a^
Le Mouvement littéraire
1910
DU MEME AUTEUR
Le Mouvement littéraire — 1904.
Préface de M. Paul Hervieu, de rAcadémie française.
Le Mouvement littéraire — 1905.
Préface de M. Henry Roujon, secrétaire perpétuel de
l'Académie des Beaux-Arts.
Le Mouvement littéraire — 1906.
Préface de M. Jules Claretie, de l'Académie française.
Le Mouvement littéraire — 1907.
Le Mouvement littéraire — 1908.
Préface de M. Anatole Frange, de l'Académie française.
Le Mouvement littéraire — 1909.
Préface de M. Marcel Prévost, de l'Académie française.
Tous droits de traduction et de reproduction réservés
pour tous les pays^ y compris
la Suède, la Norvèsre, la Hollande et le Danemark,
^o^i
S'adresser^ pour traiter,
à la Librairie Paul Ollendorff, 50, Chaussée d'Antin, Paris
PH.-EMMANUEL GLOSER
Le Mouvement \
Littéraire \
(petite chronique des lettres) i
- 'ig'io - \
Préface de M. Henri LAVEDAN, de V Académie française j
1
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s^»^
^^xr
PARIS '^ :
Société d'Éditions Littéraires et Artistiques \
LIBRAIRIE PAUL OLLENDORFF ]
5o, CHAUSSÉE d'antin, 5o
II. A ETE TIRE A PART :
5 exemplaires sur papier du Japon.
5 exemplaires sur papier de Hollande.
TU
iz
t,7
PRÉFACE
EXTRAITS
DU « MANUEL DU PARFAIT CRITIQUE »
I
Le parfait critique devra être un honnête
homme. Jeune, quoique déjà évadé du cha-
pitre de l'adolescence, et pas encore assez
avancé dans celui de 1 âge mûr pour avoir
acquis le droit et Texcuse de médire de la vie.
II
Il sera instruit, possédera toutes les litté-
VI PRÉFACE
ratures, les étrangères et même celle et celles
de son pays.
III
Non seulement on le verra curieux et avisé
de tout, mais il se sera de bonne heure appris
à discerner et à préférer, à éliminer et à
choisir. Il saura le poids, le prix et la qualité
de tous les grains : les bons et les autres.
IV
Il aura Toeil et Tesprit généreux, l'étincelle
cérébrale prompte et le cœur inflammable
comme amadou.
Il sera enthousiaste, et patriote. Il croira
qu'il y a partout — même en littérature —
d'utiles frontières et que l'on peut très bien,
exceptionnellement, les franchir sans parler
cependant de les supprimer.
VI
Il aura lart et le secret de la politesse, de
PRÉFACE VU
la mesure. Il évitera l'intempérance du blâme
et la débâcle de l'éloge. 11 montrera qu'une
belle intelligence est toujours maîtresse de
la plume qu'elle anime.
Vil
II sera juste, impartial. Il se détachera des
personnes pour ne s'attacher qu'aux œuvres.
Il oubliera les services qu'on ne lui aura pas
rendus et ne se rappellera les injures que
pour les recouvrir par le manteau du bien-
fait. Il louera deux fois plus ses ennemis. Il
pardonnera à tous ses amis intimes.
VIII
Il sera toujours sincère, ne serait-ce que
dans son propre intérêt, pour garder la finesse
de sa pierre de touche et aussi pour éprouver
le plaisir de sentir son appréciation marcher
au pas avec sa pensée.
IX
Il jugera toujours avec appel, n'aura jamais
VIII PRÉFACE
la fatuité de paraître se croire « en dernier
ressort ».
X
Il pourra glisser un grain de malice dans
un compliment... mais il devra verser une
goutte de baume dans un reproche.
XI
Pour bien parler d'un ouvrage, il ne. man-
quera jamais de se mettre momentanément
à la place particulière de l'auteur. En écri-
vant sa critique, il s'imaginera qu'il est l'in-
téressé qui la lit. Ce simple petit effort fera son
opinion plus sensée et ses épithètes moins
irréfléchies.
XII
Il ne raillera point, fuira le détestable per-
siflage qui offense sans amender.
XIII
Il recherchera, jusqu'aux moindres, toutes
les occasions de louer. Il pratiquera l'ob-
PRÉFACE IX
servation encourageante, le regret qui sti-
mule.
XIV
Il ne jugera pas sur le titre, au hasard et
à Taveuglette. Il y a pour les livres, comme
pour les gens, des physiques ingrats et des
noms malheureux qui trompent.
XV
Entre les livres qui, au premier abord,
l'attirent et ceux qui le rebutent, c'est aux
seconds qu'il volera toujours. Et neuf fois
sur dix il en sera récompensé.
XVI
Il ne lira pas pour en remontrer, mais rien
qu'avec l'humble désir d'apprendre, et sans
chercher la petite bête.
XVII
Il pensera qu'il a, pour les lecteurs con-
fiants en lui, haute charge de probité, qu'il
1.
X PRÉFACE
est leur guide, leur cicérone, et qu'il serait
aussi coupable de les induire en fausse admi
ration qu'en injuste mépris.
XVI II
S'il a eu parfois des torts et des écarts,
il ne craindra pas de les avouer — en les
exagérant — parce qu'il faut frapper deux
fois plus fort pour faire revenir sur une
mauvaise opinion.
XIX
Il faudra qu'il lise tout. Mais, comme
d'autre part cela lui deviendra matériellement
impossible étant donnée la crue sans cesse
grandissante du fleuve de Librairie, ce sera
pour lui une nécessité d'apprendre à lire...
sans lire.
XX
Et lire sans lire, c'est accoutumer son
esprit et ses yeux, à ne voir, attraper et saisir
au passage que l'indispensable, l'essentiel,
PRÉFACE XI
dresser son regard et son cerveau à « quêter »
et à « arrêter » comme des pointers^ aux bons
endroits, au buisson où est blottie la caille de
ridée, pour la faire lever toute palpitante et
chaude. Lire sans lire, c'est ne pas, en ce
faisant, songer à son plaisir, mais à son devoir,
quitter d'où l'on voudrait rester et rester là
d'où Ton aurait envie de détaler. Lire sans
lire, c'est lire mieux que si on lisait comme
tout le monde, c'est lire léger, vif et rapide,
effleurer, glisser, tout comprendre sans ap-
puyer, lire de haut, à vol d'esprit, à pointe
d'aile, sans y mettre la force afin d'escamoter
la fatigue ; c'est couper le livre allègrement,
en détachant et faisant sauter pour nous, çà
et là, du bout du couteau à papier, une pierre
précieuse, une paillette, une pensée, une
image, un mot, car le vraz critique ne nous doit
pas retirer notre plaisir en l'épuisant. Son rôle
est « de nous en laisser d, de ne pas tout nous
dire. S'il nous récite le livre ou le presse, à
en faire sortir le jus, nous nous contentons
de sa citronnade et nous n'avons plus besoin
du citron;..
XII PRÉFACE
Faire lire, engager à lire, voilà la grande et
bonne manière.
Il y faut une abnégation rare, proche du
sacrifice, un entier renoncement de soi, et
une modestie absolue qui ne prétende même
pas à être dorée sur tranche.
Le critique exemplaire ne cherchera pas à
briller, à paraître, à se mettre devant son
compte rendu, ou au-dessus de lui. Il aura
pour orgueil constant de s'efPacer, estimant
que plus il affectera de se tenir à l'écart, plus
on ira le chercher dans son coin pour lui dire :
« Ne restez pas là. Approchez-vous donc. »
Et si quelqu'un prétend que toutes ces
exigences accumulées ne sont que le théorique
programme de l'impossible et qu'il n'y a pas, à
la rigueur de toutes ces prescriptions difficiles,
d'homme et de lettré capable de s'y assujettir,
je répondrai à ce quelqu'un; « Mais si !
Tournez la page et voyez Glaser...» Ah ?
Henri Lavedan.
JANVIER
LES ROMANS
SELMA LAGERLOF
Les Liens Invisibles.
(Nouvelles traduites du suédois par M. Bellessort).
Dans les derniers jours de l'année 1909, l'attri-
bution du prix Nobel a révélé à la foule le nom
d'un grand écrivain : Selma Lagerlôf. En dehors de
la Suède, où sa renommée est immense, l'œuvre
de M^ie Selma Lagerlôf était, en effet, peu connue
dans le monde; grâce au prestige du prix Nobel,
elle y sera désormais répandue. Il faut s'en féliciter,
car le talent de cet écrivain vaut mieux qu'une
gloire locale : le public français s'en rendra compte
en lisant le recueil de nouvelles dont M. Bellessort
2 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
a publié une très littéraire traduction et qui sont
réunies sous le titre : les Liens invisibles.
Il y a dans ces nouvelles, « légende et fantaisie »,
ou « réalité », un souffle, une puissance, une foi admi-
rables. Ce sont des histoires frustes, étranges, d'une
haute portée philosophique; avec leur saveur de
terroir qui nous ravira, elles sont profondément,
largement humaines; comme le dit très justement
M. A. Bellessort dans la préface : « Selma Lagerlôf
avait peint d'abord un moment spécial dans la vie
particulière d'une province suédoise. Puis, par le
chemin des légendes et des fantaisies, qui se déroule
à travers le temps et l'espace, elle s'éleva peu à peu
à la conception d'un art plus libre et de l'immor-
telle vérité. »
CHARLES LE GOFFIC
Ventôse.
M. Charles Le Goffîc, le romancier profond et
inspiré du pays breton, s'en est allé cette fois-ci à
l'autre bout de la France, sur les bords de la Médi-
terranée, pour nous dire une tragique et belle his-
toire toute bouillante d'ardeur et de passion méri-
dionale. Ventôse^ c'est le titre du roman, c'est le
nom, le surnom du héros Thibaut, épris d'une
furieuse passion pour Norine, à laquelle il fut fiancé
jadis et qui est maintenant la femme de Savournin,
JANVIER — LES ROMANS
Ce dernier, brave homme simple, ne se doute pas
de la haine qui s'est allumée contre lui dans le
cœur de son rival. Les événements se chargent de la
lui faire connaître, et, une nuit, il périt mystérieu-
sement en mer. Des années se passent, et Thibaut,
de retour au pays après une longue absence, va
épouser Norine devenue veuve, mais un gars bre-
ton, Cosmao, connaît la vérité terrible, il sait que
Thibaut est coupable de la mort de Savournin :
cette vérité, il la révèle la veille du mariage, et Thi-
baut, fou de douleur, de remords et de désespoir,
provoque Cosmao dans un sauvage combat au
cours duquel les deux hommes roulent enlacés
dans l'abîme...
L'histoire est très dramatique et M. Charles Le
Goffîc nous la conte avec beaucoup de puissance et
d'émotion, mais il ne s'en est pas tenu là; le cadre
de son roman : ce port, cet arsenal où le drame se
déroule, lui donnaient une occasion d'étudier et de
dénoncer les ravages du syndicalisme dans ces
milieux; il ne s'en est pas fait faute, et son héros,
torturé par l'amour et par la haine est troublé
profondément par les théories de violence et de
révolution de son journal, Fewifo^e, par ce syndica-
lisme qui désagrège et détruit la discipline et la
force de la marine, et tout cela ne contribue pas
peu à lui mettre le cerveau à l'envers. M. Charles
Le Goffic a évoqué de façon remarquable cette
fureur dévastatrice de la révolution.
4 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
GEORGES OHNET
L'Aventure de Raymond Dhautel.
Depuis quelque temps déjà, M. Georges Ohnet
s'est avisé que les véritables « Batailles de la Vie »,
ces batailles dont il nous a conté tant d'épisodes
touchants, ne se livrent plus seulement sous des
toits familiers, entre des individus, — mais aussi,
et surtout, dans la rue et dans les comices, entre des
partis; la bataille de la vie est devenue la mêlée
sociale et politique, et c'est ainsi que M. Georges
Ohnet nous raconta naguère la Route rouge.
UAçenture de Raymond Dhautel, est un roman
plus intime, plus familier, où cependant les ques-
tions politiques et sociales jouent un rôle prépon-
dérant. Il s'agit, d'un jeune et bouillant avocat qui,
cédant à la double influence de son secrétaire anar-
chiste et, d'une femme intrigante, quitte le barreau
pour la politique, devient dans son pays — le Morvan
— le défenseur et le représentant des doctrines radi-
cales-socialistes, pose sa candidature à la députa-
tion. Il mène une campagne acharnée jusqu'au jour
où, écœuré par certains procédés employés pour le
soutenir, et, par surcroît, repris par un amour ancien
pour une amie d'enfance, petite-fille d'un vieux mar-
quis, son voisin, Raymond Dhautel renonce à la vie
JANVIER — LES ROMANS
publique pour épouser la jeune fille qu'il aime,
quitte la politique pour le barreau, et retrouve, à la
glande satisfaction du vieux marquis, sa vraie
nature, ses idées aristocratiques et ses convictions
traditionalistes par amour de la vérité et puis aussi
pour épouser la gentille Hélène.
Et comme vous voyez, M. Georges Ohnet est,
lui aussi, de cet avis que nous devons rester chacun
de notre côté de la barricade : conclusion prévue
d'un roman, dont les péripéties sont si ingénieuse-
ment distribuées que ce dénouement apparaît
comme une agréable surprise ; c'est du bon Georges
Ohnet, et la clientèle du célèbre romancier retrou-
vera dans ce livre les qualités familières qui l'ont
tout d'abord et si naturellement conquise.
J.-H. ROSNY (aîné)
La Vague Rouge.
M. J.-H. Rosny aîné est plus farouche; ce n'est
pas la politique qui domine son roman : c'est la
révolution. Ses héros ne sont pas seulement d'amor-
phes radicaux-socialistes ni même des socialistes,
ce sont des syndicalistes, des « Cégétistes », cham-
bardeurs et terrifiants. Son roman s'appelle la
6 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Vague rouge! C'est une œuvre tumultueuse, grouil-
lante, intense, frénétique, où l'auteur de Marthe
Baraquin peint non plus une figure mais une foule
entière : ce n'est plus un portrait, c'est un vaste
tableau de ces mœurs révolutionnaires dont le
spectacle nous attire et nous épouvante, — de
façon bien excessive d'ailleurs, car il faut le prendre
au sérieux et non pas au tragique. M. J.-H. Rosny
a pénétré ce spectacle en artiste à la vision perçante,
il a étudié très solidement le syndicalisme et l'anti-
militarisme, ces mouvements obscurs et formida-
bles qui bouleversent l'âme vague, l'âme irrésis-
tible des foules. Il passe dans ce livre un grand
souffle; l'auteur a su exprimer avec une puissance
et une sincérité — qui va parfois jusqu'à la com-
plaisance — toutes les fièvres du prolétariat, tou-
tes les forces de la classe ouvrière, enivrée d'utopie,
persuadée qu'elle va organiser sur-le-champ la mer-
veilleuse société future. Les épisodes dramatiques,
les scènes pittoresques sont accumulés dans ce
livre de façon à défier l'analyse. M. J.-H. Rosny
aîné s'y révèle manieur de foules : il reste surtout
créateur remarquable de figures, telles celles de
son héros François Rougemont, superbe agitateur
sincère, et Christine, la jeune fille intrépide qu'il
aime éperdument et sans espoir, et Deslandes, son
frèie, le chef jaune, irréductible ennemi de Rou-
gemont; remarquable aussi dans ses paysages d'un
sentiment si profond, ses dissertations si nourries,
ses discours si véhéments : on retrouve là surtout,
JANVIER — LES ROMANS
ce tempérament original, nerveux d'un artiste,
d'un poète qui a le sens aigu de la réalité et je ne
sais quel lyrisme bref d'une forme particulière qui
produit un effet puissant.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, PHILOSOPHIE,
DIVERS.
GÉNÉRAL DE PIÉPAPE
La Duchesse du Maine
«Reine de Sceaux et Conspiratrice» (1676-1753).
La Duchesse du Maine, cette petite-fille du grand
Gondé, qui tenta la verve de Sainte-Beuve et
dont M"^^ Arvède Barine nous donnait naguère une
si spirituelle image, méritait, certes, la longue et
consciencieuse étude que lui a consacrée le général
de Piépape. D'abord, c'était une femme infiniment
spirituelle et dont il était amusant au plus haut
degré de recueillir les traits ; et puis, cette princesse
« mariée si près du trône qu'elle osa un instant le
convoiter» appartient, par ses conspirations, par
maintes aventures de sa vie, à la grande histoire;
JANVIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 9
enfin, ses rancunes et son esprit l'ont amenée à
jouer un rôle tout à fait particulier dans l'histoire
de la société française : elle est un précurseur. Son
salon, ce salon où fréquentèrent et complotèrent,
si j'ose dire, le marquis de Pompadour, le comte de
Laval, le duc de Richelieu, Voltaire; où se prépara
la conjuration de Cellamare, « ce salon marque une
étape entre ceux de la cour du grand roi et ceux des
philosophes, il précède et annonce les cercles litté-
raires de Mine de Tencin et de M»^® Geofîrin», et
la duchesse du Maine, nous montre éloquemment
« le vertige, l'inconscience des sommités de la
noblesse française, la frivolité des beaux esprits à
la mode ». Ainsi s'exprime le général de Piépape,
bien sévère pour l'héroïne à laquelle pourtant il va
dans son livre nous intéresser si passionnément.
GEORGES DELAHAGHE
Alsace-Lorraine : la Carte au liséré vert.
J'ai éprouvé, à hre ce livre, une émotion que je
voudrais partagée par tous les hommes de ma géné-
ration; j'ai appris dans ces deux cents pages des
choses que nous devrions tous connaître, et que
nous ignorons, hélas ! presque tous. Cette ignorance
du drame de 1870, dont les conséquences pèsent
cependant d'un poids si lourd sur les Français de
10 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ce temps, je l'ai déplorée bien des fois; il n'est pas
douteux, quoi qu'en pensent les théoriciens du
bonheur social 'et de la paix universelle, et sans
nier la noblesse de leurs théories, il n'est pas dou-'
teux que nous n'avons pas le droit d'ignorer, que
nous avons le devoir de nous souvenir.
Les hommes qui parlent avec scepticisme et
détachement du drame d'il y a quarante ans et
de ses conséquences actuelles n'ont qu'une excuse,
si c'en peut être une: c'est leur ignorance. Lors-
qu'ils auront lu le livre de M. Delahache, lorsqu'ils
l'auront entendu, en toute simplicité, avec une émo-
tion qui ressort des faits plus que des mots, rap-
peler « l'histoire des deux provinces françaises
qu'aucun signe ne marquait pour la séparation
d'avec la France; montrer ce qu'était depuis long-
temps à leur égard la volonté de l'Allemagne, dire
comment se pratiqua l'opération douloureuse, quels
cas de conscience et d'intérêt se posèrent pour les
diverses catégories de la population sacrifiée ; com-
ment l'Allemagne s'y prit pour coudre ce lambeau
de France à son empire reconstitué, et pourquoi la
suture est toujours visible »; lorsqu'ils auront écouté
cette leçon, ils seront convaincus, je pense; ils ces-
seront de se disputer en de vaines controverses pour
étabhr les responsabilités françaises d'un événe-
ment qui fut prémédité, calculé, rendu inévitable,
par la seule Allemagne et ils se diront que les Alle-
mands d'il y a un siècle, les Allemands d'Arndt et
de Ruckert eurent raison de n'être ni sceptiques ni
JANVIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 11
ignorants et que peut-être leur exemple serait bon
à suivre...
CHANOINE O.-C. REURE
La Vie et les Œuvres d'Honoré d'Urfé.
Dans une spirituelle « épître dédicatoire » à Diane
de Chasteaumorand, l'auteur offre gentiment l'hom-
mage de son livre à la gente dame Diane, « cette
personne volontaire, fantasque, sujette à des coups
de tête», qui fut la femme tour à tour d'Anne et
d'Honoré d'Urfé ; cet hommage, il estime le lui
devoir, car c'est en grande partie dans les belles
archives où elle rangeait avec tant de soin les docu-
ments de son histoire, qu'il a pu en recueillir les
léments et parvenir à nous offrir une histoire très
omplète et circonstanciée de cet homme célèbre et
inconnu qui fut l'auteur de VAstrée.
L'œuvre est à jamais célèbre: quelque opinion
qu'on puisse avoir sur sa valeur, elle constitue un
fait» d'une importance considérable dans l'his-
toire de notre littérature, mais son auteur était
resté un être falot, à demi perdu dans la légende.
L"^n des pages prestes, vivantes, d'une forte et riche
documentation le chanoine Reure le rend à la réa-
lité; grâce à lui, « ce personnage n'est plus une
ombre, on le voit vivre, et pour la première fois
il apparaît dans la réalité précise de son existence
12 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
de soldat, d'homme politique et de gentilhomme».
Et c'est d'un très vif intérêt anecdotique; il y a là
aussi un précieux document d'histoire littéraire, car
l'auteur nous donne sur VAstrée une foule de rensei-
gnements positifs grâce auxquels bien des gens qui
parlent de VAstrée sauront désormais ce que c'est
— et il termine son œuvre magistrale par une
enquête sur l'influence que ce roman a exercé et sur
la bonne et la mauvaise chance de sa fortune depuis
son apparition jusqu'à nos jours.
CHARLES GUIGNEBERT
L'Evolution des Dogmes.
La juxtaposition de ces deux mots : évolution et
dogme, est tout de suite de nature à éveiller les
méfiances des hommes attachés à leur religion, des
catholiques en particulier. Ces méfiances sont trop
justifiées, M. Gh. Guignebert qui, dès le titre de
son livre, s'y est exposé, les .a prévues ; il a prévu
l'émotion, l'indignation qu'il pourrait soulever
mais il trouve « ses raisons trop fortes pour qu'elles
puissent s'arrêter au scrupule de scandaliser d'hon-
nêtes gens en choquant leurs très respectables con-
victions », et vous allez voir s'il risque de les scan-
daliser, par ce simple extrait de sa préface : « Dans
les pages qui suivent, dit-il, je me propose d'établir
JANVIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 13
(p'un dogme est un organisme vivant, qu'il naît,
se développe, se transforme, vieillit et meurt; que
la vie l'entraîne, sans qu'il puisse jamais s'arrêter,
qu'elle le fuit, quand le nombre de ses jours est
rempli, sans qu'il puisse la retenir. »
Avec un tel point de départ on se rend compte
que les catholiques ne risquent pas d'être touchés
par les raisonnements de M. Guignebert; leur foi
leur interdira d'entrer dans la discussion et il ne
lui restera sans doute qu'un public conquis d'avance
pour écouter sa conclusion : « Qu'un dogme con-
sidéré du point de vue historique se présente tou-
jours non comme un fait divinement révélé à
l'ignorance de l'homme, mais bien comme une com-
binaison laborieuse et toujours changeante d'une
collectivité humaine; c'est avant tout un phéno-
mène social et il accumule durant son existence le
travail de la foi, souvent très actif, d'un grand
nombre de générations.»
Mlle BLANCHE DE FLEURIGNY
Guignols Parisiens.
if Bien vite, maintenant, soyons gais, tout au
moins souriants, et allons voir ces Guignols pari-
siens dont Mlle Blanche de Fleurigny manœuvre
gentiment les ficelles. Ce sont de légères et prestes
91
14 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
chroniques nées au hasard de l'actualité ou de la
saison et que M^i^ Blanche de Fleurigny, audacieuse,
n'a pas craint de réunir en volume; elle n'a pas
eu tort: ses Guignols parisiens se tirent agréable-
ment de cette redoutable épreuve et nous décou-
vrons, dans tels de ces tableautins, de jolies qua-
lités d'observation psychologique, « micro -psycho-
logique », dirait notre amie Sonia : « la femme qui ne
sait pas mentir », « les vieilles », « les sourires d'étren-
nes», m'ont semblé à cet égard particulièrement
réussis.
J'en voudrais nommer d'autres, mais ils sont
trop; la verve de M^^^ de Fleurigny s'exerce sur
les mille et un petits événements qui marquent
une année parisienne, elle franchit même les forti-
fications et s'en va jusque sous bois, en face de la
belle nature, et, bien avant Rostand, fait converser
devant nous la caille, le lapin, le faisan et le cerf, et
ses bêtes ont de l'esprit, autant que ses person-
nages.
MÉMENTO DU MOIS DE JANVIER
ROMANS
Clermont (Emile). — Amour promis. >
Doucet (Jérôme). — La fille de Manon.
MEMENTO DU MOIS DE JANVIER 15
I^e Queux (William). — La Dame en bleu. Roman traduit
de l'anglais par M. Armand Le Gay.
Mauprat (Henri). — Fulbert Fulgence, V anticlérical. « Joie
d'Automne. — Romancier et Chef de Bureau.-»
Roland (Marcel). — Le Presqu' homme, « roman des temps
futurs ».
HISTOIRE — LITTÉRATURE
THÉÂTRE — POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Andrillon (Henri). — L'Expansion de ^Allemagne et la
France.
Arschot (Comte d'). — Quelques Vers, d'une séduisante
harmonie.
Auge-Chiquet (Mathieu). — Les Amours de Jean-Antoine
de Baïf (Amours de Méline), édition critique.
Bergerat (Emile). — Ballades et Sonnets, des vers qui 'sont
souvent d'un délicieux poète, étincelant jongleur de
rimes, et parfois d'un grand poète : les Ballades pour
François Villon, la Ballade à la gloire de Catulle
Mendès, la Courteline-ballade, le Petit sonnet du
jeu de la vie — mais si je commence à vouloir citer
des titres, je les énumérerai tous — sont des choses
exquises : le poète nous dit, dans son « sonnet préli-
minaire » :
Un intérêt du moins de ces vers se dégage.
J'en ai volé la joie à mes tâches du jour.
C'est un bon voleur ! Car cette joie dérobée, il
nous la distribue à nous, lecteurs, avec une truculente
et magnifique générosité.
Bourgeois (Léon). — Pour la Société des nations. Quoi qu'il
puisse sembler, l'éminent homme d'État ne défend
pas dans ce beau livre les rêveurs de la paix, il est
pour les « hommes d'action de la paix» et dans la
société des nations qu'il veut fonder, loin de convier
16 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
«
les peuples à une résignation inerte, il prétend « les
grandir, les ennoblir, les exalter en définissant entre
eux les droits égaux et les devoirs réciproques ; créer
pour eux la plus haute des indépendances, celle qui
ne connaît qu'une loi commune, celle de la conscience
commune et fonder sur la seule justice la seule paix
qui soit assurée».
Chuquet (Arthur). — Épisodes et Portraits (2^ série), des
pages vivantes et documentées, où l'auteur évoque
tour à tour : Joséphine et Berthier, Frédéric II,
le Général Legrand, Primi Visconti, Grabovski,
etc..
Claretie (Jules), -r La Vie à Paris, la treizième série de
ces brillantes et alertes chroniques : un volume tout
rempli de souvenirs pittoresques évoqués avec une
philosophie indulgente, une souriante malice, qu'on
relit avec un plaisir très délicat, un peu mélancolique,
en songeant que toutes ces histoires parisiennes évo-
quées sont d'hier à peine et que déjà elles appartien-
nent au passé et qu'elles constituent de l'histoire.
Drouhet (Charles). — Le Poète François Mainard (1583-
1646), un bel et sohde ouvrage d'étude critique
d'histoire httéraire.
Dupuy (Emile). — Américains et Barbaresques (1776-1824) :
« Études d'Histoire d'Amérique.» En choisissant ce
sujet M. Emile Dupuy a eu, selon M. Arthur Chuquet
qui préface l'ouvrage, la main heureuse. « Il retrace,
nous dit M. Chuquet, un épisode de l'histoire des
États-Unis, et un épisode aussi remarquable qu'i-
gnoré, fort attachant, plein de péripéties drama-
tiques. Il nous montre les Américains aux prises
avec les pirates barbaresques, et il les montre agis-
sant, dès ce moment, presque dès le début de leur
existence politique, comme ils agirent par la suite;
d'abord la diplomatie et les procédés à l'amiable,
puis le langage ferme, résolu et menaçant; enfin, les
moyens énergiques, la force, la violence faisant ce
que n'a pu faire la douceur. » Ce très intéressant sujet,
M. Emile Dupuy l'a traité avec beaucoup de savoir,
de conscience et de verve.
MEMENTO DU MOIS DE JANVIER 17
État-Major de l'Armée (Section Historique de 1'). —
U Investissement de Paris.
Gennepp (A. Van). — La Formation des Légendes, un bien
attrayant volume paru dans la « Bibliothèque de
Philosophie Scientifique». C'est, dans une ordon-
nance très heureusement philosophique, l'étude du
conte, de la fable, de la légende et du mythe, l'examen
du thème des légendes, leur division en légendes
relatives au monde naturel, au monde surnaturel, en
légendes historiques, et c'est enfin, les légendes dans
la littérature et la formation et la transmission des
légendes. C'est d'un très vif intérêt pour l'histoire
et la compréhension du travail littéraire des écrivains
de tous les temps, qui ont puisé dans les fonds popu-
laires leurs matériaux pour ensuite les transformer
en des œuvres fameuses.
Guillaume (G.). — Souvenirs d'un franc-tireur pendant le
siège de Paris, par un volontaire suisse.
Guitry (Sacha). — Correspondance de Paul Roulier- Davenel.
Que de rosserie, mon Dieu ! dans ces pages — et
dans ces croquis, car Sacha Guitry ne se contente
pas de mettre les points sur les i, il met les figures sur
les noms. Avouons que c'est bien amusant, et puis le
livre est édité avec un art et un luxe admirables.
Hartmann (Lieutenant-colonel L.). — Les Officiers de
V Armée royale et la Révolution.
Klein (Abbé Félix). — L'Amérique de Demain, des pages
alertes et vivantes où l'auteur nous donne le résultat
d'une longue enquête faite sur place et qui lui a permis
de recueillir les renseignements les plus curieux et
parfois les plus imprévus. « En parcourant les États-
Unis de long en large, nous dit-il, et c'est long ! et
c'est large ! j'ai voulu me renseigner autant qu'il était
possible sur les questions, fussent-elles insolubles, qui
se posent actuellement pour les Américains eux-
mêmes, touchant l'avenir immédiat de leur pays. » Le
livre et la leçon qui s'en dégagent, il les dédie à de tout
jeunes amis avec l'espoir qu'ils se « montreront dans
un esprit d'optimisme, d'énergie et de liberté, bons ser-
viteurs delà France de demain et du Christ éternel».
2.
18 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Kretschman (Hans de). — Lettres écrites au cours de la
Guerre de 1870-1891, des pages dues à la plume d'un
ex-général d'infanterie, publiées par Lilly Braun, née
de Kretschman, traduites de l'allemand par le Comte
Albert Latreille.
Legrand-Girarde (Général). — Turenne en Alsace (Cam-
pagne de 1674 à 1675).
Le Moy (A.). — Le Parlement de Bretagne et le Pouvoir
royal au xviii^ siècle, un austère et imposant ouvrage.
Lovinesco (Eugène). — J.-J. Weiss et son œuvre littéraire,
un intéressant volume où, selon M. Emile Faguet qui
a préfacé l'ouvrage, l'auteur « a tracé le portrait de cet
homme captivant et abondant en surprises intéres-
santes, avec la dihgence et la sympathie d'un explo-
rateur avisé, qui serait amoureux du pays parcouru
et qui lui serait reconnaissant d'être tant plein de
difTicultés...»
Maugey (Irénée). — L'Impératrice Eugénie.
May (Gaston). — Le Traité de Francfort, une étude d'his-
toire diplomatique et de droit international.
Musset (Alfred de). — La Confession d'un enfant du siècle,
une excellente édition parue dans la collection des
« Meilleurs Auteurs classiques français et étrangers »
et publiée pendant que paraissent ces admirables
lettres adressées par le poète à Aimée d'Alton,
« L'inconnue» dont cette confession était le roman
préféré.
Romilly (Edouard). — Rêves et Réalités, des vers d'une
heureuse et noble inspiration où se retrouvent les
quahtés louées par M. Emile Faguet à l'apparition
du précédent recueil : Vers V Effort : « l'élévation, la
grandeur de l'inspiration et la beauté sobre et sévère
de la forme.»
Tinayre (Marcelle). — Notes dune voyageuse en Turquie.
Cette voyageuse est, on le sait, un écrivain d'une très
grande valeur ; elle a eu, en outre, la rare fortune de
vivre une dramatique page d'histoire : elle séjourna
à Constantinople en pleine révolution, ainsi, ses notes
de voyage deviennent un très beau et très vivant
document historique où, en des pages colorées et
MEMENTO DU MOIS DE JANVIER 19
vibrantes, sont évoqués des jours de bataille et de
révolution, où passent croqués en des traits pitto-
resques, des choses et des gens de province, la vie au
harem, cette existence étrange dont elle put pénétrer
le mystère...
Tripot (D'^ J.). — Au pays de Vor, des forçats et des Peaux-
Rouges, un volume, illustré de nombreuses images,
où l'auteur évoque « la Guyane» : « C'est, nous dit-il,
la description d'un voyage parmi les antiques Ca-
raïbes, le récit d'événements où je fus mêlé, et l'énoncé
d'impressions essentiellement personnelles que j'ai
consignées avec toute la sincérité possible, heureux,
si après avoir parcouru ces feuillets, le voyageur que
les hasards de son existence porteront au pays de
l'or, des forçats et des Peaux-Rouges s'y peut com-
porter, à l'arrivée, non en dépaysé qui ignore et s'in-
quiète, mais en initié qui, dès le premier pas, se sentira
en terrain déjà pressenti et entrevu.
Wyzewa (Téodor de). — Excentriques et Aventuriers de
divers pays. — Essais biographiques d'après des docu-
ments nouveaux où M. Téodor de Wyzewa fait
revivre « trois figures de voyageurs de la Renais-
sance, un groupe d'acteurs ou témoins de la Révolu-
tion et du premier Empire, quelques silhouettes de
mauvais compagnons et des originaux de toute condi-
tion». Et c'est, tour à tour, évoqués en des pages
vivantes, alertes ou terribles, Gaspard Hauser, le
prince Clovis de Hohenlohe, Jean-Gaspard Lavater et
les précepteurs du roi de Rome, une dame d'atours de.
la princesse de Lamballe, que sais-je encore !...
FEVRIER
LES ROMANS
PAUL ADAM
Le Trust.
Ce roman est une œuvre énorme, si imposante
qu'elle nous inspire, tout d'abord, je ne sais quelle
crainte respectueuse. Au moment de pénétrer dans
ce monument aux proportions colossales, aux lignes
majestueuses, nous hésitons, un peu intimidés.
Vrai, ce livre n'a rien des romans auxquels nous
sommes habitués : gentilles histoires dont la séduc-
tion est immédiate et que nous dégustons tout de
suite, sans effort. Le Trust n'est point d'une grâce
si facile, il ne se donne point si aisément : sa con-
quête nous coûtera quelque effort et quelque peine.
Ne marchandons point cet effort : d'abord, nous
FÉVRIER LES ROMANS 21
a serons royalement récompensés, et puis nous le
devons bien au noble écrivain qui a consacré un
labeur si opiniâtre et si admirable à réaliser une
conception née dans son cerveau, il y a déjà tant
d'années. Songez, en effet, que M. Paul Adam pen-
lit à ce roman en 1904, quand il me parlait « de
oumettre aux lecteurs français une sorte de roman
ausité, en choisissant pour thème la rencontre d'un
milieu et d'une idée, d'un peuple et d'un sentiment
au lieu d'élire pour sujet la rencontre de deux ou
trois héros en passion»; il y travaillait même, car
il ajoutait : « J'achèverai, sans doute, alors mon
roman sur la psychologie d'un trust, synthèse de
caractères à laquelle je travaille depuis cinq ans. »
L'œuvre que nous avons sous les yeux représente
donc dix années de travail, de recherches, de pensée.
Avais-je tort de dire que l'écrivain capable d'un si
généreux effort est en droit de demander à son lec-
teur un peu d'application et de persévérance?
L'œuvre, une fois qu'on l'a comprise et pénétrée,
wne fois qu'on s'est emparé de sa beauté et de sa
I Mjnsée profonde, est splendide ; on a, après l'avoir
lue, la tête toute bourdonnante d'idées, les yeux
éblouis d'images; on a surtout l'impression que le
lemps et l'effort consacrés à cette lecture ne furent
pas vains, que l'on n'a pas seulement éprouvé un
laisir, si noble qu'il soit, mais qu'on a fait un pro-
-lès, qu'on a appris quelque chose, qu'on a pénétré
un peu plus avant dans la compréhension de l'hu-
manité moderne, de son colossal effort.
22 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Et je n'essayerai pas maintenant de vous dire
ce qu'il y a dans ce roman; une telle œuvre défie
l'analyse, et pour exprimer, pour rendre sensible en
quelques lignes ce monde de mots, d'idées et
d'images, il faudrait être Paul Adam lui-même,
avec une invraisemblable puissance de synthèse
et de concision. Comment songer, en effet, à évo-
quer ici cette épopée d'une élite que sa passion
créatrice amène en contact avec quatre foules, aux
extrémités de la terre, de Cuba à New-York, et en
Russie, pour aboutir à la vieille Egypte où des
« Pharaons avaient creusé, selon le témoignage des
hiéroglyphes, un lit pour la crue du Nil, 3.500 ans
avant l'initiative de l'Electric Standard», tant il
est vrai que l'histoire est un éternel recommence-
ment, que le Pharaon d'il y a trente-cinq siècles et
le génial trusteur d'aujourd'hui « ne sont que deux
gestes brefs du même espoir confus, et qui souffre à
travers les temps »; que l'unique « visage des vérités
sourit de toutes les faiblesses momentanées, de
toutes les forces provisoires, de tous les dieux péri-
més, de tous les soleils futurs, de tout Gela qui est
apparemment inutile ». Conclusion mélancolique
et relative d'un admirable poème de l'effort et de
l'absolu...
FEVRIER — LES ROMANS
COLETTE Y VER
Les Dames du Palais.
M"^*^ Colette Yver, qui est aujourd'hui un écri-
vain célèbre, n'aimje décidément pas les carrières
libérales pour les femmes... pour les autres, sans
loute. Vous n'avez pas oublié ses Princesses de
science où elle a prétendu établir, à la faveur d'une
très attachante histoire, qu'une femme ne saurait
tre, à la fois, médecin et épouse. Maintenant, c'est
aux avocates qu'elle s'en prend; vous verrez que
toutes les carrières y passeront, et j'attends avec
curiosité le livre où cette femme de lettres dénon-
cera la profession d'écrivain.
Pour aujourd'hui, ce sont donc les Dames du
Palais que Mi»e Colette Yver évoque à nos yeux. Ce
roman présente avec le précédent une frappante
analogie, analogie voulue sans doute : en faisant
vivre au couple d'avocats, M. et M^^^ Vélines, une
iventure presque semblable à celle du ménage de
médecins de Princesses de science^ M"^® Colette Yver
a prétendu établir que les dangers étaient les mê-
mes à la salle des Pas -Perdus et à l'amphithéâtre.
Les milieux peuvent être différents, les héros peu-
vent changer de nom, de costume et de caractère :
la préoccupation professionnelle produit le même
lïet dissolvant sur l'amour conjugal, sui le foyer,
ir la famille, et le même dénouement s'impose à la
24 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
femme, même supérieure, même géniale, qui veut
garder l'amour de son mari et confrère, et défendre
son bonheur : et ce dénouement, c'est la retraite.
Cette analogie symbolique n'entraîne d'ailleurs
nulle monotonie, car M»^® Colette Yver, romancier
fort habile, et qui sait à merveille ménager ses
effets, est, en outre, un écrivain d'une rare cons^
cience; elle étudie avec minutie les milieux où
évoluent ses héros; et, comme elle a au plus haut
degré le don de l'observation et de la vie, les ta-
bleaux qu'elle nous offre sont d'une vérité et d'un
mouvement surprenants. Et c'est ainsi que son
nouveau roman avec son évocation si vivante, et
qu'on sent si vraie, de ce monde pittoresque du
Palais de justice : magistrats, avocats, avocates et
chents, intéressera très vivement cçux-là même
qui seraient tentés de s'irriter contre les théories
antiféministes de cette femme de lettres.
CHARLES DE POMAIROLS
Ascension.
M. Charles de Pomairols, dont les délicats appré-
cient l'œuvre poétique d'une haute et noble inspi-
ration nous a offert, avec Ascension, son premier
roman. Ce début d'un écrivain, qui a derrière lui
une carrière déjà longue, ne nous apporte aucune
FEVRIER LES ROMANS 25
surprise : le romancier, en M. de Pomairols, est tout
semblable au poète. Très lamartinien, animé d'une
foi ardente, il exalte, dans sa prose harmonieuse et
unie comme un lac, les sentiments de bonté, de
générosité, d'amour idéal, les traditions de la fa-
mille, des ancêtres et du sol, qu'il chante dans ses
vers. La confession du héros Destève, professeur
de littérature à l'université de Toulouse, à son ami
Cadars, est l'histoire la plus simple et la plus édi-
fiante qui soit. Destève garde le souvenir attendri
et respectueux de la maison natale, du paysage,
des bois et des champs, sur lesquels il ouvrit les
yeux; il se rappelle avec ferveur son éveil à la vie ,
contemplative, sa première rêverie et sa première
prière ; son adolescence calme et pure dans le culte
du Seigneur; son amour d'une liliale blancheur
pour Thérèse Issalys, jeune fille candide et tendre,
qu'il épouse et auprès de laquelle il passe deux
années de bonheur. Un enfant naît de cette union,
la petite Lucile, mais hélas ! l'épouse meurt en lui
donnant le jour, et le père, seul, dès lors, surveil-
lera r « ascension » de cette petite âme vers Dieu,
-ans se laisser détourner par les tentations du
monde, ni par la beauté de M^^^ Satran.
Ici se termine la première partie du livre, la con-
fession de Destève résumée en ces mots : « Une
naissance rurale, un vif attachement à la terre
natale, un enthousiaste culte de la gi andeur
humaine, un noble amour trop bref, hélas ! et main-
tenant une profonde tendresse paternelle. »
26 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Dans la seconde partie, c'est l'enfance de Lucile,
sa pure adolescence auprès d'un père qui l'adore,
sa vocation irrésistible vers le couvent du Sacré-
Cœur de Toulouse. Mais, hélas ! des lois impies chas-
sent la congrégation et Lucile suit sa maison au
Brésil. Son père fera comme elle malgré son atta-
chement au sol : il ira s'installer auprès d'elle, à
Gaïba. « Il aimait sa terre mais il préfère son enfant,
il doit pour l'aider dans son ascension, tout faire,
tout subir, rompre, puisqu'il le faut, des liens qui
lui étaient profondément chers. »
LUCIE DELARUE-MARDRUS
L'Acharnée.
Lorsque M^^^^ Lucie Delarue-Mardrus pubha les
beaux vers de Ferveur et des Horizons^ nous saluâ-
mes en elle l'espoir, la certitude d'un très beau
poète. Mais bientôt M"^^ Lucie Delarue-Mardrus
abandonna la poésie pour le roman; elle l'aban-
donna complètement — les femmes ne font rien à
demi — elle délaissa toutes les brillantes images,
toutes les nobles imaginations et ne voulut confier
à sa prose que l'expression d'étranges et pénibles
réalités.
C'est dommage! Ses romans, pleins de talent
d'ailleurs, laissent toujours une impression de
Lh.S ROM A. N S
malaise, et Ton a après les brutalités de Marie^
fille-mère^ comme après les étrangetés des Six
petites filles^ l'idée qu'on vient de fréquenter des
gens malsains, de côtoyer des choses inquiétantes.
Ce n'est pas r Acharnée, qui modifiera cette impres-
sion ! Le héros de l'aventure s'appelle Sheridan
Saintange... Sheridan! — Sa mère lui a donné ce
prénom singulier « par admiration pour Richard-
Brinsley Sheridan, auteur du xviiie siècle, dont
les comédies montrent des femmes qui, à force
de mauvais caractère, font souffrir leurs maris,
horriblement ». Ce simple détail vous démontre que
la maman est assez gentille ! Mais que dirai-je du
père, acharné à proclamer la dégénérescence de sa
race; du grand-père mort centenaire après avoir
commis quelques crimes, et de la grand-mère
démente qui erre dans les allées du parc. Le jeune
Sheridan est digne du milieu; cet adolescent beau
comme un dieu, doué admirablement pour la
musique, est un détraqué. Et s'étant épris éperdu-
ment, à l'âge de seize ans, d'Irène de Clairvilliers,
alors dans tout l'éclat de sa beauté et de ses triom-
phes, il ne lui pardonnera jamais de n'avoir pas
compris son amour et de s'être laissé aimer par
d'autres que par lui.
Et lorsque des années auront passé, lorsque Irène
fanée et vieillie, acharnée après la jeunesse et
l'amour qui fuient, aimera à son tour Sheridan
devenu célèbre, ce beau musicien se vengera cruel-
lement en la torturant, en l'humiliant, en l'insul-
28 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
tant. Il faut qu'Irène meure dans un drame de fait
divers pour qu'il retrouve sa passion d'autrefois
et qu'il reconnaisse, en cette figure de femme, l'image
de son inspiration. Ainsi l'aventure de ce jeune
goujat et de cette vieille femme amoureuse acquiert
la noble signification d'un symbole.
TOUGAS-MASSILLON
Les Attaquenrs.
C'est encore de fâcheuses réalités que nous entre-
tient le roman de M. Toucas-Massillon. « Atta-
quenrs », je n'aime pas beaucoup ce mot qui man-
que d'euphonie et de précision. Mais le roman de
M. Toucas-Massillon nous fixe bien vite sur son
sens : les attaqueurs, ce sont les hommes de proie,
les arrivistes féroces qui veulent à tout prix con-
quérir l'argent, le luxe, la joie de vivre, sur les
attaqués, leurs dupes et leurs victimes.
La lutte n'est pas nouvelle, elle durera autant
que le monde : les épisodes en resteront toujours
poignants pour les spectateurs qui, bon gré mal
gré, sont presque toujours forcés d'être aussi des
acteurs. M. Toucas-Massillon a exprimé avec beau-
coup de puissance l'âpreté de cette lutte, l'inquié-
tude, l'angoisse des combattants qui se ruent à
l'assaut, frénétiquement, jusqu'au jour où la vie-
FÉVRIER — LES «.OMANS 29
toire reste à celui qui fut plus habile, plus heureux
que les autres et qui bénéficie de tous les crimes
accumulés. Ce vainqueur trouble, le docteur Da-
niel Simonnet, l'auteur nous en a restitué la figure
en des traits si expressifs, si précis, que nous som-
mes tentés de le reconnaître, comme aussi les au-
tres athlètes de ce combat sans merci et sans gloire :
le richissime Seliegman, et le bookmaker Magrand,
et Vandewelde, le puissant directeur de cercles. Le
roman est très intéressant, très solidement char-
penté, écrit dans un style simple, familier, qui ne se
soucie pas d'élégance — parfois pas assez.
TANCRÈDE MARTEL
Rien contre la Patrie.
M. Tancrède Martel, poursuivant la série de ses
romanesques évocations d'histoire et de légende
qu'il dédie inlassablement « à la mémoire de Gus-
tave Flaubert)), publie un roman dont le cadre est,
tour à tour, la Venise des doges, Ferrare et Elkébi-
rah, la fastueuse capitale d'un mystérieux royaume
<lii désert. C'est une étonnante histoire d'amour et
d'aventures, celle du jeune et brun patricien San-
dro Cardelini qui, un beau jour du printemps de
l'an 1465, sous le dogat de Christoforo Moro, enleva
In blonde Laura Bicigallo, fille unique d'un sétui-
30 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
teur et la plus belle personne de la noblesse. Il ris-
quait gros, car les mœurs n'étaient point douces à
Venise : le Conseil des Dix, le Grand Inquisiteur ne
badinaient point avec ces sortes d'affaires; mais il
y a un dieu pour les amoureux : le beau couple
put gagner sans encombre Ferrare et mena joyeuse
vie jusqu'à ce que les ressources emportées fussent
complètement épuisées.
Alors, Gardelini résolut de tenter la fortune : il
s'en alla au loin, vers la Palestine, puis dans les
déserts d'Afrique, et après des aventures auprès
desquelles celles de Sigurd, à la poursuite de Bru-
nehilde, ne sont que jeux d'enfant, il pénétra victo-
rieux dans Elkébirah et fut salué roi de Bazican et
époux de la princesse Hourida, fille du roi. Auprès
d'elle, au milieu des trésors amoncelés dans son
palais, il oublia quelque temps la douce épouse lais-
sée à Ferrare, mais le mal du pays le prit, il retra-
versa les mers et courut chercher la blonde Laura
qu'il ramena triomphalement dans son royaume. La
pauvre Hourida ne put supporter ce coup du sort
et se poignarda.
Alors, libre de tout souci et sans remords, San-
dro ayant épuisé les plaisirs de la royauté, abdi-
que et retourne comblé de richesses, de pierreries,
de jdyaux, à Ferrare où il coule des jours heureux en
compagnie de sa femme. Ainsi finit très bien cette
histoire d'amour et de combats qui a toutes les
séductions et tout l'agrément d'un conte de fées
dont les héros, fort bien campés par M. Tancrède
FÉVRIER LES ROMANS 31
Martel, sont très humains et revêtus des costumes
les plus pittoresques et les plus exacts.
FÉLIX DUQUESNEL
A la Flamme de Paris.
M. Félix Duquesnel est un vieux Parisien qui
connaît sa ville, comme on dit, « dans les coins» :
les cabarets de Montmartre, les théâtres du bou-
levard, les journaux de la rue du Croissant, les
salons de « gendelettres », lui ont livré tous leurs
secrets. Généreusement, il nous en fait part dans cet
aimable roman. M. Duquesnel, se souvenant qu'on
ne visite vraiment bien Paris que lorsqu'on a des
provinciaux à promener, fait faire cette explora-
tion à un bon garçon de Chartres, frais émoulu du
régiment et qui, dédaigneux de la maison de com-
merce où son oncle, grainetier millionnaire et colé-
reux, lui offre une place de tout repos, s'en va cher-
cher la renommée et tenter la fortune à Paris. Ai-je
besoin de vous dire qu'il ne trouve ni l'une ni l'au-
tre et que la flamme de la grand 'ville risquerait
fort de le consumer tout entier, sans gloire ni profit,
si une gentille jeune fille, fiancée prévue dès le
début, n'arrivait un beau jour de Chartres pour le
ramener, repentant et assagi, à sa province, à la
boutique de l'oncle irascible, mais indulgent au
32 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
fond, et qu'un bon mariage termine, le plus genti-
ment du monde, ce « roman de la vingtième année ».
MAXIME GORKI
L'Espion.
(Traduction de M. Serge Persky).
U Espion^ le roman de Maxime Gorki, que M. Ser-
ge Persky nous révèle en une traduction fort litté-
raire, est l'un des plus caractéristiques du célèbre
écrivain russe. C'est un livre âpre, douloureux,
pénible, dont les phrases courtes, sèches, aiguisées,
vous pénètrent et vous glacent. Il n'y a pas, dans ce
roman, un mot de pitié, de tendresse, ni de pardon,
et cependant il vous laisse l'impression d'un plai-
doyer pour l'a espion» dont il conte la navrante
histoire.
On comprend, on excuse cet Evséi, malingre,
chétif et sombre; on se rend compte qu'il ne pou-
vait pas ne pas être un espion, que l'abject et obs-
cur métier de délateur et de traître lui était imposé
par toutes les forces de la destinée, de la nature, et
des hommes acharnés contre lui depuis sa naissance,
et qui lui ont appris dès l'âge de quinze ans la haine
et le mépris des autres et de soi-même. Dès lors, il
est poussé par une force aveugle et irrésistible à
toutes les œuvres de l'ombre et du crime; la peur
FÉVRIER LES ROMANS 33
et la haine se partagent son cœur, et même dans
ses amours — pauvres et abjectes amours ! —
il déteste et il tue, jusqu'au jour où il se décide
à en finir avec son plus implacable et douloureux
ennemi : avec lui-même.
GONAN DOYLE
Rodney Stone.
(Traauction de M. RtNK Lecuyer)
En voyant le nom de Conan Doyle sur la cou-
verture du nouveau roman, Rodney Stone, dont
M. René Lécuyer nous a offert une élégante tra-
duction, j'ai eu un instant d'inquiétude : allais-je
avoir à signaler le mille et unième de ces romans
policiers dont le célèbre créateur de Sherlock Hol-
mes a déchaîné la détestable invasion dans notre
littérature? Non pas qu'ils soient mauvais : Sher-
lock Holmes est admirable, Arsène Lupin délicieux,
et Rouletabille étourdissant, mais ils sont trop —
trop, vraiment ! Dieu soit loué, il n'est pas question
de police, ni de crime mystérieux dans ce roman.
C'est une évocation de la vie anglaise, au temps des
luttes épiques contre Napoléon; les marins d'Abou-
kir et de Trafalgar, l'élégante phalange des « daims »
patronnés par le futur roi Georges, traversent pitto-
resquement la dramatique histoire de lord Avon et
3.
34 LE MOUVEMENT LITTÉRATRE
de son frère, et ce sont tout le long du livre, d'éton-
nantes histoires de boxe qui nous passionnent,
même si nous ne comprenons rien aux choses du
ring, car Conan Doyle a l'enthousiasme communi-
catif, et ses boxeurs sont, je vous assure, aussi
empoignants, sinon plus, que ses policiers.
HEADON HILL
Juste Grime.
(Ti'aduction do M. Marion Gilbert et M"'* Madeleine Duvivier).
Juste crime? Allons bon, c'est la police qui rentre
en scène, cette police que je craignais tant, à
la page précédente, de voir reparaître avec Conan
Doyle. Mais non ! Ce n'est encore qu'une fausse
alerte, le livre de Headon Hill est un de ces bons
romans anglais, tout à la fois touffus et précis, où
il y a beaucoup de personnages, d'événements et
d'images; roman meublé, s'il en fut, et qui défie
l'analyse.
Si j'essayais de vous expliquer comment Léonard
et Lesbia, sa fiancée, finissent par entrer en posses-
sion d'un héritage que leur disputent James Rey-
nell et Roger Daubeny, qui ont associé à leur téné-
breuse entreprise un homme redoutable, Bartlett,
le « tigre du Bengale)), je risquerais fort de me per-
dre et de vous perdre au milieu des mille compli-
FÉVRIER LES ROMANS 35
cations de ce roman qui reste, pourtant, lorsqu'on
le lit, d'une parfaite clarté : il est conduit avec
beaucoup d'art et l'intérêt n'en faiblit pas un
instant.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, PHILOSOPHIE,
DIVERS
GUSTAVE SCHLUMBERGER
Mémoires du Commandant Persat (1806-1844).
La merveilleuse galerie des officiers du premier
Empire s'enrichit aujourd'hui d'une figure presque
inédite, celle du commandant Persat, dont l'his-
toire était, jusqu'ici, à peu près ignorée et qu'on
connaissait uniquement par les quelques Hgnes très
pittoresques que lui consacra le général du Barail
dans ses souvenirs.
C'était insuffisant et ce héros singulier méritait
d'être mieux connu; voici qu'il se présente lui-
même. M. Gustave Schlumberger a retrouvé les
Mémoires du commandant Persat, « 1806 à 1844».
Ils sont extraordinaires ces mémoires, et je corn-
IKVRIER HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 37
prends que M. Gustave Schlumberger, après les
ivoir lus, n'ait plus eu qu'une pensée : nous en
faire part; mais il voulut d'abord être complète-
ment documenté sur ce commandant Persat, « véri-
table type de l'officier en demi-solde après les Gent-
Jours, adorant l'Empereur, « mauvaise tête mais
bon cœur», plus tard extraordinairement aigri par
les malheurs, incapable de subir la tyrannique police
(le la Restauration, d'un tempérament aventureux,
courageux à l'excès, devenu fanatique de libéra-
lisme comme il l'avait été de Napoléon. » Ces ren-
seignements, l'éminent historien fut assez heureux
pour les réunir très complets, et il nous les offre en
sfuise d'introduction aux mémoires du comman-
dant Persat. L'épopée de cet officier est une chose
inouïe : après avoir servi sous Napoléon en Alle-
magne, en Espagne, en Russie, dans la campagne
de France, après avoir été décoré de la main de
r Empereur, il ne peut se résigner à l'existence des
demi-soldes et s'en va se battre aux quatre coins
du monde : aux États-Unis dans les troupes de
l)olivar, à Naples dans celles du général Pépé, en
l'urquie pour l'indépendance grecque, en Espagne
MÙ il rencontre Armand Carrel, dont il devint l'ami
I*' plus fidèle et le plus fervent, dans la Louisiane,
ù il guerroie avec les Mexicains et les tribus
indiennes, que sais-je encore?
En 1836, il est de retour en France; gérant du
National de son ami Carrel dont la mort le laisse
inconsolable, il retourne au Péloponèse, ne peut se
38 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
résigner à y séjourner et vient mourir — vingt ans
après ! — dans son pays natal, en Auvergne. Telle
est, rapidement esquissée, l'étonnante carrière que
nous conte ce soldat du premier Empire, en des
pages alertes, prestes, souvent très aigres — car
Persat était un homme pas commode — mais d'au-
tant plus amusantes; et il faut remercier M. Gus-
tave Schlumberger de nous avoir donné le régal de
ces vivants souvenirs d'un officier de l'immortel
Empereur, qu'(( auront plaisir à lire tous ceux qui
chérissent d'un amour passionné ces vieux soldats
de l'Empire, témoins admirables d'une époque de
gloire et d'énergie. »
BARON MARC DE VILLIERS
Histoire des Clubs de femmes
et des Légions d'Amazones (1793-1848-1871).
On sait que les dames féministes se proposent
désormais au cours des élections de tenter un effort
décisif en faveur de leurs revendications ; déjà, dans
un grand nombre de quartiers, nos suffragettes se
préparent à la lutte, et, ne pouvant être électrices,
se font candidates. Gela nous semble très moderne :
nous avons tort. Il y a longtemps que les femmes
se sont mis en tête de collaborer à la confection
des lois et de participer à la vie publique. L'histoire
de leurs tentatives et de leurs luttes en France,
FÉVRIER HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 39
depuis un siècle, est pleine d'intérêt, on s'en rendra
ompte en lisant V Histoire des Clubs de femmes et
des légions d'amazones (1793-1848-1871).
Ce livre est d'une très forte et très attrayante docu-
mentation : on y voit revivre les figures d'Olympe
(le Gouges, de M^^ Robert-Keralio, puis celles
des amazones de la Révolution avec en tête Thé-
roigne de'Méricourt et tous ces clubs de citoyennes
qui naquirent du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest de
la France, pendant la période révolutionnaire. Ce
sont, ensuite, les amazones de 48: Borme et les
\ ésuviennes, M^^^ de Niboyet et la « Société de la
voix des Femmes» et les féministes du second
Empire, et les amazones de la Commune. C'est là,
juste au moment où il pourrait nous entretenir de
nos contemporaines, que M. Marc de Villiers s'ar-
rête ; pour lui, « c'est de l'actualité, ce n'est pas de
l'histoire».* D'ailleurs, de tous les efforts tentés de-
l>uis un siècle en France qu'est-il résulté jusqu'à
[>résent? Pas grand 'chose, Stuart Mill avait dit :
Avant la prochaine génération, l'accident du sexe,
I Kis plus que celui de la couleur de la peau, ne sera
legardé comme un motif suffisant pour dépouiller
lin être humain des justes privilèges d'un citoyen. »
<>?tte prophétie ne s'est point réalisée chez nous, et
la troisième République ne s'est guère montrée
plus galante envers le beau sexe que ses deux aînées.
I^^Ue lui a accordé le divorce qu'il réclamait, mais
c'est évidemment parce que cette loi intéressait
autant les maris trompés que les femmes battues. »
40 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
GILBERT-AUGUSTIN THIERRY
La Mystérieuse affaire Donnadieu.
Histoire et roman, les deux genres se touchent
de près. Souvent même ils arrivent à se confondre,
non seulement parce que les événements sont par-
fois plus romanesques que toutes les imaginations
du monde, mais aussi parce que l'historien, en face
de certains faits obscurs dont il désire pénétrer le
mystère, est amené, bon gré mal gré, à imaginer, à
interpréter. Ce n'est point, quoi qu'en pensent les
pessimistes, la faillite de l'histoire ; au contraire elle
s'accommode assez bien de cette incertitude grâce à
quoi elle reste à travers les temps éternellement
jeune et nouvelle et séduisante. Après tant d'au-
tres, après son père dont il porte si dignement le
nom, M. Gilbert-Augustin Thierry vient d'en faire
— d'en refaire — l'heureuse expérience.
Ayant voulu étudier la Mystérieuse affaire Don-
nadieu^ cette étonnante histoire de conspiration et
de poHce qui défraya la chronique en 1802, il a
compulsé les textes, fouillé les archives, et il a ainsi
réuni les éléments d'un livre qui est bien, avec son
évocation de la société de 1802 : militaires en ré-
forme, petits-maîtres, merveilleuses de salon, gri-
settes de boutique, argousins de police, prisonniers
du Temple ou de la Force, le plus amusant, le plus
pittoresque et le plus vivant des romans de la réalité.
FÉVRIER HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 41
Contient-il la vérité? L'auteur a trop de conscience
pour l'affirmer : « Ayant été sincère, il croit avoir
été vrai. Mais, hélas ! dans les œuvres de l'homme
où est la vérité? On doit exiger de moi, a déclaré
Diderot, que je la cherche et non que je la trouve... »
BŒHMER
Les Jésuites.
(Traduction do M. Gabriel Monod),
L'histoire n'est peut-être pas le tissu de légen-
des, d'hypothèses et de faux dont parlent ses
«létracteurs; elle ne mérite sans doute pas tous les
-arcasmes que lui a prodigués M. Max Nordau dans
son Sens de Vhistoire^ et c'est une grande calomniée.
Tout de même, il est un chapitre où notre confiance
en elle est mise à une rude épreuve et qui est bien
fait pour établir son incertitude — j'allais dire sa
mauvaise foi — c'est celui des Jésuites. Gomme il
'st difficile, non pas d'apprécier le rôle des Jésuites
dans le monde, mais de connaître simplement les
faits qui constituent leur histoire ! Systématique-
ment, ils ont été dénaturés par des écrivains préoc-
cupés seulement de chanter leur gloire ou de les
vouer à l'exécration, et il faut un fier courage à un
historien pour tenter d'écrire une histoire sereine
et impartiale des Jésuites; cette tentative, elle a
42 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
été faite par M. Bœhmer, professeur à l'univer-
sité de Bonn, lequel a publié, en allemand, les
Jésuites, dont M. Gabriel Monod nous offre la ver-
sion française.
Auteur et traducteur sont protestants, c'est vous
dire que l'oeuvre est d'avance frappée de suspi-
cion. Suspicion injuste : il y a dans ce livre un très
bel effort d'impartialité, et l'introduction de M. Ga-
briel Monod est d'une impressionnnante sérénité,
elle précise l'importance historique de l'œuvre de
M. Bœhmer. « Malgré- sa brièveté, elle nous paraît
fournir sur les points essentiels, en particulier sur
l'œuvre de saint Ignace, sur la lutte contre l'héré-
sie, sur le rôle des Jésuites dans l'éducation, sur la
vie intellectuelle et l'art, sur les missions du Para-
guay, tout au moins les éléments d'une apprécia-
tion équitable.»
Cette société des Jésuites qui a tenu et tient dans
le monde une si grande place, «a suscité des dévoue-
ments et des admirations, mais aussi des haines et
des jalousies sans bornes, même au sein du catho-
licisme, même au sein du clergé séculier et régu-
lier », et l'on comprend qu'on n'ait jamais parlé d'elle
avec sérénité et impartialité et que rien ne soit plus
difficile que de connaître avec exactitude son his-
toire; MM. Bœhmer et Gabriel Monod ont eu le
mérite de vouloir traiter calmement ce grand sujet
de l'histoire des Jésuites sur lequel on a presque
toujours écrit avec passion. Et c'est déjà très beau
de l'avoir essayé.
FÉVRIER HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 43
VICOMTE GEORGES D'AVENEL
Découvertes d'histoire sociale.
L'histoire économique et sociale des temps pas-
sés, r « histoire réaliste », a pour notre édification
une importance qui fut trop longtemps méconnue.
Ne serait-il pas, dit M. d'Avenel, aussi utile de
savoir l'état des moyens de transport au Moyen âge,
ou le nombre des hectares cultivés sous François I^^",
avec autant de précision que l'on connaît le nom,
l'humeur et la durée des maltresses successives de
Louis XV? )) Le vicomte G. d'Avenel s'est pas-
ionné pour cette histoire réaliste, il nous a donné
l(^ résultat de ses recherches dans des ouvrages
l'f'marquables et il en précise, aujourd'hui, la portée
n un volume de philosophie scientifique : Décou-
vertes d'histoire sociale. Ce sont des pages d'histoire
• crites avec des chiffres qui réussissent à être plus
mouvants et plus passionnants que tous les récits
du monde et qui amènent l'auteur à proclamer la
faillite de la politique dans le domaine économique :
l'étatisme est impuissant dans ce domaine: lors
même que rien ne serait libre en un État, le prix des
hoses le demeurerait néanmoins et ne se laisserait
.isservir par quiconque. La question sociale est
une question philosophique et scientifique, nulle-
ment une question politique, et toutes les réformes
44 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
du monde ne feront rien contre cet instinct de l'en-
fant jaloux qui refuse les pâtisseries offertes à la
table de famille en disant avec rage : « Le seul gâ-
teau que je veuille, c'est celui que mon frère a
manffé. n
EMILE LAUVRIÈRE
Alfred de Vigny.
Très heureusement ordonné, cet ouvrage se
divise en quatre parties : « l'aube, l'épanouisse-
ment, la maturité et le marasme, le glorieux
déclin», à travers lesquelles l'homme et l'œuvre
sont évoqués en des pages très compréhensives et
documentées et qui viennent à point pour justifier
le mouvement de réaction né en ces dernières an-
nées contre l'injuste indifférence dont le poète fut
victime au xix^ siècle. Il avait tous les dons qui
font le très grand poète et le très grand écrivain :1a
vaste intelligence, la sensibilité exquise et tendre, la
somptueuse imagination, il ne lui manqua que la
force physique et la force morale: « En toi, dit-il,
dans Chatterton^ la rêverie continuelle a tué raction»;
c'est l'épigraphe du livre, ce pourrait être celle de
la vie d'Alfred de Vigny. Tout de même, « il entre
de plein droit dans l'austère famille des Lucrèce
et des Leopardi, des Marc-Aurèle et des Pascal, ce
Vigny qui adressa à l'élite de tous les pays et de
I
I
FÉVRIER HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 45
tous les âges son bienfaisant message de stoïcisme
tendre et fier :
.1 aime la majesté des souffrances humaines.
. « Aimez le Bien pour sa beauté, la Beauté pour
son excellence, sans crainte de rien, sans espoir de
rien: l'Honneur suffît, car THonneur, c'est la poésie
du Devoir. »
Mlle ELLEN KEY
L'Individualisme.
(Traduction de M. Jacques di: Goussange).
L'auteur de V Individualisme^ le célèbre écrivain
iiédois dont le livre De V Amour et du Mariage fit
tant de bruit, est une bien intéressante personna-
lité littéraire et intellectuelle. Les jugements les
])lus contradictoires ont été portés sur elle, on l'a
parfois exaltée avec un enthousiasme qu'elle a été
la première, sans doute, à trouver excessif; on l'a
dénigrée aussi avec beaucoup d'injustice; et les
jugements ne sont pas seulement en désaccord sur
la valeur de ses idées, mais aussi sur leur sens et leur
tendance.
Il y a à cela une bonne raison : c'est que l'œuvre
(le M"® Ellen Key est un tissu de contradictions.
M. Pierre de Quirielle, qui admire beaucoup l'écri-
vain, nous le fait comprendre dans la préface du
volume V Individualisme^ une traduction de ses
46 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
« Images Idéales» publiée par M. Jacques de Cous- ';'
sange. M^i® Ellen Key est tout à la fois individua-
liste et socialiste ; elle est démocrate et aristocrate ;
elle a 'des idées très avancées, et des sentiments
plutôt réactionnaires; elle est féministe et antifé-
ministe; elle est ultra-moderne, et elle a l'horreur
du régime industriel de notre temps, la haine des
laideurs qu'il entraine et qu'il produit; — et, toutes
ces contradictions sont pour M. Pierre de Quirielle
singulièrement attachantes.
Combien il a raison ! Tant de contradictions
impliquent beaucoup de bonne foi et beaucoup de
sagesse. Pour les avouer et les proclamer ainsi, pour
savoir s'évader de la prison où vous enferme une
logique rigoureuse et conventionnelle, il faut n'être
point un esprit médiocre ; et, certes, ces pages sur
Vauvenargues et sur Maeterlink, et sur Ibsen, sur
les femmes et sur les besoins de la vie, ne sont
pas d'un esprit médiocre ; la femme de lettres qui
les a écrites « nous y apparaît vraiment puissante
et saine, spontanée et éloquente, riche et variée».
HENRI PIÉRON
L'Evolution de la Mémoire.
L'auteur nous avertit immédiatement, dans sa
préface, que ce « livre paraîtra sans doute bien bourré
FÉVRIER HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 47
de faits et, en, comparaison bien pauvre d'idées»;
mais c'est une nécessité du sujet : il faut accu-
muler les faits, les précisions sont indispensables
quand il s'agit de rechercher des psychologies com-
parées, si nouvelles et si mal connues. Les questions
auxquelles l'auteur se propose de répondre sont les
suivantes : Quel est le domaine de ce qu'on peut
appeler la mémoire? Sous quelles formes se pré-
-ente-t-elle à tous les degrés de l'échelle animale?
Quels sont les aspects et les limites de la mémoire
humaine? En quoi consistent ses troubles et quels
peuvent être ses progrès? A cette dernière ques-
tion, il donne une réponse bien ingénieuse, assez
décourageante pour l'individu, mais pleine d'opti-
misme pour la société. Selon lui, la mémoire des
hommes est limitée, et il viendra un temps où,
devant l'abondance des documents et des livres,
elle se rebutera et cessera d'emmagasiner; alors,
nécessairement, interviendra la schématisation
scientifique, qui rendra inutile la conservation des
souvenirs trop nombreux; le bagage des données
nécessaires deviendra de plus en plus mince, ainsi,
( nous pouvons avoir une certaine confiance dans les
progrès, non pas de l'intelligence individuelle, mais
(le l'intelligence collective et de la science, dont la
socialisation progressive est un fait évident et une
nécessité inéluctable ».
Cette conclusion audacieuse, et d'ailleurs mcer-
taine, enchantera-t-elle nos réformateurs révolu-
tionnaires? Je n'en suis pas très sûr; occupés qu'ils
48 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
sont à leurs grands projets de socialisation des che-
mins de fer, des mines, des assurances, etc., ils
n'ont guère le temps de souhaiter que la science
se socialise spontanément, et c'est, je crois bien, le
dernier monopole contre lequel ils partiront en
guerre...
MÉMENTO DU MOIS DE FÉVRIER
ROMANS
Acker (Paul). — Une aïeule contait En ce volume, l'au-
teur a groupé un choix de nouvelles et de récits qui
s'échelonnent sur tout un siècle, de 1791 à 1885,
histoires lointaines ou presque contemporaines que
sa grand'mère, « une petite et vive personne, soucieuse
encore de sa toilette, avec une figure pâle, mince et
d'un ovale parfait, un front large, deux yeux noirs
immenses, tantôt mélancoliques et tantôt brûlants
d'esprit, un nez long, droit, une bouche fme», lui avait
contées. Elle en savait d'innombrables, les unes
tendres et très douces, les autres terribles, d'autres
enfin simplement amusantes. M. Paul Acker nous les
restitue en des pages délicieuses que j'ai lues avec un
plaisir très vif et très déhcat; j'aimerais à vous en dire
quelques-unes, mais je m'en voudrais de choisir entre
de si jolies choses.
Aigueperse et Roger Dombre. — Les Joies du Célibat.
Blanvilain {M™^ Germaine). — Les Asservis.
Boissière (Albert). — Aimée ou la Jeune fille à marier, le
joli volume où, avec tant d'art, de tact et de déli-
catesse, le romancier a su analyser cette chose déli-
MÉMENTO DU MOIS DE FÉVRIER 49
cieuse, profonde et terrible qu'est l'âme d'une jeune
fille. J'ai eu maintes fois, dans ces dernières années,
l'occasion de louer le très original et très souple talent
de M. Albert Boissière : ce roman publié par lui au
Figaro est sans nul doute l'un de ses meilleurs ou-
vrages.
Glermont (Emile). — Amour Promis.
Conan Doyle. — Notre-Dame de la Mort, roman traduit de
l'anglais par M. René Lécuyer.
Dacre (Fernand). — Traîneurs de Sabre, quatre nouvelles
que réunit entre elles un lien social; ce sont quatre
épisodes d'une même destinée, quatre aspects d'une
même figure : l'officier, M. Fernand Dacre est bien
placé pour le connaître et pour le peindre, ce « traîneur
de sabre», contre qui s'évertuent rageusement les
antimilitaristes. A la faveur de ces quatre histoires,
très émouvantes, il nous conte l'effort de l'officier
vers la réalisation du type nouveau ; elles marquent en
« quelque sorte quatre étapes dans la mentalité de
l'officier moderne, pénétrant mieux les difficultés,
mais aussi la grandeur de son rôle, à mesure que son
horizon s'élargit et que son esprit s'ouvre mieux aux
problèmes de sa tâche complexe». Et c'est un hvre
de bonne foi, de sincérité et de réconfort.
Daudet (Ernest). — Les Aventures de Raymond Rocherey,
un roman très émouvant où M. Ernest Daudet
évoque les temps pittoresques de la guerre de 1870,
mêlant avec cet art qui lui est personnel l'histoire et
l'imagination.
Dombre (Roger) : Voir Aigueperse.
Fabre (Ferdinand). — Julien Savignac, nouvelle Édition.
Gaubert Saint-Martial (Raoul). — Le Cabaret de la Poire
d'Angoisse, un curieux volume.
Kadoré (Pierre de). — Le Transplanté.
Lauret (René). — Line, une jolie histoire lorraine.
Le Rouge (Gustave). — La Guerre des Vampires.
Mille (Pierre). — La Biche écrasée, un recueil de nouvelles.
Vous connaissez M. Pierre Mille : c'est un humoriste
charmant qui sait à merveille revêtir la vérité d'une
chatoyante parure de fantaisie. Mais ce n'est pas
4
50 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
qu'un humoriste : il y a dans ces histoires que je
viens de hre un sentiment exquis, je ne sais quelle
amertume douce et résignée d'une rare saveur. Parmi
ces nouvelles, de ton et de sujet très divers, il en est de
tout à fait supérieures, notamment la première, qui
donne son titre au livre, la Biche écrasée, si simplement
douloureuse, humaine et poignante, et le Merle, qui
n'ironise pas comme celui de Rostand mais se dévoue,
souffre et meurt, et le Repos hebdomadaire, dont le
héros, M. Barbier-Dacquin, plaira beaucoup au Ber-
geret d'Anatole France.
Nion (François de). — La Dépêche de Mars, des contes
sportifs et fantastiques très amusants et très hardis.
L'écrivain nous montre là une face tout à fait nou-
velle de son talent, et telles de ces histoires fantas-
tiques, étranges et rigoureusement logiques, plairaient
à Wells ou à notre grand Jules Verne.
Saintis. — La Méprise.
Valmesnil. — Dorine, ou le Roman d'un Émigré,
■ HISTOIRE — LITTÉRATURE
THEATRE — POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Abnour (Contre-amiral d'). — Histoire abrégée des peuples
de la Russie (Essai de Chronologie Russe, 1864-1894),
ouvrage dédié à S. -M. Maria Feodorovna, impératrice
de toutes les Rusgies.
Bertaut (Jules). Voir Alphonse Séché.
Bidegain (Jean). — Une Conspiratian sous la troisième
République, un volume où Fauteur prétend nous
offrir « la vérité sur l'affaire des fiches» : on jugera
qu'il est assez bien placé pour la connaître.
Bonnal (Général). — Histoire de la i^ie militaire du maréchal
Ney, duc d'Elchingen, prince de la Moskowa.
MEMENTO DU MOIS DE FÉVRIER 51
^t^Çornet (Capitaine). — Au Tchad. L'auteur, officier dt;
^b l'infanterie coloniale nous raconte trois années
^^t passées chez les Senoussistes, les Kirdis et les Ouad-
^^B daïens, — ces Ouaddaïens qui viennent de faucher
W^m tant de nobles vies françaises. On hra avec une
émotion profonde ces pages vécues sur des peuplades
dont le nom est illustré aujourd'hui par une renom-
mée sanglante, et, à la lumière du tragique événement
d'hier, on reconnaîtra tout ce que ces observations
notées entre deux coups de feu, tout ce que cet entrain
et cette verve de l'officier écrivain peuvent receler
d'héroïsme et d'abnégation...
Dautremer (Joseph). — L'Empire Japonais et sa vie écono-
mique. -
Faucigny-Lucinge (Mn^^ A. de, née Ghoiseul-Gouffier). —
Rachel et son temps, une très agréable et émouvante
monographie de Rachel.
Gaillard (Alphonse). — Échos des Monts Jura. — La
Franche- Comté.
Hepp (Alexandre). — Ferdinand de Bulgarie intime, un
fort intéressant volume où le tsar des Bulgares est
évoqué en des pages alertes, éloquentes et documen-
tées> semées de pittoresques documents photogra-
phiques, par un très bon écrivain qui le connaît à
merveille et qui a suivi avec un intérêt passionné
l'admirable carrière de ce prince, dont on peut dire
que « cette Bulgarie, si le traité de Berlin a tenté de lui
donner un état civil, c'est lui qui lui a soufïlé la vraie
vie ».
J.a Mazelière (Marquis de), — Japon : Histoire et Civili-
sation. 5^ volume.
I.anzac de Laborie (De). — Paris sous Napoléon. — Le
Monde des Affaires et du Travail, un volume où l'au-
teur poursuit le développement de son magistral
ouvrage sur l'administration napoléonienne. C'est
un tableau tout à la fois très technique et très vivant
du. commerce, du crédit, de l'agiotage, de l'industrie,
du travail manuel à Paris, sous Napoléon. On trouvera
dans ce livre une foule de documents du plus haut
intérêt remarquablement ordonnés, présentés et
52 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
commentés, et notamment des .détails tout à fait
curieux sur la façon dont l'Empereur envisageait les
questions ouvrières.
La Roncière (Charles de). — Histoire de la Marine Fran-
çaise, le quatrième volume de ce magistral ouvrage
évoque le temps où Richelieu conçut le plan d'un
empire colonial pour la France et travailla à consti-
tuer, pour l'étayer, la forte armature d'une marine
de guerre.
Latreille (C). L'Opposition religieuse au Concordat, un
savant et excellent volume.
Marquiset (Alfred). — ■ Le Vicomte d' Arlincourt, une bien
séduisante étude sur ce « prince des romantiques»,
littérateur fécond « qui occupa la première moitié
du XXe siècle par des promenades de troubadours et
des vers galants tracés dans les albums des grandes
dames », et qui fut, sinon un écrivain de bien grand
talent, du moins un homme de grâce et de bonne
volonté.
Mathiez (Albert). — La Révolution et V Église, un recueil
d'études critiques et documentaires. L'auteur est un
historien très érudit : il s'est consacré plus spéciale-
ment à l'étude de la Révolution et il est « président
de la Société des études robespierristes ». Voilà un
titre qui est fait pour établir sa compétence, mais
qui ne nous rassure qu'à demi sur son impartialité.
J'ai lu avec intérêt et attention ce livre remarquable,
bourré de faits et de documents; j'y ai appris beau-
coup de choses intéressantes et je crois que le public
les lira avec profit, mais je n'y ai point trouvé cette
sérénité absolue qui ferait l'historien idéal. M. Ma-
thiez ne croit pas qu'un ecclésiastique soit capable
d'écrire une histoire religieuse de la Révolution parce
que « les lois, les institutions contraires à l'esprit de
l'Éghse lui seront lettre morte». C'est bien possible,
mais s'imagine-t-il vraiment que les incrédules
soient mieux qualifiés pour comprendre les choses
ecclésiastiques?
Pailhès (G.). — La Duchesse de Duras et Chateaubriand.
Péguy (Charles).— Ze Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc,
MEMENTO DU MOIS DE FÉVRIER 53
une prestigieuse évocation de la bonne Lorraine sous
la forme originale et touchante d'un mystère, dont
l'auteur en plein XX^ siècle et dans notre langue
moderne, a su parler de Jeanne comme Joinville
parlait de saint Louis.
Plattard (Jean). — U Œuvre de Rahelay.
Recouly (Raymond). — En Angleterre, un volume d'un bien
vif intérêt. L'auteur, qui a vécu longtemps à Londres,
évoque en des pages prestes et vivantes, la vie et les
mœurs de la grande ville, note au. passage mille détails
pittoresques de la rue et de la maison. La seconde
partie de son livre, plus austère mais non moins
attrayante, nous parle de la politique, étudie les ques-
tions extérieures et coloniales, et nous expose le
mécanisme parlementaire : étude particulièrement pré-
cieuse pour nous au lendemain des élections qui
viennent de finir et qui marquent une date si impor-
tante dans l'histoire de l'Angleterre.
Hocca de Vergallo (N.-A. Délia). — La réforme générale de
Vortografe, une « édicion nacionale» d'une œuvre qui
est une chose affreuse où la pauvre langue française
subit, sous nos yeux, les pires outrages.
Rocheblave. — Agrippa d' Auhigné, une étude littéraire
parue dans la Collection « Les Grands Écrivains
Français ».
Roussel (Raym-ond). — Impressions d'Afrique.
Sancy (Pierre de). — Pais d'chez nous. L'auteur est un grand
chasseur devant l'Éternel et, bien qu'on lui ait dit
souvent : « Tu ne fais rien, tu chasses ! )r, il a su mettre
à profit les longues heures passées à la poursuite du
gil3ier; cependant qu'à travers les plaines et les
champs, il suivait les animaux à la trace, il regardait
les hommes, les paysans, rencontrés sur son passage,
il recueillait mille observations qu'il nous rapporte
aujourd'hui — chasseur doublement heureux — dans
un très agréable volume où sont réunies une foule
d'anecdotes amusantes ou dramatiques, contées en
une langue famihère, et d'où l'auteur a tiré une espèce
de philosophie en traçant une « esquisse sociale» du
paysan français, lequel a, « comme tous les êtres, du
54 LE MOUVEMEÎST LHTHKAIRE
pour et du contre, des qualités et des vices, mais pas
de bien grands vices, ni de très belles qualités. C'est
surtout un être neutre, avec des contradictions qui
vous déroutent et parfois un esprit de suite qui vous
surprend ».
Séché (Alphonse) et Jules Bertaut. — Balzac. — Charles
Baudelaire, deux volumes où les auteurs poursuivent
la publication de leur intéressante série « La Vie anec-
dotique et pittoresque des grands écrivains».
Séché (Léon). — Lettres d'amour d'Alfred de Musset à
Aimée d'Alton, ces lettres sont celles dont la pubh-
cation dans le Figaro fut si passionnément suivie par
le monde entier et qui, réunies en volume, suivies de
poésies inédites écrites de 1837 à 1848, augmentées
d'une introduction et de notes par Léon Séché, ont
intéressé le public, au point que dix éditions furent
enlevées en moins de quinze jours. Des esprits cha-
grins pourront regretter ce déchaînement de curio-
sité autour des intimités amoureuses d'un grand
poète, mais qu'y faire ! Il y a longtemps que le mur
Guilloutet a été démoh pour les hommes illustres et
que nous nous sommes — souvent avec leur comph-
cité — introduits dans leur vie privée.
Thoumas (Général). — Les Grands Cavaliers du Premier
Empire.
MARS
LES ROMANS
MARGELLE TINAYRE
L'Ombre de l'Amour.
Que de mystère et de mélancolie dans ce titre :
Ombre de V amour ! Il n'est pas mis là, ainsi qu'il
ii'ive trop souvent, au hasard d'une euphonie,
'omme une fallacieuse enseigne; il exprime avec
une concision éloquente la pensée du roman et met
tout de suite le lecteur dans l'atmosphère du drame.
L'amour que M^"^ Marcelle Tinayre évoque dans
^on livre n'est point la claire et robuste et saine pas-
sion qui enchante l'univers et sans cesse crée de la
vie; c'est un timide et douloureux amour de cré-
puscule auquel sont refusés d'avance les vastes
56 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
espoirs et les fécondes joies, amour de pitié, amour
d'aumône accordé par une femme admirable à un
mourant « pour qu'il ne pleure plus, qu'il ne souffre
plus, qu'il soit heureux, qu'il s'en aille, ébloui
d'amour, dans l'ombre éternelle)).
