bernois est le Chasserai (Gestler), au-
dessus du lac de Bicnnc ( 4970 ) ; les autres sommités ne dépassent guère 4000
pieds; tels sont le mont Moron, 4121 ; le Mmilo, au nord de Bienne, 4100; le mont
Rahmiix, à l'est de Moutiers, 4020. Vers les frontières du département du Doubs
et de celui du Haut-Rhin, les chaînes du Jura s'abaissent considérablement.
Rivières. — Le canton abonde en rivières et en torrents, la plupart alimentés par
les glaciers et les neiges éternelles dont les montagnes sont couvertes. Le principal
(M)urs d'eau du canton est VAar, qui est aussi la plus considérable des rivières ap|)ar-
tenant entièrement à la Suisse. L'Aar a sa source dans les vastes glaciers qui
descendent du Finsteraarhorn. Il arrose le Hasli, traverse les lacs de Brienz et de
Thoune, passe à Berne, à Aarberg, à Soleure, et quitte le canton près de Mor-
^cnthal. Il est navigable depuis sa sortie du lac de Brienz, mais c'est surtout depuis
Thoune qu'il sert comme voie de transport; toutefois, plus bas que Berne, quelques
|)ctites chutes empêchent le passage des bateaux chargés de marchandises. L'Aar est
grossi par un grand nombre de rivières et de torrents qui lui amènent toutes les eaux
de rOberland et celles de la plus grande partie de la Suisse occidentale. Les prin-
cipaux affluents sur la rive gauche sont : La Lnischine, qui se jette dans le lac de
Brienz, près Bœnigcn, et qui est formée de la jonction de deux torrents, qui se
i*éunissent au village de Zwcylutschinen (ou des deux Lutschines), la Lutschine
LA SUISSE PITTORESQUE. 131
noire, qui vient du Grindelwald, et la Lutschînc blanche, qui vient de la vallée de
Lauterbrunoen ; — la Konder, qui sort du glacier de Tschingel, et arrose la vallée
de Gastern et celle de Frutigen. Près du bourg de ce nom, elle reçoit VEngstligen,
qui vient de la vallée d'Adelboden ; puis, réunie à la Simine, elle se jette dans le lac
de Thoune par un large canal creusé de 1712 à 171 &, et long de quelques milliers
de pieds. Elle se jetait jadis directement dans TÀar, au nord de Thoune ; mais on a
détourné son cours pour prévenir les inondations qu'elle causait sur des terrains
Tertiles. — Quant à la Simme, elle arrose la grande vallée du Simmenthal, et a ses
sept sources ( Siebenbrannen) au-dessous du glacier de Rœtzli : — la Sarine a sa
source dans le Haut-Gessenay , sur le col de Sanetsch, et après avoir arrosé le district
vaudoîs de Ghâteau-d'OEx et le canton de Fribourg dans toute sa longueur, elle
rentre sur le canton de Berne, près de Laupen, et se jette dans l'Âar au-<lessus
d'Aarberg. — La Thièle, continuation de la rivière vaudoise TOrbe, sort du lac de
Neuchàt£l, traverse celui de Bienne, et verse ses eaux dans TÂar, à une lieue et
demie de Nidau. Cette rivière amène ainsi en même temps les eaux de la Suze, qui
descend de la vallée de St.-Imier et se jette dans le lac de Bienne. — Sur la rive
droite, TÂar reçoit la grande Emtne, dont les sources sont situées au nord du lac de
Brienz; elle arrose l'Emmenthal, passe à Burgdorf (Berthoud), et se joint à l'Âar un
peu au-dessous de Soleure, après un cours de seize lieues. — Nommons encore la
Birse, qui a sa source au fond de la belle vallée de Moutiers dans le Jura ; elle forme
deux jolies cascades près de Laufen et de Dornach, et se jette dans le Rhin à demi-
lieue de Bàle. Enfin le Doubs, qui forme la limite du territoire bernois, sur une
étendue de cinq à six lieues, et qui fait un cours de pareille longueur dans l'intérieur
du canton, près de Sainte-Ursanne.
Lacs et cascades. — Le canton de Berne possède trois lacs principaux : ceux
de Thoune, de Brienz, et de Bienne. Nous en parlerons plus en détail dans la
description des diverses vallées du canton. Il confine aussi à l'extrémité nord du lac
de Neuchàtel. Mais on rencontre sur les hautes montagnes un certain nombre de
petits lacs* ordinairement d'un aspect très-sauvage. Tels sont le Bachsee, sur le
Faulbom, à la hauteur d'environ 7000 pieds ; c'est le plus élevé de tous ; le Dau-
bensee, sur la Gemmi (6790), entouré de rocs nus, de même que le Todiensee
(lac des morts), sur le passage du Grimsel; le lac de l'Hospice, au-dessous du précé-
dent; le Trûbesee, au pied du Siedelhorn, et non loin du Grimsel; VEngsîknsee, sur
l'Engstlenalp, près du Titlis; le lac de Lauenen, dans la vallée de ce nom; le lac
d'Arnoti, dans le Gessenay ; le lac i'Œschinen, près Kandersteg, etc. Ces derniers
sont entourés d'une belle verdure. — Quant aux cascades, le canton de Berne en
possède un grand nombre, dont plusieurs sont comptées parmi les plus remarquables
de la Suisse; telles sont celle de l'Âar à la Handeck, celles du Staubbach et du Schma-
dribach dans la vallée de Lauterbrunnen, celles du Reichenbach près Meyringen,
celles du Giessbach au-dessus du lac de Brienz, celles de la Simme près des sources
de cette rivière. Nous nous bornons à les mentionner ; leur description trouvera
mieux sa place plus loin.
Bains et eaux minérales. — On compte dans le canton de Berne plus de soixante
sources minérales. Plusieurs jouissent d'une réputation méritée, qui, autant que leurs
sites pittoresques, attire dans la belle saison un grand concours d'étrangers. Les
433 LA SUISSE PITTORESQUB.
principaux établissements de bains sont ceux de Blumenstein, situés près du village
de ce nom, au pied du Stockborn, à cinq lieues de Berne. La source est dans l'éta-
blissement même; Teau en est claire, sans odeur, mais elle a un goût Apre; elle se
décompose à Tair, et dépose de Tocre jaune. L'auberge est vaste et bien tenue. On ne
fait usage de ces eaux que pour s'y baigner ; elles sont très-efficaces dans les cas d'as-
théhie générale ou de faiblesse nerveuse, ainsi que pour guérir des rhumatismes
dironiques et des maladies asthritiques. En prenant ces bains, on boit à l'ordinaire
quelque autre eau minérale, nommément les eaux du Gournigel, qui se trouvent
dans le voisinage. — Les bains soufrés du Gournigel, situés à six lieues de Berne,
sur la pente de la montagne du même nom, qui s'appuie contre la chaîne du
Stockborn. Ils sont construits à côté d'un beau bois de sapins, et à une Irès-pelile
distance des diiiérentes sources. Celles-ci sont limpides et ont une légère odeur de
soufre; le contact de l'air les décompose très- vite, et les rend aussi blanches que
du lait. Elles ont la vertu de guérir des obstructions, des vapeurs, des maux d'es-
tomac, de ranimer ou régulariser la circulation du sang. Les douches sont surtout
excellentes contre les maladies nerveuses et les rhumatismes. Les eaux du Gournigel
sont en particulier très-propres à rétablir la santé des hommes de cabinet et des sa-
vants, qui mènent habituellement une vie trop sédentaire. La pureté et la bonté de
l'air contribuent à augmenter l'heureuse influence de ces eaux. Le bâtiment des
bains est commode ; des appartements et surtout de la terrasse, on jouit d'une vue
très-étendue sur toute la partie du canton comprise entre le Jura et les montagnes
de l'Emmenthal. En une heure de marche, on peut se rendre au sommet de la
montagne, d'où l'on découvre une partie des cimes neigeuses de l'Oberland. — Les
bains de Weismibourg (autrement nommés bains d'Obertoyl ou de Buntschi)^ sont
situés au fond d'une gorge romantique à demi-lieue du village du même nom, à cinq
lieues de Thoune, dans le Bas-Simmenthal. La source est à un quart de lieue de l'é-
tablissement, et sort d'une horrible fente de rocher, dont le ruisseau de Buntschi
occupe toute la largeur. Lorsque le ruisseau n'est pas grossi par les pluies, on peut
aller jusqu'à la source sans danger, mais il faut pour cela passer sur des blocs de
rocher, et même sur des échelles. Les eaux de ces bains sont limpides et légères;
elles exhalent une vapeur sulfureuse, et leur température à la source est de iS"" Réau-
mur ; elles sont excellentes contre les maladies de poitrine, la phthisie, et certaines
directions nerveuses. On s'en sert, suivant les cas, pour en boire et pour s'y baigner.
On se rend de ces bains en cinq heures à ceux du Gournigel, en franchissant les
montagnes de Morgeten et de Ganterisch. — On peut citer encore les bains de
Thalgut, aux bords de l'Aar, à deux lieues de Thoune ; ceux A^Engistein, près Worb,
qui tous deux ont à peu près les mêmes propriétés que ceux de Blumenstein, mais
sont moins actifs ; ceux du GltUschbad, à une lieue au sud de Thoune, lesquels ont
eu une assez grande vogue pendant quelques années; le SchniUtceyer et le Rim-
pachbad, près Thoune ; le Kûblisbad, au bout du lac ; les bains de Leimgen, au sud
du lac ; ceux de Rosenlaui, près du glacier de ce nom, etc. — Aux portes de Berne
on trouve les bains de Gutenhurg, qui sont très-recommandables par leur bonne
organisation, et ceux de Marzihli, aux bords de l'Aar, tout près de la ville. Le
Lochhad ou Sommerham (maison d'été), près Berthoud, est très^fréquenté. — Le
Jura possède aussi de bonnes sources minérales : telles sont celles de Baderm, près
LA SUISSE PITTORESQUE* 133
Moutiers; de SonviUiers, près St.-Imier; de la Bourg, près Laufen, à la frontière
d'Alsace ; près d'Undervîlliers, sur la Sorne, on voit sortir d'une caverne des eaux
minérales savonneuses, dont les habitants font un grand usage, et qui ont reçu le
nom de Fontaine de Sainte-Colombe.
Histoire naturelle. — Règne animal. La race bovine, qui compte de 200 à
220,000 têtes, est dans plusieurs vallées remarquable par sa force et sa belle taille.
Le Gessenay, le Simmenthal et l'Emmenthal possèdent les troupeaux les plus
renommés du canton. La race chevaline, au nombre de 32,000 têtes, est aussi
d'une assez belle espèce. — Les animaux sauvages qu'on trouve encore dans le
canton, sont : l'ours brun, qui se réfugie dans les hautes forêts, surtout celles du Jura ;
le loup, qui est rare dans les Alpes, mais assez commun dans les bois du Jura ; le
lynx ou loup-cervier, grand ennemi des troupeaux et des chamois, et qui vient du
Vallais; le renard, qui est commun dans tout le canton. Quant au chamois, dont
l'espèce est considérablement diminuée, on en voit encore de petites troupes sur les
montagnes alpestres; on ne peut le chasser qu'avec une autorisation particulière. La
race du bouquetin est encore plus réduite. La marmotte et la souris blanche n'est
pas rare dans les montagnes de l'Oberland, ainsi que le lièvre, qui blanchit en hiver.
On trouve aussi dans le canton tous les oiseaux des hautes Alpes : le grand aigle,
remarquable par sa grosseur et sa force prodigieuse ; le vautour barbu ou LUmmer-
geier (vautour des agneaux); le hobereau à pieds roux, l'effraye, le choucas des
Alpes, le coq de bruyères, la gelinotte, le pinson des neiges, le merle à plastron
blanc, la fauvette des Alpes, l'hirondelle des rochers, etc.
Les lacs et les rivières sont très-poissonneux. La truite saumonée {salmo fario),
le brochet et la perche se trouvent dans les trois lacs de Thoune, Brienz et Bienne,
et dans les rivières. La lotte et la truite du Rhin (salmo trntta) se trouvent dans
l'Aar et les lacs. Le lac de Bienne contient des truites de vingt-cinq livres, une
espèce de goujon très-estimée, et la fera du lac de Genève. Le poisson le plus re-
cherché du lac de Thoune est VAalbock, qui est particulier à ce lac, et qui diffère peu
de la fera du lac de Genève. Le meilleur poisson du lac de Bienne est le Brienzling,
qui ne se trouve pas ailleurs; il y est tellement abondant, qu'on en prend jusqu'à
plus d'un millier d'un seul coup de filet. — Vu la variété de son sol et de ses pro-
ductions, le canton de Berne offre à l'entomologiste une grande quantité d'insectes
de toutes espèces; il visitera avec un égal intérêt les Alpes, le Jura, les bords des lacs
et les environs de Berne.
Règne végétal et agriculture. La flore bernoise n'offre pas moins de richesse.
L'Obcrland, ainsi que les environs de Berne, présentent un certain nombre d'espèces
rares. — Le canton renferme dans son étendue tous les genres de végétation. On
trouve d'abord sur la limite méridionale la région des neiges, où il ne croit guère
que des lichens, des mousses, et quelques graminées; puis les hauts et les bas
alpages, ridies en herbes de toutes espèces ; ensuite vient une région comprenant les
pentes inférieures des montagnes et les vallées, et occupée par des forêts et par des
pftturages qui fournissent le fourrage nécessaire pour nourrir les troupeaux pendant
rhiver; enfin, la région des collines et des plaines, où l'on cultive les céréales, les
arbres fruitiers et même la vigne. Au-delà des plaines s'élève le Jura, où l'on retrouve
la région des forêts et celle des pâturages. Mais les sommets du Jura, habites l'été par
43& U SDISSK PITTOIIBSQLB.
les troupeaux, atteignent à peine à Télévation des plus hauts villages d'hiver dans
les Alpes, lesquels sont entourés de prairies que Ton fauche pendant que le bétail
est conduit sur les alpages.
Les plaines du canton et même beaucoup de ses collines, jadis couvertes de forêts,
mais défrichées maintenant, offrent à l'œil un agréable mélange de champs de Ué,
de prairies artificielles et naturelles, de jardins potagers et de vergers, et le terrain,
sauf quelques marécages plus ou moins étendus, est assez fertile. L'agriculture est
en général assez avancée ; mais la récolte des céréales est insuffisante pour ki con-
sommation du pays. L'orge et la pomme de terre prospèrent jusqu'à environ
4000 pieds. Dans le jardin de l'auberge de Schwaribach sur la Geromî, situé à
6420 pieds, on cultive même divers légumes. Les bords septentrionaux du lac de
Bienne sont particulièrement propres à la vigne ; près du lac de Thoune on trouve
quelques coteaux, où, à la faveur de certaines circonstances locales, la vigne pros-
père à 1800 pieds au-dessus de la mer. Il est peu de localités en Suisse où l'on voie
de la vigne à une plus grande élévation. Sur les monts qui dominent Brienz, dans
les endroits exposés au soleil, le noyer, le plus délicat des arbres fruitien, porte des
fruits à 2835 pieds au-dessus de la mer ; mais dans la vallée de HasU im Grand on
ne le trouve pas au-delà de 2080 pieds. Les autres espèces d'arbres fruitiers, pru-
niers, pommiers, poiriers, cerisiers, croissent à de plus grandes hauteurs, comme
nous l'avons déjà indiqué dans la statistique générale.
Bien qu'on en ait défriché beaucoup, les forêts abondent encore dans le canton :
elles couvrent plus d'un sixième de la surface du pays. Dans le centre du canton
et sur la partie inférieure du Jura, les hêtres dominent ; on en voit aussi beau-
coup dans quelques-unes des vallées des Alpes. Ce n'est qu'entre Berne et Soleure
qu'on trouve quelques forêts de chêne vulgaire. L'érable de montagne est assez
commun dans la région où le hêtre devient rare ; il ne dépasse pas 5000 pieds.
L'ormeau et le frêne prospèrent jusqu'à 4400 pieds. Le bouleau blanc, commun
dans la plaine, surtout dans les terrains marécageux, ne croit qu'épars dans les
Alpes. Parmi les arbres résineux, ce sont le sapin ronge et le sapin blanc qui sont
les plus communs ; ils croissent jusqu'à 6500 pieds; ce dernier ne descend pas aussi
bas que le premier. On trouve aussi despim sauvages, surtout sur les pentes exposées
au soleil. Le mélèze, qui prospère également bien dans la plaine et sur les montagnes,
croit dans les vallées d'Oberhasli et de Gadmen, jusqu'à 6000 pieds. Le cimbre, pinm
cimbra, y croît dans les hautes régions jusqu'à 6350 pieds.
Règne minéral. La chaîne principale de l'Oberland est en partie composée de roches
primitives, en particulier le groupe du Finsteraarhom, formé de granit et de gneiss ;
mais la formation calcaire y occupe aussi une grande place. Le calcaire recouvre le
gneiss au Wetterhorn ; au Schreckhom, le granit alterne avec les couches de gneiss et
de calcaire ; la Jungfrau parait presque entièrement composée de calcaire reposant sur
la roche primitive ; les avalanches détachent d'une grande hauteur des roches cal-
caires, où l'on trouve quelquefois des pétrifications ; cependant, sur le sommet même,
on ne voit que du gneiss, d'après Desor. De la Gemmi au Sanetsch, la chaîne est aussi
calcaire. Il en est de même des montagnes qui entourent le lac de Thoune. Des bancs
de pierre calcaire et de schiste argileux forment celles qui bordent les rives du lac de
Brienz. — L'Oberland possède diverses mines, mais aucune dont l'exploitation ait
LA SUISSE PITTORESQUE. ISS
été productive. Ainsi, Ton trouve du fer, du plomb et de l'argent au fond de la vallée
de Lauterbrunnen, du fer magnétique ou aimant au Wetterhorn, etc. Mais les cris-
tallières méritent surtout d'être mentionnées. La plus riche qu'on ait exploitée en
Suisse est celle du Zinkenstock, sur le glacier de l'Aar, laquelle fut découverte en
1720. Elle avait, dit-on, une profondeur de 120 pieds sur 18 de largeur, et contenait
des cristaux du poids de quatre, cinq et même huit quintaux ; ceux de un et deux
quintaux y étaient communs. En 1807, on a découvert une autre mine de cristal non
loin de l'hospice du Grimsel ; on y trouva, dans un lit de terre glaise, des cristaux de
formes assez bizarres, et pour la plupart aplaties, et dont quelques-uns pesaient 40 à
50 livres. On trouve de la pierre ollaire près Guttannen, dans l'Oberhasli ; de Tasbeste
à Lauterbrunnen; du marbre, dans les vallées de Grindelv^ald et de Gadmen, et à
Merlingen, au sud du lac de Thoune ; de la houille, près de Boltigen dans le Simmen-
thaï, au Béatenberg au nord du lac de Thoune, etc. L'Emme charrie des paillettes
d'or, mais moins aujourd'hui qu'autrefois. — Dans la région basse ou centrale, les
roches qui dominent sont des grès, qui contiennent une quantité de débris organi-
ques. Tels sont les bancs de fossiles que l'on voit près de Berthoud. Plusieurs collines
fournissent des grès à bâtir de diverses qualités.
Le Jura est composé de roches calcaires compactes, alternant avec des couches
de gypse et d'argile, remplies de pétrifications ; on y rencontre aussi des filons de
diverses autres substances minérales. Les districts du Jura, et surtout les environs de
Porrentruy et le val Moutiers, offrent un vaste champ d'observation au naturaliste.
On trouve des mines de fer à Corroux, Correndelin, Liesberg, Péry, Vauffelin, etc.
Ces mines produisent environ 100^000 quintaux de fer par an. On a reconnu en
divers lieux des indices d'argent, de plomb, de cuivre, etc. On rencontre des filons
de marbre près de Laufen et de Ste.-Ui*sanne et dans le val St.-Imier. On exploite
des carrières de gypse h Gornol et à Courgenay, près Porrentruy ; et plusieurs car-
rières de belles pierres de construction : à Bienne, où la pierre est jaune ; près de la
Pierre-Pertuis, où elle est bleue; à Movelier et Bourrignon, où elle est blanchâtre; à
Porrentruy, où elle est grisâtre. 11 existe au-dessus de Glovelier une grotte remar-
quable par quelques stalactites et surtout par une température opposée à celle de
l'air ambiant : en hiver, sa température est douce et fait l'effet de celle d'une chambre
chaude ; en été, elle est au point de la congélation, de sorte que les filtrations d'eau
y déposent souvent des glaçons. Le même phénomène se reproduit aussi en quel-
ques autres endroits, dans des excavations profondes en forme d'entonnoirs : par
exemple, sur la peate du Chasserai, au-dessus de Courtélary. Les bergers y prennent
quelquefois de la glace pour la manipulation du beurre et du fromage. — Au-kIcssus
de Bienne on voit un grand nombre de gros blocs erratiques de granit.
Antiquité. — Le canton de Berne n'est pas aussi riche en restes d'antiquités que
les contrées qu'il gouvernait autrefois (Vaud et Argovie). On n'a reconnu aucune
trace d'une occupation romaine dans l'Oberland au-delà de Thoune. Quant à Berne,
comme on le sait, elle ne date que du milieu du moyen-âge. On a déterré des mon-
naies romaines à Hindelbank, près Berthoud ; à Langenthal ; aux environs de Bienne ;
à Mury, près Berne; à Thierachern; à Bûrgistein et à Rûggisberg, aux environs
de Thoune. On a trouvé à Amsoldingen, près Thoune, une inscription latine qui est
un indice de la domination romaine plus concluant que les monnaies, car il est
136 LA suisse PITTOBESQCE.
possible que ce soit à I^approche des hordes de barbares du Nord que les habitants
aient enfoui leur argent. On a reconnu aussi quelques restes celtiques sur le Belp-
berg, entre Berne et Thoune. On a découvert dans le cimetière d'Herzogenbuchsee
un superbe pavé de mosaïque et les tombeau^L des martyrs Félin et Régula, dont
les cadavres furent apportés en ce lieu après leur exécution à Zurich, vers Tan 300.
Dans le Jura, entre Sonceboz et Tavannes, se trouve une roche percée, connue sous
le nom de Pierreport ou Pierre-Pertuis {Petraj)erttisa). Cette ouverture, sous laquelle
liasse la roule de Bienne à Bàle, a 40 à 50 pieds de hauteur ; la paroi dans laquelle
elle est pratiquée peut avoir 40 à 15 pieds d'épaisseur. Du côté du nord, au-dessus
de Touverture, on lit les restes d'une inscription romaine, dont le temps a efiaoé
plusieurs lettres, et dont le sens parait être : En rhofineur des empereurs cette voie a
été établie par M.,., Durvus Paterniis, duumvir de la colonie helvétienne. Quelques
antiquaires croient qu*il faut lire 20^ duumvir, etc. Comme Avenches fut créé le
siège de la colonie des Helvétiens sous Vespasien, Tan 61 ou 62, et que le duum-
viral était une charge qui durait cinq années, la date de l'inscription tomberait
environ à l'an 161. Si, comme quelques personnes l'ont soutenu, l'ouverture de la
roche est naturelle, le nom de Petra pertusa, roche percée, ne lui aura été donné
que postérieurement à l'établissement de la voie romaine, à une époque où Ion
aura commencé à attribuer celle ouverture à la main de l' homme.
Sur une colline à gauche de la route de Courgenay à Porrentruy Ton voit une
colonne de pierre qui a été un objet de discussion entre les antiquaires. Elle est
percée orbiculairement à jour, ce qui fait qu'on l'appelle pierre percée. Sa hauteur
est de dix pieds au-dessus du sol, et sa largeur de cinq pieds. Elle est enchâssée
dans une autre pierre couchée horizonlalemenl sur la terre. Les uns ont fait de
cette colonne un autel druidique; mais elle est trop haute pour avoir eu cette
destination ; les autres supposent qu'elle se rapporte à une victoire que Jules-César
a dû remporter en ce lieu sur Arioviste, chef des Helvétiens, et que ce fut un mo-
nument que les Gaulois élevèrent par reconnaissance pour le service qu'il leur avait
rendu en les délivrant de la présence de leurs oppresseurs. Les arguments à l'appui
de celte opinion sont tirés soit des renseignements que César lui-même donne sur
le théâtre du combat, soit de la circonstance que le lieu où aurait campé César avant
et après la bataille, est un mont qui offre des traces de lignes et de fossés, et qui
conserve encore de nos jours le nom de Jules-César. En outre, le lieu où est placée
la pierre était rempli d'ossements et de débris de lances, de casques et de cuirasses,
déterrés autrefois par les paysans qui y labouraient, ce qui prouve que la pierre
dont il s'agit a été dressée là pour conserver le souvenir d'une bataille. Quoi qu'il en
soit, elle est un objet d'intérêt sous d'autres rapports. Tous les ans, les assemblées
du pays se réunissaient jadis autour de la pierre, sous un tilleul, et y tenaient les
assises appelés plaids, où se rendait la justice. On connaît des conventions du onzième
siècle datées du tilleul de Courgenay. Une tradition superstitieuse attribuait à la
pierre un pouvoir merveilleux : elle passait pour guérir certaines maladies; il fallait
pour cela que le malade se glissât à travers le trou dont elle est percée.
Histoire de la ville et du canton de Berne. — Les chroniques et diverses
inscriptions s'accordent à assigner à l'origine de la ville de Berne l'année 1191, et
attribuent sa fondation au duc de Zœhringen Berthold V, dont les Etats oompre-
LA SUISSE PITTORKS<.»UR. 157
liaient alors toul le pays situé en deçà du Jura et du lac de Genève jusqu'à la Reuss.
Puissant autant que valeureux, Berthold était surtout redoutable à la noblesse, qu'il
contenait dans le devoir, en réprimant avec sévérité les vexations et les abus qu'elle
se permettait envers ses sujets. Odieux par cette raison aux comtes et aux barons,
ceux-ci profilèrent d'une absence qu'il fit dans Tannée 1(89, pour susciter des
troubles qui devaient leur fournir l'occasion de ressaisir avec impunité un pouvoir
arbitraire. A son retour, il trouva la plus grande partie de la Suisse livrée au dés-
ordre et à la rébellion, ce qui l'obligea de lever des troupes et de marcher contre
Ifô séditieux. Il parvint aisément à les faire rentrer dans le devoir, et, ayant fait
prisonniers plusieurs vassaux félons, il fit exécuter les plus coupables à Burgdorf,
où il résidait habituellement. La noblesse factieuse fut ainsi réduite à l'obéissance,
mais sa haine envers un suzerain aussi sévère s'accrut de jour en jour, et finit par
un acte de vengeance atroce : la femme et les deux fils de Berthold furent dési-
gnés pour victimes, et périrent tous trois par le poison. (D'après quelques historiens,
cependant, ce fait ne se serait passé qu'en 1217, un an seulement avant la mort de
Berthold. ) Justement irrité, le père, qui voyait sa race s'éteindre avec lui, songea
au moyen d'écraser ses ennemis, et conçut l'idée de fonder une ville nouvelle, à
laquelle il accorderait des institutions et des privilèges qui devaient nécessairement
exciter la jalousie et créer une animosité entre les habitants et la noblesse des envi-
rons, dont les suites seraient un jour l'anéantissement de celle-ci.
Il possédait alors un château de chasse, appelé la Nydeck, qui se trouvait sur
l'emplacement où l'on a élevé plus tard une église du même nom. La position de ce
château sur une éminence entourée par l'Aar en rendait l'approche difficile, en
même temps qu'elle le rendait propre à protéger la ville qui s'élèverait sous ses murs.
Ce fut le plateau de cette colline que Berthold choisit pour l'exécution de son projet.
Ce plateau était alors couvert de grands chênes. Après avoir reconnu le terrain,
Berthold confia l'exécution de son plan à l'un de ses vassaux, le chevalier Cunon
de Bubenberg. Les premières maisons furent bâties avec des chênes coupés sur la
place même. Les chroniques rapportent que Berthold ayant tué un ours à l'endroit
où la ville fut bâtie, il la nomma Berne, du nom de cet animal, appelé Bar en langue
allemande. Dans le hwX d'attirer une nombreuse population dans la nouvelle ville, le
duc de Z(ehringen accorda plusieurs franchises à quiconque vint s'y établir. Le
nombre de ses habitants s'accrut rapidement; plusieurs nobles chevaliers quittèrent
leurs donjons, et vinrent s'associer à une bourgeoisie qui se gouvernait par des ma-
gistrats pris dans son sein, et qui était sous le patronage d'un seigneur puissimt.
Berthold, qui déjà en 1195 avait mis sa nouvelle ville sous la protection de l'em-
pereur Henri IV, conserva néanmoins son droit de souveraineté jusqu'à sa mort,
arrivée en 1218.
A cette époque, Frédéric II, qui occupait le siège de l'empire, en môme temps
qu'il confirma toutes les anciennes immunités, lui accorda de nouveaux privilèges,
et la déclara même indépendante. Une foule d'étrangers s'empressèrent de venir s'y
établir et de se faire recevoir au nombre de ses bourgeois, et contribuèrent à l'a-
grandir et à la rendre florissante. En 1291, Berne remporta sur les hauteurs du
Donnersbûhel une grande victoire sur l'empereur Bodolphc de Habsbourg. Pierre de
Savoie étendit la ville depuis la tour de l'Horloge jusqu'à celle des Prisons; la bour-
11.9. 18
438 LA SUISSE PITTORESQUE.
gcoisie de Berne lui décerna pour celle munificence et pour d'autres services le litre
de second fondateur de Berne. Dans Tannée 1546, la ville fut de nouveau prolongée
jusqu'à la tour de Goliath (ou Chrislopheltharm), et à cette époque elle fui aussi
entourée d'une muraille flanquée de tours.
C'est vers ce temps que Berne réunit l'Oberland à son territoire. Déjà Tboune el
son comté étaient devenus partie du territoire bernois. Au commencement du
44*" siècle, le vieux comte Hartmann de Kybourg, qui dominait tout l'Oberland el
I)ossédait un grand nombre de cbàteaux dans l'Argovie, vint à mourir. Ses deux fils,
llartmann et El)erbard, se disputèrent son héritage, et, soutenus par leurs partisans,
ils étaient sur le point d'en venir aux mains. Le duc Léopold d'Autriche ordonna que
llartmann jouirait du pouvoir suprême, et qu'Eberhard résiderait auprès de lui, au
château de Thoune. Pour célébrer la réconcilialion des deux frères, on convoqua
dans cette ville toute la noblesse du voisinage; mais, au milieu du festin, Harlmann
apostrophe Eberhard en termes si oiïensanls, que les amis de ce dernier courent aux
armes. Un combat opiniâtre a lieu ; Hartmann est tué, et son cadavre précipité dans
la rue. Eberhard, pour s'assurer la protection de la ville de Berne dans une cir-
constance aussi critique, offre de lui céder une partie de ses domaines el la souverai-
neté de Thoune. Les Bernois acceptent, et cette ville devient dès ce moment l'une
des villes municipales du canton. — Les habitants des vallées de Hasli et de Grin-
delwald avaient, dès le 12' siècle, repoussé les agressions de la maison d'Autriche el
des seigneurs de Kybourg et de Strassberg, et avaient su conserver leurs privil^es
menacés. En 1333, mécontents de leur nouveau maître, le baron Jean de Weissen-
bourg, qui gouvernait au nom de l'empereur, ils s'insurgèrent contre lui et l'assié-
gèrent dans son château d'Unspunnen près d'Interlaken ; mais ils furent repoussés,
et cinquante des principaux insurgés furent faits prisonniers et enfermés dans les
cachots. Alors les montagnards offrirent à Berne de se soumettre à sa domination, s'il
consentait à maintenir tous leurs privilèges et à délivrer leurs prisonniers. Berne
accepta ces conditions, et s'empressa de saisir cette occasion d'étendre son territoire.
Quelques années plus tard ( 1356 ), il est vrai, se trouvant opprimés par les seigneurs
de Rinkenberg, bourgeois de Berne, les montagnards se soulevèrent, avec l'aide des
Unterwaldois ; mais ils furent vaincus et forcés de rentrer dans l'obéissance. Dcs-
lors, l'histoire de ces peuplades fut liée avec celle de la capitale.
En 1339, Berne ne voulant pas recevoir la monnaie que le comte Eberhard de
Kybourg frappait avec privilège impérial, ni reconnaître même l'empereur Louis de
Bavière, parce que le pape l'avait excommunié, les seigneurs du voisinage saisirent
avec joie ce prétexte pour châtier les rebelles, et décidèrent qu'il fallait détruire de
fond en comble la ville de Berne. La noblesse de Souabe, d'Alsace, de Bourgogne,
de Neuchâlel, de Savoie, etc., s'assembla, et 700 seigneurs armés de casques cou-
ronnés, 1200 chevaliers cuirassés, s'avancèrent contre Berne avec 18,000 hommes à
pied et 5000 chevaux. Le comte Nidau, chef de la ligue, avait à son service un
jeune guerrier bernois, Rodolphe d'Erlach ; il eut la générosité de le laisser partir
pour aller offrir son bras à sa patrie. D'Erlach fut élu chef de l'armée bernoise, qui,
avec le secours des Petits-Cantons, de Soleure et du Hasli, s'élevait à 6000 hommes.
Celle petite armée, à laquelle d'Erlach communiqua son ardent patriotisme, attaqua
intrépidement l'ennemi, qui assiégeait Laupcn, où les Bernois avaient placé une
LA SUISSE PITTORESQUE. 439
garnison de 400 hommes. Les nobles ne purent résister à Timpétuosité des troupes
suisses, et furent mis en complète déroute ; ils laissèrent 4500 hommes et 27 ban-
nières sur le champ de bataille.
Mais, vers ce temps, une ère nouvelle avait commencé pour THelvétie ; Schwylz,
Uri et Unterwald s'étaient soulevés, avaient chassé les baillis autrichiens qui les
opprimaient, et s'étaient affranchis de toute dépendance et constitués en république.
Ils avaient vigoureusement repoussé les attaques de l'empereur Albert, qui tentait
de les replacer sous le joug. En 1553, Berne entra dans la Confédération helvétique,
et le second rang lui fut assigné entre les cantons. Depuis cette époque mémorable,
sa puissance ne cessa de s'agrandir ; elle recula peu à peu les limites de son territoire,
et des alliances nombreuses affermirent ses institutions et son autorité. — En 1375,
les bandes farouches d'Enguerrand de Goucy, composées d'Anglais, de Bretons, de
Normands, etc., après avoir dévasté l'Alsace, pénétrèrent en Suisse par Bàle, tra-
versèrent les défila du Hauenstein dans le Jura, et envahirent les territoires bernois
et lucernois. Les troupes de Berne et des villes voisines marchèrent à leur rencontre,
et les défirent à Anet (lus) et à Fraubrunnen. Battu aussi dans l'Entlibuch, Enguer-
rand se vit contraint de repasser en Alsace, où ses bandes se dispersèrent.
Au commencement du l^ siècle (1415), Berne s'agrandit en particulier du côté
du nord. L'empereur ayant déclaré le duc Frédéric coupable du crime de lèze-majesté
envers sa personne et envers l'empire, le dépouilla de ses droits de souverain et de
ses fiefs. Tous les sujets de l'empire furent sommés de prendre les armes contre lui,
et la même injonction fut adressée aux confédérés. Alors les Bernois, dans l'espace
de quelques semaines, s'emparèrent de dix-sept forteresses et villes fortifiées, et d'une
vaste et riche contrée, formant la plus grande partie de l'Argovie. En même temps,
l(^ troupes des autres cantons occupèrent la partie orientale de ce pays. Berne garda
ensuite ses conquêtes ; le reste de la contrée fut gouverné en commun par les autres
cantons.
En 1476, Berne se réunit à ses alliés pour s'opposer à l'invasion dont Gharles-le-
Téméraire les menaçait. Les victoires de Grandson et dé Morat les délivrèrent du con-
quérant; mais l'immense butin qui devint la proie des Suisses causa parmi eux des
discussions graves. C'est à cette époque que les Suisses commencèrent à s'enrôler
sous les drapeaux de plusieurs souverains. Le luxe et la mollesse s'étaient introduits
dans leurs mœurs, et la corruption avait pénétré jusque dans les couvents, quand
Berthold Haller prêcha publiquement la Réforme à Berne, ainsi que Musculus (Mûslin)
et Nicolas Manuel. Le nouveau culte fut solennellement reconnu en 1530. En 1536,
le Pays de Vaud fut enlevé par les Bernois au duc de Savoie. Celui-ci, engagé dans
une guerre contre le roi de France, ne put opposer aucune résistance ; d'ailleurs, les
villes et les campagnes vaudoises étaient fatiguées du joug pesant de la maison de
Savoie, et se soumirent volontiers aux Bernois. En même temps, la Réforme fut prê-
chée et facilement introduite dans le pays conquis. L'année suivante, le duc de Savoie
renonça à tous sqs droits sur cette contrée en faveur des vainqueurs. Berne, assisté
des Genevois, poussa même ses conquêtes jusque dans le Chablais; mais la possession
de ce pays ne fut que momentanée.
Cependant, l'aristocratie bernoise était devenue de jour en jour plus puissante, et
les familles iiatriciennes avaient fini par composer seules le gouvernement. Vingt-sept
i40 LA SUISSB PITTORiSQUE.
palrieiens Tormèrenl le Petit Conseil, nommé par un Grand Conseil, auquel n^élaicnt
éligibles que 243 familles, qui accaparaient toutes les places lucratives et s^arro-
^eaicnt les plus grands privilèges et des distinctions insultantes pour le reste des
habitants. En mémo temps, la noblesse se rendait odieuse par son luxe. En 1653, les
imysans du canton ayant tenté de se soustraire à son oppression, Berne fut obligée
d'employer la force, {lour les soumettre et les réduire à l'obéissance. Depuis cette
époque, la république de Berne jouit d'un long intervalle de paix, troublé à peine par
quelques querelles intestines, passagères, ainsi que par une tentative d*insurrection
(|ui éclata dans le Pays de Vaud en 4723. D'imi)ortantes améliorations matérielles
eurent lieu durant le 18* siècle ; l'administration bernoise s'appliqua à gouverner avec
ordre et économie, en même temps qu'avec une rare équité; en particulier, elle fut
Tune des premières ù porter son attention sur l'amélioration des voies publiques, qui,
jusqu'au milieu du dernier siècle, étaient détestables dans la plus grande partie de
la Suisse.
Loi^ue éclata la révolution française, les idées nouvelles ne tardèrent pas à s'in-
troduire en Suisse ; les campagnes et les pays sujets réclamèrent leur affranchisse-
inent ; l'Argovie et le Pays de Vaud redemandèrent avec plus d'énergie que jamais
les libertés que Berne leur avait enlevées. Les Vaudois implorèrent même la média-
tion de la France, en vertu d'anciens traités. Le Pays de Vaud fut envahi, en février
1798, par les troupes françaises, qui y furent accueillies avec enthousiasme; et sous
leur protection le |)ays se déclara indépendant de Berne. Comme d'autres gouverne-
ments suisses, celui de Berne fit alors quelques concessions tardives; le Grand Con-
seil reçut au nombre de st^s membres 82 représentants de la campagne, et engageai
le peuple à s'unir ù lui dans le danger commun. Berne, Soleure et Friboui^ opposè-
rent leurs trou])es & l'armée française, qui s'avançait sous les oi-dres des généraux
Brune et Schauenbourg. Quelques secours arrivèrent aussi de Lucerne, Glaris et des
Petits-Cantons. C'était encore un d'Erlach qui commandait les Bernois, comme à la
journée de Laupen. Mais, après une résistance intrépide et des combats sanglants
livrés à Bt^lmont près Bienne, à Bûren, ù Neueneck et dans la Forôt-Grise {Granliolz),
ils durent céder au nombre. Voyant que tout était perdu, les paysans armés se dis-
pei-sèrent ; poussés par le désespoir, ils crièrent à la trahison, et assassinèrent plusieurs
de leurs ofRciere, et entre autres d'Erlach. Déjà Fribourg cl Soleure avaient été occu-
pés. Berne fut obligé de capituler, le 5 mars 1798, et de renoncer à sa domination et
à son palriciat. Une grande partie de son trésor devint la proie des vainqueurs. La
Suisse fut bientôt complètement occupée, et fut divisée en 18 cantons ; l'ancien terri-
toire bernois en forma quatre : ceux de Berne, de l'Oberland, du Léman et d'Ar-
govie. Cette constitution n'eut qu'une existence éphémère, et en 1803, Bonaparte,
premier consul, intervint par l'Acte de médiation, pour apaiser les dissensions inté-
rieures* de la Suisse, et divisa le pays en 19 cantons. L'indépendance de Vaud et
d'Argovie fut de nouveau proclamée, et ces deux contrées restèrent définitivement
constituées en cantons distincts.
Dès que les événements eurent annulé l'Acte de médiation à la fin de 1813, les
patriciens s'empressèrent de ressaisir une |)artie de leurs anciens privilèges; ils orga-
nisèrent un Grand Conseil de 200 membres citadins, auxquels ils joignirent seule-
ment 99 députés des districts du canton ; encore ceux-ci n'élaient pas directement
LA SUISSE PITTORESQUE. 441
élus par le peuple, mais en partie par des collèges électoraux entièrement soumis aux
fonctionnaires publics, et en partie par le Grand Conseil lui-même. Tout ce qui resta
de libertés au peuple consista dans les institutions municipales, qu'on laissa aux
communes qui les possédaient d'ancienne date. L'aristocratie avait espéré aussi recou-
vrer ses anciens territoires; mais en 4815, le Congrès de Vienne donna à Berne la
ville de Bienne et son territoire, avec une grande partie du ci-de^nt évéché de Bàle,
en dédommagement de la perte de ses anciennes possessions.
Le canton de Berne fut un des premiers qui éprouvèrent le contre-coup de la révo-
lution française de 4830. Le gouvernement aristocratique fut renversé; une nouvelle
Constitution démocratique fut élaborée, et l'Etat de Berne fut dès-lors un des cantons
radicaux les plus avancés. II prit part au concordat dit des sept cantons, par lequel
les Etats de Berne, Soleure, Lucerne, Argovie, Zurich, Thurgovie et St.-Gall, se
promettaient assistance réciproque pour la défense de leurs Constitutions. Berne
insistait aussi en Diète pour une révision totale du Pacte fédéral, par laquelle il espé-
rait obtenir une influence plus grande. En 48/li5, le gouvernement ne se déclarant
pas favorable aux expéditions de corps-francs qui furent tentées contre Lucerne, fut
renversé, et remplacé par un gouvernement plus radical ; l'année suivante, la Con.
slitution fut révisée aussi dans un sens plus démocratique. C'est à Berne que siégeait
la Diète en 4847, lorsque la guerre civile éclata en Suisse et que les cantons de la
majorité levèrent des troupes pour forcer la ligue catholique du Sonderbund à se
dissoudre. Après la victoire, un nouvel Acle fédéral fut délibéré à Berne, et depuis
l'adoption de cette nouvelle Constitution par la grande majorité de la Suisse, Berne
est devenu chef-lieu permanent de la Confédération helvétique et le siège des auto-
rités fédérales.
En 4850, après une nombreuse assemblée populaire qui eut lieu le 25 mars à
Mûnsingen, entre Berne et Thoune, les élections au Grand Conseil ne furent pas
favorables au gouvernement radical, dont M. Slâmpfli élait l'&mc. Un nouveau gou-
vernement, élu par ce Grand Conseil, fut pris parmi l'ancien parti conservateur,
quoique un ou deux membres seulement appartinssent à des familles aristocratiques.
Ce gouvernement fut attaqué violemment par les meneurs radicaux. Bien qu'animé
d'intentions excellentes, et gouvernant conformément à la Constitution, il ne fut réélu
qu'en partie en 4854. Le Grand Conseil se trouvant partagé en deux parties presque
(^les, l'avis d'une fusion l'emporta. Quatre membres furent pris dans chaque parti ;
le neuvième devait être nommé par le parti le plus nombreux : ce fut le candidat du
parti conservateur qui l'emporta de quelques voix. M. Stâmpfli, qui avait été l'un
des principaux adversaires du gouvernement de 4850, entra lui-même dans ce gou-
vernement de fusion ; mais, en décembre 4854, il fut élu membre du Conseil fédéral,
en remplacement de M. Ocbsenbein.
Constitutions. — Le gouvernement de Berne était autrefois une république aristo-
cratique pure; tous les emplois se trouvaient concentrés dans un petit nombre do
iamilles; l'autorité résidait dans un Conseil, dit des Deux-Cents, lequel, réuni au
Petit Conseil, composé de 27 membres, prenait le titre de Conseil et Bourgeoisie de la
Ville de Berne. Il y avait encore un Conseil, dit des Seize, élu par la ville de Berne,
et chaiigé spécialement des fonctions municipales; un Conseil secret, chargé des fonc-
tions politiques; enfin, un Conseil de guerre. La première charge était celle d'à-
I&2 LA SUISSE PITTORESQUE.
voyer. Il y en avait deux, qui se succédaient annuellement. Après eux, venaient les
deux trésoriers chargés de percevoir les revenus des bailliages allemands et français.
Il y avait quatre bannerets, élus par les quatre principales abbayes de Berne : celles
des boucbei*s, des boulangers, des tanneurs et des maréchaux, dont ils gardaient les
bannières. Les chambres des bannerets, présidées par les trésoriers, recevaient les
comptes des baillis.. Berne i)ossédait encore une institution appelée Catiseil d'Etal
exUrieur, composée des jeunes bourgeois des Tamilles les plus considérables de la
ville, qui avait ses avoyers, ses trésoriers, ses bannerets, ses Conseils, et qui corres-
pondait d*une manière fictive avec k^s diiïérentes branches du gouvernement ; cet
établissement familiarisiiit de bonne heure la jeunesse avec la constitution du pays;
c'était plus une sorte d'école administrative qu'une assemblée. Le canton, y compris
TArgovie et le Pays de Vaud, était partagé en 50 chàtellenies ou bailliages. — Après
la Restauration, le canton fut divisé en 27 préfectures ou bailliages, dont 22 pour
le territoire ancien et 5 pour le district du Jura, ou ci-devant évéché de Bàle. Le
pouvoir souverain était exercé par deux Conseils électifs, il est vrai , mais où il n'y
avait qu'une apparence de renouvellement. Le Grand Conseil était composé de 299
membres, dont 200 élus par la seule ville de Berne, et 99 par les autres villes et
par les cami)agnes. Pour être éligible, il fallait être &gé de 29 ans et remplir di-
verses conditions pécuniaires et autres. Le Grand Conseil tirait de son sein les
27 membres du Petit, y compris les deux avoyers. Berne avait une administration
munici])ale particulière, à la tète de laquelle étaient deux bourgmestres. Les autres
villes et les communes rurales avaient une administration semblable, composée de
magistrats élus par leurs concitoyens.
D'après la Constitution de 1854, qui fut acceptée le 31 juillet par 27,802 voix
contre 2153, Berne est devenue une république démocratique. La liberté de la
presse, la liberté de croyance, l'égalité devant la loi, etc., ont été consacrées; toutes
les fonctions civiles n'ont plus été confiées que pour un temps limité. D'après cette
Constitution, il fallait, pour être électeur primaire, avoir 23 ans accomplis; et pour
être éligible, avoir 29 ans, et posséder 5000 livres de Suisse. Chaque paroisse for-
mait une assemblée primaire qui élisait un électeur sur 100 âmes. Les électeurs
ainsi nommés élisaient eux-mêmes 200 membres du Grand Conseil ; ces 200 députés
nommaient ensuite les 40 autres membres de l'assemblée. Le Grand Conseil était
nommé pour six ans et renouvelé par tiers. Le Grand Conseil élisait dans son sein
un président portant le titre de landammann. Il élisait de même un Conseil exécutif
composé d'un avoyer et de 16 membres, qui restaient en fonction tant qu'ils étaient
membres du Grand Conseil. Il élisait en outre chaque année 16 autres membres, qui
devaient prendre part aux travaux préparatoires du Conseil exécutif sur les objets
constitutionnels et sur les principales lois, ainsi qu'à l'élection et à la révocation des
fonctionnaires. Le Conseil exécutif élisait pour six ans les préfets de districts. Le
Grand Conseil nommait pour quinze ans une Cour d'Appel, dont les membres étaient
renouvelés par tiers ; il y avait en outre des tribunaux de district et des juges de
paix. Les assemblées communales nommaient pour six ans les autorités municipales.
Cette Constitution a été révisée en 1846 ; le nouveau projet, rédigé par une Consti-
tuante, a été adopté le 31 juillet par 34,079 voix contre 1257. La révision a porté
principalement sur les points suivants : On est électeur à 20 ans révolus et éligible
LA SUISSE PITTORESQUE. 443
à 25. Chaque paroisse {Kirchgemeindsbezirk) forme une assemblée politique, et
celles de plus de 2000 âmes peuvent être partagées en plusieurs assemblées. Ces
assemblées votent sur les Constitutions fédérale et cantonale et sur les changements
à ces Constitutions, et prennent part à la nomination du Grand Conseil. Le territoire
est divisé en cercles élisant un député par 2000 âmes de population. Le Grand Con-
seil est nommé pour quatre ans, et renouvelé intégralement. Il peut être renouvelé
extraordinairement si la majorité des citoyens le décident ; si 8000 citoyens en font
la demande, cette question est soumise au peuple. La présence de 80 membres est
nécessaire pour toute délibération et décision du Grand Conseil. Le Grand Conseil
nomme un Conseil d'Etat de 9 membres sachant les deux langues, et il en élit le
président. Il nomme les préfets de district sur une double présentation faite par les
assemblées de district et par le Conseil exécutif. Il nomme pour huit ans un Tribunal
d'Appel de 15 membres, renouvelés par moitié tous les quatre ans. Les membres
des tribunaux de district sont nommés pour quatre ans par les assemblées de dis-
Irict, sauf les présidents. Le jury est établi pour toutes les affaires criminelles, poli-
tiques ou de presse. Si le Grand Conseil le propose, ou si 8000 citoyens le demandent,
le peuple est appelé à décider si la Constitution sera révisée, et si la révision aura
lieu par une Constituante ou par le Grand Conseil.
LÉGISLATION. — Lorsque les districts du Jura furent réunis au canton de Berne, en
1815, la législation française y était en vigueur ; elle a continué dès-lors à y être
appliquée; la Constitution de 1846 maintient encore les codes français pour cette
partie du territoire, sous réserve d'une révision. Quant à la législation de l'ancienne
partie du canton, on a travaillé depuis plus de vingt ans à l'améliorer.
Cultes. — Sur la population totale du canton, qui est, comme nous l'avons dit,
de 458,301 habitants, on compte 403,768 protestants, 54,045 catholiques et
488 israêlites. Les catholiques habitent, pour la plupart, dans les vallées du Jura qui
formaient ci-devant l'évêché de Bàle. Toutefois, les habitants du val St.-Imier sont
presque tous protestants, et le même culte domine aussi dans le district de Moutiers.
Ce sont les districts de Laufen, Délémont, Porrentruy, et celui des Franches-Mon-
tagnes (au sud de Porrentruy), qui sont presque exclusivement catholiques. Les
ressortissants des deux communions vivaient paisiblement sous les mêmes lois,
et jouissaient de la même prot^tion. Par une singularité bien remarquable, c'était
Tévêque qui nommait et salariait les ministres des deux cultes, et la sage tolérance
qui animait le chef avait passé dans l'esprit des sujets. On trouve en outre, dans le
Jura, un certain nombre de familles d'anabaptistes, qui, chassés du canton de Berne
il y a deux siècles pour s'être refusés au port d'armes et à la prestation du serment,
vinrent se réfugier dans ce pays, où, à l'ombre d'une sage tolérance, elles ont cultivé
les arides sommités qu'elles habitent. Elles ont constamment donné l'exemple de
mœurs simples et irréprochables. Quant à Bienne et à ses environs, ils sont réfor-
més. Depuis 1815, une église a été consacrée au culte catholique dans la ville de
Berne; mais il est question, depuis quelque temps, d'y construire une nouvelle église
destinée à ce culte. Les catholiques de la ville de Berne dépendent de l'évéque de
Fribourg; ceux du Jura dépendent maintenant de l'évéque de Soleure. D'après les
Constitutions de 1831 et 1846, les affaires intérieures de l'Eglise réformée sont diri-
gées ^lar UD synode. — Les journaux faisaient récemment remarquer (avril 1855),
Hk LA SUISSE PiTTORESQVe.
comme un exemple remarquable des progrès de la tolérance, que les foncUons de
président du Grand Conseil et du Conseil exécutif se trouvent maintenant confiées à
deux catholiques, MM. Carlin et Migy.
Instruction publique. — Chaque préfecture du canton possède deux collèges et un
certain nombre d'écoles primaires. Berne, Thoune, Déicmont et Porrentruy, possè
dent des gymnases entretenus en partie par le gouvernement. On y professe rhistoire,
la philosophie, les langues anciennes, Tallemand, le français et les mathématiques.
En outre, la capitale possède une école normale et une académie. Cclle-<;i se divise en
supérieure et inférieure. Cette dernière se compose principalement d*un lycée ou
gymnase; la haute académie se divise en S sections ou facultés; on y professe la
théologie, la jurisprudence, la médecine et la chirui^ie, les sciences physiques et
mathématiques, la philosophie et la philologie. Elle compte plusieurs hommes dis-
tingués parmi ses professeurs, et ses étudiants sont au nombre d'environ 200.
Mais, bien qu'il ait cessé d'exister depuis deux ou trois ans, nous ne devons pas
oublier de mentionner l'institut d'Hofwyl. C'est en 1799 que M. Emmanuel de Fellen-
berg, cet homme également distingué par ses connaissances varices, les nobles qua-
lités de son cœur et l'extrême simplicité de ses goûts, commença à Hofwyl, ferme
située dans une contrée fertile, non loin de lajroute de Berne à Soleure, les essais
agronomiques qui ont élevé à une grande perfection les diverses branches de Pcco
nomie rurale, et qui, joints & d'excellents établissements d'éducation, ont attiré \(^
regards d'une foule de savants et de philanthropes. Le domaine d'Hofwyl contenait
deux fermes, destinées, l'une à servir de modèle, l'autre à l'essai des perfectionne^
ments et des nouvelles découvertes, et en outre un établissement d'éducation, où
plus de vingt maîtres enseignaient les langues anciennes et modernes, l'histoire, les
sciences et les arts, à un grand nombre de jeunes gens envoyés de l'étranger. On
n'employait dans cet institut aucun des moyens ordinaires d'encouragement et de
répression : on ne distribuait ni prix ni médailles, et le redoublement des tâches pen-
dant les heures de récréation était la seule punition à laquelle on recourait. Les
enfants étaient écoutés avec patience et repris avec douceur. Il n'y avait peut-être
aucun institut d'éducation dans lequel on sut allier autant d'amusements au travail,
autant de liberté à la règle établie, et où les élèves eussent plus d'occasions de se
préparer à l'usage du monde, par l'exemple de manières distinguées et polies. Aussi,
l'institut de Fellenberg était-il visité par une affluence d'étrangers.
Une autre création, qui fait encore plusd'honneur à Fellenberg, c'est Vécole despaa-
rresy qui fut dirigée sous sa surveillance pr le fils d'un ancien maître d'école de Thur-
govie, M. Wehrli. On y tenait un journal de tout ce qui regardait chacun des enGants
depuis le moment de son admission, de ses dispositions naturelles, de son caractère,
de ses progrès religieux, moraux et intellectuels, de son application au travail. On
s'attachait à maintenir constamment la gaité et l'activité des élèves, en les invitant à
la confiance et leur parlant avec douceur. Le maître travaillait, lisait, causait avec
eux , et ne les quittait jamais. Le travail, l'ordre, la douceur, joints à la persévérance,
triomphaient de tous les obstacles moraux, de toutes les habitudes perverses. Ces
enfants vagabonds, ramassés çà et là dans la plus profonde misère, mais accueillis et
soignés avec une bonté aiïectueuse, n'avaient jamais besoin d'un seul châtiment pour
être ramenés in une conduite régulière. Le fondateur se proposait en même temps de
^"" '-' .r ^
•i.
LA SUISSE PITTOBESQUe. 14S
cultiver leur intelligence et de les mettre en état de pourvoir honorablement à leurs
besoins. 11 les destinait à diriger des exploitations agricoles, ou seulement à faire de
bons garçons de ferme, selon leur degré de talent ou d'activité. Il les employait
donc principalement à des travaux agricoles en rapport avec leur âge et avec leurs
forces.
Hommes distingués, savants, etc. — Un grand nombre de Bernois se sont illustrés
dans les carrières administrative et militaire, ou se sont fait un nom dans les diverses
branches des connaissances humaines. II serait difficile de nommer tous les hommes
qui ont honoré leur patrie par leurs vertus civiques, ou par leur génie et leur talent.
Parmi les hommes de guerre, nous citerons Rodolphe d^Erlach, le vainqueur de
Laupen, qui appartenait à une des plus puissantes familles de Berne. Jean-Louis
d'Erlach se distingua dans les guerres de Flandre sous Louis XIV, et parvint au grade
de lieutenant-général. Un troisième fut amiral en Hollande. Ce fut aussi un d'Erlach
(Charles-Louis) qui commandait les Bernois en 1798, et qui fut massacré par les
siens. Nommons encore les Diesbach, les Bubenberg, les Lentalus, Un des amis du
grand Frédéric, le général Lentulus, était de Berne. — Dans la magistrature, bril-
lèrent particulièrement les noms des Bubenberg, des Tscharner, des Sleiger, — Au
premier rang des réformateurs bernois, . nous devons nommer Berthold Huiler , qui
prêcha la Réforme à Berne vers 1520. Il fut secondé par le savant Wolfgang MiischIus
(Mûslin). De nos jours, un descendant de Musculus, M. D, Mûslin, a été pasteur
à Berne, et s'est fait connaître par ses sermons. Nicolas Mamiely, ami de Zwingli et
de Halier, magistrat éclairé et courageux, contribua beaucoup à faire triompher la
nouvelle doctrine. Poêle et peintre à la fois, il se plaisait surtout à ridiculiser les
abus du clergé et les superstitions du peuple. La Dame des Moris, peinture à fresque,
est un de ses principaux ouvrages; ses personnages étaient de grandeur naturelle.
Jean et Daniel Stapfer furent, l'un un théologien profond, l'autre un prédicateur
éloquent.
Dans la carrière des lettres^et des sciences, les noms les plus saillants sont les
suivants : De Wattewille, historien de la ville de Berne ; Bertuird Tscharner, auteur
d'une histoire de Suisse et d'une traduction des poésies de Halier ; Loais de Murait,
qui publia sur la fin du 17" siècle ses Leilres sur les Anglais et les Français; Sinner,
dit de Ballaigues, qui publia un Voyage historique et littéraire dans la Suisse occidentale;
André Morell, célèbre numismate, auteur du Specitnen universœ rei numniariœ anti-
quœ, et que Louis XIV nomma garde de son cabinet des médailles ; Michel Schup-
pach, dit le médecin de la montagne, qui vécut dans le 18*" siècle et qui devint célèbre
par le moyen qu'il employait pour reconnaître les maladies ; Samuel Kônig, mathé-
maticien connu par ses démêlés avec Maupertuis ; Thomas Wittenbach, philosophe
célèbre du 16" siècle. Mais tous ces noms furent éclipsés par celui de Halier, Albert
Halier, justement appelé le Grand, naquit en 1708, fut tout à la fois poète, orateur,
philosophe, publiciste, magistrat, médecin et naturaliste ; son nom fut un de ceux
qui illustrèrent le plus le 18'' siècle ; il se place naturellement, dans les annales de la
science, immédiatement après ceux de Bacon, de Descartes, de Leibnitz et de BuiTon.
Dans la seconde partie du même siècle, se fit connaître M. de Bonstelten, écrivain
ingénieux, et fin, doué d'une grâce attique, en même temps que d'une forte érudition.
Il avait adopté la langue française; parmi ses nombreux ouvrages, les plus remar-
II, 10. 19
146 L\ susse PITTORESQIR.
qucibles sfint le Yoytuie dnm It Lnlinm, VHomtne rfii Aorrf ei VHmnme du Midi, et les
S(nuehir^, livre écTil avec Télexante simplicité et le gracieux sans-façon d*un homme
du monde, mais qui n*en a pas moins un double mérite littéraire et historique. M. de
Ronstetten, mort en 183i dans un âge avancé, appartenait à notre siècle et au 18*",
dont il a reproduit avec un égal bonheur la physionomie dans ses écrits. — Schœrer
s'est Tait connaître comme bon orientaliste ; Lutz et Dœderlein , comme d'habiles
hellénistes et latinistes : Jahn, par ses profondes connaissances dans la littérature
ancienne et moderne. Ajoutons à cette énumération bien incomplète, M. de TiUiei\
mort depuis |)eu d'années, et auteur d'une histoire de la Suisse de 181 4i à 1830; et
le pasteur Bilzins, décédé en 1854^, et qui est connu par d'excellents ouvrages popu*
laires, publiés sous le pseudonyme de Jérémias Gotthelf. — Schnell a écrit avec
succ*ès sur le droit civil, et Henke sur le droit criminel. Les savants ouvrages de
MM. Tschariier, Knhn, Seringe, Stiider et Manuel, sur les diverses branches de l'his-
toire naturelle, décèlent chez ces écrivains contemporains des connaissances variées
et étendues. M. de Fellenbenj, le pasteur Grnner, et Kasihofer, ont écrit avec un
égal succès sur l'éducation, l'agriculture et l'exploitation des forêts.
BiTue a produit aussi de nombreux artistes. Joseph Heinz, né à Berne en 1530,
étudia à Venise sous Paul Yéronèse, et a passé pour le meilleur peintre de la Suisse
après Holbein. Quelques-uns de ses tableaux ont été attribués à Jules Romain, et
d'autres au Corrège. Le Musée de Berne possède son portrait, peint par lui-même.
Jaseph Werner s'appliqua principalement à |)eindre la miniature, genre dans lequel il
excella. Il se rendit à Paris en 16G0, et travailla dans le cabinet du roi. Revenu dans
sa patrie, Werner la quitta bientôt de nouveau, pour aller remplir la place de direc-
teur de la nouvelle Académie de peinture de Berlin. Il mourut dans sa ville natale
en 1710. Nommons encore, parmi l)eaucoup d'autres, les peintres George Volmar,
Lfjtj, Kimig, Rheiner, Ldifond, Wisard et Freîidenberger, qui ont enrichi les collections
des amateurs de scènes cham|)étres, de costumes divers et de charmants [Kiysages.
I.NDusTBiE ET COMMERCE. — Lc commcrcc du canton de Berne n'est pas aussi con-
sidérable qu'il devrait l'être pro|K)rtionnellement à son étendue et à sa population. 11
est néanmoins quelques endroits où l'industrie est florissante. Une des branches les
plus importantes de l'industrie et du commerce bernois, c'est l'horlogerie, qui a été
introduite il y a environ un siècle dans le Val St.-Imier, où elle occupe maintenant
un grand nombre d'ouvriers. Cette vallée exporte une quantité considérable* de
montres de toutes espèces, qui rivalisent avec celles de Genève et de Paris. La fabri-
cation des toiles de lin a reçu quelque extension dans l'Emmenthal ; les produits de
la culture du lin, quoique très-abondants, sont loin de suffire à la quantité des
métiers ; aussi en tirc-t-on une partie assez considérable de l'Alsace. Ces toiles,
renommées pour leur qualité, trouvent un prompt débit à l'étranger et rapportent
(les sommes importantes. Burgdorf possède une fabrique de rubans de soie, et Berne
plusieurs fabriques de soierie. Les fabriques d'indienne de Bienne et de Kirchberg
sont renommées dans le pays. Berne, Frutigen, le Simmenthal et St.-Imier possè-
dent plusieurs fabriques de dra|)s; il y a aussi à Interlaken et à Brienz des fabri-
ques de dentelles, de soie noire et de blondes.
1. D'après l'ouvrage de Morel, on portail, il y a 10 ans, à 210,000 le nombre des montres
établies par année à St.-Imier.
LA SUISSE PITTORESQUE. 147
La poterie occupe un grand nombre de bms, particulièremenl à Heimberg, à une
lieue de Thoune, et cette fabrication est favorisée par l'abondance du bois, d'où Ton
lire également beaucoup de potasse, qui sert à alimenter les verreries du pays. La
Tabrication de la poudre à canon avait lieu pour le compte du gouvernement bernois;
cette poudre jouissait d'une réputation étendue ; il s'en fabriquait environ 1300
quintaux par an, dans les moulins de Berne, Thoune et Langnau. La fouille et le
raffinage du salpêtre brut se faisait par des ouvriers patentés; ils en livraient an-
nuellement 4S00 quintaux pour la confection de la poudre; mais cette quantité
surpassant les besoins, le tiers leur était abandonné pour leur trafic particulier. La
Conrédération s'étant emparée de la fabrication de la poudre, la quantité fabriquée doit
élremaintenantplusconsidérable. — Les hauts fourneauxdeGorrendelin,Bellefontaine
et Undervilliers, travaillent le fer du Jura et en fournissent plus de 100,000 quintaux
par an. On fabrique de la tôle à Bellefontaine et d'excellent acier à Undervilliers. Il
y a aussi une manufacture d'armes à Porrentruy. Les districts du Jura renferment
un grand nombre d'usines où Ton transforme en planches les sapins dont le pays
abonde ; les bois de construction se vendent avec avantage en France. Les charpen-
tiers de l'Emmenthal fabriquent des maisons entières en bois, lesquelles peuvent se
démonter et se voiturer au loin. On fabrique avec une habileté remarquable beaucoup
de petits ouvrages en bois sculpté à Meyringen et à Brienz; ces ouvrages s'exportent
en partie. EnBn , la fabrication des fromages occupe aussi un grand nombre d'indi-
vidus dans les Alpes et dans le Jura, et le commerce de ces produits, ainsi que celui
du bétail, forme un des revenus importants du pays. La quantité des produits du
laitage dépasse annuellement 100,000 quintaux.
MœuRS, COUTUMES, CARACTÈRE. — Il Serait difficile de caractériser par des trails
généraux l'habitant du canton de Berne, car on comprend combien il doit exister
de différences entre le bourgeois de la capitale, le montagnard de l'Oberland, et l'ar-
tisan du Jura. Quelques-uns des voyageurs qui ont écrit sur la Suisse ont reproché
un peu de fierté et de froideur à la haute classe delà société bernoise ; mais, en même
temps, d'autres ont remarqué aussi que dans les campagnes un air de contentement
et de dignité brillait sur tous les visages. Les habitants de l'Oberland sont en général
affables ; ceux du Flasli, en particulier, se distinguent par des manières plus polies et
plus engageantes. Les montagnards ne sont point insensibles aux beautés de la na-
ture. Malgré la rudesse de la vie qu'ils mènent, ils conservent une remarquable éga-
lité d'humeur, et savent apprécier l'existence indépendante dont ils jouissent sur
leurs Alpes. Les habitants de l'Oberland sont moins éclairés que ceux de l'Emmen-
thal, et montrent une grande inertie contre toutes les nouveautés; on reproche
même de l'indolence à ceux d'Interlacken et de Grindeiwald ; pendant l'hiver, un
petit nombre d'entre eux seulement s'adonne à quelque occupation industrielle et
lucrative. Dans plusieurs vallées étaient répandues jadis des croyances superstitieuses
qui n'ont probablement pas encore complètement disparu, quoique les voyageurs
n'aient pas l'occasion de s'apercevoir de la crédulité des habitants. Ces traditions
populaires étaient pleines de naïveté et de poésie; ainsi, l'on croyait à l'existence
d'êtres surnaturels, particulièrement de nains {Bergmùnnlein), qui hantaient les
monts el séjournaient autour des chalets. Ces êtres tantôt témoignaient aux bergers
leur bienveillance, ils ramenaient leurs bestiaux égarés, ils leur coupaient du bois;
ihS LA SUISSE PITTORESQUE.
tanlôl, prenant de l'humeur si Ton avait oublié de leur faire la libation obligée, ils
mettaient pendant la nuit tout en désordre dans l'habitalion. En hiver, ces nains
demeuraient dans des palais souterrains, où ils se nourrissaient de fromages faits avec
le lait des chamois qui formaient leurs troupeaux. Le Rothenthal, vallon voisin de la
Jungfrau, passait pour être le séjour d* une troupe de sorcières exilées dans cette ré-
gion glacée. — Depuis un temps très-reculé, les exercices gymnastiques sont en
usage dans les Alpes bernoises. A diverses époques fixées, les bergers se réunissent
sur certaines alpes, et les jeunes gens des contrées voisines y accourent pour disputei^
le prix de la force et de Tadresse. Ces réunions s'appellent Bergdôrfer, villages de
montagne. Des vieillards sont les juges du combat, et doivent veiller à ce que tout s'y
passe suivant les règles convenues. Les lutteurs de TOberland et de rEmmenlhal
viennent aussi à Berne le lundi de Pâques, pour se livrer à leurs exercices en présence
d'une nombreuse population. — Les habitants du Jura bernois se distinguaient au-
trefois par la simplicité de leurs mœurs et par leur probité ; mais depuis que l'indus-
trie s'est répandue parmi eux, l'aisance qui en est résultée n'a pas exercé une in-
fluence heureuse sur l'état moral du pays. Nous regrettons aussi de devoir ajouter que
soit par suite de l'insuffisance des récoltes, soit par suite de l'abus des liqueurs et de
rimprévoyance qui en, résulte, la plaie du paupérisme s'est propagée depuis un certain
nombre d'années dans diverses parties du canton, particulièrement aux environs de
Thoune ; maintenant, les communes et l'Etat sont obligés de s'imposer de grands sa-
crifices pour porter remède à cette calamité; et c'est là une des plus graves préoccu-
pations du gouvernement bernois.
Quant aux costumes, les classes aisées et la bourgeoisie des villes suivent en gé-
néral les modes françaises. Dans les campagnes, on trouve encore quelques restes
d'un costume national. Dans la partie allemande du canton, les femmes portent de
larges manches de chemise, ordinairement d'une blancheur recherchée ; près de
Berne, elles portent sur la tête une sorte d'auréole de dentelles noires, et souvent,
par-dessus leur corset, des chaînes d'argent. Aux environs de Thoune, le costume
est à peu près le même, mais avec moins de luxe. Dans le Hasli, les femmes s'ha-
billent d'une manière un peu lourde et qui leur est désavantageuse ; elles ont souvent
la tête nue, et les jeunes filles laissent pendre de longues tresses. Dans l'Oberland et
la partie centrale du canton, beaucoup de paysans portent des habits d'un drap
grossier fabriqué dans le pays, et de couleur jaunâtre. Dans le Jura, le costume
ressemble à celui des contrées françaises du voisinage ; il est peu gracieux et n'offre
rien de remarquable.
Ville de Berne. La ville de Berne est bâtie sur une longue presqu'île formée
par l'Aar, qui l'entoure au nord, à l'est et au sud. La plus grande partie de la ville
occupe un plateau élevé de 400 pieds au-dessus de la rivière; la partie basse, du
côté du sud, s'appelle la Malte {l^ prairie) ; c'est là que se trouvent réunis un grand
nombre de moulins et toutes les usines qui ont besoin d'un cours d'eau. Du côté
du couchant l'enceinte de la cité fut successivement reculée; c'est en 1622 qu'on
construisit des fortifications régulières, dont une partie existe encore aujourd'hui.
Les rues, qui sont en général larges et droites, s'étendent presque toutes de Test à
l'ouest. La principale {Kramgasse ou rue du commerce), où se concentre l'activité
liernoise, présente un coup d'œil extrêmement animé, surtout les jours de marché.
LA SUISSE PITTORESQUE. 449
Presque toutes les rues ont des arcades fort commodes pour la circulation et bordées
de magasins, mais un peu humides et sombres, surtout du côté du nord, où pénètre
rarement un rayon de soleil. Comparée aux autres villes de la Suisse, Berne a
l'avantage d'avoir sU le mieux garder une physionomie nationale. Les maisons
modernes, habitées en partie par l'aristocratie et par les résidents étrangers, sont
pour la plupart du côté le plus méridional du plateau. La principale rue aboutit du
cdté de Test, par une pente rapide, à un pont de pierre à trois arches, qu'on appelle
la porte de Soleure ou porte inférieure. L'accès de cette partie de la ville est très-
pénible et même dangereux pour les voitures; on y a remédié par la construction
d'un nouveau pont, situé en amont, jeté sur la rivière et sur la vallée; c'est un
gigantesque monument, élevé de 93 pieds au-dessus de l'Aar, et qui fut terminé en
1847. L'arche du milieu a une ouverture de 450 pieds. Ce pont, qu'on appellede la
Nydeck^ est construit en granit tiré en grande partie des blocs erratiques qu'on
Irouve non loin de Meyringen. Quand on est sur l'ancien pont, l'arche du milieu
parait colossale. Outre ces deux ponts, auxquels il faut ajouter une passerelle située
du côté du nord, la ville a encore deux portes principales : la porte, ou barrière
d'Âarberg, du côté du nord-ouest, et la porte ou barrière de Morat ( ou porte supé-
rieure, Oberthor), à l'ouest. Enfin, du côté du sud-ouest on peut sortir de la ville par
une porte moins importante, qui conduit vers les bords de l'Âar, et qu'on appelle la
porte A'Aarzihli ou de Marzihli.
Les rues de Berne, remarquables par leur propreté, sont traversées dans leur
longueur par des ruisseaux d'eau vive, coulant dans de petits canaux de pierre de
taille. On y voit aussi de distance en distance de belles fontaines. Celles-ci sont pres-
que toutes ornées de statues représentant Samson, Moïse, Thémis, etc. La plus
singulière est celle du Kindlifresser (ogre, ou mangeur d'enfants), près de la Tour de
l'Horloge. On y voit une figure grotesque, vraisemblablement Saturne, qui est sur
le point d'avaler un enfant ; d'autres enfants que le même sort attend, sortent à
demi des poches et de la ceinture. On sait que l'ours, surnommé Mutz ou le vieux
Mutz, est le symbole de la puissance de Berne ; aussi les Bernois se sont-ils plu à le
représenter en maint endroit. On le voit au-dessus d'une fontaine, armé en guerre,
avec casque, bouclier, glaive au côté, et bannière dans la patte. La porte de Morat
est gardée aussi par deux énormes ours de granit, travail du sculpteur Abbarth, et
qui méritent d'être remarqués. (Voyez aussi plus loin la Tour de l'Horloge. ) Depuis
des siècles une famille d'ours a été entretenue sur un fonds spécial dans un fossé de
l'enceinte. Cette famille, maintenant éteinte, a été remplacée en 481S3 par de jeunes
ours envoyés de Paris et de Russie. Les fossés aux ours sont situés près de la porte
d'Àarberg; il s'y trouve une fontaine avec un bassin assez spacieux pour que ces
animaux puissent s'y baigner. — La ville de Berne comptait, en 4850, 27,588
habitants, dont 4477 catholiques.
Edifices publics. La cathédrale (ou Munster) est un bel édifice, long de 260 pieds,
large de 408. Elle a été commencée en 4424, et terminée en 4502. Bâtie dans le
style gothique du moyen-âge, son architecture est imposante, et se distingue parti-
culièrement par la hardiesse des ogives et par une multitude d'aiguilles de toutes
formes qui couronnent les arcs-boutants et les piliers. Elle possède quelques orne-
ments qui ne le cèdent en rien pour le dessin et l'exécution à ceux de la cathe-
450 LA Misse PITTORBSQl'K.
drale de Slrnsbciur*;, lois que la balusirade qui régne autour do toil, el qui csl d*un
remarquable travail à jour, dont le dessin change entre chaque are-boulant. Ia*
\)t}Tl3i\ occidental est d*une grande beauté : les sculptures représentent le jogeoienl
dernier; sur les cAih Ton voit les prophètes et les apôtres, les vierges sages et les
vierges folles. Le portail oiïre trois entrées, dont la principale est exléneuremenl
fermée par une grille en fer, décorée de nombreux écussons aux armes de familles
liernoises, el de sculptures remarquables, dues à un artiste westphalien, Erfaard
Kungou Kônig. C'est aunlessus de ce portail que s*élève la tour, haute de 191
pieds. Uans les deux tourelles dont elle est flanquée sont les escaliers qui conduisent
h riiabitation du guet et à la galerie, qui offre une vue remarquable. Les eloclies
sont au nombre de neuf; la plus grosse pèse, dit-on, 203 quintaux; il faut huil
hommes pour la mettre en mouvement ; c'est le plus gros bourdon de la Suisse.
La sculpture des stalles et la peinture des vitraux du chœur méritent FatteDlion:
elles décèlent en quelque sorte l'esprit de controverse qui a régné sur ta fin du
15' siècle. On remarque sur les premières quelques traits malins contre le cleiigé:
sur les dossiers des stalles sont représentés d'un côté les apôtres, de l'autre les pro-
phètes. En examinant les vitraux, on reconnaît sans peine que le peintre a voulu
faire la satire du dogme de la transsubstantiation, qu'il personnifie en représentant
le pape versant avec une pelle les quatre évangélistes dans un moulin, duquel on
voit sortir une multitude d'hosties, qu'un évéquc reçoit dans une coupe surmontée
d'un Christ ; le peuple à genou semble tout ébahi du miracle.
Sur un des pilastres du chœur on voit les armes du duc de Zœhringen et la statue
de l'un des architectes, qui repose sur un piédestal soutenu par deux frêles colonnes,
avec ces mots tracés en lettres gothiques : Maeh's na ( imite-le), et qui formaient,
dit-on, la devise de cet artiste. Dans la salle contiguê & la sacristie on conserve une
grande tenture brodée représentant le martyre de St.-Vincent de Saragosse, et quel-
ques autres qui servirent à décorer les tentes du duc de Bourgogne.
La nef, dont la voûte, élevée de 72 pieds et portée par dix piliers, étiût autre-
fois décorée d'un grand nombre de bannières conquises dans les anciennes guerres:
on n'y voit aujourd'hui d'autres ornements que quelques vitraux représentant les
armoiries de plusieurs familles de Berne. Ce qu'elle renferme de plus remarquable,
ce sont les mausolées du duc Berthold de Zœhringen et de l'avoyer Fréd. de Steiger.
Sur le premier, qui se trouve à droite du chœur, et qui a été élevé aux frais de la
ville en 1600, on voit, entre les armes impériales el celles des Zsehringen, les
armoiries de la république de Berne, avec une inscription latine en l'honneur du
fondateur de la cité. Six tables de marbre disposées autour du monument élevé à la
mémoire de Steiger, placé à la gauche du chœur, indiquent les noms des 700 Bernois
qui ont succombé dans les divers combats qui eurent lieu en 4798 entre les Français
el les Bernois. On a remanié en 1848 un côté de l'intérieur de l'édirice pour y placer
Torgue, qui doit valoir celui de Fribourg. Il y a, jour el nuit, sur la lour de la catiié-
dralc, un guel chargé de sonner les heures el de donner l'alarme en cas d'incendie.
La place de l'ouest de la cathédrale est ornée d'une statue équestre en bronze de
Hodolph d^Erlach, vainqueur de Laupen, érigée en 18S1 ; aux quatre coins se retrou-
vent les inévitables ours. Le modèle est de M. Volmar de Berne, el il a été coulé dans
les fonderies de M. Hûtscrlii d'Aarau ; ainsi la Suisse seule a Thonneur de lexéculion.
LA SUISSE PITTORESQUE. 1S1
V Eglise du St, -Esprit, bâlie en 1704, csl un édifice d'un bon goûl. — V Eglise
fmnçnise, ou église catholique, a été bâtie en 1265 par les Dominicains. Elle fut
consacrée à saint Pierre et saint Paul, et renfermait plusieurs autels richement
ornés. Cet édifice était autrefois plus considérable et se prolongeait jusqu'au cime-
tière, au-devant duquel régnait une longue muraille, sur laquelle était peinte la
Dafise des Morts de Nicolas Manuel. Cette église a clé réparée à divei'ses époques.
Douze colonnes supportent la voûte de la nef, qui est surmontée d'une campanille,
cl celle-ci d'une flèche recouverte en fer-blanc. En 1728, on y plaça des orgues,
construites par un paysan de Rubischweil, nommé Joachim Rychener, et qui pas-
sèrent pour les meilleures de Berne.
Vers le milieu de la ville s'élève la Tour de l'Horloge, qui date de la fon-
dation de la cité. Elle se trouvait alors à une extrémité, et servait de beffroi. Il
y a encore dans la même rue deux tours semblables, situées plus à l'ouest : le Kàfig-
thurtn (Tour des cages), qui sert de prison, et la Tonr de Goliath ou de St .-Christophe,
sur laquelle se trouve une figure colossale. Deux minutes avant que l'heure sonne à
la Tour de l'Horloge, une troupe d'ours en diverses postures grotesques défile devant
une figure assise, qui à l'heure sonnante élève et abaisse son sceptre pour marquer
le nombre des heures qu*un homme cuirassé frappe sur une cloche avec un marteau ;
une minute avant et une minute après, un coq de bois parait, chante deux fois et
bat des ailes.
VHôtel-de- Ville, édifice d'un style plutôt lourd qu'élégant, date de plus de trois
siècles. Un double escalier, adossé à la façade principale, conduit au 1"^ étage. Cette
façade est ornée d'écussons aux armes des préfectures du canton. L'hôtel renferme
de belles salles, entre autres celles du Grand et du Petit Conseil, et l'on y voit plu-
sieurs tableaux remarquables.
Là Bibliothcqae de la ville possède 40,000 volumes et environ 1500 manuscrits.
xVutour de la grande salle règne une galerie, supportée |)ar douze colonnes de stuc
jaune et ornée d'une légère balustrade; le plafond est décoré d'une peinture à fresque,
représentant Minerve couronnée par Apollon. Cette bibliothèque commença h se
former à Tépoque de la Réformalion par le dé|)ôt des livres et manuscrits trouvés
dans les couvents sécularisés. Le célèbre llaller fut à la tète de ce bel établissement
lie 1734 à 1736. Ce fut surtout à celte é|)0(iue que la bibliothèque prit de l'accrois-
sement, soit par des achats d'ouvrages précieux que fit le gouvernement, soit par
les dons d'un grand nombre de particuliers. La Bibliothèque possède un cabinet de
médailles, qui renferme quelques pièces curieuses et très-rares. Le plus grand nombre
de ces pièces ont été trouvée» aux environs d'Âvenches, de Moudon et de l'ancienne
Vindonissa, en Argovie.
Le Mfisée, situé à côté de la Bibliothèque, communique avec cet établissement par
un corridor. Sa façade, sur laquelle on lit Mmis et Patrice, est surmontée de la statue
de Minerve, sculptée en grès. Le rez-de-chaussée se compose de trois salles ; l'étage
supérieur est formé d'une seule galerie de 60 pas de longueur; elle est ornée des por-
traits des avoyers de la république et de quelques autres Bernois célèbres, parmi
lesquels on remarque le grand Haller. Le musée possède une très-belle collection
d'oiseaux et de quadrupèdes de la Suisse. On y voit empaillé un chien du St. -Bernard,
nommé Barry, qui a sauvé la vie à quinze personnes. Celte collection zoologique est
1S2 LA suisse piTTonesQi'E.
la plus considérable de loulc la Suisse. On y trouve aussi une collection de plantes et
de minéraux de la Suisse, et de pétrifications. On peut acheter de petits herbiers dos
Alpes, qui coûtent de 6 à SO francs. Le Musée contient en outre une riche collection
d^antiquités, où Ton v(Ht entre autres des objets du Japon, du Canada, de Pompeî el
de Rome ancienne ; l'autel de campagne de Charles-le-Téméraire, décoré de sculp-
tures avec des ornemenis d'or, et d'autres reliques de Grandson et de Morat; enfin
plusieurs bas-rclicfs représentant TOberland, le Vallais, le canton de Vaud, le Saint-
Gothard, etc.
Au Musée sont attenants : le Jardin botaniqiie, orné du buste d'Albert Haller, et le
Bdimenl universikiire, qui possède une collection d'instruments de physique et de
mathématiques.
Non loin de ces divers établissements, tous situés du côté sud de la ville, l'on
trouve un petit Casim ou salle de concert, qui sert aussi quelquefois de salle de spec-
tacle. Près de la terrasse du Casino s'élève le nouveau Palais fédéral, dont la con-
struction doit être achevée en 185S. C'est un édifice grandiose, en pierres de taille,
long de 32S pieds, et destiné à servir de siège au\ autorités de la Confédération.
L'Arsenal, situé du côté du nord, se compose de plusieurs grands bâtiments, qui
entourent une vaste cour. Il contient un grand attirail de guerre et beaucoup d'ar<
mures anciennes. On y conserve celle de Jean-Fr. Naegeli, qui conquit le pays de
Vaud en 1536. Une partie des trophées que possédait l'arsenal a été enlevée par les
Français. — Le grand Grenin à blé est un Intiment de 80 pas de longueur, au rez-
de-chaussée duquel est une vaste salle où se tient le marché des céréales. Un escalier
d'une trentaine de marches conduit dans la grande cave, où l'on voit des tonneaux
d'une capacité énorme. — Berne possède un Hôlel de la Monnaie, et deux prisons, la
maison de correction ou Blaahans, et la maison de force, Schellenu:^k. Celle-ci est à
côté de la porte d'Aarberg, et peut contenir ftOO détenus.
Il existe à Berne plusieurs institutions de bienfaisance : deux maisons d'orphelins,
une maison d'aliénés, un institut pour les sourds-muets, un institut pour les aveugles,
et deux magnifiques hôpitaux. Le Grand Hôpital, ou Hôpital des bourgeois, est situé
près de la porte de Morat. Il est d'une belle architecture. Une grande entrée, fermée
par une élégante grille de fer, au-dessus de laquelle on lit ces mots gravés sur une
plaque de marbre : Christo et paaperibm, conduit dans une cour spacieuse; tout
autour règne une longue galerie couverte, qui offre en tout temps une promenade
salutaire aux convalescents et aux infirmes. Au milieu de la cour s'élève une belle
fontaine, ombragée d'arbrisseaux et entourée de fleurs. — V Hôpital dit de Vile est
situé dans la rue de l'Ile, à côté du Casino ; il se compose de deux pavillons et d'un
corps-de-logis principal. L'entrée est ornée de bas-reliefs représentant le Samaritain
secouru par des personnes charitables. La façade opposée, qui domine la campagne, est
bordée d'une terrasse, de laquelle on jouit d'une des plus belles vues de la chaîne
des Alpes, en même temps qu'on y respire un air pur, à l'ombre d'arbres majes-
tueux . L'intérieur de l'hôpital est vaste et bien distribué. — Il y a en outre, à Berne,
une Caisse pour les veuves et les orphelins, une Société de secours pour les indigents,
une Caisse générale pour les malades.
Parmi les diverses Sociétés littéraires ou scientifiques qui existent à Berne, nous
nommerons la Société helvétique d'Histoire, la Société d'Histoire naturelle, la Société
o
a
X
M
LA SUISSE PITTORESQUE. 153
de médecine, la Société des Artistes, la Société de Lecture, qui possède une bibliothèque
assez considérable, et la Société Economique, qui fut instituée en 17S8, et eut pour
président le grand Haller. Elle a été autrefois une des plus actives, et a rendu de
grands services au pays. — Outre les bibliothèques et les collections déjà mentionnées,
il y a encore des cabinets particuliers et des bibliothèques spéciales, telles que celle
des médecins, celle des étudiants, celle des pasteurs, celle des maîtres d'école, etc.
Promenades. — La Plaie-forme, ou terrasse de la cathédrale, était autrefois un
cimetière ; il a été converti en une belle promenade ombragée de lignes de marron-
niers, et ornée de la statue de Berthold de Zœhringen, fondateur de Berne, due à
M. de Tscharner. La terrasse est élevée de 108 pieds au-dessus de TÀar, et jouit
d'une vue étendue sur la chaîne des Alpes. Elle a 140 pieds de longueur; elle est
flanquée sur les angles extérieurs de deux élégants pavillons ou rotondes. Sur le
parapet Ton voit une plaque de marbre, où on lit une inscription qui rappelle qu'en
1654 un étudiant, nommé Tbéobald Weinzôpfli, s'étant avisé de monter sur un cheval
qui paissait sur le gazon , cet animal, effarouché par d'autres jeunes gens, s'élança
par-dessus le parapet et se précipita avec son cavalier dans l'abtme. Celui-ci se cassa
un bras et une jambe, mais il se guérit, et remplit ensuite pendant 30 ans les fonc-
tions de pasteur.
On désigne sous le nom des Petits remparts les deux bastions situés au sud-ouest
de la viUe, et qui sont arrangés en délicieuses promenades et ombragés de magnifi-
ques tilleuls. L'une des entrées se trouve à côté de la barrière de Morat, l'autre près
de l'ancienne porte d'AarzihIi. Le bastion le plus rapproché de l'Aar, celui qui domine
Aarzibli, a été disposé comme un jardin anglais ; le point de vue dont on jouit du
haut du bastion est enchanteur : on voit d'abord tout le quartier d'AarzihIi, la
rivière et plusieurs petites îles ; au-delà de ce premier plan se déroule une riche
contrée, partout ornée de jolies maisons de campagne ; de petits bois tapissent d'un
vert varié les pentes des montagnes qui s'élèvent en amphithéâtre jusqu'à la chaîne
majestueuse des Alpes. Les pics les plus élevés de cette chaîne se découpent parfaite-
ment sur l'azur du ciel ; on distingue de gauche à droite le Wetterhorn , le
Schreckhorn, le Finsteraarhorn, les Viescherhôrner, l'Eiger, le Moine, la Jungfrau, la
Biûmlisalp, le Doldenhorn, etc. L'autre bastion sert quelquefois à des spectacles
publics et à des exercices gymnastiques. C'est là que se réunissent, le lundi de
Pâques de chaque année, les paysans de l'Oberland et de l'Emmenthal qui viennent
à Berne pour essayer leurs forces à la lutte. Une partie du fossé qui entoure les rem-
parts est peuplé de cerfe et de daims; une autre partie est consacrée en été aux
exercices gymnastiques de la jeunesse bernoise.
Du côté du nord on trouve aussi des promenades sur la pente qui domine l'Aar,
mais elles n'ont pas de vue lointaine. De l'autre côté de l'Aar, sur la colline de l'Al-
tenberg, on jouit à la fois de l'aspect de la ville et de celui des Alpes. Il en est de même
sur la colline où est placé l'Observatoire et qui se trouve à l'ouest de la porte d'Aar-
berg. Au nord de cette porte, on trouve la Schûtzenmatt, ou Prairie des tireurs; plus
loin s'étçnd la belle promenade de VEngi, avec ses frais ombrages et une vue magni-
fique. A l'extrémité de la promenade, la grande route de gauche conduit à Aarberg;
en continuant à marcher devant soi, l'on traverse une belle forêt de sapins qui occupe
la crête d'une longue presqu'île, et l'on arrive au bord de l'Aar, à peu près en face
11, 10. 90
454 LA SUISSE PITTOBESQUE.
du château de Heichenbach, qui appartenait au vainqueur de Laupen, qui y fiit tué
à un âge avancé, par son gendre Jobst de Rudenz d*Unterwald. Maintenant, la pres-
qu'île est traversée par la nouvelle route de Soleure, qui passe l'Aar sur un pont
gigantesque, plus haut et plus long que celui de la Nydeck à Berne, et qui Tut ter-
miné en 4851. — Le chemin des Philosophes conduit au Donnerbûhel, dont la posi-
tion est admirable. Ce lieu excite vivement l'intérêt, parce qu'il a été le théfttre du
premier combat que les Bernois livrèrent en 1294 aux Autrichiens et aux chevaliers.
On peut aussi citer, pour leurs |x)ints de vue remarquables, la colline de Bantigeth
au nord-est de Berne, et celles de Gurten et de Belpberg, au sud, sur la rive gauche
de l'Aar, etc.
Nous passons à la description des diverses parties du canton. Nous commencerons
par Thoune et l'Oberland, qui sont la partie la plus fréquentée par les étrangers;
nous dirons ensuite quelques mots de la partie centrale et du Jura.
Ville et lac de Thoune. Deux routes conduisent de Berne à Thoune; la principale
suit la rive droite de l'Aar et passe par le grand village de Mûnsingen, devenu célèbre
par deux nombreuses assemblées populaires: la première eut lieu en 1831, et amena
la chute de l'ancien gouvernement aristocratique ; la seconde eut lieu le 25 mars
1850, et fut suivie du renversement du gouvernement radical qui régissait le pays
depuis 1846. Les deux partis s'étaient assemblés dans deux vastes prairies séparées
par un sentier, et qui portent les noms de Leueiitnatte ou prairie des lions, et de
BârenmaHe ou prairie des ours. Un peu plus loin, l'on passe au village de Wichtrach,
où le général d'Erlach fut massacré en 1798. Il a été inhumé derrière le chœur de
l'église. La route qui suit la rive gauche est plus variée, et passe sous la colline de
Belp. La vallée de l'Aar est verdoyante et parsemée de beaux villages. En se diri-
geant vers Thoune, on a constamment en face de soi plusieurs des sommets neigeux
de l'Oberland. La ville de Thoune comptait, en 1850, 3379 habitants ; elle est située
sur l'Aar, à un quart de lieue du lac auquel elle donne son nom. Elle est dominée
|)ar l'église paroissiale et par l'ancien château des comtes de Kybourg. Non loin du
pont, un escalier couvert, d'environ 200 marches, conduit à l'église, construite en
1738. A la droite du portail, une pierre tumulaire, engagée dans le mur et à moitié
dégradée, rappelle l'accident arrivé à sept jeunes gens et jeunes filles qui périrent sur
le lac en ramenant un fiancé. La vue qu'on a du cimetière est très-pittoresque : on
domine la ville, les deux bras de la rivière, la plaine fertile qu'elle sillonne. On a
devant soi le Niesen, à gauche duquel paraissent les neiges de la Blûmlisalp et une
partie de la Jungfrau.
D'après quelques historiens, le château de Thoune aurait été construit vers Tan
1182 par Berthold, duc de Zœhringen, fondateur de Berne. Selon d'autres, il
serait plus ancien encore. A la mort de Berthold, il passa par héritage à la maison
des Kybourg, qui, un siècle environ plus tard, le cédèrent aux Bernois avec le comté
de Thoune '. Quant â la ville elle-même, on ignore la date de son origine; on fait
dériver son nom d'une racine celtique doun ( probablement synonyme du town des
Anglais), et qui reparaît dans plusieurs noms latins de villes de la Gaule et de l'Hel-
1. Des rejetons de Tancienne maison des seigneurs de Thoune quiUèrent le pays et aUérent
s'établir en Tyrol et en Bohême, où ils fondèrent de nouvelles maisons, qui fleurissent encore
90US le nom des comtes de Thoune.
LA scissK nntmesQi'E. 155
vélie, telles que Augusiodimum, Autun ; Novhdanum, Nyon ; EbrodHHum, Yverdon ;
iftfifiÀftiiiNtii^ Moiidon. On trouve déjà dès le 6*** siècle une mention du tactis duiiensis,
ce qui fiiii supposer que la ville existait dès celte époque et donnait son nom au lac
voisin. Thoune est maintenant cheMieu d'une préfecture ; elle est aussi le siège de
diverses écoles fédérales militaires, école pour le génie et rartilierie, école des
instructeurs, etc. Il y a ordinairement tous les deux ans des camps de manœu-
vres, qu'on établit dans la plaine de Thoune ou YAUmefidy laquelle appartient à la
Ck)nfédération.
Les environs de Thoune abondent en beaux points de vue. Un des sites les plus
favorables est une éminence qui s'élève au-dessus de l'hôtel de Bellevue, placé au
bord du hic, et qui est couverte de délicieux bosquets et surmontée d'une rotonde rus-
tique. Ce parc porte le nom de Bachi. La Jungfrau et les sommités voisines s'y
montrent entièrement dévoilées. A quelque distance du pavillon, sous un chêne au
vaste ombrage, on lit une inscription consacrée au souvenir d'un vieux troubadour,
Henri de Strœttlingen, issu d'une famille puissante. Dépouillant la rudesse des mœurs
réodales, ce chevalier chanta ses exploits et ses amours dans des romances qui se sont
conservées jusqu'à nous dans la mémoire du peupleV Tout près de là, sa tombe est
presque cachée sous l'épais gazon qui l'environne. — A l'ouest de Thoune, on peut
visiter la contrée intéressante où se trouvent les bains de Blumenstein et de Gour-
nigel, dont nous avons parlé, et le pays du Gtêggisberg, dont les habitants se font
remarquer par leur vivacité et par la beauté de leur sang.
On peut se rendre de Thoune à Interlaken, soit par la voie du lac avec le bateau
à vapeur, soit par les deux rives; la route principale passe sur la rive gauche. Près
(le la ville, les deux rives sont encore bordées de villages et de jardins ; mais, plus
loin, la rive septentrionale est escarpée, et présente peu de villages. Au-delà de Mer-
lingen, on voit s'avancer dans le lac un promontoire de roc appelé la Nase ou le Nez,
Après avoir dépassé la Nase, on aperçoit sur les flancs du Bealcnberg la caverne de
Sl.-Béat; il en jaillit un ruisseau, qui souvent grossit avec une telle rapidité, qu'il
remplit la caverne et en sort avec fracas. St.-Béat, premier missionnaire de l'Evan-
gile dans cette contrée, doit, suivant une légende, l'avoir habitée. Elle fut un lieu de
pèlerinage très-fréquenté jusqu'à la Réforme. La vue que Ton aperçoit de l'entrée de
la grotte est fort belle. — Les paysages qu'offre la rive méridionale sont plus variés
et plus gracieux, quelquefois même majestueux. A l'angle formé par l'Aar et le lac,
s'élève, au milieu d'un parc, le château de Schadau, avec de nombreuses tourelles,
qui produisent un effet assez pittoresque. Plus loin, l'on aperçoit sur une langue de
terre qui fait saillie dans le lac l'ancien château de Spietz, dont la construction pri-
mitive est attribuée à Rodolphe de Slrsettlingen, qui se fît en 888 roi de la Bour-
gogne. A l'époque de la chevalerie, il s*y tint une cour brillante, que les vieilles
chroniques appelèrent le goldetie Hof, la cour d'or. Plus tard, ce cbàleau fut le ma
noir de la famille des Bubenberg; depuis 1516, il appartient à la famille d'Erlach.
On voit, entre le Stockhornet la pyramide du Niesen, une gorge étroite, qui donne
accès dans la grande vallée du Simmenthal; puis, à la gauche du Niesen, on voit
s'ouvrir la vallée de Kander, au fond de laquelle se font remarquer les glaciers de
t. D'après Wyss, auteur du Yoyagt dam VOberland^ trois de ces romances ont clé iiupriiiiées.
4K6 LA SUISSE PITTOBESQUE.
TAItels et de la Blûmlisalp. Quand on approche de rextrémité du lac, on aperçoit, au
fond de la vallée de Lauterbrunnen, les sommets de la Jungfrau, du Moine et de
TEiger. M. de Bonstetten a décrit le lac de Thoune, qu'il appelait un des plus beaux
spectacles de la nature. Ses bords, dit-il, tour à tour riants et majestueux, offrent
aux regards du voyageur tous les divers genres de beauté de la nature que renferme
la Suisse septentrionale.
Interlaken. Le bateau à vapeur aborde à Neuhaus, d'où Ton se rend à Unter-
seen, petite ville bâtie en bois, et située sur la rive droite de rÂar; plusieurs de ses
maisons sont entièrement brunies de vétusté, et offrent une construction singulière,
remontant à deux ou trois siècles. On y traverse l'Aar sur un pont qui offre une vue
grandiose sur la rivière, sur les rochers à pic de la rive droite et sur une vaste forèl
de sapins, au-dessus de laquelle resplendissent les neiges de la Jungfrau. Une allée
de magnifiques noyers, longue d'une demi-lieue, traverse la plaine basse qui s'étend
d'Unterseen au lac de Brienz, et qu'on appelait autrefois le BcBdeli. Cette allée est
bordée d'une série d'hôtels. Â peu de distance de l'Âar, sur la rive gauche, à ^le
distance du lac de Thoune et de celui de Brienz, est situé le beau village d'interlaken,
qui a complètement changé d'aspect depuis 30 à 40 ans. On y a établi, ainsi qu'aux
environs, de nombreux hôtels et pensions, qui reçoivent en été une grande affluenoe
d'étrangers ; on y trouve des cabinets de lecture, des bains élégants et des magasins
bien fournis. Sur une colline boisée, nommée le petit Rugen, à droite de la route de
Lauterbrunnen, est situé l'hôtel du Jnngfranblick (Vue de la Jungfrau), le seul de
cette contrée qui offre pleinement la vue de cette montagne et des deux lacs.
Placé dans une vallée salubre et fertile, à portée des excursions les plus intéres-
santes de la Suisse, Interlaken a grandi chaque année en réputation. Il est un
excellent quartier-général pour ceux qui se proposent des excursions dans les vallées
voisines. Les alentours plus immédiats offrent aussi de charmantes promenades. De
la colline du Hohbûhl, à demi-lieue d'interlaken, on jouit d'une belle vue sur le
lac de Thoune, le Morgenberg ( ou Montagne du matin) au sud du lac, le Niesen, le
Stockhorn, etc. Le Thurmberg, situé à même distance au-dessus de Gotzwyl, sur la
nouvelle route de Brienz, offre également un beau point de vue et un horizon loin-
tain. On peut aussi se rendre dans la vallée de Habkern, au nord d'Unterseen. Dans
la môme direction se trouve le Guggisgrat ou Gemmeralp, dont le sommet élevé de
6600 pieds présente un magnifique panorama. Il est à cinq lieues d'interlaken:
les deux premières, jusqu'à Waldeek, se font par un chemin un peu escarpé; ensuite,
des prairies en pente douce conduisent jusqu'au sommet. Du côté du sud, on va
visiter la vallée de Saxelen, et les cascades du Wyssbach et du Gurmenbach. A
Gsteig, sur la route de Lauterbrunnen, on peut prendre à droite la direction de
Wilderschwyl et de l'Abendberg. On voit, à droite, sortir des bois les ruines pitto-
resques du château d'Unspunnen, habité jadis par des seigneurs puissants, dont les
querelles sanglantes avec la maison de Zasbringen désolèrent pendant des âècles les
contrées voisines. Plus tard, on a souvent célébré près de ces ruines des fêles g> m-
nastiques. En 4808, on donna à la fête plus de solennité, à l'occasion du cinquième
jubilé de la fondation des républiques suisses. C'est sur VAbendberg (Montagne du
soir ), à plus de 3000 pieds au-dessus de la mer, que le docteur Gugçenbûhl a fondé
en 1841 une maison de santé pour déjeunes crétins, confiés aux soins de sœurs de
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LA SUISSE PITTORESQUE.
157
la charité de Soleure. L'établissement guérit environ un tiers des enfants qu'on y
envoie.
Lac de Brienz et le Giessbaeh, Dirigeons-nous maintenant vers le lac de Brienz et
vers les vallées les plus orientales du canton. Le lac de Brienz n'a pas trois lieues de
longueur; il a 500 pieds de profondeur près du Giessbach, et on prétend que près
d'Oberried il en a plus de 2000. Il n'est que de quatre pials plus élevé que le lac
de Thoune, avec lequel il doit avoir été autrefois réuni. Un bateau à vapeur le par-
court en une heure. L'embarcadère est à Bœnigen. Le lac est entouré de hautes
montagnes aux pentes en partie nues et stériles et en partie boisées. Sur la rive
droite, un chemin mène à Brienz ; il passe au-dessous des ruines de l'ancien château
de Rinkenberg, à peu près cachées au milieu des vergers, et traverse plusieurs vil-
lages entourés d'une forêt de cerisiers. On construit maintenant une meilleure roule
sur cette rive. Brienz est un village considérable, dans une situation gracieuse au
pied du Brienzergrat, qui sépare le lac de Brienz de l'Entlibuch. On fabrique, dans ce
village et aux environs, beaucoup d'ouvrages divers en bois sculpté. On y jouit d'une
belle vue sur le lac, sur une partie des chutes du Giessbach et sur d'autres cascades.
Le point culminant du Brienzergrat est le Rothhorn, haut de 7260 pieds ; on y par-
vient en quatre heures. La vue y est moins grandiose qu'au Faulhorn, situé sur
l'autre rive, parce qu'on n'y aperçoit pas la base des grandes Alpes, mais elle est
plus gracieuse et plus étendue. Les chemins sont mauvais, mais on doit en établir un
plus commode, et bâtir une auberge au sommet. Un sentier un peu rude en quelques
endroits suit la rive gauche du lac, et passe par Iseltwald et Sengg, le long des
L'une liti chutes du Giessbach.
188 LA SUISSE PITTOIlEdQVR.
bases du Faulhom. On perd bientAi de vue les soromels neigeux de la Jungfrau,
cachés par des montagnes plus rapprochées. On arrive en trois heures et demie au\
célèbres cascades du Gies$bach, lesquelles attirent chaque année une foule de voya-
geurs sur les bords du lac de Brienz. On ne voit du lac que la cascade inférieure, la
moins remarquable de toutes ; ce n'est que de près et sur le flanc ïnème de la mon-
tagne qu'on voit les vraies chutes qui ont donné au Giessbach son renom européen.
Cette cascade se compose d'une série de chutes qui se précipitent de roc en roc, et
dont l'effet est très-pittoresque par le charmant encadrement de forêts et de fraîche
verdure qui donne à ce tableau l'apparence d'un parc gigantesque. On peut se placer
derrière une des chutes inférieures, et gagner par-là l'autre rive sur un chemin
glissant. L'effet que produit le paysage vu au travers de cette nappe d'eau est très-
original; il ne l'est pas moins si l'on y allume de nuit des broussailles pour considérer
la chute elle-même à quelque distance. Chacune des quatorze chutes a reçu une
désignation particulière ; il y a la cascade de Bertkold de Zœhrmgen, fondateur de la
ville de Berne ; celle de Rodolphe d'Erlach, le héros de Laupen ; celle d'Adrien de
Babenherg, le héros de Morat, etc., etc. Ce n'est que depuis le commencement de ce
siècle que le Giessbach est connu. Auparavant, il était presque inaccessible. A cette
époque, le maître d'école Kehrli fraya un chemin, et se fit payer un petit dédom-
magement de chaque voyageur. De là l'origine de la modeste auberge établie auprès
des chutes, et qui a été récemment améliorée. Un sentier très-pénible mène en cinq
heures du Giessbach au Faulhom ; un autre sentier, aussi assez difficile, y mène du
village de Sengg. De Brienz on se rend au Giessbach, soit en traversant le lac, soit
|Kir terre, en deux heures, en faisant le lourde l'extrémité orientale du lac. À demi-
licue de Brienz, non loin de l'embouchure de l'Aar dans le lac, était jadis le village
de Kienholz, qui fut détruit en 1499 par un tremblement de terre; sur l'emplace-
ment (|u'il occupait, on trouve maintenant l'hâlel et pension de l!ellevue. Le long
du lac sont disperses de grands amas de débris qui couvrent un sol autrefois fertile.
Un torrent de vase détruisit en 1797 une partie considérable des hameaux de
Schwanden et de Hoffstetten, dépendants de Brienz. Un éboulement couvrit en 1826
40 arpents de terrain.
Meyringen el le Reichenkich, La route conduit de Brienz à Meyringen en trois
heures, en traversant deux fois l'Aar; elle passe au-dessous de plusieurs cascades,
entre autres celle de l'Oltscbibach, qui est très-belle. Près de Brienzwyler, on laisse
à gauche le sentier qui mène au col du Brûnig et dans l'Unterwald. Meyringen est le
chef-lieu de la vallée du Hasii. Cette vallée, qui s'étend jusqu'au col du Grimsel, a 10
ou 11 lieues de longueur. Ses habitants passent pour l'une des plus intéressantes et
des plus belles peuplades qu'il y ait dans les Alpes. Il est hors de doute qu'ils sont
d'une autre origine que celles dont ils sont entourés ; ils descendent, à ce qu'on
assure, d'une colonie partie de la Frise ou de la Suède, ou peut-être de ces deux
pays. Cette colonie serait arrivée, dans le B"** siècle, vers le lacdesWaldstâtten, el
plus tard elle aurait passé le Brûnig et se serait fixée dans le Hasli. Une antique
chanson populaire a transmis cette tradition à travers les siècles. Us se distinguent
soit par leur taille et la beauté de leurs traits, soit par leur langage, qui .est moins
rude que celui des autres Suisses. Le costume des femmes présente aussi quelques
particularités. Meyringen est situé dans une plaine large d'environ une lieue, et au
7l^^S-^
LR PLATEAU DR MRTRI.NGR!«.
LA SUISSE PITTOIieSQUE. 4S9
milieu de montagnes aux formes piltoresques. Du côté du nord, diverses cascades
descendent du Haslibei^ par plusieurs gradins; le principal ruisseau est VAlpbach,
qui a causé souvent des ravages, en couvrant une grande étendue de terrain de boue
et de débris de roc. En 4762, une partie du village fut détruite par un semblable
désastre. Pour en prévenir le retour, on a creusé un large canal qui aboutit à TAar.
Du côté du sud, l'attention est attirée par les chutes du Reichenbach, qui sont au
nombre de sept ; la première et la dernière sont les plus belles, et s'aperçoivent
d'une grande distance ; leur fracas se fait aussi entendre au loin. Ces chutes sont
remarquables, soit par leur volume, soit par la fraîche verdure et par l'ensemble du
paysage qui les entoure. On a établi des cabanes aux lieux les plus favorables pour,
les observer. C'est avant midi qu'il convient de contempler la cascade supérieure,
parce que pendant cette partie de la journée les rayons du soleil forment trois iris
circulaires sur la colonne d'eau ; sa chute inférieure n'est éclairée que dans l'après-
midi. En continuant à monter par le chemin qui conduit aux cascades, on rencontre
des points de vue très-pittoresques sur le Wetterhorn, le Wellhorn, etc., et en deux
heures on arrive aux bains de Rosenlaui, d'où l'on peut se rendre en demi-heure
au glacier du même nom, renommé pour la pureté cristalline de la glace et la
transparence azurée des crevasses. La propreté de ce glacier résulte sans doute de
la nature des montagnes voisines, dont la pierre calcaire noire ne se décompose pas
et ne dépose pas sur le glacier les masses de débris qui gâtent l'effet de ceux du
Grindelwald. Le torrent qui sort du glacier, et qu'on nomme le Weissbach (Nant-
Blanc), coule d'abord au 1ms d'une profonde crevasse de rocher, sur laquelle on a
jeté un petit pont. De Rosenlaui, une ascension de deux heures mène au sommet
du col de la grande Scheideck, par où passe le chemin de Grindelwald. Meyringen
et ses environs sont une des contrées que fréquentent le plus les peintres, car,
comme l'a dit un voyageur : (( C'est à Meyringen que la nature a placé l'école du
paysage; c'est là qu'elle a réuni tous les éléments du style héroïque de ce genre, et
l'artiste, pour être original et sublime, n'a besoin que d'y être constamment exact
et vrai. »
Oberhasli, Grirnsel, la Hàndeck, Si de Meyringen on remonte la vallée du Hasli,
il faut huit heures de marche pour atteindre l'hospice du Grimsel. Une haute colline
calcaire et boisée, le Kirchet, barre la vallée de TAar comme une sorte de digue, et
ne laisse à la rivière qu'un étroit passage, nommé la Finstere Schlauche ou Sombre
Gorge; le roc semble comme scié du haut en bas; c'est peut-être une crevasse
produite par un tremblement de terre. Cette colline est couverte d'une grande
quantité d'énormes blocs erratiques de granit, dont plusieurs ont été employés à la
construction du beau pont de la Nydeck à Berne. Ces blocs doivent être les restes de
la moraine d'un immense glacier, qui aurait jadis rempli la vallée jusqu'en ce lieu,
et qui, dans le cours des siècles, se serait retiré vers le sommet des vallées voisines.
Le chemin est praticable pour les voitures jusqu'à Im Hof; il longe pendant quelque
temps le Kirchet, et traverse les fertiles prairies du fond de la vallée. Ici, Ton voit à
droite et à gauche déboucher des vallées latérales : à droite, c'est la sauvage vallée
iïUrbach, aboutissant à des glaciers qui s'appuient contre le Wetterhorn. La vallée
de gauche s'appelle le MûhlUhal\ elle se bifurque un peu plus haut, et aboutit aux
montagnes d'Unterwald et d'Uri. La bifurcation de gauche est le GenteUhal, qui
160 LA SUISSE PITTORESQUE.
présente de belles cascades, et conduit à V Engstkfmlp, sur laquelle on trouve un petit
lac de ce nom, Efigstlensee, et une source intermittente, connue sous le nom de
Wunderbninnen, Fontaine merveilleuse. Elle commence à couler au printemps, lors-
que les troupeaux viennent sur la montagne ; et dès qu'ils la quittent en automne, on
voit disparaître ses eaux. Pendant Télé, elle coule régulièrement depuis huit heures
du matin jusqu'à quatre heures après midi ; le reste du temps elle est à sec. Cependant,
la rareté ou Tabondance des pluies trouble un peu cette r^larité périodique. Au-
dessus de TEngstlenalp s'élève le passage appelé le Joch ou col du Titlis, par lequel
on se rend dans la vallée unterwaldoise d'Engelberg. De ce col, élevé de 6890 pieds,
on peut contempler d'assez près les belles sommités glacées du Titlis. C'est sur
l'Engstlenalp qu'ont lieu, le 26 juillet, des Têtes de lutteurs. Des réunions semblables
ont lieu sur d'autres Alpes du Hasli, en particulier le 10 août sur la Tannalp, où les
bergers d'Unterwald se rendent aussi. La bifurcation de droite est la riante vallée de
Gadmen, où Ton trouve un village du même nom. Delà, un bon sentier, plus facile
que le Joch, conduit par le col de Susten {Siistenpass ou Sasten-Scheideck) au canton
d'Uri; sur l'autre revers, on descend dans le Mayenthal, qui débouche à Wasen, sur
la route du St.-Gothard. Le canton de Berne avait projeté, quand le Yallais est devenu
français, de pratiquer une bonne route sur le Susten ; mais elle n'a pas été exécutée.
Au col de Susten on est voisin d'un pic du même nom, et dont l'élévation égale celle
du Titlis ( 10,700 pieds). On voit aussi, en montant, deux glaciers, dont le premier,
celui de Triften^ communique par son sommet avec le grand glacier du RhAne. Au
bas de la vallée de Gadmen, il existe une exploitation de marbre blanc d'un grain
très-pur.
Après Im Hof, le chemin du Grimsel pénètre par une forte montée dans la gorge
étroite où l'Aar coule depuis sa source : c'est VOberhasli ou Haut-Hasli. Plus haut,
l'on a dû faire sauter un rocher pour donner place au chemin. Au bout de deux
fortes heures, depuis Im Hof, on arrive à Guttannen, le plus grand et le plus pauvre
village de l'OberhasIi. On voit çà et là, dans les prairies, des pierres amenées par les
avalanches, et que les paysans mettent en monceaux pour qu'elles n'entravent pas
la végétation. 11 faut encore plus de deux heures de marche, dans un pays de plus
en plus sauvage, au milieu des rochers et d'une forêt de pins, pour arriver à la cas-
cade de la Handeck. En quittant la route, on s'approdie avec précaution d'un abime
de 200 pieds, où les flots de l'Aar se précipitent en masse compacte, et d'où s'élève
un épais brouillard. C'est sans contredit, après la chute du Rhin, la plus remarquable
de la Suisse, tant à cause de la hauteur de la cataracte et de la masse d'eau, qu'à
cause de la nature sauvage de la gorge. La chute de l'Aar a une telle force, que l'eau
parcourt près de la moitié de l'abime sans se diviser; mais, en rebondissant sur les
roches, elle développe un vaste cercle de vapeurs, sur lesquelles le soleil produit de
10 à 1 heure des iris dont les arcs montent et descendent sans cesse. L'^rlenbach,
venant des glaciers du même nom, se précipite dans la même gorge, et rejoint, à
demi-hauteur de la chute, les eaux de l'Aar, ce qui augmente considérablement
l'effet général du tableau. Le chalet de la Handeck est situé à quelques minutes de la
cascade, et l'on peut au besoin y trouver un gite.
Au-dessus de la Handeck, on ne voit plus que des sapins nains, qui finissent bientAt
par disparaître. Le sol desséché et pierreux ne produit qu'une herbe maigre et de la
<
m
o
LA SUISSE PITTORESQUE.
1(51
mousse, et çà et là quelques touffes de rhododendron. À demi-lieue du chalet, on
arrive à un plateau de granit arrondi, et dans lequel on a taillé des degrés ; on rap-
pelle le Mauvais coin {bôse Seite), Plus loin, on rencontre un plateau du même genre,
qu*on nomme \e plateau glissant ou luisant {helle Platte) ; il est poli comme du marbre,
ce qu'Agassiz et d'autres attribuent au frottement d'un glacier. Vis-à-vis, le Gelmer-
bacb, qui descend d'un petit lac, forme une belle cascade. La vallée devient toujours
Vallée de la Haadeck.
plus étroite et désolée, et la végétation y cesse presque entièrement. Enfin, après
avoir passé trois fois TAar sur des ponts très-élevés, on tourne à gauche, et au bout
d'un quart d'heure on arrive à l'hospice du Grimsel, qui fut primitivement un asile
pour les voyageurs qui passaient la montagne; il est la propriété de la vallée
d'Oberhasli, qui le donne à ferme. Le fermier fait ordinairement pendant l'hiver une
collecte dans quelques cantons. Pendant plusieurs années, l'hospice a été tenu par
un des hommes les plus notables de la vallée; mais ce fermier, l'ayant incendié, le
6 novembre 1852, a été condamné en 18S3 à vingt ans de prison. Le bâtiment a été
reconstruit à neuf. Il est à S800 pieds au-dessus de la mer. Tout auprès se trouve
un petit lac, de l'autre côté duquel est un maigre pâturage, où l'on nourrit pendant
un ou deux mois les vaches de l'hospice. La contrée d'alentour est d'un aspect
extrêmement rude et sauvage.
Il faut encore gravir plus d'une demi-heure, par un chemin escarpé, pour atteindre
le sommet du col du Grimsel, haut de 6770 pieds. Le chemin est marqué par des
pieux plantés de distance en distance, pour guider le voyageur sur la neige, qui le
recouvre jusqu'au milieu de juillet. Au sommet, la neige ne disparaît complètement
que quand l'été est très-chaud. On y trouve un petit lac, le Todlensee, Lac des morts.
Le sentier qui descend vers le glacier du Rhône par la pente escarpée qu'on nomme
la Meyenwand, passe au nord de ce lac; celui qui descend à Obergestelen, passe au
sud. Le Grimsel a été le théâtre d'un combat dans l'été de 1799. Les Autrichiens,
réunis avec les Vallaisans, s'étaient retranchés sur le sommet et près de l'hospice.
11. il 21
162 LA SUISSE PITTORESQUE.
Les Français, commandés par le général I^iecourbe, n'ayant pas réussi à les débusquer
en les attaquant par le bas de la vallée, un petit corps, guidé par un montagnard,
fit un long détour par des sentiers difficiles, et parvint à prendre Tennemi en flanc et
à dos. Celui-ci, surpris par cette attaque inattendue, fut repoussé avec de grandes
|)ertes. On trouve encore quelquefois, dans les alentours du col, des débris d'armes ou
d'équipement. Du haut du col, on a une belle vue sur la Furka, sur le Galenstock,
sur quelques pics du St.-Gothard et sur une partie de la chaîne méridionale du Val-
lais, jusqu'au-delà du Mont-Rose. Mais si l'on prend la peine de gravir la sommité
du Siedelhorn, située à l'ouest du col, et qui le domine de 5S000 pieds (8644), on
jouit d'un panorama bien plus étendu, surtout du côté du Finsteraarhom et des
cimes voisines. C'est une ascension d'environ deux heures, à partir du col, et qui
n'est difficile que pour le dernier quart d'heure, parce que le sommet est couvert de
gros blocs de granit disjoints, comme le sont plusieurs des cimes des environs.
Glaciers de VAar, L'Aar sort de deux puissants glaciers, à l'ouest de l'hospice du
Grimsel : le glacier supérieur {Oberaarglelscher), et le glacier inférieur {Ufiteraar-
gletscher). Le premier, séparé du second par le Zinkenstock, est à trois lieues de
l'hospice, et descend d'une crête élevée, le col i*Oberaar, qui fait le prolongement du
Finsteraarhom. Un sentier praticable pour les chevaux conduit facilement en deux
heures au glacier inférieur, que l'on parcourt aussi sans danger. Il forme lui-même le
prolongement des glaciers du Finsteraar ( Aar sombre), et du Lauteraar (Aar limpide
ou éclairé). Le premier descend du Finsteraarhom, et le second du Schreckhorn. A
la rencontre des deux glaciers, il s'est formé une énorme moraine de glace et de
granit, haute en quelques endroits de 80 à (00 pieds, et qui, par suite de la marche
du glacier, se prolonge jusqu'au bas de celui-ci (voyez page 78). Les glaciers de
l'Aar sont remarquablement propices pour étudier les divers phénomènes de la for-
mation et du mouvement des glaciers. Le naturaliste suisse Hugi avait fait
construire en 1827 sur le glacier inférieur, au pied même de la dernière saillie du
rocher nommé Abschwung, qui sépare les deux glaciers, une cabane, maintenant
ruinée, qui, en 1840, avait été transportée à 4600 pieds de ce rocher par la marche
constante du glacier. C'est sur ce même glacier que le célèbre Agassiz d'Orbe, alors
professeur à Neuchàtel, s'établit en 1840, avec quelques compagnons, MM. Desor,
Nicolet, Vogt, etc., et plus tard M. DoUfuss-Aussèt de Mulhouse. Ces savants
s'étaient réparti entre eux les recherches dans les diverses branches de l'histoire
naturelle, la minéralogie, la botanique, l'entomologie, la météorologie, etc. Ils
publièrent dans les journaux des observations très-intéressantes, datées de VHôlel des
NeucMtelois. Cet hôtel était une cabane, composée d'un simple mur construit en
pierres sèches sous un énorme bloc de schiste micacé. C'est là qu'ils habitèrent pen-
dant quelques semaines dans les étés de 1840 et 1841 ; mais comme le rocher qui
recouvrait leur cabane laissait filtrer l'eau de pluie, et que le mouvement du glacier
disjoignait quelquefois le mur et le bloc qui servait de toit, ils firent dresser en
1842, tout près du même lieu, une tente soutenue par une charpente. En 1843, la
([uantité de neige tombée pendant l'hiver était telle, qu'ils durent s'établir environ
une lieue plus bas; ils firent construire, sur une éminence à côté du glacier, une
cabane, qu'ils décorèrent du nom de pavillon. Au milieu des scènes de cette nature
grandiose, ces messieurs recevaient de nombreuses visites, et ils exerçaient dans leur
LA SUISSE PITTORESQUE. 163
modeste demeure la plus aimable hospitalilé. Us profitèrent de leur séjour dans ces
régions élevées, pour faire, non sans quelques dangers parfois, l'ascension de pinceurs
des hautes cimes du voisinage ; c'est ainsi qu'ils escaladèrent, en 18&1 , la Jungfrau ;
en 4842, le Schreckhorn; en 184&, le Rosenhorn, le pic le plus oriental du
Wetterhorn. (La cime occidentale, appelée aussi Hasli-Jungfrau ou Vierge du Hasli,
a été gravie la même année; le Pic du milieu ou MiUelhorn, l'a été l'année suivante.)
Les observations sur le glacier furent continuées les années suivantes par M. DoU-
Tuss-Ausset. Les glaciers de l'Aar se joignent par leur sommet à ceux du Grindel-
wald et à ceux qui descendent en Vallais, au sud du Finsteraarhorn et de la Jungfrau.
On évalue à près de 40 lieues carrées l'étendue de ce vaste désert glacé.
Grindeltoald, Faulham. Retournons maintenant à Interlaken, et dirigeons-nous
vers les vallées de Grindelvald et de Lauterbrunnen. Après avoir traversé des ver-
gers et de fraîches prairies, on pénètre dans une gorge étroite, en remontant le cours
du gros torrent de la Lutschine. A une lieue et demie d'Interlaken, la vallée se
partage en deux : à droite, s'ouvre la vallée de Lauterbrunnen, qu'arrose la Lutschine
blanche ; à gauche, celle de Grindelwald, d'où vient la Lutschine noire. Ces deux
torrents se réunissent près du village des Deux Lutschines (Zweilûtschinen). Us
doivent la couleur de leurs eaux à la nature des roches dont ils entraînent des par-
celles. Avant d'arriver au village de Grindelwald, on voit la vallée s'élargir consi-
dérablement ; le village est composé de jolies maisons de bois éparses ; il est à la hau-
teur de 32S0 pieds; le climat y est rude, à cause du voisinage des glaciers; la
population en est essentiellement pastorale. On a élevé dans le cimetière, contre
le mur de Téglise, un petit monument au pasteur vaudois Mouron, qui en 1821
tomba dans une crevasse du glacier inférieur (voyez page 80). Grindelwald doit sa
réputation soit à ses montagnes imposantes, soit aux deux glaciers considérables qui
descendent jusque dans la vallée et même jusqu'auprès des habitations, et sont ainsi
d'un accès plus facile qu'aucun autre en Suisse. Trois montagnes gigantesques
forment le côté méridional de la vallée : TEiger, le Mettenberg, qui est la base du
Schreckhorn, et le Wetterhorn. C'est entre ces trois sommets que descendent les
deux glaciers, sentinelles avancées de la vaste mer de glace qui couvre les plateaux
et les gorges élevées de ces montagnes.
Le glacier supérieur, distant d'une lieue de Grindelwald, est le plus remarquable ;
la glace en est plus pure que celle du glacier inférieur, et il offre des voûtes plus
grandioses; c'est sur ce glacier qu'arriva, en 1787 ou 1790, à Chr. Bohren l'acci-
dent dont nous avons parlé page 80 ; son fils, âgé de 77 ans et père d'une nombreuse
famille, était encore en 18S2 le gardien du glacier. Le glacier inférieur, nommé aussi
le petit glacier, quoiqu'il soit quatre fois plus grand que l'autre, n'est qu'à une bonne
demi-lieue de Grindelwald ; la partie inférieure n'est qu'à 5200 pieds au-dessus de la
mer. On donne le nom de mer de glace au grand bassin supérieur où se forme le
glacier avant de descendre dans la vallée. On y remarque un grand nombre de pyra-
mides ou d'aiguilles, qui affectent les formes les plus étranges. Cette vaste vallée de
glace est entourée des imposants sommets de TElger, du Schreckhorn, du Viescher-
hom» etc. En traversant la mer de glace, on arrive à un misérable chalet, situé au
pied du Mettenberg, et qui sert à l'exploitation de quelques maigres pâturages. De
là, on peut se rendre à l'hospice du Grimsel, en suivant le pied du Schreckhorn et
46& LA SUISSE PITTORESQUE.
par le col de la Sirahleck ; il y a environ 40 heures de marche sur la glace et sur la |
neige. Il y a trois siècles, les glaces étaient beaucoup moins étendues, et l'on passait |
commodément de Grindelwald en Vallais.
Au nord de Grindelwald court la petite chaîne du Faulhom, qui le sépare du lac \
de Brienz. Le Faulhorn, ou Pic pourri, est élevé de 8260 pieds ; il a donc 4900 pieds
au-dessus de Grindelwald ; mais l'ascension ne présente aucun passage difficile, et a
lieu en grande partie sur des pâturages; elle exige au moins quatre heures. Le prin- ■
cipal sentier traverse la Bach-Alp, au-dessus de laquelle est un petit lac, le BachSee,
La vue dont on jouit du sommet est aussi célèbre que celle du Righi. L'horizon s'é- ^
tend du côté de l'ouest jusqu'aux sommités du Jura ; du cAté du nord et par-dessus le i
Brienzergrat, jusqu'au Randen, point culminant du canton de Schaffhouse; du cdté
de Test jusqu'aux montagnes des Petits-Cantons, lePilate, le Righi, le Mythen, etc.
Du cAté du sud la vue est moins étendue, mais elle est plus grandiose : elle embrasse
la plus grande partie de la chaîne des hautes Alpes bernoises; sur le premier plan,
le Wetterhorn, le Schreckhorn, l'Eiger; sur un plan un peu plus reculé, le
Finsteraarhorn, le Moine, la Jungfrau, le Breithom, la Blûmlisalp, etc., et au loin
les Diablerets. On aperçoit le lac de Thoune presque en entier, une partie du lac de
Brienz, et quelques bandes de celui des Quatre-Cantons et de celui de Zug. Le
sommet du Faulhorn est taillé à pic du côté du nord. C'est une trentaine de pieds
au-dessous de la cime, du côté du sud, qu'est placée une auberge, qui a été agrandie
en 1852 ; on y trouve la table d'hôte la plus élevée de toute la Suisse et bien proba-
blement de toute l' Europe ^
On se rend de Grindelwald à Meyringen par le col de la Grande Scheideck, que Ton
atteint après trois heures de montée douce. On traverse constamment de beaux pâtu-
rages. Un des ruisseaux que l'on passe est le Bergclbach, qui vient du Schwarzborn
ou Pic noir, voisin du Faulhorn ; c'est à ce ruisseau qu'est due surtout la teinte
noirâtre de la Lutschine de Grindelwald. Le col est une longue arête qui joint le
Wetterhorn avec la chaîne du Faulhorn ; la vue qu'on y embrasse, sans être étendue,
n'est pas cependant sans mérite ; on y découvre la jolie vallée de Grindelwald, avec
ses fraîches prairies et ses innombrables cabanes ; plus loin, les forêts et les pâturages
de la Wengernalp contrastent pittoresquement avec les flancs nus et escarpés du
Wetterhorn, qui s'élève à pic au-dessus de la Scheideck. La pente orientale du col
conduit à Rosenlaui et aux cascades du Reichenbach (voyez ci-dessus).
Wengernalp, Jungfrau. La route de Grindelwald â Lauterbrunnen suit le cours
de la Lutschine noire jusqu'à Zweilûtschinen, et remonte ensuite celui de la Lutschine
blanche. Mais on peut prendre un chemin beaucoup plus intéressant, et franchir le
col de la Wengernalp ou de la Petite Scheideck, Le sentier gravit une pente aisée,
couverte de pâturages et de débris de rochers. On est à proximité des flancs gigan-
tesques de l'Eiger et du Moine, et il est rare qu'on ne soit pas témoin de quelques
avalanches neigeuses. Le haut du col est à 6280 pieds. En se retournant, on a la
vue de toute la vallée de Grindelwald et des pentes verdoyantes du Faulhorn et de
la Grande Scheideck, en face de laquelle on se trouve, à la distance de quatre à cinq
lieues. ^La vallée, dit un voyageur, ressemble à une immense corbeille pleine de
fleurs, d'herbes et de feuillage. »
1. La dachesse d'Orléans el ses flls ont fail rascension du Faulhorn le 5 août 1852.
LA SUISSE PITTORESQUE. i65
Quand on a dépassé le sommet, on arrive bientôt aux chalets et à la modeste
hôtellerie de l'Alpe de Wengern ; on est ici en face des pentes immenses de la Jung-
frau, qui apparaît dans toute sa magnificence. L'œil se fait illusion, et s'en croit
à une portée de fusil, tandis que la dislance est d'environ une demi-lieue. Les
sommets et les pentes supérieures, et en particulier les deux Silberhômer ou Pics
d'argent, sont tapissés de la neige la plus éblouissante ; les pentes inférieures, partout
où elles ne sont pas verticales, sont revêtues aussi de neiges et de glaciers. Les
flancs escarpés de la base de la Jungfrau sont constamment sillonnés par les ava-
lanches. On les voit et on les entend le plus ordinairement l'après-midi, quand les
rayons du soleil ont amolli la neige, et qu'il s'en détache quelques parties, qui
entraînent successivement de plus grandes masses. L'attention est d'abord éveillée
par un murmure éloigné qui ressemble assez à celui du tonnerre ; après une demi-
minute, on voit une longue traînée de neige descendre comme une cascade le long
d'un escarpement de la pente supérieure de la montagne. Quelquefois, au contraire,
lorsque l'attention de l'observateur se trouve fixée sur les flancs de la montagne, on
aperçoit une masse de neige s'en détacher, longtemps avant que le bruit en parvienne
aux oreilles. A part le craquement qui interrompt le silence solennel des hautes
Alpes, les avalanches d'été, bien différentes des énormes avalanches du printemps et
de l'hiver, ne peuvent s'appeler grandioses, et elles font éprouver un moment
de déception au voyageur, qui ne peut s'expliquer que le bruit qu'il entend
soit produit par une si petite cause. Il doit cependant réfléchir que les masses de
neige que la distance fait paraître si faibles pèsent souvent plusieurs centaines de
quintaux, et qu'elles seraient de force à renverser des maisons, s'il s'en trouvait sur
leur passage. Vers le commencement de l'été, il n'est pas rare de voir tomber en
une heure trois ou quatre de ces avalanches ; cela arrive plus rarement par un temps
frais et à la fin de l'été. Elles terminent leur chute dans une gorge profonde et inha-
bitée qui sépare la Wengernalp de la base de la Jungfrau, et où elles se fondent peu à
peu. La Jungfrau, longtemps regardée comme inaccessible, a été escaladée pour la
première fois en 1811 par les deux frères Meyer d'Aarau, en 1812 par les mêmes,
en 1828 par des guides de Grindelwald, en 1841 par MM. Agassiz, Desor, l'Anglais
Forbes, etc., en 1842 par le célèbre géologue Studer de Berne. Ces ascensions ont
été exécutées du côté du sud par les glaciers de Viesch et d'Aletsch. Quelques autres
tentatives d'ascension ont échoué, en particulier celles qu'on a faites en partant de
la vallée de Lauterbrunnen. — Au nord de la Scheideck s'élève la sommité nommée
le Lauberhorn, que l'on peut atteindre en deux bonnes heures de la Wengeraalp, et
d'où l'on embrasse un panorama plus étendu que de celle-ci.
Lauterbrunnen, leStaubbach. En descendant de la Wengernalp à Lauterbrunnen^
le voyageur peut contempler à loisir la vue extrêmement pittoresque qu'offrent les
glaciers et les montagnes qui dominent le fond de la vallée; à l'ouest de la Jungfrau,
s'élèvent le Breithom, leTschingelhorn, le Gspaltenhorn, etc. ; sur l'autre flanc de la
vallée, on aperçoit le haut de plusieurs cascades qui se précipitent d'un plateau
escarpé. A peu près vers le milieu de la descente, on traverse une prairie légèrement
incUnée; c'est là que se célèbre la fête des lutteurs, le premier dimanche d'août. La
dernière heure de la descente est la partie la plus rapide de tout le trajet de Grindelwald
à Lauterbrunnen. On a alors vis-à-vis de soi la grande cascade du Staubbach, dis-
168 L\ StISSB PITTORESQIE.
noble famille, d'où sont issus des chevaliers, des troubadours et même des rois puis-
sants. On longe ensuite la Kander, qui coule dans le canal qu'on creusa de 4712 à
1714, afin de la diriger vers le lac. On laisse à gauche le grand village de Wimmis
et son château, ancienne résidence des familles de Brandis et de Scharnachthal. Le
voyageur a eu jusqu'ici la vue d'une partie des hautes sommités neigeuses, la Blûm-
lisaip, la Jungfrau, etc. A quelque distance de Wimmis, on pénètre dans leSimmen-
thaï par un étroit et sauvage défilé, situé entre les bases du Niesen et du Stockhom.
La vallée est en général large et fertile; elle est riche en excellents pâturages alpins,
et possède de nombreux troupeaux. La race de ses bètes â cornes passe pour la plus
belle de toute la Suisse ; on ne peut lui comparer que celle de l'Emmenthal, du Ces-
senay et de la Gruyère. Les villages y sont nombreux, bien bâtis, et présentent géné-
ralement l'aspect d'une grande aisance. Les principaux sont ceux d'Erlenbach, d'où
l'on gravit le plus facilement sur le Stockhorn, haut de 6770 pieds; Weissenbourg,
près duquel s'ouvre la gorge profonde où sont situés les bains de ce nom ; Boltig^n,
d'où l'on peut se rendre directement à Bulle, dans le canton de Fribourg, par des cols
faciles; Zweisimmen, au confluent de la grande et de la petite Simme. Au-dessus
de ce village, la vallée prend le nom de Haut-Simmenthal, et s'approche de la grande
chaîne des Alpes. Le dernier village considérable est celui de Lenk ou an der Lenk;
les femmes y possèdent le privilège d'entrer les premières dans l'église, en souvenir
d'une guerre entre Berne et le Vallais, où les vaillantes bernoises du village, en
l'absence de leurs maris, repoussèrent les Vallaisans qui avaient pénétré dans le pays.
C'est à deux lieues de Lenk que la Simme a ses sources, appelées les Siebefibrunneti
(les Sept sources), parce qu'elles jaillissent par plusieurs trous d'une haute paroi de
rocher; le précipice est couronné par le glacier de Rsetzli, qui forme trois étages et
qui descend du Wildstrubel ; des masses de glace se détachent fréquemment du bord
de l'abime, et se brisent avec fracas dans leur chute. Non loin de ses sources, la
Simme fait trois superbes chutes. Près de Lenk s'ouvre le vallon d'Ifligen ; des chalets
qui portent ce nom, un sentier très-scabreux, pratiqué sur le flanc de grands préci-
pices, conduit au passage de Rawyl (les Ravins), par où l'on se rend à Sien et à
Sierre en Yallais. Sa hauteur est de 6970 pieds.
Le GessetMy. Il nous reste à dire quelques mots des deux belles vallées du pays
de Gessenay (Saafienlatui). Gessenay ou Saanefi est un grand et beau village, peuplé
de 3600 habitants; il est séparé de Zweisimmen par la haute colline des Saanenmôser,
sur laquelle la petite Simme prend sa source. La contrée est verdoyante et de l'as-
pect le plus agréable. A deroi-licue, à l'ouest, se trouve la frontière vaudoise. En
remontant la Sarine (Saam), on arrive bientôt à Gestad, où la vallée se bifurque. A
gauche est la vallée très-pittoresque et peu fréquentée de Lauenen, qui se termine
au glacier du Geltenberg ; on y trouve un joli lac et de belles cascades ; elle commu-
nique par des sentiers très-faciles avec le Haut-Simmenthal et avec Gsteig; à droite
continue la vallée de la Sarine, dont le dernier village est celui de Gsteig ou le Châ-
telet, entouré d'une contrée sauvage. Un chemin rapide, mais nulle part difficile, con-
duit au col du Sanetsch, haut de 6914 pieds. La Sarine prend sa source au glacier de
Sanetsch, qui se termine au sommet du col, et descend de l'Oldenhorn; elle arrose
le plateau du Kreuzboden (Sol de la croix), dont les chalets sont occupés par des ber-
gers vallaisans. De Gsteig, un sentier commode conduit dans la vallée des Ormonds
LA SUISSE PITTORESQUE. 169
par une contrée très-pastorale et par le col du Pillon, 5900 pieds. Le vallon roman-
tique et boisé au fond duquel se trouve le petit lac d'Ârnon {Amenseé), mérite
aussi d*étre visité.
Emmenthal, Berthoud, etc. La partie du canton de Berne située entre la capi-
tale et la frontière luoernoise est sillonnée d'un grand nombre de vallons frais et
verdoyants, où l'on trouve des villages de la plus belle apparence : tel est le vallon
de Worb et celui de Summiswald, etc. ; le village de Summiswald est très-florissant,
et possède même une banque hypothécaire; son château, jadis habité par les baillis,
a été converti en une maison de pauvres. Nous devons mentionner surtout la grande
vallée de Y Emmenthal, renommée *pour la beauté de ses troupeaux et de ses pâtu-
rages, et qui passe pour une des plus riches et des plus fertiles de la Suisse. Son prin-
cipal village est celui de Langnau; on y a élevé en 1849 un monument en mémoire
des Bernois tombés en 18&7 dans la guerre du Sonderbund. Entre Eggiwyl et Schang-
nau, TEmme disparait pour quelque temps sous une voûte de rocher. Le village de
Lûtzelfluh a été habité par le pasteur Bitzius, décédé en 1854, et qui est devenu
célèbre comme écrivain populaire, sous le pseudonyme de Jérémie Gotthelf. La partie
septentrionale de la vallée se prolonge en dehors des Alpes, entre des collines riantes.
On y voit la petite ville de Burgdorf ou Berthoud, l'un des endroits les plus industrieux
du canton. Une partie des maisons sont bordées d'arcades, comme celles de Berne.
C'est dans le château de Berthoud que Pestalozzi fonda, en 1798, son célèbre institut,
qu'il transporta ensuite â Mûnchenbuchsee près d'Hofwyl, puis à Yverdon. De l'é-
glise du château l'on jouit d'une belle vue sur les hautes Alpes. Dans l'église d'Hin-
delbank, village sur la route de Berthoud à Berne, on visite un beau monument
érigé dans l'église à la femme du pasteur Langhans, décédée en 1751. Un peu au
nord de l'Emmenthal, non loin de la frontière d'Argovie et de Lucerne, se trouve le
village de Langenthal, un des plus beaux et des plus grands de la Suisse, et floris-
sant par son industrie et son commerce.
Aarberg. A trois ou quatre lieues à l'ouest de Berne, sur la route de cette ville
à Bienne et à Neuchâtel, est située la ville d'Aarberg, qui occupe une colline entiè-
rement entourée par les eaux de l'Aar à l'époque des hautes eaux. Sa position est
importante sous le rapport stratégique ; aussi la Confédération y a-t-elle fait établir,
sur une colline voisine, quelques travaux de fortification, destinés à défendre le pas-
sage de l'Aar. Au sud d'Aarberg s'étend une grande plaine marécageuse, appelée le
marais du Seeland (Pays des lacs) ; il a été depuis longtemps question de la dessécher,
en abaissant le niveau des trois lacs voisins, et en agrandissant le lit de la Thièle
entre le lac de Bienne et l'Aar ; mais cette entreprise n'a pu encore recevoir son exécu-
tion, faute de l'accord nécessaire entre les divers cantons intéressés.
Ville et lac de Bienne. Bienne {Biel) est une jolie petite ville, distante d'un quart
de lieue du lac du même nom, dont elle est séparée par une belle allée de peupliers.
Elle fut libre et indépendante de 1250 à 1797, et figura au nombre des alliés des
Suissçs. A cette dernière date, elle fiit envahie par la France; elle fut cédée en 1815 à
la ville de Berne. Elle possède quelques fabriques, des tanneries, des usines, et ses
environs sont fertiles. Près du village de Belmont, on a une belle échappée de vue
sur le lac et sur l'île St.-Pierre; on voit sur une hauteur, près d'une forêt de pins,
une colonne érigée en mémoire des Suisses tombés à cette place en 1798, en corn-
11, II. ââ
170 U SUISSE PITTORESQUE.
battant contre les Français. Du cAté du nord, les rives du lac sont escarpées et cou-
vertes de vignobles. Le lac doit sa renommée à Jean- Jacques Rousseau, qui séjourna
deux mois dans Tile Saint-Pierre en 176S, après avoir quitté MoUers-Travers au
canton de Neuchàtel, où il était resté trois ans. Son Emile l'avait eipulsé de Genève;
les Lettres de la monUigm l'avaient chassé de Motiers ; le gouvernement de Berne ne
tarda pas à l'éloigner de l'île Saint-Pierre. Cette lie est à deux lieues de Bienne ; elle
présente des sites variés; une partie de ses bords offre une pente douce, couverte de
champs, de prairies et de pâturages; à l'est sont étages des vignobles que surmonte
un verger, dominé à son tour par un bois de chênes, au centre duquel est un pavillon
octogone. Cette charmante lie, qu'avaient occupée autrefois des religieux de l'ordre
de Clugny, et qui appartient maintenant à l'hdpital de Berne, se rattache sous l'eau à
la petite lie des Lapins. Du côté de l'ouest, à dix minutes du lac, se trouve la maison
de l'économe, qui renferme la chambre de Rousseau, restée intacte, à l'exception des
milliers de noms dont les parois sont tapissées. Rousseau dit dans ses Rêveries d^nn
promeneur solitaire : « De toutes les habitations où j'ai demeuré (et j'en ai eu de char-
mantes), aucune ne m'a rendu si véritablement heureux et ne m'a laissé de si ten-
dres regrets que l'ile St.-Pierre. » A l'époque de la vendange, on célèbre dans l'ile
une fête qui réunit la jeunesse de toutes les contrées voisines. Vis-à-vis de l'ile, sur la
rive occidentale, on fait remarquer au voyageur un écho qui imite parfoitement le
bruit du tonnerre, et un peu plus au nord on voit une fort belle cascade. Près de
l'extrémité du lac, on aperçoit la Neuveville, dominée par les ruines du château de
Schlossbei^; plus loin, les villages de Landeron, de Cerlier, et l'ancienne abbaye de
St.-Jean, près de l'embouchure de la Thièle.
Jura bernois. Â l'ouest du lac de Bienne, s'élève par gradins successif la sommité du
Chasserai (Gestler), qui atteint 4970 pieds; on peut arriver à peu de distance de la
cime par des chemins praticables aux voitures. La perspective qu'on y embrasse s'é-
tend d'un côté jusqu'aux Alpes, de l'autre jusqu'à la diaine des Vosges et à la Forèt-
Noire. Rousseau a fait sur le Chasserai une partie d'herborisation, dont un de ses
compagnons a donné un charmant récit. La sommité du Monlo, située au nord de
Bienne, présente une vue à peu près semblable â celle du Chasserai. — Au-delà du
Chasserai court la vallée de St.-Imier, longue de sept lieues, et florissante par Tin-
dustrie de l'horlogerie (voyez ci-dessus) et par l'élève du bétail. Elle est arrosée par la
Suze. Plus au nord et non loin de la Pierre-Pertuis, commence la vallée de Munster
ou Val Moutiers, où coule la Birse. Cette vallée est sans contredit la plus remarquable
de toutes celles de la région jurassique ; ses défilés et ses goi^es étroites, bordées
tantôt de pentes boisées, tantôt de rocs abruptes aux formes bizarres, offrent les aspects
les plus sauvages et les plus pittoresques. Moutiers-Grandval est un beau village,
dont l'église a, dit-on, été fondée au 7* siècle. Plus loin, l'on trouve les foires de
Roche et de Courrendelin ; Roche possède aussi des verreries. La vallée de la Birse
se prolonge du côté du nord jusqu'au canton de Bâle. De nombreuses ruines de diâ-
teaux, la plupart dans des sites escarpés, y varient très-pittoresquement le paysage;
telles sont les vastes ruines de Vorburg, celles de Soihières (Saugem), d'Angen-
stein, etc.
A peu de distance de la Birse, on trouve la jolie ville de Délémont, située dans
une large et riante vallée; on y voit un château de plaisance d'une arehitecture
I.A SUISSE PITTORESQUE. 171
moderne, qui a élé une résidence des anciens princes-évéques de Bàle. La Sorne, qui
coule dans la vallée de Délémont, a sa source dans les cours de Fancien couvent de
Bellelay, situé dans une contrée élevée et solitaire, au milieu des bois, à deux lieues de
Pierre-Pertuis; près du village de Sornelan, elle se jette dans \es précipices de Pichoi^x,
A quelques lieues plus à Touest, dans la partie la plus septentrionale du canton, est
le Pays d'Ajoie (EUgau), dont le cbef-lieu est Porrentruy (Pruntrut), qui occupe un
site agréable, non loin du Mont-Terrible. Avant 1792, cette ville était la résidence
de révéque de B&le et de la noblesse des environs. Les collines du voisinage offrent
des vues ravissantes sur les Vosges et les plaines de l'Alsace. Ste.-Ursanne, au sud de
Porrentruy, est une jolie petite ville, bâtie sur les bords du Doubs. Nous avons déjà
parlé des diverses antiquités que possède le Jura bernois, et de l'intérêt qu'il offre au
géologue et au minéralogiste. Les habitants parlent généralement français, mais leur
patois présente quelques particularités, et a conservé un grand nombre d'expressions
celtiques.
CANTON DE LUCERNE.
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Situation, étendue, climat. — Le canton de Lucerne occupe la partie la plus cen-
trale de la Suisse; il est borné au nord par le canton d'Argovie, à Test par ceux d'Ar-
govie, de Zug et de Schwytz, au sud par ceux d'Unterwald et de Berne, et à l'ouest
par celui de Berne. Il compte 14 à 12 lieues de longueur, sur 10 de largeur. Sa super-
ficie est de 54 lieues carrées suisses. On y éprouve de grandes variations de tempéra-
ture, et le climat, plutôt froid que chaud, est à peu près le même que celui de la
partie centrale du canton de Berne, dont il est voisin ; il est extrêmement salubre.
Aux environs de Lucerne, le vent qui souffle le plus souvent est celui d*ouest ; la
proximité du lac y rend l'air humide ; les brouillards y sont fréquents en automne, et
les pluies assez longues en hiver.
Montagnes et vallées. — La moitié méridionale du canton est seule hérissée de
montagnes. La principale chaîne est une continuation de celle qui, partant de la
Furka, sépare le canton de Berne de ceux d'Uri et d'Unterwald. Vers le Rothhorn
(7260 pieds), auquel confinent les cantons de Berne, Unterwald et Lucerne, cette
chaîne se bifurque ; une des ramifications, sous le nom de Brienzergrat et de Tannhom
(6570), se prolonge vers l'ouest et sépare le canton de Lucerne de celui de Berne;
l'autre se dirige vers le nord-est et forme la limite des cantons de Lucerne et d'Un-
terwald. Cette ramification, qui comprend le Nesselstock (5760) et la haute paroi de
rocher du Schlierenberg, se termine par le mont Pilate, dont les bases viennent plon-
ger dans les golfes de Winkel etd'Alpnach. Il y a en outre d'autres petits chaînons
plus ou moins isolés ; la SchafmaU (Prairie des moutons) et le Feuersiein (Pierre de
feu) (6700) se rattachent au Schlierenberg; la Srfcra«en/ïwA (Roche crevassée) (6290),
montagne bouleversée cl sillonnée d'énormes fentes, touche au sud à l'Emmenthal ber-
nois; le Gsteig {MIO), qui fait le prolongement de la Schrattenflub du côté du nord,
est au contraire couvert de beaux pâturages; VEnlzi ou Napf{U7^0), duquel rayon-
nent cinq ou six petits chaînons de 3 ou 4 lieues de longueur, séparés par autant
LA SUISSE PITTORESQUE. 173
de vallons, forme un massif isolé et confine au canton de Berne ; le Bramegg (3090),
riche en pâturages, se rattache au Pilate. — Les plus hautes de ces montagnes n'at-
teignent qu'une hauteur de 7000 à 7200 pieds. On n'y voit ni glaciers ni neiges éter-
nelles, mais beaucoup d'excellents pâturages, dont les plus élevés ne sont dégarnis de
neige qu'au miheu de l'été. Plusieurs sommets, tels que le Pilate, le Rothhorn, le
Tannhorn, le Napf, etc., offrent des vues ravissantes. Une partie de la pente méri-
dionale du Righi appartient aussi au canton de Lucerne. (Voyez canton de Schwytz.)
La principale vallée du canton est YEntUhuchy renommé par ses pâturages et ses
troupeaux, et arrosé parla Petite Emme. Cette vallée tire son nom d'une autre rivière
moins considérable, VEntle^ qui se jette dans l'Emme près du village d'Entlibuch ; la
partie supérieure de l'Entlibuch porte aussi le nom de Marienthal. Plusieurs vallons
latéraux vont s'appuyer à la chaîne du Pilate et au Napf. Dans la partie septentrio-
nale du canton, quelques chaînes de collines partagent le pays en vallées à peu près
parallèles: telles sont celles où se trouvent les lacs de Baldeck et de Sempach, celle
de Munster, etc. La principale chaîne de collines est le Lindenberg (Mont des Til-
leuls), qui commence près du pont de Gislikon sur la Reuss, et se prolonge dans le
canton d'Ârgovie, après en avoir formé la limite.
Rivières et torrents. — La Reuss, qui sort du lac des Waldstœtten, n'a qu'un
cours de trois lieues sur le canton de Lucerne ; elle le quitte un peu au-dessous du
pont de Gislikon, situé près de la frontière d'Ârgovie et de Zug, et devenu célèbre
par la vive canonnade dont il fut témoin pendant la guerre du Sonderbund. La prin-
cipale rivière après la Reuss est la Petite Emme, qu'on appelle aussi Wald'Emm£ ou
Emme des bois, pour la distinguer de la Grande Emme qui arrose l'Emmenthal ber-
nois. Ses deux sources, qui portent le nom d'Emmensprung (Saut de VEmme), jaillissent
de terre dans le voisinage du Rothhorn ; on croit qu'elles sont l'écoulement du petit
lac de Mai, qui se trouve un peu plus haut. Elle coule d'abord vers le nord jusqu'à
Wohlhausen, au milieu de verdoyantes prairies, puis se dirige à l'est pour se jeter
dans la Reuss un peu au-dessous de Lucerne , après un cours de dix lieues. Elle
reçoit plusieurs torrents qui descendent des vallons latéraux : YEntle, qui a ses sources
au Schlierenberg, et dont la course impétueuse traverse d'affreux ravins et forme
plusieurs chutes pittoresques; le Rûmlig et le Retighach ou Kriensbach, qui descendent
da mont Pilate; le premier arrose le frais vallon d'Eigenthal, qui possède une tren-
taine d'alpes; le second coule à travers le Rengloch, ouverture profonde entre les
monts Sonnenberg et Plattenberg. Ce torrent débordait souvent autrefois, et causait
des dévastations du côté de Lucerne. Un canal artificiel de 1500 pas de longueur,
creusé en partie dans le roc, le force à se jeter toujours directement dans l'Emme.
Ce travail, qui a exigé beaucoup de temps et de dépenses, fut commencé, à ce qu'on
assure, au ly siècle. h'Ilfis, qui se joint à la Grande Emme près Langnau, dans
le canton de Berne, coule à l'ouest de la Schrattenfluh. Quelques autres petites
rivières s'écoulent vers le nord et terminent leur cours sur le territoire argovien ; la
Wigger, dont les deux sources se joignent à Willisau, grossie plus bas des eaux de la
Lulhem, qui descend du mont Napf, se jette dans l'Aar près d'Aarbourg ; la Sur, qui
sort du lac de Sempach à Oberkirch et passe à Sursee, se verse dans l'Aar au-dessous
d'Aarau; la Wyna, qui coule dans la vallée de Munster, se réunit à la Sur près
d'Aarau ; VAa, qui sort du lac de Baldeck, se jette dans celui de Halwyl.
47i LA SUISSE PITTOmSQIE.
Lacs. — Le canton de Lucerne est un de ceux entre lesquels se partagent les rives
du lac des Waldstœtten ou des Quatre-Cantons. il possède la partie occidentale de ce
lac, auquel il prête aussi son nom, et qu'on peut considérer k juste titre comme le
plus remarquable de tous ceux de la Suisse, tant à cause de ses formes irrégulières, de
ses gorges profondes et des sites variés qui Tentourent, qu'à cause des événements
importants dont ses rives furent le théâtre à l'époque où la Confédération prit nais-
sance. Ce laça 9 lieues de longueur, et 600 pieds de profondeur en quelques endroits:
il est à 1320 ou 1340 pieds au-dessus de la mer. — Le canton de Lucerne possède
encore le joli lac de Sempach, d'une lieue et demie de longueur, sur trois quarts de
lieue de largeur. Il est élevé de 1590 pieds, et se trouve encadré par un amphi-
théâtre de charmantes collines; la ville de Sempach est à l'extrémité sud-est ; celle
de Sursee, à quelque distance de l'autre extrémité. Le lac de Baldeck est situé non
loin du canton d'Ârgovie; celui de Mauen est à une lieue à l'ouest de celui de
Sempach, et renferme l'Ile et le château auquel il a donné son nom. Mentionnons
encore le petit lac à'Egolzwgl, à l'ouest du précédent; le Rothsee ou Lac rouge, tout
près de Lucerne; le Dartensee, source de la Wigger; le Sappensee, au nord de ce
dernier ; le Marne, près des sources de TEmme ; enfin le fameux petit lac de la
Brûndlis-Alp, sur le mont Pilate.
Bains et eaux minérales. — Le canton est assez riche en sources minérales. Les
bains qui ont le plus de vogue sont ceux de Knuttpyl, situés à une lieue au nord do
Sursee, dans une plaine agréable, arrosée par la Sour, et entourée de collines ver-
doyantes. Le bâtiment est vaste, commode, d'un fort bon goût, et l'on y est fort bien
servi. Une allée de peupliers, qui aboutit â un petit bois de chênes, offre une jolie
promenade. On recourt â ces bains avec succès contre les maladies rhumatismales,
les maux de reins, les convulsions, certaines paralysies, les maladies scrofuleuses, el
toutes celles qui procèdent de l'atonie du système lymphatique. On a coutume do
boire les eaux et de prendre les bains jusqu'à ce qu'il s'ensuive une éruption cutanée.
Les bains d' Ybenmoos, entre le pied du mont Lindenberg et le lac de Baldeck, sont
aussi très-fréquentes. On peut citer encore ceux A'Augstholz, au sud des précédents;
ceux de Farnbûhl, sur la pente du Bramegg ; de la Luthern, au nord du Napf ; de
Russwyl, vers le centre du canton ; ceux d'/m Roihefi, près Lucerne, et ceux de
Meggen, près des ruines du château de Neu-Habsburg. Enfin, non loin du sommet
du Righi et de la frontière de Schwy tz, on trouve l'établissement du Kaltbad ou Bain
froid, près d'une source dont la température n^est que de quatre degrés, et qui jouit
dans le pays d'une certaine réputation.
HiSTomE NATURELLE. — Règne aninial/Les pâturages du canton de Lucerne nour-
rissent de nombreux troupeaux de bétes à cornes. La race bovine dans le canton
atteint presque le chiRre de SÔ,000 tètes. Les vaches de Lucerne sont d'une
taille un peu inférieure à celle des vaches de Schwylz. On remarque parmi ce
bétail une espèce particulière à l'Entlibuch et au canton de Schwylz ; sa couleur
est d'un brun noirâtre, avec une raie d'un gris pâle sur l'échiné; les oreilles, le
museau et le dessous des cuisses sont blancs. Les Lombards estiment particulière-
ment cette espèce ; ils paient, au marché de Bellinzone, une vache pareille huit à dix
écus plus cher qu'une autre. Le gibier est abondant, et les lacs du canton sont très-
poissonneux. Les poissons les plus estimés du lac de Lucerne sont ceux que les liabi-
LA suisse PITTORESQUE. 47S
tants appellent Balle {ïAalbock du lac de Thoune, ou salmo lamretus), et Rôtele
{ialmo salveliniis). On y pèche aussi des saumons, des perches, des truites, des bro-
chets, des carpes, des tanches, des ombres et des anguilles. (On assure que le lac
Dourrit même des loutres et des castors.) Le lac de Sempach contient en particulier
des aalbocks et des truites ; on y trouve aussi des écrevisses, de même que dans le
Rothsee, près Lucerne ; celles que produit la Sour sont d'une grosseur remarquable.
L'ornithologie ne présente aucune espèce particulière au canton. — On ne trouve
dans le pays aucun animal nuisible.
Règne végétal, La flore lucernoise est extrêmement variée. Toutes les montagnes
du canton sont riches en belles plantes ; on cite particulièrement le mont Nesselstock,
vers le sud de TEntlibuch, et le Pilate, comme celles où Ton peut faire la moisson la
plus abondante; on nomme comme particulière au Pilate la rtUa montana (raede mon-
tagne); on y trouve le papaver alpinum, pavot alpestre, espèce très-rare que les bota-
nistes ont rencontrée aussi sur de hautes montagnes d'Uri et de Schwytz. La partie
du Pilate comprise entre le Widderfeld et le Knappstein est la plus riche en plantes
rares. — Le canton de Lucerne est un des plus fertiles de la Suisse ; avec Télève du
bétail, l'agriculture est sa principale source de richesse. Sa récolte en blé est plus
que suffisante pour sa consommation. Quelques localités voisines de Berne et d'Ar-
govie produisent du lin en grande quantité. Quant à la vigne, elle ne croit que dans
le district de Hochdorf, près du lac de Baldeck, et ne donne qu'un vin très-médiocre.
On cultive dans le canton beaucoup d'arbres fruitiers ; les châtaigniers et même les
amandiers et les figuiers croissent autour de Weggis, localité qui est abritée par le
Righi contre les vents du nord, et qui jouit d'un climat plus tempéré. Le canton pos-
sède des forêts considérables, mais elles ne sont pas d'un grand rapport pour le pays,
parce qu'elles occupent en grande partie des lieux d'un difficile accès. Les sapins,
les érables, les bouleaux et les frênes, y dominent.
Rêgfie minéral. Le canton de Lucerne renferme un grand nombre de minéraux.
Non loin de Lucerne, on voit encore les traces d'une mine de fer dont les travaux
ont été abandonnés depuis longtemps. 11 existait dans l'Entlibuch, au IS*" et au
16' siècles, une mine d'argent. Ses montagnes doivent même renfermer quelques
filons d'or, puisque l'Emme et la Luthern charrient des parcelles de ce métal, mais
elles ne sont pas en assez grande abondance pour qu'on prenne la peine de les recueillir ;
on assure cependant qu'on en avait recueilli autrefois, et qu'on s'en était servi pour frap-
per quelques ducats à Lucerne. On a découvert des traces de mines de houille, qui sont
probablement le prolongement des couches que l'on observe au Beatenberg, au nord
du lac de Thoune. La chaîne du mont Pilate est composée de pierre calcaire, mêlée
de quartz et d'argile. On y trouve un grand nombre de pétrifications, particulière-
ment près du Tomlishorn, à la Kastlen-Àlp et sur le Widderfeld, dont la sommité est
composée d'une roche calcaire remplie de nummulithes et autres coquillages brisés.
On trouve aussi des empreintes de poissons dans les ardoises du mont Pilate. Au-
dessus de la Matt-Alp, au pied de la sommité nommée Esel, on voit deux troncs
pétrifiés à une hauteur où il ne croit plus d'arbres aujourd'hui. Les montagnes de
TEntUbuch sont formées de sable, d'argile et de pierres roulées; les autres mon-
tagnes et collines du canton appartiennent à la formation de grès et de marne. On
observe beaucoup de brèche sur les bords du lac, entre Lucerne et Kûssnacht, sur-
176 LA SinSSB PITTORESQUE.
tout près de Meckenhorn et dans Tile d'Altstadt, de même qu'entre Lucerne et
Stanzstadt, sur les collines de Viereck et de Schattenberg. — Le Righi est aus»
composé de brèche. Nous avons déjà parlé d'un torrent de boue compacte et rou-
geàtre qui sortit dt^ flancs du Righi le 15 juillet 479S, et qui inonda une partie du
village de Weggis. Ce courant avait plusieurs toises d'épaisseur, et plus de 2000 pieds
de largeur. On trouve dans le canton beaucoup de carrières de roche calcaire ; mais
cette pierre, qui est facile à travailler, est sujette à s'altérer à l'air. On voit épars,
sur toutes les collines du canton, un grand nombre de blocs granitiques, dont quel-
ques-uns sont d'une grosseur extraordinaire.
Antiquités. — On a beaucoup disputé sur Tétymologie du mot Lucerne. Quelques
personnes prétendent que le nom est dérivé du mot latin Incerna, et qu'un fanal ou
lanterne a dà être placé jadis à l'endroit où depuis a été construite la ville, pour
guider les bateliers dans leurs courses nocturnes. Quelques monnaies romaines, trou-
vées à peu de distance de Lucerne, semblent établir l'existence d'une ville antique sur
le sol qu'occupe de nos jours cette cité. On a déterré aussi une quantité de pareilles
monnaies à Hochdorf, près du lac de Baldeck, à quatre lieues au nord de Lucerne.
Histoire de la ville et du canton. — Vers la fin du septième siècle, un seigneur
du pays, nommé Wickard, fit choix d'une colline sur laquelle existait déjà une cha-
|)elle consacrée au patron des pécheurs et des bateliers, pour y bâtir un couvent en
l'honneur de St.-Léod^ar ou St.-Léger, dont il fut le premier abbé. Wickard mourut
en 685. Les rois de France assurèrent au couvent la possession du lieu qu'on nom-
mait alors Lucerne, et ce fut sous la protection des religieux qu'il s'établit une
commune qui prit aussi ce nom. L'an 768, Lucerne portait déjà dans les chroniques
le titre de ville. A cette époque, Pepin-le-Bref donna le couvent avec la ville à l'ab-
baye de Murbach dans la Haute-Alsace, mais Lucerne conserva certaines frandiises.
Les abbés de Murbach en restèrent possesseurs jusqu'à la fin du 13* siècle; ils
vendirent alors à Rodolphe de Habsbourg et à ses fils tous les droits qu'ils possé-
daient sur la ville, ainsi que le couvent et vingt châteaux et bailliages, tels que
Kûssnacht, Alpnach, Malters, etc.
Mais Lucerne, excédée des guerres continuelles qu'il lui fallait soutenir contre ses
voisins les habitants des Waldstœtten, et ne pouvant plus supporter les rigueurs
de la domination autrichienne, contracta, l'an 1332, cette alliance perpétuelle avec
les trois cantons d'Uri, Schwytz et Unterwald, à laquelle on a donné le nom de Ligue
des Quatre-Gantons ou des Waldstœtten. La noblesse amie de l'Autriche déclara sur-
le-champ la guerre aux Lucernois, et mit à feu et à sang les environs de la ville.
Les bourgeois de Lucerne prirent aussi les armes pour défendre leur bon droit, et se
vengèrent en faisant une expédition contre le bailli de Rothenbourg, dont ils détrui-
sirent le château. Quelques familles patriciennes vendues à l'Autriche voulurent
arrêter ce noble élan, et formèrent le projet d'exterminer pendant une nuit les chefe
du parti populaire et de livrer la ville au duc. Cette conspiration est connue sous
le nom de Mordnacht (nuit de meurtre). Un jeune garçon qui, sans être aperçu, avait
assisté à la dernière conférence des conjurés, tenue durant la nuit fixée pour l'exé-
cution du complot, et à qui ceux-ci avaient fait jurer de ne révéler à personne ce
qu'il avait entendu, s'échappa et se rendit aussitôt dans la salle de la corporation des
bouchers, où des bourgeois buvaient et jouaient encore ; s'adressant alors à un poêle.
ÏA 8UISSR PITTORESgrK. 177
il s'exprima ainsi : « 0 poêle, je te dis qu'il y a auprès de restaminet des tailleurs
des hommes armés qui ont projeté de massacrer cette nuit tou» ceux qui ont con-
seillé ralliance avec les trois cantons suisses. J'ai juré de ne le dire à personne, mais
c'est à toi, poêle, que je fais cette confidence. » Les assistants l'écoutèrent avec
étonnement, et allèrent en hâte éveiller toute la ville ; on s'empara des nobles et on
les exila; grftce à la médiation des Waldstœtten, aucun ne fut mis à mort. La
liberté de Lucerne fut ainsi sauvée par la présence d'esprit et le patriotisme d'un
enfant; la ville secoua une seconde fois le joug de l'oligarchie, et l'alliance avec
les Confédérés fut maintenue. Le vieux poêle et la vieille table autour de laquelle
buvaient les bourgeois, sont conservés encore à l'abbaye des bouchers.
En 4375, les Lucernois se signalèrent par une victoire sur les bandes d'Enguer-
rand de Coucy, qui s'étaient avancées dans le canton jusqu'à Willisau. Une colline
prés de Buttisbolz, entre Willisau et le lac de Sempach, porte encore le nom de Tertre
des Anglais, parce que les troupes de Coucy qui furent battues consistaient principale-
ment en Anglais qu'il avait pris à sa solde. Ce n'était pas aux Suisses, mais au duc
Léopokl d'Autriche, que le sire de Coucy faisait la guerre, pour reprendre un héritage
de famille sur les possessions autrichiennes en Suisse. Son armée était évaluée à
60,000 hommes, dont une partie seulement pénétra sur le territoire de Lucerne.
Coucy avait établi son quartier-général à l'abbaye de St.-Urbain, et le comte d'Ar-
magnac dans Willisau. Les montagnards lucernois se levèrent pour repousser ces
bandes mercenaires, et les mirent en déroute à Buttisbolz, entre Willisau et Sursee,
avec l'aide de quelques braves des cantons voisins.
Maïs ce fut surtout la journée de Sempach qui illustra Lucerne dans les annales
de la Confédération helvétique. En 1386, l'Entlibuch, que gouvernait un sire de
Tborfaerg, s'était allié avec la ville.de Lucerne par un traité de combourgeoisie.
Thorberg fit périr sur l'échafaud tous les habitants qui avaient été les auteurs de ce
traité. Les Lucernois envoyèrent alors contre lui leur avoyer Gundoldingen, qui
détruisit les châteaux de WoUhausen, de Baldeck, et s'empara de Sempach. Le duc
Léopold, voulant châtier les paysans qui s'étaient soustraits à l'oppression seigneu-
riale et les faire rentrer sous le joug, rassembla toute la noblesse d'Argovie, de
Souabe, du Tyrol, de l'Autriche, de l'Alsace et de la Franche-Comté, et s'avança
avec son armée jusque vers Sempach, qui avait été sa propriété, mais qui venait de
faire cause commune avec la Confédération. La noblesse formait une cavalerie ma-
gnifique, forte de plusieurs milliers d'hommes. Le terrain étant peu favorable â la
cavalerie, le duc, sans attendre ses fantassins, lui fit mettre pied â terre. Armés de
pesantes cuirasses et de longues lances, serrés les uns contre les autres, ces cheva-
liers formèrent un bataillon carré qui présentait de tous côtés un véritable mur
de fer. Les Suisses étaient au nombre de l&OO, dont 400 hommes de Lucerne, 900 des
trois petits cantons, 100 de Claris, Zug, etc. ; ils n'avaient d'autres armes qu'une
épée et une courte hallebarde ou une massue ; au lieu de boucliers, ils portaient au
bras une petite fascine ou une planche de sapin. Tous se jettent â genoux, lèvent les
mains au ciel, et adressent une prière fervente au Tout-Puissant. Us se relèvent, se
rangent en colonne triangulaire, et se précipitent contre le bataillon ennemi, en pous-
sant de grands cris. Mais leur courage vient échouer devant cette phalange, que ses
longues lances ne permettaient pas d'atteindre. Déjà un grand nombre de braves,
11. is. 23
478 LA SUISSE P1TT0RI»QUE.
entre autres Gundoldingen et Moos, avoyers de Lucerne, ont expiré. Les AutridiîaB
poussent des cris de joie, et la phalange va se déployer sur les ailes, pour enve-
lopper les Confédérés. C'est alors qu'Arnold de Winkelried, chevalier d'UnterwaM,
se retourne vers les siens : « Amis, s'écrie-t-il, prenez soin de ma femme et de mes
enfants; je vais vous frayer un chemin; suivez-moi! » Aussitôt, se mettant à la tête
de la colonne triangulaire, il se précipite vers Tennemi, saisit de ses bras autant de
lances qu'il en peut détourner contre lui, les enfonce dans sa poitrine, et tombe. Les
Confédérés s'élancent dans les rangs ennemis par l'ouverture qui leur est faîte, et en
font un horrible carnage. Embarrassés de leurs longues lances et de leurs pesantes
cuirasses, rendues brûlantes par l'ardeur du soleil, les nobles ne peuvent se défendre,
et tombent écrasés sous les coups de massue. Ceux qui voulurent courir à leurs
chevaux ne purent les trouver dans la bagarre : leurs gens et leurs chevaux avaient
déjà pris la fuite. On pressa Léopold de se sauver sur le sien ; il répondit qu'il ne
voulait pas abandonner les chevaliers qui se sacrifiaient pour sa cause. Il périt avec
676 gentilshommes dans cette terrible journée.
La lignée de plusieurs maisons allemandes se trouva éteinte par suite de la mort
de tant de nobles. Ce fiit un deuil général dans la Souabe, l'Alsace, TAutnche,
tandis que la Suisse célébra par des actions de grâces son triomphe, qui détournait i
jamais de la patrie de Tell le joug de la féodalité et de la domination étrangère. Léopdd
fut enseveli, avec vingt-^sept des principaux nobles, dans l'abbaye de-Kœnigsfeld,
fondée par sa sœur Agnès. On prétend qu'un coffre, dans lequel on avait apporté des
cordes pour lier les Suisses, lui servit de cercueil. Les Confédérés avaient perdu
deux cents des leurs. Un Lucernois ayant demandé à l'avoyer Gundoldingen, au
moment où il allait expirer, s'il n'avait rien à dire à ses parents : «t Non, répondit
le héros; mais recommande à mes concitoyens de ne jamais souffrir qu'un avoyer
reste plus d'une année en charge. )> Et il rendit le dernier soupir. Le dévoùment de
Winkelried et le conseil de l'avoyer furent deux traits remarquables de cette grande
journée du 9 juillet 4386.
Dès-lors, jusqu'en I&IK, la ville de Lucerne agrandit son territoire, et l'Autriche
fui plus tard obligée de renoncer formellement à toutes ses prétentions sur le canton.
En H79, la ville se racheta de tous les droits qu'exerçaient sur elle les chanoines
de St.-Léodegar. Depuis cette époque, l'histoire de Lucerne n'offre plus aucun évé-
nement saillant. Les habitants des campagnes étaient sujets de la ville, dont le
gouvernement avait fini par tomber entre les mains d'un petit nombre de familles
patriciennes. Cette oligarchie, contre laquelle les citoyens se révoltèrent à diverses
époques des trois derniers siècles, en particulier en 4712 et 4764, subsista jusqu'à
la révolution française. Le 34 janvier 4798, les Conseils de Lucerne publièrent
spontanément une proclamation par laquelle ils abolissaient l'ancien régime, et con-
voquaient les repr^ntants du peuple pour l'établissement d'une Constitution basée
sur l'égalité des droits politiques. Bientôt après, la ville accepta la Constitution uni-
taire helvétique imposée par la république française. Le 30 avril, elle fut surprise
par les milices des Petits-Cantons; il en résulta qu'un corps de troupes françaises y
entra dès le lendemain, et elle fut obligée de payer de fortes contributions de guerre.
Depuis le 24 septembre 4798 au 34 mai 4799, Lucerne fut le siège du Gouv^ne-
nient et des Conseils législatifs de la république helvétique. Plus tard, elle fut deux
HfTOUBQrK. 179
fois le quartier-génénl des troupes françaises, et l*aii des points omtfaux de b
guerre civile qui écbta en 180i. Luoeroe fut un des six Etats qui. d après l'Acte de
médiation, élaîent à leur tour canton direetorial.
A la Restauration, le gouvernement redevînt aristocratique. Lucenie* avec Zurick
et Berne, Tut à tour de rftie pendant deui années le sié^ du Gouvernement fédéral et
le lieu de rassemblement de la Diète. En 1830, le canton se donna une OmstitutioQ
démocratique, et il accéda ensuite au Concordat des sept canioos i Zuridi, Berne, etc. )
qui se garantissaient réciproquement leurs nouvelles institutions d'une manière phis
parliculiëre. En 4832, lorsqu*un projet d*Acte fédéral fut élaboré par uneOmmis-
sioD de la Dièle, Luœrne fut désignée pour devenir le siège permanent des autorités de
la Confédération ; néanmoins, Luœme lut un des cantons qui refusèrent cette nouvelle
Constitution. Plus tard, par un contre-coup de b suppression des couvents d*Argovie
eo 1843, le parti ultramontain, étant devenu puissant dans le canton, se proposait
d'appeler les jésuites pour leur confier l'enseignement public ; le Grand Conseil vota
œt appel le 2& octobre 1844 ; et, malgré les remontrances de plusieurs Etats conlë-
dérés, le Gouvernement persista dans cette intention. Deux expéditions de corps-
francs, parties des cantons voisins en décembre 1844 et avril 184S, formèrent le
projet de renverser le Gouvernement lucemois, avec Taide des amis assez nombreux
qu'elles comptaient dans la ville ; mais elles furent repouasées, et un certain nombre
d*agresBeurs restèrent prisonniers. C'est alors que se forma la ligue des cantons
ultramontains, dite Sanderbiênd ou ligue séparée. En 1845, le Gouvernement bernois,
que présidait l'avoyer Neubaus, fut r«iversé à cause de sa modération et pour
avoir voulu réprimer les corps-francs. En 1847, la majorité de la Diète rassemblée à
Berne somma les cantons ultramontains de dissoudre leur ligue, qu'elle déclarait
incompatible avec la Confédération générale; sur le refus de ces cantons, elle ne
recula pas devant la guerre civile, et mit sur pied une nombreuse armée, qu'elle
plaça sous les ordres du général Dufour. A la suite de quelques combats, Lucerne
fut occupé par les Confédérés le 24 novembre 1847. Le Gouvernement ultramontain
fut remplacé par un Gouvernement radical, et un procès de baute trahison fut intenté
aux anciens magistrats, dont plusieurs avaient quitté le pays ; ce procès n*est pas
encore terminé. Le canton de Lucerne a dû se soumettre à la nouvelle Constitution
fédérale de 1848, et la pacification a fait dès-lors de grands progrès dans ce pays,
bien que le Gouvernement ne se soit pas toujours abstenu de mesures vexatoires à
l'égard des citoyens qui ne sont pas ses partisans.
CoNSTiTOTioHs. — Jusqu'à la fin du dernier siècle, la bourgeoisie de Lucerne avait
possédé seule le droit de nommer les membres du Conseil des Cent ou Grand Con-
seil, dont les fonctions étaient à vie, et qui était présidé par deux avoyers, également
nommés à vie. Ce privilège ne fut rétabli qu'en partie à l'époque de la Restauration ;
les villes et communes du canton furent admises à nommer la moitié du Grand
Conseil. C'est dans le sein de cette assemblée de cent membres que se recrutait le
Conseil quotidien, composé de 36 membres ; ce dernier était investi de l'autorité
executive, et désignait 12 de ses membres pour composer le Tribunal d'Appel. Trente
et un membres seulement du Grand Conseil étaient élus directement, soit 10 par la
bourgeoisie de la ville, et 21 par les villes municipales et les districts du canton ; le
Grand Conseil élisait lui-même les 69 autres membres, dont 40 devaient être prin
180 LA SUISSR PITTOItGSQUK.
dans la bourgeoisie de la ville, et 29 dans le reste du canton. Mais les membres étant
élus à vie, il n'y avait pas de renouvellement périodique. Pour être électeur, il fal-
lait payer l'impôt sur un bien de 4i^ à KOO livres, et pour être éligible, il fallait le
payer sur une propriété de 4000 livres. — Ce régime tout aristocratique fut ren-
versé en 4830, et remplacé par une Constitution démocratique; cette Constitution fut
révisée en 1841 et en 1848. Voici les principales dispositions de cette Constitution
révisée : Un Grand Conseil de cent membres est nommé par les districts proportion-
nellement à la population; pour être élu, il faut avoir 2S ans et posséder au moins
2000 livres ; tous les trois ans un tiers des membres sortent de fonction et sont ré-
éligibles. Le Grand Conseil nomme le Conseil d'Etat, le Conseil d'instruction publique,
les juges, les préfets, etc. Le Conseil d'Etat est composé de neuf membres, dont cinq
pris dans les cinq districts (savoir : ceux de Luoerne, Hochdorf, Sursee, Willisau
et Entlibuch), et les quatre autres indifféremment dans tout le canton. Ses membres
peuvent être choisis dans le sein du Grand Conseil. Tous les trois ans, la moitié des
membres du Conseil d'Etat sortent de charge et sont rééligibles. Chaque année, le
Grand Conseil nomme parmi les membres du Conseil d'Etat un avoyer et son lieute-
nant (Statthalter). Ces deux magistrats ne peuvent remplir la même charge qu après
une année d'intervalle. Le Conseil d'instruction publique est composé de sept mem-
bres, dont deux ecclésiastiques. Chaque commune nomme un Conseil municipal,
composé de trois à cinq membres, parmi lesquels elle choisit un syndic ou Amman$i.
Pour voter dans les affaires politiques, il faut être catholique, bouigeoisdu canton et
âgé de vingt ans accomplis ; mais pour voter dans les affaires communales, il faut
en outre payer l'impôt sur un bien de 400 livres, et pour être éligible au Conseil
municipal, il faut posséder un bien d'au moins 1000 livres. Les lois, alliances et
concordats sont soumis au veto de& assemblées communales, et ne peuvent entrer en
vigueur avant l'expiration du terme accordé pour l'exercice de ce veto. Le canton est
divisé en 25 cercles électoraux.
Cultes. — Le canton professe la religion catholique, et relève de Tévêque de
Soleure. Le cleif;é est divisé en quatre chapitres. (1 existe encore plusieurs monastères
dans le canton : deux cloîtres franciscains, l'un à Lucerne, l'autre à Werth^ostein
dans l'EnUibuch; trois cloîtres de capucins, dont l'un près de Lucerne; un cloître
d'ursulines et un de sœurs de Ste.-Claire à Lucerne ; deux abbayes de femmes de
l'ordre de Citeaux. Il y avait aussi à St.-Urbain, à la frontière de Berne et d'Âi^vie,
non loin de Langenthal, un couvent de moines de cet ordre ; mais ce beau monas-
tère, qui datait de 1148 et possédait de nombreuses collections et bibliothèques, a
été sécularisé depuis quelques années par le Gouvernement lucernois. Il y a encore
dans le canton deux chapitres de chanoines et deux commanderies de Malte. C'est à
Lucerne que réside le nonce du pape en Suisse. — Depuis un certain nombre d'an-
nées, les protestants ont un pasteur et une église à Lucerne. Sur les 10,068 habi-
tants que la ville comptait en 18S0, ils étaient au nombre de 317.
Instruction publique. — Les principaux établissements d'éducation du canton de
Lucerne sont le Gymnase, qui occupe le ci-devant collège des jésuites, près de Té-
glise dite des jésuites ; un Lycée pour l'enseignement de la théologie et de la philo-
sophie ; une Ecole de dessin, fondée par le peintre Wursch en 1784, et où les ama-
teurs et les jeunes artistes |)euvent faire des éludes gratuites; un Gymnase |)our les
2.
LUCKBNK.
LA SUISSE PITTORESQUE. 181
beaux-arts, une Académie de chant, etc. Toutes les communes rurales possèdent des
écoles primaires. Il y a une vingtaine d'années, l'illustre père Girard de Fribourg
vint porter à Luoerne sa méthode d'enseignement, qui avait eu de si grands succès
dans son canton. Plus tard, le projet de placer l'instruction de la jeunesse entre les
mains des jésuites n'a pu recevoir son exécution, grâce à l'opposition de la majorité
de la Suisse. Lucerne est une des villes de la Confédération où le goût des beaux-arts,
particulièrement de la peinture et de la musique, est le plus répandu dans toutes les
classes de la société. Des prix et encouragements de toute espèce ont été accordés par
l'Etat et par les citoyens, pour seconder ces dispositions générales. Le canton et la
ville possèdent plusieurs bibliothèques considérables.
I^MEs DISTINGUÉS, SAVANTS, ctc. — Lc cautou dc Lucemc a produit, dans la
carrière des armes et dans celle de l'administration, un grand nombre d'hommes
distingués. Parmi ces illustrations, nous nommerons l'avoyer Gundoldingetij dont
la mort fut si glorieuse à la bataille de Sempach; Antoine Rim, qui trouva le
trépas dans le cimetière de St.-Jacques près de Bâie, où une poignée de Suisses sou-
tint le choc de 18,000 Français; Jost de Sillhien, prévôt de Béromûnster, qui joua
depuis l'an 1470 à l'an 1480 un rôle politique de la plus haute importance; Jean
Viol, qui combattit à la bataille de Bellinzone; Louis Pfyffer, qui, en 1569, à la tète
de 6000 Suisses, sauva du milieu de l'armée des réformés Catherine de Médicis,
reine de France, le roi Charles IX, son fils, ainsi que toute la maison royale, et
les ramena heureusement de Meaux à Paris.
Parmi les hommes qui se sont fait un nom dans les lettres, les sciences et les arts,
on pejft citer le chanoine Elied^ Laufen, connu pour avoir, en 1470, établi dans le
couvent de Béromûnster (fondé au 9* siècle par Béro, comte d'Argovie) la première
imprimerie qui ait existé en Suisse ; c'est là que Ulrich Geriag, de Munster, apprit
l'art de la composition, qu'il transporta ensuite à Paris, où il créa le premier établis-
sement d'imprimerie. De 1472 à 1510 il y exerça son art, dont il fit longtemps un
mystère; les premiers livres qui aient paru en France sont sortis de ses presses. Il
amassa une grande fortune, qu'il légua aux étudiants et aux pauvres de Paris; aussi
la Sorbonne célébrait-elle tous les ans une fête en son honneur. — Ignace Zimmer-
tnann, poète dramatique; Jean Barze, natif de Sursee, chanoine de Schônenwerth
au canton de Luoerne, et célèbre poète latin ; Lang, naturaliste; Meyer de Schauensée,
né en 1720, et qui fut un des meilleurs organistes d'Europe. — Joseph Stalder,
habile compositeur et maître de musique du prince de Conti ; le lexicographe Franz-
Joseph SlaUer, doDt YIdiotiœn helvétique ou dictionnaire des dialectes suisses, publié
en 1813, a obtenu dans le monde savant une réputation méritée; Joseph Ritter,
habile architecte, mort en 1809, à qui Ton doit le beau pont de Mellingen ; le peintre
Beinhard; l'historien Balthasar, qui a écrit, entre autres ouvrages, un Musœum virorum
lucernatum famd et meritis illustriam, ou Musée des Lucernois illustres, etc. Nous
pouvons ajouter au nombre des savants le général Pfyffer, mort en 1802, qui a créé
le relief d'une partie de la Suisse, et qui a le mérite d'avoir conçu la première idée
de ce genre d'imitation.
MoeuBS, USAGES, CARACTÂRB, clc. — On trouvc à Lucerne beaucoup d'urbanité et
de politesse ; les étrangers y reçoivent une hospitalité cordiale et sont facilement
admis dans les sociétés des deux sexes. Nous avons déjà mentionné le goût général
482 LA 8U1S8B PITTORESQUE.
des Lucernois pour les beaux-arts; les jeux du théâtre y sont accueillis avec plus de
faveur que dans aucun autre canton. Des sociétés d'amateurs y donnât quelquefois
en hiver des concerts ou des représentations théâtrales, dont le produit est oonsaeré
au soulagement de Tindigence. Mais les habitants de TEntlibuch méritent une men-
tion particulière ; ils sont une des peuplades alpines les plus remarquables de la Suisse.
Ils se distinguent par leur énergie et par leur amour pour la liberté, pour leur pays
et pour leurs anciens usages, en même temps que par leur afiabilité, l'originalité de
leur esprit et leur goût pour la poésie, la musique et la gymnastique. Seuls en Suisse,
les Appenzellois peuvent leur être comparés pour la gaité et la vivacité de leur carac-
tère. L'esprit poétique de ces montagnards se manifeste par des compositions que des
poètes rustiques chantent le dernier lundi du carnaval devant le peuple de chaque
commune, et où ils passent en revue la conduite des habitants pendant la dernière
année. Ces espèces de satyres, souvent très-spirituelles, sont écoutées avec un vif
intérêt. Dès que le service divin est terminé, on plante dans chaque village un dra-
peau devant la maison commune, et le peuple s'assemble. On voit bientôt arriver le
poète à cheval, portant un costume bigarré, un grand chapeau orné de fleurs el db
petits miroirs. A son arrivée, les magistrats le complimentent et lui présentent le vin
d'honneur. Sans descendre de cheval, il tire ensuite de son sein un grand papier, sur
lequel est apposé le sceau de l'Entlibuch et qui contient la critique des individus, qui
se reconnaissent ou que la foule reconnaît, sans qu'il soit besoin de les nommer. Leur
portrait est souvent une caricature bouffonne, mais c'est justement ce qui divertit la
multitude. Le poète s'arrête de temps en temps pour se rafraîchir par un verre de
vin. Une partie de la pièce est ordinairement consacrée à persiffler le villagg tout
entier ; elle est terminée par une exhortation édifiante à se bien conduire à l'avenir.
Quand la lecture est achevée, le poète est régalé par les magistrats; puis il se retire
et retourne à son village, où il reçoit les mêmes honneurs. On dit qu'il a toujours la
précaution de se retirer dans sa commune avant la chute du jour, pour ne pas s'ex-
poser à la vengeance des individus aux dépens desquels il a fait rire son auditoire.
Les mariages sont ordinairement célébrés d'après d'antiques usages. Après le
festin, l'on entonne des chansons remontant à plusieurs siècles, et l'on exécute de
vieilles danses suisses. Une femme, qu'on appelle la femme jaum, prend la couronne de
la jeune mariée et le bouquet de l'époux, et les jette dans le feu; si la couronne et le
bouquet ne pétillent pas, les vieilles femmes disent que c'est un heureux augure,
et présagent un bon ménage.
Les montagnards de l'Entlibuch sont une race extrêmement vigoureuse et d'une
taille élancée ; les femmes sont remarquables par la blancheur de leur teint. Les luttes
gymnastiques sont en honneur dans la contrée; toute la population assiste & ce diver-
tissement, et les vieillards sont ordinairement les juges du combat. Les jeunes gens
choisissent leur adversaire parmi les gargons des villages voisins, qui mettent tous
leur orgueil national au succès de leurs champions. Il faut qu'un athlète ait succombé
deux fois et qu'il soit tout-à-fait couché sur le dos, pour être déclaré vaincu. Des
danses terminent la fête. Il y a chaque année plusieurs grandes luttes, qui ont lieu en
des endroits différents. Elles ont lieu le 29 juin, fête de saint Pierre et saint Paul,
dans le pré communal de SchQpfheim, chef-lieu de la vallée, le second dimanche
d'août, sur les pâturages de Sôrenberg, non loin des sources de l'Emme ; le premier
LA SUISSE PITTORESQUE. 183
dimanche de septembre et le premier dimanche qui suit le 21 du même mois (St.-
Mathieu), à Enneteck, sur la pente du mont NapF, à Touest d*Ent1ibuch ; le 29 sep-
tembre (St.-Michel) et le premier dimanche d'octobre, près de St. -Joseph, au-dessus
de Schûpfbeim. Les jeunes hommes des vallées voisines viennent ces jours-là lutter
avec ceux de l'Entlibuch ; les plus redoutables rivaux sont les jeunes gens de l'Ober-
land bernois. — Les montagnards de l'Entlibuch ont donné de tout temps des preuves
de leur valeur. Ils étaient terribles avec leurs pesantes massues, garnies de pointes de
fer (Margenstem). A la bataille de Morat, ils se distinguèrent à l'avant-garde, et
commencèrent le succès de cette mémorable journée; ils furent aussi les premiers à
attaquer les bandes du comte d'Armagnac.
Indostrie, commerce. — Le commerce de ce canton consiste principalement dans
l'expédition des marchandises entre la Suisse et l'Italie, par le St.-Gothard. Il y a à
Luceme une fabrique de soierie, et dans l'Entlibuch plusieurs filatures de laine, de coton,
de chanvre et de lin, qui occupent un assez grand nombre d'ouvriers. Escholzmatt
et Marpach passent pour récolter le plus beau fil de lin. Le canton produisant, comme
nous l'avons dit, une récolte de blé qui dépasse la quantité nécessaire pour les besoins
de ses habitants, on en exporte une partie considérable dans les cantons d'Uri,
Schv^tz et Unterwald. On exporte aussi des vins de fruit et des eaux distillées. Mais
la principale industrie du canton est l'élève du bétail, et les bétes à cornes et les
moutons forment une branche importante du commerce, ainsi que les fromages. Chaque
vache donne deux quintaux de fromage pendant l'été. Dans l'Entlibuch, on achète
des moutons au printemps ; on les conduit sur des pâturages qui seraient trop élevés
ou trop escarpés pour les vaches, et on les abandonne à eux-mêmes pendant la plus
grande partie de la belle saison.
Ville de Lucerne. — Lucerne, chef-lieu du canton, est située à l'extrémité du lac
des Quatre-Cantons ; elle est partagée en deux parties inégales par la Reuss, et entourée
du côté de terre de murs et de tours datant de 1385. Du côté du nord, cette enceinte
s'élève sur le flanc d'un coteau, et contribue, avec les nombreux clochers dont la
ville est parsemée, à produire un effet très-pittoresque. La situation de Lucerne sur
le lac des Waldstietten, entre le Righi et le Pilate, en vue des Alpes de Schwytz et
d'Unterwald, est extrêmement frappante ; de tous les côtés les coups-d'œil sont ravis-
sants. Od trouve encore dans la ville des rues étroites et tortueuses ; mais elle s'est
bien embellie de nos jours, en particulier depuis une douzaine d'années.
Trois ponts sont jetés sur la Reuss, dont les eaux impétueuses sont d'un beau vert
d'émeraude ; un quatrième pont est construit sur une partie du lac. Le seul prati-
cable aux voitures est celui qu'on appelle simplement ;ion< de la Reuss (lietissbriicke);
il est de construction moderne, mais il est situé sur l'emplacement d'un ancien pont
qui existait du temps des abbés de Murbach ; il n'est pas couvert ; mais les trois autres
le sont, et donnent à la ville une physionomie particulière. Le pont supérieur,
Cappellbrilcke ou Pont de la chapelle, est construit obliquement sur la rivière, à l'en-
droit où elle sort du lac ; il a 1000 pieds de longueur et date de 1303. Les chevrons
qui supportent le toit soutiennent 77 tableaux peints sur bois et représentant les
deux patrons de la ville, saint Léger et saint Maurice, et divers événements de
l'histoire suisse. Ces tableaux datent du 16** siècle. Près de ce pont, au milieu de la
Reuss, s'élève une ancienne tour, Wasserthurm ou Tour d'eau, où sont conservées les
I8& LA SVISSE PITTORESQI'R.
archives de la ville. Selon la tradition, elle doit avoir servi de phare, Incema, el
avoir donné son nom à la cité. Au-dessous du pont de la Reuss se trouve le Potif âe$
moulim, MiihlenhrOcke, qui est long de 300 pieds et date de 1403. H est décoré de
36 tableaux, (jui sont des copies de la Tameuse fhtuse des Morts de BAIe. Quant au
(|uatrième pont, on rappelle HoPnitvke ou Pont de la cathédrale, et il sert de commu
nication entre la ville et Téglisc paroissiale. Il avait autrefois 1380 pieds de longueur;
il n'a plus maintenant que 44 à 4^200 pieds ; il est orné d*unc centaine de tableaux,
dont les sujets sont tirés de Tbistoire suisse. Tous ces tableaux sont triangulaires et
peints à double sur deux faces, de sorte que le pmmeneur peut les observer dans
quelque sens qu'il passe les |ionts; sans doute, il ne faut pas chercher dans ces pein-
tures le mérite du pinceau, mais, comme monument, ils offrent un intérêt to«it par-
ticulier, en ce qu'ils donnent une idée des mœurs, des habitudes et du caractère de
l'époque où ils ont été tracés; les vieilles légendes qui les accompagnent en rehaus-
sent encore le prix.
Edifices publics, établissements divers. On compte à Lucarne dix églises. Les plus
remarquables sont la cathédrale, ou église de St. -Léger ou Hofkirche, située sur une
|)eUte hauteur non loin du nouveau quai ; sa fondation remonte k l'an 79S. Elle a
deux tours élancées, un orgue qui passe pour un chef-d'œuvre, un beau maitre-autel
f>rné d'un tableau de Lamfranc. Le bas-relief sur bois représentant la mort de Marie,
à l'autel latéral du nord, est du 45*" siècle. On trouve quelques monuments dans le
cimetière. — L Eglise des Jésuites, commencée en 4667, est d'une gracieuse architec-
ture. On y voit un tableau de Torriani, élève du Guide, une table d'autel représentant
Nicolas de Fltie, et le vêtement du saint. — L'Eglise des Frat^iscaim ou Cordeliers
est d'une haute antiquité; elle renferme, suspendus au haut de la nef, des fac-similé
de tous les étendards enlevés par les Lucernois à la bataille de Sempach. — Le ci-de>
vaut Collège des Jésuites est le plus bel édifice de Lucerne. — LHôtel-de- Ville, érigé
en 4606, est un joli édifice renfermant de belles salles et les drapeaux pris sur l'en-
nemi dans les anciennes guerres: on y voit de belles sculptures sur bois, exécutées
au 47*^ siècle par un artiste de Breslau ; une collection de portraits des anciens chefs
de l'Etat, et des peintures relatives à l'histoire suisse. La Fontaine du marché au vin
(Weinmarkl) date de l'an 4484. — L'Arsenal est un des plus considérables de la
Suisse; il contient en grande quantité des Morgensterns ou massues, des haches
d'armes, des cuirasses, des casques enlevés par les Confédérés aux Bourguignons et
aux Autrichiens ; on y voit entre autres l'armure complète du bailli de Landenberg ;
la bannière jaune, les éperons et la cotte de mailles du duc Léopold d'Autriche, tué à
Sempach, le carcan destiné à l'avoyer Gundoldingen et garni de pointes de fer, etc.
Quant à l'armure de Zwingli, tué à la bataille de Cappel, elle a été emportée en 4847
par les Zuricois. On y remarque aussi de très-longs étendards turcs, conquis à la
bataille de Lépante et rapportés par un chevalier de Malte, d'origine lucernoise, qui
y assistait.
Lucerne possède en outre deux hôpitaux, dont l'un destiné aux incurables; une
belle maison des orphelins, bâtie en 4809 près de la porte de Bàle; un théâtre, un
casino et plusieurs bibiiotliëques ; celle des ex-jésuites, appartenant au lycée et au
gymnase; celle des capucins, spéciale pour l'histoire ecclésiastique; celle delà ville,
très-riclie en manuscrits et ouvrages importants relatifs à Tbistoirede la Suisse; elle
LA SUISSE PITTORESQrE.
i8S
contient aussi une collection de portraits de citoyens et d'hommes d'Etat qui ont
illustré Lucerne dans les siècles passés. Divers particuliers possèdent des cabinets
d'histoire naturelle ou de peinture. Il existe à Lucerne une Caisse d'Epargne, une
Caisse des Pauvres, un établissement pour les ouvriers malades, etc.
Panorama en relief. On visitera avec intérêt le panorama en relief d'une partie de
la Suisse, levé d'après nature par le général Pfyffer. Cet ouvrage représente une
étendue de Ikk lieues carrées, dont Lucerne occupe le centre, et qui comprend les
cantons de Lucerne et d'Unterwald, une grande partie de ceux d'Uri, Schwytz et
Zug, et les contrées limitrophes de ceux de Berne, Zurich et Ârgovie. On a donné
aux plus hautes montagnes s'élevant à 10,000 pieds une hauteur de 10 pouces
au-dessus du lac des Waldstœtten. L'ensemble a 22 pieds de longueur, sur 12 de
largeur; il est composé de 136 pièces, qu'on peut démonter. On ne peut voir sans
admiration la précision avec laquelle les formes des monts ont été figurées et l'exac-
titude qui brille jusque dans les plus minutieux détails. Pour mieux jouir d'une illu-
sion, il faut se baisser de manière que les regards effleurent la surface du relief; dans
cette position, l'on distingue les formes et les hauteurs relatives des montagnes et
des collines. L'exécution de ce travail a exigé une grande habileté jointe à une
persévérance incroyable.
Lion de Thorwaldsen. Après les beautés de la nature, ce lion est l'objet qui mérite
le plus d'attirer l'attention des étrangers. C'est à un colonel Pfyffer, le descendant de
celui qui s'illustra à Meaux par sa belle retraite, qu'est due la première idée de ce
monument du 10 août, élevé à la mémoire des officiers et soldats suisses qui ont suc-
■v^A'^.«A\i,-w
.lluaiimenl du 10 Août.
il. IS.
n
186 LA SUISSE PITTORESQUE.
combé victimes de leur héroïque fidélité dans cette fatale journée. Rien de plus simple
et de plus poétique à la fois que cette pensée, qui a été rendue par Thorwaldsen avec
tout le succès qu'on devait attendre d'un artiste aussi célèbre. Un lion, percé d'une
lance, expire en couvrant de son corps un bouclier fleurdelisé qu'il ne peut plus
défendre, a L'expression du lion est sublime, dit le comte Walsch; le tronçon de la
lance qui l'a percé est resté enfoncé dans son flanc ; il étend sa griffe redoutable
comme pour repousser une nouvelle attaque ; ses yeux à demi fermés vont s'éteindre
à jamais ; cependant son regard semble menacer encore ; sa face majestueuse offre
l'image d'une noble douleur et d'un courage tranquille et résigné. » Le lion a 28 pieds
et demi de longueur, sur 18 de hauteur ; il est sculpté en haut-relief dans une grotte
peu profonde, creusée elle-même dans un pan de rocher vertical. Un jeune sculpteur
de Constance, Ahorn, a exécuté ce travail sur le modèle en plâtre envoyé de Rome
par l'artiste danois, et sous la direction du colonel Pfyffer d'Âltishofen. Au-dessus de
la grotte, qui est longue de kk pieds et haute de 28, on lit l'inscription suivante :
Helvetiarum fidei ac virtuti, die iO Atig.^ 2 et S Sept. 4792. Hœc sunt nomina eorum
quij ne sacramenti fidem {allèrent ^ fortimme pugnanles ceciderunt. (A la fidélité et à la
vertu des Helvétiens, 10 août, 2 et 3 septembre 1792. Voici les noms de ceux qui,
pour ne pas faillir à leur serment, tombèrent en combattant vaillamment). Au-des-
sous on lit les noms des officiers et soldats qui périrent, et de ceux qui, ayant échappé
à la mort, ont contribué à l'érection de ce monument national, dont l'inauguration
a eu lieu le 10 août 1821. Une pièce d'eau vive, alimentée par plusieurs sources,
baigne le pied du rocher, dont le sommet est couvert de végétation. Tout autour sont
disposés de beaux groupes d'arbres. A quelques pas du monument s'élève une petite
chapelle, surmontée de l'inscription : Piuo invictis (Paix aux invincibles ou plutât aiix
invaincus), et où se trouvent les armoiries des officiers, dont 26 sont tombés le 10
août, et 16 le 2 et 3 septembre. L'autel est couvert d'une nappe de soie brodée de
la main de la duchesse d'Angouléme, fille de Louis XVI. On y lit ces mots : a Ouvrage
de Madame la Dauphine Marie-Thérèse de France, en 1825, donné à la chapelle du
Monument du 10 août 1792, à Lucerne. » Un riche ostensoir a été donné par la
duchesse de Berry. Le 10 août de chaque année, on dit la messe des morts dans cette
chapelle.
Points de vue et excursions. Lucerne a été dispensé de créer des promenades, car la
nature y a pourvu : tout est promenade à l'entour; peu de villes au monde sont aussi
favorisées sous ce rapport . De quelque côté que se dirige le voyageur, qu'il monte sur les
collines ou suive les vallons, partout les sites les plus variés et les plus admirables se
présentent à ses regards. Sans sortir de la ville, le quai et le pont supérieur offrent
sur le lac et sur l'amphithéâtre des montagnes un coup-d'œil ravissant, qui est sur-
tout admirable au coucher du soleil. A l'est, s'élève le Righi aux pentes verdoyantes;
au sud, le sombre et sauvage Pilate, et entre ces deux montagnes les rochers escarpés
du Bûrgenstock, en avant duquel on voit le lac et ses rives gracieuses. Au-dessus du
Bûrgenstock on aperçoit la Blum-Alp au canton d'Unterwald, montagne à forme
singulière, et dont on distingue parfaitement les chalets vers le soir; à l'est et à l'ouest,
un grand nombre de montagnes bornent l'horizon, entre autres le Titlis près de la
Blum-Alp, le Crispait entre le Righi et la Blum-Alp, le Wetterhom entre la Blum-
Alp et le Pilate. — Si l'on sort de la ville, on peut visiter, du côté de l'ouest, la col-
LA SUISSE PITTORESQUE. 187
line du Gûtschj située tout près de la porte de B&Ie, celle de Sonnenberg, et plus au
sud le château de Schauensee sur le mont Schaltenberg ; du côté du nord, la colline de
la Museck et les jardins d'Allen winden (ou à tous vmts) ; tous ces points jouissent d'une
vue délicieuse. Le confluent de l'Emme et de la Reuss, près des ruines du château
de Stossberg, et le Rothsee (Lac rouge), dans un vallon champêtre, le Rengloch, canal
pratiqué dans les rochers depuis quelques siècles pour servir d'écoulement au Krienz-
bacb, méritent également d'être pris pour buts de promenades.
Lac de Lticeme. Ce lac a un caractère tout particulier. Ses rives ne sont pas ornées
d'une multitude de villes, de villages, de maisons de campagne, de jardins, de vigno-
bles ; des coteaux riants et couverts d'une riche et vigoureuse végétation n'encadrent
pas ses bords ; et cependant l'aspect qu'il offre est d'un attrait irrésistible; il laisse à
l'âme des souvenirs ineffaçables. La nature y déploie tout l'empire de sa majesté, et
en même temps une inépuisable variété d'images. À mesure qu'on pénètre dans les
golfes divers qui découpent ses bords, on voit, pour ainsi dire, â chaque coup de
rame, changer les formes des montagnes, et les scènes les plus douces et les plus
romantiques succéder aux sites les plus sauvages et les plus grandioses. Les diffé-
rents effets de la lumière et des ombres produisent aussi une diversité infinie, surtout
quand les rives du lac et les monts qui les dominent sont éclairés par les rayons du
soleil le matin et le soir. De quelque point que l'on contemple ce lac, on voit régner
dans toutes ses parties un caractère sublime et extraordinaire, qui excite la surprise
et l'admiration.
Dans le voisinage de Lucerne, les scènes qu'offrent les rives du lac sont d'une
nature bien moins sévère que celles de l'extrémité orientale. Si l'on veut se rendre
dans le canton d'Unterwald, on peut s'embarquer à Lucerne pour le golfe d'Âlpnach,
qu'entourent des pentes sombres et boisées, qui lui donnent un aspect mélancolique ;
ou bien on peut aller par voie de terre jusqu'à Horn et Winkel, puis traverser le
golfe de Winkel pour descendre à Stanzstad ou à Âlpnach. On trouve aussi à Winkel
un sentier qui mène à Âlpnach par le col peu élevé de la Renk, d'où l'on découvre
une belle vue sur le lac jusqu'à Kûssnacht. Avant de monter sur le col, on passe au
village unterwaldois de Hergiswyl, non loin duquel il existe des grottes où il règne
une telle fraîcheur, qu'on peut y conserver du lait pendant un mois. On y trouve
même quelquefois de la glace en été. A l'est du golfe d'Alpnach, on peut prendre terre
pour aller visiter la gorge sauvage du Rotzloch et la cascade du Mehlbach (ruisseau
de farine).