C'est très poétique, mais tout de même on aurait
souhaité une autre destinée pour Denise Cayrol,
cette belle jeune fille de vingt-sept ans, « au corsage
plein, avec de la claire raison, avec de la bonté
lumineuse dans ses yeux gris nuancés de vert)), et
qui mûrissait dans une vie laborieuse, chaste et
quasi-conventuelle auprès de son père, Etienne
Cayrol; ce dernier, un médecin de campagne dont
toute la personne révèle l'origine paysanne, respire
la force stable, lente, réfléchie, sûre d'elle-même,
chérit sa fille d'une tendresse profonde et quelque
peu égoïste; heureux de l'avoir arrachée au cou-
vent, il ne se préoccupe guère de la restituer à la
vie par le mariage et la maternité — et lorsque la
pitié de Denise pour Jean Favières, cet enfant de
vingt-quatre ans, phtisique, confié aux soins du
docteur, se transforme en un sentiment plus tendre,
il n'y a pas seulement, dans l'angoisse d'Etienne
Cayrol, la crainte du médecin, ennemi brutal des
amours maladives, il y a surtout la jalousie doulou-
reuse du père qui voit s'élever entre sa fille et lui
une tendresse nouvelle. Et cette jalousie est clair-
voyante, car la jeune fille est exaltée par son amour
jusqu'à douter de la science paternelle; on la voit,
elle, la fille du savant, libérée par lui de toutes les
MARS — LES ROMANS 57
superstitions, s'en aller, certaine nuit, vers le vieux
sorcier du village pour implorer de lui le remède
mystérieux capable de sauver Jean, pour demander
secours aux forces qu'ignorent les savants.
Hélas ! aucune force ne saurait sauver Jean qui
meurt bientôt, non sans avoir connu l'illusion
adorable, l'ombre fugitive de l'amour. Et quelque
temps après, la mort, enfin secourable, s'empare
aussi du fruit de cet amour, triste et chétive huma-
nité dont l'existence n'eût été que souffrances et
regrets. Ce roman d'amour et d'ombre est conté
par M"^« Marcelle Tinayre avec une mâle et tragi-
que puissance, avec aussi d'exquises délicatesses de
femme; il se déroule dans des paysages limousins
dont elle évoque magnifiquement la tristesse et la
splendeur.
Mlle V. BOUYER-KARR
La Voile rouge.
Mlle V. Bouyer-Karr, dont j'ai salué naguère les
très intéressants débuts littéraires, poursuit coura-
geusement son effort et s'emploie, avec un zèle
méritoire, à donner un lustre nouveau et tout à fait
personnel au beau nom qu'elle porte.
Vraiment, le talent de Mue Bouyer-Karr ne doit
rien à personne : il est bien à elle, d'une étrange et
fruste originalité; et c'est bien, du nom qu'elle
58 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
donnait à l'héroïne de son dernier roman, un « fruit
sauvage » mûri en pleine nature, sans qu'aucune
discipline en soit venu affadir, ni corriger l'âpre
saveur.
Cette qualité précieuse et rare irait presque à
l'excès dans la Voile rouge. Il y a dans cette histoire^
de pêcheurs, qui se déroule au fond de la rade enso-
leillée et lumineuse d'Agay, la matière de dix ro-
mans dont les péripéties dramatiques, violentes et
passionnées se succèdent de façon à défier Fanalyse,
et je me sens tout à fait incapable de vous contoi
les aventures de maître Roure, le vieillard aveugle,
patron autrefois de la Volonté-de-Dieu^ le vaillant
et fier bateau dont la voile rouge, teinte par un pro-
cédé mystérieux, flamboyait dans la lumière et qui
aujourd'hui languit, mélancolique, malgré la ten-
dresse dont l'entourent ses quatre petites filles :
Clorinde, Douce, Catherine et Matelot. Que de dra-
mes et que de romans autour de lui : c'est l'histoire
de Clorinde fiancée à Dominique qu'elle aime ten-
drement, et adorée d'une passion sauvage et dan-
gereuse par Delcalzo, le nègre; c'est l'aventure de
Douce enlevée par un contrebandier espagnol,
Carlo Xammar; Douce, la préférée du vieillard qui
ne se consolerait pas de sa faute si par un pieux sub-
terfuge Clorinde ne prenait sa place auprès de
l'aveugle; et c'est encore la tragique histoire de
Petrouille et de Musette, le douanier qui fait de la
contrebande !
Mais pourquoi essayer de raconter? je ne réussi-
MARS LES ROMANS 59
rais qu'à mettre de l'obscurité dans ce récit, où
M"e Bouyer-Karr a su rester claire, limpide, à tra-
\ers tous ces drames et tous ces orages, jusqu'au
dénouement où nous voyons le vieillard aveugle,
;ibusé jusqu'au, bout, reprendre une dernière fois
lo commandement de son bateau et mourir heureux
aux bras de sa grande amoureuse, la mer toujours
regrettée. Le livre est très émouvant, avec des
étrangetés de style qui sont voulues, sans doute;
• t son auteur est appelée certainement à nous
donner encore des œuvres intéressantes, pour peu
qu'elle veuille endiguer un peu une imagination
trop riche et trop généreuse, — mais c'est un
défaut singulièrement rare et précieux et qu'on
souhaiterait à pas mal de romanciers.
ERNEST DAUDET
Les Rivaux
« Roman en trois époques: 1795-1815-1830».
Sous le titre : les Rivaux, M. Ernest Daudet pu-
blie un livre d'une coupe très originale; c'est un
« roman en trois époques : 1795 — 1815 — 1830».
Ces dates marquent les trois étapes d'une histoire
poignante d'amour et de haine : celle de àSoirterrr
et Marignac, deux amis d'enfance qui, en 1795, se
sont enrôlés dans les armées de la République et
60 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
servant d'un même cœur fraternel la Patrie en
danger, gagnent ensemble leurs galons de capi-
taine. Au cours de la campagne ils rencontrent une
jeune fille, M^i^ de Ligner ay, fille d'un émigré enrôlé
parmi. les Autrichiens; ils s'éprennent tous deux
d'une ardente passion pour cette belle jeune fille,
et voilà allumée la guerre fratricide. M^i^ de Ligne-
ray a élu Noirterre, elle l'épouse; et Marignac,
qui de son côté s'est marié, dissimule en son cœur
une haine farouche contre son rival heureux dont
il reste en apparence l'ami.
Vingt ans se passent, nous sommes en 1815, c'est
la seconde étape du drame; Noirterre et Marignac
sont devenus généraux, le premier reste fidèle à
l'Empereur, tandis que le second, rallié aux Bour-
bons, se trouve à la Restauration comblé de faveurs
et d'honneurs ; son ami s'est réfugié auprès de lui
et Marignac saisit alors l'occasion d'assouvir une
tenace rancune de vingt ans ; il dénonce son frère
d'armes et le fait fusiller.
Quinze- ans après, c'est 1830, c'est la Révolu-
tion. Le général Marignac a une fille de vingt ans,
Noélie; il est le tuteur de Stéphane, le fils de celui
qu'il a lâchement dénoncé; les deux jeunes gens
s'aiment, ils s'épouseraient si Stéphane n'avait
voué une haine farouche aux Bourbons, mais au
cours d'une émeute le pupille sauve son tuteur qui,
dans un élan de reconnaissance, lui accorde la
main de sa fille ; c'est alors que Stéphane découvre
dans de vieux papiers la preuve de l'infamie de son
MARS LES ROMANS 61
futur beau -père, il le force à avouer; Marignac
écrasé par la honte s'en va reprendre du service en
Afrique, et trouve la mort à la prise d'Alger.
Telle est, rapidement esquissée, cette histoire de
haine et d'amour toute traversée par le fracas d'un
demi-siècle de guerres et de révolutions et que l'au-
teur a évoqué en mêlant, comme il sait si bien le
faire, l'histoire et le roman.
ALBÉRIG GAHUET
Les Dernières Joies de Sèverin Chantai.
J'attendais ce livre avec une très sympathique et
impatiente curiosité : M. Albéric Gahuet qui, pen-
lant trois ans, a gardé le silence, m'apparait, en
effet, comme l'un des mieux doués de la phalange
des jeunes, et l'auteur de la Corbeille d'argent et de
la Fêlure^ que je suis très heureux d'avoir été des
premiers à saluer, ne saurait, semble-t-il, nous don-
ner désormais rien d'indifférent ni de médiocre. La
grâce littéraire a touché cet écrivain, il est aimable
et séduisant le plus naturellement, le plus sponta-
nément du monde; ajoutez à cela qu'il n'abuse pas
de ses dons naturels, de cette heureuse facilité qui
réjouit son lecteur, et qu'il se donne la peine d'ob-
server et de penser.
Lta Dernières Joies de Séverin Chantai sont une
5
62 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
heureuse étape de cette belle et jeune carrière.
Avec toute la grâce désinvolte et légère des livres
précédents, c'est une œuvre plus grave et plus pro-
fonde. Les gens qui aiment Tordre et la classifica-
tion lui reprocheront peut-être do ne pas appartenir
à un genre nettement déterminé, le fait est qu'elle
trompe joliment son monde : elle commence comme
un fantaisiste roman parisien, par un gentil croquis
où l'on voit la mignonne petite-main, Reine Leroy,
en butte aux assiduités d'un suiveur élégant devant
qui elle s'enfuit, tout en essayant de se rendre
compte s'il est bien de sa personne ; puis, très vite,
la scène change, nous quittons Paris à fond de
train, dans une automobile mystérieuse, et nous
nous retrouvons très loin de la rue de la Paix et des
faubourgs parisiens, dans le château de Séverin
Chantai où va se jouer sous nos yeux le plus poi-
gnant des drames philosophiques.
Ne tremblez pas : M. Albéric Gahuet n'est pas
sanguinaire; si l'on meui^t dans son livre, c'est en
beauté, au milieu des roses et des parfums, non
point à l'aide d'armes bruyantes ni de poisons aux
vilains noms chimiques, mais à l'aide de cette ciguë
qui fut ennobhe par Socrate; et si l'on y fait de la
philosophie, c'est sans y prendre garde, sans qu'un
maître pédant prétende vous l'enseigner, mais tout
simplement en regardant de la vie et de la mort, en
écoutant la confession de Séverin Chantai à la
veille de sa mort volontaire, ce Séverin Chantai qui
voulut être, et fut, un disciple d'Aristippe le Cyré-
MARS — LES ROMANS 63
naïque et de Calliclès, les doctrinaires de la morale
du plaisir; bien décidé à fuir, le jour où apparaîtrait
Tarraée des douleurs et des épouvantes, parce que
le plaisir est la seule raison de vivre.
Il a été humanitaire à sa façon : il a recueilli dans
son château des hommes et des femmes privés par
la société du droit de vivre, des malheureux, des
criminels, des déclassés, et il leur a donné le moyen
de vider, quelque temps, la coupe des joies, et sans
regret, puisque la coupe est vide, ils vont mourir
demain, avec lui; pas tous cependant, car Reine
Leroy aura la vie sauve et elle arrachera en même
temps au suicide Tony, le suiveur du début, auquel
^on amour refera un honneur et une existence. Et
lo couple s'évadera du château philosophique pour
rentrer dans la vraie vie et nous montrer en face
les plaisirs négatifs et décevants du Gyrénaïque la
joie de vivre, la vraie joie saine et positive.
RENÉ BAZIN
La Barrière.
Les romaucicis invoquent volontiers tantôt les
droits imprescriptibles de l'amour, tantôt la puis-
unce souveraine de l'argent, et souvent les deux à
i fois; ce sont les grands ressorts de la plupart dos
iictions romanesques de ce temps. M. René Bazin,
64 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
lui, estime que tout cela n'est rien, ou bien peu de
chose, au regard de la religion et de la foi. Il consi-
dère qu'en dépit des apparences, ce sont des consi-
dérations religieuses qui gouvernent notre société
de mécréants, et la Barrière qui peut séparer les
êtres humains, malgré toutes les tentations de
l'amour, malgré toutes les lois de la famille, c'est
la religion. « Il n'y a pas, selon M. René Bazin,
d'époque plus théologique que celle-ci, plus tra-
vaillée dans les profondeurs par les courants qui
se contrarient ou se côtoient. Où est la famille qui a
la paix complète, religieuse ou irréligieuse?»
Pour illustrer cette thèse, l'académicien nous
conte l'histoire de la charmante et pieuse Marie
Limerel aimée tendrement par son cousin Félicien
Limerel, un homme paré de tous les dons de l'intel-
ligence et de la bonté, mais qui, malgré le plus méri-
toire effort, ne peut arriver à cette foi complète
que Marie exige de son futur époux. Avec un noble
désespoir il l'avoue à sa fiancée, et cela suffît pour
réduire à néant des projets d'union et de bonheur
terrestre. Parallèlement à cette aventure, l'auteur
nous conte celle de Réginald Osberne Breynolds,
héritier d'une vieille et noble famille d'Anglais
protestants qui, touché par la grâce catholique, est
entraîné par un élan irrésistible vers sa foi nouvelle
et brave, la mort dans l'âme, toutes les rigueurs
paternelles, toutes les douleurs familiales pour
obéir à la loi supérieure de sa conscience. Corneille
eût tiré de ce sujet une tragédie, M. René Bazin en
LES ROMANS 65
a fait un roman d'une très noble conviction, d'un
style très simple et harmonieux, où l'on retrouve
avec joie quelques-unes de ces descriptions de pay-
sasfcs où il excelle.
JULES PERRIN
Brocéliande.
M. Jules Perrin, romancier très moderne, se plaît
néanmoins dans les légendes d'un passé lointain,
et il aime à entourer les histoires réelles de notre
temps de prose, d'une brume pittoresque de mys-
tère et de légende. C'est ainsi, qu'en son roman, il a
restitué à cette forêt de Paimpont, que les gars bre-
tons de Montfort traversent aujourd'hui sans émo-
tion, son nom de Brocéliande^ rendu fameux par
tant de romans de chevalerie. Et l'histoire de Go-
lomban le Nestour, fils d'une malheureuse paysanne
et d'un père mystérieux, se rattache le plus natu-
rellement du monde aux aventures fabuleuses de
l'enchanteur Merlin et de la fée Viviane, qui furent,
dans le temps, les hôtes de Brocéliande ; bien mieux,
nous apprenons dans la suite, qu'il a, par son père
mystérieux et par la vieille baronne de Guern, quel-
ques liens de parenté avec l'enchanteur et la fée, et
en échangeant devant la fontaine de Barenton ses
premiers serments d'amour avec la belle Florence,
il obéit, sans s'en douter, à une très antique tradi-
66 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
tion de famille. Tant il est vrai que les légendes
sont toujours debout, les fées toujours vivantes, et
que l'histoire sans cesse se recommence.
Malgré la cognée des bûcherons qui déboise sans
cesse, la forêt de Paimpont a gardé encore assez
du mystère et de l'ombre de Brocéliande pour enca-
drer l'histoire de M. Perrin. J'ajoute que., dans ('
décor de légende, l'auteur a su camper des type.>
très modernes, très vivants, tels ce vieux docteur
Le Yaouang et aussi Hervé de Guern, fils légitime
et dégénéré de la vieille famille, qui traîne sa fai-
blesse à côté de la fière vigueur du bâtard Golom-
ban, et encore la belle Florence qui, « évaporée dans
le mystère, un doigt sur ses lèvres closes », symbolise
assez bien l'énigme éternelle de l'éternel féminin.
ANDRÉ LICHTENBERGER
Tous Héros.
Sous ce titre M. André Lichtenberger évoque les
temps 'révolutionnaires en une série de nouvelles.
Et ce sont vraiment tous des héros, les personnages
qui animent ces récits rapides et formidable où
M. Lichtenberger a, sous une forme très roma-
nesque, retracé quelques épisodes de la grande
tourmente où l'on faisait si bon marché de son
MARS — LES ROMANS 67
existence... et de celle des autres. M. André
Lichtenberger admire cet héroïsme, quelque forme
qu'il ait revêtue et de quelque côté de la barricade
qu'il se soit manifesté.
Avec une tendresse évidente pour la Révolu-
tion, il montre tout de même un impartial éclec-
tisme : s'il exalte Machut, le stoïque délégué du
Comité de Salut Public aux armées de l'Est, lequel,
après avoir, à Paris, fait couper quelques têtes,
laisse périr sa femme et ses enfants par amour pour
la patrie et pour la République, il s'enflamme aussi
au souvenir de l'admirable curé Poulendre, si géné-
reux et si noble, et qui, dénoncé par sa tonsure alors
qu'il salue le drapeau, expie sous le couperet sa
vaillance et son abnégation ; il garde également une
émotion profonde et douce pour les « promeneuses »,
pour M^^ Elisabeth, M^^^ de Senozan, M^^ de
Grussol, qui surent mourir en beauté, avec une grâce
qui était, elle aussi, de l'héroïsme. Ces récits sont
contés avec un art très délicat par M. André Lich-
tenberger qui a su, lui aussi, comme ses héroïnes,
être tragique et violent avec beaucoup d'élégance.
JULES SAGERET
Paul le Nomade.
Dans ce roman, M. Jules Sageret nous donne
68 LE MOUVEMENT LITTÉBATRE
une gentille et facile leçon de philosophie pratique
qui pourrait s'orner d'une épigraphe telle que :
i( Pierre qui roule n'amasse pas mousse », ou encore
de quelqu'un de ces axiomes forgés par la sagesse
des nations pour inculquer aux hommes de moyen-
nes vertus : l'activité tranquille, la stabilité, la
fidélité au foyer, conditions d'un bonheur sans nua-
ges, et que la main peut atteindre.
Si vous doutez encore de cette vérité, lisez l'his-
toire de Paul Méliande et vous serez convaincus.
Après vous être divertis ou émus aux multiples péri-
péties auxquelles son humeur inquiète entraine
ce personnage toujours en quête de combinaisons
et d'aventures nouvelles, et toujours déçu, .vous
vous réjouirez sûrement de le voir, un beau jour,
rentrer au bercail auprès de sa femme, dans la
maison conjugale, où il trouve le paradis cherché
si loin. Cette fort sage histoire est contée avec agré-
ment et conviction.
RESGLAUZE DE BERMON
Le Lien.
Très édifiant aussi, le roman de M. Resclauze de
Bermon. L'auteur est indigné par le divorce autant
que M. Paul Bourget, mais son héroïne, plus heu-
reuse, s'arrête sur le bord de l'abîme, cet abîme
effroyable qu'est, selon l'auteur, la rupture avec
MARS LES ROMANS 69
un mauvais mari, et l'union avec un homme très
tendrement épris, généreux, riche et prêt à sacri-
fier à celle qu'il aime sa situation mondaine. Ce
serait un crime, paraît-il, les circonstances permet-
tent qu'il ne soit consommé qu'à demi : le divorce
est bien prononcé, mais des circonstances impré-
vues empêchent le scandale; l'hostilité, notamment,
d'une vieille tante fort riche, qui menace de déshé-
riter son neveu s'il épouse — ce qui tempère un
peu les ardeurs de ce fiancé — l'amène à demander
un délai que met à profit le mari de Viviane pour se
tuer. Ainsi Viviane, veuve, peut convoler en justes
noces, mais ce n'est pas avec le fiancé prévu (encore
que tous les obstacles, y compris la tante elle-même
talent disparu), c'est avec Jacques de Lorne, un
ami de Viviane, qui n'avait cessé de lui déconseiller
le divorce et de lui prêcher le respect des lois sacrées
du mariage. Ainsi, la vertu et la tradition sortent de
ce roman doublement triomphantes.
LÉOPOLD COUROUBLE
Madame Kaekebroeck à Paris.
M. Léopold Gourouhle est un écrivain belge qui
jouit sur les bords de la Senne d'une enviable
renommée ! ses romans de mœurs bruxelloises, où,
avec beaucoup de verve, il portraicture ses com-
5.
70 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
patriotes les Belges et blague leur accent, sont très
goûtés là-bas ; les Belges ne sont pas susceptibles,
ils rient de bon cœur à tous ces « alleïe, alleïe », à
tous ces « savez-vous», qui émaillent les romans de
M. Léopold Gourouble, trouvent cela très comique
et n'en conservent pas moins précieusement ces
locutions et cet accent. M. Gourouble s'en désole,
il veut bien les faire rire, mais, selon la formule du
poète latin, il veut les corriger, et il a pris derniè-
rement un parti héroïque : il a imaginé de conduire
Madame Kaekebroeck à Paris,
Et la voilà presque naturalisée : tout de suite, un
éditeur parisien, l'a adoptée, et il convient que nous
fassions bon accueil à M "^^ Kaekebroeck, d'abord
parce que cette grasse et gentille Flamande est ave-
nante à souhait, puis, parce que nous nous devons
d'encourager de tels voyages, entrepris uniquement
pour développer en Belgique l'influence française,
y implanter les mœurs et la langue (la vraie langue)
de France. Le livre de M. Gourouble est d'ailleurs
tout à fait agréable, d'une jovialité un peu grosse
parfois, mais de bon aloi, et la promenade à travers
Bruxelles et Paris, à laquelle nous convient M. et
]y[me Kaekebroeck, est tout à fait gentille. L'auteur
nous la conte en un style très simple, très allant, où
ont bien réussi à se glisser, de-ci de -là, quelques-
unes de ces locutions belges dont il voudrait tant
débarrasser ses compatriotes; mais cela n'empêche
pas le livre d'être excellent pour la propagande
française, pour le culte de ces « manières de France
MARS — LES ROMANS
qui plaisent à toutes les nations, ou plutôt à toutes
les femmes...»
GEORGES BEAUME
Monsieur le Député.
Dans quelques semaines les élections vont sévir
et la politique, comme à l'ordinaire, fera du tort à
la littérature ; en attendant, et sans doute pour faire
compensation, quelques écrivains lui empruntent le
sujet de leurs romans. J'en ai signalé plusieurs déjà
qui étaient douloureux et pénibles. M. Georges
Beaume, lui, veut être gai et il célèbre Monsieur
le Député sur le mode comique : il nous conte dans
son livre une étonnante histoire d'élection qui se
déroule dans la petite ville de Nézignan-l'Evêque,
où sont aux prises les Rouges et les Ecarlates. Les
gens du pays ont tous à peu près la même opinion,
mais comme on veut à tout prix Une campagne
électorale avec tout son cortège de petits bénéfices
et de grosses émotions et que Dominique Bonna-
fous, le maire, veut absolument enlever son siège
à Tartugé, le député sortant, il faut bien trouver
deux nuances différentes, et c'est ainsi qu'en face
de Tartugé, chef des Rouges, se dresse Bonnafous,
candidat des Ecarlates, surnommé — modeste-
ment — Danton.
La lutte entre ces deux hommes et ces deux par-
72 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
tis est d'autant plus violente, âpre et sauvage, qu'ils
ne sont nullement séparés par leurs convictions
mais uniquement par leurs appétits; cela pourrait
être mélancolique, tragique même, M. Georges
Beaume n'a voulu voir que le côté amusant de
cette histoire; avec une généreuse prodigalité, il a,
sans choisir, accumulé tous les épisodes, tous les
tableaux comiques d'une élection de petite ville;
c'est d'une verve un peu facile parfois, mais le
lecteur qui veut seulement s'amuser n'y regarde
pas de si près, et l'autre, celui qui réfléchit, saura
bien trouver derrière cette gaieté, un petit grain de
philosophie.
EDMOND DESGHAUMES
La Femme à la tête coupée.
Malgré son titre macabre, la Femme à la tête cou-
pée^ ce livre, n'est point un roman tragique : c'est
au contraire une très amusante et très leste his-
toire, et la confession de Lise, qui, sans vergogne,
raconte les multiples aventures de sa vie à un cor-
respondant du nom de Coco, pourrait très bien être
celle d'une héroïne de quelque conte galant du
XVIII® siècle. Mais elle n'y tient pas, sans doute,
et elle aime bien mieux être de son temps, du
nôtre; elle en est tout à fait, et son style a em-
prunté à la fréquentation des cabarets montmar-
MARS LES ROMANS 73
trois, une très moderne verdeur qui ne s'effraye ni
des mots, ni des choses.
Pour moi, qui suis obligé à plus de retenue, je ne
saurais ici analyser en détail toutes les aventures de
la fille de M^^® Clara Bouillo^-te et du marquis de
Saint-X..., laquelle fit successivement les beaux
jours d'un nombre respectable de ses contempo-
rains, depuis un sculpteur génial, qui modela sa
triomphante beauté en une statue que par un hon-
nête scrupule il décapita avant de l'exposer — de là
son nom de la femme à la tête coupée ! — jusqu'à
certain souverain authentique. Tout cela est très
scabreux, mais, je le répète, tout à fait spirituel et
joyeux; les choses ne se gâtent qu'à la dernière
page, lorsque la narration est brutalement interrom-
pue par un effroyable accident d'automobile qui
inflige à la jolie personne justement la même muti-
lation dont sa statue avait été victime.
I
JEAN DE FOVILLE
Eros.
Un peu d'amour, voulez-vous, maintenant?
C'est Eros que M. Jean de Foville exalte, en nous
contant l'histoire du comte Moriani, gentilhomme
artiste, qui passe des jours sans douleur et sans joie
dans sii somptueuse villa de Toscane, et contem-
74 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
pie d'un œil ironique et indifférent certaine statue
d'Eros qui orne son parc. Il ne faut jamais regarder
avec ironie une statue d'Eros... car — le comte ne
s'en doutait pas, mais vous vous y attendiez bien,
perspicace lecteur ! — Eros, à ce moment précis où
Moriani traite si cavalièrement son effigie, est en
train de lui préparer un tour de sa façon. Et voici
dans sa demeure trois Français qui pénètrent à la
faveur d'un accident d'automobile : Valentine,
marquise de Romanel, le comte Dubois de Morgex
et la mélancolique M^^e Alix Gandria. Valentine,
délaissée par son mari, a pour chevalier servant le
comte de Morgex, quant à Alix, elle erre, désolée,
à travers le monde, séparée par force d'un mari
dément.
Le séjour des trois Français doit se prolonger à la
villa, car Alix a eu le bras cassé dans l'accident; et
cependant qu'on la soigne une idylle s'ébauche
entre Valentine et le gentilhomme artiste qui, tout
de suite, a pris feu; Valentine ne semble pas très
rebelle, mais Eros veille, et ce n'est point ce couple
qu'il veut bénir. Alix, dolente et blessée, s'est peu
à peu éprise d'un grand amour discret pour son
hôte: Valentine s'en aperçoit, le lui reproche violem-
ment et, à la suite d'une discussion véhémente, s'en
va furieuse. Heureux départ qui permet à Moriani
de se rendre compte de ses véritables sentiments et
d'épouser Alix (car, entre temps, le mari de cette
dernière est mort) et ce sera, dans ce paysage tos-
can j imprégné d'humanité et de siècles, un éternel
MARS — LES ROMANS 75
et fervent duo d'amour conjugal. C'est très bien,
comme vous voyez, et si Eros ne jouait jamais que
des tours de ce genre il faudrait lui élever des sta-
tues dans tous les jardins.
HISTOIRE, VOYAGES, POESIE,
DIVERS.
DUC D'AUMALE ET GUVILLIER-FLEURY
Correspondance. — 1^' Volume : 1840-1848.
Cette Correspondance du duc d^Aumale et de
Cuvillier-Fleury est considérable : elle comprend
925 lettres du duc, 1.025 lettres de Guvillier-Fleury,
et nous ménage quelque agrément si l'on en juge
par le premier volume, lequel nous restitue les let-
tres échangées en 1840 et 1848, depuis le temps où
le duc d'Aumale, ayant quitté le collège à dix-sept
ans et demi, avait été détaché à l'état-major de la
première division de l'armée d'Afrique et, mis à la
disposition du maréchal Valée, prit part à l'expé-
dition de Médéah de telle façon qu'il fut nommé che-
valier de la Légion d'honneur, quelques mois plus
MARS HISTOIRE, VOYAGES, POÉSIE, DIVERS 77
tard, sur la proposition du maréchal Valée. C'est
à ce moment qu'il reprit ce que Cuvillier-Fleury
appelait « ses bonnes habitudes de travail» et lui
soumit un plan d'études que celui-ci s'empressa
d'accepter. »
Dans les lettres qui se succèdent au cours de ces
huit années, le duc d'Aumale raconte à Cuvillier-
Fleury les batailles devant Bhdah, pendant que ce
dernier lui relate la réception de Victor-Hugo à
l'Académie française; et la correspondance se pour-
suit de la sorte, Cuvillier-Fleury tenant le duc au cou-
rant des faits notoires de la vie parisienne politique
et littéraire, le duc racontant ses victoires et ses
combats. On apprend dans ces lettres familières à
connaître merveilleusement les deux interlocuteurs:
le prince qui, « à travers les jours glorieux ou les
années douloureuses, n'a cessé d'avoir l'amour fixe
de la France », et nous apparaît avec son caractère,
son esprit, son cœur, si français ; et CuvilHer-Fleury,
précepteur dans toute la force du terme, qui veille,
(( avec une sollicitude croissante et patriotique, sur
l'enfance et l'adolescence d'un prince dont l'avenir
semble devoir être associé aux destinées nationa-
les». Et c'est une belle histoire que celle de l'inti-
mité de ces deux hommes, racontée par une corres-
pondance qui dura près de cinquante années.
78 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
BERNARD DE LAGOMBE
La Vie privée de Talleyrand.
On a écrit bien des volumes sur Talleyrand;
l'évêque, le diplomate, le ministre, l'homme de
Cour et rhomme d'Etat ont tenté et tenteront
encore la science et la verve d'une foule d'histo-
riens, mais la Vie privée de Talleyrand, si remplie,
elle aussi, mouvementée à l'égal de son existence
publique, est restée obscj^re sur bien des points.
Elle appartient pourtant à l'histoire ; nul détail de
la vie d'un tel homme, mêlé de façon si décisive à
tous les grands événements de tout un siècle, ne
saurait nous laisser indifférents : on s'en rendra
compte en lisant le livre de M. Bernard de Lacombo.
Non seulement il fourmille de renseignements
amusants et pittoresques, mais il aide, dans bien
des cas, à comprendre les événements ; c'est quelque
chose comme l'envers, la coulisse de la grande
histoire. L'auteur a suivi, nous dit-il, « Talleyrand
en Angleterre et en Amérique, pendant qu'il était
émigré; il a raconté ses efforts pour dépouiller le
caractère épiscopal et redevenir un simple laïque;
il a tâché de démêler l'imbroglio de son mariage
avec la belle M^^ Grand; puis, après avoir pénétré
dans l'intérieur du grand dignitaire de l'Empire et
de la Restauration, il a voulu montrer le prince
vieilH, malade, revenu des ambitions du monde,
MARS — HISTOIRE, VOYAGES, POÉSIE, DIVERS 79
dans la retraite de ses quatre dernières années ; et,
enfin, examiner de près ce qu'on a appelé sa con-
version, assister à sa mort, bénie par l'abbé Dupan-
loup )).
Et ce sont des pages d'un intérêt captivant où
l'auteur, sans trop chercher à les interpréter, laisse
])arler des documents qui sont singulièrement élo-
quents, spirituels, émouvants; on y démêle un peu
mieux ce que fut cette étonnante existence toute
remplie de contradictions jusqu'à la plus extraor-
dinaire de toutes, cette fin édifiante que l'auteur
croit sincère, « car pourquoi aurait-il menti en mou-
i^ant, à cette heure où il allait quitter les visages
mobiles et fuyants des hommes pour ne rencontrer
que le visage éternel de Dieu, celui qu'on ne trompe
pas?))
JOSEPH GHAILLEY
L'Inde britannique.
Cet ouvrage, résultat de vingt années de réflexions
et de dix ans de travaux, « dont l'auteur souhaite
qu'il soit digne du grand parti colonial français
pour qui il a voulu l'écrire et à qui il le dédie » est
un monument véritable, d'une richesse remarqua-
ble de documents et d'enseignements. Dans la
pn^mière partie, l'auteur étudie les langues et les
races, la religion, la caste, la condition économique
80 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
du pays, la réforme sociale, la réforme politique.
Dans la seconde partie, consacrée à la politique
indigène, ce sont des vues sur les tribus et chefs de
Birmanie, sur la classe agricole et la propriété fon-
cière, le problème de l'éducation des indigènes, la
part des Indiens dans l'administration de leur pay^
Je cite ces titres de la table des matières, bien
empêché que je suis, dans ce cadre étroit, d'analy-
ser une œuvre aussi considérable. L'auteur conclut :
« Avec les études réformées, l'administration ali-
mentée à des sources variées, les conseils réorgani-
sés, le gouvernement britannique appuyé sur h
princes, sur l'aristocratie, sur la richesse, sur les
différentes confessions rehgieuses, sur la science
moderne et l'expérience traditionnelle, pourrait
avec confiance affronter les orages d'où qu'ils
vinssent, et maintenir sa domination, aussi long-
temps qu'il le jugerait bon pour l'intérêt de l'Inde
et pour sa gloire propre. »
D^ EMILE REIGH
La Vanité Allemande.
(Traduction de M. Henri Maxsvic)
L'inquiétude que causent à l'Europe en général
et à l'Angleterre, en particulier, les ambitions ac-
tuelles de l'Allemagne, s'est manifestée dans ces
MARS HISTOIRE, Vu\AGES, POÉSIE, DIVERS 81
Itruiers temps par une foule d'articles, de discours,
iie polémiques, et il n'est pas douteux que c'est là
une des plus graves préoccupations des amis de la
paix. Récemment, le docteur Emile Reich a publié
sur ce sujet, en Angleterre, un ouvrage où, à l'aide
(le documents et d'actes, il prétendait établir et
démontrer les visées allemandes, tendant à la
suprématie sur mer et sur terre. Cet ouvrage inti-
tulé Germani/s Swclled Head^ a eu dans la Grande
Bretagne un immense retentissement et a causé
une sorte de^panique qui n'est point encore calmée.
Passionnant pour les Anglais, il n'est pas moins
utile à méditer chez nous, car nous sommes, hélas !
aussi intéressés à cette question, et M. Henri Mans-
vie a été bien inspiré en nous en donnant une tra-
duction française sous le titre la Vanité allemande.
Ce livre a, nous dit l'auteur, la prétention d'avoir
• té écrit sans passion; les faits y sont nettement
't rigoureusement exposés, et il résulte de leur exa-
men que la question allemande constitue pour la
Grande-Bretagne, le même problème que celui qui,
par l'élévation de Carthage, se posa jadis aux Ro-
mains. On découvre dans les travaux des profes-
seurs, des savants, des journalistes allemands, dans
les projets et dans les lois des législateurs allemands,
la manifestation de la plus terrible crise de vanité
connue dans les temps modernes. Les Allemands
sont convaincus, ils veulent établir que tout ce qui
fut grand fut d'origine germanique, que tout ce qui
lut fait de grand fut d'inspiration germanique,
82 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
que l'avenir, enfin, est fatalement à la race d'Her-
mann le Grand,
Pour justifier cette prétention, pour en établir
jusqu'au bout les conséquences que chacun devine,
les Allemands sont prêts à tout et ils poursuivent
systématiquement leur effort ; il importe, selon l'au-
teur, qu'on le sache, car la première condition pour
échapper au danger est de le connaître. Il convien-
dra ensuite de prendre ses précautions : l'expan-
sion allemande est fatale mais elle ne se fera pa>
aux dépens des Anglais (ajoutons, si vous voulez
bien, des Français) si conscients du danger, ceux-ci
préparent leurs armes sur terre et sur mer, sans
oublier celles de la diplomatie. « Que les derniers
venus se contentent des restes ; s'ils trouvent mieux,
ce n'est que grâce à l'incurie de leurs prédéces-
seurs )).
MÉDÉRIG GOT
Journal d'Edmond Got.
Histoire anecdotique contemporaine : voici le
premier volume du Journal d'Edmond Got^ socié-
taire de la Comédie-Française, publié par son fils,
Médéric Got. M. Henri Lavedan a préfacé ce vo-
lume en des pages étincelantes qui en soulignent
l'intérêt et en précisent l'intention. Il est bien natu-
rel qu'un comédien en renom veuille fixer ses sou-
MARS — HISTOIRE, VOYAGES, POÉSIE, DIVERS .*^;^
vcnirs, d'abord, « la vie lui est un spectacle à béné-
fice, dont il ne dédaigne pas de souligner les effets »,
t puis, un homme qui, par profession, est obligé
l'incarner perpétuellement une multitude de per-
onnages différents, sans qu'il lui soit permis jamais
fêtre lui-même, doit aimer plus que tout autre à
( se réfugier en son individu, à rédiger chez lui, à
la cantonade, les confidences de son esprit, ces lignes
d'un rôle qu'il n'a pas le temps d'interpréter».
Ajoutez que l'auteur de ces mémoires, homme
instruit et cultivé, type achevé du comédien hon-
nête homme, a eu l'occasion, pendant sa longue
ie si pleine, d'assister à bien des événements, de
onnaitre de près bien des hommes illustres. Ainsi,
"Q monologuant à jet continu, en parlant à bâtons
rompus comme avec un interlocuteur imaginaire »
il arrive — pas moins — à nous donner le plus ori-
ginal, le plus complet, le plus curieux des tableaux
de notre siècle. Le premier volume s'arrête au mois
de novembre 1 858 : on vient de donner Orphée aux
enfers, c'est, nous dit Got, la marée montante de
la blague, et il ajoute : « Un monsieur Meilhac s'est
révélé dans un simple acte au Gymnase, VAuto-
raphe. »
84 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ALBERT DAUZAT
La Vie du langage.
Parmi les partisans de cette réforme de l'ortho-
graphe, dont la menace est toujours suspendue sur
notre pauvre langue française, il y a des hommes
tout à fait remarquables et qu'on voudrait bien ne
pas voir en cette galère, tel M. Albert Dauzat dont
on n'a pas oublié le savant ouvrage sur « la Langue
française d'aujourd'hui». On peut discuter les con-
clusions de cet ouvrage, nous ne nous en sommes pas
fait faute, on doit reconnaître que M. Albert Dau-
zat possède en ces matières une rare compétence et
qu'il a raison lorsqu'il proclame que « les questions
relatives au langage ne doivent pas rester l'apa-
nage des spécialistes, mais méritent d'être vulgari-
sées et peuvent intéresser de nombreux lecteurs».
Reste à savoir quel sera le résultat de cette vulga-
risation et si elle aboutira au triomphe des théories
proclamées par M. Dauzat. Je n'en crois rien, et cela
me met à l'aise pour vous dire tout l'intérêt qui se
dégage de ses remarquables études.
Dans celle-ci, il essaye « de résumer et de synthé-
tiser les principaux phénomènes qu'offre l'étude
des langues : faits complexes, parfois difficiles à
classer, mais combien attrayants lorsqu'ils sont
illustrés par des exemples caractéristiques, car ils
nous montrent la nature et le nombre infinis des
MARS — HISTOIRE, VOYAGES, POÉSIE, DIVERS 85
réactions, le travail mécanique et physiologique
incessant, les évolutions continues et inéluctables
dont l'ensemble constitue la vie du langage. » Et
(le fait, ses travaux sur les phénomènes mécaniques,
les phénomènes sociaux, les phénomènes littéraires
(|ui dominent la vie du langage présentent un inté-
rêt de premier ordre. Selon l'auteur, un enseigne-
ment pratique se dégage de cette étude : « c'est
'ju'il n'est au pouvoir de personne, pas plus d'une
ollectivité que des individus, d'arrêter les évolu-
tions du langage ».
On a beau imposer à une langue un vocabulaire
prétendu immuable, l'emprisonner dans une ortho-
graphe rigide, elle brise ses cadres impuissants à la
contenir, à refréner la poussée impérieuse des forces
naturelles, du moment qu'elle vit par la parole
et qu'elle vole sur les lèvres des hommes.
Sans doute cette conclusion est destinée à confon-
dre les réactionnaires; mais j'ai comme une idée
qu'elle condamne du même coup les réformateurs !
Puisque la langue se réforme sans cesse d'elle-même,
<le quel droit prétend-on lui imposer une certaine
réforme nécessairement arbitraire, en un coriniu
moment de sa vie?
86 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MEMENTO DU MOIS DE MARS
ROMANS
Anjou (René d'). Voir Cyriaque de Pocé.
Bardoux (Jean). — Dona Maïla, un bref roman où l'auteur
évoque le sombre souvenir de l'insurrection carliste
qui ensanglanta l'Espagne en l'an 1835. L'histoire de
Dona Maïla, amante cornélienne de José Maria d'Or-
maïzegui, le hardi flibustier, se déroule en plein cœur
de la haute Navarre, dans des paysages sombres
et tragiques, au milieu des hêtres monstrueux, et
M, Jean Bardoux en exprime avec beaucoup de force
l'émotion et le mystère, un mystère impénétrable
car personne ne sut jamais quelle fut la destinée de
Dona Maïla et c'est « tout au plus si les éléments de
ce récit survivent encore, dissémines çà et là dans ]
mémoire des bonnes gens, tels les menus fragment.-,
qui permettent au savant de reconstruire la trame
des temps obscurs».
Berzefî (Aha). — Tamara.
Conrad (Joseph). — Le Nègre du Narcisse, Iraduii de Tan-
glais par Robert d'Humières.
Delcamp (André). — Princesse de rêve.
Frapié (Léon). — Contes imprévus, un recueil de nouvelk- .
petits romans sommaires, rapides, écrits dans cetU
forme âpre et brutale où excelle l'auteur de la Mater-
nelle.
Guesviller (Gustave). — IJ Idole.
Gfyp- — U Amoureux de Line, un roman plein de désinvol-
ture et de spirituel agrément, où les mœurs du temps
et sa langue sont châtiées par un écrivain qui s'en-
tend, comme elle dit, à « rouspéter».
MEMENTO DU MOIS DE MARS 87
Kipling (Rudyard). — La Cité de V épouvantable Nuit, un
beau livre traduit par Albert Savine.
i>,iiirie (André). — Le Maître de V Abîme, un roman d'aven-
tures qui fera la joie des jeunes gens.
Menabréa (Henri). — Le Muletier et son mulet, nouvelles.
Oppenheim (Philippe). — L'Aventure de miss Isabelle,
traduit de l'anglais par François de Gail.
Pocé (Cyriaque de) et René d'Anjou. — Pierrerit ou le
Drame du moulin d'Ivray, une très romanesque
évocation du temps de la Restauration où l'imagi-
nation se mêle fort agréablement à l'histoire.
Provins (Michel). — La Gerbe, un recueil de ces dialogues
où l'auteur sait si bien, dans un petit drame expédié
en quelques répliques incisives, évoquer toute une
existence, exprimer toute une psychologie.
Régis-Lamotte (Roger). — Mam'selle H.-P., un roman
d'une assez amorale jovialité où l'auteur nous conte
les aventures d'une personne ultra-moderne qui
justifie son sobriquet en faisant du cent à l'heure sur
des routes dangereuses, où elle dépasse, et de beau-
coup, les limites que M. Marcel Prévost avait assi-
gnées à ses demi-vierges avant le havre souhaité du
beau mariage avec un monsieur riche.
Riotor (Léon). — Un Chauffeur.
Upton Sinclair. — Brasseurs d'argent, un roman sur les
financiers américains.
Val (Charles). — Petite Perle.
Wiart (Henry Carton de). — Les Vertus bourgeoises, un
roman où l'auteur nous ramène, en des croquis
pittoresques et émouvants, « au temps des États-
Belgiques-Unis de 1790».
Wylm (Antoine). — Maîtresse mystique, « roman psychi-
que ».
88 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
HISTOIRE — LITTÉRATURE
THEATRE — POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Aubin (Eugène). — En Haïti, un volume où sont évoqués
les planteurs d'autre fois, et dépeints les nègres d'au-
jourd'hui. L'auteur « a vu des repas, des danses de
nègres, il a visité les sanctuaires de sorciers réputés,
il s'est trouvé plus que quiconque de sa couleur en
mesure d'observer la coutume des campagnes haï-
tiennes. Dans un cadre magnifique il a eu sous les
yeux une suite ininterrompue de manifestations popu-
laires, d'une incomparable étrangeté, qui se produi-
saient dans un idiome issu de notre langue, sous des
formes dont l'origine africaine se trouvait influencée
par notre culture et par notre histoire ». Rien de plus
curieux, de plus émouvant aussi que ce mélange
disparate. M. Eugène Aubin le retrouve partout dans
son voyage de Pétionville à Port-au-Prince, de Port-
au-Prince à Furcy, des Gonaïves à Cap-Haïtien,
voyage prestigieux dont il nous fait partager toutes
les émotions et tout l'agrément en des pages alertes,
documentées, semées de belles et pittoresques images.
Beaupuy. — La Source, poèmes.
Bernard (Jean). — La Vie de Paris, le volume annuel de
cette série d'une si preste et si copieuse documenta-
tion.
Burnichon (Joseph). — Le Brésil d^ Aujourd'hui.
Coynard (Gh. de). — Les Guérin de Tencin (1520-1758).
Deschanel (Paul). — L'Organisation de la Démocratie, un
beau livre que notre éminent ami Henry Roujon
a magistralement analysé.
Duchesne (Mgr L.). — Histoire ancienne de V Église, troi-
sième volume.
Faral (Edmond). — Les Jongleurs en France au Moyen âge.
Fleischmann (Hector). — Charlotte Robespierre et ses
mémoires.
MEMENTO DU MOIS DE MARS 89
Frémont (Abbé Georges). — La Grande erreur politique des
catholiques français. L'éminent ecclésiastique, dont
on peut -ne pas partager les idées mais auquel on ne
saurait refuser une très remarquable puissance de
pensée et de verbe, et aussi un bien rare courage
civique et une vaillance à toute épreuve, publie cette
brochure « en vue des élections prochaines dans l'espé-
rance qu'elle ouvrira les yeux à ceux de ses frères les
catholiques de France qui s'imaginent faussement
qu'il n'y a de salut, pour les intérêts chrétiens, que
dans le rétabhssement de la monarchie».
Génin (Auguste). — Poèmes Aztèques, des poèmes rapportés
de Mexico, fleurettes très humbles, nous dit l'auteur,
qu'il a réunies un peu au hasard, cueilhes dans les
ruines de Palenqué, de Mitla, de Xochicalco, qui se
sont ouvertes au soleil, ont donné leur atome de cou-
leur et de parfum et peuvent à présent se faner.
Clovis Hugues aimait ce hvre de poésie ardente et de
pensée sincère : « Français par votre famille, et poète
par votre imagination, vous avez, disait-il à l'auteur,
cueilli l'antique légende avec une curiosité mêlée
de haute rêverie, tout comme si vous étiez le descen-
dant de ces Aztèques amoureux d'aventures, qui
adoraient le dieu Mexitli, au pied du grand temple de
Ténothtitlan. Entre toutes les langues étrangères,
le Mexique parle plus volontiers notre langue. Entre
toutes les légendes, vous avez choisi celle du Mexique.
C'est là un noble échange de fraternité artistique
et nationale».
Gide (André). — Oscar Wilde, une plaquette où l'auteur
célèbre en prose ce très grand et très malheureux
poète et où il a remis « In memoriam» et le « De Pro-
fundis )).
Ginisty (Paul). — Le Mélodrame, un ouvrage d'une bien
amusante et pittoresque documentation, pubhé dans
la Bibliothèque théâtrale illustrée.
Giraud (Victor). — Biaise Pascal, des études d'histoire
morale d'une bien séduisante érudition. La question
de savoir si Pascal a été amoureux fait notamment
l'objet d'un très intéressant chapitre, malheureusc-
6.
90 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ment l'auteur y répond par la négative, et c'est déso-
lant : combien il est plus agréable de croire, avec
M '"e Ackermann, avec Havet, avec Sully Prudhomme,
avec Emile Faguet, que Pascal fut amoureux : il est
vrai que rien ne nous empêche de continuer à le
croire, M. Victor Giraud, lui-même, ne nous en saura
pas mauvais gré.
Grand-Carteret (John). — Le Jeune Premier de V Europe
« devant l'objectif caricatural», un volume de docu-
mentation iconographique où le jeune roi d'Espagne
Alphonse XIII apparaît en une multitude d'images
dont l'irrévérence se tempère presque toujours d'un
sourire de sympathie.
Heineken (Adrienne). — Amour de rampe, un recueil de
sonnets sur des héros et des héroïnes de théâtre,
depuis Manon Lescaut jusqu'à Aphrodite et Carmen,
depuis Werther jusqu'à Hamlet, où il y a des choses
vraiment délicieuses de profondeur, de grâce et de
jeunesse.
Hogier (Hector). — Paris à la fourchette, un volume où
l'auteur poursuit la publication de ces curiosités pari-
siennes qu'il excelle à découvrir au coin des rues, sous
les arches des ponts et où il nous démontre qu'on
peut faire des voyages pleins d'agrément et de trou-
vailles pittoresques sans sortir des fortifications.
Levaillant (Maurice). — Le Temple intérieur, des poèmes
d'une très réelle beauté, où l'auteur glorifie :
Le temple dont ses mains bâtirent en secret
La rose colonnade et les murailles blanches;
Londres (Albert). — Lointaine un « poème effréné ».
Lot (Henri). — Les Deux généraux Ordener, un ouvrage
posthume éloquemment préfacé par M. Félix Roc-
quain, œuvre d'histoire d'un Sujet tout à fait inédit
et qui nous restitue en des pages émouvantes et docu-
mentées deux figures du plus haut intérêt.
Malagola (Charles). — Le Lido de Venise à travers V histoire,
un beau livre tout semé de somptueuses images,
document d'histoire et d'art, que l'auteur, « offre
aux Vénitiens comme un gage de son affection pour
MEMENTO DU MOIS DE MARS 91
la cité splendide, célèbre par ses moniini^nts ef ses
gloires».
Mariel (Jean). — Les Appareillages, poèmes,
lathiez (Albert). — Le Club des Cordeliers, « pendant la
crise de Varennes et le massacre du Champ de Mars »,
un remarquable ouvrage où M. Albert Mathiez a
réuni des documents en grande partie inédits accom-
pagnés d'éclaircissements et de notes; l'auteur a jugé
avec raison que, pour étudier l'agitation démocratique
et républicaine après la fuite de Varennes, le meilleur
observatoire était le club des Cordeliers. De ce point
central, les gestes des personnages et les mobiles de
leurs actions doivent apparaître plus distinctement
que de tout autre.
Maure! (André). — Petites villes d'Italie. Nous avons eu
déjà deux étapes de ce pittoresque et gracieux
voyage, voici la troisième : elle nous promène dans
les Abruzzes, les Fouilles et la Campanie, et ce sont,
tour à tour, en des pages pittoresques, Aquila, Lucera,
Trani, Capri, Pompéi, Caserte, Bari, tant d'autres
encore, jolis noms pleins de lumière et de grâce,
choses plus jolies encore et plus émouvantes, paysages
de ruine et d'histoire dans une nature éternellement
jeune, parmi lesquels on éprouve tant de joie à se
promener, na fût-ce, hélas ! que dans un fauteuil.
Mesureur (M'"^ Amélie, née Amélie de Wailly). — Clairs
Horizons, des poèmes d'une forme harmonieuse et
d'une inspiration noble, écrits « sur les enfants petits
et grands, sur leurs âmes sensibles, neuves et déh-
cates ».
^^^li1 (Marcel). — Les Jardins d' Academus, des vers qui
nous convient à la plus harmonieuse et la plus
poétique des promenades,
lortillet (Gabriel et Adrien de). — La Préhistoire, un
volume sur l'origine et l'antiquité de l'homme.
Xesselrode. — Les Vesprées, poésies.
Xiclaud (Roger). — La Laïque, un ouvrage de polémique
où l'auteur flétrit « la duplicité des fondateurs de
l'école laïque, dénonce le péril de ce qui reste en
France de la liberté de penser et entreprend de nous
92 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
démontrer que les fondateurs de l'école laïque ne
pouvant régner que sur un peuple plongé dans l'igno-
rance ont jugé que le moyen le plus sûr de le rendre
ignorant était d'être seuls à l'instruire».
Normand (Comte R.). — Le Patriotisme Allemand.
Pallarès (V.). — , Le Crépuscule d'une idole : Nietzsche. —
Nietzschéisme. — Nietzschéen...
Peladan (Joseph), — Les Manuscrits de Léonard de Vinci.
Les XIV Manuscrits de l'Institut de France, où l'on
voit en Léonard de Vinci « l'ingénieur et le peintre, le
philosophe et l'expérimentateur, le mécanicien et
l'anatomiste, l'hydraulicien et le moraliste, le géo-
logue et le poète se juxtaposer pour nous fournir un
tableau de la plus étonnante activité mentale qui ait
existé ».
Prouille (Marcel). — Glumes éparses, poésies.
Ricquebourg (Jean). — Héroïsmes, poèmes.
Romeuf (Louis de). — L'Ame des Villes.
Rondet-Saint (Maurice). — La Grande Éoucle, un voyage
à travers les deux hémisphères. Ce sont des notes et
croquis de l'ancien continent et des deux. Amériques,
publiés en un très alerte et très vivant volume et
dont M. Pierre Baudin précise éloquemment l'intérêt
dans sa préface : « Ce voyage eut ceci de notoire qu'il
fut accomph par un homme indépendant, qui, au long
du chemin, se souvint de sa qualité de Français» et
s'imposa la tâche de relever des observations utiles,
relatives aux intérêts français. C'est comme une
tournée d'inspection volontaire à travers le monde,
et avec tous les chiffres, tous les documents, tous les
faits recueillis ; c'est d'un bien remarquable intérêt, et
cela vaut bien, selon M. Pierre Baudin, le récit roma-
nesque d'un coureur d'aventures, d'un fumeur d'o-
pium, ou d'une grande tragédienne.
Roz (Firmin). — L'Énergie Américaine. L'auteur entre-
prend de nous l'expliquer dans un très vivant volume
de la Bibliothèque de philosophie scientifique. « Les
États-Unis nous attirent, dit-il, par le magnifique
déploiement de leur vigueur, par l'intensité de leur
vie». Nous avons aujourd'hui entre les mains les
MEMENTO DU MOTS DE MARS 9o
éléments nécessaires pour comprendre cette énergie,
pour tenter une philosophie de cette histoire. En étu-
diant, tour à tour l'individu et la société, l'évolution
économique, l'idéal national, l'évolution intellectuelle,
l'évolution politique, on est amené à apercevoir
« derrière l'activité économique déployée au premier
^ plan, la puissance de l'idéal qui, mettant au service
de cette société toutes les forces vives de la religion,
de l'éducation et de l'action sociale, l'oriente vers un
' avenir dont ies difficultés ne doivent pas, à nos yeux,
cacher les promesses».
F Ruffin (Alfred). — Poésies Variées.
J Sauzey (Lieutenant-colonel). — ^ Nos alliés les Bavarois, un
( volume où l'auteur poursuit la publication de son
ï essai sur les troupes de la Confédération du Rhin :
'' « Les Allemands sous les Aigles françaises. »
Savine (Albert). — Madame Elisabeth et ses amies, d'après
des documents d'archives et des mémoires.
Ségur (Marquis de). — Au Couchant de la Monarchie, un
fort beau livre dont M. Ernest Daudet a souligné
naguère l'émouvante valeur historique; cette étude
des années qui précédèrent le cataclysme, avec les
documents — quelques-uns tout à fait inédits — les
rhiiïres et les faits si poignants, fait honneur vraiment
,1 l'éminent écrivain, qui a « fait les plus sincères
t'iïorts pour oublier et ses idées et ses sympathies
personnelles, pour se dégager de son mieux des senti-
ments ou, si l'on veut, des préjugés héréditaires,
pour ne servir d'autre intérêt que celui de la vérité,
sans chercher à qui elle profite ».
iardot (Paul). — Soui'enirs d'un Artiste.
olland (Gabriel). — La Flûte d'éhène, un recueil de poèmes
où figure, entre autres œuvres remarquables, un
hymne à Victor Hugo d'une noble et généreuse
intention,
liszewski. — Souvenirs de la comtesse Golovine, née
princesse Galitzine (1766-1821). Ces souvenirs sont
( élèbres, ils ont été rédigés en français et révélés au
monde par une traduction parue en 1900. M. Walis-
/•'wski a cru qu'il valait la peine de les publier à
94 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
nouveau dans leur texte primitif et avec toutes les
références qui en garantissent l'authenticité. Ces mé-
moires furent rédigés sur la demande et avec la colla-
boration précieuse de l'impératrice Elisabeth, femme
d'Alexandre l^^, qui a guidé et documenté leur rédac-
tion. C'est dire leur valeur historique et documen-
taire, ils ont en outre un très vif intérêt. Songez en
effet que l'auteur nous y fait approcher tour à tour la
grande Catherine, Paul I^^, Alexandre l^^ — sans
compter Bonaparte, empereur, aperçu pendant le
séjour à Paris !
***. — Le Roman Allemand.
***. — Les Prosateurs latins, deux volumes de très
précieuse et très agréable vulgarisation, parus dans
l'Encyclopédie httéraire illustrée.
AVRIL
LES ROMANS
MARGUERITE COMER
Les Grimaces de l'Amour.
Œuvre d'une rare puissance, d'une étrange, amère
. l forte saveur. En épigraphe, cette maxime de
La Rochefoucauld : « L'amour prête son nom à
un nombre infini de commerces qu'on lui attribue
t't où il n'a pas plus de part que le doge à ce qui" se
fait à Venise. » Et c'est bien la philosophie qui se
• légage de l'histoire de Danielle Sauvai et du fa-
meux romancier Evans. Ce héros ne connaît pas
'amour, il n'en est pas digne; il faut pour l'amour
in cœur plus naïf, une âme moins compliquée; et
tous les autres, Sauvai et la ridicule poétesse, son
UG LE MOUVEMENT LITTERAIRE
amante, et Dollner, le théoricien passionné du
devoir, et Danielle elle-même, si fraîche, si ardente,
si généreusement femme, ne connaissent que les
grimaces de l'amour; ils ignorent l'amour tout uni,
fervent et droit, l'amour qui ne subtilise pas, qui
est toute vérité, toute harmonie.
Tout de même, il y a de l'amour dans ces, cœurs
et dans ces existences : derrière ces grimaces, il est
caché, mais présent; sa lumière perce les ombres
accumulées autour de lui, et la vérité est là, der-
rière tous ces mensonges, cette vérité que le roman-
cier sans expérience confiait à son premier manus-
crit; elle est là au début de cette aventure lorsque,
dans un geste symbolique, l'écrivain offre ce
manuscrit dédaigné à Danielle ; elle est là encore au
dénouement lorsqu'il lui murmure : « C'est toi que
j'aimerai le plus ! Je te le jure, et tu sais bien que
tu es la seule à qui je ne mens pas, la seule à qui je
veux donner mieux que mon amour : ma vérité,
toute ma vérité. » Et c'est ainsi que passe un grand
frisson d'émotion sincère à travers toutes ces obser-
vations d'une si vivante et si pessimiste justesse,
et M nie Marguerite Gomert a réussi, dans tout ce
réalisme à mettre souvent un beau lyrisme .
Il
AVRIL — LES ROMANS 97'
LÉON DAUDET
Le Bonheur d'être riche.
Dans ce roman ironiquement intitulé le Bonheur
d'être riche, M. Léon Daudet nous montre, avec une
satisfaction évidente, quelques-uns des plus nota-
bles ennuis auxquels une fortune insolente expose
un ancien chemisier âgé de cinquante-cinq ans,
dont le père est mort fou, dont la concupiscence est
violente, la cervelle faible, et la femme exécrable.
Ah ! que Jean Badelot le connaît, le bonheur d'être
riche ! Gela consiste pour lui à compter sans répit,
en frissonnant, son or, à l'enfouir, à vérifier ses
cachettes, ses comptes, ses clefs, ses serrures, ses
coffres, à fuir son ombre, à ne plus dormir, à ne plus
manger, à se méfier des innocents, à se confier à des
coquins, et à se laisser enfermer dans une maison
de santé pour avoir, un jour, le plaisir de sauter par
la fenêtre, ce qui est, en somme, le suicide le moins
coûteux.
Et ce Badelot possède une épouse — c'est sa
seconde femme — Florence, qui l'a trompé tant
qu'elle a pu, et qui, maintenant qu'elle ne peut plus,
se console en affolant littéralement son mari, afin
de l'acheminer vers le cimetière, en passant par
Bicêtre ou Villejuif et de s'en débarrasser en gardant
la fortune qui lui permettra d'épouser le brillant
ollicier de mai'ine Georges Badelot, neveu du futur
98 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
défunt, ex-ami de la helle Florence, lequel a été,
pour se reposer un peu, fumer une cigarette en
Indo-Chine...
Les choses ne se passent pas tout à fait ainsi,
l'avare et luxurieux Badelot meurt, et aussi sa
femme Florence la scélérate. Et le brillant officier
de marine épousera tranquillement sa petite cou-
sine, la propre fille de Badelot, qui est un ange
et qui, pendant tout le drame, s'est donné beaucoup
de mal, en vain, pour protéger son pauvre papa
contre la méchante femme — sa belle-mère.
Ecrit dans une langue si originale qu'on est tenté
parfois de la croire négligée, le roman de M. Léon
Daudet présente un très vif intérêt. Il est bien
construit, sobrement mené, contient plus d'un trait
excellent et de jolies, de très vibrantes, très justes
impressions. Les types un peu conventionnels, sans
doute, sont vrais, somme toute, et vivants.
PAUL BOURGET
La Dame qui a perdu son peintre.
Sous ce titre la Dame qui a perdu son peintre^ —
un bien joli titre et fait pour piquer ^a curiosité, —
M. Paul Bourget a publié, un très spirituel et déli-
cat roman. C'est une étourdissante histoire de faux
tableau, telle qu'un romancier ordinaire n'aurait
AVRIL LES ROMAINS 99
point eu l'audace de l'imaginer et que seule la réa-
lité, plus romanesque, on le sait, que tous les ro-
mans, semblait pouvoir se permettre. Elle est pour-
tant sortie, tout armée, de l'imagination de M. Paul
Bourget, et ce n'est pas la faute de l'écrivain si la
réalité s'est avisé de plagier son récit deux, ans après
qu'il fut composé...
Cette étonnante histoire est racontée dans une
longue lettre adressée par le célèbre peintre Monfrey
i une belle dame dont il est épris et qu'il a fuie, cer-
tain jour de tristesse et de jalousie : et voilà déjà
ime « dame qui a perdu son peintre », mais celle-là,
l'Ile le retrouvera, je suis bien tranquille. Les autres
victimes sont plus compromises, celles dont les
visages sourient éternellement sur la toile peinte :
• ••ette belle figure de Léonard, orgueil de la galerie
Varegnana, où le critique d'art Gourmansel décou-
vre un « Gristoforo Saronno »; et celle aussi que pos-
sède la marquise Ariosti — Gristoforo authentique,
elle-là, — et en laquelle Monfrey reconnaît tout
simplement une peinture faite par lui quelque
vingt-cinq ans avant.
Que de discussions, que de colères, que d'angois-
ses autour de ces tableaux, que de types pittores-
ques d'amateurs, de marchands et de critiques
d'art, magistralement campés. G'est bien amusant,
émouvant aussi, car la gentille et fine figure de
Ghristiane met dans cette brocante la grâce de son
sourire et de sa tendresse, et cela se termine le
mieux du monde par l'apothéose des faux tableaux
100 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
entourés plus que jamais de la foi respectueuse des
amateurs.
Pour compléter ce volume M. Paul Bourget a
réuni quelques nouvelles d'una grande séduction
parmi lesquelles Une Nuit de Noël sous la Terreur
est un drame d'une formidable et poignante émo-
tion.
JEAN GANORA
Madame Davenay bienfaitrice.
Ce livre est, je crois bien, le premier roman de
M. Jean Canora; c'est, il faut le dire bien vite, une
œuvre extrêmement remarquable avec des pages
de premier ordre et très dignes des grands écrivains
dont l'auteur se réclame dans sa préface.
Mais, par exemple, bien périlleuse est la tâche du
chroniqueur qui doit vous conter, en quelques
lignes, l'histoire d'Ursule Pitois, jetée sur le pavé
à la suite d'une première et douloureuse aventure
qui flétrit ses dix-sept printemps, acharnée bientôt
au siège et à la conquête du peintre septuagénaire
Duroy, qu'elle finit par épouser, et auprès duquel
elle mène, pendant quinze ans, une existence de
dévouement calculé, dans la prison où son vieux
mari la tient enfermée avec lui.
Au bout de ces quinze ans, elle obtient la récom-
pense si attendue : Duroy meurt et lui lègue une
AVRIL LES ROMANS 101
fortune, mais à condition qu'elle adoptera une petite
fille : la voici devenue, bien malgré elle, bienfai-
irice. Comment elle comprend ce rôle de bienfai-
Irice en semant autour d'elle la tristesse et la dou-
leur, comment elle persécute le sculpteur Davenay
dont elle fit son second mari, et sa pauvre petite
protégée, Henriette, comment elle vole l'héritage
du neveu de son mari, André Raymond, comment,
enfin, elle meurt, laissant désespérée sa fille d'adop-
tion qui n'a plus qu'une ressource, devenir « sœur
des humbles» : tel est, largement esquissé, le sujet
(le ce roman.
Il pourrait vous apparaître comme un roman
d'intrigue, et c'est en fait un roman singulièrement
romanesque, mais c'est en même temps un roman
de caractère: c'est aussi, par son étude du rôle
social de la bienfaitrice, un roman à thèse — ■ et l'au-
teur a voulu que ce fût tout cela car, pour lui, « un
loman digne de ce nom doit être à la fois bâti sur
une intrigue, rehaussé par la mise en valeur des
caractères, soutenu par la démonstration discrète
d'iine idée.))
I
p
»
HENRY RABUSSON
Le Frein.
Le Frein, dont parle M. Henry Rabusson, c'est
l'éducation, cette éducation que l'on néglige tro]>
102 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
dans notre pays, et qui est un frein merveilleux,
« le seul même qui soit efficace, le seul qui fonc-
tionne aux heures critiques où la passion menace
de tout emporter».
Pour illustrer cette thèse, M. Henry Rabusson
nous raconte l'histoire de M. de Monlivet, mari
sans amour d'une femme éternellement malade et
neurasthénique, et, par surcroît, assez revêche et
désagréable. Il la soigne très bien, avec beaucoup
de conscience, mais sans élan. Tout à coup, un
doctoresse fait irruption dans ce ménage: Eva Mil-
ler, une savante personne gracieuse et troublante,
qui fut autrefois vaguement anarchiste, et qui
n'a gardé de la doctrine que ce qu'il faut pour
son usage personnel : elle veut prendre non plus
par la force mais par la ruse, sa part de bonheur, à
la société — la reprise individuelle ! — et elle n'y va
pas de main morte : elle se propose, tout simple-
ment, d'envoyer dans un monde meilleur la malade
confiée à ses soins. L'homme, qu'elle a affolé de
passion et de désir, hésite un instant sur le bord de
ce précipice ; il va céder, il va lui laisser accomplir
l'acte criminel, mais enfin, le « frein» agit, il s'ar-
rête, il chasse la doctoresse, il revient à sa femme.
C'est très dramatique, très émouvant, je ne crois
pas que ce soit absolument démonstratif. J'accorde,
volontiers, à M. Henry Rabusson que l'éducation
est la base nécessaire, primordiale de la vie en so-
ciété; qu'on commet, en la néghgeant, une crimi-
nelle foHe; mais il n'est pas moins vrai qu'il y a
AVRIL LES ROMANS 103
dans le tréfonds de la nature humaine une horreur
naturelle, instinctive, du crime, qui empêchera
presque toujours un homme, même follement épris,
et même dénué de toute éducation, de laisser assas-
siner sa femme.
G. AMIOT
L'Approche du Soir.
Le drame de l'âge difficile, de cet automne où
l'homme sent en lui toute la force physique et
morale de l'amour, cependant que l'amour s'enfuit,
tenté par des héros plus jeunes, a été maintes fois
évoqué par les romanciers : c'est le drame éternel,
éternellement poignant et douloureux. Après tant
d'autres, M. G. Amiot nous dit la poignante dou-
leur de V Approche du soir : il nous la dit d'une façon
originale à force de simplicité.
Dans sa dédicace à M^^e Bartet, il nous avise que
« ce récit veut se souvenir de Racine » ; il y réussit ;
c'est une histoire d'une racinienne harmonie que
celle du grand professeur de philosophie, François
Glouet devenu, à quarante-sept ans, amoureux
comme un collégien de M^^^ Elisabeth Golombin : un
roman d'amour se noue entre eux — amour dont
la psychologie a été observée, notée par l'auteur
avec un soin méticuleux, une heureuse recherche,
presque excessive parfois — et un mariage est pro-
104 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
jeté. Mais, suivant la volonté d'Elisabeth, il ne sera
célébré qu'avec le consentement exprès de toute la
famille, et la vieille sœur du professeur, Octavie,
le refuse obstinément, farouchement, cependant
que son neveu Marcel, son fils intellectuel, accepte
très gentiment cette idée. Même il court vers EHsa-
beth pour la décider à conclure tout de suite ce
mariage; mais aux premières paroles échangées,
l'amour naît, un amour presque criminel déjà, entre
ces deux êtres d'élection. Marcel veut se sacrifier
au bonheur de son oncle, mais ce dernier a deviné
toute la vérité, il renonce à ce mariage. Homme
jusqu'au bout cependant, il ne peut supporter la
pensée que son neveu ait un bonheur quipui
échappe, et Elisabeth, très dignement, s'éloigne
toute seule, désolée et résignée...
ÀRMANDO PALAGIO VALDÈS
La Foi.
(Tx'aduction de Julks Labordf).
La littérature espagnole moderne est peu connue
du public français qui n'a d'yeux, en ce moment,
que pour les proses du Nord de l'Italie. Le roman
espagnol traverse pourtant une période d'un rare
éclat et des écrivains sont nés dans la patrie de
Cervantes, qui valent la peine d'être connus et
AVRIL LES ROMANS 105
étudiés chez nous. Parmi ceux-là, il faut citer en pre-
mière ligne Armando Palacio Valdès, un membre
(le l'Académie espagnole, dont la renommée est
très grande ira los montes et qui est vraiment un
romancier du plus haut mérite et de la plus intense
originalité. M. Jules Laborde, un agrégé de l'Uni-
versité, qui possède parfaitement l'espagnol, et
'(ui est lui-même un excellent lettré, nous le révèle
• n publiant une belle traduction de la Foi, l'œuvre
maîtresse de Àrmando Palacio Valdès.
C'est un livre poignant où se trouve évoqué le
drame éternel de la lutte entre l'esprit et la chair.
L'anecdote dé ce roman nous montre le calvaire du
P. Gil, cet orphelin élevé par des âmes charitables
et qui, devenu prêtre, est dévoré d'une ardeur
d'apôtre; son chemin est semé d'embûches et de
douleurs, des prêtres intrigants ou brutaux que sa
renommée inquiète le menacent et veulent le per-
dre ; mais tout cela n'est rien au regard de la tem-
pête qui se déchaîne en son cerveau le jour où ayant
entrepris la conversion de don Alvaro, l'athée, il
^st troublé par celui-là même qu'il voulait ramener
Dieu, et qui, bien au contraire, avec ses paroles,
^60 les livres des philosophes, jette le doute en son
ïprit. Ce drame de conscience se termine par un
lélodrame : la pénitente du P. Gil, Obdulia, s'est
rise peu à peu, pour son confesseur, d'une crimi-
îlle passion, et comme il veut rester fidèle à son
'devoir et à sa foi, elle l'ent raine dans une ténébreuse
machination à la suite de laquello ]o prêtre est
7.
106 LE MOTTVEMENT LITTÉRAIRE
condamné à quatorze ans de réclusion; douce con-
damnation, car il retrouve en son étroite cellule la
grâce souveraine.
Telle est l'anecdote : elle ressemble par plus d'un
point à des histoires qui nous furent contées déjà.
Mais ce qui fait du livre une œuvre profondément
originale, c'est l'allure que lui a donnée l'auteur;
cette peinture saisissante et qu'on sent si intensé-
ment vraie de l'âme et des mœurs espagnoles donne
à cet ardent récit de la lutte entre l'ange et le démon
une puissance, un relief, une couleur extraor-
dinaires.
MARC DEBROL
Le grand Tour.
Alors que tant d'écrivains, romanciers ou autres,
prêchent aux jeunes Français l'esprit d'initiative
et d'aventure, M. Marc Debrol leur conseille réso-
lument de rester chez eux, de cultiver le champ de
leur père et d'épouser sagement la petite voisine
qui leur fut de tout temps destinée. C'est, à n'en
pas douter, la thèse qui ressort de son roman.
Je n'aime pas beaucoup cette thèse, je ne crois
pas qu'il y ait tant besoin d'encourager chez nos
compatriotes les goûts sédentaires et routiniers,
bien suffisamment répandus déjà, mais le roman
qui l'illustre est amusant et bien conduit. L'équj-
AVRIL LES ROMANS 107
pée de Jean Morel, le jeune architecte qui s'exile
en Amérique parce que ses parents ne sont pas
t(iut à fait d'accord avec lui sur le choix d'une
fiancée, et que, d'autre part, il éprouve irrésistible-
ment le besoin de la vie libre et des aventures ; ses
succès matériels, ses déconvenues sentimentales à
New-York, où il est abandonné successivement par
sa fiancée de France et par une sweet heart milliar-
daire, Gladys, type assez convenu de la jeune fille
américaine, et le retour au bercail du bon petit
architecte devenu sage, résigné, et ayant appris, en
faisant le « grand tour », à mieux aimer son pays :
tout cela nous est conté avec un réel agrément par
l'auteur, qui nous offre, entre temps, une peinture
de la famille américaine, sans lien, sans amour, sans
respect, qui me parait, tout de même, un peu
bien tendancieuse.
PIERRE GORRARD
Les Chercheurs d'Idéals.
M. Pierre Gorrard, écrivain jeune encore, s'est
déjà manifesté avec autant d'audace que de con-
fiance dans les genres les plus divers ; il a publié —
je m'en rapporte aux termes mêmes de son cata-
logue — des « romans romanesques », des « romans
légers » — combien légers ! — des « satires », des
'( poésies»; il a recueilli les «propos, gestes, avatars
108 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
et aventures du bohème Philodore », et il nous a
offert un « essai de psychologie expérimentale». Il
continue... Et voici qu'il fait paraître un roman,
parfois romanesque, souvent léger, presque tou-
jours audacieux, et principalement très philoso-
phique. Il s'appelle les Chercheurs d'idéals^ et porte
en épigraphe deux pensées extraites par l'auteur
lui-même de son livre. « ...Nous n'avons plus ni reli-
gion, ni art, ni morale : nous sommes, tous, plus ou
moins, des neurasthéniques», et « Si vous saviez
tout le bonheur dont nous sommes capables ! »
Seulement, voilà, vous ne le savez, nous ne le
savons pas, et c'est tout le malheur; nous souffrons
comme Med Merti, comme Jeanne Duferblé, comme
tant d'autres, de ce mal terrible : la neurasthénie,
mal des êtres supérieurs, intellectuels, pour qui le
bonheur limité n'est pas digne d'être goûté, et qui,
ayant l'horreur du relatif, sentent l'impossibilité
d'atteindre à l'absolu.
Ce sont des malades, ou plutôt des ignorants, qui
ignorent la science de vivre, et c'est cette science
que prétend leur enseigner Salomon Bigle dans sa
petite maison des « chercheurs d'idéals»; ce Salo-
mon Bigle est un homme étonnant qui applique à
ces malades coupables de ne point savoir être heu-
reux le système des fiches; il fait de l'anthropo-
métrie sentimentale : c'est le Bertillon des âmes, et
il réussit à faire des cures admirables.
Mais cet apostolat de soigneur d'âmes et de
chercheur d'idéals présente quelque inconvénient
AVRIT. LES ROMANS 109
ius notre société d'ignorants et de retardataires,
on le fait bien voir à Salomon Bigle qui, après
le cure un peu trop audacieuse, passe en Gourd'as-
>es et est condamné à dix ans de réclusion.
Il est excessif de dire que cet ouvrage est un
' (^s événement, mais c'est un livre où sont remuées,
•ec parfois une assez heureuse audace, des idées
itéressantes, d'où l'auteur aurait pu seulement
innir quelques expressions dont la trivialité ne
iiforce pas la valeur.
LÉON DE TINSEAU
Les Deux Consciences.
Dans les Deux Consciences^ Léon de Tinseau
<l(>nne deux récits d'égale longueur et d'égal intérêt.
I .(' premier met en scène un jeune officier qui, lors
• lune campagne au Maroc, a... terminé les soufîran-
' t s d'un camarade blessé mortellement. Ce qui lui
fiormet, au cours d'une histoire d'amour, d'opposer
los deux consciences», celle du libre penseur qui a
• lu bien faire en délivrant son semblable d'horri-
l»les tortures — celle de la morale chrétienne qui
(irononce contre le meurtre un veto absolu.
Moins « empoignant», mais plus profond, le
• If'uxième récit : Ferréol, nous montre l'évolution
<l*^ deux frères, fils d'un petit chapelier franc-
•mtois, élevés religieusement, transplantés à
110 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Paris, devenus libres-penseurs et farouches répu-
blicains l'un et l'autre. Ferréol, infirme, grand
liseur, en est à l'idéal républicain des grands an-
cêtres. Claude est arrivé par les grèves, les déléga-
tions... etc.. Ferréol, révolté en face de cet échan-
tillon du repu parlementaire, lui dit ses vérités
et l'accule aux contradictions les plus comiques.
C'est là un livre où il y a du cœur, de la raison, ci
parfois de la gaieté, ce qui ne gâte rien.
ROMAIN ROLLANP
Jean-Christophe. — Les Amies.
Le Jean-Christophe de M. Romain Rolland, dont
j'ai suivi pas à pas, volume à volume, l'épanouisse-
ment depuis son triomphant début avec VAuhe^ ( s{
une œuvre unique dans la littérature de ce temps :
nul écrivain n'a eu, en effet, la patience ou l'audace
d'écrire un roman qui compte déjà huit volumes et
qui n'est pas terminé, et dont les huit volumes sont
tous d'un intérêt égal et renouvelé.
Avec ce huitième volume, commence la troi-
sième et dernière partie qui s'appellera : « La Fin
du voyage. » Jean-Christophe, en effet, continue
son voyage dans la société parisienne; c'est tou-
jours cet être très sincère et très personnel que sa
sensibilité extrême met un peu à la merci des gens
AVRIL — LES ROMANS 111
Lfrossiers et égoïstes qu'il rencontre chaque jour,
liais qui, par sa volonté et son énergie, parvient à
t'iompher de ces épreuves. Si le caractère n'a pas
liangé essentiellement, il évolue cependant; d'une
façon très ingénieuse, l'auteur met son héros en
présence de divers types de jeunes filles et de jeunes
femmes très différentes et qui sont tous curieux
et vrais. Ces diverses affections ou amitiés ont une
2:rande influence sur l'âme si vibrante de Jean-
Christophe; les joies et les misères de ses amies
l'émeuvent profondément; éveillant en elle un
écho de sympathie, elles la rendent plus humaine,
plus proche de nous, sans rien lui faire perdre de cette
intransigeance morale qui fait sa force et sa saveur.
Il y a dans les Amies un côté plus grave et non
moins passionnant. C'est une étude de la crise
morale que traverse la femme d'aujourd'hui, ma-
riée ou indépendante. La société, en évoluant, a
modifié le rôle de la femme; elle a vis-à-vis d'elle-
même et de ses contemporains des devoirs qu'elle
doit connaître et comprendre; c'est à quoi s'est
appliqué M. Romain Rolland, par le truchement de
son héros. Au cours des incidents du roman, Jean-
rihristophe rencontre des personnages qui symboli-
Mmi les diverses conditions dans lesquelles peut
se trouver une femme au xx^ siècle; il devient
leur conseiller à toutes, un conseiller affectueux,
généreux et averti naturellement. Ainsi l'auteur
a su en des pages charmantes nous exposer ce pro-
blème de notre vie moderne, et nous faire sentir son
112 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
intérêt et son importance; et c'est bien là, je crois,
le meilleur éloge qu'on puisse faire de ce beau livre.
ANDRÉ DUBOSGQ
Pierre-Guy.
Roman très délicatement pensé, écrit avec goût
et dont j'ai prisé l'émotion tendre et généreuse.
C'est une simple histoire d'amour et de renonce-
ment. Pierre-Guy Deslouet aime Christine de Ri-
queville dont il est le compagnon d'enfance, et il
éprouve, lorsque son amie épouse l'ingénieur Char-
les de Luxen, un profond chagrin; puis, peu à peu,
le temps fait son œuvre, et quelques années après,
à son retour en France, il est guéri, si bien guéri,
qu'il s'éprend de la sœur -de Christine, la douce
Marie, qui partage son amour et lui promet sa foi.
Mais Charles de Luxen est tué dans un accident
d'automobile, et cet accident, qui rend Christine
libre de nouveau, ouvre les yeux de Pierre-Cuy :
c'est elle, elle seule qu'il n'a cessé d'aimer; la douce
Marie s'en rend compte aussi, et c'est dès lors une
lutte généreuse où chacune des deux sœurs aspire
au rôle de vi-ctime. Tout s'arrange au dénouement :
pendant un nouveau séjour de Pierre-Guy en Afri-
que, Marie restée en France a convolé en justes
noces et Pierre-Guy épouse la femme de ses rêves.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES,
DIVERS
GASTON MAUGRAS
Journal d'un Etudiant pendant la Révolution
(1789-1793).
Quand M. Gaston Maugras publie un livre, et
surtout un livre sur un moment quelconque du
xviiie siècle, ce m'est une joie d'aller à lui, car
je suis certain d'entendre, en sa compagnie, des
propos, solidement appuyés de documents, et
<x primés dans une langue pittoresque, spirituelle,
vivante. Ses belles études sur Lauzun, sur la
duchesse de Ghoiseul, sur la Cour de Lunéville, sur
Mme d'Epinay, d'autres encore, sont aujourd'hui
des livres classiques qui sont dans toutes les biblio-
thèques; et je suis certain que le Journal d'un
étudiant pendant la Révolution (1789-1793), aura
I même sort enviable.
114 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Il s'agit de lettres écrites par un certain Edmond
Géraud; et « on voit dans ces lettres, écrit M. Mau-
gras, le mouvement révolutionnaire se dessiner peu
à peu, on voit les illusions des uns, les intrigues des
autres, on voit le mal irréparable causé par l'émi-
gration, on voit Paris devenu le centre d'ardentes
conspirations, on comprend mieux comment les
événements se sont enchaînés)). Mais si ces lettres
sont d'un intérêt palpitant, c'est peut-être parce
que M. Maugras les relie les unes aux autres par un
commentaire où il montre jusqu'à quelles nuances
extrêmement délicates il a pénétré dans la com-
préhension de cette époque lointaine déjà et
extraordinairement compliquée.
MARQUIS GALMON-MAISON
L'Amiral d'Estaing (1729-1794).
En des pages d'un très vif intérêt, le marquis
Calmon-Maison suit son héros aux Indes av
Lally-ToUendal, à Sumatra, dans ses captivités,
aux îles Sous-le-Vent dont il est nommé gouver-
neur, à Brest où il devient vice-amiral, à Toulon,
aux Antilles, à la Guadeloupe, en Touraine où la
Révolution française le trouve gouverneur général,
à Versailles où il est élu commandant général de
la garde nationale. Il prête en 1791 le serment mili-
I
AVRIL — HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, DIVERS 115
taire et civique ; confirmé dans son grade d'amiral
par le gouvernement de la République et arrêté en
1 793, il meurt sur l'échafaud.
Son historiographe qui nous a raconté avec beau-
coup de verve et d'émotion cette existence si rem-
plie commente sans indulgence cette fin tragique.
« Si, dit-il, pendant que la fatale charrette le menait
au lieu du supplice, il reporta sa pensée sur la lon-
u'ue lignée de ses aïeux, qui, chaîne ininterrompue,
s'était passée, de génération en génération, les
idées, les sentiments, les croyances comme une
tradition attachée à leur nom, l'amiral dut alors
sentir douloureusement combien il avait manqué
à ses ancêtres, en offensant la Reine et en reniant
le Roi.»
GILBERT STENGER
Le Retour de l'Empereur.
M. Gilbert Stenger, qui nous avait raconté, dans
un livre dont on n'a pas perdu le souvenir, le Re-
tour des Bourbons^ nous donne aujourd'hui le
complément nécessaire de cet ouvrage, le deuxième
tableau du diptyque : c'est le Retour de VEmpe-
reur, « du Gapitole à la Roche tarpéienne et l'immo-
hitiou)). Ces quinze mois d'histoire — car cette
multitude d'événements héroïques et formidables
• léroula en quinze moisi — bien des histo-
116 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
riens nous les ont racontés déjà, et bien des fois
encore nous les entendrons sans que se lasse notr
admiration, sans que faiblisse notre émotion.
Elle est si belle, cette histoire ! si remplie (!<
choses magnifiques ! Il y a dans ces quinze moi
tout un siècle d'héroïsme, d'angoisse, de grandeur
et d'espérance. Quelles étapes ! C'est le drame de
Fontainebleau, c'est le départ pour l'ile d'Elbe,
petit royaume, où, tout de suite, l'Empereur s'ins-
talle en grand souverain, qui savait comme on fonde:
c'est le retour à Paris, promenade foudroyante
et sublime; ce sont les Cent Jours, épopée prodi-
gieuse, et c'est la chute, l'hostilité des choses, la
trahison des hommes, et c'est le drame de la Mal-
maison, et ce sont les dernières étapes semées
toujours de trahisons, avec, comme dénouement.