Le trajet de Lucerne au fond du golfe de Kûssnacht n'offre pas moins d'intérêt.
Près de la pointe de Meggenhorn, on passe devant l'ile d'Altstad, où l'abbé Raynal
avait érigé à la gloire des libérateurs de la Suisse une pyramide de granit de quarante
pieds de hauteur; mais la foudre ne la laissa pas longtemps debout. On y lisait les
noms des trois héros et celui du fondateur. Au sommet était une flèche dorée, à laquelle
était attachée la pomme de Tell. Raynal avait eu le dessein de placer le monument
dans la prairie même du Grûtli ; mais les magistrats du canton d'Uri, auxquels il
s'adressa pour en obtenir la permission, la lui refusèrent; u car, répondirent-ils, tant
que les Suisses sauront être libres et sentir le prix de leur liberté, ils n'auront aucun
besoin d'éterniser par un monument cette belle page de leur histoire; et si jamais leur
postérité venait à perdre ces sentiments, un semblable monument n'aurait pas plus
488 LA SUIS8E PITTORESQUE.
d'utilité pour la Suisse que n'en eurent pour Rome tombée dans l'esclavage les nom-
breux marbres des temps où la vertu et la liberté régnaient dans ses murs, v C*est
non loin de Tile d'Altstad qu'est l'endroit qu'on appelle KreHztrichter, croisée ou
entonnoir croisé, c'est-à-dire la place où la ligne de Kûssnacbt à Âlpnach coupe h
angle droit la partie du lac comprise entre Luceme et les deux promontoires appelés
Obernase et Unieniase, ou la Nase supérieure et la Nase inférieure. L'aspect que pré-
sentent en cet endroit les divers golfes voisins et les montagnes qui les entourent, est
extrêmement remarquable. En continuant à voguer dans la direction de Kûssnacbt,
on passe sous la colline de Ramflue et sous les ruines du cbàteau de Nen-Habsbourg
(Nouveau-Habsbourg), qui fut un lieu de plaisance où, disent les chroniques, l'empe-
reur Rodolphe de Habsbourg aimait à séjourner et à se livrer aux divertissements de
la chasse et de la pèche. En 43S2, après un siège de quelques jours, le château fut
pris par les Confédérés. Ses ruines commandent un beau point de vue. lia route de
Lucerne à Kûssnacht peut également se faire par terre, le long des collines du Meg-
genberg et par le village de Meggen. On se rend fréquemment au Righi par Kûssnacht
et Arth, villages du canton de Sehwytz ; mais des chemins également commodes par-
tent de Weggis et de Fitznau, villages lucernois situés au pied méridional de la
montagne et entourés d'une riche végétation. Les masses de verdure de cette sorte
d'oasis contrastent avec les flancs sauvages du Bûrgenstock, placé vis-à-vis. L'ascen-
sion exige environ 3 heures. Le voyageur qui part de Luceme peut donc atteindre
le sommet en k heures, s'il prend le bateau à vapeur jusqu'à Weggis; il faut une ou
deux heures de plus s'il se dirige du côté d'Arth pour entreprendre l'ascension.
Mont Pilate. L'ascension du mont Pilate n'est point aussi facile que celle du Righi,
mais elle est également intéressante. On n'est point encore d'accord sur la hauteur
de cette montagne, qui est cependant une des plus fameuses de la Suisse. Le général
Pfyfler attribue à sa plus haute sommité une élévation de 7080 pieds au-dessus de la
mer, soit 5760 au-dessus du lac. D'après d'autres, cette élévation serait de 7H6,
ou 6906. L'Hypsomctrie Ziegler ne lui donne que 6595 pieds.
Le Pilate dépasse donc de 1000 à 1400 pieds la hauteur du Righi, qui est d'environ
5600. Longtemps la superstition a fait de cette montagne le théâtre d'événements
surnaturels. Il parait que le nom de la montagne a été la cause innocente de ces
fables. Mont Pilate est probablement la traduction de Mom Pileatus, ou montagne à
cha|)eau, nom que l'on donne à plusieurs hautes montagnes dont la cime s'enveloppe
de nuages avant les pluies ou les orages. De Pileatus le peuple a fait Pilate, et pour
trouver un rapport entre celte montagne et le gouverneur de Jérusalem, on a in-
venté une assez étrange histoire.
D'après les uns, Ponce-Pilate, exilé des Gaules par Tibère, et poursuivi par ses
remords, se serait précipité dans un lac voisin de la cime du mont lucernois. D'après
une autre tradition, Ponce-Pilate, appelé à Rome, s'y donna la mort de désespoir, et
l'on jeta son corps dans le Tibre ; mais il y fit un tel vacarme, que, pour avoir la paix,
on prit le parti de le retirer du fleuve et de le faire porter dans le RhAne. Le même
vacarme s'y fit entendre, et les habitants des bords se débarrassèrent également du
corps de Ponce-Pilate, en le portant auprès de Lausanne; il y fut encore un si mau-
vais voisin, que les Lausannois le jetèrent dans un des petits lacs du mont auquel
plus lard on a donné son nom. Depuis ce temps, il exerça ses fureurs sur le moni ;
VACHI8 UU B16U1.
LA SUISSE PITTORESQUE. 189
toutes les fois qu'on jetait quelque pierre dans les lacs, Pilate se vengeait par des
orages et des tonnerres. Un habile magicien fut appelé pour le mettre à la raison.
Après une lutte très-vive, l'ancien gouverneur de Jérusalem se laissa enfin bannir au
fond des lacs, à condition qu'il en sortirait tous les ans le Vendredi Saint pour se pro-
mener sur la montagne en robe de magistrat, et que ceux, qui viendraient alors en sa
présence mourraient dans Tannée ; à moins d'être harcelé lui-même au fond de l'eau,
il promit de ne plus troubler personne. Ces fables s'étaient si bien accréditées au
raoyen-àge, que les magistrats de Luccrne défendirent de gravir le Pilate et de jeter
des pierres dans le lac.
C'est chez un auteur zuricois du IS** siècle, Conrad de Mur, qu'on trouve la
première indication de la légende de Pilate ; depuis lors, les auteurs ont enchéri l'un
sur l'autre jusqu'au moment où la Réformation vint éclairer les esprits.
Six chemins différents mènent au sommet du Pilate : quatre du côté du nord, et
deux du côté du sud. Le plus commode est celui qui monte d'Alpnach à la plus haute
sommité, qu'on nomme le Tomlishorn. En partant de Lucerne, on passe ordinairement
par le village de Rriens, puis on gravit par Herrgotlswald ( Forêt du Seigneur Dieu),
où Ton trouve une jolie église et un ermitage souvent visité par les pèlerins; on tra-
verse ensuite l'Eigenthal, charmant vallon où l'on envoie des gens maladifs jouir
d'un air salubre. Jusque-là on peut faire la route à cheval. Deux sentiers, dont l'un
plus court et plus pénible, conduisent de là à la Brûndleii-Alp ou Brûndlis-Alp, C'est
sur cette alpe qu'on trouve un petit lac dont les bords sont plantés de sapins, et qui
n'a guère que 150 pieds de longueur, sur 80 de largeur. Il est devenu fameux par
la tradition rapportée ci-dessus. Il s'en élève souvent des vapeurs qui s'étendent et
enveloppent les pics de la montagne, et sont ordinairement l'indice d'un orage pro-
chain. Des deux côtés de la Brûndlis-ÂIp s'élèvent les sept pics du Pilate; à gauche
ou du côté de l'est et du sud, YEsel (Âne), VOberhaupt (Tête supérieure), le Band et
le Tomlishorn, le plus élevé de tous; à droite ou du côté du nord et de l'ouest, le
GemsmâUli (Petit pré des chamois), le Widderhorn ou Widderfeld (Pic ou Champ des
béliers), et le Knappstein (Pierre chancelante). Indépendamment de la Brûndlis-Alp,
on trouve autour de ces pics plusieurs autres alpes, qui toutes ensemble nourrissent
près de 4000 bêtes à cornes. Le second lac du Pilate est situé sur la Mait-Alp. On
remarque sur la Brûndlis-Alp un écho extraordinaire, qu'on peut regarder comme
un des plus curieux de la Suisse; mais pour en tirer des sons, il faut être doué d'une
poitrine robuste et d'une voix forte. Les bergers habitués à le faire retentir se placent
vis-à-vis de la paroi de rocher, et, se tournant lentement en demi-cercle, émettent
par intervalles des sons qui, mille fois répétés par toutes les anfractuosités des rochers,
produisent une musique harmonieuse dont l'effet est ravissant pendant le calme so-
lennel d'une belle soirée.
Au sud du Tomlishorn, on voit une caverne haute de 16 pieds, sur 9 de largeur,
dont il sort un air glacé, et un ruisseau, qui, en coulant sur les rochers de la grotte,
produit un sifflement singulier; on lui a donné le nom de Mondloch (Trou de la Lune),
parce qu'on y trouve beaucoup de lait de lune ; elle contient des voûtes spacieuses,
mais à la distance de 3 à 400 pas elle se rétrécit tellement, que si l'on veut pénétrer
plus avant, on est obligé de se traîner sur le ventre au milieu de l'eau qui coule en
abondance. On est presque certain que cette caverne communique avec une autre
190 LA SUISSE PITTORESOUE.
que Ton aperçoit de la Brûndlis-Alp sur Taulre revers de la montagne, à une hauteur
de plus de cent toises. Au fond de cette grotte, devant laquelle est un prédpice
inaccessible, on aperçoit un rocher blanchâtre en forme de statue, haut de 30 pieds,
et qui ressemble à un homme dont les bras sont appuyés sur une table et les jambes
croisées. La grotte, ainsi que la statue, porte le nom de SaitU-Dominique. Il n'y a
d'autre moyen d'y entrer que de s'attacher à des cordes et de se faire dévaler du
haut de la paroi à quelques centaines de pieds de profondeur. Un nommé Huber, de
Kriens, i)erdit la vie en tentant d'y pénétrer; en 4814, un chasseur de chamois,
Ignace Matt, vint heureusement à bout de cette périlleuse aventure.
De la Brûndlis-Alp on peut escalader le Widderfeld, qui est la sommité la plus
sauvage du Pilate, et qui est de quelques pieds inférieur au Tomlishorn. De la même
alpe on peut aussi atteindre au Kfiappstein, qui a reçu ce nom à cause d'un quartier
de roc de la grandeur d'une maison, qui se trouve placé sur le sommet, et qui chan-
celle aussitôt qu'on veut le gravir. Le Tomlishorn, l'Oberhaupt et le Band, ne sont
accessibles que du côté du sud ; c'est aussi de ce côté qu'on fait l'ascension de l'Esel,
qui n'est difficile que pour les dix dernières minutes; la pointe en est aiguë et en-
tourée d'effrayants prâcipices ; elle est de 480 pieds moins élevée que le Tomlishorn.
Le général Pfyffer, qui avait souvent gravi le Pilate, assure que du haut de ses divers
pics on peut, par un temps très-serein et à l'aide d'une bonne lunette, découvrir
treize lacs, ainsi que la tour de la cathédrale de Strasl)Ourg.
Entlibwk, Napf. La vallée de l'Entlibuch est entourée de montagnes couvertes de
pâturages fertiles et bien arrosés. La partie supérieure de la vallée présente cepen-
dant quelques régions sauvages ; on y trouve laSchrattenfluh, montagne remplie de
crevasses et de cavernes, et qui offre partout les traces remarquables d'affreux bou-
leversements. Non loin de là, près du village de Klausstalden, l'Emme fait une cas-
cade. Une des routes de Lucerne à Berne remonte la vallée de l'Entlibuch jusqu'à
Schûpfheim, village qui occupe une belle position; de là, elle s'approche de l'Em-
menthal bernois, en suivant le vallon latéral d'Escholzmatt, arrosé par l'Emme
blanche. Une route, rendue praticable aux chars depuis peu d'années, évite le oon-
tour que fait l'Emme près de Wohlhausen ; elle passe près des bains solitaires
de Farnbûhl, et franchit les hauteurs du Bramegg, prolongement du Pilate. Du
sommet du passage, la vue s'étend au loin sur les campagnes fertiles des environs
de Lucerne, et jusqu'au lac et à la ville de Zug et à la chaîne de l'Albis. On aperçoit
aussi très-bien les sommités du Pilate. Un sentier remonte la vallée de l'Entle,
arrosée par le torrent de ce nom, dont les eaux déchaînées parcourent des gorges
affreuses et entraînent souvent dans leur cours des quartiers de roc; il passe ensuite
au sud du Pilate, entre le Schlierenberg et le Feuerstein, et conduit à Alpnach et à
Sarnen. Au fond de l'Entlibuch, un sentier dangereux en quelques endroits part du
joli vallon de Marienthal, franchit la crête du Brienzergrat et conduit à Brienz ; un
second, assez pénible, mène par la vallée de Habkern à Unterseen. Un troisième,
plus commode, mène à Lungern par le col de Nessel.
Au nord de l'Entlibuch s'élève le groupe du mont Entzi, dont le sommet, qui
porte le nom de Napf, est élevé de 47K0 pieds ; on peut l'atteindre focilement de
divers côtés, en particulier en partant des villages d'Entlibuch, Schûpfheim et
Trubschachen. On trouve des chalets sur la cime. La ravissante vue qu'il offre aux
LA SUISSE PITTORESQUE. 191
regards ne le cède que peu à celle du Righi . Sur la pente septentrionale du Napf,
on trouve les bains de la Luthern, d'où Ton peut se rendre à Willisau et à Sursee.
Outre celui qui porte le nom d*£ntlibuch, les principaux villages de la vallée sont
ceux de Schûpfheim, qui en est le chef-lieu, de Hasli, de Wohlhausen, etc. Les habi-
tations sont en général propres, construites avec goût, et contiennent des chambres
spacieuses ; quelques-unes sont même aussi élégantes que les demeures des plus riches
paysans bernois. Les costumes sont aussi d'une propreté remarquable, mais on re-
marque que le costume des femmes de TEntlibuch est plus simple et moins gracieux
que celui des villageoises des environs du lac, qui ont Thabitude de porter un corset
rouge et un chapeau orné de rubans et de fleurs.
Sursee. Cette petite ville est située à cinq lieues de Lucerne, à l'extrémité septen-
trionale du lac de Sempach, dans une contrée fort agréable. On y trouve de très-
beaux points de vue, en particuUer près de la chapelle de Mariazell, à un quart de
lieue de la ville, dans l'endroit où la Sur sort du lac. C'est à une lieue et demie du
côté du sud-ouest qu'est le village de Buttisholz, près duquel est situé le Tertre des
Anglais, dont nous avons parlé ci-dessus. A demi-lieue de Sursee du côté de l'ouest,
on voit le romantique petit lac de Mauen, au milieu duquel s'élève le château du
même nom. Un peu plus au nord sont les bains de Knutwyl ; du haut de la colline
de St.-Erard, entre ces bains et le lac de Mauen, on découvre un point de vue qui
s'étend jusqu'au lac de Lucerne. Ce fut en 1418, pendant que le duc Frédéric
d'Autriche était au ban de l'empire, que les Lucernois firent le siège de Sursee, s'en
emparèrent et le réunirent à leur territoire.
Ville et lac de Sempach. La ville de Sempach est située sur la rive orientale du lac
du même nom. Les eaux de ce lac sont d'un beau vert clair; ses bords sont cou-
verts de prairies, de forêts et d'arbres fruitiers, et forment un paysage d'un aspect
champêtre et agréable. Le Pilate et les hautes montagnes qui environnent le lac de
Lucerne offrent un coui>-d'œil magnifique aux environs de Sempach. C'est sur une
éminence à demi-lieue de la ville que se livra la fameuse bataille de Sempach. Une
chapelle a été érigée sur le champ de bataille ; l'autel est placé à l'endroit même où
avait péri le duc d'Autriche ; un tableau représente l'acte héroïque d'Arnold Win-
kelried, et l'on a inscrit sur les murs les noms des nobles de l'armée autrichienne
avec leurs écussons, et les noms plus glorieux des défenseurs de la liberté suisse qui
trouvèrent la mort dans le combat. Quatre croix de pierre marquent à rentrée de
la chapelle l'emplacement où le sang helvétique coula pour la patrie. Tous les ans,
au jour anniversaire, on célèbre avec solennité le service divin dans celle cha|)elle
antique. Les ossements des combattants ont été déposés dans un charnier ombragé
d'arbres.
CAIVTOX' D'il RI.
— ^CJ^^-,
Situation, étrndik, cijmat. — Le canton d'Uri est borné au nord par le lac des
Qualre-Canlons et jKir le canton de Schwylz, à Test par les cantons de Claris et des
Grisons, au sud par le Tessin, à Touest par les cantons du Vallais, de Berne et
d'Unterwald. Il a une longueur de 12 lieues, sur une largeur qui variede 4 à 7 lieues ;
sa superGcie est de 47 lieues carrées. C'est le canton le moins peuplé de toute la
Suisse, car il ne conapte que 14, SOS habitants, soit 309 par lieue carrée. Depuis
Tadmission de Lucerne, Zurich et Berne dans la Confédération, Uri n*y a plus que
le quatrième rang. — Le climat du canton est très-inégal, et les changements de
température y sont très-fré(|uents ; tandis que les hautes vallées ont huit mois d*hi ver,
la partie inférieure de la vallée de la Reuss, de Fluelen à Àmste^, jouit d'un air très-
tem|>éré, ce qui est dû au vent du midi, appelé le Fôhn (Favonio), qui soufQe d'Italie
par-dessus le St.-Gothard. Ce vent se fait sentir le plus souvent au printemps et en
automne; mais il fait quelquefois fondre rapidement les neiges en quelques heures au
milieu de l'hiver, et développe prématurément la végétation ; il souffle avec une
violence excessive, bien qu'avec de soudains intervalles de calme; il occasionne de
grandes avalanches, et soulève des tempêtes redoutables sur le lac ; il déracine les
arbres, enlève les toits, et propage rapidement l'incendie : aussi prend-on les plus
grandes précautions quand il s'élève par un temps sec. Il produit un effet funeste sur
la constitution physique des habitants de la basse vallée, et cause des ap|)esantissc-
ments de tcte comme le sirocco. Il rend l'air très-électrique ; toutefois, ce n'est pas ce
vent, mais celui d'ouest, qui amène ordinairement les orages de pluie. Le vent du
nord et du nord-est domine en hiver et au printemps ; on l'appelle GeislôJler ou
tueur de chèvres, parce qu'il arrive souvent que des chèvres, mal nourries durant
l'hiver dans les étables, succombent aux atteintes de ce vent quand on recommence
à les faire pâturer.
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
til: ' 1
p.
ANl-
• • l(•N^
A ALTORF.
iO.
LA SUISSE PlTTORESQt'E. 195
Montagnes, vallées, rivières. — Ce canton, l'un des plus montagneux de la
Suisse, est enfermé entre deux ramifications qui se détachent de la chaîne centrale
près du groupe du St.-Gothard ; celle de Test se prolonge entre les cantons de Glaris
et de Schwytz ; celle de l'ouest se termine au promontoire de Treib, au-dessous du
mont Seelisberg. Plusieurs chaînons intérieurs qui partent de ces deux chaînes forment
quelques vallée latérales, et, se rapprochant de la Reuss, ne laissent à cette rivière
qu'un lit très-étroit. Les montagnes d'Uri s'élèvent généralementde 8à 11 ,000 pieds.
Les principales sommités du canton sont, au St.-Gothard : la Pointe d'Urseren, 10,000 ;
le Luzetidro, 9730; la Fibia, 9370; le Fiudo, 9470 ; la Prosa, 8360, etc. ; dans la
chaîne de l'est, le mont Baduz, 9165 ; le Crispait, 10,240 ; YOberalpstock, 10,280;
le Scheerhom, 10,140, lesquels touchent aux Grisons; au Crispait s'appuie le
Bristenstock, 9900, et au Scheerhom la Witidgàlle, 9790; les Alpes Clarides,
10,030, qui touchent à Glaris ; dans la chaîne d'ouest, le Weisshorn, 9220, d'où
descend le grand glacier de Weissenwasser ou d'Eau blanche; le Mutthom, au sud
de la Furka, 95K0; le Galenstock, au nord de la Furka, 11,300, lequel domine le
beau glacier du Rhône, et confine avec les cantons du Vallais et de Berne ; le Thier-
berg, 40,946; le Winterberg ou Montagne de l'hiver, 10,600; le Sustenhom,
10,760; le Spitzliberg, Montagne aiguë, comme son nom l'indique, 10,635; les
Uratzhômer, partie du Titlis, aux confins de Berne et d'Unterwald, 10,240; les
Spanùrter, 9960; le Blackenstock, 8000 j VUrner Rothstock, 9570. Plus au nord, le
Brisen ne s'élève qu'à 7700; le Niederbauen à 6660, et le mont Achsenberg, situé
vis-à-vis, à 5450. La plupart de ces montagnes sont flanquées dévastes glaciers, et
il est peu de pays où les avalanches et les éboulements soient plus fréquents que dans
le canton d'Uri.
La principale vallée est celle qu'arrose la Reuss, qui se jette dans le lac des
Quatre-Gantons, et dont les sources sont au St.-Gothard et aux environs; la plus
abondante et celle dont le cours est le plus long, vient de la Furka et des glaciers
voisins; une autre sort du lac tessinois de Luzendro, situé sur le plateau même du
St.-Gothard; la troisième sort du lac d'Oberalp, voisin des Grisons; et la quatrième
est le torrent de l'Unteralp, dont les eaux se réunissent à celles de l'Oberalp, au-
dessus d'Ândermatt. Les vallées latérales sont arrosées par plusieurs autres torrents.
Dans le Schâchenthal coule le Schàchenbach ; dans le val Maderan, le Kerstlenbach;
dans l'Erstfelderthal, le TkUbach; dans le Mayenthal, le Mayenbach, Ces torrents
causent souvent de grandes dévastations. Les limites ne suivant pas partout les crêtes
des monts, le canton possède les sources de VAa, qui descend des Alpes Surènes et
coule dans la vallée unterwaldoise d'Engelberg; celles du Fatschbach, qui se jette
dans la Linth au canton de Glaris ; enfin un torrent, sur le revers septentrional du
Kinzig-Kulm, s'écoule vers la vallée schwytzoise de Muotta.
Lacs. — Le canton d'Uri possède la partie orientale du lac des Quatre-Cantons,
qu'on appelle golfe ou lac d'Uri ( Umersee ) ; ce golfe a une profondeur de 800 pieds
au-dessous de l'Âcbsenberg, près de la chapelle de Tell. Nous en ferons plus bas la
description. On peut nommer encore le lac d'Oberalp et ceux d'Unteralp, dont l'écou-
lement forme une des principales sources de la Reuss ; celui d'Oberalp a un quart de
lieue de longueur et contient d'excellentes truites ; le Golzersee, |)etit lac très-poisson-
neux au pied de la Windgâlle ; le lac d'Obersee, qui sert de réservoir aux eaux d'un gla-
II, 13. 25
494 I.A SliISSe PITTORESQUE.
cier au fond de la vallée d'Erstfeld : le joli lac du Seelisherg ( Montagne du pelil lac ),
près du chemin de Slanz au Grûtii. Plusieurs de ces lacs sont très-profonds ; quelques-
uns sont à une très-grande hauteur, de sorte qu'on y voit souvent flotter encore des
glaçons au mois d'août.
Bains et eaux minérales. — Entre Altorf et Fluelen, on trouve le Moasbad (Bain
de mousse), passablement fré(]uenté dans la belle saison. La vallée de Schâeben
|)ossède une source sulfureuse qui jaillit près du village d'Unterschâchen. Les habi-
tants font encore usage de ses eaux et en vantent les effets, mais on ne voit plus qu<^
les ruines de rétablissement qui a existé pendant deux ou trois siècles.
Histoire nati-relle. — Règne animaL La race bovine compte 7 à 8000 tètes dans
le canton. Dans la vallée d'Urseren et la partie su|)érieure de celle de la Reuss, on
trouve des vaches de petite taille, appelées vaches grisonnes, et qui peuvent grim|)er
comme les chèvres les pentes les plus raides. Dans la partie inférieure, les vaches
sont de la race brune de Schwytz, mais elles y sont un peu plus petites que dans les
cantons de Schwytz et d'Unterwald ; cela vient de ce qu'elles sont moins bien nour-
ries et de ce que les alpes sont plus escarpées. 13,000 moutons et 15,000 chèvres
I)àturent sur les pentes d'un accès diffîcile. Les Bergamasques amènent pendant Tété
de grands troupeaux de moutons; le fermage qu'ils paient est une source de béné-
fice pour le canton. — Les chamois sont rares; cependant on en trouve encore sur
les hautes sommités ; on ne jKîut les chasser qu'en automne. Les ours, les lynx, les re-
nards, sont rares aussi. On y trouve des vautours, des aigles, et un assez grand
nombre d'autres espèces d'oiseaux ; l'amateur d'entomologie peut aussi faire une
ample moisson ; on voit plusieurs espèces de vipères dans la vallée basse.
Rcfjne végétal. La plus grande partie du sol qui n'est pas occupé par des rochers ou
des glaces est couverte de pâturages ou de prairies; cependant la partie inférieure de
Fluelen à Amsleg est très-propre à la culture ; grâce à la douceur du climat, la
végétation y est de quinze jours plus avancée qu'à Lucerne. On y cultive avec succès
du blé, du chanvre, des pommes de terre; on y trouve beaucoup de beaux vergers,
où croissent des pruniers, des jiéchers, des abricotiers, des noyers; sur quelques
pentes exposées au soleil on voit des châtaigniers, et même des figuiers dans des lieux
abrités contre le vent du nord. Au-dessus de 2800 pieds, il ne vient plus que des
cerisiers. La vigne, qu'on cultivait autrefois à Altorf, a presque disparu ; on ne voit
plus que quelques espaliers. Les forêts abondent dans tout le canton, sauf dans le
district d'Urseren, où l'on est oblige de faire venir le bois de loin et à grands frais. —
La vallée delà Reuss, celle d'Urseren, la Furka, leSt.-Golhard, scmt très-riches en
plantes rares; on cite comme particulières à cette dernière montagne la primuln
mifwna et \QJuncm sqtiarrostis.
Règne minéral, La plus grande partie du canton appartient à la formation primi
tive ; mais, vers le nord, les montagnes sont composées de roches calcaires et de
couches schisteuses et argileuses. Celles qui forment la chaîne du St.-Gothard pa-
raissent déchirées et bouleversées; elles ont dû être autrefois beaucoup plus élevées
qu'aujourd'hui ; la vallée des Rochers, où était situé l'ancien hospice, est obstruée de
débris tombés des sommités voisines ; cela résulte sans doute de la nature des roches,
qui sont du gneiss peu compact, à grains fins, et du granit veiné. Il n'existe peut-
être aucune partie de la chaîne des Alpes où l'on trouve, dans un espace si resserré.
LA SUISSE PITTORESQUE. 195
un nombre aussi prodigieux de substances rares que le St.-Gothard. Près du glacier
(le Sainte-Anne, le minéralogiste trouvera de Tasbesle, de Tamiante et du liège fos-
sile ; sur le Guspis, de la rayonnante verte ou delphinite ; ailleurs, la même roche est
renfermée dans du talc blanc ; aux environs de Réalp, on voit des cristaux de spath
fluor couleur de rose ; on trouve aussi des cristaux de pierre ferrugineuse magné-
tique, des améthystes, des grenats, des hyacinthes, des cristaux de couleur jaune
imitant la topaze, de la cornaline, du titane, etc. On exploitait autrefois des
mines de fer dans Tlsenthal et dans le val Maderan, non loin du sommet de la
Windgàlle, et des mines de plomb et de cuivre dans la vallée de la Reuss, au-dessus
d*Amsteg.
Histoire. — Les habitants du canton étaient désignés autrefois sous le nom de
Tanrisci; et comme ils portaient sur leur étendard l'image d'une tête de taureau, on
les appela ensuite Ures^ et leur pays Urn ou Uri (de unis, aurochs). On ignore
quels furent leurs rapports avec les autres Helvétiens, et s'ils prirenf part à leurs
expéditions; mais il est certain qu'ils tombèrent comme eux sous la domination
romaine, et que le district d'Uri fit partie de la province dont Zurich (Turicum)
était chef-lieu, et le val d'Urseren de la Rhétie. Les franchises de cette petite peu-
plade datent de la plus haute antiquité. Quelques personnes les font remonter à
l'empereur Théodose ou à son fils Honorius ; d'autres soutiennent que Charlemagne,
qui récompensa les gens d'Uri pour le service qu'ils lui avaient rendu en repoussant
les Lombards, et qui fit améliorer et rendre praticable pour les mulets la route du
Sl.-Gothard, fut celui qui leur accorda, en 809, leurs premières libertés, et que le
pape Gr^oire IV, à qui Uri avait envoyé deux fois du secours contre les Sarrasins,
leur fit concéder par le roi Louis-le-Pieux, en 829, le droit de se gouverner suivant
leurs propres lois. Louis-le-Germanique céda, en 853, à l'abbesse du couvent qu'il
avait fondé à Zurich, une partie du territoire d'Uri, avec les églises, les bâtiments
et les serfs qu'il possédait dans ce pays ; mais les hommes libres restèrent affran-
chis de toute redevance directe, et conservèrent les droits déjà obtenus. Un docu-
ment conservé dans les archives du pays le constate, ainsi que la protection accordée
par Charlemagne.
Plus tard, les nobles et les couvents cherchèrent à opprimer les montagnards. Un
différend s'étant élevé, au sujet de quelques pâturages, entre l'abbaye d'EinsiedIen et
les gens de Schwytz, ceux-ci, n'ayant pu obtenir justice, formèrent en 1147 une
alliance offensive et défensive avec les gens d'Uri et d'Unterwald. Les trois petits
peuples furent mis au ban de l'empire, et l'évêque de Constance les excommunia ; mais
ils bravèrent cette excommunication, ne comprenant pas que ce fût un crime que
de défendre ses droits. L'empereur Frédéric II, qui marchait contre les Guelfes,
obtint d'eux un secours de 600 hommes; Struth de Winkelried, qui les comman-
dait, fut créé chevalier, et l'empereur accorda aux trois cantons une sorte de charte où
il déclarait que, sur leur demande, ils étaient reçus sous la protection de l'empire, qu'ils
ne relèveraient jamais que de l'empereur, et que les baillis ne devraient pas habiter
dans leurs vallées, mais ne s'y rendraient que dans les cas indispensables. Rodolphe
de Habsbourg, qui dans sa lutte contre la noblesse avait besoin de l'appui des bour-
geois et des pâtres, confirma leurs franchises en 1274. Toutefois, en 1291, les trois
pays conclurent une nouvelle alliance, et rédigèrent le plus ancien document écrit
196 LA SDIflSB PITTORESQUE.
que l'on connaisse maintenant; c'est de ce traité que date le nom i'Eidgenostm,
Gonrédérés, ou compagnons de serment.
En 4298, ils demandèrent au nouvel empereur Albert la confirmation de leurs
Tranchises; celui-ci repoussa leurs demandes, fit administrer le bailliage d Urseren
au nom de la maison d'Autriche, et engagea les trois pays à renoncer à la protec-
tion inefficace de l'empire, et à se laisser incorporer dans les Etats héréditaires de
l'Autriche. En 4 304, il envoya un jeune gentilhomme, Hermann Gessler de Bruneck,
qui traita les montagnards avec une grande hauteur, et, au mépris des anciennes
franchises, résida tantôt à Kûssnacht, tantôt à Altorf. En 4307, ce gouverneur
commença la construction d'un ch&leau, qu'il nomma par dérision Ztcing-Uri (Joug
d'Uri). C'est alors que trois hommes énergiques, Walter Fûrst d'Un, Wemer
Stauffacher de Schwytz, et Arnold Anderhalden du Melchthal au canton d'Unter-
wald, après s'être préalablement concertés seuls sur les moyens d'affranchir leur
patrie, se rendirent au Grûtii dans la nuit du 7 novembre 4307\ accompagnés
chacun de dix hommes courageux ; ces trente-trois citoyens firent vœu de délivrer
leur pays du joug arbitraire des baillis. L'exécution du projet fut fixée au 4^' jan-
vier 4308. Mais, afin de faire éclater prématurément la rébellion, Gessler fit élever, le
46 novembre, sur la place d' Altorf, une grande perche surmontée d'un chapeau
ducal, et il obligea les passants à saluer, en s'inclinant, ces signes d'oppression. Ici
se placent la résistance de Guillaume Tell à cet ordre humiliant, l'histoire de la
pomme qu'il dut frapper sur la télé de son enfant, celle de sa délivrance presque
miraculeuse au milieu d'une tempête, et enfin celle de la mort de Gessler.
A la suite de ces événements, le 4'*^ janvier 4308, le bailli Landenberg fut expulsé
du canton d'Unterwald, ainsi que ses satellitas, et le château deZwing-Uri fut rasé.
Alors, le 7 janvier, les députés des hommes libres des trois cantons se réunirent à
Brunnen pour jurer de nouveau une alliance solennelle. Henri VII confirma leurs
franchises ; mais les dispositions de la maison d'Autriche devinrent toujours plus
hostiles. Le duc Léopold étant venu les attaquer, les montagnards des trois cantons
remportèrent, le 45 novembre 4345, à Morgarten, une victoire complète, qui porta
dans toute l'Allemagne le nom de cette peuplade de bergers, jusqu'alors peu connue.
En 4323, les gens d'Uri occupèrent le val Urseren et en chassèrent le baiUi autri-
chien. En 4332, la ligue accrut ses forces par l'admission de Lucerne, et quelques
années plus tard par celle des cantons de Zurich, Glaris, Zug et Berne. L'acte d'al-
liance des huit cantons fut dressé le 6 mars 4353; il fut approuvé par l'empereur.
En 4386, une nouvelle victoire fut remportée à Sempach par les Confédérés; en
4389, la paix fut signée avec la maison d'Autriche, et le peuple d'Uri obtint la
pleine et entière souveraineté de son pays. En 4402, dans le but d'assurer la pro-
tection de ses frontières et la liberté du passage du St.-Gothard, Uri soumit le val
Léventine; 24 ans après il perdit cette vallée, mais il la recouvra en 4467. Plus
tard il conquit, avec Schwytz et Unterwald, Bellinzone et les vallées de Riviera et de
Poleggio ; puis, avec tous les autres Confédérés, Lugano, Mendrisio et Locarno. Ces
diverses contrées furent traitées comme des pays sujets. Les troupes des petits can-
tons figurèrent dans l'armée qui vainquit deux fois Charles-le-Téméraire, et les
1. D'après Millier, ce fui la nuit du jeudi avant la fêle dé St.-Hartin, laquelle est maiotenanl
le 11 novembre ; d'après Zschokke et d'autres, ce fut le 17 novembre.
LA SUISSE PITTORESQUE. 197
funestes conséquences de ces victoires s'étendirent aussi à leur pays. L'histoire d*Uri
se trouve dès-lors plus intimement liée avec celle de la Confédération. Lorsque éclata
la Réformation, les petits cantons restèrent fidèles à l'Eglise catholique, et ils prirent
part aux guerres religieuses de 4529, 1655 et 1712. Uri eut en 1755 à réprimer
une révolte dans le val Léventine, qui supportait son joug impatiemment; en 1797
il dut enfin Taffranchir, ainsi que le district d'Urseren.
Les Landsgemeindesd'Uri, deSchwytz et d'Unterwald décidèrent en 1798 de re-
pousser l'invasion française, et une lutte héroïque eut lieu conti*e une armée bien
supérieure en nombre, à Morgarten, à Rothenthurm, au mont Etzel ; mais une capi-
tulation, conclue le 4 mai avec le général Schauenbourg, imposa aux trois cantons
Tobligation d'accepter la Constitution helvétique ; et les Français leur promirent de
ne pas occuper leur pays. Les anciennes autorités d'Uri furent dissoutes, et un arbre
de la liberté fut érigé sur le lieu même où Gessler avait fait élever un chapeau ducal.
Dès-lors, toutes les calamités ne tardèrent pas à fondre sur ce malheureux pays
d'Uri. Le peuple de Nidwald ayant refusé de prêter le serment civique, et ayant
succombé, après une héroïque résistance en septembre 1798, Uri fut subitement oc-
cupé et désarmé, sous prétexte qu'il avait rompu la capitulation, parce que quelques
citoyens d'Uri avaient prêté secours à ceux d'Unterwald et combattu avec eux
contre les Français ; l'arsenal d'Altorf fut dépouillé de ses trophées, et pillé, ainsi que
la caisse publique. Malgré toutes les belles proclamations qui annonçaient le règne
de la liberté, de la fraternité et de l'égalité, le peuple d'Uri se sentait opprimé et
malheureux. Pour surcroit d'infortune, un terrible incendie détruisit presque com-
plètement Altorf le 5 avril 1799. A la fin de ce mois, l'exaspération générale fit
explosion. Les Français venus pour forcer la levée de la milice furent attaqués par
les troupes du canton et expulsés. Toute la population, y compris les femmes et les
enbnts, se leva pour la défense du pays, et, quoique très-mal armée, repoussa éner-
giquement plusieurs tentatives de débarquement; mais elle dut céder enfin devant le
nombre. Après avoir perdu leur chef Vincent Schmidt, les gens d'Uri continuèrent à
défendre opiniâtrement le terrain jusqu'au bas du St.-tiothard.
Le général Soult, qui commandait les Français, fit sa jonction avec le général
Lecourbe, qui avait dû battre en retraite dans les Grisons devant une armée autri-
chienne, et pénétra jusqu'au Tessin. Mais bientôt les Autrichiens chassèrent les
Français du Tessin et des Grisons, occupèrent le St.-Gothard le 26 mai, et parvinrent
à se rendre maîtres de tout le canton vers le 6 juin ; ils rétablirent l'ancienne Consti-
tution, et il se forma un corps-franc destiné à combattre les Français et les troupes
helvétiques, qui faisaient cause commune avec les ennemis de leur patrie. Du 14 au
46 août, les Autrichiens furent à leur tour, et après de sanglants combats, repoussés
par les Français jusqu'aux frontières des Grisons. Uri retomba aussi au pouvoir des
Français ; mais un grand nombre de jeunes gens en ftge de porter les armes avaient
suivi les Autrichiens ou s'étaient cachés dans les forêts et les lieux déserts. Le 24
septembre, le général russe Souwarow, débouchant du St.-Gothard, força les Fran-
çais à la retraite, et arriva le 26 à Altorf. Lecourbe, qui avait défendu le terrain pied
à pied, s'était retranché sur la rive gauche de la Reuss et avait détruit les ponts ; il
inquiéta la marche de la colonne russe, qui se dirigea vers la vallée de Muotta, au
canton de Schwytz, par le Schâchenthal et le passage très-difficile du Kinzig-Kulm.
498 LA SUISSE PITTORESQUE.
En mai 1800, 4 S, 000 Français traversèrent encore le pays, sous le commande-
ment du général Moncey , qui les conduisait en Italie. Le canton d*Uri, épuisé par les
pillages et les réquisitions, ne respira que lorsqu'on apprit que la Suisse était enfin
libre de se constituer elle-même. 11 se prononça énergiquement pour le rétablisse-
ment de l'ancien ordre de choses, et saisit les armes en 4802 avec d'autres cantons
pour dissoudre le Gouvernement helvétique. Mais Uri eut encore le malheur de voir
des troupes étrangères dans sc^ vallées, et ce ne Tut que le 9 mars 4803 que le
député Emmanuel Jauch, revenant de la Consulte de Paris, apporta au peuple d*Uri
TActe de médiation, d'après lequel il fut libre de rétablir son ancien gouvernement.
Le peuple, joyeux, adressa des remercicmenls à Bonaparte, et, le 28 mars, élut ses
fonctionnaires en présence des Français ; il confirma ses lois d'après les formes anti-
ques et au milieu de la plus grande jubilation. Une misère affreuse et dont on ne peut
se faire nulle idée, avait désolé le pays depuis l'incendie du chef-lieu et les désastres
de la guerre. Un grand nombre d'habitants s'enrôlèrent au service de divers pays ;
une centaine d'enfants avaient été recueillis par les soins du Gouvernement helvé-
tique.
A la Restauration, Uri chercha, mais sans succès, à recouvrer le val Léventine,
qui resta définitivement incorporé dans le nouveau canton du tessin. Après 4830,
le peuple d'Uri se prononça en grande majorité contre l'établissement d'un nouveau
Pacte et pour le maintien du système fédératif et de la souveraineté cantonale. En
4 846, Uri fit partie de la ligue du Sonderbund et envoya ses troupes à Lucerne; mais,
après l'occupation de cette ville en 4847, il dut capituler, et, le 29 novembre, il fui
occupé lui-même par une brigade de troupes fédérales, qui fut très-bien accueillie.
Le canton a dû se soumettre au nouveau régime fédéral. En 4850, il a révisé son
ancienne Constitution.
Constitution et Landsgemeinde. — Le canton d'Uri se gouverne d'après les
formes de la démocratie pure. Voici ses principales autorités, d'après la Constitution
garantie en 4846. L'assemblée générale des citoyens, ou Lafidsgetneiiide [Commune
du Pays), exerce l'autorité souveraine; on en fait partie dès l'âge de 20 ans; avant
l'Acte de médiation, on n'exigeait que l'ftge de 44 ans. La Landsgemeinde décide des
afiaires importantes de l'Etat; elle nomme par mains levées le landammann, son lieu-
tenant ou Statthalter, le banneret, le capitaine du pays, les deux enseignes, le tré-
sorier, l'inspecteur de l'arsenal (loys fonctionnaires que Ton nomme Messieurs les
Présidents, vorsilzende Herren), en outre les quatre secrétaires d'Etat et divers
employés inférieurs. Elle s'assemble tous les premiers dimanches de mai à Bôtzlingen,
à une demi-lieue d'AItorf, au milieu de la plus grande solennité. En tête du cortège
marchent la musique, les tambours, et une compagnie de miliciens qui entoure la
bannière nationale ; ensuite viennent deux hommes vêtus de l'antique costume suisse,
et portant sur leurs épaules d'énormes cornes de buffle ornées d'argent ; puis les
huissiers aux couleurs du pays, noir et jaune, et portant les sceaux, les clefe des ar-
chives, le glaive de la justice, et le bâton surmonté du globe de l'empire, auquel tient
une petite pomme percée d'une flèche ; suivent, à cheval, les magistrats, vêtus de noir
avec un manteau de soie et l'épée, enfin les conseillers et le reste des citoyens.
Quand les autorités ont pris place sur une estrade, et que la musique a joué l'air du
vieux chant de Tell, la séance est ouverte par le landammann, qui invite les citoyeus
LA SUISSE PITTORESQUE. 199
à implorer la bénédiction du Toul-Puissanl ; alors tout le peuple se découvre et fait
sa prière. Ensuite, le landammann met en délibération les propositions du gouverne-
ment, et celles que sept citoyens honorables, qui doivent appartenir à des familles
différentes, ont communiquées un mois d'avance au Landrath ; après que chacun a eu
la facullé d'énoncer son avis, on procède à la votation à mains levées; si le résultat
est douteux, on compte les suffrages en faisant défiler séparément les partisans des
deux avis. Puis, le landammann rend un compte sommaire des affaires importantes
qui ont signalé l'année échue, dépose sa charge et quitte sa place. Le plus ancien
des ex-landammanns est invité à désigner un candidat ; le sortant est rééligible, mais
il est rare que le même magistrat soit élu trois ou quatre fois sans intervalle. Le
nouvel élu prête serment et prononce un discours; après quoi, l'on procède de
même à l'élection et à l'assermentation des autres fonctionnaires. Tout se passe à
Tordinaire avec un ordre et un calme remarquables. La colline voisine du lieu de
réunion est couverte de spectateurs attirés par cette cérémonie, aussi simple que
solennelle.
Le Landrath, ou Conseil du Pays, se compose des principaux magistrats, qu'on
nomme les présidents, et en outre de quarante-quatre membres, dont quatre élus
dans chacune des onze communautés, Genossanien (le district d'Uri se divise en dix
communautés, celui d'Urseren n'en forme qu'une). Ce Conseil est une autorité exe-
cutive et délibérante; les conseillers sont élus à vie. Le Conseil hebdomadaire, com-
posé des présidents et des conseillers des communautés les plus voisines du chef-lieu,
est l'autorité judiciaire et administrative pour les affaires ordinaires. Le Conseil
secret, composé des présidents et de cinq conseillers du district d'Uri et d'un conseiller
d'Urseren, s'occupe des affaires financières, des affaires sanitaires et de police, des
travaux publics, etc. — L'assemblée générale de district {Bezirksgenieinde), se
réunit le second dimanche de mai ; elle s'occupe des affaires concernant le district et
nomme ses autorités particulières, entre autres un Conseil de district, Bezirksraih.
Enfin, chaque assemblée de commune {Dorfgenieinde) nomme ses fonctionnaires
a'clésiastiques et civils. Des tribunaux de district et un tribunal d'appel jugent les
causes civiles en première et en seconde instances ; les membres sont pris parmi les
magistrats et les conseillers. Les affaires criminelles sont jugées par un Landrath
double, et, dans les cas les plus graves, par un Latidrath triple; dans ce dernier cas,
c'est chaque membre qui se choisit lui-même un adjoint.
La Constitution votée en 18S0 a simplifié un peu les rouages administratifs; elle
a institué un Conseil d'Etat, consacré la séparation des pouvoirs, réduit la durée des
fonctions des membres du Landrath, etc. Les autorités législatives sont la Landsge-
nieinde et le Landrath, qui se compose des six premiers magistrats nommés par la
Landsgemeinde ( les enseignes sont supprimés), et de quarante-sept députés nommés
par les dix-sept communes du canton, à raison d'un pour trois cents âmes. L'autorité
executive est un Conseil d'Etat ( Regierungsralh ), composé de onze membres, soit des
six premiers magistrats et de cinq membres nommés par le Landrath dans son sein ;
il y a en outre un Conseil d'éducation et un Conseil diocésain, composés par moitié
de laïques et d'ecclésiastiques. Les autorités judiciaires sont un Tribunal cantotial ou
d appel, dont le président et la moitié des membres sont nommés par la Landsge-
meinde, les autres par le Landrath; un Tribunal criminel, nommé par le Landrath.
900 LA suisse PITTOHGSQl'K.
Dans les cas de condamnations capitales ou pour affaires politiques, les recours en
grâce sont soumis à un double Latidrath, qui se forme au moyen d^assesseurs nommés
|)ar les communes. Les membres du Landralh, du Conseil d*Etat et des tribunaux
sont nommés pour quatre ans et renouvelés par moitié. Il en est de même des Con-
seils et tribunaux de district ; mais les Conseils communaux ne sont nommés que
|K>ur deux ans et sont renouvelés aussi par moitié.
Religion. — L'évéque Martin, patron d*Uri et de Schwytz, passe pour avoir
achevé, vers Fan 630, la conversion de ces peuples, commencée probablement par
St.-Béat ou par Félix et Régula. Dès longtemps le petit peuple d*Uri fut en rap-
port avec les papes. Nous avons déjà dit que ce fut à la demande de Grégoire IV
que LfC^is-le-Pieux lui accorda ses premières franchises, vers Tan 829. Au commen-
cement du 46' siècle, ils obtinrent de Jules II et de Léon X le droit de nommer et
de révoquer les ecclésiastiques. Jules 11 leur envoya une bannière, que Ton conserva
depuis lors dans la salle du Conseil, et leur donna le titre de Protecteurs de la foi
catholique. Le canton d*Uri compte 15 paroisses; il dé|)endait autrefois de l'évèché
de Constance ; il ressortit maintenant à celui de Coire. 11 y a trois couvents dans le
canton : un de capucins et un de capucines à Altorf, et un de bénédictines à See-
dorf ; ce dernier date de Tan 4007. Les communes nomment et paient elles-mêmes
leurs curés et leur fixent leurs obligations.
Instruction publique. — On cherche avec plus de soin qu'autrefois à répandre
l'instruction. Chaque paroisse et même chaque village a son école ; mais comme une
grande partie de la population habite en été sur les hautes montagnes, la plupart des
écoles ne peuvent être fréquentées que l'hiver. Altorf possède en outre une Ecole
normale et un Gymnase, où enseignent quatre professeur. Le clergé a fait instituer
par le gouvernement une Commission centrale scolaire, qui inspecte toutes les écoles
et stimule leurs progrès. Il manque encore à Altorf un établissement pour l'enseigne-
ment des langues vivantes, celui de la musique et du dessin ; mais il existe des
bourses pour aider les jeunes gens qui veulent apprendre les sciences hors du pays,
en particulier pour ceux qui se vouent à la carrière ecclésiastique. 11 n'y a pas de
bibliothèques publiques ; mais les capucins en possèdent une considérable.
Industrie et commerce. — La principale industrie du pays consiste dans l'élève et
le commerce du bétail ; les bœufs et les vaches s'exportent principalement pour le
Tessin ; les moutons et les chèvres pour le nord de la Suisse. On exporte aussi de
grandes quantités de fromages; ceux d'Urseren sont comptés parmi les plus gras et
les meilleurs de la Suisse, et peuvent se conserver longtemps. Le transit par le St.-
Gothard fait vivre un grand nombre de voituriers, expéditeurs, aubergistes, mule-
tiers, etc. Les sentiers de la Furka et de l'Oberalp, conduisant dans le Vallais et dans
les Grisons, occupent aussi un certain nombre de muletiers et de bètes de somme. On
fabrique dans le canton des draps grossiers pour la consommation. Il serait focile
d'établir des filatures de laine dans un pays où il y a tant de moutons, et même des
filatures de soie, vu le voisinage de l'Italie; la contrée d' Altorf a d'ailleurs été
reconnue favorable à l'exploitation de celle substance. Jadis, des centaines de familles,
jusque dans les vallées les plus reculées, gagnaient leur vie en travaillant la laine et
la soie ; il n'y en a plus maintenant qu'un petit nombre qui se livrent à ce travail
pour les fabricants de Zurich et de Gei*sau. On pourrait aussi exploiter la serpentine
LA SUISSE PITTORESQUE. 201
et la pierre oUaire qu'on trouve à Urseren, le beau porphyre vert et rouge de la Wind-
gœlle, le marbre de Rhinacbt, etc. La pèche occupe beaucoup de bras sur les bords du
lac. Enfin l'exportation des bois à brûler et à bâtir n'est pas sans importance.
Hommes distingués. — En premier lieu, nous devons nommer Guitlaume Tell, le
libérateur de sa patrie. Tell était né à Bûrglen, à demi-lieue d'Altorf; outre les évé-
nements de 1307, tout ce qu'on sait de sa vie, c'est qu'il combattit à Morgarten. On
sait aussi qu'il perdit la vie en 15S0, en cherchant à sauver un enfant qui se noyait
dans les eaux du Schsechenbach. C'est tout ce que les chroniques et les souvenirs
transmis d'âge en âge racontent sur cet homme. Tell laissa deux fils, Guillaume et
Walter; le dernier descendant mâle de cette noble famille fut Jean-Martin Tell, qui
mourut vers 168&. La Landsgemeinde décida en 1350 que tous les ans on prononce-
rait un sermon dans le lieu où était la maison de Tell, en mémoire éternelle des bien-
faits de Dieu et des heureux coups du héros; 38 ans plus tard, on bâtit une chapelle
sur le sol qu'avait occupé cette maison. — Walter Fûrst d'Attinghausen, beau-père
de Tell, fiit un des trois hommes du Grûtli. Ses concitoyens reconnaissants laissèrent
pendant près d'un siècle la fonction de landammann dans sa famille. Les Beroldingefh,
le&Sillinen, les Pûniinenj furent des familles qui occupèrent du là"" au IT'' siècle les
premières charges civiles et militaires du canton, et assistèrent à la plupart des
batailles livrées par la Suisse pour la défense de la liberté commune. Un Beroldingen
et un d'Attinghausen furent tués à Morgarten, un Sillinen à Sempach, un Pûntinen
à la bataille de Bellinzone, en 1&22 ; le landammann Arnold Schick à St.-Jacques.
Arnoldi commandait l'aile gauche des Suisses à Grandson en 1475. Dès lé 16*^ siècle,
plusieurs officiers du canton ont servi avec distinction en Espagne, en France, en
Portugal, à Rome, et sont parvenus aux plus hauts grades militaires. — Uri n'a pas
produit un grand nombre de savants et de littérateurs. Nous pouvons cependant citer
Melchior Acontius, poète latin; Vificent Schmidt, auteur d'une histoire du canton, et
qui périt en 1798 dans un combat contre les Français; Albert Altorfer, peintre et
graveur du 16* siècle; le peintre de portraits Diogg, né à Andermatt, et qui s'était
établi à Rapperschwyl ; le sculpteur Imhof, qui s'était fixé à Rome; les compositeurs
Zwjsig et Mûller; celui-ci est mort capitaine à Naples ; l'ingénieur Millier, frère de
ce dernier, s'est distingué par la construction des ponts et de la route du St.-Gothard
dans la gorge de Schœllenen.
Moeurs, Coutumes, Caractère. — Les habitants d'Uri sont très-attachés à leur
religion et aux coutumes de leurs pères; ils ont un amour ardent pour la liberté, et
un grand respect pour les anciens droits et pour la parole donnée. L'art du tireur est
resté toujours en honneur parmi eux. Ils sont intrépides dans le danger, probes,
moraux, francs envers leurs concitoyens; quoique bons et hospitaliers, ils sont froids
et réservés vis-à-vis des étrangers et des inconnus ; ils accueillent aussi avec défiance
les innovations ; du reste, ils s'inquiètent peu des événements du monde, pourvu
qu'ils ne portent pas atteinte à leur Uberté et à leur religion. Ils ont une certaine
indolence naturelle qu'on retrouve chez d'autres peuplades de montagnards vouées
à la vie pastorale. Un trait remarquable de leur caractère, c'est leur goût pour le
langage poétique ; les paysans se servent d'images pittoresques et d'expressions har-
dies, et un style semblable se retrouve même dans les publications du gouvernement.
Le peuple est un peu crédule et superstitieux, et toute foi aux génies des montagnes
11. 13 â6
202 LA 8VI88E PrrTORBSQL'K.
n'a pas encore cessé ; d'après les idées populaires, ces génies soulèveDl el dispersent
les tempêtes, veillent aux sources, aux cavernes, aux mines, égarent ou protègent
les chasseurs sur les sommets des rochers et au bord des précipices. Celte mythologie
des hautes Alfies a donné lieu à plusieurs légendes poétiques.
La misère inouïe dans laquelle fut plongé le peuple à la suite des guerres contre
les Français, fut une occasion qui fit éclater ses vertus. Les crimes et les délits restè-
rent extrêmement rares, et les prisons ne se remplirent pas. Le caractère national
se conserva mieux dans les vallées écartées de la circulation, que dans celle de la
Reuss. Déjà, à la fin du siècle dernier, les habitants de celle^i, enrichis par le passage
du St.-Gothard, n'avaient pas repoussé toutes les innovations du luxe, et le relâche-
ment des mœurs commençait à pénétrer chez eux. Cette aisance avait excité la
jalousie des populations voisines; aussi, lors du grand incendie de 4799, accouru-
rent-elles pour piller, tout en feignant d'être venues pour éteindre les flammes.
Altorf. — Le boui^ d'Altorf, chef-lieu du canton, est assez bien bftti ; il a de larges
rues, quelques places, et une jolie église ornée de beaux tableaux, entre autres d'une
Nativité, de Yan Dyck; dans une chapelle voisine, on voit une Descente au tom-
beau, de Garacci. Nous avons parlé de l'incendie qui détruisit Altorf le K avril 1799;
la perte fut estimée à trois millions d'anciennes livres; pareil désastre était déjà
arrivé en 1400, et une moitié du bourg avait aussi été la proie des flammes en 1693.
Ce qui intéresse le plus les voyageurs à Altorf, ce sont les souvenirs de Gtiillaïune
Tell ; on y voit, sur une des places, une fontaine surmontée de la statue de Tell, à
l*endroit même où il doit avoir bandé son arc pour percer la pomme; il a son arba-
lète sous le bras, et presse son fils contre son cœur, en levant fièrement les regards,
comme si Gessler était encore devant lui. A une distance de cent pas, est une autre
fontaine, ornée de la statue d'un magistrat d'Altorf, nommé Besler, qui l'a élevée à
ses frais sur l'emplacement qu'occupait le tilleul auquel fut attaché l'enfant ; cet arbre
tombait de vétusté, et fut enlevé en 1567. Quelques personnes ont prétendu que l'en-
f&nt fut attaché à l'endroit où s'élève une tour couverte de fresques grossières, repré-
sentant l'histoire de Tell et de Gessler; mais il est prouvé que cette tour existait déjà
à l'époque de Guillaume Tell. Altorf possède un hôpital destiné à recevoir les pauvres
voyageurs et à secourir les pauvres de la commune ; mais, faute de fonds suffisants,
l'administration n'a pu extirper la mendicité. Le nouvel arsenal est privé de beau-
coup d'anciens trophées, mais il s'y trouve encore des drapeaux pris à Morgarten et
à Sempach. Le couvent des capucins est situé sur une éminence; c'est le plus ancien
de la Suisse; il offre, ainsi que le pavillon voisin, nommé Waldeck, une belle vue sur
la vallée, sur ses riches vergers et sur les montagnes qui la dominent. Avant l'in-
cendie de 1799, on voyait près du pavillon les traces d'un château que Tschudi
croyait avec beaucoup de vraisemblance être les restes de celui dont la construction
fut commencée par Gessler. — Au nord d'Altorf est le village de Flûelen, qui lui sert
de port; c'est là qu'est l'embarcadère des bateaux à vapeur et que les voyageurs qui
arrivent de Lucerne trouvent des voitures pour monter au St.-Gothard. Derrière
l'église, on voit le petit château de Rudenz, qui appartenait autrefois à la fiimille
d'Attinghausen, qui avait reçu en fief de l'empire le péage établi en ce lieu.
Lac ou Golfe d'Uri. — On appelle ainsi la partie du lac des Quatre-Cantons située
en face de la vallée de la Reuss et comprise dans le territoire d'Uri. C'est la partie la
LA SUISSE PITTORESQUE. 903
plus sauvage du lac. Quand on vient de Lucerne et qu'on a dépassé la pointe de Treib,
on voit subitement s'ouvrir vers le sud le bassin de Flûelen, entre des montagnes
escarpées; à gauche, la Frohn-Alp et TAcbsenberg; à droite, le Seelisberg; dans le
fond on aperçoit plusieurs sommités couvertes de neiges, qui s'étagent majestueuse-
ment les unes au-dessus des autres. C'est le golfe d'Uri qui présente le plus de dangers
pour la navigation, lorsqu'on est surpris par une tempête violente; les rochers des-
cendent verticalement dans le lac, et l'on ne trouve qu'un petit nombre de places où
il soit possible d'aborder.
Le Grûtli. — Un peu au sud du promontoire de Treib et d'un rocher qui sort du
lac, qu'on nomme Mythenstein, est située la prairie escarpée du Grutli, au pied du
Seelisberg. On y voit une cabane habitée par des bateliers, et une autre qui recouvre
la place où jaillissent trois sources. C'est dans ce lieu que les trois libérateurs des
|)etils cantons se donnèrent plusieurs fois rendez-vous pendant la nuit ; c'est là que
ces hommes magnanimes jurèrent de rompre les fers de leur patrie. Plus tard, le
7 novembre 1307, chacun d'eux s'y rendit accompagné de dix autres patriotes. Les
trois chefs s'avancèrent au milieu de l'assemblée, jurèrent, les mains levées vers le
ciel, au nom du Dieu devant qui les empereurs et les paysans sont égaux, de tout
entreprendre et supporter en commun ; de ne pas souffrir, mais aussi de ne pas com-
mettre d'injustice; de ne faire aucun mal aux baillis, mais de mettre des bornes à
leurs actes arbitraires; enfin, de combattre courageusement pour la liberté, et de la
transmettre à leurs descendants. Les 30 autres confédérés répétèrent ce serment
solennel. On prétend que les trois sources jaillirent à la place même où étaient les
trois principaux conjurés. En (713, les trois cantons renouvelèrent leur vieille
alliance au Grûtli. Le Ift octobre 1798, dans des circonstances bien différentes, le
président du Grand Conseil et plusieurs représentants de la République helvétique s'y
rendirent aussi, pour célébrer par des discours et des chants la fête de la régénéra-
tion de la Suisse. Mais cette régénération n'eut pas la durée de l'ancienne Confédé-
ratioD.
Le Grutli est à quelques centaines de pieds au-dessus du lac. Quand on vient par
terre du canton d'Unterwald, on arrive dans le canton d'Uri par le village de Seelis-
berg, dont la position est magnifique. De ce lieu, élevé de 1000 pieds au-dessus du
lac, un étroit sentier descend & travers les bois vers le Grûtli. Un autre sentier suit
les hauteurs au-dessus du Grûtli, et mène à Âltorf par Bauen, Isleten et Seedorf. Non
loin de Bauen , on passe près du château de Beroldingen , manoir primitif d'une
famille de Souabe encore florissante. Ce nom n'est pas non plus éteint en Suisse.
Plateau et Chapelle de Tell. — À une lieue du Grûtli et sur l'autre rive du lac,
on voit une chapelle au pied d'une pente boisée du mont Âchsenberg. Devant cette
chapelle s'avance un quartier de roc. C'est là que Guillaume Tell, que l'infàmc
Gessler conduisait au château de Kûssnacht, et à qui l'on avait ôtc ses fers pour qu'il
guidât la nacelle pendant la tempête, s'élanga lestement sur la rive ; d'une main
vigoureuse, il repoussa la nacelle au milieu des flots; puis, prenant le devant par des
sentiers de montagne, il alla attendre le tyran près de Kûssnacht, dans un chemin
creux, où sa flèche le frappa mortellement. On a donné à ce roc le nom de Plateau ou
Saut de Tell (Tellenplatte ou Tellensprung). Trcntc-un ans après sa mort, ses compa-
triotes érigèrent une chapelle en ce lieu, ainsi qu'à Bûrglen, où il était né. L'an 1388,
204
LA SUISSE PITTORESQUE.
"**•
Chapelle de Guillaume Tell.
le vendredi après l'Ascension, on célébra pour la première fois la fête du héros dans
la chapelle, et il se trouva parmi les assistants H4 vieillards qui l'avaient connu.
Toutes les années encore, à pareil jour, on vient y dire une messe, et un grand nombre
de personnes assistent à cette cérémonie. En face de la chapelle, on voit le hameau
de Bauen et Touverture de la vallée d'Isenthal, célèbre par la résistance désespérée
que ses habitants opposèrent aux Français en mai 1798. Ils ne posèrent les armes
qu'à la suite d'une capitulation particulière. Au fond de cette vallée s'élève le Roth-
stock, qui touche aux glaciers des Alpes Surènes. Un sentier mène par le ool de
Schonegg (6380) à Wolfenschiess, vers le bas de la vallée d'Engelberg. De la cha-
l)elle de Tell on arrive à Flûelen, en côtoyant les précipices du mont Acbsenbei^g,
d'où descend le Mikhhach (Ruisseau de lait), qui sort d'un petit lac d'une Alpe voisine.
Vallée de la Reuss, Trou d'Uri. — En sortant d'Altorf, on passe un torrent fan-
geux qui descend de la vallée de Schfichen. En montant un peu sur la gauche, on
ne tarde pas à arriver au village de Bûrglen, lieu natal de Tell. Sur l'emplacement
de sa maison, l'on a construit, en 1388 selon les uns, en 1522 selon d'autres, une
chapelle dont les murs retracent les principaux faits de sa vie. De l'autre côté de la
Reuss est situé le village d'Attinghausen, avec les restes d'un château dans lequel
mourut en 1307 Werner d'Attinghausen, connu par le drame de Schiller; Walter
Furst, un des trois hommes du Grûtli, était de ce village, et l'on montre encore une
maison qu'on prétend lui avoir appartenu. Bientôt la route passe à Bôtzlingen, puis
à côté d'une grande prairie où s'assemble la Landsgemeinde. Elle se rapproche peu à
peu de la base de la Windgâllef, montagne aux formes hardies et aux flancs nus et
LA SUISSE PITTORESQUE. 205
escarpés. Vers le hameau de Klus, la vallée se resserre, et la route côtoie la Reuss.
Elle laisse sur la gauche le village de Sillinen, caché par des arbres fruitiers, et les
ruines du manoir des nobles de Sillinen, famille célèbre dans Thistoire. Plus loin,
sur une hauteur, se trouvent des restes de murs que quelques personnes prennent
pour les ruines de la forteresse de Zwing-Uri.
À la sortie d'Âmsteg commence la route du St.-Gothard proprement dite, qui a
9 à 10 lieues jusqu'à Airolo dans le Tessin. Après l'achèvement de la belle route du
Simplon, en 4806, celle du St.-Gothard, où passaient annuellement 9000 chevaux
chargés et 18 à 20,000 voyageurs, avait été peu à peu délaissée. Alors, le pauvre
canton d'Uri, menacé de la perte de son industrie, entreprit un ouvrage qui parais-
sait bien au-dessus de ses moyens; le roc fut taillé; onze ponts furent construits sur la
Reuss, et en 1830, après dix années de pénibles travaux, la route fut rendue prati-
cable pour les voitures. Cette route s'élève insensiblement en faisant de nombreux
contours, et ayant à sa gauche l'énorme pyramide du Bristenstock ; un des torrents
qu'elle franchit s'élance d'une gorge sauvage qu'on appelle Teufelsthal, ou Vallée du
diable ; dans l'espace de deux lieues, elle passe trois fois la Reuss, qui est profon-
dément encaissée, et qui tombe en mugissant de chutes en chutes. En quelques en-
droits, les avalanches accumulent dans le lit de la rivière de grandes masses de neige
qui ne disparaissent qu'au milieu de l'été. Le troisième pont s'appelle le Saut du
Moine (Pfaffèmprungjy parce que, d'après une légende, un moine, ayant une jeune
fille sous le bras, franchit en ce lieu la Reuss d'un seul bond. Après les villages de
Wasen et de Wattingen, la route passe et repasse la Reuss et arrive à GOschenen ;
près de ce village, on voit un énorme bloc de rocher, appelé Teufelssteinj ou Pierre du
diable. On raconte que le diable avait parié avec un moine de porter ce bloc à la
distance d'une lieue, mais que, se trouvant las, il fut obligé de jeter là son fardeau, et
perdit son pari. La vallée prend un caractère de plus en plus sauvage et se resserre
encore pour former la gorge effrayante des Schôllenen, longue d'une lieue et demie,
et dominée par d'immenses parois de granit ; le soleil n'y pénètre qu'au milieu du
jour, et l'on n'y entend que le mugissement étourdissant de la rivière, qui a donné
à la vallée le nom de Krachenthal, Vallée du fracas. Elle est très-exposée aux dévas-
tations des avalanches, et en quelques endroits on a taillé dans le roc des niches pour
protéger le voyageur ; on trouve aussi une galerie au lieu le plus dangereux ; de pe-
tites croix plantées le long de la route indiquent la place où des malheurs sont arrivés.
La route serpente d'une rive à l'autre, jusqu'au fameux Pont du Diable, dont le site
est extrêmement grandiose. La Reuss se précipite au-dessous du pont dans une gorge
profonde et effrayante, d'où s*élève sans cesse une fine poussière. Le nouveau pont
ne date que de 1830 ; on a laissé subsister l'ancien, qui est à vingt pieds au-dessous,
et qui est si étroit, que trois hommes peuvent à peine y passer de front; il n'a pas
de parapet, et son arche est large de 75 pieds. Des luttes opiniâtres eurent lieu ici en
1799 entre les Autrichiens et les Français, puis entre ceux-ci et les Russes. Immé-
diatement après le Pont du Diable, la route traverse le Trou d'Uri, Vrnerhch, ga-
lerie de 180 pieds de longueur, Ift de hauteur et 16 de largeur, qui fut ouverte dans
le roc vif en 1707, et qui fut longtemps admirée comme une œuvre extraordinaire.
Autrefois on contournait les précipices du Teufehberg, Mont du Diable, sur des ponts
hardis, suspendus au moyen de chaînes.
906
U StlME PITTOIIESQIR.
Vallée o'Urseren, St.-Gothard, Furka. — Au sortir de la sombre voùle de la ga-
lerie, la vue, fatiguée durant bien des heures de Taridité des rochers et de la tristesse
(les gorges sauvages, se repose avec délices sur la paisible et verdoyante vallée d*Ur-
seren. Avant de s engouffrer bruyamment entre des précipices, la Reuss y serpente au
milieu de belles prairies. Il serait difBcilc de trouver un changement de scène plus
frappant. Cette vallée a vraisemblablement été occupée par un lac avant que la Reuss
se fàt ouvert un passage. Longue d^environ trois lieues, et large d*un quart de lieue,
elle est entourée de hautes montagnes en partie couvertes de neige ; elle est élevée de
^450 à 4700 pieds; aussi Thiver y dure-t-il huit mois, et il n'est pas rare qu'il
faille y fiiire du feu en été. La seule forèl qu'on y voie est sur la pente du mont
Sainte-Anne, qui domine Andermatt. Elle a été éclaircie en 1799 par les Français,
les Autrichiens et les Russes ; mais on la ménage avec soin, car elle protège le village
coïïive les avalanches. L'église, qui porte le nom de St.-€olomban, doit avoir été
bâtie par les Lombards. Un sentier facile, mais un peu triste et monotone, conduit par
la vallée d'Oberalp dans le canton des Grisons ; le col est situé entre le Crispait et le
Baduz, et élevé de 6350 pieds. Un sentier difficile conduit dans le Tessin par le vallon
«rUnteralp et le val Canaria.
A trois quarts d'heure d'Andermatt, on trouve le village d'Hospital, qui est placé
au pied de la montée même du mont St.-Gothard. Il reste encore 4900 pieds à gravir
|K)ur atteindre le sommet du passage. La route s'élève contre le flanc de la montagne
en remontant le bras de la Reuss qui sort du lac Luzendro ; on la traverse pour la
dernière fois sur le pont de Rodunt, place près de la limite du Tessin. L'hospice est à
une demi-lieue plus loin : il est au milieu d'un vaste plateau ondulé, élevé de
6400 pieds, d'où les neiges ne disparaissent que vers la fin de juillet, et que plu-
sieurs sommités dominent encore de 2 à 3000 pieds. Un ancien hospice fut détruit
par les avalanches; le nouveau a été construit aux frais du canton du Tessin ; il est
tenu par un prêtre; non loin de l'hospice, on trouve aussi une auberge, ainsi que la
chapelle des morts, où Ton conserve des ossements provenant des guerres de 1799. Le
Hospice du Sl.-(>olhtrd.
LA SUISSE PITTORESQUE. 207
passage du St.-Gothard n'est pas sans danger en hiver, soit à cause des avalanches
qui tombent surtout dans les gorges au-dessous d'Urseren, soit à cause de l'énorme
quantité de neige qui recouvre le plateau. Il se passe rarement une année sans que
quelques voyageurs y périssent. Après les grandes chutes de neige, le passage reste
quelquefois interrompu, mais cela dure rarement plus d'une semaine.
Le chemin d'Urseren au Vallais conduit par le cbétif hameau de Réalp, dont la
hauteur est de &730 pieds. Ce hameau fut anéanti en 1733 par une énorme ava-
lanche; 36 individus périrent sous les décombres. Il fut menacé du même malheur
en mars 4817, mais les avalanches tombèrent de tous les côtés autour du village
sans l'endommager. On logeait autrefois chez les capucins ; on y a récemment établi
un hAtel. De là, il reste encore trois heures de montée pour atteindre le sommet de
la Furka, élevé de 7795 pieds, et qui n'est jamais complètement dégarni de neige.
On y voit à droite le Galenstock (11,300 pieds), à gauche le Mutthorn (9S50).
Vallées latérales. — Nous avons déjà parlé de la vallée d'isenthal, voisine du
lac. Les autres vallées qui débouchent sur la rive gauche de la Reuss, sont : Celle de
Gôschenen^ qui est étroite et peu intéressante à son entrée ; mais, après avoir marché
deux ou trois heures au milieu des débris, puis dans une forêt sauvage, on arrive
sur une alpe magnifique, entourée de grands glaciers et des hautes sommités du
Galenstock, du Winterberg, du Sustenborn, du Spitzliberg, et du Spitzberg. Le
hameau de Gôschenenalp est habité toute l'année. Plus haut, on trouve une cristal-
lière, la Sandbalm, qui a été jadis très- riche en minéraux. — Le MayerUhalj qui
communique avec le canton de Berne par le Sustenpass (6981 pieds) ; sa population
ressemble un peu à celle du Hasli. Au-dessus de Wasen, près de Majef^chanz (Re-
doute de Mayen), il y avait autrefois une redoute, qui fut établie lors des guerres
religieuses; elle fut détruite par les Français. — La vallée A'Erstfeld, qui s'ouvre
vis-à-vis de la Klus, est très-remarquable ; elle aboutit au grand glacier du Schlossberg ;
on y voit la superbe cascade du Faulenbach, et deux petits lacs, dont l'un baigne le
pied d'un glacier. — D'Âttinghausen ou de Ribshausen, on monte dans un vallon
qui conduit au col des Alpes Surènes (7315). Ce passage, par lequel on se rend
dans la vallée unterwaldoise d'Ëngelberg, offre de belles vues sur les glaciers des
Spanôrter, du Titlis, etc.
Sur la rive droite de la Reuss les principales vallées sont : Le val Maderan, qui
s'ouvre à Amsteg entre la Windgâlle et le Bristenstock. Cette vallée intéressante
aboutit aux vastes glaciers des Alpes Glarides, qui touchent à ceux de la Sandalp au
canton de Claris. Celui de Hûfi peut être comparé à celui du Rhône. Un vallon latéral
se dirige au sud vers le Crispait, et conduit au passage difficile du Kreuzlipass, ou
Col de la petite croix (7100), qui confine avec les Grisons. Quelques milliers d'Âu-
tricbiens l'ont franchi en 1799. — Enfin la vallée de Schàchen, qui commence à
Bùrglen, est habitée par une peuplade à la taille élancée, et qui est regardée comme
la plus belle race d'hommes du pays. On y voit plusieurs belles cascades, entre autres
celleduStftubi, au pied du col de la Balmwand qui conduit à Claris. Du côté du nord
est le col du Kinzig-Kulm, devenu célèbre par le passage des Russes.
CANTON DE SCHWYTZ,
Situation, Etendue, Climat. — Le canlon de Schwytz est limité au nord par le
lac de Zurich, à Test par les cantons de St.-Gall et de Claris, au sud par le canton
d*Uri et le lac des Quatre-Cantons, à Touest par les cantons de Luceme, Zug et
Zurich. Sa superficie totale est de 40 lieues carrées, et sa population de &4,468 habi-
tants. La partie méridionale du pays (Schwytz, Gersau, et la vallée de Mouotla),
vu sa position à Tabri des vents du nord, jouit d'un climat plutôt doux, quoique sujet
à de grandes variations de température. Schwytz se trouve en outre exposé aux at-
teintes du fbhn, qui arrive par le golfe d'Uri. Mais il n'y a point dans le canton de
contrées insalubres comme dans celui d'Uri, et la population y a partout un air très-
vigoureux.
Montagnes, Vallées, Rivières. — Les montagnes du canton de Schwytz n'at-
teignent qu'une hauteur moyenne. Les deux chaînes qui le séparent des cantons
d'Uri et de Claris ne dépassent que sur quelques points celle de 7000 pieds. Tels sont le
Rosstock près de l'Achsenberg, 7700; le Reiselh 8632; le Mutriberg, 7110. De la
chaîne gîaronaise partent deux ramifications qui traversent l'intérieur du canton ;
dans la plus méridionale on trouve les Miesern, 6990 ; le grand et le petit Mythen
(ou sommets du Haken), B860 et 5586; dans la seconde, le Fluhbrig, 6470:
YAubrig, 5239; et près du lac de Zurich, le mont Etzel, 3310. De cette disposition
des montagnes il résulte que le canton comprend trois vallées principales : celle
arrosée par la Momtta, qui prend sa source à la frontière de Claris et se verse
dans le lac des Quatre-Cantons à Brunnen ; la vallée qui s'étend de Schwytz au lac
de Zug n'en est que le prolongement ; celle à'Eimiedlen^ où coule la SiU, qui a sa
source sur la Sihl-Àlp, au nord du mont Miesern, et va se jeter dans la Limmat, au-
dessous de Zurich ; enfin, la vallée de WcBggiy où coule la petite rivière de l'^la^ qui
se jette dans le lac de Zurich près de Lachen. Le canton possède encore une partie
de la vallée de la Linth, et le cours de cette rivière lui sert de limite sur une Ion-
LA SUISSE PITTORESQUE. 209
gueur de près de deux lieues. — On trouve en outre, dans le canton de Schwytz,
deux ou trois montagnes isolées: la chaîne du Rigi ou Righi, longue de quatre
lieues, entre Schwytz et le golfe de Kûssnacht, et dont Je point culminant est élevé
de 5550 pieds ; le Rossberg, entre le lac de Zug et celui d'Egeri, 4870 ; et le Hohe-
Rohne, au sud de la Sihl, 3650. Au sommet de cette montagne viennent aboutir
aussi les cantons de Zug et de Zurich. Plusieurs de ces monts, le Righi, le grand
Mythen, TEtzel et le Hohe-Rohne, sont renommés pour leurs vues étendues.
Lacs. — Le canton possède la partie des rives du lac des Waldstœtten comprise entre
le promontoire appelé Nase supérieure ei le village de Sissigen, au pied de TÂcbsenberg,
ainsi que le fond du golfe de Kûssnacht; une partie des rives du lac de Zurich avec
les deux petites îles d*Ufenau et Lûtzelau, situées vis-à-vis de Rapperschwyl, lui ap-
partient aussi, de même que la rive méridionale du lac de Zug. Entre Schwytz et
Arlh, on trouve le petit lac de Lowerz, long de près d'une lieue et large d'un quart
de lieue; il a 54 pieds de profondeur, et il gèle tous les hivers ; il en sort un ruisseau
qui se jette dans la Mouotta. On peut nommer encore le lac de la Glatt-Alp, qui
fournit une des sources de la Mouotta.
Bains, Eaux minérales. — On trouve à Seewen, au bord du lac de Lowerz, une
source ferrugineuse et un établissement de bains assez bien tenu depuis quelques
années, et que Ton fréquente pendant la belle saison. 11 en est de même de l'établis-
sement de Nuolen, sur les bords du lac de Zurich, dont les sources sont alumineuses ;
leur efficacité leur mériterait une plus grande vogue. Il existe à Yberg une source
sulfureuse abondante, qui coule dans une fontaine pour l'usage du public; on pour-
rait en tirer un plus grand parti. Sur la pente nord du Haken, non loin de l'auberge,
jaillit une eau sulfureuse dont on a fait usage autrefois. Sur la route de Gersau, au
sommet du Righi, on rencontre l'établissement de la Righi-Scheideck, avec une
source ferrugineuse. Nous avons mentionné ailleurs le Kaltbadj Bain froid, situé sur
le territoire lucernois près du Righi-Kulm.
Histoire naturelle. — Règne animal. La race bovine du canton est renommée et
passe pour la plus belle de la Suisse; 20,000 tètes de gros bétail paissent en été sur
les alpes de Schwytz, et il s'en vend chaque année quelques milliers; il n'en reste
que 14 à 15,000 en hiver. Les vaches sont noirâtres ou brunes, ont les jambes
courtes, et la peau mince. Elles sont inférieures pour la taille à celle du Simmenthal
et de la Gruyère ; mais les plus gros bœufs qu'on ait vus en Suisse ont été élevés dans
la vallée de la Sihl; ils vont jusqu'à SOJquintaux. Les moutons, les chèvres et les
chevaux sont en nombre beaucoup moins considérable ; Einsiedlen élève cependant
el exporte de bons chevaux. On ne trouve dans le canton que très-peu d'animaux
sauvages ; les chamois n'y paraissent que sur les hautes montagnes frontières de
Olaris; la marmotte n'habite que dans quelques endroits élevés, tels* que les alpes
du vallon de Bisi. Les lacs sont très-poissonneux ; la Sihl et la Muotta fournissent
d'excellentes truites.
Règne végétal. L'agriculture est peu développée dans le canton, bien que plusieurs
contrées y soient très-fertiles, telles, que les environs de Schwytz, d'Arth et de
Lacben. Mais on y préfère la vie pastorale, comme plus commode et soumise à moins
de chances; aussi, ne voit-on guère dans le canton que des pâturages et des prai-
ries. On culUve cependant des céréales et des pommes de terre, etc., à Sleinen, à
u, 14. 27
210 LA susse PITTORESQUE.
Sattel, et dans la Marche, district de Lachen. On voit aussi dans le canton une
grande quantité d'arbres fruitiers, surtout près de Schwytz, et dans la Marche, qui
n>st jusqu'à mi-cdte des montagnes qu'un vaste verger; aussi, au printemps, Tairy
est-il embaumé, et la contrée présente-t-elle un coup-d'œil charmant. 11 croit quelques
vignes près du lac de Zurich, surtout près de Pfipffikon et Wollerau ; il y a aussi
quelques treilles à Gcrsau. Il y aurait, près de Schwytz, des expositions très-favo-
rables à cette culture, si le fôhn ne venait au printemps activer trop tôt la végéta-
tion, qui souffre ensuite des retours du froid. Le canton possède encore de grandes
forêts, surtout dans le district de Schwytz et sur les hauteurs qui dominent le lac de
Zurich. On y voit aussi de vastes tourbières, particulièrement près d'Altmalt et
d'Einsiedlen. Les montagnes de Schwytz abondent en plantes alpines, mais la flore y
est cependant moins riche que dans le canton d'Uri, vu l'élévation moindre des som-
mités. Sur les revers méridionaux, et particulièrement sur celui du Righi, on ren-
contre un assez grand nombre de plantes des pays chauds.
Régne minéral. La plus grande partie des montagnes du canton sont composées de
couches de brèche alternant avec des couches de grès; tel est en particulier le Righi,
qui est une des montagnes les plus intéressantes pour le géologue ; la brèche con-
tient des cailloux roulés de toutes grandeurs, depuis celle d'un grain de sable jusqu'à
des blocs de 50 pieds cubes. Ces cailloux sont liés entre eux par une pâte de grès à
grains grossiers, mêlée d'un ciment calcaire si solide, que lorsqu'on casse la brèche,
on parvient plutôt à rompre ses fragments de pierre qu'à les en détacher. Les pierres
roulées qu'on trouve dans ces brèches sont très-diverses : granit, gneiss, porphyre,
schiste siliceux, silex, roche calcaire primitive ou commune, etc. ; un grand nombre
de débris sont rougeàtres, argileux et imprégnés de fer; leur décomposition teint en
rouge le ciment de la brèche, et colore en violet-rouge les flancs des rochers. Sur le
revers méridional du Righi, on voit aussi quelques couches calcaires d'un gris foncé.
Le calcaire domine dans la chaîne qui touche au canton d'Uri. Les montagnes de
Schwytz, surtout celles du Wu^{;githal, contiennent beaucoup de fossiles et de pétri-
fications très-curieuses. On trouve du marbre près de Schwytz et d'Einsiedlen, dans
le WsBggithal et ailleurs; on exploite des carrières de calcaire près de Seewen, et
de mollasse sur le mont Etzel.
• Antiquités. — Les seules traces de la domination romaine dans le canton sont des
monnaies trouvées en divers lieux, à Altmatt, dans le Mouottathal, sur l'Ybergeregg,
etc. ; enfin, il y a une vingtaine d'années, on a trouvé à Kûssnacht 4000 pièces de
cuivre, la plupart de l'empereur Gallienus, des années 259 à 268. Mais les restes du
moyen-âge sont encore assez nombreux ; ainsi l'on voit, dans l'île de Schwanau,
une tour carrée qui appartenait au château détruit en 1308. Une grande masse de
décombres indique la place qu'occupait celui de Brunnen ; il en est de même du ma-
noir de la famille Reding à Biberegg. 11 reste encore une tour des châteaux de Rothen-
Ihurm et de Schorno. Dans la Marche, on voit celui de Grynau, sur les bords de la
Linth, et près d'Altendorf les ruines de celui du Vieux-Rapperschwyl, etc.
Histoire. — Comme les habitants d'Uri, ceux de Schwytz furent, à ce qu'on croit,
convertis au christianisme par St. -Béat. Il paraît qu'au commencement du 9^ siècle
ils se placèrent sous la protection du roi Louis-le-Germanique, en faisant la réserve
de toutes leurs anciennes franchises. En 1114, un différend s'éleva entre eux et l'abbé
LA SUISSE PITTORESQUE. 2H
(l'Einsiedlen au sujet des limites de leurs pâturages. La sentence inique rendue par
l'empereur Henri V les engagea à contracter, l'année suivante (suivant d'autres en
il47), avec Uri et Unterwald, un traité d'alliance, qu'on peut regarder comme la
base de la Confédération helvétique*. Ayant refusé de se soumettre, ils furent excom-
muniés et mis au ban de l'empire. La sentence fut maintenue en 1144 par l'empe-
reur Conrad 111, et ils étaient menacés des vengeances impériales, lorsque ce prince
mourut en 1152. Son successeur, Frédéric Barbcrousse, appuya leurs réclamations,
et leva l'interdit. Pour lui témoigner sa reconnaissance, Schwytz lui envoya, en
ilS5, lorsqu'il alla en Italie combattre ses ennemis, un corps auxiliaire de 600
hommes, commandé par Ulrich de Lenzbourg ; ce ne fut qu'après la réconciliation
de l'empereur avec le pape Alexandre 111, que l'excommunication fut levée. En
12S1, Schwytz s'allia avec la ville de Zurich, afin de pourvoir à sa sûreté pendant
l'interrègne anarchique qui suivit la mort de Frédéric 11. En 12S7, ils prirent pour
protecteur le comte Rodolphe de Habsbourg, qui plus tard, fut élevé à la dignité im-
périale. Mais Âlhert, fils de Rodolphe, envoya dans les Waldstœtten des baillis qui
gouvernèrent despotiquement et donnèrent lieu à la conspiration du Grûtli, laquelle
eut pour suite l'affranchissement des trois cantons (voyez l'article Uri).
A cette époque, le canton de Schwytz n'avait pas la moitié de l'étendue qu'il a
maintenant ; ce ne fut qu'au 15* siècle qu'il acheta Arth et Kûssnacht ; en 1408, les
Appenzellois, en reconnaissance des services qu'il leur avait rendus, lui cédèrent le
district de la Marche, qui avait appartenu à l'Autriche. En 1440, il conquit sur les
Zuricois le petit pays situé sur les bords du lac de Zurich, à l'ouest de la Marche, et
connu sous le nom des Fermes ou Métairies, Hôfe. Plus lard, il acquit la vallée d'Ein-
siedlen. Ces divers districts furent gouvernés comme pays sujets. Pendant les siècles
qui suivirent, Schwytz prit part aux guerres que les Suisses eurent à soutenir contre
des souverains étrangers, ainsi qu'aux guerres civiles qui éclatèrent dans le sein de
la Confédération. En 1798, cette peuplade de bergers brava la puissance de la Répu-
blique française et résista avec un héroïsme digne des temps antiques aux bataillons
de Schauenbourg. On vit alors sa population toute entière, depuis l'enfant jusqu'au
vieillard, prendre les armes pour repousser les Français et la Constitution unitaire
qu'ils voulaient imposer au canton. On vit même les femmes, vêtues de sarreaux,
s'atteler à des canons transportés de Lueerne à Brunnen, et les amener aux combat-
tants. WoUerau, Rothenthurm, Arth, Morgarten et le mont Elzel, virent des pro-
diges de valeur. Dans toutes ces affaires, les Schwytzois étaient commandés par
Aloys Reding, capitaine-général du pays. Le général français rendit justice au cou-
rage des vaincus et de leur digne chef, et accorda une capitulation honorable, qui fut
acceptée le 4 mai par la Landsgemeinde armée ; une centaine de citoyens persistèrent
à la repousser. Schwytz dut accepter la Constitution helvétique et faire partie du
canton des Waldstœtten. Les districts de Wollerau et Pfseffikon furent détachés et
réunis au canton delà Linth. L'année suivante, l'approche des armées ennemies des
Français inspira aux Schwytzois l'espoir de secouer le joug de ces derniers. Le
28 avril fut fixé pour leur anéantissement dans le district de Schwytz. On se battit
1. On ne connaît pas d'une manière certaine la date de cette première aUJanccqui fut rendue
perpétneUa le 1*' août 1291, puis renouvelée le 19 décembre 1315. C'est le docteur Lusser d'Ori
qui indique Tan 1147.
212 LA SUISSE PITTORESQUE.
dans les rues du bourg, et les Français furent obligés de s*embarquer à Brunnen;
mais le général Soult ne tarda pas à entrer par le nord du canton, et arriva le 3 mai
à Schwytz. La même année, le canton fut traversé aussi par des armées autrichiennes
et russes, qui y livrèrent plusieurs combats aux Français. Souwarow dut se retirer
par le col du Pragel vers le canton de Claris, pour se diriger de là vers les Grisons.
En automne 1802, Aloys Reding fut élu premier landammann du nouveau canton
des Waldstœtten. Mais lorsqu*on vint à voter sur la Constitution helvétique du
20 mai 1802, on compta à Schwytz S317 rejetants contre 150 acceptants; 28 élec-
teurs seuls s'étaient abstenus. Le 30 juillet, le commissaire fédéral Keller trouva à
Schwytz une vigoureuse résistance contre les mesures du Couvernement helvétique.
Bientôt, Schwytz, de concert avec Uri et Unterwald, déclara se séparer de la Répu-
blique helvétique. Plus tard, quand l'insurrection se fut étendue aux cantons de
Berne et d'Ârgovie, il se tint à Schwytz une Diète des trois cantons et de ceux de
Claris et d'Âppenzell. Cette Diète promit que tous les droits nouveaux accordés aux
populations seraient maintenus, et invita tous les anciens cantons à envoyer leurs
députés à Schwytz. Le 8 octobre, la Diète s'adressa au Premier Consul, dans le but de
réclamer pour la Suisse le droit de se reconstituer elle-même; mais quand les Fran-
çais s'avancèrent de nouveau dans l'intérieur de la Suisse, la Diète se sépara, en dé-
clarant qu'elle regardait le Couvernement helvétique comme imposé par la France.
Enfin, par l'Acte de médiation, le canton de Schwytz fut rétabli; mais l'égalité des
droits fut maintenue pour les anciens districts sujets, et Cersau resta annexé au
canton. A la suite de cette époque désastreuse, une grande partie de la population
de Schwytz avait été réduite à la misère ; les maisons avaient été pillées, les four-
rages enlevés, beaucoup de bestiaux emmenés par les troupes ou employés à leur
usage; 236 citoyens avaient péri dans les combats de 1798 seulement. Mais le
canton s'est remis assez promptement de ses désastres; car c'est l'avantage des
peuples pasteurs sur ceux qui se vouent principalement à l'agriculture et au com-
merce : n'ayant d'autres richesses que leurs chaumières, leurs troupeaux et leurs
pâturages, ils souffrent beaucoup plus que les autres des calamités de la guerre,
mais leurs plaies sont plus facilement guéries.
En 1814, quand la majorité des cantons reconnaissaient la Diète assemblée à
Zurich, il y eut pendant quelque temps à Lucerne une Diète particulière, où étaient
représentés les trois Petits-Cantons, Berne, Lucerne, Zug, Fribourg, Soleure; sur l'in-
vitation pressante des ambassadeurs étrangers, la plupart de ces cantons envoyèrent
enfin leurs députés à Zurich; mais Schwytz persista à s'y refuser, ainsi que Nidwald.
Enfin, le 30 avril 1815, la Landsgemeinde accepta le nouveau Pacte, sous quelques
conditions; mais Schwytz restreignit les droits des districts extérieurs ou ci-devant
sujets, soit la Marche, Pfaenikon, WoUerau, Einsiedlen et Kûssnacht, sous prétexte
que quand il avait accordé l'égalité, le peuple n'avait pas été libre, mais était con-
traint par les circonstances. Lorsqu'en 1830 et 1831 des changements politiques
eurent lieu dans plusieurs cantons aristocratiques, ces districts extérieurs réclamèrent
l'égalité qui leur avait été octroyée en 1798, et, malgré l'opposition de l'ancien pays,
ils rédigèrent une Constitution particulière, qui fut acceptée par eux le 6 mai 1832.
En même temps, l'ancien canton s'opposait formellement à la révision du Pacte de
181 S, que demandait une partie des Etats; et pendant qu'une Commission de la Diète
LA SUISSE PITTORESQUE. 213
travaillait à Lucerne à élaborer un projet de Pacte, les députés des trois Petits-Can-
tons, de Bàle et de Neuchàtel, s'assemblèrent à Sarnen pour protester; ces cantons
s'abstinrent de la Diète tenue à Zurich en mars 1833, sur le motif qu'on avait admis
une représentation de Bàle-Gampagne. Deux sommations adressées à ces cantons
étant restées sans effet, la Diète admit alors, le 25 avril, des députés des districts exté-
rieurs. Le district de Kûssnacht n'étant pas unanime pour sa réunion aux districts
extérieurs, un corps de 600 hommes de l'ancien canton y fut envoyé, le 31 juillet,
pour appuyer les citoyens qui prenaient parti pour celui-ci. Le l''' août, la Diète ré-
solut de faire occuper le canton par des troupes fédérales, et le 8 août cette occupa-
tion fut effectuée sans résistance ni effusion de sang ; le 19, les députés de Schwytz
se présentèrent enfin à la Diète de Zurich. Le 17 août, des délégués de tous les dis-
tricts se réunirent à Schwytz, et il fut convenu qu'une Constituante, nommée par tous
les districts, élaborerait une Constitution. Le 29, les Landsgemeindes de tous les dis-
tricts acceptèrent le projet de Constitution, à la majorité de plus des deux tiers. Enfin
une Landsgemeinde cantonale, tenue à Rothenthurm le 13 octobre, prêta serment à
la Constitution, et élut les trois premiers magistrats du pays.
Trois ou quatre ans plus tard, la Diète dut intervenir de nouveau pour pacifier le
canton, qui s'était divisé en deux partis, les Klauenmànner ou libéraux, et les
Hommânner ou conservateurs. Schwytz, ainsi qu'Uri et Unterwald, fut au nombre
des cantons qui protestèrent en 1843 contre la suppression de quelques couvents
d'Ârgovie. Lorsque Lucerne, en 1844, voulut appeler les jésuites, Schwytz, qui avait
lui-même depuis quelques années un établissement de cet ordre près du chef-lieu,
prit parti contre les cantons qui formèrent opposition. 11 entra donc dans la ligue du
Sonderbund ; mais, après l'occupation de Lucerne, il dut aussi capituler, et il fut
occupé par les troupes fédérales le 28 novembre 1847. Le canton a dû ensuite se
soumettre à la Constitution fédérale, acceptée par la majorité de la Suisse en 1848.
Dès-lors, Schwytz a marché dans une voie modérée et progressive; la cause des amé-
liorations administratives et législatives y a été prise en main par des hommes ca-
pables et influents. Toutefois, une grande partie du peuple conserve beaucoup de
défiance pour les innovations. Ainsi les journaux ont annoncé que diverses lois
constitutionnelles soumises au peuple en février 1855, ont été repoussées.
Constitutions. — D'après le Pacte de 1815^ toutes les Constitutions cantonales
devaient être soumises à la garantie fédérale. Malgré plusieurs invitations de la part
de la Diète, ce ne fut qu'en juillet 1821 que Schwytz déclara que jusqu'à l'époque de
la Médiation il n'avait pas eu de Constitution écrite, mais qu'il se gouvernait d'après des
usages remontant à plusieurs siècles, ainsi que d'après les lois existantes et les arrêtés
de la Landsgemeinde ; et il se borna à soumettre à la garantie un petit nombre d'ar-
ticles énonçant les principales bases de sa Constitution. La Landsgemeinde générale
s'assemblait à Schwytz tous les deux ans, le premier dimanche de mai ; elle se compo-
sait de tous les citoyens du canton âgés de plus de 16 ans. Elle élisait à mains levées
le landammann, le statthalter, le trésorier, le banneret et l'inspecteur de l'arsenal,
ainsi que les députés à la Diète; elle délibérait sur les concordats, les déclarations
de guerre et les traités de paix, et sanctionnait les lois générales. La Landsgemeinde
de chaque district se réunissait une fois par an, pour nommer ses magistrats et
faire les ordonnances de sa compétence. Le Landrath ou Conseil cantonal était
214 LA SUISSE PITTORESQUE.
composé des principaux magistrats et de 96 conseillers, donl 60 nommés par
le district de Schwytz, 6 par celui de Gersau, et 30 par les autres districts
(Schwytz et Gersau ne comprenaient cependant pas la moitié de la population du
pays). Un Landrath double jugeiiit les cas capitaux ; un Landrath triple s'assemblait
deux fois par an pour donner des instructions aux députés à la Diète et entendre leur
rapport. Le Tribunal cantonal, composé dans la même proportion que le Landrath,
jugeait en dernier ressort les procès civils dont on appelait des tribunaux de district.
Chaque commune avait un Conseil d*Ëglise ou communal, s'occupant de Tadminis*
tration de T Eglise et de la commune, des affaires de tutelle et de pauvres. Les
membres en étaient nommés par TAssemblée communale, qui décidait elle-même
les affaires importantes.
D'après la Constitution de 1833, la Landsgemeinde générale, composée de tous les
citoyens depuis T&ge de 18 ans, se tient tous les deux ans, à RothetUhurm, le premier
dimanche de mai, ou, en cas de mauvais temps, Tun des dimanches suivants. Elle
nomme lelandammann, le statthalter et le trésorier ( les deux premiers ne sont pas
rééligibles immédiatement); elle vote sur les lois proposées par le Grand Conseil, et
donne les instructions pour les députés en Diète. Un Grand Conseil, composé de
108 membres, nommés par les districts proportionnellenienl à leur papiUaiion, est
élu pour six ans et renouvelé par tiers. Un Conseil d'Etat est composé des trois
premiers magistrats et de 36 membres, répartis entre les districts d'après leur
population. 11 y a en outre une Commission Executive, composée du landam-
mann et de cinq membres pris dans le Conseil d'Etat. Les autorités de district sont :
la Landsgemeinde particulière, qui s'assemble tous les ans ; le Conseil de district,
pouvoir exécutif et dans certains cas judiciaire; et le Triple Conseil, pouvoir délibé-
rant. 11 y a en outre un Tribunal cantonal, des tribunaux de districts et des justices
de paix. Plusieurs changements constitutionnels ont été présentés à la sanction du
peuple en février 185S; mais le peuple a repoussé une loi sur les communes, une
loi qui réduisait le nombre des membres du Conseil exécutif et simplifiait l'adminis-
tration, etc. ; il a seulement accepté les changements qu'on lui proposait dans le but
de simplifier l'organisation judiciaire.
Instruction publique. — On accorde plus de soins qu'autrefois à l'instruction pu-
blique depuis la Constitution de 1833, laquelle a prescrit que l'Etat devait pourvoir
à l'éducation du peuple. Il y a dans chaque district une Commission scolaire, mais
ces commissions ne sont pas très-actives. Chaque commune a une école; les maîtres
sont ecclésiastiques ou laïques. L'instruction n'est gratuite que dans quelques corn-
munes. Sauf dans les principaux endroits, les leçons ne se donnent que pendant cinq
à six mois d'hiver ; mais tous les enfants ne fréquentent pas les écoles, soit à cause
de la distance, soit manque de moyens pour payer l'écolage. Il y a aussi un petit
nombre d'écoles privées, entre autres une école de jeunes filles à Schwytz. On a
institué dans le district de Schwytz une Société scolaire, dont sont membres les
maîtres et les amis des écoles. Il existe à Einsiedien un établissement pour les
sourds-muets, fondé par un maître d'hôtel dont la fille était affligée de cette infirmité,
et qui prit la peine d'étudier une méthode, afin de pouvoir l'instruire. — Schwytz
possède un Gymnase, où enseignent trois professeurs ; les élèves, au nombre de vingt
ii. vingt-cinq, sont répartis en six classes; on y apprend la géographie, le latin»
LA SVIS8B PITTORESQUE. SIS
l'allemand, la rhétorique, un peu d'histoire, etc. Il y a aussi, dans le couvent
d'ËinsiedIen, un Lycée où professent six ecclésiastiques; les élèves sont au nombre
de trente à quarante, dont une partie aspirent au noviciat, et on y enseigne le
français, le grec, la physique, la musique, mais surtout le latin et la théologie.
Clilte, Couvents. — La religion catholique est seule professée dans le canton, qui
dépend de Tévéché de Coire. On y compte trente églises paroissiales, dont la plus
ancienne doit être celle d' Yberg, et en outre six couvents : Tabbaye d'Einsiedlen ou
de Notre-Dame des Ermites, de Tordre des bénédictins, et dont Tabbé a le titre de
prince, devenue célèbre par ses richesses et par la foule de pèlerins qu'elle attire ;
Tabbaye de femmes du même ordre, établie à Au, près d'Einsiedlen j deux autres ab-
bayes de femmes. Tune de Tordre St.-François, dans la vallée de Mouotta ; l'autre
de Tordre St. -Dominique, à Schwytz ; et deux couvents de capucins, l'un à Schwytz,
le second sur le Righi. Il y a eu aussi, pendant quelques années, un établissement de
jésuites à Schwytz, mais les prêtres de cet ordre ont dû quitter le canton en 1847.
Commerce, Industrie. — La plus grande partie de la population se voue à la vie
|)astorale. La principale exportation consiste en & à 5000 têtes de gros bétail, dont
le produit est évalué à plus de 1,S00,000 francs (nouveaux). On emporte aussi un
])eu de petit bétail pour les cantons du nord, et Einsiedien envoie un certain nombre
de chevaux en Italie. Une grande partie des fromages s'exporte aussi; mais ils ne
jouissent pas de la même réputation que le bétail, car une partie des pâturages de
Schwytz, tels que ceux du Pragel, du Haken, du Rossberg, ne sont pas comptés au
nombre des plus gras des environs. Le commerce de Schwytz comprend encore des
eaux-de-vie, une grande quantité de tourbe envoyée d'Einsiedlen à Zurich, et les
produits des fabriques. Gersau possède des fabriques de coton et de soie, particuliè-
rement de rubans. Brunnen a une filature de soie, appartenant à une société de
Cersau, et comptant 450 à 200 ouvriers. La Marche possède deux filatures;
Wollerau a une filature et une papeterie, et Einsiedien plusieurs imprimeries, qui
font paraître et débitent des livres de prières et d'édification en diverses langues, en
allemand, français, latin, italien, rhétien. Il y aussi un commerce de transit. Les
marchandises arrivant de Zurich par le lac jusqu'à Waedenschwyl, traversent le
canton jusqu'à Brunnen, et sont transportées par eau à Fluelen, d'où elles scmt diri-
gées sur la route du St.-Gothard.
Hommes distingués. Artistes, etc. — Le premier nom qui mérite d'être rappelé, est
celui de Werner Stauffacher, qui fut un des trois fondateurs de l'indépendance. Il était
issu d'une famille aisée, et fils de Rod. Stauffacher, ancien landammann de Schwytz.
Il faisait bâtir à Steinen une maison de bonne apparence. Un jour que le bailli
Gessler passait à cheval devant cette maison, Stauffacher le salua; Gessler lui
demanda à qui appartenait ce bâtiment. Sur sa réponse, il lui déclara qu'il ne vou-
lait pas que des paysans construisissent de si belles habitations sans sa permission.
Ces paroles causèrent à Stauffacher un vif chagrin ; mais il le dissimula, pour ne pas
faire de la peine à sa femme Marguerite Vorlobig. Celle-ci, s'apercevant qu'il avait
quelque chose sur le cœur, le pressa tant, qu'il finit par tout avouer. Cette femme
énergique lui donna alors le conseil d'aller visiter quelques amis d'Uri et d'Unterwald
auxquels il pût se confier, afin de concerter avec eux les moyens de faire cesser
l'oppression qui pesait sur le pays. Stauffacher suivit ce conseil et se rendit chez
216 LA SU198B PimmESQUE.
Walter Fûrst, qui approuva fort les paroles de Marguerite, et 6t connaître à son ami
un jeune Unterwaldoîs du Melchthal, qui, ayant frappe un valet du bailli Landenberg,
avait dû fuire de son canton. En l&OO, on a élevé à la mémoire de Stauffocber, sur
la place qu'avait occupé sa maison, une chapelle qu'on voit encore aujourd'hui.
La noble famille des Reding, originaire du hameau de Biberegg, près de Rothen
thurm, a fourni une longue série de magistrats et de militaires distingués. Rodolphe
Reding, landammann, se trouva à la bataille de Morgfirten; Ithal Reding, son arrière-
petit-fils, fut un administrateur habile et un grand citoyen. Son frère Jusl foi tué à
St. -Jacques près de B≤ son fils, Ithal Reding, fut pendant vingt ans landammann
du canton, et il est célèbre dans l'histoire comme un des meilleurs capitaines du
siècle; il a contribué à l'agrandissement du canton. En 1798, Aloys Reding fut
nommé par acclamation commandant des troupes de Schwy tz, et il opposa aux Fran-
çais une résistance digne de la valeur héroïque de ses ancêtres. Son nom est aujour-
d'hui profondément gravé dans la mémoire de ses concitoyens. — Lie landammann
Ratzi commandait Tavant-garde à la bataille de Morat. — Plusieurs familles ont
produit des officiers qui ont parcouru une carrière brillante dans les services étran-
gers : tels sont les Betschard, les Keidt, les Hessi et les Reding.
Le canton peut aussi s*honorer d'un certain nombre d'illustrations dans les arts
et dans les sciences. Un Werner Stauffacher, oncle du libérateur, fut abbé d'Einsied-
len ; les annales de ce couvent font un haut éloge de sa science. Un Redifig, sur-
nommé l'Eloquent, prononça un discours devant le Concile de Constance au nom des
Confédérés ; ParaceUe, né à Einsiedien en 1 493, fut un célèbre médecin. Après avoir
parcouru les universités les plus savantes, il opéra quelques cures merveilleuses, qui
répandirent bientôt son nom dans toute l'Allemagne. 11 possédait une foule de secrets,
et avait, dit-on, découvert une panacée ou élixir qui guérissait tous les maux. Il
fut appelé à Bàle pour professer la médecine. Il s'occupait aussi d'alchimie, d'astro-
logie, etc., et prétendait l'emporter en science sur tous les docteurs de la terre. Il
fit réellement progresser la chimie et la médecine, et mourut à Salzbourg en Autri-
che. — Hedlinger, mort en 1774, fut un habile graveur et numismate; il imitait
les médailles antiques avec une grande perfection. Il fut membre des académies de
Berlin et de Stockholm. — C.-H. Ah-Yberg a écrit une histoire d'une partie du
17'' siècle. Placidtis Raymann, prince du couvent d'Eînsiedlen, était un grand ami
de rhistoire, et a laissé plusieurs volumes traitant de sujets historiques et diploma-
tiques. Plusieurs autres moines se sont distingués aussi comme savants; parmi eux
se trouvent plusieurs Reding. Nommons encore Seh. Steiner, qui fut architecte et
peintre ; Birchler, Fôhn, Ganginer, peintres, et Martin Baumann, qui a fait, d'après
la manière de Pfyffer, un bas-relief représentant les trois Petite-Cantons, et d'autres
qui représentent le Pilate, le Righi, le Rossberg et Goldau.
MœuBS, Coutumes, Caractère. — Dans nul autre canton l'amour de la liberté et
de la patrie n'est plus ardent ; nul autre n'est plus attaché à ses vieilles coutumes et
à son ancienne foi ; nulle part aussi l'on n'est plus fier du nom de Suisse. Les
Schwytzois sont pleins de franchise, de loyauté et de bonhomie ; leur caractère est
remarquablement vif et gai. Au milieu des époques les plus malheureuses de la révo-
lution, on les a vus conserver leur gaité, et ne se livrer que momentanément à la
douleur et à l'abattement. Ces traits s appliquent particulièrement aux habitants de
LA SUISSB PITTORESQUE. 217
la partie méridionale, qui avait exercé les droits de souveraineté, et surtout à ceux
du Mouottathal, qui forment une race remarquable par leur énergie, par l'expression
mobile de leur physionomie et par leur hospitalité ; on prétend qu'ils descendent des
Gotbs, qui furent chassés d'Italie au 6** siècle. Quant aux habitants de la vallée
d'Einsiedlen et des bords du lac de Zurich, ils ont moins de gai té, et sont plus froids
et réservés; le peuple d'Einsiedlen, quoique robuste, est généralement indolent; sûr
de voir affluer les pèlerins, il a une tendance à négliger le travail. On y voyait
autrefois beaucoup de mendiants, mais la mendicité y a été, depuis un certain nombre
d'années, sévèrement interdite, ainsi que dans les districts voisins du lac de Zurich.
Ce que les costumes dans le canton de Schwytz offrent de plus particulier, c'est la
coiffure des femmes, qui portent sur leur bonnet des espèces de crêtes en dentelles
noires pour les filles, et blanches pour les personnes mariées. Cette coiffure ressemble
à peu près aux deux ailes d'un papillon.
Schwytz. — Le bourg de Schwytz, chef-lieu du canton, est pittoresquement situé
au pied des Mythen et dans une contrée fertile et couverte d'arbres fruitiers. On voit
plusieurs belles maisons, soit dans ses murs, soit dans les campagnes voisines. La
population de la commune comprend S432 âmes, mais dont une partie seulement
habite dans le bourg. L'église paroissiale ou de St.-Martin, achevée en 1774, passe
pour une des plus belles de la Suisse. Près de l'église est une petite chapelle, appelée
le Kerker ou Cachot, où l'on célébrait le culte quand l'église était en interdit ; selon la
tradition, elle doit avoir été terminée en trois jours. Dans le cimetière, on voit la
tombe d'Âloys Reding ; elle est couverte d'une simple pierre portant une inscription
latine, dont le sens est : Aloys Reding de Biberegg, cmnte; soti nmn suffit à sa louange;
1808. L'hdtel-de-ville contient les portraits de 45 landammanns, à dater de l'an
1554 ; un grand nombre portent les noms de Reding, Âb-Yberg, Àuf-der-Mauer, etc.
Dans l'une des salles, on voit de belles sculptures à la manière gothique. On montre
chez le capitaine Schindler le panorama en relief de la vallée de Mouotta, avec la
représentation du combat entre les Français et les Russes. On peut visiter aussi la
belle collection de médailles de Hedlinger, appartenant à sa famille comme pro-
priété déclarée inaliénable. Schwytz possède un hôpital, un arsenal et même un
petit théâtre. On voit sur la hauteur un vaste bâtiment et une église, qui étaient
destinés à un établissement de jésuites. Cet édifice était presque terminé en 1847,
lorsque les propriétaires furent forcés de quitter le canton avant l'occupation fédérale.
Non loin de là est la maison des Reding, vieux bâtiment surmonté de deux tours
rouges et revêtu des armes de cette illustre famille. Des particuliers, amis des sciences,
ont fondé en 1825 une bibliothèque, qui, en 1855, comptait 4000 volumes, en
grande partie relatifs à l'histoire suisse. Le couvent des capucins possède aussi une
bibliothèque.
Un peu au sud de Schwytz, est le village d'Ybach, où s'assemblait autrefois la
Landsgemeinde générale. Plus loin est Brunnen, le port de Schwytz ; c'est un beau
village, qui sert de dépôt pour les marchandises expédiées vers le St.-Gothard ou qui
en viennent. C'est à Brunnen que les députés des trois cantons se réunirent plusieurs
fois pour jurer leur alliance et se consulter sur les intérêts communs; c'est là, en par-
ticulier, que le 19 décembre 1518, un mois après la bataille de Morgarlen, fut renou-
velée l'alliance perpétuelle des trois Waldstaetten. L'Entrepôt est orné de fresques
II, i«. 28
248
L\ «nS8R riTTORRSOrF..
Purt de Brunucn.
qui représenlenl cet important événement. En 1815, on a célébré solennellement à
Schwytz l'anniversaire demi-millénaire de cette alliance; entre autres divertissements,
des amateurs jouèrent un drame de Mûller-Fricdberg, intitulé : La bataille de Mor-
garten. Toutes les hauteurs qui entourent Schwylz offrent de très-beaux coups-d'œil.
Au nord-est de Schwytz s'élèvent les deux cimes escari)ées du Mylhen; Tascension
de la plus haute ne se fait pas sans difTiculté ; mais l'on y découvre un panorama qui
l'emporte en beauté sur celui de Righi ; on y aperçoit la ville et le lac de Zurich,
qu'on ne peut voir de ce dernier. La montagne surmontée des deux pics porte pro-
prement le nom de Haken (croc), et elle se prolonge vers le nord sous ce nom. Un sen-
tier, qui conduit en quatre heures de Schwytz à Einsiedien, passe sur le Haken ; du
sommet du col on n'a plus qu'un quart d'heure à monter pour atteindre une cime
élevée de 4470 pieds, qu'on appelle le Hochsiûckli, et d'où l'on jouit d'une vue
remarquable.
Vallée de Mouotta. — Cette vallée est la plus pittoresque de tout le canton ; les
montagnes y prennent des formes variées, et l'on y remarque plusieurs belles casca-
des; mais la Mouotta, que grossissent un grand nombre de torrents, y cause souvent
des dévastations. La Frohn-Alp, qui domine l'entrée de la vallée, offre un très-beau
point de vue. On se rend en 8 heures de Mouotta à Glaris par le mont Pragel, élevé
de S160 pieds. Pendant une heure la montée est pénible; au sommet, le sol est
humide et il n'y a pas de vue ; mais on ne tarde pas à arriver de l'autre côté dans
le Klônthal, belle vallée glaronaise, dominée par les cimes neigeuses du Glœrnisch.
C'est par le Pragel que se retira Souwarow, qui était arrivé dans le val Mouotta par le
LA SUISSE PITTORESQUE. 249
canton d'Uri. Ne pouvant se frayer un passage du côté de Schwytz, que défendaient
Mortier, Masséna et Lecourbe, il dut se diriger vers le canton de Glaris. Il eut sur
la montagne à culbuter Tavant-garde du générai Molitor. Repoussé aussi du défilé
de Naefels, il fut forcé de battre en retraite et de rentrer dans les Grisons par le pas-
sage difficile de Panix, sans pouvoir opérer sa jonction avec Korsakoff. Souwarow et
le grand-duc Constantin eurent pendant deux ou trois jours leur quartier-général à
Mouotta, dans le couvent de St. -Joseph, habité par des religieuses de Tordre fran-
ciscain. Au-dessus de Mouotta la vallée prend le nom de Bisi ; plus loin elle se
bifurque, et l'on trouve deux autres sentiers qui conduisent dans le canton de Glaris,
l'un par le vallon de la Glatt-Âlp, où se trouve le joli lac de ce nom, l'autre par la
vallée étroite et sauvage de la Karren-Âlp.
Lac de Lowerz, Goldau. — La route de Schwytz à Arth et au Righi passe à See-
wen, où l'on trouve un bon établissement de bains, puis longe la rive sud du joli lac
de Lowerz. Au milieu de ce lac s'élèvent les petites iles de Lowerz et de Schwanau
(Prairie des cygnes). Sur cette dernière on voit les ruines pittoresques d'un cbftteau,
qui fut détruit le 4" janvier 1308. Une jeune fille d'Arth avait été enlevée par le
seigneur de Schwanau ; ses deux frères, aidés des Schwytzois, s'emparèrent du châ-
teau et firent périr le ravisseur. A l'extrémité du lac on arrive sur le vaste espace
qui a été recouvert, le 2 septembre 1806, par la chute d'une partie du Rossberg.
Cette montagne est composés de couches de brèche alternant avec des couches de
sable, qui s'affaissent sous l'action du temps et celle des eaux souterraines, de sorte
que les couches plus solides finissent par manquer de base. L'été de 1806 avait été
très-pluvieux. Le 2 septembre, dès le matin, on observa des crevasses et on entendit
des craquements ; vers 2 heures de l'après-midi les chutes de pierres devinrent plus fré-
quentes, et un bruit sourd se fit entendre jusqu'au Righi. Les fissures se transformè-
rent en ravins profonds, et d'énormes rochers commencèrent à s'incliner. Enfin, vers
5 heures, une partie du Rossberg, longue d'environ une lieue et large de 1000 pieds,
se précipita sur la vallée et engloutit les villages de Goldau, Rôthen et Busingen
dessus et dessous. En quelques minutes, cette belle contrée fut transformée en un
champ de désolation. Une partie de l'éboulement atteignit même le pied du Righi et
l'extrémité du lac de Lowerz. Les eaux refoulées s'élevèrent de 70 pieds, détruisirent
une partie du village de Lowerz et causèrent des ravages jusqu'au lac des Quatre-
Cantons. Les victimes du désastre furent au nombre de 457, y compris quelques
voyageurs; 14 personnes furent retirées vivantes des décombres. Le terrain perdu
est évalué à plus de #7000 arpents, et la perte totale à 3 millions de livres. Une partie
du bétail avait pris la fuite à temps; de grandes bandes d'oiseaux avaient aussi pris
leur vol avant le désastre. Une cérémonie religieuse est célébrée annuellement à
Arth, en souvenir de cette terrible catastrophe. Une chapelle indique l'emplacement
qu'occupait Goldau. De temps en temps, des masses plus ou moins considérables de
rochers se détachent encore du Rossberg.
ÂRTu, KfJssNAGHT. — Arth est un joli village, situé sur les bords du lac de Zug,
entre le Righi et le Rossberg, mais il n'a rien à craindre des éboulements qui partent
de cette dernière montagne. Un retranchement, construit au milieu du IZ^ siècle et
qui s'étendait d'une montagne à l'autre, défendait jadis Arth contre les invasions de
Tennemî. En 1315, quelques jours avant la bataille de Morgarten, un noble, ami des
220
LA SUISSE PITTORESQUE.
Suisses, Henri de Hùnenberg, lança sur le sol schwylzois, dît rhislorien Tschudi,
une flèche à laquelle était attaché un billet portant les mots : a Veillez au passage de
Morgarlen. » La famille de Reding ayant acheté la seigneurie d*Arth, donna à ses habi-
tants une entière liberté en 4448. La route de Kûssnacht côtoie le lac de Zug et
les bases du Righi. Entre Immensee et Kûssnacht, on passe près d'une chapelle qui
a été remise à neuf depuis quelques années; c'est la fameuse chapelle de Tell, ornée
de fresques, représentant quelques événements de Thistoire nationale. C'est là que
se trouvait ce chemin creux où Tell attendit Gessier; c'est là que le bailli, après
avoir échappé aux fureurs de la tempête, fut atteint par la flèche vengeresse. Dans
le voisinage, on voit encore quelques restes de murs qui doivent avoir fait partie
d'un château démoli en 1308 ; c'était une des résidences de Gessier; c'est là qu'il
avait l'intention d'enfermer Guillaume Tell, quand celui-ci, grâce à une soudaine
tempête, vit rompre ses fers et parvint à recouvrer sa liberté. Les bateaux à vapeur
de Lucerne viennent aborder à Klissnacht dans la belle saison et amènent des voya-
geurs qui se proposent de visiter le Righi.
Righi, Notre-Dame des Neiges. — On peut entreprendre de divers points l'ascension
du Righi; le sentier qui part de Kûssnacht est le plus rapide; ceux qui partent de
Lowerz, de Goldau ou d'Arth sont plus commodes; ceux de Gersau, de Fitznau et
de Wœggis, sur la pente méridionale, sont bons aussi; mais en montant du c6té du
nord, où la vue est restreinte, on a l'avantage de se ménager une surprise pour le
Cliapclle liu Righi
LA SUISSE PITTORESQUE. 221
moment où Ton atteint le sommet. L'ascension exige 3 à 4 heures ; le chemin le
plus long est celui de Gersau. Le Righi n'est point une haute montagne, car son
point culminant, le Righi-Kulm (Sommet du Righi), n'est élevé que de 5S50 pieds,
soit 4210 au-dessus du lac des Quatre-Gantons; mais sa position isolée et à peu près
au centre de la Suisse en fait une des stations les plus favorables pour embrasser
d'un seul coup-d'œil un horizon de 100 lieues de circonférence. Et comme il n'est point
d'un accès difficile, le nombre des visiteurs n'est pas forcément restreint, comme c'est
le cas pour beaucoup d'autres sommités qui n'offrent pas le même avantage. Bien
qu'on prétende faire dériver le nom du Righi de Mons Regins, Mont royal, ou de
Mons Rigidus, Mont escarpé, l'origine de la réputation de cette montagne parait être
la source froide près de laquelle est établi le Kaltbad (Bain froid). Ce fut en 1689 que
les habitants d'Ârth construisirent, à trois quarts d'heure au-dessous du sommet, une
petite chapelle avec un bâtiment soit hospice pour les capucins, le Klôslerli. L'année
suivante, on plaça sur l'autel une image de la Sainte- Vierge, qui acquit bientôt le
renom de faire des cures merveilleuses. Le 11 juillet 1700, le nonce du pape con-
sacra la chapelle, sous le nom de Sainte-Marie des Neiges ou Notre-Dame des Neiges,
Quelques années plus tard, la chapelle étant insuffisante pour contenir la foule des
pèlerins, on en construisit une plus grande. Des bulles de 1734 et 1779 accordèrent
une indulgence plénière aux pèlerins qui viendraient assister à la fête de la Sainte-
Vierge. Les bergers viennent tous les jours de fête à la chapelle pour le service
divin ; mais c'est le 8 septembre, jour de la Nativité, qu'a lieu le plus grand con-
cours de pèlerins. Jusqu'en 1760 ce n'était guère que les habitants du pays et des
contrées voisines qui montaient au Righi ; plus tard, les étrangers commencèrent
aussi à s'y rendre; maintenant on évalue le nombre des visiteurs à 10,000 par an.
L'hôtel du Righi-Kulm, rebâti à neuf en 1880, est à quelques pas au-dessous du
sommet ; une demi-heure ou trois quarts d'heure plus bas, on en trouve plusieurs
autres. 11 convient d'arriver vers le soir sur la montagne, afin de pouvoir y assister
au spectacle du coucher, puis à celui du lever du soleil. Malheureusement, les dé-
ceptions causées par les brouillards, la pluie ou la neige, ne sont pas rares. Une
légère lueur, qui parait à l'orient, annonce le jour naissant ; elle se change bientôt
en une ligne dorée s'étendant le long de l'horizon et projetant un reflet d'un rouge
pâle sur les cimes les plus élevées des glaciers de l'Oberland bernois. Toutes les
cimes se dorent l'une après l'autre ; la nuit qui couvre encore toutes les autres par-
ties du tableau, se dissipe peu à peu ; on voit apparaître forêts, lacs, collines, villes
et villages; mais tout ce vaste ensemble garde encore un aspect glacé, jusqu'à ce
qu'enfin le disque rouge du soleil, se dessinant derrière les montagnes, s'élève rapi-
dement, et ranime de ses rayons l'immense panorama. Il est rare qu'une demi-
heure après les brouillards ne commencent pas à voiler çà et là quelques cimes.
Par un temps clair, on peut compter treize lacs, grands et petits. Du côté du nord,
on voit le Rossbei^, le lac et la ville de Zug, le clocher du village de Gappel, où
Zwingli fut tué» la chaîne de l'Âlbis, quelques maisons de la ville de Zurich et
quelques points de son lac; derrière le Rossberg, une petite partie du lac d'Egeri ;
la chaîne de la Forêt-Noire borne l'horizon. Â l'ouest, la vue est plus dégagée ; au
pied de la montagne est Kûssnacht avec la chapelle de Tell ; plus loin, se dessine
presque tout le canton de Lucerne ; on distingue une partie du cours de la Reuss et
222 LA SUISSE PITTORESQUE.
I
de l^Emme, le lac de Sempach, la vaste abbaye de Mûri ; plus près, la ville de
Lucerne, dominée par les cimes déchirées du Pilate ; au loin, la chaîne du Jura forme I
la limite du tableau. Au sud se présentent quelques parties du lac des Quatre-Gan-
tons; le golfe d Alpnach, le lac de Sarnen, et, aundessus de belles pentes verdoyantes,
la majestueuse chaîne des glaciers de Berne, d'Unterwald et d'Uri. Enfin, du côté
de Test, la ligne des montagnes s'étend au loin ; on y voit dominer le Tosdi, le Gls^r-
nisch et le Sentis ; plus près de soi, les deux pics du My then, le Mouottathal, le bourg
de Schwytz et le lac de Lowerz. Il arrive souvent qu'on n'aperçoit que partielle-
ment le vaste panorama qui vient d'être décrit, un grand nombre de sommités se
trouvant enveloppées dans les nuages; il arrive aussi, surtout en automne, qu'une
mer de brouillards couvre les plaines et les vallées, et qu'on en voit sortir, comme
des Ilots, une multitude de pics verdoyants ou neigeux. Le lever du soleil produit
alors des effets de lumière remarquables. On est quelquefois témoin sur le Righi
d'un phénomène singulier : lorsque les nuées s'élèvent perpendiculairement du fond
des vallées opposées au soleil, les personnes ou les objets placés sur le Righi pro-
jettent sur les nuages des ombres gigantesques, entourées d'une vapeur qui se colore
parfois des teintes de l'arc-en-ciel. Si la nue est épaisse, l'image est double.
Avant d'arriver au Righi-Rulm, on passe près de l'auberge du Staffel, où l'on com-
mence à apercevoir tout à coup une partie du panorama. Un peu au-dessus de ce
point, on peut gravir le Rothstock, sommité haute de 81 40 pieds, d'où l'on a une
vue très-pittoresque sur la partie centrale du lac, qu'on ne voit pas depuis le Kulm.
Près de l'auberge de la Righi-Scheideck, située sur le chemin de Gersau au Kulm, on
voit aussi quelques détails qui ne sont pas aperçus depuis le sommet. Cette auberge
est fréquentée non-seulement par les personnes qu'attire son eau minérale ferrugi-
neuse, mais aussi par celles qui veulent faire une cure de petit-lait et d'air de mon-
tagne. Non loin du Kaltbad est une chapelle où l'on dit tous les jours en été la messe
pour les bergers d'alentour. L'établissement du Kaltbad a été incendié en 1850;
il est maintenant reconstruit. C'est dans le voisinage que les bergers s'assemblent le
10 août pour se livrer à des exercices gymnastiques ; le 22 juillet de semblables
divertissements ont lieu près de la chapelle de Notre-Dame des Neiges. Ces fêtes
attirent un grand concours d'assistants. A un quart d'heure de la chapelle, il existe
deux grottes où l'on trouve quelques stalactites. Les troupeaux vont quelquefois y
chercher un asile. On compte sur les plateaux et les croupes du Righi cent et quelques
chalets, autour desquels paissent en été 2 ou 3000 pièces de gros bétail.
Gersau. — Le village de Gersau était autrefois, avec la république de St.-Marin
dans la Romagne, le plus petit Etat libre de l'Europe. Son territoire avait deux lieues
de longueur, et une de largeur, à partir des bords du lac jusqu'au sommet de la mon-
tagne. Les habitants de Gersau, qui ne comptaient que vingt familles, se rachetèrent
en 1590 de tous droits seigneuriaux pour 690 livres. L'empereur Sigismond con-
firma leurs privilèges en 1433, et dès-lors l'indépendance de ce petit Etat fut res-
pectée, jusqu'à la fin du IS"" siècle; mais les Français le réunirent* au canton des
Waldst«Btten, et ensuite à celui de Schwytz. Plus tard, Gersau fit quelques démarches
inutiles auprès de la Diète pour le rétablissement de son existence distincte. Dès
Tannée 1318, Gersau était lié par un traité avec les trois petits cantons, et en
1359 cette alliance fut étendue à Lucerne. Il servit la cause des Suisses dans leurs
LA SUISSE PITTORESQUE. 223
guerres contre la maison d'Autriche. Sa constitution avait une grande analogie avec
celle des cantons voisins. La Landsgemeinde était souveraine, et se composait de tous
les citoyens âgés de plus de seize ans. Elle élisait un landammann qui restait deux
ans en charge, un statthalter, un trésorier, un secrétaire, et neuf conseillers d'Etat.
La population s'élevait à 1500 âmes à la fin du siècle dernier, et le nombre des ci-
toyens actife montait à 4S0; c'était moins qu'il n'y a de députés dans la Chambre
des communes d'Angleterre. Actuellement, la population est de 1585 âmes. Gersau,
entouré d'un massif d'arbres fruitiers, offre un très-joli coup-d'œil. Il a quelques
terrains cultivés au bord du lac. Ses pâturages et ses troupeaux, sont sa principale
richesse. Cependant, depuis près d'un siècle, la préparation de la soie et la filature du
ooton y ont été introduites et ont procuré des gains considérables. Les maisons sont
bien bâties. La maison-de-ville a aussi une belle apparence. La population a conservé
quelque chose d'original dans ses mœurs et dans ses usages.
EiNsiRDLEN, Notre-Dame des Ermites. — La grande route de Schwytz à Einsiedlen
|)asse par Steinen, lieu de naissance de Werner Stauffacher. Sur l'emplacement de
sa maison, hors du village, on a élevé en 1400 une chapelle dont les fresques re-
tracent quelques événements de la vie de Stauffacher. Plus loin, l'on arrive à
Rothcnthurm, où s'assemble tous les deux ans la Landsgemeinde générale du can-
ton, au nombre de près de 10,000 citoyens. Non loin de ce village est le hameau de
Biberegg, berceau de la famille des Beding. Près de Bothenthurm, mais sur le terri-
toire de Zug, se trouvent aussi le lac d'Egeri et le défilé de Morgarten, célèbres par
la victoire des Confédérés.
Einsiedlen est un gros bourg, bien bâti, et dont un tiers des maisons sont des au-
berges. Il est à 2600 pieds au-dessus de la mer, au milieu d'une contrée un peu triste
et uniforme. La fondation du couvent remonte à l'époque de Charlemagne. Meinrad,
comte de Hohenzollern, construisit, dit la chronique, une chapelle sur le mont Etzel,
puis une autre sur l'emplacement du couvent, en l'honneur d'une merveilleuse
image de la Sainte-Vierge, que lui avait donnée Uildegarde, abbesse de l'Eglise de
Notre-Dame de Zurich. Il y vécut en ermite, et fut assassiné vers l'an 803 ; mais ses
meurtriers furent découverts par les corbeaux que le saint avait nourris, et ils furent
exécutés à Zurich. Après la mort de Meinrad, le renom de sa sainteté s'accrut rapi-
dement, et un autre comte, Eberard, fonda, le siècle suivant, un couvent de bénédictins
sur le lieu qu'avait occupé sa cellule, et obtint de l'empereur la propriété des vastes
déserts qui l'entouraient. Le 14 septembre 948, jour de la consécration, des voix
d'anges annoncèrent, dit la légende, que le Sauveur lui-même avait béni l'église.
Une bulle de Léon YIII confirma le miracle et accorda des indulgences plénières aux
pèlerins qui se rendraient à Notre-Dame des Ermites. Le couvent devint bientôt le
plus riche de la Suisse, après l'abbaye de St.-Gall. L'empereur Rodolphe de Habsbourg
éleva l'abbé au rang de prince de l'empire, en 1274, et actuellement encore l'abbé
conserve le titre de prince. Cent cinquante ans plus tard, l'Autriche céda à Schwytz
tous ses droits sur le couvent et le pays d'Einsiedlen, qui dès-lors jusqu'en 1798 sont
demeurés sujets de ce canton. Zwingli fut curé d'Einsiedlen de 1515 à 1519. En
i 51 7, le jour de la consécration, il prêcha avec tant de force contre les indulgences,
les pèlerinages et les vœux, que les moines embrassèrent la réforme et quittèrent le
couvent; mais les efforts de Schwytz les y ramenèrent pour la plupart. En 1793,
224 LA SUISSE PITT0HG8QUB.
les archevêques de Paris et de Vienne, et beaucoup d'autres ecclésiastiques français,
trouvèrent un asile à Einsiedlen. Le couvent fut pillé en 1798 et 1799 par les troupes
françaises ; on dit que limage sacrée de la Vierge fut envoyée à Paris; mais, avant cet
événement, les moines avaient eu soin de mettre en sûreté les objets les plus précieux,
et ils assurent que l'image véritable et miraculeuse fut rapportée du Tyrol en 1803.
Dès-lors, l'affluence des pèlerins a recommencé, et leur nombre est actuellement de
100 à 150,000 par an. Les jours de fête, et surtout le 1& septembre, jour de la
consécration par les anges, la foule est immense : elle accourt des cantons catho-
liques, de rAllemagne méridionale, d'Alsace, de Lorraine, et de pays plus éloignés.
En d'autres temps, il arrive aussi des troupes de pèlerins, surtout les deux derniers
jours de la semaine. Après Notre-Dame de Lorette en Italie et St.-Jacques de Com-
postelle en Espagne, Einsiedlen est le lieu de pèlerinage le plus fréquenté du monde.
Sur la vaste place qui sépare le bourg du couvent, on voit une fontaine de marbre
noir avec quatorze tuyaux ; elle est ornée de l'image de la Vierge et d'une grande
couronne d'or. La tradition veut que le Sauveur ait bu de l'un des tuyaux ; mais
comme on ignore duquel, les pèlerins vont d'un tuyau à l'autre, pour ne pas manquer
celui dont l'eau a été sanctifiée. Sous les arcades voisines du couvent et sur la place elle-
même est rangée une multitude de boutiques, dans lesquelles on vend des images, des
chapelets, des crucifix et autres objets de dévotion. Les statues à droite et à gauche
de l'entrée de l'édifice doivent représenter les empereurs Othon 1*' et Henri !•', pro-
tecteurs du couvent. Le bâtiment a été reconstruit de 170& à 1719, à la suite d'un
incendie; il est dans le style italien. La façade a une longueur de hH pieds, dont
117 sont occupés par l'église et ses deux tours élancées. On compare celle-ci à
l'église de St. -Jean de Latran. Dans la nef centrale s'élève la chapelle de la Sainte-
Vierge, en marbre noir, entourée d'une grille, au travers de laquelle on entrevoit, à
la lueur d'une lampe, le palladium du couvent, une petite image de la Vierge avec
l'enfant Jésus ; ces figures sont revêtues de splendides habits et surmontées de cou-
ronnes d'or ornées de pierreries. Le couvent compte soixante pères et vingt frères,
outre le nombre nécessaire de valets. On y trouve une bibliothèque de 26,000 vo-
lumes, en majeure partie relatifs à l'histoire. Les manuscrits qu'elle possède ont été
consultés par plusieurs écrivains, en particulier par l'historien Mûller. Un Séminaire
et un Lycée sont établis dans le couvent.
Le MONT Etzel, Laghen. — Au nord du plateau d'Einsiedlen s'élève le mont Etzel,
qui fut témoin de la résistance héroïque des Schwytzois en 1798, ainsi que le défilé
de Schindellégi, où coule la Sihl. Du sommet de l'Etzel, haut de 3310 pieds, on jouit
d'une vue magnifique. Entre l'Etzel et le lac s'étend une contrée fertile. Le principal
endroit qu'on y trouve est le joli bourg de Lachen, chef -lieu du district de la Marche,
et peuplé de ISOO habitants. Les bains de Nuolen n'en sont qu'à un quart de lieue.
Nous avons déjà parlé, dans l'article Zurich j de ce long pont qui joint la presqu'île de
Hûrden avec la ville de Rapperschwyl, et des deux petites îles schwytzoises de
Lûtzelau et d'Ufenau. Celle ci appartient au couvent d'Einsiedlen. Il s'y trouve une
ferme, une église et une chapelle qui doit remonter au 12'' siècle.
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226 LA SUISSK PITTORESOUF..
frontière bernoise, le col iuJoch, 6890; le Geissberg, 7990; le Hochstollen, 7900;
le Schorren, 8600 ; le col du Brûnig, 3880 ; le Wylerhorn, 8900 ; \eRothhorn, 7260.
Du Rolhhorn part la chaîne qui se termine au mont Pilate et qui sépare Unterwald
de Lucerne. Du Geissberg, voisin du Titlis, part une autre chaîne qui se dirige vers le
nord et se termine par le Stanzerhorn ou Blum-Alp, qui domine Stanz. Cette chaîne
sépare la vallée d*Engelberg de celle du Melchthal. Celle-ci est séparée de la vallée
de Sarnen et du Petit-Melchthal par une autre ramification qui se détache du
Hochstollen et se prolonge jusqu'à Sachseln. Les principales vallées du canton sont
celles de Sarnen et de Lungern, qu'arrose VAa, qui sort du lac de Lungem et se jette
dans le golfe d'Alpnach; les vallons latéraux du Petit-Melchthal, du Melchthal,
arrosés par les deux Melch-Aa, et du Schlierenthal, arrosé par la Schlieren; enfin
la vallée d'Engelberg, arrosée par une autre Aa, qui est alimentée par les glaciers
du Titlis et des Alpes voisines. Cette rivière va verser ses eaux dans le lac de Lu-
cerne, près de Buochs. Outre les montagnes indiquées ci-dessus, on peut nommer
encore le Bûrgemiock, 3660, entre Stanzstad et Buochs, qui se termine à la Nase
inférieure, et le Rotzberg, le long du golfe d'Alpnach, entre Alpnach et Stanzstad;
on y voit les ruines du chftteau de Rotzberg.
Lacs et Cascades. — Le canton possède une grande partie des rives méridionales
du lac des Quatre-Cantons, et en particulier les golfes pittoresques d' Alpnach et de
Buochs. Dans le golfe d' Alpnach et au nord du Bûrgenstock, jusqu'au promontoire
de la Nase inférieure, les rives sont escarpées; de Buochs jusqu'au promontoire de
Treib, voisin de la frontière d'Uri, les pentes verdoyantes descendent jusqu'au lac.
Dans rinlérieur du canton Ton trouve le lac de Sarnen, long d'une lieue et demie
et large d'une demi-lieue. Celui de Lungern avait une longueur d'une lieue« sur
une largeur d'un quart de lieue; les travaux terminés en 4836 par une société
d'actionnaires pour l'abaisser de 120 pieds, l'ont réduit de près de moitié, et ont fait
gagner une étendue de 800 arpents ; mais le sol y est rocailleux et risque de rester
en grande partie improductif. Entre ces deux lacs il y en avait autrefois un troisième,
près du village de Giswyl; mais en 1760 la commune le fit saigner et dessécher, et
il est maintenant converti en terrain de bon rapport. Le lac de Trûh, au-dessus
d'Engelberg, et le lac de Melch, au fond du Melchthal, n'ont qu'une demi-lieue de
tour; ce dernier a pour écoulement le torrent de Melch-Aa, qui bientôt se perd
sous une montagne, pour reparaître plus bas. — Les cascades les plus remarquables du
canton sont celles du Rotzloch, entre Alpnach et Stanzstad ; celles du Tâtschbach et
du Slierenbach, dans la vallée d'Engelberg ; celle d'Ematten, sur les bords du lac des
Waldslœtten ; celle du GiessenbacK près de Lungern ; celles de YAa, près de Giswyl.
Sources minérales. — Il n'existe dans le canton aucun établissement de bains
fréquenté par les étrangers. On y compte cependant plusieurs sources minérales ;
mais on en fait peu d'usage. Ainsi l'on trouve une source sulfureuse au bord du lac
de Lungern, et plusieurs autres dans la même vallée, entre le Brûnig et Alpnach;
on en a découvert une dans la gorge du Rotzbach, à une lieue de Stanz, et à Saint-
Antoine, ail-dessus de Rems. Les bains froids de Schwândi, au-dessus de Sarnen,
près la frontière de Lucerne, sont visités de temps en temps par les gens du pays.
L'eau contient du fer, du soufre et de l'alun ; on doit la chaufier pour en faire usage :
elle est efficace contre les rhumatismes et les maladies cutanées, etc. On exploitait
LA SUISSE PITTORESQUE. 327
autrefois avec succès à Humlingen une source salée; mais elle a disparu h la suite
d'un tremblement de terre qui renversa le village de Humlingen.
Histoire naturelle. — H y a peu de chose à dire sur le règne animal. On ne trouve
dans le canton que très-peu d'animaux sauvages. Les vaches y sont en général d'une
petite espèce: elles pèsent rarement plus de quatre à cinq quintaux. — La flore res-
semble à celle des cantons d'Uri et de Schwytz; c'est près du Titlis qu'elle est la
plus riche. Le canton abonde en foréLs, et le Bas-Unterwald en arbres fruitiers. — Les
montagnes sont composées de calcaire mêlé de quartz et d'ai^ile, ou de calcaire
noir; on y trouve des ardoises et des schistes argileux, noirs, verdâtres ou rougeà-
ires. Le Melchthal fournit plusieurs espèces de marbres, parmi lesquels le noir mêlé
de veines blanches est le plus estimé ; on y a trouvé aussi quelques traces de mines
de fer. Dans les Alpes Surènes, près du Titlis, une roche calcaire se trouve super-
posée au gneiss ( roche primitive). On observe, aux environs de Sarnen, des débris de
pierre qui renferment beaucoup de nummulites, et l'on rencontre des pétrifications
sur la montagne voisine de Kaiserstuhl.
Antiquités. — On n'a découvert dans le pays aucune trace de la domination ro-
maine. Près de l'entrée de la vallée du Melchthal, du côté du nord, s'élève une
vieille tour qui, à ce qu'on croit, a appartenu à un temple païen. Près de la tour
est une vieille chapelle, nommée St.-Nicolas, qui passe pour la plus ancienne église
du pays. Celle de St.-Jacques, entre Sarnen et Stanz, a la même réputation. 11 y
avait dans TUnterwald, durant le moyen-ftge, un certain nombre de châteaux sei-
gneuriaux ; mais ils ont presque tous disparu, sans même laisser de ruines recon-
naissables.
Histoire. — Les habitants d'Unterwald se liguèrent avec ceux d'Uri et Schwytz
à l'occasion du différend qui était survenu en 4115 entre ce dernier canton et l'abbé
d'Einsiedlen ; en 1206 et 1291 cette alliance fut renouvelée. Dès l'an 1180 le can-
ton fut divisé en deux Etats, ayant leur administration et leurs lois distinctes, et
portant les noms d'Obwald et de Nidwald. Au commencement du Ik" siècle, il fut,
comme les autres Waldstœlten, opprimé par des baillis autrichiens, et il contribua
énergiquement à l'affranchissement du pays. Un jeune homme du Melchthal, Arnold
an der Halden, fut un des trois conjurés du Grûtli. Le bailli Landenberg lui ayant fait
enlever une paire de bœufs, Arnold avait frappé un valet de ce dernier. Landenberg
s'était vengé en faisant arracher les yeux au père d'Arnold, pendant que le fils avait
dû chercher un refuge dans le canton d'Uri. Le 1**' janvier 1308, les châteaux de
Sarnen et de Rotzberg furent pris et détruits par les paysans. Le jour de la bataille
de Morgarten, le comte de Strassberg envahit Unterwald par le mont Brûnig, à la
tête de &000 hommes, et s'avança jusqu'à Alpnach, tandis que les Lucernois faisaient
une attaque sur un autre point. Les Unterwaldois, vainqueurs à Morgarten, accou-
rurent en toute hâte, et, réunis avec les citoyens restés dans le pays, ils repoussèrent
partout l'ennemi. A la bataille de Sempach, le principal honneur du succès appar-
tint à Arnold de Winkelried, qui se dévoua héroïquement pour le salut de sa patrie.
Durant le 15* siècle, Unterwald prit part à diverses conquêtes, soit dans le Tessin,
soit dans le nord de la Suisse, de concert avec d'autres cantons. Après la bataille de
Morat, en 1&76, Fribourg et Soleure firent la demande d'entrer dans la Confédéra-
tion. Zurich, Berne et Luceme appuyèrent leur requête, et les Waldstœtten la re-
2i8 LA «JISSB PlTTOaSSOUK.
poussèrent. En 1481, la Diète s'était assemblée à Stanz pour délibérer de nouveau
sur cette demande, ainsi que sur le partage du butin de Morat; mais la discorde
n'avait hit que s'accroître, et les députés allaient se séparer, la haine dans le cœur,
lorsqu'un vénérable ermite du Melchtbal, Nicolas de Fiûe {Niklauê Vonflûe ou Von
der Flûh)^ prévenu par un prêtre de ce qui se passait, accourut à Stanz, et, pareil au
génie tutélaire de la Confédération, se présenta dans l'assemblée. Il y parla le lan-
gage de la sagesse et de la raison ; exhorta, au nom du Gel, les députés à oublier
leurs ressentiments et à recevoir Fribourg et Soleure dans le Corps helvétique pour
les services qu'ils avaient rendus à la patrie. La beauté de sa figure et la majeslé
de sa taille ajoutèrent du poids à ses paroles, et peu de jours après, l'alUanœ des
dix cantons hit signée par les députés. Ce fut ce qu'on appela le CanvenarU de
Slanz. Nicolas recommanda en outre aux Confédérés de se tenir en garde oontre la
séduction des cours et des mœurs étrangères, et de rester toujours unis et pauvres,
pour être éternellement heureux et libres. Après ces sages conseils, il retourna se
renfermer dans sa cellule.
En 1798, le canton d'Unterwald, et surtout Nidwald, se distingua par l'énergie
avec laquelle il résista à l'occupation française. Nidwald ayant refusé de se sou-
mettre à la Constitution helvétique, et de laisser procéder à la levée de la milice
sur son territoire, un corps de 12 à 1S,000 Français se mit en marche pour atta-
quer le pays sur plusieurs points à la fois. Tous les habitants se levèrent au son du
tocsin; ils n'étaient que 2000, et il y avait dix postes à garder. Les 4, 5 et 8 sep-
tembre, les Français firent diverses attaques pour reconnaître leurs positions; mais
l'attaque générale eut lieu le 9 au point du jour, soit par TObwald, soit par six
points du rivage, dont ils s'approchèrent avec un grand nombre de bateaux. Les
Unterwaldois repoussèrent les assaillants avec un courage héroïque ; tous les pas-
sages furent défendus pied à pied. Après plusieurs heures d'une lutte acharnée, les
succès étaient balance, lorsque survinrent de nouvelles colonnes de Français;
hommes, femmes, enfants, jeunes filles, vieillards, tous continuèrent à combattre
en désespérés, et moururent plutôt que de se rendre. C'était, écrivait le général
Schauenbourg, l'afiaire la plus chaude qu'il eut jamais vue. Dix-huit jeunes filles
combattirent près de la chapelle de Winkelried à Stanz, et y trouvèrent une mort
glorieuse. Le nombre des morts, du côté des Unterwaldois, s'éleva à 386, au nombre
desquels on compta 102 femmes et 25 enfants. Cette résistance, qui fit éprouver
aux troupes françaises des pertes considérables, les exaspéra tellement, qu'elles se
rendirent coupables des plus affreux excès. Ce malheureux pays fut livré d'abord
au pillage, ensuite au fer et au feu par le vainqueur ; 600 bâtiments furent la proie
des flammes. Les pertes occasionnées par l'incendie et le pillage furent évaluées i
un million et demi de livres, et l'on estima à une valeur égale celles que cau-
sèrent les réquisitions et les occupations militaires. Le pays, si pauvre déjà, se
trouva plongé dans une affreuse misère ; un sixième des habitants étaient réduits à
la mendicité. Le Haut-Unterwald, qui s'était conduit avec plus de prudence, souSnt
beaucoup moins des suites de la guerre, et chercha, dans la mesure de ses moyens, i
alléger les maux de ses frères plus infortunés que lui. Les autres Suisses, ainsi que
l'Angleterre et l'Allemagne, envoyèrent d'abondants secours. C'est alors que Pesta-
lozzi fonda à Stanz une maison d'éducation, où il recueillit plus de 80 enfants pauvres
LA SUISSE PITTORESQUE. 229
OU orphelins des deux sexes; il y fit l'essai de sa nouvelle méthode, qui bientôt se
répandit en Europe; mais deux ans plus tard, la guerre dont les Petits-Cantons furent
le Ihéàtre, le força à transporter son établissement à Berthoud.
L'Acte de médiation rendit à Unterwald son ancienne Constitution. Obwald s'é-
tait fait représenter à la Consulte qui précéda cet Acte, par un député qui se nom-
mait Ignace de Flûe. En 1814, Nidwald fut, avec Schwytz, le dernier canton qui
persista à ne pas reconnaître la Diète de Zurich. C'est alors que la vallée d'En-
gelberg, qui jusqu'en 1798 avait été gouvernée par l'abbé du couvent, et qui à
cette époque avait été réunie à Nidv^ald, ne partageant pas les sentiments des ci-
toyens de cet Etat, demanda et obtint d'être réunie à celui d'Obwald. Nous avons
déjà dit qu'après 1830 Unterwald fut au nombre des cantons qui s'opposèrent à
tout changement du Pacte de 181K, et que ce fut à Sarnen que se réunirent en
1833 les députés des trois Waldstœtten, de Bàle et de Neuchàtel, pour rédiger leur
protestation collective.
Plus tard, Unterwald fit partie de la ligue du Sonderbund ; mais après l'occupa-
tion de Lucerne, il capitula, et fut occupé sans résistance par les troupes fédérales, à
la fin de novembre 18&7. Dès-lors, le canton s'est soumis sans opposition à la nou-
velle Constitution fédérale de 1848. Les deux parties du pays ont révisé leurs
Constitutions en 1850. Sous le Pacte de 1815, chacun des deux demi-cantons en-
voyait à la Diète un député qui n'avait qu'une demi-voix, de telle
sorte que quand leurs avis étaient diflérents, la voix du canton se
trouvait annulée. Sous la Constitution actuelle, chacun des demi-
Etats envoie un député au Conseil des Etats, et un député au Conseil
National. Les armoiries d'Obwald sont une simple clé; celles de Nid-
wald, une double clé.
Constitutions. — Voici les principaux traits des Constitutions que les deux Etats
d'Unterwald soumirent en 1815 à la garantie fédérale, et qui n'étaient que le main-
tien des anciennes institutions qui les régissaient avant 1798. Nous indiquerons aussi
les changenients les plus importants introduits par les révisions de 1850.
Obwald. La souveraineté, suivant l'ancienne Constitution, réside dans l'assemblée
générale des citoyens âgés au moins de 20 ans ; cette assemblée se réunit chaque
année le dernier dimanche d'avril ; elle élit à main levée les quatre landammanns,
le statthalter, le trésorier, l'inspecteur des bâtiments, le banneret, les deux capi-
taines, les deux enseignes et les deux inspecteurs de l'arsenal , tous fonctionnaires
qui portent le titre de Chefs du pays ( Landsvorgesetzten ) . Elle élit en outre les députés
à la Diète , adopte ou rejette les projets de lois présentés par le triple Landrath. —
Le Conseil Cantonal ou Landralh se compose des Chefs du pays, et de 65 membres
nommés par les paroisses ^ ; il exerce le pouvoir exécutif et administratif ; il juge aussi
les causes de police et les causes criminelles non capitales ; pour les causes crimi-
nelles les plus graves, il convoque le double 'on le triple Conseil. Le landammann
régnant préside les assemblées générales, ainsi que les divers Conseils; en cas
1. Les fonclîoDS des membres do Landrath étaient à vie ; c*est ce qui résoUe, non point du
texte de la GonsUtotion, qui n'était pas du tout clair, mais d*une note qu*on lit dans le Maniiêl
du Drcit public tuUsê (HafM, de» sehweix. SlaatsrechU), de Snell. Les Chefs du pays étaient aussi
nommés à vie, sauf le trésorier, Tinspecteur des bâUroents et le landammann en charge.
230 LA SUISSE PITTOneSQUE.
d*absence, le statlhalter le remplace. La justice civile est administrée en première
instance par les Tribunaux des Sept; il y en a un dans chaque paroisse, et ils se
renouvellent tous les ans; et en seconde instance par le Tribunal assermenté
{GeschtcorneU'Gerkht), qui se compose du landammann en charge et de 16 juges
nommés par les paroisses et changés tous les ans.
D'après la (Constitution adoptée en iSSO, les autorités cantonales sont : la Laiidsge-
meitide, qui vote la Constitution et les lois, élit un Conseil d*Ètal et les députés à
FAssemblée fédérale ; — le triple Conml, composé des membres du Conseil d*Ètat et du
liandrath et de 140 députés nommés par les 7 communes, à raison de 1 sur 125 ha-
bitants; il est autorité législative; il examine les projets de lois, et exerce le droit
de grâce ; — le Landrath, composé des 12 membres du Conseil d'Etat et de !(5 dé-
putés nommés par les communes, à raison de 1 sur 250 habitants; il est autorité exe-
cutive et administrative, de même que le Conseil d'État, qui lui est subordonné; la
Landsgemeinde choisit chaque année, parmi les membres de celui-^i, le landammann,
le statlhalter, et le trésorier ; — enfin le Tribunal cantonal ou d'Appel, composé de 1 3
membres nommés par le triple Conseil. — Les assemblées de communes nomment
les députés au triple Conseil et au Landrath, le président du Conseil commiina/ ( lequel
se compose des membres du Conseil d'État et du Landrath habitant la commune),
enfin un Tribunal des Sept ou de première instance. Des assemblées de paroisse élisent
des Conseils paroissiaux. Les membres de tous ces Conseils sont nommés pour 4 ans,
et renouvelés par quart ; les membres des tribunaux sont nommés pour le même
terme, et renouvelés par moitié.
NidîDald. La Landsgemeinde, d'après l'ancienne Constitution, se compose, pour
les élections, de tous les citoyens âgés de 14 ans, et pour le vote des lois, de tous les
citoyens âgés de 16 ans. Elle s'assemble le dernier dimanche d'avril, et nomme les
quatre landammanns et les autres principaux magistrats. Le statthalter et le trésorier
sont seuls soumis à une confirmation annuelle . La Landsgemeinde postérieure ( Nachge-
meinde ) se tient quinze jours après, et vote sur les lois et les impôts. Toute loi qui doit
lui être portée est lue publiquement huit jours à l'avance dans toutes les paroisses.
Le Conseil simple se compose des premiers magistrats et de 88 conseillers nommés
par les communes; il s'occupe des objets d'administration. Pour certaines décisions,
le Conseil est double ou triple, par l'adjonction d'un ou deux hommes prudents par
chaque conseiller de commune. Le Conseil extraordinaire se compose de 7 membres
au moins, et peut être convoqué par le landammann en charge, dans les cas urgents.
11 y a en outre un Conseil de guerre, un Conseil sanitaire, etc. Le Tribunal de sang, qui
prononce la peine capitale, se compose du Conseil simple et de tous les citoyens qui
ont atteint l'âge de 30 ans. La justice civile est rendue par les Justices de Paix, les
Tribunaux des Sept, et le Tribunal assermenté.
Le Nidwald n'a pas innové en 1850 autant que l'Obwald. La Landsgemeinde nomme
les premiers magistrats, et en outre le Landrath et les députés à l'Assemblée fédérale ;
quinze jours après, elle vote les lois ; chaque citoyen a le droit de présenter des projets
de lois, mais il doit les annoncer à l'avance. Le Landrath, autorité executive et admi-
nistrative, se compose des premiers magistrats et de 50 membres nommés pour six
ans. Il nomme pour deux ans, dans son sein, un Co9iseil hebdomadaire, composé du
landammann et de 12 membres, qui gère les affaires courantes, il nomme les divers
LA SUISSE PITTORESQUE. 231
tribunaux. Le Tribunal criminel se compose des membres du Tribunal assermenté
et de ceux du Landrath. Les paroisses nomment pour trois ans un Tribunal de Con-
ciliation, et pour six ans un Conseil d'Eglise. Les communes nomment un Clonseil
communal pour six ans, un président pour deux ans, une Commission scolaire et
les régents. Les six paroisses du pays forment onze communes.
Culte. — Le canton d'Unterwald professe exclusivement la religion catholique,
et dépend de l'évéché de Coire. On y compte 13 églises paroissiales ( 7 dans Obwald,
6 dans Nidwald), et un certain nombre de chapelles qui ont des desservants parti-
culiers; plusieurs sont placées sur les pâturages d'été, près des villages de chalets.
Les plus anciennes paroisses sont celle de Sarnen, qui date de Tan 848, celles de Kerns
et de Sachsein, qui sont de 1036, celles de Stanz et de Buochs, de 1148 et 1168. Il
y a en outre dans le canton cinq couvents : un de capucins et un de femmes de Tordre
Sainte-Claire, à Stanz ; un de capucins et un de bén^ictines, à Sarnen, et Tabbaye de
bénédictins d'Engelberg. Les religieuses de Sarnen avaient résidé à Engelberg du
IS"" au 17** siècle. Du temps de la reine Agnès, leur couvent renfermait un grand
nombre de demoiselles nobles.
Instruction publique. — Les écoles sont bien meilleures qu'elles ne Tétaient jadis.
La plupart des enfants les fréquentent, et ceux qui n'y vont pas, reçoivent une in-
struction chez eux ou dans des établissements particuliers. Les curés n'admettent
guère à la communion des enfants qui ne sachent pas lire et étudier par eux-mêmes
leur catéchisme. Dans chaque partie du canton il y a un Conseil scolaire, qui doit
visiter toutes les écoles de l'Etat et proposer les améliorations désirables ; il y a aussi
dans chaque commune une Commission scolaire. D'après une loi du Nidwald, tous
les enfants, riches et pauvres, doivent suivre Técole de 8 à 12 ans; l'instruc-
tion est gratuite pour les pauvres. En 1835, Obwald avait 18 écoles, qui comptaient
1542 enfants; Nidwald en avait 19, avec 1356 écoliers. Les maîtres étaient au
nombre de 44, dont la moitié n'appartenaient pas au clergé. Il existe en outre à
Stanz et à Sarnen des collèges, et au couvent d'Engelberg un gymnase, dans les-
quels on enseigne le latin, la rhétorique, la géographie, Thisloire, etc. Au gymnase
d'Engelberg on y ajoute la musique, le dessin, la langue française. Cet établissement
fut fondé par l'abbé Léodegar, mort en 1798, et on y admet des élèves qui se desti-
nent à Tétat ecclésiastique. Les enfants d'Unterwald montrent en général une grande
intelligence. On trouve dans le canton beaucoup de personnes qui ont reçu leur
éducation dans des établissements scientifiques de l'étranger, et qui connaissent plu-
sieurs langues ou passèdent diverses branches des sciences. Chaque citoyen connaît
aussi assez bien les lois et les usages de son pays.
Industrie, Commerce. — De même que les habitants d'Uri et de Schwytz, ceux
d'Unterwald ont peu de goût pour l'industrie et pour l'agriculture; ils se vouent de
préférence à la vie pastorale. Leur principale branche de commerce est la vente des
bestiaux, ainsi que celle des fromages. Ceux-ci deviennent excellents et se durcissent
considérablement avec le temps, ce qui fait qu'ils peuvent se conserver, et qu'ils
sont recherchés pour les voyages de long cours. Le canton doit s'approvisionner de
blé et de vin à Lucerne ; mais les arbres fruitiers du Bas-Unterwald et de la vallée
d'Alpnach et de Sarnen produisent un bon revenu ; on en fait du vin de fruit. On
exporte beaucoup de bois à brûler et à bâtir; on pourrait exporter aussi avec avan-
232 L\ SUISSE PITTORESQUE.
tage des ardoises et des marbres. Les communes riveraines du lac vivent en partie
du produit de la pèche et de la navigation. La vallée d'Engelberg est la contrée où
il règne le plus d'industrie et le plus d'aisance. L'abbé Léodegar Salzmann, mort en
1798, eut le premier l'idée d'y introduire des filatures de soie et de coton. Il établit
aussi dans l'abbaye un entrepôt pour le débit de leurs marchandises, et des ateliers
pour la préparation de la soie.
Hommes distingués, Artistes, etc. — Un grand nombre de citoyens se sont illustrés
par les services qu'ils ont rendus à leur pays.
Obwald. — Arnold an der Halden, du Melchthal , fut un des trois fondateurs de la
liberté helvétique. Le landammann Tiesselbach, d'Obwald, mourut à Sempadi. Ni-
colas de Flûe, que ses compatriotes vénèrent comme un saint, naquit près de
Sachsein, le 24 mars ihhl.W appartenait à une des premières familles du pays. Il [
se distingua en combattant contre Sigismond, duc d'Autriche, et montra au miUea
des fureurs de la guerre les vertus les plus touchantes. Les Suisses, enivrés de leurs
succès, voulant mettre le feu à un couvent, il les en empêcha, en disant: «Quand
Dieu vous accorde la victoire, respectez les édifices qui lui sont consacrés.» Il fut
ensuite un des magistrats de son canton , mais il ne voulut point accepter la chai^
de landammann. A 47 ans il quitta sa femme et ses dii enfants, qu'il avait soigneu-
sement élevés, et se retira dans la gorge du Melchthal, pour y prier et jeûner dans la
solitude. Sa sagesse et sa vertu le rendirent bientôt l'objet de la vénération univer-
selle; de toutes parts on venait le visiter dans sa cellule et lui demander des conseils
et des prières. On lui attribua un grand nombre de miracles. Durant les vingt-trois ans
qu'il passa dans son ermitage, il ne le quitta qu'une seule fois : ce fut pour sauver
sa patrie de la guerre civile. Nous avons raconté son apparition dans la Diète de
Stanz, et l'effet heureux que produisirent sa parole grave et son maintien austère et
majestueux . Nicolas de Flûe mourut le 21 mars 1 487 , après quelques jours de maladie,
entouré de sa famille et de ses nombreux amis. Plus tard, il fut béatifié. Deux de s^
fils parvinrent à la dignité de landammann; un autre étudia à Bàle, et fut reçu
docteur en théologie à Paris. Sa famille subsiste encore dans l'Obwald. L'ermitage
continue à être visité par de nombreux pèlerins. L'abbé Udelrich d'Engelberg est
connu par sa clémence envers des paysans révoltés. L'abbé Léodegar Salznuinn est
regardé à juste titre comme un des bienfaiteurs de l'Unterwald. Nous avons parlé
de ses efforts pour favoriser l'industrie dans sa vallée, et de la fondation d'un collège
dans son couvent. Il institua ei\ outre un registre pour les hypothèques.
Nidwald peut nommer avec orgueil Arnold de Winkelried^ qui, par son dévouement
héroïque, assura la victoire aux Confédérés sur les champs de Sempach. Un autre
Winkelried, nommé StrtUhy avait, d'après les chroniques, délivré le pays d'un animal
monstrueux qui avait son repaire sur le mont Rotzberg. Melchior Lûssi fut un homme
d'État distingué. Il remplit dix fois la charge de landammann; il fut capitaine-géné-
ral, ambassadeur à la cour de Rome, en Espagne, à Venise et près du Concile de
Trente ; et dans tous ces postes importants il soutint dignement le nom du peuple
helvétique, et sut se concilier la faveur des princes et l'estime de tous les partis.
Plusieurs Unterwaldois ont cultivé avec succès diverses branches des arts, des
sciences et des lettres : /.-/. Eichhorn, né près de Spire en 4578, s'était établi en
1600 dans VObwaldj où il fut chapelain de St.-Nicolas. Il a écrit en bon latin une vie
V V
L' NTKRWALD.
LA SUISSE PITTORESQUE. 233
de Nicolas de Flûe. — Nicodème de Flûe a laissé en manuscrit de Iwns travaux concer-
nant rhistoire du pays. H fut consulté par Thistorien Mûiler, qui visitait son canton.
Ignace de Flûe, son fils, chef de bataillon au service de France sous Napoléon, a
laissé aussi des manuscrits historiques et un drame patriotique : Le frère Nicolas à la
Diète de Stanz. — Abarl, originaire du Tyrol, et Durrer de Kerns, furent des sculp-
teurs distingués. Bâcher de Kerns, Heimann de Sarnen, MaUer et Catani d'Engelberg,
se sont fait connaître comme peintres. Millier, ingénieur à Engelberg, a fait un grand
nombre de reliefe de montagnes, etc.
Nidwald n'a pas moins de noms à citer. Zelger, landammann, et Basinger, curé,
tous deux de Stanz, ont écrit ensemble une histoire du peuple d'Unterwald. Le
landammann Kaiser, de Stanz, a écrit plusieurs pièces dramatiques, entre autres : Le
Nouvel an de 1308 dam VUnterwald, qui fut représenté à Stanz avec beaucoup de
succès pour fêter le S"* jubilé de la liberté helvétique. Wûrsch ou Wyrsch, de Buochs,
fut un célèbre peintre; il était aveugle quand il périt dans les flammes, lors de la
prise de Stanz par les Français. Obersteg, J, Zelger, H. Kaiser; Melchior et Théodore
Deschfvanden, ont cultivé ou cultivent encore le même art. Enfin, parmi les noms
de plusieurs sculpteurs, celui de Chrisien de Wolfenschiessen est le plus saillant.
Un grand nombre des œuvres de ces divers artistes décorent les églises du canton.
Moeurs, Coutumes, Caractère. — Le peuple d'Unterwald est bon et afifable, quoi-
que un peu défiant vis-à-vis des étrangers; il est courageux et intrépide au milieu
du péril. On remarque que l'habitant de TObwald se distingue par plus de prudence
et de réserve, et celui du Nidwald par un caractère plus vif et plus impétueux. Ce
petit peuple dédaigne la politique , mais aime à jouir paisiblement de sa vie pasto-
rale. Il est ferme et fidèle dans la foi de ses pères; il pousse même ce sentiment
jusqu'à l'enthousiasme, si l'on attaque sa foi et sa liberté, et il est prêt à sacrifier sa
vie pour les défendre. Il aime à s'entendre appeler le pieux Unterwaldois. On ren-
contre le long des chemins un grand nombre de petits oratoires, où se trouvent des
images de la Vierge ou des Saints. Il n'y a pas de pays où le peuple ait une plus
grande vénération pour ces images sacrées; elles sont quelquefois nichées assez
pittoresquement dans des troncs d'arbres et entourées de feuillage. On voit souvent
des femmes s'inclinant, le chapelet en main, devant ces saintes reliques. C'est surtout
l'image de saint Nicolas de Flûe que l'on retrouve au coin des routes et des jardins
et dans l'intérieur des chaumières. On lit aussi sur les murs extérieurs de beaucoup
de maisons, comme dans les cantons de Berne et du Vallais, quelques versets de la
Bible.
Les habitants d'Unterwald ont coutume de mêler la religion dans tous les actes
de leur vie et jusque dans leurs fêtes. Ainsi, les corporations ou confréries d'ouvriers
sont toutes sous la protection d'un saint, et leur fête a un caractère religieux. Dans
Nidwald, la confrérie des tailleurs et des cordonniers est sous la protection de saint
Crispin ; celle des ouvriers à profession bruyante, tels que les forgerons, les ser-
ruriers, etc. , est sous celle de François-Xavier et de Népomucène ; celle des com-
merçants, des artistes, etc., a pour patron saint Joseph. Leurs fêtes se célèbrent en
automne ou au temps du carnaval. Dans l'Obwald, tous les ouvriers forment une
seule corporation, dont la fête a lieu le dernier dimanche de janvier, à Sarnen ou à
Kerns. Les confréries de bergers ont pour patrons saint Wendelin et saint Antoine ;
II, 15. 30
234 LA SUISSE PITTORESQUE.
leur fête se célèbre quand les troupeaux sont redescendus des pâturages alpins^ et
présente des particularités curieuses. Les chefs de Tassociation, portant à leurs habits
et à leurs chapeaux de gros bouquets artificiels, se rendent à Téglise, où Timage de
leur saint est placée sur Tautel. Après la messe et une prédication où Ton a fait la
louange de la vie pastorale, le cortège se promène, musique et drapeau en tête; trois
individus, déguisés en génies des montagnes et armés de branches de pin, balaient
la route devant la procession, dont font partie les images des patrons et le clergé de
Tendroit. On se rend enfin dans une luHellerie, au milieu des cris joyeux de toute la
population. Le banquet est suivi d'une nouvelle promenade et d'une distribution de
vivres aux familles les plus pauvres. Le lendemain matin, après le service religieux,
commencent les danses. Cette fête s'appelle Aelperkilwi, La fête des tireurs (Schûtzett-
kilui) se célèbre d'une manière à peu près semblable. Leur patron est saint Sébastien .
De jeunes garçons, à la tête de la procession, portent les prix destinés aux plus
adroits: ce sont des fromages, de l'argent, un agneau orné de bandelettes, etc. — Il
existe encore un grand nombre de confréries en l'honneur de divers saints, en par-
ticulier celle de Saint-Nicolas de Flûe ; puis, dans les principaux endroits, des sociétés
musicales, dont la patrone est sainte Cécile, et dont les concerts font partie des
cérémonies religieuses.
Les exercices gymnastiques, et particulièrement la lutte, sont aussi au nombre
des divertissements nationaux. Les fêtes des lutteurs ont lieu à des jours fixés et sur
diverses montagnes, où se réunissent tous les pâtres des environs et même ceux des
chantons voisins. Les principales de ces fêtes ont lieu le 26 juillet sur une alpe au-
dessus de Sachseln, le 40 août sur la Tannalp, appartenant à la paroisse de Kerns, et
située près du lac de Melch, et le 1*"^ dimanche d'août sur la Stadtalp au fond du petit
Melchthal; ces deux dernières alpes sont limitrophes du Hasli; le deuxième et le
dernier dimanche d'août, d'autres réunions ont lieu sur la frontière de l'Entlibuch.
— Le peuple d'Unterwald prend beaucoup de plaisir aux représentations théâtrales,
et l'on a quelquefois joué des pièces sur de petits théâtres établis momentanément à
Stanz, à Sarnen, à Engelberg et ailleurs. Il y a même â Stanz une société théâtrale.
On a aussi représenté quelquefois en plein air des scènes tirées de l'histoire nationale.
Ainsi, en 1788, on a représenté diverses scènes de l'histoire du pays sur les localités
mêmes où elles s'étaient passées. Dans l'hiver de 1807, on a célébré â Sarnen de la
même manière le cinquième jubilé centenaire de l'affranchissement. — Enfin les
Landsgemeindes sont de véritables solennités nationales, qui attirent une nombreuse
affluence d'assistants. Après le service du matin, les citoyens, précédés des magistrats
et des huissiers en costume officiel, se rendent sur le lieu de l'assemblée. En tête
marche un corps de musique, ainsi que quelques hommes vêtus aux couleurs natio-
nales, blanc et rouge, qui de temps en temps font retentir les airs du son des
anciens cors de guerre. Après la prière et l'exécution d'un cantique par le clergé, le
landammann dépose sa chaire, et l'on procède aux élections. Ensuite, le cort^ se
rend â l'église au son des cloches ; le clergé reçoit le nouveau landammann , lui
adresse une harangue, et chante un Te Deum, La fête se termine par un grand banquet.
Stanz, Stanzstad, Buoghs. — La vallée où est situé le bourg de Stanz, chef-lieu
du Bas-Unterwald, est l'une des contrées les plus belles et les plus riantes de la
Suisse. Les magnifiques vergers qui entourent ce bourg, ressemblent â une véritable
LA SUISSE PITTORESQUE. 238
forêt, où de jolis seniiera forment les promenades les plus champêtres. La vallée est
dominée au sud par le Stanzerhorn bu la Blum-Alp, et au nord par le Bûrgenstock,
qui la préserve des vents froids et lui assure un climat plus tempéré que celui des
autres vallées du pays. Le bourg compte 18 à 4900 habitants. L'h6tel-de-ville est
orné d'un grand nombre de portraits représentant d'anciens magistrats dans le
costume du temps. On montre dans l'arsenal la cotte de mailles que portait Winkelried
à la bataille de Sempach. La statue du héros est placée sur une colonne à côté de
l'église. Sa maison, située tout près du bourg, existe encore. L'église est un édifice
remarquable, orné de belles colonnes en marbre noir. On voit dans une petite cha-
pelle un monument élevé aux Suisses qui moururent en 4798 en défendant la patrie.
Le sommet du Bûrgenstock offre de divers côtés des coup&Hl'œil admirables.
La vallée de Stanz aboutit aux deux golfes d'Alpnach et de Buochs ; au bord de
celui d'Alpnach est le village de Stanzstad {Rivage ou Port de Sianz), dont la vieille
tour blanche, qui date de 4300, se reconnaît de très-loin de divers côtés. Le village
fut réduit en cendres le 9 septembre 4798. Au sud de Stanzstad et le long du golfe
d'Alpnach s'élève le mont Rotzberg, où se trouvent les ruines du château de ce nom,
qui avait été la résidence de Wolfenschiess, lieutenant de Landenberg, et dont les
Confédérés s'emparèrent le 4'"' janvier 4308. Un jeune homme s'y fit introduire
par sa maîtresse à l'aide d'une échelle de corde, et se servit du même moyen pour
faciliter l'entrée à ses compagnons d'armes. Ceux-ci se saisirent de tous ceux qui
occupaient le château. Entre le Rotzberg et le Plattiberg est située la gorge sauvage
du Rotzloch, où l'on voit des cascades et un moulin à papier. Un chemin partant de
Stanzstad y passe pour aller rejoindre la route de Sarnen. — A demi-lieue de Stanz,
sur le chemin de Buochs, est une place ornée de tilleuls et garnie de bancs, où s'as-
semble la Landsgemeinde. Buochs est un beau village, qui donne son nom à un large
golfe du lac de Lucerne. On y jouit d'une belle vue sur le bassin que forme le lac jus-
qu'à Bninnen, sur les rives délicieuses de Gersau et sur les pics du Mythen. C'est là
que naquit le peintre Wûrsch, dont les ouvrages ont contribué à la fois à l'avancement
de l'art et à la gloire de son pays. Lucerne, Sarnen, Engelberg, possèdent plusieurs
belles productions de cet artiste. Son atelier fut consumé lors de l'incendie du vil-
lage par les Français. De Buochs, un bon sentier suit les bords du lac jusqu'à
Beckenried, et s'élève ensuite le long des pentes verdoyantes et pittoresques d'Ematten
jusqu'au village de Seelisberg, qui domine les deux bassins du lac, et d'où l'on peut
aller visiter le Grutli.
Bourg et Lac de Sarnen. — Le chef-lieu d'Obwald est un bourg de 3400 âmes,
bien bâti, et situé dans une vallée romantique, au bord du lac du même nom. L'hôtel-
de-ville est orné des portraits de tous les chefs de la république depuis 4384, et de
deux tableaux du peintre Wûrsch, dont l'un représente saint Nicolas de Flûe, et
l'autre les atroces traitements que subit le père d'Arnold du Melchthal. Au-dessus
de Sarnen s'élève une colline où était jadis le château du bailli Landenberg, qui
fut pris le 4*' janvier 4308 par vingt paysans qui apportaient les présents d'usage.
C'est sur le lieu même qu'il occupait que s'assemble maintenant le peuple souverain
d'Obwald. Près de là est l'arsenal, la place du tir, et une église de belle architecture.
La coilîne, qui a conservé le nom de Landenberg, offre un point de vue admirable.
Le lac de Sarnen se dessine au milieu de rives pittoresques. Ses formes onduleuses.
236 LA 8IJ18SE PITTOKESQUE.
les habitations éparses, les fraîches prairies et les groupes d'arbres dont il est en-
touré, en font un charmant tableau pastoral. Le calme qui règne sur ses bords
convie Tàme à une douce mélancolie; un diorama, qui représentait cette gradense
contrée, a obtenu à Paris et à Londres un véritable succès. Vers l'extrémité du lac,
on aperçoit de sombres forêts et quelques sommités neigeuses du canton de Berne.
Du côté du nord, la vue s* étend jusqu'au golfe d'Àlpnach, où l'Àa va verser le tri-
but de ses eaux ; on voit le village d'Alpnach, situé au pied du Pilate. Ce village
possède une très-belle église, et il exploite les grandes pentes boisées qui le dominent.
Kerns, Sachseln, Melchthal. — Le joli village de Kerm est au milieu d'une
riante contrée couverte d'arbres fruitiers. Son église est neuve et d'une architecture
remarquable. Snchseln est un beau village sur le lac de Sarnen, à demi-lieue du bourg.
On y voit une belle église, ornée d'un grand nombre de colonnes de marbre, dont
huit sont d'une seule pièce ; une partie des murs est aussi revêtue de marbre blanc.
On conserve dans cette église les ossements de Nicolas de Flûe. Us sont cou-
verts de vêtements précieux et enfermés dans un cercueil placé devant le mattre-
autel. Les vêtements du saint sont conservés aussi dans une armoire. Ces reliques
attirent de nombreuses troupes de pèlerins. De jolis sentiers conduisent sur la colline
où est situé le hameau de Flûhli (Petit Rocher), dont Nicolas a tiré son nom de
famille. L'une des maisons qu'on y voit est, dit-on, celle où il naquit ; l'autre lui
servit d'habitation. De là, un sentier descend dans la gorge du Melchthal, au lieu
nommé Ranft, où l'on trouve deux chapelles et la cellule du frère Klaus (pour
Niklaus), dans laquelle on voit encore la pierre qui, dit-on, lui tenait lieu d'oreiller;
il ne se servait de couvertures que dans les plus grands froids d'hiver. On conserve
encore deux épées, deux cuillers de bois et un gobelet d'argent, dont il se servait
avant sa retraite. En remontant la paisible et romantique vallée du Melchthal, cou-
verte d'une multitude de cabanes, on arrive au village du même nom, et plus haut
au lac de Melcb, à la belle alpe du même nom, et à celte de Tann, qui confine avec
Berne. Un sentier y passe et conduit dans le Hasii.
Lac de Lungern, Brunig. — Entre le lac de Sarnen et celui de Lungern, on monte
quelques centaines de pieds. L'Aa, qui sort du second de ces lacs, fait deux chutes
Le Ue de LuoKero.
pittoresques. Le vallon de Lungern est aussi une délicieuse et pastorale contrée ; son
joli lac est encadré de prairies gracieuses et de sombres massifs d'arbres, au milieu
desquels contraste la blancheur éblouissante d'une cascade. Par-dessus les forêts, on
LA SUISSE PITTORESQUE. 237
aperçoit quelques cimes neigeuses du canton de Berne. Il reste 1300 pieds à gravir
pour atteindre le col du Brûnig, d'où Ton découvre toute la vallée du Bas-Hasli avec
les montagnes qui le séparent du Grindelwald. Ce col, qui est très-bas (3S80), est
une voie très-fréquentée pour se rendre de Luccrne dans TOberland. Il est question
depuis quelque temps d'y établir une route de voiture.
Couvent et Vallée d'Engelberg. — L'abbaye d'Engelberg est située dans une
vallée verdoyante, qu'entourent de grandioses montagnes couvertes de glaces et de
neiges éternelles. Elle fut fondée par Conrad de Seldenbûren en 1083. On y conserve
encore la crosse d'Adhelm, le premier abbé ; elle est en bois d'érable et surmontée
d'une corne de chamois. Les abbés exercèrent dans leur plénitude les droits de souve-
raineté sur les habitants de la vallée jusqu'en 1798. A cette époque, l'abbé les éman-
cipa complètement. Nous avons parlé de l'abbé Léodegar Salzmann, qui fut le bien-
faiteur de la contrée, en y favorisant l'industrie et instituant un collée ( voyez
ci-dessus). L'église est à 1860 pieds au-dessus du lac de Lucerne, et à 3180 au-
dessus de la mer. Non loin du couvent, vingt sources abondantes se réunissent pour
former le ruisseau d'Ërlenbach. L'Aa, qui vient des neiges des Alpes Surènes, sort d&
la vallée par une gorge étroite, pour se diriger vers la spacieuse vallée de Stanz.
Dans le vallon d'Horbis, qui s'ouvre au nord de l'abbaye, et qu'on appelle le BotU
du monde j une source périodique ne coule que depuis le mois de mai à celui d'oc-
tobre. Une grande partie de la vallée d'Engelberg est très-exposée aux avalanches
et aux inondations. Le Titlis, la plus haute des sommités voisines, a été escaladée
bien des fois depuis le milieu du siècle dernier ; sa cime est couverte d'une couche
de glace d'une épaisseur qu'on évalue à 17S pieds. Le vaste panorama qu'on y
embrasse s'étend de la Savoie au Tyrol.
Divers chemins parlent d'Engelberg. L'un conduit, par le col des Alpes Surènes,
à Âltorf. En remontant l'Aa, on voit les belles cascades du Tâtschbach et du
Stierenbach; puis on arrive à la Black-Alp, d'où le Titlis, les Spanôrter, le Schloss-
berg et leurs glaciers offrent le point de vue le plus admirable. A mesure qu'on
s'est élevé, le Titlis a pris des proportions plus colossales. Au-dessus de cette alpe,
il faut monter plus d'une heure pour atteindre le sommet du passage (7220 pieds).
C'est une étroite échancrure, large de cinq pieds, entre deux rocs (la Suremn-Eck),
A gauche, s'élèvent le Blackenstock et l'Uri-Rothstock ; à droite, le Schlossberg, qui
fait partie de la chaîne du Titlis. Le sommet du col ne se dépouille jamais de neige.
De l'autre côté, la vue plonge sur le Schœchenthal et sur une partie des Alpes d'Uri
et de Claris. Une division française, commandée par Lecourbe, pénétra en 1799 par
le col Surène dans la vallée de la Reuss, et y attaqua les Autrichiens ; mais elle dut
se replier bientôt après devant Souwarow. — Un autre sentier, rapide en quelques
endroits, mais point difRcile, conduit par le Joch (6890) à l'Engstlen-Alp et à Mey-
ringen. Il passe près du Trûbsee. Du sommet Ton peut contempler d'assez près les
glaces du Titlis. Enfin, on se rend d'Engelberg dans le Melchthal par deux sentiers :
celui de la Storegg (6280) est le plus facile; celui du Jochli (6690) a des pentes
beaucoup plus raides.
CANTON DE GLARIS.
SiTLATiON, Etendue, Climat. — Le canton de Claris est limité au nord par le lac
de Wallenstadt et par le canton de St.-Gall, à l'est par le même canton, au sud par
les Crisons, à l'ouest par les cantons d*Uri et Schwytz. Trois chaînes de montagnes
le séparent de ces cantons. Sa population est de 30,213 habitants. Sa superficie est
de 29 ^|^Q lieues carrées. Sa longueur est de 12 lieues, sur une largeur qui varie de
4 à 6. Mais une septième partie du pays seulement se trouve en plaine ou dans le
terre-plein des vallées; tout le reste est occupé par les pentes et les plateaux des
montagnes. Le climat n'est pas si rude qu'on pourrait le croire au premier aspect,
en considérant les montagnes élevées qui couvrent le pays. L'hiver est froid à la
vérité, et il tombe d'immenses quantités de neige sur les hauteurs, mais les neiges
Tondent de bonne heure au printemps sous l'influence du vent du sud ou fôhn, et
les montagnes du canton de St.-Gall protègent une partie du pays contre les rigueurs
des vents du nord; on assure même que souvent on cueille des fraises parfaitement
mûres vers la fin d'avril, et des cerises au mois de mai. D'ailleurs, toute la contrée
habitée de la vallée principale, qui est la plus populeuse, n'atteint pas une élévation
considérable. Linththal, chef-lieu de la commune la plus rapprochée des plus hautes
montagnes, n'est qu'à 20S0 pieds au-dessus de la mer.
Montagnes, Vallées et Rivières. — Les montagnes de Claris s'élèvent de 5 à
12,000 pieds. Leurs points culminants se trouvent sur les confins des Crisons ; on y
voit le Piz Rosein, pyramide gigantesque de 12,760 pieds* ; le PelH Tœ4%, 11 ,153; le
Bifertenstock, 10,860; le Selbsanft, 9740; leHaasstock, 9710; le Tschingelspils^ ou
aiguille de Segnês, 8950 ; la Scheibe, qui touche à St.-Call, 9500. Sur les confins
d'Uri s'élèvent le Scheerharn, 10,140; les Alpes Clarides, 10,000; sur les confins
1. Le Pi% Rosein^ inférieur à la JungHrau d'une centaine de pieds seulement, aurait dû être
mentionné à la page 69.
LA SUISSE PITTORESQUE. 239
de Schwytz, le Scheyenstock, 6500 ; le Reiselt, 8632, dont le Glœrnisch, 8920, est
le prolongement ; le Pfannemtock, 6610; le Mutriberg, 7110; le Flachsempitz, au-
quel se rattache le Wiggis ou RaiHi, 6950 ; le Hirzli, 5120; sur ceux de St.-Gall,
kRiseten, 7700; le Spitzmeilen, 7709 ; le Schillberg, 7370 ; le Murischetistock, 7270.
Une ramification qui se détache de la chaîne grisonne, et dont le plus haut sommel
est le Karpfstock, 8600, court vers le nord sous le nom de Freyberg, et sépare les
deux principales vallées glaronaises, celle de la Linth ou Linththal, arrosée par la
Linth, qui prend ses sources dans les vastes glaciers du Toedi et des Alpes Glarides,
et le Sernflthal, arrosé par la Sernft, qui descend des environs du col Panix. Cette
vallée s'appelle aussi le Kleinthal ou petite vallée ; elle forme un demi-cercle, et
débouche dans celle de la Linth à Schwanden. Il y a en outre quelques autres vallons
de peu de longueur et la plupart inhabités : le principal est le romantique vallon de
Klœnthal, situé au nord du Glœrnisch et voisin de Claris; if est arrosé par le Klœn-
bach, qui prend le nom de Lœntsch à sa sortie du lac de Klœn.
Par suite de la raideur des pentes de montagnes, les pluies qui tombent sur les
sommités se précipitent avec une telle vitesse dans les vallées, qu'elles y occa-
sionnent de terribles inondations. La Linth déborde souvent à la suite des fontes de
neige ou des pluies ; en 1762 et en 176& elle convertit en un lac une grande partie
de ses rives. La masse de débris et de sable qu'elle charrie rendant son lit peu élevé
et ralentissant son cours, elle avait fini par former au nord du canton un immense
marais, qui rendait très-insalubre toutes les contrées voisines. Elle se dirigeait vers
le lac de Zurich, sans se jeter dans celui de Wallenstadt, et faisait refluer les eaux de
la Mag, qui sortait de ce dernier lac. Les villes de Wesen et de Wallenstadt, situées
aux deux extrémités du lac, étaient inondées tous les étés. En 1807, la Diète adopta
les plans proposés par M. Conrad Escher pour corriger le cours de la Linth. De
Mollis, la rivière a été détournée dans un canal d'une lieue de longueur, qui la con-
duit dans le lac de Wallenstadt; on lui a tracé, entre le lac de Wallenstadt et celui
de Zurich, un lit plus profond, afin d'abaisser le niveau du lac, et on l'a dirigée en
ligne droite, afin d'augmenter la pente. Ce lit est digue et navigable. Ces travaux
importants ont été achevés en dix ans, et ont donné des résultats heureux : ils ont
rendu à la culture des terrains considérables, et assaini la contrée. Ils ont été exé-
cutés au moyen d'une souscription patriotique, qui s'est élevée à 4000 actions de
200 livres anciennes, ne portant aucun intérêt. Les services rendus à la Suisse dans
cette entreprise par M. Escher, lui ont fait décerner par la Diète le nom à'Escher
de la linth.
Lacs et Cascades. — Le canton de Claris possède une partie des rives du lac de
Wallenstadt et plusieurs autres petits lacs situés dans des vallons et sur des plateaux
élevés. Le principal est celui de Klœn, qui donne son nom à un gracieux vallon ;
il a près d'une lieue de longueur, sur vingt minutes de largeur ; il est élevé de
2730 pieds, et nourrit plusieurs espèces de poissons, truites, lottes, brochets, etc.
VOherhlegiSee, à l'ouest de Schwanden, s'écoule par le Lengelbach, qui forme plu-
sieurs cascades ; le MiUlensee, près des glaciers du Kistenberg, est presque toujours
gelé; il s'écoule par un dégorgement souterrain, qui forme le Limmernbach, une des
sources de la Linth. VOberseeei le Niedersee (lac supérieur et inférieur), au-dessus
deNsefels, sur la pente nord du Wiggis, donnent naissance au Raûtibach, qui forme
ikO LA SUISSE PITTORESQUE.
une belle chute. — Les cascades les plus remarquables sont celles du Fœtsehback et
du Schreienbaclh près de Linlhlhal ; celles i'Oberstaffel et du Ummernbach, près des
sources de la Linth ; celle du Plattenberg, dans le SernIUhal près d'Engi, etc.
Eaux minérales. — La source minérale la plus renommée du canton est celle du
Stachelberg, près du village de Linththal ; rétablissement est Irès-fréquenté, et dans
une belle situation ; la source est fortement sulfureuse et alcaline, mais elle est peu
abondante; elle sort d'une petite fissure de la montagne, à demi-lieue de rétablisse-
ment. On a découvert à Mollis, en 1823, une nouvelle source minérale, et un bâti-
ment de bains y a été construit sur les bords de la Linth. Une source d'eau soufrée
jaillissait autrefois sur la Wichlen-Alp, à une lieue d'Elm, au pied du Panixerpass;
on en faisait usage pour des bains, mais elle s'est perdue en 1764.
Histoire naturelle. — Règfie animal, La chasse a considérablement réduit le
nombre des animaux sauvages sur les montagnes de Glaris. L'espèce des bouquetins
est détruite depuis plus de deux siècles. Pour protéger le chamois contre une en-
tière destruction, le Gouvernement avait mis des restrictions au droit de chasse sur
la chaîne du Freyberg. Le nom de cette montagne ( franche ou libre montagne )
vient de cette espèce d'asile accordé à cet animal. Pendant longtemps, la chasse n'y
a été permise que trois mois environ par année, de la St.-Jacques à la St.-Martin. On
cite les noms de quelques fameux chasseurs, qui ont tué chacun plusieurs centaines
de chamois. — Les vaches du canton sont d'une espèce plus petite que celles de
Schwy tz, mais elles donnent beaucoup de lait ; elles sont plus grandes que celles du
canton de St.-Gall; environ 10,000 vaches, 10,000 moutons et 6000 chèvres pâ-
turent en été sur les alpes du pays; mais les fourrages recueillis pour l'hiver sont
bien insuffisants pour nourrir toute cette quantité de bétail. Le canton élève aussi
un certain nombre de chevaux ; cet animal est estimé pour sa force.
Règne végétal, culture. Les montagnes de Glaris sont riches en plantes alpines,
dont plusieurs sont très-rares. On y recueille aussi une grande quantité d'une espèce
de trèfle, le méiilot bleu, qu'on emploie pour la fabrication des fromages, ainsi que
du lichen d'Islande et de l'écorce de garou, qu'on exporte dans divers pays étran-
gers. Au-dessus de Schwanden, les vallées du pays ne présentent guère que des
pâturages ; mais la partie septentrionale de la vallée de la Linth, de Schwanden à
Bilten, offre des terrains fertiles et bien cultivés. Les arbres fruitiers y prospèrent;
on y voit croître des pêchers, des abricotiers, et même des amandiers dans des val-
lons bien abrités. Il y croit aussi de la vigne en quelques localités, par exemple près
de Mollis et d'Ennenda. Plusieurs montagnes sont couvertes de forêts, mais elles
n'ont pas été ménagées avec assez de prudence, et le bois manque dans quelques
communes.
Règm minéral. Les montagnes de Glaris sont principalement composées de roches
calcaires grises ; mais vers le sud, au Toedi et aux montagnes voisines, le calcaire a
pour base une roche primitive. Ailleurs, les roches calcaires sont mélangées de
couches de schiste argileux ou de grauwacke rouge d'une grande variété de nuances.
Le mont Plattenberg, au-dessus d'Engi, est renommé pour ses belles ardoises et
pour ses poissons pétrifiés. On trouve aussi du gypse sous les schistes argileux au-
dessus d'Engi. Sur plusieurs points, on trouve du marbre noir ou veiné de blanc.
On rencontre, parmi les cailloux roulés du lit de la Linth, du spath fluor couleur de
LA SUISSE PITTORESQUE. 2&1
rose, et des cristaux quartzeux d'un bleu améthyste, qui proviennent des roches pri-
mitives des environs du Tœdi. Il y a sur la Sand-Alp, au pied du Tœdi, des pyrites
cuivreuses, dont la forme est sphérique et Tintérieur étoile, ce qui fait que les pfttres
les désignent sous le nom de Strahlstein, ou pierre étoilée. On a reconnu un grand
nombre de pétrifications sur diverses montagnes, entre autres des cornes d'ammon
sur le Glœrnisch ; sur la Limmern-Âlp on sent une forte odeur de pétrole ; sur la
même montagne et ailleurs, les parois de schiste calcaire sont couvertes d'un sel
nommé Salzlakine; les chamois viennent par bandes pour lécher ces roches. Il existe
dans le canton plusieurs mines d'argent, de cuivre et de fer, mais les difficultés et
les frais d'exploitation les ont fait négliger; au 16'' siècle on avait commencé l'ex-
ploitation d'une mine d'argent sur le mont Guppel. — Le canton de Claris est une
des contrées de la Suisse où l'on ressent le plus grand nombre de tremblements de
terre. On en a compté 33 dans le 17® siècle; il y en eut 37 depuis août 1701 à
février 1702, et 50 de 1763 à 1764.
Histoire. — On assure que les Romains ont occupé le bas de la vallée de Claris ;
on a trouvé près de Mollis, en 1765, 200 pièces de monnaie de divers empereurs.
En 490, un moine irlandais, nommé Fridolin, qui avait fondé plusieurs couvents,
entre autres celui de Seckingen, sur les bords du Rhin (rive badoise), vint propager
la foi chrétienne aux environs de Claris, et y bâtit une église. Plus tard, tous les ha-
bitants du pays, à l'exception de quarante familles, telle^s que les Tschudi, les Elmer,
lesSchindler, lesGallati, les Trûmpi, les Freuler, devinrent serfs de cette abbaye de
Seckingen. Plusieurs membres de la famille Tschudi, une des plus illustres du pays,
administrèrent la vallée au nom de l'abbé ; mais, dès 1 264 , la maison d'Autriche s'en at-
tribua la souveraineté, et la fit gouverner par des baillis, dont les exactions causèrent
une foule de mécontentements. Plusieurs familles libres allèrent s'établir dans les pays
d'Uri, de Schwytz et de Zurich, dont les habitants venaient de secouer le joug de
TÂutriche. Les Claronais conclurent un traité avec Schwytz en 1323 ; mais ils furent
encore opprimés par des baillis étrangers. Les Confédérés occupèrent Claris en hiver
1351, pour prévenir les dangers dont ils étaient menacés sur ce point de la part de
rAutriche, et les Claronais profitèrent de cette circonstance pour conquérir leur liberté.
Le bailli W. de Stadion, qui, à l'approche des Suisses, s'était enfui de NsBfels, rentra
dans le pays l'année suivante, mais il en fut bientôt repoussé. Le 8 juin 1352, Claris
fut admis dans la Confédération. C'était le sixième canton ( mais il n'eut plus que le
septième rang après l'admission de Berne en 1353). En 1386, les Claronais prirent
part à la bataille de Sempach. Le 9 avril 1388, aidés de quelques Schwytzois, ils
remportèrent la mémorable victoire de Nœfels. Les Autrichiens avaient forcé la mu-
raille qui protégeait le pays du côté du nord. Les 350 hommes qui défendaient le
passage s'étaient battus pendant cinq heures, puis s'étaient retirés du côté de la
montagne, où ils trouvèrent quelques renforts; alors ils se précipitèrent sur l'ennemi
engagé dans le défilé de Nœfels, le culbutèrent, et le poursuivirent jusqu'à Wesen.
On trouva sur le champ de bataille les corps de 183 comtes ou chevaliers, et de 2500
simples soldats. Onze bannières étaient restées au pouvoir des vainqueurs. Les Claro-
nais et Schwytzois perdirent 55 des leurs. Quelques années après, les Claronais rache-
tèrent tous les droits que l'abbaye de Seckingen possédait encore dans le pays, et l'em-
pereur Sigismond les releva aussi de toutes redevances. Dans le 15"" siècle, ils aidèrent
II. 16 51
242 I.A snmR pirmnRaorR.
Appenzell à secouer le joug des abbés de St.-GaU, et firent quelques conquêtes, de
concert avec d'autres Confédérés, entre autres en 1 441 celle des bailliages de Gastem
et d*Utznach, qu'ils prirent avec Schwylz. Les Glaronais combattirent avec gloire
dans diverses batailles; à Marignan, ils perdirent 400 des leurs. Zwingli fut curé
de Glaris de 4506 à 4515. Ses disciples Fréd. Brunner, Valentin Tscbudi, Hans
Heer, secondèrent ses efforts, et la Réformation, qui d'abord Tut introduite dans la
vallée de la Sernfl, se répandit bientôt dans la plus grande partie du pays.
Le canton n'avait vu aucune armée étrangère depuis 410 ans, lorsqu'il fut dés-
armé par les Français le 17 septembre 1798. 11 perdit alors ses sujets. L'annét*
suivante il se livra plusieurs combats entre les Français et les Autrichiens, à
Mollis le 28 mai et 31 août, h Nsefels le 30 août, près de Glaris le 27 et 29 sep-
tembre, elc. Les Autrichiens furent repoussés alors dans la vallée de la Sernfl:
mais, le 30 septembre, Souwarow arriva de Schwytz par le Pragel, et entra le
1*' octobre à Glaris, après s'être battu avec les Français dans le Klônthal. Ses sol-
dats étaient affamés et presque sans chaussures; 1200 étaient blessés. Après s'être
arrêté trois jours à Glaris, Souwarow dut faire sa retraite par le Sernfltbal et par le
col élevé de Panix ; mais une grande quantité de chevaux chargés de canons et de
bagages tombèrent en chemin et durent être abandonnés ; beaucoup d'hommes suc-
combèrent aussi aux fatigues de cette marche. — L'histoire du pays offre dès-lors
peu de faits saillants. L'industrie eut réparé bientôt les désastres de la guerre. Glaris
a suivi à l'ordinaire dans les Diètes une voie sage et modérée. Plus heureux que
bien d'autres cantons, il n'a point été déchiré par des dissensions intérieures.
Constitution. — Voici les principaux traits de la Constitution qui fut garantie en
1814 ; elle est remarquable |)ar les larges concessions que la partie protestante fai-
sait à la minorité catholique. Le canton se gouverne comme une démocratie pure. La
Ijandsgemeinde se compose des citoyens &gés de 18 ans, et s'assemble le second di-
manche de mai; elle exerce le pouvoir souverain, nomme à diverses magistratures,
sanctionne les lois et les impôts ; mais elle ne s'occupe d'aucune proposition qui n'ait
été communiquée au Landrath au moins un mois à l'avance. L'assemblée particu-
lière des réformés, réunie à Schwanden, nomme pour trois ans le landammann, et
les catholiques, assemblés à Nœfels, le nomment ensuite pour deux ans; le statthalter
est toujours nommé par la partie qui n'a pas élu le landammann. Le Landrath s'oc-
cupe de l'administration, et des affaires fédérales; il exerce la police, et projette les
lois. Il se compose de 60 conseillers, dont 45 réformés et 15 catholiques, et, en
outre, du landammann, du statthalter, des anciens landammanns, et de quelques
autres principaux fonctionnaires. Les divers tribunaux sont présidés par le landam-
mann; mais si un différend existe entre des personnes des deux cultes, le tribunal
doit être composé de juges pris en nombre égal dans les deux communions ; le pré-
sident (landammann ou statthalter) doit être de la religion de l'accusé ou défendeur.
Il y a en outre une Chambre des finances, un Conseil de guerre, un Conseil secret,
et une Commission des pauvres, nommés par le Landrath. Le canton est divisé en
15 communautés ou Tagwen, dont 3 sont catholiques; chacun pourvoit à son admi-
nistration particulière.
D'après la Constitution, telle qu'elle a été révisée en 1836, la Landsgemeiode,
compo&ée des citoyens âgés de 18 ans, vote la Constitution et les lois, nomme le
LA SUISSE PITTORESQUE. 245
landammann, le landstatthalter, les membres de la Commission d'Etat et des tri-
bunaux. Le corps législatif chargé de préparer les lois s'appelle Triple Lafulrath; il
compte 119 membres, et se compose du landammann, du statthalter, des 9 autres
membres de la Commission d'Etat {StatulesCommission), de 55 membres du Conseil
(Rath), nommés par les 17 communes proportionnellement à la population; de
70 autres membres nommés de même ; enfin, de 5 membres catholiques nommés
|)ar le Landrath lui-même pour représenter les catholiques habilatU dam les corn-
mwies en majorité protestantes. Les autorités executives sont : 1"* Le Cotiseil, com-
posé de 47 membres, soit des 11 membres de la Commission d'Etat, des 55 membres
nommés par les communes, et d'un des 5 membres catholiques nommés par le
Landrath ; i"" la Commission d'Etat, qui remplace le Conseil pour les affaires de
moindre importance. Il y a en outre diverses Commissions auxiliaires. Le land-
ammann préside la Landsgemeinde et les divers Conseils. Chaque confession a son
Conseil d'Eglise. Les membres de tous les Conseils et des tribunaux sont nommés
pour 5 ans. Les communes élisent leur président et leur Conseil communal, dont
font partie les membres du Conseil; les paroisses élisent leur pasteur et leur Conseil
paroissial, dont le pasteur est président.
Culte et Instruction publique. — Sur les 50,215 habitants que comptait le
canton en 1850, il y avait 5952 catholiques. Ces derniers habitent principalement
les villages de Naefels et de Nieder-Urnen. On compte aussi 5 à 600 catholiques à
Glaris, ainsi qu'à Nettstall. Il y a à Claris une église qui sert aux deux cultes. Le
Synode se compose des 18 pasteurs du canton et des candidats au saint ministère ; il
est présidé par un doyen. Le Gouvernement y assiste par unedéputation. Le clergé
catholique se compose de 5 curés, de 4 ou 5 chapelains, et des capucins de Nsefels. —
Le canton possède de bonnes écoles dans chaque commune. L'instruction est assez
répandue dans le pays, mais il n'a pas d'établissement supérieur. Les jeunes gens
qui se destinent au commerce vont souvent apprendre le français dans quelque
canton de la Suisse occidentale ou dans quelque ville de l'étranger. Ceux qui se
vouent à la carrière ecclésiastique sont aussi obligés d'aller étudier hors du pays. 11
existe à Glaris, sur les bords de la Linth, une école industrielle destinée aux enfants
pauvres, dont Escher avait conçu le projet. Une Commission philanthropique, dont
M. de Fellenberg faisait partie, l'a instituée, et a placé à sa tête un élève de l'Institut
de Hofwyl, aé dans le canton de Glaris. Elle compte une trentaine d'élèves, qu'on
instruit pour la vocation d'instituteur ou pour une profession industrielle ou agricole.
CoMMBRGB, Industrie. — Les habitants de Glaris sont un des peuples les plus in-
dustrieux de la Suisse. Ils commencèrent dans le 17*" siècle à établir des manufac-
tures dans le pays; ils travaillèrent d'abord pour des négociants de Zurich, mais
bientôt ils se mirent à le &ire pour leur compte. Ils ont maintenant des fabriques de
coton et de soierie, des teintureries, des imprimeries d'indienne, des tanneries, etc.
Glaris, Mollis, Ennenda et Schwanden, sont les principaux centres des fabriques et
du commerce du canton. Mais un grand nombre de Glaronais, qu'on évalue à un
millier, parcourent les pays étrangers ou s'y établissent dans les grandes villes com-
merciales, pour faire le trafic des produits de leur pays et d'autres marchandises.
Glaris exporte aussi, surtout pour la France, divers ouvrages en paille tressée, qui,
pour la beauté et la finesse, rivalisent avec ceux de Florence. Au milieu du 17* siècle
244 LA 8LIS8B PirrOKESQlE.
on exportait des plateaux d ardoise tirés des carrières de Mail et d*Engi ; celte indus-
trie est maintenant négligée. Les nnenuisiers de Schwanden préparaient des feuilles
minces en noyer, cerisier ou érable, connues sous le nom de Teuilles de violon, et
d*autres feuilles en bois divers pour les ouvrages en marqueterie; mais depuis que
r Amérique envoie à V Europe ses bois précieux , ce genre de travail a beaucoup diminué.
La culture des prairies, Téconomie alpestre, sont loin d*étre n^igées dans le canton ;
les excellents pâturages qui couvrent ses alpes sont une de ses principales richesses,
et on y entend fort bien l'éducation des bestiaux. Chaque année on exporte i à
3000 têtes de gros bétail et 2 à 300 chevaux, ainsi qu*une grande quantité de fro-
mages. Une des branches considérables d'exportation est celle des fromages verts dits
Schubziger, dont la fabrication est presque particulière & Claris. On broyé le rhet
dans une sorte de moulin avec du sel et du mélilot bleu {trifolium melilotum carn-
leum), qu'on cueille sur les hautes montagnes. Cette herbe entre pour 3 p. ® ^
dans le mélange. On met ensuite cette pâte dans des formes, et on la fait sécher
à l'air. C'est surtout à Claris et à Mollis que s'opère cette fabrication. Le nord du
canton possède quelques terres cultivables, qui sont exploitées avec intelligence ; la
culture des arbres fruitiers y est très-étendue. Enfin, l'on exporte du lichen, de la
mousse d'Ecosse, et une certaine quantité d'herbes aromatiques qui croissent seule-
ment dans le canton, et dont on fait une sorte de thé, connu sous le nom de thé
suisse.
Hommes oisTiNCués et Savants. — Parmi les hommes d'Etat et les capitaines aux-
quels Claris a donné le jour, on remarque particulièrement Rodolphe Stûssi, qui fut
bourgmestre de Zurich dans le IS* siècle; Jost Tschttdi, qui de 1449 & 4450 joua
un grand rôle dans toutes les affaires et les guerres de son temps, et qui fut antago-
niste de Stûssi. Il appartenait à une famille noble dont le titre remontait à Tan 906,
et qui de 4029 à 4!2S6 fournit les maires de Claris. En 4346, Rodolphe, baron de
Tschudi, étant brouillé avec un beau- frère nommé Seedorf, fut surpris un jour dans
un défilé par une troupe de soldats commandés par ce dernier ; après qu'il eut ter-
rassé plusieurs de ses agresseurs, ses armes se brisèrent; il déracina alors un jeune
sapin, et avec cette singulière lance il mit en fuite le reste de ses ennemis. (C'est
depuis cette époque que les Tschudi ont placé un sapin dans leurs armes. ) Wemer
^bli, qui fut couvert de blessures à la bataille de St. -Jacques, et fut le seul survivant
des SO Glaronais qui y assistaient. Ham ^bli, landammann de Claris, qui préserva
son pays d'une guerre civile en 4S29. Mathias et Henri Am fiu^/ commandaient
les héros de Nœfels. Hans Wala fit en 4499, pendant la guerre de Souabe, des
prodiges de valeur au défilé de Luziensteig, dans le pays des Crisons. Beaucoup
d'autres se sont distingués dans les guerres des Suisses, ou se sont élevés par leur
mérite aux plus hauts grades dans les services étrangers. Les familles Tschudi,
Freuler, Jauch, Bachtnann, Mûller, Marti, Paravicini, Schifidkr, etc., ont produit
une quantité de généraux et de maréchaux. L'un des plus célèbres est le maréchal
de camp Gallati, qui, pendant 69 ans, rendit des services signalés aux rois Henri III,
Charles IX, Henri lY et Louis XHI.
Dans la carrière des lettres, Claris a plusieurs noms à citer. ValerUin Tschudi, curé
de Claris, mort en 488K, a composé une Histoire de la Réformatian du canton de
Glaris. Il ne cessa de recommander la concorde A ses paroissiens, qui étaient partagés
LA SUISSE PITTORESQUE. 245
entre TEglise romaine et le culte protestant. Le matin il disait la messe, et le soir il
prêchait aux réformés, évitant avec soin toute question de controverse. A ceux qui
étaient formalisés de cette singulière tolérance, il répondait : Croyez-vous que lors-
qu'on est catholique le matin et réformé le soir, on ne soit pas chrétien tout le jour?
Plus tard, il renonça complètement au catholicisme. jEgidim Tschudi, mort en
4572, est Tun des meilleurs historiens de la Suisse. H, Tschtidi a publié en 4714
une chronique du canton de Glaris, et J.-P, Tschièdi, en 4726, une description du
bailliage (aujourd'hui saint-gallois) de Werdenberg. Rod, Steinmûller fut un natu-
raliste et un auteur estimé. — Gomme poëte, on peut nommer H. Larentin ou Loritz,
né à Mollis en 4488, et surnommé Glareanus (Glaronais). Il fut célèbre par son
vaste savoir et par son poème latin sur les Treize Gantons.
Mœurs, Goutumes, Garagtère. — Les habitants de Glaris se distinguent par leur
intelligence, leur jugement et leur esprit actif et industrieux ; mais ils ne sont pas
moins recommandables par leur bienveillance envers les étrangers, l'union qui existe
entre eux, et la simplicité de leurs mœurs, que n'a point fait disparaître l'aisance
répandue par l'industrie. De même que les populations des cantons voisins, ils sont
très-attachés à leurs institutions démocratiques ; mais, comme ils sont plus éclairés,
ils ont mieux compris l'exigence de l'époque actuelle, et ne sont pas opposés aux
changements dans l'organisation fédérale. Les Glaronais ont toujours eu un grand
goût pour le métier des armes, ainsi que pour la chasse. Il faut une grande intrépi-
dité pour braver les périls que présentent les monts escarpés qui hérissent le canton.
Il ne fout pas moins de hardiesse pour aller récolter les herbes aromatiques qui
entrent dans la composition du schabziger, et qui croissent sur les flancs des mon-
tagnes et presque sur la cime de rochers inaccessibles. Le faucheur glaronais, se
fiant à ses crampons et & sa bonne tète, risque souvent sa vie pour un mince salaire,
sur les pentes les plus raides. Le costume ordinaire des pâtres est une camisole en
toile, derrière laquelle pend un capuchon, dont il se couvre la tête quand il pleut.
Glaris. — Le bourg de Glaris, chef-lieu du canton, compte 4080 habitants, dont
570 catholiques. Il est à 4480 pieds au-dessus de la mer. On y voit de belles maf-
sons, de larges rues, une cathédrale gothique, un hôpital. Dans la maison des écoles
sont les archives et une bibliothèque fondée en 47S8. Glaris possède plusieurs fila-
tures de coton, des fabriques d'indienne, et des moulins à schabziger. La plupart
des hommes se vouent à l'industrie et au commerce, et l'aisance y est assez générale.
La situation de Glaris est remarquable : aucun autre chef-lieu de la Suisse n'est do-
miné de si près par d'aussi hautes montagnes; d'un côté s'élèvent les parois de
rochers du Schilt, haut de 7370 pieds au-dessus de la mer ; de l'autre, le sauvage
Glsrnisch aux assises gigantesques, et dont la hauteur absolue (8920 pieds) dépasse
celle de Glaris de 7440 pieds. En hiver, le bourg ne jouit que pendant peu d'heures
des rayons du soleil. De la colline dite du Château {Burghûgel) la vue découvre
toute la vallée. On y trouve une chapelle consacrée à Félix et à Régula ; on assure
qoe ce couple a séjourné jadis dans une grotte du voisinage. — Le grand et indus-
trieux village d'Ennenda,^situé au pied du Schilt, est séparé de Glaris par une belle
avenue d'arbres qui sert de promenade.
KusNTHAL. — Un peu au-dessous de Glaris s'ouvre à l'ouest l'intéressante vallée
de Klœnthal. On monte par un chemin assez raide, à côté d'une gorge profonde, où
2i6 LA SU1S8K PITTORESQUE.
mugit le Lœntsch, en tombant de chute en chute; tout & coup on aperçoit une des
vallées les plus attrayantes qu*il y ait dans les Alpes; elle s'étend entre le Wiggis et
le Glœrnisch ; un glacier couvre les sept cimes de ce dernier. Au bout du vallon, l'œil
découvre le joli lac de Klœn, dont les rives sont couvertes des plus fraîches prairies,
parsemées de cabanes et de bouquets d'érables et de hêtres. Le contraste des scènes
les plus sauvages et les plus riantes donne à l'ensemble de cette vallée un caractère
unique. C'est dans cette contrée romantique que l'immortel Salomon Gessner aimait
A venir passer quelques semaines, dans un chalet, pour méditer ses idylles au milieu
des scènes pastorales; c'est dans cette paisible retraite qu'il aimait à rêver, et à en-
tendre résonner au loin les clochettes des troupeaux et le cor des bergers des Alpes.
Une simple inscription a été gravée en son honneur contre un immense bloc de rodber,
dans un lieu écarté, du côté du lac opposé à la route ; dans le voisinage, les eaux
d'une cascade vont en murmurant se jeter dans le lac. — De l'extrémité du lac,
il y a encore trois lieues pour atteindre le col du Pragel, qui mène dans la vallée
schwy tzoise de Muotta ; on trouve au pied du col l'auberge de Vorauen, très-fré-
quentée par les Glaronais. On peut aussi gravir sur le Wiggis, d'où la vue s'étend
au loin du cAté du nord et de l'est. Quant à l'ascension du Glœrnisch, elle n'est point
sans danger.
NiEFELs, Mollis. — Entre Glaris et Nœfels, on passe à Nettstall, grand village au
pied des immenses pentes du Wiggis, et très-exposé aux avalanches du printemps.
Nœfels est aussi un lieu considérable. Son ^lise passe pour la plus belle du canton.
Sur une hauteur est le couvent de capucins de Marienbourg, qui occupe l'emplace-
ment d'un ancien château. Au nord de Nœfels, sur l'ancien champ de bataille, on voit
encore les onze bornes plantées en mémoire des onze attaques qu'il fallut repousser.
Chaque année, le second jeudi d'avril, en vertu d'un ancien décret, on célèbre solen-
nellement le souvenir de cette mémorable victoire, par une procession sur le théâtre
du combat et par un service religieux. On s'y arrête pour donner lecture d'un récit
de la bataille et de la liste des Glaronais qui moururent pour la patrie. Depuis 16SS,
les protestants ont cessé d'assister à la procession, mais ils célèbrent ordinairement
la fête dans leurs paroisses. Cependant, le 42 avril 1855 la solennité a eu lieu à
Nœfels en présence d'un grand nombre de protestants. Un magistrat a prononcé un
discours politique, et le célèbre capucin de Coire, Théodosius, un sermon, dont il
avait pris le texte dans le livre des Macchabées : Sùiivetiez-vous des faits de m» aïeux,
et imitez-les. Les 55 Glaronais tombés à Nœfels sont ensevelis dans le cimetière de
Mollis, et leurs noms sont gravés en lettres d'or dans l'église. Mollis est dans une
charmante situation, au milieu de superbes prairies et d'une forêt d'arbres fruitiers.
Il a de jolies maisons, un établissement de bains, des fabriques d'indienne et de
schabziger. Un sentier conduit de Mollis à Kerenzen et à d'autres villages situés sur
les hauteurs qui dominent le lac de Wallenstadt.
LiNTHTHAL, Sand-Alp. — Près de Schwanden, gros bourg à une lieue au sud de
Glaris, on aperçoit au fond de la vallée les cimes majestueuses et les glaciers du mont
Toedi ; à mesure qu'on avance vers sa base, il se cache derrière les montagnes plus
rapprochées du spectateur. On voit à gauche l'ouverture de l'étroite vallée de la
Sernfl. Quant à la vallée de la Linth, appelée aussi Grossthal ou grande vallée, elle
présente une série de frais paysages, animés de distance en distance par de jolies cas-
LA SUISSE PITTOBESQUR. 2&7
cades : à droite celle du Lengenbach, à gauche celles du Diesbach et de Durnacb. Le
chemin, qui est presque uni, traverse constamment de belles prairies parsemées de
hameaux. On aperçoit au loin le bfttiment des bains du Stachelberg, sur la rive droite
de la Linth, et le village de Linththal. Melcbior Thout, géant de plus de sept pieds,
que Ton conduisait de ville en ville pour le montrer aux curieux, est né dans cette
partie de la vallée. A un quart de lieue de Linthtbal s'ouvre une gorge où le Tœtsch-
bach fait une cbute pittoresque, qui mérite d'être vue de près. C'est à côté de ce
torrent que commence un sentier qui conduit à ÂUorf par Talpe qu'on nomme Ur-
nerboden (sol d'Uri), ou Marchalp (alpe frontière), et par le col de Kiausen. Une
demi-lieue plus loin, on se trouve en face d'une cascade non moins belle, le Schreyen-
bacb ; on l'aperçoit de très-loin, semblable à une écbarpe mouvante. D'ici, pour s'ap-
procher du Toedi, il faut maintenant gravir sur une pente rapide ; au bout de demi-
heure, on arrive au fameux pont nommé Pantenbrûcke. L'ancien pont, qui datait
de quatre siècles, se composait d'une arche de 20 pieds, établie à 1 50 pieds au-dessus
de la Linth, qui bouillonne au fond de l'abtme ; il s'est écroulé en mai 18S2, proba-
blement par suite d'une avalanche. On l'a remplacé par un pont en bois. Ce site est
remarquable par l'afiTreuse solitude qui y règne et par les horribles déchirements des
rochers. Plus haut, les torrents qui s'écoulent des glaciers du Tœdi, et dont la ré-
union forme la Linth, font encore de grandes cascades. Le sentier passe successive-
ment sur la Limmern-Alp et sur les trois gradins de la Sand-Alp. Le voyageur est
constamment entouré des scènes les plus sauvages et les plus grandioses. De la
Sand-AIp supérieure, la vue du Tœdi est magnifique. En traversant des glaciers, on
peut se rendre à Dissentis dans les Grisons, ou dans le val Maderan au canton d'Uri.
Sernftthal, Panix. — Retournons maintenant à Schwanden, et pénétrons dans la
gorge étroite qui s'ouvre à l'est. Après avoir franchi un défilé long d'une lieue, on
arrive à Engi, le village inférieur de la vallée de la Sernft. Cette vallée est partout
Irès-resserrée, et n'a presque aucun terrain plat. Elle s'élève beaucoup plus que le
Linththal ; car, tandis que le village de Linththal n'est qu'à 2050 pieds, celui d'Elm
est à 3400 pieds. De Matt, deux sentiers conduisent à Weisstannen et à Sargans au
canton de St.-Gall, par le Krauchthal et par le mont Riseten. Le village d'Elm,
étant trës-rapproché des hautes sommités qui enferment la vallée, se trouve privé
des rayons du soleil pendant six semaines de l'hiver. Au sud-est d'Elm on aperçoit,
vers le haut du Tschingelspitz, un grand trou nommé Martinsloch : trois matins du
mois de mars et deux du mois de septembre, les rayons du soleil traversent le trou
et viennent éclairer le clocher d'Elm. Un sentier parlant d'Elm mène à Sargans.
Un autre, plus difficile, conduit par le Segnespass à Flims dans les Grisons. Enfin, si
Ion continue pendant une heure à remonter la Sernfl le long des prairies, on arrive
au pied du col du Panix, haut de 7425 pieds, et qui conduit au village du même
nom dans les Grisons. C'est par là que Souwarow opéra sa retraite. Ce col, difficile
pour une armée, n'est point du tout dangereux pour des voyageurs accompagnés d'un
guide; mais on y trouve encore en été d'épaisses masses de neige, surtout sur la
pente glaronaise.
CANTON DE ZUG.
Situation, Etendue, Climat. — Le canton de Zug est borné au nord par le canton
de Zurich, à Test par celui de Schwytz, au sud par ceux de Schwytz et de Luceme,
à Touest par celui d'Argovie. Sa superficie n*est que de 40 ^/^^ lieues carrées; il est
donc le moins étendu de tous les cantons ; mais, comme il n'est pas très-montagneux,
sa population est plus forte que celle du canton d*Uri, dont le territoire est pour-
tant quatre fois et demie plus grand. Elle était en 4880 de 17,4^61 habitants, soit
1678 par lieue carrée. On ne voit dans le canton ni glaciers, ni neiges étemelles;
aussi son climat est-il tempéré.
Montagnes, Vallées, Rivières. — La plus haute montagne est le Rufiberg ou
Rossberg, qui sépare le canton de celui de Schwytz ; il court du lac de Zug à celui
d'Egeri, et s'élève à 4836 pieds. Du Rossberg se détache, vers le nord, le Zuger-
herg, qui longe le lac de Zug, et le Kaiserslock, qui domine, au sud, le lac d'Egeri.
A Test et au nord de ce lac, court une chaîne de hautes collines, appelée le Mor-
garteti ; on l'appelle aussi le Jostenberg ou le Mangliberg. Toutes ces montagnes sont
en grande partie boisées ou couvertes de beaux pâturages. A l'angle nord-est du
canton, le territoire de Zug aboutit, ainsi que ceux de Zurich et de Schwytz, au
sommet du Hohe-Rohne, élevé de 3650 pieds, et renommé pour sa belle vue. La
principale et presque la seule vallée est celle qui enferme le lac d'Egeri, et qu'ar-
rose la Lorze ou Loretz, qui sort de ce lac et se dirige vers celui de Zug, en décri-
vant un demi-cercle. Du lac de Zug, il sort, près de Ghaam, une rivière à laquelle
on donne le même nom de Loretz, et qui va se jeter dans la Reuss, à l'angle nord-
ouest du territoire zugois. De Zug à Baar et à Ghaam s'étend une plaine assez large
et très-fertile. La Reuss sépare le canton de celui d'Argovie ; la Sihl, sur une lon-
gueur de deux lieues, sert de limite aux cantons de Zug et de Zurich.
LA SUISSE PITTORESQUE. 249
Lacs. — Le canton possède ia plus grande piirtie du lac auquel il donne son nom.
Ce lac est long de trois à quatre lieues, et large de près d'une lieue ; on assure avoir
trouvé 4200 pieds de profondeur dans la partie méridionale, au-dessous du Rossberg ;
près de Zug, il est profond de 180 pieds. Le vent du sud ou Fôhn, et ceux du sud-
ouest et du nord-ouest, y sont quelquefois dangereux. Ce lac est élevé de 4330 pieds
au-dessus de la mer ; il n'est donc inférieur à celui de Lucerne que d'une vingtaine de
pieds. 11 parait hors de doute que ces deux lacs n*en faisaient qu'un jadis, et se trou-
vaient réunis par un détroit qui s'étendait entre Immensee et Kûssnacbt. — Le lac
ilEgeri, long d'une lieue, et large de demi-lieue, appartient tout entier au canton;
il est situé dans une vallée agréable et paisible. C'est sur la rive septentrionale de
ce lac qu'est le défilé du Morgarten, où les Confédérés remportèrent leur première
victoire sur la maison d'Autriche. Il y a encore deux autres petits lacs : le Finstersee
ou Lac sombre, près Menzingen, et le Bihnsee (Lac des castors), près du hameau de
Biber. Ce nom, qui signifie castor, fait supposer que ce quadrupède existait en effet
jadis dans la contrée.
Histoire naturelle, Agriculture, etc. — La race bovine est plus petite dans le
o>anton de Zug que dans celui de Schwytz ; elle y compte près de SOOO tètes. Le lac
(le Zug est très-poissonneux ; ses carpes et ses brochets passent pour les plus gros
qu'il y ait en Suisse. Les brochets atteignent 40 livres ; quant aux carpes, on en
prend, à ce qu'on assure, du poids de 50 à 80 livres ; on les pèche principalement en
juin et juillet ; mais on trouve surtout dans le lac une espèce de truite qu'on nomme
Rœiele ou truite rouge [salmo salmlinm), et qui ressemble à la fera du lac de Genève
et à Taalbock du lac de Thoune; on la pèche en novembre et décembre; elle ne
dépasse pas 6 à 7 livres; on en sale et en exporte. Le lac d'Egeri fournit aussi
d'excellentes petites truites rouges. — L'existence de communaux étendus a retardé
les progrès de l'agriculture ; cependant, la plaine au nord du lac de Zug est renommée
|M)ur sa fertilité ; on y voit une grande quantité de beaux arbres fruitiers ; chaque
Iwurgeois était tenu d'en planter à certaines occasions. La rive orientale est couverte
de noyers et de châtaigniers. Ces derniers sont (avec ceux de Weggis et de Wallen-
stadt) les seuls qui croissent dans la Suisse septentrionale. On voit aussi de la vigne
en divers endroits, mais son produit est peu estimé. — Les montagnes de Zug sont
composées de brèche, de marne et de grès. On trouve dans la plaine et sur la pente
des montagnes d'énormes blocs de granit, dont quelques-uns atteignent le poids de
plusieurs milliers de quintaux ; ils ont, suivant toute apparence, été apportés autre-
fois par des courants partis du St.-Gothard et du Crispait. Les habitants en ont dé-
truit beaucoup pour les employer comme pierres de construction. — Il existait à
Walterschwyl des bains qui étaient jadis très-fréquentés, mais qui ont été aban-
donnés depuis le milieu du 48'' siècle, époque à laquelle ils ont cfôsé d'appartenir A
l'abbaye de Wettingen dans l'Argovie.
Histoire. — La ville de Zug s'appelait, à ce qu'il parait, Tngimi, du temps de
la domination romaine, et elle était le chef-lieu du peuple helvétien des Tugeni ;
mais on n'y a trouvé aucune trace de cette domination. Dans le moyen-âge, elle appar-
tint successivement aux comtes de Lenzbourg, de Kybourg et de Habsbourg. Ce fut
sur le territoire de ce canton que se livra la glorieuse bataille de Morgarten. Léopold,
due d'Autriche, avait rassemblé une armée de i 5,000 hommes, avec laquelle il st»
11. 16 3i
250 LA SUISSE PITTOHCSQUE.
proposait de dompter les paysans des Petits-Cantons. Il se dirigea vers le défilé qui
existe entre le lac d'Egeri et la montagne de Morgarten, et marcha lui-même à la
tête de Tarmée avec sa nombreuse cavalerie. Quand il fut engagé dans ce passage
étroit, une troupe de SO bannis schwytzois, qui s'étaient postés sur les hauteurs, fit
rouler sur la cavalerie des troncs d'arbres et de gros blocs de pierre, qui renver-
sèrent hommes et chevaux. La noblesse ne pouvait ni tourner bride, ni s'arrêter,
parce que la masse de l'inranterie qui la suivait lui fermait le passage. Alors,
1300 (]onfédérés, après avoir imploré à genoux l'aide du Tout-Puissant, s'élan-
cèrent, armés de massues et d'épées à deux mains, sur cette cavalerie déjà mise en
déroute, et en firent un grand carnage. Les cavaliers qui purent échapper à leurs
coups se rejetèrent sur l'infanterie, qu'ils culbutèrent; celle-ci ne résista pas non
plus à l'attaque des Confédérés ; les troupes de Zug et de Winterthour tinrent ferme
les dernières, pendant que le reste fuyait. La cavalerie perdit ISOO hommes, dont une
partie avait trouvé la mort dans le lac ; la perte de l'infanterie fut encore plus con-
sidérable. Les Confédérés honorèrent la valeur des soldats de Zug en leur rendant
les derniers devoirs sur le champ de bataille. Ils ne perdirent eux-mêmes que
45 hommes. Plus tard, Zug combattit vaillamment dans les rangs des Suisses. En
1352, la ville de Zug fut admise dans la Confédération comme septième canton (elle
devint le huitième après l'admission de Berne). Son territoire ne s'est pas sensible-
ment agrandi dès-lors. Pierre Collin, de Zug, fut le premier de son canton qui par-
vint à la dignité de landammann; celte place, qui lui fut donnée en 4&15, avait
toujours jusqu'alors été occupée par des étrangers. Les Zugois se battirent vaih
lamment contre les Français, en 4798, dans les combats qui eurent lieu le 26 avril
près de Dietikon, dans les bailliages libres d'Argovie, et ils y perdirent beaucoup de
monde. L'histoire de Zug présente dès-lors peu d'événements saillants. En 4846, il
fit partie du Sonderbund; mais, vu sa situation, la ville et le canton furent occupés
par les troupes fédérales avant la capitulation de Lucerne.
Constitution. — Jusqu'en 4798, une partie de la campagne était sujette de la
ville de Zug. A cette époque, l'égalité complète fut consacrée. La Landsgemeinde,
composée de tous les citoyens âgés de 49 ans, se tient chaque année à Zug, le pre-
mier dimanche de mai, pour nommer le landammann et les autres principaux
fonctionnaires de l'Etat. Le landammann est élu pour deux ans, et pris alternati-
vement dans le cercle intérieur et dans le cercle extérieur. Ce dernier comprend
les deux villages d'Egeri, Menzingen, Neuheim et Baar; l'autre comprend Zug et
le reste du canton. Les assemblées communales se réunissent chaque année, le second
dimanche de mai, pour élire les membres du Conseil cantonal, du Conseil triple, du
Tribunal cantonal et du Conseil de commune. Le Conseil cantonal est composé du
landammann et de Hk membres; il est pouvoir administratif, exécutif et judiciaire.
Le Conseil triple est l'autorité législative ; il s'assemble, dans la règle, trois fois par
an, et extraordinairement quand le Conseil cantonal le juge nécessaire. Les assem-
blées communales peuvent proposer de nouvelles lois, mais elles doivent remettre
leurs propositions au Conseil cantonal six semaines au moins avant que ces lois soient
soumises à l'autorité législative. Chaque commune a un tribunal communal qui juge
les contestations minimes.
Culte et Instruction publique. — Le canton professe exclusivement la religion
LA SUIS8B PITTORESQUE. 284
catholique. Il est partagé en neuf paroisses. On y trouve quatre couvents : un
couvent de capucins à Zug, et trois cloitres de religieuses, dont l'un au cheMieu,
un autre à une lieue de Zug, et le troisième, celui de Frauenthal (Vallée des dames),
dans une lie de la Loretz, à la frontière zuricoise. — Les écoles publiques ont été
sensiblement améliorées depuis le commencement de ce siècle. Zug possède une école
de jeunes filles, dirigée par des religieuses, et dont on loue l'organisation, et un
gymnase destiné aux jeunes gens qui se consacrent à la carrière ecclésiastique. On
a observé que Zug fournit un grand nombre de prêtres à la Suisse catholique.
Commerce, Industrie. — Sans y être bien active, l'industrie n'est point complè-
tement négligée dans ce canton, et l'aisance y est générale. Le chef-lieu possède des
filatures de soie, des tanneries, une fonderie de cloches, et des fabriques de tissus de
paille. On trouve aussi des tanneries et des papeteries considérables à Baar et à Chaam.
Situé sur la route de Zurich au St.-Gothard, Zug fait un petit commerce de transit;
mais une grande partie des habitants se vouent à la vie pastorale ; l'agriculture
occupe également un certain nombre de bras. La plaine au nord du lac produit
beaucoup de fruits; on y fait du cidre et une grande quantité d'eau de cerises. Ce
dernier article s'exporte, ainsi que les bestiaux et les produits des fabriques. L'ex-
ploitation des abeilles et la pèche sont aussi des branches productives.
Hommes DisnNGuis, SAVi^n^, etc. — Le canton a fourni un grand nombre de
militaires qui se sont illustrés sur les champs de bataille. /. Waldmann, le héros
de Morat et bourgmestre de Zurich, était né dans le canton de Zug. Werner de
Steiner combattit à Marignan, où ses fils périrent à ses cAtés. Son père avait été tué
à Grandson, son beau-père à St. -Jacques, ses deux oncles à la bataille de Bellinzone.
Le capitaine J. Seiler, de Zug, fut tué à St.-Jacques. /. Landwing se distingua à
Bellinzone; Pierre Collin et son fils périrent avec gloire dans cette même journée.
Plusieurs autres membres des familles Collin et Steiner ont versé leur sang pour la
défense de la patrie. Zug a donné le jour à plusieurs savants. Tels sont : Gaspard
Sang, auteur d'une histoire ecclésiastique de la Suisse ; P. Collin, professeur de
littérature grecque à Zurich, connu par d'excellentes traductions: Gaspard Weis-
senbach, auteur de poésies estimées et d'une pièce dramatique intitulée : la Demoi-
selle Helf?etia dans son accroissement et sa décadence, remplie de saillies et d'allusions
ingénieuses, et jouée dans le temps avec succès par les jeunes gens de Zug. Mais le
nom le plus remarquable dont Zug puisse s'honorer dans la carrière des lettres, est
celui du baron de Zurlanhen, dernier rejeton d'une illustre famille originaire du
Vallais. 11 fut lieutenant-général au service de France, et membre de l'Académie des
belles-lettres. Il avait fait de vastes et savantes recherches sur la Suisse du moyen-
àge, et a publié, entre autres ouvrages, une Histoire militaire des Suisses au service de
la France, et des Tableaux pittoresques de la Suisse. Ajoutons les noms du facteur
d'orgues Bossard, du graveur Clausner, des peintres Millier, ^fosH et Brandenherg,
du peintre et architecte Wickard,
Moeurs, Coutumes, Caractère. — L'habitant de Zug est remarquablement attache
au sol qui l'a vu naître. Les lois prescrivaient même autrefois cet amour de la patrie,
et défendaient aux citoyens de quitter le pays, sous peine de perdre une partie de
leurs droits. IjC peuple de Zug est pieux, et aime les solennités de sa religion, mais
il est moins superstitieux que celui des Waldstsetten. Il est i)eu d'endroits où le culte
252 LA sri88e niTonesotiE.
des morts soil poussé aussi loin : les cimetières sont de véritables parterres de fleurs,
qu'on entretient avec un soin tout particulier. Les habitants de la ville de Zug se
distinguent par leur amabilité; les deux sexes s y rassemblent souvent en société:
en hiver, les amateurs donnent des concerts et jouent la comédie. Les habitants de
la partie montagneuse se font remarquer par la franchise et la gaité de leur carac
tère. Les jeunes gens aiment, les jours de fête et de bal, à se parer de nœuds de
rubans et de bandelettes : les jeunes paysannes portent, les jours de toilette, des
jupons d*étoffc verte et des bas rouges, et elles aiment aussi à porter des rubans el
des fleurs à leurs chapeaux et à leurs corsets.
Ville rt Lac i>k Zi;g. — La petite ville de Zug compte 3300 habitants; elle a
conservé une enceinte de murailles, et elle a cependant des rues assez larges et bien
bâties. Son plus bel édifice est Téglise de St.-Oswald, érigée en 1478 par Eberhard,
curé de la ville. On y voit le monument funéraire du général Zurlauben. Le tableau
du mattre-autel, dû au peintre Brandenberg, de Zug, mort en 1726, représente
Sl.'Oswald, à la tète de son armée, prosterné devant la croix. Ce saint, le patron
de Zug, était un roi du Northumberland, et fut un des apAtres de la Suisse. La ville
possède un hospice, un gymnase, et une bibliothèque fondée au 15* siècle. L'arsenal
renferme un grand nombre d'armures conquises dans les batailles, et la bannière
du canton teinte du sang de Pierre Collin et de son fils, qui périrent en 1482 à
Beliinzone. Le 5 mars 1435, une rue entière et une partie des tours et des murs de
la ville s'abîmèrent dans le lac : 60 personnes, entre autres un landammann Gollin,
périrent dans ce désastre, qui était dû vraisemblablement à un tremblement de
terre. Les archives de la ville furent perdues ; un enfant, fils de Tarchitecte Wickard,
fut trouvé surnageant dans son berceau, et il fui dans la suite le père d'une fa
mille qui se distingua. C*est à cette époque que l'on commença à bâtir la ville neuve
du côté opposé au lac. En 1594, quelques maisons s^écroulèrent de nouveau; une
grande partie de la cité fut consumée en 1795. — La ville est dominée par le
Zugerberg, dont la pente fertile s*élèvc à 900 pieds au-dessus du lac, et offre de
beaux points de vue; on y trouve le Gembad, établissement pour des cures de
petit-lait. La situation de Zug est très-riante ; de tous côtés l'on trouve de char
mantes promenades. Les rives du lac sont très-gracieuses et presque partout en-
tourées d'une belle végétation. La côte occidentale est pittoresquement découpée par
deux promontoires, sur l'un desquels est l'ancien château de Buonas. Sur l'autre
bord, on voit la cascade de Grendweschen et des maisons de campagne ombragées
par des bosquets de noyers et de chAtaigniers. Le lac est dominé au sud par le
Righi ; entre cette montagne et le Pilate, on aperçoit au loin plusieurs sommités
neigeuses de l'Oberland. Depuis 1852, un petit bateau à vapeur fait le trajet de Zug
à Immensee et à Ârth.
Baar, Ghaam, Hûnenberg. — Les chemins de Zug à Baar et à Ghaam traversent
de magnifiques vergers. Le cimetière du premier de ces villages contient un grand
nombre de tombeaux richement dorés et ornés d'inscriptions ; les crânes sont en-
tassés dans un ossuaire. A l'ouest de Ghaam et non loin de la Reuss, on voit \e^
restes du ch&teau qui fut la résidence de ce seigneur, Henri de Hûnenbei^, qui en
1315 fit parvenir aux Schwytzois, par le moyen dune flèche, le conseil de garder
le défilé de Morgartcn. En 1386, après la bataille de Sempach, les Gonfédérés détrui
sircnt le chÀteau, dont le possesseur avait soutenu la cause de leurs ennemis.
LA SUISSE PITTORKSOI'E.
25.1
Egeri, Morgarten. — Les deux villages d'Egeri sont situés dans une vallée
tranquille et solitaire; leurs habitants, de même que ceux de Menzingen, se dis-
tinguent par une physionomie mâle et une taille élevée ; ils mènent une vie pasto-
rale. Le chemin d'Egeri à Schwytz côtoie la rive orientale du lac, dominée par la
haute colline du Morgarten; c'est à l'extrémité de ces Thermopyles suisses, près de
la frontière de Schwytz, qu'on voit la chapelle élevée en souvenir de la victoire du
16 novembre 131 S. Chaque année, à pareille date, on y célèbre un service religieux.
Non loin de ce lieu, entre le Morgarten et Rothenthurm, les Suisses vainquirent, le
i mai 1798, une division française. Mor ou Moor en celtique et en anglais, Mohr
ou Moor en allemand, signifient marais; Morgarten ou Morland indiquent donc un
terrain marécageux. Le sol l'est en effet aux environs de la chapelle.
fVk
CANTON DE FRIBOURG.
Ce canton fut admis en 148i dans la Confédération suisse; il y tint dès-lors le
neuvième rang. Il doit son admission dans le faisceau helvétique aux nombreux ser-
vices qu'il rendit aux Suisses, dont il partagea longtemps les périls et la gloire mili-
taire, et surtout aux paroles éloquentes que Nicolas de Flûe prononça en sa faveur
à la Diète de Stanz.
Limites, Étendue, Climat, etc. — Situé dans la partie occidentale de la Suisse,
le canton de Fribourg est presque entièrement entouré par les territoires bernois et
vaudois ; il est borné au nord et à l'est par le canton de Berne, et à l'ouest par le lac
de NeuchAtel. Le canton de Vaud le limite vers le midi, et va se joindre à l'ouest au
lac de Neuchàtel, en enclavant complètement dans son sein quelques communes fn-
bourgeoises. Sa superficie est de 26 milles géographiques, soit 72 lieues suisses, et sa
population de 99,891 &mes. Le climat est en général doux et tempéré; cependant,
en raison de l'inclinaison du terrain, la température est plus froide vers le midi que
vers le nord. A Fribourg même, les vents qui régnent le plus souvent sont ceux du
nord-est et du sud-ouest; les variations de la température sont parfois très-subites
et occasionnent des maladies qui éclatent simultanément dans beaucoup de localités.
Le canton étant relativement peu montagneux et ses sommités assez basses, la neige
qui y tombe pendant l'hiver ne séjourne guère, même dans les régions supérieures; il
est par conséquent très-rare de voir au fort de l'été le Moléson enveloppé de sa robe
de neige, et l'on chercherait en vain, sur des sommités encore plus élevées, les glaciers
éblouissants, les neiges éternelles, diadèmes magnifiques de la plupart des Alpes
suisses.
Montagnes et Plaines. — Le canton de Fribourg n'est couvert de montagnes un
peu élevées que dans sa partie sud-est ; un grand nombre de mamelons et de collines
sont répandus, il est vrai, çà et lii, mais on ne saurait les comprendre dans le système
LA SUISSE PITTORESQUE. 255
général. — Les montagnes qui couvrent la partie méridionale du canton sont des
ramifications de la chaîne centrale des Alpes suisses comprises entre leRhôneetTÂar :
la chaîne qui côtoie la rive gauche de la Sarine se dirige vers le nord, et se termine
près de Gruyère par le Moléson, pic époinlé, rival orgueilleux du Righi, qui élève
la croix qui le surmonte à 6167 pieds au-dessus de la mer. Le panorama que l'œil y
embrasse est l'un des plus magnifiques de la Suisse ; de nombreux troupeaux paissent
sur les flancs verdoyants de la montagne ; d'innombrables villages, des chalets pitto-
resques, apparaissent partout suspendus aux flancs des collines ou assis dans la
plaine; semblables à d'immenses reptiles aux écailles argentées, la Sarine et la Broyé
sillonnent capricieusement le tapis de verdure étalé à vos pieds, et vont se perdre dans
un lointain brumeux. Le Léman et sa ceinture de vieilles cités, de villages coquets,
enfouis dans la verdure; à l'ouest, le lac de Neuchàtel, et tout près de lui le lac de
Morat, aux grands souvenirs ; puis, plus loin encore, les ondes bleuâtres de celui de
Bienne, frappent délicieusement les regards. Enfin, pour terminer ce magique tableau,
une forêt de pics couverts de neiges éblouissantes se dressent au midi et se dessinent
vigoureusement sur le ciel bleu; au milieu d'eux, le Mont-Blanc élève sa tète majes-
tueuse et resplendit encore longtemps après que les ombres ont envahi les montagnes
couchées à ses pieds.
La chaîne qui se trouve à la droite de la Sarine se divise en deux branches à la
Jogne : l'une se dirige vers l'ouest et se termine près de Lessoc ; la dent de Brenlaire,
qui en fait partie, est la plus haute montagne du canton, et offre un vaste champ aux
explorations des botanistes. L'autre chaîne court vers le nord-ouest, enfermant dans
^n sein la vallée de la Jogne et le lac d'Omène ; la Berra, haute de 5332 pieds, en est la
sommité la plus élevée.
Vers le nord, et surtout vers le nord-ouest, on remarque quelques ramifications du
Jorat ; Tune d'elles sépare la Broyé du lac de Neuchàtel. Le Gibloux s'avance jusque
près de Bulle, et forme la limite entre le bassin de ce nom et celui de Romont ; il ne
s'élève pas à plus de 3708 pieds.
Les plaines les plus vastes sont celles qui bordent la rive droite du lac de Morat;
malheureusement, près de la Broyé elles se changent en marais d'une étendue con-
sidérable.
Rivières, Vallées. — En raison de l'inclinaison du sol, toutes les rivières du can-
ton de Fribourg courent du midi vers le nord. La Sarine (Sanona, Saane), la plus
emportante d'entre elles, prend sa source vers le Sanetsch, col qui sépare Berne du
Vallais ; après avoir traversé le territoire bernois, et reçu dans son sein de nombreux
Aifluents, elle arrose le Pays d'Enhaut, puis entre par le défilé de la Tine dans le
canton de Fribourg, qu'elle traverse dans toute sa longueur. Rentrant de nouveau
sur le territoire bernois à Laupen, elle va se jeter dans l'Aar à Wyler-Oltingen ; son
cours est d'environ trente lieues. Grâce aux travaux considérables exécutés sur ses
nves, on est parvenu à l'encaisser à peu près complètement ; on voit encore dans la
Gruyère les traces de nombreux dégâts occasionnés par la crue considérable de ses
eaux en 4825. — Ses principaux affluents sont l'Hongrin, la Jogne, la Gérine, la
grande Glane, la Singine, etc. L'Hongrin sort du lac Liozon, dans les Ormonts, et
après quelques détours, entre dans la vallée d'Allière, pour se jeter dans la Sarine
près de Montbovon. A quelque distance du pont de la Latte, il perd une partie de
256 LA stisse pittoresque.
ses eaux, qui disparaissenl dans des fissures de rochers, pour reparaître une lieue et
demie plus bas, sous le nom de Neiri vue. — La Jogne n'est, à proprement parler, qu'un
ruisseau, qui prend sa source près de Schlundi, montagne d'AIflentscben, canton de
Berne; après avoir arrosé la vallée de ce nom, il se dirige vers l'ouest, entre dans
les vallées de Bellegarde et de Charmey, et va se perdre dans la Sarine, à peu près
en face de Bulle. — La Gérine descend du Gibloux et se jette dans la Sarine au-
dessus du Petit Marly. — La grande Glane est plus importante ; son cours est doux
et paisible ; elle nait près de Vauderens, et va se jeter dans la Sarine près de Villars.
Non loin de cet endroit s'élèvent encore les vestiges du manoir des seigneurs de la
Glane, famille fort ancienne, qui s'éteignit en 1142 dans la personne de Guillaume,
fondateur du couvent d'Hauterive. — La Singine sert de ligne de démarcation entre
le territoire bernois et le canton de Fribourg ; cette rivière est un voisin fort dange-
reux dans les endroits de son cours où elle n'est pas encaissée par des rochers : après
un cours d'une dizaine de lieues, elle entre dans la Sarine à Laupen.
Outre les affluents de la Sarine que nous venons de nommer, nous citerons la Broyé,
rivière impétueuse, qui a sa source près de Semsales, traverse le lac de Morat, et va
se perdre dans celui de Neuchàtel ; elle est navigable sur une petite étendue, et sort
souvent de son lit.
Le grand bassin de la Sarine constitue à peu près tout le canton de Friboui^; néan-
moins, la Jogne, la Gérine, la Glane, forment des vallées latérales assez importantes,
qui viennent déboucher dans celle de la Sarine. De ce nombre est celle de Cbanney,
vallée d'une moindre étendue, mais couverte de pâturages magnifiques, au milieu des-
quels s'élève le beau village du même nom.
Lacs. — Fribourg ne possède à lui seul que deux petits lacs : le lac d'Omène et
celui de Seedorf. Le lac d'Omène, plus connu sous le nom de Lac Noir (Schwarzsee),
occupe le fond d'une vallée boisée qui fait partie de la paroisse de Planfayon ; des
bosquets parfumés, des forêts de sapins entourent ses eaux d'une verte ceinture, dont
la couleur s'harmonise si bien avec le cristal de ses ondes ; les pics aigus du Kaiser-
egg, des Schweinsberge, les splendeurs du firmament, les nuages du ciel s'y reflètent
et scintillent dans son sein, et tel est le calme paisible de ce lac, qu'on le prendrait
pour une glace immense aux reflets bleuâtres ; l'air des alentours est embaumé des
senteurs enivrantes de mille fleurs alpestres, qui, avec le doux gazouillement des
clochettes des troupeaux, les cascades qui tombent en pluie ai^ntée, achèvent de
ravir le spectateur que sa bonne fortune aura conduit dans ces lieux enchantés.
Le lac de Seedorf, entouré de prairies marécageuses qui en rendent l'accès difficile,
est profond et dangereux dans sa petite circonférence, qui est d'environ une demi-
lieue. Il est situé à deux lieues de Fribourg, dans la paroisse de Prez.
11 nous reste à dire quelques mots des lacs de Neuchàtel et de Morat, qui n'appar-
tiennent qu'en partie au canton de Fribourg. Tout porte à croire qu'à une époque
très-reculée, ces deux lacs, joints à celui de Bienne, n'en formaient qu'un seul, qui
couvrait tout le territoire compris entre Avenches, Yverdon, Neuchàtel et Bienne:
ce fait s'est répété en 1816, à la suite de pluies prolongées. Le lac de Neuchàtel est
alimenté, du cdté de Fribourg, par la Broyé et la Glane ; sa circonférence est d'environ
cinq lieues; la pèche y est fort abondante, et la navigation peu dangereuse; ses rives
n'ont ni la sauvage majf'sté de quelques lacs de la Suisse, ni la grâce et la fraîcheur
i_^—
LA SUI88R PITTOHESQUR. 257
de quelques autres ; cependant la côte neuchâteloise est assez riante. — Le lac de
Morat a 24,000 pieds de longueur, sur 9500 de largeur ; il s'étend parallèlement à
celui de Neuchàtel. On trouve souvent sur ses rivages historiques des armures, des
pièces de monnaie rejetées par les eaux du lac et qui datent de la défaite de Gharles-
le-Hardi. Moins romantique surtout que le Lac Noir, celui de Morat offre des aspects
charmants, couronnés par le mont du Vuilly et ses pittoresques villages.
Sources, Eaux minérales. Bains. — Les eaux vives de ce canton sont pour la
plupart abondantes et très-salubres ; on y trouve de plus un assez grand nombre de
sources d'eaux minérales et quelques établissements de bains. Le plus important est
celui de Montbarry ; il est assez fréquenté dans la bonne saison, et convient surtout
aux tempéraments nerveux et délicats. Sa position est riante, et le panorama le plus
gracieux se déroule tout autour : le Moléson, le Gibloux, les Alpes de la haute
Gruyère encadrent majestueusement l'horizon. A leurs pieds sont assis Gruyère et
son château monumental. Bulle dont le clocher resplendit aux feux du soleil, et les
innombrables chalets de Charmey. Quant au bâtiment lui-même, il est simple et
d'un goût moitié rustique, qui plaît à l'œil du citadin ; vingt colonnes d'ordre toscan
lui servent de supports. La source minérale, découverte en 4788, par le docteur Thorin,
contient des sulfates et des carbonates de chaux et de magnésie; son odeur est fétide,
et sa saveur fade et nauséabonde. — Les bains de la Glane sont situés à peu de
distance de Romont; ils ne datent que de 4829. — La source thermale du lac
d'Omène, découverte en 4783 par un pécheur de Planfayon, a à peu près les mêmes
propriétés que celle de Montbarry. Une route récemment construite en facilite l'accès,
et le lac d'Omène, dont nous avons parlé plus haut, embellit ses alentoui*s. — Les
bains de Ghamp-OIivier, à 20 minutes de Morat, sont recommandés aux personnes
atteintes de faiblesse et d'atonie. À Morat, on trouve un établissement du même genre,
qui jouit d'une certaine réputation. — Les bains de Bonn, à 8 lieues de Fribourg, et
ceux de Golombettes, près de Bulle, sont assez fréquentés.
Histoire naturelle. — Règne animal. Le canton de Fribourg, jadis couvert de
forêts, renfermait un grand nombre d'animaux féroces et de bêtes sauvages, qui
n'existent plus maintenant ; des cerfs et des sangliers, dont la race a disparu, hantaient
autrefois les taillis et les bois. Parmi les quadrupèdes nous citerons le lynx, la martre,
la loutre, le chamois, le blaireau, etc., et la plupart des animaux domestiques. Parmi
les oiseaux on remarque le Isemmergeyer, la perdrix rouge des Alpes, la caille, la
grive, le coq de bruyère, le canard sauvage, l'ibis, la cigogne noire, le vanneau
maritime dans les marais de Morat ; la plus grande partie des oiseaux chanteurs de
la Suisse se retrouvent dans ce canton ; il en est de même des reptiles. Les lacs sont
en général poissonneux ; le silure, que l'on trouve dans le lac de Morat, pèse jusqu'à
ftO livres. Les insectes sont fort nombreux.
Règne cégétaL La flore fribourgeoise est très-riche: le Moléson, le Kaiseregg, la
chaîne des Morteys,»sont tapissés des fleurs les plus rares ; les marais de Lussy, de
Morat, de Seedorf, contiennent aussi des plantes remarquables, entre autres la rosa
(jliuinosa, que l'on ne trouve nulle part en Suisse, que dans les pâturages de
Charmey.
Règne minéral. Les terrains du canton ne sont pas d'une formation très-ancienne;
ils appartiennent pour la plupart à la période tertiaire. La molasse domine, et occupe
II. 17 33
2S8 LA srissB pirroRCSQUR.
presque tout le territoire du canton ; la molasse marine, sur laquelle est bàlie Fri-
l)Ourg, occupe la partie septentrionale, tandis que la molasse d*eau douce s*élend de
Gbàtel-St. -Denis à Hauterive, sur une largeur souvent de plus de 3 lieues. On
trouve de i'éocène à la source de la Singine et entre Chàtel-St.-Denis et Gruyère. —
Le reste du canton appartient à la période secondaire; c'est du Jura moyen. On
trouve çà et là quelques traces de gypse, de houille, de grès, etc.
Antiquités . — La Société archéologique, fondée par M. Tavoycr Diesbach el
M. Fégely, a fait exécuter de nombreuses fouilles, qui, pour la plupart, ont été cou
ronnées de succès. On a réuni dans le Musée de Fribourg beaucoup d'objets et de
médailles antiques; en outre, plusieurs amateurs possèdent des collections d'anti-
quités très-intéressantes. Près de Marsens, il existe deux pierres orientées que Ton
s'accorde à regarder comme ayant servi aux sacrifices des druides; dans le vallon
de Vercbamp on remarque une enceinte régulière, formée de rochers isolés les uns
des autres, et qui parait être un Men-hir. Un autre monument du même genre a été
découvert aux pieds du rocher que couronnent les ruines des châteaux de la Roche.
On s'est occupé à chercher Tétymologie d'un grand nombre de noms de localités du
canton, et plusieurs paraissent d'origine celtique. — Les Romains ont laissé des
traces plus nombreuses et plus certaines de leur passage ; le souvenir du peuple-roi
ne s'est point effacé de ces contrées, et la tradition leur attribue maints débris
actuellement informes. C'est ainsi qu'une voie romaine qui passe par le village de
Montiller et se dirige vers Soleure, s'appelle encore Route des Païens {Heidentceg).
Près de Chiètres {Kerzeiz en allemand), il existe des restes de maçonnerie antique,
qui prouvent, à n'en pas douter, qu'une via strata, ancienne voie romaine,
passait par-là; on montre encore à Allerswyll el à Montbarry l'emplacement oc-
cupé jadis par des temples païens. A Bulle, à Patraclion, au Mouret, à Ependes,
À Sorens, et récemment à Tronche-Bélon, commune de Riaz, on a déterré quantité
de médailles romaines plus ou moins précieuses, de différentes époques et de divers
modules. A Gourtepin, à une profondeur de 5 pieds, on a trouvé, ensevelie dans un
lit d'argile, une charmante statuette en bronze, représentant un athlète ou un
soldat; de plus, une médaille du même métal, portant d'un côté le buste d'Au-
guste, el sur le revers la façade d'un temple avec les lettres S. G. des deux côtés,
el au-dessous l'inscription : Provident. A Gormerod, village distant d'une lieue
d'Avenches, on a mis à nu une mosaïque d'une grande dimension, remarquable
par son exécution large el surtout par sa composition ; malheureusement, ce mor-
ceau précieux n'est pas intact : la bordure manque presque complètement, et il est
assez difficile de distinguer le jeu des physionomies : il représente Thésée terrassant
le Minotaure dans le labyrinthe de Grète. Ge précieux pavé a été transporté au Musée
de Fribourg. A Gheire, M. Gaslella de Villardin a pareillement découvert, en 1778,
un vaste parquet en mosaïque, représentant Orphée entouré d'animaux séduits par
les accents de sa lyre. — Des fouilles opérées à Bossonens on¥mis au jour un bâti-
ment romain de 54 pieds de largeur, sur une longueur presque double; c'était,
semble-t-il, un établissement de bains; on y a trouvé divers ustensiles, des mé-
dailles, des débris d'urnes, etc. ; des pilastres en briques supportaient l'édifice. —
Enfin, nommons encore Palaisieux, Misery, Antigny, où tout récemment encore
on a découvert des thermes et des hypocaustes, qui paraissent dater du séjour des
Romains dans ces contrées.
LA SUISSE PITTORESQUE. 259
Histoire. — Les premiers habitants de Fribourg furent, selon toute apparence,
(les Helvètes ou des Celtes soumis à la théocratie druidique, et qui prirent part à
l'expédition dirigée par Divicon. Refoulés dans leurs montagnes par Jules-César, ils
virent les Romains pénétrer dans leur pays et établir un poste militaire à Morat.
Au 4* et au 5* siècles, quand les peuplades du nord se ruèrent sur l'Europe, Fri-
bourg n'échappa point à leurs dévastations, et fut changé par eux en un vaste désert,
couvert de forêts impénétrables; des bêtes féroces troublaient seuls de leurs cris
le repos et le silence de ces profondes solitudes ; de là le nom d'Uechtland (Pays
désert) dont on se servait alors pour désigner ces contrées. Bientôt les Burgundes
et les ÀUemanes, peuples de la Vistule et de la Vandalie, cherchant à leur tour des
cieux moins inhospitaliers, vinrent s'établir, les premiers à Test, dans les vallées
entre la Sarine et Planfayon, et les autres sur tout le reste du territoire de ce pays.
Les Burgundes, souche des Bourguignons, furent vaincus par Clovis et ses fils, et
durent subir la domination des Francs, jusqu'à Rodolphe V\ roi de la Transjurane,
qui, en 888, érigea l'IJechtland et les pays voisins en Etat indépendant. Les Rhein-
felden, les Zœhringen le gouvernèrent successivement, après qu'il eut été, en 1032,
réuni avec la Cisjurane à l'empire d'Allemagne, sous le nom de rectorat de la petite
Bourgogne. Les ducs de Zœhringen furent des gouverneurs habiles et cléments;
Berchthold lY, l'un d'eux, qui voyait l'augmentation du pouvoir de l'empereur,
son maître, dans l'abaissement des seigneurs romans et la fondation de bourgeoisies
libres, bâtit Fribourg en 1179, lui donna un territoire de 3 lieues, et la dota d'une
Constitution calquée sur celle de Cologne. Un grand nombre de colons se hâtèrent de
venir s'abriter sous l'égide des franchises accordées à la ville; celle-ci, dans l'esprit
de son fondateur, faisait partie du vaste système de défense de l'empire qui s'étendait
du lac Léman jusqu'au-delà de Berne, système organisé contre les nobles bourgui-
gnons, remuants et guerriers, qui voyaient d'un œil jaloux la domination allemande.
A l'extinction de la famille de Zaehringen, Fribourg passa à la maison de Kybourg,
qui ne put parvenir à s'attacher ces peuples ; de plus, les comtes de Savoie, et
notamment Pierre, surnommé le Petit Charlertiagne^ dirigeaient toutes leurs convoi-
tises sur les pays de Vaud et de Fribourg. Le génie de ce prince, son adresse, sem-
blaient de sûrs garants de la réussite de ses plans, lorsque le dernier des Kybourg,
Hartmann le jeune, mourut en 1264. Eberhard de Habsbourg, qui lui succéda, fit
cession de son rectorat au trône de l'Allemagne. Fribourg fut vendu ensuite à Rodolphe
de Habsbourg, le fondateur de la maison d'Autriche, pour la somme de 3000 marcs
d'argent. — Pendant tout ce temps, Fribourg soutint des guerres acharnées contre
Berne, et ces deux villes semblaient s'être juré une haine à mort. — En 14S0,
Albert d'Autriche, après avoir iniquement spolié les Fribourgeois, les délia du ser-
ment de fidélité. Abandonné ainsi à lui-même et ne pouvant payer une dette consi-
dérable, ce malheureux pays se vit forcé de se donner à Louis de Savoie. Yolande,
veuve d'Amédée, s'étant alliée à Charles-le-Hardi, Fribourg se détacha de sa domi-
nation pour rentrer dans le giron de l'empire d'Allemagne; puis, après les guerres
de Bourgogne, auxquelles Fribourg prit une part glorieuse dans les rangs suisses,
cette contrée forma le neuvième canton suisse.
Dès cette époque, l'histoire de Fribourg est essentiellement liée à celle de la Con-
fédération; ce canton prit part à presque toutes les guerres que soutinrent les
260 LA SUISSE PITTORESQCE.
Suisses dans la suite. Il s'agrandit successivement, soit par des conquêtes, soit par
des achats; de concert avec Berne, il s'empara de Morat, de Grandson, d'Ecbal-
lens et d'Orbe ; après la conquête du Milanais, il eut sa part aux bailliages italiens
de Lugano, Locamo, etc. En 1S36, lors de la conquête de Vaud par les Bernois.
Romont, Rue, Surpierre se donnèrent à la jeune république pour échapper aux
réformateurs. — Le gouvernement, démocratique dans son principe, devint peu à
peu aristocratique et même oligarchique ; quelques familles s' étant déclarées de leur
chef seules habiles à gouverner TElat, surent adroitement s'emparer du pouvoir ;
une chambre secrète devint l'autorité suprême; le Sénat des 24, le Corps des 60
et le Grand Conseil virent leur influence détruite par ce redoutable tribunal, triste
parodie du Conseil des Dix de Venise. Le peuple se vit aussi arracher l'élection des
bannerets, tribuns populaires dont le veto était tout puissant. Plus tard, le gouver-
nement abolit certaines cérémonies religieuses, et le couvent de Val-Sainte fut sup-
primé avec le consentement de l'évêque et du pape. Mais, les paysans, blessés dans
ce qu'ils avaient de plus cher, levèrent, en 4781 , l'étendard de la révolte et marchè-
rent sur Fribourg ; puis là, ils furent obligés de poser les armes, cernés qu'ils étaient
par des troupes bernoises, appelées en toute hâte par le gouvernement. La réaction
fut terrible : bon nombre d'insurgé^ furent bannis ou emprisonnés, et le cadavre de
l'infortuné Chenaux, chef de l'insurrection, livré au bourreau. Les bourgeois et les
nobles eux-mêmes , exclus de certaines charges par les patriciens , réclamaient des
droits ; mais Lucerne, Berne et Soleure, ayant proclamé le maintien de la forme
aristocratique, le gouvernement, fort de leur appui, continua ses vexations et ses
abus de pouvoir. Les nobles seuls obtinrent Tégalité avec les patriciens dans l'Etat,
et le peuple dut se résigner et attendre. Enfin, en 4798, l'armée française vint
mettre un terme à cette situation, et la démocratie fut proclamée. Le grand land-
ammann d'Âffry, chef d'un parti composé des nobles et des députés de la campagne,
put contenir quelque temps les patriciens; mais ceux-ci l'emportèrent bientôt, et en
4844, en plein Grand Conseil, I Acte de médiation fut annulé et le patriciat rétabli.
En vain le peuple protesta-t-il solennellement, le gouvernement ne voulut rien
entendre, et il se maintint jusqu'au 2 décembre 4830, où l'envahissement de l'hô-
tel-de-ville par des bandes armées décida le Grand Conseil à proclamer Tégalité des
droits et la souveraineté du peuple ; puis, une Constitution démocratique fut éla-
borée par une assemblée constituante, et octroyée au peuple le 24 janvier 4834.
La lutte ne cessa point toutefois, mais se transporta sur un autre terrain : de poli-
tique elle devint religieuse.
Fribourg est l'un des sept cantons qui, en 4846, formèrent l'alliance séparée
dite Sonderbund. Les troupes fédérales occupèrent le chef-lieu, presque sans coup
férir, au début de la campagne ; un nouveau gouvernement fut élu et une nouvelle
Charte constitutionnelle promulguée. Dès-lors ont éclaté diverses insurrections ten-
dant à renverser l'ordre des choses actuel, mais aucune d'elles n'a été couronnée
de succès, non plus qu'une grande assemblée populaire qui a eu lieu, dans le même
but, & Posieux, en 48S2.
CAnACTÈRES, Moeurs, Usages. — Le type fribourgeois est beau ; la partie féminine
de la population se distingue par sa grâce et l'originalité de son langage. Une haute
stature, une constitution robuste, une physionomie joviale, des mœurs simples.
LA SUISSE PITTORESQUE. 261
pures et une bonhomie mêlée d'un peu de rudesse, distinguaienl jadis le peuple fri-
bourgeois. Ces caractères tendent un peu à s'effacer sous Tcmpire d'habitudes moins
régulières, de troubles continuels et d'idées cosmopolites. Le service étranger, ^ur
lequel les Fribourgeois ont un goût prononcé, contribue aussi à l'altération de ces
qualités natives. Dans quelques vallées reculées vivent encore les traditions des
ancêtres, les coutumes séculaires et les superstitions naïves. Les armaiUiH de
Gruyère racontent toujours avec plaisir, à la lueur vacillante du foyer, les légendes
de la montagne, chroniques charmantes, où les fées et les esprits jouent un si grand
rôle. Une hospitalité bienveillante est partout réservée à l'étranger ; et si l'accueil est
simple, il est au moins cordial.
Diverses peuplades, distinctes d'origine et de langage, se sont répandues, ainsi
que nous l'avons dit, dans le canton de Fribourg, et chacune d'elles a conservé une
manière d'être et des coutumes qui la distinguent des autres. Les indigènes alle-
mands sont moins industrieux, plus attachés aux croyances superstitieuses, que ceux
qui parlent le français; on trouve, en revanche, dans les familles honnêtes, une
droiture et une bonne foi qui rachètent bien des défauts. Les Fribourgeois aiment
beaucoup la danse ; autrefois, ils ne pouvaient s'y livrer qu'en automne, à la dédi-
cace générale des danses ou bénichon, les jours de noc« et à l'époque des moissons.
Aujourd'hui, la danse est permise toute l'année. Les rixes, qui terminaient ordinai-
rement ces sortes de divertissements, ont beaucoup diminué, comme ces fameuses
luttes de village à village, qui, il y a peu de temps, étaient encore si fréquentes
dans la Gruyère. A Morat, on fête, le 22 juin, l'anniversaire de la glorieuse bataille
de ce nom. Dans quelques localités du district d'Estavayer, pendant les soirées d'été,
on s'assemble sur la place du village et l'on chante des rondes {caraoulès) dans le
dialecte de l'endroit. La place de Moudon à Estavayer est célèbre par ses caraoulès,
auxquels prenaient part des personnes de toute condition. Cet usage n'a pas encore
totalement disparu à Fribourg. Des réunions d'un genre tout particulier ont lieu de
temps en temps dans cette ville : ce sont les fêles de voisinage,, où tous les rangs de
la société sont confondus de la manière la plus piquante et la plus fraternelle. La
fête se compose d'une grand'messe, d'un festin, et d'un bal, où chaque homme du
voisinage doit conduire la femme, jeune ou vieille, que le sort lui a donnée en partage.
Cette loterie d'un nouveau genre est l'occasion des rapprochements les plus bizarres.
LÉGISLATION. — La loi de Gondebault, les codes francs et allémaniques servirent
longtemps de base à la législation fribourgeoise. Le Handfesle, publié en 12&9, devint
ensuite loi fondamentale avec le code de Souabe, et la Caroline comme loi pénale
depuis 1540. La municipale de Fribourg et le coutumier de Vaud, Gruyère, La
Roche, Estavayer, firent loi jusqu'en 1830, où un code civil conforme aux idées
actuelles fut décidé; il a été terminé en 1849. On doit aussi au régime actuel un
code pénal, un code de commerce, un code forestier, des codes de procédure civile
et pénale, et un très-grand nombre de lois spéciales.
Cultes. — Les Fribourgeois sont essentiellement religieux. Le canton comptait
jadis un nombre fort élevé de couvents, parmi lesquels nous citerons les capucins
de Fribourg, Bulle et Romont, les chartreux de la Part-Dieu, les trapistes de Val-
Sainte, les bernardins d'Hauterive, les cordeliers, les augustins, les jésuites de
Fribourg, etc. — Lorsque les doctrines des réformateurs commencèrent à pénétrer en
262 LA SUISSE PITTORESQUE.
Suisse, le gouvernemenl fribourgeois prit les mesures les plus sévères pour empêcher
la prédication de la nouvelle religion ; aussi le district de Morat embrassa-tril seul le
protestantisme. Â Theure qu'il est, l'immense majorité de la population est catho-
lique, et la religion réformée ne compte qu environ 12,000 sectateurs. Le clergé
romain relève de l'évéque de Lausanne, dont le siège fut transporté à Fribourg après
la Réforme. L'évèque actuel fut exilé à la suite des événements de 1847; il gou>
verne néanmoins le diocèse par l'entremise de ses vicaires généraux et de ses se-
crétaires particuliers.
Lnstbuction publique. — Le système d'instruction publique a été entièrement
refondu en 18&8. Sauf pendant les beaux jours de l'école du père Girard (1804 à
1823), l'instruction avait été très-arriérée; avant la réforme tentée par le grand
pédagogue, l'instruction primaire surtout était presque nulle. L'introduction des
jésuites, en 1818, peupla le collège et le pensionnat de 700 élèves, tant internes
qu'externes, français pour la plupart, appartenant à l'opinion légitimiste. — Les
établissements actuels d'instruction publique sont, outre les écoles primaires que
l'on trouve dans chaque commune, et dont la fréquentation est obligatoire, les écoles
secondaires et l'école cantonale. Les écoles secondaires, où les élèves sont admis
gratuitement, préparent les jeunes gens aux études classiques et à l'industrie. Il ne
peut y en avoir plus d'une par district; trois seulement ont été établies jusqu'à pré-
sent : Tune (pour les filles) à Fribourg, la seconde à Bulle, et la troisième à Morat, où
existe aussi un petit collège classique. L'école cantonale (à Fribourg) est divisée en
trois parties : 1"* Le progymnase; 2^ le gymnase, lequel comprend les trois sections
pédagogique, industrielle et classique ; et S"" les cours supérieurs ou académiques,
qui sont de trois espèces : cours de philosophie, de droit, et de théologie, sous l'habile
direction de M. Aviger, de Lucerne. Le recteur des cours académiques et le directeur
de l'école cantonale sont à la tète de tout l'établissement. M. le professeur Alexandre
Daguet remplit depuis 1848 les deux fonctions. Le directeur de l'instruction publique
(M. Schaller depuis 1848) a la haute surveillance sur les établissements scolaires
de tout le canton ; il est assisté d'une commission permanente des études, du direc-
teur de l'école cantonale, de la commission spéciale de cette école, des inspecteurs
d'arrondissement, etc. En outre, les préfets et les Conseils communaux sont chaiigés
de la surveillance des écoles primaires. Une école normale et un cours de répétition
forment et perfectionnent les instituteurs; ceux-ci se réunissent par districts en
conférences, et possèdent une caisse d'association alimentée par un subside de l'Etat,
qui est destinée à venir en aide aux instituteurs infirmes ou en retraite de tout le
canton. Il existe, en outre, une Société cantonale des Instituteurs, fondée en 1849,
et qui a une séance annuelle.
Constitution. — Les principales dispositions de la Constitution du 4 mars 1848 %
sont les suivantes : L'exercice de la religion catholique et de la religion protestante
est garanti. La peine de mort est abolie. Le droit de pétition, l'égalité devant la loi,
le droit de libre établissement, la liberté individuelle, l'inviolabilité de la propriété et
du domicile, sont proclamés et sauvegardés par la loi. La souveraineté réside dans
le peuple, qui l'exerce dans les assemblées électorales ; celles-ci sont composées des
Fribourgeois laïques résidant dans le canton et âgés de 20 ans, qui jouissent de
leurs droits civils et politiques. Le pouvoir législatif est exercé par un Grand Conseil
LA SUISSE PITTORESQUE. 263
nommé par le peuple; de plus, ce corps choisit lui-même 10 de ses membres Le
Conseil d'Etat est composé de 7 membres, nommés par le Grand Conseil, et respon-
sables de leur gestion, dont ils doivent rendre compte chaque année. Le Tribunal
cantonal est l'autorité judiciaire suprême ; il est composé de 7 membres, dont Télec-
lion appartient au Grand Conseil. Ensuite, viennent les tribunaux de district, lés
justices de paix, le jury, le tribunal militaire, le tribunal de cassation. — L'ensei-
gnement ne peut être confié à une corporation religieuse. Les biens du clergé sont
soumis à l'administration civile; la coUaturedes bénéfices ecclésiastiques est dévolue
à l'Etat. Le canton est divisé en sept districts administratifs et judiciaires : celui de
la Sarine, de la Singine, de la Gruyère, du Lac, de la Glane, de la Broyé, et de la
Veveyse. Les cercles électoraux sont un peu différents des. districts, et se réduisent
à six, la Yeveyse votant avec la Gruyère à Bulle, en vertu d'une loi spéciale. Les
élections se font en vote public et par mains levées, dans le chef-lieu du cercle élec-
toral ; ce mode de votation n'est pas sans inconvénients dans un pays agité par les
luttes civiles.
Agriculture. — Le sol du canton est en général fertile, et les céréales les plus
répandues, telles que le froment, le seigle, l'orge, l'avoine, y croissent sans diffi-
culté. Les vallées et les montagnes qui occupent la partie méridionale sont couvertes
presque exclusivement de pâturages, tandis que vers le nord de vastes plantations
de tabac, de lin, de chanvre, de pommes de terre, de blé, occupent les bras des
laboureurs. La culture de la vigne est, pour ainsi dire, nulle : les districts d'Estavayer
et de Morat fournissent seuls des vins, et encore sont-ils d'une qualité inférieure, à
l'exception du rouge de Chabloz et de Lugnorre.
L'agriculture a fait depuis quelques années des progrès remarquables, progrès
auxquels l'ancienne Société économique de Fribourg, fondée en 1813 par le père
Girard, et la nouvelle Société d'agriculture, ont contribué pour leur bonne part; le
partage et le défrichement des biens communaux, l'élan donné par les autorités à
l'économie rurale, la création de fermes-modèles, ont fait le reste. Une école d'agri-
culture a été fondée par le nouveau régime à Hauterive, et donne quelques espérances.
Partout les prairies artificielles, les arbres fruitiers, remplacent les taillis et les plaines
incultes ; une organisation nouvelle permet au gouvernement de surveiller et de
diriger les coupes de bois, jadis mal organisées, et les marais, dans plusieurs localités,
sont rendus à la culture, à force de travail et de peine. Le canton est très-riche en
forêts, et peut se suffire à lui-même, à peu de chose près. Les environs de Morat
renferment beaucoup de jardins, vraiment remarquables par le nombre et le choix
des fleurs qui y croissent, et par le bon goût qui préside à leur culture. Sur une
superficie de 428,000 arpents, Fribourg en compte 740 en vignes, 68,760 en prés,
100,000 en champs, 33,800 en pâturages, et 34,480 en bois.
Industrie, Commerce. — Les branches principales de l'industrie fribourgeoise sont :
l'élève des bestiaux, la fabrication des fromages, l'exportation des bois et du tabac, le
tressage des pailles, et le tannage des cuirs. On compte dans le canton 28,000 vaches,
2000 bœufs, 20,320 génisses, 10,400 chevaux, 26,000 moutons, 7700 chèvres;
ces chiflres élevés disent assez quelle est l'importance des troupeaux pour le canton.
Les bêtes à cornes forment une race particulière, très-recherchée, qu'on préfère sou-
vent à celle de l'Oberland; les taureaux surtout sont d'une vigueur et d'une force
Î64 l,A M:I88K PITTORBSQrR.
extraordinaires. Lesehevaux sont forts et corpulents, mais ils ne se distinguent pas
|mr l'élégance des formes; ils sont estimés comme bétes de trait.
La Gruyère et surtout la vallée de Charmey sont le centre de la fabrication des
fromages, dont on livre annuellement au commerce plus de 50,000 quintaux ; une
i*élébrité européenne est acquise à ce produit vraiment national, dont Texportatioit
ù rétranger est fort considérable.
Le tressage des pailles occupe aussi un grand nombre de bras, et produit environ
400,000 francs annuellement ; cette industrie est surtout exercée par la partie fémi-
nine de la |)opulalion de la partie méridionale du c^inton. Bulle et Chàtel-St. -Denis
sont les principaux entrepôts des bois que Ton exporte, soit bruts, soit travaillés.
Le commerce des peaux est considérable, et occupe plus de 150 fosses, qui tannent
annuellement près de 30,000 peaux. Près de Bellegarde, on exploite une mine de
houille, qui fournit environ 1000 quintaux de combustible par an. La verrerie de
Semsales, Tun des premiers établissements de la Suisse dans ce genre, livre au com-
merce des marchandises fort estimées; ses fours sont alimentés par une tourbe que
Ton trouve dans un marais du voisinage. — H existe un atelier considérable d^horlo-
gerie à Morat; Romont et Fribourg ont aussi les leurs.
- Savants et Hom.mes distingués. — Le canton de Fribourg a eu dans tous les temps
des hommes marquants par leurs talents et leurs lumières. Le 46* siècle cite Ham
Friess, le plus célèbre peintre de la Suisse avant Holbein, et Guilliniann, l'auteur
de De rébus Hehetiorum. Le 17' siècle nous montre deux peintres en renom,
Wuillefet et Griittoïkr, de Romont. Le 18* siècle a produit Thelléniste Geinoz, de
Bulle, et le polyglotte Tercier, de Vuadens, membres de l'Académie des inscriptions
cl belles-lettres de Paris. La fin du 18* et le commencement du 19* siècle ont vu
fleurir une foule d'hommes illustres dans l'Etat, l'Eglise et la science : Le i^ère
Girard, de l'ordre des Cordeliers, dont la réputation comme pédagogue et philosophe
chrétien est européenne; le célèbre facteur d'orgues Ahys Mooser; le landammann
iVAffry; les avoyers Charles Svhaller et Jean de MmUeiMch; Téloquent avocat Lan-
derset; le vénérable et savant chanoine Fontaine: le littérateur allemand Kuefdin;
le docteur Bussard, professeur de droit et auteur d'un traité estimé sur la matière ;
Perrotet, du Vully, naturaliste, voyageur attaché au Jardin des Plantes de Paris. La
carrière des armes a illustré une foule de Fribourgeois, dont kO environ sont par-
venus aux grades les plus élevés de l'armée française ; les fastes militaires de la
France ont enregistré les noms de Cléry, Heid, Diesbach, d'Affry, Reynolds Cas-
tella, etc. Le général Gadfi remplissait les fonctions de colonel général des Suisses
sous Charles X.
Les travaux historiques et littéraires les plus estimés des écrivains friboui^eois
actuels, sont: L'Histoire de la Nation suisse et des Etudes sur l'histoire littéraire, par
M. le professeur A. Daguet; V Histoire du canton, par M. le docteur Befxhthold; les
Chroniques de Fribourg et de Morat, par MM. Héliodore Rœmy et Engelhard; le
Recueil diplomatique de MM. Werro, Daguet (archiviste) et Berchthold; des Etudes
sur la Sgrie de M. Février , M. Glasson s'est fait un nom comme poète, et toute une
jeune école littéraire éclot au sein de la Société d'études.
Villes et autres Lieux remarquables. — Fribourg, capitale du canton. Cette cité
guerrière, fondée en 1178 par Berchthold IV, duc de Zœhringen, doit son nom aux
LA SUISSE PITTORESQUE.
265
franchises qui lui furent octroyées par son fondateur {Frei-Burg, Ville libre). Con-
temporaine de Berne, elle a seule su conserver, dans ses mœurs, ses allures, un cachet
d'originalité qui la distingue de toutes les autres villes de la Suisse ; en effet, ses rues
tortueuses, ses longs escaliers, contrastent singulièrement avec les édifices que Tart
moderne y élève chaque jour, et dans certains quartiers on pourrait se croire en
plein moyen-âge, à voir les vieilles maisons surmontées de pignons, les tourelles, les
voûtes en ogives qui vous entourent de toutes parts. — Fribourg est assise sur un
massif de rochers entouré de trois côtés par la Sarine, dont les falaises, couronnées
d'édifices et de verdure, descendent presque perpendiculairement dans le fleuve. Di-
vers ponts, entre autres celui de Gotteron, et le fameux pont suspendu, relient les
deux rives. La ville est divisée en quatre quartiers : le Bourg, TÂuge, les Places,
et la Neuveville; elle compte environ 10,000 habitants, parmi lesquels on trouve
un assez grand nombre d'industriels. Diverses fabriques de tabac, de paille, y occu-
pent une partie de la population. Il y parait quatre journaux, sans compter les pu-
blications de la Société d'Études, de la Société d'Histoire, etc. On y trouve, en
outre, des sociétés de chant, de secours mutuels, de gymnastique, d'escrime, etc.
Au milieu de la ville, s'élève, imposante et majestueuse, la collégiale de Saint-
Nicolas, vieille basilique gothique ; d'innombrables clochetons, d'un goût et d'un travail
exquis, décorent la tour qui la domine et se découpent gracieusement sur l'horizon. La
fondation de cette église parait remonter aux
premiers temps de Fribourg, car elle fut consa- . jfiiiHi^g^^ Jlfl «HiL Qj
crée en 1182, par Roger, évêquede Lausanne.
La tour est d'une époque plus récente; elle ne
date que de 1470. Son portail, en ogive, est
orné d'un relief fort remarquable, représen-
tant le jugement dernier. Dans l'intérieur de
l'église, on admire les fonts baptismaux, la
chaire, l'orgue construit par Aloys Mooser,
instrument vaste et puissant, qui passe pour
Pœuvre la plus parfaite qui existe en ce genre,
et enfin le monument élevé à ce grand artiste,
et qui est surmonté par son buste en marbre '"^"'«"'^ '*• *' «ihcdraie de Fribourg
blanc. Parmi les autres monuments de la ville, nous citerons : l'Hôtel-de-ville, édifice
du 16* siècle, qui est bâti, dit-on, sur^ l'emplacement de l'ancien chfttcau des ducs
de Zaehringen ; un peu au-devant s'élève un arbre quatre fois séculaire, planté à
répoque de la bataille de Morat: c'est le tilleul chéri des Fribourgeois, si vieux,
hélas! qu'il ne peut supporter le poids de ses propres rameaux ; — le Collège de
St.-Michel, auquel est adossée la belle église du même nom; il renferme le Pro-
gymnase, le Gymnase et la Bibliothèque cantonale, laquelle contient 30,000 vo-
lumes; — le Pensionnat, magnifique palais, commencé en 1825, qui domine tout le
paysage de ses blanches murailles, pendant que le Collège, noirci par les ans, semble
peser sur la ville comme une sombre forteresse. Entre ces deux bâtiments se trouve
le Lycée, bel édifice, de récente création aussi. La grande salle du rez-de-chaussée,
qui servait sous les jésuites aux exercices dramatiques, a été convertie, assez mal à
propos selon nous, en salle de gymnastique. Le premier étage est consacré aux cours
II, 17. 34
266
LA SUISSE PITTORESQUE.
académiques; le second renferme le musée dliistoire naturelle el un cabinet d'anti-
quités, et le troisième, Técole secondaire des demoiselles. Le cabinet d'antiquités
renferme de véritables trésors numismatiques, dons du pape Léon XII et du roi de
France Charles X ^ le musée proprement dit offre des collections géologiques et
minéralogiques, des pétrifications et des ossements fossiles rares et précieux. — Au
centre de la ville, on trouve la Chancellerie, qui contient les bureaux et les archives
du Conseil d'Etat. Dans la partie su|)érieure de la cité, s'élève un hôpital bourgeois
dont il est déjà fait mention dans un litre de 1248. — Parmi les couvents qui
subsistent encore, nous nommerons celui des capucins, qui possède une descente de
croix d'Annibal Carrache. La belle église des cordeliers renferme un monument
sépulcral élevé au père Girard \iav la ville de Fribourg, en attendant que la statue
de ce grand homme soit posée sur la place Notre-Dame.
Mais le monument de Fribourg le plus remarquable est, sans contredit, le pont
de fil de fer jeté sur la Sarine, et qui n'a pas moins de 900 pieds de longueur. Rien
de plus hardi, de plus gracieux, que cette voie aérienne, chef-d'œuvre de l'industrie
humaine, suspendue sur un abime de 474 pieds de profondeur. De loin, on croit
voir un fil léger, un sillon lumineux qui traverse l'espace, et de près on reste muet
devant tant d'audace et de génie. Deux portes monumentales décorent les deux
extrémités du pont et en soutiennent les câbles suspenseurs.
Le poat de Fribour^'.
Dans les environs de la ville, plusieurs endroits charmants méritent Tattention:
tels sont les bains de Ncigles, les Etangs, Grandfey. On va aussi admirer le site
romantique où se trouve placé l'ermitage de Ste.-Madeleine. La Sarine, encaissée
dans un lit profond, mugit sourdemcnl en rongeant le pied des rochers qui la domi
nent. Ceux-ci, hauts de plus de 400 pieds, et taillés à pics, élèvent vers le ciel leurs
LA SUISSE PITTORESQUE. 267
tètes couronnées de hêtres séculaires, et ne laissent qu'un jour douteux pénétrer au
fond de la vallée ; c'est là, dans le flanc même de Tun de ces rochers, qu'un pieux
cénobite s'est creusé une retraite. Tout est taillé dans le roc vif, salles, réfectoire,
église; seul le clocher, comme un phare élancé, élève bien haut dans les airs la
croix qui le surmonte.
Gruyère, chef-lieu du district de ce nom. Mollement assise sur une colline de
verdure, que domine le manoir des sires de Gruyère, cette ville est entourée d'une
ceinture de remparts qui attestent son antique splendeur. Le souvenir de la domi-
nation paternelle des sires de Gruyère, les nombreux combats livrés sous ces murs,
les écussons armoriés sculptés çà et là sur les portes, les maisons surmontées de pi-
gnons, tout y fait respirer un parfum de vétusté qui vous transporte bien des siècles
en arrière; mais, hélas! bien mieux que tous ces glorieux souvenirs, la tristesse
et la désolation planent sur ces débris et semblent s'appesantir sur la ville entière.
Seul le donjon s'élève fier et menaçant comme aux temps de la féodalité, bravant
le temps et les orages ; ses gracieuses tourelles, ses murs épais, percés de meur-
trières, ses vastes corridors, semblent encore attendre le retour de leurs anciens
maîtres. La vue dont on y jouit est magnifique. MM. Bovy, de Genève, qui l'ont
acheté, le restaurent dans le goût antique, et le décorent de peintures dont le sujet
est emprunté à l'histoire et à la légende gruyérienne. L'église paroissiale, dédiée à
saint Théodule, fut fondée, en 1254, par le comte Rodolphe III; elle est peu remar-
quable.
Bulle, jolie petite ville de 2000 habitants, dent on fait remonter la fondation à
856. Complètement détruite par un incendie en 4805, elle s'est relevée de ses ruines,
et forme une longue rue large et bien bâtie. Sous le rapport du mouvement com-
mercial, c'est l'une des villes les plus importantes du canton; elle est l'entrepôt des
fromages de Gruyère, des pailles tressées et des bois. On remarque dans l'église
quelques beaux autels et un orgue construit par Aloys Mooser. Bulle possède en
outre une maison-de-ville remarquable, l'hôtel de la préfecture, et un couvent de
capucins. — A une demi-lieue de Bulle est le village de la Tour de Trême, lieu natal
de Chenaux, le conspirateur de 1781, et dont les compatriotes se distinguent par
leur esprit vif, caustique et industrieux. Une fabrique de parqueterie y est en pleine
activité.
Estamyer, charmante petite ville, dont les flots du lac de Neuchâlel baignent le
pied. Les murs qui la défendent du côté de terre furent élevés par Louis, fils de
Bozon, roi de Bourgogne. Le donjon des seigneurs d'Estavayer subsiste encore au
haut de la colline, d'où il domine la ville et ses environs; il est remarquable par son
architecture, bizarre mélange de constructions anciennes et modernes, et par les
tours rondes qui flanquent chacun de ses angles ; ce château renferme un cachot
souterrain, dans lequel on descend par une échelle de 20 pieds de longueur. L'é-
glise des dominicains, avec son sarcophage de Guillaume d'Estavayer, chanoine de
Lincoln; l'église paroissiale et ses orgues, méritent l'attention. Plusieurs seigneurs
d'Estavayer se sont fait un nom dans l'histoire; nous citerons Gérard, qui tua en
champ clos Othon de Grandson, dont on voit le tombeau dans la cathédrale de
Lausanne.
Marut, sur les bords du lac du même nom. Son origine se perd dans la nuit des
268 LA SUISSE PITTORESQUE.
temps; il en esl déjà fait mention dans les actes du Concile d*Epaune. Plus tard» cette
ville s'est encore immortalisée par Théroique défense d'Adrien de Bubenberg et par
la bataille livrée sous ses murs. Un obélisque en marbre, de 56 pieds de hauteur, a
remplacé sur le lieu du combat Tossuaire détruit par les troupes françaises en 1798 ;
il porte l'inscription suivante : Victoriam XXII, Junii MCCCCLXXVI, pairumcon-
cordia partam novo signât lapide Resp. Friburg. MDCCCXXIL
La ville elle-même n'a rien de remarquable, si ce n'est la couleur de ses maisons,
construites en pierres jaunes comme celles de Neuch&tel; il y règne cependant un
assez grand mouvement commercial. Elle possède un château, une bibliothèque, une
caisse d'épargne, etc. L'église, anciennement dédiée à la sainte Vierge, sert uni-
quement au culte protestant ; on voit encore dans le chœur les écussons des Bu-
benberg, des Folly, des Gléry, etc.
Roniont, à 6 lieues sud-ouest de Fribourg. Sa situation, au sommet d'un mamelon
qu'entoure une vaste plaine, les remparts qui l'environnent, le château à fossés,
tourelles et mâchicoulis dont elle est dominée, lui donnent un aspect pittoresque.
Le Mont-Blanc apparaît à son horizon. Bâtie, dit-on, vers 920, elle fut en 4440
érigée en comté, souffrit beaucoup durant la guerre de Bourgogne, et devint un
bailliage Iribourgeois en 1S36. Ses foires de chevaux sont renommées.
R. DE Bons.
&3ê%k
CANTON DE SOLEURE.
Limites, Etendue, Climat. — Ce canton, le sixième de la Confédération, ne pré-
sente pas de limites naturelles ; son territoire se compose de trois langues de terre
assez irrégulières, qui s'avancent Tune le long de TAar, l'autre vers le lac de Bienne,
et la troisième vers le nord. Quelques communes, les unes même assez considérables,
sont complètement détachées du reste du canton : telles sont Lûssel, Steinhof, etc.
Au sud et à l'ouest s'étend le territoire bernois ; au nord se déroulent les cantons de
Berne et de Bâle, et à l'est Argovie et Berne. Sa superficie est de 32 lieues carrées,
et sa population de 69,674 âmes. Il a 13 lieues dans sa plus grande longueur,
d'AUerheiligen à Erlinsbach, et 11 dans sa plus grande largeur, de Meissen à
Dornacb. — Fort montagneux sur la moitié de sa superficie, le canton est élevé de
nos à &479 pieds au-dessus de la mer ; le climat en est tempéré, mais il varie avec
la hauteur de chaque localité. VOberluft (vent de l'ouest) y souffle assez fréquemment,
tandis que le Fœhn se fait rarement sentir.
Montagnes et Plaines. — Les nombreuses montagnes qui couvrent la partie
septentrionale du canton appartiennent à la grande chaîne du Jura ; elles forment
sept longues murailles à peu près parallèles, qui se dirigent du nord-ouest au sud-est.
Entrecoupée de vallées fertiles, de routes pittoresques, terminée brusquement çà et
là par des défilés, des scissures profondes, cette partie du Jura s'aligne majestueu-
sement au-dessus de Soleure, en face de la grande chaîne des Alpes, et forme comme
un magnifique rempart sur une longueur de plus de 60 lieues; de nombreux châteaux
couvrent ses flancs, en élevant au-dessus des forêts leurs gothiques tourelles, ou bien,
placés au sommet d'une coHine, dominent encore fièrement les alentours, comme
au temps de leur splendeur. Le Jura semble ici s'élever brusquement en pentes prati-
cables : ce sont des superpositions géologiques, dans lesquelles les Ages et un travail
continu ont pu seuls ouvrir quelque accès à la culture. Les quatre plus hautes
sommités du canton sont relativement peu élevées : la HasenmaU ne dépasse pas
270 LA SLISSE PITTORESQUE.
&500 pieds; la Rœthe, 4335; le Weissemiein, 3960; et la Wannefifluh, 3980. —
La plus vaste plaine du canton s*étend entre Staad, Grenges et Soleure; une autre
assez considérable se déroule entre OItcn et OEnsingen. La pente du terrain que par-
court TAar étant nulle, le territoire qui s'étend de Staad à Soleure est coupé de
marécages. De grands travaux sont en voie d'exécution pour assainir ces terrains el
canaliser TAar, TEmme et la Thièle.
Rivières, Lacs et Vallées. — Cinq rivières arrosent le canton de Soleure : ce
sont VAar, VEmme, la Birse, la Ihlnnern, et la Litcelle. L'Aar y pénètre à Staad, el
en ressort près de Flumenthal ; après avoir traversé le district bernois d'Aarwangen,
il serpente entre TArgovie et Soleure, puis rentre dans ce dernier canton un peu
avant OIten, pour en ressortir en-deçà d'Aarau ; il reçoit dans son sein les eaux de
TEmme, au-dessous de Soleure. La Dûnnern prend sa source à la base septentrionale
du Rœthi, et disparaît dans TAar à OIten, après avoir, vers le milieu de son cours,
Tranchi le défilé de Kluss. — Le canton n'a que deux petits lacs : celui lïAschi (Burg
See), dans la paroisse du même nom, et celui de Bolken, qui, comme le précédent,
compte environ une demi-lieue de circonférence. Tous deux ceints d'une verte
colonnade de hêtres, ces lacs, vus au travers des rameaux de la forêt, semblent les
fragments d'une glace épars ou cachés dans la verdure. — La vallée de l'Aar forme
une bonne partie du canton ; le reste du territoire, c'est-à-dire la partie montagneuse,
se compose d'une longue suite de vallées comprises entre les diverses chaînes du Jura:
celle de Guldeiithal, entre autres, est longue de deux lieues. La vallée de Lûssel,
adossée au Blauen, est très-resserrée.
Sources, Eaux minérales, Bains. — La partie montagneuse du canton ne manque
pas de sources abondantes et salubres ; quelques-unes sont périodiques. Par contre,
dans le reste du pays, les habitants de la campagne ont dû se creuser des puits pour
se procurer de l'eau potable. — Les bains d'Attisholz sont assez fréquentés; les eaui
ferrugineuses et sulfureuses de leurs sources sont préalablement chaufiees. Durant
l'été, les étrangers qui y séjournent vont quelquefois faire, pendant la nuit, une
excursion à la Hasenmatt. Cette course, d'une piquante originalité, présente un
attrait tout nouveau, et le spectacle le plus singulier, mais aussi le plus grandiose,
attend le voyageur parvenu à la cime de la montagne. Un silence profond, ua calme
solennel, régnent dans la nature ; seule, la voix majestueuse de l'Aar mugit dans la
campagne et fait résonner Técho de la forêt. Vallées, plaines, montagnes, tout a
disparu, tout se confond dans une teinte uniforme, et ne semble former qu*un vaste
lac ténébreux. Bientôt la lune, apparaissant tout à coup à l'horizon lointain, lance
de toutes parts des gerbes d'une clarté douce, mais plus que suffisante pour faire
démêler le chaos de la nuit et ressortir en traits de feu les glaciers des Alpes, les
lacs et les rivières. — Citons encore les bains de Lostorf, qui datent de 1412 ; ceux
de Grenges, de Mcltingen, etc.
Histoire naturelle. — Règne animal. Le canton de Soleure ne possède que des
animaux communs à toute la Suisse, tels que le blaireau, la martre, la loutre, le
putois, le chat sauvage, le lièvre, le coq de bruyère, etc. Relativement aux autres
cantons, Soleure compte un nombre fort élevé de chevaux. On y chercherait vaine-
ment, à l'heure qu'il est, des ours, des sangliers et des cerfs. La Dûnnern et la Lu-
celle fournissent des truites excellentes, mais de plus en plus rares.
LA SUISSE PITTORESQUE. 274
Règne végétal. Le canton est plus intéressant sous le rapport des plantes qu'il ren-
ferme. Les bords de l*Aar, les sommilés du Jura, offrent aux botanistes une ample
moisson de végétaux rares. I^e sapin rouge et le blanc, le chêne, le hêtre, composent
à peu près exclusivement les forêls du canton. Grâce à une cullure bien entendue, le
sol se couvre sur toute son étendue de céréales et d'arbres fruitiers.
Règne minéral. Le terrain jurassique forme plus delà moitié du territoire soleurois :
le portlandien et le conchylien y dominent. La molasse compose la partie sud et
sud-est du canton. La rive gauche de TAar offre des amas de brèche ou poudingue
qui paraissent être des dépôts laissés par ce fleuve dans le lit qu'il occupait primiti-
vement. Dans les environs de Soleure, on trouve des blocs erratiques qui proviennent
(le la chaîne du Grimsel, des Alpes grisonnes, etc. La conformation de ces masses,
dont les arêtes n'ont pas même été tronquées, prouve en faveur de la théorie de M. de
Charpentier. — Outre les pétrifications communes à tous ces terrains, on a trouvé en
1684 un squelette d'éléphant, et en 1826 un os de mammouth. On exploite le gypse
dans plusieurs localités, et notamment à Soleure et à Lostorf, où il offre un bel al-
bâtre. Le marbre de Soleure est estimé : l'exploitation en augmente chaque année.
Près de Goesgen, il existe un banc de tuf considérable. Les mines de fer de Rammis-
wyl, d'Erzmatt, deHolz, fournissent environ 50,000 quintaux de minerai brutparan.
Antiquités. — Le canton de Soleure est riche en souvenirs et en monuments
romains. Ultinnm (Olten), Solodurum (Soleure), Alla Ripa (Altren), étaient déjà
connus bien avant l'ère chrétienne. Dans ce dernier endroit, on voit encore les restes
de la voie romaine militaire qui reliait Aventicum et Solodurum, et que le peuple
appelle Heidenweg (Route des Païens). La chaussée est pavée, et porte ce cachet
de grandeur que les Romains savaient imprimer à toutes leurs œuvres : elle fran-
chissait l'Âar sur un pont dont on voit encore les culées quand les eaux sont basses.
L'herbe qui y croît appartient de droit au valet-de-ville de Grenges. — Olten est
ceinte de murailles, dont une partie parait remonter à l'époque romaine; des mé-
dailles, trouvées dans les alentours, corroborent cette assertion de quelques anti-
quaires. Soleure revendique le même honneur; une partie de son enceinte, celle que
I on voit dans la rue du Lion, porte le nom de Hcidenmauer. Lorsque Ton creusa les
fondements de l'église de Saint-Ours, les ouvriers déterrèrent une quantité d'objets
îinliques, tels que vases de terre, lampes funéraires, armes, médailles, inscriptions.
Ces dernières figurent actuellement dans le vestibule de l'hôlel-de-villc ; ce sont,
[K)iir la plupart, des inscriptions tumulaires plaintives et touchantes, comme le sen-
liment qui les dictait. Un petit monument, consacré à Epona, porte une inscription
dans laquelle Soleure est appelée Vicas, Ce fait se rapportant au deuxième consulat
d'Anlonin Elogabole, cette inscription date de l'an 129 de l'ère chrétienne. On a
placé près de l'église de Saint-Ours deux colonnes de marbre, trouvées sur la colline
de Hermann ; mais comme on les a entourées de lames de cuivre, on ne peut les
examiner. — L'établissement de bains d'Attisholz était déjà connu des Romains, car
on y a trouvé des vestiges de thermes, d'aqueducs, ainsi qu'un autel consacré au
dieu Apis. A peu de distance de cet endroit, était enfouie une belle statue de Vénus,
taillée dans du marbre de Carrare. Olten, Grenges, Hagendorf, Witterswyl, pos-
sèdent des inscriptions et des tombeaux romains.
Histoire. — Les Ambrons et les Urbigènes sont les premiers habitants du territoire
279 LA 8UIS8E PITTORESQTe.
Holeuroi»; Ich Romains les vainquirent et pénétrèrent en dominateurs dans le pays.
Comme l'atleslcnt les nombreuses inscriptions trouvées çà et là, plusieurs familles
aux noms historiques florissaient à Salodurum. Ours et Victor, débris de la légion
Ihébécnne, massacrée à Tamade (Saint-Maurice en Vallais), vinrent, en 302, prêcher
le christianisme, et convertir les populations à la nouvelle foi. Leurs ossements,
objets de la vénération publique, furent pieusement recueillis par leurs néophytes,
cl sont encore conservés à la cathédrale de Saint-Ours. Le christianisme s'affermit de
plus en plus sous la domination franque, et, après que les peuples du Nord se furent
constitués en nations distinctes, Soleure devint la résidence des rois de Bourgogne de
la seconde race. Rodolphe II s y établit, et gouvernait de là son vaste empire; sa
femme, la reine Berthe, fonda en 930 le chapitre de Saint-Ours. Quand le dernier
iTJoton de la famille de Stratlingen fut descendu dans la tombe, l'empereur Conrad-
le Salique s'empara de Soleure, et en fit un de ses séjours favoris pendant les loisirs
que lui laissait le gouvernement de l'Allemagne et de l'Italie. Une assemblée de la
nation, cimvoquée à Soleure par ses soins paternels, proclama son fils Henri-le-Noir
(1038) n>i de Bourgogne. Sur les instances des députés du clei^é, celui-ci revint à
Soleure, après avoir présidé à Constance un synode provincial. Les seigneurs y vinrent
lui prêter un nouvel hommage; des fêtes brillantes, des joutes, des tournois, signa-
lèrent aux habitants la munificence impériale. Soleure, réunie à son royaume par
Tompereur Lothaire, passa ensuite aux mains de Conrad de Zsehringen avec tout le
landgraviat de Bourgogne, et, à l'extinction de cette illustre famille, lut de nouveau
nHmieà l'empire par Frédéric. Celui-ci mort, la bourgeoisie de Soleure sut habile-
ment profiter des tnnibles et de l'anarchie qui ébranlèrent les pays voisins, en s'al-
lianl avoi* Berne» Les envoyés de Soleure assistèrent au couronnement de Rodolphe
de HalistMHii^, et reçurent de lui la amfirmation des privilèges dont jouissait la ville,
en lunl que ville im|)ériale. Plus tard, Soleure ayant embrassé la cause de Louis de
Bavièn^ iH^nlre le duc Frédéric d Autriche, Léopold vint mettre le si^ devant se^
nuirs. IVpuis dix sentaines, les si^ldats autrichiens sépuisaient en vains efforts pour
s emjvin^r de la cité, lorsque TAar, grossi subitement par les pluies, emporta un
|H>nt qu\HXHqviienl U^ î>c>ldats du duc : oubliant leur querelle, les Soleurois volèrent à
leur îî^Hvurs el w sauvèn^nt un in^nd mnnbre. Tant de grandeur d'àme toucha le
txvur do Uv|vKK qui k^va inuinxliatenienl le siège. — Les SoleunHS oombattircnl
Mvu\ont ^K\< K^r^ lUns les raiurs de larmêe suisse, et notamment à Laupen, où leur
|vtao tivu|v i\>nlrilHw puis5stnuwonl à U victoire, lis eurent beaucoup à souffrir de
1 iiùmitiô ^K^ ^vîntes %W K>tvur>: B^ir^ik^rf, qui, à forte d intrigues, parvinrent à
oi>iïnuM^r ivntiY euv un ivmpU dvMil le but était un maissacre général ; «plan
tVIuHia fort h^Hiwi^ uHMit, Aprvs les pn^rcs de Bour^^tne. Soleure lut reçu dans la
t^M^KsKM^tion tM^ morne tenïjtsi que Fnkmrv. La réforme y fit de nombieux prosé-
l^^t>^; uKMs. ;hmVs 1;! KaUv.IU^ A^ ijip{x4. W ivirti prv4eslmt/sauvé par le dévouement
\W 1 aw^N^H^ Weiv^i. .txH\t I AllAv^vnHnil à U Rm catK. lique est cependant bien ooonu,
dul qniUor U x UW^ . oi i.hU W^ cji^v^.m, à loxct-j^îKHï du BucbesjAeig, revint i VaDcienDe
ivliiiuxn SvO^nuw ;i^T^i\ti |vu .k>s *.îvt:> <4K\r^fe, \ il peu à peu sa dttnocratie dé-
K^^HMw tH^ Au:stvv>i-HH\ et k |VNU>vHr pas^^^ Ajins W mains de quelques lamilles. U
MHïKSvmont xK^ ivtNxi^As on It^XS lut S4;îxi .V q^K-ique aHêgement apporté dans la
^v^kIukm^ .W ^>>> ^'t^HH^: nvAï^ jim-^ U xvtxrr que les villes ée Zvridi et de Berne
LA SUISSE PITTORESQUE. 273
remportèrent sur les campagnards, le joug devint de plus en plus pesant. Pour se
mettre à couvert de nouvelles insurrections, la ville de Soleure fit construire, vers
1667, le mur d'enceinte dont elle est encore entourée. Soleure fut longtemps la rési-
dence de l'ambassade française; aussi les jeunes Soleurois, séduits par le faste dé-
ployé par les membres de la légation, s'enrôlaient-ils en foule au service des rois de
France. — Le 2 mars 4798, l'armée française, commandée par Schauenbourg, entra
à Soleure. La réaction de 1814 renversa le régime démocratique établi par l'Acte de
médiation, et ce ne fut qu'en 1830 qu'une Constitution, fruit de l'assemblée popu-
laire de. Ballsthal (22 décembre 1830), et basée sur les grands principes démocra-
tiques, fut proclamée.
Constitution. — Avant 1830, le Grand Conseil disposait des biens de l'Etat, avait
le droit de grâce, votait l'impôt, concluait les traités et les capitulations, et pouvait
sommer le Petit Conseil de lui présenter des projets de loi sur telle ou telle matière.
Chacune des onze tribus de Soleure nommait k membres à cette assemblée, tandis que
les autres bailliages en nommaient 4 au plus chacun. En outre, le Grand Conseil
nommait 3S de ses membres, et 24 devaient être pris dans la ville même. Pour faire
partie de cette assemblée, il fallait avoir 24 ans, 2000 francs de fortune, et être
domicilié depuis dix ans sur le territoire du collège électoral. Le Grand Conseil choi-
sissait dans son sein les membres du Tribunal d'Appel, du Tribunal du canton, du
Petit Conseil, et désignait lui-même les deux avoyers. L'assemblée populaire de
Ballsthal modifia une bonne partie de ces institutions ; la souveraineté du peuple fut
proclamée en principe. Le Grand Conseil compta S6 membres nommés directement
par le peuple, 40 nommés par des collèges électoraux, et 9 choisis par le Grand
Conseil lui-même. Le Conseil d'Etat, présidé par un landammann, fut composé de
9 membres. Le canton révisa en 1851 sa constitution. Les élections sont maintenant
directes; le Grand Conseil est une assemblée de 107 députés, et le Conseil d'Etat un
corps de 7 membres.
Instruction publique. — Au commencement du 17* siècle, l'instruction publique
était assez avancée, favorisée qu'elle était par les efforts d'un gouvernement sage et
éclairé. Mais ensuite de la révolte des paysans (1633), les autorités cantonales
crurent de leur devoir de laisser le peuple dans une profonde ignorance, et on l'y
laissa en effet jusqu'à la fin du siècle dernier. Les populations de la campagne étaient
littéralement sans instruction, et c'était réellement une rareté qu'un paysan sachant
lire et écrire. Ignace Glutz, frappé de ce triste état de choses, résolut d'y mettre un
terme, et, à cet effet, fonda un institut pour les régents. Le P. Gabriel Leupi, con-
ventuel de Saint-Urbain et curé de Deitingen, marcha sur les traces de ce vrai
philanthrope, et une ère nouvelle s'ouvrit bientôt pour l'instruction publique. Après
l'Acte de médiation (1811 ), on créa une école normale, ainsi que des cours de
répétition pour les régents, et un décret du gouvernement obligea chaque commune
à avoir une école. La réaction de 1814 suspendit malheureusement le cours de ces
améliorations, et n'eussent été quelques généreux patriotes qui se vouèrent coura-
geusement au perfectionnement moral du peuple, le canton serait retombé dans
l'ignorance où il croupissait naguère. La révolution de 1830 vint donner une nou-
velle impulsion à l'instruction publique, et, dès cette époque, Soleure tient en Suisse
un rang honorable sous le rapport du nombre et de la bonne tenue des écoles.
II, t8 55
i7k LA susse imttohesqik. |
CrLTEs. — Le lerriloire soleurois faisait autrefois partie de trois diocèses : deceu\
de Bàle, de Lausanne et de Constance. Tout ce qui se trouvait à gauche de TAar
appartenait aux évéchés de Bàle et de Lausanne, tandis que le reste du caolon rele- |
vait de Tév^'que de Constance. Otte organisation fut détruite en 18*28 par la créa-
tion du nouvel évéclié de BAIe, auquel apiuirtint dès-lors tout le canton. L'évéque
réside à Soleure ; Téglise de Saint-Ours est sa cathédrale, et son chapitre se com-
|)Ose de vingt un chanoines. — Le gouvernement a la collature de la plupart de»
cures , ainsi que la nomination du prévôt et du chapitre de Saint-Ours. Les cinq
paroisses réformées du canton appartiennent au déc*anat de Bûren. — On compte
dans la ville de Soleure cinq c^mvents : trois de femmes et deux d*hommes. L*abba\e
de bénédictins, fondée à Beinwyil en 1085 , et transportée en 1G48 à Mariastein,
est un lieu de pèlerinage très-fréquenlé. — Le canton renferme 61,556 catholiques,
8,097 protestants, et 21 israélites.
Aghiciltl're. — La culture des champs a été portée à un haut degré de perfec-
tion par les Soleurois, et ce canton est un de ceux où Tagriculture occupe le plus
grand nombre de bras. Le sol, déjà fertile de lui-même, produit les céréales en abon-
dance , et les perfectionnements successifs ap|)ortés chaque année à la culture en
augmentent considérablement le produit. La Société économique de Soleure, fondée
dans le siècle passé, et l'exemple des cantons voisins, ont contribué à ce résultat ; les
autorités n*y sont pas non plus restées étrangères, en rendant obligatoire le rachat
des dîmes, en al)olissant le parcours, et en faisant apprendre aux régents Tart de
tailler et de greffer les arbres. — L'irrigation des prairies se fait sur une vaste
échelle, avec autant d'intelligence que de soin; déjà en 1537 les habitants d'Olten
creusèrent un canal, long d'une lieue, pour amener les eaux de la Diimnern sur un
terrain infertile. Les arbres fruitiers couvrent en grande quantité les campagnes, el
leurs produits servent à la fabrication du cidre el de l'eau-de-vie ; celle-ci surtout
est fort estimée et s'exporte assez loin. Une administration plus sage des lorêls règle,
depuis 1809, l'exploitation des bois; de plus, chaque village possède, pour son usage
particulier, une pépinière ordinairement bien composée. La culture de la vigne n'est
pas importante; si l'on en croit une tradition fort répandue, elle était autrefois plus
considérable. L'élève des bêles à cornes, industrie favorisée par le nombre et Tex-
cellence des pâturages, occupe beaucoup d'individus, surtout dans le district de
Bucheggberg. On compte dans le canton 4,169 chevaux, 24,398 bœufs, vaches el
génisses, 1*>,302 moulons, 6,460 chèvres, et 18,395 porcs. Les Soleurois élèvent
principalement ces bestiaux dans le but de les revendre après les avoir engraissés;
il les achètent tout jeunes dans TOberland. Les fromages des montagnes de Limmern
jouissent d'une bonne réputation ; on prétend qu'ils valent ceux de l'Emmenthal.
Beaucoup de laiteries ont été bâties récemmenl dans la campagne. Les fromages de
chèvres sont une spécialité du pays. On les appelle ainsi à cause de leur petitesse,
bien que fabriqués avec du lait de vaches. Ils se vendent de quinze à vingt centimes
la pièce. Les chevaux, dont le nombre est fort élevé, scmt principalement de la race
l)ernoise, et se vendent en grande quantité aux célèbres foires d'Ollen et de Soleure.
L'éducation des abeilles n'est piis sans importance La culture du mûrier, qui avait
pris un grand accroissement depuis 1830, est malheureusement presque abandonnée.
Commerce. — La vente des bestiaux et des céréales, Texploilation des mines de
LA SUISSR PITTORESQtiE. 27K
fer, des carrières de marbre et de pierres meulières de Schnollwyl , la fabrication
de la bonneterie drapée , des fleurs artificielles et des dentelles, sont les principales
branches de Tindustrie soleuroise. Ollen surtout, la localité la plus industrielle du
cnnlon, se distingue par le nombre et l'activité de ses fabriques et de ses lithogra-
phies renommées : elle fleurissait déjà anciennement sous ce rapport. On exporte
surtout des cuirs tannés, des cartes à jouer, des bas et des bonnets de laine, des
fruits secs, du bois et des produits du règne minéral. Soleure n'est pas sans impor-
tance sous le rapport commercial ; elle renferme des fabriques d'instruments d'op-
tique et de chirurgie, de chars, de savon, etc. Quelques manufactures d'étofles de
soie et de coton occupent un assez grand nombre d'ouvriers à Dornach, à Olten, etc. ;
la verrerie de Goldenthal livre au commerce des articles estimés. Le transit est
considérable, grâce à la position de Soleure entre plusieurs cantons très-commer-
çants et au bon état de ses routes.
Caractère, Moeurs. — Les Soieurois sont forts et bien constitués : ils présentent
trois types assez distincts. Les districts de Kriegstetten et de Bucheggberg renfer-
ment des hommes d'une taille moyenne, d'une organisation solide, tandis que le
Sehwarzbube est plus vif, plus industrieux et d'une stature plus élevée. Le reste de
la population est encore plus élancée. — La physionomie du Soieurois est douce et
joviale ; elle respire une naïve candeur, qui dispose tout d'abord en sa faveur. Le
fond de son caractère est une loyauté toute helvétique, une honnêteté à toute
épreuve, et une grande compassion pour le malheur; on lui reproche de manquer
d'esprit public, mais ce défaut disparait insensiblement. L'usage des liqueurs fortes
tend malheureusement à se généraliser. Les repas de baptême et des funérailles sont
les seules occasions où les campagnards aiment à montrer du luxe. Les Soieurois
sont, parmi les Suisses allemands, les plus propres au service militaire. Le costume
national existe encore ; mais il s'altère et disparaît peu à peu. Il est à regretter qu'il
en soit ainsi , car le bandeau d'argent qui ceint la tête des jeunes filles , leurs jupes
rouges, leurs petits chapeaux de paille, tout cela constituait un ensemble assez
agréable, qui empruntait son principal charme à une exquise propreté et surtout à
la nature , car les Soleuroises sont en général jolies.
Hommes célèbres. — L'un des premiers chroniqueurs du canton de Soleure, est
François Haffnn, né en 1610, et mort en 1670; il fut longtemps chancelier du
Sénat, et, devenu aveugle, il se mit à écrire l'histoire de son canton. Sa fille l'aidait
dans ses recherches, et déchiffrait pour lui les manuscrits poudreux d'où Haffner a
tiré tant de choses intéressantes. Georges Wagner, secrétaire d'Etat, poursuivit les
mêmes travaux, et a laissé de précieuses chroniques. Les annales soleuroises citent
encore Jacoh Hermann, mort en 1786 , historien et poète dramatique; le publiciste
Ga^mann, qui rédigea longtemps la Feuille de Soleure ; Falkemtein, conservateur de
la bibliothèque royale à Dresde, historien estimé; Etienne Glatz, dont les poésies
populaires sont fort répandues. Vhisiorien Robert GliUz-Blotzheim, qui mourut en
4818 à Munich, avait entrepris la continuation de l'histoire de Jean de Mûller. Au
dire même de Zschokke, il ne resta pas trop inférieur à son modèle. En 1806 , il
publia un ouvrage d'un mérite réel, sous le titre de : Des intérêts actuels de la Suisse.
Les sciences naturelles citent Joseph Hugi et le D' Zi^glei-; et le droit, Conrad Mayer,
mort en 1813. M. le conseiller fédéral Munzinger, décédé en 1885, était du canton
276 LA stissK PiTTonesQix.
de Soleure. Le célèbre sculpteur Eggensckwyler a laissé plusieurs œuvres d'un grand
mérite; son bas-relief de Cléobis et Biton a obtenu le grand prix d'honneur à Paris,
en 1802. Cet artiste éminent fut honoré par l'empereur Napoléon de distinctions
flatteuses. D'autres artistes soleurois méritent d'être signalés; tels sont : Rust, Dis-
teli, Sefin, Sesseli, l'opticien Ditgtirt, le fabricant d'oi^es Kibury, etc. etc.
Villes et autres lieux remarquables. — Soleure, capitale du canton. Cette cité
est fort ancienne, car elle passe pour être, avec Trêves, la première ville fondée en
deçà des Alpes. Elle compte S,370 habitants, parmi lesquels 200 protestants. —
Nonchalamment couchée aux pieds du Jura, la ville occupe une colline qui s'élève en
pente douce , et se couronne d'arbres et de verdure , tandis que l'Aar traverse ma-
jestueusement la cité, abandonnant de blanches touffes d'écume aux piliers de ses
ponts et aux murs qui l'encaissent. Les remparts qui ceignaient jadis la ville ont été
en partie rasés, comme devenus désormais inutiles. La première pierre en fut posée
avec solennité, et l'on déposa dans les fondements des reliques de Saint- Victor. —
Les rues de Soleure sont larges et bordées de quelques beaux édifices : un ruisseau
couvert traverse la plupart d'entre elles. Plusieurs jolies fontaines, décorées de sta-
tues, ornent les places publiques; celle qui se trouve sur la place du Marclié est
surtout remarquable.
L'édifice le plus remarquable de Soleure est la cathédrale de Saint-Ours, qui passe
pour l'un des plus beaux monuments dans ce genre de la Suisse. Elle s'élève sur
l'emplacement qu'occupait une autre église, qui s'écroula, en 4762, sous le poids de
ses 7 a apnées d'existence. L'édifice actuel a coûté 800,000 francs; Pisoni, d'An-
cdne, en a donné le plan. Douze colonnes corinthiennes et autant de statues décorent
la façade principale ; on y parvient par un triple perron de trente-trois marches ;
deux fontaines, surmontées des statues de Moïse et de Gédéon, bordent les extré-
mités de l'escalier. L'intérieur de l'église a 200 pieds de long, sur 4 40 de large ; la
nef principale a deux petites coupoles, surmontées d'une autre plus grande. Un cer-
cueil, placé au-dessus de l'autel principal, renferme les ossements de quelques mar-
tyrs de la légion thébéenne. On y remarque en outre quelques bons tableaux de Corvi,
de Esper, l'orgue construit par Bossart de Zug, des missels des 8*, 42* et 43'
siècles, la bannière donnée par Léopold lorsqu'il leva le siège de Soleure, etc. Le
trésor de Saint-Ours renfermait des richesses immenses avant l'invasion des Fran-
çais; à l'heure qu'il est, il passe encore pour le plus riche de la Suisse. La tour,
haute de 470 pieds, s'élève au cdté gauche du chœur; elle domine les alentours
et leur jette les suaves éclats de son harmonieuse sonnerie et la voix majestueuse
de son bourdon de 83 quintaux. — L'église des Jésuites, consacrée en 4689, est
fort mal placée. Son maitre-autel est haut de 80 pieds; on y remarque un Christ en
croix, d'HoIbein. L'église des Franciscains renferme les tombeaux de plusieurs am-
bassadeurs étrangers. On prétend que le tableau du grand autel est de Raphaël. —
L'hôtel-de-ville , édifice sombre et irrégulier, est dominé par plusieurs tours. On
admire dans l'une de ses salles diverses œuvres d'Eggenschwyler , entre autres le
buste de Nicolas de Flûe, le bas-relief de Cléobis et Biton, etc. Nous avons déjà parlé
plus haut des inscriptions romaines enchâssées sous son portique ; l'escalier tournant
mérite d'être visité. — L'Arsenal, situé tout près de la cathédi*ale, possède la plus
riche collection d'armures de la Suisse , ainsi qu'un grand nombre de hallebardes
LA SUISSE PITTOHESQUE. 277
et (le piques, trophées de la victoire arrachés aux Bourguignons et aux Autrichiens.
Nicolas de Fiûe y est représenté entouré d'un groupe nombreux de Confédérés. La
lente de Charles-le-Hardi a été découpée en chasubles, qui servent encore à la ca-
thédrale. — La Tour de l'Horloge montre avec orgueil son inscription : In Celtis
nihil est Soloduro antiquim unis exceptis Treviris quarum ego dicta soror. Mais les
connaisseurs s'accordent à reconnaître cette construction comme datant du 5"" siècle.
L'ancien hôtel des ambassadeurs français a été converti en caserne. Le théâtre a trois
rangs de loges, et peut contenir un millier de spectateurs. La Bibliothèque est sur-
tout riche en ouvrages historiques; Glutz-Blotzheim y consacra longtemps ses soins.
On y voit un relief du Gothard , ainsi que des antiquités romaines. Le Musée d'his-
toire naturelle , placé dans la Maison des Orphelins , est surtout riche en pétrifica-
tions rares. — Koscziusko a longtemps habité Soleure; un monument lui a été
élevé à Zuchwyl.
De Soleure, les étrangers se rendent au WeLssenstein, d'où l'on jouit d'une vue
magnifique , moins pittoresque peut-être que celle du Righi , mais plus étendue et
plus variée. Nulle part on n'embrasse mieux la plaine qui sépare les Alpes du Jura,
plaine immense aux lacs bleuâtres, aux prairies veloutées, aux forêts sombres et
majestueuses. Quelques cimes élancées apparaissent à l'horizon lointain, dominant
cette multitude de pics qui se dressent autour d'elles; parmi ces géants des Alpes
on remarque le Wetierhorn, leFinsteraarhorn, la Jungfrau, l'Allels, le Mont Rosa,
le Gervin et le Mont-Blanc. A l'est apparaissent le Sentis, le Glœrnisch, le Righi, le
Pilate et le Titlis; à l'opposé, les Vosges et les monts de la Souabe. Enfin, au pied
du belvédère, Soleure, l'Aar aux contours sinueux, les lacs de Neuchâtel, deBienne
et de Morat, Berne et sa haute cathédrale , Aarbourg et sa forteresse , sont dissémi-
nés dans l'étendue. — Le Weissenstein est très-fréquenté , parce que, outre la vue
dont on y jouit, il y règne un air pur et salubre qui en fait un séjour de santé des
plus agréables. Une bonne route à char serpente sur les flancs de la montagne , et
s'élève insensiblement jusqu'à l'hôtel situé sur la cime.
Sainte-Vérène , ermitage très-fréquenté, est situé dans une gorge qu'arrose le
Kreuzenbach, à une demi-lieue de Soleure. Le chemin qui y conduit est très-pitto-
resque; il fut établi par M. de Breteuil, émigré français. On aperçoit, à travers des
massifs de verdure, des grottes, des ravins qui sillonnent les flancs de la montagne.
Un peu plus loin, une cascade livre au vent sa blanche poussière, la gorge s'ouvre,
et l'on arrive à l'ermitage fondé par Arsénius, moine égyptien. Une grotte, creu-
sée dans le roc vif, renferme un Saint-Sépulcre entouré de divers personnages.
Après avoir admiré la jolie église de Kreuzen, on gravit le Wengistein, d'où l'on jouit
d'une vue très-étendue. Une colonne en granit y rappelle deux événements célè-
bres dans les fastes soleurois : le siège de Soleure en 1318, et le dévouement de
l'avoyer Wengi en 1533. — Entre le village de Saint-Nicolas et l'Ermitage, on
trouve une pierre funéraire entourée de cyprès , élevée à la mémoire de l'historien
Glutz-Blolzheim.
OUen, entouré de ruines pittoresques et de châteaux démantelés, est bâti sur
l'Aar, à l'endroit où se réunissent les routes de Bâle, de Soleure, de Lucerne et
d'Aarau. Son église paroissiale possède une Ascension de Disteli, peintre d'un talent
original, et l'église des Capucins, une madone de Deschwanden. C'est à Ollen qu'aura
lieu la jonction du chemin de fer projeté de Bàle à Lucerne.
278 LA SUISSE PITTOReSQtE.
Dornach est situé dans le district du même nom. Son église renferme le tombeau
du célèbre mathématicien Maupertuis, mort en 47S9. Dornach est célèbre dans les
annales suisses par la victoire qu*y remportèrent les Confédérés sur les troupes de
Tempereur, commandées par Henri de Furstenberg (4499) ; surpris dans leur camp,
les impériaux opposèrent en vain une résistance désespérée, et quatre mille des leurs
restèrent sur le champ de bataille. Vingt canons, dix drapeaux, devinrent la proie
des vainqueurs, et allèrent orner les arsenaux de Soleure, de Berne et de Luceroe.
Un ossuaire encore debout renferme les crânes des guerriers qui succombèrent dans
la mêlée.
Près de Ballsthal commence le célèbre défilé de Kluss, où la route et la Dùnnem
se disputent un passage entre des rochers élevés. Ce défilé était gardé par les sires
de Falkenstein, qui pillaient et rançonnaient souvent les voyageurs. On voit encore,
sur un rocher à pic, les ruines de leur manoir, suspendu comme un nid d'aigle au-
dessus de Tablme.
Mimlisicyl est renommé par ses nombreux métiers à la Jacquart et la fabrication
de ses rubans.
Waldegg, beau manoir, entouré de jardins magnifiques, est situé dans une contrée
charmante. Le célèbre sculpteur Eggenschwyler repose dans le cimetière voisin.
R. DE Bons.
CANTON DE BALE.
-•■0-00fe>^f«€^0<>-o-
SiTtATiON, Etendue, Climat, etc. — Le canton de Bàle a une configuration assez
iirégulière. Une petite partie de son territoire est située sur la rive droite du Rhin et
entourée presque de tous côtés par le grand-duché de Bade ; le reste du canton est
borné à Fouest par TAIsace, par le canton de Soleure, et par le district bernois de
Lauflen; au sud et au sud-est par le canton de Soleure; à Test et au nord-est par
l'Argovie. Le canton a une longueur de huit lieues, sur une largeur qui varie de deux,
à six. Sa superficie est de 20 '/,^, lieues carrées, et sa population était en 1850 de
77,583, soit 3841 habitants par lieue carrée. Mais, par suite d'événements que nous
mentionnerons plus loin, le canton a été partagé en deux demi-états : celui de Bdle-
Ville, qui comprend la ville de Bàle, le district situé sur la rive droite du Rhin, et un
territoire large d'environ une demi-lieue sur l'autre rive; sa superficie est de i ^|^Q
lieue carrée, et sa population de 29,698 âmes; et celui de Bâle-Campague, qui com-
prend tout le reste du canton, ou 18 ^/^^ lieues carrées, et dont la population est de
47,885 âmes, ou de 2575 âmes par lieue carrée. Le canton forme Tangle nord-ouest
de la Suisse; son pont sur le Rhin et le voisinage de TAllemagne et de la France
rendent sa position importante sous le point de vue stratégique. Malgré sa situation
septentrionale, le canton a un climat plus tempéré que bien d'autres lieux situés plus
au sud, et le printemps y est précoce. Les bords du Rhin, dans le canton de Bâie, sont
une des localités de la Suisse les moins élevées au-dessus de la mer, le Rhin, dans
la ville, n'étant qu'à la hauteur de 763 pieds. En outre, la plupart des vallées bâioises
ue se dirigent pas vers le nord-est, d'où vient le vent le plus froid, comme c'est le
cas dans une grande partie du Jura, et en particulier dans le canton de Neuchâtel ;
la principale vallée se dirige presque de l'est à l'ouest, et d'autres courent vers le
nord et le nord-ouest. Aussi le sol est-il propre à toutes sortes de cultures. Le pays
abonde en arbres fruitiers, et la vigne prospère dans beaucoup de localités abritées
contre les vents du nord.
280 LA SUISSE PITTORESQre.
Montagnes et Vallées. — Le canton est borné au sud-est par Tune des chaînes
du Jura, qui court parallèlement à celle du Weissenstein. Les sommités les plus
remarquables sur celte frontière sont : le Bôlchefi, 3385; le Wyaenberg, 3090: la
Sehnffmtl. Cette chaîne est franchie par les routes du Haut et du Ba$-Ha\iemiein,
2254 et 2138, et par celle de la Schafmatt, 2585, qui font communiquer Bàleel
Ijestal avec Soleure, OIten et Arau. Plusieurs petites chaînes traversent le canton
du sud-est au nord-ouest, c'est-à-dire dans une direction perpendiculaire à celle de la
chaîne princi{)ale. (xHte dis|K)sition des montagnes et des vallées bàloises diflère tota-
lement de celle qui domine dans le Jura français, ainsi que dans les cantons ^e Neu-
chàtel et de Berne, où les chaînes sont en général parallèles. Les montagnes s*abaissent
à mesure qu'elles s'approchent du Rhin. Vers la frontière sud, non loin de Wîjden-
Iwurget de Reigoldswyl, s'élèvent le Yogelhcrg» 3597 ; le Gaitenkopf, 3529 ; leHelfen-
berg, 3469 ; et la Watine, 3396 . Plusieurs des vallons transversaux débouchent dans la
vallée de TErgolz, où sont situés Liestal et Sissach, les deux endroits les plus impor-
tants du canton de Bàle-Campagne. On peut dire que c'est au sud de cette vallée qu'est
située la partie du canton qui mérite lé nom de montagneuse. Cette contrée est en
général verdoyante ; les flancs et les sommets des monts sont couverts de forêts et de
prairies et parsemés d'habitations. Le reste du ciinton, au nord et à l'ouest de Liestal
et de Sissach, n'ofTre plus que des collines et des plaines ; ce district est riant et fertile.
Dans le voisinage même de la ville de Bftle on ne voit que de légères éminences, et
le paysage est animé par de nombreuses maisons de campagne.
Rivières. — Le Rhin forme la limite du territoire bàlois sur une longueur de deux
lieues; il traverse ensuite la partie septentrionale du canton, et partage la ville de
Bàle. l.ies autres rivières de quelque importance sont la Birse, qui vient des vallées
bernoises de Moutiers et de Ta vannes, entre sur le sol bàlois près d'Aesch, à 2*',
lieues du chef-lieu, et se jette dans le Rhin à une demi-lieue au-dessus de Bàle; elle
fait deux chutes près de Birseck. Des digues solides et bien construites préservent
ses rives de ses dangereuses inondations. Ses eaux sont employées aux irrigations
dans les environs de Bàle. L^Ergoh a ses sources sur la Schafmatt, passe à Sissacl)
et à Liestal, et se réunit au Rhin près d*Augst ; elle appartient tout entière au canton,
siuif que celui d'Argovie vient toucher son embouchure; elle se grossit de plusieurs
torrents, dont le principal est la Frenke, qui arrose la vallée de Waldenbourg. Le
Birstg arrose une enclave soleuroise et la vallée française de Leimenthal, et se verse
dans le Rhin au milieu de la ville de Bàle. Au nord du Rhin, la Wiese, qui a ses
sources dans les montagnes de la Forét-Noire, et qui a été célébrée dans les poésies de
Hebel en langage allémanique, vient terminer son cours sur le territoire bàlois.
Eadx minkrales. — Le canton est riche en sources minérales, mais aucune ne
jouit d'une grande réputation. Les bains froids de Schauenbourg, près du château
de même nom, à une lieue de Liestal, sont bons contre les fièvres. Ceux de Buben-
dorf, au sud de la même ville, ont une eau aussi légère que celle de Pfseffers au
canton deSt.-Gall. I^es eaux d'Eptingen, au pied duBas-Hauenstein, sont alumineuses
et sulfureuses, et sont employées contre les obstructions, les fièvres et diverses
autres maladies. La source du Neubad ( Bain neuf), près de Bàle, a été découverte
en 1842 par le professeur Stâhelin. On peut nommer encore les bains d'Oberdorf
près de Waldenbourg, ceux d'Oltingen au pied de la Schafmatt, etc. Enfin on a créé
LA SUISSE PITTORESQUE. 284
un établissement de bains d'eau salée près des salines de la Schweizerhalie ; il
commence à être fréquenté.
Histoire naturelle. — Règne animal. Les hauteurs du Jura sont trop entrecoupées
de vallées populeuses, pour qu'elles puissent receler encore beaucoup d'animaux mal-
faisants. Les ours et les loups ont depuis longtemps disparu h peu près complètement
du pays; mais on y trouve des renards, des hérissons, des belettes, des martres, etc.
En général, le gibier n'y est point abondant. On compte autour de Bâie 70 espèces
d'oiseaux, dont une vingtaine sont des oiseaux chantants. Nulle part peut-être en
Suisse on ne voit une variété plus grande de poissons. Le Rhin produit surtout des
saumons, dont la grosseur est considérable ; on y pêche aussi beaucoup de truites,
de m^e que dans les autres rivières du canton. Vu la richesse de la flore bàloise et
la douceur du climat des environs de Bâle, l'entomologiste peut y faire une ample
moisson; on évalue à 4000 le nombre des insectes connus autour de Bâie. — Quant
au bétail, il est assez nombreux dans le canton; on évalue la race bovine à
12,000 têtes; il y a aussi plus de 7000 moutons, 7000 porcs, etc.
Règne végétal, agriculture, La flore des environs de Bâle est très-riche ; elle offre
des végétaux rares et curieux, et dont plusieurs même ne se trouvent nulle part
ailleurs en Suisse. La végétation présente des difierences assez notables sur les hau-
teurs calcaires du Jura, sur les collines formées de couches de marne et d'argile, et
sur les montagnes de la Forêt-Noire. Le genre des orchis entre autres est représenté
près de Bâle par de nombreuses et belles espèces. — L'agriculture est très-perfec-
tionnée dans le canton; les prairies sont bien soignées et arrosées; la culture des
céréales a pris une grande extension dans la partie septentrionale, ainsi que celle des
arbres fruitiers et des légumes ; on y voit aussi beaucoup de vignobles, quoique
moins qu'autrefois. On a calculé que V4 de la surface du pays est cultivé en prés,
V» en forêts, près de */» en champs et cultures diverses, */i5 en pâturages, */»© ^"
2600 arpents en vignes.
Règne minéral. Les diverses ramifications du Jura sont toutes composées de pierre
calcaire compacte, dont les couches sont inclinées au sud-ouest. Il y a aussi, en divers
endroits, beaucoup de marne et de grès reposant sur le calcaire. On trouve du char-
bon de terre dans les environs de Mûnchenstein, de Liestal et de Sissach. Près de
Bàle le sol est formé d'alluvions, et composé de sable, d'argile et de pierres roulées.
Vers l'embouchure de la Birsc on voit une grande quantité de cailloux de diverses cou-
leurs, et dont la plupart sont des débris de roches primitives, granit, gneiss, por-
phyre, jaspe, sléatite, etc. Le canton, et surtout les environs de Bâic (la carrière
St.-Jacques, Miittenz, Prattelen, Augst, Richen), sont très-abondants en pétrifications,
dont plusieurs sont très-rares. Dans les vallées de Waldenbourg, de Reigoldswyl, de
TErgolz, et près de Farnsbourg et de Liestal, on a trouvé une vingtaine d'esi>èccs
différentes de cornes d'ammons. Près de Binningen on remarque des couches enlières
d'ostracites, etc. — Les salines de Schweizerhalie, près d'Augst, exploitées depuis
une vingtaine d'années, donnent plus de 200,000 quintaux de sel par an.
Antiquités. — A deux lieues à l'est de Bàle est situé le village d'Augst, sur l'em-
placement d'une ancienne colonie romaine, Colonia Augnsta Rauracorum, fondée sous
Auguste, vers l'an 27 avant J.-C, parMunatiusPlancus. Les fouilles qu'on y a oi)érces
depuis 1580 y ont fait découvrir des restes d'un théâtre et d'un temple, des vestiges
II. 18 56
282 LA stisse pittoresque.
de bains, et même un atelier monétaire. IjC théâtre pouvait contenir 12,000 specta-
teurs. Une partie des monnaies et autres objets qu*on a recueillis dans les décombre^
sont réunis au Musée de B&le. On a aussi trouvé dans la ville de Bàle, près de la
cathédrale, divers objets d'antiquités. — Il est peu de cantons où Ton rencontre autant
de traces de la féodalité, où Ton a|)erçoive sur les hauteurs autant de vieilles tours se
dessinant sur Thorizon.
Histoire. — Le territoire de Bàle faisait, du temps des Romains, partie de la Rau-
racie, dont la capitale était Awjst, ou (lolonia AiujHsta. Amm. Marcellin, qui en o7h
avait assisté à tous les événements militaires dont les bords du lac de (Constance et
du Rhin furent le théâtre, parle dans son Histoire d'un chàteau-fort nommé Banilin,
construit 16 ans auparavant par Valentinien 1. Ce château avec un iMilalhim (palais)
occupait la place de la cathédrale actuelle, dont la terrasse porte encore aujourdhui
le nom de Pfalz (palatium ). Cest ce que paraissent confirmer les monnaies romaines
ou autres antiquités qu'on a trouvées à diverses époques en creusant dans le voisi-
nage de cette place. Après la destruction d'Augst, dans le 5"^ siècle, par les Huns,
un grand nombre des habitants de cette ville s'établirent à Bàle, qui dut ensuite de
nouveaux accroissements à sa position favorable pour le commerce et à la translation
dans ses murs, vers 740, de Tancien siège épiscopal d'Augst. A la suite du partage
de Tempire de Charlemagne, Bàle appartint probablement au royaume de Bourgogne,
mais il ne tarda pas à imsser sous la souveraineté de Tempire germanique. 11 fut
dévasté en 917 par les Hongrois ou Madgyares; Tempereur Henri rOiseleur le rebâtit
en 924 — 933, et lui accorda certaines franchises. En 1019, l'empereur Henri II fit
construire la cathédrale et la terrasse voisine. Vers la fin du 11*" siècle, Bàle était
la plus grande de toutes les cités de THelvétie. H était ville libre impériale; mais
en même temps les évoques prétendaient à la souveraineté temporelle sur la ville,
et soutenaient avoir reçu de Charlemagne les droits régaliens et la dignité de prince.
Ils avaient en effet reçu des souverains de Bourgogne et d'Allemagne la propriété de
territoires étendus.
Pendant tout le 13*" siècle Bàle eut à lutter contre l'oppression de la noblesse,
dont les châteaux l'entouraient de toutes parts. En 1202, cette ville (où saint Bernard
doit avoir prêché la croisade et fait des miracles dans le siècle précédent) fut le lieu
de rassemblement que choisirent les croisés français qui dans la suite s'emparèrent de
Jérusalem. Le pont du Rhin fut construit en 1225 (selon d'autres en 1270), et l'année
suivante on entoura de murs le Pctit-Bàle, situé sur la rive droite. Les privil^es
des bourgeois de Bàle furent pour la première fois rédigés par écrit vers l'an 1260,
cl dès-lors tous les évêques durent en jurer l'observance en prenant possession de
leur souveraineté. En 1273, Rodolphe de Habsbourg avait épousé la querelle de quel-
ques nobles bannis de Bàle, et assiégeait celte ville, quand il apprit son élévation à
la dignité impériale. Le siège fut aussitôt levé, la paix conclue, et la ville ouvrit ses
portes à l'empereur. Dans le 14* siècle les Bàlois éprouvèrent de grandes calamités.
En 1312, la peste en fit i)érir 1400, et en 1356, pendant la nuit du 18 (la St. -Luc)
au 19 octobre, plusieurs secousses de tremblement de terre reoversèrent presque toute
la cité; durant huit jours le feu s'entretint dans ses ruines, sans qu'il fût possible de
l'éteindre; des eaux imprégnées de soufre sortirent de terre; 300 personnes périrent
dans les décombres. Un grand nombre de châteaux des environs furent renversés
LA SUISSE PITTORESQUE. 283
par la même catastrophe. Malgré tous ces désastres, Bêle s'était, déjà peu d'années
après, relevé de ses ruines, plus populeux que jamais. On publia des lois sévères pour
(lélourner, par le rétablissement des bonnes mœurs, la colère de Dieu; et chaque
année, le jour de la St. -Luc, on fit une procession où les magistrats et les bourgeois
riches portaient des robes grises qu'ils donnaient ensuite aux pauvres ; c'est ce qui fut
l'origine d'une distribution de vêtements qui se fait encore au dit jour. — Bâle courut
un grand danger à l'approche des bandes d'Enguerrand deCoucy, en 4368 et en 4376 ;
la première fois, les remparts n'étaient pas encore relevés, mais il obtint un secoui's
(le 4500 hommes des huit cantons suisses, quoiqu'il n'eût pas encore d'alliance avec
eux, et l'ennemi se retira devant cette petite armée ; la seconde fois, la ville fut
préservée par ses murailles, mais les campagnes eurent beaucoup à souffrir du passage
de ces bandes farouches.
Le 45'' siècle fut fécond pour Bâle en événements divers. Comme presque tout le
reste de l'Europe, il fut ravagé par la peste en 4438 et 4484 ; mais les pertes cruelles
qu'il éprouva n'arrêtèrent pas le développement de son industrie. Le Concile général
qui se tint dans cette cité depuis l'an 4434 jusqu'en 4448, fut une des assemblées
les plus nombreuses qui aient jamais eu lieu dans l'Eglise chrétienne, et lui procura un
accroissement de réputation et de richesse. Le 44 décembre 4434 commencèrent les
délibérations, auxquelles prirent part plus de 500 ecclésiastiques, et entre autres le
savant iEneas Sylvius, qui y remplissait les fonctions de secrétaire (et qui fut plus
lard le pape Pie II). 11 y avait parmi eux des Bohémiens et des Hussites, dont le
costume et le langage devaient être nouveaux pour les Bâlois. Le but de la convo-
cation était de reprendre la réforme, différée lors du Concile de Trente, et d'opérer la
réunion des Eglises d'Orient et d'Occident. L'an 4439, le pape Eugène IV fut déposé
par le Concile et remplacé par Amédée V, duc de Savoie, qui prit le nom de Félix V.
Ce nouveau pape fit son entrée à Bàle, à la tête d'un brillant cortège. Les empereurs
Sigismond et Frédéric visitèrent aussi le Concile, le premier en 4433, le second en
1442. L'empereur ne voulant pas reconnaître le pape Félix, les Bâlois, intimidés
par les menaces de ce prince, furent obligés de retirer au Concile les saufs-conduits
nécessaires à sa sûreté, et cette assemblée quitta Bâle en 4448, pour aller siéger à
Lausanne.
C'est en 4444, pendant la durée du Concile, qu'eut lieu, sous les murs de Bâle, la
fameuse bataille de St.-Jacques. Les Suisses étaient alors en guerre avec l'empereur
d'Allemagne, et Zurich ayant embrassé la cause de ce dernier, était assiégée par une
armée de Confédérés, ainsi que le château de Farnsbourg, dans le canton de Bâle, à
la frontière d'Argovie. Le roi de France Charles VII envoya vers Bâle, au secoui's
de l'empereur, 30,000 hommes, sous le commandement du Dauphin, qui fut dans
la suite Louis XI. Le pape Eugène se flattait que les Français jetteraient l'épouvante
à Bâle, et le vengeraient du Concile qui l'avait déposé. Bâle demanda en hâte l'as-
sistance de ses alliés, et les Suisses détachèrent des deux camps de Zurich et de
Farnsbourg 4300 à 4400 hommes, qui eurent l'ordre de repousser l'armée française
et d'entrer à Bâle. Le 26 août, au point du jour, un engagement eut lieu â Prattelen,
entre les Suisses et les troupes d'avant-garde, commandées par le comte Dammartin ;
celles-ci, malgré leur nombre, durent se replier sur Muttenz, où se trouvait un corps
plus considérable. Là, commença un second combat plus opiniâtre que le premier; la
284 LA stisse pittoresolb.
victoire resta encore aux soldats suisses. Ils conlinuèreat leur marche en colonnes
serrées vers le pont de St.-Jacques, défendu par une batterie de canons, et gardé par
des forces nombreuses. A la suite d*un combat meurtrier, une partie des Confédérés,
au nombre d'environ 500, se jetèrent dans une petite ilc de la Birse, et là, vendirent
chèrement leur vie; tous y périrent, sauf le Uinneret de Claris, qui fut trouvé res>
pirant encore deux jours après sous un monceau de cadavres. L'autre partie des
Confédérés s'était retranchée près de la chapelle de St. -Jacques, dans un cimetière
entouré de murs; ils s'y défendirent en désespérés ; l'incendie de la chapelle les ayant
forcés à la retraite, ils se frayèrent un chemin jusqu'à l'hospice, ou lazaret voisin,
où ils soutinrent encore une attaque meurtrière jusqu'à ce que de nouveau l'in-
cendie de l'édifice et l'écroulement des murs battus par l'artillerie, les forçassent de
chercher la mort dans les rangs ennemis. La bataille dura dix heures, et la victoire
fut sanglante pour les Armagnacs, qui demeurèrent maîtres du champ de bataille,
l'emportant par le nombre, et nullement par la valeur. On évalue leur perte à 6 ou
8000 hommes. Du côlédes Suisses, 1150 guerriers périrent sur le champ de bataille;
99 furent trouvés étouffés dans les caveaux de Thospice, d'où les flammes les avaient
empêchés de se sauver. Douze Suisses seuls survécurent sans blessures, et furent notés
d'infamie. La Confédération se préparait à envoyer à la rencontre du Dauphin une
armée plus nombreuse, lorsque le prince, jugeant de la résistance qu'opposeraient les
Suisses réunis, par celle du petit nombre qu'il avait vaincus avec tant de peine, prit
le piirti de rechercher l'alliance de si braves guerriers, et retira ses troupes de la
Suisse. Longtemps après, quand Charles-le-Téméraire, refusant toutaax)mmodement,
s avançait vers Crandson, Louis dit à ses courtisans: u Mon cousin Charles ne sait
pas encore comme moi à quelle nation il aura affaire. »
En 1460, Bâle fonda son Université, qui fut si longtemps célèbre dans toute 1 Eu-
rope. La bourgeoisie s'adressa dans ce but au pape Pie 11 (ifSneas Sylvius), qui, jeune
et pauvre encore, était venu à Bâle pendant le Concile, et ce pape accorda sa per-
mission par une bulle qui fait grand honneur à sa mémoire, et octroya à l'Université
les mêmes privilèges que possédait Bologne. Il n'existait alore que sept Universités
en Europe (Bologne, Paris, Cologne, Heidelberg, Fribourg en Brisgau, Ërfurt et
Vienne). En 1474, Bàle possédait déjà plusieurs imprimeries, dont il sortit un
grand nombre d'ouvrages remarquables, qui répandirent dans les pays étrangers la
gloire de son Université. Après la guerre de Souabe, entre l'empereur et les Confé-
dérés, ce fut à Bâle que la paix fut conclue, en 1499. Malgré les guerres et les luttes
perpétuelles que Bâle eut à soutenir durant le IS*" siècle, son industrie et son com-
merce avaient continué à prospérer. L'évéque, ayant besoin d'argent, lui avait vendu
en 1396 plusieurs bailliages; Bâle était ainsi devenu une république considérable,
lorsqu'il fut admis, en 1501, dans la Confédération suisse.
Ce fut au commencement du 16' siècle que Bâle, de même que la Suisse, avait
atteint le plus haut période de sa gloire et de sa prospérité. C'est alors qu'Erasme,
I homme le plus érudit et le premier écrivain de son temps, le fameux peintre llolbein,
et divei*s personnages illustres, vivaient dans ses murs. En 1527, les citoyens,
entraînés surtout par les éloquentes prédications d'OEcolampade, embrassèrent la ré-
forme de Zwingli. Dès 1516, Erasme avait publié le texte original du Nouveau
Testament; en 1532, on avait imprimé la traduction de la Bible de Lutlier. En
LA SUISSE PITTORESQUE. 28S
4529, révêquc transporta son siège à Porrenlruy ; les moines quittèrent leurs cou-
vents, et leurs biens furent consacrés au soulagement des pauvres. Plus tard, la ville
(le Bâle racheta définitivement tous les droits que les évéques prétendaient encore
conserver sur elle. Durant la guerre de Trente ans, Bàle eut beaucoup à souffrir :
deux batailles se livrèrent à quelques lieues de ses murs, et plusieurs villages b&lois
de lu frontière furent pillés. La Suisse fut représentée au congrès de Munster par le
bourgmestre Wettstein de Bàle, et, avec Taidede la France, cet habile homme d'Etat
obtint que la Suisse fût enfin reconnue par toute TEurope comme Etat indépendant,
et que Bàle en particulier n'eût plus rien à démêler avec la juridiction de l'empire. La
position de Bàle fut encore très-critique à l'époque de la conquête de l'Alsace par les
Français, et à celle de la guerre pour la succession espagnole, événements qui ame-
nèrent des armées étrangères près de ses murs. Ce fut surtout avec un vif chagrin
que l'on vit construire à la frontière, par ordre de Louis XIV (1680), la forteresse
de Hûningen, que le peuple appela un Zwing-Basel ( contrainte de Bàle). Vers la fin
du IS*" siècle, la ville ne comptait guère que la moitié des habitants qu'elle avait
renfermés dans sa période la plus florissante.
Pendant la révolution française, un grand nombre d'émigrés trouvèrent un refuge
à Bàle. L'an 1795, deux traités de paix furent signés dans cette ville, le premier
entre la république française et le roi de Prusse, le second entre cette république et
l'Espagne. Cependant, la guerre ne tarda pas à se rapprocher de ses frontières, et en
1796 Hûningen fut assiégé et occupé par les Allemands. Mais les idées nouvelles
s'étaient répandues dans la campagne de Bàle comme dans d'autres contrées de la
Suisse; au commencement de 1798, les paysans s'insurgèrent, plantèrent des arbres
de liberté, détruisirent les châteaux des baillis, et le 20 janvier, l'ancienne Consti-
tution de Bàle fut abolie, et les habitants de la campagne furent mis en possession de
tous les droits civils et politiques dont jusqu'alors la ville avait joui exclusivement.
Le 24 octobre de la même année, les Français entrèrent, pour la première fois depuis
U44, sur le territoire et dans les murs de Bàle. Le canton se soumit au nouveau
régime introduit à la suite de l'invasion française; mais, en 1802, il fut au nombre
de ceux qui s'insurgèrent contre le gouvernement helvétique. L'Acte de médiation y
fut bien accueilli, parce qu'il avait le mérite de concilier les idées nouvelles avec le
maintien des anciennes formes.
En 1813 et 181 S, Bâle dut ouvrir ses p'jrtes aux armées coalisées, et dans l'hiver
de 1814 il fut même le quartier-général des souverains alliés. Un acte du congrès
de Vienne annexa au territoire bàlois le district de Birseck, détaché de l'ancien évêché
de Bàle; une autre stipulation imposa à la France la démoUtion de la forteresse de
Hûningen. L'émancipation des habitants de la campagne fut sanctionnée par une
nouvelle Constitution.
Cependant, après la révolution française de 1830, la campagne se plaignit de la
prépondérance trop marquée que possédait la ville, en particulier de ce que les bour-
geois de celle-ci, quoique moins nombreux que ceux de la campagne, eussent un
plus grand nombre de représentants dans le Grand Conseil. Les 15 tribus de la ville
nommaient 30 députés ; les districts de la campagne en nommaient 34 ; ces députés
directs nommaient eux-mêmes les 90 autres représentants, dont ils devaient prendre
k'sdeux tiers dans la ville et l'autre tiers dans la campagne. Une pétition adressée
280 LA snsse pittoresoie.
aa Grand Conseil demanda que le partage des représentants fût proportionnel au
chiffre de la |)opulation. Le Grand Conseil, entrant dans les vues des réclamants,
décida, en décembre 4830, qu'une (Commission C4mstituante, composée moitié di'
citadins et moitié de campagnards, serait nommée pour réviser la Constitution. En
même temps, on posa |K)ur base que la ville, dont les citoyens formaient les deux
cinquièmes de la population, mais qui sup|K)rtait une part beaucoup plus considérable
des charges (inancièrcs de TEtal, aurait 75 représentants, et la campagne 79. Olle
l)ase ne siitisfaisant point les meneurs, ceux-ci soulevèrent la campagne, convo-
quèrent une assemblée populaire à Liestal, firent nommer un Gouvernement provi-
soire, et occu|)er par des troupes armées les villages voisins de la ville. Mais à la
suite de plusieurs combats qui eurent lieu du 42 au 46 janvier 4834, et dans
lesquels la milice url)aine, commandée par le colonel Wieland, eut l'avantage sur
les troupes de la campagne, Liestal fut occupé par la première, et l'insurrection
apaisée. Des commissaires fédéraux arrivèrent jiour chercher à rétablir l'union. La
(Constituante continua son travail, et la nouvelle Constitution fut acceptée à une
grande majorité, soit parla ville, soit par la campagne. Cette Constitution fut aussitiM
mise à exécution, et le 49 juillet elle fut garantie par la Diète.
Mais le mécontentement, entretenu par quelques agitateurs ambitieux, n'avait pas
cessé ; le défaut d'une représentation rigoureusement proportionnelle à la population,
était toujours le principal grief auquel on eut recours. On se plaignait aussi des
restrictions que Bâie avait mises à une amnistie. Le 49 août 4834 éclata une nou-
velle insurrection ; un nouveau Gouvernement provisoire fut installé à Liestal. Le
24, le colonel Wieland s'avança à la tète de 700 hommes pour occuper cette ville:
mais, après im assez long combat, ne voyant pas arriver le renfort des communes
fidèles, il dut se replier sur Bàle. La Diète envoya des commissaires fédéraux pour
faire cesser la guerre civile, et ils furent suivis d'un corps de troupes fédérales. Mais
la querelle étant loin de s'apaiser, le gouvernement bâiois prit le parti, malgré les
protestations du Vorort et de la Diète, de retirer son administration aux 42 com-
munes qui lui étaient hostiles, et celles-ci s'empressèrent de profiter d'une mesure
qui mettait toute l'apparence du droit de leur côté. Un nouveau conflit eut lieu les
6et7avril4832àGelterkinden. Alors la Diète reconnut, le 42 mai, la division comme
un fait accompli, et admit dans son sein, dès le 5 octobre, les députés de la Campagne
bâloise. A la suite de cette décision, les députés des trois cantons primitifs, avec
ceux de Ncuchâlel et de Bàle- Ville, se retirèrent de la Diète et se réunirent en confé-
rence à Sarnen. L'année suivante, la Diète, prétendant que les troubles du canton de
Schwytz étaient fomentés par la conférence, et en particulier par les Bàlois, décida,
le 4''^ août, de faire occuper le canton de BâIe par des troupes fédérales. Le 3 août,
une dernière collision eut lieu entre les deux partis, dans la forêt de la Hard, au-
dessous de Prattelen, où les campagnards occupaient une position avantageuse. Après
un long et sanglant combat, qui leur coûta 64 morts et 405 blessés, les milice de
la ville durent se retirer sur Bâle. A l'arrivée des bataillons fédéraux, cette ville
dut capituler et ouvrir ses portes. Une séparation complète de toute la campagne,
sauf une étroite banlieue, fut consacrée ; tous les fonds de l'Etat et de l'Université,
ainsi que l'arsenal, furent partagés entre les deux demi-cantons par des arbitres
fédéraux.
LA SUISSE PITTOHESQDE. 287
Tel fut le dénoûmenl de celle funesle el trop longue guerre civile. Depuis lors,
Bàle-Campagne a figuré au nombre des Elals où le radicalisme étail le plus avancé.
La voix du canlon élail partagée : chacun des deux demi-Elals envoyail en Diète
ses députés distincts, et les deux demi-voix, en se prononçant pour des avis opposés,
se neutralisaient fréquemment. Depuis le nouveau Pacte fédéral, Bâle- Ville et Bâle-
Campagne nomment chacun un député au Conseil des Etats; mais Bàle-Campagnc,
vu sa population, envoie deux représentants au Conseil National, tandis que Bâle-
Ville n'en a qu'un. — Hâtons-nous d'ajouter, en terminant, que la bonne harmonie
s'est peu à peu rétablie entre les habitants et les gouvernements des deux parties du
canton ; et l'on a remarqué avec un vif plaisir que la première section de chemin de
fer ouverte à la circulation, depuis que les Conseils fédéraux ont voté le réseau des
voies ferrées suisses, s'est trouvée précisément la ligne de BâleàLiestal. (Le l""^ jan-
vier 4855, cette voie a transporté 3600 personnes d'un chef-lieu à l'autre; du
19 décembre 1854 au 31 mai 1855, elle a transporté 114,260 personnes et
44,627 quintaux de marchandises. Depuis le 1*"^ juin, la voie est terminée jusqu'à
Sissach ; du 1" au 30 juin, elle a transporté 34,806 voyageurs et 42,203 quintaux.)
Constitutions. — D'après les arrêtés de la Diète d'août 1833, l'Etat de Bdle- Ville
ne devait être évacué par les troupes fédérales que lorsqu'il aurait adopté une
Constitution particulière. Une Constituante, nommée par les citoyens de la ville,
élabora donc un projet qui, soumis au peuple le 3 octobre, fut adopté par 1033 ci-
toyens, et rejeté par 190. La souveraineté, suivant cet acte, appartient à tous les
citoyens âgés de 20 ans accomplis ; elle ne s'exerce que par le vote sur la Constitution
et les lois constitutionnelles, et par l'élection au Grand ConseiL Pour cette élection,
les citoyens sont répartis: 1** en 18 corporations, élisant chacune 2 députés, et
f en 6 collèges, dont 5 dans la ville, élisant chacun i 5 députés, et 1 dans la cam-
pagne, qui n'en nomme que 8. Les corporations tirent leur origine du 13*^ siècle;
elles furent abolies en 1798 et rétablies par l'Acte de médiation ; elles ont à s'occuper
de Tentretien des veuves et des orphelins, et des affaires de tutelle. Il y en a 16
dans la ville : celle des négociants, celle des merciers, celle des boulangers, celle des
tailleurs, celle des vignerons, celle des bateliers, etc. La 16*^ est la corporation aca-
démique. Tout citoyen âgé de 20 ans doit s'inscrire dans une corporation ; ceux qui
exercent une profession industrielle, dans celle de leur métier ; les autres, dans celle
dont leur père fait partie. Les deux corporations de la campagne ne sont que des
corps électoraux. Le Grand Conseil est le corps législatif; il vote les impôts, exerce
le droit de grâce, nomme le Petit Conseil, le chancelier, divers tribunaux, etc. Les
membres peuvent faire des propositions, mais elles doivent toujours être renvoyées
au Conseil d'Etat. La présence de 50 membres sur les 119 est nécessaire pour la
validité de toute décision. Les fonctions sont gratuites, mais les députés du district
de la campagne reçoivent une indemnité pour chaque séance (15 batz). Le Grand
Conseil est nommé pour six ans, et renouvelé par tiers. A la suite de chaque renou-
vellement par tiers, le Grand Conseil se rassemble solennellement, pour assister à
un service divin el pour être assermenté.
Le Grand Conseil élit dans son sein un Pelil Conseil, composé de 15 membres;
ceux-ci sont nommés pour six ans, et renouvelés par tiers. Si, lors d'un renouvel-
lement partiel du Grand Conseil, un membre du Petit Conseil n'est pas réélu, il cesse
288 LA Sl'lSSE PITTOBESOrE.
aussi de faire partie du corps exécuUr. Deux bourgmestres sont pris dans le sein du
Petit Conseil, et ont chacun la préséance pendant un an. Le premier bourgmestre
préside le Grand et le Vêtit Cons(Ml. Des Ck)mmissions ou collèges sont adjointes au
gouvernement |K)ur rex|)édilion desaflaires, finances, instruction publique, travaux,
police, militaire, etc. Il y a un Tribunal d'appel, une Cour criminelle, et une Cour
correctionnelle. — Les aflaires municipales de la ville sont administrées par un
Grand Conseil de Ville de 80 membres, nommés pour six ans par les citoyens répartis
en 8 quartiers. Ce Conseil nomme dans son sein un Petit Conseil de Ville de
H membres. Il y a en outre des Gimmissions municifmles auxiliaires. — Les trois
communes de la c<impagne forment un district, à la tête duquel il y a deux fonction
naires, le préfet et un secrétaire. Enfin, chaque commune nomme un Conseil Muni
cipal, dans le sein duquel le gouvernement choisit un président de la commune.
Elle approuve ses imi)ôts et emprunts, vote son budget, et reçoit les comptes de
Fautorité municipale.
D'après la Constitution votée le 6 mai 4832 par TEtat de Biile-CamiKigne, la
souveraineté appartient à Tcnscmble des citoyens Agés de 20 ans accomplis. Cette
souveraineté s'exerce soit par le vote de la Constitution et des lois constitutionnelles,
et par le choix des représentants, soit au moyen du droit de veto. Le jiouvoir
législatif est le Limlraih, dont les membres sont nommés par les cercles électoraux,
à raison d'un député pour SOO âmes ; les membres sont élus pour six ans, et renouvelés
par tiers tous les deux ans. Le Landrath a la haute surveillance sur les autres auto
rités;ilconclut les traités, nomme les députés à la Diète, etc. Aucune loi n'est valide
qu'autant qu'elle n'est pas rejetée, dans la quinzaine après sa promulgation, |)arles
deux tiers au moins du peuple souverain ; c'est ce qui constitue le droit de veto accordé
aux citoyens. Les membres du Landrath reçoivent une indemnité de 1, 2 ou 3 Hvit.^
suisses par jour, suivant la distance de leur domicile. L'autorité executive est un
Cmiseil d'Etat de 5 membres nommés par le Landrath, dans son sein ou au dehors.
Le président est nommé annuellement par le Landrath, et n'est pas rééligible l'année
suivante. Les membres sont nommés pour quatre ans ; tous les ans deux ou trois d'entre
eux sont renouvelés. Outre les tribunaux de district, il y a un Tribunal d'appel di*
7 membres et 4 assesseurs, nommés pour six ans, et renouvelés par tiers tous les deux
ans. — En 4838 eut lieu une révision, qui réduisit à trois ans la durée des fonctions
des membres du Landrath, du Conseil d'Etat et des juges, et rendit leur renouvellement
intégral. Le Landrath fut réduit dans la proportion d'un membre pour 600 âmi*s. On
institua un Tribunal criminel et correctionnel pour tout le canton, en maintenant des
tribunaux de district. — Une nouvelle révision, opérée en 1850, a porté à 30 jours le
terme fixé pour rcxercice du droit de veto, et a réduit le Landrath dans la proportion
d'un député pour 800 âmes. La nouvelle Constitution porte aussi que le canton devra
prêter la main, autant que possible, à l'introduction du jury, ou par voie de centra-
lisation, ou par voie de concordat avec d'autres cantons.
Cultes. — Le canton de Bâlc professe en grande majorité la religion réformée;
on y compte 14,560 catholiques, dont 5508 habitent dans l'Etat de Bàle- Ville, et
9052 dans celui de Bâlc-Cam pagne. Ces derniers résident principalement dans un
district détaché de l'ancien évêché de Bàle, cl dont le chef-lieu actuel est Arlesheim.
La ville de Bâlc forme quatre paroisses principales, dont une dans le petit Bàle,
LA SUISSE PITTORESQUE. 289
trois dans le grand Bàlc, mais celle de la cathédrale comprend trois annexes. On
compte aussi comme paroisses l'hôpilal, la maison des orphelins, et le cimetière de
Saint-Jacques, dans la banlieue au sud de la ville. Ces paroisses et annexes sont
desservies par 17 ecclésiastiques. Le district rural au nord de la ville forme en outre
deux paroisses, celles de Biehen et de Petit-Huningue. Les pasteurs sont nommés
par les paroisses; chaque pasteur est assisté par des diacres et une sorte de Conseil
de paroisse. Le premier pasteur de la cathédrale est le chef du clergé protestant, et
porte le nom d'antistès. Outre la paroisse, le Grand Conseil et le clergé bàlois pren-
nent part à son élection. L'antistës préside le Conseil ecclésiastique, composé des
professeurs de théologie, des principaux pasteurs de la ville, du chef des diacres, etc.
OEcolampade fut le premier autistes de Bâle. Il y a en outre un Synode, composé de
tous les ecclésiastiques, mais il s'assemhle rarement. Après la Saint-Barthélémy, le
gouvernement céda une église aux protestants français qui s'étaient réfugiés à Bàle ;
on a continué dès-lors à y prêcher en français. Il y a aussi à Bàle un certain nombre
d'anabaptistes et de frères moraves (Herrenhuter), et une secte qui, sans se séparer
de TEglise bàloise quant aux doctrines et aux formes du culte, ne se distingue que
par plus d'austérité. Depuis 1801, on a accordé aux catholiques de la ville l'église
de Sainte-Claire, mais on y célèbre chaque semaine aussi un service protestant.
Enfin, les Juifs ont une synagogue à Bàle.
Instruction publique. — La ville de Bàle possède depuis longtemps une bonne
organisation scolaire. Outre les écoles primaires instituées par l'Etat, il y a encore
diverses écoles, dont plusieurs ont été créées par la Société d'Utilité publique, telles
que dos écoles de fabrique (Fabrikschulen) et une école industrielle (Indusirieschule)
destinées aux enfants pauvres, des écoles du dimanche, des écoles de chant, de
Datation, de gymnastique, etc. Les enfants doivent fréquenter les écoles depuis l'âge
de 6 ans à celui de 12, à moins qu'ils ne reçoivent ailleurs une éducation convena-
ble; depuis l'âge de 8 ans jusqu'à leur admission à la Sainte-Cène, ils doivent suivre
rinstniction du catéchisme. Il y a aussi, depuis 1817, des écoles de petits enfants
dans tous les quartiers de la ville, destinées à recueillir les enfants dont les parents
sont obligés de vaquer aux devoirs de leur profession; elles ont été instituées par
des sociétés de dames. — Au-dessus des écoles primaires est le Gymnase, qui se
divise en six classes, et ensuite le Pœdagogium, qui avait déjà existé au l&^ siècle
et qui a été rétabli en 1819 pour servir de passage entre le Gymnase et l'Université ;
mais ces deux établissements ne sont pas exclusivement destinés à préparer les
jeunes gens à l'enseignement universitaire. — L'Université, fondée en 1460, a jeté
autrefois un grand lustre sur la ville de Bàle. Beaucoup de savants distingués y ont
professé; beaucoup d'autres hommes remarquables y ont fait leurs études. En 1460,
elle a compté 220 étudiants, mais ce nombre ne s'est pas soutenu dès les années
suivantes. La période la plus brillante de l'Université bàloise est la fin du IS"* et le
ooromencement du 16"* siècle. Alors, elle compta parmi ses professeurs le fameux
Erasme de Botterdam, le médecin Paracelse, le grec Contoblacas ; un peu plus tard,
les théolc^iens C£colampade, Grynœus, Budeeus, etc. Toutefois, une des principales
causes de sa décadence remonte précisément à l'époque de la Béformation, parce que
cet événement eut pour effet d'éloigner de Bàle beaucoup de savants et de rétrécir
la sphère d'action de son Université. Néanmoins, elle a compté encore, dans les 17** et
11,19 37
290 LA susse pirroiiesQtE.
48* siècles, bien des professeurs et des élèves qui lui ont fait grand honneur. Il n'est
besoin que de citer les noms de Werenfels, Zwinger, Wettstein, Buxtorf, Plater, Ber-
nouilli, Euler, etc. A diverses époques, au siècle dernier ainsi qu'en 1818 et en 1834.
on a chercbé à lui redonner plus de vie, mais les circonstances ne lui ont pas été
favorables. L'Université est partagée en quatre facultés, qui en 1840 comptaient
ensemble vingt professeurs ordinaires, quatre professeurs extraordinaires, et dix
mditres privés (l^imtdocenlm). Ces professeurs, dont plusieurs sont tr^s^isUngués.
donnaient 80 cours différents. Quoique le nombre des étudiants soit borné (environ
60), cependant quelques-uns des cours réunissaient de nombreux auditeurs, de tout
Age et de tout sexe. La liberté d'enseignement est plus complète à Bàle que dans
d'autres Universités; les étudiants n'ont à payer que des honoraires modérés. — En
dehors de l'Université, il existe un Institut des missions, destiné à former des mis-
sionnaires, qui doivent, outre la théologie, étudier diverses langues.
CoMMEBCB, Industrie. — L'industrie a pris une grande extension à Bàle dès le
moyen-Age. On y a Eabriqué pendant longtcm|)s des toiles de lin et des draps. Ces
industries ont fait place à celles du coton et de la soie. A la fin du siècle dernier, on
comptait à Bftle six imprimeries d'indiennes, occupant une foule d'ouvriers; il n y
en avait plus que deux en 1841, mais il y avait en outre cinq fabriques d'étoffes
de coton et cinq filatures. Ces dernières, à elles seules, employaient 1000 ouvriers
et 35,000 bobines, et travaillaient 15,000 quintaux de coton brut. Mais la labri
cation de la soie est la branche la plus importante de l'industrie bàloise. En 17S4,
on comptait dans la campagne 1635 métiers à rubans; en 1800, on en comptait
3000, et en 1836, 4000, occupant 12 à 15,000 ouvriers (dans la ville, il y avail
à cette époque 46 fabricants et 1 550 ouvriers). Le développement que cette industrie
a pris depuis plus d'un demi-siècle est dû en particulier à la décadence des fabriques
d'indiennes et à la révolution française, qui a engagé l'Allemagne à acheter à Bàle
ce qu'elle tirait de Lyon et de Saint-Etienne. On fabrique surtout des rubans unis,
qui l'emportent toujours sur les produits étrangers ; quant aux rubans façonnés, ils
sont inférieurs aux produits français pour le goût et la légèreté; mais ils sont à
meilleur marché, parce que la liberté du commerce permet d'importer la matière
première à meilleur compte, parce que les impôts sont faibles, la vie peu coûteuse et
la main-d'œuvre peu élevée. On estipie à près de 15,000,000 de francs la valeur des
rubans que Bàle exporte, et dont la moitié va dans les Etats-Unis, l'autre moitié en
France, Allemagne et Hollande. Bàle possède aussi quelques manufactures d'étoffes
de soie ou demi-soie. — L'imprimerie a été autrefois une industrie importante à
Bàle. Les premières imprimeries ont dû y être établies vers l'an 1460; on conserve
encore des ouvrages imprimés en 1474. Des presses bàloises sortirent d'excellentes
éditions de la Bible, des Pères de l'Eglise , des classiques anciens et une foule
d'ouvrages modernes. C'est ce qui, avec l'Université, attira un si grand nombre de
savants à Bàle durant le 16'' siècle. C'est à cette époque que l'imprimerie y obtint
son plus grand développement ; mais, dans le siècle suivant, les imprimeurs bàlois
envoyaient encore une grande quantité de livres à la foire de Francfort. En 1470.
Bàle a possédé la première papeterie ou moulin à papier qu'il y ait eu en Allemagne ;
il en possédait huit il y a quelques années. Il s'y trouve aussi un certain nombre
(le tanneries, quelques fabriques de tabacs, une fabrique de pianos qui est assi^is
LA suisse PITTORESQUR. ^29 1
renommée, etc. Enfin, ragricullure est une industrie qui n'est pas sans importance,
surtout aux environs de la ville, mais elle emploie beaucoup d'ouvriers étrangers.
' Le commerce de BAIq est encore plus remarquable que son industrie. Sa position
sur le Rhin, qui le fait communiquer avec plusieurs ports de mer, la réunion des
«grandes voies de communication ferrées et autres entre TAIIemagne méridionale,
la France et l'Italie, le voisinage du canal du Rhône au Rhin, enfin l'activité et la
richesse de ses négociants, et surtout la pleine liberté du commerce, assurent à Bàle
une place importante dans le monde commercial. Bàle est le principal entrepôt des
marchandises suisses ; il exporte des étoffes de coton et de soie, des bois, des cuirs,
(les fromages, du bétail, des vins et eaux de cerises, etc. Il importe, soit pour la
consommation de la Suisse, soit pour le transit, des blés, des vins, des sels, des
tabacs, des étoffes, des denrées coloniales, des métaux, et des produits manufacturés
de presque tous les pays de l'Europe. On compte à Bàle environ 200 maisons de
négociants en gros. Ses marchés hebdomadaires et ses foires trimestrielles y attirent
une grande affluence de monde. Bàle est aussi l'un des points par où arrivent une
foule d'étrangers qui viennent visiter la Suisse dans la belle saison.
Hommes distingués, Savants, etc. — Un très-grand nombre de savants sont nés
à Bàle ou ont professé dans son Université ; voici quelques-uns des plus célèbres :
Andronie Conioblacas, Grec réfugié de Constantinople, fut le premier qui y enseigna
la langue grecque. Sim&n Grgnœus, de Souabe, fut appelé à Bàle pour y professer
la langue latine, et il contribua notablement au développement des études classiques.
Conrad Kûrschner (Pellkanus), ci-devant moine, y enseigna le grec et l'hébreu.
han Biixtorf, père et fils, furent de savants orientalistes du l?"" siècle; le père s'était
fait connaître dans toute l'Europe par ses écrits, et les rabbins eux-mêmes le con-
>ultaient sur leurs lois et usages. J.-R. Wetlstein, père et fils, enseignèrent la litté-
rature grecque et publièrent de nombreux ouvrages critiques. — Dans la philosophie,
un des noms les plus remarquables est celui de H. Lorilz (Glareanus), né à Claris
en 1488, et qui était aussi poète et philologue. Il vint à Bàle en 4514, et le quitta
en 1529, après la Réformation. Il s'y acquit un grand renom et exerga une influence
marquée sur la jeunesse. — Gomme mathématiciens, on peut nommer le même
Loriîz, Gemusœus de Mulhouse, et Simon Grynœiis, qui firent connaître les travaux
mathématiques des Grecs, etc. Mais ce sont principalement les Bernouilli et Euler
qui ont illustré Bàle dans cette branche des sciences. Pendant tout un siècle, les Ber-
nouilli (Jacob, son frère Jean, les trois fils de ce dernier, Nicolas, neveu de Jean, et
Daniel) furent en possession de la chaire de mathématiques. Pendant 94 ans, l'Aca-
démie des Sciences de Paris, sur ses huit membres associés étrangers, compta tou-
jours au moins un Bernouilli. Tous sont connus par de nombreux écrits; Daniel,
en particulier, par une théorie mathématique sur le mouvement des fluides. Nicolas
fut appelé comme professeur à Saint-Pétersbourg, et y mourut. Lémard Euler, né
en 1707, fut appelé à Berlin en 1744 pour y former une Académie des Sciences, et
en 1776 il fut appelé à Saint-Pétersbourg par l'impératrice Gatherine, qui le créa
président de l'Académie impériale des Sciences. Ses trois fils y trouvèrent aussi une
brillante carrière. Euler a laissé de nombreux ouvrages mathématiques et astrono-
miques.
Dans les sciences naturelles et la médecine, les noms les plus saillants sont les
292 LA 8UI88B PITTORBSQUB.
suivants. Le célèbre médecin Parac^Ue, d'EinsiedIen, professa à Bàle de 4526 à 1S29.
Félic Plaier, mort en 1614, y enseigna la médecine, et fit faire des progrès à l'élude
de Tanatomie ; il professa pendant quarante ans et attira beaucoup d'élèves ; il créi
le premier un jardin botanique. G. fiaiiAiii, mort en 1624, fut professeur de bota-
nique et de médecine ; il publia un catalogue des plantes qui croissent aux environs
de Bàle, ce qui fut un des premiers exemples d'une Flore locale. Il donna l'iropulsion
à plusieurs élèves qui se distinguèrent, entre autres & son fils et à son petit-fils. Plus
tard, L, Burckhardt, mort en 1817, s'est fait connaître par un voyage scientifique
en Egypte, Nubie, Arabie, etc. — Dans la science du droit, Bàle cite ses deux Am-
fpierbach, UoUonum de Paris, ses quatre Iselin, ses Fœsch, etc. — Mais c'est surtout
dans la Uiéologie que ses illustrations sont les plus nombreuses. Déjà avant la Réfor-
malion, plusieurs évéques et chanoines s'étaient fait remarquer par leur savoir. A
l'époque de la Réformation, Thomas Witletibach, né en 1472, réformateur de Sienne,
sa patrie, professa à Bàle de 1506 à 1522, et eut pour élèves Zwingli et Léo Juda.
Le savant Erasme de Rotterdam s'établit à Bàle en 1521 , et y mourut en 1536. Un
des principaux réformateurs de Bàle fui Jean-Hatisschein (Œcolampade); né eo 1482
à Weinsberg, il devint professeur en 1521 et autistes en 1529, et mourut en 1531.
Kûrschiier, déjà nommé comme philologue, Phrygio, réformateur du Wurtembei^,
et plusieurs autres, contribuèrent par leurs travaux aux progrès de la Réforme.
Plus tard, les Grynœus, dont l'un devint autistes en 1586, Séh. Beck, qui représenta
l'Eglise de Bàle au synode de Dordrecht, les Ztcinger, les Wettstein, les Werenfek,
etc., firent honneur à l'Eglise bàloise, tant par leur savoir que par leurs vertus.
Bàle n'a pas donné le jour à un grand nombre de diplomates ; nous citerons cepen-
dant J.-A. Wettslein, qui représenta la Suisse au congrès de Munster et d'Osnabrûek
en 1648, et, avec l'appui de la France, réussit à obtenir que la Confédération fût
enfin reconnue comme Etat indépendant; H -R, Fœsch, qui se distingua au service
de Bade et de Wurtemberg; Lacas Schaab, qui, revêtu des fonctions de chargé d'af-
faires d'Angleterre à Paris, rendit à sa patrie d'importants services en 1736. Isaac
Iselin, historien et philanthrope, fut le fondateur de la Société d'Utilité publique
(1777). — Un petit nombre de Bàlois sont parvenus à de hauts grades militaires.
Il y a eu un général Fœsch au service de Saxe pendant la guerre de Sept ans ; un
colonel de même nom en France, qui assista à la guerre de la succession espagnole;
un général Under au service des Etat&-6énéraux; un général-major Merian au ser-
vice prussien et danois; un général de brigade Iselin en France, etc.
Bàle a peu de poêles à citer. Quelques nobles des environs furent connus comme
troubadours dans les 13* et 14* siècles. Plus tard, Loritz, déjà nommé, fut couronné
comme poète par l'empereur Maximilien I'*^; il enseigna l'art poétique en même
temps que la philosophie. H. PantaUan fut aussi créé poête-lauréat par Tempereur.
Spreng, né en 1699, a fait une traduction estimée des Psaumes, et composé des
chants spirituels. De nos jours, quelques Bàlois cultivent hi poésie avec quelque
succès. — Bàle n'a pas produit de compositeurs distingués. Loritz, F. Plater, l'an-
tistès S. Sulzer et d'autres ont cultivé la musique avec ardeur et ont cherché à'
imprimer une impulsion à cet art. Quant au goût pour la peinture, il paraît avoir
été répandu jadis à Bàle ; l'usage y avait introduit les peintures à fresque pour les
façades et l'intérieur des maisons, ^neas Sylvius en parle dans sa description de
LA SI)I8SB PITTORESQUE. 295
Bàle, écrite en 4438. C'est en 4&39 que doit avoir été peinte la célèbre Danse des
Morts. Bàle comptait déjà à cette époque un grand nombre de peintres ; le nom le
plus célèbre est celui des Holbein, Jean Holbein, le père, fut appelé d'Âugsbourg à
Bàle pour peindre l'hôtel-de-ville ; ses deux fils, Âmbroise et Jean, cultivèrent le
même art; le plus remarquable Tut Jean, né à Bàle en 4498, et qui devint bourgeois
en 1520; on a conservé encore quelques-unes de ses œuvres à la Bibliothèque et à
rhôteUde-ville. Cependant, le goût pour les arts paraissant s*étre refroidi à Bàle, il
partit pour l'Angleterre avec une recommandation d'Erasme. Parmi les artistes
distingués des siècles suivants, nous nommerons R, Werenfels, G. Brandmûller,
J,-R. Huber, peintres de portraits; Mirell, mort en 4834, peintre de paysages;
M. Merian, Chr. de Mecliel, graveurs ; /. Michel, sculpteur ; c'est ce dernier qui a
érigé en 4580, dans la cour de l'hdtel-de-ville, la statue de Munatius Plancus.
— Enfin, l'architecture florissait à Bàle dans un temps où les sciences étaient encore
dans l'enfance. Un grand nombre d'architectes y travaillèrent dans le style byzantin,
plus tard dans le style gothique, puis dans le style florentin. Après la Réformation,
on donna la préférence à un style plus simple et plus austère, et l'on se plut à
décorer les maisons de sentences et de représentations bibliques. Â la fin du 48'' siècle,
l'aisance générale fit rechercher plus de luxe dans les constructions. Plusieurs beaux
édifices de ce temps sont dus à l'architecte Bûchel.
Moeurs, Coutumes, Caractère. — Les Bàlois sont laborieux et probes ; ils ont
un goût prononcé pour les spéculations et le commerce, et, en général, ils s'occu-
pent plus de leurs affaires d'intérêt que des plaisirs de la vie. Un grand nombre
d'entre eux ont acquis, par leur activité et leur esprit d'ordre, une fortune considé-
rable, mais ils ne cessent point pour cela de suivre le train de leurs affaires. Les
habitants de Bàle mènent en général une vie assez retirée et sortent peu de leurs
familles ; ils font peu de dépenses de luxe et ne donnent pas autant de fêtes que le
ferait supposer leur opulence ; ceux qui appartiennent à la secte qu'on appelle les
piétistes vivent surtout avec une grande simplicité. Ce n'est cependant pas à une
insociabilité naturelle qu'il faut attribuer le peu de goût des Bàlois pour les plaisirs,
mais à leur esprit d'assiduité aux affaires. D'ailleurs, toutes les fois que des sociétés
fédérales se sont réunies dans leurs murs, les Bàlois se sont piqués de faire à leurs
confédérés l'accueil le plus cordial et le plus distingué. Il serait injuste aussi de les
accuser d'avarice, car la générosité et la bienfaisance des Bàlois sont bien connues,
et forment un autre trait de leur caractère. Il est peu de villes où l'on ait créé
autant d'établissements charitables de tout genre. Quelques voyageurs, habitués à
Taspect animé et bruyant qu'offrent les villes françaises, ont exprimé leur surprise
de la tranquillité et de la tristesse qui régnent à Bàle, mais ils rendent toute justice
à l'exquise propreté de ses rues et de ses maisons.
La pompe qui accompagna le Concile tenu dans ses murs au 45'' siècle, avait eu
pour conséquence le relâchement des mœurs, mais la Réformation avait ramené
plus de simplicité et d'austérité. Cependant, avec l'accroissement des richesses, le
luxe avait fini par faire de grands progrès, et les dames bàloises, dont on vantait la
beauté et la grâce, se foisaient remarquer par l'élégance de leur toilette. Aussi, au
siècle dernier, les magistrats firent-ils des ordonnances somptuaires d'une grande
sévérité. 11 fut défendu d'être vêtu entièrement de soie ; le dimanche, tout le monde
294 LA SUISSE piTTORRsgre.
devait élre habillé de noir pour aller à Téglise ; aucun habitant ne pouvait faire
monter des laquais derrière sa voiture dans l'intérieur de la ville, ni avoir une livrée.
En 1777, il était encore interdit de circuler en voiture dans la ville après 40 heures
du soir, et personne ne pouvait y atteler quatre chevaux, à moins qu'il ne prouvât
qu'il allait à plus de trois lieues de distance.
Balb. — La ville de B&le, peuplée de 27,3<3 ftmes en 18S0, est partagée par le
Hhin en deux quartiei's, que réunit un pont de bois, long de 630 pieds. Le grand
Bàle, situé sur la rive gauche, est bftti sur deux collines que sépare la petite rivièrr
du Birsig ; il comprend le quartier ancien ou la ville proprement dite, dont les rues
sont étroites et tortueuses, et six faubourgs enfermés dans ses murs, et ayant des
rues larges et bien bâties. Le petit Bàle, sur la rive droite, est construit en plaine
et a des rues droites, mais pas d'édifices remarquables. Bàle oontienl six places
publiques. La ville s'est beaucoup emliellie depuis une trentaine d'années, en com-
blant les fossés intérieurs de son enceinte, qui furent convertis en jardins et en bou-
levards. L'enceinte ne consiste plus maintenant qu'en un large fossé. Un grand
nombre de maisons ont de vastes cours ou jardins assez joliment arrangés.
Edifices el monmnentH Jii'ers, L'édifice le plus remarquable de Bàle est la Cathé-
drale, qui fut b&tie au commencement du li"" siècle dans le style byzantin. Lt*
tremblement de terre de 1356 la détruisit en majeure partie, et elle fut reconstruite
en style gothique. Elle est en grès rougeâtre, tiré des carrières de Rielien. La porte
dite de Saint-Gall appartient à la construction primitive et fut peut-être le grand
|M)rtail ; elle est ornée de belles sculptures byzantines. L'élise souterraine, ou cryfUe,
placée sous le chœur, et la nef presque entière, datent aussi de la première époque,
ainsi que divers détails d'architecture. Le frontispice, où se trouvent le grand por-
tail et deux portes latérales, est du Ik' siècle et richement orné: on y voit les statues
équestres de saint Georges avec le dragon , et de saint Martin , celle de la sainte
Vierge, et, à ce qu'on suppose, celle de Henri II, fondateur de l'édifice. Le fron-
tispice est surmonté de deux tours, portant les noms de saint Geoi^es et de saint
Martin ; la première, haute de 20S pieds, date de la réédification après le tremble-
ment de terre; la seconde, qui est un peu moins élevée, fut terminée en 4500. Elles
sont élancées en forme d'obélisque, et ont les belles proportions de la meilleure
époque du style gothique. On y trouve huit cloches, dont la plus grosse est de 405
quintaux. Divers ornements intérieurs ont été supprimés à l'époque de la Réfor-
raalion, et l'intérieur a été modifié à diverses époques des 47* et 48* siècles; un jubé
gothique, qui séparait la nef du chœur, a été abattu récemment ^ La nef a de chaque
côté deux rangs de chapelles latérales, qui, avec le chœur, contenaient autrefois un
grand nombre d'autels. Les bâtiments contigus contiennent les sacristies, une salle
de prière, de spacieux cloîtres ou corridors (Krenzgdnge), et le palais de l'évéque.
On remarque dans l'intérieur ; la chaire, datant de 4&86, et taillée d'un seul bloc de
pierre, beau morceau de sculpture en style gothique; le baptistère, qui est du même
siècle; l'orgue, placé en 4&0ft et jadis orné de peintures par Holbein (il doit être
remplacé) ; les 96 stalles du chœur, décorées de sculptures fantastiques ; le beau
fauteuil où s'asseyent les premiers magistrats, et datant de 4598. Du chœur on
1. CpMc annëe encore ''1R55) on termine A la catliédrale divers traTaox de retlaDraUon.
LA SUISSE PlTTORESQt'E. 29S
descend par un escalier dans la Salle du Concile, où se réunissait Tune des cinq con-
grégations de cette assemblée ; les réunions générales avaient toujours lieu dans
réglise même. Cette salle est encore dans l'état où elle se trouvait il y a ftOO ans.
Un caveau particulier contenait le riche trésor de l'église, qui, depuis 1529, était
resté un objet de litige entre la ville et le chapitre de la cathédrale, et a été partagé
on 1834 entre la Ville et la Campagne. On y voyait la table d'autel en or, donnée
par Henri II, plusieurs beaux ostensoirs en argent, des calices, des patènes, et de
nombreuses reliques. Les deux tiers de ces objets ont été attribués à Bàle-Campagne
et ont été dès-lors vendus et dispersés. Le cloître, qui fut construit en 136S, 1400
et 1487, est un bâtiment remarquable: il sert de communication entre l'église et le
|)alais de l'évèque; on y voit, ainsi que dans l'église, dans les chapelles et dans la
(rypte, les inscriptions tumulaires d'un grand nombre de personnes distinguées, entre
autres celle de l'impératrice Anna, épouse de Rodolphe de Habsbourg, et celles de
ses fils Hartmann et Charles; celle d'Erasme; celles des réformateurs de Bàle,
J. Meier, bourgmestre, OEcolampade et S. Grynœus; celles d'un grand nombre
d'évêques, d'antistès, de gentilshommes et de savants. Les couloirs du cloître s'éten-
dent jusqu'à la plate-forme ou terrasse de la cathédrale. Cette terrasse porte le nom
de Pfalz, palatium, à cause de l'ancien château impérial, sur l'emplacement duquel
elle se trouve; elle est ombragée de beaux marronniers et élevée de 7S pieds au-dessus
du Rhin ; elle offre une belle vue sur le cours du fleuve et sur les hauteurs de la
Forêt-Noire et des Vosges.
Les autres églises sont les suivantes : Celle de Saini- Martin, bâtie du temps de
Clovis, et qu'on croit être la plus ancienne de Bàle; elle fut restaurée en 1287,
13S7 et 18S1 : c'est là qu'OEcolampade introduisit en premier lieu le chant des
Psaumes en allemand, baptisa en langue allemande, et donna la Sainte-Cène sous
les deux espèces. L'église de Saint-Alban, restaurée après 1417, est, avec la précé-
dente, une filiale de la cathédrale. Â cette église est attenant le couvent de Saint-
Alban, le plus ancien.de Bâle; ce couvent est maintenant une propriété particulière ;
on y voit encore quelques restes des arcades byzantines. L'église de Saint-Pierre est
très-ancienne; elle est d'un style très-simple, et fut restaurée dans la forme actuelle
au quatorzième siècle ; son orgue passe pour le meilleur de la ville ; elle renferme les
tombes d'un grand nombre d'hommes distingués, des Zwinger, des Bernouilli, etc.
L'église des Prédicateurs (Predigerkirche) appartenait à un couvent de dominicains,
dans le cimetière duquel on voyait peinte sur les murs la fameuse Danse des Aforts,
qui a existé jusqu'en 1805; ces peintures, qui dataient de 1439, furent faites en
souvenir de la peste ; on les a faussement attribuées à Ilolbein. L'église a été cédée
à la communauté française en 1614. Le chœur sert de magasin à sel. L'église de
Saint' Léofiard, la plus belle de Bâle, fut bâtie probablement peu avant la Réforma-
tion; le cloître attenant est converti en prison. VégWs/o de Suint-Théodore, église
paroissiale du petit Bâle, date du 11*' siècle; elle a une sonnerie harmonieuse; l'an-
cienne Chartreuse, qui en était voisine, est maintenant la maison des orphelins.
Plusieurs cardinaux et évêques morts de la peste au temps du Concile y furent
enterrés. L'ancien couvent de Klingenthal a été converti en caserne, en magasins et
maisons de travail pour les pauvres. C'est dans ses corridors qu'on voit une Danse
des Morts copiée diaprés celle mentionnée ci-dessus.
296 LA SU1S6B PITTORESQUE.
LHAlel-de-rille (maison du Conseil, Ralhkaiu), sur la place du Mardié, vers le
centre de la ville, a été bftti de 1508 à 1527; son arcbiteclure trahit le passage du
style gothique au style moderne (style hourguignon). lia façade est ornée d'une
inscription en bronze rappelant la grande inondation du Birsig en 1529. Dans la
cour est la statue de Munatius Plancus, fondateur d'Âugst. Les murs e^ctérieurs et les
corridors sont couverts de peintures à fresque qui datent de 1609. Dans la salle da
Grand Conseil se trouvaient jadis des peintures de Holbein, mais elles n'existent plus
depuis longtemps. L'ancienne salle du Conseil secret est remarquable par ses belles
sculptures. Dans plusieurs chambres on voit de très-beaux vitraux peints. — L*Ar-
mMl, bâti en 1438, contient un certain nombre d'armures antiques, entre autres
la cotte de mailles que portait Charles-le-Téméraire à la bataille de Nancy. — La
Poste a été bâtie à la fin du dernier siècle ; c'est dans une de ses salles que s'assembla
la Diète en 1806 et 1812, et que siège maintenant le Grand Conseil de ville. La
plus remarquable des sept portes de Bâle est la porte de Spahlen (Spahlenthor), qui
doit dater du 1 4* siècle, et se compose d'une tour carrée avec un sommet en pointe,
et flanquée de deux tours rondes. — Le Casino, destiné aux concerts et aux bals, et
terminé en 1824; le Casino d^été; le Théâtre, achevé en 1832, ont été construits
au moyen de souscriptions particulières, et sont d'une bonne architecture. Les fon*
taines qui méritent l'attention sont la fontaine gothique du Marché aux Poissons,
du commencement du 16'' siècle; celle du joueur de cornemuse, construite d'après
le dessin d'Albert Durer, et la nouvelle fontaine de THâpital. Nommons encore, pour
l'intérêt historique qui s'y rattache, la statue de l'empereur Rodolidie de Habsbour]g,
dans la cour du Seidenhof (Hàlel des soies), où il descendit après son entrée solen-
nelle (c'était la demeure d'un bourgmestre du temps) ; la maison où se tint, en
1436, le conclave qui élut le pape Félix V; celle qu'habita Erasme; l'ancienne
maison Ochs, où fut conclue, en 1795, la paix entre la Prusse et la France; la
maison de campagne Hiss, près la porte Saint-Jean, où la duchesse d'Angoulème fut
échangée contre des membres de la Convention. — Les plus beaux jardins de BâJe
sont le jardin Vischer, près la cathédrale, avec une magnifique vue sur le Rhin ; le
jardin Forcard, près du fossé Saint-Âlban, et le Jardin botanique, établi depuis 1840
hors de la porte Eschem (Eschemer-Thor).
Etablissements et Sociétés scientifiques, littéraires, etc. Nous avons déjà parlé de
l'Université et de l'Institut des missions. Dans la rue qui conduit de la cathédrale
au pont du Rhin se trouve le Nouveau Musée; c'est un grandiose édifice, où sont
réunies toutes les principales collections de la ville. Dans une des ailes est placée la
Bibliothèque publique, qui possède près de 60,000 volumes et environ 4,000 ma-
nuscrits. Elle est assez complète en littérature ancienne, et l'on y voit beaucoup
d'éditions rares. Au nombre des manuscrits on remarque plusieurs classiques, un
Evangile auquel on donne 900 ans d'antiquité, un manuscrit remarquable de Gré-
goire de Naziance, en grec, sur un tissu de coton ; onze volumes d'actes du Concile:
une grande collection d'autographes des premiers réformateurs et des principaux
savants des IS*, 16" et l?*" siècles; une copie de V Eloge de la folie, d'Erasme, dont
les marges sont couvertes de dessins à la plume de Holbein. — Le même édifice con-
tient le Musée de peinture, qui possède un grand nombre de beaux ouvrages de l'an-
cienne école allemande, de Durer, de Kranach, de Manuel, de Schaufelin, et surtout
LA suisse nrroKtsQUË. !297
de Bo€;)c et des Holbein. On regarde comme l'œuvre la pins remarquable la célèbre
Passiaih en huit sujets, de Uolbein le jeune, pour laquelle Télecteur Maximilien de
Bavière offrit 30,000 florins en 1641. On cite aussi un Christ mort; le portrait de
la femme et des enfants de l'auteur ; une Vénus ; une Laïs de Ck)rinthe, etc. Dans
d'autres salles on trouve la collection archéologique, qui se compose principalement de
monnaies et d'autres antiquités trouvées dans les ruines d'Augst ; le Musée dlmioire
natarelle, fondé en 1821, et comprenant des collections de physique, de zoologie,
d anatomie, de minéralogie, etc. Au Jardin botanique, qui fut fondé en 1692, est
aUachée une riche bibliothèque de botanique avec de nombreux herbiers.
De nombreuses Sociétés pour l'avancement des sciences, des lettres et des arts,
existent à Bàle: Une Société académique, fondée en 183S pour soutenir les établis-
sements d'instruction plus ou moins compromis par le partage des fonds universi-
laires en 1833; une Société des prédicateurs; une Société de lecture théologique ;
une Société de droit, fondée en 1835 ; une Société d'histoire, fondée en 1836 ; une
Société d'histoire naturelle, qui date de 1817, et qui a succédé à la Société de phy-
sique et de médecine, qui existait depuis 1748 ; elle est en relation avec la Société
des naturalistes suisses ; une Société de médecine, reconstituée en 1838; une Société
militaire, fondée en 1821, et qui réunit des officiers et sous-ofGciers de toutes armes
|)our entendre des mémoires sur quelques parties des sciences militaires; elle possède
une bibliothèque spéciale d'environ 2000 volumes ; une Société d'économie rurale ;
une Société des artistes (Kunst-Verein), fondée en 1839, et qui en 1840 comptait
déjà 270 membres ; elle organise des expositions fréquentes de peinture, et se met
en rapport, dans le même but, avec des sociétés semblables existant à Berne et à
Zurich; diverses Sociétés de musique et de chant; une Société de lecture, qui s'abonne
à un grand nombre de journaux et achète beaucoup d'ouvrages nouveaux ; elle
compte près de 700 membres et possède près de 30,000 volumes ; le bâtiment
qu'elle occupe est situé en face de la cathédrale, et lui appartient ; les étrangers y
sont très-facilement introduits. Il y a aussi un établissement de lecture du dimanche,
destiné principalement à la classe ouvrière.
Fondations pieuses et Sociétés de charité ou d'utilité publique. — Il existe à Bâle un
liôpilal, dont les fonds proviennent en partie des couvents supprimés; un asile pour
les personnes âgées et infirmes dos deux sexes; une maison d'aliénés; un institut
des sourds-muets, établi à Riehen ; un hospice pour les voyageurs pauvres ; une
i^msc générale d'auinànes (dus grosse Âlmosen), fondée aussi avec des biens d'anciens
couvents ; une maison d'orphelins, fondée en 1669 ; une fondation pour les étudiants
\)à\xyve& (Collegium alumnorum); la caisse des pauvres des paroisses de la ville,
formée du produit des troncs d'église ; plusieurs caisses d'épargne ; des caisses de
prévoyance pour les veuves et les orphelins ; des caisses pour les veuves et orphelins
de pasteurs et de régents ; une école d'économie rurale pour les enfants pauvres,
créée sur le modèle de l'école de Fellenberg ; plusieurs sociétés mutuelles de secours
pour les malades ; une société de secours pour les heimathloses (ceux-ci étaient en
i8S0 au nombre de 200 dans le canton, la plupart dans Bâle-Ville). Nommons
surtout la Société d'utilité publique, fondée en 1777 par Isaac Iselin, et qui compte
cinq à six cents membres; elle a créé diverses institutions utiles, entre autres des
caisses d'épargne, un comité des malades, un établissement de travail {lour les
II. 19 o8
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LA SnSSB PITTOUKSQl'K.
pauvres, une éeole de dessin, des écoles de g\'mnastique et de natation, et donw
une heureuse impulsion à Tamélioration des écoles et des prisons. Mentionnoib
enfin la Société biblique, fondée en 1804 sur le modèle de celle d'Angleterre, et
dont le but est de répandre des traductions de la Bible dans divers pays d'Europe.
On a estimé à 100,000 le nombre des exemplaires qu'elle a distribués dans Tespaee
de 20 ans (4814-4853); la Société des traités, qui fait imprimer et répandre des
ouvrages d'édification ; et la Société des missions, créée en 4846, et qui a pour bul
de former des missionnaires évangéliques et de les envoyer dans les régions loin-
taines ; elle est en relation avec de nombreuses sociétés semblables d'Allemagne el
de Suisse, et reçoit des sommes importantes, qui proviennent en grande partie de
l'étranger ; elle a de fréquentes assemblées, el a fondé un institut spécial destiné à
l'instruction de jeunes missionnaires, lequel compte environ 40 élèves.
Promenades^ — Nous avons déjà parlé de la Pfalz, ou terrasse de la cathédrale.
Le pont du Rhin est fréquenté par les promeneurs dans les soirées d'été, soit à cause
de la fraîcheur de l'air, soit pour la vue dont on y jouit : ce pont est en bois et trcs-
Le |>out (lu Kliin, à Hâlc.
ancien. On appelle Dame des Morls une promenade plantée d'arbres établie sur
l'emplacement d'un ancien cimetière, sur les murs duquel on avait représenté une
Danse des Morts. La place de Saint-Pierre, plantée d'arbres depuis 4277, a été sou
vent le théâtre de jeux el d'exercices gymnasliques; c'est là qu'une fêle fut donnée
à l'empereur Sigismond en 4 473, et qu'un banquet lui fut ofTerl à l'ombre d'un
1. Nou§ ne pensons pas qu'on trouve singulier que nous placions les cimelières au nombre
des promenades. A Conslanlinople, les principales et presque les seules promenades, ne sool-cp
pas ses ciuieticres? Seulement on n'a pas imaginé de les entourer de murs, comme on le M
dans beaucoup d'autres pays
IK SUISSE PITTORESQUE. 299
tilleul. Du Rempart du Rhin (Rhein-Schanze) ron a une belle vue sur la ville et sur
la rive droite du fleuve. Des cinq cimetières, celui de la petite ville est le mieux
disposé, mais celui de Sainte-Elisabeth contient les plus beaux monuments. — Sur
la rive droite du Rhin, le Hôrnli, à la frontière badoise, et la colline de SaiiUe-Chri-
schona, près de Riehen, offrent des points de vue intéressants. Les environs de Riehen
sont embellis d'une quantité de maisons de campagne. Sur les bords de la Wiese,
non loin de son embouchure, on trouve de jolis bosquets ; on peut visiter plus au
nord la vallée de la Wiese, connue par les poésies de Hébel ; on y voit les ruines
(lu château de Rôtelen, détruit en 1678. A quelques lieues vers le nord est le bourg
de Bademoeiler, lieu fréquenté pour sa belle positron et son excellent établissement
de bains chauds; on y a découvert en 1784 des bains romains, qui sont au nombre
des plus beaux qui existent au nord des Alpes ; on peut s'y rendre ou par les bateaux
à vapeur ou par le chemin de fer badois, dont le prolongement sur le sol bàlois a
été récemment terminé. Plus à Test est Todimoos, lieu de pèlerinage en vogue, et
le célèbre monastère de Saint-Blaise. Sur la rive gauche, à quelques minutes de la
ville, au lieu même où les héros de Saint-Jacques ont été ensevelis, on a élevé, en
1824, un monument destiné à rappeler leur mémoire. Le hameau de Saint- Jacques
est à quelque distance. Une plaque de marbre, incrustée dans le mur de l'église en
1844, à l'époque du jubilé de la bataille et du tir fédéral, porte l'inscription suivante
en allemand : Nos dnies à Dieu, nos corps atkc ennemis. Ici moururefitj le 26 août
4 m, dam le combal contre la France et l'Autriche, non vaimiui, nms las de vaincre,
4300 confédérés et alliés. Plusieurs points des environs sont remarquables i)our les
vues lointaines qu'ils présentent aux regards. Telle est la hauteur de Sainte-Mar-
guerite, où Rodolphe de Habsbourg s'était posté pour faire le siège de Bàle. De là,
des sentiers conduisent à la colline du Bois des Frères [Braderholz), qui offre un
beau panorama sur les alentours de Bàle. C'est là qu'en 1499, dans la guerre de
Souabe, un petit corps de confédérés battit une division de l'armée allemande qui
voulait pénétrer en Suisse. Le village français de Saint-Louis a possédé pendant près
de vingt ans l'embarcadère du chemin de fer de Strasbourg. Cette voie se prolonge
maintenant jusque dans l'intérieur des remparts de Bàle.
ExccRSiONS DANS Bale-Campagne, Liestal. — Les jolies plantations de la vallée du
Birsig la font ressembler à un parc; en continuant à remonter cette rivière, on
arrive dans la vallée alsacienne du Leimenthal, où s'élèvent les ruines du château
de Landskrone, remarquable par sa belle vue. Elles ne sont pas très-éloignées du
couvent soleurois de Mariastein, lieu de pèlerinage fréquenté. — En remontant le
cours de la Birse, on arrive au bourg d'Arlesheim, situé dans une contrée délicieuse ;
les coUines voisines sont couronnées de plusieurs vieux châteaux ; celui de Birseck
est au débouché d'un étroit vallon et au milieu d'un magnifique parc; les ruines
mousseuses du manoir d'Angenstein sont remarquables par leur site sauvage et
romantique, et celles de Pfeffingen par leur point de vue. Dans le voisinage se trouve
aussi une chute de la Birse, ainsi que le village soleurois de Dôrnach, où 6000
Suisses vainquirent 1S,000 Autrichiens, le 22 juillet 1499. D'Arlesheim on peut
monter sur le sommet de la Gempenfluh (1570 pieds), d'où l'on découvre toute la
ligne des Vosges et de la Forêt-Noire, et une grande partie de la chaîne du Jura.
Non loin de là, l'on peut visiter les bains de Schauenbourg, dans une conlrée soli-
30(1 L% SUSSE PITT<«ESVIR.
taire, el les ruines du clùleiiu de ce nom, dêlniit par le Iremblemenl de t^re de
1356. — La route de Bàle à Uestal traverse b forêt de la Hard, où se livra, le 3
août 1833, un sanglant combat qui fut fatal pour b ville. Elle laisse sur la droite
le village de Pratlein, situé S4ir une colline au milieu d'un massif d'arbres fruitiers.
Elle passe ensuite près de la Maisi>n rouge ( A<4AA«in<k ancienne maison de campagne
où le comte d'Artois et d'autres émigrés trouvèrent un asile lors de la première
rév4»lution. Tout pK^ de là sont les abondantes salines de la Schweizerhalle el leur
établissement de bains. Sur la gauclie se sépare la route de Zurich, qui passe près
du village d'Augst et de ses ruines romaines.
UeMal, dans la vallée de TErgdlz et au milieu d*une contrée fertile, est le siège du
gouvernement de K^le-Campagne. II compte 303i habitants, et possède un arsenal, un
liopital, une bibliothèque, une fabrique de machines, deu\ ou trois filatures de coton ;
la fabrication des rubans est répandue dans la vallée de TErgolz, ainsi que dans les
vallées voisines. On conserve à rhôtelnle-ville la coupe dont Charles-le-Téméraire
faisait usage avant la bataille de Nancy. G? fut Liestal qui, en 1798, donna aux
contrées d*alentour Texemple de Tinsurrection : c'est là que, le h janvier 1831 , se
tint une assemblée populaire à la suite de laquelle on établit un gouvernement pro-
visoire (voyez ci-dessus). A Liestal on est à portée pour visiter les diverses vallées qui
débouchent dans celle de TErgolz: i demi-lieue vers le sud s'ouvre un vallon qui con-
duit par Bubendorf et le château de Wildenstein à Reigoldswyl, lieu Irès-fréquenté
dans I été à cause de sa charmante position. De là on peut se diriger vers Brezwyl et
le château de Ramstein, et visiter la pittoresque vallée de Beinwyl, sur le territoire
soleurois, ainsi que le col du Passzwang, d*où Ton aperçoit au loin les Alpes et Tin-
térieur de la Suisse. En suivant la route de Liestal à Soleure on passe près des bains
d'Oberdorf et arrive à la petite ville de Waldenbourg, entourée de précipices el
située au pied du Hauenstein supérieur. Le château dont on voit les ruines sur la
liauteur était autrefois la résidence des baillis, et fut détruit en 1798. Il y a encore
une heure de montée douce pour atteindre le village de Langenbruck, placé sur le
col, à 2250 pieds. Ce village, qui est le plus élevé du canton, est situé au milieu
de riches pâturages parsemés de nombreuses métairies, et offre un séjour d'été que
les Bàlois aflectionnent beaucoup. On peut de là visiter le Schônihal (Belle- Vallée),
où sont les ruines d'un couvent, faire l'ascension du Bôlchen, dont la vue est très-
étendue, et redescendre au\ bains d'Eptingen, situés au fond d*une espèce d'entonnoir
formé de rochers à pic, et d'où un nouveau vallon ramène à Sissach. De ce dernier
village, une route conduit à OIten par le Hauenstein inférieur. On passe sous les
ruines pittoresques du château de Hombourg, situé à gauche à une grande hauteur
au-dessus de la vallée. Derrière ces ruines s'élève la sommité du Wysenberg (34 10),
d*où Ton a une vue magnifique sur les Alpes. De cette sommité, l'on peut descendre
au sud vers les bains soleurois de Loslorf, ou à Test vers le vallon sauvage el
romantique d'Eythal, qui débouche à Gelterkinden sur les bords de l'Ergolz. De ce
lieu, une roule se dirige dans le vallon de Teknau, où Ton voit une cascade et plu-
sieurs grottes, et aboutit aux bains d'Oltingen et au passage de la Schafmatt, qui
conduit à Aarau. Enfin, au nord de TErgolz, les vastes ruines de la forteresse de
Famsbourg, délruile en 4798, méritent d'être visitées.
CANTON DE SCHAFFHOUSE.
-^^y^^<^^^x^^
Situation, Etendue, Climat. — Le canlon de Schafflioiisc est le seul qui soit silué
en entier (sauf un faubourg de Slein) sur la rive droite du Rhin, et par conséquent
hors des limites de Tancienne Helvétie. Il est entouré presque de toutes parts par le
grand-duché de Bade; seulement le Rhin forme sa limite au sud sur une longueur
(le deux ou trois lieues, et le sépare des cantons de Zurich et de Thurgovie. Le
canlon possède deux petites enclaves. Tune à Test, enfermée entre le Rhin et le ter-
ritoire badois, l'autre au sud, bornée par le district zuricois d'Eglisau, le territoire
badois et le Rhin, en «face des embouchures de la Thur et de la Tôss. Le sol schaff-
housois entoure aussi la petite enclave badoise de Bûsingen, non loin du chef-lieu.
D'après les dernières mensurations, la superficie totale du canton est de 43 '/^^ lieues
carrées; sa plus grande longueur est de sept lieues, et sa plus grande largeur de trois
lieues. Toute la contrée est d'une salubrité remarquable. Bien qu'étant la ville la
plus septentrionale de la Suisse, SchaiThouse a un climat assez tempéré; il en est
de même de ses environs et de plusieurs vallons intérieurs, ce qui est dû aux col-
lines qui les abritent contre les vents du nord.
Montagnes, Vallées, Rivières, etc. — Le canton ne peut être appelé monta-
gneux ; il ne possède que des collines élevées, qui sont comme le prolongement de la
chaîne du Jura. Les principales sont : au nord-ouest, le Randenberg, dont le point
culminant, le Hohe-Randen, a 2814 pieds au-dessus de la mer; au nord-est, le Reiat,
haut de 1970 pieds; à l'ouest de Schaffhouse, la petite chaîne du Klettgan, La seule
rivière considérable du canton est le Rhin, qui, à trois quarts de lieue au-dessous
de Schaffhouse, forme sa célèbre cataracte, que nous décrirons plus bas; la hauteur
du fleuve près du pont de Schaffhouse est de 4 180 pieds ; au-dessous de la cataracte
elle est de 1108 pieds. Les autres coui's d'eau sont sans importance à côté du Rhin.
La Bibern ou Biberach coule le long du Reiat et arrose la vallée où sont Thaingen et
r>Oi L% SIISSK PintWESQl F-
Ramsen. Près de son embouchure dans le Rhin, ainsi qu*au nord de Thâingeo, se
trouvent deux villages qui s'appellent Biber: ce nom, qui signifie castor, semble
indiquer, ainsi que celui de la rivière, que cet animal vivait jadis sur les bords de
celle-ci *. La Dttrarh, qui traverse la ville de Schaffhouse. arrose la vallée du Mûh-
lenthaL La Wntnch, qui a sa source au lac Titi dans la Forét-Noîre, coule au-delà
du Randenberg et forme sur deux points la limite du canton . Entre le Randenber^
et la chaîne du Klettgau s'étend la large vallée du Klettgau, qui débouche près de
S<*haffhouse au défilé d'E$è(fe. Ses eaux s*écoulent au sud-ouest dans la WutaM^i. —
Il existe, près du village d*()sterfingen, une source minérale qui contient de l'alun et
du soufre, et qui est efficace contre la goutte et les rhumatismes. L'établissement de
bains qu'on y a fondé a obtenu une certaine vogue.
Histoire NATraEixe. — On trouve peu d'animaux sauvages dans le pays; on ny
chasse guère d'autres quadrupèdes que des renards et des lièvres, et plus rarement
des chevreuils et des écureuils : quant aux volatiles, ceux qu'on voit en [dus grande
quantité sont des bécasses, des bécassines, des perdrix, des canards sauvages, de$i
cigognes, etc. Le Rhin est très-poissonneux ; de même qu'à Râle, c'est le saumon qui
est le poisson le plus abondant; il atteint une grosseur considérable. La race bovine
compte 9 à 10,000 têtes; elle est d'une moyenne espèce ; on cherdie à l'améliorer :
il y a en outre environ 4500 chevaux, 2000 chèvres, 12 à 1400 moutons.
Le mont Randenberg, ainsi que les environs de SchaS bouse, offrent quelques plantes
rares ; on a remarqué que la flore schaffhousoise présentait une grande ressemblance
avec celle de Râle et de Genève.
Les collines du canton sont presque toutes calcaires; cependant, vers l'est do
Schaffhouse et à Stein, on voit de la mollasse. Dans le voisinage du Rhin le sol est
composé de brèches recouvertes d'argile; au-dessous du château de Laufen on voit
succéder à la pierre calcaire des rochers de brèche, dans lesquels est creusé le lit du
fleuve jusqu'à Waldshut. De même que dans les montagnes du Jura, on trouve dans
les collines du canton de nombreuses pétrifications ; ce sont des cornes d'ammon de
toutes les espèces, des térébratuliles, des bélemnites, etc. etc. , et une espèce de coraux
connue sous le nom de fangites. Le Randenberg est surtout renommé par le grand
nombre de ses fossiles, dont plusieurs renferment des traces ou des restes d'animaux
marins et de plantes. Dans les carrières d'OEningen, près de Stein, on trouve une
espèce de roche jaune qui renferme beaucoup de typolithes, pierres portant Tem-
preinte de plantes et d'insectes, etc., qu'on croit antédiluviens. On exploite d'abon-
dantes carrières de gypse à Schleitheim, à Re^ingen et à Wunderklingen. La couche
remarquable de fer pisiforme (ou globuleux) qui s'étend sur tout le revers oriental
du Jura, se montre aussi dans le canton de Schaff bouse ; on l'exploite près de Neun-
kirch, et l'on en tire une quantité considérable de minerai.