Sainte-Hélène et le tombeau.
Cette histoire magnifique, M. Gilbert Stenger l'a
redite après tant d'autres, mais d'une façon diffé-
rente; ceux qui ont écrit sur le même sujet n'ont
point, comme lui, concentré leur étude « unique-
ment sur l'homme de génie, qui pendant cent
jours, gouverna le pays, si miraculeusement rendu
à lui-même. Et c'est pourtant ainsi qu'il fallait
écrire cette histoire en toute l'Europe, celle do
Napoléon. Il n'a point eu d'autre objectif que cette
grande figure.» Et c'est un long procès-verbal
rédigé par un historien qui s'est attaché pas à pas
au héros légendaire, procès-verbal écrit simple-
ment, sans grandes phrases, sans déclamation ; l'écri-
WRIL HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, DIVERS 117
ain sait bien qu'elles sont inutiles et que l'émotion
lormidable et poignante se dégage des faits eux-
mêmes et de l'homme surhumain. Il relate des évé-
nements, cite des dates, rapporte des mots, et cette
tâche, il l'accomplit avec toute la conscience, toute
la rigueur qu'on est en droit d'exiger de l'histo-
rien; il ne l'accomplit pas sans passion : on ne sau-
rait toucher un tel sujet, contempler un tel homme
sans passion, et il faudrait plaindre l'écrivain qui
sans une émotion profonde et presque délirante
pourrait « suivre cet immortel vaincu, faire surgir
du milieu des événements les plus cruels l'image
d'une fermeté d'âme — la sienne — aussi héroïque
que celle des plus grands hommes de l'antiquité,
présenter à nu cette âme violente qui sut résister
;iux acclamations du peuple, aux manifestations
t aux vociférations des patriotes fédérés, en ne
ongeant toujours qu'à la sauvegarde de la patrie
et à son indépendance ».
S. A. LE PKliNGE MURAT
Lettres et documents pour servir à l'Histoire de
Joachim Murât (1767-1815). — 4'- Volume.
Quelle mine inépuisable, ces Lettres et documents
pour servir à V histoire de Joachim Murât (1767-
1815). Voici déjà le quatrième volume de cette
118 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
énorme publication et nous ne sommes arrivés
encore qu'à l'année 1806 ! Que de lignes écrites
par ces hommes qui, entre deux lettres, gagnaient
des batailles et remaniaient à leur gré la carte de
l'Europe ! Ce n'étaient pourtant point des bavards,
ces épistoliers qui s'appellent Murât et Napoléon,
et Caroline, et Fouché, et Bernadotte, et tant
d'autres, princesses, maréchaux et ministres; ils
avaient vraiment quelque chose à se dire, et, dans
ces billets où ils racontent l'événement de la veille,
ordonnent celui du lendemain, ils font de l'histoire
au jour le jour : on revit dans les lettres du présent
volume la campagne d'Autriche, les jours héroïques
d'Austerlitz; on y pénètre l'histoire des duchés de
Glèves et de Berg pendant l'an 1806, on y voit,
enfin, retracée, en des billets véritablement épiques,
la campagne d'Iéna, où apparaît dans toute sa
gloire ce soldat extraordinaire dont Napoléon disait
qu'il savait, à la fois, prendre des villes avec sa
cavalerie légère sans le secours du génie, et pré-
parer partout des relais à la Victoire.
D^ PH. MARÉCHAL
Une Cause célèbre au XVII^ siècle.
C'est un livre d'une bien séduisante érudition
que celui du docteur Ph^ Maréchal, maire-adjoint
VRIL HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, DIVERS 119
(iu huitième arrondissement, sur Une cause célèbre
au dix-septième siècle, La mystérieuse histoire
évoquée dans ce livre, avec une merveilleuse abon-
dance de documents, avec toute une correspon-
dance inédite entre les deux héros, est celle de Béa-
trix de Cuzance et de Charles IV de Lorraine. Cette
étonnante aventure de substitution d'enfant, de
bigamie, que sais-je encore ! qui défraya la chro-
nique pendant tant d'années, et suscita à travers
les Cours d'Europe un si grand scandale, n'avait
'^ point encore trouvé son historien; elle l'a aujour-
d'hui : le docteur Maréchal nous la restitue dans
son livre, sans omettre un détail, sans laisser dans
l'ombre un fait ni un argument; il était tout dési-
•né pour cette tâche : un des héros de l'aventure, le
omoteur du procès qu'il soutint jusqu'à sa mort,
vec infiniment d'ardeur, de savoir et de conscience,
appelait Pierre Maréchal, et c'est l'ancêtre de
luteur. Le D^ Maréchal avait donc, on le voit,
utes sortes de raisons pour se donner avec fer-
' ur à sa tâche et pour pouvoir étayer son livre
II- des documents de première main. Ce livre,
recédé d'une éloquente préface de M. Arthur
( Ihuquet, est édité avec beaucoup de goût et semé
• ' ' belles et précieuses images.
120 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
DE MARGÈRE
Histoire de la République (1876-1879)
2^ et dernier volume.
M. de Marcère poursuit et termine cette Histoire
de la République^ qu'il avait entreprise, et dont j'ai
signalé naguère le premier volume. Le présent volu-
me s'étend sur quatre années, de 1876 à 1879, ces
quatre années au bout desquelles prit fin la période
de République libérale et conservatrice, la seule
qu'ait voulu raconter l'historien. La question se
pose pour lui, d'ailleurs, de savoir si cette fin de la
République conservatrice ne fut pas le terme de
la République elle-même. Gomme dans le premier
volume, qui s'arrêtait à la date du 16 mai, M. de
Marcère, dans le présent ouvrage, où il nous raconte
le 16 mai, l'Exposition de 1878,1a fin de la Républi-
que conservatrice, a su garder, dans le récit de ces
événements auxquels il prit une si grande part et
qui lui tiennent si fort au cœur, une remarquable
impartialité.
Ge n'est pas à dire que ses sentiments, très nets
et très ardents à l'égard des hommes et des choses,
ne se fassent jour quelquefois; même, ils gardent
dans le livre une discrétion d'autant plus grande
qu'ils s'exprimèrent dans la préface avec plus de
véhémence et d'énergie.
Dans cette préface, d'une éloquence enflammée,
AVRIL HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, DIVERS 121
M. de Marcère expose longuement les maux dont
souffre la France et dénonce, sans merci, les cou-
pables de ces maux qui sont, à ses yeux, les francs-
maçons, les ennemis de la religion. Il semble, dans
ces pages, désespérer des destinées de la Patrie et
il montre un tel pessimisme qu'on est heureux de
trouver, enfin, cette phrase sous sa plume : « Mais
quand tout paraît perdu, il reste encore l'espérance :
tout n'est pas mort, tout n'est pas fmi chez nous. »
F. GAIFFE
Le Drame en France au XVIII* siècle.
L'auteur a voulu, dans cet ouvrage, retracer la
vie de cette forme dramatique nouvelle, « créée
au xviii® siècle, en opposition avec les genres
classiques de la tragédie et de la comédie et pour
répondre aux aspirations de la bourgeoisie, qui
désirait voir consacrer par le théâtre la situation de
jour en jour plus considérable qu'elle occupait dans
la société ». Elle naquit avec le Fils naturel de Dide-
rot, en 1757, et mourut en 1791 lorsque la proclama-
tion de la liberté des théâtres vint modifier profon-
dément les conditions de la production dramatique.
En quatre parties M. Gaiffe étudie, tour à tour,
les origines du drame, l'histoire du genre, la matière
du drame, la forme du drame, pour arriver à cette
122 LE MOUVEMENT LlTTÉllAlIlE
conclusion, qu'au point de vue purement esthéti-
que, les résultats ne furent pas brillants; « le véri-
table légataire universel du drame est bien le mélo-
drame )), et c'est vraiment là un héritier et un héri-
tage dont nous aurions pu nous passer à la rigueur.
Un index très complet des drames, une table des
auteurs cités, et une série de superbes reproduc-
tions, en phototypie, d'estampes et d'images, don-
nent à cet ouvrage d'un vif intérêt, une haute
valeur artistique et documentaire.
H. POINGARÉ
Savants et Ecrivains.
Etudes et souvenirs littéraires et scientifiques,
voici, réunies en un volume, les pages que l'éminent
écrivain et savant, Henri Poincaré, a consacrées à
des hommes comme Sully-Prudhomme, Gréard,
Curie, Hermite, Cornu, B^ertrand, Berthelot, Faye,
Lœwy, d'autres encore, illustres savants et penseurs.
Dans une très jolie préface, l'auteur expose que
ses héros peuvent être aussi intéressants que ceux
dont les fanfares chantent les exploits. « Eux aussi
ont combattu, et si leurs combats ont été souvent,
le plus souvent, silencieux, ils ont quelquefois exigé
de ceux qui les livraient des qualités qui ne sont
pas communes.»
I
AVRIL HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, DIVERS 123
De tous ces hommes, M. H. Poincaré a prononcé
l'éloge en des jours de deuil où il n'est point permis
de critiquer, et en relisant ces pages il n'a pourtant
rien trouvé à retrancher ni à atténuer. Est-ce à
dire que les savants n'aient point de défauts? Non
certes ! Mais ils sont tous des laborieux, tous des
passionnés, animés d'un ardent amour pour la
vérité et la science. Ils sont tous également, en un
sens, des hommes de foi, des croyants, des modestes
aussi, mais qui, si défiants qu'ils soient de leurs
forces, ont confiance en leurs méthodes; ajoutez
qu'ils ont de la bonhomie, qu'ils sont jeunes de
cœur éternellement, et profondément désintéressés.
J. ERNEST-CHARLES
Le Théâtre des Poètes (1850-1910).
M. J. Ernest-Charles est un redoutable critique,
ses jugements sont, pour l'ordinaire, dénués de
mansuétude, et sa cruauté s'étend sur toute la litté-
rature. C'est une façon d'affirmer son indépen-
dance; je ne crois pas que ce soit la seule, ni même
la meilleure. Mais c'est une question de goût au
sujet de laquelle il serait oiseux d'ouvrir la discus-
sion : ce qui est incontestable, c'est que M. Ernest-
Charles a un très réel talent d'écrivain et une éru-
dition très sûre; les victimes même des violences
124 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
de sa férule, qui par bonheur ne s'en portent pas
plus mal, doivent le reconnaître.
J'étais donc, pour mon compte, assuré de trouver
plaisir et profit à la lecture du livre qu'il vient de
publier sur le Théâtre des poètes (1850-1910), mais
je n'étais pas sans inquiétude sur le sort de ces
poètes dont les œuvres furent représentées au
cours de ces soixante années ; qu'est-ce qu'ils vont
prendre ! me disais-je avec une trivialité dont je
m'excuse.
Je me trompais, l'historien en M. Ernest-Charles
est beaucoup plus doux, beaucoup plus indulgent
que le critique. N'exagérons rien, il égratigne encore
pas mal et se montre souvent plein d'irrévérence
pour des gloires très respectables; mais Eugène
Manuel pourrait lire sans trop de chagrin les pages
qui lui sont consacrées, et je ne crois pas que Ca-
tulle Mendès eût été fâché de son chapitre; un
grand nombre, parmi les autres, s'accommoderaient
à la rigueur, des lignes où, eh quelques traits précis,
incisifs, ils sont caractérisés; je ne parle pas de
Samain, de Verhaeren, d'André Rivcire, chaude-
ment exaltés, de Rostand surtout, pour lequel
M. Ernest-Charles professe une fervente admira-
tion. La conclusion de son livre est tout à fait flat-
teuse pour le théâtre des poètes de ces soixante
années, rempli d'optimisme et d'espérance. « Ce théâ-
tre succédant à celui du romantisme n'a pas créé
de formes nouvelles d'oeuvres dramatiques. Ou
plutôt il a mélangé toutes les formes anciennes et
AVRIL — HISTOIRE; LITTÉRATURE, VOYAGES, DIVERS 125
un chef-d'œuvre est né de ce mélange heureux.
Il a noblement souligné la persistance de l'idéal. Il
i célébré la bonté fervente de l'héroïsme. Il a chanté
l'optimisme valeureux, excitateur de l'action bien-
faisante à tous. Il a été de plus en plus humain, en
s'afTirmant de plus en plus français. Et l'humanité
vient d'elle-même se rafraîchir à cette source fran-
' aise, car elle est douce, elle est pure, et elle est
\ ivifiante. »
Ce sont là des choses tout à fait agréables à lire
et l'on a plaisir à découvrir en M. Ernest-Charles
une telle faculté d'enthousiasme, de confiance et
d'admiration.
JUNIUS
Billets de Junius.
(( Savez-vous qui est Junius?» Combien de fois,
depuis deux ans, n'a-t-on pas entendu cette ques-
tion dans les bureaux de rédaction, et toujours sui-
vie du même aveu d'ignorance; c'est un mystère de
la presse parisienne contemporaine, et le brillant
écrivain qui signe presque quotidiennement ses
« Billets )) à VEcho de Paris pont s(^ vanter d'intri-
guer ses confrères.
11 a d'autres mérites : il intéresse et passionne,
à juste titre, le public; ses billets sont d'un très
bon jcnirnnlistf et d'un remarquable» <M•^i\^•nn: sans
126 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
doute, le mystère dont s'entoure l'auteur ajoute à
l'attrait de la prose, mais tout de même cet écrivain
pousse un peu trop loin la modestie, lorsqu'il affirme
que « si ces billets ont eu quelque succès, ils l'ont
dû à cette espèce d'anonymat ».
Non certes, ils l'ont dû à leur remarquable tenue
littéraire et m^ orale; ils l'ont dû à ce fait qu'ils atta-
quent «toujours les doctrines, jamais les individus,
et que leur auteur — un ancien secrétaire d'ambas-
sade, voilà un point de repère ! — a tenu à ne mani-
fester dans ses écrits, que le bon Français, celui
qu'il est, que vous êtes, celui que nous sommes ».
On se rend compte mieux encore de leur valeur
littéraire en les relisant dans le volume où VEcho de
Paris vient de les réunir, ces Billets de Jiinius^ mé-
thodiquement ordonnés, en chapitres, qui ont trait,
tour à tour, à la société, au régime, à la patrie, à
l'armée, à l'école, aux âmes et au travail, on les relit
avec infiniment de plaisir, de profit, et souvent
d'émotion, — et c'est un livre qui fait honneur vrai-
ment à la presse contemporaine.
CAMILLE FLAMMARION
Les Comètes.
L'éminent astronome, qui sait mettre tant de
poésie dans l'exposé des problèmes les plus scienti-
WRTL — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, DIVERS 127
fiques, nous documente d'une façon très complète
sur le mouvement des comètes dans l'espace, les
orbites cométaires, la constitution des comètes,
leur rencontre possible avec lei terre, leur prove-
nance, et aussi sur les étoiles filantes, les bolides,
les uranolithes. L'héroïne du jour, celle dont
nous attendions, cette année, la visite avec une
impatience et une curiosité mélangée d'un tout
petit frisson d'inquiétude, la célèbre comète de
Halîey, y tient une grande place, cette visiteuse qui,
après nous avoir délaissés depuis l'an 1835, revien-
drait le 19 mai prochain, juste à point pour mettre
fm à notre pauvre vieux monde.
Ne nous inquiétons pas trop. M. Camille Flam-
marion, qui est un prophète digne de foi, est très
l'assurant. « Peut-être remarquera-t-on de curieux
]jhénomènes électriques ou magnétiques, des mani-
festations d'aurores polaires, des orages d'un nou-
veau genre, une pluie d'étoiles filantes, des lueurs
éthérées dans les régions supérieures de l'atmos-
phère tandis que les observateurs de l'autre côté
(lu globe étudieront le passage du noyau devant le
disque solaire.»
Tout cela est très alléchant et pourra constituer
nu fort beau spectacle; mais, voilà qui est plus
1,'rave : — in cauda i^enenum : c'est le cas de le dire
— « quelque nouveau mélange gazeux pourra se
produire dans notre atmosphère ! » mais nous nous
en tirerons très bien tout de même et ce sera une
mémorable date astronomique qui restera ipscrite
128 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
dans nos annales comme l'une des plus impor-
tantes de l'histoire des comètes.
MÉMENTO DU MOIS D'AVRIL
ROMANS
Aubier (F.). — Trois filles à marier.
Azco (Jean d'). Voir Théodore Kahn.
Barret (Emile). — La Petite Sévillac.
Barrett (Frank). — Le mystère du grand Hesper, dont
M. de Wyzewa donne une traduction dans la Biblio-
thèque des meilleurs romans étrangers.
Danrit (Capitaine) et Arnould Galopin. — La Révolution de
demain, un roman qui nous donne un avant-goût des
plaisirs que nous prépare la G. G. T.
Dessoubre (Henri). — UÉté Complice, un roman de mœurs
orientales d'une très johe couleur et d'une poignante
émotion.
Fillay (Hubert). — Contes de la Breumaille, des « nouvel! -
du pays solognot».
Galopin (Arnould). Voir Capitaine Danrit.
Kahn (Théodore) et Jean d'Azco. — Le Printemps d'une
femme, roman moderne.
Maygrier (Raymond). — La Ruche, roman de mœurs par-
lementaires.
Mirepoix. — Bahylone, roman historique.
Rengade (D'^ Jules). — La hotte à Cancans, roman scénique
contemporain.
Rogniat (Marcel). — Péchés de Jeunesse, un recueil -de
curieuses nouvelles.
MEMENTO DU MOIS d'AVRII. 129
Saint-Aulaire (Comte A. de). — Un étrange divorce.
Séverac, — Les Voies Impénétrables. La lutte menée contre
les congrégations et les consciences catholiques devait
nécessairement provoquer quelques écrivains à des
œuvres d'imagination, dont cette lutte serait l'élé-
ment primordial. Le nouveau livre que publie,
M. Séverac, est du nombre. C'est l'histoire d'une jeune
fdle qui, sortie du couvent aux heures de tempête et
jetée dans le monde qui l'étourdit, se sent ressuscitée
à sa vocation — et une vocation qui s'achève dans
le martyre — par des voies impénétrables, qu'il plaît
à la providence de choisir.
L'auteur n'a pas reculé devant les effets les plus
dramatiques, pour donner à son récit et à sa disser-
tation, plus de relief : il en résulte que son livre a
l'éloquence d'un acte de foi en même temps que le
roman est d'une belle intensité de vie.
Ulmès (Tony d'). — Les Demi- Morts.
HISTOIRE — LITTÉRATURE
THÉÂTRE — POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Armaingaud (D*"). — Montaigne pamphlétaire; V Énigme
du Contre un.
irraud (D*" Jean). — Bordeaux sous la Terreur; « Vieux
papiers bordelais.»
irrès (Maurice). — L'Ennemi des Lois, l'édition défini-
tive du livre admirable qui, dans l'évolution intellec-
tuelle et sentimentale de l'éminent écrivain, marque
une étape si émouvante.
]V>églin (Eugène). — Une Capitale chrétienne: Vienne.
lioyer d'Agen. — Monsignor Joachim Pecci, d'après la
correspondance de famille.
iJrun (Ch.). — Le Roman social en France au xix® siècle,
un important ouvrage publié dans la série dos Études
'('onomiques et sociales.
130 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Caillaux. — Discours, prononcés à propos de l'Impôt sur
le Revenu.
Gaylus (Duc de). — Le Cahier blanc de mon père, des pages
d'histoire émouvantes, publiées avec une piété filiale,
où l'auteur nous restitue les « Souvenirs» consignés
par Adolphe de Rougé, page de Charles X, sur l'in-
fructueuse tentative de soulèvement faite dans
l'Ouest par M^^e la duchesse de Berry, en 1832.
Chaponnière (Paul). — Piron, sa vie et son œuvre.
Cim (Albert). — Le Chansonnier Emile Déhraux, roi de
la Goguette (1796-1831).
Cons (Louis). — Un siècle de VHistoire d"" Allemagne : de
Gœthe à Bismarck, publié dans la collection syn-
thétique dirigée par M. Noël Ayinès.
Dalloz. — Le Manuel Électoral. N'allez pas croire que c'est
là un bouquin illisible qui, en exaltant le droit du
vote, vous dégoûte à tout jamais de la vie publique.
C'est au contraire un véritable manuel, très bien fait,
très clair, d'une consultation aisée, que tous les ci-
toyens consciencieux devraient avoir à portée de la
main, afin de ne point parler en aveugle du bulletin
souverain — ô combien — qui va faire des députés
et qui fera des conseillers municipaux.
Il n'est même pas jusqu'aux candidats, jusqu'aux
élus, jusqu'aux membres des commissions électorales,
qui ne devraient entre ses sages feuillets chercher
une connaissance plus certaine de. la loi électorale.
Dupuy (Ernest). — Alfred de Vigny. Premier volume : Ses-
Amitiés. ^
Filon (Augustin). — '■ Marie Stuart, un fort émouvant et
agréable livre où l'auteur, sans s'inquiéter des outran-
ciers de la haine ou des forcenés de l'apologie, laisse
parler les faits et montre Marie Stuart telle qu'il
croit la voir. Ce volume est le premier d'une série qui
s'appellera les Femmes illustres et que dirige le très
érudit et probe écrivain qui a nom Léopold Lacour.
Fleischmann (Hector). — Rackel intime. Ce n'est pas un
livre de mémoires, c'est mieux que cela : c'est, en
face de la figure romantiquement hiératique de la
célèbre tragédienne, la figure vivante, vibrante, plus
M i: M I : .\ 1 ( - 1 ) L .M u 1 s D \\ \ 1 a L 1 ; 5 1
passionnelle que passionnée, de la femme qui eut à
la fois des gestes très héroïques, très bourgeois, et
parfois un peu... Mais, ne la jugeons pas trop sévère-
ment, laissons de côté des petits faits, qui ne gran-
dissent pas le souvenir. Rachel fut toute une époque
et c'est cette époque que M. Fleischmann ressuscite
en des pages pleines de documents et très amusantes,
car, ainsi que le dit le biographe — très curieux,
mais pas trop — curieux de la tragédienne, « dans
cette biographie l'amour tiendra une large place, car
Rachel a beaucoup aimé ».
Guillaume (James). — U Internationale, « documents et
souvenirs de 1864 à 1878», quatrième volume.
Ilauser (Ph.). — Les Grecs et les Sémites, « dans l'histoire
de l'Humanité».
Hocquart de Turtot. — La Conquête des Communes (Mai-
Juillet 1789).
mes (William). — Philosophie de V Expérience, le savant
livre de pensée du célèbre philosophe, membre associé
de l'Institut, professeur à l'Université de Harward,
dont MM. E. Brun et Paris publient la traduction
dans la « Bibliothèque de Philosophie scientifique ».
Ce sont huit leçons où le savant maître, qui a une
vision et une méthode pour interpréter cette vision,
('•ludie successivement les aspects de la pensée philo-
sophique, l'idéahsme moniste, Hegel et sa méthode,
Fechner et son panthéisme empirique, la conspiration
des consciences; Bergson et sa critique de l'intellec-
tualisme, la continuité de l'expérience, et enfin ses
conclusions, dont celle-ci : « L'empirisme est, pour la
nligion, un meilleur allié que le rationalisme.»
Très beau hvre de haute spéculation morale qu'on
lie lit pas sans fruit : le maître a certainement un
• xcès de modestie, lorsqu'il s'écrie à la fin : « Mon
seul espoir est qu'elles aient pu avoir pour vous (il
parle de ses leçons) quelque chose de suggestif, et si
quoique chose de tel s'y est effectivement trouvé à
l'égard d'une certaine question de méthode, je consens
presque à ce qu'elles ne vous aient rien inspiré sur
aucune autre. »
132 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Il suffît de lire les pages si profondes et d'une
logique si serrée, de M. William James, pour juger
que son livre est un clavier, dont tous nos cerveaux
doivent être heureux d'entendre l'harmonie.
Labulin (Colonel), — Considérations stratégiques sur la
Campagne de 1800 en Italie.
Langsdorff (Baron de). — Voyages et Chasses en Ouganda,
de très intéressants récits.
Leclerc (Jules). — Chez les Jaunes, un volume consacré au
Japon, à la Chine, à la Mandchourie. L'auteur,
globe-trotter émérite, a fait le tour du monde en par-
tant par le transcanadien et en revenant par le trans-
sibérien ; de ce grand voyage il a rapporté une ample
moisson d'impressions et de documents, d'abord, sur
la traversée du Pacifique, puis sur les villes du Japon :
Yokohama, Tokio, Kamakoura; sur la Chine, où il a
vu Pékin tout autrement que nos littérateurs; par-
tout, il a su voir ; il se souvient et raconte à merveille,
il a su au bon moment braquer l'objectif de son appa-
reil photographique : il a réussi de la sorte à nous
offrir une relation du plus vif et du plus pittoresque
agrément.
Lemaître (Jules). — Fénelon, les belles conférences, d'une
si haute et si poignante séduction, réunies en volume.
Martin (Paul-Edmond). — La Suisse à VÉpoque mérovin-
gienne (534-715), des « Études Critiques».
Mélia (Jean). — Les Idées de Stendhal, un bien captivant
ouvrage sur ces idées dont l'ensemble constitue
le Beylisme, suivant l'expression même de l'écrivain,
qui, de son vivant déjà, prétendit faire école; l'auteur
a voulu l'étudier dans son esprit, nous montrer qu'il
a été plus que tout autre sensible à la beauté de l'art;
que la beauté fut pour lui une promesse de bonheur;
il a réuni pieusement et présenté avec beaucoup d'art
toutes ses idées philosophiques, il a détaillé, comme
Stendhal faisait de ses personnages, l'auteur de cette
œuvre immense sur « laquelle plane la plus pure im-
mortalité et qui met son nom parmi ceux des grands
génies ».
Merlet (J.-P.-Louis). — Eugène Chigot, peintre.
MEMEiNTO DU MOIS DAVRIL 133
Pidal (Raraon Menendez, do l'Académie espagnole). —
L'Épopée castillane à travers la littérature espagnole.
M. Ernest Mérimée, qui préface l'ouvrage traduit
par M. Hemù Mérimée, nous expose que les sept
chapitres composant ce volume forment autant de
conférences prononcées par M. Ramon Menendez Pi-
dal à l'Université Johns Hopkins de Baltimore, cette
université où furent instituées des lectures sur la
poésie des différents pays d'Europe, où Brunetière
parla de la France, et Angelo de Gubernatis de
l'Italie. M. Pidal ayant établi qu'il existait une épopée
castillane — car un illustre écrivain et philologue a
écrit autrefois : l'Espagne n'a pas d'épopée ! — étudie
tour à tour la formation de la matière épique, sa diffu-
sion et son évolution à travers la littérature, et ce sont :
les origines de l'épopée castillane, le poème de Mon
Gid, Castille et Léon, le Gid et Ghimène, le Roman-
cero, le Théâtre classique, la Matière épique dans la
rinésie moderne.
Pourol (Paul). — Tolède, « son histoire, ses légendes, ses
monuments », un ouvrage pittoresque.
Rostand (Edmond). — Chantecler, apparition en hbrairie
de la triomphante pièce attendue à travers le monde
par des miliers et des milliers de lecteurs, lesquels
auront la surprise de quelques vers nouveaux du
poète; M. Edmond Rostand a, en effet, réuni les indi-
cations de mise en scène et de décors en quatre son-
nets déhcieux, qui précèdent les quatre actes de son
œuvre.
Roux (J.-Gh.). — Les Légendes de Provence, un gracieux
volume dont les pages ensoleillées sont ornées de
belles images,
Silbermann (Soldat). — Souvenirs de Campagne, un vo-
lume d'histoire très moderne, très française, de cou-
rage et de vaillance écrit par un de ces modestes héros
qui la font obscurément, où le soldat Silbermann,
décoré de la médaille militaire, médaillé du Dahomey,
de Madagascar, du Tonkin et do la Ghine, nous conte
les quinze années qu'il passa dans la légion étrangère
et dans l'infanterie du marine, au cours desquelles il
134 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
parcourut, le fusil sur l'épaule, l'Algérie, le Dahomey,
Madagascar, le Tonkin, la Chine, le Siam, la Gochin-
chine. Le général Gallieni félicite son ancien légion-
naire d'avoir publié ses souvenirs où l'on retrouvera
à la fois une documentation intéressante sur la vie de
nos soldats coloniaux et un enseignement qui, chez
les jeunes soldats, sera d'un excellent effet et contri-
buera à l'éducation mihtaire.
Sisson (H.-D.). — La République Argentine, une étude sur
la grande Répubhque que M. Sisson appelle le
Pôle latin de l'Amérique.
M. Sisson, après avoir décrit le pays, analyse la
société qui s'y développe, et son livre bien composé,
très fourni de détails typiques est 'excellent à tous les
points de vue; d'autant qu'il ne s'est pas borné à
l'histoire contemporaine, et qu'il a résumé, en des
pages précises, toute l'histoire, héroïque et glorieuse,
de la Répubhque Argentine.
Soubies (Albert). — Le Théâtre italien au temps de Napoléon
et de la Restauration, d'après des documents inédits.
Vaissière (Pierre de). — La Mort du Roi (21 janvier 1793).
Vezinet (F.). — Le xvii<^ siècle jugé par lui-même.
Zweig (Stefan). — Emile Verhaeren, sa vie, son œuvre, une
remarquable étude traduite de l'allemand sur le
manuscrit inédit par MM. Paul Morisse et Henri
Chervet.
MAI
t
LES ROMANS
CLAUDE FARRÈRE
Les petites alliées.
M. Claude Farrère, qui n'est point un écrivain
timide, n'a pas publié encore de livre aussi auda-
cieux que les Petites Alliées. Il le sait et s'attend
bien à soulever quelque indignation; il nous le dit
dans quelques lignes liminaires qui, avec leur air
de défi, constituent le plus adroit des plaidoyers :
' Ce livre est extravagant et invraisemblable; peu
de gens le toléreront, car la morale conventionnelle
n'y a point trouvé place; les femmes surtout lui
seront sévères, je veux dire les femmes qui, par
droit de mariage, sont appelées honnêtes femmes,
les autres ne comptant pas.»
136 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Donnez-vous la peine de lire entre ces lignes
insidieuses et vous devinerez tout de suite la
pensée de l'auteur.
Donc, M. Claude Farrère exalte avec une ten-
dresse infinie « les petites alliées », les petites amies
qui, gentiment, s'efforcent d'adoucir la vie aux
pauvres hommes et de inêler un peu de miel à
notre absinthe. Les personnes dont M. Claude Far-
rère parle avec tant d'attendrissement sont tout
simplement les gentilles dames qui, à Toulon, char-
ment les loisirs des officiers de marine en congé ; et,
certes, ces dames qui s'appellent Farigoulette.
Petite-Horreur, Mandarine, sont tout à fait agréa-
bles; mais, enfin, c'est peut-être aller un peu loin
que les placer sur un piédestal; et, sans être un
bourgeois trop enlizé dans des préjugés vieillots,
on peut estimer que le brave médecin de marine
Rabœuf, aurait pu choisir dans un autre milieu,
sa légitime épouse. Nous sommes pleins de pitié
pour ces femmes condamnées à la joie perpétuelle,
et la touchante poitrinaire Jannik nous émeut
autant que fit, il y a un demi-siècle, la Marguerite
Gautier d'Alexandre Dumas — car il y a une Dame
aux Camélias dar^s le livre de M. Claude Farrère —
mais de là à les épouser...
...Il est vrai que Toulon est fort loin de Paris, et
l'auteur nous dit que les mœurs y sont bien diffé-
rentes. Je le crois de reste : le demi-monde toulon-
nais nous offre le spectacle d'une candeur et d'une
probité un peu surprenante, pour les Parisiens igno-
MAI — LES ROMANS 137
rants que nous sommes ; on a beau y fumer copieu-
sement l'opium — la « drogue » qui selon M. Claude
Farrère est bien calomniée — cela n'empêche pas
d'avoir du sens moral et une honnêteté supérieure,
témoin M^^^ Mandarine, qui nous fait un petit cours
définitif sur l'honneur.
Et maintenant, faut-il tout vous dire? ce détes-
table livre est un livre délicieux. M. Claude Farrère
y dit des choses énormes avec une grâce infinie, il y
déploie beaucoup de verve et d'esprit, et, à côté
de la grande fresque de la Bataille, ce roman, amu-
sant au possible, d'une psychologie très fine —
encore que bien téméraire — vient attester l'éton-
nante souplesse de son très beau talent.
PAUL MARGUERITTE
La Faiblesse humaine.
(( Gardons éternellement le droit d'avoir pitié
des autres.» M. Paul Margueritte emprunte à
Alexandre Dumas cette phrase qu'il place en épi-
graphe de la dernière partie de son roman nouveau,
la Faiblesse humaine, et elle exprime très bien la
pensée profonde de ce livre généreux et largement
humain. Penché, en observateur clairvoyant et
indulgent, sur les misères du cœur humain, M. Paul
Margueritte nous dit, sans rien dissimuler, toutes
138 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
les faiblesses où peut se laisser entraîner un homme
fort, toutes les vilenies que peut commettre un
honnête .homme ; et il parvient à nous inspirer pour
ces fautes — qui ressemblent à des crimes contre la
famille et l'épouse — la plus sereine, la plus philo-
sophique indulgence. Et ce n'est pas lui, le roman-
cier, ce n'est pas l'homme coupable qui, en plaidant
de vagues circonstances atténuantes, nous inspin^
ce sentiment, c'est la femme, trois fois victime et
trois fois malheureuse, qui nous l'impose par la
noblesse de sa conduite, par la mâle tendresse de
son pardon.
Une admirable figure vraiment, que celle de
Gabrielle Dopsent, humaine et saine, qui nous
repose un peu de ces amoureuses dont le pardon et
l'abnégation ont quelque chose de malsain et de
désordonné. Celle-là est une vraie femme, belle,
généreuse et forte, d'une haute vertu, capable de la
défendre contre la plus excusable des fautes, et
qui cependant ne brandit pas cette vertu comme
une arme contre l'homme coupable et faible; elL
garde le droit d'avoir pitié : c'est très émouvant,
très noble, très rare aussi, et je ne vois pas beau-
coup de femmes dans la vie qui puissent se recon-
naître en ce portrait ...
Je me suis laissé entraîner par cette belle figure
et j'arrive au bout de l'espace qui m'est réservé
sans vous avoir parlé de ce héros si délicatement
analysé par M. Paul Margueritte, ni de cette aven-
ture qui le conduit de son coin ensoleillé des Landes
MAI LES ROMANS 1È9
jiisqu a Paris, au Palais-Bourbon, au banc des
ministres, et soumet cette âme faible — puisqu'elle
est humaine — aux plus pernicieuses et aux plus
dégradantes influences. Elle nous est contée dans
ce roman très attachant qui est un beau livre.
LÉON FRAPIÉ
Les Contes de la Maternelle.
En lisant, sur la couverture du nouveau livre
de M. Léon Frapié, ce titre : les Contes de la Mater-
nelle, j'ai été tenté de me dire : « Encore la Mater-
nelle ! Vraiment le lauréat du prix Concourt exagère
un peu sa reconnaissance envers le sujet qui lui
valut une si grande et si enviable renommée : il
pourrait tout de même nous parler, de temps en
temps, d'autre chose.» Et puis, j'ai réfléchi que ce
reproche était souverainement injuste : M. Léon
Frapié nous a parlé d'autre chose, il a publié : les
Obsédés et Marcelin Gayard et la Figurante, et
d'autres encore, et tandis qiie nous lisions ces
romans pleins de belles qualités nous regrettions
ces « gosses» auxquels M. Léon Frapié a su nous
attacher... Alors !..
Alors, nous aurions mauvaise grâce à reprocher
à M. Léon Frapié sa fidélité à un genre dans lequel
nous l'avons nous-mêmes emprisonné; ajoutez qu'il
140 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
a, dans ce genre, une maîtrise vraiment admirable ;
il « tient» comme personne l'enfant déshérité, pau-
vre et douloureux; nul ne sait comme lui le fairo
parler, et vivre, et mourir, car la vie est brève sou-
vent pour ces petits êtres abandonnés et l'on voit
parfois dans les environs de la Maternelle des Plâ-
triers cette chose horrible : un suicide d'enfant.
Cette école des Plâtriers — le quartier le plus
déshérité de Paris — cadre familier où s'agite cette
enfance douloureuse, M. Léon Frapié l'évoque une
fois de plus sous nos yeux attendris ; il enrichit sa
galerie de petits martyrs de six ans, au cœur trop
sensible, à l'intelligence trop ouverte, de quelques
figures particulièrement poignantes, telles celle de
la petite Marie Cœuret, et de ce petit Jules à qui
l'on a conseillé d'oublier son nom de famille que la
guillotine a rendu fâcheusement célèbre. Il non
révèle aussi quelques adjointes nouvelles à la
figure harmonieuse, au cœur pur et délicat, quel-
ques filles de service d'origine relevée aux « belles
petites mains» et à l'âme généreuse. Malgré ce qu'à
la longue on peut trouver d'un peu convenu dans
ces figures et dans ces histoires, on sent combien
tout cela est profondément vrai, d'une vérité quasi -
photographique, et si pitoyable, si largement hu-
maine...
MAI — LES ROMANS 141
GASTOiN CRONIER
Au pays du Grand Electeur.
Il faut quelque courage pour oser parler litté-
rature entre deux tours de scrutin. Même lors-
qu'elles se déroulent comme cette année, au milieu
de la belle indifférence du peuple souverain, les
élections ne sont guère favorables aux livres.
Que peut ta clianson, ô poète!
OU romancier... dans le tumulte des bourdes élec-
torales qui se débitent dans les préaux d'école, ou
s'étalent, collées aux murs.
M. Gaston Gronier n'a pas craint cette bruyante
et fâcheuse concurrence, je le soupçonnerais même
d'avoir, à dessein, choisi cette période pour publier
Au pays du Grand Electeur. Car c'est un roman de
mœurs politiciennes et électorales, livre remarqua-
ble et dont \\( actualité » est le moindre mérite.
J'avais salué, naguère, le début de M. Gaston
Gronier avec un livre d'une jolie ironie. Mieux vaut
Amour) dans ce nouveau roman son talent s'est
singulièrement élargi et amplifié. Vous y rencon-
trerez souvent le grand nom de Gustave Flaubert
pour qui l'écrivain professe un culte enthousiaste.
Non sans profit : en nous contant l'histoire d'Hec-
tor Lauriet, pharmacien de Villetarde, qui jouit
dans son pays d'une considérable influence politi-
9.
142 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
que, qui est « le grand électeur» et fait des députés
et des sénateurs comme Warwick faisait des rois;
en nous disant l'aventure sentimentale 'de la qua-
dragénaire M^^ Lauriet et de Marcel Guérande, le
jeune rédacteur du Phare de Villetarde; en nous pei-
gnant les mœurs étroites, soupçonneuses, assez
vicieuses de cette petite ville — Oh ! le salon de
Mme Mercady ! — M. Gaston Gronier n'a certes
pas imité, mais il a fort heureusement subi l'in-
fluence de M^^ Bovary. On peut choisir plus mal,
et l'œuvre de M. Gaston Gronier garde une belle
originalité, elle est bien écrite, dans une langue
nerveuse et souple, attachante, d'une heureuse
verve satirique, et les « mares stagnantes)) y sont
évoquées avec une amusante et cruelle vérité.
LOUIS PIRANDELLO
Peu Mathias Pascal.
(Traduit par He:\ry Bigot).
En ce roman très agréable, traduit en français
par M. Henry Bigot, l'écrivain italien Louis Piran-
dello nous raconte l'étonnante histoire de Feu
Mathias Pascal. Cet homme malheureux, en butte à
toutes sortes -d'ennuis domestiques et autres, décide
un jour de s'enfuir, avec quelques sous qu'il a pu
garder, jusque vers les Amériques. Par une coïnci-
MAI — LES ROMANS 143
dence providentielle, quelque temps après son dé-
part, on découvre chez lui un cadavre mutilé où
chacun consent à le reconnaître. Le voilà désormais
mort pour la société et libre de se créer une nouvelle
existence factice.
Cette seconde vie lui est plus favorable : il com-
mence par gagner au jeu une petite fortune, puis il
s'en va en Italie où il s'éprend d'une charmante
jeune fille; il voudrait bien l'épouser, mais il est
bien difficile à un homme sans état civil de se ma-
rier; il lui est bien difficile aussi de se faire rendre
justice quand on le vole, de se faire rendre raison
quand on l'insulte, et « Feu Mathias Pascal » s'aper-
çoit qu'il faut être vivant pour avoir le droit de
vivre. Il renonce donc à son nom d'emprunt, rede-
vient Mathias Pascal, et rentre au bercail ; mais sa
place est prise, sa femme s'est remariée, et de même
qu'il n'a pu être Adrien Meiss, de même il ne lui
est plus permis d'être Mathias Pascal. Gomme quoi
il est sage, lorsqu'on est né dans une société orga-
nisée, de ne pas tenter de se soustraire à ses lois...
ANDRÉ GASTAIGNE
Les jolies Bill Toppers.
Avec beaucoup de verve, d'émotion et de mouve-
ment, M. André Castaigne évoque, en ce roman
144 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
l'existence étrange, douloureuse et comique de ces
étoiles de music-halls, de ces « numéros » sensation-
nels qui, à travers le monde, de New-York à Lon-
dres et à Paris, exécutent sur la scène des tours
surprenants : athlètes impressionnants sous leur
maillot, jolies filles éblouissantes sous leurs pail-
lettes, les jolies Bill Toppers — comme on les
appelle — qui apparaissent souriantes et magni-
fiques sous le feu des lustres et des projecteurs, et
qui,' le rideau une fois baissé, connaissent tant dî
misères et de tribulations.
Le contraste n'est pas nouveau entre l'éclat d-
cette vie factice et la médiocrité, la tristesse, la
douleur parfois, de l'existence réelle. Il a tento
bien des écrivains déjà, mais le public ne s'en lassr
pas, friand toujours de pénétrer dans des coulisses.
Il prendra plaisir au livre de M. Gastaignc qui con-
naît vraiment à merveille les gens dont il parle, qui
a (( vécu leurs soirs triomphaux, leurs matins blêmes
sur la scène assombrie; scruté leurs amours, leurs
grandeurs et leurs ^misères, leurs luttes pour la
gloire et pour le pain».
Il y a, on le sent, beaucoup de réalité dans ce
livre, il y a aussi une très heureuse imagination,
et l'histoire de Lily, la jolie bicycliste, et de ses
deux prétendants, Jimmy, l'ingénieur mécanicien,
inventeur de tours extraordinaires, et Trampy,
l'équilibriste, est tout à fait captivante; j'ajoute
qu'après avoir failli tourner au tragique, elle se
termine le mieux du monde.
MAI LES ROMANS 145
ERNEST OLDMEADOW
Susan.
(Traduit par Marc Logé).
La jeune femme de lettres qui signe Marc Logé
nous révèle un bien joli roman anglais qui fut pu-
blié par M. Ernest Oldmeadow, sous le titre Susan.
J'ai éprouvé, à lire l'adaptation de ce roman, le
plus vif et le plus délicat plaisir.
C'est un vrai « roman anglais », dans le meilleur
sens du mot, un de ces romans qui, comme le dit
M. Henri Ghantavoine dans sa jolie préface, peu-
vent être mis entre toutes les mains, savent, « sans
trop s'écarter du réel, donner à notre imagination
et à notre sensibilité des joies innocentes et qui,
aussi réalistes que les nôtres, sans hardiesse ni cru-
dité, ne craignent pas, à côté du réel, de faire une place
au rêve, de laisser fleurir entre les pages la petite
fleur bleue». Mais je m'arrête, je citerais toute
cette préface, ce qui vaudrait beaucoup mieux pour
mes lecteurs et pour l'auteur du livre, mais mar-
querait un peu de conscience.
Elle est gentille vraiment, cette histoire de Susan,
la petite soubrette anglaise qui reçoit tout à coup
une demande en mariage du riche lord Rudding-
ton. Un peu ébahie de cette fortune, bien empêchée
de répondre en beau langage à un si noble monsieur,
elle se confie à sa maîtresse, la ravissante miss Ger-
146 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
tie, et cette dernière, très généreusement, devient le
secrétaire de sa femme de chambre. C'est elle qui
répond aux épitres amoureuses, et peu à peu, Cy-
rano féminin et joli, elle se prend à ce jeu : la voilà
amoureuse et jalouse. Heureusement tout s'ar-
range, car l'inconnue dont lord Ruddington s'était
épris, c'était Gertie et non Susan, comme il l'avait
cru par erreur, et les deux correspondants se marie-
ront, et le brave Gibson, le cocher de miss Gertie,
épousera Susan qu'il adore. Cette histoire sembl.
naïve, elle est tout bonnement délicieuse, et Marc
Logé l'a traduite et adaptée de la façon la plus
littéraire et la plus adroite.
GEORGE BONNAMOUR
Les Trois Poteaux de Satory.
M. George Bonnamour ne partage pas l'horreur
de M. Paul Bourget pour le roman à clef. L'a his-
toire d'une trahison», qu'il nous raconte, évoque,
dans presque tous ses détails et dans tous ses per-
sonnages, cette affaire douloureuse qui « déchira
la conscience française». C'est l'histoire du lieu-
tenant d'état-major juif André Bruck, qui a livré
à l'étranger des documents intéressant la défense
nationale. La trahison est découverte par Mathilde,
nièce d'un général et maîtresse du lieutenant, et
MAI — LES ROMANS 147
révélée à l'oncle, puis, par ce d(3rnier, au ministre
de la guerre.
Et Fa affaire «s'engage: il y a au ministère de la
guerre un certain commandant Paul qui est con-
vaincu de la culpabilité du traître et qui pour l'éta-
blir est amené à commettre le plus honorable des
faux, et aussi le commandant Tixier, qui prend
fait et cause pour le lieutenant accusé, non point
par conviction et désir de justice, mais tout sim-
plement parce qu'il est l'amant d'une juive.
Il y a aussi un certain Villancy, officier viveur,
noceur, taré, criblé de dettes, dont Tixier veut
démontrer la culpabilité. Vous voyez qu'il suffît de
changer des noms pour trouver l'analyse complète
(le ce roman dans certains journaux d'il y a quelque
douze années ; le dénouement seul du roman diffère
de la réalité : M. G. Bonnamour conduit, en effet,
^os trois héros au Conseil de guerre d'abord, puis
.) Satory, où ils sont tous trois proprement fusillés.
Le roman est dédié à M. Ernest Judet.
MAXIME FORMONT
La Florentine.
M. Maxime Formont, le brillant écrivain à qui
l'on doit des romans de mœurs modernes d'une belle
et forte originalité, s'adonne, on le sait, depuis
148 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
quelque temps, au roman historique : il n'y a pas
été moins heureux; ces évocations, hautes en cou-
leurs, d'une riche et belle imagination, où se jouent
les reflets du passé italien, ont conquis les lecteurs
de la Princesse de Venise^ — la Florentine ne les
passionnera pas moins.
Ils s'intéresseront aux amours et aux malheurs
de Marco Aldobranti et de Fiamma Ginori, la jeune
fille florentine telle que la voyaient et la rêvaient
les peintres de cet âge, « un être à la fois réel et
chimérique, moitié femme, et moitié nymphe, dont
la bouche, pourpre de sang jeune, criait la gloire de
la vie, dont les yeux hantés de lueurs, disaient les
ivresses du songe», aux luttes politiques sauvages
des Ginori et des Médicis, à toute cette histoire,
compliquée et très claire pourtant, d'amour, de
meurtre, de guerre et de politique.
Ils seront séduits plus encore peut-être par l'évo-
cation de cette Florence ressuscitée par un écrivain
qui a passionnément aimé la ville des Médicis,
« jusque-là, qu'il s'est cru parfois le contemporain
de l'époque magnifique ». Il fait partager cette illu-
sion à ses lecteurs ravis d'être admis dans l'intimité
de Sandro Botticelli, alors petit apprenti orfèvre,
de Philippo Fra Lippi, de Lorenzo le Magnifique
et du moine dictateur Savonarole.
MAI LES ROMANS 149
CHARLES PETTIT
Dogue et félins.
M. Charles Pettit qui nous révéla les sympathi-
ques personnalités de « M^i^ Bambou», de « Li-Ta-
Tchou » et de « Pétale de Rose », enrichit cette
collection de quelques types qui ne la dépareront
pas : Takata, l'ingénieux et perfide Japonais, qui
cumule toutes sortes de professions, avouables et
inavouables, pour exploiter l'Européen, et M^i® Pe-
tite Cascade et M^^ Dragon d'Or. Ce sont les « fé-
lins» japonais qui doivent jouer le « dogue!» un
grotesque et « kolossâl » baron prussien, le baron von
Bullenbciszerbrut, venu pour étudier les mœurs
japonaises et qui se fait berner et molester de la plus
outrageante manière. Dogue et Félins ! C'est quel-
quefois un peu gros, un peu outrancier et caricatu-
ral, mais c'est d'une verve charmante, et il ne faut
pas chicaner les humoristes.
BLASCO IBANEZ
Arènes sanglantes.
(Traduit par G. IIkkelle).
.1 ' vous parlais, il y a quelques semaines, du
150 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
roman espagnol. En voici un dont le succès fut
très grand de l'autre côté des Pyrénées et qui est
éperdument espagnol : il s'appelle Arènes san-
glantes; et l'auteur, Blasco Ibanez — sous couleur
de nous raconter la tragique histoire de Juan Gal-
lardo, le fameux matador, de sa femme Carmen, de
sa maîtresse Dona Sol, de sa grandeur, de sa gloire,
de sa décadence et de sa mort tragique — nous
offre un tableau complet, d'une vérité intense,
de la vie de la Plaza, de tout ce qui se passe
dans l'arène et sur les gradins garnis d'une foul«
hurlante, bigarrée, enthousiaste et cruelle : c'est
le roman de la tauromachie qui se termine par
un document tout à fait intéressant, une sorte do
dictionnaire de tous les termes usités dans l'art du
torero. Le roman est très agréablement traduit
par M. G. Hérelle.
DANIEL LAUMONIER
Sang d'Argonne.
Roman historique, voici dans un livre solide et
émouvant, touffu, écrit à la manière d'Erckmann-
Ghatrian, des « épisodes de 1792» évoqués par
M. Daniel Laumonier. Il est d'un intérêt passion-
nant ce livre, où revivent les soldats épiques de
l'an II, où passe un grand souffle d'héroïsme.
Conformément à la poétique du genre, l'auteur a
MAI LES ROMANS 151
brode sur ce fond d'histoire une belle fiction roma-
nesque, une touchante et jolie aventure d'amour
dont les personnages, Florine et Saturnin Magloire,
sont superbement campés. Le héros historique du
livre est cet Etienne Radet qui, malgré ses vertus
civiques et la noblesse de sa vie, resta un héros de
second plan. M. Maurice Barrés féhcite l'auteur
d'avoir résisté à la tentation de choisir un héros
trop connu « le lecteur a ses idées faites sur les per-
sonnages du premier ordre et le romancier est gêné
pour donner une interprétation originale à des
figures trop connues » ; rien de plus juste que cette
lemarque, rien de plus juste aussi que cette appré-
ciation sur le volume à chaque page duquel l'émi-
nent académicien « retrouve ce talent de psycho-
logue et d'historien qui se manifeste si brillamment
dans l'étude du personnage central et dont tous les
t ableaux sont de la plus simple et de la[|plus émou-
vnnfo ^'♦M'itfM\
HISTOIRE, POLITIQUE, LITTERATURE,
DIVERS
LOUIS BATIFFOL
Le Roi Louis XIII à vingt ans.
M. Louis Batifîol a entrepris de réhabiliter le roi
Louis XIII et de démontrer que ce prince, loin
d'avoir été l'être passif, médiocre et faible que l'his-
toire traditionnelle nous a présenté, dominé tour
à tour par sa mère, puis par ses favoris, enfin par
Richelieu, fut au contraire un souverain très volon-
taire qui eut sur les choses et sur les hommes une
très réelle action; c'est ainsi qu'il apparaît dans
l'ouvrage publié par ce très érudit écrivain, sous
le titre : Le roi Louis XIII à vingt ans.
C'est l'histoire du Roi entre l'année 1617, au
moment où Goncini fut assassiné et où Marie de
Médicis dut quitter la régence, jusqu'en 1624, date
MAI — HISTOIRE, POLITIQUE, LITTERATURE, ETC. 153
de l'accession de Richelieu au pouvoir. A l'histoire
des sept années qui s'écoulèrent entre ces deux
dates, M. Batiffol a consacré un gros volume de
plus de six cents pages; c'est vous dire avec quelle
minutie il nous détaille les traits de ses personnages,
ne laissant dans l'ombre aucun petit fait, aucune
parole, aucun coin de mémoires de nature à nous
renseigner sur le prince, le souverain, le soldat, sur
sa mère, sur la reine Anne d'Autriche, sur son frère
Gaston et sur Richelieu. Il y a là un luxe, une dé-
bauche de détails qu'on est tenté parfois de trouver
excessive; on a tort, car c'est justement de cette
accumulation de petits faits, d'observations me-
nues, de mots sans importance apparente, que sont
constitués le portrait véridique d'un prince mal
connu, l'histoire d'une obscure période. Et puis,
•'est tout à fait amusant; pour mon compte,
j'éprouve toujours un vif plaisir — très semblable
à celui que me firent connaître Athos, Aramis et
d'Artagnan — à ces évocations familières, inti-/
mes, d'un lointain passé.
LIEUTENANT-COLONEL ERNEST PICARD
ET LIEUTENANT VICTOR PAULIER
Mémoires et Journaux du général Decaen
Dans une éloquente introduction, les auteurs
154 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
retracent à grands traits la superbe carrière qui
conduisit cet officier au siège de Mayence, en Ven-
dée, sur le Rhin et en Allemagne, puis à l'armée du
Danube, qui lui fit prendre part à la victoire dv
Hochstaedt et à la victoire de Hohenlinden. Du-
rant cette carrière, il eut l'occasion de déployer les
plus hautes qualités militaires; malheureusement
pour lui — et fort heureusement pour sa mémoire
— il eut aussi les plus mâles et les plus nobles vertus
civiques et c'est à elles, en grande partie, que cet
officier, l'un des plus jeunes et des plus brillants de
la Révolution, dut d'être éclipsé par ses camarades
ou de nouveaux venus. « Il en est peu cependant
qui puissent lui être comparés pour les capacités
administratives, et vertus civiques, et surtout poui-
l'indépendance et la dignité de la vie. »
Les (( Mémoires et journaux» dont voici le pre-
mier volume et qui embrassent les années 1793
1799 sont publiés sous la direction de la sectioi
historique de l'état-major de l'armée. Ils ont, en
effet, un caractère très nettement professionnel et
avec leur abondance de détails et de renseignement-
sur la tactique, et le moral des soldats de cett»
époque, ils offrent une excellente leçon aux offi-
ciers ; pour nous, vulgaires pékins, ignorants de stra-
tégie, nous sommes intéressés surtout par la mise
en pleine lumière d'un personnage jusqu'alors trop
peu connu, lequel fut, suivant une fort juste expres-
sion, « un homme taillé sur le modèle de ceux dt
Plutarque, une des plus belles et des plus attachan-
MAI HISTOIRE, POLITIQUE, LITTÉRATURE, ETC. 155
tes figures des armées de la Révolution et de l'Em-
pire ».
BOURRIENNE
Mémoires (Nouvelle édition).
T. V^ Le général Bonaparte.
• En une très agréable édition, illustrée d'une mul-
titude de gravures d'après les estampes et les
i ableaux de l'époque, la Librairie contemporaine
ntreprend la publication des « Mémoires de Bour-
rienne » sur la vie privée de Napoléon. Le premier
volume qui inaugure la Bibliothèque d'histoire
inecdotique nous présente le Général Bonaparte à
.^es débuts, depuis l'École de Brienne jusqu'au
18 Brumaire. Ces pages famihères qui fourmillent
(le détails et d'anecdotes, je les ai relues avec un
[jlaisir extrême; elles ont cet intérêt passionnant
que communique l'homme extraordinaire à tout ce
(jui le touche.
C'est pourtant l'envers de l'épopée, la coulisse de
l'histoire; le secrétaire qui nous parle ne nous pré-
sente point cet Empereur qui apparaissait comme
un demi-dieu dans le tumulte des batailles, mais
bien l'homme intime dans l'existence duquel il
note avec minutie mille détails, mille petites cho-
ses. Mais il n'y a point de petites choses dans une
telle existence, et l'homme prédestiné est épique
156 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
jusque dans sa chambre. Bourrienne a noté les
événements qui se déroulaient sous ses yeux : il a
consigné sur son carnet de secrétaire tout ce qui, à
son avis, méritait une observation ou une critique :
à sa suite nous sommes admis dans l'intimité de
l'Empereur, et c'est palpitant.
DOCTEUR THOMAS W. EVANS
Mémoires.
Et c'est maintenant le second Empire. Les mé-
moires qui le font revivre nous passionnent pour
d'autres causes. Leur rareté, d'abord — il en est
sorti bien peu jusqu'à présent, et nous devrons
attendre la plupart d'entre eux, pendant de lon-
gues années encore. Des raisons de haute conve-
nance imposent cette discrétion sur des faits trop
près de nous et sur des hommes dont beaucoup
vivent encore. Et pourtant, nous le regrettons sou-
vent, nous voudrions tant connaître, dans ses
détails, cette histoire qui prépare et éclaire la nôtre,
cette période si curieuse, si séduisante, si drama-
tique, autour de laquelle nous sentons bien que
tant de légendes ont été forgées. Aussi attendons-
nous les mémoires du second Empire avec une impa-
tiente curiosité.
Cette curiosité sera brillamment satisfaite avec
MAI — HISTOIRE, POLITIQUE, LITTERATURE, ETC. 157
l'apparition des Mémoires du docteur Thomas W.
Evans. La personnalité du docteur Evans est fort
connue. On sait que ce praticien, qui fut l'un des
familiers de la Cour des Tuileries, s'honora en res-
tant, lorsque les jours sombres furent arrivés, le
courtisan respectueux et affectueux du malheur :
l'expédition qu'il organisa pour faciliter le départ de
l'impératrice Eugénie en Angleterre est célèbre; je
connais peu de récits plus poignants que celui de
cette aventure. Il y a dans ce gros volume bien
d'autres pages intéressantes, le docteur Evans ne
faisait guère de littérature mais il disait avec une
évidente sincérité ce qu'il avait à dire », et comme il
fut, de 1848 à 1870, l'ami de plusieurs souverains,
l'hôte de maisons princières et le familier d'un grand
nombre de personnalités éminentes, il a vu, enten-
du, noté beaucoup de choses^ en toute simplicité,
avec une impartialité presque parfaite — sa qua-
lité d'étranger le rend à peu près indifférent à nos
passions politiques — il nous les redit, et c'est du
plus pittoresque et plus captivant intérêt.
DUCHESSE DE DINO
Chronique (1831-1852).
(4« et dernier volume).
La cliiuuique de la duchesse de Dino, puis du-
10
158 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
chesse de Talleyrand et Sagan, cette Chronique qui
nous raconte l'histoire de la société européenne
entre 1831 et 1852, et dont j'ai, à maintes reprises
déjà, dit la prodigieuse séduction, est aujourd'hui
terminée. La princesse Radziwill, née Gastellane,
vient d'en faire paraître, le quatrième et dernier
volume.
Dans ce volume, la chroniqueuse princière évo-
que tout d'abord la duchesse d'Orléans, l'entourage
du comte de Ghambord; puis, c'est l'Empereur,
l'homme taciturne des Tuileries, qui nous est pré-
senté de pied en cap en un portrait fait d'une
multitude de détails de spirituelle observation, de
remarques sagaces; et c'est encore, autour de ce
vainqueur, la société européenne tout entière dont
la nièce de Talleyrand a bien deviné la secrète pen-
sée et qu'elle; sent toute prête à faire masse contre
l'Empereur, dès que les mauvais jours viendront.
Quelle sagesse prophétique dans ces remarques ! et
quelle leçon de philosophie incluse en ces pages
primesautières !
MAXIME VUILLAUME
Mes cahiers rouges au temps de la Commune.
Nous voici maintenant aux sombres journées du
printemps de 1871 •; M. Maxime Vuillaume le.
évoque dans ses Cahiers rouges au temps de la Corn-
MM HISTOIRE, POLITIQUE, LITTÉRATURE, ETC. 159
mune. Oh ! l'épouvantable vision ! Quarante ans
passés n'en ont point su atténuer l'horreur, et il
nous semble les voir tout près de nous ces exécu-
tions en masse, ces hécatombes sanglantes, qui se
poursuivirent des jours entiers dans des décors qui
nous sont familiers, dans des rues à l'air aujourd'hui
bonasse et pacifique, dans ce jardin du Luxembourg
qu'emplissent la joie des étudiants et les jeux des
petits enfants. C'est un épouvantable rêve, un cau-
chemar affreux, dont la mémoire impitoyable de
M. Maxime Vuillaume évoque la réalité avec des
précisions sinistres.
Et ce qui rend plus saisissant encore ce récit,
haché menu en une multitude de petits tableaux,
jetés, semble-t-il, au hasard des souvenirs, c'est le
calme du narrateur : cet insurgé, qui échappa mira-
culeusement à la mort, n'est plus très en colère,
même il a le cœur de plaisanter; il a le courage
aussi d'être juste, et s'il garde l'horreur de la répres-
sion sanglante qui parut indispensable, il ne passe
point sous silence les abominables exactions de la
Commune. Et c'est un récit formidable et poignant,
écrit sans art apparent, en un style familier : on
voudrait que ce fût le roman d'une imagination en
délire : on sent que c'est un document.
160 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
HENRI LAVEDAN
Bon an, mal an.
Bon an, mal an, c'est le titre familier qu'a choisi
l'Académicien pour le volume où il réunit chaque
année ses chroniques. Mais il n'y a pas de « mal an»
pour les chroniques d'Henri Lavedan; je me sou-
viens qu'il y a quelques années je réclamais pour
lui le titre de « Prince de la Chronique», de cette
forme si séduisante et si fâcheusement abandonnée
du journalisme parisien; il y est vraiment incom-
parable et ce sont des pages délicieuses, ces articles
nés chaque semaine de l'actualité, œuvres d'un jour -
naliste toujours en éveil. Mais ils ne sont pas que
d'un journaliste, ils sont d'un bel écrivain, d'un
virtuose prestigieux de la langue française qui
connaît merveilleusement l'art de disposer les
mots, de jouer avec eux, d'en faire de belles et
chatoyantes images.
Les lecteurs de V Illustration le savent bien, et ils
dégustent ce régal littéraire que leur apporte
chaque semaine, mais on s'en rend bien mieux
compta dans le livre, on apprécie bien mieux à
un an de distance, alors que l'événement du jour
est oublié, la perfection littéraire de ces pages qui
les rend tout à fait indépendantes de cette actua-
lité d'où elles sont nées.
MAI — HISTOIRE, POLITIQUE, LITTÉRATURE, ETC. 161
RAPHAËL VIAU
\
Vingt ans d'antisémitisme.
M. Raphaël Viau, mêlé très intimement au mou-
vement antisémite de 1889 à 1909, nous prévient
que son livre n'est ni un reniement, ni une amende
honorable, mais simplement une œuvre de recueil-
lement et dp vérité. Tout de même, on sent qu'il a
neigé sur ses illusions et ses enthousiasmes depuis
les temps héroïques et cruels de la France jiiiçe, et
il le faut pour qu'il puisse évoquer, par l'anecdote,
(( sous une forme sans prétention, souriante, un
brin malicieuse parfois aussi, mais si peu, les prin-
cipaux acteurs d'une agitation jadis formidable,
maintenant sans échos, et les épisodes les plus mar-
quants d'une époque où le tragique côtoyait sou-
vent le comique, mais qui fut toujours, à tous points
de vue, incontestablement intéressante, pittoresque
et vivante ! »
HENRI PIRENNE
Les Anciennes Démocraties des Pays-Bas.
Histoire et philosophie mêlées, M. Henri Pirenne,
professeur à l'Université de Gand, consacre cet
important ouvrage aux Anciennes démocraties des
10.
162 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Pays-Bas. Le nom de Pays-Bas est employé ici
dans son acception ancienne, c'est-à-dire qu'il
désigne l'ensemble des territoires qui constituent
aujourd'hui les départements du Nord et du Pas-
de-Calais, ainsi que les royaumes de Belgique et de
Hollande.
De cette étude tout à fait neuve, où sont suivies
dans leurs évolutions les démocraties urbaines do
cette grande région, bien des leçons se dégagent,
leçons assez consolantes, car elles nous éclairent
sur l'éternité des maux et des difficultés que nous
croyons — quel orgueil ! — avoir été inventés
pour nous.
On y voit, en effet, très philosophiquement ana-
lysés, les conflits qui mirent aux prises la haute
bourgeoisie et le peuple et aussi la lutte de l'Etat
contre les organismes municipaux et celle de l'indus-
trie capitaliste contre l'industrie urbaine; questions
économiques et politiques, dont l'actualité brû-
lante aujourd'hui s'imposait déjà il y a quatre
siècles.
C'est pourtant un sytème politique tout à fait
particulier que l'auteur avait à nous faire connaître,
et il s'est acquitté de sa tâche en des pages d'une
parfaite clarté et d'une éloquente précision; il
s'est préoccupé, en outre, « d'exposer les causes
économiques et sociales qui expliquent la naissance
et la chute d'un système politique».
MM — THSTOIRE. POI.TTTiMF. T ITTl'- Ft \TT- P.F . FTC. 16B
FRANCIS JAMMES
Ma Fille Bernadette.
En un livre délicieux qu'il offre « à Marie de Naza-
vth, mère de Dieu, d'une main tremblante, comme
ime servante offre son pot de résédas», M. Francis
Jammes nous raconte les grands événements de la
vie de sa petite fille Bernadette : sa vaccination, sa
première dent ; il nous fait son portrait à six mois ;
il nous dit son sourire et ses larmes et son rire, son
acte de naissance et son ange gardien, et ce sont des
isions d'une grâce exquise, mystique, dévotieuse
et si vraie.
Ma Fille Bernadette! Quelle tendresse éperdue,
orgueilleuse et naïve, dans ces trois mots, et quelle
joie clairvoyante dans la contemplation de l'être
divin et mystérieux qu'est une toute petite fille de
quelques mois, dont le sourire, « venu des abîmes
de la Joie, flotte en l'air comme un parfum et
comme une couleur, puis se pose sur son visage ainsi
que l'arôme et la blancheur du lis sur son calice » ;
ce sourire silencieux qui « reflète l'air des anges, et
l'innocente ignorance, et l'onde paisible du ciel
sur laquelle nage un petit oiseau». Et ces larmes !
larmes jolies, perles vivantes, et toutes ces choses
adorables et divines que M. Francis Jammes
chante en des litanies d'une ineffable harmonie.
Pour parler ainsi d'un enfant, il faut toute la
164 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
sagesse, toute la candeur d'un poète, toute la grâce
ailée d'une prose mélodieuse et légère, seule digne
d'effleurer de telles choses...
PAUL REBOUX ET CHARLES MULLER
A la manière de. . .
MM. Paul Reboux et Charles Muller publient une
édition définitive de cet étonnant volume A la
manière de... où ils se sont divertis à composer des
nouvelles, des pièces de vers, des scènes drama-
tiques, suivant la formule de quelques écrivains
notoires d'aujourd'hui et de jadis. La première
série de ces pastiches avait obtenu un très vif succès
et quelques-uns sont devenus en quelque sorte clas-
siques, comme celui de La Rochefoucauld et de
Huysmans. Je les ai retrouvés avec infiniment de
plaisir dans ce volume à côté de nouveaux qui
nous restituent la prose de Pierre Loti, Gyp, Jau-
rès, Mïne de Noailles, bien d'autres encore.
Ils sont d'une rare séduction; si quelques-uns
d'entre eux sont poussés un peu vers la charge et la
caricature, comme ceux d'Octave Mirbeau et de
Tolstoï, il en est d'autres, plus modérés, qui sont,
à mon sens, la perfection même, tels ceux de Lamar-
tine et de Baudelaire, et aussi cette nouvelle dont
Guy de Maupassant aurait composé le scénario et
MAI — HISTOIRE, POLITIQUE, LITTÉRATURE, ETC. 165
dont les différents chapitres auraient été écrits par
Ed. de Concourt, Emile Zola et Alphonse Daudet.
V ce degré de perfection, le pastiche cesse d'être
me vaine fantaisie, c'est de la critique tout à fait
spirituelle et fine, d'un talent très personnel et
•riginal. Et puis, c'est prodigieusement amusant.
LËON RICQUIER
Discours et Allocutions.
J'imagine que M. Léon Ricquier,^ professeur à
TÉcole normale de la Seine et à l'École commer-
iale, se méfie un peu des facultés oratoires et intel-
lectuelles de quelques-uns des honorables que les
( mares stagnantes » viennent d'expédier au Palais-
Bourbon, et il a composé pour eux — pour eux et
[)Our tous ceux qui, n'étant point des hommes élo-
([iients, peuvent avoir à prendre la parole — un
rocueil de Discours et Allocutions.
Vous connaissez ces Parfaits secrétaires où les
personnes sans littérature ou sans imagination peu-
vent venir puiser des idées et des formules pour de
belles épitres; que de pioupious amoureux, que de
tendres cuisinières, que d'autres personnes d'un
rang social plus relevé ont été tirés d'embarras par
le Parfait secrétaire ! Les aspirants orateurs, ces
r^avaliers du dimanche des banquets et des réu-
Ififi LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
nions publiques n'ont désormais plus rien à envier
aux épistoliers; ils trouveront dans le livre de
M. Ricquier tous les discours dont ils pourront
avoir besoin, car tout a été prévu dans cet ingé-
nieux volume.
Je cueille au hasard ces titres : « Discours du pré-
sident d'une assemblée élue pour montrer la gravité
d'une déclaration de guerre »; « allocution pour jus-
tifier la bourgeoisie » ; « discours pour expliquer à une
assemblée la conduite que l'on doit tenir dans une
circonstance difficile. » Et ce sont encore les « allo-
cutions aux obsèques d'un homme éminent», « d'un
bon écrivain», « d'un homme généreux»; les
speeches de félicitations à des personnes récemment
décorées, à des dames palmées, et c'est même un
(( discours pour décerner un prix de vertu»; cela,
par exemple, c'est tout de même un peu vif et je
trouve la sollicitude de M. Ricquier quelque peu,
injurieuse pour nos académiciens ! Des discours
d'orateurs célèbres, fort bien choisis d'ailleurs, ter-
minent le volume qui, nous avons beau badiner,
rendra pas mal de services à bien des orateurs —
seulement, je gage qu'ils le dissimuleront soigneu-
sement au fond de leur bibliothèque.
MAI — - iiisrDiiiL, l'di.iriui i:. utterat uiiE, i:t<:. I()7
DOCTEUR GUSTAVE LE BON
La Psychologie politique et la Défense sociale.
L'éminent écrivain s'est, nous dit-il, presque
exclusivement confiné à l'application des règles
Interminables de la psychologie politique aux
N énements contemporains». Malgré cette défini-
tion austère, c'est un beau sujet et digne d'intéres-
I' le grand public. La psychologie politique, ou
' ience de gouverner, est si nécessaire que les hom-
mes d'Etat ne sauraient s'en passer, et pourtant,
tl(^puis Machiavel, il ne s'est pas trouvé un écrivain
'i un politique pour exposer les règles et les lois de
tte science, laquelle a subi, on le croit de reste,
quelques modifications depuis quatre siècles.
Les hommes d'Etat ne se passent pas de psycho-
logie politique, mais « faute de lois formulées, les
iipulsions du moment et quelques règles tradi-
Uonnelles fort sommaires, constituent leurs doc-
trines». On se rend compte dès lors de l'impor-
tance que présente un tel ouvrage, où, sans nulle
prétention, mais avec une science profonde, l'au-
teur étudie les facteurs psychologiques de la vie
politique, établit les règles et les lois du gouverne-
ment populaire, caractérise les illusions socialistes
et syndicalistes, dénonce les erreurs de psychologie
politique en matière de colonisation, et expose
l'évolution anarchique et la lutte contre 1^ désagré-
168 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
gation sociale, en concluant par un appel qui méri-
terait d'être entendu : « Ce n'est pas la fatalité qui
régit le monde, c'est la volonté. »
MÉMENTO DU MOIS DE MAI
ROMANS
Acker (Paul). — Le Soldat Bernard (nouvelle édition). J'ai
parlé déjà de ce roman, lors de sa première apparition,
mais je m'en voudrais de laisser échapper l'occasion
de le saluer à nouveau. C'est, on s'en souvient sans
doute, le roman de l'antimilitarisme, et M. Paul Acker,
qui déteste cette doctrine, a entrepris de nous démon-
trer sa vanité, en un livre où il se garde bien d'abreuver
d'injures et d'outrages son « sans patrie», dont il
expose au contraire les idées avec beaucoup de calme
et d'impartialité, mais où il le convertit tout douce-
ment, par la seule vertu du service militaire, à l'idée
de patrie. La formule est excellente, el^e est très,
démonstrative et très vraie; c'est ainsi, et non par la
violence et la colère, qu'il convient de lutter contre
des théories dont on doit se préoccuper sans les pren-
dre au tragique.
Bailly (Auguste). — Les Prédestinés.
Beaume (Georges). — Le Maître d'école, un très attrayant
roman.
Blacco (Roberto). — Grimaces humaines, des nouvelles
traduites par M. Demarès de Hill.
Hume (Fergus). — V Ombre mystérieuse, un roman traduit
MEMENTO DU MOIS DE MAI 169
par M. René Lécuyer et publié dans la série : « Les
Romans mystérieux. »
Humphry Ward. — Daphné ou le Mariage^à la mode, tra-
duction de M. Michel Epuy.
La Belangeraie (Maurice). — Le Cocher fleuri.
Larreta (Enrique). — La Gloire de Don Ramire : « Une vie
au temps de Philippe IL» Un livre traduit de l'espa-
gnol par M. Rémy de Gourmont.
Lauris (Georges de). — Ginette Chatenay.
Le Verdier (Henri). — V Amour qui sauve.
Scheffer (Robert). — Les Contes ardents, un recueil de nou-
I, velles étranges, désordonnées, pleines de talent.
Traz (Robert de). — Vivre.
HISTOIRE
LITTÉRATURE — THEATRE — POÉSIE
POLITIQUE — DIVERS
Aimeras (H. d'). — Charlotte Corday, d'après des documents
contemporains. Dans ces pages prestes, colorées, pitto-
resques, où fourmillent les renseignements, les auto-
graphes, les images, l'héroïne de la Révolution appa-
raît tout à fait romanesque, et vivante, et vraie.
Aubert (L.). — De la République réformiste, un volume où
l'auteur, sans trouver que tout est pour le mieux dans
le meilleur des inondes, établit que la forme républi-
caine est seule légitime au point de vue rationnel et
politique et que notre République peut, et doit être,
d'ailleurs, très utilement réformée.
Baratier (Lieutenant-Colonel). — A travers V Afrique. His-
toire militaire très moderne où l'héroïsme nous
émeut et nous passionne d'autant plus qu'il est tout
près de nous et que par bonheur les héros sont encore
des nôtres. L'auteur, dans des pages d'une belle et
M
170 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
noble simplicité, nous raconte la marche héroïque de
cette. mission Congo-Nil dont les exploits sont restés
légendaires et qui fit tant pour l'honneur de notre
pays.
Barrés (Maurice). — Adieu à Moréas, des pages mélodieuses
et émouvantes.
Bellaigne (Camille). — Gounod.
Berger {M^^ Lya). — Les Femmes poètes de V Allemagne,
une étude d'une érudition très sûre préfacée par
M. Bossert.
Biez (Jacques de). — E. Fremiet, un superbe ouvrage, pré-
senté avec beaucoup d'agrément et de verve, où l'au-
teur réunit une foule de renseignements pittoresques,
de détails émouvants sur l'illustre statuaire, lui éri-
geant ainsi un monument véritable, digne de son génie.
Le livre orné de quarante-deux planches hors texte,
complété par un catalogue complet de l'œuvre, est pré-
cédé d'une éloquente préface de M. Frédéric Masson.
Bleackley (Horace). — Grandes Courtisanes anglaises du
xviiie siècle, un livre fort curieux d'une bien agréable
érudition.
Boissy (Gabriel) et Dominique Folacci. — Les plus beaux
poèmes d'amour de la poésie française, choisis avec un
soin déhcat.
Bonnefoy (Antoine) et L. Meri Dahdah. — Répertoire géné-
ral des emplois publics et administratifs de l'Etat, des
départements, des villes, des colonies et des admi-
nistrations privées. Ce répertoire, rédigé avec grand
soin, donne tous les renseignements utiles sur le recru-
tement, les programmes, les examens, les trait^e-
ments. Et c'est un livre effrayant ! Il faut l'avoir
consulté pour se rendre compte du nombre et de la
diversité inouïe des postes qui sont offerts aux ci-
toyens français désireux de servir l'Etat moyennanl
une honnête rétribution. Que d'agents, Seigneur ! et
que de sous-agents, que d'inspecteurs, de sous-ins-
pecteurs, d'expéditionnaires et de conservateurs !
Consultez ce livre, pères de famille soucieux de l'avenir
de vos enfants, et vous aussi, jeunes gens sur le point
de choisir une carrière, vous n'aurez que l'embarras
MEMENTO DU MOIS DE MAI 171
du choix; et peut-être, à force d'être embarrassés,
refermerez-vous le volume et vous déciderez-vous à
tenter, tout seul, sans la tutelle de l'Etat, de vous faire
par vos propres moyens, une situation. C'est la grâce
que je vous souhaite.
Bordeaux (Henry). — La Vie au Théâtre, un livre où sont
réunies les critiques dramatiques de M. Henry Bor-
deaux pendant les années 1907, 1908. « Dans ces arti-
cles, je ne me suis pas privé de juger, nous dit l'auteur,
et le lecteur aura tôt fait de connaître mes directions;
elles sont toutes simples et commandent mes goûts.
L'art, aussi bien que la vie, doit rechercher Tordre et
la santé. »
Bourdet (Edouard). — Le Rubicon, la délicieuse pièce,
d'une grâce si savoureuse qui triompha si longtemps
sur la scène du Théâtre-Michel.
Brémond (Henri). — Apologie pour Fénelon.
Buisseret (Georges). — U Evolution idéologique d'Emile
Verhaeren, avec un portrait et un autographe.
Cabanes (D"^). — Les Morts mystérieuses de l'Histoire, nou-
velle édition revue et augmentée, préfacée par le pro-
fesseur Lacassagne.
Cazes (E.). — Le Château de Versailles et ses dépendances,
un fort beau livre où l'auteur a entrepris l'histoire
générale de l'admirable domaine, du château, des
jardins, des dépendances et du musée, depuis l'ori-
gine jusqu'à nos jours. L'ouvrage, avec la foule de
gravures et d'estampes qui l'illustrent, avec les plans
qui le commentent, constitue un fort intéressant et
précieux document.
Ciiantavoine (Jean). — Liszt.
Ghèvremont (Paul de). — Images blanches et noires, poésies.
Colomb (Félix). — VEcrin, un recueil de poésies, rempU
de jolies pièces toujours dédiées à la mer.
Conard (Pierre). — La Constitution de Bayonne, 1808, essai
d'édition critique.
Faguet (Emile). — Madame de Sévignê, un volume tout à
fait exquis paru dans la collection « Leé Femmes
illustres». En des pages charmantes, prestes, toutes
remplies d'érudition et de tendresse, l'auteur étudie
172 LÉ MOUVEMENT LITTÉRAIRE
de façon définitive la grande épistolière, « l'amie mer-
veilleuse qui, aimée de son vivant par tous ceux qui,
la connaissant, étaient dignes de la connaître, l'est
encore après sa mort et le sera toujours».
Femme Curieuse (Une). — V Art de séduire les hommes.
Fischer (Baron Léopold de). — Vers les Sommets. D'une
très haute et très émouvante inspiration, ce sont les
lettres de la comtesse de Saint-Martial (Sœur Blanche,
fille de la Charité), que pubhe le baron Léopold de
Fischer dans un sentiment pieusement fraternel. Je
ne crois pas qu'on puisse hre sans une émotion poi-
gnante les lettres de la comtesse de Saint-Martial,
connaître cette existence d'épouse, de mère et de
religieuse que le baron Léopold de Fischer résume en
une ligne : « Dix années de bonheur, dix années de
larmes... » ; quel que soit le sentiment du lecteur, il sera
profondément touché par la vision de cette Sœur
Blanche, « de cette nature élevée, de cette âme noble
et généreuse qui, au prix des plus intimes, des plus
coûteux sacrifices, tournait tous les élans de son cœur,
toutes les ardeurs de son courage vers Celui qui pou-
vait, seul, la consoler et lui suffire ».
Folacci (Dominique). — Voir Gabriel Boissy.
Gaultier (Paul). — La Vraie Education, un excellent voluni
sur « l'éducation du corps, l'éducation de la sensibihlV
l'éducation de l'intelligence, l'éducation du vouloir
Gauthiez (Pierre). — Au soleil de Versailles, un recueil (l
vers très lyriques.
Glaser (Ph. Emmanuel). — Le Mouvement littéraire,
6e volume 1909.
Gojon (Edmond). — Le Visage penché, des vers harmonieux.
Got (Médéric). — Journal d'Edmond Got, deuxième et der-
nier volume, publié par son fils. Le premier voluni
s'arrêtait, on s'en souvient peut-être, à l'année 185*,i;
celui-ci nous raconte, jusqu'en 1892, les trente années
de l'illustre comédien, pendant lesquelles il fut en
pleine possession de sa gloire, créa les œuvres les plus
célèbres du théâtre contemporain et fut, acteur offi-
ciel, en relations avec les grands de la terre. Ces notes,
, jetées sans ordre et sans arrière-pensée, au soir d'une
MEMENTO DU MOIS DE MAI 173
bataille théâtrale, à la veille d'une répétition, au cours
d'un voyage, sont amusantes au possible, fourmillent
de mille renseignements curieux sur les hommes et
les choses et nous révèlent des opinions de Got qui
sont souvent tout à fait intéressantes, parfois aussi
un peu comiques.
Hios (Gabriel- Joseph). — Les yeux pleins de larmes, des
poèmes d'une belle et jeune originalité.
La Faye (Jacques de). — Amitiés de reine, un ouvrage d'une
rare séduction où l'auteur évoque l'infortunée Marie-
Antoinette et ses amies, M™^^ de Lamballe, de Poli-
gnac, de Brissac, de Luynes, de Tarente, et aussi l'ex-
quise figure de M"^^ Elisabeth. Sous la conduite de ce
guide très informé, nous faisons le plus émouvant des
pèlerinages à Versailles, à Trianon, puis aux Tuile-
ries, aux sombres jours de la Révolution. Le marquis
de Ségur a donné une belle préface à ce Hvre qui se
termine par des lettres inédites du Roi à la duchesse de
Polignac. « Rien que pour nous avoir révélé ces pages
d'une résignation si sincère, et d'une mélancolie si
douce, il faudrait, dit l'éminent préfacier, remercier
l'auteur d'Amitiés de reine d'avoir entrepris cette
étude. »
Lautrey (Louis). — Poèmes d'Israël.
Leguay (Pierre). — La Sorbonne, un fort intéressant volume
de la série, les «Etudes contemporaines», où l'auteur
suit l'évolution de la Sorbonne en ces vingt dernières
années.
L' yret (Henri). — La Tyrannie des Politiciens, un tableau
des mœurs parlementaires de notre pays, dressé sans
indulgence, mais sans exagération.
Maeterlinck (Maurice). — La Tragédie de Macbeth, l'admi-
rable traduction, où, poète au verbe merveilleux,
M. Maeterlinck a si pieusement servi la cause du plus
grand des poètes dramatiques.
Martel (Tancrède). — Les Mémoires et Œuvres de Napoléon,
qui fut, selon la très juste expression de M. Tancrède
Martel, « un grand écrivain, un prosateur, un très
curieux et très original styhste français d'une espèce
vraiment unique ».
174 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Meri Dahdah (L.). — Voir Antoine Bonnefoy.
Mérimée (E,). — Préciff d'histoire de la littérature espagnole,
« depuis les origines jusqu'à nos jours. »
Michaut (G.). — Pages de critique et d'histoire littéraire.
Pottecher (Maurice). — Paroles d'un père, de poétiques
paroles écrites par l'auteur pour son fils et sa fille,
couple sympathique :
Le fils est tendre et fort, la fille est sage et bonne.
Régnai (Georges). — - La Femme telle qu'elle doit être.
M^^e Georges Régnai est une femme de cœur et de
tête qui sait regarder la vie en face et qui, ayant
démontré par le plus honorable et le plus méritoire
exemple, comment une femme peut fournir sans
tapage, sans indiscrétion, une belle et laborieuse
carrière, a entrepris de donner sa recette aux jeunes
filles et aux jeunes femmes; elle nous a appris naguère :
«Comment la femme peut gagner sa vie»; dans son
nouveau livre elle nous donne les aperçus les plus ingé-
nieux, les plus justes, les plus émouvants, sur Im
manière dont la jeune fille de notre temps doit êti
élevée, façonnée, pour tenir honorablement sa placr
dans la société contemporaine.
Roosevelt (Théodore). — Le Citoyen d'une République, la
fameuse conférence prononcée à la Sorbonne, le
23 avril 1910.
Rougemont (E. de). — Villiers de l'Isle-Adam, un pré-
cieux ouvrage de biographie et de bibliographie.
Sourio (Maurice). -— Les Idées morales de M^^ de Staël.
Talleyrand-Périgord (Maurice de. Duc de Dino). — Le Ser-
ment d'Hannibal de Tapsec, poème héroï-comique.
***. — Huysmans et l'âme des joules de Lourdes, des notes
de critique suivies d'un répertoire de l'œuvre catho-
lique de Huysmans.
***. ::;— Hôlbein, un livre paru dans la collection c Le?
Peintres Illustres».
JUIN
LES ROMANS
EDOUARD ROD
Le Glaive et le Bandeau.
Avec un profond sentiment de mélancolie j'ai
revu, pour la dernière fois, le nom d'Edouard Rod
sur la couverture d'un livre nouveau. Et j'ai évo-
qué en ouvrant ce roman : le Glaive et le Bandeau^ la
pensive figure de l'écrivain très regretté dont tous
estimaient le noble caractère et dont nous étions
quelques-uns à avoir pu découvrir l'exquise sensi-
bilité cachée sous une froideur rigide, à force de
timidité. Sa mort, survenue il y a quelques mois,
fut discrète comme avait été sa vie. Le chagrin que
nous en éprouvâmes ne s'exhala point en véhéments
176 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
discours : il ne fut pas moins profond, et nous
avons pleuré cet honnête homme, ce bel et noble
écrivain de forte race.
Le Glaiçe et le Bandeau, n'est peut-être pas la
plus forte et la plus profonde des œuvres d'Edouard
Rod, mais c'est, sans nul doute, la plus empoi-
gnante, la plus « publie)), la plus habile qu'il ait
écrite. Le roman commence dans la salle des assises
de Versailles où va être jugé Lermantes, accusé d'as-
sassinat sur la personne de son parrain, le général
de Pellice — il se termine dans la même salle d'as-
sises par le verdict qui absout l'accusé. Et pendant
les quatre cents pages de ce livre nous n'avons pas
quitté la Cour d'assises, nous sommes restés à ce
spectacle poignant de la lutte entre l'accusation et
la défense, mieux, entre la justice et le mensonge,
entre « le glaive et le bandeau ».
Ce roman est, ni plus ni moins un compte rendu
d'assises; ce n'est pas les lecteurs du Figaro qui
s'étonneront de l'ampleur, de l'émotion, de la vie
intense auxquels peut atteindre un compte rendu
de ce genre : ils ont eu maintes fois l'heureuse occa-
sion de s'en apercevoir; mais tout de même, il fal-
lait une rare maîtrise pour en faire un roman dont
l'intérêt ne faiblit pas un instant, où l'auteur, obser-
vant avec une rigueur classique l'unité de temps, de
lieu et d'action, a mis en œuvre tous les ressorts de
l'émotion humaine.
Et c'est un roman poignant et formidable dont
les héros et les victimes — sublime, comme la
.niN LES ROMANS 177
femme qui proclame son déshonneur pour servir
la vérité, ou terrible, comme ce témoin qui assouvit
sa haine par le plus effroyable des faux témoigna-
ges — sont campés en des traits saisissants, cepen-
dant que les acteurs habituels de ces tragédies d'as-
sises : le président, l'avocat général et l'avocat, sont
évoqués avec une intensité de vie et de vérité telle
que ces individualités deviennent des types défini-
tifs.
CHARLES-LOUIS PHILIPPE
Dans la petite ville.
Encore un disparu : c'est Charles-Louis Philippe,
dont voici l'œuvre posthume : Dans la petite cille.
Quelle destinée, celle de cet écrivain fauché en
pleine jeunesse et qui cependant, au cours de cette
brève existence pendant laquelle il ne connut guère
que les déboires, les tristesses de la maladie, eut
l'occasion de nous donner sa mesure tout entière !
Les succès matériels et moraux eussent sans doute
rendu son existence plus heureuse' et plus souriante:
ils ne pouvaient rien ajouter à la renommée future
de l'auteur de Buhu de Montparnasse et du Père
Perdrix. Avec ces deux œuvres, qui sont toute une
carrière, avec aussi Marie Donadieu et Croquignole,
Charles-Louis Philippe laisse un bagage littéraire qui
dj'fcrulra victorieusement sa mémoire r-ontio l'oubli.
11.
178 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
A côté de ces romans d'une si forte originalité, les
lettrés conserveront pieusement les nouvelles grou-
pées sous le titre Dans la petite ville : petites choses
émouvantes et profondes où, dans quelques pages
d'une langue étrange et pure, dans un coin de pro-
vince bourbonnaise, le fils du sabotier de Gérilly,
fait tenir tant d'humanité, tant de douleur, de joie
et d'émotion.
PIERRE LOTI
Le Château de la belle au bois dormant.
Les chapitres de ce livre de Pierre Loti n'ont pas
entre eux de Hen apparent. « C'est un bien petit
livre, nous dit l'écrivain, sans doute je n'aurais pas
dû le publier. Il ne semblera tolérable qu'à mes
amis, connus ou inconnus ; que les lecteurs indiffé-
rents me le pardonnent, d'autant plus que ce sera
le dernier, peut-être...))
M. Pierre Loti va constater qu'il a beaucoup
d'amis connus et inconnus, car je crois bien que
son livre paraîtra non seulement tolérable, mais
délicieux, à une foule de lecteurs.
Il est exquis ce livre, dangereux seulement pour
le chroniqueur à court d'épithètes pour caractériser
la grâce légère et profonde répandue sur ces pages
et bien empêché d'analyser des chapitres où l'écri-
vain aborde avec désinvolture, au hasard d'un
JUIN — T.ES ROMANS 179
souvenir, d'un voyage ou d'une impression, les
sujets les plus divers. Quels que soient ces sujets,
que l'écrivain nous dise « la noyade d'un chat » ou
(( le premier aspect de Londres », qu'il nous conduise
aux Indes devant « les Pagodes d'or», ou qu'il nous
fasse part enfin de « quelques pensées vraiment
aimables», aphorismes spirituels et profonds d'un
souriant pessimisme — - M. Pierre Loti reste tou-
jours l'écrivain merveilleux dont le style nous ravit
par une perfection, une souplesse, une harmonie
vraiment incomparables.
BINET VALMER
Lucien.
M. Binet-Valmer est un romancier plein de ta-
lent, son Gamin tendre était une œuvre délicieuse,
ot ses Métèques témoignent d'une vraie puissance.
On retrouve ces belles et fortes qualités dans Lu-
cien. On les retrouve avec quelque regret, consacrées
à l'analyse du cas le plus odieux et le plus pénible
qui soit, car Lucien est un «cas» sur la nature
duquel je vous en aurai assez dit lorsque j'aurai re-
produit l'épigraphe du livre : « Mais le plus bravo
d'entre nous est épouvanté de lui-même » et nommé
l'auteur de cette épigraphe : Oscar Wilde.
( >M,. j,> pareils r-as puissent être pitoyables, j'en
180 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
conviens; ces hommes sont des malades ou des
fous, soignez-les, enfermez-les, mais n'en faites pas
— même pour les dénoncer et pour flétrir un monde
misérable — des héros de romans.
C'est du moins mon sentiment, et tout en ren-
dant hommage aux intentions vengeresses^ de l'au-
teur, à son courage et à son honnêteté. J'estime
que ce monde taré ne vaut pas qu'on parle de 'lui :
je préfère le silence au plus éloquent des réquisi-
toires.
Et tout cela n'empêche pas que M. Binet-Val-
mer ait déployé dans ce livre un très remarquable
talent; en dehors de son triste héros, il a campé,
avec beaucoup de maîtrise, des personnages bien
émouvants et humains, tel François Vigier, le grand
savant armé par la science et par la philosophie
contre la douleur et la sensibilité humaines, celle
des autres et la sienne, sans force pour lutter contre
le désastre qui atteint son amour paternel; et Bat-
chano, l'élève fervent du maître, et M^^e Vigier,
victime douloureuse d'une faute ancienne, et la
troublante et belle vierge slave Marie Lewinska et
tant d'autres aux prises dans une formidable et
douloureuse tragédie bourgeoise.
LES ROMANS 181
MARCEL BOULENGER
Le Pavé du Roi.
Dans le Pavé du Roi, M. Marcel Boulenger évo-
r[iie les temps si lointains — bien que trois quarts
de siècle à peine nous en séparent — où triomphaient
le faste et la fantaisie des dandys dans le Palais-
Royal éblouissant de lumières, animé d'une vie
intense et fiévreuse. Les romans de Balzac ont con-
-prvé intact pour nous le prestige de ces temps ; ils
lous intéressent et nous passionnent au plus haut
point : il est si amusant de se promener dans ce
passé pittoresque et charmant, en compagnie
(l'un écrivain habile à l'évoquer et à le faire re-
vivre !
Et il en est peu qui soient mieux désignés que
M. Marcel Boulenger pour une telle évocation : il
onnaît à merveille l'histoire anecdotique de ce
«mps, et puis il écrit une langue délicieuse où il
a de la grâce désinvolte et un rien d'afféterie
pli sont du plus pur dandysme.
Il nous offre, dans son livre, une version bien à lui
-le la mort mystérieuse du vieux duc de Bourbon,
!»nnce de Gondé, trouvé, certain jour, pendu à l'es-
ugnolette de sa fenêtre; la version est très roma-
losque et elle a le mérite de mettre hors de cause le
i>on roi Louis-Philippe.
Ajoutez qu'elle n'a rien d'invraisemblable, et
182 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
puis l'anecdote est si amusante ; les figures de l'in-
trigante baronne de Feuchères et de ses neveux,
George et James Dawes, sont si joliment campées.
Et le comte Arnaud d'Ancourt, ce gentilhomme for-
cé, après une fâcheuse aventure de jeu, de renoncer
à son titre, devenu, sous le nom de Prosper Ombri -
dane, postillon au relais d'Herblay, et appelé à
exercer, sur le pavé du roi et pour le service des
croquants, ses talents prestigieux de cocher et
d'écuyer; et l'illustre major Fraser, et tant d'au-
tres ! C'est amusant et pittoresque au possible, et
M. Marcel Boulenger a une bien séduisante façon
de nous réapprendre notre histoire.
LUCIE DELARUE-MARDRUS
Gomme tout le monde.
M "^6 Lucie Delarue-Mardrus dont j'ai eu le grand
tort — un tort qu'on me pardonnera difficilement
— de ne point aimer ou de ne point comprendre —
ce qui revient au même — VAcharnée, vient d(^
publier un très beau livre d'une large, profonde et
poignante humanité. Ce roman, s'appelle Comme
tout le monde. Pour cette fois, M"^® Lucie Delarue-
Mardrus n'a point consacré son puissant et remar-
quable talent à nous peindre je ne sais quelles mal-
saines extravagances, mais simplement à nous
JUIN — LBS ROMANS 183
raconter l'existence médiocre de gens qui ont vécu,
pensé, souffert « comme tout le monde ».
Quoi de plus simple, en vérité, de plus tranquille-
ment médiocre, que le « gentil ménage » d'Isabelle
et de Léon Ghardier : elle, une petite provinciale au
visage ovale et frais, aux grands yeux châtain roux
comme ses cheveux, avec, sur ses genoux, un bébé
de huit mois ; auprès d'elle, une petite fille de trois
ans; lui, un avoué, fort honnête homme, beau par-
leur, ni grand, ni petit, ni beau, ni laid, avec des
yeux verdâtres. Quoi de plus banal que leur exis-
tence qui se déroule, paisible, dans une petite ville
de province? Et quel drame pourtant derrière ce
calme monotone, quelle angoisse affreuse pour la
petite Isabelle de voir à chaque pas la réalité qui
brise et meurtrit son idéal, et lui fait détester
l'existence !
Mais cette vie, qui lui est si médiocrement dou-
loureuse, est-elle plus douce aux autres? Hélas!
non, la riche et belle marquise de Taranne-Flossi-
gny, dont la fortune lui parut si désirable, et l'ar-
tiste M. Godin, dont elle envia l'art, et tous les
autres sont comme elle : personne n'est heureux,
chacun a des raisons de se dire malheureux; il ne
faudrait, pour tout arranger, qu'un peu de vraie
sagesse ; elle s'en rend compte à la fin, mais il est
trop tard, l'irrémédiable tristesse est en elle et
autour d'elle... Nous voudrions protester contre ce
pessimisme, mais la vérité de tout cela nous prend
à la gorge et nous restons, après avoir lu ce livre
184 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
que traverse une admirable et pathétique figure
d'adolescent méconnu, sous une amère et déli-
cieuse et profonde impression de désenchantement.
LÉON BARRY
Le Voyage d'Hélène.
Le nom de M. Léon Barry m'apparaît pour la
première fois sur la couverture d'un livre et j'ai
l'heureuse surprise de découvrir en ce volume, une
œuvre ravissante qui témoigne d'un talent tout à
fait hors de pair : cela s'appelle le Voyage d'Hélène,
et c'est une manière de conte antique où l'auteur
s'est avisé de corriger et de compléter l'éternelle
et légendaire histoire de la femme infidèle de Mé-
nélas.
Le silence du divin Homère et du doux Virgile
sur l'entrevue de Ménélas et d'Hélène dans les rui-
nes fumantes de Troie lui a paru suspect et il en a
conclu que cette rencontre n'avait pas dû avoir
lieu. Combien plus vraisemblable et plus féminine
l'hypothèse qui nous montre la gracieuse Argienne
convaincue de la perte définitive et prochaine des
Troyens, lasse au surplus de son déplorable amant
Paris, et se décidant à regagner la maison conjugale,
à^y précéder son époux offensé pour obtenir son
pardon.
JUIN — LES ROMANS 185
C'est ce voyage que M. Léon Barry nous a conté,
ivec l'épisode d'un naufrage sur les côtes d'Egypte
lù la beauté d'Hélène a fait de nouveaux ravages,
• t le retour à la maison où l'infidèle pardonnée par
Ménélas s'entretient avec Hermione et Andro-
maque réfugiées chez lui, et aussi avec Télémaque
dont la grâce juvénile ne laisse point insensible son
incorrigible cœur.
Cette jolie histoire est contée dans une langue
légante et raffinée et les héros de V Iliade et de
f Enéide ne songeront point à se plaindre d'un man-
que de respect envers leurs augustes personnes, car
la fantaisie dont use envers eux M. Barry est infi-
niment respectueuse et tendre.
DANIEL LESUEUR
Flaviana, Princesse.
Flaviana^ Princesse^ est un roman romanesque,
t fut — puisqu'il faut l'appeler par son nom ! —
I fi roman-feuilleton. Eh ! oui, avant de paraître
' u volume, ce roman a été publié, chapitre par
' hapitre, dans un grand quotidien où, chaque ma-
lin, un million de lecteurs attendaient avec impa-
i it'nce et angoisse cette « Suite au prochain numéro »
iinonrée la veille, après quelque épisode drama-
li(]iif .1 mystérieux.
186 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
J'ai employé à dessein le mot de roman-feuilleton,
bien sûr que Daniel Lesueur ne m'en saura pas mau-
vais gré. Le bel écrivain de Lèvres closes^ le Cœur
chemine^ Nietzschéenne^ de tant d'autres œuvres
délicates et fortes, a voulu, cette fois, écrire un livre
romanesque dans le but d'émouvoir et de passion-
ner la foule, et elle ne craint pas qu'on le dise.
Elle a bien raison, car elle nous démontre le plus
brillamment du monde qu'un roman-feuilleton peut
être une œuvre d'écrivain et de psychologue; dans
cette mystérieuse et poignante histoire « Du sang
dans les ténèbres», elle a accumulé avec une heu-
reuse imagination, les péripéties émouvantes, les
complications dramatiques, les rebondissements
inattendus qui doivent tenir le lecteur haletant,
mais elle a apporté dans la succession et dans l'en-
chaînement de ces événements une rare puissanc(^
de claire logique; et surtout, elle est restée le bci
écrivain si soucieux de la forme, le psychologue
pénétrant et fin pour lequel nous professons tant
d'estime. Il y a notamment, dans son livre, une évo-
cation de milieux nihilistes et de certaines figures
troublantes et sombres qui est d'une saisissant
vérité.
Par là, ce roman si romanesque, qui a séduit la
grande foule, va faire maintenant la conquête des
délicats et des lettrés; il est digne vraiment d<^
figurer en bonne place dans l'œuvre imposante qui
a valu à Daniel Lesueur une si enviable renommée.
JUIN LES ROMANS 187
CHARLES FOLEY
La Chambre au judas.
M. Charles Foley, qui est un écrivain de goût et
de talent, dont j'ai apprécié maintes fois les romans
d'une fort jolie tenue littéraire, a obtenu ses plus
retentissants succès dans le genre terrible. On se
souvient de ces nouvelles poignantes et formidables
qui s'appellent : Au téléphone, Un concert chez les
fous, et qui nous firent trembler, non seulement
dans le livre, mais au théâtre où elles furent bien
vite transportées. J'imagine que la plupart des
nouvelles réunies sous le titre de la première : La
Chambre au judas, sont promises à la même gloire ;
déjà, sans doute, le Grand Guignol les guette pour
la plus grande joie et la terreur plus grande de
ses spectateurs.
Avec les moyens plus restreints du livre, elles
produisent déjà un bel effet de terreur, et je vous
défie de lire sans avoir la chair de poule l'histoire
d'Isabelle de Verceilles, enfermée dans une cham-
bre de château, en tête à tête — si j'ose dire ! —
avec une main mystérieuse qui surgit d'un judas et
la menace des périls les plus effroyables. Au com-
ble de la terreur, elle mord cruellement ce bras
menaçant qui se retire, et à quelques mois de là
elle retrouve, avec quel émoi ! la trace de ses dents
sur le poignet de l'homme qu'elle vient d'épouser,
188 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
et elle s'enfuit, je vous prie de croire... Et que dire
de cette « nuit rouge)), cette nuit affreuse de l'ai-
guilleur qui doit rester à son poste, prisonnier d(^
son devoir, cependant qu'à quelques pas de lui on
assassine sa fiancée : il le croit du moins, et il ap-
prend par bonheur, le lendemain, que la femme
assassinée était une inconnue — et tant d'autres
encore où l'effroi et la surprise sont si habilement
dosés. C'est d'un art très particulier, et on éprouve
à ces histoires une angoisse aussi forte qu'à celles
d'Edgard Poe, plus forte peut-être, car elles sont
moins mystérieuses, moins surprenantes, plus
réelles, et le lecteur a l'impression que « ça pourrait
très bien lui arriver à lui-même )).
ALBERT QUANTIN
Histoire prochaine.
M. Albert Quantin, qui ne manque pas d'audace,
a cru pouvoir fixer la date où disparaîtra notre ini-
que société bourgeoise remplacée par l'édénique
état communiste : c'est, parait-il, pour le mois do
juillet 1930. Profitons de ce délai, jouissons de nos
derniers jours de privilège en attendant cette His-
toire prochaine annoncée par M. Albert Quantin, en
un « roman socialiste». Il n'est pas ennuyeux, ce
roman, enveloppé d'une belle histoire d'amour —
JUIN — LES ROMANS 189
c'est étonnant ce que les amours sociales ressem-
blent aux amours bourgeoises ! — dont le héros,
Olivier Neuvire, un brave mécanicien, est quelque
chose comme le vivant symbole de la réformation
sociale.
k Son aventure sentimentale, pour attachante
qu'elle soit, n'est d'ailleurs que l'accessoire; la
grande affaire, c'est le tableau de notre existence
sous le nouveau régime : il est très, pittoresque ce
tableau, M. Quantin le trouve délicieux; — pour
moi, je me méfie un peu; cette « commune agri-
cole», cette « fabrication socialiste», ce « bon de
crédit», ne me disent rien qui vaille, et je serais
bien étonné que la grâce socialiste ait transformé
les loups dont se compose le monde actuel en ces
tendre^ agneaux qu'imagine M. Quantin : ne nous
frappons pas, d'ailleurs, ce sont là des jeux litté-
raires qui ne feront pas grand mal à notre société
et nous pouvons nous en offrir l'agrément — et le
petit frisson sans conséquence — moyennant
3 fr. 50 de notre infâme monnaie bourgeoise.
PIEUUE GLiiET-\AU\)UELliN
Le Sang des vignes.
Dans ce roman plein d'allégresse, de confiance et
dt' joie, M. Pierre Guitet-Vauquelin chante le
190 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Sang des vignes^ exalte « Tadorable et triomphante
terre d'oc», d'où le labeur des hommes fait jaillir
le vin généreux et bienfaisant, orgueil et richesse de
notre France. Ce livre dédié à MM. Marcel Prévost
et Louis Gimié d'Arnaud, « vignerons», c'est le
roman du vin avec toutes ses émotions, tous ses
drames, toutes ses victoires.
Le héros, Pierre Villeroy, revenu, après vingt
ans de vie parisienne à ses terres, à sa vigne de Pie-
destang, a eu du mal à se faire à la rude existence
du vigneron; mais peu à peu il a été pris par la
noblesse de sa tâche, il s'est passionné pour ses
vignes; comme entre temps il a rencontré la femm(
de ses rêves, Marguerite, qu'il a épousée, il connaît
le bonheur complet; mais une catastrophe survient;
des orages anéantissent ses vignes et celles de tout
le pays. C'est la catastrophe pour lui, c'est la
révolution dans la région ruinée, les vignerons au
comble du désespoir vont prendre les armes, mais
Pierre s'entremet avec héroïsme et est assez heu-
reux pour éviter aux vieux ceps bas-languedociens
le déshonneur d'être appelés « les vignes san-
glantes». Et dans le pays pacifié les beaux jours
reviennent et les vignes renaissent.
L'histoire est simplette, on ne peut la lire sans
émotion lorsqu'on se rappelle les terribles émeutes
qui désolèrent, il y a deux ans, les régions du Midi.
A la faveur de ce roman, M. Pierre-Guitet-Vauque-
lin a évoqué avec beaucoup d'intensité ces sombres
jours, qu'on peut regarder maintenant sans tris-
JUIN LES ROMANS 191
tpsse et sans inquiétude a en l'an II de la résurrec-
ion des Vignes».
CAMILLE AUDIGIER
Pour la Terre.
La véritable héroïne de M. Pierre Guitet-Vau-
pielin c'est la vigne, celle du « roman de mœurs
\ illageoises » de M. Camille Audigier, c'est la terre.
C'est Pour la Terre que souffrent et que peinent et
que tuent les personnages de ce roman plein de puis-
Huce et de vie où, sans art, très simplement, l'au-
aVlT a voulu nous montrer dans toute sa vérité le
paysan de France épris pour le sol ancestral d'un
iimour brutal, tyrannique et sublime. Cette ten-
dresse du paysan pour la terre a inspiré bien des
I omans. M. Jacques Dhur, dans la préface qu'il a
donnée au livre de M. Camille Audigier, ne craint
•as de lui décerner la meilleure place parmi eux,
ritre la Terre qui meurt, de René Bazin, et la Terre,
de Zola; entre l'idéalisme et le naturalisme, il y
vait une place à prendre que d'autorité M. Camille
\udigier a conquise avec son beau roman.
Le compliment est gros, mais il est certain qu'il y
beaucoup de puissance et de vérité dans le récit
'il drame villageois qui se joue autour de la ten'e
lépecée par Pierre Delmas, le paysan indigne et
débauché, défendue âp rement, sauvagement, par
192 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
sa femme, la Fanchon, qui a la conscience obscure
de remplir une mission supérieure et de défendre,
en même temps que sa terre, une tradition néces-
saire; et l'auteur arrive presque à nous faire com-
prendre le geste de ces jurés villageois acquittant
la Fanchon, qui a fait tuer son mari pour défendre
sa terre, ce qui à nous autres citadins nous parait
tout de même un peu vif.
JOHAN BOJER
Sous le Ciel vide.
(Traduit jjar P.-G. La. Ghesnais).
Le livre du romancier norvégien Johan Bojer,
Sous le ciel çide, un roman dont M. P. -G. La Ghes-
nais publie la traduction, est une œuvre très ibsé-
nienne, d'une psychologie embrumée et mystique,
d'une grande puissance aussi, à laquelle on est
tenté seulement de reprocher sa tristesse, son pessi-
misme, son découragement. Pourquoi faut-il, en
vérité, que la sublime ardeur d'Erik Evje à rache-
ter les fautes paternelles et ses propres erreurs se
heurte sans cesse à des catastrophes nées de la
méchanceté des hommes ou de l'hostilité de la
nature ?
Il a beau faire, il a beau déployer une énergie
surhumaine pour se racheter, il a beau se tourner
JUIN LES ROMANS 193
vtib la religion, vers la science, vers le progrès so-
cial ou la simple, naïve et bonne philanthropie,
tout lui manque tour à tour, tous ses efforts sont
anéantis, toutes ses espérances déçues, et il reste,
après la terrible catastrophe finale, l'engloutisse-
ment des villages distribués aux paysans vers les
Fjords mortels, tout seul, désespéré, sous le ciel
vide implacablement.
C'est, je le répète, très beau et très puissant, mais
ce n'est guère réconfortant : c'est là une littérature
qu'on peut admirer, mais qu'il n'y a pas lieu
vraiment d'encourager.
JEAN SAMSON
La Traite du Cœur.
M. Jean Samson qui débuta naguère avec Manè^
Thécel ! Phares !, un roman antique dont j'ai dit les
qualités, aborde aujourd'hui le roman moderne
avec la Traite du cœur. Moderne? Il faut bien croire,
puisque les romanciers sont unanimes à nous l'affir-
mer, que les aventures vilaines où la force de l'ar-
gent prime brutalement la faiblesse de l'amour et
de l'innocence sont essentiellement modernes. Ce
n'est pas tout à fait mon avis; je croirais volontiers
que jamais on ne vit, autant qu'en notre temps, des
rois épouser des bergères, des filles affirmer contre
12
194 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
l'injuste tyrannie d'un père leur droit au bonheur
et à l'amour.
Mais ne chicanons pas sur cette question d'épi-
thète et de date, et proclamons l'intérêt que pré-
sente cette histoire lamentable de la pauvre petite
Jeanne Nerry, livrée par son père à un odieux et
riche mari, Henri Narbier, protégé et ami d'un
homme plus riche et plus odieux encore, le banquier
Gossner, alors que toute sa tendresse et tout son
amour l'inclinaient vers Georges Felcat, un poé-
tique et charmant officier de marine. Cette histoire
se termine le mieux du monde par une providen-
tielle congestion cérébrale qui envoie ad patres
l'odieux Narbier. Rien ne nous interdit après un
tel dénouement d'espérer que les choses s'arran-
geront mieux encore et que les victimes de cette
Traite du cœur pourront enfin s'aimer librement et
légitimement.
GASTON LEROUX
Le Fantôme de l'Opéra.
Le fantôme de VOpéra^ de M. Gaston Leroux, a
parcouru déjà le plus gaillardement du monde, en
seize éditions successives, la première étape d'un
succès qui ne s'arrêtera pas là. Ce roman mysté-
rieux du créateur fameux de « Rouletabille)) est
dramatique, terrifiant, amusant au suprême degré;
»
JUIN LES ROMANS 195
avec un héros qui s'appelle Erik et qui est un fan-
tôme, un squelette vêtu d'un habit noir, c'est-à-
dire un être, vous en conviendrez, assez imaginaire,
M. Gaston Leroux a trouvé moyen de nous donner
l'histoire la plus vivante, la plus réelle dans ses
invraisemblances. Cet art, très particulier qui con-
siste à réunir les détails les plus précis, les déduc-
tions les plus logiques autour d'une folle imagina-
tion, M. Gaston Leroux le possède au suprême
degré : il a le don de la vie.
Au moment de nous conter l'histoire d'Erik,
lequel possédait sous l'Opéra un palais de mystère
et d'ombre avec une chambre des supplices, dont
vous me direz des nouvelles; au moment de nous
dire l'enlèvement par ce fantôme, de Christine
Daaé, la grande chanteuse, et la disparition du
vicomte de Chagny, l'ami de la chanteuse, et la
mort de son frère aîné, le comte Philippe, dont le
corps fut trouvé sur la berge du lac de l'Opéra —
M. Gaston Leroux nous affirme tranquillement,
avec le plus grand sérieux, la vérité de cette his-
toire : le « fantôme de l'Opéra a existé en chair et en
08, bien qu'il se donnât toutes les apparences d'un
vrai fantôme, c'est-à-dire d'une ombre»; il nous
énumère, comme un bon journaliste qui aurait
procédé à la plus sérieuse enquête, toutes les raisons
qu'il y a de croire à cette surprenante vérité, et nous
avons beau savoir que nous sommes dans le do-
maine de la fantaisie, nous ne laissons pas d'être
impressionnés par cette précision. Ajoutez que
196 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
cette histoire extraordinaire est écrite dans une
langue qui, tout en répudiant les images excessives
du feuilleton, est très brillante et colorée.
GUSTAVE GUICHES
Un Monsieur très bien.
Il est vraiment « très bien» ce François Desclos
qui, mal marié avec la jolie Henriette, coquette,
légère et frivole, désire éperdument reprendre sa
liberté, mais ne se résigne pas à la pensée de laisser
sa femme exposée aux dangers et aux déchéances
qui la menaceraient une fois seule. Gomment sortir
de ce dilemme? François Desclos a découvert que
son ami, Jacques d'Arvant, tournait autour d'Hen-
riette, et dès lors son plan est fait : avec une habileté
machiavélique, sans avoir l'air de rien, il protégera
cette idylle, mais — ne vous scandalisez pas ! —
il ne la protégera que pendant sa période d'inno-
cence, puis, brusquement, lorsque les amoureux
seront arrivés au bout de cette innocence, à la veille
d'un enlèvement projeté, il surgira entre les deux
« presque coupables » et il leur expliquera gentiment
que les amours criminelles sont de fort vilaines
choses et qu'il vaut beaucoup mieux pour tout le
monde qu'ils se marient.
Lui, mon Dieu ! il se résignera au divorce et il
JUIN — LES ROMANS 197
ira épouser une charmante jeune femme tout à fait
dans ses goûts. Et voilà comment « Un Monsieur
très bien» s'occupe de marier sa femme avant de
songer à se faire une nouvelle existence. Je ne vous
donne pas cela comme un modèle de moralité inté-
grale, mais enfin, cela ne vaut-il pas mieux que des
drames, des catastrophes, ou simplement d'aigres
disputes? Et puis, M. Gustave Guiches nous a conté
cette histoire avec tant de bonne grâce, de simpli-
cité spirituelle et d'émotion légère que son cynisme
nous devient tout à fait sympathique.
GYP
Les Petits Joyeux.
(l'est un de ces romans dialogues où excelle le
spirituel écrivain, qui a créé le genre aujourd'hui si
fort à la mode. Elle y apporte, toujours aussi
fraîches et avenantes, ces qualités de bonne hu-
meur, de verve intarissable, ce je ne sais quoi de
racé, cette « branche » qui firent la fortune des pre-
miers; en outre, la hideuse politique en a été à peu
près chassée, et on ne s'occupe plus d'y renverser
la République.
C'est très bien ainsi, et cela permet à tous les
lecteurs de se divertir sans arrière -pensée aux
histoires des « petits joyeux », lesquels n'ont, vous
12.
198 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
le pensez bien, rien de commun avec ceux
d'Aristide Bruant, mais sont simplement des petits
jeunes gens fort distingués et fort mal élevés qui
entendent la « mener joyeuso).
DELLY
Bsclave... ou Reine?
Ce roman est d'une très réconfortante moralité :
il nous révèle qu'une belle jeune femme, toute grâce
et toute vertu, livrée par un déplorable destin à un
époux cruel, brutal, presque dément, peut en faire,
par la seule puissance de son charme, de sa fai-
blesse et de sa piété, le plus obéissant, le plus doux
des chevaliers servants; mais que de périls elle doit
courir, la pauvre petite Lise, g[vant que le prince
Ormanofî ne subisse cette providentielle transfor*
mation.
Dans la princière villa de la Gôte-d'Azur, dans le
tragique château des steppes russes, elle connaît
les pires angoisses et les plus terribles dangers,
mais, je vous l'ai dit, tout s'arrange à la fin : une
âme sainte, une âme angélique répondant à l'invo-
cation de Lise a prié pour les deux époux et ce
roman terrible fmit en idylle, cependant qu'un
« rayon de soleil descend sur les têtes penchées de
Serge et de Lise, et qu'une brise se parfumant au
LES ROMANS 199
passage sur les muguets et les jacinthes blanches,
vient caresser leurs fronts».
RENÉ MILAN
La Mère et la Maîtresse.
La Dame aux Camélias est un drame éternel qui
-.' reprend sans cesse, non seulement au théâtre,
mais aussi dans la vie, et le douloureux problème
({ii'il soulève apparaît aussi émouvant, aussi actuel
(fue jamais aux romanciers de notre génération.
M. René Milan, un écrivain de talent, l'aborde à son
(our dans son roman la Mère et la Maîtresse. La
(Te, c'est Mine Autevielle, une femme de grand
''ur qui aime passionnément son fils Roger Aute-
iclle, un jeune et grave savant; la maîtresse, elle,
appelle Jasmine, et c'est une délicieuse petite
lemme au passé un peu bruyant, mais à l'âme hon-
nête et droite, qui souffre de ses nerfs douloureux
comme^ Marguerite Gautier souffrait de sa poitrine
déchirée.
• Le combat qui se livre autour de Roger, fils res-
pectueux et tendre, amant passionnément épris,
< st terrible, et l'homme meurtri se débat désespé-
rément entre ces deux amours, qu'il voudrait réunir
en son cœur et qui se haïssent mortellement. Et,
Jas de lutter, certain jour il s'enfuit; on a voulii
200 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
cruellement l'obliger à choisir : il renonce. Et pour-
tant Jasrnine était digne de son amour; au cours \
d'une entrevue émouvante, la mère le reconnaît
noblement; mais il est trop tard, et ces « trois êtres
d'élite par trois chemins différents s'éloignent vers ^
leur^ destins marqués d'un deuil indélébile, parce ^
qu'entre eux a passé l'amour divin, l'amour impi(\
l'amour destructeur, l'Amour».
HISTOIRE, LITTERATURE, THEATRE,
DIVERS
HENRI WELSGHINGER
La Guerre de 1870.
« Causes et Responsabilités. »
Les livres consacrés à la guerre de 1870 se multi-
plient; il faut s'en réjouir: ils finiront par avoir rai-
son de la déplorable ignorance où nous sommes de
ces tragiques événements de notre histoire. L'ou-
vrage de M. Henri Welschinger : la Guerre de 1870,
'( Causes et Responsabilités», est de ceux qu'on ne
saurait trop lire et méditer; l'auteur a été bien
placé pour connaître et étudier les événements
dont il parle, et il y a dans les deux volumes de son
ouvrage une foule de documents bien faits pour
nous instruire et nous réconforter.
202 LE MOUVEMENT ]/ITTÉR\1HK
Sans doute, M. Welschinger a voulu, comme lo
dit le titre de son livre, « relever les causes de la
guerre de 1870 et signaler les responsabilités de
ceux qui l'ont déchaînée », sans doute il a été amené
à porter sur des personnages historiques des juge-
ments sévères, mais à lire son livre on s'aperçoit,
et il faut l'en louer, qu'il n'a point agi « par un
détestable sentiment d'animosité contre les per-
sonnes»; un plus noble mobile l'a déterminé, celui
de l'historien qui n'a pas d'autre pensée que la
vérité, celui aussi du Français animé d'un profond
et vibrant amour de la patrie et qui veut au moins
que les douleurs du passé mieux connu servent à
l'avenir.
DOCTEUR POUMIÈS DE LA SIBOUTIE
Souvenirs d'un médecin de Paris.
Publiés par M""" A. Bhaaciie et L. Dagoury.
M. le docteur Poumiès de La Siboutie exerçait
depuis de longues années la profession de médecin,
et il avait gagné la sympathie et la confiance d'une
foule de personnages célèbres, lorsque, en 1847,
un cruel accident le contraignit de renoncer à ses
occupations habituelles; il avait alors tout près de
soixante ans, il avait vu beaucoup de choses, assisté
à bien des révolutions, connu dans leur intimité
les personnages historiques de la Révolution, de
JlIN — HISTOIRE, LITTÉRATURE, THEATRE, DIVERS 203
l'Empire, de ta Restauration, et la tentation lui
vint d'utiliser ses loisirs forcés pour rédiger ses
souvenirs; heureuse tentation, qui nous vaut au-
jourd'hui les Souvenirs dhiii Médecin de Paris ^
iibliés par M^^^s a. Branche et L. Bagoury, les
lilles du docteur Fournies de La Siboutie.
Ces souvenirs familiers sont d'un rare attrait :
ils nous font revivre plus d'un demi-siècle de l'his-
loire de France, depuis la Révolution jusqu'aux
l)eaux jours du second Empire, vers 1860. Que do
choses curieuses et impressionnantes à noter pour
un observateur bien placé ! « Récits pleins de verve
sur le monde des professeurs et les générations
' l'étudiants du premier Empire, pages intéressantes
ir les hôpitaux et leurs ordinaires clients, les bles-
■s de la guerre étrangère ou des insurrections
civiles; portraits fidèles, silhouettes curieuses, -
tableaux pittoresques de la société composite et
»uvent bouleversée de la période qui s'est écoulée
de Napoléon I^'" à Napoléon III, en passant par les
deux Restaurations, la monarchie de Juillet et la
République de 1848». Outre l'intérêt très vif que
présentent de tels souvenirs, ils ont ce prestige de
nous rapprocher extraordinairement d'un passé très
lointain: songez, en effet, que les filles du docteur
Poumiès de la Siboutie, nos contemporaines, nous
offrent un livre où l'auteur parle d'un aïeul mort
en 1695, et se souvient lui-même d'avoir été bercé,
caressé, promené par un vieux domestique nommé
Saintonge, tambour au régiment Dauphin, à l'âge
204 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
de dix ou douze ans, et qui avait assisté à la bataille
de Fontenoy, en 1745 !
HENRI GHARRIAUT
La Belgique moderne.
L'ouvrage de M. Henri Charriant, est consacré
à cette Belgique que Napoléon appelait « le champ
de bataille de l'Europe » et qui a la gloire plus pro-
fitable aujourd'hui d'être « son champ d'expé-
rience », ainsi que l'a baptisée Elisée Reclus. Tous
les grands problèmes qui agitent à peine ou qui
n'agitent que passagèrement les grands peuples
provoquent en Belgique une ébullition incessante,
et, dans les tentatives d'ordre économique qu'en-
gendre cette fièvre perpétuelle de réformes, des
indications précieuses peuvent être trouvées.
L'auteur a voulu dans son livre étudier « la mani-
festation à la fois psychologique et matérielle d'un
peuple qui a su attester que la véritable puissance
n'est pas dans le nombre, mais bien dafis les qua-
lités énergiques des citoyens, et, puisque c'est sous
cet aspect qu'elle présente le plus grand intérêt
scientifique, essayer de montrer l'activité de la
Belgique dans sa mission expérimentale.
JUIN HlSTUiKE, LITTÉRATURE, THEATRE, DIVERS 205
MARCEL PRÉVOST
Féminités.
C'est une chose bien séduisante et bien malaisée
de parler « féminités » devant un auditoire de fem-
mes. Il faut à l'homme qui se risque en cette entre-
prise, beaucoup de finesse et d'esprit, et de ten-
dresse aussi, car les femmes entendent qu'on les
aime avant de permettre qu'on parle d'elles; pas
trop cependant, pas jusqu'à l'aveuglement : elles
méprisent un peu ceux qu'elles dupent trop faci-
lement et elles éprouvent un certain plaisir, très
délicat et très raffmé, à se voir démasquées par leur
auteur, pourvu qu'il ait la « manière ». C'est très
difficile, et il faut bien du talent à un écrivain pour
savoir discerner et choisir les fleurs avec lesquelles
ses lectrices consentiront à être frappées ; mais quel
succès quand il a ce talent ! Les femmes sont con-
quises sans rémission, et par surcroit, les hommes
aussi : conquête moins flatteuse, mais point négli-
geable tout de même.
Cet art et cette manière, M. Marcel Prévost les
possède comme personne : il n'est pas d'écrivain
qui sache mieux exprimer le troublant mystère et
la séduction souveraine de l'éternel féminin. Dans
ces gracieuses et frivoles et profondes Féminités
qu'il vient de publier, il s'est diverti une fois encore
à tourner autour du sphynx à qui il a bien su tout
13
206 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
de même arracher un petit morceau de son secret ;
et ce sont ces « Mondanités » si amusantes et spiri-
tuellement philosophiques et les « Dames de ce
temps-ci » évoquées en de si savoureuses images, et
enfin, ces délicieuses variations épistolaires « VA-
mour écrit...» où l'auteur des admirables Lettres de
femmes met leur bon garçon de destinataire en garde
contre ces lettres : « Est-ce qu'un chapeau de femme
sert à lui couvrir la tête? Est-ce qu'une ombrelle de
femme sert à la garantir du soleil? Est-ce que des
souliers de femme servent à la marche? Pourquoi
veux-tu qu'une lettre de femme serve à transmettre
sa vraie pensée au destinataire î » Il est vrai que les
hommes ne sont guère plus sincères, mais tandis
que « les petits mensonges épistolaires féminins sont
ingénieux, charmants, flatteurs, impossibles à
débrouiller, les nôtres sont laids, communs, mala-
droits, blessants; ils sentent la fatigue. C'est de
l'ouvrage mal fait. »
ANDRÉ BEAUNIER
Trois Amies de Chateaubriand.
Maintes fois, en ces dernières années, j'ai regretté
l'indiscrétion dont nous faisions preuve envers la
mémoire de nos grands écrivains : il n'en est pas un
qui échappe à nos enquêtes posthumes; non con-
tents d'apprécier leurs vers harmonieux ou leurs
JlIN HISTOIRE, LITTÉRATURE, THEATRE, DIVERS 207
proses sonores, nous voulons connaître et juger les
Muses très humaines qui les inspirèrent. Ayant si
souvent blâmé cette indiscrète curiosité, je devrais,
pour être logique, regretter le livre que M. André
Beaunier vient de publier : Trois amies de Chateau-
briand', mais, vrai, je ne m'en sens pas le courage :
ce livre est trop joli, et il m'a fait passer des heures
trop agréables.
L'auteur, d'ailleurs, nous explique de la façon la
plus persuasive qu'il avait le droit d'être indiscret;
de (( ne pas permettre que se tranquillisent dans
le silence d'un siècle mort, les pauvres petites fem-
mes que troubla l'enchanteur déhcieux et cruel».
Cette indiscrétion, c'est Chateaubriand lui-même
qui l'impose au lecteur de son œuvre toute pleine
de lui-même.
Ainsi l'écrivain, qui a voulu la commettre, était
autorisé à appeler en témoignage ces trois dames
dont il va nous parler, qui ont été de bien char-
mantes femmes, en un temps éloigné déjà. Aussi
bien on peut compter qu'elles pardonneront à
l'indiscrétion de l'auteur, car leur terrible ami les a
habituées à l'indulgence et nous pouvons aujour-
d'hui encore « compter sur la complaisance qu'elles
eurent au temps où Chateaubriand leur préférait
son amour ».
Ces trois dames furent la touchante Pauline de
Beaumont, la souveraine Juliette Récamier, la
pittoresque et attrayante Hortense Allart.
Et, en les évoquant toutes trois, M. André Beau-
208 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
nier nous a conté trois romans qui sont les plus
touchants, les plus jolis, les plus émouvants du
monde ; celui | de M^^^ de Beaumont, histoire
d'amour où celle qui aima fut infiniment plus tou-
chante et plus noble que celui qui fut aimé; celui
de Mi"6 Récamier, blanche énigme, Pénélope épouse
d'un nonchalant Ulysse, dont l'aventure avec René
nous offre le spectacle de deux coquetteries fieffées :
Juliette de Récamier, la déesse, et René de Cha-
teaubriand, l'enchanteur; celui d'Hortense AUart
enfin, cette personne vive, complaisante et qui
avait, avec un esprit de philosophe et de littéra-
teur, un cœur de grisette.
Ces trois belles histoires sont en tous points con-
formes à la vérité; pour les écrire, l'auteur a pas-
sionnément étudié les textes, les documents, les
mémoires : c'est donc une œuvre très solide d'his-
toire et d'érudition ; la grâce et le talent de l'auteur
en ont su faire un ravissant roman d'amour en
trois parties où le charme, la tendresse des femmes,
l'égoïsme magnifique de l'homme sont évoqués en
des pages d'une incomparable séduction.
PAUL BOURGET
La Barricade (Chronique de 1910).
La Barricade^ de M. Paul Bourget, eut, cette
I
JUIN HISTOIRE, LITTÉRATURE, THEATRE, DIVERS 209
saison, un grand retentissement au Vaudeville et
fut discutée bien passionnément « des deux côtés
de la barricade». Les critiques dramatiques l'ont
racontée et jugée, les rédacteurs politiques l'ont
âprement discutée dans des polémiques de journaux,
et on est tenté de croire que le débat est épuisé.
L'auteur pourtant ne nous avait point encore
donné son sentiment et l'on jugera sans doute qu'il
présente quelque intérêt pour l'appréciation défi-
nitive de l'œuvre, non pas au point de vue de sa
valeur littéraire ou dramatique, dont il est bien
trop avisé pour se faire juge lui-même, mais au
point de vue de ses tendances qui ont été qualifiées
de façons si contradictoires et si diverses et qu'il
est — on en conviendra — un peu mieux placé que
tout autre pour connaître.
Il nous les expose dans une éloquente et magis-
trale préface qui est une sorte d'examen de cons-
cience très courageux et très sincère de la .bour-
geoisie de notre temps et qui donne à l'œuvre toute
sa haute portée sociale et historique. Dès le sous-
titre, nous sommes fixés sur les intentions de l'au-
teur : la Barricade^ est une « chronique de 1910 »,
ce n'est donc pas une œuvre de combat, mais quel-
que chose comme un procès-verbal : la chronique,
en effet, c'est l'histoire, racontée, montrée par son
détail quotidien et familier; c'est le constat dressé
sur place d'un certain coin des mœurs, à une cer-
taine date; ce que disent les personnages de la Bar-
ricade quels qu'ils soient, ce sont presque toujours
210 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRK
des paroles entendues et qu'on n'a pu mettre, sans
un prodigieux abus, dans la bouche de l'auteur.
M. Paul Bourget a diagnostiqué les maux dont souf-
fre notre société contemporaine, il a dénoncé cette
lutte des classes que nous ne pouvons pas éviter;
on a voulu en conclure qu'il poussait à cette lutte,
ce qui est aussi absurde que de reprocher à un
médecin de se faire le complice du bacille d'Eberth
parce qu'il en constate la présence et dénonce une
fièvre typhoïde dans l'organisme envahi. Le remè-
de? Il n'a pas eu non plus la prétention de nous le
faire connaître, tout au plus a-t-il voulu indiquer
que ce remède surgirait quelque jour, sous les espè-
ces de la force, qui est faite, non point, comme on a
voulu le croire, de brutalités et de violences, mais
de l'intelligence, de la vertu, de la dignité qui impo-
seront le respect de la bourgeoisie.
GEORGES LEGOMTE
Les Allemands chez eux.
M. Georges Lecomte, qui a signalé son passage
à la présidence de la Société de Gens de lettres par
des services éminents dont on ne perdra pas de sitôt
le souvenir, sut notamment en 1908 représenter
avec infiniment de tact et de dignité les intérêts
moraux et matériels de la littérature française à la
JUIN — HISTOIRE, LITTÉRATURE, THEATRE, DIVERS 211
conférence de Berlin. Nous avons une raison de
plus aujourd'hui de nous féliciter de cette mission,
puisqu'elle a donné à M. Georges Lecomte l'occa-
sion d'écrire l'œuvre fort intéressante, les Alle-
mands chez eux^ qu'il dédie à son « ami Jules Huret,
exact et pénétrant évocateur des aspects et des
rouages de la vie moderne ». C'est, après cette magis-
trale enquête de notre collaborateur et ami, à qui
il rend si justement hommage, un nouveau docu-
ment sur cette Allemagne qui nous préoccupe tant ;
et on lira avec beaucoup d'agrément et de profit ces
pages vivantes et prestes sur les rues, l'architec-
ture, la voirie, le Tiergarten; ces portraits amu-
sants du fonctionnaire, toutes ces notes pittores-
quos ot ros observations judicieuses.
MÉMENTO DU MOIS DE JUIN
ROMANS
Biiiigei' (Rodolphe). — En Cinq sec, un charmant volume,
paru dans la collection : « Les Conteurs Joyeux», où
ce joyeux conteur, secondé par l'humoriste dessina-
teur Moriss, nous conte une foule d'histoires drolati-
ques écrites sans nulle prétention, joviales et rapides
à souhait.
Buteau (Henry). — Ciel de caresse; ce ciel est celui de Cons-
tantinople, très favorable paraît-il, à l'éclosion de
212 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
l'amour et de la passion. Dans ce décor magnifique,
très billamment évoqué, M. Henry Buteau a situé une
belle histoire d'amour et aussi de tristesse et de
trahison — il est bien rare d'ailleurs que l'Amour
avec un grand A, n'entraîne pas avec lui ces deux
compagnons. Ses héros, Gérard Augereau, le
romancier réputé, et son admirable femme, sa « grande
sœur», Jeanne Augereau, et son idéale maîtresse, la
voluptueuse Hélène, victime de son amour, sont cam-
pés en des pages où l'on retrouve avec plaisir les très
intéressantes qualités que j'ai eu l'occasion de louer
déjà plusieurs fois en M. Henry Buteau.
Conan Doyle. — La Merveilleuse découverte de Raffles Haw,
traduction de M. Albert Savine.
Ducasse-Harispe. — V Amour et V Autel, (<. roman psycholo-
gique ».
Green (A.-K.). — Le Médaillon, traduit de l'anglais par
M. A. Davray.
Havard de la Montagne (Robert). — Leurs Fils.
Lafont (Renée). — V Appel de la Mer.
Landre (Jeanne). — Echalote continue, un roman de
mœurs montmartroises joyeux et cynique.
Maindron (Maurice). — La Gardienne de l'Idole noire.
M. Maurice Maindron, évocateur prestigieux des
moyenâgeuses aventures de « St. Gendre» et peintre
fougueux des mystérieuses splendeurs de l'Inde du
Sud, fait revivre, une fois encore, sous nos yeux, et
l'Inde et le Moyen âge dans son nouveau livre. C'est
l'aventure étrange, voluptueuse, formidable, de Gian-
battista et de Souriadévi, la gardienne de l'idole
noire, qui se déroule dans le cadre magnifique et terri-
fiant d'un temple hindou, et M. Maurice Maindron
nous l'a contée dans cette langue si particulière, très
pure, très simple, qui nous semble si près de nous.
De ces mots si simples mis côte à côte, l'écrivain sait
tirer des effets surprenants, il les dispose comme un
peintre distribue des couleurs il en fait de l'ombre
et de la lumière : c'est de l'art, vraiment, et du plus
grand.
Maret (G. de). — La Course au bonJieur, un touchant et
MEMENTO DU MOIS DE JUIN 213
mélsincolique roman où l'héroïne s'aperçoit que « nos
illusions, comme des pétales de rose fanée, s'en vont
d'abord une à une; les dernières tombent toutes en
même temps».
Maurevert (Georges). — Légendes et Nouvelles tragiques ou
folâtres, un volume que décore une chatoyante image
de Chéret et qu'illustre une admirable préface de
Maurice Maeterlinck. Les nouvelles qui surent mériter
ce glorieux parrainage sont d'une très jolie qualité de
style et d'inspiration : l'écrivain y passe du sévère au
plaisant ou au tragique, avec beaucoup d'aisance, et
le lecteur prendra de l'agrément aux fines notations
psychologiques de « la Bague à la chimère», aux
émotions poignantes du « Duel à l'ennemi », à la poé-
tique évocation de « la Belle et vraie légende du roi
Grallon», à la grasse jovialité du « Bon notaire», et
j'en passe, pour arriver à cette émouvante comédie
tragique, dont nous avons déjà parlé : « La dernière
soirée de Brummell. »
Pourtalès (Guy de). — La Cendre et la Flamme.
Price (Georges). — La Rançon du sommeil, un recueil de
nouvelles originales, émouvantes, écrites dans une
langue alerte et souple. La première de ces nouvelles a
presque les proportions d'un roman, c'est « la rançon
du sommeil», une terrifiante histoire, fantastique, et
très réelle où nous assistons aux péripéties dramati-
ques de la lutte d'un homme contre le sommeil qui
rétreint, l'enveloppe, l'envahit, alors que, s'il y cède
une seule minute, c'en est fait de lui et d'une inven-
tion géniale à laquelle il tient plus qu'à sa vie. J'ai
goûté aussi les autres nouvelles qui composent ce livre,
notamment « le Chien de M. le Préfet», le récit d'une
piquante aventure d'un brigand de la Loire; et aussi
" le roi du Lethol», l'histoire d'un inventeur devenu
millionnaire pour avoir restitué aux habitants de la
ville de Port-Elliott les bienfaits du sommeil dont un
autre inventeur, M. Henry Bentham, avait eu la fal-
lacieuse idée de guérir ses contemporains.
1 îandau (Robert). — Le Commandant et les Foulbé, « roman
de la grande brousse ».
13.
214 LE MOUVEMKNT LITTÉRAIRE
Schwab (Raymond). — Regarde de tous tes yeux, un très
agréable recueil de contes.
Sicard (Emile). — Les Marchands.
Twain (Marc). — Peterkins, traduction de M. François do
Gail.
Veyssié (Robert). — Grains de foule, nouvelles.
Willy. — Maugis en ménage, une œuvre du cynique Willy,
divorcé littéraire. Sa verve outrancière et joviale s'y
étale avec impudence, tempérée cependant, de-ci
de-là, par je ne sais quelle mélancolie exprimée avec
charme et qui affirme ce talent d'écrivain dont Willy
s'obstine à faire un si mauvais usage.
HISTOIRE — LITTÉRATURE — THÉÂTRE
POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Aumale (Duc d') et Guvillier-Fleury. — Correspondance. —
2e volume. — Je vous ai dit, lors de l'apparition du
premier volume, le prestigieux intérêt de ces lettres où
le vieux maître et le noble élève, en se laissant aller
le plus simplement du monde à leurs souvenirs et à
leurs confidences, font pour nous de l'histoire la plus
instructive et la plus émouvante qui soit. Le second
volume nous donne les lettres échangées de 1848 à
1859; il commence au moment où le duc d'Aumale
et le prince de Joinville quittent Alger en proscrits
volontaires et se ferme sur les fanfares de triomphe de
la campagne d'Italie, à l'apogée de l'Empire.
Batz (Baron de). — Histoire de la Contre- Révolution: T. l^^.
IJ Agonie de la Royauté. M. le baron de Batz, dont j'ai
signalé naguère avec grand éloge la Vie et les conspi-
rations de Jean, baron de Ratz, entreprend un grand
ouvrage d'une très sohde et très attrayante érudition,
où il a eu pour but de « rassembler, de coordonner, de
réunir les efforts tentés par les partis opposés à la
Révolution française, afin d'arrêter sa marche; pré-
MT^ME.NT" \ 215
senter ces efforts d'une manière claire, les grouper
d'une façon logique, étudier les principes au nom des-
quels ces tentatives furent accomplies». Le premier
volume de cet ouvrage nous montre de façon saisis-
sante les efforts de la contre-révolution entre 1789 et
1792.
Bernard (Emile). — Réflexions (Vun témoin de la décadence
du beau, un recueil de notes sur l'Art.
Bertin (Georges-Eugène). — Nos plus beaux Rêves, poésies.
Bessonnet-Favre (M^n^). — La Typologie, un bien curieux
ouvrage où l'auteur nous documente sur «une science »,
à la création de laquelle il a fortement contribué; car
la typologie est une science : M. le docteur Raymond
nous le dit dans la préface de ce curieux livre, avec
toute l'autorité qiii s'attache à sa parole; cette « mé-
thode d'observation des types humains, qui permet de
démêler sur la figure d'une individuahté donnée le
type vrai, avec ses qualités, fait désormais partie de
nos sciences d'observation». Ce serait une chose
admirable si cette science pouvait se répandre et si
nous pouvions apprendre à lire d'une façon certaine
l'âme de nos contemporains sur leur visage; on est
tenté de se réjouir en songeant à toutes les déceptions,
à toutes les injustices qui nous seraient évitées; mais
aussi que de fâcheuses découvertes cette science nous
réserverait, et combien parfois nous regretterions
devant un joli visage trop révélateur notre divine
ignorance d'autrefois.
Biovès (Achille). — Français^et Anglais en Egypte, un^
savant ouvrage où l'auteur prétend résoudre cette
question : « Comment l'Angleterre s'est-elle emparée
de l'Egypto? A-t-ello tout simplement profité avec
habileté des événements et des fautes de ses rivales,
ou a-t-elle préparé et machiné ces événements?
l^iii'l (Tony). — Une Ambassade suisse à Paris en 1663, un
très savant et très attrayant ouvrage où l'auteur s'est
proposé de donner, en même temps, un aperçu des
relations qui existaient à cette époque entre la France
et la Suisse et une esquisse des coutumes de la France
à une date précise de son histoire. L'ouvrage est élo-
216 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
quemment préfacé par M. Lardy, ministre de Suisse
en France.
Bourrienne. — La Vie privée de Napoléon — Le Premier
Consul; 2^ volume des Mémoires.
Brette (Armand). — Propos du siècle, un choix des pages
que l'auteur écrivit au hasard des événements et
« qui ont, nous dit-il, tout juste le prix des anciennes
nouvelles à la main qui valent surtout parce qu'elles
furent écrites sur l'heure». A ce titre seul, en effet,
ces articles constitueraient pour l'histoire de notre
temps un intéressant document; ajoutons, malgré la
modestie de l'auteur, qu'ils ont, en outre, de jolies
qualités de forme et de pensée.
Capus (Alfred). — Théâtre complet; l^J* volume où nous avons
retrouvé avec joie ces pièces exquises qui sont : Bri-
gnol et sa fille, Rosine, les Maris de Léontine, dont la
grâce non moins pimpante qu'aux premiers jours, a
maintenant la consécration et la patine des choses
définitives.
Cartier (Ernest). — Correspondance de Guizot avec Léonce
de Laver gne.
ChafTiol (Fernand). — Les Miroirs ternis, poésies.
Chesnelong (Charles). — La Liberté de V Enseignement, un
recueil de discours.
CHfford Barney (M™^ Natahe). — Actes et Entr' actes, des
pages où j'ai trouvé des choses délicieuses, ce « virelai
nouveau» notamment, qui est d'un poète bellement
doué.
Costils (D^^ François de). — Sonnets.
Cuvillier-Fleury. — Voir Duc d'Aumale.
Delteil (Léo). — Voir John Grand-Carteret.
Dupuis (Jean). — Le Tonkin de 1872 à 1886, un volume
d'histoire écrit par un explorateur du Fleuve-Rouge.
Dutacq (François). — Histoire politique de Lyon pendant
la Révolution de 1848.
Faguet (Emile). — Les Dix Commandements de « V Amour
de soi», réunis par l'auteur en un charmant petit
hvre, comme il avait fait naguère pour « l'Amour » et
«l'Amitié».
Faure-Goyau (Lucie-Félix). — La Vie et la Mort des Fées.
MEMENTO DU MOIS DE JUIN 217
un livre d'une fort avenante érudition où nous appre-
nons d'où sont sorties les fées du cycle breton, celles
de l'épopée carolingienne, celles des poèmes de Marie
de France, celles de Shakespeare et celles de Naples,
celles de France, celles d'Allemagne, celles d'Angle-
terre et du Nord. C'est instructif, austère et char-
mant. En tête de cet essai d'histoire littéraire l'au-
teur nous dit, dans un prologue, combien ce sujet
est grave et séduisant, et plaide le plus joliment du
monde la cause des fées et de la féerie ; « la féerie,
un peu de rêve, un peu de réalité, tissés et combinés,
noués d'un fil d'or ou d'un brin d'herbe où tremble
soit une perle soit une goutte de rosée».
Meischmann (Hector). — Les Femmes et la Terreur.
— Le Roi de Rome et les Femmes.
Foulon de Vaulx (André). — La Fontaine de Diane, des
poèmes infiniment gracieux et évocateurs.
Fribourg (André). — Discours de Danton, une édition cri-
tique que M. G. Lanson fait précéder d'une préface
où il plaide avec une chaude éloquence la cause de
Danton qu'il ne faut pas honnir, car « ceux-là blessent
la France, et l'appauvrissent, qui continuent d'in-
sulter l'homme dont la voix fut à certaines minutes la
voix de la nation dressée contre l'invasion étrangère».
' iaillard de Champris (Henry). — Emile Augier et la Comé-
die sociale, une belle et forte étude.
Germain (José). — Mémoires du capitaine Lange, « Aventu-
res des francs- tireurs de Champagne, — souvenirs
de 1870».
<'loriainow (Serge). — Le Rosphore et les Dardanelles, une
« étude historique sur la question des détroits» dont
l'auteur est directeur des Archives de l'Empire et des
Archives centrales de Saint-Pétersbourg. Cet ouvrage
a le grand mérite de nous exposer une des questions
les plus compHquées de la pohtique contemporaine
dans tous ses détails avec une compétence et une sin-
cérité absolues; mérite plus grand encore : l'auteur
a su résumer la substance de son livre en trois
pages précises et claires placées au commencement du
volume.
218 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Grand-Garteret (John) et Léo Delteil. — La Conquête de
Vair vue par Vimage (1495-1909), un superbe volume
luxueusement édité d'histoire très ancienne, très loin-
taine, bien que son objet soit mis par les admirables
prouesses de nos aviateurs au premier rang de l'ac-
tualité. Au sommaire : « ascensions célèbres, inventions
et projets, portraits, pièces satiriques, caricatures,
chansons et musique, curiosités diverses ». Ces volumes
d'histoire par l'image sont toujours d'un très vif at-
trait : les documents graphiques qu'ils nous resti-
tuent nous en disent plus long souvent que de savantes
et longues dissertations. Ainsi comprise, l'histoire du
la conquête de l'air est fort impressionnante et ces
images comiques ou ironiques, ces chansons inspirées
depuis quatre siècles par la hantise de l'air à conqué-
rir, sont vraiment émouvantes à revoir au moment où,
après un si long effort, nous semblons approcher du
but convoité depuis tant d'années; avec toutes ses
ironies, toutes ses naïvetés, c'est un réconfortant
album de la vaillance, de l'énergie, de la patience
humaines.
Gregh (Fernand). — La Chaîne éternelle, cette chaîne qui
rattache « une âme d'aujourd'hui» aux « âges passés)),
poésies d'une si suave harmonie, d'un^rythme si heu-
reux, d'une inspiration si généreuse, dont il est super-
flu de redire les mérites, mais que j'aurais eu trop de
regrets à ne pas saluer de mon modeste mot.
La Cartrie (Toussaint- Ambroise de). — Un Vendéen sous la
Terreur, des « Mémoires » inédits traduits et annotés
par M. Pierre-Amédée Pichot et précédés d'une étudo
sur l'insurrection vendéenne par M. Frédéric Massori.
Lagarde (Gaston de). — Nouveaux livres, Nouveaux amis,
un fort agréable recueil de pages de critique littéraire.
L'auteur a groupé dans son ouvrage une pléiade de
hvres amis et il s'est efforcé d'exphquer pourquoi,
parmi tant d'autres, ils l'ont particulièrement charmé.
Il ajoute, et on ne saurait trop l'en louer, qu'il a tou-
jours pensé que le beau na peut être réalisé sans la
salutaire complicité du bien, et cette conviction assure
à ces études une sorte d'unité générale, Ellessontd'iin"
MEMENTO TtV MOIS DE JUIN 219
très heureuse inspiration et d'un fort joli tour, très
dignes du parrainage de l'éminent et charmant écri-
vain Henry Roujon, à qui elles sont dédiées.
Lafont Paul). — L'Aube romantique : Jules de Rességuier et
ses amis. Ce pauvre romantisme si décrié et si glo-
rieux eut des commencements charmants qu'on ne
peut contempler sans quelque attendrissement et
M.Paul Lafont les évoque dans ce volume d'une inté-
resssante documentation. Une agréable figure vrai-
ment, ce Jules de Rességuier, mainteneur des Jeux
floraux en un temps où l'Académie de Clémence
Isaure était dans toute sa gloire. Poète charmant et
souvent inspiré, nébuleuse entre des étoiles, Jules de
Rességuier méritait de n'être pas oublié, car il occupa
un rang distingué dans la phalange des poètes de la
Restauration; et puis il reçut des lettres admirables
dont M. Lafont nous apporte la précieuse collection
et qui ont pour auteur : Chateaubriand, Emile de
Girardin, M™^ Sophie Gay, Victor Hugo, Lamartine,
Soumet, Eugène Sue, Alfred de Vigny.
Larcher (Louis). — Sous Metz, quelques traits de la guerre
de 1870.
Lécuyer (Raymond). — La Révolution de Juillet (25 juillet-
16 août 1830), un bien captivant ouvrage paru dans la
collection des « Mémoires et Souvenirs» publiée sous
la direction de M, Funck-Brentano et dont l'auteur
a emprunté le texte aux Mémoires de Mazas et à la
chronique de Rozet. Ce sont des « impressions et récits
contemporains» qui éclairent cette histoire si mal con-
nue et qui « n'est pas encore écrite ni préparée», ainsi
que le dit très justement M. Raymond Lécuyer dans
une préface d'un très vif intérêt, toute remplie d ■
documents et de renseignements ingénieusement
ordonnés et qui nous fait mieux comprendre le sens
profond de cette simple date : 1830, si éloquente, si
suggestive, qui résume une transformation de l'esprit
français.
'Lefranc (Abel). — Maurice de Guérin, un très beau livre
d'histoire et de critique composé d'après des docu-
ment» inédits.
220 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Loliée (Frédéric). — Talleyrand et la Société française, « du
Prince de Bénévent au duc de Morny»; un ouvrage
d'une grande séduction.
Loubon (Ludovic). — La Gerbe d'or, de gracieuses poésies
recueillies par l'auteur « dans le champ moissonné
du verbe ».
Maigron (Louis). — Le Romantisme et les Mœurs, « Essai
d'étude historique et sociale». Inutile de vous dire que
le pauvre romantisme passe, dans cet ouvrage, com-
me dans la plupart de ceux qui lui sont consacrés, un
assez fâcheux quart d'heure; tout en rendant hom-
mage à l'érudition profonde et à la sincérité de l'au-
teur je me demande, d'ailleurs, une fois de plus, si
l'on est bien équitable envers ce romantisme chargé
de tous les péchés d'Israël, et s'il mérite cet excès
d'honneur et cette indignité.
Mantenay. — Figures d'hier et d'aujourd'hui, des pages subs-
tantielles d'une étonnante variété où l'érudition très
solide sait revêtir la forme la plus agréable et la plus
attrayante.
MasperoJ(G.). — Ruines et paysagesf d'Egypte, des pages
très modernes où le savant professeur au Collège de
France^évoque une très lointaine histoire. De ses sé-
jours sur les bords du Nil, l'historien a rapporté, outre
plusieurs monuments qui ne font pas mauvaise figure
au musée, des impressions « d'Egypte moderne qui
l'ont aidé à mieux comprendre l'Egypte ancienne ».
Melon (Joseph). — La Maison vers le lac, des poésies aux
rythmes étranges et harmonieux.
Montesquiou (Robert de). — Perles rouges, des vers pré-
cieux, curieux, étranges que l'auteur a fait suivre des
Paroles diaprées, un recueil de cent dédicaces qui sont
des images, des portraits, « pièces ornées de noms con-
temporains assemblés dans un groupe d'illustres 1 1
de modestes, comme il y a, dans un bouquet des vio-
lettes et des roses». ^ v
Niox (Général). — Drapeaux et Trophées, un éloquent « ré-
sumé de l'histoire contemporaine de la France», suivi
du catalogue des trophées du Musée de l'Armée.
Périer (Joseph). — Le Sillage de la Sirène, poésies.
MEMENTO DU MOIS DE JUIN 221
Périn (Georges). — Le Chemin, Vair qui glisse..., poésies.
Picard (Roger). — Les Cahiers de 1789 et les Classes ou-
vrières.
Pilon (Edmond). — Portraits tendres et pathétiques, un livre
délicieux où l'auteur de ces ravissantes Muses et
Bourgeoises de jadis évoque tour à tour la touchante
histoire de Charlotte, fille de Charles VII, et de son
époux, le sénéchal de Brézé, persécuté par Louis le
Onzième ; puis « la dame du Louvre », cette belle dame
qui traversa certain jour la Seine avec pour tout vête-
ment un masque qui lui couvrait le visage, cependant
que Charles IX et sa cour la contemplaient avec une
admiration stupéfaite; et « la Vie de M. Pomme» et
« la Seconde M""^ Danton», en des pages délicieuses,
d'un style souple et divers à l'infmi dans sa constante
et harmonieuse perfection.
Robinet de Cléry. — Les Prétentions dynastiques de la Bran-
che d^Orléans.
-^aint-Cyr (Charles de). — Matines, des vers d'une agréable
inspiration et d'une forme harmonieuse qui illustrent
les théories de l'auteur, développées au commence-
ment du livre en un « essai sur Tintensisme». L'inten-
sisme ! Après nous avoir gratifiés du mot, le poète nous
explique la chose : c'est une tendance presque non
moins vieille que la poésie elle-même. On peut le défi-
nir en indiquant que « le contraire de l'intensisme c'est
le convenu qui interpose une sorte de voile entre les
visions ou les faits et leur réalisation ». Optons donc
pour l'intensisme I
Sainte- Foy. — De saint Pierre à Pie X, « essais progressifs
de l'autorité pontificale».
Tausserat-Radel (Alexandre). — Papiers de Barthélémy,
ambassadeur de France en Suisse (1792-1797), un
ouvrage où, poursuivant l'inventaire analytique des
archives du Ministère des Affaires étrangères, l'auteur
relate les négociations relatives à la paix avec l'Es-
pagne, et à l'échange de Madame Royale, fille d-;
Louis XVI.
JUILLET
LES ROMANS
GABRIELE D'ANNUNZIO
Forse che si, Forse che no.
Montaigne eût dit: Que sais-je! et Rabelais: Peut-être!
M. Gabriele d'Annunzio s'écrie : « Peut-être bien
que oui, peut-être bien que non !. » Cette phrase do
Normand n'a rien de très lyrique en français, aussi
le traducteur a eu bien raison de la laisser en italien
sur la couverture du roman publié en français.
Forse che si, Forse che no, a, il faut l'avouer, autre-
ment d'allure et d'éclat.
Le roman où s'inscrit cette devise de doute et
d'énigme est une œuvre somptueuse, et magnifi-
que, et déconcertante. En face d'elle, le chroniqueur
JUILLET LES ROMANS 223
sent tout désemparé; les images brillantes, fré-
tiques, voluptueuses dansent dans sa tête une
rabande échevelée, et ses yeux éblouis de tant de
iinières agitées devant eux avec une folle prodi-
ilité sont désormais incapables de voir. Vais-je
dans ces conditions, essayer de vous conter cette
histoire de passion déchirante, d'inceste et de jalou-
sie, qui met aux prises Paolo Tarsis, épris éperdu-
I lient d'Isabella Inghirami, l'enchanteresse, et le
frère de cette dernière, Aldo, et ses deux sœurs
\'ana et Lunella?
Non, certes, je ne risquerai pas en une sèche ana-
lyse de trahir cette œuvre de mystère et de lumière,
qui fut si brillamment traduite par Donatela Gros,
et je me contenterai de vous dire que ce livre
apporte son épopée à notre sublime et grisante
aviation. D'Annunzio est le poète attendu des véli-
'-oles — c'est ainsi qu'il a baptisé les aéroplanes,
le nom vraiment mérite de faire fortune — celui
iii est digne de chanter toutes les forces du rêve
gonflant le cœur des terrestres, haussés vers l'As-
somption de l'Homme, l'âme immense qui franchit
!•' siècle, accélère le temps, pénètre le futur, inau-
gure l'âge nouveau, fait enfin du ciel son troisième
royaume conquis non point par l'entassement des
blocs titaniques, mais par la foudre asservie.
224 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ABEL HERMANT
Daniel.
Pour se distraire un instant de ces fameux «Mé-
moires pour servir à l'histoire de la société », où il
diffame si allègrement notre temps, M. Abel Her-
mant s'est amusé à écrire quatre petits romans
qu'il publie aujourd'hui sous le titre du premier
d'entre eux Daniel. La verve caressante et cruelle
de l'écrivain s'exerce, en ces romans, sur des « cas
psychologiques» qui pourraient être angoissants,
douloureux, mais dont il a voulu faire seulement un
exquis régal d'intelligence, pimenté pour nous par
le remords que nous éprouvons de nous être diver-
tis à ce drame d'âme qui déchire doucement le
ménage de Daniel, romancier célèbre, et dont un
enfant est le témoin innocent et muet, et si cons-
cient ! — et à cette histoire aussi de Jeanne Lecha-
pelais, une bien gentille dame au cœur bizarre qui
éprouve, au dénouement, « l'immense joie d'échan-
ger le nom de son mari, simplement notoire, contre
celui, beaucoup plus fameux, d'une victime d'a-
mour, dont elle avait failli aimer préalablement
l'assassin », — et encore à ce drame de conscience
obscur qui conduit au suicide un patriote jeune-
turc.
Ces trois histoires sont bien captivantes, mais
j'avoue ma prédilection pour la quatrième : « Les
JUILLET LES ROMANS 225
vacances de miss Elsie Chalegreen» que M. Abel
Hermant a modestement reléguée à la fin du livre :
celle-là est tout à fait exquise. L'écrivain y a mis
toute la grâce ironique de son talent, toute sa péné-
tration psychologique avec, surprise inattendue
ot délicieuse, un rien d'émotion et de tendresse :
'est l'histoire de miss Chalegreen, la longue An-
glaise rigide et sombre, sans grâce et sans âge, qui,
toute l'année, donne méthodiquement des leçons de
conversation anglaise à des élèves dont le plus élé-
.rant est le prince Fabio. Certain jour de vacances,
un miracle se produit en elle; sous de pimpants
atours, dans la splendeur d'un après-midi ensoleillé,
lie redevient une vraie femme, avec de la joie, de
la jeunesse au cœur; elle est touchée d'un fugitif
ot chaud rayon d'amour, de tendresse et d'espoir, —
pour redevenir, à la rentrée, le professeur revêche
[ai tout de même aura ce trésor inestimable : un
souvenir. M. Abel Hermant nous conte cette his-
toire dans son style d'une si rare originalité, d'une
-i précieuse perfection, qu'il s'est amusé de-ci de-là
I angliciser avec infiniment de discrétion et de goût,
• ri parlant du « splendide garçon « que retrouve miss
(ihalegreen dans la « désirable petite maison» de
IMnstead; c'est bien amusant et gracieux et émou-
vant...
220 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ANDRÉ LICHTENBERGER
Le Petit Roi.
M. André Lichtenberger aime et comprend les
enfants, il sait parler d'eux et les faire parler. Son
petit Trott et sa petite Line sont de ravissantes
figures évoquées avec infiniment de grâce, de ten-
dresse et d'intelligence ; et il en faut beaucoup à un
romancier qui n'est qu'un homme pour s'élever à la
hauteur d'un enfant ! Cette séduisante galerie s'en-
richit aujourd'hui de Michel le Petit Roi. Ce n'est
pas, comme nos amis, Trott et Line, un de ces en-
fants heureux, insouciants, dont l'âme et le cœur
s'épanouissent librement à la lumière du ciel. C'est
un pauvre petit bonhomme de roi, sur les chétivos
épaules duquel pèsent toute l'histoire de la Pan-
nonie, toutes les hérédités et les traditions de la
noble et brutale race des Kaïnof, descendants, dit-
on, de Kaïn.
Il a neuf ans. Son père est mort, et sa maman
dont il a gardé le radieux souvenir est disparue
quelque jour mystérieusement. Il préside au Con-
seil des ministres et parle de choses graves et sévè-
res, cependant qu'il aime tant, à s'entretenir de
choses futiles avec sa vieille et chère nourrice, Bar-
bara, et sa chienne colley, Nelly.
Et le contraste poignant de cette enfance et de
cette royauté est évoqué par M. A. Lichtenber-
JUILLET LES ROMANS 227
ger en des pages délicieusement émouvantes;
contraste qui n'est pas seulement extérieur, car
; ichel, avec toutes ses puérilités charmantes et pri-
iiie-sautières, avec son désir fou de pouvoir jouer
\ ec des petites filles, est tout de même déjà un roi.
.1 lorsque, venu sur la côte d'Azur pour se soigner,
il voit un jour passer dans un équipage tapageur
une belle dame qui ressemble étrangement à la
maman connue jadis, Michel crispe ses petites
mains et sent qu'il ne doit pas bouger, car il est un
nfant roi » ; et ce livre est émouvant, mélancolique
; délicieux.
JACQUES DES GACHONS
Le Chemin de Sable.
Le (( chemin de sablu », ce « raidillon qu'il faut
i uvir malgré les ronces, les pierres, les bêtes, » c'est
l'image de la vie, — il faut regarder devant soi et
monter, monter... Excellent conseil que mettent à
nrofit les deux gracieux héros du roman de M. des
ichons, François et Claire Marangel, deux jeunes
oux qui s'aiment tendrement et pour qui la vie
mnonce souriante et facile, lorsque brusquement
nive le désastre matériel qui engloutit leur foi'-
tune. Alors, François, courageusement se met au
avail; il veut que sa femme ignore le désastre et
i en supporte pas les conséquences matérielles et
228 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
il se résigne — c'est paraît-il une chose effroyable !
— à se faire journaliste.
Le récit de ses déboires, de ses mécomptes et de
ses luttes dans les bureaux de rédaction du Tout et
Tous et de V Après- Demain est très mouvementé,
très verveux, parfois très émouvant, et M. Jacques
des Gâchons nous intéresse assez à son héros pour
que nous nous réjouissions de le voir, au dénoue-
ment, sortir de ce milieu qui le désespère et mis à
même de poursuivre, en gagnant la vie de son gentil
ménage, ses beaux travaux historiques.
Tout cela est très bien; le roman est très atta-
chant et les personnages en sont fort bien campés ;
on comprendra cependant que je formule une
réserve en ce qui concerne les tableaux brossés par
M. Jacques des Gâchons des journaux modernes;
ils sont très pittoresques, mais on risquerait de se
faire une singulière idée de la presse contemporaine
si on la jugeait sur ces tableaux. Il y a peut-être à
Paris des journaux comme Tout et Tous, des feuilles
de chantage comme V Après- Demain, mais il y en a
sûrement beaucoup d'autres, très honorables, diri-
gées par de vrais gens de lettres ; et, avec un peu de
chance, François aurait pu trouver dans la « grande
presse » un emploi digne de son talent ; M. Jacques
des Gâchons serait d'ailleurs le premier à le procla-
mer, mais il n'est pas inutile, sans doute, de le dire
à certains lecteurs un peu trop enclins à croire tout
le mal qu'on leur dit des journalistes et des jour-
naux.
JUILLET LES ROMANS 229
HENRI DUVERNOIS .
La Bonne infortune.
C'est une chose bien agréable d'avoir à signaler
une œuvre, dont on peut dire, sans réticence d'au-
• iine sorte, avec une joyeuse sincérité, qu'elle est
> )ut à fait délicieuse, mais lorsque l'auteur de cette
leuvre est un écrivain dont on a eu la chance d'être
1(^ premier à saluer le début, ce plaisir se double
(l'un sentiment très particulier : on est tenté de se
rengorger, on est fier comme si l'on avait collaboré
t l'on a un petit air entendu pour dire : « Vous
liiez voir comme c'est bien ! »
C'est ce sentiment que j'éprouve au moment de
vous parler de la Bonne infortune, un roman que
M. Henri Duvernois vient de publier. Vraiment, je
iiis sous le charme, et l'écrivain dont nous espérions
tant après Nane et Crapotte, comble royalement
nos espérances. Dans ce récit des « Aventures
sentimentales d'un jeune homme pauvre», il a
renoncé à cette tristesse, à cette mélancolie que je
lui reprochais; il s'est décidé à être jeune, jeune
éperdûment, et c'est exquis. Ce n'est pas, mon
Dieu ! que la situation de Raoul Amphierney soit
particulièrement folâtre : il n'est pas gai, pour un
jeune .homme qui collectionne les aventures senti-
mentales, d'être toujours sans le sou, de consulter
14
230 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
avec angoisse la note que lui présente un maître
d'hôtel goguenard et inquiet, dans le cabinet parti-
culier où il vient de passer, avec une gentille dame,
des minutes qui eussent été exquises sans la préoc-
cupation de cette addition à venir. Il est bien en-
nuyeux aussi d'être contraint de porter au Mont-
de-Piété sa montre de communiant pour pouvoir
offrir à une autre petite personne son premier
voyage à la mer; mais tout cela n'est triste que
pour le héros de ces aventures ; pour nous, c'est pro-
digieusement amusant, d'un comique spontané et
joyeux avec une pointe d'attendrissement d'une
exquise saveur, et ce rien d'amertume qui nous em-
pêche de rire trop bruyamment, ce qui serait vul-
gaire.
C'est une bohème très particulière, très moderne,
très « rive droite», avec une Mimi qui s'appelle
Pauline et une Musette qui se nomme Ghoute, non
pas que M. Henri Duvernois ait emprunté quoi que
ce soit à Henri Murger, mais parce que Mimi et
Musette sont éternelles. Et que de figures amu-
santes : c'est le riche et ventripotent Grabisch dont
l'inéluctable destinée est d'être encore et toujours
trompé par son ami Raoul ; et c'est le cousin Marcel,
le joyeux et cascadeur miséreux, et c'est Hébé, la
riche jeune fille dont, hélas ! Raoul deviendra le
mari, car ce misérable trouve moyen de gâter (*e
joli roman en épousant raisonnablement la riche
héritière. Et c'est désolant, et la raison est, une fois
de plus, la chose la plus mélancolique et la plus
JUILLET — LES ROMANS 231
déraisonnable du monde : pour tout dire, je regrette
'^e dénouement. Mais qu'importe, nous avons fait,
vant d'y arriver, une telle provision de joie, et
nous nous sommes si délicieusement enivrés au
parfum de cette belle jeunesse qui fleurit et en-
chante toutes les pages du livre !
PIERRE VALDAGNE
Les Bons Ménages.
M. Pierre Valdagne est l'un des écrivains les plus
séduisants qui soient ; il a de l'esprit à revendre et
une rare finesse d'observation mise au service d'une
imagination heureuse, qui se renouvelle sans cesse
t qui nous a valu une foule d'œuvres charmantes
I quelques livres hors de pair. Par-dessus tout, il
st Parisien, Parisien jusqu'au bout des ongles, et
il ne l'a jamais été plus que dans son dernier roman
intitulé les Bons Ménages. Ah ! oui, ce livre est pari-
sien; il l'est dans le bon sens du mot, c'est-à-dire
(fu'il est d'une grâce pimpante, d'une verve mous-
'use et légère; il l'est aussi dans le mauvais sens :
il affiche avec un peu trop de cynisme, ce scepti-
<isme ironique qui se hâte de sourire des choses
vilaines et tristes et qui devraient faire pleurer.
Cette ironie tolérante, vous la trouvez partout dans
le livre, dès le titre : les Bons ménages. Ah ! il est
232 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
joli ce « bon ménage )) de Marcel Perrin, l'architecte,
et de sa gracieuse femme Denise, dont nous sui-
vons la fortune depuis les tristes temps des débuts
médiocres, difficiles, jusqu'à la grande réussite
finale, la richesse, la gloire dont est comblé le célè-
bre architecte Perrin.
Pour arriver aussi brillamment, il a suffi au mari
d'un peu de complaisance et de discrétion : sa
femme est allée dans le monde, elle a séduit par sa
grâce et par sa beauté le riche M. Lencloître, qui a
eu bien vite besoin d'une maison dont la construc-
tion a été confiée à Perrin; — et Martin-Glâmé,
l'architecte officiel, a été à ce point convaincu des
mérites du mari — après avoir vu la femme ! —
qu'il lui a fait décerner la plus haute récompense.
Et Marcel Perrin, caressant avantageusement sa
barbe bien soignée, sourit à sa fortune grandis-
sante, bien décidé à ignorer qu'elle soit due à autre
chose qu'à ses talents et à ses mérites. Il est parfai-
tement ignoble ce mari, si tranquillement, avec tant
d'aisance, et vraiment sa femme valait mieux
qu'une telle destinée; elle est capable, efie, d'un peu
d'amour sincère et de vraie passion, Léon Vihiers,
le poète, et Georges Estancerin, le beau lieutenant,
en savent quelque chose ; elle est capable aussi d'un
peu de douceur, d'émotion et de reconnaissance,
et pour tout dire, cette dame prodigue de sa beauté
est ce qu'il y a de plus honnête dans le bon ménage.