Antiquité. — Le canton de Schaff bouse possède peu d'antiquités romaines. Près
de Schleitheim, dans le pays des Tnlingiefis, on a rencontré plusieurs fois en labou-
rant des restes de murailles qu'on suppose avoir fait partie d'un retranchement. On
a trouvé en terre, sur quelques petits mamelons, des débris de vases et des monnaies:
1. On trouve aussi Bibereck, au cantoo de Schwyti; Bibêntein, sur les bords de TAar, en
Ar^ovie; Biberitt, sur les bords de FEmine, prés de Soleure ; une petite rivière nommée Biber,
et lin villa((e du nom de Bibern, sur la frontière bernoise, entre Morat et GUmminen.
LA SUISSE PITTORESQUE. 503
«îlles-ci oBrent une série non interrompue des empereurs de Vespasien à Théodose-
le-Jeune; elles sont la plupart en bronze, et quelques-unes en argent. Une chronique
assure qu'on a déterré en 1684, dans la commune de Gâchlingen, un vase plein de
monnaies d'or et d'argent. Près de Schaffhouse on a trouvé seulement quelques
monnaies; mais les vestiges d'antiquités romaines sont moins rares sur la rive droite
(zuricoise). D'après le chroniqueur Riiger, une forteresse (atstellnm munitum ou mu-
nitio) avait existé sur l'emplacement du fort actuel de Munoth ou Unnoth, mais on
n'en reconnaît plus de traces. St^in doit être bâti en partie sur l'emplacement qu'oc-
cupait la forteresse de Gaunodunm, une des douze cités de l'Helvétie qui furent
brûlées lors de la grande migration pour la Gaule. Rebâti par les Romains, Gauno-
durum fut détruit par les Germains sous Valentinien III. — Quant aux restes du
moyen-âge, ils sont nombreux dans le canton ; le plus remarquable est le château
de Hobenklingen, qui domine la ville de Stein et date du Q^ siècle; il fut jadis le
siège des barons de même nom. Une tour carrée du château de Munoth doit dater
des premiers rois francs. Une tour près de l'église de Saint-Jean remonte au 9^ siècle,
et plusieurs des églises de Schaffhouse aux 11'' et IT siècles.
Histoire. — Lorsque les Romains unirent l'Helvétie à leur empire, la vallée du
Klettgau était habitée par les Latohriges, peuplade de race gauloise. Sur la lisière
occidentale du canton, la vallée de la Wutach était la demeure des TnUngims, peuple
également gaulois. Ces deux peuplades étaient alliées des Helvétiens. Au nord du
Randenberg et dans le Hôhgau, contrée qui commence à l'est de Schaffhouse, habi-
laient les Vindélkimis, nation germanique. Dans le S*' siècle, il n'existait sur l'em-
placement de Schaffhouse que quelques habitations de bateliers occupés à passer les
voyageurs, et des hangars pour servir de dépôt aux marchandises dont la chute du
Rhin nécessitait le débarquement. C'est sans doute de cette circonstance que vient le
nom de Schaffhouse, en allemand Schaffhanseu, station de bateaux {Schaff, dérivé de
Smpha, étant synonyme de Schiff, bateau), en latin Svafhusmu ou Sc^fhmum, Au
l)"" siècle, les vallées w)isines étaient déjà remplies de fermes ; un grand nombre de
châteaux s'étaient élevés dans ces contrées, et les cabanes de pécheui*s avaient fait
place à un Ijourg. En 10S2, Eberhard de Nellenbourg, comte des vallées de Klettgau
ol de Hôhgau, possesseur d'immenses richesses et de vassaux nombreux, fonda à
côté du bourg l'abbaye de Tous-les-Saints (Allerheilifieu), à laquelle il accorda plu-
sieurs domaines. Celte même année, le pape Léon IX, allant en Allemagne, inau-
l^ura le maître-autel de l'église naissante. Le 1" novembre 1064, jour de la Tous-
saint, révêque de Constance, assisté des abbés d'EinsiedIen, de Pfeffei-s et de plusieurs
autres, consacra le monastère. Le comte Eberhard y mourut en 1070. Sa veuve
Ida, comtesse de Kirchberg, fonda alors le couvent de Sainte- Agnès et y prit le voile.
Le couvent de Tous-les-Saints compta bientôt jusqu'à 300 religieux, et ses richesses
s'accrurent au point qu'il possédait 200 fermes. Schaffhouse, dont Burckhardt, fils
du fondateur, '^avait donné la propriété à l'abbé, s'agrandit si rapidement, qu'en 1190
il obtint le titre de ville ; l'empereur Henri VI le plaça sous sa protection et sous
celle de l'empire, et la noblesse du voisinage y rechercha les droits de bourgeoisie.
On y tint les assises du comté de Nellenbourg sous un tilleul planté près de la Fels-
gasse (rue du Rocher), et cet arbre vénérable subsista jusqu'en 1732. Au 13*siècle,
Schaffhouse obtint les privilèges de ville impériale cl fut entourée de murs et de
."SO^ LA susse nrrtmRsijrK.
fossés. En 1330, rein|)ereur Louis de Bavière engagea celle ville à T Autriche p«mr
20,000 marcs. Sa population bourgeoise s*élant accrue, le duc Léopold d'Aulriche
lui donna une charte, d'après laquelle le Grand Conseil devait être composé par moitié
de nobles et de bourgeois, de même que le Petit Conseil et le Tribunal ; mais en
1387 cette distinction fut supprimée. Les gentilshommes de SchaiThouse combalUrent
dans les armées de TAutricbe à Morgarten, à Sem|)acb et à Nœfels. Leduc Frédéric
remit ou vendit à la ville une imrtic des droits qu'il avait sur elle ; elle racheta en
1411 le dernier droit qui restait à l'abbé, celui de nommer l'avoyer (SrhtUtheUsj.
Cette charge fut alors abolie, et un bourgmestre fut plac^ à la tète de la république;
toute la bourgeoisie fut répartie en douze tribus, dont la nombreuse noblesse ne for-
mait qu'une. Schaffhouse était alors à son plus haut point de prospérité, et comptait
12,000 habitants; c'était une place de commerce importante, et le concile tenu à
Constance contribua à augmenter encore son activité. En H15, la ville profita de la
mise au ban de l'empire du duc Frédéric pour recouvrer tous ses anciens droits, en
payant à l'empereur Sigismond 30,000 ducats, qu'il promit de remettre à Frédéric
dès qu'il serait relevé du ban; mais il ne tint pas sa promesse, et soutint même la
réclamation de l'Autriche, qui voulait que la ville se soumit de nouveau à sa domi-
nation. La noblesse de Souabc prit parti pour l'Autriche et vint assiéger Scbaflhouse,
qui allait être obligée de se rendre, lorsque arriva un secours des Confédérés. Schaff-
house avait déjà depuis un siècle contracté des alliances avec diverses villes, Bàle,
Constance, Saint-Gall, Zurich, et le 1'^ juin ihbk elle avait conclu une alliance de
iK ans avec Zurich, Berne, Lucerne, Schwytz, Zug, Claris. — Schaffhouse appor-
tait auK Confédérés de grands avantages, car elle était la clef de plusieurs passages
im|)ortants du côté de la Souabe. Les Schaffhousois combattirent vaillamment aviv
les Confédérés dans leur guerre contre les Bourguignons et dans celle de Souabe ; les
habitants de Thaingen se distinguèrent dans celle-ci par leur bravoure, en résistant
i\ une invasion. Le fameux gentilhomme souabe Gôtz de Berlichingen, connu par la
pièce de Gothc, et qui était jeune à cette époque, eut un cheval tué sous lui dans ce
combiit. En récompense de ses services, Schaffhouse fut reçu en 1501 dans la Con-
fédération comme 12* canton.
Les premiers réformateurs de Schaffhouse furent Séb. Wagner et Hoffmann, qui
ptxV*hèt*ent la Réforme en loi'i, mais elle ne fut généralement adoptée qu'en 1S:29.
Les moines abandonnèrent à la ville leurs couvents et leurs revenus. Une grande
|wrtie des familles nobles s éloignèrent de Schaffliouse, et on restreignit considéra-
blement les prérogatives de celles qui y restèrent. Pendant les 16^ et 17* siècles, les
anabaptistes excitèrent des troubles dans ses murs ; il en fut de même des piétistes
et d'autres sectaires au 18* siècle. La peste fit de grands ravages à Schaffhouse au
commencement du 17* siècle; en 1630, 4!200 personnes périrent dans la ville seule.
En 1633, au milieu de la guerre de Trente Ans, plusieurs villages du canton furent
pillés ou incendiés par les troupes françaises, espagnoles et suédoises. — Le gouver-
nement avait eu la sagesse de faire droit successivement à diverses réclamations de
ses ressortissants; aussi, en 1798, n*y eut-il dans le canton aucune insurrection; mais
il ne tanla |)as à être occuiié par les troupes françaises, qui le forcèrent & abolir sa
Constitution, qui datait de 1689, et lui impos^èrent la Constitution helvétique; elles
pillèrent son trésor et son arsenal, et en 1799 incendièrent son fameux pont, quand
LA SUISSE PITTORESQUR. 30!i
elles battirent en retraite devant une armée autrichienne. Ce pont, dû à l'habile
architecte Grubenmann d'Appenzell, avait été une des choses les plus curieuses de
la' ville; sa construction était ingénieuse en même temps que sûre et commode; il
avait une longueur de 3&0 pieds, et ne formait que deux arches; il était couvert d'un
toit de bardeaux. Le 10 octobre, Tarmée russe opéra sa retraite en passant le Rhin
à Schaffhouse et près du couvent thurgovien de Paradies. En 4802, Schaffhouse se
leva franchement contre le gouvernement helvétique, et en 1803 accepta avec
empressement l'Acte de médiation. La Constitution faite en 181 ft sous rinfluenee
étrangère fut améliorée déjà en 1826 ; on réorganisa particulièrement à cette époque
loul Tensemble des écoles. La Constitution rédigée en 1831 laissa encore à la ville
une certaine prépondérance, qui fut diminuée par la révision de 1835. Quelques nou-
velles modifications ont été faites encore en 1852, en général dans un sens plus
démocratique.
Constitutions. — Voici les principales dispositions de la Constitution de 1831 . On
est électeur à 20 ans accomplis, et éligible à 25. Sur 78 députés, la campagne en
nomme A8; chacune des 12 tribus de la ville de Schaffhouse en nomme 2; les 6
députés restants sont élus parmi 24 candidats désignés de même par les tribus; cette
dernière élection est faite par les 24 députés des tribus et par les 24 candidats.
Chaque membre du Grand Conseil a le droit de proposer des lois ou arrêtés, et si la
majorité des membres présents adhère à ces projets, le Petit Conseil doit les présenter
k la session suivante ; si ce Conseil ne le fait pas, le Grand Conseil peut procéder de
lui-même, en soumettant le projet à une Commissioir. Le Grand Conseil est nommé
|)our quatre ans; il nomme lui-même pour pareil temps le Petit Conseil et le Tribunal
d'Appel. Les fonctions des membres sont gratuites; toutefois les députés de la cam-
pagne reçoivent une indemnité de déplacement. La présence de 45 membres est
nécessaire pour la validité de toute décision. Le Petit Conseil est composé de 11
membres; deux bourgmestres, élus dans son sein pour quatre ans, ont tour & tour la
préséance pendant une année. Les membres du Grand Conseil qui sans excuse suf-
fisante ont manqué un tiers des séances pendant un an, doivent être soumis à une
réélection ; il en est de même des membres du Petit Conseil qui ont manqué pendant
un an le quart des séances. Il y a des tribunaux cantonaux, six tribunaux de districts
ou de première instance; un juge de paix dans chaque commune, nommé par celle-
ci. Les communes nomment pour quatre ans leurs Conseils municipaux, dans le sein
desquels le Petit Conseil choisit le président de la commune. — D'après la Constitu-
tion de 1835, la ville, divisée en trois collèges, élit 18 députés, et la campagne élit
les 60 autres ; les députés peuvent être pris indistinctement dans tous les citoyens
éligibles du canton. Le Conseil d'Etat est réduit à neuf membres; il y a en outre
trois suppléants, qui assistent aux séances sans droit de vote. D'après la Consti-
tution de 1852, toutes les autorités sont renouvelées par moitié tous les trois ans;
mais le Grand Conseil peut être révoqué en tout temps; si 1000 citoyens le deman-
dent, la question est soumise aux assemblées électorales. 11 y a un député pour 600
imes. Le peuple peut opposer son veto aux lois qu'il estime contraires à ses intérêts.
Le Grand Conseil élit parmi tous les citoyens un Conseil d'Etat de sept membres.
I^ présidents des communes sont nommés par celles-ci.
Cultes. — Le canton professe la religion réformée, sauf un tiers de la commune
n. ûo. 59
306 LA 8UI88B PITTORISQtE.
de Rarnsen» qui n*a été réunie à SchaShouse qu'en 4799. Il y a 8 places de pasteurs
à Schaffhouse, et 25 dans le reste du canton. D'après les Consiitulions de 1831 et
4835, Tantistès, chef du clergé, était nommé par le Grand Conseil sur une triple
présentation faite par le Conseil d'Eglise. Il présidait le Synode, qui s'assemblait
chaque année. La Constitution de 185i ne parle plus de l'antistès. D'après la Con-
stitution de 1831, les pasteurs étaient nommés par le Petit Conseil sur une triple
présentation du Conseil d'Eglise. D'après celle de 1835, les communes étaient auto-
risées à envoyer trois délégués pour prendre part, avec le Petit Conseil, au choix de
leur pasteur; d'après celle de 1852, ces délégués sont en nombre proportionnel à
celui des électeurs de la commune, et le choix des pasteurs porte sur tous les ecclé-
siastiques admis au saint ministère. Un Conseil d'Eglise, dont la moitié au moins doit
se composer de laïques, a la surveillance sur tout ce qui concerne l'Eglise ; il examine
et admet les candidats au ministère.
Instruction publique. — L'ensemble des écoles a été beaucoup amélioré en 1826.
Toutes les communes ont leur école. Les écoles sont divisées en 7 cercles, ayant
chacun leur inspecteur spécial. Dès l'âge de 5 ans tout enfant peut, et dès celui de
7 il doit suivre les écoles : celles d'été jusqu'à 11 ans, et celles d'hiver jusqu'à 14. Il
existe des écoles secondaires à Schaffhouse, à Stein, Neunkirch, Unterhallau et
Schleithcim. Schaffhouse possède une sorte de gymnase cantonal, où enseignent 43
maîtres. Les élèves y sont au nombre de 80 environ ; ils y entrent à 7 ou 8 ans, et
y passent 8 années. Les jeunes gens qui se destinent à la théologie, au droit ou à la
médecine, peuvent suivre encore pendant trois ans le collège d'humanité (CoUegium
humanitatis), où ils sont préparés aux études universitaires; cet établissement a été
créé en 1650 par des fondations privées; il compte huit professeurs, dont un de
théologie. Il y a en outre une école pour les enfants pauvres, une école de dessin,
une école pour les jeunes artisans (Realschule), et une école supérieure pour les jeunes
filles.
CoMifEBCE, Industrie. — L'agriculture est la principale industrie du canton de
Schaffhouse; elle y a fait d'assez grands progrès; mais le sol, en général infertile,
exige beaucoup de travail. L'introduction du trèfle et des prairies artificielles a permis
d'augmenter le nombre du bétail. Les récoltes en blé, autrefois insuffisantes pour les
besoins, sont devenues beaucoup plus considérables, et il s'en exporte dans les bonnes
années. Les forêts fournissent du bois en abondance. La culture des arbres fruitiers
est assez étendue à Stein, à Thâingen, à Beringen. Les vignes du canton sont aussi
une des cultures importantes: elles fournissent un vin rouge qui passe pour un des
meilleurs de la Suisse allemande. Cependant cette culture, qui est très-coûteuse, tend
à diminuer, et les communes où elle existe surtout sont les plus obérées. On évalue
rétendue des vignes à 3500 arpents; celle des forêts à 30,000 arpents ou environ un
tiers du sol ; celle des champs et prés à la moitié du sol. Mais l'industrie proprement
dite n'est pas négligée à Schaffhouse. On y trouve une filature et une imprimerie
de coton; un grand nombre de tisserands en lin; une fabrique d'acier, établie depuis
30 ou 40 ans par M. Fischer, dont les produits rivalisent avec ceux de l'Angleterre;
une fonderie à Neuhausen, près de la chute du Rhin; plusieurs brasseries et distille-
ries ; l'eau de cerises de Beringen est renommée ; un grand nombre d'ouvriers tra-
vaillent dans les carrières et moulins à gypse, etc. — Depuis 1836, le commerce de
LA SUISSE PITTORESQUE. 307
Schaffhouse a subi une rude atteinte par Taceession du grand-duché de Bade à l'as-
sociation douanière allemande (Zollverein). L'exportation consiste en vins, gypse,
fers fondus, aciers, blés, eaux de cerises, etc. ^
HoBiMES DISTINGUÉS, Savants, etc. — Schaffhouse n'est point dépourvu d'illustra-
tions scientifiques, littéraires et autres. Il a compté plusieurs savants théologiens ;
Sib. Wagner j un des premiers réformateurs, a écrit divers ouvrages sur la Réforme;
il en est de même de Kirchhofer; Ulmer, Jezellerj Oschtoald, etc., ont laissé de nom-
breux écrits théologiques ; Hurter est l'auteur d'une Histoire du pape Innocent III et
de son temps. Plusieurs autres Schaffhousois ont laissé des travaux historiques ;
ainsi Berthold, moine de Tous-les-Saints, a écrit une chronique du couvent qui va
jusqu'à l'an 1100, année de sa mort; Adelphi, médecin et zélé réformateur, a écrit
une Histoire de Frédéric Barberousse, qui parut en allemand et en latin en 1K30;
Rfiger, mort en 15&8, a laissé une chronique manuscrite sur l'histoire de sa patrie,
(|ue l'on conserve aux Archives ; Schalch a publié des Souvenirs de Vhistoire de Schaff-
house, Mais c'est surtout Jean Mûller qui a illustré sa ville natale et a pris une des
premières places parmi les historiens modernes. Mûller, né en 1752, était petit-fils
du pasteur Schoop, qui avait fait une collection de matériaux sur l'histoire suisse. Il
se distingua par des progrès précoces et alla en 1769 étudier la théologie à Gôttingen ;
il en revint à 20 ans pour professer la langue grecque dans sa patrie. Bonstetten
l'appela à Genève en 177& et l'y mit en rapport avec des hommes supérieurs ; il y
donna, dans des réunions privée, des cours qui furent le fond de son ouvrage sur
l'histoire générale. En 1780 il se rendit à Berlin, où il fut accueilli avec distinction ;
bientôt après, il fut professeur d'histoire à Cassel. Plus tard, il remplit au service de
l'électeur de Mayence diverses fonctions diplomatiques, fut conseiller intime, puis
ambassadeur à Rome. Après l'occupation de Mayence par les Français, il alla à Vienne,
où il fut créé chevalier d'empire. Il y fut pendant quelque temps directeur de la
Bibliothèque impériale. En 1804, il revint dans sa patrie, à laquelle il avait déjà
cherché à rendre tous les services qui étaient en son pouvoir. Il alla la même année
à Berlin, où il fut membre de l'Académie et historiographe de la maison de Branden-
bourg. En 1806, Napoléon le força à entrer au service du roi de Westphalie comme
ministre secrétaire d'Etat et directeur général de l'instruction publique ; il eut le
bonheur de sauver l'existence des Universités de Halle, Marbourg et Gôttingen. Le
39 mai 1809 il termina sa vie agitée à Cassel, où le roi Louis de Bavière lui a élevé
un monument. Il n'avait aucune fortune. Il a laissé inachevé son grand ouvrage sur
rhistoire suisse, qui a trouvé plus tard d'habiles continuateurs. — Un frère cadet
de Mûller fut professeur de grec et d'hébreu à Schaffhouse, puis conseiller d'Etat,
et rendit de grands services à son pays comme président du Conseil scolaire ; il a
laissé d'excellents ouvrages de théologie et de pédagogie.
Dans la carrière des sciences, nous nommerons Wepfer, père et fils, tous deux
médecins célèbres du 17* siècle; on venait les consulter de loin, et ils furent appelés
pour exercer leur art auprès de plusieurs princes d'Allemagne ; Pe%jer, qui fit faire
des progrès à l'anatomie; Conrad Atnmann, botaniste et médecin, qui étudia les
moyens de faire parler les sourds-muets; son ouvrage intitulé Surdus loquens, le
Sourd parlant, a eu une grande célébrité; Jean Ammann était botaniste aussi, et
mourut en 1740 à Pétersbourg, où il était professeur d'histoire naturelle. Comme
308 us siism: pirnwDKiiE.
|)liil(>siiphe et moraliste, nous devons mentionner Geiler, né en 1445, qui publia de
nombreuse écrits très-spirituels, dont le plus remarquable est sa BMioîhêque da fom,
à laquelle Erasme a emprunté plusieurs traits pour son Eloge de la folie. Les arts
ont aussi été eulti vés par plusieurs Schaffhousois : tels sont les frères Habrechi, fabri-
cants d'horloges, à qui les catbédrales de Strasbourg et de Cologne doivent leurs
célèbres horloges astronomiques; Tobie Sli miner, peintre de fresques et de portraits:
Abel Stimmer, Litidtittayer et Kùbler, peintres sur verre; Sckakk et Beck, paysagistes:
&'lierrer, qui de simple ouvrier maçon devint un excellent architecte; il a oonslruil
riKMel-de-vilIc de Zurich ; Moner, graveur et sculpteur à Liondres, où il mourut eii
1785, étant président de TAcadémie de peinture de la Grande-Bretagne, qu'il avait
fait instituer ; Trifiiiel, qui étudia la sculpture à Copenhague et à Paris, puis à Rome,
où il eut dans la suite Canova pour élève; il fut un des premiers sculpteurs de son
tcm|)s, et mourut en I77S.
MoeiRs, CoLTt'MEs, Cakactêre. — Le fieuple de Schaffhouse est actif, industrieux
et amoureux de Tordre; aussi Taisance est-elle répandue dans toutes les classes de
la société. Le SchafThousois se distingue aussi par sa franchise et sa probité, par sofi
hospitalité et par son dévouement au bien public. Ses demeures sont simples, mais
d*une propreté recherchée. Bien qu'attaché sincèrement à la Suisse, il estime aussi
beaucoup sa nationalité allemande. Un usage, qui existe Clément à Zuridi, mérite
d^élre mentionné. A la naissance d'un enfant, on envoie chez tous les parents une
servante pâtée de fleurs pour leur annoncer cet événement ; si c'est un garçon, elle
porte encore un gros bouquet à la main ; elle reçoit un cadeau dans toutes les mai-
sons où elle porte son message. Les décès sont annoncés par une femme vêtue de noir,
qui autrefois se couvrait le visage d'un masque noir.
ScHAKKHOLse. — Sans posséder beaucoup de curiosités qui puissent retenir lo
voyageur, celte ville n'est ce|)endant point sans intérêt. Aucune autre ville ni de
Suisse ni d'Allemagne, sauf peut-être Nuremberg, n'a mieux conservé la physionomie
cl le caractère qu'elle avait au moyen-Age. Cela est dû en particulier à la circon-
stance que depuis quatre à cinq siècles (1372) aucun de ses édifices n'a été détruit,
ni |mr un incendie, ni par un tremblement de terre, ni par les désastres d'un siège.
Elle contient donc, beaucoup plus qu'aucune autre ville, des bâtiments qui remon-
tent aux Ik' et 15*" siècles. Quelques-unes de ces maisons sont couvertes extérieu-
rement de peintures à fresque; elles sont flanquées d'une tourelle percée de plusieurs
|)elitcs fenêtres; elles |)orlent souvent le nom du propriétaire, quelquefois celui de
rarchitecte avec la date de la construction. La ville a plusieurs rues larges et r^u-
lières; elle a conservé une enceinte, |)ercée de six portes principales et de deux portes
accessoires, et munie de distance en distance de vieilles tours, qui lui donnent un
aspect assez pittoresque.
La cathédrale, commencée en 1004 dans le style byzantin, fut terminée en 1101 :
elle était autrefois l'église abbatiale du prieuré de Tous-les-Saints. Les cloîtres gothi-
ques sont assez bien conservés, mais l'intérieur a clé modifié avec une complète
absence de goùl en 1753 ; il est supporté par douze colonnes, dont chacune a reçu
le nom d'un apôtre (celle de Judas est fendue). La grosse cloche, fondue en 1486,
porte l'inscription : Vireiiies voco, mortuos plango, fulgara fraitgo (J'appelle les
vivants, je pleure les morts, je brise la foudre), laquelle a donné à Schiller l'idée
t^J ^'11/
SCUAFFllOUSK.
LA StISSE PITTOKKSQLE. 309
de son |)oêine célèbre (la Cloche). — L'église gothique de Saint-Jean a été construite
en 1120 et agrandie à diverses époques; elle est une des plus vastes de la Suisse.
Une chapelle de l'ancien couvent de Tous-les-Saints a été consacrée au culte pro-
testant français, et dernièrement aussi au culte catholique. Les autres édifices de la
ville sont THôtel-de-ville, THÔpital, la Maison des orphelins, l'Arsenal, qui possède
quelques canons donnés par Napoléon comme indemnité pour les perles considérables
que la ville avait subies à la suite des occupations françaises ; le Cercle (Gesell-
schaflsraum) des négociants, avec une salle de bal. La Bibliothèque possède une
grande partie des livres de l'historien Mûller, et compte plus de 20,000 volumes. 11
y a en outre à Schaffhouse quelques bibliothèques spéciales, telles que la Bibliothèque
du clergé (Ministerial-Bibliothek), qui possède beaucoup de manuscrits et un modèle
de l'ancien pont du Rhin, brûlé en 1799 par ordre du général Oudinot; celle de la
Société de médecine ; celle de la Société d'économie rurale, etc. — Le fort Unnoth
est un grand bastion circulaire, muni d'une grosse tour ronde; il fut bâti en 4S64
dans un temps de disette, dans le but de donner de l'ouvrage aux indigents. Son
nom est dû à cette circonstance, car il était construit Ohne Noth (sans nécessité) ;
selon d'autres, ce nom vient de ce qu'étant dominé par des hauteurs, il ne peut guère
servir pour la défense de la ville. On l'appelle aussi Munoth, et l'on fait venir ce nom
de munitio (forteresse). 11 contient des escaliers en forme de limaçon et de vastes
souterrains; ses murs ont 18 pieds d'épaisseur, et ses voûtes sont à l'épreuve de la
bombe. 11 a été restauré dans ce siècle, au moyen de souscriptions volontaires de la
bourgeoisie. Sur la promenade nommée Fàsisktub on a élevé un monument à l'histo-
rien Mûller.
Les principales Sociétés qui existent à Schaffhouse, sont : une Société de médecine ;
une Société de botanique et d'économie rurale ; une Société des pasteurs ; une Société
des régents ; une Société biblique ; une Société des missions ; une Société de secours,
qui distribue des vêtements et des vivres aux pauvres et aux infirmes; c'est cette
Société qui a fondé un établissement pour l'instruction des jeunes filles pauvres,
ainsi que la Maison des orphelins, une Caisse d'Epargne, une Caisse des veuves et
des orphelins, etc.
Les environs de Schaffhouse offrent de charmantes promenades; toutes les collines
présentent de magnifiques vues lointaines; telles sont la Hoheflah (Haut rocher), à
un quart de lieue à Touest ; on y voit une grande partie des contrées d'alentour et
les Alpes du canton de Berne jusqu'au canton de Vaud; la ferme Wydlen, à une
demi-lieue à l'est de la ville, etc. ; on peut aussi visiter quelques vallons retirés et
champêtres.
Chute du Rhin. — Mais ce qui attire principalement les voyageurs, c'est la fameuse
cataracte du Rhin, la plus grande de toutes celles d'Europe. A l'extrémité inférieure
de la ville commencent déjà des rapides, et l'on y utilise la force du courant
pour des usines. On arrive à la chute en iO minutes, en suivant la rive droite ; il
faut une heure si Ton suit la rive gauche sur le territoire zuricois. C'est de ce côté
qu'elle se présente avec le plus de grandeur et de majesté et qu'elle cause l'impres-
sion la plus favorable. La chute porte le nom de LaafeHj et donne son nom au châ-
teau qui la domine sur la rive droite et qui appartient au peintre Bleuler. Sur l'autre
rive, un peu au-dessus de la chute, est le village de Neuhausen avec des forges, et
310
LA SnSSK PITTORESOIE.
-^-â^-^--- i:ji\-
Chule (lu Rbia.
à côté même de la chute le petit château de Wôrth. Au-dessous du château de Laufen,
le propriétaire a établi plusieurs stations, dont la plus basse est une galerie qui
s'avance au-dessus du fleuve et qu'on appelle le Fischetz; c'est de ce lieu que le
spectacle est le plus saisissant et même presque effrayant. On court seulement le
risque d'être mouillé par le brouillard qui s'élève de la cataracte ; le tonnerre de
celle-ci est si terrible, surtout au moment des grandes eaux, qu'il couvre entièrement
la voix de l'homme et qu'on ne peut se faire entendre de la personne placée à côté
de soi; par une nuit calme et un vent favorable, le mugissement des eaux s'entend
À trois ou quatre lieues de distance. Entre le château de Laufen et la rive opposée,
quatre grands quartiers de roc qui s'élèvent au-dessus du fleuve partagent la cata-
racte en cinq bras. De la station du Fischetz on ne voit que les trois premiers, qui
sont les plus hauts. Le plus rapproché est rongé par la violence des eaux dans sa
partie inférieure, et se termine par une tête arrondie, couverte d'un bouquet d'arbris-
seaux. C'est entre ce roc et la rive gauche que se précipite la plus grande partie des
eaux ; la hauteur de la chute est de SO à 60 pieds lors des basses eaux, de 75 pen-
dant les grandes eaux ; la hauteur est un peu moindre sur la rive droite; la largeur
totale du fleuve est de 300 pieds. Le second rocher est de forme conique; le troi-
sième est moins élevé, mais d'une largeur considérable. Pour mieux contempler la
cataracte sous tous ses aspects, il convient de la visiter le matin avant huit beur^
et dans la soirée, moment où les vapeure qui s'élèvent forment aux rayons du soleil
d'innombrables arcs-en-ciel qui paraissent et s'évanouissent tour à tour. Le clair de
LA SUISSE PITTORESQUE. 314
lune donne également à cette scène grandiose de la nature un caractère particulier.
Il convient aussi de traverser le fleuve à SO pas au-dessous de la chute, ce qui se
Fait sans aucun danger; le fleuve n'est pas profond, et Ton passe facilement et ra-
pidement au moyen d*étires. On peut, en partant de la rive droite, quand les eaux
ne sont pas hautes, s'approcher avec une nacelle du rocher plat et y descendre ; on
voit alors à droite et à gauche les bras du fleuve se précipiter dans le gouffre. On
a élabli, dans les châteaux de Laufen et de Wôrth, une chambre obscure où Ton voit
se reproduire en miniature l'image exacte de la cataracte. De nuit, le spectacle ofl*re
un aspect étrange, lorsque des colonnes d'étincelles s'élèvent des forges situées sur la
rive droite. 11 est très-singulier qu'aucun auteur de l'antiquité n'ait fait mention de la
cataracte.
Autres Excursions et ville de Stein. — Les points les plus intéressants à visiter
à quelque distance de SchafFhouse, sont le signal du Hohe-Randen^ à trois lieues et
demie vers le nord; on y aperçoit une grande partie de la Forét-Noire, les cantons de
Schaffhouse, Zurich et Thurgovie presque en entier, le lac de Constance, et sur le
dernier plan la chaîne des Alpes du Yorarlberg au Mont-Blanc. La vue est à peu près
semblable, mais un peu moins étendue, sur le Reiat, près du village de Lohn, à deux
lieues de Schaffhouse. On passe près du château de Herblingen, dont la position est
aussi très-belle. — Stein obtint en 945 le titre de ville de fiurkhard II, duc de Souabe ;
quelques années plus tard elle fut entourée de murs. Elle racheta en 1&59 tous les
droits que les barons de Klingenberg avaient sur elle, et s'allia avec Schaffhouse et
Zurich. Elle eut beaucoup à souffrir en 4659, pendant la guerre de Trente ans. En
1799 Stein se réunit volontairement au canton de Schaffhouse, et l'Acte de médialion
a maintenu cette adjonction. Le faubourg qui se trouve sur la rive gauche du Rhin
appartient aussi au canton de Schaffhouse. Deux citoyens de Stein méritent d'être
mentionnés : le baron de Schwarzenhorn, qui, après avoir été prisonnier en Turquie,
s'éleva jusqu'au poste d'ambassadeur de la cour de Vienne à Constantinople ; et Rod.
Sladler, fils d'un magistrat de la ville de Stein, qui, étant parti pour l'Orient avec
Schwarzenhorn, se rendit en Perse, où son habileté comme horloger lui acquit l'amitié
du souverain. Au bout de quelques années, il devint le fiancé d'une jeune chrétienne
de la secte des nestoriens; mais un jour il surprit un noble persan qui sortait de l'ap-
partement de celle-ci, et le tua. Stadler, après avoir refusé avec persévérance de
prendre le turban pour obtenir sa grâce, eut la tête tranchée sur une place publique
d'Ispahan. La ville de Stein est dominée par le château de Hohenklingen, dont nous
avons mentionné la haute antiquité. Il est à 600 pieds au-dessus du Rhin; il était
jadis la résidence des barons de ce nom ; maintenant il n'y habite qu'un gardien pour
le feu. La vue sur le lac de Constance et sur les Alpes y est magnifique. Un peu plus
à l'ouest, sur la même colline, sont les restes du château de Wolkeiistein (Pierre des
nuages), où l'on a établi un belvédère. Enfin, plusieurs localités voisines, situées sur le
territoire badois, méritent d'attirer des visiteurs, particulièrement les vastes ruines de
la forteresse de Hoheniwiel, à trois ou quatre lieues au nord de Stein.
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CANTON D APPENZELL.
Situation, Etrndite, Climat. — Le canton d*Appenzell est oomplètemani entouré
par le territoire saint-gallois ; il a environ huit lieues dans sa plus grande longueur,
sur une largeur de deux à cinq lieues; sa surface est de 17 ^/^^ lieues carrées, le
canton est partagé en deux demi-Etats ayant leur adminislraiion indépendante, el
qu'on nomme les Rhodes-Intérieures et les Rhodes-Extérieures. Les Rhodes-Intérieu-
res comprennent la partie la plus montagneuse du canton ; elles ont une superficie de
7 \/^Q lieues carrées, et une population de < 1,230 habitants, soit de 1&97 par lieue
carrée. Les Rhodes- Extérieures comprennent, sauf Tenclaved'Oberegg et de Hirsch-
berg vers le nord-est, la partie occidentale et septentrionale du canton; leur super-
ficie est de 10 ^/^g lieues carrées, et leur population de &3,621 habitants, soit de
4494 par lieue carrée. Ce dernier demi-canton est la contrée de la Suisse où la
population est la plus condensée ^ Cette circonstance est d'autant plus remarquable
que le sol est élevé et présente peu de plaines ; elle s'explique par le développement
considérable de Tindustrie. — Quant au climat, il est Irës-variable, mais en général
froid, ce qui est dû d'abord à l'élévation du pays, qui occupe un petit plateau presque
isolé des régions d'alentour. Nous avons vu ailleurs que les chefs-lieux du canton
d'Appenzell sont ceux qui ont la plus grande hauteur absolue (Trogen 2670 pieds,
Hérisau 23S6, Appenzell 2330) ; cette rigueur du climat résulte aussi de ce que le
pays est borné au sud par de hautes montagnes, et présente une inclinaison générale
vers le nord, ce qui rend l'accès plus facile aux vents froids. Il neige fréquemment
au milieu de l'été sur les pâturages supérieurs ; en hiver, le thermomètre descend
souvent à 10 ou 15"* au-dessous de 0, quelquefois jusqu'à 20 ou 22. (C'est à peu
1. Le canton de Genève compte, il est vrai, 5173 habitants par lieue carrée, mais la ville t
forme prés de la moiUé de la popalaUon ; le reste da canton, pris séparément, n*a ^ére qae
2740 habitants par liene carrée.
LA SUISSE PITTORESQUE. 313
près la tempéraliire qu'on observe dans les hautes vallées de Neuebâtel et au grand
Saint-Bernard.) Du reste, il est clair qu'il doit y avoir de grandes différences de
climat dans un pays qui, sur une étendue de huit lieues, touche d'un côté à la limite
des neiges éternelles et de l'autre à la région des vignes. Malgré les brusques chan-
gements de température, le pays est très-salubre, et un grand nombre de malades
viennent y chercher la santé dans la belle saison. Le vent d'est est le vent froid et
sec : il amène ordinairement le beau temps ; le vent du nord amène des brouillards
du lac de Constance, et souvent de la pluie. Les brouillards, qui sont très-fréquents
dans le pays, surtout au printemps et en automne, sont amenés aussi par les vents
du sud et d'ouest. Mais souvent, en hiver, le plateau appenzellois jouit d'un air serein
pendant des semaines entières, tandis qu'un épais brouillard enveloppe les contrées
d'alentour, qui offrent ainsi l'aspect d'une grande mer.
Monts, Vallées, Rivières, Lacs. — La partie méridionale du canton est couverte
de hautes montagnes, formant plusieurs petites chaînes parallèles, qui sont jointes par
des cols sur la frontière du Toggenbourg, et qui portent le nom collectif d'Alpstein.
Une chaîne part du Sântis, 7790, se prolonge par une suite de sommets escarpés,
tels que VOehrli (Petite oreille), 6649, les Thiirme (les Tours), 6800-6800, le
Schàfier, S8&3, etc , et se termine par VEbenalp, 8049, non loin de Weissbad ; une
autre, partant de VAlimann, 7496, se termine par le sommet du Siegel, 5326, au-
dessus de Brûllisau ; une troisième commence près de la Krai-Alp, au sud de l'Alt-
mann; ses sommités sont le Furglenfirtij le Hohe-Kasten, 5420, le Kamor, 5390, les
Fàhnem, 4642 ; cette chaîne se prolonge avec une élévation moindre le long de la
frontière orientale du canton et le sépare du Rheinthal. Il y a encore, à l'ouest du
Santis, des sommités qui s'y rattachent : ce sont le Kronherg, 5049, et la Hohm-Alp,
4710. La partie septentrionale offre un sol très-accidenté, mais les collines ne s'y
élèvent que de quelques centaines de pieds au-dessus des vallons. On y trouve cepen-
dant la Hundwyler-Hôhe, dont la hauteur absolue est de 4042 pieds ; le Gàbris, qui
atteint celle de 3856 pieds, et le Kaym, celle de 3395 pieds. Les villages sont en
général à la hauteur de 2300 à 2800 pieds. Les vallées du canton ne sont pas très-
étendues; les plus considérables sont l Alpenthal méridional, ou vallée de Fabien, qui
descend de la Krai-Alp et court entre la chaîne du Kamor et celle de l'Altmann; on
y trouve les petits lacs de Fàhlen et de Sàmtis, et le ruisseau du Bftrenbach ou Brûll-
bach, qui a sa source un peu au-dessous de ce dernier lac, dont il doit être l'écou-
lement; Y Alpenthal du milieu, entre la chaîne de l'Altmann et celle du Sântis, arrosé
par le Schwendibach, qui forme le joli lac de Seealp {Seealp-See, Lac de l'Alpe du lac) ;
entre le Sântis et le Kronberg s'étend une troisième vallée, où le Weisswasser (l'Eau
blanche) jaillit d'une grotte de la Pendli-Alp, et se perd bientôt sous les rochers, pour
reparaître un peu plus bas.>Ge ruisseau, réuni près de Weissbad avec les deux ci-
dessus mentionnés, forme la Siller, Cette rivière se dirige vers Appenzell ; elle forme
plus loin la limite entre les Rhodes-Intérieures et Extérieures, puis partage les
Rhodes Extérieures en deux districts, qu'on désigne sous le nom de Devant la Sitter
(rive droite) et Derrière la Sitter (rive gauche). Elle arrose près d' Appenzell de belles
prairies; plus au nord, elle coule au fond de sauvages ravins; elle va se jeter dans
la Thur, près de Bischoffzell en Thurgovie. Elle reçoit sur la rive droite, près de
Teufen, la Rôthi ou le Rotkbach, qui vient de la vallée de Gaïs; sur la rive droite,
11.20. 40
314 LA SUISSE PITTORESQUE.
VUmâsch, dont les nombreuses sources jaillissent sur TAIpe de Schwftg, au pied du
Sântis; ce torrent arrose dans toute sa longueur le district de Hérisau, et la partie
inférieure de son cours est profondément encaissée. On peut nommer encore la
Goldach, formée de plusieurs ruisseaux qui arrosegl les environs de Trogen; elle
s'écoule vers le lac de Constance.
Sources minérales. — Le canton possède plusieurs sources minérales, dont on fait
usage, soit pour en boire, soit pour des bains; telles sont les eaux ferrugineuses des
bains de Gonten, Waldslatt, Heinrichsbad , etc.; elles sont fortifiantes et dépur»-
tives; les eaux sulfureuses des bains de Trogen, Schônenbûbl, Heiden, et de diversi^s
autres sources; elles sont résolutives et sudatives; les eaux terreuses des bains
d*Appenzell, de Weissbad, Urnàsch, Stein, Gais, Teufen, etc.; elles son! résolutives
et dépurativcs. Les plus fréquentés de ces bains sont le Heinrichshad, le Wewbtiâ,
ceux de GaU et de Gonten. Dans plusieurs de ces lieux on fait aussi des cures de
petit-lait. Quelques autres sources sont remarquables par leur froide température,
et la superstition leur attribue des vertus particulières : ainsi l'on croit qu'il n\v a
pas de danger à s'y baigner lors même qu'on est en transpiration; mais c'est une
erreur funeste.
Histoire naturelle. — Règne animal. L'accroissement considérable de la popula-
tion et le défrichement des forêts ont fait dès longtemps disparaître tous les animaux
malfaisants. En 1673 a été tué, à Umftsch, le dernier ours, et le dernier loup à
Steineggerwald, en 1695. On a tué encore des sangliers en 1658. Les cerfs ont
disparu depuis l'an 1600; mais on chasse encore des chamois, des renards, des
lièvres, des écureuils, des loutres, et des hérissons. Les chamois n'habitent que les
hautes sommités près du Santis; la chasse est libre, mais n'est permise que depuis le
milieu d'octobre au 1**^ février. — La gent volatile est très-nombreuse, surtout les
oiseaux chanteurs; mais les oiseaux de proie sont rares. On ne trouve dans le can-
ton que quatre espèces de poissons: le chabot, le goujon, le véron et la truite; cette
dernière se pèche dans tous les gros ruisseaux et dans les lacs de Sâmtis et de Seealp;
elle ne dépasse pas dix livres. Les insectes sont très-nombreux ; on a compté jusqu'à
240 espèces de papillons. Les animaux domestiques sont une des principales richesses
des habitants. La race des bêles à cornes est plus grande que celle des cantons d'Uri,
Unterwald et Glaris ; elle est d'un brun noirâtre, a la tète grosse, les jambes et les
cornes courtes.
Règne végétal. Le sol du canton est couvert presque en entier de pâturages, de
prairies et de forêts. Les arbres les plus abondants sont les sapins et les pins. Le soi
produit un grand nombre de plantes alpines et autres ; on cite surtout le Sântis^,
TEbenalp, le Gâbris, les vallées du Sântis et de la Seealp, comme riches en espèces
intéressantes.
Règne minéral. Les hautes Alpes, qui s'élèventdans la partie méridionale du canton,
sont de formation calcaire ; la roche y est grisâtre et mêlée de silex et de rayons
de mine de fer ; elles sont percées de plusieurs profondes cavernes, telles que celles
du Wildkirchli, dans quelques-unes desquelles on trouve de belles stalactites. Sur le
haut du Sântis on observe beaucoup de pétrifications, telles que des cornes d'ammon,
des sélénites, des Irochiles, des oshacites, etc. Plus au nord se retrouve, comme
dans d'autres cantons, la formation de brèche, composée de débris de granit, de
LA SUISSE PITTORESQUE. 345
gneiss, de porphyre, de siénite, etc., mélangés d'argile ferrugineuse et soudés par
un ciment solide. Ces brèches sont disposées en couches régulières ; les plus anciennes
renferment des blocs considérables et forment plusieurs des sommités à Touest du
Sântis, telles que la Hohen-Alp. Enfin, la partie la plus septentrionale du canton
appartient à la formation des grès ; on voit souvent les couches de brèche et de grès
alterner entre elles. On a remarqué en divers endroits des traces de charbon de
pierre, mais on ne Ta pas encore exploité; on trouve aussi de la tourbe et on l'em-
ploie comme combustible.
Antiquités. — On ne connaît dans le canton aucune antiquité romaine. On croit,
d après son mode de construction, que la tour du clocher de Hérisau, du moins les
60 pieds inférieurs, ont été élevés dans le 6* siècle par les Allemani ; elle est carrée,
formée de pierres de moyenne grosseur, placées en assises inégales, et réunies par un
ciment très-solide. Les châteaux de Rosenbourg et Rosenberg (Château et Montagne
(les roses), près de Hérisau, étaient construits de la même manière ; on les attribue
à la même époque ; on y voit encore des ruines assez étendues de murs et de tours
de 20 à 50 pieds de hauteur. On reconnaît, près d'Appenzell, quelques restes de
murailles et de fossés du château de Glanx, que l'on fait remonter à l'an 92S; mais
cette opinion ne repose pas sur des données certaines. Les traces de beaucoup d'au-
tres manoirs seigneuriaux ont complètement disparu. On a découvert â Speicher,
lors de la construction de l'église, cinq petits caveaux taillés dans le roc et longs de
six à sept pieds, sur un et demi de largeur, que l'on regarde comme des tombes
païennes, et quelques briques de fourneaux peintes en vert et jaune, et ornées
d'images d'idoles.
Histoire. — Lorsque les Helvétiens, 55 ans avant Jésus-Christ, partirent pour
envahir la Gaule, les Rhétiens vinrent s'emparer d'une partie de la contrée qu'ils
laissaient déserte, en particulier des territoires actuels d'Appenzell et de Saint-Gall;
mais, 15 ans après Jésus-Christ, ces derniers furent domptés par les Romains et leur
pays réduit en province. Toutefois, on n'a reconnu dans le pays d'Appenzell aucune
trace de colonie romaine. Les Allemani arrachèrent ensuite aux Romains cette con-
trée, en 406, et y firent des établissements ; 90 ans plus tard, ils furent eux-mêmes
dépossédés par les Francs. La Rhétie se mit aloi*s sous la protection des Ostrogoths ;
ceux-ci cédèrent, en 558, la Rhétie et la Windélicie (Souabe) à un roi franc, Dietbert,
roi d'Austrasie. Dans le siècle suivant, ces contrées furent gouvernées par un duc
allemanique, Gottfried ; plus tard, elles furent incorporées dans l'empire germanique.
Le couvent, fondé vers la fin du septième siècle, près de l'emplacement qu'avait
occupé l'ermitage de l'apôtre Gallus (mort en 640), avait rapidement acquis une
grande puissance, et étendu son autorité sur les habitants des montagnes voisines,
chez lesquels la lumière de l'Evangile s'était peu â peu répandue. Dans le 11*" siècle,
le peuple d'Appenzell eut à pâtir des hostilités fréquentes qui éclatèrent entre les
abbés de Saint-Gall et les seigneurs et prélats du voisinage ; il prêta son assistance
à l'abbé Ulrich d'Eppenstein, auquel il était attaché à cause de sa popularité, et l'aida
À remporter trois victoires sur le comte de Toggenbourg et à conquérir Brégenz,
Kybourg, Ittingen, etc. Le pays d'Appenzell fut à son tour envahi deux fois par
Tennemi, et Hérisau et tous ses environs ravagés. Le lit* siècle passa plus paisible-
ment et sans événements marquants, et, à la faveur de la paix, l'agriculture, l'élève
316 LA si'isc mriNiEsgi'c.
du bélail, la iabricalioo des toiles de lin ei du drap, se dévetoppèrcDt dans le pays:
mais eo m^me temps les abbés ne cessèrent d*éleodre lear joridiclîoD, de lever des
dîmes onéreuses, et beaucoup de paysans appauvris tombèrent en état de servage.
En Ii08, sous le premier prinœ-abbé, Ulrich de Sa\ , ks horreurs de la guerre
recommencèrent : Tabbé fut vaincu par Tévéque de Constance, et un grand nombre
de ses gens perdirent la vie. Sous ses deui successeurs les hostilités ooolinuèrenl,
au grand détriment du pays, qui, en Ii47, fut ravagé jusqu^au bourg d'A|qienidl
par leà troupes de Tévèque. Après la mort de l'abbé BertboM de Falkenstesn, ks
montagnards soutinrent les prétentions d*Ulrich de Gûttingen, qui, pour récompenser
leur fidélité, leur accorda le droit d*élire leur propre ammamn, ou bailli. Leor pre-
mier choix tomba sur llermann de Sclidnenbûhl. Mais, après le décès d'Ulrich, l'abbé
Rumo fit Hermann prisonnier et l'enferma dans le château de Clanx. Alors les Appen-
zellois hasardèrent leur première insurrection, et assiégèrent la forteresse, mais sans
succès ; le landammann ne fut mis en liberté que moyennant une rançon. L'abbé
ayant continué ses vexations, fut forcé, par une seconde insurrection, d'abdiquer en
4281. Les montagnards ne furent pas favorables à son successeur, Guillaume de
Montfort, et aidèrent la maison de Habsbourg à s'emparer de Qanx ; mais Tabbé leur
ayant concédé quelques privilèges, ils l'aidèrent à recouvrer les villes et les châteaux
qu'il avait perdus. Pendant l'absence de leur troupe, les comtes de Werdenberg ei
de Sargans envahirent leur pays et le mirent â feu et â sang.
La fondation de la ligue helvétique et les victoires des Gonlëdérés causèrent une
vive impression dans le pays d'Appenzell. En 4367 le bourg d'Appeniell fit une pre-
mière ligue avec Hundwyl et peut-être aussi avec d'autres districts. En 4378 Appen-
zell, Urn&sch, Hundwyl et Teufen réussirent h entrer dans l'alliance des villes im-
périales ; ils obtinrent une Constitution libre, d'après laquelle ils purent élire leurs
magistrats; ils s'engagèrent en même temps à soutenir énergiquement les drœts de
la ligue. En 4389 cette alliance fut dissoute, et l'abbé Kuno de Staulén chercha à
remettre complètement le pays sous sa dépendance ; il s'allia avec dix villes rive-
raines du lac de Constance, avec le pape, le duc d'Autriche et l'empereur, et il obtint
de ce dernier un décret qui lui conférait la souveraineté absolue du pays; il y envoya
ses baillis et leva les dîmes avec une extrême rigueur. Les habitants s'opposèrent
vigoureusement à ses prétentions. En 4400 Appenzell et Trogen conclurent un traité
d'alliance offensive et défensive, auquel accédèrent tous les lieux environnants et
même la ville de Saint-Gall. En 4 402 l'insurrection éclata: les châteaux de Clanx
et de Rachenstein (Pierre de la vengeance) furent détruits et les baillis expulsés;
l'abbé lui-même, plein d'effroi, se réfugia à Wyl et invoqua l'assistance des troupes
autrichiennes. Les villes impériales intervinrent, et, après des négociations, la ville
et le territoire de Saint-Gall durent se retirer de l'alliance; mais les districts appen-
zellois tinrent ferme; Appenzell devint le centre de la ligue, et donna dès-lors son
nom aux habitants de la contrée ; les paysans des divers districts s'y assemblèrent
sous la présidence de leur landammann, et jurèrent de sacrifier, s'il le fallait, leurs
biens et leurs vies pour la défense du pays.
C'est alors que commence l'époque héroïque des Appenzellois. Avec l'aide de quel-
ques volontaires de Schwytz et de Claris, ces montagnards tinrent tête à la notriesse,
au clergé et aux villes impériales, et même au duc d'Autriche. Ils attaquèrent en
LA SUISSE PITTORESQUE. 317
1403 le territoire de Tabbé, brûlèrent les châteaux des nobles; sous le commande-
ment du capitaine schwytzois Lôri, ils repoussèrent, le 15 mai, les troupes de Tabbé
et de ses alliés, qui voulaient pénétrer dans leur pays par le chemin creux de la
Vôgelisegg (entre Saint-Gall et Trogen) ; débouchant vivement des hauteurs, ils se
précipitèrent sur cette armée , la mirent en déroute, et lui tuèrent 600 hommes ;
plusieurs bannières, entre autres celles des villes de Constance, Lindau, Ueberlingen,
etc., tombèrent au pouvoir des vainqueurs, qui ne perdirent, dit-on, que huit
hommes. Ils envahirent alors tout le territoire de Tabbé, décidèrent les villes à con-
clure la paix, et firent rentrer Saint-Gall dans leur ligue. L'abbé, qui voulait avoir
sa revanche, obtint un secours du duc Frédéric d* Autriche ; les Appenzellois mirent
à leur tête le comte Rodolphe de Werdenberg, qui avait été dépouillé de Théritage
de ses pères par le duc, et qui s'était déclaré leur ami. L'armée autrichienne se
disposait à attaquer Appenzell du côté du Rheinthal ; le IS juin l&OS, plusieurs mil-
liers d'hommes s'avancèrent par la route de Stoss ; les Appenzellois, au nombre de
GOO, se postèrent sur les hauteurs qui défendaient le passage ; quand l'ennemi y fut
engagé, ils firent rouler des pierres qui arrêtèrent la marche de la cavalerie autri-
chienne, puis ils s'élancèrent sur elle, et, après une lutte de plusieurs heures, par-
vinrent à la repousser. Le terrain était rendu glissant par de longues pluies; les
Appenzellois avaient ôté leurs chaussures pour marcher plus commodément sur des
pentes rapides. Pendant le combat on vit paraître sur une hauteur une troupe cou-
verte de sarreaux blancs, et qui s'avançait en poussant des cris afireux ; c'étaient
les femmes appenzelloises qui arrivaient au secours de leurs pères et de leurs maris
dans le costume des bergers du pays; à cet aspect imprévu, l'ennemi fut saisi d'une
terreur superstitieuse et prit la fuite; 80 bourgeois de Feldkirch, l'avoyer de Win-
terthour et 100 de ses concitoyens furent au nombre des morts ; IBO armures et un
grand nombre de drapeaux furent les trophées de cette glorieuse journée. Une cha-
pelle fut érigée sur le lieu du combat, et les habitants du canton y firent dès-lors un
pèlerinage annuel. Les femmes, pour avoir contribué au succès, obtinrent la dis-
tinction honorable de précéder les hommes à la communion de leurs paroisses.
Les Appenzellois envahirent le Rheinthal et remirent leur capitaine Rodolphe de
Werdenbei^ en possession de son comté; par la renommée de leur bravoure et leur
esprit d'indépendance, ils se trouvèrent à la tète d'une ligue comprenant toutes les
contrées d'alentour et même quelques districts de la rive droite du Rhin, et devant
laquelle, comme devant une seconde Suisse, l'Autriche et la noblesse de Souabe
devaient trembler. Ils entreprirent plusieurs expéditions dans les pays voisins pour
secourir leurs alliés, soumirent 12 villes et 64 châteaux; leur but constant était
d'affranchir les populations du joug de la noblesse. Les troupes de la ligue étaient
occupées, en 1408, au siège de Brégenz, quand elles furent défaites par 8000 cheva-
liers; toutes les conquêtes d'outre-Rhin furent alors perdues. En 1410 le duc d'Au-
triche enleva le Rheinthal aux Appenzellois, et ceux-ci durent se borner à défendre
l'indépendance de leurs frontières. En 1411 les Confédérés helvétiques les admirent
dans leur alliance, à condition qu'ils ne feraient aucune guerre sans leur consente-
inent, qu'ils serviraient dans leurs rangs sans recevoir de solde, mais qu'ils paie-
niient les secours qu'ils recevraient à leur tour. Les Appenzellois prirent part, en
effet, dans les rangs des Suisses, à la conquête des domaines du duc Frédéric en 141 5,
348 LA SUISSE PITTORIESQUE.
et à celle des bailliages italiens en 4422 et 14i5. Cependant, Tabbé n'avait point
renoncé à toutes ses prétentions sur le pays d'Âppenzell, et, comme les habitants
refusaient de se soumettre, il prononça, en 1426, Tinterdit sur toute la cootrée.
Mais la Landsgemeinde décida qu'elle ne voulait point entendre parler d'une pardlie
chose, et punit les prêtres qui refusaient de célébrer la messe ; les districts qui vou-
laient se soumettre à l'interdit furent mis à feu et à sang. En 4428 le comte Fré-
déric de Toggenbourg fit la guerre aux Âppenzellois; mais, l'année suivante, après
des succès balancés, la paix fut rétablie par l'intervention des Ck>nfédérés. En 1444
les Appenzellois aidèrent les Suisses dans leur guerre contre Zurich, qui s'était alliée
avec r Autriche ; ils firent une expédition dans le pays de Sargans et au-delà du Rhin,
et repoussèrent une invasion autrichienne au passage de Wolfhalden. En considé-
ration de leurs services, la Confédération renouvela, sous des conditions plus équi-
tables, l'alliance conclue avec eux. Appenzell se montra digne de cet honneur et
prit part à divei*ses guerres des Suisses, entre autres à celles contre Charles-le-Témé-
raire, et à plusieurs expéditions en Italie ; ils se distinguèrent surtout dans la guerre
de Souabe en 1499, aux combats de Treisen, de Hard et de Frastenz. Enfin, en 1513
ils furent admis, comme 13* canton, dans la Confédération. Deux ans après, leur
contingent perdit 226 hommes à la désastreuse bataille de Marignan.
Les principes de la Réforme devaient trouver un facile accès chez une peuplade à
l'esprit aussi indépendant. Dès 1518 les paysans étaient allés entendre les discours
prononcés à Saint-Gall sur des questions religieuses par Yadian et Kessler. En 1522
Walther Klarrer fut le premier réformateur du pays, et son exemple fut suivi par
d'autres curés. En 1524 la Landsgemeinde décida que les prêtres ne devaient ensei-
gner que ce qui est conforme à la vérité et à la Sainte-Ecriture ; mais, après quel-
ques dissentiments, il fut décrété que les affaires de religion seraient laissées à la
décision des communes. Alors celles des Rhodes-Extérieures se prononcèrent pour le
culte réformé, celles des Rhodes-Intérieures pour le maintien du culte catholique.
Des dissensions très-vives s'élevèrent entre les deux partis, et la Confédération dut
intervenir plus d'une fois pour les apaiser. Le parti catholique ayant conclu secrète-
ment une alliance avec l'Espagne, il en résulta en 1597 un partage du pays en deux
demi-Etats, qui eurent leurs Conseils, leurs lois et leurs arsenaux distincts. Trc^n
devint le chef-lieu des Rhodes-Extérieures, et Appenzell resta celui des Rhodes-Inté-
rieures. Mais ce dernier district s'aperçut bientôt combien cette division lui était fu-
neste. L'industrie, qui fleurissait déjà dans les Rhodes-Extérieures, procurait à celles-
ci les moyens de pourvoir aux frais d'un Gouvernement, tandis qu'il en résultait une
lourde charge pour le district d'Appenzell, qui, restant fidèle à ses mœurs et à ses
usages en même temps qu'à sa foi, se vouait exclusivement à l'économie alpestre.
En 1611, la peste, appelée la mort noire, fit de grands ravages dans le canton.
Durant la guerre de Trente ans les Appenzellois eurent souvent à veiller sur leurs
frontières. Les Rhodes-Extérieures aidèrent maintes fois lès Grisons à repousser les
Autrichiens. Le pays prit part aussi aux capitulations. Les Rhodes-lDtérieures en-
voyaient leurs soldats de préférence à l'Espagne, et les Rhodes-Extérieures à la
France. Lors de la disette de 1689, un grand nombre d' Appenzellois allèrent aussi
servir en Angleterre et en Hollande. Durant le 18' siècle des dissensions eurent lieu
dans l'intérieur de chacun des deux demi-cantons; elles étaient occasionnées surtout
LA SUISSE PITTOKESQUE. 319
par les jalousies de quelques-unes des familles les plus influentes. Un magistrat popu-
laire, le landammann Suter, des Rhodes-Intérieures, péril en 178ft par la main du
bourreau, par suite des intrigues d'un collègue envieux. En 1797 on travaillait dans
les Rhodes-Extérieures à mettre le Landhnch (Code du pays) en harmonie avec les
progrès du temps, lorsque tout fut changé violemment par la révolution. En 1798
le district de Hérisau se prononça pour la nouvelle Constitution helvétique; le district
de Trogen, ainsi que les Rhodes-Intérieures, décidèrent au contraire de résister à la
France en même temps que les petits cantons de la Suisse centrale; mais l'arrivée
des troupes françaises les contraignit bientôt à se soumettre au nouvel ordre de choses.
Âppenzell, avec la plus grande partie du canton actuel de Saint-Gall, forma le canton
du Santis. Mais ce nouveau régime ne plaisait point au peuple, qui, plusieurs fois,
se souleva, et, suivant le parti qui dominait, résista tantôt aux Français ou aux
Autrichiens, tantôt au Gouvernement helvétique. Enfin, en 1803, le canton fut ré-
tabli. Pendant la disette de 1815 un quart de la population périt de misère. Les
magistrats des Rhodes-Extérieures cherchèrent de nouveau, quelques années plus
tard, à améliorer la législation de leur pays, qui était très-arriérée; mais, vu leur
tendance aristocratique, le peuple refusa tous les changements, et destitua une partie
de ses magistrats. Cependant, en 1831, la Landsgemeinde décida que des améliora-
tions seraient introduites, et en 1834 une nouvelle Constitution fut en effet adoptée.
Dans les Rhodes-Intérieures, un gouvernement à tendances aristocratiques avait éga-
lement été renversé dès 1828, et la Constitution modifiée le 26 avril 1829.
Constitutions. — Nous avons dit que la plus ancienne Constitution appenzelloise
date de 1378; depuis lors jusqu'à la séparation en. deux Etats, les citoyens nom-
mèrent annuellement 13 magistrats chargés de veiller aux intérêts du pays et de
taxer chacun suivant sa fortune. Après la séparation, quelques modifications durent
avoir lieu dans l'administration du pays. D'après la Constitution des Rhodes-Exté-
rieures de 1834, le demi-canton se divise en 20 communes, dont 7 dans le district
Derrière la SiUer (rive gauche) et 13 dans le district Devant la Sitter (rive droite).
L'autorité souveraine est la Landsgemeinde, qui se compose de tous les -citoyens
ayant atteint leur 18* année et ayant reçu l'instruction religieuse. Tout citoyen est
tenu, sous peine d'amende, d'assister à la Landsgemeinde depuis le commencement
jusqu'à la fin. Elle se rassemble tous les ans le dernier dimanche d'avril, alternati-
vement à Trogen ou à Hundwyl, près de Hérisau. Elle nomme ou confirme deux
landammanns, pris chacun dans l'un des deux districts; elle nomme de la même
manière deux statthalters, deux trésoriers, deux capitaines du pays et deux ensei-
gnes. Tous les deux ans la préséance passe des magistrats de l'un des districts à
ceux de l'autre. La Landsgemeinde fait et abroge les lois, conclut les alliances, accorde
la naturalisation ; elle décide des travaux publics importants, reçoit les comptes
annuels, lesquels doivent être imprimés au moins quatre semaines à l'avance, et
décide s'ils seront soumis à une Commission. Une convocation extraordinaire a lieu
lorsque les magistrats l'estiment convenable, ou que dix des communes au moins le
demandent. Les motions qu'un citoyen désire faire à l'assemblée doivent être com-
muniquées au Grand Conseil; elles doivent aussi, de même que les propositions
émanant du Gouvernement, être annoncées, soit en chaire, soit par voie de la presse,
quatre semaines à l'avance.
320 LA SUSSE PITTORESOI K.
La seconde autorité est le double Landrath, qui se compose des dix premiers ma-
gistrats ci-dessus désignés, de deux chefs de chaque commune (Hanylle^Ue, capi-
taines), et des députés de chaque commune nommés à raison d*un pour 1500. Il
s'assemble huit jours après la Landsgemeinde, alternativement à Trogen el à Hérisau,
assermenté les nouveaux conseillers et juges, élit divers autres fonclionnaires et Com-
missions auxiliaires, fait toules les ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois.
Le Grand Conseil se compose des dix premiers magistrats, des deux inspecteurs des
bâtiments, du chef régnant de chaque commune (regierende Hanpimann), des deux
secrétaires d'Elat ; il s'assemble aussi souvent que les affaires l'exigent, à Trogen
ou à Hérisau, examine l'état des finances, et exerce le pouvoir exécutif (il nommait
aussi le député à la Diète et lui donnait des instructions). H est juge en dernière
instance des affaires civiles et criminelles. Ces dernières sont toujours jugéesà Trogen.
Il y a dans chacun des districts un Petit Comeil, composé de 13 membres, dont la
nomination est répartie entre les communes, et qui ne peuvent siéger dans aucun
autre Conseil. Ces Petits Conseils se rassemblent tous les mois, l'un à Hérisau,
Urniisch ou Hundwyl, l'autre à Trogen ou à Heiden; ils sont juges en seconde
instance des affaires civiles et criminelles. Les assemblées communales ou parois-
siales fAVrrAAdiYiiJ s'assemblent ordinairement deux fois l'an, en particulier le pre-
mier dimanche de mai, pour élire les chefs et conseillers de la commune, les membres
du double Lrindralh et du Petit Conseil ; elles élisent el destituent leur pasteur, déci-
dent des impôts communaux, reçoivent les comptes, votent sur les oonstnictions el
contrats importants et sur l'administration de leurs biens, l'achat el la vente de leurs
immeubles, el confèrent les droits communaux. Les chefs et conseillers sont au
nombre de 7 au moins, et de 24 au plus ; ils s'assemblent au moins tous les mois pour
s'occuper des affiiires communales, nomment les tuteurs, jugent en première instance
toutes les affaires, etc. Les causes matrimoniales sont examinées en première instance
par le pasteur et les deux chefs de la commune, et en seconde el dernière instance par
un tribunal matrimonial, composé de six fonctionnaires civils et de trois ecclésiasti-
ques nommés annuellement par le double Landrath. Chaque commune doit pourvoir
à l'assistance de ses pauvres, quelle que soit leur résidence. Pour obtenir la naturali-
sation, il faut avoir résidé au moins cinq ans dans le pays. Les autorités el tout citoyen
ont en tout temps le droit de proposer des changements à la Constitution, dans la
forme indiquée pour les motions individuelles.
D'après la Constitution de 1829 d'Appenzell-Intérieur, son territoire se divise en
sept Rhodes. La Landsgemeinde se compose de tous les citoyens âgés d'au moins 18
ans ; elle nomme deux landammanns, un statthalter, un trésorier, un capitaine du
pays, un inspecteur des bâtiments, un enseigne, le trésorier des |iauvres, Tadminis-
trateur des fonds des pauvres, le directeur de l'arsenal, le secrétaire; ces fonction-
naires sont nommés pour un an, mais rééligibles; seulement, le landammann ne peut
conserver sa charge plus de deux ans. L'assemblée reçoit le rapport des comptes,
donne le droit de bourgeoisie à des candidats catholiques ayant obtenu du Grand Con-
seil Tautorisation de se présenter ; aucun objet ne peut être délibéré sans avoir été
communiqué par écrit au Grand Conseil au moins un mois à l'avance, el examiné par
ce corps ; les projets de lois el motions individuelles doivent être lus dans toutes les
chaires, el tout citoyen peut en demander communication écrite. — La seconde autorité
LA SUISSE PITTORESQUE. 32(
est le Grand Conseil, qui se compose des premiers fonctionnaires et des petits et grands
conseillers de toutes les Rhodes ; il propose les lois à la Landsgemeinde, fixe les im-
pôts, administre le bien des pauvres, prononce en dernière instance sur les contesta-
lions civiles et les affaires capitales (il nommait les députés à la Diète et leur donnait
des instructions sur les objets non réservés à la Landsgemeinde) ; il exerce le droit de
collalure. Le PeiU Conseil se compose des premiers fonctionnaires et des petits con-
seillers nommés par chaque Rhode. Il se partage en trois fractions égales, qui siègent
tour à tour, et qui s'appellent Cofiseil hebdomadaire; ce Conseil prononce en première
instance dans les affaires civiles et dans les affaires criminelles non réservées au
Grand Conseil ; il prononce en dernière instance dans les contraventions de police.
Dans les cas plus importants, le président appelle des suppléants. Le landammann en
charge préside toutes les séances des Conseils, exerce la haute surveillance sur la
police et sur Texécution des lois ; il fait rendre compte aux couvents et aux fonda-
lions pieuses. Il est remplacé par le statthalter en cas d'empêchement. — La Constitu-
tion peut être révisée en tout temps par les Conseils et par la Landsgemeinde.
Chaque demi-Etat avait une demi-voix à la Diète. C'était tour à tour le député de
l'un ou de l'autre demi -Etat qui avait la préséance ; les instructions étaient délibérées
[)ar des délégués des deux parties du canton, et la conférence se tenait dans la partie
du canton qui nommait le second député, et sous la présidence du premier magistrat
de ce même demi-Etat. Actuellement, chacun des demi-Etats envoie un député au
Conseil des Etats; les Rhodes-Intérieures en envoient un au Conseil National, et les
Rhodes-Extérieures deux.
Cultes. — - Ce fut l'Irlandais Gallus ou saint Gall qui prêcha le premier le christia-
nisme aux environs d'Âppenzell, au commencement du 7"^ siècle, mais ce ne lut que
vers l'an 4000 que le culte des idoles y fut complètement aboli. Les plus anciennes
paroisses furent: celle de Hérisau, qui date à peu près de l'an 780 ; celle d'Appenzell,
qui date de 4061, et celle de Teufenau, qui date de 4302. Plusieurs furent créées
dans le siècle suivant. Le droit de collature appartint d'abord à l'abbé de Saint-Gall
ou à la noblesse; mais les habitants du pays réclamèrent ensuite ce droit, et, depuis
le 15* siècle, l'exercèrent sans opposition. Les Appenzellois ne trouvaient pas tous
les ordres de l'Eglise conformes à la raison ; ainsi, de tout temps ils se sont nourris
de laitage pendant le carême, et le pape, pour ne pas compromettre son influence,
fut obligé de leur en accorder la permission en 4459 proprio motu. Un landammann
ayant obtenu, en 4489, une dispense papale pour épouser sa filleule, la Landsge-
meinde déclara que ce dont un landammann avait obtenu l'autorisation pour de
l'argent, devait être permis pour rien à tout citoyen.
D'après leur Constitution, la religion des Rhodes-Extérieures est la religion ré-
formée. Celte Constitulion recommande aux citoyens de célébrer convenablement les
fêles et de se rendre assidûment à l'église ; elle impose aux ecclésiastiques le devoir
de donner aux enfants l'instruction religieuse, et de veiller, de concert avec les ma-
gistrats, au maintien des bonnes mœurs. Les affaires de l'Eglise sont administrées
par un synode, composé des six membres laïques désignés par le Landrath pour faire
partie du Tribunal matrimonial, des pasteurs en office, et d'autres ecclésiastiques
admis à y siéger. Ce Synode se rassemble ordinairement une fois par an, alternati-
vement à Trogen ou à Hérisau, et choisit chaque année son doyen dans son sein.
11.21. 41
322 LA SllSSR PITTORESQCe.
Les services du dimanche matin sont ordinairement suivis par des auditoires nom-
breux, surtout lorsque les prédicateurs sont éloquents; mais les publications offi-
cielles, qui se font après le service et qui souvent concernent des affaires triviales,
nuisent à Tédification. Le Tribunal matrimonial a malheureusement beaucoup à
Taire, les divorces et les séparations de biens étant assez fréquents. — Le mysti-
cisme et Tcsprit de secte a existé dès longtemps dans le canton. Durant le moyen-
âge, il y eut toujours plusieurs ermites qui se vouèrent à la vie contemplative el
vécurent dans des lieux écartés. Au moment de la Réformation, les doctrines des
anabaptistes comptèrent plus de 2000 adeptes; leur chef, Jean Krùsi, fut saisi par
les papistes et brûlé à Lucerne. Cette secte était complètement éteinte depuis long-
temps, lorsqu'elle reparut momentanément en 183&, surtout dans la paroisse de
Heiden. Quelques autres sectes qui surgirent n'eurent également qu'une courte
existence.
La religion catholique est la religion nationale des Rhodes-Intérieures. Les ecclé-
siastiques ont, pour la plupart, fait leurs études aux frais de TEtat ou de fondatioi»
pieuses. Le Grand Conseil nomme les curés; ceux-ci exercent une assez grande in-
fluence sur les affaires de l'Etat. Il existe encore dans le canton des couvents
d'hommes et de femmes de l'ordre franciscain, qui se distinguent par leur bienfai-
sance envers les pauvres. Il y a aussi des capucins, dont les prédications attirent un
grand nombre d'auditeurs. Deux des couvents de femmes, ceux de Wonnenstein et
de Grimmenstein (Pierre de délices et Pierre du courroux), sont situés sur le terri-
toire des Rhodes-Extérieures.
Instruction publique. — Après la Réformation, les pasteurs ont cherché à répandre
l'instruction parmi la jeunesse; mais ce n'est que dans le 17* siècle qu'on a établi
dans les Rhodes-Extérieures des écoles proprement dites; beaucoup de parents qui
désiraient former leurs enfants pour les vocations commerciales, étaient obligés de
les envoyer à l'étranger pour y recevoir une éducation plus développée, el apprendre,
en particulier, la langue française. Depuis le commencement de ce siècle, les écoles
ont reçu des améliorations sensibles, et divers établissements supérieurs ont été créés.
Les écoles sont surveillées et visitées par une Commission scolaire, composée d'ecclé-
siastiques et de laïques, ainsi que par une Commission communale, que préside ordi-
nairement le pasteur. Les enfants doivent suivre l'école de 6 à 12 ans. Dans la
plupart des communes, les écoles sont gratuites pour les enfants qui en sont ressor-
tissants. Il y a en outre dans plusieurs communes une école hebdomadaire de per-
fectionnement, el dans toutes des répétitions mensuelles et une instruction religieuse.
Dans le district de Hérisau, sauf dans ce chef-lieu même, les progrès ne sont pas
aussi grands que dans le reste du territoire, parce que l'industrie y est moins ré-
pandue, et qu'on y sent moins les avantages de rinstruclion. On comptait en 1834,
en moyenne, une école pour bSO habitants, et 49&1 écoliers, soit un sur huit habi-
tants ; ce chiffre avait doublé dans l'espace de 30 ans. Trogen possède un institut
cantonal, qui, lors de sa fondation, commença par être un établissement privé, el
qui a été doté par plusieurs citoyens généreux, entre autres par MM. Zell^eger.
On y enseigne les langues anciennes et modernes, les mathématiques, la géographie,
l'histoire naturelle, etc. ; les élèves étaient au nombre de 30 en 1834. On enseigne
les mêmes branches, sauf les langues anciennes, dans le provisorat de Heiden, fondé
LA SUISSE PITTORESQUE. 525
en 1825' par le trésorier Tobler. Des instituts pour les demoiselles ont été créés à
Trogen et à Gais. Il existe aussi à Trogen un institut d*orphelins, créé sous la direc-
tion d'un élève de M. Wehrli, et sur le modèle de celui que ce dernier avait dirigé
à Hofwyl ; on y prépare les enfants aux professions industrielles ou agricoles. Une
autre maison d'orphelins a été fondée en 1855 à Teufen par quelques citoyens; elle
a été confiée à M. J.-U. Bânziger, autre élève de M. Wehrli. Un séminaire de ré-
gents a été établi à Gais. Enfin, Hérisau et Trogen possèdent des instituts privés, où
Ton fait les mêmes études que dans l'institut cantonal.
Dans les Rhodes-Intérieures, les écoles sont bien moins avancées; elles ont reçu
quelques améliorations depuis une quarantaine d'années, mais les maîtres sont encore
peu instruits et mal payés. Les écoles, au nombre de 17, sont surveillées par une
Commission, qui doit soumettre au Grand Conseil le résultat de son inspection, et qui
est chargée d'examiner les régents et les enfants. Le Grand Conseil nomme les ré-
gents pour six années. Les parents n'ont pas l'obligation d'envoyer leurs enfants à
l'école. Les élèves étaient en 1854 au nombre de 1067, ou de un sur dix habitants.
Appenzell possède deux écoles spéciales de filles, tenues par des religieuses.
Industrie, Commerce, Economie rurale. — Le commerce et l'industrie sont les
principales occupations des habitants des Rhodes-Extérieures, et un certain nombre
de ceux des Rhodes-Intérieures s'y consacrent aussi. C'est en 1857 que s'établit la
première société de commerce à Appenzell, et bientôt après Georges Schlâpfer de
Wald fut le premier qui fit le commerce de toiles de lin dans les Rhodes-Extérieures.
Depuis 1572 ce commerce prospéra particulièrement, mais il céda peu à peu la place
aux manufactures de tissus de coton, et surtout à la fabrication de la mousseline.
Actuellement, 10 à 12,000 personnes se vouent à cette fabrication dans les Rhodes-
Extérieures seules. Ces mousselines sont ou unies ou ornées des broderies les plus
délicates, qui ont fait l'admiration du public à l'Exposition de Londres. On fabrique
aussi des gazes de coton, des percales, des indiennes, des tulles, des soieries; mais,
(le même que dans le canton de Zurich, les ouvriers consacrent une partie de leur
temps aux travaux agricoles ; c'est ce qui fait qu'ils peuvent soutenir la concurrence
des fabriques proprement dites. Il y a en outre dans le pays des tanneries, des fila-
tures, des teintureries d'indiennes, des blanchisseries, des scieries, des fabriques de
produits chimiques, des papeteries, des imprimeries à Trogen et à Hérisau, un moulin
à poudre à Wolfshalden, etc. Outre les étoffes, l'exportation comprend les cuirs, les
bois, les eaux distillées, les bestiaux et les fromages; l'importation consiste en vins,
blés, tabacs, sels, denrées coloniales, etc.
La principale culture du canton est celle des prairies, mais elle n'y a pas fait tous
les progrès désirables ; on pourrait y introduire avec avantage plus de prairies arti-
ficielles. Le canton possède aussi beaucoup de pâturages alpestres. On compte 59
alpes dans les Rhodes-Intérieures, et 18 dans les Rhodes-Extérieures; plusieui*s de
ces alpes sont communes, et chaque berger peut y tenir un certain nombre de va-
ches, en payant une petite somme, qui est versée dans la bourse des pauvres. Telles
sont la Seealp, la Meglisalp, l'Ebenalp. Sur quelques-unes on trouve des villages
entiers de chalets ; on appelle Seimlhum un troupeau composé de 2& vaches et d'un
taureau ; lorsque plusieurs troupeaux semblables sont réunis, on voit les taureaux
combattre pour la possession du meilleur pâturage, et les plus faibles doivent céder
Zik LA SnSSE PITTORESQrE.
la place aux plus forts. Chaque auiiée on achète un grand nombre de vaches dans
les Grisons, dans le Tyrol et le Yorarlberg, et Ton en revend en automne, après les
avoir nourries en été sur les alpages. On compte dans le pays, durant cette saison,
42 à 4rS,000 vaches. Il y a en outre 2000 moutons et 3000 chèvres ; celles-ci pais-
sent sur les sommets les plus élevés ; on emploie leur lait pour Taire des fromages,
et leur petit-lait a des qualités qui le font rechercher pour des cures. — Les forêts
sont négligées, et une consommation très-considérable tend constamment à les ré-
duire. Les arbres fruitiers n'abondent que dans les communes les plus orientales du
canton; la vigne ne se cultive que sur la lisière nord-est, dans les communes
de Heiden, Wolfshalden et Walzenhausen. On cultivait jadis une plus grande quan-
tité de céréales ; les occupations industrielles ont fait presque abandonner cette cul-
ture ; mais les disettes et les stagnations de Tindustrie qui sont survenues dans le
courant de ce siècle ont fait comprendre combien cela était fâcheux. Aussi, les gou-
vernements, ainsi que la Société d'Utilité publique, fondée en 1832, s'eflbrcent-ils
maintenant d'encourager l'agriculture. Un grand nombre de personnes s'occupent de
l'exploitation des abeilles, et les herbes aromatiques qui se trouvent en abondance
dans les prairies donnent au miel une qualité excellente.
Hommes distingués. Savants, etc. — La culture des lettres, des sciences et des arts
n'est point restée complètement étrangère aux Appenzellois. Plusieurs en particu-
lier se sont occupés de travaux historiques. Bischofberyei\ pasteur à Trogen, a publié
en 4682 une Histoire d'Apfyenzell. G. WaUer, de Wolfshalden, mort en 4776, a écrit
une Chronique qui va jusqu'à l'an 4772, et qui contient beaucoup de documents topo-
graphiques et statistiques intéressants. Groh, de Hérisau, a laissé une Hhloire des
Etats italiens, dans laquelle il a fait preuve d'une grande érudition. Michel SlurzeH-
egger, de Trogen, a laissé un manuscrit en trois volumes in-8®, intitulé Evénemetits
remarquables qui se santimsses à Trogen et ailleurs de 4775 à iSi7. Le trésorier FiVA,
de Hérisau, a recueilli des matériaux pour l'histoire du canton de 4730 à 4849, en
neuf volumes in-folio, qui se trouvent aux archives de Hérisau ; ce manuscrit est
rédigé avec impartialité, mais sans critique suffisante. Le nom qui mérite le plus
d'être cité, est celui de J.-Gasp, ZelUreger^ de Trogen, ancien réviseur des péages
suisses et président de la Société d'Utilité publique, né en 4768, mort en 4855 ; son
Histoire du peuple d'Appenzell, qui va jusqu'à l'admission de ce pays dans la Confédé-
ration, est regardée comme un ouvrage classique. L'auteur a puisé aux meilleures
sources et consulté les archives avec une patience infatigable ; ses recherches ont
jeté du jour sur divers points. Il a fait paraître aussi divers ouvrages sur des sujets
statistiques et économiques.
Pour la philosophie et la pédagogie, nous citerons Laurent Zellweger, docteur mé-
decin de Trogen, mort en 476ft, dont on a imprimé la correspondance scientifique
avecBodmer, Breitinger, Hirzel, Sulzer, et d'autres. Jean iVieder^r, chef d'un institut
de demoiselles à Yverdon, qui a reçu des Universités de Tubingue et deGiessen le titre
de docteur en philosophie, pour ses divers ouvrages sur la méthode de Pestalozzi ; sa
femme. Rosette Kasthofer, a écrit sur l'éducation des femmes. Séb, Scheuss, doyen de
Hérisau, a publié une direction pour les régents des Rhodes-Extérieures. H, KrUsi,
de Gais, chef du séminaire de Gaïs, a publié divers ouvrages sur l'éducation des
enfants, et quelques petits écrits pour la jeunesse. Georges Tobkr, de Wolfehalden.
LA suisse PlTTOBESOrE. 32S
né en 1768, est l'auteur de plusieurs romans sur des sujets de morale, tels que
Pierre ou ks suites de rignorance, la Sainte Famille, Ali et Ala ou les petits Insu-
laires, etc. — Àppenzell peut nommer comme théologiens distingués : Wallher Klarrer,
né à Hundwyl en 1499, et qui fit ses éludes à Paris: il fut le premier à prêcher la
Réforme dans son lieu natal, en 4524, et fut en correspondance intime avec Zwingli,
Vadian et d'autres réformateurs. Schurtanner, pasteur à Teufen, à qui Zwingli a
dédié son livre intitulé le Pasteur; J.-K, Scheuss, J.-J, Frey, et Zuberbûhler, au-
teurs de divers ouvrages théologiques ou d'édification. — G. Srhlapfer, docteur
médecin, a formé une collection considérable d'objets d'histoire naturelle, et public
divers écrits sur celte branche des sciences. Les médecins Oberteufer, grand-père et
pelil-fils, et Heim, ont écrit sur leur art ; ce dernier a traité des cures de petit-lait,
et Oberteufer jeune, de la petite-vérole et de l'importance des eaux minérales. ROsch
a écrit aussi sur l'usage des eaux minérales, et fait une description de l'établissement
de bains de Nuolen au canton de Schwytz.
Malgré les dispositions naturelles des Âppenzellois pour la poésie, un bien petit
nombre ont acquis quelque renommée dans cet art; on peut citer cependant Werner
de Teufen, qui fut minnesinger, ou barde, au IS** siècle; J. Grob, né dans le Toggen-
Iwurg, qui vint en 1672 à Hérisau et y publia des essais poétiques; en 1690, il fut
envoyé auprès de l'empereur Joseph V" et obtint l'allégement d'un blocus des céréales,
ce qui lui fit accorder les droits de bourgeoisie. D.-A. Grob, son arrière-petit-fils,
qui a publié des tableaux dramatiques de la Suisse en 1816, des chants pour les
guerriers suisses en 1824, etc. Nanni, élève de Pestalozzi, a écrit un Man^iel de
ianwur et de l'amitié, en 1833. J. Merz a fait paraître deux volumes intitulés l' Ap-
penzellois poétiqm, en 1828-1832; ses poésies, écrites dans le dialecte d'Âppenzell,
contiennent des tableaux de mœurs, des descriptions de batailles, etc. — J.-J, Mock
et Tanner, de Hérisau, Honnerlag, de Trogen, Fitzi, de Bûhler, etc., ont de la ré-
putation comme peintres de paysages; /. Weiss, de Hundwyl, et M"'' Caroline Reich,
de Trogen, comme peintres de portraits. Les |)ortraits des landaromanns qui déco-
rent les salles du Conseil de Trogen et de Hérisau sont de Weiss. — Plusieurs
Appenzellois se sont distingués par leur génie inventif dans les arts mécaniques,
mais surtout Jean Grubemann, de Teufen, mort en 1783, qui fut l'inventeur des
ponts en bois suspendus ; il construisit entre autres ceux de Schaff bouse et de Wet-
tingen, qui furent incendiés pendant les guerres de la Révolution, à la fin du siècle
dernier ; il éleva aussi plusieurs palais et une trentaine d'églises. Jacob Grubemann,
frère du précédent, marcha sur ses traces : il construisit l'église de Trogen, et mourut
en tombant de la tour à moitié achevée. Langenegger, de Gaïs, a réparé plusieurs
palais impériaux de Saint-Pétersbourg. Altherr, de Wald, ami du précédent, a con-
struit, de concert avec lui, plusieurs édifices, entre autres un hôtel des monnaies à
Saint-Pétersbourg; il est mort dans l'incendie de Moscou. — Appenzell n'a jamais
considéré comme une carrière lucrative le service militaire à l'étranger ; un petit
nombre d' Appenzellois y ont atteint des grades supérieurs; tel esi Adrien Mayer, de
Hérisau, mort en 1767, qui s'éleva au rang d'adjudant-général de l'armée sarde.
MoRURs, Coutumes, Caractère. — Si, sous certains rapports, il existe un contraste
entre la population des Rhodes-Intérieures et celle des Rhodes-Extérieures, sous plu-
sieurs autres ces deux populations ont une grande analogie entre elles. La première
326 LA StISSE PITTORESOrB.
est catholique, et la seconde protestante ; la première a conservé le type ancien des
habitants du pays, et particulièrement une taille élancée, tandis que chez la seconde
une taille moyenne est la plus ordinaire ; la première n*a guère que de petits villages
avec un grand nombre d'habitations dispersées, tandis que Tautre est plutôt réunie
dans des bourgs et des villages considérables ; enfin les habitants des Rhodes-Inté-
rieures se vouent pres(]ue exclusivement à la vie pastorale, et ont conservé leur
costume pittores(|ue de berger, tandis que leurs voisins se consacrent avec une grande
activité aux occupations industrielles et commerciales, et ne considèrent que comme
accessoire Téiève du bétail et les travaux ruraux. Mais tous les Appenzellois en
général ont une vivacité et une jovialité remarquables; ils ont une intelligence très-
é veillée et de Tesprit naturel, qui se manifeste par des saillies originales. Leur dia-
lecte est aussi empreint d'une certaine originalité; leurs chansons, surtout les chan-
sons pastorales, sont gracieuses, expressives et pleines d'une mélodie singulière. Ils
ont la même bravoure, le même amour de la liberté, et surtout le même goût des
divertissements et des réjouissances de tout genre , tels que la danse , les jeu\
gymnastiques, le chant, etc. Les Landsgemeindes, les jours de revues de la milice,
et les fêtes d'Eglise {Kilben ou Killtenen ou Kirchiveihfeste, en français vulgaire
v(Hjues), sont pour eux l'occasion d'autant de fêtes nationales. Ces dernières (qui du
reste se célèbrent aussi dans d'autres cantons, surtout dans les cantons catholiques)
ont été souvent interdites dans les communes protestantes d'Âppenzell, ou transpor-
tées sur un jour de semaine, à cause des désordres qui les accompagnaient parfois.
Le lundi de Pâques est fêté surtout par les enfants; ils se rendent d'abord à l'élise,
précédés d'un corps de musique, et ils y exécutent des chants; ils se livrent ensuite
à divers amusements, auxquels prennent part beaucoup de grandes personnes.
Divers jeux particuliers ont été autrefois en usage dans le pays ; tel est le jeu du
cercle (Ringspiel), qui n'est pas encore complètement oublié. Les garçons et les filles
formaient un rond et se mettaient à tourner, avec accompagnement de chansons du
pays ; un des joueurs, resté hors du cercle, désignait en le touchant un des danseurs,
qui était obligé de quitter la ronde et de le poursuivre à travers les prairies et les rochers,
et de l'amener prisonnier au milieu du cercle, où une pénitence lui était imposée.
Les Rhodes-Extérieures ont conservé quelques fêtes particulières. Le 17 février,
dans quelques communes de la rive gauche de la Sitter, on promène sur un char un
tronc d*arbre orne de fleurs et de guirlandes ; un homme et une femme, vêtus de
l'antique costume suisse et portant des clochettes, se promènent gravement devant le
cortège; le chef de la fête, assis sur le tronc d'arbre, salue gracieusement la foule.
On ignore l'origine et le but de cette fêle. A Trogen, à Speicher et dans d'autres
communes de la rive droite de la Sitter, on célèbre la fête de Nicolas {Nikhusfest) ;
les personnes d'âge mùr, les jeunes gens et les enfants se réunissent dans des ban-
quels, et se divertissent par des mascarades, des chants, des danses ; cette fête date
du temps où les habitants se rendaient à Altstâtten au marché au fil, et se livraient
à leur retour à des réjouissances. Le premier dimanche de chaque trimestre on se
réunit en sociétés pour faire des excursions. Les Rhodes-Intérieures ne restent point
en arrière ; la saison du Carnaval et celle des bains y sont également l'occasioD de
diverses réjouissances. II va sans dire qu'à tous ces jours de fêtes l'on ifréquente les
cabarets et l'on y fait des libations prolongées. Il y avait aussi autrefois des fêtes de
LA SUISSE PITTORESQUE. 327
bergers, Waid^ ou Alpsti^enten (Visites des pâturages), qu'on a défendues, à cause des
abus auxquels elles donnaient souvent lieu ; elles ne sont permises maintenant que
dans deux localités des Rhodes-Intérieures, sur la Seealp le 6 juillet, et la Botersalp
le premier beau dimanche après le 25 juillet ou la Saint-Jacques. Quant à la danse,
elle n*est permise dans les Rhodes-Extérieures que les deux derniers jours du Car-
naval, les jours de revue et leurs lendemains; mais on se soustrait souvent h la
prohibition dans les lieux de bains et les hôtelleries écartées. Dans les Rhodes-Inté-
rieures, la danse n'est interdite que les dimanches et les jours de fétc, sauf ceux
des réunions pastorales. Les magistrats des Rhodes-Extérieures avaient même poussé
le rigorisme jusqu'à interdire les jeux de cartes, les dés, les quilles, etc. Les femmes
sont actives et aiment Tordre; elles sont économes dans leurs ménages, un peu
moins, à ce qu'on assure, en ce qui concerne les objets de parure. Celles des Rhodes-
Intérieures ont conservé en grande partie un ancien costume national. Leur luxe
fait un contraste frappant avec la grande simplicité du costume des femmes des
Rhodes-Extérieures. — Ajoutons que les citoyens des Rhodes-Intérieures ont encore
coutume de se rendre le sabre au côté aux Landsgemeindes, ainsi qu'à la procession
qui visite le champ de bataille de Stoss. Autrefois, le port de cette arme était très-
fréquent dans le pays, et il fut souvent l'occasion de graves excès. Jusque vers la
fin du 18* siècle, les citoyens des Rhodes-Extérieures la portaient même pour se pré-
senter à la communion.
ÂPPENZELL. — L'ancien chef-lieu de tout le canton, et le chef-lieu actuel des
Rhodes-Intérieures, est le bourg d'Âppenzell, qui ne compte que 1516 habitants. Il
est situé sur la Sitter, dans un vallon dominé à l'ouest par le Kamor et le Hohen-
Kasten, au sud par l'Ebenalp. Ce bourg présente peu de chose de remarquable; il
fut jadis la résidence d'été des abbés de Saint-Gall ; de là son nom Abbatis cella (Cel-
lule de l'abbé). L'église de Saint-Maurice, fondée en 1061, fut la deuxième du pays;
elle fut restaurée il y a une trentaine d'années; elle renferme des fac-similé des
bannières conquises par les Appenzellois au 15* siècle; les bannières elles-mêmes
sont conservées aux archives. Près de l'église est la chapelle des morts, qui contient
un ossuaire. Le bourg possède un vieil hôtel-de-ville, un arsenal, une maison de
bains, un couvent de capucins, qui fait le commerce d'escargots, etc.
Weissbad, Wildkirchli, Ebenalp. — A l'ouest d'Appenzell est Gonten, qui possède
des bains assez fréquentés; mais à trois quarts d'heure au sud sont ceux de Weissbad,
qui jouissent d'une plus grande vogue. Ces derniers sont au pied même des monta-
gnes, près de l'ouverture des vallées qui séparent les petites chaînes des Alpes appen-
zelloises. Leurs environs présentent diverses excursions très-intéressantes. A deux
petites lieues de Weissbad, dans un site extrêmement sauvage et pittoresque, et sur
le flanc oriental de la chaîne même du Santis, s'ouvre une grotte (4615) au-dessus
d'un précipice de 200 à 250 pieds; on y trouve un ermitage et une chapelle, aux-
quels on arrive au moyen d'un escalier de bois suspendu au-dessus de l'abîme. L'er-
mitage fut fondé en 1756 par Paul Ulmann, qui le dédia à l'archange Michel (selon
d'autres en 1610 ou 1656). La cloche servit à indiquer les heures de la prière aux
pieux bergers des Alpes d'alentour. Le jour de la Saint-Michel on célèbre dans la
chapelle un service qui est suivi d'une fête pastorale. 11 y a une auberge au bas du
rocher, mais l'ermite sert aussi des rafraîchissements aux voyageurs. De l'entrée de
3i8 LA SUISSE PITTORESQre.
la j^rollc on jouil d'une belle vue sur une parlie du lac de Cunslance et de ses coh's
septenlrionales, sur le Kamor et rAltmann ; dans le Tond du vallon Ton aperçoit te
lac de Seealp. La caverne est longue de 300 pas, et ses parois sont couvertes de
stalactites; son sol est incliné; de son issue su|)érieure un sentier un peu escarpé
conduit à rKlx^nalp, située h rextrémité nord de la cliaine occidentale de rAlpstein.
Cette alpe préstMite un l)eau plateau, riche en plantes alpines; mais elle est aussi in-
téressiinte pour Tamateur des vastes panoramas que pour le l)otaniste: on y embrasse
un espace bien plus étendu que du Wildkirchli ; on peut y arriver également sans
traverser la grotte, en suivant un sentier plus commode. On va quelquefois passer
la nuit dans un chAlet |K)ur assister au s|)ectaclc du lever du soleil. On y voit un
enfoncement en h)rme d'entonnoir, de 50 pieds de circonférence, qu'on appelle
WeUerMi (Trou du temps), et qui renferme toute Tannée de la glace et delà neige,
dont les l)ergers se scTvent pour se procurer de Teau. — Un sentier conduit de
Weisslmd à Wildbaus dans le llaut-Toggenbourg, par Brûllisau et le Fâhlentbal; il
liasse près des deux |K'tits lacs de Sàmtis et de Fabien, et \wv la Kraialp, située au
pied de TAItmann; il est un |)eu rude, mais sans danger. En arrivant au somniei
du col, on découvre une belle vue sur les montagnes du Toggenbourg, où se fonl
remarquer les nombreux pics des Kubiirsten. Un autre sentier conduit également à
Wildbaus |)ar le vallon de la Seealp et par la M(^lisalp, située entre le Sântis et
l'Altmann. Un troisième s'engage dans le vallon de Weisswasser (li^u blanche), et
IMssc imr la Schwitgalp, la principic des alpes des Hhod(^-Extérieures, où Ion
trouve une vingtaine de chalets et de nombreux troupeaux ; il descend de là à Nessiau
dans le Toggenbourg. Ue Wcissbtid on peut se rendre aussi dans le Rheinthal prie
col du Kamor, mais le commencement de la descente est très-rude.
Sentis. — L'ascension du Sântis n'est point facile: elle exige une bonne tête.
[Plusieurs chemins y conduisent, dont trois partent de Weissbad; le seul qui soil
exempt de danger passe par la Hûttenalp, située au-dessus des parois escar|)ées qui
dominent la Seealp, puis par la Meglisalp, qui se trouve i\ moitié chemin du sommet,
et où l'on peut passer la nuit. De là on monte à la Wageuliwke (Echancrure hasar-
deuse); puis, par des plaines de neige, on s'approche du sommet du Sântis, qui pré-
sente deux cimes séparées par un petit glacier ; la plus septentrionale s'appelle la
GyrempHz ou Geierspitz (Pointe du vautour) ; la cime méridionale est le Sàntis pro-
prement dit; on l'appelle aussi le Grand Messmer. C'est celui qu'on gravit ordinai-
rement ; on y découvre un panorama magnifique sur la Suisse septentrionale et
orientale, sur le lac de Constance, et sur la chaîne des Alpes du Tyrol au canton de
Berne. L'ingénieur bernois Buchwalder était occupé sur le Santis, en 1832, à des
opérations trigonométriques, lorsqu'il fut sui^pris par un violent orage ; la foudre tua
son domestique, et le blessa lui-même fortement à la cuisse. Sur un rocher au-dessus
de la Seealp, on a gravé une inscription en mémoire du professeur Jetzeler de Scbaff-
house, qui, en 1791, s'étant aventuré sans guide sur ces hauteurs, trouva la mort
dans un précipice. Les flancs du Santis sont escarpés de tous les côtés; le flanc mé-
ridional appartient au Toggenbourg (Saint-Gall), le flanc oriental aux Rhodes-Inté-
rieures, les deux autres aux Rhodes-Extérieures. Un second sentier passe par la
Seealp, puis derrière les rochers de l'OEhrli, cl va rejoindre le premier à la Wagen-
lucke ; un troisième se dirige vei*s la Schwàgalp, située à l'ouest du Santis, puis
LA SUISSE PITTORESQUE. 329
s'élève par la Wîdderalp, etc. On peut aussi faire rascension en partant de Saint-
Jean dans le To^enbourg, ou d'Urnàsch, dans les Rhodes-Extérieures, et gagnant
la Schwâgalp. De Wildhaus on peut également atteindre la Meglisalp.
Altmann, Kamor, Hohe-Kasten. — L'ascension de TAltmann est aussi très-diffi-
cile; celle de la plus septentrionale de ses deux cimes n'est cependant point dange-
reuse. La vue qu'on y découvre est la même que celle du Sàntis. Quant au Kamor,
à l'est de Weissbad, il est très-commode à gravir. On y voit plusieurs grottes qui
sont tapissées de lait de lune, et une cavité large de 4 pieds et profonde de 600
pieds, qu'on appelle Wetterloch, A un quart de lieue au sud du Kamor est la sommité
du Hohe-Kasten, qui n'est accessible que par le Kamor, et qui est entouré de préci-
pices de tous les autres côtés; il n'est que de 130 pieds plus élevé que le Kamor.
Ces deux sommités offrent une vue que quelques personnes mettent sur la même
ligne que celle du Righi ; elle embrasse le lac de Constance, le Kheinthal et une
multitude innombrable de montagnes du Yorarlberg, du Tyrol et de la Suisse.
Trogen. — Le bourg de Trogen est un des chefs-lieux des Rhodes-Extérieures;
sa population est de 2611 âmes. Il se compose en partie de belles maisons, entourées
de jardins, et qui forment une place carrée et pavée où se réunit la Landsgemeinde.
On y remarque l'église, avec une belle façade, des peintures à fresque et un baptis-
tère en marbre de Carrare; l'hôtel-de- ville, où l'on voit dans les salles des Conseils les
portraits des landammanns; l'arsenal, bâti en 1824; la maison du statthalter Zell-
weger, qui contient une belle bibliothèque. Nous avons déjà parlé de l'institut can-
tonal de Trogen et de sa maison d'orphelins. Trogen possède encore une bibliothèque
communale d'environ 6000 volumes. Parmi les collections particulières, méritent
d'être cités : le cabinet d'histoire naturelle de feu le docteur Schlâpfer, la collection
entomologique du docteur Leuthold, et la galerie de tableaux de M. Honnerlag.
VôGELisEGG, WoLFHALDEN, ctc. — Lcs cnvirons de Trogen offrent un grand nombre
de promenades intéressantes. De toutes les collines voisines on découvre des points
de vue étendus; les bains de Tobel sont situés dans une gorge de la Goldach. Non
loin de Trogen est le grand et industrieux village de Speicher, avec une belle église
de 1808; il est dominé par la hauteur de Vôgelisegg (2960 pieds), d'où l'on voit
toutes les montagnes d'Appenzell, celles du Vorariberg, le lac de Constance, la Thur-
govie ; c'est sur la pente septentrionale de cette montagne que les Appenzellois rem-
iwrtèrent la première victoire qui assura leur liberté. Dans le voisinage est la gorge
romantique de Lôchlimilhle (Moulin du trou). Plus à l'est s'élève le Kayen (3420),
qui offre la même vue que la Vôgelisegg. Plus loin se trouve le village de Heiden,
qui fut incendié le 1*' septembre 1838; c'était un village vraiment magnifique,
pouvant supporter la comparaison avec les plus beaux endroits du canton de Berne ;
la vue qu'il commande est aussi très-remarquable. Un peu plus bas que Heiden est
le village de Wolfhaldm (Pente des loups), devenu célèbre par deux victoires rem-
portées par les montagnards sur les Autrichiens et sur les troupes de l'abbé.
GiEBRis, Gaïs, le Stoss. — Au sud de Trogen s'élève le mont Gœbris (3886), dont
la sommité arrondie est couverte Ae§ plus riches pâturages ; l'ascension en est très-
facile et le panorama d'une grande étendue. Au sud du Gsebris est le beau village de
Gais, renommé pour ses cures de petit-lait, et qui compte 2480 habitants ; il est à
3810 pieds. Il possède un séminaire, un institut de filles, une maison d'orphelins,
II, SI. 42
330 LA snssE ptntmRSQiîE.
une caisse d'épargne, une société de lecture, des moulins curieux, et quatre
sources minérales. La route de Saint-Gall à Altslœtten passe à Gais; elle sort
du canton d^Appenzell par le passage du Sloss; près du hameau de ce nom, sur
le point culminant, on a élevé une petite chapelle en souvenir de la victoire du 15
juin 1405 ^ La vue de ce point est très-belle. Entre Gais et Saint-Gall on trouve
les villages de Bûhler et de Teufcn, florissants par leur industrie; près du premier, le
Hothbacli fait de romantiques cascades ; le second possède une maison de pauvres,
une maison d'orphelins, et une grande et belle église, b&tie en 1777 par Tardiitectt'
Grubemann, natir de Teuren. Il est entouré de jolies maisons de campagne.
II£;RisAr. — Vjc bourg est le second chef-lieu des Rhodes Extérieures. Il a une
assez belle église, restaurée en 178& ; une tour carrée, qui remonte probablement
au 7* sièi*le, et où Ton conserve les archives du pays; elle porte une cloche de 170
quintaux ; un hdtel-de-ville, de 1827, et de belles fabriques; c'est Tendroit le plus
|)opulcu\ (8387 habitants) et en même tem|)s le plus commerçant et le plus indus-
trieux du canton; on y compte un grand nombre de fabricants et de négociants. On
trouve pour la première fois le nom de llérisau (Herineshowa) dans un document de
857, à l'occasion de rechange d'une propriété. C'est en 1637 que Hérisau obtint
d'être considéré comme deuxième chef-lieu des Rhodes-Extérieures, et de faire
prendre dans les communes de la rive gauche de la Sitter un nombre de fonction-
naires égal à ceux choisis sur la rive droite. On jouit de vues charmantes sur i&
collines voisines, couronnées des ruines des châteaux de Rosenberg et de Rosenbonrg;
près de ces dernières on célèbre des jeux gymnastiques dans la belle saison. Au pied
du Rosenberg est un joli vallon, où un riche manufacturier, Henri Steiger, a fondé,
en 1824, un établissement de bains, Heinrichsbad (Bains de Henri), qui est un des
plus élégants de toute la Suisse. Le bâtiment a plus de 200 pieds de longueur, et
contient une salle à manger de 190 pieds, des salles de lecture et de danse, etc. ;
les environs ofTrent de jolies promenades. Les eaux sont ferrugineuses ; ellfô sont
efficaces dans le^ maladies nerveuses chroniques, les maladies de la peau, etc. La
route de Saint-Gall au Toggenbourg passe par Hérisau ; deux chemins partant de
Hérisau et de Saint-Gall remontent la vallée de rUrnâsch, remarquable par ses gorges
profondes, et se joignent près du village de ce nom, dont la position est agréable.
Un sentier conduit de là dans le Haut-Toggenbourg ; il passe près de la cascade de
Leuenfall et d'une grotte remplie de stalactites, et non loin des beaux pâturages de
la Schwagalp, que domine le Siintis. Près des chalets de la Schwâgalp se trouvent
plusieurs fissures, d'où s'échappent constamment des courants d'air, qui sont un in-
dice de beau temps s'ils sont forts et froids. On célèbre à Urnftsch, au mois d'août,
une fête pastorale qui y attire beaucoup de monde.
1. La chapelle, qui est catholique, a élé respectée quoiqu'elle soit maioteuanlsur un territoire
protestant. Les habitants des Rhodes-Intérieures y viennent en procession au iô mai. Quant à
ceux des Rhodes-Extérieures, ils se rendent à des époques irrégulléres tantôt an Stoss, tantôt à
la Yôgelisegg ou à la Wolfhalden, pour y entendre des prédicaUons.
CANTON DE SAINT-GALL.
.•^"»*»îP>*>c^ï':c^<^54i
Situation, Etendue, Climat. — Le canton de Saint-Gall est borné au nord par le
lac de Constance et le canton de Thurgovie, à Touest par ceux de Zurich, de Schwytz
et de Claris, au sud par celui des Grisons, à Test par le Rhin, qui le sépare de la
principauté de Lichlenstein et de la province autrichienne du Vorarlberg. Il enclave
complètement le territoire appenzellois. Sa superficie est de 87 lieues ^|^Q, et sa po-
pulation de 469,625 habitants, soit de 4928 par lieue carrée. Sa longueur est de
45 à 46 lieues, sur 44 à 42 de largeur. Le climat varie considérablement, suivant
les localités. La partie septentrionale, riveraine du lac de Constance, ainsi que les
districts voisins du Rhin et de la Linth, ont un climat tempéré, mais non partout
salubre; le Haut-Toggenbourg et une grande partie du district de Sargans ont un
climat plus rigoureux. Il en est de même de la ville et de la vallée de Saint-Gall,
qui sont élevées de 800 pieds au-dessus du lac de Constance.
Montagnes, Vallées, Rivières. — La principale chaîne de montagnes comprise
sur le territoire saint-gallois commence au Hômli (3098), à la frontière de Thur-
govie et de Zurich ; elle suit la rive gauche de la Thour, et se termine au bord du
Rhin près de Sargans ; cette chaîne s'abaisse au-dessus d'Utznach et forme le col peu
élevé de Hûmmelwald, où passe la grande route de Rapperschwyl à Saint-Gall. Ses
plus hautes sommités sont le Speer (6020) ; les sept pics des Kuhfirstm (Pics des
vaches, 6200 à 7400), qui dominent le lac de Wallenstadt du côté du nord (les
Kuhfirsten s'appellent aussi les Kurfûrsten ou les Sieben Kurfûrsten, c'est-à-dire les
Sept Princes-Electeurs); le Balfries (7450), à l'est de Wallenstadt; le Sichelkanm
(6280) ; VAlvier (7274). Une autre chaîne, partant des bords du lac de Wallenstadt,
sépare le canton de Saint-Gall de ceux de Claris et des Grisons. Ses principaux
sommets sont le Spitztneilen (7740), le Risetengrat (6750), qui confinent à Claris;
le Ringelkopfou Ringelspitz (9730 à 40,002), le Galanda (8650), sur la frontière
332 LA SUISSE PirrORESQUE.
des Grisons. La chaîne se lermine par la sommité du Tabor, au-dessus de P&efiers.
A cette chaîne se rattachent quelques petites ramifications qui sillonnent le ter-
ritoire de Sargans; la plus haute est celle des Grauhœnier (Cimes grises), 8760,
où Ton trouve plusieurs petits glaciers. Enfin, la chaîne du Sftntis, de rAltmannel
du Kamor, dont nous avons parlé dans l'article Apitenzell, confine au canton de
St.-Gall du cdté du sud et de Test. Du Sântis part une chaîne qui suit la rive
droite de la Thour, puis s'abaisse peu à peu, et se réduit au nord du Toggenbourg
aux proportions de simples collines. Entre St.-Gall et Bischofzell se relève la som>
mité isolée du Tannenberg (Mont des Sapins), 3720; à Test de St.-Gall, le mont
Freudenberg atteint 2724 pieds.
Les principales vallées du canton sont : celle du Rhin ou Rheinthal, dont la rive
gauche seule appartient à la Suisse, et l'autre à la principauté de Licbtenstein et à
l'Autriche. Le fleuve y cause souvent de grandes inondations, qui rendent ses rives
malsaines en quelques localités ; l'Assemblée fédérale a accordé à St.-Gall une allo-
cation destinée à l'aider dans les travaux nécessaires pour prévenir de pareils dés-
astres. — La vallée de la Thour, qui commence au sud du Sântis près de Wildihaus,
et se prolonge jusqu'à Bischofzell. La contrée que traverse cette rivière porte le nom
de Toggenbourg, La Thour reçoit plusieurs torrents, dont les plus considérables sont
le Necker, qui a sa source à la frontière d'Appenzell, non loin du Saentis; la GkAi,
qui vient de Hérisau, et la SiUern, qui sort des Alpes appenzelloises, traverse le
district de St.-Gall, et se joint à la Thour, près de BischofiEell. — La vallée de Sar-
gam, arrosée par la Saar, qui a sa source sur les Grauhœrner et qui se verse dans
le Rhin, et par le torrent plus considérable de la Seez, qui prend sa source à la fron-
tière de Glaris, au fond du vallon latéral de Weisstannen (ou des Blancs Sapins). Le
lac de Wallenstadt, où se jette la Seez, occupe le prolongemçjit de cette longue
vallée, qui débouche à l'ouest dans celle de la Linth. La rive droite de la vallée de
la Unth, entre le lac de Wallenstadt et celui de Zurich, appartient aussi au canton
de St.-Gall. — La vallée de la Tamina, dont la partie supérieure porte le nom de
KalfeuserthaL La Tamina sort du glacier de Sardona, aux confins de Glaris et des
Grisons ; elle coule ensuite dans la fameuse gorge de Pfœfiers, et se jette dans le
Rhin au-dessous de Ragatz. — On peut nommer encore les petites rivières de la
Goldach et de la Steitiach, qui versent leurs eaux dans le lac de Constance, entre
Rorschach et Arbon. — Le pays renferme peu de plaines; on n'en trouve que sur
les bords du Rhin et de la Linth, dans la vallée de Sargans, et vers la frontière
septentrionale du canton.
Lacs et Cascades. — Le canton possède les rives du lac de Constance entre Arbon
et l'embouchure du Rhin, ainsi que la partie des rives du lac de Zurich comprise
entre Rapperschwyl et l'embouchure de la Linth. La rive septentrionale et plus de
la moitié de la rive méridionale du lac de Wallenstadt ou Wallefisee lui appartiennent
aussi. Ce lac a quatre lieues de longueur, sur trois quarts de lieue de largeur; sa
profondeur est de 4 à BOO pieds ; une grande partie de ses rives est bordée de rocs à
pic, et il est sujet à de violentes tempêtes ; aussi, la navigation y est-elle dangereuse;
on n'y trouve des rades sûres qu'à Wallenstadt, à Wesen et à Mûhlihorn, sur la
côte sud. Le plus dangereux des vents est celui du nord, qu'on appelle le Bœiiliser»
et qui descend par-dessus de hautes montagnes, et vient frapper violemment les
LA SUISSE PITTORESQUE. 333
rochers situés au sud du lac, lesquels le repoussent contre les eaux, où il élève
d'énormes vagues. Ce lac se trouve sur une voie de communication très-fréquentée
entre le nord de la Suisse et les Grisons. Un petit bateau à vapeur, le Dauphin, qui
faisait le service de la poste, a sombré pendant une nuit orageusfe, en novembre 1851 ,
non loin de Wallenstadt, et tout Téquipage a péri, au nombre de 17 personnes, pas-
sagers compris. 11 y a encore divers lacs de montagne, tels que les trois petits lacs
de Murg, dans un vallon très-pittoresque, voisin de la frontière glaronnaise ; le plus
bas des trois est entouré de rochers et de forêts, et au milieu s*élève une île égale-
ment plantée d'arbres ; les deux autres sont couverts de glace jusqu'en juillet, ce
qui ne les empêche pas d'être remplis de truites ; les trois lacs de Gurel, au-dessus
de Muls, et à peu de distance des précédents ; les deux lacs de Schwœndi, près de
Wildhaus, dans le Haut-Toggenbourg, et les Wildsee (ou Lacs sauvages), sur les
Grauhœrner. — On voit dans le canton plusieurs belles cascades ; les plus remar-
quables sont celles du Baierbach et du Serenbach, au nord du lac de Wallenstadt, et
celle que la Saar, torrent qui descend des Grauhœrner, forme près de Vilters. 11 y a
aussi une belle chute d'eau près des petits lacs de Murg, et d'autres dans le vallon
de Weisstannen.
Bains et Sources minérales. — St.-Gall possède plusieurs sources minérales. A
Kobelwies, dans le Rheinthal, on trouve une source thermale qui a une forte odeur
de soufre ; elle sort d'ui)e caverne voisine, et alimente une quarantaine de bains ;
on l'emploie surtout contre les fièvres intermittentes causées par les marais du Rhin.
Plus au nord, à Thaï près Rheineck, à Sainte-Marguerite, et près d'ÂlstSBtten, il y a
d'autres établissements d'eau minérale. Sargans, ainsi que Gempeln, près Gambs,
ont aussi des sources semblables. Mogelsberg, dans le Toggenbourg, a une source
alcaline terreuse. Balgach a des eaux ferrugineuses et sulfureuses, efScaces contre
les éruptions de la peau. Les eaux du Riedbad, dans le vallon d'Ennetbûhl (Haut-
Toggenbourg), sont de la même nature; elles sont employées intérieurement et
extérieurement. Toutes ces eaux sont principalement fréquentées par les indigènes;
mais les bains les plus célèbres du canton sont ceux de Ragalz et de Pfœffers, ali-
mentés par une même source abondante, qui jaillit dans la gorge extrêmement sau-
vage de Pfœffers, que nous décrirons plus bas. On l'emploie pour guérir un grand
nombre de maux, particulièrement les maladies chroniques, les engorgements, l'af-
faiblissement de l'estomac, l'altération des humeurs, etc.
Histoire naturelle. — Règne animal. Les ours, qui étaient nombreux jadis dans
les forêts du pays, ont presque complètement disparu, ainsi que les loups et autres
animaux malfaisants. Les montagnes voisines du lac de Wallenstadt sont encore la
retraite des vautours de la plus grande espèce et des aigles ; ces oiseaux redoutables
descendent quelquefois en hiver jusqu'au village d'Âmmon, pour y chercher leur
pâture: on en a vu un enlever un très-gros chien. On chasse sur les lacs plusieurs
espèces de canards ; les bécasses sont communes dans les grands marais au printemps
et en automne. (Nous parlerons à l'article Thurgovie des poissons du lac de Con-
stance.) Les lacs et les rivières du canton abondent en poissons; on pêche surtout
dans le lac de Wallenstadt une quantité de saumons; ces poissons remontent par la
Seez jusque dans la vallée de Weisstannen ; on en prend de 30 à 40 livres. — Les bêtes
à cornes sont en nombre considérable dans le canton ; l'on compte près de 30,000
33& LA SU1S8K PITTOBESQUE.
vaches el 4 à SOOO bœufs ; les vaches du district de Sargans sont petites ; ceUesda Haut-
Toggeabourg ressemblent à celles d'Appenzell. Il y a aussi environ 4^,000 chèvres,
et 9000 moutons; ces derniers se trouvent surtout dans le district de Saiigans:
chaque année, au printemps, on achète dans les Grisons beaucoup de troupeaux de
moutons, et on les revend en automne. On entretient à St.-Gall un grand troupeau
de chèvre]^, dont on emploie le lait pour guérir les maladies de poitrine, qui sont
Tréquentes dans cette ville. On élève beaucoup de chevaux dans le districl de Sar-
gans, mais la race en est petite. Enfin, quelques communes des districts de Sai^gans
et du Rheinlhal, ainsi que de la vallée grisonne du Prœttigau, élèvent des escaigots
et en font commerce. Les catholiques les achètent en hiver comme nourriture maigre.
D*après les relevés des douanes, ces escargots s'exportent par quintaux.
Règne végétal. Un pays qui touche d*un côté à la région des glaciers, et qui s'étend
de l'autre jusqu'au bord du lac de Constance, doit présenter de grandes différences
dans sa végétation. Les districts montagneux possèdent des pâturages étendus ; ceux
d'Utznach et de Sargans ont en outre de vastes forêts ; ce sont les pins et sapins qui y
dominent; on y trouve aussi des mélèzes et des hêtres. Mais, dans plu»eurs autres
districts, les forêts n'ont pas été ménagées avec prudence, et le bois est rare. La
vigne se cultive avec succès dans le Rheinthal et le district de Sargans; on voit de
grandes plantations d'arbres fruitiers dans le Rheinthal et le district de Rorschach.
Le maïs prospère sur les bords du Rhin et de la Linth ; le lin et le chanvre, dans le
Toggenbourg; les céréales et les pommes de terre, dans diverses parties du pays. —
On trouve sur les montagnes du canton une grande variété de plantes alpines ; les
plus renommées sous ce rapport sont les montagnes de la vallée de la Tamina,
entre autres les alpes de Valenz, le Monte-Luna, le Galanda, et les montagnes de
Kalfeusen. Les bois qui bordent la gorge de la Tamina et quelques lieux des envi-
rons du lac de Wallenstadt, tels que Quinten, sont aussi intéressants à visiter pour
le botaniste.
Régne minéral. Les hautes montagnes de la partie méridionale du pays sont com-
|K)sées de pierre calcaire et de schistes argileux. Dans la vallée de la Tamina, surtout
sur la rive gauche, les couches calcaires et schisteuses alternent entre elles, et cette
disposition se retrouve jusqu'aux Grauhœrner ; les schistes sont noirs et mélangés
de noeuds de quartz et de spath calcaire. Sur le Galanda, la pierre calcaire est jaune.
On trouve du sel gemme sur le Monte-Luna. Vers le nord, les montagnes sont for-
mées de grès et de brèche. On exploite d'excellentes carrières de grès dans le Rhein-
thal et près de St.-Gall; celles-ci renferment divei*s coquillages marins pétrifiés. Non
loin des bains de Kobelwies se trouvent, sur la pente du Kamor, de fameuses cavernes,
connues sous le nom de Grottes de cristal. La première salle ne communique avec la
seconde que par un passage très-bas, d'une longueur d'environ vingt pas, où il fout
ramper avec de la lumière. Celte grotte intérieure a 8 à 10 pieds de longueur et de
largeur, sur 16 à 20 de hauteur. Ses parois sont revêtues d'une espèce de spath cal-
caire hexaèdre, que l'on nomme cristal d'Islande, et recouvertes en quelques en-
droits d'une couche d'argile jaunâtre. Partout où il n'est pas terni, ce cristal pro-
duit le plus bel effet à la clarté des flambeaux ; il est blanc ou gris foncé, et à moitié
transparent ; en le faisant calciner, on obtient une chaux en poudre blanche d'une
grande finesse, et très-propre pour les ouvrages de sculpture. Il existe encore une
LA SUISSE PITTORESQUE. 33S
troisième caverne, qui est, dit-on, plus spacieuse; mais rentrée est devenue si étroite,
qu'il n'eBl plus possible d*y pénétrer. — On a exploité autrefois des mines de fer dans
la montagne de Gonzen, à deux lieues de Sargans ; on les a abandonnées^ à la fin du
dernier siècle. A Oberkirch, dans le district d'Utznach, on exploite une belle mine
de charbon de pierre, dont le produit se vend à Zurich ; les bancs de cette mine ont
trois à quatre pieds d'épaisseur ; on y trouve des troncs d'arbres pétrifiés et très-bien
conservés. Tout le long de la vallée de la Tamina est répandue une grande quantité
de blocs de granit et de gneiss, parmi lesquels il y en a d'énormes. On en rencontre
même à une hauteur considérable sur les flancs des montagnes. Cette masse de débris
n'a pu être amenée dans c-ette vallée que par une épouvantable débâcle, dont les
courants, sortant des montagnes primitives de la Rhélie, pénétrèrent par l'échancrure
profonde que présente le col du Kunkelsberg, à l'ouest du Galanda. Le Schollenberg,
montagne calcaire au-dessus de Sargans, a dû jadis ne former qu'une seule masse
avec la montagne de Flfesch et la chaîne du Rhœtikon, qui s'élèvent de l'autre côté
du Rhin ; le défilé par lequel ce fleuve s'est ouvert un passage vers le nord, au lieu
de se diriger vers lelae de Wallenstadt, n'a pu résulter que d'une violente révolution.
Antiquités. — On trouve peu d'antiquités romaines dans le canton ; cependant, il
a dû être conquis par les Romains en même temps que la Rhétie. Une voie romaine
a dû suivre les bords du lac de Constance d'Arbon à Bregenz ; il ne parait pas qu'on
en ait reconnu des traces. Des monnaies et d'autres antiquités, trouvées près de
Rapperschwyl, attestent l'existence de quelque établissement romain dans ce lieu.
L'église de Jonen, près de Rapperschwyl, renferme, enchâssés dans un de ses murs,
un autel romain et une inscription. Cette église, qui est très-antique, est placée sur
une haute colline, qui doit avoir porté un temple païen. Il est probable que les Ro-
mains ont pénétré de ce côté dans la Rhétie ; aussi fait-on dériver le nom du pays
de Gaster de Castra ou Castra rfuFtica^, camp, ou camp rhétien; ceux des villages de
Terzm, Qwirten, Oam(m, si tués sur les bords du lac de Wallenstadt, de Tertia, Qaarta,
Quhita: Troisième, Quatrième, Cinquième, qui indiquent probablement autant de sta-
tions de cohortes. On suppose aussi que le nom du hameau de Prœmsch vient de
Prima, et le nom de Gunzen de Secunda, ce qui est un peu moins certain. Dans la
partie méridionale, les contrées de Werdenberg et de Sargans, on trouve des traces
évidentes de son ancienne réunion avec la Rhétie. Un grand nombre de désignations
de lieux (on en compte, dit-on, quelques centaines), n'appartiennent point à la
langue germanique, mais à la langue romanche; tels sont Montfort, Monte-Luna,
Motit-Palun, Mont-Masix, Valem, Flums, Malans (au nord de S'drgam), Médians,
Valasca, Bertschis, Tamina, Sardona, etc. etc. Quand l'Helvélie fut envahie par les
hordes germaniques, le lac de Wallenstadt servit de limite entre les deux races; les
Germains appelèrent les Rhétiens Walches ou Wœlsches^, et le lac Walchensee. Le
1. Gaster dérive sans doute de centra; mais nous ignorons si le nom de Castra rhœtica fut
donné réellement à une localilé du pays de Gaster; il serait singulier que les Romains eussent
donné le nom de camp rhitien à un camp occupé par des troupes destinées à combattre les
RhéUens.
2. On sait qu'encore aujourd'hui les Suisses allemands désignent par le nom de Welsches tous
ceux qui parlent français, italien ou romanche. On ne peut pas voyager en Suisse sans en-
tendre dire quelquefois: t kann nit idcp/sc/i, je ne sais pas parler le waeiscb. Ce nom de Wœlsch
ou anctenoement Walch parait être le môme que celui des Walliser ou Walser sous lequel une
336 « LA srissB pittoresole.
bourg qui existait à peu près sur remplacement de Wallenstadt reçut le nom de
Walrhenxtaad, Rivage des Walrhex ou Rhétiem (dans les documents, WalahaStade).
Les Rhétiens eux-mêmes appelèrent ce lieu la Riva, et le lac, lac Rivaun. Sargans
s'appelait Stirngnunis, Il n'y a guère que huit siècles que le romanche a cessé d*étre
|»arlé dans le pays; mais le dialecte allemand, qu'on y parle actuellement, a coi^ervé
quelques particularilés de la langue rhétienne, telles que de fréquentes terminaisons
en oHu; ainsi. Ton dit yaziotin, Religioùn, pour Nazim, Religion; Moân, SoAn, pour
Mofid, lune, Sohn, fils. On peut citer aussi comme une singularité de ce dialecte
(laquelle doit paraître assez bizarre à des Allemands), l'emploi de Y s pour désigner
les génitifs pluriels et le génitif singulier des substantifs féminins.
Histoire. — Nous avons déjà dit, à l'occasion d'Appenzell, qu'à Tépoque de la
grande migration des Heivé tiens vers les Gaules, les Rhétiens avaient envahi une
partie de la Suisse orientale (comprenant les territoires actuels d'Appenzell, de
St.-Gall, et partie de la Thurgovie). Nous avons parlé des dominations successives
qui se succédèrent ensuite dans le pays : celle des Allemanis, celle des Francs, celle
des ducs de Souabe ou d'Allemanie, et celle des comtes de Thui^ovie. Nous avoi»
mentionné aussi plus d*une fois l'abbaye et les abbés de St.-Gall, à l'occasion de leurs
différends avec Appenzell et les autres contrées voisines. Cette abbaye fut fondée à
la fin du 7' siècle, sous les auspices de Pépin de lléristal, maire du palais en France;
on lui donna le nom du missionnaire irlandais Saint-Gall, qui avait bâti un ermitage
sur les bords de la Steinach, et qui était mort à Arbon vers l'an 640. Le premier
abbé, nommé Othmeyer, établit dans le monastère, une école, qui grandit bientôt en
renommée, et où se conservèrent pendant trois siècles les connaissances qui dispa-
raissaient du resle de l'Europe; les religieux attiraient des artistes dans leur couvent,
et achetaient les chefs-d'œuvre des arts de l'Italie et de l'Orient ; ils cultivaient les
mathématiques, la musique et la poésie, et s'appliquaient à copier les livres avec
beaucoup d'élégance. Ils écrivirent des annales, qui ont contribué à faire connaître
l'histoire du moyen-àge. Ils fondirent une bibliothèque, qui devint en peu de temps
une des plus considérables de l'Europe; c'est des précieux manuscrits de cette biblio-
thèque qu'on a tiré ce qui nous reste des ouvrages de Quintilien, de Pétrone, de Silius
Italiens, de Valérius Flaccus, d'Ammien Marcellin, etc., divers traités de Cicéron, et
des poésies allemandes des 10*, 1 1*, 12" et 13' siècles, recueillies par Maness. (Voyez
Zurich.) Les fils des rois et des empereurs venaient faire leurs études dans le mo-
nastère de St.-Gall, où ils trouvaient parmi les religieux les savants de cette époque.
C'est de cette abbaye que le goût et la connaissance des langues grecque et latine se
répandirent en France et en Allemagne. Au commencement du 11* siècle, elle four-
nissait encore d'habiles professeurs à ces deux pays. Mais, depuis lors, la plupart des
abbés furent des chevaliers et des seigneurs arrogants, et les sciences abandonnèrent
cet asile, pour faire place au génie de la guerre et des conquêtes.
C'est vers l'an 1047, que l'abbé Norlbert donna le premier exemple d'une guerre
contre l'évêque de Constance, Rumold. Plus tard, de 1075 à 1093, l'abbé Ulrich
d'Eppenstein guerroya, avec des vicissitudes diverses, contre les seigneurs du voisi-
partie des Rhétiens ont é(é aussi désignés par les AUemands, celui des WàUi$er ou YaUaisaDS,
celui des Wallonâ en Belgique, et celui du pays de Wale» (prononces WouétMe) ou pajs de GaUes
en Angleterre. Dans une parUe de la Suisse, todlen signifie parler tintf langue non compriie.
LA SUISSE PITTOItESQUE. 337
nage, en particulier contre les comtes de Toggenbourg, qu'il défit à trois reprises;
il conquit Bregenz, Kybourg, Ittingen, Reichenau, etc. Il embrassa le parti de l'em-
pereur Henri IV pendant sa proscription, résista au duc de Souabe, à tous les princes
et à tous les prélats dont il était entouré ; il fut excommunié lui-même et persécuté
jusque dans son couvent; mais il ne perdit point courage, n'abandonna pas l'empe-
reur, et ne voulut jamais demander la paix à ses ennemis. L'an 1204, Tabbé Ulrich,
baron de Hohen-Sax, reçut de l'empereur Philippe le titre de prince d'empire, titre
que ses successeurs ont toujours porté; en 1208, la guerre se ralluma entre l'abbaye
de St.-Gall et l'évéché de Constance; l'abbé éprouva un sanglant échec. De 1228 à
1236, l'abbé Conrad de Bussnang prit pour but de ses agressions les domaines du
comte de Toggenbourg, qui, de son côté, incendia plusieurs villages appenzellois.
Son successeur, Berthold de Falkenstein, recommença la lutte avec l'évéque de
Constance, et le pays eut cruellement à souffrir des invasions de ce dernier. Mais il
serait trop long de parcourir en détail toute la série de ces hostilités, qui étaient
une source toujours nouvelle d'oppression et de misère pour les malheureux habi-
tants. Ce fut déjà vers la fin du 13** siècle et pendant le 14% que quelques villes
et bourgs du voisinage songèrent à former une alliance défensive ; mais ce ne fut
qu'en 1400 que se constitua, d'une manière formidable, la ligue appenzelloise, dont
la ville de St.-Gall elle-même fit partie. En 1402, quelques actes d'oppression firent
éclater un soulèvement; les baillis du prince-abbé furent expulsés, ses châteaux
détruits, et lui-même fut forcé de se réfugier à Wyl. Alors commença une lutte
glorieuse pour la ligue; les satellites de l'abbé et les troupes auxiliaires envoyées
par les villes impériales et par l'Autriche, éprouvèrent plusieurs humiliantes défaites
de la part des montagnards; labbé vit même tous ses domaines envahis maintes fois
par ses belliqueux voisins, qui, ne se bornant pas à se soustraire à son autorité
temporelle, ne tinrent aucun compte de l'interdit rigoureux qu'il lança sur leur
pays en 1426.
Les collisions entre l'abbé et les Appenzellois ne cessèrent que lorsque l'indépen-
dance de ceux-ci fut complètement assurée par leur admission comme canton dans
la ligue helvétique. L'abbaye elle-même avait contracté une alliance avec trois ou
quatre cantons. Il restait encore à l'abbé des possessions étendues, qu'il avait acquises
à divers titres : le pays de Rorschach, une partie du Rheinthal et du Toggenbourg, etc. ,
et même quelques seigneuries situées en Souabe et dans le comté de Bregenz. On
y comptait environ 100,000 habitants. Au moment de la Réforme, une grande
partie des sujets de l'abbé s'insurgèrent et expulsèrent les moines; mais en 1532 ils
furent remis sous le joug, et les religieux rentrèrent dans l'abbaye. Des troubles
eurent encore lieu à différentes époques ; et au commencement du 18*" siècle, le
Toggenbourg fut le théâtre d'une insurrection générale. Cet événement entraîna une
guerre civile, qui, |)endant plusieurs années, agita toute la Suisse. Un soulèvement
éclata de nouveau en 1795, et l'abbé Beda Angern accorda alors des privilèges im-
portants à ses sujets ; mais les moines signèrent â son insu un acte secret, par lequel
ils s'engageaient à ressaisir, dès qu'ils le pourraient, leurs anciens droits. En 1798,
l'abbaye fut dépouillée de tous ses droits de souveraineté, et en 1808 l'obstination
de l'abbé Pancrace Vorster, qui est mort en 1829 dans l'abbaye de Mûri, força le
gouvernement â la supprimer.
n.M 43
338 LA sussK nTTUResQte.
Quant à la ville de Sl.-Gall, elle sYlail formée suci'essivemenl autour de Tabbavo.
et avait été entourée de murailles en 9S3. Ses habitants se rachetèrent de la seni
lude des moines, et obtinrent diverses Tranchises des empereurs d'Allemagne; il>
luttèrent fréquemment contre les abbés, et firent même pendant quelques année*
partie de la ligue, à la tète de laquelle figuraient les montagnards d'Appenzell. En
1&54, la ville s*allia avec six cantons (Zurich, Berne, Lucerne, Unterwald, Zug,
(flaris), et reçut le titre d'alliée des Suisses, et le droit d'envoyer aux Diètes un
député. Dès 1567, une haute muraille sépara la ville de l'abbaye; mais ce ne fui
qu*à la fin du 47^ siècle que son indépendance civile et politique fut assurée par un
traité. En 1798, elle devint cheMieu du canton du Saentis, et en 1803 celui du
canton qui |K)rte son nom.
Outre Tancien territoire de l'évéché et celui de la ville, le canton de St.-Gall coin
prend le comté de Toggenbourg, les bailliages de Hheinihal, de Sax, de Wcrdenberg et
.Gaml)s, de Gaster, de Sargans et d'Utznach, la ville et le territoire de Rappersehwyl.
Le Toggenbourg eut pendant plusieurs siècles s(*s comtes particuliers. Le comte Fré
déric, qui mourut en i&36, intestat et sans enfants, |)ossédait en outre les seigneu-
ries de Sargans et d'Utznach, la Marche, etc. Cette succession fut l'occasion d'um*
guerre qui dura plusieurs années, et dans laquelle on vit pour la première fois les
Confédérés se combattre entre eux. Pendant ce temps, les Toggenbourgeois s'étaient
réunis en Landsgemeinde, afin de se donner un gouvernement, et avaient contraclo
un traité de combourgeoisie avec Schwytz et Claris; mais leur pays échut en partage
à Pétermann de Raron, dernier rejeton de Tune des plus puissantes familles du Val-
lais, lequel, n'ayant pas d'enfants, le vendit en 1469 à Ulrich Rœsch, abbé de
St.-Gall, moyennant 145,000 florins, sous la réserve des franchises dont jouissaient
les habitants. Plus tard, le^ abbés cherchèrent |)eu à peu à reprendre ces franchises,
surtout après que le pays se fut déclaré pour la foi réformée; l'un d'eux traita même
ses sujets comme des serfs, et persécuta les protestants, qui étaient en majorité. Poussés
à bout, les Toggenbourgeois chassèrent les gouverneurs et les soldats de l'abbé, et
lui déclarèrent la guerre ; Zurich et Berne se joignirent à eux; Lucerne et les Petits
Cantons envoyèrent des secours à l'abbé; alors eut lieu la guerre connue sous le
nom de Toggenbourg, et qui se termina en 171*2 par la victoire de Willmeigeu,
remportée par les protestants. Les Toggenbourgeois rentrèrent sous la domination
(les abbés, mais avec des droits plus étendus qu'auparavant, et sous la protection de
Zurich et de Berne. — Le Rheinthal était dans le 13*^ siècle gouverné par les comtes
(le Werdenberg, qui le cédèrent à l'Autriche en 1396 ; les Âppenzellois le possédèrent
momentanément, à deux reprises, api*ès l'avoir conquis en 1405, puis en 1460:
enfin, dès l'an 1500, ce pays a appartenu aux cantons de Zurich, Lucerne, S(*hwytz,
Claris, Uri, Unterwald, Zug et Appenzell, auxquels on joignit Berne en 1712. Quant
aux habitants de Werdenberg, après avoir appartenu aux seigneurs dont le château
domine leur ville, ils furent forcés de se soumettre à la domination de Claris, qui
les gouverna par des baillis, et qui parvint toujours à réprimer leurs révoltes. Le
pays de Sargans appartint successivement aux comtes de Werdenberg, à ceux du
Toggenbourg et à T Autriche ; il fut conquis par les Suisses au milieu du 15* siècle.
En 1798, les districts de Werdenberg et de Sargans furent incorporés au canton de
de la Linth, et en 1803 à celui de St.-Gall.
LA si'isse pnTOftes<H'E.
La Conslilution qui a régi St.-Gall jusqu'en 1830 était libérale, sî on la cc^n.fùrv
à celles qui furent en vigueur sous la Restauration dans plusieurs cantiHts an>U*-
craliques; TensemMe du peuple avail une grande part à l'élection de ses repiv^^n-
tants, et les renouvellements étaient fréquents: eependanl, après la révuiutî*:»n dr
1830, le Grand GMiseil, à la demande du peuple, décréta, le li décembre, la ixmvti
ration d'une Assemblée constituante. Lei3 mars 1831, la nouvelle Consli tu lion fut
adoptée par il. 883 sufiirages contre 11,097. St.-Oall adhéra ensuite au concordat
(les sept cantons qui se garantissaient réciproquement leurs nouvelles Constitutions.
Plus tard, le Grand Conseil se trouva partagé en deu\ Tractions t oinservatrioe et
radicale) pariaîtement égales, tellement qu'il eut beaucoup de peine à émettre un
vote sur certaines questions importantes qui ^ discutaient à la Diète. Depuis les
f'véneroents du Sonderbund, la majorité a été ao^uiâe dans le pa\s et dans ses Con-
seils au parti radical, qui, il but le reeunnaitre, s'y est toujours cr>nduit avec plus de
modération que dans quelques autres cantons. Les dernières élections du Grand Con-
seil (en mai 185S) ont montré que la majorité appartient ener>re d'une manière
plus décidée à œ même parti. La diffi^reooe des opinions n'est point une affaire
ronfessionnelle, car dans la fraction catholique du Grand G>n5eil, prise séparément,
les deux partis se trouvent presque également représentés: il parait même quel If
renferme une majorité libérale ou anti-ultram«»nlaine. Voyez l'art-cle CuU^'^,
GoxsnTmo^ss. — D'après la Gonstituti«>n garantie en 181 i, un Gri»t*1 O0N*^tl dt*
ISO membres (84 catholiques et 66 réformé^ eien/ait le pimvoir Si»uverain. Il
était nommé en trois séries: 31 membres élaî^mt éi-i< direct^rr^ent pir les cerck>
électoraux ; 49 l'étaient par des coqis électi.»rau\ de dîMrict : le< 30 a-jlres éi.ii^il
nommés par le Grand Conseil lui-même, sur la pr*^r^iii**n d'-jn o-L-rje é'^^rfiK-rTiï «.-an
lonal. Tous les membres étaient élus pi>ur tr»î^an^. et ré^.*gi!«yr*. Le Grjrrl 0'**<ii
nommait dans son sein, pour le terme de ur-uf an*«. un Petit G r.-^.i le 9 cj^tu'i:*^.
renouvelés par tiers: il élisait tou^ ks deux art^, parmi ks fi-^fT«Lr*< i-A P-: : C^*
seil, deux lafê^nmHutMUJi. appartenant aux deux c*jri5e>4-iri*. H J u\ cî-*:--l '^€>^u »
pendant un an les deux Conseils. Le Grand Offt*>rtï éi.sait au^ ^l Ir.i*^'^. â ^f ^-
Je i3 membres, qui jugeait toutes les causes en dernier ne^KKl. F-y-./ ^::e h^r^iz.
il fallait avoir il ans accomplis, et payer 1 im^^^ d'ui^e pr^o^^é 1 kj 'zj,*.-^
iOO livres; pour être éligiUe au Grand Grfï^^riL il biUit en c.v^ a'»'.*T !» ^tz^
accomplis; et pour être éligiUe au Petit G^nseii et au Tni*..'.^ s ^V^-- V^':*^
l'impôt sur une propriété de 6000 livres. Dans -:i^^n i^ 8 i *••.-//* , } * . t : .-.
préfet nommé par le Gouverneoient. et un Tri-jw! fc i^^r^x u.KL:jk ;# •.• ^, Virrr:
Je neuf ans. Dans chacun des 4i cercles, il y avi.t lu Tri»**^ ,-.'i*ri^-r. «Xi*, ^
commune nommait pour six ans un O^nsetl c»ii.iii*^r^. o.'Ll;#^ i •:, \\ -jti, >£ >: k «
12 membres, renouvelés par tiers. Le libre exer ?#* >i^ v-.x :. j^ *:.x/ ^i*^\ *
Le parti confessionnel le plus nombre^jx k* catL ■.-; ^^ if.*.: >-. jt ,..♦•.•> wh
le Petit Conseil et dans le Tribunal d'apj^ej «j'j î>-" Mnt >*• j... ^ .-j*: i^ -^y, .^ ,
était en minorité.
La Constitution de 1831 a établi lê.**^* li ô '^r.^jç p...» ^..^ ^ | >/ a:.>-v.'r*-» •. •
Grand Conseil ; cette élection a lieu daû^ le^ *i«r'j.:.*éj» -^..v. v. .-^ir^ Lt vr t -jî Or^
seil nomme dans son sein les 7 u^mttjn^ 4u P^. î Critft^ ir.*. i »a •..• -^jt^ ^
•) protestants), et il choî^t parmi e^x •;•> U'i^t",*". |>* ••-•r-;t-,t »..i*^r*' •>
340 LA SUISSE PITTORESQUE.
sont: un Tribunal cantonal, une Cour criminelle et une Gourde cassation, dont les
membres sont nommés par le Grand Conseil. Lies fonctions de membre du Grand
Conseil durent deux ans; celles des membres du Petit Conseil, quatre ans; odles des
Tribunaux supérieui*s, six ans; celles des Tribunaux inférieurs, quatre ans; celles
des préfets de district et des autorités communales, deux ans. Les préfets et les Tri-
bunaux inférieurs sont nommés par les citoyens qui sont leurs ressortissants. La
Constitution a consacré en outre le droit de veto. Les lois votées par le Grand Conseil
ne deviennent exécutoires que 4 S jours après leur promulgation, et que dans le cas
où elles ne sont pas refusées par la majorité des citoyens pendant cet espace de
temps. — Le Grand Conseil a décidé, à la fin de juin 48S5, qu'au mois d'octobre
Ton consulterait le peuple sur la convenance de réviser la Constitution.
Cultes. — Sur les 169,808 habitants du canton, Ton en compte I0S,370 catho-
liques, 64,192 protestants, et 63 juifs. La plus grande partie des communes catho-
liques dépendirent autrefois de Tévêché de Constance, et ensuite du vicaire-général de
Munster ; le district de Sargans seul dépendait de Tévéché de Coite. Mais, depuis
1846, St.-Gall est devenu le siège d'un évéché spécial. Il existe encore dans le canton
un assez grand nombre de monastères : 3 de capucins, 3 de bénédictins, 2 de domi*
nicains, k de franciscains, 2 de religieuses de Tordre de Citeaux. Il existait autre-
fois à Schœnnis, près Wesen, un couvent de dames nobles, fondé en 801 par
Humfried, comte de Rhétie, et qui fut enrichi par les comtes de Lenzbourg. Il a été
supprimé il y a une quarantaine d'années. Nous avons déjà mentionné la suppres-
sion de la puissante abbaye de St.-Gall. Quant à celle de Pfceffers, elle a été aussi
supprimée en 1838 par un décret du gouvernement saint-gallois, et avec le con-
sentement des moines eux-mêmes, qui reçoivent une pension viagère. Cette abbaye
de bénédictins avait été fondée en 713, et dès 1196 Tabbé avait porté le titre de
prince. Les environs de Ragatz et toute la vallée de la Tamina lui avaient appar*
tenu jusqu'en 1798. — Le clergé évangélique est divisé en trois chapitres : ceux do
St.-Gall, du Toggenbourg et du Rbeinthal; ces trois chapitres forment un synode
qui s'assemble une fois chaque année à St.-Gall, sous la présidence de Faniistès, qui
est élu par le synode entre tous les membres du clergé. Les réformés ont en outre
un Consistoire composé de laïques et d'ecclésiastiques. Une t)onne intelligence régne
en générai entre les catholiques et les réformés, et dans quelques endroits une même
église sert aux deux cultes. — D'après la Constitution de 1831, les membres du
Grand Conseil se partageaient, sous le rapport confessionnel, en deux collèges, déli-
bérant séparément sur toutes les affaires qui concernaient leur culte respectif, ainsi
que leurs établissements d'instruction publique. Le Grand Conseil a adopté, en
juin 18SS, par 95 voix contre 43, une loi qui abolit les collèges confessionnels, et
qui place les ecclésiastiques des deux cultes sous la dépendance du gouvernement, et
met aussi sous sa surveillance toute l'administration des couvents, des églises, des
écoles et des fondations. Cette loi, qui a rencontré une vive opposition de la part du
clergé catholique, et dont un des principaux buts est d'arriver à une amélioration
des établissements supérieurs d'instruction publique, a été promulguée le l**" juillet,
et est devenue exécutoire depuis le 15 août, à l'expiration du terme prescrit pour
l'exercice du droit de relo. Une forte minorité s'était prononcée pour le veto.
Instruction publique. — Le gouvernement a donné une attention spéciale au
LA SUISSE PITTORESQUE. 341
perfeciionnemeDt des écoles primaires. Les petites villes du canton possèdent aussi
des écoles secondaires ou collèges, où Ton enseigne le latin, le français, la géogra-
phie, rhistoire, etc. Il existe à St.-Gall un gymnase et une école centrale catho-
liques; celle-ci compte 46 professeurs; un gymnase protestant, qui compte une di-
zaine de professeurs, et qui est une fondation particulière ; une école industrielle, etc.
On trouve aussi à St.-Gall deux bibliothèques importantes : la bibliothèque ci-devant
abbatiale, qui possède un millier de manuscrits, dont 400 étaient déjà mentionnés
dans un catalogue de Tan 823; on y remarque un manuscrit des Nibelungen, un
Virgile du 4* siècle écrit avec de beaux et grands caractères romains; les Lois
romaines, etc. Niebuhr a retrouvé dans celte précieuse bibliothèque quelques frag-
ments du poêle païen peu connu Merobaiulès. Nous avons déjà indiqué les services
rendus jadis aux lettres et aux sciences par les anciens religieux, qui s'appliquè-
rent à recueillir et à conserver les ouvrages de l'antiquité. Beaucoup de manuscrits
Furent empruntés par des évéques du concile de Constance, qui ne les ont jamais
rendus. — La bibliothèque de la bourgeoisie, qui possède les manuscrits du savant
Vadianus (outre une collection de médailles et de bustes d'hommes distingués). —
lia Société liuéraire possède aussi une bibliothèque qui contient une collection de
livres et de manuscrits relatifs à l'histoire de la Suisse et de St.-Gall.
Industrie, Commerce, Agriculture, etc. — Dans les districts septentrionaux, elpar-
ticulièrementdans les villes de St.-Gall, Rorschach, Rheineck, Altstœtten, Lichlensteg,
la population se voue essentiellement à Tindustrie et au commerce, tandis que dans
la partie méridionale les habitants s'adonnent presque exclusivement à l'agriculture
et à l'économie alpestre. Dès le 43*" siècle, St.-Gall faisait un important commerce
de toiles, qui étaient connues sous le nom de toiles de Constance. L'émigration d'un
grand nombre de fabricants, qui quittèrent Constance à l'époque du concile en 4444,
et vinrent s'établir à St.-Gall, fit de celle ville un centre d'activité, dont l'influence
s'étendait jusque dans la Souabe et dans les montagnes de Brégenz. Ces fabriques
occupaient, vers la fin du 48^ siècle, 30 à 40,000 brodeuses, réparties dans les pays
voisins du chef-lieu. Au commerce des toiles de lin a succédé celui du colon écru, des
mousselines, des toiles de coton, des broderies, des percales. Aujourd'hui, St.-Gall
a des manufactures qui peuvent rivaliser avec les plus considérables de France et
d'Angleterre. Dès le commencement du siècle, les négociants de St.-Gall y avaient
établi des machines ingénieuses de filature, à l'instar de celles qui étaient en usage
dans la Grande-Bretagne ; ces machines, au moment de l'interruption des relations
commerciales entre ce pays et le continent, ont donné un essor extraordinaire aux
fabriques et à l'industrie de St.-Gall. Cette ville est le centre de la fabrication et du
commerce des mousselines de Suisse; les broderies précieuses se font à St.-Gall
même; le prix d'une pièce de mousseline richement brodée en or et en argent
s'élève jusqu'à 60 louis, soit plus de 4400 francs. On fait aussi des tissus destinés à
recevoir des broderies, dans les pays voisins, surtout dans le canton d'Appenzell
et dans les montagnes de la Souabe et du Yorariberg. St.-Gall et Rorschach ont en
outre des blanchisseries; on file le coton dans*le Toggenbourg, dans une partie du
pays d'Utznach et du Rheinthal, et à Sargans, etc. Les produits des fabriques saint-
{^lloises s'exportent principalement en Amérique, en Turquie, en Espagne, en Italie
et en Hollande. Le commerce comprend en outre des cuirs, des besliaux, des eaux dis-
3'l2 LA SUI88B PITTORBSQCE.
tillées, etc. Les districLs de Sargans et d'Utznach exportent une quantité de bois
considérable.
Mais l'agriculture occupe aussi un grand nombre de bras dans le canton ; elle y a
Tait d'assez grands progrès. Beaucoup de gens se vouent à la fois au\ travaux agri-
(*oles et aux occupations industrielles. On trouve des vignobles dans plusieurs
districts, mais surtout dans le Rheinthal, où cetle culture a été importée dès le
40** siècle; ils produisent des vins de 1res- bonne qualité, mais qui ne se gardent pas.
IjC vin rouge qui croit sur le Buchl)crg, près de Rheineck, passe pour un des meil-
leurs de la Suisse allemande. On cultive une grande quantité d'arbres fruitiers,
surtout dans le district de Rorschach et le Rheinthal ; une bonne partie des fruits
(^t employée à faire du cidre. On voit beaucoup de cerisiers dans les districts mon-
tagneux ; leurs fruits servent h faire de Teau de cerises. La plupart des districts
produisent des céréales et des pommes de terre; le Toggenbourg produit aussi du
lin et du chanvre ; le mais prospère le long du Rhin et dans le pays de Sargans et de
(jaster. La partie montagneuse du canton possède, outre les alpages, beaucoup de
prairies; elles y sont assez bien soignées. Sur 566,000 arpents, on en compte en
viron 49^2,000 en pâturages, ou * ', ; 80,000 en forêts, ou Vg ; 45,000 en champs,
ou */,,; et 445,000 en prés et vignes, ou * ,; etc.
Hommes distinglés. Savants, etc. — Nous avons déjà mentionné combien Fabbaye
de St.-Gall s'illustra par son école dans les premiers siècles de son existeooe. Au
nombre des religieux qui se firent un nom par leur savoir, on cité en particulier
Eckard, qui fut le maître d'iledwige, duchesse de Souabe, et du fils de Tempereur
Othon I""^; Kèron, qui fut un des premiers à cultiver la langue allemande; Noiker,
dont on a conservé des prières et des hymnes qui se chantaient encore au 40^ siècle
dans les églises d'Allemagne; Salomon, natif de Bischofzell, qui fut abbé de St.-Gall
de 894 à 949, et qui fut aussi évéque de Constance. 11 composa un dictionDaire
encyclopédique qui embrassait toutes les sciences connues à cette époque; il se
distingua également comme homme d'Etat. Quelques siècles plus tard, St.-Gall
donna le jour à JiMuhim Watl ou Vadianm, homme d'un génie universel, qui a
écrit sur diverses matières de droit et de théologie, et qui coopéra à rétablissement
de la Réforme; il fut bourgmestre de St.-Gall, et mourut en 4554 ; — à Jmn Kessler,
qui fut disciple de Luther, et cultiva aussi la poésie ; à Melamhthon (ou Schtcarzerd),
qui fut, avec les précédents, un des réformateurs de St.-Gall. Wildhaus, village du
Haut-Toggenbourg, fut le berceau du principal réformateur de la Suisse allemande,
Ulrich Zwingli. Né en 4484, dans une modeste chaumière, Zwingli fut curé de
Glaris de 4506 à 4545, puis d'Einsiedlen, de 4545 à 4549. Ce fut en 4546 qu il
commença à jeter les fondements de la Réforme. Il eut de longues luttes à soutenir
contre le clergé. Il vécut longtemps à Zurich, où se tint une célèbre conférence, à
laquelle assistèrent les délégués du catholicisme et les représentants de la Réforme,
dont Zwingli était le chef. Il perdit la vie en 4534, à la bataille de Gappel, où il se
trouvait eu qualité de chapelain de Tarmée zuricoise ; son cadavre fut traité avec
barbarie par des vainqueurs fanatiques. En même temps périt Gérold Meyer, fils de
la femme de Zwingli, ainsi qu'un beau-frère et un gendre de celle-ci, La veuve du
réformateur, Anne de Reinhard, supporta une aussi grande infortune avec une rési*
ynation remarquable. J, -George Zollikofer, un des plus célèbres prédicateurs de la
LA SUISSE PITTORESQUE. 3ft3
Suisse et de rAUemagne, élail né à Sl.-Gall. Il mourut en 1788 h Leipzig, où il
était pasteur depuis bien des années ; il a laissé plusieurs volumes de sermons, et
deux volumes de Considératiom philosojéiqièes sur Vorigine du mal.
Plusieurs seigneurs du pays cultivèrent la poésie au milieu du moyen-âge; au
nombre de ces troubadours, se distinguèrent particulièrement Henri de Hohensax, et
Rodolphe de Montfort, qui naquit dans le pays de Werdenberg. Ce dernier passe pour
Tun des meilleurs poètes du 1^5^ siècle ; il est aussi Fauteur d'une chronique univer-
selle. Le Rheinthal a donné naissance au médecin Jacques Ruef, qui composa le pre-
mier, au 46^ siècle, des ouvrages dramatiques en langue allemande ; il fit représenter
la plupart de ses pièces de théâtre sur la grande place de Zurich ; elles ont été
recueillies et publiées en 1552. Nommons encore Kessler, le réformateur, et Grob,
natif de Lichtensteg, et qui s'établit dans le canton d'Appenzell. — Haltiner fut un
célèbre architecte ; W, Hartmann s'est distingué comme peintre de fleurs, et Isen-
rimj comme paysagiste et graveur. Au nombre des militaires qu'a produits le canton
de St.-Gall, on peut citer Ulrich WarnbUhler, qui commandait la bannière saint-
galloise à Grandson et à Morat; il fut élu bourgmestre en 4480, et rendit des ser-
vices importants à sa patrie; Rodolphe, comte de Werdenberg, qui fut choisi pour
chef par les Appenzellois, au commencement du 15* siècle, à l'époque de leur glo-
rieuse lutte contre l'abbé de St.-Gall et la maison d'Autriche ; Ulrich de Hohensax,
([ui combattit glorieusement à Morat.
Moeurs, Coutumes, Caractère. — Les Saint-Gallois sont en général laborieux et
actifs, et doués d'un haut degré d'intelligence. Presque tous ceux qui ont de la
fortune le doivent à un travail opiniâtre. Le goût de l'industrie et des spécula-
tions, dans le but d'acquérir des richesses, se fait bien plus remarquer parmi les
protestants que parmi les catholiques; ces derniers préfèrent ordinairement se livrer
à l'agriculture et à la vie pastorale, quand les produits du sol peuvent suffire à leur
subsistance. Malgré son ardeur au travail, la population de St.-Gall participe un
|)eu au caraclèfe vif et enjoué de ses voisins d'Appenzell. A St.-Gall et en plusieurs
autres lieux, il exista dès longtemps des confréries ou associations qui se réunis-
saient de temps en temps pour se divertir ; on se livrait A la danse, au chant, et à
une joie bruyante, qui était alimentée par des souscriptions hebdomadaires; ces
fonds cependant ne servaient pas seulement au plaisir, ils servaient aussi â aider
des confrères tombés dans le malheur. Les habitants des montagnes du Toggenbourg
sont grands amateurs de musique. Bien que la population se voue plus à l'industrie
qu'à la culture des lettres, l'instruction est assez répandue dans la ville de St.-Gall ;
la plupart des femmes y entendent et parlent le français, et leurs manières et leur
langage annoncent une bonne éducation. On cite comme un usage particulier l'ha-
bitude qu'avaient les femmes d'une partie du Rheinthal, de Riiti jusqu'à ilaard, de
se tatouer la peau en y gravant diverses figures.
Ville DE St.-Gall. — Ce chef-lieu du canton compte 11,234 habitants, dont
3102 catholiques; il est à plus de 800 pieds au-dessus du lac de Constance, ou
2080 au-dessus de la mer. Il est situé dans un vallon assez étroit, dont il occujie
toute la largeur, et qu'enferment de verdoyantes collines. Sans être précisément
régulière, la ville a de larges rues ; les maisons sont d'une propreté remar(|uable :
elle a un grand nombre de fontaines publiques jaillissantes. Ses édifices les plus
344 LA SnSSK PITTORCflQrR.
remarquables sont les suivants : L'HôteMe-Ville, situé sur la place du marché: l'an-
cien cloître Pfalz, vasie bâtiment, donl la partie la plus moderne sert mainienaot
de résidence au Gouvernement, tandis que les parties anciennes contiennent Técole
cantonale catholique, l'ancienne bibliothèque abbatiale et les archives: — la Cathé-
drale ou église ci-devant abbatiale, reconstruite en entier, en 1755, dans le style
italien; elle possè<le de belles Tresques et un orgue très-harmonieux. L'église de
St.-Laurent, restaurée d'après les plans de l'habile architecte J.-G. Mûller, mort à
Vienne en 4848; le nouvel Arsenal cantonal, près de l'église abbatiale : la nouvelle
Maison pénitentiaire, placée hors des murs, ainsi que la Maison des orphelins, un
des plus beaux bâtiments de la ville; l'Hôpital, le (^sino, etc. Nous avons déjà fait
mention des établissements d'instruction et des principales bibliothèques qui existent
h St.-Gall ; on y trouve encore une collection d'antiquités saint-galloises, qui appar-
tient à la société des marchands, et des cabinets particuliers d'histoire naturelle (de
MM. Zollikofer et Zyli; de tableaux et de gravures (de M. Gonzenbach). Il existe
aussi à St.-Gall une caisse d'épargne, une société de secours mutuels, une société
d'histoire naturelle, une société des arts, une société littéraire, une société d^éco-
nomie rurale, une société d'utilité publique, une société biblique, une société des
prédicateurs, une société musicale, etc. — Comme nous l'avons dit, St.-Gall est le
centre de la fabrication et du commerce de§ mousselines et des broderies suisse».
Les blanchisseries, les filatures, les tanneries, y occupent aussi un grand nombre
d'ouvriers ; elle a des maisons de banque et des librairies importantes et jouissant
d'une réputation méritée.
Les hauteurs des environs présentent de tous côtés de magnifiques points de vue:
nous nommerons particulièrement la montagne du Freadenhei^, qui domine la ville
du côté de l'est, et où se trouve le couvent de Notkersegg; on y découvre le lac de
Constance, la Thurgovie, les montagnes de St.-Gall et d'Âppenzell, etc. ; — la sommité
de VcBgeliseck, à une grande lieue de la ville, sur le territoire appenzellois ; elle pré-
sente à peu près la même vue ; — le mont Tanfienberg (Mont des Sapins), à 2 lieues
de la ville, à gauche de la route de Bischorzell ; le château de Dotlenwyl, à i lieue * ^,
près de la route de Constance. Près de la ville on trouve la jolie promenade de
Brùhl, et des moulins construits dans une situation très-remarquable, au milieu
d'une gorge où la Steinach forme plusieurs cascades. Sur la route de St.-Gall à
Hérisau, l'on passe la Sittern sur un très-beau pont en pierre, élevé de 80 jMeds et
long de plus 500; il a été terminé en 1810 ; on le nomme la KnBzernbrûcke.
RoRSGBACH est uû bourg de 1500 habitants, la plupart catholiques, bâti au bord
du lac de Constance, au pied d'une colline fertile. Sa position, au débouché de plu-
sieurs routes d'Allemagne et de celles du Splûgen et du Bernardin dans les Grisons,
est éminemment avantageuse (H)ur le commerce. Il s'y tient tous les jeudis un marché
de céréales, qui est le plus considérable de toute la Suisse. Le port est grand et fré-
quenté. 11 existe à Rorschach plusieurs maisons considérables d'expédition, une
douane, un magasin à sel, un vaste grenier à blé construit en 1784, des blandiis-
series, des filatures, des fabriques de mousselines, etc. Sur les hauteurs voisines, an
cloître Mariaberg, converti en maison d'éducation, au château de Ste.-Anne ou de
Rorschach, etc., on j<iuit d'une vue très-belle sur le lac et sur ses rives: il en est
de même de la route qui monte dans la direction de St.-Gall; si Ton gravit au
LA SUISSE PITTORESQUE. 34S
sommet des collines, et surtout sur le Rossbûhel (à une lieue de Rorschach), on em-
brasse un panorama bien plus étendu encore : on découvre toutes les villes rive-
raines, ainsi que les îles de Meinau et de Reichenau, les montagnes d'Âppenzell, du
Vorariberg, etc.
Rheinegr. — Si de Rorschach Ton se dirige du côté de l'est, on passe près des
châteaux de Warteck et de Wartensee, puis sous la colline de Buchberg; tous ces
points commandent des vues admirables. Plus loin. Ton arrive à Rheineck, petite
ville industrielle et commerçante, qui compte i 400 habitants, en majorité réformés ;
elle est située à environ une lieue de Tembouchure du Rhin, et dans une position
très-agréable. La pente des collines s'élève en amphithéâtre jusqu'aux alpes d'Ap-
penzell; elle est parsemée de villas, de fermes et de châteaux, et couverte de prai-
ries, de vergers, et surtout de vignobles, qui produisent un vin estimé. Nous avons
mentionné le vin rouge du Buchberg. Rheineck possède un hospice, une maison
d'orphelins, des teintureries, des blanchisseries, etc. Son église est ornée de beaux
vitraux, et sert aux deux cultes. A Sainte-Marguerite, gros village situé au milieu
d'une forêt d'arbres fruitiers, est établi un bac sur le Rhin, que l'on passe pour se
rendre à Bregenz ; le fleuve y est peu profond et mal encaissé.
ALTSTiBTfEN. — La Toute de Rheineck à Alstœtten suit le pied des montagnes qui
font la limite du territoire d'Appenzell. Cette dernière ville compte 6500 habitants,
dont près des deux tiers catholiques. Elle est donc l'endroit le plus important du
canton, après le chef-lieu. Elle est dans une contrée fertile, au milieu de vignobles
et d'arbres fruitiers ; la culture de ceux-ci est poussée à un haut degré de perfection,
et donne d'excellents produits. La ville possède une bibliothèque publique, et une
jolie ^lise à l'usage des deux confessions. Il se tient à Altstœtten trois grandes foires
annuelles, et un transit important y entretient l'activité commerciale et industrielle.
Nous avons parlé plus haut des divers bains qui se trouvent non loin d'Altstœtten,
ainsi que des Groiies de cristal de Kobelwies. Plusieurs chemins montent d'Altstsetten
vers le territoire d'Appenzell, et, des hauteurs qu'ils franchissent, les regards
découvrent au loin toute la contrée. Près d'Altslœtten, la vallée du Rhin est très-
large ; un peu plus au sud, elle se rétrécit et aboutit au défilé du Hirschensprung
(Saut du Cerf), formé par deux chaînes de rochers. Au sortir du défilé, l'on arrive aux
grands villages de Rûti et de Sennwald, situés au pied du Kamor. Le premier est
catholique, et le second protestant. Toute cette contrée est la partie la plus sauvage
du Rheinthal.
Werdenberg. — Au sud du Sennwald, on rencontre le château de Forsteck, situé
au milieu d'une forêt, puis les ruines de ceux de Frischenberg et de Hohen-Sax, qui
furent détruits par les Appenzellois en 140S-, plus loin est Werdenberg, jolie petite
ville réformée, entourée de vergers et de champs. On y file du coton pour les
fabriques de St.-6all et d'Appenzell. La ville est dominée par le vaste château des
comtes de Werdenberg, qui offre une vue étendue. En continuant à cheminer vers
le sud, on passe près des bains de Rams et des ruines pittoresques des châteaux de
Herrenberg et de Wartau. En suivant la vallée du Rhin, on a constamment la vue
des belles montagnes du Vorariberg, situées sur l'autre rive. Vis-â-vis du pays de
Werdenberg, se trouve la principauté de Lichtenstein, longue de K à 6 lieues, sur
2 lieues de largeur. On aperçoit sur une élévation la petite ville de Vaduz, qui en est le
II. n kk
346 LA 8UI86R PITTOKBSQlîR.
chef-lieu, ainsi que les ruines de son château. Elle est dominée par la monlagnedes
Traiê'Sœurs. Au sud de la principauté, à la frontière, se font remarquer les mines
imposantes du château de Guttenberg, â l'entrée du bmeux défilé du Luâensteig, par
où Ton pénètre dans les Grisons. Au fond du paysage apparaît la pyramide du
Falkniss ( 7824), dont le sommet conserve toujours une couronne de neige. Près du
village de Trubbach vient se terminer, au bord du Rhin, la chaîne des Kuhfirsten.
pour se rendre de ce village â Sargans, on passe dans un défilé entre le Rhin et la
montagne de SchoUenberg. Le gouvernement y a fait construire une grande route en
4802 ; il a fallu tailler le roc sur une longueur de plus de 2000 pieds.
Sargans, petite ville de 900 habitants catholiques, est située â l'extrémité d'une
large vallée, qui s'étend jusqu'au lac de Wallenstadt. Elle est dominée par le château
qu'habitèrent jadis les baillis suisses pendant plus de trois siècles ; on y découvre une
vue admirable sur toute la vallée jusqu'au lac, sur les vallées latérales de Weiss-
tannen et de Pfœflers, et sur toutes les montagnes voisines. Les habitants de la
vallée de Sargans sont presque tous catholiques ; ils se vouent principalement â Féoo-
nomie alpestre et â l'agriculture. Une légère élévation de vingt pieds â peine empécbe
le Rhin de se diriger, par la vallée de Sargans, vers les lacs de Wallenstadt et de
Zurich, direction qu'il parait avoir suivie autrefois. Vu l'exhaussement progressif de
son lit par l'agglomération du gravier, on craint qu'à une époque plus ou moins
rapprochée il ne se fraie de nouveau un passage dans cette direction. En se rendant
à Ragatz, on voit sur la rive droite du Rhin la chaîne du Rhœtikon, aux formes
hardies et grandioses. La sommité la plus rapprochée du fleuve est le Flaesdierberg,
au-delà duquel on aperçoit le hameau de Guschen, suspendu sur les flancs escarpés de
la Guschenalp, qui domine le défilé du Luziensteig. A droite de la route, on remarque
une belle cascade, que forme le torrent de la Saar, qui descend des Grauboerner.
Bains de Ragatz et de PFiEFFSBS, Gouge de la Tamina. — Il existe à Ragatz, depuis
48&0, un nouvel établissement de bains, où un aqueduc, long de 42,500 pieds, amène
les eaux de la source de Pfœflers. Ces bains, où l'on trouve tout le comfort désirable,
sont fréquentés par une société choisie ; mais les anciens bains de Pfœflers, situés dans
la gorge de la Tamina, ne sont point abandonnés ; le séjour y est moins dispendieux.
Trois routes y mènent. La route neuve, la seule praticable pour les chars, fut achevée
en 4839 ; elle suit la gorge même du torrent, et conduit en une petite heure à réta-
blissement. Un autre chemin gravit une pente un peu raide sur la rive gauche de la
Tamina et au milieu d'une belle forêt; elle traverse ensuite de beaux pâturages
jusque près du village de Valons, puis redescend dans la gorge par un sentier rapide.
Le troisième chemin monte également par une pente escarpés vers le village et le
couvent de Pfœflers, situés sur la rive droite et sur un plateau élevé, d*où Ton
découvre une vue magnifique. Dans le voisinage, on voit une cascade de 480 pieds.
Nous avons dit que le couvent fut supprimé en 4839 ; les bâtiments actuels, qui ne
datent que de 4665, n'offrent rien de remarquable; ils ont été convertis en 48i7
en un hospice d'aliénés. Au sortir du village, le chemin traverse de magnifiques
prairies, et côtoie la gorge de la Tamina, sans qu'on puisse l'apercevoir. Une pente
douce conduit plus loin sur le bord même de cette gorge, où un long escalier, en
partie taillé dans le roc, en partie formé de troncs d'arbres, aboutit à un pont
naturel de rocher sur la Tamina ; de là, l'on se rend aux bains en quelques minutes.
LA SUISSE pittohesoue. 347
Ils sont à 2420 pieds au-dessus de la mer, soit à 500 environ au-dessus de Ragatz.
La source fut découverte, à ce qu'on prétend, en 4038, par un chasseur de Tabbé
de Pfœffers; il est certain que les archives du 43*" siècle en font souvent mention.
Dès l'origine, elle acquit de la célébrité, mais il fallait beaucoup de courage pour
aller user de ses eaux ; on descendait le malade au fond du précipice à l'aide d'é-
chelles et de cordes ; on exposait sa vie pour la prolonger, dit un auteur du 46'' siècle.
De peur de vertiges, les malades se faisaient bander les yeux, comme on fait encore
quelquefois de nos jours à ceux qui descendent la Gemmi à dos de mulet. Jusqu'au
commencement du 45*" siècle, les malades prenaient leurs bains à la source même;
ils étaient obligés d'y passer sept jours consécutifs, et d'y coucher, à cause des dan-
gers auxquels ils s'exposaient en montant et descendant. La première maison qu'on
Y construisit n'eut, pendant longtemps, d'autre porte qu'une ouverture pratiquée
dans le toit. Ce n'est qu'au milieu du 47*" siècle qu'on fonda un véritable établis-
sement sur l'emplacement des bains actuels, à quelques minutes de la source, sur
un banc étroit de rocher, élevé de quelques pieds seulement au-dessus du torrent,
et que dominent des parois verticales de roc nu. Au commencement du siècle dernier,
on fit sauter des rochers pour agrandir les bâtiments, qui peuvent recevoir plus de
300 baigneurs. Dans les plus longs jours, le soleil n'y est visible qu'après 9 heures,
et disparaît à 4 heures; en août, on ne le voit que de 44 à 3 heures; aussi, un
séjour prolongé à ces bains ne convient-il pas aux malades qui ont besoin d'un
air pur et de soleil. — Pour aller visiter la source, il faut être exempt de vertige,
car on ne peut s'en approcher qu'en suivant un pont en planches étroit et glissant,
long de 6 à 700 pas, élevé de 30 pieds au-dessus de la Tamina, et sans parapet.
Cette gorge infernale n'a que 30 à &0 pieds de largeur. Les parois latérales de
Tabime au fond duquel bouillonne le torrent, sont contournées, déchirées, et pré-
sentent de profondes excavations; elles s'inclinent l'une contre l'autre, et finissent
par se rejoindre. On nomme Beschluss, ou clôture, le pont naturel sous lequel on est
obligé de passer; il est à 290 pieds au-dessus du torrent. Au-delà, les roches s'é-
cartent de nouveau, et laissent apercevoir le ciel. Une vapeur s'élève constamment
au-dessus des sources, dont l'eau est recueillie dans une caverne longue de 24 pieds.
Elle ne coule qu'en été, et fournit environ 4400 pintes par minute; elle a 29 à
30 degrés de chaleur. L'eau est sans odeur, sans goût, ni couleur, très-pure et
légère; on en prend en boisson et à l'extérieur; on en exporte une bonne quantité
hors du pays.
Environs des bains, Vallée de la Tamina. — Les baigneurs qui font un séjour
aux bains de Ragatz ou de Pfsefiers peuvent faire un grand nombre d'excui*sions
intéressantes dans un rayon de quelques lieues. Les environs mêmes des bains de
PraeiTers ont été arrangés aussi bien que le permettait la nature des localités. Sur la
pente de la rive droite, on trouve la station dite la Solitude, d'où l'on monte sur la
colline qui porte le nom de Belvédère du Galanda, parce qu'on y découvre le sommet
de cette haute montagne. Sur la pente qui conduit à Valens, on a établi, sous un bel
ombrage, la station agréable de Moii Repos, d'où part un sentier horizontal qui
conduit sous des érables magnifiques et au pont naturel de la Tamina. Près de Valens,
on trouve aussi des promenades romantiques et solitaires, au milieu des prairies et
des bouquets de mélèzes. L'ensemble de la vallée de la Tamina est d'un aspect très-
348 LA stisse PirroResQie.
pittoresque et grandiose. A gauche, s*élëve le mont Galanda, aux immenses et raides
escarpements ; à droite, les Grauhœrner, aux sommités hérissées de glaciers. Le
premier est d*un accès difficile du cAté du canton de St.-Gall ; on le gravit plus onli
naircment du c6lé de Goirc. Quant aux Grauhœrner, Tascension en est aussi très
|)énible, mais on découvre de leur sommet une vue qui dédommage de la fotigue.
outre un vaste amphithéâtre de montagnes, on y aperçoit le lac de Constance par
dessus la chaîne des Kuhfirsten. En remontant le cours de la Tamina depuis Valeos.
on arrive bientôt près d*unc helle cascade que fait ce torrent au fond de la gorge: on
ne peut s*en approcher qu'avec précaution. Plus loin sont les villages de Vasoo et
de Vtcttis, au pied du Monie-Luna, sur les pentes duquel on aperçoit quelques groupes
de chAlels. Près de Va^ttis, la vallée de la Tamina cesse de se diriger au sud ; sa
|)artie uUéricure tourne droit à Touest, et porte le nom deKalfeuserthal. Ce vallon
étroit et sauvage est couvert de pâturages alpins, et aboutit au grand glacier de Sar-
dona» où la Tamina prend sa source. Si Ton en juge d'après les ossements humaiD>
que Ton a trouvés dans cette vallée, il parait qu'elle a été habitée jadis par une
|)euplade de géants. Il en est de même des vallées reculées du canton de Glarb
voisines du Kalfeuserthal. C'est au nord de Va?ttis qu'est le Drachenloch (Trou du
Dragon); c'est une caverne composée de trois grottes profondes. De Vieitîsi le col
facile et bas de Kunkcl (4260) conduit à Tamins dans les Grisons, et de là à
Reichenau et à Coirc. Au sommet, l'on a un beau point de vue, surtout si l'on s'é-
carte un peu de la route sur la droite. Une brigade française y passa en 1799, et
surprit les Autrichiens à Tamins. — Au-dessus du village de Pbeflers s'élève la
sommité du Tabor (3450), très-facile à atteindre, et d'où le coup-d'œil est admi-
rable. On y découvre en particulier très-bien l'entrée de la vallée du Pnettigau, ainsi
que plusieurs de ses telles cimes. Cette vallée grisonne mérite aussi d'être prise
pour but de promenade, ainsi que le défilé de Luziensteig, et le mont Flseschberg; on
peut en dire autant de la vallée de Weisstannen, qui s'ouvre près de Sargans, où Ton
voit plusieurs belles chutes d'eau, et d'où des sentiers difficiles conduisent dans le
canton de Claris.
Ville et Lac de Wallenstadt. — La jxîtite ville de Wallenstadt est située à
quelques minutes du lac du même nom, et au milieu d'une contrée marécageuse,
mais qui l'est cependant moins depuis la construction du canal de la Linth, à l'autre
extrémité du lac. Au sud de la ville, sur le haut d'un rocher, sont situées les ruines
du château de Grepplang ou Grapa Langa, ou Langenstein, manoir dont l'origine
remonte au temps des Rhéliens, et qui fut possédé longtemps par la famille Tschudi
de Claris ; le célèbre historien de ce nom y a résidé. Le lac de Wallenstadt est un
des plus remarquables de la Suisse; la nature a réuni sur ses bords les tableaux
les plus sauvages et les plus hardis. Ses côtes ne sont dégarnies de montagnes quà
ses deux extrémités. La rive septentrionale est bordée de montagnes qui s'élèvent à
pic jusqu'à une grande hauteur. Cette chaîne est surmontée de sept pointes nues,
qu'on appelle les sept Kuhfirsten, et qui portent, de l'ouest à l'est, les noms de
Leistkamm, Selunerruch, Breitenalperherg, Brest, ScheibenstoU, ZmloU, Astrakaisara
(ou Kaeserruck). Ces noms appartiennent aussi aux alpages voisins. La hauteur de
ces cimes est d'environ 7000 pieds. Plusieurs cascades se précipitent du haut des
rochers, entre autres le Serrenhach, qui tombe, en formant plusieurs chutes, de la
LA SL'ISSE PI'ITOUKiHîlK.
349
hauteur de 1600 pieds; le Bayerbaeh, qui en fail une de 950 pieds, elc. Elles sont
très-belles lors de la fonte des neiges, et animent singulièrement le paysage. Au-dessus
de ces cascades, est le village d'Ammon, au milieu d'une pente verdoyante. Vers le
milieu de cette rive septentrionale, se trouve le petit village de Quinlen, qui ne peut
communiquer que par des sentiers dangereux avec Wesen et Wallensladt. Il est
entouré de vignes qui produisent un vin estimé. Quant à la rive méridionale, elle est
moins sauvage ; un chemin pittoresque conduit de Wallensladt à Mollis, au canton
de Claris; il traverse plusieurs villages, Muls, Terzen, Quarten, etc., entourés de
prairies et d'une belle végétation, et arrosés par quelques ruisseaux et cascades. A
Mûhlihorn, on entre sur le territoire de Claris; de là, une route carrossable conduit
à Mollis par les hauteurs de Kerenzen, d'où le coup-d'œil est très-remarquable. Les
principales sommités qui dominent cette rive du lac sont le Mûrtschenstock (7270-
7S17), le Wallenberg et le Kerenzenberg.
Wesen est un bourg situé à l'extrémité occidentale du lac de Wallensladt, et qui
compte 642 habitants catholiques. Il souffrait autrefois beaucoup du voisinage des
marais causés par la Linlh, et était même quelquefois envahi par des inondations.
Depuis qu'on a conduit cette rivière dans le lac par un canal, et rectifié ou canalisé
son cours jusqu'au lac de Zurich, la contrée s'est sensiblement assainie (voyez
rarlicle Glatis), C'est sur le territoire saint-gallois qu'est placé le monument qui
rappelle les services éminents rendus dans cette entreprise par M. Escher, de Zurich,
à qui la Diète décerna le surnom honorifique de la Linlh. Il consiste en une plaque
de marbre noir, scellée, en 1832, dans le rocher par une décision de la Diète, et
nonumeal d'Eacher de la Linlh.
3!t0 LA 8UI8SE PITTORBSQL'E.
qui porte en lettres d'or deux inscriptions, l'une latine, l'autre allemande. Non loin
de i*c monument se trouve la pierre lumulaire érigée au feld-marochal autrichien
Hotze, originaire de Richtenschwyl, et qui péril dans un combat livré entre Schânnis
et Wesen, le !25 septembre 1799. Wesen fut brûlé en 4488 par les Glaronnais, peu
de temps avant la bataille de Na^fels. A Test de Wesen, on voit une jolie cascade;
de l'autre côté est situé le mont Biberlikopf (lèie du petit Castor), saillie de rocher
d'où la vue s'étend d'un côté sur tout le lac de Wallenstadt, de l'autre, sur le pays
de Gaster et sur le lac de Zurich. On jouit aussi d'un magnifique point de vue du
village d'Ammon, élevé de 1300 pieds au-dessus du lac, et situé à i lieue ' ,de
Wesen. LfC sentier qui y mène est taillé en partie dans une paroi de rodiers.
D'Ammon, on monte sur de beaux pâturages, jusqu'au sommet d'un col d'où Ton
|)eut descendre dans le Haul-Toggenbourg, à Stein ou à Starkenbach. A l'ouest de
ce col s'élève la sommité du Spccr (6020), dont l'ascension est facile, et d'où les
regards embrassent un des panoramas les plus étendus et les plus beaux de la Suisse.
Utznach. — Cette petite ville catholique est le chef-lieu du district de Gaster.
Elle est située sur une éminence, au milieu d'une plaine fertile. L'église, que Ton
voit avant d'entrer en venant de Wesen, commande toute la vallée; elle fut hàlic
en 4 SOS sur les ruines de l'ancien chftteau d'Utznaberg, dont les abbés de St.-Gall
et les comtes de Toggenbourg se disputèrent longtemps la possession, et qui fut
détruit en 1267 par les Zuricois, que commandait Rodolphe de Habsbourg. Prt^
d'Utznach est une grande filature de coton. C'est aussi dans les environs qu'on
exploite une mine de charbon de terre, épaisse de 3 à 4 pieds, et qui renferme des
troncs pétrifiés.
Rapperschwyl. — Cette ville, de 1950 habitants, dont les '/^ catholiques, est
située au bord du lac de Zurich, et dans une belle position. Ses tours et ses clochera
font dans le paysage un eiïct assez pittoresque. Elle est dominée par une terrasse
ombragée de tilleuls près de laquelle s'élèvent, d'un côté, l'église paroissiale el
Tancien manoir des comtes de Rapperschwyl, de Tautre, un couvent de capucins el
le bâtiment du tir. La ville et le château furent fondés en 1091. A l'extinction de
la famille du fondateur, en 128&, Rapperschwyl appartint au comte de Habsboui^
Lausenbourg, puis, en 1353, elle échut à la maison d'Autriche, sous la domination
de laquelle les Zuricois l'assiégèrent et la prirent plusieurs fois. En 1&58, elle se
mit sous la protection des Confédérés. Pendant la guerre de 1712, elle dut se sou-
mettre aux cantons protestants, et reconnaître leur souveraineté; mais elle n'en
forma pas moins une petite république, jusqu'à la révolution. En 1798, elle fut
incorporée dans lecanton de la Linth ; en 1802, dans celui de St.-Gall. Rapperschwyl
est joint avec le canton de Schwytz par un pont de bois long de 1800 pas et large
de 12 pieds, et sans garde-fous. Cependant, les chars peuvent le traverser. En
avril 1855, une troupe d'artilleurs y passa avec ses pièces sans accident. Il repose
sur 180 piles en bois de chêne. Ce pont fut fondé vers l'an 1350 par Léopold d'Au-
triche, et fut reconstruit en 1819 et 1820.
To(iGENBOURG, WiLDHAts, LicHTENSTEG. — Dc Rapperschwyl et d'Utznach, deux
routes conduisent dans le Toggenbourg; elles passent près du beau couvent de
femmes nommé Sion, qui occupe un site remarquable, et se réunissent sur le
large col dc llummeiwald (2530 pieds), dont la vue est très-riante sur le lac de
LA SUISSE PITTORESQUE. 354
Zurich, surlesalpes deSchwylzet de Glaris, etc. Le plus haut village du Toggenbourg
est celui de Wildhaus (Maison sauvage, soit habitation dans un pays sauvage ou
désert), élevé de 3430 pieds, et dominé d'un côté par les rudes escarpements du
Sœntis et de l'Âltmann, de l'autre, par les belles croupes verdoyantes qui s'étendent
jusqu'au sommet des Kuhfirsten. Ces vastes alpes abondent en herbes aromatiques;
elles nourrissent de nombreux troupeaux, et l'on y fait d'excellents fromages. C'est
près de Wildhaus (à quelques minutes du côté de l'ouest), qu'on voit encore
l'humble habitation où naquit Zwingli, le l*""^ janvier 1&8&; le futur réformateur
la quitta à l'âge de 40 ans, pour aller étudier à Bàle. Â l'est du village, et près d'un
petit lac, sont les ruines du château de Wildberg, et plus haut, le Sommerikopf,
d'où l'on découvre une très-belle vue. De Wildhaus, deux routes descendent à
Gambs et à Werdenberg, dans la vallée du Rhin, qui est d'environ 2000 pieds
inférieure au Haut-Toggenbourg. La vallée de la Thour présente une particularité,
que nous avons déjà fait remarquer (page 74 ) au sujet de l'Engadine (où elle est bien
plus frappante encore, soit à ctiuse de la plus grande hauteur de cette vallée, soit
parce qu'elle aboutit au sommet de la chaîne centrale des Alpes): c'est qu'en remon-
tant la rivière, on arrive, par une pente presque insensible, jusqu'au sommet d'un
col de l'autre côté duquel on trouve tout à coup un raide escarpement; aussi,
descend-on en une heure tout ce qu'on avait monté sur un espace de 20 lieues.
En descendant le cours de la Thour, on passe près des ruines du ch&teau' de
Starkenbach, puis à Nesslau, où s'ouvre à droite la jolie vallée d'Ennetbûhl, qui
conduit aux bains du Riedbad et dans le canton d'Appenzell ; plus loin, l'on rencontre
l'ancien couvent de Nouveau St. -Jean, mainTenant converti en filature; ce couvent
avait remplacé celui de Vieux St. -Jean, situé près de Starkenbach, et qui fut détruit
en 4626 par un incendie. Près de Krummenau, la Thour passe sous un rocher qui
forme un pont naturel, nommé Sprung (Saut). Deux lieues plus au nord est le grand
et beau village de Wattwyl, qui ne compte pas moins de S006 habitants, dont
*/5 protestants. Sur une éminence à gauche, on voit le château d'Yberg, célèbre par
plusieurs sièges, et le couvent de Ste. -Marie des Anges. A une demi-lieue de Wattwyl,
on arrive à la jolie petite ville de Lichtensteg, peuplée de 875 habitants, et dont le
commerce est très-actif; elle possède un établissement hydrothérapiquetrès-fréquenté.
On observe tout le long de la vallée les marques d'une grande aisance; au milieu
de luxuriantes prairies sont éparses de charmantes maisons de campagne; les vil-
lages ont l'aspect le plus florissant. Les habitants sont en général bien faits et intel-
ligents; ils allient aux travaux agricoles la fabrication des mousselines et des
cotonnades. De Lichtensteg se détache une route qui conduit à St.-Gall par Hérisau :
elle passe près des ruines du château de Nouveau-Toggenbourg, si connu dans
l'histoire par l'aventure tragique de la comtesse Ida, que son mari, sur un faux
soupçon, fit précipiter du haut des tours dans les fossés. Quelques lieues plus bas,
sur la rive gauche de la Thour, se trouve la petite ville de Weil ou Wyl (4400 habi-
tants). Elle est dans une contrée de vignobles, et à la frontière du canton de Thur-
govie. On y fabrique des toiles; on y voit un couvent de capucins et un de religieuses
dominicaines. L'abbé de St.-Gall y a souvent fait sa résidence.
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r:r.,
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CANTON DES GRISONS.
--*'»*^>S«^A V ï^*0**^
Situation, Etendir, Cumat. — Le canton des Grisons ou GranbftnJen (Ligues
grises), forme la partie sud-esl de la Suisse. Il est borné à l'ouest par les cantons du
Tessin et d'Uri ; au nord, par ceux d(^GIaris et de Sl.-Gall, et par le Vorarlberg;
h Test, par le Tyrol; au sud, par la grande vallée de TAdda, qui porte les noms
de pays de Bormio et de la Valleline, el par le pays de Chiavenne. D'après les der-
nières mesures, il a une superficie de 301 lieues carrées, soit environ 7 lieues
de plus que le canton de Berne ; c'est la sixième partie de la Suisse. Sa plus grande
longueur est d'au moins 30 lieues, de l'ouest à l'est, et sa plus grande largeur de 20.
Sa population était, en 1850, de 89,895 ftmes, soit de 299 par lieue carrée. De
même que celui de plusieurs autres cantons, le climat des Grisons varie extrême-
ment d'après les différences d'exposition et d'élévation. Plusieurs vallées atteignent
une très-grande hauteur, et sont les plus froides de la Suisse. Ailleurs, le climat est
tempéré, et offre une végétation à peu près semblable à celle des pays situés sous
la même latitude; telle est la vallée de Coirc. Enfin, les vallées qui s'ouvrent sur le
revers méridional des Alpes jouissent déjù, à quelques lieues d'immenses glaciers,
d'un ciel italien, et se revêtent aussi d'une végétation toute italienne.
Montagnes et Glaciers. — Le canton des Grisons est partout hérissé d'énormes
montagnes, dont les pics s'élèvent généralement à 9 ou 10,000 pieds; plusieurs
dépassent même la hauteur de H et 12,000. Ces montagnes sont couronnées de
neiges et de glaces éternelles, qui donnent naissance à un grand nombre de rivières
et de torrents. La partie méridionale du canton est traversée par la chaîne princi-
pale ou centrale des Alpes, qui forme la ligne de séparation entre les cours d'eau.
C'est peut-être improprement que nous nous servons du terme de chaîne cetUrale,
car cette chaîne n'a pas de direction régulière, comme celles qui, après avoir formé
au nord et au sud les confins du Vallais, se réunissent au St.-Gothard ; mais elle
fait un grand nombre de zigzags et de détours. 11 s'en détache des deux côtés plu-
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LA SU1S8E PITTORESQUE. 353
sieurs ramifications, qui suivent des directions très-variées, et dont quelques-unes
se subdivisent elles-mêmes en diverses branches. Toutes ces ramifications sont
séparées par autant de vallées, et forment dans leur ensemble un véritable laby-
rinthe. Commençons par indiquer la direction et les détours de la chaîne principale.
A partir du groupe du St.-Gothard, elle forme la frontière du canton, courant
d'abord vers l'est jusqu'au Piz Kamona, et ensuite vers le sud jusqu'au Moschelhorn.
De là, tournant de nouveau vers l'est, elle se dirige par le Bernardin et le Splugen
vers le Septimer, en faisant un crochet aigu au fond du val Léi ; elle sépare la
vallée du Rhin postérieur d'abord du val Misocco, puis du pays de Chiavenne. Après
avoir contourné le val Léi, elle sépare le val d'Avers du valBregaglia. Au sud du
Septimer, elle s'abaisse vers le col Maloja, et se relève au massif du Bernina. Elle
forme les confins entre la Haule-Engadine et la Valteline, puis entre la môme
vallée et le val Poschiavo ; à l'est du col Bernina, elle contourne les vais Livigno et
Vallaccia, puis se dirige vers le nord, en traversant le pays de Bormio; elle rentre
dans les Grisons près du col Buffalora ; puis, du Piz Pisocco, elle tourne encore à
Test pour atteindre, non loin du col Scarla, la frontière tyrolienne. Là, elle reprend
sa direction nord-est, et sert de confins au Tyrol et aux Grisons, sur une longueur
de quatre lieues; enfin, elle se dirige vers l'intérieur du Tyrol, après s'ôtre abaissée
considérablement au col de Reschen (4500), qui sépare le liassin de l'Inn de celui
de l'Adige; ce dernier fleuve a une de ses sources au lac de Reschen. En somme, la
chaîne a suivi, malgré ses zigzags, une direction générale de l'ouest à l'est. Celte
direction parait plus compliquée par la circonstance que, sur plusieurs points, les
limites politiques ne coïncident pas avec les limites naturelles ; non-seulement les
Grisons possèdent plusieurs vallées sur le versant méridional, mais la Lombardie
possède sur le versant nord le val Léi, qui appartient au bassin du Rhin, et les vais
Livigno et Vallaccia, qui appartiennent à celui de Tlnn.
Les sommets les plus remarquables de cette chaîne sont : le Scopi, 9850, qui
domine le Lukmanier; le Piz Kamadraj qui domine les glaciers de Medels; le Piz
Val Rhein, ou RheinwaUhorn, ou Adula, 10,280; le Moschelhorn, 9410-9610; le
Tambohorn, ou Schneehorn, 9845 ou 10,086, à l'ouest du Splugen; au groupe du
Bernina, le Piz Bernina \ point culminant du canton*, 12,475; le Piz Rosso di
Deniro, 12,313 ; le Piz Rom di Scersen ou Piz Roseg, 12,139 ; le Piz Palth 12,044 ;
le Cambrena, 11,104; le Monte Caspoggio, 11,072; le Piz CAena, 10,989; le Piz
Morlek, 10,645 ; le Monte Fora, 10,385 ; le Monte d'Oio, 9894 ; etc. Tous ces pics
sont à l'ouest du col Bernina ; à Test, les hauteurs sont en général moindres ; il s'y
trouve cependant le Monte Minnr, 9956 ; plus loin, le mont Foscagno, 9540; le Piz
1. C'est sous ce nom que le point culminant est désigné dans la carte Dufour. Le nom de Piz
Mortiratsch y est altribné à un autre pic voisin, élevé de 3754 mètres, ou 11,557 pieds. VHypso-
méirie Ziegler donne le nom de Moriirattch, soit au point culminant, soit à un autre pic, haut
de 3998,4 métrés, on 12,309 pieds.
2. On trouve indiqué, pour le sommet le plus élevé du Bernina, la hauteur de 13,508 pieds
(voyez page 69}. Mais ce chiffre se rapporte au pied suisse et résulte de la réduction des 4052
mètres, qu*indique la carte Dufour, ou plutôt des 4052^47 mètres, que porte Vnypsométrie Ziegler.
Trois mètres valant 10 pieds suisses, un mètre vaut donc 3 pieds suisses et un tiers, tandis qu'il
De vaut que 3 pieds français et 10 lignes environ. De là une différence d'un miUier de pieds
pour des hauteurs de dii à douze mille pieds.
Il, J3. ^j5
3K4 LA SUISSE PITTORESQUE.
Pisocco, 9786 (suivant d'autres 40,880); etr. — Les principaux cols par lesquels
on rranchit la chaîne, sont : le Garnit o del H'omo, 67i0, à Touesl de Santa-Maria. le
col proprement dit du Lnkmnnier, StiSO à S948 (le troisième col, situé entre ce>
deux-là, el qui mène à Faïdo, a ses deux versants sur le lerriloire tessinois; on n'v
arrive qu'après avoir franchi le plateau du Lukmanier ) ; la Greina, 6120, et led
MuHterasca, 7000, entre le val Sumvix et le val Blegno ; le Plaitenberg, entre la
vallée de Vais et le val Blegno; le Bmumlin, 6390-6S84; leSplttgen, 6500; le
Septimer, 7300; le MnUtja, 5830; le Bernina, 7185-7380; le col Foscagno, entre k»
val Vallaccia et Bormio ; le Passo rfi Fraele, 7280, entre le val du même nom el le val
del Forno; le liaffalora, 6780; le col Scarla, 7150. — Les Alpes comprises entre le
Simplon el le groupe de F Adula portaient autrefois le nom de Lèponiienne^; de TAdub
jusqu'au milieu du Tyrol, elles s'appelaient Alpes RhHienne».
De la chaîne centrale se détachent, du cdté du nord, trois ramiBcations impor-
tantes : La première est celle qui, partant du St .-Gothard, forme les confins des Grisons
et des cantons d'Uri, de Claris et de St.-Gall. Nous en avons déjà parlé en décrivant
ces cantons. Ses sommités les plus élevées sont le Bmluz, 9160 ; le Crispait, 10,240:
VOberalpstock, 10,200; le Pi;: Rosein, 12,760; le Pelit Tœdi, 11,153; le Biier-
tenstock, 10,800 ; le Uamsiock, 9610 ; le Segnesspitz, 8900 ; la Scheihe, 9030-9300:
le Riugelspilz, 9730-10,002; le Galanda, 8650. (D'autres chaînons de moindre
étendue se détachent un peu plus à l'est, et sé|)arent les vallées de Medels, de
Sumvix et de Vrin.) La seconde part du Piz Val Rhein et se bifurque au pic Tomifc^
en deux bras, qui enferment le val Safien ; la plus longue de ces bifurcations sépare
cette vallée de celles de Schams et de Domleschg, et va se terminer au confluent du
Rhin antérieur et du Rhin postérieur. Cette chaîne porte le pic Za/H>r/Aoni, lO.âiO:
le Piz Totnils, le Piz Beverin, 9233 ; le Safierstock. Du Seplimer part une troisième
chaîne, qui court vers le nord-est, sur la rive gauche de l'Inn. Elle porte le ft:
Pûlasching, près du Julicr, 9281 ; le Piz dAlm ou Albalaspitz, au-dessus du col de
l'Albula ; le Schtmrzhorn (Pic noir), au-dessus de la Flûela, 9700 ; le mont Selvretia,
duquel descendent plusieurs grands glaciers dans le fond du Prœttigau ; le Piz Limrà,
10,580; Xi^Fermunl (ferrcus mons), 9848; le Fœlschiohpilz, \eFimberspilz, 9315.
Plusieurs cols passent cette chaîne ; tels sont : le Jxdier, 6830 ; YAlbnla, 7238 ; la
Scaleita, 7820 ou 8060; la Flûela, 7400. Plusieurs courtes ramifications se rat-
tachent à cette chaîne du côté du sud, et enferment un grand nombre de petites
vallées, longues de 2 à 3 lieues, el la plupart inhabitées, qui débouchent dans
l'Engadine. Des ramifications plus longues se détachent du côté du nord, et enferment
les vallées d'Oberhalbslcin, de l'Albula, etc. Au Fcrmunl s'appuie la chaîne du
Rhœtikon, qui se prolonge jusqu'au bord du Rhin, près de Mayenfeld; ses sommités
sont le RothbnhlspHzj la Sulzfluh, le Schtmrzhorn, la Scesa Plana, 9207 ; le Falkiii^s,
7899. — Les montagnes comprises entre les vallées de Coire, Domleschg, Davos,
et du Prseltigau, forment un groupe presque isolé, qui se rattache cependant aussi à
la chaîne septentrionale de l'Engadine par le col très-bas du Laret, entre le Pneltigau
et Davos ; ce groupe porte les pics du Roihhorn, 9050 ; du Lenzerhorn, 8955 : du
Valbellahorn, etc. ; on y trouve les cols de la Strela, 7,317, el de la Heide, 4775.
Mentionnons enfin les ramifications que la chaîne centrale envoie du côté du sud.
Du Moschelhorn partent deux chaînes, dont l'une fait la limite entre le Tessin et
LA SUISSE PITTORESQUE. 3SS
les Grisons, el sépare le val Blegno du val Calanea, tandis que Tautre sépare celui-ci
du val Misocco. Une troisième, partant du Schneehorn, forme les confîns du val
Misocco et du val lombard San-Giacomo. Du Bernina se détachent deux petites chaînes
qui enferment le val Poschiavo ; à l'ouest de cette vallée s*élève le Piz Scalino,
10,250. Du col Fraelé, part la chaîne de TUmbrail, qui aboutit à Glourns, el sépare
les Grisons du val Fraele et de la vallée tyrolienne de Stilfs. A Touest du mont
Umbrail, 9340, se trouve le col très-fréquenté du Wormserjoch ou Braglio, 7733.
On ne compte, dans les Grisons, pas moins de 255 glaciers. Ce sont les ^j^^ de tous
ceux de la Suisse, qui en possède 605. Les plus considérables atteignent une lon-
gueur de 2 à 3 lieues. Les groupes de glacière les plus remarquables sont ceux qui
entourent les pics du Bernina, de TAdula, du Selvretla, du Fermunt et du Tœdi ;
mais les plus grands glaciers du Tœdi descendent du côté de Glaris. Les beaux
fleuves de glace du Bernina peuvent être comparés aux plus vastes glaciers du
Vallais et de Berne. (Voyez plus loin.)
Vallées et Rivières. — Nous ferons plus loin la description des principales vallées ;
nous nous bornons ici à les indiquer, en mentionnant les cours d'eau qui les arrosent.
Nous nommerons d'abord la vallée du Rhin antérieur, qui court de Touest à Test
depuis le col d'Oberalp, à la frontière d'Uri, jusqu'à Coire, et de là tourne vers le
nord. La partie supérieure au-dessus deReichenau porte le nom d'Oberland ou Pays
d'En-Haut. Le Rhin antérieur est formé par plusieurs torrents; la principale source
sort du sauvage petit lac de Tomasee, au pied de la Cima del Baduz; deux autres
bras viennent du col d'Oberalp et du val Cornaîra ; il ne reçoit sur la rive gauche
que des cours d'eau de peu d'étendue ; mais sur la rive droite il est grossi par un
grand nombre d'affluents, dont quelques-uns sont très-considérables. Il reçoit près
de Disentis le Rhin du milieu, qui arrose la vallée de Medels (ou du Milieu), et
dont les sources sont fournies par le lac Dim et d'autres petits lacs du val Cadelin\
Plus loin, il est grossi par le Rhin de Sumvix, qui descend de la vallée de ce nom ;
par le Glenner, qui arrose le val Lugnetz, et qui est formé de la réunion de deux
lorrents, ayant leurs sources au fond des vallées de Vrin et de Vais ; par la Rabiosa,
qui sort du val Saiien. (On donne aussi à ces rivières les noms de Rhin de Vrin
(Vrîne), de Vais et de Safien.) A Reichenau, il est plus que doublé par sa jonction
avec le Rhin postérieur, qui a déjà plus de 15 lieues de cours. Ce dernier sort des
glaciers de Rheinwald, arrose la vallée de Hinterrhein (ou du Rhin postérieur),
puis celles de Schams et de Domleschg, lesquelles communiquent ensemble par les
longs défilés de la Via Mala ; il reçoit lui-même plusieurs torrents considérables :
au-dessus d'Andeer, le torrent ou Rhin d'Avers, qui descend de la sauvage vallée de
ce nom ; puis, à Tusis, le Landwasser, qui apporte les eaux de la vallée de Davos
et des vallons latéraux d'Oberhalbstein, d'Albula, de Sertig, de Dischma et de Flûela.
Près de Coire, le Rhin reçoit la Plessur, qui descend des profonds ravins de la vallée
deSchalfick, et que grossit la Rabiosa, qui descend de Churwalden. Enfin, près de
Malans, la Latidquart, qui a ses sources dans les glaciers du Selvretta, lui amène
les eaux de la grande vallée du Praettigau.
1. On préteod qae le mot Cadelin yieot des mots ceUiques Cad, tête, et Lin, eau coursDte,
cascade. Le sens de ce dernier est connu d*une manière certaine, car il se retrouve encore dans
le dialecte écossais ; témoin le célèbre yers de Burns : Spàke o' lopin* oW a lynn.
3!>> L4 scts^ prm^Cs^ijcc.
T'Mii»^ o-^ t;^iij\ ^Kit enipi»ruHfs |kir le Rbio dins b mer da Xurd; niais les
On'^rns cnvMÛ-nl ausc^i Itiir lnt><jl à la mer N«4re par b rivière de rinn ( Om en
rorriar><'l)»* . qui arnise rEn^.i<iine, et d«»nt b si^ree est prés do ool Malofa, au sud
«lu S»'{itirm^. L'inn traverse dan> b Haute-Eiuradine plu>ieQrs petits lacs, enire ks-
i]ijt*is il [ii»rt4- le nom de S>il*i i>u S<Lt: et après an ciiur» de 18 à iO lieues, il sort du
t/*rritoin* ^rri^m au i)«'liU'r de Martin^bnick. Il reç«»it un grand nombre de torrents, dont
le r-Miirs a p».'u dVi^^ndue. mji> d<»nt le volume d*eau est assez eonsidéraUe. Le plus
nolable «M le NyW, qui $«»rt des vallées k>mbardes de Livignoet Valbccia, et arrose
rn^uite le val ^^i^m de Fomo. A sa ji>notion avec le Danube, à 80 lieues de b
Siii^^, rinn est plus br^e que ce fleuve: néanmoins, c'est ce dernier qui ooosene
^>n nom. Enfin, quatre pt.*lites rivières s'éciMilent vers Tltalie; oe sont la Jl#irr«ci.
t|ui de^iend du Bernardin et am«se le val Misocco; après s'être grossie des eaux de
b (labnrasca, qui vient do val (^bnca, elle se jette dans le Tessin, au-dessus de
&llinzone; b Maha. qui des^^nd du Maloja, arrose le val Bregaglb, et se jette
(bns le lac de Cdme, où elle mêle ses eau\ à celles de l'Adda : le PosckiaàiM, dont
b sr)orce est au Weiss>See ou Lago Bianco, sur le Bemina, et qui arrose le va!
hischiavo, et se joint aussi à TAdda près de Tirano. Les eaux de ces trois rivières
vont se perdre dans le Pô, avec lequel le Tessin et TAdda confondent leurs eaux.
Quant au Rnm ou Rh^im, qui a sa source au\ gbciers du Piz Pisocoo, et arrose le
Mûnsterthal, il va se réunir à TAdige près de Glums. Les eaux des Grisons par-
viennent donc dans les diflerentes mers par le canal de quatre fleuves : le Rbîn, le
Danube, le Pô et TAdige. Sur les 2S5 glaciers grisons, 150 au moins envoient leurs
eaux au Rbin, et 70 à Tlnn.