Tout cela est assez pénible et M. Pierre Valdagno
est de notre avis, mais il lui plaît de n'en rien faire
JUILLET — LES ROMANS 233
voir et de nous laisser le soin de conclure et de juger.
C'est encore une façon d'être moral, car notre ver-
dict n'est pas douteux et cela permet à l'écrivain
de garder jusqu'au bout son sourire amusé. Ainsi,
lo livre qui nous fait faire, après la lettre, de si
M mères réflexions, nous tient sous le charme de la
première à la dernière page.
MAX D AI RE AUX
Les premières amours d'un Inutile.
Ce livre jovial m'a causé, tout d'abord, une irri-
tation, un agacement presque insupportables ; on y
fait de l'esprit le plus niais, le plus grossièrement
facile et les propos de ses héros, le comte de Cas-
teldor, et son cousin et élève, Hector de Planta-
mour, sont empreints de ce snobisme qui est bien
la forme la plus haïssable, en même temps que la
plus élégante de la muflerie contemporaine.
J'ai l'horreur profonde de ces « inutiles» dont les
ravates, les opinions et les gilets m'exaspèrent;
.1 comme c'est en leur compagnie que M. Max Dai-
reaux m'a fait passer quelques heures, on compren-
dra de reste que j'aie commencé par lui en vouloir,
mais mon humeur s'est radoucie, lorsque l'auteur,
qui a de l'esprit, a bien voulu imposer silence à ses
trop réels fantoches et a pris la parole pour nous
'2;ri LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
conter les mésaventures de ce débutant et nous le
montrer copieusement berné par des dames du
monde et du demi-monde de ce royaume de Sno-
bie que M. Max Daireaux connaît à merveille et
dont il excelle à peindre, avec beaucoup de verve,
les mille et un ridicules.
LUCIEN-ALPHONSE DAUDET
Le Prince des Cravates.
Encore un snob, c'est le Prince des Crai^ates, que
M. Lucien-Alphonse Daudet nous présente en
liberté. Prince des cravates ! C'est la seule dignité,
le seul titre qu'ait pu conquérir l'élégant Albert
Salvage, mais il en tire une somme énorme de plai-
sir et de fatuité. Il est au suprême degré épris de son
beau physique, qui ne saurait, croit-il, rencontrer
de cruelles. Et le pis, c'est qu'il semble avoir raison
et qu'il fait toutes les conquêtes possibles, celle
notamment de la belle et charmante lady Archi-
bald, dont le mari, un noble lord, a eu le tort de
lui offrir l'hospitalité. Mais il veut pousser trop loin
ses avantages : quelques années après, il se met en
tête d'épouser la jeune fille de lord et lady Archi-
bald, — c'est d'une jolie délicatesse, comme vous
voyez ! — mais on lui apprend que Violette — ainsi
se prénomme la jeune fille — est fiancée et on ren-
JUILLET LES ROMANS 235
voie, avec quelque hauteur, notre snob à ses cra-
vates. L'anecdote légère est contée par M. Lucien-
Alphonse Daudet avec beaucoup d'agrément et de
^implicite, et son « prince» est très bien observé.
Le volume, qui débute par cette nouvelle, en
)ntient trois autres de ton très différent et d'une
Mes jolie qualité; j'ai goûté notamment, parrni
( clles-là, « Mii^ Brisacier», une très balzacienne
• vocation d'une vieille dame d'excellente famille,
! V'duite à donner des leçons de piano, et de son cou-
sin, Jacques Grandhomme, peintre de menus.
ANDRÉE BÊARN
Les Mendiants d'impossible.
^inc Andrée Béarn, qui signe ses livres d'une
interjection familière : « Hein?» a publié un bien
• iirieux roman où voisinent le plus cordialement
(lu monde, des puérilités de petite fille et des nota-
lions psychologiques d'une finesse, d'une vérité,
d'une amertume extraordinaires : ce roman s'ap-
pelle : les Mendiants d'' impossible^ et ce titre toi^t
(Tabord m'a séduit; il est d'une expressive et jolie
éloquence, et l'on ne saurait mieux caractériser
r héroïne, Noëlle, trop jeune encore pour accepter
l;i vie avec ses imperfections et ses laideurs, qui
t tend l'amour, en se méfiant de l'amoureux,
236 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Et la jeune fille, en effet, avec un candide cou-
rage s'en va à la recherche de l'idéal, à la conquête
du bonheur intégral; et elle rencontre Tristan Re-
noir, un sculpteur de grand talent; ils se compren-
nent tous deux, ils vont s'aimer, mais leurs natures
sont trop différentes : l'heureuse santé de Noëlle,
éprise de la vie, ne saurait sans doute s'accommo-
der de la fatigue de Tristan, épuisé, meurtri par les
luttes de l'art, et puisque c'est entre eux l'impos-
sible harmonie, elle renonce. Gomme elle a tort, et
quel joli couple auraient fait ces deux amoureux
intellectuels ! Mais M^^^ Andrée Béarn est impitoya-
ble, et sa psychologie impérieuse n'admet pas les
transactions et les concessions dont est faite notre
vie.
PAUL SÉBILLOT
Les Joyeuses histoires de Bretagne.
Avec les Joyeuses histoires de Bretagne^ M. Paul
Sébillot entend nous démontrer que le Breton n'est
pas ce paysan mystique, rêveur et mélancolique,
obsédé par l'appréhension du surnaturel et de l'in-
connu, dont les livres nous ont transmis l'image
traditionnelle; il est aussi facétieux à ses jours; et
de même que dans son pays on rencontre, à côté
des falaises abruptes, déchirées et chaotiques sur
lesquelles la mer semble se ruer comme à un
JUILLET LES ROMANS 237
assaut, des baies au sable fin et presque doré qui
prennent la forme quasi-circulaire des golfes d'Ita-
lie les plus réputés — de même le mélancolique
paysan breton rendrait parfois des points au plus
provençal des galéjaïres.
Ce sont ces « galéjades» d'un tour très particu-
lier que M. Paul Sébillot a recueillies dans son livre,
choisissant parmi ces contes joyeux « ceux qui plai-
sent le mieux aux paysans et aux pêcheurs, parce
qu'ils y trouvent un comique qui correspond à
leur esprit ». J'ai lu sans déplaisir ces petites his-
toires ; il y en a une grande quantité en trois cents
pages, car elles ont le mérite d'être fort courtes;
toutes ne m'ont pas paru d'un comique délirant,
mais il en est de vraiment amusantes; et puis,
l'auteur nous prévient que l'écriture ne peut rendre
la mimique des conteurs, leur accent si varié, leurs
intonations parfois si réjouissantes, et c'est, en
tout cas, ainsi qu'il l'observe judicieusement dans
i préface, un document psychologique intéressant
>iu^ les Bretons.
PIERRE VILLETARD
Les Amuseuses.
Sous ce titre : les Amuseuses^ M. Pierre Villetard
iiblie un recueil de nouvelles où sous nos yeux char-
lés défilent en une longue théorie, diverse à l'in-
238 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
fini, les petites dames qui acceptèrent la mission
d'embellir notre vie. Je n'aime pas beaucoup ce
mot d'amuseuse; il est d'une désinvolture brutale
et injurieuse, non seulement pour les femmes, mais
aussi pour les hommes, car nous ne devons pas les
croire capables de qualifier ainsi les créatures char-
mantes auxquelles ils durent ne fût-ce qu'une
minute de rêve, et d'illusion et d'amour. Le livre
vaut d'ailleurs singulièrement mieux que son titre ;
il contient des pages délicieuses et très dignes de
l'écrivain charmant à qui nous sommes redevables
de Monsieur et Madame Bille et de la Montagne
d'amour.
M. Pierre Villetard noua y raconte rapidement de
petites histoires dont les héroïnes sont tour à tour
des «cœurs tendres», 'des «ingénues» et des «demi-
perverses», et ces histoires sont jolies vraiment;
elles témoignent d'un culte attendri, même lors-
qu'il est trop clairvoyant, pour l'éternel féminin,
et la touchante Titine, qui amusa quelques jours
l'avantageux clerc de notaire en lui donnant tout
son amour et toute sa vie, et Rose Mireuil, la petite
ouvrière emmenée jadis en un beau voyage par son
amoureux et qui laissa les joies de l'amour pour les
profits de la fête, et Jiska le ravissant modèle,
r« ondine » fugitive, sont de séduisantes figures de
femmes délicatement observées; ces « amuseuses»
sont des femmes qui souffrent souvent, et qui par-
fois aussi s'entendent à faire souffrir ceux qui vou-
lurent s'amuser d'elles.
JUILLET LES ROMANS 239
LOUIS DELZONS
Le Meilleur Amour.
M. Louis Delzons, dont j'ai goûté beaucoup les
fT^uvres précédentes, l'Affaire Nell notamment cou-
•nnée par l'Académie française, et les Mascran^
1 firme dans son nouveau roman, le Meilleur amour ^
s très intéressantes qualités de conteur. M. Louis
uelzons est un de ces romanciers qui ont le don de
la vie, qui savent, dès le début d'un livre, s'esquiver
à l'anglaise et laisser toute la place à leurs person-
nages : ces derniers désormais agissent, pensent et
souffrent devant le lecteur, sans intermédiaire. Le
lecteur aime infiniment cette manière : le roman
le passionne et l'enveloppe tout entier, à tel point
qu'il croit y jouer son rôle et est tenté de discuter
parfois avec les personnages.
« Le meilleur amour», c'est celui qui ramène le
docteur Bideau, un praticien distingué, vers la
[)otite fille Nine, qu'il eut jadis au pays, de Fran-
oise, une jeune blanchisseuse; il s'était conduit le
plus honnêtement du monde avec sa jeune mai-
tresse, avait assuré son avenir et celui de son
afant ; puis, les années ayant passé, songeait à un
très bourgeois et très honorable mariage.
Brusquement, le hasard l'a remis en préseucf
de Françoise, devenue la maîtresse de son meilleur
ami, et de sa fille déjà grandelette; alors, la fibre
240 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
paternelle a vibré, il a compris qu'il avait d'autres
devoirs que les obligations matérielles envers sa
petite fille, il n'a plus songé à son mariage et il s'est
mis, avec l'autorisation de son ami Meruel, à voir
assidûment son enfant. Mais Françoise prend peur :
elle se dit qu'un père si tendre doit avoir quelque
jour la tentation de reprendre sa fille, et elle veut
s'enfuir avec elle; mais Bideau, prévenu, enlève
la petite Nine et la confie à Geneviève Armiel,
l'exquise femme d'un de ses confrères sans enfant.
Alors le drame éclate : Françoise, indignée, veut
reprendre son enfant et sa colère aveugle accuse
tout le monde de son malheur, jusqu'à l'innocent
Meruel qui tente de se suicider; cette catastrophe
ouvre les yeux de Françoise, elle soigne avec un
dévouement infini son pauvre ami, qui l'épousera,
et, après un entretien pathétique avec Geneviève,
elle renonce définitivement à la petite Nine, à
laquelle désormais son père pourra sans gêne ni
difficulté d'aucune sorte consacrer « le meilleur
amour ».
C'est un roman très émouvant, mais je souhaite
que ce ne soit pas une thèse, car je n'hésiterais pas
alors à enfourcher mes grands chevaux pour dire
tout le mépris que m'inspire la conduite de ce
héros de l'amour paternel qui brise aussi délibéré-
ment le cœur d'une mère ! L'intérêt de l'enfant est
sacré, c'est bien évident, mais l'amour de la mère
aussi, et avouons qu'ils sont par bonheur générale-
ment solidaires, surtout lorsque la mère est irré-
JUILLET LES ROMANS 241
prochable et que son seul crime est d'être une blan-
chisseuse qu'un bourgeois n'épouse pas.
MAURICE LEBLANC
813.
813 ! Ces trois chiffres, tracés d'une main qui ne
semble pas très ferme, où l'encre a fait des bavures,
vous ont, dès l'abord, un petit air cabalistique et
mystérieux et on a le sentiment que le livre sur
lequel ils s'étalent doit être plein de choses terri-
bles et troublantes : c'est l'énigme qui commence
dès le titre, ce sont les « Nouvelles Aventures d'Ar-
sène Lupin ».
Et oui ! fidèle au rendez-vous que nous lui avions
'lonné l'été dernier, ce gentleman cambrioleur est
vvenu parmi nous à la veille des vacances, qui eus-
>ent été incomplètes et moroses sans ses exploits.
' .ar toute la jeunesse de France exige désormais
on Arsène Lupin annuel; elle l'attend de M. Mau-
rice Leblanc, dont elle a fait son romancier favori ;
f, chose admirable, ce dernier n'est pas inférieur
a cette tâche écrasante qu'on lui impose, de donner
toujours une suite, et toujours plus étonnante, à
s aventures dont la première avait paru la plus
étonnante du monde.
Cette fois encore il a gagné la gageure. Son pro-
15
242 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
digieux héros qui, dans ces cinq cents pages, est tour
à tour policier, prince allemand, prisonnier d'Etat,
diplomate in partibus, nous apparaît plus inventif,
plus jeune, plus étourdissant que jamais. Quant à
vous conter ces histoires, je ne m'y risquerais point,
il faut pour cela cette verve intarissable, cette
force de logique surprenante dont M. Maurice
Leblanc a le secret. Qu'il vous suffise donc d'appren-
dre que ce roman vous réserve beaucoup d'amu-
sement et de surprises à sensation; pour le reste,
allez-y voir, c'est le meilleur conseil que je puisse
vous donner : vous y trouverez des raisons nouvel-
les d'aimer notre filou national et, lorsque vous
assisterez, au dénouement du livre, à son départ
pour la légion étrangère, au Maroc, vous éprouverez
comme lui, sans doute, un patriotique émoi et
vous songerez aussi que l'an prochain à pareille
date nous aurons le récit des aventures d'Arsène
Lupin au Maroc. Heureuse perspective !
ARNOULD GALOPIN
La Ténébreuse affaire de Green Park.
Les « romans mystérieux » obtiennent auprès des
amateurs d'émotions fortes un trop vif succès pour
que les éditeurs songent à ralentir leur fructueuse
publication, et presque chaque semaine, ils nous
JUILLET LES ROMANS 243
oumettent à une nouvelle et dramatique épreuve.
lare aux accidents cardiaques ! Voici aujour-
d'hui, la Ténébreuse aifaire de Green Park évoquée
par M. Arnould Galopin en un formidable roman
(»ù nous assistons à l'assassinat de Ugo Ghancer,
- la découverte émouvante de son assassin par
lin policier du nom de Dickson. Ce policier doué
l'un flair inouï trouve moyen, après d'étonnantes
'éripéties, d'établir que l'assassin n'est autre
({ue le millionnaire Grawford, lequel a astucieuse-
ment installé dans son lit un mannequin fabriqué
;i son image, cependant que lui-même « travaille »
Il dehors.
MICHEL CORDAY
Le Charme.
Le Charme ! Un bien joli mot que nous aimons à
prononcer, un peu à tort et à travers, et sans penser
({u'il exprime une chose terrible, car le charme est
un pouvoir surnaturel dont usent les magiciens et
■s enchanteurs pour ensorceler et mettre à mal
•arfois les pauvres mortels. Et quand nous disons,
Il contemplant une femme charmante : « elle a
<lu charme», nous en faisons simplement une dan-
"•■reuse magicienne. En quoi nous n'avons pas
I ' »H . mais nous ne nous en doutons pas.
Le Charme», dont M. Michel Corday parle
244 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
dans son roman, celui qui enchaîne délicieusement
Daniel Arnaud aux pieds de Renée Carignan, est
bien la terrible chose dont je vous parlais; il enve-
loppe Daniel, il l'étreint, et il met à néant la
volonté du pauvre amoureux qui voudrait bien ne
pas abandonner la bonne et fidèle Françoise, qui
fait pour rester auprès d'elle, fidèle à son devoir,
les plus loyaux efforts, mais qui est bien content au
dénouement d'avouer sa défaite ;' heureuse défaite,
qui le jette dans les bras d'une épouse gracieuse
et belle et deux fois aimée, car elle ressemble prodi-
gieusement à sa mère, chérie autrefois par Daniel...
Mais pourquoi vais-je tenter de vous raconter ce
roman ! Du moins je tenais à vous dire que M. Mi-
chel Gorday a su nous intéresser aux péripéties
sentimentales de cette lutte d'un homme contre le
« charme», bien que, dès le début, nous n'ayons
pas eu l'bmbre d'un doute sur l'issue de cette lutte.
FÉLIX GALIPAUX
Plus que jamais des galipettes.
Notre ami Félix Galipaux est pour nous plein de
sollicitude : nous voyant, à la veille des vacances ^
persécutés par le vent, la froidure et la pluie inces-
sants, il s'est dit : « A défaut de beau temps, que
ces pauvres gens emportent du moins un peu de
JUILLET — LES ROMANS 245
gaieté en vacances.» Et cet humoriste à la verve
intarissable, qui nous avait dotés déjà des « Gali-
pettes», de « Encore des galipettes», de « Toujours
'les galipettes», de « Rien que des galipettes», nous
)rrre aujourd'hui, — de plus en plus fort ! — Plus
que jamais des galipettes.
Ce volume,' sur la couverture de qui, heureux
présage, sourit et grimace la figure de notre comi-
que, est fort amusant; en lisant ces facétieuses his-
toires, qui portent si nettement la marque Gali-
paux, on s'imagine qu'on les entend débiter par la
voix de notre merle national, au cristal joyeusement
raillé. C'est une illusion bien agréable et il est beau
(ie rêver, en achetant pour quelque monnaie un
volume dans une gare, qu'on est je ne sais quel
nabab fabuleux, qui emporte pour sa distraction,
Galipaux en voyage.
ANDRÉ COUVREUR
Une invasion de Macrobes.
M. André Couvreur, dont j'ai tant apprécié les
l)eaux livres sur «la famille»: la Force du Sang^ la
Graine, le Fruit, romans d'une intense réalité basés
sur les données de la science, vient de publier une
œuvre tout à fait différente bien qu'elle soit sortie,
plie aussi, de laboratoires. Ce roman s'appelle Une
invasion de Macrobes, et c'est une fantastique et
246 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
formidable histoire, si formidable même qu'on ne
songe plus à en frémir.
Voici : Tornada est un savant original qui a posé
sa candidature à l'Académie des sciences et lui a
offert un mémoire sur « les développements anor-
maux des êtres favorisés par les milieux de culture )>.
Ce mémoire a semblé comique aux savants et Tor-
nada, furieux et ulcéré de cette déconvenue, a juré
de se venger de la façon la plus éclatante : tout sim-
plement en créant les êtres anormaux dont parlait
son mémoire. Comme les savants de l'Institut Pas-
teur cultivent les microbes, il s'est mis à cultiver les
macrobes : des êtres terribles et gigantesques qui
pullulent formidablement, franchissent les fleuves
et les font déborder, dévorent en moins de rien
des armées d'êtres humains, font écrouler les mai-
sons.
Et il a lancé sur Paris affolé, cette armée de
monstres, munis d'une effroyable trompe, revêtus
d'une carapace qui se joue des obus à la méhnite.
Ils ne vont faire qu'une bouchée de la grand'ville,
et déjà ils ont dévoré des milliers d'habitants et
anéanti des centaines de maisons; heureusement
la gentille Suzanne Vernet, la fdle du savant qui,
seul, soutint la cause de Tornada, trouve moyen,
après quelques jours de fuite éperdue dans les
égouts en compagnie de son fiancé, d'attendrir
l'homme terrible, créateur des monstres; il lui fait
connaître le moyen de les détruire et il s'anéantit
lui-même.
JUILLET — LES ROMANS 247
On jugera peut-être que, pour un échec à TAca-
démie, c'est un peu gros comme vengeance ! Le
livre est d'ailleurs tout à fait intéressant avec son
mélange de science précise et d'imagination déré-
glée, et il passionnera la foule des jeunes gens à qui
fut ravie l'aimable verve de Jules Verne.
BLANCHE SAHUQUÉ
L'Amour découronné.
Les amoureux qui recherchent des satisfactions
un peu positives ne seront pas contents, sans
doute, du très curieux et remarquable roman que
Mme Blanche Sahuqué, a publié sous le titre VA-
moiir découronné. En effet, l'amour, dans ce roman,
apparaît « découronné » justement le jour, où, selon
la formule, la flamme de l'amoureux fut couronnée.
Conclusion qui s'impose après la lecture de la der-
nière lettre de Nadine Evrart, la grande artiste
du Théâtre-Français, à son ami, Claude Morin,
dont elle a découvert une basse intrigue ancillaire
au moment où, sur ses supplications et malgré le
désir qu'elle avait de rester dans le bleu platonique
d'un amour idéal, elle vient de se donner à lui. Ils
avaient échangé des lettres délicieuses — car c'est
un roman par lettres — où la grande artiste disait
son amour de l'idée pure et de la beauté sereine, où
248 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
son ami lui répondait en exaltant la joie de vivre
et d'aimer humainement.
Et c'est elle qui avait raison, puisque, le rêve à
peine réalisé, un geste brutal de l'homme a tout
brisé, et chacun regagne son domaine : lui, rentre
dans la vie pour goûter aux fruits écœurants ou
amers dont la saveur ne lui donne pas, comme à
elle, la nausée ; elle, dans le monde enchanté pour
lequel, seul, elle est faite : le monde de l'imagina-
tion où les ailes d'or de la chimère, d'un battement
éperdu, vous ouvrent le ciel mystérieux des rêves.
Ce livre est dédié « aux femmes qui cherchent
dans la carrière théâtrale la réalisation d'un haut
idéal d'art et l'affranchissement des douleurs de la
vie et d'elles-mêmes». Je ne doute pas qu'elles
acceptent l'hommage avec empressement, car l'au-
leur leur a vraiment réservé le beau rôle, et les a
peut-être même un peu bien idéalisées en la per-
sonne de Nadine, cependant que l'homme apparaît
assez piteux, avec, dans son cœur un libertin qui
sommeille vraiment bien légèrement; mais le livre
est écrit dans une si jolie langue, avec de si belles
images, que nous aurions mauvaise grâce à nous
fâcher...
LES ROMANS 249
ANDRÉ DODERET
Le Triomphe d'Armide.
Ce roman est un hymne fervent à la beauté de la
femme, à celle de la nature. Daniel Aubry, le héros
'\\i livre, a foi dans la toute-puissance de la beauté,
t c'est à elle qu'il s'en remet du soin de déjouer les
terribles projets de son ami Valbonne qui doit tuer
un roi; et en effet il réussit à désarmer le régicide
en l'enveloppant de splendeur et de beauté, mais
il est victime lui-même de sa généreuse entreprise et
il est tué par les régicides lancés à la poursuite de
Valbonne, qui fut déclaré traître à sa cause.
Je vous ai conté ce roman de façon bien som-
maire, sans même évoquer la ravissante figure de la
reine, qui le domine pourtant tout entier, mais, je
le répète, l'essentiel du roman c'est cette exalta-
tion de la beauté dans l'univers, et d'un point de
l'univers admirable entre tous : les bords du lac de
Côme « dont les montagnes sont si belles dans la
' ouleur rose qu'elles ont à la tombée du jour,
cachées un peu sous un manteau de velours éme-
raude», cadre de joie idéal pour le triomphe de
l'enchanteresse dans le suave parfum des verveines
et des héliotropes.
15.
250 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
LÉONCE DE LARMANDIE
Amour servile.
Amour servile nous dit avec mépris M. Léonce de
Larmandie en nous parlant de l'aventure amou-
reuse qui jeta la comtesse de Mauves dans les bras
de Léon Fage, son jeune intendant. Cet amour n'a
pourtant rien de criminel; la comtesse est veuve et
libre : elle eut, en effet, certain matin, la tragique
surprise de se réveiller auprès de son mari mort.
Léon Fage, l'heureux intendant, est un paysan
dégrossi que cette aventure enchante; pourtant, il
a des scrupules : il demande conseil au Frère Poly-
carpien qui l'engage vivement à pousser jusqu'au
bout ses avantages et à épouser la comtesse, et au
bon curé des Brèches-Noires, l'abbé Calmet, qui
le supplie de renoncer à cet amour et de rester
fidèle aux lois de l'humilité.
C'est, vous le pensez bien, la vanité qui triomphe
et Léon épouse la comtesse; mais cette dernière
comprend un peu tard tout ce qu'il y a de dégra-
dant pour elle dans une pareille union, et, incapable
de supporter sa honte, elle se suicide. Telle est
l'aventure que M. Léonce de Larmandie nous conte
avec beaucoup de conviction et une communicative
émotion en un roman par lettres.
HISTOIRE, LITTERATURE, POLITIQUE,
POESIE, DIVERS
PHILIPPE MILLET
La Grise Anglaise.
La Crise anglaise est une grave histoire, et la
mort du roi Edouard Vil, bien qu'elle Tait apai-
sée en apparence, ne saurait l'avoir dénouée. L'au-
teur a voulu, nous dit-il, « atteindre les sentiments
et les intérêts qui régissent, en dernière analyse, les
événements qui se dérobent d'ordinaire derrière
la façade des discours officiels. Pour y parvenir, il a
cherché à deviner quelque chose de ce- que pen-
sent les électeurs anglais, puis il a étudié dans leurs
grandes lignes les trois ou quatre questions dont
l'enchevêtrement forme le nœud du drame.
Il y a ainsi deux parties très distinctes dans sofi
252 LK MOUVEMENT LITTÉRAIRE
livre: la première — observations pittoresques,
notes de psychologie sur les électeurs et les élec-
tions — est tout à fait amusante et attrayante ; la
seconde, de documentation très sérieuse et très
forte, où sont étudiées à fond les grandes questions
de la réforme constitutionnelle, du problème finan-
cier, de la terre, du libre échange.
VICTOR BÉRARD
Les Révolutions de la Perse.
Bien plus compliquées encore que la crise an-
glaise, les Résolutions de la Perse^ auxquelles nous
avons assisté depuis l'an 1906, sont pour nous tout
à fait incompréhensibles, c'est le plus inextricable
des imbroglios. M. Victor Bérard essaye de le
démêler et tout d'abord il nous expose cette série
de révolutions et de contre-révolutions dont la
rapide chronologie est tout à fait déconcertante
et que les livres des diplomates n'ont guère contri-
bué à nous faire comprendre.
C'est chez Pierre Loti et chez Gobineau que
M. Victor Bérard a cherché des directions : Pierre
Loti, dont Vers Ispahan, lui découvre la haute,
la vraie Perse, celle des altitudes et des déserts,
dans la pureté de l'air; Gobineau, dont les Trois
ans en Asie et les Religions et philosophies de VAsie
1 — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 253
ntrale sont si précieux et si compréhensibles.
A la lumière de ces deux phares, il lui a semblé
qu'on pouvait discerner quelque direction dans les
sautes et renverses de cette tempête persane, et en
quatre chapitres lumineux l'auteur nous raconte
l'histoire de l'Iran et des Rois des Rois, la géogra-
phie politique et économique de l'empire des Kad-
jars et explique la crise présente : la révolution.
I
MAURICE DE WALEFFE
Héloïse amante et dupe d'Abélard.
Pages d'histoire : Dans la précieuse et aimable
(ollection «les Femmes illustres», M, Maurice de
W'aleffe consacre à Héloïse amante et dupe d'Ahé-
Lurd, un bien curieux volume. Il se flatte que ce sera
la fin d'une légende». Je n'en suis pas si sûr, car
< l'tte légende a la vie dure; mais, certes, elle passe
lin mauvais quart d'heure dans son livre, et il la
Ixtuscule avec allégresse, pas tout entière heureu-
sement, car Héloïse reste la belle et touchante, et
magnifique amante que tant de générations vénè-
rent et chérirent; mais Abélard, quel vil séduc-
!• ur, quel odieux personnage, combien sa conduite
lut infâme envers la tendre jeune fille, et son brave
et digne homme d'oncle — ou plutôt de père —
Fulbert!
254 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Emporté par son ressentiment contre Abélard,
M. de Waleffe n'est pas éloigné de juger comme une
peccadille l'agression dont il fut victime; il paraît
qu'on aurait pu lui faire des choses bien plus désa-
gréables et bien plus terribles. Ce n'était pourtant
pas mal déjà comme vengeance, mais Abélard
était, selon M. de Walefîe, digne du plus terrible
châtiment. Cœur sec, égoïste, féroce, Abélard ne
fut même pas, paraît-il, la haute intelligence que
nous nous plaisons àadmirer ; un cuistre, un pédant,
pas autre chose.
Le plus curieux, c'est que tout cela M. de Wa-
lefîe l'a découvert dans les mêmes documents et
les mêmes lettres qui servirent si longtemps à la
gloire du fondateur du Paraclet; affaire d'interpré-
tation ! Celle de M. de Walefîe a le mérite d'être
inattendue, elle est d'ailleurs basée sur la plus
sérieuse et la plus consciencieuse étude; en outre,
le livre est amusant au possible, vivant et roma-
nesque. Soyez sûr, d'ailleurs, qu'il n'empêchera pas
le pèlerinage traditionnel des amoureux fervents
vers le tombeau des éternels amants, ils continue-
ront à écrire dévotement leur prénom sur cette
tombe où reposent côte à côte Abélard et Héloïse,
laquelle, moins sévère — ou moins clairvoyante ! —
que M. de Walefîe, clama son amour jusqu'à la
mort.
JUILLET — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 255
VICOMTE E.-M. DE VOGUE
Les Routes.
Pour la dernière fois, hélas ! j'ai à signaler un
livre nouveau du vicomte E.-M. de Vogué, le noble
écrivain qui fut ravi, il y a quelques, mois, aux
Lettres françaises. Ce livre, si lumineusement ana-
lysé par M. Guglielmo Ferréro, est, conformément
à une indication laissée par M. de Vogué, intitulé
les Routes^ ces « routes inconnues qui mènent vers
les larges échappées du ciel, vers les grands fonds
d'histoire, partout où il y a chance de perdre terre,
de déployer ses ailes, de s'envoler dans l'au delà ».
Et nous avons relu avec émotion tant de belles
pages que le Figaro a eu le grand honneur de pu-
blier, telle cette magnifique évocation des journées
d'aviation de Bétheny, « Le sacre de Reims» et ce
tableau émouvant de la crise méridionale d'il y a
deux ans, avec la pittoresque figure de Marcellin
Albert. Que d'autres encore !
Ainsi que le dit M. le comte d'Haussonville dans
la belle et éloquente préface où il trace de l'écrivain
et de l'ami disparu le plus émouvant portrait, « on
voit à merveille dans ce livre avec quelle agilité ce
brillant esprit passait sans effort, à un mois, par-
fois à une semaine de distance, d'un lieu, d'un
sujet, d'un personnage àunautre: d'Eléphantineà
Reims, de Karnak à Saint-Pétersbourg, de la crise
256 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
viticole à l'expansion coloniale, de Brunetière à
Gallifîet, de Marcellin Albert à d'^Erenthal. »
LEON TOLSTOÏ
La JLoi de l'amour et la Loi de la violence.
(Traduit par Halphkine-Kaminsky).
Les Opinions émises par M. Paul Bourget à pro"
pos de sa pièce, la Barricade, n'ont point été du
goût de Tolstoï, il le dit dans quelques lignes limi-
naires qui précèdent l'édition française de son livre,
la Loi de V amour et la Loi de la violence, que M. Hal-
périne-Kaminsky a traduit. Tolstoï préconise la
loi de l'amour mais il le dit avec une rare violence,
une violence telle, notamment contre la religion
catholique, qu'il est bien difficile à la sage et paci-
fique Petite Chronique d'analyser plus avant ces
pages de polémique. D'ailleurs, on ne voit pas bien
ce qui pourrait sortir d'une discussion entre M. Paul
Çourget et Tolstoï : le premier constate des faits
et examine la conduite à tenir dans la lutte des
classes qui se poursuit sauvagement ; le second
nous parle avec une éloquence enflammée de la
société idéale qu'il appelle de tous ses vœux, celle
où il n'y aura pas de lutte de classe, celle où régnera
la loi de l'amour.
JUILLET HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 257
STANISLAS MEUNIER
Les Convulsions de l'écorce terrestre.
« La terre tremble ! » Chaque fois que dans des
journaux nous lisons cette manchette à sensation
— et Dieu sait si en ces dernières années ils ont eu
Toccasion de la sortir ! — nous nous tournons avec
inquiétude vers les savants. Nous souhaitons
qu'ayant soudé le mystère de ces choses, ils nous
• xpliquent et nous rassurent. Seulement, pour l'ordi-
naire, nous ne comprenons rien à leurs explica-
( ions, bourrées de termes abstraits et de mots tech-
niques aux effroyables consonances. Aussi, est-ce
nue joie rare d'entendre, sur de telles questions,
la parole si claire de M. Stanislas Meunier.
M. Stanislas Meunier est un géologue de très
grande autorité, un savant incontesté, et, chose
admirable, il se donne le luxe d'être clair, précis,
de se faire comprendre par les auditeurs les moins
.1 vertis; il est intéressant et passionnant — je n'ose
pas dire qu'il est amusant, mais je le pense. Et le
livre qu'il vient de publier sur les Convulsions de
Vécorce terrestre est, avec son ordonnance très scien-
tifique, ses graphiques et ses schémas, du plus pal-
pitant, du plus Vivant intérêt; c'est tout le drame
de la ^croûte terrestre, drame pathétique — car
notre sort dépend de sa solidité — raconté et
258 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
expliqué d'après les théories si séduisantes et si
curieuses de l'école activiste.
ALFRED LENOIR
Anthalogie d'art « Sculpture, Peinture ».
L'Anthologie de M. Lenoir est un recueil d'ima-
ges d'art d'une rare richesse: plus de deux cents
reproductions des chefs-d'œuvre de l'Orient, de la
Grèce, de Rome, du Moyen âge, de la Renaissance,
des xvii^ et xviii® siècles et de l'époque con-
temporaine. L'auteur a réuni là un choix d'oeuvres
belles et expressives, dont le simple groupement
présente une vue de l'évolution de la sculpture
et de la peinture au cours des siècles. « Un pareil
choix, nous dit-il, implique nécessairement une
part de goût et de jugement personnels; cepen-
dant, l'auteur s'est attaché à quelques principes
assez simples : il a voulu caractériser une épo-
que plutôt qu'une école, un style plutôt qu'un
artiste ». Je ne suis pas un assez grand clerc en la
matière, pour vous dire si M. Lenoir a rempli son
programme : je me suis contenté, pour mon compte,
de regarder sans songer à m'instruire, ces belles
images où les chefs-d'œuvre les plus célèbres voisi-
nent avec de belles œuvres moins connues, et mes
yeux en ont été réjouis.
JUILLET HISTOIRE, LITTERATURE, POLITIQUE, ETC. 259
PAUL OLIVIER
Chansons de métiers.
Dans ce livre bien séduisant, M. Paul Olivier a
recueilli avec patience et tendresse les Chansons de
métiers ; toutes ces chansons naïves, pittoresques ou
émouvantes, que chantent les nourrices en berçant
leur petit, les soldats le long de l'étape, les marins
• ntre le ciel et l'eau et les laboureurs et les villa-
geois, et les moines, et les rémouleurs, les chemi-
neaux, les mendiants, les terrassiers, les typogra-
phes, les dentellières, les camelots, les marchands
(le quatre saisons, que sais-je encore.
Toutes ces mélodies populaires qui réveillent en
nos cœurs des souvenirs et des émotions, M. Samuel
Rousseau les a notées; j'ai lu leurs paroles naïves
soigneusement distribuées sous des portées de musi-
que. Et, bien que je sois un profane et que je ne
-ache pas lire la musique, j'ai éprouvé un bien grand
plaisir en feuilletant ce livre, à revoir ces jolies
chansons que M. Paul Olivier a « revêtues dévote-
inent de leurs robes d'autrefois, fleuries de marjo-
laine, et conviées à venir papillonner trois petits
tours encore, non plu» au clair de lune, mais dans le
pimpant carré de soleil qui, grâce à la complai-
sance de son aimable éditeur, rit, en gaie bienvenue,
à la première marche de rr^ livre ».
260 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
MÉMENTO DU MOIS DE JUILLET
ROMANS
Berton (Claude). — La Marche à V Etoile.
Chevalier (Emile). — Les Pieds noirs.
Couprine (A.). — Et Salomon aima..., un très curieux roman
russe, traduit par le comte R. Kapnist.
Gérard (Madeleine). — L'Educatrice, un bien gracieux
recueil de contes et de nouvelles.
Méténier (Oscar). — Les Méprises du Cœur.
Meunier {M.^^ Stanislas). — Le Désir.
O'Connor (Patrice). — Les Femmes et M. de Juriens.
Quiller Couch. — Le Rocher du Mort, un roman anglais dont
la traduction française paraît dans la collection : « Les
Romans mystérieux.» Et c'est effrayant, en effet,
ce qu'il s'accumule de mystères et de crimes autour du
trésor fantastique, du rubis prodigieux caché dans
« le rocher du mort».
Salés (Pierre). — La Jolie Midinette, un roman où l'auteur
a généreusement et habilement réuni les plus drama-
tiques et les plus feuilletonnesques émotions.
Solovioff (W.-S.). — Les Mages, un roman occulte traduit
du russe par M. Maurice Luquet.
Sudermann (Hermann). — Le Cantique des Cantiques, tra-
duit de l'allemand par MM. Rémon et Valentin.
Testard (Maurice). — Masques de verre, scènes dialoguées.
Villetard (Pierre). — Les Amuseuses.
Viouly. — Le Rêve et la Vie.
Wœstyn. — M. Pinçon, policier. M. Maurice Leblanc avait
fait déjà beaucoup pour notre amour-propre national
en nous dotant avec Arsène Lupin d'un bandit bien
français, et tel qu'a ils n'en ont pas en Angleterre»,
MEMENTO DU MOIS DE JUILLET 261
eux qui possèdent Sherlock Holmes. Grâce à M. Wœs-
tyn, nous n'avons désormais plus rien à envier à nos
cordiaux voisins. Il y a dans ce livre des aventures
prestigieuses, des captures admirables, des traits d'au-
dace et de flair inouïs, et M. Pinçon est vraiment un
grand homme.
Zemlak (Semène). — Sous le Knout.
HISTOIRE — LITTÉRATURE — THEATRE
POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Adam (Paul). — Le Malaise du monde latin. M. Paul Adam,
grand remueur d'idées, a promené sa curiosité labo-
rieuse et fervente à travers beaucoup de pays. Il a étu-
dié passionnément maints problèmes : de ses voyages
et de ses études il a rapporté, entre autres, cette im-
pression que le monde latin est terriblement opprimé,
abaissé par l'hégémonie germanique. Cette impression
obsédante et tyrannique lui a suggéré ce titre, le Ma-
laise du inonde latin, pour son nouveau livre où les
questions les plus diverses qui préoccupent le monde
moderne, sont traitées en des pages profondes et
fortes avec, dans le premier chapitre, une évocation
du dieu de Corcyre, une vision de l'Empereur allemand
installant sur la Méditerranée le prestige du Teuton et
« faisant flotter au-dessus de l'Achilleïon le pavillon
jaune et noir avec la date de 1870 proclamant notre
déchéance, cause de ce triomphe sur la planète en
malaise ».
Arjuzon (Comtesse d'). — La Jeunesse de Chateaubriand,
« racontée par lui-même».
Baldensperger (F.). — Etudes d'histoire littéraire, 2^ série.
Barracand (Léon). — Le vieux Dauphiné, évoqué en de
jolies pages pittoresques et émues, le Vieux Dauphiné,
dans cette précieuse « Collection des écrivains régio-
naux : « Les Pays de France » qui, en exaltant, volume
262 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
par volume, toutes les « petites patries « de notre pays,
finira par constituer un monument superbe de la
grande patrie une et indivisible.
Beaunier (André). — Les Limites du cœur, la ravissante
comédie que M. André Beaunier vient de faire repré-
senter avec un brillant succès à la Comédie-Française,
où il y a tant de grâce, de mélancolie et de sagesse
exprimé en une si jolie langue.
Benetti (Pascal). -— Les Orgueils, poèmes.
Billot (Augustin). — Les Corsaires patriotes (1793-1798).
Bois (Jules). — L'Humanité divine, un recueil de poèmes
qui s'orne à son frontispice d'un beau sonnet de
M. Paul Bourget et dont l'auteur nous explique le titre
dans une préface éloquente où il nous dit : « Si l'huma-
nité n'était pas divine, et si la divinité n'était pas
humaine, nous tomberions dans le plus dangereux
mysticisme ou dans la matérialisme le plus abject.
L'humanité décapitée du divin ne vaut pas la peine
d'être chantée, elle n'est qu'un spectacle souvent, vil
et presque toujours attristant.» Et il est heureux
qu'elle vaille la peine d'être chantée, puisque M. Jules
Bois lui à consacré ces vers où il est resté, on ne sau-
rait trop l'en louer, « fidèle aux règles sévères de la
prosodie».
Bordeaux (Albert). — Le Mexique et ses mines d'argent. « On
ne trouvera peut-être, dit l'auteur, que peu de nou-
veauté descriptive dans ce voyage au Mexique, mais
j'ai cherché l'intérêt scientifique des vieilles mines
d'argent et de leur exploitation; je me suis intéressé
aux Indiens qui les ont creusées, qui ont eu une
ancienne civilisation et qui forment encore le tiers de la
population mexicaine. » Le volume, illustré d'intéres-
santes photographies, se termine par la description
rapide de l'ancien Mexique.
Bovet (M me Marie-Anne de). — Cracovie, une étude pubhée
dans la collection « Les Villes d'Art célèbres».
Bradley. — Le Canada, « empire des bois et des blés », un
volume illustré suivi de nombreuses photographies et
adapté de l'anglais, par M. Georges Feuilloy.
Gabaton (Antoir^e). — Les Indes néerlandaises, un savant
MEMENTO DU MOIS DE JUILLET 263
livre sur ce pays dont l'aspect, les races et les mœurs
sont si mal connus chez nous,
lin (Georges). — Les Pierres de Paris, des pages d'histoire
attrayante et pittoresque écrites par un érudit qui a
pénétré le secret des maisons et des pierres de Paris,
(pus (Alfred). — Théâtre eomplet, le deuxième volume où
figurent la triomphante Veiîie et Les Petites Folles et
La Bourse ou la Vie.
< liantre (Ami). — Vaine Jeunesse, poésie.
( Jiardenel (V.-B.). — Pitiés et Révoltes, des vers harmonieux.
ClifTord Barney (Natalie). — Eparpillenients, un recueil
d'ingénieuses pensées,
'•uzot (Henri). — Philibert Delornie, une somptueuse
monographie qui vient enrichir cette belle et précieuse
collection : « les Maîtres de l'art. »
• uaud (Camille). — Le Retour de Vile d'Elbe.
ppée (François). — Les Souvenirs d'un Parisien, un livre
gracieux où le vieux Parisien qu'était François Cop-
pée s'est amusé à la résurrection de tant de choses
disparues.
astre (François). — A travers V Argentine moderne.
• mer (Lord). — Impérialisme ancien et moderne, ivdi&wïi
et préfacé par le vicomte Guy de Robien.
iiiéo d'Ornano (Lieutenant-colonel). — Mes Etapes, la
guerre, la Commune, la réorganisation de l'armée.
l 'asté (Louis). — Marie- Antoinette et le complot maçonnique,
une étude sur la « véritable cause de la chute de la
monarchie et de la mort de Marie-Antoinette».
I "auzat (Albert). — La Suisse moderne, un remarquable
'•uvrage très documenté et très pensé sur cette Suisse
• |ui nous donne un si bel exemple de ce que peuvent
la volonté et l'énergie mises au service de la plus belle
(les causes : celle de la Uberté et de la patrie.
I «t'iplanque (Albert). — Fénelon et ses amis.
' ' rrécagaix (Général). — Nos Campagnes au fierai (1797-
1799-1805-1800).
iMibois (Marcel). — La Crise maritime, un très sérieux «•(.
très vivant volume « préface, nous dit l'auteur, d'une
série d'études que des spécialistes distingués offriront
au public français pour le convertir aux idées d'expan-
264 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
sion maritime. C'est pourquoi il s'est contenté d'ex-
poser les causes générales de notre décadence passa-
gère, et d'indiquer les termes d'une réaction néces-
saire contre l'insouciante résignation des uns, contre
l'obstination théorique des autres.» — Si l'on veut
bien regarder les résultats obtenus dans la marine
allemande par l'effort de ce César, dont tout à l'heure
nous parlait M. Paul Adam, on se rendra compte de
l'urgence qu'il y a pour nous à tenter un pareil effort
et de l'utilité de cette « bibliothèque des amis de la
marine ».
Espitaher (Albert). — Napoléon et le /JoiMi-^mt (1808-1815),
un remarquable ouvrage historique où, sans plaider la
cause du roi de Naples, l'auteur explique et tâche à
faire comprendre la trahison finale, à montrer pour-
quoi Murât venu dans le royaume avec des idées
françaises est arrivé par degrés à l'alliance avec la coa-
lition.
Fauchier-Magnan. — Lady Hamilton, (1763-1815), une
figure séduisante et curieuse dont le plus grand mérite
fut d'être belle. Ce n'est pas un mérite négligeable,
surtout lorsqu'on a inspiré Romney, et que, grâce à
ce peintre exquis, on continue à travers les siècles
d'enchanter les yeux. Mais cette histoire a d'autre
attrait que celui d'une professional beauty : c'est un
véritable roman d'aventures traversé par des figures
telles que Gran ville, Hamilton, Nelson.
Fennebresque. — Versailles royal, un livre d'une bien gra-
cieuse et séduisante documentation.
France (Frédéric de). — De VOmbre sur ma porte, des vers
gracieux, imprimés — ce qui ne gâte rien — avec un
luxe très artistique.
Grasset (D'^). — Idées médicales, un volume où le praticien
distingué nous expose dans ses grandes lignes le
psychisme inférieur, la psychothérapie, l'occultisme,
la doctrine vitaliste de la vie. Ces pages sont destinées
au grand pubhc, parce que les choses dé la médecine
n'appartiennent pas seulement aux médecins : elles
intéressent tout le monde. Seulement ce n'est pas dans
les hvres de médecine que l'on doit chercher à suivre
MEMENTO DU MOIS DE JUILLET 265
et à comprendre le mouvement médical : la lecture des
livres de médecine est détestable pour les non-méde-
cins, parce qu'elle fait croire aux uns qu'ils sont méde-
cins, aux autres qu'ils sont malades, lorsqu'ils ne
sont ni l'un ni l'autre.
Hymans (Henri). — Bruxelles.
Kassem (Sidi). — Les Chants du Nadir.
Maestrati (Abbé). — La Madeleine, un évangile en cinq
tableaux en vers; M. Maurice Barrés a apprécié cette
œuvre et il a félicité l'auteur de cette belle audace
qu'il a montrée « en essayant d'expi'imer, dans la
forme de Racine, ce thème sublime, éternel : la
rédemption de l'âme pécheresse par l'amour divin ».
Margueritte (Victor). — Pour mieux vivre, un excellent
volume où l'auteur a réuni des réflexions et des conseils
adressés à nos fils, « en essayant, dit-il, défaire de nos
fils des êtres sohdement trempés, au physique comme
au moral, en leur donnant le goût du risque et le sens
de la responsabilité, en leur apprenant que nuire aux
autres, c'est se nuire à soi-même, et que servir la cause
de tous, c'est faire triompher la sienne, peut-être n'au-
rons-nous pas travaillé en vain >.
Maurras (Charles). — Kiel et Tanger, (1895-1905), une page
d'histoire beaucoup trop contemporaine pour que la
sereine impartialité soit permise à l'historien qui mon-
tre sans bienveillance « la République Française
devant l'Europe».
Maybon (Albert). — La Vie secrète de la Cour de Chine, un
ouvrage illustré de pittoresques photographies.
Mérac (Paul). — Du peuple, une étude sociale. Dans une
courte préface l'auteur nous expose ses ambitieux des-
seins : « Pour comprendre l'état présent du peuple, et
peut-être son état possible, il faut le suivre dans sa
marche ascendante. Il faut étudier la société dans ses
différentes phases, avec les causes qui l'ont aidée à se
développer et les obstacles qui l'ont arrêtée dans son
cours. » On dit dans ce livre « la vérité telle que, dans
l'état actuel des connaissances humaines, elle peut se
présenter à l'homme exempt de parti pris ; et pour cette
raison il ne plaira à personne. Bien avant Pascal,
16
266 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Oïl savait en effet que si Ton ne dit jamais la vérité
c'est parce qu'elle blesse tout le monde; et ce livre ne
fera pas exception à la règle. » Telles sont les réflexions
qu'inspirent à M. Paul Mérac ses propres travaux sur
l'autorité, l'opinion et la religion.
Mouret (Fernand). — Histoire générale de VEglise. — La
Renaissance et la Réforme.
Pernot (Hubert). — Anthologie de la Grèce moderne.
Queillé. — Les Commencements de V indépendance bulgare
et le Prince Alexandre, — Souvenirs d'un Français à
Sofia.
Racowitza (Princesse Hélène de). — Princesse et Comé-
dienne, voici une bien étrange et tragique et séduisante
figure de femme qui se présente à nous. L'auteur nous
raconte les souvenirs de sa vie, depuis les amours avec
le socialiste Lassalle et l'étrange mariage avec le
prince de Racowitza, qui venait de tuer Lassalle en
duel, jusqu'aux étonnantes histoires de Nice, aux intri-
gues politiques de Berlin et au théâtre.
Radcliffe Dugmore. — Les Fautes d'Afrique photographiés
chez eux, un superbe volume très amusant, très pitto-
resque, traduit avec beaucoup de goût par M. E. Du-
puy et dans lequel une multitude d'images prises sur
le vif nous donnent le moyen de contempler sans trem-
bler les plus terribles animaux du désert et d'être cou-
rageux à bon marché.
Rodés (Beatrix). — L'Ame des cathédrales.
Rohan (Duchesse de). — Les Dévoilées du Caucase, la rela-
tion preste et charmante d'un grand voyage que fit
M°ie la Duchesse de Rohan à travers la Russie et
l'Orient; avec beaucoup de bonne grâce et de simpli-
cité elle nous promène de Berlin à Varsovie, Bakou,
Tiflis, Batoum, la Crimée, Kiev, Odessa, Sofia, Ble-
grade, Gonstantinople, à travers l'Orient enchanteur.
Ecrit sans l'ombre de prétention, avec tout de même
une élégance très racée, ce livre fleuri de belles images
présente le plus vif agrément.
Séché (Léon). — Delphine Gay, un délicieux volume publié
dans la série « Muses Romantiques », où l'auteur étudie
M™« de Girardin et ses rapports avec Lamartine, Vie-
i
MEMENTO DU MOIS DE JUILLET 267
tor Hugo, Balzac, Rachel, Jules Sandeau, Dumas,
Eugène Sue et George Sand)).
Soudart (M°»^ Marie). — Ombres et Grisailles, poésies.
Toulouse (D'"). — Comment se conduire dans la çie; non con-
tent d'enseigner à son lecteur comment choisir une
carrière, mener sa vie professionnelle, lutter pour la
vie, se comporter dans la société — le savant écrivain
veut lui exposer « comment être avec ses amis, com-
ment rechercher le bonheur, comment vivre de la vie
intérieure;). C'est vous le voyez, tout l'art de la vie
que le docteur Toulouse prétend nous enseigner, et,
sans méconnaître la sagesse de ses conseils, sans nier
l'agrément très vif qu'on éprouve à les entendre je ne
crois pas beaucoup à leur portée pratique: ce n'est pas
dans un livre, si sage qu'il soit, c'est dans la vie qu'on
apprend à vivre.
Vincent (Abbé). — Le Péril de la la?igue française, un pré-
cieux petit volume où l'auteur nous offre un « diction-
naire raisonné des principales locutions et prononcia-
tions vicieuses et des principaux néologismes » ; vous
connaissez ces formulaires d'autrefois « dites, ne dites
pas», il suffit de lire certains livres, et — Dieu me par-
donne ! — certains journaux d'aujourd'hui, pour se
rendre compte que la colonne « ne dites pas» doit être
revue et singulièrement augmentée.
Whitehouse (Romsen). — L'Effondrement du Royaume de
Naples (1860).
***. — Frà Angelico, un livre paru dans la collection
'( Los Pointros Illustres».
AOUT-SEPTEMBRE
LES ROMANS
ALFRED CAPUS
Robinson.
Robinson, c'est Sébastien Real, un jeune homme
que des révers de famille ont brusquement jeté dans
la vie et qui a quitté sa province de Tournus pour
venir à Paris tenter la fortune. Nous sommes fixés
tout de suite : il réussira. Dès le début du livre, la
lettre qu'il écrit à son ami Paul Barois, pour lui
emprunter quelque argent, nous a documentés par-
faitement sur son caractère, son tempérament et
ses qualités et nous a rassurés sur son sort futur.
De cette lettre, M. Alfred Gapus, auteur dramati-
que prestigieux, a fait un modèle d'exposition; il a
k
AOUT-SEPTEMBRE — LES ROMANS 269
mis tout de suite, selon les règles de l'art, le public
dans le secret et dans son jeu, et nous suivons, dès
lors, sans surprise et avec un vif agrément, la
carrière ascendante et mouvementée de Sébastien
Real.
Isolé dans son orgueil, dans sa dignité et dans son
ambition, au milieu de Paris, comme Robinson
l'était dans son île, il connaît pourtant bien des
heures pénibles ; cet homme instruit, presque
savant, est d'abord — il faut bien vivre ! — simple
ouvrier chez le grand industriel Balanier; puis le
voici secrétaire du député Moulaine, son compa-
triote, qu'il compromet par ses relations avec un
assez fâcheux homme d'affaires, nommé Cabanez;
il se punit lui-même avec beaucoup de dignité en
donnant sa démission et il s'en va occuper le poste
de secrétaire chez ledit Cabanez, dont les tripotages
en un certain casino ont tôt fait de l'écœurer, et
dont il se sépare bien vite ; et le voilà de nouveau
sur le pavé, à peine meurtri et pas découragé du
tout; il sait — comme nous ! — qu'il doit réussir,
et la bataille pour la vie, qu'il a perdue à Paris,
il va s'efforcer de la gagner dans une lointaine cam-
pagne, dans le domaine dont M. Balanier lui confie
l'exploitation.
Là, en effet, dans ce désert, ses qualités de Robin-
son auront vraiment leur emploi : il réussit à mira-
cle et devient un homme considérable. Sa sœur
épouse un mari puissamment riche et le lecteur
est ravi de tout cela, parce que son optimisme en est
270 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
flatté et qu'il aime à voir les gens réussir et faire
fortune... dans les romans.
Robinson avait un compagnon : Vendredi. Sébas-
tien Real a eu une compagne fugitive, une char-
mante et douloureuse maîtresse qui s'appelle
]y[me Ardouin, abandonnée par son mari et qui a
voué à son amant une tendresse infinie. Lui, il en
est heureux, ému, mais pas trop, et le désir de par-
venir modère les élans de son cœur; tout de même,
après avoir fermé les yeux de cette femme qui lui
fut si douce, il en garde un souvenir mélancolique
et attendri, et c'est excellent pour lui — tout doit
lui servir à ce diable d'homme ! « Cette émotion
délicate empêche Sébastien de devenir, dans la
lutte quotidienne de l'existence, trop sec, trop âpre,
et la pauvre Hélène contribue par sa mort à faire
de lui un homme supérieur. »
Tel est ce roman, qu'on lit avec un très vif agré-
ment, où l'on trouve évoqués, par un homme qui les
connaît à merveille, mille coins curieux de la vie de
Paris, et où le lecteur perspicace saura — sous l'anec-
dote — découvrir une philosophie d'un optimisme
amer, souriant et averti.
AOUT-SEPTEMBRE — LES ROMANS 271
ABEL HERMANT
Le Premier pas.
M. Abel Hermant a toutes les audaces — par-
tant, toutes les fortunes. Ce subtil écrivain, qui sait
^i bien raconter et même inventer les faisandages
intemporains, dans ses Mémoires pour servir à
l'histoire du temps, ne s'avise-t-il pas aujourd'hui
(le vouloir évoquer une théorie de candeurs et
d'innocences! Et il les évoque en leur instant le
])lus émouvant, alors que va être franchi le Premier
pas, celui qui leur fera découvrir le grand mystère
(]9 la vie et de l'amour. Ce spectacle pathétique n'a
oint désarmé l'habituelle désinvolture de M. Abel
Hermant et, dans une série de petites histoires
dialoguées, il en parle avec ce cynisme spirituel et
• It'taché qui, dans toute son œuvre, nous séduit si
rt en nous indignant un peu.
Il avait pourtant une belle occasion d'être ému
' I respectueux devant tant d'innocences diverses :
Ile du jeune conscrit arrivé tout neuf au régiment,
celle du petit roi admis pour la première fois dans
I latimité de la belle Gabrielle de Rolleboise^ et celle
<!'' ce touchant Hippolyte, arrivé à la cinquantaine,
ris avoir pu connaître le grand mystère, et je
M Ose pas vous parler — parce que moi, j'ai de la
fKideur — des jeunes filles, petites fiancées, ou jeu-
nes épouses au soir du mariag<
272 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Et remarquez que ce « premier pas » — lequel est
parfois un premier faux pas, car il y a quelques
dames mariées au milieu de ces hermines — les
héros de M. Abel Hermant ne le franchissent
jamais, ou presque; c'est, si j'ose dire, un paroH
d'innocence. Comment tant de blancheurs si incon-
testablement immaculées évoquent-elles des idées
sans nulle candeur? C'est que l'innocence et la vertu
sont deux choses tout à fait différentes ; après avoir
lu cette série de petites histoires, il est difficile, je
vous assure, de n'être point fixé sur la valeur de cette
nuance. On en veut à M. Abel Hermant de man-
quer à ce point de vergogne et on ne peut s'empê-
cher pourtant de lui pardonner, parce que ces dia-
logues sont si amusants et parce qu'il reste, jusque
dans ses jeux, un si admirable virtuose littéraire.
FRAiNC-NOHAIN
Jaboune.
Dans Taimable galerie littéraire des enfants
contemporains, un nouveau vient de prendre
place; il s'appelle Jaboune, et c'est M. Franc-
Nohain qui nous le présente en un bien gracieux
et spirituel volume. Ce jeune garçon de huit ans
s'appelle en réalité Jacques, mais ce n'est qu'un
nom de baptême, à l'usage des étrangers. Chacun
AOUT-SEPTEMBRE — LES ROMANS 273
sait, en effet, qu'une maman ne saurait accep-
ter de donner à son fils un nom inscrit sur le
calendrier; elle doit, de toutes pièces, en confection-
ner un, absurde et charmant, qui sera le vrai, celui
de la famille et de l'intimité. Et Jaboune est un nom
qui, je ne saurais trop vous dire pourquoi, va com-
me un gant à ce petit bonhomme espiègle, gentil,
Parisien infiniment, et doué avec ça ! Jaboune fait
des vers, Jaboune est amoureux d'une belle dame,
il combine, pour avoir de l'argent (car un petit Pari-
ii'n a besoin d'argent) les plus ingénieuses spécula-
I ions sur la tendresse de sa grand'maman, il médite
do merveilleux appareils d'aviation, il est déli-
M'ux, vous dis-je ! Et puis, un beau jour, voici que
sa maman lui offre un petit frère; alors il se rend
'^•ompte obscurément que c'est fini de rire, que bien-
)t il ne lui sera plus permis d'être un petit bon-
homme, qu'il est maintenant un garçon ; demain, un
homme.
Entre temps, il nous a donné son opinion prime-
sautière et puérile sur mille choses de la vie, de la
littérature, de la politique, et comme M. Franc-
Nohain sait que les enfants ont le droit de tout
dire, il a très adroitement profité de l'occasion pour
faire proférer, par cette bouche innocente, un cer-
tain nombre de vérités à la pointe acérée. Mais
ceux-là mêmes qu'elles égratignent ne sauraient
se fâcher, parce qu'elles sont exprimées d'une
façon spirituelle et charmante.
'Ij^i LE MOUVEMENT LITTERAIRE
ALBERT-ÉMILE SOUEL
Le Rival.
Dans le Riçal, M. Albert-Emile Sorel nous
raconte la très simple et très pathétique existence
de Robert Villedieu qui, fils d'un tribun illustre et
père d'un génial poète, se trouve, lui, médiocre, inca-
pable d'une grande action, ou d'une œuvre sublime,
pris, écrasé, annihilé entre ces deux gloires : celle
dont il est issu et celle qu'il engendra. Le cas est
douloureux; Robert Villedieu, dont l'âme n'est pas
sans grandeur, ressent profondément cette misère,
et sa souffrance devient insupportable, lorsqu'il
s'est épris de Bertile Amécourt, la célèbre actrice
qui fait triompher l'œuvre admirable de François
Villedieu, et qui, comme bien vous pensez, aime
passionnément son poète. Et le voici rival, et rivnl
dédaigné, de son fils.
Une grave maladie atteint ce dernier et il meurt
dans les bras de sa bien-aimée, qu'obstinément
Robert avait écartée de son chevet, mais que Lucie
Villedieu, la mère du poète, guidée par un infail-
lible instinct, vient chercher à l'heure suprême;
alors Robert, meurtri, désespéré, doit comprendre
son néant : il n'a rien été sur la terre où il reste
comme un lierre arraché, et cette dalle funéraire
où s'inscrivent les noms illustres du grand-père
et du petit-fils, à l'exclusion du sien, apparaît
AOUT-SEPTEMBRE LES ROMANS 275
»mme un symbole, « comme si la destinée avait
mlu le rayer)).
Il y a là véritablement I un sujet de tragédie;
AI. Albert-Emile Sorel l'a traité avec talent, dans
nue note très particulière de gravité, d'émotion
;ins cesse contenue et comprimée.
Un autre roman complète le volume : c'est VAmie
une œuvre émouvante et forte, mais où M. Albert-
' mile Sorel nous fait assister à ce spectacle que,
)ur mon goût, je trouve toujours insupportable,
dun fils qui se fait le juge et le justicier des amours
<lo son père, se charge de le remettre dans le droit
chemin et, après l'avoir empêché de se remarier
selon son cœur, consent généreusement à le par-
donner.
A.-E.-W. MASON
La Route interrompue.
I aduit par l'auteur d' « Amitié amoureuse » et M. B. Mayka.)
La Route interrompue^ roman de M. A.-E.-W. Ma-
son, a eu, nous dit-on, un retentissement extraor-
dinaire en Angleterre et son succès a balancé celui
des plus formidables romans policiers dont nos
voisins nous ont, depuis quelques années, gratifiés
un peu trop généreusement peut-être; ce roman, à
son tour, vi«nt de franchir le détroit. Il est bien
supérieur à toutes les récentes importations britan-
276 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
niques : c'est un beau livre vraiment. Sur un
sujet très anglais et fait pour intéresser surtout des
Anglais — car il est dominé tout entier par la dra-
matique question des Indes — l'auteur a écrit un
roman d'une large humanité, d'un intérêt extraor-
dinaire, qui vous empoigne dès les premières lignes
et vous tient haletant jusqu'à la fin.
Sur cette « route interrompue » et formidable, qui
doit établir définitivement la domination anglaise
aux Indes, se joue la plus pathétique des tragédies,
et quand le prince indien qui fut élevé en Angle-
terre, acquis en apparence aux idées anglaises,
conquis par la grâce des blanches femmes d'Angle-
terre, revient aux Indes, humilié par leur dédain,
meurtri, prêt à se venger des humiliations infligées
à lui et à sa race : c'est à la « route » qu'il s'en prend,
la route anglaise qui sera une fois encore interrom-
pue.
Autour de ce grave problème exposé de façon
saisissante, un délicieux roman se déroule, amusant,
varié, pathétique; les personnages : ce touchant
prince Shere AH, et ce Dick Linforth, héritier de la
famille dont un à un les membres furent dévorés
par la route, et cette coquette et jolie Anglaise,
Voilette Oliver, y sont campés de façon magis-
trale et se détachent sur les décors splendides et
mystérieux de l'Inde. Et c'est un superbe livre
que l'auteur à.^ Amitié amoureuse et M. B. Mayra
ont remarquablement traduit.
AOUT-SEPTEMBRE LES ROMANS 277
ALBERT BOISSIÈRE
Z..., le Tueur à la corde.
Il y a deux hommes en M. Albert Boissière : un-
délicat écrivain qui sait être psychologue avec
beaucoup de bonne humeur et de jovialité, et un
prestigieux romancier-mystère qui excelle en l'art
de combiner, emmêler et dénouer les fils des plus
rocambolesques aventures. Je préfère le premier :
Fauteur des Joies conjugales^ de Jolie et de Aimée,
ou la jeune fille à marier; mais le second ne manque
pas de charme et son Homme sans figure notamment
osi une bien belle histoire, l'un des plus séduisants
spécimens de ces romans à surprises qui sont si
fort à la mode. Z...,le Tueur à la corde, appartient à
ce genre contre lequel j'ai un grave grief personnel,
c'est qu'il défie l'analyse.
Comment, en dix lignes, pourrais-je vous faire
comprendre que le personnage désigné par M. Mara-
thon, juge d'instruction, sous le vocable : Z..., le
Tueur à la corde, n'a jamais eu le moindre Z dans
son nom et n'a jamais tué personne ni à la corde, ni
autrement? Il s'appelle William Eady, il est avia-
teur, et on le connaît sous le nom de Stéphenson.
Comment peut-il, avec quelque raison, être rendu
responsable d'une foule de meurtres et de malheurs
dont il est parfaitement innocent?
Il y a, à ces effets mystérieux et surprenants,
278 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
une foule de causes plus surprenantes encore, mais
tout à fait plausibles, dont M. Albert Boissière fait
apparaître l'implacable logique dans une histoire
où se combinent le plus merveilleusement du monde
la fatalité du destin et l'ingéniosité des hommes,
et l'amour et les sports aussi, car le dénouement
nous tombe du ciel sous les espèces d'un biplan sur
lequel M"^^ Grenet, la femme aimée du juge Mara-
thon et du pseudo-assassin, s'envole pour dispa-
raître à jamais. Sans doute, vous ne comprenez pas
très bien : ne vous en prenez qu'à moi; dans le
roman de M. Albert Boissière c'est très clair,
j'ajoute que c'est très amusant et que ce roman
d'aventures mystérieuses se donne le luxe d'une
excellente tenue littéraire.
DANIEL LESUEUR
« Du sang dans les ténèbres. »
Chacune son rêve.
Daniel Lesueur nous offre, sous le titre Chacune
son répe, la suite et la fin de son grand roman
romanesque Du sang dans les ténèbres. Il est d'une
formidable intensité dramatique, ce volume; et,
dès ses premières pages, le récit consigné sur un car-
net par Francine, la doctoresse que nous avons
vu mourir dans le premier volume, nous plonge
AOUT-SEPTEMBRE LES ROMANS 279
dans l'angoisse, dans le mystère et dans la terreur.
Cette confession d'une morte, est un modèle
d'exposition; tous les personnages du drame y sont
présentés, prévus ou rappelés, depuis le terrible et
sombre prince Boris OmirofP, jusqu'à l'innocent
enfant et à sa mère Flaviana, la petite danseuse
princesse, victimes de ses machinations, et dont le
sauvetage et la réunion finale sont les grands res-
sorts du drame. L'action s'engage alors, nerveuse,
rapide, formidable, et je n'essaierai pas de vous la
conter, parce que mon analyse se perdrait au milieu
des péripéties et des épisodes où Daniel Lesueur,
elle, a su rester parfaitement claire.
Qu'il vous suffise de savoir que, par l'intervention
des terroristes évoqués en des traits saisissants, le
prince Boris Omiroff expie enfin ses forfaits dans
une catastrophe et que le docteur Delchaume trouve
au dénouement le bonheur et la paix entre la
princesse Flaviana et le petit Serge, sauvés par lui,
et dont le salut avait jadis coûté la vie à sa pre-
mière femme.
La lecture de ce livre est très attachante, sa
tenue littéraire, son souci d'observation sont dignes
du beau talent de Daniel Lesueur qui, après nous
avoir montré une fois de plus la richesse généreuse
de son imagination romanesque, va revenir, je
pense, pour notre plus grand plaisir à ce roman
psychologique où elle est tout à fait supérieure.
280 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MICHEL GORDAY
Les Casseurs de bois.
Les sports et la littérature continuent à faire très
bon ménage; après la bicyclette, la boxe, l'auto, qui
ont fourni tant de thèmes heureux à l'imagination
de nos romanciers, voici que l'aviation entre en
scène, et M. Michel Gorday, qui nous avait déjà
raconté Monsieur^ Madame et Vauto et les Plat-
sirs d'auto^ nous dit aujourd'hui les Casseurs de
bois. Mon ami Reichel vous a fixés déjà sur le sens
" de cette locution : un aviateur ne tombe pas, « il
casse du bois » ; il y a de la désinvolture et de la
gaminerie dans cette expression, il y a aussi un petit
coin d'héroïsme, car hélas ! nous avons trop vu, en
ces temps derniers, que les pionniers de l'air en arri-
vant au sol cassaient souvent autre chose que du bois.
M. Michel Gorday les a suivis, ces « casseurs de
bois», dans les grandes semaines d'aviation où ils
étonnent le monde par leurs prouesses ; il les a
regardés de près, eux, et tout le monde curieux, amu-
sant, élégant, qui évolue autour d'eux, et il nous
donne le résultat de ses observations, en une série
de petits tableaux tout à fait amusants, grouil-
lants, véridiques, et de petits contes pimpants,
lestes, émouvants parfois, où l'imagination sert très
heureusement la réalité, et que parent de gentilles
figures de femmes.
AOUT-SEPTEMBRE LES ROMANS 281
LOUIS DUMUR
Le Centenaire de Jean-Jacques Rousseau.
Le Centenaire de Jean-Jacques Rousseau^ « ro-
man ». On est un peu surpris, au premier abord, de
cet accouplement de mots : il correspond pourtant
très exactement à la vérité; M. Louis Dumur a
découvert, dans le centenaire de Jean- Jacques, le
sujet d'un roman qui est fort divertissant. Gela vous
a l'air d'une chose très simplette, le récit de ce
jeune garçon, élève de seconde classique au lycée
de Genève, et qui nous raconte par le menu les inci-
dents burlesques auxquels donne lieu la célébra-
tion du centenaire. Les colères des personnes bien
pensantes de la ville, indignées qu'on puisse songer
à glorifier un philosophe aussi dénué de pudeur et
de foi, ont pénétré jusque dans l'école, et la seconde
classique, notamment, est le théâtre d'une guerre
sans merci entre jeanjacquards et antijeanjac-
quards; les jeanjacquards semblent l'emporter,
mais grâce à un stratagème qui ressemble vague-
ment à de la corruption électorale, ce sont les anti-
jeanjacqiiards qui sont vainqueurs à la fin, et désor-
mais Genève peut se parer de drapeaux et célébrer
le terrible et abominable Jean- Jacques, du moins
l'honneur de la seconde classique sera sauf.
Gela paraît très simplet, vous disais-je, et les
gentilles images de Gustave Wendt accentuent le
282 LE MOUVEMENT LITTÉRAIR
caractère enfantin du livre, mais si vous cherchiez
avec quelque soin, vous découvririez derrière ces
mots puérils et ces récits d'enfants une pensée qui
n'est pas dénuée de profondeur.
MAURICE DE LA PERRIÈRE
Le Jeu de l'anjiour et de la vie.
M. Maurice de La Perrière nous dit là une fort
touchante histoire dont l'héroïne Fanchette est une
de ces dames généreuses de leur beauté que Théo-
dore Barrière appelait « les Filles de marbre », et
que M. Claude Farrère, tendrement, nomme « les
Petites alliées». Avouons-le : Fanchette est une
courtisane, mais d'une âme si noble, d'une si bonne
famille ! Bien souvent, elle regrette la source im-
pure de son luxe et mêm^, certain jour, elle est
héroïque : au lieu de céder aux prières du multi-
millionnaire Pontrizard, elle se jette dans les bras
de Jean Lorey, un modeste ingénieur qui possède
tout juste quatre mille francs de rentes : et c'est
l'amour éperdu, l'amour désintéressé, l'amour doré
aussi, car en quelque six mois la modeste fortune de
Jean s'en est allée en dépenses jolies, en voyages
sentimentaux et il ne reste que dix mille francs à
l'ingénieur qui par surcroît a perdu le goiît du tra-
vail. Alors, il prend son parti : il lègue ses dix mille
AOUT-SEPTEMBRE — LES ROMANS 283
francs à sa bien-aimée et il se noie, et Fanchette
bientôt s'en va le rejoindre dans la mort.
M. Maurice de La Perrière a trouvé, pour nous
conter cette histoire, des accents émouvants dans
leur louable simplicité; et il a réussi, dans ce roman
très vivant et très réel, à idéaliser de telle sorte ses
héros, que nous nous intéressons à eux et à leur
amoureuse aventure : c'est méritoire, car si leur
amour est touchant — l'amour est toujours tou-
chant — ils ne sont dignes vraiment ni de notre
estime ni de notre sympathie, que nous devons
réserver à ceux qui luttent vaillamment pour leur
amour et pour leur existence.
CHARLES QUINEL
Enlève-moi, chéri!
Sous ce titre familier. Enlève-moi^ chéri! dont un
jovial dessin de Grûn souligne la sportive significa-
tion, M. Charles Quinel vient de publier un recueil
de petites histoires folâtres « pour lire en aéroplane ».
J'ai apprécié l'entrain, la bonne humeur, la verve
un peu facile que M. Charles Quinel y a prodigués;
il appartient à cette corporation littéraire qu'on a
baptisée « les écrivains gais », lesquels se sont donnés
la mission louable de faire rire la pauvre humanité ,
c'est une besogne difficile et il convient de ne pas
284 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
chicaner ces auteurs sur le choix dos moyens qu'ils
emploient pour la mener à bien, à la seule condi-
tion, cependant, qu'ils réussissent vraiment à la
mener à bien — M. Charles Quinel y réussit sou-
vent. Seulement, pourquoi diable avoir signé la pré-
face de son livre du nom de Molière? Et pourquoi
surtout lui faire parler de « sa bonne bougresse
d'ombre»; réservons, s'il vous plaît, ce genre d'ex-
pression aux auteurs gais et ne les prêtons, pas
même pour rire, à notre grand comique.
MADELEINE PAUL
La Porte sombre.
Encore un roman de femme où la femme nous
apparaît victime de l'homme et victime de l'amour,
c'est la Porte sombre^ un livre intéressant, un peu
noir et triste peut-être, mais d'une émouvante et
ardente sincérité. Maud Gharmet est entrée dans la
vie par la « porte sombre» : toute jeune, elle fut
fiancée à un homme qui l'aimait et dont elle était
tendrement éprise, mais à qui, pauvre, elle a dû
renoncer, et voici qu'à vingt-cinq ans elle est aigrie
déjà et désenchantée, lorsque sur sa route elle ren-
contre Philippe Mendier. C'est tout de suite le
le grand et définitif amour, mais Philippe a trente-
huit ans, il est marié et père d'une petite fille; c'est
AOUT-SEPTEMBRE — LES ROMANS 285
VOUS dire que leur aventure est sans lendemain pos-
sible et que Philippe Mendier, un peu tard, s'aper-
çoit que le devoir le retient impérieusement auprès
de sa femme et de sa fille; il le signifie doucement à
Maud qui se désespère mais trouvera un refuge, en
somme confortable, auprès de Roger Fremeux, un
tendre amoureux qui n'avait cessé d'implorer silen-
cieusement et qui sera encore bien heureux d'être
accepté, comme pis aller — si j'ose dire...
17.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, POÉSIE,
DIVERS
JULES GLARETIE
Quarante ans après.
« Impressions d'Alsace et de Lorraine,
1870-1910. »
Quarante ans après, vous connaissez ce livre tout
vibrant d'une patriotique émotion, écrit par un
témoin qui ne veut pas perdre le souvenir ni l'espé-
rance; son retentissement fut considérable, on en a
parlé longuement, et, après tant d'autres plus élo-
quents, il ne me reste pas grand'chose à en dire. Du
moins, il me tient à cœur de saluer ces pages vibran-
tes et chaleureuses que les hommes de notre géné-
ration doivent lire et méditer, ces pages que M. Jules
Glaretie dédié à « Mars-la-Tour, la gardienne de s
tombes, à la fidélité des braves gens de Lorraine et
\OUT-SEPTEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 287
d'Alsace», et dans lesquelles « la plaie du passé
étant toujours ouverte, quarante ans après, il en
appelle encore à l'avenir)).
GUSTAVE GAUTHEROT
L'Échange des otages — Thiers et Mgr Darboy.
L'histoire de la Commune, la vraie histoire, n'est
point près encore d'être écrite : un demi-siècle
passé n'a pas désarmé, autour de cet accès de fièvre
sauvage et sanguinaire, la colère des partis. Il n'est
pas d'épisode de cette révolution dont on ne nous
ait apporté au moins deux versions contradictoires,
mais le plus odieux et le plus douloureux de tous,
l'assassinat des otages, est sans doute le plus con-
troversé; on rend tour à tour M. Thiers, l'Assem-
blée nationale, quelques maires parisiens, d'autres
encore, responsables de ce crime de la Commune, et
les circonstances qui l'accompagnèrent sont bien
difficiles à démêler. Du moins, après la lecture du
livre que M. Gustave Gautherot a publié sous le
titre V Échange des otages — Thiers et Mgr Darboy,
« d'après des documents inédits )> il semble bien éta-
bli que la mémoire du grand vicaire Lagarde doive
être définitivement lavée des accusations qui trop
longtemps pesèrent sur elle.
Le prêtre qui avait reçu l-i mis^înn de nésrocier
288 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
avec Versailles l'échange des otages, s'acquitta de
cette mission, malgré d'impressionnantes accusa-
tions, avec un entier dévouement. C'est ce que
M. Gustave Gautherot prétend établir à l'aide de
documents qui sont, en effet, assez démonstratifs et
qui, pour moi, eussent été tout à fait convain-
cants si j'y avais trouvé la trace d'une émotion plus
vive en face de pareils malheurs. Ce qui est certain,
et ce que M. Gautherot établit de façon incontes-
table, c'est que Mgr Darboy et les autres otages
furent victimes surtout de la hideuse politique et des
politiciens; c'est à elle, c'est à eux, qu'il faut lais-
ser la responsabilité de ce crime dont les coupables
resteront — il ne faudrait pas l'oublier tout de
même — les hommes de la Commune.
HECTOR FLEISCHMANN
Les Coulisses du Tribunal révolutionnaire.
« Fouquier-Tinville intime.»
En un volume d'une assez belle apparence docu-
mentaire, intitulé les Coulisses du Tribunal révo-
lutionnaire^ M. Hector Fleischmann entreprend de
nous révéler « Fouquier-Tinville intime ». Son but
est — pas moins ! — de réhabiliter la mémoire du
célèbre accusateur public de la Révolution. Ces
revisions de procès sont fort à la mode en notre
AOUT-SEPTEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 289
temps, et notre esprit de contradiction nous ins-
pire généralement de la sympathie pour ceux qui
' donnent la mission de bousculer l'histoire telle
qu'elle nous fut enseignée.
Tout de même, M. Hector Fleischmann aura
quelque peine à nous faire accepter la nouvelle
image qu'il a composée d'un Fouquier-Tinville,
non pas, certes, séduisant, mais honorable et même
issez noble; et je crois bien que son héros res-
tera, pour l'immense majorité de nos concitoyens,
1(^ « monstre repoussant », le « tigre », r« odieux can-
nibale * de l'histoire.
M. Hector Fleischmann n'en a que plus de mérite
de s'être attelé à cette besogne ingrate et ardue;
mais peut-être est-il allé un peu loin en préludant
à sa défense par une attaque virulente contre des
historiens dont l'autorité ou la notoriété est consi-
dérable, et dont le seul tort fut de traiter dans leurs
icuvres Fouquier-Tinville sans ménagements. Ce
-ont des procédés qui réussissent souvent devant
Ips jurés d'assises, mais dont l'efficacité est moins
cortninp dans les controverses historiques.
MARIUS-ARY LEBLOND
La Pologne vivante.
11 n'est sans doute pas, dans l'histoire du monde,
290 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
de drame plus pathétique et plus poignant que
celui de la Pologne, de cette nation de vingt millions
d'âmes, homogène et solidaire, qui fut, voilà un
siècle, coupée en trois morceaux, asservie à trois
maîtres différents, et qui, à travers tant d'années,
dans des conditions si effroyables, a su rester un
peuple, garder une âme : on s'en est rendu compte
à ces fêtes si émouvantes qui furent célébrées
récemment à Gracovie et l'on se demande ce que
l'avenir peut bien réserver à cette nation démem-
brée, abolie, persistante néanmoins.
Pour dérober son secret à l'avenir, MM. Marius-
Ary Leblond ont passionnément, quoique sans
parti pris, étudié le passé et le présent en un très
beau livre qui s'appelle : la Pologne vivante. C'est
le résultat de leur voyage et de leurs études « dans
la Galicie, la Pologne patiente, dans le royaume de
Varsovie, la Pologne déchirée, dans le duché de
Posen, la Pologne étouffée». Il faut lire ce livre ! il
a la précision d'un document, l'éloquence d'un plai-
doyer, la sagesse d'une œuvre d'histoire et de phi-
losophie.
EDMOND PILON
Dans les jardins et dans les villes.
M. Edmond Pilon promène sa fantaisie grave et
recueillie Dans les jardins et dans les villes. Quelle
AOTTT-SEPTEMBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 291
jolie prose, si harmonieuse, si souple, d'une si
)ble simplicité ! M. Edmond Pilon est un de ces
l'ivains de plus en plus rares qui connaissent
icore la joie d'assembler des mots, d'honorer avec
lût et dévotion notre divin langage de. France :
j1 faut lui en savoir gré, et se réjouir qu il ait été
' inoïé par le Prix national de littérature en un
inps où les plus officielles des récompenses litté-
raires sont trop souvent décernées à d'impitoya-
1)1 os bourreaux de la langue française.
Son livre d'aujourd'hui est offert « A une belle
(lame française pourtraite par François Clouet».
Lo charme de cette dame est rare et captivant; sa
gentille gorge est gracieuse; ses yeux sont paisibles
comme les eaux de la lente Loire et « quand elle
rit, l'air chante avec un bruit d'amour». Gentille
dame, en vérité, et bien faite pour séduire. L'of-
frande est digne d'elle et ces tableaux sont déli-
( ieux des jardins d'Oxford, de la Petite Provence,
du Luxembourg, des fenêtres fleuries, des petits
villages, et de tant d'autres coins délicieux, de ces
jardins notamment de la région de Paris qui « sont
le sourire de H terre», de ces jardins « où la domi-
nation du printemps est partout, mais où l'artiste
a su la discipliner, l'a soumise aux lois des grandes
lignes classiques», nous offrant cet « exemple d'ad-
mirable beauté d'avoir su accorder, auprès d'un
Mansard, un André Le Nôtre, d'avoir, dans un
étroit assemblage de pierres et de fleurs, su com-
poser de beaux domaines de poésie )>.
292 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ANDRÉ DE FOUQUIÈRES
De l'Art, de l'Elégance, de la Charité.
M. André de Fouquières est un homme d'une
bien rare activité; partout où l'on s'amuse avec
élégance, vous le trouvez au premier rang : une
fête mondaine ne saurait se passer de sa présence,
une première n'est parisienne que s'il y assista, et
un cotillon qui se respecte doit être conduit par lui ;
il est, enfin, le dernier champion des belles maniè-
res. Il y a là sans doute de quoi surmener un homme
bien trempé; mais voilà justement ce qui est admi-
rable : M. de Fouquières n'est pas du tout sur-
mené, pas même fatigué. Ce n'est pas un forçat du
plaisir, toutes ces choses le divertissent énormé-
ment : « il ne fait que ce qui l'amuse ; pour lui le sport
est un plaisir, les voyages un délassement, la danse
est une joie )) et il trouve encore, c'est lui qui nous le
dit, le temps de lire chaque jour pour se distraire.
Il a trouvé, même —r- il nous le prouve — le
temps d'écdre, car il vient de publier, sous le titre :
De rAj:t^ de r Elégance^ de la Charité^ un livre que,
vous pensez bien, les salons adoptèrent tout do
suite d'enthousiasme et qui contient énormément
de choses, non seulement des chapitres comme le
« dandysme, le théâtre dans le monde, les mœurs du
temps, la charité mondaine et élégante», où sa
compétence était prévue, mais aussi des notes
AOUT-SEPTEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 293
l'art sur les chants d'amour et les poètes chinois,
l'histoire sur l'héroïsme vendéen, que sais-je en-
ore ! Ce sont la plupart du temps des conférences
.[ue M. A. de Fouquières donna devant des audi-
toires triés sur le volet; elles sont agréables et leur
documentation est tout à fait aimable, et puis,
-M. André de Fouquières a éprouvé tant de plaisir,
comme il dit, « à griffonner ces pages» que son lec-
teur le partage nécessairement ; comme la chaleur
des banquets, le plaisir est communicatif.
LOUIS PIÉRARD
Aimons les arbres «Pages choisies».
Il est bien séduisant, ce livre où les grands écri-
vains exaltent la noblesse des arbres, où les pein-
tres illustres disent leur splendeur; il faut le répan-
dre parmi les hommes, il faut le faire lire aux
enfants, leur faire entendre ces belles paroles d'Emile
Verhaeren : « Faites-vous les amis de ce qui est la
parure de la terre; les fleurs, les arbres, les bêtes.
Ne prenez aux taillis et aux bois que leur ombre.
Laissez-en croître les rameaux librement et n'arra-
chez aucune feuille par vain plaisir. Ceux qui les
dépouillent sans utilité sont gens méchants. Quand
vous rencontrerez un jeune arbre qu'on a tordu
ou arraché au bord des routes, dites -vr mis qn'in)
homme mauvais a passé par là. »
294 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Cette propagande littéraire et artistique est utile
et généreuse, il faut la poursuivre opiniâtrement;
ainsi peut-être on arrivera à constituer autour des
arbres, parure et salut de notre sol, une garde assez
nombreuse et résolue pour les défendre contre l'ar-
deur dévastatrice de ces déboiseurs sans pitié à
qui nous devons les inondations de cette année,
et bien d'autres maux encore.
YNIOLD-RENÉ BERTRAND
L'Ombre au flambeau..
Dans VOmbre au flambeau^ il y a des poésies par-
fois belles, souvent d'une étrangeté un peu rude,
jamais indifférentes. En épigraphe cette parole de
Zarathoustra « Ombre, si tu veux ce soir l'asile et
le repos, monte vers ma caverne»; et c'est tour à
tour « l'ombre sur les choses», « l'ombre sur les
cœurs», (( l'ombre des morts». Il ne faut pas trop se
fier aux titres; néanmoins, vous pouvez supposer,
en lisant ceux-là, que M. Yniold-René Bertrand
n'exalte pas la joie de vivre; et, en effet, il manque
d'allégresse, ce poète qui nous dit :
J'ai laissé de ma chair à l'épine des roses,
Et, pour avoir volé un peu de leurs frissons,
J'ai laissé de mon rêve aux feuilles des buissons.
J'ai fui vaincu,
Désabusé, brisant le rythme de mes strophes,
Et, depuis, j ai marché d'un pas de philosophe.
MIMENTO DU MOIS b'AOUT ET SEPTEMBRE 295
Et c'est ainsi qu'il nous dit : « La Terre malade »,
l'Agonie de la terre», et « l'Heure folle», et « le
; )uqLîot fané», et « le Jardin de M^^^ de Noailles»,
il y a dans tout cela des images très belles et
: As nobles, puis, brusquement, à côté d'elles, d'au-
tres images d'une familiarité un peu surprenante.
' -^ rythme est divers à l'infini, il va de la plus clas-
que harmonie à la licence la plus déréglée, en pas-
int par une liberté ingénieuse et jolie.
MÉMENTO DU MOIS D'AOUT ET SEPTEMBRE
ROMANS
Anstey (F.). — Vice-Versa, roman traduit de l'anglais par
M. Bernard- Derosne.
Aiiriol (Georges). — Les pieds dans les poches, un recueil
d'histoires joviales, charmant « essaim de bille-
vesées » dont nous devons la joie à un excellent humo-
riste.
Billot (Augustin). — Les Corsaires patriotes, un très copieux
roman historique, où l'auteur évoque en un récit très
mouvementé et tout à fait attachant les sombres et
grandioses journées de 1793 à 1798.
Buxy (B. de). — Le Lis en otage.
Coquiot (Gustave). — Le Chariot errant, un aimable livre
où l'auteur a réuni deux dramatiques histoires de
théâtre et de cirque, la première qui s'appelle : His-
toire de deux clowns et d'une petite écuyère et qui pour-
tiiil s'appeler : « Deux clowns vivaient en paix, une
296 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
écuyère survint»; et l'autre: Histoire d'une commer-
çante de la ville de Tours et de V illustre comédien
Truffaldin.
Doletang (Marie). — Les Mains tendues. En une prose har-
monieuse et originale, souvent d'un très beau lyrisme,
M™e Marie Deletang nous conte, sous ce titre, l'émou-
vante et douloureuse histoire d'une épouse malheu-
reuse, persécutée par un mari brutal et indigne, et
qui s'est enfuie loin dans la montagne, la montagne
consolante et reposante, en tenant par la main sa pe-
tite fille Mouette, son unique trésor. Mais elle n'est pas
une mère seulement, elle est restée une femme dont
les mains sont « tendues » avidemment vers le bonheur
et vers l'amour; et voici le beau heutenant Henri
Tracy qui l'aime et qu'elle va aimer; mais non!
l'enfant est là qui se dresse, obstacle infranchissable
entre la mère et le bonheur possible, et désespérément,
elle quitte son refuge, elle regagne son logis...
Denis (Georges-A.). — Le Brasier.
Donat (Marc). — Le Mort vivant, une mystérieuse et terri-
fiante histoire.
Doucet (Jérôme). — La Royale Amoureuse.
Flamant (Paul). — Le Chevalier aux ânes, un conte fort
agréablement philosophique que M. Paul Flamant
offre, dans un élan de légitime gratitude, à la mémoire
de Cervantes.
Hume (Fergus). — La Romance fatale, roman traduit par
M. Heywood.
Jaquet. — Souvenirs de la Hutte, des récits de chasse que je
m'excuse de faire figurer à côté d'œuvres d'imagina-
tion, car, malgré la réputation bien étabhe des chas-
seurs, les récits de M. Jaquet, si émouvants et si pitto-
resques, sont tout à fait véridiques, appuyés d'ail-
leurs sur des images qui ne laissent aucun doute; le
livre est charmant et il est fait pour intéresser tout le
monde, car, ainsi que le dit M. Louis Ternier, dans su
préface, l'auteur, propriétaire de chasses dans lo
grand-duché de Bade et le Tyrol, a puisé dans les
alpes tyroliennes des impressions de touriste et de
chasseur plutôt que des souvenirs par trop personnels.
MEMENTO DES MOIS d'aOUT ET SEPTEMBRE 297
Lagerlôf (Selma). — Le Livre des Légendes, un recueil de
nouvelles du grand écrivain suédois, traduites par
M. Fritiof Palmer.
Mon (François de). — Histoires risquées des dames de Mon-
contour, des histoires que l'auteur a recueillies et
arrangées dans un volume orné de belles images,
croyant bien faire, nous dit-il, « en réunissant dans
un même volume les histoires souvent un peu hbres
que ces nobles dames se plurent sans doute à composer
durant la sohtude, pendant que leurs maris étaient
occupés à la guerre, à la chasse ou à l'amour, et par
quoi elles satisfaisaient honnêtement les désirs liber-
tins de leurs cœurs», prouvant ainsi qu'il y a bien des
façons d'être honnête.
Normandy. — Voir Poinsot.
l'ardo Bazan (Comtesse de). — Le Château de UUoa, un
très pittoresque roman espagnol traduit par M. A. For-
tin.
Perrée-Gerpré (M'"® Germaine). — Au hasard de la route,
nouvelles.
Poinsot et Normandy. — Amours.
- lies (Pierre). — La Cigale ayant pleuré..., un de ces romans
où M. Pierre Sales excelle à accumuler les plus tou-
f chants épisodes et les plus dramatiques péripéties,
•uvestre (Pierre). — Jojo I^^, roi de V Air.
\ ernou (Pierre). — Contez-nous cela..., un recueil de nou-
velles.
Wells (H.-G.). — La Guerre dans les airs, un roman du pres-
tigieux évocateur d'avenir, traduit par MM. Henry
Davray et Kozakiewicz.
— V Etrange aventure de M. Hoopdriver, un volume où
j'ai retrouvé avec infiniment de plaisir La Burlesque
équipée d'un cycliste, sous une nouvelle forme et so\is
un nouveau titre.
298 LE MOUVEMK.M LITTKUAIRE
HISTOIRE — LITTÉRATURE — THÉATRi:
POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Barrieu (Alexandre-Raymond). — Musiques lointaines..,
Bertaut (Jules). — Victor Hugo, un volume d'une très joln
documentation publié dans la collection « La vie
anecdotique et pittoresque des grands écrivains ».
Cabanes (D^"). — Mœurs intimes du passé, 3® série.
Chuquet (Arthur). — Etudes d'Histoire, la troisième série
de ces études dont j'ai dit déjà l'intérêt très vif et la
séduction. M. Arthur Chuquet est un historien savaiii
et un infatigable chercheur qui non seulement excelle
à découvrir les documents et à déchiffrer, les textes,
mais qui sait riîerveilleusement aussi en user pour
notre instruction et notre plaisir. Que de pages émou-
♦ vantes et curieuses dans cette nouvelle série d'études
historiques : ce sont les amours de Marceau, le suicide
de Berthier, l'adjudant Bellegarde, « Marbot et Mac-
quard », et surtout « le parrain de Napoléon », ce Lau-
rent Giubega, dont M. Arthur Chuquet évoque la très
curieuse figure : elle valait la peine d'être connue vrai-
ment, et ce Corse qui, en 1789, fut mêlé dans son île à
des histoires d'élection telles qu'on aurait voulu les
entendre conter par Emmanuel Arène, méritait d'en-
trer dans l'histoire même s'il n'avait pas eu le prestige
d'être le parrain d'un tel filleul.
Claretie (Jules). — La Vie de Paris en 1909, le quatorzième
recueil de ces pages substantielles où M. Jules Claretie
note, avec une verve juvénile, une souriante indul-
gence, les événements du jour, croque en des traits
rapides la silhouette qui passe, évoque avec une
émouvante précision les souvenirs disparus, et nous
offre comme un cinématographe littéraire de l'histoire
contemporaine au jour le jour.
Constantin (Yves de) et Félix Marty. — 1870, les Organi-
sateurs de la défaite.
Crinon (D^ J.). — La Tuberculose, un livre d'une doulou-
MEMENTO DU MOIS d'aOUX ET SEPTEMBRE 299
reuse documentation et d'une précieuse utilité pra-
tique.
Delahache (Georges). — La Cathédrale de Strasbourg, un
beau livre orné de magnifiques images, « notice histo-
rique et archéologique», écrite avec beaucoup de
science et de conscience par M. Georges Delahache,
<elui-là même qui dans un petit livre, la Carte au liséré
vert, nous apprit tant de choses sur les origines et les
causes de nos malheurs de 1870.
budit (Isabelle). — U Agonie des sexes, poèmes.
Dumont-Wilden (L.). — Le Portrait en France, un très
séduisant ouvrage publié dans la Bibliothèque de l'art
du xviii*^ siècle, où l'auteur a voulu observer, à
travers l'œuvre des portraitistes français, toute la vie
sociale de l'époque; il ne s'est pas contenté, nous dit-
on, de caractériser les peintures, mais s'est soucié aussi
d'analyser leurs modèles. Et ces modèles sont déli-
' ieux, qui revivent en cinquante planches hors texte
lune belle typogravure.
I •;uit>ort (Ernest). — Œuvres choisies de Maurice et Eugénie
de Guérin, un volume composé avec beaucoup d'in-
telligence et de piété. L'auteur a publié en tête du livre
une étude documentée d'une éloquence émue sur
Maurice de Guérin ce poète « qui mourut jeune comme
• eux qui sont aimés des dieux», sans avoir pu réaliser
les magnifiques espoirs qu'il faisait concevoir, sans
avoir non plus connu le déchu; et sur Eugénie de
Guérin que Lamartine appelait le « saint Augustin des
femmes, un saint Augustin sans péché ».
llallays( André). — ^MtowrrfePam, un charmant hvre semé
de jolies images, le premier d'une série, où M. André
Hallays se promet de nous conduire « en flânant
;i travers la France » ; ce premier volume d'une grande
-•'duction est consacré à l'évocation de ces coins ravis-
sants qui sont un peu partout autour de Paris, de
Maintenon à la Ferté-Milon, de Mantes à la Roche-
Guyon, de Soissons à Chantilly : ce sont les impres-
sions d'un touriste qui chérit la lumière, fes paysages,
les monuments et les reliques de la France.
Henckens (Lieutenant). — Mémoires ^ « se rapportant à son
300 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
service militaire au 6^ régiment de chasseurs à cheval
français, de février 1803 à août 1816», pubhés par son
fils E. F. G. A. Henckens, général-major en retraite
de l'armée des Pays-Bas.
Hymans (Henri). — - Antonio Moro, « son œuyre et son
temps»; c'est un véritable monument de l'histoire de
l'art des Pays-Bas, et il y a là cinquante-quatre
planches hors texte en héliogravure et en héliotypie
qui sont admirables : c'est vraiment une joie pour les
yeux.
Japy (Frédéric). — Lettres d'un soldat à sa mère, de belles
pages de vaillance française et de patriotisme que
l'auteur écrivit de 1849 à 1870 des champs de bataille
d'Afrique, de Crimée, d'Itahe, du Mexique; M. Jules
Japy a cru intéressant, — et il a eu bien raison —
de publier ces lettres ; « nos enfants y trouveront —
comme il le dit très bien — un bel exemple d'amour
filial, de courage, de patriotisme, de devoir et de
dévouement. »
Jobé(J.). — La Science économique au xx^ siècle. *
Le Goffic (Charles). — L'Ame bretonne, « La Bretagne et le
pays celtique », une troisième série de ces pages capti-
vantes où l'auteur célèbre cette âme si compliquée, si
profonde, si difficile à comprendre : « l'Eternel se
plaît aux énigmes, nous dit-il, il y en a deux que nous
ne sommes pas près d'élucider : c'est le cœur de la
femme et c'est l'âme du Celte »; ce ne sera pas la faute
de M. Le Goffic si nous continuons d'ignorer cette
dernière.
Lelièvre (Pierre). — Poèmes éçangéliques.
Leparc (Suz^y). — Petits Mémoires de la vie littéraire.
Maigrot (Henri). — Le long des chemins, des petits poèmes
« nés au hasard des rencontres et de la fantaisie ».
Marty (Félix). — Voir Yves de Constantin.
Nadaud (Marcel). — Tendresses... Tristesses, des impressions
malicieuses ou tendres, d'un tour très délicat.
Poizat (Alfred). — SaUl, Antigone, deux tragédies où l'au-
teur a'^rodigué les beaux vers.
Puyrenier (Antony). — Le Cœur nomade, poésies.
RiOzat de Mandre (Général). — Les Régiments de la division
MEMENTO DES MOIS d'aOUT ET SEPTEMBRE 301
Margueritte et les charges à Sedan, un volume publié
à propos de l'inauguration du monument des « Braves
Gens ».
Saix (Guillot de). — Monsieur Bébé, une série tout à fait
gentille de « monologues, fables, récits et saynètes à
dire et à lire par tous et pour tous », réunis par l'au-
teur en un volume, où les mamans trouveront une
foule de choses gracieuses et faciles, dont la récita-
tion fera briller leur progéniture.
Soubies (Albert). — V Almanach des spectacles — année
1909. C'est le 39« volume — et la trente-neuvième
année — de cette vénérable collection dont l'origine
remonte à plus de cent cinquante ans, car l'ancien
« Almanach des ' spectacles», que continue cette série
de M. Albert Soubies, avait été fondé aux environs
de 1750; et ce sont, comme toujours, une foule de pré-
cieux renseignements et de documents présentés avec
infiniment d'art et de goût dans un petit livre qui est
un joyau de bibliophile,
liages (Gabriel). — Du Cœur, une « Petite contribution
à l'étude de l'amour illégitime » où il y a souvent de
l'observation ironique et parfois de la poésie.
\ ivien (Renée). — Haillons — Dans un coin de violettes —
Le Vent des vaisseaux, trois volumes posthumes de
cet étrange poète qui réalisa beaucoup et dont nous
espérions plus encore.
Zamaçois (Miguel). — La Fleur merveilleuse, l'exquise pièce
de notre ami qui obtint au printemps un si vif succès
au Théâtre-Français, où dès le début de l'automne
elle reprendra le cours de sa brillante carrière. Entre
temps, nous pourrons déguster tout à loisir ces johs
vers d'une forme si pimpante et si harmonieuse, et
d'une si gracieuse et si émouvante inspiration.
***. — Les Origines diplomatiques de la guerre de 1870-
1871, le pathétique recueil de documents officiels
pubhés par le ministère des affaires étrangères.
***. — Le Théâtre italien — Les Poètes anglais, deux
volumes parus dans r« Anthologie des classiques de
toutes les époques et de tous les pays».
18
OCTOBRE
LES ROMANS
ANDRÉ GORTHIS
Le pauvre amour de dona Balbine.
Lorsqu'il y a quelques années, le Prix de la Vie
Heureuse révéla au grand public le nom d'André
Gorthis, auteur d'un recueil de poésies Gemmes et
Moires^ nous eûmes plaisir à saluer en cette jeune
femme de lettres l'aurore d'une très gracieuse et
très intense personnalité. Gette personnalité s'affir-
me dans : le pauvre amour de dona Balbine; si j'o-
sais, je dirais qu'elle s'affirme trop — entendez
par là que la délicatesse de la pensée et du style
va parfois, dans ce livre, jusqu'à risquer d'être
un tantinet précieux. N'exagérons point la portée
OCTOBRE LES ROMANS 303
(ic . t'iir lemarque : André Corthis ne doit se méfier
(fiie de l'excès de ses qualités; c'est là un ris-
jue qu'on voudrait voir courir à bien des écri-
'ains.
L'histoire douloureuse de dona Balbine se
déroule sur les bords du Tage, dans un décor
évoqué avec beaucoup d'art, en des mots harmo-
nieusement rangés qui font image et nous donnent
une vive et profonde impression de Tolède, des
rousses pierres de ses palais et des roches pourpres
le sa campagne. Dona Balbine, au fin et séduisant
\ isage, est une femme boiteuse qui vit, dans la
petite maison de Tolède, entre Sanche, son mari,
t Miguel, son beau-frère, tous deux contrefaits
t infirmes.
Dans ces pauvres corps disgraciés par la nature,
(lt-> cœurs palpitent, ardents, voluptueux, qui
voudraient vivre les belles amours; ces amours,
Balbine les connaîtra, elle en est sûre; une bohé-
mienne les lui a promises, et lorsque Andrès,
Miperbement beau, vient auprès d'elle, elle ne
doute pas que ce soit la réalisation de la divine
prophétie, elle s'éprend pour lui d'un amour
idolâtre, mais hélas ! Andrès s'en va, sans avoir
])arlé, vers d'autres amours, et Balbine, désespérée,
s'aperçoit avec horreur que cette tendresse
prophétisée par la devineresse elle est là, près d'elle,
et que c'est son beau-frère Miguel, qui depuis long-
temps la chérit en silence.
A ce dernier, elle impose la plus douloureuse des
304 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
comédies acceptant ses paroles d'amour à la condi-
tion d'imaginer qu'elles lui sont dites par Andrès, et
l'aventure se dénoue en une tragédie par la mort
de Balbine tuée par son mari jaloux d'Andrès.
Il y a, dans toute cette histoire, je ne sais quelle
impression morbide au malaise de laquelle nous
ne pouvons échapper; mais quelle puissance aussi
dans l'évocation de cette passion douloureuse et de
la force implacable du destin. Ce livre, qui fait
honneur à André Gorthis, est complété par une
série de nouvelles très émouvantes et pittoresques.
HENRY BORDEAUX
La Robe de laine.
Cette robe de laine symbolique est l'humble robe
de mariée que portait Raymonde Mayrieux le jour
où Raymond Gernay, le riche châtelain, l'épousa,
elle, la modeste fille de ses régisseurs. Et c'est encore
cette robe de laine que nous retrouvons au dénoue-
ment, devenue le linceul de la jeune femme, morte
victime du luxe et de l'éclat du monde trop cruels à
sa mystique simplicité.
Le riche et amoureux Raymond Gernay, en allant
vers cette jeune fille, en lui offrant l'aubaine ines-
pérée de ce qu'on appelle un « beau mariage »
croyait, sans doute, être très généreuxet très noble ;
OCTOBRE LES ROMANS 305
il a simplement causé le malheur et la mort d'un
être d'élection.
C'est — ainsi que nous dit M. Henry Bordeaux,
dans la dédicace de son livre offert à Pierre Loti —
« pour acquitter la dette de son adolescence exaltée
par la fièvre qui monte des ouvrages de l'écrivain »,
c'est « l'histoire d'une petite fille, toute simple, que
broie la cruelle vie moderne )>. M. Henry Bordeaux
pense, au seuil de son livre, à la Colette Baudoche
de Barrés, à la Mireille de Mistral, à la Petite
Fadette de George Sand, à tant d'autres venues du
Valois, de la Bretagne, du Berry, du Dauphiné, de
la Vendée ou du pays basque, et «il souhaite que ces
petites filles prennent par la main, telle une sœur
cadette qui a besoin de protection, cette Raymonde
qu'il leur amène de la Savoie et qui voudrait bien
entrer dans leur ronde sans paraître une intruse... »
JEAN MADELINE
L'Erreur conjugale.
L'Erreur conjugale, dont nous parle M. Jean
Madeline, est celle que commit l'ingénieur Etienne
Salvan, lorsqu'il épousa Claire Berard. Cette jeune
fille l'avait séduit dans une circonstance drama-
tique, lorsqu'il l'avait vue sauvant, au péril de sa
vir, une vieille dame qui allait être écrasée par un
IH.
:}0(î LE MOUVEMENT LITTERAIRE
train; et, comme il avait toujours souhaité d'épou-
ser une vierge forte, une vaillante associée, il s'était
dit, avec quelque apparence de raison, que cette
jeune fille était faite pour réaliser son rêve.
Grave erreur ! Claire, héroïque par occasion, est,
dans la vie courante, une femmelette qui s'épou-
vante et s'émeut de rien et de tout. Son mari
éprouve une amère déception en constatant qu'au
lieu d'une force sur laquelle s'appuyer, il n'a auprès
de lui qu'une faiblesse à réconforter. Heureusement,
il a la sagesse d'en prendre son parti; il fait appel à
tout son courage, à toute son énergie, il voit la
beauté de son rôle naturel de protecteur, et au
dénouement il serre tendrement sa femme dans ses
bras en lui murmurant : « Je t'aime pour ta fai-
blesse. »
L'histoire est^ gentille, contée avec agrément et
elle nous fait passer quelques heures charmantes
dans la compagnie toujours sympathique de gens
heureux, pour lesquels tout s'arrange : affaires d'ar-
gent et affaires de cœur.
GABRIELLE RÉ VAL
La Bachelière.
M ni® Gabrielle Réval, dont les Sévriennes eurent
un si grand retentissement, a continué, dans ses
OCTOBRE — LES ROMANS 307
romans, à s'occuper presque exclusivement de ces
jeunes filles qui passèrent, dans les écoles, de longues
années de labeur et d'espoir pour arriver au seuil
de la vie avec l'arme débile si chèrement achetée,
si passionnément souhaitée, d'un diplôme ou d'un
titre. Et ce furent après les Sèmennes^ les Lycéen-
nes^ les Lycées de jeunes filles, et c'est aujourd'hui la
Bachelière.
C'est un sujet singulièrement émouvant et di-
vers; ce n'est pas un sujet inépuisable, et l'on pour-
rait craindre, à la longue, une certaine impression
de monotonie dans ces romans. Je l'avoue, j'ai eu
cette crainte en apercevant la bachelière que
M°i® Gabriel Réval nous a amenée à Paris, venant
de sa montagne avec sa peau d'âne sous le bras,
cette petite Gaude qui, nous dit-elle, « n'est pas
une pédante, mais une simple et ardente et vibrante
gamine atteinte par la vie dans son bel espoir et
surprise par elle dans son ignorance de ce que sont
ses contemporains». J'ai éprouvé cette crainte, j'ai
eu aussi l'espoir d'une œuvre de discussion et de
philosophie sur l'instruction secondaire des jeunes
filles et sur les problèmes intellectuels et sociaux
qu'elle soulève.
Ni cette crainte ni cet espoir n'étaient justifiés;
malgré ce titre, ce n'est pas « la bachelière)) qui
apparaît dans le roman de M^»® Gabrielle Réval,
c'est une jeune fille qui a obtenu son baccalauréat,
et ce n'est pas du tout la même chose ; son aventure
est d'ailleurs très émouvante et il y a beaucoup de
308 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
noblesse dans ce drame d'une vierge forte, intelli-
gente et généreuse, acharnée à défendre l'œuvre
et la gloire de son père, prête pour cela à tous les
sacrifices, à commencer par celui de sa propre per-
sonne; mais, je le répète, c'est une histoire.très bril-
lamment imaginée, très bien conduite, ce n'est pas
le roman de la bachelière.
M"^^ Gabrielle Réval y a semé cependant une
foule d'observations pittoresques, de notes qu'on
sent véridiques, et elle n'a pas reculé parfois devant
certaines évocations audacieuses, dont je dirais —
si je ne détestais les jeux de mots faciles — qu'elles
me paraissent plutôt du domaine de la licence
que do celui du baccalauréat.
MAURICE MONTÉGUT
La Chaîne des Daines.
Les lecteurs du Figaro connaissaient la Chaîne des
Darnes^ ce « roman moderne » de M. Montégut dont
ils avaient eu la primeur : ils savaient tout ce qu'il y a
d'émouvant et de pathétique dans cette histoire d'a-
mour et d'amitié dominée par deux êtres d'élection :
le romancier Guillaume Portai et le poète Raoul
Desmoulins. Je n'avais donc plus que l'agréable
devoir de saluer cette œuvre forte et généreuse où
M. Maurice Montégut a peint les milieux littéraires
OCTOBRE LES ROMANS 309
et artistiques de Paris avec une si remarquable
vérité, évoqué des personnages si vivants, des
drames si humains qu'on est tenté parfois de
chercher la clef de ce roman.
On ne saurait la trouver parce qu'il n'y en a pas ;
M. Maurice Montégut ne cultive pas ce genre,
incompatible d'ailleurs avec le lyrisme généreux,
l'idéalisme ardent qu'on trouve toujours dans ses
livres et qui plus que tout autre ennoblit la Chaîne
des dames.
FRÉDÉRIC MAUZENS
Les Écumeurs de Salon.
Vous n'avez pas oublié sans doute la première
œuvre de cet écrivain, ce Coffre- fort vivant., d'une si
heureuse et si riche fantaisie où, du premier coup,
s'affirmait un émule tout à fait original et person-
nel de Jules Verne. Le succès fut considérable;
depuis lors M. Frédéric Mauzens a voulu corser sa
manière, il a évolué dans le sens du roman d'aven-
tures et il a mis sa généreuse et riche imagination
au service d'histoires feuilletonesques.
Je ne puis m'empêcher de le regretter un peu; je
crois que M. Frédéric Mauzens aurait pu, et pourra
nous donner dans le genre du Coffre-fort vivant des
livres d'une très grande séduction. Ce regret une
fois exprimé, il est juste de dire qu'il réussit supé-
:M() LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
rieurement dans le genre adopté par lui, et son
roman les Ecumeurs de salon^ avec toutes les
péripéties extraordinaires, les meurtres, les enlè-
vements d'enfants, les détournements d'héritage,
les luttes épiques entre le crime et l'innocence,
toutes ces choses qu'exige la poétique du genre, est
tout à fait amusant, conduit avec beaucoup d'art
et il s'y trouve notamment une évocation de la
Butte et du monde des chansonniers d'une très
pittoresque vérité."
Et lorsqu'on arrive au dénouement du drame,
au châtiment du crime, personnifié par l'odieux
Fernand de Tercy, après avoir traversé trois cent
cinquante pages d'émotion, de larmes et de rires
savamment dosés, on ne peut plus songer à. en vou-
loir à l'auteur qui a su atteindre son unique but :
émouvoir et amuser son lecteur.
ROBERT-VALLERY RADOT
Leur Royaume.
Il fait bon, en ces temps où régnent les réalités
brutales, d'aller parfois se retremper dans des
régions éthérées de tendresse mystique, de sacrifice
rayonnant, de candeur et de chasteté ; de tels voya-
ges sont bienfaisants et l'on en revient, sinon tout à
fait converti, du moins fort édifié: malheureuse-
UCTOFJRi: — LES ROMANS oll
ment, la vie ne nous en offre pas souvent l'occa-
sion et encore moins le roman, plus brutal que la vie
elle-même. Remercions donc M. Robert Vallery-
Radot, à qui nous devons une de ces excursions au
pays du bleu où se trouve situé Leur Royaume : le
royaume de Fabienne et de Marie, deux sœurs, deux
jeunes filles qui sont des modèles de grâce et de
pureté, éprises toutes deux d'une tendresse pro-
fonde pour Jacques Vibreuse, qui aime éperdu-
ment l'une d'elles, Marie.
Une telle situation pourrait être tragique et
nous conduire aux plus vilaines péripéties, mais les
héros de l'aventure sont des êtres d'élection en qui
nul sentiment bas ne saurait naître; ils peuvent
souffrir : ils sont incapables de haïr et de se rebeller
contre la Providence ; leurs âmes et leurs cœurs se
retrempent et s'épurent dans la bonne souffrance.
Et, conformément aux vœux de la Providence et
aux lois de son cœur, Jacques Vibreuse épouse
Marie, cependant que Fabienne s'impose de renon-
cer à son amour et s'efforce d'accorder une tendre
amitié à Antoine de Nancbèvres à qui elle liera sa
destinée.
M. Robert Vallery-Radot a fort bien exprimé,
dans une langue très pure, toute pleine de belles
images — presque des images de sainteté ! — ce
qu'il y a de noble, de sage et de généreux dans un
tel arrangement dont le seul défaut est de n'être
point à laportée des âmes vulgaires, qui sont hélas I
lin peu plus nombreuses que les autres.
312 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
DOMINIQUE DURANDY
L'Ane de Gorbio.
« Poussières du Midi», nous dit M. Dominique
Durandy, en épigraphe et commentaire du volume
de nouvelles qu'il vient de publier sous le titre de
la première : F Ane de Gorbio, Et ce sont bien en
effet de jolies choses du Midi, sentant bon le terroir,
toutes baignées de soleil et de lumière, que ces nou-
velles, ces silhouettes de politiciens tracées nerveu-
sement, ces coins de vie niçoise, ces paysages et
figures du Midi. M. Dominique Durandy est un
enfant de ce pays béni : il y coule des jours heureux
et actifs; et, malgré l'accoutumance, il sait très
bien voir et noter les choses qui l'entourent, il les
évoque avec une tendresse infinie, avec aussi une
pointe de raillerie pas méchante.
Et c'est charmant, vraiment; cela nous ragail-
lardit, nous autres déshérités, qui ne connaissons
que quelques jours seulement chaque année la côte
ensoleillée, car c'est tout le Midi qui vient à nous
dans ce livre : ses arbres, ses paysages, ses hommes
et même ses bêtes, comme ce bon âne patriote de
Gorbio, en rébellion contre son nom de Bismarck,
comme aussi le chien Moustache, l'étonnant liber-
taire.
M. Jean Aicard dit, dans une aimable préface,
sa prédilection pour ce livre « pénétré du véritable
OCTOBRE — LES ROMANS 313
sprit populaire de chez nous qui n'est pas seule-
iient bon sens, mais raillerie même du bon sens,
peint par lui-même. C'est bien l'esprit populaire
<ie la région du Var que nous montre, avec beaucoup
(le pénétration fine et d'esprit personnel, M. Domi-
nique Durandy. »
CAPITAINE DANRIT
L'Aviateur du Pacifique.
Le capitaine Danrit, romancier militaire dont la
généreuse imagination nous a valu déjà cette célè-
bre Guerre de demain^ cette Invasion jaune, cette
Guerre fatale^ et tant d'autres belles histoires dra-
matiques dont le succès fut considérable, entreprend,
aujourd'hui, le grand roman de l'aviation.
Fidèle à sa méthode, le capitaine Danrit a écrit
ce roman sur une donnée rigoureusement établie
au point de vue scientifique et géographique, pous-
sant le scrupule jusqu'à dresser une carte sur
laquelle nous pouvons suivre les exploits de son
héros. Sur une base si soHde, il peut bâtir les fictions
les plus extraordinaires, les péripéties les plus im-
piévues, assuré qu'elles nous paraîtront toujours
l'aies, sinon vraisemblables.
Et, de fait, elle est bien extraordinaire cette
épique envolée de l'ingénieur français Maurice
Rimbaut à travers le Pacifique, sur un biplan de
19
314 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
fortune improvisé par l'ingénieur avec un moteur
échappé à un naufrage, quelques planches et quel-
ques mètres de toile. Sur ce frêle esquif aérien, à
travers les périls sans nombre que sèment autour
de lui l'hostilité des éléments et celle des hommes,
il réussit à accomplir la fantastique mission qu'il
s'est donnée : il apporte aux Etats-Unis en guerre
avec le Japon une chance de salut et il retrouve,
par surcroît, sortie saine et sauve des plus effroya-
bles dangers, une jeune fiancée qu'il aime tendre-
ment.
Cette dramatique histoire est fort impression-
nante; son auteur, sans rien perdre de son ori-
ginalité, a été à la bonne école de notre grand Jules
Verne, et puis, il garde, comme toujours, un loua-
ble souci d'édification patriotique, dans ce livre
qu'il dédie « aux officiers français qui ont jalonné
de leurs corps le rude chemin de la conquête de
l'espace ».
JAMES LANE-ALLEN
L'Invisible Chœur.
(Adapté de l'ang-lais par M"" A. Bohn).
Ulnvisihle Chœur, de James Lane-Allen est un
bien étrange livre : tout plein d'observations aiguës,
de descriptions pittoresques d'une vivante vérité,
il est, en même temps, d'une subtilité bien rare en
OCTOBRE LES ROMANS 315
lin roman de langue anglaise. Au seuil de ce roman
une citation de Georges Eliot : « Puissé-je me join-
dre à l'invisible chœur, le chœur des morts immor-
tels, qui revivent dans nos âmes et les rendent
meilleures par leur présence. Puissé-je aussi rejoin-
dre l'invisible chœur, celui dont la musique est la
joie du monde. » Vous voilà fixés — ou à peu près !
— sur le sens du titre et sur la nature du « chœur
invisible» vers lequel tend John Gray, le héros du
roman, maître d'école écossais qui vivait au Ken-
tucky vers 1795, aux premiers temps de l'indépen-
dance de l'Amérique.
Le cadre puissamment évoqué prêtait à un
roman d'aventures, mais c'est une histoire de cœur
et d'âme que l'auteur a prétendu nous conter : celle
des amours contrariées de John Gray pour miss
Any, la nièce de Mrs Falconer, celle de son ma-
riage résigné avec une jeune fille pour laquelle il
n'éprouvera jamais de vrai amour, celle enfin de
sa tendre affection pour Mrs Falconer dont le sou-
venir doux et impérieux lui revient après de longues
années de travail et de fortune, et auprès de laquelle
il aspire à finir ses jours.
Mï»e A. Bohn a adapté ce roman tout à fait hon-
nête et chaste avec beaucoup d'adresse, en une
langue très littéraire : et elle a su y mettre toute la
clarté possible on lui gardant son caractère tout n
fiiil jKU'f jciilicr.
H16 LE MOUVEMENT LITTÉRAÏKK
GASTON ROUPNEL
Nono.
M. Gaston Roupnel est, je crois bien, un débu-
tant; du moins, je vois son nom pour la première
fois, et ce m'est une joie de découvrir en lui de
fort belles qualités d'observation et de sincérité. Il
évoque dans son livre les mœurs des paysans bour-
guignons, attachés passionnément à leurs vignes, et
il nous offre de leur vie un vigoureux et vivant
tableau.
Au centre de ce tableau, le héros Jacquelinet,
surnommé Nono — une attachante figure de pay-
san, bonasse et terreuse où, sous de chétifs sourcils,
de petits yeux grésilles et doux avaient le regard
ravi de l'innocence — est typé dès les premières
pages du livre avec une intense vérité. Nous le
voyons, ce grand diable que son excessive bonté
voue à tous les malheurs, à tous les ridicules, et
tout de suite nous éprouvons pour lui une tendresse
infinie : victime désignée de la malignité des hom-
mes et de la légèreté des femmes, il souffre de l'infi-
délité de sa femme Nenette, et de la faute de sa
petite fille, Laurette, des railleries et des méchan-
cetés de tous. Sans cesse bafoué, meurtri et malheu-
reux, il pardonne sans cesse parce qu'il y a dans son
cœur de tels trésors de bonté; et, au dénouement
du livre, vingt ans ayant passé, vingt ans de dou-
OCTOBRE — LES ROMANS 317
leur et de détresse, il sera heureux de recueillir
auprès de lui et d'aimer dans la paix sa femme
infidèle, abandonnée et flétrie.
Ainsi, cette étude de mœurs paysannes d'un réa-
lisme âpre et minutieux s'élève au-dessus de son
objet; elle nous offre un émouvant plaidoyer pour
la bonté, triomphante de toutes les fautes, de toutes
les railleries, de toutes les tristesses, la bonté qui
sauve et qui console, portant sa récompense en
elle-même; et, n'en déplaise aux pessimistes, ce
n'est pas ce qu'il y a de moins réaliste et de moins
\ I <ù dans cette œuvre émouvante.
JEAN-PAUL DESMOULIN
L'Œillade posthume.
•Jean-Paul Desmoulin est un pseudonyme, l'au-
teur du livre est, nous dit-on, un brillant général
de l'armée d'Afrique, le « Général trois étoiles ». Il
n'y va pas de main morte, ce guerrier ; il excelle,
je vous assure, à donner le frisson aussi bien avec
sa plume qu'avec son épée. Ses histoires sont terri-
bles et Edgard Poë n'a rien imaginé de plus
effrayant ; pour vous en donner une idée je vous dirai
simplement que VQullade posthume décochée au
lieutenant de spahis, qui nous conte cette aven-
ture, lui est apportée par une gazelle dans les orbi-
318 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
tes de laquelle un rival jaloux a délicatement
enchâssé les yeux de Khadra, une belle dame
épouse du caïd des Béni Snassen, dont le lieutenant
avait été aimé dans des circonstances particulière-
ment tragiques; et il y en a d'autres non moins
terribles, non moins angoissantes, et bien que ces
terrifiantes choses soient au plus haut degré invrai-
semblables, elles sont contées avec une si rude sim-
plicité qu'on les croit vécues, et l'auteur désire,
d'ailleurs, que nous les croyions, puisque dans la
dédicace de son livre il parle de « ces ombres dou-
loureusement passionnées surgies des limbes de sa
mémoire ».
COMTESSE DE BAILLE HACHE
Estelle.
En un roman d'une très agréable observation
psychologique, M^^ la comtesse de Baillehache
nous raconte l'histoire d'Estelle, une belle jeune fille
à l'âme généreuse, ardente, éprise d'idéal, avide
aussi de bonheur, de tendresse et d'amour et que
son mauvais destin a placée dans un milieu de
bourgeoisie étroite, haineuse, méchante, où on
l'opprime et la martyrise à plaisir. La piuvre
petite orpheline a été prise en tutelle par son oncle
et sa tante, M. et M^^ de La Huchette, qui la
détestent et lui font souffrir mille misères.
OCTOBRE LES ROMANS 319
Pour échapper à cet enfer, elle épouse le premier
prétendant venu, Albert de Maersens, un officier en
garnison à Versailles; en se mariant à ce bon fils
d'une acariâtre belle-mère, elle n'a fait que chan-
ger de bourreau, et M"^® de Maersens s'applique à
lui faire regretter M^^ de La Huchette. Aussi,
quand Dominique Oltara, le musicien créole, si
généreux, si aimant, si tendre, vient à passer dans
sa vie, de quel cœur elle voudrait aller à lui I Ils s'ai-
ment d'un amour éperdu, mais elle a la volonté de
rester fidèle à son devoir, elle résiste et le décide à
partir. Quelque temps après, devenue mère, elle
donne le jour à un enfant créole : quel scandale !
Pour nous, qui savons son innocence, nous suppo-
sons qu'il y a là un miracle de l'amour comme celui
dont Gœthe nous entretenait dans les Affinités
électives, mais il n'en est rien et la cause de tout
cela c'est une faute lointaine de M°^® de Maersens
contrainte, certain jour, à la honte d'un aveu, et
Albert de Maersens qui, sans pitié, avait chassé sa
femme dolente et désespérée, comprend alors so'n
injustice, il s'en va vers elle, et comme elle le
repousse il tente de se donner la mort.
Estelle alors, immuablement fidèle au devoir,
reprend sa place auprès de lui et poursuit sans joie
son chemin dans la vie avec au cœur l'amour de son
enfant. Cette histoire, un peu surprenante parfois,
nous est contée avec beaucoup d'aisance et d'agré-
ment, en une langue claire, précise, rapide, qui
rend cette lecture tout à fait attrayante et facile.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES,
DIVERS
Mme DU HAUSSET
Madame de Pompadour.
Une nouvelle collection historique vient de naître
et je serais bien étonné que la fortune ne lui prodi-
guât pas ses sourires ; elle a pour titre : la Française
racontée par elle-même. — Mémoires de la Femme,
où seront groupées les femmes célèbres de France
évoquées par des femmes. L'idée n'est point seu-
lement aimable, elle est tout à fait ingénieuse et
profonde et prend toute sa portée dans notre
France, patrie de l'éternel féminin. Ainsi, en effet,
que yi^^ Marcelle Tinayre le dit très bien dans la
préface du premier volume : « En aucun pays, les
femmes ne participèrent plus activement à la vie
OCTOBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 321
morale et politique. Elles enseignèrent aux hom-
mes les arts délicats de la civilisation, les finesses
du sentiment et du langage, la fermeté dans les
revers, l'élégance dans l'amour et devant la mort.
On peut dire que dans les cours, dans les salons, et
même sur les champs de bataille, les Françaises ont
aidé les Français à créer la France. »
C'est donc une inspiration heureuse et féconde
de leur faire raconter l'histoire de la France. Le
premier volume de cette série est consacré à Madame
de Pompadour, et c'est M^^^ du Hausset, sa femme
de chambre, une personne fort peu imaginative
— partant, très véridique — qui se charge de nous
la raconter dans des notes d'un prestigieux et
émouvant intérêt où s'éclaire la figure de cette
petite bourgeoise, parvenue de génie, premier mi-
nistre en falbalas, dont l'esprit solide et lucide
mène le corps fragile, qui inaugure le premier règne
de la Femme, de la femme partie de bas, arrivée
au sommet par la seule puissance de la grâce et
de l'habileté.
EUGÈNE WELVERT
Autour d'une dame d'honneur.
Elle est bien intéressante et émouvante la figure
de cette Françoise de Ghalus, duchesse de Nar-
bonne-Lara, dont M. Eugène Welvert nous raconte
ly.
322 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
l'histoire. Cette noble femme, qui vécut pendant
près d'un siècle, de 1734 à 1821, nous ofTre la par-
faite et la dernière image de ce que fut dans l'ancien
temps une dame d'honneur, et l'étude de sa longue
existence permet de reconnaître qu'il « n'y avait
pas que de la bassesse dans tous ces courtisans de la
fin de l'ancien régime, ni que de la lâcheté dans tons
ceux que la Révolution mit en fuite.
En M"^®de Narbonne-Lara se rencontrent la plu-
part des privilèges et des avantages, des faiblesses
mais aussi des vertus de- la noblesse de la cour ».
M. Eugène Welvert la suit fidèlement dans toutes
les étapes de son existence jusqu'au jour où elle
mourut à l'âge de quatre-vingt-sept ans; ce n'était
pas seulement une grande dame qui disparaissait,
mais une tradition : le temps des dames d'honneur
avait pris fin et elle aurait pu dire en mourant : « Je
suis restée la dernière, le monde n'a plus besoin de
nous. »
LORD BROUGHTON
Napoléon, Byron et leurs contemporains.
« Souvenirs d'une longue vie .»
!"• volume traduit par M. Armand Fournier.
Napoléon et Byron ! Voilà, semble-t-il, un sin-
gulier rapprochement. Et l'on ne voit pas très
bien le parallèle qui se prépare. Il n'en est d'ailleurs
pas' question ot ces deux héros sont évoqués
OCTOBI'.r: HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC.. 323
ensemble par Lord Broughton simplement parce
qu'il les connut bien tous les deux. Je viens de
lire le premier volume de ces souvenirs traduit par
M. Armand Fournier; il est d'un merveilleux inté-
rêt, et à chaque page de ce journal, où méthodi-
quement, jour par jour, lord Broughton évoque
ses souvenirs, j'ai trouvé une anecdote curieuse,
un nom flamboyant.
Au-dessus de tout, deux figures, deux héros :
Byron et Napoléon, ce sont, dit lord Rosebery, dans
la préface du livre, ses deux dieux, l'un tout pro-
che, trop peut-être, l'autre lointain. Auteur d'un
ouvrage, le Dernier Règne de Napoléon^ document
de premier ordre que l'Empereur lui-même connut
et daigna remarquer et commenter, lord Brough-
ton est bien placé pour nous parler de lui; pour
Byron, on trouvera dans son livre les éléments de sa
biographie définitive : « Sa radieuse figure, nous ^dit
lord Rosebery, a l'autel qu'elle mérite dans notre
littérature, mais les détails de sa vie agitée intéres-
seront toujours le monde; or, le livre que voici en
révèle plus d'un. »
FRÉDÉRIC MASSON
Petites Histoires.
Sous ce titre, M. Frédéric Masson a réuni les pages
< crites par lui au cours de ces deux dernières années
pour les journaux auxquels il collabore, pour des
324 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
discours qu'il eut à prononcer, pour des conférences
qu'il donna. Il n'est pas inutile de rappeler cette
origine ; elle explique l'étonnante variété des sujets
abordés, M. Frédéric Masson a pris soin d'y appeler
l'attention de son lecteur que « le mélange des
genres eût pu déconcerter si les articles y avaient été
classés selon les dates où ils parurent, dans l'enche-
vêtrement inévitable des publications faites la
même semaine et parfois le même jour».
Le lecteur n'est pas déconcerté, j'en puis donner
l'assurance à M. Frédéric Masson : il est, au con-
traire, tout à fait séduit; le livre emprunte à cette
variété un très vif agrément; notre frivolité, inca-
pable d'un trop long effort, s'accommode à mer-
veille de passer de Barbey d'Aurevilly à Balzac et
à M. de Bonald, de l'épopée de Jeanne d'Arc à la
Révolution française, à Napoléon III et à Napo-
léon P', à lui, surtout, car vous entendez bien que
M. Frédéric Masson a été, comme toujours, hanté
par son héros : plus de la moitié des chapitres de
ce livre appartiennent à l'histoire napoléonienne
et l'on s'étonne même qu'après nous avoir appris
tant de choses sur Lui — comme il écrit avec un
émouvant respect — M. Frédéric Masson ait encore
tant de révélations pittoresques, dramatiques ou
piquantes à nous faire. Il est vrai que ce sujet est
vaste comme le monde et qu'aucune pensée hu-
maine ne saurait se flatter de l'épuiser jamais.
Et ce sont des pages infiniment curieuses sur
la préparation si raisonnée, si judicieuse du retour
I TOBRE — HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. 325
(le l'île d'Elbe, sur les rapports de l'empereur Napo-
léon et de M. de Bonald, sur l'ordre de la Réunion
qu'il avait imaginé pour offrir un hochet de vanité
aux sujets des rois détrônés par lui et privés de
leurs décorations abolies; sur cet énigmatique
irdinal Fesch, prêtre schismatique.
La grande figure de notre César donne à ce livre
>i divers l'unité qui lui est, d'autre part, assurée
|)ar la personnalité même de son auteur, lequel,
dans une préface nerveuse et combative, se félicite
<lo n'avoir point deux doctrines, deux opinions, ni
deux visages, de demeurer tel qu'il est, tel qu'il fut
<lopuis qu'il tient une plume, « à défaut, dit-il, des
qualités de style et d'expression que me réfusent
certains adversaires politiques, c'est une origina-
lité qu'ils ne peuvent me retirer et à laquelle je les
défie de prétendre)).
EDOUARD GUILLON
Napoléon et la Suisse — 1803-1815, d'après les
documents inédits des Affaires étrangères.
De cette histoire impériale à laquelle M. Frédéric
\rasson a consacré sa vie, voici un moment, un
détail, évoqués par M. Edouard Guillon, Napoléon
et la Suisse — 1803-18J5, d'après les documents
inédits des Affaires étrangères. M. Guillon étudie en
Napoléon I®*" le médiateur de la Confédération hel-
326 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
vétique; c'est un point d'histoire presque locale,
mais la présence du héros épique lui donne, tout
de suite, un intérêt passionnant, une place dans
l'histoire du monde.
En apprenant d'où venait à l'Empereur ce titre
de médiateur de la Confédération helvétique, com-
ment il exerça sa médiation, quels en furent les
avantages pour la Suisse, quelles causes en ont
amené la fin — toutes choses que M. Guillon nous
enseigne avec beaucoup de compétence et d'agré-
ment — on constatera, une fois de plus, la prodi-
gieuse universalité de ce génie napoléonien qui,
partout où il passa, a laissé des traces ineffaçables
monuments indestructibles de sa gloire.
C'est ainsi qu'on peut dire aujourd'hui que « la
Suisse contemporaine reste l'œuvre de Napoléon,
que c'est lui qui a trouvé le meilleur ciment pour
lier les cantons et jeter les fondements les plus
soHdes de l'Union Confédérale »
GÉNÉRAL ZURLINDEN
Napoléon et ses maréchaux.
En un volume très précis, très savant, très
concis, le général Zurlinden raconte Napoléon et ses
maréchaux; il nous explique, dans un avant-pro-
pos, le but et la portée de son ouvrage. Pour lui,
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 327
l'histoire de Napoléon n'est pas- terminée, les mil-
liers de volumes consacrés à ce génie surhumain
n'ont point épuisé l'inépuisable sujet et en atten-
dant que cette histoire définitive, complète ait été
faite — je pense bien qu'on attendra toujours —
il a voulu apporter sa pierre à l'édifice et aider
"ux qui le désirent, à se faire une idée sérieuse de
" qu'a été réellement l'Empereur, à comprendre
I )mment il a pu dominer les esprits et les cœurs de
la nation, insérer dans nos annales des pages de
gloire merveilleuse, inouïe, et devenir le plus grand
capitaine de l'histoire, le héros de la plus belle des
épopées. Cette étude, il l'a faite en soldat enthou-
siaste, en observateur impartial, et il a réussi, dans
une synthèse impressionnante, à enfermer en moins
'l<^ trois cents pages cette immense histoire de vingt-
inq ans, entre la jeunesse de Bonaparte et Sainte-
Hélène.
COMTE DE COMMINGES
Souvenirs d'enfance et de régiment
(18311870-1871).
Histoire contemporaine, évoquée par un con-
{«'mporain, voici les Souvenirs d^ enfance et de régi-
ment (1831-1870-1817) du comte de Comminges.
Quand il écrivit ces pages d'une alerte et noble sim-
plicité, le brillant officier des guides de la garde
328 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
impériale, mort en 1894, n'avait nullement l'inten-
tion ni la prétention d'écrire un livre d'histoire : il
consignait simplement ses souvenirs d'enfant, de
potache et d'officier pour l'édification de son fils et
du fils de son fils. C'est nous qui faisons de ces notes
un document historique, parce que nous y retrou-
vons, évoquées par un homme qui les connut, les
figures de Fleury, de la princesse Mathilde, de
Niewerkerke, de la belle Castiglione, de l'Impéra-
trice, de Gallifîet, etc., racontés par un homme qui
les vécut les sombres jours de 1870, et c'est de
l'histoire vraiment, de l'histoire palpitante qui
apparaît dans le vivant tableau de ces jours d'au-
trefois, ces jours qui, selon la parole de Tolstoï, « se
représentent comme baignés dans une vapeur d'or,
avec, sur ce fond lumineux, de chers fantômes qui
se détachent et tendent les bras ».
E. DUGHESNE
Michel louriévitch Lermontov
« Sa vie et ses œuvres .»
Étude littéraire et historique; voici un bien
remarquable ouvrage de M. E. Duchesne sur Michel
louriévitch Lermontov « sa vie et ses œuvres». Ler-
montov est l'un des représentants les plus brillants
du romantisme russe, issu du romantisme européen.
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 329
Il compte aussi parmi ceux qui ont subi le plus
profondément l'influence de lord Byron, aussi puis-
sante dans les principales littératures slaves que
chez nous. Mais son principal intérêt n'est pas là :
« il réside avant tout dans la beauté de ses œuvres,
ensuite, dans l'irritant problème que pose l'appré-
ciation de sa personne morale. » Et, en effet, bien
des circonstances ont rendu obscur le caractère
de cet illustre poète. Lermontov est resté aussi
inconnu qu'il est célèbre.
On juge dès lors à quelles difficultés a dû se heur-
ter l'érudit écrivain qui a prétendu nous donner
une œuvre d'ensemble sur le poète russe, nous
raconter son enfance, sa jeunesse, étudier ses œu-
vres et démêler les influences subies par elles. Avec
une conscience, une ténacité, une science remar-
quables, M. Duchesne a vaincu toutes ces difficul-
tés, et son livre est un véritable monument élevé
au poète qui, mort jeune, n'a pas pu remplir toute
sa destinée et a exercé pourtant une si profonde
influence sur la littérature russe, et « cette autre
influence qui ne tombe pas sous nos mesures : le
rayonnement qui jaillit du génie du poète, la cha-
leur de la sympathie qu'il éveille, l'admiration
qu'il snsnite ».
330 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
EMILE HINZELIN
Images d'Alsace-Lorraine.
M. Emile Hinzelin est, parmi ces bons français
de Lorraine qui n'oublient pas, ne veulent pas
oublier, l'un des plus solides et des plus ardents. Il y
a de longues années déjà, au temps lointain du
service militaire à la frontière de l'Est, je l'ai connu,
semant la bonne parole de souvenir et d'espoir; j'ai
salué naguère son premier livre: En Alsace-Lor-
raine^ tout plein de ces généreuses idées, d'autant
plus persuasives que toute inutile violence en était
bannie; et c'est encore une pierre qu'il apporte
aujourd'hui au monument du souvenir et de l'es-
pérance avec le volume paru sous le titre : Images
d^ Alsace-Lorraine,
Son intention, nous la connaissons, il nous la dit
dans des lignes liminaires, pittoresques et émou-
vantes : « Dans l'acte légitime de la revendication
chez les Romains, on apportait devant le préteur
une motte de terre prise au champ en litige. Voici
une nouvelle motte de terre, prise avec des racines
et des fleurs, à notre Alsace et à notre Lorraine.
Nous l'apportons devant le grand tribunal moder-
ne : la conscience du genre humain. »
Et pour plaider la cause de la réunion nécessaire,
fatale, des deux provinces martyres, il nous fait faire
simplement parmi leurs paysans, leurs champs, leurs
(OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 331
jardins, leurs églises, la plus émouvante, la plus
belle des promenades, en s'arrêtant parfois devant
l('s images d'un humoriste ou les inspirations d'un
poète, et c'est le plus éloquent, le plus persuasiï des
])laidoyers.
OCTAVE UZANNE
Parisiennes de ce temps.
M. Octave Uzanne étudie les Parisiennes de ce
temps en leurs divers milieux, états et condi-
tions. En nous donnant ces croquis très poussés,
très précis, des ménagères, des ouvrières de Paris,
des bonnes, des marchandes et boutiquières, des
demoiselles et employées de magasin, des dames
' l'administration, des femmes de théâtre, bour-
geoises, artistes, et aussi courtisanes, M. Octave^
Uzanne a voulu dégager « le caractère, l'esprit, les
modes, les manières, les attitudes, les diverses for-
mes de langage, les principaux traits distinctifs
heureux ou pitoyables de la femme contemporaine,
toile qu'elle se présente à nos regards insuffisam-
ment clairvoyants dans les miheux pittoresques de
la métropole française à l'heure présente ».
Comme Sébastien Mercier, dont il rappelle le
rflè^ûttrfePam et auquel il emprunte une bonne par-
tie de sa préface, il a voulu laisser à l'avenir un docu-
ment exact et quasi-photographique sur notre temps.
332 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Il est très intéressant, ce document, mais il n'est
pas gai : regarder la Parisienne dans ses divers
milieux, c'est juger, nous dit M. Octave Uzanne,
« de ses efforts si mal encouragés, de sa force supé-
rieure à ses faiblesses, de sa vie de démoniaque
dans un décor de féerie et d'Eden, qui est, pour elle,
le plus féroce des jardins des supplices». Les obser-
vations semées dans le livre sont exactes, la conclu-
sion me parait vraiment un peu exces^ve et pessi-
miste. Ce « paradis si vanté, si chanté, si envié, si
convoité, de toutes nos provinces et dans le monde
entier» doit tout de même son prestige à quelque
réalité et n'est pas toujours ce décevant mirage
dont nous parle M. Octave Uzanne.
LOUIS DE MEURVILLE
La Cité future.
Ce sont là des tristesses modernes ; voici venir la
Cité future^ évoquée par notre sympathique confrère
Louis de Meurville. M. Louis de Meurville est,
comme beaucoup de ses contemporains, profon-
dément troublé en face des convulsions de la so-
ciété actuelle, et il se demande de quoi demain
sera fait. Tout d'abord, les exigences croissantes
des travailleurs trouvent en lui une louable indul-
gence. Mais, il faut être raisonnable : « Jusqu'à
iCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 333
la Révolution, dit-il, on n'a parlé à l'humanité que
fie ses devoirs; depuis lors, elle ne veut plus enten-
dre parler que de ses droits»; et il proclame judi-
rieusement la nécessité d'équilibrer les premiers et
It^s seconds. Pour cela, il faut se rendre compte que
tout commence par le travail, tout doit être réglé
dans la justice, tout doit être dominé par une idée
morale commune à tous, et c'est l'honneur)). Et
( 'est pourquoi il a partagé son livre en trois par-
ties : Travail, Justice, Honneur.
Ce sont là des mots bien sonores, mais j?ai plaisir
constater que M. de Meurville a su mettre der-
r ière ces mots et dans ces chapitres des idées géné-
reuses, des faits, des documents. Félicitons-nous
donc qu'après avoir pensé à ces choses graves,
M. de Meurville voie l'avenir dans l'évolution et
non dans la révolution, et faisons des vœux avec
lui pour que la France se place « au premier rang
<fans ce mouvement qui entraîne l'humanité, et
({u'au lieu de donner l'exemple du désordre et de la
Instruction, elle donne celui de la sagesse et montre
' que peut son génie à l'avant-garde de l'huma-
334 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MÉMENTO DU MOIS D'OCTOBRE
ROMANS
Albinet (Félix). — Contes de toutes les heures.
Aubier (Fernand). — Belle et sans dot.
Bachelin (Henri). — Rohes Noires.
Berger (Lya). — UAiguilleuse.
Blan vilain (Germaine). — Le soir d'une vie d'amour.
Gahisto (Manoël). — L'Illimité.
Girardin (J.). — Maman.
Goron — Coup double, épisodes des « Nuits Rouges».
Han Ryner. — Le Cinquième évangile.
Lafage (Léon). — Par Aventure.
Lafargue (Fernand). — Les Ouailles du curé Fargeas, une
nouvelle édition très agréablement illustrée de ce
roman du regretté Fernand Lafargue que j'ai signalé
en son temps et qui est, je crois bien, l'œuvre maî-
tresse de cet écrivain, dont la carrière fut si préma-
turément interrompue.
Méry (Claude). — La Voix des vieux.
Morian (Jacques). — L'Epreuve du feu, le récit de l'émou-
vante aventure d'une jeune fille éprise du mari de sa
meilleure amie.
Renel (Charles). -^ La Race inconnue.
Reschal (Antonin). — Les derniers exploits de Maud, femme
du monde cambrioleuse, roman fantaisiste.
Wenz (Paul). — Sous la Croix du Sud, de très jolies nouvel-
les, pittoresques et émouvantes et qui présentent par
'^Iles-mêmes un très vif intérêt ; elles ont, en outre, le
mérite d'évoquer avec beaucoup de précision mille
détails intimes, mille caractères curieux de la vie
australienne, et ce livre agréable est en même temps
un fort précieux document.
MEMENTO DU MOIS d'oCTOBRE 335
HISTOIRE — LITTÉRATURE — THÉÂTRE
POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Albert (Henri). — Frédéric Nietzsche : Pages choisies.
Arjuzon (Comtesse d'). — Récits de trois jeunes prisonnières :
« Madame Royale, M ™e de Tourzel, M^^e ^e Pons. »
Aymard (Capitaine). — Les Touareg, une belle étude rap-
portée du Soudan où l'auteur passa de longues années
en des postes périlleux.
Rollossort (André). — La Suède, — la « nature, l'esprit et
les mœurs, la Suède littéraire, la Suède religieuse»,
un pittoresque et intéressant volume.
Blés (Numa). — Voir Dominique Bonnaud.
Bliard (Pierre). — Jureurs et Insermentés (1790-1794),
d'après les dossiers du Tribunal révolutionnaire.
Bonnaud (Dominique), Numa Blés et Lucien Boyer. —
Ulysse à Montmartre, une charmante plaquette, vers
et prose mêlés, où les auteurs offrent à notre médita-
tion un portrait d'Ulysse assez inattendu et dénué de
tout respect pour l'antiquité grecque en général, et
pour le sage Ulysse en particulier. Et cette légende
néo-grecque n'est point seulement irrévérencieuse, elle
est aussi d'une bien blâmable licence, mais les vers
sont si pimpants, la prose est si spirituelle, tout cela est
si amusant qu'on a pour les coupables chansonniers
beaucoup d'indulgence. Et puis, n'oublions pas que
cela se passe à Montmartre et que de tout temps la
butte sacrée a eu des grâces d'état.
lîonnefon (Jean de). — Les Cours, VEglise et la Ville, un
bien discutable et bien amusant volume.
iîourgeois (Emile). — La Diplomatie secrète au xviii*^ siècle.
— Ses Débuts : Le Secret de Dubois, cardinal et premier
ministre, le dernier volume de ce savant ouvrage.
F^»outié (Louis). — Paris au temps de Saint-Louis, un volum»'
un peu tendaniceux peut-être mais si intéressant, si
remarquablement documenté. C'est un plaidoyer
pour cet âge d'or du bon vieux temps qui ne réalisait
336 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
pas l'idéal de la perfection, ni matériellement, ni poli-
tiquement, mais qui s'en éloignait, paraît-il, moins
que le nôtre. Pour étayer son plaidoyer, M. Louis
Boutié a procédé à une vaste enquête très semblable
à celle que font les journalistes d'aujourd'hui sur les
grands faits modernes; il n'y manque que des photo-
graphies — et encore elles sont remplacées par de fort
belles images I
Boyer (Lucien). — Voir Dominique Bonnaud.
Garlyle (Thomas). — Voir Jeanne Welsch.
Chambrier (M™e Alexandre de). — Henri de Mirmand et les
Réfugiés de la Révocation de VEdit de Nantes, 1750 à
1720.
Chevrillon (André). — Nouvelles études anglaises.
Colomb (Félix). — Les Combats, des vers offerts « aux com-
battants de toutes races ».
Golson (Albert). — V Essor de la Chimie appliquée. Ce titre
seul suffit à dire l'intérêt et l'importance d'un tel
ouvrage. Ne vivons-nous pas sous le règne de la chi-
mie qui transforme peu à peu toute notre vie, toutes
nos habitudes, dont l'influence, prépondérante dans
la grande agriculture et dans la grande industrie, se
fait sentir jusque dans l'intimité de notre home? Je
serais bien content de pouvoir vous parler de ce livre
comme il convient; mais, malgré le souci que prend
M. Albert Colson d'être accessible à tous, de ne mettre
dans son livre que la teinte des notions générales
strictement indispensables, c'est encore bien fort pour
moi et mon ignorance éclaterait bien vite si je m'aven-
turais dans une analyse. Je dois donc me contenter
de vous dire qu'il y a dans l'ouvrage de M. Albert
Colson un tableau d'une ampleur et d'une concision
remarquable, embrassant les grandes industries chimi-
ques et agricoles, métallurgiques et électriques, les
propriétés du radium, la poudre sans fumée, l'in-
dustrie des couleurs et des parfums et l'hygiène
moderne.
Courson (Vicomte de). — L'Insurrection de i8 32 en Bretagne
et dans le Bas-Maine.
Dierauer (Johannès). — Histoire de la Confédération Suisse,
MEMENTO DU MOIS D OCTOBRE 337
troisième volume traduit de l'Allemand par M. Aug.
Reymond.
llaumgard (Louis). — Edmond Rostand, biographie criti-
que ornée d'un portrait frontispice et d'un autographe
suivi d'opinions et d'une bibliographie.
Jaurgain (Jean de). — Troisième, d'Artagnan et les Trois
Mousquetaires, un volume où l'auteur évoque, en des
études biographiques et héraldiques, les prestigieux
héros d'Alexandre Dumas, personnages si chers à
notre imagination et que nous retrouvons dans l'his-
toire avec un sentiment mêlé de plaisir et de mélan-
colie.
Kergorlay (Comte Jean de). — Sites délaissés d'Orient, des
pages pittoresques, émues, semées de belles images, où
l'auteur évoque les gorges desséchées de la péninsule
sinaïtique, Feiran et la montagne de la Loi, et Pétra,
au miheu d'un site merveilleusement beau, inondé de
lumière, et enfin, pèlerinage national,. les châteaux des
croisés, ces magnifiques forteresses qu'au temps jadis
les Français firent surgir du sol si lointain de leur
patrie, si lointain de tout, au milieu des populations
hostiles, ayant sans cesse à combattre les Musulmans
fanatiques guerroyant chez eux, sous un ciel de
feu.
La Forge (R.-G. et H. de). — Au pays de V Avenir, «Quatre
années d'études sur les affaires de l'Amérique du
Sud. Les milhons de l'épargne française au Brésil.»
Un attrayant et instructif voyage.
La Torre (Jorge-Corredor de). — V Eglise Romaine dans
V Amérique latine.
Latreille. — Après le Concordat, « l'Opposition de 1803 à nos
jours», un volume où l'auteur termine son histoire si
intéressante de l'opposition religieuse au Concordat.
Laurent (Raymond). — Etudes anglaises, un livre capti-
vant et sincère.
Leclercq (Jules). — Terres antiques et lointaines, un livre
où l'auteur évoque, en des vers harmonieux, l'Egypte,
la Grèce, l'Orient, l'Inde, les tropique et les terres
polaires, la mer, la montagne, les eaux, la forêt, le
désert.
20
338 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Lefebvre (Alphonse). — V Inconnue de Prosper Mérimée, sa
vie et ses œuvres authentiques.
Legendre (D^ A.-F.). — Kientchang et Lolotie, un volume
d'une très pittoresque et solide documentation sur
le Far-West chinois. En publiant ce livre, l'auteur a eu
des intentions austères : il a désiré nous instruire et,
sans chercher à nous faire connaître des aventures
sensationnelles, il a voulu nous offrir une étude : celle
du grand peuple à l'ordre du jour et des aborigènes
qui vivent à son contact, il a touché, nous dit-il, un
peu à tout : peintures sociales et familiales, coutumes,
tendances, et l'on peut voir dans ce livre « les diffé-
rentes races d'un ,très vaste empire dans toutes les
manifestations de leur existence physique, intellec-
tuelle et morale, le milieu où elles évoluent, milieu
intéressant par la multiplicité de ses produits sous un
merveilleux chmat». Cet ouvrage, qui veut n'être
qu'instructif, est en même temps tout à fait amusant
et pittoresque, j'ajoute qu'il est réconfortant, car,
après l'avoir lu, ceux que hante à l'heure actuelle le
souci du péril jaune ont quelques raisons d'être un
peu rassurés.
Le Senne (Emile). — M"^<^ de Païva, une étude un peu spé-
ciale de psychologie et d'histoire.
Lévy (Arthur). — Napoléon intime. Voici, sous une forme
nouvelle, réduite, sans que rien d'essentiel en ait dis-
paru, l'œuvre publiée, il y a quinze ans par M, Arthur
Lévy. Tout a été dit sur cette œuvre puissante, minu-
tieuse, où l'homme qui fut en Napoléon est évoqué
avec une conscience scrupuleuse, une vérité quasi-
photographique, et cette émotion profonde dont ne
sauraient se défendre ceux qui ont contemplé ce soleil.
Lors de son apparition, François Goppée avait loué ce
livre aujourd'hui classique; il avait admiré ce « por-
trait de l'Empereur si ressemblant parce que si humain,
il avait dit « l'esprit d'ordre, le calme, la conscience, (^t
.surtout Je haut sentiment d'impartiahté de ce livre ■).
Réjouissons-nous de voir cette belle œuvre d'his-
toire mise plus directement à la portée du grand
pubhc.
MEMENTO DU MOIS d'oCTOBRE 339
Longuemare. — Bossuet et la Société française sous le règne
de Louis XIV.
Lubomirski (Prince Joseph). — Mémoires du prince Joseph
Lubomirski, 1839-1869; c'est l'étonnante « histoire
d'une ruine » que l'auteur nous présente dans une in-
troduction où j'ai cueilh cette phrase : « Je me méprise
profondément. Toutefois, par comparaison avec nom-
bre de mes semblables, je redresse le col qui, malgré
ce dédain de ma propre personne, est raide à peu près
comme celui du peuple d'Israël.»
Liinel (Ernest). — Le Théâtre et la Révolution, un livre où
l'auteur étudie l'histoire anecdotique des spectacles,
de leurs comédiens et de leur public par rapport à
la Révolution française.
Mangin (Lieutenant-colonel). — La Force noire, un beau
livre où l'éminent officier nous expose avec une élo-
quence saisissante les ressources que nous réservent
la force noire, l'armée noire, pour suppléer à cet amoin-
drissement douloureux dont la dépopulation menace
chaque jour plus dangereusement notre armée métro-
pohtaine.
Masson (Pierre-Marie). — Une vie de femme au xviii^ siè-
cle, une nouvelle édition de cet ouvrage si séduisant et
si décisif sur M me de Tencin (1682-1749).
Mer('ault (Charles). — VArt de tromper, d'intimider et de
corrompre Vélecteur : c'est un art assez bien connu par
un grand nombre de nos législateurs qui n'ont besoin
pour le pratiquer ni de maître ni de manuels, ils
n'ont plus rien à apprendre dans cet ordre d'idées !
Raison de plus pour souhaiter que leurs électeurs se
décident à aborder à leur tour cette étude.
Mouillé (Charles). — Voir Marcel Prouille.
Pisani (le Père). — U Eglise de Paris et la Révolution.
Poinçon (E.). — Le Cantique des Cantiques, un livre de vers
que l'auteur dédie au Christ, perle incomparable qu'il
a trouvée dans l'écrin merveilleux de la Bible, et que,
téméraire, il a essayé de sertir dans la langue des
dieux.
IT .uille (Marcel) et Charles Mouillé. — Les Poésies de Ma-
koko Kangourou; Makoko Kangourou, est, nous dit-
340 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
on, un poète nègre; nègre, je veux bien ! poète, c'est
une autre affaire. C'est d'ailleurs d'une assez agréable
fumisterie, et il y a parfois, dans ces litanies, un assez
curieux mélange de candeur, de cynisme et de fan-
taisie ; avec le rythme et les gestes d'un Mayol ou les
clignements d'yeux d'un Dranem, ce serait peut-être
très bien !...
Reval (Capitaine .T.). — Turenne, un essai de psychologie
militaire.
Reyssié (Félix). — La Jeunesse de Lamartine, d'après des
documents nouveaux et des lettres inédites.
Rilly (Comte de). — Le Baron d'Oysonville (1606-1679),
« une page de l'histoire de l'Alsace au xviii^ siècle.
Rochetal (Albert de). — La Graphologie à la portée de tous,
un volume qui fera beaucoup pour la vulgarisation
de cette science. Je dis bien, « cette science», car j'ai
appris à n'être plus sceptique devant les révélations
psychologiques que les graphologues vont chercher
dans la forme d'un trait, la liaison d'une lettre, sa
hauteur, sa régularité, que sais-je encore; non seule-
ment je ne suis pas sceptique mais je suis un peu
effrayé et je me garderai bien, pour mon compte, d'é-
tudier cette grammaire de la graphologie, si précise, si
claire, et grâce à quoi je pourrais trop aisément percer
trop de mystères ; je tiens à mes illusions ; et, les lettres
que j'ainie, je ne veux pas les casser pour voir ce qu'il
y a dedans.
Rouby (Dï"). — La Vérité sur Lourdes, un livre où l'auteur
s'essaye à trouver une « explication scientifique de tous
les grands miracles».
Silvestre (Général F.). — Considérations sur la campagne
de Mandchourie (1904-1905).
Torcy (Général de). — Les Espagnols au Maroc en 1909.
Tornezy (A.). — Voltaire, Rousseau et Diderot peints par
eux-mêmes.
Villon (François). — Œuvres de François Villon, publiées
dans la collection « les Meilleurs Auteurs classiques
français et étrangers» en un volume très soigneuse-
ment établi par M. Paul Lacroix, avec une préface,
des notes et un glossaire.
MEMENTO DU MOIS D*OCTOBRE 341
Walle (Paul). — Au Brésil, de l'Uruguay au Rio Sao Fran-
cisco.
Welsch (Jeanne) et Thomas Carlyle. — Lettres d' amour de
Jeanne Welsch et de Thomas Carlyle, publiées avec
l'autorisation spéciale de M. Alexandre Carlyle, textes
originaux traduits par Elsie et Emile Masson.
Wilhelmine (Fréderique-Sophie, margrave de Bareith,
sœur de Frédéric le Grand). — Mémoires, 1706-1742.
Youssof (Fehmi). — La Révolution Ottomane.
NOVEMBRE
LES ROMANS
PAUL ADAM
Le Rail du sauveur.
L'œuvre de M. Paul Adam est de celles qui font
honneur à une époque. Devant ces livres imposants
où tant de pensée profonde et généreuse, tant de
science passionnément et chèrement acquise, une
imagination si somptueuse s'expriment en un
verbe d'une richesse inouïe, devant ce monument
de la littérature et de la pensée françaises, l'auteur
a le droit de concevoir quelque orgueil; le lecteur
aussi peut être fier de soi, car son plaisir ne fut
point un plaisir vulgaire ni facile, et il lui fallut sou-
vent faire un méritoire effort pour conquérir cette
beauté.
NOVEMBRE — LES ROMANS 343
Ils sont nombreux, Dieu merci, les lecteurs de
Paul Adam qui ont su faire cet effort, et gagner ce
oble plaisir. Mais les autres ! Eh bien ! je viens de
cevoir un livre de. Paul Adam qui, je pense, va
< tnquérir ces « autres ».
Tout de suite, l'aspect typographique vient ras-
surer le frivole lecteur : ce sont, sur des pages aux
larges marges, des phrases courtes, coupées de
nombreux alinéas, et « il y a du dialogue » et « il y a
une histoire» dont, sans effort, on saisit l'agrément
(^t l'intérêt.
Et c'est très bien ainsi, car l'autre lecteur, le
lecteur du Trusta trouvera ample matière à ré-
flexion et à pensée dans cette étonnante et belle
histoire si lestement contée de Jerry-Hill où le pas-
(eur Joë Galveston avait situé le Jugement der-
nier, découverte mystique que les industriels et les
iinanciers d'outre-mer prétendirent exploiter à
l'exemple d'une mine de cuivre ou d'un gisement
aurifère. Derrière cette histoire si amusante, si
rapide, il discernera une étude sagace et profonde
do l'esprit et des procédés du bluff. A la suite de
inan, deux courtes nouvelles : la Glèhe^ un
drame de la terre, de la jalousie et de l'ivrognerie,
ot le Conte futur, une émouvante évocation des
N^mps lointains du pacifisme, viennent attester
• loquemment la merveilleuse souplesse du beau
'dent de Paul Adam et la prestigieuse variété de
'S ressources.
344 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MARGUERITE AUDOUX
Marie-Glaire.
Vous connaissez déjà le nom de Marguerite
Audoux; vous savez que Marguerite Audoux n'est
point un écrivain de métier, mais une femme très
simple, très humble, une petite couturière aux yeux
fatigués par les longues veilles laborieuses et péni-
bles, et qui, pour se distraire, pour s'évader par-
fois de sa prison, a imaginé toute seule, sans que
personne le lui ait suggéré — qui donc y eût pu
songer ! — cette ressource : écrire, avec les mots qui
lui venaient, sans choix, sans ordre — comment
eût-elle choisi, comment eût-elle ordonné? — ses
souvenirs d'enfance, ses grands chagrins puérils,
ses humbles joies, ses douces imaginations.
Ces feuillets épars, un très bel et très noble écri-
vain les admira; un éditeur les a publiés et c'est un
roman magnifique dont je ne puis vous parler sans
une intense et profonde émotion. J'ai bien réfléchi
avant d'écrire ces lignes; je me méfiais de moi-
même et je me demandais si je ne m'étais pas laissé
monter la tête par la belle histoire de ce roman dans
la préface de M. Octave Mirbeau et dans le récit de
Régis Gignoux. Il n'en est rien; c'est bien l'œuvre
elle-même, l'œuvre toute seule qui m'a empoigné,
une œuvre qui ne ressemble à aucune autre, qui
n'évoque aucun souvenir littéraire, où l'on a cette
NOVEMBRE LES ROMANS 345
sensation unique d'une âme, d'une imagination,
d'une sensibilité qui viennent se mettre à nu
devant vous, sans nul intermédiaire. Les mots n'ont
ici que leur valeur d'expression ; ils ne sont à aucun
moment une parure ni un déguisement, et ils
acquièrent par là-même une puissance prodi-
gieuse d'évocation. Et nous avons, après avoir lu
ce beau livre, cette impression si rare du peuple
venant à la littérature et lui apportant une force
îieuve dans l'observation des faits et leur expres-
sion.
COLETTE WILLY
La Vagabonde
M"^® Colette Willy est un bien singulier et trou-
blant écrivain : pétrie de contrastes, c'est — pour
lui emprunter un de ses titres — une « ingénue liber-
tine»; elle cultive en même temps le réalisme le
plus cru et je ne sais quel idéalisme éthéré, elle est
mue et ironique, tendre et cruelle, brutale et
pudique, et ses pudeurs sont plus gênantes souvent
que ses brutalités. Son lecteur est gagné par la con-
tagion de tant de contradictions; il est tour à tour,
et souvent tout à la fois, irrité et charmé; et dans le
moment où son agacement, son énervement vont
atteindre à l'exaspération, il s'aperçoit avec sur-
prise qu'il est conquis.
8V6 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Avec plus d'intensité encore que ses livres précé-
dents, la Vagabonde^ nous donne cette impression,
car c'est, je crois, le roman le plus direct, le plus
personnel qu'elle nous ait encore donné; et elle
connaît à merveille cette Renée Taillandy dont elle
nous conte l'aventure sentimentale, cette femme de
lettres divorcée après huit ans de mariage, « femme
de lettres qui a mal tourné », qui est devenue mime,
danseuse, comédienne et qui échange maintenant
contre de l'or sonnant ses gestes, ses danses, le son
de sa voix ; elle la connaît comme une sœur, et elle
la contemple avec une tendresse, une complaisance
infinies; l'anaylse de cette petite personne lui pro-
cure, on le voit, toutes sortes de satisfactions, et je
comprends cela, car elle est délicieuse, et moi aussi
je la suis avec le plus vif intérêt dans l'étalage de
ses complications sentimentales, dans « ses chichis,
ses coupages de cheveux, en quatre, ses soliloques
psychologiques», toutes ces choses qui devraient
être prodigieusement agaçantes, et qui tout au con-
traire, sont très jolies et prenantes au plus haut
point.
Je la contemple avec un intérêt sans cesse renou-
velé, cette « vagabonde», mais je me garderais bien
de souhaiter son intimité; et je plains de tout mon
cœur le pauvre Max, l'homme simple et amoureux
que son méchant destin a mis sur le chemin de
cette petite femme séduisante et cruelle qui se
croit un instant amoureuse, mais qui au fond — je
le lui dis tout bas, puisqu'elle n'a pas su découvrir
NOVEMBRE LES HU.MANS 347
c^'la dans suii analyse, pourtant si pénétrante et si
loyale — n'aime vraiment qu'une personne au
monde : elle-même.
Elle va bondir sans doute sous cette accusation
d'égoïsme qui lui semblera la chose la plus mons-
trueuse du monde; aussi, comme je ne tiens pas à
ivoir des histoires avec une femme aussi fine et
iorte que celle-là, je me garderai d'insister, et me
hâterai de vous dire qu'elle est capable aussi d'émo-
tion et qu'il y a un grand attendrissement dans son
évocation de Brague, le mime, et de la petite Jadin,
de Bouty, le pauvre cabot malade qui a fait les
Dranem», et de tant d'autres artistes de café-con-
cert : « chimériques orgueilleux, d'une foi absurde
et surannée dans l'art. » Pour ces moments d'émo-
tion, il sera beaucoup pardonné à cette femme de
trente ans, folle et sage, qui, en somme, avait aimé,
avant d'être cette Brunehilde désabusée, « qui no
craint même plus Siegfried, et que la barrière de feu
garde contre tous ».
CYRIL BERGER
La Merveilleuse aventure.
Les jeunes écrivains auraient mauvaise grâce
vraiment à se plaindre de notre temps; jamais on
ne leur témoigna tant de sollicitude : les prix, les
bourses et les fondations destinés à les encourager
348 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
moralement et matériellement pleuvent sur eux, et
l'on se demande comment un talent peut encore
rester ignoré de nos jours.
, C'est parfait, et Ton n'ira jamais trop loin dans
cette voie; mais, en retour de tant de sollicitude,
nos « espoirs littéraires» ne pourraient -ils pas nous
offrir un peu plus d'allégresse, et cesser, à l'aurore
d'une vie que tout concourt à rendre plus facile, de
nous donner le spectacle d'un pessimisme, d'une
tristesse, d'un désenchantement excessifs?
M. Cyril Berger, le récent lauréat des Quarante-
Cinq, n'échappe pas à cette loi. Les nouvelles réu-
nies dans son livre la Main sur la nuque^ qu'on a
récompensé à juste titre, car c'est une œuvre pleine
de talent, sont, en général, navrantes ; les pauvres
diables qui s'agitent dans cette prose ont tous « une
main sur la nuque, qui les pousse inexorablement
vers toujours plus de misère, vers toujours plus de
souffrance, jusqu'au seuil de la mort bienfaisante ».
Vous voyez le ton du livre et comme tout cela est
réconfortant !
C'est sans doute pour nous sortir de cet enfer que
M. Cyril Berger nous convie, en cette Merveilleuse
aventure, à le suivre très loin, très avant dans les
temps, car cette merveilleuse aventure se déroule
à Londres, en l'année 2130.
Quel chemin parcouru dans ces deux siècles, et
que de transformations accomplies ! Le machinisme
a complètement remplacé le travail des hommes;
on ne cultive plus la terre, la ville est ravitaillée par
NOVEMBRE — LES ROMANS
les colonies d'Afrique qui lui envoient au moyen de
tubes géants fort bien agencés sa pâture quoti-
dienne ; on ne voyage plus que dans les airs, trans-
portés à des vitesses vertigineuses par des trains
qu'entraînent de mystérieux courants magnéti-
ques, une température délicieuse règne partout
grâce au feu central capté pour le chauffage de la
terre...
Tout cela devrait rendre la vie délicieuse, mais
il y a les hommes, et les hommes n'ont pas pro-
gressé en même temps que les choses, au contraire !
Ils ressemblent tout à fait aux Romains du Bas-
Empire : ils ont du pain, il leur faut des jeux; et
les trusters, les grands manieurs d'or, qui ont pris
la place des empereurs, s'appliquent à les leur don-
ner sous les espèces de gigantesques et sanguinaires
<'ombats de boxe. Et cette frénésie de luxe, de plai-
sir et de meurtre se termine comme il convient par
une catastrophe, une formidable et scientifique
explosion qui fait sauter Londres.
Il y a dans cette histoire une belle dépense d'ima-
gination qui fait parfois penser, à Wells : c'est amu-
sant et dramatique, et vous pouvez en conclure, si
vous voulez, que l'humanité ne s'améliore pas en
vieillissant — bien au contraire.
21
350 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
GUY GHANTEPLEURE
Maiencontre.
Guy Ghantepleure, cette femme de lettres au
talent délicat, poursuit sans vain tapage une car-
rière laborieuse, unie, harmonieuse, au milieu d'une
estime qui grandit sans cesse depuis le j our déj à loin-
tain où elle nous révéla ce nom de Guy de Ghante-
pleure, où elle a mis, comme un programme, cette
joie et cette tristesse qui se mêlent également dans
ses livres.