Lacs ct Cascades. — Les Grisons ne possèdent aucun lac de quelque importance,
mais beaucoup de petits lacs de montagne. Les principaux sont le bcdeSi(s» dans b
Haute-Engadine, long d'une lieue, sur demi-lieue de largeur; il est traversé par Tlnn,
qui, un peu plus bas, forme trois autres lacs moins considérables : ceux de Silva-Plana.
de St.'Morilz et de Kampfer. Ces lacs sont à la hauteur de 5500 à 5600 pieds, et
restent pendant huit mois couverts d'une épaisse couche de gbce. Après le lac de Sils,
le plus étendu est celui de Poschiaro, long de trois quarts de lieue, sur demi-lieue de
largeur, ct renommé pour ses excellents poissons. Sur le Bemina se trouvent quatre
|)etils lacs, dont le plus grand est le Lago Bianco, long de trois quarts de lieue, et qui
se décharge dans le lac de Poschiavo, ainsi que le Lago délia Scala; le SchwarzSee
ou Lago Nero s'écoule, ainsi que le Lago Piccolo, du côté de l'Engadine. Ces lacs
sont à près de 7000 pieds. On peut nommer encore le GrossSee près de Davos, le
Schwarz-See sur le col Laret ; deux, lacs situés près de Taubei^ de Weissenstein,
au pied de l'Albula, et renfermant d'excellentes truites; deux autres dans le val
Tuorz, qui s'ouvre au nord de Bergûn. 11 y a de même de petits lacs sur diaeun
des cols de la Scaletta et de la Flûela ; il y en a trois sur le Falkniss, dans le
Fra3tligau; deux aux sources de la Plessur, au-dessous du Yalbelbhorn. On trouve,
sur le mont Heinzenberg, le Lûschersee, qui doit alimenter le torrent de la Nolla ;
au pied de la Gima del Baduz, le Tomasee, d'où sort le Rhin antérieur; dans le val
Cadelin, le lac Dim, et deux ou trois autres qui donnent naissance au Rhin du
milieu; sur le Bernardin, le lac Mœsola, d'où sort la Mœsa, etc. etc.
On voit dans les Grisons d'assez nombreuses cascades, dont plusieurs sont très-
LA SUISSB PITTORESQUE. 357
belles, quoiqu'elles n'aient pas la même réputation que celles de TOberland bernois.
Les plus remarquables sont les chutes du Rhin dans la gorge des RofDen, que
quelques personnes comparent à la célèbre chute de la Handeck. Le Rhin d'Avers
fait aussi deux chutes avant de se joindre au Rhin postérieur, au-dessous de la même
gorge. Le Rhin du milieu en fait également une au moment de se réunir au Rhin
antérieur. Au nord-ouest de Irons, vers le haut d'un vallon sauvage qui aboutit
près du Piz Rosein, on trouve la grande cascade de Ferrœra. On voit plusieurs
belles cascades au fond de la vallée de Vais, dans les gorges du val d'Avers, ainsi
que près des villages de St.-Peter et de Vrin ; et les deux Glenner réunies font une
chute au-dessous du château de Surcasti. Peu après sa sortie des lacs du Weissenstein,
TAIbula forme une chute remarquable; l'Inn, à sa sortie du lac de St.-Moritz, se
précipite dans un profond entonnoir qu'on nomme Chiarnadûras. Dans les vais
Misocco et Bregaglia, les paysages sont aussi embellis par de nombreuses et pitto-
resques chutes d'eau ; etc.
Eaux minérales et Bains. — Le canton est particulièrement riche en sources
minérales ; on en compte dans plus de 50 localités. Bien que sur les frontières du pays,
à Pfœffers et à Bormio, l'on trouve des sources chaudes, il n'en jaillit aucune sem-
blable sur le territoire grison ( il y a seulement une source tiède à Vais ) ; mais le
canton possède un grand nombre de sources acidulées d'une grande efficacité. Plusieurs
sources sont connues et fréquentées depuis les temps anciens ; d'autres, qui ont eu
de la réputation, ont disparu. Mais il en est beaucoup dont on ne fait aucun usage,
soit que leur abord soit trop difficile, soit que les habitants du voisinage n'aient pas
su en tirer le parti possible. Ainsi, il jaillit aux environs de Schuols et de Tarasp,
dans la Basse-Engadine, plus de 20 sources acidulées, salées et sulfureuses, qui sont
restées presque sans emploi jusqu'à ces dernières années, tandis que la contrée,
qui est agréable et salubre, est bien propre à devenir un lieu centfal de cures pour
les malades de toute catégorie. Il existe des établissements de bains à Fideris, à
Serneus, à Rothenbrunn, à Andeer, à Spina, à Alveneu, à Wilhelmsbad près Goire,
à Tusis, à Peiden, à Surrein, à St.-Moritz et à Tarasp. On va boire les eaux dans
les établissements de Fideris, de St.-Moritz et du St.-Bernardin. IjCs eaux de ces
dernières localités sont acidulés, et jouissent d'une réputation méritée. On fait
encore usage de quelques autres sources, sans qu'on y ait construit de bâtiment
spécial pour les malades.
Histoire naturelle. — Règne animal. Un pays, dont une grande partie est occupée
par des régions désertes ou par de vastes forêts, doit être encore habité par un grand
nombre de bétes sauvages. On trouve en effet dans les Grisons l'ours noir et l'ours
gris, le lynx, le loup, le renard, le blaireau, la martre, et plus rarement le chat
sauvage, ainsi que la loutre au bord des rivières. Le loup commence & devenir rare;
mais les ours et les lynx causent encore de grands ravages parmi les troupeaux.
La race du bouquetin a habité jusqu'au milieu du 17'' siècle sur les hauteurs de
TAdula, du Septimer et du Bernina. Le chamois est encore nombreux sur toutes les
hautes montagnes du pays. Sur celles qui avoisinent le Tyrol, on aperçoit quel-
quefois des cerfs et des chevreuils, qui se sont échappés des parcs de ce pays ou de
la principauté de Lichtenstein. On trouve dans les forêts l'écureuil et le lièvre
commun ; quant à la marmotte et au lièvre blanc, ils habitent au-dessus de la région
358 L% SLISSE PITTORESQtE.
(Ii's Tonîls. — Tous les oiseaux qui habitenl en Suisse se relrouvenl ^lemenl
dans les Grisons; en particulier, les diverses espèces d*aigles et de vautours, plu-
sieurs es|H»a*s de Taucons, de hilK>u\, de corbeaux, de pics, de loriots, de géli
nottes, etc. Quand la plu|Kirt de ces oiseaux ont émigré en automne vers des régions
plus chaudes, il arrive du nord des vols nombreux de corneilles, de vanneaux, de
grives, diverses es|)èces de canards et d'oies, etc. On a remarqué que le nombre <ies
ois<*aux, et surtout des oiseaux chanteurs, tend à diminuer; on attribue cela à la
chasse trés-active qui se fait en Italie, surtout durant l'automne. — Les rivière>.
les torrents et U^s bu» sont très-poissonneux, mais ne contiennent qu'un petit nombre
d*esi)èces. L*al)ondance du {xûsson paraît avoir été autrefois plus grande; cest
probablement la liberté presque al)solue de la pé(*he qui Ta réduite. Les poissons que
Ton trouve en plus grande quantité sont les espèces de truite; une des espèiv^
(mlmo hnislris), nommée dans le pays RheinUiuke, remonte, au printemps, du lai-
de Constance dans les eaux du Rhin et de la Lindquart. On trouve Tombredans les
eaux de Tlnn, près de Fettan et de Lavin; on assure que ce poisson y était autrefois
complètement inc<)nnu, et que depuis scm arrivée les truites ont disparu. — L'enlo-
mologistc qui se propose de parcourir le canton, peut se promettre une abondante
récx)lte; les familles les plus nombreuses sont celles des scarabées et des papillons:
on a compté près de 600 espèces de ces derniers. — Les Grisons possèdent une grande
quantité de bétail. Nous donnerons plus loin quelques détails & ce sujet.
Règne vêyétaL Une grande variété de plantes croît sur les montagnes et dans les
vallées des Grisons; on y a compté 2500 espèces phanérogames. Les arbres à larges
feuilles sont peu nombreux dans le pays; le hêtre, dont se composent beaucoup de
forêts dans le nord de la Suisse, n'est abondant que dans le Prœttigau. Les arbres qui
dominent dans les Grisons, sont le pin, le sapin, le mélèze, et Tarole, qu'on nomme
aussi pin aimer du cimbre {pintis timbra) . Plusieurs vallées, maintenant dégarnies
d'arbres, étaient jadis toutes boisées : telles sont celle de Davos, celle de Stalla à
Stalvedro, celle d'Avers, où l'on voit sur l'alpe de Bregaglia les ruines d'une ver
rerie. Les cimbres et les mélèzes sont les arbres qui montent le plus haut; on les
trouve, en quelques endroits, jusqu'à la hauteur de 7000 pieds. Au milieu des
sombres forêts de pins, la nuance plus claire des mélèzes produit un eflTet agréable.
L'aune vert (Aliwnerle) revêt quelquefois à lui seul des pentes entières, et parvient
à peu près à la même hauteur. — On cultive beaucoup d'arbres fruitiers, surtout les
pommiers et poiriers, dans les vallées basses ou bien exposées, telles que la vallée
de Coire jusqu'au Luziensteig, le bas Praettigau, la vallée de Domleschg, le pays
de Gruob, au nord d'Ilanz, et les vallées italiennes de Misocco, Bregaglia et Pos-
chiavo. Les poiriers et les pommiers prospèrent en général jusqu'à 3000 pieds; les
cerisiers seuls croissent beaucoup plus haut. Les noyers sont communs dans les
vallées italiennes, jusqu'à 2500 à 2800 pieds; on les trouve aussi dans la vallée du
Rhin, de Tusis à Mayenfeld, et même le long de l'Albula, et près de Disentis, à la
hauteur de 3500 pieds. Le châtaignier et le mûrier croissent dans les vallées ita-
liennes; ce dernier est cultivé aussi près de Mayenfeld, pour l'exploitation de la soie.
La vigne croit dans la vallée de Mayenfeld et dans le bas des vallées de Misocco et
de Poschiavo. Le figuier croît naturellement au bas des vais Bregaglia et Misocco.
Le maïs est cultivé au bas des mêmes vallées et dans celle de Mayenfeld. Quant aux
LA SUISSE PITTORESQUE. 359
pommes de terre, elles viennent en général dans le pays jusqu'à 5000 pieds, et même
dans la vallée de Sertig, près Davos, jusqu'à 5700; le seigle croît jusqu'à 4700 ou
SOOO, et l'orge jusqu'à 5000 ou 5600 dans l'Engadine, le val Scarla, le val
Sertig, etc. Ainsi, la culture des céréales et des arbres fruitiers s'élève plus haut
dans les Grisons que dans les Alpes occidentales de la Suisse.
Règne minéraL Une grande partie du canton est comprise dans la formation pri-
mitive. On trouve du gneiss dans les montagnes des vallées de Tavetsch, de Medels,
de Misocco, de Ferrara, et dans le Haut-Praettigau. Du St.-Gothard au val Medels, le
granit accompagne le gneiss ; il s'étend jusqu'à la vallée de Sumvix ; on en trouve
des variétés rouges et vertes sur le Julier et au sud de l'Albula. Sur le Bemina et
sur les montagnes de Bregaglia, il est mêlé de feldspath bleu et blanc. Mais la roche
primitive la plus abondante est le schiste micacé, mélangé de quartz et de talc. Le
schiste argileux forme une grande partie du revers septentrional de la vallée du
Rhin antérieur, du Toedi au Galanda. Il domine de même dans les montagnes des
vallées de Lugnetz, de Vais, jusqu'au village.de ce nom, de Safien, du Rhin posté-
rieur, jusqu'à Zillis, de Parpan et de Schalfick. Ce schiste argileux renferme des
empreintes de fucoïdes qu'on n'a trouvées ailleurs que dans la formation de la craie
et du grès vert. La chaîne du Toedi renferme aussi du calcaire et du schiste calcaire;
le Tœdi et le Piz Rosein en sont eux-mêmes composés, et on y rencontre des pétri-
fications, telles que des bélemnites et des nummulites, jusqu'à la hauteur de
9000 pieds. La chaîne du Rhaeticon est composée de calcaire et de schiste ; sur la
Scesaplana, de même que sur le Galanda, gisent des coraux et des coquillages
pétrifiés. Une autre ligne de sommités calcaires, en partie primitives, commence au
fond des vallées de Vais et de Safien, et s'étend jusqu'à la Haute-Engadine par celles
de Schams, de Ferrara et d'Oberhalbstein. Ce calcaire se présente en divers lieux
sous la forme d'un beau marbre blanc, surtout dans le val Ferrara et sur le Spliigen ;
on trouve en outre du marbre noir à Schams, et sur le Bemina des marbres blancs,
rouges, ou veinés de bleu, et susceptibles d'un beau poli. On rencontre aussi du
gypse au milieu du schiste argileux et du calc$iire : sur le Falkniss, au-dessus de
Mayenfeld, près du pic de Madris et sur l'alpe Casanna dans le Preettigau, près de
Tiefenkasten et de Tschappina, à Samaden dans la Haute, et à Fettan dans la
Basse-Engadine, etc. On trouve sur plusieurs points de la craie, de l'albâtre, de la
pierre ollaire, etc., et diverses espèces de cristaux plus ou moins rares, des grenats,
des tourmalines, des pyrites sulfureuses, etc.
Peu de jKiys sont aussi riches en métaux divers que les Grisons; mais il n'y
t*xiste néanmoins aucune exploitation importante. On a récolté sur la pente sud du
Galanda de beaux minerais d'or; le produit a été employé, en 1813, à frapper
quelques centaines de doublons. D'après une tradition, il y avait autrefois au-dessus
(le Parpan, et sur l'alpe Casanna, au-dessus de Conters, de petits ruisseaux qui
entraînaient d'abondants débris d'or. La famille Vertemati-Franchi, de Plurs, exploi-
tait jadis plusieurs mines sur divers points du pays, et la tradition prétend que
chaque semaine plusieurs bêtes de somme transportaient à Plurs des charges d'or
et d'argent. Le Rhin postérieur charriait une fois des paillettes d'or; on avait établi
un lavoir dans la vallée de Schams. On a exploité aussi des mines d'argent sur le
Bernina, sur le Buffalora, dans le val Scarla, à Filisur ( Vallis Aurea, d'après
360 U StISSE PITTOHESQI'R.
Schcuchzer), au-dessus de Davos, de Parpan, d*Andeer, etc; mais elles élaienl
loules mélangées de plomb et de cuivre, et peu produclives. Toulefois, on a repris
une cxploilalion près du col Scarla. On a remarqué en beaucoup d'endroits des
traces de fer, en particulier du fer aimante près de Trons. Depuis quelques années,
on travaille une mine de Ter près de Bergûn ; on en fond le minerai dans les bâti-
ments de Bellaluna. — Enfin, on trouve de la tourbe dans plusieurs des hautes
vallées, à Avers, à Vais, sur le Maloja, etc. Mais c'est surtout dans la vallée d'Avers
qu'on l'emploie comme combustible.
Les ébouicments et les chutes de montagnes sont fréquents, surtout dans la
vallée de Schalfick et dans une partie du Haut-Prai^ttigau, où les schistes se trouvent
dans un état de décomposition qui fait donner à ces montagnes le nom de Monis
|K)urris {faute Berge). Ainsi, en 1768, une chute a détruit une grande partie du
hameau de Mombiel, près de KIosters. En 1794, l'éboulement d'une paroi de rocs
a amoncelé un vasie chaos de débris entre Ferrâra et Canicûl. Depuis quelques
années, une partie du Galanda est remplie de crevasses qui tendent à s'élargir; déjà
de grands ébouicments ont eu lieu le 9 novembre et le !23 décembre 1834, et le
i7 avril 1837, et l'on peut s'attendre à des chutes bien plus considérables. Une
partie des habitants du village de Feldsberg se sont décidés à transporter leurs
demeures dans une localité moins exposée. Le nouveau village est situé à 10 mi-
nutcs à l'est de l'ancien ; mais bon nombre d'habitants de celui-ci, retenus par
l'amour de leurs foyers, persistent à y affronter le |)éril. La chute la plus désastreuse
est celle qui, le 4 septembre 1618, détruisit le bourg de Plurs, voisin de Chiavenne,
et coûta la vie à 2430 individus. — Le pays des Grisons est sujet à de fréquents
tremblements de terre. Plusieurs châteaux ont été détruits par de pareils événe-
ments ; peut-être peut-on leur attribuer aussi quelques-unes des chutes de mon-
tagnes. Ce sont iMrticulièremenl les environs de Coire et la Basse-Engadine qui
ont éprouvé le plus grand nombre de secousses ; cependant, ces deux contrées n'ont
pas un grand rapport entre elles ; la direction des vallées y est tout-à-fait diflG&rente,
et les montagnes de la Basse-Engadine sont formées de schistes micacés et talqueux,
tandis que près de Coire on ne trouve que du calcaire, du grès, et du schiste argileux.
Antiquités. — Le pays qui forme aujourd'hui le canton des Grisons, portait du
temps des Romains le nom de Rhétie. On fait remonter le nom des Rhétiens à une
nombreuse migration de Tyrrhéniens ou Etrusques, Ttisci, qui auraient quitté les
régions comprises entre le Tibre et les Alpes, à l'époque de l'invasion des Gaulois
en Italie, environ 600 ans avant l'ère chrétienne, soit près d'un siècle et demi après
la fondation de Rome. Cette migration, d'après Pline, doit avoir été conduite par un
chef nommé Rhaetus, qui aurait donné son nom au pays. On attribue à ces colonies
l'origine d'un grand nombre de noms qu'on retrouve encore dans la Rhétie. La
vall^ de Domleschg serait la vallée totniUiisca ou Domestica; les châteaux de ReaUa,
Rhœzûfis et de Reambs seraient Rhœlia alla, ima et ampla; le nom du bourg de
Tusis viendrait des Tusci. On suppose que les noms de Fetlan, Cernelz, Lavin, Sins,
Scliuls, qui existent maintenant dans l'Engadine, rappellent les noms des peuplades
de rOmbrie cités par Pline : VeUones, Cernelani, Lavinii, Senlinales, SniUales, smU
populi de regione Vmbiia qaormn oppida Tiusri debellarunt. Nommons encore les noms
A Ardelz, Flœsch, Pehl, Remûs, Samnaun^ SimisciU, Safen, Tschapiua, Umbrein et
LA SUISSE PITTORESQUE. 361
le mont Umbrail, qui rappellent ceux d^Ardea^ Faliscij Pœstmi, Remuria, SamniufiK
Sinuessa, SabitM, Umbria, Ces ressemblances sont sans contredit bien frappantes, et
donnent beaucoup de poids à la conjecture qui vient d'être indiquée touchant la
fondation de ces localités ^ Toutefois, on n'a trouvé dans le pays aucun monument
antérieur à la domination romaine, et qui puisse corroborer cette conjecture. Les
traditions relatives au culte d'anciennes divinités ne reposent pas sur des fondements
plus solides. On a supposé, mais sans pouvoir nullement le prouver, que le Lukma-
nier doit son nom aux Lmumofies ou princes étrusques ; que le Julier doit le sien à
la divinité celtique Joui, soleil, ou dieu du soleil, et que celui du mont Adula vient
(le Al-JoiUa, përe-soieil. Les deux colonnes de granit qui existent sur le sommet du
Julier, ne portent aucune inscription qui puisse établir leur haute antiquité. Elles
n'ont point la forme des colonnes milliaires romaines ; mais elles pourraient avoir
été des autels, ou avoir appartenu à un lieu de sacrifice celtique, d'autant plus que,
d'après quelques auteurs, il existait autrefois une troisième colonne, et que d'an-
ciennes monnaies indiquent que c'était sur trois colonnes que les Celles faisaient
reposer leurs temples rustiques.
Malgré les quatre siècles de la domination romaine, malgré les stations et les
forteresses qui furent bâties durant cette époque, on ne trouve en Rbétie que très-
peu de constructions d'origine romaine; on n'y rencontre non plus aucune inscription
qui remonte à cette époque ; mais il en existe dans des lieux qui furent autrefois
compris dans la Rhétie, tels que Vérone, Augsbourg et le Tyrol. Le seul monument
|)ortant dans sa construction le caractère romain, est la tour Marsœl ou Marsoila,
située du cAté septentrional du palais épiscopal de Coire. On suppose que son nom
fut jadis Mars in oculis, et que le château fut habité par un magistrat romain. A
l'angle nord-ouest de la cour épiscopale s'élève une autre tour, qui est maintenant
une propriété particulière, et qu'on nomme Spinœl ou Spirwila ( Spina in oculis, à
ce qu'on suppose). Il y avait autrefois dans la ville et à St. -Salvador des restes de
construction qu'on attribuait aux Romains. On voyait encore il y a trois siècles, à
Tiefenkasten, des restes d'une forteresse romaine. On voit aussi les ruines d'un
ancien château près de Lavin, dans la Basse-Engadine ; plus bas, près de Schleins,
des vestiges d'une fortification; on fait remonter au temps de Vitellius ces ouvrages,
qui portent tous deux le nom de Serviezel {Serra Vilellii). La situation de Tiefen-
kasten et de la Basse-Engadine rend vraisemblable qu'on y avait établi en effet des
stations ou des retranchements. On a cru aussi reconnaître l'emplacement d'un camp
près de Scanfs, dans la même vallée, et on l'a appelé camp de Drusus. Il a dû sou-
vent exister des camps romains près de Coire, mais on n'en retrouve aucun vestige
distinct. — Le chroniqueur Félix Faber prétend qu'il existait un temple des nymphes
près des sources du Rhin postérieur, au pied de l'Adula ; mais il parait ne s'appuyer
que sur la coutume générale des peuples celtiques de célébrer des fêtes religieuses et
de faire des sacrifices près des sources des fleuves et sur le bord des lacs élevés. On
1. QuADt à l'hypothèse contraire, qui fait peupler les villes d*Etrurie et d'Ombrie par des
peuplades parties de la RbéUe, qui auraient importé les noms de leur pays, eUe a bien peu de
vraisemblance; il en est de même de celle d'après laquelle les Tusci seraient originaires de la
Rhétie, et seraient venus soumettre TOmbrie et y bâUr des villes, puis seraient retournés dans
leurs montagnes à Tépoque de Tinvasion gauloise.
11. 23. f|6
362
LA MisM. rrrujuix* t.
P'ul n*|M*fHl«int. à TapiMii do sa r<»njo*1urp, njouler que dans k* ino\en-àpf il e\MaH
dans le mcriK* lieu une eh«ip(*ile, dont la chielie est acluellcnient à llinterrhein. Il
««si «rrUiin que les Romains ont élaMi des roules militaires à travers la Rbélie; il n*t>t
Umlerois |ias dénH>nlK* que U-s restes d'une voie pavée que l'on a observés sur k
Julier, ainsi que h*s ornièn*s que Ton a vu<*s sur le me vil dans la llaule-Engadint*
pr(*s du lar de Sils, datent ré(*llemenl de ré|NM|ue romaine. Mais on a trouvé en divers
lieux d<'s monn«ii<*s, des arm<*s,d(*s usleasil(*s, dont Tori^ne romaine est authentique
i)e |Mreill(*s trou>aill<*s ont été fréquenti*s à Oiire et aux environs Ainsi, en 180t>.
on nMK*outra, en ereusant un caveau, iOOpiètvs de monnaie, dont la plupart |K»f
laient d'un vMv renî«:ie d*un empereur, de l'autre un génie eouronné, avee une
e«iU|M* ou une eorne d'abondance à la main, et l'inscription fjmio i^tpHti rtmtani mu
^énic du |ieuple romain ). Pri's de Conters, dans le val Oberbalbstein, un paysan
tnmva en 17H0, non loin de la route, deux vases de cuivre contenus Tun dans
i*autre; le plus |ielit renfermait di*s bracelets d'or et d'argent de diverses grandeurs.
d<*s dés, df^ monnai(*s romaini^s d'or et d'argent, ayant d'un c6té le cheval de Troie,
de l'autre une tête de Vénus, etc. Dans le même lieu, I on découvrit aussi un petit
vase d'argent, un encensoir avec une chaînette d'argent, etc. Diverses trouvailles ont
été faites encore sur plusieurs points de l'Engadine, du Pra*ttigau, et ailleurs.
Parmi les antiquités du moyen-àge figurent aussi des monnaies et des annes
divers(*s. Ainsi, en 1811, prés du château de Gryneck, non loin d'ilanz, furent
trouvé(*s, s<»us un bloc de rocher, plus de 50 pièces de monnaie datant de l'époque
des rois carlovingiens, soit du 8' et du 9* siècle. Mais les monuments les plus remar-
quables du moyen-âge sont les nombreuses ruines de châteaux qu'on voil encon»
dans toutes l(*s parties de la contrée. La tradition fait remonter l'origine de quelques-
uns de ces châteaux & ré|N)que de la domination romaine, ou même aux temps
antérieurs; mais elle n'est point confirmée par le mode de leur construction. Il en
est œfNmdant un certain nombre qui doivent dater d'une époque reculée du moyen*
âge. Ainsi, celui de Marschlins, pri's Malans, date probablement de l'an 7S5; sa
fondation est attribuée â un primx; souabe ou allémanique, nommé Marsilius ; celui
de Reams, près Gontei*s, et celui de Castellazzo, près de Soglio dans le val Bre^glia.
existaient déjà dès le commencement du 10*" siècle; celui de Hobenrhsetien, près
de Tusis, dès le 11* ; celui de llaldenstein, dès le 12', etc. Quelques-uns de ces châ-
teaux n'étaient que des demeures seigneuriales; d'autres étaient destinés à proléger
le commerce et les voyageurs; mais trop souvent aussi, ces manoirs étaient de
véritables repaires habités par des brigands et par les oppresseurs du pays. Parmi
ces châteaux, on n'en compte guère qu'une dizaine qui soient encore habitables ; tels
sont ceux de Marschlins, de Rhœzûns, de Reichenau, d'Ortenstein, de Tarasp, etc.
La plu|)art des familles qui les ont habités jadis sont éteintes, ou ont émigré, ou sont
rentrées dans la foule du peuple. Au nombre des antiquités du moyen-âge» on |>eut
compter encore quelques églises, dont la plus remarquable est la cathédrale de Ckiire,
qui remonte au 8' siècle (nous en parlerons plus loin); enfin, quelques tombeaux
d'cvéqucs, renfermés soit dans cette cathédrale, soit dans des couvents.
Histoire. — La lihêUe paraît avoir été dans l'origine habitée par des peuples de
race celtique, et l'on prétend avoir retrouvé la trace du langage celtique dans les
noms des principales rivières, et dans ceux de beaucoup de montagnes et de localités.
LA SUISSE PlTTOBKSgUE. 303
Quanl au nom des Uhélicns, on le fait remonler, comme nous l'avons dit, à une
nombreuse migration de Tyrrhéniens ou Etrusques, Tmci, qui auraient quitté
rilalie environ six siècles avant Tère chrétienne, sous la conduite d'un chef nommé
Khœtus. Quelle qu'ait été leur origine, les 'Rhétiens, au moment où ils paraissent
dans l'histoire, soit vers la fin de la république romaine, étaient une nation puissante
et belliqueuse, partagée en plusieurs peuplades portant des noms distincts. Ils avaient
étendu leur territoire bien au-delà de leui^ limites actuelles: à l'est, jusqu'aux alpes
Carnioles; au sud, jusqu'au lac de Garde et jusque près deCôme. Ainsi Vérone, où
croissait ce vin rhétien si goûté d'Auguste, était une ville de la Rhétie. Du côté du
nord, ils s'étendaient jusqu'aux lacs de Zurich et de Constance. Arbon [Arhor felix)
et Pfyn {Ad fines), dans la Thurgovie, étaient aux confins de THelvétie romaine et
de la Rhétie. La Marche, dans le canton de Schwytz, au sud du lac de Zurich, s'ap-
|)elait Marca rhœlia, frontière rhétienne. Quant aux Vindéliciens, qui sont si fré-
quemment nommés simultanément avec les Rhétiens, et qui formaient avec eux une
ligue étroite, ils habitaient au nord du lac de Constance, sur les bords du Lech, et
jusqu'au confluent du Danube et de l'Inn. On peut donner comme preuves de cette
ancienne extension de la Rhétie, la conservation du dialecte romanche dans quelques
vallées retirées du Tyrol, et celle d'un certain nombre de désignations de lieux et
de montagnes qui se rapportent à ce même dialecte. L'an 665 de Rome, les Rhétiens
avaient envahi une partie de la Gaule cisalpine, et dévasté la ville romaine de Côme,
lorsqu'ils furent vaincus par Pompée. L'an 712, Numatius Plancus les défit dans le
pays des Rauraques (près de Bàle), où ils avaient poussé une de leurs excursions
dévastatrices. Mais ce ne fut que sous Auguste que leur territoire fut conquis par
les armées romaines. L'an "739 (45 avant J.-C), cet empereur envoya Tibère
contre les Vindéliciens, et Drusus contre les Rhétiens ; et ce ne fut qu'après des
sacrifices considérables et des efforts inouïs que ce dernier parvint à dompter ces
peuplades sauvages; le nom de ml Druschanna {vallis Dntsiann) que porte encore
le Montafaun dans le Tyrol, ainsi que le Drusus-Thor ou col de Drusus, rappellent
quel fut le conquérant de la Rhétie. Ce pays devint une province romaine, sous le
nom de Rhœtia prima, et la Vindélicie en forma une sous celui de Rhœtia secuiklu.
Les quatre siècles de la domination de Rome introduisirent dans la Rhétie la civi-
lisation, ainsi que l'usage de la langue romaine, lingua romana rmtica; les dialectes
qui se parlent encore aujourd'hui dans le pays (le romanche et le ladin), portent des
indices évidents de leur parenté avec cette langue, tandis qu'on n'y a pas trouvé
(sauf en ce qui concerne quelques noms de lieux ) de racines du langage étrusque.
On profita de l'ardeur belliqueuse des Rhétiens pour les enrôler, et leurs cohortes
servirent avec gloire en Asie et en Egypte; 16 ans après J.-C, les Rhétiens sau-
vèrent, dans une bataille livrée sur les bords du Weser, leur général Germanicus,
fils de leur ancien vainqueur. L'an 69, les Helvétiens s'étant révoltés, les troupes
de la Rhétie aidèrent les Romains à les remettre sous le joug. D'après les légendes,
la foi chrétienne aurait été importée dans le 21^ siècle en Rhétie; on cite comme le
premier apôtre de ce pays saint Ltœius Confessor, qui y serait arrivé de l'ile de
Bretagne, et y aurait subi le martyre avec sa sœur Emerita. Des légendes confuses
parlent aussi de saint Fridolin, de saint Fidelis, de saint Valentin et de saint Gaudenz ;
ce dernier serait mort à Casaccia, au pied du Septimer, dans la vallée de Bre^aglia.
564 LA SUISSB PITTORESQUE.
H est fait mention d'un évéchc qui aurait été créé à Goire dès le 4* siècle ; cepen-
dant, on s'accorde généralement à citer comme ayant été le premier évèque de
Ck)ire, saint Asimo, qui vivait vers Tan 450. Dans les siècles suivants, les évéques
acquirent peu à peu une grande puissance.
A répoque de Tinvasion des Barbares, la Rhétie fut envahie particulièreroenl
par les Allémani, puis par les Ostrogoths sous le roi Théodoric ; après la mort de
ce dernier, le roi Vitigès fut vaincu par les Francs, et la Haute-Rhétie tomba au
pouvoir de Théodebert, roi de ce peuple, et elle resta trois siècles sous celte domi-
nation. Elle forma un comté {comitalM Cnriefws). Pendant près de deux siècles, la
dignité de lirœses ou de comte de la Rhétie fut presque héréditaire dans la maison de
Victor I*', qui, vers Tan 600, administra celte province. Plusieurs comtes lurent
en môme temps revêtus de la dignité épiscopale. Vers l'an 644, l'ermite Sigîsbert,
élève de Golomban, fonda au milieu d'une contrée inculte la cellule De^ertina, qui
devint par la suite l'abbaye de Dlseniis. Cette abbaye contribua à répandre le
christianisme et l'agriculture parmi les habitants; elle étendit son autorité jusqu'au
val d'Urseren, dont l'abbé confirmait le premier magistrat (Tbalammann), lequel,
comme signe de sujétion, devait donner à l'abbé une paire de gants blancs. Cette
forme d'hommage a duré jusqu'en 4785. Pendant la même période, plusieurs nobles
familles, de race allémanique ou franque, bâtirent des châteaux forts, et acquirent
des serfs nombreux et des domaines étendus. Sous les faibles successeurs de Charte-
magne, le pouvoir anarchique des seigneurs s'accrut encore, et il n'y eut plus de
droit dans le pays que celui du plus fort. Par le traité de 843, la Rhétie édiut au
roi Louis-le-Gcrmanique. En 888, après la déposition de Charles-le-Gros, la Rhétie
fut réunie à l'Allemagne, mais tout en restant sous la protection de ses comtes ; et
après le meurtre du comte Burkhard de Lenzbourg, le comté fut adjugé aux ducs
de Souabe, qui le gouvernèrent de l'an 946 à l'an 4268. C'est au milieu de cette
période, en 4470, que Tévéque reçut de l'empereur Frédéric-Barberousse le titre de
prince. Parmi les seigneurs les plus puissants du pays, se distinguaient alors ceux de
Vais, de Rho'.zûns, de Belmont, de Sacco ou Sax-Misocco, d'Aspermont, etc. Gqien-
dant, malgré l'oppression générale qui pesait sur le peuple, plusieurs petits districts
obtinrent ou réussirent à conserver quelques privilèges; il est fait mention des
hommes libres de Bregaglia, de Lax, de Davos, de Flims, etc. ; il arriva des colonies
d'Allemands qui formèrent aussi des communes libres, telles que celles deRhein^vald,
d'Avers, de SaOen, d'Obersaxen, de Vais.
Après l'extinction de la dynastie souabe des Hohenstaufen, la Rhétie devinl un
membre immédiat de l'empire. Vers ce temps, les barons de Vatz l'emportaient de
beaucoup en pouvoir sur tous les seigneurs de la Rhétie ; ils furent d'abord en paix
avec les évéques ; mais, vers 4 324 , le baron Donat, s'étant allié avec les Waldstœtten,
déclara la guerre à l'évêque, qui avait envoyé des secours à Léopold d'Autridie,
lorsqu'il attaqua les Confédérés. Les troupes de l'évêque furent vaincues à Dischma
près Davos, puis à Filisur en 4323. Le baron confirma et augmenta les privilèges
de Davos ; et à l'époque de sa plus grande puissance, il avait jeté volontairement
les premiers fondements de la liberté de son pays, quand en 4289 il dédara
hommes libres ses serfs de Belmont, en récompense de leur fidèle assistance. Cet
homme, qui fut décrié par ses ennemis, mourut en 4333, sans postérité mAle, et
LA SUISSE PITTORESQUE. 365
ses domaines passèrent aux maisons de Toggenbourg et de Werdenlierg-Sargans.
L*évéque, ainsi que d'autres seigneurs, envoya de nouveau à rAutricbe des auxi-
liaires qui combattirent contre les Confédérés à Sempach et à Naefels ; mais ces
Rhétiens, qui furent ainsi témoins des triomphes des Confédérés, apprirent par là
qu'en se liguant, de petits peuples deviennent assez focts pour se délivrer du joug
de leurs oppresseurs.
Dans le cours du Ik^ siècle, plusieurs alliances partielles préparèrent la fédération
de toutes les contrées de la Rhétie. Telles furent une alliance conclue en 4349 entre
Fabbaye de Disentis et Uri; une autre conclue en 4339 entre Disentis, Belmont,
Werdenberg et les trois Waldstœtten. En 4390, les barons de Sax conclurent avec
Tabbé de Disentis une alliance qui fut appelée Part sura, partie ou ligue supérieure ;
en 4395, les comtes de Werdenberg y accédèrent, plus tard ceux de Rhœztîns; en
4400, ces mêmes seigneurs conclurent une ligue offensive et défensive avec Claris.
Mais ce fut en mars 4&24 que fut réellement fondée la Ligue grise ou supérieure;
cet événement important s'accomplit près de Trons, sous un érable dont le tronc
porte encore quelques branches garnies de feuillage; c'est d'après le conseil de
P. Pultinger (ouPuntaningen), abbé de Disentis, que les principaux du peuple avaient
invité la noblesse à reconnaître enfin les lois de la justice. L'abbé de Disentis, les
seigneurs de Rhsezûns, de Sax, de Werdenberg, et les chefs du peuple, jurèrent une
alliance éternelle, dont le but était d'assurer leur sécurité commune et de protéger
les droits de chacun. La commune de Disentis, la ville d'flanz, et les hommes
libres de Rheinwald et de Lax, étaient aussi représentés dans cette conférence. — La
Ligue des Dix Juridictions fut fondée le 8 juin 4436. Après le décès du comte
Frédéric de Toggenbourg, une contestation violente s'étant élevée au sujet de sa
succession, les hommes libres et les sujets résolurent de prévenir, au moyen d'une
alliance, les traitements arbitraires auxquels ils eussent été exposés après le partage ;
la ligue fut conclue à Davos, sans la participation des seigneurs, mais n'avait nulle-
ment pour but d'attenter à leurs droits. Une autorité supérieure fut instituée, et le
territoire divisé pour l'administration de la justice en onze juridictions (qui dès 4 SOC
furent réduites à dix). — Quant à la Ligue Caddée ou de la Maùton-Dieu {CasaDei),
on fixe ordinairement comme date de sa fondation l'année 4396^ Elle comprenait,
comme son nom l'indique, les principales propriétés et les sujels de l'évéché; elle
avait pour but dans l'origine de protéger l'évéché et ses domaines, mais les com-
munes elles-mêmes figuraient comme partie contractante.
Les trois ligues formèrent ensuite entre elles une alliance qui remonte à l'an 4 454 ;
mais ce ne fut qu'en 4474 qu'elle prit une consistance plus précise et plus formelle.
Cette année-là, tous les seigneurs laïques et ecclésiastiques, et les délégués des com-
munes et juridictions, se réunirent à Vazerol, près Lenz, au centre du pays, et
jurèrent une éternelle union des trois Ligues ou parties de la Rhétie. Le but était de
proléger les droits acquis de chacun ; l'ensemble des trois Ligues devait décider de
la paix et de la guerre et des autres affaires importantes; en cas de conflit entre
deux Ligues, la troisième devait être prise pour arbitre. La Ligue grise donna son
nom à l'alliance générale {Graubûndner, Grisons, veut dire Ligués gris). Vers ce
1. Selon d*aolre8, Tépoque de la fondation de ceUe ligue ne peut être précisée eiactement,
mais elle doit élre antérieure à Tan 1400.
3G6 U SUISSE PITTOUBSOCK.
temps, plusieurs ramilles puiss^intes s éteignirent, d'autres vendirent leurs domaines;
les communes profitèrent de ces circonstances pour racheter les droits seigiieoriaa\
et s*affranchir complètement. C'est ainsi que la république des trois Ligues acquit les
seigneuries de Mayenfeld et d'Aspcrmont. En l<i76, les Grisons furent attaqués par
le duc d'Autriche, qui envahit la Basse-Engadine ; mais ils repoussèrent vigoureu-
sement Tennemi. Pendant la guerre deSouabe, les Grisons, qui s'étaient alliés avec
les Confédérés suisses, combattirent glorieusement, surtout à la Makerheide*, où une
petite troupe, conduite par Fontana, Rink et Lombris, fit des prodiges de valeur.
Aussi, par le traité de Bàle de 1&99, obtinrent-ils de TAutriche et de la Ligue de
Souabe la reconnaissance de leur république. Dans les années suivantes, les Grisons
prirent part à plusieurs expéditions en Italie. En 4812, à la suite de œlle de Pavie,
ils gagnèrent la possession de la Valteline et des pays de Bormio et de Chiavenne,
qui avaient autrefois appartenu en grande partie à Tévéché, et qui furent gouvernés
dèS'Iors comme des pays sujets; il- fut convenu que Tévéché recevrait un quart des
revenus. Par le traité de 1S18, Tarchiduc reconnut les trois Ligues comme un Elat
indépendant d'une manière plus expresse encore que par celui de 4499.
La Réforme trouva un aussi facile accueil dans les Grisons que dans d'autres
parties de la Suisse. Sa cause fut soutenue particulièrement par Salandronius
(Salzmann), ami de Zwingli et de Vadianus, et par Gomander (Dorfmann), qui fut
le premier antislès de Coire depuis 4524, et qui y lutta courageusement pendant
trente-trois années contre l'évéché. Leurs efforts furent appuyés et continués par
Bûrkii, Campell, Gallicius, Biveron, etc., et par plusieurs émigrés italiens, tels que
Paul Vergerio, ancien archevêque de Capo d'Istria, et qui fut pasteur à Vioosoprano
dans le val Bregaglia. Le 7 janvier 4526 eut lieu à Ilanz une conférence religieuse,
dans laquelle l'avantage resta du côté de Gomander; aussi, quelques mois après, la
Diète de Davos décréta- t-elle une liberté générale de religion, et en peu .d'années
les deux tiers du pays eurent embrassé la foi évangélique. Un complot ourdi pour
l'extermination des réformés fut déjoué, et l'abbé de St.-Lucius, ThÀ)dore Schlegd,
fut exécuté à Coire en 4529. Quelques disputes s'étant élevées sur les dogmes el
les sacrements, on institua en 4537 un synode réformé, lequel, en 4552, adopta
une Confession de foi rhétienne, qui fut rédigée par Gallicius. Les Diètes de 4544 el
4552 admirent en principe que, dans chaque commune, la majorité devait décider
du maintien ou de l'abolition de la messe. Après la mort de l'évéque Paul Ziegier,
qui s'était réfugié hors des Grisons, et qui s'était livré à des menées dangereuses
pour le pays, les Ligues prirent des mesures pour qu'un étranger, comme l'était
Ziegler, ne pût plus être élevé au poste épiscopal.
La suite du siècle fut marquée dans l'histoire des Grisons par de longues dissen-
sions intestines, causées surtout par la possession des pays sujets, source de cupidité
et d'ambition, et par les alliances contractées tour à tour, et quelquefois même
simultanément, avec diverses puissances étrangères, Milan, Venise, la France,
l'Espagne et l'Autriche. Suivant que l'emportaient les amis de telle ou telle puis-
sance, le pays se trouvait ballotté d'un parti à l'autre. Souvent la faction qui avait
momentanément le dessus, établissait des tribunaux extraordinaires, appelés à pour-
1. Sur le territoire tyrolien, à environ 3 lieues au nord de Glonrni.
LA SUISSE PITTOKESQt'E. 367
suivre les chefs de la faction opposée. Ainsi, lors de la lutte du parti français contre
le parti autrichien, de 1541 à 1551, ce dernier établit à Coire, en 1542, un tribunal
qui frappa 25 pensionnés du parti français. En 1550, la Dicte réunie à Davos créa
une autre cour, qui prononça des peines très-rigoureuses contre un grand nombre
de citoyens innocents ; une nouvelle cour, qui fonctionna h llanz en 1551, cassa
ces jugements, et la Diète, en même temps, interdit toute brigue et toute menée.
Pendant les dissensions qui se renouvelèrent de 1564 à 1574, la Diète de Davos
prescrivit, en 1570, que toute personne qui postulerait une place dans la Valteline
devrait prouver qu'elle n'avait pas fait d'intrigues ou acheté des voix. Vers ce
temps, Rome faisait tous ses efforts pour combattre la Réforme dans la Valteline.
Cellario, pasteur à Morbegno, fut saisi en 1568, contre le droit des gens, conduit à
Rome et brûlé; en 1572, le pasteur de Mello fut tué en chaire. Une bulle papale
donna à Jean Planta, seigneur de RhŒizûns, pleins pouvoirs pour disposer de toutes
les places ecclésiastiques occupées par des protestants dans la Valteline et même
dans les Grisons. Un pareil acte remplit d'indignation tous les habitants des- Ligues,
quelle que fut leur confession. Planta fut exécuté à Coire en 1572. Un tribunal
établi à Tusis en 1573 prononça des sentences d'une extrême rigueur, qui furent
cassées par une autre cour, qui siégea à Coire la même année. Fatiguées enfin
d'une telle anarchie, les trois Ligues votèrent, en 1574, une loi qui réglait la procé-
dure à suivre contre ceux qui attenteraient à la liberté du pays; on interdit aussi
au clergé des deux cultes de se mêler à l'avenir de tous débats politiques.
Des événements plus funestes encore signalèrent le commencement du 17* siècle.
L'Autriche et la France se disputant la possession de la Lombardie, chacune mettait
un grand prix à compter les Grisons comme alliés. En 1602, les Ligues conclurent
une alliance avec Henri IV, et promirent d'ouvrir le passage de leurs montagnes aux
armées françaises, et de les fermer aux troupes autrichiennes. Venise, dont les Etats
confinaient avec ceux des Ligues et séparaient ainsi la Lombardie des Etats autri-
chiens, conclut aussi avec les Grisons une alliance de dix ans. De là, grande irri-
tation de l'Autriche et de l'Espagne, et luttes intérieures entre les partis. L'envoyé
français dans les Grisons eut beau faire de grandes distributions d'argent : il ne put
empêcher une partie du peuple de se soulever en faveur de l'Autriche. Le gouver-
neur espagnol de Milan, comte de Fuentès, construisit, en 1603, près de l'embou-
chure de TAdda dans le lac de Côme, une forteresse qu'il appela par dérision le
Joug des Grisons, et il intercepta tout commerce. Des tribunaux extraordinaires,
établis successivement à Coire, à Tusis et à Davos, prononcèrent l'amende, l'exil et
même la peine capitale contre les chefs des partis qui leur étaient opposés. La guerre
civile éclata même ouvertement à Coire, dans l'Engadine et dans l'Oberland, de
1618 à 1620, et l'évéque Hugi fut déposé et banni.
Pendant la guerre de Trente ans, les Grisons devinrent le théâtre des plus hor-
ribles scènes. Les chefs de la faction espagnole, Rodolphe et Pompée Planta, ne
pouvant pardonner à leur patrie l'exil dont ils avaient été frappés, rentrèrent en
1620 dans la Valteline à la tête de nombreuses hordes de bandits, qui massacrèrent
4 à 500 protestants, à Tirano, Teglio, Sondrio, etc. L'Autriche fit aussi envahir la
vallée de Munster, dont les habitants firent une défense opiniâtre ; 500 réformés se
réfugièrent en Suisse ; 3000 Confédérés et 1500 Grisons vinrent combattre l'ennemi
368 LA SUSSE PITTOIIESQIB.
en Vallelinc, mais ils furent repoussés. En revanche, la Ligue grise, qui prenait
parti pour TEspagne et avait appelé des auxiliaires des cantons catholiques, fut
attaquée par le parti protestant, et subit, près de Valendas, un échec, à la suite du-
quel ses alliés se retirèrent. Pompée Planta fut massacré. Une nouvelle expédition,
dirigée sur le pays de Bormio en 1621 , fut sans résultat, et fut suivi d'une invasion
des Autrichiens dans le MCinsterthal, la Basse-Engadine et le Pnettigau, qui eurent
à subir d'affreux excès; le général Baldiron s'avança même jusqu'à Mayenleld et à
Coire. En même temps, le duc de Feria occupa Chiavenne et le val Bregaglia. La
plus grande partie du pays était ainsi au pouvoir de l'ennemi, et le dernier jour de
la liberté juraissait venu pour les Grisons. C'est alors (avril 16i2) que le peuple
des juridictions de Gastels, de Sehiers et de Klosters, saisissant les armes que leur
fournissait le désespoir, et conduits par Ulysse et Rodolphe de Salis, par P. Guler,
G. Jenatsch, J. Tschamer et d'autres braves, attaquèrent intrépidement l'ennemi à
coups de bâton et de massue, enfermèrent Baldiron à Coire et le forcèrent à une
retraite honteuse. Ulysse de Salis marcha ensuite vers l'Engadine, la délivra, et
même poursuivit les Autrichiens dans le val Montafoun. L'indépendance du pa\s
fut ainsi sauvée ; Salis peut être appelé le second fondateur de la république rhé-
tienne. Mais le peuple se fui trop tôt à une tranquillité trompeuse ; l'ennemi revint
avec des forces supérieures, et cette invasion fut accompagnée d'excès plus terribles
encore que la première. Après une résistance énergique mais inutile, les plus braves
se réfugièrent chez les Confédérés. Le peuple gémit de nouveau sous le joug le plus
|)esant, et, pour surcroît de malheur, l'hiver de 1622 à 1623 fut une époque de
disette.
Les Grisons allaient être obligés de consentir à un démembrement et à la perte
de leur existence politique, lorsqu'ils furent sauvés par le cardinal Richelieu. Une
armée française, sous le maréchal Cœuvres, pénétra dans les Grisons en même temps
qu'un cx)rps de Confédérés et une troupe de 1100 émigrés, et les Autrichiens furait
expulsés. Le 25 novembre, les anciennes Ligues avaient déjà renouvelé leur serment,
et, il faut l'ajouter à leur louange, elles ne sortirent point de la limite du droit, et
respectèrent tout ce qui avait appartenu légalement à l'Autriche. Les Français et les
Suisses reconquirent aussi les pays sujets, en février 1628. Mais, par le traité de Mon-
zone, du 6 mars 1 626 , avec l'Espagne, la France stipula que la religion réforméedevrait
être exclue de ces provinces ; qu'elles formeraient un Etat distinct, avec des chefe élus
|)ar les habitants eux-mêmes, et qu'elles n'auraient qu'un tribut annuel à payer aux
Grisons. Ceux-ci protestèrent, mais le maréchal livra ces pays et leurs places fortes
aux troupes papales, et se retira, laissant aux trois Ligues cette leçon : que les petites
républiques trouvent des maîtres, quand, au jour de la détresse, elles invoquent
l'appui des cours étrangères. L'infidélité de la France rendit des forces aux partisans
de l'Autriche, et tout à coup 40,000 Autrichiens pénétrèrent dans le pays par le
Luziensteig et prirent partout de fortes positions. Les Grisons furent forcés de nou-
veau de consentir à des conditions qui menaçaient leur liberté politique et religieuse.
Mais les victoires de Gustave-Adolphe et les armements de la France et des Conle-
dérés déterminèrent l'empereur à faire la paix avec les Ligues, le 19 juin 1631, et à
évacuer leur territoire. Une armée française, commandée par le duc de Rohan, ren-
forcée de Suisses et de Grisons, marcha sur la Valteline et battit sur tous les points
LA suisse PITTORESQUE. 369
Ifs Espagnols et les Autrichiens; toutefois, la politique égoïste et perfide de la
France trompa encore une fois toutes les espérances des Grisons: Rohan reçut la
défense de leur restituer leurs anciennes provinces. Ce général se retira bien malgré
lui, et laissa aux principaux du peuple grison le soin de consolider Tindépendance
de leur patrie. Us ne purent atteindre ce but que par des traités postérieurs : l'un
conclu avec l'Espagne en 1639, un autre avec TAutriche en 1641, et enfin par le
traité de Westplialie de 1649. Par ce dernier, rAutriche consentit au rachat des
droits qu'elle possédait encore sur plusieurs juridictions et sur la Basse-Engadine ;
mais par le traité avec l'Espagne, les trois Ligues durent consentir au sacrifice de la
liberté religieuse dans les pays sujets ; les réformés qui y étaient propriétaires ne
purent y résider que trois mois par année.
Dès-lors, les provinces sujettes continuèrent à être pour les Grisons une source
d'abus; les charges étant vénales et données au plus offrant, les fonctionnaires
(levaient pressurer les sujets pour rentrer dans leurs déboursés. Malgré quelques
améliorations opérées après la guerre de Trente ans dans la rédaction des lois et des
statuts, les lois criminelles du pays restèrent extrêmement imparfaites; en outre,
l'administration de la justice était souvent confiée à des hommes qui étaient dépourvus
des lumières nécessaires. De là sont résultés ces nombreux procès de sorcellerie. En
1583, le cardinal Charles Borromée avait déjà fait procéder à plusieurs exécutions
pour pareil fait dans la vallée de Misocco ; de nouvelles poursuites eurent lieu, et des
sentences capitales y furent prononcées encore en 1613, puis en 1656 et 1714,
contre des personnes de tout âge et de tout sexe. En 1699 et 1700, un grand
nombre de poursuites semblables eurent lieu aussi dans la juridiction de Gruob
(près d'ilanz). En 1718, la Diète, réunie à Coire, fit rédiger |>ar trois jurisconsultes
une Ordonnance sur les maléfices, extraite du Gode de la Caroline ; elle l'approuva en
1716, et le recommanda aux communes; mais l'esprit d'indépendance qui prévalait
ne permettait pas qu'on la leur imposât comme règle. — Une foule de jeunes gens con-
tinuèrent à aller s'enrôler au service de diverses puissances ; mais on négligent d'établir
une bonne organisation militaire dans le pays. Beaucoup d'autres citoyens allèrent
exercer quelque industrie à l'étranger, comme on le fait encore aujourd'hui ; mais
rien ne fut foit pour encourager l'industrie dans l'intérieur. L'emploi des revenus
publics était si mal entendu, qu'au lieu d'être appliqués à des objets d'utilité
publique, ils étaient répartis entre les communes, qui les partageaient entre leurs
ri^ssortissants. — Rome profita des divisions qui régnaient encore dans le pays pour
y faire |)cu à peu divers envahissements. Ainsi, en 1661, le nonce Frédéric Borromée
réussit, au moyen de ses intrigues, appuyées par les menaces de l'ambassadeur
J Autriche, à faire porter au siège épiscopal Bénédict de Rost, quoique étranger aux
firisons. Dès-lors, les évêques et le chapitre essayèrent systématiquement de se
soustraire à toute dépendance vis-à-vis de l'Etat, et commencèrent à placer hors du
|)ays les biens de l'évêché, ce qui fut cause, par la suite, de la perte de la plus grande
partie de ses possessions temporelles. En 1706, l'arrivée de missionnaires capucins
tians les vais Misocco et Calanca y causa une vive fermentation ; le 15 août, le land-
slurm se leva et chassa les capucins de toutes les paroisses ; les trois Ligues leur inter-
dirent de rentrer dans le pays.
Au commencement du 18* siècle, la guerre de la succession ayant mis aux prises
11,24 fi']
570 la M.ISSC mTDRESQi'E.
I Autricbe el la FraiHt» clans les plaines de la L<»mb8rdie, ers deux Etats recher
ciiërenl rallianiv de^ Gri^Mis. Le> réformés inelioaienl pour la Franee, et les i^atbo
lN|iies pi>ur S4»n adversaire. La lutte des partis fui trî's-vivc. Malgré les prome>N>
>éduisintes de I Autrii-he, la Diète de Daviis déeida de rester neutre; mais, en 4707.
lAnj^leterre et la Hollande obtinrent qu'elle se prononçât |N>ur rAutriehe et permit
à si*s trmi|)es le |vivni;^* sur le territoire de la république. La Franee, viveoKml
hles>ét\ liivn^ia ausNitôt le^ quinze ci>mpa;:nies grisonnes qu'elle avait à sa solde.
Toutef4>is. en 171%, l' Autriche refusa de tenir isi*s engagements, et déclara nulk>
loute> les p^o^H'^>e^ de sim amlKissadeur. En 1726, elle consentit enfin à acermier
(|uehiues bu'ilités oHiitnerciale> ; mais elle insista sur Texpulsion des réformés de li
Valteline, el Ion y pnurda a\ec rigueur au milieu de Thiver 1729. Aussi le parti
fraiHjais (MmmeiH;a t-il des poursuites contre les magistrats qui avaient fait aceept»^
un paœil traité. La guerre ci\ile ne fut prévenue que par TintervenUon d'um*
ambiissiide suiss^^.
Vers la fin du siècle, la puis^sante famille des Salis se trouvait à la tète du parti
dominiint, lequel se rattachait à la France. Celaient cu\ qui exerçaient la tuiute
pré|n»ndéRiiK'e dans le cImmx des officiers au service étranger et dans celui do^
divers foiuiionnairo des Ligues et des bailliages. Le |)arli rival s'appuyait sur
rAutriclie, et avait à sii tête les Planta, les Sprcelier, les Tscharncr, les Bavier, etc.
Les trois Ligues avaient toujours refusé de recevoir les pays sujets comme leun*
alliés et leurs égaux, et axaient re|K>ussé toutes les propositions tendant à améliorer
le régime stms le<iuel ils étaient tenus, entre autres une pro|X)6ition d'Ulysse de
Salis Marschliiis, représtMitant de la France, relative à une réforme complète de
radministnition de la justice dans les bailliages. L'Autriche, de son côté, ne négligeait
aucune «K'casit^n d'inter\enir dans les disputes qui s'élevaient entre les souverains l
el les sujets. IKH; que la révolution eut fait prévaloir en France les principes de
liberté, la Valteline mit tout S4>n es|)oir dans l'intervention de cet Etat. En menu*
lem|)s, elle entama des nég(H.Mati(ms avec le gouvernement de Milan; oehii-ci invita
k^ Ligues à une amférence, qui eut lieu en elTet à Milan en 1792, et n'eut aucun
ivsultal. Mais, di»s que la Loinbardie fut cKvu|M?e par les Français, la Valteline planlii
tli^ arbres de likMlé, expulsai les employés grisons, et, le 19 juin 1797, déclara
refuser loule ol)éissiiu*e aux trois Ligues. Celles-ci invoquèrent alors la médiation di*
Bonaimrte, el lui envoyèrent une députalion. Le général français exigea que les
insurgés fusMMit émancipés el jouissent d'une complète égalité de droit avec leurs
anciens maîtres. Les cHimmunes se prononcèrent en majorité pour racceptalion de
n»s conditions; mais, quelques-unes ayant donné des votes équivoques, les chefs du
|Miys iKTdirenl du lemjis à les consulter de nouveau, cl laissèrent écouler le ternie
lixé. Alors Bona|)arle annonça, le 10 octobre, à la Valteline el aux jwys de Bonim
el de fihiavenne, qu'ils avaient la faculté de se joindre à la république cisalpine.
Le 22, celle république déclara que ces provinces faisaient désormais partie inté-
grante de son territoire, et les biens que des Grisons y possédaient, lesquels s'âo'aienl
ù 8,000,000 de livres, furent confisqués comme caution pour les réclamations
c|u*elles avaienl à faire valoir.
Ces événcmeiUs causèrent une grande consternation dans les trois Ligues; et pour
n'avoir jms su les prévenir, les hommes les plus influents subirent Texil ou dcîi
LA SUISSE PITTORESQUE. 374
contiscalions. La Suisse, dont on invoqua l'assistance, était trop agitée elle-même
pour pouvoir venir en aide à ses alliés. Des députations envoyées à Milan et à Paris
IVirenl éconduites. Alors Talleyrand, ministre des affaires étrangères, offrit aux
députés l'annexion des Grisons à la république helvétique. La Diète refusa cette pro-
position, et les ennemis de la réunion facilitèrent l'entrée d'un corps de 20,000 Au-
trichiens. Alors les partisans de l'annevion furent persécutés; un grand nombre
d'entre eux émigrèrent, et leurs biens furent séquestrés; mais en ventôse 1799
arriva Masséna avec une armée française, qui fit prisonnier le général autrichien et
une partie de ses troupes ; les Français trouvèrent cependant une héroïque résistance
dans le Pnettigau et la vallée de Tavetsch. Masséna établit un gouvernement provi-
soire, qui entra aussitôt en négociation avec le gouvernement helvétique, et, le
30 avril 1799, la réunion des Grisons à la république helvétique fut conclue. Plus
de soixante pères de famille, pris parmi les chefs du parti opposé, furent déportés ù
Aarbourg en Suisse, puis à Salins: mesure funeste, qui ne devait pas tarder h
amener des représailles ; car, à la suite des échecs de Schérer en Italie, et de Jourdan
on Allemagne, les troupes françaises, qui avaient aussi à résister à une insurrection
dans l'intérieur, durent évacuer les Grisons en mai 1799, et furent remplacées par
celles de l'archiduc Charles. Ce dernier établit un nouveau gouvernement inté-
rimaire, et fit saisir arbitrairement comme otages plus de 90 des principaux
citoyens» qui furent transportés à Inspruck et plus tard à Grœtz. Il survint bientôt
un nouveau changement de fortune. Masséna défit, le 2S septembre, les Autrichiens
et les Russes, et les força à battre en retraite. Les Français les poursuivirent au
milieu des montagnes. Le gouvernement provisoire dul prendre la fuite, en laissant
le pays en proie à toutes les horreurs de la guerre. D'après un armistice conclu en
juillet 1800, les Autrichiens occupèrent l'Engadine, et leS Français les bords du Rhin.
Le général Molitor établit un conseil de préfecture composé de six membres, et
nomma pour préfet M. Gaudenz de Planta. Ce gouvernement abolit l'ancienne
Constitution, et divisa le pays en neuf districts, ce qui simplifia beaucoup l'admi-
nistration. Enfin, le 1**' décembre 1800, les troupes étrangères évacuèrent le pays,
pl tous les déportés rentrèrent dans leur patrie.
La paix de Lunéville, en février 1801, rendit au peuple grison la faculté de se
constituer comme il l'entendrait. Les partis recommencèrent aussitôt à s'agiter.
L'un d'eux réclamait l'ancienne Constitution ; un autre demandait la réunion à la
république cisalpine. Mais une décision du Premier Consul, du 24 juin, déjoua toutes
les intrigues, et accomplit les vœux de ceux qui désiraient l'annexion à la Suisse.
liC colonel Andermatt, envoyé par le gouvernement helvétique, arriva à Coire et
opéra formellement cette annexion. Ainsi, après 350 années d'existence, la répu-
blique des trois Ligues vit ses libertés consolidées et garanties par une union plus
intime avec les cantons suisses. — En octobre, le gouvernement helvétique fut
renversé, et au printemps de 1802 une assemblée de notables nommés dans chaque
canton proportionnellement à la population, se réunit à Berne pour rédiger une
nouvelle Constitution helvétique plus conforme aux mœurs et coutumes de la Suisse
que celle qui avait été imposée en 1798 par la France, et plus éloignée des idées de
mUralisation. Cette Constitution, d'après laquelle le gouvernement fédéral se com-
imsait d'un Conseil exécutif et d'un Sénat, n'obtint pas la majorité dans les Grisons.
372 Uk $lbe4: rtTTt«E><KE.
La ni«*nie annér. rin^jm-itHm (k> WaUsU^Ittffi eul puur cunséquenee la médialiun
(lu KrfmHT C>»nMj|. qui lit a[»(Hiyer sa %i>tonlé par une armée de 40,000 hommes.
c( le LvrMTjl H;i|»|i.im\a i-i»fnroe |>lt'-ni|vilenliaire dans les Grisons, où un parti avait
•l*>i jwrlr dt-$i'|i.ir.ih«»n. Al«»rs. MM. FI. Planta d Ulricb Sprceher furenl cnvwés a
Paris miiirm* d«'>|*uU''s à la Giinsuite avec des pleins pouvoirs, et, d*après les conseil
du Pn^nikT 0>n^l. il> nVligèrent une GMisUtutii»n qui sse rapprocbail beaoeriup de
raiH-irnnf», mais é(al»liv>ait on pinivcitr central plus (iNrt. A la fin de mars 1803, U
n4Mj\i*lle (^^rMiiutitKi fut ci»mmuniquée au peuple, el entra aussitôt en vigueur. Le
:?(»uvcm*>fnent pn»\i>4Mre fut remplacé par un P^t Conseil permanent, composé dei^
cliefs dos tn»is Li^rues, et la Uièlc Tut convertie en un Grand Conseil de 63 membre
Votant sans instniclioas. En avril, ce Grand Conseil envoya sa députation à la Diète
heUélique sic^vant à Fribuurg, el adressa une lettre de remerciements au Premier
Consul.
Durant les années suivantes, b tranquillité régna dans le pays; mais, à la suite
des «ruerres et des di>sen>ions, sa prospérité était détruite, et le nouveau canton eut
à fournir a^nme les autres, ciiaque année, un certain nombre d'hommes pour les
K*î:iments que la Suisse devait à la France. Mais ce même peuple, qui jadis recber-
cliait avec tant d*empressement les services étrangers, avait horreur de la conscrip-
tion. Il Dallait que I Etal et les communes payassent des primes très-fortes pour
obtenir des ennMcments, et les tribunaux furent autorisés à faire remise de certaines
peines, sous cvindition que Ton partirait pour le service. Dans les dix années que fut
en vigueur TActe de Médiation, Ton fit plus de progrès et d'améliorations que pen-
dant les trois siècles précédents. Dès 1803, on créa un Tribunal d'appel cantonal;
en 1804, une Ecole cantonale et un Conseil scolaire, un Conseil de santé cl un
corps de gendarmes; en 1805, on institua un Synode, et en 1807 un Conseil
ecclésiastique pour b religion réformée ; la même année, la Commission d'Etat, qui,
pour les afiaircs importantes, était adjointe au Petit Conseil comme autorité délibé-
rante; en 4813, on créa rAdministration cantonale des postes. Dès 1803 fut fondée
une Société économique, qui chercha à introduire des améliorations dans les écoles
el dans diverses branches d'industrie; c'est elle qui créa en 1808 une Caisse
d*é|Kirgne.
Di^ les premiers jours de 1814, le Grand Conseil déclara la Constitution de 18(^
abolie cl remplacée par celle qui était en vigueur avant 1798. Les communes se
prononcèrent aussi, mais à une faible majorité, pour celle Constitution, qui fut seu-
lement modifiée sur quelques points. Toutefois, ce ne fut qu'en 18i0 que la Consti-
tution fut complétée et déposée aux archives fédérales. Quant aux anciennes pro
vinccs sujettes, le Grand Conseil avait décidé, en janvier 1814, d'en reprenda^
|)ossession ; mais le {ictil corps qu'on envoya pour les occuper dut se retirer devant
les Autrichiens; el, d'après une décision des Congrès, ces provinces furenl définitive-
ment perdues pour les Grisons. Depuis 1814, le canton a joui d'une paix non inicr
rompue. H en a profité pour introduire de nombreuses améliorations dans diversfô^
branches de l'administration; Ton a perfectionné particulièrement rinstruction
publique, el Ton a crée d'importantes voies de communication. Depuis 1830,
on a amélioré l'organisalion militaire, el créé la landwehr, qui compte près de
10,000 hommes. Une société d'actionnaires s'est formée en 1831 pour encourager
LA SUISSE PITTORESQUE. 373
lexploilalion de la soie; elle a fait planler un grand nombre de mûriers. Le eanlon
resta parfaitement calme à répoque si agitée qui suivit la révolution de 1830; car
il n*y avait dans le pays aucune aristocratie à renverser, ni aucune ville possédant
des privilèges, et la Constitution contenait peu de restrictions de la souveraineté
populaire. On ne fit donc que quelques réformes de détail. Quant à la révision de la
Constitution fédérale, le canton ne s'y opposa point, mais il se prononça toujours
pour la voie de la modération et de la justice, soit dans les affaires de Bàle et
de Schwytz, soit dans les questions religieuses qui surgirent plus tard. — On avait
en 1824 célébré à Trons le quatrième jubilé séculaire de la fondation de la Ligne
grise; les 10 et 11 juillet 1836, une solennité semblable eut lieu à Davos pour rap-
peler celle de la Idgiie des Dix-Juridiclions,
Constitution. — D'après la Constitution de 1820, le canton des Grisons a con-
servé sa division en trois Ligœs; celles-ci se divisent en 26 hautes juridictions et
justices {Hochgerichle et Gerichte), lesquelles constituent autant de petites répu-
bliques ayant des lois et des Constitutions plus ou moins différentes entre elles, et
représentent ainsi une démocratie fédérative. La souveraineté de cette confédé-
ration repose dans la totalité des communes, se prononçant par la majorité des
opinions légalement recueillies. Les juridictions nomment leui^ magistrats et les
autorités chargées de l'administration de la police et des intérêts communaux; elles
rendent les ordonnances nécessaires, lesquelles ne doivent jamais se trouver en
opposition avec les lois générales du canton, ni avec les droits de propriété d'un
tiers. Elles nomment leurs membres au Grand Conseil parmi tous les citoyens de
leur juridiction, et ont le droit de délibérer sur les lois civiles, traités et alliances
politiques qui leur sont présentés par les autorités supéiieures. Chaque juridiction
est libre de modifier plus ou moins sa constitution, si les trois quarts de ses citoyens
s'accordent c^ ce sujet, et sous la réserve que la modification ne soit pas contraire
aux lois du canton, et qu'elle ait été présentée au Grand Conseil.
Les autorités cantonales sont : Un Grand Comeil, composé de 6S membres, qui
restent au moins une année en place et peuvent être réélus. (Ce nombre a été
porté postérieurement à 66, puis à 67 dès 1851.) Les membres du Petit Conseil
assistent aux séances avec voix consultative. Il est l'autorité administrative et de
police; il délibère sur les lois, les traités et alliances, qui sont ensuite soumis à la
sanction des communes ; il nomme les fonctionnaires, et se fait rendre compte de leur
gestion ; il juge les différends des communes. — Une Commissim d'Etat, composée de
9 membres, nommés par le Grand Conseil, pour discuter préalablement les objets qui
doivent lui être soumis, pour s'occuper des affaires importantes du gouvernement, et
prendre un parti dans les circonstances majeures et urgentes où le Grand Conseil ne
peut être convoqué. — Un Petit Conseil, composé de trois membres, pris dans chaque
Ligue, qui gère les affaires journalières du gouvernement, assure l'exécution des
décrets rendus par le Grand Conseil et les autorités fédérales, etc. Ses membres sont
rééligibles au bout d'un an, mais ne peuvent rester plus de deux ans consécutifs en
place. Dans chaque Ligue il y a un Stalthalter, qui est d'office membre de la Commis-
sion d'Etat ; en cas d'absence prolongée d'un membre du Petit Conseil , le Slatthalter
1. Les prérogatives des juridictions ont dû subir quelques restricUons, par suite de la nouvelle
Constitution fédérale de 1848.
374 LA SUISSE PITTORESQrE.
de la même Ligue esl appelé à le remplacer. — Un Tribmml r/'/yi/W canUmal, airo-
posé de 9 jug(*s, connaît en dernier ressort des caust^ les plus importantes. Des cours
d'appel |M)ur les aiïaires minimes peuvent être établies par une ou plusieurs juri-
dictions réunies.
On exerce les droits de citoyen actif dès qu'on esl entré dans sa 47* année: mai'^
on n'est éligihle aux fonctions c4intonales qu*à Tàge de 20 ans accomplis. Tout
c*iloyen est tenu au siTviœ militaire dés TAge de 4 6 ans accomplis à celui de GO ans.
Les religions réformw et catholique sont reconnues par TEtat. — Le changemeni
d'une loi ou d'un décret du Grand (lonst^il ne |)cut avoir lieu qu'après un an depuisque
la proposition en a été faite, à moins que les deux tiers des membres du Grand (lonseil
ne déci^étenl Turgence, et que la (Commission d'Etal n'en ail mùremenl délibén''.
Aucun changemeni de loi ne peut s'opérer que par la sanction des Conseils el com-
munes. Aucun changemeni de Conslitulion ne peut être décrété que par les deux lier»
des votes communaux. — On comprend qu'avec ce mode de révision, on n'a pas à
redouter des modifications trop précipitées.
Cl'ltes et Population. — D'après le recensement fédéral de 4850, la population
totale du canton était de 89,895 habilants, qui se divisaient en 54,855 réformés,
38,039 catholiques el 4 israélite. Les tableaux officiels portent qu'en 4858 cette
|)opulation avait été de 8&,506; qu'ainsi l'augmentalion dans douze ans avaîlétédo
5389. On lil ce|)endanl dans la Description statistique par Rœder el Tscharner, de
4838, que d'après un recensement de 4835 (qui comprenait sans doute un grand
nombre d'individus absents), la population s'élevait à 95,059 habilanls, répartis
comme suit :
Liga.
Uiw
Ligue B^ÎM.
de la Htiton.DUu.
<lu Dii-Jnridictieu.
T.ut
Réformés. .
14,327
24,478
48,383
57,488
(Catholiques .
24,103
42,014
4,757
37,871
38,430 36,489 20,440 95,059
On voit que dans la Ligue grise les catholiques dominent; ce sont les vallées
de Safien, de Schams, de Rhein>vald, qui professent le culte réformé, ainsi que
la ville d'Ilanz, le bourg de Tusis, les villages du mont Heinzenberg, et quelques
autres des bords du Rhin, entre Ilanz el Ems. Quant aux habitants des vallées de
Sumvix, de Medels, de Lugnetz, de Misocco, de Galanca, et de la ])arUe supérieure
de la vallée du Rhin antérieur, ils professent la religion catholique. Dans la Ligue
de la Maison-Dieu, c'est le culte réformé qui domine; les catholiques y habitent la
vallée d'OberhaIbstein, partie de celles de l'Albula et de Poschiavo, les communes
de Samnaun au nord de la Basse-Engadinc, de Sanla-Maria dans le Mûnsterthal, etc.:
il y a aussi près d'un millier de catholiques à Coire. Les protestants habitent TEnga-
dine, le val Bregaglia, la vallée d'Avers et celle de Goire. Quant à la Ligue des Dix-
Juridictions, elle est en grande majorité protestante ; les catholiques ne s'y trouvenl
que dans quelques villages, tels que Lenz, Brienz, Alveneu, etc. On compte dans lo
canton 423 paroisses réformées, 80 catholiques, et 8 mixtes ou ayant un desservant
de chaque culte.
Le Grand Conseil esl partagé en deux collèges confessionnels, qu'on nomme la
Sefinimi kamjèUiim el le Cjorps vathiAiqHe (corpus catholicum). Le Collège évangéliquc
LA SUISSE PITTORESQUE. 57S
a la surveillance sur les affaires ecclésiastiques et fait les projets de loi qui y sont
relatifs, lesquels sont soumis à l'approbation des communes. Le Corps catholique a
la surveillance sur les |)ossessions de Févèché, dont Tadministration appartient en
certains cas au Grand Conseil tout entier. — Le clergé protestant de chaque Ligue
tient chaque année un Synode, où Ton traite des affaires ecclésiastiques. Chaque
Synode a son doyen, qui est élu par le Synode général des trois Ligues. Ce Synode
évangélique se compose de tous les ecclésiastiques du culte réformé et de trois
assesseurs laïques choisis par le Collège évangéliqUe. il fait des propositions au Grand
Conseil sur les affaires extérieures de TEglise. Il y a en outre un Conseil d'Eglise*
évangélique, placé immédiatement sous l'autorité du Gouvernement ; il est chargé
de l'exécution des lois et de la direction des affaires ecclésiastiques. Les pasteurs
réformés sont mal payés, et leurs habitations sont très-modestes. — Le clergé catho-
li([ue se divise en quatre chapitres, et relève de l'évéque de Coire. (Quelques paroisses
ce|)endant relèvent de celui de Côme.) il n'y a pas de Synode catholique ni de Con-
seil d'Eglise: la cour de l'évéque les remplace. — En 1824, une bulle papale avait
institué le double évèché de Coire et de &iint-Gall, malgré les protestations du
Gouvernement et du Grand Conseil des Grisons, et Tévéque Charles-Rodolphe de Buol
avait pris possession du diocèse de Saint-Gall. Le 7 juillet 1824, sur la demande du
Collège catholique, le Grand Conseil refusa de reconnaître ce double évéché, et décida
que, dans le cas de vacance future, le sé(iuestre serait mis sur la résidence et tous
les biens temporels de l'évéché. Ce décret fut mis à exécution après la mort de
Tévêque en 1833. Le vicaire du chapitre, J. -George Bossi, fut appelé en 1835, par
une bulle de Rome, à la dignité épiscopale; mais ce nouveau prélat, bien que déjà
sacré par le nonce à Einsiedeln, ne fut pas reconnu par le Gouvernement grison.
Cette résistance, jointe à celle des autorités catholiques de Saint-Gall, décida enfin
le i)ape à dissoudre le double évéché par un bref de 1836, et l'évéque Bossi fut
alors reconnu et mis en possession de la résidence et des propriétés épiscopales. —
Les pasteurs et les curés sont nommés par les communes, et peuvent être renvoyés par
elles, s'ils ne leur sont pas agréables. — Il existe encore quatre couvents dans le
canton : celui des bénédictins de Disentis, remontant à l'an 614 ; celui des domini-
caines de Katzis, aussi très-ancien ; celui des bénédictines de Munster, qui date
environ de l'an 800 ; enfin un couvent de femmes à Poschiavo.
Instruction publique. — Les écoles étaient autrefois sous la seule surveillance
Jes autorités locales. Deux sociétés scolaires, l'une évangélique, fondée en 1827,
et l'autre catholique, fondée en 1833, avaient réussi à introduire diverses réformes,
lorsque, en 1838, le Grand Conseil institua un Conseil d'éducation cantonal, chargé
de diriger les écoles élémentaires des deux confessions; ce Conseil était composé de
trois membres, dont un catholique, et de deux suppléants, Tun réformé et l'autre
catholique. Dès-lors, on a introduit plus d'ordre et d'ensemble dans l'organisation
des écoles, quoiqu'il y ait eu de grandes difficultés à vaincre par suite de l'indépen-
dance des communes. Un nouveau pas vers la centraUsation a été fait en 1843. On
avait créé à Coire, en 1804, un gymnase ou école cantonale réformée; et quelques
années après, une école cantonale catholique avait été instituée dans l'ancien cou-
vent de St.-Lucius, où existait déjà un séminaire. Mais, dans cette dernière école,
Tinslruclion avait été dirigée exclusivement en vue d'élever de futurs séminaristes.
376 LA srisse pittorksqie.
et Von y néjîli/^eail complètomenl Téducalion en vue de la vie civile ; aussi beaucoup
(Je jeunes (^ens allaient-ils faire à Télranger leurs éludes de gymnase. C'est ce qui
décida le Grand Conseil, en 1832, à transporter à Oisenlis cette école catholique,
pour la soustraire à Tinfluence épiscopalc : mais un autre inconvénient, celui de la
distance, se Taisant scnlir, on la transféra de nouveau è St. -Lucius, en I8&2. L'évéque
ayant cherché alors h la replaaT encore sous sa direction, le Grand Conseil jugea
convenable d'instituer un Oinseil d'éducation cantonal, charge de diriger soit lis
écoles élémentaires, soit les élablisscments supérieurs des deux confessions. Ce Cun
seil a remplacé celui créé en 1838 |)our la surveillance des écoles élémentaire.^,
ainsi que les deux autorités sfiécialcs qui étaient précédemment chargées de sur
veiller les écoles cantonales. Il est composé de neuf membres et d'autant de sup
pléants ; les deux tiers sont évangéliques. Depuis 1851 , les deux gymnases spéciaui^.
protestant et catholique, ont été remplacés |)ar un gymnase cantonal unique, institué
à Coire. Il existe en outre un s(*minairc de régents réformés. Nous devons mention
ner aussi deux instituts |)articuliers d'éducation, qui ont joui d'une réputation mé
ritée : celui qui fui créé en 1761 à llaldenstein par MM. Nesemann el Martin Planta,
puis trans|M)rté au château de Marschlins, en 1770, et dans lequel ont été élevés
plusieurs hommes distingués de divers pays ; et celui que le bourgmestre Tscbarner
de Coire fonda, vers la fin du siècle, à Reichenau, et qui servit |)endant quelque
temps d'asile au duc de Chartres (Louis-Philip|)c d'Orléans, roi des Français).
Langages. — Sur 100 habitants des Grisons, 38 ont pour langue maternelle I al
lemand, 13 l'italien, et 49 le roman ou romanche. D'après le recensement dont nous
avons |)arlé ci-dessus, et qui fiorlail à 95,059 la {H)pulation totale du canton, voici
comment les trois Ligues se {larlagenl sous le rapport des langages :
Lifuc
Ligue
Lieue çj\*t
rie la MiÏMm-Dieu
lies Dil-Jlirirfkliaat
Tol.1
Allemands. .
6,5K2
40,806
18,779
36,197
Romanches .
26,050
19,585
4,361
46,994
Italiens.
5,828
6,040
0
44,868
38,430 36,489 20,140 95,059
Ija population italienne habite les vallées de Misocco, de Calanca, de Bregaglia et
de Poschiavo; les Allemands habitent les vallées de Vais, de Safien, de Rlieinwald.
d'Avers, de Davos, de PraHtigau el de Coire. Aux Romanches api)artient le reste du
canton, c'esl-à-dire la |)artie la plus occidentale, comprenant les vallées de Medels.
(le Sumvix, de Lugnetz, et TOberland au-dessus d'ihuiz, el en outre celles de
Scliams, d'OI)erhall)stein, de TAIbula* l'Engadine et le Mlinsterlhal. Dans la vallée
(le Domlcscbg et dans celle du Rhin entre llanz et Coire, les Allemands et les Ro
manches se trouvent mélangés; Tusis et les villages de Masein, de Tschapina, de
Versam, de Valendas, el même celui d'OI)ersax, à l'ouest d'Ilanz, parlent allemand
Nous avons déjà dit quelques mots (page 49) au sujet de la langue romanche et
(le ses rapports remarquables, soit avet^ l'ancien langage du |)euplc romain [lingm
romana rusliva), soil avec les dialectes provençal et catalan; quant à ses rapports
avec le langage étrusque, ils se l)ornent à une certaine quantité de noms de localités
élrus<]ucs ou ombriennes, qui se retrouvent presque exactement semblables dans la
Rhélie (voyez ci dessus). Cette langue est très-harmonieuse; elle se divise en deux
LA SUISSE PITTORiilSQUE. VJl
dialectes principaux : ie romanche de TOberland, qui se subdivise en quatre sous-
dialectes, et le romanche de TEngadine, qu'on appelle aussi le ladin, et qui com-
prend deux sous-dialectes, celui de la Haute et celui de la Basse-Engadine. Le dia-
lecte d'Oberhalbstein est un milieu entre celui de TOberland et celui de TEngadine.
Le dictionnaire romanche du pasteur Conradi, dont nous avons parlé, se rapporte
principalement au dialecte de TOberland, qui est mélangé surtout de mots allemands,
tandis que le laiin s'est enrichi plutôt de mots italiens. Il a existé longtemps une
imprimerie à Schuols, dans la Basse-Engadine; une autre fut établie à Célérina,
dans la Haute-Engadine. Outre la traduction romanche de la Bible, qui fut imprimée
à Schuols dans le il^ siècle, il est sorti de rimprimerie de ce village un assez grand
nombre d'ouvrages religieux en langue romanche. Bien que l'allemand ne soit pas
Tunique langue officielle des Grisons, cependant, par suite du voisinage de l'Alle-
magne et de la Suisse allemande, et des rapports fréquents avec la Confédération et
avec le chef-lieu (Coire), qui parle allemand, cette langue a une tendance à se
répandre toujours plus dans le pays. On l'entend assez généralement dans les au-
berges des villages romanches. 11 n'y a qu'un siècle, à ce qu'on assure, que les
habitants de la vallée de Schalfick parlaient encore le romanche, tandis qu'ils ne
|)arlent plus aujourd'hui que l'allemand.
Commerce, Industrie, Agriculture. — On trouve dans le canton très-peu d'in-
dustries proprement dites; les gros métiers ne sont exercés que par des étrangers.
La |)opulatiGn du pays se voue presque exclusivement à l'élève du bétail et à l'éco-
nomie alpestre, ainsi qu'à l'agriculture. On compte dans le canton environ 80,000
Wtes à cornes, entre autres 38,000 vaches; la plus belle race est celle de Prœtti-
fe'au, de la vallée de Schalfick et du mont Heinzenberg. On exporte en Italie un
grand nombre de vaches, surtout les brunes et les noires, parce qu'elles sont moins
sujettes à être piquées par les mouches ; on y vend aussi des bœufe et des veaux
de couleur claire, parce qu'ils sont plus faciles à engraisser. On ne se donne pas
même la peine d'engraisser les bœufs nécessaires à la consommation du pays: on en
fait venir à cet effet des cantons de St.-Gall et de Thurgovie. On fabrique dans la
Haute-Engadine plus de fromages gras que dans toute autre contrée du canton; ces
fromages deviennent mous et d'un goût approchant du gruyère ; ils sont très-estimés,
cl l'on en exporte beaucoup, surtout en Italie. Il n'existe pas de vallée dans les Alpes
où Ton ait pris des mesures aussi efficaces que dans cette vallée pour empêcher la
fraude dans la fabrication des fromages qu'on livre au commerce. Une ordonnance»
qui date de 1S63, défend non-seulement de fabriquer sans permission des fromages
niaigres ou mi-gras, mais, afin d'augmenter encore la confiance des acheteurs et de
prévenir toute tromperie dans la vente, les fruitiers sont tous assermentés.
Quelques communes de l'Oberland, du Piœltigau et du Rheinwald élèvent des
chevaux ; la meilleure race est celle du Praettigau. On fait venir pour le service de
la jK)ste et les charrois beaucoup de chevaux de Bavière et du Wurtemberg ; mais
les eaux très-froides et le foin de montagne leur causent souvent des maladies. Il y
a aussi dans le canton près de 70,000 chèvres, 26,000 porcs, et 60 à 70,000 mou-
lons. Vu les grands dommages que cet animal cause dans les forêts, quelques com-
munes ont limité le nombre de chèvres que chaque ménage peut i)osséder ; quelques
autres en ont même complètement interdit la possession. On a fait depuis 80 ans
378 LA S1.IS8C PfTTOUfSi^'e.
A^p>sai^ priiir intmdtiire d<*s moulins mônn4it>: |irHjr di^ftses i-aus*?. ils n't»nt j..^
mivsi. La nice indip^ne osl p(*lite. inai> elle Amiie uiie chair exirllenle : quani a ><
laine, elle esl ;rn»^siê^e; chaque moutim en d«»nne lnH> à quatre livres en «kiix
tanli-s. l'ne linniM» |iarlie A-s |iàlura;!e:^ des vailêt<sde Misnt.», de Bregagiia, de T»»-
chiavo el de rEn;:adiiK\ et m^me quelques uns des \allêe> du Rhein^aM. dAvrh
et de Stalla, s^mt loués en été à des lier^rers liergamaMjues, qui j amènent eoMi «n
4S,0()0 moutons, dont la race est plus grande que ve\W du pa\s. et qui d«»nneDl n |i
à huit livn*s de laine f^rossière: mais leur chair n'est pas savoureuse. Les Ber::a
mas(|U4*s emploient le lait de hrehis à faire des fromagt's gras, mais ils le mêlent <iwi
du lait àe %ache el de chèvre; leurs fnimap's valent à peu près le double di*s fp»
magt's gras de TEngadine : ces Italiens apportent en général dans celte manulen
lion plus d'habileté et d*cc«)nomic que les bergers gris4tns.
Quant à Tagriculture, elle n'a p«is reçu toute l'extension ni tous les perfecli^MitM
ments désirables. On attribue cela à plusieurs caus4^, en particulier au dr(Ml «W
|»àlure ( Weifhjang ), qui existe cnc4)re en divers lieux, el qui impost^ à loul pn»pnc
taire Tobligation de tolérer que les bourgeois de la commune fassent paître leui>
lroup(*aux en automne, el dans quelques endroits-aussi au printemps, sur toutes le>
terres qu'il n'a pas été autorisé à clAturer. Q*ltc charge Tempéche de convertir
librement ses prés en champs ou en vergers, ou même en prairies artificielles. E«
outre, on observe chez les Grisons un défaut d'activité et un esprit de routine qui
approchent presque de la paresse. Les gens qui ont gagné de l'argent à l'étrangtT,
el qui achètent des ternes dans leur pays, n'ont pas les connaissances nécessain>
pur gérer convenablement leurs propriétés. Une grande partie des terres du canton
sont en pâturages ou en prés, mais les soins que demande cette culture ne sont |w>
(Mirtout bien entendus. L'irrigation est faite avec intelligence dans quelques valfc.
telles que le Pnettigau et la vallée du Rhin antérieur; ailleurs elle est plus ou Dv>iib
négligée; c'(*sl le cas dans une partie de l'Engadine et de la vallée de Misocco. — ^Hi
ne réc4>ltc guère dans le canton que la moitié du blé nécessaire à sa consommation:
la Bassc-Engadinc est la seule contrée qui en exporte. On cultive aussi dans le pay>
une certaine quantité de pommes de terre, et dans quelques endroits du lin, du
chanvre et des légumes, etc. On sèche une partie des fruits que l'on récolte dans b
Imsscs vallées, tels que poires, pommes, prunes, cerises ; on fabrique aussi des eaux
de-vie et des eaux de cerises. La vigne croît dans la vallée de Misocco, de Cabiol"
jusqu'à la frontière du Tessin ; elle esl disposée en treille ou monte le long des arbres;
le vin rouge qu'elle produit est beaucoup moins estimé que les vins de la Valteline.
Ce sont aussi presque exclusivement des plants de rouge que l'on cultive dans la
vallée qui s'étend de Coire au Luzicnslelg. Les positions les plus favorables produisent
un des meilleurs vins de la Suisse; mais le plus renommé est un vin blanc quVn
nomme vin de Compléter, et qui croît près de Malans. Les vins grisons ne iieuvenl
guère se conserver plus de trois ans. — L'exploitation des abeilles n'a pas une
grande extension; cependant quelques-unes des vallées hautes produisent de Irès-bon
miel de couleur claire. On récolle depuis un certain nombre d'années une assez grande
quantité de soie dans le Bas-Misocco. Une société d'aclionnaires, créée en 1831, a
introduit une pareille exploitation près de Maycnfeld ; elle possédait en 1838 environ
4000 mûriers ; la soie qu'elle récolle l'emporte en finesse et en élasticité sur la soie
LA SUISSE PITTORESQUE. 379
italienne. Les habitants du Prœltigau élèvent, dans des enclos faits exprès, des escar-
gots, que Ton vend ensuite aux Italiens, qui s'en servent comme nourriture en temps
(le carême.
Tandis que divers métiers sont exercés par des étrangers, que beaucoup de pâtu-
rages sont loués à des bergers bergamasques, et que même il vient du Tyrol une
foule d'ouvriers travailler dans TEngadine au temps des fenaisons, un grand nombre
(les habitants des vais Misocco, Calanca, Bregaglia et Poschiavo, de TEngadine et du
Mûnsterthal, émigrent très-jeunes et se rendent dans tous les pays de l'Europe, et
môme hors d'Europe; ceux de l'Engadine y exercent de préférence les métiers de
(*onfiseur, pâtissier, cafetier, liquoriste et fabricant de chocolat. Quand, par leur acti-
vité et leur économie, ils ont amassé une petite fortune, la plupart cèdent leurs
établissements à de plus jeunes compatriotes, et reviennent passer la fin de leurs
jours dans leurs vallées. D'après le recensement de 1880, le nombre des Grisons
absents du pays est évalué à 40,142, dont 7391 hommes et 2751 femmes. La popu-
lation étant d'environ 90,000 âmes, les absents se trouvent dans la proportion d'un
à neuf, c'est-à-dire qu'ils forment la dixième partie des citoyens grisons. — L'expor-
tation du pays consiste en bestiaux, fromages, bois, eaux distillées, et une petite
quantité de fruits secs et de vin. L'importation comprend surtout des vins, du riz,
(les céréales, des tabacs, et une foule d'autres objets nécessaires à la consommation.
Moeurs, Coutume^, Caractère. — On doit s'attendre à ce qu'un pays qui présente
des différences si tranchées sous tant de rapports, langue, religion, origine, climat,
productions, en offre aussi d'également grandes sous le rapport des mœurs et des
coutumes. Mais on peut remarquer cependant quelques traits généraux. Les Grisons
sont i)our la plupart simples dans leurs mœurs, honnêtes, fidèles à leure engagements,
doux, sobres, hospitaliers, prompts à rendre service, surtout dans les vallées qui ne
sont pas traversées par les routes de commerce. Les Grisons sont courageux et ne
redoutent point la guerre; élevés au sein d'une nature âpre et rigoureuse, ils ap-
prennent dès leur enfance à braver les dangers. Ne payant point d'impôts, souverains
dans leurs chaumières, législateurs dans leurs Landsgemeindes, électeurs de leurs
magistrats, etéligibles eux-mêmes aux premiers emplois politiques, ils aiment avec
passion et leur patrie et leur Constitution. Le bien et le mal leur sont presque égale-
ment chers, s'ils leur viennent de leurs ancêtres. Les anciens préjugés sont sacrés
|)our eux ; ils ont de la répugnance pour tout changement, lors même que leur sort
leurrait en être amélioré. Ils sont zélés pour leur religion ; les catholiques emploient
plus d'un cinquième de l'année en processions et jours de fête. Le défaut d'éducation
dans lequel le peuple grison était autrefois plongé, avait favorisé non-seulement la
superstition, mais l'esprit de parti, les dissensions civiles et les haines invétérées,
qui ont attristé pendant si longtemps l'histoire de ce pays. Maintenant l'instruction
(%t plus répandue, et ces funestes dissensions sont heureusement apaisées. Possédant
des terres très-étendues et riches en produits divers, le peuple grison semblerait devoir
(Hre un des peuples les plus aisés de la terre; mais il manque essentiellement d'in-
dustrie; les habitants des contrées basses sont pauvres; ceux des contrées élevées
(mt moins de besoins, et savent mieux se suffire à eux-mêmes.
Cependant, en général, le Grison est passablement bien nourri; on peut dire aussi
qu'il est commodément logé; il a des cliambres boisées avec de petites fenêtres, et
380 LA SriSRE PITTORESQI E.
des fourneaux massifs, derrière lesquels un petit escalier conduit à la chambre à cou-
cher, placée au-dessus. Dans les vallées du Rhin et dans plusieurs vallées latérales,
les habitations ne présentent aucun caractère particulier; elles sont la plupart en
pierre et à deux étages; mais beaucoup de villages ne sont pas d*une propreté remar
quable. Dans le Pnettigau, Ton construit généralement des maisons en bois; un
escalier extérieur conduit au premier étage, où sont placées les chambres d'Iiabi-
tation ; le rez-de-chaussée est consacré aux divers usages économiques. Un grand
nombre de maisons portent une inscription au-dessus de la ligne des fenêtres du
premier étage ; des vases de fleurs placés devant les fenêtres donnent à l'ensemUo
un aspect agréable. On voit dans les vallées italiennes des maisons en pierre, mab
couvertes en bardeaux; les habitations des gens les plus aisés sont proprement blan
chies, et dans l'intérieur on trouve en même temps de grands fourneaux et la cbe
minée italienne. Dans le val Misocco, Ton voit beaucoup d'habitations en pierre de
très-chétive apparence, et qui font un triste contraste avec les jolies maisons de
TEngadine et surtout de la Haute-Engadine. Vu la rareté du bois, les habitations de
cette dernière vallée sont aussi construites en pierre; mais l'aisance générale permet
d'y mettre une certaine élégance ; on y trouve une sorte de construction qui ne se
voit nulle part ailleurs. La porte de la maison, assez grande pour que les duii^ y
puissent passer, conduit dans une vaste pièce, de laquelle on entre dans la cuisine et
dans les chambres d'habitation. Les chambres sont basses, mais ^oprement boisée>
et quelquefois richement meublées. Le pin alvier ou cimbre, dont on se sert pour
les boiseries, de même que dans quelques autres vallées élevées, est pénétré d'une
résine odorante, qui forme peu à peu une sorte de vernis lustré, dont l'odeur écarte
les insectes. Les murailles sont ordinairement très-épaisses et percées d'étroitfê^
fenêtres qui vont s'élargissant vers l'extérieur comme, des embrasures. Les plus
élégantes de ces habitations appartiennent à des conGseurs enrichis; elles sont fraî-
chement recrépies en blanc ou en rose, et quelques-unes sont ornées de fresques,
de colonnes et de grillages dorés, mais elles ne brillent pas toujours par leur goût.
Plusieurs villages de la Haute et de la Basse-Engadine doivent à une réunion de pa
reiiles maisons une certaine apparence de ville.
Les costumes offrent moins de particularités dans les Grisons que dans d'autre^
contrées de la Suisse. Jusqu'à la fin du 18* siècle, il y avait eu en quelques localités,
surtout pour les femmes, un costume national ; mais il a complètement disparu ;
ainsi, les robes écartâtes des femmes de la Basse-Engadine, les bas rouges et les sou-
liers à hauts talons que portaient celles de Coire, les aiguilles d'argent qu'elles pla-
çaient dans leurs tresses de cheveux, tout cela a été abandonné pour un costume
plus simple. La nombreuse émigration des citoyens du pays a dû contribuer beaucoup
à l'abandon de tout costume national. Les Grisons portent généralement des vêle-
ments de laine, en été comme en hiver, ce qui est tout-à-bit approprié à un climat
où l'on éprouve de brusques changements de température ; mais les vêtements de
laine de couleur foncée tendent moins à faire contracter des habitudes de propreté
que des vêtements de lin ou de coton. La coupe des vêtements des hommes de la
campagne est à peu près semblable à celle des citadins. Dans les vallées de Poschiavo,
de Bregaglia et de Misocco, les hommes ont souvent les jambes nues; ils portent de
larges chapeaux, et rejettent leurs vestes brunes sur l'épaule. Les iemmes de ces
LA SUISSE PITTORESQUE. 384
contrées portent un costume de couleurs bigarrées, et les cheveux tressés et ornés de
colifichets.
Hommes distingués, Savants, etc. — Le canton des Grisons a donné naissance ii^
un grand nombre d'hommes d'Etat, de militaires et d'écrivains remarquables. Plu-
sieurs familles s'y sont illustrées dès une époque reculée du moyen-i\ge; tels sont
les Sa/M et les Planta, qui furent longtemps rivales; plus tard, les Sprecher, les
Tschanier, les Buol, et d'autres, jouèrent un rôle important dans le pays. On cite
déjà deux Salis (Adolphe et André) dans l'histoire du 10*" siècle; plusieurs Planta
(Jean, Pompée et Rodolphe) furent, au 16* et au 17*^ siècle, les chefs de la faction
austro-espagnole. Le baron Donai de Valz aiîranchi t les paysans de Belfort au i S"* siècle,
et résista à l'inQuence autrichienne. L'abbé Pierre de Pontaningen et les seigneurs
de RhœzûnSj de Sax et de Werdenberg furent les fondateurs de la Ligue grise. Dans
leur glorieux, combat contre les Autrichiens à la Malserheide, en 4499, les Grisons
étaient conduits par Bénédict Fontana, W. Rink et Lombris; le premier y trouva
une mort héroïque. Lors de la lutte courageuse qui eut pour résultat l'expulsion des
Autrichiens en 1622, ils avaient pour chefs Rodolphe et Ulysse de Salis, Pierre Guler,
J. Jeuch, G. Jeiiatsch, J. Tscharmr, Eiiderli, etc. Plusieurs Grisons se sont distingués
aussi dans les services étrangers : tel est le maréchal Salis de Marschlim, qui a servi
en France et à Naples.
Au nombre des réformateurs qui propagèrent dans les Grisons les pures doctrines
de l'Evangile, se firent remarquer surtout Salandronias ou Salzmann, ami de Zwingli
et de Vadianus ; Comander ou Dorfmann, premier autistes de Coire, et Ulrich Cam-
pell, né à Sûss, dans la Basse-Engadine. On peut citer encore Jacob Bilrkli, /. Spreiier,
Biveron, Saluz ou Gallicias, Syfried, Frick, BoU, Ulrich de Marmels, Blasias et Jean
Travers, surnommé le chevalier d'airain au service du Seigneur, et qui, après avoir
rempli les plus hautes dignités civiles et militaires du pays, montait en chaire h
l'âgé de 72 ans pour annoncer l'Evangile.
Parmi les savants auxquels le canton des Grisons a donné le jour, on peut nommer
Ulrich Campell, le réformateur, qui fut en même temps le meilleur historien du pays.
Il publia une Historia rhœtica, en trois volumes. Jean Guler ei For tufiatus Sprecher , qui
vécurent quelques années plus tard, furent aussi des historiens estimés. Le premier,
outre un ouvrage historique, a publié en 1616 une description détaillée du pays, sous
le nom de Rhœiia; le second a publié un Chronicon Rhœliœ, in-4''. De Parla a fait
paraître à Goire, en 1771, un excellent ouvrage sur la Réforme : Historia reformationis
ecclesiarum rhœticarum, en 2 vol. in-4°. — Ulysse de Salis-Marschlins, J.-Ulr. de
SaliS'Seewis, et G.-W, Rœder, sont auteurs de divers écrits relatifs à l'histoire
des Grisons. Le premier cultivait aussi avec succès les sciences naturelles. Martin
Planta, né en 1725 à Sûss, fut un habile physicien et mathématicien; il fut le
fondateur de la première société économique qui ait existé dans les Grisons, ainsi
que d'un bon institut pour la jeunesse. Le pasteur Conradi est le premier qui ait
publié des ouvrages philologiques sur la langue romanche, grammaire, vocabu-
laires, etc. — /.-G. de Salis-Seewis, né à Seewis dans le Prsettigau, et mort en
1834, s'est fait connaître par de bonnes poésies. Laluis, né dans le Munsterthal, fut
poète et juriste. Le littérateur Lemnim a reçu le jour dans cotte même vallée, qui
est aussi la patrie d'un réformateur nommé Galatin, Frizzoni est un peintre distingué ;
38i LA srissE pittoiiksqie.
Lftnicca s*est Tait un nom par son habileté comme ingénieur. Les Grisons lui doivent U
création de plusieurs de leurs Utiles routes de montagne. Il a fait aussi un projet pour
la mrrei'tion des eaux du Seeland, entre les lacs de Bienne, de Morat et de NeuchàteL
(loiRE. — La ville de Ooire, cheMieu de la Ligue de la Maison-Dieu et de tout le
canton, est située dans une large vallée, sur les bords de la Plessur, qui va se jelor
dans le Rhin, une demi-lieue plus bas. La ville comptait, en <8S0, S943 habitants,
dont 958 catholiques. On appelle Cmir episroiMile un quartier compris dans une
enceinte distincte, et qui domine le reste de la ville; c'est là que se trouve réuni ce
qu*il y a de plus intéressant à Coire. Telle est Téglise épiscopale ou Dame de Stiiftt
LwitiJt, dont on attribue la fondation à Tévéque Telle, mort en 773, et dont une
partie date en effet de cette époque. Près du portail, on voit les statues des quatre
évangélistes debout sur des li<ms ; on croit qu'elles ont appartenu à une église qui
existait dès le 4* siècle sur le même emplacement, et qui avait elle-même été
construite sur celui d'un ancien temple romain dont on a dû conserver une partie
des fondements. Dans Tintérieur, on remarque des chapiteaux très-curieux, les
s^*ulptures du maître-autel attribuées à llolbein père, la mensa avec des colonnes qui
doivent dater du k^ siècle, un beau tabernacle en pierre, du ik^ siècle. On montre
dans la sacristie d'anciens ostensoirs, une crosse épiscopale plus ancienne, une cha-
suble du 8*' siècle. La cathédrale possède plusieurs tableaux de mérite, une Descenle
de Croix de Durer, une vierge Marie de Stumm, élève de Rubens; dans la chapelle
Saint-Laurent, un tableau de llolbein jeune, représentant Saint-Laurent sur le gril:
sur le maitre-autel, deux tableaux du même; dans le caveau des capucins, deux
pièces de Tissoni Gilvari, représentant, Tun saint François, l'autre saint Antoine
avec le Sauveur. Elle renferme enfin plusieurs tombeaux remarquables d'évêques,
de chanoines ou de seigneurs laïques, entre autres le beau sarcophage en marbre
rouge de Tévéque Ortlieb Brandis. La cour épiscopale comprend aussi le palais de
révéque et les deux tours anciennes que nous avons mentionnées, et dont Tune,
nommée Marsœl, fait partie de ce palais. C'est dans cette tour que saint Ludus, dit-
on, subit, en 176, le martyre par Tordre du gouverneur romain.
Derrière le palais épiscopal, un chemin qui traverse une pente couverte de vignes
conduit au couvent de Saint-Lucius, converti en séminaire, et d'où l'on a une vue
pittoresque sur la ville, sur ses environs et les cimes neigeuses du Galanda. C'est là
que se trouve aussi le bel édifice de T Ecole cantonale, qui date de 1851 . La popula
tion de la Cour épiscopale, qui en 1850 s'élevait à 240 âmes, était placée autrefois
en dehors de la juridiction de la ville. Cet état de choses n'a cessé que depuis ces
dernières années. Dans la ville basse, on remarque l'église de Saint-Martin ou catbé
drale protestante, l'hôtel du gouvernement, l'hftlel-de- ville, plusieurs maisons appar-
tenant à des familles riches du canton. Les établissements publics qui s'y trouvent
sont : une bibliothèque et un cabinet d'histoire naturelle formés par Rodolphe de Salis
Marschlins, une autre bibliothèque appartenant à la ville, une maison des pauvres,
une maison de correction, une société de lecture, etc. La ville est aussi le siège d'une
société de médecine, d'une société d'histoire naturelle, d'une société d'histoire, d'une
société biblique, etc. Grâce à sa position au débouché de plusieurs passages des
Alpes, Coire est un entrepôt important de marchandises, et fait un commerce de
transit assez considérable. Elle possède une fabrique de draps.
LA SUISSE PITTOHESQUE. 383
Les sommités qui entourent la ville présentent des points de vue remarqUfibles.
Au nord-est est situé le Miltenbery, où Ton arrive en deux heures de montée assez
rapide. On y domine toute la vallée du Rhin jusqu'à Disentis d'un côte, et de l'autre
jusqu'à Mayenfeld et Jenins; au sud-ouest de Coire s'élèvent les Sponiis-Kœpfe (5969),
prolongement de la chaîne qui s'étend le long de la vallée de Domleschg ; la cime la
plus élevée, le Faule Horn (Pic pourri), est d'un abord facile ; outre le cours du Rhin,
on y découvre les vallées de Schalfick, de Churwalden, de Domleschg, de Schams, et
même, plus au sud, celle d'Oberhalbstein. Ixî Galanda, au nord de Coire, offre un
panorama encore bien plus grandiose : non-seulement on y distingue la plupart des
innombrables pics qui hérissent le sol de la Rhétie, mais la vue s'étend du côté du
nord sur les alpes de Glaris et de Saint-Gall, ainsi que sur le Rheinthal, jusqu'au
lac de Constance. On y parvient en cinq ou six heures depuis Coire. Mais le sommet
ne se dégarnit de neige que durant un ou deux mois de l'été.
Vallée de Coire et de Mayenfeld. — La vallée qui s'étend de Reichenau à
Mayenfeld, sur une étendue de six à sept lieues, ne porte aucun nom particulier.
Cette vallée, qui de Reichenau à Coire court de l'ouest à l'est, et tourne au nord
près de Coire, est située entre le Galanda à l'ouest, le Falkniss au nord, le Hochwang
à l'est, et le Dreibûndenberg au sud; cette dernière montagne est ainsi nommée
parce que le point de contact des trois Ligues se trouve sur son sommet. Cette vallée
est large et extrêmement fertile. Elle produit un des meilleurs vins de la Suisse
orientale. Elle doit la douceur de son climat et sa fertilité particulièrement au fœhn
ou vent du sud-est, qui avance la maturité de toutes les plantes; mais il cause aussi
(le funestes changements de température. La population de la vallée est réunie dans
deux villes et onze villages, et compte 15,000 âmes, ce qui fait le sixième de la
population du canton. La plupart de ces habitants sont réformés; ils parlent tous
l'allemand, sauf ceux d'Ems. Mayenfeld est une petite ville où règne une aisance
11,'énérale. On fait dériver son nom ( champ de mai) des assemblées judiciaires qui ont
du s'y tenir du temps des rois carlovingiens. C'est à une demi-lieue au nord de
Mayenfeld qu'est le défilé du Luziensteig, autrefois fortifié par des fossés et de longs
murs ; il a été fréquemment le théâtre de violents combats entre les Suisses et les
Autrichiens, puis entre ceux-ci et les Français (en 1499, 1620 à 1624, J799 et
1800). La Confédération a fait exécuter en 1830, comme à Saint -Maurice, quelques
ouvrages modernes sur le flanc des montagnes qui dominent le défilé. Vers le haut
du passage se trouve la petite église de Saint-Lucius, probablement la plus ancienne
de la Rhétie. On n'y prêche que le jour de l'Ascension; une fêle champêtre succède
au service divin. Sur la .droite, on aperçoit à une grande hauteur le village de
Guschen ou Guscha, dont les habitants avaient conservé des mœurs toutes patriar-
cales; la plupart d'entre eux sont partis pour l'Amérique, il y a quelques années,
après avoir vendu leurs propriétés. C'est non loin de Malans qu'est le pont api)elé
Pont Péage inférieur (Untere Zollbrûcke) ou Pont Tardis, du nom de son architecte
Medardus Heinzenberger (1528). Il forme la limite des cantons de Saint-Gall et des
Grisons. 11 a été construit à neuf après les inondations de 1834. C'est le seul pont
à voitures qu'il y ait sur le Rhin entre Reichenau et le lac de Constance. A peu
de distance se trouve le Pont supérieur, jeté sur le torrent de la Landquart, qui
descend du Prœttigau et se jette dans le Rhin un peu au-dessus du Pont inférieur.
584 LA siissE riTToiiefiQi^e.
Plusieurs anciens manoirs donnent h toute la contrée un caractère mouuitiquo:
tels sont ceux de llaldenstein et de Lichtenslcin, au pied du Galanda. Le premier
cUiit la résidence des harons de Schauenstein ; il fut détruit par un trembleinent de
Icrre en 1787 : le second est le berceau de la famille des princes de ce nom. Ldr-
qu*on construisit à Vienne, au siècle passé, le palais Lichtenstein, le prince fil prendre
des pierres de cette ruine et les mit dans les fondements du nouvel édifice. Sur Tautre
rive on voit, au sud de Malans, le château de Marschlins, dont la première fondatiiK)
remonte au 8"" siècle, et qui est encore habitable : et près de Zizers, une résidencY
de ciimpagne de Tévèque de Coire, nommée Molinara. A deux lieues à Tonest de
Coire, au confluent du Rhin antérieur et du Rhin postérieur, on voit le château
de Reichenau, où Ton avait établi à la fin du siècle dernier un institut d'éducation.
C'est là que le duc de Chartres, le futur roi Louis-Philippe, arriva sous le nom de
Chiihol, en octobre 1793, et qu'il remplit pendant huit mois les fonctions de proles-
seur de langue franç^iisc et de mathématiques. Le château appartient depuis 1819
à la famille Planta ; il renferme encore beaucoup de souvenirs de Louis-Philippe, entre
autres deux grands portraits de demi-grandeur naturelle, cadeau du roi des Français:
Tun représente un jeune homme, entouré de livres et de splières; Tautrc S. M. le mi
des Français, en uniforme de général, une main sur la Charte de 1830. La duchesse
d'Orléans a visité le château avec ses fils en 185i et 1855 ; elle a envoyé un tableau
représentant ces deux princes à cheval. La reine Amélie a visité aussi ReicJienau en
mai 1854 ; elle a signé sur TAIbum : Marie- Amlie, venre du professeur Chabot, itmi
i'\*sl un des plus Idéaux litres. Elle a envoyé un médaillon en argent, représentant d^un
cdté le roi et la reine, de l'autre leur fils et leurs petits-fils. — Au-dessous du coq-
Huent, un pont remarquable, d'une seule arche, est jeté sur le Rhin ; il a 60 pieds
de hauteur et 237 de longueur.
Oberland, Ilanz, Thons, Disentis. — La vallée qui s*étend de Reichenau jusqu'aux
sources du Rhin antérieur, porte le nom d' Oberland ou Haut-Pays (en romanche on
rappelle Sur Selva, Sur la Forél). De Reichenau à ilanz on a le choix de deux routes:
Tune et l'autre s'écartent du Rhin et s'élèvent sur les hauteurs. Sur la rive droite,
la route passe par Bonaduz, Vcrsam et Valendas ; près de Versam elle traverse une
région extrêmement sauvage, et franchit, sur un hardi pont de bois, long de près de
!200 pieds, un ravin effrayant, de iZ'i pieds de profondeur, au bas duquel mugît la
Rabiosa, qui descend de la vallée de Safien. La route principale, établie sur la rive
gauche, offre plusieurs beaux points de vue. Elle monte d'abord à Tamins (Doini'
nium), de l'église duquel la vue embrasse les deux vallées du Rhin ; puis elle pisse
ù Trins, village construit en amphithéâtre dans une gorge, et entouré d*une forêt
d'arbres fruitiers ; on y jouit aussi d'un beau panorama ; les ruines voisines sont
celles du château de llohentrins, bâti, dit-on, par Pépin. La route se dirige ensuite
vers Flims, en longeant le boixl septentrional d'un large et fertile bassin qu'on
ap|)elle la Foppa (fovea) ou Gruob, fosse. A Mulins (Moulins), hameau pittoresque-
ment situé, on voit à droite une série de cascades; on voit aussi deux jolis petits
lacs, près de Trins et de Flims. Ce dernier village tire, à ce qu'on suppose, son
nom des nombreux ruisseaux qui descendent de roches escarpées {ad flumina). C*est
là que commence le sentier difficile qui conduit dans le canton de Claris par le
passage du Segnès ou Tschingel ; on distingue aussi d'ici le Martinsloch (v. Claris).
LA SUISSE PITTORESQUE. 38S
A gauche de la route, on aperçoit au travers des forêts plusieurs petits lacs, entre
autres celui de Gauma, de trois quarts de lieue de circonférence. Puis on se rap-
proche du Rhin par les villages de Lax, Sagens et Scbleuis.
Ilanz (Glion en romanche), la première ville qu'on rencontre sur le Rhin lors-
qu'on suit le fleuve depuis ses sources, occupe une situation agréable ; ce chef-lieu
de la Ligue grise existait déjà au huitième siècle ; il est entouré de murs en ruines,
et compte seulement 550 habitants, professant le culte réformé. D'ilanz à Trons, la
vallée est remarquablement belle, surtout les pentes de la rive gauche ; partout des
villages, des chapelles, des ruines de châteaux ; plus haut on aperçoit des chalets, et
Sur le dernier plan quelques sommets neigeux. Plusieurs villages se trouvent comme
étages sur des plateaux ; le plus élevé est celui de Panix (&200 pieds), d'où l'on
passe le col de même nom (7425), qui conduit dans le canton de Claris (voyez ce
canton). Au-dessus du village de Schlans s'ouvre à droite la vallée de Frisai, qu'ar-
rose le Flumbach et où descendent plusieurs glaciers. Avant d'arriver à Trom, on
voit à droite de la route, près d'une chapelle nommée Ste.-Anne, un antique érable,
qui fut le berceau de la liberté grisonne, le Grûtli de cette contrée. C'est là que,
vers le milieu de mars 1424, l'abbé de Disentis, plusieurs seigneurs du pays (voyez
ci-dessus l'article Histoire), et les chefs du peuple, se réunirent pour fonder la Ligue
grise et prêter le serment d'alliance. Dès-lors, tous les dix ans l'alliance fut renou-
velée; elle le fut pour la dernière fois en 1778. La voûte de la chapelle est parse-
mée d'étoiles, et porte les devises suivantes en lettres d'or : In libertatem vocati eslis.
Ubi spiritus Dmnini ibi libeiHas. In Te speraverunl patres, Speraverunt et libef^asti eos.
Fortes facti sunt in bello. Et honorabile mmeti eorum. (Vous avez été appelés à la
liberté. Là où est l'esprit du Seigneur, là est la liberté. Nos pères ont espéré en Toi.
Ils ont espéré et tu les a délivrés. Us sont devenus forts dans la guerre. Et leur nom
est honorable.) Les fresques, restaurées en 4836, représentent le serment des pre-
miers confédérés et le renouvellement du serment en 1778. La première montre
l'abbé de Disentis, le vieux comte de Sax et le seigneur de Rhœzûns, entourés d'hom-
mes armés et levant les mains vers le ciel, tous avec le costume sévère de l'époque ;
la seconde frappe par le contraste du costume. Sur les côtés, on peut lire des vers
allemands qui ont rapport au sujet. On voit à Trons un vaste bâtiment qui appartient
au couvent de Disentis et où réside un de ses capitulaires. Sur les murs de la grande
salle sont peintes les armoiries des communes de la Ligue grise. Au fond de la sauvage
vallée de Pontœljas, qui s'ouvre au-dessus de Trons, l'on peut visiter la belle cas-
cade de Ferrâra, qui s'élance des glaciers du Tœdi. Il existe dans cette vallée une
mine de fer et de cuivre. Après le village de Sumvix, placé sur une gracieuse col-
line, s'ouvre un autre ravin, où s'engage un sentier qui conduit par les glaciers du
Tœdi vei*s la Sandalp, au canton de Claris; mais le passage est très-diificiie. Près
de Disla^ l'on reconnaît les traces d'un ancien éboulement aux énormes blocs qui
gisent sur le sol.
Le bourg de Disentis (en romanche Mustèr, monastère) est célèbre par son abbaye
(le bénédictins, qui date du 7^ siècle, et qui contribua beaucoup à répandre le christia-
nisme dans les vallées de la Rhélie. Il doit son nom à une cellule, nommée Desertina,
qui précéda la fondation de l'abbaye. Les abbés devinrent bientôt les plus puissants
seigneurs de la vallée, et en 1570 ils reçurent de l'empereur Maximilien le litre
II. J5. UO
386 LA StlS8E PITTORESQtE.
de prince de Tempire. Aujourd'hui encore ils exercent une grande influence dans le
pays de la Ligue grise. — Le landsturm s*étant levé^ en mai 1799, pour repousser les
Français, le général Lecourbe pénétra jusqu'à Disentis, ravagea le boui^g et mit en
cendres le couvent. On eut à regretter surtout la perte de la bibliothèque, ridieen
manuscrits amassés depuis des siècles. Le couvent, rebâti dës-Iors, a servi d'écok
cantonale catholique pendant dix ans, depuis 1832. En 1842, cette éoole fut trans
portée à Goire. Un nouvel incendie dévora le cloître en 1846 ; il est mainteoaDt
réédiGé. L'église possède les tombeaux de saint Placide et de saint Golomban. D*uiie
colline qui domine le bourg, on a une belle vue sur la vallée du Rhin, sur les mon-
tagnes de la vallée de Medels, et sur les cimes de la chaîne du Toedi. — La partie
supérieure de la vallée du Rhin prend le nom de Tavetsch, et présente moins d'intérêt
(fue la partie inrérieure. Le sol s'élève considérablement. Disentis est à 3700 pieds:
Sedrun ou Tavetsch, à 4370. C'est de ce village que part un sentier difficile, qui mëoc
par le Kreuzlipass à Âmsteg au canton d'Uri. A Rouieras, on trouve deux sentiers
par lesquels on peut atteindre le col d'Oberalp, qui conduit dans le val d'Urseren;
l'un s'élève sur des pâturages et passe au village d'été de Grispansa ; l'autre bit uo
détour à gauche par les hameaux de Selva et de Ghiamut, élevés de 5270 pieds, et
remonte un ruisseau qui forme une des sources du Rhin. Du sommet du passage
(6174), on voit quelques-unes des cimes de la chaîne qui forme la limite septeD-
trionale des Grisons, et quelques autres sommités situ^ vers le sud. De l'aatre
côté, l'on n'aperçoit guère que le lac d'Oberalp, situé sur le territoire d'Un, au fond
d'un ravin triste et pierreux.
Vallée de Medels (ou du Milieu). — Gette vallée débouche en face de Disentis.
Elle est arrosée par le Rhin du milieu, qui forme deux belles cascades avant de se
joindre au Rhin antérieur. De cette jonction vient le nom de Confions, donné à la
gorge étroite et profonde par laquelle le Rhin du milieu s'est ouvert un passage. La
vallée s'élargit au-delà de cette gorge; elle se couvre de pâturages et de forêts; à l'est,
se montre le beau glacier de Medels. Le chef-lieu de la vallée est le village de PlatU,
distant de deux lieues de Disentis. 11 n'y a pas d'aubei^e, mais le curé reçoit les
voyageurs, comme cela arrive dans un certain nombre de localités peu fréquentées
du canton '. A une lieue et demie au-dessus de Platta s'ouvre à gauche le val Cristal-
lina, remarquable par ses grands glaciers et par ses belles cascades, dont la prioci-
pale est celle qu'on nomme la Boikche d'enfer {Bocm Ilufiern) ; on y trouve aussi de
l)eau\ cristaux; c'est dans cette vallée qu'on a recueilli le cristal dont est formé le
tombeau de saint Gharles Borromée, dans la chapelle souterraine du dôme de MilaD.
Non loin du débouché du val Gristallina, le Rhin fait lui-même une chute de cent
1. Lorsque j'y passais, il y a quelques aunëes, un brave montagnard, qui devinait sansdoalc
que je n*avais pas déjeuné, me dit, en me montrant la cure : Boun vin, boun vm. J*entrai en efTei
chez le curé, et je fus un peu surpris d y trouver, vers huit heures du maUn, trois ou qaalrc
paysans d'un certain âge, mais non pas hors d*âge de travail, qui jouaient aux cartes à cdié d'un
pot de vin. Il me semblait singulier que rhospitalité accordée par les ecclésiastiques alUl jos-
qu a convertir leur chambre de réception en une salle de cabaret. J*eus plus tard, en arrivanl
à Disentis, Texplicalion de la chose: j'appris que c'était grand jour de fête dans le pays; uoe
immense procession, où figuraient, avec de nombreuses reliques, plusieurs milliers d'homnies
et de femmes accourus des villages d'alentour, serpentait lentement au milieu des prairies
émaillées qui entourent le bourg, et y produisait un effet extrêmement pittoresque. Leurâ;«
avait sans doute retenu â Platta les braves hdtes du curé.
LA SUISSE PITTORESQUE. 387
pieds. Le chemin passe près des petits hospices de St. -Jean et de St.-Gall, pourvus
tous deux de cloches, au moyen desquelles les voyageurs en détresse peuvent appeler
à leur secours; enfin il arrive à l'hospice de Ste. -Marie (5760 pieds), où Ton peut
trouver un logement, mais qui ne consiste qu'en une chétive hôtellerie. Cet hospice,
qui Tut fondé par un abbé de Disentis, date du 14'' siècle. Les habitants des vallées
voisines s'y rendaient jadis de temps à autre en procession, pour y célébrer une fête
religieuse. Au nord-est de l'hospice s'élève, au-dessus d'un massif couronné de gla-
ciers, le Scopi, dont on atteint la cime (9850 pieds) en quatre ou cinq heures depuis
Sle.-Marie, et qui offre une des vues les plus étendues sur les Alpes, depuis le Mont-
Blanc jusqu'au Gross-Glockner dans l'intérieur du Tyrol.
LuKMANiER. — De Ste. -Marie un sentier conduit à Airolo, par le col dit Gassino del
Uomo (6722) et par le val Piora ; un autre se dirige au sud par le plateau ou le col
proprement dit du Lukmanier (5800), et mène par le val Zura à Olivone dans le
val Blegno ; un troisième passage plus élevé conduit à Faïdo, en franchissant la chaîne
latérale qui sépare le val Léventine des vais Zura et Blegno. Nous avons vu qu'on
prétend faire dériver le nom de Lukmanier des Lucumones ou chefs étrusques ; on le
dérive aussi de Imtis magnm (grand bois sacré). Les Romanches donnent au col le
nom de Ctwlm Santa-Maria. Quant au chemin de fer projeté (s'il s'exécute), il passera
probablement la montagne un peu à l'est du col, sur un point où le tunnel à pratiquer
sera plus court ; au-dessous de Gasaccia il percerait la montagne à droite dans la direction
du val Gristallina, par lequel il déboucherait sur la vallée du Rhin. L'ouverture du
tunnel du côté des Grisons serait, d'après les premières études, à 5267 pieds. Nous
avons dit ailleurs (page 58) que l'exécution de cette voie nous paraissait moins diffi-
cile que n'eût été celle du St.-Gothard. Sur le territoire grisou, la pente, à partir de
Coire jusqu'au Lukmanier, pourra être ménagée assez commodément. De Coire jus-
qu'à Disentis, il y a une différence de niveau de 1750 pieds, sur une longueur de
onze lieues, ce qui fait une pente d'environ un pour cent ; de Disentis à l'entrée du
tunnel, la différence sera de 1450 pieds, sur une distance de quatre à cinq lieues,
ce qui fait à peu près deux pour cent. La difficulté sera plus grande sur le revers
tessinois, où la descente est plus rapide jusqu'à Olivone'.
Val Sumvix. — En face du village de Sumvix, situé entre Disentis et Irons, s'ou-
vre une vallée, arrosée par le Rhin de Sumvix, et longue de cinq lieues. A l'entrée
est le village de Surrein, qui donne son nom à un établissement de bains et à une
source minérale qu'on trouve une demi-lieue plus haut. La vallée est entourée de
montagnes élevées, que surmontent les pics Miedsdi, Naedils, etc. Bien qu'elle soit
riche en pâturages et en forêts, et qu'elle ne soit pas plus rude que bien d'autres,
elle n'est que peu habitée ; on n'y voit que quelques hameaux groupés autour de
chapelles solitaires. C'est probablement la chapelle de St.-Antoni qui a fait donner
à la vallée le nom de Val Tenji. Elle aboutit à un col nommé la Greina (6120), par
où l'on se rend commodément dans le val Blegno ; le chemin est pittoresque et riche
en points de vue. Un autre sentier conduit à la même vallée par le col plus élevé de
Monterasca.
1* Qaelqaes journaux ont annoncé, en septembre 1855, que la compagnie à laqueUe avait
été concédée la yole du Lukmanier n'ayant pas rempli certaines condiUons préalables, le gou-
vernement du Tessin avait déclaré nulle cette concession.
388 LA SI'ISSF. MTTOUF^MK.
Val Llgnetz. — Celle vallée débouche près d*llanz par une gorge assez élroite;
on y pénètre par deux sentiers établis à une certaine élévation sur les deux rives da
Glenner. Sur la rive droite, au bord de la rivière, on trouve les bains de Peiden ;
vis-à-vis, à une grande hauteur, sont les villages de Pleir et de Villa, qui formenl
ensemble le cheMieu de la vallée. La vallée se divise un peu plus haut, près du chà
leau de Surcasti, au-dessous duquel se réunissent le Rhin de Yrtn et le Rhin de Yak,
pour former le Glenner, qui, aussitôt après la jonction, fait une belle chute. Au-dessus
de Surcasti, les deux vallées deviennent montueuses et s'élèvent oonûdéraUement
Le village qui donne son nom à la vallée de Vrln est situé à environ 3500 pieds ; on
|)eut de là se rendre par deux sentiers dans le val Sumvix. On parle le romanche dans
la vallée de Vrin, et l'allemand dans celle de Vais. Les habitantssont tous catholiques,
saufceux du village de Duwin, au-dessus de Peiden. La vallée de Vais ou de Sl.-Pierre
est d'abord étroite et boisée. De loin en loin, au milieu des forêts, on rencootre des
clairières avec de petits groupes d'habitations. Près de St.-Pierre, on trouve une
plaine cultivée où croissent du blé et des pommes de terre. Dans le voisinage, jaillit
une source tiède; l'on construisait, dans l'été de 18S5, un bâtiment destiné aux bai-
gneurs. La vallée est dominée par les hautes sommités du Dachberg (9700), du Piz
Tomils, du Piz Gurgielatsch {Gurleischhom), etc. Au sud de Vais elle se partage ; l'une
des bifurcations conduit au vallon de Zavreila, qui présente de beaux jÂturages et de
grandes chutes d'eau, et se prolonge au milieu de sauvages montagnes; die aboutit au
glacier de Lenta, qui descend au nord du Piz Vairhein. Au fond d'un vallon latéral se
Irouve un autre glacier, qui descend du Zaperthorn. L'autre bras de la vallée s'étend
vers le sud, sous le nom de Peil ou Pfeilthal ; il aboutit au passage du Valserberg, qui
mène à Hinterrhein et dont le sommet (7670 pieds), facile à atteindre, offre une bdie
vue sur la chaîne que franchit le Splûgen. A l'est du col s'élève un pic, d'où la vne est
encore bien plus remarquable.
Val Safien. — Près du village de Versam s'ouvre la vallée de Safien, qui a une lon-
gueur de sept lieues. Dans sa partie inférieure, ses flancs sont très-escarpés; ils sodI
revêtus de sombres forêts, où croissent des arbres d'une grosseur extraordinaire, mais
dont l'exploitation est impossible. Nous avons parlé d'un pont très-hardi jeté sur le
profond ravin où coule la Rabiosa. Plus loin, la vallée s'élargit, et l'on rencontre
un grand nombre d'habitations éparses. La vallée est une des plus riches en pAtura-
ges; elle possède 25 grandes alpes et de nombreux troupeaux. L'alpe de Gumana
est une des plus étendues du canton. Les habitants descendent d'une colonie qui date
de la dynastie des Hohenstaufen ; ils sont protestants, et forment trois communes,
réparties dans quarante hameaux. Du fond de la vallée deux sentiers mènent par
le Lochlipass (79!20 pieds), et par le col Galendari (7050), dans la vallée de Rhdn-
wald, au pied du Splûgen.
Vallée du Rhin postérieur. — La vallée que parcourt le Rhin postérieur prend
divers noms ; la partie inférieure s'appelle vallée de Domleschg ; plus haut se trouve
le long défilé de la Via Mala, auquel succède la vallée de Schams, puis celle de Rhein
wald, qui s'étend jusqu'aux sources du fleuve. Cette vallée, dont la longueur est de
1 5 lieues, est beaucoup plus remarquable que celle du Rhin antérieur ; elle est aussi
beaucoup plus fréquentée, puisqu'il y passe une des principales routes qui font com-
muniquer rAIIcmagnc et la Suisse avec l'Italie. La route qui remonte la vallée
^qi^^^lw^T^*
LA SUISSE PITTORESQUE. 389
aboutit à deux passages, dont l*un, leSplûgen, conduit en Lombardie par le pays de
Ghiavenne ; et l'autre, le St.-Bernardin, mène en Piémont, par le val Misocco et le
Tessin.
Vallée de Domleschg, Tusis. — La vallée Domleschg (ou mllis Tomiliasca) prend
son nom du grand village de Tomils. Elle est une des plus larges du canton, et se
distingue par sa fertilité, par l'agrément du paysage, et par les châteaux, la plupart
en ruines, qui se succèdent de colline en colline ; la rive gauche est bordée par le
mont Heinzenberg (ap|)elé en romanche la Montagna), qui présente de magnifiques
plateaux, couverts de villages entourés de prairies et de cultures diverses. Le duc de
Rolian appelait cette montagne la plus belle de l'univers. Sur la rive droite, les mon-
tagnes sont plus rapides ; on voit cependant aussi sur leurs pentes plusieurs villages
et de nombreux manoirs. On ne compte dans toute la vallée, longue de quatre lieues,
pas moins de 22 villages et 21 châteaux. Sur la rive gauche, on trouve d'abord
Rhœzûns, avec un beau château, situé sur un rocher baigné par le Rhin ; on attribue
sa fondation à Rhœtus, chef étrusque ; après l'extinction des anciens seigneurs de
RhsBzûns, il passa successivement en divei^ses mains; il appartient maintenant à la
famille Yieli. Sur la même rive, on rencontre plus loin les ruines de Realla. Sur
Tautre rive s'élèvent celles du château de Juvalta; puis, sur le haut d'un rocher sail-
lant, le grand château d'Ortenstein, encore habité par les comtes de Travers ; viennent
ensuite les restes des manoirs de Paspels, d'Âlt-Sins, de Neu-Sins, etc. ; celui de
Raldenstein, assez bien conservé; le château de Fûrstenau, converti en prison péni-
tentiaire. Non loin de Tusis, on voit Tagstein, château tout moderne de la famille
de Salis; à l'extrémité de la vallée est le joli bourg de Tusis, qui fut détruit par un
incendie en I8&6. Il est maintenant rebâti avec de larges rues; il compte près de
800 habitants, la plupart réformés et allemands; il s'y tient des foires importantes.
II possède des bains très-fréquentés près de la NoUa. Ce torrent se jette dans le Rhin
au sud de Tusis; il a fallu élever de fortes digues pour se garantir de ses dévasta-
tions; ses eaux vaseuses, rendues noirâtres par des débris de schistes marneux,
donnent au Rhin une couleur foncée. Elles ne contiennent, à ce qu'on assure, aucun
poisson. La vue qu'offre le pont de la Nolla est très-remarquable: on voit au fond
de la vallée s'élever comme une tour le Piz Beverin (9234).
YiA Mala. — Au-delà de Tusis la vallée semble fermée par de hautes montagnes;
ce n'est que lorsqu'on s'en approche qu'on découvre l'étroite ouverture que s'est
frayée le Rhin, et au travers de laquelle on a construit la route. L'entrée de cette
gorge effrayante est gardée, sur la rive droite, à une hauteur de près de 600 pieds
au-dessus du fleuve, par les ruines du château de Haute-Rhélie ou Hoch-Ryalt, un
des plus anciens de tous les manoirs de l'Helvétie ; la tradition en fait aussi remonter
Torigine à Rhœtus. Il avait quatre tours, mais celle du nord a seule résisté aux
ravages des temps. Sur la hauteur voisine, se trouvent les ruines de Ig chapelle
Saint-Jean, la plus ancienne et longtemps la seule église de la vallée, qui n'em-
brassa que tard le christianisme. Le château est aussi appelé Sanct-Johannenstein,
du nom de cette chapelle. En 1&70, on avait pratiqué le long de la gorge un chemin
large de trois à quatre pieds seulement. On y pénètre maintenant par une galerie
longue de 216 pieds, haute de 10 â 1&, et large de 15 à 18. Cette galerie, qui a
été construite en même temps que la nouvelle roule, en 1822, porte le nom de Trou
590 LA SUIS8K PITTOKKSQCE.
Perdu ( Verlorefies Loch), que portail dès les temps anciens la gorge eHeHooéme. S'il
^ retourne après être entré dans celle-ci, le voyageur aperçoit la riante vallée de
Domleschg, éclairée d'un brillant soleil, et qui Tait un contraste remarquable avec
les rochers noirâtres qui s'élèvent perpendiculairement des deux oAtés. La Via Mala
n une longueur d'une lieue ; elle est ainsi nommée à cause des nombreux aceldeots
que causaient autrefois les avalanches et les chutes de pierres; c'est la gorge la plus
sauvage et la plus grandiose qu'il y ait dans toutes les Alpes généralement connues.
On la compare quelquefois avec celle de Gondo sur la descente du Simplon, et avec
celle de Pfa>Rei^; mais celle de Gondo n'est ni si sauvage ni si étroite; quant à
celle de Ffseflers, elle est plus triste et plus resserrée que la Via Mala, mais pas
aussi grandiose. Il peut cependant arriver que quelques voyageurs se soient fait de
celle-ci une idée encore plus terrible que la réalité, et qu'ils éprouvent quelque
désappointement en la parcourant. Un effort de la nature a fendu en deux, de la
base au sommet, un rocher de 4500 pieds; la fente par laquelle on passe n'a en
quelques places au-dessous de la roule que 30 à &0 pieds de lai^ur. Le t^nps a
exercé très-peu d'influence sur ces roches, et si un autre jeu de la nature rejoignait
les deux parois, elles s'emboîteraient parfaitement. Le Rhin, dont le lit n'a que la
largeur d'un ruisseau, s'engouffre à une telle profondeur (200 à 400 pieds), que
parfois on ne le voit ni ne l'entend. La roule est si étroite, qu'à certaines places
elle laisse à peine se croiser deux voitures. La gorge s'élargit un peu près du
hameau de Rongella, puis se resserre de nouveau, et l'on passe et repasse Tabime
sur deux ponis. C'est l'espace compris entre ces ponts qui offre le plus de sublimes
horreurs. Le second, qui est à près de 400 pieds au-dessus du fleuve, surprend par
l'élégance de ses proportions et par la hardiesse de son arche. Il date de 4739. En
4834, lors de la grande inondation, l'eau ne se trouvait plus qu'à quelques pieds au-
dessous de la voûte.
Vallée de Schams. — Dès que l'on a passé un troisième pont, dont Tâévalion
n'a rien de remarquable, et qui fut construit à la place de celui qu'avait enlevé
l'orage de 4834, on entre dans une vallée nouvelle, où l'œil peut se délasser de la
vue des sauvages horreurs qu'il vient de traverser. Les jolies habitations et les
vertes prairies de cette vallée, toute ouverte aux rayons du soleil, font une impres-
sion des plus agréables au sortir des sombres précipices de la Via Mala. On arrive
bientôt à Zillis, dont l'église fut donnée en 940 à l'évéque de Goire par l'empereur
Othon l". Sur une hauteur de la rive gauche, on voit encore, près de Donats,
les ruines du château de Fardûn, ancienne résidence des baillis des comtes de
Werdenberg. L'un d'eux fut la cause première de la délivrance du pays vers le
milieu du 45* siècle, comme Gessler l'avait été pour le pays d'Uri un siède et
demi auparavant. Deux chevaux du seigneur de Fardûn avaient été lâchés dans
les champs de blé de Jean Ghaldar; celui-ci, irrité, assomma ces animaux; il expia
celle action dans les fers, jusqu'à ce que les siens eussent réussi à le racheter à force
d'argent. Il était de retour dans sa famille, lorsqu'un jour le seigneur de Fardûn
entra à l'heure du diner dans sa cabane, et eut l'extrême insolence de cracher dans
le potage bouillant qui était placé sur la table. Ghaldar, prompt comme l'éclair, saisit
le tyran à la gorge, et plonge sa tête dans la marmite, en lui disant : a Mange le
potage que tu as assaisonné! » puis il l'étrangle. Ge fut le signal de la délivrance
LA SUISSE IMTTORBSQUK.
391
générale. — Près des bains de Pignol ou Pigneu , la roule passe un beau pont moderne,
sur le parapet duquel se lit une inscription latine dont voici le sens : La route vient
d'être ouverte aiix amis et aax ennemis. Rhétiens, soyez sur vos gardes ! La simplicité
des nwmrs et Vunion sauveront la liberté, héritage de vos amix. Quand elle a dépassé
le village d'Andeer (3040), cheMieu de la vallée, la route s'élève, par une série de
contours, dans la belle gorge de Roffla ou des Rofflen, qui ferme au sud la vallée de
Schams; le Rhin y forme des chutes très-remarquables. Elle laisse sur la gauche
Touverture de la vallée d'Avers, d*où descend un affluent considérable du Rhin. Elle
sort de la gorge par la galerie de Sasa Plana, qui n'a que 16 à 48 pas de longueur,
et qui donne entrée dans une nouvelle vallée.
Le Rheinwald, le Splugen, le Saint-Bernardin. — La vallée du Rheinwald s'élend
sur une longueur de plus de six lieues, de la galerie de Sasa Plana aux glaciers de
r Adula et aux sources du Rhin. Le terre-plein de la vallée est à la hauteur de
4500 à &900 pieds au-dessus de la mer, et il s'élève encore considérablement près des
sources du fleuve. Quoique moins dépourvue d'arbres, la vallée ressemble un peu à
celle d'Urseren. On y cultive encore des pommes de terre, de l'orge, et même du lin
et du chanvre; mais le principal produit est celui des prairies. On entretient dans la
vallée un grand nombre de chevaux pour le service des routes. Les habitants, au
nombre de 1400, sont répartis dans six villages; ils sont réformés, et descendent des
colonies allemandes qui vinrent au milieu du moyen-âge défricher les hautes vallées,
et qui furent chargés de garder le passage des montagnes. Le charme de la liberté
convertit pour eux le désert en une patrie, à laquelle ils vouèrent toute leur affection.
Au Spltigen.
392
LA susse PITTOlIBSQrK.
Ils furent appelés des geiis libres dans les documenls dès (277, lorsque, après la
morl de (lonradin, ils invoquèrent la proleclion du baron de Vatz. Ils ont conservé
leur ancienne langue, tandis que dans la vallée de Scbams et une partie de celle de
Domles^hg, on parle le romanche.
L« Spi&gea, au-deU (i« Chiaveaoe.
Du village de Splûgen, on a deux heures de montée pour atteindre le sommet du
col de même nom, qui est à 6500 pieds au-dessus de la mer, et à 2000 au-dessus
du village. Le passage n'offre pas une vue bien remarquable ; il est dominé d'en
viron 3S00 pi^s par la cime du Schneehorn ou Tambohorn (98&6ou 10,086),
qui s*élève à Touest, et dont on aperçoit la pyramide neigeuse du ddme de Milan; à
Test s*élève le Soretto. Le passage porte aussi le nom de Colnw del Orso (Sommet de
Tours ). Le nom de Spliïgen vient, à ce qu'on croit, d*une ancienne tour de garde qui
Tut construite dès les temps anciens sur le sommet: Spécula aurait été converti en
Siwltiga. Il parait que les Romains ont connu le passage du Splûgen, mais il n'esl
praticable pour les voitures que depuis 4821. Les gouvernements des Grisons et du
Tessin faisant construire une grande route sur le mont Bernardin, T Autriche, afin
de ne pas perdre le transit, entra en négociations avec les Grisons pour l'établisse
ment d'une autre voie sur le Splûgen. Du côté de Suisse, la route passe d'abord sous
une galerie longue de %2 pieds, non loin du village de Splûgen ; puis elle parvient
sur la montagne au moyen de seize contours. A peu de distance du sommet, sur la
|)ente sud, on rencontre une douane autrichienne; on doit ensuite passer sous trois
grandes galeries, établies dans des lieux très-exposés aux avalanches; la plus longue
a 1530 pieds. Elles sont construites en forte maçonnerie et revêtues de toits indinè^
reposant sur des piliers, et destinés à laisser glisser la neige. L'inondation de 183i
avait considérablement endommagé la roule; elle a été réparée dès-lors, et sa direc
lion changée en |)artie. Au-dessous du village d'Isola, elle passe non loin d'une cas
cade de 700 pieds, que forme le Madesimo. Plus bas, on trouve Campo-Dolcino, d'où
il n\v a plus que deux lieues et demie jusqu*à Chiavenne, petite ville de 3000 &mes.
qui, sauf sa belle position, offre peu de chose de remarquable, et qui, avec sa vallée,
LA SUISSE PITTORESQUE.
393
fut, comme nous Tavons dit ailleurs, longtemps sujette des trois Ligues. La vallée
emprunte le nom de San-Giacomo à un village situe au nord de Chiavenne.
Une distance de deux lieues, presque en plaine, sépare le village de Spliigen de
celui de Hinterrhein; la route passe à Ebi, où la Landsgemeinde de la vallée se ras-
semble sur une prairie le premier dimanche de mai. C'est de Hinterrhein (4980 pieds)
ciue la route du Bernardin s* élève par une longue série de zigzags pratiqués contre
une pente escarpée ; elle parvient ensuite, par un vallon étroit et désert, au sommet
du col, haut de 658& pieds, ou de 15 à 1600 au-dessus de Hinterrhein. Le passage
était déjà connu des Romains; il s'appelait Vogelberg ou Mmt de l'Oiseau au com-
.--•.>--
Le pasfage du Vogelberg.
mencement du 15* siècle. Le nom actuel vient d'une chapelle qui fut érigée par
sainl Bernard de Sienne, quand il prêcha dans la contrée. La route moderne Tut
conslruite de 1819 à 1823. Le gouvernement sarde se chargea de la majeure partie
de la dépense, à raison des immenses avantages que le commerce de Gênes et de
Turin devait retirer d'une communication directe avec la Suisse et l'Allemagne
occidentale. La route est praticable pour les voitures durant tout l'hiver. On trouve
au sommet une grande maison de refuge, tenue par un aubergiste qui reçoit une
subvention de l'Etat. La route côtoie ensuite le petit lac^de Moesola, près duquel
croissent quelques fleurs rares des Ali)es. ( Voy. Val Misocco. )
Sources du Rhin postéuieur. — Du village de Hinterrhein il faut encore quatre
heures de marche pour s'approcher des sources du Rhin. L'excursion ne peut se
faire que depuis le milieu de l'été ou en automne, vu le danger des avalanches ^ A
une lieue du village on commence à monter au milieu d'afl*reux débris de rochers ;
puis, après une marche peu commode, tantôt sur les cailloux roulés qui couvrcnl
les bords du fleuve, tantôt sur des restes d'avalanches, on arrive au-dessous de ral|K'
de Zaport; on parvient par une montée rapide sur cette alpe, qui est située sur la
rive gauche et exposée au sud; on y trouve des bergers bergamasques. L'ali)e
1. Au mois d'aoùl 1855 on no pouvail arriver au pied de Talpe de Zaporl qu*en marchaul
plus d'une heure sur d'énormes masses de neige, accumulées par les avalanches, el partagées en
quelques endroits par de grandes crevasses. 11 fallait passer et repasser trois fois le Rhin sur
des voûtes de neige.
II. ». 50
394 LA siissi: piTTcmesQtE.
aboutit à un ravin siiuvaji^e, bordé de précipices, et qu*on nomme V Enfer. Sur I aulrt
rive est un |)etit plateau de rocher qui se tapisse au mois d*aoùi de bdies Oeu^
alpines, et auquel on donne le nom d\4//ir du PanidU. Un peu plus haut, se tennine
le vaste glacier de Rlieinwald, d*où jaillit le Rhin ; quelquefois le torrent sort d'uoe
belle voûte de glace ; il est immédiatement grossi par les eaux qui sortent de plu
sieurs crevasses du glacier. L^alpe de Zaport est une station favorable pour ooniem
pler soit la ceinture de glace qui termine et enferme la vallée, soit les cim>
im|K>santes qui s*élèvent au-dessus, le Moschelhorn, d'où se précipitent de belb
cascades, le Piz Yalrhein ou Piz d*Uccello, le Zaporthorn, etc. Sur la rive droite,
on voit une partie du glacier de Za|)ort, qui s^appuie contre Taiguille pointue qui
porte ce nom, et sur lequel est arrivé en septembre 1854 Taccident que nous aYOD>
rap|K>rté (page 81).
Yallék dk FeRRi^RA ET D* A VERS. — Vcrs le bas de la goi^e des BoHlen, dool
nous avons parlé, débouche, du côté du sud, une autre gorge, qui conduit dans uoe
des vallées les plus sauvages qu*il y ait dans les Alpes. Elle a sept lieues de longueur
et est arrosée |)ar le Rhin d'Avers. A \yc\x de distance de Touverlure, ce torrent, qui
l)ouillonne au milieu de gros blocs de granit, fait deux ou trois cascades remar-
quables. On rencontre d*abord le village de Bas-Ferrsera, puis le hameau deCankûi
ou Haut-Ferrœra. Une gorge très-longue et très-étroite, mais qui abonde en site>
variés et pittoresques, et qu'animent plusieurs belles cascades, conduit ensuite au
hameau de Campsut. Plus loin, la vallée porte plus particulièrement le nom d*Avei>
Après avoir franchi un nouveau défilé, où Ton trouve aussi quelques sites remar-
quables, on arrive au village paroissial de Gresta ou d'Avers, où commence un
vallon revêtu des plus verdoyants pâturages. La partie inférieure de la vallée a
conservé encore quelques forêts de mélèzes et de cimbres, mais la partie supérieurr
est complètement déboisée, ce qu'on attribue aux fonderies qui étaient établie'
autrefois dans le vallon latéral de Bregaglia. On y pourvoit en partie au manque de
bois au moyen de la tourbe et de la fiente de mouton et de chèvre. La vallée d'Avers
est la contrée habitée la plus haute du canton, et probablement de toutes les Alpe>
Cresta est à 6300 pieds au-dessus de la mer. Le 31 mai 18S5, le sol n'y était pa.^
encore dégarni de neige. Malgré la rigueur du climat, on réussit à y faire crollredes
pommes de terre et quelque jardinage. La vallée est limitée au sud par les pics de^
montagnes de Bregaglia ; deux passages mènent du côté de Ghiavenne par les vallon!^
latéraux de Lei et de Madris. Des ch&lets de Joff, les plus hauts de la vallée (6730),
deux autres sentiers conduisent, par des crêtes élevées, l'un par Valetta (8U0), à
Bivio, dans le val Oberhalbstein, l'autre par le col de la Forcella(8300), aucoidu
Septimer. Le sommet de ces passages ne se dégarnit pas de neige en été, mais ik
n'offrent aucune difficulté. La population est réformée; elle descend d'une aDcienof
colonie allemande, qui a toujours joui d'une complète liberté, et qui a conservé i^
langue et la simplicité de ses mœurs pastorales. Elle compte environ 350 âmes, ol
se trouve dispersée dans seize groupes d'habitations.
Vallée de l'Albula. — Un peu au-dessous de Tusis, le Rhin est grossi par'^
eaux de l'Albula, qui sort d'une longue gorge où elle était profondément encaissée.
Non loin du confluent est Scharans, dont l'église renferme le tombeau d'Ulrich*'
Marmels, qui contribua beaucoup à la propagation de la Réforme dans les Grisoos<
LA SIÎISSR IMTTORESK^rE. 39ÎÎ
Le chemin entre ce village et celui d'Obervatx, le long de la sauvage gorge de
TÂIbula, prend le nom de Schyn ou de Mûrraz. Obervatz est situé sur un coteau
au milieu de belles prairies; on y Jouit d'une l)elle vue sur le mont Heinzenberg et
SCS nombreux villages; on voit dans les environs les ruines considérables du château
des barons de Vatz, la plus puissante famille des Grisons au 12^ et au Ift*" siècle.
Près d'Alvaschein, le pont de Solis, élevé de 280 pieds sur TAlbula, et long de
72 pieds, établit la communication avec plusieui^ villages situés sur la rive gauche,
contre des pentes d'un accès peu commode. Au hameau de Vazerol se sépare, sur la
droite, la roule qui conduit par Tiefenkasten vers les monts Julier et Septimer. C'est
dans une ferme de Yazerol que fut jurée solennellement la fédération des trois Ligues
en 4471. En continuant à remonter l'Albula, on rencontré les ruines imposantes
du château de Belfort, situées sur un rocher presque inaccessible, puis les bains
sulfureux d'Alveneu, situés près du confluent de l'Albula et du Landwasser, torrent
qui vient de la vallée de Davos. Aux environs de Filisur, village dominé par les
ruines du chftteau de Greifenstein, on a exploité plusieurs mines qui fournissaient
du cuivre, du plomb, du fer, et même de l'argent ; on exploite encore des mines de
fer productives dans les hauts vallons de Tuorz et de Tisch, au-dessus de Bergûn.
Entre Filisur et Bergun, on passe dans un long défilé, où la route est taillée dans le
roc sur un espace de 4000 pieds de longueur ; ce travail date de l'an 4696. L'Albula
mugit au fond d'un abime de ft à 600 pieds de profondeur. Dans la guerre de 4799
el 4800, les Autrichiens et les Français firent passer par-là toute leur artillerie. De
Bergûn, élevé déjà de 4275 pieds, on monte encore considérablement pour atteindre
l'hôtellerie du Weissenstein (6249), située dans le voisinage de deux petits lacs qui
donnent naissance à l'Albula. C'est plus haut qu'on reconnaît les traces d'une
ancienne chaussée qu'on attribue aux Romains; puis on traverse la rallée du Diable,
contrée sauvage, toute remplie de débris de rochers amoncelés par les nombreuses
avalanches qui rendent ce passage dangereux au printemps. On trouve dans les
Alpes peu de solitudes plus tristes et plus affreuses que celle qui passe entre le
Weissenstein et le sommet de l'Albula (7060 ou 7238). Le passage est dominé par les
deux aiguilles de l'Albula ; celle du sud est granitique, et celle du nord de calcaire
primitif. A la descente vers l'Engadine, on jouit de belles vues sur les chaînes
voisines.
Val Oberhalbstein. — Retournons maintenant en arrière jusqu'à Yazerol, et
suivons la route qui descend à Tiefenkasten, village profondément encaissé, comme
son nom l'indique, et placé au confluent de l'Albula et d'un torrent nommé Rhin
<rOberhalbstein ; ce torrent descend d'un vallon de ce nom qui aboutit aux passages
du Julier et du Septimer. Les Romains, qui connaissaient ces passages, avaient b&ti
près de Tiefenkasten une tour destinée à protéger le pont de l'Albula. Jusqu'au
IS"" siècle, époque où l'on construisit la route de la Via-Mala, la voie du Julier est
restée une des principales communications entre l'Italie et l'Allemagne. Au-dessus
de Tiefenkasten, la route monte le long d'une gorge remarquable, resserrée par un
rocher perpendiculaire qu'on nomme Slein ou la Roche. De là vient le nom de la
vallée, qui signifie sur la roche, de même que le nom romanche sur seissa. Au sortir
de ce défilé, qui est long de près d'une lieue et ressemble beaucoup à celui de Bergûn
décrit ci-dessus, on arrive sur de belles prairies parsemées de villages et de hameaux.
591) LA srisse pittoaesque.
Trois lieues plus haut, la vallée se resserre encore, et, après une montée un peu
raide au milieu des foréLs, on parvient sur un nouveau plan. On y rencooire plu-
sieurs villages et plusieurs ruines de ch&tcaux, avant d'arriver kStalla ou Biri't
{ Double Voie ), lieu ainsi nomme parce que les routes qui descendent du Julier el du
Septimer s*y réunissent. Bivio est à 5600 pieds: le blé n'y croit plus, et les pommes
<le terre y mûrissent rarement. Il Tant encore deux heures pour atteindre le sommet
du Julier (6830). La montée n'est point pénible, et c'est un des passages des Alpe^
qui sont le moins expost'^ aux avalanches et le plus vite débarrassés de neige. En
revanche, la vue s'y trouve bornée de tous les côtés. Mais, à mesure qu'on descend
vers TEngadine, on aperçoit {leu à peu des points de vue plus étendus et plus inté-
ressanls. On trouve maintenant une auberge sur le sommet. Nous avons parlé ail
leurs des deux colonnes anciennes qu*on y remarque à côté de la route. — Quant
au chemin du Septimer, il a cessé d'être fréquenté par les voitures, à cause de
l'escuirpement du flanc méridional ; ce passage est cependant une des plus anciennes
routes qu'on ait frayiVs dans les Alpes, et les empereurs romains et allemands lont
rranchi avec leurs armées. De Bivio, l'on atteint en deux heures le haut du passage
( 7360 ), où se déploie tout à coup une vue étendue sur les cimes neigeuses ou gla-
cé(»s de la chaîne du Bernina, le Piz Muretto, le Piz d'Oro, etc. Les eaux qui
découlent du Septimer vont se jeter dans trois mers différentes, car elles donnent
naissance au Rhin d^Oberhalbstein, qui va grossir le Rhin, à l'Inn, affluent du
Danube, et à la Maira, qui se réunit à l'Adda.
Vallée de Davos. — Si l'on remonte le Landwasser, qui grossit l' Albula près des
Imins d'Alveneu, on rencontre d'abord les villages de Wiesen ( prairies ) et de Glaris,
séparés par un défilé que sillonnent en hiver et au printemps d'impétueuses ava-
lanches. On arrive ensuite dans une vallée, dont le terre-plein, ainsi que les pentes
des montagnes, sont en été tout émaillés de fleurs, ce qui donne à la contrée un
aspect très-agréable; un grand nombre de hameaux et d*habitations isolées y sont
épars, et portent collectivement le nom de Davos. I^e cheMieu s'appelle Am Plat::
eVst I& que s'assemble la Landsgemeinde. Le mot daws, en romanche, signifie là
derrière. Celte vallée fut découverte par un chasseur du baron de Vatz, en 1233, et
elle fut concédée à une colonie, moyennant quelque redevance; les colons, qui étaient,
dit-on, Yallaisans, furent dès-lors appelés htmines libres, et il ne s'éleva jamais chez
eux aucun château seigneurial. C'est à Davos que fut jurée, en 1436, la Ligue des
onze Juridictions ( voyez ci-dessus). A son extrémité supérieure, la vallée commu-
nique avec celle du Pneltigau par le col de Stûtze ou de Laret, à peine élevé de
300 pieds au-dessus de Davos, dont la hauteur est de 4500 à 4600 pieds. Elle
communique avec Coire par le col de la Strela (7317) et la vallée de Schalfick; le
sentier est rapide, mais n'a rien de difficile. Du côté du sud s'ouvrent plusieurs val-
lons latéraux : ceux de Monslein et de Sertig, où l'on trouve des villages du même
nom ; dans ce dernier l'on voit une belle cascade ; ceux de Dischma et de FlûeJa,
où passent les sentiers un peu rudes de la Scaletla et de la Flûela, qui conduisent
dans l'Engadine. On a, sur les deux pentes, à traverser d'immenses éboulements de
rochers, pour parvenir au sommet de la Flûela; le col, élevé de 7400 pieds, est
dominé par le Schwarzhorn (9700), d'où descend un glacier. On y trouve une ché-
tive maison de refuge, el dans le voisinage deux petits lacs, qu'on voit encore
LA SUISSE PITTORESQUE. 397
couverts de glace au cœur de Télé. Toute la contrée de Davos était jadis revêtue
d'épaisses forêts qui recelaient un grand nombre d'animaux sauvages; aussi, la
grande salle de rhôtel-de-ville de Davos est-elle décorée d'une bordure de têtes
d'ours et de loups. Sur plusieurs points on a trouvé du minerai ; mais les pâturages
du pays et ses 7000 têtes de gros bétail sont une ressource bien plus avantageuse
que les mines. Toute la population est réformée et parle allemand.
Vallées de Churwalden et de Schalfick. — Ces deux vallées débouchent au-
dessus de Coire. Celle de Churwalden se dirige vers le sud ; une bonne route conduit,
|)ar les villages de Malix, Churwalden et Parpan, au col de Heide ( 4775 pieds), d'où
l'on redescend vers Lenz, et va rejoindre les routes de Davos, de l'Albula et du
Julier. Du sommet, on a une belle vue sur la vallée et les montagnes d'Oberhalbstein.
Churwalden est le berceau de la famille des BuoI, dont une branche est établie en
Autriche. La Rabiosa, qui descend de cette vallée, se jette au-dessus de Coire dans
la Plessur. Quant à celle-ci, elle descend de la vallée de Schalfick, la plus sauvage
et la plus rude de toutes celles du canton. La rivière coule au fond d'immenses
précipices ; les eaux qui descendent des hauteurs ont creusé aussi contre les flancs
de la vallée plusieurs profonds ravins qui séparent les divers villages; ceux-ci ne
communiquent entre eux que par des sentiers en zigzags, pratiqués à grand'peinc
le long des précipices. Le village d'Erosa ou Arosa est à S82ft pieds. Les habitants
de la vallée sont allemands et réformés. Plusieurs sentiers les mettent en rapport
avec ceux de Davos et du Praettigau.
Vallée du PRiEmcAu. — Non loin de Malans est le débouché de cette grande
vallée, qu'arrose la Landquart. On y pénètre par un défilé étroit, appelé la Klus,
qui était autrefois dominé par le château de Fragstein (Ferporta). On voit encore
les ruines d'un mur qui s'abaissait jusqu'à la rivière, de sorte que la vallée pouvait
(Hre entièrement fermée. Le Prœttigau (Pratigovie, vallée des prés, val Pratenz en
romanche), se distingue par ses excellents pâturages et par le beau bétail qu'il
élève, en même temps que par ses sites tour à tour gracieux ou sauvages. A une
lieue et demie du défilé de la Klus, est le village de Schiers, dont les habitants, aidés
(le leurs femmes, se battirent énergiquement en 1622 Qpntre les Autrichiens, com-
mandés par Baldiron, et restèrent vainqueurs. Dès-lors, les femmes ont joui du pri-
vilège de se rendre les premières à la table de la communion. En souvenir de cette
victoire, le drapeau qui leur servait de ralliement est déployé chaque année le jour
de Pâques. En 4799, les habitants de la vallée défendirent aussi contre les Français
le passage de la Klus. Plus loin, l'on trouve les bains de Fideris et ceux de Serneus.
Les premiers sont situés à une lieue de la rivière, sur sa rive gauche. Ils sont dans
une localité peu pittoresque, et leur établissement est très-rustique, mais l'efficacité
des eaux, semblables à celles de Saint-Moritz, y attire une nombreuse affluence de
toutes les c-ontrées voisines. Ceux de Serneus sont au bord de la rivière, sur la même
rive; ils ont aussi quelque vogue.
La vallée de Prœttigau est entourée de hautes montagnes aux cimes déchirées et
couvertes de glaciers. Elle se termine vers les grands glaciers de Seivretta, auxquels
aboutissent les sauvages vallons de Veraina et Sardaska, où la Landquart prend ses
sources. Elle est séparée du Vorarlberg par la chaîne du Rhœtikon, que l'on passe
par un grand nombre de passages, appelés ;>or(é«^ dont la plupart sont assez difficiles
398 LA ftl'ISSR PITTORRSQrE*
ri deviennent toujours plus impraticables par les éboulements ou la marche d^
glaciers. La plus haute montagne du Rliœtikon est la Scem Plana, dont le mmmi
pyramidal est élevé de 9^207 pieds, et s'appelle aitssi Sennhtpf (Tèie de BergeriOo
ne peut le gravir, depuis Scewis, que par des sentiers pénibles, niais on \ j(rt)il
d un magnifique |Kinorama, qui sétend sur la Souabe jusqu'à Ulm, sur une grande
imrtie de la Suisse et du Tyrol. Le sentier qui y monte du côté du nord longe le
lieau lac de Luna, dont refoulement forme une cascade. Le touriste qui frétr^
des ascensions moins rudes, peut faire celle de Y Aitgulenberg ou ViUtn, cime de
755G pieds au n<»rd de Seewis, ou celle de la sommité bien moins élevée de VMf.
au dessus de Malans. Ia^s principales vallées latérales qui débouchent dans celle du
Pra^ttigau, sont : celle de Scewis, qui conduit aux sommités qui viennent d'être men-
tionnées; Seewis est la patrie du poète Salis-Seewis, mort à Malans en 1834; celle
de S<'liuders ou Druserthal, par où Ton gravit au col appelé Druserlhor, Porte de
Drusus(67C0), et à un autre qui porte le nom de Schwei2erthof( Porte des Suisse-:
c*elle de Saint-Antoine, que ravagent de nombreuses avalanches et qui aboutit»
plusieurs cols, ainsi qu'à une montagne nommée Snlz-FliUè, où se fait entendre un
iVlio multiple très-remarquable ; enfin, près de KIosters, s'ouvre le vallon de
Schiapina (Selva pina ), d'où Ton atteint par une pente un peu escarpée lecolJe
Schiapinerjoch. La plupart des noms du Pnettigau sont romanches; mais les habi
tants, qui sont au nombre de plus de 10,000, parlent tous allemand. Ils sont réformé»
Encadine. — Cette vallée, qui est longue de 18 à 19 lieues, forme deux juridic-
tions de la Ligue de la Maison-Dieu, sous les noms de Haute et Basse-Engadine. U
liaute-Engadine ne comprend que les sept lieues supérieures, et s'étend du Mal')]^
jusqu'au pont appelé Pimtaula ou Pont-Alto, entre Sinuscel et Gernetz, el près
duquel existait jadis une muraille de 500 pieds de longueur. La Basse-Engadine
s*étend de ce pont jusqu'à celui nommé Pomartin ou Martinsbrttck (Mariinsbrùcke].
qui confine au Tyrol. La hauteur de l'Engadine, sa végétation, ses eaux minérales,
les magnifiques glaciers qui l'avoisinent, et les mœurs de ses habitants, font de celte
vallée une des plus intéressantes de la Suisse. La partie supérieure de la Haute-
Engadine est surtout remarquable ; ses jolis petits lacs, où se reflètent de vertes
prairies et de belles forêts de cimbres, surmontées de pics neigeux, lui donnent un
charme tout particulier. C'est près de Samaden que la vallée présente l'aspect le
plus grandiose ; on y aperçoit, du côté de Ponteresina, et au milieu de la plus rraiche
verdure, deux grands glaciers d'une éclatante blancheur. La contrée comprise entre
les lacs et le pont de Puntalta est une belle prairie, large de près de demi-lieue, et
toute émaillée de fleurs au mois de juillet. Elle est presque entièrement dépouillée
d'arbres, mais la pente des monts est généralement revêtue de forêts jusqu'à la hau-
teur d'un millier de pieds. Les villages les plus élevés delà vallée sont ceux de Sib,
de Silvaplana et de Saint-MorHz, qui sont à 5500-5700 pieds. Samaden est à S360
ou 5&70. Or, la zone de 5600 pieds dans les Alpes a un climat qui correspond ip^
près à celui du cap Nord en Laponie. Le climat de la Haute-Engadine est en effet
très-rigoureux ; il y fait, comme disent les habitants, neuf mois d'hiver et trois 0ois
de froid. Le jour le plus chaud peut être suivi d'une brusque variation de tempéra-
ture. La neige y tombe souvent dans les mois de l'été, et couvre d'une nappe blanche
toutes les prairies de la vallée; il ne s'y passe guère de semaine dans la même saison
LA SUISSE PITTORESQUE. 399
sans qu'on y voie de la gelée blanche ; le 4 mai, rarlillerie française put passer sans
danger sur les lacs que couvrait encore une épaisse couche de glace. L'air y est tres-
sée et très-pur ; aussi y sèche-t-on la viande et le poisson en les suspendant à Tair,
d'octobre à mai. On assure même qu'on peut conserver du bœuf pendant plusieurs
années. Malgré la hauteur du sol de l'Engadine, on y voit croître des végétaux qui
n'atteignent nulle part à cette élévation sur le versant nord des Alpes ; ainsi, à Samaden
il croît un peu d'orge et de froment; l'orge croît jusqu'à Campfer ; il vient aussi un peu
de jardinage autour des villages, et même de celui de Feet, situé à 6050 pieds dans un
vallon latéraP. 11 ne croît peut-être en aucun pays autant et de si beaux cimbres ; ils
montent sur le flanc des montagnes jusqu'à 4500 pieds au-dessus du terre-plain de
l'Engadine, c'est-à-dire jusqu'à la hauteur absolue de 7000 pieds. Le fruit de cet
arbre est un objet de friandise pour les habitants ; ils en consomment en quantité,
surtout dans les réunions d'hiver. Mais ce qui est encore plus remarquable que la
végétation, c'est qu'à une hauteur où l'on ne trouve guère ailleurs que de simples
chalets, on rencontre ici de grands villages de la meilleure apparence, avec des
maisons blanches d'une propreté exquise, et même décorées de jolis balcons. C'est
ce que l'on chercherait vainement dans quelque autre région d'Europe.
L'aspect de la Basse -Engadine est tout autre que celui de la partie supérieure de
la vallée. Les pentes des montagnes se rapprochent presque partout du cours de
l'Inn, et la rivière coule dans un lit si profondément encaissé, qu'on l'entend sou-
vent sans la voir. La route, qui avait été en plaine dans la Haute-Engadine', devient
ici très-montueuse; elle continue à suivre la rive gauche, sur laquelle sont situés
la plupart des villages sur des pentes bien exposées au soleil ; plusieurs sont à une
grande élévation, et dominés par de vieilles tours. Les pentes de la rive droite sont
couvertes de forêts et habitées encore par un grand nombre d'oui*s; on n'y trouve
qu'un petit nombre de lieux habités. Les parties les plus pittoresques de la Basse-
Engadine sont les environs de Tarasp et l'espace entre Cernetz et Puntauta.
La population de l'Engadine s'élève à 9375 habitants^ dont 2917 dans la haute
vallée, répartis en onze paroisses; 6458 dans la basse vallée, répartis en douze
paroisses. Deux de ces dernières sont catholiques : celle de Samnaun, à l'extrémité
nord, et celle de Tarasp. Celle-ci a dû conserver son ancien culte parce qu'elle est
restée sous la domination autrichienne jusqu'en 4845. Tous les autres habitants
sont protestants zélés. On conserve dans chaque maison d'anciennes Bibles ou de
vieux livres de prières en langue allemande ou romanche. Ainsi que des notes
écrites à la main sur plusieurs de ces Bibles en font foi, la Réforme a compté dans
la vallée de nombreux martyrs au commencement du 47* siècle, à l'époque où
1. On aUribue ce phénomène de végétation, qu'on retrouve dans d'autres vallées grisonnes,
particulièrement à la circonstance que ces vallées sont à une hauteur considérable, relalive-
ment aux montagnes qui les entourent, de sorte que le soleil peut y réchauffer le sol plus long-
temps que dans des vallées où le terre-plein n'atteint pas la même hauteur, mais se trouve do-
miné par des montagnes plus élevées.
2. La route qui traverse la Haute-Ëugadine a été dernièrement améliorée et rectifiée en divers
endroits. Celte roule neuve a été prolongée jusqu'à Lavln, dans la Bas^e-Eugadine.
3. 11 faut compter, en outre, 1002 habitants deTËugadine (1*277 hommes et 325 femmes), portés
comme absents en 1850. MM. Rôder et Tscharner parlent d'un recensement d'après lequel la
PopuIaUon totale de l'Engadine était de 10,596 âmes ; ce chiffre comprend, à ce qu'il parait, les
Absents.
400 LA StISSe PlTrORBSQLE.
TEngadine, de mémo que P<)sc*hiavo, la Vallcline, le val Bregagiia, furent persô-
(*utés par les Milanais pour qu'ils rcnlrassenl dans le giron de l'Eglise romaine. Lo
dimanches et jours de Télés simt strictement observés dans la vallée ; le coslume
d'église est en général noir; les sexes sont sé|)arés pendant le service. — La pau-
vrelé est rare dans TEngadine, et la mendicité inconnue. On y rencontre beaucoup
d*hommcs qui, ayant habité dans des |)»ys étrangers, parlent diverses langues;
quant aux femmes, elles ne parlent ordinairement que celle de leur pays. LiaConsti
lution de la vallée est démocratique, sur la base la plus large. Un vieux proverbe
dit avec vérité qu'après Dieu et le soleil, le simple citoyen est dans TEngadinele
|K)uvoir suprême. Cependant, les anciennes familles nobles des Planta et des Salis v
conservent encore une partie de Tinfluence qu'elles ont exercée depuis des siècles.
Nous avons parlé plus haut de la distribution particulière qu'on trouve dans les
habitations de TEngadine; quelques maisons et auberges nouvellement construites
se sont soustraites à l'usage du pays.
Les principaux endroits de la Haute- Engadme sont : Saint-Moritz, dont la source
acidulé, soit alcaline-gazeuse, attire une grande affluencc de malades; ses environs
sont très-pittoresques; Samaden, que l'on peut api^eler leChamonixdel'Engadine;
Camogask, vis-à-vis de Ponte, en face du débouché de la route du Julier; un peu
plus loin, sont les ruines du château de Guardaval, qui fut construit ]Mir l'évéque
Volkhard en l!251 pour surveiller la vallée, et que détruisirent les paysans, sou
levés par un nommé Adam de Camogask, dont le seigneur de Guardaval avait
voulu enlever la fille ; l'authenticité de cet événement n'est point avérée ; Scanfs,
un des villages les plus beaux et les plus peuplés de la vallée, non loin duquel on
voit les traces d'un ancien camp ou retranchement qu'on prétend faire remonter à
Drusus. Dans la Basse-Engadine, nous mentionnerons : Gernetz, situé au milieu dune
contrée fertile et au débouché du val del Forno; Sûss, près duquel on a trouvé, en
1S7!2, des poignards, des flèches, et diverses armures et monnaies romaines ; Fettan,
situé à une grande hauteur (5070), et non loin d'une source d'eau acidulé et dune
caverne où l'on trouve des stalactites et du lait de lune; Tarasp, avec un châleau
remarquable encore bien conservé, et où résidaient autrefois les baillis autricliiens:
entre ce village et celui de Schuols, on trouve un établissement de bains et (k*
Ixmnes auberges ; Schuols, où était établie jadis une imprimerie, qui fut Irès-activo
|M)ur la publication d'ouvrages religieux ; sa population, qui, dit-on, fut autrefois de
1800 habitants, est maintenant réduite de moitié; ses eaux minérales lui rendront
(leut-étre dans l'avenir son ancienne pros|)érité. Mentionnons enfin Rcmûss, dans
une contrée riante et fertile, et près de l'ancien château de Ghianùff; c'est à deux
lieues de Remùss que sont les ruines du retranchement de Serviezel et le Mar-
tinsbruck. L'élévation de la vallée est encore à ce point de 3234 pieds; une licuo
plus loin, est le défile intéressant de Finstermûnz.
De nombreux vallons latéraux débouchent dans la vallée de l'Engadine, sur les
deux rives de la rivière. Plusieurs aboutissent à des pâturages ou à des glaciers:
d'autres conduisent à des imss^iges plus ou moins fréquentés, qui font communiquer
l'Engadine avec les vallées environnantes. De Silvaplana et de Ponte parlent les
roules très-commodes du Julier et de l'Albula; elles sont praticables même en hiver,
et servent aux communications entre l'Engadine et Goire; il n'y a que 1500 pieds
LA SUISSE PITTORESQLe. hO^
environ à gravir pour en atteindre le sommet. De Sinuscel et de Sûss, on monte par
les valions de Salsanna et de Sursura aux cols plus difficiles de Scaletta et Flûela, qui
conduisent dans la vallée de Davos. Sur la rive droite s'ouvrent le vallon de Feet,
où l'on trouve le village et le beau glacier de même nom; le val Ponteresina, qui
conduit au col et aux magnifiques glaciei^ du Bernina ( nous allons y revenir ) ; le
val Gasanna, qui mène au col de même nom, que passa le duc de Rohan pour aller
vaincre les Autrichiens dans le val Livino, le 27 juin 163S ; le val del Forno (ou
d'Ofen), qui doit son nom aux fourneaux qu'on avait établis pour fondre le minerai,
et par lequel on se dirige à travers de vastes forêts vers le col fréquenté de Buffa-
lora ; en face de Schuols, le val de Scarla, qui conduit au village et au col de même
nom ', et où l'on reconnaît les traces de grandes inondations.
GLAGiEns DU Bernina et Vallée de Posghiavo. — Près de Samaden débouche le
val Ponteresina, arrosé par le Flaty, qui sort des glaciers du Bernina. Dès qu'on a
dépassé le village de Ponteresina, on voit s'ouvrir à droite le vallon latéral de Rosegg
ou Roseggio, au fond duquel resplendit le vaste glacier de même nom, formé de la
réunion de deux glaciers, ceux de Roseggio et de Mortels ; le premier reçoit lui-même
comme affluent le glacier de Cierva, et le second celui d'Âgagliock. L'ensemble de
ces glaciers se trouve dominé par plusieurs importantes sommités : le Piz Mortirasch,
12,309 ; le Piz Bernina, 12,475 (voy . la nt)te page 583); le Piz Roseggio, 12,139 ; les
Jumeaux, laSelle, enfin leCapucchio ou Bonnet, 1 1 ,072 (si du moinsc'est la même som-
mité que celle indiquée dans l'Hypsométrie Ziegler sous le nom de Caspoggio). Quatre
grands rochers noirâtres, qui se voient au milieu des neiges sur le flanc du Capucchio,
lui donnent grosso modo l'apparence d'une figure humaine. Le Piz Bernina, le point
culminant du ""groupe de montagnes qui porte ce nom, a été escaladé en 18S2 par
l'ingénieur Ck)atz de Coire. (Les Autrichiens donnent le nom de Rosso di Scersen au
Piz Roseggio, suivant d'autres au Rosso di Denlro. ) On met trois heures depuis le
village de Ponteresina pour se rendre aux châlels d'Alpota, voisins du glacier de
Roseggio. Au pied du Piz Roseggio est une sommité nommée Agagliock', isolée au
milieu des glaces, et sur laquelle on trouve un petit pâturage ; on ne peut y atteindre
qu'en franchissant le glacier ; mais le panorama qu'on y découvre n'y est pas plus
grandiose que celui dont on jouit de l'alpe d'Alpota. Environ une lieue au-dessus do
Ponteresina débouche encore à droite un second vallon latéral, celui de Montaraccia
ou de Mortiratsch, d'où descend un grand glacier formé de la jonction des glaciers de
Mortiratsch et de Bernina. — Pour se diriger vers le col du Bernina, on laisse sur la
droite les deux vallons latéraux dont il vient d'être question. Près du sommet, on
i. Le col BafTalora a été omis (page 70) dans le nombre des cols praUcables pour de légères voi-
lures. Quant au col Scarla, au contraire, c'est seulement sur sa pente nord qu'il est accessible,
presque jusqu'au sommet, aux petits chars dont on se sert pour descendre les fourrages.
2. M. Kasthofcr (Voyage dans les Grisons) cite comme une particularité remarquable que
des masses de terre précipitées sur les glaces par les avalanches se sont recouvertes d'une forte
végétation, et fournissent depuis trois siècles un pâturage où l'on mène paître un troupeau.
Ce petit pâturage ne repose point sur le glacier même, mais simplement sur une moraine laté-
rale, laquelle s'appuie contre le pied de l'Agagliock et n'est pas entraînée par le glacier. On
observe cependant bien quelquefois de la végétation même sur les goulTrelignes ou moraines
médianes (voyez page 78), supportées par les glaciers et participant à leur mouvement. Ainsi
Ton voit plusieurs espèces de plantes alpines sur les grandes moraines du glacier d'Unteraar, à
quelque distance de l'hâlel des Neuchâlelois.
11.96 51
402 LA SilSSC nTTOUCS^E.
pastie devant une m<idesle bolellerie. Plus loin. Ton Irouve quatre petits lacs ( voy . d-
dessus, pa^e 5SC), dont la hauteur est d'environ 7000 pieds; aussi, les avons-nous
vus OiKJverts d*une couc^be de glare de demi-pouce d'épaisseur, apfès une nuit claire
de b fin de juillet ( 1837 ), et malgré un vent très-vif. Le col se trouvait eqie&dant
cumplêlement dégarni de neige. A droite, c'est-à-dire à l'ouest du col, on voit contre
la pente de la montagne les glaciers de Diabolets, d'Arli et de Cambrena. En moo-
tant de Ponlerestna au i*ol, on a sur la gauche une sommité nommée le Piz LinçHani
(Lanquard sur la carte Dufour ), et haute de 10,053 pieds. Ce piccomm^ioe à
recevoir fréquemment la visite des touristes. L'ascension, qui exige au moins quatre
heures, et n'est pénible que durant la dernière heure, peut se bire du sommet du
col ou de Ponteresina. Par la première voie, on doit traverser un petit glacier et un
champ de neige ; par la seconde, l'ascension a lieu sur des pentes où la neige a
disparu vers le milieu de l'été. Le panorama éblouissant qui s'ofiBre aux regards
s'étend d*un cdté jusqu'au milieu du Tyrol, de Tautre jusqu'aux grandes Alpes
bernoises.
On lit dans quelques ouvrages que les glaciers du Bemina n'ont pas moins de
46 lieues d'étendue. Ces expressions peuvent (aire concevoir une idée très-erronée de
ce qu'est en réalité la chaîne du Bemina. On peut comparer les glaciers du Bemina
compris entre celui de Bondasca, à l'extrémité sud du val Brqgaglia, et le col du
Bemina, au groupe des glaciers du Mont-Blanc compris entre le col du Bonhomme
et le col de Balme. Chacun de ces deux massifs a sur la carte environ neuf lieues
de longueur, sur une largeur qui n'est que d'environ trois lieues ( car telle est la
distance sur la carte ou à vol d'oiseau, entre le hameau d'Entrèves près Corniayeur,
et Chamonix, ou entre TAIlée-Blanche et lesOuches). Le plus long glacier du Mont-
Blanc, celui des Bois, a une longueur de près de trois lieues, à cause de sa forme
demi-circulaire. Si un ou deux glaciers du Bemina atteignent une longueur pareille,
cela ne peut s'expliquer que par leur direction parallèle & la chaîne elle-même. On
compte autour du Mont-Blanc plus de vingt glaciers ; ceux du Bemina sont encore
plus nombreux ; plusieurs des principaux descendent sur le territoire de la Valteline,
au fond des vais Malenco et Masino. Ce n'est que depuis quelques années qu'on a
parcouru en détail ce massif, à l'occasion de la triangulation fédérale; auparavant,
quelques chasseurs de chamois y avaient seuls mis les pieds. Ainsi il y avait à
Ponteresina un fameux chasseur, nommé Colany ou Couhiny, mort en 4837 à l'âge
de 66 ans, et qui a, dit-on, tué 2000 à 2700 chamois dans sa vie. Il s'était attribué
une sorte de souveraineté sur un district étendu de ces montagnes, et, comptant
comme siens tous les troupeaux de chamois qui y vivaient, il ne souffrait pas que
des rivaux vinssent chasser sur son domaine. Son fils, Joseph Colany, qui fait le
métier de guide, tuait autrefois 40 à 50 chamois par année ^ Le massif qui s'étend
du glacier de Bondasca au col du Bernina est partagé en deux parties par le col de
Muretto ( 80S0), ou l'on passe sur le glacier de ce nom, de même que le massif du
Mont-Blanc est partagé par le col trèsnSlevé du Géant. On considère encore comme
appartenant au Bernina le groupe de montagnes situé entre le col du Bemina et
1. J. Colany n'avait plat taé, en 1854, que onte chamois. Soivantlai, le nombre des chamois
a diminoé considérablement dans le pays, moins à cause de la chasse dont ils sont Tobjet, qne
parce qu'ils se seraient réfugiés sur les montagnes de la Valteline, où la chasse est interdite.
LA SUISSE PITTORESQUE. 403
celui de Gasanna, mais les sommités y sont beaucoup moins élevées que dans la
partie plus méridionale, et les glaciers n'y ont qu'une étendue bien moins consi-
dérable.
Du sommet du col du Bernina, deux chemins descendent à Poscbiavo. L'un, un
peu plus direct et plus rapide, passe à l'ouest des lacs, et traverse le val GavagUa, au
fond duquel descend le magnifique glacier de Palù, qui s'appuie au pic du même
nom (42,044). L'autre passe plus à l'est, par le col nommé la Groce ou la Groix
(7188), par la gorge qu'on appelle Camino (cheminée), et par le village de
Pischiadella. Ge chemin avait été depuis quelques années rendu praticable pour les
chars légers ; il vient d'être amélioré encore, et rendu accessible même aux dili-
gences. Au-dessous du Gamino, une galerie a été pratiquée dans un endroit exposé
aux avalanches. (Plus tard, la route de Ponteresina au sommet du col doit recevoir
aussi des améliorations. ) Poscbiavo (3900) est un grand village ayant l'apparence
d'une ville ; il est dominé par les ruines du château Olgiati. L'église fut déjà donnée
en 701 à l'évêché de Gôme par Guniberg, roi des Lombards. Poscbiavo avait au
16'' siècle une imprimerie, qui publiait surtout des livres spirituels, et dont l'Espagne
et le pape demandèrent inutilement la suppression au gouvernement des Grisons.
La majorité de la population de Poscbiavo est réformée, mais les deux tiers de celle
de la vallée appartiennent au culte catholique. La physionomie des habitants, leur
langage et leurs mœurs, indiquent qu'ils sont de race italienne. Ils sont actifs et
sobres ; beaucoup d'entre eux vont travailler à l'étranger. Au sud de Poscbiavo,
plusieurs petits villages appartiennent encore au canton, ainsi que le lac de Poscbiavo,
lequel est très-poissonneux et renommé pour ses truites; il est à 3200 pieds. Le
dernier village grison est Brusio, où l'on commence à voir les noyers, les châtai-
gniers et les vignes. Plus bas, est un défilé qui était autrefois formé par un retran-
chement, et au sortir duquel on découvre les riches vignobles de la Yalteline.
Vallée de Mûnsterthal. — Gette vallée tire son nom {Mustair) d'un monastère
de femmes de Tordre des bénédictines, dont la fondation est attribuée à Gharle-
magne. De hautes montagnes, surmontées des pics Pisocco, Uschadura, et du massif
Umbrait, la séparent de l'Engadine et du pays de Bormio. Elle communique par les
cols de Buffalora et de Scarla avec la Basse-Engadine, et par celui de l'Umbrail, ou
Braglio, ou Wormserjoch, avec le pays de Bormio; c'est par ce dernier que les
habitants vont chercher à Bormio du vin, du riz, etc., et qu'ils portent en échange
des fromages et du sel (tyrolien). Le haut de la vallée est riche en forêts et en
mines. Les habitants parlent le romanche, mais leur dialecte se mélange d'allemand
vers le bas de la vallée. Ils sont réformés, sauf ceux de la paroisse de Munster, la
plus voisine de la frontière. Un grand nombre vont à l'étranger exercer diverses
industries. La souveraineté du pays a longtemps appartenu en partie à l'Autriche et
en partie à l'évêché de Goire, et a donné lieu à de longues contestations; mais,
depuis le commencement du IS'' siècle, les habitants se sont complètement rachetés
de tous droits.
Le col de l'Umbrail, mentionné ci-<lessus, débouche sur la route du SHlf^och
(Stilvio), par laquelle on se rend du Tyrol dans la Yalteline. Gette belle route, qui
forme la communication la plus directe entre Vienne et Milan, a été exécutée il y a
plus de trente ans ; elle s'élève à 8600 pieds, et passe tout près de la frontière suisse ;
404 LA susse pirroHEsgiE.
i»lle est prc'^scrvéc cimlre 1rs avalanches par de nombreuses et longue galeries,
ronslruiles en maçonnerie sur le versant italien, et en forts madriers sur le revei>
allemand. I)e ce m<>iue côté, Ton est longtemps en vue des blanches sommités de
rOrlelerspilz, qui s élèvent à l!2 ou 13,000 pieds, et d*oii descendent de grande
glaciers. Pour visiter ce (Kissage intéressant, on peut entrer au Tyrol par Mar-
linsbruck ou |mr le Mûnsterthal, ou bien aller de Poschiavo à Tirano et à Bormio.
Val BRKiiAULiA. — Cette valIcH^, que les Romains nommaient ndlis I^œgaUm.
|»iirce qu*elle précédait la Gaule Cisalpine, est située sur le versant sud-ouest du
Maloja, et arrosée |)ar la Maira, qui s*écoule vers Chiavenne et le lac Majeur. Li
nature al|H^lrc domine dans la partie supérieure; mais, plus l^as, la vallée est revêtue
d une végétation méridionale. Ses habitants, au nombre de 4800, sont réformés et
|Kuient un dialecte italien; dès le 14'sièc*le, ilsfurentalTranchisde tout joug féodal.
Ils mènent une vie laborieuse et frugale; les femmes surtout sont ici d'une activité
remarquable. Tandis que les hommes s*ocvu|)ent du transport des marchandises ou
du soin des troupeaux sur les hauteurs, ou vont gagner leur pain à Tétranger, leur^
com|Kignes sont chargées de tous les travaux agricoles ; elles labourent, moissonnent,
Tauchent, trans|K)rtent les recolles sur leurs épaules, sans négliger pour cela leurs
enfants et leur ménage. Elles stuit rraiches et jolies dans leur jeunesse, mais rexcê>
du travail leur fait |)erdre de bonne heure ces avantages*. Les villages sont bâtis en
pierre, et on y voit beaucoup de maisons bien blanchies et de très-bonne apparence.
Ijc premier village que Ton rencontre en descendant du Maloja, est Casaccia, qui est
à 4600 pieds ; son église remonte k une haute antiquité. C'est là que débouche la
route qui descend du Septimer. Avant d'arriver à Vico Soprano, Ton voit sur la
gauche une chute im|K)sante formée par TÂIbigna, qui descend d*un glacier. Une
lieue plus bas est le village de Promonlogno, dominé par les ruines considérables du
c;hàteau de Ccistelmur, qu'on attribue aux Romains ou aux Lomltards. Elles doivent
indiquer la place d'une station romaine, mentionnée dans Tltinéraire d'Ântonin sous
le nom de (Msiromnrum. Ce fut le l)erceau et la résidence de Tantique et puissante
famille de Gistelmur, dont on fait remonter Torigine au temps de la domination
romaine. Un baron de Caslelmur, rejeton de cette famille, possède maintenant au
village de Coltura, situé un peu plus haut que les ruines, une maison de plaisana*
moderne, peinte en rouge et flanquée de deux toui*s crénelées.
A côté des ruines s'élève une église qui avait été jadis la principale de la vallée,
et ((ui étiiit depuis longtemps dans un état de délabrement, lorsqu'elle fut restaurée
en 1849. Au-dessous du château, deux fortes et hautes murailles s'abaissaient dans
la vallée, qui était autrefois lermée réellement par une porte. Ce lieu, appelé encore
la Paria, sert de confins à deux juridictions, qu'on nomme Sopra et Infra Porta. H
forme aussi la limite des deux végétations. Le changement est en eflet subit. Au-
dessus de Castelmur, les seuls arbres qu'on voit dans la vallée sont des cimbres et
des mélèzes. Immédiatement au-dessous du rocher sur lequel est bâti le château, com-
mencent à paraître les noyers et les châtaigniers. Sur la droite s'étend une grande
forêt de châtaigniers, qui s'élève jusqu'au plateau de Soglio, où croissent aussi
quelques cimbres. Plus bas commence la vigne, et les jardins sont garnis de figuiers.
1. On voit des jeunes filles de 14 à 15 ans transporter des charges de foin semblables à celle$
que portent les hommes faits.
LA SUISSE PITTORESOL'E.
40»
Du pont de Bondo Ton a une belle vue, d'un côté sur Gastelmur, de Taulre sur le
glacier de Bondasca, au fond d'un vallon latéral de même nom. Pendant trois mois,
le village de Bondo est privé des rayons du soleil. Dans le voisinage est un château,
construit en 1770 par les comtes de Salis. Du côté opposé, Ton voit, sur la pente de
la montagne, le village de Soglio, avec les restes du château de Castellazzo, qui fut
le berceau de l'illustre famille des Salis-Soglio, dont la noblesse remonte au 40* siècle.
Non loin de là est la jolie cascade de l'Acqua di StoU, et l'on découvre une belle vue
sur la chaîne du Bernina. Les diiïérentcs cimes indiquent par leur ombre les heures
du jour ; de là leurs noms de Piz deNove, Piz de Dieci, Piz d'Undici, Piz Mezzodi, etc.
Le dernier village suisse est Castasegna (2300), dont le nom indique qu'il est entouré
de plantations de châtaigniers. Le mûrier blanc y prospère aussi, mais il ne monte jias
plus haut. 11 reste encore deux lieues de chemin pour atteindre Chiavenne. C'est sur
la rive gauche de la Maira, et en face d'une belle cascade formée par l'Âcqua Freggia,
qu'était jadis la petite ville de Plurs ( Piura), entourée de maisons de campagne, et
(|ui fut ensevelie sous une chute de montagne en 1618. Toute trace de ce malheur est
maintenant effacée : de beaux groupes de châtaigniers recouvrent la colline formée
|)ar les décombres.
Val Misocco et Val Calanca. — Reportons-nous maintenant sur le sommet du
Bernardin, et descendons dans la belle vallée de Misocco. La pente est plus rapide sur
Le Saiol-Bernariiia.
le versant méridional, mais la route fait une longue série de zigzags, qui d'en haut
ressemblent à un cable tordu. A trois quarts d'heure au-dessous du sommet, on passe
la Mœsa sur un beau pont qu'on nomme Victor Emmanuel, en mémoire du roi de
Sardaigne qui a le premier mis en avant le projet de créer cette roule; non loin de
là, la rivière forme une l>elle cascade. Plus bas, la route est protégée par un toit contre
les avalanches. A moitié chemin, entre Saint-Bernardin et San-Giacomo, la rivière
406 LA StISfte PITTOURS^E.
fait encore une chute, mais on ne peut la voir qu*en suivant un senlier qai longe U
rive droite. A mesure qu\)n descend, de charmants points de vue se succèdent.
L'un des plus remarquables est celui dont on jouit du pont de San-Giaoomo, sar
la vallée et sur les ruines grandioses du château de Misocco (Misox, Monsox, MasuiL i.
situé au-dessous du village de Misocco ou Cremeo. Ce village est lui-même dans un
site ravissant. De la colline qui porte les ruines, Ton a aussi sur la partie inférieure
de la vallée une très-belle vue, qui s'étend jusqu'aux sommités du mont San-Giori
et du Camoghé, frontières du Tessin et de la Lombardie. Les montagnes ont les formes
les plus pittoresques; leurs |)entes sont animées par de nombreuses cascades, et
couvertes de l)elles fonHs, mélangées d'arbres divers. Le château de Misocco servit
jadis de rempart contre les incursions des peuples du Nord; il fut ensuite occupé
par les seigneurs souverains de la vallée. Les barons de Sax jouèrent un grand rôle
dans l'histoire du pays, surtout lorsqu'ils eurent aussi étendu leur domination sur
le Rhin antérieur ; ils concoururent à la formation de la Ligue grise à Trons, et à
la fédération des trois Ligues à Vazerol. En 148i, le château et la vallée passèrent
par achat à la puissante famille des Trivulzio, qui tinrent une garnison dans le
château, et résidèrent dans leur palais de Roveredo. Le maréchal Trivulzio étant
devenu suspect aux Grisons, ceux-ci détruisirent la forteresse en 1S26.
De même que la Porta dans le val Bregaglia, ici c'est le château de Misocco qui
marque la limite de la nature alpestre et de la nature italienne. La partie inférieure
de la vallée, comparée surtout à celle du Rheinwald, présente le contraste le plus
frappant, tant pour la langue et les mœurs, que pour la v^étation et le climat. Id
tout est italien, jusqu'au caractère et à la physionomie des habitants, qui professent
tous la religion catholique depuis que le cardinal Borromée a réussi à étouffer chez
eux les germes de la Réforme. En continuant à descendre, on chemine maintenant
au milieu de plantations de maïs et des autres cultures qui prospèrent sous un ciel
d'Italie. Dans quelques endroits, des treilles de vigne ombragent la route; la cigale
fait entendre son chant; et cependant on ne compte pas moins de onze glaciers sur
les montagnes qui enferment la vallée.
CANTON D'ARGOVIE.
-srôt^t^ {^??^=-
LiMiTES, Étendue, Climat. — Le canton d'Argovie, l'un des plus considérables de
la Suisse, est situé à Textréine frontière nord; le Rhin sert de ligne de démar-
cation entre son territoire et celui du grand-duché de Bade, depuis Kaiserstuhl jusqu'à
Augst, village de Bâle-Campagne. Il est limité au sud par le canton de Lucerne à
Test, par les Etats de Lucerne et de Zug ; à l'ouest s'étendent les territoires de Bàle,
de Soleure et de Berne. Le canton d'Argovie est formé de quatre parties bien dis-
tinctes: l'Argovie proprement dite; le comté de Baden, qui appartint longtemps
aux villes de Berne, de Zurich et de Glaris; les Bailliages libres, dont une partie
reconnaissait la domination des mêmes villes; et enfin le Frickthal, détaché de l'em-
pire d'Autriche par le traité de Lunéville, et cédé à la France, qui l'abandonna en
1802. — Il compte 199,852 habitants, disséminés sur 60 lieues carrées; sa popu-
lation relative est donc l'une des plus élevées de la Suisse, et Berne et Zurich seuls
l'emportent sur lui sous le rapport de la population totale. Le climat est doux, quoi-
que l'hiver y soit assez rigoureux ; la température moyenne, d'après des observations
fait^ à Aarau, est de V Réaumur ; au fort de l'été elle atteint SB"". Le canton est assez
exposé aux vents, et les orages y sont fréquents.
Montagnes, Plaines. — Le canton d'Argovie n'est, pour ainsi dire, qu'une longue
succession de collines, couvertes de vastes forêts et de champs bien cultivés, et entre-
coupées de prairies riantes et fertiles. Point de glaciers, de neiges éternelles ; à peine,
vers la frontière nord-est, quelques montagnes un peu élevées. Aussi, sous le rapport
du pittoresque et surtout du grandiose, ce canton a-t-il bien à envier à la plupart des
Etats suisses. — Parmi les sommités à mentionner, nous citerons le Geisfluh, haut
de 2900 pieds, qui se dresse en avant de la Schafmatt, entre les cantons de Bàle, de
Soleure et d'Argovie; cette montagne, relativement assez basse, est boisée, et les
forêts qui la tapissent sont bien entretenues; — le Gislifluh, qui atteint 2377 pieds, et
s'avance jusqu'auprès de l'Aar à Bil)erstein. C'est le but de nombreuses excursions,
408 LA SUSSE PITTOReSOl'E.
car de la cime Tu'il plane sur un panorama des plus pittoresques. Vers le nord, près
de Brugg, trois des plus grands fleuves de la Suisse, TAar, la Reuss et la Limmal.
viennent confondre et mêler leurs eaux écumantes, pour aller, quelques lieues plus
loin, se perdre dans le Rhin : aux pieds du mont, le sol, légèrement ondulé, se couvre
de vignes et de prairicîs verdoyantes. Lœil aime à remonter le cours de la Reuss ma
jestueuse, qui, sortant de la vallée du même nom, baigne les rodiers élevés, senli
nellos avancées de la grande chaîne des Alpes qui se déroule vers le midi ; d un
autre ccMé se dresse le Jura, rempart magnifique qui ferme Thorizon sur une longueur
de plus de soixante lieues, et dont le Gisliflub lait partie. On aperçoit encore les
lacs de Baldegg et de Hallwyl, qui semblent de petits diamants enchâssés dans U
verdure. Enfin, vers le nord, le Rhin trace un long sillon d'argent, tandis que. plus
loin encore, la Forét-Noire étend sur la terre son vert rideau, dont les teintes har
monieuses se nuancent avec majesté sur Tazur du ciel lointain. — Le Wasserfluk.
dans le district dAarau, est haut de 2C7& pieds. Vers la frontière zuricoise, entre
Baden et Regensperg, s'étend la chaîne des L^Pf/^rn^ qui, sur le territoire argovieo.
n'atteint pas plus de 2628 pieds. Le Bôlzberg, au nord-est de Brugg, fut témoin de la
défaite des Helvétiens par Gécina. Toutes ces sommités appartiennent à la chaioe du
Jura, qui pénètre dans le canton et s'abaisse graduellement jusque vers Baden.
Les plaines les plus vastes sont situées vers le centre du canton ; la plus considé
rable s'étend entre Brugg, la Reuss et Lenzbourg ; le sol en est fertile et se couvre de
riches moissons. Une autre plaine, d'une moindre dimension, se déroule de Lenzbourg
à Aarau, sur une longueur de près de deux lieues. Nous citerons encore celle située
entre le Frickberg, le B()tzt)erg et la montagne de Schupforl; elle est vaste et Ira-
versée par le BcUzerbach.
RiviRBES, Vallées. — VAar, quittant le canton de Soleure, la Reiiss, renaissant
du lac des Watdstirlten, et la Limmat, de celui de Zurich, s'enfoncent toutes trois
dans le canton d^Argovie, qu'elles traversent en divers sens, et, non loin de l'anliqur
Vindonissa, se fondent en un seul fleuve, qui conserve le nom de TAar. Rien n'esl
plus l)eau, plus solennel, que l'endroit où ces trois cours d'eau viennent se réunir:
la nature et Thistoire semblent s'être plu à faire à ce tableau un cadre digne de ce
s|)ectacle imposant. On retrouve là la Suisse tout entière avec ses fleuves majestueux,
ses vertes prairies, ses forêts antiques, ses castels féodaux si riches en souvenirs:
les ruines de Vindonissa, éparses çà et \k sur le sol, ou couvertes de mousses et
de ronces, y perpétuent le souvenir de la domination romaine et ajoutent encore
à Tattrait du paysage. — L'Aar, navigable sur tout le territoire ai^ovien, court
ensuite vers le nord, pour aller vers Goblenz porter au Rhin le tribut de ses ondes,
à une hauteur de 930 pieds au-dessus de la mer. — Le Rhin ne peut, à propre-
ment parler, être rangé parmi les cours d'eau du canton d'Argovie, car il lui serl
(le limite du côté du grand-duché de Bade, sans |)énétrer dans son territoire. A
Lauflenbourg, ce fleuve se couronne d'une blanche écume et bondit en se ^^m-
pitant dans un gouiTre formé de roches granitiques ; cependant, malgré les tour-
billons et l'impétuosité du fleuve en cet endroit, les saumons qui remontent son cours
parviennent, par de vigoureux élans, à franchir cet obstacle. On jieut aussi y fain'
passer les embarcations, en les retenant du rivage au moyen d'un long câble. Quatre
ponts franchissent le Rhin : à Kaisei*sluhl, à Lauflenbourg, à So^kingen et à Rbein-
I.A Sna8E NTTORESOrE. 409
fciden. — Les principaux affluents de l'Aar arrivent du sud : la Bûnz descend du
Leidenberg, dans le district de Mûri, passe à Wohlen et se jette dans TAar près de
Wiidegg; VAa traverse les lacs de Baldegg et de Hallwyl, et, après avoir côtoyé
quelque temps la Bûnz, entre dans TAar en face du Gislifluh. — La Wytnen et la
Sahr sortent toutes deux du canton de Lucerne : la première de Neudorf, et la seconde
du lac de Sempach ; elles se réunissent à Suhr et disparaissent dans TÂar entre Âarau
et Biberstein. A la fonte des neiges, la Wymen grossit considérablement et sort sou-
vent de son lit. La Wigger n'arrose le territoire argovien que sur une petite étendue;
elle quitte le canton de Lucerne près de Mehlssecken, embellit les alentours de
Zofingen, et atteint TAar près d'Aarbourg. Tous ces cours d'eau sont plus ou moins
|)oissonneux ; dans certains districts, et notamment à Lenzbourg, la pèche est une
industrie assez considérable. — Un grand nombre de vallées sillonnent le canton;
les plus importantes sont vers le sud. Les Bailliages libres forment un long bassin
qui s'étend depuis Rûthy jusqu'à Badcn. On remarque de même la vallée de Kulm,
de Menzikon à Grœnichen, et celle de Hallwyl, qui renferme dans son sein le lac
de ce nom, et dont le fertile territoire produit un vin estimé.
Lacs. — Le lac de Hallwyl, le seul du canton d'Argovie, parait avoir deux lieues
de longueur, sur une largeur d'environ une demi-lieue; il est élevé à 4300 pieds
au-dessus de la mer. A quelque distance de ses rives, sur un îlot formé par l'Aa,
qui s'échappe du lac, s'élève le manoir des sires de Hallwyl, berceau d'une des
familles les plus illustres dont s'honorent les annales suisses. L'un d'eux, Jean, fut
un des héros de la journée de Morat, et l'histoire se plaît à lui rendre le témoignage
que nul, si bien que lui, ne sut joindre la bravoure du soldat à l'expérience de
rhomme d'Etat. Le donjon massif, entouré de murs épais, le fossé qui baigne ses
Jours, sont encore là comme aux temps où des hommes bardés de fer, aux armures
étincelantes, des comtes, des varlets animaient de leurs cris joyeux et de leurs exer-
cices guerriers ces lieux maintenant tristes et solitaires. — Le lac est charmant; sa
nappe de cristal ondoie aux vents légers qui passent, et se couvre çà et là de blanches
fleurs de nénuphar; leur parfum se marie délicieusement avec le chant d'une mul-
titude d'oiseaux qui voltigent sur ses bords. Des langues de terre s'avancent partout
dans le lac, et forment entre elles de petites anses, i)orts naturels où viennent se
réfugier des nuées de canards et de bécassines ; les coteaux voisins s'inclinent gra-
duellement jusque vers le bord des eaux, et semblent se mirer amoureusement dans
le bleu miroir déroulé à leurs pieds. Des vignes aux fruits dorés tapissent leurs
lianes et les couvrent d'une verte parure, tandis que leurs sommités se couronnent de
maisons pittoresques, groupées à l'ombre de la flèche élancée de l'église. En hiver, les
eaux du lac se couvrent d'une épaisse croûte de glace, et emprisonnent dans leur sein
des légions de poissons, dont quelques es])èces sont fort estimées.
Sources, Eaux minérales. Bains. — Les sources d'eau vive du canton sont, à peu
d'exceptions près, abondantes et salubres. Le Frickthal possède plusieurs sources
d'eau salée, notamment à Rûty, à Schweizerhall ; leur exploitation, ne donnant pas
lie résultats satisfaisants, a été abandonnée. En revanche, les nombreux établisse-
ments de bains que renferme le canton prennent chaque année une vogue plus con-
sidérable. L'Argovie est très-riche en eaux minérales, et la simple nomenclature de
toutes celles qu'elle possède nous entraînerait trop loin pour trouver place ici. Les eaux
tlO LA SriSSR PITTOIIE.SQie.
de Baden y tiennent sans contredit le premier rang: année commune, dix mille étran-
gers s arrêtent dans cette ville. Les eaux ont une forte odeur de soufre ; leur tempé-
rature est de 37 à 58° Réaumur ; sur mille parties, elles contiennent 0,613 de gypse.
0,291 de sel commun, 0,361 de magnésie chlorique, 0,007 d'oxide de fer, etc. : elles
sont limpides; leur saveur est un peu saline, et elles se couvrent à la surface dune
pellicule irisée. Les sources sont très-abondantes, et une bonne partie de leurs eaux
s écoule dans la Limmat. — Les bains de Schiuzttarh ne sont pas moins célèbres; l'effi-
cacité de leurs eaux contre les plaies invétérées et les maladies cutanées y attire chaque
année un grand nombre de malades. Le pied confortable sur lequel sont tenus les bAtels.
les promenades charmantes des alentours, la magnificenccde quelques bâtiments, loul
concourt à faire des bains de Schinznach un des établissements les plus célèbres et les
plus fréquentés de la Suisse. Les eaux sont limpides et sulfureuses, et contiennent sur-
tout du gaz hydrogène sulfuré, du gypse, du sel Glauber, etc. Leur température moyenne
ne dépasse pas 26"* Réaumur; elles sont amenées au moyen de pompes dans Tédifia-
principal. Celui-ci est vraiment remarquable par son éi^nte architecture; il ren-
ferme une salle immense, où plusieurs centaines de |)ersonnes peuvent trouver place
sans difficulté. C'est à Schinznach qu'eut lieu la première réunion de la Société Hel-
vétique, en 1 7G0. Les ruines du chAteau de Habsbourg et du couvent de Kœnigsfelden
embellissent les alentours. Mms-Leerau possède une source d'eau minérale riche en
gaz acide carbonique et en carbonate de soude ; ces l>ains ne sont fréquentés que par
les habitants du pays, qui paraissent fort bien s'en trouver. En été, les établissements
du même genre de Srhirarzenberg sont assez animés. Un nouveau bain a été ouvert
en 1839 à Wohlen; ses eaux contiennent une grande quantité de fer. Non loin du
|)ctit village de Nieilertnjl sont des bains très-agréablemenl situés sur une éminence.
d'où la vue embrasse toute la contrée d'alentour. Nommons encore Mefizikmi et
Brefmtenberg , sur les bords du lac de Hallwyl, où un établissement hvdrothérapique
vient d'être ouvert tout récemment.
Histoire naturelle. — Règne animnl. Le canton d'Ai^ovie n'est pas très-remar-
quable sous le rapport des animaux qu'il renferme. La guerre acharnée que Ton a
faite depuis longtemps à certaines l)êtes sauvages, les a complètement anéanties. Les
cerfs et les sangliers des forêts de Kulm ont disparu; à peine quelques loups se
montrent-ils dans les hivers les plus rigoureux ; le chat sauvage et le lynx n'appa-
raissent que rarement. Comme on le voit, les animaux dangereux sont peu nom-
breux ; en revanche, le canton passe pour être le plus giboyeux de la Suisse ; il abonde
en martres, en lièvres, en renards, en loutres, etc. On remarque de même une
grande quantité d'animaux domestiques. Parmi les oiseaux, nous citerons l'aigle
royal, plusieurs espèces de faucons, l'alcyon et une grande quantité d'oiseaux de
rivage. Les poissons sillonnent en grand nombre lés cours d'eau du canton ; la lam-
proie, l'anguille, le chabot, la perche, le saumon, etc., sont poursuivis par le
pêcheur. Le canton est riche en insectes.