Ge romancier, dont l'imagination est féconde et
la langue excellente a, en effet, par-dessus tout, le
sens de la mesure : il y a toujours un peu de mélan-
colie dans sa joie, toujours quelque espoir dans ses
tristesses. pl|
Pourtant, avec Maiencontre^ je croyais bien que
nous entrions cette fois dans la vraie tragédie, toute
noire, toute pleine de mystère et de terreur : l'ar-
rivée de la douce et charmante Flavie dans le som-
bre château de Maiencontre est faite pour nous don-
ner le frisson, frisson justifié, car il se passe dt >
choses terribles dans cette demeure habitée par la
tristesse et le regret, où Patrice de Maiencontre
traîne péniblement entre sa vieille mère, son fils, un
charmant bambin, et miss Brinda Savage, sœur de
Gladys, morte au moment où il devait l'épouser,
le désespoir d'une vie finie à vingt-six ans. Deux fois
NOVEMBRE LES ROMANS 351
déjà il fut sur le point d'être heureux, deux fois la
mort cruelle lui a ravi sa compagne, ou sa fiancée. 11
ne croit pas qu'il y ait, désormais, pour lui, de joie
sur la terre.
Peu à peu, cependant, la bienfaisante influence
du sourire et de la jeunesse de Flavie, entrée dans
cette maison comme institutrice, opèrent le mira-
cle : il se reprend à vivre, il aime, il est aimé ; mais
cette idylle est bien près, elle aussi, d'avoir un
dénouement tragique : certain soir, une main crimi-
nelle verse un poison subtil dans le verre de Fla-
vie;^ c'est celle de miss Brinda qui, éprise elle-même
de Patrice, voulait tuer Flavie comme elle avait
assassiné déjà, par un crime atroce, sa sœur Gladys.
Dès lors tout s'éclaircit, c'est la catastrophe, mais
c'est aussi le salut; Flavie est sauvée et, après
quelques émouvantes péripéties, Patrice connaîtra
enfin le bonheur dans l'amour et dans la vie entre
son fils et sa doiic*' femme.
LÉO BYRAM
Mon ami Fou-Than
< Ou les tribulations d'un coolie pousse-pousse. »
C'est, nous dit l'auteur, un « roman de mœurs
chinoises». J'y vois plutôt, pour mon compte, la
..,,i..4;..r. j',,f| voyageur qui a très bien :ni voir et
352 LE MOUVEMENT LITTÉr'AIRE
observer les choses et les hommes, comprendre les
drames et les comédies qui se déroulèrent autour
de lui. Mais, ne chicanons pas sur un titre : l'essen-
tiel est que derrière ce titre nous trouvions un livre
qui nous divertisse et nous instruise.
Or, le volume de M. Léo Byram atteint à mer-
veille ce double but; nous sommes intéressés et
émus par l'histoire de Fou-Than, ce Chinois cultivé,
à l'esprit ouvert, au cœur généreux et que des cir-
constances pénibles ont réduit à la condition d'un
misérable pousse-pousse en attendant qu'elles l'acca-
blent de bien d'autres malheurs immérités; ses per-
sécuteurs : le perfide Kiao, et Ouan, le poHcier, ne
nous intéressent pas moins, non plus que Beau
Nuage, son père. Précieuse Pureté, l'obhgeante et
dangereuse amie de la maison, et Li-Sbi, la pauvre
petite Chinoise, épouse vouée à taut de détresses
par les mœurs de son pays si cruelles aux femmes.
Tous ces êtres si loin de nous, si différents, nous
surprennent et nous amusent au plus haut point, et
leurs aventures constituent bien en somme une
sorte de roman, mais elles nous offrent surtout une
vivante leçon : nous y apprenons mille choses sur
les mœurs chinoises et aussi sur les causes profon-
des des sentiments que nous inspirons aux Fils du
Ciel, sentiments dénués d'aménité et que l'on com-
prend très bien, pour peu qu'on soit doué de quel-
que esprit d'observation et d'équité. Je me sou-
viens d'avoir eu, il y a quelque dix ans, une bien
curieuse conversation sur ce sujet avec un Chinois
NOVEMBRE LES ROMANS 353
arrivé tout droit de Pékin : j'ai retrouvé ses idées
exprimées par le sage et infortuné Fou-Than, et j'ai
compris mieux encore cette aversion chinoise que
notre vanité nous fait trouver monstrueuse et
inconcevable.
JEAN BERTHEROY
Les deux puissances.
Ce livre est, nous dit-on, un « roman moderne ».
Cette épithète, en général, ne nous présage point
que nous aurons affaire à des héros d'un idéal très
élevé; les romanciers tiennent, en effet, pour l'ordi-
naire, les mœurs modernes en assez piètre estime.
C'est donc une surprise pour nous de constater que
le roman de M^^ Jean Bertheroy nous fait assister
au drame de deux consciences que mettent aux
prises les plus nobles, les plus rares scrupules. En
épigraphe, cette pensée : « Ceux qui n'ont pas cher-
ché le mystère de l'Être ont perdu leur vie. » L'affir-
mation surprendra une foule de gens qui s'étonne-
ront aussi de voir deux êtres d'élection, tels que
l'éminent savant Stanislas Remondy et la belle,
noble et généreuse Lucienne, entraînés l'un vers
l'autre par un amour très puissant et très pur et
qui renoncent à unir leurs destinées parce que leurs
sentiments sont divers sur la grande question d<'
l'inconnu,
'Î54 LE MOUVEMENT LITTERAIRE .
Notez bien qu'il n'y a pas entre eux de diver-
gence essentielle, que ce n'est pas un athée en face
d'une croyante; simplement, ils ont suivi des routes
différentes dans un culte commun de l'idéal : cela
suffît pour les décider de renoncer l'un à l'autre sans
d'ailleurs que leur tendresse et leur estime en soient
le moins du monde atteints.
Ce sont là des sentiments très beaux, très rares,
et qui élèvent ces deux héros singulièrement au-des-
sus de notre actuelle humanité. M^^ Jean Berthe-
roy a réussi à nous faire apparaître vivants ces deux
êtres d'idée, dans un roman émouvant, humain et
qu'animent des personnages tels qu'Andrée, la fille
de Remondy, et son mari en qui nous reconnais-
sons les spécimens d'une humanité hélas plus pro-
che de nous.
JEAN BALDE
Les Ébauches.
Ce livre est le premier roman de ce jeune écri-
vain; il nous apporte la révélation d'un talent qui
doit nous donner de très belles choses. C'est une
histoire très balzacienne, celle de Claude Ferrol;
outre qu'elle se déroule dans les temps évoqués
par le grand romancier, elle est traitée avec cette
ampleur, cette minutie, cette continuité impres-
sionnantes des romans de Balzac, et l'arrivée de
NOVEMBRE — LES ROMANS 355
Claude Ferrol à Paris ressemble étrangement à celle
de Lucien de Rubempré, mais son histoire est bien
différente, et « les ébauches » de Claude Ferrol res-
tent toujours celles d'une âme d'apôtre, d'une âme
généreuse et ardente, celle de ces hommes de vingt
ans qui, dans leur mansarde, veulent réformer le
monde.
Rien de plus émouvant que ces rêves sublimes,
ces recherches généreuses d'utopies que meurtris-
sent sans cesse les déceptions de la réalité. Les aven-
tures sentimentales et morales de Claude Ferrol, les
influences qu'il subit des derniers Saint-Simoniens,
dp Lacordaire, de M"^^ Swetchine, d'Ozanam, des
républicains de 1848, c'est, en somme, objectivée
sous une forme romanesque, l'histoire même de
l'idéal en notre pays dans la première moitié du
xix® siècle.
A un semblable héros, la vie doit être cruelle;
en effet, il va sans cesse de souffrances en décep-
tions, sans renoncer jamais à ses espoirs : « Va, va
toujours, Claude Ferrol, et puis souffre, combats,
espère. C'est ainsi que Dieu t'a voulu. Non, la vie
n'aura rien pour toi, cette vie du dehors, hostile et
dure, que tu subis; mais de tant d'amour dépensé,
de toute ton âme qui rayonne» an loin, un pfMi dn
chaleur reviendra peut-être. )
356 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
ALBERT POSTEL DU MAS
Le Roman d'un révolté.
« Toute individualité puissante est fatalement
en révolte contre la collectivité. Elle vit au-dessus
ou à côté — en marge, par conséquent — et doit,
pour s'y maintenir, lutter sans cesse contre son
influence amoindrissante puisque égalitaire. « Telle
est l'opinion de M. Albert Postel du Mas qui l'ins-
crit comme axiome au seuil de son livre.
Cet axiome ne m'apparaît pas si évident et il ne
me semble pas qu'une individualité puissante soit
nécessairement en révolte contre toute loi; je crois,
au contraire que cette individualité s'affirme d'au-
tant plus puissante qu'elle a su se développer, s'im-
poser, sans se mettre en rébellion contre les lois de
la nature, de la société, de l'humanité. Mais ce n'est
pas ici le lieu de discuter l'axiome de M. Albert Pos-
tel du Mas» : voyons le roman qu'il a construit sur
cet axiome.
Il est formidable, ce roman, il l'est trop pour nous
effrayer tout à fait. Oui, l'excès même de sa bruta-
lité est fait pour nous rassurer et ce Wilfrid Savigny
de Sérac pour lequel l'auteur voudrait nous inspirer
un sentiment de tendresse et d'horreur, d'admira-
tion et de pitié, nous apparaît comme un monstre
où nous nous réjouissons de ne pas reconnaître
les traits qui caractérisent nos semblables, et cela
NOVEMBRE LES ROMANS 357
nous permet d'écouter, sans trop d'émoi, le récit de
ses aventures. C'est heureux, car autrement, com-
ment nos nerfs auraient-ils pu supporter l'angoisse
de ces vols — reprises individuelles — de ces sadi-
ques amours, de ce crime final sur la personne de la
grand'mère dont on convoite l'héritage, et de ce sui-
cide en beauté pour se punir, non pas du crime,- mais
de son échec. M. Albert Postel du Mas nous raconte
cette aventure en un style curieux, personnel, sou-
vent brutal; mais parfois il s'alanguit en inflexions
caressantes pour son monstre, qui le confond d'ad-
miration et de tendresse. C'est, au demeurant, un
livre rempli de talent.
MARIANNE DAMAD
Chez eux.
' Une émouvante leçon de sohdarité sociale se
dégage du roman que M"^^ Marianne Damad a
pubhé sous le titre Chez Eux. C'est l'histoire de
Juliette Fabian, une jeune femme de vingt-quatre
ans, veuve, sans famille, sans fortune — ou pres-
que : à peine de quoi vivre très chichement — qui a
été recueillie par une parente éloignée, M"^^ Rim-
bourg. Dans la maison de cette dernière, entourée
de parasites intéressés à la circonvenir, elle connaît
toutes les rancœurs, toutes les humiliations, toutes
les tristesses classiques de la parente pauvre; et
il.
358 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
certain jour, n'en pouvant plus, elle s'enfuit de
cet enfer: elle s'en va avec ses maigres ressources,
vers les faubourgs, s'installe dans une médiocre
chambrette où elle ne connaîtra plus le luxe, mais
où du moins elle vivra indépendante « chez eux»,
chez les gens du peuple.
Et elle a la surprise de les découvrir accueil-
lants, généreux, contents de voir parmi eux une
femme que son éducation et sa situation sociale ont
mise au-dessus d'eux, reconnaissants de ce sem-
blant de luxe que son piano, ses conversations, ses
pauvres gâteries à leurs enfants ont apporté dans
leur humble maison. Tous les locataires, et aussi la
brave concierge de cet immeuble populaire sont
conquis par Juliette, qui, elle-même, se passionne
pour son rôle d'éducatrice, et se réjouit de découvrir
parmi ces humbles, la douceur et la force du simple
hen humain. Mais bientôt, hélas ! de basses jalou-
sies naissent parmi ces voisins, je ne sais quelles
haines de classes se réveillent, une méchante femme
remplace dans la loge la brave concierge de
naguère, et voilà Juliette Fabian en butte à de
basses et grossières méchancetés, plus insuppor-
tables encore à sa délicatesse que les douloureuses
piqûres d'autrefois; et son sort serait bien désolant,
si le bon docteur Martellet, humble et généreux
praticien de quartier, que séduisirent sa grâce et
sa bonté, ne venait, en l'épousant, l'arracher à
ce milieu.
Et elle le suit, heureuse, avec tout de même un
NOVEMBRE — LES ROMANS 359
peu de regret ému; elle ne peut pas oublier qu'elle
a trouvé parmi ce peuple un bienfaisant refuge,
ejle sait désormais que « c'est une grande faute de
séparer les castes, un crime de les rendre ennemies,
et que chercher partout où ils se trouvent ceux dont
! <'œur peut battre avec notre cœur, c'est accom-
plir la vraie mission de la fraternité humaine».
Excellente moralité d'un roman intéressant, bien
observé, d'une louable simplicité.
LUCIEN MAR7AG
Locuste.
M. Lucien Marzac évoque les temps néroniens. Il
a choisi comme titre à son livre et comme centre à
son histoire Locuste. L'idée est heureuse, car c'est
un nom qui frappe et retient l'attention populaire ;
on peut ignorer toute l'histoire romaine, n'avoir
qu'une notion très vague de Britannicus et d'Agrip-
pine et de Galba, mais on connaît forcément Lo-
custe et son plat de champignons vénéneux, tant
est grand et persistant le prestige des empoison-
neuses sur nos imaginations. M. Marzac nous offre
l'occasion de suivre, dans l'exercice de ses fonc-
tions, cette aimable personne, patronne à travers
les âges des virtuoses du poison; mais Locuste
n'est qu'un des personnages du grand drame évo-
:{60 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
que par lui ; ce drame c'est celui de la société anti-
que agonisante au milieu des crimes, des meurtres,
des orgies et des jeux, traversée par cette foule éton-
nante de courtisanes, de poètes, d'amoureux et de
prétoriens, et aussi de quelques gens vertueux et
nobles, comme le médecin Priscus.
Et c'est d'un très vif intérêt, conté en un style
alerte, moderne, par un écrivain qui connaît très
bien l'histoire romaine et qui est doué d'une très
heureuse imagination. M. Maurice Barrés apporte
le précieux appui d'une préface sympathique à ce
livre qui, pour ma part, m'a semblé au moins aussi
intéressant que le légendaire Quo vadis? et qui
mérite bien un peu de son succès.
LOUIS ANDRÉ ET JEAN BOSG
La Haine d'un Gardian.
MM. Louis André et Jean Rose nous conduisent
« au pays des Cigales», en un roman de mœurs lan-
guedociennes, la Haine d^un gardian, et c'est un
beau voyage, tout rempli d'émotion, à travers ces
terres baignées de soleil : nous y assistons à ces
courses de taureaux provençales d'une si jolie cou-
leur, aux exploits magnifiques de ces gardians qui
sont les toreros de chez nous, des toreros comme
ils n'en ont pas tras los montes', et ce sont dans un
NOVEMBRE LES ROMANS 361
mouvement endiablé, évoqués par des écrivains qui
les connaissent bien et qui les aiment, ces divertis-
sements villageois de notre Midi, ces farandoles
frénétiques et charmantes, ces ferrades terribles,
fêtes du courage, mais non de la cruauté.
Dans ce décor étincelant, un drame se déroule,
drame farouche et sombre de haine et d'amour,
et de politique aussi — car nous sommes au temps
tragique du 2 décembre — entre le gardian Malbos
et le « rasetaïre» Jean-Louis, épris tous deux d'An-
nette qui aime le dernier, cependant que son père,
Tégoïste et avare maître Bizet, la destine par calcul
et par crainte au redoutable gardian.
La haine du gardian est servie à souhait par les
événements politiques : Jean-Louis est un républi-
cain, et malgré le dévouement d'Annette qui lui a
donné asile, il est découvert, arrêté, banni — lais-
sant dans le désespoir, dans la honte et dans
l'isolement, son amie, qui meurt, quelques mois
après, en mettant au monde un fils de Jean-
Louis.
Dix-huit ans après, le drame recommence. Mau-
rice, le fils de Jean-Louis, revenu au pays, aime Lise,
la fille du gardian; mais le temps n'a pas désarmé
la haine de ce dernier, qui non seulement refuse de
consentir à l'union des amoureux, mais veut par
surcroît tuer sa victime d'autrefois. Heureusement,
l'intervention du brave chien de Jean-Louis vient
à point arranger les choses, et le féroce Malbos
expire sous ses crocs puissants; ainsi Lise et Maurice
362 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
seront heureux, et Jean-Louis connaîtra enfin la
paix et la sécurité.
i Cette dramatique histoire est contée avec beau-
coup d'agrément et d'émotion, en un roman pitto-
resque où la psychologie des personnages est très
adroitement notée, ce qui ne vous étonnera point
lorsque vous saurez que l'un des auteurs, M. André,
fut longtemps juge d'instruction. Dans un tel poste,
un homme doit — pour peu qu'il soit doué de quel-
que esprit d'observation — avoir appris à connaître
assez bien les hommes et à sonder le mystère des
consciences et des âmes.
MAGDELEINE CHAUMONT
L'Éveil.
Il y a de bien agréables qualités de franchise, de
belle santé morale et physique, dans le roman que
Mine Magdeleine Ghaumont vient de publier sous le
titre VEçeil. L'aufeur est une jeune femme dont
c'est, je crois bien, le début dans le roman; et, dès
ce premier livre, elle se donne tout entière, avec une
audace ingénue et primesautière. C'est une belle
histoire d'amour, de passion fervente, de lutte labo-
rieuse et féconde que celle de Lucienne, la jeune fille
ruinée qui est venue de sa province à Paris pour
chercher à gagner sa vie. Un journal lui offre asile :
NOVEMBRE — LES ROMANS 363
voilà « publiciste », mais que de difficultés, de
rils, jusqu'au moment où elle rencontrera le
and amour libérateur.
De l'ombre, à côté de cette lumière : c'est, paral-
lèlement à l'aventure de Lucienne, celle de Marthe,
son amie d'enfance, qui fit, au sortir du couvent, le
boau et richissime mariage, et qui, au bout de quel-
;es mois douloureux de vie factice, de morphine
d'opium, meurt misérablement.
Telle est l'histoire, M^^^ Magdëleine Chaumont
la contée en une langue alerte et simple, sans nul
(ifîce : elle est vivante, on jurerait qu'elle est
eue et la femme sans cesse y apparaît sous l'écri-
lin, c'est ainsi que dit M. Paul Brulat, « un livre
passion et de sincérité, livre d'une femme qui
n'oublie pas un seul instant qu'elle est femme en
dévouant autour».
MARIUS GHAILLOU DU CŒURJOLY
La Duchesse de Rouvreuse.
Le livre que M. Marins Ghaillou du Gœurjoly a
publié sous le titre la Duchesse de Rouvreuse pour-
rait être simplement un roman d'amour et de haine,
aux péripéties très dramatiques, voire mélodrama-
tiques. Et c'est bien cela en effet, l'histoire terrible
de la duchesse de Rouvreuse que dévore un mal
sans remède : neurasthénie, dit le docteur Ducasse
364 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
à son mari le duc de Rouvreiise, en réalité, mal
d'amour inguérissable pour le jeune et séduisant
comte Philippe de Roheber, son ami d'enfance.
Ce médecin peu clairvoyant est un ténébreux
bandit qui se livre aux pires machinations, jusques
et y compris l'empoisonnement, pour s'emparer de
la fortune de son noble client ; mais un autre traître,
le premier piqueur Gaétan Legoix, passionnément
épris de la duchesse, s'ingénie à déjouer ses sombres
projets tout en s'appliquant à perdre celle qu'il aime
et dont il a deviné le secret.
Vous voyez qu'il y a là tous les éléments d'un
très émouvant roman-feuilleton, et l'auteur en a
fort adroitement tiré parti ; mais, et c'est ce qui fait
la particulière originalité du livre, il en a fait un
« roman de vénerie » : le duc est un grand chasseur
devant l'Eternel, et les plus dramatiques péripéties
de cette histoire se déroulent entre des chasses
racontées par l'auteur avec un luxe étonnant de
détails et une indiscutable compétence. Ainsi, la
lecture de ce livre nous laisse non seulement émus
par les aventures de ses héros, mais, documentés
parfaitement sur la 'quête et le rendez-vous, le
laisser-courre, la curée aux flambeaux, et tant d'au-
tres rites cynégétiques dont nous pourrons désor-
mais parler comme des Nemrods consommés.
HISTOIRE, LITËr RATURE, VOYAGES,
POÉSIE, DIVERS
ERNEST DAUDET
L'Ambassade du duc Decazes en Angleterre,
1820-1821.
M. Ernest Daudet avait mis récemment en pleine
lumière l'attachante figure du duc Dçcazes^ dont il
nous avait dit l'existence ministérielle sous la Res-
tauration jusqu'au moment où, à la suite de .l'as-
sassinat du duc de Berry, le comte d'Artois et les
ultras avaient obtenu son éloignement. Pour com-
pléter cette évocation, M. Ernest Daudet nous
raconte aujourd'hui, V Ambassade du duc Decazes
en Angleterre, 1820-1821. C'est l'histoire de la der-
nière année publique de l'homme d'Etat que le
ro^ Louis XVIII avait dû éloigner, mais qu'il
n'avait pu consentira disgracier et auquel il avait
donné le poste d'ambassadeur en Angleterre,
36G LE MOTIVEMENT LITTÉRAIRE
L'histoire de cette ambassade, la correspondance
et les entretiens pathétiques du ministre avec son
souverain nous montrent comment la faveur de
Decazes s'atténua progressivement en même temps
que la politique libérale était de plus en plus acca-
blée par l'ultra-royalisme qui conduisait la royauté
aux abîmes; comment, la veille de sa mort,
Louis XVIII dut sacrifier définitivement le duc
Decazes dont la carrière politique fut brisée par
l'avènement de Charles X : toutes ces choses d'une
si haute importance pour l'histoire de la Restau-
ration et pour l'appréciation équitable du roi
Louis XVIII apparaissent fort clairement dans ce
livre bourré de documents qui est un véritable
monument historique.
COMTE C. DE MONTS
La Captivité de Napoléon III en Allemagne.
(Traduction de Paul Bruck-Gilbert et Paul Li'vy).
Une impression bien douloureuse et bien pénible
se dégage de ce livre, écrit pourtant sans nulle
intention pathétique, au hasard des souvenirs et
des notes, par l'officier général allemand, gardien
de l'Empereur prisonnier.
Ce gardien n'avait pourtant rien d'un Hudson
Lowe, ainsi que le fait remarquer M. Jules Claretie
dans la belle et vibrante préface qu'il a donnée au
NOVEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 367
livi( . ' t le château de Wilhelmshoehe était une
prison infiniment plus confortable que Sainte-
Hélène. Mais, malgré ce luxe de la prison, cette
courtoisie du gardien, comme ce vainqueur manque
de générosité ! tout ce qu'il peut trouver de mieux,
ce sont des phrases comme celle-ci : « En présence
d'une pareille infortune, il n'y avait place que pour
<le la pitié; qu'il l'eût mérité ou non, son sort était
'ifmiment dur. » Un peu de pitié parfois, c'est tout;
>mmp je préférerais de la colère ou de la haine !
BAROX DE MÉNEVAL
L'Impératrice Joséphine.
JOSEPH TURQIIAN
La Générale Bonaparte.
L'histoire est décidément une science bien diffi-
cile, relative et incertaine ; c'est un lieu commun si
rebattu, que j'ai quelque honte à le proférer une
fois de plus; mais il s'impose vraiment trop impé-
rieusement à moi, après la lecture de deux ouvra-
ges historiques, parus dans la même semaine.
Le premier s'intitule Vlmpératrice Joséphine.
Son auteur, le baron de Meneval, ministre'plénipo-
tentiaire, entend, à l'aide de documents, et d'après
1^68 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
le témoignage des principaux historiens, nous offrir
une image véridique de la première femme de
Napoléon I^^ Il était temps vraiment de la peindre
telle qu'elle fut, cette femme que l'outrage et la
calomnie se sont depuis un siècle évertués à noircir.
Grâce à des lettres inédites et à des recherches
patientes, l'historien établit victorieusement que, si
Joséphine n'a pas été à l'abri de quelques faiblesses,
elle ne fut jamais la femme égoïste et perverse dont
on a parlé; elle a été le bon génie de Napoléon
qu'elle a magnifiquement secondé. Quant à ses
écarts de conduite, on n'en fournit nulle preuve
sérieuse, et ce sont des accusations de pamphlet.
.l'ouvre maintenant le second ouvrage, publié
par M. Joseph Turquan, sous le titre la Générale
Bonaparte. M. Joseph Turquan en a assez, lui aussi,
de la légende de Joséphine : il veut nous montrer
l'épouse de Bonaparte telle qu'elle fut; c'est de
l'histoire qu'il nous offre, non de la légende tissée
par des historiens beaucoup trop indulgents, et
qui ont sciemment dissimulé ses défaillances. Foin
de la galanterie, et ne parlons pas s'il vous plaît
de la pudeur nécessaire de l'histoire : l'histoire doit
être véridique, impitoyable — et elle n'a pas à avoir,
de l'honneur d'une femme, d'une impératrice,
plus de souci que cette femme n'en eut elle-même.
NOVEMBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 369
Tant pis pour Joséphine. M. Joseph Turquan,
très impartialement, a laissé la parole aux faits, aux
témoins; il a recueilli et comparé les documents
épars dans les souvenirs et les mémoires des con-
temporains; ce n'est point sa faute s'il en résulte le
portrait peu flatteur d'une femme légère, égoïste,
capable à l'occasion des plus fâcheuses trahisons.
Et voilà ! Remarquez que les deux historiens ont
étudié souvent les mêmes documents, cité parfois
les mêmes témoignages, pour arriver à une conclu-
sion diamétralement opposée sur tous les points,
sauf sur un seul où ils se trouvent d'accord : la
prédilection de Joséphine pour les belles robes;
voilà sans doute un péché assez véniel chez une
johe femme. Quant au reste, il convient je crois de
nous résigner à voir dans cette femme ce qu'il y a
dans presque toutes les femmes : une passionnante
( t indéchiffrable énigme; à moins encore que nous
n'adoptions pour notre usage personnel une vérité
moyenne qui pourrait bien être la vérité.
AUGUSTE DIDE
Jean-Jacques Rousseau
« Le protestantisme et la Révolution Française. »
Le refrain de Gavroche dans les Misérables:
« C'est la faute à Voltaire, c'est la faute à Rous-
370 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
seau » est, depuis un siècle, chanté sur le mode grave
par un grand nombre d'historiens de la Révolu-
tion, entêtés à distribuer entre les deux penseurs
du xviii^ siècle les responsabilités des actes révo-
lutionnaires. Cette recherche des responsabilités
m'a toujours paru singulièrement abusive et arbi-
traire et je pense avec M. Auguste Dide que « les
événements qui modifient la vie d'un peuple et
bouleversent le monde ont des causes profondes et
lointaines. Ils ne sont ni l'œuvre d'un homme, ni
le résultat d'un livre. Rousseau aurait pu ne pas
exister, la Révolution de 1789 aurait été, sauf en
quelques détails, qui, d'ailleurs, sont abomina-
bles, mais qui n'ont rien d'essentiel, ce qu'elle a
été. »
Gela n'empêche pas d'ailleurs M. Auguste Dide
de rechercher dans son livre Jean- Jacques Rousseau
— « Le protestantisme et la Révolution française »
- les responsabilités de Jean-Jacques, et d'aboutir
à cette conclusion vraiment un peu absolue. « Ce
qu'il y a de plus atroce dans la Révolution procède
du Contrat social. Le nier, c'est nier l'évidence. Dès
qu'on se met au point de vue humanitaire et fran-
çais, l'influence de Rousseau apparaît néfaste.
Littérairement il a interrompu la tradition natio-
nale. En politique, il a abouti à la terreur robes-
pierriste, à la domination du rhéteur fielleux usur-
pant la place de l'homme d'idée et d'action.» Et
voilà, je pense, le philosophe de Genève bien arran-
gé; il l'est, du moins, par un homme qui le connaît
NOVEMBRE HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 371
très bien, qui l'a passionnément étudié, ce qui est
encore une manière d'hommage.
CONSTANTIN PHOTIADÉS
George Meredith
« Sa vie, son imagination, son art, sa doctrine. «
Ciiiie étude révélera George Meredith à bien des
gens. On sait, en effet, que ce fut un grand écrivain
un grand cerveau; on le répète, mais on ne con-
naît généralement, en France surtout, ni l'homme
ni son œuvre, M. Constantin Photiadès ne s'insurge
pas contre cette ignorance; au contraire, il l'ex-
plique et nous assure que George Meredith lui-
même la trouvait fort naturelle. Il n'a jamais
recherché la gloire tapageuse, et son art trop subtil
ne pouvait être compris par la foule de son pays ; à
plus forte raison devait-on l'ignorer en France où
les traducteurs n'ont pu l'importer, rebutés par
l'allure capricieuse de sa syntaxe qui le rend sou-
vent à peu près intraduisible ; grâce à M. Constantin
Photiadès, nous avons quelque chance désormais
de pouvoir l'apprécier et le comprendre.
372 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
PIERRE PIC
Guy Patin.
Pages d'histoire littéraire : voici un volume d'une
bien savoureuse érudition sur Guy Patin. M. Pierre
Pic, l'auteur de cet ouvrage, s'est avisé que
nous ne connaissions guère que par ouï-dire le
célèbre médecin polémiste et faiseur de mots du
xviie siècle, et il s'est résolument plongé dans ses
papiers et dans ses souvenirs. Il n'a pas été autre-
ment ravi des résultats de son enquête, son juge-
ment tient en quelques mots : « Guy Patin a été
abominablement surfait, c'est un pur raseur. Au
point de vue médical sa mentalité est navrante.»
A cet homme qu'il tient en si piètre estime,
M. Pierre Pic rend le plus signalé service; il le sort
de l'obscurité; désormais, grâce à lui, nous saurons
ce que c'est que Guy Patin, nous connaîtrons, un
peu moins soùimairement qu'elle ne nous fut ensei-
gnée par les encyclopédies, l'histoire de sa guerre à
l'antimoine, et au lieu de répéter servilement qu'il
fut un homme d'esprit nous pourrons nous faire
une opinion sur ses médisances et ses calomnies
professionnelles, ses maximes et ses traits d'esprit.
Pour moi, j'ajoute que toutes ces choses m'ont, à
maintes reprii^es, singulièrement diverti.
NOVEMBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 373
HENRY LAPAUZE
Le Roman d'amour de M. Ingres.
M. Henry Lapauze nous raconte, en un volume
dun très vif intérêt, le Roman d'amour de M. In-
gres. C'est une révélation : désormais, Ingres aura
en face de l'histoire, à côté de son fameux violon,
une passion amoureuse. Avouons tout de suite que,
pas plus que le violoniste, l'amoureux ne fera tort
au peintre ; les lettres d'amour que M. Henry
Lapauze a découvertes, recueillies, et présentées
avec un soin pieux et intelligent sont souvent belles
dans leur désordre et leur incorrection, souvent
émouvantes : ce ne sont point les lettres d'un grand
amoureux; et même, au risque de contrister le
patriotisme montalbanais de M. Henry Lapauze et
son zèle touchant pour la mémoire de son héros,
j'avoue que dans cette histoire d'amour, de fian-
çailles et de rupture, Ingres ne m'apparaît pas tout
à fait chic.
Combien plus émouvante, en cette aventure, sa
blanche fiancée, M^i^ Forestier, qui, malgré la bles-
sure de cette séparation, ne garda point de rancune,
vécut solitaire et fière et disait bien longtemps après,
devenue vieille fille : «Quand on a eu l'honneur d'être
fiancée à M. Ingres, on ne se marie pas. » Elle a laissé
d(' cette aventure un récit très émouvant que
M. Henry Lapauze nous a restitué intégralement.
22
374 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Comme épilogue à ce roman d'amour, l'auteur
nous raconte, avec force lettres et documents à
l'appui, l'histoire des deux mariages d'Ingres, celui
de 1813 avec Madeleine Chapelle, celui de 1862
avec Delphine Ramel qu'il épousa âgé de soixante-
douze ans.
D'ensemble, c'est un livre du plus vif intérêt,
document artistique où nous trouvons, au milieu
des tristesses et des désespoirs d'Ingres à Rome,
des lumières bien amusantes et peu flatteuses sur
les critiques d'art au début du xix® siècle. Ce livre
est orné de belles images, où l'on retrouve notam-
ment le portrait de cette famille Forestier, père,
mère et fille, qui auront toujours gagné à cette
aventure le Louvre et l'immortalité, ce qui est bien
quelque chose en somme.
ERNEST LÉMONON
Naples.
Ce livre de M. Ernest Lémonon sur Naples, u le
méritt», — rare en un pareil sujet tant de lois
traité en tant de proses et de vers — de l'origina-
lité. M. Ernest Lémonon s'est avisé qu'après avoir
été si souvent décrite et peinte et chantée, Naples
était une des villes les moins connues d'Europe; les
écrivains se contentent de l'admirer. C'est bien
XOVKMBRE — HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 375
4LuÎ4i!e chose, ce n'est pas tout. M. Ernest Lémo-
non, voyageur studieux, n'a pas voulu être un laz-
zarone littéraire : il a étudié l'histoire de la Naples
d'autrefois, il a contemplé la Naples d'aujourd'hui,
non pas seulement son ciel radieux et sa mer éter-
nellement bleue, mais un autre spectacle passion-
nant à plus d'un titre : les douloureuses questions
sociales qui s'agitent dans cette ville; il a étudié
passionnément le passé tourmenté de la ville et
son présent magnifique et misérable. Et c'est un
hvre d'un très vif intérêt, aussi utile, sans doute, à
la cause de Naples que les évocations les plus poéti-
ques et les plus ensoleillées.
FŒMINA
L'Ame des Anglais.
C'est un plaisir pour moi de saluer à son appari-
tion cette œuvre d'une séduction si grave et si sou-
riante, mais quel tourment aussi î Et comme je me
sens inférieur à ma tâche. Je saurais bien, sans
doute, vous dire très simplement la joie que j'ai
éprouvée à lire — à relire — ces pages exquises où
l'auteur, partie pour une exploration faite cent fois
avant elle, a su rassembler tant d'observations nou-
velles, amusantes, émouvantes, tant de jugements
inédits d'une souriante et définitive sagesse.
376 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Mais avec tout cela je ne vous aurai pas révélé
grand'chose car, cette joie vous la connaissez bien
pour l'avoir éprouvée en même temps que moi, et
je devrais maintemant l'expliquer et l'analyser.
C'est là que je me sens embarrassé; il me faudrait
pour m'acquitter dignement de cette tâche le
talent de P'œmina elle-même... Et j'ai bien envie do
lui laisser la parole. Au cours des « excuses limi-
naires» qu'elle a cru devoir adresser à son lecteur,
elle s'écrie gentiment : « Quelle audace !» — et elle
ajoute avec impertinence : « Quelle niaiserie ! —
de poursuivre sous tant d'aspects, beaux, drôles,
émouvants, les raisons secrètes qui ont permis que
les fleurs fussent groupées avec un art si expressif;
que, durant des siècles, les générations fugitives
ne détruisissent rien dans ces antiques demeures;
que les spectres ne se soient pas lassés dans leur
course dolente; que le luxe en Angleterre paraisse
mieux qu'ailleurs justifié, à sa place, noble et
naturel ; que des hommes et des femmes atteignent
à une telle perfection de formes. Quelle audace,
enfin, de prétendre à parler de l'âme anglaise. Et
sans la connaître après tout ! »
A la condition d'enlever les restrictions de mo-
destie que Fœmina s'est amusée à y insérer, ce joli
morceau exprime exactement le sens et la portée
de l'œuvre, et même cette boutade de la fin : « sans
la connaître après tout», a sa valeur, et elle nous
dit un des charmes du livre. Entendez bien que l'au-
teur, qui a appris à penser et à rêver en anglais.
NOVEMBRE HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. ,5 / ;
«onnaît l'âme anglaise à merveille et qu'elle l'ana-
lyse avec une très rare pénétration, mais elle ne
cesse pas, en la regardant, d'être elle-même pro-
fondément latine et cela lui permet d'éprouver des
surprises et des émotions qui nous enchantent, car
nous aimons à voir notre auteur sur])ris et ému en
même temps que nous, et rien ne nous choque tant
que l'indifférence de ce voyageur impassible devant
la splendeur ou l'étrangeté d'un paysage évoqué
pour la première fois devant nous, sous prétexte
qu'à lui, il lui est familier.
ERNEST LAVISSE
Nouveaux discours à des enfants.
En l'honneur de ses petits amis des écoles com-
munales de Nouvion-en-Thiérache, M. Ernest La-
visse a très heureusement renouvelé la tradition du
discours de distribution des prix : chaque année, on
le sait, il accepte la mission de faire, en ce jour
solennel, de la morale aux écoliers impatients de
recevoir leurs récompenses, et non seulement il
parvient à émouvoir ses jeunes auditeurs, mais les
paroles familièrement éloquentes qu'il leur adresse
sont entendues, bien au delà des limites de cette
humble commune et de ce département, par toute
la jeunesse de Franco. J'ai lu on loni' temps ces
:57s LE MOUVEMENT LITTERAIRE
ravissantes et nobles pages sur le respect des opi-
nions et des croyances, sur les leçons du pays natal,
sur la cojiquête des ailes, sur la dignité de l'école, je
viens de les relire dans une plaquelle publiée sous
le titre : Nouveaux discours à des enfants : c'est,
condensé en quelques pages accessibles à tous les
enfants, une admirable leçon de morale écrite en
une langue exquise pour les petits et que les grands
feront joliment bien de lire et de méditer.
EMILE BERTIN
La Marine moderne
« Ancienne histoire et questions nouvelles. »
Histoire très actuelle, poignante et pleine d'an-
goisse : voici un livre sur la Marine moderne « an-
cienne histoire et questions nouvelles». Il est peu
d'hommes plus qualifiés pour un tel travail que
l'éminent directeur du génie maritime, membre de
l'Institut, dont la haute compétence et l'autorité
~sont reconnues dans le monde entier; et il faut se
féliciter de le voir aborder et épuiser en trois cents
pages cette étude de cette question si grave dont
tout le monde parle et que si peu de gens connais-
sent, même superficiellement.
Le livre de M. Bertin, avec l'abondance de ses
renseignements techniques, avec l'étude appro-
MKMF.NTO Dr MOIS DE NOVEMBRE 379
fondie de la marine de commerce, des navires de
combat, des croiseurs et éclaireurs, des torpilleurs
sous-marins; avec l'exposé très précis des quali-
s générales des navires et des conditions diverses
ixquelles ils doivent satisfaire, reste cependant
os accessible au profane, pour peu qu'il se donne
la peine de vouloir comprendre et apporter à la lec-
liire de cet ouvrage une assez studieuse attention.
Souhaitons que les lecteurs de ce livre soient nom-
breux. Nous vivons en un temps où tous les bons
Français devraient être informés des choses de la
f narine, prêts à exiger les efforts nécessaires, à
• lomander compte des défaillances, car, « privé de
larine, replié sur lui-même, un pays ne vit que de
>a propre substance; il ne puise pas plus de res-
sources au dehors qu'il n'y exerce d'influence poli-
tique; son action se limite dans un cercle très res-
pint autour de ses frontières». Et pour tout dire
notre décadence maritime, si elle se poursuivait,
rait la déchéance de la France à la surface du
MEMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE
l;nM \\:
Artzybachev (Michel). — Sanine, un roman russe qui nous
arrive avec la double consécration d'une interdic-
380 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
tion en Russie et de poursuites en Allemagne. Voilà
sans doute plus qu'il n'en faut pour exciter des curiosi-
tés et des sympathies ardentes. Sanine a d'autres titres
à notre intérêt: ce roman, que je viens de lire dans la
traduction de Jacques Povolozky, est une œuvre
d'une incontestable valeur, dont l'intensité, souvent un
peu désordonnée et outrancière, atteint parfois à une
véritable grandeur, et qui nous offre une image pitto-
resque et inédite de ce libertaire, de ce nietzschéen
dont on abuse un peu dans la littérature contempo-
rainet et qui avait besoin vraiment d'être un peu
renouvelé. Voilà ce qui est fait, et c'est du Nord —
une fois encore ! — que nous recevons cette lumière
nouvelle.
Beaume (Georges). — Vestales d'amour, un livre où l'au-
teur a mis son esprit alerte et son heureuse imagina-
tion au service d'une histoire feuilletonesque qui
enchantera certainement le public populaire sans
l'édifier.
Bertrand (Louis). — Les Bains de Phalère. Fidèle à ses très
curieuses et fécondes théories, l'auteur évoque, en
moderne très vivant et très ardent, les paysages et les
décors d'une lointaine antiquité. L'esprit de son livre
est clairement indiqué par le titre de son premier cha-
pitre : « Où ]es deux héros d'un roman contemporain
sont présentés au lecteur dans un décor très archaïque.»
Et c'est, en effet, un roman dout à fait contemporain,
une histoire moderne qui se déroule dans ces cadres
d'une majesté antique et qui semblent intangibles,
d'Olympie, d'Athènes, de Phalère, où, parmi les rui-
nes, l'auteur fait circuler les tramways et surgir les
grands hôtels cosmopolites.
Bourgogne (Jean de). — L'Amoureux de tante Annette, un
recueil de nouvelles doucement attendries et d'une
jolie observation.
Dormier (Charles). — Le Val d'Amour, nouvelles franc-com-
toises.
Durand (M^i^ Yvonne). — La Petite Gratienne.
Formont (Maxime). — La Fausse Coupable. A la suite de ce
roman, d'une curieuse et pénétrante psychologie. Fan-
MEMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE 381
teur a groupé une série de nouvelles puissantes, drama-
tiques, parfois terrifiantes, sous ces titres pleins de
promesses : « Fou », « Criminels », « Cauchemars ».
Georges (Marcel). — Les Affres.
droen (A.-K.). — La Main à la bague, un roman anglais
adapté par M. J. Heywood pour la collection « des
Romans mystérieux»; et je vous prie de croire qu'il
y a de quoi frémir à cette mystérieuse randonnée
autour d'une bague et d'une main tragiques...
Legrand-Chabrier. — Ulroquois.
Leblond ( Marins- Ary). — Les Jardins de Paris, une grande
fresque généreuse, copieuse, ardente, épopée d'un
créole dans la grande ville qui fait suite au livre En
France, couronné par l'Académie Goncourt.
Lionnet (Jean). — Les Dieux d'or, un roman où l'auteur
évoque des pays réels et prestigieux en un roman
d'aventures.
Marbo (Camille). — L'Heure du Diable.
Mercereau (Alexandre). — Contes des Ténèbres.
Montier (Edouard). — Le Moulin des amoureux, roman do
pauvres gens.
Xass (D^ Lucien). — Monsieur V Agrégé!, un roman où, à la
faveur d'une palpitante histoire d'amour et d'ambi-
tion, l'auteur nous donne ses vues sur cette crise médi-
cale dont les derniers concours d'agrégation nous ont
apporté les échos tumultueux.
Oppenheim (Philipps). — Le Complot, « roman mystérieux ».
Or Sinclair (J. d'). — Au Vent de la vie, une très émou-
vante histoire de marin que l'auteur offre à Pierre
Mille.
Perrault (Pierre). — Mon Oncle Ronge-Tout.
Poinsot (C). — La Joie des yeux.
Romains (Jules). — Les Punaises de Paris.
Sageret (Jules). — La Jeunesse de Paul Meliande.
Teramond (Guy de). — Le Miracle du Professeur Wolmar.
Zahn (Ernest). — Les Fils du Maître, un fort beau roman du
célèbre écrivain suisse. Ce livre, d'une couleur et d'une
saveur très particulières, très frustes, qui nous entraîne
bien loin du bcAilevard, sur la cime neigeuse de la
montagne et dans les petits villages qui s'accrochent à
:182 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ses flancs, est traduit très adroitement et très fidè-
lement par M"e C. Boutibonne.
HISTOIRE — LITTÉRATURE — THÉÂTRE
POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Aicard (Jean). — Le Dieu dans rhomme, une nouvelle édi-
tion de ces beaux poèmes, vibrante exaltation de
l'idéal, de l'étincelle divine qui brille au cœur de
l'homme. Tant de choses, tant de livres s'évertuent à
éveiller « le coquin », qui — selon la forte parole de
Monselet — sommeille dans le cœur de tout homme,
qu'il est bon, qu'il est nécessaire, parfois, de s'en-
tendre rappeler que
L'homme est Dieu, l'homme est Dieu, ne fût-il Dieu
[qu'une heure.
Chacun a l'étincelle et tous ont tout le feu,
Tout homme a ce moment divin avant qu'il meure.
et d'écouter une voix qui exalte le Dieu réalisé dans
l'homme par l'amour.
Anthouard (Baron d'). — Le Progrès brésilien, « la Partici-
pation de la France» Il n'est pas nécessaire de souli-
gner l'importance d'une telle étude sociale, économi-
que et financière ; les lecteurs de ce remarquable livre
prendront un intérêt très vif à ce prestigieux tableau
d'ensemble qui nous documente d'une façon parfaite
sur le Brésil, avec ses considérations géographiques et
historiques, ses chapitres des relations extérieures, du
peuplement, de la production et du commerce, des
transports, des finances et de l'activité étrangère.
Nous devons suivre le conseil de M. Gabriel Hano-
taux, lire et méditer ce livre, nous surtout, qui avons
au Brésil une si belle influence morale et intellectuelle,
mais qui devrions bien nous occuper d'en cultiver une
M E M K .N r U IM \H • i s \>E \ O V i: .M 1! T. I' .J ^ • 1
autre en apportant au Brésil un concours plus réel
et plus immédiat; celui de notre personnel et celui de
nos capitaux.
Arnaud (Raoul). — La Princesse de Lamballe (1749-1792),
un ouvrage rédigé d'après des documents inédits et
qui apporte à l'infortunée princesse que le malheur et
la méchanceté, pire que le malheur, poursuivirent
au delà même de son horrible mort, une réparation à
laquelle j'applaudirais des deux mains, même si elle
n'était pas absolument justifiée, et ce n'est pas le cas,
je me hâte de le dire.
Aymès (Noël). — Hellas, « la Grèce Antique», un excellent
volume paru dans l'intéressante collection « Les Idées
claires »,
i^.asset (Serge). — Voir Paul Bourget.
Hertaut (Jules). — La Jeune fille dans la littérature fran-
çaise, d'agréables pages d'histoire et de critique litté-
raire où l'auteur va demander à Mohère, à Fénelon et
à M^ede Maintenon des lumières sur la jeune fille
du xvii^ siècle, à Marivaux, à Jean- Jacques, à
Choderlos de Laclos et à Bernardin de Saint-Pierre sur
celle du xviiie siècle, interroge les plus célèbres
écrivains du siècle dernier et du temps présent, depuis
Victor Hugo, Musset et Balzac jusqu'à Paul Bour-
get, Maurice Barrés et Marcel Prévost, sur celles d'au-
jourd'hui pour arriver à cette conclusion : « Petit être
déluré et charmant, spirituel et délicieusement ému,
possédant une individualité autrement vivante et
vraie que l'insipide Agnès, elle est le modèle vivant,
expressif, pittoresque, imprévu, spirituel et toujours
nouveau, la figure malicieuse et bonne, délicieuse et
avertie, tragique et musante à la fois. »
l»erlaux (E.). — Donatello, un excellent ouvrage publié
dans un de ces précieux volumes si magnifiquement
illustrés de la Collection « les Maîtres de l'Art ».
Bourget (Paul) et Serge Basset. — Un cas de conscience,
l'émouvante pièce acclamée au Théâtre-Français.
Breil de Pontbriand (Vicomte du). — Monseigneur de Pnnf-
hriand (1740-1760), 1< drrnit'r évêquo du Cana<la
français.
384 LE MÔUVEMENt LITTERAIRE
Brizeux (Auguste). — Œuvres, une nouvelle édition revue,
corrigée et augmentée, précédée d'une notice biogra-
phique sur l'auteur par Auguste Dorchain.
Gapus (Alfred). — Théâtre complet, le troisième volume
qui contient : Mariage bourgeois, la Petite Fonc-
tionnaire et les Deux Ecoles d'une si gracieuse et si spi-
rituelle philosophie.
Corbier (Désiré). — Le Roman de Renard, renouvelé des
Trouvères, des vers très frappés.
Delarue-Mardrus (Lucie). — Par vents et marées, un recueil
de vers, évocations émouvantes du pays natal d'Hon-
fleur et de ses « pêqueux» de la côte normande, où j'ai
retrouvé avec joie ces nobles qualités qui font de l'au-
teur des Horizons et de Ferveur un des très beaux
poètes de ce temps,
Dodillon (Emile). — Souvenirs d'un moblot briard, au siège
de Paris.
Dunan (Charles). — Les Deux Idéalismes.
Ehs (Georges). — La Jeunesse, des vers allègres.
Etat-major général de la Marine Japonaise. — Opérations
maritimes de la guerre russo- japonaise, un historique
ofTiciel dont le premier volume est traduit par M. Henri
Rouvier, enseigne de vaisseau.
Feuillet (M*^^ Emilie). — Les Grappes noires, un recueil de
poésies émouvantes qui sentent bon le terroir, pages
d'amour, de rêve et de sincérité, écrites par une
bretonne poète.
Gautier (E.-F.). — La Conquête du Sahara. Dans cet « essai
de psychologie politique», l'auteur nous raconte
d'abord l'histoire de la conquête du Sahara, de c?
Sahara des Touareg que la France a conquis sans en
avoir presque conscience, et du Sahara marocain;
puis, passant de l'histoire d'hier à celle de demain, il
essaye de voir quels ont été, quels peuvent être les
résultats de la conquête. Il en est de même aujourd'hui
qu'au temps d'Annibal : ce n'est pas tout de vaincre,
il faut savoir user de la victoire et de la conquête, et
M. Gautier conclut que, pour n'être pas frappé de sté-
rihté, le magnifique effort que nous avons accompli
doit être complété par la construction du Transsaha-
MEMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE 385
rien, « qui s'impose par cette force des choses inaper-
çues et irrésistibles qui entraînent l'une vers l'autre
les deux moitiés de l'empire».
Gazanion ( Edouard ). — Chansons pour celle qui n^ est pas venue
Gebhart (Emile). — Souvenirs d'un vieil Athénien, nouvelle
édition.
< Iregorovius (F.). — Promenades italiennes, à travers Rome
et ses environs.
< -uillaume (Lieutenant). — La Conquête du Sud-Oranais, la
Colonne d'Igli en 1900.
Harry (M™e Myriam). *— Tunis la Blanche, de jolies pages
pittoresques et émouvantes. Ce sont, après les décep-
tions de l'arrivée, ces histoires étonnantes du mariage
musulman, de la débauche musulmane, de la légende
de la Manoubïa, ces descriptions lumineuses du ciel
et de la terre, cette évocation de la fête des douceurs ;
jusqu'aux dernières mélancolies, aux derniers enchan-
tements, à cette veille de départ où l'auteur, affalé sur
une borne, « savoure avec volupté, savoure avec tris-
tesse, ô Tunis la Blanche ! ton orientale chimère ».
Hearn (Lafcadio). — Feuilles éparses de littérature étran-
gère, des histoires reconstruites d'après les livres des
Anvari-Scheïli, Raital, Pachisi, Mahaharata, Pant-
chatantra, Gulistan, Talmud, Kalewala, traduites et
précédées d'une préface de M. Marc Logé.
llnllanda (Francisco de). — Quatre dialogues de Michel-
Ange sur la peinture. Cette œuvre d'un Portugais qui
fut, paraît-il, un excellent critique d'art du xvi^ siè-
cle, et traduite par M. Léo Rouanet.
lluchard (Robert). — Aux Antilles, « les Hommes et les
Choses ».
Jenny (Henry-Ernest). — Voir Virgile Rossel.
Joyaux (E.). — Epicure.
Kann (Reginadl). — La Campagne de 1878 en Bosnie-Her-
zégovine.
Liil)bé (Paul). — Le Mur d'ombre, poésies.
Lami (Satnislas). — Dictionnaire des sculpteurs de V Ecole
française au xviii« siècle, un volume où l'auteur pour-
suit la publication de ce véritable monument d'his-
toire artistique.
386 Li: MOUVEMENT LITTERAIRE
Lannelongue (Professeur). — Un Tour du monde, un volume
abondamment illustré où l'éminent professeur nous
raconte le tour du monde qu'il a accompli d'octobre
1908 à juillet 1909; il nous apporte de ce voyage une
belle moisson de souvenirs, de faits et d'observations,
et surtout d'enseignements, car le professeur Lanne-
longue, tandis qu'il parcourait le monde, pensait obs-
tinément à la France, et son livre n'est point seule-
ment une relation de voyage, c'est aussi, c'est surtout,
une leçon d'énergie et de patriotisme qu'un homme
éminent, vénérable par la science et par râge,est allé
chercher pour nous aux confins du monde.
Lenoël-Zevort (M^^^). — Grammaire du chant et de la diction.
Leprevost (Gabriel). — Le pèlerinage de Childe Harold,
une version en vers, avec notes explicatives de l'œu-
vre de Lord Byron.
Leroux (Jules). — La Brume dorée, poésies.
Lorrey (Claude). — Stances, sonnet et chansons, d'une belle
inspiration, d'un rythme divers et très heureux.
Marge ( Pierre ).■ — Voyage en automobile dans la Hongrie joiMo-
resgiie, «Patra-Tatra-Matra», un fort agréable volume
préfacé par M. Edouard Herriot.
Masson-Forestier. — Autour d'un Racine ignoré, d'après des
documents de famille.
Matte (Louis). — Crimes et procès politiques sous Louis XIV,
un volume où l'auteur évoque le procès de Fouquet,
la conspiration du chevaher de Rohan, le mystérieux
Masque de Fer.
Mayrargue (Louis). — Heures profanes, des vers mélo-
dieux.
Mesureur (André). — Quelques problèmes d'assistance à
Paris, un volume d'une très forte et très précise docu-
mentation. L'auteur, secrétaire général, adjoint du
Conseil supérieur de l'Assistance pubhque, est assez
bien placé, on en conviendra, pour connaître les cho-
ses dont il parle; vous me croirez de reste si je vous
dis qu'il n'y a dans ce hvre nulle attaque centre l'Ad-
ministration, mais, — et c'est déjà très louable! —
M. André Mesureur n'a point cédé à la tentation de
faire sans cesse son éloge; il a entendu, tout uniment.
MKMHNTO DU MOIS DK NOVKMBKK 08 7
lii laire mieux connaître au public, qui, ayant une no-
tion plus exacte de ce qui s'y fait, pourra désormais
collaborer plus utilement avec elle.
Mirtel (Héra). — Fleurs d'ombre, Fleurs d'aube, Fleurs de
lumière, poésies.
Moll Weiss (M ■"« Augusta). — Le Livre du foyer. Une exctM-
lente leçon de morale pratique ressort de ce volume
publié par la directrice de l'institution baptisée du
nom si noble de « l'Ecole des mères ». Dans cet ouvrage,
abondamment illustré, très clairement conçu, l'auteur
étudie comment organiser et entretenir notre «home » ;
comment atteindre le maximum de bien-être avec
le minimum de dépense; comment résoudre les mille
problèmes d'hygiène qui se posent chaque jour à pro-
pos de notre logement, de notre régime alimentaire.
Ce ne sont pas là, tant s'en faut, des questions subal-
ternes ; elles ont pour notre vie sociale une importance
primordiale, et en les enseignant aux femmes, bien
loin de les enfermer dans un pot-au-feu, on travaille,
au contraire, à les libérer des constantes préoccupa-
tions ménagères auxquelles les soumettent le plus sou-
vent une science incertaine ou un savoir-faire insuffî-
sant.
Moussac (Georges de). — Dans la mêlée, « journal d'un
cuirassier de 1870-1871 ».
Norbert (Willy). — Voir J.-J. Olivier.
Normand (Jacques). — Jours vécus, des pages émouvantes,
vivantes et jolies.
Noyer (Madame de). — Mémoires et Lettres galantes de
Madame du Noyer (1663-1720). Nouvelle édition.
Olivier (J.-.J). et Willy Norbert. — La Barberina Campa-
nini (1721-1799), l'histoire très mouvementée, ornée
de belles et souriantes images d'« une étoile do lu
danse au xyiii^ siècle».
Itaynaud (Ernest). — Apothéose de Jean Moréas, poàlc
français.
lletté (Adolphe). — Sous l'Etoile du matin, un volume où
l'on peut voir une lyrique exaltation de la communion
en général et de cette communion à sept ans récem-
ment décrétée par le Saint Pè»p.
388 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Rossel (Virgile) et Henry-Ernest Jenny. — Histoire de la
littérature suisse.
Roux (François -Charles). — Les Origines de' V Expédition
d'Egypte, un volume d'une forte documentation.
Saunier (Marc). — La Légende des Symboles.
Savine (Albert). — Souvenirs de Charles Parquin : Amours
et Coups de sabre d'un chasseur à cheval (1803-
1809).
Schahorskoy-Strechnefî (Princesse). — Silhouettes Scan-
dinaves, un volume où l'auteur esquisse les portraits
du comte de Fersen, de Charles -Gustave de Lilien-
feld, de la princesse Zelmire.
Segonds (Lieutenant). — La Chaouïa et sa pacification.
Stoulhg (Edmond). — ■ Les Annales du Théâtre et de la Musi-
que, le 35^ volume de cette précieuse pubhcation, qui
vient de paraître avec la parure d'une déhcieuse pré-
face de M. Henri Lavedan.
Tollemonde (Georges de). — Spectacles et symphonies, poé-
sies.
Trois- Arches (Abel des). — V Epopée de la grande nation, la
première partie d'un poème épique qui ne comportera
pas moins de vingt-cinq mille vers. En des alexandrins
bien frappés, qui se déroulent majestueusement,
l'auteur a évoqué trente années formidables de l'his-
toire de France — du 5 mai 1789 au 5 mai 1821. —
Son inspiration est tout à la fois patriotique et reli-
gieuse, religieuse surtout, M. Abel des Trois-Arches a
voulu chanter la justice de Dieu, et faire comprendre
par des arguments historiques et poétiques le lien
qui doit unir la Répubhque et le christianisme. Dans
ce poème épique d'une si vaste envergure, il a intro-
duit un élément romanesque, émouvant et drama-
tique. C'est, nous dit-il, l'œuvre de toute sa vie : « il
concevait son poème en mai 1869, quand il était dans
sa prime jeunesse». Le voilà maintenant terminé,
il l'a lancé dans le monde avec un grand geste de con-
fiance et de chrétienne obéissance. « Va — dit-il à sou
poème — va, où le souffle de Dieu te poussera. »
Vidal (Commandant P.). — La Campagne de Sedan du
21 août au i^r septembre 1870.
MEMENTO DU MOIS DE NOVEMBRE 389
Vierge (Pierre). — Le Navire enchanté, poèmes.
Vulliaud (Paul). — La Crise organique de V Eglise en France.
Wagner(C.).— Par /esownVe. Des éléments de morale usuelle,
d'une candeur et d'une bonne grâce charmante.
Yard (Francis). — A V image de rjiomme, poèmes.
DECEMBRE
LES ROMANS
EMILE MOSELLY
Joson Meunier.
M. Emile Moselly que le prix Goncourt a désigné
naguère à l'attention du public, nous a donné déjà
quelques œuvres telles que la Vie lorraine et le Rouet
d'ivoire où il était facile de discerner les promesses
d'un talent tout à fait remarquable. Ces promesses,
il les comble avec Joson Meunier.
C'est une œuvre vraiment complète, qui s'élève
aux sommets du pathétique par sa simplicité même
et son émouvante sincérité. Sans apprêts d'aucune
sorte, M. Emile Moselly nous y conte l'histoire d'un
paysan lorrain, Joson Meunier, le fils de Jean-Bap-
DÉCEMBRE LES ROMANS 391
tiste, que des revers ont chassé de sa maison et de
sa ferme, et qui, à l'aurore de la vie, s'en va sur la
grand'route, vers la ville, pour chercher à gagner .
son pain. Il est tout près de se désespérer; mais il se
raidit, et, dans une promesse où « s'affirme la pous-
sée obscure de la race qui persiste à affirmer la vie
malgré la misère et le malheur», il s'écrie en con-
templant une dernière fois son village de Bicque-
Icy : « Que j'aie un enfant, il sera plus heureux que
moi, — il ne sera pas un fugne-terre. »
Il tient la promesse qu'il s'est faite à lui-même si
solennellement; il s'installe à Toul, humble tâche-
ron dur à l'ouvrage ; il épouse la blonde, et douce, et
apathique Céline, et pour Maurice, l'enfant qui
naît de cette union, il n'est pas de sacrifice qui lui
coûte. Malgré les conseils du prudent Sagot, son
voisin, il envoie l'enfant, très doué, au collège : il en
fait un monsieur, un brillant polytechnicien, ijji
officier, un savant.
Et c'est le drame habituel. Maurice, qui n'est
point au demeurant un méchant garçon, s'éloigne
peu à peu de lui, il a honte confusément du pauvre
papa obscur et simple, qui dès la naissance de son
enfant avait eu la conscience très nette de n'être
qu'un anneau dans la chaîne mystérieuse qui unit
les vivants aux morts. Et Joson réexpédié au vil-
lage natal, dans une maison confortable que lui a
offerte la distante piété de son fils, meurt désolé
dans la solitude, si loin de ce Maurice qu'il a tant
aimé, qui lui faisait dire orgueilleusement : « Je
392 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
suis plus riche que les plus riches, puisque j'ai mon
garçon », et dont il garde la photographie enfantine
en ses mains crispées.
C'est la course du flambeau évoquée avec une
extraordinaire intensité et dont le récit tire les
larmes par des moyens d'une admirable simplicité.
Et cette histoire semée d'épisodes émouvants,
traversée par des figures si touchantes et si vivan-
tes, se déroule dans des décors dont M. Moselly
excelle à dire la poétique et mélancolique beauté,
où les brumes du soir qui se lèvent de la prairie
mosellane se mêlent à la fumée des toits, étendant
sur les terres des rideaux de gaze bleutée, où la
forêt lorraine s'étend sur les monts comme un
merveilleux joyau, un filigrane d'argent constellé
du bleu des pervenches...
CHARLES-HENRY HIRSCH
Le Grime de Potru, soldat.
Le Crime de Potru^ soldat^ de M. Charles-Henry
Kirsch, est un douloureux roman où se retrouvent
avec une grande intensité les âpres et puissantes
qualités que j'ai admirées et signalées il y a déjà
longtemps, au moment même de ses débuts, en cet
écrivain, l'un des mieux doués de notre génération.
Il est bien douloureux le calvaire de Potru, ce soldat
DÉCEMBRE — LES ROMANS 393
qui, certain soir de bombe, a été amené à tuer dans
un mouvement de colère farouche le sergent
Bavon. Son «pays))Gharonneau, en compagnie de qui
lo meurtre avait été commis, a eu la prudence de
l'aire disparaitres les traces de culpabilité, et il s'est
>i bien arrangé que, malgré toutes les recherches de
fautorité, le coupable reste inconnu. Potru est
-^auvé ! Sauvé des juges, mais non de son détestable
sauveur, qui désormais va le prei^ écuter sans relâ-
che, le tenir sous la terreur pendant l'année de ser-
vice qui reste à faire; le poursuivre, après sa libéra-
tion, au pays, empoisonner sa vie par la menace
-sournoise et lâche, si bien que Potru pour échapper
à cet enfer avoue le crime à son grand-père, à sa
chère femme Toinon, à la justice militaire.
Tous deux sont jugés, condamnés avec sursis;
mais le martyre de Potru n'est point fini : la haine
de Gharonneau s'acharne sur lui, et il se rend compte
certain jour que seule la mort le peut hbérer de
cette misère; il s'attache une pierre au cou et se
noie dans un étang dont les eaux se referment sur
lui et qui tout de suite reprend l'apparence d'un
miroir obscur dans son cadre de roseaux fanés.
« Ainsi, et plus parfaitement encore, les âmes dissi-
mulent les cadavres d'illusions d'où renaissent pour
leur charme toujours des illusions nouvelles dont la
suprême les emporte elles-mêmes avec le souffle de
vie ailleurs ou nulle part... »
r{94 LF MOTTVFMENT LITTf:RMRF,
NONCE CASANOVA
Le Journal à Nénesse.
M. Nonce Casanova, écrivain fécond, ardent et
divers, à qui nous devons des œuvres éiranges
comme la Symphonie arabe, émouvantes et humai-
nes comme Jean Cass, pauçre diable, publie un
roman où il a, une fois de plus, renouvelé totale-
ment sa manière : c'est le Journal à Nénesse,
« écrit par le beau Nénesse de la Courtille, cel-
lule 19, 8^ division, à la Roquette», Ce sous-titre
me dispense, j'imagine, de vous présenter le person-
nage. Son aventure, qu'il nous conte sur le seuil de
l'échafaud, est d'ailleurs émouvante et drama-
tique.
Nénesse était un brave ouvrier — d'ailleurs
sans travail — lorsqu'il rencontra la jolie Linette,
dont la vue, selon son expression, lui « défonça le
cœur». Il l'aima éperdument, il le lui prouva, et
elle — qui le « gobait» — l'entraîna au rôle abject
de « vagabond spécial». Mais certain jour, elle lui
fut infidèle — infidèle vraiment — elle s'éprit d'un
« jeune homme de la haute », et cela Nénesse ne put
le supporter : il égorgea son amie et fut, pour ce
crime, condamné à mort. Et il attend le jour fatal,
avec des alternatives d'angoisse, de désespoir, de
colère et d'ironique énergie, lorsqu'enfin lui arrive
la nouvelle de sa grâce, et, tout à la joie de revivre,
DÉCEMBRE LES ROMANS 395
il chante à plein gosier et songe avec un soulage-
ment immense au bagne prochain.
M. Nonce Casanova, pour défendre le choix qu'il
a fait d'un semblable héros et d'une telle peinture,
invoque Stendhal et sa phrase fameuse si souvent
l'appelée par les réalistes : « Un roman est un miroir
qui se promène sur une grande route. Tantôt il
reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange
des bourbiers de la route. Et l'homme qui porte le
miroir dans sa hotte sera par vous accusé d'être
immoral ! Son miroir montre la fange et vous accu-
sez le miroir!» Je n'accuse personne, j'accorde
même que M. Nonce Casanova a mis dans la bouche
de son ignoble héros des accents pathétiques, mais
quel langage. Seigneur !
D'un bout à l'autre, Nénesse parle argot, il
s'exprime dans cet idiome si « sauvagement et
superbement poussé sur les ramures de notre belle
langue ». On m'afTirme que cet argot est excellem-
ment noté; je ne suis point assez expert pour en
juger : il m'a semblé pittoresque et expressif, par-
fois même d'une étrange beauté; mais, après ces
trois cents pages de confidences en langue verte,
on éprouve impérieusement le besoin d'aller respi-
l'er un peu d'air pur...
396 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ODETTE DULAG
Le Silence des femmes.
• Mlle Odette Dulac, divette célèbre et charmante
que nous regrettons de ne plus entendre, s'est révé-
lée naguère femme de lettres avec un roman où elle
revendiquait crânement le Droit au plaisir. J'ai dit
en son temps l'agrément de ce livre audacieux, et je
prévoyais que M}^^ Odette Dulac n'en resterait pas
là. Et voici, en effet, qu'elle nous apporte un nou-
veau roman : le Silence des femmes^ qui est une œu-
vre tout à fait originale, émouvante et romanesque.
Le silence des femmes n'est point un mythe, quoi
qu'en disent les hommes; elles savent le garder
superbement, héroïquement, mais elles le déguisent
« sous le flot de tant de paroles inutiles et qui ne
sont que l'exutoire de leur impuissance sociale ».
L'impuissance sociale des femmes ! on sent com-
bien elle pèse à M}^^ Odette Dulac, et elle nous
montre tout ce qu'elle a d'injuste et de cruel en
nous contant l'histoire de Gisèle Vinay, une hé-
roïne^— et même une Héroïne avec un grand h —
de vingt-cinq ans, réduite par des revers de fortune
à gagner sa vie et celle des siens. Pour parvenir à ce
but, quelles luttes elle doit soutenir, intelligente et
belle, contre l'égoïsme et la concupiscence des hom-
mes. Elle résiste vaillamment jusqu'au jour où,
le cœur ayant parlé, elle cède à Lucien, le fils de ses
DÉCEMBRE — LES ROMANS 397
patrons. Et c'est l'éternelle histoire : l'enfant qui
naît et qui sera de par la veulerie du séducteur et
l'égoïsme cruel de la famille bourgeoise « fils de père
inconnu», ainsi que dit la formule légale et men-
teuse si commode pour les lâchetés et les abandons.
Elle en prend bravement son parti ; elle laissera
Lucien épouser Bertha, une simplette « Madone
Blonde», et même elle aidera, par générosité de
femme, à dissimuler la faute de cette dernière,
dont la fille Lily, sera, grâce à elle, l'enfant légitime
le Lucien — autre mensonge légal.
Et lorsque, de longues années après, comme le
veut la providence des romanciers, le fils de Gisèle
M^ra devenu amoureux de Lily et voudra l'épouser,
'est elle encore qui trouvera moyen, par son
ilence héroïque, de décider Bertha à l'aveu de sa
Faute ancienne, pour permettre l'union des deux
jeunes amoureux, puisque Lucien, par bonheur,
n'est point le fils de son père légal.
Tout cela est très romanesque, souvent émou-
vant. La grave question de la recherche de la pater-
nité y est soulevée avec un généreux emportement
])ar une femme sensible, enchantée de dire leur fait
I ces monstres d'hommes; et qui célèbre l'amour, la
justice, le labeur, indique avec véhémence aux
femmes leurs droits méconnus, et leur conseille tout
de même fort sagement d'aller vers ce mariage si
( l'itiqué et qui reste bien cependant leur plus sûr
l'ofucfo dans notro iniquo société...
398 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
LOUIS PERGAUD
De Goupil à Margot.
M. Louis Pergaud, dont racadémie Goncourt
vient de couronner le livre De Goupil à Margot^ est,
sans nul doute, une fort intéressante personnalité
littéraire qu'il était juste de signaler à l'attention
du grand public. En lisant ces « histoires de bêtes »
si pathétiques, je me suis souvenu de l'émotion pro-
fonde, de l'angoisse indéfinissable ressentie, jadis,
au cours de promenades nocturnes dans la cam-
pagne ou dans la forêt, lorsque, tout à coup, j'en-
tendais, formidable et sinistre dans le silence de la
nuit, un long cri déchirant, cri de colère, de terreur
ou de joie. Je me demandais quel drame venait de
se passer là, tout près de moi, et pourtant si obscur
et si lointain, et j'en avais pour le reste de la nuit à
bâtir, dans la veille ou le rêve, les plus étranges
imaginations...
Ces cris, M. Louis Pergaud a su les interpréter,
ces drames il a réussi à les reconstituer, et ce sont
les terribles aventures de Goupil le renard pour-
suivi par le chien Mirant, et de Nyctalette la
taupe guettée par son sanguinaire fiancé, et de
Fuseline la fouine si douloureusement prise au
piège, et de Margot la pie, et de tant d'autres dont
les mœurs sont observées avec une extraordinaire
DÉCEMBRE — LES ROMANS 399
vérité, et les âmes évoquées, humanisées, nvee une
intensité pathétique.
Et c'est un livre remarquable que je voudrais
louer sans réserve, mais pourquoi l'auteur, capable
d'écrire de fort belles pages, s'amuse-t-il parfois —
trop souvent — à tourmenter notre pauvre langue
française et à nous offrir des mots « rares » dont nous
nous passerions si bien?
Le réveil de Nyctalette la taupe ne gagnerait-il
pas à nous être raconté autrement que par cette
phrase : « Elle s'éveillait du long sommeil hiémal
consécutif à une interminable errance par la soli-
tude froide de ses galeries»; — et croyez-vous que
l'esthétique de M. Pergaud serait fort endommagée
s'il consentait à dire, comme nous autres humbles
mortels : « les ténèbres»; au lieu de nous parler
sans cesse de « la ténèbre », et si son renard voulait
bien renoncer à « solutionner » des questions alors
qu'il est si simple, si euphonique et si correct de
les résoudre...
COMTE ROBERT DE MONTESQUIOU
La Petite Mademoiselle.
«Scène de mœurs mondaines.»
Le livre que M. le comte Robert de Montesquiou
a publié récemment sous le titre la Petite Made-
moiselle est un roman, ou plutôt, comme il dit, une
400 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
« scène de mœurs mondaines» qu'il avait rêvé
d'écrire depuis longtemps. « C'est la première réa-
lisation d'art qu'il ait essayée», et il a fallu de flat-
teuses sollicitations pour qu'il se décide « à repren-
dre et à mettre sur pied de quelques coups d'ébau-
choir la folle statuette ». Comme lecteur, je suis
enchanté que M. de Montesquiou ait cédé et nous
ait offert ce portrait et ce tableau, car je me suis
beaucoup diverti à les regarder; comme chroni-
queur, par exemple, je suis beaucoup moins con-
tent, car c'est un livre qu'il est bien difficile, pour
ne pas dire impossible, de raconter et d'analyser :
tout en nuances, en notations fines, délicates, ironi-
ques, où sans cesse l'auteur vient — sans en avoir
l'air — prendre la place de ses héros pour décocher
quelque trait acéré, émettre nonchalamment quel-
que théorie surprenante...
C'est, en somme, le roman de miss Winterbot-
tom — une institutrice que la famille a baptisé
pudiquement miss Winter — personne étrange d'un
comique macabre, volontairement démantibulée,
qui porte en été des toilettes d'hiver, en hiver des
robes blanches pour « aller avec la neige», qui se
livre à mille autres folies fort incompatibles avec
son rôle d'institutrice. Nous comprenons qu'elle
ne réussisse guère et que la famille soit empressée
à la congédier; et nous serions tout prêts à la trou-
ver insupportable, s'il n'y avait pas la famille en
question, si ennuyeuse, si falote, d'une si étroite
et antipathique mondanité; le lamentable bour-
DÉCEMBRE — LES ROMANS 401
geoisisme de ces gens du monde, pour lesquels
M. de Montesquieu est bien sévère, finit par nous
rendre presque agréables les bizarreries de cette
personne « docile et rebelle, attendrissante et char-
mante, ingénue et braque, vertueuse mais déver-
gondée d'imagination et goulue de texte »; et nous
versons avec ses élèves repentantes un pleur sur la
tombe de cette esclave dont M. de Montesquiou
•fîre l'image à Abel Hermant, auteur des Affran-
chis.
SOME RSET-MAUGH AN
L'Explorateur.
Traduction par M"" Tiikrksk Bekton.)
]Vîme Thérèse Berton, à qui nous devons déjà la
révélation de Baby Boulet et de ce prestigieux
Bridge, d'un si passionnant intérêt, nous apporte
;nijourd'hui la traduction d'un nouveau roman
.inglais, r Explorateur, de M. Somerset-Maughan :
'est un livre bien captivant. Conformément à la poé-
tique du roman anglais — qui paraît bien être la
bonne — l'anecdote en est fort copieuse, bourrée
d'épisodes, avec sans cesse le rebondissement de
dramatiques péripéties. Emporté par l'action, l'au-
teur n'a guère le loisir de couper des cheveux en
({iiatre et de s'attarder en des études psychologi-
ques, mais le drame parle pour lui et le lecteur est
402 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
renseigné sur le caractère et sur l'âme du héros par
ses actes et par ses paroles d'une façon aussi com-
plète et beaucoup plus agréable que par la plus
pénétrante analyse.
Et c'est une belle figure — plus belle que nature
— celle de cet explorateur, cet Alexandre Mac
Kensie qui fut surnommé Alec et qui, non content
de mille exploits fameux au centre de l'Afrique,
se donne encore le luxe de risquer sa gloire, son hon-
neur et son amour pour rester fidèle à un serment,
pour défendre la mémoire d'un coupable qui rache-
ta sa faute par une mort glorieuse. Lorsqu'on van-
tera son héroïsme, sa bravoure et sa générosité en
Afrique, il pourra répondre comme Cyrano : « J'ai
fait mieux depuis î » Heureusement pour notre
sensibilité, le roman, dont je ne saurais, sans trahir
les intentions de l'auteur, vous résumer les péripé-
ties, se termine sur une note d'espoir et d'amour et
nous avons confiance que l'explorateur reviendra
sain et sauf de sa dernière expédition pour retrouver
et épt)user celle qu'il aime, la jolie et touchante
Lucy, enfin convaincue de la noblesse et de la gran-
deur d'âme de son fiancé.
DÉCEMBRE — LES ROMANS 403
ANDRÉ GEIGER
La Reine amoureuse.
La Reine amoureuse^ dont M. André Geiger nous
conte la romanesque et tragique aventure, est une
souveraine de légende dont les traits nous rappel-
lent parfois ceux de quelques reines de ce temps,
célèbres et malheureuses; ainsi la réalité vient se
mêler à la fiction, la rendre plus vivante sans que,
d'ailleurs, l'écrivain ait cédé à la détestable tenta-
tion du roman à clef. Nous prenons aux douleurs,
aux émotions, aux espérances de l'ex-reine Eulalie
de Macédoine, une part d'autant plus grande que
nous avons toujours soupçonné ces espérances, ces
douleurs et ces émotions chez des souveraines de
la réalité; et, d'avoir été vécues parfois, ses plus
romanesques aventures nous apparaissent vraisem-
blables...
Le roman en soi, roman d'amour, d'ambition, de
meurtre, est émouvant et bien conduit; les figures,
celles de Laurent, l'ami passionné de la reine, de
Grégor, le révolutionnaire ardent, terrible et géné-
reux en sont bien campées, hautes en couleur et
dominées par celle infiniment noble et touchante
de la Reine devenue infirmière, dont l'aventure
illustre cette pensée de M»»^' de Staël placée en épi-
graphe ; « La gloire ne saurait être pour une femme
qu'un deuil éclatant du bonheur. »
404 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
JACQUES NAYRAL
L'Etrange histoire d'André Léris
Oh ! oui, elle est étrange cette histoire, ou plutôt
elles sont étranges, car elles sont quatre : quatre
épisodes de l'existence d'André Léris, tout à fait
différents, avec comme seul lien la personnalité
du héros, si complexe, si mystérieuse, et que, je
vous le dis tout bas, je n'ai pas comprise d'une fa-
çon parfaite. Je suis excusable sans doute, puisque
l'auteur lié depuis l'enfance avec lui, avoue qu'il
le connaissait mal. Il nous explique pourtant que
cet ironique, presque impassible, était, en réalité,
un mystique et aussi un malade, dont la vie phy-
sique fut un martyre, et qui vécut constamment
harcelé par le vertige de l'abîme. Il passa son exis-
tence les yeux tournés vers l'insondable, en proie à
la plus folle terreur de l'inconnaissable éternité.
Après une telle présentation, vous êtes assez bien
préparé au récit des tourments d'André Léris, de
ses angoisses au sujet de son état mental, de ses
déboires littéraires, de ses macabres entretiens et
de son crime étrange et mystérieux — aventures
tragiques et parfois douloureusement comiques
qui ne sont pas toujours d'une parfaite'^clarté,
mais dont on démêle tout de mênae le sens symbo-
DÉCEMBRE — LES ROMANS 405
lique et qui sont évoquées par récrivain avec beau-
coup de puissance et d'intensité.
ORGZY
L'Amateur de Mystères
Traduction de M. Joseph Renaud).
CuL Amateur de mystères^ que M. Joseph Renaud,
traducteur excellent et adaptateur très ingénieux et
adroit, nous ramène d'Angleterre, où M. Orczy le
fit naître, est un étrange vieil homme qui dévoile à
son interlocuteur, en fait à vous ou moi, ses lecteurs
naïfs et charmés, le mystère d'un tas de crimes hor-
ribles, de vols surprenants auxquels la police n'a
compris goutte — heureusement pour notre amour-
propre, c'est la pqHcc anglaise î — et que lui, a
pénétrés, découverts, jugés avec un flair surpre-
nant.
Il y a là, notamment, un certain « Mystère de la
rue Fenchurch » que je vous recommande. Vous y
verrez un assassin d'une rare ingéniosité, qui trouve
moyen de se faire juger et absoudre par le jury sous
le nom de sa victime ; cela ne vous parait pas très
plausible, mais vous verrez comme c'est clair dans
la bouche du conteur, que nous soupçonnons d'a-
voir joué un rôle assez fjlcheux dans cette histoire
et dans toutes les autres qu'il nous raconte en
'lOfi r,K MOUVEMENT LITT^RAIIIE
jouant — jeu machinal et symbolique — avec une
ficelle dont sans cesse il défait et refait les nœuds.
EMILE NOLLY
La barque annamite
' Roman de mœurs tonkinoises.
Ce « roman de mœurs tonkinoises » est une évoca-
tion d'une émouvante sincérité, et qui n'est, dans
le fond, pas autrement flatteuse pour notre amour-
propre national, à nous autres Français « langso »
qui avons chassé de leur patrie des êtres simples et
bons comme le vieux Nena.
Ce vieillard n'a qu'une pensée, qu'un but :
retourner vers les « hauts pays », d'où il fut chassé,
pour honorer la tombe des ancêtres que la loi reli-
gieuse annamite défend de laisser seuls. Et pendant
tout le cours du roman, oii il y a de l'amour, de
la tendresse, de la jalousie, nous le verrons dominé
par cette pensée, et, au dénouement, il sera dans le
« sampan», dans la barque annamite exprès cons-
truite pour ce pieux voyage, voguant toujours
vers les morts d'autrefois, qu'il faut à tout prix
honorer, car ils attendent frémissants de colère...
Et c'est, dans un très noble symbole, l'incarna-
tion de la tradition qui ne veut pas mourir, en face
d'autres personnages, les jeunes Annamites — si
DÉCEMBRE TES ROMANS ^lO?
j'ose dire — que séduisirent les « bateaux à feu, qui
vont si vite », ces bateaux des Français qu'il faut
imiter si l'on veut aller de l'avant, au lieu de s'en-
liser stérilement dans le passé.
HISTOIRE, ART, VOYAGES, DIVERS
PAUL FRÉMEAUX
Dans la Chambre de Napoléon mourant.
M. Paul Frémeaux, dont l'ouvrage sur les der-
niers jours de VEmpereur à Sainte-Hélène m'avait
si profondément ému, publie sur cette « dernière
phase », comme disait lord Rosebery, aussi pathé-
tique à ses yeux que les plus belles années de triom-
phe et de gloire, un nouveau livre bien impres-
sionnant : Dans la Chambre de Napoléon mourant.
C'est le journal inédit d'Hudson Lowe, gouverneur
de Sainte-Hélène, sur l'agonie et k mort de l'Em-
pereur; ce témoignage d'un geôlier sur Napoléon
prisonnier et mourant est un document de premier
ordre, et l'on s'étonne de ne l'avoir pas connu plus
tôt. Il faut remercier M. Paul Frémeaux de nous
DÉCEMBRE — HISTOIRE, ART, VOYAGES, DIVERS 409
l'avoir présenté. Il ne réhabilitera pas la mémoire
d'Hudson Lowe et, en nous amenant jusqu'au
chevet de Napoléon mourant, il nous fera connaître
un peu mieux et admirer un peu plus encore peut-
être le héros gigantesque.
Cette fin si cruelle, si pathétique termine digne-
ment la plus belle épopée dont le monde ait eu
jamais le spectacle, et, ma foi, en y réfléchissant
bien, on se prend à excuser — un siècle après —
la bassesse et la cruauté d'Hudson Lowe qui, en
face de l'image de Napoléon mourant, tient l'em-
ploi désobhgeant mais nécessaire de repoussoir.
ALBERT TOURNIER
Les Conventionnels en exil.
Toujours l'incertitude de l'histoire ! Il y a quel-
ques mois, je vous signalais un livre où les régicides
de la Convention apparaissaient en assez fâcheuse
posture, très empressés sous la Restauration à faire
leur mea (ulpa; M. Albert Tournier, mort récem-
ment, avait entrepris de soutenir la thèse contraire,
et le hvre posthume de l'historien de Vadier, les
Conventionnels en exil, est un plaidoyer ardent, ému,
pour ces hommes qui, « dans la pire détresse morale
et physique, accablés par la vindicte des hommes,
ont montré dauas leur résistance obstinée à l'oppres-
24
4 J < > L !•; M O l , \ i: M I;; .N T L 1 11 K |t AI U i:
sion froide, cruelle et systématique, toute la droi-
ture de leur caractère et l'énergie des âmes fortes. »
Ainsi s'exprime dans la préface M. Paul Maryllis
qui a une foi absolue dans l'impartialité de M. Al-
bert Tournier. Je ne vais pas si loin pour mon
compte, et il me paraît bien difficile qu'avec tant
d'ardeur, d'émotion et d'enthousiasme, M. Tournier
soit tout à fait impartial. Mais, sans qu'il soit néces-
saire d'adopter toutes ses conclusions, oa lira avec
intérêt et profit, le récit qu'il nous fait de la vie des
conventionnels réfugiés, après la loi de bannisse-
ment, au Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne, en
Amérique, en Angleterre, en Autriche, en Espagne
et en Russie, et de ceux qui persistèrent à séiourner
en France.
HENRY ROUJON
Dames d'autrefois.