Règne vêgéiaL Les plantes rares qui tapissent les sommités des Haules-Âlpes des
contrées montagneuses de la Suisse, sont inconnues dans le canton. Le sol, en général
fertile, se couvre d'une grande quantité d'arbres fruitiers, de graminées, et de vastes
forêts de conifères.
Règtie minéral. La moitié environ du canton appartient à la molasse; l'autre
LA suisse PITTORESQUE. 41 4
partie au calcaire jurassique. Le Jura, entrecoupé çà et là de bandes de trias,
s'avance sur la rive droite de TAar, et depuis Wildegg traverse tout le territoire
argovien jusque près de Baden ; il s'étend de là jusqu^au Rhin. Néanmoins, quoique
enclavés dans cette partie, le Bœtzberg et la commune de Lenggern appartiennent
au grès ; par contre, Aarau est bâti sur du jurassique. — Sur le Staifeleck on exploite
avec succès un banc d'albâtre, qui fournit un marbre d'un très-beau grain. Les
pétrifications sont fort nombreuses, surtout près de Brugg ; on y trouve des cornes
d'Ammon d'une dimension extraordinaire. Des bancs de houille considérables sont
exploités dans le Frickthal et à Gundischwyl; quelques mines de fer fournissent un
minerai que Ton vend à l'étranger. — Tout le reste du canton, c'est-à-dire la partie
sud et sud-est, appartient à la formation de grès; un banc de molasse marine
s'étend entre Zofingen, Rheinach et Vilmergen : on trouve du gypse sur divers
points, et notamment à StafFeleck, à Schupfart, à Rheinfelden, etc. — Les trem-
blements de terre sont assez fréquents.
Antiquités. — Il est peu de cantons aussi riches en souvenirs et en monuments
des Romains que celui d'Argovie. Vindonissa, l'un de leurs établissements les plus
considérables dans l'Helvétie, était à la fois un entrepôt commercial* et une place
d'armes fortifiée par l'art et la nature ; cette ville était le centre de tous les mouvements
des troupes romaines contre les Germains. Bâtie sous l'empereur Auguste, elle fut
considérablement embellie par ses successeurs, et comprenait tout le territoire qui
forme aujourd'hui la commune de Windisch. Un amphithéâtre, qui parait dater du
siècle de Yespasien, était encore en partie debout dans le siècle passé ; ses ruines
s'étendaient sur un espace de 52S pieds de long. Le terrain, fouillé en tous sens, a
produit un grand nombre de médailles et d'objets d'art ; on y a trouvé en outre des
ossements de divers animaux, et notamment d'ours et d'éléphants, débris des jeux
sanglants de l'arène. Un immense aqueduc apportait l'eau depuis le mont Brunneck
jusqu'au centre de la ville; il subsiste encore, et sert au même usage. Quand Attila
et ses Huns saccagèrent l'Helvétie, Yindonissa n'échappa pas à leur fureur, et Ghil-
debert, roi des Francs, acheva de la détruire en 594. — On voit encore à Brugg
une inscription, qui est un hommage des habitants de Yindonissa à l'empereur Yes-
pasien. Cette dernière ville fut longtemps le séjour de la seizième légion romaine,
qui sut, par ses brigandages et son avidité, mériter le nom de Rapax. Elle fut rem-
placée par la onzième (Claudia), sous le règne de Trajan. Ces deux légions ont
laissé de nombreuses traces de leur passage et de leur séjour dans le canton, surtout
à Brunneck, à Lenzbourg, à Birmenstorf, à Kulm, à Baden, etc. Des cohortes déta-
chées de ces légions campaient en été à Grsenichen, à Mœriken, à Bûlisacker, à
Weinigen, etc. Le camp de Mœriken était l'un des plus importants; on y a trouvé
un grand nombre de briques qui portaient le chiffre des légions romaines qui y sta-
tionnèrent ; des fouilles habilement dirigées ont mis à découvert les fondements du
mur d'enceinte du camp, des bains, des médailles, des urnes, etc. Le château de
Lenzbourg est bâti sur l'emplacement qu'occupait un castellum romain : des mon-
naies, des anneaux de chevaliers, trouvés dans les alentours, l'attestent. A Bûlisacker,
outre les traces d'un camp des mêmes légions, on a découvert, en 1811 et 1812, des
thermes romains assez bien conservés. Kulm était encore plus important ; sa position
au milieu d'une vallée riante, et sa proximité de Yindonissa, en faisaient une des
41i L\ srissF. pittouksqi'f..
résidences les plus peuplées des Romains el un oenlre de oommeroe irès-fréqueoté ;
on y a mis à nu, en 1756, un bftlimenl voùlé qui renfermait un grand nombre
d*objets intéressants : un pavé en mosaïque, des peintures h fresque, des vases en
marbre blanc ; dans le voisinage, un aqueduc, des monnaies frappées au coin de
Lucile, sœur d'Antonin, de Trajan, d*Aurélien, de Dioctétien; un vase d'al-
bâtre, etc. On y a découvert, en outre, les ruines d*un établissement de bains qui
paraît avoir été détruit par un incendie ; des plaques de marbre, des peintures,
des coquillages, en ornaient les [larois intérieures. — Baden était déjà sous les
Romains une cité importante, connue sous le nom de Vicws Aquarum; elle fut
détruite par Cécina et rebâtie par Vespasien. Wettingen conserve encore une
inscription, qui annonce qu*un temple d'Isis s élevait dans le voisinage. Près de
Zofingen, le Tobinium des Romains, on a découvert un vaste bâtiment avec un
magnifique parquet en mosaïque de 6iO pieds carrés. Il est incroyable la quantité
de médailles et de monnaies romaines que Ton a trouvées et que Ton trouve encore
dans le canton, surtout à Birmenstorf, à Dœttwyi, à Kœlliken, à KaisersthuI
(SoUum Cœsaris), à Coblenz (Conftaentia), à Zurzach (Forum rih*f*icf), etc. Un
grand nombre de voies romaines sillonnaient le pays et rayonnaient de Vindonissa:
des restes, pour la plupart assez bien conservés, en attestent la solidité et la magni-
ficence.
Histoire. — Les premiers habitants de TArgovie dont il soit fait mention, sont
les Ambrons, qui formaient Tune des quatre tribus dont était composée la nation
helvétique. La terrible expédition de Cécina, à la tète de sa légion Rapace, ensan-
glanta de bonne heure le sol de ce |)ays; battus près du mont Vocétius et traqués
partout comme des bètes fauves, les malheureux Ambrons durent chercher un
refuge dans les forêts, et n'en ressortirent que peu à peu. Déjà au V siècle, d*ar-
dents missionnaires de la nouvelle foi vinrent évangéliser ces sauvages peuplades, el
divers sanctuaires chrétiens s'élevèrent dans le pays. Bientôt les AUémani, séduits
par la richesse du sol, envahirent ces contrées et cherchèrent à s*y fixer ; mais
Constance Chlore, après un sanglant combat sous les murs de Vindonissa, les vain-
quit et les rejeta derrière le Rhin. Cependant Tempire romain allait toujours s'aflai-
blissant ; des hordes de peuples du Nord, de jour en jour plus audacieuses, avançaient
à grands pas vers le Midi. Les Romains, devant des forces si supérieures, se hâtèrent
de quitter THelvétie, et TArgovie devint ainsi la proie des AUémani. Ceux-ci durent
bientôt céder leur nouvelle possession à Gondebault, roi des Francs, qui en fit la
conquête et Tincorpora à son royaume; les AUémani furent refoulés jusque dans la
Suisse centrale, où ils s'établirent. Mais le sort de TArgovie n'était point encore
fixé. Rodolphe II et Burghard, comte de Souabe, s'en disputèrent longtemps la pos-
session. Ensuite, après avoir appartenu quelque temps aux ducs de Bourgogne, ce
pays fut soumis par l'Autriche au 14^ siècle. Les landgraves de ce pays devinrent
l'une des puissances les plus redoutables de la Suisse ; un grand nombre de monas-
tères et d'abbayes fondées par le zèle pieux de ces princes, formèrent des centres de
civilisation et de lumières, et contribuèrent fortement à asseoir la suprématie de la
maison de Lenzbourg. Après l'extinction de cette famille, l'Argovie passa aux comtes
de Habsbourg, dans la personne d'Albert ; Rodolphe, l'un des descendants de ce
prince, fut appelé au trône de l'empire en 1272, et fut la souche de la iamUle
LA SUISSE HlTTOIieS<llIR. 445
d'Autriche. Son fils Albert s*alTermit encore par la défaite d'Adolphe de Nassau; et
comme il allait marcher contre les Waldstaetten, soulevées par les conjurés du Grûtli,
il fut assassiné, non loin de Vindonissa, par Jean de Souabe, son neveu. Le premier
potentat de l'Europe, lâchement frappé par surprise, expira loin de sa suite dans les
bras d'une vieille paysanne. D'horribles exécutions signalèrent la vengeance de
l'implacable Agnès, fille de l'empereur; la noblesse argovienne fut décimée. On
conserve encore dans le château de Hallwyl le glaive qui servit à décapiter soixante
seigneure. — Le monastère de Kœnigsfelden, monument d'expiation, s'éleva sur le
lieu du meurtre.
Les troupes argoviennes prirent part, sous la bannière d'Autriche, à la plupart
des expéditions tentées par cette puissance contre la jeune Confédération suisse.
Les défaites sanglantes qu'elles y essuyèrent les indisposèrent fortement contre la
domination étrangère; aussi, le duc Frédéric d'Autriche ayant été mis au ban de
l'empire en 4 41 S, les populations assemblées à Sursée s'empressèrent-elles de
demander à entrer dans la Confédération des Etals suisses, au moment même où
les troupes bernoises, excitées par l'empereur Sigismond, envahissaient et s'empa-
raient presque sans coup férir de Zofingen, d'Aarau, d'Aarbourg, de Lenzbourg, etc.
De leur côté, les cantons voisins ne restèrent point inactifs; Lucerne s'empara de
Sursée, et Zurich de Dietikon. Enfin, à l'exception du Frickthal, conservé à la
maison d'Autriche, tout le territoire argovien devint la proie des envahisseurs, qui
furent confirmés dans leur conquête par Sigismond. Baden, bailliage commun entre
les cantons voisins, devint l'un des sièges de la Diète suisse. Une partie des Bailliages
libres appartenait aux villes de Berne, de Zurich et de Claris. L'histoire de la plus
grande partie de TArgovie est donc, dès cette époque, celle du canton de Berne, dont
elle partagea les destinées jusqu'en 1798.
L'Argovie ne resta point étrangère aux luttes intestines qui déchirèrent la Suisse
au temps de la Réforme; la moitié environ de sa population embrassa la nouvelle
foi. A deux reprises, Vilmei*gen vit ses campagnes se couvrir de Suisses armés les
uns contre les autres au nom de la religion ; vaincu dans la première de ces ren-
contres, le parti protestant prit sa revanche dans la seconde. Lors de la guerre
des paysans, une lutte acharnée ensanglanta les alentours de Mellingen, et se
termina par la défaite de l'armée de Leuberger. L'Argovie et surtout le Frickthal
eurent beaucoup à souffrir pendant la guerre de Trente ans; des armées ennemies
envahirent et dévastèrent maintefois son territoire. Rheinfelden surtout, ville
fortifiée sur le Rhin, eut à souffrir de leurs incursions; assiégée et prisé^ d'assaut
à plusieurs reprises, elle fut rasée par les Français en 1744. Baden eut le privilège de
voir terminer dans ses murs la grande querelle de la succession d'Espagne, par un
traité conclu entre le prince Eugène, Villars, et les députés de l'empire germanique,
le 7 septembre 1714. Lorsque la révolution française éclata, le contre-coup s'en fit
immédiatement ressentir en Suisse; les pays sujets, et de ce nombre l'Argovie,
commencèrent à entrevoir l'espoir d'une prochaine délivrance. Ce fut pour anéantir
ces idées de liberté et d'innovation que la Diète suisse, réunie à Aarau le 25 jan-
vier 1798, resserra par un serment solennel les nœuds de l'antique Confédération.
Mais il était trop tard ; les troupes françaises étaient aux frontières, et les pays sujets
se soulevaient en masse. Bientôt le général Brune, maître de Berne, proclama l'in-
Hlh LA sLisae pittoresqlk.
dépendance de l*Argo vie, elTéngca en canton séparé. Aarau fut désigné oomine lien
de réunion des dcpulés élus par chaque canton pour reoooslituer la nalion suisse :
le 42 avril 1798, rassemblée proclama la République helvétique une et indivisible.
Aarau en devint le cheMieUt et le siège du Corps législatif, ainsi que du Directoire,
jusqu'à la translation du gouvernement à Luoerne, le 30 septembre de la même
année. En 4801 , Baden et les Bailliages libres furent réunis au canton d'Argovie, et
pexx après, par le traité de Luné ville, T Autriche abandonna le Frickthal, qui vint
augmenter le territoire de la jeune république. Dès-lors éclatèrent dans le canton
diverses insurrections, surtout en 180i et 180&, ainsi qu'en 4830. — D'après la
Constitution de 4844, le Grand Conseil était composé d*un nombre égal de catho-
liques et de réformés (75); parmi eux, k% étaient nommés directement par le
peuple, 52 par le Grand Conseil lui-même, et 50 par un collège électoral formé de
43 membres du Petit Conseil, de 43 juges d'appel et de 43 membres du Grand
(Conseil. Tous ces fonclionnaires devaient posséder une certaine fortune, selon
l'importance de leur dignité ; les membres du Grand et du Petit Conseil étaient
nommés pour 42 ans; un représentant du gouvernement {OberamtnMnn) résidait
dans chaque district. La révolution française de 4830 vint démontrer les vices de
cette Constitution. Une grande agitation se manifesta dans les campagnes par des
assemblées populaires ; le mouvement éclate, et le 5 décembre la ville d' Aarau est
occupée par une troupe d'insurgés commandés par Fischer de Merischwanden. Le
Grand Conseil dut faire place à une Constituante, qui élabora une nouvelle loi fonda-
mentale le 40 mai 4834. Cette Constitution établissait la souveraineté du peuple,
régalité des citoyens, l'aptitude de tous aux emplois. Le nombre des membres du
Grand Conseil fut porté à 200, et celui des membres du Petit Conseil fut réduit à 9 ;
les premiers étaient nommés directement par les districts, en maintenant l'égalité
entre les deux confessions. Des troubles éclatèrent en 4835, et furent réprimés par
les armes. On introduisit quelques réformes dans la Constitution en 4844 et 4842.
En 4844, le Gouvernement supprima la plupart des couvents du canton; cette
mesure, qui occasionna de longs débats au sein de la Diète fédérale, fut Tune des
causes qui amenèrent une scission entre les cantons suisses, scission qui se ter-
mina par la guerre du Sonderbund. En 4854, trois projets de Constitution, élaborés
successivement par trois législatures, furent rejetés à une immense majorité ; enfin
l'année suivante, une nouvelle loi fondamentale fut proclamée et adoptée à une
majorité de près de 20,000 voix.
CoNSTiTUTiOiN. — Voici Ics principales modifications apportées en 4852 à la
Constitution. Les ecclésiastiques sont exclus des fonctions de l'Etat; les Suisses natu-
ralisés ne peuvent être revêtus d'un pouvoir public qu'après huit à dix ans de pos-
session du droit de citoyen. Le renouvellement intégral de tous les fonctionnaires a
lieu tous les quatre ans; tout magistrat est personnellement responsable de tout ce
qu'il fait dans l'exercice de ses fonctions. Les membres du Grand Conseil ne peuvent
être rendus responsables de leurs votes que pour autant qu'ils sont contraires
à la Constitution. Les délibérations du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire
sont publiques, si l'intérêt de l'Etat et la moralité ne conseillent pas le buis-dos.
Les instituteurs sont renommés chaque année, et sont exclus du Grand Conseil. Les
paroisses de chaque confession ont droit à une triple présentation de candidats pour
LA SlISSK PITTOUESQtK. 4i5
les places de pasteurs. L*âge requis pour rexercicé des droits politiques est de
22 ans; pour les actes civils, il est fixé à 28 ans. Les droits sur le timbre sont
abolis, et Yohmgeld est modifié; un impôt est établi sur le luxe, et les droits de
succession sont augmentés. Sur les sept membres qui composent le Corps exécutif,
on ne peut en nommer qu'un seul au Conseil National et un au Conseil des Etats.
Les préfets sont nommés par le Grand Conseil, sur la présentation du Conseil d*Etat,
qui doit choisir ses candidats parmi les citoyens résidant dans le district même ; ils
doivent être âgés de plus de 30 ans.
Cultes. — Sur une population de 199,852 âmes, le canton d'Argovie compte
107,194 protestants, 91 ,096 catholiques, et 1 S62 juifs. Comme on le voit, le chiffre
de ceux-ci est relativement fort élevé, car ils forment la moitié du chiffre total des
Israélites répandus sur toute la Suisse ; deux communes, celle de Lengnau et celle
d'Endigen, dans le district de Zurzach, sont entièrement composées de juifs. Les
protestants occupent la partie sud du canton, et forment en outre quelques com-
munes du district de Baden; ils sont divisés en six décanats. — Chaque confession
possède un Conseil d'Eglise {Kirchenrath), nommé par le Grand Conseil et composé
de neuf membres. Celui de ces corps qui est composé de catholiques compte trois
membres laïques et trois pris dans le clergé ; ceux-ci sont nommés sur une qua-
druple présentation de chacun des quatre chapitres du pays {Landcapitel), Leur
hiérarchie ecclésiastique se compose de Févêque de Bâle, d'un chanoine et décan
résidant dans le canton, de deux chanoines hors du canton, du provicaire de Té-
vêque, des curés, des vicaires et des chapelains. Les trois collégiales du canton,
Baden, Saint-Martin à Rheinfelden, et Sainte-Vérène à Zurzach, possèdent un cha-
pitre particulier. — Les trois membres du Conseil d'Eglise protestant pris dans le
clergé, sont nommés sur la présentation du Chapitre général. L'Argovie comptait
autrefois un grand nombre de couvents; nous citerons ceux de Mûri, de Wellingen,
de Fahr, de Baden; la plupart ont été supprimés en 1841 et 1848. Trois couvents
de femmes subsistent encore h Gnadenthal, à Uermetschwyl et à Baden, mais ils
seront supprimés par voie d'extinction.
Instruction publique. — Le conseiller d'Etat chargé de l'instruction publique est
assisté dans ses fonctions de deux Commissions : l'une, de quatre membres, est
chargée de l'inspection de l'Ecole cantonale : l'autre surveille l'Ecole normale de
Wellingen. Dans chaque district il y a un Conseil d'instruction, dont le président est
nommé par le Conseil d'Etat, sur la présentation du directeur de l'instruction
publique ; celui-ci nomme les autres membres. En outre, des inspecteurs, dont le
nombre varie de un à quatre, sont chargés de la surveillance des écoles primaires;
ils sont pour la plupart pris dans le Conseil d'instruction. — Le principal établis-
sement du canton est l'Ecole cantonale, placée à Aarau; elle est divisée en deux
parties: le Gymnase, et l'Ecole industrielle. Deux recteurs sont à la tête de tout
l'établissement : l'un préside au Gymnase et à l'Ecole industrielle, et l'autre est son
vice-recteur, tout en dirigeant l'Ecole industrielle. Les élèves qui se vouent aux
études classiques suivent des cours de langues et littératures allemande, grecque et
latine, de sciences historiques, de sciences naturelles, de mathématiques, etc. —
L'Ecole normale de Wettingen forme les régents ; six maîtres et un directeur y
enseignent. Chaque district possède une école secondaire; quelques-uns même en
446 l.\ SUSSE riTTORESI,H F..
ont deux; tels sont: Bremgarten, Kulm, Zoiingen, Zurzach. Dans la plupart on
enseigne les langues latine, grecque, française et allemande. — Outre les écoles
primaires, il existe encore des écoles du soir, des établissements privés d'instruc-
tion, etc.
G)LTtMKs, MoF.rns, Usagks. — 1^ population du canton d*Argovie esl en généra)
belle, quoiqu*on y remarque divei*s tY|)es assez distincts. Les habitants de la rive
droite de TAar, entre Othmarsingen et Aarl)ourg, se distinguent par leur taille forte
et bien prise, et leur constitution robuste j au contraire, de l'autre côté de TAar.
aux pieds du Jura, on trouve une race d*une taille moyenne, aux membres grêles.
h Tovale du visage un |)eu allongé. Le comté de Baden, les Bailliages libres et le
Frickthal renferment une population vigoureuse et bien constituée. Sur presque
toute rétendue du canton, le beau sexe porte fort bien son nom, et Télégant costume
Ijernois, si frais, si co(]uet, relève singulièrement ses charmes; ce n'est cependant
|)as le cas dans le Frickthal, où les Temmes portent des jupes rouges. A Grs^nicben
et dans quelques villages environnants, on trouve une certaine quantité de crétins,
dont la triste infirmité doit être, sans nul doute, attribuée à la mauvaise qualité
de Teau. — Chose singulière, malgré le grand mouvement commercial qui règne
dans tout le canton, malgré la fertilité du sol, il règne dans certains districts une
gène assez grande, et qui, à certaines époques, devient une véritable misère: la
vallée de Kulm se distingue sous ce rap|K)rt. Le canton fournit un assez fort contin-
gent à rémigration. Les Argo viens sont industrieux ; sans être très-rudes, ils ne
|)échent passons le rap|)ort de la trop grande aménité ; Tusage assez fréquent des bois
sons spiritueuses contribue peu, comme on le |)ense bien, à les rendre plus sociables.
Les discussions, les querelles ont pour eux un véritable attrait, et ils ont un goût
très-prononcé i)our les procès ; on cite à ce propos la réponse naïve d'une jeune
imysanne, à qui Ton demandait l'état de sa fortune, et qui répondit en souriant :
tt Oh! Dieu merci, nous avons bien de quoi vivre, et encore, au bout de l'an, nous
reste-t-il toujours de quoi faire un petit procès pour nous égayer pendant l'hiver. » —
Les habitants du Frickthal semblent faire une classe à part; longtemps sous la
domination de l'Autriche, ils n'ont pu se familiariser entièrement avec leurs nou-
veaux concitoyens, et sont encore tout imbus des idées et des mœurs de leur ancienne
patrie. Les habitants des Bailliages libres se distinguent par leur vivacité d'esprit et
leurs fines reparties ; ils aiment beaucoup les représentations théâtrales, que donnent
quelquefois de jeunes villageois. Dans presque tous les villages de TArgovie et
dans la plupart des villes, on retrouve un usage très-commun en Allemagne,
usage d'une grande utilité, vu le nombre fort élevé d'incendies qui éclatent annuel-
lement. Un crieur public traverse à chaque heure de la nuit toutes les rues de la
localité, et crie d'une voix élevée : « Ecoutez mes paroles; il est telle heure! étei-
gnez les feux, cl que Dieu vous ait en sa sainte garde ! » — Ici, ainsi que dans la
plupart des cantons allemands, le Killgang (visite nocturne) joue un grand rôle
imrmi les populations de la campagne. Chaque soir, les jeunes gens vont, souvent à
(le fortes dislances, rendre visite à leurs fiancées; celles-ci les attendent, s'em-
pressent de les recevoir, et l'entretien se prolonge souvent jusqu'au matin. Autre-
fois, les habitations rustiques étaient ornées de peintures à la façade extérieure du
bâtiment; ces enluminures, dont la naïveté côtoyait souvent le grotesque, servaient
LA SUISSE PITTORESQUE. 447
h désigner et à reconnaître entre elles les maisons des particuliers. — Les Argo-
viens aiment beaucoup la musique, et Ton trouve dans le canton un grand nombre
de sociétés de chant, connues sous le nom de Mœnnerchosre (chœurs d'hommes).
Agriculture. — Il est peu de cantons de la Suisse qui puissent rivaliser avec celui
d'Argovie pour la fertilité du sol et la bonne tenue des champs. Aussi, une bonne
partie de la population se livre avec ardeur et intelligence à l'agriculture, et des prai>
ries magnifiques, des champs bien entretenus couvrent à l'en vile territoire du canton.
Le système d'irrigation des champs est surtout porté à un haut degré de perfectionne-
ment. Année commune, l'Argovie produit une quantité suffisante de céréales pour
sa consommation. La pomme de terre, les légumes, sont très-répandus et croissent
partout sans difficulté. La culture du lin et du chanvre est d'une grande importance,
soit pour les besoins de la population, soit pour l'industrie en grand. Dans le dis-
trict d'Aarau, le sol se couvre de céréales jusqu'au pied des pentes escarpées du
Jura; la plaine de Lenzbourg surtout ofifre de magnifiques moissons. Par contre, le
district de Brugg et une bonne partie de celui de Zurzach sont peu fertiles, et il ne
faut rien moins qu'un travail opiniâtre pour vaincre l'ingratitude du sol. — Le canton
est couvert de forêts magnifiques, bien entretenues, et composées surtout de coni-
fères; le Lindenberg, le district de Zofingen, se distinguent sous ce rapport. La forêt
de Bonnwald, située dans ce dernier, fournissait autrefois des sapins gigantesques
que l'on expédiait jusqu'en Hollande, où ils servaient de mâts pour les vaisseaux
de premier ordre. La vigne est une source de richesses pour la plus grande i^artie
du canton, à l'exception du district de Zofingen ; certaines qualités de vins sont
assez estimées. Les districts de Brugg, de Laufenbourg, de Zurzach et de Baden, sont
ceux qui en fournissent le plus. Les meilleurs vins croissent sur la rive gauche de
TAar, près de Thalheim, Oberflachs, Schinznach, Kastelen, et dans le Frickthal
près de Zeinigen, d'Aschgen et de Magden. Les nombreuses prairies artificielles et
les gras pâturages qui tapissent les collines du canton, permettent d'élever un
nombre considérable de bêtes à cornes; on y compte 8661 bœufs, 26,637 vaches,
18,232 génisses, 4738 chevaux, 24,000 porcs, 3000 chèvres, et 8300 moutons.
En outre, les prairies et les vergers sont parsemés d'une grande quantité d'arbres
fruitiers, dont les produits sont séchés avec soin, ou bien servent à la fabrication de
l'eau-de-vie, dont les Argoviens font grand usage. En 1806 fut promulguée une loi
en vertu de laquelle chaque nouveau marié devait â l'avenir planter six arbres sur les
terrains communaux, et chaque père deux arbres à la naissance d'un fils. Cette me-
sure enrichit chaque année le canton de 12 à 15,000 pieds d'arbres. Les Argoviens
ont une grande prédilection pour les fleurs, et il existe sur leur territoire des jardins
admirablement cultivés, qui renferment des plantes rares, des arbres magnifiques ;
telles sont la plupart des maisons de campagne qui décorent les alentours des prin-
cipales villes de l'Argovie. — La superficie du canton, de 302,100 arpents, se divise
ainsi : 18,000 en pâturages, 75,000 en terrains boisés, 120,000 en champs,
95,000 en prés, et 4500 en vignes.
Industrie, Commerce. — Le canton d'Argovie se place en première ligne parmi
les Etats suisses sous le rapport de l'industrie. Déjà dans le 1 5° et le lô"* siècle, quan-
tité de fabriques florissaient à Rheinach et à Aarau. Sous le règne de Marie la
Catholique, des Anglais fuyant les persécutions de leur reine, vinrent se fixer à
II, V. 83
*18 L.% MISSE «TTnHESMjlC.
Aarau, où ils apportèrenl diverses industries. La révncalioa de l'Edit de Xanle^ >
amena aussi un ^rand nombre d'industriels, qui achevèrenl d'y impUnier Ytsfmi
mercantile.
I^ commerce de transit est considérable, (iavorisé qu*îl est par b poâtioo du
canton et ses nombreuses voi(*s de communication. Les principaux centres d'in
dustrie srmt Aarau, Zofirigen, LenzlM>ur;i; et Aarbourg; on y trouve un gran>i
nombre de filatun's mécaniques, dont les produits jouissent en général d'une b»f)CH'
réputation. On y travaille la soie ( dans dix-huit établissements), le Un et le chanvre
Vingt filatures de coton font mouvoir plus de I ^0,000 bobines. De vastes teinta
rerics, des imprimeries sur indienne, des tanneries, des blanchisseries, occupent dâ<
centaines d'ouvriers. Dans quelques districts, et surtout dans celui de Bren^arten. le^
gens de la campagne utilisent leurs loisirs en tressant la paille; i Theure qu'il est,
cette industrie a pris une extension très-considérable, et est devenue un gagne-pain
|)our bien des Tamilles. Wohien possède de nombreuses manufactures de chapeaux de
paille ; ceux-ci s'exportent dans toute TEurope, et jusque dans le Nouveau-Monde. La
matière première n'en est pas tirée uniquement du canton ; quelques entrepreneurs la
font venir en partie dltalie et de Fribourg. Dans ce dernier canton, on travaille
surtout la paille de froment, tandis que les produits argoviens sont principalement en
paille de seigle ; ces deux Etats ne se font donc pas précisément concurrence. — Nous
ne pouvons même indiquer ici les diverses brandies qu'embrasse Tindustrie ai^
vienne: un volume entier n'y saurait suffire. Aussi l'importation dans le canton est-
elle faible, et, à part quelques matières brutes ou en partie ouvrées que Ton y reçoit
de rélranger pour les travailler ensuite, il entre fort peu de produits étrangers daa>
le pays. L'exportation consiste dans les objets manufacturés, les bestiaux, des fruits
secs, un |)eu de blé, du minerai de fer, etc. La célèbre coutellerie d'Aarau, dont les
produits sont si estimes, n'exporte guère au dehors de la Suisse j la fonderie do
canons et de cloches de la même ville est en pleine prospérité. Dans certaines vallées,
et notamment dans celle de Kulm, où le sol est infertile, les populations se livrent à
diverses industries, telles que le tissage des toiles, etc. Enfin, l'exploitation des salines
de Rhcinfelden, de quelques houillères, de bancs d'alb&tre, la pèche, occupent une
|)artie de la population.
Chemins de fer. — Le premier chemin de fer qui ait été établi en Suisse est
celui qui relie Baden et Zurich , villes éloignées de près de cinq lieues : il fut
tmvcrl en 1847. Au sortir de Biidcn, le chemin s'enfonce dans un tunnel pratiqué
dans le rocher que surmonte le Slein de Baden. Après avoir côtoyé la Limniât
|)endanl près de deux lieues, la voie ferrée entre dans le canton de Zurich vers
Dielikon, et se dirige sur la capitale par Schlieren et Allstœtten. Un autre cheniio
de fer, auquel on travaille actuellement, unira Bàle et Baden, et se reliera à la ligne
de Zurich, tandis qu'une autre voie, partant aussi deBàle, traversera le district de
Zofingen pour se rendre à Lucerne.
Savants et Hommes distingués. — Le canton d'Argovie peut s'enorgueillir d'un
grand nombre de ses enfants qui se sont distingués dans la plupart des branches des
connaissances humaines. Au nombre des historiens argoviens, noiis citerons : Werner
Schinlehr, mort en 1541, auteur d'une histoire de la Guerre de sept ans de Zurich:
Christophe Silherehen, auteur d'une Chronique fort estimée ; Waldmr d'Aarau, qui
LA SUISSE PITTOUKSOrK. 419
figura avec honneur h la cour d'Autriche; Ernest Mûnch, de Rheinfelden, qui fil
paraître vers 1842 plusieurs ouvrages, parmi lesquels on remarque une Histoire des
guerres entre l'Europe chrétienne et les Oltomans; et enfin Hmri Zschokke, qui établit
sa réputation comme historien par T Histoire de la Bavière et celle de la Suisse. Ce
dernier ouvrage, en langue vulgaire, est un des meilleurs écrits qui aient paru sur
la Suisse. Zschokke, Tune des gloires contemporaines du pays, naquit à Magde-
bourg le 22 mai 1774, et mourut à Aarau à Tàge de 77 ans. Il excella dans les
Jivei^ genres de littérature qu'il a cultivés, et ses nombreux ouvrages, répandus au
loin, respirent une mâle simplicité, un esprit droit et un vif amour de la liberté.
Les écrits périodiques de Zschokke ont beaucoup contribué aux grands mouvements
politiques qui se firent sentir sur toute la Suisse en 1830. Citons encore MM. Charles
Fetzer, auteur d'une Histoire du Frickthal ; Aloys Bock, qui décrivit la Guerre des
paysans de 16S3 ; et Lanfer, de Zofingen.
Parmi les géographes, nous citerons Jean Meyer, qui travailla longtemps à un Atlas
de la Suisse, et les deux Rengger, qui écrivirent sur le Paraguay. — Les mathéma-
tiques n'ont point non plus été négligées: Hassler, ingénieur au service des Etats-
Unis, fit paraître en langue anglaise plusieurs ouvrages fort estimés sur l'astronomie
et la trigonométrie. — Les sciences naturelles citent Rodolph Meyer, Suter, Rengger,
le docteur hnhoff, auteur d'un ouvrage sur le choléra. — Zimmermann, de Brugg,
Rothpletz, Gysi^ d' Aarau, se sont fait un nom comme philosophes. La théologie
compte aussi un grand nombre d'illustrations. — La poésie a été cultivée de tout
temps avec succès dans le canton d'Argovie : les chants de plusieurs Minnesinger sont
parvenus jusqu'à nous. Quelques comtes et des landgraves d'Argovie savaient aussi
bien se servir de la lyre du trouvère que de la lance du chevalier. Tels sont Henri de
Fetlingen, Werner de Homberg, Walier de Klingen, qui nous ont transmis des poésies
charmantes. MaUhim Rothpletz, d'Aarau, est un poëte dramatique qui n'est point sans
nfiérite. Suter, M"* Egloff, Tanner, Bronner, ont publié des volumes de poésies. Ici
nous avons encore à citer Henri Zschokke. — La peinture sur verre, dont on admire
de magnifiques échantillons à Wettingen, à Kœnigsfelden, à Mûri, etc., a été cul-
tivée avec succès ; malheureusement, la plupart des artistes qui exécutèrent ces chefs-
d'œuvre nous sont inconnus. On cite cependant AUorfer, le premier peintre qui exista
en Suisse, et Jean de Beyer, né à Aarau en 1705, qui brilla à Amsterdam, où il fit ses
études de peintre. Un grand nombre d'artistes contemporains cultivent avec succès
la peinture. — Bremgarten a vu naître le célèbre réformateur BnUinger, qui succéda
à Zwingli dans le poste de pasteur de la ville de Zurich. Brugg s'honore de la nais-
sance du chancelier bernois Thuring Frischhard, du théologien Wapfer et de l'antistès
HumrneL
Villes et autres lieux remarquables. — Aarau, capitale du canton, située au
sein d'une contrée agréable et fertile, à 1185 pieds au-dessus de la mer. Cette ville
est assez ancienne, et l'on ne peut fixer que difficilement la date précise de sa fon-
dation. Déjà à une époque fort reculée, les comtes de Rohr, qui habitaient un château
non loin de l'emplacement où s'élève Aarau, virent se grouper à leurs pieds quelques
habitations; au lO"" siècle, des murs Qanqués de tours ceignirent la jeune cité
et la défendirent contre les excursions des Hongrois. Aarau appartint ensuite à la
famille d'Altenbourg, des mains de laquelle elle passa à celle de Habsbourg. Lorsque
hiO LA SnSSR PITTOKESQrR.
Rodolphe parvint au IrAne impérial , il se plut à favoriser les babitanls de celle
ville, et leur accorda de nombreux privilèges. Ils obtinrent la Taveur de n'être inter-
rogés que par leur avoyer seul, de ne subir que les châtiments infligés dans les villes
impériales, etc. Après que les Bernois se furent emparés de TArgovie, et que le ter-
rible ours eut remplacé sur les tours de la cité la bannière impériale, Aarau, quoique
sujette, conserva ses franchises et ses privilèges ; elle fut fréquemment le si^ des
Diètes helvétiques, et les cantons protestants y tinrent de nombreuses conférences.
C'est dans celte ville que fut signée la Paix de religion en 4742. Devenue capitale du
canton d'Argovie, après avoir vu dans ses murs la dernière réunion de l'ancienne
Diète suisse, Aarau a conservé cette position, que lui assure d'ailleurs sa nombreusi^
population et son importance commerciale.
Aarau est située au pied du Jura, dont les croupes arrondies se couvrent de vignes
dans le voisinage; une autre chaîne de montagnes peu élevées, qui court parallèle-
ment au Jura, enferme cette ville comme dans une petite vallée, et contribue beaucoup
à embellir ses alentours. De nombreuses ri7Ia^ répandues dans la campagne, des
jardins où l'art et la nature rivalisent d'agréments, quelques sombres forêts ceignent
la ville d'un vert tapis, qui fuit et remonte jusque vers les sommités acérées des
montagnes voisines. L'Aar s'avance fièrement dans la campagne, en argentant ses
rivages : il traverse une partie de la ville, et un beau pont suspendu, achevé en
48SO, s'élance hardiment sur le fleuve indompté, dont les débordements sont souvent
si terribles. On garde encore le souvenir de l'inondation de 4830, où les eaux fail-
lirent emporter entièrement le pont couvert qui reliait les deux rives. — Vu de loin,
Aarau est d'un aspect très-agréable ; les élégantes maisons qui forment les quartiers
nouveaux sont entourées d'arbres et de jardins ; des eaux courantes y entretiennent
la fraîcheur et la propreté, en contribuant à l'embellissement. Les rues sont laiges,
spacieuses et animées. Depuis 4840, de nombreux travaux d'agrément ont été
exécutés; d'informes constructions, dont l'aspect déparait la ville, ont disparu. Les
remparts qui ceignaient l'ancienne ville ont été abattus, et, à part une rue voûtée et
une tour construite en blocs d'une dimension colossale, il ne reste plus rien de In
cité des comtes de Rohr. La nouvelle ville, essentiellement industrieuse, s'embellit
chaque jour, et voit ses maisons s^éparpiller joyeusement dans la campagne et border
de leurs blanches façades des rues et des places nouvelles. L'ancien cimetière, qui
sétendait entre l'Ecole cantonale et le Casino, a été converti en une place spacieuse,
la plus vaste de la ville ; celle qui se trouve entre l'hôtel du Gouvernement et l'hôlel
des Postes est surtout fort animée. La Place de gymnastique, située hors de la ville,
et la Place d'armes, méritent une mention. Des promenades ombrées sillonnent la ville
même, et se déroulent dans les alentours. Une seule église sert aux deux cultes ; elle
est simple, mais d'une architecture de bon goût. — Aarau possède plusieurs col-
lections scientifiques intéressantes et précieuses, et peu de villes renferment autant
d'établissements utiles. La Bibliothèque est fort riche en manuscrits, et renferme sur-
tout des ouvrages concernant l'histoire suisse: elle fut fondée en 4803, et la col-
lection du général Zurlauben en fut le noyau. L'Etat possède une superbe collection
d'oryctognosie, achetée de M. Wagner ; on y trouve des pétrifications que l'on cher-
cherait vainement ailleurs ; les cabinets zoologiques et ornithologiques, riches sur-
tout en animaux indigènes, méritent aussi une visite. Des collections particulières,
LA SUISSE PITTORESQUR. 421
que leurs possesseurs s'empressenl de mettre à la disposition des étrangers, renfer-
ment des objets d'art précieux ; une galerie de tableaux à Thuile, représentant une
grande variété de costumes suisses, a le double mérite d'une bonne exécution et
d'une parfaite exactitude. Nous citerons encore le beau relief de M. Meyer, qui com-
prend une bonne partie de la Suisse, depuis le Léman jusqu'au lac de Constance.
Les principaux édifices d'Aarau sont les suivants : l'Hôtel-de-Ville, b&timent triste
et sombre; l'hôtel du Gouvernement, de récente construction, entouré de jardins
et de promenades, au milieu desquels s'élève la salle des séances du Grand Conseil,
la plus belle peut-être de toute la Suisse; la nouvelle Caserne, édifice superbe;
l'Hôpital, dont le fronton porte l'inscription uPiVe egestati » ; le Casino«la Maison des
orphelins, l'Ecole cantonale, etc. — Aarau possède une école fédérale d'artillerie et
de cavalerie.
Considérée sous le point de vue commercial et industriel, Âarau est sans contredit
une des villes suisses les plus importantes. Des manufactures d'indieiines, de rubans,
des fabriques de tissus de coton, de papier, des blanchisseries, une fonderie de canons,
rimportante librairie de M. Sauerlœnder, donnent un grand mouvement à la ville, et
contribuent à la prospérité de ses S500 habitants. — Âarau a possédé le célèbre
Henri Zschokke, qui y jouit longtemps de l'estime et de l'admiration de ses compa-
triotes; il habitait une maison de campagne admirablement placée sur une colline
des environs. C'est là que l'illustre écrivain vivait patriarcalement au milieu de sa
nombreuse famille. — Les sociétés de la ville à mentionner sont : la Société pour
l'instruction nationale (fur vaterldndische Cultar), divisée en cinq classes ; la Société
des officiers ; plusieurs Sociétés de chant, etc.
Baden, ville ancienne, située sur la rive gauche de la Limmat, à l'extrémité de la
longue chaîne des Lœggern. La nature s'est plu à embellir ses alentours de tableaux
riants et pittoresques et de points de vue gracieux . De petits vallons frais et parfumés
détx)uchent dans le grand bassin de la Limmat, et leurs pentes fleuries se couvrent
de vignes qui descendent jusque vers le fleuve. L'antique donjon, élevé par les lé-
gions romaines, domine encore la ville du haut de ses noirs créneaux, quoiqu'il tombe
en ruines et s'affaisse de plus en plus chaque jour ; le lierre et les ronces ont envahi
ses murs épais, ses tourelles en saillie et quelques grêles arbustes, livrant aux
zéphirs leur feuillage léger, ont remplacé sur la cime du château la bannière soyeuse
d'Autriche. C'est là que l'empereur Albert médita le plan de l'asservissement des
Waldstœtten ; c'est là aussi que les deux Léopold se bercèrent de l'espérance d'as-
servir les Suisses: l'un à Morgarten, l'autre à Sempach, payèrent chèrement leur
témérité. — Baden compte 3000 habitants ; elle est fort industrieuse et fait un
coraraerce considérable de vins. La fertilité de son territoire, le transit et surtout
le grand nombre d'étrangers qu'y attirent ses bains célèbres, en font une des prin-
cipales villes de l'Argovie. On y remarque l'Hôtel-de-Ville, édifice antique et sombre;
la belle église réformée, construite après le combat de Yilmergen ; un Hôpital bour-
geois, fondé et richement doté par la reine Agnès; la Maison de correction, etc. C'est
dans l'église du Chapitre qu'eut lieu en 1526 une discussion solennelle entre les
théologiens catholiques et le célèbre OEcolampade.
A quelque distance de la ville et au fond d'une gorge s'élèvent les bains de Baden.
Ce vaste établissement, qui à lui seul forme une petite ville, est le plus ancien et le
49*2 LA 8l*ISSE PITTORESOrE.
plus fréquenlé de la Suisse. Les Romains avaient déjà bâti dans cet endroit un Tort,
(Iu*o<*eupait une légion et qui portait le nom de CasteUum Thernuirum; aussi les
Imins actuels semblent-ils avoir retenu dans leurs proportions quelque chose des
Ihermes antiques. Les bains publies sont connus sous le nom de Baimt de Ste.- Irmif :
des centaines de malades s*y plongent sans distinction d*ige ni d'infirmité. Les
pauvres, fort nombreux comme on peut le croire, y sont soignés gratuitement. Les
Imins de la rive gaucbe sont Tn^quentés par des personnes plus aisées : plusieurs
bôlels offrent aux baigneurs tout le luxe et le comfort des grandes villes : le Suulthnf.
le Vai.Ksean, le Liiinmthof, le Corhmu, tiennent parmi eux le premier rang. Rien
n*est é|)argné«|M)ur rendre agréable aux étrangers le séjour de Baden; des proroe
nades charmantt^ ont été ménagin^ dans les environs et sur les bords de la Limniat :
bals, concerts, spectacles, se succèdent sans interruption durant la saison des eaux.
Aussi chaque année Tafiluence des étrangers est-elle si grande, que c'est à peine si
ces vastes établissements peuvent les contenir tous.
Dans les environs, s'élève l'ancien couvent de Wettingen, riche abbaye de Citeaux.
convertie actuellement en Ecole normale. Voici ce que la légende raconte au sujet de
sa fondation: nllenri, comte de Rapperschwyl, après avoir visité l'Egypte et la Terre-
Sainte avec Anne de llomberg, sa femme, revenait en Europe sur une galère véni-
tienne. Tout à coup, une tempête effroyable éclate : les vents déchaînés soulèvent
des vagues énormes qui vont engloutir le frêle esquif, lorsque le ciel, voilé jusqu'alors
d'un rideau de nuages sombres, s'entr'ouvre, et une blanche étoile, à la clarté faible et
vacillante, apparaît, jetant sur le navire un long rayon lumineux, signal de sa dé-
livrance. Revenu dans ses Etats, Henri éleva l'abbaye de Wettingen à VEUnle de In
nier, w — L'église renferme le sarcophage de l'empereur Albert, qui y fut dépost*
pendant quinze mois. Des vitraux colorés, chefs-d'œuvre du 16' et du \T siècle, pro-
jettent sur les dalles leurs magnifiques reflets. On y remarque en outre des stalles
sculptées, une inscription romaine à l'honneur d'Isis, et quelques vieux missels aux
gothiques enluminures. Wettingen possédait autrefois une imprimerie, l'une des
premières introduites en Suisse.
Bmgg, jolie petite ville de 1200 Ames, située sur l'Aar, non loin du confluent de
cette rivière avec la Reuss et la Limmat ; c'est le chef-lieu du cercle et du district
du même nom. Le transit des marchandises de Bàle à Zurich et quelques fabriques
lui donnent une certaine importance. Comme la plupart des villes de l'Argovie.
elle est encore pleine des souvenirs de la domination romaine, et tout porte à croire
que l'emplacement sur lequel elle s'élève faisait partie de l'enceinte de Vindonissa.
Devenue propriété de la maison de Habsbourg, Brugg vit dans ses murs le célèbit^
Rodolphe ; en 1415, elle devint la proie des Bernois. — Bru^ n'a de remarquable
que sa position riante, son pont d'une seule arche, large de 70 pieds, son riche hôpi-
tal bourgeois, et ses écoles. Près du pont, on remarque un fragment de sculpture
antique, qui a longtemps exercé la curiosité des antiquaires : il paratt représenter nn
llun, peut-être même Attila.
Non loin de Brugg s'élève l'ancienne abbaye de Kœnigsfelden, convertie actuel-
lement en hospice d'aliénés. Fondée par l'impératrice Elisabeth et sa nièce Agnès de
Hongrie, elle comprenait un couvent de clarisses et un autre de frères mineurs.
Ce double monastère s'éleva à l'endroit même où, deux ans auparavant (1308).
LA SUISSE IMTTOIlESQtE.
4^3
l'empereur Albert élait tombé sous le fer de ses assassins. Des quatre conjurés, Wart
seul, spectateur impassible du crime, porta tout le poids de la vengeance d'Agnès,
tandis que Jean de Souabe, Balm, Eschenbach, purent, à la faveur de déguisements,
se soustraire au supplice qui les attendait. — L'église, assez mal entretenue, méri-
terait cependant plus de soins, car, outre Tinlérêl historiq^ue qui s'y attache, elle
renferme des vitraux du 46* siècle bien conservés, les tombeaux de quelques sei-
gneurs tués à Sempach et de plusieurs membres de la famille de Habsbourg : les restes
de ceux-ci ont été transportés en Carinthie par Tordre de Marie-Thérèse.
Le château de Habsbourg.
A une lieue de Brugg, on va visiter le château de Habsbourg, bâti en 1020 par
Kadbod d'Altenbourg. II ne reste qu'un fragment de la tour principale de ce beau
manoir. La vue y est charmante: on voit à ses pieds Kœnigsfelden, les ruines de
Vindonissa, l'ancien château fort de Brunneck, la vieille ville de Brugg, les bains
de Schinznach, le cours de l'Aar, de la Reuss et de la Limmat, et enfin, à l'horizon,
soixante lieues de glaciers, vaste chaîne azurée qui resplendit sous les feux du
soleil.
Aarbourg est située sur la rive droite de l'Aar, à trois lieues d'Aarau. On y re-
marque des fabriques de tissus, des teintureries, et surtout les célèbres manufactures
de coton de la maison Grossmann ; il s'y fait en outre un grand commerce de vins.
La navigation sur l'Aar et le transit y occupent beaucoup de bras. Aarbourg pos-
sède un pont jeté sur l'Aar et large de 270 pieds, et un château fort, le seul qui existe
en Suisse; il s'élève sur une éminence voisine de la ville, où il fut bâti en 1660 par
les Bernois. La plupart des ouvrages de défense sont taillés dans le roc vif, et les
casemates sont à l'épreuve de la bombe. De 1802 à 1803, Napoléon y fit enfermer
Hih LA siisse piTToiiesQi'E.
les ehers du parti fédéraliste : Aloys Reding, Auf-der-Mauer, HineU etc. Ce château
sert actuellement d*arsenal ; on y a aussi établi une maison de force.
Zopiigni, bureau central des télégraphes suisses, située à Textrémité sud-ouest
du canton. Cette ville, importante par ses fabriques de tissus de coton, compte SOOO
habitants. Sa rue principale est large et bordée de beaux bâtiments. On remarque
dans la Maison de tir deux salles de danse appuyées sur les branches d'énormes tilleuls.
C'est dans cet édifice que, le 26 lévrier 1834, quelques patriotes jetèrent les pre
inières bases de TÀssociation nationale suisse, constituée à Schinznach le 5 mai de
Tannée suivante. La bibliothèque, fondée en 4695, et augmentée par des dons par-
ticuliers, renferme un beau médailler, des lettres autographes de quelques réforma-
teurs suisses, et un album de dessins à la plume exécutés par les membres de la
Société artistique suisse. Zofingen est le lieu de réunion de la Société des Etudiante
suisses. — Cette ville, fort ancienne, peut être considérée comme le Tobiniam d<s^
Romains. Déjà sous la domination de ce peuple, elle possédait le droit de battre
monnaie. Après avoir fait longtemps partie d^ domaines de rÂutriche, Zofingen,
iissiégée par les Bernois en 1415, capitula, et obtint la conservation de ses droib^
municipaux. En 1798, elle fut incorporée au canton d'Ârgo vie.
Lenzbourg est assise au pied du manoir du même nom, à peu de distance de TÂar.
Ville éminemment industrieuse, elle renferme 3000 habitants, qu'occupent de nom-
breuses fabriques. — Elle est traversée par la grande roule de Zuridi à Berne.
Rheinfelilen, au centre d'une plaine fertile, sur un rocher baigné par les Qots du
Rhin. On y aperçoit les vestiges de la forteresse de Siein za Rheinfeldei^, rasée par
les Fmnçais en 1744.
Roger de Bons.
rml^^
CANTON DE THURGOVIE.
Situation, Etendue, Climat. — Le canton de Thurgovie est borné à l'ouest par
le canton de Zurich, au sud par celui de St.-Gall, au nord-est par le lac de Constance,
et au nord par le Rhin et par le lac Inférieur, qui le séparent du canton deSchaffhouse^
et du grand-duché de Bade ; mais deux points de la rive gauche du Rhin n'appar-
tiennent pas à la Thurgovie : la ville de Constance fait partie du grand-duché de Bade,
et un faubourg de Slein, séparé de cette ville par le fleuve, appartient au canton de
Schafifhouse. Sa surface est de 43 ^|^Q lieues carrées, et sa population de 88,908 habi-
tants, soit de 2058 par lieue carrée ; sa plus grande longueur est de douze à treize
lieues, et sa plus grande largeur de sept à huit. Vu Tabsence de hautes montagnes et
la direction générale des collines de Test à l'ouest, le climat est plus tempéré que celui
des cantons de St.-Gall et d'Âppenzell et des cantons intérieurs de la Suisse. Les
pentes exposées au sud ont naturellement une température plus douce que celles
exposées au nord ; cependant, sur la pente voisine du lac l'hiver est adouci par de
fréquents brouillards, qui prolongent l'automne et accélèrent le printemps. Dans
l'intérieur du canton, l'on craint les gelées tant que les montagnes du Vorarlberg ne
sont pas dépouillées de neiges. L'air est salubre dans tout le pays, excepté dans quel-
ques parties marécageuses qui avoisinent le lac de Constance.
Montagnes, Vallées, Rivières. — Le point culminant du canton est la sommité
du Hôrnli, située à l'extrémité méridionale du canton, et à laquelle confinent aussi les
cantons de St.-Gall et de Zurich ; sa hauteur est de 3098 pieds au-dessus de la mer,
ou de 1873 au-dessus du lac de Constance. Le Hôrnli et quelques autres sommités du
voisinage sont les seules qui puissent mériter le nom de montagnes. Mais le canton esl
traversé par plusieurs chaînes de hautes collines, dont quelques-unes sont parallèles
au lac; la principale en suit les bords, de Romanshorn jusque près de Diessenhofen,
et porte le nom de SeerUcken (Dos du lac) ; au-dessus de Steckborn elle atteint l'élé-
vation de 1918 pieds, soit environ 700 au-dessus du lac. Entre cette chaîne et la
II. J7. 54
436 L% M IV«». rtTTlMIKHJf K.
Thour s>lè\o le mont Oiimh^nj, qui atteint i065 pieds. Plus à Touesl, non i«»in
(le la chartreuse d'Ittingen, omimencc une chaîne qui se termine au bord do Rhin
près du couvent du P*tnniir%. Iles environs d*Arlion part une autre ligne de hauteurs,
qui est intemimpue près de Bischorzell par la Thour. et se dirige vers FrauenieM, m
elle est de miuveau coupée par le lit de la Slourg, puis vers Winterthour ; ses plus
hauts poinbi s'élèvent de même à 6 ou 800 pieds au-dessus du lac; le Sonnenben:.
près Frauenfeld. a iiiOH pieds: le Tutwylerberg, vis-à-vis du Sonnenberg, 4845.
Enfin, deux cliaines de i*<illines qui se détachent du Ilômii et suivent les deux rivt>
de la Mourg, atteignent aussi une hauteur pareille. Ces diverses chaînes comprennent
plusieurs vallées, dont les principales sont celles qu*arrosent la Thour et la Mour^. I^
Thonr, qui donne s^m nom au canton, le partage de Test à Touest ; elle reçoit près de
Bischorzell la Silttriê, qui lui amène les eaux du canton d*Appenzell. Elle s'enfle quel-
quefois considérablement au moment de la fonte des neiges du Toggenboui^ el d'Ap-
penzell, et elle est navigable à rép(N|ue des grandes eaux ; mais comme les montagnes
qui ralimenlent se dégarnissent de neiges en été (sauf quelques points du SântisU m>
eaux S4»nt très-basses en cas de longue sécl>ercsse. La Monnj prend ses sources aux
environs du Hômii et non loin du château du Vieux-Toggenbourg; elle se joint à la
Thtiur au-dessous de Frauenfeld. Enfin, la rive gauche du Rhin appartient au canton
au-dessous de Constance jusqu'au Zeller-See. puis au-dessous de Stein jusqu'au cou-
vent du Paradies.
Lacs. — Une partie du beau lac de Constance appartient au canton de Thurgovie.
Ce lac emprunte son nom français à la plus célèbre des villes situées sur ses bords ; il
s ap|)elle en allemand B^idenaee, vraisemblablement du nom du château de Btxlmnun,
situé près de rcxtrémilé nord-ouest, et qui, au temps des rois Carlovingiens, était une
propriété royale et la résidence ordinaire des gouverneurs de la contrée. Les Atl^-
inands lui donnent aussi quelquefois le nom de Mer deSoiMbe, Les Romains rappe-
laient hinis Bniftintihiix, du nom de la cité Brigantia, maintenant la ville autri
chienne Bre^^enz. Le lac se divise en deux parties, qui sont réunies par le Rhin et qui
sont proprement deux lacs différents. Le grand lac, ou lac Supérieur, porte ena>rc
ordinairement le nom de lac de Bregenz, Bmjpnzei-See, et le golfe du nord-est porte
celui de lac dT'eberlingen, qu'il emprunte à une ville située à son extrémité. Quant au
|)etit lac, on rap|)clle nihrsee (ou lar lièfmeiu), ou Zeller-See, du nom de la ville de
Radolfzell ; cette dernière désignation appartient plus exactement au golfe septentrio-
nal, mais non à celui qui s étend du côté de Steckborn. Le lac de (>)nstance est tra-
versé par le Rhin, qui a son embouchure à Tcxtrémité sud-est, cl qui lui amène les
eaux des Grisons et du Vorarlberg. Il reçoit aussi sur ses rives allemandes quelques
cours d*eau, mais ils sont comparativement de peu d'importance. Quant aux eaux
(les cantons d*Appenzell, St.-Gall et Thurgovie, elles s'écoulent presque toutes par la
Thour, qui ne se réunit au Rhin qu'au-dessous de SchafThouse. I^a superficie totale du
lac est de 25 lieues carrées* : il a envahi depuis quelques siècles plusieurs milliers
d'arpents, ce qui doit résulter de l'action des Ilots contre les rives, car on n'a pas
observé que le niveau moyen du lac soit plus élevé aujourd'hui qu'il n'était jadis. Le
développement de ses côtes (les deux lacs compris) est de 40 à 42 lieues, et se répartit
1. Ce chiffre, donné par Franscini, ne doit sans doute comprendre qoe la surrace du lac su-
périeur.
LA SriSSK PITTORESQUE. * 'l27
entre sept Etals. La Thiirgovie en possède près d'un quart, St.-Gall un vingtième:
Bade près de la moitié ; TAutriche, la Bavière et le Wurtemberg ensemble un quart ;
Scbatf bouse une longueur d'environ vingt minutes. Les principaux ports sont, sur la
côte thurgovienne : Arbon, Romansborn et Steckborn ; sur la côte saint-galloise :
Rorscbacb; sur la côle aulricbienne : Bregenz ; sur la côte bavaroise : Lindau, située
dans une petite île ; sur la côte wurtembergeoise : Friedrichsbafen ; enfin sur les
c-ôtes badoises : Constance, Mersbourg, Ueberlingen et Radolfzell. — La hauteur
moyenne du lac au-dessus de la mer est de 1225 pieds. La profondeur du grand lac
est en beaucoup d'endroits de 5 à 700 pieds ; elle est de plus de 800 entre Friedrichs-
liafen et Lindau ; au milieu de la distance entre Constance et Lindau elle est de
964, et entre Lindau et Romansborn de 884. Entre Rorscbacb et Lindau elle est
très-inégale ; près des emboucbures du Rhin, elle varie entre 30 et 400 pieds. Le lac
Inrérieur n'a nulle part plus de 100 pieds de profondeur. Quant au Rbin, le lieu le
plus profond qu'on ait trouvé est près de Gottlieben, où l'on a mesuré 74 pieds. Le
lac Inférieur gèle presque tous les ans. Depuis quatre siècles, la surface du grand
lac a été prise cinq fois ( voy. page 88). En 1830, les habitants de ses rives ont
fêlé le retour de ce phénomène comme un événement dont ils ne devaient plus étVe
témoins. On en a profité pour mesurer sur la glace les distances entre des villes
placées sur des rives opposées.
Le canton possède encore trois petits lacs, situés entre Frauenfeld et Stein ; le plus
grand n'a qu'une demi-lieue de circuit ; plus au sud, le Bichelsee, sur la frontière de
Zurich, donne naissance à un bras de la Mourg; VEgels(}e, ou Lac des Sangsues, près
de la frontière saint-galloise, au sud de Wyl, n'est plus qu'un marais tourbeux.
Histoire naturelle. — Règne aninmL II n'y a rien de particulier à dire des mam-
mifères, sinon que l'on prend quelquefois des loutres dans la Thour, où elles causent
un grand dommage à la pèche. — On compte dans le canton environ une centaine
d'espèces d'oiseaux , tant en passage qu'indigènes ; près de la moitié sont des oiseaux de
marais ou des oiseaux aquatiques; parmi ces derniers, quelques-uns n'ont été vus
que de temps à autre, et sont cités comme très-rares ; tels sont le lanis parasiticus, le
|)élican et le cormoran. L'ornithologue ne fera pas sans intérêt un séjour près du lac.
La chasse y est si abondante, que jadis Tévèque de Constance n'avait pas de scrupule,
durant la saison la plus favorable, de dispenser les chasseurs de la célébration des
jours saints, et considérait comme une faveur signalée le privilège de la chasse aux
canards, qu'il accordait à ses amis les bourgeois de Constance. — Le lac Antérieur con-
tient 26 à 27 espèces de poissons ; les plus abondants sont le lavaret, le lavaret blanc, et
le lavaret bleu ; les deux premiers se pèchent surtout près de Constance, de Gottlieben
et d'Ermatingen ; on les met dans le vinaigre, ou bien on les fume comme des harengs,
pour les exporter; le lavaret bleu se mange frit ; c'est un mets excellent, et que l'on
préfère souvent à la truite. On trouve encore dans le lac le saumon du Rhin, la truite,
Tanguille, le brochet, la lotte, etc. Celle-ci se prend en abondance près de Steckborn ;
c'est un mets recherché comme au temps des Romains ou au temps d'Elisabeth de
Matzmgen, abbesse de Notre-Dame de Zurich, qui vendit pour des foies de lotte un
fief situé sur le mont ZoUikon. Les autres petits lacs contiennent des anguilles, et des
brochets qui vont jusqu'à 50 livres. On trouve dans la Thour une vingtaine d'espèces
de poissons; l'anguille, la lotte, le saumon, etc. — L'inseclologie est moins riche
4:28 LA SriSAR PITTORESQUE.
dans le canton que dans ceux qui possèdent de grands pâturages à des hanleurs
diverses, et qui ofirent ainsi une bien plus riche variété de fleurs.
Rè^jne véyétaL Une végétation variée couvre le pays ; on y cultive les céréales, la
vigne, le lin, le chanvre, les arbres fruitiers, etc. ( Voyez plus bas quelques d^ils
sur ces cultures.) Mais c'est surtout à la végétation de ces derniers, ainsi qu'à cdle
des forêts, que le sol du pays, par sa nature, se trouve particulièrement propice.
Sur les hauteurs de la partie méridionale, on voit de belles forêts, composées prin-
cipalement de sapins. Celles qui croissent sur les collines voisines du lac se com-
posent plutôt d*arbres à larges feuilles, au milieu desquels les sapins ne sont qu'qiars.
Le mélèze n'est pas indigène, mais il prospère dans les lieux où on Ta planté. Dans
Ijeaucoup de forêts, le sol est couvert tantôt de bruyères, tantôt de myrtilles rouges
et bleues ( Vaccinium MyriUhut et Vacciuinm ritis idœa ) ; ce petit arbuste, ainsi que
les mûriers sauvages des haies, produisent une telle abondance de fruits, que les
pauvres gens les récoltent e( s'en nourrissent pendant des semaines entières. On
c>ompte dans le pays 4000 à 4800 plantes phanérogames, parmi lesquelles se
trouvent un assez grand nombre de plantes médicinales ; ces plantes appartiennent
en grande majorité à la flore des plaines suisses et à celle des alpes inférieures ; sur
le Hœrnli seul on a trouvé plusieurs espèces qui appartiennent à des régions plus
élevées, et dont quelques-unes sont assez rares.
Règne minéral. La plus grande partie des collines du canton sont formées de mol-
lasse; ce sont seulement les hauteurs méridionales près de Bischofiell et de Gabris,
et celles du Hœrnli, qui présentent des couches de brèche. Sur les deux rives de la
Thour, on observe sur le flanc des collines des bancs horizontaux de cailloux roulés.
de mollasse à grains fins et de marne sablonneuse alternant ensemble. La mollasse
est en général tendre ; ce n'est qu'en quelques localités qu'on peut Texploiter comme
pierre à bâtir. En plusieurs endroits on trouve aussi des couches de pierre puante
calcaire et de marne calcaire ; celle-ci glt au-dessous de la mollasse, entre Bischof-
zell et le lac ; on en fait un bon mortier très-solide ; on peut la préparer également
comme engrais. On a reconnu au milieu de la mollasse de faibles filons de charbon
de pierre, dont l'épaisseur varie d'un demi-pouce à six pouces; à Tœgerwylen et
Egoldshofen, elle va jusqu'à huit ou douze pouces; près de Frauenfeld, ce filon se
trouve un peu au-dessus du lit de la Mourg; près de Wilhausen et de Weinfelden, il
est à 300 pieds au-dessus de la Thour ; on a fait quelques essais d'exploitation. Sur
divers points de la Haute-Thurgovie, on voit des blocs erratiques, dont plusieurs
sont de roche primitive; ainsi à Romanshorn, non loin du rivage, se trouve un Uoe
de granit de 27 pieds de diamètre. Deux blocs de cblorite, de dimensions pareilles,
sont à 400 pieds au-dessus du lac, sur la hauteur de Birwinken; beaucoup de ces
blocs ont été employés comme pierres de construction. On voit aussi près de Steck-
i)orn, d'Ermatingen, de Tœnikon, etc., de gros blocs d'une mollasse pleine de
coquillages {Muschelsandstein), dont le gisement existe dans le Rheinthal; ces blocs
renferment une grande quantité de pétrifications ; mais dans la mollasse même de la
Thurgovie, on n'en a pas rencontré. C'est dans la couche de houille qui passe près du
Bichelsee qu'on a trouvé une remarquable dent de crocodile, que Ton conserve à
Zurich. — il existe des tourbières en divers endroits du canton; les plus grandes se
trouvent près de Pfyn, Eschlikon, Lommis, Zihlschlacht, etc. — Depuis le tremble-
LA SUISSE PITTORESQUE. 4^29
menl de terre de 1755, qui renvei'sa Lisbonne, on n*en avait ressenti aucun jusqu'à
celui du 29 octobre 1835, qui fut assez fort pour abattre quelques cheminées près
de Bischofzell.
Sources et Bains. — Les environs du lac n'abondent pas en sources; les habitants
y boivent principalement des eaux de puits ; beaucoup de ces puits sont dans la
marne, et donnent une eau qui a une odeur sulfureuse ; un puits du château de
Luxbourg contient aussi de Tocre, et on emploie efQcacement son eau pour des
I)ains de santé; on n'a cependant pas trouvé dans le canton des sources minérales
proprement dites, quoiqu'il y ait des établissements de bains à Ârbon, à Bischofzell
( bains de Bitzi et bains de la Thour), à Sulgen, à Wsengi ; ces deux derniers portent
tousdeux lenomde Jacobsbad. Frauenfeld et le couvent du Paradis possèdent aussi
des bains, dont on vante l'efficacité contre les afifections rhumatismales.
Antiquités. — On a découvert des antiquités romaines et celtiques sur divei-s
points du canton, particulièrement à Eschenz, à Pfyn, à Wydenhub près Bischofzell,
et à Arbon. On trouve souvent à Eschenz des monnaies romaines du temps de l'em-
pire. Pendant les basses eaux on voit les traces d'un pont qui servait aux Romains
pour passer à la petite ile de Werd. Le voisinage de la forteresse de Gaanodnrum
(vis-à-vis Slein), dont les fondements existent encore, paraissent avoir engagé à créer
plusieurs villas près d'Eschenz. On n'a pu décider si le caveau funéraire qu'on a
découvert il y a quelques années dans ce village, date de la fin de l'époque romaine, ou
du siècle mérovingien, ou d'une époque plus récente encore. Trois tertres funéraires
que Ton voit près d'Altenklingen, sont aussi d'une haute antiquité. — Pfyn {Ad
Fines ) fut une forteresse bâtie par les Romains à la frontière de la Rhétie ; l'existence
d'un établissement romain en ce lieu est prouvée, soit par les anciennes murailles
qu'on y voit encore, soit par la grande quantité de monnaies qu'on a mises au jour
dans les environs. Quelques antiquaires prétendent que les fondements de l'Eglise ont
dû appartenir jadis à un temple d'Isis. Une voie romaine qui venait de Vindonissa en
Ârgovie et de Vitodurum (Ober-Wintertbur), passait par Pfyn, et se dirigeait vers
Àrbon et Bregenz (Brigantia) ; on en reconnaît encore quelques traces. D'autres voies
faisaient communiquer Pfyn avec Constance et Gaunodurum. — On a trouvé en
1831 à Wydenhub un vase qui contenait 6000 deniers romains du temps de Vitel-
lius à Valérien. On fait quelquefois des trouvailles semblables à Arbon, qui doit avoir
porté le nom à'Arbor felix (Arbre heureux), et qu'on suppose avoir été bâti par
Auguste ou par Tibère, quoiqu'il n'en soit fait mention qu'à la fin du k^ siècle. On
attribue aux Romains les fondements de la tour de son château. La digue, dont on
voit les ruines lors des basses eaux, peut leur être attribuée avec plus de proba-
bilité. — On n'a rien trouvé à Romanshorn qui puisse prouver d'une manière posi-
tive que le nom de ce village soit la traduction de Ronianorum cornu, qu'on prétend
avoir été son ancienne désignation. On ignore aussi si le mont helisberg, au-dessus
d'Uesslingen, a reçu son nom d'un temple d'Isis qui y aurait existé.
En travaillant à la route de Steckborn à Berlingen en 1830, on a trouvé des mon-
naies carlovingiennes et mauresques qui datent du temps de l'empire des Francs. La
tour du château de Bischofzell a été construite vers l'an 910 par l'évéque Salomon,
qui y chercha un refuge contre les invasions des Huns; l'église de cette ville date
de la fin du même siècle. On fait remonter aussi au 10"* siècle les figures de Joseph,
^30 LA snssK piTTonesyiE.
(le Marie et des apôtres Pierre et Paul, qui sont murées dans la chapelle des pauvns
à Kreuziingen. Enfin, plusieurs ehàteaux encore existants, tels que ceux deFraueo-
Teld, Arbon, Gottlicben, Mammertshofen, etc., remontent à une époque reculée du
moven-àge, ainsi que beaucoup d*autres, dont il ne reste plus que des mines.
IIisToiRR. — I^ Thurgovie faisait |)artie de la grande province helvétienne (ie>
Tliinrini, qui était comprise entre le cours du Rhin et celui de la Liinroat. Quand b
Homains curent dissout la Ligue des llelvétiens et réduit la plus grande partie de leur
|)aysen province, les llhéliens étendirent momentanément leurs frontières jusqu'au
milieu de la Thurgovie, où les Romains bâtirent la forteresse Ad Fhiex. Vitodiinim
servit alors de chef-lieu à la Basse-Thurgovic et à une grande partie du tcrriloin^
actuel de Zurich. Vers le même lemps, les Romains fondèrent la forteresse de Gannu
ihirum ( vis-à-vis Slein), el peut-être Arhor felir. Quant à Constance, elle ne doit avoir
acquis quelque importance que sous Tempereur Constance ou sous Constantin. Vef>
l'an 1 80 commencèrent les invasions des Suèves et des Allémani, qui ravagèrent d
dépeuplèrent le pays au point qu*à la fin du 4** siècle les bords du lac étaient couvert
d'une fonH marécageuse et impraticable. Vers Tan 370, les Allémani occupèrent
(H)mpiètement le pays: mais quand ils furent vaincus par Clovis, en 496, rHelvétie
tomba aussi sous la domination franque. I^a propagation de l'Evangile sur les bords
du lac fut activée d*al)ord par la translation de Tévéché de Vindonissa (WinàM^
à (Constance, en 560, et plus encore par l'arrivée de Sainl-Gallus avec son maître
(^olomban et plusieurs compagnons de voyage. Gallus trouva à Arbon une oommu
nauté chrétienne avec deux prêtres; après y avoir séjourné quelque temps, il alh
fonder un ermitage au milieu des forêts; puis il revint à Arbon, où il mourut ve^
l'an 640.
Durant le l'' siècle et une partie du 8', la Thurgovie Gt partie d'un duché deSouabe
ou d'Allémaiiie, qui fut envahi par Charles Martel et par Pépin, et supprimé en 751.
lia Thurgovie fut aloi*s gouvernée par une série de comtes, dont les donaaines compre
naient aussi les environs de Saint-Gall et les territoires actuels des cantons d'Ap
|)enzell et de Zurich. Ce comté de Thurgovie se divisa plus tard entre deux frères.
Ulrich et Gerold ; la Tœss et la Glatt devinrent leurs limites, et séparèrent le Zurichgau
du Thurgau. Au commencement du 10' siècle, le pays fut ravagé par les Huns. \'o^
cette époque, le comte Burkhard s éleva à la dignité de duc de Souabe ; le comté if
Thurgovie fut dès-lors gouverné par un vicaire ou lieutenant du duc, ainsi que par h
noblesse inférieure; les vassaux et le peuple furent plus opprimés que jamais. Â la léU'
de la noblesse de Thurgovie étaient les comtes de Winterthour, qui avaient leur rési-
dence au château de Kybourg; ceux de WûlDingen, et ceux de Toggenbourg, dont
les ch&teaux s'élevaient dans les vallées de la Thour et de la Mourg. Ils prenaieot
tous le titre de comtes, à cause de l'étendue de leurs domaines; le comte souverain
prenait le titre de Lmdgraf (comte du pays), et son vicaire celui de landrid^^^
(juge du pays). Une partie des nobles ne relevaient que de l'empire; les aulreîi
dépendaient des principaux seigneurs susmentionnés, ou des prélats ( l'évèque de
(k)nstance, les abbés de Saint-Gall, de Reichenau et de Rheinau). Les châteaux de»^
nobles (on en a compté 7:2), qui s'élevaient sur le sommet de toutes les collines el
au milieu de tous les défilés, peuvent se comparer â un réseau d'airain qui séien-
duit sur toute la contrée el qui la tenait sous le joug. Les habitants de ces manoii's
LA Sl'ISSK rriTOHKSQlE. ft34
ne songeaient qu'à la chasse el à la guerre ; toutefois, les vertus chevaleresques,
rinspiration poétique et les sentiments délicats n'étaient point complètement inconnus
à cette époque : témoins les chants des Minnesœnger, et les poèmes héroïques des
hardes du temps. Le Lanceloi d'Ulrich de Zazikofen (Zezikon), les chants de Gast,
d'Ulrich de Singenberg, de Walter de Klingen, d'Henri de Rugge, du baron de
Wsengi, et de plusieurs autres, montrent que ce n'était pas toujours le rude bruit
des armes qui faisait retentir les salles des châteaux thurgoviens, mais que l'expres-
sion des sentiments les plus tendres y trouvait aussi un écho. C'est vers le même
temps qu'eut lieu la fondation de plusieurs couvents, ceux de Fischingen, Kreuz-
lingen, Mûnsterlingen, Paradis, etc., de la commanderie de Tobel, et d'une foule
d'églises et de chapelles. Beaucoup de nobles prirent part aux expéditions vers la
Terre-Sainte. En 126ft, le comté de Kybourg, et en même temps le landgraviat de
Thurgovie, passèrent par héritage du comte Hartmann de Kybourg au comte Rodolphe
de Habsbourg, lequel, plus tard, fut élevé à la dignité souveraine. Le temps de la
chevalerie approchait de sa fin.
Les gentilshommes de Thurgovie servirent dans les rangs des armées autri-
chiennes aux batailles de Morgarten, Sempach, Nœfels, et un grand nombre d'entre
eux y trouvèrent le trépas; mais ils eurent encore plus à souffrir des guerres contre
les Âppenzellois. Après leurs victoires à la Vœgeliseck et au Stoss, ces derniers
parcoururent toute la Thurgovie, brûlant et pillant les châteaux, et appelant par-
tout le peuple à l'émancipation. Après le rétablissement de la paix, l'Autriche et
les prélats recouvrèrent bien tous leurs droits sur leurs sujets de Thurgovie, mais
la noblesse ne put jamais se relever des échecs qu'elle avait subis ; nombre de
familles émigrèrent ou s'éteignirent par la mort. Ce fut pendant la guerre de Zurich
(|ue les Confédérés mirent pour la première fois le pied dans le landgraviat; ils dis-
sipèrent facilement le landsturm qu'on assembla pour les repousser; en 1488, ils
re|)arurent pour la seconde fois, el forcèrent Constance & leur payer une contribu-
lion de guerre. Deux ans plus lard, ils enlevèrent à la maison d'Autriche tous les
droits qu'elle exerçait sur la Thurgovie. Lors de la guerre de 1499, Constance expia
sa fidélité h l'empire par la perte des droits de juridiction qu'elle avait conservés
encore sur ce même pays. Ces droits passèrent aux sept anciens cantons, et l'em-
pereur Maximilien fut forcé d'abandonner formellement à ces cantons l'exercice de
sa souveraineté. Les Thurgoviens avaient espéré qu'ils seraient traités par les Suisses
comme des frères et des alliés; mais les Gouvernemenls des sept cantons leur en-
voyèrent des baillis et des juges, comme le faisaient auparavant TAulriche et
<]onstance, et les gouvernèrent de la même manière que des souverains. Les baillis
liaient tirés alternativement de chacun des cantons. Une convention fut conclue
avec la noblesse, qui possédait encore la basse juridiction ; on fixa les redevances,
qui, dans chaque localité, devaient être attribuées ou aux baillis ou aux proprié-
taires nobles. Ceux-ci formèrent avec le clergé une corporation dont le but était de
soutenir leurs intérêts vis-à-vis des baillis el du peuple. Le sort de la Thurgovie
était très-dur sous les baillis, qui gouvernaient pour la plupart arbitrairement et avec
uneextrême rapacité. Plusieurs de ces fonctionnaires payaient jusqu'à 10,000 florins
pour acheter une préfecture qui ne durait que deux ans, et cherchaient à se dédom-
mager de celte dépense par toutes sortes d'exactions. Cependant, l'abus de la véna-
452 i..\ srissE piTTORESQie.
lilc n'avait pas liea dans les cantons aristocratiques : aussi les habitants se fèlki
laient-ils d*avance quand c'était le tour d'un de ces cantons de leur envoyer un
bailli. En même temps, les seigneurs du pays, qui avaient un grand nombre de serf^
et qui exerçaient leurs droits soit par eux-mêmes, soit par leurs intendants, se per
mettaient de leur cAté une foule de vexations.
Dès que Zurich, SchafThouse et Saint-Gall eurent adopté la Réforme, les habitanb
de la Thurgovie s*cmpressèrent de se prononcer aussi dans le même sens. Cetw
émancipation religieuse Tut accompagnée d'une tentative d'émancipation politique.
De 1529 à 4531 il exista une Commission composée de députés des communes, ft
chargée de la direction des affaires religieuses et en grande partie aussi de celle de^
nRaires civiles. Mais, après la funeste bataille de Gappel, cette sorte de gouvememenl
fut dissout, les baillis recouvrèrent toute leur autorité, et même en plusieurs endroit^
l'ancien culte fut rétabli ; les réformés eurent à souffrir quelques persécutions de h
|iart des cantons catholiques et des couvents de la contrée. Des disputes oonfessâoo-
nelles eurent lieu à diverses reprises. Durant la guerre de Trente ans, les nobles
montrèrent peu de bonne volonté à défendre le pays dans l'intérêt des cantons sou-
verains; c'est alors que fut institué un corps composé de représentants des com-
munes, lequel fut chargé de veiller à la sûreté extérieure, mais qui s'occupa aussi
d'intérêts d'une autre nature. A la suite de la guerre du T(^genboui^, en i71i.
Berne obtint d'être associé au partage de la souveraineté avec les sept autres cantons.
Dès celte époque, la concorde et la tolérance firent de grands progrès dans le pays.
Dès-lors aussi, par l'influence de Zurich et de Berne, quelques améliorations furent
introduites dans diverses branches de l'administration, la police, les écoles, les
routes, etc. Quelque temps avant les événements de 1798, on s'était occupé de faire
disparaître l'état de servage qui pesait encore sur les paysans thurgoviens ; mais,
le 2 février, une assemblée populaire, qui eut lieu à Weinfelden, réclama l'indépen-
dance complète du pays et son admission dans l'alliance des Confédérés; les envoyés
des huit cantons, craignant l'approche des Français, durent accéder à ces demandes,
sous réserve de ratification. Le comité qui fut nommé par les communes fut présidé
\mv Paul Reinhard ; il accepta la Constitution qui lui fut offerte par le général Brune-
Mais le choix de Frauenfeld comme capitale causa quelque mécontentement. Quoique
dépourvu de ressources, le Gouvernement du nouveau canton fit ses efforts pour
l'administrer de telle manière qu'il ne restât pas en arrière de ses confédérés. — En
1814, on restreignit le droit électoral des citoyens, en confiant le choix des deux
tiers des députés à un collège aristocratique, et l'on donna au Petit Conseil une
prépondérance marquée sur les autres corps de l'Etat. Le 22 octobre 1830, une
assemblée réunie à Weinfelden adressa une pétition au Grand Conseil pour demander
une révision de la Constitution ; le Grand Conseil, accédant à ce vœu, prononça sîi
dissolution, et un autre Conseil fut nommé pour procéder à la révision. La nouvelle
(Constitution, acceptée le 26 avril 1831 par les assemblées électorales, a été révisée
partiellement en 1837 et en 1849. Elle est entièrement démocratique.
Constitutions. — D'après la Constitution établie par l'Acte de Médiation en 1803,
la Thurgovie avait un Grand Conseil de 100 membres, dont 32 étaient élus directe-
ment par les 32 cercles du canton ; chacun de ces cercles désignait en outre 4 candi-
dats ; sur ces 128 candidats, le sort en désignait 68 pour compléter le Grand Conseil,
I.A SL>ISSK IMITOKESQUi:. 433
(|ui ensuite élisait dans son sein un Petit Conseil de 9 membres et un Tribunal
(l'appel de 13 membres. Dans chaque commune, les citoyens âgés de 30 ans et
|H)S6édant 500 livres suisses, nommaient un maire ou ammann, ses deux adjoints et
un Conseil Municipal de 8 à 16 membres. Le Petit Conseil nominait un juge de
imix pour chaque cercle, et un tribunal pour chacun des huit districts. Les catho-
liques devaient posséder un tiers des places dans les autorités supérieures du canton.
Sous la Constitution de 181&, les cercles continuèrent à élire 32 membres du Grand
Conseil et 128 candidats; mais 32 membres étaient nommés par un collège com-
posé du Petit Conseil, des juges d'appel et des 16 plus riches propriétaires, lequel
devait en choisir au moins 16 parmi les candidats ; 24 membres étaient nommés par
le Grand Conseil, parmi les 128 candidats; enfin les 12 restants étaient nommés
|iar le même corps, mais sur présentation double faite par une commission composée
de trois conseillers d*Etat et de six membres du Grand Conseil. Le Petit Conseil était
élu pour trois ans, et le Grand Conseil pour six ans.
La Constitution de 1831 pose les bases les plus libérales. Les assemblées de cercles
votent sur la Constitution et les changements constitutionnels; elles élisent les juges
de paix et les tribunaux de cercles. Les membres du Grand Conseil sont aussi
nommés par les cercles, proportionnellement à la population; 23 des 100 membres
doivent être catholiques. Le Grand Conseil est élu pour deux ans, et renouvelé par
moitié tous les ans; il a deux sessions ordinaires par année ; celle d'hiver se tient à
Frauenfeld, celle d'été à Weinfelden. Quatre semaines avant les sessions, les projets
de lois doivent être communiqués aux membres, ainsi qu'au public. La présence des
trois quarts des membres est nécessaire pour la validité de toute décision. Chaque
membre ^reçoit une indemnité de deux francs de suisse par jour. Le Grand Conseil
élit le Petit Conseil, les tribunaux supérieurs, le Conseil d'éducation, le Conseil de
guerre, et regoit les rapports de ces diverses autorités. Le Petit Conseil est composé
de six membres, qui ne peuvent faire partie du Grand Conseil ; il est élu pour six
ans. Chaque district a un préfet nommé pour trois ans, et un Tribunal de première
instance ; chaque cercle nomme un juge de paix et un Tribunal de police. Chaque
commune élit son président (Orisvorsteher) et son Conseil Municipal, dont les
membres, élus pour trois ans, sont renouvelés par tiers annuellement; elle décide
elle-même du nombre des conseillers municipaux, des impôts communaux, de
l'administration de ses biens, de la création d'établissements publics, etc. L'assem-
blée de commune doit être convoquée dès qu'un quart des citoyens le demandent.
La révision de 1837 a modifié sur quelques points l'organisation judiciaire. Celle
de 1849 a fixé uniformément à trois ans la durée des fonctions du Grand et du
Petit Conseil, des préfets, des tribunaux et des autorités communales, et a rendu
le renouvellement intégral. Elle a porté le nombre des membres du Petit Conseil à
sept, dont deux catholiques. D'après la proportion de la population, elle a réduit à
21 sur 100 le nombre des membres catholiques du Grand Conseil.
Cultes. — Lorsque Zurich, Schaffhouse, Saint-Gall et Constance, chef-lieu de
l'évéché, eurent accepté la Réforme, la Thurgovie se prononça aussi dans le même
sens. En 1S28 et 1529, la messe et les images furent supprimées dans tout le pays;
mais après la bataille de Cappel, une minorité catholique, avec l'appui des couvents
et des cantons qui repoussaient la Réforme, rétablit le culte catholique dans plusieurs
^5^ LA sris8e pirroRKaQre.
rommunos, et It^s droils des protestants furent restreints. Depuis la guerre de Toggen-
biuirg en 1742, ce régime d*oppression- eessa, et la concorde et la tolérance firent
de grands progrès dans le pays. En 4850, sur 88,908 habitants, on comptait
66,98& protestants, 24 ,924 catholiques, et 3 juifs. Les ressortissants des deux cultes
se trouvent mélangés dans toutes les parties du pays, de telle sorte que les protes-
tants l'emportent dans sept des huit cercles; dans le huitième seul, celui de Tobel,
les catholiques sont en majorité, dans la proportion de huit contre sept. Le Grand et
le Petit (>)nscil se partagent en deux collèges ( protestant et catholique ), dont chacun
nomme un (jmseil d Eglise, compose de deux ecclésiastiques, trois laïques et deux
suppléants. Les fonctions de ces Conseils consistent à surveiller Tadministration di^
fonds d*église et d*école, et ceux des pauvres de leur confession, à examiner l'éli-
gibilité des candidats, etc. Depuis 4803, les communes protestantes ont possédé le
droit de nommer leur Conseil fiaroissial et d'administrer leurs fonds d'église et de
pauvres, sous la surveillance du Conseil ecclésiastique; mais depuis 4834, la Consti-
tution leur a conféré aussi le droit d'élire leurs pasteurs. Le Synode évangélique,
tel qu'il a été constitué en 4832, se compose de tout le clergé, des membres du
Conseil ecclésiastique, et de six délégués de la partie réformée du Grand Conseil.
Les paroisses protestantes sont réparties en trois chapitres : ceux de Frauenfeld, do
Steckborn et de la Haute-Thurgovie. — Les communes catholiques élisent aussi
leur administration d'église et leur curé, lesquels sont sous la surveillance du Conseil
ecclésiastique et sous la juridiction de la partie catholique du Grand ConseiK ic tout
sous réserve de la hiérarchie romaine; ainsi, le Conseil ecclésiastique doit s'entendn*
avec Tévéquc au sujet de l'admissibilité des candidats, et un commissaire épisco|Kil
assiste aux séances du Conseil ecclésiastique avec voix délibérative. Lesjtaroises
catholiques sont réparties en deux chapitres : ceux de Frauenfeld et de Steckborn. —
Il y a encore dans le canton une dizaine de couvents. Une loi de 4836 les a placés
sous l'administration de l'Etat, principalement par le inotif que la gestion de leui^
fonds n'était |>as bien entendue. Les noviciats ont été suspendus; mais le l)oni devra
être employé aux églises, aux écoles et aux établissements de pauvres. Le couve«l
du Paradis seul a été supprimé, parce que le nombre des nonnes y était réduit à
deux, parce qu'il n'avait pas été garanti en 4803, et qu'il devait à l'Etat, depuis
4796, une forte somme, dont il ne payait pas d'intérêts. La fortune totale des cou-
vents thurgoviens est évaluée à environ quatre millions de francs nouveaux.
Instruction publiqle. — Depuis le commencement du 48* siècle, toutes les
paroisses prolestantes ont eu leur école; il en était de même dans les paroisses
catholiques, quoique leurs ressortissants fussent plus dispersés. Mais les écoles étaient
peu avancées. Le Conseil scolaire, institué par la Constitution de 4803, chercha à
les améliorer, en faisant donner des cours aux régents primaires. Le Conseil d'édu-
cation, créé en vertu de la Constitution de 4834, a établi à Diessenhofen un cours
do perfectionnement pour les régents et les candidats; il a envoyé à Hofwyl un
certain nombre de régents, pour y suivre aussi des cours, et créé à Kreuziingen
un séminaire de régents, qui a été pendant plusieurs années sous la direction judi-
cieuse de M. Wehrli, élève distingué de Fellenberg. Le minimum du temps d'école a
été porté de 48 à 32 semaines. Les enfants sont obligés de suivre l'école de cinq à
douze ans; ils doivent en outre, de 4 2 à 4 5 ans, suivre l'école de répétition, qui occupe
LA SUISSR PITTORESQUR. 455
32 jours par année; on a étendu le champ des études, introduit la géographie et
l'histoire de la Suisse ; on a alloué des fonds aux communes peu aisées, placé les
régents et les écoliers sous la surveillance de commissions scolaires de district, dis-
tribué des pri\ aux meilleurs régents à Tépoque des examens septannuels, ce qui a
('^té un excellent moyen d'émulation; mais il est Tàcheux que les régents soient trop
|)eu payés, surtout leurs suppléants. Quelques-unes des petites villes, ainsi que les
couvents de Kreuziingen et Fischingen, possédaient des écoles secondaires ; mais une
loi a décrété rétablissement de 16 à 48 écoles secondaires dans le canton, de telle
sorte que chaque élève n'ait au plus qu'une lieue et demie de chemin à faire pour s'y
rendre. Le Grand Conseil a aussi décrété en 1836 la création d'un établissement
cantonal.
Industrie, Commerce, Agriculture. — La plus ancienne industrie qui fut intro-
duite dans le pays est la fabrication des toiles. Depuis plusieurs siècles la toile de
lin de Thurgovie est une marchandise estimée; mais elle passait dans le commerce
sous le nom de toile de Constance ; on l'expédiait en France, en Italie, en Espagne,
en Allemagne, etc. Cette industrie;^ a fleuri surtout dans la seconde moitié du dernier
siècle ; pendant bien des années, il s'expédiait chaque semaine, et d'Arbon seule-
ment, 300 à &00 pièces de toile de lin ; au commencement de la révolution, le
reirait des privilèges de douane a porté préjudice à cette fabrication ; elle occupe
encore environ 2000 ouvriers dans les districts d'Arbon, de Bischofzell, de Tobel,
de Weinfelden, soit dans la Haute-Thurgovie. Le campagnard ne consacre h cette
industrie que des moments qui resteraient en grande partie perdus; s'il devait y
consacrer tout son temps, il ne recevrait pas un salaire suffisant pour le faire vivre.
Le lin qu'il emploie se cultive dans le pays. On y cultive aussi du chanvre, mais
surtout dans la Basse-Thurgovie ; on ne l'emploie guère qu'aux usages domestiques.
A la fin du siècle dernier, on a introduit la filature du coton et la fabrication des
cotonnades; cette branche d'industrie s'est répandue dans tout le canton, surtout
dans la Haute-Thurgovie , ainsi que dans la vallée de la Mourg, où l'on a pu
utiliser quelques cours d'eau ; elle compte maintenant près de 6000 ouvriers, dont
un quart environ travaillent toute l'année, la moitié pendant six mois, le reste pen-
dant les mois d'hiver. Frauenfeld, Diessenhofen, Arbon, Islikon, Hauptwyl, etc.,
|K)ssèdent des teintureries et des imprimeries d'indienne. Quant à la soie, ce n'est
que sur la frontière zuricoise que quelques métiers la travaillent pour le compte
de fabricants zuricois. On fabrique aussi à Arbon des rubans de soie, de demi-soie
et de coton. Frauenfeld seul possède quelques filatures de laine. Il y a en outre dans
le pays plusieurs papeteries; des tanneries, particulièrement à Diessenhofen; une
fabrique de machines pour filatures de coton à Wœngi, etc.
Mais le pays est encore plus agricole que manufacturier ; il se prête bien à l'agri-
culture ; les vallées sont larges et les collines ont des pentes douces; le sol, quoique
loin d'être partout d'une nature fertile ( car se composant principalement d'argile, il
est plutôt dur et froid), est néanmoins susceptible en général d'être fertilisé au
moyen des engrais; aussi y a-t-on dès longtemps introduit un grand nombre de cul-
tures différentes. Malgré cela, on ne peut pas dire que l'économie agricole soit
avancée en Thurgovie ; ses progrès n'ont été que trop retardés par la routine et les
préjugés, probablement aussi par un trop grand morcellement des propriétés. Depuis
4S6 LA Sl'IiWE PITTORRSOrK.
un demi-âiècle environ, plusieurs agronomes ont cherché, par diverses expériences, à
imprimer Télan à des perfectionnements; plus tard, une commission de laSodété
d*Utilité publique, ainsi que M. Wehrii, directeur du séminaire, ont fait tout leur
possible pour faire comprendre aux campagnards les améliorations nouvelles, el
leurs eflbrts n*ont point été complètement infructueux. On cultive dans le pays une
grande quantité de lin, dont le produit est travaillé par les ouvriers indigènes: on
cultive aussi beaucoup de céréales, en faisant alterner Tépeautre, le froment et Forge,
avec de Tavoine et des pommes de terre, ou antres plantes de ce genre. Les prairies
sont en général mal entretenues, et les prés artificiels peu nombreux. La culture
des arbres fruitiers est beaucoup mieux entendue ; il est peu de pays où elle ait acquis
un développement aussi remarquable que dans la Thurgovie (et le district saint-
gallois de Rorschach ) ; les maisons et les villages sont entourés de vergers, el on
plante atissi beaucoup d*arbres à fruits au milieu des champs, de sorte que dans œr
tiiins districts ils paraissent former une espèce de forêt; les terrains marneux, comme
est celui de la Haute-Thurgovie, leur conviennent mieux, surtout aux arbres h
pépins, que ceux qui sont sablonneux ou graveleux : aussi viennent-ils beaucoup
mieux sur les pentes des collines que dans le bas des vallées de la Tbour et de la
Mourg. La plus grande partie des pommes et des poires est employée à faire des vins
de fruits ; quand il est bien préparé, ce cidre peut se conserver, et acquiert la saveur
et le piquant d'un véritable vin. On consomme aussi beaucoup de fruits dans le pays,
et Ton en exporte dans les contrées voisines, surtout ceux à noyau. Les noyers sont
bien moins abcmdants qu'autrefois, et Ton a remarqué que depuis les années humides
de 4813 à 4847, les cerisiers produisent sensiblement moins. En 4833, on a estimé
Tenseroble du produit des vergers du canton à 800,000 ou un million de sacs ( le sac
contenant six quarterons). Un grand nombre d'arbres en donnèrent vingt à trente
quintaux.
La disposition des collines de la Thurgovie la rendait éminemment propre à la cul-
ture de la vigne ; aussi parait-elle y avoir été importée en quelques localités dès
les 8' et 9' siècles ; au 47', elle avait pris une telle extension, qu'on fut obligé, par
un règlement, de prévenir une trop grande réduction de la culture du blé. AciueJle
ment, elle occupe 6 à 7000 arpents, soit un trentième de la surface cultivable. On la
voit particulièrement le long du lac et du Rhin, dans la vallée de la Thour et dans la
partie inférieure de celle de la Mourg. On évalue le produit
moyen à 300,000 mesures {eimers), valant 4 ,200,000 francs
nouveaux ; les deux tiers sont exportés. En 4834, le produit
dépassa 400,000 mesures, et la valeur deux millions. Les
frais de culture s'élèvent à 420 ou 430 francs par arpent.
Quant à la qualité, les vins de Thurgovie sont sur la même
ligne que ceux de Zurich et de Schaffhouse ; quelque plants
ont de la réputation, tels sont ceux de Winzelnbergprësd'Ar-
bon, de Mammerlshofen, d'Eppishausen, du couvent d'ittin-
gen, etc., dont le vin, conservé en bouteilles, n'est point inférieur même aux vins de
luxe étrangers. On a fait divers essais pour améliorer soit les plants, soit la iabri-
(*ation des vins ; ils ont été encouragés par la Société d'Utilité publique. — Quant ù
l'économie alpestre, on ne la trouve que sur les hauteurs du Hœrnli. Cependant, le
LA SUISSE PlTTOnESQlJE. 437
bétail est assez nombreux dans le pays, car il faut des bêles de trait pour l'agricul-
ture; on y compte près de 3000 chevaux, 8 à 9000 boeufs, 43,000 vaches, SOOO
veaux et génisses. Enfin, sur les l)ords du lac et des rivières, la pèche occupe un
certain nombre d'individus.
Quant au commerce, il n'est pas très-actif, malgré les facilités qu'offre le voisinage
(lu Rhin et du lac; il a été longtemps borné aux vins et aux toiles de lin; l'exportation
comprend aussi maintenant des fils de coton, des indiennes, des rubans de colon et de
soie, des broderies, des papiers, des pommes de terre, des fruits secs ou frais, du
l)étail, des poissons fumés, du gypse; dans cette liste, les produits agricoles l'em-
portent en valeur sur ceux de l'industrie.
Hommes distingués. Savants, etc. — Parmi les Thurgoviens qui ont acquis de la
célébrité dans quelque branche des sciences ou des arts, nous nommerons les sui-
vants: Iso, propriétaire à Weinfelden et moine à Saint-Gall, se fit tellement remar-
quer au 9' siècle par l'étendue de ses connaissances, que le roi Rodolphe de Bourgogne
l'appela pour établir une école de savants à Grandval, et le retint auprès de lui
jusqu'à la mort prématurée qui l'enleva en 874 à l'âge de &2 ans. Il laissa divers
ouvrages ; on lui attribue l'entreprise d'une Encyclopédie de la science de son siècle.
Sdomon III, évèque de Constance, et natif de Bischofzell, fut élève d'Iso, et jouit
d'une grande influence comme homme d'Etat à la cour des rois Arnolph, Louis et
Conrad. Il a dû achever le dictionnaire encyclopédique qui porte son nom. Plus tard,
Jean de Klingenberg écrivit une Chronique suisse {Res helveiicas sui temporis ) ; elle fut
continuée par son petit-fils, qui portait le même nom, et qui périt à Nsefels. Plusieurs
autres ont laissé aussi des travaux historiques. Fr, -Jacob d^Anwyh ami de Luther, a
écrit une Chronique helvétique et une Description de la Thurgovie : Fridolin Sicher
est l'auteur d'une Chronique estimée des événements de son temps. Ulrich Hiigbald
fut professeur à Bâie, et publia divers ouvrages, dont le plus remarquable traite de
Vmgine, des mœurs et des insiiiatiom des Germains {De Germanoram prima ori-
gine, etc. ). Melchior Goldasl, de Bischofzell comme les trois précédents, a écrit sur
les AUémani ; il avait fait en Allemagne des études de droit, et fut employé comme
jurisconsulte par plusieurs princes. G. Marer a écrit l'histoire des couvents de
Fischingen, Ittingen et autres, et une Helvetia Sancia, ou biographie des saints de la
Suisse. Rod. Hanhart a écrit des Récits de l'histoire snisse d'après les chroniques;
Papikofer, une Histoire de la Thurgovie^ Stœhele, un poème sur l'apdtre Gallus.
Comme philosophes distingués, on peut citer Bibliander (Buchmann), né en 4504 h
Biscbo&elL et qui fut professeur de langues orientales à Zurich, et Dasypodins (ToU-
fuss), qui professa la langue grec^que à Strasbourg; ses dictionnaires latin-grec et
latin-allemand sont estimés.
Dans les sciences naturelles se sont fait remarquer surtout : Phil, Schetb, de
Bichobell, qui fut professeur de philosophie et de médecine à Altorf (en Allemagne) ;
il était grand partisan d'Aristote. Conrad Brnnner, de Diessenhofen, habile médecin
et anatomiste, qui professa à Heidelberg ; son fils Erhard y professa la même science ;
tous deux furent appelés auprès de plusieurs princes. Nicolas Meyer, chanoine h
Biscliofzell, fit une collection entomologique, qui fut continuée par le docteur Chris-
lophe Scherb; ce dernier est, ainsi que Melchior Aepli, l'auteur d'excellents écrits
populaires de médecine. Scherb fut conseiller d'Etat après la création du canton, et
^x-
%58 LA SnSSR PITTORESQl e.
Aepli Tut membre du Conseil d*éducjition et du Conseil de santé. — RaphaA Egli (ou
Iconius), fils d*un pasteur de Frauenfeld, fut un savant théologien; il écrivit plu-
sieurs ouvraj;es sur la prédestination, et fit réintroduire le chant dans les ^tses de
Zurich. Il professa la théologie à Marbourg. Auhorn, HofnieUter et Waser, pasteurs
en Thurgovie, se distinguèrent aussi par leur savoir ou par leur éloquence ( le pre-
mier était Grisou, les deux autres Zurioois). Joackim Seiler, abbé de Fischino^
dans le 17* siècle, possédait un grand savoir; il fit paraître des livres d'édification
|K>ur le peuple, tels que la Sainte Thurginie, ou histoire des saints qui ont vu le
jour, vétm ou prêché dans ce pays. Anlohie Lulz, abbé de Kreuzlingen dans le
1 8' siècle, était grand amateur des sciences et des lettres, et publia quelques ouvrages
Ihéologiques, ainsi que WilMm W'ilhelm, chanoine au même couvent, et ei^uile
professeur à Fribourg en Brisgau. — On peut citer comme publicisle BorfUmimn,
imsteur d*Arbon, auteur de divers écrits sur les affaires de la Suisse; il a pris une
imrt active à la reconstitution de son canton en 1830; il a aussi publié des poésies.
Mayr, d*Arbon, a publié en 1815 son Voyage à Jérusalem. Wehrli s'est hit con-
naître avantageusement par divers écrits pédagogiques, et par les services qu*il a
rendus comme directeur de Técole des |muvres à Hofwyl, puis du séminaire de
Kreuzlingen.
La poésie fut cultivée au li' et au 13' siècle par plusieurs gentilshomooes thur-
goviens. Nous en avons déjà nommé quelques-uns ci-dessus. Le grand et beau poème
iMiicelol du Uw, dû à Vlrich de Zazikofen, est un des monuments les plus anciens (Il 9i )
et les plus remarquables de la littérature allemande. Les seigneurs de Zazikofen
étaient vassaux des comtes de Toggenbourg. Les ruines de leur château sont situées
prèsdeWildenrain, au-dessus de Zezikon. Henri de Klitigenberg, évéque de Constance,
doit avoir travaillé à une collection des chants des troubadours allemands, et .en
avoir composé lui-même plusieurs; il jouit d'une grande influence comme homme
d'Etat à la cour impériale, et écrivit une histoire des comtes de Habsbourg que Ton
conserve en manuscrit à Vienne. Cmradd'Amfnenhaiisen, prêtre à Stein au Ik" siècle,
écrivit un long poëme allégorique sur le jeu d'échecs en vers allemands, où Ton
trouve une foule d'anecdotes et de détails sur les mœurs du temps. Le baron de
iMsxberg a publié, il y a trente ans, une collection d'anciens poèmes allemands {Lieder-
saal, salle des chants), une édition de celui des Niebelungen, d'après un manuscrit
qu'il possédait, etc. Parmi les Thurgoviens qui se sont voués à la culture des beaux-
arts, nous nommerons /.-G. Mœrikofer, de Frauenfeld, qui fut un très-habile
médailleur; la plus remarquable de ses œuvres représente l'impératrice Catherine.
/.-//. Boltshaii^r, d'Ottenberg, fut médailleur de la cour à Mannheim; on lui doit,
entre autres, d'excellentes médailles qui reproduisent les traits d'un grand nombre
de savants de la Suisse. Nommons encore Dûringer, peintre d'animaux ; Branschwyler
et Ou, peintres de portraits; Labhard et Rmich, peintres de paysages ; Lœhrer, peintre
d'histoire.
Moeurs, Coutumes, Caractère. — LeThurgovien est laborieux, industrieux, habile
à calculer dans les affaires d'intérêt; il aime la propreté et l'ordre dans ses habita-
tions ; il est serviable, compatissant, prêt à faire des sacrifices, soit par bonté de
(^ractère, soit peut-être aussi par une sorte de vanité. Dans les questions religieuses,
Tintelligence domine en général chez lui sur le sentiment, et il se préoccupe peu des
LA SUISSE PITTORESQUE. 459
notions qui ne sont pas pratiques. En politique, de même qu'en religion, il défend
opini&trement ses droits et ses opinions, mais il ne se porte pas à des violences contre
ses adversaires. Ainsi que ses voisins d'Àppenzell, il a une grande disposition pour le
chant. — Parmi les usages du pays, nous signalerons les suivants : Le premier mai,
les jeunes gens élèvent quelquefois, pour fêter le printemps, un arbre de maij qu'ils
décorent de guirlandes que leur préparent les jeunes filles. Le dernier dimanche du
carême est une occasion de réjouissance chez les protestants, et le premier dimanche
chez les catholiques. Dans la campagne, la Saint-Nicolas est un jour de fête pour les
enfants, quelquefois aussi pour les grandes personnes. Quand les moissonneurs et
les batteurs de blé ont terminé leurs travaux, les propriétaires des fermes leur
donnent un banquet, suivi parfois d'un bal champêtre ; c'est ce qu'on appelle la
Sichellegi et la Pflegelhenki (la pose des faux et la suspension des fléaux). Dans
la vallée de la Thour et la Haute-Thurgovie, on suit souvent d'anciens usages
pour la célébration des noces. Un orateur est chargé d'aller inviter les convives ;
c'est ordinairement le maître d'école qui remplit ce message ; le matin de la noce,
l'époux, accompagné de son ami, se rend dans la maison de sa fiancée, où on lui
sert à déjeûner ; ensuite l'orateur prend la parole et demande au père de la fiancée
de remettre celle-ci à l'époux, dont il fait valoir toutes les qualités. Le père, ou un
orateur chargé de porter pour lui la parole, soulève des difficultés, et fait l'éloge de
l'épouse, indispensable dans la maison paternelle ; alors on parlemente, et enfin le
départ de la fiancée a lieu, au milieu des larmes, des vœux et des remerciements, et
le cortège, violon en tête, prend le chemin de l'église. On observe aussi quelques
coutumes singulières pendant le repas; ainsi, la nouvelle mariée ne peut manger
que ce que le garçon de noce glisse secrètement sur son assiette ; elle doit même le
faire en cachette, etc.
Frauenpeld. — Cette petite ville, chef-lieu du canton, comptait en 1880
5444 habitants, dont 600 catholiques. Elle est située au milieu d'une plaine arrosée
par la Mourg, dont le cours est utilisé pour un grand nombre de manufactures. Ses
maisons sont bien bâties, et ses rues larges et droites. La Diète helvétique s'est sou-
vent réunie dans son hôtel-de-ville. Elle possède deux églises, une protestante et
une catholique; une prison, un arsenal, une école secondaire et des classes supé-
rieures. Son vaste château, qui s'élève sur un rocher, produit un effet imposant; s^i
tour est construite en gros blocs non taillés; il doit dater au moins du KK^ siècle, et
fut bâti par un parent ou un vassal des comtes de Kybourg ; il servit plus tard de
résidence aux baillis suisses. Frauenfeld porta le titre de ville dès la fin du iS** siècle ;
il doit avoir appartenu d'abord à l'abbaye de Reichenau, mais il était en même
temps soumis aux comtes de Kybourg, et ensuite à la maison d'Autriche, qui lui
accorda quelques privilèges. Une grande partie de la ville fut incendiée en 1771 cl
1788. Du côté du sud est un couvent de capucins, dans le voisinage duquel eut lieu,
le 25 mai 1799, un combat entre les Autrichiens et les Français commandés par
Oudinot. Les Suisses auxiliaires s'y conduisirent bravement; le général soleurois
Weber, qui les commandait, fut tué; on lui a élevé un monument sur la place
même où il tomba; il est à quelques pas de la route de Saint-Gall, sur la droite. Le
chemin de fer de Winterthour à Romanshorn, au bord du lac de Constance, passe
près de Frauenfeld et par la vallée de la Thour; il a été terminé en avril 1855.
/
HhO LA siissK prrrmioQi K.
Wi:isFEi.peN est un gnis biHir^; qui œmplc i256 babilants, dont 90 calholique>.
Il est à peu pn-s au crnlre du canton, et séparé de la Thour par des champs fertiles :
il (*st dftminé du cAlé du n<»rd |iar des vif^nobles qui s élèvent coolre la pente du
miMit OttenheiT!. et qui donnent un vin estimé. Cette montagne, ainsi que le châ-
teau situé vers le milieu de la |iente, présentent un heau panorama. Cest à Wetn-
Tolden que S(' réunirent en 1798 les délégués des communes chargés de préparer
rémam*ipation du pays. Celte ville avait espéré devenir le cfaef4ieu du canton. Elle
a seulement obtenu d*étre le siège d'une des sessions du Grand Conseil.
Bis(.HorzeLL. — En remontant la vallée de la Thour, on arrive à Bisciioliell, petit«*
ville hàtie sur une colline, à la jonction de cette rivière avec la Sittem; elle compte
i500 habitants, dont un tiers catholique. On y remarque ThAtel-de-ville et un vieux
chAteau, qui Tut une résidence des baillis. Bischofzell doit avoir été bàtîe au com-
mencement du 10* siècle par Tévéque Salomon III, qui y chercha un refuge contn*
k*s invasions des Huns. 1^ tour du château date prohablemenl de cette époque. On
(Kisse la Thour sur un pont fondé dans le moyen-Age par une dame noble dont les
deux fils s*étaient noyés en voulant traverser la rivière. Au sud de la ville, près de
la frontière saint-galloise, est le heau village de Hauptwyl, qui possède diverses
rabriques.
AfiBON. — Cette petite ville est située dans une contrée riche en vignes et ver-
gers : elle compte moins d*un millier d'habitants ( un tiers d'entre eux sont catho-
liques ) ; mais elle renferme de vastes jardins dans Tintérieur de ses murailles. Lies
flots du lac ont envahi peu à peu une grande étendue de terrain; pendant les basses
eaux, on voit A cent pas du rivage une ligne de pierres qui formait jadis une digue ;
le lac est peu profond, et en toute saison Tabord n'est pas facile pour les bateaux
chargés. Nous avons mentionné les fabriques de rubans qui existent à Arbon«La
vieille tour du château rappelle par sa construction singulière l'architecture méro-
vingienne; nuiis le château lui-même fut bâti dans le commencement du 16** siècle
|Kir révéque Hugo de l^ndenberg. De son jardin l'on jouit d'une belle vue sur k
lac Supérieur et sur les montagnes d'Appeozell et du Vorarlberg. La ville appartint
jadis à des barons d'Arbon; après leur extinction, elle passa aux seigneurs de
Kemoat, amis du prince Conradin, qui y fit un séjour et accorda des privilèges à
la ville, en 1266. Quelques années après, ces seigneurs vendirent Arbon, avec le
ciiàteau et l'église, à levéque de Constance, pour 2900 marcs d'ai^geot, sous réserve
dos franchises de la ville. Pendant les guerres des Appenzellois, elle fut une de^
places d'armes de l'Autriche. On montre une pierre qui, le 15 mars 169S, fui jetée
hors du lac par la force des glaces jusqu'à vingt-cinq pas du rivage ; cet hiver-là,
toute la surface du lac était gelée*.
RoMANSHORN OU RoMisHORN. — Cc village occupe l'extrémité d'un petit promon-
toire situé à peu prés à égale distance de Constance et de l'embouchure du Rhin.
On suppose que les Romains ont eu une station en ce lieu dès le 2* siècle, et on leur
I. On sait qu'un Troid de 13 degrés un peu prolongé suflil, le long des côtes, pour y former
une glace épaisse de trois pieds, et que les glaces brisées, entraînées par on léger eoarani,
lorsqu'elles rencontrent un promontoire, se soulèvent contre la côte et y forment de peUtes
rollines; c'est ce qui arrive tous les ans sur quelques points des Belts et du Sand à Tépoque
de la débâcle des glaces de la Baltique. On sait aussi quelle e%i la force désastreuse des glacer
amoncelées par les rivières et arrêtées par des glaces non encore rompues.
LA SUISSE PlTTOnESQUE. ft/H
attribue la construction de murailles, dont on voit quelques restes. La contrée voi-
sine doit avoir été cultivée de bonne heure. En 779, l'église fut donnée à Tabbaye
(le Sainl-Gall par une fille du comte Waltram; et Tabbaye posséda le village et ses
alentours pendant plus de mille ans ; elle le donnait comme fief à des gentilshommes.
Romanshorn a un bon embarcadère sur le lac; la voie ferrée qui vient maintenant
y aboutir, fera acquérir à ce lieu une plus grande importance.
Constance. — En continuant à suivre les bords du lac, on passe aux grands vil-
lages de Kesswyl et de Gûttingen, et près des couvents de Mûnsterlingen et de
Kreuziingen. C'est près de ce dernier, et ù Tendroit où le Rhin sort du lac Supérieur,
qu'est la célèbre ville de Constance, qui a joué jadis, ainsi que ses évoques, un si
grand rôle dans l'histoire de la contrée. Elle fut fondée en 297 par Constantin
Chlore, sur l'emplacement d'une forteresse nommée Yaleria, que les Allémani
avaient détruite. Son évéché, fondé en 630, a compté une série de 87 évéqucs.
Durant le moyen-âge. Constance eut le rang de ville impériale, et acquit un haut
degré de prospérité; sa population, réduite aujourd'hui à 5 ou 6000 habitants,
s'éleva jusqu'à 40,000. Le fameux Concile qui s'y tint de \klk à 1418, y attira
une immense affluence d'étrangers. Au commencement du 16'' siècle, elle demanda,
mais en vain, d'être admise dans la Confédération. La Réformalion y fit des progrès
si rapides, que l'évéque et plusieurs chanoines durent se retirer; mais plus tard le
culte catholique y fut rétabli, et Constance se vit contrainte en 1559 de se sou-
mettre à l'Autriche. L'évéché perdit ses possessions en 1802, et trois ans plus tard
la ville fut réunie au grand-duché de Bade par le traité de Presbourg. La cathédrale
a été bàlie en 1048, mais le chœur et d'autres parties ont été reconstruites au
i7i^ siècle; on y voit des sculptures intéressantes. On montre dans le bâtiment
d<àla douane, cx)nstruit en 1588, la salle où se réunit le Concile. On y voit les
trônes du pape Martin et de l'empereur Sigismond, la cassette dorée qui servit en
1417 au scrutin pour l'élection du pape Martin V, le missel et la crosse de ce pape,
et diverses autres reliques d'une origine suspecte. On montre encore la maison où
Jean Huss fut arrêté (c'est la deuxième à droite après le Schnetzthor). Son bûcher
fut élevé devant la porte occidentale, au sud de la route de Zurich. Sur le même
emplacement fut brûlé, l'année suivante, Jérôme de Prague. — A une lieue et demie
de Constance, dans le golfe d'Ueberlingen, est située la petite île de Meinau, autre-
rois le siège d'une commanderie de l'ordre teutonique. Cette lie, qui n'a qu'une
demi-lieue de tour, est jointe à la terre ferme par un pont de chevalets long de
650 pas. Elle s'élève en terrasse, et offre une magnifique vue; aussi l'a-t-on sur-
nommée l'Isola Bella du lac de Constance.
GoTTUEBEN, Arenenberg. — Près de l'endroit où le Rhin entre dans le lac Infé-
rieur, se trouve le village de Gottlieben, avec un ancien château, qui date, dit-on,
du 10* siècle, et dans lequel Jean Huss, Jérôme de Prague et le pape Jean XXII
furent détenus par ordre du Concile. C'est à une lieue plus à l'ouest que sont le châ-
teau et le parc A' Arenenberg, qui ont appartenu à la comtesse de Saint-Leu ( Hor-
tense Beauharnais), ex-reine de Hollande, puis ù son fils, le prince Louis-Napoléon,
maintenant empereur des Français. Le prince y habitait en 1836, quand il partit
pour Strasbourg. Il y séjourna à son retour d'Amérique en 1838, quand la Suisse,
menacée par la France à son occasion, dut mettre des troupes sur pied. Ce châ-
11.98 56
442 LA SL'ISSE PITTORKSOtE.
leau, d'assez modesle a|)|>areiiec, a élé vendu en 4843 à un Neuchâlelois, pour
i ,700,000 francs, avec loules ses dépendances, ses collections, et de nombreuses
reliques du temps de Tempire. Les journaux ont annoncé (en avril 1855) que
rim|)ératrice Tavait racheté pour en faire cadeau à son époux; on y a travaillé I éle
suivant à divers agrandissements. — Une série d'aulreseliàleauv
s'élève sur les hauteurs voisines: celui du Hard, celui de Wulf^-
Ikerg ou Wolfstein (Pierre du Loup), qui, ainsi que les ruines pill^
resques du château de Siilemlein, a appartenu au colonel français
Farquin, ami du prince Louis-Napoléon ; celui AEugrfisbtf^, qui
fut construit par le vice-roi d'Italie, Eugène Beauhamais.
IloHKNRAiN, ReirjiENAU. — Lcs châtcaux susmentionnés jouissent, du côté du nord,
de vues ravissantes, mais ils sont tous dominés par la hauteur de Hohenrain, lept»inl
culminant de la chaîne de collines qui borde le lac. Ce point commande un panorama
très-étendu * . Du côté de Touesl seulement, la vue se trouve bornée par la sommité Je
Hombourg, distante d'une demi-lieue ; mais, vers le nord-ouest, l'œil distingue au-
delà du lac les collines volcaniques du Hégau ; au milieu du lac Inférieur, la belk'
île de Reichenau avec sa célèbre abbaye ; en se tournant vers le nord-est et vers
l'est, on aperçoit les villes de Constance et de Mœrsbourg, puis la vaste étendue
du lac Supérieur, les tours lointaines de Lindau, les montagnes de Bregenz; par-
dessus les cimes appenzelloisesdu Gœbris et du Kamor, on voit s'élever les sommeLs
glacés du Montafoun et des Grisons; mais la chaîne du Sœntis et les Kuhfirslen
interceptent la vue d'un grand nombre de sommités grisonnes, ou n'en laissent
apercevoir que les plus hautes cimes. Vers le sud et le sud-ouest, reparait dans loule
sa splendeur la ligne des Alpes de Claris, Uri, Unterwald et de l'Oberland bernois,
jusqu'au Stockhorn. Dans un rayon plus raccourci, on voit devant soi la plupart (te
collines du canton, l'Ottenberg, le Cabris, etc. Ce panorama du Hohenrain est sans
contredit un des plus beaux qu'on puisse trouver en Suisse. — Ajoutons quelques
mois au sujet de l'île badoise de Reichenau. Cette île, longue de cinq quarts de
lieue, sur une largeur de demi-lieue, renferme deux villages et un cloître de béné-
dictins, qui fut sécularisé en 1799, et dont la fondation remontait à l'an 724. Celte
abbaye atteignit un haut degré de splendeur et de puissance. L'église, qui fut consa-
"^^ , |r crée en 806, contient plusieurs anciens monuments, entre autres
.r JlflHHiy> '^ tombeau de Charles-le-Gros, arrière-petit-fils de Charlemagne,
détrôné en 887, et qui se relira dans l'abbaye, où il mourut en
^ 888. On voit aussi dans l'île les ruines du château de Schœpflen.
u^^; Elle est entièrement couverte de vignes, qui produisent un vin
yf^ très-renommé. Près de la croix plantée sur la colline la plus éle-
vée de l'île, on découvre une vue magnifique.
Steckborn, Eschenz. — Sur les bords du golfe étroit qui s'étend jusque près de
Stein, est située la ville de Steckborn, peuplée de 2292 habitants, dont 823 catho-
liques; elle est bâtie sur une petite langue de terre élevée, entourée de murs, et ses
1. Une Jiociélé d'actionnaires y avait fait bâlir, en 1830, une tour en bois, donl le behédere
dominait les forêts voisines et permettait de découvrir plus facilement tout le circuit de thon
zon. Les frais de garde et d'entreUen dépassant le produit de la recette, cette tour a été abattue
en juillet 1855.
LA SUISSE PirrORESQUE. 443
alentours sont couverts de vignobles. Elle a un vaste hôtel-de-ville, une maison de
pauvres, une église mixte bâtie en 1766, deux écoles élémentaires et une école
secondaire. Ses habitants s'occupent de la navigation, de la pèche, de la culture de la
vigne et du chanvre; quelques-uns se vouent aussi à des travaux industriels; les
femmes y font des dentelles {Spitzenklœppeln). Elle a dû exister dès le 8® ou 9® siècle,
et appartenait à Tabbaye de Reichenau. La ville embrassa la Réforme en 1528. Un
contrat de 1644 porte que le rideau qui cache le chœur pendant le culte réformé
ne devra jamais être remplacé; pour se conformer à cette clause, on répare le
rideau pièce par pièce, sans jamais en faire un neuf. — Vers l'extrémité du golfe,
et à peu près vis-à-vis de Slein, est le grand village i'Eschenz, dans une plaine
fertile en blé ; au-dessus du village, dans la gorge de Steinach, est établie une pape-
terie remarquable. Eschenz appartenait dans le 10"" siècle au couvent d'Einsiedeln.
On y a trouvé souvent des monnaies romaines, et Ton y voit encore les restes d'un
pont construit par les Romains, et qui la joignait à la petite île de Werd et à la rive
droite du fleuve. On voit dans Tile un hameau et une ancienne chapelle où fut
enseveli l'abbé saint-gallois Othmar, qui mourut en ce lieu en 7S9, après dix ans
de captivité. Plus tard, les moines de Saint-Gall ayant reconnu son innocence par
quelques signes miraculeux, transportèrent ses restes à Saint-Gall et les y expo-
sèrent à l'adoration. La chapelle fut jadis un lieu de pèlerinage.
DiEssENHOFEN. — Ccttc villc comptc 1616 habitants, dont 382 catholiques; elle
est construite en partie sur un plateau élevé de 60 pieds au-dessus du Rhin, et
s'étend aussi jusqu'au bord du fleuve; vue du côté du nord, elle ofiTre un aspect
pittoresque. Elle fut fondée en 1178 par le comte Hartmann de Kybourg. En 141 S
elle se racheta, sous l'empereur Sigismond, de tous droits de souveraineté, et devint
ville libre impériale; mais elle dut se soumettre en 1442 à la maison d'Autriche.
En 1460 elle fut conquise par les Confédérés; dès-lors jusqu'en 1798, elle forma
une petite république, sous la protection des huit anciens cantons et de Schafl'house.
Son église sert aux deux cultes; elle a une école secondaire; elle est commerçante
et industrielle, et il s'y tient huit foires par année, surtout pour le bétail. Près de
la ville est le couvent de femmes de Val Sainte-Catherine, dont les religieuses, faute
de prêtres, choisirent l'une d'entre elles pour faire l'office de prédicateur dans l'église,
à l'époque de la révolution. Le 1" mai 1800, l'armée française, commandée par
Moreau, Ijecourbe et Yandamme, passa le Rhin à Diessenhofen, ce qui eut pour
suite la prise de la forteresse de Hohentwiel, et la victoire de Hohenlinden, où s'il-
lustra Moreau.
- n^*?*:»^:^ HH P^^^^i»**"--
^^^^
CANTON DU TESSIN.
« ooo^ -fr^poo •
Sm ATioN, Etkndi E, Climat, elc. — Le canton du Tessin est borné au noixl par
le canton d*Uri et celui des Grisons; h Test, par les Grisons et par la Lombardi»^
(province de (]Ame); au sud, |)ar la môme provincx;, qui Fentoure aussi en parlii*
du crtlé de Touesl ; le reste de ses confins est formé par le Piémont et le Vallais. La
plus grande largeur du CKintcm est de 1^ à 13 lieues; sa plus grande longueur,
comptée de Chiasso au col du Saint Gothard, est de 22 lieues; mais la route qui
réunit ces deux points décrit une ligne d'environ 27 lieues. La superficie du canton
(*st de 127, G lieues carrées, et sa population élait en 1850 de 417,759 âmes, soil
923 âmes par lieue carrée. Le Tessin est le cinquième canton en étendue ; il ne le
cède qu'aux cantons des Grisons, de Berne, Vallais et Vaud ; il n'est toutefois que
le s(^pticme en population ; Grisons et Vallais, sous ce rapport, lui sont inférieurs,
mais il cède le pas à ceux de Zurich, Argovie, Saint-Gall et Lucerne, dont l'étendue
est moins considérable. Bien que située sur le versant sud des Alpes, la partie
septentrionale du canton, comprise entre de hautes montagnes couvertes de glaces
et de neiges, a un climat assez rude, semblable à celui des vallées voisines apparte-
tenant aux cantons des Grisons et du Vallais. Quant à la partie méridionale, quoique
aussi très- montagneuse, elle jouit du climat le plus tempéré de la Suisse ; les figuiers,
les amandiers, les grenadiei^s, les câpriers, etc., y croissent en pleine terre dans le:^
vallées; les orangers et les citronniers réussissent aussi dans les jardins. En hiver
et au printemps, le Favonio ou Fœhn, vent du sud-ouest, amène des chaleurs pré-
coces; quelquefois l'on voit les amandiers fleurir à Lugano au milieu de février.
Mais, vu le voisinage de montagnes élevées, cette partie méridionale n'est point ^
l'abri de froids assez vifs, et les orages d'été, qui sont fréquents, y causent souvent
un refroidissement notable de la température. Le pays est en général salubre; les
plaines qui bordent le Tessin, entre Bellinzone et le lac Majeur, font seules exception.
LA SUISSE PirroRmsQUE. 44 s
Montagnes, Glaciers. — La principale chaîne des Alpes sert de limite au canton
sur une longueur d'environ 18 lieues, du glacier de Gries au Moschelhorn. On y trouve
le Pizzo Gallina, 9420, à la frontière du Vallais; le Luzendro, 9720; le FHsciora,
9494 ou 9898, et autres sommités du Saint-Gothard (voyez canton d*Uri, au sujet
I des pics et du passage du Saint-Gothard) ; — au groupe du Lukmanicr, la sommité du
Scopi, 9850; plus loin, le pic Kumadra; le pic Kanwiia, 9640; le Piz Valrhein,
\ 10,280; le Moschelhorn ou Piz d'Uccello, 9611 (voyez, au canton des Grisons, la
*■■ mention des cols de Cassino del TUomo, du Lukmanicr, de la Greina, de Monterasca
j et de Plattenberg). Plusieurs glaciers descendent sur le revers méridional de la
chaîne, surtout au Saint-Gothard et près du Moschelhorn. Du point où le territoire
tessinois confine à la fois avec le Yallais et le Piémont, se détachent deux grandes
ramifications, dont Tune se dirige vers le sud, et sépare le canton du territoire
piémontais; puis, après avoir décrit un coude dans l'intérieur de ce territoire, vient
se terminer à une lieue au nord de Locarno ; l'autre, avec une direction au sud-
est, suit la rive droite du Tessin et vient aboutir à l'extrémité du lac Majeur. A son
origine, s'élève le Nufenenstock, 8820, et le Grieshorn, 9007, qui dominent des
glaciers; plus à l'est, les deux pics Cavergno, 9608-10,085, d'où descend aussi un
grand glacier ; puis le Poticione di Vespero, au-dessus d'Airolo, 8354 ; le Pizzo Massarij
8502; le Campolungo^ 8250; la CAnuidMePeccoi^e, 7945, etc. Quelques chaînons plus
courts s'appuient à cette chaîne du côté de l'ouest, et enferment plusieurs vallées :
le val Lavizzara, le val Verzasca, etc. Du Lukmanicr court vers le sud une ramifi-
cation qui sépare le val Blegno de la Léventine ou vallée du Tessin, et se termine
à leur jonction ; on y trouve le mont PioUino ou Platiferj 7705 ; une autre, partant
du Moschelhorn, sépare le val Blegno du val grison de Calanca; elle porte le pic
Molajo, 7969, et le Poncione di CAaro, 8373. Près d'Ascona, à l'ouest de Locarno,
commence une chaîne qui atteint à la frontière la hauteur de 6725, au mont Limi-
dario ou Gridone. Du col San-Jorio, 6210, point de contact des Grisons, du Tessin et
de la Lorabardie, partent trois ramifications, dont l'une se termine devant Bellinzone ;
une autre, celle du Monte Génère, n'atteint au col de ce nom que la hauteur de
1720 pieds, mais se relève au Taniaro, 6037, et au Sasso di Pino, 3697, à l'est du
lac Majeur; la troisième porte le Camoyhé, 8740, et s'approche de Lugano sous le
nom de mont Bré ou Gottardo, 2908. La presqu'île qu'entoure le lac de Lugano porte
le pic Stf?i-Sa/t'afore, 2797, et le mont Arbostora, Enfin, le district dcMendrisio est
borné à l'est par une chaîne dont les points culminants sont le Caprino, 4048, en
face de Lugano; le Monte Generoso, 5199, et X^Bishino, 4063.
Vallées et Rivières. — La principale rivière du canton est le Ticino ou Tessin,
dont les sources sont à la frontière du Yallais et sur le Saint-Gothard, et qui arrose
une longue vallée portant successivement les noms de val Bedretto, val Leventina et
val Riviera. Il devient navigable au-dessous de Bodio, mais seulement dans le temps
des hautes eaux, vu la grande largeur et le peu de profondeur de son lit. 11 se jette
dans le lac Majeur près Magadino. Ses plus gros affluents sont : le Blegno, qui arrose
le val de même nom, et qui a ses sources au Lukmanicr et sur les montagnes voi-
sines; il se réunit au Tessin entre Poleggio et Biasca; et la Mœsa, qui descend du
Saint-Bernardin, et, après avoir arrosé le val Misocco, termine son cours sur le terri-
toire tessinois au-dessus de Bellinzone. Beaucoup d'autres torrents grossissent aussi
446 LA stisse piTTonesQrR.
le Tossin ; Iris juml, sur la rive droite, la Piumegna, qui descend des alpes de Campiv
lungo, el rail une cîascade vis-à-vis de Faido ; le Ticinetto, qui descend du valkt
latéral de (^hironico ; sur la rive gauche, la Rogtjera, qui forme des cascades non loin
d'Osogna, et la Morohbia, qui arrose le val de même nom el descend du San-Jorio. La
rivière la plus considérable après le Tessin est la \î(iggia, qui se jellc dans le lac
Majeur entre Ascona et Locarno ; elle descend des vais Maggia el Lavizzara, et reçoit
comme aflluents la Ronma, qui ap|M)rte les eaux du val Cavergna el du val Camp),
et la Melezza, qui a ses sourcil sur le territoire sarde el se grossit des eaux du val
Ontovalli et du val Onsernone. Entre la Maggia el le Tessin, le lac Majeur reçoit
encore les eaux de la Yerziisva, qui sort de la sauvage vallée à laquelle elle donne son
nom. — Toutes ces rivières grossissent quelquefois au moment de la fonte des neiges
ou après de grandes pluies, au i)oint d'occasionner d'immenses désastres le long de
leurs rives : tel fut le cas en septembre 1829 el les 26 el 27 août 1834. Une grande
quantité de récolt<*s furent couvertes de sables et de cailloux^ des roules furcnl
em|)orlées, des ponis détruits ou endommagés, etc. La Lévenline seule perdit, en
1834, six |K)nls de pierre.
L'înondalion du Tessin en \%Zi-
Au sud du Monte Cencre coule le Bedcfifiio ou Agno, qui a ses sources au Cannighô
el arrose les vais Isone et Agno. il se jette dans le lac de Lugano, au golfe d'Agno. Le
Cassnrate amène au même lac les eaux des vais Colla el Capriasca, qui aboutissent à
la pente sud du Camoghé. Le Laceggio, qui a sa source au sud de Slabbio, coule à
Mendrisio, et arrive au lac sous le nom de Fhune di Riva. La Tresa est une rivière
considérable, qui emporte au lac Majeur le superflu du lac de Lugano; elle fait h
limite du Tessin et de la Lombardie sur une longueur de deux lieues. Elle pourrait
être rendue navigable ou canalisée, ce qui aurait Tavantage de faire communiquer le
lac Lugano el le lac Majeur. Nommons enfin la Breggia, qui descend du Monte
Gemeroso, et va se jeter dans le lac de Côme.
Lacs et Cascades. — La partie septentrionale du lac Majeur apparlient au canton,
(x lac portail autrefois le nom de Verbano, qu'il devait à la grande quantité de ver-
veine, cerbem, qui croît sur ses bords. Sa superficie est de 28 lieues carrées, elson
LA SUISSE PITTORESQUE. 447
élévation de 640 pieds. Sa profondeur est en général de 6 à 900 pieds (on prétend
même qu'elle est de 800 mètres (V ) entre le rocher de Sainte-Catherine sur la rive
orientale, et celui de Farré sur la rive occidentale ; elle n'est que d'environ 200 pieds
entre Locarno et Magadino. Ca lac (mi alimenté par la presque totalité des eaux du
canton, et par la Toccia, rivière piémontaise. La navigation y est très-considérable
et généralement sûre, parce que les côtes sont presque partout facilement abor-
dables. Plusieurs bateaux à vapeur le sillonnent. Ses rives escarpées et sauvages
sur quelques points offrent une foule de tableaux riants ; elles sont animées par un
grand nombre de bourgs et de villages. Deux îlots, situés non loin d'Ascona, portent
le nom d'Iles des Lapins {dei Conifili). A l'entrée d'un golfe qui s'ouvre sur la rive
|)iémonlaise, se trouvent les célèbres îles Borromées, qu'à l'envi la nature et l'art se
sont plu à embellir.
La plus grande partie du lac de Lugano appartient au canton du Tessin, et le
reste à la Lombardie. Ce lac, de figure très-irrégulière, forme plusieurs golfes pro-
fonds; il est riche en points de vue pittoresques. De Porlezza à Ponte-Tresa, il a une
longueur de neuf lieues; sa profondeur est de ft à 500 pieds, et sa hauteur de
874 pieds. Il a sa plus grande largeur en face de Lugano, où elle est d'environ une
lieue. Les eaux que les torrents lui amènent ne paraissent pas suffisantes pour
fournir celles de la Tresa, par laquelle il se décharge ; il paraît qu'il en reçoit une
certaine quantité par des canaux souterrains; on assure qu'en mesurant la profon-
deur, on a senti des courants qui devaient sortir de pareils canaux. Il paraît que
Grégoire de Tours, qui vivait au 6* siècle, est le premier auteur qui le mentionne
sous le nom de Ceresius; de là le nom de Cerenio qu'on lui donne souvent encore. La
navigation est moins active que sur le lac Majeur, qui a l'avantage de communiquer
par le Tessin avec le Pô et la mer Adriatique ; elle n'est cependant pas dangereuse,
la côte offrant un grand nombre de places d'abordage. Les communications entre le
district de Mendrisio et de Lugano sont maintenant facilitées par la digue, longue de
2510 pieds et large de 24, qui a été jetée entre le promontoire de Melide et Bissone.
Elle se termine aux deux extrémités par des ponts; elle a été achevée en 1848, et
a coûté 650,000 francs.
Le canton possède en outre quelques petits lacs, tels que le lac Muzzano, entre
Lugano et Agno; le lac Origlio, à trois lieues au nord de Lugano; les deux lacs du
val Piora, entre Airolo et Santa-Maria sur le Luk manier ; les lacs du Saint-Gothard,
au nord de l'hospice, dont l'un, celui de Luzendro, donne naissance à la Reuss, et
les autres au Tessin ; le lac Chironko, sur l'alpe Laghetto ; le lac de Tramorcio, de
trois quarts d'heure de circonférence, au-dessus de Fiesso ; ceux où la Maggia prend
ses sources, au fond du val Lavizzara, etc.
Parmi les cascades les plus remarquables du canton, on peut citer celles que forme
le Tessin au-dessus de Giornico; celles de la Barolgia et de la Cremosina, non loin du
même village; celle de la Piumegna, près Faido ; celles de la Roggera, près Osogno ;
celles de San-Remo et de la Richiusa, dans le val Centovalli; celle de Melano, etc.
Sources minérales. — On trouve dans le Tessin des sources tièdes et des sources
froides. Au nombre des premières est VAcqua Rossa, dans le val Blegno, avec un
|)etit établissement pour les baigneurs; c^tte source est ferrugineuse et acidulée;
son eau est employée pour des bains ou prise intérieurement. Près de Stabbio, il
448 LA SUISSE PITTORESQUE.
existe une source sulfureuse qu*on ulilisi* pour guérir les maladies de la penuelKs
maladies des artieulalions. Quant aux sources froides, la principale est celle de là
Navef^ia, à une lieue de Locarno, prt^s de la route de Bellinzone; elle est acidulé, et
a les mt^ines verlus que la source du Ssiinl-Bemardin, avec l'avantage d'être dans un
climat plus doux. Il jaillit de |)etites sourcil sulfureuses entre Magadino et Vira, et
près de Brissîigo, et une source ferrugineuse sur Talpe de Prato, dans le val Ma^a. Il
y a encore d'autres sources près d'Airolo, près d*Osasco dans le val Bedrello, près
d'Olivone, etc.
IIisToiRR NATinEiXE. — Rèijne animal. De môme que dans les cantons voisins,
Vallais et Grisons, les lou|>s et les ours ne sont pas rares dans le Tessin ; on y Irouve
aussi des renards, des martres, des blaireaux, des lièvres blancs, des écureuils, des
loutres, des chamois et des marmottes. — On y voit des aigles, des vautours, diverses
espcH*es de faucons ; on y chasse des perdrix, des gelinottes, des bécasses, des faisans,
des cailles, des grives, dcîs merles, des pies, etc. Les eaux du canton sont Irrs-pois*
sonneuses; la truite abonde dans les deux grands lacs, et remonte dans les rivières
qui s'y déchargent ; l'anguille se trouve en grand nombre dans la Tresa et dans le
golfe d'où elle sort. Nommons en outre l'alose, l'aunée, le brème, le brochet, la
|)erche, l'ombre, la tanche, etc. On trouve dans les expositions chaudes des aspics
et des vipfM'cs; celles-ci sont venimeuses; on cite particulièrement les e^ivirons de
Morcote et de Castagnola comme infest<^ de ces reptiles. On vend une assez grande
quantité d'escargots comme nourriture maigre. Les cigales se font entendre dans les
vallées basses durant les heures chaudes de la journée. On voit aussi des scorpions,
qui passent |K>ur venimeux.
lièfine mjftaL Le l)otaniste jx^ul faire dans le canton une abondante récolte. Le
Sainl-Gothard, exjwsé tour h tour h des froids intenses, aux vents tièdes d*Italie et
à l'air humide de la Suisse, offre un singulier mélange de plantes grasses et de
plantes de Suède et de Laponie. On y trouve un grand nombre de plantes rares; le
Monte Gencroso n'est jkis moins riche; il en est de môme du val Maggia, du San-
Salvalorc et des environs de Lugano. Des cultures très-variées réussissent dans le
canton ; on peut le diviser, sous le rapi)ort de la végétation, en cinq zones, un peu dif-
férentes de celles qu'on observe dans le reste de la Suisse. La première est la r^on de
la vigne et des doubles moissons; elle s'élèvejusqu'à 2000 pieds au moins; on y Irouve
le grenadier, le laurier, le figuier, le pécher. L'olivier, l'oranger, le limon et le citron-
nier prosj)èrent dans quelques localités les plus favorables au bord des lacs Majeur et
de Lugano. Vient ensuite la région des châtaigniers, qui s'élève jusqu'à 3000 pieds.
Cet arbre croît encore plus haut, au sud du Monte Cenere. Les hêtres et beaucoup
d'autres arbres croissent dans cette zone ; les pruniers, les poiriers, les pommiers et les
mûriers blancs ne la dépassent guère. Les sommets du San-Salvatore et du mont Bré
y sont compris, ainsi qu'Olivone, Ghirone, Dazio-Grande, etc. La troisième est la
région des sapins, qui s'étend de la hauteur de 3000 à celle de 5000 pieds ; le ceri-
sier et le prunier y croissent encore dans les parties les plus basses. Airolo, Fusio,
dans le val Lavizzara, se trouvent dans cette zone, ainsi que les sommets des monts
Caprino, et ceux des monts Broglio, 4714, et Lucio, 4790, voisins de Lugano. Li
région suivante est celle des alpages, qui s'étend de KOOO à 6500 pieds, et qui
comprend en particulier les pâturages du Saint-Gothard, du val Piora, et quelques
LA SUISSE IMTTOHËSUIJE. 4&9
aulres, qui abondent en herbes aromatiques. Vient enfin la région alpine supérieure,
où l'on trouve encore sur quelques points des pâturages d'été, tandis qu'en d'autres
lieux peu accessibles aux rayons du soleil, la neige persiste toute l'année.
Règne minéral. Les montagnes du Tessin offrent au géologue un champ varié
il*études; du Saint-Gothard à Bellinzone et à Loearno, elles appartiennent pour la
plus grande partie à la formation primitive, et se composent essentiellement de gneiss,
de granit, de schiste micacé, de calcaire primitif, de pierre ollaire, etc. La chaîne
du Saint-Gothard est couverte d'une masse énorme de débris^ et porte les traces
d'une vaste destruction ; il est hors de doute que la hauteur de cette chaîne a dû
èive jadis plus considérable, et que des sommités entières ont dû s'abimer. Le Saint-
Gothard est remarquable aussi par l'abondance des minéraux divers qu'on y ren-
contre, topazes, siénites, grenats, etc. (voyez canton d'Uri). Les torrents qui des-
cendent des vais Yerzasca, Onsernone et Centovalli, coulent dans des gorges étroites,
qui n'ont pas été creusées par les eaux et qui doivent résulter de secousses et de
déchirures violentes ; c'est ce que prouvent les angles saillants correspondant à des
angles rentrants. Près de Lugano, l'on trouve encore du granit, du gneiss, du schiste
micacé, et même des masses de porphyre ; celles-ci se voient en particulier entre
Melide et Morcote, au milieu du granit, ainsi qu'entre Bissone et Maroggia, et
près de Melano ; malgré les ressemblances qui existent entre ce porphyre et la lave,
il ne parait pas qu'on doive l'attribuer à des éruptions volcaniques. Le mont Gene-
roso est composé de calcaire et de schiste calcaire, reposant sur du gneiss et du
schiste micacé. — On exploite de la chaux et du gypse en diverses localités; des
grès au sud du lac de Lugano; de la pierre ollaire au nord du district de Maggia,
dans les vais Peccia et Bavone ; elle est préférable à celle de Chiavenne pour la
fabrication des ustensiles ; celle de Bignasco et du val Bedretto est employée pour
des plaques de fourneaux. On exploite près d'Azzo et de Stabbio des marbres verts ;
à Azzo et à Besazio, ceux connus sous les noms de macchia vecchia et de hroccatello;
ce sont des marbres rougeâtres, ou mélangés de rouge, jaune et blanc, et susceptibles
du plus beau poli. On a trouvé des traces de charbon de pierre sur divers points du
district de Mendrisio. On a observé enfin des traces de plomb et de cuivre au fond
du val Bl^no ; de fer à Brenno, Aranno, Sonvico ; et d'or, près de la Tresa et à
Quinte, etc.
Antiquités. — Dans la commune de Rovio, située sur les hauteurs de la rive
gauche du lac de Lugano, ont été trouvées quelques belles urnes en argile fine, dont
plusieurs sont ornées de fleurs en relief ; elles contenaient des cendres et des restes
d'os et de charbon, une petite aiguille en cuivre, et d'autres instruments du même
métal. On croit que ces cendres sont celles de victimes humaines qui auraient été
immolées et brûlées, et que les instruments en cuivre auraient servi à consommer cet
horrible sacrifice ; on attribue à ces restes une antiquité reculée, remontant à l'époque
où l'usage du fer était encore peu répandu. Au village de Stabbio, qui doit tirer son
nom d'un stabulum ou étable de la cavalerie de César, on lit à un angle extérieur de
l'église une inscription funèbre gravée contre un fort pilier de marbre; le pilier
|)orte un chapiteau d'où sort un beau cep de vigne, entre les branches duquel on voit
de petits oiseaux piquer des raisins. On a déterré au même lieu, en 1835, une urne
funéraire contenant des ossements, des armes, des objets de vêtement et de parure
II, w- 57
450 LA Mlf»R PintNIESQl E.
d^origine romaine. Dans le voisinage est Ligomelte, dont la fontaine porte le nom df
fimlahie de Mercure; on y lisait autrefois le nom de Mercnrio sur une inscription. Sur
la place Saint-Joseph, où a du exister autrefois un temple de Mercure, on trouva en
creusant, à |ieu de profondeur, des monnaies romaines, et dans les environs, desume>
cinéraires et autres objets. En construisant la route de Lugano à Melide en 1847, on
a découvert, dans la paroisse de Calprino, plus de &00 monnaies romaines, des usten-
siles en fer, des urnes lacrymatoires, des lampes, etc. ; on suppose qu'il y avait iû
un lieu de sépulture d'une colonie romaine. Plusieurs noms de lieux indiquent une
origine romaine, tels sont : Mezzovko, Stnnico (Summo vico), Vico Morade, Agm,
Stnhbio, etc. Lugano vient peut-être de Ltêcm ou Lneanns. Brenno (le même que
Blegno) vient, à ce qu'on croit, d'un mot celtique, bren, qui voulait dire forèl, et
qui était encore usité dans le moyen-âge. Bellinzone est appelé, dans un document de
l'an 4002, Berinzona et Berizomi, Berin est celtique ou ancien allemand, et vent
dire pbine; ton ou ttma est un mot saxon qui signifie rillage. Ce serait donc rilltuf
de Ut plaine. D'autres dérivent ce nom du latin Belli-zima, ceinture ou rempart de
guerre.
Les auteurs de Côme parlent d'une série de tours lombardes qui étaient en rapport
avec le célèbre castel Baradello à Côme, et par lesquelles se transmettaient les nou-
velles à l'aide de signaux convenus. A cet usage a dû servir le castel de Pontegana.
ou celui de San-Pietro près Balerna, puis la tour Saint-Nicolas près Mendrisio: des
signaux ont dû aussi être établis sur le San-Salvatore, qui est visible de toutes les
cAtes du lac de Lugano, et sur le Monte-Cencre. Des tours semblables s'élevaient de
distance en distance au noi*d de Bellinzone, à Giornico, à Chironico, près Faido, à
Airolo, etc. ; on en voit encore des rentes. Plusieurs châteaux furent construits à
Bellinzone â diverses époijues. il y avait aussi, sur les territoires de Lugano et de
Locarno, un grand nombre de châteaux, dont plusieurs remontent à une époque très
reculée ; tels sont, près de Sessa, le Castelrotto ; près de Magliaso, le castel San-
Giorgio, dont on attribue la fondation primitive aux Gaulois, et la restauration aux
Lombards; le castel de Locarno, qui fut une des forteresses les plus importantes de
Tancien Etat de Milan, et dont on fait aussi remonter la fondation aux Gau-
lois. — On attribue aux Lombai*ds la construction de l'éghse de Torello, dans le
district de Lugano ; elle offre des traces d'une haute antiquité, de même que celles
de Biasca, de San-Biagio près Bellinzone, de Giornico et de Sonvico.
Histoire. — Les habitants du territoire qui forme maintenant le canton du Tessin
furent soumis par les Gaulois, qui, â l'époque de Tarquin l'Ancien, passèrent \^
Alpes et occupèrent l'insubrie et le pays entre l'Adda et le Tessin. Plus tard, celte
contrée fil partie de la province que les Romains appelaient la Ganle Cimlpine. On
prétend qu'en se rendant dans THelvétie par le pays de Gdme, César bâtit à Bellin-
zone une grande tour carrée. On possède très-peu de documents sur l'histoire du pays
jusqu'au 11' siècle. On suppose que l'Evangile y fut prêché par le quatrième évéquc
de Côme, saint Abondio, vers l'an 450. D'après un document de 721, mais d'une
authenticité douteuse, Luitprand, roi des Lombards, aurait cédé â l'évèque de Côme,
Théodat, le comté de Bellinzone, dont les revenus étaient destinés à sa mense. Un des
successeurs de Charlcmagnc, Charles-le-Gros, passa par les villes tessinoises et v
donna en 882 Locarno à sa femme Egelberga. Le roi Henri donna, dans le 11' siècle,
I.A SIJISSR PITTOURSQUF^. 451 j
î
rinvestiture du comlé de Bellinzone à Benno, évèque de (idme, avec des droits sur
le marché de Lugano et sur la pèche dans toutes les eaux qui coulent dans le lac
Majeur. — Au commencement du l^^ siècle éclata entre les Milanais et les habitants
de Côme, à Toccasion d'une double nomination à Tévéché de cette ville, une terrible
guerre civile, durant laquelle les vallées tessinoîses eurent l)eaucoup à pàtir. L'é-
vêque Landolf, que soutenaient les Milanais, fut expulsé par le peuple, et se réfugia
dans un château du district de Lugano. Mais une troupe envoyée par Tévéque Guido,
son rival, surprit le château durant la nuit, et fit Landolf prisonnier. L*archevéque de
Milan fit alors la guerre à Côme, et les bords du lac de Lugano devinrent fréquem-
ment le théâtre de la lutte, laquelle se renouvela plusieurs fois jusqu'en 1127, que
Côme fut prise et démantelée par les Milanais. Quelques années plus tard, lors des
guerres de Frédéric Barberousse contre la fédération des villes italiennes, Côme s'étant
rangée du côté de l'empereur, les Milanais envahirent son territoire, et s'emparèrent
d'un grand nombre de châteaux situés aux environs de Mendrisio et de Lugano. En
1192, Henri, fils de Barberousse, décida que les habitants des territoires de Bellin-
zone et de Locarno seraient en toutes choses soumis au podestat de Côme. Durant le
iy siècle, les hostilités et les actes de vengeance entre Milan et Côme continuèrent
ù désoler le pays. En 1242, les Milanais, faisant la guerre à Frédéric II et à Côme,
son alliée, pillèrent Mendrisio, et occupèrent Bellinzone, dont ils détruisirent le
château. Dans les années suivantes, les Yitani, famille du parti guelfe, et lesRusca
ou Rusconi, qui étaient gibelins, précipitèrent toute la contrée dans une longue série
d'hostilités, durant lesquelles les villes de Lugano, Locarno et Bellinzone tombèrent
successivement au pouvoir de l'un ou de l'autre parti.
Ce fut en 1331 que les troupes d'Uri franchirent pour la première fois le
Sl.-Gothard, pour venger les habitants d'Urseren contre ceux de la Léventine,
qui étaient soumis au chapitre de la cathédrale de Milan, et qui molestaient les
commerçants à leur passage. Ils s'emparèrent sans résistance des anciennes tours
d'Airolo et de Quinto, ainsi que de Faido, chef-lieu de la vallée, et ils ne se reti-
rèrent qu'après un arrangement conclu avec Rusca, capitaine du peuple de Côme.
En 1339, les Rusconi se révoltèrent contre L. Yisconti, qui gouvernait Milan, et
occupèrent le château de Bellinzone ; mais Yisconti le reprit après un siège de deux
mois, et s'empara aussi du château de Locarno ; il emmena à Milan les principales
familles de ce bourg, et y bâtit, en 1342, une forteresse, où il mit garnison. La
seconde partie du li"* siècle fut tranquille. Mais le 15"" siècle fut signalé par une suite
de guerres et d'autres calamités. Il commença par la peste de 1400, qui exerça de
grands ravages ; le fléau reparut à diverses reprises dans les trente années suivantes.
En 1402, les Suisses (Uri et Obwald) armèrent de nouveau contre les Milanais, parce
que quelques-uns de leurs ressortissants se plaignaient d'avoir subi des vexations
en se rendant avec leur bélail à la foire de Yarèse. Ils occupèrent la Léventine, et
Tirent prêter serment d'obéissance aux habitants. À la faveur de l'anarchie qui éclata
sous la faible domination des enfants de J. Gai, Yisconti, Albert de Sax, comte de
Misox et de Lugnetz, s'empara de Bellinzone. En 1406, les Suisses, apprenant que
leurs nouveaux sujets étaient molestés par les fils de ce seigneur, envoyèrent aussitôt
une troupe dans la Léventine, et dictèrent aux agresseurs les conditions d'arrange-
ment. Peu de temps après, les seigneurs de Sax achetèrent le droit de bourgeoisie
I
4!Si LA StISSR PITTORESQIC:.
d'Uri el d^Obwald, comme proleclion pour leurs domaines ; mais, ayanl avis que
Jean deSax se proposait de livrer Bellinzone par voie d'échange au duc Pbilippe>Marie
Visconti, les deux cantons firent occuper celte ville. Par suite de la médiation des
autres Confédérés, de Sa\ céda aux deux cantons, pour une somme de 24^00 florin^,
non seulement Bellinzone, mais aussi tout le pays compris entre la Léventine et lo
Monte-Cenere. Cette cession fut confirmée par Tcmpereur Sigismond.
Mais Visconti fit surprendre secrètement Bellinzone en avril H2i, s'avança avei^
des troupes nombreuses jusqu^au Saint'Gothard,et força les l^éventins à lui préterser-
ment de fidélité. AussitAl les milices d*Uri el d'Unterwald, aidées de leurs confédérés,
passèrent les monts, au nombre de près de 3000. Ce petit corps se laissa surprendre.
h la jonction du Tessin et de la Msesa, par Tarmée ennemie, forte de 48,000 hommes,
et commandée par deux bravt^ capitaines, Angelo délia Pergola et Carmagnola Une
longue el sanglante bataille fut livrée, le 30 juin, sur la plaine entre Arbedo et Bel-
linzone. Les Confédérés perdirent i^OO des leurs el une partie de leurs bagages , mai<
ils restèrent maîtres du champ de bataille. C'est dans ce combat que périrent glorieu
sèment P. Collin, landammann de Zug , ainsi que son fils , en défendant la bannière
de leur canton; les Lucernois s'emparèrent de la bannière de Milan. Les Confédérés
se retirèrent, mais en continuant d*occui)er la Léventine. D'après un traité de paix.
(*onclu en 4426 à Bellinzone , Visconti dut payer aux Suisses 31,5(00 florins; ceu\-
ci durent lui céder Domo d'Ossola (dont les Schwytzois s'étaient emparés Tannée pré
eédente), ainsi que la Léventine. Bellinzone fut replacé sous la juridiction deCAme.
En 4439, à la suite d*une nouvelle contestation , les habitants d'Uri s'emparèrent à
rimproviste de la Léventine el de Bellinzone. En 4444, le duc conclut avec eux un
arrangement, d'après lequel il dut leur payer 3000 ducats et leur accorder l'affranchis
sèment de tout péage. Il paya le tiers de cette somme, et, comme gage pour le reste,
il laissa la Léventine entre les mains d'Uri, sous la seule condition de la bien gou-
verner. Quant à Bellinzone, il resta au pouvoir du duc.
En novembre 4478, sur un léger prétexte, les troupes d'Uri, renforcées d'auxi-
liaires d'autres cantons, franchirent de nouveau le Saint-Golhard et s'avancèrent
jusqu'à Bellinzone; mais, apprenant l'arrivée d'un corps ennemi , les Confédérés s**
relirèrent avant que la saison fût devenue trop rude, el laissèrent dans la Léventine
un petit corps composé de soldais de divers cantons et d'une troupe de Léventins.
4 5,000 hommes , commandés par Torello , un des meilleurs généraux d'Italie , mar-
chèrent sur Giornico avec de la cavalerie et de l'artillerie. Alors, d'après le conseil
de Slanga , capitaine des Léventins, les Suisses firent refluer le Tessin durant la nuit
sur la plaine qui s'étend de Giornico vers Poleggio, el qui le lendemain se trouva
toute couverte de glace. En même temps, une troupe placée sur les hauteurs fui
chargée de précipiter de grosses pierres sur l'ennemi. Celui-ci fut repoussé par quel-
ques centaines de Suisses, et perdit beaucoup de monde, ainsi que son artillerie el
quantité d'armes et de munitions. On le poursuivit jusqu'à Biasca et lui fit un grand
nombre de prisonniers. Slanga fut blessé mortellement et succomba. Milan conclut,
en 1479, par l'entremise de Louis XI, une paix très-avantageuse pour les Suisses:
ils reçurent une grosse somme et conservèrent leur domination sur la Léventine, aux
habitants de laquelle revenait cependant en grande partie l'honneur de la victoire.
A la fin de ce siècle, le sort des vallées lessinoises était très-malheureux. La lutte
LA SUISSE PITTORESQUE. /il53
des Guelfes et des Gibelins continuait encore et attristait le pays par des scènes de vio-
lence et de cruauté. Il s'y ajouta toutes les calamités d'une occupation étrangère.
En 1500, Bellinzone, afin de se soustraire auK maux de la guerre, se plaça sous la
puissante protection des Suisses, et se livra volontairement, sous réserve de quelques
libertés, aux cantons d'Uri, Schwytz et Unterwald. Le val Riviera et le val Blegno
lirent de même. Louis XII chercha en vain à recouvrer Timportanle place de Bellin-
zone. Les Suisses lui déclarèrent fièrement qu'ils espéraient bien la conserver, à
l'aide de Dieu et de leurs hallebardes. En 1503 ils lui déclarèrent la guerre, et s'em-
parèrent de Locarno et de plusieurs lieux voisins ; mais, manquant de vivres et d'ar-
tillerie, ils conclurent, à Arona, un traité de paix par lequel ils conservèrent la pos-
session de Bellinzone et de son territoire. Quand le pape se fut ligué, en 4512, avec
diverses puissances contre Louis XII, les Suisses, au nombre de 18,000, descendirent
des Alpes, chassèrent les Français de Lombardie, et placèrent Maximilien Sforza à la
tète du duché de Milan. Les troupes d'Uri, de Schwytz et d'Unterwald occupèrent
Lugano, Mendrisio, Locarno et le val Maggia. L'année suivante, les Suisses gagnè-
rent à Novare une glorieuse bataille sur les Français; mais en 1515 ils essuyèrent
à Marignan un sanglant échec, à la suite duquel ils durent se retirer dans leurs mon-
tagnes. Enfin en 1516 fut conclu un traité d'amitié éternelle, par lequel le roi Fran-
çois I" devait leur livrer 30,000 couronnes pour obtenir la restitution des territoires
par eux conquis; mais l'option leur étant laissée entre cette somme et la souverai-
neté de ces territoires, ils optèrent pour celle-ci.
Dès-lors les bailliages de Lugano, Mendrisio, Locarno, val Maggia, furent gou-
vernés par les douze cantons (Appenzell était exclu). Chaque bailliage eut un bailli ou
commissaire, nommé pour deux ans, alternativement par chacun des douze Etats
souverains. Chaque canton envoyait tous les ans un député, et la réunion des douze
députés formait le syndicat ou tribunal d'appel pour les affaires civiles et crimi-
nelles. Bellinzone, val Riviera et Blegno étaient soumis de même aux trois cantons
primitifs; la Léventine resta sous la domination d'Uri seul. Chaque bailliage avait
son statut et ses privilèges particuliers. Le peuple conserva le droit d'élire dans cha-
que commune des fonctionnaires municipaux. La Léventine, ainsi que les vais Blegno
et Lavizzara, conservèrent une LdLnds^^ememde (pariamenio) ou assemblée générale de
tous les hommes de la vallée. Les autres bailliages avaient une sorte d'assemblée
représentative, à laquelle chaque commune envoyait un délégué. La domination des
Suisses dura près de trois siècles, pendant lesquels il se passa peu d'événements im-
I)ortants. Les guerres désastreuses cessèrent, ainsi que les dissensions entre les partis ;
beaucoup de châteaux et de manoirs seigneuriaux furent détruits; mais le peuple
fit peu de progrès en bien-être et en civilisation, et eut beaucoup de maux à endurer.
Durant la première moitié du 16*" siècle, il y eut de fréquents passages de troupes
suisses se rendant en Italie. Les routes étaient infestées de brigands et sans sécurité.
Des disettes et des épidémies se succédèrent. L'agriculture était languissante, le
commerce et l'industrie soumis à une foule d'entraves. L'administration de la jus-
lice était déplorable. Les baillis, ayant acheté leur place pour deux ans, devaient
chercher à s'indemniser en vendant la justice et au moyen d'exactions. Faisait-on
appel du bailli à l'assemblée des syndics, c'était celui qui avait réussi à acheter les
voix du plus grand nombre des membres qui avait le plus de chances de l'emporter.
J
hHh lA srissR pirroRKSorR.
Kl) appelail-on au\ douze r4iiUoiis souverains, c'élail encore à grands frais de leuips
ol d*argent qu^il fallait se rendre favorables les membres des Conseils. Quelques can-
tons (!e|)endant, tels que Zurirli, Berne et Bàle, se |)ermettaient moins d^actes d'in
justice et de vénalité.
I.ies lA'venlins avaient bravement combattu dans les rangs des Suisses el cun-
Iribué h leurs victoires ; ils avaient également grossi les contingents qu*Uri mit en
campagne durant le^ guerres religieuses du 47' siècle et du commencement du 18' :
cr|N^ndant Uri prétendait que les frais de leui's services devaient retomber en entier
sur le bailliage. Sur la vive réclamation de celui-ci , les députés des cinq cantons
c;atboliqucs condamnèrent Uri h payer une solde au peuple de la Léventine. Uri
reconnut s<^s torts, élargit les privilèges des Léventins, et résolut de ne plus les
appeler ses sujets, mais st*s chers W fidèles conrUoyens, — En 1755, Uri ordonna, dans
rintérét di^ veuves et des orphelins, qu'un inventaire de leurs biens serait dressé,
et qu*un compte exact serait soumis au syndicat tous les deux ans. Cette mesure
excellente fut mal comprise. Quelques meneurs firent croire au peuple qu'on voulait
attenter aux droits de la Léventine ; bientôt la révolte fut générale. La Lands^-
meinde d'Uri ("27 avril) somma les Léventins de se soumettre. Au lieu d'obtempérer
à cette sommation , les Léventins attentèrent à la vie du bailli Gamma et du rece-
veur de la douane du Platifer, et envoyèrent deux: députés qui parlèrent hardiment
devant le peuple d'Uri. Cependant, dès que les contingents d'Unterwald et d'Uri
parurent sur le Saint-Gothard , les chefs perdirent courage et se réfugièrent sur les
montagnes. Tout le pays fut occupé sans coup férir et désarmé, et les meneurs furent
successivement saisis. Le 2 juin , tous les hommes furent convoqués à Faido ;
3000 s'y rendirent et furent entourés par les Confédérés armés. Le peuple dut jurer
d'obéir à Uri et se soumettre sans condition. Il dut assister à genoux à rexécution
de ses principaux chefs, le banneret Forni, le conseiller Sartori, et le capitaine du
pays Orso. Le lendemain, les Suisses repassèrent le Saint-Gothard, emmenant huit
autres des meneurs chargés de chaînes. Ceux-ci furent exécutés dans le canton
d'Uri. Les libertés qu'on avait laissées à la Léventine furent retirées, et on lui im-
posa de se servir d'une formule humiliante {très-humbles sujets) quand elle aurait à
s'adresser à ses souverains. Après tout cela, on daigna prononcer une amnistie! Dès-
lors la tranquillité ne fut plus troublée, jusque vers la fin du siècle; mais l'état de
ce malheureux pays ne fit qu'aller en empirant.
Après la conquête de la Lombardie par les Français, en 1796, les bailliages con-
çurent quelque espérance de liberté ; un parti mit en avant l'annexion avec la répu-
blique cisalpine ; mais le peuple de Lugano el de Mendrisio se prononça hautement
pour le maintien de son union avec la Suisse; il éleva des arbres de liberté sur-
montés d'un chapeau de Guillaume Tell, et créa un Gouvernement provisoire. Vers
ce temps, les cantons avaient déclaré renoncer à leurs droits de souveraineté sur les
bailliages, et la république helvétique avait été proclamée. Les bailliages formèrent
deux nouveaux cantons; l'un comprit Bellinzone avec la Léventine, les vais Riviera
et Blegno; l'autre, Lugano, Mendrisio, Locarno et val Maggia. En 1799, à la suite
des succès des Russes et des Autrichiens en Lombardie, une réaction eut lieu à Lu-
gano : le parti hostile aux nouvelles idées déchira le drapeau suisse , massacra plu-
sieurs de ses adversaires, et renversa le Gouvernement. En mai, le pays fut envahi
LA si'issK riTTORiisgrK. 4f$K
par les Russes et les Autrichiens , qui pillèrent ses arsenau?c et rançonnèrent cruel-
lement les babitaols. Aussitôt après Marengo, le Tessin fut occupé derechef par
les Français. Il arriva aussi un nouveau commissaire du Directoire helvétique, le
célèbre Zschokke, pour réorganiser le pays. Une amnistie générale fut proclamée.
Trois ans plus tard , quand Bonaparte intervint pour mettre un terme aux troubles
qui avaient éclaté en Suisse, un député tessinois fut envoyé h Paris pour exprimer
au Premier Consul les vœux du peuple. Par l'Acte de Médiation, les huit bailliages
furent réunis en un seul canton.
Le Gouvernement de ce nouvel Etat, trouvant le pays épuisé par plusieurs années
d'anarchie et par les exactions des armées étrangères, eut une grande tâche à accom-
plir. Il favorisa l'agriculture en ordonnant le rachat des dimes et le partage des
biens communs entre plusieurs communes. Il améliora l'administration de la justice,
abolit la torture, la confiscation, la participation du juge au produit des amendes.
Il entreprit la création de plusieurs grandes routes; mais il en résulta une augmenta-
tion d'impôts, qui mécontenta la population. Il eut aussi à créer l'organisation mili-
taire, qui imposa des charges auxquelles la plupart ne voulaient pas se soumettre,
et à fournir des recrues pour le corps helvétique dû au souverain de la France. En
1810, un corps français envahit le canton, sous prétexte qu'il recelait des déser-
teurs et tolérait la contrebande. Des gendarmes étrangers procédèrent à des perqui-
sitions odieuses. Le but secret de cette occupation était de détacher de la Suisse tout
ou partie du canton. Le Grand Conseil finit par consentir, à une faible majorité, à
la cession du district de Mendrisio. Mais, heureusement, rien n'était consommé à la
fin de 1813. — Les Congrès repoussèrent les prétentions des cantons qui espéraient
recouvrer leui-s droits de souveraineté, et l'indépendance du Tessin fut de nouveau
consacrée. Le projet de Constitution élaboré par le Grand Conseil parut trop démo-
cratique aux ministres étrangers et au Vorort, et l'on dut le revoir. Puis, sans le
faire accepter par le peuple, on convoqua celui-ci pour le H août, pour procéder
aux élections. Mais le peuple, mécontent du défaut de publicité et des tendances de
cette Constitution, s'assembla à Giubiasco et constitua un nouveau Gouvernement.
Il s'ensuivit l'arrivée de commissaires fédéraux et d'un corps de troupes suisses
commandé fmr le colonel de Sonnenberg ; on rétablit l'ancien Gouvernement et créa
un tribunal spécial pour juger les chefs de l'insurrection. Enfin, le 14 décembre
1814, parut une nouvelle Constitution, appuyée par Taristocratie suisse et par la
Sainte-Alliance. Cette Constitution, qui revêtait le Petit Conseil d'une grande auto-
rité, fut mise à exécution sans résistance.
Après le rétablissement complet de la paix en 181 S, le Gouvernement put rentrer
dans la voie des améliorations. Il concourut à la création de la route du Bernardin,
qui fut construite avec l'aide du Piémont. Quelques années plus tard, il créa lui-
même l'admirable route du St.-Gothard. Une loi de 1823 fit faire quelques progrès
à l'instruction des milices ; mais la population montrait toujours une grande répu-
gnance pour le service, de même que pour le trafic des capitulations, qui fut exploité
comme une source de lucre par quelques magistrats cupides. On s'occupa aussi
d'améliorer la législation; on rédigea un code pénal, un code d'instruction crimi-
nelle, un code de procédure civile; mais ces travaux étaient loin d'être parfaits. On
entreprit l'élaboration d'un code civil. Le 23 juin 1829, le conseiller Maggi proposa
H^i\ u\ srissK i*imtRKs<^i K.
(lo réviser la Constitution; cette proposition fut repoussée par la majorité du Grand
(Conseil; mais le |>euple, ainsi que les organes de la presse, se prononcèrent haute-
ment en faveur de la motion. Le landammann Quadri, le principal adversaire des
réformes, avait en vain cherché l'appui des aristocraties suisses. L'année suivante,
une (x)mmission du Grand Conseil fut chargée de rédiger un projet, et celuinri fut
adopté le 23 juin par rassemblée, puis sanctionné avec empressement par le peuple.
(Il faut observer que ceci se passait avant la révolution française de juillet 18S0. :
IK*s lors le canton a continué à marcher, quoique lentement, dans la voie du pro-
grt's; on s*est occupé particulièrement de Tinstruction et de la législation. En I84!>.
un projet de révision de la Gmstitution fut refusé par la majorité du peuple, à l'insti-
gation du clergé, dont l'éligibilité au Grand Conseil devait être restreinte. Cependant.
dans les aflaires fédérales, le canton, après quelques indécisions, s'est rangé parmi ceux
<|ui étaient partisans des réformes : il a fait partie de la majorité lors de la guerre
du Sonderbund, et a pris part à la lutte. Puis il a accepté la nouvelle (>>nstîtution
fédérale. Un de ses citoyens les plus distingués, M. Franscini, a été appelé au Gon-
st»il fédéral en 1848, et a été réélu deux fois, en 4851 et 1854.
Vjï\ 4855, le Gouvernement décréta la suppression d'un couvent de capucins,
dont la conduite donnait lieu à des plaintes, et renvoya, avec un viatique, quelques
moines qui ressor tissaient à l'Autriche, (^tte puissance prit aussitôt fait el cause
|K)ur ceux-ci ; elle exerça des représailles sur tous les citoyens tessinois, au nomt>re de
5 à COOO, qui se trouvaient établis ou domiciliés en Lombardie, et les expulsa impi-
toyablement, au cœur de l'hiver. Un grand nombre durent quitter des établissements
«m des industries créées depuis plusieurs années, et subirent de grandes pertes. Après
deux années de négociations, le Tessin dut c(msentir à payer une pension à («s
moines, et, à ce prix, les frontières lombardes redevinrent accessibles aux citoyens
tessinois. — L'année 1855 a été marquée par de nouvelles dissensions. Les élections
au Conseil National d'octobre 1854 ayant été cassées comme irrégulières, le Gou
vernement devait faire procéder à un nouveau scrutin. Mais, comme il comprenait
(|ue la majorité du pays lui était opposée, il permit à ses partisans de créer un
(Comité de salut public, et d'organiser des bandes armées, destinées à terroriser le
pays. Celles-ci procédèrent à des perquisitions et à des arrestations arbitraires, et
commirent une foule de violences et d'extorsions. Le Grand Conseil procéda le 28
février à une révision rapide de la Constitution, révision qui, soumise au peuple le
h mars, fut acceptée par un petit nombre de votants. Alors, le 41 mars, on dut pro-
céder dans chaque cercle à l'élection des députés au Conseil National et des députés
au Grand Conseil ; mais toutes les opérations furent troublées par la présence des
bandes soldées, et le résultat du scrutin fut scandaleusement falsifié. Le nouveau
Grand Conseil s empressa, en prononçant une amnistie qui n'était au fond qu'un
déni de justice, de passer l'éponge sur tous les excès dont furent victimes des citoyens
appartenant au parti vaincu.
Constitutions. — D'après la Constitution de 1844, le canton était administré par
un Conseil d'Etat de 44 membres, nommés pour six ans par le Grand Conseil et
renouvelés par tiers. Deux landammanns pris dans son sein présidaient chacun pen-
dant un an le Conseil d'Etat et le Grand Conseil. Ce dernier corps était composé de
76 membres, nommés pour six ans; 38 de ces membres étaient élus directement par
LA SUISSE IMTTOHESQUE. 457
les 38 cercles; les autres étaient élus par le Grand Conseil lui-même, sur une double
présentation faite par un corps électoral nommé par les cercles (chaque cercle ayant
quatre électeurs). Le Grand Conseil et leCk)nseil d'Etat résidaient alternativement
pendant six ans à Bellinzone, à Lugano ou à Locamo. Un Tribunal d'appel de treize
membres était nommé par le Grand Conseil pour six ans, et renouvelé par tiers. Le
Conseil d'Etat nommait pour six ans : pour chacun des huit districts, des juges de
première instance, sur une triple présentation des électeurs du district; et pour chaque
cercle un juge de paix, sur une triple présentation des assemblées de cercle. Chaque
commune avait un Conseil municipal de trois membres au moins, et onze au plus ;
les membres étaient élus pour trois ans et renouvelés par tiers. Les comptes étaient
soumis tous les ans aux communes. Il y avait pour les diverses fonctions certaines
conditions d'âge et de fortune. Ainsi, les conseillers d'Etat devaient être âgés de
30 ans et propriétaires d'un immeuble de 8000 livres. Pour les fonctions munici-
pales, il fallait 30 ans et la propriété ou jouissance d'un immeuble de 300 livres.
Pour execcer les droits de citoyen actif, il fallait 25 ans, et posséder un immeuble
de 200 livres ou une créance de 300, hypothéquée sur un immeuble du canton.
— La Constitution du 23 juin 1830 a réduit le nombre des membres du Conseil
d'Etat à neuf, et la durée de leurs fonctions à quatre ans. Il est présidé par un de
ses membres, qui change de mois en mois. Le nombre des membres du Grand Con-
seil a été porté à 144 membres, nommés directement pour quatre ans par les assem-
blées de cercle (trois par cercle). Le Grand Conseil nomme son président dans son
sein. Il nomme pour quatre ans les membres du Tribunal d'appel, ainsi que les juges
de district, ces derniers sur une présentation des cercles. Les juges de paix sont
élus directement par Içs cercles. Les conditions d'Age et de fortune ont été réduites
pour les membres du Grand Conseil. — Par suite de la Constitution fédérale , on a
dû modifier les conditions électorales d'âge et de fortune. En mars 1855, quelques
points ont aussi été révisés ; le Conseil d'Etat a été réduit à sept membres ; les
ecclésiastiques ont été déclarés inéligibles au Grand Conseil ; le principe du jury a
été consacré; les droits politiques accordés aux jeunes gens de 20 ans; etc.
Cultes. — La religion catholique est la religion de l'Etat. Autrefois, lorsque les
baillis appartenaient à la religion réformée, il ne leur était pas même permis de se
livrer dans leurs demeures aux exercices de leur culte. Un tiers du canton, com-
prenant la Léventine et les vais Blegno et Riviera, appartient au diocèse de
Milan, et suit le rite ambrosien ; le reste du pays appartient au diocèse de Côme, et
suit le rite romain. Ces rites ditTèrent dans quelques cérémonies et pratiques; ainsi,
dans le rite ambrosien, on enterre ordinairement les morts dans un cimetière; dans
le rite romain, on le fait dans l'église même. L'évêque de Côme tire du canton la
majeure partie de ses revenus. Des démarches infructueuses ont été faites, il y a une
vingtaine d'années, pour obtenir que le canton formât un évêché distinct. On compte
dans le canton 650 églises oy chapelles, et environ 230 paroisses ayant en moyenne
moins de 500 âmes. Outre les curés, il y a un grand nombre de chapelains. Le
clergé se compose de 600 personnes, dont une centaine dans les couvents (les reli-
gieuses non comprises). H existait encore, il y a quelques années, près de vingt cou-
vents, dont huit ou neuf de femmes ; plusieurs étaient habités par des moines men-
diants. Depuis 1848, quelques-uns de ces couvents ont été sécularisés. — Dans le
II. 39. 58
1S8 LA suisse PITTORESQtE.
46* siècle, les doctrines de la Réforme comptaient un grand nombre d'adhérent^ à
Locarno, qui était alors plus important qu'aujourd'hui ; mais, malgré la protection
des cantons protestants, ces réformés durent émigrer le 3 mars { 555, et se rendirent
la plupart à Zurich, où ils trouvèrent un accueil sympathique.
Instriction prBLiQii!:. — Malgré les améliorations introduites depuis la créatimi
du canton, le Tcssin est encore bien arriéré sous ce rapport. En 1834 et 1832, on
a fait une loi et des règlements sur l'instruction publique ; on a créé une Commission
scolaire prise dans le sein du Conseil d'Etat, des inspecteurs de district et des inspec-
teurs de cercle, et un Conseil d'éducation composé de la Commission et des inspec-
teurs. Mais les progrès n'ont pas été rapides, vu la résistance ou l'insouciance d^
communes: un grand nombre de celles-ci étant obérées, ne veulent faire que peu
de dépenses pour les écoles ; beaucoup de locaux sont insuffisants; les maîtres sont
peu payés, et le temps d*étude très-reslreint. Il existe des collèges dans plusieurs
couvents ; tel est celui des Bénédictins à Bellinzone, créé par Trefoglio, secrétaire
du cardinal de Médicis ( Léon X ) ; il peut recevoir trente pensionnaires ; les 61s dcî^
bourgeois de la ville y sont admis gratuitement. Le collège Saint-Ànlonio à Lugano
compte plus de cent élèves, dont un quart sont pensionnaires. Mendrisio a le collège
des moines servîtes; Ascona un collège ou séminaire fondé dans le 16^ siècle par les
legs de deux citoyens. La Léventine possède aussi, à Poleggio, un séminaire fondé
en 1622 par le cardinal Frédéric Borromée. Locarno a une Ecole littéraire. Mais,
dans tous ces établissements, les études sont très-incomplètes, et ont plutôt en vue
l'éducation de futurs ecclésiastiques. Aussi, beaucoup de jeunes gens vont-ils étudier
à l'étranger. On évalue à près de 500 le nombre des élèves qui suivent les étude>
littéraires ou scientifiques, soit dans le pays, soit au dehors. Le Gouvernement actuel
se propose, dit-on, d'améliorer, en la centralisant, l'organisation des études. Dans
les villes, les religieuses tiennent pour les filles des écoles publiques, où rinstruction
est extrêmement restreinte; il y a aussi quelques fondations particulières. Plusieurs
couvents possèdent des bibliothèques. La Société d'Utilité publique a créé une bibliiv
thèque populaire à Lugano. La Société des Amis de locarno possède aussi une col-
lection, dont l'accès est très-facile. Une autre société a créé à Bellinzone un cabinet
de lecture.
Agriculture, Industrie, Commerce. — La plus grande partie des habitants se
voue à l'agriculture et à l'économie alpestre. Jusqu'à ces dernières années, Tagri-
culture est restée assez peu avancée, malgré la fertilité générale du sol. Les terres
sont divisées en parcelles trop petites, et l'on éprouve le manque de bras suffisants
dans les contrées où il y a une grande émigration. La culture de la vigne est très-
étendue dans toute la partie méridionale du canton. Elle se fait de diverses manières.
Tantôt la vigne est en hulins, c'est-à-dire en lignes régulières au milieu des champs :
ou bien elle s'appuie contre des ormeaux, des mûriers, etc. ; c'est ainsi qu'on la voit
dans les districts de Locarno et de Mendrisio ; à Bellinzone, elle est attachée à des
échalas; dans la contrée de Lugano, on la cultive en terrasses; ailleurs encore, elle
est en forme de treilles. Il croit une grande variété de plants rouges et blancs. On
cherche dans quelques endroits à améliorer la qualité des vins. On les garde dans
des grottes ou caves souterraines, qui les conservent frais; telles sont celles de
(iiprino, vis-à-vis Lugano ; cellcsde Morcote, Melide, Capolago, Mendrisio, Bîasca, etc.
LA SUISSE PITTORESQUE. /»59
Dans les bonnes caves, ils se conservent quelques années el s'y améliorent. Les dis-
tricls méridionaux sont propres à la culture des céréales et du maïs ; on y fait en
l)eaucoup d'endroits deux récoltes par an. On cultive du tabac dans les districts de
Lugano et Mendrisio. Diverses espèces de châtaigniers croissent en abondance, et
fournissent à un grand nombre d'habitants la nourriture d'un ou deux mois. La
culture des mûriers prospère aussi, et l'élève des vers-à-soie a été introduite dès
longtemps ; on recueille environ 56,000 livres de soie par an, ou 180 balles. On cul-
tive dans les parties basses beaucoup d'autres arbres fruitiers. Les oliviei*s ne viennent
guère que sur les bords du lac de Lugano, à Castagnola, à Gandria, à Melide, etc.,
et sur ceux du lac Majeur ; mais ils ne sont pas bien soignés et produisent peu. Le
canton possède des forêts considérables ; au nord du Monte-Cenere, elles se composent
surtout de pins, de mélèzes, de bouleaux, de hêtres et d'érables; au sud, de chênes,
de hêtres, de peupliers, d'aunes ; elles appartiennent en grande partie aux com-
munes. 11 existe dans le canton beaucoup d'abeilles, mais pas autant que le com-
porterait le climat et sa riche végétation. On trouve sur les montagnes, surtout
dans la partie septentrionale, i\pe grande quantité de pâturages, où l'on mène en été
de nombreux troupeaux ; on compte dans le pays plus de S0,000 vaches, 23,000 mou-
lons, 70,000 chèvres, 1500 chevaux et mulets. Les chèvres étant très-nuisibles à
Tagriculture, on ne les voit en grand nombre que dans les contrées montagneuses.
La race bovine est inférieure & celle des cantons voisins; les meilleures vaches sont
celles de la Léventine.
On trouve aussi diverses industries dans le canton. Lugano et Mendrisio possèdent
des filatures de soie, des teintureries, des tanneries; on y fabrique des demi-draps
el des toiles de lin, des briques, des ustensiles en pierre ollaire; on y prépare des
tabacs. Beaucoup d'habitants sont occupés du transport des marchandises par le
Saint-Gothard et le Bernardin. D'autres travaillent comme bûcherons, ou s'occupent
de chasse et de pêche. Il vient aussi des Bergamasques pour la chasse d'automne,
qui se fait avec des filets ou avec un instrument nommé rocolo, — Mais un grand
nombre de Tessinois se rendent dans les pays étrangers, surtout en Italie, pour y
exercer quelque industrie. Les uns ne passent qu'une partie de l'année dehors, et
reviennent passer l'autre dans le pays ; tels sont les tailleurs de pierres, maçons et
vitriers, qui partent au printemps, pour revenir à l'entrée de l'hiver, et les mar-
chands de châtaignes rôties, les vachers, les porte-faix, qui partent en automne et
reviennent au printemps. D'autres s'expatrient pour plusieurs années, sans rentrer
dans leur pays; c'est surtout parmi ces derniers qu'il en est qui font très-avanta-
geusement leurs affaires. Les environs de Lugano et de Mendrisio fournissent une
foule de maçons, de tailleurs de pierres et de gypiers; le val Colla, des magnins; le
district de Locarno et val Maggia, des ramoneurs et des fumistes; Onzernone et la
Basse-Léventine, des porte-faix; «la Haute-Lé ventine, des vachers; Blegno et la
Moyenne-Léventine, des rôtisseurs de châtaignes; Blegno envoie surtout des fabri-
cants de chocolat ; la Léventine, Biviera et Bellinzone, des vitriers. De diverses
contrées du canton partent des colporteurs el des quincailliers. Chaque année,
10 â 12,000 Tessinois s'expatrient; c'est un dixième du nombre total des habi-
tants. En revanche, il vient dans le canton un certain nombre d'ouvriers étrangers,
qui travaillent le sol, ainsi que des cordonniers de la Valteline, des forgerons, des
460 LA 8UISSK PITTORB8QCE.
charpentiers de Lorabardie, etc. — H se tient dans le canton plusieurs foires impor-
tantes; telle est surtout celle de Lugano, qui a lieu du 8 au 14 oct<d»re; il s'y vend
7 à 8000 tètes de bétail. — Le canton exporte principalement des vins, des fro-
mages, des Truits, de la soie, des bois, des charbons^ etc. ; son commerce de transît
est considérable.
Hommes distingués. — Au nombre des savants qu*a produits le Tessin, Ton peut
citer le père Fr. Stutie, de Lugano, qui fut choisi par Napoléon pour être un des
trente premiers membres de Tlnstitut national ; il fut professeur de plûlosophie à
Modène et à Pavie, et traduisit divers ouvrages en prose ou en vers, tels que les
Idylles de Gessner, les Satires d*Horace, les Legons de Blair, et publia un ouvrage
sur la métaphysique, la logique, etc. — CeUi, de Lugano, qui étudia sous le célèbre
Mezzofanti, et connaissait toutes les langues d'Europe, ainsi que Thébreu et Tarabe;
il fut récompensé par l'empereur Alexandre pour avoir fait connaître à Tltalie
quelques ouvrages russes. — Sittiiazzi, qui publia une traduction d7iraM Wuishigi»,
roman satirique et moral de Thaddœus Bulgarin ; il fut aussi l'auteur de poèmes
patriotiques. — Oldelli, de Mendrisio, qui étTivit un dictionnaire des hommes illustres
du Tessin. — Gianella, savant mathématicien, qui fut ami du célèbre Lagrange : —
l'abbé Fontatha, qui fut directeur des gymnases lombards, et fit paraître divers écrits
pédagogiques, tels qu'un Manuel pour VMiuaiion, — Le canton a donné le jour à plu-
sieurs médecins remarquables, tels que Camazio, qui /ut médecin de l'empereur Maxi-
milien II ; Pierre- Antoine et Pierre Magistrati, qui pratiquèrent à Milan ; le second,
neveu du premier, fut un célèbre oculiste, et professa l'anatomie ; Aima, de Mosogno.
chirurgien en chef des hôpitaux militaires italiens sous Napoléon. — Un grand
nombre d'ecclésiastiques tessinois se sont élevés à la dignité de prélat, ou se sont
fait connaître par leurs écrits ou par leurs prédications. Aug, Oreggio, de Birc»-
nico, fut cardinal et archevêque de Sipontum. L. Rfisca, de Lugano, échangea une
polémique avec le célèbre théologien Hottinger de Zurich, touchant la Réforme.
J,-M. Liirifû, de Lugano, prêcha avec succès en diverses villes d'Italie, et obtint
à Rome les fonctions de prédicateur apostolique et d'examinateur des évèques; il fut
évéque de Pesaro. /.-P. Rira, de Lugano, fut membre de la Société arcàdienne à
Rome, et publia diverses poésies, entre autres une traduction en vers italiens de
Molière et de Racine, et des Psaumes de David, etc., etc.
Mais c'est surtout dans les beaux-arts que le Tessin peut nommer avec orgueil de
très-nombreuses illustrations; peu de pays ont produit autant d'habiles peintres,
sculpteurs et architectes. Mentionnons-en quelques-uns: P.-F. Mola, de Goldrerio,
mort en 1666, fut directeur de l'académie Saint-Lucas, à Rome, et a laissé Àes
tableaux à Rome et à Gôme, etc. Dom. Pozzi remporta à 21 ans le prix de peinture
à Parme, et plus tard à Rome; il travailla en Allemagne et à Milan. C-F, Rusca,
de Lugano, né en 1701, fut un habile peintre de portraits à Berne, à Soleure, et
dans diverses cours allemandes. Albertolli, de Bedano, se distingua comme peintre
d'ornementation, et travailla à un grand n jmbre de palais. — Parmi les sculpteurs,
nous nommerons Roderi, de Maroggia, qui a travaillé à la catliédrale de Gôme, et a
laissé d'excellentes œuvres. G, Mola, de Ck>ldrerio, a exécuté les quatre évaogélisies
de la cathédrale de Gôme. Fr. Carabelli et G. Rusca ont travaillé au ddme de Milan.
B, Fakonij de Lugano, fut, avecZanelli de Pavie, auteur de la célèbre statue colos-
u.
TKS8IN.
LA SUISSE PITTORESQI'E. 464
sale de Charles Borromée» érigée au-dessus d'Arona ea 4697. — Jacob Merœli, de
Lugano, et Bonzanigo, de Bellinzone, furent des graveurs distingués, qui travail-
lèrent le premier à la cour de Russie, le second à Turin.
Trois architectes de Garona, nommés Gaspard, Thomas, et Marcas, furent chargés
en 1399 de la construction du dôme de Milan. /. Piotta fit le plan de la forteresse
de Fuentès sur le lac de Côme. Dont. Foniana, de Melide, transporta sur la place
Saint-Pierre de Rome, Tobélisque qui était auparavant au cirque de Néron, et qui
pèse un million de livres. C. Maderno travailla à Téglise de Saint-Pierre à Rome ;
Borromini, de Bissone, éleva plusieurs palais et églises, et travailla pour les Vis-
conti. Sardi^ de Morcote, ingénieur à Venise, fit preuve de génie en redressant le
haut clocher des Carmélites, qui était incliné et menaçait ruine. Trezzini travailla
en Danemarck, et fut chargé par Pierre-le-Grand de la création de Saint-Pétersbourg.
L. Rasca éleva, sous Catherine, quelques édifices remarquables de Moscou et de
Pétersbourg. Ch. Fonkièui fut^ ainsi que son fils, architecte du Vatican. On lui doit
le tombeau de la reine Christine. MoreUini éleva, sous Louis XIV, une forteresse à
Besançon, et rétablit celle de Berg-op-Zoom ; il conçut et exécuta le projet de la
galerie nommée Trou d*Uri, sur la route du Saint-Golhard, et qui fut achevée en
4708. Pieiri, du val Maggia, acquit un grand renom à Tacadémie de Cadix, et fut
envoyé au Chili pour y créer une académie ; il a élevé deux grandioses édifices à
Lima, au Pérou. J.-0. Ricca dressa, sous Marie-Thérèse, le plan du palais de Schôn-
brunn, près Vienne. Le chevalier Alberiolli créa Técole d'ornementation de Milan, et
publia divers ouvrages d'art. Gilardi fut employé à la réédification de Moscou, après
4812. Meschini exécuta la belle route du Saint-Gothard : Pocobelli créa celle du
mont Cenis et celle du Saint-Bernardin, dans les Grisons. Un FomUi a restauré, il y
a peu d'années, la mosquée de Sainte-Sophie à Constantinople.
Moeurs, Coutumes, Caractère. — La physionomie et le tempérament du peuple
tessinois diilèrent notablement de ceux des habitants du revers septentrional
des Alpes. Il est doué des dispositions les plus heureuses; s'il est inférieur à
quelques populations suisses sous divers rapports , par exemple sous celui de l'in-
struction, on a sans doute exagéré ses défauts, en le représentant comme paresseux
el intempérant. On peut dire au contraire que les Tessinois sont hardis, persévé-
rants et capables d'endurer les plus grandes fatigues; beaucoup d'entre eux se
vouent à une foule d'industries diverses, à l'extérieur, et y gagnent de petites for-
tunes, à force d'activité et d'économie ; pendant leur absence , un rude labeur in-
combe à leurs femmes. Sous le rapport de l'intempérance , la plupart des Suisses
n'ont probablement rien à leur reprocher. Mais les habitants du Tessin sont en gé-
néral vi& et emportés; il y a chez eux des haines de parti très-violentes, des jalousies
entre les campagnes et les villes, et des rivalités entre celles-ci. Us sont processifs,
et beaucoup de familles et de communes se ruinent par cette manie litigieuse pour
les objets quelquefois les plus minimes. — Le peuple tessinois est très-dévot et va
au-delà de ce qu'on exige de lui en fait de pratiques religieuses ; il fréquente les lieux
de pèlerinage. Il a conservé diverses croyances superstitieuses : beaucoup de gens
croient encore aux sorciers et à des puissances 'surnaturelles qui excitent les orages
(les procès de sorcellerie furent nombreux autrefois dans les vais Maggia et Lavizzara
et dans la Léventine). Dans quelques lieux, certains noms de famille sont regardés
46i LA SriSHR PITTOURS^/IE.
œinme étant de mauvais augure ; la foule croit que les morts reviennent de l'autre
monde pour avertir leurs parents et amis qu'ils ont besoin de messes.
Le carnaval donne lieu à de grandes réjouissances , surtout dans les contrées où
Von récolte en abondan(*e le Truit de la vigne. La danse est permise durant toute
Tannée, sauf les vendredis, le jour de TA vent et le temps du carême. Le jour des Trois-
Rois est une fête pour les enfants ; la veille, au soir, ils ont soin de préparer une
<*orl)eille, qui le lendemain se tn)uve remplie de petits cadeaux et de friandises. Le
pn>mier mai (Saint-Jacob et Saint-Philippe) est un jour de grande fête, surtout à
Bellinzone; les jeunes gens y élèvent l'arbre de mai, et vont chanter devant les mai-
sons des princi|)aux citoyens pour obtenir quelque offrande. Les baptêmes des en-
fants màlcs se œlèbrent avec plus de solennité que ceui des filles. Le jour où le
bétail descend des Alpes pour rentrer dans les villages est une vraie iète de famille:
hommes, femmes, enfants, tous vont avec de la musique à la rencontre de leurs
IxHes, et les caressent à leur arrivée. Le 28 décembre, anniversaire du combat de
Giornico, était jadis solennisé dans toute la Léventine ; on y rendait grâces à Dieu pour
celte glorieuse victoire ; la fête est restreinte maintenant au village de Giornico. —
Dans les contrées élevées, les habitations sont généralement construites en bois, à la
manière de la Suisse allemande, et offrent Tapparenoe de la propreté et d'une certaine
aisance. Dans les contrées basses, les maisons des paysans sont bâties en pierres,
mais avec peu de goût, et souvent elles présentent l'aspect de la misère. Dans les
districts de Lugano et Mendrisio, l'on trouve cependant quelques villages bien bâtis.
Les costumes ne présentent presque rien de particulier ; ce n'est que dans quelques
vallées peu fréquentées que les femmes ont conservé quelques restes de leur ancien
costume. Le dialecte italien que parlent les Tessinois est moins pur, mais plus éner-
gique et plus pittoresque que celui qui est en usage près de Milan. La commune de
Bosco ou Gurin , au nord du val Maggia , parle seule un allemand semblable à celui
du Haut- Valais.
Bellinzone. — Cette jolie petite ville, qui en 1850 comptait 1926 habitants, est
située sur la rive gauche du Tessin, à 696 pieds au-dessus de la mer. Elle est en-
tourée d'une riche végétation, et dominée par de belles montagnes. Les quatre routes
du Saint-Gothard, du Saint-Bernardin, de Lugano et de Locarno, qui s'y réunissent,
lui donnent une assez grande importance commerciale. Placée dans un défilé, et dé-
fendue par de hautes murailles et trois châteaux, elle dut être aussi une place impor-
tante sous le point de vue militaire ; aussi a-t-elle été fréquemment un objet de con-
lestation entre les Milanais et les Suisses. Bellinzone fut gouverné pendant trois
siècles par les cantons d'Uri , Schwy tz et Untervsrald, auxquels il s'était soumis vo-
lontairement en 1 499 . Les châteaux qui dominent la ville, et qui lui donnent un aspect
très-pittoresque , étaient la résidence des trois baillis ; ils avaient chacun une petite
garnison et quelques pièces d'artillerie. Le grand château, Castel gratide, ou château
d'Uri, est situé â l'ouest sur une colline isolée ; on y voit encore deux tours; il sert
de maison de force et d'arsenal. A l'est, se trouvent le château du milieu, Castei di
mezzo, qui appartenait à Schwytz, et le Cartel di cime ou Corbè, ou château d'Unter-
wald ; ce dernier, le plus élevé des trois, tombe en ruines. Depuis la création du
canton, Bellinzone fut le chef-lieu jusqu'en 181&. Dè$-loi*s, il a alterné, de six en six
ans, avec Lugano et Locarno; il est le siège actuel du gouvernement.
LA SUISSE PITTORESQUE. 563
La principale église , située sur la place du marché, esl un édifice en style mo-
derne; son carillon est harmonieux; la chaire a quelques bas-reliefs historiques.
L'église Saint-Biaise , près la porte de Lugano, doit être très-ancienne. On trouve à
-Bellinzone un collège ou pensionnat, fondé en 467S par Tabbaye d'Einsiedlen ; un
petit hôpital; deux couvents, dont un de femmes; une Bourse, et une caserne. Â
l'ouest de la ville, on passe le Tessin sur un pont de pierre de dix arches, long de
714 pieds. Une forte digue, longue de 2400 pieds, protège la ville contre les débor-
dements de la rivière. On jouit de beaux points de vue près des trois châteaux : au
village de Daro, situé au-dessus de la porte du nord; près de l'église d'Artore ou de
la Madoiie du salut, située beaucoup plus haut; près de l'église St.-Paul ou Chiesa
rossa, k côté de laquelle sont enterrés les Suisses morts dans la bataille de 1422 '; à
l'ermitage de la Madone de la neige, et surtout au lieu nommé aile Motte, au-dessus
de Giubiasco. Près de ce village s'ouvre le val Morobbia, qui conduit au col San-
Jorio ; les villages y sont cachés par des forêts de noyers et de châtaigniers.
Val RiviERA. — On appelle ainsi la partie de la vallée du Tessin qui s'étend du
confluent de la Mœsa à celui du Blegno. Cette contrée forme le plus petit des huit
districts du canton. I^a végétation y est riche; mais le Tessin et d'autres torrents y
causent souvent de grandes ({^vastations. Le chef- lieu est Osogm, dont l'église est
placée sur une hauteur ; au sud du village, la Roggera se précipite de la montagne en
formant des cascades. Près de l'entrée du val Blegno est Biascu, où l'on voit plu-
sieurs maisons de bonne apparence. Une série de stations conduisent à la chapelle de
Sainte-Pétronille, dans le voisinage d'une belle cascade. C'est à une lieue de Biasca
qu'une chute de montagne intercepta en 1K12 le cours du Blegno; ses eaux formè-
rent un grand lac, dont la débilcle causa, deux ans plus tard, une terrible inondation.
Le village dePontirone est situé à une grande hauteur sur une montagne escarpée;
ses habitants s'occupent de descendre les pins du haut des monts par de longs cou-
loirs de bois; ils sont hardis et adroits dans ce dangereux métier.
Val Léventine. — On comprend sous ce nom toute la partie supérieure de la
vallée du Tessin, depuis les sources de la rivière jusqu'à Biasca. Ce district possède un
grand nombre d'alpes, et produit les meilleurs fromages du canton. En remontant la
vallée, on rencontre d'abord Poleggio, où se trouve un séminaire fondé par le cardinal
Fréd. Borromée. Entre Bodio et Giornico l'on passe près des Sassi grossi, gros blocs de
pierres placés comme monument en mémoire de la victoire remportée en ce lieu, le
28 décembre 1 498, par 600 Suisses et Léventins sur 1 5,000 Autrichiens. On voit h
Giornico une très-vieille et haute tour, des restes d'antiques fortifications , une belle
église paroissiale , une petite é>glise, S. Nicolo dà Mira, que les habitants prétendent
construite sur l'emplacement d'un temple païen. Le village possédait autrefois quel-
ques canons, conquis par les Suisses, et que l'état des routes les avait empêchés d'em-
mener; mais les Autrichiens les enlevèrent en 1799, en les faisant traîner par des
paysans, attelés comme des bêtes de somme. Les environs sont romantiques, ornés de
magnifiques châtaigniers et de grandioses cascades ( celles de la Barolgia et de la
1. Millier donne le chiflTre de 396 inorls, et regarde comme une erreur l'assertion de ceux
qui portent â 2000 hommes la perte des Suisses dans celte bataille de Bellinzone. Il dit cepen-
dant qae le contingent de Lucerne, qui était parti sur sept barques, n*en remplissait que deux â
son retour, et que le deuil était grand dans cette ville.
464 U SilS5B PITTOIIRSQIE.
Cremosina). C*est à Giomico que finit la plaine qui commence au bord du lac Ma-
jeur ; c'est aussi là que finit le climat italien. Pour se rendre à Faîdo, Ton passe un
long défilé où le Tessin mugit au milieu des débris de rochers; la route y passe deux
fois la rivière. Faiflo, cheMieu de la vallée, est un bourg de 61S habitants; il possède
quelques belles maisons , des teintureries, de bonnes prairies. Aux environs croisfienl
encore des mûriers et des noyers. Vis-à-vis du village est la belle cascade de la Piu-
megna, et à quelque distance celle de la Cribiascbina. Au-dessus de Faido, la roule
s*engage dans une nouvelle gorge gigantesque , oii elle franchit trois fois la rivière.
1^ vallée est presque fermée par les escarpements du mont Platiier, ou Piottino. Les
eaux du Tessin se précipitent avec furie dans Tissue étroite qui leur est laissée. Au
sortir de la goi^ , on voit un ancien et vaste bâtiment de douane , Dazh grande .
Après avoir passé devant la belle cascadede la Calcaccia, on franchit encore un défilé,
celui de Stal vedro , où la roule perce quatre galeries. Sur la rive droite s'élèvent les
ruines massives d'une tour lombarde en marbre. Ce passage fut défendu peodaot
douze heures contre 3000 grenadiers russes , par 600 Français , qui durent enfin se
retirer en Vallais.
On arrive bientôt à Airolo, village élevé de 3800 à 3900 pieds, et dominé par de
hautes montagnes, sur lesquelles il possède de vastes pâturages. On y voit les restes
d'une tour attribuée à Desiderius ou Didier, roi des Lombards. C'est à Airolo qu'on
commence à gravir la pente du St.^Gotbard; il y a encore 2ti00 pieds h monter
pour atteindre le sommet (64i0). La route s'élève peu à peu, en faisant de nombreux
zigzags dans le sauvage val Tremola, où tombent d'énormes avalanches, et qui e»t
exposé à des tourmentes de neige. Il se passe rarement une année sans que quelques
hommes y périssent. Au sommet s'étend un large plateau tout couvert de débris et
entouré de cimes neigeuses ; on y voit plusieurs petits lacs. Il s'y trouve un hospice
habité par un prêtre ; c'est un bâtiment bien construit et où les pauvres sont reçus
gratis. Non loin de là, il y a aussi une auberge. Prè^t de l'hospice est un ossuaire.
dont les ossements proviennent de la guerre de 4799. Les Russes réussirent à cul-
buter les Français et à s'emparer du passage ; les Français durent se retirer devaol ,
un nombre supérieur, après une lutte opiniâtre. La masse de neige qui s'aocumule i
sur le plateau est souvent très-considérable. Au milieu d'août 185K, on en voyait I
encore à côté de la route une épaisseur de six à huit pieds; les lacs étaient en partie I
couverts de glace et de neige. Les journaux annoncent que le 1**^ novembre il était
déjà tombé quatre pieds de neige sur la route, et qu'un homme avait péri tout prfe
de l'hospice. — On peut d'Airolo se rendre au Lukmanier et à Disentis par le val
Piora, où l'on trouve deux ou trois petits lacs et de très-beaux pâturages; un autre
sentier conduit dans le val Lavizzara par un col assez élevé et par les pâturages «?
Gampo la Torva. Enfin, d'Airolo l'on peut remonter le val Bedretto, qu'arrose un
bras du Tessin, qui prend sa source au col de Nûfenen. Cette vallée, qu'cntourenl
plusieurs glaciers, est élevée et froide; il y croît cependant un peu de seigle; elleesl
ravagée en hiver par de formidables avalanches. Plusieurs fois l'église et la cure*
Bedretio ont été atteintes : deux curés ont trouvé la mort dans de pareilles cat^s-
Irophes. Les habitants de la vallée ont l'esprit vif et content ; un grand nombre
émigrent en hiver. A l'ouest de Bedretto se trouve l'hospice AWAcqua, élevé de
4940 pieds. Un sentier conduit de là en Vallais par le col de Novena ou NûtwHîn
LA atlSSE PITTOliESfJUË. 465
(7820) ; un autre mène en Piémont dans la belle vallée de Formazza ; un troisième
aboutit à Bosco, dans le val Gavcrgna.
Val Blegno (ou Blenio, ou Brenno). — Cette vallée s'étend entre de hautes mon-
lagnes ; elle est très-fertile ; on y cultive la vigne, surtout sur la rive droite de la
rivière. Les chàtaigners prospèrent jusqu'à Aquila, et les noyers jusqu'à Olivone.
Une très-bonne route suit la rive gauche; elle traverse d'abord les débris de l'ébou-
jement de 1512 ; près de Malvaglia, elle passe devant l'issue d'une gorge étroite et
sombre, au fond de laquelle coule le torrent nommé Lorina. Dans le voisinage est
aussi le profond ravin de la Leggiuna. Quand on a dépassé les bains d'Acqua rossa,
on arrive à LoHigna, chef-lieu du district et ancienne résidence des baillis. Deux
lieues plus haut est Olivone, village pittoresquement situé à la jonction de deux
vallées; à l'ouest, s'ouvre le val Zura, qui conduit au Lukmanier; on y trouve les
|)etits hospices de Gamperio et de Gasaccia, tous deux fondés par Gharles Borromée.
(Au sujet du Lukmanier et du chemin de fer projeté, voyez page 59 et page 387.)
L'autre vallon est plus sauvage et continue dans la direction du nord ; il se bifurque
à Ghirone, d'où partent des sentiers qui conduisent dans le val Sumvix et dans le
val St.-Pierre, au canton des Grisons. Les habitants de la vallée sont laborieux ;
beaucoup passent l'hiver au dehors. Plusieurs familles d 'Olivone ont acquis une for-
tune considérable et ont fait des legs à leur commune.
Val Verzasga. — Gette vallée, peu fréquentée, débouche un peu à Test de Locarno.
Elle est arrosée par la rivière de même nom qui coule au bas d'une profonde cre-
vasse, dont les parois sont tellement escarpées, qu'on ne peut y suivre sans danger
les sentiers pratiqués sur leurs flancs. Les hommes de la vallée sont très-actifs, et
s'expatrient en grand nombre comme ramoneurs ou fendeurs de bois. Us ont la
réputation d'être vindicatifs. Us portaient autrefois un couteau très-acéré, d'un pied
de longueur, et nommé falce ou faux ; aussi, les meurtres étaient-ils fréquents dans
la vallée. Les femmes sont généralement chargées de tous les travaux de la maison
et des champs. On pénètre dans la vallée par un chemin escarpé. Le premier village
qu'on rencontre est celui de Merqoscia, dont les habitations sont construites les unes
au-dessus des autres ; la vigne y couvre les toits des maisons. Deux lieues plus loin,
on passe à Val délia Porta, et l'on franchit un pont situé dans une contrée affreuse.
I>e nom de ce lieu vient, dit-on, d'une porte qu'on tenait fermée lorsque la peste
exerçait ses ravages dans les contrées inférieures. Plus haut, la vallée s'élargit et
devient riante. Lavertezzo est dominé par une montagne de môme nom, qui porte
deux pics.
Locarno, ville de 2676 habitants, est le chef-lieu du plus étendu des districts du
ciinton, lequel comprend les vallées de Verzasca, de Cenlovalli et d'Onsernone, ainsi
c|ue les rives du lac Majeur, jusqu'aux frontières du Piémont et de la Lombardie.
Locarno occupe une situation magnifique au bord du lac Majeur; mais la contrée est
peu salubre. Vu son exposition au sud-ouest, il jouit d'un climat extrêmement doux ;
la végétation y a un caractère tout italien ; le citronnier et l'oranger n'exigent que
peu de soins en hiver. La ville possède un port, une grande place, un petit jardin
public, près duquel on a construit, il y a quelques années, un hôtel destiné aux auto-
rUés cantonales; un hôpital, une école littéraire, plusieurs églises et couvents; la
plus belle église est celle de San-Francesco. G'est dans cette ville qu'a été fondée la plus
II.». . 59
466
LA StISSE PITTOHEàOUe.
ancienne des Sofiélés palrioliques du Tessin, celle des Amis de Locarno, qui date de
181 j. Tous les 15 jours il s*y lient un marché, qui attire des habilants de toutes les va)
lées voisines, tessinoises et piémonlaises, et qui offre l'occasion de voir les c^lumesde
quelques contréc*s très peu fréquentées. Les environs présentent de Ircs-beaux poinb
de vue sur le lac et sur ses rives, |>articulièremenl le coteau où s'élève le couvent
de la Madone du Rocher (Madoinm del Siisso) ; réalise de ce couvenl attire de nom
breux |)élerins ; elle est richemenl ornée el contient plusieurs belles statues. Le site
de Tenero, près remlK)uchure de la Verzasca, est aussi très-remarquable, ainsi que
celui du Ponte Brolla, pont en pierre jeté au-dessus de la gorge profonde de la Maggia.
pi-ès de son confluent avec la Melezza ; on y découvre une vue magniOque sur le lac
Majeur, sur l'ouverture des vais Centovalli et Onsernone, sur le mont Finero, elc.
Au sud de Locarno, Ton passe la Maggia sur un pont de onze arches ; non loin
de là est Ascona, village dominé par les restes de deux ou trois châteaux, el qui
|K)ssède un beau collège ou séminaire, dû à la générosité de B. Papi, bourgeois du
lieu. Le grand village de Brissmjo, voisin de la frontière sarde, a de jolies maisons.
(|ui sont rindice d'un bien-être dû à Tindustrie et à l'économie de ses babitanLs
lesquels se répandent dans toute l'Italie. Le rivage y est bordé de terrasses d'orangers
et de citronniers ; les coteaux voisins sont couverts de villas entourées de figuier»,
d'oliviers, de grenadiers. Oublié dans les traités de cession, Brissago se gouverna
lui-même comme Etat indépendant durant sept années; mais à la suite de discordes
intestines, il se livra aux Suisses en 1 520. — En face de Locarno, l'on voit Magadim.
sur la rive gauche du Tessin ; ce village, situé dans une contrée malsaine, est devenu
le port principal des bateaux à vapeur sur le territoire tessinois.
Zj
•T"
*^—-Sissm^L^^:3^J
Fariolo, lac Sajcur.
Vals Centovalli el Onsernone. — Près de Ponte Brolla, la Melézza se joint à la
Maggia, après avoir serpenté au bas de profonds précipices, entre deux montagnes
LA SUISSE PITTORESQUE. 467
escarpées el sillonnées par un grand nombre d'angles saillanls el rentrants tellement
prononcés, qu'ils Torment comme autant de petits vallons; de là le nom de Cento-
valu. Cent Vallons. Celte vallée est une des plus hautes du canton ; quelques places
du revers méridional sont privées de soleil durant trois mois d'hiver. Une roule
conduit par cette vallée de Locarho à Domo d'Ossola. Le village ilnlragna est
dans une belle position, au confluent de la Melezza et de TOnsernone. Près de
Borgmne, on admire les cascades pittoresques de San-Remo et de la Richiusa ; Tas-
pect aiïreux des gorges profondes et déchirées qu'on aperçoit de la chapelle délie
Pêne; le superbe site du hameau délia Rom; les formes gigantesques du Finero, qui
s'élève au fond de la vallée piémontaise de Canobbia. La partie supérieure du cours
de la Melezza appartient au Piémont; la limite est formée par la Ribellasca. — A
Intragna s'ouvre la vallée d'Onsernone par une gorge très-étroite. Cette vallée pos-
sède de beaux p&turages et de magnifiques forêts. Les femmes s'occupent de la fabri-
cation des chapeaux de paille. Le village d'Auressio est séparé de Loco par un abîme
d'une immense profondeur. A Mosogno, la contrée prend un air alpestre. Plus loin
est Riisso, d'où sont originaires les Remondi, dont un membre employa sa fortune à
améliorer les chemins de la vallée; un autre siégea dans la première Assemblée
constituante en France.
Val Maggia. — Cette vallée, qui débouche près de Ponte Brolla, est parcourue
par une belfe route. La Maggia y cause souvent d'affreux ravages. On y fabrique
d'excellents fromages, connus sous le nom de fromages de paille, parce qu'on les
enveloppe de paille pour les porter au marché. En remontant la vallée, on rencontre
Maggia, riche eh vignes el en châtaigniers ; Gimiaglio, où un torrent forme plu-
sieurs cascades; les figuiers croissent jusqu'ici : Sonieo, où le Soladino fait une des
cascades les plus pittoresques du canton : Cevio, chef-lieu de la vallée et ancienne
résidence des baillis. Plus haut, la vallée prend le nom de Lavizzara ou Lavezzara, du
mot laveggi, vases de pierre ollaire. Au-delà de Peccia, une montée rapide avec de
nombreux zigzags conduit au village de Fmio (3890 à ftOSO), situé au milieu
d'excellents pâturages, vers le haut desquels sont les petits lacs de Naret. Près
de Cevio s'ouvre à l'ouest le val di Campe, qui conduit à Bosco ou Gurin, seul
village de langue allemande ; de Bosco l'on se rend dans le val piémontais de For-
mazza par la Furca di Bosco, du haut de laquelle on jouit d'une belle vue sur le
magnifique glacier de Gries, sur la chute de la Toccia et sur le val Formazza. Au
nord de Bosco, se prolonge le val Cavergno, couvert des plus beaux pâturages et de
nombreux chalets ; à son extrémité, on trouve de petits lacs et un glacier. En face de
Peccia s'ouvre aussi à l'ouest le val de même nom, au fond duquel on voit la belle
cascade de Masnaro.
Ville et Lac de Lugano, San-Salvatore, etc. — Lugano est situé sur le penchant
d'une colline, au fond d'un golfe gracieux du lac de même nom. Ses habitants sont au
nombre de 5142 ; c'est l'endroit le plus peuplé du canton. Cette ville occupe une des
situations les plus remarquables de la Suisse ; ses environs peuvent, pour l'extrême
variété de ses sites, être comparés à ceux de Luccrne ; ils l'emportent pour la richesse
de la végétation. Lorsqu'on la contemple du promontoire de Castagnola ou de celui de
San-Martino, ou du milieu du golfe, elle présente un asi)ect magnifique. A l'est,
*^' élèvent les pentes du mont Bré, couvertes de villages et de maisons de campagne
408 I.A SUSSE IMTTOIIES^E.
enlourées de trcilk*s de vi<;ne, d*uliviers, de citronniers, d amandiers, que reflèle
|iitU)n^|uement la surraoe verdoyante dos eaux ^ au sud-ouest, se dresse la pyramide
du San-Salvatore; sur la rive opposée, les |)entes escarpées du mont Caprino: au-
dissus de la ville, le sol s*élève de terrass4^ en terrasses ; dans le lointain apparaissent
l(*s cinu's noigcusi's du Camoghé. — Les églises les plus remarquables de Lugano sont :
La C4itliédnile Siin-Lorenzo, C4>nstruite sur une éminence qui commande un beau point
de vue; le |)ortail i*st richement orné de sculptures attribuées à divers arlistes distin-
gue^, et la fiiçade doit avoir été faites d*après les dessins de Bramante. Dans une belle
clia|)elle de la Vierge des Grâces scmt suspendus les drapeaux enlevés en 1798 au\
<jsolpins, qui avaient envahi le district. L*église de Sainte-Marie des Anges, rondée en
1 499, |K)sséde plusieurs tableaux de B. Luino, entre autres un admirable erucifieinent
où figurent un nombre infini de personnes en attitudes et costumes divers, et une
madone plact^'e au-dessus de la porte du cloître. Lugano possède aussi un hôpital
qui date du IS*" siècle, un collège, un joli théâtre, construit en 1805, une ancienne
résidence de Tévéque de Q'ime, et plusieurs belles maisons particulières. La position
de Lugano est très-favorable au commerce, et sa foire d'octobre lui procure une
grande activité d'afiaires. On y trouve des filatures de soie, des fabriques de tabacs,
des tanneries, des teintureries, des papeteries, des ateliers d'orfèvres, etc.
Soit qu'il navigue sur le lac de Lugano ou quMI se promène sur ses bords, partout
les aspects les plus pittoresques surprennent le voyageur ; ses divers golfes prés^tent
une succession de tableaux les plus variés ; les contrastes de la nature sauvage et de
la nature civilisée sW rencontrent presque à chaque pas. Du cdté de l'est, on trouve
Castagnoh, une des contrées les plus riantes du canton; la v^tation, abritée contre
le vent du nord, y est très-précoce. Plus loin, à Gmidria, la rive devient escarpée, ses
maisons blanches s'élèvent en amphithéâtre, et sont entourées de figuiers, d'oliviers,
de citronniers. Sur l'autre rive est Oaiem, au débouché du val lombard d'intaivi ; on
y voit une grotte remplie de belles stalactites. Entre Osteno et les vais du Caprino,
s'ouvre le val Mara, où l'on exploite une espèce de tuf dont se servent les architectes
de Lugano. La base du mont Caprino, qui s'élève en face de Lugano, est remplie de
fentes ou grottes d'où sort toujours en été un vent très-froid, et qu'on nomme caves
ou cantines, ou mvenws dEole. Les habitants de Lugano ont construit devant ces
ouvertures un grand nombre de petits bâtiments où ils conservent leurs vins au
frais ; on y fait des promenades pendant l'été. Du pied de la montagne, on découvre
une vue magnifique. Plus au sud, est une petite enclave lombarde où est situé le
village de Campiom*, qui a produit une foule de peintres, de sculpteurs et d'ardii-
lectes; plus loin, BLssotu', lieu de naissance des architectes Borromini et Cli. Maderno;
puis Melano, que dominent des montagnes pittoresques et qu'anime une belle
cascade ; enfin Capolago, ainsi nommé à cause de sa position à l'extrémité d'un golfe ;
il y existe une imprimerie considérable, fondée en 1830.
Au sud de Lugano s'étend une presqu'île longue de deux à trois lieues, où s'élève
le mont pyramidal du San-Salvatore. De la langue de terre de San-Martino, la vue
du lac dans toutes les directions est vraiment admirable. Vis-à-vis de Bissone se
trouve Melide, |)alrie des célèbres architectes Fontana. A la pointe méridionale de
la pres(iu'ilc, sont adossés a une pente pittoresque les villages de Morcole et de Vicv
}forcole. Un escalier de trois cents marches conduit à l'église de Morcote. On voit
o
B
3
LA SUISSE PITTORESQUE. 469
dans le voisinage un beau jardin de citronniers cl les restes d'un château construit
vers l'an 1000. Au fond des deux golfes occidentaux, Agno et Ponte Tresa occupent
aussi des sites remarquables. Le grand autel de l'église d'Agno est surn)onté de
colonnes corinthiennes, qui forment comme un petit temple. — Mais c'est surtout
le San-Salvatore que les voyageurs ne doivent point oublier de visiter. En partant
de Lugano, on s'approche de la montagne, au milieu d'une contrée riante, ombragée
de treilles et de vergers*. Le panorama qu'on découvre du sommet est magnifique.
On voit s'étendre au sud les plaines immenses de la Lombardie, dans lesquelles on
peut, par un temps très-serein, distinguer, entre les monts Generoso et Riva, la cathé-
drale de Milan. On embrasse l'ensemble du lac de Lugano avec toutes ses baies, et
les vallées voisines, ainsi qu'une petite échappée sur le lac Majeur ; au-dessus des
forêts de ch&taigniers qui couronnent les hauteurs au nord du lac, on découvre le
massif du Camoghé, le Pizzo Vachera, et les montagnes de la Valleline et des Gri-
sons. Par-dessus la chaîne du Monte-Cenere et du sauvage Gambarogno, l'on aper-
çoit au loin les nombreuses sommités du Saint-Gothard, du Simplon, du Mont-
Rose, etc. La chapelle qui existe au sommet attire de nombreux pèlerins.
Val âgno. Val Capriasca, Camoghé. — Les vais Âgno et Gapriasca débouchent
Tun à l'ouest, l'autre à l'est de Lugano ; Pregazzone, à l'entrée du val Gapriasca,
occupe un site pittoresque ; Canobbio et Sonvico jouissent de belles vues, ainsi que
le couvent des capucins de Bigorio, placé à une grande hauteur. On voit, près de
Sonvico, les restes d'une forteresse ; l'église paroissiale, qui est très-vieille, renferme
un magnifique autel en fin marbre et de date récente. Le village possède aussi une
autre église, imitée de la célèbre chapelle de Lorette, et des archives où l'on conserve
des écrits très-anciens. La partie supérieure de.la vallée porte le nom de val Colla.
FiCS Taverne inferiori, dans le val Agno, sont situées Ains une belle contrée qui
abonde en forêts et en arbres fruitiers; plus haut, la vallée prend le nom de val
Isone. Quoique au sud du Monle-Genere, le val Isone faisait partie du bailliage de
Bellinzone. Les vais Colla et Isone aboutissent tous deux aux belles sommités du
Camoghé et du Pizzo Vachera. On peut, par les deux vallées, faire l'ascension du
Camoghé, montagne trois fois plus haute que le San-Salvatore; le chemin, le plus
commode part du val Isone ; il est praticable pour les mulets et sans danger. On
peut coucher dans un des chalets épars sur les pentes inférieures, afin d'arriver au
sommet avant le lever du soleil. Par un beau jour, le spectacle est bien fait pour
exciter l'admiration. On y découvre la vallée du Tcssin, le lac de Lugpno et toutes
les contrées voisines, une partie du lac Majeur, une grande partie de celui de Côme
et ses montagnes jusqu'à la Valteline, les innombrables pics des Alpes, du Mont-Rose
au Bernina et à l'Ortelerspitz, enfin les plaines de Lombardie, au milieu desquelles,
par un temps favorable, on distingue le dôme de Milan.
Mendrisio, Monte-Generoso. — Mendrisio, chef-lieu du district le plus méridional
du canton, est un bourg de 1972 habitants. On y trouve quelques filatures de soie ;
l'église des Servîtes est un bel édifice. Ce bourg est le berceau de la puissante
famille milanaise délia Torre ou Torriani; mais la fameuse tour qui lui donna son
nom fut détruite dans les guerres du 44'' siècle. Ses environs sont très-populeux
et très-fertiles, et abondent en sites délicieux ; il y croît beaucoup d'oliviers. C'est
ordinairement de Mendrisio qu'on entreprend l'ascension du Monte-Generoso, élevé
470
LA SUSSE MTTOHESCKK.
lie 5iOO pieds. (x'Ue monla*;ne est ric*he en planles rares; aiisiû, les botanisles onl-
ils donné le nom de Jardin à une |»artie de ses pentes. EUIe présente plusieurs som
mois de diverses hauteurs, d'où Ton déi-ouvre une vue magniGque sur les lacs de
Lu;;ano, de Oime el de Vart^se, sur une partie du lac Majeur, sur les plaines de la
Limbardieet la chaîne des Alpes. On Ta surnommée le Righi delà Suisse italienne.
On |)eut rcdesi^'endre du ciité du sud, par le val Muggio, belle vallée qui débouche
pri*s de Balerna par un étroit défilé. Le village de Bruzella est dans une posiliuii
1res piltores<|ue ; celui de Mfiif*jio est le berceau de plusieurs architectes renommés. —
Elnlre Mendrisio et (lùme se trouve le beau village de Bulerna, qui possède un palais
épisco|)al, une église remarquable, el plusieurs mais4>ns de bonne apparence. Plus
prts de la frontière est Chùnso, avec des Tabriques de tabac et des filatures de me.
Une C4»Hine le s4*|Kire du lac de O'ime.
"^^^
*
CANTON DE VAUD.
Le canton de Vaud se déploie autour du lac Léman sur un espace d'environ 120
lieues carrées. Au midi, le Léman le sépare de la Savoie. Le Rhône et les Alpes, de la
Dent de Mordes à TAudon, forment sa limite du côté du Vallais. A Test, il s'entre-
mêle au canton de Fribourg, ses frontières étant tantôt marquées par une ligne
sinueuse, et tantôt la dépassant. Surpierre, Wuillens, forment des enclaves fribour-
geoises dans le canton de Vaud, et les deux langues de terre sur lesquelles s'élèvent
Payerne, Avenches et les monts du Vully, forment des enclaves vaudoises dans le
canton de Fribourg. Au nord, il touche au territoire de Berne. A Touest, le lac le
sépare de Neuchâtel, et le Jura de la France. — Sa population est de 200,000 âmes.
(199,575 en 1850.)
Monts et Plaines. — Comme la Suisse, qu'il reproduit dans un cadre resserré, le
canton de Vaud a ses Alpes et son Jura ; le Jorat, prolongation des Alpes, les lie à
la chaîne jurassique.
Les Alpes vaudoises, dernier épanouissement des Alpes qui séparent le canton de
Berne du canton du Vallais, se composent de quatre monts géants et de chaînes secon-
daires. La Dent de Mordes, haute de 7876 pieds au-dessus du niveau du Léman,
de 8958 au-dessus de la Méditerranée, s'élève en face de la Dent du Midi, avec
laquelle elle forme au Vallais un portique d'une structure gigantesque. Le Rhône
s'est ouvert un passage entre leurs parois escarpées. Un pont, celui de Saint-Maurice,
servait naguère encore à clore tous les soirs l'entrée de la vallée. — Le Muveran,
haut de 9270 pieds, porte sur ses épaules deux glaciers, celui de Plannévé au midi, au
nord celui de Paneyrossaz. — Les pâturages d'Anseidaz, traversés par un sentier
qui descend dans le Vallais, lient le Paneyrossaz aux Diablerels, vaste massif schis-
teux, fameux par ses éboulements, et entre autres par celui de 1714. Hauts de 9690
pieds, les Diablerets sont liés à VAtidon (Oldenhorn), qui s'élève à une hauteur de
9626 pieds, par une chaîne de glaciers, de laquelle s'échappent des cascades nom-
ÏH-euwp*, ai^t'îil»'-»* Pi bnj>antp», rt qui *iiol (nmier, 1rs unes, les soarws de l«i
(frar><l«* Liu. I<> aulre^, fvl|t> de b Sarine. — neu\ ramificjtKHis se dêtacfaenl de^
Ih.il*l«*rvt5, N»u^ k* n*>m de m«>nla;:n«*s de Gr^m cl tle iDi>nUpies AOlUm. Ceikf<^n
|»i»rU*nl b rriMi|H» du (Ihiimns^urf, haute de CiiO |»îeds, et qui domine le vallofi dt>
OrniofilH. — l>i'U\ ramifKMlion^ plu^ oHiMiléraUcs se dêlaehent de rAiMkm. L'uik'
|MKle .1» «76*4'i. Jnm-iH i5303'», S»i^ 'STTO'i, et se lenniDe au Molésim: Tautn-
^'{Kire le csintiKi de Vaud de (vlui de Berne : le AmMi • S)89'i la lenniiie au iMird. Cos
fk*u\ efiaines uni <*n la<'e ciHIe qui séfKire le i*ant4.»n de Vaud de la Gruyère frihiur
p*<M«», el «k* laqw'lle se détarlu-nl le H">hmnmi i6349'», la Ami rf*- BrenUire (7380'.,
e( les monU iniïTieurs de Crn^f el de ChUih. Le défilé de la Tine ferme, dans la pr«»
r<KMleur, l'c^nlrée du Pays d'Enhaul vaudois.
Le Jtffttt [JnrnxtH*, Jurlrn) s*appuie sur les Alpes et les lie au Jura. Il pend en
n»toau\ vineux le long du Léman, el se parta<!e vers le nord en plusieurs efaaines>.
qui se prolon<!enl jusqu*au lae <ie Neuehàtel, pareilks aux arêtes d*un peigne. Ses
princi|iale> S4»mmilé» s<int le Prhrhi i383l'), le monl de Gonrzf (î7S5')t el le mont
qui s'élève sur le ChiUi à G^t^^ri ti8i3').
le Jura lJurn.K.uon, Jurnssu*, les Jour au moyen-àge, Ltherhnq) sépare le canton
de Vaud de la France sur une lij;:ne de 14 lieues , de la Dôle, rronlière du Pays de
Gex, au Creux du Vent, Trontièredu canton de NeuebAlel. Il commence par se séparer
en deux chaînes, dont ki nuiins ékvée porte k?s foréis du RiwhJ (3970') el sert de
liniilc à la France. La plus haute porte la DtUe (5174^), le MarrkairH (4490') d k*
Motti-Tnidre (5172'). Lorsque celle aréle esl près de se perdre, celle qui sépare le
canton de la France se relève pour former le Miml-d'Or (4500'), en même lenips
que la Iknlde Ynalion (%949'), se drcssanl enlre les deux chaînes, ferme la vallét^
de rOrbc qui les sépare. La chaîne frontière de France, devenue la chaîne unique,
s*abaisse pour laisser passer ki Jouguenaz, se redresser fièrement, el donner nais-
sance au SrirAel (4890^) el à VAujnillf de Baulmes (4331^). Les pentes du mont de
Baulmes descendent dans le vallon de Sainle>Croi\, d'où Ton remonte rapidement les
flancs ^'azonnés du Chamrofè (S370'). La chaîne qui du Cbasseron court au Moal
Anbert^ termine le Jura vaudois, le séparant du val de Travers, el aboutit au lac de
Neuch&lel.
De loin, le Jura, dans ses ondulations, semble former une chaîne ininterrompue.
Cependant, il ne laisse pas d'avoir ses cok ou points de dépression : les principaux
sont ceux de la Faucille, de Saint-Gcrgues, de Pétrafélix, de Ballaigues el de Sainte-
Croix.
Entre ces grands monts et à leurs pieds, le pays descend en amphithéâtre et de
gradins en gradins vers le lac de Ncuchàlel, au nord, et vers le Léman, au midi. On
nomme monts de la Côte ceux qui bordent le lac de Genève cl forment le pied du Jura,
fmnls de La Vatw les terrasses qui descendent du Jorat. Les seules plaines du canton
sont celles que forment la vallée du Rhône, les rives de la Broie, et les marais
d'Yverdon.
Lacs, Fleuves et Rivières. — La ligne qui marque le partage des eaux de TEurope
en deux versants, Tun tourné vers le nord, Tautrc vers le midi, passe à travers le
canton de Vaud. Elle suit la chaîne qui porte TAudon, Aï, Jaman, les sommités du
Joral ; elle iilc près de La Sarraz, au moulin de Pompaples, dont les eaux se parla-
LA SUISSE PITTORESQUE. 473
genl cnlrc le Rhin cl le Rhône, TOcéan et la Méditerranée; puis elle remonte vers
la Dent de Vaulion, et suit les crêtes du Mont-Tendre et de la Dôle.
Le Rhône (Rhoilanas) recueille toutes les eaux du bassin méridional. H commence
par traverser une plaine de six lieues, d'inégale largeur, puis verse ses flots limoneux
dans le Léman, qui recule, lutte; on nomme la halaillcre le combat qui s'engage entre
le lac et le fleuve; l'agitation se prolonge à un quart de lieue du rivage. Il reçoit
VAvençon, sorti du glacier de Paneyrossaz; la Gryonne, descendue des Alpes de
Taveyannaz; la Grande-Eau, qui traverse le val desOrmonts; V Eau-froide, qui naîl
Les OrmoDls.
non loin des tours d'Aï. La Tinière, venue du col de Chaude, arrive au lac à Ville-
neuve.
De Chilien à Lausanne, il ne lombe que des baies ou torrents, eaux rapides et vio-
lenter, qui, dans leurs jours de colère, dévorent leurs rives et font de vastes fissures
sur les flancs déchirés des monts. Les eaux qui coulent du Jura suivent un cours
plus long et plus ondulé. La Venoge, la Morges, VAuhonnc {Alpona, Albonna,
Aulabonna), la Promenlhouse, VAasse, le Boiron, limite du côté de la France, la
Versoie, née sous le château de Divonne {Divorum unda), descendent au Léman, d'ac-
cidents en accidents, à travers les sites les plus divers et les scènes les plus pitto-
resques.
Le Léman {Linien, Lac du Désert, Lcmanm, Lac Losanele, Mare Rhodnni, Lac de
(knève) baigne le pied du Jura, du Jorat et des Alpes. Il se courbe en un limpide
croissant, de Genève à Villeneuve. Sa longueur est de 18 lieues et demie; sa largeur
varie. On nomme Grand Lie celui qui s'élargit entre Villeneuve et l'embouchure de
la Promenthouse ; Peiil Lac celui qui se prolonge jusqu'à Genève. Le Grand Lac est
large de 7150 toises entre Rolle et Thonon, de 6050 entre Evian et Ouchy. Le tour
du lac est de 35 lieues. On mesure 500 pieds de profondeur sous Chilien, 1000 en
lace de Meillerie, 1100 au nord d'Evian. (Voyez la BiblioUiêqae universelk de Genève,
i8i9.) Le Grand Lac forme un vaste entonnoir; le Petit n'a nulle part plus de 200
à 300 pieds de profondeur.
C'est dans le Léman que De Saussure a fait les expériences par lesquelles il a
constaté que la température de l'eau, à 150 pieds dô profondeur, était toujours la
même, savoir de quatre degrés et demi, en élé comme en hiver. C'est dans le Léman
11, «9. 60
h7h i.A snssK nrroHi>xirK.
que M. Oilladon a Tait s<»s M\vs pxp<^rienci*s sur la pro|)d<;ation du son dans l«>
liquides (IHhl ). — Le niveau du lae varie d'une saison à rautrc. L'époque de>
plus hauU\s eaux est le milieu d*aoùl. Le lae esl aussi sujet à des crues subites, qut*
Ton nomme selchvs. I^e 3 août 4763, une seiche éleva les eaux, dans le Petit Lac, A'
quatre pi4*ds et demi, (('^insultez les Mémoires de la ^tciêlé de Physiqtie de Geiien^ \v
VnYtuje dans les .i/;^».s de Ik" Siiussure, et le mémoire de Vallée, du Rhône et dn Itu i^*
iieiièie, Paris I8'i3.) — Deux fois, en 17ti:2et en 1805, le miroir du Léman s «sr
couvert dune ;;laaM|ui a |KTmisaux patineurs de s'élancer d'une rive à Taulre.
Le tableau du î/^man et de ses rives a souvent été retracé. Voltaire n'a pas dit
siins raison : <« Mon lac est le premier, m Rousseau a fait répéter en t(»us lieux le ntmi
de (^larens et de s<»n rivage. Mathiss4»n ne demandait au ciel qu'une cabane et un
l(»ml)eau sur S4's rivt^. B\ron, l^amartine, Hugo, les ont chantées de nos jours, b^
Taldeaa daeanUm de Yaad (Lausanne, 1849) a dit le grand nombre des élninp*^
illustix's que la beauté des rivagt^ du Léman a attirés sur ses bords (piige 51 ). L** U
est tantôt ealme, s(*rein ; tantôt il frémit et s'agite, en proie à des vents divers, b
hise ^nord-esl) S4)ufne |>ar riscc*s dans le grand lac ; la randaire (sud-est) sort du creu\
du Valais; le Immand (sud-sud-ouest) fond h l'improvistc des goi^es de Savoie; k'
reni de Génère (sud-ouest) précétie la pluie; icjoran (nord'OUi*st) descend du Jura.
Le refnii, vent léger, se lève h midi, dans les jours d'été, et couvre le lac de losanges
ou de iNirallélogrammes. Le sêehard vient du nord; le numnjtiei, du midi.
Une nap|)e d'eau comme cx'lle du lac de Genève a du de bonne heure inviter à U
navigation. Les rap|M>rts entre les deux rivages étaient fréquents au temps où le^
ducs de Savoie |N>ssédaient le Pays de Vaud. Plus tard, des galères furent construiles:
le |H)rt de Morges fut ciw, sur les dessins de Du Quesne, réfugié dans les environs. Une
flottille était d'ordinaire amarrée à Chillon. Vers la fin du 18* siècle, le comment
avait établi des entrepiMs à Nyon, Morges, Ouehy, Vcvey; plus tard, d'autres voies
se sont ouvertes, et le C4)mmerce du Léman ne consiste plus guère que dans rim|)or-
tation de denrées odcmiales, dans l'exportation de bois, de vins, de bestiaux, de
Tromages et de gy|)se |K>ur Genève. Trois espèces de bâtiments à voiles, les barques,
les brigantins et les em^hêres, sont employées au trans|)ort. Les bateaux à vapeur onl
été introduits |Kir un Américiiin, M. Church, en 1 823. Le premier a été le GnilUmm
Tell, Le liemnrqneHr, le Winkelried, VAhjle, le Léman, VUelréUe, la Ville de-Sgon, un
nt)uveau Gnillanme-Tell, V Hirondelle, lui ont succédé. En hiver, un seul bateau, par
tant à 10 heures, fait le trajet de Genève à Villeneuve. En été, deux bateaux parlent
ttms les matins des deux ports, tandis qu'un troisième, partant de Lausanne à sept
heui-es, traverse le lac el suit la cote de Savoie , pour revenir à trois heures, en sui-
vant la même direction. La Ville-de-Syon part à une heure plus matinale, et touche au
Boveret. Ces bateaux ne servent guère qu'au transport des voyageurs. Dernicreinenl,
un biiteau nouveau s'est mis en mule, destiné au transport des marchandises : o'esl
Vlndossiriel ^ de la forcée de 50 chevaux, et qui fait deux lieues à l'heure.
Les eaux du Jura et du Jorat qui se dirigent vers le nord prennent la direction du
lac de NeucluVtel. Le Sozon des^vnd de la dent de Vaulion ; VOrbe sort du lac reculé
des Rousses; elle forme le lac de Joux, long de deux lieues, sur 25 minutes de large,
se iHMxl à son extrémité dans des enhnnoim, |K)ur reparaître au pied du mont, sous
un nvlier demi-circulaire , haut de iOO |>ieds , el couronné de vastes sapins: sourw
LA SUISSE PITTORESQUE. 475
limpide, que celle de Vaueluse n'égale ni en grandeur, ni en fraîche beauté; puis
rOrl)e rajeunie arrose le vallon charinanlde Vallorbe , passe sous la ville à laquelle
elle donne son nom , et va , sous le nom de Thièle, se perdre dans le lac de Neuchâlel.
WAnwn, riche en truites, arrose la vallée de Sainte-Croix, et, débouchant dans la
plaine ondulée de Grandson, se perd pareillement dans le lac près de la Poissine.
Du Joral descendent le Talent, le Baron, la Menlae et la Broie (Brolius, Brnw),
molle dans ses mouvements, et qui sépare, à son passiige du lac de Morat dans celui
de Neuchâtel , le Vully vaudois du canton de Berne.
IjCS chaînes de montagne d'une longueur un peu considérable ont d'ordinaire à
leur pied des vallées marécageuses , et lorsque les eaux trouvent un bassin de quel-
que profondeur, elles se répandent en un lac. C'est ainsi que se sont formés les lacs
de Neuchâtel, de Moral et de Bienne. Celui de Neuchâtel, ou d'Yverdon, a neuf lieues
de longueur sur deux de largeur. Sa hauteur est de 1 ,328 pieds au-dessus de la Médi-
terranée, de 186 au-dessus du Léman. Sa plus grande profondeur est de 400 pieds,
sous Cortaillod. La hauteur des eaux varie de sept pieds. La bise, le vent et hjaran en
rendent la navigation dangereuse. Son bateau à vapeur, VIndastriel, vient d'être
remplacé par un vapeur plus léger et plus propre à naviguer dans de basses eaux,
le Cygne, — Le lac d'Yverdon appartient aux trois cantons de Vaud, de Neuchâtel
et de Fribourg; celui de Morat, à ceux de Fribourg et de Vaud. Long de 24, 000 pieds,
il ne dépasse pas 9,S00 pieds en largeur, ni 492 pieds en profondeur. Jadis plus
grand , il baignait les murs d'Avenches.
Les torrents des Alpes prennent, se dirigeant vers le nord, une autre direction que
les eaux du Jorat et du Jura ; VHongrin, sorti du joli lac de Lioson, et la Torneresse,
qui naît dans la solitude de Saxiéma {Saxa ima), coulent l'un et l'autre vers la Sa-
rine {Sanona, Saane), qui descend du Sanetsch, pour arroser les vallées de Rougemont,
de Château-d'OEx , et courir ensuite vers l'Aar , à travers le canton de Fribourg.
Les sources abondent dans tout le canton. Les eaux minérales les plus connues
sont celles de Lavey, Bex, l'AUiaz, l'Etivaz, Saint-fjoup et Yverdon. D'autres, la
plupart sulfureuses ou ferrugineuses , au nombre d'une trentaine, sont répandues sur
la surface du canton.
Histoire naturelle. — Le canton de Vaud réunit tous les climats. La douceur du
ciel de Montreux rappelle celui de la Provence. La figue y mûrit deux fois l'an. Le
grenadier, le laurier, se montrent en plein vent. Le cœur du pays , que l'on nomme
le Gros de Vatul, n'a pas le climat doux du rivage. Dans les monts, les sommités, les
vallons , ont tous leurs climats divers. L'air, pur, élastique, est l'un des plus sains de
l'Europe; mais la structure inégale du sol, et la variété des expositions, sont cause
de brusques changements de température , souvent dans un même jour.
Dans de telles conditions, la flore vaudoise doit être riche et variée. Elle comprend
la plupart des plantes de la Suisse. Les Alpes sont parées avec luxe des végétaux
propres aux sols calcaires helvétiques. La végétation du Jura est moins riche , mais
c'est à son domaine qu'appartiennent le plus grand nombre des plantes propres au
canton. La raison en est simple : les points les plus élevés de la chaîne, et son versant
méridional, sont compris dans les limites vaudoises. Le bassin du lac de Neuchâtel a
une flore différente de celle du reste du canton. Orbe et Yvonand sont , dans des
genres divers, les lieux les plus intéressants à explorer decette contrée.
476 LA SUSSE PITTORESOIE.
Moins riche qu*autreruis , la faniu: vaudoise n*en compte pas moins encore pr»-
(|ue toutes les espèces zoologiques de la région tempérée de TEurope. Les aniiDao\
sauvages deviennent rares. On ne chasse plus Tours tous les hivers. Le loup ne se
montre plus que dans les grandes neiges. Le lynx a cessé de répandre l*eflh>i daib
les alentours de Chàteau-d*OEx et dans la plaine de Be\. Les cerk, les chamois, sont
toujours moins communs. — Les reptiles appartiennent à trois ordres : les lé
zards, les grenouilles et les serpents. La salamandre liabite les rochers du Pays
d*Enliaut ; Torvet est itimmun dans les prairies; la couleuvre commune atteint jus
qu'à cinq pieds dans k^ l)ois de Chillon; on trouve la vipère à Baulroes, sur le
revers du Jorat et en quelques lieux des Alpes; Taspic se cache dans les rocaillesilt*
La Vaux. — Les eaux S4)nt riclK's en poissons. Presque toutes ont la Imite, la
perche et des poissons blancs, du genre di's caprins. La truite du Léman atteint
jusqu'à 50 livres de poids. Elle a souvent été servie sur la table des rois. Le silure
habile Tembouchure de la Broie ; le peuple lui donne le nom de Mlut, La Société
des Sciences naturelles, dans une de ses réunions à Lausanne , a mangé un silure
du poids de 86 livres. L'anguille se montre dans plusieurs rivières et dans les lacs:
elle y est rare, il est vrai, mais non pas assez pour justifier Toubli qu'en bilid
Faune heltyth^tte, — Sur ^ 74 espèces de inoUusqties découvertes en Suisse, le canlon
de Vaud en possède liC : deux seules lui appartiennent en propre : le limnofHs m-
pnlaceus (Rossm.), et le palndina abbreriatn ^Mich.). — Il est riche en animaux sans
vertèbres. Les monocles ont été décrits par Jurine (Genève, 1820). I^es insectes onl
été énumérés dans la troisième partie de la Fatêtie helvriique, par M. Heer.
Le rèijue minerai est celui qui ressort d'un sol composé de couches primitives sur
la limite du Vallais; de formations secondaires (lias, calcaire jurassique, néocomiem
et de terrain tertiaire (pouddingue, grès et mollasse). Partout on trouve des blw"^
erratiques; il en est qui mesurent jusqu'à 160,000 pieds cubes. La houille repose
en couches qui s'étendent de Paudex vers Oron et la frontière fribourgeoise.
Antiquités. — Aucun canton de la Suisse n'est plus riche en antiquités, et parti
culièrement en antiquités celtiques et romaines, que ne Test le canton de VauJ
Beaucoup, il est vrai, ont été perdues en des temps d'incurie; mais ce qui reste esl
d'une grande richesse encore. (Consultez le remarquable article de M. Troyon (lan>
les Tableaux de la Suisse {Gemiplde der Schneiz), au tome I" des deux volumes con-
sacrés au canton de Vaud, et à la page 39. )
Partout se trouvent des antiquités celtiques, des menhirs, des tumuli, deskcbes
en pierre et en bronze, des vases, des ornements divers. Dernièrement, MM. Fr. Forel,
de Morlot et Troyon ont exploré une richesse nouvelle, enfouie dans les lacs depuis
plus de vingt siècles. Sur de longues rangées de pilotis s'élevaient des villes lacustres,
probablement pareilles à celles dont on a retrouvé des traces dans l'Inde et dans des
régions australiennes. Au pied de pilotis en chêne se sont trouvés des débris nom-
breux de poterie, d'armes, d'instruments divers, restes d'une première et informe
civilisation.
La culture romaine a laissé des témoins bien plus nombreux encore dans le sol
du canton de Vaud. Nyon, la première cité romaine dans l'flelvétie, la Côte, liau-
sanne, Vevey, la vallée du Rhdne, celle de la Broie, et le bassin d'Yverdon, sont
particulièrement riches en restes romains. Ce sont des monuments d'art, des lom-
LA SUISSE PITTOKESQUK. 477
beaux, des colonnes, des mosaïques, des restes de bains, des milliaires, des inscrip-
tions. (Consultez sur les inscriptions le dictionnaire de Levade, l'ouvrage d'Orelli,
et le l'ecueil de M. Momsen. ) Plusieurs voies romaines ont traversé le pays. Celle
qui de Gex seprolongeait le long des monts de la Côte, et se dirigeait par La Sarraz
vers Orbe et Grandson, porte encore le nom de voie d'Eslraz {viaslrata). D'autres
routes la croisaient, venant de Coud/i«<? (Saint-Claude), et d'Ariorica (Pontarlier).
Elles se perdaient dans la route qui longeait le Léman. Une voie militaire descen-
dait du mont de Joux (Saint-Bernard), et se dirigeait vers Oron, Moudon et Avencbes.
Une voie liait aussi Âvenches à EburoJunum (Yverdon).
L'âge burgonde et l'âge Tranc ont aussi laissé leurs monuments. Ils se lient à
ceux d'âge plus ancien dans les tombeaux de Bel-Air, près de Lausanne, explorés
par M. Troyon. Les couches inférieures de ces tombes touchaient à l'âge celtique,
et les supérieures renfermaient des monnaies de Charlemagne. (Consultez la Descrip-
iion des tombeaikv de Bel-Air, avec planches, 1841 .) Mais c'est en bien d'autres lieux
que la pelle ou la charrue vont déterrer des agrafes, des francisques, des haches
d'arme, des colliers, et même des monnaies, restes de cet âge. Le meilleur guide
en cette étude est encore M. Troyon {Gemœlde der Schweiz, tome 1*', page 77 et
suivantes). — A ces restes se joignent ceux de l'architecture romaine dans la con-
trée. Peu de pays en possèdent de plus remarquables. L'art rhénan s'y rencontre
avec l'art byzantin, combinés par le génie du pays. L'église de Romainmotier et
celle de Berthe à Payerne, les tours de Gourze, de Moudon et de Saleucé, en sont de
remarquables monuments. (Consultez Blavignac, V Archileclnre sacrée dans les diocèses
de Genève j Lausanne el Sion, du i^ au 40^ siècle, un beau volume in-8**, avec plan-
ches et un atlas in-folio, et comparez-le avec les Monuments de Neuchdiel par Dubois,
un volume in-folio).
L'âge suivant a vu s'élever la belle cathédrale de Lausanne, monument du
13* siècle; les églises de Moudon, de Nyon, d'Orbe, de Lucens, celle de Saint-
François à Lausanne; les châteaux d'Orbe, de Wufflens, de Grandson, de La Sarraz,
de Lucens, d' Avenches, deBlonay, duChâtelard, de Chilien, d'Aigle, de Lausanne.
Les églises de Saint-Saphorin (La Vaux), de Montreux, de Villeneuve et de Bex,
appartiennent à une même famille et à la fin du moyen-âge. Quelques maisons à
Lausanne, à Moudon, sur les collines de La Vaux, sur celles qui dominent Mon-
treux, et ailleui^s, subsistent encore comme témoins de la manière de construire
de cet âge. Plusieurs étaient décorées de vitraux ; presque partout on trouve des
escaliers tournants.
(Sur les monmies anciennes et modernes du pays, consultez, dans le tome XIII
des Métnoires et Documents publiés par la Société d'histoire de la Suisse romane,
le mémoire de M. Rodolphe Blanchel, page 171 à 398, avec planches.)
Histoire. — Les Celtes ou Galls ont laissé leur nom au pays. Quand les Bur-
gondes ou Bourguignons l'occupèrent, ils se mêlèrent aux Celto-Romains, mais en
moins grand nombre qu'ils n'étaient sur les rives de l'Aar ; de là vient que la langue
ancienne ou romane prévalut ici, tandis que la langue germanique l'emporta dans
la contrée où les Burgondes s'établirent plus nombreux ; de là encore le nom de
GaUs, de Walles, de Welsches, donné par les voisins aux populations dont la langue
dérivait de la romaine; de là aussi le nom de Welschland, Pagus Valdensis, plus
lard Patria Vaudù
478 LA snsse pirroAesQiB.
La chronique légendaire du Pays de Vaud fait régner Hercule dans ce jiays, en
des àgos rocul<'*s. N'esUte point un souvenir dt^ Phéniciens, dont Hercule où le Soleil
élail le dieu, el dont les factoreries firent remonter par le Rhône la première civili-
sation dans la cx)ntréc? I..es Celtes nommaient le Léman Umei^ ou Lie du J^Wl. Déjà
ils étaient partagés en (cantons, el formaient une confédération, celle des IMcHts.
On »)it leur défaite par Q'^siir. Le premier établissement romain en Helvétie fut
celui de la (Mlonîe éqiu*stre ou julienne (Nyon). Aveniicum (Avenches) devint la
capitale de la province helvétique.
Quand les Biirlmres envahirent lempire romain, Germains, Slaves, Huns, pas
stTent sur le {xiys. Les Burgondes s*y établirent sous leur roi Gunlher ou Gotètahai
(Gontier). Ils se chargèrent de le défendre contrit de nouveauic envahissements.
(Cependant, les Allémani, les Huns, les Sarrazins, se montrèrent encore mainte-
fois. Les villes étaient en ruines. Sous la domination des Francs, qui succéda à celle
des Burgondes, Marins trans|)orla Tévéché des Aventiciens d* Avenches à Lausanne,
ù la rencontre de la voie qui suivait le rivage du Léman avec celle qui débouchait
de France par Orbe {aptul Tnbenuis), L*évéché de Lausanne s*étendit de TAubonne
à la rive de TAar. Sous les derniers Carlovingiens, un prince de leur sang, Rodolphe,
fonda le secx)nd royaume de B<mrgogne, et fut sacré à Saint- Maurice. Berthe, épouse
de son lils, Thumble reine, fonda des tours pour la défense du pays, à Gourze, à
Moudon, à la Morlière près d'Estavayer. Elle fonda le monastère de Payeme. Sa
mémoire est encore bénie. Le dernier des rois Rodolphiens, hors d'état de tenir ses
vassaux dans Tobéissiince, légua ses Etats à rem{)ereur d'Allemagne.
Mais Tempereur était éloigné. Tous les vassaux levèrent la tète. L'évéque eût
voulu s'ériger en prince d'empire, comme ceux des bords du Rhin. Les Grandson,
les Estavayer, les Gruyère, les comtes de Genève, ceux de Savoie, cherchèrent à
consolider leur puissance dans le pays, que l'on commençait à nommer la Pairie de
VamL Les comtes de Savoie furent ceux qui l'emportèrent. Pierre, surnommé le
Petit Charlenuujne, assit sa domination sur les deux rives du lac. Sous ses succès-
seurs, le Pays de Vaud fut tantôt donné en apanage, à titre de baronnie, à des cadets
de la maison de Savoie, tantôt régi par les comtes eux-mêmes. Dans le 45' siècle,
(*etle maison vit se ternir son éclat. Elle régnait avec douceur. Les Etats du pays
étaient consultés sur les mesures de législation et sur l'impôt. Quatre bonnes villes
y étaient représentées: celles de Moudon, d'Yverdon, de Morges et de Nyon. Celle
de Moudon était capitiile. Mais le pays était divisé. L'évoque possédait La Vaux,
Luccns, Avenches; les sires l)ourguignons de Chàteauguyon, Orbe, Grandson el
Echallens, que Berne et Fribourg leur enlevèrent dans les guerres de Boui^gogne
(4476); Aigle eut le même sort. Yevey faisait partie du Ghablais. La division était
partout, et le prince était fmpuissant.
C'est dans ces circonstances que Berne s*empara de la plus grande partie du Pays
de Vaud, et Fribourg du reste. L'introduction de la Réforme acheva de séparer ce pays
de la Savoie. Il perdit ses franchises, mais prit part à la liberté suisse, à l'heure, il
est vrai, où l'aristocratie commençait à dominer. Le territoire (ut divisé en bail-
liages. Les baillis étaient chefs civils et militaires. Sous leur domination, le Pays de
Vaud goûta trois siècles de paix, peut-être faut-il dire de sommeil.
Cependant, une Académie avait été fondée à Lausanne, et celle ville était devenue
LA SUISSE PITTORESQUE. 479
la demeure d'une sociélé brillante et nombreuse, composée d'indigènes et d'étran-
gers. Voltaire s'y croisait avec J.-J. Rousseau. Des princes, des gentilshommes,
|)endanl les guerres de l'Europe contre Louis XIV, s'accoutumèrent à venir vivre
sur cette terre, française de langage, protestante, et d'une douceur remarquable de
mœurs. De leur côté, des Vaudois étaient entrés en grand nombre dans les troupes
données à la France, à l'Allemagne, aux Etals-Généraux, à l'Anglelerre, au Pié-
mont, par les cantons protestants de la Suisse. Mis en contact avqc les idées du
siècle, le Pays de Vaud ne tarda pas à fermenter. Déjà Davel, conspirateur unique
dans l'histoire, avait appelé, en 1723, ses concitoyens à l'indépendance. Il ne fut com-
pris qu'à la fin du siècle. Alors la liberté politique trouva sur la rive du Léman l'un de
SCS points d'appui, comme la liberté religieuse l'avait trouvé deux siècles et demi
plus tôt. Naguère gouverneur dli czar Alexandre de Russie, César de La Harpe fit
entendre à sa patrie l'appel de Davel, et les armées françaises répondirent à cet
appel. Le 28 janvier 1798, une division de l'armée d'Italie entra dans Lausanne.
Il fut offert aux Vaudois de devenir le centre d'une république rhodaniqiie; ils ne
voulurent point d'une séparation de la patrie suisse. Après avoir fait pendant quatre
ans partie de la Républiqm helvéiiqm, le Pays de Vaud devint, en 1803, le Canton
de Vatd. Le 14 avril s'assembla le premier Grand Conseil né de la Constitution
nouvelle.
En 1815, l'existence du canton fut menacée; Berne crut l'heure venue de ren
Ircr en possession de son ancien territoire ; mais la fermeté du peuple et des magis-
trats d'un côté, de l'autre la bienveillante protection d'Alexandre I*"^ pour la patrie
de La Har|M3, sauva rindé|)endancc vaudoise. La Constitution fut modifiée dans l'es-
prit du jour. Le droit électoral fut restreint, le cens élevé. Le Grand Conseil fut
apjHîlé à se compléter en partie lui-même. Les hommes qui présentèrent la nouvelle
Constitution au peuple étaient ses amis sincères, mais ils craignaient les excès de
la démocratie.
Leur œuvre fut renversée en 1830, et une Constitution •nouvelle, basée sur le
suffrage univei'sel, fut sanctionnée i>ar les suffrages de 13,170 citoyens, sur
16,544 votants. Le peuple se déclarait souverain. Il n'excluait du droit de suffrage
que les faillis et les assistés. Le Grand Conseil devait être renouvelé intégralement
tous les cinq ans. Une initiative lui était reconnue dans la proposition des lois. Le
Conseil d'Etat n'avait, au Grand Conseil, que voix consultative. Le pouvoir judi-
ciaire était déclaré indépendant. Les communes étaient érigées en quatrième pou-
voir. La presse était libre; le droit de i)étition consacré.
Le canton de Vaud a prospéré quatorze ans sous cet ordre de choses. Ses routes
sont devenues des meilleures de l'Europe, son instruction publique des plus avan
cées, ses milices des plus belles et des mieux disciplinées de la Confédération. En
Diète, sa politique était médiatrice entre celle de Berne et de Zurich d'une part, des
cantons des Alpes, la plupart catholiques, de l'autre. Sa renonciation à cette ligne
de conduite dans l'affaire des couvents d'Argovie, a entraîné la Suisse dans des
destinées nouvelles, et a eu pour premier fruit le renversement, le 14 février 1845,
de l'ordre de choses fondé dans le canton en 1830; pour second résultat, la guerre
engagée contre le Sonderbnnd en 1847.
La Constitution née de la révolution de 1845 a été acceptée, le 10 août, à une
^80 L\ SriSSR PITTIHlESQrK.
majorité de 17,672 siiffrasos, sur 28,522 votants. Les assistés cessent d'être exclus
du droit de suiïra^e. Tous les Ciinrédcrés habitant le canton sont admis à re\ercicp
des droits politiques, sous condition de réciprocité. L*àgc d*admission au rang do
citoyen est réduit de 23 à 21 ans. La révolution de 1830 avait donné au Grand
tIons<*il une initiative dans la pro|>osition des lois ; celle de 18&S la donne au peuple:
KOOO citoyens peuvent se réunir pour porter une question devant le Grand Conseil.
CoNSTiTt'TioN. — L*autorilé cantonale est exercée par trois ordres de fonction-
naires. Le Grand Cimml est élu par les assemblées de cercle, dans la proportioD
d un député sur mille habitants. Il est nomme pour quatre ans. Le Conseil d'Eini,
composé de neuf membres, nommes pour quatre ans aussi, est renouvelé tous les
deux ans |)ar moitié. L Ordre judiciaire est placé sous la surveillance du Grand
(Conseil. Un Tribunal cantonal, nommé par rassemblée législative, est chargé de la
direction des aiïaires et de la surveillance des fonctionnaires de la justice. Chacun
des 19 districts a son tribunal, chacun des 60 cercles sa justice de paix. — La Com-
mnne n*est plus mise au rang des pouvoirs. Elle conserve toute Tindépendance com-
IKitible avec le bien de TEtat. La Municipalité, le Conseil Communal et le Conseil
Général de Commune sont, dans Tordre de la commune, ce que sont, dans l'ordre
cantonal, le G)nseil d*Etat, le Grand Conseil et TAssemblée des citoyens.
MoFXRS, Ohti'mes et Caractère. — Les mœurs et coutumes du pays se sont com-
posées de traditions gothiques, romaines, germaniques. La Réforme les a modifiées,
sans les détruire. Sous le gouvernement de Berne, les Vaudois, déchai^gés par leur^
seigneurs des soins de la chose publique, montraient une gaité irlandaise: ils faisaient
consister la liberté dans le plaisir et Ic^ jouissances sociales. La société de Lausanne
se partageait entre le bal, la comédie et le jeu. Les femmes étaient jolies, enjouée^
et sages, bien qu'elles jouissent d*une grande liberté. Gibbon se demandait s'il y avait,
dans cette société, devenue la sienne, autant de sensibilité que de calcul, il accusai!
les Lausannois d'une triple affectation : d'esprit, de dé[)ense et de noblesse. Gomme
la classe élevée, le peuple aimait le plaisir, la société, la danse. Le dimanche, les
filles se formaient en ronde sur la place publique, et dansaient en chantant des
chœurs {cm-aules). Les foins, les moissons, les effeuilles, la vendange, se faisaient
au milieu des chants. Telle chanson rustique, commencée à Lausanne, se redisait
de vigne en vigne, et de refrain en refrain, jusqu'à Vevey. Les étrangers ne par-
laient de la rive du Léman que comme d'une vallée de Tempe, le jardin de l'Europe.
La liberté politique a changé ces mœurs. Sérieuse, elle remue la société^ et fait
naître des passions nouvelles. Le canton de Vaud célèbre bien encore, à Vcvej.
V Abbaye des Vignerons, image fidèle de sa nature et de ses mœurs; mais c'est à des
époques qui s*éloignent toujours davantage. Dans cette fêle symbolique. Paies, Cércs,
Silène, Bacchus, se montrent chacun avec leur cortège; Bacchus a le premier rôle.
Le vin est l'ami du Vaudois; il lie plus d'une amitié, il console de plus d'une peine.
C'est au cabaret, le verre en main, que les alTaircs se nouent et se terminent le
plus souvent. Le Vaudois a des fidèles du dieu du vin l'abandon, la bonhomie
fine et gausseuse, l'insouciance et la gaîté. La vie agricole exerce l'esprit d'obser-
vation, la réflexion et le bon sens. Mais quand le peuple est ami du vin, il s'y mêle
un état habituel d'excitation. On s'enflamme et l'on se refroidit; on s'irrite et Ton
s'apaise ; on est , à la fois, lourds cl mobiles , prompts à entreprendre et prompts à
VAUD.
LA SUISSE rrrroiiicsgti!;. 'i8l
se lasser, attachés à la coutume et disposés à se prêter à des mœurs nouvelles. Tels
sont les Vaudois, doués d*un génie naturel qui les rend propres à tout, et souvent
retenus par une force d'inertie qui les attache à la médiocrité.
Langue romane ou romande. — Un des traits les plus distinctifs des mœurs et du
caractère du peuple vaudois, est sa langue, son patois, né de la décomposition du
latin sous le souffle de la race germanique des Burgondes. Sa parenté avec le
romanche dans les Grisons, avec le catalan à l'ouest, avec le valaque à Test, est
digne d'être remarquée. Réunis autrefois dans un même régiment en France, Vau-
dois et Grisons romanches n'étaient pas longtemps sans se comprendre. La langue
romane du Pays de Vaud a été l'objet des études sérieuses de Bochat, de Ruchat,
de Bertrand, de Ghavanne, de Muret, de Court de Gébelin, de Seigneux de Correvon,
dans le siècle passé; du doyen Bridel et de M. Moratel, dans le nôtre. Le libraire
Gorbaz en a réuni des morceaux en vers et en prose, dans un recueil qui renferme
des chefs-d'œuvre {Morceaux choisis en patois de la Suisse française. Lausanne, 1842).
M. Moratel eu publie une collection nouvelle, accompagnée d'une traduction et de
notes, sous le titre de Bibliothèque romane. Le doyen Bridel en a donné plusieurs
morceaux aussi dans le Conservateur Suisse, précieux recueil de la littérature du
pays. Il en a fait un Dictionnaire, légué à la Société d'Histoire de la Suisse romane,
et qui ne tardera pas d'être publié. 11 avait essayé d'en esquisser la grammaire ;
mais, désespérant de soumettre à des lois un dialecte dont les formes lui échappaient
à chaque tentative pour les fixer, il a fini par jeter au feu ses essais. (Consultez les
Gefuûlde der Schaoeiz, tome 11, pages 1 à 14.)
LÉGISLATION. — D'anciennes coutumes ont longtemps régi la Patrie de Vaud. Elles
remontaient à la loi Gombette, proclamée par Je roi Gondebaud. C'était un mélange
de droit romain , germanique , et probablement de mœurs plus anciennes. Sous
Berne, le Coutumier fut écrit et corrigé. Un Code civil, publié en 1819, est le Code
Napoléon, réduit, simplifié et modifié par les anciennes coutumes du pays. Un Code de
procédure a paru en 1837, et un Code pénal en 1843. Si les auteurs de ce dernier code
se sont écartés de la législation française, c'est qu'ils ont cru la clarté de ce système
plus apparente que réelle. Us ont tenté de nouveaux sentiers, et l'ont fait souvent
avec succès.
Cultes. — La Réforme du Pays de Vaud a été bien moins absolue que celle de
Calvin. Berne l'a promptement renfermée dans des digues, soumise à ses ordon-
nances, et dépouillée des attributions qui entretenaient la chaleur dans le sein <le
l'Eglise. Les Gouvernements qui ont pris sa place ont, plus ou moins, succédé à su
politique. Berne avait divisé les 170 paroisses en quatre classes ou arrondissements
ecclésiastiques, leur interdisant de correspondre entre elles; cet ordre fut maintenu.
Le salaire fut réglé sur un pied d'égalité, l'ordre d'avancement fixé d'après le ran^
de consécration. Aucune assemblée synodale, aucune intervention des paroisses.
Réveil après 1815 ; on .a nommé de ce nom un mouvement né du besoin de revenir
(> d'anciennes doctrines, chez les uns; d'une religion vivante et consciencieuse, chez
un grand nombre. Nous n'avons besoin que de citer les noms de Gonthier, Manuel,
Vinet. Les besoins qui s'étaient manifestés furent refoulés plutôt que compris. Une
lutte vive s'engagea. Cependant la tolérance reparut en 1830. Le mariage civil fut
séparé du mariage religieux. L'Eglise fut réorganisée en 1839. La séparation des
11, 30. 61
48*2 LA SUSSE PITT0BeS4it'E.
classes fut maintenue. La Confession de foi helvétique fut* abolie comme formulaire,
la Bible déclarée seule règle d'enseignement. L'Etat se réservait les droits (k*
révéque.
Le clergé subit cette loi plus qu'il ne Taccepla. Vinet écrivit son Essai sur la mmi
feslaiion des amcictions relujieiises, couronné à Paris par la Société de la Morale chré
tienne, en 1842. Son journal, le Seinenr, publia sa pensée : « L'homme ne peut
donner que ce qui lui appartient; il doit à sa patrie tous les sacrifices, celui de sa
conscience excepté. »
Le flot populaire se releva en 1845. Le Gouvernement, qui s'appuyait sur ce Oot,
laissa attaquer les chapelles des dissidents, les oratoires nationaux et les réunions
qui avaient la religion pour objet. Il finit par les interdire. Alors 160 pasteurs, la
grande majorité du clergé, refusa le salaire de l'Etat à ces conditions. De leur démis
sion est née une Eglise libre, qui a sa Faculté de théologie, son organisation, et
compte quarante et quelques paroisses.
L'Eglise nationale est régie par des pleins-pouvoirs, rendus nécessaires par la
situation. Le nombre de ses paroisses a été réduit. Le culte catholique est garanti
par la Ck)nstitution dans un certain nombre de paroisses du district d'Echallens. Dan^
le reste du canton, l'exercice du culte romain est réglé par une loi du 3 juin 1840.
qui a permis l'érection de chapelles à Lausanne, Aigle, Vevey, Morges, Rolle, Nyon.
Yverdon et Romainmotier. — Lausanne et Vevey ont des paroisses allemandes.
Instruction pidliqie. — L'Académie de Lausanne, fondée après la Réformation,
fut longtemps moins une institution scientifique qu'un séminaire. Elle eut pourpro
fesseurs Virct, Bèze, Conrad Gessner, Gurion, llottoman, Jean Serres, Ramus, Henri
Estiennc, Mathurin Cordier, Chandieu. Puis Barbeyrac, P. Grousaz, Peliez, Rudiat.
Loys de Bochat, Allamand, Vicat, Tissot, Chavannes, Durand, Develey, enseignè-
rent avec distinction. L'instruction publique fut réorganisée en 1806. Des chaires
nouvelles furent créées. L'Académie reçut, avec le maintien du droit de consacrer
les ptistcui's, celui de licencier en droit. Le collège cantonal, les collèges des villes,
furent réorganisés. L'instruction primaire reposa sur une loi modèle. L'instniction
était gratuite, et la fréquentation de l'école obligatoire de sept à seize ans.
Nouvelle impulsion en 1830. L'Académie fut organisée en trois facultés : lellres.
droit, et théologie. Le nombre des professeurs ordinaires fut porté à dix-sept, et leur
enseignement complété par des cours extraordinaires. Les noms de Gurtat, Daniel
Alexandre Ghavannes, Vinci, Monnard, Sainte-Beuve, Miskiéwitz, Olivier, Porchal,
Gindroz, honorèrent l'Académie. L'histoire, les lettres, les sciences naturelles, étaient
l'objet d'une prédilection particulière; les sociétés occupées à ces études furent
encouragées. Deux écoles normales furent fondées pour former des instituteurs et
des institutrices. Une école modèle fut instituée auprès de l'école normale.
Une dernière loi sur l'instruction publique (1846) n'a pas essentiellement nioditiê
celte organisation. Désencombrer a été le but du législateur. Il a réduit à treize le
nombre des professeurs, et divisé l'enseignement primaire en deux degrés, distin-
guant les objets dont l'étude est jugée nécessaire de ceux dont l'étude est facul-
tative.
Agrigllturi!:. — La surface du canton est de 600,000 poses, ou 120 lieues suisses
carrées. Les forêts couvrent 135,000 jwscs, les |H\turages 160,000, les cbain|fo
LA SIJ1SSR PITTORESQUE. 485
454,000, les prairies 420,000, la vigne 13,000, les jardins 3000. On estime la
valeur des terres à environ 360 millions, et celle des bfttiments à 420 millions.
Le sol est plus divisé que peut-être nulle part ailleurs. Le canton, qui ne produi-
sait en 4803 que les deux tiers des céréales nécessaires à sa subsistance, est bien
près aujourd'hui de suffire à son alimentation. Le fermage est, en moyenne, de 20 h
30 francs par pose. La vigne occupe les bras de 20,000 vignerons. Son produit est,
en moyenne, de 78,000 chars, dont 25,000 sont exportés. Les pâturages des Alpes
nourrissent, Tété, 35,000 têtes de bétail.
Industrie, Ck)MMERGE. — L'aisance est, dans le canton de Vaud, le fruit du travail
(les champs; l'industrie n'y est que pour une moindre part. Beaucoup de Vaudoiss'ex-
)3atrient comme précepteurs, maîtres d'école, commerçants; beaucoup aussi comme
domestiques; plusieurs rapportant de la fqrtune dans leur patrie. Le prix de la main
il'œuvre est élevé, et cependant ce sont des étrangers qui construisent les routes,
ol exercent de nombreux métiers. Parmi les industries florissantes, citons les ateliei*s
de marbre de M. Doret, à Vevey; les tanneries de M. /.-/. Mercier j à Lausanne; la
fabrication de rasoirs de M. Lecoultre, dans le val de Joux ; les tôles de M. HeeTj, h
Lausanne; les violons de M. Pupunat, — Le commerce a pour objets les vins, les
iK)is, les cuirs, les fromages, le bétail. Les principales importations viennent de
France, de Hollande et du Piémont ; les exportations ont lieu pour les cantons voi-
sins. — Le transit est d'environ 450,000 quintaux. — Une Compagnie s'est formée
sous le nom de Compagnie de l'Ouest, qui a commencé la construction d'un chemin
de fer, lequel doit traverser le canton de Vaud dans sa plus grande longueur.
Savants et Hommes distingués. — Nommons le chroniqueur Marins, dans le 5«
siècle; les chanoines Conon d'EsUivayer, dans le 43*, et Le Franc, dans le 45*. Ajou-
tons aux noms des hommes qui ont honoré l'Académie, ceux du jurisconsulte Qui-
zard, du pasteur La Fléchère, de Gandin, auteur de la Flore hdvétiqne, de Garcin de
CoUem, botaniste et littérateur; de Reverdil, auteur d'une histoire du Danemark.
Monod a laissé des Mémoires. Venel a fondé l'orthopédie. De Félice a publié l'Ency-
clopédie d'Yverdon, celle du droit et des écrits de jurisprudence, que l'on réimprime
de nos jours. L'ingénieur Guisan a laissé un nom cher à la Guyane. Exchaqnel
a écrit sur les ponts et chaussées. Le grand Haller a laissé toute une école de natu-
ralistes dans la contrée qu'il a longtemps habitée. Louis Muret a écrit sur la Popu-
lation. Dutoit Membrini était un mystique original et profond; Porta, un excellent
jurisconsulte. Seignenx de Correvon appartenait à l'école historique. Loys de Cheseaux
a pris rang dans l'histoire de l'astronomie ; Antoine de Poliez dans celle des mytho-
logies. Griffon, Hilden, Tissot, Mathias Mayor, ont écrit leurs noms dans les annales
de la médecine et de la chirurgie. Parmi les romanciers. M™*' de Charrière et de
Moniolieu ont une place distinguée. Cent et trente romans ont été écrits à Lausanne
et dans le Pays de Vaud, vers la fin du siècle dernier et dans le commencement de
celui-ci.
Dans ce siècle, doivent s'ajouter aux noms que nous avons déjà cités ceux des trois
frères Bridel, Louis, Philippe et Samuel ; du général de La Harpe, du général Jominy,
du colonel de Rovéréaz, à Antoine Pellis, de G,-H. de Seigneux, de Miéville, des colla-
iiorateurs aux Mémoires de la Société d'histoire, MM. de Gingins, Hisely, Troyon,
de Charrière, Gaullieur. MM. Monnarâ et Vulliemin ont continué J. de Muller:
<^
^84 L4 SI t»%R PITTORRSQrE.
Ai. Verdeil a écrit la meilleure histoire du canton. La poésie a été représentée par
Oliritr, Porrhat, Monneron, Onrand, Ogex; la philosophie par Piichard, L^rrt et
Kk. Secretan, Une femme aimable. M"' Herminie Ckarannea, s'est exercée dans pli»
d*un genre. La peinture compte les noms de Bratuloin, Dmtos, Sablel, Kaitermann,
Midlener, Arlaïul, Strf, Br^ner, Bonnet, Gle^re, Alfred Van Muyden, GwUar^ Baux.
— Parmi les géologues, MM. de Charitenlier ei Agaxxh se sont placés au premi^ rang.
Villes, Boiros et altrrs lieix rkmarquables. — Lausanne {Lamonium, Lan-
sttnna), capitale du canton, est née sous la protection de TEglise, au pied de sa ca-
lliédrale. La Cite, ville de IVvèque, le Bourg, ville des nobles, le PofU, la Pahêd et
Sttint'Liurent, quartiers de la bouiigeoisie, se fondirent, en I&81, en une dté, qui
se constitua sur le modèle des villes suisses. La situation de Lausanne est admiraUe.
Aucun S4}\ n'est plus riche en aspects enchanteurs que celui qui descend du Jorat au
lac, de terrasses en terrasses, d'ondulations en ondulations. La population est de
48,000 âmes. Une route , tracée par Adrien Pischard , crée autour de la ville an-
cienne une voie de circuit, d'une pente insensible. Le pont Pinchard ou Grand-Ponl
lie la place de Saint-François au quartier de Saint-Laurent. Ce pont , haut de "ih mè-
tres, large de 10, a 180 mètres de longueur. La ville s'étage en amphithéftlre au-
dessus de ce pont. Sur la place à laquelle il aboutit se voient la Maison des postes,
le (lercle littéraire, l'église de Saint-François, où vint finir le concile de Bàle (1449 ),
et, parmi d'autres hôtels, celui qui s'élève dans les jardins de la maison qu'liabilait
Gibbon , et qui porte son nom. La rue de Bourg est le prolongement de la place
de Saint-François. Sous cette rue se montrent le Casino, la promenade de derrière
Bourg, les campagnes de Beau-Séjour, de Sainte-Luce , de Mornex ; plus bas, celles
des Cours, celle de Montriond, jadis habitée par Voltaire, le port et l'^se d'Ouchy.
qui sert au culte anglais : et le Denantou , jardin toujours ouvert au public par son
généreux propriétaire, M. Haldimand. A l'extrémité de la rue de Bourg, l'hôtel du
Faucon domine une place où se rencontrent les routes de Berne et de Vevey. Sur
cette route s'élèvent les maisons de Bellevue, Mon Repos, TEglantine. Sous la route
de Berne s'étend la Maison pénitentiaire, la première construite sur le continent.
La Cité porte la Cathédrale , le Collège académique , qui renferme la Bibliothèque
cantonale, de 46,000 volumes, et les musées divers, d'antiquités, de sciences natu-
relles, etc. ; le Château , résidence du Gouvernement, l'hôpital cantonal, et l'église
allemande. 1^ Cité domine la place de la Palud, où se trouve THÔtel-de- Ville. A son
tour, elle est dominée par la campagne de l'Hermitage et par le Signal, derrière lequel
s'étend le bois de Sauvabelin {sylia Belini). La place de la Riponne {Ripœ unda) sé-
pare la Cité de Saint-Laurent; autour de cette place se montrent les tilleuls ée la
Madeleine, la Halle aux blés, le Musée Arlaud , école de peinture , l'Ecole de charité .
l'église catholique , les campagnes du Valentin et de Riantmont. Au sortir de la
place du faubourg de Saint-Liaurent, on trouve l'Asile des aveugles, belle fondation
de M. Haldimand ; puis les campagnes de Beaulieu, du Belvédère , de Collonges, de
la Chablière et du Désert. Une route nouvelle , qui se prolonge vers Yverdon, passe
entre les campagnes de Vernand, et conduit à Bel-Air, habitation de M. Troyon, qui
possède un riche musée d'antiquités. — Lausanne est le centre où se réunissent les
diverses Sociétés d'Utilité publique, des Sciences naturelles, d'Histoire de la Suisse
romane, celle des pauvres incurables, etc. Une société artistique et littéraire avait
Û
^ t
LA SUISSE PITTORRSQrR. 48S
naguère encore tous les quinze jours , en hiver, des réunions de chant, de musique
et de lectures publiques.
A l'occident de Lausanne s'étalent , de deux en deux lieues , au pied des monts
de la Côte, les jolies villes de Morges, Rolle, Nyon et Coppet, ornements du rivage.
Marges {Morsee, 3300 âmes) a un arsenal et de jolies promenades; sur les coteaux
qui la dominent se montrent les tourelles du château de WulTIens. Saluons en pas-
sant le château d'Allamand {Ad Lemannm). Rolle (1500 âmes) se cache derrière
Tile qui porte le monument élevé à la mémoire de La Harpe. Le château qui se voit
h gauche de la ville est celui de Rosey. Nyon {Nems, 2460 âmes) est entourée de
lielles habitations de campagne , parmi lesquelles mérite d'être remarqué le château
de Prangins, naguère la propriété du général Guigner, et qui fut en 4844 la rési-
dence de Joseph Bonaparte. Le château qui domine le bourg de Coppet (500 âmes)
est plein des souvenirs de la famille Necker et de M"""^ de Staël. Sur les collines de
la Côte se dessinent le beau village de Begnins ; le signal de Bougy, point de vue
d'une admirable beauté; l'Elysée de M. Fr. Delessert, et la ville d'Auhonue
(4600 âmes), avec son château, jadis la retraite de Du Quesne, et celle du voya-
geur Tavernier. Derrière les coteaux, et au pied du Jura, se cachent de riches vil-
lages; celui de Bière possède à lui seul quelques mille poses de forêts et de pâturages,
que l'on peut estimer quatre à cinq millions. Dans le Jura, le val de Joux renferme
une active population , partagée entre les soins de la vie pastorale et les travaux de
l'horloger. On y descend de gradins en gradins, jusqu'au bassin qui renferme les
trois lacs de Joux, de Ter et des Brenets. On assure que les moines, premiers coloni-
sateurs de cette contrée , voulant augmenter la pèche , fermèrent les entonnoirs par
lesquels ces lacs se dégorgeaient dans les profondeurs du Jura, et en élevèrent le
niveau à une hauteur inférieure à celle qu'ils doivent avoir eue en des temps reculés ,
mais supérieure à celle qu'ils ont de nos jours. Longtemps la voix de la prière et la
hache du bûcheron se firent seules entendre dans la vallée. Enfin Vinet-Rochat vint
(le Bourgogne fonder, près des sources de la Lionne , des forges, commencement de
l'industrie aujourd'hui florissante de la contrée. La couche végétale n'a que quatre h
six pouces d'épaisseur, douze â dix-huit dans les lieux les meilleurs. L'orge ne réussit
que dans les communes de l'Abbaye et du Lieu ; dans celle du Chenit on est réduit
h l'avoine et aux fourrages. Le lin ne prospère pas. Le seigle du printemps donne
plus de paille que de grain. Du côté de France , la forêt du Risoud, vaste rideau long
(le 27,000 pas, sépare la vallée de Joux de la Franche-Comté. Des sommités du
Mont-Tendre et de la dent de Yaulion , des monts qui lient ce bassin au reste du
canton , la vue s'étend sur le Pays de Vaud , les lacs , la chaîne des Alpes, la moitié
de la Suisse.
Derrière Lausanne, et au cœur du pays, se trouvent le bourg d'£c/iaitefw ( Tscher-
lilz) et les petites villes de Cossonay et de La Sarraz; l'hospice de Saint-Loup^
fondation bienfaisante de M. Butini; la ville d'Orbe {Urba, 4900 âmes), autrefois
capitale d'un des cantons de l'Helvétie, résidence des patrices dans le moyen-âge, et
qui se glorifie encore aujourd'hui de son beau pont et de ses alentours. Romaimno-
tier ( Romanis ^mmaslerium ) repose en un vallon tranquille, ombragé, vraie retraite
monastique. Une arête du Jura sépare ce bourg du village de Vallorbe (4500 âmes),
ancien prieuré, où l'Orbe met aujourd'hui en mouvement les soufflets de trois grands
48(J LA snsse pittori»o»'R.
feux de Torges el quinze marlinels. Près de Vallorbe sont la source de TOrbe, le sou-
terrain le Temple ihs Fées, el la Ixîlle casc*-ade connue sous le nom de SniU du Durs.
Le long du Jura se montrent les Iteaux villages de Valeyres, de Ranoes el de
Kaulmes, rival de celui de Bière |>ar sa richesse. Derrière les roclies de Baulmes est le
vallon de Sainlt* Cmi.r, où Ton faisait naguère encore 50,000 boites <^ musique par
an, el qui verse annuellemenl dans le cx)mmerce plus de 5000 montres.
Le vallon de Sainle-Ooix débouche dans la plaine ondulée qui descend au lac de
NVuchilel, couverte de nombreux villages, parmi lesquels se font remarquer ceux
de Honiillais el de Concis*». C'est entre ces villages que s'est engagée la bataille de
(iratuUnn, Le clu\leau et la ville de ce nom se dessinent sur le rivage. A rexlrémilé
du lac repose la jolie ville d' Yrerdon ( Qislrum Ebrodnneine,
Ifferteu, 3000 âmes), avec ses promenades, son port, sfô débri^i
romains , recueillis dans rhôtel-de-ville , sa bibliothèque pu-
blique, son château, naguère la demeure de Pestalozzi, et nm
inslilul de sourds-muets. A Test d'Yverdon s'élèvent les dernières
ramiHcalions du Jorat, Arcadie couverte de forêts de chênes et
semée de villages nombreux, Ronai , Chanétiz, Cshuvannr h-
(Ihène, Biolfij; au pied des monts, Yvonand se montre à quelque
dislance du rivage, qui jadis arrivait jusqu'à ses jardins.
La roule qui conduit de Lausanne à Berne gravit péniblement le Jorat, pour
des(»endre dans la tranquille vallée de la Broie, et s'y prolonger jusqu'à Morat. Elle
Iravei^se trois villes. Momlon (Mhwlnnum, Mihlen), ancienne capitale du pays,
possède encore la maison dans laquelle on assure que s'assemblaient les EtaU.
L'église de Saint-Etienne semble reproduire la cathédrale de Lausanne dans des
proportions réduites. Celle de la reine Berthe, à Payerne ( Peierlhigen ), est une œuvre
d'architecture qui mérite d'être étudiée. Les pierres, tirées des ruines d'Avenches,
et les murs, de pierrailles coulées en mortier, ne forment qu'une masse compacte.
Avpiiches ( Wifflisbntg) conserve dans un musée, commencé trop tard, des restes
de son antique grandeur.
Une voie nouvelle, qui de Lausanne conduit directement à Fribourg, franchit le
Jorat à travers les vallons de Savigny et des paysages toujours nouveaux, toujours
saisissants, et descend dans la tranquille vallée A'Oron, presque enclavée dans le
canton de Fribourg.
Une dernière roule part de Lausanne pour se diriger vers le Vallais et l'Italie.
Elle passe sous les coteaux vineux de La Vaux {Ryfflhnl), à travers les petites villes
de Lntry, Cally el Sainl-Saphovin. Vevey, ville charmante, peuplée de 5 à 6000 âmes,
esl le séjour d'étrangers nombreux qu'attirent la beauté du site et la douceur des
mœurs des habitants. Le voyageur s'arrête à visiter le temple de Saint-Martin, la
maison qu'a habitée Ludlow, la belle place du Marché, à l'angle de laquelle s'élève
le palais Couvreu. Tous les étrangers qui l'ont habité, s'accordent à nommer le bel
hôtel des Trois-Couronnes, l'hôtel modèle. Du belvédère de l'hôtel, la vue embrasse
le lac, les monts de Meillerie, la Dent du Midi, la chaîne des Alpes vaudoises, les
châteaux de Blonay, du Châlelard, de Chillon, une nature qu'aucune autre ne sur-
passe en grâce el en majesté. Montretu n'est pas le séjour d'étrangers moins nom-
breux que Vevey. Son climat est celui de l'Italie. Les Alpes protègent ce rivage
LA Si:iSSK PITTOUFXQIE.
ltS7
Le château île Cliillon.
coiilie le vent du nord. Cliillon est plein du souvenir de Bonnivard. y^illeneuce est
assise à Textrcmité du lac, au pied de la colline sur laquelle s'élève l'hôtel Byron.
Plus loin, la route s'engage dans la vallée du Rhône. Elle passe à Aùfle et h Bex. Les
environs de Bex, sa plaine, ses vergers, ses bois de châtaigniers, ses l)elles Alpes,
ses siilines dans la profondeur des monts, son tiède climat, en font un lieu recherché
des étrangers. Le canton se termine aux bains de Lavey, situés au-delà de Saint-
Maurice, sur la rive droite du Rhône. (Consultez sur ces bains les Annales de pluj-
sûine et de chimie, LVIII, 109.) Au-dessus de la vallée du Rhône s'étend le labyrinthe
des Al|)es vaudoises, riches en beautés pittoresques, en scènes de grandeur et de
paix. L'habitant de la plaine vient volontiers, dans Tété, respirer l'air pur et frais
dans ce^ hauts vallons. La cime de Naïe, Janian, la belle vallée de Chdteau-d'OEx,
les bords encaissés de l'Hongrin, les lacs charmants de Liaason aidWrnon, ceux de
Chamosaire, le inede Cluinssy, le Plan des Iles, avec ses nombreux chalets semés au
pied de l'amphithéâtre des Diablerets, les villages de chalets de Tareyanmz et
d'Enseindaz, les bords enchanteurs de VAreneon, les forêls de mélèzes (|ui se déploient
comme la plus riche des parures autour de Gryon, et bien d'autres lieux encore,
rornement de cette nature magnifique, sont, chaque année, le but de pèlerinages
nombreux. Partout on trouve des hôtels, à (jryon, aux Ormonts, à la Comballaz,
à Chàteau-d'OEx, et à la Rossinière, où la yrande maison, percée de 113 fenêtres
et couverte d'inscriptions, selon Tusage des Alpes, réunit, chaque élé, une société
cultivée et nombreuse dans la liberté des Alpes.
L. VULLIKMIN.
~^^^'
CANTON DU VALLAIS.
Limites, Etkndie, Climat. — Le Vallais, le 20* Cîinlon de la Confédération suisîje.
t*st borné au nord par les cantons de Berne et de Vaud, au sud par les Etats sardes,
à Test par les cantons du Tessin et d*Uri, et à Touest par la Savoie, le Léman el le
canton de Vaud. Il consiste en une longue et étroite vallée, creusée dans le sein des
Alpes, sur une longueur de hO lieues, touchant d'un cdté aux pics neigeux de la Furka.
et de l'autre aux rives enchanteresses du4ac de Genève. Deux chaînes de montagnes
hautes et escarpées Tentourent, gigantesques remparts qui semblenten vouloir fermer
complètement l'accès. Sur leurs cimes s'étalent, aux rayons du soleil, une successioii
|K)ur ainsi dire non interrompue de glaciers, qui forment à tout le pays une ceinture de
leurs neiges immaculées ; réservoirs glacés d'où s'échappent en bouillonnant une
multitude de cours d'eau. Ceux-ci ont creusé dans les deux chaînes principales de
profondes vallées latérales ; ils vont se peixlre dans le Rhône, qui traverse la plaine.
Des forêts remontent les flancs des montagnes, dont les croupes se couronnent de mai-
sons éparses , de villages rustiques , de chalets tout retentissants des clochettes des
troupeaux. Dans la plaine , les habitations se groupent sur quelque éminence, ou se
collent aux rochers voisins, pour échapper aux dévastations incessantes du Rhône.
Placé sur les confins de l'Italie, le Vallais doit naturellement subir rinfluence de la
température de cette dernière contrée : aussi, tandis que, dans les hautes régions,
l'air frais de la montagne se joue entre les sapins et les plantes appartenant aux con
trées du nord , à Sion et dans la partie centrale du pays les amandiers et les figuiers
prosi)èrent el se couronnent de fruits sous l'influence d'une chaleur tropicale. Du-
rant l'été , la rosée ne tombe point dans les localités les mieux abritées ; aussi la sé-
cheresse s'y fait-elle sentir très-fréquemment. — Des catastrophes de tout genre ont
éprouvé el éprouvent encore journellement le Vallais. Aux dévastations annuelles
causées par le Rhône el ses affluents, viennenl se joindre les tremblements de terre,
jqui , relativement aux pays environnants, y sont fréquents « el se font sentir surtout
•; V YORK
.. - 1
'^>eiV'W\
VALLÉK bU RHÔNK
13.
LA SUISSE PIÎTORESQLE. 489
dans la imrlic supérieure du canton. Un désastre de ce genre, tout récent, vient en-
core d'épouvanter les populations, en causant un dommage évalué à plus de 500,000
francs. Les chutes de montagnes ne sont point rares : on cite celle du Tauredunum,
en 563; un éboulement qui détruisit en 1545 les bains et le village de Bagnes; la
chute d*une montagne au Simplon, en 4597, etc. Divers pics des Diablerets s'é-
croulèrent en 1714 et 1749 ; le même fait se répéta à la Dent du Midi en 1835. A
tout cela , il faut encore ajouter les désastres causés par les avalanches et la chute
des glaciers; le village des Bains de Loêche fut maintes fois détruit de fond en comble
par ces énormes masses de neige. Le 18 février 17^20, une avalanche terrible en-
gloutit le village d'Obergestelen , vallée de Gonches, et 88 personnes trouvèrent la
mort dans ce linceul glacé. On grava l'inscription suivante sur la tombe qui reçut
leurs dépouilles : 0 Dieu ! quel deuil ! 88 dans un seul sépulcre ! — Le canton du Yal-
lais est le cinquième en grandeur de la Confédération : il a 19? lieues carrées. Sa
population est de 81,559 âmes.
Montagnes, Glaciers, Plaines. — Deux longues chaînes de montagnes se déta-
chant du massif du Gothard , enceignent le Vallais et le Umitent par leurs contours.
La plaine, i*esserrée entre ces deux puissantes murailles, atteint à peine une lieue
dans sa plus grande largeur ; elle présente deux défilés remarquables, l'un à l'entrée
de la vallée de Gonches, l'autre près de St. -Maurice, où la chaussée et le fleuve se
disputent un étroit passage aux pieds des gigantesques pyramides de Morcks el du
Midi. Les Alpes bernoises courent à peu près parallèlement au Rhône, tandis que la
chaîne méridionale , s'écartant graduellement du fleuve pour le rejoindre ensuite ,
s'arrondit en un immense demi-cercle, d'où descendent treize vallées. Gettê partie
des Alpes était connue des anciens sous le nom d'Alpes Lépontiennes et Alpes Pen-
nines. Sur la limite entre le Yallais et les Etats sardes, et pour ainsi dire immédia-
tement au-dessus des plaines fertiles de l'Italie, s'élève une forêt de pics de 10 à
14,000 pieds de hauteur : ce sont le Mont-Rosa, le Moni-Cervin, les Mischabel, etc.
A leui's pieds s'étalent les glaciers, avançant ou reculant dans les vallées, pous-
sant au loin leurs moraines, et remplissant comme une coulée de lave le vide
ouvert devant eux. Les plus importants de ces formidables amas de neige sont le
Gornergleischer dans la vallée de Zeriuati, le glacier de Zinal dans le val d'Anni-
viers, celui de Ferpèck dans la vallée d'Hérens, etc. Les passages les plus fréquentés
qui traversent cette chaîne et conduisent en Italie sont le Simplon, le Saint-Ber-
nard , le col Saint-Théodule, etc. Au Saint-Bernard, la chaîne se bifurque : l'un des
rameaux court vere le sud-est et entre en Savoie: c'est le Mont-Blanc; l'autre se
dirige au nord, élevant dans les airs la Dent du Midi, à 10,107 pieds au-dessus de la
mer. — La chaîne septentrionale court du nord-est au sud-ouest jusqu'à Martigny,
d'où , changeant brusquement de direction , elle se dirige, en s'abaissant considéra-
blement, vers le nord-ouest. La partie de ces montagnes comprise entre la Furka
et la vallée de Lœtschen fait partie de l'énorme massif des Alpes bernoises, au-dessus
duquel s'élancent l'Eiger, le Mœnch et la Jungfrau. Nulle part en Suisse la nature
n'a accumulé un amas de roches aussi compacte ; aussi s'est-elle plu à le couronner
du glacier A'Aletscli, le plus étendu que l'on connaisse. Le Rawyl, au-dessus d'Ayent,
le Sanetsch, non loin de Sion, la Gemmi, aux Bains de Loëche, et le Grimsel,
au sommet de la vallée de Gonches, servent de communication entre le Yallais et
11. 3u 6!2
490
LA SliSSE PnT0BE8Qi:e.
\p canton de Berne. — Le Vallais renferme 130 glaciers; le districl d'Entremonl
en compte 17 à lui seul.
Rivières et Vallées. — Le Rbdne traverse le Vallais dans toute sa longueur; tv
fleuve, que les anciens virent sortir des /mvlrs de la nitit Hernellc, est Tun des plus
considérables de FEuroix;. Il naît au pied des âpres sommets de la Furka, fuit
impétueux au milieu des terres et des roches éboulées; puis, parvenu dans la
plaine, coule avec majesté, dessinant dans les campagnes des méandres eapricieui,
semant toute la contrée de marécages, et se jouant des frêles barrières opposées à
^^es dévastations. Aux jours de sa fureur, il s'étend dans les campagnes et les con-
vertit en un vaste lac aux ondes jaunâtres, au-dessus desquelles apparaissent comme
des oasis les bouquets d'arbres et les villages. Les plus désastreuses de ces inonda-
tions furent celles de U72, 1571, 1626, 1726, 1834 et 1849. Parvenu à Martigny,
le fleuve fait un angle d'environ 60 degrés et se dirige vers le Léman , où il se
plonge â peu de distance du Boveret. Son onde grisâtre trace au sein du lac uu
long sillon frangé d'argent, qui tranche vivement sur les teintes si harmonieuses du
plus beau des lacs, lies alluvions que le fleuve entasse chaque année vers son em-
bouchure, font reculer insensiblement le lit du Léman : la tradition raconte que Tou
voyait jadis â Port- Vallais des anneaux scellés aux rochers , où venaient s'amarrer
les barques.
Un immense glacier, encaissé entre le Gerstenhom et le Galenstock , passe pour
être le réservoir d'où naît le Rhdne; mais trois petites sources, placées plus haut,
à 5382 pieds au-dessus de la mer, et dont les eaux disparaissent bientôt sous la
voûte du glacier, revendiquent à plus juste titre cet honneur. Ces sources ne gèlent
jamais: elles ont constamment une température de 14". On prétend qu'elles ont
une légère saveur sulfureuse. — Le glacier du Rhône est l'un des plus beaux que
l'on connaisse : il ne ressemble pas mal â une immense cataracte subitement con-
gelée. La partie supérieure, toute hérissée d'aiguilles fantastiques, de pyramides
aiguës, chatoie de mille reflets. Ici, ce sont les gothiques arceaux d'une basilique;
là, une élégante colonnade; plus loin, un péle-méle admirable, un fouillis indescrip-
tible de pics épointés ou renversés, d'aiguilles élancées, sur lesquelles la lumière.
Glacier du Rb6oe.
LA SUISSE PITTORESQUE. U9i
en se jouant, produit des effets charmants. Ija partie inférieure du glacier se présente
au contraire sous la forme d'une masse compacte et bombée , toute zébrée de cre-
vasses béantes. Tout au bas, d'une voûte peu élevée, naît le Rhône. Il reçoit dans
sa course jusqu'au Léman environ 80 affluents que dégorgent les glaciers de tout le
pays. La Drame, le plus important de ces cours d'eau, se compose de trois bras, qui
se réunissent à Orsières et à Sembrancher, et arrosent la triple vallée qui forme l'En-
tremont. Cette rivière s'est acquise une triste célébrité par les ravages qu'elle a
exercés, notamment en 1818, dans la contrée qu'elle parcourt. Celui des bras de la
Dranse qui descend du glacier de Chermontanaz s'était, depuis des siècles, frayé
un étroit passage entre le Mont-Pleureur et le Mau voisin; mais, en 1818, des blocs
de glace, descendant du Giétroz, obstruèrent le canal, et il s'y forma un lac, qui,
déjà au 16 mai, n'avait pas moins de 7200 pieds de longueur, sur 180 de profon-
deur. Une galerie, taillée à grands frais dans cette muraille de glace, promettait
tes plus beaux résultats, et le lac s'écoulait insensiblement, lorsque la digue, se rom-
pant tout à coup, le 18 juin, les eaux se précipitèrent avec une force indicible dans
la vallée, dévastèrent tout ce qu'elles purent atteindre, et arrivèrent en moins de
deux heures au lac Léman. Des blocs de granit, de dimension colossale, déposés le
long et surtout au débouché de la vallée , attestent encore la puissance de la colonne
dévastatrice. Une cinquantaine de personnes perdirent la vie: digues, ponts, habi-
tations , bétail , tout ce qui se trouvait sur les bords de la rivière fut emporté. Les
dommages furent évalués à 1,200,000 francs anciens. — La Dranse cause encore
chaque année des dommages plus ou moins considérables à la vallée de Bagnes : en
18S5, le village de Chabloz a été inondé en grande partie, et les prairies voisines
dévastées.
La Viége arrose la vallée à laquelle elle a donné son nom ; elle est formée de deux
bras, qui se réunissent en dessous de Stalden. L'un sort du lac de Saas, sur le
Monte-Moro ; l'autre naît du lac de Gorner, au fond de la vallée de Zermatt. Rivière
impétueuse, elle l'emporte souvent en volume d'eau sur le Rhône, qu'elle rejoint
près de Viége. Elle a souvent ravagé les campagnes voisines; par une singularité
assez remarquable, son lit est de treize pieds plus élevé que le bourg de Viége, dont
elle rase les murs, contenue à grand'peine entre des digues à peine suffisantes.
Les rivières les plus importantes, après celles que nous venons de nommer, sont la
Uyiiza, dans la vallée de Lœtschen ; la Dala, à Loeche ; la Navizence, au val d'Anni-
viers; la Borgne, dans la vallée d'Hérens; la Morge, descendant du Sanetsch; la
Vièze, dans le val d'Ulier, etc.
On compte en Vallais seize vallées latérales : trois dans la chaîne septentrionale
des Alpes, et treize dans la chaîne méridionale. Elles débouchent la plupart dans le
grand bassin du Rhône. La vallée de Cotiches n'est que la continuation de la grande
vallée du Rhône, qui, à partir de Brigue, se dirige vers le nord-ouest; nous en parle-
rons plus loin, ainsi que de la remarquable vallée de Viége. La vallée de Lœtschen,
sur la rive droite du Rhône, aboutit au magnifique glacier d'Aletsch ; contrée mysté-
rieuse et sauvage, elle semble, en rétrécissant son entrée, vouloir se dérober aux
yeux du monde. La Lonza roule entre les deux versants des monts, en frappant les
échos du tonnerre de sa voix, tandis qu'une route nouvelle, fruit du génie moderne,
serpente à mi-côte. La vallée de Lœtschen communique avec le canton de Berne par
493 u suisse pittoursque.
le Tschingel et le Lœtsehberg. — Le val d'Anniviern s*ou vre en face el un peu en aval
(le Sierre; il offre une série de sites romantiques et sauvages, à rextrémité desquek
pyramident, comme trois sœurs jumelles, les dents de Zinal, de Gabel et le Rolhham.
liC col de Torrent conduit les Anniviards dans la vallée AHèretis, profonde de httil
lieues. La vallée de Bagnes n*est pas moins intéressante par ses vertes pelouses, ses
la(!S enchanteurs et ses glaciers immenses, d'où s*échappe la Dranse. Plus loin, la pîl-
loresque vallée lïEulremanl conduit au Grand Saint-Bernard, tandis que quelques
touristes hardis s'acheminent à Chamonix par celle de Salrnn. Enfin, au-dessus di'
Monthey s'ouvre le val d'IlUer.
Lacs et Cascades. — Le Vallais ne renferme pas moins d'une trentaine de petiu
lacs, la plupart perdus dans les hautes Alpes, dont ils réfléchissent les cimes élancées.
Nous mentionnerons le lac de Saon, d'une lieue de circuit; c*elui AWletsch, au pied du
glacier du même nom; le Danbemee, sur la Gemmi, lac terne et mélancolique, au
sein d'une contrée déserte ; le lac de Gérofide, où se mirent les ruines de la chartreuse
d'Aymon de la Tour; le lac de Derboretitze, formé en 1749 par la Lizerne, dont le
cours fut interrompu par l'écroulement de l'un des pics des Diablerets. Le lac du
Suint' Bernard baigne les murs de l'hospice ; sa teinte grisâtre s'harmonise parfaite-
ment avec la niture sévère des rochers qui l'enceignent. A quelques lieues plus bas,
le lac de (lhamj)ey étincelle comme une émeraude dans son cadre de blocs granitiques;
un ilôt charmant s'élève du sein des eaux, supportant un bouquet de sapins de
l'aspect le plus pittoresque. Enfin, n'oublions pas le Léman, qui baigne le territoire
vallaisan sur un espace d'environ une lieue, de l'embouchure du Rhône à Saint-
Gingolph.
Les chutes d'eau les plus remarquables sont : la cascade de la Pissem4:he, entre
Martigny et Saint-Maurice ; celle de la Tourtefuagtie, haute de 80 pieds ; celle de In
iiamsa, dans le Nansthal; celle de VEgine; celle de la Data, aux bains de Loêche; et
celle de la Dranse, de Valsorey , près du bourg de Saint-Pierre, route du Grand Saint-
Rernard. La Vièze forme dans le val d'illier une série de chutes assez pittoresques.
Sources, Bains, Eaux minérales. — Le voisinage d'un si grand nombre de glaciers
indique assez que les sources d'eau doivent être abondantes et nombreuses dans le
Vallais. Elles ne sont pas cependant d'une bonne qualité dans quelques localités de
la plaine, telles queSion, Martigny, Monthey, etc.
Les sources thermales de Loeche jouissent d'une réputation européenne. Leur effi-
cacité bien constatée pour les affections cutanées, les scrophules, les affections
rhumatismales chroniques, les ulcères, etc., y attirent chaque année une foule de
baigneurs. Les sources sont au nombre de douze environ, et telle est leur abondance,
que celle de Saint-Laurent seule fournit chaque jour 1,500,000 litres d'eau.
La température de cette même source est de Kl''. Les eaux contiennent du gaz acide
carbonique, des sulfates de chaux, de magnésie, de soude, de potasse et de strontiane,
des carbonates de chaux, de protoxide de fer et de potassium, de la silice, etc. elc.
Une pièce d'argent déposée dans cette eau se couvre d'une couche solide jaunâtre. —
On administre de diverses manières les eaux de Loêche : en bains, en boisson, en
douches. Les bnins sont pris en commun dans de vastes piscines, qui reçoivent 2S à
30 malades à la fois. Le premier jour, le baigneur ne reste qu'une heure au plus
dans l'eau ; mais il va graduellement, de sorte qu'à la moitié de sa cure, il doil
LA S01SSE PITTORESQUE. h9Z j
rester pendant huit heures plongé dans le bain. Lorsque Téruption cutanée, appelée
poimée, s'est manifestée, on diminue dans la même proportion la durée du bain. —
Les bains de Snxon sont peut-être appelés à une renommée plus grande encore, la
présence de Tiode dans les eaux de la source étant dûment constatée. L'établisse-
ment est monté sur un très-bon pied, et est pittoresquement assis à la base du pic
de Pierre-à-Voir. — Morgens, petit vallon qui sert de communication entre le Bas-
Vallais et la vallée d'Abondance, offre une source dont les propriétés curatives sont
remarquables, et qui est connue dans les environs sous le nom à' Eau nmfe. Elle est
«linsi nommée d'un sédiment ocreux rougeàtre, contenant de l'acide ferrique, qu'elle
dépose sur ses bords. Une analyse faite en 1853 a démontré qu'un litre de cette eau
contient 0,20 centigrammes de carbonate de fer. Un grand hôtel, appartenant à la
commune de Trois-Torrens, s'élève non loin de la source, au milieu de quelques
chalets, où les habitants de Monthey viennent passer l'été. — Les eaux de Brigue
ont, quoique à un degré inférieur, les mêmes propriétés que celles de Loeche. On a
découvert en 4847 une caverne attenant à la source, et qui est constamment rem-
plie d'une vapeur pareille à celle d'une étuve. Geschenen, Asp, au-dessus de Loëche,
Bovernier, etc., possèdent des eaux sulfureuses. Le Bothhach, près de l'église de Saas,
les eaux purgatives et fébrifuges à'Anynport, vallée de Viége, jouissent d'une cer-
taine réputation parmi les gens de la contrée. Saillon, Sembrmicher, Bagms, offrent
en outre des sources d'eau minérale. Une source d'eau salée, découverte en 1544, h
Combiolaz, dans la vallée d'Hérens, ne sert plus actuellement qu'aux ablutions des
campagnards voisins.
Histoire naturelle. — Règne aniniaL La faune du Yallais renferme environ 400
espèces de vertébrés. Quelques familles ont disparu, détruites par les chasseurs : tels
sont les cerfs, les chevreuils du bois de Finges, les bouquetins, etc. Ceux-ci, cepen-
dant, se présentent encore à de rares intervalles, dans les environs du Mont-Rosa.
Le Yallais est très-riche sous le rapport ornithologique, le passage du Simplon offrant
aux oiseaux la voie la plus courte pour se rendre dans le Midi. On distingue le
lœmmergeyer, le coq de bruyère, la perdrix grise, la perdrix des neiges, etc. Les
insectes sont fort nombreux, et ravagent quelquefois la contrée: en 1837, des nuées
de sauterelles ont fondu sur les campagnes de Viége et y ont tout dévasté. Les loca-
lités les plus chaudes du pays possèdent la menthe religieuse et la cigale. Les papil-
lons sont également nombreux, tandis que les poissons, vu la hauteur des lacs et la
rapidité des torrents, sont rares. Le Rhône seul en offre une assez grande variété,
et notamment d'énormes truites.
Règne végétal. Le Yallais possède les sept huitièmes des plantes suisses : c'est assez
dire quelle est la richesse de sa flore. Le pays a, en outre, ceci de particulier, qu'il
renferme des plantes appartenant les unes aux contrées méridionales, et les autres
aux solitudes glacées du Spitzberg. La végétation présente quatre régions verticales,
qu'il est aisé de distinguer : la première est celle des cultures; la seconde, celle des
conifères; les pâturages des Alpes forment la troisième, tandis que les lichens végè-
tent & peine dans la quatrième. On remarque également sous le même rapport deux
régions horizontales : l'une comprend le Bas- Yallais avec ses châtaigniers et ses
ormes; l'autre, la partie supérieure du canton. Le point le plus élevé où l'on trouve
des phanérogames, est le col du Cervin, â 3400 mètt^es au-dessus de la mer.
I
h9h LA snssR pittoresqI'E.
Hègiui minéral. Le Vallais n*esl pas moins iatéressant pour le minéralogisle et If
géologue. La struclure de ses montagnes, ses glaciers, ses mines, ailirent Taitention
des hommes de la science. Les blocs erraliques sont nombreux en Vallais : on en
trouve un Tort remarquable à Sion, sur le versant occidental de la colline de Tour-
billon. Les alentours de Monthey en otTrent pareillement un grand nombre : TEtat
du Vallais en a fait don h M. de Charpentier, récemment décédé, qui s'en était princi-
palement ocou|)é. — On a exploité et on exploite encore plusieurs mines dans k"
(*anton ; mais, soit manque de minerai, soit difficulté d'extraction, le succès n*a guère.
jusqu^à ce jour, couronné les efforts des entrepreneurs. La mine d'argent de Peiloz
(vallée de Bagnes) occasionna de longs débats entre les évéques de Sion et deux Ber-
nois qui la découvrirent. Le cardinal Schinner termina cette affaire, et poussa
vigoureusement les travaux. A Theure qu'il est, ils sont abandonnés. Les mines
actiiellement exploitées sont les suivantes : les mines de plomb argentiière de Lœt-
s(*hen, de Nendaz, d*Iserabloz; la mine d'or de Gondo; les mines de fer de Chamoson
et de (]hemin, dont Textension donnée en 1852 aux forges d'Ardon a accru Tim-
portancc ; les mines de nickel d' Annîviers, dont on voit la fonderie à quelque dtstaoce
de Sierre, etc. Dans la colline des Mayens de Sion, on exploite, depuis peu d'années,
une mine d'anthracite, qui fournit des produits abondants. Les carrières d'ardoises de
Vernayaz, quelques carrières de marbre, de pierres à fourneaux, à Bagnes, à Evolène,
à Viége et à Imioch, occupent un bon nombre de bras. Il est à remarquer que le
gouvernement du Vallais n'exploite aucune mine pour son propre compte : il se
contente d'en céder Texploitation à des particuliers pour un certain laps de temps.
Antiquités. — Le séjour des Celtes en Vallais est attesté par divers monumenbi
et par les noms que portent quelques localités du pays, tels que Sedunum, Bri^t,
Oriodnrum . La dénomination de Vallh PmnitM, sous laquelle les Romains connaissaient
la contrée, dérive du celte {Penn, sommité, pointe). Les Sarrazins et les Huns ont de
même laissé des traces de leur passage, soit dans les mœurs de quelques vallées
reculées, soit dans les noms de certains villages. — Les Romains comprirent de bonne
heure 1 importance de la position du Vallais, comme route militaire et comme route
mercantile. Aussi, après avoir vaincu les indigènes près d'Octodurum, Galba sem-
pressa-t-il d'établir des postes militaires depuis le St.-Bernard {Mom /om) jusqu'au
Léman. Auguste fit ouvrir et réparer des routes. Un temple à Jupiter Pennin s'éleva
sur le sommet du passage du St. -Bernard, et chaque voyageur reconnaissant témoi-
gnait de son heureuse traversée en appendant aux murs de l'édifice un ex-voto gravé
sur une plaque de méta|. Les religieux du St. -Bernard en ont retrouvé un bon
nombre sur l'emplacement qu'occupait le temple, et en ont formé un petit musée
archéologique. On y remarque des médailles, des statuettes de Pan et de la Victoire,
des armes, des instruments de sacrifice, etc. Saint-Pierre, petit village placé sur la
route, offre une colonne milliaire datant du règne de Constantin, tandis que Martigny,
St.'Maurice, Massongcr, Fully, Sierre et Sion possèdent des inscriptions romaines,
la plupart assez bien conservées. Dans cette dernière localité, on remarque, dans le
vestibule de l'hôtel-de-ville, une autre pierre milliaire qui porte le nom de Volu-
sionus, associé à l'empire par Gallus. L'ancien château de Valère, qui domine cette
même ville, a conservé le nom de Valefia, mère de Campanus, préfet du prétoire
de Maximien, dont le tombead, élevé par cette matrone, se voyait au pied de la
LA SUISSE PITTORESQUE. 495
colline. Tarnade (St. -Maurice), point stratégique important, renfermait un temple
de la déesse Hydine, consacré aux dieux mânes. Les Romains morts dans les Gaules,
et craignant pour leurs cendres les fureurs des barbares, s'y faisaient ensevelir. Ceci
explique la grande quantité de pierres tumulaires que Ton y a déterrées : monuments
si nombreux, que l'ancien pavé de Féglise abbatiale en était entièrement composé. —
Brigue prétend avoir remplacé le Viam Viberinis du Bas-Empire, et appuie ses préten-
tions sur les restes d'un long et massif rempart, que Ton remarque entre Gliss et Viége,
et qui pourrait être le Munis Vibmcas, — Les bains dé Loëche étaient déjà connus
des Romains. Ils y ont laissé un tombeau et des médailles récemment découvertes
dans un banc de tuf. Les autres localités du pays où Ton a découvert des construc-
tions et des monnaies romaines, sont Yionnaz, Ârdon, Trois-Torrens, etc. Quel-
ques-unes sont déposées au Musée cantonal. La voie militaire franchissait le Rhône
à Massonger, sur un pont, dont on voit encore les culées quand les eaux sont basses.
Un détachement de la ^l"" légion gardait le passage pendant le règne d'Alexandre
Sévère : une inscription trouvée sur les lieux et placée actuellement sur le portail
du théâtre de Saint-Maurice, en fournit la preuve.
Histoire. — Les premiers habitants du Yallais furent, d'après les Commentaires
de César, des peuplades de la Gaule celtique. Ils se partagèrent le pays et s'établi-
rent, les Vibériens près de la Furka, les Séduniens dans le centre du pays, les
Véragres à Martigny, et les Nantmtes depuis le Mauvoisin au-dessus de St. -Maurice
jusqu'au Léman. Un combat terrible entre les Helvètes et les Romains, entre
Divicon et Cassius, ensanglanta de bonne heure la contrée : l'armée romaine y fut
anéantie, et ses débris sanglants durent passer honteusement sous le joug, l'an 107
avant J.-C. Bientôt après, Jules-César envoie Galba, son lieutenant, soumettre les
Véragres, les Nantuates et les Séduniens ; les indigènes assaillent les étrangers, sont
vaincus, et les aigles romaines planent sur les hauteurs d'Octodurum. Les Vallai-
sans courbent ainsi la tète sous la domination romaine ; Auguste leur confère le
titre de citoyens, et se les attache en leur accordant des droits et des prérogatives.
En 69, Cécina, à la tête de ses légions dévastatrices, travei'se le St.-Bernard, tandis
qu'en 302 Maximilien, se rendant dans les Gaules, ordonne près de Tarnade le mas-
sacre de la légion Thébaine, qui refusait de sacrifier aux dieux du paganisme. Le
sang de ces six mille martyrs cimenta dans le pays l'établissement de la foi chré-
tienne, et saint Théodore fonda le monastère de Saint-Maurice, où il déposa reli-
gieusement les ossements des héroïques légionnaires. Les Vandales ariens envahis-
sent ensuite tout le Vallais, le dévastent, et sont remplacés par les Bourguignons,
qui s'y établissent. Sigismond, l'un de leurs rois, dote royalement l'abbaye de Saint-
Maurice, et assemble un concile à Epaune, ville florissante, engloutie peu d'années
après par la chute d'une montagne voisine. Le Vallais passe ensuite aux Francs
(53K), qui s'efforcent de tenir en respect les Lombards, dont les hordes sauvages,
franchissant le Saint-Bernard, avaient à plusieurs reprises dévasté le pays; mais,
déjà trois fois vaincus, ils éprouvent une dernière fois, dans les champs de Bex, la
valeur des troupes de Mommole. C'est vers cette époque (580) qu'il faut rapporter la
translation du siège de l'épiscopat d'Octodure à Sion. — Charlemagne traverse ensuite
à plusieurs reprises le Vallais, pour se rendre en Italie. Dans le cours de ces voyages,
à l'instigation d'Althée, son parent, il comble de présents et de terres l'abbaye de
496 LA St't8SB PITTORESOie.
Sainl-Maurk^e. (On admire encore, dans le trésor du monastère, un vase d*agalhe et
une aiguière donnés par le Roi de rEnro/Hf.) Ses fils se laissent arracher le Valtai^
|mr Rodolphe, fils de Conrad d*Au\erre, qui fonde le second royaume de Boui^ogne.
Il est siicré roi en 888, dans Téglise abûtiale de Saint-Maurice, aux acclamations
d*unc multitude de soigneurs et d'évéques rassemblés autour de lui. Avec Tappui de
Waiter, évoque de Sion, Rodolphe sut habilement se maintenir sur son trône.
Rodolphe 11, son fils, lui succède et augmente ses Etals, tandis que Conrad, qui
règne ensuite, voit le Vallais envahi par les Sarrazins, qui, maîtres du St. -Bernard,
pillaient la contrée, rançonnaient les- voyageurs, et s*établissaient dans les vallées
jusqu'alors désertes. A Textinction de la famille de Rodolphe, le Vallais passe, par
donation de Rodolphe III, aux empereurs d'Allemagne. Conrad-le-Salique le cède
avec le Chablais au comte Hubert aux Blanches-Mains, souche de la maison de
Savoie. Ermanfroi, évéque de Sion, s'attire les faveurs de Tempereur Henri IV, en
facilitant son passage par le St. -Bernard; ce monarque se rendait auprès du pape
pour faire lever l'excommunication qui pesait sur sa tête. En 1127, Conrad de
Zuîhringue est nommé par l'empereur Lothaire recteur de la Petite-Boui^ogne, et par
conséquent du Vallais. Irrités, les Haut-Vallaisans prennent les armes, obtiennent
quelques succès, et parviennent à se maintenir contre les aggressions de Berchtold V.
— C'est à celle époque que commence la longue lutte entre les patriotes, la noblesse
et les évéques du pays, lutte trop longue pour qu'il nous soit permis d'entrer dan^^
quelques détails sur son développement. En 1318, les |)atriotes taillent en pièces la
noblesse, près de Tourtemagne, dans la prairie den Uirmes; puis, quelques années
après, à Saint-Léonard, où Antoine de la Tour paya chèrement l'odieux attentat
dont il se souilla, en précipitant du haut du cliÀteau de la Soie, son oncle Guidiard
Tavelli, évéque de Sion. Edouard de Savoie cherche ensuite, avec l'appui des Ber-
nois, à se maintenir sur le siège épiscopal, où il avait été placé par Amédée; il est
expulsé à deux reprises, et Guillaume de Rarogne lui succède. Ombrageux et mé-
fiants envers tout ce qui semblait porter atteinte à leur indépendance, les patriotes
lèvent la masse contre les Rarogne, et Thomas In der Bund s'immortalise à la jour
née d'Ulrichen, en 1419. Les châteaux de ces seigneurs sont détruits, leurs posses-
sions saccagées, et le duc de Savoie Amédée VUI, ainsi que Guillaume de Challand,
évéque de Lausanne, ont grand'peine à obtenir des Vallaisans que les Rarogne soient
réintégrés dans leurs seigneuries. Jean-Louis de Savoie, évéque de Genève, est battu
le 15 novembrel47S, aux portes de Sion, par les Haut- Vallaisans, aidés d'un renfort
de Bernois et de Soleurois. Fiers de leur succès, les patriotes envahissent les dixaini^
inférieurs et les arrachent à la domination des ducs de Savoie.
Jost de Sillinen, puis le cardinal Schinner, attirent bientôt sur le Vallais les
regards de rEuro|)e entière. Ce dernier surtout, par la part qu'il prit aux guerres
d'Italie, par ses démêlés avec Georges Supersaxo, par l'ascendant qu'il sut prendn*
dans les Diètes suisses et dans les cours étrangères, s'est acquis une place émi-
nente parmi les hommes dont la Confédération s'honore. — La Réforme pénètre
ensuite en Vallais; mais, en 1605, une assemblée populaire décrète le maintien de
la religion catholique : les dissidents doivent renoncer à la foi nouvelle, ou quitter
le pays. Quelques années plus tard, les Haut- Vallaisans achèvent d'établir leur
domination sur la partie inférieure du Vallais, et l'évêque Hildebrand Jost renonce
LA SUISSE PITTOnKSQUiî. 497
Tormellemenl en pleine Diète à la Caroline, charte sur laquelle les évéques de
Sion étayaient leurs prétentions à la souveraineté temporelle du pays. Mais Hil-
debrand n'a cédé qu'aux instances de ses amis et à la force des choses : il essaie
de faire secrètement sanctionner la Caroline par l'empereur Ferdinand II. Les pa-
triotes s'en émeuvent, et Antoine Stockalper, accusé de haute trahison, paie de sa
tète son attachement au parti épiscopal. Enfin Hildebrand, brisé par une lutte de
dix-sept ans, souscrit de nouveau à Sembrancher la renonciation à la Caroline. Dès
cette époque, un calme plus ou moins profond remplace ces temps de luttes inces-
santes. Les Vallaisans se contentent de vendre leurs services aux monarques étran-
gers, jusqu'en 1790, où les Bas-Yallaisans, fatigués du joug et las des exactions de
leurs gouverneurs, commencent à s'agiter, entrevoyant une prochaine délivrance.
En effet, les troupes françaises pénètrent dans le pays en 1798 ; la révolution s'ac-
complit sans effusion de sang, et la souveraineté du Bas-Yallais est solennellement
proclamée le 5 février. Sion résiste; les Français emportent la position de la Morge,
refoulent les Haut- Vallaisans, et pillent la capitale, le 17 juin. — Le pays est ensuite
réuni à la République helvétique. Il se révolte, et est de nouveau ensanglanté par
une lutte terrible entre les Français et les patriotes. Ceux-ci, retranchés dans le
bois de Finges, opposent à l'ennemi une résistance héroïque ; surpris dans leur camp,
ils sont poursuivis, la baïonnette dans les reins, jusqu'au pied de la Furka. Le 14
mai 1800, Napoléon Bonaparte, premier consul, traverse le Saint-Bernard à la tête
d'une armée de 30,000 hommes. Deux ans plus tard, le Vallais est déclaré Etat
libre et indé|)endant; puis est réuni h la France, sous le nom de Département du Sim-
pion, le 12 octobre 1810. Enfin, en 1818, ce pays entre comme vingtième canton
dans la Confédération suisse.
Un des premiers soins de la nation rendue à elle-même est d'élaborer sa constitu-
tion future; mais le^ prétentions de suprématie d'une partie du pays sur l'autre
rendant tout accord impossible, les ambassadeurs étrangers résidant à Zurich inter-
viennent et dotent le Yallais delà Constitution du 12 mai 1815. Les quinze années
qui suivirent sont une période de calme, durant laquelle le canton chercha à oublier
les recrues que la conscription lui avait coûtées, et les pertes dont le passage des
60,000 Autrichiens du général Frimont avait été pour lui Toccasion. Plusieurs lois
utiles sont adoptées dans l'intervalle; mais l'esprit de réaction, commun à cette
époque en Suisse, fait adopter, en matière d'élections de commune, un système élec-
toral peu démocratique, qui soulève les répugnances populaires, amène l'occupation
militaire de Conthey et de Martigny, et ne s'écroule que devant le contre-coup de
la révolution de juillet.
En 1839, le Bas- Vallais demande que chaque district soit représenté au sein du
pouvoir législatif en raison de sa population. Cette réclamation, repoussée par le
Haut- Vallais, est la «luse d'une scission politique importante; bientôt il y a deux
gouvernements en Vallais. La Confédération intervient et ne fait qu'empirer la
situation. Les deux parties du pays en viennent aux mains; après quelques combats,
heureusement peu meurtriers, et qui tournent à l'avantage des districts inférieurs,
tout le canton reconnaît la Constitution du 3 août 1839, qui consacre le principe de
la représentation proportionnelle. La paix semble rétablie; mais bientôt les Bas-
Vallaisans se divisent. La suppression des couvents d'Argovie fournit à quelques
11.30. 63
498 LA susse pittoresoi'c.
esprils remuants un prétexte pour de nouvelles agitations. A leur vot\, une parlif
de la population croit la religion en danger : des lois nécessaires et très-utiles sont
rejeté» par le refetendum. LMrritation fomentée par les écarts de la presse gagne de
proche en proche. La Jeune Snisne, association politique jusqu'alors peu nombreuse,
voit ses rangs se grossir à la suite de Texcommunication lancée contre ses membres.
Des rixes, des voies de Tait, le bris des presses de la Gazette du Simplon, signalenl
cette triste période. Découragé, le Gouvernement de 4840 se retire. Les troubles
continuent de plus en plus intenses. Tout à coup, le Haut-Vallais, qui s'était aroié
et organisé en silence, fond sur la ville de Sion, s'en empare, et envahit les districts
inférieurs. La Diète cantonale sanctionne après coup le mouvement. Les libérau\
des districts occidentaux, accourus pour s'opposer à Tenvahissement du cheMieu,
se retirent alors des environs de la Morge, où ils avaient cru devoir s'arrêter. Ils se
heurtent au Trient contre un corps de la Vieille SuUse, du Bas-Vallais, sont vaincus
et dispersés.
Des persécutions, des exils, l'institution d'un tribunal exceptionnel, marquèrent le
triomphe de la réaction. Pour consolider de plus en plus le régime inauguré après la
sanglante journée du Trient, les pouvoirs publics du Vallais adhérèrent à la ligue du
Sonderbund. Lorsque la Diète fédérale en ordonna la dissolution, le peuple, consulté
à la veille de prendre les armes, dut, au nom de sa religion et de sa souveraineté
menacées, approuver l'accession à l'alliance séparée.
Les événements de 1847 sont connus. Vaincu dans la lutte, le Sonderbund fut
dissous, et la Constitution fédérale du 42 septembre 4848 promulguée. Le Gouver-
nement du Vallais, inauguré à la suite de l'occupation du canton par les troupes
fédérales, dut, pour se libérer des frais de guerre, proposer au peuple, qui y donna
son adhésion, la réunion au domaine de l'Etat des biens du haut clergé. Des con-
ventions postérieures firent rentrer celui-ci en possession d'une partie considérable de
sa fortune. Dèslors, aucun fait bien saillant ne s'est produit dans l'ordre physique,
politique et matériel, à l'exception de la révision de la Constitution cantonale en
48S3, de l'octroi d'un chemin de fer la même année, et du tremblement de terre
de 4855.
CoNSTiTiTio.Ns. — La première Constitution du Vallais, rédigée dans la forme
moderne, est celle du 30 août 4802. Une Diète, exerçant le pouvoir législatif, el
composée de députés choisis dans de certaines catégories par les Conseils de dixains,
proportionnellement à la population, et où l'évéque avait droit de siéger; un (k)nseil
d'Etat de trois membres el autant de suppléants, chargé du pouvoir exécutif; un
Conseil de Dixain, dont le chef siégeait de droit à la Diète, et qui réglait les affaires
dixainales ; un Conseil de Commune administrant les biens communaux et répartis
sant les dépenses locales; dans l'ordre judiciaire, un Tribunal Cantonal civil et cri-
minel, un Tribunal de Dixain civil et criminel, el un juge civil sous le nom de
châtelain : telle était l'organisation créée par cette Constitution, qu'authentiquèrent
à Bex, le 34 août, les envoyés des Républiques française, italienne el helvétique.
Après la chute du régime français, le Vallais fut placé sous la Constitution de
1845, qui ne difTérait de la précédente, dans les parties essentielles, qu'en ce que les
Conseils de Dixains envoyaient à la Diète un nombre égal de députés ; que l'évéque
y était représenté comme un dixain; que le personnel du Conseil d'Etat était accru
LA SUISSE PITTOBESQUE. 499
de deux membres, sans suppléants; que la sanction des lois étail réservée aux Con-
seils de Dixains, et dans trois cas spéciaux à ceux de commune, et enfin qu'elle
exigeait, pour être abrogée, les deux tiers des suffrages de la Diète.
La Constitution du 30 janvier 1839 n'eut qu'une durée de quelques mois. Celle
ilu 3 août de la même année déclara que l'instruction serait appropriée aux besoins
du peuple; rétablit la représentation proportionnelle; donna deux députés au clergé;
introduisit la publicité des séances du Grand Conseil et le veto facultatif des lois par
les assemblées primaires; admit le quart des citoyens vallaisans domiciliés dans la
(commune à faire partie, avec les bourgeois ou communiers, de ces dernières assemr
hiées ; abolit toute candidature aux fonctions civiles ; confia l'élection des députés au
pouvoir l^islatif à des collèges électoraux, et celle des juges communaux aux
assemblées primaires, etc. — Celle du 14 septembre 1844 écarta les laïques de
l'enseignement supérieur; maintint Tinstilution des collèges électoraux; donna trois
représentants au Vén. Clergé, créa un tribunal pour les crimes et délits politiques, et
consacra le principe que les lois ne seraient exécutoires qu'après avoir été adoptées
par la majorité des citoyens convoqués en assemblées primaires et prenant part au
scrutin. -
La Charte du 10 janvier 1848 déclara l'instruction primaire obligatoire; abolit la
représentation exceptionnelle du V Clergé, et toute espèce de référendum ou veto;
porta à cinq ans ( au lieu de deux) la durée des fonctions des autorités supérieures,
et à sept le nombre des conseillers d'Etat ; institua des assemblées électorales de
district ou de cercle, nommant directement les membres du Grand Conseil ; admit
6000 citoyens à demander en tout temps la révision de la Constitution ; introduisit
les municipalités, etc. — L» Constitution du 23 décembre 18S2, qui régit actuelle-
ment le canton, s'écarte fort peu des dernières dispositions qui viennent d'être ana-
lysées. Elle ramena le nombre des conseillers d'Etat à cinq ; porta à quatre ans la
durée de leurs fonctions; introduisit, pour l'élection des députés au Grand Conseil, la
votation par commune, avec supputation des suffrages émis dans le district, et excep-
tionnellement dans le cercle, lorsque la demande en est faite; ouvrit la porte à la con-
clusion d'un concordat avec l'Eglise; réserva la sanction du peuple pour tout change-
ment au système financier et toute élévation de taux de l'impôt proportionnel, etc.
LÉGISLATION. — Un Code civil, entré en vigueur le l*"^ janvier 1855 et remplaçant
les Statuts, recueil de lois datant de trois siècles et écrit en latin ; un Code de procédure
civile, promulgué en 1846, et qui devra être révisé prochainement, par suite de
l'adoption du Code civil; un Code de procédure pénale, publié en 1848, et qui sera
suivi d'un Code péual, ouvrage auquel on travaille en ce moment ; et huit ou neuf
volumes de lois, dont une bonne partie est rapportée ou modifiée, forment l'ensemble
de la législation du canton. Les lois les plus importantes qui composent ce dernier
recueil embrassent l'instruction publique, la police des routes, des auberges, des
forêts, etc., la nomination des autorités, l'organisation militaire, la santé publique,
les privilèges et hypothèques, l'abolition du parcours et des dîmes, le régime com-
munal, les attributions des préfets, les registres de l'état civil, les impositions can-
tonales et communales, etc.
Cultes. — Le peuple vallaisan professe la religion catholique, et se distingue par
une piété profonde et sincère. L'évêque de Sion est nommé par le Grand Conseil,
50<) LA srissE pinxNies^i E.
sur la présentation de quatre candidats , faite par le Chapitre de la cathédrale : ce*
lui-ci se compose de douze chanoines effectifs et d'autant de titulaires. L'évèque
actuel est le quatre-vingt-dixième qui, depuis saint Théodule, ait occupé le siège
épiscopaidu Vallais, siège transféré de Martigny àSion en 580. Durant le moycD-
ftge, révéque de Sion, en sa qualité de comte et préfet du Vallais, était une véri-
table puissance , par la facullé qu'il avait d'ouvrir ou de fermer à son gré cette
porte de l'Italie. Aussi voyons-nous plusieurs de ces prélats jouer un rAle importanl,
non-seulement dans leur diocèse , où ils avaient droit de glaive , de monnaie et de
grâce, mais encore dans les affaires de rEuro|)e. Durant trois siècles ct>nsécutik.
les évéques de Sion soutinrent une lutte acharnée contre les patriotes , qu'ils pré-
tendaient gouverner' au temporel en vertu de la Caroline; vaincus, ils oonservèreni
encore longtemps une grande influence dans les Diètes cantonales , où leur suffrage
équivalait à celui d'un dixain tout entier. — Le canton compte deux couvents de
religieux de saint Augustin , l'un à Saint-Maurice , l'autre au Saint-Bernard , avec*
une succursale au Simplon; deux couvents de capucins, Tun à Sion , depuis 1628,
l'autre à Saint-Maurice, dès 4614 ; un couvent d'ursulinesà Brigue, et un de ber-
nardines à Collombey . Les jésuites, renvoyés en 4847, furent introduits dans le pays
en 4607 ; congédia et rappelés à plusieurs reprises, ils furent chargés de l'ensei-
gnement dans les collèges de Sion et de Brigue. Vabbaye tk Suinl-Maurice , le plus
ancien monastère en deçà des Alpes , compte environ trente religieux ; la plupart
desservent des cures; les auti*es sont employés à l'enseignement dans le gymnase
français de Saint-Maurice. Après avoir été r^is par différentes constitutions monas-
tiques, ils suivent , depuis le 42' siècle, la règle de saint Augustin. Leur abbé , qu'ils
élisent eux-mêmes, est crosse et mitre; il porte le titre de comte, est grand'croix
de l'ordre de saints Maurice et Lazare, et a reçu tout récemment du Saint-Siège la
dignité d'évéque de Bethléem. Le gouvernement français vient de confier aux reli-
gieux de l'abbaye de Saint-Maurice la direction de Torphelinat de Medjez-Amar,
en Algérie ; il leur a concédé par le fait une immense étendue de terrains, où ils se
proposent d'attirer une colonie d'indigènes. — Les religieux du Saint-Bernard exer-
œnt l'hospitalité sur le mont Jou et sur le Simplon ; une vingtaine environ résident
à l'hospice ; les malades et les vieillards sont placés à Martigny, et les autres des-
servent quelques cures ou l'établissement du Simplon. L'hospice du Saint-Bernard
remonte à la plus haute antiquité; saint Bernard de Menthon, archidiacre d'Aoste.
le rétablit en 962, le dota et y plaça des religieux de Saint- Augustin. — On
trouve, dans les environs de Sierre et sur une légère éminence, un ancien doitre
connu sous le nom de Charireune de Géroiide. Il fut successivement habité par des
chartreux, des carmes, des jésuites et destrapistes. Ceux-<;i l'abandonnèrent en 4835,
et dès-lors ce bâtiment n'a plus servi d'asile à des corporations i*eligieuses. — Saint-
Pierre de Clages possédait aussi un couvent qu'habitèrent des bénédictins , puis des
Irapistes, qui, en 4794, vinrent se fixer à Vile à Bernard, près de Bovemier. Grâce
aux libéralités d'une princesse de Condé, ils agrandirent considérablement le menas-
tère , mais n'y séjournèrent pas longtemps. — H y eut de même des couvents à
Loëcbe, â Ernen, à Brigue, etc.
Imstkuction publique. — L'instruction publique a été longtemps fort négligée en
Vallais. A l'heure qu'il est, ce canton fait les plus louables efforts pour se mettre,
LA SDISSK IMTTOKKSQl K. 501
SOUS ce rapport, au niveau des Etats voisins. Il lui reste néanmoins de grands pas à
foire, car le traitement minime des régents, la courte durée des écoles, paralysent en
partie les efforts des autorités, et influent nécessairement , d'une manière fâcheuse,
sur l'avancement de Tinstruction des masses. — Des quatre lois portées à ce sujet,
Tune, celle de 4828 , ne fut pas mise à exécution; la seconde, promulguée en 4840
et soumise au referendam, fut rejetée par le peuple. Les deux dernières seules ont
été exécutées. CiUle de 4849 est actuellement en vigueur. Voici ses principales
dispositions : Chaque commune est tenue d'ouvrir une école ; toutefois , avec Tauto-
risation du département de l'Instruction publique, deux ou plusieurs communes
peuvent se réunir pour ne tenir qu'une école. La fréquentation des écoles primaires
est obligatoire pour tous les enfants du canton, jusqu'à l'âge de quinze ans; les
contrevenants à cette disposition sont passibles d'une amende. Le minimum de la
durée annuelle de l'école est fixé à cinq mois ; les régents sont nommés par les
Conseils communaux , sous réserve de l'approbation du Conseil d'Etat. — Le canton
compte 299 écoles, fréquentées par 43,200 enfants des deux sexes; l'enseignement
y est confié soit à des régents brevetés sortis de l'Ecole normale cantonale, établie
depuis 4846, soit à des régents autorisés par le département de l'Instruction pu-
blique, mais non brevetés, soit enfin à des ecclésiastiques. Ces derniers sont pour la
plupart des curés ou des vicaires, qui sont tenus, en vertu de conventions antérieures,
d'instruire la jeunesse de la paroisse. Un journal pédagogique gratuit tient le per-
sonnel enseignant au courant des nouvelles scolaires, discute les questions d'ensei-
gnement, et met en rapport le dicastère et ses agents inférieurs. Dans un bon nombre
d'écoles, un seul instituteur enseigne les enfants des deux sexes. Cette méthode pré-
sente de graves inconvénients : aussi commence-t-on à les sentir vivement , et une
grande amélioration se manifeste généralement sous ce rapport, surtout depuis l'ou-
verture d'une école normale pour les institutrices. Une Commission locale, nommée
par le Conseil communal , est chargée de la surveillance des écoles; la même tâche
incombe à trois inspecteurs nommés par le département de l'Instruction publique,
qui, une fois chaque année, inspectent toutes les écoles du canton. Le conseiller
d'Etat chargé de l'instruction publique est assisté d'un conseil de deux membres nom-
més par le Conseil d'Etat, qui sont convoqués toutes les fois que les circonstances
I exigent. Les établissements supérieui*s d'éducation, où l'enseignement est gratuit,
sont : le Séminaire, l'Ecole de droit, le Lycée cantonal à Sion, le Gymnase fran-
^-ais à Saint-Maurice , et le Gymnase allemand à Brigue. Ces trois derniers sont
sous la surveillance d'un Préfet des études. Le Lycée cantonal comprend trois
années d'étude; on enseigne aux élèves du premier cours les littératures française,
allemande et latine ; aux élèves du second cours, la physique et la géométrie, et
à ceux du troisième, la philosophie et la chimie. Les élèves suivent en commun des
cours de mathématiques, d'histoire, d'histoire naturelle, de grec, d'histoire de litté-
rature ancienne , de dessin, etc. Le personnel enseignant, comme celui des gym-
nases, est à la nomination du Conseil d'Etat, qui peut étendre ou modifier la sphère
des études. — La ville de Sion a aussi établi un Gymnase dans son enceinte. — Une
école moyenne existe à Saint-Maurice.
Industrie, Commerce. — Le mouvement commercial est faible en Vallais, et l'in-
dustrie y est à peu près nulle. Le commerce de transit par le Simplon, qui senible-
liOi LK SriMB PITTOniWQlR.
rait devoir élre considérable, n*a aucuoe importance, el n'occupe que quelques iodi-
vidus. Si on exporte peu , on importe peut-être moins encore, car le Vallais, à peu
d'exceptions près , peut se suffire à lui-même , grâce à la fertilité du sol et à la va-
riété de ses produits. Au reste, le Vallaisan est simple dans ses goûts comme dans
.s(!s mœurs : ses troupeaux , son petit champ, voilà ses richesses; ils lui fournissent
sa nourriture et ses vêtements, et ses désirs ne s'étendent pas plus loin. La grande
(|uantité de bêtes à cornes qu*élèvent les montagnards, permet cependant la vente
hors du pays d'une certaine quantité de beurre et de fromage. Les habitants de b
vallée de (Clenches se livrent avec succès à Télève du bétail : chaque automne ils
s'en vont acheter dans le canton de Berne de 5 à 600 génisses, et les revendent en
Italie le printemps suivant , avec une augmentation de prix de 70 à 90 francs. Le
tannage des peaux occupe dans le pays un certain nombre de fosses ; on vend à lé-
tranger les fourrures des loutres, des renards, tués par les chasseurs. Les forêts,
presque toutes communales, qui pourraient être d'une précieuse ressource pour le
Vallais, ont été de tout temps fort négligées, et n*ont guère été utilisées que pour
Tusage particulier des bourgeois propriétaires. Dans quelques localités , une coupe
rase a dévasté le sol , tandis que dans d'autres les forêts sont si touffues, que les
sapins se nuisent réciproquement et empêchent le développement des jeunes plantes.
Le règlement forestier qui vient d'être tout récemment mis en vigueur, mettra sans
doute un terme à cet état de choses, et fera comprendre aux communes et aux par-
ticuliers les avantages de la sylviculture. Quelques entrepreneurs exploitent cepen-
dant depuis quelques années les forêts du canton : le Rhêne leur sert de voie de
transport , et les bois, abandonnés à eux-mêmes, arrivent au Léman, d'où ils sont
dirigés sur Vevey ou Genève. — On expédie aussi une certaine quantité de vins
dans les cantons voisins : cette exportation prend des proportions considérables
quand la récolte vaudoise manque. On cultive le mûrier à Monthey, à Saint-Mau-
rice et à Sion ; dans cette dernière localité surtout, cette culture a de Timportanœ,
et la vaste magnanerie d*Uvrier, où Ton élève une assez grande quantité de vers-
à-soie, promet les plus beaux résultats. — La plupart des montagnards du Haut-
Vallais tissent eux-mêmes la laine de leurs troupeaux, pour s'en faire des vêtements,
tandis qu'une partie de ceux du Bas- Vallais s'approvisionnent à la fabrique de draps
de Bagnes. Cet établissement, ne pouvant soutenir la concurrence étrangère, fabri-
que presque exclusivement un drap brunfttre , connu sous le nom de drap du pap,
dont se vêtissent les indigènes. La verrerie de Monthey est rétablissement industriel
le plus important du canton : il occupe une foule de bras, et est en pleine voie de
prospérité. Ses tuiles de verre et ses cristaux ont été fort remarqués à rexposition
de l'industrie suisse à Berne, en 1848. La papeterie de Vouvry et la fabrique de
clous et de fil d'archal de Saint-Gingolph méritent aussi une mention. Quant à
l'exploitation des ardoisières et à la fonte du minerai extrait des mines du pays,
nous en avons parlé à l'article minéralogie.
Du manque de mouvement industriel ou commercial en Vallais , on ne saurait con-
clure que l'habitant de ce pays soit essentiellement incapable de s'adonner à l'industrie :
non , car certaines peuplades de ses vallées , celle de la vallée de Gonches en parti-
culier, ont une aptitude innée pour certains arts d'élite , tels que la peinture et la
sculpture ; d'autres se distinguent par la perfection de leur système d'irrigation des
LA S()I51SR PITTOUE80IT.. 503
champs, et toutes, à peu d'exceptions près, se suffisent à elles-mêmes. Quelles sont
donc les causes de ce défaut d'industrie en Vallais? Le manque de capitaux nécessaires
à toute entreprise, Tabsence chez les indigènes de l'esprit d'association, la défiance
envers les étrangers, et les services militaires de Rome et de Naples, qui enlèvent la
plus grande partie de la jeunesse intelligente du pays. — Le gouvernement avait
introduit , il y a quelques années , le tressage de paille ; mais les produits de cette
industrie manquant de débouchés, les populations ne peuvent s'y livrer que pour
leur propre usage. — - En traversant la vallée du Rhône , on voit dans le Haut
Vallais, à mi-côte des montagnes, des lignes horizontales qui en coupent les flancs,
souvent sur une grande étendue. Ce sont des bisses, ou canaux , construits par les
gens des localités voisines et destinés à amener les eaux sur des pentes menacées de
stérilité. Ces aqueducs exigent souvent de grands travaux et coulent des sommes
considérables, eu égard au peu de ressources dont disposent en général les com-
munes qui les font établir. Quelques-uns de ces bisses sont des prodiges de hardiesse;
les uns se cramponnent à des parois verticales, s'appuyant au rocher ou à de lon-
gues poutres fichées en terre ; d'autres s'enfoncent dans le roc même que l'on a dû
ouvrir à grands frais, franchissent audacieusement les abîmes, puis vont doucement
couler dans les forêts, à l'ombre des sapins. Des étangs reçoivent, de distance en
distance, ces eaux, qui s'écoulent ensuite par des écluses dans toutes les directions :
tels sont les réservoirs de Levron , de Visperterbinen , de Bistiner , etc.
AGRICULTURE. — L'agriculturc et l'élève des bestiaux sont les principales, pour ne
pas dire les seules occupations du peuple vallaisan. Il y a dans le canton 56,000 vaches
ou génisses, 25,000 chèvres, et 44,000 moutons; ces troupeaux occupent environ
3000 personnes, lorsqu'ils se transportent dans les pâturages des Alpes. L'agriculturc
a fait depuis peu d'années de grands progrès en Vallais ; néanmoins, elle est encore
arriérée, et les vieux systèmes de culture cèdent difficilement le pas aux nouveaux.
La partie du sol vallaisan que l'on cultive est fertile, très-fertile même, et suffit à la
consommation de^ habitants ; aussi, que serait-ce si les agriculteurs savaient tirer
parti de leurs propriétés, et si toute la grande plaine du Rhône était convertie en terres
arables, au lieu de ces immenses flaques d'eau, de ces marécages que le fleuve sème
sur tout son littoral? Par suite du défaut de digues, ou de l'insuffisance de celles qui exis-
tent, les terres cultivées ne sont même guère à l'abri des inondations; lors des grandes
chaleurs, les glaciers dégorgent des quantités d'eau extraordinaires, le Rhône s'enfle,
sort de son lit, et couvre de limon et de gravier tout ce que ses flots peuvent atteindre.
Ces désastres incessants sont de nature, comme on le pense bien, à arrêter ou à
comprimer l'essor de l'agriculture; les variations subites de la tem|)érature et le trop
grand morcellement des propriétés produisent le même effet . Un comité et un journal
agricoles avaient été fondés, il y a quelques années, pour venir en aide aux agricul-
teurs et propager les découvertes et les innovations utiles; mais ni l'un ni l'autre ne
donnent actuellement signe de vie. — Parmi les améliorations les plus fécondes,
entreprises depuis peu d'années, nous citerons le partage et le défrichement des biens
communaux. Chaque commune possède une étendue plus ou moins considérable
de terrains en friche, où chaque bourgeois a droit de mener paître ses troupeaux et de
s'approvisionner de bois : h l'heure qu'il est, on commence à comprendre tout le parti
que l'on pourrait tirer de ces pâturages, et les communes les plus importantes du
S0% LA SriJ^R PITTORESOrR.
(Mîilon les onl partagés en usurruil, par lois égaux, entre tous les ayaot-droîl. k la
eondilion expresse de les défrieher et de les mettre en culture. Ce mode de jouissance
est d'une rigoureuse équité, car chaque famille jouit ainsi de sa part, tandis qu*au-
imravant les propriétaires de troupeaux seuls en tiraient parti. — Les assolements
sintroduisent peu h peu, en remplacement de ce procédé de culture qui voulait que
la même céréale revint sans cesse dans le même champ. I>a maladie terrible qui,
depuis nombre d'années, annule la récolle des pommes de terre, est cause que la cul-
ture de ce tubercule commence h faire place à celle du maïs, que Ton trouve main-
tenant dans les vallées les plus reculées. La culture de la vigne subit aussi de grandes^
améliorations ; on replante en lignes régulièrement espacées les ceps jusqu'alors dis-
séminés au hassird, ramimnt sur le sol et sans appuis. Les vins du Vallais sont
estimés : quelques-uns même, tels que la Malvoisie de Sierre et de Vétroz, peuvent
soutenir la comparaison avec les vins d'Espagne. L'Arvine, l'Humagne de Sion, la
Marque et le Coquimpey de Martigny, le Ballioz de Vétroz, sont aussi fort reciier-
chés. — fiCs arbres fruitiers sont nombreux en Vallais; on remarque surtout les
noyers, qui atteignent des dimensions considérables, et fournissent une huile d'une
Imnne qualité. I>es régents apprennent h greffent l'école normale. La culture du safran
a été abandonnée, pendant que celle du tabac prospère dans les environs de Sion.
Caractrre, MoKi'Rs, Usages. — Le Vallaisan est en général lH>n, simple et naïf :
son VKBUV et son esprit réfléchissent dans toute leur pureté la sévérité du paysage,
l'àpreté des rochers qui l'entourent. Pénétrez dans ces vallées profondes, creusée
dans les Alpes vallaisannes, vous y trouverez chez le peuple une cordiale hospitalité,
des mœurs pures, des formes un |)eu rudes peut-être, mais empreintes d'une franche
bonhomie. I^s lois hiérarchiques de la famille y sont sévèrement observée: le
vieillard y jouit de la vénération de ses descendants, et ses avis sont religieusement
écoulés. La voix du pasteur de la vallée ne s'élève jamais en vain sous ces toits
rustiques : l'humble curé de village est consulté dans toutes les occasions impor-
tantes : il est de toutes les joies, de toutes les douleurs, et les bénédictions de ses
|)aroissiens suivent )K)rlout ses |)as. A l'ombre de ces sapins séculaires nait et grandit
une race forte cl vigoureuse, que n'a point encore altérée le contact des étrangers.
Pasteurs robustes, ils semblent, dans ces lieux éloignés, perpétuer la vie des patriarches
(le l'Ecriture i comme eux nomades, ils se transportent, avec leurs troupeaux, des
champs fertiles de la vallée aux sommets glacés de l'alpe, cl leur vie s'écoule paisi-
blement dans ces monotones occupations. Quelques ombres ternissent sans doute ce
tableau, mais il n'en est pas moins attrayant, et ne présente pas moins la vie pas-
torale dans toute sa simplicité. — Comme on le j)ense bien, les mêmes caractères
ne distinguent plus les |K)pulations de la plaine : leurs mœurs, quoique toujours
pures, ont perdu ce C{)chet de simplicité naïve qui leur donnait un si grand attrait:
une finesse réfléchie, une certaine méfiance envers les étrangers, ont remplacé In
cordiale bonhomie des gens de la montagne. Cette différence de caractère se fait
principalement sentir dans le Bas- Vallais, dont les populations se rapprochent forte-
ment de celles de la Savoie et du canton de Vaud, tandis que les Haut-Vallaisans,
plus rudes et plus austères, conservent encore les traits distinctife du caractère na-
tional.
Les cérémonies religieuses (ml un grand charme pour les Vallaisans, en général
LA SUISSE PITTORESQUE. S05
fort attachés à leur religion. D'agrestes oratoires, des ermitages
solitaires s'élèvent partout, dans la plaine, sur les rochers, dans
les forêts ; c'est là que le peuple aime à venir s'agenouiller à cer-
taines époques de Tannée; c'est là qu'il vient prendre ses seules
jouissances. Rien n'est plus original, mais rien n'est plus tou-
chant, que le spectacle qu'offrent ces ermitages le jour de la
fête du saint sous la protection duquel ils sont placés. Les pa-
roisses voisines s'y rendent processionnellement, souvent à de
fortes distances; vieillards, femmes, enfants, personne n'y
manque; leurs chants pieux, répétés par les échos des bois,
s'élèvent doucement dans les airs, el, se mariant avec la voix lointaine des cam-
pagnes, forment une agreste mélodie. La chapelle, toute enguirlandée, toute parée
des fleurs de la vallée, est envahie par des flots de pèlerins, qui témoignent ensuite
de l'eflicacité de leurs prières par des ex-voto appendus aux parois de l'ermitage. — •
Les églises paroissiales, surtout dans certaines vallées, sont des modèles d'élégance
et de bon goût.
Les anciens Vallaisans soutinrent de longues luttes pour conquérir leur indépen-
dance : grands et courageux aux jours des combats, ils rongeaient en frémissant le
frein que leur imposaient des vainqueurs. Tenaces à l'excès, ils ont poussé la pas-
sion du régime démocratique jusqu'à admettre comme légal l'ostracisme dont ils
frappaient ceux de leurs concitoyens qui leur portaient ombrage. Un seigneur, un
cvêque semblait-il aspirer à la souveraineté du pays, la Masse se levait, hideuse et
menaçante, et parcourait le pays en appelant des vengeurs. Voici ce qu'était au
fond cette singulière coutume de la Masse. Lorsqu'un personnage haut placé s'était,
par quelque action, attiré la haine des patriotes, les plus résolus d'entre eux s'as-
semblaient en secret, puis un tronc d'arbre, grossièrement façonné en tête humaine,
était arboré par eux sur la place publique. La foule s'amassait en grondant, u De
qui as-tu à te plaindre? lui disait-on; parle. Masse; est-ce Raron, est-ce Asper-
lingV » Lorsque le nom de la victime vouée à l'exil était prononcé, la Masse s'in-
clinait profondément, et le peuple d'applaudir en poussant des cris de rage. Chaque
conjuré enfonçait alors un clou dans le tronc, et lorsque leur nombre était jugé suf-
fisant, on portait le redoutable trophée en face de la demeure de l'ennemi commun.
Celui-ci se hâtait alors de fuir le pays, car au jour fixé sa demeure était rasée, ses
biens dévastés, et ses partisans massacrés.
L'usage s'est perpétué dans la partie allemande du canton de représenter en plein
air des comédies ou drames, dont les acteurs sont pris parmi le peuple et dirigés le
plus souvent par le curé de Tendroit. Ces représentations scéniques, souvent simples
et naïves, sont moins grotesques que Ton pourrait le croire, et ne laissent pas que
d'offrir un véritable intérêt, soit comme trait de mœurs, soit comme souvenir des
MijHières du moyen-âge. Tôpffer, dans ses Nonveanor Voyages en zigzag, a décrit avec
beaucoup de charme Tune de ces représentations, à laquelle il eut la bonne fortune
d'assister à Stalden (vallée de Viége) en 1839. — L'une des peuplades les plus
curieuses du Vallais, est celle qui habite la vallée d'Ànniviers. Là, chaque villageois
amasse, sa vie durant, des provisions en assez grande quantité pour que, le jour
de sesiunérailles, ceux qui suivent son convoi puissent, au retour de la cérémonie,
11, 31. 6^
506 LA Si'IWC MTTOIIBSQIB.
foire un repas copieux. Les Anniviards possèdent beaucoup de vignes dans la plaine,
dans les environs de Sierre, el descendent à certaines époques de Tannée, soit pour
les travailler, soit pour en récolter les fruits. S*il arrive que l'un d*eus meure alors
loin du toit paternel, on ne Tensevelira point dans la terre étrangère. On hisse son
cadavre sur un mulet ; puis, quand la nuit est venue, la caravane se met siiencieu-
sèment en marche, s'ara^tant de distance en distance, pour s'agenouiller et prier
autour du voyageur glacé qu^elle escorte.
Le costume national varie avec chaque vallée; ici, raide, empesé; là, gracieux
et charmant. Dans la plaine, il s'efface chaque jour et disparait insensibleaient. La
partie la plus originale de ce costume, et celle qui subsiste le plus longtemps, c'est la
coiffure.
^ Hommes cklèihies. — Le cardinal Mathien .Srhinfitr est la plus grande figure dt*
l'histoire du Vallais, peut-être même de l'histoire de la Suisse. Né pauvre, obscur,
dans un chétif hameau de la vallée de Conches, il s'éleva, par ses talents et ses
actions, plus haut qu'aucun autre de ses compatriotes, et, pendant un quart de siècle,
attira sur lui les regards de l'Europe, (lontempomn de Louis XU, de François I^.
de Jules II, de Léon X, de Maximilien, de Charles-Quint, sa gloire ne s'est point
éclipsée à côté de tant de noms illustres; homme de guerre et d'église, la part qu'il
prit aux événements de son siècle a rendu sa mémoire impérissable. La nature Tavait
richement doté : il était éloquent, d'une éloquence mâle et terrible, mais sans onc-
tion; général, il combattait toujours au premier rang, la pique au poing et le man-
teau de pourpre sur l'épaule. Il fut toujours fidèle au parti qu'il avait embrassé, et
resta insensible aux séductions dont la France l'entoura, séductions qui, à cette
époque, avaient tant d'empire sur ses compatriotes. Il était fier de son origine, el,
bien loin d'en rougir, s'en faisait un titre de gloire. Vers 4S7i, âgé de 45 ou 16 ans,
il étudie à Berne et à CAme, entre dans les ordres, et, jeune encore, est élevé au siège
épiscopaldeSion. Dës-lorsdeux pensées remplissent sa vie et deviennent le but de toutes
ses actions : arracher le Vallais à l'influence de la France, et chasser les Français de
l'Italie. Georges Supersaxo, homme influent, jusqu'alors son ami, se brouille avec lui
et lient le premier rang parmi les partisans de Louis XII. A la tète de 20,000 Suisses,
Schinner s'empare en sept semaines de la Lombardie, et anéantit l'armée française
à Novarre, en 1513. Cette glorieuse campagne lui vaut le chapeau de cardinal et le
titre de Ubératenr de r Italie et Défenseur des libefHfs de l'Eglise, Envoyé dans la suite
à la cour de Henri Vlll, pour négocier une alliance entre les Suisses, l'empereur et
la Grande-Bretagne, Schinner échoue, revient en Italie, et se voit arracher à Mari-
gnan les fruits de tant d'efforts. Banni du Vallais par Supersaxo, tout puissant, il se
retire à Zurich, puis à la cour de l'empereur, où il profite de son crédit pour foire
mettre son pays natal et ses adversaires au ban de l'empire. Vainqueur une demièrr
fois des Français, il s'endort sur ses lauriers, et expire à Rome le 30 septembre 1522.
Ses cendres y reposent encore dans l'église Sainte-Marie délia Pielà. — Thomoi
Flatter, né en 1&99 à Gra^chen (vallée de Viége), n'a pas fourni une carrière moins
orageuse, quoique dans un champ plus modeste. D'abord misérable gardeur de chè-
vres, il s'éleva, par ses talents, à l'emploi de professeur de grec à l'Université de
Bàle. Ses Mémoires sont précieux, en ce qu'ils offrent un tableau fidèle des mcrars
(lu temps, et principalement de celles des étudiants. Flatter y raconte dans un style
LA Sri88K PITTOBRSQIJB. 507
pittoresque ses mésaventures et ses misères, et se dépeint successivement berger,
étudiant à Zurich, à Dresde et à Munich, correcteur d'imprimerie, combattant à
fiappel aux côtés de Zwingli, libraire, maître d'école, et enfin honoré à sa juste
valeur par Erasme, Opocius et autres savants de Tépoque. Ses deux (ils ont été pro-
fesseurs de médecine, et son petit-fils professeur de physique à TUniversiié de Bàle. —
Le même village a produit Simon Steiner, plus connu sous le nom de Liihonim, pro-
fesseur dé belles-lettres latines et grecques à Strasbourg, où il mourut en 4K&3.
— Parmi les hommes éminents qui ont occupé le si^e épiscopal de Sion, nous cite-
rons Walier de Supermxo, qui arracha le Bas-Vallais des mains des ducs de Savoie ;
Hildehrmid Joni, l'intrépide champion de la Caroline, qui introduisit en Yallais le
calendrier grégorien, etc. Les seigneurs de Raro^ne e% de la Tour Chdtillon se sont
fait un nom dans l'histoire, par leur puissance, leurs richesses et la longue lutte qu'ils
soutinrent, soit contre les patriotes, soit entre eux. Le 'château des premiers, qui
s*élevait menaçant au-dessus de la contrée environnante et dominait le village de
Rarogne, a été rasé en 1415.
Aux temps plus modernes appartiennent : Antoine de Quartéry, de St. -Maurice,
ami et correspondant de saint François de Sales ; un de Lovimz, de Sierre, précep-.
leur de l'empereur Charles IV; le chanoine Wagner, de Geschinen, précepteur de
l'empereur d'Autriche Joseph II ; Nicolas Dufour, prévôt de Nicolsberg en Moravie,
et agent diplomatique du même empereur; Joseph-Innocent de Nwé, chancelier de
l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ; Charles de Nncé, conseiller aulique du prince
d'OEttingen-Wallerstein ; Rodolphe de Vantéry, l'un des secrétaires du Concile de Bàle;
le chanoine Sébastien Brigmt, auteur de Valesia christiana; Gaspard Bérodi, de Saint-
Maurice, poète et historien, et son frère le capucin Sigis^nond, auteur d'une Vie de
saint SigUmond, ouvrage rare et excessivement curieux : Philippe de Torrenté, boui^-
mesti*e de Sion, jurisconsulte estimé, qui commenta les Statuts et fit de nombreuses
recherches historiques; Gaspard Ambnel, médecin distingué, qui composa, sous le
pseudonyme de Collinus, un traité latin sur les bains du Vallais, imprimé en 1569
:\ Zurich, à la suite d'une description du Vallais par Gessner ; le grand-bailli Mag-
gheran, de Loêche, président du tribunal qui condamna à mort Antoine Stockalper
pour crime de haute trahison; Charles- Emmanuel de Rivaz, grand-baillif et membre
du corps législatif de France ; Pierre-Joseph de Rivaz, historien et mécanicien ; Anne-
Joseph, son fils, vicaire général du diocèse de Dijon et chanoine de Sion, qui a laissé
des manuscritâ précieux, fruits de trente années de travail, où sont réunis une
quantité de documents historiques puisés dans les archives des diverses communes
du pays; le vicaire Clén^nl, de Champéry, naturaliste, correspondant de De Saus-
sure ; le chanoine du St.-Bernard Murith, mort en 1818, savant botaniste et auteur
d'un Guide du Botaniste en Vallais, etc.
Un grand nombre de Vallaisans se sont illustrés dans les armées étrangères : la
famille de Courten, entre autres, a produit une dizaine d'officiers généraux au service
de la France. M. Gaspard Stockalper de la Tour, décédé en 1852, est parvenu au
grade de maréchal dans les armées du roi des Deux-Siciles ; il fut aussi gouverneur
de la ville de Naples.
Villes, Vallées bt autres lieux remarquables. — Sion, capitale du canton, siège
des autorités cantonales, civiles et ecclésiastiques. Cette ville, l'une des plus anciennes
S08 LA SUISSK PITTORBSQCR.
de la Suisse, compte environ 3000 habitants ; elle est située à peu prés au centre da
Valiais, à une faible distance du Rhône.
Le voyageur qui se dirige de Martigny sur Sion, laisse à sa droite, une demi-heure
avant d*arriver à cette ville, les étangs de Corbassiéres, qui réfléchissent pai^blc-
ment dans leur sein les plantes aquatiques qui les entourent et les collines qui les
dominent. Tout à coup, la route, par un brusque contour, dépasse le rodier, et Sion
apparaît soudain comme évoquée par la baguette d*un magicien. La ville s'assied au
pied de deux hautes collines, couronnées de constructions anciennes et modernes; le^
maisons, s*étageant sur leurs flancs, en descendent doucement, pour s'épandre dans la
campagne et voiler leur front de Tombre des noyers et des ormeaux. Gomme deux sen-
tinelles placées au sommet d'un donjon, la Majorie et Tourbilhn regardent fièrement,
du haut de leurs créneaux, la plaine avoisinante, et semblent épier, comme aux
temps passés, rapproche de quelque bannière ennemie. Sur la colline voisine,
qu'une profonde scissure sépare de Tourbillon, s'élève Notre-Dame de Valère et
quelques édifices de récente construction, qu'une vieille muraille presse de ses flancs
noircis autour de la basilique sainte. Des milliers d'arbres cernent de tous côtés la
cité, et tranchent vivement de leur végétation magnifique sur le fond mat des rochers,
pendant que l'horizon lointain se festonne de pics élancés, dont les silhouettes se
dessinent vivement sur l'azur éclatant d'un ciel tout méridional. — Sion perd insen-
siblement sa physionomie de ville du moyen-àge, qu'elle a conservée si longtemps; les
remparts qui enccignaient jadis toute la ville, ont disparu en grande partie, pour faire
place à des édifices modernes ; ils subsistent encore cejiendanl autour de quelques
quartiers, s'afTaissant sous le poids des années et des injures du temps. Les tours
élancées qui flanquaient la muraille sont tombées sous le marteau des démolisseurs,
entraînant dans leur chute tout un monde de souvenirs; les fossés sont comblés; la
bannière du Vallais épiscopal ne flotte plus au haut de Tourbillon, et chaque jour
voit disparaître quelque construction originale, quelque antique habitation, précieux
legs du moyen-àge.
Le ChiUeaade Tourbillon fut bâti en 4294, par Boniface de Challand; ses succes-
seurs s'y fixèrent à plusieurs reprises. Il couronne une colline escarpée, à laquelle
sa guirlande non interrompue de créneaux forme comme un diadème. Un incendie
terrible dévora en 1788 l'intérieur de cette résidence, dont il ne reste plus que les
murailles extérieures. On reconnaît encore la chapelle épiscopale aux fresques gros-
sières qui en ornent les voûtes et les parois. Rien n'est plus mélancolique que cet
amas de constructions désertes, qui ne retentissent que du cri de la cigale el des gé-
missements du vent. De Tourbillon, la vue embrasse la plaine du Rhône depuis Loèche
jusqu'à Martigny. D'un côté, la tour de la Bâtiaz, de l'autre, le château de Loèche
marquent les limites du panorama. Des forêts immenses apparaissent de tous côtés,
dessinant sur le flanc des montagnes leurs masses ombreuses, par-dessus lesquelles
s'élèvent la flèche d'un clocher ou la girouette armoriée des manoirs des de la Soie, de
Saillon, de Platéa. A gauche, la verdoyante colline des Mayens fuit doucement,
abritant sous ses sapins les habitations rustiques où les Sédunois vont passer l'été,
pendant que, vers la droite, Montonje s'avance hardiment dans la plaine, couvrant
de vignes l'àpre nudité de ses pentes, et que le château qui le domine se prend a
rêver des choses d'autrefois, en se mirant dans le lac couché à ses pieds. — Sut une
LA SUISSE PITTORBSQLE. SOd
arête de rocher qui se détache de Tourbillon en s abaissant vers la vitle, s élève le
château de la Majorie, paiement dévasté par Tinoendie de 4788. L'autre colline» qui
domine également Sion, porte, comme nous venons de le dire, Véglise de Valère et
le Séminaire cantonal. L'église, la plus ancienne du pays, remonte en parlie au
8*, en partie au 13* siècle; des stalles, véritable chef-d'œuvre de sculpture, un
jubé encore intact, des chapiteaux de colonnes curieusement fouillés par le ciseau
d'un artiste original, en font le principal ornement. Un peu plus bas s élève la pit-
toresque chapelle de Toas-les-Saints ; et enfin, sur une esplanade qui dépend encore
de la colline de Valère, étincelle le clocher de Véglise du Lifcée, édifice moderne, qui
renferme deux tableaux de Della Rosa. Le théâtre, le gymnase, les écoles primaires,
le Lycée, avec un cabinet d'histoire naturelle, s'élèvent à ses côtés.
Voici enfin la ville proprement dite, avec ses édifices modernes, ses rues larges
el bien dessinées, son palais épiscopal, son hôtel du gouvernement, son arsenal, ses
églises, etc. h'Hotel-de-rille s'élève dans la rue principale : il est surmonté d'une tour
carrée, dont les parois extérieures se couvrent des cadrans d'une horloge assez
curieuse. L'intérieur de l'édifice offre des inscriptions romaines, des portes et de
belles salles ornées de sculptures remarquables ; la salle où s'assemble le Grand
Conseil, renferme des tableaux d'£. Richard, élève de Rubens. — La Cathédrale
remonte au H** siècle, mais ne fut achevée que par le cardinal Schinner. Le clocher,
couronné d'une galerie crénelée, est plus ancien, car il faisait partie de l'église de
Notre-Dame du Glarier, sur l'emplacement de laquelle s'est élevé, l'édifice actuel.
L'intérieur de la cathédrale n'offre rien de bien remarquable. Ses grandes fenêtres
gothiques, aux treillis de plomb, ses colonneltes grisâtres, qui, réunies en gerbes,
s'épanouissent ensuite pour soutenir les voûtes, le chœur légèrement incliné à
gauche, prêtent cependant un grand charme à la vieille église. Quelques autels lalé-
' raux récents, le tombeau de l'archevêque André de Guaido, de curieux morceaux
de sculpture, attirent un instant l'attention. — U Eglise de Saint-Théodulcj placée
tout à côté, présente un autre aspect: l'intérieur en esi triste, délabré; tout y
respire l'abandon, depuis les arceaux inégaux de la voûte jusqu'aux autels poudreux
et aux grilles menaçantes qui en empêchent l'accès. A l'extérieur, le chœur se pré-
sente très-bien avec ses niches sculptées, vides de leurs saints de pierre, ses cloche-
Ions finement découpés, et ses longues fenêtres aux capricieuses arabesques. Schinner,
qui fit reconstruire en partie cette église, y a religieusement déposé les cendres de
son oncle, comme lui évêque de Sion. Il comptait aller prendre place à ses côtés, mais
la Providence en a disposé autrement : le turbulent cardinal ne devait pas reposer
sous la même pierre que le paisible prélat, son prédécesseur. La maison de Lavallaz,
construite par G. Supersaxo, offre des portes et des plafonds antiques d'un goût
exquis.
Sion se déroule parallèlement à la Sienne, qui coule dans un lit muré, dont la
voûte forme le sol de la principale rue, le Grand-Pont, La ville se divise en quatre
quartiers. L'industrie y est sans importance ; on ne peut mentionner que la fabrique
de tabac, établie dans l'une des ailes de l'hôpital : les cigarres qui en sortent sont
recherchés. Les marchés hebdomadaires de Sion sont très-fréquentés par les gens
des vallées voisines, notamment par ceux de la vallée d'IIérens.
Dans les environs de la ville, V Hôpital étale sa triple façade, criblée de fenêtres;
540 LA Sl'IMR PITTOlIttHMK.
le CoiUienî de* Cnpucim s'abrite sous un lilleul immense ; et la Tour des Sarden,
veuve de ses sœurs, s*isole au sein d'un bouquet de noyers. La place d'armes de
la Planta se déroule aux portes de Sion ; c'est là et sur la colline voiaioe qu'eat lieu
la célèbre bataille où les patriotes, aidés des Bernois et des Si>learois, défirent l'annét
savoisienne, le 13 novembre H75. — Sion fut pillée ou brûlée à huit reprises, et
chaque fois elle s est relevée de ses ruines.
De Sion, une route bordée de noyers et d'ormeaux conduit à Bramais, en paasanl
le Rhône, et à travers la monotone plaine de Champit-sec^t, UErmitage de Limy-
borgne n'est plus alors qu'à une faible dislance. On y parvient par un chemin ro-
c*ailleu\, bordé de petits oratoires, et surplombé par des rochers, au bas desquels
mugit la Borgne. L'ermitage est enlièrement taillé dans le roc vif; c'est, dit-on,
l'ouvrage d'un seul anachorète. Des vignes, un jardin, péniblement établis sur les
rochers, embellissent les alentours.
BaiGue ET LA V ALLÉS DR GoNCHiss. — Briguc est placé à l'extrémité de la grande
vallée du Rhône, à l'endroit où s'entrecroisent la route du Simplon et celle de ht
vallée de Gonches. Malgré celte circonstance favorable, la ville est asseï morne:
l'herbe croit dans ses rues, et les hautes tours de ses édifices publics et particuliers
projettent leurs grandes ombres sur des places désertes. Les globes de fer Uanc qui
étincellent sur ses toits lui font un aspect singulier, qui n'est pas sans analogie
avec celui que présentent les villes orientales. Les environs offrent des points de
vue charmants ; une multitude de chalets couvrent les collines; au nord apparaît le
glacier d'Aletsch, et à l'opposé une ligne blanche, indice de la chaussée napoléo-
nienne, se laisse apercevoir à travers une noire forêt. U Eglise du Collège, apparie-
nant anciennement aux jésuites, domine la ville de ses murailles grisâtres : l'inté-
rieur est d'une rare magnificence. Des vitraux coloriés, quelques tableaux estimés,
un riche pavé de marbre, en font une des belles églises de la Suisse. A ses côtés se
pressent le Conreni des Urmlines, qui date de 1663; puis, plus bas, la grande mai-
son Stockalper, flanqué de tours et de tourelles. Un théâtre , un hôpital fortement
endommagé par un tremblement de terre, en 18K0, se font aussi remarquer. —
Une avenue bordée de peupliers conduit en droite ligne de Brigue à Glyss , situé à
une faible distance. On va voir dans l'église paroissiale de ce village une chapelle
construite par Georges Supersaxo. L'autel, établi en forme d'armoire, est recouvert
de deux portes, sur lesquelles le pinceau a retracé Supersaxo lui-même, sa femme
Marg. Lehner, ses douze fils et ses onze filles.
La route qui conduit dans la vallée de Gonches franchit le Rhône et touche en
passant au village de Naters, qui se couronne des donjons démantelés des Supersaxo
et des Weingarten; puis, elle s'enfonce dans un couloir étroit, au fond duquel le
Rhône blanchit les rochers qui l'encaissent. Peu à peu la vallée s'élargit, les prairies
apparaissent, et, à partir de yidenvaU, la contrée présente un aspect gracieux. Les
villages s'éparpillent le long de la route, qu'ils bordent de leurs maisons de bois d'un
brun velouté, se serrant les unes contre les autres, et s'appuyant à la base de la
montagne, pour fuir les marécages qui avoisinenl le Rhône. Les habitations de la
vallée de Gonches sont peut-être les plus belles du Vallais, tant elles sont propres et
coquettes; les églises paroissiales apparaissent de loin, car elles sont, pour la plupart.
assises sur des éminences. La population, forte et bien constituée, présente un typi*
LA SUIS8R PlîTORRSQtlC. S4I
remarquable. — De Fiesch un chemin pénible conduit à VOEggischhorn, montagne
isolée, d'où l'on peut contempler dans toute leur splendeur le glacier d'AIetsch, qui
n'a pas moins de six lieues d'étendue, et le massif des Alpes Bernoises, du haut des-
quelles il descend. Une partie des eaux de cette immense mer de glace s'écoule dans
le lac Meryelen , sur la surface duquel flottent et s'entrechoquent péniblement d'é-
normes blocs de glace d'un aspect singulier. On a derrière soi la chaîne des Alpes
Vallaisanes, le Mont-Rosa, le Gervin, le Weisshorn, tout resplendissants sous leurs
manteaux de neige. À droite s'élève la double cime qui a donné à la Furka son
nom, le Galenstock. le Geratenhorn , le Gelmerhorn, etc. Le 2 août 18S5, cinq
guides de Fiesch , cherchant à faire l'ascension de la Jungfrau , gravirent Taréte
qui relie cette montagne et le Mœnch, et y découvrirent une vue magnifique, in-
connue jusqu'alors des gens mêmes de la contrée. — A Ulricheih village situé vers
l'extrémité de la contrée , on remarque deux croix de bois qui rappellent l'une et
l'autre un combat livré sur les lieux. En 4211, Thomas In der Bund y culbuta l'ar-
mée de Berchtold' V de Zœhringen, et 208 ans plus tard, les Bernois y furent de
même complètement battus. — Enfin, on arrive à Oberwald, le dernier hameau de
Conches, qu'une distance d'une lieue et demie sépare du glacier du Rhône. Arrivée
là , la route se bifurque : un chemin conduit à la Furka , l'autre à l'hospice du
Grimsel.
Le S1MP1.0N. — Si le Vallais est riche en merveilles de la nature, s'il offre à cha-
que pas des paysages nouveaux, des tableaux différents, il présente aussi une mer-
veille de l'art qui peut compter pour l'une des plus remarquables : nous voulons
parler de la route du Simplon. Cette entreprise magnifique, qu'il était réservé à
Napoléon 1'^ de concevoir et d'exécuter, a servi de modèle aux autres travaux de ce
genre. Destinée, dans l'esprit de son fondateur, à relier l'empire français au royaume
d'Italie , et à servir principalement au passage des troupes, elle ne remplit plus son
but principal, et le transit même y est de peu d'importance; 30,000 personnes y
passent annuellement. Les travaux commencèrent en 1800, et ne Turent achevés
que six ans plus tard ; ils ont coûté dix-huit millions. La chaussée a toujours de 25
à 30 pieds de largeur; dix galeries lui donnent passage dans les rochers. Neuf mai-
sons de refuge, vingt-deux ponts, trente et une cascades embellissent le paysage ou
contribuent h augmenter la sécurité des voyageurs.
A partir de Brigue , la route se dirige vers l'est , puis s'enfonce dans la vallée de
la Saltine, laissant derrière elle Brigue et la vallée du Rhône y cette partie du trajet
offre une belle vue sur les Al|)es Bernoises et le glacier d'Aletsch. Au bout de six
heures, on atteint l'Hospice, fondé par Napoléon et achevé par les religieux du Saint-
Bernard. Il est situé sur un plateau, à 6100 pieds au-dessus de la mer : le sol est
aride et à peine gazonné; les âpres cimes qui dentellent l'horizon donnent au pay-
sage un caractère de tristesse et de grandeur qui ne va dès-lors qu'en augmentant.
Après plusieurs heures de marche, on pénètre dans la vallée de Gondo par la galerie
A*Algahy: les roches se resserrent, plus d'habitations. Un jour douteux éclaire A
peine au fond de l'abime la Docériu, dont la voix tonnante s'élève au milieu d'un
silence éternel. La galerie de Gondo, longue de ti83 pieds, ouvre plus loin son sein
ténébreux, et ajoute encore à l'effroi dont l'àme est saisie. Au sortir de ce tunnel,
Alpirnachbach se précipite avec l'rac«is et couvre de sa blanche écume les nx;hers
^li LA sriîWK ptTToncsQie.
<|iii surplombent la roule. On erre ensuite iongtempsdans ces solitudes désolées; puis
Ton atteint le village de ihmdo. Les rochers se rapprochent ensuite jusqu'au pont de
(lirmia, d'où Tltalie ap|)araU tout à coup, riante, parfumée, avec ses vignes feston-
nant les habiUitions, ses villages aux maisons blanches, sa végétation magnifique cl
son ciel éclatant.
Vallke de ViRiiE, — Li vallée de Vieije , la plus intéressante sous bien des rapports
de toutes celles du Vallais, renferme des beautés de premier ordre. Inexplorée jusqu en
1840, elle commence à peine à être connue. Chaque année les étrangers s'y précipi-
tent en foule, |)our venir admirer l'étendue et la beauté de ses glaciers. A son extré>
mité, une multitude de pics s'arrondissent en un cirque immense, et montent en-
semble vei*s le ciel, laissant descendre de leurs lianes de longs glaciers aux crevasses
bleuâtres. Au pied de ces vastes solitudes se groupent des habitations, au milieu
de l)osquets d'arbres fruitiers. Les épis jaunissants frappent de leur lourde télé le
glacier qui s'avance sous l'empire d'une force mvisible; les sapins des forêts tou-
chent, par leurs racines, aux limites de cet océan glacé. Des pics qui découpent
l'horizon, les uns, s'arrondissant en dômes argentés, brillent de mille feux soi» les
rayons du soleil; les autres, formidables pyramides, s'en vont braver la foudre au
plus haut des nuages. Tel est le Mmlilernu , que la fantaisie d'un artiste, mais
d'un artiste aux conceptions sublimes, semble avoir jeté h\ comme un éternel défi à
Tesprit aventureux des hommes; pic inaccessible, d'un seul jet il s'élance à 5000
pieds au-dessus du glacier de Fitrkm, et la neige ne |)eut qu'à peine s'attachera
ses parois. Cet immense obélisque, à quatre faces, atteint 13,853 pieds au-dessus de
la mer; et telle est sii structure, qu'il semble dominer le Mont-Ra^ lui-même^ qui le
dé|K)sse pourtant de quelques centaines de pieds. Que si l'œil se fatigue de contem
pler ce pic décharné, et cherche à se reposer sur d'autres points de vue, il ne trouve
partout que cimes élancées, montagnes colossales, glaciers immenses. On n'entend
de toutes parts que la voix des eaux et des foréls, que le tonnerre de I avalanche,
que les sourds craquements des glaciers. En présence d'un tel spectacle, de tellf^
splendeurs, l'àme grandit, l'imagination s'exalte; un sentiment indéfinissable d'ad-
miration et de tristesse saisit le cœur, l'étreint et l'emporte vers la Divinité. En fiice
de ce tableau , l'idée de Dieu se présente plus nette et plus vive : le sentiment de la
faiblesse humaine s'éveille aussi et fait entendre sa voix sévère. On se sent comme
écrasé devant celte œuvre colossale, noyée dans des flots de lumière, et portant le
cachet de son architecte divin.
C'est de Viêffe que l'on s'enfonce dans la vallée, profonde de neuf lieues, à Tex-
trémité de laquelle on peut contempler la chaîne du Rosa. Ce bourg a acquis
une triste célébrité par la manière dont il vient d'être éprouvé par un tt*emblement
de terre. Le cloch(?r d'une de ses églises rcnvei-sé en partie: les maisons, les unes
profondément lézardées, les autres absolument inhabitables, témoignent de la vio-
lence du fléau. — À Slalden, au pied de l'église pittoresquement juchée sur une
éminence, la route se bifurque : l'une des branches aboutit au Monte-Moro, par la
vallée de Saaft; Tautrc se dirige à droite et conduit à Zermatt, en longeant la Vi^e,
Cette route est des plus pittoresques, ici s'enfonçant sous les rameaux des sapins,
là se bordant de bouleaux, tantôt franchissant sur un pont hardi la rivière qui
s'agite au fond de la vallée, tantôt gravissant péniblement les pentes abruptes des
L K S I >l P L o :« .
12.
LA SUISSE PITTORESQUE. S 1.1
eonlreforls du Mont-Rosa. Randa, assise au pied du Weisshorn, Tœach, au milieu de
prés fleuris, et quelques autres petits villages, enferment de temps à autre le chemin
ontre deux haies d'habitations.
A Zermatt, deux hôtels confortablement établis reçoivent les voyageurs, d'année
(*n année plus nombreux. De là, on se dirige sur le Riffelbenf, dont le sommet porto
le nom de G()raer{irat;&e»i une montagne placée comme un belvédère dans le cirque
formé par la chaîne du Mont-Rosa. On a alors i\ l'ouest le Mont-Cenin, h sa gau-
che le passage de Saint-Théodule, puis le Breilhorn (12,720), les Jumeaux (12,644),
le Lfinkamni (13074), le Mont-Rosa, masse neigeuse tachetée de roches grisâtres et hé-
rissée de pics, dont l'un d'eux, perçant le tapis qui le recouvre, s'élève à 1 4,220 pieds.
C'est la plus haute cime que l'on distingue de là ; elle n'est inférieure que de S40 pieds
au Mont-Blanc. Se déroulent ensuite la Cima rf/Jn^w/ (13,240), leMisrhabel (14,040),
quelques sommités des Alpes bernoises, telles que le Doldenhorn, le Weisshorn,
(13,900), le Gahellwrn et la Dent Blanche (13,421), que le col d'Evolène relie au
Mont-Cervin. Nous ne citons ici que les sommités les plus importantes : il serait
trop long de mentionner une multitude d'autres pics, les uns fort élevés, et plus de
vingt glaciers.
LoEC^E ET LES Balns. — A Cinq lieues de Sion, et à peu de distance de la grande
route, est bâti, à mi-côte, le bourg de Loêche, d'où l'on domine la grande plaine du
Rhône. Les ruines éparses de deux châteaux féodaux , ses édifices noircis par les
ans, lui prêtent un aspect mélancolique. A droite du bourg, la Dala sort frémis-
sante d'une fissure de la montagne, et se plonge bruyamment à quelques pas de là
dans le Rhône. Ce fleuve redoutable s'éloigne en contours gracieux , modifiant à son
gré la nature du sol, creusant des abîmes, minant ses rivages; on peut le suivre des
yeux jusqu'à Sion , où il se dérobe soudain aux regards et disparaît derrière les col-
lines qui dominent la ville. En face de Loëche, s'étale comme un vert manteau la
forêt de Finges, qui remonte la monlagne opposée, en hérisse la pente abrupte, el
cache à l'ombre de ses sapins séculaires les restes sanglants des Yallaisans , qui y
succombèrent héroïquement en 1799. D'un autre côté, l'œil s'arrête curieusement
sur le joli village de Varrone, assis sur une corniche de rocher. — Loëche était une
localité importante du Vallais épiscopal; les Diètes s'y assemblèrent à plusieurs
reprises. Sa position était .très-forte, car l'on n'y pouvait parvenir que par deux
ponts que commandaienrde hautes tours, celui de la Dala et celui du Rhône.
C'est du bourg de Loëche que part la route à char qui conduit au célèbre établis-
sement de bains, situé au fond de la vallée. Cette chaussée, de construction récente,
s'élève inseosiblement jusqu'à la hauteur de la chapelle de Sainte-Barbe, d'où elle s'en-
fonce dans la montagne, se dirigeant sur Inden, et de là sur les bains. Les flancs
roides et escarpés des vallons tout rayés des zigzags sans nombre de la route, les
cascades qui tombent du haut des rochers, les aqueducs longeant le précipice, la
Dala remplissant les airs des tonnants éclats de sa voix : tout imprime au paysage
un caractère de pittoresque grandeur. Un pont magnifique, jeté à grands frais à
143 pieds au-dessus du lit du torrent, et s'appuyant sur un énorme pilier de maçon-
nerie, transporte la route sur le versant gauche de la vallée ; il a remplacé un ancien
pont de bois qu'on devait aller chercher au fond de cette gorge. D'Inden, joli vil-
lage assis sur l'un des onduleux replis du Rumling, la roule s'enfonce dans le vallon
II, 31. ()5
SI 4 LA SUISSB PITTORESQVR.
de Chdlelard; cesi la partie la plus sauvage du trajet. Enfin, au bout de quelques
instants, Ton aperçoit tout à coup, au milieu d'un riant amphithéâtre de prairies, le
village des Bains de Loêche. À gauche, la longue et monotone muraille des rodiers
de la Gemmi ferme Thorizon, tandis qu*à droite une forêt dessine les formes angu-
leuses de la montagne et envoie ses derniers sapins oemer le village.
Les Bains de Loôche sont très-fréquentés pendant la saison des eaux ; leurs nom-
breux hôtels regorgent de malades et de touristes. Leurs vastes piscines s'em|dîasent de
baigneurs, qui viennent demander & la naïade des eaux la vigueur et la santé. Gm-
fondus dans le plus grand péle-méle, sans aucune distinction, dans le même carré,
ceux-ci sont tous uniformément vêtus de longues chemises de flanelle. Les uns, gra-
vement assis, rêvent en se livrant à la lecture; d'autres causent bniyamment, rient,
plaisantent; ici c'est une partie de jeu engagée, là un individu qui lutte courageuse-
ment contre le sommeil, car il a dû s'éveiller bien avant l'heure accoutumée pcmr
venir à son bain ; bref, c*est un coup-d'œil unique. Les sarcasmes, les cris accueil-
lent le curieux mal avisé qui enfreint l'usage reçu de se découvrir en entrant, et
gare au baigneur qui se retire du carré sans se baisser et s'envelopper dans son vête-
ment : les railleries ne lui seront pas épargnées. Telle est la manière de prendre les
eaux à Loêche. Quelques personnes y voient de graves inconvénients; mais l'ennui
qui résulterait de si longues baignées faites solitairement, légitime le mode générale-
ment adopté. Au reste, des cabinets particuliers reçoivent les malades auxquels ce
système répugnerait par trop.
Les environs du village offrent des promenades charmantes : les échelles à'AlbineH,
frêle escalier à peine assujetti au rocher, et qui sert de voie de communication pour
toute une peuplade, le glacier de Balm, la cascade de la Data, le Gukerkubel, etc. Les
amateurs de vastes panoramas se rendent au Torenthoni, d'où l'on découvre tout un
monde de pics fuyant comme d'immenses vagues vers le Mont-Blanc et le Mont-Rose,
que l'on aperçoit se dressant à l'horizon lointain. De Loêche, une route très-intéres-
sante et unique dans son genre conduit par la Gemmi dans le canton de Berne. Elle
fut ouverte de 1736 à 1741, aux frais de deux familles de Loêche. La route s'élève
par d'ingénieux détours contre les flancs perpendiculaires de la Gemmi. Un précipice
béant s'ouvre sur toute la longueur du parcours aux côtés du voyageur ; c'est la vallée
des Bains qui, creusée comme une corbeille de verdure au pied de la montagne, reste
sous les yeux du touriste jusqu'à ce qu'il ait atteint le sommet du passage. De frêles
barrières courent, dans les endroits difliciles, le long du rocher. On arrive enfin sur
le plateau de Schwarbach, où se trouve, non loin d'un lac de l'aspect le plus triste,
celte auberge dont Wcrner a fait le théâtre de son drame du 2i /?rnVr.*De ce point,
Ton descend dans la vallée bernoise de Kandersteg.
Le Grand St. -Bernard. — L'hospice du St. -Bernard, fondé par Bernard de Men-
thon, est situé à 7542 pieds au-dessus de la mer. Un chemin aride et rocailleux,
s' élevant insensiblement depuis Orsières, serpente dans la vallée, gagne des régions
plus élevées, et conduit le voyageur dans le petit vallon où se trouve ce lieu de refuge.
L'établissement se compose d'un grand bâtiment, renfermant l'église, les chambres
des religieux et celles destinées aux voyageurs; un autre édifice moins grand est
destiné à loger les femmes. Le site est funèbre ; il est rare qu'il ne soit pas couvert
de neige. Un petit lac étend ses eaux dormantes au pied de l'hospice : les cimes gigan-
LA suisse PITTORESQUE.
515
<j-'r
lesques du Velan, de Chenalettaz cl de
Dronaz s'y reflèlenl en masses grisa
1res, séparées par l'azur éclalanl du
ciel. Non loin de là, un petit bàUment
attire les regards : c'est la Morgue du
St.'Bernard, où Ton entasse, dressés
contre les parois, les cadavres des mal-
heureux que la mort a surpris sur la
montagne. Us sont là quinze ou vingt,
livides, hideux, regardant de leurs
yeux sans regards, et offrant le spec
tacle le plus terrible qui se puisse ima-
giner ; les autres gisent à terre confon-
dus dans un effroyable pélc-mêle. —
L'église du couvent renferme un mau-
solée en marbre blanc, qui contient les
restes de Desaix, tué à Marengo. Une
table de marbre placée dans l'un des
corridors, rappelle le passage de Na-
poléon. Le couvent dépensa à celte
occasion 30,000 francs, qui ne lui
furent jamais rendus. Devenu empe-
reur, Napoléon décréta la réunion de
l'abbaye de St. -Maurice au couvent
hospitalier; mais ce fait n'eut pas de durée. — Année commune, 10,000 voyageurs
traversent le St.-Bernard; tous ont droit d'être hébergés gratuitement pendant trois
jours; mais les personnes aisées déposent dans le tronc de l'église l'équivalent de
leurs dépenses. Les religieux vont en hiver à la recherche des voyageurs égarés dans
les neiges ; de vigoureux chiens, d'une race particulière, les accompagnent et leur
sont d'un grand secours. Ils partent : ni la rafale qui soulève la neige en tour-
billons, ni l'avalanche suspendue sur leurs têtes, ne sauraient les arrêter. Us appel-
lent les voyageurs égarés dans ces régions glacées, dans ces ravins neigeux au bas
desquels s'ouvre l'abime; ils fouillent les avalanches, interrogent les rochers, et
ont bientôt découvert ceux qu'a surpris la tempête. On les transporte à l'hospice,
et mille soins les ont bientôt arrachés à la mort. Cette vie, toute d'abnégation et de
dévouement, est rude et difficile; aussi est-il rare que ces religieux parviennent à un
âge avancé.
La Pissevache. — Marligny est situé au pied du rocher de Ravoire, à l'entre-
croisement des routes de Chamonix, du St.-Bernard, de St. -Maurice et de Sion. Le
château de la Batiaz, qui le domine, plonge sur tout le Vallais, et semble ne faire
qu'un avec les rochers qui le supportent. A une lieue plus bas, sur la route de Saint-
Maurice, s'ouvre dans le rocher une étroite fissure, antre ténébreux par où débouche
en grondant le torrent du Trient. La nature a entouré cette gorge d'un cadre plus
triste encore; la désolation semble s'être assise dans les campagnes voisines; un vent
glacé gémit dans les interstices des rochers et se brise contre leurs parois. — La
Le St.-RerDartl.
.*>I0 L% Misse rrmwci^E.
c<iNi-ii«k' f\e la Piv^>aflK» n>^l |ilii> ijuà une laibie distaiHT : elle apparail de l*»in
r«»oime un blaiK* sjMxire. h'alUcluinl au rutlier et labisanl flotter au vent !»es» \éie
nienU nei^zeux. L'air ;!émit m»u% le |M»îd>de cette niasse d'eau qui se précipite enln*
h'N mifrdctii'Mlfxde la niontiiîn>e. rejaillit, retomtie et s'é\aniKiit en pluie argculéi-
l*rc« lie riuc««rlie
Au lever du s«»leil. Tins colore cette cascade de mille feux ; on dirait un torrent de
rubis, d't'scartxiucles, d'émeraudes, qui descendent en se jouant et en formant mille
dessins capricieux. Le paysage d'alentour est nu et stérile. Le Rhône re^x)it les eaux
limpides de la rivière et les confond avec ses vagues troublées.
Saiyt Mairice. — Celle petite ville est située à la base de Tundes contreforts de
la Ih'Hi fin Miilî. Le fleuve el le roclier l'enserrent , l'un de son lit fortement eniraissé.
l'autre de ses [wirois grisUres, où courent à peine quelques cordons de verdure. En
face, la chaîne des Alpes vaudoises, ici boisée, là s'arrondissant en croupes fantas-
tiques, ferme l'horizon, tiindis que la Ihut de }torrh*s pyramide vers le ciel et semble
défier la cime du Mitli, sa sœur et sa rivale. Un |K>nt d'une «eule arche, bâti en
1^19, soude à leur base ces deux montagnes, el établit la communication entre le
canton de Vaud et le Vallais. Il était autrefois orné d*unc chapelle pittoresque,
tiétruite en 1847, aux grands regrets des amateurs du pittoresque. Vers le sud, la
plaine s'agrandit, refoulant des deux côtés les remparts qui la pressent. Un éboule-
menl considérable a, dans des temps reculés, changé ici la face du sol et chassé le
Rhône jusqu'au pied de la Dent de Mordes. Ici s'est accompli le martyre de saint
Maurice et de sa valeureuse légion. Une modeste cha|)elle, élevée à Tendroitoù la
tradition raconte que le primicier fut égorgé, en rappelle le souvenir. Plus haut, el
cramponné au rocher, comme un nid d'hirondelle aux parois d'un palais, apparaît
VHermiUuje de Snive Ihtme de Sve.r, où conduisent quelques rampes escarpées, bordées
de stalioNs, De ce |)oinl, on domine Siiint- Maurice et les campagnes d'alentour, riches
de champs et de cullures, le Rhône traversant la plaine comme un trait rapide, les
bains de Lavey, le village du même nom, délicieusement caché derrière un fouillis
de «Mands arbivs, le Bois-Noir, el quelques petits hameaux cachés dans la forél ou
assis sur une cininencc.
LA i>LISSE riTTOHIâSQtK. 517
La ville de Saint-Maurice offre peu de monuments remarquables. La grande rue,
longue, mais étroile, est bordée d'habitations dont quelques-unes ne manquent point
d'élégance. L'hôtel-de-ville, avec son inscription : Christiana mm ah nnno LVIII;
riiôpital de Saint-Jacques, fondé par Gonrad-le-Pacifique ; Téglise paroissiale, tou-
chant aux anciens remparts de la cité, attirent un moment Tattention. La célèbre
abbaye de Saint-Maurice est située dans la ville même : c*est un grand bâtiment peu
élevé, avec de vastes corridors, une bibliothèque, des archives précieuses, un petit
musée et un gymnase. L'Eglise abbatiale, adossée au couvent,. est décorée avec
goût : elle est sans valeur sous le rapport monumental. Des peintures murales fraî-
chement exécutées en tapissent les voûtes et frappent agréablement les regards; on
y admire en outre des stalles magnifiquement sculptées, de beaux autels et quelques
bons tableaux. La Chapelle du Trésor, placée à droite du maître-autel et| abritée
derrière une grille, resplendit sous les feux multiples de ses vitraux coloriés ; ses
parois de marbre cachent aux regards des reliques précieuses et des objets d'art
d'un travail merveilleux : tels sont la châsse renfermant les ossements de Saint-
Maurice ; une mitre couverte de pierreries, présent de l'anti-pape Félix V ; l'anneau
de Saint-Maurice, curieux spécimen de l'orfèvrerie romaine; un vase de sardonyx,
travaillé en camée et monté en or, qui passe pour l'un des chefs-d'œuvre de l'art
du lapidaire ; il fut donné au monastère par Charlemagne. On remarque aussi une
aiguière envoyée au même empereur par le calife Haroun-al-Raschid : ce vase pré-
cieux, exécuté en or le plus pur, présente des ornements d'un style oriental, et pour-
rait bien remonter au 9*^ siècle. — Le clocher de l'abbaye est remarquable par son
antiquité : il compte environ neuf cents ans, et porte cependant aussi fièrement qu'au
premier jour la pyramide octogone, flanquée de quatre cônes, qui le surmonte. Il a
vu à ses côtés se succéder les diverses églises, les unes détruites par la main des
hommes, les autres effondrées par les rochers, et semble regretter les temps reculés
où la psalmodie incessante de cinq cents moines arrivait jusqu'à lui , et où les
rois de Bourgogne venaient à ses pieds ceindre la couronne, ou chercher le repos
éternel dans ses caveaux funéraires.
Le château de Saint- Maurice s' é\èwc an plus étroit du défilé, à quelques pas de la
ville; -il domine le jwnt et commande entièrement le passage. Bàli en 1555 pour
servir de résidence aux gouverneurs envoyés par le Haut-Vallais, il pouvait, au gré
de ceux-ci, intercepter toute communication, car la route passait sous une de ses
voûtes. On voit sur les mamelons voisins, et notamment sur ïArsittiez et les Fimjles,
des ouvrages de fortifications, les uns tout modernes, les autres d'une époque plus
reculée, ils contribuent à faire de l'étroit défilé de Saint-Maurice un point straté-
gique important, où quelques poignées d'hommes pourraient lenir en échec une
armée nombreuse.
MoNTHEY, chef-lieu du district du même nom. Ce bourg est délicieusement situé
au débouché du Val d'illier. La grande route, pour aller le chercher dans le coin
charmant où il s'est niché, doit faire, en venant de Saint-Maurice, un brusque con-
tour, et s'éloigner diamétralement du Rhône, qu'elle rejoint ensuite et côtoie jus-
qu'au Léman. Monlhey, dont les toits apparaissent à peine, pressés qu'ils sont d'une
triple ceinture d'arbres magnifiques, s'endort paresseusement au soleil, pour s'éveiller
chaque semaine, le jourdu marché, au tumultueux encombrement de sa grande place.
518
LA SUISSE PITTOReSQLE.
Les montagnes qui, de deux côtés, bordent la Vièze, s'abaissent avec mollesse vers le
bourg en se couvrant de taillis et de blanches maisonnettes. Tout semble se réunir
pour rehausser Taspect déjà si agréable de Monibey ; à droite Choex et son presbyte
sohtaire, où s*éteignit lentement Aymon de Savoie; en face, les Alpes vaudoises; à
leur pied, Bex, Ollon, Aigle et le vignoble d'Yvome ; à gauche, le Léman, recevant
Le Bonvrret, près d« l'enbouchurc du RkAoe.
les eaux du Rhône près du village du Bouveret, puis le Jura se dessinant vaguement
à rhorizon. Le bourg de Monthey a de beaux bâtiments, une verrerie en pleine acti-
vité, et un vieux château, ancienne résidence des seigneurs gouverneurs. L'Eglise
paroissiale, récemment construite, est belle; elle se distingue par Tampleur de ses
proportions et la richesse de ses ornements ; de gigantesques colonnes de granit en
supportent le portique.
La Vièze, rivière dangereuse, qui rase les murs de Monthey et en dévaste souvent
les champs, descend du Val dUUer, petite vallée profonde d'environ cinq lieues, com
muniquant avec la Savoie par le col de Coux et par la vallée de Morgens. Les pics
du Midi, hauts et décharnés, dominent la contrée, tandis que sur leurs pentes infé-
rieures, de riantes habitations, des villages coquets s'échelonnent entre des cascades
murmurantes et des paysages gracieux. Là vit une peuplade d'une taille élevée, aux
mœurs simples, à la probité antique, qu'une tradition fait descendre d'une colonie de
soldats romains. Le costume national, quoique peu gracieux, s'y conserve dans toute
sa pureté. Les femmes sont d'une beauté peu commune; elles savent, au besoin,
pour traverser les neiges ou soigner les bestiaux, se servir des vêtements de l'autre
sexe. Champéry, à l'extrémité de la vallée, présente l'aspect des villages bernois.
Roger de Bons.
-c®<^«f. ^>«=-
CANTON DE NEUCHATEL.
Situation, Etendue, Climat. — Le canton de Neuchâtel, qui est le vingt-unième en
rang dans la Confédération suisse, est une portion du Jura, chaîne de montagnes cal-
caires, qui s'étendent de Bâle à Genève, séparant la France de la Suisse. Ce pays, vu
des plaines des cantons de Fribourg, de Berne et de Vaud, offre à l'œil une continuité
de montagnes arrondies et bleuâtres. Depuis les rives du lac de Neuchâtel, le territoire
du canton s'élève sur une pente rapide, qui cache les vallées situées entre les rameaux
du Jura. La longueur moyenne du canton est de huit à neuf lieues ; sa largeur de
quatre à cinq, de sorte que sa superficie est d'environ 38 à 40 lieues carrées. On a
calculé que cette surface est de 256,000 poses du pays. C'est un des cantons moyens
quant à l'étendue.
De sa situation d'amphithéâtre résultent trois climats différents, l"" L'étroite bande
de terrain baignée par les eaux du lac, jusqu'à l'élévation de 450 pieds environ, est
appelée la région du vignoble; 2"* les grandes vallées, dont l'élévation n'excède pas
1200 pieds, forment la région des champs; 3^ les vallées plus élevées et les cimes du
Jura composent la répon des montagnes ou des pâturages. L'élévation du lac est de
1312 pieds de roi, et celle des plus hautes cimes du Jura d'environ 5000 pieds au-
dessus de la mer. — Le climat est tempéré au bord du lac, frais dans les grandes
vallées cultivées, et froid, même âpre, dans les montagnes.
Montagnes, Vallées, Rivières, Lacs. — Les montagnes appartiennent toutes à la
chaîne du Jura. Elles se composent de pierres calcaires grises, recouvertes de couches
jaunâtres; elles renferment en abondance des coquillages marinsetdes corps pétrifiés.
Pour peu qu'on s'élève, on domine tout le lac, et on aperçoit au sud-est les vallées
des cantons de Berne et de Fribourg. Dans le fond, on voit les cimes argentées des
Alpes, depuis celles d'Appenzell jusqu'au-delà du Mont-Blanc. Les principales mon-
tagnes sont : le mont Ancin, qui forme au nord le Val de Ruz; le Chdlelet, près de la
Brevine; le Chaamont, qui domine la ville de Neuchâtel à Test; la Cluzette, près de
ri20
L\ SrUWF PfTTOHES4>rF.
Brol, au val de Travers; le f>f7-r#i#7/#iii/, près du Lode; b TrU d^ Bam^. Tune iie<
plus hautes cimes du Jura; la Tonme, donl une des poinles se Damme b TMrit* :
le Giox TtinretiH et le Moiii thi Cerf, dans le val de Travers, à b froolière de France
La principale vallée est le Val île Rhz. que Ton aperçiHl en montant de b ville
de Neuchàlel à la (]hau\-de-Fr>nds. Les points les plus avantagett\ pour le découvrir
sont au-dessus du villa<:e de Fenin et à Tauberge du \ilbge des Haats-GeneveN>
Ih* ces deux empla(*ements, on voit toute cette grande vallée, ses champs, ses prairies
et plus de vingt villagt*s. L'agriculture règne dans ces lieu\, et rindostrie y a fail
aussi dans ces derniers temps de rapides progrès.
Le Val tie Tnireis doit surtout la beauté de son site à b rivière de b Reuse, qui Ir
traverse dans toute sa longueur. De nul endroit, ses beau\ vilbges ne se présentent
mieux qu'au-dessus du village de Motiers, ou de Tantique château du val de Travers,
perché sur une crête de rocher, à peu de dislance de ce même village.
Le htrie et la CluuLr-ile Fuiuh occupent une des vallées les plus élevées du Jura, à
5000 pieds environ au-dessus du niveau de la roer. Ces deux villages sont plus grands
que beaucoup de villes de la Suisse. L'industrie, surtout celle de l'horlogerie, y prend
tous les jours un plus grand développement.
Les rivières du canton sont : l"" la Thieile. qui est b continuation de l'Orbe ( voyez
Catiton de Vnnd), et qui joint les lacs de NeuchAtel et de Bienne l'un à l'autre, dans
un cours d'environ une lieue. La Thielle sépare le canton de Neuchàtel de celui d<*
Berne. '2'' Le Donhs, qui prend sa source dans le Jura, et après avoir parcouru les
montagnes de la Franche-Comté, atteint, vis-à-vis le village des Brenets, le lerritoin^
neuch&telois, qu1l sépare de la France pendant l'espace de trois lieues. Non loin dt'
là, cette rivière fait une chute de 80 pieds, appelée le Sunl du Doiiba. La rivière a.
dans cet endroit, l'aspect d'un lac; ses eaux sont d'un vert foncé, et n'ont aucune
Saul du Doubs.
LA suisse pirroRESQUE. S21
Tuitc visible. On navigue entre des parois de rochei*s à pic. Â fleur d*eau on voit la
grotte de la Tossière, curieuse par la force de son écho et par les bancs que la nature
y a formés. S"" La Reme, qui est le principal cours d'eau du canton, a sa source à
l'ouest, au fond du Val de Travers. Grossie par les ruisseaux de Buttes, de Fleurier,
du Bied, parle torrent du Sucre et la petite rivière de Noiraigue, la Reuse sort du
Val de Travers, se précipite dans les gorges profondes du champ de Moulin, d'où elle
s'échappe au-dessus de la ville de Boudry, et se jette dans le lac de Neuchàtel. k"* Le
Seyon sort à l'est, du fond du Val de Ruz, qu'il traverse. Il reçoit les eaux de deux
ruisseaux, le Torret et la Sauge. Cette rivière, ou plutôt ce torrent, encaissé dans une
profonde gorge de rochers, au-dessous de Valangin, se transformait parfois en cours
d'eau impétueux, qui, à plusieurs reprises, causa d'immenses dégâts dans la ville de
Neuchàtel. Aujourd'hui, le Seyon a été encaissé et conduit dans un lit artificiel qui
est un chef-d'œuvre de l'art. L'ancien lit, qui traversait la ville, a été comblé, et a
fait place à des rues et à un nouveau quartier. 8" La Serrière, petite rivière d'eau
de montagne, jaillit à l'extrémité d'une gorge étroite de rochers, au fond de laquelle
(m a construit les moulins et les usines qui forment le village de Serrières. Elle tra-
verse la grande route sous un pont qui a été construit au commencement de ce siècle,
et se jette dans le lac. D'un même point, on voit la source de la rivière et son
embouchure.
Outre ces cours d'eau, il y a encore quelques ruisseaux à Saint-Biaise, à Bevaix,
au Locle, à Saint-Aubin. Les sources sont peu abondantes sur la pente du Jura qui
regarde le midi, et moins rares dans celle qui fait face au nord.
Les lacs sont : 1° Celui de Nemhâiel, long de neuf lieues, large de deux environ
(entre Neuchàtel et Cudrefin), et dont la profondeur atteint jusqu'à 450 pieds. Ses
eaux sont limpides, et ses rives généralement escarpées, à l'exception de quelques
ports, où sont bâtis la ville de Neuchàtel et les villages d'Epagniez, Marin, Saint-
Biaise, Serrières, Auvernier, Cortaillod, Saint-Aubin, Vaumarcus, Chez-le-Bart. Il
est très-poissonneux; les espèces principales qu'il renferme sont: la perche, le bro-
chet, l'anguille, la truite, l'ombre-chevalier, qui passe pour le meilleur des poissons
de ce lac. T Le lac de Bienne, beaucoup plus petit que le
précédent, ne baigne qu'une petite partie du territoire neu-
chàtelois, dans une plaine basse et marécageuse. 5"* Le lac
de la Brevine, ou de la Chaux d'Etalières, a été formé, selon
toute apparence, par un enfoncement subit de terrain, dont
la surface est d'un peu plus d'une demi-lieue carrée. Quand
les eaux sont basses, il forme comme deux étangs séparés.
Son écoulement a lieu dans un gouffre, et sert à faire tourner
le un moulin très-remarquable. U^ Le Loclat est un lac encore
plus petit, près du village de Saint-Biaise.
Histoire naturelle, Agriculture. — Le Jura neuchàtelois servait jadis de repaire
aux ours, aux loups, aux cerfs et aux chevreuils. Ces animaux ont diminué ou ont
disparu à mesure que la population s'est accrue. Les renards et même les lièvres sont
devenus rares. Les oiseaux sont les mêmes que ceux du Jura et des Basses-Alpes.
I^s faucons, que l'on trouvait autrefois au Creux du Van et à la Roche Blanche, au-
de^us de Buttes, ont disparu. Les coqs de bruyère {Tetrao Urogallus et Teirix),
11,31 66
SSi LA MISSE PITTOReSQCE.
9e tiennent dans les foréU de sapins des hautes sommités du Jura. Les poissons
sont: Tanguille, la lotte, la perche, le chassot, la moustache du lac, le salai
(Silurna (ihnis), qui atteint quelquefois le poids de 100 livres, la truite du
lac et celle de TAreuse et du Doubs, Tamblc {ombre chetalier), la palée, les bon
délies ou harengs du lac, le bro(*iiel, le barbeau, la carpe, le goujon, la tanche, la
platelle, le nasc, et quelques espèces de cyprins. Les rivières et les ruisseaux eon
tiennent deux variétés d'écrevisses.
La situation du canton entre trois des plus hautes cimes du Jura, offre um*
variété de sites et de climats très favorables à la botanique. Parmi les plantes qui
lui sont particulières, on peut citer les rnleriana angiiMifolin, herysimnm hieran\*t
linm, fritillttria mele(Ufns (la tulipe de Gondeba ou fritillaire), cnrex Chordorhiz^i,
pHlmu'iit acHta, et nombres d*autres plantes rares en Suisse. Le grand Haller,
Gagnebin, J.-J. Rousseau, Chaillet, ont laissé des descriptions de leurs nombreuses
herborisations dans ce pays. Rousseau décrit une plante, le napel, comme impor-
tante à connaître pour se garantir de ses effets dangereux. Elle est belle, haute de
trois pieds, garnie de jolies fleurs bleues, qui donnent envie de la cueillir ; mais à
peine Ta-t-on gardée quelques minutes, qu*on se sent saisi de maux de tète, de
vertiges et d'évanouissement. On s'en délivre en jetant ce funeste bouquet.
Au point de vue géologique, le canton de NeuchAtel appartient à la formation
jurassique, distinguée pur la couleur claire de ses couches calcaires. La mollasse ou
grès (nuire, qui fait la hase des plaines, des collines et des vallées inférieures dans
les cantons de Fribourg, de Berne et de Vaud, se montrée peine dans celui de Neu
chAtel, et seulement dans des lieux voisins du lac. De profondes coupures, appelées
perdus, peri)endiculaires à la direction des vallées, ont permis d'étudier la suite des
couches dont se compose le Jura, surtout dans la gorge où coule le Seyon, et le long
de Tancien chemin de Neuch&tel à Valangin. Il résulte des observations de Tillustic
géologue Léopold de Buch , que les montagnes du Jura sont formées de plus de
900 couches, plus ou moins calcaires, différant entre elles pur la couleur, la densité,
la cassure, la compacité ou l'adhérence. Prises ensemble, ces couches ont une épais-
seur de 2900 à 3000 pieds. La face méridionale du Jura est couverte de pierres rou-
lées alpines, parmi les(iuelles on trouve des blocs de granit à angles émoussés et
arrondis, superposés au sol, et dont quelques-uns sont d'une grosseur prodigieuse,
entre autres celui de Pierrabot, à une demi-lieue au nord de Neuchàtel, à 800 pieds
au-dessus du lac. Il a 50 pieds de longueur, 40 de hauteur, et 20 d'épaisseur.
Les montagnes du Jura neuchàtelois offrent plusieurs grottes remarquables, entre
autres celles de Motiers et le Teinple des Fées, près de la Côte aux Fées. On y trouve
aussi quelques glacières naturelles, et plusieurs sources ferrugineuses, comme celles
de la Brevine et des Ponts.
La situation du canton en amphithéâtre donne lieu à trois cultures différentes,
répondant aux trois climats que nous avons indiqués : 1^ La vigne, dans les terrains
en pente au bord du lac, jusqu'à une élévation de SOO pieds. Les terres qui reposent
sur la formation des grès, comme à St. -Biaise, Boudry, Bevaix et Gortaillod, sont
fortes et argileuses. V Les champs, dans les plaines argileuses des bords du lac et dans
les vallées de Ruz et de Travers, jusqu'à 1400 pieds au-dessus du lac. 3"* Les pdiu-
ntges et prairies, dans les vallons supérieurs, jusqu'aux cimes du Jura. Le peu de
LA SUISSE PITTORKSQIE. ' 823
profondeur du sol a nécessité la culture de la vigne basse ; la bifurcation des ceps
n'est pas élevée à plus de 8 à 10 pouces au-dessus du terrain. On donne à la vigne
trois laboui*s : le plus profond aux mois de mars et d'avril, le second en mai ou juin,
et le troisième en juillet. Les cépages blancs dominent; le vin blanc a un léger goûl
de pierre à fusil. Les cépages noirs, qui donnent un vin rouge très-estimé, qui n'a
d'analogue dans aucun vignoble, occupent les terres les plus arides, et souvent leurs
racines végètent dans des lits de cailloux roulés. Les vins rouges les plus estimés
croissent à Cortaillod et dans les vignes voisines de la ville de Neuchâtel. L'abolition
du parcours du bétail, en 1807, a donné une nouvelle direction à la culture des
champs. Les pommes de terre, les raves, les carottes, le chanvre, le colza, la navette,
les pois, les lentilles, sont cultivés en concurrence avec les blés. Dans la région élevée
des pâturages, les gelées, qui souvent surviennent dès le mois de septembre, compro-
mettent parfois la récolte. A l'élévation de 900 à 1000 pieds commencent les forêts
de sapins.
Histoire. — Le petit pays qui forme le canton de Neuchâtel a une histoire assez
compliquée. 11 a gardé la forme féodale beaucoup plus tard que la plupart des autres
pays de la Suisse et de l'Europe. Les habitants de cette portion de la pente méridio-
nale de la chaîne du Jura appartenaient à la nation des Helvétiens, car le Jura était
une des limites de ce peuple. On ne sait rien de l'histoire de ces Neuchâtelois pri-
mitifs, et jusqu'ici on n'a pas trouvé dans le lac, comme dans le voisinage près
d'Yverdonet près de Nidau, des débris d'armes et d'ustensiles attestant leur existence.
Mais, dans diverses parties du pays, on voit des pierres druidiques ou menhirs.
L'existence d'une cité de Noiielonex, qui aurait été l'une des douze cités des Helvé-
tiens brûlées avant leur tentative d'émigration, est révoquée en doute avec raison.
On ne sait rien non plus sur Neuchâtel romain, et les inscriptions romaines qui
avaient été mises en avant pour prouver l'existence de Noidelonex et de Novum Cas-
trum, ont été signalées définitivement comme apocryphes. Cependant, il est certain
que plusieurs localités sur les bords du lac de Neuchâtel étaient peuplées sous la
domination romaine en Helvétie. A mesure que la colonie d'Avenches s'accrut et
prospéra, la contrée voisine dut être nécessairement habitée et cultivée. Cette grande
cité tirait des lieux voisins du Jura neuchâtelois les pierres et les bois nécessaires à
ses constructions. Le village de St. -Biaise, connu dans les anciens actes sous le nom
d'Arens {Arena), et celui de Marin {Mala Are^ia), paraissent avoir été des ports fré-
quentés par les Romains, qui chargeaient en ces lieux les pierres des carrières
d'Hauterive {Alia Ripa), Serrières {Serrœ) était un lieu propre à convertir en plan-
ches les sapins du Jura et â les embarquer pour Avenches. Une route qui porte
encore le nom de Vidéira {Via dextra ou strata) traversait les forêts dont le pays était
couvert, et tendait d'Yverdon dans la Rauracie (l'évêché de Bâle). Bevaix {Biviœ)^
Pont & Reuse, Bole, doivent probablement leur existence à cette route.
Les irruptions des Barbares effacèrent les faibles traces de la culture introduite
par les Romains. Dans les plus anciennes chartes du moyen-âge, sous les Bourgui-
gnons, le pays est appelé Nigri Montes, Nigra Vallis, et par corruption Nugerol. Aux
7^ et S^ siècles, le pays qui s'étend depuis la ville de Neuchâtel jusqu'à l'Aar, et toute
la vallée du lac de Bienne, appartenaient à une famille féodale parente des derniers
rois de Bourgogne. Elle résidait au château de Feni {Vinels), près de Cerlier.
5*24 LA SUI98K PITTORESQIR.
Les Bourguignons, en s^éiablissant dans la contrée de NeucliAtel, n'y absorbèrent
|)as plus qu'ailleurs l'ancienne population celto-romaine. Les deux races se méUD-
gèrent sous l'influence de la vie religieuse, qui prit un assez grand développement,
et contribua à maintenir la civilisation et la liberté. Le personnage historique le plus
célèbre à cette époque, dans l'histoire neuchàteloise, est la reine Berthe, fille df
Bourcard, duc d'Allémanie, qui é|)ousa Rodolphe II, roi de la Petite-Bourgogne ou
Bourgogne Transjurane, l'an 924 de l'ère chrétienne. Berthe administra le royaume
pendant que son époux poursuivait, de l'autre côté des Alpes, la couronne de Tltalie.
Elle trouva à Neuchàtel, qui n'était alors qu'un bourg fortifié, un asile contre les
entreprises des Hongrois (Mngyari) et des Sarrazins.
Rodolphe II eut de Berthe un fils, Conrad II, qui naquit en 927, et fut couronné
à Lausanne en 937. On attribue à cette reine et à ce roi la fondation de l'église col-
légiale de Neuchàtel (de 932 à 938). Conrad devint beau-frère d'Othon-le-Grand,
empereur d'Allemagne, par le mariage de ce monarque avec Adélaïde, fille de
Rodolphe II et de Berthe, et veuve de Lothaire, roi d'Italie.
A Conrad, qui mourut en 993, succéda son fils Rodolphe III, dit le Fainéant, qui
régna jusqu'à 1032. Par un acte de l'an 4014, ce roi donne à son épouse Irmen-
garde la ville d'Aix, Annecy, l'abbaye du mont Joux, le château royal de Fau(,
Yvoneml, Neuchàtel, siège très-rotial {regalmwM sedes), Arins (St. -Biaise) et d'au-
tres lieux.
Après la mort de Rodolphe III, le royaume de la Petite-Bourgogne ou Transjurane
passa par testament de ce prince, qui s'était retiré en Allemagne pour éviter la
guerre que lui faisaient ses vassaux, à Conrad-le-Salique, qui s'empara de Neudiàtel
et le donna en fief à Ulrich, comte de Feni, de la famille nommée plus haut. Celle
famille des premiers comtes de Neuchàtel s'éteignit dans la personne du comte Louis;
et Conrad, fils d'Egon, comte de Fribourg, neveu et héritier d'Isabelle, fille de Louis
de Neuchàtel, commença la seconde race des comtes de Neuchàtel. Jean de Friboui^,
dernier comte de cette seconde maison , institua pour son héritier universel son
parent Rodolphe de Ilochberg (4457), qui commença une troisième maison comtale.
Sous les maisons de Fribourg et de Hochberg, beaucoup de familles allemandes s'éta-
blirent dans ce pays et y apportèrent les usages de leur patrie. Ce fut sous la com-
tesse Jeanne de Hochberg que la Réformation s'introduisit à Neuchàtel parles prédi-
cations de Guillaume Farel (4530). Par Louis d'Orléans Longueville, mari de Jeanne,
commença la quatrième maison de Neuchàtel. Elle dura jusqu en
4707, que mourut Marie d'Oriéans, fille de Henri II de Longueville,
veuve de Henri de Savoie, duc de Nemours, dernière souveraine de
cette branche. Alors treize prétendants se présentèrent devant le tri-
bunal souverain des trois Etats de Neuchàtel pour demander l'inves-
titure du comté de Neuchàtel.
Les principaux de ces prétendants étaient : 4** Frédéric I*', roi de Prusse, comme
héritier des droits de Jean de Chàlon, qui en 4288 avait reçu, disait-on, de l'empe-
reur Rodolphe de Habsbourg, l'investiture du fief de Neuchàtel. Il appuyait ses droites
d'un mémoire rédigé par le célèbre Leibnilz ; 2" le prince de Conti ; 3** le prince de
Carignan ; 4** le duc Léopold Eberhard de Wurtemberg ; 5° la duchesse de I^rcsdi-
guières; 6** le comte de Matignon; 7"* le margrave de Baden; 8" le canton d'Uri,
LA SUISSE PITTORESQUE. 52K
qui se fondait sur ce que, sous la comtesse Jeanne de Hochberg, les cantons suisses
s'étaient mis en possession de Neuchàtel, à Tépoque des guerres des Français et des
Suisses, sous le règne de Louis XII.
Les trois Etals, par leur arrêt du 3 septembre 4707, adjugèrent Neucliâtel à
Frédéric I*% roi de Prusse. On eut égard, pour écarter les prétendants français,
(uirents de Louis XIV, à la situation particulière de l'Europe et de la Suisse protes-
lanle, qui luttaient alors contre le despotisme envahissant du roi de France. Le roi
de Prusse confirma tous les privilèges des bourgeoisies et des corporations, entre
autres ceux de la ville de Neuchàtel, ainsi que les anciennes alliances entretenues
avec soin et de tout temps par les Neuchàtelois avec les cantons suisses, notamment
avec Berne, Soleure, Fribourg et Lucerne. Depuis cette époque, la succession des
rois de Prusse forma une cinquième maison de princes de Neuchàtel, jusqu'en J806,
que Napoléon P' donna Neuchàtel au maréchal Berthier, comme fief de l'em-
pire français. En 1814, la chute de Napoléon fit rentrer le Pays de Neuchàtel sous
la domination de Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse, en même temps que le con-
grès de Vienne l'incorporait comme vingt-unième canton dans la Confédération suisse,
dont il faisait déjà partie de fait par ses limites, ses traités, ses mœurs et l'affection
de ses habitants.
En 1831, sous l'impression de la révolution française de juillet, une partie des
Neuchàtelois tentèrent de se soustraire à la domination prussienne, pour faire de leur
patrie uniquement un canton suisse. Mais cette tentative échoua, de même que celle
que fit un peu plus tard le parti qui tenait pour la Prusse, afin de faire sortir Neu-
chàtel de la Confédération suisse. La position mixte dura jusqu'en 1848. Alors,
après la révolution française de février, les Neuchàtelois qui étaient partisans de la
rupture avec la Prusse, réussirent à faire reconnaître Neuchàtel comme canton suisse,
sans relations ultérieures avec la cour de Berlin. Le 30 avril 1848, la Constitution
républicaine, élaborée par un Grand Conseil constituant, fut proclamée, et elle a
ré^i dès-lors le canton.
Constitution. — Cette constitution nouvelle, qui a remplacé la charte que le roi
de Prusse avait donnée en 1814 et qui avait été modifiée en 1831 , renferme 7S arti-
cles et des dispositions transitoires. Elle proclame le canton de Neuchàtel une Répu-
blique démocratique et l'un des Etats de la Confédération suisse. Le territoire du
canton est inaliénable. Il est divisé en six districts : ceux de Neuchàtel, de Boudry,
du Val de Travers, du Val de Ruz, du Locle, et de la Chaux-de-Fonds. Il ne reste
dans le canton aucun privilège de lieu, de naissance, de personnes ou de famille.
L'Etat ne reconnaît aucune qualification nobiliaire. La liberté des cultes, celle de la
presse, celle d'industrie, sont garanties à tous les Neuchàtelois. Tout Suisse jouira des
mêmes droits, s'il offre les garanties nécessaires. Tout citoyen neuchàtelois et tout
citoyen suisse habitant le territoire sont tenus au service militaire. Il ne pourra être
conclu de capitulation militaire avec aucune puissance étrangère. (Depuis 1814,
Neuchàtel fournissait un bataillon de tirailleurs à la garde du roi de Prusse.)
Le pouvoir législatif esi exercé par un Grand Conseil élu directement par le peuple,
dans la proportion d'un député pour 500 âmes. Les députés sont élus pour quatre
ans, et rééligibles. Le Grand Conseil a deux sessions régulières par an. Le imivoir
exêciuifesi confié à sept conseillers d'Etat, élus par le Grand Conseil. Le Conseil
fiiù lA SriSHR PITTORESOrR.
d'Etat est nommé pcHir six ans, el rééligible. Le poiwoir judiciaire est séparé d»
autres pouvoirs de TEtat. La justice civile est rendue par des tribunaux de paix*
des tribunaux de première instance, dont le nombre est le même que celui des dis-
tricts, el une (bur d*app<'l, qui, en matière criminelle, a les attributions d'une Cour
de cassation.
CiLTR, Edi:<:ation. — Tous les cultes, en ce qui touche le temporel, sont placés
sous la suprématie du gouvernement. Il ne peut y avoir de corporations eoclésiasli
(|ues indé|)endantes du |)ouvoir souverain. Les biens el revenus de TEglise ont été
réunis au domaine de TElal, qui salarie les ronctionnatres ecclésiastiques. Le culte
réformé est celui de la totalité du canton , à Texceplion des paroisses du Landeron,
de (^ressier, et du Cerneux-Péquignot, qui suivent le culte catholique romain. H y a
aussi des chapelles catholiques h Neuchàtel, à la Chaux-de-Fonds, et un hospice de
capucins au Landeron. IjC clergé catholique est soumis à Tévéque de Lausanne, dont
la résidence ordinaire est à Fribourg.
Un Synode, où siègent des députés ecclésiastiques et laïques, surveille Tadmi*
nistration du culte réformé, il est composé de six Colloques, correspondant aux six
districts du canton. Une faculté de théologie est établie à Neuchàtel, sous la surveil-
lance du Synode. Le district de Neuchàtel compte cinq paroisses. La ville de Neu-
chàtel a quatre pasteurs , un diacre et une paroisse allemande. Le district de Boudry
a sept paroisses; celui du Val de Travers neuf; celui du Val de Ruz six; celui du
liocle cinq, dont celle du Locle compte deux pasteurs, un diacre et une paroisse
allemande; et celui de la Chaux-de-Fonds quatre, dont une, celle de la Chaux-de-
Fonds, a deux pasteurs, un diacre et une paroisse allemande. Le clergé réformé
compte un certain nombre de ministres impositionnaires, sans paroisse, et un
ministre pour les Allemands disséminés.
Des Commissions locales sont à la tète de l'éducation dans chaque paroisse. Elles
sont présidées par le pasteur. La ville de Neuchàtel entretient un Gymnase supérieur
qui compte neuf professeurs titulaires et huit maîtres spéciaux. Le Collège de Neu-
chàtel, entretenu aussi par la ville, compte sept classes latines et françaises, et
l'Ecole des filles est divisée en six classes, sous la direction de six institutrices. Il y
a dans la ville trois écoles primaires gratuites pour les garçons, et deux pour 1^
filles; de plus, deux écoles catholiques, et un certain nombre d'écoles foraines.
La nouvelle loi sur l'instruction primaire proclame la liberté d'enseignement, el
rend l'instruction primaire obligatoire. Elle est à la charge des communes ou bour-
geoisies et des parents. L*instruction des enfants pauvres est gratuite. L'Etat y
|K)urvoit quand les communes sont hors d'état de le faire. Les instituteurs prêtent
le serment constitutionnel. L'administration générale et l'inspection supérieure de
l'instruction publique appartiennent à un département du Conseil d'Etat, appelé la
Direction de l'éducation.
Cette Direction surveille les Commissions d'éducation locales, les Colloques, le
Synode , les cures et les communes. Il y a dans chaque commune au mains une
école primaire. Le Locle en a sept pour les garçons, sept pour les filles, et cinq
classes mixtes, outre un certain nombre de maîtres spéciaux. La Cbaux-de-Fonds
a six écoles de garçons, six de filles, cinq classes mixtes, et aussi plusieurs maîtres
spéciaux. L'enseignement dans les écoles primaires comprend deux d^rés.
LA SUISSE IMTTOMESQIK. N47
Une loi du 16 décembre J853 a constitué aussi des Ecoles industrielles. Deux
sont en activité au Locle et à la Cliaux-de-Fonds, et chacune a un directeur nommé
par TEtat, qui supporte aussi une partie du traitement des instituteurs de ces écoles.
Il y a dans le canton un certain nombre d'institutions privées d'éducation pour les
deux sexes. En général, de tout temps les Neuchâtelois se sont distingués par leurs
efforts pour faire avancer l'instruction publique. Le nombre des Commissions d'é-
ducation locale était en 18S4 de 82. Le nombre des régents et régantes primaires
était, la même année, de 272, et celui des écoles primaires de 266. Les régents ne
sont nommés que sur des brevets de capacité. Us ont une caisse de prévoyance.
Commerce, Industrie, Finances, Etablissements de crédit. — L'industrie est très-
tlorissante, et peu de pays au monde , proportion gardée , lui ont vu prendre un tel
développement. Elle se compose de trois branches principales: les dentelles, les
toiles peintes et l'horlogerie. Déjà au commencement du 18° siècle, on faisait au
Val de Travers des dentelles que des colporteurs allaient vendre à Lyon. En 1742,
2800 individus vivaient de cette industrie, qui dès-lors avait plus que doublé. Les
femmes , les enfants et même quelques hommes travaillent aux dentelles, qui n'ont
|)as encore atteint la perrection de celles de Flandres, mais qui soutiennent la com-
paraison avec celles de la Normandie. Les dentelles de Neuchàtel se vendent surtout
en Italie, dans le midi de la France et dans les ports de la Méditerranée. On en ex-
portait annuellement, vers 1820, pour environ 1,500,000 francs. La fabrication
des dentelles à la mécanique a contribué à faire baisser ce chiffre.
Les fabriques de toiles peintes de Neuchàtel, dont la première Tondation remonte
à 173S, étaient aussi jadis beaucoup plus florissantes. On les exportait en Allemagne,
en Suisse, en Italie, dans l'Archipel et le Levant. Mais les manuractures anglaises et
Trançaises ont nui beaucoup à celles de Neuchàtel , bien que celles-ci aient successi-
vement adopté les différentes machines inventées à l'étranger. Plusieurs fabriques,
cefles de Marin , des Iles , de Grand-Champ , du Bied , de la Borcarderie , de Cor-
taillod, sont successivement tombées. Celle de Boudry travaille encore. En revanche,
rhorlogerie, qui est la troisième branche d'industrie, est en progression incessante.
En 1679, on n'avait pas encore vu de montres dans le canton de Neuchàtel. Un
marchand de chevaux en apporta une à la Sagne. Cette montre, faite à Londres,
s était dérangée; son propriétaire la confia à Daniel-Jean Richard, né à la Scigne,
en 1665. Ce jeune homme, dont l'adresse était connue, entreprit d'en faire une
pareille, et commença par fabriquer les outils dont il prévoyait avoir besoin. Au
bout de six mois il avait terminé une montre , dont le mouvement , le ressort , la
boite, la gravure, la dorure, tout était de sa main. A Taide de ses frères, il en fabri-
qua d'autres, et plusieurs ouvriers s' étant formés à leur exemple, en 1741 on fabri-
quait, au Locle et aux environs, 200 à 300 montres simples, à une seule aiguille
pour les heures. Vers 1750, Abraham Robert et Daniel Perrelet découvrirent des
machines qui facilitèrent l'ouvrage des horlogers. En 1760, on commença à faire
des montres à répétition, et, en 1763, Ab. -Louis Perrelet découvrit l'échappement
à ressort. C'est des montagnes de Neuchàtel que sont sortis Ferdinand Berthoud , de
Couvet, auteur d'un célèbre traité d'horlogerie ; son neveu , qui a perfectionné les
pendules marines, Breguet, le plus célèbre horloger de Paris, dont la maison, dirigée
par son petit-fils, qui a fait faire des progrès à la télégraphie électrique, existe encore.
fS28 LA StlSHE PITTOIIESQl'K.
En 1818, on exportait des montagnes de Neucliàlel et du Val de Travers 130,000
montres, dont un neuvième à bottes d*or, et plus de 1000 pendules. En 1854, te>
bureaux de eontrcMe du Locle et de la Chaux-de-Fonds ont poinçonné 268,166 mon-
très (39,129 de moins qu'en 1853), dont 161, 1S7 à boites d'argent, et 107,109 à
boîtes d'or.
Après ces trois branches d'industrie, il faut citer la fabrication du fromage » qui
forme un objet d'exportation assez considérable, et le vin, dont une partie se vend
dans les cantons voisins, de Berne, de Soleure, etc. On fabrique aussi des vins
mousseux & l'imitation du Champagne.
Le système d'impositions et de finances a changé radicalement depuis 1848. Au
lieu des anciennes dîmes et des cens que les propriétaires payaient à l'Etat, ou au
prince, sous forme de redevance féodale, une loi du U novembre 1849 a établi un
impôt direct. Cette loi a été modifiée en décembre 1850 et 1853. L'imp&t direct est
prélevé sur les fortunes, les revenus, les i*essources. Chaque année le Grand Conseil
détermine le taux de cet impôt. On s'en remet pour la fixation des fortunes à la
déclaration des contribuables. Si elle est jugée insuffisante , un comité est chai^gé de
la taxation. En 1853, la fortune de l'Etat était fixée à 3,801,465 fr. La dette de
l'Etat était de 125,043 fr. en 1854. Les recettes ordinaires de cette année se sont
élevées à 929,912 fr., et les dépenses à 821,355 fr. Une caisse hypothécaire a été
instituée |)ar une loi de 1852. Elle place les capitaux dont elle dispose sur des pro-
priétés immobilières, situées dans le canton. Ces capitaux proviennent essentielle-
ment du rachat des dîmes, cens et autres redevances féodales. Une banque canto-
nale a aussi été créée par une loi du 1*"^ décembre 1854. Le fonds primitif est d'un
million de francs fédéraux , divisé en 2000 actions de 500 francs chacune. Ce ca-
pital pourra être augmenté. LEtat a concouru au capital de la banque pour une
somme de 250,000 fr., représentant 500 actions, qui demeurent inaliénables pen-
dant la durée de la Société.
LÉGISLATION. — L'ancien droit civil neuchètelois était fondé sur la coutume nm\
écrite et séculaire, et il ne reposait sur aucun texte précis. Cette base a été radica-
lement changée par la promulgation d'un Code civil, divisé en trois livres, et con-
tenant 1820 articles. Ce Code, dont la dernière partie a été promulguée le 20 mars
1855, est fondé essentiellement sur la législation française et le code Napoléon. La
législation consistoriale , en matière matrimoniale, a aussi complètement disparu,
et le mariage civil a été institué par un décret de 1851.
' Hommes cklèbres et Savants. — Plusieurs Neuchètelois se sont distingués dans
les lettres, les sciences et les arts. Parmi les premiers, nous citerons : Le chancelier
Georges tie MimtmoHin, qui a laissé des mémoires historiques sur l'administration
iieuchàteloise sous les derniers princes français; ils ont été publiés en 1831 ; — le
chancelier Ihiy, quia laissé des poésies; J.-F. Ostenmld, théolc^ien distingué,
auteur d'un catéchisme, d'une liturgie, de divers traités, de sermons, et d'une édi-
tion de la Bible avec des réHexions (1724); J.-fl. 0$tenvnld, son fils, auteur des
neroirs des rommHfiiauts et de la Nonvriinre de l(Î99ie; Sumiiel Osierimld, mort en
1767, président du Conseil d'Etat et rédacteur d'un coutumier de Neuchàtel;
F. S, fhtenrald, banneret de Neuchâlel, auteur d'un précis de géographie historique
et d'une description des montagnes de Neuch&tel, publiée en 4766 ; Louis Bourguei,
LA SUISSE PITTORESQUE. 529
Français d'origine (de Nimes), auteur d'un Traité des pétrifications, publié à Paris en
1742, et de nombreux opuscules scientifiques encore très-estimés ; De Vattel, auteur
du Droit des gens, ouvrage devenu classique ; Ferdinand-Olivier Petitpierre, pasteur
à la Chaux-de-Fonds, célèbre par ses démêlés avec la Classe des pasteurs en 1760,
au sujet de sa doctrine de la non-éternité des peines ; L.-F. Petitpierre, qui a tra-
duit la Messiade de Klopstock; /. Boyve, auteur de chroniques neuchàteloises res-
tées jusqu'ici inédites, et dont on a commencé l'impression; J.-Em. Boyve, chan-
celier, auteur de recherches très-estimées sur l'indigénat helvétique de Neuchàtel ;
Il.-D. Chailkt, ministre, auteur de sermons, et rédacteur du Nouveau Journal helvé-
tique, qui se distinguait par une critique fine et spirituelle ( 1783) ; le trop fameux
Marat, originaire de Sardaigne, né à Boudry, et qui se fit connaître par des
ouvrages de physique avant de se faire un nom en politique. Dans les noms plus
modernes, nous citerons : F. Du Bois de Montpéreux, célèbre par un voyage au
Caucase (183S), auteur des Antiquités ou monuments de Neuchdtel, ouvrage pos-
thume; F, De Rougemont, auteur du Peuple primitif eX de divers ouvrages de géo-
graphie ; U, Guinand, qui a aussi publié des éléments de géographie ; Perret Gentil,
auteur d'une traduction des Livres prophétiques de la Bible, faite sur les textes ori-
ginaux. Le célèbre Agassiz, connu par ses grands travaux d'histoire naturelle,
actuellement aux Etats-Unis, a professé dans l'Académie de Neuchàtel, et il est
bourgeois de cette ville. MM. A, Guyot et L. Lesquereux, deux autres naturalistes
neuchâtelois, ont aussi passé en Amérique, ainsi que M. Matile, auteur de divers
ouvrages sur l'ancien droit coutumier de Neuchàtel, du Musée de Neuchàtel et Va-
Inngin, et du Recueil diplomatique de NeuchdteL U. F. de Chambrier a publié en
1840 une histoire de Neuchàtel jusqu'à la domination de la maison de Prusse (1707) ;
elle a été continuée jusqu'au règne de Berthier (1806) par M. G. de Tribolet, M. S.
de Chambrier est auteur d'une excellente description de la Mairie de Neuchàtel (1840),
et M. de Sandoz-Rollin a donné, en 1818, un Essai statistique de la principauté de
Neuchàtel, qui est toujours estimé.
Au nombre des Neuchâtelois qui se sont distingués dans les arts mécaniques, nous
citerons, après les Breguet et les Berlhoud, déjà nommés, les mécaniciens Jacquet-
Droz et Maillardet, connus par leurs automates; Droz, graveur et conservateur
des médailles à la Monnaie de Paris; Guinand, des Brenets, opticien célèbre, auquel
son flintglass a valu une réputation universelle.
Les Neuchâtelois qui se sont signalés dans la culture des beaux-arts sont nom-
breux ; plusieurs se sont acquis un nom illustre, comme Léopold Robert, né à la
Chaux-de-Fonds. Nous citerons encore les Girardet, famille qui a fourni plusieurs
générations de peintres et de graveurs; Grosclaude, père et fils, du Locle; Aurèle
Robert; Max, de Meuron; Moritz, père et fils; Zuberbuhl; les frères Tschaggeny,
Tous se sont distingués dans la peinture, et appartiennent à ce siècle. Dans le der-
nier, Prudhomme, de Peseux, a peint le portrait avec succès. Brandt, de la Chaux-
de-Fonds, habile graveur de médailles, est mort récemment à Berlin. Forster, du
Locle, l'un des premiers graveurs modernes, vient d'obtenir la grande médaille
d'honneur à l'exposition de Paris en 1855.
Neuchàtel compte plusieurs philanthropes : J.J. Lallemand, négociant, mort dans
c^tte ville en 1722, fondateur de la maison des orphelins; David Pury, fils du
11. 33. 67
iS!ÎO LA 8UIS8K WTTOUKSQI'R.
(Milonel Pury, fondateur de Purysbourg, dans la Caroline du Sud ( Elals>Unis ), qui
laissa sa fortune, montant à plus de quatre millions, à la ville de Neochâtel : { son
testament est daté de Lisbonne, le H mai 1786 ) ; Jar^iêen-L/tHU Je Ponrlalh, fonda-
teur de l'hApital qui porte son nom; M. Ik Menron, fondateur de l'hospice des
aliénés au Pré Fargier.
Parmi les étrangers célèbres qui ont habité Neuchàtel ou son territoire, nous
citerons: /.-/. RoiUMeau; Mylord Mniirhal, son ami, qui fut gouverneur du pajs
|Miur le roi de Prusse ; M'"' tle Chaînera, d'origine hollandaise, auteur de CMi*i^,
des Uiives fèeiêfkAlehinex, et d'autres charmants écrits. Les noms de Du Pe^rtm et
iVKscherny, tous deux naturalisés Neuchàtelois et auteurs de divers écrits, sont
inséparables de celui de J.-J. Rousseau.
Population. — Il résulte du recensement officiel de la population, opéré en 18S4.
qu'à la fin de cette année la population du canton était de 76,968 individus. EUIe se
compose de 44,84i .Neuchàtelois. i5,64i Suisses, et 6514 étrangers. La population
se subdivise comme suit: 37,809 individus du sexe masculin, 39,1S9 du sexe
féminin, dont i4, 12k sont mariés, &970 veufs, et 47,874i célibataires. On compte
7069 propriétaires, soit près d'un dixième de la population totale.
La population est répartie comme suit: district de la Chaux-de-Fonds, 18,143:
du Locle, 14,723; de Neuchàtel, 13,313 -, du Val de Travers, 13,139; de Boudry.
10,144; du Val de Ruz,7S06.
Il est né dans le canton en 1854, 2501 enfants, dont 1265 du sexe masculin, et
i 238 du sexe féminin ( non compris 1 49 morts-nés ).
Il est mort dans le canton, en 1854, 1983 individus, 1017 hommes et 966 femmes.
La vie moyenne des individus décédés dans le canton a été de 29 ans et 5 mois.
Le 13 p. 100 des décès dépassait 71 ans; le 4 p. 100, l'âge de 81 ans; 6 dépas
saient 91 ; aucun ne dépassait 95 ans.
Il a été célébré dans le canton, en 1854, 558 mariages.
Le nombre des bâtiments assurés à l'assurance mutuelle neuchàtelnise est de
1 1 ,172, et la valeur de ces bâtiments est estimée à 79,647,800 francs.
La population indigène n'a augmenté que de deux septièmes en 60 ans, tandis que
celle des étrangers a plus que triplé dans le même espace de temps.
MoeiRs, GouTUMis, Caragtkre, Langue. — Les Neuchàtelois sont vifs, industrieux,
laborieux, économes. Us s'entendent à gagner de l'argent, et ils sont très-circonspects
quand il s'agit de le dépenser. « Un sentiment d'honneur et de loyauté, disait M. de
Sandoz-Roliin, dans sa Statistique (1818), fait la base de leur caractère. De l'inquié-
tude sur la conservation de leurs droits et une disposition constante à repousser tout
abus du pouvoir; de la prétention à la finesse et à la politique; un certain abandon.
de la légèreté : tels sont les traits généraux de leur caractère. Ajoutez-y un vif atta-
fïhement à leur sol natal et aux institutions de leurs pères. »
Dans les montagnes, l'industrie réclame les bras de toute la population, même ceux
des enfants; elle émancipe de bonne heure les jeunes gens, en leur permettant de
vivre honorablement de leur travail manuel ; le Uen-étre qui en résulte conduit en
général les industriels neuchàtelois à l'individualisme et à la recherche presque
exclusive des jouissances matérielles. Le travail essentiellement manuel abs^H-bant
tous les instants des artistes et des ouvriers, il ne leur reste plus guère de temps pour
LA SUISSE PirrORKSQLE. 5S1
TcUide des sciences. De là vient que Tinstruction ne s'élève pas généralement au-
dessus d'une certaine moyenne. L'esprit naturel fait plus que l'éducation, bien que
celle-ci soit très-soignée pour ce qui concerne les notions primaires et secondaires.
Si l'accroissement continuel de l'industrie neuchàteloise est une des causes qui
entravent le développement scientifique, en absorbant toutes les forces vitales de la
population, et en la poussant à une production incessante, il est certain aussi que
cette industrie empêche les citoyens du canton de s'adonner à la culture des terres.
L'industrie et le négoce nuisent à l'agriculture. ladis le Neuchàtelois des montagnes
cultivait son héritage, tout en travaillant à l'établi. Aujourd'hui, les occupations
rurales sont presque entièrement dévolues à des Suisses des cantons voisins, essen-
tiellement à des Bernois. Il résulte de cela une tendance à l'envahissement de la
|)opulation allemande des cantons voisins dans le canton de Neuchàtel, qui jadis
était exclusivement un canton de langue française. Certaines industries, certains
métiers sont exploités presque exclusivement par des Allemands ou des Suisses alle-
mands. Dans quelques localités, la langue allemande semble presque la langue domi-
nante. L'ancien esprit neuchàtelois se dénature singulièrement par e^e mélange,
auquel le régime ancien, qui favorisait l'établissement d'étrangers allemands, a
contribué. Au reste, la liberté d'établissement a été de tout temps fort grande dans
le canton de Neuchàtel.
La langue dominante du pays sera néanmoins toujours le français. Le peuple
parle encore dans quelques districts, mais il ne parlera bientôt plus le patois, dont
le fond est l'ancien idiome roman, mélangé de mots latins, allemands, italiens,
et même espagnols. On croit aussi y reconnaître quelques mots grecs. Ce patois
diffère sensiblement d'une partie du canton à l'autre; il est nazillard et traînant au
Landeron et à Thièle ; plus animé dans le Vignoble, à l'ouest de la ville ; lent et
lourd au Val de Ruz ; parlé rapidement et avec les dents serrées aux Montagnes.
Les habitations dans le Vignoble sont bâties en pierre et couverte en tuiles. Les
villages sont grands, bien bâtis, à la manière des villes, les maisons attenantes les
unes aux autres. Dans le Val de Travers, au Val de Ruz et aux Montagnes, les bâti-
ments agricoles sont de grandes maisons carrées, le rez-de-chaussée en pierre, et le
r^te, ainsi que la couverture, en bois. Dans les anciennes constructions, qui
deviennent de plus en plus rares, toute la capacité de la cuisine forme la base d'une
cheminée construite en planches, dont le canal, en se rétrécissant, s'élève au-dessus
(lu toit.
Il n'y a plus de traces d'un habillement national; hommes et femmes suivent
(*n général les modes françaises. Dans le Val de Auz quelques habitants emploient
encore pour leui*s vêtements des deux sexes l'étoffe appelée mi- laine, en usage chez
leurs pères. C'est un tissu de couleur noisette, moitié fil et moitié laine, fabriqué
flans le pays.
La manière de vivre perd aussi de plus en plus son caractère ancien et original.
L'alimentation est celle des pays de montagnes, où l'air vif rend nécessaire une
nourriture plus fréquente et plus abondante. Dans le Vignoble, le peuple prend jus-
(|u'à quatre repas, et dans les grands travaux de la vigne, il boit du vin largement.
Dans les vallées et les montagnes, les agriculteurs se nourrissent plus sobrement,
de pain d'orge et d'avoine, de lait, de café, de pommes de terre et de viande fumée.
S32 LA SriSSe PITTORESOtC.
Chemins de fer. — Le canton de Neuchàtel n'a point encore de voie ierrée en
activité. Celle du Locle à la Chaux-de-Fonds est eç construction. Ce n'esl qu'un
premier tronçon, destiné à se joindre incessamment à d'autres embrancheoients. il
est question de le prolonger jusqu'au littoral du lac, où il rejoindrait la ligne qui,
du réseau général des chemins de fer suisses, à Herzogenbuchsée, se dirigerait par
Soleure, Sienne, Neuchàtel, Yverdon, sur Genève. Le Grand Conseil iieuchàteloi>
a voté une somme de 3 millions dans ce but. D'un autre côté, il s'est forme
une compagnie nationale pour l'exécution et l'exploitation d'un cèemin de fer dit
des Verrièfrs-Thiêle et Vanmarctis, qui serait une continuation du chemin Paris-
Lyon en Suisse. Celte voie traverserait le Val de Travers, et pourrait avoir un
embranchement du Val de Travers sur le Locle et la Chaux-de-Fonds. Les intérét>
de ces deux grandes localités n'étant pas les mêmes que ceux du Val de Travers
dans celte question, l'antagonisme du chemin projeté par les Montagnes, dit du Jnrn
indmU'iel, et du chemin des Verrières, nuit à l'exécution . il serait fâcheux que
les deux voies se fissent un tort réciproque, au risque de n'avoir lieu ni l'une ni
l'autre. Aujourd'hui, celle des Verrières parait la plus compromise.
La Ville de Neuchàtel et ses environs. — La ville de Neuchàtel, peuplée de
6000 habitants, a été bâtie sur deux collines, séparées naguères par le cours d'eau
du Seyon, aujourd'hui détourné de son ancien lit. Elle s'est successivement étendue
au bord du lac sur les alluvions accumulés par le torrent. Dans l'origine, à l'époque
romaine, ce n'était qu'un bourg qui s'étendait sur la pente rapide du roc escarpé,
baigné par les eaux du lac. Il servait à loger les carriers, les bateliers, quelques
laboureurs, et il était fermé à l'ouest par un mur et par une tour, sous laquelle
était pratiquée une porte d'entrée. La partie inférieure du bourg atteignait la rive
du lac à l'embouchure du Seyon. Les rois du second royaume de Bourgogne, les
seigneurs de la maison de Fenis, et leurs successeurs des maisons de Fribourg et de
Hochberg, ajoutèrent à ce bourg primitif diflérenles constructions : l"* la Tonr dite
des Prisofis, élevée sur l'ancienne porte romaine, et dont la construction date du
10^ siècle, à l'époque des invasions des Hongrois ; T la Tour de Diesse, qui protégeait
la partie inférieure du bourg, du côté du lac et du Seyon. On n'a conservé de Tan-
cienne construction de cette tour que le mur faisant face à l'ouest et le côté qui
regarde la rue du château ; le reste a été détruit par des incendies ; S"" la Tonr dn
Donym, au nord, qui domine la vallée profonde de l'Ecluse, et autour de laquelle se
sont groupées des constructions plus modernes; 4"* V Eglise collégiak de Notie-Damt,
fondée au lO"" siècle par la reine Berthe, veuve de Rodolphe II, roi de Bourgogne,
dont nous avons parlé plus haut. Il est certain que le chœur de l'église et la grande
porte latérale au midi portent tous les indices de l'architecture lombarde des 9' el
10* siècles. C'est une copie exacte du chœur de Téglise de Payerne, dont la construc
lion remonte à Tan 961 . Un ancien bas-relief, placé sur la porte principale, et détruit
par le zèle dévastateur de la Réformation, portait une inscription où on lisait : Respia
virgo pia me Bertam sancta Maria et Simul Ulriciis it fugiens ini,.,. Dans le cordon,
au-dessous du bas-relief, il y avait : Dat Dom .,.m..,. facientibus etparadi L'évêque
Ulrich, dont il s'agit ici, occupait le siège d'Augsbourg, et était le cousin germain de
Berthe. Saint Ulrich, chassé de sa résidence par les Hongrois, s'était réfugié auprès
de sa parente. Des deux côtés de la môme porte sont, entre des colonnes, les statues
LA SUISSE IMTTORKSQUE.
8S3
mutilées de saint Pierre et de saint Paul. Le comte Ulrich de Neuchàlel agrandit le
temple de la reine Berlhe, en y ajoutant la nef et les bas-côtés. Ce temple devint ainsi
Aacteo portail ilc l'église de Neuchllel
église collégiale. A côté de la grande porte latérale a été élevée une tour carrée de 87
pieds de hauteur. Elle date de 1276, époque de la dédicace de l'église comme collégiale.
A droite du maître-autel existe le monument gothique des comtes de Neuchâtel,
remarquable par sa forme et le nombre des statues qu'il renferme. C'est comme le
résumé de l'histoire ancienne de Neuchâtel. Il a été restauré récemment. En face,
on voit cette inscription, qui rappelle l'introduction de la Réformation : u L'an 1530,
le 23 octobre, ndoUUrie fatôlée et ahnltne de céans par les bourgeois. » Un cloître est
attenant au mur septentrional de l'église. Il était borné par une tour servant d'en-
trée à la cave du chapitre. Le prévôt et les douze chanoines étaient logés dans les
maisons construites près de la terrasse inférieure, qui servait anciennement de cime-
tière. La grande terrasse est remarquable par la grosseur et l'antiquité des arbres
séculaires qui la décorent. On y jouit d'une vue admirable sur la chaîne des Al|)es.
S** Le château, voisin du temple, a été construit au milieu du 14*' siècle, \mv le
comte Louis de Neuchâtel, au-dessus de l'ancienne résidence de la reine Berthe, dont
on remarque encore une porte et une fenêtre décorées de sculptures, dans une cave
du château actuel. Dans la cour du château est une tour hexagone à six fenêtres,
éclairant un escalier en limaçon , d'où l'on parvenait dans la salle des chevaliers.
Les appartements ont reçu dans les temps modernes d'autres destinations. Le gou-
verneur établi par le roi de Prusse faisait sa résidence dans ce château , ainsi que
quelques fonctionnaires supérieurs. Aujourd'hui , ce vaste bâtiment est occupe
essentiellement par les divers dicaslères du Conseil d'Etat. La salle du Grand Conseil
(ancienne salle des Trois Etats), décorée des armoiries des anciens comtes et des
gouverneurs sous les différents régimes, mérite un coup-d'œil.
Dans la partie basse de la ville , qui communique â la ville haute par des rues
HZh U SCIS8R riTTOlIRSOIR.
t^acarpées el dw escaliers, on remarque rhAlel-de-ville, édifice solide el d'une arehi
tecture assez belle , qui fut érigé par la munificence de David Pury , à la fin du dernier
siècle. Il est malheureusemenl écrasé et masqué par les constructions voisines. Cet bitH
est occupé par les Ck)nseils et l'administration municipale de la ville et boui^geoisie de
NeuchiUel. L*h6pital de la ville, que Ton doit au même citoyen, est en face, el la
maison des orphelins est tout auprès. Des terrains conquis sur les eaux du lac ont
été plantés d arbres de manière à former une belle promenade, qui se prolonge der-
rière le faubourg, (^ette promenade atteint une butte de rochers nommée le Crèi,
de laquelle la ville se présente d'une manière pittoresque.
Le Fnnbmtnj est une rue magnifique , décorée de belles maisons et d'hôtels parti
ruliers que Ton appellerait des iMlais en Italie. On remarque entre autres riiôtel Du
IVyrou, aujourd'hui de Rougemont, construit par Du Peyrou, l'ami de Jean-Jacques
Housseau, et des hôtels qui appartiennent à des membres de la famille Pourtalés. A
|K.Hi de distance du Crét, el en dehors de ce faubourg, est l'hôpital fondé en 4810 |Kir
Jacques- Louis de Pourtalés, le chef et le fondateur de la fortune de celte famille. U
ville est en général bien li&tie , en pierres jaunes, tirées des carrières voisines, lit'
(lymnase est un vaste b&timent, d'une belle architecture, élevé depuis 25 ans, sur un
ancien bassin qui servait de |H)rt. Il renferme, outre les principaux établissements
d'éducation , une belle bibliothèque publique , où l'on conserve les manuscrits de
Jean-Jacques Rousseau, le musée d'histoire naturelle, que la munificence et la
science de MM. Coulon et d'autres citoyens ont beaucoup enrichi, et qui ferait
honneur à une grande ville, un musée de peinture où l'on voit des ouvrages de
MM. Robert, Calame, Grosclaude, Tschaggeny, Meuron, Girardet et d'autres artistes
neuchi\teIois et étrangers, et un autre musée ethnographique d'antiquités. Les belb
maisons voisines ont été construites plus récemment encore sur des terrains conquis
aussi sur le lac. Une nouvelle place est décorée de la statue en pied de David Pury.
|mr David d'Angers.
Un chemin commode et carrossable conduit de la ville de Neuchàtel jusqu'au
sommet de la montagne de Chaumont, qui la domine immédiatement, et d'où Ton
jouit d'un ponorama aussi étendu que remarquable.
Les hôtels de Neuch&tel sont en général bien tenus. Les premiers sont l'hôtel des
Al|)es et le Faucon. Il y a ensuite plusieurs hôtels de second et de troisième ordre.
La situation de la ville de Neuch&tel , adossée au Jura, et placée au centre d'un
^rand vignoble, l'empêche de s'agrandir ailleurs qu'au bord du lac. Les murs qui
forment la clôture des vignes bordent tous les chemins; ils ont été abaissés de ma-
nière à masquer moins complètement la vue du lac et des Alpes. Déjà beaucoup de
ces vignes limitrophes de la ville ont été arrachées et ont fait place à des maisons
(le campagne. Quelques-unes sont remarquables par la magnificence de leur situation.
Nous citerons la RmlirUe, immédiatement au-dessus de la ville, et le Chdnet, qui
domine la nouvelle roule de Neuchàtel à Yalangin. De ces deux habitations on jouit
d'une vue très-étendue; il est peu de lieux situés à une aussi petite élévation , d'où
Ton découvre ainsi les deux tiers des Alpes de la Suisse et de la Savoie. Lorsque
l'air est pur, on aperçoit les montagnes des cantons d'Uri el de Schwylz, et, d'un
autre côté , le Mont-Blanc. Ce tableau est admirable , surtout au soleil levant. Lti
situation du Chànet est surtout très-romantique, au-dessus d'une forêt traversée par
LA SUISSE PITTORESQUE. 53K
le torrenl du Seyon , doiil on entend bouillonner les eaux au fond d'un précipice. En
suivant le bord de la montagne, on arrive par une route nouvelle sur un plateau,
d'où Ton découvre le bourg et le château de Valangin, ancien cheMieu féodal du
comté de Valangin, qui fut réuni à celui de Neuchàlel en 1575. Valangin est
aujourd'hui une triste bourgade de 400 âmes, sans importance. La bourgeoisie, qui
jouissait de privilèges politiques sous le précédent régime, a été récemment abolie.
Pour connaître la partie du canton à l'orient de la ville , il faut monter à l'ancienne
abimye de Fontaine-André, distante de la ville d'une demi-lieue. De la terrasse de
œ lieu élevé, on voit à ses pieds les villages de l'ancienne chàtellenie de Thièle ,
avec leurs vignes , leurs vergei's et leurs champs ; plus loin , la ville du Landeron ,
dont le temple catholique indique l'emplacement de l'ancienne ville de Nugerol; dans
le lointain, le lac de Bienne et ses iles. A l'ouest de la ville, en suivant les bords du lac
de Neuchâtel, sur la belle route de la Côte, qui mène à Yverdon, le premier village que
Ton rencontre est Serrières, sur le ruisseau du même nom, dont les eaux abondantes
Itouillonnent entre deux rochers, et font mouvoir des moulins, des forges, diverses
usines, et entre autres la belle papeterie de M. Erhard Borel, l'un des principaux éta-
blissements de la Suisse pour ce genre d'industrie. C'est à Serrières que fut imprimée,
en 4535, la Bible protestante en français, dite la Bible de Robert Olivetan. Le Nou-
veau Testament y avait déjà été imprimé en 4532.
De là on arrive à Auvernier, grand village, où le lac forme une belle baie; les vins
blailcs de ses environs passent pour les meilleurs du pays. Au-dessus de la route sont
Feseux, Corcelles et Cormondrèche , entourés aussi de riches vignobles, mais qui
dominent moins exclusivement, et se mêlent avec les champs et les pâturages au-
dessous des bois. On arrive ensuite au beau village de Colom-
bier, qui offre de riants points de vue et des promenades char-
mantes, au milieu de belles allées d'arbres qui aboutissent au
lac. Colombier était le séjour de M*"* de Charrière ; on voit sji
maison au bas du village. Le château sert de caserne pour les
troupes fédérales et cantonales qui viennent chaque année, par
i détachements, recevoir l'instruction militaire dans des écoles
'spéciales. De Colombier on arrive à Areuse, situé au bord
[d'un cours d'eau, qui forme de petites cascades, et à Boudry,
^ petite ville près de la Reuse, où l'on pêche d'excellentes trui-
^ les. Après Boudry sont Corlaillod, où l'on recueille le meilleur
vin rouge du pays; Bevaix, avec son ancienne abbaye, l'un des plus antiques monu-
ments du pays; Saint-Aubin, où il y a une mine d'asphalte; Vaumarcus, avec son
château. C'est la limite du territoire neuchâtelois. Concise, sur le théâtre de la
bataille de Grandson, le bourg de ce nom, et enfin Yverdon situés aussi sur le lac
de Neuchâtel, appartiennent au canton de Vaud. Des bateaux à vapeur font chaque
jour le trajet de Neuchâtel à Yverdon, en s'arrêtant aux ports de Cortaillod, Saint-
Aubin et Concise. Les mêmes bateaux vont aussi, durant l'été, à Nidau, à Bienne, et
jusqu'à Soleure.
Le Val de Travers. — Du village agricole de Rocheforl, qui domine Boudry et
le vignoble de la Côte, on entre dans le Val de Travers, qui doit surtout la beauté
de son site à la rivière de la Reuse, qui le traverse dans toute sa longueur. Au-delà
55C LA SriSSE PITTORESQUE.
d(*s rocliers de la (IluzeUe, sur le flanc desquels une roule hardie a élé pratiquée, ou
trouve le hameau do Brol, el l'on voit dans le fond le village de Noiraigue, sur le
ruisseau de ce nom, où il y a des forges el des charbonnières. De Noiraigue on va à
Rosière, ancienne seigneurie : un quarl de lieue ; de I& h Travers, village considé-
rable : un quarl de lieue ; puis à Couvel, plus beau el plus considérable encore, où
Ton fabrique de Texlrail dabsinlhe : un quarl de lieue; de Couvel à Moliers, un
demi-quarl de lieue.
Moîins, ancien prieuré, esl le plus antique village du Val de Travers. On y voil
encore le vieux château féodal, sur un roc escarpé, qui avait élé converti en une prison,
aujounrhui hors d'usage. De ce manoir, on domine tout le vallon, el Ton voit des
(*<)nstructions aussi élégantes que celles de grandes villes, alternanl avec des habi-
tations rurales. Tout annonce que dans cette conlrée ragricullure et l'induslrie
sont émules. Depuis quelques années, la première cède décidément la place à la
seconde ; la charrue el le ràteau sont de plus en plus abandonnés pour la lime et le
fuseau. L'horlogerie du Val de Travers suit de très-près celle des montagnes, el la
devance dans certains cas. Moliers est célèbre par la résidence qu'y fit J.-J. Rous-
seau ; c'est là qu'il écrivit les Lettres de la Montagne, et qu'il soutint avec le ministre
Montmollin, pasteur de Tcndroit, une polémique devenue fameuse. La maison quba-
hita le philosophe, el où l'on montrait sa chambre aux voyageurs, a changé d'aspect
par suite de reconstruction. Près du village, au midi, se précipite une cascade, au
pied de laquelle on trouve rentrée d'une grotte qui pénètre à plus d'un quart de
lieue dans l'intérieur de la montagne.
De Moliers, après un tiers d'heure de marche, on arrive à Fleurier, très-beau
village, où l'on voil des maisons d'une extrême élégance, et où Ton fabrique beau-
coup d'horlogerie, qui s'exporte en Chine el dans d'autres pays d'outre-mer. De là
on va à St.-Sulpice, où Ton voit la source de la Reuse, qui sort en cinq bras d'une
montagne escarpée, el qui met déjà plusieurs usines en mouvement. A peu de dis-
tance est un défilé formé par deux rochers, à l'un desquels esl encore suspendu un
l)oul de grosse chaîne, qui, scellée dans le roc, servait à fermer le vallon. C'est à tort
qu'on dit qu'elle fut placée là pour arrêter le passage de Charles-le-Hardi dans les
guerres de Bourgogne. Après ce défilé, on voit dans les rochers un enfoncement connu
sous le nom de Comife à la Vnira ou à la Vuhra, appelée ainsi en patois, à cause
d'un dragon ou serpent fabuleux qui faisait la désolation de la vallée, et qui fui tué,
dit-on, par un habitant nommé Sulpy Raymond. Plus loin, sur le sommet du Jura,
un torrent se précipite dans une gorge, au haut de laquelle on a construit le mouhn
de la Roche. Près de là esl une glacière naturelle. En suivant le fond de la vallée,
par deux routes nouvellement construites, on arrive d'une pari aux Verrières, vil-
lage limitrophe de la France, qui fait un commerce considérable de transit el de
(commission, et de l'autre à Buttes, dernier village neuchàtelois, d'où sortent de
nombreux maçons, tailleurs de pierres, entrepreneurs et architectes. De Bulles on
suit la roule pittoresque de Longeaigue, dans une conlrée extrêmement pittoresque
el sauvage, qui rappelle en petit le passage de la Têle-Noire à Chamonix, el Ton
arrive au village populeux de Sainte-Croix dans le canton de Vaud.
Le Val de Ruz. — Celte vallée, qui faisait jadis partie du comté de Valangin, el
qui est restée plus agricole que les autres portions de ce même comté, forme dans
LA SUISSE PITTORESQUE. S37
son genre un charmant paysage, qui s'élend dans une longueur de quatre lieues, de
Neucbàtel au pied du Chasserai. Sa largeur est d'une lieue, et il est traversé par le
Seyon. Il renferme 24 villages, dont les principaux sont EngoUon, Fenin, Dombres-
son, le Grand et le Petit Savagnier, Villiers, Pasquier, St. -Martin, le Grand et le
Petit Chezard, Fontaine, Cernier, Hauts-Geneveys, Fontainemelon (fabrique d'ébau-
ches de montres), Boudevillier, Goflfrane, Geneveys sur Coffrane, et Montmollin. Les
points les plus avantageux pour découvrir l'ensemble de ces villages, sont au-dessus
de Fenin et à l'auberge des Hauts-Geneveys, sur la route de la Chaux-de-Fonds. On
contemple le lac et les Alpes dans l'éloignement. Les toits couverts en bois décèlent
encore, par-ci par-là, quel était l'aspect du pays avant que l'industrie vint lui faire
revêtir une nouvelle face. La route de Neucbàtel à la Chaux-de-Fonds, par Valangin,
traverse le Val de Ruz, et passe à Boudevillier, la Jonchère et les Hauts-Geneveys.
Au commencement du siècle, un courrier à cheval portait deux fois la semaine les
lettres de Neucbàtel à la Chaux-de-Fonds. Aujourd'hui une dizaine de diligences et
d'omnibus parcourent journellement cette route. Encore, ces voies de communication
ne sont-elles pas jugées suffisantes, puisqu'on presse l'exécution d'un chemin de fer
qui traverserait le Val de Ruz au moyen de deux tunnels que l'on pratiquerait dans
deux montagnes. Sur la hauteur, avant d'arriver à la Chaux-de-Fonds, on trouve un
hôtel appelé la Vue des Alpes, qui mérite son nom par l'étendue et la beauté de l'as-
pect que présente de là cette vaste chaîne de montagnes. De cet hôtel on arrive
rapidement à la Chaux-de-Fonds par une pente douce.
Montagnes. — Les montagnes du Jura neuchàtelois ne sont pas moins connues
|mr ràpreté de leur climat que par leur active industrie. C'est même en grande
partie cette rigueur de la température qui retient les industriels dans ces localités.
Privés parfois de communications avec le dehors, de moyens de distractions, d'occa-
sions de se dissiper et de perdre leur temps, ils restent entièrement absorbés dans
leur ouvrage, et toutes leurs facultés intellectuelles se concentrent dans le travail de
l'établi. Le ciel de ces vallées est souvent nébuleux. Dans celle de la Chaux-de-Fonds,
on compte en moyenne 230 jours de pluie, de neige ou de nuages, et 43K jours à
ciel pur, principalement en hiver et en automne. Il ne tombe pas cependant une
très-grande quantité d'eau ; celle de. pluie et de neige, tombée dans le courant de
i854, a été de 1,300 millimètres. Le nombre des orages est très-restreint ; on n'en
compte guère que dix ou douze par an. Les pluies, presque permanentes dans la bonne
saison, donnent à ces montagnes un aspect sombre et triste ; les édifices saturés d'eau
revêtent une teinte grisâtre particulière, ce qui ne laisse pas de réagir dans une cer-
taine mesure sur l'esprit, en lui imprimant quelque chose d'aigre et de chagrin, qui
s'allie avec la causticité naturelle à l'habitant du Jura. Ces montagnards sont plutôt
l>ortés à voir le côté désobligeant que le côté obligeant des choses. Leurs plaisanteries
ont parfois quelque chose de spirituel et d'amer. Mais si ces pluies assombrissent la
nature entière, en revanche, elles fertilisent convenablement un sol qui, sans elles,
serait improductif; car, à part certains terrains tertiaires, composés de couches meu-
bles, les couches de terre végétale n'ont qu'une très-faible épaisseur. Enfin ces pluies
contribuent à entretenir dans une fraîcheur perpétuelle ce tapis de verdure qui con-
traste si agréablement avec les noirs sapins et donne au Jura un as|)ect particulier.
Les hivers sont longs et rigoureux, mais plutôt secs qu'humides. La neige couvre le
II. 32. 68
S38 LA SlISSB PITTOHeSQrE.
sol dès le mois de novembre au mois d*avril. Quand ce sol est couvert de neige, on
remarque souvent des variations extn^mes dans la température. Le thermomètre
s*élève dans le jour à — 0°, jxiur retomber après le coucher du soleil à — 2**, el
dans la nuit à — i^. De même, en été le thermomètre s'élève quelquefois à i6 degrés.
|)our retomber à 3 degrés dans la nuit. Quand le thermomètre tombe aussi subite
ment à — ii**, Tair se transforme en cristaux de glace, et la neige même se sature
de froid k une assez grande profondeur. Les nuits d'hiver sont splendides. La tran;^
imrence de Tatmcisphère est parfaite; le ciel, d'un noir profond, est parsemé d'étc)ile>
scintillantes; les cristaux de neige rayonnent vers la voûte descieux; rillumination
des ateliers iiarait répondre à celle des régions éthérées. L'habitant de la valléi'
lutte avec persévérance contre l'action des vents humides du sud-ouest, qui désagrè
gent les pierres des maisons et détériorent les bâtiments. L'architecture doit être
naturellement simple et uniforme sous un tel climat. La neige qui tomt)e par une
température d' un ou deux degrés centigrades, présente, lorsqu'elle atteint la hauteur^*
deux pieds et plus, une belle teinte azurée. Cette teinte n'est pas un effet du firma
ment, puisqu'elle se montre surtout lorsque le ciel est couvert. La fréquence des gelée»
rend impossibles certaines cultures, surtout celle du froment. Des neiges hâtives
ruinent trop souvent les espérances du cultivateur. La pomme de terre est généra-
lement cultivée, mais elle n'est pas abondante.
La Chai'x-de-Fonds. — La vallée où est situé ce grand centre de population esl
l'une des plus élevées du Jura. Sa hauteur est de 997 mètres, et c'est l'un des cli
mats les plus sévères de cette chaîne de montagnes. Sa température moyenne est de
S, 73 degrés centigrades. Le village de la Chaux-de-Fonds et ses environs immédiats
comptent plus de 15,000 âmes de population. Â la fin du 4S* siècle, il ne se coropo
sait que de quelques maisons, dans lesquelles cinq familles seulement étaient réunies
autour d'une chapelle de Saint-Hubert, rendez- vous de chasse, que le seigneur de
Valangin possédait dans la vallée, encore couverte de forêts. Après le grand incendie
qui, en 1794, détruisit une partie de laChaux-de-Fonds, celte commune comptait déjà
4392 habitants. La population dut s'imposer d'immenses sacrifices pour reconstruire
les édifices publics, les collèges, les églises et les hospices, et encore aujourd'hui, tous
ces bâtiments ne sont plus en harmonie avec le développement inouï que la Cbaux-de
Fonds a pris depuis trente ans, et dont on ne retrouve l'analogie que dans certaines
localités des Etats-Unis d'Amérique. Le voyageur qui quitte les autres parties de la
Suisse, où les maisons sont en général peu élevées et les croisées fort basses, est surpris
de trouver â la Ghaux-de-Fonds des maisons de cinq et six étages, à croisées hautes,
et dont l'architecture est assez uniforme. Chaque année il se construit une certaine
quantité de ces grands bâtiments, contenant quelquefois vingt ou trente appartements,
qui sont tous retenus et loués avant que les murs aient atteint leur hauteur et que
la maison soit couverte. Les rues modernes sont larges, droites et bien pavées; elles
aboutissent à une assez belle place, sur laquelle est l'hôtel-de-ville. Non loin de là
est l'église, avec un clocher en forme de coupole. L'hôtel-des-postes est spacieux.
La principale auberge est la Fleur-de-Lis. Il y en a beaucoup d'autres, ainsi que des
cercles et des cafés. On visite les comptoirs des principaux fabricants d'horlogerie,
pour avoir une idée des différentes os|)èces de montres expédiées dans tous les pays
du globe , et certaines pièces de mécanique construites par d'habiles ouvriers de la
LA SUISSE PITTORESQUE. 539
localité. Les deux Jaquet-Droz, J.-P. Droz, F. Ducommun, et nombre d'autres
artistes , ont acquis une réputation méritée.
Le Locle. — Ce grand village émule de la Chaux-de-Fonds, sans être toutefois
aussi peuplé, en est éloigné de deux petites lieues, dans une haute vallée, à peu près
dépourvue d'arbres. Les Eplatures et le Crét du Locle , groupes d'babitalions semées
le long de la route, contribuent à unir les deux grands centres industriels des Mon-
tagnes. La vallée du Locle est parcourue par le Bied , dont les eaux n'ont d'autre
(écoulement qu'à travers les crevasses des rochers. La température y est à peu près
la même que dans la vallée de la Chaux-de-Fonds. Le Locle est, comme la Chaux-de-
Fonds, enrichi par les nombreuses fabriques d'horlogerie et l'industrie remarquable
des habitants, qui sont peut-être un peu moins mélangés d'éléments exotiques, bien
que la nuance s'affaiblisse tous les jours. Hommes, femmes, enfants, travaillent en
or et autres métaux, en bois, en écaille, en émail, en ivoire, en verre, et fabriquent
tout ce qui est nécessaire à l'industrie si compliquée des montres et des pendules.
Dans les vallées voisines, l'industrie des dentelles se joint à celle de l'horlogerie.
Près du Locle, on montre aux voyageurs les moulins souterrains des Roches, situés
verticalement les uns au-dessous des autres, à cent pieds de profondeur, dans des caver-
nes creusées par les eaux du Bied, qui s'échappent par des crevasses. On descend dans
cet abime à la clarté d'une lampe, pour admirer ce chef-d'œuvre de l'habileté des con-
structeurs, les frères Robert. Près de là, on voit la Roche fmdm, par où les monta-
gnards voulaient pratiquer une route pour communiquer en droite ligne avec la Fran-
che-Comté , que l'on aperçoit à travers cette ouverture. Cette échappée de vue est d'un
effet singulier. L'exubérance des eaux , qui réduisait en marais fangeux la prairie
entre le Locle et les moulins des Roches, a été évacuée par une trouée de mille pieds,
creusée dans le roc vif. Le directeur de cet ouvrage a été M. Huguenin , lieutenant
delajustice du Locle. — Par une suite de petites vallées, on arrive aux Brenets, char-
mant village que le Doubs sépare de la Franche-Comté. Ici la rivière e^ l'aspect d'un
lac. Elle remplit au-dessous des Brenets plusieurs bassins formés par des parois de
rochers à pic de plus de 1000 pieds d'élévation, jusqu'à l'endroit où elle fait une
chute de 80 pieds (le Saut du Doubs).
Des Brenets il faut revenir sur ses pas pour se rendre dans la vallée tourbeuse de
la Sagne, qui a quatre lieues de longueur, et qui est resserrée entre deux lignes de
montagnes couvertes de bois. La Sagne ne forme pas un seul centre de population;
c'est plutôt une grande ligne de maisons, semées tout le long']de la vallée, à de petites
distances les unes des autres. Les habitants, moins nombreux que ceux du Locle et
de la Chaux-de-Fonds, travaillent aussi à l'horlogerie. C'est là qu'a pris naissance
Daniel-Jean Richard, le père de l'horlogerie dans ces montagnes. De cette grande
vallée tourbeuse on arrive aux Ponts, village dont les habitants, presque privés d'a-
griculture, sont aussi occupés de l'horlogerie et surtout de la fabrique des cadrans
de montres. Après avoir traversé la montagne qui forme la vallée du côté du nord,
on entre dans le vallon de la Chaux-du-Milieu , triste et pauvre contrée , qui touche
au territoire français. Dans la même direction , plus au sud, est la Brévine, dont les
eaux minérales avaient autrefois quelque renom. Enfin, plus au midi encore, sont
les Bayards, séparés du Yal de Travers par un chaînon du Jura. Pour aller du Locle
à Neuchàtel, la route, d'environ six lieues, passe par la montagne de la Tourne, près
S4i tA SUSSE PintmESQl'E.
Il forme la partie inférieure et méridionale de la vallée du Léman, qui sépare le
Jura d(^ Alpes, et qui est bornée au nord par le Jorat, à Touest par la partie la plus
rlev('*e et la plus es<*arpt''e du Jura, au sud par le Vuacheet le mont de Sion; àl'esl
rlle est dominée par les llautes-Alpes, dont les vallées intérieures donnent naissana*
à des courants dVau qui viennent Tarroscr. La ville de Genève en particulier, el la
IMirtie méridionale du canton, ont leur horizon terminé au levant par le mont Std^rf,
ilivisé en trois parties par des vallons transversaux, dont le plus connu, comnie bat
favori de promenade des Genevois, est le n'eii.r de Monneiier (Mounti). Le Peiit Sal^f^,
|iarties4*plentrionale, n*a que 896 mètres de hauteur; le Grand Salêve, partie moyenne,
atteint 1285 mètres : c'est, du a^té de Genève, une paroi de rochers presque verti-
cale ; la partie méridionale, ou les Pitons, haute de 1382 mètres, verte et boisée, est
(^pendant beaucoup moins fréquentée, vu son éloignement.
Le sol genevois est une plaine accidentée, ^ur laquelle s'élèvent quelques éminenees;
il va en s'abaissant du nord-est au sud-ouest. Son altitude est comprise entre 519
mètres au-dessus de la mer (sommet des coteaux), et 336 mètres, niveau du Rhône
au sortir du canton.
Climat. — 1 . Temjiérature, La température moyenne de Tannée n'est guère que de
9 degrés centigrades. Ce chiffre est inférieur d'un degré à celui que la longitude, la lati-
tude et l'élévation de Genève sembleraient lui attribuer. Loin d'être défavorable, ce
fait est au contraire avantageux, car Genève a moins froid en hiver et moins chaud
en été que les villes situées dans les mêmes conditions de latitude el de hauteur. U
s'explique principalement par le voisinage immédiat du lac, bassin d'une superficto
de plus de 600 kilomètres carrés, alimenté en été par la fonte des glaces et des neiges
sur les hautes montagnes. L'afllux d'eau froide est très-considérable, puisque du mois
de mai à celui d'août le lac monte d'un mètre el demi. Cette masse d'eau se réchauffe
au détriment de la température des rives, et occasionne en été une brise fraîche daas
la direction du nord-nord-est : il en résulte un refroidissement de plus de deux degrés
en été. En hiver, au contraire, la masse d'eau ainsi réchauffée conserve plus de chaleur
que l'air ambiant, et adoucit la température du voisinage du lac d'un degré; mais
ce réchauffement ne compensant pas le refroidissement de Tété, il en résulte, en
dernière analyse, l'abaissement moyen annuel d'un degré, dont nous avons parlé.
En été le thermomètre monte, année moyenne, à 33 degrés centigrades; en hiver
il descend, de même, à — 14 degrés. (Il faut déduire de ces chiffres un cinquième,
si l'on veut avoir des degrés selon Réaumur, au lieu de ceux de l'échelle centési-
male). — Il y a en moyenne 94 jours par an où la température s'abaisse au-dessous
de zéro, et 23 où elle ne s'élève pas au-dessus de ce point.
!2. Vents. Les vents qui soufflent dans la direction même de notre vallée, c'esl-
à-dire du nord-est au sud-ouest, ont une très-grande prédominance sur les autres,
en fréquence, intensité, durée et influence sur la température : cela tient principa-
lement aux montagnes qui modifient la direction des vents et leur imposent la leur
propre. — On appelle le venl du nord et nord-est, bise; et celui du sud et sud-ouesU
cent ; le vent d'est a reçu le nom de môlan, parce qu'il soufDe de la vallée d'Arve
ou du Faucigny, dans la direction de la montagne du Môle ; enfin celui d'ouest est
appelé Jorati^ parce qu'il vient du mont Jura.
La bise est le plus fort et le plus durable de nos vents; elle est le souffle dominant
LA SUISSE PITTORESOrK.
843
pendant le prinlemps, Télé et Taulomne; mais le vent l'emporle un peu en hiver;
Tatmosphère est plus fréquemment agitée au printemps et en été, et plus fortement
durant les deux autres saisons. Ces faits prouvent qu'au point de vue des vents,
Genève appartient au bassin méditerranéen.
3. Plaie et Neige. La quantité de pluie et de neige qui tombe ù Genève, est,
d'après la moyenne résultant de soixante et dix ans d'observations, de 84 centi-
mètres (2 pieds 7 pouces) . Le nombre des jours de pluie est de H 8 par an . Mais il y
a d'une année à Tautre de très-grandes diflérences : ainsi, 1822 n'a donné que 435
millimètres d'eau; 1841 en a produit 1257 : différence du simple au triple. En 1825
on n'a compté que 76 jours de pluie; en 1799, 1 59 : différence du simple au double.
Il n'y a pas à ce sujet des alternatives d'année en année, mais plutôt des séries d'un
certain nombre d'années consécutives, tantôt sèches, tantôt pluvieuses. — A Genève,
comme dans tout le bassin du Rhône, les pluies d'automne prédominent sur celles
d'été, qui elles-mêmes sont plus considérables que celles du printemps ; l'hiver est la
saison où il en tombe le moins.
HYDROGRApmE. — 1. Le Lw. Le Ciinton de Genève borde les rives méridionales et
occidentales de ce lac, le plus grand de ceux de l'Europe centrale, dont César parle
le premier sous le nom de Léman, et qu'un usage assez général appelle Lac de Genève,
du nom de la principale des villes dont il baigne les murs.
Le lac de Genève
Le niveau moyen de ses eaux est à 375 mètres (1154 pieds) de hauteur au-dessus
de la mer.
Le lac de Genève est alimenté par des affluents de deux natures différentes. Les
uns lui fournissent de l'eau pendant toute l'année, et dérivent des plaines et des
montagnes voisines peu élevées; les autres, qui, pendant quelques mois d'été, amè-
nent le produit de la fonte des neiges accumulées en hiver sur les montagnes élevées.
— Durant les sept mois d'octobre à avril, le lac, ne recevant que le tribut de ses
afQuents permanents ou inférieurs, s'élève ou s'abaisse proportionnellement à la
quantité d'eau plus ou moins grande qui tombe dans la basse région ; il est alors à
Hhh LA Sl'ISSE PITT(mESK)lE.
s<m niveau normal ; aussi, sa hauteur moyenne se trouve-t-elie à la fin d'avril el au
c*ommenccment d'octobre. — Il en est autrement pendant les cinq mois de mai à
septembre : alors la neige fond sur les hautes cimes, et ie lac reçoit pendant ce tem|)s
la quantité considérable d'eau tombée en neige pendant la plus grande partie de
Tannée sur les montagnes élevées, qui ont leur écoulement dans le Rhône. La crue
des eaux pendant Tété est donc indépendante des c^iuses hydrométéoriques qui s'ob-
servent, pendant ce temps, dans ses environs ; elle leur est même opposée : une ctui-
leur sèche, accélérant la fonte des hautes neiges, amène une crue rapide ; un temp^
pluvieux, et par conséquent refroidi, la ralentit, si même il ne produit de la baisse:
en eflet, les affluents inférieurs ne jouent en été qu'un rôle insignifiant comparati-
vement à celui des affluents supérieurs, qui doivent leur origine à la fonte des neiges.
liCs eaux du lac sont à leur minimum de hauteur en mars; à dater de oe moment,
elles s'élèvent ; la crue, commencée en avril et encore légère en mai, devient pro-
noncée en juin et surtout en juillet. Elle est à son maximum en août, baisse lente-
ment en septembre, et d'une manière plus prononcée en automne, pour revenir à
son minimum à la fin de l'hiver. La différence annuelle entre les hautes et les basses
eaux, est en moyenne de mètre 1,84 (5 pieds 8 pouces).
Dans la partie du lac la plus rapprochée de Genève, le fond est relevé par un
grand banc de terre glaise ou marne, nommé banc du Trarets, qui s'étend d'un bord
à l'autre, et gène la navigation pendant les basses eaux, car alors la passe navigable
ne tire guère qu'un mètre et demi d'eau [k pieds 8 pouces). — Au-delà de ce banc,
la profondeur s'accroU rapidement ; cependant les eaux genevoises ne dépassent pas
SO à 70 mètres de profondeur, tandis que près des rives escarpées de la Savoie elle
atteint 300 mètres (464 brasses anglaises, 900 à 950 pieds).
A de grandes profondeurs, le lac conserve toute l'année la même température,
six degrés centigrades. Sa surface ne gèle jamais; seulement on a vu, quand il
régnait à la fois un froid vif et une forte bise, des glaçons formés sur les bords, déta-
chés et poussés par le vent , se réunir pressés vers l'étroite issue du lac à Genève,
là où était naguère une ligne de pieux servant d'enceinte à la ville , s'agglomérer
les uns avec les autres, et former ainsi une surface solide sur laquelle on peut, pen-
dant quelques heures, ou au plus quelques jours, traverser d'une rive à l'autre. Ce
phénomène s'est vu trois fois dans ce siècle, en 1810, 1830 et 18S&, et d'une ma-
nière marquée lors des deux grands hivers du siècle passé, en 1709 et 1789.
L'eau du lac, parfaitement transparente, est aussi voisine que possible de la pureté
absolue, puisque, évaporée, elle ne laisse qu'un résidu de sels terreux de V«om^^
son poids.
2. Le Rhône. — Ce grand fleuve, connu des Grecs sous le nom de Pe^avo;, prend
sa source dans les glaciers du Mont-Furca , travei-se le Yallais entre les deux plus
hautes chaînes des Alpes suisses, se jette dans le lac entre Villeneuve (canton de
Vaud) et le Bouveret (canton du. Yallais), el y dépose le sable qu'il entraînait a vet*
lui. Il se confond complètement dans la masse du lac, contrairement à la fable accré-
ditée dans l'antiquité, d'après laquelle il l'aurait traversé avec tant d'impulsion,
qu'il n'aurait pas mêlé ses eaux avec celles du Léman. Il en ressort à Genève, par-
faitement limpide, avec une vitesse moyenne de mètre 1,24 (3 pieds 10 pouces)
par seconde, et plus considérable qu'à son entrée , puisqu'il s'est grossi du tribut
LA SUISSE PITTORESQUE. K4S
des eaux des autres affluents du lac, dont cependant aucun n*est bien considé-
rable.
La largeur du fleuve, à son issue au pont des Bergms, à Genève, est de 195 mè-
très (600 pieds). Un peu plus bas, dans la ville, il est momentanément partagé en
deux bras par une lie, longue de 21 S mètres. Au-delà, il coule entre le coteau abrupte
de Saint-Jean (hauteur, 34 mètres) et les terrains plats et d'alluvion des jardins de
Plainpalais. Un kilomètre et demi plus loin, il reçoit sur son flanc gauche la rivière
d'Ârve, dont les eaux troubles altèrent sa limpidité. De là, il est généralement en-
caissé sur ses deux rives.
Pendant les premières lieues de son cours , au sortir de Genève , le Rhône est navi-
gable, mais on ne l'utilise pas dans ce but , à cause de l'obstacle absolu qu'apportent
à la navigation , un peu en aval du territoire genevois , son cours resserré entre des
rochers , pendant plusieurs lieues , depuis le fort de l'Ecluse , et surtout la fameuse
pef^ie du Rhône,
3. LAfDe. — Cette rivière torrentueuse et innavigable prend sa source dans
les Alpes qui dominent la vallée de Chamonix , en Savoie , descend la vallée princi-
pale du Faucigny, passe au pied septentrional du Petit- Salève, arrive au sud de
Genève, dont elle n'est plus, à Garouge, distante que d'un quart de lieue, et va un
peu plus loin se jeter dans le Rhône, après un cours de 103 kilomètres. C'est pour
celui-ci un affluent considérable, car on a calculé que dans les hautes eaux (qui ont
lieu en été pour TArve, comme pour toutes les rivières qui écoulent les eaux des
hautes cimes neigeuses), le produit était de 9,208,958 mètres cubes dans les 24 heures.
Ses eaux, grises, charient du sable et des pierres, comme toutes celles qui sortent
des glaciers ; mais elles sont très-pures une fois que le repos les a débarrassées de
ce sédiment. Ne mettant que 18 à 20 heures pour venir, des glaciers où elles
prennent leur source, jusqu'auprès de Genève, elles y arrivent, en été, à 11 ou
12 degrés centigrades, c'est-à-dire fort au-dessous de la température de l'air ambiant.
De plus, TArve ayant une forte pente (environ 2 '^!^Q millim. par mètre) et une
grande vitesse (de 1 met. 60 à 3 met. par seconde), ces deux qualités de froidure et
de rapidité réunies rendent ses eaux particulièrement propres à des bains froids et
toniques. Aussi les utilise-t-on beaucoup dans ce but ; elles sont précieuses pour le
rachitisme, les maladies de l'appareil digestif, celles des voies inférieures, certaines
affections nerveuses, rhumatismales, cutanées, et généralement pour combattre la
débilité, redonner de l'appétit, de l'agilité, accroître la force musculaire, et faire
éprouver un sentiment de bien-être. Ces bains, pour lesquels des établissements ont
élé créés à Plainpalais, banlieue de Genève, ont lieu principalement par immersion :
on ne peut guère les supporter plus de deux minules de suite.
Histoire naturelle. — L'histoire naturelle genevoise ne doit pas se borner aux
seuls produits du sol du canton de Genève , mais embrasse tout naturellement ceux du
bassin du Léman, y compris les montagnes qui le dominent, c'est-à-dire les animaux,
les plantes et les minéraux qu'on peut rencontrer dans des chasses, herborisations
ou courses, qui ont Genève pour point de départ , et dont on peut atteindre le terme
extrême dans une journée. Dans ces limites , les expositions et les circonstances phy
siques varient considérablement , ce qui fait varier d'une manière correspondante
les produits des trois règnes de la nature. C'est ainsi que les rochers échauffés du
11.32. 69
546 LA SUISSE PITTORESQUE.
Salève abritent des êtres des régions méridionales, tandis que sur les hautes cimes
qui couronnent la vallée de l'Ârve, on ne voit que les productions de la nature alpfêlre
et boréale. Ces contrastas brusques et extrêmes donnent à notre faune et à notre
flore beaucoup de diversité et de richesse.
Animaux. — Mammifères. Il ne peut y avoir de gros quadrupèdes sauvages dans un
pays peuplé et cultivé comme le S(mt les environs de Genève. Le seul qu'on y aper-
çoive quelquefois dans les hivers rigoureux, c*est le loup. Quelques ours existent
encore dans le Jura , des chamois et quelques rares bouquetins sur les Alpes qui
avoisinent le Mont-Blanc. Le cerf, le daim , le sanglier ont disparu.
Oiseaux, Leur nombre est accru par retendue du bassin du lac, masse d*eau où ^i
réfugient en hiver bon nombre d'oiseaux des mers du nord. On a rencontré en tout
307 es|xVes d'oiseaux dans notre pays (soit les trois cinquièmes de ceux de l'Europe
entière), dont 213 indigènes, 94 de passage plus ou moins accidentel. Sur b
il 3 indigènes, 105 appartiennent à la plaine, 27 aux montagnes, 4^7 aux marais
et rivages, Zh au lac; on en compte 77 stationnaires, ou habitant le pays toute
l'année, et 136 de passage. Sur les 94 accidentelles, 35 appartiennent A la plaine,
h aux montagnes, 20 aux marais et rivages, 35 au lac. — EnGn, 146 espèces au
moins nichent au pays. — L*oiseau dont la chasse est la plus fructueuse, est le grihe
du lac (Podiceps cristatm)^ dont le plumage épais, d'un blanc pur et brillant , fournil
une fourrure estimée.
Poisfums, Sans être remarquablement poissonneux, le lacet ses affluents donnent
cependant une pèche constante et des poissons estimés, quoique peu variés (il n'y en a
que 21 espèces). Le plus renommé pour sa bonté et le plus gros de tous, est la truite
(Salmo Lemanas), sorte de saumon d'eau douce, à peau ordinairement tachetée, à
corps ovale-allongé. La truite aflectionne les eaux fraîches et très-courantes : on la
prend particulièrement dans des nasses, à Genève même, à la fin de l'automne et
au commencement de Thiver, lorsqu'elle remonte dans le lac après avoir frayé. Les
pièces que l'on pèche ainsi pèsent en moyenne quatre kilogrammes, mais on en trouve
fréquemment de onze, et il y en a qui approchent de 20 kilogrammes; leur plus grande
longueur est de 1 mètre 08 (40 pouces). — Un autre poisson égal en bonté à la
truite, mais moins gros et moins abondant, est Vombre-checalier (Salmo nmblaj. —
On pêche aussi des i)erches et des brochets excellents. — Mais les deux poissons le?
plus répandus, sont la lotte, et une espèce particulière au lac de Genève, la fera
(Coretjonmfera), d'une chair très-blanche, plus délicate que ferme, d'une longueur
de 30 à 50 centimètres, et d'un poids qui va de demi-kilogramme à un, et rarement
»^ deux kilogrammes. — Ces deux derniers poissons sont à bon marché, tandis que
la truite se vend au moins trois à quatre francs le kilogramme et souvent bien
au-delà.
Plantcfi, La flore du bassin du Léman ofi*re, dans ses produits, la même gradation
successive et varice que sa faune. Dans la plaine, la vigne prospère, le mûrier réussit,
les végétaux sont correspondants à la latitude de Genève (47° 12') et à sa hauteur
absolue. A mesure qu'on gravit les gradins étages des montagnes qui circonscrivent
l'horizon, la végétation des régions froides et élevées se présente, et l'on voit fleurir
les plantes alpestres, le rhododendron, etc. Les botanistes sont arrivés ainsi à un total
d'environ 1200 espèces de plantes phanérogames.
LA SUISSE PITTOBESQUE. 847
Géologie, La plaine du canton de Genève est Tonnée, sous le sol végétal, d'une
double couche de terrain diluvien ou de transport; Tune, supérieure, par conséquent
plus récente, ou déposée la dernière : c'est le diluvium cataclystiqne des géologues;
l'autre, inférieure, c'est Valluvion ancienne; toutes deux sont formées d'un mélange
de terre, de sable et de cailloux roulés de toutes les grosseurs ; chacune a une épais-
seur de IS à 20 mètres. A la surface, on rencontre dans quelques endroits, des blocs
de rochers, dont les analogues ne se rencontrent que fort au loin dans les Alpes
(granit protogyne, etc.), qui ont été déplacés et amenés là lors de l'une des
révolutions du globe , par une force puissante et inconnue , que l'on a cru long-
temps avoir été un grand courant d'eau, et que plusieurs géologues pensent mainte-
nant être l'action d'immenses glaciers qui auraient couvert le pays; on les appelle
blocs erratiques, en raison de leur dispersion et de leur éloignement de leur base.
Le plan horizontal, composé de ces deux couches diluviennes, est comme percé,
de distance en distance , par des coteaux de molasse en couches redressées : on
appelle molasse un grès silicieux, lié par un ciment calcaire, tendre lorsqu'il n'a pas
été longtemps exposé à l'air.
Les montagnes voisines (Jura et Salève), sont formées de terrains néocomiens,
superposés aux jurassiques ; mais nulle part dans le canton de Genève, ces roches
calcaires ne viennent affleurer la surface.
Les deux étages diluviens se voient à nu sur de vastes sections, sur le flanc des
falaises qui bordent en divers endroits nos deux rivières ; telles sont les crases de
VArve et les roches de Saint-Jean et de Cartignj ; ces dernières présentent l'aspect
pittoresque de pyramides aiguës et irrégulières, et de tours de forme bizarre, qui
semblent menacer ruine de tous côtés, et ofi'rent l'image de la dévastation et du
chaos.
Population. — Le dernier recensement, fait en mars 1853, en vertu d'une loi
fédérale, a donné les résultats suivants : il y a dans le canton 30,795 hommes,
33,351 femmes: en tout 64,146 habitants. Elle s'est graduellement, mais irrégu-
lièrement accrue depuis le recensement de 1822, qui ne donnait que 51,120 habi-
tants. L'accroissement a été d'un quart en 28 ans, soit un cent dixième par an.
Sur les 64,146 habitants du canton, il n'y a que 39,756 Genevois; on compte
9141 Suisses d'autres cantons, 107 heiimthloses (gens sans patrie), et le nombre
des étrangers proprement dits, qui n'appartiennent pas à la Suisse, s'élève à 15,142
(23 pour 100).
On remarquera la forte disproportion qui existe entre le nombre des hommes et
celui des femmes; sur 100 personnes, il n'y en a que 48 du sexe masculin, contre
52 du sexe féminin.
Cette anomalie tient surtout à ce que la population genevoise se recrute principa-
lement par immigrations, car l'excédant des naissances sur les décès est très-peu
considérable. Aussi, les étrangers des contrées voisines et même des pays éloignés,
abondent tellement, que sur le nombre total de ceux qui résident en Suisse, près du
quart se trouve dans le seul petit canton de Genève. Ils y sont attirés par son mou-
vement de prospérité, le taux assez élevé des salaires, etc. La domesticité urbaine
est en très-grande partie exercée par des femmes, ce qui explique leur chifiTre si
considérable.
548 L\ SCISBC NTTOKISOtE.
La population du canton de Genève est d'une rare damté, puisqu'elle arrive a
SI 73 habitants par lieue carrée, ou i24 par kilomètre carré.
Nos 64,1 4»6 àmcs se répartissent entre lS,i75 ftnx ou bmilles, ce qui bit une
moyenne de quatre et deux dixièmes individus par famille.
Il y a, dans le canton, 7088 propriétaires fonciers, presque un sur deux Eunilles.
Genève est un canton mixte, où le nombre des protestants, population exclusive
de l'ancienne République, dépasse celui des catholiques. On compte eflfectivemeol
34,2li prolestants, 29,764 catholiques, et 170 juifs.
La population du canton est ainsi distribuée : Ville de Genève, 31 ,238 : commune»
suburbaines ( Plainpalais, Eaux-Vives), 5380: ville de Garouge, 4403: communes
rurales, 23,125. Toial 64,146.
On voit donc : 1*" Que Genève est la ville la plus populeuse de la Suisse, pub
qu'elle dépasse Berne et Bàle de près de 4000 âmes.
2*" Qu'une population à peu près urbaine de près de 10,000 àoies vient ^
grouper autour d'elle, dans les faubourgs et dans la ville contiguê de Carouge, sur
un rayon de demi-lieue, de manière à former une agglomération de ki ,000 Ames.
3** Que la population rurale ne forme guère plus du tiers du canton : encore
pourrait-on en déduire les communes de Chêne- Bougeries et Chéne-Thôneic, qui
forment un bourg réuni de 2416 habitants.
Si les étrangers aflluent à Genève, les Genevois vont volontiers aussi à Tétranger;
il y en a 1475 qui habitent d'autres cantons de la Suisse (principalement ceux de
NeuchAtel et de Berne). On a fait un essai pour reconnaître le nombre de ceux qui
résident à l'étranger; il a donné 1618 personnes; mais comme on était dépourvu
de moyens suffisants pour bien faire un pareil recensement, on a dû rester bien au
dessous de la vérité. En prenant tels quels les chiffres ci-devant indiqués, ils suffi-
raient à prouver qu'un Genevois sur treize est conduit par ses affaires à aller résider
au dehors, avec ou sans esprit de retour ; on en rencontre en effet dans presque
tous les pays du monde.
Enfin, quant à la répartition de la population par âge, on^ calculé que, parmi
les individus du sexe masculin, on en comptait :
35 pour cent au-dessous de 19 ans. 10,3 pour cent de 50 à 59 ans
25,5 )) de 20 à 34 ans. 5,6 » de 60 à 69 »
8,0 » de 35 à 40 » 2,6 » de 70 à 79 »
12,3 » de 41 à 49 » 0,7 » 80 et au-dessus.
Ainsi, la population genevoise n'a qu'une proportion peu considérable d'individus
en bas-âge, et ses forces actives en sont d'autant plus grandes.
11 meurt en moyenne un individu par an sur 49 V', habitants du canton de
Genève, chiffre mortuaire remarquablement faible en comparaison de ceux d'autres
pays. Aussi, la longévité y est-elle notable. La vie moyenne est de 41 Vs aûs(oe
chiffre est un peu plus faible pour la ville, un peu plus fort pour la campagne). Des
registres mortuaires qui remontent à trois siècles, à peu près sans interruption, ont
permis de reconnaître que la longévité avait toujours été en augmentant, depuis
le 16' siècle jusqu'au 19*^. Tous les décès sont vérifiés par un homme de l'art avant
l'inhumation, et l'on constate autant que possible la cause de la mort ; on a réuni
ainsi les éléments d'une précieuse statistique médicale.
LA SI3IS8E PITTORESQUE. !(49
Les mariages sonl remarquablement peu féconds dans la ville de Genève; ils pro-
duisent & peine, Tun dans l'autre, (rois enfants. Les campagnes élèvent un peu ce
chiffre, sans le porter toutefois jusqu'à quatre. Il y a un enfant mort-né sur vingt-
trois naissances.
Histoire. — Genève [Zéneva dans le vieux langage du pays, Geneva des Latins,
Gebenna au moyen-âge) fait sa première apparition dans l'histoire écrite au temps de
César, S8 ans avant Jésus-Christ. C'était alors la ville la plus septentrionale du
puissant peuple des AUobroges, qui habitait des bords de l'Isère à ceux du Léman,
et de la rive gauche du Rhône jusqu'à la chaîne des Alpes. Leur pays était alors,
depuis soixante-trois ans déjà, compris dans cette vaste partie de la Gaule transal-
pine dont les Romains s'étaient rendus maîtres, et qu'ils appelaient leur province
Rome y avait établi ses lois et même ses dieux ; car le culte druidique, dont nos
environs offrent encore des vestiges debout dans la Pierre aux Fées de Régny, et la
Pierre aux Dames de Troinex, disparut en se confondant avec celui du peuple vain-
queur. Lorsque la Gaule tout entière, conquise par les armes romaines, fut partagée
en dix-sept provinces, Genève devint le chef-lieu de l'une des subdivisions ou civi-
taies de la province viennoise {Civitas Genavetisium) . Cette époque nous a laissé,
comme souvenirs matériels, un certain nombre d'inscriptions romaines, des vases,
des statuettes, des objets mobiliers, quelques débris de monuments. Un vestige curieux
du culte païen rendu au dieu des eaux, ou Neilh, c'est la Pierre à Nilon, bloc erra-
tique de onze pieds de haut, qui ressort du lac tout près de Genève, et au pied
duquel on a trouvé des instruments de sacrifice en bronze, vestiges d'une antiquité
reculée.
Le christianisme s'établit à Genève au 4* siècle, et cette ville fut la capitale d'un
assez grand diocèse.
Au 5"" siècle, lorsque la Gaule fut envahie par les tribus germaniques et les hordes
venant du nord-est de l'Europe, Genève fut occupée par les Bourguignom, peuple
déjà converti au christianisme, et plus doux que les autres barbares. C'est de Genève
que partit la fameuse Clotilde, pour épouser ce Clovis, chef des bandes franques,
fondateur de la royauté française. L'Etat fondé par les Bourguignons, ou premier
royaume de Bourgogne, ne dura que jusqu'en 534, et tomba alors dans les mains des
rois francs de la première race, ou mérovingiens, qui furent plus tard supplantés par
ceux de la seconde dynastie, ou carlovingiens. L'histoire de Genève s'absorbe dès-
lors dans celle de France pendant 354 ans, soit jusqu'en 888.
Alors, sur les ruines de l'empire brillant mais éphémère de Charlemagne, se for-
mèrent divers petits Etats, entre autres le royaume de Bourgogne transjurane, fondé
par Rodolphe, comte de ce pays. Genève en fut une des villes principales.
Quoique cette monarchie en raccourci se fût plus que doublée, un demi-siècle plus
tard, par l'accession du royaume de Bourgogne cisjurane ou d'Arles, elle demeura
faible et peu importante, et son quatrième roi, Rodolphe III, qui mourut en 1033,
légua sa couronne à l'empereur Conrad-le-Salique : dès-lors elle fut considérée comme
une annexe de l'empire germanique.
Dès-lors aussi la souveraineté impériale fut regardée comme une suzeraineté
tutélaire, assez haute et forte pour protéger au besoin ceux qui y ressort issaient,
assez lointaine pour ne former qu'un lien peu gênant, pour ne pas intervenir dans
550 L% 5IIS*C PrTTMIfSQrC.
1»-^ afrair»*s onlifiiin-^ du ;:«Hj%»*rfi*'fn*»nl 1««mI. Olui-ci se lri>u%~ail, par suite de oa-
rp«ions roy.il^ dont l*i»rijine s** [>r'rd dans la nuit des temps* entre les maios de
rév^jjij^. s*-ijTM,*ur ft'"» Jal, ///'«*« m*, de la ville, de sa banlieue et de quelques f^i\>
di-ilncU ruraui dwiml^ !♦•> un"* d»?> aijlr»*s.
Au 13' •»it*. ^ l<» onnl»' d»» Sivoir, srf»iL'n»*ur puissant qui dominait dans plusieu>
provin<'e> v«ii-in*'>d»* Cjiw\f*, prufitant dune vac^ance du siéje épisor>pal et dcslrou-
UN-s qui rar<N»rn|n;rn«*rvnl, s'rmfiAra dun chAteau fort que lévéque avait (ait con
Mruirc dan^ ril»* de Gt»nê\e, et de Texercii-e de la justice temporelle que ce préiat
faisait rendre à s*^ siij«*K laî«ju»*s par un ofticier institué par lui et nommé Vidomnr
1 IVr#» ifuiHiuH^t. Il se refusa de les n*slituer à Tévéque jusqu'à ce qu'on lui eût rem-
iMUirsé les frais de la jruerre qu'il avait faite p<»ur s'en rendre maître, soi-disant dans
rintérèl de rEli.Mi'ie, et qu'il élevait à un chiffre énorme. Le prélat, GuilbumedeC «-
flans, hors d'état de se prœurer cette somme, fui contraint de laisser le prince
savoyard en pression provisoire de ces ^a£!es jusqu'à paiement (I290i. Ce traité.
tout prmiire dans son princi|>e. fut la seule base légale de la domination que la maisc^o
de Savoie exerça dès-lors pendant iiS ans dans Genève* et qui, grAœ à diverses
causes, alla en se développant, et finit par ressembler à une part de souveraineté, à
une quasi-seigneurie, moins le droit cependant, qui y manqua toujours.
C'est à peu pn'*s à la même é|)oque que les citoyens de Genève formèrent une
commune', dévelop|)érent leurs anciennes franchises, se donnèrent une organisation
municiple régulière, et élurent quaire pronêreurs ou syndics aunuels^ assistés de c<>«-
seillerx, pour gérer les affaires de la ville et veiller à ses intérêts. Ces libertés furent
solennellement confirmeras et réunies dans un même code, en 1387, par Tévéque
Adémar Fabri. On y voit deux prérogatives essentielles accordées aux citoyens:
Tune est la juridiction en matière criminelle ; Fautre, plus rare et plus précieuse
encore, est la garde et la police de la ville pendant la nuit, à Texclusion de toute
autre autorité.
Genève subsista longtemps avec cette organisation de pouvoirs partagés. Centre
naturel des affaires de la vallée lémane, placée au débouché des routes qui se ren-
daient, d'une part en Italie par les Alpes, de Fautre en Bourgogne par le Jura, dotée
de foires importantes, cette ville vit graduellement accroître sa prospérité et son
importance. Le pouvoir populaire, né vers la fin du 13* siècle, se développa: celai
de révéque, au contraire, tendit à diminuer, ou du moins à se laisser effacer et
absorl)er par celui du duc de Savoie, depuis que Tépiscopat genevois fut devenu, au
1 y siècle, une sorte de bénéfice qui passait de mains en mains aux cadets ou aux
favoris de la maison savoisienne.
Telle était Genève à la fin du moyen-âge.
Au commencement du 16* siècle, à cette époque fameuse de mouvement et de
rénovation religieuse, intellectuelle et sociale, le peuple de Genève, stimulé par
l'exemple de ses voisins les Suisses arrivés à l'indépendance, aspirait à s'énoanciper.
De son côté, le duc cherchait à renverser la barrière, absolue en droit, mais légère
en fait, qui le séparait de la souveraineté de Genève, et à en devenir le prince, sauf
à y laisser à l'évéque un titre, des prérogatives honorifiques et des revenus. Entre
lui et la bourgeoisie de Genève, c'était à qui serait le plus habile ou le plus heureux
dans cette lutte, à la base de laquelle était une question légale, mais qui tendait à
LA SUISSE PITTORESQUE. 5S1
devenir le jeu de la fortune, de la force ou du hasard. Le parti populaire se décernait
à lui-même, à Timitation de Suisses, le nom d' Eidgenossen (liés par serment, confé-
dérés), par corruption Eidgnots; il donnait au parti de Savoie le nom de Mammelm,
pour le stigmatiser comme serviie à la façon des Mammeloucs égyptiens.
La lutte s'engagea dès 1517 : elle fut ardente et se prolongea plusieurs années.
Nous ne pouvons, dans ce rapide coup-d'œil, en reproduire les phases : disons seu-
lement que la cause populaire eut ses martyrs (Berthelier en 1519, Lévrier en
1524, etc.) ; elle eut aussi ses revers et ses heures de défaillance. Le duc Charles III
et révéque Jean, bâtard de Savoie, dévoué à la cause de sa famille, firent leurs
coups d'Etat et eurent leure jours de triomphe, comme le Conseil des hallebardes
(1525) ; mais des circonstances étrangères les empêchèrent de pousser jusqu'au bout
leurs avantages, et la cause de l'émancipation genevoise trouva enfin à s'abriter sous
un traité de combourgeoisie avec Berne et Fribourg, c'est-à-dire, au point de vue
politique, une alliance offensive et défensive, et, au point de vue social et économique,
une réciprocité de droits et franchises (1526).
Mais ce résultat, précaire et contesté, n'était qu'une des faces, un préliminaire de
la question de l'indépendance. Une autre et plus grave révolution s'accomplissait alors
dans l'ordre moral : nous voulons parler de la Réformation religieuse, dont Luther
avait levé l'étendard en Allemagne dès 1517. Elle se répandit rapidement chez des
populations qui avaient vu de près la corruption envahissante de l'Eglise romaine, le
trafic des indulgences, etc.
Berne avait adopté le zwinglisme (1528). L'exemple de ce puissant allié exerça
de l'influence sur Genève. Cette ville, abandonnée depuis un certain temps par son
évêque, l'égoïste et pusillanime Pierre de la Baume, sollicitée par ses propres con-
victions, désireuse d'arriver, à tous égards, à la pleine possession d'elle-même,
embrassa officiellement la Réformation en 1535. Du même coup, Genève abolit l'au-
torité spirituelle et temporelle de Tévêque ; elle se substitua, se mit aux lieu et place
de l'autorité civile et politique du prélat.
Dès ce moment (i535), Genève, sa banlieue et les terres (très-peu étendues d'ail-
leurs) que l'évêque, le chapitre .et autres dignitaires ou corps ecclésiastiques possé-
daient dans les environs de la ville, formèrent une République indépendante, qui
désigna sa souveraineté en se donnant la qualification de Seigneurie. Dès-lors Genève
fut, non plus une municipalité, mais un Etat; à ce titre, elle a son histoire.
Le duc de Savoie, Charles III, ne lut pas un obstacle à cette révolution, car les
prérogatives qu'il avait possédées à Genève y avaient été anéanties de fait au milieu
des luttes des partis (1527). Ce prince essaya bien de les ressaisir, mais des affaires
plus importantes qui l'appelaient ailleurs, l'empêchèrent de diriger toutes ses forces
contre la cité émancipée, et la guerre que François I*', roi de France, et les Bernois,
lui déclarèrent en 1536, en lui faisant perdre ses Etats en deçà des monts, laissèrent
la ville en repos de ce côté- là.
Genève s'appliqua donc à organiser d'une manière ferme et durable sa jeune indé-
pendance, et à consolider chez elle la Réformation religieuse : elle y réussit.
Voyons d'abord en quoi consistaient ses institutions politiques.
Le pouvoir exécutif résidait essentiellement dans quatre Syndics ou chefs du Gou-
vernement, égaux entre eux, sauf la présidence et quelques attributions spéciales
5Si LA »tissc piTTonesoïK.
confiées au Premier Syndic; ils éUienl nommés pour un an, el n'étaient rééligibles
qu*aprës trois ans d'intervalle.
Le pouvoir délibérant, ié^^islatif et électif, résidait dans quatre Conseils.
Le premier, appelé Pelil Conxeil, Conseil êtroil ou des Vingt-Cinq en raison du
nombre de ses membres, était le véritable Conseil d'Elal administrant la République.
Ce n*était que parmi ses membres que Ton |)ouvait choisir les syndics, et ceux-ci-
en sortant de charge, rentraient nécessairement dans ses rangs. Ses membres prési
daient les départements administratifs, nommés Chambres, parce qu*ils étaient formés
chacun de la réunion d'un certain nombre de membres siégeant ensemble. Les deux
Strréimres d'Elal et le Trésorier étaient aussi pris dans son sein.
Le second, ou Conseil des Siaxanie, stKX'upait des aiïaires diplomatiques; il avait
peu d'importance.
Le troisième, ou Conseil des Den,r-Cenls, plus tard nommé Grand Conseil, était
une assemblée délibérante, où se discutaient les afliiires qui n'étaient pas puremeol
administratives. 11 exerçait le pouvoir législatif pour tous les objets qui ne parais-
saient pas exiger la sanclion solennelle de la nation. C'était un corps imposant, le
pouvoir représentatif-parlementaire du pays.
Enfin le Conseil Général était la réunion de l'universalité des citoyens, lesqueb,
vu leur petit nombre (1000 à 1500 personnes), pouvaient s'assembler tous à la fois
au même lieu, et qui, ainsi réunis, formaient la véritable souveraineté nationale,
exerçant en masse le suffrage universel direct. C'était ce Conseil qui élisait les
syndics, le trésorier el les magistrats judiciaires.
Tout Genevois était de droit, par naissance ou par bourgeoisie à lui conférée,
membre du Conseil Général. Quant aux autres Conseils, on y entrait par élection
pour la vie, sauf exclusion ou destitution en C4is de démérite (on appelait cela le
yrabeau). Les membres du Petit Conseil étaient élus par le Deux-Cents: ceux du
Deux -Cents par le Petit Conseil.
La justice ordinaire était rendue, à charge d'appel, par un magistrat appelé Uen-
tenant, assisté de six Auditeurs, La justice criminelle était exercée par le Petit Gon
seil. A côté de celte organisation était un PnKureurgénéral, qui, à ses attributions
judiciaires, réunissait un droit de remontrance dans toute matière d'intérêt public,
qui rappelait de très-loin le tribunal de Rome.
Au point de vue religieux, Genève appela et reçut du dehors plusieurs ministres de
la Parole de Dieu, |M)ur lui prêcher la foi évangélique, et mettre autant que possible les
mœurs publiques à Tunisson avec les principes de la Réformation. L'un d'eux fat le
célèbre Calvin, théologien et siivant éminent, homme qui mettait un esprit sévère,
pour lui-même et pour les autres, au service de profondes convictions chrétiennes,
génie du premier ordre, appelé par de hautes facultés, reconnues de tous, à exercer
une légitime influence, à organiser l'édifice religieux et social auquel il se consacrait.
Calvin fut le créateur de l'organisation de l'Eglise de Genève, qu'il fit adopter par
les Conseils sous le nom d'Ordonmince erclésiaslique. La base en était l'égalité entre
tous les ministres de l'Evangile, et leur réunion en Compagnie^ pour traiter des afEûres
de l'Eglise; c'était substituer l'autorilé collective des conducteurs du troupeau au
pouvoir hiérarchique échelonné de l'Eglise romaine, conservé jusqu'à un certain
point dans les autres rameaux de la Réformaliun : cétail TEglise de majorité ou par-
LA SUISSE PITTORESQUE. 5K5
lementaire, au lieu de l'Eglise aulocratique. La Compagnie était présidée par un de
ses membres, nommé Modérateur; mais ce n'était là qu'une fonction élective et tout-
à-fait transitoire, nullement une dignité. Réunis à des Anciens laïques, les Pasteurs
formaient le Consistoire, sorte de tribunal de mœurs, chargé de veiller à ce que les
citoyens ne s'écartassent pas, dans leur conduite, de la loi religieuse.
Mais l'édifice moral de Calvin ne s'arrêtait pas là. En vrai législateur, il pourvut à
tous les points essentiels de l'activité humaine. Il organisa l'instruction publique, et
fonda une Académie, avec une faculté de théologie protestante; il fut le promoteur des
lois soniptmires, destinées à entretenir les citoyens dans une stricte simplicité, en leur
interdisant, sous des peines sévères, tout luxe, tout plaisir désordonné ou dangereux
pour les mœurs. Ces lois nous paraissent aujourd'hui d'un rigorisme raide et outré,
mais leur auteur avait compris que la petite République ne réussirait à se maintenir
qu'en demeurant inébranlable dans les voies d'une vertueuse austérité, et que l'élé-
gant laisser-aller de l'Italie et des Etats monarchiques l'aurait bientôt perdue.
Calvin, qui était aussi un jurisconsulte, travailla à doter sa patrie adoptive de lois
civiles, remarquables pour l'époque. On peut dire qu'il n'y a pas à Genève une insti-
tution qui n'ait été l'objet de son active pensée, et qui n'ait bien longtemps conservé
sa durable empreinte. Sous les dehors d'une société renouvelée, bouleversée même
depuis longtemps par des révolutions successives , un œil observateur sait encore les
retrouver.
Genève, réformée et libre, vit affluer dans ses murs les prolestants que les persé-
cutions religieuses chassaient de leur patrie, particulièrement les Français ; elle fut
leur sympathique asile et leur sûre retraite. Les réfugiés, hommes de convictions
indépendantes et éclairées, d'activité et de cœur, exercèrent assez vite une influence
notable dans Genève, devenue leur nouvelle patrie, et aidèrent Calvin à triompher de
la résistance que lui opposait la fraction des anciens patriotes genevois, auxquels une
conduite mal réglée avait fait donner le nom de Libertins.
Cette première période de l'histoire de Genève indépendante fut comparativement
tranquille. Plus tard, la maison de Savoie ayant été rétablie dans ses Etats (1S88), le
duc Charles-Emmanuel voulut profiter des guerres de la Ligue pour se rendre maître
de Genève et y rétablir le culte catholique. Une guerre tout à la fois politique et reli-
gieuse s'engagea (1590 et années suivantes); car alors, autorité absolue et catholi-
cisme d'une part, réforme et liberté d'une autre, étaient tout un, et les hostilités
s'imprégnaient, de part et d'autre, de ce double caractère. Ces deux faces de la ques-
tion, toutes deux si grandes et si saisissantes, passionnaient les âmes, et le débat, qui,
s'il n'avait touché que Genève, aurait eu peu de retentissement au dehors, devenait
ainsi une querelle sérieuse, qui mettait en jeu les sympathies et les intérêts de Romc^
des protestants français et des Suisses.
La lutte fut longue et plusieurs fois renaissante ; il fallait une série de circonstances
heureuses et même exceptionnelles, un dévouement courageux, une persévérance à
toute épreuve, et quelques secours étrangers dans les nécessités les plus urgentes,
pour que le peuple genevois pût, en dépit de son exiguïté numérique et de celle de ses
ressources, résister aux forces incomparablement plus considérables de son adver-
saire. Enfin, la dernière et la plus signalée des épreuves auxquelles les Genevois
furent en butte, est connue sous le nom d'Escalade. N'ayant pu réussir à force ouverte,
II. 33. 70
554 LA snsse pittoresoie.
le duc essaya d'une surprise. Des corps de troupes choisies se réunissent mystérieu
sèment, et arrivent en silence jusque dans les fossés de Genève, pendant la nuit longue
et obscure du 4 2 ( 3i ) décembre 4 602 . Des échelles à ressorts drapés se dressent san.^
bruit contre les murailles, et introduisent dans l'enceinte extérieure de la place
quelques centaines d'hommes déterminés; il semblait que ce fût ville prise, quand
l'alarme est enfin donnée : un boulet tiré au hasard brise les échelles ; tes Genevois,
réveillés en sursaut, courent aux armes ; une lutte ardente, mais courte, les débar-
rasse des envahisseurs; le corps d'armée, qui comptait que le détachement eolré
allait lui ouvrir les portes, est forcé à la retraite, et Genève est sauvée. Le peuple
genevois célèbre encore aujourd'hui, après plus de deux siècles et demi, Tanniversaire
de cette mémorable délivrance, qui est le souvenir le plus vivace de son histoire.
La paix suivit cette dernière et infructueuse tentative ; paix agitée, sans doute, où
Genève suivait avec une sympathique anxiété les phases de la lutte de cette Réforma
tion à laquelle elle avait presque exclusivement voué son cœur et son existence, où
elle allait jusqu'aux dernières limites de son hospitalité et de ses ressources, en fa-
veur de ses corréligionnaires persécutés, qui fuyaient en foule devant rintoléranœ
du grand Roi.
Pendant ce temps, le gouvernement de la République, obligé à une prudence con-
sommée et à des ménagements continuels vis-à-vis de ses puissants voisins, se con-
centra dans les Conseils, et devint aristocratique dans ses allures.
Mais, lorsqu'au 18' siècle, la bourgeoisie genevoise, enfin rassurée sur son indé
pendance, se prit à porter son esprit sur les questions intérieures, elle trouva que ses
anciens droits politiques, très-étendus en théorie, étaient dans la pratique singulière-
ment réduits, et elle voulut faire remonter vers sa source la constitution, déoiocra
tique à son origine. L'aristocratie, ayant pour elle la possession de tait et des anté-
cédents plus que séculaires, ne voulut pas admettre des prétentions qui, quel que
fût leur fondement originaire, n'en étaient pas moins des innovations à une pratique
devenue constante ; de là les troubles politiques qui agitèrent si longteaips Genève.
En 1707, première lutte : ce fut une tentative populaire courte et sévèrement
réprimée.
En 4755 le débat se renouvela, plus long et plus grave ; ce fut une conflagration
armée, qui ne put être apaisée que par l'intervention pacificatrice, non-seuleroent
des anciens alliés suisses de Genève, Zurich et Berne, mais encore de la couronne
de France; il en résulta le Règlemeni de médialion (4738)^ qui fixa la Constitution
genevoise, et procura au pays plus de vingt ans de paix . — Ce fut alors l'apogée de la
vieille République. Alors, le plus célèbre de ses enfants, J.-J. Rousseau, en lui
dédiant son livre sur YOrighie de l'inégalité entre les homtnes (47S&), adressait à ses
concitoyens ces mémorables paroles : <( Mes chers concitoyens, ou plutôt mes frères*
puisque les liens du sang, ainsi que les lois, nous unissent presque tous, il m'est
doux de ne pouvoir penser à vous sans penser en même temps à tous les biens dont
vous jouissez... Plus je réfléchis sur votre situation politique et civile, et moins je
puis imaginer que la nature des choses humaines puisse en comporter une meil-
leure. . . Votre bonheur est tout fait, il ne faut qu'en jouir, et vous n'avez plus besoin»
pour devenir parfaitement heureux, que de savoir vous contenter de l'être. Votre
souveraineté acquise ou recouvrée à la pointe de Tépée, et conservée durant deu^
LA SUISSE PITTORESQL'e. 55S
siècles à force de valeur et de sagesse, est enfin pleinement et universellement re-
connue. Des traités honorables fixent vos limites, assurent vos droits et afiermissent
votre repos. Votre Constitution est excellente, dictée par la plus sublime raison, et
garantie par des puissances amies et respectables ; votre Etat est tranquille ; vous
n'avez ni guerres, ni conquérants à craindre; vous n'avez point d'autres maîtres
que de sages lois que vous avez faites, administrées par des magistrats intègres, qui
sont de votre choix ; vous n*étes ni assez riches pour vous énerver par la mollesse
et perdre dans de vaines délices le goût du vrai bonheur et des solides vertus, ni
assez pauvres pour avoir besoin de plus de secours étrangers que ne vous en procure
votre industrie; et cette liberté précieuse qu'on ne maintient chez les grandes
nations qu'avec des impôts exorbitants, ne vous coûte presque rien à conserver.
*(( Puisse durer toujours, pour le bonheur de ses citoyens et l'exemple des peuples,
une République si sagement et si heureusement constituée ! Voilà le seul vœu qui
nous reste à foire, et le seul soin qui vous reste à prendre. C'est à vous seuls, désor-
mais, non à foire votre bonheur, vos ancêtres vous en ont évité la peine, mais à le
rendre durable par la sagesse d'en bien user. C'est de votre union perpétuelle, de
votre obéissance aux lois, de votre respect pour leurs ministres, que dépend votre
conservation. S'il reste parmi vous le moindre germe d'aigreur ou de défiance,
hàtez-vous de le détruire comme un levain funeste, d'où résulteraient tôt ou tard vos
malheurs et la ruine de l'Etat, etc. »
Après avoir rapporté le jugement de Rousseau sur l'ancienne République, citons
encore celui de Voltaire, car ces deux génies dominateurs du 48' siècle ont, à la
même époque, rendu témoignage sur elle. Voici ce que Voltaire écrivait en 4755,
en arrivant près de Genève, sur les rives de notre lac :
Mon lac est le premier; c'est sur ses bords heureux
Qu'habite des humains la déesse étemelle,
L'âme des grands travaux, l'objet des nobles vœux,
Que tout mortel embrasse, ou désire, ou rappelle ;
Qui yit dans tous les cœurs, et dont le nom sacré
Dans les cours des tyrans est tout bas adoré:
La Liberté I J'ai yu cette déesse altière
Ayec égalité répandant tous les biens,
Descendre de Bforat en habit de guerrière,
Les mains teintes du sang des fiers Autrichiens
Et de Charles'le -Téméraire.
Devant elle on portait ces piques et ces dards.
On traînait ces canons, ces échelles fatales
Qu'elle-même brisa, quand ses mains triomphales
De Genève en danger défendaient les remparts I
Liberté, Liberté! ton trône est en ces lieux.
Bientôt cependant, cette liberté ne parut plus suffisante aux Genevois ; les discus-
sions intestines se renouvelèrent. Pour des motifs successifs et sous des formes
diverses, elles remplirent à Genève le reste du 18* siècle. Toutes les questions poli-
tiques y furent soulevées, toutes les passions y furent mises en jeu. Une presse, qui
s'émancipait d'elle-même, multiplia à l'infini les pamphlets. Si ce qui demeura infi-
niment petit, dans un cadre microscopique, pouvait être comparé à ce qui fut infini-
f'K^ t ^'''«îtd K uJi r^L j» tt n» <A<k. uci |*i4irmjt dire que 9*:if a£;i;AiMa^ >-^- /
S'^ir : jiy p^*-;»»^ i r-r- 'i.c d* là m «/-jr du ^^Mt^.\. do l»£*Li<>9a^. ^ If lîr.ti: > '^^ -
N* «rv«-i>: p*.fc4i^ ♦•ut uti 'jkm-t'rft: p;iit fcti'/iMi. Lct tOm^rs^. Iimjiiarv »i«iirr.\
4 iM^arxr . '/!•>-. à •*-*■: b • i^nj^it u pHnLt**ï«i * d j buiiUf'. mm» Lt> diScMcafL .
'''^ li^'i? K* uk'»*^ i i*' fe;.*!*' . b V «>UiK^it iHu^ n» •iw I Laii iM lit *<samsKt%. L^s.j
• • • ■ « c
V -» , li d^^r.t : •*• \Êr d*- cdiriu^iir k- jtnni-rjie- rv'/iiiaî çu. refaaul Um^ ér-«*^;« ■
{*»* d a jîr** faîr*<: . f>^j*f-rila:ii k o4^p^ dr la U«rjr**.<sie- qa. JutUit
•*> dr-.l5 |*.!.t.ii^>, Musait d>fi i^^^Arr «uc-uxie p*n â otf luufe^ se» frères* c»â^>
•if la d^ dr-ti^U qui aU.-uîJiTîjt a de D'iuvd^^ui lr«.*aliÉe^ 1770, ^7^^ .
T<^» o-ft é^rD^filt^ d a;^itatMfi . qui (ermr^itamt dr}tatf k«c^«Mps éams^ ie sc/
d uri#r (»*}wuti"Ci u/tiâirte et iiidu«^tri«rÎK' . fir.zr^nt par une frise d'ariBe» qvi rni^ers,.
if ^•'U\fTTA*'fi*frrjt 8 a^ril I7»î .
Hni^ la Frarif^ et le carjt«.*D de BeiTie. putî«i*iKi(^ Dedathcf» cl çmates da A'-
'^UfM^tii dr 1758. r»e ^«•ulufvfit pa> le lai^^^r imfiUoriDeot renvierser aisâ fm li «v
^tKnf. De o>D«ifTt a^ e<: le n^i de Sardai.zDe , ik e&%o\èfTiit «ne arwée «Mitiv Génère. I
qui , a|*rt> avoir fait mirie de révi^UruY. capitula sans c^mbaU k i jaiUet I7^i. 1/^ '
médiateur^ ne »e ciifitpntpn^il pas de rétalJir le r uurfcal déposé : ils eûièreol
l^dK-f^du parti pi.pjUire, privèrent temporairemoil de Texcreicede lc«rs *\»i»^
p"litiqueN c> u\ qui a^ai^nt pris part au OHKJveiDent d*aTril. et inposèrent à h Repu
Mique une nouvelle 0>n^tituti<.»n tres-n-stridive des droits populaires.
Lp ré^'inie d^ (i^mprYfSsion ainsi créé, disparut, oq do Boins se Bodîfia profondé-
ruerit. au premier s-^uffle de la révolutir« française ■ 10 Cvricr 1789». Genève espcn
quelque U'Ui\tfi pr^uvoir \ivre s«»us un système de transaction 2i mars, 14 noTein-
bre 1791 : mais la propagande de la République française n^élait pas disposée à le
lui perm«^ltre. En allant amquérir la Savoie, une armée française fut sur le poîol
d'envahir Genève; mais sr»n cbef* le lovai général M ontesquîou « traita honorable-
ment avec la ville . et le dan<!er s'éloigna ( i± octobre 179i t.
A peine Genève avait-elle écbappé à un péril, qu'elle allait échouer devant un
autre : elle ne put résister au sr»uHle anarehique qui venait de Paris; son gouverne-
ment céda, sans combat, au flot révolutionnaire; il cessa ses fonctions, et des Camth
prorisoln% d tuîmhmtratwn et de sûreié furent établis 1 28 décembre I79Î). Far une
imitation servile, on data de ce moment Tiifi premier de rêgalité genfvoise.
Ce qui suit se devine : on parodia à Genève la révolution française ; on imita sa
terreur, sans pouvoir imiter son grandiose. Détournons nos rc^rds de ces tristes pages
de notre histoire, où Genève , imperceptible satellite de la sanglante planète révolu-
tionnaire, en adopta les coupables aberrations. Lorsque T^isement succéda à ces
saturnales, Genève, enlacée par les intrigues du Résident que le Directoire entre-
tenait à Genève, Féli\ Desportes, fut amenée, par une contrainte moitié morale et
moitié matérielle, à se laisser réunir à la République française (15 avril 1798), et
LA SUISSE PITTORESQUE. 557
dès-lors elle suivit pendant plus de quinze ans les destins de la France. Elle forma le
chef- lieu du département du Léman. Chose remarquable! pendant cette longue
absorption, son individualité, son caractère national se conservèrent intacts, et résis-
tèrent à la fusion.
Aussi, lorsqu'à la fin de 1813 le colosse impérial s'ébranla sur sa base, lorsque
la coalition européenne s'apprêta à envahir la France, Genève se retrouva soupirant
après une indépendance à laquelle elle n'avait jamais pris son parti de dire adieu.
Aussitôt que les premières colonnes allemandes se présentèrent, elle leur ouvrit ses
portes, proclama la Restauration de sa nationalité, et parvint à la faire reconnaître
par les puissances alliées réunies en Congrès à Vienne, et à la mettre sous la sanction
de la Confédération helvétique, à laquelle elle fut réunie comme Canton (181&). Elle
reçut dans ce but , aux dépens de la France et surtout de la Savoie , une adjonction
de territoire destinée à en désenclaver les diverses parcelles et à la rendre contiguê
à la Suisse (novembre 1816).
On crut alors clore l'ère des incessantes agitations du 18'' siècle, en abolissant l'an-
cien Conseil général, suffrage universel ou exercice direct de la souveraineté par l'uni-
versalité des citoyens: on adopta la forme représentative; le pouvoir législatif suprême
fut exercée par un Conseil représefitatif nombreux (278 membres), nommé parles
citoyens payant un modique cens électoral , et renou vêlé de trente places chaque année .
Ce corps élisait le Conseil dEtat, pouvoir administratif supérieur. Cette Constitution,
dans laquelle les souvenirs et les traditions de l'ancienne République jouèrent à l'ori-
gine un rôle peut-être trop considérable, pouvait être modifiée, quand on le jugeait
convenable, au moyen de lois dites constitutionnelles, sous la seule condition d'être
votées par une majorité des deux tiers des membres des Conseils. On ne tarda pas à
user largement de ce moyen facile de changement; c'est ainsi qu'on abaissa graduel-
lement le cens électoral jusqu'à trois francs vingt-cinq centimes (montant de la taxe
personnelle), que l'on établit l'amovibilité des membres du Conseil d'Etat et des tri-
bunaux , etc.
Les années qui suivirent cette restauration de la République furent une époque
heureuse, où Genève, foyer de vie intellectuelle et morale, d'activité industrieuse
et de patriotisme désintéressé, développa librement et avec largeur les germes de
prospérité qu'elle renfermait dans son sein.
Mais tout s'use chez une population mobile, libre de tout frein et essentiellement
démocratique. Une partie du peuple de Genève, sollicitée notamment par l'exemple
des mouvements radicaux opérés en Suisse depuis 1830, fit, le 22 novembre 1841,
une manifestation qui renversa Tordre de choses dont l'établissement remontait à
1814. Dès-lors, bien des mouvements intérieurs se sont succédé, de graves chan-
gements ont été accomplis, deux Constitutions ont été votées (1842 et 1847 ) ; une
démocratie sans contrepoids et un suffrage universel sans garanties ont été établis,
et Genève a fait, dans toute son étendue, l'expérience des résultats du nouveau
système dans lequel elle était entrée. Mais ces questions sont trop palpitantes pour
qu'il y ait lieu de les traiter ici avec plus de détail.
Constitution. — La Constitution actuelle de Genève, votée en 1847, déclare en
principe que la souveraineté réside dans le peuple, en ce sens que les pouvoirs poli-
tiques et les fonctions publiques émanent de lui ; mais la forme du gouvernement
5S8 LA SCISftB PnrORISQCE.
C6i une démocratie représentative. Elle garantit la propriété, la liberté individueUe,
celle de la presse, celle d'établissement et d'industrie, des cultes, d'enseignemeot,
et établit le service de la milice obligatoire. Tout Suisse né dans le canton peuU
dans Tannée qui suit sa majorité, réclamer la qualité de citoyen genevois. D en est
de même de tout natif étranger de la seconde génération, c'est-à-dire de celui qui
est né dans le canton d'un përn étranger qui y était né lui-même. Tous les dtoyeDs
majeurs, soit âgés de 21 ans accomplis, ont rexereice des droits politiques, saaf
ceux qui ont été frappés d'une condamnation infamante. Réunis en une seule assem-
blée non délibérante, qualifiée de Comeil général, ils nomment directement le pou-
voir exécutif, et votent sur les changements constitutionnels : on a réuni ainsi en
un seul jour et dans un même édifice plus de 10,000 votants.
Le pouvoir législatif est exercé par un Grand Conteil, composé de 93 membres,
élus par le suffrage universel, dans trois collèges d'arrondissement, formés, l'un de
tous les électeurs de la ville de Genève, l'autre de ceux domiciliés entre la rive
gauche du lac et le Rhêne, le troisième de ceux habitant sur la rive droite. Tout
électeur laïque est éligible, à la seule condition d'être Agé de 2S ans ; il n*y a pas
plus de cens d'éligibilité que de cens électoral. Le Grand Conseil est élu pour deux
ans, et renouvelé intégralement ; ses séances sont publiques ; il a le droit d'initia-
tive, celui de grâce et d'amnistie, vote les traités, les impôts, décrète les dépenses,
reçoit les comptes de l'Etat et de l'administration.
Le pouvoir exécutif est confié à un Conseil d'Etal de sept membres, nommés,
comme on l'a dit, par tous les citoyens réunis en une seule assemblée. Il est renou-
velé intégralement tous les deux ans ; mais ses membres, comme ceux du Grand
Conseil, sont indéfiniment rééligibles. Les seules conditions d'éligibilité sont d'être
laïque et d'avoir 37 ans. Chaque Conseiller est le chef d'un département adminis-
Iratif ; il reçoit un traitement de 5000 francs. Le Conseil d'Etat a l'initiative légis-
lative, promulgue et fait exécuter les lois, nomme et révoque les fonctionnaires,
dispose de la force armée, a la surveillance et la police de toutes les branches
d'administration ; en un mot, il gouverne, mais est responsable de ses actes.
Les élections du Conseil d'Etat alternent d'année en année avec celles du Grand
Conseil.
L'ensemble du droit civil genevois n'est autre que les Codes français de l'Empire,
que Genève restaurée eut soin de conserver, tout en y faisant de notables et utiles
modifications, comme pour la procédure civile, le système hypothécaire, etc.
Le pouvoir judiciaire est séparé des pouvoirs législatif et exécutif. Il est exercé :
Au civil, — par des juges de paix, statuant en dernier ressort sur les affaires
personnelles et mobilières jusqu'à 150 francs; — par un Tribunal civil et un Tri-
bunal de commerce, composés, le premier de magistrats si^eant seuls (système dit
du jti^^ unique), jugeant seuls sur toutes affaires civiles, en dernier ressort jusqu'à
300 francs, à charge d'appel, quelles que soient la valeur ou la nature du litige; le
second, d'un collège de juges négociants, siégeant au nombre de trois, statuant sur
les affaires commerciales, en dernier ressort jusqu'à 500 francs, et au-delà, à charge
d'appel ; — par une Cour de justice, jugeant en appel, composée de magistrats sié-
geant au nombre de trois. En matière pénale, — par des Juges de paix, jugeant les
contraventions de simple police ; par une Cour d'assises, présidée par un magistral
LA SUISSE PITTORESQUE. K59
de la Cour de justice, et composée de douze jurés pour les affaires criminelles, et de |
six pour les correctionnelles. La liste du jury est choisie, sur la totalité des élec- !
teurs, par une Commission du Grand Conseil; la liste annuelle des jurés est de
500 personnes ; le tour de service revient tous les trois ans.
Les débats sont oraux et publics; les magistrats judiciaires sont élus par le Grand
Conseil.
Chaque Commune est administrée par un Maire et un Conseil municipal, élus par
le suffrage universel pour quatre ans. Au lieu d'un maire , la ville de Genève a un
Conseil administratif , composé de sept membres salariés. Les séances des Conseils
municipaux sont publiques.
L'Eglise protestante nationale est administrée par un Consistoire, composé de
2S membres laïques et de six ecclésiastiques, élus pour quatre ans, par le suffrage uni-
versel des citoyens protestants. Les Pasteurs sont nommés par le suffrage universel
des paroissiens. Ils se réunissent en Compagnie des Pasteurs, chargée de l'instruction
religieuse et de l'enseignement théologique dans les établissements d'instruction pu-
blique, de l'admission et de la consécration des candidats au saint ministère.
Le culte catholique, salarié par l'Etat, a une position spéciale, par suite des traités
conclus & l'occasion des cessions de territoires catholiques faites à Genève après la
Restauration. Faits en vue de donner une garantie de maintien au culte de ces par-
celles de territoire, ils ont fini par lui créer une situation privilégiée. Le Conseil
d'Etat a cependant le droit d'approbation sur la nomination des curés , faite par l'évê-
que. Celui-ci, qui porte le titre d'Evêque de Lausanne et de Genève, a sa résidence à
Fribourg, et relève immédiatement de Rome.
Description de la Ville. — La partie la plus grande et la plus ancienne de
Genève est construite sur un coteau de cent pieds de hauteur, situé à l'endroit où
le Rhône sort du lac, sur la rive gauche. La ville descend de là en s'étageant vers
le nord jusqu'au bord du fleuve. Sur la rive droite est le quartier, ci-devant fau-
bourg, de Saint-Gervais, qui tire son nom du saint auquel était dédiée l'église parois-
siale : il va en s'élevant graduellement jusqu'à une hauteur de trente et quelques
pieds. Les rues de la ville haute, et les rues en pente qui la réunissent à la ville
basse, sont généralement étroites, comme dans la plupart des cités du moyen-âge ;
les rues basses sont plus larges; c'est là qu'est le centre du commerce; les maisons
sont hautes, et ont communément trois ou quatre étages.
Genève n'offre qu'un seul monument vraiment digne de ce nom: c'est son
ancienne cathédrale, Saint-Pierre, Cette église, dont la fondation remonte au 10" ou
au H* siècle, porte l'empreinte d'une école tout à la fois artistique et cléricale,
qu'un architecte de notre pays, très-versé dans l'archéologie sacrée, appelle école
sacerdotale secondaire. Elle fut dès-lors et successivement continuée, retouchée et
réparée, et elle conserve les traces bien marquées des divers styles qui se sont suc-
cédé jusqu'au 16*" siècle. §on étendue (206 pieds sur 112), ses heureuses propor-
tions, le caractère plein d'unité et l'ornementation sévère de son intérieur, produisent
un ensemble empreint d'une remarquable harmonie, et d'une grandeur qu'on peut
qualifier de majestueuse. Contre le flanc droit de la cathédrale est appuyée la grande
chapelle des Macchabées, fondée en 1408 par le cardinal de Brogny, prélat qui pré-
sida à ce célèbre concile de Constance qui déposa trois papes, en élut un nouveau.
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ri rrirvlaroru Jean Hu^ H JérAme ât Prague. — Ao mWitm é% 18" svclf te v-f^L^;^
de Saint-Pierre ayant nè-e^té une restaoration partieUe. 4m rteco^rcA i>i:ix
par <itf*\ant. en MjMiluant à l'ancien portail cankiértMiqoe it iêéifire. wmt ÎK^ty
Adcich portail da Icmple de Sjaial- Pierre.
imitée de celle du Panthéon de Rome, et qui, belle en elle-même, a le tort de con-
traster avec tout le reste de cet édifice, spécimen distingué de l'art au moyen-Age.
Jusqu'au commencement du siècle passée il n'y eut guère à Genève que de
modestes habitations particulières. Mais à cette dernière époque, le développement
des fortunes permit d'élever un certain nombre de belles maisons d'un assez grand
style. Ce mouvement s'arrêta bientôt : l'étroite enceinte des fortifications, refaites en
1734, ne comportait pas d'extension.
Après la Restauration, une nouvelle ère de prospérité favorisa des construciions
ultérieures. Non-seulement on utilisa les derniers espaces disponibles, mais on créa et
on conquit sur les deux rives du fleuve de larges quais ; on les fit communiquer par un
pont en fer (grand quai, quartier, pont et quai des Bergues, etc.) ; enfin, on peut dire
que l'on sut, avec bonheur, mettre pour la première fois les Genevois à même de jouir,
sans sortir de leur ville, de l'admirable aspect que la nature revêt sous leurs yeux. On
trouverait difficilement quelque chose de comparable à ce large fleuve aux eaux si
pures, qui coule entre deux belles lignes d'édifices, à ces quais d'où, au milieu d'une
ville populeuse et animée, on aperçoit à côlé de soi le lac, sur le premier plan de
riants coteaux, en arrière un triple rang de montagnes s'élevant en gradins jusqu'au
LA SUISSE PITTOIIËSUUE.
SOI
G«acve vu du lac.
géant des Alpes, le Monl-Blanc. Qu'un beau soleil couchant vienne empourprer de ses
reflets la ligne lointaine des neiges éternelles, rien ne manquera à la majesté saisis-
sante de ce tableau, dont on pourra encore diversifier la scène en allant visiter
(|uelques-uncs des élégantes villas qui se pressent aux environs. El on s'écriera avec
Voltaire :
Que tout platl en ces lieux à mes sens étonnés!
D'un IranquHle océan Teau pure el Iransparenle
Baigne les bords fleuris de ces champs fortunés;
D'innombrables coteaux ces champs sont couronnés;
Bacchus les embeUit; leur insensible pente
Vous conduit par degrés à ces monts sourcilleux
Qui pressent les enfers, el qui fendent les cicux.
La démolition des fortifications, commencée en 1849, en rendant disponibles de
vastes terrains à bâtir tout autour de l'ancienne ville, a permis aux nouveaux quais,
créés vingt ans auparavant, de s'étendre en amont, sur les deux rives du Rhône ; de
grandes et belles constructions s'y sont élevées, et s'élèvent encore de jour en jour :
c'est une nouvelle ville, aux commencements de laquelle nous assistons.
Contributions publiques. — Elles sont assez élevées en ce qui touche les capitaux
acquis; elles le sont très-peu pour Tindustrie. Voici leurs principales blanches :
Droits de sairessiou. Les successions sont sujettes à des droits, qui, augmentés en
1851 , sont : tf)de 60 centimes par 100 francs en ligne directe, et entre époux lorsqu'il
existe, à l'époque du décès, des descendants issus du mariage ; — b) de Z fr. 60 cent.
|)ar 100 francs entre frères et sœurs, oncles et neveux ou petits-neveux ; — c)de
5 fr. 40 cent, par 100 francs entre cousins-germains, et entre époux lorsqu'il n'y a
pas de descendants ; — d) de 12 francs pour 100 francs dans tous les autres cas.
Ventes d'immeubles. Elles supjwrtent un droit de cinq pour cent.
1I.3J. 71
S69 LA SUISSE pittoiies(h:e.
Enregistrement, Timbre. La plupart des actes civils et judiciaires sont sujets i des
droits d^enregistremeiit variés ; le papier pour ces actes et les effets de commerce est
sujet au timbre.
Contribution foncière. Les immeubles, bâtis ou non, y sont assujettis. Dans son
I assiette, on a singulièrement ménagé les campagnes. Ainsi, tandis que le sol non-bàli
du canton ne paie que 34,615 francs par an, soit kO centimes par pose, mesure de
Genève (ou 1 fr. 51 cent, par hectare), les propriétés bâties en paient 110,472. El
sur ce chiffre, tandis que les maisons de la ville de Genève valant, de constnictioD,
j 54,572,500 francs, paient 75,203 francs d'impôt (soit 1 fr. 37 cent, par an
pour 1000 francs de capital), les bâtiments de la campagne, estimés de même
I 65,392,500 francs, ne paient que 35,268 francs d*impAt ( 52 cent, par an pour
1000 francs de capital). Moyenne générale de la contribution foncière sur les bâti-
ments, 92 centimes sur 1000 francs.
Tiue mr les fortunes. Cette taxe dilïère de Vincome-ta.r d'Angleterre, en ce qu'elle
ne frappe que les capitaux mobiliers, et non les revenus de Tindustrie. Elle fut éta-
blie en 1816, à raison de demi pour mille de 5 â 50,000 francs, et de un pour mille
sur l'excédant ; elle produisait, de 1841 à 1850, un revenu moyen de 107,551 francs.
Elle fut donbléeen 1851, et est arrivée à produire, en 1854, 238,007 francs; elle
est payée par 1465 contribuables.
Taxes de luxe sur les domestiques (croissant suivant leur nombre): (il y en a
4076, dont 3561 femmes); et sur les voitures (il y en a 799, réparties entre
536 propriétaires).
Droit d'inscription, soit tare sur r industrie. Il y a quatre classes de contribuables,
depuis 50 centimes jusqu'à 12 francs par an. Les plus importantes industries ne
dépassent pas ce dernier chiffre, sauf les auberges, cafés et débits de vin, et le col-
portage. Le nombre des personnes imposées est de 6216.
Taxe fiersonnelle de 3 fr. 25 cent. Elle est imposée à tout chef de ménage ayant do-
mestiques ou un appartement d'un loyer excédant 160 francs à la ville, 95 francs à la
campagne. Il y en a 6957 d'imposés ; or, comme la population du canton se répartit
en 15,275 feux ou familles, il y en a 8318, ou plus de moitié, qui ne paient rien.
Résultats ijénéraux. Si l'on compare ensemble ceux des vingt dernières années, on
trouve que dans la première période décennale, de 1835 â 1844, les dépenses du
canton, tant ordinaires qu'extraordinaires, étaient en moyenne de 1 ,095,030 francs;
elles étaient couvertes par les recettes, qui laissaient même à la fin de cette période
un solde en caisse de 388,133 francs; il n'existait aucune dette publique. Dans la
dernière période décennale, de 1845 à 1854, les dépenses se sont élevées à une
moyenne de 1,472,344 francs (augmentation d'un tiers); les receltes, loin de suivre
cette proportion, ont présenté un déficit moyen annuel de 123,645 francs; le boni
antérieur a été absorbé ; un Grand livre de la dette publique a été ouvert ( loi du
14 août 1848), et 100,000 francs de rente y sont inscrits, sans parler de la dette
flottante par rescript ions, etc.
Instruction publliqle. — Elle est montée sur un pied considérable , car Genève
y a , dès le moment de la Réforme , attaché une grande importance , et Calvin fut
le fondateur de l'Académie en 1559. L'instruction particulière a aussi toujours été
Irès-développée : beaucoup de jeunes gens viennent de très-loin recevoir leur édu-
LA SUISSE PITTORESQUE. Îf63
cation à Genève; celte ville fournit beaucoup d'instituteurs et d'institutrices aux
pays étrangers.
L'instruction primaire est entièrement gratuite ; chaque commune a au moins
une école. Les écoles primaires publiques comptent plus de 5000 élèves des deux
sexes, soit un douzième de la population totale.
L'instruction secondaire est donnée , pour les garçons , dans deux collèges , celui
de Genève (473 élèves), et celui de Carouge (seulement 49), partagés chacun en
deux divisions, l'une classique , l'autre industrielle et commerciale ; pour les filles,
dans une école secondaire (152 élèves).
Au-dessus du Collège classique est un Gymnase, après lequel les élèves passent
dans la faculté des sciences et des lettres de l'Académie. Enfin le haut enseignement
se termine par une faculté de théologie protestante et une faculté de droit. L'Aca-
démie et le Gymnase réunis ont en tout 27 professeurs ordinaires ; ils ont compté
jusqu'à 270 étudiants.
Divers établissements auxiliaires et spéciaux viennent se rattacher à cet ensemble.
Tels sont une Ecole industrielle (dessin, mathématiques, sciences physiques et mé-
caniques), une Ecole de Gymnastique, une Institution de sourds- muets , un Obser-
vatoire, une Bibliothèque, particulièrement riche en ouvrages anciens, et libéra-
lement ouverte à tous les citoyens, pour la lecture et pour le prêt des livres à
domicile.
Institutions scientifiques, etc. — Au 18* siècle, l'esprit genevois s'était dirigé
vers les sciences et les arts, plus que vers les lettres. Mais une étude individuelle et
solitaire ne suffit pas pour les faire fleurir; il leur faut le travail collectif, l'aide et
l'encouragement. L'exiguité du pays ne comportait pas les savantes académies, ni
les établissements libéraux que les grands Etats ont fondés dans ce but. On ne pouvait
rien attendre que de l'initiative et de l'action des particuliers, réunis par l'esprit
d'association. On y fit appel, et ce ne fut pas en vain. Les premiers efforts furent
dirigés vers le côté le plus pratique et le plus généralement utile au pays ; on fonda
en 1776 une Société pour l'avancement des arts: elle avait surtout pour but les
beaux-arts et l'industrie. L'Etat lui confia, comme à la réunion des meilleurs ex-
perts, la direction de l'Ecole gratuite de dessin qu'il avait ouverte quelques années
auparavant. La Société y ajouta un enseignement et des primes pour les sciences
les plus utiles à l'industrie nationale, comme la mécanique, etc.
Un peu plus tard, on vit naître une association exclusivement scientifique. En
1790, une Société de Physique et d'Histoire naturelle vint réunir les amateurs de ces
belles et attrayantes sciences. Rappeler que cette Société, toujours subsistante , a eu
pour membres les Charles Bonnet, les De Saussure, les De Candolle et tant d'autres,
c'est dire qu'elle a compté dans son sein des hommes qui ont été à la tète des
sciences qu'ils ont cultivées. C'est à son initiative que l'on doit la fondation du
Jardin botanique et du Musée d'histoire naturelle.
A la Restauration, la Société des Arts s'augmenta d'une troisième section ou Classe,
celle d'Agriculture : c'était consacrer l'importance que, depuis un certain nombre
d'années, la culture du sol avait conquise dans le pays. Grâce à quelques hommes
éclairés, elle s'était singulièrement développée, elle était devenue un objet d'é-
tudes, de recherches comparées et d'expérimentation. La Classe stimula et "
5r>i |.% SI ISSfC WTTimK-SKE.
IV priigrës |iar des primes anntieiles. par rinspection de I elal des terres, par Fin-
(nidurtion de nouveaux instruments aratoires, des plus belles et meîlleares races
d'animaut domestiques, de cultures nouvelles et de méthodes perfiectioanées, et en
honorant Ta^rriculture. S4»rtie de la pratique routinière, pour devenir la pios utile
di*s scieno's appliquées.
En 1837, une S^M-irté d'Hi^ioht* ei d' An'h^btt^ic réunit les amateurs de ces sciences,
e|»diri<;ea s|)écial(Mnent leurs études vers tout ce qui peut éclairer d*un jour exact et
complet le pas.sé de la vieille République genevcMse.
Ajoutims eni*ore la S«w*»#7#» nMioih, et Vlnstilui geféevoh de.< hcinwes, des leUres, de$
hftinr-ath, J/» /'fin/fM/nV et d** ViviricHUHrf, fondé par la loi du i8 avril 1852. Ces
diverses sociétés publient des Bnlleùn* et des Mémoires,
Etablisschots df. bif.maisav:c. — Ils S4>nt très-multipliés : nous ne pouvons en
dire que quelques mots généraux.
L'ancienne République et S4^ citoyens avaient fondé et doté plusieurs institutions
de charité. La principale, IHôftihil de Génère actuel, établi place du Bourg-de-Four,
dans de vastes lK\timenls bien aérés, décorés d'une belle façade et construits en 4709,
est à la fois un iitK^picr où sont S(»ignés les malades, et une caisse de secours à domi-
cile pour les indi<zents. — (lomme lidpital, il reçoit, chiffre moyen, environ 900
malades |)ar an, et il en a une centaine par jour simultanément : la mortalité n'y
est que de 10 à ii pour cent : la journée de malade y revient à 1 fr. 80 c. par jour.
(>>mme lK)urse de charité, il savourait en 4843 plus de iOOO individus; ses dépenses
étaient de iiO à i40 mille francs, dont les deux tiers pour assistances; il y était
pourvu pour une forte moitié par les revenus de ses fonds ou capitaux accumulés,
pour le reste imr les offrandes annuelles de la charité, et par le produit de quelques
concessions gouvernementales, C4)mme les pompes funèbres, etc. — Il y avait en
outre des Bourses fondées pour les protestants réfugiés, originaires de France, Italie,
Allemagne, etc.
Au commencement de ce siècle, les fonds de ces établissements furent réservés
aux anciens Genevois, et de nouvelles institutions furent créées par la générosité par-
ticulière, même en quelque partie avec les deniers publics, pour subvenir aux
besoins des malades et des |iauvrcs des communes réunies au canton de Genève,
dépourvues d*inslitutions charitables. C'est ainsi que furent établis le Bîtreau de
bienfaisance, la Fondation Tronchin , la Commission de secours pour les commuius
rurales, etc. — Le gouvernement fonda en outre un vaste Hospice pour les aUênes,
qui a acquis un grand développement (400 personnes à la fois), et se soutient par
lui-même.
Mais ce système de charité publique ne suffisait ni à tous les besoins, ni surtout
aux vues de toutes les personnes bienfaisantes. Divers établissements d'un genre
plus particulier et plus intime furent créés, soit pour les malades qui n'avaient pas
besoin d'aller à Thôpital {Dispensaires), soit pour les vieillards, les convalescents, etc.,
soit en vue de la jeunesse abandonnée ou exposée à de fâcheuses influences, comme
les Orphelims, V Asile de l enfance, les Ecoles rurales, la Société de secours pour appren-
tissages, etc. Tous ces établissements ont été exclusivement dotés et soutenus par des
souscriptions, dons et legs particuliers.
On a calculé en 1844 que Tensemble de ces divers secours, non compris ceux des
LA suisse PITTORESQUE. S6K
bourses ecclésiastiques des deux cx)[nmunions et des institutions privées qui ne fai-
saient pas appel à la publicité pour se procurer des ressources, montait à plus de
400,000 francs par an, et s'appliquait à plus de 4000 personnes malades, infirmes,
vieillards ou simples indigents.
Les derniers événements politiques ont profondément modifié cet état de choses :
on a décrété un Hospice des Orphelim, un Asile des Vieillards, un Hôpital cantonal ;
ces vastes constructions sont achevées ; la première seule est en activité ; il faut
attendre les résultats de Texpérience pour apprécier la portée de ces changements.
Prisons. — Genève en a deux, qui méritent d'être étudiées au milieu des établis-
sements de ce genre.
Une Maison de détention, construite sur l'emplacement de l'ancien Evéché, d'après
le sysième exclusivement cellulaire. Elle contient les prévenus, les hommes con-
damnés à un emprisonnement- inférieur à un an, les femmes et les enfants, quelle
que soit la durée de leur peine; elle compte ordinairement 100 détenus.
Une Prison pénitentiaire, construite en 1822 d'après le système dit d'Auburn, soit
la cellule la nuit, et le travail en commun ou atelier le jour. Elle ne renferme que
les hommes condamnés à une détention d'un an ou plus, et en contient 60 en
moyenne. Ils sont répartis en quatre quartiers, soumis à des travaux obligatoires et
h des disciplines différentes, suivant leur degré de sévérité.
Industrie. — La principale et la plus riche industrie de Genève, celle qui jouit
de plus de réputation et qui a les plus vastes débouchés, est sa fabrique d'horlogerie
et de bijouterie. Comme elle ne met point le public dans la confidence de la quantité
et de la valeur de ses produits, nous sommes à cet égard dans l'ignorance. Mais le
recensement de population fait en 1843 avec distinction de professions, nous donnera
au moins une idée du nombre de bras que cette industrie occupe, et qu'elle rétribue
d'une manière rémunératrice. On comptait alors dans le canton 3335 hommes et 778
femmes employés activement dans Isifabrique; en outre, 1026 femmes et 21 02 enfants
vivaient du produit de ce même travail : total 7238 personnes relevant de cette
industrie, soit une sur huit et demie de la population totale.
Quant au commerce de Genève, c'est surtout celui de consommation d'une ville
qui est le centre de la vallée du Léman, et qui est traversée chaque année par un
très-grand nombre de voyageurs et d'étrangers.
Institutions de crédit. — Il y en a plusieurs, que nous allons mentionner dans
l'ordre de leur création.
Banque du Commerce, fondée en 1845 : pour faire face à l'extension de ses affaires,
elle a en 1855 doublé son capital primitif, et l'a porté à 3 millions.
Banque de Genève, d'escompte, dépôt et circulation, créée en 1848; capital,
1 ,500,000, fr. pris sur les fonds appartenant aux anciens Genevois; plus 160,000 fr.
fournis par des actionnaires.
Caisse Hypothécaire, dotée, à la même date, du surplus des capitaux des anciens
Genevois (fonds capital, 2,130,000 fr.), destinée à prêter sur hypothèque de biens
immeubles situés dans le canton, et & émettre des cédules transmissibles, correspon-
dant aux titres hypothécaires créés en sa faveur ; le produit de leur négociation est
destiné à faire de nouveaux prêts hypothécaires; l'émission de ces cédules s'élève à
1,513,500 fr.
566 LA StISSE PITTOKKSQte.
Banque yètiérale misse de crédit fmcier et mobilier, fondée en 48S3, au capital de
5 millions, réalisé pour un peu moins des deux cinquièmes.
CnmpUfir d'Escompte, fondé en 4855, au capital de 1,500,000 fr.
Caisse d'EiKirgne, fondée en 4846; elle a été toujours en progrès dès-lors, el
compte plus de sept mille déposants par an. A la fin de 1854, elle devait à lO^SOi
déposants une somme totale de h,iZ9,hi{ francs (avoir moyen de chacun, hM fr.V.
elle leur bonifie un intérêt de 3 * , pour cent.
AssiRANCK CONTRE L*iNCENDiB. — Gcnève a, dcpuis 1821, une assurance mutuelle
obligatoire entre tous les propriétaires de bâtiments, de ville et de campagne, d'ha-
bitation ou de simple dépendance.
Les b&timents de la ville de Genève sont assurés pour fr. 54,572,500
Ceux des autres communes » 65,392,500
Total.* . . fr. 119,965,000
Et le mouvement des constructions nouvelles ou d^amélioration des anciennes a
été si prononcé, que la valeur estimative des bâtiments, qui n'était en 1824 que
de 56,030,900 fr., a plus que doublé en 33 ans. Cette somme, divisée entre les
64,146 habitants du canton, fait que Thabitation de chacun d'eux ressort à un ca-
pital moyen de 1870 fr. Le montant des sinistres, également réparti entre tous
sur la base unique de la valeur, et sans distinction des catégories de risques, est,
en moyenne annuelle, de 43 centimes par 1000 francs.
Chemins de fer et voies de comminication. — Genève doit en 1857 communiquer
avec Lyon par un chemin de fer établi sur la rive droite du Rhône, et dont la cons-
truction est déjà très-avancée. Elle doit aussi être reliée avec Berne et le nord de la
Suisse par une voie ferrée : cet objet est à l'heure qu'il est soumis aux délibérations
des Conseils de la Confédération.
Quant aux bateaux à vapeur, ils sillonnent notre lac depuis 1823, et mettent
Genève en rapports journaliers, faciles, prompts et économiques, avec toutes les
villes du littoral.
Nous aurions encore beaucoup â dire pour passer en revue, même sommairement,
une foule de points essentiels concernant le canton de Genève ; mais l'espace nous
manque, et il faut savoir s'arrêter.
Edoiard Mallet.
THE NEW yovx I
COîyTRÉES VOISINES DE LA SUISSE.
-«=sx^rf^>^=»
De quelque côté qu'il arrive , Télranger ne peut s'approcher de la Suisse qu'en
traversant des régions intéressantes.. Le but de cet ouvrage n*est point de faire une
description détaillée de ces contrées qui entourent la Suisse ; jetons y cependant un
rapide coup-d'œil.
4 . Jura français. — Une grande partie de la région jurassique appartient à la
France (voyez page 71 ). Si la nature revêt en général dans le Jura un caractère
plus âpre et plus sévère qu'au milieu des Alpes, si l'on n'y trouve pas des sites aussi
grandioses, des paysages aussi pittoresques et aussi variés, on y rencontre toutefois
non-seulement des plateaux arides et monotones, et de sauvages déserts de rochers,
mais de frais vallons, de beaux pâturages, de grandes forêts, des sources limpides,
jaillissant à grands flots, des chutes d'eau remarquables. — C'est dans Tarrondisse-
raent de Gex, voisin de Genève, que s'élèvent les plus hautes sommités du Jura, le
Reculet, le Grand-Colombier, leCrédoz, etc., d'où l'on embrasse un horizon magni-
fique. On y découvre moins distinctement les Alpes centrales de la Suisse, que du
sommet de la Dôle ou des autres cimes du Jura situées plus au nord, mais en revan-
che on y aperçoit un grand nombre de sommités neigeuses dans la direction de Gre-
noble. Non loin de la frontière vaudoise, l'abondante source de la Divonne est utilisée
pour un vaste établissement hydrothérapique. Près de Gex, la source de la London
jaillit au fond d'un vallon paisible et romantique. Au point où se termine la pre-
mière chaîne du Jura est situé le défilé du Fort-de l'Ecluse, qui est gardé par la for-
teresse de ce nom. Le chemin de fer de Genève à Lyon passera au-dessous de celle-
ci ; c'est un peu au-delà du fort que s'ouvrira le tunnel qui débouchera au-dessus de
Bellegarde. Ce tunnel, qui ne doit être achevé qu'en 1857, aura une longueur de
plus de 3900 mètres, ou 11,800 pieds (plus de trois quarts de lieue). Près de Belle-
garde, le Rhône s'engouffre avec fracas entre des parois de rocher très-rapprochées;
pendant les basses eaux, il est en partie caché par des rochers surplombants: c'est ce
qu'on appelle la Perte du Rhône. Un pont d'une seule travée est jeté d'un bord à
l'autre. Une demi-lieue plus haut est le pont de Grésin, appuyé sur un rocher qui
occupe le milieu du fleuve. Une demi-lieue au-dessous de la Perte, près du village
d'Arlod, le fleuve est encore tellement resserré qu'on le passe sur un pont formé
simplement de deux pièces de bois. Entre ce pont et la Perte, au confluent du Rhône
et de la Valserine, torrent qui est aussi profondément encaissé, on voit des moulins
dans un site extrêmement sauvage et pittoresque.
^<'>8 LA SUSSE flTTOReàiflE.
1^ eonirrr comprise entre le Rhdne et le cours de l'Ain portait autrefois le nom
de Btttjnj : elle a lon«;tem|»s appartenu, ainsi que le pays de Gex, ausL ducs de Savoie.
Les buts d'excursion U»s plus intéressants sont les environs de Bellev (petite ville
tju'on sup|N)se avoir existé antérieurement à lepoque de César, et qui devint épb
co|iale en 414); le défilé de Pierre-Châtel, entre Bellev et Yenne, défendu par une
forteresse du côté de France; les environs de Saint-Rambert ; le vallon de rAIltariiie.
où ve torrent fait la cascade de Charabotte : le val Romay, avec la belle cascade de
t>»rveirieux ; le joli vallon où se trouvent les ruines de la Chartreuse de Meyriat, au
sud de Nanlua ; la vallée et le lac de Nantua, etc. Le Bugey fournit un cbamp d'c
tude à rarchéohigue. Ainsi, près de Bellev, et dans le val Romay, Ton a trouvé des
inscriptions, des monnaii's, des statues et des restes de murailles d*origine romaine:
près d'Ambérieux, on a reconnu des traces de campements. Mais le village d'Isernoie,
à deux lieues de Nantua, mérite surtout d'attirer l'attention : on y voit encore le>
fondements d*un temple, dont il reste debout trois colonnes-pilastres angulaires,
hautes de 18 à 40 pieds; on y reconnaît au centre la base du sanctuaire. Ce temple,
qui avait une longueur de 68 pieds sur 58, a dû être consacre, selon les uns, à M^n^
ou à Mercure, selon d*autres, à une déesse. Les fouilles opérées dans le voisinage ont
fait découvrir en outre des salles de bains, des aqueducs, des mosaïques, etc. Isemore
a été ville épisc*opale sous les rois bourguignons. On dérive son nom de Isaruj demh
dieu des anciens Goths, ou de henwdurum, soit Imrndore, qui signifie porte de fer
( Eiserne Thor) dans Tidiôme germanique. — On trouve également sur divers poinb
du Bugey des antiquités celtiques, telles que des poy/^i, ou petits tertres, qu'on
regarde comme des tombeaux, et des piei res levées ou planlées, c'est-à-dire des pierres
de forme allongée, enfoncées en terre par une de leurs extrémités, et qu'on suppose
être des monuments druidiques. La partie méridionale du Bugey a beaucoup de vigno-
bles dans les expositions favorables. La plus haute sommité du pays est celle du Co-
lombier, qui domine Seyssel.
Les hauteurs du Jura couvrent aussi une grande partie des départements du Jura
et du Doubs ; près de Lons-le-Saulnier et de Besançon elles ne sont plus que des
collines. On exploite dans cette contrée des mines de fer et plusieurs salines. VAin i
sa source dans le département du Jura ; il fait un grand nombre de chutes pittores-
ques dans la partie supérieure de son cours. Les sources de la Seille, au nord de Lons-
le-Saunier, et celles du Listtn, près de Salins, méritent aussi d'être visitées. En divers
lieux, par un caprice de la nature, les rochers ont pris des formes très-bizarres; tek
sont les rochers de Syrotl, non loin de la source de l'Ain, et les foriificûlmis naturelles,
entre Clairvaux et Saint-Laurent. A Loysia, près Saint-Amour, s'ouvrent de vastes
grottes remplies de stalactites. Le déparlement du Doubs cite comme curiosités na-
turelles, une source intéressante, dite Fontaine ronde, à trois lieues au sud de Pon-
tarlier ; les sources de la Lone, dans un vallon de rochei^, à trois lieues au nord de la
même ville; les grottes dOsselles ou de Quingey, au sud de Besançon; on y voit des
stalactites des formes les plus singulières et les plus variées, représentant des chapi-
teaux, des colonnes, des statues, des autels, des tombeaux, des orgues, etc. Le dépar-
tement possède plusieurs glacières naturelles, à Chaux-les-Passavants, à Pierre-
Fontaine, etc. Enfin, la belle cascade qu'on appelle le Saut du Doubs, appartient
à la France en même temps qu'à Neucliàtel.
LA StISSK nTTUKIiSQlK. 569
2. Alsace, Vosges. — L'Alsace a depuis quinze ans des communications fréquentes
(*t rapides avec la Suisse, par le moyen de la voie ferrée de Strasbourg à Bàle, la
première qui ail abouti au territoire suisse. La distance entre ces deux villes est
franchie en quatre ou cinq heures. L'Alsace a de vastes et fertiles plaines, limitées d'un
côté par le Rhin, de l'autre par la chaîne des Vosges, dont quelques cimes dépassent
4000 pieds. Ces montagnes sont riches en mines; on y exploite de l'argent, du
plomb, du fer, de l'asphalte, etc., et elles ne sont pas dénuées de beautés pittores-
ques. On y trouve, à quelques lieues à l'ouest de Strasbourg, les cascades de Nydeck,
(le Sulzbach et de Kappelbrunn. Strasbourg est une place de guerre très-forte. La
tour de sa cathédrale, haute de 490 pieds, est l'édifice le plus élevé de l'Europe ;
commencée en 4276, cette tour ne fut achevée qu'en 1439. Sur des places publi-
(|ues sont érigées la statue du général Kléber et celle de Gutenberg, inventeur de
rimprimerie, et dans une île du Rhin le monument du général Desaix, mort à Ma-
rengo. A quelques lieues de Bàle est Mulhouse, ancienne ville libre, alliée des
Suisses, et qui fleurit par son industrie; elle possède plusieurs fabriques de draps
d'indiennes, de rubans, etc.
3. FoRÊT-NoiRE. — La partie méridionale du Grand-duché de Bade est traversée
par une chaîne de montagnes, en partie granitique, qui porte le nom de Forét-Noire,
et au milieu de laquelle le Danube prend ses sources, près de Donaueschingen ; la prin-
ei|)ale jaillit dans le jardin du prince de Fûrstenberg. Le point culminant de la
chaîne est le Feldbenj, haut de 4600 pieds, d'où l'on découvre un immense pano-
rama, que limitent au loin les sommets des Vosges, du Jura et des Alpes. Du côté
(lu sud-ouest, s'élèvent le Bôlchm, 4370 pieds, et le Blatieii, 3586 pieds. Vers le
nord-ouest s'étend le HôllentkU, ou vallée de l'Enfer, dont la partie supérieure a un
(^ractère sauvage et grandiose; le point le plus remarquable s'appelle Hirschempriuigj
saut du cerf. C'est par cette vallée que Moreau opéra sa retraite, en 1796. Elle dé-
bouche près de Fribonrg en Brisgau, ville situ(3e dans une contrée riante, à douze
lieues de Bàle. La cathédrale de Fribourg est une des églises gothiques les plus belles
de l'Allemagne; elle est admirée tant pour l'harmonie de ses proportions que pour le
bon goût qui règne dans son ornementation. Elle fut commencée en 1152; mais la
lour, qui est élevée de 385 pieds, ne le fut qu'en 1236. L'Université de Fribourg
est renommée pour sa faculté de théologie catholique. Une lieue au nord de la ville
sont situées les ruines du château des comtes de Zâhringen, desquels descend la
famille des grands-ducs de Bade. A quelques lieues vers le sud, au pied du Blauen,
se trouve Badenweiler, qui possède des eaux thermales, et où Ton voit des restes
(le bains romains (Voy. p. 299). Les ruines de son château, ainsi que celui de
Bûrglen, commandent une belle vue sur le Rhin et les Vosges. Du sommet du
Blanen, la vue s'étend aussi jusqu'aux Alpes et au Jura.
4. Rives septentrionales du l.\c de Constance. — Entre le canton de Schafl' bouse
et le lac de Constance s'élèvent plusieurs collines de forme conique, qu'on regarde
comme un groupe de petits volcans éteints, et sur lesquelles on trouve maintenant
des ruines de châteaux : tels sont ceux de UohenstolTeln, de Hohenkrfiehen et de
HohenlwieL Ce dernier, qui était très-fort, fut pris et détruit par les Français en
11 33 72
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t>*«ràirif 'J** H<fri;;liriU r^^fnl^dU : Ma^^-^ria el }l*'bhj€ \ fureiît rr(».iiis6eî> fiitr iftï« All"
i Ui^-mt-ii IIU'J 4^ 1>^H), A l>a *f FeWLirc'L sVmvre la Ta..^ -t I L. ç-^ i* ic
lonj^e au Mid i-^t^ wiij% br norn d^r >al Monlafoun, en s'apfinclkaiit ia RbrCik-c L*
MtlU'i' Lfié-t'àU: tUt K\*^U'r al»u(it au pd'.^a;:^ d<.' rAriberg fm A%^- ^^ : . id.<ïIjct>: >
ïnv^U'f. l'fUHK 1^ Urile rou(#f qui le franchit Ci»Dduit daoi> le T}a4 fofv^rarr-.
dit, l't d^;U/u''lK' («ar le romantique val Kosanna à Laodeck. sur les k<^ et l lis,
Ih'AiX iintfnhs vMi^-s t\roliennr-s confinent a%'ec les Grisons: crfle de linu -;
i*tl\i* Ait rAdi;;<^ XjA première n*e>t que le prolongemenl de b vallée griâMMie ôc
I Kfif^dinc. \à% \nnu\s Urs plus intéressants sr^nt : la gorge grandiose de /1rii««rr»«ii^j.
d |M'U de distance de la frontière; elle est défendue par un retrancfaeiBent ; plvs knr:.
la raM*ade du Letzliach ; les ruines de la forteresse de Kronberg, etc. A plus d*?
vin^ lieucK de la Suîsm; est situé Innshnuk, que domine le S^tUirim, haut do
94 00 pie^is. On visite surtout dans cette ville le pompeux sarcophage de Ma^imi-
lien r% et le monument élevé à André Hofer, paysan qui s'illustra dans h glorieuse
lutte c^intre les Français. — La vallée de TAdige commence non loin de Finst^mûnz.
dont elle n'est M'^paréc que par un col très-bas. De Glourns elle se dirige à Test,
sous le nom de Vintschgau, vers Meran et Botzen. Elle est rendue pittoresque par
les ruim*s d'un grand nombre de manoirs féodaux; d'autres châteaux sont plus ou
moins bien conscMvés ; tel est C4*lui de Tjrol, qui a donné son nom au pays, et qui
LA SriSSK PinORKSOlK. 57i
fut la première résidence de ses princes. Il commande une vue admirable, qui
s'étend jusqu'aux glaciers de l'Ortelerspilz. C'est dans une vallée voisine de Meran,
celle de Pamir, qu'est le lieu de naissance d'André Hofer. Le Tyrol est, comme la
Suisse, riche en glaciers et en cascades ; mais la nature ne lui a pas prodigué les
lacs. Sauf quelques petits lacs de montagne, il ne peut guère citer que YAchemee,
long de trois lieues, et qui occupe un frais et mélancolique vallon, à quelques lieues
d'Innsbruck, au nord de l'Inn. Le Tyrol est la province autrichienne qui possède le
plus de privilèges ; c'est la seule où la classe des paysans soit représentée dans les
Etats. La franchise, la loyauté, l'attachement à leur souverain, et l'amour de leur
pays, sont quelques-uns des principaux traits du caractère des Tyroliens. Ils ont
combattu avec acharnement contre l'agression française.
6. Valteline. — Nous avons nommé plusieurs fois la Valteline dans le résumé
de l'histoire des Grisons. Après avoir longtemps gémi sous le joug des Ligues grises,
la Valteline fut annexée, en 1797, à la République cisalpine; plus tard, elle passa
sous la domination de l'Autriche, qui en avait dès longtemps convoité la possession.
Le voyageur qui vient de parcourir la Suisse ou le Tyrol, éprouve une impression
pénible en traversant la Valteline. Sa population a l'air triste et sombre; elle est
pauvre, ignorante, et peu civilisée; beaucoup de villages ont un aspect misérable.
La Valteline est une vallée longue de 20 lieues, qui s'étend des sources de TAdda
au lac de Côme. La partie supérieure s'appelle pays ou comté de Bormio (ou
Worms). Cette région est très-élevée et environnée de montagnes de 1 0 à 12, 000 pieds.
Bormio est à 3864 pieds; plusieurs vallons latéraux aboutissent à des glaciers; tel
est celui qui porte le nom de Bout du Monde, et qui s'approche de la base de l'Or-
teler. Bormio communique avec les Grisons par plusieurs sentiers de mulets, et
avec le Tyrol par la belle route du Siekio (Stilfsjoch) ( voy. page 403). Cette route,
qui s'élève à 8600 pieds, est la plus haute de l'Europe ; c'est la voie militaire la
plus directe entre Milan et Vienne par le Finstermûnz etinnsbruck. Elle passe près
d'une grande cascade qu'on appelle Fonte d'Adda, source de l'Adda, et qui s'élance
d'un trou percé au milieu d'une paroi dérocher. C'est quand on a franchi le défilé de la
Serra, au sud de Bormio, qu'on arrive sous un ciel italien et dans une région d'une ex-
trême fertilité, qui produit une riche récolte de maïs et une grande quantité de vins.
Il y croît aussi des forêts de châtaigniers, des figuiers, des grenadiers, des oliviers, etc.
A Tirano s'ouvre la vallée grisonne de Poschiavo, qui conduit au col du Bernina.
Sondrio, chef-lieu de la vallée, est au débouché du val Malengo, dont les deux bifur-
cations aboutissent aux vastes glaciers de la chaîne du Bernina. Les habitants de cette
vallée se distinguent avantageusement de leurs voisins par leur industrie et leur acti-
vité. Enfin, à deux lieues de Morbegno, le plus beau bourg du pays, on arrive au lac
de Cdme. Morbegno est dominé par le Monte-Lignone, qui élève sa tête jusqu'à
8040 pieds, et d'où l'on embrasse un panorama majestueux. — Quant à Chiavenm,
situé au nord de ce lac, nous en avons dit quelques mots à l'occasion du SplOgen. Son
sort a été le même que celui de la Valteline.
7 . Lac de Côme . — Ce lac, le kciis Larim des anciens, est élevé de 650 pieds, et long
de 43 à 14 lieues. Vers le milieu de sa longueur, il se divise en deux bras, à l'extré-
57i L4 Sl'ISSF. wrmREsoïK.
mité desquels sont les villes de Côme el de Leoco. Il est formé par TAdda, qui ea re^-
M>rt par le golfe de Leoco. La route qui conduit en Valteline et au col du Steivio, soil
la vAie orientale: elle passe au sud de Varenna, sous plusieurs lielles galeries. Le
lac de CAme est renommé le plus beau de tous les lacs italiens. Il est dominé par
dos montagnes dont la hauteur varie de 3 à 8000 pieds. Ses rives sont couvertes
de la plus riche végétation, et parsemées de bourgs, de villages, de maisons de cam-
pagne, qu'entourent de magnifiques jardins. Plus haut on voit s*étager d'abord des
groupes de châtaigniers, puis des forêts de pins. On voit aussi sur ses bords les
ruines pittoresques de divers châteaux, celles de la forteresse de Fuentès, celles de^
châteaux de Musso, de Rezzonico, etc. ; ce dernier, situé en face de Bellano, avait
été construit par le aMèbre général Trivulzio. Au milieu des massifs de verdure
brillent h*s blanches nappes de plusieurs cascades; telles sont : près Bellano, VOrrîdt*
di BelUîHo, haute de 200 pieds: près Varenna, le Fimoi^ di latte, ou fieure de lail:
cette chute est haute de 900 pieds, et très-belle au printemps; celles de Cologna.
de Moltrasio, de Nesso, etc. Quant aux villas qui décorent les bords enchantés de
ce lac, les plus remarquables sont : la rilla Serbelloni, vers la pointe du promontoire
qui sépare les deux golfes: ses terrasses présentent une végétation toute méridionale,
et la vue y est ravissante ; du point le plus élevé Ton embrasse du regard les trois
bras du lac ; dans le voisinage, la rilUi Melzi, où Ton voit un monument élevé à
Dante, et un autre â Scipion : sur la rive opposée ( celle d'ouest), la rilla Sommarim,
parfumée de myrtes et de citronniers, et qui appartient à une princesse de Prusse :
on peut y visiter des appartements qui contiennent une collection précieuse d'objets
d*art, en particulier une série de bas-reliefs, représentant Ventrée triomfdiale
d'Alexandre à Babylone, par Thorwaldsen; la villa Pliniana, qui appartient à b
princesse Belgiojoso: elle tire son nom d'une source intermittente décrite par Pline
le jeune ; la rilla d'Esté, qui fut longtemps la résidence de la reine d'Angleterre,
femme de Georges IV, etc. — Cdme est une ville de 20,000 âmes, qui possède un
ddme remarquable; elle n'est qu'à 40 lieues de Milan, où un chemin de fer conduit
en une heure et demie.
8. Lac Majeur, lacs de Varèse et d'Orta. — Les rives du lac Majeur offrent de
"grandes beautés, quoiqu'on les regarde comme inférieures sous ce rapport à celles
du lac de Gôme: cepi^ndant, les environs des iles Borromées rivalisent avec ce der-
nier pour la magnificence des points de vue. Ces iles sont situées dans le golfe de
Baveno : ce sont : V Isola Bella, V Isola Madré, V Isola San-Giovanni ou Isolitèo, qui
toutes trois appartiennent à la famille Borromée : la quatrième, V Isola d^ Pescatori,
appartient aux chanoines de Pallanza, petite ville sarde située sur la côte voisine.
C'est en 1670, que l'Isola Bella, qui n'était qu'un rocher stérile, a été converti en
riches jardins, s'élevant de terrasses en terrasses jusqu'à cent pieds au-dessus du
lac. Ces jardins offrent une vue magnifique et une admirable végétation méridio-
nale : l'oranger, le laurier, le myrte, l'aîoës, le camphrier, et même le palmier y
prospèrent en pleine terre. On y voit des jets d'eau, des grottes, des obélisques, des
statues, des mosaïques. Le château est somptueusement décoré. Une partie de l'Isola
Madré est aussi embellie par une luxuriante végétation, mais l'art y a prodigué
moins de luxe. — Du cùlé du nord-ouest, on voit se refléter dans les eaux quelques
LA SUISSG P1TTORES01T-. K73
cimes blanches: ce sont celles du Siinplon; c'est seulement de la partie méridionale
du lac qu'on aperçoit au loin, par-dessus des croupes verdoyantes, les majestueuses
crêtes glacées du Mont-Rose. Ârona, près de l'extrémité méridionale du lac, fut le
lieu de naissance du cardinal Charles Borromée (4K38). Sa famille et les habitants
de la ville lui ont érigé une statue sur une colline. Cette statue colossale, haute
de 66 pieds, repose sur un socle de 40 pieds; une sorte d'escalier intérieur con-
duit jusqu'à la tête, qui peut contenir sept personnes. — Entre le lac Majeur et
celui de Lugano se trouve le lac de Varèse, au milieu d'une contrée délicieuse; A
deux lieues au nord est la Madanna del Monte, qui attire une foule de pèlerins. À
l'ouest du lac Majeur, le lac A'Orta, élevé de 1440 pieds, offre aussi des paysages
charmants. Un petit bourg est pittoresquement bâti sur l'ilot de San-Giulio.
9. DoMo d'Ossola et Val Formazza. — Des bords du lac Majeur on se rend au
Simplon en remontant la belle et large vallée qu'arrose la Tosa ou Toccia. Les mon-
tagnes y deviennent plus grandioses à mesure qu'on avance vers Domo d'Ossola,
Jolie petite ville, dont le caractère est tout italien. C'est une lieue plus au nord
qu'on passe le beau pont de Crevola, jeté sur la Doveria qui descend du Simplon, et
d'où l'on a sur le val d'Ossola un point de vue remarquable. Cette perspective
surprend agréablement le voyageur qui se dirige vers l'Italie. Au-delà du pont,
la route du Simplon s'engage dans de longs et sauvages défilés, bordés de grands
précipices ; elle y passe sous deux galeries avant d'atteindre la frontière, au-delà
du village d'Isella. — Au-dessus de Crevola la vallée de la Toccia porte le nom de
val Antigorio, et plus haut celui de val Formazza. La culture des vignes, des figuiers
et des châtaigniers s'étend dans ce dernier jusqu'au majestueux défilé de Foppiano,
au-delà duquel on trouve les villages de Foppiano ( en allemand Unterstalden ), d'An
der Matt, de Wald ( ou Pommât, ou Formazza ), et de FruttwaI, qui tous parlent alle-
mand. C'est un peu au-dessus de FruttwaI que la Toccia fait une magnifique cataracte,
large de 80 pieds et haute de 400, mais qui s'étend sur une pente inclinée longue d'un
millier de pieds. Les eaux se précipitent de chute en chute, et forment des nappes
variées, en bouillonnant avec fracas au milieu des blocs de rochers. Aucune cascade
suisse n'offre une pareille masse d'eau, à l'exception de celle du Rhin, près Schaff-
liouse, dont l'élévation est beaucoup moindre. Plus haut on arrive successivement sur
plusieurs plateaux, qu'animent quelques chalets. Un sentier escarpé conduit en Val-
lais par le glacier de Gries, sur lequel on doit marcher durant 20 minutes; l'élévation
du passage est de 7340 pieds ; un autre sentier conduit dans le val tessinois de Bedretto.
40. Vallées piémontaises voisines du Mont-Rose. — Plusieurs vallées se dirigent sur
le revers méridional des grandioses sommités du Mont-Rose. Elles sont séparées par
des chaînes élevées, qui se détachent, à peu près comme des rayons, de la chaîne cen-
trale, au sud du vaste cirque qui termine la vallée suisse dé Zermatt. Ces vallées sont,
de l'est à l'ouest : le val Anzasca, qui s'ouvre en face de Vogogna sur la Toccia, et
aboutit à Macugnaga. A gauche de ce village s'élève le Pizzo Bianco et le Mont-Rose
lui-même, en face, la Cima di Jazzi, facile à atteindre du côté du Vallais; à droite,
le Monle-Moro, par lequel un passage difficile (8386), et recouvert d'un glacier,
londuit dans la vallée de Saas. Le val Anzasca est remarquable par sa fertilité et par
574 LA SUSSE PITTORESQrE.
la beauté de ses femmes. — Le val Sesia, qui débouche au sud de VaraUo, petite ville
qui possède sur une colline pittoresque, le Sacro Monte, un lieu célèbre de pèlerinage;
celle vallée aboutit presque au sud du Mont-Rose. — Le val Lésa ( ou Lysthal ), qui
se termine au pied du Lyskamm (crête de Lys), d*où descend le vaste glacier de
Lys. — Le val ChnlUml, qui se dirige vers le Breithorn, le Petit Mont-Cervin cl
les grands glaciers d*Ayas et d'Aventine. — Enfin, le val Tounianches dont les plus
hauts chalets (sur le plan du Breuil à 6188 pieds) sont dominés par la pyramide
hardie du Mont-Cervin ou Matterhorn et les larges glaciers qui descendent de la crête
du col de Saint-Théodule. (On se rend de Tournanche à Zermatt en dix heures de
marche, dont quatre environ sur la neige et la glace). Ces trois dernières vallées
débouchent dans le val d*Aosle. On parle italien dans les vais Anzasca et Sesia, et
français dans les trois autres ; mais la partie supérieure de toutes ces vallées ( sauf
le val Tournanche), est habitée par des colonies allemandes, qui ont conservé leur
ancien langage et se distinguent aussi par leur honnêteté. Ces vallées sont remplies
de sites grandioses et de sublimes horreurs. Si Ton veut les visiter successivement,
on peut imsser de Tune à l'autre par des cols très-élevés, voisins de la chaîne cen-
trale, et dont quelques-uns sont très-difficiles; mais l'on peut se rendre, sans de
grandes difficultés, de Macugnaga à Chàtillon, au débouché du val Tournanche, en
franchissant le col Tkirlo, qui conduit dans le val Sesia ( 7890) , le col Dobbia, entre
ce dernier et le val Lésa ; puis le col de Ramola, entre le val Lésa et le val Chai-
lant; enfin le col de Joti, qui conduit à Chàtillon. Du sommet verdoyant de ce der-
nier col, on aperçoit au loin, au fond du val d'Aoste, les belles sommités du Mont-
Blanc. Le premier de ces passages est le seul qui soit pénible.
1 1 . Val d'Aoste et Cobmayeub. — Le val d'Aoste est une longue et belle vallée,
arrosée par la Doire, dont les sources jaillissent des glaciers du Mont-Blanc, et qui
sort des Alpes près d'ivrée pour aller réunir ses eaux à celles du Pô. La ville d'/rrA»
occupe une position remarquable ; dominée d'un côté par les dernières sommités
alpines, elle voit de l'autre s'étendre d'immenses plaines. Elle est à 2S lieues du lac
Majeur et à 20 lieues de Varallo, dans le val Sesia, et l'on peut se rendre dans cette
direction en suivant le pied des Alpes, et passant par les villes de Biella et Gatinara.
Si d'ivrée on remonte la Doire, on rencontre le fameux fort du Bard, bâti sur un
rocher isolé, et qui était réputé imprenable, mais dont Na|)oléon s'empara ; puis le pitto-
resque château de Verrex, au débouché du valChallant ; plus loin, l'étroit défilé du mont
Jovet, où la rivière a peine à se frayer une issue, et où la route est taillée dans le
roc, et franchit même une galerie (travail attribué à Annibal, et qui porte son nom).
Près de Chàtillon, qui possède un château royal, la vallée prend la direction de Test
à l'ouest. En approchant d'Aoste, on passe au-dessous de trois anciennes forteresses
féodales, celles de Fénis, Nuz et Quart, dont les tours imposantes sont assez bien
conservées. Aoste est une jolie ville de 6 à 7000 habitants, dominée du côté du
sud par le Bec de 44 heures, et par le mont Emilius, sommités de 9 à H ,000 pieds.
Elle s'appelait jadis Atigmia Prœloria, et fut fondée sur l'emplacement d'un ancien
camp romain. On y reconnaît les restes des murailles romaines, formant un paral-
lélogramme régulier; à l'un des angles s'élève encore une tour appelée Tour Cor-
nière, et qui sert de prison. Entre la ville et le faubourg, situé à l'est, il existe une
LA SUISSE PITTORESQUE.
575
-àvi :";T^'r^'^>x-^- » -t^^i/:;
Roches cl Porte d'Annibal.
porte romaine, qui a dû êlre la Porte Prétorienne, et qu'on appelle maintenant Porte
de la Trinité; elle offre trois arcades, dont la plus élevée est celle du centre. Au
bout du faubourg, on voit le bel arc de triomphe érigé en l'honneur d'Auguste, pour
perpétuer le souvenir de ses victoires sur les Salasses, habitants du val d'Aoste ; il est
orné de dix colonnes corinthiennes et très-bien conservé. Les autres souvenirs de
l'antiquité sont les ruines d'un pont, les restes d'un cirque, ceux d'un amphithéâtre
ou basilique, des souterrains, des inscriptions, etc. Une tour ronde, datant du
moyen-âge, s'appelle aujourd'hui la Tour des Lépreux; elle est connue par la char-
mante nouvelle de X. de Maistre. La place Charles-Albert est décorée d'un bel Hôtel-
de-ville moderne. Le chemin qui descend du grand Saint-Bernard débouche au nord
d'Aoste; on jouit vers le bas de la descente d'une très-belle vue sur la cité et sur
ses fertiles et riants alentours.
A l'ouest d'Aoste, la roule passe sous des pentes couvertes de vignes en terrasse,
et les paysages sont embellis par un grand nombre de châteaux. A huit lieues de la
cité, on arrive aux bains et au village de Pré Saint-Didier, situés au pied du col du
Petit Saint-Bernard, qui conduit en Tarentaise*. Non loin de là est Cormayeur,
1. D'après les recherches savantes et consciencieuses du général Melville, et surtout de
M. André De Luc, il paraît que c'est par le Petit Saint-Bernard qu'Annibal a franchi la chaîne
centrale des Alpes, après être entré en Savoie par le Mont du Chat, qui domine le lac du Bourget.
Un opuscule récent de M. Jacques Replat, jurisconsulte d'Annecy, prétend faire passer Annibal
par la vallée de Beaufort, et par les cols du Bonhomme et de la Seigne ; mais les difficultés que
devait présenter cette route, surtout à la fin d'octobre, époque du passage des Carthaginois,
rendent extrêmement peu vraisemblable cet ilinéraire, qui, sur la carte, paraît en effet le plus
direct. L'opinion de M. Replat se fonde principalement sur des passages de Polybe, ou tronqués
ou cités d'après une traduction défectueuse. La voie du Petit Saint-Bernard, que les Romains
rendirent praticable aux voitures, et qui pourrait aujourd'hui le redevenir à peu de frais, devait
nécessairement être connue du prince des Insubres et des guides qui étaient allés à la rencontre
57ri
t% MtssK rrrriniRHii K.
renommi^ pKir î<»s fau% roioérales. [>e Pré Saint-Didier et de Connayeur, le Monl
BI.IIK- el l'Ai;:uillc du Gt'^ant font une vive impression sur le voyageur par leurs
f«»riiH> ;:i::<ink->i]iK*s. CVsi entre ces deu\ cimes que se trouve le col du Géant, élevé
ile |II,:>IN) piiils. et sur lofiuel IV» Sau<«ure passa seize jiKirs en 1788; le passage
^ur l«-> ^'ljiM»rs e>l difficile. Dans l'été de 1855, un Anglais a tenté de faire Tascen-
M.fi du M'»nl BI.UJC. en priant de Girmayeur el Tranchissanl le col du Géant, et il
a n joint de Taulre cùté la voie ordinaire, en remontant la vallée de la Mer de Glace.
Ou«l«|uo> s»mniitcs V(»isino$ de G>raiayeur, el particulièrement le Crament, soni
•k> >taliou% propiirs p«»ur omlempier la majestueuse cliaincdu Mont-Blanc. Prés de
<:«»nna>cur i-sl le omfluent dos deux liras de la Doire, dont Tun sort des gtaciersdu
%al Fcrre\, el Taulre de ceu\de rAllée-Blancbe. Ces deux vallées sonl également
|il«»iiH*s de sau\a;:(*s beautés. — Le val d*Aoste est ricbe en vignobles et en diverses
autans cultures. On exploite plusieurs mines dans ses vallées latérales. Les Romains
y cxploHèrcnl jadis des mines d*argent.
li. S%\oiE. — Nous avons encore à dire quelques mots d'une contrée qui abonde
(^n beautés pittoresques. Enumérons les principales localités qui attirent les touristes,
ou qui sont les plus dignes d'attirer leur attention. Le lieu le plus fréquenté de la
Sa\t»ie est la vallée de Chttmtmir. située au pied du Mont-Blanc. Il ne se passe
puères d'été siins (]ue des pas humains n'atteignent la cime de ce roi des montagnes
d'Eurii|)e; cette ascension exige deux jours, ou au moins un jour el demi. On monte
(MMiIre les ilam's du n»lo>se pour plisser la nuit dans la cabane établie près des
nicbers nomnRS> les Gntwh Mufrh; le malin suivant on gravit jusqu'à la sommité,
d'où l'im fieiit le ménn? jour redescendre à Chamonix*. La fatigue ou un change-
ment de temps survenu brusquement force quelquefois les voyageurs à renoncer à
leur entreprise. Ceux qui réussissent à l'accomplir sonl témoins d'un spectacle
sii>iv!>iint, et s'ils sont favorisés d'un beau clair de lune, la nuit passée sur le>
hauteurs leur pnicure aussi les plus vives émotions. Mais la grande masse des
touristes se borne à faire des excursions moins pénibles. Contre le massif même du
.Mont-Blanc, ils visitent : le Monl-Anrerl, qui domine la Mer de Glace ; le Glacier
flt*s litHs ou .Vt i/t* tjhin\ le plus grand des glaciers du Mont-Blanc; il est long d'en-
\ iron trois lieues, et de forme demi-circulaire : il descend dans la vallée à une petite
«I ionibal jusqu'au bord dn Rhdne. Cesl vraisemblablemeot celle qu^avaieDl suivie les diverses
iniisralious i^auloises qui eD«ahirent rilalie. Dans le premier volume du prëseal ouvrage (la
Suisse Hisioriq^^ par M. Gaullieur},on lit, pa^elS, une noie à Tappni de lalliéorie de M. Replat.
.Nous croyions cependant, en toute assurance, pouvoir repousser l'opinion du savant professeur
d'histoire, m^me étayée, comme elle Test dans cette note, de ravis de Tillustre i^néral Dafour.
Nous crovonsque l'inspection des localités, jointe à Tétude du teite de Poljbe, suffit pour faire
écarter les idces émises par M. Replat. Nous avons consacré à leur récitation un opuscule
spécial qui a paru en 1851.
â. C'est le 8 août 1786 que la cime dn Mont-Blanc, après plusieurs teotaUves infructueuses,
a été gravie pour la première fois. Ce fut le sieur Paccard et J. Balmat qui firent cette ascension.
Le 3 août 1787. le célèbre de Saussure atteignit aussi la cime. Dès-lors, un grand nombre d'autres
ascensions ont été eiécutées, surtout par des voyageurs anglais. Une Française, M"« d'Ange ville,
et une paysanne de la % allée de Chamonit, Marie Paradis, qui l'avait précédée, sont les deui
>eHles femmes qui soient parvenues au sommet du Mont>Blanc. L*horiion qn*on y embrasse n'a
' pas moins de 60 lieues de rayon ; cependant comme les lointains sont souvent trés-vaporeni, ce
panorama ne l'emporte réellement pas en magnificence sur ceui qui se déroulent aui regards
du %o,^ageur, qui a gra%i des montagnes inférieures au Mont-Blanc de 4 à 5000 pieds.
LA StISSE PITTOKESQUE. 877
lieue de Chamonix, et fournit la source de TArveyron, qui tantôt sort d'une voûte de
glace, tantôt se fraie plus haut une issue en formant une grande cascade ; le Jardin,
])etite oasis entourée déglaces ; c'est un plateau de rocher qui se tapisse de fleurs au
mois d'août ; sa hauteur est de 8&84 pieds ; le Glacier des Bossons, remarquable par
sa blancheur et par les belles aiguilles qui le terminent ; dans le voisinage est la
belle cascade des Pèlerins, dont les nappes d'eau prennent des formes singulières.
Sur la chaîne opposée, on escalade la sommité escarpée du Brévent (7840), la station
la plus favorable pour contempler les magnifiques pentes glacées du Mont-Blanc ;
on en distingue tous les détails de la base au sommet ; on peut y suivre la marche
des caravanes qui en font l'ascension. De la sommité de la Flégère, moins haute et
d'un abord plus facile, on jouit aussi de l'admirable panorama qu'offrent les cimes
du Mont-Blanc et les aiguilles voisines. Le Chapeau, petit plan couvert de gazon et
situé en face du Mont-Anverl, est un point d'où l'on embrasse tout l'ensemble de la
vallée; on peut en même temps y observer toutes les déchirures et les pyramides du
Glacier des Bois. Du col de Bahne, limitrophe du Vallais, on découvre également
une vue remarquable sur la vallée de Chamonix et sur le Mont-Blanc.
La vallée qui conduit de Chamonix à Genève, et qu'arrose l'Arve, offre plusieurs
points pittoresques, particulièrement la cascade de Chèdêj celle A'Arpemiz, haute de
800 pieds, etc. Une surprise attend le voyageur qui arrive de Genève à Sallanches:
il ne peut voir sans admiration se dévoiler tout à coup à ses regards les majestueuses
cimes du Mont-Blanc. De Sallanches, on peut visiter la vallée de Saint-Germis, qui
s'ouvre près des bains et de la belle cascade de ce nom. Cette vallée, qui est riche
en sites pittoresques, conduit au sauvage col du Bonhomme (7580), par où l'on se
rend dans l'Allée Blanche et à Cormayeur. A l'ouest de la vallée s'élève le Mont-Joly,
(7900), d'où les cimes du Mont-Blanc, vues en profil, présentent aussi l'aspect le
plus grandiose. La vallée de Sirt, située au nord de Chamonix, possède un site
unique dans les Alpes: c'est une réunion de 20 à 2S cascades qui descendent d'une
même pent« escarpée, couronnée de vastes glaciers, réunion qu'on nomme Fer à
Cheval, à cause de la configuration de la montagne ; la plupart de ces ruisseaux
forment plusieurs chutes successives, en coulant sur des pentes de gazon étagées les
unes au-dessus des autres, et séparées par des parois à pic. Sixt ne communique
avec le Yallais que par des passages très-difficiles. On fait de Sixt en six ou sept
heures l'ascension du Buet, cime arrondie en forme de coupole, et haute de 9576
pieds; il n'y a que deux heures de marche sur la neige et sur la glace. La vue y
est de toute beauté; elle s'étend à l'ouest jusqu'à laJigne du Jura, et elle plonge dans
la longue vallée du Vallais. Cette montagne peut s'escalader aussi du côté de Va-
lorsine ou de celui de Servez.
Vers l'ouest de la Savoie, les bains d'Aix jouissent d'une réputation méritée, qui
fait affluer une foule de malades. Dans le voisinage s'étend le beau lac du Bourgel,
dominé d'un côté par la Dent de Nivolet, de l'autre par le Mont du Chat, montagnes
qui s'élèvent à 4 ou 5000 pieds. Le passage par lequel on franchit le Mont du Chat
doit avoir été témoin d'un combat d'Annibal. Les environs d'Aix sont en même temps
fertiles et pittoresques. Il en est de même de ceux de Chamhénj, chef-lieu de toute la
province. C'est à 20 minutes au sud de cette ville que sont les ChanneUes, maison
de campagne située sur un coteau délicieuse, et rendue célèbre par le séjour qu'y fit
11.33 73
578 u M IS8R mTORCsore.
J.-J. Rousseau. Non loin de Chambéry s*ouvre une vallée qui conduit à Lyon, par
le passage des Echrll^^t, longue galerie qui date de 1 81 7, et au débouché de laquelle on
arrive subitement en vue du territoire français*. Un peu plus loin oommence la large
et majestueuse vallée du Grawvn^nn, par laquelle on se rend à Grenoble. Cesl au
milieu du groupe de montagnes qui s*élève à Touest de cette vallée que se cache
la Grnnâê Chnrtreuxe, ou ChartrenM» df Grenoble; de Taulre côté se trouvent les bains
AWU^rnrd et ceux à^l'nmjf, au f(i>nd de vallons latéraux, ainsi que plusieurs contrées
sauvages, telles que le plateau AesSe^l Lun {Sept Ltr^K Au-delà de Mootmélian, se
réunissent deux autres routes: Tune conduit au Mont-Genis, par Tétroite vallée
de l'Arc (la Maurienne). où Ton travaille actuellement à un chemin de fer: Tautre
remonte l'Isère, et conduit par Albertville et Moutiers au pied du Petit Saint-
Bernard. M'uilirrx, cheMieu de la Tarentaise, possède des salines, et, à quelque dis-
tance, des bains d*eaux minérales. La Tarentaise recèle de grands glaciers et des
vallées intéressantes, mais peu fréquentées, telles que celle de Bozel, celle de Tignes,
près les sources de Tlsère, celle de Pr's^y, où Ton exploite des mines de plomb et d'ar-
gent. — Il nous reste à nommer Annecy, ville située au bord d'un joli lac, et qui
s'est bien embellie depuis quelques années; enfin les villes de Tkonon et d'Etian,
sur les bords du lac de Genève. Les bains d'Evian ont acquis une certaine vogue,
due soit à Teflicacité de leurs eaux, soit aux promenades variées qu'offrent les rives
du lac, les hauteurs voisines et leurs beaux groupes de châtaigniers, ainsi que les
champêtres et paisibles vallées du Chablais. La route qui suit les bords du Léman a
été, près du Vallais, taillée au bas des sauvages rochers de Meillerie, qui font bce
aux gracieuses rives de Clarens et de Montreux. Le prolongement de cette route con-
duit en Italie par le Simplon.
1. CeUe galerie, loofoe d*eii>iron 325 métrés, avait été commeocée loot NapoléoD.
RECTIFICATIONS ET ADDITIONS.
.-•i«»*^A :t?>>«V:Att*«*^
Page 42. Quelques-unes des capitulations avec les divers cantons étant échues et
les autres devant Tétre dans un ou deux ans, le roi de Naples a conclu directement,
avec les régiments à son service, une nouvelle capitulation pour le terme de 30
années, par laquelle il confirme tous les avantages qu'assuraient les précédentes.
P. 43. Le chiffre total de la population protestante en Suisse et celui de la popu-
lation catholique doivent être transposés, afin d*étre placés au-dessous de leur colonne
respective.
P. 54. Les produits de Tindustrie suisse ont figuré aussi avec honneur à Texpo-
sition de Paris en 4855. Plusieurs industriels ont reçu des décorations ou des
médailles d'honneur.
P. 61. Au nombre des sociétés suisses, il faut ajouter une Société industrielle, qui
a été créée dans les cantons allemands, et qui a pour but de développer l'industrie
et d'encourager des expositions. — Les deux sociétés d'étudiants qui ont été men-
tionnées se sont réunies, dans l'automne de 1855, en une seule, sous le nom de
Nouvelle société de Zofingen.
P. 68, 1. 10. Nous ne persistons pas dans les doutes énoncés au sujet de la hau-
teur des pics Mischabel. Vus du sommet du Siedelhorn qui domine le Grimsel, les
plus hauts de ces pics paraissent, en effet, au moins égaux au Weisshorn en élé-
vation .
P. 69. Au sujet de l'élévation des pics du Bernina, voyez les notes page 353.
P. 70, ligne 31. La hauteur du col de Bernina n'est pas de 6390 pieds, mais de
7390 ; d'autres mesures ont donné 7185. — Le col de Buffalora, entre le Mûnster-
thal et Cernetz dans l'Engadine, doit être compté au nombre des cols praticables
pour des voitures légères. Relativement au col Scarla, voyez la note page 401 .
Quant au Séptimer, il a cessé d'être fréquenté par les chars, vu la raideur de sa pente
méridionale.
P. 80, 1. 35. Au lieu de nœtne couche de neige, lisez mifice couche de neige.
Berne. P. 154, 1. 3. Le nouveau pont monumental construit sur l'Aar au nord
de Berne, s'appelle le pont de la Tiefenau; sa hauteur est de près de 100 pieds, et
ses trois arches peu évasées franchissent un espace d'environ 300 pieds.
P. 163. Le sentier qui conduit de Grindelwald à la Mer de Glace n'est pas com-
plètement sans danger, même en été. Le 18 août 1855, au matin, une grande ava-
lanche de neige, descendue des pentes de l'Eiger, se précipita sur le Glacier Inférieur
(à 2 lieues de Grindelwald), et quelques débris de neige furent lancés contre la
pente opposée par dessus tout le glacier et le sentier qui en suit le bord.
580 LA SUSSE PITTORKHMK.
Llc£RNe. p. 177, I. 10. Le poêle de l*abbaye des Bouchers, devenu célèbre
depuis la conspiration de la Mordnncht (nuit de meurtre), a été détruit depuis une
dizaine d*annét*s ; on n*en a conservé qu'une seule brique, ^e Ton montre encore,
ainsi que la table des buveurs, qui a été seulement recouverte de planches neuves.
P. 184, I. 6. Le pont nommé Hofhrfirkf, qui traversait une petite baie du lac et
qu*on avait raccourci il y a quelques années, a été dès-lors supprimé complètem^t.
P. 191. Une exposition industrielle très-intéressante a eu lieu durant Tété de
1855 dans la petite ville de Willisau. Environ 10,000 objets de toute espèce ont
été envoyés de 10 cantons diiïérents; ils remplissaient un grand nombre de salles.
ScHWYTz. P. il9. On peut, de Mouotta, se rendre dans le Schâchenthal au canton
dXVi, par la sauvage et solitaire vallée de Bisi et par un col facile, quoique assez
élevé, le BoUi, d*où Ton jouit d'une vue admirable sur les sommités de la Wind-
gâlle, du Ruchihom, du Scheerhorn et du Claridengrat, et sur les grands glaciers
qui en descendent. Du sommet du passage on peut se diriger, à gauche, du côté du
Klausenpass, et desi*endre par rUrnentioden vers le canton de Glaris. Le B<Mi est
très-peu fréquenté et en général omis ou mal indiqué sur les cartes.
Unterwald. p. 2i6, I. 47. L'espace gagné par le dessèchement partiel du lac de
Lungern est maintenant couvert de cultures et parsemé d'habitations.
P. SiS, I. Si. D'après Tinscription qu*on lit dans le cimetière de Stanz, le nombre
des Unterwaldois qui périrent en repoussant les Français en 1798, est de 4H et
non de 386.
P. i35. Un nouveau monument doit être dans quelque temps érigé à Stanz en
rhonneur de Winkelried. Dans la mais<m qu'il doit avoir habitée, une chambre esl
disposée en forme de chapelle, et Ton y dit la messe toutes les semaines.
P. i36. On voit au hameau de FiCihli une chapelle pittoresquement située, et
tout auprès est une jolie habitation qu'occ*upe enœre la famille de Flûe. — Le site
de la Melch-Àlp est très- remarquable: on y voit se refléter dans le lac de Melcb,
long d'environ demi-lieue, une longue ligne de sommités neigeuses, entre autres le
Titlis. Après être sorti du lac, la Meleh-Alp se précipite, en formant une cascade,
dans un grand trou de rocher. Le sentier qui de là conduit à Meyringen par la Tann-
Alp et par les plateaux du Hasiiberg, offre une série de grandioses perspectives.
Glaris. P. ih6. On a passablement exagéré la beauté de la vallée du Klônthal,
où est placé le monument de Gessner. Le fait est qu'on ne peut approcher du monu-
ment que par des prairies marécageuses, presque impraticables à Tépoque des hautes
eaux, c'est-à-dire pendant une grande partie de l'été. La pente qui domine le lac
du côté du nord est couverte de rocailles, et est loin d'avoir un aspect pastoral.
P. !2&7, I. 6. A l'entrée de la sauvage gorge qui conduit à la Sand-Alp, le pont
dit Papètenbiilcke qui, après avoir été emporté par une avalanche, avait été d'abord
remplacé par un pont en bois, a été reconstruit en pierre par les propriétaires des
alpes voisines.
ZuG. P. 252, 1. 11. L'enceinte de murailles de la ville de Zug a été supprimée
presque entièrement il y a quelques années.
Bale. p. 299, I. 15. Le monastère badois de Saint-Biaise fut supprimé par les
Français à l'époque de leurs invasions; les moines se retirèrent en Carinthie.
St.-Gall. p. 336, 1. 15. Au lieu de vdlt' des AUeffianis, lisez celle des AltetmnM,
LA SUISSE PlTTOnKSQUE. 581
P. 340, 1. 41. La proposition de réviser la Constitution a été repoussée le 28
octobre par le peuple à une très-forte majorité.
Grisons. P. 374. Un nouveau code civil a été adopté par le peuple au printemps
de 1855.
P. 360. Â la suite des grandes pluies des 8 et 9 août 1855, des blocs de rochers
se sont détachés de la montagne qui domine Felsberg ; ils n'ont pas causé d'acci-
dents. On a observé que la crevasse qui existe sur la pente de la montagne s'est
élargie.
P. 348, 1. ^l. Vers le haut de la gorge du Kunkels, au-dessus de Tamins, on
voit sur un petit plateau verdoyant plusieurs cuisines de camp, formées de tertres
gazonnés en forme de fer à cheval. Ce sont sans doute les restes d'un bivouac des
Français ou des Autrichiens en 1799.
Tessin. p. 456, 1. 14. Le Grand Conseil avait accepté la Constitution fédérale en
1848; mais la majorité du peuple s'était prononcée en sens contraire.
P. 467. Le village de Brontallo dans le val Maggia est menacé, d'une manière
imminente, d'une catastrophe semblable à celle qui menace Felsberg dans les
Grisons.
Vallais. p. 511. Nous pouvons citer comme une particularité assez curieuse
qu'en 1826 une galerie longue de 80 pas environ avait été creusée sous une énorme
avalanche, qui avait recouvert la route du Simplon au-dessus de Gondo. Voitures
et piétons y passaient encore au milieu de juillet ; la voûte n'avait plus alors que
quelques pieds d'épaisseur. Ce n'est sans doute pas le seul exemple d'une galerie
pareille, soit sur cette route, soit sur d'autres.
P. 513. De l'hôtel établi sur le Riffelberg, on peut commodément en un jour faire
l'ascension de la Cima di Jazzi, voisine du Mont-Rose, et redescendre à l'hôtel ; sauf
deux ou trois heures, toute la marche se lait sur un glacier, qui, jusque près de la
sommité, n'a qu'une faible inclinaison. L'existence de l'hôtel facilite aussi l'ascen-
sion du Mont-Rose qui commence à devenir moins rare et n'exige également qu'une
journée.
P. 514, 1. 40. En quittant à Orsières la route du St.-Bernard, on peut pénétrer
à droite dans le val Ferrex et se rendre à Cormayeur par le col de même nom.
Plusieurs glaciers descendent dans cette vallée, qui est riche en sites pittoresques.
P. 518. A l'ouest de Vauvrier, vers la frontière de Savoie, s'élève la Cornette de
Bise, haute de 7508 pieds, et dont on atteint facilement la cime en partant soit de
Vauvrier, soit de Chapelle dans le val d'Abondance. La vue y est très-belle.
589 LA snsse pittoresqie.
IKDVa
Frontispice en iéle du volntme.
Cosluuifs mililaires, cavaliers, M 19 page 36
id. id. fanUssins, V ii » 10
Une Avalanche, ^• 5 « 80
Cascade gelée du Giesbach, M 6 » 88
Vue de Zurich, ^^ k » 100
Vue de Berne, VI « I»
CosUimes bernois, V iS »» 145
U Wetlerhom, M 14 » 453
Maison rustique près de Thoune, M 16 » 456
Le plateau de Meyringen, N* 8 » 458
Orage à la Handeck, ^^ 9 » 160
lie de St.-Pierre, N» »6 « 469
Costumes lucemois, ^* iO » 484
Vaches du Righi, M 7 »> 488
Vue d'Altorf, ^• 10 n 493
Costumes dXnterwald, N* 23 » f33
Vue de Fribourg. ^• t » S56
Costumes de Schalfhouse, M 94 » 308
Bolladore en Valteline, N* 17 » 353
Via-Mala, MU » 389
Costumes tessinois, N* 18 » 464
Vue de Lugano, N* 15 » %6S
r«4>slumes vaudois, N* 95 >» 480
Vue de Lausanne, ^* S » 485
Vallée du Rhône, M 13 n 489
Le Simplon, Ml» « 5I«
Mer de Glace, M «7 ' » 567
TABLE DES MATIÈRES.
Précis db l'Histoirb de la Suisse (M. Gaullieuk.) i
I. Topographie, Ethnographie t
II. Histoire 3
Statistique générale (M. Scbaub.) 5S
Conslilution fédérale actuelle 39
Organisation militaire. 38
Justice inililaire ^0
Capitulations ^t
Population, Cultes, Emigration, etc ht
Instruction publique 46
Langues et Dialectes 47
Monnaies 49
Finances fédérales 50
Industrie, Commerce 3i
Douanes fédérales 33
Chemins de fer 37
Télégraphes 89
Sociétés et Fêtes fédérales 60
Situation géographique, Etendue, Frontières 63
Elévation, Climat, etc 63
Montagnes 66
Neiges permanentes et glaciers 73
Avalanches ou Lavanches, Tourmentes 82
Rivières et Torrents 84
Cascades et Lacs 87
Bains et Sources minérales 89
Histoire naturelle 90
Canton de Zurich (M. Schaub.) 101
Canton de Berne id. 129
Canton de Lucrrnb id. 173
Canton dTri id. 498
Canton de Schwytz . id. 208
Canton d'Unterwald id. 228
Canton de Glaris id. 238
Canton de Zug id. 248
Canton de Friboukg (M. db Bons.) 254^
Canton db Soleurk id. 269
K8t TABLE DRS MATIKRkS.
Pa<ci
Canton de Balk (M. Schaub.) i79
Canton de ScHArPHOusK id. 301
Canton d*Appenzkll îd. 31 i
Canton di: Saint-Gall M. 351
Canton des Grisons id. 352
Canton d'Arcovik (M. de Boxs.) <i07
Canton dk Thirgovik (M. Scbacb.) %Ti
Canton du Tkssin îd. h'ih
Canton dr Vaud (M. Vuluebin.) *7I
Canton do Vallais (M. de Bons.) 4H8
Canton de ^KUCHATKl {M. Gaulucub.) 519
Canton de Genève (M. Ed. Mallct.) 5^t
Contrées voisines de la Suisse (M. Schaub ) 567
I. Jura français 567
i. Alsace, V4»sges 369
5. Forêl-Noire 569
h. Rives septentrionales du lac de Constance 569
5 Vorarlberg, Tyrol 370
6. Vallellne 57t
7. LacdeCôine 571
8 Lac Majeur, lacs de Varèse et d*OrU 572
9. Domo-d'Ossola et Val Formazza 373
10. Vallées piéniontaises voisines du Mont-Rose 573
i I . Val d'AosIe et Cormayenr 57i
42. Savoie 376
RKCTIPICATIONS, ET ADDITIONS (M. ScRAUB.) 579
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