M. Henry Roujon publie un nouveau volume :
cette simple phrase, qui fit plaisir à tous les amis
des bonnes lettres, nous causa une bien grande
joie, à nous que la santé de notre éminent et cher
collaborateur avait préoccupé si fort l'automne
de 1910, quand nous guettions anxieusement les
nouvelles de Montreux. Dieu merci, ce cauchemar
était aujourd'hui terminé; après une rude secousse,
notre ami, tout à fait hors de danger, se remettait
DÉCEMBRE — HISTOIRE, ART, VOYAGES, DIVERS 411
lentement, et, pour nous faire attendre avec un
peu plus de patience son retour prochain, il nous
adressa un sourire délicat, malicieux et grave, qu'il
appela : Dames d'autrefois.
Oh ! le gracieux livre, tout plein d'érudition
aimable et profonde, et comme elles doivent être
contentes, ces dames d'autrefois, d'être évoquées
en de telles pages pimpantes, et tendres, et spiri-
tuelles de l'esprit le plus précieux, le plus rare, le
plus français qui soit. Elles sont là, cinqu^ante :
reines et courtisanes, petites cabotines et grandes
artistes, héroïnes de l'histoire du roman ou de la
vie. Elles sont là, avec leurs sourires, leurs larmes,
leurs grandes actions ou leurs méfaits, tendres,
])athétiques, rieuses ou méchantes, les bonnes fées
et les mégères, celles que la nature fit ravissantes ou
qui connurent la tristesse d'être laides.
Et c'est Héloïse, humble femme et femme uni-
quement jusqu'au bonheur dans le martyre, et la
Faustine de du Bellay, et l'Eléonore du Tasse, et
la Dilecta de Balzac, et Suzanne de Livry qu'aima
Voltaire. Et c'est encore la femme de Greuze,
mégère insupportable, et la tendre Clara Schumann,
épouse du magicien de la mélodie, la reine Margot,
la reine Caroline, Marie de Médicis, Christine de
Suède, Mi^e Vigéc-Lebrun, Delphine Gay, M"ie
Guyon. Sortant des petits appartements de
Louis XV, voici la Du Barry et Liselotte, et M^i^ de
Romans, qui avait failli épouser Casanova.
Vous dirai-je encore; l'incomparable Arthénice, la
412 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Virginie de Paul, la divine M^^ Récamier, M"»® de
Chateaubriand, et Marie Salle, la chaste danseuse,
et Julie Forestier, la fiancée de M. Ingres?... Mais
je m'arrête, cette sèche énumération deviendrait
fastidieuse : elle est faite du moins, aussi incom-
plète qu'elle soit, pour vous donner une idée du
merveilleux agrément et de la variété de ce livre
ravissant, dédié à la gloire de l'éternel féminin par
un exquis écrivain qui sait être, pour lui, tendre
avec clairvoyance, et juste sans rudesse.
FERDINAND BAC
Chez Louis II, roi de Bavière
« Voyage romantique. »
J'aime beaucoup les petites femmes de Ferdi-
nand Bac, je crois bien que j'aime encore mieux
ses graves et gracieuses rêveries littéraires : je l'ai
dit maintes fois depuis deux ans, et son nouveau
livre. Chez Louis 11^ roi de Bai^ière^ me confirme
dans cette prédilection. Quel aimable excursion,
ce « voyage romantique » où nous nous engageons
en compagnie de M. Ferdinand Bac — ou plus
exactement de ses personnages, Pascal Latour et sa
spirituelle amie Stéphanie Passignot — pour nous
en aller chez Louis II, roi de Bavière, prince palatin
du Rhin, souverain de l'Harmonie romantique.
DÉCEMBRE — HISTOIRE, ART, VOYAGES, DIVERS 413
chevalier du cygne, venu au monde en retard de
cinq siècles et qui est mort de ce fait.
Quelle émouvante et pieuse enquête autour de
cette énigme troublante, douloureuse et séduisante !
Pascal Latour excelle à faire parler les gens, depuis
les postillons, anciens piqueurs de l'étrange sou-
verain, jusqu'aux conseillers d'Etat, depuis les
grands artistes et les grandes dames qui l'ont connu
ou cru le connaître jusqu'à l'humble gardienne d'un
vieux moulin fréquenté jadis par Louis II.
De ces récits contradictoires, une probabilité se
dégage; de ces portraits différents, une physiono-
mie se compose : c'est l'art de M. Ferdinand Bac
de nous faire apercevoir, à travers ce fouillis
d'anecdotes et de jugements, à travers cette confuse
légende, une vraisemblable vérité.
Vraisemblable seulement : Ferdinand Bac ne
saurait se flatter d'avoir mis fin à tant de contro-
verses; mais son interprétation de ce personnage
shakespearien est tout à fait ingénieuse : elle ne con-
vaincra peut-être point, elle ne peut pas séduire.
L'auteur se contentera de ce succès, d'autant
qu'il a poursuivi sans rigueur son enquête de voya-
geur-poète. Il s'en est laissé distraire par mille
choses, et ses distractions nous ont valu des pages
('xquises à propos de tout et de rien ; — il s'est laissé,
aller devant nous, avec une nonchalance très sur-
veillée, quelquefois même un peu coquette, à ses
songes, à ses idées, comme à une mélodie intérieure ;
<>f riM!i< Mx^Mr.c <iiivi. oRchantés, ces ent rotions d'un
414 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
i3sprit curieux, pénétrant, plein de ressources; d'un
nrtisic raffiné, d'nn r-oiiseur plein de grâce...
PAUL GOUT
Le Mont-Saint-Michel.
Avec M. Paul Goût nous rentrons en France, et
c'est le Mont Saint- Michel qui est évoqué sous nos
yeux en deux grands volumes. Le Mont Saint-
Michel dont Siméon Luce disait « que son seul nom
évoque ce que les paysages de France ont de plus
grandiose, ce que le patriotisme a de plus inviolé,
ce que la religion a de plus saint », a été célébré,
raconté et chanté par une foule d'écrivains, de
poètes et d'historiens depuis des siècles; il est visité
chaque année par une multitude de touristes émer-
veillés, et pourtant il est mal connu. M. Paul Goût,
architecte en chef des monuments historiques, à
qui furent confiées les destinées du Mont Saint-
Michel, nous l'affirme, et il suffit pour s'en rendre
compte de regarder son magnifique ouvrage où,
presque à chaque page, se rencontrent une décou-
verte, une révélation.
Ces deux gros volumes ornés de plus de 400 gra-
vures, de 40 planches hors texte, constituent un
monument magnifique de ce poème de pierres qui
se dresse sur l'océan avec une si émouvante majesté.
DL'.EMBRE HISTOIRE, ART, VOYAGES, DIVERS 415
En entreprenant cette histoire de l'abbaye et de la
ville, cette étude archéologique, et architecturale
des monuments, en nous donnant, dans des pages
si éloquentes et si documentées, l'histoire des évé-
nements dont le Mont -Saint-Michel et son abbaye
furent le théâtre, et la monographie analytique
des monuments, véritable univers d'architecture
et de sculpture, M. Paul Goût a fixé définitivement,
un monument unique, au monde, que nous devons
connaître, défendre et aimer, parce qu'il fait partie
de notre patrimoine de gloire, « parce qu'il est, selon
la parole de Victor Hugo, pour la France, ce que la
grande pyramide est pour l'Egypte ».
ANDRÉ MICHEL
Histoire de l'Art «La Renaissance».
J'ai parlé à plusieurs reprises déjà de cette His-
toire de rArt, « depuis les premiers temps chrétiens
jusqu'à nos jours», dont M. André Michel a entre-
pris la publication; les six volumes déjà parus nous
ont fixés sur l'importance de cette œuvre qui, une
fois achevée, sera un magnifique monument d'his-
toire et d'art; mais chacun d'eux, même pris isolé-
ment, constitue un livre homogène d'un très grand
intérêt.
C<'tte impression, je l'ai retrouvée plus forte
416 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
encore avec le quatrième volume paru cette se-
maine, et qui est consacré tout entier à la Renais-
sance^ non pas à toute la Renaissance, mais à la
période de son plein épanouissement en Italie.
Pour traiter ce vaste et noble sujet, M. André
Michel, qui s'est réservé la sculpture italienne
jusqu'à la mort de Michel-Ange, a fait appel à des
collaborateurs éminents dont il est juste de rap-
peler les noms et les travaux. M. Marcel Reymond
étudie, dans ce livre, l'architecture italienne du
xvi^ siècle; M. Jean de Foville, les médailleurs ita-
liens; M. André Peraté, la peinture italienne à la fm
du XV® siècle et dans la première moitié du xvi®
siècle.
Que de chefs-d'œuvre dans cette période, et que
d'iUustres maîtres ! Songez que c'est le temps des
Léonard de Vinci, des Pinturicchio, des Raphaël,
des Michel-Ange, des Gorrège, des Titien. En regar-
dant les trois cent quarante-deux gravures et les
dix héliogravures qui ornent ce livre, on fait, parmi
les musées du monde entier, la plus belle et la plus
émouvante des promenades, on reconnaît les chefs-
d'œuvre fameux, et l'on en découvre d'autres qui,
moins connus, présentent cependant un incompa-
rable intérêt. Et, après avoir admiré, on apprend et
l'on comprend : on comprend comment la Renais-
sance, « de florentine et platonicienne, est devenue
romaine et pontificale, pour, de Rome, rayonner si
magnifiquement sur le monde».
DÉCEMBRE HISTOIRE, ART, VOYAGES, DIVERS 417
MAURICE DUMOULIN
Les Ancêtres d'Alfred de Musset.
M. Maurice Dumoulin a fait une enquête d'une
très agréable et pittoresque érudition sur les Ancê-
tres d'Alfred de Musset : il a estimé que puisque tant
de princes ont suscité tant de généalogistes il pou-
vait s'en trouver un pour le prince des poètes. Il a
eu joliment raison, puisqu'il a réussi, en compulsant
une foule de documents inédits très ingénieusement
coordonnés et présentés, à nous donner une œuvre
tout à fait attrayante et instructive. Il a tour à tour
étudié, en des chapitres bourrés de faits, d'anec-
dotes et de documents, le père et la mère de Musset,
le grand-père Guyot-Desherbiers, l'oncle, le mar-
quis de Gogners. Après avoir fidèlement portraic-
turé tous ces personnages et reconstitué leurs ori-
gines, M. Dumoulin conclut : « Préparé par tant de
qualités ancestrales, nourri d'un sang généreux et
fort, dans lequel au vieux sang du terroir vendô-
mois s'était mélangé celui des Arnault, des du Tillet,
des du Bellay, avec une pointe de sang italien,
Alfred de Musset fut la résultante exceptionnelle
f't unique du lent travail d'afïinement d'une race. »
418 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
HERBERT WARD
Chez les Cannibales de l'Afrique centrale.
Les cannibales ne sont point, parait-il, ce qu'un
vain peuple pense : ils ne méritent pas leur réputa-
tion, et, sans doute, c'est à eux que certain ministre
fit injure, lorsque, au cours d'une séance fameuse
de la Chambre, il donna leur nom à une foule hur-
lante de parlementaires exaspérés. M. Ward a vécu
dans le centre africain des années impressionnantes
et belles ; dès le premier contact, les naturels l'inté-
ressèrent vivement et il ne cessa, par la suite,
de s'attacher à eux davantage. Il apprit à les con-
naître : ils lui enseignèrent leur langage barbare, et
il s'aperçut que sous leurs aspects cruels et sournois
se cachaient des sentiments humains semblables
aux nôtres, et il les aima.
Ces quelques lignes vous donnent le ton du livre
et vous disent l'intérêt qui se dégage d'une telle
étude romanesque et psychologique et qui s'élève
bien au-dessus d'une habituelle relation de voyage ;
c'est un très beau document humain, car les canni-
bales appartiennent à l'humanité, même lorsqu'ils
font du cannibalisme, et l'auteur, qui fut officier
dans la fameuse expédition Stanley, nous le démon-
tre par une foule d'exemples, d'anecdotes émou-
vantes et d'images prises sur le vif.
MAXIME DE BARY
Grand gibier et Terres inconnues.
C'est encore un peu du mystère de l'Afrique
inconnue que nous révèle M. Maxime de Bary avec
le volume qu'il publie sous le titre Grand gibier et
Terres inconnues. Malgré les explorations sans cesse
plus nombreuses et plus hardies des pionniers de
l'Afrique, il reste encore de vastes espaces dont le
secret ne fut point profané et il y a là pour le chas-
seur et pour l'explorateur un champ immense d'in-
V <3stigations. M. de Bary est un chasseur, il s'en est
illé en compagnie de M. .Jean Lefebvre autour
les grands lacs de l'Afrique centrale, dans les pathé-
tiques solitudes du mont Elgon : il a vu des sites
merveilleux et éprouvé de grandes émotions, qu'il
('ssaye de décrire.
Il nous raconte fidèlement les plus émouvantes de
-os aventures de chasse, il joint à ses récits palpi-
unts tous les renseignements qu'il a pu recueillir
Mir le pays, les indigènes et le climat, et ce récit
d'un chasseur curieux, avec les étonnantes photo-
Lrraphies qui l'illustrent est un très beau document
-iir l'Afrique.
420 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
CÉSAR LOMBROSO
Hypnotisme et Spiritisme.
(Traduction de M. Rossigneux).
César Lombroso a laissé une œuvre posthume :
Hypnotisme et spiritisme^ dont la Bibliothèque de
philosophie scientifique nous offre une fidèle traduc-
tion faite par M. Rossigneux.
M. Gustave Le Bon, qui ne croit pas beaucoup à
toutes ces histoires de spiritisme et de magie, nous
explique en une courte introduction pourquoi il a
tenu à faire paraître, dans cette collection scienti-
fique, un livre destiné à justifier l'existence des
phénomènes spirites : ses raisons n'eussent point,
je crois bien, enchanté Lombroso ! En effet, M. Gus-
tave Le Bon croit que la lecture de ce livre, où se
trouve dressé un tableau assez complet des phéno-
mènes que prétendent réaliser les spirites, nous
montrera clairement comment un savant célèbre,
habitué aux méthodes scientifiques les plus sûres,
vit sa science s'évanouir et une crédulité infinie s'y
substituer dès qu'il aborda l'étude des phénomènes
spirites.
Avouez que César Lombroso devait poursuivre
un but quelque peu différent lorsqu'il entreprit de
nous expliquer comment l'étude des phénomènes de
l'hystérie et de l'hypnose l'avait graduellement
conduit à admettre les phénomènes spirites, et
MEMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE 421
de nous raconter, comme preuves indubitables, les
extraordinaires expériences d'Eusapia Paladino. Il
est vrai que les aventures de cette dernière à Paris
ne sont pas faites pour fortifier notre foi ! Du moins
nous avons maintenant en main les pièces du pro-
cès, et si nous ne sommes pas très convaincus, nous
ne laisserons pas d'être fort intéressés et un peu
troublés par ces histoires de double vue, de fantô-
mes et de maisons hantéqs que César Lombroso
nous raconte avec une conviction admirable, et
prétend nous expliquer fort scientifiquement,.
imÉNEMTO OU MOIS OE DÉCEMBRE
ROMANS
AUard (Léon). — Catherine Hautier.
Apollinaire (Guillaume). — U Hérésiarque et O^, un recueil
de nouvelles bien remarquables.
Victor Barrucand et une Gircassienne. — Adilé sultane.
(]anudo (R.). — La Ville sans chef.
Gharmain (Armand). — Binettes de caserne, une série d'his-
toires militaires amusantes, alertes et faciles.
Gombe (T.). — Enfant de Commune.
Duvernois (Henri). — Demoiselles de perdition, nouvelles.
Garros (Paul de). — La Château de VOurs.
422 LE MOUVEMEPfT LITTÉRAIRE
Goron. — Policiers et Rastas, un roman paru dans la série
des « Nuits Rouges».
Guillou (Robert). — Leurs raisons.
Hornung (B.-W.). — Frank Rattray, un roman de mystère
et de police de l'auteur de Raffles, traduit de l'anglais
par M. René Lécuyer. "^^
Hume (Fergus). — L'Œil de Jade, un roman traduit de
l'anglais par M. A. de Jassaud.
Kipling (Rudyard). — Lettres de marque, traduction de
M. A. Savine.
La Hire (Jean de). — L'Homme qui peut vivre dans
Veau.
Level (Maurice). — Les Portes de V enfer, un recueil de nou-
velles frissonnantes.
Reboul (Max). — Fascination.
Weede (Gaspard de). — Le Roi des airs.
HISTOIRE — LITTÉRATURE — THEATRE
POÉSIE — POLITIQUE — DIVERS
Baraude (Henri). — Orléans et Jeanne d'Arc, un ouvrage
accompagné de cartes, plans et dessins de l'auteur.
Bertrand (Alphonse). — Les Origines de la troisième Répu-
blique, (1871-1876), un ouvrage d'un grand intérêt où
l'auteur, spectateur attentif et parfois témoin de ces
grands événements, nous raconte l'Assemblée natio-
nale, la réorganisation de la France, les lois constitu-
tionnelles.
Billard (D^ Max). — Les Femmes enceintes devant le Tribunal
révolutionnaire, un passionnant ouvrage, publié
d'après des documents inédits.
Boglione (M^^^ Adrienne). — Le Secret de Cybèle, un recueil
de fantaisies dramatiques en vers charmants : ces
fantaisies dramatiques ont plu à M. Maurice Barrés,
elles ont tourné ses souvenirs vers le temps où « Théo-
MEMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE 423
dore de Banville faisait une des plus aimables figures
du monde littéraire parisien, et il a pris à les entendre,
la sorte de plaisir que l'on goûte si l'on écoute, en été,
des jeunes voix dans un jardin».
Gabat (Augustin). — Les Porteurs de flambeau, « d'Ho-
mère à Victor Hugo », un volume où l'auteur passe en
revue les grands esprits qui honorèrent l'humanité.
Capus (Alfred). — Théâtre complet, le quatrième volume où
nous retrouvons la touchante et jolie Châtelaine et
cette Adversaire triomphante écrite en collabora-
tion avec Emmanuel Arène, et le pittoresque Mon-
sieur Piégeois.
Cavaignac (Eugène). — 'Esquisse d'une histoire de France,
un livre à qui l'Institut d'Action Française a décerné
un grand prix.
Gharcot (Jean). — Le Pourquoi Pas? dans l'Antarctique
(1908-1910), le récit émouvant de l'expédition, pré-
facé par M. Paul Doumer.
Charrier (Pierre). — Les Droits du critique théâtral, litté-
raire, musical et artistique, et leurs limites : un excel-
lent vade mecum des juges disposés à la malveil-
lance.
Chuquct (Arthur). — Quatre généraux de la Révolution,
« Hoche et Desaix, Kléber et Marceau» d'après des let-
tres et notes inédites suivies d'annexés historiques et
biographiques.
Glaretie (Georges). — Drames et comédies judiciaires.
M. Raymond Poincaré, bon juge, nous dit dans une
préface le mérite de ces chroniques du Palais de 1909
que les lecteurs du Figaro ont si vivement appréciées
et qui sont assurées d'un durable succès.
Glouai'd (Henri). — Balzac, des pages sociales et pohtiques.
Cucuaud (G^mille). — Origines et responsabilités de la guerre
de 1870-1871. (Suite.)
Derys (Gaston). — Les Grandes amoureuses : M"*' de Lespi-
nasse, Marie Mancini, la Clairon, M"^ de Tencin, évo-
quées avec beaucoup de tact et d'émotion en un bien
intéressant volume d'histoire sentimentale — qui
bien souvent domine l'histoire tout court !
Duboscq (André). — Louis Bonaparte en Hollande d'après
424 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ses lettres {1806-1810). Les lettres publiées dans cet
ouvrage sont extraites des registres de la correspon-
dance de Louis Bonaparte ; elles permettent d'étudier
le roi de Hollande autrement que dans ses rapports
avec Napoléon I^r qui le montrent sous un jour un peu
trouble et factice ; elles prouvent que Louis Bonaparte
fut doux, généreux, dévoué à son peuple, que s'il pré-
tendit agir en roi il sut y parvenir et qu'en un autre
temps et sans la tutelle inexorable dont il était
l'objet, il eût fait le bonheur de son pays.
Evrard (Eugène). — Jean Nesmy, les « meilleures pages ».
Faguet (Emile). — Le. Discours sur les passions de V amour
attribué à Pascal, un commentaire qui est un chef-
d'œuvre d'ingéniosité, de maUce et de profondeur.
C'est extraordinaire ce qu'un érudit spirituel peut
trouver de choses amusantes, curieuses, émouvantes
autour d'une pensée qui souvent n'apparaît pas autre-
ment folâtre à un observateur médiocre.
Feuillâtre (Paul). — -£|e Jeu de V amour et du désespoir, poé-
sies.
Fleischmann (Hector). — Pauline Bonaparte et ses amants^
un volume publié dans une série ambitieusement
baptisée les « Napoléonides ».
— Marie- Louise libertine.
Fort (Paul). — La Tristesse de V homme, des « ballades fran-
çaises » : elles sont en prose, mais c'est la prose d'un
poète, toute pleine de belles images et fort harmonieu-
sement rythmée.
.Gendarme de Bevotte (Georges), -r- La légende de don Juan,
son évolution dans la littérature, des origines au
romantisme et du romantisme à l'époque contem-
poraine.
Gérard (Léon). — A travers la Hollande, un bien séduisant
volume illustré de dessins à la plume tout à fait jolis de
r*^fe^ M, Heurkelom.
Giraud (Victor). — Pages choisies de Chateaubriand.
Gourmont (Rémy de). — Nouveaux dialogues des amateurs
sur les choses du temps.
Grasset (D^). — Le milieu médical et la question médi c-
sociale.
MEMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE 425
Hallays (André). — En flânant à travers V Alsace, un gra-
cieux et éloquent volume.^j
Kropotkine (Pierre). — Champs, usines et ateliers ou « l'in-
dustrie combinée avec l'agriculture et le travail céré-
bral avec le travail manuel», une traduction fidèle,
due à M. Francis Leray, de cette œuvre ardente,
solide, originale.
Maisonneuve (Thomas). — Aquarelles provençales, Pointes
sèches bretonnes, une série de sonnets lumineux et très
heureusement évocateurs, illustrés par Léopold Lelée,
d'Arles, et l'auteur lui-même, qui manie le crayon avec
autant d'aisance que le luth.
Marcère (de), — La Vie française à la veille de la Révolution
{1183-1786), journal inédit de M'^e Cradock, traduit
de l'anglais par M^"® Delphin-Balleygnier.
Michaud (Edouard). — Le Chalet d'or, des vers émus et très
sages.
Normandy (Georges). — Les Poètes humoristes, une fort plai-
sante et agréable anthologie.
Poirée (Charles-Raphaël). — Visions, des vers d'une élo-
quente tristesse.
Rostand (Maurice). — Poèmes.
Rpusset (Lieutenant-colonel). — Histoire générale de la
guerre franco- allemande. Nouvelle édition. Quoi que
prétende la modestie de l'auteur, je crois bien que c'est
là une œuvre définitive.
Roux (Charles). — Aiguës- Mortes.
Séché (Léon). — La Jeunesse dorée sous Louis-Philippe,
«Alfred de Musset, de Musard à la Reine Pomaréela
Présidente », un bien pittoresque et bien amusant volu-
me d'histoire romantique.
Sonnenfeld (Nandor).r — ^fi/ier,^ poésies.
Spet7/( Georges). — Légendes d'Alsace, un livre poétique qui
est aussi avec ses admirables illustrations en couleurs
et sa luxueuse typographie un splendide joyau de
bibliophilie, œuvre très noblement et^fidèlement fran-
çaise qui nous vient de Strasbourg...
Tschudi (C. de). — La mère de~Napoléon. '
Van der Gheyn (J.). — Histoire de Charles Martel.
Vialay (Amédée). — Les Cahiers de doléances du Tiers état
426 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
aux États généraux de 1789, de très précieux docu-
ments dont M. René Stourm fixe la portée dans sa
préface.
Wolsky (Calixte de). — La Pologne, sa gloire, ses souffrances,
ses évolutions.
Zuylen de Nyevelt (Hélène de). — Ulnouhliée, des pages
toutes remplies de littéraires sanglots.
QUELQUES DISPARUS
QUELQUES DISPARUS
BJOERNSTJERNE BJOERNSON
Mort le 26 avril 1910.
Il était né le 8 décembre 1832 à Kwikne (Oster-
dalen). C'était, depuis la mort d'Ibsen, le plus illus-
tre représentant de la littérature Scandinave et
depuis quarante ans son théâtre régnait sur toute
l'Europe, passionnément admiré et compris par
les uns, exalté de confiance par les autres, un grand
nombre qui ont souvent applaudi sans comprendre.
Parmi les œuvres dramatiques de Bjoernst-
jerne Bjoernson celle dont le retentissement en
France fut le plus considérable et dont l'influence
est le plus manifeste c'est Au delà des forces^ qui
fut joué par le Théâtre de l'Œuvre.
Sa carrière : il fit ses études à l'Université de
Christiania, puis à Upsal et à Copenhague. Direc-
25.
430 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
teur de théâtre à Bergen (1857-1859) puis à Chris-
tiania (1865-1867), il fut également journaliste et
directeur pendant trois ans, de 1866 à 1869, du
Norsk Folkeblad.
Dans son œuvre littéraire il faut citer ses épopées
nationales Entre les batailles, Hulda la boiteuse et
ses nouvelles telles la Fille de la pêcheuse.
Parmi ses œuvres dramatiques les plus connues
en France sont : Au delà des forces, une Faillite,
le Roi, le Journaliste.
QUELQUES DISPARUS 431
LOUIS BOUSSENARD
Mort le 11 septembre 1910.
Il était né en l'année 1853. Les générations de
collégiens se souviendront avec reconnaissance
du légendaire Tour du monde d'un gamin de Paris
dont les étonnantes péripéties les enchantèrent et
amuseront sûrement leurs enfants. Écrit dans un
style alerte et familier, sans recherche, ce roman est
de beaucoup le* meilleur de ses livres parmi lesquels
il faut citer : le Voyage en Australie, Vile en feu. Ces
livres qui ne feront nul tort à la gloire de Jules
Verne ont dos qualités qui justifient leur po])u-
larité.
Détail dramatique et émouvant, Louis Bousse-
nard avait rédigé lui-même sa lettre de faire part
dans les termes suivants :
« Louis Boussenard, homme de lettres, a l'hon-
neur de vous inviter à ses . funérailles civiles qui
auront lieu à Escrennes (Loiret), le lundi 12 sep-
tembre 1910 à une heure et quart. Inconsolable de
la mort de sa femme, il succombe, dans sa soixante-
troisième année, à une douleur que rien n'a pu
atténuer. »
432 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
JEANNE MARNI
Morte le 4 mars 1910.
Elle était née à Toulouse le 18 août 1854.
Jeanne Marni (de son vrai nom Jeanne Mar-
nière) a occupé une place éminente parmi les fem-
mes de lettres si nombreuses dont le talent s'est
affirmé dans ces vingt dernières années. Elle res-
tera l'une des plus personnelles, des plus délicates,
des plus émouvantes. Quelques-uns de ses romans
ont eu un assez grand retentissement depuis le
premier paru en 1887, la Femme de Sii^a^ jusqu'au
Livre d^une amoureuse, à Pierre Tisserand, à Souf-
frir...
Elle a fait jouer au Gymnase une jolie comédie
Manoune et en collaboration avec M. Albert Gui-
non Le Joug. Mais c'est surtout dans les dialogues
qu'elle triompha : dans ce genre, elle fut vraiment
incomparable, et il y a dans les volumes où ils sont
réunis sous les titres Comment elles se donnent.
Comment elles nous lâchent, les Enfants qu'elles
ont, Fiacres, Celles qu'on ignore, A table. Vieilles...,
des pages très émouvantes, très prenantes et qui
pourraient bien rester.
QUELQUES DISPARUS ' 433
JEAN MORÉAS
Mort le 30 mars 1910.
Il était né à Athènes le 15 avril 1856. Grec de
naissance, il s'appelait Papadiamantopoulos, et
venu très jeune à Marseille il se fixa définitivement
à Paris en 1882. En 1884 il publia les Syrtes, en 1886
les Cantilènes qui furent remarqués et appréciés
dans un petit cénacle où fréquentaient Laurent
Tailhade, Charles Viguier et Maurice Barrés, mais
c'est le Pèlerin passionné paru en 1891 qui le
mit en pleine lumière et, considéré comme un chef-
d'œuvre du symbolisme, fit de lui le chef de cette
école, depuis, il déchaîna l'enthousiasme frénétique
(le ses adeptes et obtint souvent l'admiration du
grand public avec les Contes de la vieille France^
les Stances^ et les Esquisses et souvenirs.
434 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
JULES RENARD
Mort le 22 mai 1910.
Il était né à Ghâlons -sur-Mayenne le 22 fé-
vrier 1864. Il débuta dans les lettres avec un petit
volume les Roses ; puis s'affirma tout de suite comme
un observateur prodigieux des hommes, des bêtes
et des choses dans la nature : son réalisme minutieux
excellait à évoquer en quelques mots, en quelques
phrases courtes, incisives, des tableaux d'une
extraordinaire intensité, et ce furent : Crime de
village^ Sourires pinces^ T Ecornifleur, Coquecigrues^
qui le révélèrent au grand public, puis Poil de
Carotte dont le succès fut prodigieux et mit Jules
Renard en pleine lumière, assurant désormais l'at-
tention et la sympathie du public à ses œuvres : les
Bucoliques^ les Histoires naturelles et plus récem-
ment Ragotte.
Au théâtre, il fit représenter outre Poil de ca-
rotte^ le Plaisir de rompre^ le Pain de ménage.
Il faisait partie de l'Académie Goncourt où il
avait succédé à Huysmans.
QUELQUES DISPARUS 435
EDOUARD ROD
Mort le 29 janvier 1910.
Il était né à Nyon sur les bords du Lac Léman,
le 31 mars 1857. Pendant six ans, professeur à
Genève il vint ensuite s'installer à Paris. Il ne de-
vait plus désormais quitter la France, sa patrie
d'élection, qui le considère, à juste titre, comme
une de ses gloires littéraires.
Pendant toute sa vie, et si l'on excepte le temps
extrêmement brillant de ses débuts, celui de la
Vie de Michel Teissier, sa renommée fut bien iné-
gale à ses mérites. Il vivait volontairement ren-
fermé, obscur, ne cultivant pas sa gloire, acharné à
un labeur incessant qui nous a valu une oeuvre con-
sidérable où rien n'est indifférent et dans laquelle
les Roches blanches^ V Indocile, V Ombre s^ étend sur
la montagne, Aloys Valerien, sont des romans de
premier ordre et qui resteront.
436 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
LÉON TOLSTOÏ
Mort le 16 novembre 1910.
Né à Yasnaïa-Poliana, le 28 août 1828, il était
entré vivant dans la légende et les dramatiques cir-
constances qui précédèrent et accompagnèrent sa
mort, annoncée d'abord faussement, pour survenir
quelques jours après, accentuent encore le caractère
légendaire de cette carrière prodigieuse qui place
Tolstoï à côté des héros intellectuels de l'histoire de
l'humanité.
Quelques dates dans cette longue existence, quel-
ques titres parmi cette œuvre immenfee. Le premier
ouvrage de Tolstoï qui fut remarqué s'appelle les
Cosaques et fut publié en 1855, et c'est ensuite, à
travers un demi siècle la Guerre et la Paix^ Anna
Karénine^ la Sonate à Kreutzer^ Une confession^
la Mort dUvan Ilgihet, la Puissance des Ténèbres^
Résurrection.
QUELQUES DISPARUS 437
MARK TWAIN
Mort le 20 avril 1910.
Il était né en 1835. Ses œuvres humoristiques
ont pendant un demi-siècle enchanté et déridé le
nouveau monde et le vieux continent ravi des
fumisteries si profondes, si amusantes, parfois gros-
ières, et parfois géniales de l'auteur de V Eléphant
blanc volé^ de la Grenouille^ des Innocents en çoyage^
(les Aventures de Tom Sawyer^ d^Un Yankee du
Connecticut à la cour du roi Arthur^ et de bien d'au-
tres choses écrites par lui au cours d'une vie singu-
lièrement aventureuse.
438 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ALBERT VANDAL
Mort le 30 août 1910.
Il était né le 7 juillet 1853. Sa carrière est un bel
exemple d'harmonie et de fidélité depuis le moment
où il triompha comme lauréat d'histoire au Con-
cours général jusqu'à celui où il pénétra à l'Aca-
démie Française avec son bagage d'oeuvres histo-
riques remarquables qui lui avait valu, quelques
année savant déjà, le grand prix Gobert récompen-
sant par deux fois son grand ouvrage Napoléon I^^
et Alexandre /®^. Dans son œuvre d'une haute
tenue littéraire d'une très forte érudition, on garde
le. souvenir de Louis XV et Elisabeth de Russie^ le
Pacha Bonneçal, une Ambassade française en
Orient sous Louis XV ^ les i^oyages du Marquis de
Nointel, et enfin, VA çènement de Bonaparte.
QUELQUES DISPARUS 439
VICOMTE E.-M. DE VOGUÉ
Mort le 24 mars 1910.
Il était né en 1848 à Nice. Issu d'une vieille et
noble famille de l'Ardèche, il débuta dès l'année
1875 par le récit de ses voyages en Orient publiés
à la Reçfue des Deux Mondes ; puis ce fut, en 1877,
une nouvelle: Vanghéli et Jean d'^Agrève dont le
succès fut très vif et que trente ans passés. n'ont
pas fait oublier.
Il commença ensuite la série de ses études sur
les grands écrivains russes, sur Tourguénef, Gogol,
Tolstoï, Dostoïevski, études qui consacrèrent sa
renommée et par quoi il restera plus particulière-
ment dans l'histoire littéraire du xix® siècle.
L'œuvre qu'il publia en 1856 sur le Roman russe
eut en effet un très grand retentissement et l'on
peut soutenir qu'il n'a pas peu contribué au mou-
vement russophile de la fin du siècle dernier. Deux
ans plus tard il entrait à l'Académie Française où
il resta plus de vingt ans pendant lesquels il publia
Souvenirs et visions, Spectacles contemporains^ Heu-
res d'histoire^ Devant le siècle^ Histoire et poésie et
des romans : Les morts qui parlent^ le Rappel des
ombres^ le Maître de la mer. Entre temps il donna
diii Figaro des chroniques étincelantes et profondes
dont le succès fut^éclatant. '
CONCOURS & PRIX
LITTÉRAIRES
CONCOURS ET PRIX LITTÉRAIRES
LE PRIX GONGOURT
Le 8 décembre 1910 l'Académie Goncourt com-
posée de MM. Léon Hennique, président, Elémir
Bourges, Lucien Descaves, Léon Daudet, Gustave
Geffroy, Paul Margueritte, Octave Mirbeau, J. et
H. Rosny, et M^^^ Judith Gautier a attribué son
prix annuel de cinq mille francs à M. Louis Per-
ofaud pour son livre De Goupil à Margot^ dont il
l'st question dans une autre partie de cet ouvrage.
M. Louis Pergaud, originaire de la Franche -
Comté, est un jeune, il est âgé de vingt-huit ans
et exerce dans la banlieue parisienne les fonctions
d'instituteur primaire; le livre qui lui vaut cette
consécration si flatteuse et si enviée, est son pre-
inif'i» <,i!\-p;.c_f.. : lin" b^lU' (*;nTipr(' sVhivîY' sans doute
444 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
devant lui. Les voix des académiciens s'étaient
divisées aux premiers tours entre MM. Guillaume
Apollinaire, Roupnel et Poinsot, M^^^s Marguerite
Audoux et Colette Willy.
CONCOURS ET PRIX LITTÉRAIRES 445
LES PRIX « VIE HEUREUSE»
Les Femmes de Lettres qui composent le jury
du prix « Vie Heureuse» ont, dans leur séance du
2 décembre 1910 décerné le grand prix annuel de
cinq mille francs à M^^^® Marguerite Audoux, pour
son roman Marie-Claire.
Marie-Claire est analysé dans une autre partie
de ce volume et l'on connaît la touchante et mer-
veilleuse aventure de son auteur : une humble
couturière sans culture qui menacée de perdre ses
yeux, incapable presque d'exercer son métier, se
mit tout à coup, sans arrière pensée poussée par je
ne sais quel démon, à écrire.
Le prix Vie Heureuse de mille francs destiné au
meilleur ouvrage d'érudition de littérature ou d'his-
toire a été décerné à M. Daniel Halévy pour son
livre la Vie de Frédéric Nietzsche^ analysé lui aussi
dans une autre partie de cet ouvrage.
Le troisième prix Vie Heureuse, d'une valeur
de 500 francs, destiné au meilleur ouvrage fran-
çais d'assistance et de sociologie, a été attribué à
M. Louis Arnould, professeur à la Faculté des Let-
tres de Poitiers, pour son beau livre Ames en prison.
Enfin, le prix des manuscrits, grâce auquel tel
ouvrage remarqué est édité par les soins de la Vie
Heureuse, a été remporté par M^^® Marie Lenéru,
26
446 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
auteur des Affranchis. Cette pièce, d'idée et de
pensée profondes, d'une haute tenue littéraire a
eu, on le sait, un retentissement considérable.
Le Jury était présidé par M^^ la Duchesse de
Rohan.
CONCOURS ET PRIX LITTÉRAIRES 447
LE PRIX NATIONAL DE LITTÉRATURE
Le prix de Rome (prix national de littérature)
était cette année le prix national de poésie décerné
tous les deux ans par un comité que préside
M. Emile Blémont. Il a été attribué à M. Maurice
Le vaillant, un jeune poète né en 1883 et qui sort
de l'Ecole Normale, pour son recueil le Temple
intérieur où, loin de se réfugier dans un passé
lointain et disparu il chante la vie moderne jusque
dans ses inventions les plus récentes, où il analyse
avec beaucoup de délicatesse et de sens philoso-
phique ses propres sentiments. Poète heureuse-
ment doué, habile à évoquer de somptueuses ima-
ges il avait publié déjà le Miroir d'étain^ poème
antique où il avait évoqué en des vers charmants
IVxistenre familion^ et pittoresque des Grecs.
448 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
LE PRIX SULLY-PRUDHOMME
La Commission instituée pour l'attribution du
prix Sully-Prudhomme et qui se compose de
MM. Désiré Lemerre, Auguste Dorchain, Albert-
Emile Sorel et Hémon, exécuteurs testamentaires
du poète a désigné, en 1910, M. René Bardet auteur
du recueil la Vieille Maison.
M. René Bardet qui a mis en épigraphe de son
livre ce vers de Henri de Régnier :
Le temps passe ; tout fuit ; les choses sont fidèles,
est un disciple de François Goppée, plus vigou-
reux peut-être et plus nerveux.
INDEX ALPHABËTTQIJE
A
Abélard 253
Abnour (Contre -amiral
d') 50
Acker(Paul) 48,168
Ackermann (Madame). 90
Adam (Paul). 20,261,264,
342
TEren thaï (Corn te d')... 256
Agrippine 359
Aicard(Jean) 312,382
Aigueperse 48
Albert (Henri) 335
Albert (Marcellin ) 255
Albinet (Félix) 334
Alexandre (Prince) 266
Alexandre 1er 94 43g
Allard(Léon) 421
Allart( Horten.se) 207
Aimeras (H. d') 169
Alphonse XIII 90
Alton (Aimée d')... 18, 54
Amiot (G.) 103
André (Louis) :{60
Andrillon (Henri) 15
Angelico (Fra) 267
Anjou (Renée d') 86
Anne d'Autriche 153
Annibal 384
Annunzio (Gabriele d' ) . 222
Anstey(F.) 295
Anthouard (Baron d') . . 382
Apollinaire (Guillaume) 421
444
Arène (Emmanuel) 298, 423
Aristippe le Girénaïque. 62
Arjuzon (Comtesse d'). 261,
335
Arlincourt (Vicomte
d') 52
Armaingaud (Doctjur). 129
Arnaud (Raoul) 383
Arndt 10
Arnould (Louis) 445
Arschot (Comte d') . . . . 15
Artagnan(d') 337
Arthénice 411
Artois (Comte d') 365
Artzybachev (Michel) . . 379
Aubert(L.) ir>9
•^6.
450
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Aubier (Fernand) 128, 334
Aubigné (Aggripa d'). . 53
Aubin (Eugène) 88
Audigier (Camille) 191
Audoux (Marguerite)
344, 444, 445
Auge-Chiquet (Mathieu) 15
Augier (Emile) 217
Aumale(ducd') 76,214
Auriol (Georges) 295
Auteur d' «Amitié amou-
reuse» 275
Avenel (Vicomte Geor-
ges d') 43
Aymard (Capitaine). . . 335
Aymès (Noël) 130, 383
Azco (Jean d') 128
Bac (Ferdinand) 412
Bachelin (Henri) 334
Baïf (Jean-Antoine de) . 15
Baillehache (Comtesse
de) 318
Bailly (Auguste) 168
Balde (Jean) 354
Baldensperger (F.) 261
Balzac (Honoré de) . . 54,
267, 324, 383, 423
Banville (Théodore de) . 423
Barail (Général du) 36
Baratier (Lieutenant-
colonel) 169
Baraude (Henri) 422
Barberina Campanini
(La) 387
Barbey d'Aurevilly 324
Bardet (René)..."..... 448
Bardoux (Jean) 86
Barine (Madame Arvè-
de) 8
Barracand (Léon) 261
Barraud (Docteur Jean), 129
Barrés (Maurice) .... 129,
151, 170, 265, 305, 360
383, 422, 433.
Barret (Emile) 128
Barrett (Frank) 128
Barrière (Théodore). . . 282
Barri eu (Alexandre -
Raymond) 298
Barrucand (Victor) .... 421
Barry (Léon) 184
Barry (Madame du)... 411
Bartet (Madame) 103
Barthélémy 221
Bary (Maxime de) 419
Basset (Serge) 383
Batifîol (Louis) 152
Batz (Baron de). 214
Baudelaire (Charles). 54,164
Baudin (Pierre) 92
Bazin (René) 63,191
Béarn (Andrée) 235
Beaume (Georges). 71,168,
380
Beaumont (Pauline de) 207
Beaunier (André) 206, 262
Beaupuy 88
Bellaigne (Camille) 170
Bellay ( Joachim du) ... 411
Bellegarde (Adjudant). 298
Bsllessort (André) 1. 335
Benetti (Pascal) 262
Bérard (Victor) 251
Berger (Cyril) 347
Berger (Madame Lya)
170, 334
Bergerat (Emile) 15
[NI>EX ALPHABÉTIQUE
451
Bergson 131
Bernadette 118
P.ernard (Emile) 215
Bernard (Jean) 88
Berry (duc de) 365
Berry (Duchesse de). . . 130
Bertaut (Jules).... 50, 54,
298, 383
Bertaux(E.) 383
Berthelot 122
Bertheroy (Jean) 353
Berthier' (Général) 16, 298
Bertillon 108
Berlin (Emile) 378
Bertin (Georges- Eugène)
215
lîerton (Claude) 260
lîorton (Madame Thé-
rèze) 401
Bertrand 122
P)ertrand (Alphonse) . . . 432
B.ertrand (Louis) 380
Bertrand (Yniold-René)
294
Berzeff (Alia) 86
Bessonnet-Favre (Ma-
dame) 215
Bidegain (Jean) 50
P.ioz (Jacques de) 170
B.igot (Henry) 142
B>illard (Docteur Max), 422
B»illot- (Augustin) 262, 295
P»inet-Valmer 179
P. iovès (Achille) 215
lîismarck 130
P.jœrnson (Bjœrnst-
jerne) 429
P>lacco (Roberto) 168
Blan vilain (Madame
Germaine) 48, 334
Bleackley (Horace) 170
Blémont (Emile) 447
Blès(Numa) 335
Bliard (Pierre) 335
Boeghn (Eugène) 129
Boehmer 41
Boglione (Madam?
Adrienne) 422
Bohn (Madame A.) 314
Bois (Jules)., 262
Boissière (Albert).. 48, 277
Boissy (Gabriel) 170
Bojer (Johan) 192
Bolivar 37
Bonald (de) 324
Bonaparte (Pauhne). . . 424
Bonaparte (Caroline).. 118
Bonaparte (Général).. 155,
327, 438
Bonaparte (Louis) 423
Bonnal (Général) 50
Bonnamour (George).. 146
Bonnaud (Dominique). 335
Bonnefon (Jeande) 335
Bonnefoy (Antoine)... 170
Bonneval (Pacha) 438
Bordeaux (Albert) 262
Bordeaux (Henry). 171,304
Borel (Tony) 215
Borme 39
Bosc (Jean) 360
Bossert 170
Bossuet 339
Boulenger (Marcel) 181
Bourdet (Edouard) 171
Bourgeois (Emile) 335
Bourgeois (Léon) 15
Bourges (Elémir) 443
Bourget (Paul) 68, 98,
146, 208, 256, 262, 383
452
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Bourgogne ( Jean de) . . . 380
Bourrienne 155, 216
Boussenard (Louis) 431
Boutibonne (Mademoi-
selle G.) 382
Boutié (Louis) 335
Bouyer-Karr (Mademoi-
selle V.) 57
Bovet (Madame Marie-
Anne de).. 262
Boyer (Lucien) 335
Boyer d'Agen 129
Bradley 262
Branche (Madame A.). 202
Braun (Lilly, née de
Kretschmann) 17
Breil de Pontbriand (Vi-
comte du) 383
Brémond (Henri) 171
Brette (Armand) 216
Brézé (Sénéchal de).... 221
Bringer (Rodolphe) 211
Brissac (Madame de). . 173
Britannicus 359
Brizeux (Auguste) 384
Broughton (Lord) 322
Bruant (Aristide) 198
Bruck Gilbert (Paul) ... 366
Brulat (Paul) 363
Brun (Gh.) 129
Brun (E.) 131
Brunetière (F.).. 133, 256
Buisseret (Georges) .... 171
Burnichon (Joseph)... 88
Buteau (Henry) 211
Buxy (B. de) 295
Byram (Léo) 351
Byron (Lord) . 322, 329, 386
Gabanès (Docteur) 171, 298
Gabat (Augustin) 423
Gabaton (Antoine) 262
Gahuet (Albéric) 61
Gaillaux 130
Gain (Georges) 263
GaUiclès 63
Galmon-Maison (Mar-
quis) 114
Gamedo(R.) 421
Ganora .(Jean) 100
Gapus (Alfred).. 216, 263,
268, 384, 423
Garlyle (Alexandre)... 341
Garlyle (Thomas) 341
Garoline (Reine) 411
Garrel (Armand) 37
Gartier (Ernest) 216
Gasanova 411
Gasanova (Nonce) 394
Gastaigne (André) 143
Gastiglione (Duchesse
de) 328
Gatherine (La Grande). 94
Gavaignac (Eugène). . . 423
Gaylus (Duc de) 130
Gazes (E.) 171
Gellamare 9
Gervantès ...... 104, 296
Ghaffiol (Fernand) 216
Ghailley (Joseph) 79
Ghaillou du Gœurjoli
(Marins) 363
Ghalus (Françoise de,
Duchesse de Narbon-
ne-Lara) 321
Ghambord (Gomte de). 158
[NDEX ALPHABÉTIQUE
453
Ghambrier (Madame
Alexandre de)
Chantavoine (Henri) . . .
Chantavoine (Jean) . . .
Chantepleure (Guy)...
Chantre (Ami)
Chapelle (Madeleine)..
Chaponnière (Paul)
'''harcot (Jean)
lardenel (V.-B.)
v^iiarles (Ernest)
Charles IV de Lorraine .
Charles VII
Charles IX
Charles X 130,
Charlotte Corday
Charmain (Armand). . .
Charriaut (Henri)
Charrier (Pierre)
Chasteaumorand (Diane
de)
Chateaubriand 52,
219, 261, 424
Chateaubriand (Mada-
me de)
Chaumont (Magdeleine)
Chéret
Chervet (Henri)
Chesnelong (Charlfs)..
Chevalier (Emile)
Chèvremont (Paul de) . .
Chevrillon (André)
Chigot (Eugène)
Choderlos de Laclos . . .
Choiseul (Duchesse de)
Christine de Suède. . . .
Chuquet (Arthur).. 16,
298,
ouii (Albert)
Circassienne (Une)
Clairon (La)
4?,3
336
Claretie (Georges)
423
145
Glaretie (Jules).. 16,
286,
171
298
366
350
Clémence Isaure
219
263
Clermont (Emile).. 1^
t, 49
374
Clifîord Barney (Ma-
130
dame Natalie). 216,
263
423
Clouard( Henri)
423
263 ■
Clouet (François)
291
123
Clouzot (Henri)
263
119
Cocuaud (Camille). 262
,423
221
Cogners (Marquis de). .
417
221
Colomb (Félix).. 171,
336
366
Colson (Albert)
336
169
Combe (T.)
421
421
Comert (Marguerite) . . .
95
204
Comminges (Comte de)
327
423
Conan Doyle. 33, 49,
212
Couard (Pierre)
171
11
Concini
152
206,
Condé (Le Grand)
8
Conrad (Joseph)
86
Cons (Louis)
130
412
Constantin (Yves de). .
298
362
Coppée (François) . . .
263,
213
338,
448
134
Coquiot (Gustave)
295
216
Corbier (Désiré)
384
260
Corday (Michel). 243,
260,
171
280
336
Cornet (Capitaine.)...
50
132
Cornu
122
383
Corrard (Pierre)
107
113
Corrège
416
411
Corthis (André)
302
119,
Costils (Docteur l'raii-
423
çois de)
216
130
Couprine (A.)
260
421
Courson (Vicomte de). .
336
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Courouble (Léopold) ... 69
CourtelineJG.) 15
Coussange (Jacques de} 45
Couvreur (André) 245
Coynart (Ch. de) 88
Cradock (Madame) 425
Crastre (François) 263
Crinon( Docteur .T.) 298
Cromer (Lord) 263
Cronier (Gaston) 141
Cunéo d'Ornano (Lieu-
tenant-colonel) 263
Curie 122
Cuvillier-Fleury ... 76, 214
Cuzance (Béatrix de).. 119
Dacre (Fernand). . 49
Dagoury (Madame L.). 202
Daireaux (Max) 233
Dalîoz 130
Damad (Marianne) 357
Danrit (Capitaine). 128,313
Danton 217
Darboy (Monseigneur). 287
Dasté (Louis) 263
Daudet (Alphonse) 165
Daudet (Ernest). 49,59,93,
365
Daudet (Léon)... 97 443
Daudet (Lucien-Al-
phonse) 234
Dautremer (Joseph). . . 51
Dauzat (Albert)... 84, 263
Davray (Henry).. 212, 297
Debraux (Emile) 130
Debrol (Marc) 106
Decaen (Général) 153.
Decazes (Duc) 365
Delahache (George). 9, 299
Delarue-Mardrus (Lu-
cie) 26, 182, 384
Delcamp (André) 86
Deletang (Marie) 296
Delly 198
Delorme (Philibert)... 263
D e Ip h i n-B a 1 1 e yg n i er
(Madame) 425
Delplanque (Albert)... 263
Delteil (Léo) 216, 218
Delzons (Louis) 239
Denis (Georges-A.) 296
Derosne (Bernard).... 295
Derrécagaix (Général) . 263
Derys (Gaston) 423
Desaix (Général) 423
Descaves (Lucien) 443
Deschanel (Paul) 88
Deschaumes (Edmond). 72
Desmoulin (Jean-Paul). 317
Dessoubre (Henri) 128
Dhur (Jacques) 191
Dide (Auguste) 369
Diderot 41, 121, 340
Dierauer (Johannès). . . 336
Dilecta ., 411
Dino (Duchesse de) .... 157
Doderet (André) 249
Dodillon (Emile) 384
Dombre (Roger)... 48, 49
Donat(Marc) 296
Donatello 383
Donnadieu 40
Dorchain (Auguste) 384, 448
Dormier (Charles) 380
D'or Sinclair (J.) 381
Dostoïewski 439
Doucet (Jérôme).. 14, 296
Doumer (Paul) 423
M.l'HABETIQUE
I iiiem 340
Drouhet (Charles) 16
Dubois (Cardinal) 335
Dubois (Marcel) 263
r)ul>oscq (André). 112, 423
1 -asse-Harispe 212
ichesne (E.) 328
ichesne (Monseigneur
L.) 88
idit (Madame Isa-
belle) 299
ilac (Odette); 396
Uumas (Alexandre) 267, 337
Dumas (Alexandre, fils)
136, 137
amont- Wilden(L.)... 299
Dumoulin (Maurice). . . 417
Dumur (Louis) 281
Dunan (Charles) 384
Dupanloup (Abbé)..,.. 79
Dupuis (Jean) 216
Dupuy (Ernest) 130
Dupuy (Emile).. . 16, 266
Duquesnel (Félix) 31
Durand (M^ie Yvonne) 380
Durandy (Dominique). 312
Duras (Duchesse de) . . . 52
Dutacq ( François) 216
Duvernois (Henri) 229, 421
Ml vivier (Madame Ma-
deleine) i*
louard VU 252
Éléonore 411
Eliot (Georges) 315
Elis (Georges) 384
Eljc.KoM, (Madame).. 67,
93, 173
Ehsabeth (Impératrice
de Russie) 94, 438
Elsie 341
Epicure 385
Epinay (Madame d') . . . 113
Epuy (Michel) 169
Erckmann-Chatrian . . .
Espitalier (Albert)
Estaing (Amiral d')
Etat-Major de l'Armée
(Section historique de
l')
Etat-Major général de la
marine japonaise . . .
Eugénie (Impératrice) .
157,
Evans (Docteur Tho-
mas W. )
150
264
114
17
384
18,
328
156
Evrard (Eugène ) 424
Fabre (Ferdinand) 49
Faguet (Emile). 18,90,171,
216, 424
Faral (Edmond) 88
Farrère (Claude) . . 135, 282
Fauchier-Magnan 264
Faucigny-Lucinge (Ma-
dame A. de, née Choi-
seul-Gouffîer) 51
Faustinc 411
Faye 122
Fechner 131
Féhx Faure-Goyau
(Lucie) 216
Femme Curieuse ( Une ) . 172
Fénelon 132, 171
26:;. 383
Fennebresqu*' 264
456
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Feodorovna (S. M. Ma-
ria) 50
Ferdinand de Bulgarie. 51
Ferrero (Guglielmo). . . 255
Fersen (Comte de) 388
Feuillâtre (Paul) 424
Feuillet (Madame Emi-
lie) 384
Feuilloy (Georges) 262
Fillay (Hubert) 128
Filon (Augustin) 130
Fischer (Baron Léopold
de) 172
Flamant (Paul) 296
Flammarion (Camille). 126
Flaubert (Gustave). 29, 141
Fleischmann (Hector). 88,
130, 217, 288, 424
Fleurigny (Mademoi-
selle Blanche de) 13
Fleury 328
Fœmina 375
Folacci (Dominique) ... 170
Foley (Charles) 187
Forestier (Mademoiselle
Julie) 373, 412
Formont (Maxime) 147, 380
Fort (Paul) 424
Fortin (A.) 297
Fouché 118
Foulon de Vaulx (André) 217
Fouquet 386
Fouquier-Tinville 288
Fouquières (André de) 292
Fournier (Armand) . . . 322
Foville (Jean de).. 73, 416
France (Anatole) 50
France (Frédéric de) . . . 264
Franc-Nohain 272
François I^r 43
Frapié (Léon) 86, 1
Frédéric (le Grand) 3
Frédéric II
Frémeaux (Paul) 4
Fremiet (E) l
Frémont (Abbé Geor-
ges)
Fribourg (André) 2
Funck-Brentano 2
Gâchons (Jacques des). 2
Gahisto (Manoel) 3
Gaiffe (F.) i
Gail (François de) . . 87,2
Gaillard (Alphonse)...
Gaillard de Champris
(Henry) ■>
Galba 3
Galipaux (Féhx) 2
GaHiéni (Général) 1
Galliffet (Général de).. 2,'
3
Galopin (Arnould) 128, 2
Garros (Paul de) 4
Gaubert (Ernest) 2
Gaubert Saint-Martial
(Raoul)
Gaultier (Paul) 1
Gautherot (Gustave).. 2
Gauthier (Madame Ju-
dith) 4
Gauthiez (Pierre) 1
Gautier (E. -F.) 3
Gay (Delphine).. 266, 4
Gay (Sophie) 2
Gazanion (Edouard). . . c
Gebhart (Emile) 3
INDEX ALPHABETIQUE
t57
Gefïroy (Gustave) 443
Geiger (André) 403
Gendarme de Bévotte
(Georges) 424
Genin (Auguste) 89
Geoffrin (Madame) 9
Gennepp (A, Van) 17
Georges (Marcel) 381
Gérard (Léon) 424
Gérard (Madeleine) 260
Géraud (Edmond) 114
Germain (José) 217
Gide (André).. 89
Gignoux (Régis) 344
Gilbert (Marion) 34
Gimié d'Arnaud (Louis) 190
Ginisty (Paul) 89
>irardin (Emile de) 219
jirardin (Madame de). 267
Girardin (J.) 334
Giraud (Victor) ... 89, 424
Giubega (Laurent) 298
Glaser (Ph. Emmanuel) 172
Gobineau 251
Gœthe 130, 319
Gogol 439
Gojon (Edmortd) 172
Golovine (Comtesse, née
Princesse Galitzine). 93
■ Concourt (Ed. de) 165
f Concourt (Edmond et
Jules de). 139, 398, 443
Goriainow (Serge) 217
Gorki (Maxime) 32
Goron 334, 422
Got (Edmond) 82, 172
Got (Médéric) 82, 172
Gouges (Olympe de) . . . 39
Gounod 170
Gourmont(Rémyde).169,424
Goût (Paul) 414
Grabovski 16
Grand (Madame) 78
Grand-Carteret (John). 90,
218
Granville 264
Grasset (Docteur). 264, 424
Gréard 122
Green (A.-K.).... 212, 381
Gregh (Fernand) 218
Gregorovius (F.) 385
Greuze 411
Gros(Donatela) 223
Gros (Gabriel- Joseph). 173
Grun 283
Gubernatis (Angelo de). 133
Guérin (Eugénie de) . . . 299
Guérin (Maurice de) 219, 299
Guesviller (Gustave) ... 86
Guiches (Gustave) 196
Guignebert (Charles).. 12
Guillaume (G.) 17
Guillaume (James) 131
Guillaume ( Lieutenant) . 385
Guillon (Edouard) 325
Guillot de Saix 301
Guillou (Robert) 422
Guinon (Albert) 432
Guitet-Vauquelin (Pier-
re) 189
Guitry (Sacha) 17
Guizot 216
Guyon (Madame) 411
Guyot-Desherbiers 417
Gyp 86, 164, 197
H
Haie vy (Daniel).
Hallays (André),
. . . 445
299, 425
27
458
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Halpérine-Kaminsky . . 256
Hamilton 264
Hamilton (Lady) 264
Hanotaux (Gabriel) .... 382
Han Ryner 334
Harry (Myriam) 385
Hartmann (Lieutenant-
colonel) 17
Haumgard (Louis) 337
Hauser (Gaspar) 19
Hauser (Ph.) 131
Maussct (Madame du). 320
Haussonville (Comte d') 255
Havard de la Montagne
(Robert) 212
Havet 90
Hearn (Lafcadio) 385
Hegel 131
Meineken (Adiienne).. 90
Héloïse 253, 411
Hémon 448
Henckens(E. F. C. A.). 300
Henckens (Lieutenant). 299
Hennique (Léon) 443
Hepp (Alexandre) 51
Hérelle (G.) 149
Hermann (Le Grand). , 82
Hermant (Abel)...!.. 224
271, 401
Hermite 122
Herriot (Edouard) 386
Heurkelom 424
Heywood (J.)... 296, 381
Hill (Demarès de) 168
mil (Headon).. 34
Hinzelin (Emile) 330
Hirsch (Charles- Henry) 392
Hoche (Général) 423
Hocquart de Turtot. . . 131
Hogier( Hector) 90
Hohenlohe (Prince Glo-
visde) 19
Holbein 174
Hollanda( Francisco de). 385
Homère 184, 423
Hopkins ( Johns) 133
Hornung(E.-W.) 422
Huchard (Robert) 385
Hudson Lowe 366-409
Hugo (Victor). 77, 93, 219
267, 298, 383, 415, 423
Hugues (Clovis) 89
Hume (Fergus). 168, 296
422
Humières (Robert d'). . 86
Humphry Ward 169
Huret (Jules) 211
Huysmans (J.-K.) 164
174, 434
Hymans (Henri), 265, 300
Ibanez (Blasco) 149
Ibsen 46, 429
Ignace (Saint) 42
Ingres 373, 412
louriévitch Lermontov
(Michel) 328
James (Wilham) 131
Jammes (Francis) 163
Japy (Frédéric) 300
Japy( Jules) 300
Jaquet 296
Jassaud (A. de) 422
Jaurès 164
Jaurgain (Jean de) ... . 337
INDEX ALPHABÉTIQUE
459
Jeanne d'Arc 52,
324
La Cartrie (Toussaint-
422
Ambroise de)
218
Jenny (Henry- Ernest).
385
Lacassagne
171
388
LaGhesnais(P.-G.)
192
Jobé (J.)
300
Lacombe (Bernard de).
78
Joinville
53
214
Lacordaire
355
Joinville (Prince de) . . ,
Lacour (Léopold)
130
Joséphine(Impératrice).
16
Lacroix (Paul)
340
367
, 386
Lafage (Léon)
334
Joyaux (E.)
385
Laf argue (Fernand) . . .
334
Judet (Ernest)
147
La Faye (Jacques de) . .
173
Junius
125
Lafont (Paul)
219
Laf ont (Renée)
212
K
La Forge (R. G. de)
337
La Forge (H. de)
337
Kadoré (Pierre de). . . .
49
Lagarde (Gaston de) . . .
218
Kahri (Théodore)
128
Lagerlôf (Selma).. . 1,
297
Kann (Réginald)
385
La Hire (Jean de)
422
Kapnist (Comte R.)...
260
LaJly-Tollendal
114
Kassem (Sidi)
265
Lamartine. 164, 219,
267
Keralio (Madame Ro-
299
bert)
39
La Mazelîère (Marquis
Kergorlay (Comte Jean
de)
■d'M
51
337
Lamballe (Princesse de]
. 19,
Key (Mademoiselle EI-
173
, 383
len)
45
Lami (Stanislas)
385
Kipling (Rudyard) 87,
422
Landre (Madame Jean-
Kléber (Général)
Klein (Abbé Félix)....
423
ne)
■1[1
17
Lane- Allen (James)...
314
Kozakiewicz
297
Lange (Capitaine)
Langsdorff (Baron de).
?M
Kretschmann(Hans de).
18
i;;-j
Kropotkino (Pienc). . .
425
Lannelongue (Profes-
seur) ...,'.
386
L
Lanson (Gustave)
•^17
I^anzac de Laborie (de) .
:.l
La iielaiigeraie (Mau-
Lapauze (Henry)
373
rice)
1 69
La Perrière (Maurice de)
Larcher (Louis)
282
Labbé (Paul)
38^
519
Labordf (Jules)
104
Lardy
216
Labulin (Colonel)
132
Larmandie (Léonce de).
■j:.n
460
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
La Rochefoucauld. . . 95, 164
La Roncière (Charles
de) 52
Larreta (Enrique) 169
Lassalle 266
La Torre (Jorge Corre-
dor de) 387
Latreille (Comte Albert) 1 8
Latreille (C.) 52, 337
Laumonier (Daniel)... 150
Laurent (Raymond). . . 337
Lauret (René) 49
Laurie (André) 87
Lauris (Georges de) ... . 169
Lautrey (Louis) 173
Lauvrière (Emile) 44
Lâuzun 113
Laval (Comte de) 9
Lavater (Jean-Gaspard) 19
Lavedan (Henri).. 82, 160
388
Lavergne (Léonce de) . . 216
Lavisse (Ernest) 377
Leblanc (Maurice) . . 241, 260
Leblond (Marius-Ary). 289
{^ 381
LeJ Bon (Docteur Gus-
tave) 167,420
Leclerc (Jules) 132
Leclercq (Jules) 337
Lecomte (Georges) 210
Lécuyer (Raymond). . . 219
Lecuyer (René).. 33, 49, 169,
422
Lefebvre (Alphonse). . . 338
Lefebvre ( Jean) 419
Lefranc (Abel) 219
Le Gay (Armand) 15
Legendre (Docteur A.-
F.) 338
Le Goffic (Charles). . 2, 300
Legrand (Général) 16
Legrand-Chabrier 381
Legrand- Girarde (Géné-
ral) 18
Leguay (Pierre) 173
Lelée (Léopold) 425
Lehèvre (Pierre) 300
Lemaître (Jules) 132
Lemerre (Désiré) 448
Lemonon (Ernest) 374
LeMoy (A.) 18
Leneru (Mademoiselle
Marie) 445
Lenoël - Zevort (Mada-
me) 386
Lenoir (Alfred) 258
Le Nôtre (André) 291
Léopardi 44
Leparc (Suzy) 300
Leprévost (Gabriel) 386
Le Queux (William) ... 15
Leray (Francis) ... 425
Le Rouge (Gustave) ... 49
Leroux (Gaston) 194
Leroux (Jules) 386
Le Senne (Emile) 338
Lespinasse (Mademoi-
selle de) 423
Lesueur (Daniel). 185-278
Le Tasse 411
Le Titien 416
Levaillant (Maurice). 90, 447
Level (Maurice) 422
Le Verdier (Henri) 169
Lévy (Arthur) 338
Lévy (Paul) 366
Leyret (Henri) 173
Lichtenberger (André). 66
226
INDEX ALPHABÉTIQUE
461
Lilienfeld (Charles -Gus-
Madame Royale... 221,
335
tave de)
. . .
388
Madeline(Jean)
305
Lionnet (Jean)
381
Maestrati (Abbé)
265
Liselott'e
411
171
411
Maeterlinck (Maurice).
173
Maigron (Louis)
46
Liszt
213
Livry (Suzanne de).
...
220
Locuste
359
Maigrot (Henri)
300
Lœwy
. . .
122
Mainard (François)
16
Logé (Marc)
145-385 1
Maindron (Maurice). . .
212
Loliée (Frédéric)...
220
Maine (Duchesse du) . . .
8
Lombroso (César) . .
...
420
Maintenon(Madamede).
383
Londres (Albert). . .
90
Maisonneuve (Thomas) .
425
Longuemare
339
Malagola (Charles)
90
Lorrey (Claude) ....
386
Mancini (Marie)
423
Lot (Henri)
90
251
Mangin (Lieutenant-co-
lonel)
Loti (Pierre).. 164,
178,
339
305
Mansard
291
Loubon (Ludovic). .
. . .
220
Mansvic (Henri)
80
Louis II (roi de
Ba-
Mantenay
220
vière) ...
412
Manuel (Eugène)
124
Louis XI
221
Marbo (Camille)
381
Louis XIII
152
Marbot (Général)
298
Louis XIV
339,
411
386
438
Marc-Aurèle
44
Louis XV 43,
Marceau (Général) . 298-423
Louis XVI ... 115
134
, 221
Marcère (ae) 120-425
Louis XVIII
365
425
Maréchal (Pierre)
Maréchal (Docteur Ph.)
119
Louis-Philippe
...
118
Lovinesco (Eugène
Lubomirski (Prince
18
Maret (G. de)
212
Jo-
Marge (Pierre)
386
seph)
339
Margot (Reine)
411
Luce (Siméon)
414
Margueritte (Paul) . 137-443
Lucrèce
44
Margueritte (Victor) . . .
265
Lunel (Ernest)
. . .
339
Margueritte (Général).
301
Luquet (Maurice). .
. . .
260
Marie-Antoinette, 115,
173
Luynes (Madame d
')••
173
Marie de France
263
217
M
Marie de Médicis.. 152-411
Marie-Louise (Impéra-
Machiavel
167
trice)
424
Macquard
298
Mariel (Jean)
91
462
.E MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Marivaux
383
Ménéval (Baron de)...
367
Marni (Jeanne) ,
432
Mérac (Paul)
965
Marquiset (Alfred).,..
52
Mercauld (Charles), . . .
339
Martel (Charles)
425
Mercereau (Alexandre).
381
Martel (Tancrède). 29,
173
Mercier (Sébastien)
331
Martin (Paul-Edmond).
132
Meredith (George)
371
Marty (Félix) 298,
300
Meri Dahdah (L.)
170
Maryllis (Paul) ,.
410
Méri court (Theroigne
Marzac (Lucien)
359
de)
39
Mason (A.-E.-W.)
275
Mérimée (Ernest). 133,
174
Maspero (G.)
220
Mérimée (Henri)
Mérimée (Prosper)
133
Masque de Fer (Le) ....
386
338
Masson (Emile)
341
Merlet(J.-P.-Louis) ...
132
Masson (Frédéric). 170,
218
Méry (Claude)
334
323
Mesureur (André)
386
Masson (Pierre-Marie).
339
Mesureur (Madame
Masson-Forestier
386
Améhe, née A. de
Mathiez (Albert)... 52, 91
Wailly)
91
Mathilde (Princesse). . .
328
Méténier (Oscar)
260
Matte (Louis)
386
Meunier (Stanislas). . . .
?57
Maugey (Irénée)
18
Meunier (Madame Sta-
Maugras (Gaston)
113
nislas)
260
Maupassant (Guy de). .
164
Meurville (Louis de). . .
332
Mauprat (Henri)
15
Michaud (Edouard) . . .
425
Maurel (André)
91
Michaut (G.)
174
Maurevert (Georges) . . .
213
Michel (André)
415
Maurras (Charles)
265
Michel-Ange 385,
416
Mauzens (Frédéric). . . .
309
Milan (René)
199
May (Gaston)
18
Mille (Pierre) 49,
Millet (Philippe)
381
Maybon (Albert)
265
252
Maygrier (Raymond)..
128
Mirbeau (Octave). 164,
344
Mayol
340
443
Mavra (B.). . . . .
275
Mirepoix
Mirmand (Henri de).. .
1^8
Mayrargue (Lucien). . .
386
336
Mazas
219
Mirtel (Héra)
387
Meilhac
83
Mirtil (Marcel)
91
Mélia (Jean)
132
Mistral
305
Melon (Joseph)
220
Molière 284,
383
Menabréa (Henri)
87
Moll.^jWeiss (Madame
Mendès (Catulle)., 15,
124
Augusta) '
387
INDEX ALPHABÉTIQUE
i63
Monod (Gabriel)
Monselet
Montaigne 129,
Montégut (Maurice)...
Montesquieu ( Comte
Robert de) 220,
Montier (Edouard)....
Monts (Comte G. de),..
Moréas (Jean). 170, 387,
Morian (Jacques)
Moriss
Morisse (Paul)
Morny (Duc de)
Moro (Antonio)
Mortillet ( Gabriel et
Adrien de)
Moselly (Emila)
Mouillé (Charles)
Mouret (Fernand)
Moussac (Georges de). .
Muller (Charles)
Murât ( Joachim) ... 117,
Murât (S. A. le Prince).
Murger (Henri)
Musard
Musset (Alfred de) 18,54,
N
Xadaud (Marcel)
Napoléon I^r. 33, 37,
51, 94, 115, 118, 134,
173, 203, 204, 216,
264, 322, 325, 320.
338, 368, 408, 438
Napoléon H. mi <!,•
Rome
Napoléon III. 158, 20;;.
Nass (Docteur Lucien).
41
3^2
222
308
399
381
366
433
334
211
134
220
300
91
390
339
266
387
164
264
117
230
425
383
'.25
300
Nayral (Jacques) .... .-. 404
Nelson 264
Nesmy (Jean) 424
Nesselrode 91
Ney (Maréchal) 50
Niboyer (Madame de). . 39
Niclaud (Roger) 91
Nietzsche (Frédéric). . . 92
335, 445
Niewerkerke 328
Nion (François de). 50,297
Niox (Général) 220
Noailles (Madame de). 164
295
Nointel (Marquis de) . . . 438
Nolly (Emile) 406
Norbert (Willy) 387
Nordau (Max) 41
Normand (Jacques)... 387
Normand (Comte R.). . 92
Normandy 297, 425
Noyer (Madame du). . . 387
O'Connor (Patrice) 260
Ohnet (Georges) <
Oldmeadow (Ernest).. 1 i.i
Olivier (J.-J.) 387
Ohvier(Paul) 259
Oppenheim (Philipps) 87, 381
Orczy 405
Ordener (Généraux). . , 90
Orléans ( Duchesse d' ) . . 1 58
Oyson ville (Baron d') . . 340
0/;m;nn 355
366
:!Hl
Pailhès (G.)
Paladino (Eusapiat
464
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Païva (Madame de) 338
Pallarès(V.) 92
Palmer (Fritiof ) 297
Pardo Bazan (Comtesse
de) 297
Paris 131
Parquin (Charles) 388
Pascal (Biaise) 44, 89, 266, 424
Patin (Guy) 3.72
Paul 1er (Tsar) 94
Paul (Madame Made-
leine) 213, 284
Paulier (Lieutenant Vic-
tor) 153
Pecci (Monsignor Joa-
chim) 129
Péguy (Charles) 52
Péladan( Joseph) 92
Pepé (Général) 37
Peraté (André) 416
Pergaud (Louis).. 398,443
Périer (Joseph) 220
Périn (Georges) 221
Pernot (Hubert) 266
Perrault (Pierre) 381
Perrée-Gerpré (Madame
Germaine) 297
Perrin (Jules) 65
Persat (Commandant). 36
Persky (Serge) ^.\ 32
Pettit (Charles) "^149
Philippe(Charles-Louis).> 177
Photiadès (Constantin). ï 371
Pic (Pierre) _ 372
Picard (Lieutenant-co-J.j
lonel Ernest) ^ 153
Picard (Roger) 221
Pichot (Pierre-Amédée) 218
Pidal (Ramon_j^Menen-
dez^ '1133
Pie X
Piépape (Général de)..
Piérard (Louis)
Piéron (Henri)
Pilon (Edmond).. 221,
Pinturicchio
Pirandello (Louis)
Pirenne (Henri)
Piron
Pisani(LeP.)
Plattard (Jean)
Plutarque
Pocé (Cyriaque de)
Poë (Edgard) 188,
Poincaré (H.)
Poincaré (R.)
Poinçon (E.)
Poinsot(C.). 297,381,
Poiré 3 ( Charles - Ra -
phaël)
Poizat (Alfred)
Polignac (Madame de).
Pomairols (Charles de).
Pomaré (Reine)
Pompadour (Marquis
de)
Pompadour (Madame
de)
Pons (Mademoiselle de)
Pontbriand ( Monsoi -
gneur de)
Postel du Mas (Albert) .
Pottecher (Maurice)...
Poumiès de la Siboutie
(Docteur)
Pourot (Paul)
Pourtalès (Guy de)
Povolozky (Jacques)..
Prévost (Marcel). 87,
205,
221
8
293
46
290
416
142
161
130
339
53
154
87
317
122
423
339
444
425
300
173
24
425
320
335
383
356
174
202
133
213
380
190
383
INDEX ALPHABÉTIQUE
465
Price (Georges)
213
Rémon
260
Prouille (Marcel). 92,
339
Renard (Jules)
434
Provins (Michel)
87
Renaud (Joseph)
405
Puyrenier (Antony) . . .
300
Renel (Charles)
334
Rengale (Docteur Jules)
128
Q
Reischal (Antonin)
334
Resclauze de Bermon . .
68
Quantin (Albert)
188
Rességuier (Jules de). .
219
Queillé
266
Retté (Adolphe)
388
Qiiiller Couch
260
Reure (Chanoine O.-C. ) .
11
Qiiinel (Charles)
283
Réval (Gabrielle)
306
Quirielle (Pierre de)
45
Réval (Capitaine J.). . .
340
Reymond (Aug.)
337
R
Reymond (Marcel)
416
Richelieu (duc de). . 9,
52
Rabelais 53
222
152
Rabusson (Henry)
101
Ricquebourg (Jean). . .
92
Rachel ..... 51, 130,
267
Ricquier (Léon)
165
Racine 103, 265
386
Rilly (Comte de)
340
Racowitza (Princesse
Riotor (Léon)
87
Hélène de)
266
Rivoire (André)
124
Radcliffe Dugmore
266
Robespierre (Charlotte)
88
Radziwill ( Princesse,
Robien (Vicomte Guy
née Castellane)
158
de)
263
Ramel (Delphine)
374
Robinet de Cléry
221
Randau (Robert)*
213
Rocca de Vergallo (N.
Raphaël
416
A. délia)
53
Raymond (Docteur). . .
215
Rocheblave
53
Raynaud (Ernest)
387
Rochetal( Albert de)...
340
Reboul (Max)
422
Rocquain (Féhx)
90
Reboux(Paul)
164
Rod (Edouard) 175
, 435
Récamier (Madame). . .
207
Rodés (Béatrix)
266
412
Rogniat (Marcel)
128
Reclus (Elisée)
204
Rohan (Chevalier de). .
386
Recouly (Raymond). . .
53
Rohan (Duchesse de) 26r
. 446
Régis-Lamotte (Roger)
87
Roland (Marcel)
i:«
Régnai (Georges)
174
Rolland (Romain)
110
Régnier (Henri de). . . .
448
Romains (Jules)
381
Reich (Docteur Emih*).
80
Romans (Mademoiselle
Reichel (Franz)
280
de)
411
466
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Romeuf (Louis de) 92
Romilly (Edouard) 18
Romney 254
Rondet-Saint (Maurice) 92
Roosevelt (Théodore). . 174
Rosebery (Lord). . . 323, 408
Rosny (J.-H.) 443
Rosny (J.-H. aîné) 5
Rossel (Virgile) 388
Rossigneux 420
Rostand (Edmond). 14, 50
124, 133, 337
Rostand (Maurice) 425
Rouanet (Léo) 385
Rouby (Docteur). 340
Rougé (Adolphe de). . . 130
Rougemont (E. de) 174
Roujon (Henry) 88,219,410
Roupnel (Gaston). 316, 444
Rousseau (Jean- Jac-
ques).. 281, 340, 369, 383
Rousseau (Samuel) 259
Roussel (Raymond)... 53
Rousset (Lieutenant-co-
lonel) 425
Rouvier (Henri) 384
Roux (Charles) 425
Roux( François-Charles). 388
Roux (J.-Ch.) 133
Roz (Firmin) 92
Rozat de Mandre (Gé-
néral) 300
Rozet 219
Rûckert 10
Ruffin (Alfred) 93
Sageret (Jules) 67, 381
Sahuqué (Blanche) 247
Saint- Aulaire (Comte A
de) 129
Saint-Cyr (Charles de). 221
Saint-Louis 53, 335
Saint-Martial (Comtesse
de, sœur Blanche, fille
delà Charité). . .V . .. 172
Saint-Pierre 221
Saint-Pierre (Bernardin
de) 383
Sainte-Beuve 8
Sainte-Foy 221
Saintis 50
Sales (Pierre) 260, 297
Salle (Marie).. 412
Samain (Albert) 124
Samson (Jean) 193
Sancy (Pierre de) 53
Sand (George) 267, 305
Sandeau (Jules) 267
Saunier (Marc) 388
Sauzey (Lieutenant-co-
lonel) 93
Savine (Albert).... 87, 93
212, 388, 422
Schahorskoy-Strechnefî
(Princesse) 388
Scheffer (Robert) 169
Schlumberger (Gustave) 36
Schumann (Clara) 411
Schwab (Raymond). . . 214
Sebillot (Paul) 236
Séché (Alphonse) 54
Séché (Léon).... 54, 266
425
Segonds (Lieutenant). . 388
Segur (Marquis de). 93, 173
Sévérac 129
Sévigné (Madame de). . 171
Shakespeare 217
NDEX ALPHABÉTIQUE
467
Sheridan ( Richard -
(Maurice de, duc de
Brinsley)
27
Dino),
174
Sicard (Emile)
214
Tarente (Madame de). .
173
Silbermann (Soldat). . .
133
Tausserat-Rad'-l (Ale-
Silvestre (Général F.)..
340
xandre)
221
Sinan
134
Tencin (Madame de). . .
Sisson (H.-D.)
134
9, 339,
423
Solovioff (W.-S.)
260
Teramond (Guy de) ....
381
Somerset-Maughan . . .
401
Ternier (Louis)
296
Sonia
14
Testard (Maurice)
260
Sonnenfeld (Nandor)..
425
Thierry (Gilbert- Augus-
Sorel (Albert-Emile)...
274
tin)
40
448
Thiers
287
Soubies (Albert).. 134
301
Thoumas (Général)
54
i^oudart (Madame Ma-
Tinayre(Marcelle).. . 18,55
rie)
267
320
Soulages (Gabriel)
301
Tinseau (Léon de)
109
Soumet
219
Tollemonde (Georges
Sourio (Maurice)
174
de)
388
Souvestre (Pierre)
297
Tolstoï (Léon)... 164,
256
>petz (Georges)
425
328, 436,
439
Staël (Madame de). 174
403
Tony d'Ulmès
129
Stanley
418
Torcy (Général de)
340
Stendhal 132-395
Tornezy (A.)
340
Stenger (Gilbert)
115
Toucas-Massillon
28
Stoullig (Edmond)
388
Toulouse (Docteur)
267
Stourm (René)
426
Tourguenew
439
stuart (Marie)
130
Tournier (Albert)
409
stuart Mill
39
Tourzel (Madame de). ,
335
Sudermann (Hermann)
260
Traz (Robert de)
169
Sue (Eugène) 219,
267
Tripot (Docteur J.)
19
.Sully Prudhomme. . 90
122
Trois- Arches (Abel des).
388
■ 1 '
448
355
Troisville
337
Swetchino (Madame)..
Tschudi (C. de)
425
Turenne 18,
340
T
Turquan (Joseph)
367
Twain (Marc) 214,
437
Tailhad»' (Laurent). . , .
433
ralleyrand . . . 78, 158,
220
ralleyrand-Périgord
468
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
u
Upton Sinclair 87
Urfé (Anne d') 11
Urfé (Honoré d') 11
Uzanne (Octave) 831
V
Vaissière (Pierre de). . . 134
Val (Charles) 87
Valdagne (Pierre) 231
Valdès (Armando Pala-
cio) 104
Valée (Maréchal) 76
Valentin 260
Vallery-Radot (Robert). 310
Valmesnil 50
Vandal (Albert) 438
VandenGheyn(J.) 425
Vauvenargues 46
Verhaeren (Emile). 124, 134
171
Verne (Jules). 50, 247, 309
Vernou (Pierre) 297
Veyssié (Robert) 214
Vezinet (F.) 134
Vialay (Amédée) 425
Viardot (Paul) 93
Viau (Raphaël) 161
Vidal (Commandant P.) 389
Vierge (Pierre) 389
Vigée-Lebrun (Madame) 411
Vigny (Alfred de). 44, 130
219
Viguier (Charles) 433
Villetard (Pierre) . . 237, 260
Villiers (Baron Marc de) 38
Villiers de l'Isle-Adam. 174
Villon (François).. 15, 340
Vincent (Abbé) 267
Vinci (Léonard de). 92,416
Viouly 260
Visconti (Primi) 16
Vivien (Renée) 301
Vogué (Vicomte E.-M.
de) 255, 439
Volland (Gabriel) 93
Voltaire 9, 340, 369
Vuillaume (Maxime) .. . 158
VuUiaud (Paul) 389
Wagner (C.) 389
Waleffe (Maurice de) . . . 253
Wahszewski 93
Walle (Paul) 341
Ward (Herbert) 418
Weede (Gaspard de) . . , 422
Weiss (J.-J.) 18
Wells (H.-G.). 50, 297, 349
Welsch (Jeanne) 341
Welschinger (Henri). . . 201
Welvert (Eugène) 321
Wendt (Gustave) 281
Wenz(Paul) 334
Whitehouse (Romsen). 267
Wiart (Henry Carton
de) 87
Wilde (Oscar) 89, 179
Wilhelmine (Frédérique
Sophie, Margrave de
Bareith) 341
Willy 214
Willy (Colette) . . . 34^j, 444
Wœstyn 260
Wolsky (Galixte de). . . _42S
Wylm (Antoine) 87
INDEX ALPHABETIQ,UE
Wyzewa (Théodor de)
469
19
128
Yard (Francis) 389
Youssof (Fehmi) 341
Yver (Colette) 23
Zahn (Ernest) 381
Zamacoïs (Miguel) 301
Zelmire (Princesse) 388
Zemlak (Semène) 261
Zola (Emile) . 165, 191
Zurlinden (Général)... 326
Zuylen de Nyevelt (Ma-
dame Hélène de) 426
Zweig (Stefan) 134
94, 174, 267 301
TABLE
Préface v
Janvier 1
Février 20
Mars 55
Avril 95
Mai 135
Juin 175
Juillet 222
Août-Septembre 268
Octobre 302
Novembre 342
Décembre 390
Quelques disparus 429
Concours et prix littéraires 443
Index alphabétique 449
CliiMifOH _ [inprim<'ri.« Kd GARNIKU. — M. 11. :{'.».
Pc^ Glaser, Ph, Emmanuel
12 Le mouvement littéraire
G5
t. 7
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY