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Full text of "Le mouvement littéraire; petit chronique des lettres, 1904-1912"

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Le  Mouvement  littéraire 

1910 


DU  MEME  AUTEUR 


Le  Mouvement  littéraire  —  1904. 

Préface  de  M.  Paul  Hervieu,  de  rAcadémie  française. 

Le  Mouvement  littéraire  —  1905. 

Préface   de  M.  Henry   Roujon,   secrétaire  perpétuel  de 
l'Académie  des  Beaux-Arts. 

Le  Mouvement  littéraire  —  1906. 

Préface  de  M.  Jules  Claretie,  de  l'Académie  française. 

Le  Mouvement  littéraire  —  1907. 

Le  Mouvement  littéraire  —  1908. 

Préface  de  M.  Anatole  Frange,  de  l'Académie  française. 

Le  Mouvement  littéraire  —  1909. 

Préface  de  M.  Marcel  Prévost,  de  l'Académie  française. 


Tous  droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés 

pour  tous  les  pays^  y  compris 
la  Suède,  la  Norvèsre,  la  Hollande  et  le  Danemark, 


^o^i 


S'adresser^  pour  traiter, 
à  la  Librairie  Paul  Ollendorff,  50,  Chaussée  d'Antin,  Paris 


PH.-EMMANUEL  GLOSER 


Le  Mouvement      \ 

Littéraire  \ 

(petite  chronique  des  lettres)        i 

-  'ig'io  -  \ 

Préface  de  M.  Henri  LAVEDAN,  de  V Académie  française    j 

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PARIS         '^  : 

Société   d'Éditions  Littéraires  et  Artistiques  \ 

LIBRAIRIE    PAUL    OLLENDORFF  ] 


5o,  CHAUSSÉE   d'antin,  5o 


II.  A  ETE  TIRE  A  PART  : 

5  exemplaires  sur  papier  du  Japon. 
5  exemplaires  sur  papier  de  Hollande. 

TU 

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t,7 


PRÉFACE 


EXTRAITS 
DU  «  MANUEL  DU    PARFAIT  CRITIQUE  » 


I 

Le  parfait  critique  devra  être  un  honnête 
homme.  Jeune,  quoique  déjà  évadé  du  cha- 
pitre de  l'adolescence,  et  pas  encore  assez 
avancé  dans  celui  de  1  âge  mûr  pour  avoir 
acquis  le  droit  et  Texcuse  de  médire  de  la  vie. 

II 

Il  sera  instruit,  possédera  toutes  les  litté- 


VI  PRÉFACE 

ratures,  les  étrangères  et  même  celle  et  celles 
de  son  pays. 

III 

Non  seulement  on  le  verra  curieux  et  avisé 
de  tout,  mais  il  se  sera  de  bonne  heure  appris 
à  discerner  et  à  préférer,  à  éliminer  et  à 
choisir.  Il  saura  le  poids,  le  prix  et  la  qualité 
de  tous  les  grains  :  les  bons  et  les  autres. 

IV 

Il  aura  Toeil  et  Tesprit  généreux,  l'étincelle 
cérébrale  prompte  et  le  cœur  inflammable 
comme  amadou. 


Il  sera  enthousiaste,  et  patriote.  Il  croira 
qu'il  y  a  partout  —  même  en  littérature  — 
d'utiles  frontières  et  que  l'on  peut  très  bien, 
exceptionnellement,  les  franchir  sans  parler 
cependant  de  les  supprimer. 

VI 

Il  aura  lart  et  le  secret  de  la  politesse,  de 


PRÉFACE  VU 

la  mesure.  Il  évitera  l'intempérance  du  blâme 
et  la  débâcle  de  l'éloge.  11  montrera  qu'une 
belle  intelligence  est  toujours  maîtresse  de 
la  plume  qu'elle  anime. 

Vil 

II  sera  juste,  impartial.  Il  se  détachera  des 
personnes  pour  ne  s'attacher  qu'aux  œuvres. 
Il  oubliera  les  services  qu'on  ne  lui  aura  pas 
rendus  et  ne  se  rappellera  les  injures  que 
pour  les  recouvrir  par  le  manteau  du  bien- 
fait. Il  louera  deux  fois  plus  ses  ennemis.  Il 
pardonnera  à  tous  ses  amis  intimes. 

VIII 

Il  sera  toujours  sincère,  ne  serait-ce  que 
dans  son  propre  intérêt,  pour  garder  la  finesse 
de  sa  pierre  de  touche  et  aussi  pour  éprouver 
le  plaisir  de  sentir  son  appréciation  marcher 
au  pas  avec  sa  pensée. 

IX 

Il  jugera  toujours  avec  appel,  n'aura  jamais 


VIII  PRÉFACE 

la  fatuité  de  paraître  se  croire  «  en  dernier 
ressort  ». 

X 

Il  pourra  glisser  un  grain  de  malice  dans 
un  compliment...  mais  il  devra  verser  une 
goutte  de  baume  dans  un  reproche. 

XI 

Pour  bien  parler  d'un  ouvrage,  il  ne. man- 
quera jamais  de  se  mettre  momentanément 
à  la  place  particulière  de  l'auteur.  En  écri- 
vant sa  critique,  il  s'imaginera  qu'il  est  l'in- 
téressé qui  la  lit.  Ce  simple  petit  effort  fera  son 
opinion  plus  sensée  et  ses  épithètes  moins 
irréfléchies. 

XII 

Il  ne  raillera  point,  fuira  le  détestable  per- 
siflage qui  offense  sans  amender. 

XIII 

Il  recherchera,  jusqu'aux  moindres,  toutes 
les  occasions  de  louer.    Il   pratiquera  l'ob- 


PRÉFACE  IX 

servation  encourageante,   le  regret  qui  sti- 
mule. 

XIV 

Il  ne  jugera  pas  sur  le  titre,  au  hasard  et 
à  Taveuglette.  Il  y  a  pour  les  livres,  comme 
pour  les  gens,  des  physiques  ingrats  et  des 
noms  malheureux  qui  trompent. 

XV 

Entre  les  livres  qui,  au  premier  abord, 
l'attirent  et  ceux  qui  le  rebutent,  c'est  aux 
seconds  qu'il  volera  toujours.  Et  neuf  fois 
sur  dix  il  en  sera  récompensé. 

XVI 

Il  ne  lira  pas  pour  en  remontrer,  mais  rien 
qu'avec  l'humble  désir  d'apprendre,  et  sans 
chercher  la  petite  bête. 

XVII 

Il  pensera  qu'il  a,  pour  les  lecteurs  con- 
fiants en  lui,  haute  charge  de  probité,  qu'il 

1. 


X  PRÉFACE 

est  leur  guide,  leur  cicérone,  et  qu'il  serait 
aussi  coupable  de  les  induire  en  fausse  admi 
ration  qu'en  injuste  mépris. 

XVI  II 

S'il  a  eu  parfois  des  torts  et  des  écarts, 
il  ne  craindra  pas  de  les  avouer  —  en  les 
exagérant  —  parce  qu'il  faut  frapper  deux 
fois  plus  fort  pour  faire  revenir  sur  une 
mauvaise  opinion. 

XIX 

Il  faudra  qu'il  lise  tout.  Mais,  comme 
d'autre  part  cela  lui  deviendra  matériellement 
impossible  étant  donnée  la  crue  sans  cesse 
grandissante  du  fleuve  de  Librairie,  ce  sera 
pour  lui  une  nécessité  d'apprendre  à  lire... 
sans  lire. 

XX 

Et  lire  sans  lire,  c'est  accoutumer  son 
esprit  et  ses  yeux,  à  ne  voir,  attraper  et  saisir 
au  passage  que  l'indispensable,  l'essentiel, 


PRÉFACE  XI 

dresser  son  regard  et  son  cerveau  à  «  quêter  » 
et  à  «  arrêter  »  comme  des  pointers^  aux  bons 
endroits,  au  buisson  où  est  blottie  la  caille  de 
ridée,  pour  la  faire  lever  toute  palpitante  et 
chaude.  Lire  sans  lire,  c'est  ne  pas,  en  ce 
faisant,  songer  à  son  plaisir,  mais  à  son  devoir, 
quitter  d'où  l'on  voudrait  rester  et  rester  là 
d'où  Ton  aurait  envie  de  détaler.  Lire  sans 
lire,  c'est  lire  mieux  que  si  on  lisait  comme 
tout  le  monde,  c'est  lire  léger,  vif  et  rapide, 
effleurer,  glisser,  tout  comprendre  sans  ap- 
puyer, lire  de  haut,  à  vol  d'esprit,  à  pointe 
d'aile,  sans  y  mettre  la  force  afin  d'escamoter 
la  fatigue  ;  c'est  couper  le  livre  allègrement, 
en  détachant  et  faisant  sauter  pour  nous,  çà 
et  là,  du  bout  du  couteau  à  papier,  une  pierre 
précieuse,  une  paillette,  une  pensée,  une 
image,  un  mot,  car  le  vraz  critique  ne  nous  doit 
pas  retirer  notre  plaisir  en  l'épuisant.  Son  rôle 
est  «  de  nous  en  laisser  d,  de  ne  pas  tout  nous 
dire.  S'il  nous  récite  le  livre  ou  le  presse,  à 
en  faire  sortir  le  jus,  nous  nous  contentons 
de  sa  citronnade  et  nous  n'avons  plus  besoin 
du  citron;.. 


XII  PRÉFACE 

Faire  lire,  engager  à  lire,  voilà  la  grande  et 
bonne  manière. 

Il  y  faut  une  abnégation  rare,  proche  du 
sacrifice,  un  entier  renoncement  de  soi,  et 
une  modestie  absolue  qui  ne  prétende  même 
pas  à  être  dorée  sur  tranche. 

Le  critique  exemplaire  ne  cherchera  pas  à 
briller,  à  paraître,  à  se  mettre  devant  son 
compte  rendu,  ou  au-dessus  de  lui.  Il  aura 
pour  orgueil  constant  de  s'efPacer,  estimant 
que  plus  il  affectera  de  se  tenir  à  l'écart,  plus 
on  ira  le  chercher  dans  son  coin  pour  lui  dire  : 
«  Ne  restez  pas  là.  Approchez-vous  donc.  » 

Et  si  quelqu'un  prétend  que  toutes  ces 
exigences  accumulées  ne  sont  que  le  théorique 
programme  de  l'impossible  et  qu'il  n'y  a  pas,  à 
la  rigueur  de  toutes  ces  prescriptions  difficiles, 
d'homme  et  de  lettré  capable  de  s'y  assujettir, 
je  répondrai  à  ce  quelqu'un;  «  Mais  si  ! 
Tournez  la  page  et  voyez  Glaser...»  Ah  ? 

Henri  Lavedan. 


JANVIER 


LES  ROMANS 


SELMA   LAGERLOF 
Les  Liens  Invisibles. 

(Nouvelles  traduites  du  suédois  par  M.  Bellessort). 

Dans  les  derniers  jours  de  l'année  1909,  l'attri- 
bution du  prix  Nobel  a  révélé  à  la  foule  le  nom 
d'un  grand  écrivain  :  Selma  Lagerlôf.  En  dehors  de 
la  Suède,  où  sa  renommée  est  immense,  l'œuvre 
de  M^ie  Selma  Lagerlôf  était,  en  effet,  peu  connue 
dans  le  monde;  grâce  au  prestige  du  prix  Nobel, 
elle  y  sera  désormais  répandue.  Il  faut  s'en  féliciter, 
car  le  talent  de  cet  écrivain  vaut  mieux  qu'une 
gloire  locale  :  le  public  français  s'en  rendra  compte 
en  lisant  le  recueil  de  nouvelles  dont  M.  Bellessort 


2  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

a  publié  une  très  littéraire  traduction  et  qui  sont 
réunies  sous  le  titre  :  les  Liens  invisibles. 

Il  y  a  dans  ces  nouvelles,  «  légende  et  fantaisie  », 
ou  «  réalité  »,  un  souffle,  une  puissance,  une  foi  admi- 
rables. Ce  sont  des  histoires  frustes,  étranges,  d'une 
haute  portée  philosophique;  avec  leur  saveur  de 
terroir  qui  nous  ravira,  elles  sont  profondément, 
largement  humaines;  comme  le  dit  très  justement 
M.  A.  Bellessort  dans  la  préface  :  «  Selma  Lagerlôf 
avait  peint  d'abord  un  moment  spécial  dans  la  vie 
particulière  d'une  province  suédoise.  Puis,  par  le 
chemin  des  légendes  et  des  fantaisies,  qui  se  déroule 
à  travers  le  temps  et  l'espace,  elle  s'éleva  peu  à  peu 
à  la  conception  d'un  art  plus  libre  et  de  l'immor- 
telle vérité.  » 


CHARLES  LE  GOFFIC 
Ventôse. 

M.  Charles  Le  Goffîc,  le  romancier  profond  et 
inspiré  du  pays  breton,  s'en  est  allé  cette  fois-ci  à 
l'autre  bout  de  la  France,  sur  les  bords  de  la  Médi- 
terranée, pour  nous  dire  une  tragique  et  belle  his- 
toire toute  bouillante  d'ardeur  et  de  passion  méri- 
dionale. Ventôse^  c'est  le  titre  du  roman,  c'est  le 
nom,  le  surnom  du  héros  Thibaut,  épris  d'une 
furieuse  passion  pour  Norine,  à  laquelle  il  fut  fiancé 
jadis  et  qui  est  maintenant  la  femme  de  Savournin, 


JANVIER   —   LES    ROMANS 


Ce  dernier,  brave  homme  simple,  ne  se  doute  pas 
de  la  haine  qui  s'est  allumée  contre  lui  dans  le 
cœur  de  son  rival.  Les  événements  se  chargent  de  la 
lui  faire  connaître,  et,  une  nuit,  il  périt  mystérieu- 
sement en  mer.  Des  années  se  passent,  et  Thibaut, 
de  retour  au  pays  après  une  longue  absence,  va 
épouser  Norine  devenue  veuve,  mais  un  gars  bre- 
ton, Cosmao,  connaît  la  vérité  terrible,  il  sait  que 
Thibaut  est  coupable  de  la  mort  de  Savournin  : 
cette  vérité,  il  la  révèle  la  veille  du  mariage,  et  Thi- 
baut, fou  de  douleur,  de  remords  et  de  désespoir, 
provoque  Cosmao  dans  un  sauvage  combat  au 
cours  duquel  les  deux  hommes  roulent  enlacés 
dans  l'abîme... 

L'histoire  est  très  dramatique  et  M.  Charles  Le 
Goffîc  nous  la  conte  avec  beaucoup  de  puissance  et 
d'émotion,  mais  il  ne  s'en  est  pas  tenu  là;  le  cadre 
de  son  roman  :  ce  port,  cet  arsenal  où  le  drame  se 
déroule,  lui  donnaient  une  occasion  d'étudier  et  de 
dénoncer  les  ravages  du  syndicalisme  dans  ces 
milieux;  il  ne  s'en  est  pas  fait  faute,  et  son  héros, 
torturé  par  l'amour  et  par  la  haine  est  troublé 
profondément  par  les  théories  de  violence  et  de 
révolution  de  son  journal,  Fewifo^e,  par  ce  syndica- 
lisme qui  désagrège  et  détruit  la  discipline  et  la 
force  de  la  marine,  et  tout  cela  ne  contribue  pas 
peu  à  lui  mettre  le  cerveau  à  l'envers.  M.  Charles 
Le  Goffic  a  évoqué  de  façon  remarquable  cette 
fureur  dévastatrice  de  la  révolution. 


4  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

GEORGES  OHNET 
L'Aventure  de  Raymond  Dhautel. 

Depuis  quelque  temps  déjà,  M.  Georges  Ohnet 
s'est  avisé  que  les  véritables  «  Batailles  de  la  Vie  », 
ces  batailles  dont  il  nous  a  conté  tant  d'épisodes 
touchants,  ne  se  livrent  plus  seulement  sous  des 
toits  familiers,  entre  des  individus,  —  mais  aussi, 
et  surtout,  dans  la  rue  et  dans  les  comices,  entre  des 
partis;  la  bataille  de  la  vie  est  devenue  la  mêlée 
sociale  et  politique,  et  c'est  ainsi  que  M.  Georges 
Ohnet  nous  raconta  naguère  la  Route  rouge. 

UAçenture  de  Raymond  Dhautel,  est  un  roman 
plus  intime,  plus  familier,  où  cependant  les  ques- 
tions politiques  et  sociales  jouent  un  rôle  prépon- 
dérant. Il  s'agit,  d'un  jeune  et  bouillant  avocat  qui, 
cédant  à  la  double  influence  de  son  secrétaire  anar- 
chiste et, d'une  femme  intrigante,  quitte  le  barreau 
pour  la  politique,  devient  dans  son  pays — le  Morvan 
—  le  défenseur  et  le  représentant  des  doctrines  radi- 
cales-socialistes, pose  sa  candidature  à  la  députa- 
tion.  Il  mène  une  campagne  acharnée  jusqu'au  jour 
où,  écœuré  par  certains  procédés  employés  pour  le 
soutenir,  et,  par  surcroît,  repris  par  un  amour  ancien 
pour  une  amie  d'enfance,  petite-fille  d'un  vieux  mar- 
quis, son  voisin,  Raymond  Dhautel  renonce  à  la  vie 


JANVIER   —    LES    ROMANS 


publique  pour  épouser  la  jeune  fille  qu'il  aime, 
quitte  la  politique  pour  le  barreau,  et  retrouve,  à  la 
glande  satisfaction  du  vieux  marquis,  sa  vraie 
nature,  ses  idées  aristocratiques  et  ses  convictions 
traditionalistes  par  amour  de  la  vérité  et  puis  aussi 
pour  épouser  la  gentille  Hélène. 

Et  comme  vous  voyez,  M.  Georges  Ohnet  est, 
lui  aussi,  de  cet  avis  que  nous  devons  rester  chacun 
de  notre  côté  de  la  barricade  :  conclusion  prévue 
d'un  roman,  dont  les  péripéties  sont  si  ingénieuse- 
ment distribuées  que  ce  dénouement  apparaît 
comme  une  agréable  surprise  ;  c'est  du  bon  Georges 
Ohnet,  et  la  clientèle  du  célèbre  romancier  retrou- 
vera dans  ce  livre  les  qualités  familières  qui  l'ont 
tout  d'abord  et  si  naturellement  conquise. 


J.-H.  ROSNY  (aîné) 

La  Vague  Rouge. 

M.  J.-H.  Rosny  aîné  est  plus  farouche;  ce  n'est 
pas  la  politique  qui  domine  son  roman  :  c'est  la 
révolution.  Ses  héros  ne  sont  pas  seulement  d'amor- 
phes radicaux-socialistes  ni  même  des  socialistes, 
ce  sont  des  syndicalistes,  des  «  Cégétistes  »,  cham- 
bardeurs  et  terrifiants.  Son   roman   s'appelle   la 


6  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Vague  rouge!  C'est  une  œuvre  tumultueuse,  grouil- 
lante, intense,  frénétique,  où  l'auteur  de  Marthe 
Baraquin  peint  non  plus  une  figure  mais  une  foule 
entière  :  ce  n'est  plus  un  portrait,  c'est  un  vaste 
tableau  de  ces  mœurs  révolutionnaires  dont  le 
spectacle  nous  attire  et  nous  épouvante,  —  de 
façon  bien  excessive  d'ailleurs,  car  il  faut  le  prendre 
au  sérieux  et  non  pas  au  tragique.  M.  J.-H.  Rosny 
a  pénétré  ce  spectacle  en  artiste  à  la  vision  perçante, 
il  a  étudié  très  solidement  le  syndicalisme  et  l'anti- 
militarisme,  ces  mouvements  obscurs  et  formida- 
bles qui  bouleversent  l'âme  vague,  l'âme  irrésis- 
tible des  foules.  Il  passe  dans  ce  livre  un  grand 
souffle;  l'auteur  a  su  exprimer  avec  une  puissance 
et  une  sincérité  —  qui  va  parfois  jusqu'à  la  com- 
plaisance —  toutes  les  fièvres  du  prolétariat,  tou- 
tes les  forces  de  la  classe  ouvrière,  enivrée  d'utopie, 
persuadée  qu'elle  va  organiser  sur-le-champ  la  mer- 
veilleuse société  future.  Les  épisodes  dramatiques, 
les  scènes  pittoresques  sont  accumulés  dans  ce 
livre  de  façon  à  défier  l'analyse.  M.  J.-H.  Rosny 
aîné  s'y  révèle  manieur  de  foules  :  il  reste  surtout 
créateur  remarquable  de  figures,  telles  celles  de 
son  héros  François  Rougemont,  superbe  agitateur 
sincère,  et  Christine,  la  jeune  fille  intrépide  qu'il 
aime  éperdument  et  sans  espoir,  et  Deslandes,  son 
frèie,  le  chef  jaune,  irréductible  ennemi  de  Rou- 
gemont; remarquable  aussi  dans  ses  paysages  d'un 
sentiment  si  profond,  ses  dissertations  si  nourries, 
ses  discours  si  véhéments  :  on  retrouve  là  surtout, 


JANVIER   —    LES    ROMANS 


ce  tempérament  original,  nerveux  d'un  artiste, 
d'un  poète  qui  a  le  sens  aigu  de  la  réalité  et  je  ne 
sais  quel  lyrisme  bref  d'une  forme  particulière  qui 
produit  un  effet  puissant. 


HISTOIRE,  LITTÉRATURE,  PHILOSOPHIE, 

DIVERS. 


GÉNÉRAL  DE  PIÉPAPE 

La  Duchesse  du  Maine 
«Reine  de  Sceaux  et  Conspiratrice»  (1676-1753). 

La  Duchesse  du  Maine,  cette  petite-fille  du  grand 
Gondé,  qui  tenta  la  verve  de  Sainte-Beuve  et 
dont  M"^^  Arvède  Barine  nous  donnait  naguère  une 
si  spirituelle  image,  méritait,  certes,  la  longue  et 
consciencieuse  étude  que  lui  a  consacrée  le  général 
de  Piépape.  D'abord,  c'était  une  femme  infiniment 
spirituelle  et  dont  il  était  amusant  au  plus  haut 
degré  de  recueillir  les  traits  ;  et  puis,  cette  princesse 
«  mariée  si  près  du  trône  qu'elle  osa  un  instant  le 
convoiter»  appartient,  par  ses  conspirations,  par 
maintes  aventures  de  sa  vie,  à  la  grande  histoire; 


JANVIER   —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  9 

enfin,  ses  rancunes  et  son  esprit  l'ont  amenée  à 
jouer  un  rôle  tout  à  fait  particulier  dans  l'histoire 
de  la  société  française  :  elle  est  un  précurseur.  Son 
salon,  ce  salon  où  fréquentèrent  et  complotèrent, 
si  j'ose  dire,  le  marquis  de  Pompadour,  le  comte  de 
Laval,  le  duc  de  Richelieu,  Voltaire;  où  se  prépara 
la  conjuration  de  Cellamare,  «  ce  salon  marque  une 
étape  entre  ceux  de  la  cour  du  grand  roi  et  ceux  des 
philosophes,  il  précède  et  annonce  les  cercles  litté- 
raires de  Mine  de  Tencin  et  de  M»^®  Geofîrin»,  et 
la  duchesse  du  Maine,  nous  montre  éloquemment 
«  le  vertige,  l'inconscience  des  sommités  de  la 
noblesse  française,  la  frivolité  des  beaux  esprits  à 
la  mode  ».  Ainsi  s'exprime  le  général  de  Piépape, 
bien  sévère  pour  l'héroïne  à  laquelle  pourtant  il  va 
dans  son  livre  nous  intéresser  si  passionnément. 


GEORGES  DELAHAGHE 
Alsace-Lorraine  :  la  Carte  au  liséré  vert. 

J'ai  éprouvé,  à  hre  ce  livre,  une  émotion  que  je 
voudrais  partagée  par  tous  les  hommes  de  ma  géné- 
ration; j'ai  appris  dans  ces  deux  cents  pages  des 
choses  que  nous  devrions  tous  connaître,  et  que 
nous  ignorons,  hélas  !  presque  tous.  Cette  ignorance 
du  drame  de  1870,  dont  les  conséquences  pèsent 
cependant  d'un  poids  si  lourd  sur  les  Français  de 


10  LE    MOUVEMENT   LITTÉRAIRE 

ce  temps,  je  l'ai  déplorée  bien  des  fois;  il  n'est  pas 
douteux,  quoi  qu'en  pensent  les  théoriciens  du 
bonheur  social 'et  de  la  paix  universelle,  et  sans 
nier  la  noblesse  de  leurs  théories,  il  n'est  pas  dou-' 
teux  que  nous  n'avons  pas  le  droit  d'ignorer,  que 
nous  avons  le  devoir  de  nous  souvenir. 

Les  hommes  qui  parlent  avec  scepticisme  et 
détachement  du  drame  d'il  y  a  quarante  ans  et 
de  ses  conséquences  actuelles  n'ont  qu'une  excuse, 
si  c'en  peut  être  une:  c'est  leur  ignorance.  Lors- 
qu'ils auront  lu  le  livre  de  M.  Delahache,  lorsqu'ils 
l'auront  entendu,  en  toute  simplicité,  avec  une  émo- 
tion qui  ressort  des  faits  plus  que  des  mots,  rap- 
peler «  l'histoire  des  deux  provinces  françaises 
qu'aucun  signe  ne  marquait  pour  la  séparation 
d'avec  la  France;  montrer  ce  qu'était  depuis  long- 
temps à  leur  égard  la  volonté  de  l'Allemagne,  dire 
comment  se  pratiqua  l'opération  douloureuse,  quels 
cas  de  conscience  et  d'intérêt  se  posèrent  pour  les 
diverses  catégories  de  la  population  sacrifiée  ;  com- 
ment l'Allemagne  s'y  prit  pour  coudre  ce  lambeau 
de  France  à  son  empire  reconstitué,  et  pourquoi  la 
suture  est  toujours  visible  »;  lorsqu'ils  auront  écouté 
cette  leçon,  ils  seront  convaincus,  je  pense;  ils  ces- 
seront de  se  disputer  en  de  vaines  controverses  pour 
étabhr  les  responsabilités  françaises  d'un  événe- 
ment qui  fut  prémédité,  calculé,  rendu  inévitable, 
par  la  seule  Allemagne  et  ils  se  diront  que  les  Alle- 
mands d'il  y  a  un  siècle,  les  Allemands  d'Arndt  et 
de  Ruckert  eurent  raison  de  n'être  ni  sceptiques  ni 


JANVIER   —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  11 

ignorants  et  que  peut-être  leur  exemple  serait  bon 
à  suivre... 


CHANOINE  O.-C.  REURE 
La  Vie  et  les  Œuvres  d'Honoré  d'Urfé. 

Dans  une  spirituelle  «  épître  dédicatoire  »  à  Diane 
de  Chasteaumorand,  l'auteur  offre  gentiment  l'hom- 
mage de  son  livre  à  la  gente  dame  Diane,  «  cette 
personne  volontaire,  fantasque,  sujette  à  des  coups 
de  tête»,  qui  fut  la  femme  tour  à  tour  d'Anne  et 
d'Honoré  d'Urfé  ;  cet  hommage,  il  estime  le  lui 
devoir,  car  c'est  en  grande  partie  dans  les  belles 
archives  où  elle  rangeait  avec  tant  de  soin  les  docu- 
ments de  son  histoire,  qu'il  a  pu  en  recueillir  les 
léments  et  parvenir  à  nous  offrir  une  histoire  très 
omplète  et  circonstanciée  de  cet  homme  célèbre  et 
inconnu  qui  fut  l'auteur  de  VAstrée. 

L'œuvre  est  à  jamais  célèbre:  quelque  opinion 
qu'on  puisse  avoir  sur  sa  valeur,  elle  constitue  un 

fait»  d'une  importance  considérable  dans  l'his- 
toire de  notre  littérature,  mais  son  auteur  était 
resté  un  être  falot,  à  demi  perdu  dans  la  légende. 
L"^n  des  pages  prestes,  vivantes,  d'une  forte  et  riche 
documentation  le  chanoine  Reure  le  rend  à  la  réa- 
lité; grâce  à  lui,  «  ce  personnage  n'est  plus  une 
ombre,  on  le  voit  vivre,  et  pour  la  première  fois 
il  apparaît  dans  la  réalité  précise  de  son  existence 


12  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

de  soldat,  d'homme  politique  et  de  gentilhomme». 
Et  c'est  d'un  très  vif  intérêt  anecdotique;  il  y  a  là 
aussi  un  précieux  document  d'histoire  littéraire,  car 
l'auteur  nous  donne  sur  VAstrée  une  foule  de  rensei- 
gnements positifs  grâce  auxquels  bien  des  gens  qui 
parlent  de  VAstrée  sauront  désormais  ce  que  c'est 
—  et  il  termine  son  œuvre  magistrale  par  une 
enquête  sur  l'influence  que  ce  roman  a  exercé  et  sur 
la  bonne  et  la  mauvaise  chance  de  sa  fortune  depuis 
son  apparition  jusqu'à  nos  jours. 


CHARLES  GUIGNEBERT 
L'Evolution  des  Dogmes. 

La  juxtaposition  de  ces  deux  mots  :  évolution  et 
dogme,  est  tout  de  suite  de  nature  à  éveiller  les 
méfiances  des  hommes  attachés  à  leur  religion,  des 
catholiques  en  particulier.  Ces  méfiances  sont  trop 
justifiées,  M.  Gh.  Guignebert  qui,  dès  le  titre  de 
son  livre,  s'y  est  exposé,  les  .a  prévues  ;  il  a  prévu 
l'émotion,  l'indignation  qu'il  pourrait  soulever 
mais  il  trouve  «  ses  raisons  trop  fortes  pour  qu'elles 
puissent  s'arrêter  au  scrupule  de  scandaliser  d'hon- 
nêtes gens  en  choquant  leurs  très  respectables  con- 
victions »,  et  vous  allez  voir  s'il  risque  de  les  scan- 
daliser, par  ce  simple  extrait  de  sa  préface  :  «  Dans 
les  pages  qui  suivent,  dit-il,  je  me  propose  d'établir 


JANVIER   —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  13 

(p'un  dogme  est  un  organisme  vivant,  qu'il  naît, 
se  développe,  se  transforme,  vieillit  et  meurt;  que 
la  vie  l'entraîne,  sans  qu'il  puisse  jamais  s'arrêter, 
qu'elle  le  fuit,  quand  le  nombre  de  ses  jours  est 
rempli,  sans  qu'il  puisse  la  retenir.  » 

Avec  un  tel  point  de  départ  on  se  rend  compte 
que  les  catholiques  ne  risquent  pas  d'être  touchés 
par  les  raisonnements  de  M.  Guignebert;  leur  foi 
leur  interdira  d'entrer  dans  la  discussion  et  il  ne 
lui  restera  sans  doute  qu'un  public  conquis  d'avance 
pour  écouter  sa  conclusion  :  «  Qu'un  dogme  con- 
sidéré du  point  de  vue  historique  se  présente  tou- 
jours non  comme  un  fait  divinement  révélé  à 
l'ignorance  de  l'homme,  mais  bien  comme  une  com- 
binaison laborieuse  et  toujours  changeante  d'une 
collectivité  humaine;  c'est  avant  tout  un  phéno- 
mène social  et  il  accumule  durant  son  existence  le 
travail  de  la  foi,  souvent  très  actif,  d'un  grand 
nombre  de  générations.» 


Mlle  BLANCHE  DE  FLEURIGNY 
Guignols  Parisiens. 

if  Bien  vite,  maintenant,  soyons  gais,  tout  au 
moins  souriants,  et  allons  voir  ces  Guignols  pari- 
siens dont  Mlle  Blanche  de  Fleurigny  manœuvre 
gentiment  les  ficelles.  Ce  sont  de  légères  et  prestes 

91 


14  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

chroniques  nées  au  hasard  de  l'actualité  ou  de  la 
saison  et  que  M^i^  Blanche  de  Fleurigny,  audacieuse, 
n'a  pas  craint  de  réunir  en  volume;  elle  n'a  pas 
eu  tort:  ses  Guignols  parisiens  se  tirent  agréable- 
ment de  cette  redoutable  épreuve  et  nous  décou- 
vrons, dans  tels  de  ces  tableautins,  de  jolies  qua- 
lités d'observation  psychologique,  «  micro -psycho- 
logique »,  dirait  notre  amie  Sonia  :  «  la  femme  qui  ne 
sait  pas  mentir  »,  «  les  vieilles  »,  «  les  sourires  d'étren- 
nes»,  m'ont  semblé  à  cet  égard  particulièrement 
réussis. 

J'en  voudrais  nommer  d'autres,  mais  ils  sont 
trop;  la  verve  de  M^^^  de  Fleurigny  s'exerce  sur 
les  mille  et  un  petits  événements  qui  marquent 
une  année  parisienne,  elle  franchit  même  les  forti- 
fications et  s'en  va  jusque  sous  bois,  en  face  de  la 
belle  nature,  et,  bien  avant  Rostand,  fait  converser 
devant  nous  la  caille,  le  lapin,  le  faisan  et  le  cerf,  et 
ses  bêtes  ont  de  l'esprit,  autant  que  ses  person- 
nages. 


MÉMENTO  DU  MOIS  DE  JANVIER 


ROMANS 

Clermont  (Emile).  —  Amour  promis.    > 
Doucet  (Jérôme).  —  La  fille  de  Manon. 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JANVIER  15 

I^e  Queux  (William).  —  La  Dame  en  bleu.  Roman  traduit 

de  l'anglais  par  M.  Armand  Le  Gay. 
Mauprat  (Henri).  —  Fulbert  Fulgence,  V anticlérical.  «  Joie 

d'Automne.  —  Romancier  et  Chef  de  Bureau.-» 
Roland  (Marcel).  —  Le  Presqu' homme,  «  roman  des  temps 

futurs  ». 


HISTOIRE  —  LITTÉRATURE 
THÉÂTRE  —  POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Andrillon  (Henri).  —  L'Expansion  de  ^Allemagne  et  la 
France. 

Arschot  (Comte  d').  —  Quelques  Vers,  d'une  séduisante 
harmonie. 

Auge-Chiquet  (Mathieu).  —  Les  Amours  de  Jean-Antoine 
de  Baïf  (Amours  de  Méline),  édition  critique. 

Bergerat  (Emile).  —  Ballades  et  Sonnets,  des  vers  qui 'sont 
souvent  d'un  délicieux  poète,  étincelant  jongleur  de 
rimes,  et  parfois  d'un  grand  poète  :  les  Ballades  pour 
François  Villon,  la  Ballade  à  la  gloire  de  Catulle 
Mendès,  la  Courteline-ballade,  le  Petit  sonnet  du 
jeu  de  la  vie  —  mais  si  je  commence  à  vouloir  citer 
des  titres,  je  les  énumérerai  tous  —  sont  des  choses 
exquises  :  le  poète  nous  dit,  dans  son  «  sonnet  préli- 
minaire »  : 

Un  intérêt  du  moins  de  ces  vers  se  dégage. 
J'en  ai  volé  la  joie  à  mes  tâches  du  jour. 

C'est  un  bon  voleur  !  Car  cette  joie  dérobée,  il 
nous  la  distribue  à  nous,  lecteurs,  avec  une  truculente 
et  magnifique  générosité. 
Bourgeois  (Léon).  —  Pour  la  Société  des  nations.  Quoi  qu'il 
puisse  sembler,  l'éminent  homme  d'État  ne  défend 
pas  dans  ce  beau  livre  les  rêveurs  de  la  paix,  il  est 
pour  les  «  hommes  d'action  de  la  paix»  et  dans  la 
société  des  nations  qu'il  veut  fonder,  loin  de  convier 


16  LE    MOUVEMENT   LITTÉRAIRE 

« 

les  peuples  à  une  résignation  inerte,  il  prétend  «  les 
grandir,  les  ennoblir,  les  exalter  en  définissant  entre 
eux  les  droits  égaux  et  les  devoirs  réciproques  ;  créer 
pour  eux  la  plus  haute  des  indépendances,  celle  qui 
ne  connaît  qu'une  loi  commune,  celle  de  la  conscience 
commune  et  fonder  sur  la  seule  justice  la  seule  paix 
qui  soit  assurée». 

Chuquet  (Arthur).  —  Épisodes  et  Portraits  (2^  série),  des 
pages  vivantes  et  documentées,  où  l'auteur  évoque 
tour  à  tour  :  Joséphine  et  Berthier,  Frédéric  II, 
le  Général  Legrand,  Primi  Visconti,  Grabovski, 
etc.. 

Claretie  (Jules),  -r  La  Vie  à  Paris,  la  treizième  série  de 
ces  brillantes  et  alertes  chroniques  :  un  volume  tout 
rempli  de  souvenirs  pittoresques  évoqués  avec  une 
philosophie  indulgente,  une  souriante  malice,  qu'on 
relit  avec  un  plaisir  très  délicat,  un  peu  mélancolique, 
en  songeant  que  toutes  ces  histoires  parisiennes  évo- 
quées sont  d'hier  à  peine  et  que  déjà  elles  appartien- 
nent au  passé  et  qu'elles  constituent  de  l'histoire. 

Drouhet  (Charles).  —  Le  Poète  François  Mainard  (1583- 
1646),  un  bel  et  sohde  ouvrage  d'étude  critique 
d'histoire  httéraire. 

Dupuy  (Emile).  —  Américains  et  Barbaresques  (1776-1824)  : 
«  Études  d'Histoire  d'Amérique.»  En  choisissant  ce 
sujet  M.  Emile  Dupuy  a  eu,  selon  M.  Arthur  Chuquet 
qui  préface  l'ouvrage,  la  main  heureuse.  «  Il  retrace, 
nous  dit  M.  Chuquet,  un  épisode  de  l'histoire  des 
États-Unis,  et  un  épisode  aussi  remarquable  qu'i- 
gnoré, fort  attachant,  plein  de  péripéties  drama- 
tiques. Il  nous  montre  les  Américains  aux  prises 
avec  les  pirates  barbaresques,  et  il  les  montre  agis- 
sant, dès  ce  moment,  presque  dès  le  début  de  leur 
existence  politique,  comme  ils  agirent  par  la  suite; 
d'abord  la  diplomatie  et  les  procédés  à  l'amiable, 
puis  le  langage  ferme,  résolu  et  menaçant;  enfin,  les 
moyens  énergiques,  la  force,  la  violence  faisant  ce 
que  n'a  pu  faire  la  douceur.  »  Ce  très  intéressant  sujet, 
M.  Emile  Dupuy  l'a  traité  avec  beaucoup  de  savoir, 
de  conscience  et  de  verve. 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JANVIER  17 

État-Major  de  l'Armée  (Section  Historique  de  1').  — 
U Investissement  de  Paris. 

Gennepp  (A.  Van).  —  La  Formation  des  Légendes,  un  bien 
attrayant  volume  paru  dans  la  «  Bibliothèque  de 
Philosophie  Scientifique».  C'est,  dans  une  ordon- 
nance très  heureusement  philosophique,  l'étude  du 
conte,  de  la  fable,  de  la  légende  et  du  mythe,  l'examen 
du  thème  des  légendes,  leur  division  en  légendes 
relatives  au  monde  naturel,  au  monde  surnaturel,  en 
légendes  historiques,  et  c'est  enfin,  les  légendes  dans 
la  littérature  et  la  formation  et  la  transmission  des 
légendes.  C'est  d'un  très  vif  intérêt  pour  l'histoire 
et  la  compréhension  du  travail  littéraire  des  écrivains 
de  tous  les  temps,  qui  ont  puisé  dans  les  fonds  popu- 
laires leurs  matériaux  pour  ensuite  les  transformer 
en  des  œuvres  fameuses. 

Guillaume  (G.).  —  Souvenirs  d'un  franc-tireur  pendant  le 
siège  de  Paris,  par  un  volontaire  suisse. 

Guitry  (Sacha).  —  Correspondance  de  Paul  Roulier- Davenel. 
Que  de  rosserie,  mon  Dieu  !  dans  ces  pages  —  et 
dans  ces  croquis,  car  Sacha  Guitry  ne  se  contente 
pas  de  mettre  les  points  sur  les  i,  il  met  les  figures  sur 
les  noms.  Avouons  que  c'est  bien  amusant,  et  puis  le 
livre  est  édité  avec  un  art  et  un  luxe  admirables. 

Hartmann  (Lieutenant-colonel  L.).  —  Les  Officiers  de 
V Armée  royale  et  la  Révolution. 

Klein  (Abbé  Félix).  —  L'Amérique  de  Demain,  des  pages 
alertes  et  vivantes  où  l'auteur  nous  donne  le  résultat 
d'une  longue  enquête  faite  sur  place  et  qui  lui  a  permis 
de  recueillir  les  renseignements  les  plus  curieux  et 
parfois  les  plus  imprévus.  «  En  parcourant  les  États- 
Unis  de  long  en  large,  nous  dit-il,  et  c'est  long  !  et 
c'est  large  !  j'ai  voulu  me  renseigner  autant  qu'il  était 
possible  sur  les  questions,  fussent-elles  insolubles,  qui 
se  posent  actuellement  pour  les  Américains  eux- 
mêmes,  touchant  l'avenir  immédiat  de  leur  pays.  »  Le 
livre  et  la  leçon  qui  s'en  dégagent,  il  les  dédie  à  de  tout 
jeunes  amis  avec  l'espoir  qu'ils  se  «  montreront  dans 
un  esprit  d'optimisme,  d'énergie  et  de  liberté,  bons  ser- 
viteurs delà  France  de  demain  et  du  Christ  éternel». 

2. 


18  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Kretschman  (Hans  de).  —  Lettres  écrites  au  cours  de  la 
Guerre  de  1870-1891,  des  pages  dues  à  la  plume  d'un 
ex-général  d'infanterie,  publiées  par  Lilly  Braun,  née 
de  Kretschman,  traduites  de  l'allemand  par  le  Comte 
Albert  Latreille. 

Legrand-Girarde  (Général).  —  Turenne  en  Alsace  (Cam- 
pagne de  1674  à  1675). 

Le  Moy  (A.).  —  Le  Parlement  de  Bretagne  et  le  Pouvoir 
royal  au  xviii^  siècle,  un  austère  et  imposant  ouvrage. 

Lovinesco  (Eugène).  —  J.-J.  Weiss  et  son  œuvre  littéraire, 
un  intéressant  volume  où,  selon  M.  Emile  Faguet  qui 
a  préfacé  l'ouvrage,  l'auteur  «  a  tracé  le  portrait  de  cet 
homme  captivant  et  abondant  en  surprises  intéres- 
santes, avec  la  dihgence  et  la  sympathie  d'un  explo- 
rateur avisé,  qui  serait  amoureux  du  pays  parcouru 
et  qui  lui  serait  reconnaissant  d'être  tant  plein  de 
difTicultés...» 

Maugey  (Irénée).  —  L'Impératrice  Eugénie. 

May  (Gaston).  —  Le  Traité  de  Francfort,  une  étude  d'his- 
toire diplomatique  et  de  droit  international. 

Musset  (Alfred  de).  —  La  Confession  d'un  enfant  du  siècle, 
une  excellente  édition  parue  dans  la  collection  des 
«  Meilleurs  Auteurs  classiques  français  et  étrangers  » 
et  publiée  pendant  que  paraissent  ces  admirables 
lettres  adressées  par  le  poète  à  Aimée  d'Alton, 
«  L'inconnue»  dont  cette  confession  était  le  roman 
préféré. 

Romilly  (Edouard).  —  Rêves  et  Réalités,  des  vers  d'une 
heureuse  et  noble  inspiration  où  se  retrouvent  les 
quahtés  louées  par  M.  Emile  Faguet  à  l'apparition 
du  précédent  recueil  :  Vers  V Effort  :  «  l'élévation,  la 
grandeur  de  l'inspiration  et  la  beauté  sobre  et  sévère 
de  la  forme.» 

Tinayre  (Marcelle).  —  Notes  dune  voyageuse  en  Turquie. 
Cette  voyageuse  est,  on  le  sait,  un  écrivain  d'une  très 
grande  valeur  ;  elle  a  eu,  en  outre,  la  rare  fortune  de 
vivre  une  dramatique  page  d'histoire  :  elle  séjourna 
à  Constantinople  en  pleine  révolution,  ainsi,  ses  notes 
de  voyage  deviennent  un  très  beau  et  très  vivant 
document  historique  où,  en  des  pages  colorées  et 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JANVIER  19 

vibrantes,  sont  évoqués  des  jours  de  bataille  et  de 
révolution,  où  passent  croqués  en  des  traits  pitto- 
resques, des  choses  et  des  gens  de  province,  la  vie  au 
harem,  cette  existence  étrange  dont  elle  put  pénétrer 
le  mystère... 

Tripot  (D'^  J.).  —  Au  pays  de  Vor,  des  forçats  et  des  Peaux- 
Rouges,  un  volume,  illustré  de  nombreuses  images, 
où  l'auteur  évoque  «  la  Guyane»  :  «  C'est,  nous  dit-il, 
la  description  d'un  voyage  parmi  les  antiques  Ca- 
raïbes, le  récit  d'événements  où  je  fus  mêlé,  et  l'énoncé 
d'impressions  essentiellement  personnelles  que  j'ai 
consignées  avec  toute  la  sincérité  possible,  heureux, 
si  après  avoir  parcouru  ces  feuillets,  le  voyageur  que 
les  hasards  de  son  existence  porteront  au  pays  de 
l'or,  des  forçats  et  des  Peaux-Rouges  s'y  peut  com- 
porter, à  l'arrivée,  non  en  dépaysé  qui  ignore  et  s'in- 
quiète, mais  en  initié  qui,  dès  le  premier  pas,  se  sentira 
en  terrain  déjà  pressenti  et  entrevu. 

Wyzewa  (Téodor  de).  —  Excentriques  et  Aventuriers  de 
divers  pays.  —  Essais  biographiques  d'après  des  docu- 
ments nouveaux  où  M.  Téodor  de  Wyzewa  fait 
revivre  «  trois  figures  de  voyageurs  de  la  Renais- 
sance, un  groupe  d'acteurs  ou  témoins  de  la  Révolu- 
tion et  du  premier  Empire,  quelques  silhouettes  de 
mauvais  compagnons  et  des  originaux  de  toute  condi- 
tion». Et  c'est,  tour  à  tour,  évoqués  en  des  pages 
vivantes,  alertes  ou  terribles,  Gaspard  Hauser,  le 
prince  Clovis  de  Hohenlohe,  Jean-Gaspard  Lavater  et 
les  précepteurs  du  roi  de  Rome,  une  dame  d'atours  de. 
la  princesse  de  Lamballe,  que  sais-je  encore  !... 


FEVRIER 


LES   ROMANS 


PAUL  ADAM 
Le  Trust. 

Ce  roman  est  une  œuvre  énorme,  si  imposante 
qu'elle  nous  inspire,  tout  d'abord,  je  ne  sais  quelle 
crainte  respectueuse.  Au  moment  de  pénétrer  dans 
ce  monument  aux  proportions  colossales,  aux  lignes 
majestueuses,  nous  hésitons,  un  peu  intimidés. 
Vrai,  ce  livre  n'a  rien  des  romans  auxquels  nous 
sommes  habitués  :  gentilles  histoires  dont  la  séduc- 
tion est  immédiate  et  que  nous  dégustons  tout  de 
suite,  sans  effort.  Le  Trust  n'est  point  d'une  grâce 
si  facile,  il  ne  se  donne  point  si  aisément  :  sa  con- 
quête nous  coûtera  quelque  effort  et  quelque  peine. 

Ne  marchandons  point  cet  effort  :  d'abord,  nous 


FÉVRIER   LES    ROMANS  21 

a  serons  royalement  récompensés,  et  puis  nous  le 
devons  bien  au  noble  écrivain  qui  a  consacré  un 
labeur  si  opiniâtre  et  si  admirable  à  réaliser  une 
conception  née  dans  son  cerveau,  il  y  a  déjà  tant 
d'années.  Songez,  en  effet,  que  M.  Paul  Adam  pen- 
lit  à  ce  roman  en  1904,  quand  il  me  parlait  «  de 
oumettre  aux  lecteurs  français  une  sorte  de  roman 
ausité,  en  choisissant  pour  thème  la  rencontre  d'un 
milieu  et  d'une  idée,  d'un  peuple  et  d'un  sentiment 
au  lieu  d'élire  pour  sujet  la  rencontre  de  deux  ou 
trois  héros  en  passion»;  il  y  travaillait  même,  car 
il  ajoutait  :  «  J'achèverai,  sans  doute,  alors  mon 
roman  sur  la  psychologie  d'un  trust,  synthèse  de 
caractères  à  laquelle  je  travaille  depuis  cinq  ans.  » 
L'œuvre  que  nous  avons  sous  les  yeux  représente 
donc  dix  années  de  travail,  de  recherches,  de  pensée. 
Avais-je  tort  de  dire  que  l'écrivain  capable  d'un  si 
généreux  effort  est  en  droit  de  demander  à  son  lec- 
teur un  peu  d'application  et  de  persévérance? 

L'œuvre,  une  fois  qu'on  l'a  comprise  et  pénétrée, 
wne  fois  qu'on  s'est  emparé  de  sa  beauté  et  de  sa 
I  Mjnsée  profonde,  est  splendide  ;  on  a,  après  l'avoir 
lue,  la  tête  toute  bourdonnante  d'idées,  les  yeux 
éblouis  d'images;  on  a  surtout  l'impression  que  le 
lemps  et  l'effort  consacrés  à  cette  lecture  ne  furent 
pas  vains,  que  l'on  n'a  pas  seulement  éprouvé  un 
laisir,  si  noble  qu'il  soit,  mais  qu'on  a  fait  un  pro- 
-lès,  qu'on  a  appris  quelque  chose,  qu'on  a  pénétré 
un  peu  plus  avant  dans  la  compréhension  de  l'hu- 
manité moderne,  de  son  colossal  effort. 


22  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Et  je  n'essayerai  pas  maintenant  de  vous  dire 
ce  qu'il  y  a  dans  ce  roman;  une  telle  œuvre  défie 
l'analyse,  et  pour  exprimer,  pour  rendre  sensible  en 
quelques  lignes  ce  monde  de  mots,  d'idées  et 
d'images,  il  faudrait  être  Paul  Adam  lui-même, 
avec  une  invraisemblable  puissance  de  synthèse 
et  de  concision.  Comment  songer,  en  effet,  à  évo- 
quer ici  cette  épopée  d'une  élite  que  sa  passion 
créatrice  amène  en  contact  avec  quatre  foules,  aux 
extrémités  de  la  terre,  de  Cuba  à  New-York,  et  en 
Russie,  pour  aboutir  à  la  vieille  Egypte  où  des 
«  Pharaons  avaient  creusé,  selon  le  témoignage  des 
hiéroglyphes,  un  lit  pour  la  crue  du  Nil,  3.500  ans 
avant  l'initiative  de  l'Electric  Standard»,  tant  il 
est  vrai  que  l'histoire  est  un  éternel  recommence- 
ment, que  le  Pharaon  d'il  y  a  trente-cinq  siècles  et 
le  génial  trusteur  d'aujourd'hui  «  ne  sont  que  deux 
gestes  brefs  du  même  espoir  confus,  et  qui  souffre  à 
travers  les  temps  »;  que  l'unique  «  visage  des  vérités 
sourit  de  toutes  les  faiblesses  momentanées,  de 
toutes  les  forces  provisoires,  de  tous  les  dieux  péri- 
més, de  tous  les  soleils  futurs,  de  tout  Gela  qui  est 
apparemment  inutile  ».  Conclusion  mélancolique 
et  relative  d'un  admirable  poème  de  l'effort  et  de 
l'absolu... 


FEVRIER    —    LES    ROMANS 

COLETTE  Y VER 
Les  Dames  du  Palais. 

M"^*^  Colette  Yver,  qui  est  aujourd'hui  un  écri- 
vain célèbre,  n'aimje  décidément  pas  les  carrières 
libérales  pour  les  femmes...  pour  les  autres,  sans 

loute.  Vous  n'avez  pas  oublié  ses  Princesses  de 
science  où  elle  a  prétendu  établir,  à  la  faveur  d'une 
très  attachante  histoire,  qu'une  femme  ne  saurait 

tre,  à  la  fois,  médecin  et  épouse.  Maintenant,  c'est 
aux  avocates  qu'elle  s'en  prend;  vous  verrez  que 
toutes  les  carrières  y  passeront,  et  j'attends  avec 
curiosité  le  livre  où  cette  femme  de  lettres  dénon- 
cera la  profession  d'écrivain. 

Pour  aujourd'hui,  ce  sont  donc  les  Dames  du 
Palais  que  Mi»e  Colette  Yver  évoque  à  nos  yeux.  Ce 
roman  présente  avec  le  précédent  une  frappante 
analogie,  analogie  voulue  sans  doute  :  en  faisant 
vivre  au  couple  d'avocats,  M.  et  M^^^  Vélines,  une 

iventure  presque  semblable  à  celle  du  ménage  de 
médecins  de  Princesses  de  science^  M"^®  Colette  Yver 
a  prétendu  établir  que  les  dangers  étaient  les  mê- 
mes à  la  salle  des  Pas -Perdus  et  à  l'amphithéâtre. 
Les  milieux  peuvent  être  différents,  les  héros  peu- 
vent changer  de  nom,  de  costume  et  de  caractère  : 
la  préoccupation  professionnelle  produit  le  même 

lïet  dissolvant  sur  l'amour  conjugal,  sui  le  foyer, 

ir  la  famille,  et  le  même  dénouement  s'impose  à  la 


24  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

femme,  même  supérieure,  même  géniale,  qui  veut 
garder  l'amour  de  son  mari  et  confrère,  et  défendre 
son  bonheur  :  et  ce  dénouement,  c'est  la  retraite. 
Cette  analogie  symbolique  n'entraîne  d'ailleurs 
nulle  monotonie,  car  M»^®  Colette  Yver,  romancier 
fort  habile,  et  qui  sait  à  merveille  ménager  ses 
effets,  est,  en  outre,  un  écrivain  d'une  rare  cons^ 
cience;  elle  étudie  avec  minutie  les  milieux  où 
évoluent  ses  héros;  et,  comme  elle  a  au  plus  haut 
degré  le  don  de  l'observation  et  de  la  vie,  les  ta- 
bleaux qu'elle  nous  offre  sont  d'une  vérité  et  d'un 
mouvement  surprenants.  Et  c'est  ainsi  que  son 
nouveau  roman  avec  son  évocation  si  vivante,  et 
qu'on  sent  si  vraie,  de  ce  monde  pittoresque  du 
Palais  de  justice  :  magistrats,  avocats,  avocates  et 
chents,  intéressera  très  vivement  cçux-là  même 
qui  seraient  tentés  de  s'irriter  contre  les  théories 
antiféministes  de  cette  femme  de  lettres. 


CHARLES  DE  POMAIROLS 
Ascension. 

M.  Charles  de  Pomairols,  dont  les  délicats  appré- 
cient l'œuvre  poétique  d'une  haute  et  noble  inspi- 
ration nous  a  offert,  avec  Ascension,  son  premier 
roman.  Ce  début  d'un  écrivain,  qui  a  derrière  lui 
une  carrière  déjà  longue,  ne  nous  apporte  aucune 


FEVRIER    LES    ROMANS  25 

surprise  :  le  romancier,  en  M.  de  Pomairols,  est  tout 
semblable  au  poète.  Très  lamartinien,  animé  d'une 
foi  ardente,  il  exalte,  dans  sa  prose  harmonieuse  et 
unie  comme  un  lac,  les  sentiments  de  bonté,  de 
générosité,  d'amour  idéal,  les  traditions  de  la  fa- 
mille, des  ancêtres  et  du  sol,  qu'il  chante  dans  ses 
vers.  La  confession  du  héros  Destève,  professeur 
de  littérature  à  l'université  de  Toulouse,  à  son  ami 
Cadars,  est  l'histoire  la  plus  simple  et  la  plus  édi- 
fiante qui  soit.  Destève  garde  le  souvenir  attendri 
et  respectueux  de  la  maison  natale,  du  paysage, 
des  bois  et  des  champs,  sur  lesquels  il  ouvrit  les 
yeux;  il  se  rappelle  avec  ferveur  son  éveil  à  la  vie  , 
contemplative,  sa  première  rêverie  et  sa  première 
prière  ;  son  adolescence  calme  et  pure  dans  le  culte 
du  Seigneur;  son  amour  d'une  liliale  blancheur 
pour  Thérèse  Issalys,  jeune  fille  candide  et  tendre, 
qu'il  épouse  et  auprès  de  laquelle  il  passe  deux 
années  de  bonheur.  Un  enfant  naît  de  cette  union, 
la  petite  Lucile,  mais  hélas  !  l'épouse  meurt  en  lui 
donnant  le  jour,  et  le  père,  seul,  dès  lors,  surveil- 
lera r  «  ascension  »  de  cette  petite  âme  vers  Dieu, 
-ans  se  laisser  détourner  par  les  tentations  du 
monde,  ni  par  la  beauté  de  M^^^  Satran. 

Ici  se  termine  la  première  partie  du  livre,  la  con- 
fession de  Destève  résumée  en  ces  mots  :  «  Une 
naissance  rurale,  un  vif  attachement  à  la  terre 
natale,  un  enthousiaste  culte  de  la  gi andeur 
humaine,  un  noble  amour  trop  bref,  hélas  !  et  main- 
tenant une  profonde  tendresse  paternelle.  » 


26  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Dans  la  seconde  partie,  c'est  l'enfance  de  Lucile, 
sa  pure  adolescence  auprès  d'un  père  qui  l'adore, 
sa  vocation  irrésistible  vers  le  couvent  du  Sacré- 
Cœur  de  Toulouse.  Mais,  hélas  !  des  lois  impies  chas- 
sent la  congrégation  et  Lucile  suit  sa  maison  au 
Brésil.  Son  père  fera  comme  elle  malgré  son  atta- 
chement au  sol  :  il  ira  s'installer  auprès  d'elle,  à 
Gaïba.  «  Il  aimait  sa  terre  mais  il  préfère  son  enfant, 
il  doit  pour  l'aider  dans  son  ascension,  tout  faire, 
tout  subir,  rompre,  puisqu'il  le  faut,  des  liens  qui 
lui  étaient  profondément  chers.  » 


LUCIE  DELARUE-MARDRUS 
L'Acharnée. 

Lorsque  M^^^^  Lucie  Delarue-Mardrus  pubha  les 
beaux  vers  de  Ferveur  et  des  Horizons^  nous  saluâ- 
mes en  elle  l'espoir,  la  certitude  d'un  très  beau 
poète.  Mais  bientôt  M"^^  Lucie  Delarue-Mardrus 
abandonna  la  poésie  pour  le  roman;  elle  l'aban- 
donna complètement  —  les  femmes  ne  font  rien  à 
demi  —  elle  délaissa  toutes  les  brillantes  images, 
toutes  les  nobles  imaginations  et  ne  voulut  confier 
à  sa  prose  que  l'expression  d'étranges  et  pénibles 
réalités. 

C'est  dommage!  Ses  romans,  pleins  de  talent 
d'ailleurs,    laissent   toujours   une    impression   de 


Lh.S     ROM  A. N  S 


malaise,  et  Ton  a  après  les  brutalités  de  Marie^ 
fille-mère^  comme  après  les  étrangetés  des  Six 
petites  filles^  l'idée  qu'on  vient  de  fréquenter  des 
gens  malsains,  de  côtoyer  des  choses  inquiétantes. 
Ce  n'est  pas  r Acharnée,  qui  modifiera  cette  impres- 
sion !  Le  héros  de  l'aventure  s'appelle  Sheridan 
Saintange...  Sheridan!  —  Sa  mère  lui  a  donné  ce 
prénom  singulier  «  par  admiration  pour  Richard- 
Brinsley  Sheridan,  auteur  du  xviiie  siècle,  dont 
les  comédies  montrent  des  femmes  qui,  à  force 
de  mauvais  caractère,  font  souffrir  leurs  maris, 
horriblement  ».  Ce  simple  détail  vous  démontre  que 
la  maman  est  assez  gentille  !  Mais  que  dirai-je  du 
père,  acharné  à  proclamer  la  dégénérescence  de  sa 
race;  du  grand-père  mort  centenaire  après  avoir 
commis  quelques  crimes,  et  de  la  grand-mère 
démente  qui  erre  dans  les  allées  du  parc.  Le  jeune 
Sheridan  est  digne  du  milieu;  cet  adolescent  beau 
comme  un  dieu,  doué  admirablement  pour  la 
musique,  est  un  détraqué.  Et  s'étant  épris  éperdu- 
ment,  à  l'âge  de  seize  ans,  d'Irène  de  Clairvilliers, 
alors  dans  tout  l'éclat  de  sa  beauté  et  de  ses  triom- 
phes, il  ne  lui  pardonnera  jamais  de  n'avoir  pas 
compris  son  amour  et  de  s'être  laissé  aimer  par 
d'autres  que  par  lui. 

Et  lorsque  des  années  auront  passé,  lorsque  Irène 
fanée  et  vieillie,  acharnée  après  la  jeunesse  et 
l'amour  qui  fuient,  aimera  à  son  tour  Sheridan 
devenu  célèbre,  ce  beau  musicien  se  vengera  cruel- 
lement en  la  torturant,  en  l'humiliant,  en  l'insul- 


28  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

tant.  Il  faut  qu'Irène  meure  dans  un  drame  de  fait 
divers  pour  qu'il  retrouve  sa  passion  d'autrefois 
et  qu'il  reconnaisse,  en  cette  figure  de  femme,  l'image 
de  son  inspiration.  Ainsi  l'aventure  de  ce  jeune 
goujat  et  de  cette  vieille  femme  amoureuse  acquiert 
la  noble  signification  d'un  symbole. 


TOUGAS-MASSILLON 
Les  Attaquenrs. 

C'est  encore  de  fâcheuses  réalités  que  nous  entre- 
tient le  roman  de  M.  Toucas-Massillon.  «  Atta- 
quenrs »,  je  n'aime  pas  beaucoup  ce  mot  qui  man- 
que d'euphonie  et  de  précision.  Mais  le  roman  de 
M.  Toucas-Massillon  nous  fixe  bien  vite  sur  son 
sens  :  les  attaqueurs,  ce  sont  les  hommes  de  proie, 
les  arrivistes  féroces  qui  veulent  à  tout  prix  con- 
quérir l'argent,  le  luxe,  la  joie  de  vivre,  sur  les 
attaqués,  leurs  dupes  et  leurs  victimes. 

La  lutte  n'est  pas  nouvelle,  elle  durera  autant 
que  le  monde  :  les  épisodes  en  resteront  toujours 
poignants  pour  les  spectateurs  qui,  bon  gré  mal 
gré,  sont  presque  toujours  forcés  d'être  aussi  des 
acteurs.  M.  Toucas-Massillon  a  exprimé  avec  beau- 
coup de  puissance  l'âpreté  de  cette  lutte,  l'inquié- 
tude, l'angoisse  des  combattants  qui  se  ruent  à 
l'assaut,  frénétiquement,  jusqu'au  jour  où  la  vie- 


FÉVRIER   —    LES    «.OMANS  29 

toire  reste  à  celui  qui  fut  plus  habile,  plus  heureux 
que  les  autres  et  qui  bénéficie  de  tous  les  crimes 
accumulés.  Ce  vainqueur  trouble,  le  docteur  Da- 
niel Simonnet,  l'auteur  nous  en  a  restitué  la  figure 
en  des  traits  si  expressifs,  si  précis,  que  nous  som- 
mes tentés  de  le  reconnaître,  comme  aussi  les  au- 
tres athlètes  de  ce  combat  sans  merci  et  sans  gloire  : 
le  richissime  Seliegman,  et  le  bookmaker  Magrand, 
et  Vandewelde,  le  puissant  directeur  de  cercles.  Le 
roman  est  très  intéressant,  très  solidement  char- 
penté, écrit  dans  un  style  simple,  familier,  qui  ne  se 
soucie  pas  d'élégance  —  parfois  pas  assez. 


TANCRÈDE  MARTEL 
Rien  contre  la  Patrie. 

M.  Tancrède  Martel,  poursuivant  la  série  de  ses 
romanesques  évocations  d'histoire  et  de  légende 
qu'il  dédie  inlassablement  «  à  la  mémoire  de  Gus- 
tave Flaubert)),  publie  un  roman  dont  le  cadre  est, 
tour  à  tour,  la  Venise  des  doges,  Ferrare  et  Elkébi- 
rah,  la  fastueuse  capitale  d'un  mystérieux  royaume 
<lii  désert.  C'est  une  étonnante  histoire  d'amour  et 
d'aventures,  celle  du  jeune  et  brun  patricien  San- 
dro  Cardelini  qui,  un  beau  jour  du  printemps  de 
l'an  1465,  sous  le  dogat  de  Christoforo  Moro,  enleva 
In  blonde  Laura  Bicigallo,  fille  unique  d'un  sétui- 


30  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

teur  et  la  plus  belle  personne  de  la  noblesse.  Il  ris- 
quait gros,  car  les  mœurs  n'étaient  point  douces  à 
Venise  :  le  Conseil  des  Dix,  le  Grand  Inquisiteur  ne 
badinaient  point  avec  ces  sortes  d'affaires;  mais  il 
y  a  un  dieu  pour  les  amoureux  :  le  beau  couple 
put  gagner  sans  encombre  Ferrare  et  mena  joyeuse 
vie  jusqu'à  ce  que  les  ressources  emportées  fussent 
complètement  épuisées. 

Alors,  Gardelini  résolut  de  tenter  la  fortune  :  il 
s'en  alla  au  loin,  vers  la  Palestine,  puis  dans  les 
déserts  d'Afrique,  et  après  des  aventures  auprès 
desquelles  celles  de  Sigurd,  à  la  poursuite  de  Bru- 
nehilde,  ne  sont  que  jeux  d'enfant,  il  pénétra  victo- 
rieux dans  Elkébirah  et  fut  salué  roi  de  Bazican  et 
époux  de  la  princesse  Hourida,  fille  du  roi.  Auprès 
d'elle,  au  milieu  des  trésors  amoncelés  dans  son 
palais,  il  oublia  quelque  temps  la  douce  épouse  lais- 
sée à  Ferrare,  mais  le  mal  du  pays  le  prit,  il  retra- 
versa les  mers  et  courut  chercher  la  blonde  Laura 
qu'il  ramena  triomphalement  dans  son  royaume.  La 
pauvre  Hourida  ne  put  supporter  ce  coup  du  sort 
et  se  poignarda. 

Alors,  libre  de  tout  souci  et  sans  remords,  San- 
dro  ayant  épuisé  les  plaisirs  de  la  royauté,  abdi- 
que et  retourne  comblé  de  richesses,  de  pierreries, 
de  jdyaux,  à  Ferrare  où  il  coule  des  jours  heureux  en 
compagnie  de  sa  femme.  Ainsi  finit  très  bien  cette 
histoire  d'amour  et  de  combats  qui  a  toutes  les 
séductions  et  tout  l'agrément  d'un  conte  de  fées 
dont  les  héros,  fort  bien  campés  par  M.  Tancrède 


FÉVRIER    LES    ROMANS  31 

Martel,  sont  très  humains  et  revêtus  des  costumes 
les  plus  pittoresques  et  les  plus  exacts. 


FÉLIX  DUQUESNEL 
A  la  Flamme  de  Paris. 

M.  Félix  Duquesnel  est  un  vieux  Parisien  qui 
connaît  sa  ville,  comme  on  dit,  «  dans  les  coins»  : 
les  cabarets  de  Montmartre,  les  théâtres  du  bou- 
levard, les  journaux  de  la  rue  du  Croissant,  les 
salons  de  «  gendelettres  »,  lui  ont  livré  tous  leurs 
secrets.  Généreusement,  il  nous  en  fait  part  dans  cet 
aimable  roman.  M.  Duquesnel,  se  souvenant  qu'on 
ne  visite  vraiment  bien  Paris  que  lorsqu'on  a  des 
provinciaux  à  promener,  fait  faire  cette  explora- 
tion à  un  bon  garçon  de  Chartres,  frais  émoulu  du 
régiment  et  qui,  dédaigneux  de  la  maison  de  com- 
merce où  son  oncle,  grainetier  millionnaire  et  colé- 
reux, lui  offre  une  place  de  tout  repos,  s'en  va  cher- 
cher la  renommée  et  tenter  la  fortune  à  Paris.  Ai-je 
besoin  de  vous  dire  qu'il  ne  trouve  ni  l'une  ni  l'au- 
tre et  que  la  flamme  de  la  grand 'ville  risquerait 
fort  de  le  consumer  tout  entier,  sans  gloire  ni  profit, 
si  une  gentille  jeune  fille,  fiancée  prévue  dès  le 
début,  n'arrivait  un  beau  jour  de  Chartres  pour  le 
ramener,  repentant  et  assagi,  à  sa  province,  à  la 
boutique  de  l'oncle  irascible,  mais  indulgent  au 


32  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

fond,  et  qu'un  bon  mariage  termine,  le  plus  genti- 
ment du  monde,  ce  «  roman  de  la  vingtième  année  ». 


MAXIME  GORKI 

L'Espion. 

(Traduction  de  M.  Serge  Persky). 

U Espion^  le  roman  de  Maxime  Gorki,  que  M.  Ser- 
ge Persky  nous  révèle  en  une  traduction  fort  litté- 
raire, est  l'un  des  plus  caractéristiques  du  célèbre 
écrivain  russe.  C'est  un  livre  âpre,  douloureux, 
pénible,  dont  les  phrases  courtes,  sèches,  aiguisées, 
vous  pénètrent  et  vous  glacent.  Il  n'y  a  pas,  dans  ce 
roman,  un  mot  de  pitié,  de  tendresse,  ni  de  pardon, 
et  cependant  il  vous  laisse  l'impression  d'un  plai- 
doyer pour  l'a  espion»  dont  il  conte  la  navrante 
histoire. 

On  comprend,  on  excuse  cet  Evséi,  malingre, 
chétif  et  sombre;  on  se  rend  compte  qu'il  ne  pou- 
vait pas  ne  pas  être  un  espion,  que  l'abject  et  obs- 
cur métier  de  délateur  et  de  traître  lui  était  imposé 
par  toutes  les  forces  de  la  destinée,  de  la  nature,  et 
des  hommes  acharnés  contre  lui  depuis  sa  naissance, 
et  qui  lui  ont  appris  dès  l'âge  de  quinze  ans  la  haine 
et  le  mépris  des  autres  et  de  soi-même.  Dès  lors,  il 
est  poussé  par  une  force  aveugle  et  irrésistible  à 
toutes  les  œuvres  de  l'ombre  et  du  crime;  la  peur 


FÉVRIER    LES    ROMANS  33 

et  la  haine  se  partagent  son  cœur,  et  même  dans 
ses  amours  —  pauvres  et  abjectes  amours  !  — 
il  déteste  et  il  tue,  jusqu'au  jour  où  il  se  décide 
à  en  finir  avec  son  plus  implacable  et  douloureux 
ennemi  :  avec  lui-même. 


GONAN  DOYLE 
Rodney  Stone. 

(Traauction  de  M.  RtNK  Lecuyer) 

En  voyant  le  nom  de  Conan  Doyle  sur  la  cou- 
verture du  nouveau  roman,  Rodney  Stone,  dont 
M.  René  Lécuyer  nous  a  offert  une  élégante  tra- 
duction, j'ai  eu  un  instant  d'inquiétude  :  allais-je 
avoir  à  signaler  le  mille  et  unième  de  ces  romans 
policiers  dont  le  célèbre  créateur  de  Sherlock  Hol- 
mes a  déchaîné  la  détestable  invasion  dans  notre 
littérature?  Non  pas  qu'ils  soient  mauvais  :  Sher- 
lock Holmes  est  admirable,  Arsène  Lupin  délicieux, 
et  Rouletabille  étourdissant,  mais  ils  sont  trop  — 
trop,  vraiment  !  Dieu  soit  loué,  il  n'est  pas  question 
de  police,  ni  de  crime  mystérieux  dans  ce  roman. 
C'est  une  évocation  de  la  vie  anglaise,  au  temps  des 
luttes  épiques  contre  Napoléon;  les  marins  d'Abou- 
kir  et  de  Trafalgar,  l'élégante  phalange  des  «  daims  » 
patronnés  par  le  futur  roi  Georges,  traversent  pitto- 
resquement  la  dramatique  histoire  de  lord  Avon  et 

3. 


34  LE    MOUVEMENT    LITTÉRATRE 

de  son  frère,  et  ce  sont  tout  le  long  du  livre,  d'éton- 
nantes histoires  de  boxe  qui  nous  passionnent, 
même  si  nous  ne  comprenons  rien  aux  choses  du 
ring,  car  Conan  Doyle  a  l'enthousiasme  communi- 
catif,  et  ses  boxeurs  sont,  je  vous  assure,  aussi 
empoignants,  sinon  plus,  que  ses  policiers. 


HEADON  HILL 
Juste  Grime. 

(Ti'aduction  do  M.  Marion  Gilbert  et  M"'*  Madeleine  Duvivier). 

Juste  crime?  Allons  bon,  c'est  la  police  qui  rentre 
en  scène,  cette  police  que  je  craignais  tant,  à 
la  page  précédente,  de  voir  reparaître  avec  Conan 
Doyle.  Mais  non  !  Ce  n'est  encore  qu'une  fausse 
alerte,  le  livre  de  Headon  Hill  est  un  de  ces  bons 
romans  anglais,  tout  à  la  fois  touffus  et  précis,  où 
il  y  a  beaucoup  de  personnages,  d'événements  et 
d'images;  roman  meublé,  s'il  en  fut,  et  qui  défie 
l'analyse. 

Si  j'essayais  de  vous  expliquer  comment  Léonard 
et  Lesbia,  sa  fiancée,  finissent  par  entrer  en  posses- 
sion d'un  héritage  que  leur  disputent  James  Rey- 
nell  et  Roger  Daubeny,  qui  ont  associé  à  leur  téné- 
breuse entreprise  un  homme  redoutable,  Bartlett, 
le  «  tigre  du  Bengale)),  je  risquerais  fort  de  me  per- 
dre et  de  vous  perdre  au  milieu  des  mille  compli- 


FÉVRIER    LES    ROMANS  35 

cations  de  ce  roman  qui  reste,  pourtant,  lorsqu'on 
le  lit,  d'une  parfaite  clarté  :  il  est  conduit  avec 
beaucoup  d'art  et  l'intérêt  n'en  faiblit  pas  un 
instant. 


HISTOIRE,  LITTÉRATURE,  PHILOSOPHIE, 

DIVERS 


GUSTAVE  SCHLUMBERGER 
Mémoires  du  Commandant  Persat  (1806-1844). 

La  merveilleuse  galerie  des  officiers  du  premier 
Empire  s'enrichit  aujourd'hui  d'une  figure  presque 
inédite,  celle  du  commandant  Persat,  dont  l'his- 
toire était,  jusqu'ici,  à  peu  près  ignorée  et  qu'on 
connaissait  uniquement  par  les  quelques  Hgnes  très 
pittoresques  que  lui  consacra  le  général  du  Barail 
dans  ses  souvenirs. 

C'était  insuffisant  et  ce  héros  singulier  méritait 
d'être  mieux  connu;  voici  qu'il  se  présente  lui- 
même.  M.  Gustave  Schlumberger  a  retrouvé  les 
Mémoires  du  commandant  Persat,  «  1806  à  1844». 

Ils  sont  extraordinaires  ces  mémoires,  et  je  corn- 


IKVRIER    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  37 

prends  que  M.  Gustave  Schlumberger,  après  les 
ivoir  lus,  n'ait  plus  eu  qu'une  pensée  :  nous  en 
faire  part;  mais  il  voulut  d'abord  être  complète- 
ment documenté  sur  ce  commandant  Persat,  «  véri- 
table  type  de  l'officier  en  demi-solde  après  les  Gent- 
Jours,  adorant  l'Empereur,  «  mauvaise  tête  mais 
bon  cœur»,  plus  tard  extraordinairement  aigri  par 
les  malheurs,  incapable  de  subir  la  tyrannique  police 
(le  la  Restauration,  d'un  tempérament  aventureux, 
courageux  à  l'excès,  devenu  fanatique  de  libéra- 
lisme comme  il  l'avait  été  de  Napoléon.  »  Ces  ren- 
seignements, l'éminent  historien  fut  assez  heureux 
pour  les  réunir  très  complets,  et  il  nous  les  offre  en 
sfuise  d'introduction  aux  mémoires  du  comman- 
dant Persat.  L'épopée  de  cet  officier  est  une  chose 
inouïe  :  après  avoir  servi  sous  Napoléon  en  Alle- 
magne, en  Espagne,  en  Russie,  dans  la  campagne 
de  France,  après  avoir  été  décoré  de  la  main  de 
r  Empereur,  il  ne  peut  se  résigner  à  l'existence  des 
demi-soldes  et  s'en  va  se  battre  aux  quatre  coins 
du  monde  :  aux  États-Unis  dans  les  troupes  de 
l)olivar,  à  Naples  dans  celles  du  général  Pépé,  en 
l'urquie  pour  l'indépendance  grecque,  en  Espagne 
MÙ  il  rencontre  Armand  Carrel,  dont  il  devint  l'ami 
I*'  plus  fidèle  et  le  plus  fervent,  dans  la  Louisiane, 
ù  il  guerroie  avec  les  Mexicains  et  les  tribus 
indiennes,  que  sais-je  encore? 

En  1836,  il  est  de  retour  en  France;  gérant  du 
National  de  son  ami  Carrel  dont  la  mort  le  laisse 
inconsolable,  il  retourne  au  Péloponèse,  ne  peut  se 


38  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

résigner  à  y  séjourner  et  vient  mourir  —  vingt  ans 
après  !  —  dans  son  pays  natal,  en  Auvergne.  Telle 
est,  rapidement  esquissée,  l'étonnante  carrière  que 
nous  conte  ce  soldat  du  premier  Empire,  en  des 
pages  alertes,  prestes,  souvent  très  aigres  —  car 
Persat  était  un  homme  pas  commode  —  mais  d'au- 
tant plus  amusantes;  et  il  faut  remercier  M.  Gus- 
tave Schlumberger  de  nous  avoir  donné  le  régal  de 
ces  vivants  souvenirs  d'un  officier  de  l'immortel 
Empereur,  qu'((  auront  plaisir  à  lire  tous  ceux  qui 
chérissent  d'un  amour  passionné  ces  vieux  soldats 
de  l'Empire,  témoins  admirables  d'une  époque  de 
gloire  et  d'énergie.  » 


BARON  MARC  DE  VILLIERS 

Histoire  des  Clubs  de  femmes 
et  des  Légions  d'Amazones  (1793-1848-1871). 

On  sait  que  les  dames  féministes  se  proposent 
désormais  au  cours  des  élections  de  tenter  un  effort 
décisif  en  faveur  de  leurs  revendications  ;  déjà,  dans 
un  grand  nombre  de  quartiers,  nos  suffragettes  se 
préparent  à  la  lutte,  et,  ne  pouvant  être  électrices, 
se  font  candidates.  Gela  nous  semble  très  moderne  : 
nous  avons  tort.  Il  y  a  longtemps  que  les  femmes 
se  sont  mis  en  tête  de  collaborer  à  la  confection 
des  lois  et  de  participer  à  la  vie  publique.  L'histoire 
de  leurs  tentatives  et  de  leurs  luttes  en  France, 


FÉVRIER    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  39 

depuis  un  siècle,  est  pleine  d'intérêt,  on  s'en  rendra 
ompte  en  lisant  V Histoire  des  Clubs  de  femmes  et 
des  légions  d'amazones  (1793-1848-1871). 

Ce  livre  est  d'une  très  forte  et  très  attrayante  docu- 
mentation :  on  y  voit  revivre  les  figures  d'Olympe 
(le  Gouges,  de  M^^  Robert-Keralio,  puis  celles 
des  amazones  de  la  Révolution  avec  en  tête  Thé- 
roigne  de'Méricourt  et  tous  ces  clubs  de  citoyennes 
qui  naquirent  du  Nord  au  Sud,  de  l'Est  à  l'Ouest  de 
la  France,  pendant  la  période  révolutionnaire.  Ce 
sont,  ensuite,  les  amazones  de  48:  Borme  et  les 
\  ésuviennes,  M^^^  de  Niboyet  et  la  «  Société  de  la 
voix  des  Femmes»  et  les  féministes  du  second 
Empire,  et  les  amazones  de  la  Commune.  C'est  là, 
juste  au  moment  où  il  pourrait  nous  entretenir  de 
nos  contemporaines,  que  M.  Marc  de  Villiers  s'ar- 
rête ;  pour  lui,  «  c'est  de  l'actualité,  ce  n'est  pas  de 
l'histoire».* D'ailleurs,  de  tous  les  efforts  tentés  de- 
l>uis  un  siècle  en  France  qu'est-il  résulté  jusqu'à 
[>résent?  Pas  grand 'chose,  Stuart  Mill  avait  dit  : 
Avant  la  prochaine  génération,  l'accident  du  sexe, 
I  Kis  plus  que  celui  de  la  couleur  de  la  peau,  ne  sera 
legardé  comme  un  motif  suffisant  pour  dépouiller 
lin  être  humain  des  justes  privilèges  d'un  citoyen.  » 
<>?tte  prophétie  ne  s'est  point  réalisée  chez  nous,  et 

la  troisième  République  ne  s'est  guère  montrée 
plus  galante  envers  le  beau  sexe  que  ses  deux  aînées. 
I^^Ue  lui  a  accordé  le  divorce  qu'il  réclamait,  mais 
c'est  évidemment  parce  que  cette  loi  intéressait 
autant  les  maris  trompés  que  les  femmes  battues.  » 


40  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

GILBERT-AUGUSTIN  THIERRY 
La  Mystérieuse  affaire  Donnadieu. 

Histoire  et  roman,  les  deux  genres  se  touchent 
de  près.  Souvent  même  ils  arrivent  à  se  confondre, 
non  seulement  parce  que  les  événements  sont  par- 
fois plus  romanesques  que  toutes  les  imaginations 
du  monde,  mais  aussi  parce  que  l'historien,  en  face 
de  certains  faits  obscurs  dont  il  désire  pénétrer  le 
mystère,  est  amené,  bon  gré  mal  gré,  à  imaginer,  à 
interpréter.  Ce  n'est  point,  quoi  qu'en  pensent  les 
pessimistes,  la  faillite  de  l'histoire  ;  au  contraire  elle 
s'accommode  assez  bien  de  cette  incertitude  grâce  à 
quoi  elle  reste  à  travers  les  temps  éternellement 
jeune  et  nouvelle  et  séduisante.  Après  tant  d'au- 
tres, après  son  père  dont  il  porte  si  dignement  le 
nom,  M.  Gilbert-Augustin  Thierry  vient  d'en  faire 
—  d'en  refaire  —  l'heureuse  expérience. 

Ayant  voulu  étudier  la  Mystérieuse  affaire  Don- 
nadieu^ cette  étonnante  histoire  de  conspiration  et 
de  poHce  qui  défraya  la  chronique  en  1802,  il  a 
compulsé  les  textes,  fouillé  les  archives,  et  il  a  ainsi 
réuni  les  éléments  d'un  livre  qui  est  bien,  avec  son 
évocation  de  la  société  de  1802  :  militaires  en  ré- 
forme, petits-maîtres,  merveilleuses  de  salon,  gri- 
settes  de  boutique,  argousins  de  police,  prisonniers 
du  Temple  ou  de  la  Force,  le  plus  amusant,  le  plus 
pittoresque  et  le  plus  vivant  des  romans  de  la  réalité. 


FÉVRIER   HISTOIRE,    LITTERATURE,    ETC.  41 

Contient-il  la  vérité?  L'auteur  a  trop  de  conscience 
pour  l'affirmer  :  «  Ayant  été  sincère,  il  croit  avoir 
été  vrai.  Mais,  hélas  !  dans  les  œuvres  de  l'homme 
où  est  la  vérité?  On  doit  exiger  de  moi,  a  déclaré 
Diderot,  que  je  la  cherche  et  non  que  je  la  trouve...  » 


BŒHMER 
Les  Jésuites. 

(Traduction  do  M.  Gabriel  Monod), 

L'histoire  n'est  peut-être  pas  le  tissu  de  légen- 
des, d'hypothèses  et  de  faux  dont  parlent  ses 
«létracteurs;  elle  ne  mérite  sans  doute  pas  tous  les 
-arcasmes  que  lui  a  prodigués  M.  Max  Nordau  dans 
son  Sens  de  Vhistoire^  et  c'est  une  grande  calomniée. 
Tout  de  même,  il  est  un  chapitre  où  notre  confiance 
en  elle  est  mise  à  une  rude  épreuve  et  qui  est  bien 
fait  pour  établir  son  incertitude  —  j'allais  dire  sa 
mauvaise  foi  —  c'est  celui  des  Jésuites.  Gomme  il 
'st  difficile,  non  pas  d'apprécier  le  rôle  des  Jésuites 
dans  le  monde,  mais  de  connaître  simplement  les 
faits  qui  constituent  leur  histoire  !  Systématique- 
ment, ils  ont  été  dénaturés  par  des  écrivains  préoc- 
cupés seulement  de  chanter  leur  gloire  ou  de  les 
vouer  à  l'exécration,  et  il  faut  un  fier  courage  à  un 
historien  pour  tenter  d'écrire  une  histoire  sereine 
et  impartiale  des  Jésuites;  cette  tentative,  elle  a 


42  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

été  faite  par  M.  Bœhmer,  professeur  à  l'univer- 
sité de  Bonn,  lequel  a  publié,  en  allemand,  les 
Jésuites,  dont  M.  Gabriel  Monod  nous  offre  la  ver- 
sion  française. 

Auteur  et  traducteur  sont  protestants,  c'est  vous 
dire  que  l'oeuvre  est  d'avance  frappée  de  suspi- 
cion. Suspicion  injuste  :  il  y  a  dans  ce  livre  un  très 
bel  effort  d'impartialité,  et  l'introduction  de  M.  Ga- 
briel Monod  est  d'une  impressionnnante  sérénité, 
elle  précise  l'importance  historique  de  l'œuvre  de 
M.  Bœhmer.  «  Malgré- sa  brièveté,  elle  nous  paraît 
fournir  sur  les  points  essentiels,  en  particulier  sur 
l'œuvre  de  saint  Ignace,  sur  la  lutte  contre  l'héré- 
sie, sur  le  rôle  des  Jésuites  dans  l'éducation,  sur  la 
vie  intellectuelle  et  l'art,  sur  les  missions  du  Para- 
guay, tout  au  moins  les  éléments  d'une  apprécia- 
tion équitable.» 

Cette  société  des  Jésuites  qui  a  tenu  et  tient  dans 
le  monde  une  si  grande  place,  «a  suscité  des  dévoue- 
ments et  des  admirations,  mais  aussi  des  haines  et 
des  jalousies  sans  bornes,  même  au  sein  du  catho- 
licisme, même  au  sein  du  clergé  séculier  et  régu- 
lier »,  et  l'on  comprend  qu'on  n'ait  jamais  parlé  d'elle 
avec  sérénité  et  impartialité  et  que  rien  ne  soit  plus 
difficile  que  de  connaître  avec  exactitude  son  his- 
toire; MM.  Bœhmer  et  Gabriel  Monod  ont  eu  le 
mérite  de  vouloir  traiter  calmement  ce  grand  sujet 
de  l'histoire  des  Jésuites  sur  lequel  on  a  presque 
toujours  écrit  avec  passion.  Et  c'est  déjà  très  beau 
de  l'avoir  essayé. 


FÉVRIER    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  43 

VICOMTE  GEORGES  D'AVENEL 
Découvertes  d'histoire  sociale. 

L'histoire  économique  et  sociale  des  temps  pas- 
sés, r  «  histoire  réaliste  »,  a  pour  notre  édification 
une  importance  qui  fut  trop  longtemps  méconnue. 
Ne  serait-il  pas,  dit  M.  d'Avenel,  aussi  utile  de 
savoir  l'état  des  moyens  de  transport  au  Moyen  âge, 
ou  le  nombre  des  hectares  cultivés  sous  François  I^^", 
avec  autant  de  précision  que  l'on  connaît  le  nom, 
l'humeur  et  la  durée  des  maltresses  successives  de 
Louis  XV?  ))  Le  vicomte  G.  d'Avenel  s'est  pas- 

ionné  pour  cette  histoire  réaliste,  il  nous  a  donné 
l(^  résultat  de  ses  recherches  dans  des  ouvrages 
l'f'marquables  et  il  en  précise,  aujourd'hui,  la  portée 

n  un  volume  de  philosophie  scientifique  :  Décou- 
vertes d'histoire  sociale.  Ce  sont  des  pages  d'histoire 
•  crites  avec  des  chiffres  qui  réussissent  à  être  plus 
mouvants  et  plus  passionnants  que  tous  les  récits 
du  monde  et  qui  amènent  l'auteur  à  proclamer  la 
faillite  de  la  politique  dans  le  domaine  économique  : 
l'étatisme  est  impuissant  dans  ce  domaine:  lors 
même  que  rien  ne  serait  libre  en  un  État,  le  prix  des 

hoses  le  demeurerait  néanmoins  et  ne  se  laisserait 
.isservir  par  quiconque.  La  question  sociale  est 
une  question  philosophique  et  scientifique,  nulle- 
ment une  question  politique,  et  toutes  les  réformes 


44  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

du  monde  ne  feront  rien  contre  cet  instinct  de  l'en- 
fant jaloux  qui  refuse  les  pâtisseries  offertes  à  la 
table  de  famille  en  disant  avec  rage  :  «  Le  seul  gâ- 
teau que  je  veuille,  c'est  celui  que  mon  frère  a 
manffé.  n 


EMILE  LAUVRIÈRE 
Alfred  de  Vigny. 

Très  heureusement  ordonné,  cet  ouvrage  se 
divise  en  quatre  parties  :  «  l'aube,  l'épanouisse- 
ment, la  maturité  et  le  marasme,  le  glorieux 
déclin»,  à  travers  lesquelles  l'homme  et  l'œuvre 
sont  évoqués  en  des  pages  très  compréhensives  et 
documentées  et  qui  viennent  à  point  pour  justifier 
le  mouvement  de  réaction  né  en  ces  dernières  an- 
nées contre  l'injuste  indifférence  dont  le  poète  fut 
victime  au  xix^  siècle.  Il  avait  tous  les  dons  qui 
font  le  très  grand  poète  et  le  très  grand  écrivain  :1a 
vaste  intelligence,  la  sensibilité  exquise  et  tendre,  la 
somptueuse  imagination,  il  ne  lui  manqua  que  la 
force  physique  et  la  force  morale:  «  En  toi,  dit-il, 
dans  Chatterton^  la  rêverie  continuelle  a  tué  raction»; 
c'est  l'épigraphe  du  livre,  ce  pourrait  être  celle  de 
la  vie  d'Alfred  de  Vigny.  Tout  de  même,  «  il  entre 
de  plein  droit  dans  l'austère  famille  des  Lucrèce 
et  des  Leopardi,  des  Marc-Aurèle  et  des  Pascal,  ce 
Vigny  qui  adressa  à  l'élite  de  tous  les  pays  et  de 


I 

I 


FÉVRIER    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  45 

tous  les  âges  son  bienfaisant  message  de  stoïcisme 
tendre  et  fier  : 

.1  aime  la  majesté  des  souffrances  humaines. 

.  «  Aimez  le  Bien  pour  sa  beauté,  la  Beauté  pour 
son  excellence,  sans  crainte  de  rien,  sans  espoir  de 
rien:  l'Honneur  suffît,  car  THonneur,  c'est  la  poésie 
du  Devoir.  » 


Mlle  ELLEN  KEY 
L'Individualisme. 

(Traduction  de  M.  Jacques  di:  Goussange). 

L'auteur  de  V Individualisme^  le  célèbre  écrivain 
iiédois  dont  le  livre  De  V Amour  et  du  Mariage  fit 
tant  de  bruit,  est  une  bien  intéressante  personna- 
lité littéraire  et  intellectuelle.  Les  jugements  les 
])lus  contradictoires  ont  été  portés  sur  elle,  on  l'a 
parfois  exaltée  avec  un  enthousiasme  qu'elle  a  été 
la  première,  sans  doute,  à  trouver  excessif;  on  l'a 
dénigrée  aussi  avec  beaucoup  d'injustice;  et  les 
jugements  ne  sont  pas  seulement  en  désaccord  sur 
la  valeur  de  ses  idées,  mais  aussi  sur  leur  sens  et  leur 
tendance. 

Il  y  a  à  cela  une  bonne  raison  :  c'est  que  l'œuvre 
(le  M"®  Ellen  Key  est  un  tissu  de  contradictions. 
M.  Pierre  de  Quirielle,  qui  admire  beaucoup  l'écri- 
vain, nous  le  fait  comprendre  dans  la  préface  du 
volume  V Individualisme^   une  traduction  de  ses 


46  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

«  Images  Idéales»  publiée  par  M.  Jacques  de  Cous-  ';' 
sange.  M^i®  Ellen  Key  est  tout  à  la  fois  individua- 
liste et  socialiste  ;  elle  est  démocrate  et  aristocrate  ; 
elle  a  'des  idées  très  avancées,  et  des  sentiments 
plutôt  réactionnaires;  elle  est  féministe  et  antifé- 
ministe; elle  est  ultra-moderne,  et  elle  a  l'horreur 
du  régime  industriel  de  notre  temps,  la  haine  des 
laideurs  qu'il  entraine  et  qu'il  produit;  —  et,  toutes 
ces  contradictions  sont  pour  M.  Pierre  de  Quirielle 
singulièrement  attachantes. 

Combien  il  a  raison  !  Tant  de  contradictions 
impliquent  beaucoup  de  bonne  foi  et  beaucoup  de 
sagesse.  Pour  les  avouer  et  les  proclamer  ainsi,  pour 
savoir  s'évader  de  la  prison  où  vous  enferme  une 
logique  rigoureuse  et  conventionnelle,  il  faut  n'être 
point  un  esprit  médiocre  ;  et,  certes,  ces  pages  sur 
Vauvenargues  et  sur  Maeterlink,  et  sur  Ibsen,  sur 
les  femmes  et  sur  les  besoins  de  la  vie,  ne  sont 
pas  d'un  esprit  médiocre  ;  la  femme  de  lettres  qui 
les  a  écrites  «  nous  y  apparaît  vraiment  puissante 
et  saine,  spontanée  et  éloquente,  riche  et  variée». 


HENRI  PIÉRON 
L'Evolution  de  la  Mémoire. 

L'auteur  nous  avertit  immédiatement,  dans  sa 
préface,  que  ce  «  livre  paraîtra  sans  doute  bien  bourré 


FÉVRIER    HISTOIRE,    LITTERATURE,    ETC.  47 

de  faits  et,  en,  comparaison  bien  pauvre  d'idées»; 
mais  c'est  une  nécessité  du  sujet  :  il  faut  accu- 
muler les  faits,  les  précisions  sont  indispensables 
quand  il  s'agit  de  rechercher  des  psychologies  com- 
parées, si  nouvelles  et  si  mal  connues.  Les  questions 
auxquelles  l'auteur  se  propose  de  répondre  sont  les 
suivantes  :  Quel  est  le  domaine  de  ce  qu'on  peut 
appeler  la  mémoire?  Sous  quelles  formes  se  pré- 
-ente-t-elle  à  tous  les  degrés  de  l'échelle  animale? 
Quels  sont  les  aspects  et  les  limites  de  la  mémoire 
humaine?  En  quoi  consistent  ses  troubles  et  quels 
peuvent  être  ses  progrès?  A  cette  dernière  ques- 
tion, il  donne  une  réponse  bien  ingénieuse,  assez 
décourageante  pour  l'individu,  mais  pleine  d'opti- 
misme pour  la  société.  Selon  lui,  la  mémoire  des 
hommes  est  limitée,  et  il  viendra  un  temps  où, 
devant  l'abondance  des  documents  et  des  livres, 
elle  se  rebutera  et  cessera  d'emmagasiner;  alors, 
nécessairement,  interviendra  la  schématisation 
scientifique,  qui  rendra  inutile  la  conservation  des 
souvenirs  trop  nombreux;  le  bagage  des  données 
nécessaires  deviendra  de  plus  en  plus  mince,  ainsi, 
(  nous  pouvons  avoir  une  certaine  confiance  dans  les 
progrès,  non  pas  de  l'intelligence  individuelle,  mais 
(le  l'intelligence  collective  et  de  la  science,  dont  la 
socialisation  progressive  est  un  fait  évident  et  une 
nécessité  inéluctable  ». 

Cette  conclusion  audacieuse,  et  d'ailleurs  mcer- 
taine,  enchantera-t-elle  nos  réformateurs  révolu- 
tionnaires? Je  n'en  suis  pas  très  sûr;  occupés  qu'ils 


48  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

sont  à  leurs  grands  projets  de  socialisation  des  che- 
mins de  fer,  des  mines,  des  assurances,  etc.,  ils 
n'ont  guère  le  temps  de  souhaiter  que  la  science 
se  socialise  spontanément,  et  c'est,  je  crois  bien,  le 
dernier  monopole  contre  lequel  ils  partiront  en 
guerre... 


MÉMENTO   DU  MOIS  DE  FÉVRIER 


ROMANS 

Acker  (Paul).  —  Une  aïeule  contait En  ce  volume,  l'au- 
teur a  groupé  un  choix  de  nouvelles  et  de  récits  qui 
s'échelonnent  sur  tout  un  siècle,  de  1791  à  1885, 
histoires  lointaines  ou  presque  contemporaines  que 
sa  grand'mère,  «  une  petite  et  vive  personne,  soucieuse 
encore  de  sa  toilette,  avec  une  figure  pâle,  mince  et 
d'un  ovale  parfait,  un  front  large,  deux  yeux  noirs 
immenses,  tantôt  mélancoliques  et  tantôt  brûlants 
d'esprit,  un  nez  long,  droit,  une  bouche  fme»,  lui  avait 
contées.  Elle  en  savait  d'innombrables,  les  unes 
tendres  et  très  douces,  les  autres  terribles,  d'autres 
enfin  simplement  amusantes.  M.  Paul  Acker  nous  les 
restitue  en  des  pages  délicieuses  que  j'ai  lues  avec  un 
plaisir  très  vif  et  très  déhcat;  j'aimerais  à  vous  en  dire 
quelques-unes,  mais  je  m'en  voudrais  de  choisir  entre 
de  si  jolies  choses. 

Aigueperse   et  Roger   Dombre.   —  Les   Joies  du  Célibat. 

Blanvilain  {M™^  Germaine).  —  Les  Asservis. 

Boissière  (Albert).  —  Aimée  ou  la  Jeune  fille  à  marier,  le 
joli  volume  où,  avec  tant  d'art,  de  tact  et  de  déli- 
catesse, le  romancier  a  su  analyser  cette  chose  déli- 


MÉMENTO    DU    MOIS    DE    FÉVRIER  49 

cieuse,  profonde  et  terrible  qu'est  l'âme  d'une  jeune 
fille.  J'ai  eu  maintes  fois,  dans  ces  dernières  années, 
l'occasion  de  louer  le  très  original  et  très  souple  talent 
de  M.  Albert  Boissière  :  ce  roman  publié  par  lui  au 
Figaro  est  sans  nul  doute  l'un  de  ses  meilleurs  ou- 
vrages. 

Glermont  (Emile).  —  Amour  Promis. 

Conan  Doyle.  —  Notre-Dame  de  la  Mort,  roman  traduit  de 
l'anglais  par  M.  René  Lécuyer. 

Dacre  (Fernand).  —  Traîneurs  de  Sabre,  quatre  nouvelles 
que  réunit  entre  elles  un  lien  social;  ce  sont  quatre 
épisodes  d'une  même  destinée,  quatre  aspects  d'une 
même  figure  :  l'officier,  M.  Fernand  Dacre  est  bien 
placé  pour  le  connaître  et  pour  le  peindre,  ce  «  traîneur 
de  sabre»,  contre  qui  s'évertuent  rageusement  les 
antimilitaristes.  A  la  faveur  de  ces  quatre  histoires, 
très  émouvantes,  il  nous  conte  l'effort  de  l'officier 
vers  la  réalisation  du  type  nouveau  ;  elles  marquent  en 
«  quelque  sorte  quatre  étapes  dans  la  mentalité  de 
l'officier  moderne,  pénétrant  mieux  les  difficultés, 
mais  aussi  la  grandeur  de  son  rôle,  à  mesure  que  son 
horizon  s'élargit  et  que  son  esprit  s'ouvre  mieux  aux 
problèmes  de  sa  tâche  complexe».  Et  c'est  un  hvre 
de  bonne  foi,  de  sincérité  et  de  réconfort. 

Daudet  (Ernest).  —  Les  Aventures  de  Raymond  Rocherey, 
un  roman  très  émouvant  où  M.  Ernest  Daudet 
évoque  les  temps  pittoresques  de  la  guerre  de  1870, 
mêlant  avec  cet  art  qui  lui  est  personnel  l'histoire  et 
l'imagination. 

Dombre  (Roger)  :  Voir  Aigueperse. 

Fabre  (Ferdinand).  —  Julien  Savignac,  nouvelle  Édition. 

Gaubert  Saint-Martial  (Raoul).  —  Le  Cabaret  de  la  Poire 
d'Angoisse,  un  curieux  volume. 

Kadoré  (Pierre  de).  —  Le  Transplanté. 

Lauret  (René).  —  Line,  une  jolie  histoire  lorraine. 

Le  Rouge  (Gustave).  —  La  Guerre  des  Vampires. 

Mille  (Pierre).  —  La  Biche  écrasée,  un  recueil  de  nouvelles. 
Vous  connaissez  M.  Pierre  Mille  :  c'est  un  humoriste 
charmant  qui  sait  à  merveille  revêtir  la  vérité  d'une 
chatoyante  parure  de  fantaisie.  Mais  ce  n'est  pas 

4 


50  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

qu'un  humoriste  :  il  y  a  dans  ces  histoires  que  je 
viens  de  hre  un  sentiment  exquis,  je  ne  sais  quelle 
amertume  douce  et  résignée  d'une  rare  saveur.  Parmi 
ces  nouvelles,  de  ton  et  de  sujet  très  divers,  il  en  est  de 
tout  à  fait  supérieures,  notamment  la  première,  qui 
donne  son  titre  au  livre,  la  Biche  écrasée,  si  simplement 
douloureuse,  humaine  et  poignante,  et  le  Merle,  qui 
n'ironise  pas  comme  celui  de  Rostand  mais  se  dévoue, 
souffre  et  meurt,  et  le  Repos  hebdomadaire,  dont  le 
héros,  M.  Barbier-Dacquin,  plaira  beaucoup  au  Ber- 
geret  d'Anatole  France. 

Nion  (François  de).  —  La  Dépêche  de  Mars,  des  contes 
sportifs  et  fantastiques  très  amusants  et  très  hardis. 
L'écrivain  nous  montre  là  une  face  tout  à  fait  nou- 
velle de  son  talent,  et  telles  de  ces  histoires  fantas- 
tiques, étranges  et  rigoureusement  logiques,  plairaient 
à  Wells  ou  à  notre  grand  Jules  Verne. 

Saintis.  —  La  Méprise. 

Valmesnil.  —  Dorine,  ou  le  Roman  d'un  Émigré, 


■  HISTOIRE  —  LITTÉRATURE 
THEATRE  —  POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 


Abnour  (Contre-amiral  d').  —  Histoire  abrégée  des  peuples 
de  la  Russie  (Essai  de  Chronologie  Russe,  1864-1894), 
ouvrage  dédié  à  S. -M.  Maria  Feodorovna,  impératrice 
de  toutes  les  Rusgies. 

Bertaut  (Jules).  Voir  Alphonse  Séché. 

Bidegain  (Jean).  —  Une  Conspiratian  sous  la  troisième 
République,  un  volume  où  Fauteur  prétend  nous 
offrir  «  la  vérité  sur  l'affaire  des  fiches»  :  on  jugera 
qu'il  est  assez  bien  placé  pour  la  connaître. 

Bonnal  (Général).  —  Histoire  de  la  i^ie  militaire  du  maréchal 
Ney,  duc  d'Elchingen,  prince  de  la  Moskowa. 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    FÉVRIER  51 

^t^Çornet   (Capitaine).  —  Au   Tchad.   L'auteur,   officier  dt; 
^b         l'infanterie    coloniale    nous    raconte    trois    années 
^^t         passées  chez  les  Senoussistes,  les  Kirdis  et  les  Ouad- 
^^B        daïens,  —  ces  Ouaddaïens  qui  viennent  de  faucher 
W^m         tant   de   nobles   vies   françaises.    On   hra   avec   une 
émotion  profonde  ces  pages  vécues  sur  des  peuplades 
dont  le  nom  est  illustré  aujourd'hui  par  une  renom- 
mée sanglante,  et,  à  la  lumière  du  tragique  événement 
d'hier,  on  reconnaîtra  tout  ce  que  ces  observations 
notées  entre  deux  coups  de  feu,  tout  ce  que  cet  entrain 
et  cette  verve  de  l'officier  écrivain  peuvent  receler 
d'héroïsme  et  d'abnégation... 
Dautremer  (Joseph).  —  L'Empire  Japonais  et  sa  vie  écono- 
mique. - 
Faucigny-Lucinge  (Mn^^  A.  de,  née  Ghoiseul-Gouffier).  — 
Rachel  et  son  temps,  une  très  agréable  et  émouvante 
monographie  de  Rachel. 
Gaillard    (Alphonse).   —   Échos   des   Monts   Jura.   —   La 

Franche- Comté. 
Hepp  (Alexandre).  —  Ferdinand  de  Bulgarie  intime,  un 
fort  intéressant  volume  où  le  tsar  des  Bulgares  est 
évoqué  en  des  pages  alertes,  éloquentes  et  documen- 
tées>  semées  de  pittoresques  documents  photogra- 
phiques, par  un  très  bon  écrivain  qui  le  connaît  à 
merveille  et  qui  a  suivi  avec  un  intérêt  passionné 
l'admirable  carrière  de  ce  prince,  dont  on  peut  dire 
que  «  cette  Bulgarie,  si  le  traité  de  Berlin  a  tenté  de  lui 
donner  un  état  civil,  c'est  lui  qui  lui  a  soufïlé  la  vraie 
vie  ». 
J.a  Mazelière  (Marquis  de),  —  Japon  :  Histoire  et  Civili- 
sation. 5^  volume. 
I.anzac  de  Laborie  (De).  —  Paris  sous  Napoléon.  —  Le 
Monde  des  Affaires  et  du  Travail,  un  volume  où  l'au- 
teur poursuit  le  développement  de  son  magistral 
ouvrage  sur  l'administration  napoléonienne.  C'est 
un  tableau  tout  à  la  fois  très  technique  et  très  vivant 
du.  commerce,  du  crédit,  de  l'agiotage,  de  l'industrie, 
du  travail  manuel  à  Paris,  sous  Napoléon.  On  trouvera 
dans  ce  livre  une  foule  de  documents  du  plus  haut 
intérêt    remarquablement    ordonnés,     présentés    et 


52  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

commentés,  et  notamment  des  .détails  tout  à  fait 
curieux  sur  la  façon  dont  l'Empereur  envisageait  les 
questions  ouvrières. 

La  Roncière  (Charles  de).  —  Histoire  de  la  Marine  Fran- 
çaise, le  quatrième  volume  de  ce  magistral  ouvrage 
évoque  le  temps  où  Richelieu  conçut  le  plan  d'un 
empire  colonial  pour  la  France  et  travailla  à  consti- 
tuer, pour  l'étayer,  la  forte  armature  d'une  marine 
de  guerre. 

Latreille  (C).  L'Opposition  religieuse  au  Concordat,  un 
savant  et  excellent  volume. 

Marquiset  (Alfred).  — ■  Le  Vicomte  d' Arlincourt,  une  bien 
séduisante  étude  sur  ce  «  prince  des  romantiques», 
littérateur  fécond  «  qui  occupa  la  première  moitié 
du  XXe  siècle  par  des  promenades  de  troubadours  et 
des  vers  galants  tracés  dans  les  albums  des  grandes 
dames  »,  et  qui  fut,  sinon  un  écrivain  de  bien  grand 
talent,  du  moins  un  homme  de  grâce  et  de  bonne 
volonté. 

Mathiez  (Albert).  —  La  Révolution  et  V Église,  un  recueil 
d'études  critiques  et  documentaires.  L'auteur  est  un 
historien  très  érudit  :  il  s'est  consacré  plus  spéciale- 
ment à  l'étude  de  la  Révolution  et  il  est  «  président 
de  la  Société  des  études  robespierristes  ».  Voilà  un 
titre  qui  est  fait  pour  établir  sa  compétence,  mais 
qui  ne  nous  rassure  qu'à  demi  sur  son  impartialité. 
J'ai  lu  avec  intérêt  et  attention  ce  livre  remarquable, 
bourré  de  faits  et  de  documents;  j'y  ai  appris  beau- 
coup de  choses  intéressantes  et  je  crois  que  le  public 
les  lira  avec  profit,  mais  je  n'y  ai  point  trouvé  cette 
sérénité  absolue  qui  ferait  l'historien  idéal.  M.  Ma- 
thiez ne  croit  pas  qu'un  ecclésiastique  soit  capable 
d'écrire  une  histoire  religieuse  de  la  Révolution  parce 
que  «  les  lois,  les  institutions  contraires  à  l'esprit  de 
l'Éghse  lui  seront  lettre  morte».  C'est  bien  possible, 
mais  s'imagine-t-il  vraiment  que  les  incrédules 
soient  mieux  qualifiés  pour  comprendre  les  choses 
ecclésiastiques? 

Pailhès  (G.).  —  La  Duchesse  de  Duras  et  Chateaubriand. 

Péguy  (Charles).—  Ze  Mystère  de  la  Charité  de  Jeanne  d'Arc, 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    FÉVRIER  53 

une  prestigieuse  évocation  de  la  bonne  Lorraine  sous 
la  forme  originale  et  touchante  d'un  mystère,  dont 
l'auteur  en  plein  XX^  siècle  et  dans  notre  langue 
moderne,  a  su  parler  de  Jeanne  comme  Joinville 
parlait  de  saint  Louis. 

Plattard  (Jean).  —  U Œuvre  de  Rahelay. 

Recouly  (Raymond).  —  En  Angleterre,  un  volume  d'un  bien 
vif  intérêt.  L'auteur,  qui  a  vécu  longtemps  à  Londres, 
évoque  en  des  pages  prestes  et  vivantes,  la  vie  et  les 
mœurs  de  la  grande  ville,  note  au. passage  mille  détails 
pittoresques  de  la  rue  et  de  la  maison.  La  seconde 
partie  de  son  livre,  plus  austère  mais  non  moins 
attrayante,  nous  parle  de  la  politique,  étudie  les  ques- 
tions extérieures  et  coloniales,  et  nous  expose  le 
mécanisme  parlementaire  :  étude  particulièrement  pré- 
cieuse pour  nous  au  lendemain  des  élections  qui 
viennent  de  finir  et  qui  marquent  une  date  si  impor- 
tante dans  l'histoire  de  l'Angleterre. 

Hocca  de  Vergallo  (N.-A.  Délia).  —  La  réforme  générale  de 
Vortografe,  une  «  édicion  nacionale»  d'une  œuvre  qui 
est  une  chose  affreuse  où  la  pauvre  langue  française 
subit,  sous  nos  yeux,  les  pires  outrages. 

Rocheblave.  —  Agrippa  d' Auhigné,  une  étude  littéraire 
parue  dans  la  Collection  «  Les  Grands  Écrivains 
Français  ». 

Roussel  (Raym-ond).  —  Impressions  d'Afrique. 

Sancy  (Pierre  de).  —  Pais  d'chez  nous.  L'auteur  est  un  grand 
chasseur  devant  l'Éternel  et,  bien  qu'on  lui  ait  dit 
souvent  :  «  Tu  ne  fais  rien,  tu  chasses  !  )r,  il  a  su  mettre 
à  profit  les  longues  heures  passées  à  la  poursuite  du 
gil3ier;  cependant  qu'à  travers  les  plaines  et  les 
champs,  il  suivait  les  animaux  à  la  trace,  il  regardait 
les  hommes,  les  paysans,  rencontrés  sur  son  passage, 
il  recueillait  mille  observations  qu'il  nous  rapporte 
aujourd'hui  —  chasseur  doublement  heureux  —  dans 
un  très  agréable  volume  où  sont  réunies  une  foule 
d'anecdotes  amusantes  ou  dramatiques,  contées  en 
une  langue  famihère,  et  d'où  l'auteur  a  tiré  une  espèce 
de  philosophie  en  traçant  une  «  esquisse  sociale»  du 
paysan  français,  lequel  a,  «  comme  tous  les  êtres,  du 


54  LE    MOUVEMEÎST    LHTHKAIRE 

pour  et  du  contre,  des  qualités  et  des  vices,  mais  pas 
de  bien  grands  vices,  ni  de  très  belles  qualités.  C'est 
surtout  un  être  neutre,  avec  des  contradictions  qui 
vous  déroutent  et  parfois  un  esprit  de  suite  qui  vous 
surprend  ». 

Séché  (Alphonse)  et  Jules  Bertaut.  —  Balzac.  —  Charles 
Baudelaire,  deux  volumes  où  les  auteurs  poursuivent 
la  publication  de  leur  intéressante  série  «  La  Vie  anec- 
dotique  et  pittoresque  des  grands  écrivains». 

Séché  (Léon).  —  Lettres  d'amour  d'Alfred  de  Musset  à 
Aimée  d'Alton,  ces  lettres  sont  celles  dont  la  pubh- 
cation  dans  le  Figaro  fut  si  passionnément  suivie  par 
le  monde  entier  et  qui,  réunies  en  volume,  suivies  de 
poésies  inédites  écrites  de  1837  à  1848,  augmentées 
d'une  introduction  et  de  notes  par  Léon  Séché,  ont 
intéressé  le  public,  au  point  que  dix  éditions  furent 
enlevées  en  moins  de  quinze  jours.  Des  esprits  cha- 
grins pourront  regretter  ce  déchaînement  de  curio- 
sité autour  des  intimités  amoureuses  d'un  grand 
poète,  mais  qu'y  faire  !  Il  y  a  longtemps  que  le  mur 
Guilloutet  a  été  démoh  pour  les  hommes  illustres  et 
que  nous  nous  sommes  —  souvent  avec  leur  comph- 
cité  —  introduits  dans  leur  vie  privée. 

Thoumas  (Général).  —  Les  Grands  Cavaliers  du  Premier 
Empire. 


MARS 


LES  ROMANS 


MARGELLE  TINAYRE 
L'Ombre  de  l'Amour. 

Que  de  mystère  et  de  mélancolie  dans  ce  titre  : 

Ombre  de  V amour  !  Il  n'est  pas  mis  là,  ainsi  qu'il 

ii'ive  trop  souvent,  au  hasard  d'une  euphonie, 

'omme  une  fallacieuse  enseigne;  il  exprime  avec 

une  concision  éloquente  la  pensée  du  roman  et  met 

tout  de  suite  le  lecteur  dans  l'atmosphère  du  drame. 

L'amour  que  M^"^  Marcelle  Tinayre  évoque  dans 
^on  livre  n'est  point  la  claire  et  robuste  et  saine  pas- 
sion qui  enchante  l'univers  et  sans  cesse  crée  de  la 
vie;  c'est  un  timide  et  douloureux  amour  de  cré- 
puscule auquel  sont  refusés  d'avance  les  vastes 


56  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

espoirs  et  les  fécondes  joies,  amour  de  pitié,  amour 
d'aumône  accordé  par  une  femme  admirable  à  un 
mourant  «  pour  qu'il  ne  pleure  plus,  qu'il  ne  souffre 
plus,  qu'il  soit  heureux,  qu'il  s'en  aille,  ébloui 
d'amour,  dans  l'ombre  éternelle)). 

C'est  très  poétique,  mais  tout  de  même  on  aurait 
souhaité  une  autre  destinée  pour  Denise  Cayrol, 
cette  belle  jeune  fille  de  vingt-sept  ans,  «  au  corsage 
plein,  avec  de  la  claire  raison,  avec  de  la  bonté 
lumineuse  dans  ses  yeux  gris  nuancés  de  vert)),  et 
qui  mûrissait  dans  une  vie  laborieuse,  chaste  et 
quasi-conventuelle  auprès  de  son  père,  Etienne 
Cayrol;  ce  dernier,  un  médecin  de  campagne  dont 
toute  la  personne  révèle  l'origine  paysanne,  respire 
la  force  stable,  lente,  réfléchie,  sûre  d'elle-même, 
chérit  sa  fille  d'une  tendresse  profonde  et  quelque 
peu  égoïste;  heureux  de  l'avoir  arrachée  au  cou- 
vent, il  ne  se  préoccupe  guère  de  la  restituer  à  la 
vie  par  le  mariage  et  la  maternité  —  et  lorsque  la 
pitié  de  Denise  pour  Jean  Favières,  cet  enfant  de 
vingt-quatre  ans,  phtisique,  confié  aux  soins  du 
docteur,  se  transforme  en  un  sentiment  plus  tendre, 
il  n'y  a  pas  seulement,  dans  l'angoisse  d'Etienne 
Cayrol,  la  crainte  du  médecin,  ennemi  brutal  des 
amours  maladives,  il  y  a  surtout  la  jalousie  doulou- 
reuse du  père  qui  voit  s'élever  entre  sa  fille  et  lui 
une  tendresse  nouvelle.  Et  cette  jalousie  est  clair- 
voyante, car  la  jeune  fille  est  exaltée  par  son  amour 
jusqu'à  douter  de  la  science  paternelle;  on  la  voit, 
elle,  la  fille  du  savant,  libérée  par  lui  de  toutes  les 


MARS   —    LES    ROMANS  57 

superstitions,  s'en  aller,  certaine  nuit,  vers  le  vieux 
sorcier  du  village  pour  implorer  de  lui  le  remède 
mystérieux  capable  de  sauver  Jean,  pour  demander 
secours  aux  forces  qu'ignorent  les  savants. 

Hélas  !  aucune  force  ne  saurait  sauver  Jean  qui 
meurt  bientôt,  non  sans  avoir  connu  l'illusion 
adorable,  l'ombre  fugitive  de  l'amour.  Et  quelque 
temps  après,  la  mort,  enfin  secourable,  s'empare 
aussi  du  fruit  de  cet  amour,  triste  et  chétive  huma- 
nité dont  l'existence  n'eût  été  que  souffrances  et 
regrets.  Ce  roman  d'amour  et  d'ombre  est  conté 
par  M"^«  Marcelle  Tinayre  avec  une  mâle  et  tragi- 
que puissance,  avec  aussi  d'exquises  délicatesses  de 
femme;  il  se  déroule  dans  des  paysages  limousins 
dont  elle  évoque  magnifiquement  la  tristesse  et  la 
splendeur. 


Mlle  V.  BOUYER-KARR 
La  Voile  rouge. 

Mlle  V.  Bouyer-Karr,  dont  j'ai  salué  naguère  les 
très  intéressants  débuts  littéraires,  poursuit  coura- 
geusement son  effort  et  s'emploie,  avec  un  zèle 
méritoire,  à  donner  un  lustre  nouveau  et  tout  à  fait 
personnel  au  beau  nom  qu'elle  porte. 

Vraiment,  le  talent  de  Mue  Bouyer-Karr  ne  doit 
rien  à  personne  :  il  est  bien  à  elle,  d'une  étrange  et 
fruste  originalité;  et  c'est  bien,  du  nom   qu'elle 


58  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

donnait  à  l'héroïne  de  son  dernier  roman,  un  «  fruit 
sauvage  »  mûri  en  pleine  nature,  sans  qu'aucune 
discipline  en  soit  venu  affadir,  ni  corriger  l'âpre 
saveur. 

Cette  qualité  précieuse  et  rare  irait  presque  à 
l'excès  dans  la  Voile  rouge.  Il  y  a  dans  cette  histoire^ 
de  pêcheurs,  qui  se  déroule  au  fond  de  la  rade  enso- 
leillée et  lumineuse  d'Agay,  la  matière  de  dix  ro- 
mans dont  les  péripéties  dramatiques,  violentes  et 
passionnées  se  succèdent  de  façon  à  défier  Fanalyse, 
et  je  me  sens  tout  à  fait  incapable  de  vous  contoi 
les  aventures  de  maître  Roure,  le  vieillard  aveugle, 
patron  autrefois  de  la  Volonté-de-Dieu^  le  vaillant 
et  fier  bateau  dont  la  voile  rouge,  teinte  par  un  pro- 
cédé mystérieux,  flamboyait  dans  la  lumière  et  qui 
aujourd'hui  languit,  mélancolique,  malgré  la  ten- 
dresse dont  l'entourent  ses  quatre  petites  filles  : 
Clorinde,  Douce,  Catherine  et  Matelot.  Que  de  dra- 
mes et  que  de  romans  autour  de  lui  :  c'est  l'histoire 
de  Clorinde  fiancée  à  Dominique  qu'elle  aime  ten- 
drement, et  adorée  d'une  passion  sauvage  et  dan- 
gereuse par  Delcalzo,  le  nègre;  c'est  l'aventure  de 
Douce  enlevée  par  un  contrebandier  espagnol, 
Carlo  Xammar;  Douce,  la  préférée  du  vieillard  qui 
ne  se  consolerait  pas  de  sa  faute  si  par  un  pieux  sub- 
terfuge Clorinde  ne  prenait  sa  place  auprès  de 
l'aveugle;  et  c'est  encore  la  tragique  histoire  de 
Petrouille  et  de  Musette,  le  douanier  qui  fait  de  la 
contrebande  ! 

Mais  pourquoi  essayer  de  raconter?  je  ne  réussi- 


MARS    LES    ROMANS  59 

rais  qu'à  mettre  de  l'obscurité  dans  ce  récit,  où 
M"e  Bouyer-Karr  a  su  rester  claire,  limpide,  à  tra- 
\ers  tous  ces  drames  et  tous  ces  orages,  jusqu'au 
dénouement  où  nous  voyons  le  vieillard  aveugle, 
;ibusé  jusqu'au,  bout,  reprendre  une  dernière  fois 
lo  commandement  de  son  bateau  et  mourir  heureux 
aux  bras  de  sa  grande  amoureuse,  la  mer  toujours 
regrettée.  Le  livre  est  très  émouvant,  avec  des 
étrangetés  de  style  qui  sont  voulues,  sans  doute; 
•  t  son  auteur  est  appelée  certainement  à  nous 
donner  encore  des  œuvres  intéressantes,  pour  peu 
qu'elle  veuille  endiguer  un  peu  une  imagination 
trop  riche  et  trop  généreuse,  —  mais  c'est  un 
défaut  singulièrement  rare  et  précieux  et  qu'on 
souhaiterait  à  pas  mal  de  romanciers. 


ERNEST  DAUDET 

Les  Rivaux 
«  Roman  en  trois  époques:  1795-1815-1830». 

Sous  le  titre  :  les  Rivaux,  M.  Ernest  Daudet  pu- 
blie un  livre  d'une  coupe  très  originale;  c'est  un 
«  roman  en  trois  époques  :  1795  —  1815  —  1830». 
Ces  dates  marquent  les  trois  étapes  d'une  histoire 
poignante  d'amour  et  de  haine  :  celle  de  àSoirterrr 
et  Marignac,  deux  amis  d'enfance  qui,  en  1795,  se 
sont  enrôlés  dans  les  armées  de  la  République  et 


60  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

servant  d'un  même  cœur  fraternel  la  Patrie  en 
danger,  gagnent  ensemble  leurs  galons  de  capi- 
taine. Au  cours  de  la  campagne  ils  rencontrent  une 
jeune  fille,  M^i^  de  Ligner ay,  fille  d'un  émigré  enrôlé 
parmi. les  Autrichiens;  ils  s'éprennent  tous  deux 
d'une  ardente  passion  pour  cette  belle  jeune  fille, 
et  voilà  allumée  la  guerre  fratricide.  M^i^  de  Ligne- 
ray  a  élu  Noirterre,  elle  l'épouse;  et  Marignac, 
qui  de  son  côté  s'est  marié,  dissimule  en  son  cœur 
une  haine  farouche  contre  son  rival  heureux  dont 
il  reste  en  apparence  l'ami. 

Vingt  ans  se  passent,  nous  sommes  en  1815,  c'est 
la  seconde  étape  du  drame;  Noirterre  et  Marignac 
sont  devenus  généraux,  le  premier  reste  fidèle  à 
l'Empereur,  tandis  que  le  second,  rallié  aux  Bour- 
bons, se  trouve  à  la  Restauration  comblé  de  faveurs 
et  d'honneurs  ;  son  ami  s'est  réfugié  auprès  de  lui 
et  Marignac  saisit  alors  l'occasion  d'assouvir  une 
tenace  rancune  de  vingt  ans  ;  il  dénonce  son  frère 
d'armes  et  le  fait  fusiller. 

Quinze-  ans  après,  c'est  1830,  c'est  la  Révolu- 
tion. Le  général  Marignac  a  une  fille  de  vingt  ans, 
Noélie;  il  est  le  tuteur  de  Stéphane,  le  fils  de  celui 
qu'il  a  lâchement  dénoncé;  les  deux  jeunes  gens 
s'aiment,  ils  s'épouseraient  si  Stéphane  n'avait 
voué  une  haine  farouche  aux  Bourbons,  mais  au 
cours  d'une  émeute  le  pupille  sauve  son  tuteur  qui, 
dans  un  élan  de  reconnaissance,  lui  accorde  la 
main  de  sa  fille  ;  c'est  alors  que  Stéphane  découvre 
dans  de  vieux  papiers  la  preuve  de  l'infamie  de  son 


MARS    LES    ROMANS  61 

futur  beau -père,  il  le  force  à  avouer;  Marignac 
écrasé  par  la  honte  s'en  va  reprendre  du  service  en 
Afrique,  et  trouve  la  mort  à  la  prise  d'Alger. 

Telle  est,  rapidement  esquissée,  cette  histoire  de 
haine  et  d'amour  toute  traversée  par  le  fracas  d'un 
demi-siècle  de  guerres  et  de  révolutions  et  que  l'au- 
teur a  évoqué  en  mêlant,  comme  il  sait  si  bien  le 
faire,  l'histoire  et  le  roman. 


ALBÉRIG  GAHUET 
Les  Dernières  Joies  de  Sèverin  Chantai. 

J'attendais  ce  livre  avec  une  très  sympathique  et 
impatiente  curiosité  :  M.  Albéric  Gahuet  qui,  pen- 
lant  trois  ans,  a  gardé  le  silence,  m'apparait,  en 
effet,  comme  l'un  des  mieux  doués  de  la  phalange 
des  jeunes,  et  l'auteur  de  la  Corbeille  d'argent  et  de 
la  Fêlure^  que  je  suis  très  heureux  d'avoir  été  des 
premiers  à  saluer,  ne  saurait,  semble-t-il,  nous  don- 
ner désormais  rien  d'indifférent  ni  de  médiocre.  La 
grâce  littéraire  a  touché  cet  écrivain,  il  est  aimable 
et  séduisant  le  plus  naturellement,  le  plus  sponta- 
nément du  monde;  ajoutez  à  cela  qu'il  n'abuse  pas 
de  ses  dons  naturels,  de  cette  heureuse  facilité  qui 
réjouit  son  lecteur,  et  qu'il  se  donne  la  peine  d'ob- 
server et  de  penser. 

Lta  Dernières  Joies  de  Séverin  Chantai  sont  une 

5 


62  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

heureuse  étape  de  cette  belle  et  jeune  carrière. 
Avec  toute  la  grâce  désinvolte  et  légère  des  livres 
précédents,  c'est  une  œuvre  plus  grave  et  plus  pro- 
fonde. Les  gens  qui  aiment  Tordre  et  la  classifica- 
tion lui  reprocheront  peut-être  do  ne  pas  appartenir 
à  un  genre  nettement  déterminé,  le  fait  est  qu'elle 
trompe  joliment  son  monde  :  elle  commence  comme 
un  fantaisiste  roman  parisien,  par  un  gentil  croquis 
où  l'on  voit  la  mignonne  petite-main,  Reine  Leroy, 
en  butte  aux  assiduités  d'un  suiveur  élégant  devant 
qui  elle  s'enfuit,  tout  en  essayant  de  se  rendre 
compte  s'il  est  bien  de  sa  personne  ;  puis,  très  vite, 
la  scène  change,  nous  quittons  Paris  à  fond  de 
train,  dans  une  automobile  mystérieuse,  et  nous 
nous  retrouvons  très  loin  de  la  rue  de  la  Paix  et  des 
faubourgs  parisiens,  dans  le  château  de  Séverin 
Chantai  où  va  se  jouer  sous  nos  yeux  le  plus  poi- 
gnant des  drames  philosophiques. 

Ne  tremblez  pas  :  M.  Albéric  Gahuet  n'est  pas 
sanguinaire;  si  l'on  meui^t  dans  son  livre,  c'est  en 
beauté,  au  milieu  des  roses  et  des  parfums,  non 
point  à  l'aide  d'armes  bruyantes  ni  de  poisons  aux 
vilains  noms  chimiques,  mais  à  l'aide  de  cette  ciguë 
qui  fut  ennobhe  par  Socrate;  et  si  l'on  y  fait  de  la 
philosophie,  c'est  sans  y  prendre  garde,  sans  qu'un 
maître  pédant  prétende  vous  l'enseigner,  mais  tout 
simplement  en  regardant  de  la  vie  et  de  la  mort,  en 
écoutant  la  confession  de  Séverin  Chantai  à  la 
veille  de  sa  mort  volontaire,  ce  Séverin  Chantai  qui 
voulut  être,  et  fut,  un  disciple  d'Aristippe  le  Cyré- 


MARS    —    LES    ROMANS  63 

naïque  et  de  Calliclès,  les  doctrinaires  de  la  morale 
du  plaisir;  bien  décidé  à  fuir,  le  jour  où  apparaîtrait 
Tarraée  des  douleurs  et  des  épouvantes,  parce  que 
le  plaisir  est  la  seule  raison  de  vivre. 

Il  a  été  humanitaire  à  sa  façon  :  il  a  recueilli  dans 
son  château  des  hommes  et  des  femmes  privés  par 
la  société  du  droit  de  vivre,  des  malheureux,  des 
criminels,  des  déclassés,  et  il  leur  a  donné  le  moyen 
de  vider,  quelque  temps,  la  coupe  des  joies,  et  sans 
regret,  puisque  la  coupe  est  vide,  ils  vont  mourir 
demain,  avec  lui;  pas  tous  cependant,  car  Reine 
Leroy  aura  la  vie  sauve  et  elle  arrachera  en  même 
temps  au  suicide  Tony,  le  suiveur  du  début,  auquel 
^on  amour  refera  un  honneur  et  une  existence.  Et 
lo  couple  s'évadera  du  château  philosophique  pour 
rentrer  dans  la  vraie  vie  et  nous  montrer  en  face 
les  plaisirs  négatifs  et  décevants  du  Gyrénaïque  la 
joie  de  vivre,  la  vraie  joie  saine  et  positive. 


RENÉ  BAZIN 
La  Barrière. 

Les  romaucicis  invoquent  volontiers  tantôt  les 

droits  imprescriptibles  de  l'amour,  tantôt  la  puis- 

unce  souveraine  de  l'argent,  et  souvent  les  deux  à 

i  fois;  ce  sont  les  grands  ressorts  de  la  plupart  dos 

iictions  romanesques  de  ce  temps.  M.  René  Bazin, 


64  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

lui,  estime  que  tout  cela  n'est  rien,  ou  bien  peu  de 
chose,  au  regard  de  la  religion  et  de  la  foi.  Il  consi- 
dère qu'en  dépit  des  apparences,  ce  sont  des  consi- 
dérations religieuses  qui  gouvernent  notre  société 
de  mécréants,  et  la  Barrière  qui  peut  séparer  les 
êtres  humains,  malgré  toutes  les  tentations  de 
l'amour,  malgré  toutes  les  lois  de  la  famille,  c'est 
la  religion.  «  Il  n'y  a  pas,  selon  M.  René  Bazin, 
d'époque  plus  théologique  que  celle-ci,  plus  tra- 
vaillée dans  les  profondeurs  par  les  courants  qui 
se  contrarient  ou  se  côtoient.  Où  est  la  famille  qui  a 
la  paix  complète,  religieuse  ou  irréligieuse?» 

Pour  illustrer  cette  thèse,  l'académicien  nous 
conte  l'histoire  de  la  charmante  et  pieuse  Marie 
Limerel  aimée  tendrement  par  son  cousin  Félicien 
Limerel,  un  homme  paré  de  tous  les  dons  de  l'intel- 
ligence et  de  la  bonté,  mais  qui,  malgré  le  plus  méri- 
toire effort,  ne  peut  arriver  à  cette  foi  complète 
que  Marie  exige  de  son  futur  époux.  Avec  un  noble 
désespoir  il  l'avoue  à  sa  fiancée,  et  cela  suffît  pour 
réduire  à  néant  des  projets  d'union  et  de  bonheur 
terrestre.  Parallèlement  à  cette  aventure,  l'auteur 
nous  conte  celle  de  Réginald  Osberne  Breynolds, 
héritier  d'une  vieille  et  noble  famille  d'Anglais 
protestants  qui,  touché  par  la  grâce  catholique,  est 
entraîné  par  un  élan  irrésistible  vers  sa  foi  nouvelle 
et  brave,  la  mort  dans  l'âme,  toutes  les  rigueurs 
paternelles,  toutes  les  douleurs  familiales  pour 
obéir  à  la  loi  supérieure  de  sa  conscience.  Corneille 
eût  tiré  de  ce  sujet  une  tragédie,  M.  René  Bazin  en 


LES    ROMANS  65 


a  fait  un  roman  d'une  très  noble  conviction,  d'un 
style  très  simple  et  harmonieux,  où  l'on  retrouve 
avec  joie  quelques-unes  de  ces  descriptions  de  pay- 
sasfcs  où  il  excelle. 


JULES  PERRIN 
Brocéliande. 

M.  Jules  Perrin,  romancier  très  moderne,  se  plaît 
néanmoins  dans  les  légendes  d'un  passé  lointain, 
et  il  aime  à  entourer  les  histoires  réelles  de  notre 
temps  de  prose,  d'une  brume  pittoresque  de  mys- 
tère et  de  légende.  C'est  ainsi,  qu'en  son  roman,  il  a 
restitué  à  cette  forêt  de  Paimpont,  que  les  gars  bre- 
tons de  Montfort  traversent  aujourd'hui  sans  émo- 
tion, son  nom  de  Brocéliande^  rendu  fameux  par 
tant  de  romans  de  chevalerie.  Et  l'histoire  de  Go- 
lomban  le  Nestour,  fils  d'une  malheureuse  paysanne 
et  d'un  père  mystérieux,  se  rattache  le  plus  natu- 
rellement du  monde  aux  aventures  fabuleuses  de 
l'enchanteur  Merlin  et  de  la  fée  Viviane,  qui  furent, 
dans  le  temps,  les  hôtes  de  Brocéliande  ;  bien  mieux, 
nous  apprenons  dans  la  suite,  qu'il  a,  par  son  père 
mystérieux  et  par  la  vieille  baronne  de  Guern,  quel- 
ques liens  de  parenté  avec  l'enchanteur  et  la  fée,  et 
en  échangeant  devant  la  fontaine  de  Barenton  ses 
premiers  serments  d'amour  avec  la  belle  Florence, 
il  obéit,  sans  s'en  douter,  à  une  très  antique  tradi- 


66  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

tion  de  famille.  Tant  il  est  vrai  que  les  légendes 
sont  toujours  debout,  les  fées  toujours  vivantes,  et 
que  l'histoire  sans  cesse  se  recommence. 

Malgré  la  cognée  des  bûcherons  qui  déboise  sans 
cesse,  la  forêt  de  Paimpont  a  gardé  encore  assez 
du  mystère  et  de  l'ombre  de  Brocéliande  pour  enca- 
drer l'histoire  de  M.  Perrin.  J'ajoute  que.,  dans  (' 
décor  de  légende,  l'auteur  a  su  camper  des  type.> 
très  modernes,  très  vivants,  tels  ce  vieux  docteur 
Le  Yaouang  et  aussi  Hervé  de  Guern,  fils  légitime 
et  dégénéré  de  la  vieille  famille,  qui  traîne  sa  fai- 
blesse à  côté  de  la  fière  vigueur  du  bâtard  Golom- 
ban,  et  encore  la  belle  Florence  qui,  «  évaporée  dans 
le  mystère,  un  doigt  sur  ses  lèvres  closes  »,  symbolise 
assez  bien  l'énigme  éternelle  de  l'éternel  féminin. 


ANDRÉ  LICHTENBERGER 
Tous  Héros. 

Sous  ce  titre  M.  André  Lichtenberger  évoque  les 
temps 'révolutionnaires  en  une  série  de  nouvelles. 
Et  ce  sont  vraiment  tous  des  héros,  les  personnages 
qui  animent  ces  récits  rapides  et  formidable  où 
M.  Lichtenberger  a,  sous  une  forme  très  roma- 
nesque,  retracé  quelques  épisodes  de  la  grande 
tourmente  où  l'on  faisait  si  bon  marché  de  son 


MARS    —    LES    ROMANS  67 

existence...  et  de  celle  des  autres.  M.  André 
Lichtenberger  admire  cet  héroïsme,  quelque  forme 
qu'il  ait  revêtue  et  de  quelque  côté  de  la  barricade 
qu'il  se  soit  manifesté. 

Avec  une  tendresse  évidente  pour  la  Révolu- 
tion, il  montre  tout  de  même  un  impartial  éclec- 
tisme :  s'il  exalte  Machut,  le  stoïque  délégué  du 
Comité  de  Salut  Public  aux  armées  de  l'Est,  lequel, 
après  avoir,  à  Paris,  fait  couper  quelques  têtes, 
laisse  périr  sa  femme  et  ses  enfants  par  amour  pour 
la  patrie  et  pour  la  République,  il  s'enflamme  aussi 
au  souvenir  de  l'admirable  curé  Poulendre,  si  géné- 
reux et  si  noble,  et  qui,  dénoncé  par  sa  tonsure  alors 
qu'il  salue  le  drapeau,  expie  sous  le  couperet  sa 
vaillance  et  son  abnégation  ;  il  garde  également  une 
émotion  profonde  et  douce  pour  les  «  promeneuses  », 
pour  M^^  Elisabeth,  M^^^  de  Senozan,  M^^  de 
Grussol,  qui  surent  mourir  en  beauté,  avec  une  grâce 
qui  était,  elle  aussi,  de  l'héroïsme.  Ces  récits  sont 
contés  avec  un  art  très  délicat  par  M.  André  Lich- 
tenberger qui  a  su,  lui  aussi,  comme  ses  héroïnes, 
être  tragique  et  violent  avec  beaucoup  d'élégance. 


JULES  SAGERET 
Paul  le  Nomade. 

Dans  ce  roman,  M.  Jules  Sageret  nous  donne 


68  LE    MOUVEMENT    LITTÉBATRE 

une  gentille  et  facile  leçon  de  philosophie  pratique 
qui  pourrait  s'orner  d'une  épigraphe  telle  que  : 
i(  Pierre  qui  roule  n'amasse  pas  mousse  »,  ou  encore 
de  quelqu'un  de  ces  axiomes  forgés  par  la  sagesse 
des  nations  pour  inculquer  aux  hommes  de  moyen- 
nes vertus  :  l'activité  tranquille,  la  stabilité,  la 
fidélité  au  foyer,  conditions  d'un  bonheur  sans  nua- 
ges, et  que  la  main  peut  atteindre. 

Si  vous  doutez  encore  de  cette  vérité,  lisez  l'his- 
toire de  Paul  Méliande  et  vous  serez  convaincus. 
Après  vous  être  divertis  ou  émus  aux  multiples  péri- 
péties auxquelles  son  humeur  inquiète  entraine 
ce  personnage  toujours  en  quête  de  combinaisons 
et  d'aventures  nouvelles,  et  toujours  déçu,  .vous 
vous  réjouirez  sûrement  de  le  voir,  un  beau  jour, 
rentrer  au  bercail  auprès  de  sa  femme,  dans  la 
maison  conjugale,  où  il  trouve  le  paradis  cherché 
si  loin.  Cette  fort  sage  histoire  est  contée  avec  agré- 
ment et  conviction. 


RESGLAUZE  DE  BERMON 
Le  Lien. 

Très  édifiant  aussi,  le  roman  de  M.  Resclauze  de 
Bermon.  L'auteur  est  indigné  par  le  divorce  autant 
que  M.  Paul  Bourget,  mais  son  héroïne,  plus  heu- 
reuse, s'arrête  sur  le  bord  de  l'abîme,  cet  abîme 
effroyable  qu'est,  selon  l'auteur,  la  rupture  avec 


MARS    LES    ROMANS  69 

un  mauvais  mari,  et  l'union  avec  un  homme  très 
tendrement  épris,  généreux,  riche  et  prêt  à  sacri- 
fier à  celle  qu'il  aime  sa  situation  mondaine.  Ce 
serait  un  crime,  paraît-il,  les  circonstances  permet- 
tent qu'il  ne  soit  consommé  qu'à  demi  :  le  divorce 
est  bien  prononcé,  mais  des  circonstances  impré- 
vues empêchent  le  scandale;  l'hostilité,  notamment, 
d'une  vieille  tante  fort  riche,  qui  menace  de  déshé- 
riter son  neveu  s'il  épouse  —  ce  qui  tempère  un 
peu  les  ardeurs  de  ce  fiancé  —  l'amène  à  demander 
un  délai  que  met  à  profit  le  mari  de  Viviane  pour  se 
tuer.  Ainsi  Viviane,  veuve,  peut  convoler  en  justes 
noces,  mais  ce  n'est  pas  avec  le  fiancé  prévu  (encore 
que  tous  les  obstacles,  y  compris  la  tante  elle-même 
talent  disparu),  c'est  avec  Jacques  de  Lorne,  un 
ami  de  Viviane,  qui  n'avait  cessé  de  lui  déconseiller 
le  divorce  et  de  lui  prêcher  le  respect  des  lois  sacrées 
du  mariage.  Ainsi,  la  vertu  et  la  tradition  sortent  de 
ce  roman  doublement  triomphantes. 


LÉOPOLD  COUROUBLE 
Madame  Kaekebroeck  à  Paris. 

M.  Léopold  Gourouhle  est  un  écrivain  belge  qui 
jouit  sur  les  bords  de  la  Senne  d'une  enviable 
renommée  !  ses  romans  de  mœurs  bruxelloises,  où, 
avec  beaucoup  de  verve,  il  portraicture  ses  com- 

5. 


70  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

patriotes  les  Belges  et  blague  leur  accent,  sont  très 
goûtés  là-bas  ;  les  Belges  ne  sont  pas  susceptibles, 
ils  rient  de  bon  cœur  à  tous  ces  «  alleïe,  alleïe  »,  à 
tous  ces  «  savez-vous»,  qui  émaillent  les  romans  de 
M.  Léopold  Gourouble,  trouvent  cela  très  comique 
et  n'en  conservent  pas  moins  précieusement  ces 
locutions  et  cet  accent.  M.  Gourouble  s'en  désole, 
il  veut  bien  les  faire  rire,  mais,  selon  la  formule  du 
poète  latin,  il  veut  les  corriger,  et  il  a  pris  derniè- 
rement un  parti  héroïque  :  il  a  imaginé  de  conduire 
Madame  Kaekebroeck  à  Paris, 

Et  la  voilà  presque  naturalisée  :  tout  de  suite,  un 
éditeur  parisien,  l'a  adoptée,  et  il  convient  que  nous 
fassions  bon  accueil  à  M "^^  Kaekebroeck,  d'abord 
parce  que  cette  grasse  et  gentille  Flamande  est  ave- 
nante à  souhait,  puis,  parce  que  nous  nous  devons 
d'encourager  de  tels  voyages,  entrepris  uniquement 
pour  développer  en  Belgique  l'influence  française, 
y  implanter  les  mœurs  et  la  langue  (la  vraie  langue) 
de  France.  Le  livre  de  M.  Gourouble  est  d'ailleurs 
tout  à  fait  agréable,  d'une  jovialité  un  peu  grosse 
parfois,  mais  de  bon  aloi,  et  la  promenade  à  travers 
Bruxelles  et  Paris,  à  laquelle  nous  convient  M.  et 
]y[me  Kaekebroeck,  est  tout  à  fait  gentille.  L'auteur 
nous  la  conte  en  un  style  très  simple,  très  allant,  où 
ont  bien  réussi  à  se  glisser,  de-ci  de -là,  quelques- 
unes  de  ces  locutions  belges  dont  il  voudrait  tant 
débarrasser  ses  compatriotes;  mais  cela  n'empêche 
pas  le  livre  d'être  excellent  pour  la  propagande 
française,  pour  le  culte  de  ces  «  manières  de  France 


MARS   —    LES    ROMANS 


qui  plaisent  à  toutes  les  nations,  ou  plutôt  à  toutes 
les  femmes...» 


GEORGES   BEAUME 
Monsieur  le  Député. 

Dans  quelques  semaines  les  élections  vont  sévir 
et  la  politique,  comme  à  l'ordinaire,  fera  du  tort  à 
la  littérature  ;  en  attendant,  et  sans  doute  pour  faire 
compensation,  quelques  écrivains  lui  empruntent  le 
sujet  de  leurs  romans.  J'en  ai  signalé  plusieurs  déjà 
qui  étaient  douloureux  et  pénibles.  M.  Georges 
Beaume,  lui,  veut  être  gai  et  il  célèbre  Monsieur 
le  Député  sur  le  mode  comique  :  il  nous  conte  dans 
son  livre  une  étonnante  histoire  d'élection  qui  se 
déroule  dans  la  petite  ville  de  Nézignan-l'Evêque, 
où  sont  aux  prises  les  Rouges  et  les  Ecarlates.  Les 
gens  du  pays  ont  tous  à  peu  près  la  même  opinion, 
mais  comme  on  veut  à  tout  prix  Une  campagne 
électorale  avec  tout  son  cortège  de  petits  bénéfices 
et  de  grosses  émotions  et  que  Dominique  Bonna- 
fous,  le  maire,  veut  absolument  enlever  son  siège 
à  Tartugé,  le  député  sortant,  il  faut  bien  trouver 
deux  nuances  différentes,  et  c'est  ainsi  qu'en  face 
de  Tartugé,  chef  des  Rouges,  se  dresse  Bonnafous, 
candidat  des  Ecarlates,  surnommé  —  modeste- 
ment —  Danton. 

La  lutte  entre  ces  deux  hommes  et  ces  deux  par- 


72  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

tis  est  d'autant  plus  violente,  âpre  et  sauvage,  qu'ils 
ne  sont  nullement  séparés  par  leurs  convictions 
mais  uniquement  par  leurs  appétits;  cela  pourrait 
être  mélancolique,  tragique  même,  M.  Georges 
Beaume  n'a  voulu  voir  que  le  côté  amusant  de 
cette  histoire;  avec  une  généreuse  prodigalité,  il  a, 
sans  choisir,  accumulé  tous  les  épisodes,  tous  les 
tableaux  comiques  d'une  élection  de  petite  ville; 
c'est  d'une  verve  un  peu  facile  parfois,  mais  le 
lecteur  qui  veut  seulement  s'amuser  n'y  regarde 
pas  de  si  près,  et  l'autre,  celui  qui  réfléchit,  saura 
bien  trouver  derrière  cette  gaieté,  un  petit  grain  de 
philosophie. 


EDMOND   DESGHAUMES 
La  Femme  à  la  tête  coupée. 

Malgré  son  titre  macabre,  la  Femme  à  la  tête  cou- 
pée^ ce  livre,  n'est  point  un  roman  tragique  :  c'est 
au  contraire  une  très  amusante  et  très  leste  his- 
toire, et  la  confession  de  Lise,  qui,  sans  vergogne, 
raconte  les  multiples  aventures  de  sa  vie  à  un  cor- 
respondant du  nom  de  Coco,  pourrait  très  bien  être 
celle  d'une  héroïne  de  quelque  conte  galant  du 
XVIII®  siècle.  Mais  elle  n'y  tient  pas,  sans  doute, 
et  elle  aime  bien  mieux  être  de  son  temps,  du 
nôtre;  elle  en  est  tout  à  fait,  et  son  style  a  em- 
prunté à  la  fréquentation  des  cabarets  montmar- 


MARS    LES    ROMANS  73 

trois,  une  très  moderne  verdeur  qui  ne  s'effraye  ni 
des  mots,  ni  des  choses. 

Pour  moi,  qui  suis  obligé  à  plus  de  retenue,  je  ne 
saurais  ici  analyser  en  détail  toutes  les  aventures  de 
la  fille  de  M^^®  Clara  Bouillo^-te  et  du  marquis  de 
Saint-X...,  laquelle  fit  successivement  les  beaux 
jours  d'un  nombre  respectable  de  ses  contempo- 
rains, depuis  un  sculpteur  génial,  qui  modela  sa 
triomphante  beauté  en  une  statue  que  par  un  hon- 
nête scrupule  il  décapita  avant  de  l'exposer  —  de  là 
son  nom  de  la  femme  à  la  tête  coupée  !  —  jusqu'à 
certain  souverain  authentique.  Tout  cela  est  très 
scabreux,  mais,  je  le  répète,  tout  à  fait  spirituel  et 
joyeux;  les  choses  ne  se  gâtent  qu'à  la  dernière 
page,  lorsque  la  narration  est  brutalement  interrom- 
pue par  un  effroyable  accident  d'automobile  qui 
inflige  à  la  jolie  personne  justement  la  même  muti- 
lation dont  sa  statue  avait  été  victime. 


I 


JEAN  DE  FOVILLE 
Eros. 

Un  peu  d'amour,  voulez-vous,  maintenant? 
C'est  Eros  que  M.  Jean  de  Foville  exalte,  en  nous 
contant  l'histoire  du  comte  Moriani,  gentilhomme 
artiste,  qui  passe  des  jours  sans  douleur  et  sans  joie 
dans  sii  somptueuse  villa  de  Toscane,  et  contem- 


74  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

pie  d'un  œil  ironique  et  indifférent  certaine  statue 
d'Eros  qui  orne  son  parc.  Il  ne  faut  jamais  regarder 
avec  ironie  une  statue  d'Eros...  car  —  le  comte  ne 
s'en  doutait  pas,  mais  vous  vous  y  attendiez  bien, 
perspicace  lecteur  !  —  Eros,  à  ce  moment  précis  où 
Moriani  traite  si  cavalièrement  son  effigie,  est  en 
train  de  lui  préparer  un  tour  de  sa  façon.  Et  voici 
dans  sa  demeure  trois  Français  qui  pénètrent  à  la 
faveur  d'un  accident  d'automobile  :  Valentine, 
marquise  de  Romanel,  le  comte  Dubois  de  Morgex 
et  la  mélancolique  M^^e  Alix  Gandria.  Valentine, 
délaissée  par  son  mari,  a  pour  chevalier  servant  le 
comte  de  Morgex,  quant  à  Alix,  elle  erre,  désolée, 
à  travers  le  monde,  séparée  par  force  d'un  mari 
dément. 

Le  séjour  des  trois  Français  doit  se  prolonger  à  la 
villa,  car  Alix  a  eu  le  bras  cassé  dans  l'accident;  et 
cependant  qu'on  la  soigne  une  idylle  s'ébauche 
entre  Valentine  et  le  gentilhomme  artiste  qui,  tout 
de  suite,  a  pris  feu;  Valentine  ne  semble  pas  très 
rebelle,  mais  Eros  veille,  et  ce  n'est  point  ce  couple 
qu'il  veut  bénir.  Alix,  dolente  et  blessée,  s'est  peu 
à  peu  éprise  d'un  grand  amour  discret  pour  son 
hôte:  Valentine  s'en  aperçoit,  le  lui  reproche  violem- 
ment et,  à  la  suite  d'une  discussion  véhémente,  s'en 
va  furieuse.  Heureux  départ  qui  permet  à  Moriani 
de  se  rendre  compte  de  ses  véritables  sentiments  et 
d'épouser  Alix  (car,  entre  temps,  le  mari  de  cette 
dernière  est  mort)  et  ce  sera,  dans  ce  paysage  tos- 
can j  imprégné  d'humanité  et  de  siècles,  un  éternel 


MARS    —    LES    ROMANS  75 

et  fervent  duo  d'amour  conjugal.  C'est  très  bien, 
comme  vous  voyez,  et  si  Eros  ne  jouait  jamais  que 
des  tours  de  ce  genre  il  faudrait  lui  élever  des  sta- 
tues dans  tous  les  jardins. 


HISTOIRE,   VOYAGES,  POESIE, 


DIVERS. 


DUC    D'AUMALE    ET    GUVILLIER-FLEURY 
Correspondance.  —  1^'  Volume  :  1840-1848. 

Cette  Correspondance  du  duc  d^Aumale  et  de 
Cuvillier-Fleury  est  considérable  :  elle  comprend 
925  lettres  du  duc,  1.025  lettres  de  Guvillier-Fleury, 
et  nous  ménage  quelque  agrément  si  l'on  en  juge 
par  le  premier  volume,  lequel  nous  restitue  les  let- 
tres échangées  en  1840  et  1848,  depuis  le  temps  où 
le  duc  d'Aumale,  ayant  quitté  le  collège  à  dix-sept 
ans  et  demi,  avait  été  détaché  à  l'état-major  de  la 
première  division  de  l'armée  d'Afrique  et,  mis  à  la 
disposition  du  maréchal  Valée,  prit  part  à  l'expé- 
dition de  Médéah  de  telle  façon  qu'il  fut  nommé  che- 
valier de  la  Légion  d'honneur,  quelques  mois  plus 


MARS    HISTOIRE,    VOYAGES,    POÉSIE,    DIVERS  77 

tard,  sur  la  proposition  du  maréchal  Valée.  C'est 
à  ce  moment  qu'il  reprit  ce  que  Cuvillier-Fleury 
appelait  «  ses  bonnes  habitudes  de  travail»  et  lui 
soumit  un  plan  d'études  que  celui-ci  s'empressa 
d'accepter.  » 

Dans  les  lettres  qui  se  succèdent  au  cours  de  ces 
huit  années,  le  duc  d'Aumale  raconte  à  Cuvillier- 
Fleury  les  batailles  devant  Bhdah,  pendant  que  ce 
dernier  lui  relate  la  réception  de  Victor-Hugo  à 
l'Académie  française;  et  la  correspondance  se  pour- 
suit de  la  sorte,  Cuvillier-Fleury  tenant  le  duc  au  cou- 
rant des  faits  notoires  de  la  vie  parisienne  politique 
et  littéraire,  le  duc  racontant  ses  victoires  et  ses 
combats.  On  apprend  dans  ces  lettres  familières  à 
connaître  merveilleusement  les  deux  interlocuteurs: 
le  prince  qui,  «  à  travers  les  jours  glorieux  ou  les 
années  douloureuses,  n'a  cessé  d'avoir  l'amour  fixe 
de  la  France  »,  et  nous  apparaît  avec  son  caractère, 
son  esprit,  son  cœur,  si  français  ;  et  CuvilHer-Fleury, 
précepteur  dans  toute  la  force  du  terme,  qui  veille, 
((  avec  une  sollicitude  croissante  et  patriotique,  sur 
l'enfance  et  l'adolescence  d'un  prince  dont  l'avenir 
semble  devoir  être  associé  aux  destinées  nationa- 
les». Et  c'est  une  belle  histoire  que  celle  de  l'inti- 
mité de  ces  deux  hommes,  racontée  par  une  corres- 
pondance qui  dura  près  de  cinquante  années. 


78  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

BERNARD  DE  LAGOMBE 
La   Vie   privée   de   Talleyrand. 

On  a  écrit  bien  des  volumes  sur  Talleyrand; 
l'évêque,  le  diplomate,  le  ministre,  l'homme  de 
Cour  et  rhomme  d'Etat  ont  tenté  et  tenteront 
encore  la  science  et  la  verve  d'une  foule  d'histo- 
riens, mais  la  Vie  privée  de  Talleyrand,  si  remplie, 
elle  aussi,  mouvementée  à  l'égal  de  son  existence 
publique,  est  restée  obscj^re  sur  bien  des  points. 
Elle  appartient  pourtant  à  l'histoire  ;  nul  détail  de 
la  vie  d'un  tel  homme,  mêlé  de  façon  si  décisive  à 
tous  les  grands  événements  de  tout  un  siècle,  ne 
saurait  nous  laisser  indifférents  :  on  s'en  rendra 
compte  en  lisant  le  livre  de  M.  Bernard  de  Lacombo. 

Non  seulement  il  fourmille  de  renseignements 
amusants  et  pittoresques,  mais  il  aide,  dans  bien 
des  cas,  à  comprendre  les  événements  ;  c'est  quelque 
chose  comme  l'envers,  la  coulisse  de  la  grande 
histoire.  L'auteur  a  suivi,  nous  dit-il,  «  Talleyrand 
en  Angleterre  et  en  Amérique,  pendant  qu'il  était 
émigré;  il  a  raconté  ses  efforts  pour  dépouiller  le 
caractère  épiscopal  et  redevenir  un  simple  laïque; 
il  a  tâché  de  démêler  l'imbroglio  de  son  mariage 
avec  la  belle  M^^  Grand;  puis,  après  avoir  pénétré 
dans  l'intérieur  du  grand  dignitaire  de  l'Empire  et 
de  la  Restauration,  il  a  voulu  montrer  le  prince 
vieilH,  malade,  revenu  des  ambitions  du  monde, 


MARS    —    HISTOIRE,    VOYAGES,    POÉSIE,    DIVERS  79 

dans  la  retraite  de  ses  quatre  dernières  années  ;  et, 
enfin,  examiner  de  près  ce  qu'on  a  appelé  sa  con- 
version, assister  à  sa  mort,  bénie  par  l'abbé  Dupan- 
loup  )). 

Et  ce  sont  des  pages  d'un  intérêt  captivant  où 
l'auteur,  sans  trop  chercher  à  les  interpréter,  laisse 
])arler  des  documents  qui  sont  singulièrement  élo- 
quents, spirituels,  émouvants;  on  y  démêle  un  peu 
mieux  ce  que  fut  cette  étonnante  existence  toute 
remplie  de  contradictions  jusqu'à  la  plus  extraor- 
dinaire de  toutes,  cette  fin  édifiante  que  l'auteur 
croit  sincère,  «  car  pourquoi  aurait-il  menti  en  mou- 
i^ant,  à  cette  heure  où  il  allait  quitter  les  visages 
mobiles  et  fuyants  des  hommes  pour  ne  rencontrer 
que  le  visage  éternel  de  Dieu,  celui  qu'on  ne  trompe 
pas?)) 


JOSEPH   GHAILLEY 
L'Inde  britannique. 

Cet  ouvrage,  résultat  de  vingt  années  de  réflexions 
et  de  dix  ans  de  travaux,  «  dont  l'auteur  souhaite 
qu'il  soit  digne  du  grand  parti  colonial  français 
pour  qui  il  a  voulu  l'écrire  et  à  qui  il  le  dédie  »  est 
un  monument  véritable,  d'une  richesse  remarqua- 
ble de  documents  et  d'enseignements.  Dans  la 
pn^mière  partie,  l'auteur  étudie  les  langues  et  les 
races,  la  religion,  la  caste,  la  condition  économique 


80  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

du  pays,  la  réforme  sociale,  la  réforme  politique. 
Dans  la  seconde  partie,  consacrée  à  la  politique 
indigène,  ce  sont  des  vues  sur  les  tribus  et  chefs  de 
Birmanie,  sur  la  classe  agricole  et  la  propriété  fon- 
cière, le  problème  de  l'éducation  des  indigènes,  la 
part  des  Indiens  dans  l'administration  de  leur  pay^ 
Je  cite  ces  titres  de  la  table  des  matières,  bien 
empêché  que  je  suis,  dans  ce  cadre  étroit,  d'analy- 
ser une  œuvre  aussi  considérable.  L'auteur  conclut  : 
«  Avec  les  études  réformées,  l'administration  ali- 
mentée à  des  sources  variées,  les  conseils  réorgani- 
sés, le  gouvernement  britannique  appuyé  sur  h 
princes,  sur  l'aristocratie,  sur  la  richesse,  sur  les 
différentes  confessions  rehgieuses,  sur  la  science 
moderne  et  l'expérience  traditionnelle,  pourrait 
avec  confiance  affronter  les  orages  d'où  qu'ils 
vinssent,  et  maintenir  sa  domination,  aussi  long- 
temps qu'il  le  jugerait  bon  pour  l'intérêt  de  l'Inde 
et  pour  sa  gloire  propre.  » 


D^  EMILE  REIGH 
La  Vanité  Allemande. 

(Traduction  de  M.  Henri  Maxsvic) 

L'inquiétude  que  causent  à  l'Europe  en  général 
et  à  l'Angleterre,  en  particulier,  les  ambitions  ac- 
tuelles de  l'Allemagne,  s'est  manifestée  dans  ces 


MARS    HISTOIRE,     Vu\AGES,    POÉSIE,    DIVERS  81 

Itruiers  temps  par  une  foule  d'articles,  de  discours, 
iie  polémiques,  et  il  n'est  pas  douteux  que  c'est  là 
une  des  plus  graves  préoccupations  des  amis  de  la 
paix.  Récemment,  le  docteur  Emile  Reich  a  publié 
sur  ce  sujet,  en  Angleterre,  un  ouvrage  où,  à  l'aide 
(le  documents  et  d'actes,  il  prétendait  établir  et 
démontrer  les  visées  allemandes,  tendant  à  la 
suprématie  sur  mer  et  sur  terre.  Cet  ouvrage  inti- 
tulé Germani/s  Swclled  Head^  a  eu  dans  la  Grande 
Bretagne  un  immense  retentissement  et  a  causé 
une  sorte  de^panique  qui  n'est  point  encore  calmée. 
Passionnant  pour  les  Anglais,  il  n'est  pas  moins 
utile  à  méditer  chez  nous,  car  nous  sommes,  hélas  ! 
aussi  intéressés  à  cette  question,  et  M.  Henri  Mans- 
vie  a  été  bien  inspiré  en  nous  en  donnant  une  tra- 
duction française  sous  le  titre  la  Vanité  allemande. 
Ce  livre  a,  nous  dit  l'auteur,  la  prétention  d'avoir 
•  té  écrit  sans  passion;  les  faits  y  sont  nettement 
't  rigoureusement  exposés,  et  il  résulte  de  leur  exa- 
men que  la  question  allemande  constitue  pour  la 
Grande-Bretagne,  le  même  problème  que  celui  qui, 
par  l'élévation  de  Carthage,  se  posa  jadis  aux  Ro- 
mains. On  découvre  dans  les  travaux  des  profes- 
seurs, des  savants,  des  journalistes  allemands,  dans 
les  projets  et  dans  les  lois  des  législateurs  allemands, 
la  manifestation  de  la  plus  terrible  crise  de  vanité 
connue  dans  les  temps  modernes.  Les  Allemands 
sont  convaincus,  ils  veulent  établir  que  tout  ce  qui 
fut  grand  fut  d'origine  germanique,  que  tout  ce  qui 
lut  fait  de  grand  fut  d'inspiration  germanique, 


82  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

que  l'avenir,  enfin,  est  fatalement  à  la  race  d'Her- 
mann  le  Grand, 

Pour  justifier  cette  prétention,  pour  en  établir 
jusqu'au  bout  les  conséquences  que  chacun  devine, 
les  Allemands  sont  prêts  à  tout  et  ils  poursuivent 
systématiquement  leur  effort  ;  il  importe,  selon  l'au- 
teur, qu'on  le  sache,  car  la  première  condition  pour 
échapper  au  danger  est  de  le  connaître.  Il  convien- 
dra ensuite  de  prendre  ses  précautions  :  l'expan- 
sion allemande  est  fatale  mais  elle  ne  se  fera  pa> 
aux  dépens  des  Anglais  (ajoutons,  si  vous  voulez 
bien,  des  Français)  si  conscients  du  danger,  ceux-ci 
préparent  leurs  armes  sur  terre  et  sur  mer,  sans 
oublier  celles  de  la  diplomatie.  «  Que  les  derniers 
venus  se  contentent  des  restes  ;  s'ils  trouvent  mieux, 
ce  n'est  que  grâce  à  l'incurie  de  leurs  prédéces- 
seurs )). 


MÉDÉRIG  GOT 
Journal  d'Edmond  Got. 

Histoire  anecdotique  contemporaine  :  voici  le 
premier  volume  du  Journal  d'Edmond  Got^  socié- 
taire de  la  Comédie-Française,  publié  par  son  fils, 
Médéric  Got.  M.  Henri  Lavedan  a  préfacé  ce  vo- 
lume en  des  pages  étincelantes  qui  en  soulignent 
l'intérêt  et  en  précisent  l'intention.  Il  est  bien  natu- 
rel qu'un  comédien  en  renom  veuille  fixer  ses  sou- 


MARS    —    HISTOIRE,    VOYAGES,    POÉSIE,    DIVERS  .*^;^ 

vcnirs,  d'abord,  «  la  vie  lui  est  un  spectacle  à  béné- 
fice, dont  il  ne  dédaigne  pas  de  souligner  les  effets  », 
t  puis,  un  homme  qui,  par  profession,  est  obligé 
l'incarner  perpétuellement  une  multitude  de  per- 
onnages  différents,  sans  qu'il  lui  soit  permis  jamais 
fêtre  lui-même,  doit  aimer  plus  que  tout  autre  à 
(  se  réfugier  en  son  individu,  à  rédiger  chez  lui,  à 
la  cantonade,  les  confidences  de  son  esprit,  ces  lignes 
d'un  rôle  qu'il  n'a  pas  le  temps  d'interpréter». 

Ajoutez  que  l'auteur  de  ces  mémoires,  homme 
instruit  et  cultivé,  type  achevé  du  comédien  hon- 
nête homme,  a  eu  l'occasion,  pendant  sa  longue 
ie  si  pleine,  d'assister  à  bien  des  événements,  de 
onnaitre  de  près  bien  des  hommes  illustres.  Ainsi, 
"Q  monologuant  à  jet  continu,  en  parlant  à  bâtons 
rompus  comme  avec  un  interlocuteur  imaginaire  » 
il  arrive  —  pas  moins  —  à  nous  donner  le  plus  ori- 
ginal, le  plus  complet,  le  plus  curieux  des  tableaux 
de  notre  siècle.  Le  premier  volume  s'arrête  au  mois 
de  novembre  1 858  :  on  vient  de  donner  Orphée  aux 
enfers,  c'est,  nous  dit  Got,  la  marée  montante  de 
la  blague,  et  il  ajoute  :  «  Un  monsieur  Meilhac  s'est 
révélé  dans  un  simple  acte  au  Gymnase,  VAuto- 
raphe.  » 


84  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

ALBERT  DAUZAT 
La  Vie  du  langage. 

Parmi  les  partisans  de  cette  réforme  de  l'ortho- 
graphe, dont  la  menace  est  toujours  suspendue  sur 
notre  pauvre  langue  française,  il  y  a  des  hommes 
tout  à  fait  remarquables  et  qu'on  voudrait  bien  ne 
pas  voir  en  cette  galère,  tel  M.  Albert  Dauzat  dont 
on  n'a  pas  oublié  le  savant  ouvrage  sur  «  la  Langue 
française  d'aujourd'hui».  On  peut  discuter  les  con- 
clusions de  cet  ouvrage,  nous  ne  nous  en  sommes  pas 
fait  faute,  on  doit  reconnaître  que  M.  Albert  Dau- 
zat possède  en  ces  matières  une  rare  compétence  et 
qu'il  a  raison  lorsqu'il  proclame  que  «  les  questions 
relatives  au  langage  ne  doivent  pas  rester  l'apa- 
nage des  spécialistes,  mais  méritent  d'être  vulgari- 
sées et  peuvent  intéresser  de  nombreux  lecteurs». 
Reste  à  savoir  quel  sera  le  résultat  de  cette  vulga- 
risation et  si  elle  aboutira  au  triomphe  des  théories 
proclamées  par  M.  Dauzat.  Je  n'en  crois  rien,  et  cela 
me  met  à  l'aise  pour  vous  dire  tout  l'intérêt  qui  se 
dégage  de  ses  remarquables  études. 

Dans  celle-ci,  il  essaye  «  de  résumer  et  de  synthé- 
tiser les  principaux  phénomènes  qu'offre  l'étude 
des  langues  :  faits  complexes,  parfois  difficiles  à 
classer,  mais  combien  attrayants  lorsqu'ils  sont 
illustrés  par  des  exemples  caractéristiques,  car  ils 
nous  montrent  la  nature  et  le  nombre  infinis  des 


MARS   —    HISTOIRE,    VOYAGES,    POÉSIE,    DIVERS  85 

réactions,  le  travail  mécanique  et  physiologique 
incessant,  les  évolutions  continues  et  inéluctables 
dont  l'ensemble  constitue  la  vie  du  langage.  »  Et 
(le  fait,  ses  travaux  sur  les  phénomènes  mécaniques, 
les  phénomènes  sociaux,  les  phénomènes  littéraires 
(|ui  dominent  la  vie  du  langage  présentent  un  inté- 
rêt de  premier  ordre.  Selon  l'auteur,  un  enseigne- 
ment pratique  se  dégage  de  cette  étude  :  «  c'est 
'ju'il  n'est  au  pouvoir  de  personne,  pas  plus  d'une 
ollectivité  que  des  individus,  d'arrêter  les  évolu- 
tions du  langage  ». 

On  a  beau  imposer  à  une  langue  un  vocabulaire 
prétendu  immuable,  l'emprisonner  dans  une  ortho- 
graphe rigide,  elle  brise  ses  cadres  impuissants  à  la 
contenir,  à  refréner  la  poussée  impérieuse  des  forces 
naturelles,  du  moment  qu'elle  vit  par  la  parole 
et  qu'elle  vole  sur  les  lèvres  des  hommes. 

Sans  doute  cette  conclusion  est  destinée  à  confon- 
dre les  réactionnaires;  mais  j'ai  comme  une  idée 
qu'elle  condamne  du  même  coup  les  réformateurs  ! 
Puisque  la  langue  se  réforme  sans  cesse  d'elle-même, 
<le  quel  droit  prétend-on  lui  imposer  une  certaine 
réforme  nécessairement  arbitraire,  en  un  coriniu 
moment  de  sa  vie? 


86  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


MEMENTO   DU  MOIS  DE  MARS 


ROMANS 

Anjou  (René  d').  Voir  Cyriaque  de  Pocé. 

Bardoux  (Jean).  —  Dona  Maïla,  un  bref  roman  où  l'auteur 
évoque  le  sombre  souvenir  de  l'insurrection  carliste 
qui  ensanglanta  l'Espagne  en  l'an  1835.  L'histoire  de 
Dona  Maïla,  amante  cornélienne  de  José  Maria  d'Or- 
maïzegui,  le  hardi  flibustier,  se  déroule  en  plein  cœur 
de  la  haute  Navarre,  dans  des  paysages  sombres 
et  tragiques,  au  milieu  des  hêtres  monstrueux,  et 
M,  Jean  Bardoux  en  exprime  avec  beaucoup  de  force 
l'émotion  et  le  mystère,  un  mystère  impénétrable 
car  personne  ne  sut  jamais  quelle  fut  la  destinée  de 
Dona  Maïla  et  c'est  «  tout  au  plus  si  les  éléments  de 
ce  récit  survivent  encore,  dissémines  çà  et  là  dans  ] 
mémoire  des  bonnes  gens,  tels  les  menus  fragment.-, 
qui  permettent  au  savant  de  reconstruire  la  trame 
des  temps  obscurs». 

Berzefî  (Aha).  —  Tamara. 

Conrad  (Joseph).  —  Le  Nègre  du  Narcisse,  Iraduii  de  Tan- 
glais  par  Robert  d'Humières. 

Delcamp  (André).  —  Princesse  de  rêve. 

Frapié  (Léon).  —  Contes  imprévus,  un  recueil  de  nouvelk- . 
petits  romans  sommaires,  rapides,  écrits  dans  cetU 
forme  âpre  et  brutale  où  excelle  l'auteur  de  la  Mater- 
nelle. 

Guesviller  (Gustave).  —  IJ Idole. 

Gfyp-  —  U Amoureux  de  Line,  un  roman  plein  de  désinvol- 
ture et  de  spirituel  agrément,  où  les  mœurs  du  temps 
et  sa  langue  sont  châtiées  par  un  écrivain  qui  s'en- 
tend, comme  elle  dit,  à  «  rouspéter». 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    MARS  87 

Kipling  (Rudyard).  —  La  Cité  de  V épouvantable  Nuit,  un 
beau  livre  traduit  par  Albert  Savine. 

i>,iiirie  (André).  —  Le  Maître  de  V Abîme,  un  roman  d'aven- 
tures qui  fera  la  joie  des  jeunes  gens. 

Menabréa  (Henri).  —  Le  Muletier  et  son  mulet,  nouvelles. 

Oppenheim  (Philippe).  —  L'Aventure  de  miss  Isabelle, 
traduit  de  l'anglais  par  François  de  Gail. 

Pocé  (Cyriaque  de)  et  René  d'Anjou.  —  Pierrerit  ou  le 
Drame  du  moulin  d'Ivray,  une  très  romanesque 
évocation  du  temps  de  la  Restauration  où  l'imagi- 
nation se  mêle  fort  agréablement  à  l'histoire. 

Provins  (Michel).  —  La  Gerbe,  un  recueil  de  ces  dialogues 
où  l'auteur  sait  si  bien,  dans  un  petit  drame  expédié 
en  quelques  répliques  incisives,  évoquer  toute  une 
existence,  exprimer  toute  une  psychologie. 

Régis-Lamotte  (Roger).  —  Mam'selle  H.-P.,  un  roman 
d'une  assez  amorale  jovialité  où  l'auteur  nous  conte 
les  aventures  d'une  personne  ultra-moderne  qui 
justifie  son  sobriquet  en  faisant  du  cent  à  l'heure  sur 
des  routes  dangereuses,  où  elle  dépasse,  et  de  beau- 
coup, les  limites  que  M.  Marcel  Prévost  avait  assi- 
gnées à  ses  demi-vierges  avant  le  havre  souhaité  du 
beau  mariage  avec  un  monsieur  riche. 

Riotor  (Léon).  —  Un  Chauffeur. 

Upton  Sinclair.  —  Brasseurs  d'argent,  un  roman  sur  les 
financiers  américains. 

Val  (Charles).  —  Petite  Perle. 

Wiart  (Henry  Carton  de).  —  Les  Vertus  bourgeoises,  un 
roman  où  l'auteur  nous  ramène,  en  des  croquis 
pittoresques  et  émouvants,  «  au  temps  des  États- 
Belgiques-Unis  de  1790». 

Wylm  (Antoine).  —  Maîtresse  mystique,  «  roman  psychi- 
que ». 


88  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


HISTOIRE  —  LITTÉRATURE 
THEATRE  —  POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Aubin  (Eugène).  —  En  Haïti,  un  volume  où  sont  évoqués 
les  planteurs  d'autre  fois,  et  dépeints  les  nègres  d'au- 
jourd'hui. L'auteur  «  a  vu  des  repas,  des  danses  de 
nègres,  il  a  visité  les  sanctuaires  de  sorciers  réputés, 
il  s'est  trouvé  plus  que  quiconque  de  sa  couleur  en 
mesure  d'observer  la  coutume  des  campagnes  haï- 
tiennes. Dans  un  cadre  magnifique  il  a  eu  sous  les 
yeux  une  suite  ininterrompue  de  manifestations  popu- 
laires, d'une  incomparable  étrangeté,  qui  se  produi- 
saient dans  un  idiome  issu  de  notre  langue,  sous  des 
formes  dont  l'origine  africaine  se  trouvait  influencée 
par  notre  culture  et  par  notre  histoire  ».  Rien  de  plus 
curieux,  de  plus  émouvant  aussi  que  ce  mélange 
disparate.  M.  Eugène  Aubin  le  retrouve  partout  dans 
son  voyage  de  Pétionville  à  Port-au-Prince,  de  Port- 
au-Prince  à  Furcy,  des  Gonaïves  à  Cap-Haïtien, 
voyage  prestigieux  dont  il  nous  fait  partager  toutes 
les  émotions  et  tout  l'agrément  en  des  pages  alertes, 
documentées,  semées  de  belles  et  pittoresques  images. 

Beaupuy.  —  La  Source,  poèmes. 

Bernard  (Jean).  —  La  Vie  de  Paris,  le  volume  annuel  de 
cette  série  d'une  si  preste  et  si  copieuse  documenta- 
tion. 

Burnichon  (Joseph).  —  Le  Brésil  d^ Aujourd'hui. 

Coynard  (Gh.  de).  —  Les  Guérin  de  Tencin  (1520-1758). 

Deschanel  (Paul).  —  L'Organisation  de  la  Démocratie,  un 
beau  livre  que  notre  éminent  ami  Henry  Roujon 
a  magistralement  analysé. 

Duchesne  (Mgr  L.).  —  Histoire  ancienne  de  V Église,  troi- 
sième volume. 

Faral  (Edmond). —  Les  Jongleurs  en  France  au  Moyen  âge. 

Fleischmann  (Hector).  —  Charlotte  Robespierre  et  ses 
mémoires. 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    MARS  89 

Frémont  (Abbé  Georges).  —  La  Grande  erreur  politique  des 
catholiques  français.  L'éminent  ecclésiastique,  dont 
on  peut  -ne  pas  partager  les  idées  mais  auquel  on  ne 
saurait  refuser  une  très  remarquable  puissance  de 
pensée  et  de  verbe,  et  aussi  un  bien  rare  courage 
civique  et  une  vaillance  à  toute  épreuve,  publie  cette 
brochure  «  en  vue  des  élections  prochaines  dans  l'espé- 
rance qu'elle  ouvrira  les  yeux  à  ceux  de  ses  frères  les 
catholiques  de  France  qui  s'imaginent  faussement 
qu'il  n'y  a  de  salut,  pour  les  intérêts  chrétiens,  que 
dans  le  rétabhssement  de  la  monarchie». 

Génin  (Auguste).  —  Poèmes  Aztèques,  des  poèmes  rapportés 
de  Mexico,  fleurettes  très  humbles,  nous  dit  l'auteur, 
qu'il  a  réunies  un  peu  au  hasard,  cueilhes  dans  les 
ruines  de  Palenqué,  de  Mitla,  de  Xochicalco,  qui  se 
sont  ouvertes  au  soleil,  ont  donné  leur  atome  de  cou- 
leur et  de  parfum  et  peuvent  à  présent  se  faner. 
Clovis  Hugues  aimait  ce  hvre  de  poésie  ardente  et  de 
pensée  sincère  :  «  Français  par  votre  famille,  et  poète 
par  votre  imagination,  vous  avez,  disait-il  à  l'auteur, 
cueilli  l'antique  légende  avec  une  curiosité  mêlée 
de  haute  rêverie,  tout  comme  si  vous  étiez  le  descen- 
dant de  ces  Aztèques  amoureux  d'aventures,  qui 
adoraient  le  dieu  Mexitli,  au  pied  du  grand  temple  de 
Ténothtitlan.  Entre  toutes  les  langues  étrangères, 
le  Mexique  parle  plus  volontiers  notre  langue.  Entre 
toutes  les  légendes,  vous  avez  choisi  celle  du  Mexique. 
C'est  là  un  noble  échange  de  fraternité  artistique 
et  nationale». 

Gide  (André).  —  Oscar  Wilde,  une  plaquette  où  l'auteur 
célèbre  en  prose  ce  très  grand  et  très  malheureux 
poète  et  où  il  a  remis  «  In  memoriam»  et  le  «  De  Pro- 
fundis  )). 

Ginisty  (Paul).  —  Le  Mélodrame,  un  ouvrage  d'une  bien 
amusante  et  pittoresque  documentation,  pubhé  dans 
la  Bibliothèque  théâtrale  illustrée. 

Giraud  (Victor).  —  Biaise  Pascal,  des  études  d'histoire 
morale  d'une  bien  séduisante  érudition.  La  question 
de  savoir  si  Pascal  a  été  amoureux  fait  notamment 
l'objet  d'un  très  intéressant  chapitre,  malheureusc- 

6. 


90  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

ment  l'auteur  y  répond  par  la  négative,  et  c'est  déso- 
lant :  combien  il  est  plus  agréable  de  croire,  avec 
M  '"e  Ackermann,  avec  Havet,  avec  Sully  Prudhomme, 
avec  Emile  Faguet,  que  Pascal  fut  amoureux  :  il  est 
vrai  que  rien  ne  nous  empêche  de  continuer  à  le 
croire,  M.  Victor  Giraud,  lui-même,  ne  nous  en  saura 
pas  mauvais  gré. 

Grand-Carteret  (John).  —  Le  Jeune  Premier  de  V Europe 
«  devant  l'objectif  caricatural»,  un  volume  de  docu- 
mentation iconographique  où  le  jeune  roi  d'Espagne 
Alphonse  XIII  apparaît  en  une  multitude  d'images 
dont  l'irrévérence  se  tempère  presque  toujours  d'un 
sourire  de  sympathie. 

Heineken  (Adrienne).  —  Amour  de  rampe,  un  recueil  de 
sonnets  sur  des  héros  et  des  héroïnes  de  théâtre, 
depuis  Manon  Lescaut  jusqu'à  Aphrodite  et  Carmen, 
depuis  Werther  jusqu'à  Hamlet,  où  il  y  a  des  choses 
vraiment  délicieuses  de  profondeur,  de  grâce  et  de 
jeunesse. 

Hogier  (Hector).  —  Paris  à  la  fourchette,  un  volume  où 
l'auteur  poursuit  la  publication  de  ces  curiosités  pari- 
siennes qu'il  excelle  à  découvrir  au  coin  des  rues,  sous 
les  arches  des  ponts  et  où  il  nous  démontre  qu'on 
peut  faire  des  voyages  pleins  d'agrément  et  de  trou- 
vailles pittoresques  sans  sortir  des  fortifications. 

Levaillant  (Maurice).  —  Le  Temple  intérieur,  des  poèmes 
d'une  très  réelle  beauté,  où  l'auteur  glorifie  : 

Le  temple  dont  ses  mains  bâtirent  en  secret 
La  rose  colonnade  et  les  murailles  blanches; 

Londres  (Albert).  —  Lointaine  un  «  poème  effréné  ». 

Lot  (Henri).  —  Les  Deux  généraux  Ordener,  un  ouvrage 
posthume  éloquemment  préfacé  par  M.  Félix  Roc- 
quain,  œuvre  d'histoire  d'un  Sujet  tout  à  fait  inédit 
et  qui  nous  restitue  en  des  pages  émouvantes  et  docu- 
mentées deux  figures  du  plus  haut  intérêt. 

Malagola  (Charles).  —  Le  Lido  de  Venise  à  travers  V histoire, 
un  beau  livre  tout  semé  de  somptueuses  images, 
document  d'histoire  et  d'art,  que  l'auteur,  «  offre 
aux  Vénitiens  comme  un  gage  de  son  affection  pour 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    MARS  91 

la  cité  splendide,  célèbre  par  ses  moniini^nts  ef  ses 
gloires». 

Mariel  (Jean).  —  Les  Appareillages,  poèmes, 
lathiez  (Albert).  —  Le  Club  des  Cordeliers,  «  pendant  la 
crise  de  Varennes  et  le  massacre  du  Champ  de  Mars  », 
un  remarquable  ouvrage  où  M.  Albert  Mathiez  a 
réuni  des  documents  en  grande  partie  inédits  accom- 
pagnés d'éclaircissements  et  de  notes;  l'auteur  a  jugé 
avec  raison  que,  pour  étudier  l'agitation  démocratique 
et  républicaine  après  la  fuite  de  Varennes,  le  meilleur 
observatoire  était  le  club  des  Cordeliers.  De  ce  point 
central,  les  gestes  des  personnages  et  les  mobiles  de 
leurs  actions  doivent  apparaître  plus  distinctement 
que  de  tout  autre. 

Maure!  (André).  —  Petites  villes  d'Italie.  Nous  avons  eu 
déjà  deux  étapes  de  ce  pittoresque  et  gracieux 
voyage,  voici  la  troisième  :  elle  nous  promène  dans 
les  Abruzzes,  les  Fouilles  et  la  Campanie,  et  ce  sont, 
tour  à  tour,  en  des  pages  pittoresques,  Aquila,  Lucera, 
Trani,  Capri,  Pompéi,  Caserte,  Bari,  tant  d'autres 
encore,  jolis  noms  pleins  de  lumière  et  de  grâce, 
choses  plus  jolies  encore  et  plus  émouvantes,  paysages 
de  ruine  et  d'histoire  dans  une  nature  éternellement 
jeune,  parmi  lesquels  on  éprouve  tant  de  joie  à  se 
promener,  na  fût-ce,  hélas  !  que  dans  un  fauteuil. 

Mesureur  (M'"^  Amélie,  née  Amélie  de  Wailly).  —  Clairs 
Horizons,  des  poèmes  d'une  forme  harmonieuse  et 
d'une  inspiration  noble,  écrits  «  sur  les  enfants  petits 
et  grands,  sur  leurs  âmes  sensibles,  neuves  et  déh- 
cates  ». 

^^^li1  (Marcel).  —  Les  Jardins  d' Academus,  des  vers  qui 
nous   convient   à  la   plus   harmonieuse   et   la   plus 
poétique  des  promenades, 
lortillet  (Gabriel  et  Adrien   de).   —  La  Préhistoire,   un 
volume  sur  l'origine  et  l'antiquité  de  l'homme. 

Xesselrode.  —  Les  Vesprées,  poésies. 

Xiclaud  (Roger).  —  La  Laïque,  un  ouvrage  de  polémique 
où  l'auteur  flétrit  «  la  duplicité  des  fondateurs  de 
l'école  laïque,  dénonce  le  péril  de  ce  qui  reste  en 
France  de  la  liberté  de  penser  et  entreprend  de  nous 


92  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

démontrer  que  les  fondateurs  de  l'école  laïque  ne 
pouvant  régner  que  sur  un  peuple  plongé  dans  l'igno- 
rance ont  jugé  que  le  moyen  le  plus  sûr  de  le  rendre 
ignorant  était  d'être  seuls  à  l'instruire». 

Normand  (Comte  R.).  —  Le  Patriotisme  Allemand. 

Pallarès  (V.).  — ,  Le  Crépuscule  d'une  idole  :  Nietzsche.  — 
Nietzschéisme.  —  Nietzschéen... 

Peladan  (Joseph),  —  Les  Manuscrits  de  Léonard  de  Vinci. 
Les  XIV  Manuscrits  de  l'Institut  de  France,  où  l'on 
voit  en  Léonard  de  Vinci  «  l'ingénieur  et  le  peintre,  le 
philosophe  et  l'expérimentateur,  le  mécanicien  et 
l'anatomiste,  l'hydraulicien  et  le  moraliste,  le  géo- 
logue et  le  poète  se  juxtaposer  pour  nous  fournir  un 
tableau  de  la  plus  étonnante  activité  mentale  qui  ait 
existé  ». 

Prouille  (Marcel).  —  Glumes  éparses,  poésies. 

Ricquebourg  (Jean).  —  Héroïsmes,  poèmes. 

Romeuf  (Louis  de).  —  L'Ame  des  Villes. 

Rondet-Saint  (Maurice).  —  La  Grande  Éoucle,  un  voyage 
à  travers  les  deux  hémisphères.  Ce  sont  des  notes  et 
croquis  de  l'ancien  continent  et  des  deux.  Amériques, 
publiés  en  un  très  alerte  et  très  vivant  volume  et 
dont  M.  Pierre  Baudin  précise  éloquemment  l'intérêt 
dans  sa  préface  :  «  Ce  voyage  eut  ceci  de  notoire  qu'il 
fut  accomph  par  un  homme  indépendant,  qui,  au  long 
du  chemin,  se  souvint  de  sa  qualité  de  Français»  et 
s'imposa  la  tâche  de  relever  des  observations  utiles, 
relatives  aux  intérêts  français.  C'est  comme  une 
tournée  d'inspection  volontaire  à  travers  le  monde, 
et  avec  tous  les  chiffres,  tous  les  documents,  tous  les 
faits  recueillis  ;  c'est  d'un  bien  remarquable  intérêt,  et 
cela  vaut  bien,  selon  M.  Pierre  Baudin,  le  récit  roma- 
nesque d'un  coureur  d'aventures,  d'un  fumeur  d'o- 
pium, ou  d'une  grande  tragédienne. 

Roz  (Firmin).  —  L'Énergie  Américaine.  L'auteur  entre- 
prend de  nous  l'expliquer  dans  un  très  vivant  volume 
de  la  Bibliothèque  de  philosophie  scientifique.  «  Les 
États-Unis  nous  attirent,  dit-il,  par  le  magnifique 
déploiement  de  leur  vigueur,  par  l'intensité  de  leur 
vie».   Nous   avons  aujourd'hui   entre  les  mains  les 


MEMENTO    DU    MOTS    DE    MARS  9o 

éléments  nécessaires  pour  comprendre  cette  énergie, 
pour  tenter  une  philosophie  de  cette  histoire.  En  étu- 
diant, tour  à  tour  l'individu  et  la  société,  l'évolution 
économique,  l'idéal  national,  l'évolution  intellectuelle, 
l'évolution  politique,  on  est  amené  à  apercevoir 
«  derrière  l'activité  économique  déployée  au  premier 
^  plan,  la  puissance  de  l'idéal  qui,  mettant  au  service 

de  cette  société  toutes  les  forces  vives  de  la  religion, 
de  l'éducation  et  de  l'action  sociale,  l'oriente  vers  un 
'  avenir  dont  ies  difficultés  ne  doivent  pas,  à  nos  yeux, 

cacher  les  promesses». 
F    Ruffin  (Alfred).  —  Poésies  Variées. 

J   Sauzey  (Lieutenant-colonel).  — ^  Nos  alliés  les  Bavarois,  un 
(  volume  où  l'auteur  poursuit  la  publication  de  son 

ï  essai  sur  les  troupes  de  la  Confédération  du  Rhin  : 

''  «  Les  Allemands  sous  les  Aigles  françaises.  » 

Savine  (Albert).  —  Madame  Elisabeth  et  ses  amies,  d'après 

des  documents  d'archives  et  des  mémoires. 
Ségur  (Marquis  de).  —  Au  Couchant  de  la  Monarchie,  un 
fort  beau  livre  dont  M.  Ernest  Daudet  a  souligné 
naguère  l'émouvante  valeur  historique;  cette  étude 
des  années  qui  précédèrent  le  cataclysme,  avec  les 
documents  —  quelques-uns  tout  à  fait  inédits  —  les 
rhiiïres  et  les  faits  si  poignants,  fait  honneur  vraiment 
,1  l'éminent  écrivain,  qui  a  «  fait  les  plus  sincères 
t'iïorts  pour  oublier  et  ses  idées  et  ses  sympathies 
personnelles,  pour  se  dégager  de  son  mieux  des  senti- 
ments ou,  si  l'on  veut,  des  préjugés  héréditaires, 
pour  ne  servir  d'autre  intérêt  que  celui  de  la  vérité, 
sans  chercher  à  qui  elle  profite  ». 
iardot  (Paul).  —  Soui'enirs  d'un  Artiste. 
olland  (Gabriel).  —  La  Flûte  d'éhène,  un  recueil  de  poèmes 
où  figure,  entre  autres  œuvres  remarquables,  un 
hymne  à  Victor  Hugo  d'une  noble  et  généreuse 
intention, 
liszewski.  —  Souvenirs  de  la  comtesse  Golovine,  née 
princesse  Galitzine  (1766-1821).  Ces  souvenirs  sont 
(  élèbres,  ils  ont  été  rédigés  en  français  et  révélés  au 
monde  par  une  traduction  parue  en  1900.  M.  Walis- 
/•'wski  a  cru  qu'il  valait  la  peine  de  les  publier  à 


94  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

nouveau  dans  leur  texte  primitif  et  avec  toutes  les 
références  qui  en  garantissent  l'authenticité.  Ces  mé- 
moires furent  rédigés  sur  la  demande  et  avec  la  colla- 
boration précieuse  de  l'impératrice  Elisabeth,  femme 
d'Alexandre  l^^,  qui  a  guidé  et  documenté  leur  rédac- 
tion. C'est  dire  leur  valeur  historique  et  documen- 
taire, ils  ont  en  outre  un  très  vif  intérêt.  Songez  en 
effet  que  l'auteur  nous  y  fait  approcher  tour  à  tour  la 
grande  Catherine,  Paul  I^^,  Alexandre  l^^  —  sans 
compter  Bonaparte,  empereur,  aperçu  pendant  le 
séjour  à  Paris  ! 

***.  —  Le  Roman  Allemand. 

***.  —  Les  Prosateurs  latins,  deux  volumes  de  très 
précieuse  et  très  agréable  vulgarisation,  parus  dans 
l'Encyclopédie  httéraire  illustrée. 


AVRIL 


LES  ROMANS 


MARGUERITE   COMER 
Les  Grimaces  de  l'Amour. 

Œuvre  d'une  rare  puissance,  d'une  étrange,  amère 
.  l  forte  saveur.  En  épigraphe,  cette  maxime  de 
La  Rochefoucauld  :  «  L'amour  prête  son  nom  à 
un  nombre  infini  de  commerces  qu'on  lui  attribue 
t't  où  il  n'a  pas  plus  de  part  que  le  doge  à  ce  qui"  se 
fait  à  Venise.  »  Et  c'est  bien  la  philosophie  qui  se 
•  légage  de  l'histoire  de  Danielle  Sauvai  et  du  fa- 
meux romancier  Evans.  Ce  héros  ne  connaît  pas 
'amour,  il  n'en  est  pas  digne;  il  faut  pour  l'amour 
in  cœur  plus  naïf,  une  âme  moins  compliquée;  et 
tous  les  autres,  Sauvai  et  la  ridicule  poétesse,  son 


UG  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

amante,  et  Dollner,  le  théoricien  passionné  du 
devoir,  et  Danielle  elle-même,  si  fraîche,  si  ardente, 
si  généreusement  femme,  ne  connaissent  que  les 
grimaces  de  l'amour;  ils  ignorent  l'amour  tout  uni, 
fervent  et  droit,  l'amour  qui  ne  subtilise  pas,  qui 
est  toute  vérité,  toute  harmonie. 

Tout  de  même,  il  y  a  de  l'amour  dans  ces,  cœurs 
et  dans  ces  existences  :  derrière  ces  grimaces,  il  est 
caché,  mais  présent;  sa  lumière  perce  les  ombres 
accumulées  autour  de  lui,  et  la  vérité  est  là,  der- 
rière tous  ces  mensonges,  cette  vérité  que  le  roman- 
cier sans  expérience  confiait  à  son  premier  manus- 
crit; elle  est  là  au  début  de  cette  aventure  lorsque, 
dans  un  geste  symbolique,  l'écrivain  offre  ce 
manuscrit  dédaigné  à  Danielle  ;  elle  est  là  encore  au 
dénouement  lorsqu'il  lui  murmure  :  «  C'est  toi  que 
j'aimerai  le  plus  !  Je  te  le  jure,  et  tu  sais  bien  que 
tu  es  la  seule  à  qui  je  ne  mens  pas,  la  seule  à  qui  je 
veux  donner  mieux  que  mon  amour  :  ma  vérité, 
toute  ma  vérité.  »  Et  c'est  ainsi  que  passe  un  grand 
frisson  d'émotion  sincère  à  travers  toutes  ces  obser- 
vations d'une  si  vivante  et  si  pessimiste  justesse, 
et  M  nie  Marguerite  Gomert  a  réussi,  dans  tout  ce 
réalisme  à  mettre  souvent  un  beau  lyrisme  . 


Il 
AVRIL    —    LES    ROMANS  97' 

LÉON  DAUDET 
Le  Bonheur  d'être  riche. 

Dans  ce  roman  ironiquement  intitulé  le  Bonheur 
d'être  riche,  M.  Léon  Daudet  nous  montre,  avec  une 
satisfaction  évidente,  quelques-uns  des  plus  nota- 
bles ennuis  auxquels  une  fortune  insolente  expose 
un  ancien  chemisier  âgé  de  cinquante-cinq  ans, 
dont  le  père  est  mort  fou,  dont  la  concupiscence  est 
violente,  la  cervelle  faible,  et  la  femme  exécrable. 
Ah  !  que  Jean  Badelot  le  connaît,  le  bonheur  d'être 
riche  !  Gela  consiste  pour  lui  à  compter  sans  répit, 
en  frissonnant,  son  or,  à  l'enfouir,  à  vérifier  ses 
cachettes,  ses  comptes,  ses  clefs,  ses  serrures,  ses 
coffres,  à  fuir  son  ombre,  à  ne  plus  dormir,  à  ne  plus 
manger,  à  se  méfier  des  innocents,  à  se  confier  à  des 
coquins,  et  à  se  laisser  enfermer  dans  une  maison 
de  santé  pour  avoir,  un  jour,  le  plaisir  de  sauter  par 
la  fenêtre,  ce  qui  est,  en  somme,  le  suicide  le  moins 
coûteux. 

Et  ce  Badelot  possède  une  épouse  —  c'est  sa 
seconde  femme  —  Florence,  qui  l'a  trompé  tant 
qu'elle  a  pu,  et  qui,  maintenant  qu'elle  ne  peut  plus, 
se  console  en  affolant  littéralement  son  mari,  afin 
de  l'acheminer  vers  le  cimetière,  en  passant  par 
Bicêtre  ou  Villejuif  et  de  s'en  débarrasser  en  gardant 
la  fortune  qui  lui  permettra  d'épouser  le  brillant 
ollicier  de  mai'ine  Georges  Badelot,  neveu  du  futur 


98  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

défunt,  ex-ami  de  la  helle  Florence,  lequel  a  été, 
pour  se  reposer  un  peu,  fumer  une  cigarette  en 
Indo-Chine... 

Les  choses  ne  se  passent  pas  tout  à  fait  ainsi, 
l'avare  et  luxurieux  Badelot  meurt,  et  aussi  sa 
femme  Florence  la  scélérate.  Et  le  brillant  officier 
de  marine  épousera  tranquillement  sa  petite  cou- 
sine, la  propre  fille  de  Badelot,  qui  est  un  ange 
et  qui,  pendant  tout  le  drame,  s'est  donné  beaucoup 
de  mal,  en  vain,  pour  protéger  son  pauvre  papa 
contre  la  méchante  femme  —  sa  belle-mère. 

Ecrit  dans  une  langue  si  originale  qu'on  est  tenté 
parfois  de  la  croire  négligée,  le  roman  de  M.  Léon 
Daudet  présente  un  très  vif  intérêt.  Il  est  bien 
construit,  sobrement  mené,  contient  plus  d'un  trait 
excellent  et  de  jolies,  de  très  vibrantes,  très  justes 
impressions.  Les  types  un  peu  conventionnels,  sans 
doute,  sont  vrais,  somme  toute,  et  vivants. 


PAUL  BOURGET 
La  Dame  qui  a  perdu  son  peintre. 

Sous  ce  titre  la  Dame  qui  a  perdu  son  peintre^  — 
un  bien  joli  titre  et  fait  pour  piquer  ^a  curiosité,  — 
M.  Paul  Bourget  a  publié,  un  très  spirituel  et  déli- 
cat roman.  C'est  une  étourdissante  histoire  de  faux 
tableau,  telle  qu'un  romancier  ordinaire  n'aurait 


AVRIL    LES    ROMAINS  99 

point  eu  l'audace  de  l'imaginer  et  que  seule  la  réa- 
lité, plus  romanesque,  on  le  sait,  que  tous  les  ro- 
mans, semblait  pouvoir  se  permettre.  Elle  est  pour- 
tant sortie,  tout  armée,  de  l'imagination  de  M.  Paul 
Bourget,  et  ce  n'est  pas  la  faute  de  l'écrivain  si  la 
réalité  s'est  avisé  de  plagier  son  récit  deux,  ans  après 
qu'il  fut  composé... 

Cette  étonnante  histoire  est  racontée  dans  une 
longue  lettre  adressée  par  le  célèbre  peintre  Monfrey 
i  une  belle  dame  dont  il  est  épris  et  qu'il  a  fuie,  cer- 
tain jour  de  tristesse  et  de  jalousie  :  et  voilà  déjà 
ime  «  dame  qui  a  perdu  son  peintre  »,  mais  celle-là, 
l'Ile  le  retrouvera,  je  suis  bien  tranquille.  Les  autres 
victimes  sont  plus  compromises,  celles  dont  les 
visages  sourient  éternellement  sur  la  toile  peinte  : 
•  ••ette  belle  figure  de  Léonard,  orgueil  de  la  galerie 
Varegnana,  où  le  critique  d'art  Gourmansel  décou- 
vre un  «  Gristoforo  Saronno  »;  et  celle  aussi  que  pos- 
sède la  marquise  Ariosti  —  Gristoforo  authentique, 
elle-là,  —  et  en  laquelle  Monfrey  reconnaît  tout 
simplement  une  peinture  faite  par  lui  quelque 
vingt-cinq  ans  avant. 

Que  de  discussions,  que  de  colères,  que  d'angois- 
ses autour  de  ces  tableaux,  que  de  types  pittores- 
ques d'amateurs,  de  marchands  et  de  critiques 
d'art,  magistralement  campés.  G'est  bien  amusant, 
émouvant  aussi,  car  la  gentille  et  fine  figure  de 
Ghristiane  met  dans  cette  brocante  la  grâce  de  son 
sourire  et  de  sa  tendresse,  et  cela  se  termine  le 
mieux  du  monde  par  l'apothéose  des  faux  tableaux 


100  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

entourés  plus  que  jamais  de  la  foi  respectueuse  des 
amateurs. 

Pour  compléter  ce  volume  M.  Paul  Bourget  a 
réuni  quelques  nouvelles  d'una  grande  séduction 
parmi  lesquelles  Une  Nuit  de  Noël  sous  la  Terreur 
est  un  drame  d'une  formidable  et  poignante  émo- 
tion. 


JEAN  GANORA 
Madame  Davenay  bienfaitrice. 

Ce  livre  est,  je  crois  bien,  le  premier  roman  de 
M.  Jean  Canora;  c'est,  il  faut  le  dire  bien  vite,  une 
œuvre  extrêmement  remarquable  avec  des  pages 
de  premier  ordre  et  très  dignes  des  grands  écrivains 
dont  l'auteur  se  réclame  dans  sa  préface. 

Mais,  par  exemple,  bien  périlleuse  est  la  tâche  du 
chroniqueur  qui  doit  vous  conter,  en  quelques 
lignes,  l'histoire  d'Ursule  Pitois,  jetée  sur  le  pavé 
à  la  suite  d'une  première  et  douloureuse  aventure 
qui  flétrit  ses  dix-sept  printemps,  acharnée  bientôt 
au  siège  et  à  la  conquête  du  peintre  septuagénaire 
Duroy,  qu'elle  finit  par  épouser,  et  auprès  duquel 
elle  mène,  pendant  quinze  ans,  une  existence  de 
dévouement  calculé,  dans  la  prison  où  son  vieux 
mari  la  tient  enfermée  avec  lui. 

Au  bout  de  ces  quinze  ans,  elle  obtient  la  récom- 
pense si  attendue  :  Duroy  meurt  et  lui  lègue  une 


AVRIL    LES    ROMANS  101 

fortune,  mais  à  condition  qu'elle  adoptera  une  petite 
fille  :  la  voici  devenue,  bien  malgré  elle,  bienfai- 
irice.  Comment  elle  comprend  ce  rôle  de  bienfai- 
Irice  en  semant  autour  d'elle  la  tristesse  et  la  dou- 
leur, comment  elle  persécute  le  sculpteur  Davenay 
dont  elle  fit  son  second  mari,  et  sa  pauvre  petite 
protégée,  Henriette,  comment  elle  vole  l'héritage 
du  neveu  de  son  mari,  André  Raymond,  comment, 
enfin,  elle  meurt,  laissant  désespérée  sa  fille  d'adop- 
tion qui  n'a  plus  qu'une  ressource,  devenir  «  sœur 
des  humbles»  :  tel  est,  largement  esquissé,  le  sujet 
(le  ce  roman. 

Il  pourrait  vous  apparaître  comme  un  roman 
d'intrigue,  et  c'est  en  fait  un  roman  singulièrement 
romanesque,  mais  c'est  en  même  temps  un  roman 
de  caractère:  c'est  aussi,  par  son  étude  du  rôle 
social  de  la  bienfaitrice,  un  roman  à  thèse  — ■  et  l'au- 
teur a  voulu  que  ce  fût  tout  cela  car,  pour  lui,  «  un 
loman  digne  de  ce  nom  doit  être  à  la  fois  bâti  sur 
une  intrigue,  rehaussé  par  la  mise  en  valeur  des 
caractères,  soutenu  par  la  démonstration  discrète 
d'iine  idée.)) 


I 

p 

» 


HENRY  RABUSSON 
Le  Frein. 

Le  Frein,  dont  parle  M.  Henry  Rabusson,  c'est 
l'éducation,  cette  éducation  que  l'on  néglige  tro]> 


102  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

dans  notre  pays,  et  qui  est  un  frein  merveilleux, 
«  le  seul  même  qui  soit  efficace,  le  seul  qui  fonc- 
tionne aux  heures  critiques  où  la  passion  menace 
de  tout  emporter». 

Pour  illustrer  cette  thèse,  M.  Henry  Rabusson 
nous  raconte  l'histoire  de  M.  de  Monlivet,  mari 
sans  amour  d'une  femme  éternellement  malade  et 
neurasthénique,  et,  par  surcroît,  assez  revêche  et 
désagréable.  Il  la  soigne  très  bien,  avec  beaucoup 
de  conscience,  mais  sans  élan.  Tout  à  coup,  un 
doctoresse  fait  irruption  dans  ce  ménage:  Eva Mil- 
ler, une  savante  personne  gracieuse  et  troublante, 
qui  fut  autrefois  vaguement  anarchiste,  et  qui 
n'a  gardé  de  la  doctrine  que  ce  qu'il  faut  pour 
son  usage  personnel  :  elle  veut  prendre  non  plus 
par  la  force  mais  par  la  ruse,  sa  part  de  bonheur,  à 
la  société  —  la  reprise  individuelle  !  —  et  elle  n'y  va 
pas  de  main  morte  :  elle  se  propose,  tout  simple- 
ment, d'envoyer  dans  un  monde  meilleur  la  malade 
confiée  à  ses  soins.  L'homme,  qu'elle  a  affolé  de 
passion  et  de  désir,  hésite  un  instant  sur  le  bord  de 
ce  précipice  ;  il  va  céder,  il  va  lui  laisser  accomplir 
l'acte  criminel,  mais  enfin,  le  «  frein»  agit,  il  s'ar- 
rête, il  chasse  la  doctoresse,  il  revient  à  sa  femme. 

C'est  très  dramatique,  très  émouvant,  je  ne  crois 
pas  que  ce  soit  absolument  démonstratif.  J'accorde, 
volontiers,  à  M.  Henry  Rabusson  que  l'éducation 
est  la  base  nécessaire,  primordiale  de  la  vie  en  so- 
ciété; qu'on  commet,  en  la  néghgeant,  une  crimi- 
nelle foHe;  mais  il  n'est  pas  moins  vrai  qu'il  y  a 


AVRIL    LES    ROMANS  103 

dans  le  tréfonds  de  la  nature  humaine  une  horreur 
naturelle,  instinctive,  du  crime,  qui  empêchera 
presque  toujours  un  homme,  même  follement  épris, 
et  même  dénué  de  toute  éducation,  de  laisser  assas- 
siner sa  femme. 


G.  AMIOT 
L'Approche  du  Soir. 

Le  drame  de  l'âge  difficile,  de  cet  automne  où 
l'homme  sent  en  lui  toute  la  force  physique  et 
morale  de  l'amour,  cependant  que  l'amour  s'enfuit, 
tenté  par  des  héros  plus  jeunes,  a  été  maintes  fois 
évoqué  par  les  romanciers  :  c'est  le  drame  éternel, 
éternellement  poignant  et  douloureux.  Après  tant 
d'autres,  M.  G.  Amiot  nous  dit  la  poignante  dou- 
leur de  V Approche  du  soir  :  il  nous  la  dit  d'une  façon 
originale  à  force  de  simplicité. 

Dans  sa  dédicace  à  M^^e  Bartet,  il  nous  avise  que 
«  ce  récit  veut  se  souvenir  de  Racine  »  ;  il  y  réussit  ; 
c'est  une  histoire  d'une  racinienne  harmonie  que 
celle  du  grand  professeur  de  philosophie,  François 
Glouet  devenu,  à  quarante-sept  ans,  amoureux 
comme  un  collégien  de  M^^^  Elisabeth  Golombin  :  un 
roman  d'amour  se  noue  entre  eux  —  amour  dont 
la  psychologie  a  été  observée,  notée  par  l'auteur 
avec  un  soin  méticuleux,  une  heureuse  recherche, 
presque  excessive  parfois  —  et  un  mariage  est  pro- 


104  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

jeté.  Mais,  suivant  la  volonté  d'Elisabeth,  il  ne  sera 
célébré  qu'avec  le  consentement  exprès  de  toute  la 
famille,  et  la  vieille  sœur  du  professeur,  Octavie, 
le  refuse  obstinément,  farouchement,  cependant 
que  son  neveu  Marcel,  son  fils  intellectuel,  accepte 
très  gentiment  cette  idée.  Même  il  court  vers  EHsa- 
beth  pour  la  décider  à  conclure  tout  de  suite  ce 
mariage;  mais  aux  premières  paroles  échangées, 
l'amour  naît,  un  amour  presque  criminel  déjà,  entre 
ces  deux  êtres  d'élection.  Marcel  veut  se  sacrifier 
au  bonheur  de  son  oncle,  mais  ce  dernier  a  deviné 
toute  la  vérité,  il  renonce  à  ce  mariage.  Homme 
jusqu'au  bout  cependant,  il  ne  peut  supporter  la 
pensée  que  son  neveu  ait  un  bonheur  quipui 
échappe,  et  Elisabeth,  très  dignement,  s'éloigne 
toute  seule,  désolée  et  résignée... 


ÀRMANDO  PALAGIO  VALDÈS 
La  Foi. 

(Tx'aduction  de  Julks  Labordf). 

La  littérature  espagnole  moderne  est  peu  connue 
du  public  français  qui  n'a  d'yeux,  en  ce  moment, 
que  pour  les  proses  du  Nord  de  l'Italie.  Le  roman 
espagnol  traverse  pourtant  une  période  d'un  rare 
éclat  et  des  écrivains  sont  nés  dans  la  patrie  de 
Cervantes,  qui  valent  la  peine  d'être  connus  et 


AVRIL    LES    ROMANS  105 

étudiés  chez  nous.  Parmi  ceux-là,  il  faut  citer  en  pre- 
mière ligne  Armando  Palacio  Valdès,  un  membre 
(le  l'Académie  espagnole,  dont  la  renommée  est 
très  grande  ira  los  montes  et  qui  est  vraiment  un 
romancier  du  plus  haut  mérite  et  de  la  plus  intense 
originalité.  M.  Jules  Laborde,  un  agrégé  de  l'Uni- 
versité, qui  possède  parfaitement  l'espagnol,  et 
'(ui  est  lui-même  un  excellent  lettré,  nous  le  révèle 
•  n  publiant  une  belle  traduction  de  la  Foi,  l'œuvre 
maîtresse  de  Àrmando  Palacio  Valdès. 

C'est  un  livre  poignant  où  se  trouve  évoqué  le 
drame  éternel  de  la  lutte  entre  l'esprit  et  la  chair. 
L'anecdote  dé  ce  roman  nous  montre  le  calvaire  du 
P.  Gil,  cet  orphelin  élevé  par  des  âmes  charitables 
et  qui,  devenu  prêtre,  est  dévoré  d'une  ardeur 
d'apôtre;  son  chemin  est  semé  d'embûches  et  de 
douleurs,  des  prêtres  intrigants  ou  brutaux  que  sa 
renommée  inquiète  le  menacent  et  veulent  le  per- 
dre ;  mais  tout  cela  n'est  rien  au  regard  de  la  tem- 
pête qui  se  déchaîne  en  son  cerveau  le  jour  où  ayant 
entrepris  la  conversion  de  don  Alvaro,  l'athée,  il 
^st  troublé  par  celui-là  même  qu'il  voulait  ramener 
Dieu,  et  qui,  bien  au  contraire,  avec  ses  paroles, 
^60  les  livres  des  philosophes,  jette  le  doute  en  son 
ïprit.  Ce  drame  de  conscience  se  termine  par  un 
lélodrame  :  la  pénitente  du  P.  Gil,  Obdulia,  s'est 
rise  peu  à  peu,  pour  son  confesseur,  d'une  crimi- 
îlle  passion,  et  comme  il  veut  rester  fidèle  à  son 
'devoir  et  à  sa  foi,  elle  l'ent  raine  dans  une  ténébreuse 
machination  à  la  suite  de  laquello  ]o  prêtre  est 

7. 


106  LE    MOTTVEMENT    LITTÉRAIRE 

condamné  à  quatorze  ans  de  réclusion;  douce  con- 
damnation, car  il  retrouve  en  son  étroite  cellule  la 
grâce  souveraine. 

Telle  est  l'anecdote  :  elle  ressemble  par  plus  d'un 
point  à  des  histoires  qui  nous  furent  contées  déjà. 
Mais  ce  qui  fait  du  livre  une  œuvre  profondément 
originale,  c'est  l'allure  que  lui  a  donnée  l'auteur; 
cette  peinture  saisissante  et  qu'on  sent  si  intensé- 
ment vraie  de  l'âme  et  des  mœurs  espagnoles  donne 
à  cet  ardent  récit  de  la  lutte  entre  l'ange  et  le  démon 
une  puissance,  un  relief,  une  couleur  extraor- 
dinaires. 


MARC    DEBROL 
Le  grand  Tour. 

Alors  que  tant  d'écrivains,  romanciers  ou  autres, 
prêchent  aux  jeunes  Français  l'esprit  d'initiative 
et  d'aventure,  M.  Marc  Debrol  leur  conseille  réso- 
lument de  rester  chez  eux,  de  cultiver  le  champ  de 
leur  père  et  d'épouser  sagement  la  petite  voisine 
qui  leur  fut  de  tout  temps  destinée.  C'est,  à  n'en 
pas  douter,  la  thèse  qui  ressort  de  son  roman. 

Je  n'aime  pas  beaucoup  cette  thèse,  je  ne  crois 
pas  qu'il  y  ait  tant  besoin  d'encourager  chez  nos 
compatriotes  les  goûts  sédentaires  et  routiniers, 
bien  suffisamment  répandus  déjà,  mais  le  roman 
qui  l'illustre  est  amusant  et  bien  conduit.  L'équj- 


AVRIL    LES    ROMANS  107 

pée  de  Jean  Morel,  le  jeune  architecte  qui  s'exile 
en  Amérique  parce  que  ses  parents  ne  sont  pas 
t(iut  à  fait  d'accord  avec  lui  sur  le  choix  d'une 
fiancée,  et  que,  d'autre  part,  il  éprouve  irrésistible- 
ment le  besoin  de  la  vie  libre  et  des  aventures  ;  ses 
succès  matériels,  ses  déconvenues  sentimentales  à 
New-York,  où  il  est  abandonné  successivement  par 
sa  fiancée  de  France  et  par  une  sweet  heart  milliar- 
daire, Gladys,  type  assez  convenu  de  la  jeune  fille 
américaine,  et  le  retour  au  bercail  du  bon  petit 
architecte  devenu  sage,  résigné,  et  ayant  appris,  en 
faisant  le  «  grand  tour  »,  à  mieux  aimer  son  pays  : 
tout  cela  nous  est  conté  avec  un  réel  agrément  par 
l'auteur,  qui  nous  offre,  entre  temps,  une  peinture 
de  la  famille  américaine,  sans  lien,  sans  amour,  sans 
respect,  qui  me  parait,  tout  de  même,  un  peu 
bien  tendancieuse. 


PIERRE  GORRARD 
Les  Chercheurs  d'Idéals. 

M.  Pierre  Gorrard,  écrivain  jeune  encore,  s'est 
déjà  manifesté  avec  autant  d'audace  que  de  con- 
fiance dans  les  genres  les  plus  divers  ;  il  a  publié  — 
je  m'en  rapporte  aux  termes  mêmes  de  son  cata- 
logue —  des  «  romans  romanesques  »,  des  «  romans 
légers  »  —  combien  légers  !  —  des  «  satires  »,  des 
'(  poésies»;  il  a  recueilli  les  «propos,  gestes,  avatars 


108  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

et  aventures  du  bohème  Philodore  »,  et  il  nous  a 
offert  un  «  essai  de  psychologie  expérimentale».  Il 
continue...  Et  voici  qu'il  fait  paraître  un  roman, 
parfois  romanesque,  souvent  léger,  presque  tou- 
jours audacieux,  et  principalement  très  philoso- 
phique. Il  s'appelle  les  Chercheurs  d'idéals^  et  porte 
en  épigraphe  deux  pensées  extraites  par  l'auteur 
lui-même  de  son  livre.  «  ...Nous  n'avons  plus  ni  reli- 
gion, ni  art,  ni  morale  :  nous  sommes,  tous,  plus  ou 
moins,  des  neurasthéniques»,  et  «  Si  vous  saviez 
tout  le  bonheur  dont  nous  sommes  capables  !  » 

Seulement,  voilà,  vous  ne  le  savez,  nous  ne  le 
savons  pas,  et  c'est  tout  le  malheur;  nous  souffrons 
comme  Med  Merti,  comme  Jeanne  Duferblé,  comme 
tant  d'autres,  de  ce  mal  terrible  :  la  neurasthénie, 
mal  des  êtres  supérieurs,  intellectuels,  pour  qui  le 
bonheur  limité  n'est  pas  digne  d'être  goûté,  et  qui, 
ayant  l'horreur  du  relatif,  sentent  l'impossibilité 
d'atteindre  à  l'absolu. 

Ce  sont  des  malades,  ou  plutôt  des  ignorants,  qui 
ignorent  la  science  de  vivre,  et  c'est  cette  science 
que  prétend  leur  enseigner  Salomon  Bigle  dans  sa 
petite  maison  des  «  chercheurs  d'idéals»;  ce  Salo- 
mon Bigle  est  un  homme  étonnant  qui  applique  à 
ces  malades  coupables  de  ne  point  savoir  être  heu- 
reux le  système  des  fiches;  il  fait  de  l'anthropo- 
métrie sentimentale  :  c'est  le  Bertillon  des  âmes,  et 
il  réussit  à  faire  des  cures  admirables. 

Mais  cet  apostolat  de  soigneur  d'âmes  et  de 
chercheur  d'idéals  présente  quelque  inconvénient 


AVRIT.    LES    ROMANS  109 

ius  notre  société  d'ignorants  et  de  retardataires, 

on  le  fait  bien  voir  à  Salomon  Bigle  qui,  après 

le  cure  un  peu  trop  audacieuse,  passe  en  Gourd'as- 

>es  et  est  condamné  à  dix  ans  de  réclusion. 

Il  est  excessif  de  dire  que  cet  ouvrage  est  un 

'  (^s  événement,  mais  c'est  un  livre  où  sont  remuées, 

•ec  parfois  une  assez  heureuse  audace,  des  idées 

itéressantes,   d'où  l'auteur  aurait  pu  seulement 

innir  quelques  expressions  dont  la  trivialité  ne 

iiforce  pas  la  valeur. 


LÉON  DE  TINSEAU 
Les  Deux   Consciences. 

Dans  les  Deux  Consciences^  Léon  de  Tinseau 
<l(>nne  deux  récits  d'égale  longueur  et  d'égal  intérêt. 
I .('  premier  met  en  scène  un  jeune  officier  qui,  lors 

•  lune  campagne  au  Maroc,  a...  terminé  les  soufîran- 
'  t  s  d'un  camarade  blessé  mortellement.  Ce  qui  lui 
fiormet,  au  cours  d'une  histoire  d'amour,  d'opposer 

los  deux  consciences»,  celle  du  libre  penseur  qui  a 

•  lu  bien  faire  en  délivrant  son  semblable  d'horri- 
l»les  tortures  —  celle  de  la  morale  chrétienne  qui 
(irononce  contre  le  meurtre  un  veto  absolu. 

Moins   «   empoignant»,   mais   plus   profond,   le 

•  If'uxième  récit  :  Ferréol,  nous  montre  l'évolution 
<l*^  deux   frères,  fils   d'un  petit   chapelier   franc- 

•mtois,    élevés    religieusement,    transplantés    à 


110  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Paris,  devenus  libres-penseurs  et  farouches  répu- 
blicains l'un  et  l'autre.  Ferréol,  infirme,  grand 
liseur,  en  est  à  l'idéal  républicain  des  grands  an- 
cêtres. Claude  est  arrivé  par  les  grèves,  les  déléga- 
tions... etc..  Ferréol,  révolté  en  face  de  cet  échan- 
tillon du  repu  parlementaire,  lui  dit  ses  vérités 
et  l'accule  aux  contradictions  les  plus  comiques. 
C'est  là  un  livre  où  il  y  a  du  cœur,  de  la  raison,  ci 
parfois  de  la  gaieté,  ce  qui  ne  gâte  rien. 


ROMAIN  ROLLANP 
Jean-Christophe.  —  Les  Amies. 

Le  Jean-Christophe  de  M.  Romain  Rolland,  dont 
j'ai  suivi  pas  à  pas,  volume  à  volume,  l'épanouisse- 
ment depuis  son  triomphant  début  avec  VAuhe^  (  s{ 
une  œuvre  unique  dans  la  littérature  de  ce  temps  : 
nul  écrivain  n'a  eu,  en  effet,  la  patience  ou  l'audace 
d'écrire  un  roman  qui  compte  déjà  huit  volumes  et 
qui  n'est  pas  terminé,  et  dont  les  huit  volumes  sont 
tous  d'un  intérêt  égal  et  renouvelé. 

Avec  ce  huitième  volume,  commence  la  troi- 
sième et  dernière  partie  qui  s'appellera  :  «  La  Fin 
du  voyage.  »  Jean-Christophe,  en  effet,  continue 
son  voyage  dans  la  société  parisienne;  c'est  tou- 
jours cet  être  très  sincère  et  très  personnel  que  sa 
sensibilité  extrême  met  un  peu  à  la  merci  des  gens 


AVRIL    —    LES    ROMANS  111 

Lfrossiers  et  égoïstes  qu'il  rencontre  chaque  jour, 
liais  qui,  par  sa  volonté  et  son  énergie,  parvient  à 
t'iompher  de  ces  épreuves.  Si  le  caractère  n'a  pas 
liangé  essentiellement,  il  évolue  cependant;  d'une 
façon  très  ingénieuse,  l'auteur  met  son  héros  en 
présence  de  divers  types  de  jeunes  filles  et  de  jeunes 
femmes  très  différentes  et  qui  sont  tous  curieux 
et  vrais.  Ces  diverses  affections  ou  amitiés  ont  une 
2:rande  influence  sur  l'âme  si  vibrante  de  Jean- 
Christophe;  les  joies  et  les  misères  de  ses  amies 
l'émeuvent  profondément;  éveillant  en  elle  un 
écho  de  sympathie,  elles  la  rendent  plus  humaine, 
plus  proche  de  nous,  sans  rien  lui  faire  perdre  de  cette 
intransigeance  morale  qui  fait  sa  force  et  sa  saveur. 
Il  y  a  dans  les  Amies  un  côté  plus  grave  et  non 
moins  passionnant.  C'est  une  étude  de  la  crise 
morale  que  traverse  la  femme  d'aujourd'hui,  ma- 
riée ou  indépendante.  La  société,  en  évoluant,  a 
modifié  le  rôle  de  la  femme;  elle  a  vis-à-vis  d'elle- 
même  et  de  ses  contemporains  des  devoirs  qu'elle 
doit  connaître  et  comprendre;  c'est  à  quoi  s'est 
appliqué  M.  Romain  Rolland,  par  le  truchement  de 
son  héros.  Au  cours  des  incidents  du  roman,  Jean- 
rihristophe  rencontre  des  personnages  qui  symboli- 
Mmi  les  diverses  conditions  dans  lesquelles  peut 
se  trouver  une  femme  au  xx^  siècle;  il  devient 
leur  conseiller  à  toutes,  un  conseiller  affectueux, 
généreux  et  averti  naturellement.  Ainsi  l'auteur 
a  su  en  des  pages  charmantes  nous  exposer  ce  pro- 
blème de  notre  vie  moderne,  et  nous  faire  sentir  son 


112  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

intérêt  et  son  importance;  et  c'est  bien  là,  je  crois, 
le  meilleur  éloge  qu'on  puisse  faire  de  ce  beau  livre. 


ANDRÉ  DUBOSGQ 
Pierre-Guy. 

Roman  très  délicatement  pensé,  écrit  avec  goût 
et  dont  j'ai  prisé  l'émotion  tendre  et  généreuse. 
C'est  une  simple  histoire  d'amour  et  de  renonce- 
ment. Pierre-Guy  Deslouet  aime  Christine  de  Ri- 
queville  dont  il  est  le  compagnon  d'enfance,  et  il 
éprouve,  lorsque  son  amie  épouse  l'ingénieur  Char- 
les de  Luxen,  un  profond  chagrin;  puis,  peu  à  peu, 
le  temps  fait  son  œuvre,  et  quelques  années  après, 
à  son  retour  en  France,  il  est  guéri,  si  bien  guéri, 
qu'il  s'éprend  de  la  sœur -de  Christine,  la  douce 
Marie,  qui  partage  son  amour  et  lui  promet  sa  foi. 
Mais  Charles  de  Luxen  est  tué  dans  un  accident 
d'automobile,  et  cet  accident,  qui  rend  Christine 
libre  de  nouveau,  ouvre  les  yeux  de  Pierre-Cuy  : 
c'est  elle,  elle  seule  qu'il  n'a  cessé  d'aimer;  la  douce 
Marie  s'en  rend  compte  aussi,  et  c'est  dès  lors  une 
lutte  généreuse  où  chacune  des  deux  sœurs  aspire 
au  rôle  de  vi-ctime.  Tout  s'arrange  au  dénouement  : 
pendant  un  nouveau  séjour  de  Pierre-Guy  en  Afri- 
que, Marie  restée  en  France  a  convolé  en  justes 
noces  et  Pierre-Guy  épouse  la  femme  de  ses  rêves. 


HISTOIRE,  LITTÉRATURE,  VOYAGES, 

DIVERS 


GASTON  MAUGRAS 

Journal  d'un  Etudiant  pendant  la  Révolution 
(1789-1793). 

Quand  M.  Gaston  Maugras  publie  un  livre,  et 
surtout  un  livre  sur  un  moment  quelconque  du 
xviiie  siècle,  ce  m'est  une  joie  d'aller  à  lui,  car 
je  suis  certain  d'entendre,  en  sa  compagnie,  des 
propos,  solidement  appuyés  de  documents,  et 
<x primés  dans  une  langue  pittoresque,  spirituelle, 
vivante.  Ses  belles  études  sur  Lauzun,  sur  la 
duchesse  de  Ghoiseul,  sur  la  Cour  de  Lunéville,  sur 
Mme  d'Epinay,  d'autres  encore,  sont  aujourd'hui 
des  livres  classiques  qui  sont  dans  toutes  les  biblio- 
thèques; et  je  suis  certain  que  le  Journal  d'un 
étudiant  pendant  la  Révolution  (1789-1793),  aura 
I     même  sort  enviable. 


114  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Il  s'agit  de  lettres  écrites  par  un  certain  Edmond 
Géraud;  et  «  on  voit  dans  ces  lettres,  écrit  M.  Mau- 
gras,  le  mouvement  révolutionnaire  se  dessiner  peu 
à  peu,  on  voit  les  illusions  des  uns,  les  intrigues  des 
autres,  on  voit  le  mal  irréparable  causé  par  l'émi- 
gration, on  voit  Paris  devenu  le  centre  d'ardentes 
conspirations,  on  comprend  mieux  comment  les 
événements  se  sont  enchaînés)).  Mais  si  ces  lettres 
sont  d'un  intérêt  palpitant,  c'est  peut-être  parce 
que  M.  Maugras  les  relie  les  unes  aux  autres  par  un 
commentaire  où  il  montre  jusqu'à  quelles  nuances 
extrêmement  délicates  il  a  pénétré  dans  la  com- 
préhension de  cette  époque  lointaine  déjà  et 
extraordinairement    compliquée. 


MARQUIS   GALMON-MAISON 
L'Amiral  d'Estaing  (1729-1794). 

En  des  pages  d'un  très  vif  intérêt,  le  marquis 
Calmon-Maison  suit  son  héros  aux  Indes  av 
Lally-ToUendal,  à  Sumatra,  dans  ses  captivités, 
aux  îles  Sous-le-Vent  dont  il  est  nommé  gouver- 
neur, à  Brest  où  il  devient  vice-amiral,  à  Toulon, 
aux  Antilles,  à  la  Guadeloupe,  en  Touraine  où  la 
Révolution  française  le  trouve  gouverneur  général, 
à  Versailles  où  il  est  élu  commandant  général  de 
la  garde  nationale.  Il  prête  en  1791  le  serment  mili- 


I 


AVRIL    —    HISTOIRE,    LITTERATURE,    VOYAGES,    DIVERS      115 

taire  et  civique  ;  confirmé  dans  son  grade  d'amiral 
par  le  gouvernement  de  la  République  et  arrêté  en 
1 793,  il  meurt  sur  l'échafaud. 

Son  historiographe  qui  nous  a  raconté  avec  beau- 
coup de  verve  et  d'émotion  cette  existence  si  rem- 
plie commente  sans  indulgence  cette  fin  tragique. 
«  Si,  dit-il,  pendant  que  la  fatale  charrette  le  menait 
au  lieu  du  supplice,  il  reporta  sa  pensée  sur  la  lon- 
u'ue  lignée  de  ses  aïeux,  qui,  chaîne  ininterrompue, 
s'était  passée,  de  génération  en  génération,  les 
idées,  les  sentiments,  les  croyances  comme  une 
tradition  attachée  à  leur  nom,  l'amiral  dut  alors 
sentir  douloureusement  combien  il  avait  manqué 
à  ses  ancêtres,  en  offensant  la  Reine  et  en  reniant 
le  Roi.» 


GILBERT  STENGER 
Le  Retour  de  l'Empereur. 

M.  Gilbert  Stenger,  qui  nous  avait  raconté,  dans 
un  livre  dont  on  n'a  pas  perdu  le  souvenir,  le  Re- 
tour des  Bourbons^  nous  donne  aujourd'hui  le 
complément  nécessaire  de  cet  ouvrage,  le  deuxième 
tableau  du  diptyque  :  c'est  le  Retour  de  VEmpe- 
reur,  «  du  Gapitole  à  la  Roche  tarpéienne  et  l'immo- 
hitiou)).  Ces  quinze  mois  d'histoire  —  car  cette 
multitude  d'événements  héroïques  et  formidables 
•  léroula   en   quinze  moisi   —  bien  des  histo- 


116  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

riens  nous  les  ont  racontés  déjà,  et  bien  des  fois 
encore  nous  les  entendrons  sans  que  se  lasse  notr 
admiration,  sans  que  faiblisse  notre  émotion. 

Elle  est  si  belle,  cette  histoire  !  si  remplie  (!< 
choses  magnifiques  !  Il  y  a  dans  ces  quinze  moi 
tout  un  siècle  d'héroïsme,  d'angoisse,  de  grandeur 
et  d'espérance.  Quelles  étapes  !  C'est  le  drame  de 
Fontainebleau,  c'est  le  départ  pour  l'ile  d'Elbe, 
petit  royaume,  où,  tout  de  suite,  l'Empereur  s'ins- 
talle en  grand  souverain,  qui  savait  comme  on  fonde: 
c'est  le  retour  à  Paris,  promenade  foudroyante 
et  sublime;  ce  sont  les  Cent  Jours,  épopée  prodi- 
gieuse, et  c'est  la  chute,  l'hostilité  des  choses,  la 
trahison  des  hommes,  et  c'est  le  drame  de  la  Mal- 
maison, et  ce  sont  les  dernières  étapes  semées 
toujours  de  trahisons,  avec,  comme  dénouement. 
Sainte-Hélène  et  le  tombeau. 

Cette  histoire  magnifique,  M.  Gilbert  Stenger  l'a 
redite  après  tant  d'autres,  mais  d'une  façon  diffé- 
rente; ceux  qui  ont  écrit  sur  le  même  sujet  n'ont 
point,  comme  lui,  concentré  leur  étude  «  unique- 
ment sur  l'homme  de  génie,  qui  pendant  cent 
jours,  gouverna  le  pays,  si  miraculeusement  rendu 
à  lui-même.  Et  c'est  pourtant  ainsi  qu'il  fallait 
écrire  cette  histoire  en  toute  l'Europe,  celle  do 
Napoléon.  Il  n'a  point  eu  d'autre  objectif  que  cette 
grande  figure.»  Et  c'est  un  long  procès-verbal 
rédigé  par  un  historien  qui  s'est  attaché  pas  à  pas 
au  héros  légendaire,  procès-verbal  écrit  simple- 
ment, sans  grandes  phrases,  sans  déclamation  ;  l'écri- 


WRIL    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    DIVERS      117 

ain  sait  bien  qu'elles  sont  inutiles  et  que  l'émotion 
lormidable  et  poignante  se  dégage  des  faits  eux- 
mêmes  et  de  l'homme  surhumain.  Il  relate  des  évé- 
nements, cite  des  dates,  rapporte  des  mots,  et  cette 
tâche,  il  l'accomplit  avec  toute  la  conscience,  toute 
la  rigueur  qu'on  est  en  droit  d'exiger  de  l'histo- 
rien; il  ne  l'accomplit  pas  sans  passion  :  on  ne  sau- 
rait toucher  un  tel  sujet,  contempler  un  tel  homme 
sans  passion,  et  il  faudrait  plaindre  l'écrivain  qui 
sans  une  émotion  profonde  et  presque  délirante 
pourrait  «  suivre  cet  immortel  vaincu,  faire  surgir 
du  milieu  des  événements  les  plus  cruels  l'image 
d'une  fermeté  d'âme  —  la  sienne  —  aussi  héroïque 
que  celle  des  plus  grands  hommes  de  l'antiquité, 
présenter  à  nu  cette  âme  violente  qui  sut  résister 
;iux  acclamations  du  peuple,  aux  manifestations 

t  aux  vociférations  des  patriotes  fédérés,  en  ne 
ongeant  toujours  qu'à  la  sauvegarde  de  la  patrie 
et  à  son  indépendance  ». 


S.  A.  LE  PKliNGE  MURAT 

Lettres  et  documents  pour  servir  à  l'Histoire  de 
Joachim  Murât  (1767-1815).  —  4'-  Volume. 

Quelle  mine  inépuisable,  ces  Lettres  et  documents 
pour  servir  à  V histoire  de  Joachim  Murât  (1767- 
1815).  Voici  déjà  le  quatrième  volume  de  cette 


118  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

énorme  publication  et  nous  ne  sommes  arrivés 
encore  qu'à  l'année  1806  !  Que  de  lignes  écrites 
par  ces  hommes  qui,  entre  deux  lettres,  gagnaient 
des  batailles  et  remaniaient  à  leur  gré  la  carte  de 
l'Europe  !  Ce  n'étaient  pourtant  point  des  bavards, 
ces  épistoliers  qui  s'appellent  Murât  et  Napoléon, 
et  Caroline,  et  Fouché,  et  Bernadotte,  et  tant 
d'autres,  princesses,  maréchaux  et  ministres;  ils 
avaient  vraiment  quelque  chose  à  se  dire,  et,  dans 
ces  billets  où  ils  racontent  l'événement  de  la  veille, 
ordonnent  celui  du  lendemain,  ils  font  de  l'histoire 
au  jour  le  jour  :  on  revit  dans  les  lettres  du  présent 
volume  la  campagne  d'Autriche,  les  jours  héroïques 
d'Austerlitz;  on  y  pénètre  l'histoire  des  duchés  de 
Glèves  et  de  Berg  pendant  l'an  1806,  on  y  voit, 
enfin,  retracée,  en  des  billets  véritablement  épiques, 
la  campagne  d'Iéna,  où  apparaît  dans  toute  sa 
gloire  ce  soldat  extraordinaire  dont  Napoléon  disait 
qu'il  savait,  à  la  fois,  prendre  des  villes  avec  sa 
cavalerie  légère  sans  le  secours  du  génie,  et  pré- 
parer partout  des  relais  à  la  Victoire. 


D^  PH.  MARÉCHAL 
Une  Cause  célèbre  au  XVII^  siècle. 

C'est  un  livre  d'une  bien  séduisante  érudition 
que  celui  du  docteur  Ph^  Maréchal,  maire-adjoint 


VRIL    HISTOIRE,    LITTERATURE,    VOYAGES,    DIVERS      119 

(iu  huitième  arrondissement,  sur  Une  cause  célèbre 
au    dix-septième   siècle,    La    mystérieuse    histoire 
évoquée  dans  ce  livre,  avec  une  merveilleuse  abon- 
dance de  documents,  avec  toute  une  correspon- 
dance inédite  entre  les  deux  héros,  est  celle  de  Béa- 
trix  de  Cuzance  et  de  Charles  IV  de  Lorraine.  Cette 
étonnante  aventure  de  substitution  d'enfant,  de 
bigamie,  que  sais-je  encore  !  qui  défraya  la  chro- 
nique pendant  tant  d'années,  et  suscita  à  travers 
les  Cours  d'Europe  un  si  grand  scandale,  n'avait 
'^  point  encore  trouvé  son  historien;  elle  l'a  aujour- 
d'hui :  le  docteur  Maréchal  nous  la  restitue  dans 
son  livre,  sans  omettre  un  détail,  sans  laisser  dans 
l'ombre  un  fait  ni  un  argument;  il  était  tout  dési- 
•né  pour  cette  tâche  :  un  des  héros  de  l'aventure,  le 
omoteur  du  procès  qu'il  soutint  jusqu'à  sa  mort, 
vec  infiniment  d'ardeur,  de  savoir  et  de  conscience, 
appelait  Pierre  Maréchal,  et  c'est  l'ancêtre  de 
luteur.  Le  D^  Maréchal  avait  donc,  on  le  voit, 
utes  sortes  de  raisons  pour  se  donner  avec  fer- 
'  ur  à  sa  tâche  et  pour  pouvoir  étayer  son  livre 
II-  des  documents  de   première  main.   Ce  livre, 
recédé   d'une    éloquente  préface  de  M.  Arthur 
(  Ihuquet,  est  édité  avec  beaucoup  de  goût  et  semé 
•  '  '  belles  et  précieuses  images. 


120  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


DE  MARGÈRE 

Histoire  de  la  République  (1876-1879) 
2^  et  dernier  volume. 

M.  de  Marcère  poursuit  et  termine  cette  Histoire 
de  la  République^  qu'il  avait  entreprise,  et  dont  j'ai 
signalé  naguère  le  premier  volume.  Le  présent  volu- 
me s'étend  sur  quatre  années,  de  1876  à  1879,  ces 
quatre  années  au  bout  desquelles  prit  fin  la  période 
de  République  libérale  et  conservatrice,  la  seule 
qu'ait  voulu  raconter  l'historien.  La  question  se 
pose  pour  lui,  d'ailleurs,  de  savoir  si  cette  fin  de  la 
République  conservatrice  ne  fut  pas  le  terme  de 
la  République  elle-même.  Gomme  dans  le  premier 
volume,  qui  s'arrêtait  à  la  date  du  16  mai,  M.  de 
Marcère,  dans  le  présent  ouvrage,  où  il  nous  raconte 
le  16  mai,  l'Exposition  de  1878,1a  fin  de  la  Républi- 
que conservatrice,  a  su  garder,  dans  le  récit  de  ces 
événements  auxquels  il  prit  une  si  grande  part  et 
qui  lui  tiennent  si  fort  au  cœur,  une  remarquable 
impartialité. 

Ge  n'est  pas  à  dire  que  ses  sentiments,  très  nets 
et  très  ardents  à  l'égard  des  hommes  et  des  choses, 
ne  se  fassent  jour  quelquefois;  même,  ils  gardent 
dans  le  livre  une  discrétion  d'autant  plus  grande 
qu'ils  s'exprimèrent  dans  la  préface  avec  plus  de 
véhémence  et  d'énergie. 

Dans  cette  préface,  d'une  éloquence  enflammée, 


AVRIL    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    DIVERS      121 

M.  de  Marcère  expose  longuement  les  maux  dont 
souffre  la  France  et  dénonce,  sans  merci,  les  cou- 
pables de  ces  maux  qui  sont,  à  ses  yeux,  les  francs- 
maçons,  les  ennemis  de  la  religion.  Il  semble,  dans 
ces  pages,  désespérer  des  destinées  de  la  Patrie  et 
il  montre  un  tel  pessimisme  qu'on  est  heureux  de 
trouver,  enfin,  cette  phrase  sous  sa  plume  :  «  Mais 
quand  tout  paraît  perdu,  il  reste  encore  l'espérance  : 
tout  n'est  pas  mort,  tout  n'est  pas  fmi  chez  nous.  » 


F.  GAIFFE 
Le  Drame  en  France  au  XVIII*  siècle. 

L'auteur  a  voulu,  dans  cet  ouvrage,  retracer  la 
vie  de  cette  forme  dramatique  nouvelle,  «  créée 
au  xviii®  siècle,  en  opposition  avec  les  genres 
classiques  de  la  tragédie  et  de  la  comédie  et  pour 
répondre  aux  aspirations  de  la  bourgeoisie,  qui 
désirait  voir  consacrer  par  le  théâtre  la  situation  de 
jour  en  jour  plus  considérable  qu'elle  occupait  dans 
la  société  ».  Elle  naquit  avec  le  Fils  naturel  de  Dide- 
rot, en  1757,  et  mourut  en  1791  lorsque  la  proclama- 
tion de  la  liberté  des  théâtres  vint  modifier  profon- 
dément les  conditions  de  la  production  dramatique. 

En  quatre  parties  M.  Gaiffe  étudie,  tour  à  tour, 
les  origines  du  drame,  l'histoire  du  genre,  la  matière 
du  drame,  la  forme  du  drame,  pour  arriver  à  cette 


122  LE    MOUVEMENT    LlTTÉllAlIlE 

conclusion,  qu'au  point  de  vue  purement  esthéti- 
que, les  résultats  ne  furent  pas  brillants;  «  le  véri- 
table légataire  universel  du  drame  est  bien  le  mélo- 
drame )),  et  c'est  vraiment  là  un  héritier  et  un  héri- 
tage dont  nous  aurions  pu  nous  passer  à  la  rigueur. 
Un  index  très  complet  des  drames,  une  table  des 
auteurs  cités,  et  une  série  de  superbes  reproduc- 
tions, en  phototypie,  d'estampes  et  d'images,  don- 
nent à  cet  ouvrage  d'un  vif  intérêt,  une  haute 
valeur  artistique  et  documentaire. 


H.  POINGARÉ 
Savants  et  Ecrivains. 

Etudes  et  souvenirs  littéraires  et  scientifiques, 
voici,  réunies  en  un  volume,  les  pages  que  l'éminent 
écrivain  et  savant,  Henri  Poincaré,  a  consacrées  à 
des  hommes  comme  Sully-Prudhomme,  Gréard, 
Curie,  Hermite,  Cornu,  B^ertrand,  Berthelot,  Faye, 
Lœwy,  d'autres  encore,  illustres  savants  et  penseurs. 
Dans  une  très  jolie  préface,  l'auteur  expose  que 
ses  héros  peuvent  être  aussi  intéressants  que  ceux 
dont  les  fanfares  chantent  les  exploits.  «  Eux  aussi 
ont  combattu,  et  si  leurs  combats  ont  été  souvent, 
le  plus  souvent,  silencieux,  ils  ont  quelquefois  exigé 
de  ceux  qui  les  livraient  des  qualités  qui  ne  sont 
pas  communes.» 


I 


AVRIL    HISTOIRE,    LITTERATURE,    VOYAGES,    DIVERS      123 

De  tous  ces  hommes,  M.  H.  Poincaré  a  prononcé 
l'éloge  en  des  jours  de  deuil  où  il  n'est  point  permis 
de  critiquer,  et  en  relisant  ces  pages  il  n'a  pourtant 
rien  trouvé  à  retrancher  ni  à  atténuer.  Est-ce  à 
dire  que  les  savants  n'aient  point  de  défauts?  Non 
certes  !  Mais  ils  sont  tous  des  laborieux,  tous  des 
passionnés,  animés  d'un  ardent  amour  pour  la 
vérité  et  la  science.  Ils  sont  tous  également,  en  un 
sens,  des  hommes  de  foi,  des  croyants,  des  modestes 
aussi,  mais  qui,  si  défiants  qu'ils  soient  de  leurs 
forces,  ont  confiance  en  leurs  méthodes;  ajoutez 
qu'ils  ont  de  la  bonhomie,  qu'ils  sont  jeunes  de 
cœur  éternellement,  et  profondément  désintéressés. 


J.  ERNEST-CHARLES 
Le  Théâtre  des  Poètes  (1850-1910). 

M.  J.  Ernest-Charles  est  un  redoutable  critique, 
ses  jugements  sont,  pour  l'ordinaire,  dénués  de 
mansuétude,  et  sa  cruauté  s'étend  sur  toute  la  litté- 
rature. C'est  une  façon  d'affirmer  son  indépen- 
dance; je  ne  crois  pas  que  ce  soit  la  seule,  ni  même 
la  meilleure.  Mais  c'est  une  question  de  goût  au 
sujet  de  laquelle  il  serait  oiseux  d'ouvrir  la  discus- 
sion :  ce  qui  est  incontestable,  c'est  que  M.  Ernest- 
Charles  a  un  très  réel  talent  d'écrivain  et  une  éru- 
dition très  sûre;  les  victimes  même  des  violences 


124  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

de  sa  férule,  qui  par  bonheur  ne  s'en  portent  pas 
plus  mal,  doivent  le  reconnaître. 

J'étais  donc,  pour  mon  compte,  assuré  de  trouver 
plaisir  et  profit  à  la  lecture  du  livre  qu'il  vient  de 
publier  sur  le  Théâtre  des  poètes  (1850-1910),  mais 
je  n'étais  pas  sans  inquiétude  sur  le  sort  de  ces 
poètes  dont  les  œuvres  furent  représentées  au 
cours  de  ces  soixante  années  ;  qu'est-ce  qu'ils  vont 
prendre  !  me  disais-je  avec  une  trivialité  dont  je 
m'excuse. 

Je  me  trompais,  l'historien  en  M.  Ernest-Charles 
est  beaucoup  plus  doux,  beaucoup  plus  indulgent 
que  le  critique.  N'exagérons  rien,  il  égratigne  encore 
pas  mal  et  se  montre  souvent  plein  d'irrévérence 
pour  des  gloires  très  respectables;  mais  Eugène 
Manuel  pourrait  lire  sans  trop  de  chagrin  les  pages 
qui  lui  sont  consacrées,  et  je  ne  crois  pas  que  Ca- 
tulle Mendès  eût  été  fâché  de  son  chapitre;  un 
grand  nombre,  parmi  les  autres,  s'accommoderaient 
à  la  rigueur,  des  lignes  où,  eh  quelques  traits  précis, 
incisifs,  ils  sont  caractérisés;  je  ne  parle  pas  de 
Samain,  de  Verhaeren,  d'André  Rivcire,  chaude- 
ment exaltés,  de  Rostand  surtout,  pour  lequel 
M.  Ernest-Charles  professe  une  fervente  admira- 
tion. La  conclusion  de  son  livre  est  tout  à  fait  flat- 
teuse pour  le  théâtre  des  poètes  de  ces  soixante 
années,  rempli  d'optimisme  et  d'espérance.  «  Ce  théâ- 
tre succédant  à  celui  du  romantisme  n'a  pas  créé 
de  formes  nouvelles  d'oeuvres  dramatiques.  Ou 
plutôt  il  a  mélangé  toutes  les  formes  anciennes  et 


AVRIL    —    HISTOIRE;    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    DIVERS      125 

un  chef-d'œuvre  est  né  de  ce  mélange  heureux. 
Il  a  noblement  souligné  la  persistance  de  l'idéal.  Il 
i  célébré  la  bonté  fervente  de  l'héroïsme.  Il  a  chanté 
l'optimisme  valeureux,  excitateur  de  l'action  bien- 
faisante à  tous.  Il  a  été  de  plus  en  plus  humain,  en 
s'afTirmant  de  plus  en  plus  français.  Et  l'humanité 
vient  d'elle-même  se  rafraîchir  à  cette  source  fran- 
'  aise,  car  elle  est  douce,  elle  est  pure,  et  elle  est 
\  ivifiante.  » 

Ce  sont  là  des  choses  tout  à  fait  agréables  à  lire 
et  l'on  a  plaisir  à  découvrir  en  M.  Ernest-Charles 
une  telle  faculté  d'enthousiasme,  de  confiance  et 
d'admiration. 


JUNIUS 
Billets  de  Junius. 

((  Savez-vous  qui  est  Junius?»  Combien  de  fois, 
depuis  deux  ans,  n'a-t-on  pas  entendu  cette  ques- 
tion dans  les  bureaux  de  rédaction,  et  toujours  sui- 
vie du  même  aveu  d'ignorance;  c'est  un  mystère  de 
la  presse  parisienne  contemporaine,  et  le  brillant 
écrivain  qui  signe  presque  quotidiennement  ses 
«  Billets  ))  à  VEcho  de  Paris  pont  s(^  vanter  d'intri- 
guer ses  confrères. 

11  a  d'autres  mérites  :  il  intéresse  et  passionne, 
à  juste  titre,  le  public;  ses  billets  sont  d'un  très 
bon  jcnirnnlistf  et  d'un  remarquable»  <M•^i\^•nn:  sans 


126  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

doute,  le  mystère  dont  s'entoure  l'auteur  ajoute  à 
l'attrait  de  la  prose,  mais  tout  de  même  cet  écrivain 
pousse  un  peu  trop  loin  la  modestie,  lorsqu'il  affirme 
que  «  si  ces  billets  ont  eu  quelque  succès,  ils  l'ont 
dû  à  cette  espèce  d'anonymat  ». 

Non  certes,  ils  l'ont  dû  à  leur  remarquable  tenue 
littéraire  et  m^ orale;  ils  l'ont  dû  à  ce  fait  qu'ils  atta- 
quent «toujours  les  doctrines,  jamais  les  individus, 
et  que  leur  auteur  —  un  ancien  secrétaire  d'ambas- 
sade, voilà  un  point  de  repère  !  —  a  tenu  à  ne  mani- 
fester dans  ses  écrits,  que  le  bon  Français,  celui 
qu'il  est,  que  vous  êtes,  celui  que  nous  sommes  ». 

On  se  rend  compte  mieux  encore  de  leur  valeur 
littéraire  en  les  relisant  dans  le  volume  où  VEcho  de 
Paris  vient  de  les  réunir,  ces  Billets  de  Jiinius^  mé- 
thodiquement ordonnés,  en  chapitres,  qui  ont  trait, 
tour  à  tour,  à  la  société,  au  régime,  à  la  patrie,  à 
l'armée,  à  l'école,  aux  âmes  et  au  travail,  on  les  relit 
avec  infiniment  de  plaisir,  de  profit,  et  souvent 
d'émotion,  —  et  c'est  un  livre  qui  fait  honneur  vrai- 
ment à  la  presse  contemporaine. 


CAMILLE  FLAMMARION 
Les  Comètes. 

L'éminent  astronome,  qui  sait  mettre  tant  de 
poésie  dans  l'exposé  des  problèmes  les  plus  scienti- 


WRTL    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    DIVERS      127 

fiques,  nous  documente  d'une  façon  très  complète 
sur  le  mouvement  des  comètes  dans  l'espace,  les 
orbites  cométaires,  la  constitution  des  comètes, 
leur  rencontre  possible  avec  lei  terre,  leur  prove- 
nance, et  aussi  sur  les  étoiles  filantes,  les  bolides, 
les  uranolithes.  L'héroïne  du  jour,  celle  dont 
nous  attendions,  cette  année,  la  visite  avec  une 
impatience  et  une  curiosité  mélangée  d'un  tout 
petit  frisson  d'inquiétude,  la  célèbre  comète  de 
Halîey,  y  tient  une  grande  place,  cette  visiteuse  qui, 
après  nous  avoir  délaissés  depuis  l'an  1835,  revien- 
drait le  19  mai  prochain,  juste  à  point  pour  mettre 
fm  à  notre  pauvre  vieux  monde. 

Ne  nous  inquiétons  pas  trop.  M.  Camille  Flam- 
marion, qui  est  un  prophète  digne  de  foi,  est  très 
l'assurant.  «  Peut-être  remarquera-t-on  de  curieux 
]jhénomènes  électriques  ou  magnétiques,  des  mani- 
festations d'aurores  polaires,  des  orages  d'un  nou- 
veau genre,  une  pluie  d'étoiles  filantes,  des  lueurs 
éthérées  dans  les  régions  supérieures  de  l'atmos- 
phère tandis  que  les  observateurs  de  l'autre  côté 
(lu  globe  étudieront  le  passage  du  noyau  devant  le 
disque  solaire.» 

Tout  cela  est  très  alléchant  et  pourra  constituer 
nu  fort  beau  spectacle;  mais,  voilà  qui  est  plus 
1,'rave  :  —  in  cauda  i^enenum  :  c'est  le  cas  de  le  dire 
—  «  quelque  nouveau  mélange  gazeux  pourra  se 
produire  dans  notre  atmosphère  !  »  mais  nous  nous 
en  tirerons  très  bien  tout  de  même  et  ce  sera  une 
mémorable  date  astronomique  qui  restera  ipscrite 


128  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

dans  nos  annales  comme  l'une  des  plus    impor- 
tantes de  l'histoire  des  comètes. 


MÉMENTO  DU  MOIS  D'AVRIL 


ROMANS 


Aubier  (F.).  —  Trois  filles  à  marier. 

Azco  (Jean  d').  Voir  Théodore  Kahn. 

Barret  (Emile).  —  La  Petite  Sévillac. 

Barrett  (Frank).  —  Le  mystère  du  grand  Hesper,  dont 
M.  de  Wyzewa  donne  une  traduction  dans  la  Biblio- 
thèque des   meilleurs  romans  étrangers. 

Danrit  (Capitaine)  et  Arnould  Galopin.  —  La  Révolution  de 
demain,  un  roman  qui  nous  donne  un  avant-goût  des 
plaisirs  que  nous  prépare  la  G.  G.  T. 

Dessoubre  (Henri).  —  UÉté  Complice,  un  roman  de  mœurs 
orientales  d'une  très  johe  couleur  et  d'une  poignante 
émotion. 

Fillay  (Hubert).  —  Contes  de  la  Breumaille,  des  «  nouvel! - 
du  pays  solognot». 

Galopin  (Arnould).  Voir  Capitaine  Danrit. 

Kahn  (Théodore)  et  Jean  d'Azco.  —  Le  Printemps  d'une 
femme,  roman  moderne. 

Maygrier  (Raymond).  —  La  Ruche,  roman  de  mœurs  par- 
lementaires. 

Mirepoix.  —  Bahylone,  roman  historique. 

Rengade  (D'^  Jules).  —  La  hotte  à  Cancans,  roman  scénique 
contemporain. 

Rogniat  (Marcel).  —  Péchés  de  Jeunesse,  un  recueil -de 
curieuses  nouvelles. 


MEMENTO    DU    MOIS    d'AVRII.  129 

Saint-Aulaire  (Comte  A.  de).  —  Un  étrange  divorce. 

Séverac,  —  Les  Voies  Impénétrables.  La  lutte  menée  contre 
les  congrégations  et  les  consciences  catholiques  devait 
nécessairement  provoquer  quelques  écrivains  à  des 
œuvres  d'imagination,  dont  cette  lutte  serait  l'élé- 
ment primordial.  Le  nouveau  livre  que  publie, 
M.  Séverac,  est  du  nombre.  C'est  l'histoire  d'une  jeune 
fdle  qui,  sortie  du  couvent  aux  heures  de  tempête  et 
jetée  dans  le  monde  qui  l'étourdit,  se  sent  ressuscitée 
à  sa  vocation  —  et  une  vocation  qui  s'achève  dans 
le  martyre  —  par  des  voies  impénétrables,  qu'il  plaît 
à  la  providence  de  choisir. 

L'auteur  n'a  pas  reculé  devant  les  effets  les  plus 
dramatiques,  pour  donner  à  son  récit  et  à  sa  disser- 
tation, plus  de  relief  :  il  en  résulte  que  son  livre  a 
l'éloquence  d'un  acte  de  foi  en  même  temps  que  le 
roman  est  d'une  belle  intensité  de  vie. 

Ulmès  (Tony  d').  —  Les  Demi- Morts. 


HISTOIRE  —  LITTÉRATURE 
THÉÂTRE  —  POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Armaingaud   (D*").   —  Montaigne  pamphlétaire;   V Énigme 
du  Contre  un. 
irraud  (D*"  Jean).  —  Bordeaux  sous  la  Terreur;  «  Vieux 

papiers  bordelais.» 
irrès  (Maurice).  —  L'Ennemi  des  Lois,  l'édition  défini- 
tive du  livre  admirable  qui,  dans  l'évolution  intellec- 
tuelle et  sentimentale  de  l'éminent  écrivain,  marque 
une  étape  si  émouvante. 

]V>églin  (Eugène).  —  Une  Capitale  chrétienne:  Vienne. 

lioyer  d'Agen.  —  Monsignor  Joachim  Pecci,  d'après  la 
correspondance  de  famille. 

iJrun  (Ch.).  —  Le  Roman  social  en  France  au  xix®  siècle, 
un  important  ouvrage  publié  dans  la  série  dos  Études 
'('onomiques  et  sociales. 


130  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Caillaux.  —  Discours,  prononcés  à  propos  de  l'Impôt  sur 
le  Revenu. 

Gaylus  (Duc  de).  —  Le  Cahier  blanc  de  mon  père,  des  pages 
d'histoire  émouvantes,  publiées  avec  une  piété  filiale, 
où  l'auteur  nous  restitue  les  «  Souvenirs»  consignés 
par  Adolphe  de  Rougé,  page  de  Charles  X,  sur  l'in- 
fructueuse tentative  de  soulèvement  faite  dans 
l'Ouest  par  M^^e  la  duchesse  de  Berry,  en  1832. 

Chaponnière  (Paul).  —  Piron,  sa  vie  et  son  œuvre. 

Cim  (Albert).  —  Le  Chansonnier  Emile  Déhraux,  roi  de 
la  Goguette  (1796-1831). 

Cons  (Louis).  —  Un  siècle  de  VHistoire  d"" Allemagne  :  de 
Gœthe  à  Bismarck,  publié  dans  la  collection  syn- 
thétique dirigée  par  M.  Noël  Ayinès. 

Dalloz.  —  Le  Manuel  Électoral.  N'allez  pas  croire  que  c'est 
là  un  bouquin  illisible  qui,  en  exaltant  le  droit  du 
vote,  vous  dégoûte  à  tout  jamais  de  la  vie  publique. 
C'est  au  contraire  un  véritable  manuel,  très  bien  fait, 
très  clair,  d'une  consultation  aisée,  que  tous  les  ci- 
toyens consciencieux  devraient  avoir  à  portée  de  la 
main,  afin  de  ne  point  parler  en  aveugle  du  bulletin 
souverain  —  ô  combien  —  qui  va  faire  des  députés 
et  qui  fera  des  conseillers  municipaux. 

Il  n'est  même  pas  jusqu'aux  candidats,  jusqu'aux 
élus,  jusqu'aux  membres  des  commissions  électorales, 
qui  ne  devraient  entre  ses  sages  feuillets  chercher 
une  connaissance  plus  certaine  de.  la  loi  électorale. 

Dupuy  (Ernest).  —  Alfred  de  Vigny.  Premier  volume  :  Ses- 
Amitiés.  ^ 

Filon  (Augustin).  — '■  Marie  Stuart,  un  fort  émouvant  et 
agréable  livre  où  l'auteur,  sans  s'inquiéter  des  outran- 
ciers  de  la  haine  ou  des  forcenés  de  l'apologie,  laisse 
parler  les  faits  et  montre  Marie  Stuart  telle  qu'il 
croit  la  voir.  Ce  volume  est  le  premier  d'une  série  qui 
s'appellera  les  Femmes  illustres  et  que  dirige  le  très 
érudit  et  probe  écrivain  qui  a  nom  Léopold  Lacour. 

Fleischmann  (Hector).  —  Rackel  intime.  Ce  n'est  pas  un 
livre  de  mémoires,  c'est  mieux  que  cela  :  c'est,  en 
face  de  la  figure  romantiquement  hiératique  de  la 
célèbre  tragédienne,  la  figure  vivante,  vibrante,  plus 


M  i:  M I  :  .\  1  (  -   1  )  L    .M  u  1  s   D  \\  \  1  a  L  1  ;  5 1 

passionnelle  que  passionnée,  de  la  femme  qui  eut  à 
la  fois  des  gestes  très  héroïques,  très  bourgeois,  et 
parfois  un  peu...  Mais,  ne  la  jugeons  pas  trop  sévère- 
ment, laissons  de  côté  des  petits  faits,  qui  ne  gran- 
dissent pas  le  souvenir.  Rachel  fut  toute  une  époque 
et  c'est  cette  époque  que  M.  Fleischmann  ressuscite 
en  des  pages  pleines  de  documents  et  très  amusantes, 
car,  ainsi  que  le  dit  le  biographe  —  très  curieux, 
mais  pas  trop  —  curieux  de  la  tragédienne,  «  dans 
cette  biographie  l'amour  tiendra  une  large  place,  car 
Rachel  a  beaucoup  aimé  ». 

Guillaume   (James).  —  U  Internationale,   «  documents  et 
souvenirs  de  1864  à  1878»,  quatrième  volume. 

Ilauser  (Ph.).  —  Les  Grecs  et  les  Sémites,  «  dans  l'histoire 
de  l'Humanité». 

Hocquart  de  Turtot.  —  La  Conquête  des  Communes  (Mai- 
Juillet  1789). 
mes  (William).  —  Philosophie  de  V Expérience,  le  savant 
livre  de  pensée  du  célèbre  philosophe,  membre  associé 
de  l'Institut,  professeur  à  l'Université  de  Harward, 
dont  MM.  E.  Brun  et  Paris  publient  la  traduction 
dans  la  «  Bibliothèque  de  Philosophie  scientifique  ». 
Ce  sont  huit  leçons  où  le  savant  maître,  qui  a  une 
vision  et  une  méthode  pour  interpréter  cette  vision, 
('•ludie  successivement  les  aspects  de  la  pensée  philo- 
sophique, l'idéahsme  moniste,  Hegel  et  sa  méthode, 
Fechner  et  son  panthéisme  empirique,  la  conspiration 
des  consciences;  Bergson  et  sa  critique  de  l'intellec- 
tualisme, la  continuité  de  l'expérience,  et  enfin  ses 
conclusions,  dont  celle-ci  :  «  L'empirisme  est,  pour  la 
nligion,  un  meilleur  allié  que  le  rationalisme.» 

Très  beau  hvre  de  haute  spéculation  morale  qu'on 
lie  lit  pas  sans  fruit  :  le  maître  a  certainement  un 
•  xcès  de  modestie,  lorsqu'il  s'écrie  à  la  fin  :  «  Mon 
seul  espoir  est  qu'elles  aient  pu  avoir  pour  vous  (il 
parle  de  ses  leçons)  quelque  chose  de  suggestif,  et  si 
quoique  chose  de  tel  s'y  est  effectivement  trouvé  à 
l'égard  d'une  certaine  question  de  méthode,  je  consens 
presque  à  ce  qu'elles  ne  vous  aient  rien  inspiré  sur 
aucune  autre.  » 


132  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

Il  suffît  de  lire  les  pages  si  profondes  et  d'une 
logique  si  serrée,  de  M.  William  James,  pour  juger 
que  son  livre  est  un  clavier,  dont  tous  nos  cerveaux 
doivent  être  heureux  d'entendre  l'harmonie. 

Labulin  (Colonel),  —  Considérations  stratégiques  sur  la 
Campagne  de  1800  en  Italie. 

Langsdorff  (Baron  de).  —  Voyages  et  Chasses  en  Ouganda, 
de  très  intéressants  récits. 

Leclerc  (Jules).  —  Chez  les  Jaunes,  un  volume  consacré  au 
Japon,  à  la  Chine,  à  la  Mandchourie.  L'auteur, 
globe-trotter  émérite,  a  fait  le  tour  du  monde  en  par- 
tant par  le  transcanadien  et  en  revenant  par  le  trans- 
sibérien ;  de  ce  grand  voyage  il  a  rapporté  une  ample 
moisson  d'impressions  et  de  documents,  d'abord,  sur 
la  traversée  du  Pacifique,  puis  sur  les  villes  du  Japon  : 
Yokohama,  Tokio,  Kamakoura;  sur  la  Chine,  où  il  a 
vu  Pékin  tout  autrement  que  nos  littérateurs;  par- 
tout, il  a  su  voir  ;  il  se  souvient  et  raconte  à  merveille, 
il  a  su  au  bon  moment  braquer  l'objectif  de  son  appa- 
reil photographique  :  il  a  réussi  de  la  sorte  à  nous 
offrir  une  relation  du  plus  vif  et  du  plus  pittoresque 
agrément. 

Lemaître  (Jules).  —  Fénelon,  les  belles  conférences,  d'une 
si  haute  et  si  poignante  séduction,  réunies  en  volume. 

Martin  (Paul-Edmond).  —  La  Suisse  à  VÉpoque  mérovin- 
gienne (534-715),  des  «  Études  Critiques». 

Mélia  (Jean).  —  Les  Idées  de  Stendhal,  un  bien  captivant 
ouvrage  sur  ces  idées  dont  l'ensemble  constitue 
le  Beylisme,  suivant  l'expression  même  de  l'écrivain, 
qui,  de  son  vivant  déjà,  prétendit  faire  école;  l'auteur 
a  voulu  l'étudier  dans  son  esprit,  nous  montrer  qu'il 
a  été  plus  que  tout  autre  sensible  à  la  beauté  de  l'art; 
que  la  beauté  fut  pour  lui  une  promesse  de  bonheur; 
il  a  réuni  pieusement  et  présenté  avec  beaucoup  d'art 
toutes  ses  idées  philosophiques,  il  a  détaillé,  comme 
Stendhal  faisait  de  ses  personnages,  l'auteur  de  cette 
œuvre  immense  sur  «  laquelle  plane  la  plus  pure  im- 
mortalité et  qui  met  son  nom  parmi  ceux  des  grands 
génies  ». 

Merlet  (J.-P.-Louis).  —  Eugène  Chigot,  peintre. 


MEMEiNTO    DU    MOIS    DAVRIL  133 

Pidal  (Raraon  Menendez,  do  l'Académie  espagnole).  — 
L'Épopée  castillane  à  travers  la  littérature  espagnole. 
M.  Ernest  Mérimée,  qui  préface  l'ouvrage  traduit 
par  M.  Hemù  Mérimée,  nous  expose  que  les  sept 
chapitres  composant  ce  volume  forment  autant  de 
conférences  prononcées  par  M.  Ramon  Menendez  Pi- 
dal à  l'Université  Johns  Hopkins  de  Baltimore,  cette 
université  où  furent  instituées  des  lectures  sur  la 
poésie  des  différents  pays  d'Europe,  où  Brunetière 
parla  de  la  France,  et  Angelo  de  Gubernatis  de 
l'Italie.  M.  Pidal  ayant  établi  qu'il  existait  une  épopée 
castillane  —  car  un  illustre  écrivain  et  philologue  a 
écrit  autrefois  :  l'Espagne  n'a  pas  d'épopée  !  — étudie 
tour  à  tour  la  formation  de  la  matière  épique,  sa  diffu- 
sion et  son  évolution  à  travers  la  littérature,  et  ce  sont  : 
les  origines  de  l'épopée  castillane,  le  poème  de  Mon 
Gid,  Castille  et  Léon,  le  Gid  et  Ghimène,  le  Roman- 
cero, le  Théâtre  classique,  la  Matière  épique  dans  la 
rinésie  moderne. 

Pourol  (Paul).  —  Tolède,  «  son  histoire,  ses  légendes,  ses 
monuments  »,  un  ouvrage  pittoresque. 

Rostand  (Edmond).  —  Chantecler,  apparition  en  hbrairie 
de  la  triomphante  pièce  attendue  à  travers  le  monde 
par  des  miliers  et  des  milliers  de  lecteurs,  lesquels 
auront  la  surprise  de  quelques  vers  nouveaux  du 
poète;  M.  Edmond  Rostand  a,  en  effet,  réuni  les  indi- 
cations de  mise  en  scène  et  de  décors  en  quatre  son- 
nets déhcieux,  qui  précèdent  les  quatre  actes  de  son 
œuvre. 

Roux  (J.-Gh.).  —  Les  Légendes  de  Provence,  un  gracieux 
volume  dont  les  pages  ensoleillées  sont  ornées  de 
belles  images, 

Silbermann  (Soldat).  —  Souvenirs  de  Campagne,  un  vo- 
lume d'histoire  très  moderne,  très  française,  de  cou- 
rage et  de  vaillance  écrit  par  un  de  ces  modestes  héros 
qui  la  font  obscurément,  où  le  soldat  Silbermann, 
décoré  de  la  médaille  militaire,  médaillé  du  Dahomey, 
de  Madagascar,  du  Tonkin  et  do  la  Ghine,  nous  conte 
les  quinze  années  qu'il  passa  dans  la  légion  étrangère 
et  dans  l'infanterie  du  marine,  au  cours  desquelles  il 


134  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

parcourut,  le  fusil  sur  l'épaule,  l'Algérie,  le  Dahomey, 
Madagascar,  le  Tonkin,  la  Chine,  le  Siam,  la  Gochin- 
chine.  Le  général  Gallieni  félicite  son  ancien  légion- 
naire d'avoir  publié  ses  souvenirs  où  l'on  retrouvera 
à  la  fois  une  documentation  intéressante  sur  la  vie  de 
nos  soldats  coloniaux  et  un  enseignement  qui,  chez 
les  jeunes  soldats,  sera  d'un  excellent  effet  et  contri- 
buera à  l'éducation  mihtaire. 

Sisson  (H.-D.).  —  La  République  Argentine,  une  étude  sur 
la  grande  Répubhque  que  M.  Sisson  appelle  le 
Pôle  latin  de  l'Amérique. 

M.  Sisson,  après  avoir  décrit  le  pays,  analyse  la 
société  qui  s'y  développe,  et  son  livre  bien  composé, 
très  fourni  de  détails  typiques  est 'excellent  à  tous  les 
points  de  vue;  d'autant  qu'il  ne  s'est  pas  borné  à 
l'histoire  contemporaine,  et  qu'il  a  résumé,  en  des 
pages  précises,  toute  l'histoire,  héroïque  et  glorieuse, 
de  la  Répubhque  Argentine. 

Soubies  (Albert).  —  Le  Théâtre  italien  au  temps  de  Napoléon 
et  de  la  Restauration,  d'après  des  documents  inédits. 

Vaissière  (Pierre  de).  —  La  Mort  du  Roi  (21  janvier  1793). 

Vezinet  (F.).  —  Le  xvii<^  siècle  jugé  par  lui-même. 

Zweig  (Stefan).  —  Emile  Verhaeren,  sa  vie,  son  œuvre,  une 
remarquable  étude  traduite  de  l'allemand  sur  le 
manuscrit  inédit  par  MM.  Paul  Morisse  et  Henri 
Chervet. 


MAI 


t 


LES  ROMANS 


CLAUDE  FARRÈRE 
Les  petites  alliées. 

M.  Claude  Farrère,  qui  n'est  point  un  écrivain 
timide,  n'a  pas  publié  encore  de  livre  aussi  auda- 
cieux que  les  Petites  Alliées.  Il  le  sait  et  s'attend 
bien  à  soulever  quelque  indignation;  il  nous  le  dit 
dans  quelques  lignes  liminaires  qui,  avec  leur  air 
de  défi,  constituent  le  plus  adroit  des  plaidoyers  : 
'  Ce  livre  est  extravagant  et  invraisemblable;  peu 
de  gens  le  toléreront,  car  la  morale  conventionnelle 
n'y  a  point  trouvé  place;  les  femmes  surtout  lui 
seront  sévères,  je  veux  dire  les  femmes  qui,  par 
droit  de  mariage,  sont  appelées  honnêtes  femmes, 
les  autres  ne  comptant  pas.» 


136  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

Donnez-vous  la  peine  de  lire  entre  ces  lignes 
insidieuses  et  vous  devinerez  tout  de  suite  la 
pensée  de  l'auteur. 

Donc,  M.  Claude  Farrère  exalte  avec  une  ten- 
dresse infinie  «  les  petites  alliées  »,  les  petites  amies 
qui,  gentiment,  s'efforcent  d'adoucir  la  vie  aux 
pauvres  hommes  et  de  inêler  un  peu  de  miel  à 
notre  absinthe.  Les  personnes  dont  M.  Claude  Far- 
rère parle  avec  tant  d'attendrissement  sont  tout 
simplement  les  gentilles  dames  qui,  à  Toulon,  char- 
ment les  loisirs  des  officiers  de  marine  en  congé  ;  et, 
certes,  ces  dames  qui  s'appellent  Farigoulette. 
Petite-Horreur,  Mandarine,  sont  tout  à  fait  agréa- 
bles; mais,  enfin,  c'est  peut-être  aller  un  peu  loin 
que  les  placer  sur  un  piédestal;  et,  sans  être  un 
bourgeois  trop  enlizé  dans  des  préjugés  vieillots, 
on  peut  estimer  que  le  brave  médecin  de  marine 
Rabœuf,  aurait  pu  choisir  dans  un  autre  milieu, 
sa  légitime  épouse.  Nous  sommes  pleins  de  pitié 
pour  ces  femmes  condamnées  à  la  joie  perpétuelle, 
et  la  touchante  poitrinaire  Jannik  nous  émeut 
autant  que  fit,  il  y  a  un  demi-siècle,  la  Marguerite 
Gautier  d'Alexandre  Dumas  —  car  il  y  a  une  Dame 
aux  Camélias  dar^s  le  livre  de  M.  Claude  Farrère  — 
mais  de  là  à  les  épouser... 

...Il  est  vrai  que  Toulon  est  fort  loin  de  Paris,  et 
l'auteur  nous  dit  que  les  mœurs  y  sont  bien  diffé- 
rentes. Je  le  crois  de  reste  :  le  demi-monde  toulon- 
nais  nous  offre  le  spectacle  d'une  candeur  et  d'une 
probité  un  peu  surprenante,  pour  les  Parisiens  igno- 


MAI    —    LES    ROMANS  137 

rants  que  nous  sommes  ;  on  a  beau  y  fumer  copieu- 
sement l'opium  —  la  «  drogue  »  qui  selon  M.  Claude 
Farrère  est  bien  calomniée  —  cela  n'empêche  pas 
d'avoir  du  sens  moral  et  une  honnêteté  supérieure, 
témoin  M^^^  Mandarine,  qui  nous  fait  un  petit  cours 
définitif  sur  l'honneur. 

Et  maintenant,  faut-il  tout  vous  dire?  ce  détes- 
table livre  est  un  livre  délicieux.  M.  Claude  Farrère 
y  dit  des  choses  énormes  avec  une  grâce  infinie,  il  y 
déploie  beaucoup  de  verve  et  d'esprit,  et,  à  côté 
de  la  grande  fresque  de  la  Bataille,  ce  roman,  amu- 
sant au  possible,  d'une  psychologie  très  fine  — 
encore  que  bien  téméraire  —  vient  attester  l'éton- 
nante souplesse  de  son  très  beau  talent. 


PAUL   MARGUERITTE 
La  Faiblesse  humaine. 

((  Gardons  éternellement  le  droit  d'avoir  pitié 
des  autres.»  M.  Paul  Margueritte  emprunte  à 
Alexandre  Dumas  cette  phrase  qu'il  place  en  épi- 
graphe de  la  dernière  partie  de  son  roman  nouveau, 
la  Faiblesse  humaine,  et  elle  exprime  très  bien  la 
pensée  profonde  de  ce  livre  généreux  et  largement 
humain.  Penché,  en  observateur  clairvoyant  et 
indulgent,  sur  les  misères  du  cœur  humain,  M.  Paul 
Margueritte  nous  dit,  sans  rien  dissimuler,  toutes 


138  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

les  faiblesses  où  peut  se  laisser  entraîner  un  homme 
fort,  toutes  les  vilenies  que  peut  commettre  un 
honnête  .homme  ;  et  il  parvient  à  nous  inspirer  pour 
ces  fautes  —  qui  ressemblent  à  des  crimes  contre  la 
famille  et  l'épouse  —  la  plus  sereine,  la  plus  philo- 
sophique indulgence.  Et  ce  n'est  pas  lui,  le  roman- 
cier, ce  n'est  pas  l'homme  coupable  qui,  en  plaidant 
de  vagues  circonstances  atténuantes,  nous  inspin^ 
ce  sentiment,  c'est  la  femme,  trois  fois  victime  et 
trois  fois  malheureuse,  qui  nous  l'impose  par  la 
noblesse  de  sa  conduite,  par  la  mâle  tendresse  de 
son  pardon. 

Une  admirable  figure  vraiment,  que  celle  de 
Gabrielle  Dopsent,  humaine  et  saine,  qui  nous 
repose  un  peu  de  ces  amoureuses  dont  le  pardon  et 
l'abnégation  ont  quelque  chose  de  malsain  et  de 
désordonné.  Celle-là  est  une  vraie  femme,  belle, 
généreuse  et  forte,  d'une  haute  vertu,  capable  de  la 
défendre  contre  la  plus  excusable  des  fautes,  et 
qui  cependant  ne  brandit  pas  cette  vertu  comme 
une  arme  contre  l'homme  coupable  et  faible;  elL 
garde  le  droit  d'avoir  pitié  :  c'est  très  émouvant, 
très  noble,  très  rare  aussi,  et  je  ne  vois  pas  beau- 
coup de  femmes  dans  la  vie  qui  puissent  se  recon- 
naître en  ce  portrait ... 

Je  me  suis  laissé  entraîner  par  cette  belle  figure 
et  j'arrive  au  bout  de  l'espace  qui  m'est  réservé 
sans  vous  avoir  parlé  de  ce  héros  si  délicatement 
analysé  par  M.  Paul  Margueritte,  ni  de  cette  aven- 
ture qui  le  conduit  de  son  coin  ensoleillé  des  Landes 


MAI    LES    ROMANS  1È9 

jiisqu  a  Paris,  au  Palais-Bourbon,  au  banc  des 
ministres,  et  soumet  cette  âme  faible  —  puisqu'elle 
est  humaine  —  aux  plus  pernicieuses  et  aux  plus 
dégradantes  influences.  Elle  nous  est  contée  dans 
ce  roman  très  attachant  qui  est  un  beau  livre. 


LÉON  FRAPIÉ 
Les  Contes  de  la  Maternelle. 

En  lisant,  sur  la  couverture  du  nouveau  livre 
de  M.  Léon  Frapié,  ce  titre  :  les  Contes  de  la  Mater- 
nelle, j'ai  été  tenté  de  me  dire  :  «  Encore  la  Mater- 
nelle !  Vraiment  le  lauréat  du  prix  Concourt  exagère 
un  peu  sa  reconnaissance  envers  le  sujet  qui  lui 
valut  une  si  grande  et  si  enviable  renommée  :  il 
pourrait  tout  de  même  nous  parler,  de  temps  en 
temps,  d'autre  chose.»  Et  puis,  j'ai  réfléchi  que  ce 
reproche  était  souverainement  injuste  :  M.  Léon 
Frapié  nous  a  parlé  d'autre  chose,  il  a  publié  :  les 
Obsédés  et  Marcelin  Gayard  et  la  Figurante,  et 
d'autres  encore,  et  tandis  qiie  nous  lisions  ces 
romans  pleins  de  belles  qualités  nous  regrettions 
ces  «  gosses»  auxquels  M.  Léon  Frapié  a  su  nous 
attacher...  Alors  !.. 

Alors,  nous  aurions  mauvaise  grâce  à  reprocher 
à  M.  Léon  Frapié  sa  fidélité  à  un  genre  dans  lequel 
nous  l'avons  nous-mêmes  emprisonné;  ajoutez  qu'il 


140  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

a,  dans  ce  genre,  une  maîtrise  vraiment  admirable  ; 
il  «  tient»  comme  personne  l'enfant  déshérité,  pau- 
vre et  douloureux;  nul  ne  sait  comme  lui  le  fairo 
parler,  et  vivre,  et  mourir,  car  la  vie  est  brève  sou- 
vent pour  ces  petits  êtres  abandonnés  et  l'on  voit 
parfois  dans  les  environs  de  la  Maternelle  des  Plâ- 
triers cette  chose  horrible  :  un  suicide  d'enfant. 

Cette  école  des  Plâtriers  —  le  quartier  le  plus 
déshérité  de  Paris  —  cadre  familier  où  s'agite  cette 
enfance  douloureuse,  M.  Léon  Frapié  l'évoque  une 
fois  de  plus  sous  nos  yeux  attendris  ;  il  enrichit  sa 
galerie  de  petits  martyrs  de  six  ans,  au  cœur  trop 
sensible,  à  l'intelligence  trop  ouverte,  de  quelques 
figures  particulièrement  poignantes,  telles  celle  de 
la  petite  Marie  Cœuret,  et  de  ce  petit  Jules  à  qui 
l'on  a  conseillé  d'oublier  son  nom  de  famille  que  la 
guillotine  a  rendu  fâcheusement  célèbre.  Il  non 
révèle  aussi  quelques  adjointes  nouvelles  à  la 
figure  harmonieuse,  au  cœur  pur  et  délicat,  quel- 
ques filles  de  service  d'origine  relevée  aux  «  belles 
petites  mains»  et  à  l'âme  généreuse.  Malgré  ce  qu'à 
la  longue  on  peut  trouver  d'un  peu  convenu  dans 
ces  figures  et  dans  ces  histoires,  on  sent  combien 
tout  cela  est  profondément  vrai,  d'une  vérité  quasi - 
photographique,  et  si  pitoyable,  si  largement  hu- 
maine... 


MAI    —    LES    ROMANS  141 

GASTOiN  CRONIER 
Au  pays  du  Grand  Electeur. 

Il  faut  quelque  courage  pour  oser  parler  litté- 
rature entre  deux  tours  de  scrutin.  Même  lors- 
qu'elles se  déroulent  comme  cette  année,  au  milieu 
de  la  belle  indifférence  du  peuple  souverain,  les 
élections  ne  sont  guère  favorables  aux  livres. 

Que  peut  ta  clianson,  ô  poète! 

OU  romancier...  dans  le  tumulte  des  bourdes  élec- 
torales qui  se  débitent  dans  les  préaux  d'école,  ou 
s'étalent,  collées  aux  murs. 

M.  Gaston  Gronier  n'a  pas  craint  cette  bruyante 
et  fâcheuse  concurrence,  je  le  soupçonnerais  même 
d'avoir,  à  dessein,  choisi  cette  période  pour  publier 
Au  pays  du  Grand  Electeur.  Car  c'est  un  roman  de 
mœurs  politiciennes  et  électorales,  livre  remarqua- 
ble et  dont  \\(  actualité  »  est  le  moindre  mérite. 

J'avais  salué,  naguère,  le  début  de  M.  Gaston 
Gronier  avec  un  livre  d'une  jolie  ironie.  Mieux  vaut 
Amour)  dans  ce  nouveau  roman  son  talent  s'est 
singulièrement  élargi  et  amplifié.  Vous  y  rencon- 
trerez souvent  le  grand  nom  de  Gustave  Flaubert 
pour  qui  l'écrivain  professe  un  culte  enthousiaste. 
Non  sans  profit  :  en  nous  contant  l'histoire  d'Hec- 
tor Lauriet,  pharmacien  de  Villetarde,  qui  jouit 
dans  son  pays  d'une  considérable  influence  politi- 

9. 


142  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

que,  qui  est  «  le  grand  électeur»  et  fait  des  députés 
et  des  sénateurs  comme  Warwick  faisait  des  rois; 
en  nous  disant  l'aventure  sentimentale 'de  la  qua- 
dragénaire M^^  Lauriet  et  de  Marcel  Guérande,  le 
jeune  rédacteur  du  Phare  de  Villetarde;  en  nous  pei- 
gnant les  mœurs  étroites,  soupçonneuses,  assez 
vicieuses  de  cette  petite  ville  —  Oh  !  le  salon  de 
Mme  Mercady  !  —  M.  Gaston  Gronier  n'a  certes 
pas  imité,  mais  il  a  fort  heureusement  subi  l'in- 
fluence de  M^^  Bovary.  On  peut  choisir  plus  mal, 
et  l'œuvre  de  M.  Gaston  Gronier  garde  une  belle 
originalité,  elle  est  bien  écrite,  dans  une  langue 
nerveuse  et  souple,  attachante,  d'une  heureuse 
verve  satirique,  et  les  «  mares  stagnantes))  y  sont 
évoquées  avec  une  amusante  et  cruelle  vérité. 


LOUIS  PIRANDELLO 
Peu  Mathias  Pascal. 

(Traduit  par  He:\ry  Bigot). 

En  ce  roman  très  agréable,  traduit  en  français 
par  M.  Henry  Bigot,  l'écrivain  italien  Louis  Piran- 
dello nous  raconte  l'étonnante  histoire  de  Feu 
Mathias  Pascal.  Cet  homme  malheureux,  en  butte  à 
toutes  sortes -d'ennuis  domestiques  et  autres,  décide 
un  jour  de  s'enfuir,  avec  quelques  sous  qu'il  a  pu 
garder,  jusque  vers  les  Amériques.  Par  une  coïnci- 


MAI    —    LES    ROMANS  143 

dence  providentielle,  quelque  temps  après  son  dé- 
part, on  découvre  chez  lui  un  cadavre  mutilé  où 
chacun  consent  à  le  reconnaître.  Le  voilà  désormais 
mort  pour  la  société  et  libre  de  se  créer  une  nouvelle 
existence  factice. 

Cette  seconde  vie  lui  est  plus  favorable  :  il  com- 
mence par  gagner  au  jeu  une  petite  fortune,  puis  il 
s'en  va  en  Italie  où  il  s'éprend  d'une  charmante 
jeune  fille;  il  voudrait  bien  l'épouser,  mais  il  est 
bien  difficile  à  un  homme  sans  état  civil  de  se  ma- 
rier; il  lui  est  bien  difficile  aussi  de  se  faire  rendre 
justice  quand  on  le  vole,  de  se  faire  rendre  raison 
quand  on  l'insulte,  et  «  Feu  Mathias  Pascal  »  s'aper- 
çoit qu'il  faut  être  vivant  pour  avoir  le  droit  de 
vivre.  Il  renonce  donc  à  son  nom  d'emprunt,  rede- 
vient Mathias  Pascal,  et  rentre  au  bercail  ;  mais  sa 
place  est  prise,  sa  femme  s'est  remariée,  et  de  même 
qu'il  n'a  pu  être  Adrien  Meiss,  de  même  il  ne  lui 
est  plus  permis  d'être  Mathias  Pascal.  Gomme  quoi 
il  est  sage,  lorsqu'on  est  né  dans  une  société  orga- 
nisée, de  ne  pas  tenter  de  se  soustraire  à  ses  lois... 


ANDRÉ     GASTAIGNE 
Les  jolies  Bill  Toppers. 

Avec  beaucoup  de  verve,  d'émotion  et  de  mouve- 
ment, M.  André  Castaigne  évoque,  en  ce  roman 


144  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

l'existence  étrange,  douloureuse  et  comique  de  ces 
étoiles  de  music-halls,  de  ces  «  numéros  »  sensation- 
nels qui,  à  travers  le  monde,  de  New-York  à  Lon- 
dres et  à  Paris,  exécutent  sur  la  scène  des  tours 
surprenants  :  athlètes  impressionnants  sous  leur 
maillot,  jolies  filles  éblouissantes  sous  leurs  pail- 
lettes, les  jolies  Bill  Toppers  —  comme  on  les 
appelle  —  qui  apparaissent  souriantes  et  magni- 
fiques sous  le  feu  des  lustres  et  des  projecteurs,  et 
qui,' le  rideau  une  fois  baissé,  connaissent  tant  dî 
misères  et  de  tribulations. 

Le  contraste  n'est  pas  nouveau  entre  l'éclat  d- 
cette  vie  factice  et  la  médiocrité,  la  tristesse,  la 
douleur  parfois,  de  l'existence  réelle.  Il  a  tento 
bien  des  écrivains  déjà,  mais  le  public  ne  s'en  lassr 
pas,  friand  toujours  de  pénétrer  dans  des  coulisses. 
Il  prendra  plaisir  au  livre  de  M.  Gastaignc  qui  con- 
naît vraiment  à  merveille  les  gens  dont  il  parle,  qui 
a  ((  vécu  leurs  soirs  triomphaux,  leurs  matins  blêmes 
sur  la  scène  assombrie;  scruté  leurs  amours,  leurs 
grandeurs  et  leurs  ^misères,  leurs  luttes  pour  la 
gloire  et  pour  le  pain». 

Il  y  a,  on  le  sent,  beaucoup  de  réalité  dans  ce 
livre,  il  y  a  aussi  une  très  heureuse  imagination, 
et  l'histoire  de  Lily,  la  jolie  bicycliste,  et  de  ses 
deux  prétendants,  Jimmy,  l'ingénieur  mécanicien, 
inventeur  de  tours  extraordinaires,  et  Trampy, 
l'équilibriste,  est  tout  à  fait  captivante;  j'ajoute 
qu'après  avoir  failli  tourner  au  tragique,  elle  se 
termine  le  mieux  du  monde. 


MAI    LES    ROMANS  145 


ERNEST  OLDMEADOW 
Susan. 

(Traduit  par  Marc  Logé). 

La  jeune  femme  de  lettres  qui  signe  Marc  Logé 
nous  révèle  un  bien  joli  roman  anglais  qui  fut  pu- 
blié par  M.  Ernest  Oldmeadow,  sous  le  titre  Susan. 
J'ai  éprouvé,  à  lire  l'adaptation  de  ce  roman,  le 
plus  vif  et  le  plus  délicat  plaisir. 

C'est  un  vrai  «  roman  anglais  »,  dans  le  meilleur 
sens  du  mot,  un  de  ces  romans  qui,  comme  le  dit 
M.  Henri  Ghantavoine  dans  sa  jolie  préface,  peu- 
vent être  mis  entre  toutes  les  mains,  savent,  «  sans 
trop  s'écarter  du  réel,  donner  à  notre  imagination 
et  à  notre  sensibilité  des  joies  innocentes  et  qui, 
aussi  réalistes  que  les  nôtres,  sans  hardiesse  ni  cru- 
dité, ne  craignent  pas,  à  côté  du  réel,  de  faire  une  place 
au  rêve,  de  laisser  fleurir  entre  les  pages  la  petite 
fleur  bleue».  Mais  je  m'arrête,  je  citerais  toute 
cette  préface,  ce  qui  vaudrait  beaucoup  mieux  pour 
mes  lecteurs  et  pour  l'auteur  du  livre,  mais  mar- 
querait un  peu  de  conscience. 

Elle  est  gentille  vraiment,  cette  histoire  de  Susan, 
la  petite  soubrette  anglaise  qui  reçoit  tout  à  coup 
une  demande  en  mariage  du  riche  lord  Rudding- 
ton.  Un  peu  ébahie  de  cette  fortune,  bien  empêchée 
de  répondre  en  beau  langage  à  un  si  noble  monsieur, 
elle  se  confie  à  sa  maîtresse,  la  ravissante  miss  Ger- 


146  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

tie,  et  cette  dernière,  très  généreusement,  devient  le 
secrétaire  de  sa  femme  de  chambre.  C'est  elle  qui 
répond  aux  épitres  amoureuses,  et  peu  à  peu,  Cy- 
rano féminin  et  joli,  elle  se  prend  à  ce  jeu  :  la  voilà 
amoureuse  et  jalouse.  Heureusement  tout  s'ar- 
range, car  l'inconnue  dont  lord  Ruddington  s'était 
épris,  c'était  Gertie  et  non  Susan,  comme  il  l'avait 
cru  par  erreur,  et  les  deux  correspondants  se  marie- 
ront, et  le  brave  Gibson,  le  cocher  de  miss  Gertie, 
épousera  Susan  qu'il  adore.  Cette  histoire  sembl. 
naïve,  elle  est  tout  bonnement  délicieuse,  et  Marc 
Logé  l'a  traduite  et  adaptée  de  la  façon  la  plus 
littéraire  et  la  plus  adroite. 


GEORGE  BONNAMOUR 
Les  Trois  Poteaux  de  Satory. 

M.  George  Bonnamour  ne  partage  pas  l'horreur 
de  M.  Paul  Bourget  pour  le  roman  à  clef.  L'a  his- 
toire d'une  trahison»,  qu'il  nous  raconte,  évoque, 
dans  presque  tous  ses  détails  et  dans  tous  ses  per- 
sonnages, cette  affaire  douloureuse  qui  «  déchira 
la  conscience  française».  C'est  l'histoire  du  lieu- 
tenant d'état-major  juif  André  Bruck,  qui  a  livré 
à  l'étranger  des  documents  intéressant  la  défense 
nationale.  La  trahison  est  découverte  par  Mathilde, 
nièce  d'un  général  et  maîtresse  du  lieutenant,  et 


MAI    —    LES    ROMANS  147 

révélée  à  l'oncle,  puis,  par  ce  d(3rnier,  au  ministre 
de  la  guerre. 

Et  Fa  affaire  «s'engage:  il  y  a  au  ministère  de  la 
guerre  un  certain  commandant  Paul  qui  est  con- 
vaincu de  la  culpabilité  du  traître  et  qui  pour  l'éta- 
blir est  amené  à  commettre  le  plus  honorable  des 
faux,  et  aussi  le  commandant  Tixier,  qui  prend 
fait  et  cause  pour  le  lieutenant  accusé,  non  point 
par  conviction  et  désir  de  justice,  mais  tout  sim- 
plement parce  qu'il  est  l'amant  d'une  juive. 

Il  y  a  aussi  un  certain  Villancy,  officier  viveur, 
noceur,  taré,  criblé  de  dettes,  dont  Tixier  veut 
démontrer  la  culpabilité.  Vous  voyez  qu'il  suffît  de 
changer  des  noms  pour  trouver  l'analyse  complète 
(le  ce  roman  dans  certains  journaux  d'il  y  a  quelque 
douze  années  ;  le  dénouement  seul  du  roman  diffère 
de  la  réalité  :  M.  G.  Bonnamour  conduit,  en  effet, 
^os  trois  héros  au  Conseil  de  guerre  d'abord,  puis 
.)  Satory,  où  ils  sont  tous  trois  proprement  fusillés. 
Le  roman  est  dédié  à  M.  Ernest  Judet. 


MAXIME  FORMONT 
La  Florentine. 

M.  Maxime  Formont,  le  brillant  écrivain  à  qui 
l'on  doit  des  romans  de  mœurs  modernes  d'une  belle 
et  forte  originalité,  s'adonne,  on  le  sait,  depuis 


148  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

quelque  temps,  au  roman  historique  :  il  n'y  a  pas 
été  moins  heureux;  ces  évocations,  hautes  en  cou- 
leurs, d'une  riche  et  belle  imagination,  où  se  jouent 
les  reflets  du  passé  italien,  ont  conquis  les  lecteurs 
de  la  Princesse  de  Venise^  —  la  Florentine  ne  les 
passionnera  pas  moins. 

Ils  s'intéresseront  aux  amours  et  aux  malheurs 
de  Marco  Aldobranti  et  de  Fiamma  Ginori,  la  jeune 
fille  florentine  telle  que  la  voyaient  et  la  rêvaient 
les  peintres  de  cet  âge,  «  un  être  à  la  fois  réel  et 
chimérique,  moitié  femme,  et  moitié  nymphe,  dont 
la  bouche,  pourpre  de  sang  jeune,  criait  la  gloire  de 
la  vie,  dont  les  yeux  hantés  de  lueurs,  disaient  les 
ivresses  du  songe»,  aux  luttes  politiques  sauvages 
des  Ginori  et  des  Médicis,  à  toute  cette  histoire, 
compliquée  et  très  claire  pourtant,  d'amour,  de 
meurtre,  de  guerre  et  de  politique. 

Ils  seront  séduits  plus  encore  peut-être  par  l'évo- 
cation de  cette  Florence  ressuscitée  par  un  écrivain 
qui  a  passionnément  aimé  la  ville  des  Médicis, 
«  jusque-là,  qu'il  s'est  cru  parfois  le  contemporain 
de  l'époque  magnifique  ».  Il  fait  partager  cette  illu- 
sion à  ses  lecteurs  ravis  d'être  admis  dans  l'intimité 
de  Sandro  Botticelli,  alors  petit  apprenti  orfèvre, 
de  Philippo  Fra  Lippi,  de  Lorenzo  le  Magnifique 
et  du  moine  dictateur  Savonarole. 


MAI    LES    ROMANS  149 

CHARLES  PETTIT 
Dogue  et  félins. 

M.  Charles  Pettit  qui  nous  révéla  les  sympathi- 
ques personnalités  de  «  M^i^  Bambou»,  de  «  Li-Ta- 
Tchou  »  et  de  «  Pétale  de  Rose  »,  enrichit  cette 
collection  de  quelques  types  qui  ne  la  dépareront 
pas  :  Takata,  l'ingénieux  et  perfide  Japonais,  qui 
cumule  toutes  sortes  de  professions,  avouables  et 
inavouables,  pour  exploiter  l'Européen,  et  M^i®  Pe- 
tite Cascade  et  M^^  Dragon  d'Or.  Ce  sont  les  «  fé- 
lins» japonais  qui  doivent  jouer  le  «  dogue!»  un 
grotesque  et  «  kolossâl  »  baron  prussien,  le  baron  von 
Bullenbciszerbrut,  venu  pour  étudier  les  mœurs 
japonaises  et  qui  se  fait  berner  et  molester  de  la  plus 
outrageante  manière.  Dogue  et  Félins  !  C'est  quel- 
quefois un  peu  gros,  un  peu  outrancier  et  caricatu- 
ral, mais  c'est  d'une  verve  charmante,  et  il  ne  faut 
pas  chicaner  les  humoristes. 


BLASCO    IBANEZ 
Arènes  sanglantes. 

(Traduit    par   G.    IIkkelle). 

.1  '  vous  parlais,  il  y  a  quelques  semaines,  du 


150  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

roman  espagnol.  En  voici  un  dont  le  succès  fut 
très  grand  de  l'autre  côté  des  Pyrénées  et  qui  est 
éperdument  espagnol  :  il  s'appelle  Arènes  san- 
glantes; et  l'auteur,  Blasco  Ibanez  —  sous  couleur 
de  nous  raconter  la  tragique  histoire  de  Juan  Gal- 
lardo,  le  fameux  matador,  de  sa  femme  Carmen,  de 
sa  maîtresse  Dona  Sol,  de  sa  grandeur,  de  sa  gloire, 
de  sa  décadence  et  de  sa  mort  tragique  —  nous 
offre  un  tableau  complet,  d'une  vérité  intense, 
de  la  vie  de  la  Plaza,  de  tout  ce  qui  se  passe 
dans  l'arène  et  sur  les  gradins  garnis  d'une  foul« 
hurlante,  bigarrée,  enthousiaste  et  cruelle  :  c'est 
le  roman  de  la  tauromachie  qui  se  termine  par 
un  document  tout  à  fait  intéressant,  une  sorte  do 
dictionnaire  de  tous  les  termes  usités  dans  l'art  du 
torero.  Le  roman  est  très  agréablement  traduit 
par  M.  G.  Hérelle. 


DANIEL  LAUMONIER 
Sang  d'Argonne. 

Roman  historique,  voici  dans  un  livre  solide  et 
émouvant,  touffu,  écrit  à  la  manière  d'Erckmann- 
Ghatrian,  des  «  épisodes  de  1792»  évoqués  par 
M.  Daniel  Laumonier.  Il  est  d'un  intérêt  passion- 
nant ce  livre,  où  revivent  les  soldats  épiques  de 
l'an  II,  où  passe  un  grand  souffle  d'héroïsme. 

Conformément  à  la  poétique  du  genre,  l'auteur  a 


MAI    LES    ROMANS  151 

brode  sur  ce  fond  d'histoire  une  belle  fiction  roma- 
nesque, une  touchante  et  jolie  aventure  d'amour 
dont  les  personnages,  Florine  et  Saturnin  Magloire, 
sont  superbement  campés.  Le  héros  historique  du 
livre  est  cet  Etienne  Radet  qui,  malgré  ses  vertus 
civiques  et  la  noblesse  de  sa  vie,  resta  un  héros  de 
second  plan.  M.  Maurice  Barrés  féhcite  l'auteur 
d'avoir  résisté  à  la  tentation  de  choisir  un  héros 
trop  connu  «  le  lecteur  a  ses  idées  faites  sur  les  per- 
sonnages du  premier  ordre  et  le  romancier  est  gêné 
pour  donner  une  interprétation  originale  à  des 
figures  trop  connues  »  ;  rien  de  plus  juste  que  cette 
lemarque,  rien  de  plus  juste  aussi  que  cette  appré- 
ciation sur  le  volume  à  chaque  page  duquel  l'émi- 
nent  académicien  «  retrouve  ce  talent  de  psycho- 
logue et  d'historien  qui  se  manifeste  si  brillamment 
dans  l'étude  du  personnage  central  et  dont  tous  les 
t  ableaux  sont  de  la  plus  simple  et  de  la[|plus  émou- 
vnnfo  ^'♦M'itfM\ 


HISTOIRE,    POLITIQUE,    LITTERATURE, 


DIVERS 


LOUIS  BATIFFOL 
Le  Roi  Louis  XIII  à  vingt  ans. 

M.  Louis  Batifîol  a  entrepris  de  réhabiliter  le  roi 
Louis  XIII  et  de  démontrer  que  ce  prince,  loin 
d'avoir  été  l'être  passif,  médiocre  et  faible  que  l'his- 
toire traditionnelle  nous  a  présenté,  dominé  tour 
à  tour  par  sa  mère,  puis  par  ses  favoris,  enfin  par 
Richelieu,  fut  au  contraire  un  souverain  très  volon- 
taire qui  eut  sur  les  choses  et  sur  les  hommes  une 
très  réelle  action;  c'est  ainsi  qu'il  apparaît  dans 
l'ouvrage  publié  par  ce  très  érudit  écrivain,  sous 
le  titre  :  Le  roi  Louis  XIII  à  vingt  ans. 

C'est  l'histoire  du  Roi  entre  l'année  1617,  au 
moment  où  Goncini  fut  assassiné  et  où  Marie  de 
Médicis  dut  quitter  la  régence,  jusqu'en  1624,  date 


MAI    —    HISTOIRE,    POLITIQUE,    LITTERATURE,    ETC.        153 

de  l'accession  de  Richelieu  au  pouvoir.  A  l'histoire 
des  sept  années  qui  s'écoulèrent  entre  ces  deux 
dates,  M.  Batiffol  a  consacré  un  gros  volume  de 
plus  de  six  cents  pages;  c'est  vous  dire  avec  quelle 
minutie  il  nous  détaille  les  traits  de  ses  personnages, 
ne  laissant  dans  l'ombre  aucun  petit  fait,  aucune 
parole,  aucun  coin  de  mémoires  de  nature  à  nous 
renseigner  sur  le  prince,  le  souverain,  le  soldat,  sur 
sa  mère,  sur  la  reine  Anne  d'Autriche,  sur  son  frère 
Gaston  et  sur  Richelieu.  Il  y  a  là  un  luxe,  une  dé- 
bauche de  détails  qu'on  est  tenté  parfois  de  trouver 
excessive;  on  a  tort,  car  c'est  justement  de  cette 
accumulation  de  petits  faits,  d'observations  me- 
nues, de  mots  sans  importance  apparente,  que  sont 
constitués  le  portrait  véridique  d'un  prince  mal 
connu,  l'histoire  d'une  obscure  période.  Et  puis, 
•'est  tout  à  fait  amusant;  pour  mon  compte, 
j'éprouve  toujours  un  vif  plaisir  —  très  semblable 
à  celui  que  me  firent  connaître  Athos,  Aramis  et 
d'Artagnan  —  à  ces  évocations  familières,  inti-/ 
mes,  d'un  lointain  passé. 


LIEUTENANT-COLONEL    ERNEST    PICARD 
ET  LIEUTENANT  VICTOR  PAULIER 

Mémoires  et  Journaux  du  général  Decaen 
Dans  une  éloquente  introduction,  les  auteurs 


154  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

retracent  à  grands  traits  la  superbe  carrière  qui 
conduisit  cet  officier  au  siège  de  Mayence,  en  Ven- 
dée, sur  le  Rhin  et  en  Allemagne,  puis  à  l'armée  du 
Danube,  qui  lui  fit  prendre  part  à  la  victoire  dv 
Hochstaedt  et  à  la  victoire  de  Hohenlinden.  Du- 
rant cette  carrière,  il  eut  l'occasion  de  déployer  les 
plus  hautes  qualités  militaires;  malheureusement 
pour  lui  —  et  fort  heureusement  pour  sa  mémoire 
—  il  eut  aussi  les  plus  mâles  et  les  plus  nobles  vertus 
civiques  et  c'est  à  elles,  en  grande  partie,  que  cet 
officier,  l'un  des  plus  jeunes  et  des  plus  brillants  de 
la  Révolution,  dut  d'être  éclipsé  par  ses  camarades 
ou  de  nouveaux  venus.  «  Il  en  est  peu  cependant 
qui  puissent  lui  être  comparés  pour  les  capacités 
administratives,  et  vertus  civiques,  et  surtout  poui- 
l'indépendance  et  la  dignité  de  la  vie.  » 

Les  ((  Mémoires  et  journaux»  dont  voici  le  pre- 
mier volume  et  qui  embrassent  les  années  1793 
1799  sont  publiés  sous  la  direction  de  la  sectioi 
historique  de  l'état-major  de  l'armée.  Ils  ont,  en 
effet,  un  caractère  très  nettement  professionnel  et 
avec  leur  abondance  de  détails  et  de  renseignement- 
sur  la  tactique,  et  le  moral  des  soldats  de  cett» 
époque,  ils  offrent  une  excellente  leçon  aux  offi- 
ciers ;  pour  nous,  vulgaires  pékins,  ignorants  de  stra- 
tégie, nous  sommes  intéressés  surtout  par  la  mise 
en  pleine  lumière  d'un  personnage  jusqu'alors  trop 
peu  connu,  lequel  fut,  suivant  une  fort  juste  expres- 
sion, «  un  homme  taillé  sur  le  modèle  de  ceux  dt 
Plutarque,  une  des  plus  belles  et  des  plus  attachan- 


MAI    HISTOIRE,    POLITIQUE,    LITTÉRATURE,    ETC.         155 

tes  figures  des  armées  de  la  Révolution  et  de  l'Em- 
pire ». 


BOURRIENNE 

Mémoires  (Nouvelle  édition). 
T.   V^  Le   général  Bonaparte. 

•  En  une  très  agréable  édition,  illustrée  d'une  mul- 
titude de  gravures  d'après  les  estampes  et  les 
i  ableaux  de  l'époque,  la  Librairie  contemporaine 

ntreprend  la  publication  des  «  Mémoires  de  Bour- 
rienne  »  sur  la  vie  privée  de  Napoléon.  Le  premier 
volume  qui  inaugure  la  Bibliothèque  d'histoire 
inecdotique  nous  présente  le  Général  Bonaparte  à 
.^es  débuts,  depuis  l'École  de  Brienne  jusqu'au 
18  Brumaire.  Ces  pages  famihères  qui  fourmillent 
(le  détails  et  d'anecdotes,  je  les  ai  relues  avec  un 
[jlaisir  extrême;  elles  ont  cet  intérêt  passionnant 
que  communique  l'homme  extraordinaire  à  tout  ce 
(jui  le  touche. 

C'est  pourtant  l'envers  de  l'épopée,  la  coulisse  de 
l'histoire;  le  secrétaire  qui  nous  parle  ne  nous  pré- 
sente point  cet  Empereur  qui  apparaissait  comme 
un  demi-dieu  dans  le  tumulte  des  batailles,  mais 
bien  l'homme  intime  dans  l'existence  duquel  il 
note  avec  minutie  mille  détails,  mille  petites  cho- 
ses. Mais  il  n'y  a  point  de  petites  choses  dans  une 
telle  existence,  et  l'homme  prédestiné  est  épique 


156  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

jusque  dans  sa  chambre.  Bourrienne  a  noté  les 
événements  qui  se  déroulaient  sous  ses  yeux  :  il  a 
consigné  sur  son  carnet  de  secrétaire  tout  ce  qui,  à 
son  avis,  méritait  une  observation  ou  une  critique  : 
à  sa  suite  nous  sommes  admis  dans  l'intimité  de 
l'Empereur,  et  c'est  palpitant. 


DOCTEUR  THOMAS  W.  EVANS 
Mémoires. 

Et  c'est  maintenant  le  second  Empire.  Les  mé- 
moires qui  le  font  revivre  nous  passionnent  pour 
d'autres  causes.  Leur  rareté,  d'abord  —  il  en  est 
sorti  bien  peu  jusqu'à  présent,  et  nous  devrons 
attendre  la  plupart  d'entre  eux,  pendant  de  lon- 
gues années  encore.  Des  raisons  de  haute  conve- 
nance imposent  cette  discrétion  sur  des  faits  trop 
près  de  nous  et  sur  des  hommes  dont  beaucoup 
vivent  encore.  Et  pourtant,  nous  le  regrettons  sou- 
vent, nous  voudrions  tant  connaître,  dans  ses 
détails,  cette  histoire  qui  prépare  et  éclaire  la  nôtre, 
cette  période  si  curieuse,  si  séduisante,  si  drama- 
tique, autour  de  laquelle  nous  sentons  bien  que 
tant  de  légendes  ont  été  forgées.  Aussi  attendons- 
nous  les  mémoires  du  second  Empire  avec  une  impa- 
tiente curiosité. 

Cette  curiosité  sera  brillamment  satisfaite  avec 


MAI    —    HISTOIRE,    POLITIQUE,    LITTERATURE,    ETC.        157 

l'apparition  des  Mémoires  du  docteur  Thomas  W. 
Evans.  La  personnalité  du  docteur  Evans  est  fort 
connue.  On  sait  que  ce  praticien,  qui  fut  l'un  des 
familiers  de  la  Cour  des  Tuileries,  s'honora  en  res- 
tant, lorsque  les  jours  sombres  furent  arrivés,  le 
courtisan  respectueux  et  affectueux  du  malheur  : 
l'expédition  qu'il  organisa  pour  faciliter  le  départ  de 
l'impératrice  Eugénie  en  Angleterre  est  célèbre;  je 
connais  peu  de  récits  plus  poignants  que  celui  de 
cette  aventure.  Il  y  a  dans  ce  gros  volume  bien 
d'autres  pages  intéressantes,  le  docteur  Evans  ne 
faisait  guère  de  littérature  mais  il  disait  avec  une 
évidente  sincérité  ce  qu'il  avait  à  dire  »,  et  comme  il 
fut,  de  1848  à  1870,  l'ami  de  plusieurs  souverains, 
l'hôte  de  maisons  princières  et  le  familier  d'un  grand 
nombre  de  personnalités  éminentes,  il  a  vu,  enten- 
du, noté  beaucoup  de  choses^  en  toute  simplicité, 
avec  une  impartialité  presque  parfaite  —  sa  qua- 
lité d'étranger  le  rend  à  peu  près  indifférent  à  nos 
passions  politiques  —  il  nous  les  redit,  et  c'est  du 
plus  pittoresque  et  plus  captivant  intérêt. 


DUCHESSE  DE  DINO 
Chronique  (1831-1852). 

(4«  et  dernier  volume). 

La  cliiuuique  de  la  duchesse  de  Dino,  puis  du- 

10 


158  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

chesse  de  Talleyrand  et  Sagan,  cette  Chronique  qui 
nous  raconte  l'histoire  de  la  société  européenne 
entre  1831  et  1852,  et  dont  j'ai,  à  maintes  reprises 
déjà,  dit  la  prodigieuse  séduction,  est  aujourd'hui 
terminée.  La  princesse  Radziwill,  née  Gastellane, 
vient  d'en  faire  paraître,  le  quatrième  et  dernier 
volume. 

Dans  ce  volume,  la  chroniqueuse  princière  évo- 
que tout  d'abord  la  duchesse  d'Orléans,  l'entourage 
du  comte  de  Ghambord;  puis,  c'est  l'Empereur, 
l'homme  taciturne  des  Tuileries,  qui  nous  est  pré- 
senté de  pied  en  cap  en  un  portrait  fait  d'une 
multitude  de  détails  de  spirituelle  observation,  de 
remarques  sagaces;  et  c'est  encore,  autour  de  ce 
vainqueur,  la  société  européenne  tout  entière  dont 
la  nièce  de  Talleyrand  a  bien  deviné  la  secrète  pen- 
sée et  qu'elle;  sent  toute  prête  à  faire  masse  contre 
l'Empereur,  dès  que  les  mauvais  jours  viendront. 
Quelle  sagesse  prophétique  dans  ces  remarques  !  et 
quelle  leçon  de  philosophie  incluse  en  ces  pages 
primesautières  ! 


MAXIME  VUILLAUME 
Mes  cahiers  rouges  au  temps  de  la  Commune. 

Nous  voici  maintenant  aux  sombres  journées  du 
printemps  de  1871  •;  M.  Maxime  Vuillaume  le. 
évoque  dans  ses  Cahiers  rouges  au  temps  de  la  Corn- 


MM    HISTOIRE,    POLITIQUE,    LITTÉRATURE,    ETC.         159 

mune.  Oh  !  l'épouvantable  vision  !  Quarante  ans 
passés  n'en  ont  point  su  atténuer  l'horreur,  et  il 
nous  semble  les  voir  tout  près  de  nous  ces  exécu- 
tions en  masse,  ces  hécatombes  sanglantes, qui  se 
poursuivirent  des  jours  entiers  dans  des  décors  qui 
nous  sont  familiers,  dans  des  rues  à  l'air  aujourd'hui 
bonasse  et  pacifique,  dans  ce  jardin  du  Luxembourg 
qu'emplissent  la  joie  des  étudiants  et  les  jeux  des 
petits  enfants.  C'est  un  épouvantable  rêve,  un  cau- 
chemar affreux,  dont  la  mémoire  impitoyable  de 
M.  Maxime  Vuillaume  évoque  la  réalité  avec  des 
précisions  sinistres. 

Et  ce  qui  rend  plus  saisissant  encore  ce  récit, 
haché  menu  en  une  multitude  de  petits  tableaux, 
jetés,  semble-t-il,  au  hasard  des  souvenirs,  c'est  le 
calme  du  narrateur  :  cet  insurgé,  qui  échappa  mira- 
culeusement à  la  mort,  n'est  plus  très  en  colère, 
même  il  a  le  cœur  de  plaisanter;  il  a  le  courage 
aussi  d'être  juste,  et  s'il  garde  l'horreur  de  la  répres- 
sion sanglante  qui  parut  indispensable,  il  ne  passe 
point  sous  silence  les  abominables  exactions  de  la 
Commune.  Et  c'est  un  récit  formidable  et  poignant, 
écrit  sans  art  apparent,  en  un  style  familier  :  on 
voudrait  que  ce  fût  le  roman  d'une  imagination  en 
délire  :  on  sent  que  c'est  un  document. 


160  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

HENRI  LAVEDAN 
Bon  an,  mal  an. 

Bon  an,  mal  an,  c'est  le  titre  familier  qu'a  choisi 
l'Académicien  pour  le  volume  où  il  réunit  chaque 
année  ses  chroniques.  Mais  il  n'y  a  pas  de  «  mal  an» 
pour  les  chroniques  d'Henri  Lavedan;  je  me  sou- 
viens qu'il  y  a  quelques  années  je  réclamais  pour 
lui  le  titre  de  «  Prince  de  la  Chronique»,  de  cette 
forme  si  séduisante  et  si  fâcheusement  abandonnée 
du  journalisme  parisien;  il  y  est  vraiment  incom- 
parable et  ce  sont  des  pages  délicieuses,  ces  articles 
nés  chaque  semaine  de  l'actualité,  œuvres  d'un  jour  - 
naliste  toujours  en  éveil.  Mais  ils  ne  sont  pas  que 
d'un  journaliste,  ils  sont  d'un  bel  écrivain,  d'un 
virtuose  prestigieux  de  la  langue  française  qui 
connaît  merveilleusement  l'art  de  disposer  les 
mots,  de  jouer  avec  eux,  d'en  faire  de  belles  et 
chatoyantes  images. 

Les  lecteurs  de  V Illustration  le  savent  bien,  et  ils 
dégustent  ce  régal  littéraire  que  leur  apporte 
chaque  semaine,  mais  on  s'en  rend  bien  mieux 
compta  dans  le  livre,  on  apprécie  bien  mieux  à 
un  an  de  distance,  alors  que  l'événement  du  jour 
est  oublié,  la  perfection  littéraire  de  ces  pages  qui 
les  rend  tout  à  fait  indépendantes  de  cette  actua- 
lité d'où  elles  sont  nées. 


MAI    —    HISTOIRE,    POLITIQUE,    LITTÉRATURE,    ETC.        161 


RAPHAËL  VIAU 

\ 
Vingt  ans  d'antisémitisme. 

M.  Raphaël  Viau,  mêlé  très  intimement  au  mou- 
vement antisémite  de  1889  à  1909,  nous  prévient 
que  son  livre  n'est  ni  un  reniement,  ni  une  amende 
honorable,  mais  simplement  une  œuvre  de  recueil- 
lement et  dp  vérité.  Tout  de  même,  on  sent  qu'il  a 
neigé  sur  ses  illusions  et  ses  enthousiasmes  depuis 
les  temps  héroïques  et  cruels  de  la  France  jiiiçe,  et 
il  le  faut  pour  qu'il  puisse  évoquer,  par  l'anecdote, 
((  sous  une  forme  sans  prétention,  souriante,  un 
brin  malicieuse  parfois  aussi,  mais  si  peu,  les  prin- 
cipaux acteurs  d'une  agitation  jadis  formidable, 
maintenant  sans  échos,  et  les  épisodes  les  plus  mar- 
quants d'une  époque  où  le  tragique  côtoyait  sou- 
vent le  comique,  mais  qui  fut  toujours,  à  tous  points 
de  vue,  incontestablement  intéressante,  pittoresque 
et  vivante  !  » 


HENRI  PIRENNE 
Les  Anciennes  Démocraties  des  Pays-Bas. 

Histoire  et  philosophie  mêlées,  M.  Henri  Pirenne, 
professeur  à  l'Université  de  Gand,  consacre  cet 
important  ouvrage  aux  Anciennes  démocraties  des 

10. 


162  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

Pays-Bas.  Le  nom  de  Pays-Bas  est  employé  ici 
dans  son  acception  ancienne,  c'est-à-dire  qu'il 
désigne  l'ensemble  des  territoires  qui  constituent 
aujourd'hui  les  départements  du  Nord  et  du  Pas- 
de-Calais,  ainsi  que  les  royaumes  de  Belgique  et  de 
Hollande. 

De  cette  étude  tout  à  fait  neuve,  où  sont  suivies 
dans  leurs  évolutions  les  démocraties  urbaines  do 
cette  grande  région,  bien  des  leçons  se  dégagent, 
leçons  assez  consolantes,  car  elles  nous  éclairent 
sur  l'éternité  des  maux  et  des  difficultés  que  nous 
croyons  —  quel  orgueil  !  —  avoir  été  inventés 
pour  nous. 

On  y  voit,  en  effet,  très  philosophiquement  ana- 
lysés, les  conflits  qui  mirent  aux  prises  la  haute 
bourgeoisie  et  le  peuple  et  aussi  la  lutte  de  l'Etat 
contre  les  organismes  municipaux  et  celle  de  l'indus- 
trie capitaliste  contre  l'industrie  urbaine;  questions 
économiques  et  politiques,  dont  l'actualité  brû- 
lante aujourd'hui  s'imposait  déjà  il  y  a  quatre 
siècles. 

C'est  pourtant  un  sytème  politique  tout  à  fait 
particulier  que  l'auteur  avait  à  nous  faire  connaître, 
et  il  s'est  acquitté  de  sa  tâche  en  des  pages  d'une 
parfaite  clarté  et  d'une  éloquente  précision;  il 
s'est  préoccupé,  en  outre,  «  d'exposer  les  causes 
économiques  et  sociales  qui  expliquent  la  naissance 
et  la  chute  d'un  système  politique». 


MM    —    THSTOIRE.     POI.TTTiMF.     T  ITTl'-  Ft  \TT- P.F .     FTC.  16B 

FRANCIS    JAMMES 
Ma  Fille  Bernadette. 

En  un  livre  délicieux  qu'il  offre  «  à  Marie  de  Naza- 
vth,  mère  de  Dieu,  d'une  main  tremblante,  comme 
ime  servante  offre  son  pot  de  résédas»,  M.  Francis 
Jammes  nous  raconte  les  grands  événements  de  la 
vie  de  sa  petite  fille  Bernadette  :  sa  vaccination,  sa 
première  dent  ;  il  nous  fait  son  portrait  à  six  mois  ; 
il  nous  dit  son  sourire  et  ses  larmes  et  son  rire,  son 
acte  de  naissance  et  son  ange  gardien,  et  ce  sont  des 
isions  d'une  grâce  exquise,  mystique,  dévotieuse 
et  si  vraie. 

Ma  Fille  Bernadette!  Quelle  tendresse  éperdue, 
orgueilleuse  et  naïve,  dans  ces  trois  mots,  et  quelle 
joie  clairvoyante  dans  la  contemplation  de  l'être 
divin  et  mystérieux  qu'est  une  toute  petite  fille  de 
quelques  mois,  dont  le  sourire,  «  venu  des  abîmes 
de  la  Joie,  flotte  en  l'air  comme  un  parfum  et 
comme  une  couleur,  puis  se  pose  sur  son  visage  ainsi 
que  l'arôme  et  la  blancheur  du  lis  sur  son  calice  »  ; 
ce  sourire  silencieux  qui  «  reflète  l'air  des  anges,  et 
l'innocente  ignorance,  et  l'onde  paisible  du  ciel 
sur  laquelle  nage  un  petit  oiseau».  Et  ces  larmes  ! 
larmes  jolies,  perles  vivantes,  et  toutes  ces  choses 
adorables  et  divines  que  M.  Francis  Jammes 
chante  en  des  litanies  d'une  ineffable  harmonie. 
Pour  parler   ainsi  d'un   enfant,   il   faut  toute   la 


164  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

sagesse,  toute  la  candeur  d'un  poète,  toute  la  grâce 
ailée  d'une  prose  mélodieuse  et  légère,  seule  digne 
d'effleurer  de  telles  choses... 


PAUL  REBOUX  ET  CHARLES  MULLER 
A  la  manière  de. . . 

MM.  Paul  Reboux  et  Charles  Muller  publient  une 
édition  définitive  de  cet  étonnant  volume  A  la 
manière  de...  où  ils  se  sont  divertis  à  composer  des 
nouvelles,  des  pièces  de  vers,  des  scènes  drama- 
tiques, suivant  la  formule  de  quelques  écrivains 
notoires  d'aujourd'hui  et  de  jadis.  La  première 
série  de  ces  pastiches  avait  obtenu  un  très  vif  succès 
et  quelques-uns  sont  devenus  en  quelque  sorte  clas- 
siques, comme  celui  de  La  Rochefoucauld  et  de 
Huysmans.  Je  les  ai  retrouvés  avec  infiniment  de 
plaisir  dans  ce  volume  à  côté  de  nouveaux  qui 
nous  restituent  la  prose  de  Pierre  Loti,  Gyp,  Jau- 
rès, Mïne  de  Noailles,  bien  d'autres  encore. 

Ils  sont  d'une  rare  séduction;  si  quelques-uns 
d'entre  eux  sont  poussés  un  peu  vers  la  charge  et  la 
caricature,  comme  ceux  d'Octave  Mirbeau  et  de 
Tolstoï,  il  en  est  d'autres,  plus  modérés,  qui  sont, 
à  mon  sens,  la  perfection  même,  tels  ceux  de  Lamar- 
tine et  de  Baudelaire,  et  aussi  cette  nouvelle  dont 
Guy  de  Maupassant  aurait  composé  le  scénario  et 


MAI    —    HISTOIRE,    POLITIQUE,    LITTÉRATURE,    ETC.         165 

dont  les  différents  chapitres  auraient  été  écrits  par 
Ed.  de  Concourt,  Emile  Zola  et  Alphonse  Daudet. 
V  ce  degré  de  perfection,  le  pastiche  cesse  d'être 
me  vaine  fantaisie,  c'est  de  la  critique  tout  à  fait 
spirituelle  et  fine,  d'un  talent  très  personnel  et 
•riginal.  Et  puis,  c'est  prodigieusement  amusant. 


LËON  RICQUIER 
Discours  et  Allocutions. 

J'imagine  que  M.  Léon  Ricquier,^ professeur  à 
TÉcole  normale  de  la  Seine  et  à  l'École  commer- 
iale,  se  méfie  un  peu  des  facultés  oratoires  et  intel- 
lectuelles de  quelques-uns  des  honorables  que  les 
(  mares  stagnantes  »  viennent  d'expédier  au  Palais- 
Bourbon,  et  il  a  composé  pour  eux  —  pour  eux  et 
[)Our  tous  ceux  qui,  n'étant  point  des  hommes  élo- 
([iients,  peuvent  avoir  à  prendre  la  parole  —  un 
rocueil  de  Discours  et  Allocutions. 

Vous  connaissez  ces  Parfaits  secrétaires  où  les 
personnes  sans  littérature  ou  sans  imagination  peu- 
vent venir  puiser  des  idées  et  des  formules  pour  de 
belles  épitres;  que  de  pioupious  amoureux,  que  de 
tendres  cuisinières,  que  d'autres  personnes  d'un 
rang  social  plus  relevé  ont  été  tirés  d'embarras  par 
le  Parfait  secrétaire  !  Les  aspirants  orateurs,  ces 
r^avaliers  du  dimanche  des  banquets  et  des  réu- 


Ififi  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

nions  publiques  n'ont  désormais  plus  rien  à  envier 
aux  épistoliers;  ils  trouveront  dans  le  livre  de 
M.  Ricquier  tous  les  discours  dont  ils  pourront 
avoir  besoin,  car  tout  a  été  prévu  dans  cet  ingé- 
nieux volume. 

Je  cueille  au  hasard  ces  titres  :  «  Discours  du  pré- 
sident d'une  assemblée  élue  pour  montrer  la  gravité 
d'une  déclaration  de  guerre  »;  «  allocution  pour  jus- 
tifier la  bourgeoisie  »  ;  «  discours  pour  expliquer  à  une 
assemblée  la  conduite  que  l'on  doit  tenir  dans  une 
circonstance  difficile.  »  Et  ce  sont  encore  les  «  allo- 
cutions aux  obsèques  d'un  homme  éminent»,  «  d'un 
bon  écrivain»,  «  d'un  homme  généreux»;  les 
speeches  de  félicitations  à  des  personnes  récemment 
décorées,  à  des  dames  palmées,  et  c'est  même  un 
((  discours  pour  décerner  un  prix  de  vertu»;  cela, 
par  exemple,  c'est  tout  de  même  un  peu  vif  et  je 
trouve  la  sollicitude  de  M.  Ricquier  quelque  peu, 
injurieuse  pour  nos  académiciens  !  Des  discours 
d'orateurs  célèbres,  fort  bien  choisis  d'ailleurs,  ter- 
minent le  volume  qui,  nous  avons  beau  badiner, 
rendra  pas  mal  de  services  à  bien  des  orateurs  — 
seulement,  je  gage  qu'ils  le  dissimuleront  soigneu- 
sement au  fond  de  leur  bibliothèque. 


MAI   — -   iiisrDiiiL,   l'di.iriui  i:.    utterat uiiE,    i:t<:.        I()7 

DOCTEUR  GUSTAVE  LE  BON 
La  Psychologie  politique  et  la  Défense  sociale. 

L'éminent  écrivain  s'est,   nous  dit-il,   presque 

exclusivement  confiné  à  l'application  des  règles 
Interminables  de  la  psychologie  politique  aux 
N  énements  contemporains».  Malgré  cette  défini- 
tion austère,  c'est  un  beau  sujet  et  digne  d'intéres- 

I'  le  grand  public.  La  psychologie  politique,  ou 
'  ience  de  gouverner,  est  si  nécessaire  que  les  hom- 
mes d'Etat  ne  sauraient  s'en  passer,  et  pourtant, 
tl(^puis  Machiavel,  il  ne  s'est  pas  trouvé  un  écrivain 
'i  un  politique  pour  exposer  les  règles  et  les  lois  de 

tte  science,  laquelle  a  subi,  on  le  croit  de  reste, 
quelques  modifications  depuis  quatre  siècles. 

Les  hommes  d'Etat  ne  se  passent  pas  de  psycho- 
logie politique,  mais  «  faute  de  lois  formulées,  les 

iipulsions  du  moment  et  quelques  règles  tradi- 
Uonnelles  fort  sommaires,  constituent  leurs  doc- 
trines». On  se  rend  compte  dès  lors  de  l'impor- 
tance que  présente  un  tel  ouvrage,  où,  sans  nulle 
prétention,  mais  avec  une  science  profonde,  l'au- 
teur étudie  les  facteurs  psychologiques  de  la  vie 
politique,  établit  les  règles  et  les  lois  du  gouverne- 
ment populaire,  caractérise  les  illusions  socialistes 
et  syndicalistes,  dénonce  les  erreurs  de  psychologie 
politique  en  matière  de  colonisation,  et  expose 
l'évolution  anarchique  et  la  lutte  contre  1^  désagré- 


168  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

gation  sociale,  en  concluant  par  un  appel  qui  méri- 
terait d'être  entendu  :  «  Ce  n'est  pas  la  fatalité  qui 
régit  le  monde,  c'est  la  volonté.  » 


MÉMENTO  DU  MOIS  DE  MAI 


ROMANS 

Acker  (Paul).  —  Le  Soldat  Bernard  (nouvelle  édition).  J'ai 
parlé  déjà  de  ce  roman,  lors  de  sa  première  apparition, 
mais  je  m'en  voudrais  de  laisser  échapper  l'occasion 
de  le  saluer  à  nouveau.  C'est,  on  s'en  souvient  sans 
doute,  le  roman  de  l'antimilitarisme,  et  M.  Paul  Acker, 
qui  déteste  cette  doctrine,  a  entrepris  de  nous  démon- 
trer sa  vanité,  en  un  livre  où  il  se  garde  bien  d'abreuver 
d'injures  et  d'outrages  son  «  sans  patrie»,  dont  il 
expose  au  contraire  les  idées  avec  beaucoup  de  calme 
et  d'impartialité,  mais  où  il  le  convertit  tout  douce- 
ment, par  la  seule  vertu  du  service  militaire,  à  l'idée 
de  patrie.  La  formule  est  excellente,  el^e  est  très, 
démonstrative  et  très  vraie;  c'est  ainsi,  et  non  par  la 
violence  et  la  colère,  qu'il  convient  de  lutter  contre 
des  théories  dont  on  doit  se  préoccuper  sans  les  pren- 
dre au  tragique. 

Bailly  (Auguste).  —  Les  Prédestinés. 

Beaume  (Georges).  —  Le  Maître  d'école,  un  très  attrayant 
roman. 

Blacco  (Roberto).  —  Grimaces  humaines,  des  nouvelles 
traduites  par  M.  Demarès  de  Hill. 

Hume  (Fergus).  —  V Ombre  mystérieuse,  un  roman  traduit 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    MAI  169 

par  M.  René  Lécuyer  et  publié  dans  la  série  :  «  Les 
Romans  mystérieux.  » 

Humphry  Ward.  —  Daphné  ou  le  Mariage^à  la  mode,  tra- 
duction de  M.  Michel  Epuy. 

La  Belangeraie  (Maurice).  —  Le  Cocher  fleuri. 

Larreta  (Enrique).  —  La  Gloire  de  Don  Ramire  :  «  Une  vie 
au  temps  de  Philippe  IL»  Un  livre  traduit  de  l'espa- 
gnol par  M.  Rémy  de  Gourmont. 

Lauris  (Georges  de).  —  Ginette  Chatenay. 

Le  Verdier  (Henri).  —  V Amour  qui  sauve. 

Scheffer  (Robert).  —  Les  Contes  ardents,  un  recueil  de  nou- 
I,  velles  étranges,  désordonnées,  pleines  de  talent. 

Traz  (Robert  de).  —  Vivre. 


HISTOIRE 

LITTÉRATURE  —  THEATRE  —  POÉSIE 

POLITIQUE  —  DIVERS 

Aimeras  (H.  d').  —  Charlotte  Corday,  d'après  des  documents 
contemporains.  Dans  ces  pages  prestes,  colorées,  pitto- 
resques, où  fourmillent  les  renseignements,  les  auto- 
graphes, les  images,  l'héroïne  de  la  Révolution  appa- 
raît tout  à  fait  romanesque,  et  vivante,  et  vraie. 

Aubert  (L.).  —  De  la  République  réformiste,  un  volume  où 
l'auteur,  sans  trouver  que  tout  est  pour  le  mieux  dans 
le  meilleur  des  inondes,  établit  que  la  forme  républi- 
caine est  seule  légitime  au  point  de  vue  rationnel  et 
politique  et  que  notre  République  peut,  et  doit  être, 
d'ailleurs,  très  utilement  réformée. 

Baratier  (Lieutenant-Colonel).  —  A  travers  V Afrique.  His- 
toire militaire  très  moderne  où  l'héroïsme  nous 
émeut  et  nous  passionne  d'autant  plus  qu'il  est  tout 
près  de  nous  et  que  par  bonheur  les  héros  sont  encore 
des  nôtres.  L'auteur,  dans  des  pages  d'une  belle  et 

M 


170  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

noble  simplicité,  nous  raconte  la  marche  héroïque  de 
cette. mission  Congo-Nil  dont  les  exploits  sont  restés 
légendaires  et  qui  fit  tant  pour  l'honneur  de  notre 
pays. 

Barrés  (Maurice).  —  Adieu  à  Moréas,  des  pages  mélodieuses 
et  émouvantes. 

Bellaigne  (Camille).  —  Gounod. 

Berger  {M^^  Lya).  —  Les  Femmes  poètes  de  V Allemagne, 
une  étude  d'une  érudition  très  sûre  préfacée  par 
M.  Bossert. 

Biez  (Jacques  de).  —  E.  Fremiet,  un  superbe  ouvrage,  pré- 
senté avec  beaucoup  d'agrément  et  de  verve,  où  l'au- 
teur réunit  une  foule  de  renseignements  pittoresques, 
de  détails  émouvants  sur  l'illustre  statuaire,  lui  éri- 
geant ainsi  un  monument  véritable,  digne  de  son  génie. 
Le  livre  orné  de  quarante-deux  planches  hors  texte, 
complété  par  un  catalogue  complet  de  l'œuvre,  est  pré- 
cédé d'une  éloquente  préface  de  M.  Frédéric  Masson. 

Bleackley  (Horace).  —  Grandes  Courtisanes  anglaises  du 
xviiie  siècle,  un  livre  fort  curieux  d'une  bien  agréable 
érudition. 

Boissy  (Gabriel)  et  Dominique  Folacci.  —  Les  plus  beaux 
poèmes  d'amour  de  la  poésie  française,  choisis  avec  un 
soin  déhcat. 

Bonnefoy  (Antoine)  et  L.  Meri  Dahdah.  —  Répertoire  géné- 
ral des  emplois  publics  et  administratifs  de  l'Etat,  des 
départements,  des  villes,  des  colonies  et  des  admi- 
nistrations privées.  Ce  répertoire,  rédigé  avec  grand 
soin,  donne  tous  les  renseignements  utiles  sur  le  recru- 
tement, les  programmes,  les  examens,  les  trait^e- 
ments.  Et  c'est  un  livre  effrayant  !  Il  faut  l'avoir 
consulté  pour  se  rendre  compte  du  nombre  et  de  la 
diversité  inouïe  des  postes  qui  sont  offerts  aux  ci- 
toyens français  désireux  de  servir  l'Etat  moyennanl 
une  honnête  rétribution.  Que  d'agents,  Seigneur  !  et 
que  de  sous-agents,  que  d'inspecteurs,  de  sous-ins- 
pecteurs, d'expéditionnaires  et  de  conservateurs  ! 
Consultez  ce  livre,  pères  de  famille  soucieux  de  l'avenir 
de  vos  enfants,  et  vous  aussi,  jeunes  gens  sur  le  point 
de  choisir  une  carrière,  vous  n'aurez  que  l'embarras 


MEMENTO    DU     MOIS    DE    MAI  171 

du  choix;  et  peut-être,  à  force  d'être  embarrassés, 
refermerez-vous  le  volume  et  vous  déciderez-vous  à 
tenter,  tout  seul,  sans  la  tutelle  de  l'Etat,  de  vous  faire 
par  vos  propres  moyens,  une  situation.  C'est  la  grâce 
que  je  vous  souhaite. 

Bordeaux  (Henry).  —  La  Vie  au  Théâtre,  un  livre  où  sont 
réunies  les  critiques  dramatiques  de  M.  Henry  Bor- 
deaux pendant  les  années  1907,  1908.  «  Dans  ces  arti- 
cles, je  ne  me  suis  pas  privé  de  juger,  nous  dit  l'auteur, 
et  le  lecteur  aura  tôt  fait  de  connaître  mes  directions; 
elles  sont  toutes  simples  et  commandent  mes  goûts. 
L'art,  aussi  bien  que  la  vie,  doit  rechercher  Tordre  et 
la  santé.  » 

Bourdet  (Edouard).  —  Le  Rubicon,  la  délicieuse  pièce, 
d'une  grâce  si  savoureuse  qui  triompha  si  longtemps 
sur  la  scène  du  Théâtre-Michel. 

Brémond  (Henri).  —  Apologie  pour  Fénelon. 

Buisseret  (Georges).  —  U Evolution  idéologique  d'Emile 
Verhaeren,  avec  un  portrait  et  un  autographe. 

Cabanes  (D"^).  —  Les  Morts  mystérieuses  de  l'Histoire,  nou- 
velle édition  revue  et  augmentée,  préfacée  par  le  pro- 
fesseur Lacassagne. 

Cazes  (E.).  —  Le  Château  de  Versailles  et  ses  dépendances, 
un  fort  beau  livre  où  l'auteur  a  entrepris  l'histoire 
générale  de  l'admirable  domaine,  du  château,  des 
jardins,  des  dépendances  et  du  musée,  depuis  l'ori- 
gine jusqu'à  nos  jours.  L'ouvrage,  avec  la  foule  de 
gravures  et  d'estampes  qui  l'illustrent,  avec  les  plans 
qui  le  commentent,  constitue  un  fort  intéressant  et 
précieux  document. 

Ciiantavoine  (Jean).  —  Liszt. 

Ghèvremont  (Paul  de).  —  Images  blanches  et  noires,  poésies. 

Colomb  (Félix).  —  VEcrin,  un  recueil  de  poésies,  rempU 
de  jolies  pièces  toujours  dédiées  à  la  mer. 

Conard  (Pierre).  —  La  Constitution  de  Bayonne,  1808,  essai 
d'édition  critique. 

Faguet  (Emile).  —  Madame  de  Sévignê,  un  volume  tout  à 
fait  exquis  paru  dans  la  collection  «  Leé  Femmes 
illustres».  En  des  pages  charmantes,  prestes,  toutes 
remplies  d'érudition  et  de  tendresse,  l'auteur  étudie 


172  LÉ    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

de  façon  définitive  la  grande  épistolière,  «  l'amie  mer- 
veilleuse qui,  aimée  de  son  vivant  par  tous  ceux  qui, 
la  connaissant,  étaient  dignes  de  la  connaître,  l'est 
encore  après  sa  mort  et  le  sera  toujours». 

Femme  Curieuse  (Une).  —  V  Art  de  séduire  les  hommes. 

Fischer  (Baron  Léopold  de).  —  Vers  les  Sommets.  D'une 
très  haute  et  très  émouvante  inspiration,  ce  sont  les 
lettres  de  la  comtesse  de  Saint-Martial  (Sœur  Blanche, 
fille  de  la  Charité),  que  pubhe  le  baron  Léopold  de 
Fischer  dans  un  sentiment  pieusement  fraternel.  Je 
ne  crois  pas  qu'on  puisse  hre  sans  une  émotion  poi- 
gnante les  lettres  de  la  comtesse  de  Saint-Martial, 
connaître  cette  existence  d'épouse,  de  mère  et  de 
religieuse  que  le  baron  Léopold  de  Fischer  résume  en 
une  ligne  :  «  Dix  années  de  bonheur,  dix  années  de 
larmes...  »  ;  quel  que  soit  le  sentiment  du  lecteur,  il  sera 
profondément  touché  par  la  vision  de  cette  Sœur 
Blanche,  «  de  cette  nature  élevée,  de  cette  âme  noble 
et  généreuse  qui,  au  prix  des  plus  intimes,  des  plus 
coûteux  sacrifices,  tournait  tous  les  élans  de  son  cœur, 
toutes  les  ardeurs  de  son  courage  vers  Celui  qui  pou- 
vait, seul,  la  consoler  et  lui  suffire  ». 

Folacci  (Dominique).  —  Voir  Gabriel  Boissy. 

Gaultier  (Paul).  —  La  Vraie  Education,  un  excellent  voluni 
sur  «  l'éducation  du  corps,  l'éducation  de  la  sensibihlV 
l'éducation  de  l'intelligence,  l'éducation  du  vouloir 

Gauthiez  (Pierre).  —  Au  soleil  de  Versailles,  un  recueil  (l 
vers  très  lyriques. 

Glaser  (Ph.  Emmanuel).  —  Le  Mouvement  littéraire, 
6e  volume  1909. 

Gojon  (Edmond).  —  Le  Visage  penché,  des  vers  harmonieux. 

Got  (Médéric).  —  Journal  d'Edmond  Got,  deuxième  et  der- 
nier volume,  publié  par  son  fils.  Le  premier  voluni 
s'arrêtait,  on  s'en  souvient  peut-être,  à  l'année  185*,i; 
celui-ci  nous  raconte,  jusqu'en  1892,  les  trente  années 
de  l'illustre  comédien,  pendant  lesquelles  il  fut  en 
pleine  possession  de  sa  gloire,  créa  les  œuvres  les  plus 
célèbres  du  théâtre  contemporain  et  fut,  acteur  offi- 
ciel, en  relations  avec  les  grands  de  la  terre.  Ces  notes, 

,  jetées  sans  ordre  et  sans  arrière-pensée,  au  soir  d'une 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    MAI  173 

bataille  théâtrale,  à  la  veille  d'une  répétition,  au  cours 
d'un  voyage,  sont  amusantes  au  possible,  fourmillent 
de  mille  renseignements  curieux  sur  les  hommes  et 
les  choses  et  nous  révèlent  des  opinions  de  Got  qui 
sont  souvent  tout  à  fait  intéressantes,  parfois  aussi 
un  peu  comiques. 

Hios  (Gabriel- Joseph).  —  Les  yeux  pleins  de  larmes,  des 
poèmes  d'une  belle  et  jeune  originalité. 

La  Faye  (Jacques  de).  —  Amitiés  de  reine,  un  ouvrage  d'une 
rare  séduction  où  l'auteur  évoque  l'infortunée  Marie- 
Antoinette  et  ses  amies,  M™^^  de  Lamballe,  de  Poli- 
gnac,  de  Brissac,  de  Luynes,  de  Tarente,  et  aussi  l'ex- 
quise figure  de  M"^^  Elisabeth.  Sous  la  conduite  de  ce 
guide  très  informé,  nous  faisons  le  plus  émouvant  des 
pèlerinages  à  Versailles,  à  Trianon,  puis  aux  Tuile- 
ries, aux  sombres  jours  de  la  Révolution.  Le  marquis 
de  Ségur  a  donné  une  belle  préface  à  ce  Hvre  qui  se 
termine  par  des  lettres  inédites  du  Roi  à  la  duchesse  de 
Polignac.  «  Rien  que  pour  nous  avoir  révélé  ces  pages 
d'une  résignation  si  sincère,  et  d'une  mélancolie  si 
douce,  il  faudrait,  dit  l'éminent  préfacier,  remercier 
l'auteur  d'Amitiés  de  reine  d'avoir  entrepris  cette 
étude.  » 

Lautrey  (Louis).  —  Poèmes  d'Israël. 

Leguay  (Pierre).  —  La  Sorbonne,  un  fort  intéressant  volume 
de  la  série,  les  «Etudes  contemporaines»,  où  l'auteur 
suit  l'évolution  de  la  Sorbonne  en  ces  vingt  dernières 
années. 

L' yret  (Henri).  —  La  Tyrannie  des  Politiciens,  un  tableau 
des  mœurs  parlementaires  de  notre  pays,  dressé  sans 
indulgence,  mais  sans  exagération. 

Maeterlinck  (Maurice).  —  La  Tragédie  de  Macbeth,  l'admi- 
rable traduction,  où,  poète  au  verbe  merveilleux, 
M.  Maeterlinck  a  si  pieusement  servi  la  cause  du  plus 
grand  des  poètes  dramatiques. 

Martel  (Tancrède).  —  Les  Mémoires  et  Œuvres  de  Napoléon, 
qui  fut,  selon  la  très  juste  expression  de  M.  Tancrède 
Martel,  «  un  grand  écrivain,  un  prosateur,  un  très 
curieux  et  très  original  styhste  français  d'une  espèce 
vraiment  unique  ». 


174  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Meri  Dahdah  (L.).  —  Voir  Antoine  Bonnefoy. 

Mérimée  (E,).  —  Préciff  d'histoire  de  la  littérature  espagnole, 

«  depuis  les  origines  jusqu'à  nos  jours.  » 
Michaut  (G.).  —  Pages  de  critique  et  d'histoire  littéraire. 
Pottecher  (Maurice).  —  Paroles  d'un  père,  de  poétiques 

paroles  écrites  par  l'auteur  pour  son  fils  et  sa  fille, 

couple  sympathique  : 

Le  fils  est  tendre  et  fort,  la  fille  est  sage  et  bonne. 

Régnai  (Georges).  — -  La  Femme  telle  qu'elle  doit  être. 
M^^e  Georges  Régnai  est  une  femme  de  cœur  et  de 
tête  qui  sait  regarder  la  vie  en  face  et  qui,  ayant 
démontré  par  le  plus  honorable  et  le  plus  méritoire 
exemple,  comment  une  femme  peut  fournir  sans 
tapage,  sans  indiscrétion,  une  belle  et  laborieuse 
carrière,  a  entrepris  de  donner  sa  recette  aux  jeunes 
filles  et  aux  jeunes  femmes;  elle  nous  a  appris  naguère  : 
«Comment  la  femme  peut  gagner  sa  vie»;  dans  son 
nouveau  livre  elle  nous  donne  les  aperçus  les  plus  ingé- 
nieux, les  plus  justes,  les  plus  émouvants,  sur  Im 
manière  dont  la  jeune  fille  de  notre  temps  doit  êti 
élevée,  façonnée,  pour  tenir  honorablement  sa  placr 
dans  la  société  contemporaine. 

Roosevelt  (Théodore).  —  Le  Citoyen  d'une  République,  la 
fameuse  conférence  prononcée  à  la  Sorbonne,  le 
23  avril  1910. 

Rougemont  (E.  de).  —  Villiers  de  l'Isle-Adam,  un  pré- 
cieux ouvrage  de  biographie  et  de  bibliographie. 

Sourio  (Maurice).  -—  Les  Idées  morales  de  M^^  de  Staël. 

Talleyrand-Périgord  (Maurice  de.  Duc  de  Dino).  —  Le  Ser- 
ment d'Hannibal  de  Tapsec,  poème  héroï-comique. 

***.  —  Huysmans  et  l'âme  des  joules  de  Lourdes,  des  notes 
de  critique  suivies  d'un  répertoire  de  l'œuvre  catho- 
lique de  Huysmans. 

***.  ::;—  Hôlbein,  un  livre  paru  dans  la  collection  c  Le? 
Peintres  Illustres». 


JUIN 


LES  ROMANS 


EDOUARD  ROD 
Le  Glaive  et  le  Bandeau. 

Avec  un  profond  sentiment  de  mélancolie  j'ai 
revu,  pour  la  dernière  fois,  le  nom  d'Edouard  Rod 
sur  la  couverture  d'un  livre  nouveau.  Et  j'ai  évo- 
qué en  ouvrant  ce  roman  :  le  Glaive  et  le  Bandeau^  la 
pensive  figure  de  l'écrivain  très  regretté  dont  tous 
estimaient  le  noble  caractère  et  dont  nous  étions 
quelques-uns  à  avoir  pu  découvrir  l'exquise  sensi- 
bilité cachée  sous  une  froideur  rigide,  à  force  de 
timidité.  Sa  mort,  survenue  il  y  a  quelques  mois, 
fut  discrète  comme  avait  été  sa  vie.  Le  chagrin  que 
nous  en  éprouvâmes  ne  s'exhala  point  en  véhéments 


176  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

discours  :  il  ne  fut  pas  moins  profond,  et  nous 
avons  pleuré  cet  honnête  homme,  ce  bel  et  noble 
écrivain  de  forte  race. 

Le  Glaiçe  et  le  Bandeau,  n'est  peut-être  pas  la 
plus  forte  et  la  plus  profonde  des  œuvres  d'Edouard 
Rod,  mais  c'est,  sans  nul  doute,  la  plus  empoi- 
gnante, la  plus  «  publie)),  la  plus  habile  qu'il  ait 
écrite.  Le  roman  commence  dans  la  salle  des  assises 
de  Versailles  où  va  être  jugé  Lermantes,  accusé  d'as- 
sassinat sur  la  personne  de  son  parrain,  le  général 
de  Pellice  —  il  se  termine  dans  la  même  salle  d'as- 
sises par  le  verdict  qui  absout  l'accusé.  Et  pendant 
les  quatre  cents  pages  de  ce  livre  nous  n'avons  pas 
quitté  la  Cour  d'assises,  nous  sommes  restés  à  ce 
spectacle  poignant  de  la  lutte  entre  l'accusation  et 
la  défense,  mieux,  entre  la  justice  et  le  mensonge, 
entre  «  le  glaive  et  le  bandeau  ». 

Ce  roman  est,  ni  plus  ni  moins  un  compte  rendu 
d'assises;  ce  n'est  pas  les  lecteurs  du  Figaro  qui 
s'étonneront  de  l'ampleur,  de  l'émotion,  de  la  vie 
intense  auxquels  peut  atteindre  un  compte  rendu 
de  ce  genre  :  ils  ont  eu  maintes  fois  l'heureuse  occa- 
sion de  s'en  apercevoir;  mais  tout  de  même,  il  fal- 
lait une  rare  maîtrise  pour  en  faire  un  roman  dont 
l'intérêt  ne  faiblit  pas  un  instant,  où  l'auteur,  obser- 
vant avec  une  rigueur  classique  l'unité  de  temps,  de 
lieu  et  d'action,  a  mis  en  œuvre  tous  les  ressorts  de 
l'émotion  humaine. 

Et  c'est  un  roman  poignant  et  formidable  dont 
les  héros  et  les  victimes  —  sublime,   comme  la 


.niN    LES    ROMANS  177 

femme  qui  proclame  son  déshonneur  pour  servir 
la  vérité,  ou  terrible,  comme  ce  témoin  qui  assouvit 
sa  haine  par  le  plus  effroyable  des  faux  témoigna- 
ges —  sont  campés  en  des  traits  saisissants,  cepen- 
dant que  les  acteurs  habituels  de  ces  tragédies  d'as- 
sises :  le  président,  l'avocat  général  et  l'avocat,  sont 
évoqués  avec  une  intensité  de  vie  et  de  vérité  telle 
que  ces  individualités  deviennent  des  types  défini- 
tifs. 


CHARLES-LOUIS  PHILIPPE 
Dans  la  petite  ville. 

Encore  un  disparu  :  c'est  Charles-Louis  Philippe, 
dont  voici  l'œuvre  posthume  :  Dans  la  petite  cille. 
Quelle  destinée,  celle  de  cet  écrivain  fauché  en 
pleine  jeunesse  et  qui  cependant,  au  cours  de  cette 
brève  existence  pendant  laquelle  il  ne  connut  guère 
que  les  déboires,  les  tristesses  de  la  maladie,  eut 
l'occasion  de  nous  donner  sa  mesure  tout  entière  ! 
Les  succès  matériels  et  moraux  eussent  sans  doute 
rendu  son  existence  plus  heureuse' et  plus  souriante: 
ils  ne  pouvaient  rien  ajouter  à  la  renommée  future 
de  l'auteur  de  Buhu  de  Montparnasse  et  du  Père 
Perdrix.  Avec  ces  deux  œuvres,  qui  sont  toute  une 
carrière,  avec  aussi  Marie  Donadieu  et  Croquignole, 
Charles-Louis  Philippe  laisse  un  bagage  littéraire  qui 
dj'fcrulra  victorieusement  sa  mémoire  r-ontio  l'oubli. 

11. 


178  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

A  côté  de  ces  romans  d'une  si  forte  originalité,  les 
lettrés  conserveront  pieusement  les  nouvelles  grou- 
pées sous  le  titre  Dans  la  petite  ville  :  petites  choses 
émouvantes  et  profondes  où,  dans  quelques  pages 
d'une  langue  étrange  et  pure,  dans  un  coin  de  pro- 
vince bourbonnaise,  le  fils  du  sabotier  de  Gérilly, 
fait  tenir  tant  d'humanité,  tant  de  douleur,  de  joie 
et  d'émotion. 


PIERRE  LOTI 
Le  Château  de  la  belle  au  bois  dormant. 

Les  chapitres  de  ce  livre  de  Pierre  Loti  n'ont  pas 
entre  eux  de  Hen  apparent.  «  C'est  un  bien  petit 
livre,  nous  dit  l'écrivain,  sans  doute  je  n'aurais  pas 
dû  le  publier.  Il  ne  semblera  tolérable  qu'à  mes 
amis,  connus  ou  inconnus  ;  que  les  lecteurs  indiffé- 
rents me  le  pardonnent,  d'autant  plus  que  ce  sera 
le  dernier,  peut-être...)) 

M.  Pierre  Loti  va  constater  qu'il  a  beaucoup 
d'amis  connus  et  inconnus,  car  je  crois  bien  que 
son  livre  paraîtra  non  seulement  tolérable,  mais 
délicieux,  à  une  foule  de  lecteurs. 

Il  est  exquis  ce  livre,  dangereux  seulement  pour 
le  chroniqueur  à  court  d'épithètes  pour  caractériser 
la  grâce  légère  et  profonde  répandue  sur  ces  pages 
et  bien  empêché  d'analyser  des  chapitres  où  l'écri- 
vain aborde  avec  désinvolture,  au  hasard  d'un 


JUIN    —    T.ES    ROMANS  179 

souvenir,  d'un  voyage  ou  d'une  impression,  les 
sujets  les  plus  divers.  Quels  que  soient  ces  sujets, 
que  l'écrivain  nous  dise  «  la  noyade  d'un  chat  »  ou 
((  le  premier  aspect  de  Londres  »,  qu'il  nous  conduise 
aux  Indes  devant  «  les  Pagodes  d'or»,  ou  qu'il  nous 
fasse  part  enfin  de  «  quelques  pensées  vraiment 
aimables»,  aphorismes  spirituels  et  profonds  d'un 
souriant  pessimisme  — -  M.  Pierre  Loti  reste  tou- 
jours l'écrivain  merveilleux  dont  le  style  nous  ravit 
par  une  perfection,  une  souplesse,  une  harmonie 
vraiment  incomparables. 


BINET  VALMER 
Lucien. 

M.  Binet-Valmer  est  un  romancier  plein  de  ta- 
lent, son  Gamin  tendre  était  une  œuvre  délicieuse, 
ot  ses  Métèques  témoignent  d'une  vraie  puissance. 
On  retrouve  ces  belles  et  fortes  qualités  dans  Lu- 
cien. On  les  retrouve  avec  quelque  regret,  consacrées 
à  l'analyse  du  cas  le  plus  odieux  et  le  plus  pénible 
qui  soit,  car  Lucien  est  un  «cas»  sur  la  nature 
duquel  je  vous  en  aurai  assez  dit  lorsque  j'aurai  re- 
produit l'épigraphe  du  livre  :  «  Mais  le  plus  bravo 
d'entre  nous  est  épouvanté  de  lui-même  »  et  nommé 
l'auteur  de  cette  épigraphe  :  Oscar  Wilde. 

(  >M,.  j,>  pareils  r-as  puissent  être  pitoyables,  j'en 


180  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

conviens;  ces  hommes  sont  des  malades  ou  des 
fous,  soignez-les,  enfermez-les,  mais  n'en  faites  pas 
—  même  pour  les  dénoncer  et  pour  flétrir  un  monde 
misérable  —  des  héros  de  romans. 

C'est  du  moins  mon  sentiment,  et  tout  en  ren- 
dant hommage  aux  intentions  vengeresses^  de  l'au- 
teur, à  son  courage  et  à  son  honnêteté.  J'estime 
que  ce  monde  taré  ne  vaut  pas  qu'on  parle  de 'lui  : 
je  préfère  le  silence  au  plus  éloquent  des  réquisi- 
toires. 

Et  tout  cela  n'empêche  pas  que  M.  Binet-Val- 
mer  ait  déployé  dans  ce  livre  un  très  remarquable 
talent;  en  dehors  de  son  triste  héros,  il  a  campé, 
avec  beaucoup  de  maîtrise,  des  personnages  bien 
émouvants  et  humains,  tel  François  Vigier,  le  grand 
savant  armé  par  la  science  et  par  la  philosophie 
contre  la  douleur  et  la  sensibilité  humaines,  celle 
des  autres  et  la  sienne,  sans  force  pour  lutter  contre 
le  désastre  qui  atteint  son  amour  paternel;  et  Bat- 
chano,  l'élève  fervent  du  maître,  et  M^^e  Vigier, 
victime  douloureuse  d'une  faute  ancienne,  et  la 
troublante  et  belle  vierge  slave  Marie  Lewinska  et 
tant  d'autres  aux  prises  dans  une  formidable  et 
douloureuse  tragédie  bourgeoise. 


LES    ROMANS  181 


MARCEL  BOULENGER 
Le  Pavé  du  Roi. 

Dans  le  Pavé  du  Roi,  M.  Marcel  Boulenger  évo- 
r[iie  les  temps  si  lointains  —  bien  que  trois  quarts 
de  siècle  à  peine  nous  en  séparent — où  triomphaient 
le  faste  et  la  fantaisie  des  dandys  dans  le  Palais- 
Royal  éblouissant  de  lumières,  animé  d'une  vie 
intense  et  fiévreuse.  Les  romans  de  Balzac  ont  con- 
-prvé  intact  pour  nous  le  prestige  de  ces  temps  ;  ils 
lous  intéressent  et  nous  passionnent  au  plus  haut 
point  :  il  est  si  amusant  de  se  promener  dans  ce 
passé  pittoresque  et  charmant,  en  compagnie 
(l'un  écrivain  habile  à  l'évoquer  et  à  le  faire  re- 
vivre ! 

Et  il  en  est  peu  qui  soient  mieux  désignés  que 

M.  Marcel  Boulenger  pour  une  telle  évocation  :  il 

onnaît  à  merveille  l'histoire  anecdotique  de  ce 

«mps,  et  puis  il  écrit  une  langue  délicieuse  où  il 

a  de  la  grâce  désinvolte  et  un  rien  d'afféterie 

pli  sont  du  plus  pur  dandysme. 

Il  nous  offre,  dans  son  livre,  une  version  bien  à  lui 

-le  la  mort  mystérieuse  du  vieux  duc  de  Bourbon, 

!»nnce  de  Gondé,  trouvé,  certain  jour,  pendu  à  l'es- 

ugnolette  de  sa  fenêtre;  la  version  est  très  roma- 

losque  et  elle  a  le  mérite  de  mettre  hors  de  cause  le 

i>on  roi  Louis-Philippe. 

Ajoutez  qu'elle  n'a  rien  d'invraisemblable,  et 


182  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

puis  l'anecdote  est  si  amusante  ;  les  figures  de  l'in- 
trigante baronne  de  Feuchères  et  de  ses  neveux, 
George  et  James  Dawes,  sont  si  joliment  campées. 
Et  le  comte  Arnaud  d'Ancourt,  ce  gentilhomme  for- 
cé, après  une  fâcheuse  aventure  de  jeu,  de  renoncer 
à  son  titre,  devenu,  sous  le  nom  de  Prosper  Ombri - 
dane,  postillon  au  relais  d'Herblay,  et  appelé  à 
exercer,  sur  le  pavé  du  roi  et  pour  le  service  des 
croquants,  ses  talents  prestigieux  de  cocher  et 
d'écuyer;  et  l'illustre  major  Fraser,  et  tant  d'au- 
tres !  C'est  amusant  et  pittoresque  au  possible,  et 
M.  Marcel  Boulenger  a  une  bien  séduisante  façon 
de  nous  réapprendre  notre  histoire. 


LUCIE  DELARUE-MARDRUS 
Gomme  tout  le  monde. 

M "^6  Lucie  Delarue-Mardrus  dont  j'ai  eu  le  grand 
tort  —  un  tort  qu'on  me  pardonnera  difficilement 
—  de  ne  point  aimer  ou  de  ne  point  comprendre  — 
ce  qui  revient  au  même  —  VAcharnée,  vient  d(^ 
publier  un  très  beau  livre  d'une  large,  profonde  et 
poignante  humanité.  Ce  roman,  s'appelle  Comme 
tout  le  monde.  Pour  cette  fois,  M"^®  Lucie  Delarue- 
Mardrus  n'a  point  consacré  son  puissant  et  remar- 
quable talent  à  nous  peindre  je  ne  sais  quelles  mal- 
saines  extravagances,   mais   simplement   à   nous 


JUIN    —    LBS    ROMANS  183 

raconter  l'existence  médiocre  de  gens  qui  ont  vécu, 
pensé,  souffert  «  comme  tout  le  monde  ». 

Quoi  de  plus  simple,  en  vérité,  de  plus  tranquille- 
ment médiocre,  que  le  «  gentil  ménage  »  d'Isabelle 
et  de  Léon  Ghardier  :  elle,  une  petite  provinciale  au 
visage  ovale  et  frais,  aux  grands  yeux  châtain  roux 
comme  ses  cheveux,  avec,  sur  ses  genoux,  un  bébé 
de  huit  mois  ;  auprès  d'elle,  une  petite  fille  de  trois 
ans;  lui,  un  avoué,  fort  honnête  homme,  beau  par- 
leur, ni  grand,  ni  petit,  ni  beau,  ni  laid,  avec  des 
yeux  verdâtres.  Quoi  de  plus  banal  que  leur  exis- 
tence qui  se  déroule,  paisible,  dans  une  petite  ville 
de  province?  Et  quel  drame  pourtant  derrière  ce 
calme  monotone,  quelle  angoisse  affreuse  pour  la 
petite  Isabelle  de  voir  à  chaque  pas  la  réalité  qui 
brise  et  meurtrit  son  idéal,  et  lui  fait  détester 
l'existence  ! 

Mais  cette  vie,  qui  lui  est  si  médiocrement  dou- 
loureuse, est-elle  plus  douce  aux  autres?  Hélas! 
non,  la  riche  et  belle  marquise  de  Taranne-Flossi- 
gny,  dont  la  fortune  lui  parut  si  désirable,  et  l'ar- 
tiste M.  Godin,  dont  elle  envia  l'art,  et  tous  les 
autres  sont  comme  elle  :  personne  n'est  heureux, 
chacun  a  des  raisons  de  se  dire  malheureux;  il  ne 
faudrait,  pour  tout  arranger,  qu'un  peu  de  vraie 
sagesse  ;  elle  s'en  rend  compte  à  la  fin,  mais  il  est 
trop  tard,  l'irrémédiable  tristesse  est  en  elle  et 
autour  d'elle...  Nous  voudrions  protester  contre  ce 
pessimisme,  mais  la  vérité  de  tout  cela  nous  prend 
à  la  gorge  et  nous  restons,  après  avoir  lu  ce  livre 


184  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

que  traverse  une  admirable  et  pathétique  figure 
d'adolescent  méconnu,  sous  une  amère  et  déli- 
cieuse et  profonde  impression  de  désenchantement. 


LÉON  BARRY 
Le  Voyage  d'Hélène. 

Le  nom  de  M.  Léon  Barry  m'apparaît  pour  la 
première  fois  sur  la  couverture  d'un  livre  et  j'ai 
l'heureuse  surprise  de  découvrir  en  ce  volume,  une 
œuvre  ravissante  qui  témoigne  d'un  talent  tout  à 
fait  hors  de  pair  :  cela  s'appelle  le  Voyage  d'Hélène, 
et  c'est  une  manière  de  conte  antique  où  l'auteur 
s'est  avisé  de  corriger  et  de  compléter  l'éternelle 
et  légendaire  histoire  de  la  femme  infidèle  de  Mé- 
nélas. 

Le  silence  du  divin  Homère  et  du  doux  Virgile 
sur  l'entrevue  de  Ménélas  et  d'Hélène  dans  les  rui- 
nes fumantes  de  Troie  lui  a  paru  suspect  et  il  en  a 
conclu  que  cette  rencontre  n'avait  pas  dû  avoir 
lieu.  Combien  plus  vraisemblable  et  plus  féminine 
l'hypothèse  qui  nous  montre  la  gracieuse  Argienne 
convaincue  de  la  perte  définitive  et  prochaine  des 
Troyens,  lasse  au  surplus  de  son  déplorable  amant 
Paris,  et  se  décidant  à  regagner  la  maison  conjugale, 
à^y  précéder  son  époux  offensé  pour  obtenir  son 
pardon. 


JUIN    —    LES    ROMANS  185 

C'est  ce  voyage  que  M.  Léon  Barry  nous  a  conté, 
ivec  l'épisode  d'un  naufrage  sur  les  côtes  d'Egypte 
lù  la  beauté  d'Hélène  a  fait  de  nouveaux  ravages, 
•  t  le  retour  à  la  maison  où  l'infidèle  pardonnée  par 
Ménélas  s'entretient  avec  Hermione  et  Andro- 
maque  réfugiées  chez  lui,  et  aussi  avec  Télémaque 
dont  la  grâce  juvénile  ne  laisse  point  insensible  son 
incorrigible  cœur. 

Cette  jolie  histoire  est  contée  dans  une  langue 
légante  et  raffinée  et  les  héros  de  V Iliade  et  de 
f  Enéide  ne  songeront  point  à  se  plaindre  d'un  man- 
que de  respect  envers  leurs  augustes  personnes,  car 
la  fantaisie  dont  use  envers  eux  M.  Barry  est  infi- 
niment respectueuse  et  tendre. 


DANIEL    LESUEUR 
Flaviana,  Princesse. 

Flaviana^  Princesse^  est  un  roman  romanesque, 
t  fut  —  puisqu'il  faut  l'appeler  par  son  nom  !  — 
I  fi  roman-feuilleton.  Eh  !  oui,  avant  de  paraître 
'  u  volume,  ce  roman  a  été  publié,  chapitre  par 
'  hapitre,  dans  un  grand  quotidien  où,  chaque  ma- 
lin, un  million  de  lecteurs  attendaient  avec  impa- 
i  it'nce  et  angoisse  cette  «  Suite  au  prochain  numéro  » 
iinonrée  la  veille,  après  quelque  épisode  drama- 
li(]iif  .1   mystérieux. 


186  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

J'ai  employé  à  dessein  le  mot  de  roman-feuilleton, 
bien  sûr  que  Daniel  Lesueur  ne  m'en  saura  pas  mau- 
vais gré.  Le  bel  écrivain  de  Lèvres  closes^  le  Cœur 
chemine^  Nietzschéenne^  de  tant  d'autres  œuvres 
délicates  et  fortes,  a  voulu,  cette  fois,  écrire  un  livre 
romanesque  dans  le  but  d'émouvoir  et  de  passion- 
ner la  foule,  et  elle  ne  craint  pas  qu'on  le  dise. 

Elle  a  bien  raison,  car  elle  nous  démontre  le  plus 
brillamment  du  monde  qu'un  roman-feuilleton  peut 
être  une  œuvre  d'écrivain  et  de  psychologue;  dans 
cette  mystérieuse  et  poignante  histoire  «  Du  sang 
dans  les  ténèbres»,  elle  a  accumulé  avec  une  heu- 
reuse imagination,  les  péripéties  émouvantes,  les 
complications  dramatiques,  les  rebondissements 
inattendus  qui  doivent  tenir  le  lecteur  haletant, 
mais  elle  a  apporté  dans  la  succession  et  dans  l'en- 
chaînement de  ces  événements  une  rare  puissanc(^ 
de  claire  logique;  et  surtout,  elle  est  restée  le  bci 
écrivain  si  soucieux  de  la  forme,  le  psychologue 
pénétrant  et  fin  pour  lequel  nous  professons  tant 
d'estime.  Il  y  a  notamment,  dans  son  livre,  une  évo- 
cation de  milieux  nihilistes  et  de  certaines  figures 
troublantes  et  sombres  qui  est  d'une  saisissant 
vérité. 

Par  là,  ce  roman  si  romanesque,  qui  a  séduit  la 
grande  foule,  va  faire  maintenant  la  conquête  des 
délicats  et  des  lettrés;  il  est  digne  vraiment  d<^ 
figurer  en  bonne  place  dans  l'œuvre  imposante  qui 
a  valu  à  Daniel  Lesueur  une  si  enviable  renommée. 


JUIN    LES    ROMANS  187 

CHARLES  FOLEY 
La   Chambre    au   judas. 

M.  Charles  Foley,  qui  est  un  écrivain  de  goût  et 
de  talent,  dont  j'ai  apprécié  maintes  fois  les  romans 
d'une  fort  jolie  tenue  littéraire,  a  obtenu  ses  plus 
retentissants  succès  dans  le  genre  terrible.  On  se 
souvient  de  ces  nouvelles  poignantes  et  formidables 
qui  s'appellent  :  Au  téléphone,  Un  concert  chez  les 
fous,  et  qui  nous  firent  trembler,  non  seulement 
dans  le  livre,  mais  au  théâtre  où  elles  furent  bien 
vite  transportées.  J'imagine  que  la  plupart  des 
nouvelles  réunies  sous  le  titre  de  la  première  :  La 
Chambre  au  judas,  sont  promises  à  la  même  gloire  ; 
déjà,  sans  doute,  le  Grand  Guignol  les  guette  pour 
la  plus  grande  joie  et  la  terreur  plus  grande  de 
ses  spectateurs. 

Avec  les  moyens  plus  restreints  du  livre,  elles 
produisent  déjà  un  bel  effet  de  terreur,  et  je  vous 
défie  de  lire  sans  avoir  la  chair  de  poule  l'histoire 
d'Isabelle  de  Verceilles,  enfermée  dans  une  cham- 
bre de  château,  en  tête  à  tête  —  si  j'ose  dire  !  — 
avec  une  main  mystérieuse  qui  surgit  d'un  judas  et 
la  menace  des  périls  les  plus  effroyables.  Au  com- 
ble de  la  terreur,  elle  mord  cruellement  ce  bras 
menaçant  qui  se  retire,  et  à  quelques  mois  de  là 
elle  retrouve,  avec  quel  émoi  !  la  trace  de  ses  dents 
sur  le  poignet  de  l'homme  qu'elle  vient  d'épouser, 


188  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

et  elle  s'enfuit,  je  vous  prie  de  croire...  Et  que  dire 
de  cette  «  nuit  rouge)),  cette  nuit  affreuse  de  l'ai- 
guilleur qui  doit  rester  à  son  poste,  prisonnier  d(^ 
son  devoir,  cependant  qu'à  quelques  pas  de  lui  on 
assassine  sa  fiancée  :  il  le  croit  du  moins,  et  il  ap- 
prend par  bonheur,  le  lendemain,  que  la  femme 
assassinée  était  une  inconnue  —  et  tant  d'autres 
encore  où  l'effroi  et  la  surprise  sont  si  habilement 
dosés.  C'est  d'un  art  très  particulier,  et  on  éprouve 
à  ces  histoires  une  angoisse  aussi  forte  qu'à  celles 
d'Edgard  Poe,  plus  forte  peut-être,  car  elles  sont 
moins  mystérieuses,  moins  surprenantes,  plus 
réelles,  et  le  lecteur  a  l'impression  que  «  ça  pourrait 
très  bien  lui  arriver  à  lui-même  )). 


ALBERT  QUANTIN 
Histoire  prochaine. 

M.  Albert  Quantin,  qui  ne  manque  pas  d'audace, 
a  cru  pouvoir  fixer  la  date  où  disparaîtra  notre  ini- 
que société  bourgeoise  remplacée  par  l'édénique 
état  communiste  :  c'est,  parait-il,  pour  le  mois  do 
juillet  1930.  Profitons  de  ce  délai,  jouissons  de  nos 
derniers  jours  de  privilège  en  attendant  cette  His- 
toire prochaine  annoncée  par  M.  Albert  Quantin,  en 
un  «  roman  socialiste».  Il  n'est  pas  ennuyeux,  ce 
roman,  enveloppé  d'une  belle  histoire  d'amour  — 


JUIN    —    LES    ROMANS  189 

c'est  étonnant  ce  que  les  amours  sociales  ressem- 
blent aux  amours  bourgeoises  !  —  dont  le  héros, 
Olivier  Neuvire,  un  brave  mécanicien,  est  quelque 
chose  comme  le  vivant  symbole  de  la  réformation 
sociale. 

k  Son  aventure  sentimentale,  pour  attachante 
qu'elle  soit,  n'est  d'ailleurs  que  l'accessoire;  la 
grande  affaire,  c'est  le  tableau  de  notre  existence 
sous  le  nouveau  régime  :  il  est  très,  pittoresque  ce 
tableau,  M.  Quantin  le  trouve  délicieux;  —  pour 
moi,  je  me  méfie  un  peu;  cette  «  commune  agri- 
cole», cette  «  fabrication  socialiste»,  ce  «  bon  de 
crédit»,  ne  me  disent  rien  qui  vaille,  et  je  serais 
bien  étonné  que  la  grâce  socialiste  ait  transformé 
les  loups  dont  se  compose  le  monde  actuel  en  ces 
tendre^  agneaux  qu'imagine  M.  Quantin  :  ne  nous 
frappons  pas,  d'ailleurs,  ce  sont  là  des  jeux  litté- 
raires qui  ne  feront  pas  grand  mal  à  notre  société 
et  nous  pouvons  nous  en  offrir  l'agrément  —  et  le 
petit  frisson  sans  conséquence  —  moyennant 
3  fr.  50  de  notre  infâme  monnaie  bourgeoise. 


PIEUUE  GLiiET-\AU\)UELliN 
Le  Sang  des  vignes. 

Dans  ce  roman  plein  d'allégresse,  de  confiance  et 
dt'   joie,   M.    Pierre    Guitet-Vauquelin   chante    le 


190  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Sang  des  vignes^  exalte  «  Tadorable  et  triomphante 
terre  d'oc»,  d'où  le  labeur  des  hommes  fait  jaillir 
le  vin  généreux  et  bienfaisant,  orgueil  et  richesse  de 
notre  France.  Ce  livre  dédié  à  MM.  Marcel  Prévost 
et  Louis  Gimié  d'Arnaud,  «  vignerons»,  c'est  le 
roman  du  vin  avec  toutes  ses  émotions,  tous  ses 
drames,  toutes  ses  victoires. 

Le  héros,  Pierre  Villeroy,  revenu,  après  vingt 
ans  de  vie  parisienne  à  ses  terres,  à  sa  vigne  de  Pie- 
destang,  a  eu  du  mal  à  se  faire  à  la  rude  existence 
du  vigneron;  mais  peu  à  peu  il  a  été  pris  par  la 
noblesse  de  sa  tâche,  il  s'est  passionné  pour  ses 
vignes;  comme  entre  temps  il  a  rencontré  la  femm( 
de  ses  rêves,  Marguerite,  qu'il  a  épousée,  il  connaît 
le  bonheur  complet;  mais  une  catastrophe  survient; 
des  orages  anéantissent  ses  vignes  et  celles  de  tout 
le  pays.  C'est  la  catastrophe  pour  lui,  c'est  la 
révolution  dans  la  région  ruinée,  les  vignerons  au 
comble  du  désespoir  vont  prendre  les  armes,  mais 
Pierre  s'entremet  avec  héroïsme  et  est  assez  heu- 
reux pour  éviter  aux  vieux  ceps  bas-languedociens 
le  déshonneur  d'être  appelés  «  les  vignes  san- 
glantes». Et  dans  le  pays  pacifié  les  beaux  jours 
reviennent  et  les  vignes  renaissent. 

L'histoire  est  simplette,  on  ne  peut  la  lire  sans 
émotion  lorsqu'on  se  rappelle  les  terribles  émeutes 
qui  désolèrent,  il  y  a  deux  ans,  les  régions  du  Midi. 
A  la  faveur  de  ce  roman,  M.  Pierre-Guitet-Vauque- 
lin  a  évoqué  avec  beaucoup  d'intensité  ces  sombres 
jours,  qu'on  peut  regarder  maintenant  sans  tris- 


JUIN    LES    ROMANS  191 

tpsse  et  sans  inquiétude  a  en  l'an  II  de  la  résurrec- 
ion  des  Vignes». 


CAMILLE  AUDIGIER 
Pour  la  Terre. 

La  véritable  héroïne  de  M.  Pierre  Guitet-Vau- 
pielin  c'est  la  vigne,  celle  du  «  roman  de  mœurs 
\  illageoises  »  de  M.  Camille  Audigier,  c'est  la  terre. 
C'est  Pour  la  Terre  que  souffrent  et  que  peinent  et 
que  tuent  les  personnages  de  ce  roman  plein  de  puis- 
Huce  et  de  vie  où,  sans  art,  très  simplement,  l'au- 
aVlT  a  voulu  nous  montrer  dans  toute  sa  vérité  le 
paysan  de  France  épris  pour  le  sol  ancestral  d'un 
iimour  brutal,  tyrannique  et  sublime.  Cette  ten- 
dresse du  paysan  pour  la  terre  a  inspiré  bien  des 
I  omans.  M.  Jacques  Dhur,  dans  la  préface  qu'il  a 
donnée  au  livre  de  M.  Camille  Audigier,  ne  craint 
•as  de  lui  décerner  la  meilleure  place  parmi  eux, 
ritre  la  Terre  qui  meurt,  de  René  Bazin,  et  la  Terre, 
de  Zola;  entre  l'idéalisme  et  le  naturalisme,  il  y 
vait  une  place  à  prendre  que  d'autorité  M.  Camille 
\udigier  a  conquise  avec  son  beau  roman. 
Le  compliment  est  gros,  mais  il  est  certain  qu'il  y 
beaucoup  de  puissance  et  de  vérité  dans  le  récit 
'il  drame  villageois  qui  se  joue  autour  de  la  ten'e 
lépecée  par  Pierre  Delmas,  le  paysan  indigne  et 
débauché,  défendue  âp rement,  sauvagement,  par 


192  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

sa  femme,  la  Fanchon,  qui  a  la  conscience  obscure 
de  remplir  une  mission  supérieure  et  de  défendre, 
en  même  temps  que  sa  terre,  une  tradition  néces- 
saire; et  l'auteur  arrive  presque  à  nous  faire  com- 
prendre le  geste  de  ces  jurés  villageois  acquittant 
la  Fanchon,  qui  a  fait  tuer  son  mari  pour  défendre 
sa  terre,  ce  qui  à  nous  autres  citadins  nous  parait 
tout  de  même  un  peu  vif. 


JOHAN  BOJER 
Sous  le  Ciel  vide. 

(Traduit  jjar  P.-G.  La.  Ghesnais). 

Le  livre  du  romancier  norvégien  Johan  Bojer, 
Sous  le  ciel  çide,  un  roman  dont  M.  P. -G.  La  Ghes- 
nais  publie  la  traduction,  est  une  œuvre  très  ibsé- 
nienne,  d'une  psychologie  embrumée  et  mystique, 
d'une  grande  puissance  aussi,  à  laquelle  on  est 
tenté  seulement  de  reprocher  sa  tristesse,  son  pessi- 
misme, son  découragement.  Pourquoi  faut-il,  en 
vérité,  que  la  sublime  ardeur  d'Erik  Evje  à  rache- 
ter les  fautes  paternelles  et  ses  propres  erreurs  se 
heurte  sans  cesse  à  des  catastrophes  nées  de  la 
méchanceté  des  hommes  ou  de  l'hostilité  de  la 
nature  ? 

Il  a  beau  faire,  il  a  beau  déployer  une  énergie 
surhumaine  pour  se  racheter,  il  a  beau  se  tourner 


JUIN    LES    ROMANS  193 

vtib  la  religion,  vers  la  science,  vers  le  progrès  so- 
cial ou  la  simple,  naïve  et  bonne  philanthropie, 
tout  lui  manque  tour  à  tour,  tous  ses  efforts  sont 
anéantis,  toutes  ses  espérances  déçues,  et  il  reste, 
après  la  terrible  catastrophe  finale,  l'engloutisse- 
ment des  villages  distribués  aux  paysans  vers  les 
Fjords  mortels,  tout  seul,  désespéré,  sous  le  ciel 
vide  implacablement. 

C'est,  je  le  répète,  très  beau  et  très  puissant,  mais 
ce  n'est  guère  réconfortant  :  c'est  là  une  littérature 
qu'on  peut  admirer,  mais  qu'il  n'y  a  pas  lieu 
vraiment  d'encourager. 


JEAN  SAMSON 
La  Traite  du  Cœur. 

M.  Jean  Samson  qui  débuta  naguère  avec  Manè^ 
Thécel  !  Phares  !,  un  roman  antique  dont  j'ai  dit  les 
qualités,  aborde  aujourd'hui  le  roman  moderne 
avec  la  Traite  du  cœur.  Moderne?  Il  faut  bien  croire, 
puisque  les  romanciers  sont  unanimes  à  nous  l'affir- 
mer, que  les  aventures  vilaines  où  la  force  de  l'ar- 
gent prime  brutalement  la  faiblesse  de  l'amour  et 
de  l'innocence  sont  essentiellement  modernes.  Ce 
n'est  pas  tout  à  fait  mon  avis;  je  croirais  volontiers 
que  jamais  on  ne  vit,  autant  qu'en  notre  temps,  des 
rois  épouser  des  bergères,  des  filles  affirmer  contre 

12 


194  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

l'injuste  tyrannie  d'un  père  leur  droit  au  bonheur 
et  à  l'amour. 

Mais  ne  chicanons  pas  sur  cette  question  d'épi- 
thète  et  de  date,  et  proclamons  l'intérêt  que  pré- 
sente cette  histoire  lamentable  de  la  pauvre  petite 
Jeanne  Nerry,  livrée  par  son  père  à  un  odieux  et 
riche  mari,  Henri  Narbier,  protégé  et  ami  d'un 
homme  plus  riche  et  plus  odieux  encore,  le  banquier 
Gossner,  alors  que  toute  sa  tendresse  et  tout  son 
amour  l'inclinaient  vers  Georges  Felcat,  un  poé- 
tique et  charmant  officier  de  marine.  Cette  histoire 
se  termine  le  mieux  du  monde  par  une  providen- 
tielle congestion  cérébrale  qui  envoie  ad  patres 
l'odieux  Narbier.  Rien  ne  nous  interdit  après  un 
tel  dénouement  d'espérer  que  les  choses  s'arran- 
geront mieux  encore  et  que  les  victimes  de  cette 
Traite  du  cœur  pourront  enfin  s'aimer  librement  et 
légitimement. 


GASTON  LEROUX 
Le  Fantôme  de  l'Opéra. 

Le  fantôme  de  VOpéra^  de  M.  Gaston  Leroux,  a 
parcouru  déjà  le  plus  gaillardement  du  monde,  en 
seize  éditions  successives,  la  première  étape  d'un 
succès  qui  ne  s'arrêtera  pas  là.  Ce  roman  mysté- 
rieux du  créateur  fameux  de  «  Rouletabille))  est 
dramatique,  terrifiant,  amusant  au  suprême  degré; 


» 


JUIN    LES    ROMANS  195 

avec  un  héros  qui  s'appelle  Erik  et  qui  est  un  fan- 
tôme, un  squelette  vêtu  d'un  habit  noir,  c'est-à- 
dire  un  être,  vous  en  conviendrez,  assez  imaginaire, 
M.  Gaston  Leroux  a  trouvé  moyen  de  nous  donner 
l'histoire  la  plus  vivante,  la  plus  réelle  dans  ses 
invraisemblances.  Cet  art,  très  particulier  qui  con- 
siste à  réunir  les  détails  les  plus  précis,  les  déduc- 
tions les  plus  logiques  autour  d'une  folle  imagina- 
tion, M.  Gaston  Leroux  le  possède  au  suprême 
degré  :  il  a  le  don  de  la  vie. 

Au  moment  de  nous  conter  l'histoire  d'Erik, 
lequel  possédait  sous  l'Opéra  un  palais  de  mystère 
et  d'ombre  avec  une  chambre  des  supplices,  dont 
vous  me  direz  des  nouvelles;  au  moment  de  nous 
dire  l'enlèvement  par  ce  fantôme,  de  Christine 
Daaé,  la  grande  chanteuse,  et  la  disparition  du 
vicomte  de  Chagny,  l'ami  de  la  chanteuse,  et  la 
mort  de  son  frère  aîné,  le  comte  Philippe,  dont  le 
corps  fut  trouvé  sur  la  berge  du  lac  de  l'Opéra  — 
M.  Gaston  Leroux  nous  affirme  tranquillement, 
avec  le  plus  grand  sérieux,  la  vérité  de  cette  his- 
toire :  le  «  fantôme  de  l'Opéra  a  existé  en  chair  et  en 
08,  bien  qu'il  se  donnât  toutes  les  apparences  d'un 
vrai  fantôme,  c'est-à-dire  d'une  ombre»;  il  nous 
énumère,  comme  un  bon  journaliste  qui  aurait 
procédé  à  la  plus  sérieuse  enquête,  toutes  les  raisons 
qu'il  y  a  de  croire  à  cette  surprenante  vérité,  et  nous 
avons  beau  savoir  que  nous  sommes  dans  le  do- 
maine de  la  fantaisie,  nous  ne  laissons  pas  d'être 
impressionnés  par  cette   précision.   Ajoutez   que 


196  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

cette  histoire  extraordinaire  est  écrite  dans  une 
langue  qui,  tout  en  répudiant  les  images  excessives 
du  feuilleton,  est  très  brillante  et  colorée. 


GUSTAVE  GUICHES 
Un  Monsieur  très  bien. 

Il  est  vraiment  «  très  bien»  ce  François  Desclos 
qui,  mal  marié  avec  la  jolie  Henriette,  coquette, 
légère  et  frivole,  désire  éperdument  reprendre  sa 
liberté,  mais  ne  se  résigne  pas  à  la  pensée  de  laisser 
sa  femme  exposée  aux  dangers  et  aux  déchéances 
qui  la  menaceraient  une  fois  seule.  Gomment  sortir 
de  ce  dilemme?  François  Desclos  a  découvert  que 
son  ami,  Jacques  d'Arvant,  tournait  autour  d'Hen- 
riette, et  dès  lors  son  plan  est  fait  :  avec  une  habileté 
machiavélique,  sans  avoir  l'air  de  rien,  il  protégera 
cette  idylle,  mais  —  ne  vous  scandalisez  pas  !  — 
il  ne  la  protégera  que  pendant  sa  période  d'inno- 
cence, puis,  brusquement,  lorsque  les  amoureux 
seront  arrivés  au  bout  de  cette  innocence,  à  la  veille 
d'un  enlèvement  projeté,  il  surgira  entre  les  deux 
«  presque  coupables  »  et  il  leur  expliquera  gentiment 
que  les  amours  criminelles  sont  de  fort  vilaines 
choses  et  qu'il  vaut  beaucoup  mieux  pour  tout  le 
monde  qu'ils  se  marient. 

Lui,  mon  Dieu  !  il  se  résignera  au  divorce  et  il 


JUIN    —    LES    ROMANS  197 

ira  épouser  une  charmante  jeune  femme  tout  à  fait 
dans  ses  goûts.  Et  voilà  comment  «  Un  Monsieur 
très  bien»  s'occupe  de  marier  sa  femme  avant  de 
songer  à  se  faire  une  nouvelle  existence.  Je  ne  vous 
donne  pas  cela  comme  un  modèle  de  moralité  inté- 
grale, mais  enfin,  cela  ne  vaut-il  pas  mieux  que  des 
drames,  des  catastrophes,  ou  simplement  d'aigres 
disputes? Et  puis,  M.  Gustave  Guiches  nous  a  conté 
cette  histoire  avec  tant  de  bonne  grâce,  de  simpli- 
cité spirituelle  et  d'émotion  légère  que  son  cynisme 
nous  devient  tout  à  fait  sympathique. 


GYP 
Les  Petits  Joyeux. 

(l'est  un  de  ces  romans  dialogues  où  excelle  le 
spirituel  écrivain,  qui  a  créé  le  genre  aujourd'hui  si 
fort  à  la  mode.  Elle  y  apporte,  toujours  aussi 
fraîches  et  avenantes,  ces  qualités  de  bonne  hu- 
meur, de  verve  intarissable,  ce  je  ne  sais  quoi  de 
racé,  cette  «  branche  »  qui  firent  la  fortune  des  pre- 
miers; en  outre,  la  hideuse  politique  en  a  été  à  peu 
près  chassée,  et  on  ne  s'occupe  plus  d'y  renverser 
la  République. 

C'est  très  bien  ainsi,  et  cela  permet  à  tous  les 
lecteurs  de  se  divertir  sans  arrière -pensée  aux 
histoires  des  «  petits  joyeux  »,  lesquels  n'ont,  vous 

12. 


198  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

le  pensez  bien,  rien  de  commun  avec  ceux 
d'Aristide  Bruant,  mais  sont  simplement  des  petits 
jeunes  gens  fort  distingués  et  fort  mal  élevés  qui 
entendent  la  «  mener  joyeuso). 


DELLY 
Bsclave...  ou  Reine? 

Ce  roman  est  d'une  très  réconfortante  moralité  : 
il  nous  révèle  qu'une  belle  jeune  femme,  toute  grâce 
et  toute  vertu,  livrée  par  un  déplorable  destin  à  un 
époux  cruel,  brutal,  presque  dément,  peut  en  faire, 
par  la  seule  puissance  de  son  charme,  de  sa  fai- 
blesse et  de  sa  piété,  le  plus  obéissant,  le  plus  doux 
des  chevaliers  servants;  mais  que  de  périls  elle  doit 
courir,  la  pauvre  petite  Lise,  g[vant  que  le  prince 
Ormanofî  ne  subisse  cette  providentielle  transfor* 
mation. 

Dans  la  princière  villa  de  la  Gôte-d'Azur,  dans  le 
tragique  château  des  steppes  russes,  elle  connaît 
les  pires  angoisses  et  les  plus  terribles  dangers, 
mais,  je  vous  l'ai  dit,  tout  s'arrange  à  la  fin  :  une 
âme  sainte,  une  âme  angélique  répondant  à  l'invo- 
cation de  Lise  a  prié  pour  les  deux  époux  et  ce 
roman  terrible  fmit  en  idylle,  cependant  qu'un 
«  rayon  de  soleil  descend  sur  les  têtes  penchées  de 
Serge  et  de  Lise,  et  qu'une  brise  se  parfumant  au 


LES    ROMANS  199 


passage  sur  les  muguets  et  les  jacinthes  blanches, 
vient  caresser  leurs  fronts». 


RENÉ  MILAN 
La  Mère  et  la  Maîtresse. 

La  Dame  aux  Camélias  est  un  drame  éternel  qui 
-.'  reprend  sans  cesse,  non  seulement  au  théâtre, 
mais  aussi  dans  la  vie,  et  le  douloureux  problème 
({ii'il  soulève  apparaît  aussi  émouvant,  aussi  actuel 
(fue  jamais  aux  romanciers  de  notre  génération. 
M.  René  Milan,  un  écrivain  de  talent,  l'aborde  à  son 
(our  dans  son  roman  la  Mère  et  la  Maîtresse.  La 
(Te,  c'est  Mine  Autevielle,  une  femme  de  grand 
''ur  qui  aime  passionnément  son  fils  Roger  Aute- 
iclle,  un  jeune  et  grave  savant;  la  maîtresse,  elle, 
appelle  Jasmine,  et  c'est  une  délicieuse  petite 
lemme  au  passé  un  peu  bruyant,  mais  à  l'âme  hon- 
nête et  droite,  qui  souffre  de  ses  nerfs  douloureux 
comme^ Marguerite  Gautier  souffrait  de  sa  poitrine 
déchirée. 

•  Le  combat  qui  se  livre  autour  de  Roger,  fils  res- 
pectueux et  tendre,  amant  passionnément  épris, 
<  st  terrible,  et  l'homme  meurtri  se  débat  désespé- 
rément entre  ces  deux  amours,  qu'il  voudrait  réunir 
en  son  cœur  et  qui  se  haïssent  mortellement.  Et, 
Jas  de  lutter,  certain  jour  il  s'enfuit;  on  a  voulii 


200  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

cruellement  l'obliger  à  choisir  :  il  renonce.  Et  pour- 
tant Jasrnine  était  digne  de  son  amour;  au  cours  \ 
d'une  entrevue  émouvante,  la  mère  le  reconnaît 
noblement;  mais  il  est  trop  tard,  et  ces  «  trois  êtres 
d'élite  par  trois  chemins  différents  s'éloignent  vers   ^ 
leur^  destins  marqués  d'un  deuil  indélébile,  parce  ^ 
qu'entre  eux  a  passé  l'amour  divin,  l'amour  impi(\ 
l'amour  destructeur,  l'Amour». 


HISTOIRE,  LITTERATURE,  THEATRE, 

DIVERS 


HENRI  WELSGHINGER 

La  Guerre  de  1870. 
«  Causes  et  Responsabilités.  » 

Les  livres  consacrés  à  la  guerre  de  1870  se  multi- 
plient; il  faut  s'en  réjouir:  ils  finiront  par  avoir  rai- 
son de  la  déplorable  ignorance  où  nous  sommes  de 
ces  tragiques  événements  de  notre  histoire.  L'ou- 
vrage de  M.  Henri  Welschinger  :  la  Guerre  de  1870, 
'(  Causes  et  Responsabilités»,  est  de  ceux  qu'on  ne 
saurait  trop  lire  et  méditer;  l'auteur  a  été  bien 
placé  pour  connaître  et  étudier  les  événements 
dont  il  parle,  et  il  y  a  dans  les  deux  volumes  de  son 
ouvrage  une  foule  de  documents  bien  faits  pour 
nous  instruire  et  nous  réconforter. 


202  LE     MOUVEMENT    ]/ITTÉR\1HK 

Sans  doute,  M.  Welschinger  a  voulu,  comme  lo 
dit  le  titre  de  son  livre,  «  relever  les  causes  de  la 
guerre  de  1870  et  signaler  les  responsabilités  de 
ceux  qui  l'ont  déchaînée  »,  sans  doute  il  a  été  amené 
à  porter  sur  des  personnages  historiques  des  juge- 
ments sévères,  mais  à  lire  son  livre  on  s'aperçoit, 
et  il  faut  l'en  louer,  qu'il  n'a  point  agi  «  par  un 
détestable  sentiment  d'animosité  contre  les  per- 
sonnes»; un  plus  noble  mobile  l'a  déterminé,  celui 
de  l'historien  qui  n'a  pas  d'autre  pensée  que  la 
vérité,  celui  aussi  du  Français  animé  d'un  profond 
et  vibrant  amour  de  la  patrie  et  qui  veut  au  moins 
que  les  douleurs  du  passé  mieux  connu  servent  à 
l'avenir. 


DOCTEUR  POUMIÈS  DE  LA  SIBOUTIE 
Souvenirs  d'un  médecin  de  Paris. 

Publiés    par    M"""     A.    Bhaaciie    et    L.     Dagoury. 

M.  le  docteur  Poumiès  de  La  Siboutie  exerçait 
depuis  de  longues  années  la  profession  de  médecin, 
et  il  avait  gagné  la  sympathie  et  la  confiance  d'une 
foule  de  personnages  célèbres,  lorsque,  en  1847, 
un  cruel  accident  le  contraignit  de  renoncer  à  ses 
occupations  habituelles;  il  avait  alors  tout  près  de 
soixante  ans,  il  avait  vu  beaucoup  de  choses,  assisté 
à  bien  des  révolutions,  connu  dans  leur  intimité 
les  personnages  historiques  de  la  Révolution,  de 


JlIN    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    THEATRE,    DIVERS         203 

l'Empire,  de  ta  Restauration,  et  la  tentation  lui 
vint  d'utiliser  ses  loisirs  forcés  pour  rédiger  ses 
souvenirs;  heureuse  tentation,  qui  nous  vaut  au- 
jourd'hui  les   Souvenirs   dhiii  Médecin  de   Paris ^ 

iibliés  par  M^^^s  a.  Branche  et  L.  Bagoury,  les 
lilles  du  docteur  Fournies  de  La  Siboutie. 

Ces  souvenirs  familiers  sont  d'un  rare  attrait  : 
ils  nous  font  revivre  plus  d'un  demi-siècle  de  l'his- 
loire  de  France,  depuis  la  Révolution  jusqu'aux 
l)eaux  jours  du  second  Empire,  vers  1860.  Que  do 
choses  curieuses  et  impressionnantes  à  noter  pour 
un  observateur  bien  placé  !  «  Récits  pleins  de  verve 
sur  le  monde  des  professeurs  et  les  générations 
'  l'étudiants  du  premier  Empire,  pages  intéressantes 

ir  les  hôpitaux  et  leurs  ordinaires  clients,  les  bles- 

■s  de  la  guerre  étrangère  ou  des  insurrections 
civiles;    portraits    fidèles,    silhouettes    curieuses, - 
tableaux  pittoresques  de  la  société  composite  et 

»uvent  bouleversée  de  la  période  qui  s'est  écoulée 
de  Napoléon  I^'"  à  Napoléon  III,  en  passant  par  les 
deux  Restaurations,  la  monarchie  de  Juillet  et  la 
République  de  1848».  Outre  l'intérêt  très  vif  que 
présentent  de  tels  souvenirs,  ils  ont  ce  prestige  de 
nous  rapprocher  extraordinairement  d'un  passé  très 
lointain:  songez,  en  effet,  que  les  filles  du  docteur 
Poumiès  de  la  Siboutie,  nos  contemporaines,  nous 
offrent  un  livre  où  l'auteur  parle  d'un  aïeul  mort 
en  1695,  et  se  souvient  lui-même  d'avoir  été  bercé, 
caressé,  promené  par  un  vieux  domestique  nommé 
Saintonge,  tambour  au  régiment  Dauphin,  à  l'âge 


204  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

de  dix  ou  douze  ans,  et  qui  avait  assisté  à  la  bataille 
de  Fontenoy,  en  1745  ! 


HENRI    GHARRIAUT 
La  Belgique  moderne. 

L'ouvrage  de  M.  Henri  Charriant,  est  consacré 
à  cette  Belgique  que  Napoléon  appelait  «  le  champ 
de  bataille  de  l'Europe  »  et  qui  a  la  gloire  plus  pro- 
fitable aujourd'hui  d'être  «  son  champ  d'expé- 
rience »,  ainsi  que  l'a  baptisée  Elisée  Reclus.  Tous 
les  grands  problèmes  qui  agitent  à  peine  ou  qui 
n'agitent  que  passagèrement  les  grands  peuples 
provoquent  en  Belgique  une  ébullition  incessante, 
et,  dans  les  tentatives  d'ordre  économique  qu'en- 
gendre cette  fièvre  perpétuelle  de  réformes,  des 
indications  précieuses  peuvent  être  trouvées. 

L'auteur  a  voulu  dans  son  livre  étudier  «  la  mani- 
festation à  la  fois  psychologique  et  matérielle  d'un 
peuple  qui  a  su  attester  que  la  véritable  puissance 
n'est  pas  dans  le  nombre,  mais  bien  dafis  les  qua- 
lités énergiques  des  citoyens,  et,  puisque  c'est  sous 
cet  aspect  qu'elle  présente  le  plus  grand  intérêt 
scientifique,  essayer  de  montrer  l'activité  de  la 
Belgique  dans  sa  mission  expérimentale. 


JUIN    HlSTUiKE,    LITTÉRATURE,    THEATRE,    DIVERS         205 

MARCEL  PRÉVOST 
Féminités. 

C'est  une  chose  bien  séduisante  et  bien  malaisée 
de  parler  «  féminités  »  devant  un  auditoire  de  fem- 
mes. Il  faut  à  l'homme  qui  se  risque  en  cette  entre- 
prise, beaucoup  de  finesse  et  d'esprit,  et  de  ten- 
dresse aussi,  car  les  femmes  entendent  qu'on  les 
aime  avant  de  permettre  qu'on  parle  d'elles;  pas 
trop  cependant,  pas  jusqu'à  l'aveuglement  :  elles 
méprisent  un  peu  ceux  qu'elles  dupent  trop  faci- 
lement et  elles  éprouvent  un  certain  plaisir,  très 
délicat  et  très  raffmé,  à  se  voir  démasquées  par  leur 
auteur,  pourvu  qu'il  ait  la  «  manière  ».  C'est  très 
difficile,  et  il  faut  bien  du  talent  à  un  écrivain  pour 
savoir  discerner  et  choisir  les  fleurs  avec  lesquelles 
ses  lectrices  consentiront  à  être  frappées  ;  mais  quel 
succès  quand  il  a  ce  talent  !  Les  femmes  sont  con- 
quises sans  rémission,  et  par  surcroit,  les  hommes 
aussi  :  conquête  moins  flatteuse,  mais  point  négli- 
geable tout  de  même. 

Cet  art  et  cette  manière,  M.  Marcel  Prévost  les 
possède  comme  personne  :  il  n'est  pas  d'écrivain 
qui  sache  mieux  exprimer  le  troublant  mystère  et 
la  séduction  souveraine  de  l'éternel  féminin.  Dans 
ces  gracieuses  et  frivoles  et  profondes  Féminités 
qu'il  vient  de  publier,  il  s'est  diverti  une  fois  encore 
à  tourner  autour  du  sphynx  à  qui  il  a  bien  su  tout 

13 


206  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

de  même  arracher  un  petit  morceau  de  son  secret  ; 
et  ce  sont  ces  «  Mondanités  »  si  amusantes  et  spiri- 
tuellement philosophiques  et  les  «  Dames  de  ce 
temps-ci  »  évoquées  en  de  si  savoureuses  images,  et 
enfin,  ces  délicieuses  variations  épistolaires  «  VA- 
mour  écrit...»  où  l'auteur  des  admirables  Lettres  de 
femmes  met  leur  bon  garçon  de  destinataire  en  garde 
contre  ces  lettres  :  «  Est-ce  qu'un  chapeau  de  femme 
sert  à  lui  couvrir  la  tête?  Est-ce  qu'une  ombrelle  de 
femme  sert  à  la  garantir  du  soleil?  Est-ce  que  des 
souliers  de  femme  servent  à  la  marche?  Pourquoi 
veux-tu  qu'une  lettre  de  femme  serve  à  transmettre 
sa  vraie  pensée  au  destinataire  î  »  Il  est  vrai  que  les 
hommes  ne  sont  guère  plus  sincères,  mais  tandis 
que  «  les  petits  mensonges  épistolaires  féminins  sont 
ingénieux,  charmants,  flatteurs,  impossibles  à 
débrouiller,  les  nôtres  sont  laids,  communs,  mala- 
droits, blessants;  ils  sentent  la  fatigue.  C'est  de 
l'ouvrage  mal  fait.  » 


ANDRÉ  BEAUNIER 
Trois  Amies  de  Chateaubriand. 

Maintes  fois,  en  ces  dernières  années,  j'ai  regretté 
l'indiscrétion  dont  nous  faisions  preuve  envers  la 
mémoire  de  nos  grands  écrivains  :  il  n'en  est  pas  un 
qui  échappe  à  nos  enquêtes  posthumes;  non  con- 
tents d'apprécier  leurs  vers  harmonieux  ou  leurs 


JlIN    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    THEATRE,    DIVERS         207 

proses  sonores,  nous  voulons  connaître  et  juger  les 
Muses  très  humaines  qui  les  inspirèrent.  Ayant  si 
souvent  blâmé  cette  indiscrète  curiosité,  je  devrais, 
pour  être  logique,  regretter  le  livre  que  M.  André 
Beaunier  vient  de  publier  :  Trois  amies  de  Chateau- 
briand', mais,  vrai,  je  ne  m'en  sens  pas  le  courage  : 
ce  livre  est  trop  joli,  et  il  m'a  fait  passer  des  heures 
trop  agréables. 

L'auteur,  d'ailleurs,  nous  explique  de  la  façon  la 
plus  persuasive  qu'il  avait  le  droit  d'être  indiscret; 
de  ((  ne  pas  permettre  que  se  tranquillisent  dans 
le  silence  d'un  siècle  mort,  les  pauvres  petites  fem- 
mes que  troubla  l'enchanteur  déhcieux  et  cruel». 
Cette  indiscrétion,  c'est  Chateaubriand  lui-même 
qui  l'impose  au  lecteur  de  son  œuvre  toute  pleine 
de  lui-même. 

Ainsi  l'écrivain,  qui  a  voulu  la  commettre,  était 
autorisé  à  appeler  en  témoignage  ces  trois  dames 
dont  il  va  nous  parler,  qui  ont  été  de  bien  char- 
mantes femmes,  en  un  temps  éloigné  déjà.  Aussi 
bien  on  peut  compter  qu'elles  pardonneront  à 
l'indiscrétion  de  l'auteur,  car  leur  terrible  ami  les  a 
habituées  à  l'indulgence  et  nous  pouvons  aujour- 
d'hui encore  «  compter  sur  la  complaisance  qu'elles 
eurent  au  temps  où  Chateaubriand  leur  préférait 
son  amour  ». 

Ces  trois  dames  furent  la  touchante  Pauline  de 
Beaumont,  la  souveraine  Juliette  Récamier,  la 
pittoresque  et  attrayante  Hortense  Allart. 

Et,  en  les  évoquant  toutes  trois,  M.  André  Beau- 


208  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

nier  nous  a  conté  trois  romans  qui  sont  les  plus 
touchants,  les  plus  jolis,  les  plus  émouvants  du 
monde  ;  celui  |  de  M^^^  de  Beaumont,  histoire 
d'amour  où  celle  qui  aima  fut  infiniment  plus  tou- 
chante et  plus  noble  que  celui  qui  fut  aimé;  celui 
de  Mi"6  Récamier,  blanche  énigme,  Pénélope  épouse 
d'un  nonchalant  Ulysse,  dont  l'aventure  avec  René 
nous  offre  le  spectacle  de  deux  coquetteries  fieffées  : 
Juliette  de  Récamier,  la  déesse,  et  René  de  Cha- 
teaubriand, l'enchanteur;  celui  d'Hortense  AUart 
enfin,  cette  personne  vive,  complaisante  et  qui 
avait,  avec  un  esprit  de  philosophe  et  de  littéra- 
teur, un  cœur  de  grisette. 

Ces  trois  belles  histoires  sont  en  tous  points  con- 
formes à  la  vérité;  pour  les  écrire,  l'auteur  a  pas- 
sionnément étudié  les  textes,  les  documents,  les 
mémoires  :  c'est  donc  une  œuvre  très  solide  d'his- 
toire et  d'érudition  ;  la  grâce  et  le  talent  de  l'auteur 
en  ont  su  faire  un  ravissant  roman  d'amour  en 
trois  parties  où  le  charme,  la  tendresse  des  femmes, 
l'égoïsme  magnifique  de  l'homme  sont  évoqués  en 
des  pages  d'une  incomparable  séduction. 


PAUL  BOURGET 
La  Barricade  (Chronique  de  1910). 

La  Barricade^  de  M.  Paul  Bourget,  eut,  cette 


I 


JUIN    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    THEATRE,    DIVERS         209 

saison,  un  grand  retentissement  au  Vaudeville  et 
fut  discutée  bien  passionnément  «  des  deux  côtés 
de  la  barricade».  Les  critiques  dramatiques  l'ont 
racontée  et  jugée,  les  rédacteurs  politiques  l'ont 
âprement  discutée  dans  des  polémiques  de  journaux, 
et  on  est  tenté  de  croire  que  le  débat  est  épuisé. 

L'auteur  pourtant  ne  nous  avait  point  encore 
donné  son  sentiment  et  l'on  jugera  sans  doute  qu'il 
présente  quelque  intérêt  pour  l'appréciation  défi- 
nitive de  l'œuvre,  non  pas  au  point  de  vue  de  sa 
valeur  littéraire  ou  dramatique,  dont  il  est  bien 
trop  avisé  pour  se  faire  juge  lui-même,  mais  au 
point  de  vue  de  ses  tendances  qui  ont  été  qualifiées 
de  façons  si  contradictoires  et  si  diverses  et  qu'il 
est  —  on  en  conviendra  —  un  peu  mieux  placé  que 
tout  autre  pour  connaître. 

Il  nous  les  expose  dans  une  éloquente  et  magis- 
trale préface  qui  est  une  sorte  d'examen  de  cons- 
cience très  courageux  et  très  sincère  de  la  .bour- 
geoisie de  notre  temps  et  qui  donne  à  l'œuvre  toute 
sa  haute  portée  sociale  et  historique.  Dès  le  sous- 
titre,  nous  sommes  fixés  sur  les  intentions  de  l'au- 
teur :  la  Barricade^  est  une  «  chronique  de  1910  », 
ce  n'est  donc  pas  une  œuvre  de  combat,  mais  quel- 
que chose  comme  un  procès-verbal  :  la  chronique, 
en  effet,  c'est  l'histoire,  racontée,  montrée  par  son 
détail  quotidien  et  familier;  c'est  le  constat  dressé 
sur  place  d'un  certain  coin  des  mœurs,  à  une  cer- 
taine date;  ce  que  disent  les  personnages  de  la  Bar- 
ricade quels  qu'ils  soient,  ce  sont  presque  toujours 


210  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRK 

des  paroles  entendues  et  qu'on  n'a  pu  mettre,  sans 
un  prodigieux  abus,  dans  la  bouche  de  l'auteur. 
M.  Paul  Bourget  a  diagnostiqué  les  maux  dont  souf- 
fre notre  société  contemporaine,  il  a  dénoncé  cette 
lutte  des  classes  que  nous  ne  pouvons  pas  éviter; 
on  a  voulu  en  conclure  qu'il  poussait  à  cette  lutte, 
ce  qui  est  aussi  absurde  que  de  reprocher  à  un 
médecin  de  se  faire  le  complice  du  bacille  d'Eberth 
parce  qu'il  en  constate  la  présence  et  dénonce  une 
fièvre  typhoïde  dans  l'organisme  envahi.  Le  remè- 
de? Il  n'a  pas  eu  non  plus  la  prétention  de  nous  le 
faire  connaître,  tout  au  plus  a-t-il  voulu  indiquer 
que  ce  remède  surgirait  quelque  jour,  sous  les  espè- 
ces de  la  force,  qui  est  faite,  non  point,  comme  on  a 
voulu  le  croire,  de  brutalités  et  de  violences,  mais 
de  l'intelligence,  de  la  vertu,  de  la  dignité  qui  impo- 
seront le  respect  de  la  bourgeoisie. 


GEORGES  LEGOMTE 
Les  Allemands  chez  eux. 

M.  Georges  Lecomte,  qui  a  signalé  son  passage 
à  la  présidence  de  la  Société  de  Gens  de  lettres  par 
des  services  éminents  dont  on  ne  perdra  pas  de  sitôt 
le  souvenir,  sut  notamment  en  1908  représenter 
avec  infiniment  de  tact  et  de  dignité  les  intérêts 
moraux  et  matériels  de  la  littérature  française  à  la 


JUIN    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    THEATRE,    DIVERS         211 

conférence  de  Berlin.  Nous  avons  une  raison  de 
plus  aujourd'hui  de  nous  féliciter  de  cette  mission, 
puisqu'elle  a  donné  à  M.  Georges  Lecomte  l'occa- 
sion d'écrire  l'œuvre  fort  intéressante,  les  Alle- 
mands chez  eux^  qu'il  dédie  à  son  «  ami  Jules  Huret, 
exact  et  pénétrant  évocateur  des  aspects  et  des 
rouages  de  la  vie  moderne  ».  C'est,  après  cette  magis- 
trale enquête  de  notre  collaborateur  et  ami,  à  qui 
il  rend  si  justement  hommage,  un  nouveau  docu- 
ment sur  cette  Allemagne  qui  nous  préoccupe  tant  ; 
et  on  lira  avec  beaucoup  d'agrément  et  de  profit  ces 
pages  vivantes  et  prestes  sur  les  rues,  l'architec- 
ture, la  voirie,  le  Tiergarten;  ces  portraits  amu- 
sants du  fonctionnaire,  toutes  ces  notes  pittores- 
quos  ot  ros  observations  judicieuses. 


MÉMENTO  DU  MOIS  DE  JUIN 


ROMANS 

Biiiigei'  (Rodolphe).  —  En  Cinq  sec,  un  charmant  volume, 
paru  dans  la  collection  :  «  Les  Conteurs  Joyeux»,  où 
ce  joyeux  conteur,  secondé  par  l'humoriste  dessina- 
teur Moriss,  nous  conte  une  foule  d'histoires  drolati- 
ques écrites  sans  nulle  prétention,  joviales  et  rapides 
à  souhait. 

Buteau  (Henry).  —  Ciel  de  caresse;  ce  ciel  est  celui  de  Cons- 
tantinople,  très  favorable  paraît-il,  à  l'éclosion  de 


212  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

l'amour  et  de  la  passion.  Dans  ce  décor  magnifique, 
très  billamment  évoqué,  M.  Henry  Buteau  a  situé  une 
belle  histoire  d'amour  et  aussi  de  tristesse  et  de 
trahison  —  il  est  bien  rare  d'ailleurs  que  l'Amour 
avec  un  grand  A,  n'entraîne  pas  avec  lui  ces  deux 
compagnons.  Ses  héros,  Gérard  Augereau,  le 
romancier  réputé,  et  son  admirable  femme,  sa  «  grande 
sœur»,  Jeanne  Augereau,  et  son  idéale  maîtresse,  la 
voluptueuse  Hélène,  victime  de  son  amour,  sont  cam- 
pés en  des  pages  où  l'on  retrouve  avec  plaisir  les  très 
intéressantes  qualités  que  j'ai  eu  l'occasion  de  louer 
déjà  plusieurs  fois  en  M.  Henry  Buteau. 

Conan  Doyle.  —  La  Merveilleuse  découverte  de  Raffles  Haw, 
traduction  de  M.  Albert  Savine. 

Ducasse-Harispe.  —  V Amour  et  V Autel,  (<.  roman  psycholo- 
gique ». 

Green  (A.-K.).  —  Le  Médaillon,  traduit  de  l'anglais  par 
M.  A.  Davray. 

Havard  de  la  Montagne  (Robert).  —  Leurs  Fils. 

Lafont  (Renée).  —  V  Appel  de  la  Mer. 

Landre  (Jeanne).  —  Echalote  continue,  un  roman  de 
mœurs  montmartroises  joyeux  et  cynique. 

Maindron  (Maurice).  —  La  Gardienne  de  l'Idole  noire. 
M.  Maurice  Maindron,  évocateur  prestigieux  des 
moyenâgeuses  aventures  de  «  St.  Gendre»  et  peintre 
fougueux  des  mystérieuses  splendeurs  de  l'Inde  du 
Sud,  fait  revivre,  une  fois  encore,  sous  nos  yeux,  et 
l'Inde  et  le  Moyen  âge  dans  son  nouveau  livre.  C'est 
l'aventure  étrange,  voluptueuse,  formidable,  de  Gian- 
battista  et  de  Souriadévi,  la  gardienne  de  l'idole 
noire,  qui  se  déroule  dans  le  cadre  magnifique  et  terri- 
fiant d'un  temple  hindou,  et  M.  Maurice  Maindron 
nous  l'a  contée  dans  cette  langue  si  particulière,  très 
pure,  très  simple,  qui  nous  semble  si  près  de  nous. 
De  ces  mots  si  simples  mis  côte  à  côte,  l'écrivain  sait 
tirer  des  effets  surprenants,  il  les  dispose  comme  un 
peintre  distribue  des  couleurs  il  en  fait  de  l'ombre 
et  de  la  lumière  :  c'est  de  l'art,  vraiment,  et  du  plus 
grand. 

Maret  (G.  de).  —  La  Course  au  bonJieur,  un  touchant  et 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JUIN  213 

mélsincolique  roman  où  l'héroïne  s'aperçoit  que  «  nos 
illusions,  comme  des  pétales  de  rose  fanée,  s'en  vont 
d'abord  une  à  une;  les  dernières  tombent  toutes  en 
même  temps». 

Maurevert  (Georges).  —  Légendes  et  Nouvelles  tragiques  ou 
folâtres,  un  volume  que  décore  une  chatoyante  image 
de  Chéret  et  qu'illustre  une  admirable  préface  de 
Maurice  Maeterlinck.  Les  nouvelles  qui  surent  mériter 
ce  glorieux  parrainage  sont  d'une  très  jolie  qualité  de 
style  et  d'inspiration  :  l'écrivain  y  passe  du  sévère  au 
plaisant  ou  au  tragique,  avec  beaucoup  d'aisance,  et 
le  lecteur  prendra  de  l'agrément  aux  fines  notations 
psychologiques  de  «  la  Bague  à  la  chimère»,  aux 
émotions  poignantes  du  «  Duel  à  l'ennemi  »,  à  la  poé- 
tique évocation  de  «  la  Belle  et  vraie  légende  du  roi 
Grallon»,  à  la  grasse  jovialité  du  «  Bon  notaire»,  et 
j'en  passe,  pour  arriver  à  cette  émouvante  comédie 
tragique,  dont  nous  avons  déjà  parlé  :  «  La  dernière 
soirée  de  Brummell.  » 

Pourtalès  (Guy  de).  —  La  Cendre  et  la  Flamme. 

Price  (Georges).  —  La  Rançon  du  sommeil,  un  recueil  de 
nouvelles  originales,  émouvantes,  écrites  dans  une 
langue  alerte  et  souple.  La  première  de  ces  nouvelles  a 
presque  les  proportions  d'un  roman,  c'est  «  la  rançon 
du  sommeil»,  une  terrifiante  histoire,  fantastique,  et 
très  réelle  où  nous  assistons  aux  péripéties  dramati- 
ques de  la  lutte  d'un  homme  contre  le  sommeil  qui 
rétreint,  l'enveloppe,  l'envahit,  alors  que,  s'il  y  cède 
une  seule  minute,  c'en  est  fait  de  lui  et  d'une  inven- 
tion géniale  à  laquelle  il  tient  plus  qu'à  sa  vie.  J'ai 
goûté  aussi  les  autres  nouvelles  qui  composent  ce  livre, 
notamment  «  le  Chien  de  M.  le  Préfet»,  le  récit  d'une 
piquante  aventure  d'un  brigand  de  la  Loire;  et  aussi 
"  le  roi  du  Lethol»,  l'histoire  d'un  inventeur  devenu 
millionnaire  pour  avoir  restitué  aux  habitants  de  la 
ville  de  Port-Elliott  les  bienfaits  du  sommeil  dont  un 
autre  inventeur,  M.  Henry  Bentham,  avait  eu  la  fal- 
lacieuse idée  de  guérir  ses  contemporains. 

1  îandau  (Robert).  —  Le  Commandant  et  les  Foulbé,  «  roman 
de  la  grande  brousse  ». 

13. 


214  LE    MOUVEMKNT    LITTÉRAIRE 

Schwab  (Raymond).  —  Regarde  de  tous  tes  yeux,  un  très 
agréable  recueil  de  contes. 

Sicard  (Emile).  —  Les  Marchands. 

Twain  (Marc).  —  Peterkins,  traduction  de  M.  François  do 
Gail. 

Veyssié  (Robert).  —  Grains  de  foule,  nouvelles. 

Willy.  —  Maugis  en  ménage,  une  œuvre  du  cynique  Willy, 
divorcé  littéraire.  Sa  verve  outrancière  et  joviale  s'y 
étale  avec  impudence,  tempérée  cependant,  de-ci 
de-là,  par  je  ne  sais  quelle  mélancolie  exprimée  avec 
charme  et  qui  affirme  ce  talent  d'écrivain  dont  Willy 
s'obstine  à  faire  un  si  mauvais  usage. 


HISTOIRE  —  LITTÉRATURE  —  THÉÂTRE 
POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Aumale  (Duc  d')  et  Guvillier-Fleury.  —  Correspondance.  — 
2e  volume.  —  Je  vous  ai  dit,  lors  de  l'apparition  du 
premier  volume,  le  prestigieux  intérêt  de  ces  lettres  où 
le  vieux  maître  et  le  noble  élève,  en  se  laissant  aller 
le  plus  simplement  du  monde  à  leurs  souvenirs  et  à 
leurs  confidences,  font  pour  nous  de  l'histoire  la  plus 
instructive  et  la  plus  émouvante  qui  soit.  Le  second 
volume  nous  donne  les  lettres  échangées  de  1848  à 
1859;  il  commence  au  moment  où  le  duc  d'Aumale 
et  le  prince  de  Joinville  quittent  Alger  en  proscrits 
volontaires  et  se  ferme  sur  les  fanfares  de  triomphe  de 
la  campagne  d'Italie,  à  l'apogée  de  l'Empire. 

Batz  (Baron  de).  —  Histoire  de  la  Contre- Révolution:  T.  l^^. 
IJ  Agonie  de  la  Royauté.  M.  le  baron  de  Batz,  dont  j'ai 
signalé  naguère  avec  grand  éloge  la  Vie  et  les  conspi- 
rations de  Jean,  baron  de  Ratz,  entreprend  un  grand 
ouvrage  d'une  très  sohde  et  très  attrayante  érudition, 
où  il  a  eu  pour  but  de  «  rassembler,  de  coordonner,  de 
réunir  les  efforts  tentés  par  les  partis  opposés  à  la 
Révolution  française,  afin  d'arrêter  sa  marche;  pré- 


MT^ME.NT"  \  215 

senter  ces  efforts  d'une  manière  claire,  les  grouper 
d'une  façon  logique,  étudier  les  principes  au  nom  des- 
quels ces  tentatives  furent  accomplies».  Le  premier 
volume  de  cet  ouvrage  nous  montre  de  façon  saisis- 
sante les  efforts  de  la  contre-révolution  entre  1789  et 
1792. 

Bernard  (Emile).  —  Réflexions  (Vun  témoin  de  la  décadence 
du  beau,  un  recueil  de  notes  sur  l'Art. 

Bertin  (Georges-Eugène).  —  Nos  plus  beaux  Rêves,  poésies. 

Bessonnet-Favre  (M^n^).  —  La  Typologie,  un  bien  curieux 
ouvrage  où  l'auteur  nous  documente  sur  «une  science  », 
à  la  création  de  laquelle  il  a  fortement  contribué;  car 
la  typologie  est  une  science  :  M.  le  docteur  Raymond 
nous  le  dit  dans  la  préface  de  ce  curieux  livre,  avec 
toute  l'autorité  qiii  s'attache  à  sa  parole;  cette  «  mé- 
thode d'observation  des  types  humains,  qui  permet  de 
démêler  sur  la  figure  d'une  individuahté  donnée  le 
type  vrai,  avec  ses  qualités,  fait  désormais  partie  de 
nos  sciences  d'observation».  Ce  serait  une  chose 
admirable  si  cette  science  pouvait  se  répandre  et  si 
nous  pouvions  apprendre  à  lire  d'une  façon  certaine 
l'âme  de  nos  contemporains  sur  leur  visage;  on  est 
tenté  de  se  réjouir  en  songeant  à  toutes  les  déceptions, 
à  toutes  les  injustices  qui  nous  seraient  évitées;  mais 
aussi  que  de  fâcheuses  découvertes  cette  science  nous 
réserverait,  et  combien  parfois  nous  regretterions 
devant  un  joli  visage  trop  révélateur  notre  divine 
ignorance   d'autrefois. 

Biovès  (Achille).  —  Français^et  Anglais  en  Egypte,  un^ 
savant  ouvrage  où  l'auteur  prétend  résoudre  cette 
question  :  «  Comment  l'Angleterre  s'est-elle  emparée 
de  l'Egypto?  A-t-ello  tout  simplement  profité  avec 
habileté  des  événements  et  des  fautes  de  ses  rivales, 
ou  a-t-elle  préparé  et  machiné  ces  événements? 

l^iii'l  (Tony).  —  Une  Ambassade  suisse  à  Paris  en  1663,  un 
très  savant  et  très  attrayant  ouvrage  où  l'auteur  s'est 
proposé  de  donner,  en  même  temps,  un  aperçu  des 
relations  qui  existaient  à  cette  époque  entre  la  France 
et  la  Suisse  et  une  esquisse  des  coutumes  de  la  France 
à  une  date  précise  de  son  histoire.  L'ouvrage  est  élo- 


216  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

quemment  préfacé  par  M.  Lardy,  ministre  de  Suisse 
en  France. 

Bourrienne.  —  La  Vie  privée  de  Napoléon  —  Le  Premier 
Consul;  2^  volume  des  Mémoires. 

Brette  (Armand).  —  Propos  du  siècle,  un  choix  des  pages 
que  l'auteur  écrivit  au  hasard  des  événements  et 
«  qui  ont,  nous  dit-il,  tout  juste  le  prix  des  anciennes 
nouvelles  à  la  main  qui  valent  surtout  parce  qu'elles 
furent  écrites  sur  l'heure».  A  ce  titre  seul,  en  effet, 
ces  articles  constitueraient  pour  l'histoire  de  notre 
temps  un  intéressant  document;  ajoutons,  malgré  la 
modestie  de  l'auteur,  qu'ils  ont,  en  outre,  de  jolies 
qualités  de  forme  et  de  pensée. 

Capus  (Alfred).  —  Théâtre  complet;  l^J*  volume  où  nous  avons 
retrouvé  avec  joie  ces  pièces  exquises  qui  sont  :  Bri- 
gnol  et  sa  fille,  Rosine,  les  Maris  de  Léontine,  dont  la 
grâce  non  moins  pimpante  qu'aux  premiers  jours,  a 
maintenant  la  consécration  et  la  patine  des  choses 
définitives. 

Cartier  (Ernest).  —  Correspondance  de  Guizot  avec  Léonce 
de  Laver gne. 

ChafTiol  (Fernand).  —  Les  Miroirs  ternis,  poésies. 

Chesnelong  (Charles).  —  La  Liberté  de  V Enseignement,  un 
recueil  de  discours. 

CHfford  Barney  (M™^  Natahe).  —  Actes  et  Entr' actes,  des 
pages  où  j'ai  trouvé  des  choses  délicieuses,  ce  «  virelai 
nouveau»  notamment,  qui  est  d'un  poète  bellement 
doué. 

Costils  (D^^  François  de).  —  Sonnets. 

Cuvillier-Fleury.  —  Voir  Duc  d'Aumale. 

Delteil  (Léo).  —  Voir  John  Grand-Carteret. 

Dupuis  (Jean).  —  Le  Tonkin  de  1872  à  1886,  un  volume 
d'histoire  écrit  par  un  explorateur  du  Fleuve-Rouge. 

Dutacq  (François).  —  Histoire  politique  de  Lyon  pendant 
la  Révolution  de  1848. 

Faguet  (Emile).  —  Les  Dix  Commandements  de  «  V Amour 
de  soi»,  réunis  par  l'auteur  en  un  charmant  petit 
hvre,  comme  il  avait  fait  naguère  pour  «  l'Amour  »  et 
«l'Amitié». 

Faure-Goyau  (Lucie-Félix).  —  La  Vie  et  la  Mort  des  Fées. 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JUIN  217 

un  livre  d'une  fort  avenante  érudition  où  nous  appre- 
nons d'où  sont  sorties  les  fées  du  cycle  breton,  celles 
de  l'épopée  carolingienne,  celles  des  poèmes  de  Marie 
de  France,  celles  de  Shakespeare  et  celles  de  Naples, 
celles  de  France,  celles  d'Allemagne,  celles  d'Angle- 
terre et  du  Nord.  C'est  instructif,  austère  et  char- 
mant. En  tête  de  cet  essai  d'histoire  littéraire  l'au- 
teur nous  dit,  dans  un  prologue,  combien  ce  sujet 
est  grave  et  séduisant,  et  plaide  le  plus  joliment  du 
monde  la  cause  des  fées  et  de  la  féerie  ;  «  la  féerie, 
un  peu  de  rêve,  un  peu  de  réalité,  tissés  et  combinés, 
noués  d'un  fil  d'or  ou  d'un  brin  d'herbe  où  tremble 
soit  une  perle  soit  une  goutte  de  rosée». 

Meischmann  (Hector).  —  Les  Femmes  et  la  Terreur. 
—  Le  Roi  de  Rome  et  les  Femmes. 

Foulon  de  Vaulx  (André).  —  La  Fontaine  de  Diane,  des 
poèmes  infiniment  gracieux  et  évocateurs. 

Fribourg  (André).  —  Discours  de  Danton,  une  édition  cri- 
tique que  M.  G.  Lanson  fait  précéder  d'une  préface 
où  il  plaide  avec  une  chaude  éloquence  la  cause  de 
Danton  qu'il  ne  faut  pas  honnir,  car  «  ceux-là  blessent 
la  France,  et  l'appauvrissent,  qui  continuent  d'in- 
sulter l'homme  dont  la  voix  fut  à  certaines  minutes  la 
voix  de  la  nation  dressée  contre  l'invasion  étrangère». 

'  iaillard  de  Champris  (Henry). —  Emile  Augier  et  la  Comé- 
die sociale,  une  belle  et  forte  étude. 

Germain  (José).  —  Mémoires  du  capitaine  Lange,  «  Aventu- 
res des  francs- tireurs  de  Champagne,  —  souvenirs 
de  1870». 

<'loriainow  (Serge).  —  Le  Rosphore  et  les  Dardanelles,  une 
«  étude  historique  sur  la  question  des  détroits»  dont 
l'auteur  est  directeur  des  Archives  de  l'Empire  et  des 
Archives  centrales  de  Saint-Pétersbourg.  Cet  ouvrage 
a  le  grand  mérite  de  nous  exposer  une  des  questions 
les  plus  compHquées  de  la  pohtique  contemporaine 
dans  tous  ses  détails  avec  une  compétence  et  une  sin- 
cérité absolues;  mérite  plus  grand  encore  :  l'auteur 
a  su  résumer  la  substance  de  son  livre  en  trois 
pages  précises  et  claires  placées  au  commencement  du 
volume. 


218  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Grand-Garteret  (John)  et  Léo  Delteil.  —  La  Conquête  de 
Vair  vue  par  Vimage  (1495-1909),  un  superbe  volume 
luxueusement  édité  d'histoire  très  ancienne,  très  loin- 
taine, bien  que  son  objet  soit  mis  par  les  admirables 
prouesses  de  nos  aviateurs  au  premier  rang  de  l'ac- 
tualité. Au  sommaire  :  «  ascensions  célèbres,  inventions 
et  projets,  portraits,  pièces  satiriques,  caricatures, 
chansons  et  musique,  curiosités  diverses  ».  Ces  volumes 
d'histoire  par  l'image  sont  toujours  d'un  très  vif  at- 
trait :  les  documents  graphiques  qu'ils  nous  resti- 
tuent nous  en  disent  plus  long  souvent  que  de  savantes 
et  longues  dissertations.  Ainsi  comprise,  l'histoire  du 
la  conquête  de  l'air  est  fort  impressionnante  et  ces 
images  comiques  ou  ironiques,  ces  chansons  inspirées 
depuis  quatre  siècles  par  la  hantise  de  l'air  à  conqué- 
rir, sont  vraiment  émouvantes  à  revoir  au  moment  où, 
après  un  si  long  effort,  nous  semblons  approcher  du 
but  convoité  depuis  tant  d'années;  avec  toutes  ses 
ironies,  toutes  ses  naïvetés,  c'est  un  réconfortant 
album  de  la  vaillance,  de  l'énergie,  de  la  patience 
humaines. 

Gregh  (Fernand).  —  La  Chaîne  éternelle,  cette  chaîne  qui 
rattache  «  une  âme  d'aujourd'hui»  aux  «  âges  passés)), 
poésies  d'une  si  suave  harmonie,  d'un^rythme  si  heu- 
reux, d'une  inspiration  si  généreuse,  dont  il  est  super- 
flu de  redire  les  mérites,  mais  que  j'aurais  eu  trop  de 
regrets  à  ne  pas  saluer  de  mon  modeste  mot. 

La  Cartrie  (Toussaint- Ambroise  de). —  Un  Vendéen  sous  la 
Terreur,  des  «  Mémoires  »  inédits  traduits  et  annotés 
par  M.  Pierre-Amédée  Pichot  et  précédés  d'une  étudo 
sur  l'insurrection  vendéenne  par  M.  Frédéric  Massori. 

Lagarde  (Gaston  de).  —  Nouveaux  livres,  Nouveaux  amis, 
un  fort  agréable  recueil  de  pages  de  critique  littéraire. 
L'auteur  a  groupé  dans  son  ouvrage  une  pléiade  de 
hvres  amis  et  il  s'est  efforcé  d'exphquer  pourquoi, 
parmi  tant  d'autres,  ils  l'ont  particulièrement  charmé. 
Il  ajoute,  et  on  ne  saurait  trop  l'en  louer,  qu'il  a  tou- 
jours pensé  que  le  beau  na  peut  être  réalisé  sans  la 
salutaire  complicité  du  bien,  et  cette  conviction  assure 
à  ces  études  une  sorte  d'unité  générale,  Ellessontd'iin" 


MEMENTO    TtV    MOIS    DE    JUIN  219 

très  heureuse  inspiration  et  d'un  fort  joli  tour,  très 
dignes  du  parrainage  de  l'éminent  et  charmant  écri- 
vain Henry  Roujon,  à  qui  elles  sont  dédiées. 

Lafont  Paul).  —  L'Aube  romantique  :  Jules  de  Rességuier  et 
ses  amis.  Ce  pauvre  romantisme  si  décrié  et  si  glo- 
rieux eut  des  commencements  charmants  qu'on  ne 
peut  contempler  sans  quelque  attendrissement  et 
M.Paul  Lafont  les  évoque  dans  ce  volume  d'une  inté- 
resssante  documentation.  Une  agréable  figure  vrai- 
ment, ce  Jules  de  Rességuier,  mainteneur  des  Jeux 
floraux  en  un  temps  où  l'Académie  de  Clémence 
Isaure  était  dans  toute  sa  gloire.  Poète  charmant  et 
souvent  inspiré,  nébuleuse  entre  des  étoiles,  Jules  de 
Rességuier  méritait  de  n'être  pas  oublié,  car  il  occupa 
un  rang  distingué  dans  la  phalange  des  poètes  de  la 
Restauration;  et  puis  il  reçut  des  lettres  admirables 
dont  M.  Lafont  nous  apporte  la  précieuse  collection 
et  qui  ont  pour  auteur  :  Chateaubriand,  Emile  de 
Girardin,  M™^  Sophie  Gay,  Victor  Hugo,  Lamartine, 
Soumet,  Eugène  Sue,  Alfred  de  Vigny. 

Larcher  (Louis).  —  Sous  Metz,  quelques  traits  de  la  guerre 
de  1870. 

Lécuyer  (Raymond).  —  La  Révolution  de  Juillet  (25  juillet- 
16  août  1830),  un  bien  captivant  ouvrage  paru  dans  la 
collection  des  «  Mémoires  et  Souvenirs»  publiée  sous 
la  direction  de  M,  Funck-Brentano  et  dont  l'auteur 
a  emprunté  le  texte  aux  Mémoires  de  Mazas  et  à  la 
chronique  de  Rozet.  Ce  sont  des  «  impressions  et  récits 
contemporains»  qui  éclairent  cette  histoire  si  mal  con- 
nue et  qui  «  n'est  pas  encore  écrite  ni  préparée»,  ainsi 
que  le  dit  très  justement  M.  Raymond  Lécuyer  dans 
une  préface  d'un  très  vif  intérêt,  toute  remplie  d  ■ 
documents  et  de  renseignements  ingénieusement 
ordonnés  et  qui  nous  fait  mieux  comprendre  le  sens 
profond  de  cette  simple  date  :  1830,  si  éloquente,  si 
suggestive,  qui  résume  une  transformation  de  l'esprit 
français. 

'Lefranc  (Abel).  —  Maurice  de  Guérin,  un  très  beau  livre 
d'histoire  et  de  critique  composé  d'après  des  docu- 
ment» inédits. 


220  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Loliée  (Frédéric).  —  Talleyrand  et  la  Société  française,  «  du 
Prince  de  Bénévent  au  duc  de  Morny»;  un  ouvrage 
d'une  grande  séduction. 

Loubon  (Ludovic). —  La  Gerbe  d'or,  de  gracieuses  poésies 
recueillies  par  l'auteur  «  dans  le  champ  moissonné 
du  verbe  ». 

Maigron  (Louis).  —  Le  Romantisme  et  les  Mœurs,  «  Essai 
d'étude  historique  et  sociale».  Inutile  de  vous  dire  que 
le  pauvre  romantisme  passe,  dans  cet  ouvrage, com- 
me dans  la  plupart  de  ceux  qui  lui  sont  consacrés,  un 
assez  fâcheux  quart  d'heure;  tout  en  rendant  hom- 
mage à  l'érudition  profonde  et  à  la  sincérité  de  l'au- 
teur je  me  demande,  d'ailleurs,  une  fois  de  plus,  si 
l'on  est  bien  équitable  envers  ce  romantisme  chargé 
de  tous  les  péchés  d'Israël,  et  s'il  mérite  cet  excès 
d'honneur  et  cette  indignité. 

Mantenay.  —  Figures  d'hier  et  d'aujourd'hui,  des  pages  subs- 
tantielles d'une  étonnante  variété  où  l'érudition  très 
solide  sait  revêtir  la  forme  la  plus  agréable  et  la  plus 
attrayante. 

MasperoJ(G.).  —  Ruines  et  paysagesf d'Egypte,  des  pages 
très  modernes  où  le  savant  professeur  au  Collège  de 
France^évoque  une  très  lointaine  histoire.  De  ses  sé- 
jours sur  les  bords  du  Nil,  l'historien  a  rapporté,  outre 
plusieurs  monuments  qui  ne  font  pas  mauvaise  figure 
au  musée,  des  impressions  «  d'Egypte  moderne  qui 
l'ont  aidé  à  mieux  comprendre  l'Egypte  ancienne  ». 

Melon  (Joseph).  —  La  Maison  vers  le  lac,  des  poésies  aux 
rythmes  étranges  et  harmonieux. 

Montesquiou  (Robert  de).  —  Perles  rouges,  des  vers  pré- 
cieux, curieux,  étranges  que  l'auteur  a  fait  suivre  des 
Paroles  diaprées,  un  recueil  de  cent  dédicaces  qui  sont 
des  images,  des  portraits,  «  pièces  ornées  de  noms  con- 
temporains assemblés  dans  un  groupe  d'illustres  1 1 
de  modestes,  comme  il  y  a,  dans  un  bouquet  des  vio- 
lettes et  des  roses».  ^    v 

Niox  (Général).  —  Drapeaux  et  Trophées,  un  éloquent  «  ré- 
sumé de  l'histoire  contemporaine  de  la  France»,  suivi 
du  catalogue  des  trophées  du  Musée  de  l'Armée. 

Périer  (Joseph).  —  Le  Sillage  de  la  Sirène,  poésies. 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JUIN  221 

Périn  (Georges).  —  Le  Chemin,  Vair  qui  glisse...,  poésies. 

Picard  (Roger).  —  Les  Cahiers  de  1789  et  les  Classes  ou- 
vrières. 

Pilon  (Edmond).  —  Portraits  tendres  et  pathétiques,  un  livre 
délicieux  où  l'auteur  de  ces  ravissantes  Muses  et 
Bourgeoises  de  jadis  évoque  tour  à  tour  la  touchante 
histoire  de  Charlotte,  fille  de  Charles  VII,  et  de  son 
époux,  le  sénéchal  de  Brézé,  persécuté  par  Louis  le 
Onzième  ;  puis  «  la  dame  du  Louvre  »,  cette  belle  dame 
qui  traversa  certain  jour  la  Seine  avec  pour  tout  vête- 
ment un  masque  qui  lui  couvrait  le  visage,  cependant 
que  Charles  IX  et  sa  cour  la  contemplaient  avec  une 
admiration  stupéfaite;  et  «  la  Vie  de  M.  Pomme»  et 
«  la  Seconde  M""^  Danton»,  en  des  pages  délicieuses, 
d'un  style  souple  et  divers  à  l'infmi  dans  sa  constante 
et  harmonieuse  perfection. 

Robinet  de  Cléry.  —  Les  Prétentions  dynastiques  de  la  Bran- 
che d^Orléans. 

-^aint-Cyr  (Charles  de).  —  Matines,  des  vers  d'une  agréable 
inspiration  et  d'une  forme  harmonieuse  qui  illustrent 
les  théories  de  l'auteur,  développées  au  commence- 
ment du  livre  en  un  «  essai  sur  Tintensisme».  L'inten- 
sisme  !  Après  nous  avoir  gratifiés  du  mot,  le  poète  nous 
explique  la  chose  :  c'est  une  tendance  presque  non 
moins  vieille  que  la  poésie  elle-même.  On  peut  le  défi- 
nir en  indiquant  que  «  le  contraire  de  l'intensisme  c'est 
le  convenu  qui  interpose  une  sorte  de  voile  entre  les 
visions  ou  les  faits  et  leur  réalisation  ».  Optons  donc 
pour  l'intensisme  I 

Sainte- Foy.  —  De  saint  Pierre  à  Pie  X,  «  essais  progressifs 
de  l'autorité  pontificale». 

Tausserat-Radel  (Alexandre).  —  Papiers  de  Barthélémy, 
ambassadeur  de  France  en  Suisse  (1792-1797),  un 
ouvrage  où,  poursuivant  l'inventaire  analytique  des 
archives  du  Ministère  des  Affaires  étrangères,  l'auteur 
relate  les  négociations  relatives  à  la  paix  avec  l'Es- 
pagne, et  à  l'échange  de  Madame  Royale,  fille  d-; 
Louis  XVI. 


JUILLET 


LES  ROMANS 


GABRIELE    D'ANNUNZIO 
Forse  che  si,  Forse  che  no. 

Montaigne  eût  dit:  Que  sais-je!  et  Rabelais:  Peut-être! 

M.  Gabriele  d'Annunzio  s'écrie  :  «  Peut-être  bien 
que  oui,  peut-être  bien  que  non  !.  »  Cette  phrase  do 
Normand  n'a  rien  de  très  lyrique  en  français,  aussi 
le  traducteur  a  eu  bien  raison  de  la  laisser  en  italien 
sur  la  couverture  du  roman  publié  en  français. 
Forse  che  si,  Forse  che  no,  a,  il  faut  l'avouer,  autre- 
ment d'allure  et  d'éclat. 

Le  roman  où  s'inscrit  cette  devise  de  doute  et 
d'énigme  est  une  œuvre  somptueuse,  et  magnifi- 
que, et  déconcertante.  En  face  d'elle,  le  chroniqueur 


JUILLET    LES    ROMANS  223 

sent  tout  désemparé;  les  images  brillantes,  fré- 
tiques,  voluptueuses  dansent  dans  sa  tête  une 
rabande  échevelée,  et  ses  yeux  éblouis  de  tant  de 
iinières  agitées  devant  eux  avec  une  folle  prodi- 
ilité  sont  désormais  incapables  de  voir.  Vais-je 
dans  ces  conditions,  essayer  de  vous  conter  cette 
histoire  de  passion  déchirante,  d'inceste  et  de  jalou- 
sie, qui  met  aux  prises  Paolo  Tarsis,  épris  éperdu- 
I lient  d'Isabella  Inghirami,  l'enchanteresse,  et  le 
frère  de  cette  dernière,  Aldo,  et  ses  deux  sœurs 
\'ana  et  Lunella? 

Non,  certes,  je  ne  risquerai  pas  en  une  sèche  ana- 
lyse de  trahir  cette  œuvre  de  mystère  et  de  lumière, 
qui  fut  si  brillamment  traduite  par  Donatela  Gros, 
et  je  me  contenterai  de  vous  dire  que  ce  livre 
apporte  son  épopée  à  notre  sublime  et  grisante 
aviation.  D'Annunzio  est  le  poète  attendu  des  véli- 
'-oles  —  c'est  ainsi  qu'il  a  baptisé  les  aéroplanes, 
le  nom  vraiment  mérite  de  faire  fortune  —  celui 
iii  est  digne  de  chanter  toutes  les  forces  du  rêve 
gonflant  le  cœur  des  terrestres,  haussés  vers  l'As- 
somption de  l'Homme,  l'âme  immense  qui  franchit 
!•'  siècle,  accélère  le  temps,  pénètre  le  futur,  inau- 
gure l'âge  nouveau,  fait  enfin  du  ciel  son  troisième 
royaume  conquis  non  point  par  l'entassement  des 
blocs  titaniques,  mais  par  la  foudre  asservie. 


224  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

ABEL  HERMANT 
Daniel. 

Pour  se  distraire  un  instant  de  ces  fameux  «Mé- 
moires pour  servir  à  l'histoire  de  la  société  »,  où  il 
diffame  si  allègrement  notre  temps,  M.  Abel  Her- 
mant  s'est  amusé  à  écrire  quatre  petits  romans 
qu'il  publie  aujourd'hui  sous  le  titre  du  premier 
d'entre  eux  Daniel.  La  verve  caressante  et  cruelle 
de  l'écrivain  s'exerce,  en  ces  romans,  sur  des  «  cas 
psychologiques»  qui  pourraient  être  angoissants, 
douloureux,  mais  dont  il  a  voulu  faire  seulement  un 
exquis  régal  d'intelligence,  pimenté  pour  nous  par 
le  remords  que  nous  éprouvons  de  nous  être  diver- 
tis à  ce  drame  d'âme  qui  déchire  doucement  le 
ménage  de  Daniel,  romancier  célèbre,  et  dont  un 
enfant  est  le  témoin  innocent  et  muet,  et  si  cons- 
cient !  —  et  à  cette  histoire  aussi  de  Jeanne  Lecha- 
pelais,  une  bien  gentille  dame  au  cœur  bizarre  qui 
éprouve,  au  dénouement,  «  l'immense  joie  d'échan- 
ger le  nom  de  son  mari,  simplement  notoire,  contre 
celui,  beaucoup  plus  fameux,  d'une  victime  d'a- 
mour, dont  elle  avait  failli  aimer  préalablement 
l'assassin  »,  —  et  encore  à  ce  drame  de  conscience 
obscur  qui  conduit  au  suicide  un  patriote  jeune- 
turc. 

Ces  trois  histoires  sont  bien  captivantes,  mais 
j'avoue  ma  prédilection  pour  la  quatrième  :  «  Les 


JUILLET    LES    ROMANS  225 

vacances  de  miss  Elsie  Chalegreen»  que  M.  Abel 
Hermant  a  modestement  reléguée  à  la  fin  du  livre  : 
celle-là  est  tout  à  fait  exquise.  L'écrivain  y  a  mis 
toute  la  grâce  ironique  de  son  talent,  toute  sa  péné- 
tration psychologique  avec,  surprise  inattendue 
ot  délicieuse,  un  rien  d'émotion  et  de  tendresse  : 

'est  l'histoire  de  miss  Chalegreen,  la  longue  An- 
glaise rigide  et  sombre,  sans  grâce  et  sans  âge,  qui, 
toute  l'année,  donne  méthodiquement  des  leçons  de 
conversation  anglaise  à  des  élèves  dont  le  plus  élé- 
.rant  est  le  prince  Fabio.  Certain  jour  de  vacances, 
un  miracle  se  produit  en  elle;  sous  de  pimpants 
atours,  dans  la  splendeur  d'un  après-midi  ensoleillé, 

lie  redevient  une  vraie  femme,  avec  de  la  joie,  de 
la  jeunesse  au  cœur;  elle  est  touchée  d'un  fugitif 
ot  chaud  rayon  d'amour,  de  tendresse  et  d'espoir,  — 
pour  redevenir,  à  la  rentrée,  le  professeur  revêche 

[ai  tout  de  même  aura  ce  trésor  inestimable  :  un 
souvenir.  M.  Abel  Hermant  nous  conte  cette  his- 
toire dans  son  style  d'une  si  rare  originalité,  d'une 
-i  précieuse  perfection,  qu'il  s'est  amusé  de-ci  de-là 

I  angliciser  avec  infiniment  de  discrétion  et  de  goût, 
•  ri  parlant  du  «  splendide  garçon  «  que  retrouve  miss 
(ihalegreen  dans  la  «  désirable  petite  maison»  de 
IMnstead;  c'est  bien  amusant  et  gracieux  et  émou- 
vant... 


220  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

ANDRÉ  LICHTENBERGER 
Le  Petit  Roi. 

M.  André  Lichtenberger  aime  et  comprend  les 
enfants,  il  sait  parler  d'eux  et  les  faire  parler.  Son 
petit  Trott  et  sa  petite  Line  sont  de  ravissantes 
figures  évoquées  avec  infiniment  de  grâce,  de  ten- 
dresse et  d'intelligence  ;  et  il  en  faut  beaucoup  à  un 
romancier  qui  n'est  qu'un  homme  pour  s'élever  à  la 
hauteur  d'un  enfant  !  Cette  séduisante  galerie  s'en- 
richit aujourd'hui  de  Michel  le  Petit  Roi.  Ce  n'est 
pas,  comme  nos  amis,  Trott  et  Line,  un  de  ces  en- 
fants heureux,  insouciants,  dont  l'âme  et  le  cœur 
s'épanouissent  librement  à  la  lumière  du  ciel.  C'est 
un  pauvre  petit  bonhomme  de  roi,  sur  les  chétivos 
épaules  duquel  pèsent  toute  l'histoire  de  la  Pan- 
nonie,  toutes  les  hérédités  et  les  traditions  de  la 
noble  et  brutale  race  des  Kaïnof,  descendants,  dit- 
on,  de  Kaïn. 

Il  a  neuf  ans.  Son  père  est  mort,  et  sa  maman 
dont  il  a  gardé  le  radieux  souvenir  est  disparue 
quelque  jour  mystérieusement.  Il  préside  au  Con- 
seil des  ministres  et  parle  de  choses  graves  et  sévè- 
res, cependant  qu'il  aime  tant,  à  s'entretenir  de 
choses  futiles  avec  sa  vieille  et  chère  nourrice,  Bar- 
bara, et  sa  chienne  colley,  Nelly. 

Et  le  contraste  poignant  de  cette  enfance  et  de 
cette  royauté  est  évoqué  par  M.  A.  Lichtenber- 


JUILLET    LES    ROMANS  227 

ger  en  des  pages  délicieusement  émouvantes; 
contraste  qui  n'est  pas  seulement  extérieur,   car 

;  ichel,  avec  toutes  ses  puérilités  charmantes  et  pri- 
iiie-sautières,  avec  son  désir  fou  de  pouvoir  jouer 

\  ec  des  petites  filles,  est  tout  de  même  déjà  un  roi. 

.1  lorsque,  venu  sur  la  côte  d'Azur  pour  se  soigner, 
il  voit  un  jour  passer  dans  un  équipage  tapageur 
une  belle  dame  qui  ressemble  étrangement  à  la 
maman  connue  jadis,  Michel  crispe  ses  petites 
mains  et  sent  qu'il  ne  doit  pas  bouger,  car  il  est  un 
nfant  roi  »  ;  et  ce  livre  est  émouvant,  mélancolique 

;  délicieux. 


JACQUES  DES  GACHONS 
Le  Chemin  de  Sable. 

Le  ((  chemin  de  sablu  »,  ce  «  raidillon  qu'il  faut 

i  uvir  malgré  les  ronces,  les  pierres,  les  bêtes,  »  c'est 

l'image  de  la  vie,  —  il  faut  regarder  devant  soi  et 

monter,  monter...  Excellent  conseil  que  mettent  à 

nrofit  les  deux  gracieux  héros  du  roman  de  M.  des 

ichons,  François  et  Claire  Marangel,  deux  jeunes 

oux  qui  s'aiment  tendrement  et  pour  qui  la  vie 

mnonce  souriante  et  facile,  lorsque  brusquement 

nive  le  désastre  matériel  qui  engloutit  leur  foi'- 

tune.  Alors,  François,  courageusement  se  met  au 

avail;  il  veut  que  sa  femme  ignore  le  désastre  et 

i  en  supporte  pas  les  conséquences  matérielles  et 


228  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

il  se  résigne  —  c'est  paraît-il  une  chose  effroyable  ! 
—  à  se  faire  journaliste. 

Le  récit  de  ses  déboires,  de  ses  mécomptes  et  de 
ses  luttes  dans  les  bureaux  de  rédaction  du  Tout  et 
Tous  et  de  V Après- Demain  est  très  mouvementé, 
très  verveux,  parfois  très  émouvant,  et  M.  Jacques 
des  Gâchons  nous  intéresse  assez  à  son  héros  pour 
que  nous  nous  réjouissions  de  le  voir,  au  dénoue- 
ment, sortir  de  ce  milieu  qui  le  désespère  et  mis  à 
même  de  poursuivre,  en  gagnant  la  vie  de  son  gentil 
ménage,  ses  beaux  travaux  historiques. 

Tout  cela  est  très  bien;  le  roman  est  très  atta- 
chant et  les  personnages  en  sont  fort  bien  campés  ; 
on  comprendra  cependant  que  je  formule  une 
réserve  en  ce  qui  concerne  les  tableaux  brossés  par 
M.  Jacques  des  Gâchons  des  journaux  modernes; 
ils  sont  très  pittoresques,  mais  on  risquerait  de  se 
faire  une  singulière  idée  de  la  presse  contemporaine 
si  on  la  jugeait  sur  ces  tableaux.  Il  y  a  peut-être  à 
Paris  des  journaux  comme  Tout  et  Tous,  des  feuilles 
de  chantage  comme  V Après- Demain,  mais  il  y  en  a 
sûrement  beaucoup  d'autres,  très  honorables,  diri- 
gées par  de  vrais  gens  de  lettres  ;  et,  avec  un  peu  de 
chance,  François  aurait  pu  trouver  dans  la  «  grande 
presse  »  un  emploi  digne  de  son  talent  ;  M.  Jacques 
des  Gâchons  serait  d'ailleurs  le  premier  à  le  procla- 
mer, mais  il  n'est  pas  inutile,  sans  doute,  de  le  dire 
à  certains  lecteurs  un  peu  trop  enclins  à  croire  tout 
le  mal  qu'on  leur  dit  des  journalistes  et  des  jour- 
naux. 


JUILLET   LES    ROMANS  229 

HENRI     DUVERNOIS  . 
La  Bonne  infortune. 

C'est  une  chose  bien  agréable  d'avoir  à  signaler 
une  œuvre,  dont  on  peut  dire,  sans  réticence  d'au- 
•  iine  sorte,  avec  une  joyeuse  sincérité,  qu'elle  est 

>  )ut  à  fait  délicieuse,  mais  lorsque  l'auteur  de  cette 
leuvre  est  un  écrivain  dont  on  a  eu  la  chance  d'être 
1(^  premier  à  saluer  le  début,  ce  plaisir  se  double 
(l'un  sentiment  très  particulier  :  on  est  tenté  de  se 
rengorger,  on  est  fier  comme  si  l'on  avait  collaboré 

t  l'on  a  un  petit  air  entendu  pour  dire  :  «  Vous 

liiez  voir  comme  c'est  bien  !  » 

C'est  ce  sentiment  que  j'éprouve  au  moment  de 
vous  parler  de  la  Bonne  infortune,  un  roman  que 
M.  Henri  Duvernois  vient  de  publier.  Vraiment,  je 

iiis  sous  le  charme,  et  l'écrivain  dont  nous  espérions 
tant  après  Nane  et  Crapotte,  comble  royalement 
nos  espérances.  Dans  ce  récit  des  «  Aventures 
sentimentales  d'un  jeune  homme  pauvre»,  il  a 
renoncé  à  cette  tristesse,  à  cette  mélancolie  que  je 
lui  reprochais;  il  s'est  décidé  à  être  jeune,  jeune 
éperdûment,  et  c'est  exquis.  Ce  n'est  pas,  mon 
Dieu  !  que  la  situation  de  Raoul  Amphierney  soit 
particulièrement  folâtre  :  il  n'est  pas  gai,  pour  un 
jeune  .homme  qui  collectionne  les  aventures  senti- 
mentales, d'être  toujours  sans  le  sou,  de  consulter 

14 


230  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

avec  angoisse  la  note  que  lui  présente  un  maître 
d'hôtel  goguenard  et  inquiet,  dans  le  cabinet  parti- 
culier où  il  vient  de  passer,  avec  une  gentille  dame, 
des  minutes  qui  eussent  été  exquises  sans  la  préoc- 
cupation de  cette  addition  à  venir.  Il  est  bien  en- 
nuyeux aussi  d'être  contraint  de  porter  au  Mont- 
de-Piété  sa  montre  de  communiant  pour  pouvoir 
offrir  à  une  autre  petite  personne  son  premier 
voyage  à  la  mer;  mais  tout  cela  n'est  triste  que 
pour  le  héros  de  ces  aventures  ;  pour  nous,  c'est  pro- 
digieusement amusant,  d'un  comique  spontané  et 
joyeux  avec  une  pointe  d'attendrissement  d'une 
exquise  saveur,  et  ce  rien  d'amertume  qui  nous  em- 
pêche de  rire  trop  bruyamment,  ce  qui  serait  vul- 
gaire. 

C'est  une  bohème  très  particulière,  très  moderne, 
très  «  rive  droite»,  avec  une  Mimi  qui  s'appelle 
Pauline  et  une  Musette  qui  se  nomme  Ghoute,  non 
pas  que  M.  Henri  Duvernois  ait  emprunté  quoi  que 
ce  soit  à  Henri  Murger,  mais  parce  que  Mimi  et 
Musette  sont  éternelles.  Et  que  de  figures  amu- 
santes :  c'est  le  riche  et  ventripotent  Grabisch  dont 
l'inéluctable  destinée  est  d'être  encore  et  toujours 
trompé  par  son  ami  Raoul  ;  et  c'est  le  cousin  Marcel, 
le  joyeux  et  cascadeur  miséreux,  et  c'est  Hébé,  la 
riche  jeune  fille  dont,  hélas  !  Raoul  deviendra  le 
mari,  car  ce  misérable  trouve  moyen  de  gâter  (*e 
joli  roman  en  épousant  raisonnablement  la  riche 
héritière.  Et  c'est  désolant,  et  la  raison  est,  une  fois 
de  plus,  la  chose  la  plus  mélancolique  et  la  plus 


JUILLET    —    LES    ROMANS  231 

déraisonnable  du  monde  :  pour  tout  dire,  je  regrette 
'^e  dénouement.  Mais  qu'importe,  nous  avons  fait, 
vant  d'y  arriver,  une  telle  provision  de  joie,  et 
nous  nous  sommes  si  délicieusement  enivrés  au 
parfum  de  cette  belle  jeunesse  qui  fleurit  et  en- 
chante toutes  les  pages  du  livre  ! 


PIERRE  VALDAGNE 
Les  Bons  Ménages. 

M.  Pierre  Valdagne  est  l'un  des  écrivains  les  plus 
séduisants  qui  soient  ;  il  a  de  l'esprit  à  revendre  et 
une  rare  finesse  d'observation  mise  au  service  d'une 
imagination  heureuse,  qui  se  renouvelle  sans  cesse 
t  qui  nous  a  valu  une  foule  d'œuvres  charmantes 
I  quelques  livres  hors  de  pair.  Par-dessus  tout,  il 
st  Parisien,  Parisien  jusqu'au  bout  des  ongles,  et 
il  ne  l'a  jamais  été  plus  que  dans  son  dernier  roman 
intitulé  les  Bons  Ménages.  Ah  !  oui,  ce  livre  est  pari- 
sien; il  l'est  dans  le  bon  sens  du  mot,  c'est-à-dire 
(fu'il  est  d'une  grâce  pimpante,  d'une  verve  mous- 
'use  et  légère;  il  l'est  aussi  dans  le  mauvais  sens  : 
il  affiche  avec  un  peu  trop  de  cynisme,  ce  scepti- 
<isme  ironique  qui  se  hâte  de  sourire  des  choses 
vilaines  et  tristes  et  qui  devraient  faire  pleurer. 
Cette  ironie  tolérante,  vous  la  trouvez  partout  dans 
le  livre,  dès  le  titre  :  les  Bons  ménages.  Ah  !  il  est 


232  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

joli  ce  «  bon  ménage  ))  de  Marcel  Perrin,  l'architecte, 
et  de  sa  gracieuse  femme  Denise,  dont  nous  sui- 
vons la  fortune  depuis  les  tristes  temps  des  débuts 
médiocres,  difficiles,  jusqu'à  la  grande  réussite 
finale,  la  richesse,  la  gloire  dont  est  comblé  le  célè- 
bre architecte  Perrin. 

Pour  arriver  aussi  brillamment,  il  a  suffi  au  mari 
d'un  peu  de  complaisance  et  de  discrétion  :  sa 
femme  est  allée  dans  le  monde,  elle  a  séduit  par  sa 
grâce  et  par  sa  beauté  le  riche  M.  Lencloître,  qui  a 
eu  bien  vite  besoin  d'une  maison  dont  la  construc- 
tion a  été  confiée  à  Perrin;  —  et  Martin-Glâmé, 
l'architecte  officiel,  a  été  à  ce  point  convaincu  des 
mérites  du  mari  —  après  avoir  vu  la  femme  !  — 
qu'il  lui  a  fait  décerner  la  plus  haute  récompense. 
Et  Marcel  Perrin,  caressant  avantageusement  sa 
barbe  bien  soignée,  sourit  à  sa  fortune  grandis- 
sante, bien  décidé  à  ignorer  qu'elle  soit  due  à  autre 
chose  qu'à  ses  talents  et  à  ses  mérites.  Il  est  parfai- 
tement ignoble  ce  mari,  si  tranquillement,  avec  tant 
d'aisance,  et  vraiment  sa  femme  valait  mieux 
qu'une  telle  destinée;  elle  est  capable,  efie,  d'un  peu 
d'amour  sincère  et  de  vraie  passion,  Léon  Vihiers, 
le  poète,  et  Georges  Estancerin,  le  beau  lieutenant, 
en  savent  quelque  chose  ;  elle  est  capable  aussi  d'un 
peu  de  douceur,  d'émotion  et  de  reconnaissance, 
et  pour  tout  dire,  cette  dame  prodigue  de  sa  beauté 
est  ce  qu'il  y  a  de  plus  honnête  dans  le  bon  ménage. 

Tout  cela  est  assez  pénible  et  M.  Pierre  Valdagno 
est  de  notre  avis,  mais  il  lui  plaît  de  n'en  rien  faire 


JUILLET   —    LES    ROMANS  233 

voir  et  de  nous  laisser  le  soin  de  conclure  et  de  juger. 
C'est  encore  une  façon  d'être  moral,  car  notre  ver- 
dict n'est  pas  douteux  et  cela  permet  à  l'écrivain 
de  garder  jusqu'au  bout  son  sourire  amusé.  Ainsi, 
lo  livre  qui  nous  fait  faire,  après  la  lettre,  de  si 
M  mères  réflexions,  nous  tient  sous  le  charme  de  la 
première  à  la  dernière  page. 


MAX  D  AI  RE  AUX 
Les  premières  amours  d'un  Inutile. 

Ce  livre  jovial  m'a  causé,  tout  d'abord,  une  irri- 
tation, un  agacement  presque  insupportables  ;  on  y 
fait  de  l'esprit  le  plus  niais,  le  plus  grossièrement 
facile  et  les  propos  de  ses  héros,  le  comte  de  Cas- 
teldor,  et  son  cousin  et  élève,  Hector  de  Planta- 
mour,  sont  empreints  de  ce  snobisme  qui  est  bien 
la  forme  la  plus  haïssable,  en  même  temps  que  la 
plus  élégante  de  la  muflerie  contemporaine. 

J'ai  l'horreur  profonde  de  ces  «  inutiles»  dont  les 
ravates,  les  opinions  et  les  gilets  m'exaspèrent; 
.1  comme  c'est  en  leur  compagnie  que  M.  Max  Dai- 
reaux  m'a  fait  passer  quelques  heures,  on  compren- 
dra de  reste  que  j'aie  commencé  par  lui  en  vouloir, 
mais  mon  humeur  s'est  radoucie,  lorsque  l'auteur, 
qui  a  de  l'esprit,  a  bien  voulu  imposer  silence  à  ses 
trop  réels  fantoches  et  a  pris  la  parole  pour  nous 


'2;ri  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

conter  les  mésaventures  de  ce  débutant  et  nous  le 
montrer  copieusement  berné  par  des  dames  du 
monde  et  du  demi-monde  de  ce  royaume  de  Sno- 
bie  que  M.  Max  Daireaux  connaît  à  merveille  et 
dont  il  excelle  à  peindre,  avec  beaucoup  de  verve, 
les  mille  et  un  ridicules. 


LUCIEN-ALPHONSE  DAUDET 
Le  Prince  des  Cravates. 

Encore  un  snob,  c'est  le  Prince  des  Crai^ates,  que 
M.  Lucien-Alphonse  Daudet  nous  présente  en 
liberté.  Prince  des  cravates  !  C'est  la  seule  dignité, 
le  seul  titre  qu'ait  pu  conquérir  l'élégant  Albert 
Salvage,  mais  il  en  tire  une  somme  énorme  de  plai- 
sir et  de  fatuité.  Il  est  au  suprême  degré  épris  de  son 
beau  physique,  qui  ne  saurait,  croit-il,  rencontrer 
de  cruelles.  Et  le  pis,  c'est  qu'il  semble  avoir  raison 
et  qu'il  fait  toutes  les  conquêtes  possibles,  celle 
notamment  de  la  belle  et  charmante  lady  Archi- 
bald,  dont  le  mari,  un  noble  lord,  a  eu  le  tort  de 
lui  offrir  l'hospitalité.  Mais  il  veut  pousser  trop  loin 
ses  avantages  :  quelques  années  après,  il  se  met  en 
tête  d'épouser  la  jeune  fille  de  lord  et  lady  Archi- 
bald,  —  c'est  d'une  jolie  délicatesse,  comme  vous 
voyez  !  —  mais  on  lui  apprend  que  Violette  —  ainsi 
se  prénomme  la  jeune  fille  —  est  fiancée  et  on  ren- 


JUILLET    LES    ROMANS  235 

voie,  avec  quelque  hauteur,  notre  snob  à  ses  cra- 
vates. L'anecdote  légère  est  contée  par  M.  Lucien- 
Alphonse  Daudet  avec  beaucoup  d'agrément  et  de 
^implicite,  et  son  «  prince»  est  très  bien  observé. 
Le  volume,  qui  débute  par  cette  nouvelle,  en 
)ntient  trois  autres  de  ton  très  différent  et  d'une 
Mes  jolie  qualité;  j'ai  goûté  notamment,  parrni 
( clles-là,  «  Mii^  Brisacier»,  une  très  balzacienne 
•  vocation  d'une  vieille  dame  d'excellente  famille, 
! V'duite  à  donner  des  leçons  de  piano,  et  de  son  cou- 
sin, Jacques  Grandhomme,  peintre  de  menus. 


ANDRÉE  BÊARN 
Les  Mendiants  d'impossible. 

^inc  Andrée  Béarn,  qui  signe  ses  livres  d'une 
interjection  familière  :  «  Hein?»  a  publié  un  bien 
•  iirieux  roman  où  voisinent  le  plus  cordialement 
(lu  monde,  des  puérilités  de  petite  fille  et  des  nota- 
lions  psychologiques  d'une  finesse,  d'une  vérité, 
d'une  amertume  extraordinaires  :  ce  roman  s'ap- 
pelle :  les  Mendiants  d'' impossible^  et  ce  titre  toi^t 
(Tabord  m'a  séduit;  il  est  d'une  expressive  et  jolie 
éloquence,  et  l'on  ne  saurait  mieux  caractériser 
r héroïne,  Noëlle,  trop  jeune  encore  pour  accepter 
l;i  vie  avec  ses  imperfections  et  ses  laideurs,  qui 

t  tend  l'amour,  en  se  méfiant  de  l'amoureux, 


236  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Et  la  jeune  fille,  en  effet,  avec  un  candide  cou- 
rage s'en  va  à  la  recherche  de  l'idéal,  à  la  conquête 
du  bonheur  intégral;  et  elle  rencontre  Tristan  Re- 
noir, un  sculpteur  de  grand  talent;  ils  se  compren- 
nent tous  deux,  ils  vont  s'aimer,  mais  leurs  natures 
sont  trop  différentes  :  l'heureuse  santé  de  Noëlle, 
éprise  de  la  vie,  ne  saurait  sans  doute  s'accommo- 
der de  la  fatigue  de  Tristan,  épuisé,  meurtri  par  les 
luttes  de  l'art,  et  puisque  c'est  entre  eux  l'impos- 
sible harmonie,  elle  renonce.  Gomme  elle  a  tort,  et 
quel  joli  couple  auraient  fait  ces  deux  amoureux 
intellectuels  !  Mais  M^^^  Andrée  Béarn  est  impitoya- 
ble, et  sa  psychologie  impérieuse  n'admet  pas  les 
transactions  et  les  concessions  dont  est  faite  notre 
vie. 


PAUL  SÉBILLOT 
Les  Joyeuses  histoires  de  Bretagne. 

Avec  les  Joyeuses  histoires  de  Bretagne^  M.  Paul 
Sébillot  entend  nous  démontrer  que  le  Breton  n'est 
pas  ce  paysan  mystique,  rêveur  et  mélancolique, 
obsédé  par  l'appréhension  du  surnaturel  et  de  l'in- 
connu, dont  les  livres  nous  ont  transmis  l'image 
traditionnelle;  il  est  aussi  facétieux  à  ses  jours;  et 
de  même  que  dans  son  pays  on  rencontre,  à  côté 
des  falaises  abruptes,  déchirées  et  chaotiques  sur 
lesquelles  la  mer  semble   se  ruer  comme  à  un 


JUILLET    LES    ROMANS  237 

assaut,  des  baies  au  sable  fin  et  presque  doré  qui 
prennent  la  forme  quasi-circulaire  des  golfes  d'Ita- 
lie les  plus  réputés  —  de  même  le  mélancolique 
paysan  breton  rendrait  parfois  des  points  au  plus 
provençal  des  galéjaïres. 

Ce  sont  ces  «  galéjades»  d'un  tour  très  particu- 
lier que  M.  Paul  Sébillot  a  recueillies  dans  son  livre, 
choisissant  parmi  ces  contes  joyeux  «  ceux  qui  plai- 
sent le  mieux  aux  paysans  et  aux  pêcheurs,  parce 
qu'ils  y  trouvent  un  comique  qui  correspond  à 
leur  esprit  ».  J'ai  lu  sans  déplaisir  ces  petites  his- 
toires ;  il  y  en  a  une  grande  quantité  en  trois  cents 
pages,  car  elles  ont  le  mérite  d'être  fort  courtes; 
toutes  ne  m'ont  pas  paru  d'un  comique  délirant, 
mais  il  en  est  de  vraiment  amusantes;  et  puis, 
l'auteur  nous  prévient  que  l'écriture  ne  peut  rendre 
la  mimique  des  conteurs,  leur  accent  si  varié,  leurs 
intonations  parfois  si  réjouissantes,  et  c'est,  en 
tout  cas,  ainsi  qu'il  l'observe  judicieusement  dans 

i  préface,  un  document  psychologique  intéressant 
>iu^  les  Bretons. 


PIERRE  VILLETARD 
Les  Amuseuses. 

Sous  ce  titre  :  les  Amuseuses^  M.  Pierre  Villetard 
iiblie  un  recueil  de  nouvelles  où  sous  nos  yeux  char- 
lés  défilent  en  une  longue  théorie,  diverse  à  l'in- 


238  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

fini,  les  petites  dames  qui  acceptèrent  la  mission 
d'embellir  notre  vie.  Je  n'aime  pas  beaucoup  ce 
mot  d'amuseuse;  il  est  d'une  désinvolture  brutale 
et  injurieuse,  non  seulement  pour  les  femmes,  mais 
aussi  pour  les  hommes,  car  nous  ne  devons  pas  les 
croire  capables  de  qualifier  ainsi  les  créatures  char- 
mantes auxquelles  ils  durent  ne  fût-ce  qu'une 
minute  de  rêve,  et  d'illusion  et  d'amour.  Le  livre 
vaut  d'ailleurs  singulièrement  mieux  que  son  titre  ; 
il  contient  des  pages  délicieuses  et  très  dignes  de 
l'écrivain  charmant  à  qui  nous  sommes  redevables 
de  Monsieur  et  Madame  Bille  et  de  la  Montagne 
d'amour. 

M.  Pierre  Villetard  noua  y  raconte  rapidement  de 
petites  histoires  dont  les  héroïnes  sont  tour  à  tour 
des  «cœurs tendres», 'des «ingénues»  et  des  «demi- 
perverses»,  et  ces  histoires  sont  jolies  vraiment; 
elles  témoignent  d'un  culte  attendri,  même  lors- 
qu'il est  trop  clairvoyant,  pour  l'éternel  féminin, 
et  la  touchante  Titine,  qui  amusa  quelques  jours 
l'avantageux  clerc  de  notaire  en  lui  donnant  tout 
son  amour  et  toute  sa  vie,  et  Rose  Mireuil,  la  petite 
ouvrière  emmenée  jadis  en  un  beau  voyage  par  son 
amoureux  et  qui  laissa  les  joies  de  l'amour  pour  les 
profits  de  la  fête,  et  Jiska  le  ravissant  modèle, 
r«  ondine  »  fugitive,  sont  de  séduisantes  figures  de 
femmes  délicatement  observées;  ces  «  amuseuses» 
sont  des  femmes  qui  souffrent  souvent,  et  qui  par- 
fois aussi  s'entendent  à  faire  souffrir  ceux  qui  vou- 
lurent s'amuser  d'elles. 


JUILLET    LES    ROMANS  239 

LOUIS  DELZONS 
Le  Meilleur  Amour. 

M.  Louis  Delzons,  dont  j'ai  goûté  beaucoup  les 
fT^uvres  précédentes,  l'Affaire  Nell  notamment  cou- 
•nnée  par  l'Académie  française,  et  les  Mascran^ 
1  firme  dans  son  nouveau  roman,  le  Meilleur  amour ^ 
s  très  intéressantes  qualités  de  conteur.  M.  Louis 
uelzons  est  un  de  ces  romanciers  qui  ont  le  don  de 
la  vie,  qui  savent,  dès  le  début  d'un  livre,  s'esquiver 
à  l'anglaise  et  laisser  toute  la  place  à  leurs  person- 
nages :  ces  derniers  désormais  agissent,  pensent  et 
souffrent  devant  le  lecteur,  sans  intermédiaire.  Le 
lecteur  aime  infiniment  cette  manière  :  le  roman 
le  passionne  et  l'enveloppe  tout  entier,  à  tel  point 
qu'il  croit  y  jouer  son  rôle  et  est  tenté  de  discuter 
parfois  avec  les  personnages. 

«  Le  meilleur  amour»,  c'est  celui  qui  ramène  le 
docteur  Bideau,  un  praticien  distingué,  vers  la 
[)otite  fille  Nine,  qu'il  eut  jadis  au  pays,  de  Fran- 
oise,  une  jeune  blanchisseuse;  il  s'était  conduit  le 
plus  honnêtement  du  monde  avec  sa  jeune  mai- 
tresse,  avait  assuré  son  avenir  et  celui  de  son 
afant  ;  puis,  les  années  ayant  passé,  songeait  à  un 
très  bourgeois  et  très  honorable  mariage. 

Brusquement,  le  hasard  l'a  remis  en  préseucf 
de  Françoise,  devenue  la  maîtresse  de  son  meilleur 
ami,  et  de  sa  fille  déjà  grandelette;  alors,  la  fibre 


240  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

paternelle  a  vibré,  il  a  compris  qu'il  avait  d'autres 
devoirs  que  les  obligations  matérielles  envers  sa 
petite  fille,  il  n'a  plus  songé  à  son  mariage  et  il  s'est 
mis,  avec  l'autorisation  de  son  ami  Meruel,  à  voir 
assidûment  son  enfant.  Mais  Françoise  prend  peur  : 
elle  se  dit  qu'un  père  si  tendre  doit  avoir  quelque 
jour  la  tentation  de  reprendre  sa  fille,  et  elle  veut 
s'enfuir  avec  elle;  mais  Bideau,  prévenu,  enlève 
la  petite  Nine  et  la  confie  à  Geneviève  Armiel, 
l'exquise  femme  d'un  de  ses  confrères  sans  enfant. 

Alors  le  drame  éclate  :  Françoise,  indignée,  veut 
reprendre  son  enfant  et  sa  colère  aveugle  accuse 
tout  le  monde  de  son  malheur,  jusqu'à  l'innocent 
Meruel  qui  tente  de  se  suicider;  cette  catastrophe 
ouvre  les  yeux  de  Françoise,  elle  soigne  avec  un 
dévouement  infini  son  pauvre  ami,  qui  l'épousera, 
et,  après  un  entretien  pathétique  avec  Geneviève, 
elle  renonce  définitivement  à  la  petite  Nine,  à 
laquelle  désormais  son  père  pourra  sans  gêne  ni 
difficulté  d'aucune  sorte  consacrer  «  le  meilleur 
amour  ». 

C'est  un  roman  très  émouvant,  mais  je  souhaite 
que  ce  ne  soit  pas  une  thèse,  car  je  n'hésiterais  pas 
alors  à  enfourcher  mes  grands  chevaux  pour  dire 
tout  le  mépris  que  m'inspire  la  conduite  de  ce 
héros  de  l'amour  paternel  qui  brise  aussi  délibéré- 
ment le  cœur  d'une  mère  !  L'intérêt  de  l'enfant  est 
sacré,  c'est  bien  évident,  mais  l'amour  de  la  mère 
aussi,  et  avouons  qu'ils  sont  par  bonheur  générale- 
ment solidaires,  surtout  lorsque  la  mère  est  irré- 


JUILLET    LES    ROMANS  241 

prochable  et  que  son  seul  crime  est  d'être  une  blan- 
chisseuse qu'un  bourgeois  n'épouse  pas. 


MAURICE  LEBLANC 
813. 

813  !  Ces  trois  chiffres,  tracés  d'une  main  qui  ne 
semble  pas  très  ferme,  où  l'encre  a  fait  des  bavures, 
vous  ont,  dès  l'abord,  un  petit  air  cabalistique  et 
mystérieux  et  on  a  le  sentiment  que  le  livre  sur 
lequel  ils  s'étalent  doit  être  plein  de  choses  terri- 
bles et  troublantes  :  c'est  l'énigme  qui  commence 
dès  le  titre,  ce  sont  les  «  Nouvelles  Aventures  d'Ar- 
sène Lupin  ». 

Et  oui  !  fidèle  au  rendez-vous  que  nous  lui  avions 
'lonné  l'été  dernier,  ce  gentleman  cambrioleur  est 

vvenu  parmi  nous  à  la  veille  des  vacances,  qui  eus- 
>ent  été  incomplètes  et  moroses  sans  ses  exploits. 
'  .ar  toute  la  jeunesse  de  France  exige  désormais 

on  Arsène  Lupin  annuel;  elle  l'attend  de  M.  Mau- 
rice Leblanc,  dont  elle  a  fait  son  romancier  favori  ; 

f,  chose  admirable,  ce  dernier  n'est  pas  inférieur 

a  cette  tâche  écrasante  qu'on  lui  impose,  de  donner 

toujours  une  suite,  et  toujours  plus  étonnante,  à 

s  aventures  dont  la  première  avait  paru  la  plus 

étonnante  du  monde. 

Cette  fois  encore  il  a  gagné  la  gageure.  Son  pro- 

15 


242  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

digieux  héros  qui,  dans  ces  cinq  cents  pages,  est  tour 
à  tour  policier,  prince  allemand,  prisonnier  d'Etat, 
diplomate  in  partibus,  nous  apparaît  plus  inventif, 
plus  jeune,  plus  étourdissant  que  jamais.  Quant  à 
vous  conter  ces  histoires,  je  ne  m'y  risquerais  point, 
il  faut  pour  cela  cette  verve  intarissable,  cette 
force  de  logique  surprenante  dont  M.  Maurice 
Leblanc  a  le  secret.  Qu'il  vous  suffise  donc  d'appren- 
dre que  ce  roman  vous  réserve  beaucoup  d'amu- 
sement et  de  surprises  à  sensation;  pour  le  reste, 
allez-y  voir,  c'est  le  meilleur  conseil  que  je  puisse 
vous  donner  :  vous  y  trouverez  des  raisons  nouvel- 
les d'aimer  notre  filou  national  et,  lorsque  vous 
assisterez,  au  dénouement  du  livre,  à  son  départ 
pour  la  légion  étrangère,  au  Maroc,  vous  éprouverez 
comme  lui,  sans  doute,  un  patriotique  émoi  et 
vous  songerez  aussi  que  l'an  prochain  à  pareille 
date  nous  aurons  le  récit  des  aventures  d'Arsène 
Lupin  au  Maroc.  Heureuse  perspective  ! 


ARNOULD  GALOPIN 
La  Ténébreuse  affaire  de  Green  Park. 

Les  «  romans  mystérieux  »  obtiennent  auprès  des 
amateurs  d'émotions  fortes  un  trop  vif  succès  pour 
que  les  éditeurs  songent  à  ralentir  leur  fructueuse 
publication,  et  presque  chaque  semaine,  ils  nous 


JUILLET    LES    ROMANS  243 

oumettent  à  une  nouvelle  et  dramatique  épreuve. 

lare  aux  accidents  cardiaques  !  Voici  aujour- 
d'hui, la  Ténébreuse  aifaire  de  Green  Park  évoquée 
par  M.  Arnould  Galopin  en  un  formidable  roman 
(»ù  nous  assistons  à  l'assassinat  de  Ugo  Ghancer, 

-  la  découverte  émouvante  de  son  assassin  par 
lin  policier  du  nom  de  Dickson.  Ce  policier  doué 

l'un  flair  inouï  trouve  moyen,  après  d'étonnantes 

'éripéties,  d'établir  que  l'assassin  n'est  autre 
({ue  le  millionnaire  Grawford,  lequel  a  astucieuse- 
ment installé  dans  son  lit  un  mannequin  fabriqué 
;i  son  image,  cependant  que  lui-même  «  travaille  » 

Il  dehors. 


MICHEL  CORDAY 
Le  Charme. 

Le  Charme  !  Un  bien  joli  mot  que  nous  aimons  à 

prononcer,  un  peu  à  tort  et  à  travers,  et  sans  penser 

({u'il  exprime  une  chose  terrible,  car  le  charme  est 

un  pouvoir  surnaturel  dont  usent  les  magiciens  et 

■s  enchanteurs  pour  ensorceler  et  mettre  à  mal 

•arfois  les  pauvres  mortels.  Et  quand  nous  disons, 

Il  contemplant  une  femme  charmante  :  «  elle  a 

<lu  charme»,  nous  en  faisons  simplement  une  dan- 

"•■reuse  magicienne.   En   quoi  nous  n'avons   pas 

I  '  »H .  mais  nous  ne  nous  en  doutons  pas. 

Le  Charme»,  dont  M.  Michel  Corday  parle 


244  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

dans  son  roman,  celui  qui  enchaîne  délicieusement 
Daniel  Arnaud  aux  pieds  de  Renée  Carignan,  est 
bien  la  terrible  chose  dont  je  vous  parlais;  il  enve- 
loppe Daniel,  il  l'étreint,  et  il  met  à  néant  la 
volonté  du  pauvre  amoureux  qui  voudrait  bien  ne 
pas  abandonner  la  bonne  et  fidèle  Françoise,  qui 
fait  pour  rester  auprès  d'elle,  fidèle  à  son  devoir, 
les  plus  loyaux  efforts,  mais  qui  est  bien  content  au 
dénouement  d'avouer  sa  défaite  ;' heureuse  défaite, 
qui  le  jette  dans  les  bras  d'une  épouse  gracieuse 
et  belle  et  deux  fois  aimée,  car  elle  ressemble  prodi- 
gieusement à  sa  mère,  chérie  autrefois  par  Daniel... 
Mais  pourquoi  vais-je  tenter  de  vous  raconter  ce 
roman  !  Du  moins  je  tenais  à  vous  dire  que  M.  Mi- 
chel Gorday  a  su  nous  intéresser  aux  péripéties 
sentimentales  de  cette  lutte  d'un  homme  contre  le 
«  charme»,  bien  que,  dès  le  début,  nous  n'ayons 
pas  eu  l'bmbre  d'un  doute  sur  l'issue  de  cette  lutte. 


FÉLIX  GALIPAUX 
Plus  que  jamais  des  galipettes. 

Notre  ami  Félix  Galipaux  est  pour  nous  plein  de 
sollicitude  :  nous  voyant,  à  la  veille  des  vacances ^ 
persécutés  par  le  vent,  la  froidure  et  la  pluie  inces- 
sants, il  s'est  dit  :  «  A  défaut  de  beau  temps,  que 
ces  pauvres  gens  emportent  du  moins  un  peu  de 


JUILLET    —    LES    ROMANS  245 

gaieté  en  vacances.»  Et  cet  humoriste  à  la  verve 
intarissable,  qui  nous  avait  dotés  déjà  des  «  Gali- 
pettes», de  «  Encore  des  galipettes»,  de  «  Toujours 
'les  galipettes»,  de  «  Rien  que  des  galipettes»,  nous 

)rrre  aujourd'hui,  —  de  plus  en  plus  fort  !  —  Plus 
que  jamais  des  galipettes. 

Ce  volume,'  sur  la  couverture  de  qui,  heureux 
présage,  sourit  et  grimace  la  figure  de  notre  comi- 
que, est  fort  amusant;  en  lisant  ces  facétieuses  his- 
toires, qui  portent  si  nettement  la  marque  Gali- 
paux,  on  s'imagine  qu'on  les  entend  débiter  par  la 
voix  de  notre  merle  national,  au  cristal  joyeusement 

raillé.  C'est  une  illusion  bien  agréable  et  il  est  beau 
(ie  rêver,  en  achetant  pour  quelque  monnaie  un 
volume  dans  une  gare,  qu'on  est  je  ne  sais  quel 
nabab  fabuleux,  qui  emporte  pour  sa  distraction, 
Galipaux  en  voyage. 


ANDRÉ  COUVREUR 
Une  invasion  de  Macrobes. 

M.  André  Couvreur,  dont  j'ai  tant  apprécié  les 
l)eaux  livres  sur  «la  famille»:  la  Force  du  Sang^  la 
Graine,  le  Fruit,  romans  d'une  intense  réalité  basés 
sur  les  données  de  la  science,  vient  de  publier  une 
œuvre  tout  à  fait  différente  bien  qu'elle  soit  sortie, 
plie  aussi,  de  laboratoires.  Ce  roman  s'appelle  Une 
invasion  de  Macrobes,  et  c'est  une  fantastique  et 


246  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

formidable  histoire,  si  formidable  même  qu'on  ne 
songe  plus  à  en  frémir. 

Voici  :  Tornada  est  un  savant  original  qui  a  posé 
sa  candidature  à  l'Académie  des  sciences  et  lui  a 
offert  un  mémoire  sur  «  les  développements  anor- 
maux des  êtres  favorisés  par  les  milieux  de  culture  )>. 
Ce  mémoire  a  semblé  comique  aux  savants  et  Tor- 
nada, furieux  et  ulcéré  de  cette  déconvenue,  a  juré 
de  se  venger  de  la  façon  la  plus  éclatante  :  tout  sim- 
plement en  créant  les  êtres  anormaux  dont  parlait 
son  mémoire.  Comme  les  savants  de  l'Institut  Pas- 
teur cultivent  les  microbes,  il  s'est  mis  à  cultiver  les 
macrobes  :  des  êtres  terribles  et  gigantesques  qui 
pullulent  formidablement,  franchissent  les  fleuves 
et  les  font  déborder,  dévorent  en  moins  de  rien 
des  armées  d'êtres  humains,  font  écrouler  les  mai- 
sons. 

Et  il  a  lancé  sur  Paris  affolé,  cette  armée  de 
monstres,  munis  d'une  effroyable  trompe,  revêtus 
d'une  carapace  qui  se  joue  des  obus  à  la  méhnite. 
Ils  ne  vont  faire  qu'une  bouchée  de  la  grand'ville, 
et  déjà  ils  ont  dévoré  des  milliers  d'habitants  et 
anéanti  des  centaines  de  maisons;  heureusement 
la  gentille  Suzanne  Vernet,  la  fdle  du  savant  qui, 
seul,  soutint  la  cause  de  Tornada,  trouve  moyen, 
après  quelques  jours  de  fuite  éperdue  dans  les 
égouts  en  compagnie  de  son  fiancé,  d'attendrir 
l'homme  terrible,  créateur  des  monstres;  il  lui  fait 
connaître  le  moyen  de  les  détruire  et  il  s'anéantit 
lui-même. 


JUILLET    —    LES    ROMANS  247 

On  jugera  peut-être  que,  pour  un  échec  à  TAca- 
démie,  c'est  un  peu  gros  comme  vengeance  !  Le 
livre  est  d'ailleurs  tout  à  fait  intéressant  avec  son 
mélange  de  science  précise  et  d'imagination  déré- 
glée, et  il  passionnera  la  foule  des  jeunes  gens  à  qui 
fut  ravie  l'aimable  verve  de  Jules  Verne. 


BLANCHE   SAHUQUÉ 
L'Amour  découronné. 

Les  amoureux  qui  recherchent  des  satisfactions 
un  peu  positives  ne  seront  pas  contents,  sans 
doute,  du  très  curieux  et  remarquable  roman  que 
Mme  Blanche  Sahuqué,  a  publié  sous  le  titre  VA- 
moiir  découronné.  En  effet,  l'amour,  dans  ce  roman, 
apparaît  «  découronné  »  justement  le  jour,  où,  selon 
la  formule,  la  flamme  de  l'amoureux  fut  couronnée. 
Conclusion  qui  s'impose  après  la  lecture  de  la  der- 
nière lettre  de  Nadine  Evrart,  la  grande  artiste 
du  Théâtre-Français,  à  son  ami,  Claude  Morin, 
dont  elle  a  découvert  une  basse  intrigue  ancillaire 
au  moment  où,  sur  ses  supplications  et  malgré  le 
désir  qu'elle  avait  de  rester  dans  le  bleu  platonique 
d'un  amour  idéal,  elle  vient  de  se  donner  à  lui.  Ils 
avaient  échangé  des  lettres  délicieuses  —  car  c'est 
un  roman  par  lettres  —  où  la  grande  artiste  disait 
son  amour  de  l'idée  pure  et  de  la  beauté  sereine,  où 


248  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

son  ami  lui  répondait  en  exaltant  la  joie  de  vivre 
et  d'aimer  humainement. 

Et  c'est  elle  qui  avait  raison,  puisque,  le  rêve  à 
peine  réalisé,  un  geste  brutal  de  l'homme  a  tout 
brisé,  et  chacun  regagne  son  domaine  :  lui,  rentre 
dans  la  vie  pour  goûter  aux  fruits  écœurants  ou 
amers  dont  la  saveur  ne  lui  donne  pas,  comme  à 
elle,  la  nausée  ;  elle,  dans  le  monde  enchanté  pour 
lequel,  seul,  elle  est  faite  :  le  monde  de  l'imagina- 
tion où  les  ailes  d'or  de  la  chimère,  d'un  battement 
éperdu,  vous  ouvrent  le  ciel  mystérieux  des  rêves. 

Ce  livre  est  dédié  «  aux  femmes  qui  cherchent 
dans  la  carrière  théâtrale  la  réalisation  d'un  haut 
idéal  d'art  et  l'affranchissement  des  douleurs  de  la 
vie  et  d'elles-mêmes».  Je  ne  doute  pas  qu'elles 
acceptent  l'hommage  avec  empressement,  car  l'au- 
leur  leur  a  vraiment  réservé  le  beau  rôle,  et  les  a 
peut-être  même  un  peu  bien  idéalisées  en  la  per- 
sonne de  Nadine,  cependant  que  l'homme  apparaît 
assez  piteux,  avec,  dans  son  cœur  un  libertin  qui 
sommeille  vraiment  bien  légèrement;  mais  le  livre 
est  écrit  dans  une  si  jolie  langue,  avec  de  si  belles 
images,  que  nous  aurions  mauvaise  grâce  à  nous 
fâcher... 


LES    ROMANS  249 


ANDRÉ    DODERET 
Le  Triomphe  d'Armide. 

Ce  roman  est  un  hymne  fervent  à  la  beauté  de  la 
femme,  à  celle  de  la  nature.  Daniel  Aubry,  le  héros 
'\\i  livre,  a  foi  dans  la  toute-puissance  de  la  beauté, 
t  c'est  à  elle  qu'il  s'en  remet  du  soin  de  déjouer  les 
terribles  projets  de  son  ami  Valbonne  qui  doit  tuer 
un  roi;  et  en  effet  il  réussit  à  désarmer  le  régicide 
en  l'enveloppant  de  splendeur  et  de  beauté,  mais 
il  est  victime  lui-même  de  sa  généreuse  entreprise  et 
il  est  tué  par  les  régicides  lancés  à  la  poursuite  de 
Valbonne,  qui  fut  déclaré  traître  à  sa  cause. 

Je  vous  ai  conté  ce  roman  de  façon  bien  som- 
maire, sans  même  évoquer  la  ravissante  figure  de  la 
reine,  qui  le  domine  pourtant  tout  entier,  mais,  je 
le  répète,  l'essentiel  du  roman  c'est  cette  exalta- 
tion de  la  beauté  dans  l'univers,  et  d'un  point  de 
l'univers  admirable  entre  tous  :  les  bords  du  lac  de 
Côme  «  dont  les  montagnes  sont  si  belles  dans  la 
'  ouleur  rose  qu'elles  ont  à  la  tombée  du  jour, 
cachées  un  peu  sous  un  manteau  de  velours  éme- 
raude»,  cadre  de  joie  idéal  pour  le  triomphe  de 
l'enchanteresse  dans  le  suave  parfum  des  verveines 
et  des  héliotropes. 


15. 


250  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

LÉONCE  DE  LARMANDIE 
Amour  servile. 

Amour  servile  nous  dit  avec  mépris  M.  Léonce  de 
Larmandie  en  nous  parlant  de  l'aventure  amou- 
reuse qui  jeta  la  comtesse  de  Mauves  dans  les  bras 
de  Léon  Fage,  son  jeune  intendant.  Cet  amour  n'a 
pourtant  rien  de  criminel;  la  comtesse  est  veuve  et 
libre  :  elle  eut,  en  effet,  certain  matin,  la  tragique 
surprise  de  se  réveiller  auprès  de  son  mari  mort. 
Léon  Fage,  l'heureux  intendant,  est  un  paysan 
dégrossi  que  cette  aventure  enchante;  pourtant,  il 
a  des  scrupules  :  il  demande  conseil  au  Frère  Poly- 
carpien  qui  l'engage  vivement  à  pousser  jusqu'au 
bout  ses  avantages  et  à  épouser  la  comtesse,  et  au 
bon  curé  des  Brèches-Noires,  l'abbé  Calmet,  qui 
le  supplie  de  renoncer  à  cet  amour  et  de  rester 
fidèle  aux  lois  de  l'humilité. 

C'est,  vous  le  pensez  bien,  la  vanité  qui  triomphe 
et  Léon  épouse  la  comtesse;  mais  cette  dernière 
comprend  un  peu  tard  tout  ce  qu'il  y  a  de  dégra- 
dant pour  elle  dans  une  pareille  union,  et,  incapable 
de  supporter  sa  honte,  elle  se  suicide.  Telle  est 
l'aventure  que  M.  Léonce  de  Larmandie  nous  conte 
avec  beaucoup  de  conviction  et  une  communicative 
émotion  en  un  roman  par  lettres. 


HISTOIRE,    LITTERATURE,    POLITIQUE, 

POESIE,  DIVERS 


PHILIPPE  MILLET 
La  Grise  Anglaise. 

La  Crise  anglaise  est  une  grave  histoire,  et  la 
mort  du  roi  Edouard  Vil,  bien  qu'elle  Tait  apai- 
sée en  apparence,  ne  saurait  l'avoir  dénouée.  L'au- 
teur a  voulu,  nous  dit-il,  «  atteindre  les  sentiments 
et  les  intérêts  qui  régissent,  en  dernière  analyse,  les 
événements  qui  se  dérobent  d'ordinaire  derrière 
la  façade  des  discours  officiels.  Pour  y  parvenir,  il  a 
cherché  à  deviner  quelque  chose  de  ce-  que  pen- 
sent les  électeurs  anglais,  puis  il  a  étudié  dans  leurs 
grandes  lignes  les  trois  ou  quatre  questions  dont 
l'enchevêtrement  forme  le  nœud  du  drame. 

Il  y  a  ainsi  deux  parties  très  distinctes  dans  sofi 


252  LK    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

livre:  la  première  —  observations  pittoresques, 
notes  de  psychologie  sur  les  électeurs  et  les  élec- 
tions —  est  tout  à  fait  amusante  et  attrayante  ;  la 
seconde,  de  documentation  très  sérieuse  et  très 
forte,  où  sont  étudiées  à  fond  les  grandes  questions 
de  la  réforme  constitutionnelle,  du  problème  finan- 
cier, de  la  terre,  du  libre  échange. 


VICTOR  BÉRARD 
Les  Révolutions  de  la  Perse. 

Bien  plus  compliquées  encore  que  la  crise  an- 
glaise, les  Résolutions  de  la  Perse^  auxquelles  nous 
avons  assisté  depuis  l'an  1906,  sont  pour  nous  tout 
à  fait  incompréhensibles,  c'est  le  plus  inextricable 
des  imbroglios.  M.  Victor  Bérard  essaye  de  le 
démêler  et  tout  d'abord  il  nous  expose  cette  série 
de  révolutions  et  de  contre-révolutions  dont  la 
rapide  chronologie  est  tout  à  fait  déconcertante 
et  que  les  livres  des  diplomates  n'ont  guère  contri- 
bué à  nous  faire  comprendre. 

C'est  chez  Pierre  Loti  et  chez  Gobineau  que 
M.  Victor  Bérard  a  cherché  des  directions  :  Pierre 
Loti,  dont  Vers  Ispahan,  lui  découvre  la  haute, 
la  vraie  Perse,  celle  des  altitudes  et  des  déserts, 
dans  la  pureté  de  l'air;  Gobineau,  dont  les  Trois 
ans  en  Asie  et  les  Religions  et  philosophies  de  VAsie 


1     —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    POLITIQUE,    ETC.    253 

ntrale  sont  si  précieux  et  si  compréhensibles. 

A  la  lumière  de  ces  deux  phares,  il  lui  a  semblé 
qu'on  pouvait  discerner  quelque  direction  dans  les 
sautes  et  renverses  de  cette  tempête  persane,  et  en 
quatre  chapitres  lumineux  l'auteur  nous  raconte 
l'histoire  de  l'Iran  et  des  Rois  des  Rois,  la  géogra- 
phie politique  et  économique  de  l'empire  des  Kad- 
jars  et  explique  la  crise  présente  :  la  révolution. 


I 


MAURICE  DE  WALEFFE 
Héloïse  amante  et  dupe  d'Abélard. 

Pages  d'histoire  :  Dans  la  précieuse  et  aimable 
(ollection  «les  Femmes  illustres»,  M,  Maurice  de 
W'aleffe  consacre  à  Héloïse  amante  et  dupe  d'Ahé- 
Lurd,  un  bien  curieux  volume.  Il  se  flatte  que  ce  sera 
la  fin  d'une  légende».  Je  n'en  suis  pas  si  sûr,  car 
<  l'tte  légende  a  la  vie  dure;  mais,  certes,  elle  passe 
lin  mauvais  quart  d'heure  dans  son  livre,  et  il  la 
Ixtuscule  avec  allégresse,  pas  tout  entière  heureu- 
sement, car  Héloïse  reste  la  belle  et  touchante,  et 
magnifique  amante  que  tant  de  générations  vénè- 
rent et  chérirent;  mais  Abélard,  quel  vil  séduc- 
!•  ur,  quel  odieux  personnage,  combien  sa  conduite 
lut  infâme  envers  la  tendre  jeune  fille,  et  son  brave 
et  digne  homme  d'oncle  —  ou  plutôt  de  père  — 
Fulbert! 


254  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Emporté  par  son  ressentiment  contre  Abélard, 
M.  de  Waleffe  n'est  pas  éloigné  de  juger  comme  une 
peccadille  l'agression  dont  il  fut  victime;  il  paraît 
qu'on  aurait  pu  lui  faire  des  choses  bien  plus  désa- 
gréables et  bien  plus  terribles.  Ce  n'était  pourtant 
pas  mal  déjà  comme  vengeance,  mais  Abélard 
était,  selon  M.  de  Walefîe,  digne  du  plus  terrible 
châtiment.  Cœur  sec,  égoïste,  féroce,  Abélard  ne 
fut  même  pas,  paraît-il,  la  haute  intelligence  que 
nous  nous  plaisons  àadmirer  ;  un  cuistre,  un  pédant, 
pas  autre  chose. 

Le  plus  curieux,  c'est  que  tout  cela  M.  de  Wa- 
lefîe l'a  découvert  dans  les  mêmes  documents  et 
les  mêmes  lettres  qui  servirent  si  longtemps  à  la 
gloire  du  fondateur  du  Paraclet;  affaire  d'interpré- 
tation !  Celle  de  M.  de  Walefîe  a  le  mérite  d'être 
inattendue,  elle  est  d'ailleurs  basée  sur  la  plus 
sérieuse  et  la  plus  consciencieuse  étude;  en  outre, 
le  livre  est  amusant  au  possible,  vivant  et  roma- 
nesque. Soyez  sûr,  d'ailleurs,  qu'il  n'empêchera  pas 
le  pèlerinage  traditionnel  des  amoureux  fervents 
vers  le  tombeau  des  éternels  amants,  ils  continue- 
ront à  écrire  dévotement  leur  prénom  sur  cette 
tombe  où  reposent  côte  à  côte  Abélard  et  Héloïse, 
laquelle,  moins  sévère  —  ou  moins  clairvoyante  !  — 
que  M.  de  Walefîe,  clama  son  amour  jusqu'à  la 
mort. 


JUILLET   —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    POLITIQUE,    ETC.    255 

VICOMTE   E.-M.  DE  VOGUE 
Les  Routes. 

Pour  la  dernière  fois,  hélas  !  j'ai  à  signaler  un 
livre  nouveau  du  vicomte  E.-M.  de  Vogué,  le  noble 
écrivain  qui  fut  ravi,  il  y  a  quelques,  mois,  aux 
Lettres  françaises.  Ce  livre,  si  lumineusement  ana- 
lysé par  M.  Guglielmo  Ferréro,  est,  conformément 
à  une  indication  laissée  par  M.  de  Vogué,  intitulé 
les  Routes^  ces  «  routes  inconnues  qui  mènent  vers 
les  larges  échappées  du  ciel,  vers  les  grands  fonds 
d'histoire,  partout  où  il  y  a  chance  de  perdre  terre, 
de  déployer  ses  ailes,  de  s'envoler  dans  l'au  delà  ». 
Et  nous  avons  relu  avec  émotion  tant  de  belles 
pages  que  le  Figaro  a  eu  le  grand  honneur  de  pu- 
blier, telle  cette  magnifique  évocation  des  journées 
d'aviation  de  Bétheny,  «  Le  sacre  de  Reims»  et  ce 
tableau  émouvant  de  la  crise  méridionale  d'il  y  a 
deux  ans,  avec  la  pittoresque  figure  de  Marcellin 
Albert.  Que  d'autres  encore  ! 

Ainsi  que  le  dit  M.  le  comte  d'Haussonville  dans 
la  belle  et  éloquente  préface  où  il  trace  de  l'écrivain 
et  de  l'ami  disparu  le  plus  émouvant  portrait,  «  on 
voit  à  merveille  dans  ce  livre  avec  quelle  agilité  ce 
brillant  esprit  passait  sans  effort,  à  un  mois,  par- 
fois à  une  semaine  de  distance,  d'un  lieu,  d'un 
sujet,  d'un  personnage  àunautre:  d'Eléphantineà 
Reims,  de  Karnak  à  Saint-Pétersbourg,  de  la  crise 


256  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

viticole  à  l'expansion  coloniale,  de  Brunetière  à 
Gallifîet,  de  Marcellin  Albert  à  d'^Erenthal.  » 


LEON  TOLSTOÏ 
La  JLoi  de  l'amour  et  la  Loi  de  la  violence. 

(Traduit  par  Halphkine-Kaminsky). 

Les  Opinions  émises  par  M.  Paul  Bourget  à  pro" 
pos  de  sa  pièce,  la  Barricade,  n'ont  point  été  du 
goût  de  Tolstoï,  il  le  dit  dans  quelques  lignes  limi- 
naires qui  précèdent  l'édition  française  de  son  livre, 
la  Loi  de  V amour  et  la  Loi  de  la  violence,  que  M.  Hal- 
périne-Kaminsky  a  traduit.  Tolstoï  préconise  la 
loi  de  l'amour  mais  il  le  dit  avec  une  rare  violence, 
une  violence  telle,  notamment  contre  la  religion 
catholique,  qu'il  est  bien  difficile  à  la  sage  et  paci- 
fique Petite  Chronique  d'analyser  plus  avant  ces 
pages  de  polémique.  D'ailleurs,  on  ne  voit  pas  bien 
ce  qui  pourrait  sortir  d'une  discussion  entre  M.  Paul 
Çourget  et  Tolstoï  :  le  premier  constate  des  faits 
et  examine  la  conduite  à  tenir  dans  la  lutte  des 
classes  qui  se  poursuit  sauvagement  ;  le  second 
nous  parle  avec  une  éloquence  enflammée  de  la 
société  idéale  qu'il  appelle  de  tous  ses  vœux,  celle 
où  il  n'y  aura  pas  de  lutte  de  classe,  celle  où  régnera 
la  loi  de  l'amour. 


JUILLET    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    POLITIQUE,    ETC.    257 

STANISLAS  MEUNIER 
Les  Convulsions  de  l'écorce  terrestre. 

«  La  terre  tremble  !  »  Chaque  fois  que  dans  des 
journaux  nous  lisons  cette  manchette  à  sensation 
—  et  Dieu  sait  si  en  ces  dernières  années  ils  ont  eu 
Toccasion  de  la  sortir  !  —  nous  nous  tournons  avec 
inquiétude  vers  les  savants.  Nous  souhaitons 
qu'ayant  soudé  le  mystère  de  ces  choses,  ils  nous 
•  xpliquent  et  nous  rassurent.  Seulement,  pour  l'ordi- 
naire, nous  ne  comprenons  rien  à  leurs  explica- 
(  ions,  bourrées  de  termes  abstraits  et  de  mots  tech- 
niques aux  effroyables  consonances.  Aussi,  est-ce 
nue  joie  rare  d'entendre,  sur  de  telles  questions, 
la  parole  si  claire  de  M.  Stanislas  Meunier. 

M.  Stanislas  Meunier  est  un  géologue  de  très 
grande  autorité,  un  savant  incontesté,  et,  chose 
admirable,  il  se  donne  le  luxe  d'être  clair,  précis, 
de  se  faire  comprendre  par  les  auditeurs  les  moins 
.1  vertis;  il  est  intéressant  et  passionnant  —  je  n'ose 
pas  dire  qu'il  est  amusant,  mais  je  le  pense.  Et  le 
livre  qu'il  vient  de  publier  sur  les  Convulsions  de 
Vécorce  terrestre  est,  avec  son  ordonnance  très  scien- 
tifique, ses  graphiques  et  ses  schémas,  du  plus  pal- 
pitant, du  plus  Vivant  intérêt;  c'est  tout  le  drame 
de  la  ^croûte  terrestre,  drame  pathétique  —  car 
notre  sort  dépend  de   sa   solidité  —  raconté   et 


258  LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

expliqué  d'après  les  théories  si  séduisantes  et  si 
curieuses  de  l'école  activiste. 


ALFRED  LENOIR 
Anthalogie  d'art  «  Sculpture,  Peinture  ». 

L'Anthologie  de  M.  Lenoir  est  un  recueil  d'ima- 
ges d'art  d'une  rare  richesse:  plus  de  deux  cents 
reproductions  des  chefs-d'œuvre  de  l'Orient,  de  la 
Grèce,  de  Rome,  du  Moyen  âge,  de  la  Renaissance, 
des  xvii^  et  xviii®  siècles  et  de  l'époque  con- 
temporaine. L'auteur  a  réuni  là  un  choix  d'oeuvres 
belles  et  expressives,  dont  le  simple  groupement 
présente  une  vue  de  l'évolution  de  la  sculpture 
et  de  la  peinture  au  cours  des  siècles.  «  Un  pareil 
choix,  nous  dit-il,  implique  nécessairement  une 
part  de  goût  et  de  jugement  personnels;  cepen- 
dant, l'auteur  s'est  attaché  à  quelques  principes 
assez  simples  :  il  a  voulu  caractériser  une  épo- 
que plutôt  qu'une  école,  un  style  plutôt  qu'un 
artiste  ».  Je  ne  suis  pas  un  assez  grand  clerc  en  la 
matière,  pour  vous  dire  si  M.  Lenoir  a  rempli  son 
programme  :  je  me  suis  contenté,  pour  mon  compte, 
de  regarder  sans  songer  à  m'instruire,  ces  belles 
images  où  les  chefs-d'œuvre  les  plus  célèbres  voisi- 
nent avec  de  belles  œuvres  moins  connues,  et  mes 
yeux  en  ont  été  réjouis. 


JUILLET    HISTOIRE,    LITTERATURE,    POLITIQUE,    ETC.    259 

PAUL  OLIVIER 
Chansons  de  métiers. 

Dans  ce  livre  bien  séduisant,  M.  Paul  Olivier  a 
recueilli  avec  patience  et  tendresse  les  Chansons  de 
métiers  ;  toutes  ces  chansons  naïves,  pittoresques  ou 
émouvantes,  que  chantent  les  nourrices  en  berçant 
leur  petit,  les  soldats  le  long  de  l'étape,  les  marins 
•  ntre  le  ciel  et  l'eau  et  les  laboureurs  et  les  villa- 
geois, et  les  moines,  et  les  rémouleurs,  les  chemi- 
neaux,  les  mendiants,  les  terrassiers,  les  typogra- 
phes, les  dentellières,  les  camelots,  les  marchands 
(le  quatre  saisons,  que  sais-je  encore. 

Toutes  ces  mélodies  populaires  qui  réveillent  en 
nos  cœurs  des  souvenirs  et  des  émotions,  M.  Samuel 
Rousseau  les  a  notées;  j'ai  lu  leurs  paroles  naïves 
soigneusement  distribuées  sous  des  portées  de  musi- 
que. Et,  bien  que  je  sois  un  profane  et  que  je  ne 
-ache  pas  lire  la  musique,  j'ai  éprouvé  un  bien  grand 
plaisir  en  feuilletant  ce  livre,  à  revoir  ces  jolies 
chansons  que  M.  Paul  Olivier  a  «  revêtues  dévote- 
inent  de  leurs  robes  d'autrefois,  fleuries  de  marjo- 
laine, et  conviées  à  venir  papillonner  trois  petits 
tours  encore,  non  plu»  au  clair  de  lune,  mais  dans  le 
pimpant  carré  de  soleil  qui,  grâce  à  la  complai- 
sance de  son  aimable  éditeur,  rit,  en  gaie  bienvenue, 
à  la  première  marche  de  rr^  livre  ». 


260  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


MÉMENTO  DU  MOIS  DE  JUILLET 


ROMANS 

Berton  (Claude).  —  La  Marche  à  V Etoile. 

Chevalier  (Emile).  —  Les  Pieds  noirs. 

Couprine  (A.).  —  Et  Salomon  aima...,  un  très  curieux  roman 
russe,  traduit  par  le  comte  R.  Kapnist. 

Gérard  (Madeleine).  —  L'Educatrice,  un  bien  gracieux 
recueil  de  contes  et  de  nouvelles. 

Méténier  (Oscar).  —  Les  Méprises  du  Cœur. 

Meunier  {M.^^  Stanislas).  —  Le  Désir. 

O'Connor  (Patrice).  —  Les  Femmes  et  M.  de  Juriens. 

Quiller  Couch.  —  Le  Rocher  du  Mort,  un  roman  anglais  dont 
la  traduction  française  paraît  dans  la  collection  :  «  Les 
Romans  mystérieux.»  Et  c'est  effrayant,  en  effet, 
ce  qu'il  s'accumule  de  mystères  et  de  crimes  autour  du 
trésor  fantastique,  du  rubis  prodigieux  caché  dans 
«  le  rocher  du  mort». 

Salés  (Pierre).  —  La  Jolie  Midinette,  un  roman  où  l'auteur 
a  généreusement  et  habilement  réuni  les  plus  drama- 
tiques et  les  plus  feuilletonnesques  émotions. 

Solovioff  (W.-S.).  —  Les  Mages,  un  roman  occulte  traduit 
du  russe  par  M.  Maurice  Luquet. 

Sudermann  (Hermann).  —  Le  Cantique  des  Cantiques,  tra- 
duit de  l'allemand  par  MM.  Rémon  et  Valentin. 

Testard  (Maurice).  —  Masques  de  verre,  scènes  dialoguées. 

Villetard  (Pierre).  —  Les  Amuseuses. 

Viouly.  —  Le  Rêve  et  la  Vie. 

Wœstyn.  —  M.  Pinçon,  policier.  M.  Maurice  Leblanc  avait 
fait  déjà  beaucoup  pour  notre  amour-propre  national 
en  nous  dotant  avec  Arsène  Lupin  d'un  bandit  bien 
français,  et  tel  qu'a  ils  n'en  ont  pas  en  Angleterre», 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JUILLET  261 

eux  qui  possèdent  Sherlock  Holmes.  Grâce  à  M.  Wœs- 
tyn,  nous  n'avons  désormais  plus  rien  à  envier  à  nos 
cordiaux  voisins.  Il  y  a  dans  ce  livre  des  aventures 
prestigieuses,  des  captures  admirables,  des  traits  d'au- 
dace et  de  flair  inouïs,  et  M.  Pinçon  est  vraiment  un 
grand  homme. 
Zemlak  (Semène).  —  Sous  le  Knout. 


HISTOIRE  —  LITTÉRATURE  —  THEATRE 
POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Adam  (Paul).  —  Le  Malaise  du  monde  latin.  M.  Paul  Adam, 
grand  remueur  d'idées,  a  promené  sa  curiosité  labo- 
rieuse et  fervente  à  travers  beaucoup  de  pays.  Il  a  étu- 
dié passionnément  maints  problèmes  :  de  ses  voyages 
et  de  ses  études  il  a  rapporté,  entre  autres,  cette  im- 
pression que  le  monde  latin  est  terriblement  opprimé, 
abaissé  par  l'hégémonie  germanique.  Cette  impression 
obsédante  et  tyrannique  lui  a  suggéré  ce  titre,  le  Ma- 
laise du  inonde  latin,  pour  son  nouveau  livre  où  les 
questions  les  plus  diverses  qui  préoccupent  le  monde 
moderne,  sont  traitées  en  des  pages  profondes  et 
fortes  avec,  dans  le  premier  chapitre,  une  évocation 
du  dieu  de  Corcyre,  une  vision  de  l'Empereur  allemand 
installant  sur  la  Méditerranée  le  prestige  du  Teuton  et 
«  faisant  flotter  au-dessus  de  l'Achilleïon  le  pavillon 
jaune  et  noir  avec  la  date  de  1870  proclamant  notre 
déchéance,  cause  de  ce  triomphe  sur  la  planète  en 
malaise  ». 

Arjuzon  (Comtesse  d').  —  La  Jeunesse  de  Chateaubriand, 
«  racontée  par  lui-même». 

Baldensperger  (F.).  —  Etudes  d'histoire  littéraire,  2^  série. 

Barracand  (Léon).  —  Le  vieux  Dauphiné,  évoqué  en  de 
jolies  pages  pittoresques  et  émues,  le  Vieux  Dauphiné, 
dans  cette  précieuse  «  Collection  des  écrivains  régio- 
naux :  «  Les  Pays  de  France  »  qui,  en  exaltant,  volume 


262  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

par  volume,  toutes  les  «  petites  patries  «  de  notre  pays, 
finira  par  constituer  un  monument  superbe  de  la 
grande  patrie  une  et  indivisible. 
Beaunier  (André).  —  Les  Limites  du  cœur,  la  ravissante 
comédie  que  M.  André  Beaunier  vient  de  faire  repré- 
senter avec  un  brillant  succès  à  la  Comédie-Française, 
où  il  y  a  tant  de  grâce,  de  mélancolie  et  de  sagesse 
exprimé  en  une  si  jolie  langue. 

Benetti  (Pascal).  -—  Les  Orgueils,  poèmes. 

Billot  (Augustin).  — Les  Corsaires  patriotes  (1793-1798). 

Bois  (Jules).  —  L'Humanité  divine,  un  recueil  de  poèmes 
qui  s'orne  à  son  frontispice  d'un  beau  sonnet  de 
M.  Paul  Bourget  et  dont  l'auteur  nous  explique  le  titre 
dans  une  préface  éloquente  où  il  nous  dit  :  «  Si  l'huma- 
nité n'était  pas  divine,  et  si  la  divinité  n'était  pas 
humaine,  nous  tomberions  dans  le  plus  dangereux 
mysticisme  ou  dans  la  matérialisme  le  plus  abject. 
L'humanité  décapitée  du  divin  ne  vaut  pas  la  peine 
d'être  chantée,  elle  n'est  qu'un  spectacle  souvent,  vil 
et  presque  toujours  attristant.»  Et  il  est  heureux 
qu'elle  vaille  la  peine  d'être  chantée,  puisque  M.  Jules 
Bois  lui  à  consacré  ces  vers  où  il  est  resté,  on  ne  sau- 
rait trop  l'en  louer,  «  fidèle  aux  règles  sévères  de  la 
prosodie». 

Bordeaux  (Albert).  —  Le  Mexique  et  ses  mines  d'argent.  «  On 
ne  trouvera  peut-être,  dit  l'auteur,  que  peu  de  nou- 
veauté descriptive  dans  ce  voyage  au  Mexique,  mais 
j'ai  cherché  l'intérêt  scientifique  des  vieilles  mines 
d'argent  et  de  leur  exploitation;  je  me  suis  intéressé 
aux  Indiens  qui  les  ont  creusées,  qui  ont  eu  une 
ancienne  civilisation  et  qui  forment  encore  le  tiers  de  la 
population  mexicaine.  »  Le  volume,  illustré  d'intéres- 
santes photographies,  se  termine  par  la  description 
rapide  de  l'ancien  Mexique. 

Bovet  (M  me  Marie-Anne  de). —  Cracovie,  une  étude  pubhée 
dans  la  collection  «  Les  Villes  d'Art  célèbres». 

Bradley.  —  Le  Canada,  «  empire  des  bois  et  des  blés  »,  un 
volume  illustré  suivi  de  nombreuses  photographies  et 
adapté  de  l'anglais,  par  M.  Georges  Feuilloy. 

Gabaton  (Antoir^e).  —  Les  Indes  néerlandaises,  un  savant 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JUILLET  263 

livre  sur  ce  pays  dont  l'aspect,  les  races  et  les  mœurs 

sont  si  mal  connus  chez  nous, 
lin  (Georges).  —  Les  Pierres  de  Paris,  des  pages  d'histoire 

attrayante  et  pittoresque  écrites  par  un  érudit  qui  a 

pénétré  le  secret  des  maisons  et  des  pierres  de  Paris, 
(pus  (Alfred).  —  Théâtre  eomplet,  le  deuxième  volume  où 

figurent  la  triomphante  Veiîie  et  Les  Petites  Folles  et 

La  Bourse  ou  la  Vie. 
<  liantre  (Ami).  —  Vaine  Jeunesse,  poésie. 
(  Jiardenel  (V.-B.).  —  Pitiés  et  Révoltes,  des  vers  harmonieux. 
ClifTord    Barney   (Natalie).   —  Eparpillenients,   un  recueil 

d'ingénieuses  pensées, 
'•uzot   (Henri).  —   Philibert  Delornie,    une    somptueuse 

monographie  qui  vient  enrichir  cette  belle  et  précieuse 

collection  :  «  les  Maîtres  de  l'art.  » 

•  uaud  (Camille).  —  Le  Retour  de  Vile  d'Elbe. 

ppée  (François).  —  Les  Souvenirs  d'un  Parisien,  un  livre 
gracieux  où  le  vieux  Parisien  qu'était  François  Cop- 
pée  s'est  amusé  à  la  résurrection  de  tant  de  choses 
disparues. 

astre  (François).  —  A  travers  V Argentine  moderne. 

•  mer  (Lord).  —  Impérialisme  ancien  et  moderne,  ivdi&wïi 

et  préfacé  par  le  vicomte  Guy  de  Robien. 
iiiéo  d'Ornano  (Lieutenant-colonel).  —  Mes  Etapes,  la 
guerre,  la  Commune,  la  réorganisation  de  l'armée. 

l 'asté  (Louis).  —  Marie- Antoinette  et  le  complot  maçonnique, 
une  étude  sur  la  «  véritable  cause  de  la  chute  de  la 
monarchie  et  de  la  mort  de  Marie-Antoinette». 

I  "auzat  (Albert).  —  La  Suisse  moderne,  un  remarquable 
'•uvrage  très  documenté  et  très  pensé  sur  cette  Suisse 
•  |ui  nous  donne  un  si  bel  exemple  de  ce  que  peuvent 
la  volonté  et  l'énergie  mises  au  service  de  la  plus  belle 
(les  causes  :  celle  de  la  Uberté  et  de  la  patrie. 

I  «t'iplanque  (Albert).  —  Fénelon  et  ses  amis. 

'  '  rrécagaix  (Général).  —  Nos  Campagnes  au  fierai  (1797- 
1799-1805-1800). 

iMibois  (Marcel).  —  La  Crise  maritime,  un  très  sérieux  «•(. 
très  vivant  volume  «  préface,  nous  dit  l'auteur,  d'une 
série  d'études  que  des  spécialistes  distingués  offriront 
au  public  français  pour  le  convertir  aux  idées  d'expan- 


264  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

sion  maritime.  C'est  pourquoi  il  s'est  contenté  d'ex- 
poser les  causes  générales  de  notre  décadence  passa- 
gère, et  d'indiquer  les  termes  d'une  réaction  néces- 
saire contre  l'insouciante  résignation  des  uns,  contre 
l'obstination  théorique  des  autres.»  —  Si  l'on  veut 
bien  regarder  les  résultats  obtenus  dans  la  marine 
allemande  par  l'effort  de  ce  César,  dont  tout  à  l'heure 
nous  parlait  M.  Paul  Adam,  on  se  rendra  compte  de 
l'urgence  qu'il  y  a  pour  nous  à  tenter  un  pareil  effort 
et  de  l'utilité  de  cette  «  bibliothèque  des  amis  de  la 
marine  ». 

Espitaher  (Albert).  —  Napoléon  et  le  /JoiMi-^mt (1808-1815), 
un  remarquable  ouvrage  historique  où,  sans  plaider  la 
cause  du  roi  de  Naples,  l'auteur  explique  et  tâche  à 
faire  comprendre  la  trahison  finale,  à  montrer  pour- 
quoi Murât  venu  dans  le  royaume  avec  des  idées 
françaises  est  arrivé  par  degrés  à  l'alliance  avec  la  coa- 
lition. 

Fauchier-Magnan.  —  Lady  Hamilton,  (1763-1815),  une 
figure  séduisante  et  curieuse  dont  le  plus  grand  mérite 
fut  d'être  belle.  Ce  n'est  pas  un  mérite  négligeable, 
surtout  lorsqu'on  a  inspiré  Romney,  et  que,  grâce  à 
ce  peintre  exquis,  on  continue  à  travers  les  siècles 
d'enchanter  les  yeux.  Mais  cette  histoire  a  d'autre 
attrait  que  celui  d'une  professional  beauty  :  c'est  un 
véritable  roman  d'aventures  traversé  par  des  figures 
telles  que  Gran ville,  Hamilton,  Nelson. 

Fennebresque.  —  Versailles  royal,  un  livre  d'une  bien  gra- 
cieuse et  séduisante  documentation. 

France  (Frédéric  de).  —  De  VOmbre  sur  ma  porte,  des  vers 
gracieux,  imprimés  —  ce  qui  ne  gâte  rien  — avec  un 
luxe  très  artistique. 

Grasset  (D'^).  —  Idées  médicales,  un  volume  où  le  praticien 
distingué  nous  expose  dans  ses  grandes  lignes  le 
psychisme  inférieur,  la  psychothérapie,  l'occultisme, 
la  doctrine  vitaliste  de  la  vie.  Ces  pages  sont  destinées 
au  grand  pubhc,  parce  que  les  choses  dé  la  médecine 
n'appartiennent  pas  seulement  aux  médecins  :  elles 
intéressent  tout  le  monde.  Seulement  ce  n'est  pas  dans 
les  hvres  de  médecine  que  l'on  doit  chercher  à  suivre 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JUILLET  265 

et  à  comprendre  le  mouvement  médical  :  la  lecture  des 
livres  de  médecine  est  détestable  pour  les  non-méde- 
cins, parce  qu'elle  fait  croire  aux  uns  qu'ils  sont  méde- 
cins, aux  autres  qu'ils  sont  malades,  lorsqu'ils  ne 
sont  ni  l'un  ni  l'autre. 

Hymans  (Henri).  —  Bruxelles. 

Kassem  (Sidi).  —  Les  Chants  du  Nadir. 

Maestrati  (Abbé).  —  La  Madeleine,  un  évangile  en  cinq 
tableaux  en  vers;  M.  Maurice  Barrés  a  apprécié  cette 
œuvre  et  il  a  félicité  l'auteur  de  cette  belle  audace 
qu'il  a  montrée  «  en  essayant  d'expi'imer,  dans  la 
forme  de  Racine,  ce  thème  sublime,  éternel  :  la 
rédemption  de  l'âme  pécheresse  par  l'amour  divin  ». 

Margueritte  (Victor).  —  Pour  mieux  vivre,  un  excellent 
volume  où  l'auteur  a  réuni  des  réflexions  et  des  conseils 
adressés  à  nos  fils,  «  en  essayant,  dit-il,  défaire  de  nos 
fils  des  êtres  sohdement  trempés,  au  physique  comme 
au  moral,  en  leur  donnant  le  goût  du  risque  et  le  sens 
de  la  responsabilité,  en  leur  apprenant  que  nuire  aux 
autres,  c'est  se  nuire  à  soi-même,  et  que  servir  la  cause 
de  tous,  c'est  faire  triompher  la  sienne,  peut-être  n'au- 
rons-nous pas  travaillé  en  vain  >. 

Maurras  (Charles).  —  Kiel  et  Tanger,  (1895-1905),  une  page 
d'histoire  beaucoup  trop  contemporaine  pour  que  la 
sereine  impartialité  soit  permise  à  l'historien  qui  mon- 
tre sans  bienveillance  «  la  République  Française 
devant  l'Europe». 

Maybon  (Albert).  —  La  Vie  secrète  de  la  Cour  de  Chine,  un 
ouvrage  illustré  de  pittoresques  photographies. 

Mérac  (Paul).  —  Du  peuple,  une  étude  sociale.  Dans  une 
courte  préface  l'auteur  nous  expose  ses  ambitieux  des- 
seins :  «  Pour  comprendre  l'état  présent  du  peuple,  et 
peut-être  son  état  possible,  il  faut  le  suivre  dans  sa 
marche  ascendante.  Il  faut  étudier  la  société  dans  ses 
différentes  phases,  avec  les  causes  qui  l'ont  aidée  à  se 
développer  et  les  obstacles  qui  l'ont  arrêtée  dans  son 
cours.  »  On  dit  dans  ce  livre  «  la  vérité  telle  que,  dans 
l'état  actuel  des  connaissances  humaines,  elle  peut  se 
présenter  à  l'homme  exempt  de  parti  pris  ;  et  pour  cette 
raison  il  ne  plaira  à  personne.  Bien  avant  Pascal, 

16 


266  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

Oïl  savait  en  effet  que  si  Ton  ne  dit  jamais  la  vérité 
c'est  parce  qu'elle  blesse  tout  le  monde;  et  ce  livre  ne 
fera  pas  exception  à  la  règle.  »  Telles  sont  les  réflexions 
qu'inspirent  à  M.  Paul  Mérac  ses  propres  travaux  sur 
l'autorité,  l'opinion  et  la  religion. 

Mouret  (Fernand).  —  Histoire  générale  de  VEglise.  —  La 
Renaissance  et  la  Réforme. 

Pernot  (Hubert).  —  Anthologie  de  la  Grèce  moderne. 

Queillé.  —  Les  Commencements  de  V indépendance  bulgare 
et  le  Prince  Alexandre,  —  Souvenirs  d'un  Français  à 
Sofia. 

Racowitza  (Princesse  Hélène  de).  —  Princesse  et  Comé- 
dienne, voici  une  bien  étrange  et  tragique  et  séduisante 
figure  de  femme  qui  se  présente  à  nous.  L'auteur  nous 
raconte  les  souvenirs  de  sa  vie,  depuis  les  amours  avec 
le  socialiste  Lassalle  et  l'étrange  mariage  avec  le 
prince  de  Racowitza,  qui  venait  de  tuer  Lassalle  en 
duel,  jusqu'aux  étonnantes  histoires  de  Nice,  aux  intri- 
gues politiques  de  Berlin  et  au  théâtre. 

Radcliffe  Dugmore.  —  Les  Fautes  d'Afrique  photographiés 
chez  eux,  un  superbe  volume  très  amusant,  très  pitto- 
resque, traduit  avec  beaucoup  de  goût  par  M.  E.  Du- 
puy  et  dans  lequel  une  multitude  d'images  prises  sur 
le  vif  nous  donnent  le  moyen  de  contempler  sans  trem- 
bler les  plus  terribles  animaux  du  désert  et  d'être  cou- 
rageux à  bon  marché. 

Rodés  (Beatrix).  —  L'Ame  des  cathédrales. 

Rohan  (Duchesse  de).  —  Les  Dévoilées  du  Caucase,  la  rela- 
tion preste  et  charmante  d'un  grand  voyage  que  fit 
M°ie  la  Duchesse  de  Rohan  à  travers  la  Russie  et 
l'Orient;  avec  beaucoup  de  bonne  grâce  et  de  simpli- 
cité elle  nous  promène  de  Berlin  à  Varsovie,  Bakou, 
Tiflis,  Batoum,  la  Crimée,  Kiev,  Odessa,  Sofia,  Ble- 
grade,  Gonstantinople,  à  travers  l'Orient  enchanteur. 
Ecrit  sans  l'ombre  de  prétention,  avec  tout  de  même 
une  élégance  très  racée,  ce  livre  fleuri  de  belles  images 
présente  le  plus  vif  agrément. 

Séché  (Léon).  —  Delphine  Gay,  un  délicieux  volume  publié 
dans  la  série  «  Muses  Romantiques  »,  où  l'auteur  étudie 
M™«  de  Girardin  et  ses  rapports  avec  Lamartine,  Vie- 


i 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    JUILLET  267 

tor  Hugo,  Balzac,  Rachel,  Jules  Sandeau,  Dumas, 
Eugène  Sue  et  George  Sand)). 

Soudart  (M°»^  Marie).  —  Ombres  et  Grisailles,  poésies. 

Toulouse  (D'").  —  Comment  se  conduire  dans  la  çie;  non  con- 
tent d'enseigner  à  son  lecteur  comment  choisir  une 
carrière,  mener  sa  vie  professionnelle,  lutter  pour  la 
vie,  se  comporter  dans  la  société  —  le  savant  écrivain 
veut  lui  exposer  «  comment  être  avec  ses  amis,  com- 
ment rechercher  le  bonheur,  comment  vivre  de  la  vie 
intérieure;).  C'est  vous  le  voyez,  tout  l'art  de  la  vie 
que  le  docteur  Toulouse  prétend  nous  enseigner,  et, 
sans  méconnaître  la  sagesse  de  ses  conseils,  sans  nier 
l'agrément  très  vif  qu'on  éprouve  à  les  entendre  je  ne 
crois  pas  beaucoup  à  leur  portée  pratique:  ce  n'est  pas 
dans  un  livre,  si  sage  qu'il  soit,  c'est  dans  la  vie  qu'on 
apprend  à  vivre. 

Vincent  (Abbé).  —  Le  Péril  de  la  la?igue  française,  un  pré- 
cieux petit  volume  où  l'auteur  nous  offre  un  «  diction- 
naire raisonné  des  principales  locutions  et  prononcia- 
tions vicieuses  et  des  principaux  néologismes  »  ;  vous 
connaissez  ces  formulaires  d'autrefois  «  dites,  ne  dites 
pas»,  il  suffit  de  lire  certains  livres,  et  —  Dieu  me  par- 
donne !  —  certains  journaux  d'aujourd'hui,  pour  se 
rendre  compte  que  la  colonne  «  ne  dites  pas»  doit  être 
revue  et  singulièrement  augmentée. 

Whitehouse  (Romsen).  —  L'Effondrement  du  Royaume  de 
Naples  (1860). 

***.  —  Frà  Angelico,  un  livre  paru  dans  la  collection 
'(  Los  Pointros  Illustres». 


AOUT-SEPTEMBRE 


LES  ROMANS 


ALFRED  CAPUS 
Robinson. 

Robinson,  c'est  Sébastien  Real,  un  jeune  homme 
que  des  révers  de  famille  ont  brusquement  jeté  dans 
la  vie  et  qui  a  quitté  sa  province  de  Tournus  pour 
venir  à  Paris  tenter  la  fortune.  Nous  sommes  fixés 
tout  de  suite  :  il  réussira.  Dès  le  début  du  livre,  la 
lettre  qu'il  écrit  à  son  ami  Paul  Barois,  pour  lui 
emprunter  quelque  argent,  nous  a  documentés  par- 
faitement sur  son  caractère,  son  tempérament  et 
ses  qualités  et  nous  a  rassurés  sur  son  sort  futur. 
De  cette  lettre,  M.  Alfred  Gapus,  auteur  dramati- 
que prestigieux,  a  fait  un  modèle  d'exposition;  il  a 


k 


AOUT-SEPTEMBRE    —    LES    ROMANS  269 

mis  tout  de  suite,  selon  les  règles  de  l'art,  le  public 
dans  le  secret  et  dans  son  jeu,  et  nous  suivons,  dès 
lors,  sans  surprise  et  avec  un  vif  agrément,  la 
carrière  ascendante  et  mouvementée  de  Sébastien 
Real. 

Isolé  dans  son  orgueil,  dans  sa  dignité  et  dans  son 
ambition,  au  milieu  de  Paris,  comme  Robinson 
l'était  dans  son  île,  il  connaît  pourtant  bien  des 
heures  pénibles  ;  cet  homme  instruit,  presque 
savant,  est  d'abord — il  faut  bien  vivre  !  —  simple 
ouvrier  chez  le  grand  industriel  Balanier;  puis  le 
voici  secrétaire  du  député  Moulaine,  son  compa- 
triote, qu'il  compromet  par  ses  relations  avec  un 
assez  fâcheux  homme  d'affaires,  nommé  Cabanez; 
il  se  punit  lui-même  avec  beaucoup  de  dignité  en 
donnant  sa  démission  et  il  s'en  va  occuper  le  poste 
de  secrétaire  chez  ledit  Cabanez,  dont  les  tripotages 
en  un  certain  casino  ont  tôt  fait  de  l'écœurer,  et 
dont  il  se  sépare  bien  vite  ;  et  le  voilà  de  nouveau 
sur  le  pavé,  à  peine  meurtri  et  pas  découragé  du 
tout;  il  sait  —  comme  nous  !  —  qu'il  doit  réussir, 
et  la  bataille  pour  la  vie,  qu'il  a  perdue  à  Paris, 
il  va  s'efforcer  de  la  gagner  dans  une  lointaine  cam- 
pagne, dans  le  domaine  dont  M.  Balanier  lui  confie 
l'exploitation. 

Là,  en  effet,  dans  ce  désert,  ses  qualités  de  Robin- 
son  auront  vraiment  leur  emploi  :  il  réussit  à  mira- 
cle et  devient  un  homme  considérable.  Sa  sœur 
épouse  un  mari  puissamment  riche  et  le  lecteur 
est  ravi  de  tout  cela,  parce  que  son  optimisme  en  est 


270  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

flatté  et  qu'il  aime  à  voir  les  gens  réussir  et  faire 
fortune...  dans  les  romans. 

Robinson  avait  un  compagnon  :  Vendredi.  Sébas- 
tien Real  a  eu  une  compagne  fugitive,  une  char- 
mante et  douloureuse  maîtresse  qui  s'appelle 
]y[me  Ardouin,  abandonnée  par  son  mari  et  qui  a 
voué  à  son  amant  une  tendresse  infinie.  Lui,  il  en 
est  heureux,  ému,  mais  pas  trop,  et  le  désir  de  par- 
venir modère  les  élans  de  son  cœur; tout  de  même, 
après  avoir  fermé  les  yeux  de  cette  femme  qui  lui 
fut  si  douce,  il  en  garde  un  souvenir  mélancolique 
et  attendri,  et  c'est  excellent  pour  lui  —  tout  doit 
lui  servir  à  ce  diable  d'homme  !  «  Cette  émotion 
délicate  empêche  Sébastien  de  devenir,  dans  la 
lutte  quotidienne  de  l'existence,  trop  sec,  trop  âpre, 
et  la  pauvre  Hélène  contribue  par  sa  mort  à  faire 
de  lui  un  homme  supérieur.  » 

Tel  est  ce  roman,  qu'on  lit  avec  un  très  vif  agré- 
ment, où  l'on  trouve  évoqués,  par  un  homme  qui  les 
connaît  à  merveille,  mille  coins  curieux  de  la  vie  de 
Paris,  et  où  le  lecteur  perspicace  saura — sous  l'anec- 
dote —  découvrir  une  philosophie  d'un  optimisme 
amer,  souriant  et  averti. 


AOUT-SEPTEMBRE    —    LES    ROMANS  271 

ABEL  HERMANT 
Le  Premier  pas. 

M.  Abel  Hermant  a  toutes  les  audaces  —  par- 
tant, toutes  les  fortunes.  Ce  subtil  écrivain,  qui  sait 
^i  bien  raconter  et  même  inventer  les  faisandages 

intemporains,  dans  ses  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  du  temps,  ne  s'avise-t-il  pas  aujourd'hui 
(le  vouloir  évoquer  une  théorie  de  candeurs  et 
d'innocences!  Et  il  les  évoque  en  leur  instant  le 
])lus  émouvant,  alors  que  va  être  franchi  le  Premier 
pas,  celui  qui  leur  fera  découvrir  le  grand  mystère 
(]9  la  vie  et  de  l'amour.  Ce  spectacle  pathétique  n'a 

oint  désarmé  l'habituelle  désinvolture  de  M.  Abel 
Hermant  et,  dans  une  série  de  petites  histoires 
dialoguées,  il  en  parle  avec  ce  cynisme  spirituel  et 
•  It'taché  qui,  dans  toute  son  œuvre,  nous  séduit  si 

rt  en  nous  indignant  un  peu. 

Il  avait  pourtant  une  belle  occasion  d'être  ému 
'  I  respectueux  devant  tant  d'innocences  diverses  : 

Ile  du  jeune  conscrit  arrivé  tout  neuf  au  régiment, 

celle  du  petit  roi  admis  pour  la  première  fois  dans 
I  latimité  de  la  belle  Gabrielle  de  Rolleboise^  et  celle 
<!''  ce  touchant  Hippolyte,  arrivé  à  la  cinquantaine, 

ris  avoir  pu  connaître  le  grand  mystère,  et  je 
M  Ose  pas  vous  parler  —  parce  que  moi,  j'ai  de  la 
fKideur  —  des  jeunes  filles,  petites  fiancées,  ou  jeu- 
nes épouses  au  soir  du  mariag< 


272  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Et  remarquez  que  ce  «  premier  pas  »  —  lequel  est 
parfois  un  premier  faux  pas,  car  il  y  a  quelques 
dames  mariées  au  milieu  de  ces  hermines  —  les 
héros  de  M.  Abel  Hermant  ne  le  franchissent 
jamais,  ou  presque;  c'est,  si  j'ose  dire,  un  paroH 
d'innocence.  Comment  tant  de  blancheurs  si  incon- 
testablement immaculées  évoquent-elles  des  idées 
sans  nulle  candeur?  C'est  que  l'innocence  et  la  vertu 
sont  deux  choses  tout  à  fait  différentes  ;  après  avoir 
lu  cette  série  de  petites  histoires,  il  est  difficile,  je 
vous  assure,  de  n'être  point  fixé  sur  la  valeur  de  cette 
nuance.  On  en  veut  à  M.  Abel  Hermant  de  man- 
quer à  ce  point  de  vergogne  et  on  ne  peut  s'empê- 
cher pourtant  de  lui  pardonner,  parce  que  ces  dia- 
logues sont  si  amusants  et  parce  qu'il  reste,  jusque 
dans  ses  jeux,  un  si  admirable  virtuose  littéraire. 


FRAiNC-NOHAIN 
Jaboune. 

Dans  Taimable  galerie  littéraire  des  enfants 
contemporains,  un  nouveau  vient  de  prendre 
place;  il  s'appelle  Jaboune,  et  c'est  M.  Franc- 
Nohain  qui  nous  le  présente  en  un  bien  gracieux 
et  spirituel  volume.  Ce  jeune  garçon  de  huit  ans 
s'appelle  en  réalité  Jacques,  mais  ce  n'est  qu'un 
nom  de  baptême,  à  l'usage  des  étrangers.  Chacun 


AOUT-SEPTEMBRE    —    LES    ROMANS  273 

sait,  en  effet,  qu'une  maman  ne  saurait  accep- 
ter de  donner  à  son  fils  un  nom  inscrit  sur  le 
calendrier;  elle  doit,  de  toutes  pièces,  en  confection- 
ner un,  absurde  et  charmant,  qui  sera  le  vrai,  celui 
de  la  famille  et  de  l'intimité.  Et  Jaboune  est  un  nom 
qui,  je  ne  saurais  trop  vous  dire  pourquoi,  va  com- 
me un  gant  à  ce  petit  bonhomme  espiègle,  gentil, 
Parisien  infiniment,  et  doué  avec  ça  !  Jaboune  fait 
des  vers,  Jaboune  est  amoureux  d'une  belle  dame, 
il  combine,  pour  avoir  de  l'argent  (car  un  petit  Pari- 

ii'n  a  besoin  d'argent)  les  plus  ingénieuses  spécula- 
I  ions  sur  la  tendresse  de  sa  grand'maman,  il  médite 
do  merveilleux  appareils  d'aviation,  il  est  déli- 

M'ux,  vous  dis-je  !  Et  puis,  un  beau  jour,  voici  que 
sa  maman  lui  offre  un  petit  frère;  alors  il  se  rend 
'^•ompte  obscurément  que  c'est  fini  de  rire,  que  bien- 

)t  il  ne  lui  sera  plus  permis  d'être  un  petit  bon- 
homme, qu'il  est  maintenant  un  garçon  ;  demain,  un 
homme. 

Entre  temps,  il  nous  a  donné  son  opinion  prime- 
sautière  et  puérile  sur  mille  choses  de  la  vie,  de  la 
littérature,  de  la  politique,  et  comme  M.  Franc- 
Nohain  sait  que  les  enfants  ont  le  droit  de  tout 
dire,  il  a  très  adroitement  profité  de  l'occasion  pour 
faire  proférer,  par  cette  bouche  innocente,  un  cer- 
tain nombre  de  vérités  à  la  pointe  acérée.  Mais 
ceux-là  mêmes  qu'elles  égratignent  ne  sauraient 
se  fâcher,  parce  qu'elles  sont  exprimées  d'une 
façon  spirituelle  et  charmante. 


'Ij^i  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

ALBERT-ÉMILE  SOUEL 
Le  Rival. 

Dans  le  Riçal,  M.  Albert-Emile  Sorel  nous 
raconte  la  très  simple  et  très  pathétique  existence 
de  Robert  Villedieu  qui,  fils  d'un  tribun  illustre  et 
père  d'un  génial  poète,  se  trouve,  lui,  médiocre,  inca- 
pable d'une  grande  action,  ou  d'une  œuvre  sublime, 
pris,  écrasé,  annihilé  entre  ces  deux  gloires  :  celle 
dont  il  est  issu  et  celle  qu'il  engendra.  Le  cas  est 
douloureux;  Robert  Villedieu,  dont  l'âme  n'est  pas 
sans  grandeur,  ressent  profondément  cette  misère, 
et  sa  souffrance  devient  insupportable,  lorsqu'il 
s'est  épris  de  Bertile  Amécourt,  la  célèbre  actrice 
qui  fait  triompher  l'œuvre  admirable  de  François 
Villedieu,  et  qui,  comme  bien  vous  pensez,  aime 
passionnément  son  poète.  Et  le  voici  rival,  et  rivnl 
dédaigné,  de  son  fils. 

Une  grave  maladie  atteint  ce  dernier  et  il  meurt 
dans  les  bras  de  sa  bien-aimée,  qu'obstinément 
Robert  avait  écartée  de  son  chevet,  mais  que  Lucie 
Villedieu,  la  mère  du  poète,  guidée  par  un  infail- 
lible instinct,  vient  chercher  à  l'heure  suprême; 
alors  Robert,  meurtri,  désespéré,  doit  comprendre 
son  néant  :  il  n'a  rien  été  sur  la  terre  où  il  reste 
comme  un  lierre  arraché,  et  cette  dalle  funéraire 
où  s'inscrivent  les  noms  illustres  du  grand-père 
et  du  petit-fils,   à   l'exclusion  du  sien,  apparaît 


AOUT-SEPTEMBRE    LES    ROMANS  275 

»mme  un  symbole,  «  comme  si  la  destinée  avait 

mlu  le  rayer)). 

Il  y  a  là  véritablement I un  sujet  de  tragédie; 
AI.  Albert-Emile  Sorel  l'a  traité  avec  talent,  dans 
nue  note  très  particulière  de  gravité,  d'émotion 
;ins  cesse  contenue  et  comprimée. 

Un  autre  roman  complète  le  volume  :  c'est  VAmie 
une  œuvre  émouvante  et  forte,  mais  où  M.  Albert- 
'  mile  Sorel  nous  fait  assister  à  ce  spectacle  que, 

)ur  mon  goût,  je  trouve  toujours  insupportable, 
dun  fils  qui  se  fait  le  juge  et  le  justicier  des  amours 
<lo  son  père,  se  charge  de  le  remettre  dans  le  droit 
chemin  et,  après  l'avoir  empêché  de  se  remarier 
selon  son  cœur,  consent  généreusement  à  le  par- 
donner. 


A.-E.-W.  MASON 
La  Route  interrompue. 

I  aduit  par  l'auteur  d'  «  Amitié  amoureuse  »  et  M.  B.  Mayka.) 

La  Route  interrompue^  roman  de  M.  A.-E.-W.  Ma- 
son,  a  eu,  nous  dit-on,  un  retentissement  extraor- 
dinaire en  Angleterre  et  son  succès  a  balancé  celui 
des  plus  formidables  romans  policiers  dont  nos 
voisins  nous  ont,  depuis  quelques  années,  gratifiés 
un  peu  trop  généreusement  peut-être;  ce  roman,  à 
son  tour,  vi«nt  de  franchir  le  détroit.  Il  est  bien 
supérieur  à  toutes  les  récentes  importations  britan- 


276  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

niques  :  c'est  un  beau  livre  vraiment.  Sur  un 
sujet  très  anglais  et  fait  pour  intéresser  surtout  des 
Anglais  —  car  il  est  dominé  tout  entier  par  la  dra- 
matique question  des  Indes  —  l'auteur  a  écrit  un 
roman  d'une  large  humanité,  d'un  intérêt  extraor- 
dinaire, qui  vous  empoigne  dès  les  premières  lignes 
et  vous  tient  haletant  jusqu'à  la  fin. 

Sur  cette  «  route  interrompue  »  et  formidable,  qui 
doit  établir  définitivement  la  domination  anglaise 
aux  Indes,  se  joue  la  plus  pathétique  des  tragédies, 
et  quand  le  prince  indien  qui  fut  élevé  en  Angle- 
terre, acquis  en  apparence  aux  idées  anglaises, 
conquis  par  la  grâce  des  blanches  femmes  d'Angle- 
terre, revient  aux  Indes,  humilié  par  leur  dédain, 
meurtri,  prêt  à  se  venger  des  humiliations  infligées 
à  lui  et  à  sa  race  :  c'est  à  la  «  route  »  qu'il  s'en  prend, 
la  route  anglaise  qui  sera  une  fois  encore  interrom- 
pue. 

Autour  de  ce  grave  problème  exposé  de  façon 
saisissante,  un  délicieux  roman  se  déroule,  amusant, 
varié,  pathétique;  les  personnages  :  ce  touchant 
prince  Shere  AH,  et  ce  Dick  Linforth,  héritier  de  la 
famille  dont  un  à  un  les  membres  furent  dévorés 
par  la  route,  et  cette  coquette  et  jolie  Anglaise, 
Voilette  Oliver,  y  sont  campés  de  façon  magis- 
trale et  se  détachent  sur  les  décors  splendides  et 
mystérieux  de  l'Inde.  Et  c'est  un  superbe  livre 
que  l'auteur  à.^ Amitié  amoureuse  et  M.  B.  Mayra 
ont  remarquablement  traduit. 


AOUT-SEPTEMBRE    LES    ROMANS  277 

ALBERT  BOISSIÈRE 
Z...,  le  Tueur  à  la  corde. 

Il  y  a  deux  hommes  en  M.  Albert  Boissière  :  un- 
délicat  écrivain  qui  sait  être  psychologue  avec 
beaucoup  de  bonne  humeur  et  de  jovialité,  et  un 
prestigieux  romancier-mystère  qui  excelle  en  l'art 
de  combiner,  emmêler  et  dénouer  les  fils  des  plus 
rocambolesques  aventures.  Je  préfère  le  premier  : 
Fauteur  des  Joies  conjugales^  de  Jolie  et  de  Aimée, 
ou  la  jeune  fille  à  marier;  mais  le  second  ne  manque 
pas  de  charme  et  son  Homme  sans  figure  notamment 
osi  une  bien  belle  histoire,  l'un  des  plus  séduisants 
spécimens  de  ces  romans  à  surprises  qui  sont  si 
fort  à  la  mode.  Z...,le  Tueur  à  la  corde,  appartient  à 
ce  genre  contre  lequel  j'ai  un  grave  grief  personnel, 
c'est  qu'il  défie  l'analyse. 

Comment,  en  dix  lignes,  pourrais-je  vous  faire 
comprendre  que  le  personnage  désigné  par  M.  Mara- 
thon, juge  d'instruction,  sous  le  vocable  :  Z...,  le 
Tueur  à  la  corde,  n'a  jamais  eu  le  moindre  Z  dans 
son  nom  et  n'a  jamais  tué  personne  ni  à  la  corde,  ni 
autrement?  Il  s'appelle  William  Eady,  il  est  avia- 
teur, et  on  le  connaît  sous  le  nom  de  Stéphenson. 
Comment  peut-il,  avec  quelque  raison,  être  rendu 
responsable  d'une  foule  de  meurtres  et  de  malheurs 
dont  il  est  parfaitement  innocent? 

Il  y  a,  à  ces  effets  mystérieux  et  surprenants, 


278  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

une  foule  de  causes  plus  surprenantes  encore,  mais 
tout  à  fait  plausibles,  dont  M.  Albert  Boissière  fait 
apparaître  l'implacable  logique  dans  une  histoire 
où  se  combinent  le  plus  merveilleusement  du  monde 
la  fatalité  du  destin  et  l'ingéniosité  des  hommes, 
et  l'amour  et  les  sports  aussi,  car  le  dénouement 
nous  tombe  du  ciel  sous  les  espèces  d'un  biplan  sur 
lequel  M"^^  Grenet,  la  femme  aimée  du  juge  Mara- 
thon et  du  pseudo-assassin,  s'envole  pour  dispa- 
raître à  jamais.  Sans  doute,  vous  ne  comprenez  pas 
très  bien  :  ne  vous  en  prenez  qu'à  moi;  dans  le 
roman  de  M.  Albert  Boissière  c'est  très  clair, 
j'ajoute  que  c'est  très  amusant  et  que  ce  roman 
d'aventures  mystérieuses  se  donne  le  luxe  d'une 
excellente  tenue  littéraire. 


DANIEL  LESUEUR 

«  Du  sang  dans  les  ténèbres.  » 
Chacune  son  rêve. 

Daniel  Lesueur  nous  offre,  sous  le  titre  Chacune 
son  répe,  la  suite  et  la  fin  de  son  grand  roman 
romanesque  Du  sang  dans  les  ténèbres.  Il  est  d'une 
formidable  intensité  dramatique,  ce  volume;  et, 
dès  ses  premières  pages,  le  récit  consigné  sur  un  car- 
net par  Francine,  la  doctoresse  que  nous  avons 
vu  mourir  dans  le  premier  volume,  nous  plonge 


AOUT-SEPTEMBRE    LES    ROMANS  279 

dans  l'angoisse,  dans  le  mystère  et  dans  la  terreur. 

Cette  confession  d'une  morte,  est  un  modèle 
d'exposition;  tous  les  personnages  du  drame  y  sont 
présentés,  prévus  ou  rappelés,  depuis  le  terrible  et 
sombre  prince  Boris  OmirofP,  jusqu'à  l'innocent 
enfant  et  à  sa  mère  Flaviana,  la  petite  danseuse 
princesse,  victimes  de  ses  machinations,  et  dont  le 
sauvetage  et  la  réunion  finale  sont  les  grands  res- 
sorts du  drame.  L'action  s'engage  alors,  nerveuse, 
rapide,  formidable,  et  je  n'essaierai  pas  de  vous  la 
conter,  parce  que  mon  analyse  se  perdrait  au  milieu 
des  péripéties  et  des  épisodes  où  Daniel  Lesueur, 
elle,  a  su  rester  parfaitement  claire. 

Qu'il  vous  suffise  de  savoir  que,  par  l'intervention 
des  terroristes  évoqués  en  des  traits  saisissants,  le 
prince  Boris  Omiroff  expie  enfin  ses  forfaits  dans 
une  catastrophe  et  que  le  docteur  Delchaume  trouve 
au  dénouement  le  bonheur  et  la  paix  entre  la 
princesse  Flaviana  et  le  petit  Serge,  sauvés  par  lui, 
et  dont  le  salut  avait  jadis  coûté  la  vie  à  sa  pre- 
mière femme. 

La  lecture  de  ce  livre  est  très  attachante,  sa 
tenue  littéraire,  son  souci  d'observation  sont  dignes 
du  beau  talent  de  Daniel  Lesueur  qui,  après  nous 
avoir  montré  une  fois  de  plus  la  richesse  généreuse 
de  son  imagination  romanesque,  va  revenir,  je 
pense,  pour  notre  plus  grand  plaisir  à  ce  roman 
psychologique  où  elle  est  tout  à  fait  supérieure. 


280  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

MICHEL  GORDAY 
Les  Casseurs  de  bois. 

Les  sports  et  la  littérature  continuent  à  faire  très 
bon  ménage;  après  la  bicyclette,  la  boxe,  l'auto,  qui 
ont  fourni  tant  de  thèmes  heureux  à  l'imagination 
de  nos  romanciers,  voici  que  l'aviation  entre  en 
scène,  et  M.  Michel  Gorday,  qui  nous  avait  déjà 
raconté  Monsieur^  Madame  et  Vauto  et  les  Plat- 
sirs  d'auto^  nous  dit  aujourd'hui  les  Casseurs  de 
bois.  Mon  ami  Reichel  vous  a  fixés  déjà  sur  le  sens 
"  de  cette  locution  :  un  aviateur  ne  tombe  pas,  «  il 
casse  du  bois  »  ;  il  y  a  de  la  désinvolture  et  de  la 
gaminerie  dans  cette  expression,  il  y  a  aussi  un  petit 
coin  d'héroïsme,  car  hélas  !  nous  avons  trop  vu,  en 
ces  temps  derniers,  que  les  pionniers  de  l'air  en  arri- 
vant au  sol  cassaient  souvent  autre  chose  que  du  bois. 
M.  Michel  Gorday  les  a  suivis,  ces  «  casseurs  de 
bois»,  dans  les  grandes  semaines  d'aviation  où  ils 
étonnent  le  monde  par  leurs  prouesses  ;  il  les  a 
regardés  de  près,  eux,  et  tout  le  monde  curieux,  amu- 
sant, élégant,  qui  évolue  autour  d'eux,  et  il  nous 
donne  le  résultat  de  ses  observations,  en  une  série 
de  petits  tableaux  tout  à  fait  amusants,  grouil- 
lants, véridiques,  et  de  petits  contes  pimpants, 
lestes,  émouvants  parfois,  où  l'imagination  sert  très 
heureusement  la  réalité,  et  que  parent  de  gentilles 
figures  de  femmes. 


AOUT-SEPTEMBRE    LES    ROMANS  281 

LOUIS  DUMUR 
Le  Centenaire  de  Jean-Jacques  Rousseau. 

Le  Centenaire  de  Jean-Jacques  Rousseau^  «  ro- 
man ».  On  est  un  peu  surpris,  au  premier  abord,  de 
cet  accouplement  de  mots  :  il  correspond  pourtant 
très  exactement  à  la  vérité;  M.  Louis  Dumur  a 
découvert,  dans  le  centenaire  de  Jean- Jacques,  le 
sujet  d'un  roman  qui  est  fort  divertissant.  Gela  vous 
a  l'air  d'une  chose  très  simplette,  le  récit  de  ce 
jeune  garçon,  élève  de  seconde  classique  au  lycée 
de  Genève,  et  qui  nous  raconte  par  le  menu  les  inci- 
dents burlesques  auxquels  donne  lieu  la  célébra- 
tion du  centenaire.  Les  colères  des  personnes  bien 
pensantes  de  la  ville,  indignées  qu'on  puisse  songer 
à  glorifier  un  philosophe  aussi  dénué  de  pudeur  et 
de  foi,  ont  pénétré  jusque  dans  l'école,  et  la  seconde 
classique,  notamment,  est  le  théâtre  d'une  guerre 
sans  merci  entre  jeanjacquards  et  antijeanjac- 
quards;  les  jeanjacquards  semblent  l'emporter, 
mais  grâce  à  un  stratagème  qui  ressemble  vague- 
ment à  de  la  corruption  électorale,  ce  sont  les  anti- 
jeanjacqiiards  qui  sont  vainqueurs  à  la  fin,  et  désor- 
mais Genève  peut  se  parer  de  drapeaux  et  célébrer 
le  terrible  et  abominable  Jean- Jacques,  du  moins 
l'honneur  de  la  seconde  classique  sera  sauf. 

Gela  paraît  très  simplet,  vous  disais-je,  et  les 
gentilles  images  de  Gustave  Wendt  accentuent  le 


282  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIR 

caractère  enfantin  du  livre,  mais  si  vous  cherchiez 
avec  quelque  soin,  vous  découvririez  derrière  ces 
mots  puérils  et  ces  récits  d'enfants  une  pensée  qui 
n'est  pas  dénuée  de  profondeur. 


MAURICE  DE  LA  PERRIÈRE 
Le  Jeu  de  l'anjiour  et  de  la  vie. 

M.  Maurice  de  La  Perrière  nous  dit  là  une  fort 
touchante  histoire  dont  l'héroïne  Fanchette  est  une 
de  ces  dames  généreuses  de  leur  beauté  que  Théo- 
dore Barrière  appelait  «  les  Filles  de  marbre  »,  et 
que  M.  Claude  Farrère,  tendrement,  nomme  «  les 
Petites  alliées».  Avouons-le  :  Fanchette  est  une 
courtisane,  mais  d'une  âme  si  noble,  d'une  si  bonne 
famille  !  Bien  souvent,  elle  regrette  la  source  im- 
pure de  son  luxe  et  mêm^,  certain  jour,  elle  est 
héroïque  :  au  lieu  de  céder  aux  prières  du  multi- 
millionnaire Pontrizard,  elle  se  jette  dans  les  bras 
de  Jean  Lorey,  un  modeste  ingénieur  qui  possède 
tout  juste  quatre  mille  francs  de  rentes  :  et  c'est 
l'amour  éperdu,  l'amour  désintéressé,  l'amour  doré 
aussi,  car  en  quelque  six  mois  la  modeste  fortune  de 
Jean  s'en  est  allée  en  dépenses  jolies,  en  voyages 
sentimentaux  et  il  ne  reste  que  dix  mille  francs  à 
l'ingénieur  qui  par  surcroît  a  perdu  le  goiît  du  tra- 
vail. Alors,  il  prend  son  parti  :  il  lègue  ses  dix  mille 


AOUT-SEPTEMBRE    —    LES    ROMANS  283 

francs  à  sa  bien-aimée  et  il  se  noie,  et  Fanchette 
bientôt  s'en  va  le  rejoindre  dans  la  mort. 

M.  Maurice  de  La  Perrière  a  trouvé,  pour  nous 
conter  cette  histoire,  des  accents  émouvants  dans 
leur  louable  simplicité;  et  il  a  réussi,  dans  ce  roman 
très  vivant  et  très  réel,  à  idéaliser  de  telle  sorte  ses 
héros,  que  nous  nous  intéressons  à  eux  et  à  leur 
amoureuse  aventure  :  c'est  méritoire,  car  si  leur 
amour  est  touchant  —  l'amour  est  toujours  tou- 
chant —  ils  ne  sont  dignes  vraiment  ni  de  notre 
estime  ni  de  notre  sympathie,  que  nous  devons 
réserver  à  ceux  qui  luttent  vaillamment  pour  leur 
amour  et  pour  leur  existence. 


CHARLES  QUINEL 
Enlève-moi,  chéri! 

Sous  ce  titre  familier.  Enlève-moi^  chéri!  dont  un 
jovial  dessin  de  Grûn  souligne  la  sportive  significa- 
tion, M.  Charles  Quinel  vient  de  publier  un  recueil 
de  petites  histoires  folâtres  «  pour  lire  en  aéroplane  ». 
J'ai  apprécié  l'entrain,  la  bonne  humeur,  la  verve 
un  peu  facile  que  M.  Charles  Quinel  y  a  prodigués; 
il  appartient  à  cette  corporation  littéraire  qu'on  a 
baptisée  «  les  écrivains  gais  »,  lesquels  se  sont  donnés 
la  mission  louable  de  faire  rire  la  pauvre  humanité , 
c'est  une  besogne  difficile  et  il  convient  de  ne  pas 


284  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

chicaner  ces  auteurs  sur  le  choix  dos  moyens  qu'ils 
emploient  pour  la  mener  à  bien,  à  la  seule  condi- 
tion, cependant,  qu'ils  réussissent  vraiment  à  la 
mener  à  bien  —  M.  Charles  Quinel  y  réussit  sou- 
vent. Seulement,  pourquoi  diable  avoir  signé  la  pré- 
face de  son  livre  du  nom  de  Molière?  Et  pourquoi 
surtout  lui  faire  parler  de  «  sa  bonne  bougresse 
d'ombre»;  réservons,  s'il  vous  plaît,  ce  genre  d'ex- 
pression aux  auteurs  gais  et  ne  les  prêtons,  pas 
même  pour  rire,  à  notre  grand  comique. 


MADELEINE  PAUL 
La  Porte  sombre. 

Encore  un  roman  de  femme  où  la  femme  nous 
apparaît  victime  de  l'homme  et  victime  de  l'amour, 
c'est  la  Porte  sombre^  un  livre  intéressant,  un  peu 
noir  et  triste  peut-être,  mais  d'une  émouvante  et 
ardente  sincérité.  Maud  Gharmet  est  entrée  dans  la 
vie  par  la  «  porte  sombre»  :  toute  jeune,  elle  fut 
fiancée  à  un  homme  qui  l'aimait  et  dont  elle  était 
tendrement  éprise,  mais  à  qui,  pauvre,  elle  a  dû 
renoncer,  et  voici  qu'à  vingt-cinq  ans  elle  est  aigrie 
déjà  et  désenchantée,  lorsque  sur  sa  route  elle  ren- 
contre Philippe  Mendier.  C'est  tout  de  suite  le 
le  grand  et  définitif  amour,  mais  Philippe  a  trente- 
huit  ans,  il  est  marié  et  père  d'une  petite  fille;  c'est 


AOUT-SEPTEMBRE    —    LES    ROMANS  285 

VOUS  dire  que  leur  aventure  est  sans  lendemain  pos- 
sible et  que  Philippe  Mendier,  un  peu  tard,  s'aper- 
çoit que  le  devoir  le  retient  impérieusement  auprès 
de  sa  femme  et  de  sa  fille;  il  le  signifie  doucement  à 
Maud  qui  se  désespère  mais  trouvera  un  refuge,  en 
somme  confortable,  auprès  de  Roger  Fremeux,  un 
tendre  amoureux  qui  n'avait  cessé  d'implorer  silen- 
cieusement et  qui  sera  encore  bien  heureux  d'être 
accepté,  comme  pis  aller  —  si  j'ose  dire... 


17. 


HISTOIRE,  LITTÉRATURE,  POÉSIE, 


DIVERS 


JULES  GLARETIE 

Quarante  ans  après. 

«  Impressions  d'Alsace  et  de  Lorraine, 

1870-1910.  » 

Quarante  ans  après,  vous  connaissez  ce  livre  tout 
vibrant  d'une  patriotique  émotion,  écrit  par  un 
témoin  qui  ne  veut  pas  perdre  le  souvenir  ni  l'espé- 
rance; son  retentissement  fut  considérable,  on  en  a 
parlé  longuement,  et,  après  tant  d'autres  plus  élo- 
quents, il  ne  me  reste  pas  grand'chose  à  en  dire.  Du 
moins,  il  me  tient  à  cœur  de  saluer  ces  pages  vibran- 
tes et  chaleureuses  que  les  hommes  de  notre  géné- 
ration doivent  lire  et  méditer,  ces  pages  que  M.  Jules 
Glaretie  dédié  à  «  Mars-la-Tour,  la  gardienne  de  s 
tombes,  à  la  fidélité  des  braves  gens  de  Lorraine  et 


\OUT-SEPTEMBRE    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.     287 

d'Alsace»,  et  dans  lesquelles  «  la  plaie  du  passé 
étant  toujours  ouverte,  quarante  ans  après,  il  en 
appelle  encore  à  l'avenir)). 


GUSTAVE  GAUTHEROT 
L'Échange  des  otages  —  Thiers  et  Mgr  Darboy. 

L'histoire  de  la  Commune,  la  vraie  histoire,  n'est 
point  près  encore  d'être  écrite  :  un  demi-siècle 
passé  n'a  pas  désarmé,  autour  de  cet  accès  de  fièvre 
sauvage  et  sanguinaire,  la  colère  des  partis.  Il  n'est 
pas  d'épisode  de  cette  révolution  dont  on  ne  nous 
ait  apporté  au  moins  deux  versions  contradictoires, 
mais  le  plus  odieux  et  le  plus  douloureux  de  tous, 
l'assassinat  des  otages,  est  sans  doute  le  plus  con- 
troversé; on  rend  tour  à  tour  M.  Thiers,  l'Assem- 
blée nationale,  quelques  maires  parisiens,  d'autres 
encore,  responsables  de  ce  crime  de  la  Commune,  et 
les  circonstances  qui  l'accompagnèrent  sont  bien 
difficiles  à  démêler.  Du  moins,  après  la  lecture  du 
livre  que  M.  Gustave  Gautherot  a  publié  sous  le 
titre  V Échange  des  otages  —  Thiers  et  Mgr  Darboy, 
«  d'après  des  documents  inédits  )>  il  semble  bien  éta- 
bli que  la  mémoire  du  grand  vicaire  Lagarde  doive 
être  définitivement  lavée  des  accusations  qui  trop 
longtemps  pesèrent  sur  elle. 

Le  prêtre  qui  avait  reçu  l-i  mis^înn  de  nésrocier 


288  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

avec  Versailles  l'échange  des  otages,  s'acquitta  de 
cette  mission,  malgré  d'impressionnantes  accusa- 
tions, avec  un  entier  dévouement.  C'est  ce  que 
M.  Gustave  Gautherot  prétend  établir  à  l'aide  de 
documents  qui  sont,  en  effet,  assez  démonstratifs  et 
qui,  pour  moi,  eussent  été  tout  à  fait  convain- 
cants si  j'y  avais  trouvé  la  trace  d'une  émotion  plus 
vive  en  face  de  pareils  malheurs.  Ce  qui  est  certain, 
et  ce  que  M.  Gautherot  établit  de  façon  incontes- 
table, c'est  que  Mgr  Darboy  et  les  autres  otages 
furent  victimes  surtout  de  la  hideuse  politique  et  des 
politiciens;  c'est  à  elle,  c'est  à  eux,  qu'il  faut  lais- 
ser la  responsabilité  de  ce  crime  dont  les  coupables 
resteront  —  il  ne  faudrait  pas  l'oublier  tout  de 
même  —  les  hommes  de  la  Commune. 


HECTOR    FLEISCHMANN 

Les  Coulisses  du  Tribunal  révolutionnaire. 
« Fouquier-Tinville  intime.» 

En  un  volume  d'une  assez  belle  apparence  docu- 
mentaire, intitulé  les  Coulisses  du  Tribunal  révo- 
lutionnaire^ M.  Hector  Fleischmann  entreprend  de 
nous  révéler  «  Fouquier-Tinville  intime  ».  Son  but 
est  —  pas  moins  !  —  de  réhabiliter  la  mémoire  du 
célèbre  accusateur  public  de  la  Révolution.  Ces 
revisions  de  procès  sont  fort  à  la  mode  en  notre 


AOUT-SEPTEMBRE    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.     289 

temps,  et  notre  esprit  de  contradiction  nous  ins- 
pire généralement  de  la  sympathie  pour  ceux  qui 
'  donnent  la  mission  de  bousculer  l'histoire  telle 
qu'elle  nous  fut  enseignée. 

Tout  de  même,  M.  Hector  Fleischmann  aura 
quelque  peine  à  nous  faire  accepter  la  nouvelle 
image  qu'il  a  composée  d'un  Fouquier-Tinville, 
non  pas,  certes,  séduisant,  mais  honorable  et  même 
issez  noble;  et  je  crois  bien  que  son  héros  res- 
tera, pour  l'immense  majorité  de  nos  concitoyens, 
1(^  «  monstre  repoussant  »,  le  «  tigre  »,  r«  odieux  can- 
nibale *  de  l'histoire. 

M.  Hector  Fleischmann  n'en  a  que  plus  de  mérite 
de  s'être  attelé  à  cette  besogne  ingrate  et  ardue; 
mais  peut-être  est-il  allé  un  peu  loin  en  préludant 
à  sa  défense  par  une  attaque  virulente  contre  des 
historiens  dont  l'autorité  ou  la  notoriété  est  consi- 
dérable, et  dont  le  seul  tort  fut  de  traiter  dans  leurs 
icuvres  Fouquier-Tinville  sans  ménagements.  Ce 
-ont  des  procédés  qui  réussissent  souvent  devant 
Ips  jurés  d'assises,  mais  dont  l'efficacité  est  moins 
cortninp  dans  les  controverses  historiques. 


MARIUS-ARY  LEBLOND 
La  Pologne  vivante. 

11  n'est  sans  doute  pas,  dans  l'histoire  du  monde, 


290  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

de  drame  plus  pathétique  et  plus  poignant  que 
celui  de  la  Pologne,  de  cette  nation  de  vingt  millions 
d'âmes,  homogène  et  solidaire,  qui  fut,  voilà  un 
siècle,  coupée  en  trois  morceaux,  asservie  à  trois 
maîtres  différents,  et  qui,  à  travers  tant  d'années, 
dans  des  conditions  si  effroyables,  a  su  rester  un 
peuple,  garder  une  âme  :  on  s'en  est  rendu  compte 
à  ces  fêtes  si  émouvantes  qui  furent  célébrées 
récemment  à  Gracovie  et  l'on  se  demande  ce  que 
l'avenir  peut  bien  réserver  à  cette  nation  démem- 
brée, abolie,  persistante  néanmoins. 

Pour  dérober  son  secret  à  l'avenir,  MM.  Marius- 
Ary  Leblond  ont  passionnément,  quoique  sans 
parti  pris,  étudié  le  passé  et  le  présent  en  un  très 
beau  livre  qui  s'appelle  :  la  Pologne  vivante.  C'est 
le  résultat  de  leur  voyage  et  de  leurs  études  «  dans 
la  Galicie,  la  Pologne  patiente,  dans  le  royaume  de 
Varsovie,  la  Pologne  déchirée,  dans  le  duché  de 
Posen,  la  Pologne  étouffée».  Il  faut  lire  ce  livre  !  il 
a  la  précision  d'un  document,  l'éloquence  d'un  plai- 
doyer, la  sagesse  d'une  œuvre  d'histoire  et  de  phi- 
losophie. 


EDMOND  PILON 
Dans  les  jardins  et  dans  les  villes. 

M.  Edmond  Pilon  promène  sa  fantaisie  grave  et 
recueillie  Dans  les  jardins  et  dans  les  villes.  Quelle 


AOTTT-SEPTEMBRE    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.     291 

jolie  prose,  si   harmonieuse,  si   souple,    d'une  si 
)ble  simplicité  !  M.  Edmond  Pilon  est  un  de  ces 
l'ivains  de  plus  en  plus  rares  qui  connaissent 
icore  la  joie  d'assembler  des  mots,  d'honorer  avec 
lût  et  dévotion  notre  divin  langage  de.   France  : 
j1  faut  lui  en  savoir  gré,  et  se  réjouir  qu  il  ait  été 
'   inoïé  par  le  Prix  national  de  littérature  en  un 
inps  où  les  plus  officielles  des  récompenses  litté- 
raires sont  trop  souvent  décernées  à  d'impitoya- 
1)1  os  bourreaux  de  la  langue  française. 

Son  livre  d'aujourd'hui  est  offert  «  A  une  belle 
(lame  française  pourtraite  par  François  Clouet». 
Lo  charme  de  cette  dame  est  rare  et  captivant;  sa 
gentille  gorge  est  gracieuse;  ses  yeux  sont  paisibles 
comme  les  eaux  de  la  lente  Loire  et  «  quand  elle 
rit,  l'air  chante  avec  un  bruit  d'amour».  Gentille 
dame,  en  vérité,  et  bien  faite  pour  séduire.  L'of- 
frande est  digne  d'elle  et  ces  tableaux  sont  déli- 
(  ieux  des  jardins  d'Oxford,  de  la  Petite  Provence, 
du  Luxembourg,  des  fenêtres  fleuries,  des  petits 
villages,  et  de  tant  d'autres  coins  délicieux,  de  ces 
jardins  notamment  de  la  région  de  Paris  qui  «  sont 
le  sourire  de  H  terre»,  de  ces  jardins  «  où  la  domi- 
nation du  printemps  est  partout,  mais  où  l'artiste 
a  su  la  discipliner,  l'a  soumise  aux  lois  des  grandes 
lignes  classiques»,  nous  offrant  cet  «  exemple  d'ad- 
mirable beauté  d'avoir  su  accorder,  auprès  d'un 
Mansard,  un  André  Le  Nôtre,  d'avoir,  dans  un 
étroit  assemblage  de  pierres  et  de  fleurs,  su  com- 
poser de  beaux  domaines  de  poésie  )>. 


292  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

ANDRÉ  DE  FOUQUIÈRES 
De  l'Art,  de  l'Elégance,  de  la  Charité. 

M.  André  de  Fouquières  est  un  homme  d'une 
bien  rare  activité;  partout  où  l'on  s'amuse  avec 
élégance,  vous  le  trouvez  au  premier  rang  :  une 
fête  mondaine  ne  saurait  se  passer  de  sa  présence, 
une  première  n'est  parisienne  que  s'il  y  assista,  et 
un  cotillon  qui  se  respecte  doit  être  conduit  par  lui  ; 
il  est,  enfin,  le  dernier  champion  des  belles  maniè- 
res. Il  y  a  là  sans  doute  de  quoi  surmener  un  homme 
bien  trempé;  mais  voilà  justement  ce  qui  est  admi- 
rable :  M.  de  Fouquières  n'est  pas  du  tout  sur- 
mené, pas  même  fatigué.  Ce  n'est  pas  un  forçat  du 
plaisir,  toutes  ces  choses  le  divertissent  énormé- 
ment :  «  il  ne  fait  que  ce  qui  l'amuse  ;  pour  lui  le  sport 
est  un  plaisir,  les  voyages  un  délassement,  la  danse 
est  une  joie  ))  et  il  trouve  encore,  c'est  lui  qui  nous  le 
dit,  le  temps  de  lire  chaque  jour  pour  se  distraire. 

Il  a  trouvé,  même  —r-  il  nous  le  prouve  —  le 
temps  d'écdre,  car  il  vient  de  publier,  sous  le  titre  : 
De  rAj:t^  de  r  Elégance^  de  la  Charité^  un  livre  que, 
vous  pensez  bien,  les  salons  adoptèrent  tout  do 
suite  d'enthousiasme  et  qui  contient  énormément 
de  choses,  non  seulement  des  chapitres  comme  le 
«  dandysme,  le  théâtre  dans  le  monde,  les  mœurs  du 
temps,  la  charité  mondaine  et  élégante»,  où  sa 
compétence   était  prévue,  mais  aussi  des  notes 


AOUT-SEPTEMBRE    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.     293 

l'art  sur  les  chants  d'amour  et  les  poètes  chinois, 
l'histoire  sur  l'héroïsme  vendéen,  que  sais-je  en- 
ore  !  Ce  sont  la  plupart  du  temps  des  conférences 
.[ue  M.  A.  de  Fouquières  donna  devant  des  audi- 
toires triés  sur  le  volet;  elles  sont  agréables  et  leur 
documentation  est  tout  à  fait  aimable,  et  puis, 
-M.  André  de  Fouquières  a  éprouvé  tant  de  plaisir, 
comme  il  dit,  «  à  griffonner  ces  pages»  que  son  lec- 
teur le  partage  nécessairement  ;  comme  la  chaleur 
des  banquets,  le  plaisir  est  communicatif. 


LOUIS  PIÉRARD 
Aimons  les  arbres  «Pages  choisies». 

Il  est  bien  séduisant,  ce  livre  où  les  grands  écri- 
vains exaltent  la  noblesse  des  arbres,  où  les  pein- 
tres illustres  disent  leur  splendeur;  il  faut  le  répan- 
dre parmi  les  hommes,  il  faut  le  faire  lire  aux 
enfants,  leur  faire  entendre  ces  belles  paroles  d'Emile 
Verhaeren  :  «  Faites-vous  les  amis  de  ce  qui  est  la 
parure  de  la  terre;  les  fleurs,  les  arbres,  les  bêtes. 
Ne  prenez  aux  taillis  et  aux  bois  que  leur  ombre. 
Laissez-en  croître  les  rameaux  librement  et  n'arra- 
chez aucune  feuille  par  vain  plaisir.  Ceux  qui  les 
dépouillent  sans  utilité  sont  gens  méchants.  Quand 
vous  rencontrerez  un  jeune  arbre  qu'on  a  tordu 
ou  arraché  au  bord  des  routes,  dites -vr mis  qn'in) 
homme  mauvais  a  passé  par  là.  » 


294  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Cette  propagande  littéraire  et  artistique  est  utile 
et  généreuse,  il  faut  la  poursuivre  opiniâtrement; 
ainsi  peut-être  on  arrivera  à  constituer  autour  des 
arbres,  parure  et  salut  de  notre  sol,  une  garde  assez 
nombreuse  et  résolue  pour  les  défendre  contre  l'ar- 
deur dévastatrice  de  ces  déboiseurs  sans  pitié  à 
qui  nous  devons  les  inondations  de  cette  année, 
et  bien  d'autres  maux  encore. 


YNIOLD-RENÉ  BERTRAND 
L'Ombre  au  flambeau.. 

Dans  VOmbre  au  flambeau^  il  y  a  des  poésies  par- 
fois belles,  souvent  d'une  étrangeté  un  peu  rude, 
jamais  indifférentes.  En  épigraphe  cette  parole  de 
Zarathoustra  «  Ombre,  si  tu  veux  ce  soir  l'asile  et 
le  repos,  monte  vers  ma  caverne»;  et  c'est  tour  à 
tour  «  l'ombre  sur  les  choses»,  «  l'ombre  sur  les 
cœurs»,  ((  l'ombre  des  morts».  Il  ne  faut  pas  trop  se 
fier  aux  titres;  néanmoins,  vous  pouvez  supposer, 
en  lisant  ceux-là,  que  M.  Yniold-René  Bertrand 
n'exalte  pas  la  joie  de  vivre;  et,  en  effet,  il  manque 
d'allégresse,  ce  poète  qui  nous  dit  : 

J'ai  laissé  de  ma  chair  à  l'épine  des  roses, 
Et,  pour  avoir  volé  un  peu  de  leurs  frissons, 
J'ai  laissé  de  mon  rêve  aux  feuilles  des  buissons. 

J'ai  fui  vaincu, 
Désabusé,  brisant  le  rythme  de  mes  strophes, 
Et,  depuis,  j  ai  marché  d'un  pas  de  philosophe. 


MIMENTO    DU    MOIS    b'AOUT    ET    SEPTEMBRE  295 

Et  c'est  ainsi  qu'il  nous  dit  :  «  La  Terre  malade  », 

l'Agonie  de  la  terre»,  et  «  l'Heure  folle»,  et  «  le 

;  )uqLîot  fané»,  et  «  le  Jardin  de  M^^^  de  Noailles», 

il  y  a  dans  tout  cela  des  images  très  belles  et 

:  As  nobles,  puis,  brusquement,  à  côté  d'elles,  d'au- 

tres  images  d'une  familiarité  un  peu  surprenante. 

'  -^  rythme  est  divers  à  l'infini,  il  va  de  la  plus  clas- 

que  harmonie  à  la  licence  la  plus  déréglée,  en  pas- 

int  par  une  liberté  ingénieuse  et  jolie. 


MÉMENTO  DU   MOIS   D'AOUT  ET  SEPTEMBRE 


ROMANS 

Anstey  (F.).  —  Vice-Versa,  roman  traduit  de  l'anglais  par 
M.  Bernard- Derosne. 

Aiiriol  (Georges).  —  Les  pieds  dans  les  poches,  un  recueil 
d'histoires  joviales,  charmant  «  essaim  de  bille- 
vesées »  dont  nous  devons  la  joie  à  un  excellent  humo- 
riste. 

Billot  (Augustin).  —  Les  Corsaires  patriotes,  un  très  copieux 
roman  historique,  où  l'auteur  évoque  en  un  récit  très 
mouvementé  et  tout  à  fait  attachant  les  sombres  et 
grandioses  journées  de  1793  à  1798. 

Buxy  (B.  de).  —  Le  Lis  en  otage. 

Coquiot  (Gustave).  —  Le  Chariot  errant,  un  aimable  livre 
où  l'auteur  a  réuni  deux  dramatiques  histoires  de 
théâtre  et  de  cirque,  la  première  qui  s'appelle  :  His- 
toire de  deux  clowns  et  d'une  petite  écuyère  et  qui  pour- 
tiiil  s'appeler  :  «  Deux  clowns  vivaient  en  paix,  une 


296  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

écuyère  survint»;  et  l'autre:  Histoire  d'une  commer- 
çante de  la  ville  de  Tours  et  de  V illustre  comédien 
Truffaldin. 
Doletang  (Marie).  —  Les  Mains  tendues.  En  une  prose  har- 
monieuse et  originale,  souvent  d'un  très  beau  lyrisme, 
M™e  Marie  Deletang  nous  conte,  sous  ce  titre,  l'émou- 
vante et  douloureuse  histoire  d'une  épouse  malheu- 
reuse, persécutée  par  un  mari  brutal  et  indigne,  et 
qui  s'est  enfuie  loin  dans  la  montagne,  la  montagne 
consolante  et  reposante,  en  tenant  par  la  main  sa  pe- 
tite fille  Mouette,  son  unique  trésor.  Mais  elle  n'est  pas 
une  mère  seulement,  elle  est  restée  une  femme  dont 
les  mains  sont  «  tendues  »  avidemment  vers  le  bonheur 
et  vers  l'amour;  et  voici  le  beau  heutenant  Henri 
Tracy  qui  l'aime  et  qu'elle  va  aimer;  mais  non! 
l'enfant  est  là  qui  se  dresse,  obstacle  infranchissable 
entre  la  mère  et  le  bonheur  possible,  et  désespérément, 
elle  quitte  son  refuge,  elle  regagne  son  logis... 
Denis  (Georges-A.).  —  Le  Brasier. 

Donat  (Marc).  —  Le  Mort  vivant,  une  mystérieuse  et  terri- 
fiante  histoire. 
Doucet  (Jérôme).  —  La  Royale  Amoureuse. 
Flamant  (Paul).  —  Le  Chevalier  aux  ânes,  un  conte  fort 
agréablement  philosophique  que  M.  Paul  Flamant 
offre,  dans  un  élan  de  légitime  gratitude,  à  la  mémoire 
de  Cervantes. 
Hume  (Fergus).  —  La  Romance  fatale,  roman  traduit  par 

M.  Heywood. 
Jaquet.  —  Souvenirs  de  la  Hutte,  des  récits  de  chasse  que  je 
m'excuse  de  faire  figurer  à  côté  d'œuvres  d'imagina- 
tion, car,  malgré  la  réputation  bien  étabhe  des  chas- 
seurs, les  récits  de  M.  Jaquet,  si  émouvants  et  si  pitto- 
resques, sont  tout  à  fait  véridiques,  appuyés  d'ail- 
leurs sur  des  images  qui  ne  laissent  aucun  doute;  le 
livre  est  charmant  et  il  est  fait  pour  intéresser  tout  le 
monde,  car,  ainsi  que  le  dit  M.  Louis  Ternier,  dans  su 
préface,  l'auteur,  propriétaire  de  chasses  dans  lo 
grand-duché  de  Bade  et  le  Tyrol,  a  puisé  dans  les 
alpes  tyroliennes  des  impressions  de  touriste  et  de 
chasseur  plutôt  que  des  souvenirs  par  trop  personnels. 


MEMENTO    DES    MOIS    d'aOUT    ET    SEPTEMBRE  297 

Lagerlôf  (Selma).  —  Le  Livre  des  Légendes,  un  recueil  de 
nouvelles  du  grand  écrivain  suédois,  traduites  par 
M.  Fritiof  Palmer. 

Mon  (François  de).  —  Histoires  risquées  des  dames  de  Mon- 
contour,  des  histoires  que  l'auteur  a  recueillies  et 
arrangées  dans  un  volume  orné  de  belles  images, 
croyant  bien  faire,  nous  dit-il,  «  en  réunissant  dans 
un  même  volume  les  histoires  souvent  un  peu  hbres 
que  ces  nobles  dames  se  plurent  sans  doute  à  composer 
durant  la  sohtude,  pendant  que  leurs  maris  étaient 
occupés  à  la  guerre,  à  la  chasse  ou  à  l'amour,  et  par 
quoi  elles  satisfaisaient  honnêtement  les  désirs  liber- 
tins de  leurs  cœurs»,  prouvant  ainsi  qu'il  y  a  bien  des 
façons  d'être  honnête. 

Normandy.  —  Voir  Poinsot. 

l'ardo  Bazan  (Comtesse  de). — Le  Château  de  UUoa,  un 
très  pittoresque  roman  espagnol  traduit  par  M.  A.  For- 
tin. 

Perrée-Gerpré  (M'"®  Germaine).  —  Au  hasard  de  la  route, 
nouvelles. 

Poinsot  et  Normandy.  —  Amours. 

-  lies  (Pierre).  —  La  Cigale  ayant  pleuré...,  un  de  ces  romans 
où  M.  Pierre  Sales  excelle  à  accumuler  les  plus  tou- 
f  chants  épisodes  et  les  plus  dramatiques  péripéties, 
•uvestre  (Pierre).  —  Jojo  I^^,  roi  de  V Air. 

\  ernou  (Pierre).  —  Contez-nous  cela...,  un  recueil  de  nou- 
velles. 

Wells  (H.-G.).  —  La  Guerre  dans  les  airs,  un  roman  du  pres- 
tigieux évocateur  d'avenir,  traduit  par  MM.  Henry 
Davray  et  Kozakiewicz. 

—  V Etrange  aventure  de  M.  Hoopdriver,  un  volume  où 
j'ai  retrouvé  avec  infiniment  de  plaisir  La  Burlesque 
équipée  d'un  cycliste,  sous  une  nouvelle  forme  et  so\is 
un  nouveau  titre. 


298  LE    MOUVEMK.M    LITTKUAIRE 

HISTOIRE  —  LITTÉRATURE  —  THÉATRi: 
POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Barrieu  (Alexandre-Raymond).  —  Musiques  lointaines.., 

Bertaut  (Jules).  —  Victor  Hugo,  un  volume  d'une  très  joln 
documentation  publié  dans  la  collection  «  La  vie 
anecdotique  et  pittoresque  des  grands  écrivains  ». 

Cabanes  (D^").  —  Mœurs  intimes  du  passé,  3®  série. 

Chuquet  (Arthur).  —  Etudes  d'Histoire,  la  troisième  série 
de  ces  études  dont  j'ai  dit  déjà  l'intérêt  très  vif  et  la 
séduction.  M.  Arthur  Chuquet  est  un  historien  savaiii 
et  un  infatigable  chercheur  qui  non  seulement  excelle 
à  découvrir  les  documents  et  à  déchiffrer,  les  textes, 
mais  qui  sait  riîerveilleusement  aussi  en  user  pour 
notre  instruction  et  notre  plaisir.  Que  de  pages  émou- 
♦  vantes  et  curieuses  dans  cette  nouvelle  série  d'études 
historiques  :  ce  sont  les  amours  de  Marceau,  le  suicide 
de  Berthier,  l'adjudant  Bellegarde,  «  Marbot  et  Mac- 
quard  »,  et  surtout  «  le  parrain  de  Napoléon  »,  ce  Lau- 
rent Giubega,  dont  M.  Arthur  Chuquet  évoque  la  très 
curieuse  figure  :  elle  valait  la  peine  d'être  connue  vrai- 
ment, et  ce  Corse  qui,  en  1789,  fut  mêlé  dans  son  île  à 
des  histoires  d'élection  telles  qu'on  aurait  voulu  les 
entendre  conter  par  Emmanuel  Arène,  méritait  d'en- 
trer dans  l'histoire  même  s'il  n'avait  pas  eu  le  prestige 
d'être  le  parrain  d'un  tel  filleul. 

Claretie  (Jules).  —  La  Vie  de  Paris  en  1909,  le  quatorzième 
recueil  de  ces  pages  substantielles  où  M.  Jules  Claretie 
note,  avec  une  verve  juvénile,  une  souriante  indul- 
gence, les  événements  du  jour,  croque  en  des  traits 
rapides  la  silhouette  qui  passe,  évoque  avec  une 
émouvante  précision  les  souvenirs  disparus,  et  nous 
offre  comme  un  cinématographe  littéraire  de  l'histoire 
contemporaine  au  jour  le  jour. 

Constantin  (Yves  de)  et  Félix  Marty.  —  1870,  les  Organi- 
sateurs de  la  défaite. 

Crinon  (D^  J.).  —  La  Tuberculose,  un  livre  d'une  doulou- 


MEMENTO    DU    MOIS    d'aOUX   ET    SEPTEMBRE  299 

reuse  documentation  et  d'une  précieuse  utilité  pra- 
tique. 

Delahache  (Georges).  —  La  Cathédrale  de  Strasbourg,  un 
beau  livre  orné  de  magnifiques  images,  «  notice  histo- 
rique et  archéologique»,  écrite  avec  beaucoup  de 
science  et  de  conscience  par  M.  Georges  Delahache, 
<elui-là  même  qui  dans  un  petit  livre,  la  Carte  au  liséré 
vert,  nous  apprit  tant  de  choses  sur  les  origines  et  les 
causes  de  nos  malheurs  de  1870. 

budit  (Isabelle).  —  U  Agonie  des  sexes,  poèmes. 

Dumont-Wilden  (L.).  —  Le  Portrait  en  France,  un  très 
séduisant  ouvrage  publié  dans  la  Bibliothèque  de  l'art 
du  xviii*^  siècle,  où  l'auteur  a  voulu  observer,  à 
travers  l'œuvre  des  portraitistes  français,  toute  la  vie 
sociale  de  l'époque;  il  ne  s'est  pas  contenté,  nous  dit- 
on,  de  caractériser  les  peintures,  mais  s'est  soucié  aussi 
d'analyser  leurs  modèles.  Et  ces  modèles  sont  déli- 
'  ieux,  qui  revivent  en  cinquante  planches  hors  texte 
lune  belle  typogravure. 

I  •;uit>ort  (Ernest).  —  Œuvres  choisies  de  Maurice  et  Eugénie 
de  Guérin,  un  volume  composé  avec  beaucoup  d'in- 
telligence et  de  piété.  L'auteur  a  publié  en  tête  du  livre 
une  étude  documentée  d'une  éloquence  émue  sur 
Maurice  de  Guérin  ce  poète  «  qui  mourut  jeune  comme 
•  eux  qui  sont  aimés  des  dieux»,  sans  avoir  pu  réaliser 
les  magnifiques  espoirs  qu'il  faisait  concevoir,  sans 
avoir  non  plus  connu  le  déchu;  et  sur  Eugénie  de 
Guérin  que  Lamartine  appelait  le  «  saint  Augustin  des 
femmes,  un  saint  Augustin  sans  péché  ». 

llallays( André). —  ^MtowrrfePam,  un  charmant  hvre  semé 
de  jolies  images,  le  premier  d'une  série,  où  M.  André 
Hallays  se  promet  de  nous  conduire  «  en  flânant 
;i  travers  la  France  »  ;  ce  premier  volume  d'une  grande 
-•'duction  est  consacré  à  l'évocation  de  ces  coins  ravis- 
sants qui  sont  un  peu  partout  autour  de  Paris,  de 
Maintenon  à  la  Ferté-Milon,  de  Mantes  à  la  Roche- 
Guyon,  de  Soissons  à  Chantilly  :  ce  sont  les  impres- 
sions d'un  touriste  qui  chérit  la  lumière,  fes  paysages, 
les  monuments  et  les  reliques  de  la  France. 

Henckens  (Lieutenant).  —  Mémoires ^  «  se  rapportant  à  son 


300  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

service  militaire  au  6^  régiment  de  chasseurs  à  cheval 
français,  de  février  1803  à  août  1816»,  pubhés  par  son 
fils  E.  F.  G.  A.  Henckens,  général-major  en  retraite 
de  l'armée  des  Pays-Bas. 

Hymans  (Henri).  — -  Antonio  Moro,  «  son  œuyre  et  son 
temps»;  c'est  un  véritable  monument  de  l'histoire  de 
l'art  des  Pays-Bas,  et  il  y  a  là  cinquante-quatre 
planches  hors  texte  en  héliogravure  et  en  héliotypie 
qui  sont  admirables  :  c'est  vraiment  une  joie  pour  les 
yeux. 

Japy  (Frédéric).  —  Lettres  d'un  soldat  à  sa  mère,  de  belles 
pages  de  vaillance  française  et  de  patriotisme  que 
l'auteur  écrivit  de  1849  à  1870  des  champs  de  bataille 
d'Afrique,  de  Crimée,  d'Itahe,  du  Mexique;  M.  Jules 
Japy  a  cru  intéressant,  —  et  il  a  eu  bien  raison  — 
de  publier  ces  lettres  ;  «  nos  enfants  y  trouveront  — 
comme  il  le  dit  très  bien  —  un  bel  exemple  d'amour 
filial,  de  courage,  de  patriotisme,  de  devoir  et  de 
dévouement.  » 

Jobé(J.).  —  La  Science  économique  au  xx^  siècle.  * 

Le  Goffic  (Charles). —  L'Ame  bretonne,  «  La  Bretagne  et  le 
pays  celtique  »,  une  troisième  série  de  ces  pages  capti- 
vantes où  l'auteur  célèbre  cette  âme  si  compliquée,  si 
profonde,  si  difficile  à  comprendre  :  «  l'Eternel  se 
plaît  aux  énigmes,  nous  dit-il,  il  y  en  a  deux  que  nous 
ne  sommes  pas  près  d'élucider  :  c'est  le  cœur  de  la 
femme  et  c'est  l'âme  du  Celte  »;  ce  ne  sera  pas  la  faute 
de  M.  Le  Goffic  si  nous  continuons  d'ignorer  cette 
dernière. 

Lelièvre  (Pierre).  —  Poèmes  éçangéliques. 

Leparc  (Suz^y).  —  Petits  Mémoires  de  la  vie  littéraire. 

Maigrot  (Henri).  —  Le  long  des  chemins,  des  petits  poèmes 
«  nés  au  hasard  des  rencontres  et  de  la  fantaisie  ». 

Marty  (Félix).  —  Voir  Yves  de  Constantin. 

Nadaud  (Marcel).  —  Tendresses...  Tristesses,  des  impressions 
malicieuses  ou  tendres,  d'un  tour  très  délicat. 

Poizat  (Alfred).  —  SaUl,  Antigone,  deux  tragédies  où  l'au- 
teur a'^rodigué  les  beaux  vers. 

Puyrenier  (Antony).  —  Le  Cœur  nomade,  poésies. 

RiOzat  de  Mandre  (Général).  —  Les  Régiments  de  la  division 


MEMENTO    DES    MOIS    d'aOUT    ET    SEPTEMBRE  301 

Margueritte  et  les  charges  à  Sedan,  un  volume  publié 
à  propos  de  l'inauguration  du  monument  des  «  Braves 
Gens  ». 

Saix  (Guillot  de).  —  Monsieur  Bébé,  une  série  tout  à  fait 
gentille  de  «  monologues,  fables,  récits  et  saynètes  à 
dire  et  à  lire  par  tous  et  pour  tous  »,  réunis  par  l'au- 
teur en  un  volume,  où  les  mamans  trouveront  une 
foule  de  choses  gracieuses  et  faciles,  dont  la  récita- 
tion fera  briller  leur  progéniture. 

Soubies  (Albert).  —  V Almanach  des  spectacles  —  année 
1909.  C'est  le  39«  volume  —  et  la  trente-neuvième 
année  —  de  cette  vénérable  collection  dont  l'origine 
remonte  à  plus  de  cent  cinquante  ans,  car  l'ancien 
«  Almanach  des ' spectacles»,  que  continue  cette  série 
de  M.  Albert  Soubies,  avait  été  fondé  aux  environs 
de  1750;  et  ce  sont,  comme  toujours,  une  foule  de  pré- 
cieux renseignements  et  de  documents  présentés  avec 
infiniment  d'art  et  de  goût  dans  un  petit  livre  qui  est 
un  joyau  de  bibliophile, 
liages  (Gabriel).  —  Du  Cœur,  une  «  Petite  contribution 
à  l'étude  de  l'amour  illégitime  »  où  il  y  a  souvent  de 
l'observation  ironique  et  parfois  de  la  poésie. 

\  ivien  (Renée).  —  Haillons  —  Dans  un  coin  de  violettes  — 
Le  Vent  des  vaisseaux,  trois  volumes  posthumes  de 
cet  étrange  poète  qui  réalisa  beaucoup  et  dont  nous 
espérions  plus  encore. 

Zamaçois  (Miguel).  — La  Fleur  merveilleuse,  l'exquise  pièce 
de  notre  ami  qui  obtint  au  printemps  un  si  vif  succès 
au  Théâtre-Français,  où  dès  le  début  de  l'automne 
elle  reprendra  le  cours  de  sa  brillante  carrière.  Entre 
temps,  nous  pourrons  déguster  tout  à  loisir  ces  johs 
vers  d'une  forme  si  pimpante  et  si  harmonieuse,  et 
d'une  si  gracieuse  et  si  émouvante  inspiration. 

***.  —  Les  Origines  diplomatiques  de  la  guerre  de  1870- 
1871,  le  pathétique  recueil  de  documents  officiels 
pubhés  par  le  ministère  des  affaires  étrangères. 

***.  —  Le  Théâtre  italien  —  Les  Poètes  anglais,  deux 
volumes  parus  dans  r«  Anthologie  des  classiques  de 
toutes  les  époques  et  de  tous  les  pays». 


18 


OCTOBRE 


LES  ROMANS 


ANDRÉ  GORTHIS 
Le  pauvre  amour  de  dona  Balbine. 

Lorsqu'il  y  a  quelques  années,  le  Prix  de  la  Vie 
Heureuse  révéla  au  grand  public  le  nom  d'André 
Gorthis,  auteur  d'un  recueil  de  poésies  Gemmes  et 
Moires^  nous  eûmes  plaisir  à  saluer  en  cette  jeune 
femme  de  lettres  l'aurore  d'une  très  gracieuse  et 
très  intense  personnalité.  Gette  personnalité  s'affir- 
me dans  :  le  pauvre  amour  de  dona  Balbine;  si  j'o- 
sais, je  dirais  qu'elle  s'affirme  trop  —  entendez 
par  là  que  la  délicatesse  de  la  pensée  et  du  style 
va  parfois,  dans  ce  livre,  jusqu'à  risquer  d'être 
un  tantinet  précieux.  N'exagérons  point  la  portée 


OCTOBRE    LES    ROMANS  303 

(ic  .  t'iir  lemarque  :  André  Corthis  ne  doit  se  méfier 
(fiie  de  l'excès  de  ses  qualités;  c'est  là  un  ris- 
jue  qu'on  voudrait  voir  courir  à  bien  des  écri- 
'ains. 

L'histoire  douloureuse  de  dona  Balbine  se 
déroule  sur  les  bords  du  Tage,  dans  un  décor 
évoqué  avec  beaucoup  d'art,  en  des  mots  harmo- 
nieusement rangés  qui  font  image  et  nous  donnent 
une  vive  et  profonde  impression  de  Tolède,  des 
rousses  pierres  de  ses  palais  et  des  roches  pourpres 
le  sa  campagne.  Dona  Balbine,  au  fin  et  séduisant 
\  isage,  est  une  femme  boiteuse  qui  vit,  dans  la 
petite  maison  de  Tolède,  entre  Sanche,  son  mari, 
t  Miguel,  son  beau-frère,  tous  deux  contrefaits 
t   infirmes. 

Dans  ces  pauvres  corps  disgraciés  par  la  nature, 
(lt->  cœurs  palpitent,  ardents,  voluptueux,  qui 
voudraient  vivre  les  belles  amours;  ces  amours, 
Balbine  les  connaîtra,  elle  en  est  sûre;  une  bohé- 
mienne les  lui  a  promises,  et  lorsque  Andrès, 
Miperbement  beau,  vient  auprès  d'elle,  elle  ne 
doute  pas  que  ce  soit  la  réalisation  de  la  divine 
prophétie,  elle  s'éprend  pour  lui  d'un  amour 
idolâtre,  mais  hélas  !  Andrès  s'en  va,  sans  avoir 
])arlé,  vers  d'autres  amours,  et  Balbine,  désespérée, 
s'aperçoit  avec  horreur  que  cette  tendresse 
prophétisée  par  la  devineresse  elle  est  là,  près  d'elle, 
et  que  c'est  son  beau-frère  Miguel,  qui  depuis  long- 
temps la  chérit  en  silence. 

A  ce  dernier,  elle  impose  la  plus  douloureuse  des 


304  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

comédies  acceptant  ses  paroles  d'amour  à  la  condi- 
tion d'imaginer  qu'elles  lui  sont  dites  par  Andrès,  et 
l'aventure  se  dénoue  en  une  tragédie  par  la  mort 
de  Balbine  tuée  par  son  mari  jaloux  d'Andrès. 

Il  y  a,  dans  toute  cette  histoire,  je  ne  sais  quelle 
impression  morbide  au  malaise  de  laquelle  nous 
ne  pouvons  échapper;  mais  quelle  puissance  aussi 
dans  l'évocation  de  cette  passion  douloureuse  et  de 
la  force  implacable  du  destin.  Ce  livre,  qui  fait 
honneur  à  André  Gorthis,  est  complété  par  une 
série  de  nouvelles  très  émouvantes  et  pittoresques. 


HENRY  BORDEAUX 
La  Robe  de  laine. 

Cette  robe  de  laine  symbolique  est  l'humble  robe 
de  mariée  que  portait  Raymonde  Mayrieux  le  jour 
où  Raymond  Gernay,  le  riche  châtelain,  l'épousa, 
elle,  la  modeste  fille  de  ses  régisseurs.  Et  c'est  encore 
cette  robe  de  laine  que  nous  retrouvons  au  dénoue- 
ment, devenue  le  linceul  de  la  jeune  femme,  morte 
victime  du  luxe  et  de  l'éclat  du  monde  trop  cruels  à 
sa  mystique  simplicité. 

Le  riche  et  amoureux  Raymond  Gernay,  en  allant 
vers  cette  jeune  fille,  en  lui  offrant  l'aubaine  ines- 
pérée de  ce  qu'on  appelle  un  «  beau  mariage  » 
croyait,  sans  doute,  être  très  généreuxet  très  noble  ; 


OCTOBRE    LES    ROMANS  305 

il  a  simplement  causé  le  malheur  et  la  mort  d'un 
être  d'élection. 

C'est  —  ainsi  que  nous  dit  M.  Henry  Bordeaux, 
dans  la  dédicace  de  son  livre  offert  à  Pierre  Loti  — 
«  pour  acquitter  la  dette  de  son  adolescence  exaltée 
par  la  fièvre  qui  monte  des  ouvrages  de  l'écrivain  », 
c'est  «  l'histoire  d'une  petite  fille,  toute  simple,  que 
broie  la  cruelle  vie  moderne  )>.  M.  Henry  Bordeaux 
pense,  au  seuil  de  son  livre,  à  la  Colette  Baudoche 
de  Barrés,  à  la  Mireille  de  Mistral,  à  la  Petite 
Fadette  de  George  Sand,  à  tant  d'autres  venues  du 
Valois,  de  la  Bretagne,  du  Berry,  du  Dauphiné,  de 
la  Vendée  ou  du  pays  basque,  et  «il  souhaite  que  ces 
petites  filles  prennent  par  la  main,  telle  une  sœur 
cadette  qui  a  besoin  de  protection,  cette  Raymonde 
qu'il  leur  amène  de  la  Savoie  et  qui  voudrait  bien 
entrer  dans  leur  ronde  sans  paraître  une  intruse...  » 


JEAN   MADELINE 
L'Erreur  conjugale. 

L'Erreur  conjugale,  dont  nous  parle  M.  Jean 
Madeline,  est  celle  que  commit  l'ingénieur  Etienne 
Salvan,  lorsqu'il  épousa  Claire  Berard.  Cette  jeune 
fille  l'avait  séduit  dans  une  circonstance  drama- 
tique, lorsqu'il  l'avait  vue  sauvant,  au  péril  de  sa 
vir,  une  vieille  dame  qui  allait  être  écrasée  par  un 

IH. 


:}0(î  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

train;  et,  comme  il  avait  toujours  souhaité  d'épou- 
ser une  vierge  forte,  une  vaillante  associée,  il  s'était 
dit,  avec  quelque  apparence  de  raison,  que  cette 
jeune  fille  était  faite  pour  réaliser  son  rêve. 

Grave  erreur  !  Claire,  héroïque  par  occasion,  est, 
dans  la  vie  courante,  une  femmelette  qui  s'épou- 
vante et  s'émeut  de  rien  et  de  tout.  Son  mari 
éprouve  une  amère  déception  en  constatant  qu'au 
lieu  d'une  force  sur  laquelle  s'appuyer,  il  n'a  auprès 
de  lui  qu'une  faiblesse  à  réconforter.  Heureusement, 
il  a  la  sagesse  d'en  prendre  son  parti;  il  fait  appel  à 
tout  son  courage,  à  toute  son  énergie,  il  voit  la 
beauté  de  son  rôle  naturel  de  protecteur,  et  au 
dénouement  il  serre  tendrement  sa  femme  dans  ses 
bras  en  lui  murmurant  :  «  Je  t'aime  pour  ta  fai- 
blesse. » 

L'histoire  est^  gentille,  contée  avec  agrément  et 
elle  nous  fait  passer  quelques  heures  charmantes 
dans  la  compagnie  toujours  sympathique  de  gens 
heureux,  pour  lesquels  tout  s'arrange  :  affaires  d'ar- 
gent et  affaires  de  cœur. 


GABRIELLE  RÉ  VAL 
La  Bachelière. 

M  ni®  Gabrielle  Réval,  dont  les  Sévriennes  eurent 
un  si  grand  retentissement,  a  continué,  dans  ses 


OCTOBRE    —    LES    ROMANS  307 

romans,  à  s'occuper  presque  exclusivement  de  ces 
jeunes  filles  qui  passèrent,  dans  les  écoles,  de  longues 
années  de  labeur  et  d'espoir  pour  arriver  au  seuil 
de  la  vie  avec  l'arme  débile  si  chèrement  achetée, 
si  passionnément  souhaitée,  d'un  diplôme  ou  d'un 
titre.  Et  ce  furent  après  les  Sèmennes^  les  Lycéen- 
nes^ les  Lycées  de  jeunes  filles,  et  c'est  aujourd'hui  la 
Bachelière. 

C'est  un  sujet  singulièrement  émouvant  et  di- 
vers; ce  n'est  pas  un  sujet  inépuisable,  et  l'on  pour- 
rait craindre,  à  la  longue,  une  certaine  impression 
de  monotonie  dans  ces  romans.  Je  l'avoue,  j'ai  eu 
cette  crainte  en  apercevant  la  bachelière  que 
M°i®  Gabriel  Réval  nous  a  amenée  à  Paris,  venant 
de  sa  montagne  avec  sa  peau  d'âne  sous  le  bras, 
cette  petite  Gaude  qui,  nous  dit-elle,  «  n'est  pas 
une  pédante,  mais  une  simple  et  ardente  et  vibrante 
gamine  atteinte  par  la  vie  dans  son  bel  espoir  et 
surprise  par  elle  dans  son  ignorance  de  ce  que  sont 
ses  contemporains».  J'ai  éprouvé  cette  crainte,  j'ai 
eu  aussi  l'espoir  d'une  œuvre  de  discussion  et  de 
philosophie  sur  l'instruction  secondaire  des  jeunes 
filles  et  sur  les  problèmes  intellectuels  et  sociaux 
qu'elle  soulève. 

Ni  cette  crainte  ni  cet  espoir  n'étaient  justifiés; 
malgré  ce  titre,  ce  n'est  pas  «  la  bachelière))  qui 
apparaît  dans  le  roman  de  M^»®  Gabrielle  Réval, 
c'est  une  jeune  fille  qui  a  obtenu  son  baccalauréat, 
et  ce  n'est  pas  du  tout  la  même  chose  ;  son  aventure 
est  d'ailleurs  très  émouvante  et  il  y  a  beaucoup  de 


308  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

noblesse  dans  ce  drame  d'une  vierge  forte,  intelli- 
gente et  généreuse,  acharnée  à  défendre  l'œuvre 
et  la  gloire  de  son  père,  prête  pour  cela  à  tous  les 
sacrifices,  à  commencer  par  celui  de  sa  propre  per- 
sonne; mais,  je  le  répète,  c'est  une  histoire.très  bril- 
lamment imaginée,  très  bien  conduite,  ce  n'est  pas 
le  roman  de  la  bachelière. 

M"^^  Gabrielle  Réval  y  a  semé  cependant  une 
foule  d'observations  pittoresques,  de  notes  qu'on 
sent  véridiques,  et  elle  n'a  pas  reculé  parfois  devant 
certaines  évocations  audacieuses,  dont  je  dirais  — 
si  je  ne  détestais  les  jeux  de  mots  faciles  —  qu'elles 
me  paraissent  plutôt  du  domaine  de  la  licence 
que  do  celui  du  baccalauréat. 


MAURICE   MONTÉGUT 
La  Chaîne  des  Daines. 

Les  lecteurs  du  Figaro  connaissaient  la  Chaîne  des 
Darnes^  ce  «  roman  moderne  »  de  M.  Montégut  dont 
ils  avaient  eu  la  primeur  :  ils  savaient  tout  ce  qu'il  y  a 
d'émouvant  et  de  pathétique  dans  cette  histoire  d'a- 
mour et  d'amitié  dominée  par  deux  êtres  d'élection  : 
le  romancier  Guillaume  Portai  et  le  poète  Raoul 
Desmoulins.  Je  n'avais  donc  plus  que  l'agréable 
devoir  de  saluer  cette  œuvre  forte  et  généreuse  où 
M.  Maurice  Montégut  a  peint  les  milieux  littéraires 


OCTOBRE    LES    ROMANS  309 

et  artistiques  de  Paris  avec  une  si  remarquable 
vérité,  évoqué  des  personnages  si  vivants,  des 
drames  si  humains  qu'on  est  tenté  parfois  de 
chercher  la  clef  de  ce  roman. 

On  ne  saurait  la  trouver  parce  qu'il  n'y  en  a  pas  ; 
M.  Maurice  Montégut  ne  cultive  pas  ce  genre, 
incompatible  d'ailleurs  avec  le  lyrisme  généreux, 
l'idéalisme  ardent  qu'on  trouve  toujours  dans  ses 
livres  et  qui  plus  que  tout  autre  ennoblit  la  Chaîne 
des  dames. 


FRÉDÉRIC   MAUZENS 
Les  Écumeurs  de  Salon. 

Vous  n'avez  pas  oublié  sans  doute  la  première 
œuvre  de  cet  écrivain,  ce  Coffre- fort  vivant.,  d'une  si 
heureuse  et  si  riche  fantaisie  où,  du  premier  coup, 
s'affirmait  un  émule  tout  à  fait  original  et  person- 
nel de  Jules  Verne.  Le  succès  fut  considérable; 
depuis  lors  M.  Frédéric  Mauzens  a  voulu  corser  sa 
manière,  il  a  évolué  dans  le  sens  du  roman  d'aven- 
tures et  il  a  mis  sa  généreuse  et  riche  imagination 
au  service  d'histoires  feuilletonesques. 

Je  ne  puis  m'empêcher  de  le  regretter  un  peu;  je 
crois  que  M.  Frédéric  Mauzens  aurait  pu,  et  pourra 
nous  donner  dans  le  genre  du  Coffre-fort  vivant  des 
livres  d'une  très  grande  séduction.  Ce  regret  une 
fois  exprimé,  il  est  juste  de  dire  qu'il  réussit  supé- 


:M()  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

rieurement  dans  le  genre  adopté  par  lui,  et  son 
roman  les  Ecumeurs  de  salon^  avec  toutes  les 
péripéties  extraordinaires,  les  meurtres,  les  enlè- 
vements d'enfants,  les  détournements  d'héritage, 
les  luttes  épiques  entre  le  crime  et  l'innocence, 
toutes  ces  choses  qu'exige  la  poétique  du  genre,  est 
tout  à  fait  amusant,  conduit  avec  beaucoup  d'art 
et  il  s'y  trouve  notamment  une  évocation  de  la 
Butte  et  du  monde  des  chansonniers  d'une  très 
pittoresque  vérité." 

Et  lorsqu'on  arrive  au  dénouement  du  drame, 
au  châtiment  du  crime,  personnifié  par  l'odieux 
Fernand  de  Tercy,  après  avoir  traversé  trois  cent 
cinquante  pages  d'émotion,  de  larmes  et  de  rires 
savamment  dosés,  on  ne  peut  plus  songer  à. en  vou- 
loir à  l'auteur  qui  a  su  atteindre  son  unique  but  : 
émouvoir  et  amuser  son  lecteur. 


ROBERT-VALLERY  RADOT 
Leur  Royaume. 

Il  fait  bon,  en  ces  temps  où  régnent  les  réalités 
brutales,  d'aller  parfois  se  retremper  dans  des 
régions  éthérées  de  tendresse  mystique,  de  sacrifice 
rayonnant,  de  candeur  et  de  chasteté  ;  de  tels  voya- 
ges sont  bienfaisants  et  l'on  en  revient,  sinon  tout  à 
fait  converti,  du  moins  fort  édifié:  malheureuse- 


UCTOFJRi:    —    LES    ROMANS  oll 

ment,  la  vie  ne  nous  en  offre  pas  souvent  l'occa- 
sion et  encore  moins  le  roman,  plus  brutal  que  la  vie 
elle-même.  Remercions  donc  M.  Robert  Vallery- 
Radot,  à  qui  nous  devons  une  de  ces  excursions  au 
pays  du  bleu  où  se  trouve  situé  Leur  Royaume  :  le 
royaume  de  Fabienne  et  de  Marie,  deux  sœurs,  deux 
jeunes  filles  qui  sont  des  modèles  de  grâce  et  de 
pureté,  éprises  toutes  deux  d'une  tendresse  pro- 
fonde pour  Jacques  Vibreuse,  qui  aime  éperdu- 
ment  l'une  d'elles,  Marie. 

Une  telle  situation  pourrait  être  tragique  et 
nous  conduire  aux  plus  vilaines  péripéties,  mais  les 
héros  de  l'aventure  sont  des  êtres  d'élection  en  qui 
nul  sentiment  bas  ne  saurait  naître;  ils  peuvent 
souffrir  :  ils  sont  incapables  de  haïr  et  de  se  rebeller 
contre  la  Providence  ;  leurs  âmes  et  leurs  cœurs  se 
retrempent  et  s'épurent  dans  la  bonne  souffrance. 
Et,  conformément  aux  vœux  de  la  Providence  et 
aux  lois  de  son  cœur,  Jacques  Vibreuse  épouse 
Marie,  cependant  que  Fabienne  s'impose  de  renon- 
cer à  son  amour  et  s'efforce  d'accorder  une  tendre 
amitié  à  Antoine  de  Nancbèvres  à  qui  elle  liera  sa 
destinée. 

M.  Robert  Vallery-Radot  a  fort  bien  exprimé, 
dans  une  langue  très  pure,  toute  pleine  de  belles 
images  —  presque  des  images  de  sainteté  !  —  ce 
qu'il  y  a  de  noble,  de  sage  et  de  généreux  dans  un 
tel  arrangement  dont  le  seul  défaut  est  de  n'être 
point  à  laportée  des  âmes  vulgaires,  qui  sont  hélas  I 
lin  peu  plus  nombreuses  que  les  autres. 


312  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

DOMINIQUE  DURANDY 
L'Ane  de  Gorbio. 

«  Poussières  du  Midi»,  nous  dit  M.  Dominique 
Durandy,  en  épigraphe  et  commentaire  du  volume 
de  nouvelles  qu'il  vient  de  publier  sous  le  titre  de 
la  première  :  F  Ane  de  Gorbio,  Et  ce  sont  bien  en 
effet  de  jolies  choses  du  Midi,  sentant  bon  le  terroir, 
toutes  baignées  de  soleil  et  de  lumière,  que  ces  nou- 
velles, ces  silhouettes  de  politiciens  tracées  nerveu- 
sement, ces  coins  de  vie  niçoise,  ces  paysages  et 
figures  du  Midi.  M.  Dominique  Durandy  est  un 
enfant  de  ce  pays  béni  :  il  y  coule  des  jours  heureux 
et  actifs;  et,  malgré  l'accoutumance,  il  sait  très 
bien  voir  et  noter  les  choses  qui  l'entourent,  il  les 
évoque  avec  une  tendresse  infinie,  avec  aussi  une 
pointe  de  raillerie  pas  méchante. 

Et  c'est  charmant,  vraiment;  cela  nous  ragail- 
lardit, nous  autres  déshérités,  qui  ne  connaissons 
que  quelques  jours  seulement  chaque  année  la  côte 
ensoleillée,  car  c'est  tout  le  Midi  qui  vient  à  nous 
dans  ce  livre  :  ses  arbres,  ses  paysages,  ses  hommes 
et  même  ses  bêtes,  comme  ce  bon  âne  patriote  de 
Gorbio,  en  rébellion  contre  son  nom  de  Bismarck, 
comme  aussi  le  chien  Moustache,  l'étonnant  liber- 
taire. 

M.  Jean  Aicard  dit,  dans  une  aimable  préface, 
sa  prédilection  pour  ce  livre  «  pénétré  du  véritable 


OCTOBRE    —    LES    ROMANS  313 

sprit  populaire  de  chez  nous  qui  n'est  pas  seule- 
iient  bon  sens,  mais  raillerie  même  du  bon  sens, 
peint  par  lui-même.  C'est  bien  l'esprit  populaire 
<ie  la  région  du  Var  que  nous  montre,  avec  beaucoup 
(le  pénétration  fine  et  d'esprit  personnel,  M.  Domi- 
nique Durandy.  » 


CAPITAINE  DANRIT 
L'Aviateur  du  Pacifique. 

Le  capitaine  Danrit,  romancier  militaire  dont  la 
généreuse  imagination  nous  a  valu  déjà  cette  célè- 
bre Guerre  de  demain^  cette  Invasion  jaune,  cette 
Guerre  fatale^  et  tant  d'autres  belles  histoires  dra- 
matiques dont  le  succès  fut  considérable,  entreprend, 
aujourd'hui,  le  grand  roman  de  l'aviation. 

Fidèle  à  sa  méthode,  le  capitaine  Danrit  a  écrit 
ce  roman  sur  une  donnée  rigoureusement  établie 
au  point  de  vue  scientifique  et  géographique,  pous- 
sant le  scrupule  jusqu'à  dresser  une  carte  sur 
laquelle  nous  pouvons  suivre  les  exploits  de  son 
héros.  Sur  une  base  si  soHde,  il  peut  bâtir  les  fictions 
les  plus  extraordinaires,  les  péripéties  les  plus  im- 
piévues,  assuré  qu'elles  nous  paraîtront  toujours 
l'aies,  sinon  vraisemblables. 

Et,  de  fait,  elle  est  bien  extraordinaire  cette 
épique  envolée  de  l'ingénieur  français  Maurice 
Rimbaut  à  travers  le  Pacifique,  sur  un  biplan  de 

19 


314  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

fortune  improvisé  par  l'ingénieur  avec  un  moteur 
échappé  à  un  naufrage,  quelques  planches  et  quel- 
ques mètres  de  toile.  Sur  ce  frêle  esquif  aérien,  à 
travers  les  périls  sans  nombre  que  sèment  autour 
de  lui  l'hostilité  des  éléments  et  celle  des  hommes, 
il  réussit  à  accomplir  la  fantastique  mission  qu'il 
s'est  donnée  :  il  apporte  aux  Etats-Unis  en  guerre 
avec  le  Japon  une  chance  de  salut  et  il  retrouve, 
par  surcroît,  sortie  saine  et  sauve  des  plus  effroya- 
bles dangers,  une  jeune  fiancée  qu'il  aime  tendre- 
ment. 

Cette  dramatique  histoire  est  fort  impression- 
nante; son  auteur,  sans  rien  perdre  de  son  ori- 
ginalité, a  été  à  la  bonne  école  de  notre  grand  Jules 
Verne,  et  puis,  il  garde,  comme  toujours,  un  loua- 
ble souci  d'édification  patriotique,  dans  ce  livre 
qu'il  dédie  «  aux  officiers  français  qui  ont  jalonné 
de  leurs  corps  le  rude  chemin  de  la  conquête  de 
l'espace  ». 


JAMES  LANE-ALLEN 
L'Invisible  Chœur. 

(Adapté  de  l'ang-lais  par  M""  A.  Bohn). 

Ulnvisihle  Chœur,  de  James  Lane-Allen  est  un 
bien  étrange  livre  :  tout  plein  d'observations  aiguës, 
de  descriptions  pittoresques  d'une  vivante  vérité, 
il  est,  en  même  temps,  d'une  subtilité  bien  rare  en 


OCTOBRE    LES    ROMANS  315 

lin  roman  de  langue  anglaise.  Au  seuil  de  ce  roman 
une  citation  de  Georges  Eliot  :  «  Puissé-je  me  join- 
dre à  l'invisible  chœur,  le  chœur  des  morts  immor- 
tels, qui  revivent  dans  nos  âmes  et  les  rendent 
meilleures  par  leur  présence.  Puissé-je  aussi  rejoin- 
dre l'invisible  chœur,  celui  dont  la  musique  est  la 
joie  du  monde.  »  Vous  voilà  fixés  —  ou  à  peu  près  ! 
—  sur  le  sens  du  titre  et  sur  la  nature  du  «  chœur 
invisible»  vers  lequel  tend  John  Gray,  le  héros  du 
roman,  maître  d'école  écossais  qui  vivait  au  Ken- 
tucky  vers  1795,  aux  premiers  temps  de  l'indépen- 
dance de  l'Amérique. 

Le  cadre  puissamment  évoqué  prêtait  à  un 
roman  d'aventures,  mais  c'est  une  histoire  de  cœur 
et  d'âme  que  l'auteur  a  prétendu  nous  conter  :  celle 
des  amours  contrariées  de  John  Gray  pour  miss 
Any,  la  nièce  de  Mrs  Falconer,  celle  de  son  ma- 
riage résigné  avec  une  jeune  fille  pour  laquelle  il 
n'éprouvera  jamais  de  vrai  amour,  celle  enfin  de 
sa  tendre  affection  pour  Mrs  Falconer  dont  le  sou- 
venir doux  et  impérieux  lui  revient  après  de  longues 
années  de  travail  et  de  fortune,  et  auprès  de  laquelle 
il  aspire  à  finir  ses  jours. 

Mï»e  A.  Bohn  a  adapté  ce  roman  tout  à  fait  hon- 
nête et  chaste  avec  beaucoup  d'adresse,  en  une 
langue  très  littéraire  :  et  elle  a  su  y  mettre  toute  la 
clarté  possible  on  lui  gardant  son  caractère  tout  n 
fiiil    jKU'f jciilicr. 


H16  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAÏKK 

GASTON  ROUPNEL 
Nono. 

M.  Gaston  Roupnel  est,  je  crois  bien,  un  débu- 
tant; du  moins,  je  vois  son  nom  pour  la  première 
fois,  et  ce  m'est  une  joie  de  découvrir  en  lui  de 
fort  belles  qualités  d'observation  et  de  sincérité.  Il 
évoque  dans  son  livre  les  mœurs  des  paysans  bour- 
guignons, attachés  passionnément  à  leurs  vignes,  et 
il  nous  offre  de  leur  vie  un  vigoureux  et  vivant 
tableau. 

Au  centre  de  ce  tableau,  le  héros  Jacquelinet, 
surnommé  Nono  —  une  attachante  figure  de  pay- 
san, bonasse  et  terreuse  où,  sous  de  chétifs  sourcils, 
de  petits  yeux  grésilles  et  doux  avaient  le  regard 
ravi  de  l'innocence  —  est  typé  dès  les  premières 
pages  du  livre  avec  une  intense  vérité.  Nous  le 
voyons,  ce  grand  diable  que  son  excessive  bonté 
voue  à  tous  les  malheurs,  à  tous  les  ridicules,  et 
tout  de  suite  nous  éprouvons  pour  lui  une  tendresse 
infinie  :  victime  désignée  de  la  malignité  des  hom- 
mes et  de  la  légèreté  des  femmes,  il  souffre  de  l'infi- 
délité de  sa  femme  Nenette,  et  de  la  faute  de  sa 
petite  fille,  Laurette,  des  railleries  et  des  méchan- 
cetés de  tous.  Sans  cesse  bafoué,  meurtri  et  malheu- 
reux, il  pardonne  sans  cesse  parce  qu'il  y  a  dans  son 
cœur  de  tels  trésors  de  bonté;  et,  au  dénouement 
du  livre,  vingt  ans  ayant  passé,  vingt  ans  de  dou- 


OCTOBRE    —    LES    ROMANS  317 

leur  et  de  détresse,  il  sera  heureux  de  recueillir 
auprès  de  lui  et  d'aimer  dans  la  paix  sa  femme 
infidèle,  abandonnée  et  flétrie. 

Ainsi,  cette  étude  de  mœurs  paysannes  d'un  réa- 
lisme âpre  et  minutieux  s'élève  au-dessus  de  son 
objet;  elle  nous  offre  un  émouvant  plaidoyer  pour 
la  bonté,  triomphante  de  toutes  les  fautes,  de  toutes 
les  railleries,  de  toutes  les  tristesses,  la  bonté  qui 
sauve  et  qui  console,  portant  sa  récompense  en 
elle-même;  et,  n'en  déplaise  aux  pessimistes,  ce 
n'est  pas  ce  qu'il  y  a  de  moins  réaliste  et  de  moins 
\  I  <ù  dans  cette  œuvre  émouvante. 


JEAN-PAUL  DESMOULIN 
L'Œillade  posthume. 

•Jean-Paul  Desmoulin  est  un  pseudonyme,  l'au- 
teur du  livre  est,  nous  dit-on,  un  brillant  général 
de  l'armée  d'Afrique,  le  «  Général  trois  étoiles  ».  Il 
n'y  va  pas  de  main  morte,  ce  guerrier  ;  il  excelle, 
je  vous  assure,  à  donner  le  frisson  aussi  bien  avec 
sa  plume  qu'avec  son  épée.  Ses  histoires  sont  terri- 
bles et  Edgard  Poë  n'a  rien  imaginé  de  plus 
effrayant  ;  pour  vous  en  donner  une  idée  je  vous  dirai 
simplement  que  VQullade  posthume  décochée  au 
lieutenant  de  spahis,  qui  nous  conte  cette  aven- 
ture, lui  est  apportée  par  une  gazelle  dans  les  orbi- 


318  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

tes  de  laquelle  un  rival  jaloux  a  délicatement 
enchâssé  les  yeux  de  Khadra,  une  belle  dame 
épouse  du  caïd  des  Béni  Snassen,  dont  le  lieutenant 
avait  été  aimé  dans  des  circonstances  particulière- 
ment tragiques;  et  il  y  en  a  d'autres  non  moins 
terribles,  non  moins  angoissantes,  et  bien  que  ces 
terrifiantes  choses  soient  au  plus  haut  degré  invrai- 
semblables, elles  sont  contées  avec  une  si  rude  sim- 
plicité qu'on  les  croit  vécues,  et  l'auteur  désire, 
d'ailleurs,  que  nous  les  croyions,  puisque  dans  la 
dédicace  de  son  livre  il  parle  de  «  ces  ombres  dou- 
loureusement passionnées  surgies  des  limbes  de  sa 
mémoire  ». 


COMTESSE  DE  BAILLE  HACHE 
Estelle. 

En  un  roman  d'une  très  agréable  observation 
psychologique,  M^^  la  comtesse  de  Baillehache 
nous  raconte  l'histoire  d'Estelle,  une  belle  jeune  fille 
à  l'âme  généreuse,  ardente,  éprise  d'idéal,  avide 
aussi  de  bonheur,  de  tendresse  et  d'amour  et  que 
son  mauvais  destin  a  placée  dans  un  milieu  de 
bourgeoisie  étroite,  haineuse,  méchante,  où  on 
l'opprime  et  la  martyrise  à  plaisir.  La  piuvre 
petite  orpheline  a  été  prise  en  tutelle  par  son  oncle 
et  sa  tante,  M.  et  M^^  de  La  Huchette,  qui  la 
détestent  et  lui  font  souffrir  mille  misères. 


OCTOBRE    LES    ROMANS  319 

Pour  échapper  à  cet  enfer,  elle  épouse  le  premier 
prétendant  venu,  Albert  de  Maersens,  un  officier  en 
garnison  à  Versailles;  en  se  mariant  à  ce  bon  fils 
d'une  acariâtre  belle-mère,  elle  n'a  fait  que  chan- 
ger de  bourreau,  et  M"^®  de  Maersens  s'applique  à 
lui  faire  regretter  M^^  de  La  Huchette.  Aussi, 
quand  Dominique  Oltara,  le  musicien  créole,  si 
généreux,  si  aimant,  si  tendre,  vient  à  passer  dans 
sa  vie,  de  quel  cœur  elle  voudrait  aller  à  lui  I  Ils  s'ai- 
ment d'un  amour  éperdu,  mais  elle  a  la  volonté  de 
rester  fidèle  à  son  devoir,  elle  résiste  et  le  décide  à 
partir.  Quelque  temps  après,  devenue  mère,  elle 
donne  le  jour  à  un  enfant  créole  :  quel  scandale  ! 
Pour  nous,  qui  savons  son  innocence,  nous  suppo- 
sons qu'il  y  a  là  un  miracle  de  l'amour  comme  celui 
dont  Gœthe  nous  entretenait  dans  les  Affinités 
électives,  mais  il  n'en  est  rien  et  la  cause  de  tout 
cela  c'est  une  faute  lointaine  de  M°^®  de  Maersens 
contrainte,  certain  jour,  à  la  honte  d'un  aveu,  et 
Albert  de  Maersens  qui,  sans  pitié,  avait  chassé  sa 
femme  dolente  et  désespérée,  comprend  alors  so'n 
injustice,  il  s'en  va  vers  elle,  et  comme  elle  le 
repousse  il  tente  de  se  donner  la  mort. 

Estelle  alors,  immuablement  fidèle  au  devoir, 
reprend  sa  place  auprès  de  lui  et  poursuit  sans  joie 
son  chemin  dans  la  vie  avec  au  cœur  l'amour  de  son 
enfant.  Cette  histoire,  un  peu  surprenante  parfois, 
nous  est  contée  avec  beaucoup  d'aisance  et  d'agré- 
ment, en  une  langue  claire,  précise,  rapide,  qui 
rend  cette  lecture  tout  à  fait  attrayante  et  facile. 


HISTOIRE,    LITTÉRATURE,     VOYAGES, 

DIVERS 


Mme  DU  HAUSSET 
Madame  de  Pompadour. 

Une  nouvelle  collection  historique  vient  de  naître 
et  je  serais  bien  étonné  que  la  fortune  ne  lui  prodi- 
guât pas  ses  sourires  ;  elle  a  pour  titre  :  la  Française 
racontée  par  elle-même.  —  Mémoires  de  la  Femme, 
où  seront  groupées  les  femmes  célèbres  de  France 
évoquées  par  des  femmes.  L'idée  n'est  point  seu- 
lement aimable,  elle  est  tout  à  fait  ingénieuse  et 
profonde  et  prend  toute  sa  portée  dans  notre 
France,  patrie  de  l'éternel  féminin.  Ainsi,  en  effet, 
que  yi^^  Marcelle  Tinayre  le  dit  très  bien  dans  la 
préface  du  premier  volume  :  «  En  aucun  pays,  les 
femmes  ne  participèrent  plus  activement  à  la  vie 


OCTOBRE    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    ETC.      321 

morale  et  politique.  Elles  enseignèrent  aux  hom- 
mes les  arts  délicats  de  la  civilisation,  les  finesses 
du  sentiment  et  du  langage,  la  fermeté  dans  les 
revers,  l'élégance  dans  l'amour  et  devant  la  mort. 
On  peut  dire  que  dans  les  cours,  dans  les  salons,  et 
même  sur  les  champs  de  bataille,  les  Françaises  ont 
aidé  les  Français  à  créer  la  France.  » 

C'est  donc  une  inspiration  heureuse  et  féconde 
de  leur  faire  raconter  l'histoire  de  la  France.  Le 
premier  volume  de  cette  série  est  consacré  à  Madame 
de  Pompadour,  et  c'est  M^^^  du  Hausset,  sa  femme 
de  chambre,  une  personne  fort  peu  imaginative 
—  partant,  très  véridique  —  qui  se  charge  de  nous 
la  raconter  dans  des  notes  d'un  prestigieux  et 
émouvant  intérêt  où  s'éclaire  la  figure  de  cette 
petite  bourgeoise,  parvenue  de  génie,  premier  mi- 
nistre en  falbalas,  dont  l'esprit  solide  et  lucide 
mène  le  corps  fragile,  qui  inaugure  le  premier  règne 
de  la  Femme,  de  la  femme  partie  de  bas,  arrivée 
au  sommet  par  la  seule  puissance  de  la  grâce  et 
de  l'habileté. 


EUGÈNE  WELVERT 
Autour  d'une  dame  d'honneur. 

Elle  est  bien  intéressante  et  émouvante  la  figure 
de  cette  Françoise  de  Ghalus,  duchesse  de  Nar- 
bonne-Lara,  dont  M.  Eugène  Welvert  nous  raconte 

ly. 


322  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

l'histoire.  Cette  noble  femme,  qui  vécut  pendant 
près  d'un  siècle,  de  1734  à  1821,  nous  ofTre  la  par- 
faite et  la  dernière  image  de  ce  que  fut  dans  l'ancien 
temps  une  dame  d'honneur,  et  l'étude  de  sa  longue 
existence  permet  de  reconnaître  qu'il  «  n'y  avait 
pas  que  de  la  bassesse  dans  tous  ces  courtisans  de  la 
fin  de  l'ancien  régime,  ni  que  de  la  lâcheté  dans  tons 
ceux  que  la  Révolution  mit  en  fuite. 

En  M"^®de  Narbonne-Lara  se  rencontrent  la  plu- 
part des  privilèges  et  des  avantages,  des  faiblesses 
mais  aussi  des  vertus  de-  la  noblesse  de  la  cour  ». 

M.  Eugène  Welvert  la  suit  fidèlement  dans  toutes 
les  étapes  de  son  existence  jusqu'au  jour  où  elle 
mourut  à  l'âge  de  quatre-vingt-sept  ans;  ce  n'était 
pas  seulement  une  grande  dame  qui  disparaissait, 
mais  une  tradition  :  le  temps  des  dames  d'honneur 
avait  pris  fin  et  elle  aurait  pu  dire  en  mourant  :  «  Je 
suis  restée  la  dernière,  le  monde  n'a  plus  besoin  de 
nous.  » 


LORD  BROUGHTON 

Napoléon,  Byron  et  leurs  contemporains. 
«  Souvenirs  d'une  longue  vie  .» 

!"•  volume  traduit  par  M.  Armand  Fournier. 

Napoléon  et  Byron  !  Voilà,  semble-t-il,  un  sin- 
gulier rapprochement.  Et  l'on  ne  voit  pas  très 
bien  le  parallèle  qui  se  prépare.  Il  n'en  est  d'ailleurs 
pas'  question   ot   ces  deux    héros    sont    évoqués 


OCTOBI'.r: HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    ETC..      323 

ensemble  par  Lord  Broughton  simplement  parce 
qu'il  les  connut  bien  tous  les  deux.  Je  viens  de 
lire  le  premier  volume  de  ces  souvenirs  traduit  par 
M.  Armand  Fournier;  il  est  d'un  merveilleux  inté- 
rêt, et  à  chaque  page  de  ce  journal,  où  méthodi- 
quement, jour  par  jour,  lord  Broughton  évoque 
ses  souvenirs,  j'ai  trouvé  une  anecdote  curieuse, 
un  nom  flamboyant. 

Au-dessus  de  tout,  deux  figures,  deux  héros  : 
Byron  et  Napoléon,  ce  sont,  dit  lord  Rosebery,  dans 
la  préface  du  livre,  ses  deux  dieux,  l'un  tout  pro- 
che, trop  peut-être,  l'autre  lointain.  Auteur  d'un 
ouvrage,  le  Dernier  Règne  de  Napoléon^  document 
de  premier  ordre  que  l'Empereur  lui-même  connut 
et  daigna  remarquer  et  commenter,  lord  Brough- 
ton est  bien  placé  pour  nous  parler  de  lui;  pour 
Byron,  on  trouvera  dans  son  livre  les  éléments  de  sa 
biographie  définitive  :  «  Sa  radieuse  figure,  nous  ^dit 
lord  Rosebery,  a  l'autel  qu'elle  mérite  dans  notre 
littérature,  mais  les  détails  de  sa  vie  agitée  intéres- 
seront toujours  le  monde;  or,  le  livre  que  voici  en 
révèle  plus  d'un.  » 


FRÉDÉRIC  MASSON 
Petites  Histoires. 

Sous  ce  titre,  M.  Frédéric  Masson  a  réuni  les  pages 
<  crites  par  lui  au  cours  de  ces  deux  dernières  années 
pour  les  journaux  auxquels  il  collabore,  pour  des 


324  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

discours  qu'il  eut  à  prononcer,  pour  des  conférences 
qu'il  donna.  Il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  cette 
origine  ;  elle  explique  l'étonnante  variété  des  sujets 
abordés,  M.  Frédéric  Masson  a  pris  soin  d'y  appeler 
l'attention  de  son  lecteur  que  «  le  mélange  des 
genres  eût  pu  déconcerter  si  les  articles  y  avaient  été 
classés  selon  les  dates  où  ils  parurent,  dans  l'enche- 
vêtrement inévitable  des  publications  faites  la 
même  semaine  et  parfois  le  même  jour». 

Le  lecteur  n'est  pas  déconcerté,  j'en  puis  donner 
l'assurance  à  M.  Frédéric  Masson  :  il  est,  au  con- 
traire, tout  à  fait  séduit;  le  livre  emprunte  à  cette 
variété  un  très  vif  agrément;  notre  frivolité,  inca- 
pable d'un  trop  long  effort,  s'accommode  à  mer- 
veille de  passer  de  Barbey  d'Aurevilly  à  Balzac  et 
à  M.  de  Bonald,  de  l'épopée  de  Jeanne  d'Arc  à  la 
Révolution  française,  à  Napoléon  III  et  à  Napo- 
léon P',  à  lui,  surtout,  car  vous  entendez  bien  que 
M.  Frédéric  Masson  a  été,  comme  toujours,  hanté 
par  son  héros  :  plus  de  la  moitié  des  chapitres  de 
ce  livre  appartiennent  à  l'histoire  napoléonienne 
et  l'on  s'étonne  même  qu'après  nous  avoir  appris 
tant  de  choses  sur  Lui  —  comme  il  écrit  avec  un 
émouvant  respect  —  M.  Frédéric  Masson  ait  encore 
tant  de  révélations  pittoresques,  dramatiques  ou 
piquantes  à  nous  faire.  Il  est  vrai  que  ce  sujet  est 
vaste  comme  le  monde  et  qu'aucune  pensée  hu- 
maine ne  saurait  se  flatter  de  l'épuiser  jamais. 

Et  ce  sont  des  pages  infiniment  curieuses  sur 
la  préparation  si  raisonnée,  si  judicieuse  du  retour 


I  TOBRE    —    HISTOIRE,    LITTERATURE,    VOYAGES,    ETC.      325 

(le  l'île  d'Elbe,  sur  les  rapports  de  l'empereur  Napo- 
léon et  de  M.  de  Bonald,  sur  l'ordre  de  la  Réunion 
qu'il  avait  imaginé  pour  offrir  un  hochet  de  vanité 
aux  sujets  des  rois  détrônés  par  lui  et  privés  de 
leurs  décorations  abolies;  sur  cet  énigmatique 
irdinal  Fesch,  prêtre  schismatique. 
La  grande  figure  de  notre  César  donne  à  ce  livre 
>i  divers  l'unité  qui  lui  est,  d'autre  part,  assurée 
|)ar  la  personnalité  même  de  son  auteur,  lequel, 
dans  une  préface  nerveuse  et  combative,  se  félicite 
<lo  n'avoir  point  deux  doctrines,  deux  opinions,  ni 
deux  visages,  de  demeurer  tel  qu'il  est,  tel  qu'il  fut 
<lopuis  qu'il  tient  une  plume,  «  à  défaut,  dit-il,  des 
qualités  de  style  et  d'expression  que  me  réfusent 
certains  adversaires  politiques,  c'est  une  origina- 
lité qu'ils  ne  peuvent  me  retirer  et  à  laquelle  je  les 
défie  de  prétendre)). 


EDOUARD  GUILLON 

Napoléon  et  la  Suisse  —  1803-1815,  d'après  les 
documents  inédits  des  Affaires  étrangères. 

De  cette  histoire  impériale  à  laquelle  M.  Frédéric 
\rasson  a  consacré  sa  vie,  voici  un  moment,  un 
détail,  évoqués  par  M.  Edouard  Guillon,  Napoléon 
et  la  Suisse  —  1803-18J5,  d'après  les  documents 
inédits  des  Affaires  étrangères.  M.  Guillon  étudie  en 
Napoléon  I®*"  le  médiateur  de  la  Confédération  hel- 


326  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

vétique;  c'est  un  point  d'histoire  presque  locale, 
mais  la  présence  du  héros  épique  lui  donne,  tout 
de  suite,  un  intérêt  passionnant,  une  place  dans 
l'histoire  du  monde. 

En  apprenant  d'où  venait  à  l'Empereur  ce  titre 
de  médiateur  de  la  Confédération  helvétique,  com- 
ment il  exerça  sa  médiation,  quels  en  furent  les 
avantages  pour  la  Suisse,  quelles  causes  en  ont 
amené  la  fin  —  toutes  choses  que  M.  Guillon  nous 
enseigne  avec  beaucoup  de  compétence  et  d'agré- 
ment —  on  constatera,  une  fois  de  plus,  la  prodi- 
gieuse universalité  de  ce  génie  napoléonien  qui, 
partout  où  il  passa,  a  laissé  des  traces  ineffaçables 
monuments  indestructibles  de  sa  gloire. 

C'est  ainsi  qu'on  peut  dire  aujourd'hui  que  «  la 
Suisse  contemporaine  reste  l'œuvre  de  Napoléon, 
que  c'est  lui  qui  a  trouvé  le  meilleur  ciment  pour 
lier  les  cantons  et  jeter  les  fondements  les  plus 
soHdes  de  l'Union  Confédérale  » 


GÉNÉRAL  ZURLINDEN 
Napoléon  et  ses  maréchaux. 

En  un  volume  très  précis,  très  savant,  très 
concis,  le  général  Zurlinden  raconte  Napoléon  et  ses 
maréchaux;  il  nous  explique,  dans  un  avant-pro- 
pos, le  but  et  la  portée  de  son  ouvrage.  Pour  lui, 


OCTOBRE    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    ETC.      327 

l'histoire  de  Napoléon  n'est  pas- terminée,  les  mil- 
liers de  volumes  consacrés  à  ce  génie  surhumain 
n'ont  point  épuisé  l'inépuisable  sujet  et  en  atten- 
dant que  cette  histoire  définitive,  complète  ait  été 
faite  —  je  pense  bien  qu'on  attendra  toujours  — 
il  a  voulu  apporter  sa  pierre  à  l'édifice  et  aider 
"ux  qui  le  désirent,  à  se  faire  une  idée  sérieuse  de 
"  qu'a  été  réellement  l'Empereur,  à  comprendre 
I  )mment  il  a  pu  dominer  les  esprits  et  les  cœurs  de 
la  nation,  insérer  dans  nos  annales  des  pages  de 
gloire  merveilleuse,  inouïe,  et  devenir  le  plus  grand 
capitaine  de  l'histoire,  le  héros  de  la  plus  belle  des 
épopées.  Cette  étude,  il  l'a  faite  en  soldat  enthou- 
siaste, en  observateur  impartial,  et  il  a  réussi,  dans 
une  synthèse  impressionnante,  à  enfermer  en  moins 
'l<^  trois  cents  pages  cette  immense  histoire  de  vingt- 
inq  ans,  entre  la  jeunesse  de  Bonaparte  et  Sainte- 
Hélène. 


COMTE  DE  COMMINGES 

Souvenirs  d'enfance  et  de  régiment 
(18311870-1871). 

Histoire  contemporaine,  évoquée  par  un  con- 
{«'mporain,  voici  les  Souvenirs  d^ enfance  et  de  régi- 
ment (1831-1870-1817)  du  comte  de  Comminges. 
Quand  il  écrivit  ces  pages  d'une  alerte  et  noble  sim- 
plicité, le  brillant  officier  des  guides  de  la  garde 


328  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

impériale,  mort  en  1894,  n'avait  nullement  l'inten- 
tion ni  la  prétention  d'écrire  un  livre  d'histoire  :  il 
consignait  simplement  ses  souvenirs  d'enfant,  de 
potache  et  d'officier  pour  l'édification  de  son  fils  et 
du  fils  de  son  fils.  C'est  nous  qui  faisons  de  ces  notes 
un  document  historique,  parce  que  nous  y  retrou- 
vons, évoquées  par  un  homme  qui  les  connut,  les 
figures  de  Fleury,  de  la  princesse  Mathilde,  de 
Niewerkerke,  de  la  belle  Castiglione,  de  l'Impéra- 
trice, de  Gallifîet,  etc.,  racontés  par  un  homme  qui 
les  vécut  les  sombres  jours  de  1870,  et  c'est  de 
l'histoire  vraiment,  de  l'histoire  palpitante  qui 
apparaît  dans  le  vivant  tableau  de  ces  jours  d'au- 
trefois, ces  jours  qui,  selon  la  parole  de  Tolstoï,  «  se 
représentent  comme  baignés  dans  une  vapeur  d'or, 
avec,  sur  ce  fond  lumineux,  de  chers  fantômes  qui 
se  détachent  et  tendent  les  bras  ». 


E.  DUGHESNE 

Michel   louriévitch  Lermontov 
«  Sa  vie  et  ses  œuvres  .» 

Étude  littéraire  et  historique;  voici  un  bien 
remarquable  ouvrage  de  M.  E.  Duchesne  sur  Michel 
louriévitch  Lermontov  «  sa  vie  et  ses  œuvres».  Ler- 
montov est  l'un  des  représentants  les  plus  brillants 
du  romantisme  russe,  issu  du  romantisme  européen. 


OCTOBRE    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    ETC.      329 

Il  compte  aussi  parmi  ceux  qui  ont  subi  le  plus 
profondément  l'influence  de  lord  Byron,  aussi  puis- 
sante dans  les  principales  littératures  slaves  que 
chez  nous.  Mais  son  principal  intérêt  n'est  pas  là  : 
«  il  réside  avant  tout  dans  la  beauté  de  ses  œuvres, 
ensuite,  dans  l'irritant  problème  que  pose  l'appré- 
ciation de  sa  personne  morale.  »  Et,  en  effet,  bien 
des  circonstances  ont  rendu  obscur  le  caractère 
de  cet  illustre  poète.  Lermontov  est  resté  aussi 
inconnu  qu'il  est  célèbre. 

On  juge  dès  lors  à  quelles  difficultés  a  dû  se  heur- 
ter l'érudit  écrivain  qui  a  prétendu  nous  donner 
une  œuvre  d'ensemble  sur  le  poète  russe,  nous 
raconter  son  enfance,  sa  jeunesse,  étudier  ses  œu- 
vres et  démêler  les  influences  subies  par  elles.  Avec 
une  conscience,  une  ténacité,  une  science  remar- 
quables, M.  Duchesne  a  vaincu  toutes  ces  difficul- 
tés, et  son  livre  est  un  véritable  monument  élevé 
au  poète  qui,  mort  jeune,  n'a  pas  pu  remplir  toute 
sa  destinée  et  a  exercé  pourtant  une  si  profonde 
influence  sur  la  littérature  russe,  et  «  cette  autre 
influence  qui  ne  tombe  pas  sous  nos  mesures  :  le 
rayonnement  qui  jaillit  du  génie  du  poète,  la  cha- 
leur de  la  sympathie  qu'il  éveille,  l'admiration 
qu'il  snsnite  ». 


330  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

EMILE  HINZELIN 
Images  d'Alsace-Lorraine. 

M.  Emile  Hinzelin  est,  parmi  ces  bons  français 
de  Lorraine  qui  n'oublient  pas,  ne  veulent  pas 
oublier,  l'un  des  plus  solides  et  des  plus  ardents.  Il  y 
a  de  longues  années  déjà,  au  temps  lointain  du 
service  militaire  à  la  frontière  de  l'Est,  je  l'ai  connu, 
semant  la  bonne  parole  de  souvenir  et  d'espoir;  j'ai 
salué  naguère  son  premier  livre:  En  Alsace-Lor- 
raine^ tout  plein  de  ces  généreuses  idées,  d'autant 
plus  persuasives  que  toute  inutile  violence  en  était 
bannie;  et  c'est  encore  une  pierre  qu'il  apporte 
aujourd'hui  au  monument  du  souvenir  et  de  l'es- 
pérance avec  le  volume  paru  sous  le  titre  :  Images 
d^  Alsace-Lorraine, 

Son  intention,  nous  la  connaissons,  il  nous  la  dit 
dans  des  lignes  liminaires,  pittoresques  et  émou- 
vantes :  «  Dans  l'acte  légitime  de  la  revendication 
chez  les  Romains,  on  apportait  devant  le  préteur 
une  motte  de  terre  prise  au  champ  en  litige.  Voici 
une  nouvelle  motte  de  terre,  prise  avec  des  racines 
et  des  fleurs,  à  notre  Alsace  et  à  notre  Lorraine. 
Nous  l'apportons  devant  le  grand  tribunal  moder- 
ne :  la  conscience  du  genre  humain.  » 

Et  pour  plaider  la  cause  de  la  réunion  nécessaire, 
fatale,  des  deux  provinces  martyres,  il  nous  fait  faire 
simplement  parmi  leurs  paysans,  leurs  champs,  leurs 


(OCTOBRE    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    ETC.     331 

jardins,  leurs  églises,  la  plus  émouvante,  la  plus 
belle  des  promenades,  en  s'arrêtant  parfois  devant 
l('s  images  d'un  humoriste  ou  les  inspirations  d'un 
poète,  et  c'est  le  plus  éloquent,  le  plus  persuasiï  des 
])laidoyers. 


OCTAVE  UZANNE 
Parisiennes  de  ce  temps. 

M.  Octave  Uzanne  étudie  les  Parisiennes  de  ce 
temps  en  leurs  divers  milieux,  états  et  condi- 
tions. En  nous  donnant  ces  croquis  très  poussés, 
très  précis,  des  ménagères,  des  ouvrières  de  Paris, 
des  bonnes,  des  marchandes  et  boutiquières,  des 
demoiselles  et  employées  de  magasin,  des  dames 
' l'administration,  des  femmes  de  théâtre,  bour- 
geoises, artistes,  et  aussi  courtisanes,  M.  Octave^ 
Uzanne  a  voulu  dégager  «  le  caractère,  l'esprit,  les 
modes,  les  manières,  les  attitudes,  les  diverses  for- 
mes de  langage,  les  principaux  traits  distinctifs 
heureux  ou  pitoyables  de  la  femme  contemporaine, 
toile  qu'elle  se  présente  à  nos  regards  insuffisam- 
ment clairvoyants  dans  les  miheux  pittoresques  de 
la  métropole  française  à  l'heure  présente  ». 

Comme  Sébastien  Mercier,  dont  il  rappelle  le 
rflè^ûttrfePam  et  auquel  il  emprunte  une  bonne  par- 
tie de  sa  préface,  il  a  voulu  laisser  à  l'avenir  un  docu- 
ment exact  et  quasi-photographique  sur  notre  temps. 


332  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

Il  est  très  intéressant,  ce  document,  mais  il  n'est 
pas  gai  :  regarder  la  Parisienne  dans  ses  divers 
milieux,  c'est  juger,  nous  dit  M.  Octave  Uzanne, 
«  de  ses  efforts  si  mal  encouragés,  de  sa  force  supé- 
rieure à  ses  faiblesses,  de  sa  vie  de  démoniaque 
dans  un  décor  de  féerie  et  d'Eden,  qui  est,  pour  elle, 
le  plus  féroce  des  jardins  des  supplices».  Les  obser- 
vations semées  dans  le  livre  sont  exactes,  la  conclu- 
sion me  parait  vraiment  un  peu  exces^ve  et  pessi- 
miste. Ce  «  paradis  si  vanté,  si  chanté,  si  envié,  si 
convoité,  de  toutes  nos  provinces  et  dans  le  monde 
entier»  doit  tout  de  même  son  prestige  à  quelque 
réalité  et  n'est  pas  toujours  ce  décevant  mirage 
dont  nous  parle  M.  Octave  Uzanne. 


LOUIS  DE  MEURVILLE 
La  Cité  future. 

Ce  sont  là  des  tristesses  modernes  ;  voici  venir  la 
Cité  future^  évoquée  par  notre  sympathique  confrère 
Louis  de  Meurville.  M.  Louis  de  Meurville  est, 
comme  beaucoup  de  ses  contemporains,  profon- 
dément troublé  en  face  des  convulsions  de  la  so- 
ciété actuelle,  et  il  se  demande  de  quoi  demain 
sera  fait.  Tout  d'abord,  les  exigences  croissantes 
des  travailleurs  trouvent  en  lui  une  louable  indul- 
gence. Mais,  il  faut  être  raisonnable  :  «  Jusqu'à 


iCTOBRE    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    VOYAGES,    ETC.      333 

la  Révolution,  dit-il,  on  n'a  parlé  à  l'humanité  que 
fie  ses  devoirs;  depuis  lors,  elle  ne  veut  plus  enten- 
dre parler  que  de  ses  droits»;  et  il  proclame  judi- 
rieusement  la  nécessité  d'équilibrer  les  premiers  et 
It^s  seconds.  Pour  cela,  il  faut  se  rendre  compte  que 

tout  commence  par  le  travail,  tout  doit  être  réglé 
dans  la  justice,  tout  doit  être  dominé  par  une  idée 
morale  commune  à  tous,  et  c'est  l'honneur)).  Et 
(  'est  pourquoi  il  a  partagé  son  livre  en  trois  par- 
ties :  Travail,  Justice,  Honneur. 

Ce  sont  là  des  mots  bien  sonores,  mais  j?ai  plaisir 

constater  que  M.  de  Meurville  a  su  mettre  der- 
r  ière  ces  mots  et  dans  ces  chapitres  des  idées  géné- 
reuses, des  faits,  des  documents.  Félicitons-nous 
donc  qu'après  avoir  pensé  à  ces  choses  graves, 
M.  de  Meurville  voie  l'avenir  dans  l'évolution  et 
non  dans  la  révolution,  et  faisons  des  vœux  avec 
lui  pour  que  la  France  se  place  «  au  premier  rang 
<fans  ce  mouvement  qui  entraîne  l'humanité,  et 
({u'au  lieu  de  donner  l'exemple  du  désordre  et  de  la 
Instruction,  elle  donne  celui  de  la  sagesse  et  montre 

'  que  peut  son  génie  à  l'avant-garde  de  l'huma- 


334  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


MÉMENTO  DU   MOIS  D'OCTOBRE 


ROMANS 

Albinet  (Félix).  —  Contes  de  toutes  les  heures. 

Aubier  (Fernand).  —  Belle  et  sans  dot. 

Bachelin  (Henri).  —  Rohes  Noires. 

Berger  (Lya).  —  UAiguilleuse. 

Blan vilain  (Germaine).  —  Le  soir  d'une  vie  d'amour. 

Gahisto  (Manoël).  —  L'Illimité. 

Girardin  (J.).  —  Maman. 

Goron  —  Coup  double,  épisodes  des  «  Nuits  Rouges». 

Han  Ryner.  —  Le  Cinquième  évangile. 

Lafage  (Léon).  —  Par  Aventure. 

Lafargue  (Fernand).  —  Les  Ouailles  du  curé  Fargeas,  une 
nouvelle  édition  très  agréablement  illustrée  de  ce 
roman  du  regretté  Fernand  Lafargue  que  j'ai  signalé 
en  son  temps  et  qui  est,  je  crois  bien,  l'œuvre  maî- 
tresse de  cet  écrivain,  dont  la  carrière  fut  si  préma- 
turément interrompue. 

Méry  (Claude).  —  La  Voix  des  vieux. 

Morian  (Jacques).  —  L'Epreuve  du  feu,  le  récit  de  l'émou- 
vante aventure  d'une  jeune  fille  éprise  du  mari  de  sa 
meilleure  amie. 

Renel  (Charles).  -^  La  Race  inconnue. 

Reschal  (Antonin).  —  Les  derniers  exploits  de  Maud,  femme 
du  monde  cambrioleuse,  roman  fantaisiste. 

Wenz  (Paul).  —  Sous  la  Croix  du  Sud,  de  très  jolies  nouvel- 
les, pittoresques  et  émouvantes  et  qui  présentent  par 
'^Iles-mêmes  un  très  vif  intérêt  ;  elles  ont,  en  outre,  le 
mérite  d'évoquer  avec  beaucoup  de  précision  mille 
détails  intimes,  mille  caractères  curieux  de  la  vie 
australienne,  et  ce  livre  agréable  est  en  même  temps 
un  fort  précieux  document. 


MEMENTO    DU    MOIS    d'oCTOBRE  335 

HISTOIRE  —  LITTÉRATURE  —  THÉÂTRE 
POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Albert  (Henri).  —  Frédéric  Nietzsche  :  Pages  choisies. 

Arjuzon  (Comtesse  d').  —  Récits  de  trois  jeunes  prisonnières  : 
«  Madame  Royale,  M  ™e  de  Tourzel,  M^^e  ^e  Pons.  » 

Aymard  (Capitaine).  —  Les  Touareg,  une  belle  étude  rap- 
portée du  Soudan  où  l'auteur  passa  de  longues  années 
en  des  postes  périlleux. 

Rollossort  (André).  —  La  Suède,  —  la  «  nature,  l'esprit  et 
les  mœurs,  la  Suède  littéraire,  la  Suède  religieuse», 
un  pittoresque  et  intéressant  volume. 

Blés  (Numa).  —  Voir  Dominique  Bonnaud. 

Bliard  (Pierre).  —  Jureurs  et  Insermentés  (1790-1794), 
d'après  les  dossiers  du  Tribunal  révolutionnaire. 

Bonnaud  (Dominique),  Numa  Blés  et  Lucien  Boyer.  — 
Ulysse  à  Montmartre,  une  charmante  plaquette,  vers 
et  prose  mêlés,  où  les  auteurs  offrent  à  notre  médita- 
tion un  portrait  d'Ulysse  assez  inattendu  et  dénué  de 
tout  respect  pour  l'antiquité  grecque  en  général,  et 
pour  le  sage  Ulysse  en  particulier.  Et  cette  légende 
néo-grecque  n'est  point  seulement  irrévérencieuse,  elle 
est  aussi  d'une  bien  blâmable  licence,  mais  les  vers 
sont  si  pimpants,  la  prose  est  si  spirituelle,  tout  cela  est 
si  amusant  qu'on  a  pour  les  coupables  chansonniers 
beaucoup  d'indulgence.  Et  puis,  n'oublions  pas  que 
cela  se  passe  à  Montmartre  et  que  de  tout  temps  la 
butte  sacrée  a  eu  des  grâces  d'état. 

lîonnefon  (Jean  de).  —  Les  Cours,  VEglise  et  la  Ville,  un 
bien  discutable  et  bien  amusant  volume. 

iîourgeois  (Emile).  —  La  Diplomatie  secrète  au  xviii*^  siècle. 
—  Ses  Débuts  :  Le  Secret  de  Dubois,  cardinal  et  premier 
ministre,  le  dernier  volume  de  ce  savant  ouvrage. 

F^»outié  (Louis).  —  Paris  au  temps  de  Saint-Louis,  un  volum»' 
un  peu  tendaniceux  peut-être  mais  si  intéressant,  si 
remarquablement  documenté.  C'est  un  plaidoyer 
pour  cet  âge  d'or  du  bon  vieux  temps  qui  ne  réalisait 


336  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

pas  l'idéal  de  la  perfection,  ni  matériellement,  ni  poli- 
tiquement, mais  qui  s'en  éloignait,  paraît-il,  moins 
que  le  nôtre.  Pour  étayer  son  plaidoyer,  M.  Louis 
Boutié  a  procédé  à  une  vaste  enquête  très  semblable 
à  celle  que  font  les  journalistes  d'aujourd'hui  sur  les 
grands  faits  modernes;  il  n'y  manque  que  des  photo- 
graphies —  et  encore  elles  sont  remplacées  par  de  fort 
belles  images  I 

Boyer  (Lucien).  —  Voir  Dominique  Bonnaud. 

Garlyle  (Thomas).  —  Voir  Jeanne  Welsch. 

Chambrier  (M™e  Alexandre  de).  —  Henri  de  Mirmand  et  les 
Réfugiés  de  la  Révocation  de  VEdit  de  Nantes,  1750  à 
1720. 

Chevrillon  (André).  —  Nouvelles  études  anglaises. 

Colomb  (Félix).  —  Les  Combats,  des  vers  offerts  «  aux  com- 
battants de  toutes  races  ». 

Golson  (Albert).  —  V Essor  de  la  Chimie  appliquée.  Ce  titre 
seul  suffit  à  dire  l'intérêt  et  l'importance  d'un  tel 
ouvrage.  Ne  vivons-nous  pas  sous  le  règne  de  la  chi- 
mie qui  transforme  peu  à  peu  toute  notre  vie,  toutes 
nos  habitudes,  dont  l'influence,  prépondérante  dans 
la  grande  agriculture  et  dans  la  grande  industrie,  se 
fait  sentir  jusque  dans  l'intimité  de  notre  home?  Je 
serais  bien  content  de  pouvoir  vous  parler  de  ce  livre 
comme  il  convient;  mais,  malgré  le  souci  que  prend 
M.  Albert  Colson  d'être  accessible  à  tous,  de  ne  mettre 
dans  son  livre  que  la  teinte  des  notions  générales 
strictement  indispensables,  c'est  encore  bien  fort  pour 
moi  et  mon  ignorance  éclaterait  bien  vite  si  je  m'aven- 
turais dans  une  analyse.  Je  dois  donc  me  contenter 
de  vous  dire  qu'il  y  a  dans  l'ouvrage  de  M.  Albert 
Colson  un  tableau  d'une  ampleur  et  d'une  concision 
remarquable,  embrassant  les  grandes  industries  chimi- 
ques et  agricoles,  métallurgiques  et  électriques,  les 
propriétés  du  radium,  la  poudre  sans  fumée,  l'in- 
dustrie des  couleurs  et  des  parfums  et  l'hygiène 
moderne. 

Courson  (Vicomte  de).  — L'Insurrection  de  i8 32  en  Bretagne 
et  dans  le  Bas-Maine. 

Dierauer  (Johannès).  —  Histoire  de  la  Confédération  Suisse, 


MEMENTO    DU    MOIS    D  OCTOBRE  337 

troisième  volume  traduit  de  l'Allemand  par  M.  Aug. 
Reymond. 

llaumgard  (Louis).  —  Edmond  Rostand,  biographie  criti- 
que ornée  d'un  portrait  frontispice  et  d'un  autographe 
suivi  d'opinions  et  d'une  bibliographie. 

Jaurgain  (Jean  de).  —  Troisième,  d'Artagnan  et  les  Trois 
Mousquetaires,  un  volume  où  l'auteur  évoque,  en  des 
études  biographiques  et  héraldiques,  les  prestigieux 
héros  d'Alexandre  Dumas,  personnages  si  chers  à 
notre  imagination  et  que  nous  retrouvons  dans  l'his- 
toire avec  un  sentiment  mêlé  de  plaisir  et  de  mélan- 
colie. 

Kergorlay  (Comte  Jean  de).  —  Sites  délaissés  d'Orient,  des 
pages  pittoresques,  émues,  semées  de  belles  images,  où 
l'auteur  évoque  les  gorges  desséchées  de  la  péninsule 
sinaïtique,  Feiran  et  la  montagne  de  la  Loi,  et  Pétra, 
au  miheu  d'un  site  merveilleusement  beau,  inondé  de 
lumière,  et  enfin,  pèlerinage  national,. les  châteaux  des 
croisés,  ces  magnifiques  forteresses  qu'au  temps  jadis 
les  Français  firent  surgir  du  sol  si  lointain  de  leur 
patrie,  si  lointain  de  tout,  au  milieu  des  populations 
hostiles,  ayant  sans  cesse  à  combattre  les  Musulmans 
fanatiques  guerroyant  chez  eux,  sous  un  ciel  de 
feu. 

La  Forge  (R.-G.  et  H.  de). —  Au  pays  de  V Avenir,  «Quatre 
années  d'études  sur  les  affaires  de  l'Amérique  du 
Sud.  Les  milhons  de  l'épargne  française  au  Brésil.» 
Un  attrayant  et  instructif  voyage. 

La  Torre  (Jorge-Corredor  de).  —  V Eglise  Romaine  dans 
V  Amérique  latine. 

Latreille.  —  Après  le  Concordat,  «  l'Opposition  de  1803  à  nos 
jours»,  un  volume  où  l'auteur  termine  son  histoire  si 
intéressante  de  l'opposition  religieuse  au  Concordat. 

Laurent  (Raymond). —  Etudes  anglaises,  un  livre  capti- 
vant et  sincère. 

Leclercq  (Jules).  —  Terres  antiques  et  lointaines,  un  livre 
où  l'auteur  évoque,  en  des  vers  harmonieux,  l'Egypte, 
la  Grèce,  l'Orient,  l'Inde,  les  tropique  et  les  terres 
polaires,  la  mer,  la  montagne,  les  eaux,  la  forêt,  le 
désert. 

20 


338  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Lefebvre  (Alphonse).  —  V Inconnue  de  Prosper  Mérimée,  sa 
vie  et  ses  œuvres  authentiques. 

Legendre  (D^  A.-F.).  —  Kientchang  et  Lolotie,  un  volume 
d'une  très  pittoresque  et  solide  documentation  sur 
le  Far-West  chinois.  En  publiant  ce  livre,  l'auteur  a  eu 
des  intentions  austères  :  il  a  désiré  nous  instruire  et, 
sans  chercher  à  nous  faire  connaître  des  aventures 
sensationnelles,  il  a  voulu  nous  offrir  une  étude  :  celle 
du  grand  peuple  à  l'ordre  du  jour  et  des  aborigènes 
qui  vivent  à  son  contact,  il  a  touché,  nous  dit-il,  un 
peu  à  tout  :  peintures  sociales  et  familiales,  coutumes, 
tendances,  et  l'on  peut  voir  dans  ce  livre  «  les  diffé- 
rentes races  d'un  ,très  vaste  empire  dans  toutes  les 
manifestations  de  leur  existence  physique,  intellec- 
tuelle et  morale,  le  milieu  où  elles  évoluent,  milieu 
intéressant  par  la  multiplicité  de  ses  produits  sous  un 
merveilleux  chmat».  Cet  ouvrage,  qui  veut  n'être 
qu'instructif,  est  en  même  temps  tout  à  fait  amusant 
et  pittoresque,  j'ajoute  qu'il  est  réconfortant,  car, 
après  l'avoir  lu,  ceux  que  hante  à  l'heure  actuelle  le 
souci  du  péril  jaune  ont  quelques  raisons  d'être  un 
peu  rassurés. 

Le  Senne  (Emile).  —  M"^<^  de  Païva,  une  étude  un  peu  spé- 
ciale de  psychologie  et  d'histoire. 

Lévy  (Arthur).  —  Napoléon  intime.  Voici,  sous  une  forme 
nouvelle,  réduite,  sans  que  rien  d'essentiel  en  ait  dis- 
paru, l'œuvre  publiée,  il  y  a  quinze  ans  par  M,  Arthur 
Lévy.  Tout  a  été  dit  sur  cette  œuvre  puissante,  minu- 
tieuse, où  l'homme  qui  fut  en  Napoléon  est  évoqué 
avec  une  conscience  scrupuleuse,  une  vérité  quasi- 
photographique,  et  cette  émotion  profonde  dont  ne 
sauraient  se  défendre  ceux  qui  ont  contemplé  ce  soleil. 
Lors  de  son  apparition,  François  Goppée  avait  loué  ce 
livre  aujourd'hui  classique;  il  avait  admiré  ce  «  por- 
trait de  l'Empereur  si  ressemblant  parce  que  si  humain, 
il  avait  dit  «  l'esprit  d'ordre,  le  calme,  la  conscience,  (^t 
.surtout  Je  haut  sentiment  d'impartiahté  de  ce  livre  ■). 
Réjouissons-nous  de  voir  cette  belle  œuvre  d'his- 
toire mise  plus  directement  à  la  portée  du  grand 
pubhc. 


MEMENTO    DU    MOIS    d'oCTOBRE  339 

Longuemare.  —  Bossuet  et  la  Société  française  sous  le  règne 
de  Louis  XIV. 

Lubomirski  (Prince  Joseph).  —  Mémoires  du  prince  Joseph 
Lubomirski,  1839-1869;  c'est  l'étonnante  «  histoire 
d'une  ruine  »  que  l'auteur  nous  présente  dans  une  in- 
troduction où  j'ai  cueilh  cette  phrase  :  «  Je  me  méprise 
profondément.  Toutefois,  par  comparaison  avec  nom- 
bre de  mes  semblables,  je  redresse  le  col  qui,  malgré 
ce  dédain  de  ma  propre  personne,  est  raide  à  peu  près 
comme  celui  du  peuple  d'Israël.» 

Liinel  (Ernest).  —  Le  Théâtre  et  la  Révolution,  un  livre  où 
l'auteur  étudie  l'histoire  anecdotique  des  spectacles, 
de  leurs  comédiens  et  de  leur  public  par  rapport  à 
la  Révolution  française. 

Mangin  (Lieutenant-colonel).  —  La  Force  noire,  un  beau 
livre  où  l'éminent  officier  nous  expose  avec  une  élo- 
quence saisissante  les  ressources  que  nous  réservent 
la  force  noire,  l'armée  noire,  pour  suppléer  à  cet  amoin- 
drissement douloureux  dont  la  dépopulation  menace 
chaque  jour  plus  dangereusement  notre  armée  métro- 
pohtaine. 

Masson  (Pierre-Marie).  —  Une  vie  de  femme  au  xviii^  siè- 
cle, une  nouvelle  édition  de  cet  ouvrage  si  séduisant  et 
si  décisif  sur  M  me  de  Tencin  (1682-1749). 

Mer('ault  (Charles).  —  VArt  de  tromper,  d'intimider  et  de 
corrompre  Vélecteur  :  c'est  un  art  assez  bien  connu  par 
un  grand  nombre  de  nos  législateurs  qui  n'ont  besoin 
pour  le  pratiquer  ni  de  maître  ni  de  manuels,  ils 
n'ont  plus  rien  à  apprendre  dans  cet  ordre  d'idées  ! 
Raison  de  plus  pour  souhaiter  que  leurs  électeurs  se 
décident  à  aborder  à  leur  tour  cette  étude. 

Mouillé  (Charles).  —  Voir  Marcel  Prouille. 

Pisani  (le  Père).  —  U Eglise  de  Paris  et  la  Révolution. 

Poinçon  (E.).  —  Le  Cantique  des  Cantiques,  un  livre  de  vers 
que  l'auteur  dédie  au  Christ,  perle  incomparable  qu'il 
a  trouvée  dans  l'écrin  merveilleux  de  la  Bible,  et  que, 
téméraire,  il  a  essayé  de  sertir  dans  la  langue  des 
dieux. 

IT  .uille  (Marcel)  et  Charles  Mouillé.  —  Les  Poésies  de  Ma- 
koko  Kangourou;  Makoko  Kangourou,  est,  nous  dit- 


340  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

on,  un  poète  nègre;  nègre,  je  veux  bien  !  poète,  c'est 
une  autre  affaire.  C'est  d'ailleurs  d'une  assez  agréable 
fumisterie,  et  il  y  a  parfois,  dans  ces  litanies,  un  assez 
curieux  mélange  de  candeur,  de  cynisme  et  de  fan- 
taisie ;  avec  le  rythme  et  les  gestes  d'un  Mayol  ou  les 
clignements  d'yeux  d'un  Dranem,  ce  serait  peut-être 
très  bien  !... 

Reval  (Capitaine  .T.).  —  Turenne,  un  essai  de  psychologie 
militaire. 

Reyssié  (Félix).  —  La  Jeunesse  de  Lamartine,  d'après  des 
documents  nouveaux  et  des  lettres  inédites. 

Rilly  (Comte  de).  —  Le  Baron  d'Oysonville  (1606-1679), 
«  une  page  de  l'histoire  de  l'Alsace  au  xviii^  siècle. 

Rochetal  (Albert  de).  —  La  Graphologie  à  la  portée  de  tous, 
un  volume  qui  fera  beaucoup  pour  la  vulgarisation 
de  cette  science.  Je  dis  bien,  «  cette  science»,  car  j'ai 
appris  à  n'être  plus  sceptique  devant  les  révélations 
psychologiques  que  les  graphologues  vont  chercher 
dans  la  forme  d'un  trait,  la  liaison  d'une  lettre,  sa 
hauteur,  sa  régularité,  que  sais-je  encore;  non  seule- 
ment je  ne  suis  pas  sceptique  mais  je  suis  un  peu 
effrayé  et  je  me  garderai  bien,  pour  mon  compte,  d'é- 
tudier cette  grammaire  de  la  graphologie,  si  précise,  si 
claire,  et  grâce  à  quoi  je  pourrais  trop  aisément  percer 
trop  de  mystères  ;  je  tiens  à  mes  illusions  ;  et,  les  lettres 
que  j'ainie,  je  ne  veux  pas  les  casser  pour  voir  ce  qu'il 
y  a  dedans. 

Rouby  (Dï").  —  La  Vérité  sur  Lourdes,  un  livre  où  l'auteur 
s'essaye  à  trouver  une  «  explication  scientifique  de  tous 
les  grands  miracles». 

Silvestre  (Général  F.).  —  Considérations  sur  la  campagne 
de  Mandchourie  (1904-1905). 

Torcy  (Général  de).  —  Les  Espagnols  au  Maroc  en  1909. 

Tornezy  (A.).  —  Voltaire,  Rousseau  et  Diderot  peints  par 
eux-mêmes. 

Villon  (François).  —  Œuvres  de  François  Villon,  publiées 
dans  la  collection  «  les  Meilleurs  Auteurs  classiques 
français  et  étrangers»  en  un  volume  très  soigneuse- 
ment établi  par  M.  Paul  Lacroix,  avec  une  préface, 
des  notes  et  un  glossaire. 


MEMENTO    DU    MOIS    D*OCTOBRE  341 

Walle  (Paul).  —  Au  Brésil,  de  l'Uruguay  au  Rio  Sao  Fran- 
cisco. 

Welsch  (Jeanne)  et  Thomas  Carlyle.  —  Lettres  d' amour  de 
Jeanne  Welsch  et  de  Thomas  Carlyle,  publiées  avec 
l'autorisation  spéciale  de  M.  Alexandre  Carlyle,  textes 
originaux  traduits  par  Elsie  et  Emile  Masson. 

Wilhelmine  (Fréderique-Sophie,  margrave  de  Bareith, 
sœur  de  Frédéric  le  Grand).  —  Mémoires,  1706-1742. 

Youssof  (Fehmi).  —  La  Révolution  Ottomane. 


NOVEMBRE 


LES  ROMANS 


PAUL  ADAM 
Le  Rail  du  sauveur. 

L'œuvre  de  M.  Paul  Adam  est  de  celles  qui  font 
honneur  à  une  époque.  Devant  ces  livres  imposants 
où  tant  de  pensée  profonde  et  généreuse,  tant  de 
science  passionnément  et  chèrement  acquise,  une 
imagination  si  somptueuse  s'expriment  en  un 
verbe  d'une  richesse  inouïe,  devant  ce  monument 
de  la  littérature  et  de  la  pensée  françaises,  l'auteur 
a  le  droit  de  concevoir  quelque  orgueil;  le  lecteur 
aussi  peut  être  fier  de  soi,  car  son  plaisir  ne  fut 
point  un  plaisir  vulgaire  ni  facile,  et  il  lui  fallut  sou- 
vent faire  un  méritoire  effort  pour  conquérir  cette 
beauté. 


NOVEMBRE    —    LES    ROMANS  343 

Ils  sont  nombreux,  Dieu  merci,  les  lecteurs  de 

Paul  Adam  qui  ont  su  faire  cet  effort,  et  gagner  ce 

oble  plaisir.  Mais  les  autres  !  Eh  bien  !  je  viens  de 

cevoir  un  livre  de.  Paul  Adam  qui,  je  pense,  va 
<  tnquérir  ces  «  autres  ». 

Tout  de  suite,  l'aspect  typographique  vient  ras- 
surer le  frivole  lecteur  :  ce  sont,  sur  des  pages  aux 
larges  marges,  des  phrases  courtes,  coupées  de 
nombreux  alinéas,  et  «  il  y  a  du  dialogue  »  et  «  il  y  a 
une  histoire»  dont,  sans  effort,  on  saisit  l'agrément 
(^t  l'intérêt. 

Et  c'est  très  bien  ainsi,  car  l'autre  lecteur,  le 
lecteur  du  Trusta  trouvera  ample  matière  à  ré- 
flexion et  à  pensée  dans  cette  étonnante  et  belle 
histoire  si  lestement  contée  de  Jerry-Hill  où  le  pas- 
(eur  Joë  Galveston  avait  situé  le  Jugement  der- 
nier, découverte  mystique  que  les  industriels  et  les 
iinanciers  d'outre-mer  prétendirent  exploiter  à 
l'exemple  d'une  mine  de  cuivre  ou  d'un  gisement 
aurifère.  Derrière  cette  histoire  si  amusante,  si 
rapide,  il  discernera  une  étude  sagace  et  profonde 
do  l'esprit  et  des  procédés  du  bluff.  A  la  suite  de 
inan,  deux  courtes  nouvelles  :  la  Glèhe^  un 
drame  de  la  terre,  de  la  jalousie  et  de  l'ivrognerie, 
ot  le  Conte  futur,  une  émouvante  évocation  des 
N^mps  lointains  du  pacifisme,  viennent  attester 
•  loquemment  la  merveilleuse  souplesse  du  beau 
'dent  de  Paul  Adam  et  la  prestigieuse  variété  de 
'S  ressources. 


344  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

MARGUERITE  AUDOUX 
Marie-Glaire. 

Vous  connaissez  déjà  le  nom  de  Marguerite 
Audoux;  vous  savez  que  Marguerite  Audoux  n'est 
point  un  écrivain  de  métier,  mais  une  femme  très 
simple,  très  humble,  une  petite  couturière  aux  yeux 
fatigués  par  les  longues  veilles  laborieuses  et  péni- 
bles, et  qui,  pour  se  distraire,  pour  s'évader  par- 
fois de  sa  prison,  a  imaginé  toute  seule,  sans  que 
personne  le  lui  ait  suggéré  —  qui  donc  y  eût  pu 
songer  !  —  cette  ressource  :  écrire,  avec  les  mots  qui 
lui  venaient,  sans  choix,  sans  ordre  —  comment 
eût-elle  choisi,  comment  eût-elle  ordonné?  —  ses 
souvenirs  d'enfance,  ses  grands  chagrins  puérils, 
ses  humbles  joies,  ses  douces  imaginations. 

Ces  feuillets  épars,  un  très  bel  et  très  noble  écri- 
vain les  admira;  un  éditeur  les  a  publiés  et  c'est  un 
roman  magnifique  dont  je  ne  puis  vous  parler  sans 
une  intense  et  profonde  émotion.  J'ai  bien  réfléchi 
avant  d'écrire  ces  lignes;  je  me  méfiais  de  moi- 
même  et  je  me  demandais  si  je  ne  m'étais  pas  laissé 
monter  la  tête  par  la  belle  histoire  de  ce  roman  dans 
la  préface  de  M.  Octave  Mirbeau  et  dans  le  récit  de 
Régis  Gignoux.  Il  n'en  est  rien;  c'est  bien  l'œuvre 
elle-même,  l'œuvre  toute  seule  qui  m'a  empoigné, 
une  œuvre  qui  ne  ressemble  à  aucune  autre,  qui 
n'évoque  aucun  souvenir  littéraire,  où  l'on  a  cette 


NOVEMBRE    LES    ROMANS  345 

sensation  unique  d'une  âme,  d'une  imagination, 
d'une  sensibilité  qui  viennent  se  mettre  à  nu 
devant  vous,  sans  nul  intermédiaire.  Les  mots  n'ont 
ici  que  leur  valeur  d'expression  ;  ils  ne  sont  à  aucun 
moment  une  parure  ni  un  déguisement,  et  ils 
acquièrent  par  là-même  une  puissance  prodi- 
gieuse d'évocation.  Et  nous  avons,  après  avoir  lu 
ce  beau  livre,  cette  impression  si  rare  du  peuple 
venant  à  la  littérature  et  lui  apportant  une  force 
îieuve  dans  l'observation  des  faits  et  leur  expres- 
sion. 


COLETTE  WILLY 
La  Vagabonde 

M"^®  Colette  Willy  est  un  bien  singulier  et  trou- 
blant écrivain  :  pétrie  de  contrastes,  c'est  —  pour 
lui  emprunter  un  de  ses  titres  —  une  «  ingénue  liber- 
tine»; elle  cultive  en  même  temps  le  réalisme  le 
plus  cru  et  je  ne  sais  quel  idéalisme  éthéré,  elle  est 
mue  et  ironique,  tendre  et  cruelle,  brutale  et 
pudique,  et  ses  pudeurs  sont  plus  gênantes  souvent 
que  ses  brutalités.  Son  lecteur  est  gagné  par  la  con- 
tagion de  tant  de  contradictions;  il  est  tour  à  tour, 
et  souvent  tout  à  la  fois,  irrité  et  charmé;  et  dans  le 
moment  où  son  agacement,  son  énervement  vont 
atteindre  à  l'exaspération,  il  s'aperçoit  avec  sur- 
prise qu'il  est  conquis. 


8V6  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Avec  plus  d'intensité  encore  que  ses  livres  précé- 
dents, la  Vagabonde^  nous  donne  cette  impression, 
car  c'est,  je  crois,  le  roman  le  plus  direct,  le  plus 
personnel  qu'elle  nous  ait  encore  donné;  et  elle 
connaît  à  merveille  cette  Renée  Taillandy  dont  elle 
nous  conte  l'aventure  sentimentale,  cette  femme  de 
lettres  divorcée  après  huit  ans  de  mariage,  «  femme 
de  lettres  qui  a  mal  tourné  »,  qui  est  devenue  mime, 
danseuse,  comédienne  et  qui  échange  maintenant 
contre  de  l'or  sonnant  ses  gestes,  ses  danses,  le  son 
de  sa  voix  ;  elle  la  connaît  comme  une  sœur,  et  elle 
la  contemple  avec  une  tendresse,  une  complaisance 
infinies;  l'anaylse  de  cette  petite  personne  lui  pro- 
cure, on  le  voit,  toutes  sortes  de  satisfactions,  et  je 
comprends  cela,  car  elle  est  délicieuse,  et  moi  aussi 
je  la  suis  avec  le  plus  vif  intérêt  dans  l'étalage  de 
ses  complications  sentimentales,  dans  «  ses  chichis, 
ses  coupages  de  cheveux,  en  quatre,  ses  soliloques 
psychologiques»,  toutes  ces  choses  qui  devraient 
être  prodigieusement  agaçantes,  et  qui  tout  au  con- 
traire, sont  très  jolies  et  prenantes  au  plus  haut 
point. 

Je  la  contemple  avec  un  intérêt  sans  cesse  renou- 
velé, cette  «  vagabonde»,  mais  je  me  garderais  bien 
de  souhaiter  son  intimité;  et  je  plains  de  tout  mon 
cœur  le  pauvre  Max,  l'homme  simple  et  amoureux 
que  son  méchant  destin  a  mis  sur  le  chemin  de 
cette  petite  femme  séduisante  et  cruelle  qui  se 
croit  un  instant  amoureuse,  mais  qui  au  fond  —  je 
le  lui  dis  tout  bas,  puisqu'elle  n'a  pas  su  découvrir 


NOVEMBRE    LES     HU.MANS  347 

c^'la  dans  suii  analyse,  pourtant  si  pénétrante  et  si 
loyale  —  n'aime  vraiment  qu'une  personne  au 
monde  :  elle-même. 

Elle  va  bondir  sans  doute  sous  cette  accusation 
d'égoïsme  qui  lui  semblera  la  chose  la  plus  mons- 
trueuse du  monde;  aussi,  comme  je  ne  tiens  pas  à 
ivoir  des  histoires  avec  une  femme  aussi  fine  et 
iorte  que  celle-là,  je  me  garderai  d'insister,  et  me 
hâterai  de  vous  dire  qu'elle  est  capable  aussi  d'émo- 
tion et  qu'il  y  a  un  grand  attendrissement  dans  son 
évocation  de  Brague,  le  mime,  et  de  la  petite  Jadin, 
de  Bouty,  le  pauvre  cabot  malade  qui  a  fait  les 
Dranem»,  et  de  tant  d'autres  artistes  de  café-con- 
cert :  «  chimériques  orgueilleux,  d'une  foi  absurde 
et  surannée  dans  l'art.  »  Pour  ces  moments  d'émo- 
tion, il  sera  beaucoup  pardonné  à  cette  femme  de 
trente  ans,  folle  et  sage,  qui,  en  somme,  avait  aimé, 
avant  d'être  cette  Brunehilde  désabusée,  «  qui  no 
craint  même  plus  Siegfried,  et  que  la  barrière  de  feu 
garde  contre  tous  ». 


CYRIL  BERGER 
La  Merveilleuse  aventure. 

Les  jeunes  écrivains  auraient  mauvaise  grâce 
vraiment  à  se  plaindre  de  notre  temps;  jamais  on 
ne  leur  témoigna  tant  de  sollicitude  :  les  prix,  les 
bourses  et  les  fondations  destinés  à  les  encourager 


348  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

moralement  et  matériellement  pleuvent  sur  eux,  et 
l'on  se  demande  comment  un  talent  peut  encore 
rester  ignoré  de  nos  jours. 

,  C'est  parfait,  et  Ton  n'ira  jamais  trop  loin  dans 
cette  voie;  mais,  en  retour  de  tant  de  sollicitude, 
nos  «  espoirs  littéraires»  ne  pourraient -ils  pas  nous 
offrir  un  peu  plus  d'allégresse,  et  cesser,  à  l'aurore 
d'une  vie  que  tout  concourt  à  rendre  plus  facile,  de 
nous  donner  le  spectacle  d'un  pessimisme,  d'une 
tristesse,  d'un  désenchantement  excessifs? 

M.  Cyril  Berger,  le  récent  lauréat  des  Quarante- 
Cinq,  n'échappe  pas  à  cette  loi.  Les  nouvelles  réu- 
nies dans  son  livre  la  Main  sur  la  nuque^  qu'on  a 
récompensé  à  juste  titre,  car  c'est  une  œuvre  pleine 
de  talent,  sont,  en  général,  navrantes  ;  les  pauvres 
diables  qui  s'agitent  dans  cette  prose  ont  tous  «  une 
main  sur  la  nuque,  qui  les  pousse  inexorablement 
vers  toujours  plus  de  misère,  vers  toujours  plus  de 
souffrance,  jusqu'au  seuil  de  la  mort  bienfaisante  ». 
Vous  voyez  le  ton  du  livre  et  comme  tout  cela  est 
réconfortant  ! 

C'est  sans  doute  pour  nous  sortir  de  cet  enfer  que 
M.  Cyril  Berger  nous  convie,  en  cette  Merveilleuse 
aventure,  à  le  suivre  très  loin,  très  avant  dans  les 
temps,  car  cette  merveilleuse  aventure  se  déroule 
à  Londres,  en  l'année  2130. 

Quel  chemin  parcouru  dans  ces  deux  siècles,  et 
que  de  transformations  accomplies  !  Le  machinisme 
a  complètement  remplacé  le  travail  des  hommes; 
on  ne  cultive  plus  la  terre,  la  ville  est  ravitaillée  par 


NOVEMBRE    —    LES    ROMANS 


les  colonies  d'Afrique  qui  lui  envoient  au  moyen  de 
tubes  géants  fort  bien  agencés  sa  pâture  quoti- 
dienne ;  on  ne  voyage  plus  que  dans  les  airs,  trans- 
portés à  des  vitesses  vertigineuses  par  des  trains 
qu'entraînent  de  mystérieux  courants  magnéti- 
ques, une  température  délicieuse  règne  partout 
grâce  au  feu  central  capté  pour  le  chauffage  de  la 
terre... 

Tout  cela  devrait  rendre  la  vie  délicieuse,  mais 
il  y  a  les  hommes,  et  les  hommes  n'ont  pas  pro- 
gressé en  même  temps  que  les  choses,  au  contraire  ! 
Ils  ressemblent  tout  à  fait  aux  Romains  du  Bas- 
Empire  :  ils  ont  du  pain,  il  leur  faut  des  jeux;  et 
les  trusters,  les  grands  manieurs  d'or,  qui  ont  pris 
la  place  des  empereurs,  s'appliquent  à  les  leur  don- 
ner sous  les  espèces  de  gigantesques  et  sanguinaires 
<'ombats  de  boxe.  Et  cette  frénésie  de  luxe,  de  plai- 
sir et  de  meurtre  se  termine  comme  il  convient  par 
une  catastrophe,  une  formidable  et  scientifique 
explosion  qui  fait  sauter  Londres. 

Il  y  a  dans  cette  histoire  une  belle  dépense  d'ima- 
gination qui  fait  parfois  penser,  à  Wells  :  c'est  amu- 
sant et  dramatique,  et  vous  pouvez  en  conclure,  si 
vous  voulez,  que  l'humanité  ne  s'améliore  pas  en 
vieillissant  —  bien  au  contraire. 


21 


350  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

GUY  GHANTEPLEURE 
Maiencontre. 

Guy  Ghantepleure,  cette  femme  de  lettres  au 
talent  délicat,  poursuit  sans  vain  tapage  une  car- 
rière laborieuse,  unie,  harmonieuse,  au  milieu  d'une 
estime  qui  grandit  sans  cesse  depuis  le  j  our  déj  à  loin- 
tain où  elle  nous  révéla  ce  nom  de  Guy  de  Ghante- 
pleure, où  elle  a  mis,  comme  un  programme,  cette 
joie  et  cette  tristesse  qui  se  mêlent  également  dans 
ses  livres. 

Ge  romancier,  dont  l'imagination  est  féconde  et 
la  langue  excellente  a,  en  effet,  par-dessus  tout,  le 
sens  de  la  mesure  :  il  y  a  toujours  un  peu  de  mélan- 
colie dans  sa  joie,  toujours  quelque  espoir  dans  ses 
tristesses.  pl| 

Pourtant,  avec  Maiencontre^  je  croyais  bien  que 
nous  entrions  cette  fois  dans  la  vraie  tragédie,  toute 
noire,  toute  pleine  de  mystère  et  de  terreur  :  l'ar- 
rivée de  la  douce  et  charmante  Flavie  dans  le  som- 
bre château  de  Maiencontre  est  faite  pour  nous  don- 
ner le  frisson,  frisson  justifié,  car  il  se  passe  dt  > 
choses  terribles  dans  cette  demeure  habitée  par  la 
tristesse  et  le  regret,  où  Patrice  de  Maiencontre 
traîne  péniblement  entre  sa  vieille  mère,  son  fils,  un 
charmant  bambin,  et  miss  Brinda  Savage,  sœur  de 
Gladys,  morte  au  moment  où  il  devait  l'épouser, 
le  désespoir  d'une  vie  finie  à  vingt-six  ans.  Deux  fois 


NOVEMBRE    LES    ROMANS  351 

déjà  il  fut  sur  le  point  d'être  heureux,  deux  fois  la 
mort  cruelle  lui  a  ravi  sa  compagne,  ou  sa  fiancée.  11 
ne  croit  pas  qu'il  y  ait,  désormais,  pour  lui,  de  joie 
sur  la  terre. 

Peu  à  peu,  cependant,  la  bienfaisante  influence 
du  sourire  et  de  la  jeunesse  de  Flavie,  entrée  dans 
cette  maison  comme  institutrice,  opèrent  le  mira- 
cle :  il  se  reprend  à  vivre,  il  aime,  il  est  aimé  ;  mais 
cette  idylle  est  bien  près,  elle  aussi,  d'avoir  un 
dénouement  tragique  :  certain  soir,  une  main  crimi- 
nelle verse  un  poison  subtil  dans  le  verre  de  Fla- 
vie;^ c'est  celle  de  miss  Brinda  qui,  éprise  elle-même 
de  Patrice,  voulait  tuer  Flavie  comme  elle  avait 
assassiné  déjà,  par  un  crime  atroce,  sa  sœur  Gladys. 
Dès  lors  tout  s'éclaircit,  c'est  la  catastrophe,  mais 
c'est  aussi  le  salut;  Flavie  est  sauvée  et,  après 
quelques  émouvantes  péripéties,  Patrice  connaîtra 
enfin  le  bonheur  dans  l'amour  et  dans  la  vie  entre 
son  fils  et  sa  doiic*'  femme. 


LÉO  BYRAM 

Mon  ami  Fou-Than 
<  Ou  les  tribulations  d'un  coolie  pousse-pousse.  » 

C'est,  nous  dit  l'auteur,  un  «  roman  de  mœurs 
chinoises».  J'y  vois  plutôt,  pour  mon  compte,  la 

..,,i..4;..r.  j',,f|  voyageur  qui  a  très  bien  :ni  voir  et 


352  LE    MOUVEMENT    LITTÉr'AIRE 

observer  les  choses  et  les  hommes,  comprendre  les 
drames  et  les  comédies  qui  se  déroulèrent  autour 
de  lui.  Mais,  ne  chicanons  pas  sur  un  titre  :  l'essen- 
tiel est  que  derrière  ce  titre  nous  trouvions  un  livre 
qui  nous  divertisse  et  nous  instruise. 

Or,  le  volume  de  M.  Léo  Byram  atteint  à  mer- 
veille ce  double  but;  nous  sommes  intéressés  et 
émus  par  l'histoire  de  Fou-Than,  ce  Chinois  cultivé, 
à  l'esprit  ouvert,  au  cœur  généreux  et  que  des  cir- 
constances pénibles  ont  réduit  à  la  condition  d'un 
misérable  pousse-pousse  en  attendant  qu'elles  l'acca- 
blent de  bien  d'autres  malheurs  immérités;  ses  per- 
sécuteurs :  le  perfide  Kiao,  et  Ouan,  le  poHcier,  ne 
nous  intéressent  pas  moins,  non  plus  que  Beau 
Nuage,  son  père.  Précieuse  Pureté,  l'obhgeante  et 
dangereuse  amie  de  la  maison,  et  Li-Sbi,  la  pauvre 
petite  Chinoise,  épouse  vouée  à  taut  de  détresses 
par  les  mœurs  de  son  pays  si  cruelles  aux  femmes. 

Tous  ces  êtres  si  loin  de  nous,  si  différents,  nous 
surprennent  et  nous  amusent  au  plus  haut  point,  et 
leurs  aventures  constituent  bien  en  somme  une 
sorte  de  roman,  mais  elles  nous  offrent  surtout  une 
vivante  leçon  :  nous  y  apprenons  mille  choses  sur 
les  mœurs  chinoises  et  aussi  sur  les  causes  profon- 
des des  sentiments  que  nous  inspirons  aux  Fils  du 
Ciel,  sentiments  dénués  d'aménité  et  que  l'on  com- 
prend très  bien,  pour  peu  qu'on  soit  doué  de  quel- 
que esprit  d'observation  et  d'équité.  Je  me  sou- 
viens d'avoir  eu,  il  y  a  quelque  dix  ans,  une  bien 
curieuse  conversation  sur  ce  sujet  avec  un  Chinois 


NOVEMBRE    LES    ROMANS  353 

arrivé  tout  droit  de  Pékin  :  j'ai  retrouvé  ses  idées 
exprimées  par  le  sage  et  infortuné  Fou-Than,  et  j'ai 
compris  mieux  encore  cette  aversion  chinoise  que 
notre  vanité  nous  fait  trouver  monstrueuse  et 
inconcevable. 


JEAN    BERTHEROY 
Les  deux  puissances. 

Ce  livre  est,  nous  dit-on,  un  «  roman  moderne  ». 
Cette  épithète,  en  général,  ne  nous  présage  point 
que  nous  aurons  affaire  à  des  héros  d'un  idéal  très 
élevé;  les  romanciers  tiennent,  en  effet,  pour  l'ordi- 
naire, les  mœurs  modernes  en  assez  piètre  estime. 
C'est  donc  une  surprise  pour  nous  de  constater  que 
le  roman  de  M^^  Jean  Bertheroy  nous  fait  assister 
au  drame  de  deux  consciences  que  mettent  aux 
prises  les  plus  nobles,  les  plus  rares  scrupules.  En 
épigraphe,  cette  pensée  :  «  Ceux  qui  n'ont  pas  cher- 
ché le  mystère  de  l'Être  ont  perdu  leur  vie.  »  L'affir- 
mation surprendra  une  foule  de  gens  qui  s'étonne- 
ront aussi  de  voir  deux  êtres  d'élection,  tels  que 
l'éminent  savant  Stanislas  Remondy  et  la  belle, 
noble  et  généreuse  Lucienne,  entraînés  l'un  vers 
l'autre  par  un  amour  très  puissant  et  très  pur  et 
qui  renoncent  à  unir  leurs  destinées  parce  que  leurs 
sentiments  sont  divers  sur  la  grande  question  d<' 
l'inconnu, 


'Î54  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE     . 

Notez  bien  qu'il  n'y  a  pas  entre  eux  de  diver- 
gence essentielle,  que  ce  n'est  pas  un  athée  en  face 
d'une  croyante;  simplement,  ils  ont  suivi  des  routes 
différentes  dans  un  culte  commun  de  l'idéal  :  cela 
suffît  pour  les  décider  de  renoncer  l'un  à  l'autre  sans 
d'ailleurs  que  leur  tendresse  et  leur  estime  en  soient 
le  moins  du  monde  atteints. 

Ce  sont  là  des  sentiments  très  beaux,  très  rares, 
et  qui  élèvent  ces  deux  héros  singulièrement  au-des- 
sus de  notre  actuelle  humanité.  M^^  Jean  Berthe- 
roy  a  réussi  à  nous  faire  apparaître  vivants  ces  deux 
êtres  d'idée,  dans  un  roman  émouvant,  humain  et 
qu'animent  des  personnages  tels  qu'Andrée,  la  fille 
de  Remondy,  et  son  mari  en  qui  nous  reconnais- 
sons les  spécimens  d'une  humanité  hélas  plus  pro- 
che de  nous. 


JEAN  BALDE 
Les  Ébauches. 

Ce  livre  est  le  premier  roman  de  ce  jeune  écri- 
vain; il  nous  apporte  la  révélation  d'un  talent  qui 
doit  nous  donner  de  très  belles  choses.  C'est  une 
histoire  très  balzacienne,  celle  de  Claude  Ferrol; 
outre  qu'elle  se  déroule  dans  les  temps  évoqués 
par  le  grand  romancier,  elle  est  traitée  avec  cette 
ampleur,  cette  minutie,  cette  continuité  impres- 
sionnantes des  romans  de  Balzac,  et  l'arrivée  de 


NOVEMBRE    —    LES    ROMANS  355 

Claude  Ferrol  à  Paris  ressemble  étrangement  à  celle 
de  Lucien  de  Rubempré,  mais  son  histoire  est  bien 
différente,  et  «  les  ébauches  »  de  Claude  Ferrol  res- 
tent toujours  celles  d'une  âme  d'apôtre,  d'une  âme 
généreuse  et  ardente,  celle  de  ces  hommes  de  vingt 
ans  qui,  dans  leur  mansarde,  veulent  réformer  le 
monde. 

Rien  de  plus  émouvant  que  ces  rêves  sublimes, 
ces  recherches  généreuses  d'utopies  que  meurtris- 
sent sans  cesse  les  déceptions  de  la  réalité.  Les  aven- 
tures sentimentales  et  morales  de  Claude  Ferrol,  les 
influences  qu'il  subit  des  derniers  Saint-Simoniens, 
dp  Lacordaire,  de  M"^^  Swetchine,  d'Ozanam,  des 
républicains  de  1848,  c'est,  en  somme,  objectivée 
sous  une  forme  romanesque,  l'histoire  même  de 
l'idéal  en  notre  pays  dans  la  première  moitié  du 
xix®  siècle. 

A  un  semblable  héros,  la  vie  doit  être  cruelle; 
en  effet,  il  va  sans  cesse  de  souffrances  en  décep- 
tions, sans  renoncer  jamais  à  ses  espoirs  :  «  Va,  va 
toujours,  Claude  Ferrol,  et  puis  souffre,  combats, 
espère.  C'est  ainsi  que  Dieu  t'a  voulu.  Non,  la  vie 
n'aura  rien  pour  toi,  cette  vie  du  dehors,  hostile  et 
dure,  que  tu  subis;  mais  de  tant  d'amour  dépensé, 
de  toute  ton  âme  qui  rayonne»  an  loin,  un  pfMi  dn 
chaleur  reviendra  peut-être.  ) 


356  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

ALBERT  POSTEL  DU  MAS 
Le  Roman  d'un  révolté. 

«  Toute  individualité  puissante  est  fatalement 
en  révolte  contre  la  collectivité.  Elle  vit  au-dessus 
ou  à  côté  —  en  marge,  par  conséquent  —  et  doit, 
pour  s'y  maintenir,  lutter  sans  cesse  contre  son 
influence  amoindrissante  puisque  égalitaire.  «  Telle 
est  l'opinion  de  M.  Albert  Postel  du  Mas  qui  l'ins- 
crit comme  axiome  au  seuil  de  son  livre. 

Cet  axiome  ne  m'apparaît  pas  si  évident  et  il  ne 
me  semble  pas  qu'une  individualité  puissante  soit 
nécessairement  en  révolte  contre  toute  loi;  je  crois, 
au  contraire  que  cette  individualité  s'affirme  d'au- 
tant plus  puissante  qu'elle  a  su  se  développer,  s'im- 
poser, sans  se  mettre  en  rébellion  contre  les  lois  de 
la  nature,  de  la  société,  de  l'humanité.  Mais  ce  n'est 
pas  ici  le  lieu  de  discuter  l'axiome  de  M.  Albert  Pos- 
tel du  Mas»  :  voyons  le  roman  qu'il  a  construit  sur 
cet  axiome. 

Il  est  formidable,  ce  roman,  il  l'est  trop  pour  nous 
effrayer  tout  à  fait.  Oui,  l'excès  même  de  sa  bruta- 
lité est  fait  pour  nous  rassurer  et  ce  Wilfrid  Savigny 
de  Sérac  pour  lequel  l'auteur  voudrait  nous  inspirer 
un  sentiment  de  tendresse  et  d'horreur,  d'admira- 
tion et  de  pitié,  nous  apparaît  comme  un  monstre 
où  nous  nous  réjouissons  de  ne  pas  reconnaître 
les  traits  qui  caractérisent  nos  semblables,  et  cela 


NOVEMBRE    LES    ROMANS  357 

nous  permet  d'écouter,  sans  trop  d'émoi,  le  récit  de 
ses  aventures.  C'est  heureux,  car  autrement,  com- 
ment nos  nerfs  auraient-ils  pu  supporter  l'angoisse 
de  ces  vols  —  reprises  individuelles  —  de  ces  sadi- 
ques amours,  de  ce  crime  final  sur  la  personne  de  la 
grand'mère  dont  on  convoite  l'héritage,  et  de  ce  sui- 
cide en  beauté  pour  se  punir,  non  pas  du  crime,- mais 
de  son  échec.  M.  Albert  Postel  du  Mas  nous  raconte 
cette  aventure  en  un  style  curieux,  personnel,  sou- 
vent brutal;  mais  parfois  il  s'alanguit  en  inflexions 
caressantes  pour  son  monstre,  qui  le  confond  d'ad- 
miration et  de  tendresse.  C'est,  au  demeurant,  un 
livre  rempli  de  talent. 


MARIANNE  DAMAD 
Chez  eux. 

'  Une  émouvante  leçon  de  sohdarité  sociale  se 
dégage  du  roman  que  M"^^  Marianne  Damad  a 
pubhé  sous  le  titre  Chez  Eux.  C'est  l'histoire  de 
Juliette  Fabian,  une  jeune  femme  de  vingt-quatre 
ans,  veuve,  sans  famille,  sans  fortune  —  ou  pres- 
que :  à  peine  de  quoi  vivre  très  chichement  —  qui  a 
été  recueillie  par  une  parente  éloignée,  M"^^  Rim- 
bourg.  Dans  la  maison  de  cette  dernière,  entourée 
de  parasites  intéressés  à  la  circonvenir,  elle  connaît 
toutes  les  rancœurs,  toutes  les  humiliations,  toutes 
les  tristesses  classiques  de  la  parente  pauvre;  et 

il. 


358  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

certain  jour,  n'en  pouvant  plus,  elle  s'enfuit  de 
cet  enfer:  elle  s'en  va  avec  ses  maigres  ressources, 
vers  les  faubourgs,  s'installe  dans  une  médiocre 
chambrette  où  elle  ne  connaîtra  plus  le  luxe,  mais 
où  du  moins  elle  vivra  indépendante  «  chez  eux», 
chez  les  gens  du  peuple. 

Et  elle  a  la  surprise  de  les  découvrir  accueil- 
lants, généreux,  contents  de  voir  parmi  eux  une 
femme  que  son  éducation  et  sa  situation  sociale  ont 
mise  au-dessus  d'eux,  reconnaissants  de  ce  sem- 
blant de  luxe  que  son  piano,  ses  conversations,  ses 
pauvres  gâteries  à  leurs  enfants  ont  apporté  dans 
leur  humble  maison.  Tous  les  locataires,  et  aussi  la 
brave  concierge  de  cet  immeuble  populaire  sont 
conquis  par  Juliette,  qui,  elle-même,  se  passionne 
pour  son  rôle  d'éducatrice,  et  se  réjouit  de  découvrir 
parmi  ces  humbles,  la  douceur  et  la  force  du  simple 
hen  humain.  Mais  bientôt,  hélas  !  de  basses  jalou- 
sies naissent  parmi  ces  voisins,  je  ne  sais  quelles 
haines  de  classes  se  réveillent,  une  méchante  femme 
remplace  dans  la  loge  la  brave  concierge  de 
naguère,  et  voilà  Juliette  Fabian  en  butte  à  de 
basses  et  grossières  méchancetés,  plus  insuppor- 
tables encore  à  sa  délicatesse  que  les  douloureuses 
piqûres  d'autrefois;  et  son  sort  serait  bien  désolant, 
si  le  bon  docteur  Martellet,  humble  et  généreux 
praticien  de  quartier,  que  séduisirent  sa  grâce  et 
sa  bonté,  ne  venait,  en  l'épousant,  l'arracher  à 
ce  milieu. 

Et  elle  le  suit,  heureuse,  avec  tout  de  même  un 


NOVEMBRE    —    LES    ROMANS  359 

peu  de  regret  ému;  elle  ne  peut  pas  oublier  qu'elle 
a  trouvé  parmi  ce  peuple  un  bienfaisant  refuge, 
ejle  sait  désormais  que  «  c'est  une  grande  faute  de 
séparer  les  castes,  un  crime  de  les  rendre  ennemies, 
et  que  chercher  partout  où  ils  se  trouvent  ceux  dont 
!  <'œur  peut  battre  avec  notre  cœur,  c'est  accom- 
plir la  vraie  mission  de  la  fraternité  humaine». 
Excellente  moralité  d'un  roman  intéressant,  bien 
observé,  d'une  louable  simplicité. 


LUCIEN  MAR7AG 
Locuste. 

M.  Lucien  Marzac  évoque  les  temps  néroniens.  Il 
a  choisi  comme  titre  à  son  livre  et  comme  centre  à 
son  histoire  Locuste.  L'idée  est  heureuse,  car  c'est 
un  nom  qui  frappe  et  retient  l'attention  populaire  ; 
on  peut  ignorer  toute  l'histoire  romaine,  n'avoir 
qu'une  notion  très  vague  de  Britannicus  et  d'Agrip- 
pine  et  de  Galba,  mais  on  connaît  forcément  Lo- 
custe et  son  plat  de  champignons  vénéneux,  tant 
est  grand  et  persistant  le  prestige  des  empoison- 
neuses sur  nos  imaginations.  M.  Marzac  nous  offre 
l'occasion  de  suivre,  dans  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions, cette  aimable  personne,  patronne  à  travers 
les  âges  des  virtuoses  du  poison;  mais  Locuste 
n'est  qu'un  des  personnages  du  grand  drame  évo- 


:{60  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

que  par  lui  ;  ce  drame  c'est  celui  de  la  société  anti- 
que agonisante  au  milieu  des  crimes,  des  meurtres, 
des  orgies  et  des  jeux,  traversée  par  cette  foule  éton- 
nante de  courtisanes,  de  poètes,  d'amoureux  et  de 
prétoriens,  et  aussi  de  quelques  gens  vertueux  et 
nobles,  comme  le  médecin  Priscus. 

Et  c'est  d'un  très  vif  intérêt,  conté  en  un  style 
alerte,  moderne,  par  un  écrivain  qui  connaît  très 
bien  l'histoire  romaine  et  qui  est  doué  d'une  très 
heureuse  imagination.  M.  Maurice  Barrés  apporte 
le  précieux  appui  d'une  préface  sympathique  à  ce 
livre  qui,  pour  ma  part,  m'a  semblé  au  moins  aussi 
intéressant  que  le  légendaire  Quo  vadis?  et  qui 
mérite  bien  un  peu  de  son  succès. 


LOUIS  ANDRÉ  ET  JEAN  BOSG 
La  Haine  d'un  Gardian. 

MM.  Louis  André  et  Jean  Rose  nous  conduisent 
«  au  pays  des  Cigales»,  en  un  roman  de  mœurs  lan- 
guedociennes, la  Haine  d^un  gardian,  et  c'est  un 
beau  voyage,  tout  rempli  d'émotion,  à  travers  ces 
terres  baignées  de  soleil  :  nous  y  assistons  à  ces 
courses  de  taureaux  provençales  d'une  si  jolie  cou- 
leur, aux  exploits  magnifiques  de  ces  gardians  qui 
sont  les  toreros  de  chez  nous,  des  toreros  comme 
ils  n'en  ont  pas  tras  los  montes',  et  ce  sont  dans  un 


NOVEMBRE    LES    ROMANS  361 

mouvement  endiablé,  évoqués  par  des  écrivains  qui 
les  connaissent  bien  et  qui  les  aiment,  ces  divertis- 
sements villageois  de  notre  Midi,  ces  farandoles 
frénétiques  et  charmantes,  ces  ferrades  terribles, 
fêtes  du  courage,  mais  non  de  la  cruauté. 

Dans  ce  décor  étincelant,  un  drame  se  déroule, 
drame  farouche  et  sombre  de  haine  et  d'amour, 
et  de  politique  aussi  —  car  nous  sommes  au  temps 
tragique  du  2  décembre  —  entre  le  gardian  Malbos 
et  le  «  rasetaïre»  Jean-Louis,  épris  tous  deux  d'An- 
nette  qui  aime  le  dernier,  cependant  que  son  père, 
Tégoïste  et  avare  maître  Bizet,  la  destine  par  calcul 
et  par  crainte  au  redoutable  gardian. 

La  haine  du  gardian  est  servie  à  souhait  par  les 
événements  politiques  :  Jean-Louis  est  un  républi- 
cain, et  malgré  le  dévouement  d'Annette  qui  lui  a 
donné  asile,  il  est  découvert,  arrêté,  banni  —  lais- 
sant dans  le  désespoir,  dans  la  honte  et  dans 
l'isolement,  son  amie,  qui  meurt,  quelques  mois 
après,  en  mettant  au  monde  un  fils  de  Jean- 
Louis. 

Dix-huit  ans  après,  le  drame  recommence.  Mau- 
rice, le  fils  de  Jean-Louis,  revenu  au  pays,  aime  Lise, 
la  fille  du  gardian;  mais  le  temps  n'a  pas  désarmé 
la  haine  de  ce  dernier,  qui  non  seulement  refuse  de 
consentir  à  l'union  des  amoureux,  mais  veut  par 
surcroît  tuer  sa  victime  d'autrefois.  Heureusement, 
l'intervention  du  brave  chien  de  Jean-Louis  vient 
à  point  arranger  les  choses,  et  le  féroce  Malbos 
expire  sous  ses  crocs  puissants;  ainsi  Lise  et  Maurice 


362  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

seront  heureux,  et  Jean-Louis  connaîtra  enfin  la 
paix  et  la  sécurité. 

i  Cette  dramatique  histoire  est  contée  avec  beau- 
coup d'agrément  et  d'émotion,  en  un  roman  pitto- 
resque où  la  psychologie  des  personnages  est  très 
adroitement  notée,  ce  qui  ne  vous  étonnera  point 
lorsque  vous  saurez  que  l'un  des  auteurs,  M.  André, 
fut  longtemps  juge  d'instruction.  Dans  un  tel  poste, 
un  homme  doit  —  pour  peu  qu'il  soit  doué  de  quel- 
que esprit  d'observation  —  avoir  appris  à  connaître 
assez  bien  les  hommes  et  à  sonder  le  mystère  des 
consciences  et  des  âmes. 


MAGDELEINE  CHAUMONT 
L'Éveil. 

Il  y  a  de  bien  agréables  qualités  de  franchise,  de 
belle  santé  morale  et  physique,  dans  le  roman  que 
Mine  Magdeleine  Ghaumont  vient  de  publier  sous  le 
titre  VEçeil.  L'aufeur  est  une  jeune  femme  dont 
c'est,  je  crois  bien,  le  début  dans  le  roman;  et,  dès 
ce  premier  livre,  elle  se  donne  tout  entière,  avec  une 
audace  ingénue  et  primesautière.  C'est  une  belle 
histoire  d'amour,  de  passion  fervente,  de  lutte  labo- 
rieuse et  féconde  que  celle  de  Lucienne,  la  jeune  fille 
ruinée  qui  est  venue  de  sa  province  à  Paris  pour 
chercher  à  gagner  sa  vie.  Un  journal  lui  offre  asile  : 


NOVEMBRE    —    LES    ROMANS  363 

voilà  «  publiciste  »,  mais  que  de  difficultés,  de 
rils,  jusqu'au  moment  où  elle  rencontrera  le 
and  amour  libérateur. 

De  l'ombre,  à  côté  de  cette  lumière  :  c'est,  paral- 
lèlement à  l'aventure  de  Lucienne,  celle  de  Marthe, 
son  amie  d'enfance,  qui  fit,  au  sortir  du  couvent,  le 
boau  et  richissime  mariage,  et  qui,  au  bout  de  quel- 
;es  mois  douloureux  de  vie  factice,  de  morphine 
d'opium,  meurt  misérablement. 
Telle  est  l'histoire,  M^^^  Magdëleine  Chaumont 
la  contée  en  une  langue  alerte  et  simple,  sans  nul 
(ifîce  :  elle  est  vivante,  on  jurerait  qu'elle  est 
eue  et  la  femme  sans  cesse  y  apparaît  sous  l'écri- 
lin,  c'est  ainsi  que  dit  M.  Paul  Brulat,  «  un  livre 
passion  et  de  sincérité,  livre  d'une  femme  qui 
n'oublie  pas  un  seul  instant  qu'elle  est  femme  en 
dévouant  autour». 


MARIUS  GHAILLOU  DU  CŒURJOLY 
La  Duchesse  de  Rouvreuse. 

Le  livre  que  M.  Marins  Ghaillou  du  Gœurjoly  a 
publié  sous  le  titre  la  Duchesse  de  Rouvreuse  pour- 
rait être  simplement  un  roman  d'amour  et  de  haine, 
aux  péripéties  très  dramatiques,  voire  mélodrama- 
tiques. Et  c'est  bien  cela  en  effet,  l'histoire  terrible 
de  la  duchesse  de  Rouvreuse  que  dévore  un  mal 
sans  remède  :  neurasthénie,  dit  le  docteur  Ducasse 


364  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

à  son  mari  le  duc  de  Rouvreiise,  en  réalité,  mal 
d'amour  inguérissable  pour  le  jeune  et  séduisant 
comte  Philippe  de  Roheber,  son  ami  d'enfance. 

Ce  médecin  peu  clairvoyant  est  un  ténébreux 
bandit  qui  se  livre  aux  pires  machinations,  jusques 
et  y  compris  l'empoisonnement,  pour  s'emparer  de 
la  fortune  de  son  noble  client  ;  mais  un  autre  traître, 
le  premier  piqueur  Gaétan  Legoix,  passionnément 
épris  de  la  duchesse,  s'ingénie  à  déjouer  ses  sombres 
projets  tout  en  s'appliquant  à  perdre  celle  qu'il  aime 
et  dont  il  a  deviné  le  secret. 

Vous  voyez  qu'il  y  a  là  tous  les  éléments  d'un 
très  émouvant  roman-feuilleton,  et  l'auteur  en  a 
fort  adroitement  tiré  parti  ;  mais,  et  c'est  ce  qui  fait 
la  particulière  originalité  du  livre,  il  en  a  fait  un 
«  roman  de  vénerie  »  :  le  duc  est  un  grand  chasseur 
devant  l'Eternel,  et  les  plus  dramatiques  péripéties 
de  cette  histoire  se  déroulent  entre  des  chasses 
racontées  par  l'auteur  avec  un  luxe  étonnant  de 
détails  et  une  indiscutable  compétence.  Ainsi,  la 
lecture  de  ce  livre  nous  laisse  non  seulement  émus 
par  les  aventures  de  ses  héros,  mais,  documentés 
parfaitement  sur  la  'quête  et  le  rendez-vous,  le 
laisser-courre,  la  curée  aux  flambeaux,  et  tant  d'au- 
tres rites  cynégétiques  dont  nous  pourrons  désor- 
mais parler  comme  des  Nemrods  consommés. 


HISTOIRE,    LITËr RATURE,   VOYAGES, 

POÉSIE,  DIVERS 


ERNEST  DAUDET 

L'Ambassade  du  duc  Decazes  en  Angleterre, 
1820-1821. 

M.  Ernest  Daudet  avait  mis  récemment  en  pleine 
lumière  l'attachante  figure  du  duc  Dçcazes^  dont  il 
nous  avait  dit  l'existence  ministérielle  sous  la  Res- 
tauration jusqu'au  moment  où,  à  la  suite  de  .l'as- 
sassinat du  duc  de  Berry,  le  comte  d'Artois  et  les 
ultras  avaient  obtenu  son  éloignement.  Pour  com- 
pléter cette  évocation,  M.  Ernest  Daudet  nous 
raconte  aujourd'hui,  V Ambassade  du  duc  Decazes 
en  Angleterre,  1820-1821.  C'est  l'histoire  de  la  der- 
nière année  publique  de  l'homme  d'Etat  que  le 
ro^  Louis  XVIII  avait  dû  éloigner,  mais  qu'il 
n'avait  pu  consentira  disgracier  et  auquel  il  avait 
donné  le  poste  d'ambassadeur  en  Angleterre, 


36G  LE    MOTIVEMENT    LITTÉRAIRE 

L'histoire  de  cette  ambassade,  la  correspondance 
et  les  entretiens  pathétiques  du  ministre  avec  son 
souverain  nous  montrent  comment  la  faveur  de 
Decazes  s'atténua  progressivement  en  même  temps 
que  la  politique  libérale  était  de  plus  en  plus  acca- 
blée par  l'ultra-royalisme  qui  conduisait  la  royauté 
aux  abîmes;  comment,  la  veille  de  sa  mort, 
Louis  XVIII  dut  sacrifier  définitivement  le  duc 
Decazes  dont  la  carrière  politique  fut  brisée  par 
l'avènement  de  Charles  X  :  toutes  ces  choses  d'une 
si  haute  importance  pour  l'histoire  de  la  Restau- 
ration et  pour  l'appréciation  équitable  du  roi 
Louis  XVIII  apparaissent  fort  clairement  dans  ce 
livre  bourré  de  documents  qui  est  un  véritable 
monument  historique. 


COMTE  C.  DE  MONTS 
La  Captivité  de  Napoléon  III  en  Allemagne. 

(Traduction  de  Paul  Bruck-Gilbert  et  Paul  Li'vy). 

Une  impression  bien  douloureuse  et  bien  pénible 
se  dégage  de  ce  livre,  écrit  pourtant  sans  nulle 
intention  pathétique,  au  hasard  des  souvenirs  et 
des  notes,  par  l'officier  général  allemand,  gardien 
de  l'Empereur  prisonnier. 

Ce  gardien  n'avait  pourtant  rien  d'un  Hudson 
Lowe,  ainsi  que  le  fait  remarquer  M.  Jules  Claretie 
dans  la  belle  et  vibrante  préface  qu'il  a  donnée  au 


NOVEMBRE    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  367 

livi( .  '  t  le  château  de  Wilhelmshoehe  était  une 
prison  infiniment  plus  confortable  que  Sainte- 
Hélène.  Mais,  malgré  ce  luxe  de  la  prison,  cette 
courtoisie  du  gardien,  comme  ce  vainqueur  manque 
de  générosité  !  tout  ce  qu'il  peut  trouver  de  mieux, 
ce  sont  des  phrases  comme  celle-ci  :  «  En  présence 
d'une  pareille  infortune,  il  n'y  avait  place  que  pour 
<le  la  pitié;  qu'il  l'eût  mérité  ou  non,  son  sort  était 
'ifmiment  dur.  »  Un  peu  de  pitié  parfois,  c'est  tout; 
>mmp  je  préférerais  de  la  colère  ou  de  la  haine  ! 


BAROX    DE    MÉNEVAL 
L'Impératrice  Joséphine. 

JOSEPH  TURQIIAN 
La  Générale  Bonaparte. 

L'histoire  est  décidément  une  science  bien  diffi- 
cile, relative  et  incertaine  ;  c'est  un  lieu  commun  si 
rebattu,  que  j'ai  quelque  honte  à  le  proférer  une 
fois  de  plus;  mais  il  s'impose  vraiment  trop  impé- 
rieusement à  moi,  après  la  lecture  de  deux  ouvra- 
ges historiques,  parus  dans  la  même  semaine. 

Le  premier  s'intitule  Vlmpératrice  Joséphine. 
Son  auteur,  le  baron  de  Meneval,  ministre'plénipo- 
tentiaire,  entend,  à  l'aide  de  documents,  et  d'après 


1^68  LE     MOUVEMENT    LITTERAIRE 

le  témoignage  des  principaux  historiens,  nous  offrir 
une  image  véridique  de  la  première  femme  de 
Napoléon  I^^  Il  était  temps  vraiment  de  la  peindre 
telle  qu'elle  fut,  cette  femme  que  l'outrage  et  la 
calomnie  se  sont  depuis  un  siècle  évertués  à  noircir. 
Grâce  à  des  lettres  inédites  et  à  des  recherches 
patientes,  l'historien  établit  victorieusement  que,  si 
Joséphine  n'a  pas  été  à  l'abri  de  quelques  faiblesses, 
elle  ne  fut  jamais  la  femme  égoïste  et  perverse  dont 
on  a  parlé;  elle  a  été  le  bon  génie  de  Napoléon 
qu'elle  a  magnifiquement  secondé.  Quant  à  ses 
écarts  de  conduite,  on  n'en  fournit  nulle  preuve 
sérieuse,  et  ce  sont  des  accusations  de  pamphlet. 


.l'ouvre  maintenant  le  second  ouvrage,  publié 
par  M.  Joseph  Turquan,  sous  le  titre  la  Générale 
Bonaparte.  M.  Joseph  Turquan  en  a  assez,  lui  aussi, 
de  la  légende  de  Joséphine  :  il  veut  nous  montrer 
l'épouse  de  Bonaparte  telle  qu'elle  fut;  c'est  de 
l'histoire  qu'il  nous  offre,  non  de  la  légende  tissée 
par  des  historiens  beaucoup  trop  indulgents,  et 
qui  ont  sciemment  dissimulé  ses  défaillances.  Foin 
de  la  galanterie,  et  ne  parlons  pas  s'il  vous  plaît 
de  la  pudeur  nécessaire  de  l'histoire  :  l'histoire  doit 
être  véridique,  impitoyable  —  et  elle  n'a  pas  à  avoir, 
de  l'honneur  d'une  femme,  d'une  impératrice, 
plus  de  souci  que  cette  femme  n'en  eut  elle-même. 


NOVEMBRE    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  369 

Tant  pis  pour  Joséphine.  M.  Joseph  Turquan, 
très  impartialement,  a  laissé  la  parole  aux  faits,  aux 
témoins;  il  a  recueilli  et  comparé  les  documents 
épars  dans  les  souvenirs  et  les  mémoires  des  con- 
temporains; ce  n'est  point  sa  faute  s'il  en  résulte  le 
portrait  peu  flatteur  d'une  femme  légère,  égoïste, 
capable  à  l'occasion  des  plus  fâcheuses  trahisons. 

Et  voilà  !  Remarquez  que  les  deux  historiens  ont 
étudié  souvent  les  mêmes  documents,  cité  parfois 
les  mêmes  témoignages,  pour  arriver  à  une  conclu- 
sion diamétralement  opposée  sur  tous  les  points, 
sauf  sur  un  seul  où  ils  se  trouvent  d'accord  :  la 
prédilection  de  Joséphine  pour  les  belles  robes; 
voilà  sans  doute  un  péché  assez  véniel  chez  une 
johe  femme.  Quant  au  reste,  il  convient  je  crois  de 
nous  résigner  à  voir  dans  cette  femme  ce  qu'il  y  a 
dans  presque  toutes  les  femmes  :  une  passionnante 
(  t  indéchiffrable  énigme;  à  moins  encore  que  nous 
n'adoptions  pour  notre  usage  personnel  une  vérité 
moyenne  qui  pourrait  bien  être  la  vérité. 


AUGUSTE  DIDE 

Jean-Jacques  Rousseau 
«  Le  protestantisme  et  la  Révolution  Française.  » 

Le  refrain  de  Gavroche     dans  les  Misérables: 
«  C'est  la  faute  à  Voltaire,  c'est  la  faute  à  Rous- 


370  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

seau  »  est,  depuis  un  siècle,  chanté  sur  le  mode  grave 
par  un  grand  nombre  d'historiens  de  la  Révolu- 
tion, entêtés  à  distribuer  entre  les  deux  penseurs 
du  xviii^  siècle  les  responsabilités  des  actes  révo- 
lutionnaires. Cette  recherche  des  responsabilités 
m'a  toujours  paru  singulièrement  abusive  et  arbi- 
traire et  je  pense  avec  M.  Auguste  Dide  que  «  les 
événements  qui  modifient  la  vie  d'un  peuple  et 
bouleversent  le  monde  ont  des  causes  profondes  et 
lointaines.  Ils  ne  sont  ni  l'œuvre  d'un  homme,  ni 
le  résultat  d'un  livre.  Rousseau  aurait  pu  ne  pas 
exister,  la  Révolution  de  1789  aurait  été,  sauf  en 
quelques  détails,  qui,  d'ailleurs,  sont  abomina- 
bles, mais  qui  n'ont  rien  d'essentiel,  ce  qu'elle  a 
été.  » 

Gela  n'empêche  pas  d'ailleurs  M.  Auguste  Dide 
de  rechercher  dans  son  livre  Jean- Jacques  Rousseau 

—  «  Le  protestantisme  et  la  Révolution  française  » 

-  les  responsabilités  de  Jean-Jacques,  et  d'aboutir 
à  cette  conclusion  vraiment  un  peu  absolue.  «  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  atroce  dans  la  Révolution  procède 
du  Contrat  social.  Le  nier,  c'est  nier  l'évidence.  Dès 
qu'on  se  met  au  point  de  vue  humanitaire  et  fran- 
çais, l'influence  de  Rousseau  apparaît  néfaste. 
Littérairement  il  a  interrompu  la  tradition  natio- 
nale. En  politique,  il  a  abouti  à  la  terreur  robes- 
pierriste,  à  la  domination  du  rhéteur  fielleux  usur- 
pant la  place  de  l'homme  d'idée  et  d'action.»  Et 
voilà,  je  pense,  le  philosophe  de  Genève  bien  arran- 
gé; il  l'est,  du  moins,  par  un  homme  qui  le  connaît 


NOVEMBRE    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.  371 

très  bien,  qui  l'a  passionnément  étudié,  ce  qui  est 
encore  une  manière  d'hommage. 


CONSTANTIN  PHOTIADÉS 

George  Meredith 
«  Sa  vie,  son  imagination,  son  art,  sa  doctrine.  « 

Ciiiie  étude  révélera  George  Meredith  à  bien  des 
gens.  On  sait,  en  effet,  que  ce  fut  un  grand  écrivain 

un  grand  cerveau;  on  le  répète,  mais  on  ne  con- 
naît généralement,  en  France  surtout,  ni  l'homme 
ni  son  œuvre,  M.  Constantin  Photiadès  ne  s'insurge 
pas  contre  cette  ignorance;  au  contraire,  il  l'ex- 
plique et  nous  assure  que  George  Meredith  lui- 
même  la  trouvait  fort  naturelle.  Il  n'a  jamais 
recherché  la  gloire  tapageuse,  et  son  art  trop  subtil 
ne  pouvait  être  compris  par  la  foule  de  son  pays  ;  à 
plus  forte  raison  devait-on  l'ignorer  en  France  où 
les  traducteurs  n'ont  pu  l'importer,  rebutés  par 
l'allure  capricieuse  de  sa  syntaxe  qui  le  rend  sou- 
vent à  peu  près  intraduisible  ;  grâce  à  M.  Constantin 
Photiadès,  nous  avons  quelque  chance  désormais 
de  pouvoir  l'apprécier  et  le  comprendre. 


372  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

PIERRE   PIC 
Guy  Patin. 

Pages  d'histoire  littéraire  :  voici  un  volume  d'une 
bien  savoureuse  érudition  sur  Guy  Patin.  M.  Pierre 
Pic,  l'auteur  de  cet  ouvrage,  s'est  avisé  que 
nous  ne  connaissions  guère  que  par  ouï-dire  le 
célèbre  médecin  polémiste  et  faiseur  de  mots  du 
xviie  siècle,  et  il  s'est  résolument  plongé  dans  ses 
papiers  et  dans  ses  souvenirs.  Il  n'a  pas  été  autre- 
ment ravi  des  résultats  de  son  enquête,  son  juge- 
ment tient  en  quelques  mots  :  «  Guy  Patin  a  été 
abominablement  surfait,  c'est  un  pur  raseur.  Au 
point  de  vue  médical  sa  mentalité  est  navrante.» 

A  cet  homme  qu'il  tient  en  si  piètre  estime, 
M.  Pierre  Pic  rend  le  plus  signalé  service;  il  le  sort 
de  l'obscurité;  désormais,  grâce  à  lui,  nous  saurons 
ce  que  c'est  que  Guy  Patin,  nous  connaîtrons,  un 
peu  moins  soùimairement  qu'elle  ne  nous  fut  ensei- 
gnée par  les  encyclopédies,  l'histoire  de  sa  guerre  à 
l'antimoine,  et  au  lieu  de  répéter  servilement  qu'il 
fut  un  homme  d'esprit  nous  pourrons  nous  faire 
une  opinion  sur  ses  médisances  et  ses  calomnies 
professionnelles,  ses  maximes  et  ses  traits  d'esprit. 
Pour  moi,  j'ajoute  que  toutes  ces  choses  m'ont,  à 
maintes  reprii^es,  singulièrement  diverti. 


NOVEMBRE    —    HISTOIRE,    LITTÉRATURE,    ETC.         373 

HENRY   LAPAUZE 
Le  Roman  d'amour  de  M.  Ingres. 

M.  Henry  Lapauze  nous  raconte,  en  un  volume 
dun  très  vif  intérêt,  le  Roman  d'amour  de  M.  In- 
gres. C'est  une  révélation  :  désormais,  Ingres  aura 
en  face  de  l'histoire,  à  côté  de  son  fameux  violon, 
une  passion  amoureuse.  Avouons  tout  de  suite  que, 
pas  plus  que  le  violoniste,  l'amoureux  ne  fera  tort 
au  peintre  ;  les  lettres  d'amour  que  M.  Henry 
Lapauze  a  découvertes,  recueillies,  et  présentées 
avec  un  soin  pieux  et  intelligent  sont  souvent  belles 
dans  leur  désordre  et  leur  incorrection,  souvent 
émouvantes  :  ce  ne  sont  point  les  lettres  d'un  grand 
amoureux;  et  même,  au  risque  de  contrister  le 
patriotisme  montalbanais  de  M.  Henry  Lapauze  et 
son  zèle  touchant  pour  la  mémoire  de  son  héros, 
j'avoue  que  dans  cette  histoire  d'amour,  de  fian- 
çailles et  de  rupture,  Ingres  ne  m'apparaît  pas  tout 
à  fait  chic. 

Combien  plus  émouvante,  en  cette  aventure,  sa 
blanche  fiancée,  M^i^  Forestier,  qui,  malgré  la  bles- 
sure de  cette  séparation,  ne  garda  point  de  rancune, 
vécut  solitaire  et  fière  et  disait  bien  longtemps  après, 
devenue  vieille  fille  :  «Quand  on  a  eu  l'honneur  d'être 
fiancée  à  M.  Ingres,  on  ne  se  marie  pas.  »  Elle  a  laissé 
d('  cette  aventure  un  récit  très  émouvant  que 
M.  Henry  Lapauze  nous  a  restitué  intégralement. 

22 


374  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

Comme  épilogue  à  ce  roman  d'amour,  l'auteur 
nous  raconte,  avec  force  lettres  et  documents  à 
l'appui,  l'histoire  des  deux  mariages  d'Ingres,  celui 
de  1813  avec  Madeleine  Chapelle,  celui  de  1862 
avec  Delphine  Ramel  qu'il  épousa  âgé  de  soixante- 
douze  ans. 

D'ensemble,  c'est  un  livre  du  plus  vif  intérêt, 
document  artistique  où  nous  trouvons,  au  milieu 
des  tristesses  et  des  désespoirs  d'Ingres  à  Rome, 
des  lumières  bien  amusantes  et  peu  flatteuses  sur 
les  critiques  d'art  au  début  du  xix®  siècle.  Ce  livre 
est  orné  de  belles  images,  où  l'on  retrouve  notam- 
ment le  portrait  de  cette  famille  Forestier,  père, 
mère  et  fille,  qui  auront  toujours  gagné  à  cette 
aventure  le  Louvre  et  l'immortalité,  ce  qui  est  bien 
quelque  chose  en  somme. 


ERNEST  LÉMONON 
Naples. 

Ce  livre  de  M.  Ernest  Lémonon  sur  Naples,  u  le 
méritt»,  —  rare  en  un  pareil  sujet  tant  de  lois 
traité  en  tant  de  proses  et  de  vers  —  de  l'origina- 
lité. M.  Ernest  Lémonon  s'est  avisé  qu'après  avoir 
été  si  souvent  décrite  et  peinte  et  chantée,  Naples 
était  une  des  villes  les  moins  connues  d'Europe;  les 
écrivains  se  contentent  de  l'admirer.  C'est  bien 


XOVKMBRE    —    HISTOIRE,    LITTERATURE,    ETC.  375 

4LuÎ4i!e  chose,  ce  n'est  pas  tout.  M.  Ernest  Lémo- 
non,  voyageur  studieux,  n'a  pas  voulu  être  un  laz- 
zarone  littéraire  :  il  a  étudié  l'histoire  de  la  Naples 
d'autrefois,  il  a  contemplé  la  Naples  d'aujourd'hui, 
non  pas  seulement  son  ciel  radieux  et  sa  mer  éter- 
nellement bleue,  mais  un  autre  spectacle  passion- 
nant à  plus  d'un  titre  :  les  douloureuses  questions 
sociales  qui  s'agitent  dans  cette  ville;  il  a  étudié 
passionnément  le  passé  tourmenté  de  la  ville  et 
son  présent  magnifique  et  misérable.  Et  c'est  un 
hvre  d'un  très  vif  intérêt,  aussi  utile,  sans  doute,  à 
la  cause  de  Naples  que  les  évocations  les  plus  poéti- 
ques et  les  plus  ensoleillées. 


FŒMINA 
L'Ame  des  Anglais. 

C'est  un  plaisir  pour  moi  de  saluer  à  son  appari- 
tion cette  œuvre  d'une  séduction  si  grave  et  si  sou- 
riante, mais  quel  tourment  aussi  î  Et  comme  je  me 
sens  inférieur  à  ma  tâche.  Je  saurais  bien,  sans 
doute,  vous  dire  très  simplement  la  joie  que  j'ai 
éprouvée  à  lire  —  à  relire  —  ces  pages  exquises  où 
l'auteur,  partie  pour  une  exploration  faite  cent  fois 
avant  elle,  a  su  rassembler  tant  d'observations  nou- 
velles, amusantes,  émouvantes,  tant  de  jugements 
inédits  d'une  souriante  et  définitive  sagesse. 


376  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

Mais  avec  tout  cela  je  ne  vous  aurai  pas  révélé 
grand'chose  car,  cette  joie  vous  la  connaissez  bien 
pour  l'avoir  éprouvée  en  même  temps  que  moi,  et 
je  devrais  maintemant  l'expliquer  et  l'analyser. 
C'est  là  que  je  me  sens  embarrassé;  il  me  faudrait 
pour  m'acquitter  dignement  de  cette  tâche  le 
talent  de  P'œmina  elle-même...  Et  j'ai  bien  envie  do 
lui  laisser  la  parole.  Au  cours  des  «  excuses  limi- 
naires» qu'elle  a  cru  devoir  adresser  à  son  lecteur, 
elle  s'écrie  gentiment  :  «  Quelle  audace  !»  —  et  elle 
ajoute  avec  impertinence  :  «  Quelle  niaiserie  !  — 
de  poursuivre  sous  tant  d'aspects,  beaux,  drôles, 
émouvants,  les  raisons  secrètes  qui  ont  permis  que 
les  fleurs  fussent  groupées  avec  un  art  si  expressif; 
que,  durant  des  siècles,  les  générations  fugitives 
ne  détruisissent  rien  dans  ces  antiques  demeures; 
que  les  spectres  ne  se  soient  pas  lassés  dans  leur 
course  dolente;  que  le  luxe  en  Angleterre  paraisse 
mieux  qu'ailleurs  justifié,  à  sa  place,  noble  et 
naturel  ;  que  des  hommes  et  des  femmes  atteignent 
à  une  telle  perfection  de  formes.  Quelle  audace, 
enfin,  de  prétendre  à  parler  de  l'âme  anglaise.  Et 
sans  la  connaître  après  tout  !  » 

A  la  condition  d'enlever  les  restrictions  de  mo- 
destie que  Fœmina  s'est  amusée  à  y  insérer,  ce  joli 
morceau  exprime  exactement  le  sens  et  la  portée 
de  l'œuvre,  et  même  cette  boutade  de  la  fin  :  «  sans 
la  connaître  après  tout»,  a  sa  valeur,  et  elle  nous 
dit  un  des  charmes  du  livre.  Entendez  bien  que  l'au- 
teur, qui  a  appris  à  penser  et  à  rêver  en  anglais. 


NOVEMBRE    HISTOIRE,    LITTERATURE,    ETC.  ,5  /  ; 

«onnaît  l'âme  anglaise  à  merveille  et  qu'elle  l'ana- 
lyse avec  une  très  rare  pénétration,  mais  elle  ne 
cesse  pas,  en  la  regardant,  d'être  elle-même  pro- 
fondément latine  et  cela  lui  permet  d'éprouver  des 
surprises  et  des  émotions  qui  nous  enchantent,  car 
nous  aimons  à  voir  notre  auteur  sur])ris  et  ému  en 
même  temps  que  nous,  et  rien  ne  nous  choque  tant 
que  l'indifférence  de  ce  voyageur  impassible  devant 
la  splendeur  ou  l'étrangeté  d'un  paysage  évoqué 
pour  la  première  fois  devant  nous,  sous  prétexte 
qu'à  lui,  il  lui  est  familier. 


ERNEST  LAVISSE 
Nouveaux  discours  à  des  enfants. 

En  l'honneur  de  ses  petits  amis  des  écoles  com- 
munales de  Nouvion-en-Thiérache,  M.  Ernest  La- 
visse  a  très  heureusement  renouvelé  la  tradition  du 
discours  de  distribution  des  prix  :  chaque  année,  on 
le  sait,  il  accepte  la  mission  de  faire,  en  ce  jour 
solennel,  de  la  morale  aux  écoliers  impatients  de 
recevoir  leurs  récompenses,  et  non  seulement  il 
parvient  à  émouvoir  ses  jeunes  auditeurs,  mais  les 
paroles  familièrement  éloquentes  qu'il  leur  adresse 
sont  entendues,  bien  au  delà  des  limites  de  cette 
humble  commune  et  de  ce  département,  par  toute 
la  jeunesse  de  Franco.  J'ai  lu   on  loni'  temps  ces 


:57s  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

ravissantes  et  nobles  pages  sur  le  respect  des  opi- 
nions et  des  croyances,  sur  les  leçons  du  pays  natal, 
sur  la  cojiquête  des  ailes,  sur  la  dignité  de  l'école,  je 
viens  de  les  relire  dans  une  plaquelle  publiée  sous 
le  titre  :  Nouveaux  discours  à  des  enfants  :  c'est, 
condensé  en  quelques  pages  accessibles  à  tous  les 
enfants,  une  admirable  leçon  de  morale  écrite  en 
une  langue  exquise  pour  les  petits  et  que  les  grands 
feront  joliment  bien  de  lire  et  de  méditer. 


EMILE  BERTIN 

La  Marine  moderne 
«  Ancienne  histoire  et  questions  nouvelles.  » 

Histoire  très  actuelle,  poignante  et  pleine  d'an- 
goisse :  voici  un  livre  sur  la  Marine  moderne  «  an- 
cienne histoire  et  questions  nouvelles».  Il  est  peu 
d'hommes  plus  qualifiés  pour  un  tel  travail  que 
l'éminent  directeur  du  génie  maritime,  membre  de 
l'Institut,  dont  la  haute  compétence  et  l'autorité 
~sont  reconnues  dans  le  monde  entier;  et  il  faut  se 
féliciter  de  le  voir  aborder  et  épuiser  en  trois  cents 
pages  cette  étude  de  cette  question  si  grave  dont 
tout  le  monde  parle  et  que  si  peu  de  gens  connais- 
sent, même  superficiellement. 

Le  livre  de  M.  Bertin,  avec  l'abondance  de  ses 
renseignements   techniques,   avec   l'étude   appro- 


MKMF.NTO    Dr    MOIS    DE     NOVEMBRE  379 

fondie  de  la  marine  de  commerce,  des  navires  de 
combat,  des  croiseurs  et  éclaireurs,  des  torpilleurs 
sous-marins;  avec  l'exposé  très  précis  des  quali- 
s  générales  des  navires  et  des  conditions  diverses 
ixquelles  ils  doivent  satisfaire,  reste  cependant 
os  accessible  au  profane,  pour  peu  qu'il  se  donne 
la  peine  de  vouloir  comprendre  et  apporter  à  la  lec- 
liire  de  cet  ouvrage  une  assez  studieuse  attention. 
Souhaitons  que  les  lecteurs  de  ce  livre  soient  nom- 
breux. Nous  vivons  en  un  temps  où  tous  les  bons 
Français  devraient  être  informés  des  choses  de  la 
f  narine,   prêts  à  exiger  les  efforts   nécessaires,   à 
•  lomander  compte  des  défaillances,  car,  «  privé  de 
larine,  replié  sur  lui-même,  un  pays  ne  vit  que  de 
>a  propre  substance;  il  ne  puise  pas  plus  de  res- 
sources au  dehors  qu'il  n'y  exerce  d'influence  poli- 
tique;  son  action  se  limite  dans  un  cercle  très  res- 
pint  autour  de  ses  frontières».  Et  pour  tout  dire 
notre  décadence  maritime,  si  elle  se  poursuivait, 
rait  la  déchéance  de  la  France  à  la  surface  du 


MEMENTO  DU  MOIS  DE  NOVEMBRE 


l;nM  \\: 


Artzybachev  (Michel).  —  Sanine,  un  roman  russe  qui  nous 
arrive  avec  la  double  consécration  d'une  interdic- 


380  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

tion  en  Russie  et  de  poursuites  en  Allemagne.  Voilà 
sans  doute  plus  qu'il  n'en  faut  pour  exciter  des  curiosi- 
tés et  des  sympathies  ardentes.  Sanine  a  d'autres  titres 
à  notre  intérêt:  ce  roman,  que  je  viens  de  lire  dans  la 
traduction  de  Jacques  Povolozky,  est  une  œuvre 
d'une  incontestable  valeur,  dont  l'intensité,  souvent  un 
peu  désordonnée  et  outrancière,  atteint  parfois  à  une 
véritable  grandeur,  et  qui  nous  offre  une  image  pitto- 
resque et  inédite  de  ce  libertaire,  de  ce  nietzschéen 
dont  on  abuse  un  peu  dans  la  littérature  contempo- 
rainet  et  qui  avait  besoin  vraiment  d'être  un  peu 
renouvelé.  Voilà  ce  qui  est  fait,  et  c'est  du  Nord  — 
une  fois  encore  !  —  que  nous  recevons  cette  lumière 
nouvelle. 

Beaume  (Georges).  —  Vestales  d'amour,  un  livre  où  l'au- 
teur a  mis  son  esprit  alerte  et  son  heureuse  imagina- 
tion au  service  d'une  histoire  feuilletonesque  qui 
enchantera  certainement  le  public  populaire  sans 
l'édifier. 

Bertrand  (Louis).  —  Les  Bains  de  Phalère.  Fidèle  à  ses  très 
curieuses  et  fécondes  théories,  l'auteur  évoque,  en 
moderne  très  vivant  et  très  ardent,  les  paysages  et  les 
décors  d'une  lointaine  antiquité.  L'esprit  de  son  livre 
est  clairement  indiqué  par  le  titre  de  son  premier  cha- 
pitre :  «  Où  ]es  deux  héros  d'un  roman  contemporain 
sont  présentés  au  lecteur  dans  un  décor  très  archaïque.» 
Et  c'est,  en  effet,  un  roman  dout  à  fait  contemporain, 
une  histoire  moderne  qui  se  déroule  dans  ces  cadres 
d'une  majesté  antique  et  qui  semblent  intangibles, 
d'Olympie,  d'Athènes,  de  Phalère,  où,  parmi  les  rui- 
nes, l'auteur  fait  circuler  les  tramways  et  surgir  les 
grands  hôtels  cosmopolites. 

Bourgogne  (Jean  de).  —  L'Amoureux  de  tante  Annette,  un 
recueil  de  nouvelles  doucement  attendries  et  d'une 
jolie  observation. 

Dormier  (Charles).  —  Le  Val  d'Amour,  nouvelles  franc-com- 
toises. 

Durand  (M^i^  Yvonne).  —  La  Petite  Gratienne. 

Formont  (Maxime).  —  La  Fausse  Coupable.  A  la  suite  de  ce 
roman,  d'une  curieuse  et  pénétrante  psychologie.  Fan- 


MEMENTO  DU  MOIS  DE  NOVEMBRE         381 

teur  a  groupé  une  série  de  nouvelles  puissantes,  drama- 
tiques, parfois  terrifiantes,  sous  ces  titres  pleins  de 
promesses  :  «  Fou  »,  «  Criminels  »,  «  Cauchemars  ». 

Georges  (Marcel).  —  Les  Affres. 

droen  (A.-K.).  — La  Main  à  la  bague,  un  roman  anglais 
adapté  par  M.  J.  Heywood  pour  la  collection  «  des 
Romans  mystérieux»;  et  je  vous  prie  de  croire  qu'il 
y  a  de  quoi  frémir  à  cette  mystérieuse  randonnée 
autour  d'une  bague  et  d'une  main  tragiques... 

Legrand-Chabrier.  —  Ulroquois. 

Leblond  ( Marins- Ary).  —  Les  Jardins  de  Paris,  une  grande 
fresque  généreuse,  copieuse,  ardente,  épopée  d'un 
créole  dans  la  grande  ville  qui  fait  suite  au  livre  En 
France,  couronné  par  l'Académie  Goncourt. 

Lionnet  (Jean).  —  Les  Dieux  d'or,  un  roman  où  l'auteur 
évoque  des  pays  réels  et  prestigieux  en  un  roman 
d'aventures. 

Marbo  (Camille). —  L'Heure  du  Diable. 

Mercereau  (Alexandre).  —  Contes  des  Ténèbres. 

Montier  (Edouard).  —  Le  Moulin  des  amoureux,  roman  do 
pauvres  gens. 

Xass  (D^  Lucien).  —  Monsieur  V Agrégé!,  un  roman  où,  à  la 
faveur  d'une  palpitante  histoire  d'amour  et  d'ambi- 
tion, l'auteur  nous  donne  ses  vues  sur  cette  crise  médi- 
cale dont  les  derniers  concours  d'agrégation  nous  ont 
apporté  les  échos  tumultueux. 

Oppenheim  (Philipps).  —  Le  Complot,  «  roman  mystérieux  ». 

Or  Sinclair  (J.  d').  —  Au  Vent  de  la  vie,  une  très  émou- 
vante histoire  de  marin  que  l'auteur  offre  à  Pierre 
Mille. 

Perrault  (Pierre).  —  Mon  Oncle  Ronge-Tout. 

Poinsot  (C).  —  La  Joie  des  yeux. 

Romains  (Jules).  —  Les  Punaises  de  Paris. 

Sageret  (Jules).  —  La  Jeunesse  de  Paul  Meliande. 

Teramond  (Guy  de).  —  Le  Miracle  du  Professeur  Wolmar. 

Zahn  (Ernest).  —  Les  Fils  du  Maître,  un  fort  beau  roman  du 
célèbre  écrivain  suisse.  Ce  livre,  d'une  couleur  et  d'une 
saveur  très  particulières,  très  frustes,  qui  nous  entraîne 
bien  loin  du  bcAilevard,  sur  la  cime  neigeuse  de  la 
montagne  et  dans  les  petits  villages  qui  s'accrochent  à 


:182  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

ses  flancs,  est  traduit  très  adroitement  et  très  fidè- 
lement par  M"e  C.  Boutibonne. 


HISTOIRE  —  LITTÉRATURE  —  THÉÂTRE 
POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Aicard  (Jean).  —  Le  Dieu  dans  rhomme,  une  nouvelle  édi- 
tion de  ces  beaux  poèmes,  vibrante  exaltation  de 
l'idéal,  de  l'étincelle  divine  qui  brille  au  cœur  de 
l'homme.  Tant  de  choses,  tant  de  livres  s'évertuent  à 
éveiller  «  le  coquin  »,  qui  —  selon  la  forte  parole  de 
Monselet  —  sommeille  dans  le  cœur  de  tout  homme, 
qu'il  est  bon,  qu'il  est  nécessaire,  parfois,  de  s'en- 
tendre rappeler  que 

L'homme  est  Dieu,  l'homme  est   Dieu,   ne  fût-il  Dieu 

[qu'une  heure. 
Chacun  a  l'étincelle  et  tous  ont  tout  le  feu, 
Tout  homme  a  ce  moment  divin  avant  qu'il  meure. 

et  d'écouter  une  voix  qui  exalte  le  Dieu  réalisé  dans 
l'homme  par  l'amour. 
Anthouard  (Baron  d').  —  Le  Progrès  brésilien,  «  la  Partici- 
pation de  la  France»  Il  n'est  pas  nécessaire  de  souli- 
gner l'importance  d'une  telle  étude  sociale,  économi- 
que et  financière  ;  les  lecteurs  de  ce  remarquable  livre 
prendront  un  intérêt  très  vif  à  ce  prestigieux  tableau 
d'ensemble  qui  nous  documente  d'une  façon  parfaite 
sur  le  Brésil,  avec  ses  considérations  géographiques  et 
historiques,  ses  chapitres  des  relations  extérieures,  du 
peuplement,  de  la  production  et  du  commerce,  des 
transports,  des  finances  et  de  l'activité  étrangère. 
Nous  devons  suivre  le  conseil  de  M.  Gabriel  Hano- 
taux,  lire  et  méditer  ce  livre,  nous  surtout,  qui  avons 
au  Brésil  une  si  belle  influence  morale  et  intellectuelle, 
mais  qui  devrions  bien  nous  occuper  d'en  cultiver  une 


M  E  M  K  .N  r  U     IM       \H  •  i  s     \>E     \  O  V  i:  .M  1!  T.  I'  .J  ^  •  1 

autre  en  apportant  au  Brésil  un  concours  plus  réel 
et  plus  immédiat;  celui  de  notre  personnel  et  celui  de 
nos  capitaux. 

Arnaud  (Raoul).  —  La  Princesse  de  Lamballe  (1749-1792), 
un  ouvrage  rédigé  d'après  des  documents  inédits  et 
qui  apporte  à  l'infortunée  princesse  que  le  malheur  et 
la  méchanceté,  pire  que  le  malheur,  poursuivirent 
au  delà  même  de  son  horrible  mort,  une  réparation  à 
laquelle  j'applaudirais  des  deux  mains,  même  si  elle 
n'était  pas  absolument  justifiée,  et  ce  n'est  pas  le  cas, 
je  me  hâte  de  le  dire. 

Aymès  (Noël).  —  Hellas,  «  la  Grèce  Antique»,  un  excellent 
volume  paru  dans  l'intéressante  collection  «  Les  Idées 
claires  », 

i^.asset  (Serge).  —  Voir  Paul  Bourget. 

Hertaut  (Jules).  —  La  Jeune  fille  dans  la  littérature  fran- 
çaise, d'agréables  pages  d'histoire  et  de  critique  litté- 
raire où  l'auteur  va  demander  à  Mohère,  à  Fénelon  et 
à  M^ede  Maintenon  des  lumières  sur  la  jeune  fille 
du  xvii^  siècle,  à  Marivaux,  à  Jean- Jacques,  à 
Choderlos  de  Laclos  et  à  Bernardin  de  Saint-Pierre  sur 
celle  du  xviiie  siècle,  interroge  les  plus  célèbres 
écrivains  du  siècle  dernier  et  du  temps  présent,  depuis 
Victor  Hugo,  Musset  et  Balzac  jusqu'à  Paul  Bour- 
get, Maurice  Barrés  et  Marcel  Prévost,  sur  celles  d'au- 
jourd'hui pour  arriver  à  cette  conclusion  :  «  Petit  être 
déluré  et  charmant,  spirituel  et  délicieusement  ému, 
possédant  une  individualité  autrement  vivante  et 
vraie  que  l'insipide  Agnès,  elle  est  le  modèle  vivant, 
expressif,  pittoresque,  imprévu,  spirituel  et  toujours 
nouveau,  la  figure  malicieuse  et  bonne,  délicieuse  et 
avertie,  tragique  et  musante  à  la  fois.  » 

l»erlaux  (E.).  —  Donatello,  un  excellent  ouvrage  publié 
dans  un  de  ces  précieux  volumes  si  magnifiquement 
illustrés  de  la  Collection  «  les  Maîtres  de  l'Art  ». 

Bourget  (Paul)  et  Serge  Basset.  —  Un  cas  de  conscience, 
l'émouvante  pièce  acclamée  au  Théâtre-Français. 

Breil  de  Pontbriand  (Vicomte  du).  —  Monseigneur  de  Pnnf- 
hriand  (1740-1760),  1<  drrnit'r  évêquo  du  Cana<la 
français. 


384  LE    MÔUVEMENt    LITTERAIRE 

Brizeux  (Auguste).  —  Œuvres,  une  nouvelle  édition  revue, 
corrigée  et  augmentée,  précédée  d'une  notice  biogra- 
phique sur  l'auteur  par  Auguste  Dorchain. 

Gapus  (Alfred).  —  Théâtre  complet,  le  troisième  volume 
qui  contient  :  Mariage  bourgeois,  la  Petite  Fonc- 
tionnaire et  les  Deux  Ecoles  d'une  si  gracieuse  et  si  spi- 
rituelle philosophie. 

Corbier  (Désiré).  —  Le  Roman  de  Renard,  renouvelé  des 
Trouvères,  des  vers  très  frappés. 

Delarue-Mardrus  (Lucie).  —  Par  vents  et  marées,  un  recueil 
de  vers,  évocations  émouvantes  du  pays  natal  d'Hon- 
fleur  et  de  ses  «  pêqueux»  de  la  côte  normande,  où  j'ai 
retrouvé  avec  joie  ces  nobles  qualités  qui  font  de  l'au- 
teur des  Horizons  et  de  Ferveur  un  des  très  beaux 
poètes  de  ce  temps, 

Dodillon  (Emile).  —  Souvenirs  d'un  moblot  briard,  au  siège 
de  Paris. 

Dunan  (Charles).  —  Les  Deux  Idéalismes. 

Ehs  (Georges).  —  La  Jeunesse,  des  vers  allègres. 

Etat-major  général  de  la  Marine  Japonaise.  —  Opérations 
maritimes  de  la  guerre  russo- japonaise,  un  historique 
ofTiciel  dont  le  premier  volume  est  traduit  par  M.  Henri 
Rouvier,  enseigne  de  vaisseau. 

Feuillet  (M*^^  Emilie).  —  Les  Grappes  noires,  un  recueil  de 
poésies  émouvantes  qui  sentent  bon  le  terroir,  pages 
d'amour,  de  rêve  et  de  sincérité,  écrites  par  une 
bretonne  poète. 

Gautier  (E.-F.).  —  La  Conquête  du  Sahara.  Dans  cet  «  essai 
de  psychologie  politique»,  l'auteur  nous  raconte 
d'abord  l'histoire  de  la  conquête  du  Sahara,  de  c? 
Sahara  des  Touareg  que  la  France  a  conquis  sans  en 
avoir  presque  conscience,  et  du  Sahara  marocain; 
puis,  passant  de  l'histoire  d'hier  à  celle  de  demain,  il 
essaye  de  voir  quels  ont  été,  quels  peuvent  être  les 
résultats  de  la  conquête.  Il  en  est  de  même  aujourd'hui 
qu'au  temps  d'Annibal  :  ce  n'est  pas  tout  de  vaincre, 
il  faut  savoir  user  de  la  victoire  et  de  la  conquête,  et 
M.  Gautier  conclut  que,  pour  n'être  pas  frappé  de  sté- 
rihté,  le  magnifique  effort  que  nous  avons  accompli 
doit  être  complété  par  la  construction  du  Transsaha- 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    NOVEMBRE  385 

rien,  «  qui  s'impose  par  cette  force  des  choses  inaper- 
çues et  irrésistibles  qui  entraînent  l'une  vers  l'autre 
les  deux  moitiés  de  l'empire». 
Gazanion  (  Edouard  ). —  Chansons  pour  celle  qui  n^  est  pas  venue 
Gebhart  (Emile).  — Souvenirs  d'un  vieil  Athénien,  nouvelle 
édition. 

<  Iregorovius  (F.).  —  Promenades  italiennes,  à  travers  Rome 

et  ses  environs. 

<  -uillaume  (Lieutenant).  —  La  Conquête  du  Sud-Oranais,  la 

Colonne  d'Igli  en  1900. 

Harry  (M™e  Myriam).  *—  Tunis  la  Blanche,  de  jolies  pages 
pittoresques  et  émouvantes.  Ce  sont,  après  les  décep- 
tions de  l'arrivée,  ces  histoires  étonnantes  du  mariage 
musulman,  de  la  débauche  musulmane,  de  la  légende 
de  la  Manoubïa,  ces  descriptions  lumineuses  du  ciel 
et  de  la  terre,  cette  évocation  de  la  fête  des  douceurs  ; 
jusqu'aux  dernières  mélancolies,  aux  derniers  enchan- 
tements, à  cette  veille  de  départ  où  l'auteur,  affalé  sur 
une  borne,  «  savoure  avec  volupté,  savoure  avec  tris- 
tesse, ô  Tunis  la  Blanche  !  ton  orientale  chimère  ». 

Hearn  (Lafcadio).  —  Feuilles  éparses  de  littérature  étran- 
gère, des  histoires  reconstruites  d'après  les  livres  des 
Anvari-Scheïli,  Raital,  Pachisi,  Mahaharata,  Pant- 
chatantra,  Gulistan,  Talmud,  Kalewala,  traduites  et 
précédées  d'une  préface  de  M.  Marc  Logé. 

llnllanda  (Francisco  de).  —  Quatre  dialogues  de  Michel- 
Ange  sur  la  peinture.  Cette  œuvre  d'un  Portugais  qui 
fut,  paraît-il,  un  excellent  critique  d'art  du  xvi^  siè- 
cle, et  traduite  par  M.  Léo  Rouanet. 

lluchard  (Robert).  —  Aux  Antilles,  «  les  Hommes  et  les 
Choses  ». 

Jenny  (Henry-Ernest).  —  Voir  Virgile  Rossel. 

Joyaux  (E.).  —  Epicure. 

Kann  (Reginadl).  —  La  Campagne  de  1878  en  Bosnie-Her- 
zégovine. 

Liil)bé  (Paul).  —  Le  Mur  d'ombre,  poésies. 

Lami  (Satnislas).  —  Dictionnaire  des  sculpteurs  de  V Ecole 
française  au  xviii«  siècle,  un  volume  où  l'auteur  pour- 
suit la  publication  de  ce  véritable  monument  d'his- 
toire artistique. 


386  Li:     MOUVEMENT    LITTERAIRE 

Lannelongue  (Professeur).  —  Un  Tour  du  monde,  un  volume 
abondamment  illustré  où  l'éminent  professeur  nous 
raconte  le  tour  du  monde  qu'il  a  accompli  d'octobre 
1908  à  juillet  1909;  il  nous  apporte  de  ce  voyage  une 
belle  moisson  de  souvenirs,  de  faits  et  d'observations, 
et  surtout  d'enseignements,  car  le  professeur  Lanne- 
longue, tandis  qu'il  parcourait  le  monde,  pensait  obs- 
tinément à  la  France,  et  son  livre  n'est  point  seule- 
ment une  relation  de  voyage,  c'est  aussi,  c'est  surtout, 
une  leçon  d'énergie  et  de  patriotisme  qu'un  homme 
éminent,  vénérable  par  la  science  et  par  râge,est  allé 
chercher  pour  nous  aux  confins  du  monde. 

Lenoël-Zevort  (M^^^).  —  Grammaire  du  chant  et  de  la  diction. 

Leprevost  (Gabriel).  —  Le  pèlerinage  de  Childe  Harold, 
une  version  en  vers,  avec  notes  explicatives  de  l'œu- 
vre de  Lord  Byron. 

Leroux  (Jules).  —  La  Brume  dorée,  poésies. 

Lorrey  (Claude).  —  Stances,  sonnet  et  chansons,  d'une  belle 
inspiration,  d'un  rythme  divers  et  très  heureux. 

Marge  ( Pierre ).■ — Voyage  en  automobile  dans  la  Hongrie  joiMo- 
resgiie,  «Patra-Tatra-Matra»,  un  fort  agréable  volume 
préfacé  par  M.  Edouard  Herriot. 

Masson-Forestier.  —  Autour  d'un  Racine  ignoré,  d'après  des 
documents  de  famille. 

Matte  (Louis).  —  Crimes  et  procès  politiques  sous  Louis  XIV, 
un  volume  où  l'auteur  évoque  le  procès  de  Fouquet, 
la  conspiration  du  chevaher  de  Rohan,  le  mystérieux 
Masque  de  Fer. 

Mayrargue  (Louis).  —  Heures  profanes,  des  vers  mélo- 
dieux. 

Mesureur  (André).  —  Quelques  problèmes  d'assistance  à 
Paris,  un  volume  d'une  très  forte  et  très  précise  docu- 
mentation. L'auteur,  secrétaire  général,  adjoint  du 
Conseil  supérieur  de  l'Assistance  pubhque,  est  assez 
bien  placé,  on  en  conviendra,  pour  connaître  les  cho- 
ses dont  il  parle;  vous  me  croirez  de  reste  si  je  vous 
dis  qu'il  n'y  a  dans  ce  hvre  nulle  attaque  centre  l'Ad- 
ministration, mais,  —  et  c'est  déjà  très  louable!  — 
M.  André  Mesureur  n'a  point  cédé  à  la  tentation  de 
faire  sans  cesse  son  éloge;  il  a  entendu,  tout  uniment. 


MKMHNTO    DU    MOIS     DK     NOVKMBKK  08  7 

lii  laire  mieux  connaître  au  public,  qui,  ayant  une  no- 
tion plus  exacte  de  ce  qui  s'y  fait,  pourra  désormais 
collaborer  plus  utilement  avec  elle. 

Mirtel  (Héra).  —  Fleurs  d'ombre,  Fleurs  d'aube,  Fleurs  de 
lumière,  poésies. 

Moll  Weiss  (M  ■"«  Augusta).  —  Le  Livre  du  foyer.  Une  exctM- 
lente  leçon  de  morale  pratique  ressort  de  ce  volume 
publié  par  la  directrice  de  l'institution  baptisée  du 
nom  si  noble  de  «  l'Ecole  des  mères  ».  Dans  cet  ouvrage, 
abondamment  illustré,  très  clairement  conçu,  l'auteur 
étudie  comment  organiser  et  entretenir  notre  «home  »  ; 
comment  atteindre  le  maximum  de  bien-être  avec 
le  minimum  de  dépense;  comment  résoudre  les  mille 
problèmes  d'hygiène  qui  se  posent  chaque  jour  à  pro- 
pos de  notre  logement,  de  notre  régime  alimentaire. 
Ce  ne  sont  pas  là,  tant  s'en  faut,  des  questions  subal- 
ternes ;  elles  ont  pour  notre  vie  sociale  une  importance 
primordiale,  et  en  les  enseignant  aux  femmes,  bien 
loin  de  les  enfermer  dans  un  pot-au-feu,  on  travaille, 
au  contraire,  à  les  libérer  des  constantes  préoccupa- 
tions ménagères  auxquelles  les  soumettent  le  plus  sou- 
vent une  science  incertaine  ou  un  savoir-faire  insuffî- 
sant. 

Moussac  (Georges  de).  —  Dans  la  mêlée,  «  journal  d'un 
cuirassier  de  1870-1871  ». 

Norbert  (Willy).  —  Voir  J.-J.  Olivier. 

Normand  (Jacques).  —  Jours  vécus,  des  pages  émouvantes, 
vivantes  et  jolies. 

Noyer  (Madame  de).  —  Mémoires  et  Lettres  galantes  de 
Madame  du  Noyer  (1663-1720).  Nouvelle  édition. 

Olivier  (J.-.J).  et  Willy  Norbert.  —  La  Barberina  Campa- 
nini  (1721-1799),  l'histoire  très  mouvementée,  ornée 
de  belles  et  souriantes  images  d'«  une  étoile  do  lu 
danse  au  xyiii^  siècle». 

Itaynaud  (Ernest).  —  Apothéose  de  Jean  Moréas,  poàlc 
français. 

lletté  (Adolphe).  —  Sous  l'Etoile  du  matin,  un  volume  où 
l'on  peut  voir  une  lyrique  exaltation  de  la  communion 
en  général  et  de  cette  communion  à  sept  ans  récem- 
ment décrétée  par  le  Saint  Pè»p. 


388  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Rossel  (Virgile)  et  Henry-Ernest  Jenny.  —  Histoire  de  la 
littérature  suisse. 

Roux  (François -Charles).  —  Les  Origines  de' V Expédition 
d'Egypte,  un  volume  d'une  forte  documentation. 

Saunier  (Marc).  —  La  Légende  des  Symboles. 

Savine  (Albert).  —  Souvenirs  de  Charles  Parquin  :  Amours 
et  Coups  de  sabre  d'un  chasseur  à  cheval  (1803- 
1809). 

Schahorskoy-Strechnefî  (Princesse).  —  Silhouettes  Scan- 
dinaves, un  volume  où  l'auteur  esquisse  les  portraits 
du  comte  de  Fersen,  de  Charles -Gustave  de  Lilien- 
feld,  de  la  princesse  Zelmire. 

Segonds  (Lieutenant).  —  La  Chaouïa  et  sa  pacification. 

Stoulhg  (Edmond).  — ■  Les  Annales  du  Théâtre  et  de  la  Musi- 
que, le  35^  volume  de  cette  précieuse  pubhcation,  qui 
vient  de  paraître  avec  la  parure  d'une  déhcieuse  pré- 
face de  M.  Henri  Lavedan. 

Tollemonde  (Georges  de).  —  Spectacles  et  symphonies,  poé- 
sies. 

Trois- Arches  (Abel  des).  —  V Epopée  de  la  grande  nation,  la 
première  partie  d'un  poème  épique  qui  ne  comportera 
pas  moins  de  vingt-cinq  mille  vers.  En  des  alexandrins 
bien  frappés,  qui  se  déroulent  majestueusement, 
l'auteur  a  évoqué  trente  années  formidables  de  l'his- 
toire de  France  —  du  5  mai  1789  au  5  mai  1821.  — 
Son  inspiration  est  tout  à  la  fois  patriotique  et  reli- 
gieuse, religieuse  surtout,  M.  Abel  des  Trois-Arches  a 
voulu  chanter  la  justice  de  Dieu,  et  faire  comprendre 
par  des  arguments  historiques  et  poétiques  le  lien 
qui  doit  unir  la  Répubhque  et  le  christianisme.  Dans 
ce  poème  épique  d'une  si  vaste  envergure,  il  a  intro- 
duit un  élément  romanesque,  émouvant  et  drama- 
tique. C'est,  nous  dit-il,  l'œuvre  de  toute  sa  vie  :  «  il 
concevait  son  poème  en  mai  1869,  quand  il  était  dans 
sa  prime  jeunesse».  Le  voilà  maintenant  terminé, 
il  l'a  lancé  dans  le  monde  avec  un  grand  geste  de  con- 
fiance et  de  chrétienne  obéissance.  «  Va  —  dit-il  à  sou 
poème  —  va,  où  le  souffle  de  Dieu  te  poussera.  » 

Vidal  (Commandant  P.).  —  La  Campagne  de  Sedan  du 
21  août  au  i^r  septembre  1870. 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    NOVEMBRE  389 

Vierge  (Pierre).  —  Le  Navire  enchanté,  poèmes. 

Vulliaud  (Paul).  —  La  Crise  organique  de  V Eglise  en  France. 

Wagner(C.).— Par /esownVe.  Des  éléments  de  morale  usuelle, 

d'une  candeur  et  d'une  bonne  grâce  charmante. 
Yard  (Francis).  —  A  V image  de  rjiomme,  poèmes. 


DECEMBRE 


LES  ROMANS 


EMILE  MOSELLY 
Joson  Meunier. 

M.  Emile  Moselly  que  le  prix  Goncourt  a  désigné 
naguère  à  l'attention  du  public,  nous  a  donné  déjà 
quelques  œuvres  telles  que  la  Vie  lorraine  et  le  Rouet 
d'ivoire  où  il  était  facile  de  discerner  les  promesses 
d'un  talent  tout  à  fait  remarquable.  Ces  promesses, 
il  les  comble  avec  Joson  Meunier. 

C'est  une  œuvre  vraiment  complète,  qui  s'élève 
aux  sommets  du  pathétique  par  sa  simplicité  même 
et  son  émouvante  sincérité.  Sans  apprêts  d'aucune 
sorte,  M.  Emile  Moselly  nous  y  conte  l'histoire  d'un 
paysan  lorrain,  Joson  Meunier,  le  fils  de  Jean-Bap- 


DÉCEMBRE    LES    ROMANS  391 

tiste,  que  des  revers  ont  chassé  de  sa  maison  et  de 
sa  ferme,  et  qui,  à  l'aurore  de  la  vie,  s'en  va  sur  la 
grand'route,  vers  la  ville,  pour  chercher  à  gagner  . 
son  pain.  Il  est  tout  près  de  se  désespérer;  mais  il  se 
raidit,  et,  dans  une  promesse  où  «  s'affirme  la  pous- 
sée obscure  de  la  race  qui  persiste  à  affirmer  la  vie 
malgré  la  misère  et  le  malheur»,  il  s'écrie  en  con- 
templant une  dernière  fois  son  village  de  Bicque- 
Icy  :  «  Que  j'aie  un  enfant,  il  sera  plus  heureux  que 
moi,  —  il  ne  sera  pas  un  fugne-terre.  » 

Il  tient  la  promesse  qu'il  s'est  faite  à  lui-même  si 
solennellement;  il  s'installe  à  Toul,  humble  tâche- 
ron dur  à  l'ouvrage  ;  il  épouse  la  blonde,  et  douce,  et 
apathique  Céline,  et  pour  Maurice,  l'enfant  qui 
naît  de  cette  union,  il  n'est  pas  de  sacrifice  qui  lui 
coûte.  Malgré  les  conseils  du  prudent  Sagot,  son 
voisin,  il  envoie  l'enfant,  très  doué,  au  collège  :  il  en 
fait  un  monsieur,  un  brillant  polytechnicien,  ijji 
officier,  un  savant. 

Et  c'est  le  drame  habituel.  Maurice,  qui  n'est 
point  au  demeurant  un  méchant  garçon,  s'éloigne 
peu  à  peu  de  lui,  il  a  honte  confusément  du  pauvre 
papa  obscur  et  simple,  qui  dès  la  naissance  de  son 
enfant  avait  eu  la  conscience  très  nette  de  n'être 
qu'un  anneau  dans  la  chaîne  mystérieuse  qui  unit 
les  vivants  aux  morts.  Et  Joson  réexpédié  au  vil- 
lage natal,  dans  une  maison  confortable  que  lui  a 
offerte  la  distante  piété  de  son  fils,  meurt  désolé 
dans  la  solitude,  si  loin  de  ce  Maurice  qu'il  a  tant 
aimé,  qui  lui  faisait  dire  orgueilleusement  :  «  Je 


392  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

suis  plus  riche  que  les  plus  riches,  puisque  j'ai  mon 
garçon  »,  et  dont  il  garde  la  photographie  enfantine 
en  ses  mains  crispées. 

C'est  la  course  du  flambeau  évoquée  avec  une 
extraordinaire  intensité  et  dont  le  récit  tire  les 
larmes  par  des  moyens  d'une  admirable  simplicité. 
Et  cette  histoire  semée  d'épisodes  émouvants, 
traversée  par  des  figures  si  touchantes  et  si  vivan- 
tes, se  déroule  dans  des  décors  dont  M.  Moselly 
excelle  à  dire  la  poétique  et  mélancolique  beauté, 
où  les  brumes  du  soir  qui  se  lèvent  de  la  prairie 
mosellane  se  mêlent  à  la  fumée  des  toits,  étendant 
sur  les  terres  des  rideaux  de  gaze  bleutée,  où  la 
forêt  lorraine  s'étend  sur  les  monts  comme  un 
merveilleux  joyau,  un  filigrane  d'argent  constellé 
du  bleu  des  pervenches... 


CHARLES-HENRY  HIRSCH 
Le  Grime  de  Potru,  soldat. 

Le  Crime  de  Potru^  soldat^  de  M.  Charles-Henry 
Kirsch,  est  un  douloureux  roman  où  se  retrouvent 
avec  une  grande  intensité  les  âpres  et  puissantes 
qualités  que  j'ai  admirées  et  signalées  il  y  a  déjà 
longtemps,  au  moment  même  de  ses  débuts,  en  cet 
écrivain,  l'un  des  mieux  doués  de  notre  génération. 
Il  est  bien  douloureux  le  calvaire  de  Potru,  ce  soldat 


DÉCEMBRE    —   LES    ROMANS  393 

qui,  certain  soir  de  bombe,  a  été  amené  à  tuer  dans 
un  mouvement  de  colère  farouche  le  sergent 
Bavon.  Son  «pays))Gharonneau,  en  compagnie  de  qui 
lo  meurtre  avait  été  commis,  a  eu  la  prudence  de 
l'aire  disparaitres  les  traces  de  culpabilité,  et  il  s'est 
>i  bien  arrangé  que,  malgré  toutes  les  recherches  de 
fautorité,  le  coupable  reste  inconnu.  Potru  est 
-^auvé  !  Sauvé  des  juges,  mais  non  de  son  détestable 
sauveur,  qui  désormais  va  le  prei^  écuter  sans  relâ- 
che, le  tenir  sous  la  terreur  pendant  l'année  de  ser- 
vice qui  reste  à  faire; le  poursuivre,  après  sa  libéra- 
tion, au  pays,  empoisonner  sa  vie  par  la  menace 
-sournoise  et  lâche,  si  bien  que  Potru  pour  échapper 
à  cet  enfer  avoue  le  crime  à  son  grand-père,  à  sa 
chère  femme  Toinon,  à  la  justice  militaire. 

Tous  deux  sont  jugés,  condamnés  avec  sursis; 
mais  le  martyre  de  Potru  n'est  point  fini  :  la  haine 
de  Gharonneau  s'acharne  sur  lui,  et  il  se  rend  compte 
certain  jour  que  seule  la  mort  le  peut  hbérer  de 
cette  misère;  il  s'attache  une  pierre  au  cou  et  se 
noie  dans  un  étang  dont  les  eaux  se  referment  sur 
lui  et  qui  tout  de  suite  reprend  l'apparence  d'un 
miroir  obscur  dans  son  cadre  de  roseaux  fanés. 
«  Ainsi,  et  plus  parfaitement  encore,  les  âmes  dissi- 
mulent les  cadavres  d'illusions  d'où  renaissent  pour 
leur  charme  toujours  des  illusions  nouvelles  dont  la 
suprême  les  emporte  elles-mêmes  avec  le  souffle  de 
vie  ailleurs  ou  nulle  part...  » 


r{94  LF     MOTTVFMENT    LITTf:RMRF, 

NONCE  CASANOVA 
Le  Journal  à  Nénesse. 

M.  Nonce  Casanova,  écrivain  fécond,  ardent  et 
divers,  à  qui  nous  devons  des  œuvres  éiranges 
comme  la  Symphonie  arabe,  émouvantes  et  humai- 
nes comme  Jean  Cass,  pauçre  diable,  publie  un 
roman  où  il  a,  une  fois  de  plus,  renouvelé  totale- 
ment sa  manière  :  c'est  le  Journal  à  Nénesse, 
«  écrit  par  le  beau  Nénesse  de  la  Courtille,  cel- 
lule 19,  8^  division,  à  la  Roquette»,  Ce  sous-titre 
me  dispense,  j'imagine,  de  vous  présenter  le  person- 
nage. Son  aventure,  qu'il  nous  conte  sur  le  seuil  de 
l'échafaud,  est  d'ailleurs  émouvante  et  drama- 
tique. 

Nénesse  était  un  brave  ouvrier  —  d'ailleurs 
sans  travail  —  lorsqu'il  rencontra  la  jolie  Linette, 
dont  la  vue,  selon  son  expression,  lui  «  défonça  le 
cœur».  Il  l'aima  éperdument,  il  le  lui  prouva,  et 
elle  —  qui  le  «  gobait»  —  l'entraîna  au  rôle  abject 
de  «  vagabond  spécial».  Mais  certain  jour,  elle  lui 
fut  infidèle  —  infidèle  vraiment  —  elle  s'éprit  d'un 
«  jeune  homme  de  la  haute  »,  et  cela  Nénesse  ne  put 
le  supporter  :  il  égorgea  son  amie  et  fut,  pour  ce 
crime,  condamné  à  mort.  Et  il  attend  le  jour  fatal, 
avec  des  alternatives  d'angoisse,  de  désespoir,  de 
colère  et  d'ironique  énergie,  lorsqu'enfin  lui  arrive 
la  nouvelle  de  sa  grâce,  et,  tout  à  la  joie  de  revivre, 


DÉCEMBRE    LES    ROMANS  395 

il  chante  à  plein  gosier  et  songe  avec  un  soulage- 
ment immense  au  bagne  prochain. 

M.  Nonce  Casanova,  pour  défendre  le  choix  qu'il 
a  fait  d'un  semblable  héros  et  d'une  telle  peinture, 
invoque  Stendhal  et  sa  phrase  fameuse  si  souvent 
l'appelée  par  les  réalistes  :  «  Un  roman  est  un  miroir 
qui  se  promène  sur  une  grande  route.  Tantôt  il 
reflète  à  vos  yeux  l'azur  des  cieux,  tantôt  la  fange 
des  bourbiers  de  la  route.  Et  l'homme  qui  porte  le 
miroir  dans  sa  hotte  sera  par  vous  accusé  d'être 
immoral  !  Son  miroir  montre  la  fange  et  vous  accu- 
sez le  miroir!»  Je  n'accuse  personne,  j'accorde 
même  que  M.  Nonce  Casanova  a  mis  dans  la  bouche 
de  son  ignoble  héros  des  accents  pathétiques,  mais 
quel  langage.  Seigneur  ! 

D'un  bout  à  l'autre,  Nénesse  parle  argot,  il 
s'exprime  dans  cet  idiome  si  «  sauvagement  et 
superbement  poussé  sur  les  ramures  de  notre  belle 
langue  ».  On  m'afTirme  que  cet  argot  est  excellem- 
ment noté;  je  ne  suis  point  assez  expert  pour  en 
juger  :  il  m'a  semblé  pittoresque  et  expressif,  par- 
fois même  d'une  étrange  beauté;  mais,  après  ces 
trois  cents  pages  de  confidences  en  langue  verte, 
on  éprouve  impérieusement  le  besoin  d'aller  respi- 
l'er  un  peu  d'air  pur... 


396  LE    MOUVEMENT   LITTÉRAIRE 

ODETTE  DULAG 
Le  Silence  des  femmes. 

•  Mlle  Odette  Dulac,  divette  célèbre  et  charmante 
que  nous  regrettons  de  ne  plus  entendre,  s'est  révé- 
lée naguère  femme  de  lettres  avec  un  roman  où  elle 
revendiquait  crânement  le  Droit  au  plaisir.  J'ai  dit 
en  son  temps  l'agrément  de  ce  livre  audacieux,  et  je 
prévoyais  que  M}^^  Odette  Dulac  n'en  resterait  pas 
là.  Et  voici,  en  effet,  qu'elle  nous  apporte  un  nou- 
veau roman  :  le  Silence  des  femmes^  qui  est  une  œu- 
vre tout  à  fait  originale,  émouvante  et  romanesque. 

Le  silence  des  femmes  n'est  point  un  mythe,  quoi 
qu'en  disent  les  hommes;  elles  savent  le  garder 
superbement,  héroïquement,  mais  elles  le  déguisent 
«  sous  le  flot  de  tant  de  paroles  inutiles  et  qui  ne 
sont  que  l'exutoire  de  leur  impuissance  sociale  ». 

L'impuissance  sociale  des  femmes  !  on  sent  com- 
bien elle  pèse  à  M}^^  Odette  Dulac,  et  elle  nous 
montre  tout  ce  qu'elle  a  d'injuste  et  de  cruel  en 
nous  contant  l'histoire  de  Gisèle  Vinay,  une  hé- 
roïne^—  et  même  une  Héroïne  avec  un  grand  h  — 
de  vingt-cinq  ans,  réduite  par  des  revers  de  fortune 
à  gagner  sa  vie  et  celle  des  siens.  Pour  parvenir  à  ce 
but,  quelles  luttes  elle  doit  soutenir,  intelligente  et 
belle,  contre  l'égoïsme  et  la  concupiscence  des  hom- 
mes. Elle  résiste  vaillamment  jusqu'au  jour  où, 
le  cœur  ayant  parlé,  elle  cède  à  Lucien,  le  fils  de  ses 


DÉCEMBRE    —    LES    ROMANS  397 

patrons.  Et  c'est  l'éternelle  histoire  :  l'enfant  qui 
naît  et  qui  sera  de  par  la  veulerie  du  séducteur  et 
l'égoïsme  cruel  de  la  famille  bourgeoise  «  fils  de  père 
inconnu»,  ainsi  que  dit  la  formule  légale  et  men- 
teuse si  commode  pour  les  lâchetés  et  les  abandons. 

Elle  en  prend  bravement  son  parti  ;  elle  laissera 
Lucien  épouser  Bertha,  une  simplette  «  Madone 
Blonde»,  et  même  elle  aidera,  par  générosité  de 
femme,  à  dissimuler  la  faute  de  cette  dernière, 
dont  la  fille  Lily,  sera,  grâce  à  elle,  l'enfant  légitime 
le  Lucien  —  autre  mensonge  légal. 

Et  lorsque,  de  longues  années  après,  comme  le 
veut  la  providence  des  romanciers,  le  fils  de  Gisèle 
M^ra  devenu  amoureux  de  Lily  et  voudra  l'épouser, 
'est  elle  encore  qui  trouvera  moyen,  par  son 
ilence  héroïque,  de  décider  Bertha  à  l'aveu  de  sa 
Faute  ancienne,  pour  permettre  l'union  des  deux 
jeunes  amoureux,  puisque  Lucien,  par  bonheur, 
n'est  point  le  fils  de  son  père  légal. 

Tout  cela  est  très  romanesque,  souvent  émou- 
vant. La  grave  question  de  la  recherche  de  la  pater- 
nité y  est  soulevée  avec  un  généreux  emportement 
])ar  une  femme  sensible,  enchantée  de  dire  leur  fait 
I  ces  monstres  d'hommes;  et  qui  célèbre  l'amour,  la 
justice,  le  labeur,  indique  avec  véhémence  aux 
femmes  leurs  droits  méconnus,  et  leur  conseille  tout 
de  même  fort  sagement  d'aller  vers  ce  mariage  si 
(  l'itiqué  et  qui  reste  bien  cependant  leur  plus  sûr 
l'ofucfo  dans  notro  iniquo  société... 


398  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

LOUIS  PERGAUD 
De  Goupil  à  Margot. 

M.  Louis  Pergaud,  dont  racadémie  Goncourt 
vient  de  couronner  le  livre  De  Goupil  à  Margot^  est, 
sans  nul  doute,  une  fort  intéressante  personnalité 
littéraire  qu'il  était  juste  de  signaler  à  l'attention 
du  grand  public.  En  lisant  ces  «  histoires  de  bêtes  » 
si  pathétiques,  je  me  suis  souvenu  de  l'émotion  pro- 
fonde, de  l'angoisse  indéfinissable  ressentie,  jadis, 
au  cours  de  promenades  nocturnes  dans  la  cam- 
pagne ou  dans  la  forêt,  lorsque,  tout  à  coup,  j'en- 
tendais, formidable  et  sinistre  dans  le  silence  de  la 
nuit,  un  long  cri  déchirant,  cri  de  colère,  de  terreur 
ou  de  joie.  Je  me  demandais  quel  drame  venait  de 
se  passer  là,  tout  près  de  moi,  et  pourtant  si  obscur 
et  si  lointain,  et  j'en  avais  pour  le  reste  de  la  nuit  à 
bâtir,  dans  la  veille  ou  le  rêve,  les  plus  étranges 
imaginations... 

Ces  cris,  M.  Louis  Pergaud  a  su  les  interpréter, 
ces  drames  il  a  réussi  à  les  reconstituer,  et  ce  sont 
les  terribles  aventures  de  Goupil  le  renard  pour- 
suivi par  le  chien  Mirant,  et  de  Nyctalette  la 
taupe  guettée  par  son  sanguinaire  fiancé,  et  de 
Fuseline  la  fouine  si  douloureusement  prise  au 
piège,  et  de  Margot  la  pie,  et  de  tant  d'autres  dont 
les  mœurs  sont  observées  avec  une  extraordinaire 


DÉCEMBRE    —    LES    ROMANS  399 

vérité,  et  les  âmes  évoquées,  humanisées,  nvee  une 
intensité  pathétique. 

Et  c'est  un  livre  remarquable  que  je  voudrais 
louer  sans  réserve,  mais  pourquoi  l'auteur,  capable 
d'écrire  de  fort  belles  pages,  s'amuse-t-il  parfois  — 
trop  souvent  —  à  tourmenter  notre  pauvre  langue 
française  et  à  nous  offrir  des  mots  «  rares  »  dont  nous 
nous  passerions  si  bien? 

Le  réveil  de  Nyctalette  la  taupe  ne  gagnerait-il 
pas  à  nous  être  raconté  autrement  que  par  cette 
phrase  :  «  Elle  s'éveillait  du  long  sommeil  hiémal 
consécutif  à  une  interminable  errance  par  la  soli- 
tude froide  de  ses  galeries»;  —  et  croyez-vous  que 
l'esthétique  de  M.  Pergaud  serait  fort  endommagée 
s'il  consentait  à  dire,  comme  nous  autres  humbles 
mortels  :  «  les  ténèbres»;  au  lieu  de  nous  parler 
sans  cesse  de  «  la  ténèbre  »,  et  si  son  renard  voulait 
bien  renoncer  à  «  solutionner  »  des  questions  alors 
qu'il  est  si  simple,  si  euphonique  et  si  correct  de 
les  résoudre... 


COMTE  ROBERT  DE  MONTESQUIOU 

La  Petite  Mademoiselle. 
«Scène  de  mœurs  mondaines.» 


Le  livre  que  M.  le  comte  Robert  de  Montesquiou 
a  publié  récemment  sous  le  titre  la  Petite  Made- 
moiselle est  un  roman,  ou  plutôt,  comme  il  dit,  une 


400  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

«  scène  de  mœurs  mondaines»  qu'il  avait  rêvé 
d'écrire  depuis  longtemps.  «  C'est  la  première  réa- 
lisation d'art  qu'il  ait  essayée»,  et  il  a  fallu  de  flat- 
teuses sollicitations  pour  qu'il  se  décide  «  à  repren- 
dre et  à  mettre  sur  pied  de  quelques  coups  d'ébau- 
choir  la  folle  statuette  ».  Comme  lecteur,  je  suis 
enchanté  que  M.  de  Montesquiou  ait  cédé  et  nous 
ait  offert  ce  portrait  et  ce  tableau,  car  je  me  suis 
beaucoup  diverti  à  les  regarder;  comme  chroni- 
queur, par  exemple,  je  suis  beaucoup  moins  con- 
tent, car  c'est  un  livre  qu'il  est  bien  difficile,  pour 
ne  pas  dire  impossible,  de  raconter  et  d'analyser  : 
tout  en  nuances,  en  notations  fines,  délicates,  ironi- 
ques, où  sans  cesse  l'auteur  vient  —  sans  en  avoir 
l'air  —  prendre  la  place  de  ses  héros  pour  décocher 
quelque  trait  acéré,  émettre  nonchalamment  quel- 
que théorie  surprenante... 

C'est,  en  somme,  le  roman  de  miss  Winterbot- 
tom  —  une  institutrice  que  la  famille  a  baptisé 
pudiquement  miss  Winter  —  personne  étrange  d'un 
comique  macabre,  volontairement  démantibulée, 
qui  porte  en  été  des  toilettes  d'hiver,  en  hiver  des 
robes  blanches  pour  «  aller  avec  la  neige»,  qui  se 
livre  à  mille  autres  folies  fort  incompatibles  avec 
son  rôle  d'institutrice.  Nous  comprenons  qu'elle 
ne  réussisse  guère  et  que  la  famille  soit  empressée 
à  la  congédier;  et  nous  serions  tout  prêts  à  la  trou- 
ver insupportable,  s'il  n'y  avait  pas  la  famille  en 
question,  si  ennuyeuse,  si  falote,  d'une  si  étroite 
et  antipathique  mondanité;  le  lamentable  bour- 


DÉCEMBRE    —   LES    ROMANS  401 

geoisisme  de  ces  gens  du  monde,  pour  lesquels 
M.  de  Montesquieu  est  bien  sévère,  finit  par  nous 
rendre  presque  agréables  les  bizarreries  de  cette 
personne  «  docile  et  rebelle,  attendrissante  et  char- 
mante, ingénue  et  braque,  vertueuse  mais  déver- 
gondée d'imagination  et  goulue  de  texte  »;  et  nous 
versons  avec  ses  élèves  repentantes  un  pleur  sur  la 
tombe  de  cette  esclave  dont  M.  de  Montesquiou 
•fîre  l'image  à  Abel  Hermant,  auteur  des  Affran- 
chis. 


SOME  RSET-MAUGH  AN 
L'Explorateur. 

Traduction  par  M""  Tiikrksk  Bekton.) 

]Vîme  Thérèse  Berton,  à  qui  nous  devons  déjà  la 
révélation  de  Baby  Boulet  et  de  ce  prestigieux 
Bridge,  d'un  si  passionnant  intérêt,  nous  apporte 
;nijourd'hui  la  traduction  d'un  nouveau  roman 
.inglais,  r Explorateur,  de  M.  Somerset-Maughan  : 
'est  un  livre  bien  captivant.  Conformément  à  la  poé- 
tique  du  roman  anglais  —  qui  paraît  bien  être  la 
bonne  —  l'anecdote  en  est  fort  copieuse,  bourrée 
d'épisodes,  avec  sans  cesse  le  rebondissement  de 
dramatiques  péripéties.  Emporté  par  l'action,  l'au- 
teur n'a  guère  le  loisir  de  couper  des  cheveux  en 
({iiatre  et  de  s'attarder  en  des  études  psychologi- 
ques, mais  le  drame  parle  pour  lui  et  le  lecteur  est 


402  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

renseigné  sur  le  caractère  et  sur  l'âme  du  héros  par 
ses  actes  et  par  ses  paroles  d'une  façon  aussi  com- 
plète et  beaucoup  plus  agréable  que  par  la  plus 
pénétrante  analyse. 

Et  c'est  une  belle  figure  —  plus  belle  que  nature 
—  celle  de  cet  explorateur,  cet  Alexandre  Mac 
Kensie  qui  fut  surnommé  Alec  et  qui,  non  content 
de  mille  exploits  fameux  au  centre  de  l'Afrique, 
se  donne  encore  le  luxe  de  risquer  sa  gloire,  son  hon- 
neur et  son  amour  pour  rester  fidèle  à  un  serment, 
pour  défendre  la  mémoire  d'un  coupable  qui  rache- 
ta sa  faute  par  une  mort  glorieuse.  Lorsqu'on  van- 
tera son  héroïsme,  sa  bravoure  et  sa  générosité  en 
Afrique,  il  pourra  répondre  comme  Cyrano  :  «  J'ai 
fait  mieux  depuis  î  »  Heureusement  pour  notre 
sensibilité,  le  roman,  dont  je  ne  saurais,  sans  trahir 
les  intentions  de  l'auteur,  vous  résumer  les  péripé- 
ties, se  termine  sur  une  note  d'espoir  et  d'amour  et 
nous  avons  confiance  que  l'explorateur  reviendra 
sain  et  sauf  de  sa  dernière  expédition  pour  retrouver 
et  épt)user  celle  qu'il  aime,  la  jolie  et  touchante 
Lucy,  enfin  convaincue  de  la  noblesse  et  de  la  gran- 
deur d'âme  de  son  fiancé. 


DÉCEMBRE    —    LES    ROMANS  403 

ANDRÉ  GEIGER 
La  Reine  amoureuse. 

La  Reine  amoureuse^  dont  M.  André  Geiger  nous 
conte  la  romanesque  et  tragique  aventure,  est  une 
souveraine  de  légende  dont  les  traits  nous  rappel- 
lent parfois  ceux  de  quelques  reines  de  ce  temps, 
célèbres  et  malheureuses;  ainsi  la  réalité  vient  se 
mêler  à  la  fiction,  la  rendre  plus  vivante  sans  que, 
d'ailleurs,  l'écrivain  ait  cédé  à  la  détestable  tenta- 
tion du  roman  à  clef.  Nous  prenons  aux  douleurs, 
aux  émotions,  aux  espérances  de  l'ex-reine  Eulalie 
de  Macédoine,  une  part  d'autant  plus  grande  que 
nous  avons  toujours  soupçonné  ces  espérances,  ces 
douleurs  et  ces  émotions  chez  des  souveraines  de 
la  réalité;  et,  d'avoir  été  vécues  parfois,  ses  plus 
romanesques  aventures  nous  apparaissent  vraisem- 
blables... 

Le  roman  en  soi,  roman  d'amour,  d'ambition,  de 
meurtre,  est  émouvant  et  bien  conduit;  les  figures, 
celles  de  Laurent,  l'ami  passionné  de  la  reine,  de 
Grégor,  le  révolutionnaire  ardent,  terrible  et  géné- 
reux en  sont  bien  campées,  hautes  en  couleur  et 
dominées  par  celle  infiniment  noble  et  touchante 
de  la  Reine  devenue  infirmière,  dont  l'aventure 
illustre  cette  pensée  de  M»»^'  de  Staël  placée  en  épi- 
graphe ;  «  La  gloire  ne  saurait  être  pour  une  femme 
qu'un  deuil  éclatant  du  bonheur.  » 


404  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


JACQUES  NAYRAL 
L'Etrange  histoire  d'André  Léris 


Oh  !  oui,  elle  est  étrange  cette  histoire,  ou  plutôt 
elles  sont  étranges,  car  elles  sont  quatre  :  quatre 
épisodes  de  l'existence  d'André  Léris,  tout  à  fait 
différents,  avec  comme  seul  lien  la  personnalité 
du  héros,  si  complexe,  si  mystérieuse,  et  que,  je 
vous  le  dis  tout  bas,  je  n'ai  pas  comprise  d'une  fa- 
çon parfaite.  Je  suis  excusable  sans  doute,  puisque 
l'auteur  lié  depuis  l'enfance  avec  lui,  avoue  qu'il 
le  connaissait  mal.  Il  nous  explique  pourtant  que 
cet  ironique,  presque  impassible,  était,  en  réalité, 
un  mystique  et  aussi  un  malade,  dont  la  vie  phy- 
sique fut  un  martyre,  et  qui  vécut  constamment 
harcelé  par  le  vertige  de  l'abîme.  Il  passa  son  exis- 
tence les  yeux  tournés  vers  l'insondable,  en  proie  à 
la  plus  folle  terreur  de  l'inconnaissable  éternité. 

Après  une  telle  présentation,  vous  êtes  assez  bien 
préparé  au  récit  des  tourments  d'André  Léris,  de 
ses  angoisses  au  sujet  de  son  état  mental,  de  ses 
déboires  littéraires,  de  ses  macabres  entretiens  et 
de  son  crime  étrange  et  mystérieux  —  aventures 
tragiques  et  parfois  douloureusement  comiques 
qui  ne  sont  pas  toujours  d'une  parfaite'^clarté, 
mais  dont  on  démêle  tout  de  mênae  le  sens  symbo- 


DÉCEMBRE    —    LES    ROMANS  405 

lique  et  qui  sont  évoquées  par  récrivain  avec  beau- 
coup de  puissance  et  d'intensité. 


ORGZY 

L'Amateur  de  Mystères 

Traduction  de  M.  Joseph  Renaud). 

CuL  Amateur  de  mystères^  que  M.  Joseph  Renaud, 
traducteur  excellent  et  adaptateur  très  ingénieux  et 
adroit,  nous  ramène  d'Angleterre,  où  M.  Orczy  le 
fit  naître,  est  un  étrange  vieil  homme  qui  dévoile  à 
son  interlocuteur,  en  fait  à  vous  ou  moi,  ses  lecteurs 
naïfs  et  charmés,  le  mystère  d'un  tas  de  crimes  hor- 
ribles, de  vols  surprenants  auxquels  la  police  n'a 
compris  goutte  —  heureusement  pour  notre  amour- 
propre,  c'est  la  pqHcc  anglaise  î  —  et  que  lui,  a 
pénétrés,  découverts,  jugés  avec  un  flair  surpre- 
nant. 

Il  y  a  là,  notamment,  un  certain  «  Mystère  de  la 
rue  Fenchurch  »  que  je  vous  recommande.  Vous  y 
verrez  un  assassin  d'une  rare  ingéniosité,  qui  trouve 
moyen  de  se  faire  juger  et  absoudre  par  le  jury  sous 
le  nom  de  sa  victime  ;  cela  ne  vous  parait  pas  très 
plausible,  mais  vous  verrez  comme  c'est  clair  dans 
la  bouche  du  conteur,  que  nous  soupçonnons  d'a- 
voir joué  un  rôle  assez  fjlcheux  dans  cette  histoire 
et  dans  toutes  les  autres  qu'il  nous  raconte  en 


'lOfi  r,K    MOUVEMENT    LITT^RAIIIE 

jouant  —  jeu  machinal  et  symbolique  —  avec  une 
ficelle  dont  sans  cesse  il  défait  et  refait  les  nœuds. 


EMILE  NOLLY 

La  barque  annamite 
'   Roman  de  mœurs  tonkinoises. 

Ce  «  roman  de  mœurs  tonkinoises  »  est  une  évoca- 
tion d'une  émouvante  sincérité,  et  qui  n'est,  dans 
le  fond,  pas  autrement  flatteuse  pour  notre  amour- 
propre  national,  à  nous  autres  Français  «  langso  » 
qui  avons  chassé  de  leur  patrie  des  êtres  simples  et 
bons  comme  le  vieux  Nena. 

Ce  vieillard  n'a  qu'une  pensée,  qu'un  but  : 
retourner  vers  les  «  hauts  pays  »,  d'où  il  fut  chassé, 
pour  honorer  la  tombe  des  ancêtres  que  la  loi  reli- 
gieuse annamite  défend  de  laisser  seuls.  Et  pendant 
tout  le  cours  du  roman,  oii  il  y  a  de  l'amour,  de 
la  tendresse,  de  la  jalousie,  nous  le  verrons  dominé 
par  cette  pensée,  et,  au  dénouement,  il  sera  dans  le 
«  sampan»,  dans  la  barque  annamite  exprès  cons- 
truite pour  ce  pieux  voyage,  voguant  toujours 
vers  les  morts  d'autrefois,  qu'il  faut  à  tout  prix 
honorer,  car  ils  attendent  frémissants  de  colère... 

Et  c'est,  dans  un  très  noble  symbole,  l'incarna- 
tion de  la  tradition  qui  ne  veut  pas  mourir,  en  face 
d'autres  personnages,  les  jeunes  Annamites  —  si 


DÉCEMBRE    TES    ROMANS  ^lO? 

j'ose  dire  —  que  séduisirent  les  «  bateaux  à  feu,  qui 
vont  si  vite  »,  ces  bateaux  des  Français  qu'il  faut 
imiter  si  l'on  veut  aller  de  l'avant,  au  lieu  de  s'en- 
liser stérilement  dans  le  passé. 


HISTOIRE,    ART,    VOYAGES,    DIVERS 


PAUL  FRÉMEAUX 
Dans  la  Chambre  de  Napoléon  mourant. 

M.  Paul  Frémeaux,  dont  l'ouvrage  sur  les  der- 
niers jours  de  VEmpereur  à  Sainte-Hélène  m'avait 
si  profondément  ému,  publie  sur  cette  «  dernière 
phase  »,  comme  disait  lord  Rosebery,  aussi  pathé- 
tique à  ses  yeux  que  les  plus  belles  années  de  triom- 
phe et  de  gloire,  un  nouveau  livre  bien  impres- 
sionnant :  Dans  la  Chambre  de  Napoléon  mourant. 
C'est  le  journal  inédit  d'Hudson  Lowe,  gouverneur 
de  Sainte-Hélène,  sur  l'agonie  et  k  mort  de  l'Em- 
pereur; ce  témoignage  d'un  geôlier  sur  Napoléon 
prisonnier  et  mourant  est  un  document  de  premier 
ordre,  et  l'on  s'étonne  de  ne  l'avoir  pas  connu  plus 
tôt.  Il  faut  remercier  M.  Paul  Frémeaux  de  nous 


DÉCEMBRE    —    HISTOIRE,    ART,    VOYAGES,    DIVERS     409 

l'avoir  présenté.  Il  ne  réhabilitera  pas  la  mémoire 
d'Hudson  Lowe  et,  en  nous  amenant  jusqu'au 
chevet  de  Napoléon  mourant,  il  nous  fera  connaître 
un  peu  mieux  et  admirer  un  peu  plus  encore  peut- 
être  le  héros  gigantesque. 

Cette  fin  si  cruelle,  si  pathétique  termine  digne- 
ment la  plus  belle  épopée  dont  le  monde  ait  eu 
jamais  le  spectacle,  et,  ma  foi,  en  y  réfléchissant 
bien,  on  se  prend  à  excuser  —  un  siècle  après  — 
la  bassesse  et  la  cruauté  d'Hudson  Lowe  qui,  en 
face  de  l'image  de  Napoléon  mourant,  tient  l'em- 
ploi désobhgeant  mais  nécessaire  de  repoussoir. 


ALBERT  TOURNIER 
Les  Conventionnels  en  exil. 

Toujours  l'incertitude  de  l'histoire  !  Il  y  a  quel- 
ques mois,  je  vous  signalais  un  livre  où  les  régicides 
de  la  Convention  apparaissaient  en  assez  fâcheuse 
posture,  très  empressés  sous  la  Restauration  à  faire 
leur  mea  (ulpa;  M.  Albert  Tournier,  mort  récem- 
ment, avait  entrepris  de  soutenir  la  thèse  contraire, 
et  le  hvre  posthume  de  l'historien  de  Vadier,  les 
Conventionnels  en  exil,  est  un  plaidoyer  ardent,  ému, 
pour  ces  hommes  qui,  «  dans  la  pire  détresse  morale 
et  physique,  accablés  par  la  vindicte  des  hommes, 
ont  montré  dauas  leur  résistance  obstinée  à  l'oppres- 

24 


4  J  <  >  L  !•;     M  O  l ,  \  i:  M  I;;  .N  T     L  1  11  K  |t  AI  U  i: 

sion  froide,  cruelle  et  systématique,  toute  la  droi- 
ture de  leur  caractère  et  l'énergie  des  âmes  fortes.  » 
Ainsi  s'exprime  dans  la  préface  M.  Paul  Maryllis 
qui  a  une  foi  absolue  dans  l'impartialité  de  M.  Al- 
bert Tournier.  Je  ne  vais  pas  si  loin  pour  mon 
compte,  et  il  me  paraît  bien  difficile  qu'avec  tant 
d'ardeur,  d'émotion  et  d'enthousiasme,  M.  Tournier 
soit  tout  à  fait  impartial.  Mais,  sans  qu'il  soit  néces- 
saire d'adopter  toutes  ses  conclusions,  oa  lira  avec 
intérêt  et  profit,  le  récit  qu'il  nous  fait  de  la  vie  des 
conventionnels  réfugiés,  après  la  loi  de  bannisse- 
ment, au  Pays-Bas,  en  Suisse,  en  Allemagne,  en 
Amérique,  en  Angleterre,  en  Autriche,  en  Espagne 
et  en  Russie,  et  de  ceux  qui  persistèrent  à  séiourner 
en  France. 


HENRY    ROUJON 
Dames  d'autrefois. 

M.  Henry  Roujon  publie  un  nouveau  volume  : 
cette  simple  phrase,  qui  fit  plaisir  à  tous  les  amis 
des  bonnes  lettres,  nous  causa  une  bien  grande 
joie,  à  nous  que  la  santé  de  notre  éminent  et  cher 
collaborateur  avait  préoccupé  si  fort  l'automne 
de  1910,  quand  nous  guettions  anxieusement  les 
nouvelles  de  Montreux.  Dieu  merci,  ce  cauchemar 
était  aujourd'hui  terminé;  après  une  rude  secousse, 
notre  ami,  tout  à  fait  hors  de  danger,  se  remettait 


DÉCEMBRE    —    HISTOIRE,    ART,    VOYAGES,    DIVERS     411 

lentement,  et,  pour  nous  faire  attendre  avec  un 
peu  plus  de  patience  son  retour  prochain,  il  nous 
adressa  un  sourire  délicat,  malicieux  et  grave,  qu'il 
appela  :  Dames  d'autrefois. 

Oh  !  le  gracieux  livre,  tout  plein  d'érudition 
aimable  et  profonde,  et  comme  elles  doivent  être 
contentes,  ces  dames  d'autrefois,  d'être  évoquées 
en  de  telles  pages  pimpantes,  et  tendres,  et  spiri- 
tuelles de  l'esprit  le  plus  précieux,  le  plus  rare,  le 
plus  français  qui  soit.  Elles  sont  là,  cinqu^ante  : 
reines  et  courtisanes,  petites  cabotines  et  grandes 
artistes,  héroïnes  de  l'histoire  du  roman  ou  de  la 
vie.  Elles  sont  là,  avec  leurs  sourires,  leurs  larmes, 
leurs  grandes  actions  ou  leurs  méfaits,  tendres, 
])athétiques,  rieuses  ou  méchantes,  les  bonnes  fées 
et  les  mégères,  celles  que  la  nature  fit  ravissantes  ou 
qui  connurent  la  tristesse  d'être  laides. 

Et  c'est  Héloïse,  humble  femme  et  femme  uni- 
quement jusqu'au  bonheur  dans  le  martyre,  et  la 
Faustine  de  du  Bellay,  et  l'Eléonore  du  Tasse,  et 
la  Dilecta  de  Balzac,  et  Suzanne  de  Livry  qu'aima 
Voltaire.  Et  c'est  encore  la  femme  de  Greuze, 
mégère  insupportable,  et  la  tendre  Clara  Schumann, 
épouse  du  magicien  de  la  mélodie,  la  reine  Margot, 
la  reine  Caroline,  Marie  de  Médicis,  Christine  de 
Suède,  Mi^e  Vigéc-Lebrun,  Delphine  Gay,  M"ie 
Guyon.  Sortant  des  petits  appartements  de 
Louis  XV,  voici  la  Du  Barry  et  Liselotte,  et  M^i^  de 
Romans,  qui  avait  failli  épouser  Casanova. 

Vous  dirai-je  encore;  l'incomparable  Arthénice,  la 


412  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

Virginie  de  Paul,  la  divine  M^^  Récamier,  M"»®  de 
Chateaubriand,  et  Marie  Salle,  la  chaste  danseuse, 
et  Julie  Forestier,  la  fiancée  de  M.  Ingres?...  Mais 
je  m'arrête,  cette  sèche  énumération  deviendrait 
fastidieuse  :  elle  est  faite  du  moins,  aussi  incom- 
plète qu'elle  soit,  pour  vous  donner  une  idée  du 
merveilleux  agrément  et  de  la  variété  de  ce  livre 
ravissant,  dédié  à  la  gloire  de  l'éternel  féminin  par 
un  exquis  écrivain  qui  sait  être,  pour  lui,  tendre 
avec  clairvoyance,  et  juste  sans  rudesse. 


FERDINAND  BAC 

Chez  Louis  II,  roi  de  Bavière 
«  Voyage  romantique.  » 

J'aime  beaucoup  les  petites  femmes  de  Ferdi- 
nand Bac,  je  crois  bien  que  j'aime  encore  mieux 
ses  graves  et  gracieuses  rêveries  littéraires  :  je  l'ai 
dit  maintes  fois  depuis  deux  ans,  et  son  nouveau 
livre.  Chez  Louis  11^  roi  de  Bai^ière^  me  confirme 
dans  cette  prédilection.  Quel  aimable  excursion, 
ce  «  voyage  romantique  »  où  nous  nous  engageons 
en  compagnie  de  M.  Ferdinand  Bac  —  ou  plus 
exactement  de  ses  personnages,  Pascal  Latour  et  sa 
spirituelle  amie  Stéphanie  Passignot  —  pour  nous 
en  aller  chez  Louis  II,  roi  de  Bavière,  prince  palatin 
du   Rhin,   souverain  de  l'Harmonie  romantique. 


DÉCEMBRE    —    HISTOIRE,    ART,    VOYAGES,    DIVERS     413 

chevalier  du  cygne,  venu  au  monde  en  retard  de 
cinq  siècles  et  qui  est  mort  de  ce  fait. 

Quelle  émouvante  et  pieuse  enquête  autour  de 
cette  énigme  troublante,  douloureuse  et  séduisante  ! 
Pascal  Latour  excelle  à  faire  parler  les  gens,  depuis 
les  postillons,  anciens  piqueurs  de  l'étrange  sou- 
verain, jusqu'aux  conseillers  d'Etat,  depuis  les 
grands  artistes  et  les  grandes  dames  qui  l'ont  connu 
ou  cru  le  connaître  jusqu'à  l'humble  gardienne  d'un 
vieux  moulin  fréquenté  jadis  par  Louis  II. 

De  ces  récits  contradictoires,  une  probabilité  se 
dégage;  de  ces  portraits  différents,  une  physiono- 
mie se  compose  :  c'est  l'art  de  M.  Ferdinand  Bac 
de  nous  faire  apercevoir,  à  travers  ce  fouillis 
d'anecdotes  et  de  jugements,  à  travers  cette  confuse 
légende,  une  vraisemblable  vérité. 

Vraisemblable  seulement  :  Ferdinand  Bac  ne 
saurait  se  flatter  d'avoir  mis  fin  à  tant  de  contro- 
verses; mais  son  interprétation  de  ce  personnage 
shakespearien  est  tout  à  fait  ingénieuse  :  elle  ne  con- 
vaincra peut-être  point,  elle  ne  peut  pas  séduire. 

L'auteur  se  contentera  de  ce  succès,  d'autant 
qu'il  a  poursuivi  sans  rigueur  son  enquête  de  voya- 
geur-poète. Il  s'en  est  laissé  distraire  par  mille 
choses,  et  ses  distractions  nous  ont  valu  des  pages 
('xquises  à  propos  de  tout  et  de  rien  ;  —  il  s'est  laissé, 
aller  devant  nous,  avec  une  nonchalance  très  sur- 
veillée, quelquefois  même  un  peu  coquette,  à  ses 
songes,  à  ses  idées,  comme  à  une  mélodie  intérieure  ; 
<>f  riM!i<  Mx^Mr.c  <iiivi.  oRchantés,  ces  ent rotions  d'un 


414  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


i3sprit  curieux,  pénétrant,  plein  de  ressources;  d'un 
nrtisic  raffiné,  d'nn  r-oiiseur  plein  de  grâce... 


PAUL  GOUT 
Le  Mont-Saint-Michel. 

Avec  M.  Paul  Goût  nous  rentrons  en  France,  et 
c'est  le  Mont  Saint- Michel  qui  est  évoqué  sous  nos 
yeux  en  deux  grands  volumes.  Le  Mont  Saint- 
Michel  dont  Siméon  Luce  disait  «  que  son  seul  nom 
évoque  ce  que  les  paysages  de  France  ont  de  plus 
grandiose,  ce  que  le  patriotisme  a  de  plus  inviolé, 
ce  que  la  religion  a  de  plus  saint  »,  a  été  célébré, 
raconté  et  chanté  par  une  foule  d'écrivains,  de 
poètes  et  d'historiens  depuis  des  siècles;  il  est  visité 
chaque  année  par  une  multitude  de  touristes  émer- 
veillés, et  pourtant  il  est  mal  connu.  M.  Paul  Goût, 
architecte  en  chef  des  monuments  historiques,  à 
qui  furent  confiées  les  destinées  du  Mont  Saint- 
Michel,  nous  l'affirme,  et  il  suffit  pour  s'en  rendre 
compte  de  regarder  son  magnifique  ouvrage  où, 
presque  à  chaque  page,  se  rencontrent  une  décou- 
verte, une  révélation. 

Ces  deux  gros  volumes  ornés  de  plus  de  400  gra- 
vures, de  40  planches  hors  texte,  constituent  un 
monument  magnifique  de  ce  poème  de  pierres  qui 
se  dresse  sur  l'océan  avec  une  si  émouvante  majesté. 


DL'.EMBRE    HISTOIRE,    ART,    VOYAGES,    DIVERS     415 

En  entreprenant  cette  histoire  de  l'abbaye  et  de  la 
ville,  cette  étude  archéologique,  et  architecturale 
des  monuments,  en  nous  donnant,  dans  des  pages 
si  éloquentes  et  si  documentées,  l'histoire  des  évé- 
nements dont  le  Mont -Saint-Michel  et  son  abbaye 
furent  le  théâtre,  et  la  monographie  analytique 
des  monuments,  véritable  univers  d'architecture 
et  de  sculpture,  M.  Paul  Goût  a  fixé  définitivement, 
un  monument  unique,  au  monde,  que  nous  devons 
connaître,  défendre  et  aimer,  parce  qu'il  fait  partie 
de  notre  patrimoine  de  gloire,  «  parce  qu'il  est,  selon 
la  parole  de  Victor  Hugo,  pour  la  France,  ce  que  la 
grande  pyramide  est  pour  l'Egypte  ». 


ANDRÉ  MICHEL 
Histoire  de   l'Art  «La  Renaissance». 

J'ai  parlé  à  plusieurs  reprises  déjà  de  cette  His- 
toire de  rArt,  «  depuis  les  premiers  temps  chrétiens 
jusqu'à  nos  jours»,  dont  M.  André  Michel  a  entre- 
pris la  publication;  les  six  volumes  déjà  parus  nous 
ont  fixés  sur  l'importance  de  cette  œuvre  qui,  une 
fois  achevée,  sera  un  magnifique  monument  d'his- 
toire et  d'art;  mais  chacun  d'eux,  même  pris  isolé- 
ment, constitue  un  livre  homogène  d'un  très  grand 
intérêt. 

C<'tte   impression,   je   l'ai   retrouvée   plus   forte 


416  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

encore  avec  le  quatrième  volume  paru  cette  se- 
maine, et  qui  est  consacré  tout  entier  à  la  Renais- 
sance^ non  pas  à  toute  la  Renaissance,  mais  à  la 
période  de  son  plein  épanouissement  en  Italie. 

Pour  traiter  ce  vaste  et  noble  sujet,  M.  André 
Michel,  qui  s'est  réservé  la  sculpture  italienne 
jusqu'à  la  mort  de  Michel-Ange,  a  fait  appel  à  des 
collaborateurs  éminents  dont  il  est  juste  de  rap- 
peler les  noms  et  les  travaux.  M.  Marcel  Reymond 
étudie,  dans  ce  livre,  l'architecture  italienne  du 
xvi^  siècle;  M.  Jean  de  Foville,  les  médailleurs  ita- 
liens; M.  André  Peraté,  la  peinture  italienne  à  la  fm 
du  XV®  siècle  et  dans  la  première  moitié  du  xvi® 
siècle. 

Que  de  chefs-d'œuvre  dans  cette  période,  et  que 
d'iUustres  maîtres  !  Songez  que  c'est  le  temps  des 
Léonard  de  Vinci,  des  Pinturicchio,  des  Raphaël, 
des  Michel-Ange,  des  Gorrège,  des  Titien.  En  regar- 
dant les  trois  cent  quarante-deux  gravures  et  les 
dix  héliogravures  qui  ornent  ce  livre,  on  fait,  parmi 
les  musées  du  monde  entier,  la  plus  belle  et  la  plus 
émouvante  des  promenades,  on  reconnaît  les  chefs- 
d'œuvre  fameux,  et  l'on  en  découvre  d'autres  qui, 
moins  connus,  présentent  cependant  un  incompa- 
rable intérêt.  Et,  après  avoir  admiré,  on  apprend  et 
l'on  comprend  :  on  comprend  comment  la  Renais- 
sance, «  de  florentine  et  platonicienne,  est  devenue 
romaine  et  pontificale,  pour,  de  Rome,  rayonner  si 
magnifiquement  sur  le  monde». 


DÉCEMBRE    HISTOIRE,    ART,    VOYAGES,    DIVERS     417 

MAURICE  DUMOULIN 
Les  Ancêtres  d'Alfred  de  Musset. 

M.  Maurice  Dumoulin  a  fait  une  enquête  d'une 
très  agréable  et  pittoresque  érudition  sur  les  Ancê- 
tres d'Alfred  de  Musset  :  il  a  estimé  que  puisque  tant 
de  princes  ont  suscité  tant  de  généalogistes  il  pou- 
vait s'en  trouver  un  pour  le  prince  des  poètes.  Il  a 
eu  joliment  raison,  puisqu'il  a  réussi,  en  compulsant 
une  foule  de  documents  inédits  très  ingénieusement 
coordonnés  et  présentés,  à  nous  donner  une  œuvre 
tout  à  fait  attrayante  et  instructive.  Il  a  tour  à  tour 
étudié,  en  des  chapitres  bourrés  de  faits,  d'anec- 
dotes et  de  documents,  le  père  et  la  mère  de  Musset, 
le  grand-père  Guyot-Desherbiers,  l'oncle,  le  mar- 
quis de  Gogners.  Après  avoir  fidèlement  portraic- 
turé  tous  ces  personnages  et  reconstitué  leurs  ori- 
gines, M.  Dumoulin  conclut  :  «  Préparé  par  tant  de 
qualités  ancestrales,  nourri  d'un  sang  généreux  et 
fort,  dans  lequel  au  vieux  sang  du  terroir  vendô- 
mois  s'était  mélangé  celui  des  Arnault,  des  du  Tillet, 
des  du  Bellay,  avec  une  pointe  de  sang  italien, 
Alfred  de  Musset  fut  la  résultante  exceptionnelle 
f't  unique  du  lent  travail  d'afïinement  d'une  race.  » 


418  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

HERBERT  WARD 
Chez  les  Cannibales  de  l'Afrique  centrale. 

Les  cannibales  ne  sont  point,  parait-il,  ce  qu'un 
vain  peuple  pense  :  ils  ne  méritent  pas  leur  réputa- 
tion, et,  sans  doute,  c'est  à  eux  que  certain  ministre 
fit  injure,  lorsque,  au  cours  d'une  séance  fameuse 
de  la  Chambre,  il  donna  leur  nom  à  une  foule  hur- 
lante de  parlementaires  exaspérés.  M.  Ward  a  vécu 
dans  le  centre  africain  des  années  impressionnantes 
et  belles  ;  dès  le  premier  contact,  les  naturels  l'inté- 
ressèrent vivement  et  il  ne  cessa,  par  la  suite, 
de  s'attacher  à  eux  davantage.  Il  apprit  à  les  con- 
naître :  ils  lui  enseignèrent  leur  langage  barbare,  et 
il  s'aperçut  que  sous  leurs  aspects  cruels  et  sournois 
se  cachaient  des  sentiments  humains  semblables 
aux  nôtres,  et  il  les  aima. 

Ces  quelques  lignes  vous  donnent  le  ton  du  livre 
et  vous  disent  l'intérêt  qui  se  dégage  d'une  telle 
étude  romanesque  et  psychologique  et  qui  s'élève 
bien  au-dessus  d'une  habituelle  relation  de  voyage  ; 
c'est  un  très  beau  document  humain,  car  les  canni- 
bales appartiennent  à  l'humanité,  même  lorsqu'ils 
font  du  cannibalisme,  et  l'auteur,  qui  fut  officier 
dans  la  fameuse  expédition  Stanley,  nous  le  démon- 
tre par  une  foule  d'exemples,  d'anecdotes  émou- 
vantes et  d'images  prises  sur  le  vif. 


MAXIME  DE  BARY 
Grand  gibier  et  Terres  inconnues. 

C'est  encore  un  peu  du  mystère  de  l'Afrique 
inconnue  que  nous  révèle  M.  Maxime  de  Bary  avec 
le  volume  qu'il  publie  sous  le  titre  Grand  gibier  et 
Terres  inconnues.  Malgré  les  explorations  sans  cesse 
plus  nombreuses  et  plus  hardies  des  pionniers  de 
l'Afrique,  il  reste  encore  de  vastes  espaces  dont  le 
secret  ne  fut  point  profané  et  il  y  a  là  pour  le  chas- 
seur et  pour  l'explorateur  un  champ  immense  d'in- 
V  <3stigations.  M.  de  Bary  est  un  chasseur,  il  s'en  est 
illé  en  compagnie  de  M.  .Jean  Lefebvre  autour 
les  grands  lacs  de  l'Afrique  centrale,  dans  les  pathé- 
tiques solitudes  du  mont  Elgon  :  il  a  vu  des  sites 
merveilleux  et  éprouvé  de  grandes  émotions,  qu'il 
('ssaye  de  décrire. 

Il  nous  raconte  fidèlement  les  plus  émouvantes  de 
-os  aventures  de  chasse,  il  joint  à  ses  récits  palpi- 
unts  tous  les  renseignements  qu'il  a  pu  recueillir 
Mir  le  pays,  les  indigènes  et  le  climat,  et  ce  récit 
d'un  chasseur  curieux,  avec  les  étonnantes  photo- 
Lrraphies  qui  l'illustrent  est  un  très  beau  document 
-iir  l'Afrique. 


420  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

CÉSAR  LOMBROSO 

Hypnotisme  et  Spiritisme. 

(Traduction  de  M.  Rossigneux). 

César  Lombroso  a  laissé  une  œuvre  posthume  : 
Hypnotisme  et  spiritisme^  dont  la  Bibliothèque  de 
philosophie  scientifique  nous  offre  une  fidèle  traduc- 
tion faite  par  M.  Rossigneux. 

M.  Gustave  Le  Bon,  qui  ne  croit  pas  beaucoup  à 
toutes  ces  histoires  de  spiritisme  et  de  magie,  nous 
explique  en  une  courte  introduction  pourquoi  il  a 
tenu  à  faire  paraître,  dans  cette  collection  scienti- 
fique, un  livre  destiné  à  justifier  l'existence  des 
phénomènes  spirites  :  ses  raisons  n'eussent  point, 
je  crois  bien,  enchanté  Lombroso  !  En  effet,  M.  Gus- 
tave Le  Bon  croit  que  la  lecture  de  ce  livre,  où  se 
trouve  dressé  un  tableau  assez  complet  des  phéno- 
mènes que  prétendent  réaliser  les  spirites,  nous 
montrera  clairement  comment  un  savant  célèbre, 
habitué  aux  méthodes  scientifiques  les  plus  sûres, 
vit  sa  science  s'évanouir  et  une  crédulité  infinie  s'y 
substituer  dès  qu'il  aborda  l'étude  des  phénomènes 
spirites. 

Avouez  que  César  Lombroso  devait  poursuivre 
un  but  quelque  peu  différent  lorsqu'il  entreprit  de 
nous  expliquer  comment  l'étude  des  phénomènes  de 
l'hystérie  et  de  l'hypnose  l'avait  graduellement 
conduit  à  admettre  les  phénomènes  spirites,  et 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    DÉCEMBRE  421 

de  nous  raconter,  comme  preuves  indubitables,  les 
extraordinaires  expériences  d'Eusapia  Paladino.  Il 
est  vrai  que  les  aventures  de  cette  dernière  à  Paris 
ne  sont  pas  faites  pour  fortifier  notre  foi  !  Du  moins 
nous  avons  maintenant  en  main  les  pièces  du  pro- 
cès, et  si  nous  ne  sommes  pas  très  convaincus,  nous 
ne  laisserons  pas  d'être  fort  intéressés  et  un  peu 
troublés  par  ces  histoires  de  double  vue,  de  fantô- 
mes et  de  maisons  hantéqs  que  César  Lombroso 
nous  raconte  avec  une  conviction  admirable,  et 
prétend  nous  expliquer  fort  scientifiquement,. 


imÉNEMTO  OU  MOIS  OE  DÉCEMBRE 


ROMANS 

AUard  (Léon).  —  Catherine  Hautier. 

Apollinaire  (Guillaume).  —  U Hérésiarque  et  O^,  un  recueil 
de  nouvelles  bien  remarquables. 

Victor  Barrucand  et  une  Gircassienne.  —  Adilé  sultane. 

(]anudo  (R.).  —  La  Ville  sans  chef. 

Gharmain  (Armand).  —  Binettes  de  caserne,  une  série  d'his- 
toires militaires  amusantes,  alertes  et  faciles. 

Gombe  (T.).  —  Enfant  de  Commune. 

Duvernois  (Henri).  —  Demoiselles  de  perdition,  nouvelles. 

Garros  (Paul  de).  —  La  Château  de  VOurs. 


422  LE    MOUVEMEPfT    LITTÉRAIRE 

Goron.  —  Policiers  et  Rastas,  un  roman  paru  dans  la  série 

des  «  Nuits  Rouges». 

Guillou  (Robert).  —  Leurs  raisons. 

Hornung  (B.-W.).  —  Frank  Rattray,  un  roman  de  mystère 
et  de  police  de  l'auteur  de  Raffles,  traduit  de  l'anglais 
par  M.  René  Lécuyer.  "^^ 

Hume  (Fergus).  —  L'Œil  de  Jade,  un  roman  traduit  de 
l'anglais  par  M.  A.  de  Jassaud. 

Kipling  (Rudyard).  —  Lettres  de  marque,  traduction  de 
M.  A.  Savine. 

La  Hire  (Jean  de).  —  L'Homme  qui  peut  vivre  dans 
Veau. 

Level  (Maurice).  —  Les  Portes  de  V enfer,  un  recueil  de  nou- 
velles frissonnantes. 

Reboul  (Max).  —  Fascination. 

Weede  (Gaspard  de).  —  Le  Roi  des  airs. 


HISTOIRE  —  LITTÉRATURE  —  THEATRE 
POÉSIE  —  POLITIQUE  —  DIVERS 

Baraude  (Henri). —  Orléans  et  Jeanne  d'Arc,  un  ouvrage 
accompagné  de  cartes,  plans  et  dessins  de  l'auteur. 

Bertrand  (Alphonse).  —  Les  Origines  de  la  troisième  Répu- 
blique, (1871-1876),  un  ouvrage  d'un  grand  intérêt  où 
l'auteur,  spectateur  attentif  et  parfois  témoin  de  ces 
grands  événements,  nous  raconte  l'Assemblée  natio- 
nale, la  réorganisation  de  la  France,  les  lois  constitu- 
tionnelles. 

Billard  (D^  Max).  —  Les  Femmes  enceintes  devant  le  Tribunal 
révolutionnaire,  un  passionnant  ouvrage,  publié 
d'après  des  documents  inédits. 

Boglione  (M^^^  Adrienne).  —  Le  Secret  de  Cybèle,  un  recueil 
de  fantaisies  dramatiques  en  vers  charmants  :  ces 
fantaisies  dramatiques  ont  plu  à  M.  Maurice  Barrés, 
elles  ont  tourné  ses  souvenirs  vers  le  temps  où  «  Théo- 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    DÉCEMBRE  423 

dore  de  Banville  faisait  une  des  plus  aimables  figures 
du  monde  littéraire  parisien,  et  il  a  pris  à  les  entendre, 
la  sorte  de  plaisir  que  l'on  goûte  si  l'on  écoute,  en  été, 
des  jeunes  voix  dans  un  jardin». 

Gabat  (Augustin).  —  Les  Porteurs  de  flambeau,  «  d'Ho- 
mère à  Victor  Hugo  »,  un  volume  où  l'auteur  passe  en 
revue  les  grands  esprits  qui  honorèrent  l'humanité. 

Capus  (Alfred).  —  Théâtre  complet,  le  quatrième  volume  où 
nous  retrouvons  la  touchante  et  jolie  Châtelaine  et 
cette  Adversaire  triomphante  écrite  en  collabora- 
tion avec  Emmanuel  Arène,  et  le  pittoresque  Mon- 
sieur Piégeois. 

Cavaignac  (Eugène).  — 'Esquisse  d'une  histoire  de  France, 
un  livre  à  qui  l'Institut  d'Action  Française  a  décerné 
un  grand  prix. 

Gharcot  (Jean).  —  Le  Pourquoi  Pas?  dans  l'Antarctique 
(1908-1910),  le  récit  émouvant  de  l'expédition,  pré- 
facé par  M.  Paul  Doumer. 

Charrier  (Pierre).  —  Les  Droits  du  critique  théâtral,  litté- 
raire, musical  et  artistique,  et  leurs  limites  :  un  excel- 
lent vade  mecum  des  juges  disposés  à  la  malveil- 
lance. 

Chuquct  (Arthur).  —  Quatre  généraux  de  la  Révolution, 
«  Hoche  et  Desaix,  Kléber  et  Marceau»  d'après  des  let- 
tres et  notes  inédites  suivies  d'annexés  historiques  et 
biographiques. 

Glaretie  (Georges).  —  Drames  et  comédies  judiciaires. 
M.  Raymond  Poincaré,  bon  juge,  nous  dit  dans  une 
préface  le  mérite  de  ces  chroniques  du  Palais  de  1909 
que  les  lecteurs  du  Figaro  ont  si  vivement  appréciées 
et  qui  sont  assurées  d'un  durable  succès. 

Glouai'd  (Henri).  —  Balzac,  des  pages  sociales  et  pohtiques. 

Cucuaud  (G^mille).  —  Origines  et  responsabilités  de  la  guerre 
de  1870-1871.  (Suite.) 

Derys  (Gaston).  —  Les  Grandes  amoureuses  :  M"*'  de  Lespi- 
nasse,  Marie  Mancini,  la  Clairon,  M"^  de  Tencin,  évo- 
quées avec  beaucoup  de  tact  et  d'émotion  en  un  bien 
intéressant  volume  d'histoire  sentimentale  —  qui 
bien  souvent  domine  l'histoire  tout  court  ! 

Duboscq  (André).  —  Louis  Bonaparte  en  Hollande  d'après 


424  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

ses  lettres  {1806-1810).  Les  lettres  publiées  dans  cet 
ouvrage  sont  extraites  des  registres  de  la  correspon- 
dance de  Louis  Bonaparte  ;  elles  permettent  d'étudier 
le  roi  de  Hollande  autrement  que  dans  ses  rapports 
avec  Napoléon  I^r  qui  le  montrent  sous  un  jour  un  peu 
trouble  et  factice  ;  elles  prouvent  que  Louis  Bonaparte 
fut  doux,  généreux,  dévoué  à  son  peuple,  que  s'il  pré- 
tendit agir  en  roi  il  sut  y  parvenir  et  qu'en  un  autre 
temps  et  sans  la  tutelle  inexorable  dont  il  était 
l'objet,  il  eût  fait  le  bonheur  de  son  pays. 

Evrard  (Eugène).  —  Jean  Nesmy,  les  «  meilleures  pages  ». 

Faguet  (Emile).  —  Le. Discours  sur  les  passions  de  V amour 
attribué  à  Pascal,  un  commentaire  qui  est  un  chef- 
d'œuvre  d'ingéniosité,  de  maUce  et  de  profondeur. 
C'est  extraordinaire  ce  qu'un  érudit  spirituel  peut 
trouver  de  choses  amusantes,  curieuses,  émouvantes 
autour  d'une  pensée  qui  souvent  n'apparaît  pas  autre- 
ment folâtre  à  un  observateur  médiocre. 

Feuillâtre  (Paul).  —  -£|e  Jeu  de  V  amour  et  du  désespoir,  poé- 
sies. 

Fleischmann  (Hector).  —  Pauline  Bonaparte  et  ses  amants^ 
un  volume  publié   dans  une  série   ambitieusement 
baptisée  les  «  Napoléonides  ». 
—  Marie- Louise  libertine. 

Fort  (Paul).  —  La  Tristesse  de  V homme,  des  «  ballades  fran- 
çaises »  :  elles  sont  en  prose,  mais  c'est  la  prose  d'un 
poète,  toute  pleine  de  belles  images  et  fort  harmonieu- 
sement rythmée. 

.Gendarme  de  Bevotte  (Georges),  -r-  La  légende  de  don  Juan, 
son  évolution  dans  la  littérature,  des  origines  au 
romantisme  et  du  romantisme  à  l'époque  contem- 
poraine. 

Gérard  (Léon).  —  A  travers  la  Hollande,  un  bien  séduisant 
volume  illustré  de  dessins  à  la  plume  tout  à  fait  jolis  de 

r*^fe^  M,  Heurkelom. 

Giraud  (Victor).  —  Pages  choisies  de  Chateaubriand. 

Gourmont  (Rémy  de).  —  Nouveaux  dialogues  des  amateurs 
sur  les  choses  du  temps. 

Grasset  (D^).  —  Le  milieu  médical  et  la  question  médi  c- 
sociale. 


MEMENTO    DU    MOIS    DE    DÉCEMBRE  425 

Hallays  (André).  —  En  flânant  à  travers  V Alsace,  un  gra- 
cieux et  éloquent  volume.^j 

Kropotkine  (Pierre).  —  Champs,  usines  et  ateliers  ou  «  l'in- 
dustrie combinée  avec  l'agriculture  et  le  travail  céré- 
bral avec  le  travail  manuel»,  une  traduction  fidèle, 
due  à  M.  Francis  Leray,  de  cette  œuvre  ardente, 
solide,  originale. 

Maisonneuve  (Thomas).  —  Aquarelles  provençales,  Pointes 
sèches  bretonnes,  une  série  de  sonnets  lumineux  et  très 
heureusement  évocateurs,  illustrés  par  Léopold  Lelée, 
d'Arles,  et  l'auteur  lui-même,  qui  manie  le  crayon  avec 
autant  d'aisance  que  le  luth. 

Marcère  (de),  —  La  Vie  française  à  la  veille  de  la  Révolution 
{1183-1786),  journal  inédit  de  M'^e  Cradock,  traduit 
de  l'anglais  par  M^"®  Delphin-Balleygnier. 

Michaud  (Edouard).  —  Le  Chalet  d'or,  des  vers  émus  et  très 
sages. 

Normandy  (Georges).  —  Les  Poètes  humoristes,  une  fort  plai- 
sante et  agréable  anthologie. 

Poirée  (Charles-Raphaël).  —  Visions,  des  vers  d'une  élo- 
quente tristesse. 

Rostand  (Maurice).  —  Poèmes. 

Rpusset  (Lieutenant-colonel).  —  Histoire  générale  de  la 
guerre  franco- allemande.  Nouvelle  édition.  Quoi  que 
prétende  la  modestie  de  l'auteur,  je  crois  bien  que  c'est 
là  une  œuvre  définitive. 

Roux  (Charles).  —  Aiguës- Mortes. 

Séché  (Léon).  —  La  Jeunesse  dorée  sous  Louis-Philippe, 
«Alfred  de  Musset,  de  Musard  à  la  Reine  Pomaréela 
Présidente  »,  un  bien  pittoresque  et  bien  amusant  volu- 
me d'histoire  romantique. 

Sonnenfeld  (Nandor).r — ^fi/ier,^  poésies. 

Spet7/( Georges).  —  Légendes  d'Alsace,  un  livre  poétique  qui 
est  aussi  avec  ses  admirables  illustrations  en  couleurs 
et  sa  luxueuse  typographie  un  splendide  joyau  de 
bibliophilie,  œuvre  très  noblement  et^fidèlement  fran- 
çaise qui  nous  vient  de  Strasbourg... 

Tschudi  (C.  de).  —  La  mère  de~Napoléon.    ' 

Van  der  Gheyn  (J.).  —  Histoire  de  Charles  Martel. 

Vialay  (Amédée).  —  Les  Cahiers  de  doléances  du  Tiers  état 


426  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

aux  États  généraux  de  1789,  de  très  précieux  docu- 
ments dont  M.  René  Stourm  fixe  la  portée  dans  sa 
préface. 

Wolsky  (Calixte  de).  —  La  Pologne,  sa  gloire,  ses  souffrances, 
ses  évolutions. 

Zuylen  de  Nyevelt  (Hélène  de).  —  Ulnouhliée,  des  pages 
toutes  remplies  de  littéraires  sanglots. 


QUELQUES    DISPARUS 


QUELQUES  DISPARUS 


BJOERNSTJERNE  BJOERNSON 

Mort  le  26  avril  1910. 

Il  était  né  le  8  décembre  1832  à  Kwikne  (Oster- 
dalen).  C'était,  depuis  la  mort  d'Ibsen,  le  plus  illus- 
tre représentant  de  la  littérature  Scandinave  et 
depuis  quarante  ans  son  théâtre  régnait  sur  toute 
l'Europe,  passionnément  admiré  et  compris  par 
les  uns,  exalté  de  confiance  par  les  autres,  un  grand 
nombre  qui  ont  souvent  applaudi  sans  comprendre. 

Parmi  les  œuvres  dramatiques  de  Bjoernst- 
jerne  Bjoernson  celle  dont  le  retentissement  en 
France  fut  le  plus  considérable  et  dont  l'influence 
est  le  plus  manifeste  c'est  Au  delà  des  forces^  qui 
fut  joué  par  le  Théâtre  de  l'Œuvre. 

Sa  carrière  :  il  fit  ses  études  à  l'Université  de 
Christiania,  puis  à  Upsal  et  à  Copenhague.  Direc- 

25. 


430  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

teur  de  théâtre  à  Bergen  (1857-1859)  puis  à  Chris- 
tiania (1865-1867),  il  fut  également  journaliste  et 
directeur  pendant  trois  ans,  de  1866  à  1869,  du 
Norsk  Folkeblad. 

Dans  son  œuvre  littéraire  il  faut  citer  ses  épopées 
nationales  Entre  les  batailles,  Hulda  la  boiteuse  et 
ses  nouvelles  telles  la  Fille  de  la  pêcheuse. 

Parmi  ses  œuvres  dramatiques  les  plus  connues 
en  France  sont  :  Au  delà  des  forces,  une  Faillite, 
le  Roi,  le  Journaliste. 


QUELQUES    DISPARUS  431 


LOUIS  BOUSSENARD 

Mort  le  11  septembre  1910. 

Il  était  né  en  l'année  1853.  Les  générations  de 
collégiens  se  souviendront  avec  reconnaissance 
du  légendaire  Tour  du  monde  d'un  gamin  de  Paris 
dont  les  étonnantes  péripéties  les  enchantèrent  et 
amuseront  sûrement  leurs  enfants.  Écrit  dans  un 
style  alerte  et  familier,  sans  recherche,  ce  roman  est 
de  beaucoup  le* meilleur  de  ses  livres  parmi  lesquels 
il  faut  citer  :  le  Voyage  en  Australie,  Vile  en  feu.  Ces 
livres  qui  ne  feront  nul  tort  à  la  gloire  de  Jules 
Verne  ont  dos  qualités  qui  justifient  leur  po])u- 
larité. 

Détail  dramatique  et  émouvant,  Louis  Bousse- 
nard  avait  rédigé  lui-même  sa  lettre  de  faire  part 
dans  les  termes  suivants  : 

«  Louis  Boussenard,  homme  de  lettres,  a  l'hon- 
neur de  vous  inviter  à  ses .  funérailles  civiles  qui 
auront  lieu  à  Escrennes  (Loiret),  le  lundi  12  sep- 
tembre 1910  à  une  heure  et  quart.  Inconsolable  de 
la  mort  de  sa  femme,  il  succombe,  dans  sa  soixante- 
troisième  année,  à  une  douleur  que  rien  n'a  pu 
atténuer.  » 


432  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


JEANNE  MARNI 


Morte  le  4  mars  1910. 

Elle  était  née  à  Toulouse  le  18  août  1854. 

Jeanne  Marni  (de  son  vrai  nom  Jeanne  Mar- 
nière)  a  occupé  une  place  éminente  parmi  les  fem- 
mes de  lettres  si  nombreuses  dont  le  talent  s'est 
affirmé  dans  ces  vingt  dernières  années.  Elle  res- 
tera l'une  des  plus  personnelles,  des  plus  délicates, 
des  plus  émouvantes.  Quelques-uns  de  ses  romans 
ont  eu  un  assez  grand  retentissement  depuis  le 
premier  paru  en  1887,  la  Femme  de  Sii^a^  jusqu'au 
Livre  d^une  amoureuse,  à  Pierre  Tisserand,  à  Souf- 
frir... 

Elle  a  fait  jouer  au  Gymnase  une  jolie  comédie 
Manoune  et  en  collaboration  avec  M.  Albert  Gui- 
non  Le  Joug.  Mais  c'est  surtout  dans  les  dialogues 
qu'elle  triompha  :  dans  ce  genre,  elle  fut  vraiment 
incomparable,  et  il  y  a  dans  les  volumes  où  ils  sont 
réunis  sous  les  titres  Comment  elles  se  donnent. 
Comment  elles  nous  lâchent,  les  Enfants  qu'elles 
ont,  Fiacres,  Celles  qu'on  ignore,  A  table.  Vieilles..., 
des  pages  très  émouvantes,  très  prenantes  et  qui 
pourraient  bien  rester. 


QUELQUES    DISPARUS  '       433 


JEAN  MORÉAS 

Mort  le  30  mars  1910. 

Il  était  né  à  Athènes  le  15  avril  1856.  Grec  de 
naissance,  il  s'appelait  Papadiamantopoulos,  et 
venu  très  jeune  à  Marseille  il  se  fixa  définitivement 
à  Paris  en  1882.  En  1884  il  publia  les  Syrtes,  en  1886 
les  Cantilènes  qui  furent  remarqués  et  appréciés 
dans  un  petit  cénacle  où  fréquentaient  Laurent 
Tailhade,  Charles  Viguier  et  Maurice  Barrés,  mais 
c'est  le  Pèlerin  passionné  paru  en  1891  qui  le 
mit  en  pleine  lumière  et,  considéré  comme  un  chef- 
d'œuvre  du  symbolisme,  fit  de  lui  le  chef  de  cette 
école,  depuis,  il  déchaîna  l'enthousiasme  frénétique 
(le  ses  adeptes  et  obtint  souvent  l'admiration  du 
grand  public  avec  les  Contes  de  la  vieille  France^ 
les  Stances^  et  les  Esquisses  et  souvenirs. 


434  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


JULES  RENARD 


Mort  le  22  mai  1910. 

Il  était  né  à  Ghâlons -sur-Mayenne  le  22  fé- 
vrier 1864.  Il  débuta  dans  les  lettres  avec  un  petit 
volume  les  Roses  ;  puis  s'affirma  tout  de  suite  comme 
un  observateur  prodigieux  des  hommes,  des  bêtes 
et  des  choses  dans  la  nature  :  son  réalisme  minutieux 
excellait  à  évoquer  en  quelques  mots,  en  quelques 
phrases  courtes,  incisives,  des  tableaux  d'une 
extraordinaire  intensité,  et  ce  furent  :  Crime  de 
village^  Sourires  pinces^  T Ecornifleur,  Coquecigrues^ 
qui  le  révélèrent  au  grand  public,  puis  Poil  de 
Carotte  dont  le  succès  fut  prodigieux  et  mit  Jules 
Renard  en  pleine  lumière,  assurant  désormais  l'at- 
tention et  la  sympathie  du  public  à  ses  œuvres  :  les 
Bucoliques^  les  Histoires  naturelles  et  plus  récem- 
ment   Ragotte. 

Au  théâtre,  il  fit  représenter  outre  Poil  de  ca- 
rotte^ le  Plaisir  de  rompre^  le  Pain  de  ménage. 

Il  faisait  partie  de  l'Académie  Goncourt  où  il 
avait  succédé  à  Huysmans. 


QUELQUES    DISPARUS  435 


EDOUARD  ROD 

Mort  le  29  janvier  1910. 

Il  était  né  à  Nyon  sur  les  bords  du  Lac  Léman, 
le  31  mars  1857.  Pendant  six  ans,  professeur  à 
Genève  il  vint  ensuite  s'installer  à  Paris.  Il  ne  de- 
vait plus  désormais  quitter  la  France,  sa  patrie 
d'élection,  qui  le  considère,  à  juste  titre,  comme 
une  de  ses  gloires  littéraires. 

Pendant  toute  sa  vie,  et  si  l'on  excepte  le  temps 
extrêmement  brillant  de  ses  débuts,  celui  de  la 
Vie  de  Michel  Teissier,  sa  renommée  fut  bien  iné- 
gale à  ses  mérites.  Il  vivait  volontairement  ren- 
fermé, obscur,  ne  cultivant  pas  sa  gloire,  acharné  à 
un  labeur  incessant  qui  nous  a  valu  une  oeuvre  con- 
sidérable où  rien  n'est  indifférent  et  dans  laquelle 
les  Roches  blanches^  V Indocile,  V Ombre  s^ étend  sur 
la  montagne,  Aloys  Valerien,  sont  des  romans  de 
premier  ordre  et  qui  resteront. 


436  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


LÉON  TOLSTOÏ 

Mort  le  16  novembre  1910. 

Né  à  Yasnaïa-Poliana,  le  28  août  1828,  il  était 
entré  vivant  dans  la  légende  et  les  dramatiques  cir- 
constances qui  précédèrent  et  accompagnèrent  sa 
mort,  annoncée  d'abord  faussement,  pour  survenir 
quelques  jours  après,  accentuent  encore  le  caractère 
légendaire  de  cette  carrière  prodigieuse  qui  place 
Tolstoï  à  côté  des  héros  intellectuels  de  l'histoire  de 
l'humanité. 

Quelques  dates  dans  cette  longue  existence,  quel- 
ques titres  parmi  cette  œuvre  immenfee.  Le  premier 
ouvrage  de  Tolstoï  qui  fut  remarqué  s'appelle  les 
Cosaques  et  fut  publié  en  1855,  et  c'est  ensuite,  à 
travers  un  demi  siècle  la  Guerre  et  la  Paix^  Anna 
Karénine^  la  Sonate  à  Kreutzer^  Une  confession^ 
la  Mort  dUvan  Ilgihet,  la  Puissance  des  Ténèbres^ 
Résurrection. 


QUELQUES    DISPARUS  437 


MARK  TWAIN 

Mort  le  20  avril  1910. 

Il  était  né  en  1835.  Ses  œuvres  humoristiques 
ont  pendant  un  demi-siècle  enchanté  et  déridé  le 
nouveau  monde  et  le  vieux  continent  ravi  des 
fumisteries  si  profondes,  si  amusantes,  parfois  gros- 
ières,  et  parfois  géniales  de  l'auteur  de  V Eléphant 
blanc  volé^  de  la  Grenouille^  des  Innocents  en  çoyage^ 
(les  Aventures  de  Tom  Sawyer^  d^Un  Yankee  du 
Connecticut  à  la  cour  du  roi  Arthur^  et  de  bien  d'au- 
tres choses  écrites  par  lui  au  cours  d'une  vie  singu- 
lièrement aventureuse. 


438  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


ALBERT  VANDAL 

Mort  le  30  août  1910. 

Il  était  né  le  7  juillet  1853.  Sa  carrière  est  un  bel 
exemple  d'harmonie  et  de  fidélité  depuis  le  moment 
où  il  triompha  comme  lauréat  d'histoire  au  Con- 
cours général  jusqu'à  celui  où  il  pénétra  à  l'Aca- 
démie Française  avec  son  bagage  d'oeuvres  histo- 
riques remarquables  qui  lui  avait  valu,  quelques 
année  savant  déjà,  le  grand  prix  Gobert  récompen- 
sant par  deux  fois  son  grand  ouvrage  Napoléon  I^^ 
et  Alexandre  /®^.  Dans  son  œuvre  d'une  haute 
tenue  littéraire  d'une  très  forte  érudition,  on  garde 
le.  souvenir  de  Louis  XV  et  Elisabeth  de  Russie^  le 
Pacha  Bonneçal,  une  Ambassade  française  en 
Orient  sous  Louis  XV ^  les  i^oyages  du  Marquis  de 
Nointel,  et  enfin,  VA  çènement  de  Bonaparte. 


QUELQUES    DISPARUS  439 


VICOMTE    E.-M.    DE    VOGUÉ 

Mort  le  24  mars  1910. 

Il  était  né  en  1848  à  Nice.  Issu  d'une  vieille  et 
noble  famille  de  l'Ardèche,  il  débuta  dès  l'année 
1875  par  le  récit  de  ses  voyages  en  Orient  publiés 
à  la  Reçfue  des  Deux  Mondes  ;  puis  ce  fut,  en  1877, 
une  nouvelle:  Vanghéli  et  Jean  d'^Agrève  dont  le 
succès  fut  très  vif  et  que  trente  ans  passés. n'ont 
pas  fait  oublier. 

Il  commença  ensuite  la  série  de  ses  études  sur 
les  grands  écrivains  russes,  sur  Tourguénef,  Gogol, 
Tolstoï,  Dostoïevski,  études  qui  consacrèrent  sa 
renommée  et  par  quoi  il  restera  plus  particulière- 
ment dans  l'histoire  littéraire  du  xix®  siècle. 

L'œuvre  qu'il  publia  en  1856  sur  le  Roman  russe 
eut  en  effet  un  très  grand  retentissement  et  l'on 
peut  soutenir  qu'il  n'a  pas  peu  contribué  au  mou- 
vement russophile  de  la  fin  du  siècle  dernier.  Deux 
ans  plus  tard  il  entrait  à  l'Académie  Française  où 
il  resta  plus  de  vingt  ans  pendant  lesquels  il  publia 
Souvenirs  et  visions,  Spectacles  contemporains^  Heu- 
res d'histoire^  Devant  le  siècle^  Histoire  et  poésie  et 
des  romans  :  Les  morts  qui  parlent^  le  Rappel  des 
ombres^  le  Maître  de  la  mer.  Entre  temps  il  donna 
diii  Figaro  des  chroniques  étincelantes  et  profondes 
dont  le  succès  fut^éclatant.  ' 


CONCOURS  &  PRIX 

LITTÉRAIRES 


CONCOURS  ET  PRIX  LITTÉRAIRES 


LE  PRIX  GONGOURT 

Le  8  décembre  1910  l'Académie  Goncourt  com- 
posée de  MM.  Léon  Hennique,  président,  Elémir 
Bourges,  Lucien  Descaves,  Léon  Daudet,  Gustave 
Geffroy,  Paul  Margueritte,  Octave  Mirbeau,  J.  et 
H.  Rosny,  et  M^^^  Judith  Gautier  a  attribué  son 
prix  annuel  de  cinq  mille  francs  à  M.  Louis  Per- 
ofaud  pour  son  livre  De  Goupil  à  Margot^  dont  il 
l'st  question  dans  une  autre  partie  de  cet  ouvrage. 

M.  Louis  Pergaud,  originaire  de  la  Franche - 
Comté,  est  un  jeune,  il  est  âgé  de  vingt-huit  ans 
et  exerce  dans  la  banlieue  parisienne  les  fonctions 
d'instituteur  primaire;  le  livre  qui  lui  vaut  cette 
consécration  si  flatteuse  et  si  enviée,  est  son  pre- 
inif'i»  <,i!\-p;.c_f..  :  lin"  b^lU'  (*;nTipr('  sVhivîY'  sans  doute 


444  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 

devant  lui.  Les  voix  des  académiciens  s'étaient 
divisées  aux  premiers  tours  entre  MM.  Guillaume 
Apollinaire,  Roupnel  et  Poinsot,  M^^^s  Marguerite 
Audoux  et  Colette  Willy. 


CONCOURS    ET    PRIX    LITTÉRAIRES  445 


LES  PRIX  «  VIE   HEUREUSE» 

Les  Femmes  de  Lettres  qui  composent  le  jury 
du  prix  «  Vie  Heureuse»  ont,  dans  leur  séance  du 
2  décembre  1910  décerné  le  grand  prix  annuel  de 
cinq  mille  francs  à  M^^^®  Marguerite  Audoux,  pour 
son  roman  Marie-Claire. 

Marie-Claire  est  analysé  dans  une  autre  partie 
de  ce  volume  et  l'on  connaît  la  touchante  et  mer- 
veilleuse aventure  de  son  auteur  :  une  humble 
couturière  sans  culture  qui  menacée  de  perdre  ses 
yeux,  incapable  presque  d'exercer  son  métier,  se 
mit  tout  à  coup,  sans  arrière  pensée  poussée  par  je 
ne  sais  quel  démon,  à  écrire. 

Le  prix  Vie  Heureuse  de  mille  francs  destiné  au 
meilleur  ouvrage  d'érudition  de  littérature  ou  d'his- 
toire a  été  décerné  à  M.  Daniel  Halévy  pour  son 
livre  la  Vie  de  Frédéric  Nietzsche^  analysé  lui  aussi 
dans  une  autre  partie  de  cet  ouvrage. 

Le  troisième  prix  Vie  Heureuse,  d'une  valeur 
de  500  francs,  destiné  au  meilleur  ouvrage  fran- 
çais d'assistance  et  de  sociologie,  a  été  attribué  à 
M.  Louis  Arnould,  professeur  à  la  Faculté  des  Let- 
tres de  Poitiers,  pour  son  beau  livre  Ames  en  prison. 

Enfin,  le  prix  des  manuscrits,  grâce  auquel  tel 
ouvrage  remarqué  est  édité  par  les  soins  de  la  Vie 
Heureuse,  a  été  remporté  par  M^^®  Marie  Lenéru, 

26 


446  LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 

auteur  des  Affranchis.  Cette  pièce,  d'idée  et  de 
pensée  profondes,  d'une  haute  tenue  littéraire  a 
eu,  on  le  sait,  un  retentissement  considérable. 

Le  Jury  était  présidé  par  M^^  la  Duchesse  de 
Rohan. 


CONCOURS    ET    PRIX    LITTÉRAIRES  447 


LE   PRIX   NATIONAL  DE  LITTÉRATURE 

Le  prix  de  Rome  (prix  national  de  littérature) 
était  cette  année  le  prix  national  de  poésie  décerné 
tous  les  deux  ans  par  un  comité  que  préside 
M.  Emile  Blémont.  Il  a  été  attribué  à  M.  Maurice 
Le  vaillant,  un  jeune  poète  né  en  1883  et  qui  sort 
de  l'Ecole  Normale,  pour  son  recueil  le  Temple 
intérieur  où,  loin  de  se  réfugier  dans  un  passé 
lointain  et  disparu  il  chante  la  vie  moderne  jusque 
dans  ses  inventions  les  plus  récentes,  où  il  analyse 
avec  beaucoup  de  délicatesse  et  de  sens  philoso- 
phique ses  propres  sentiments.  Poète  heureuse- 
ment doué,  habile  à  évoquer  de  somptueuses  ima- 
ges il  avait  publié  déjà  le  Miroir  d'étain^  poème 
antique  où  il  avait  évoqué  en  des  vers  charmants 
IVxistenre  familion^  et  pittoresque  des  Grecs. 


448  LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


LE  PRIX  SULLY-PRUDHOMME 

La  Commission  instituée  pour  l'attribution  du 
prix  Sully-Prudhomme  et  qui  se  compose  de 
MM.  Désiré  Lemerre,  Auguste  Dorchain,  Albert- 
Emile  Sorel  et  Hémon,  exécuteurs  testamentaires 
du  poète  a  désigné,  en  1910,  M.  René  Bardet  auteur 
du  recueil  la  Vieille  Maison. 

M.  René  Bardet  qui  a  mis  en  épigraphe  de  son 
livre  ce  vers  de  Henri  de  Régnier  : 

Le  temps  passe  ;  tout  fuit  ;  les  choses  sont  fidèles, 

est  un  disciple  de  François  Goppée,  plus   vigou- 
reux peut-être  et  plus  nerveux. 


INDEX  ALPHABËTTQIJE 


A 

Abélard 253 

Abnour  (Contre -amiral 

d') 50 

Acker(Paul) 48,168 

Ackermann  (Madame).       90 

Adam  (Paul).      20,261,264, 

342 

TEren  thaï  (Corn  te  d')...     256 

Agrippine   359 

Aicard(Jean) 312,382 

Aigueperse 48 

Albert  (Henri) 335 

Albert  (Marcellin  ) 255 

Albinet  (Félix) 334 

Alexandre  (Prince) 266 

Alexandre    1er 94     43g 

Allard(Léon) 421 

Allart(  Horten.se) 207 

Aimeras  (H.  d') 169 

Alphonse  XIII 90 

Alton  (Aimée  d')...     18,  54 

Amiot  (G.) 103 

André  (Louis) :{60 


Andrillon  (Henri) 15 

Angelico  (Fra) 267 

Anjou  (Renée  d') 86 

Anne  d'Autriche 153 

Annibal 384 

Annunzio  (Gabriele  d' ) .  222 

Anstey(F.) 295 

Anthouard  (Baron  d') . .  382 

Apollinaire  (Guillaume)  421 

444 
Arène  (Emmanuel)     298,  423 

Aristippe  le  Girénaïque.  62 

Arjuzon  (Comtesse  d').  261, 

335 
Arlincourt    (Vicomte 

d') 52 

Armaingaud  (Doctjur).  129 

Arnaud  (Raoul) 383 

Arndt 10 

Arnould  (Louis) 445 

Arschot  (Comte  d') . . . .  15 

Artagnan(d') 337 

Arthénice    411 

Artois  (Comte  d') 365 

Artzybachev  (Michel) . .  379 

Aubert(L.) ir>9 

•^6. 


450 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Aubier   (Fernand)     128,  334 

Aubigné  (Aggripa  d'). .  53 

Aubin  (Eugène) 88 

Audigier  (Camille) 191 

Audoux     (Marguerite) 

344,  444,  445 

Auge-Chiquet  (Mathieu)  15 

Augier  (Emile) 217 

Aumale(ducd') 76,214 

Auriol  (Georges) 295 

Auteur  d' «Amitié  amou- 
reuse»      275 

Avenel  (Vicomte  Geor- 
ges d') 43 

Aymard  (Capitaine). . .  335 

Aymès  (Noël) 130,  383 

Azco  (Jean  d') 128 


Bac  (Ferdinand) 412 

Bachelin  (Henri) 334 

Baïf  (Jean-Antoine  de) .  15 
Baillehache     (Comtesse 

de)   318 

Bailly  (Auguste) 168 

Balde   (Jean) 354 

Baldensperger  (F.) 261 

Balzac  (Honoré  de)  .  .  54, 

267,  324,  383,  423 

Banville  (Théodore  de) .  423 

Barail  (Général  du) 36 

Baratier     (Lieutenant- 
colonel)   169 

Baraude  (Henri) 422 

Barberina      Campanini 

(La)   387 

Barbey  d'Aurevilly 324 

Bardet  (René)...".....  448 

Bardoux  (Jean) 86 


Barine  (Madame  Arvè- 

de)   8 

Barracand  (Léon) 261 

Barraud  (Docteur  Jean),  129 

Barrés    (Maurice) ....  129, 

151,  170,  265,  305,  360 

383,   422,  433. 

Barret  (Emile) 128 

Barrett  (Frank) 128 

Barrière  (Théodore). . .  282 
Barri  eu    (Alexandre - 

Raymond) 298 

Barrucand  (Victor) ....  421 

Barry  (Léon) 184 

Barry  (Madame  du)...  411 

Bartet  (Madame) 103 

Barthélémy 221 

Bary  (Maxime  de) 419 

Basset  (Serge) 383 

Batifîol  (Louis) 152 

Batz  (Baron  de). 214 

Baudelaire  (Charles).    54,164 

Baudin  (Pierre) 92 

Bazin  (René) 63,191 

Béarn  (Andrée) 235 

Beaume  (Georges).     71,168, 

380 

Beaumont  (Pauline  de)  207 

Beaunier   (André)     206,  262 

Beaupuy 88 

Bellaigne  (Camille) 170 

Bellay  (  Joachim  du) ...  411 

Bellegarde  (Adjudant).  298 

Bsllessort     (André)     1.  335 

Benetti  (Pascal) 262 

Bérard  (Victor) 251 

Berger  (Cyril) 347 

Berger   (Madame   Lya) 

170,  334 

Bergerat  (Emile) 15 


[NI>EX    ALPHABÉTIQUE 


451 


Bergson 131 

Bernadette 118 

P.ernard  (Emile) 215 

Bernard  (Jean) 88 

Berry  (duc  de) 365 

Berry  (Duchesse  de). . .  130 

Bertaut  (Jules)....      50,  54, 

298,  383 

Bertaux(E.) 383 

Berthelot 122 

Bertheroy  (Jean) 353 

Berthier' (Général)     16,  298 

Bertillon   108 

Berlin  (Emile) 378 

Bertin  (Georges- Eugène) 

215 

lîerton  (Claude) 260 

lîorton   (Madame   Thé- 

rèze) 401 

Bertrand 122 

P)ertrand  (Alphonse) . . .  432 

B.ertrand  (Louis) 380 

Bertrand  (Yniold-René) 

294 

Berzeff  (Alia) 86 

Bessonnet-Favre     (Ma- 
dame)   215 

Bidegain  (Jean) 50 

P.ioz  (Jacques  de) 170 

B.igot  (Henry) 142 

B>illard  (Docteur  Max),  422 

B»illot-  (Augustin)     262,  295 

P»inet-Valmer 179 

P. iovès  (Achille) 215 

lîismarck 130 

P.jœrnson    (Bjœrnst- 

jerne) 429 

P>lacco  (Roberto) 168 

Blan vilain    (Madame 

Germaine)    48,  334 


Bleackley  (Horace) 170 

Blémont  (Emile) 447 

Blès(Numa) 335 

Bliard  (Pierre) 335 

Boeghn  (Eugène) 129 

Boehmer 41 

Boglione     (Madam? 

Adrienne)    422 

Bohn  (Madame  A.) 314 

Bois  (Jules)., 262 

Boissière  (Albert)..     48,  277 

Boissy  (Gabriel) 170 

Bojer  (Johan) 192 

Bolivar    37 

Bonald  (de) 324 

Bonaparte  (Pauhne). . .  424 

Bonaparte  (Caroline)..  118 

Bonaparte  (Général)..  155, 

327,  438 

Bonaparte  (Louis) 423 

Bonnal  (Général) 50 

Bonnamour  (George)..  146 

Bonnaud  (Dominique).  335 

Bonnefon  (Jeande) 335 

Bonnefoy  (Antoine)...  170 

Bonneval  (Pacha) 438 

Bordeaux  (Albert) 262 

Bordeaux  (Henry).     171,304 

Borel  (Tony) 215 

Borme 39 

Bosc  (Jean) 360 

Bossert    170 

Bossuet 339 

Boulenger  (Marcel) 181 

Bourdet  (Edouard) 171 

Bourgeois  (Emile) 335 

Bourgeois  (Léon) 15 

Bourges  (Elémir) 443 

Bourget  (Paul) 68, 98, 

146,    208,    256,    262,  383 


452 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Bourgogne  (  Jean  de) . . .  380 

Bourrienne   155,  216 

Boussenard  (Louis) 431 

Boutibonne   (Mademoi- 
selle G.) 382 

Boutié  (Louis) 335 

Bouyer-Karr  (Mademoi- 
selle  V.) 57 

Bovet  (Madame  Marie- 
Anne  de).. 262 

Boyer  (Lucien) 335 

Boyer   d'Agen 129 

Bradley 262 

Branche  (Madame  A.).  202 
Braun    (Lilly,    née    de 

Kretschmann) 17 

Breil  de  Pontbriand  (Vi- 
comte du) 383 

Brémond   (Henri) 171 

Brette  (Armand) 216 

Brézé  (Sénéchal  de)....  221 

Bringer  (Rodolphe) 211 

Brissac  (Madame  de).  .  173 

Britannicus 359 

Brizeux  (Auguste) 384 

Broughton  (Lord) 322 

Bruant  (Aristide) 198 

Bruck  Gilbert  (Paul) ...  366 

Brulat  (Paul) 363 

Brun  (Gh.) 129 

Brun  (E.) 131 

Brunetière   (F.)..     133,  256 

Buisseret  (Georges) ....  171 

Burnichon  (Joseph)...  88 

Buteau  (Henry) 211 

Buxy  (B.  de) 295 

Byram  (Léo) 351 

Byron  (Lord) .     322,  329,  386 


Gabanès  (Docteur)     171,  298 

Gabat   (Augustin) 423 

Gabaton   (Antoine) 262 

Gahuet  (Albéric) 61 

Gaillaux 130 

Gain  (Georges) 263 

GaUiclès 63 

Galmon-Maison    (Mar- 
quis)    114 

Gamedo(R.) 421 

Ganora  .(Jean) 100 

Gapus    (Alfred)..     216,  263, 

268,  384,  423 

Garlyle   (Alexandre)...  341 

Garlyle   (Thomas) 341 

Garoline  (Reine) 411 

Garrel  (Armand) 37 

Gartier  (Ernest) 216 

Gasanova 411 

Gasanova  (Nonce) 394 

Gastaigne  (André) 143 

Gastiglione      (Duchesse 

de) 328 

Gatherine  (La  Grande).  94 

Gavaignac  (Eugène). . .  423 

Gaylus  (Duc  de) 130 

Gazes  (E.) 171 

Gellamare   9 

Gervantès    ......     104,  296 

Ghaffiol  (Fernand) 216 

Ghailley   (Joseph) 79 

Ghaillou    du    Gœurjoli 

(Marins) 363 

Ghalus    (Françoise    de, 
Duchesse  de  Narbon- 

ne-Lara)    321 

Ghambord  (Gomte  de).  158 


[NDEX    ALPHABÉTIQUE 


453 


Ghambrier  (Madame 
Alexandre    de) 

Chantavoine  (Henri) . . . 

Chantavoine   (Jean) . . . 

Chantepleure  (Guy)... 

Chantre  (Ami) 

Chapelle   (Madeleine).. 

Chaponnière  (Paul) 

'''harcot  (Jean) 

lardenel  (V.-B.) 

v^iiarles  (Ernest) 

Charles  IV  de  Lorraine . 

Charles  VII 

Charles  IX 

Charles  X 130, 

Charlotte   Corday 

Charmain  (Armand). . . 

Charriaut  (Henri) 

Charrier  (Pierre) 

Chasteaumorand  (Diane 
de)   

Chateaubriand 52, 

219,  261,  424 

Chateaubriand    (Mada- 
me de) 

Chaumont  (Magdeleine) 

Chéret  

Chervet  (Henri) 

Chesnelong  (Charlfs).. 

Chevalier  (Emile) 

Chèvremont  (Paul  de) . . 

Chevrillon  (André) 

Chigot  (Eugène) 

Choderlos  de  Laclos . . . 

Choiseul  (Duchesse  de) 

Christine  de  Suède. . . . 

Chuquet  (Arthur)..     16, 
298, 

ouii   (Albert) 

Circassienne  (Une) 


Clairon  (La) 

4?,3 

336 

Claretie  (Georges) 

423 

145 

Glaretie    (Jules)..     16, 

286, 

171 

298 

366 

350 

Clémence  Isaure 

219 

263 

Clermont   (Emile)..     1^ 

t,    49 

374 

Clifîord    Barney    (Ma- 

130 

dame  Natalie).     216, 

263 

423 

Clouard(  Henri) 

423 

263  ■ 

Clouet   (François) 

291 

123 

Clouzot  (Henri) 

263 

119 

Cocuaud  (Camille).     262 

,423 

221 

Cogners  (Marquis  de). . 

417 

221 

Colomb   (Félix)..     171, 

336 

366 

Colson  (Albert) 

336 

169 

Combe  (T.) 

421 

421 

Comert  (Marguerite) . . . 

95 

204 

Comminges  (Comte  de) 

327 

423 

Conan   Doyle.     33,    49, 

212 

Couard  (Pierre) 

171 

11 

Concini    

152 

206, 

Condé  (Le  Grand) 

8 

Conrad  (Joseph) 

86 

Cons    (Louis) 

130 

412 

Constantin  (Yves  de). . 

298 

362 

Coppée     (François) . . . 

263, 

213 

338, 

448 

134 

Coquiot    (Gustave) 

295 

216 

Corbier    (Désiré) 

384 

260 

Corday   (Michel).     243, 

260, 

171 

280 

336 

Cornet   (Capitaine.)... 

50 

132 

Cornu    

122 

383 

Corrard    (Pierre) 

107 

113 

Corrège    

416 

411 

Corthis  (André) 

302 

119, 

Costils   (Docteur   l'raii- 

423 

çois  de) 

216 

130 

Couprine  (A.) 

260 

421 

Courson  (Vicomte  de). . 

336 

LE     MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Courouble  (Léopold) ...  69 

CourtelineJG.) 15 

Coussange  (Jacques  de}  45 

Couvreur  (André) 245 

Coynart  (Ch.  de) 88 

Cradock  (Madame) 425 

Crastre  (François) 263 

Crinon( Docteur  .T.) 298 

Cromer  (Lord) 263 

Cronier  (Gaston) 141 

Cunéo  d'Ornano  (Lieu- 
tenant-colonel)    263 

Curie    122 

Cuvillier-Fleury  ...     76,  214 

Cuzance  (Béatrix  de)..  119 


Dacre  (Fernand). . 49 

Dagoury  (Madame  L.).     202 

Daireaux  (Max) 233 

Dalîoz    130 

Damad  (Marianne) 357 

Danrit  (Capitaine).     128,313 

Danton   217 

Darboy  (Monseigneur).     287 

Dasté  (Louis) 263 

Daudet  (Alphonse) 165 

Daudet  (Ernest).     49,59,93, 
365 
Daudet  (Léon)...      97      443 
Daudet    (Lucien-Al- 
phonse)        234 

Dautremer  (Joseph). . .  51 
Dauzat  (Albert)...  84,  263 
Davray  (Henry)..     212,  297 

Debraux  (Emile) 130 

Debrol  (Marc) 106 

Decaen   (Général) 153. 

Decazes  (Duc) 365 


Delahache  (George).     9,  299 
Delarue-Mardrus  (Lu- 
cie)        26,    182,  384 

Delcamp  (André) 86 

Deletang  (Marie) 296 

Delly   198 

Delorme   (Philibert)...  263 
D  e  Ip  h  i  n-B  a  1 1  e  yg  n  i  er 

(Madame) 425 

Delplanque  (Albert)...  263 

Delteil  (Léo) 216,  218 

Delzons  (Louis) 239 

Denis  (Georges-A.) 296 

Derosne   (Bernard)....  295 

Derrécagaix  (Général)  .  263 

Derys  (Gaston) 423 

Desaix  (Général) 423 

Descaves  (Lucien) 443 

Deschanel  (Paul) 88 

Deschaumes  (Edmond).  72 

Desmoulin  (Jean-Paul).  317 

Dessoubre  (Henri) 128 

Dhur  (Jacques) 191 

Dide  (Auguste) 369 

Diderot 41,    121,  340 

Dierauer  (Johannès). . .  336 

Dilecta  ., 411 

Dino  (Duchesse  de) ....  157 

Doderet  (André) 249 

Dodillon  (Emile) 384 

Dombre   (Roger)...     48,   49 

Donat(Marc) 296 

Donatello    383 

Donnadieu    40 

Dorchain  (Auguste)     384,  448 

Dormier  (Charles) 380 

D'or  Sinclair  (J.) 381 

Dostoïewski    439 

Doucet  (Jérôme)..     14,  296 

Doumer   (Paul) 423 


M.l'HABETIQUE 


I  iiiem 340 

Drouhet  (Charles) 16 

Dubois  (Cardinal) 335 

Dubois  (Marcel) 263 

r)ul>oscq  (André).     112,  423 

1 -asse-Harispe    212 

ichesne  (E.) 328 

ichesne  (Monseigneur 

L.)    88 

idit     (Madame     Isa- 
belle)      299 

ilac  (Odette); 396 

Uumas  (Alexandre)     267,  337 
Dumas  (Alexandre,  fils) 

136,  137 

amont- Wilden(L.)...  299 

Dumoulin  (Maurice). . .  417 

Dumur   (Louis) 281 

Dunan  (Charles) 384 

Dupanloup   (Abbé)..,..  79 

Dupuis  (Jean) 216 

Dupuy  (Ernest) 130 

Dupuy   (Emile).. .     16,  266 

Duquesnel  (Félix) 31 

Durand    (M^ie  Yvonne)  380 

Durandy  (Dominique).  312 

Duras  (Duchesse  de) . . .  52 

Dutacq  (  François) 216 

Duvernois  (Henri)     229,  421 
Ml  vivier  (Madame  Ma- 
deleine)     i* 


louard  VU 252 

Éléonore   411 

Eliot   (Georges) 315 

Elis   (Georges) 384 

Eljc.KoM,    (Madame)..  67, 

93,  173 


Ehsabeth    (Impératrice 

de  Russie) 94,  438 

Elsie 341 

Epicure  385 

Epinay  (Madame  d') . . .  113 

Epuy  (Michel) 169 


Erckmann-Chatrian  . . . 

Espitalier   (Albert) 

Estaing  (Amiral  d') 

Etat-Major  de  l'Armée 
(Section  historique  de 

l')   

Etat-Major  général  de  la 
marine  japonaise  . . . 

Eugénie  (Impératrice)  . 
157, 

Evans  (Docteur  Tho- 
mas W.  ) 


150 
264 
114 


17 

384 
18, 
328 

156 


Evrard  (Eugène  ) 424 


Fabre   (Ferdinand) 49 

Faguet  (Emile).     18,90,171, 
216,  424 

Faral   (Edmond) 88 

Farrère  (Claude)  . .     135,  282 

Fauchier-Magnan 264 

Faucigny-Lucinge  (Ma- 
dame A.  de,  née  Choi- 

seul-Gouffîer)    51 

Faustinc    411 

Faye 122 

Fechner 131 

Féhx    Faure-Goyau 

(Lucie) 216 

Femme  Curieuse  (  Une  ) .     172 

Fénelon 132,  171 

26:;.  383 
Fennebresqu*' 264 


456 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Feodorovna  (S.  M.  Ma- 
ria)    50 

Ferdinand  de  Bulgarie.  51 

Ferrero  (Guglielmo). . .  255 

Fersen  (Comte  de) 388 

Feuillâtre  (Paul) 424 

Feuillet  (Madame  Emi- 
lie)     384 

Feuilloy  (Georges) 262 

Fillay  (Hubert) 128 

Filon  (Augustin) 130 

Fischer  (Baron  Léopold 

de)   172 

Flamant  (Paul) 296 

Flammarion  (Camille).  126 
Flaubert  (Gustave).  29,  141 
Fleischmann  (Hector).  88, 
130,  217,  288,  424 
Fleurigny  (Mademoi- 
selle Blanche  de) 13 

Fleury 328 

Fœmina 375 

Folacci  (Dominique) ...  170 

Foley  (Charles) 187 

Forestier  (Mademoiselle 

Julie) 373,  412 

Formont  (Maxime)     147,  380 

Fort  (Paul) 424 

Fortin  (A.) 297 

Fouché    118 

Foulon  de Vaulx  (André)  217 

Fouquet 386 

Fouquier-Tinville 288 

Fouquières   (André  de)  292 

Fournier  (Armand)  . . .  322 

Foville  (Jean  de)..     73,  416 

France  (Anatole) 50 

France  (Frédéric  de) . . .  264 

Franc-Nohain 272 

François  I^r 43 


Frapié    (Léon) 86,  1 

Frédéric  (le  Grand) 3 

Frédéric  II 

Frémeaux  (Paul) 4 

Fremiet  (E) l 

Frémont    (Abbé    Geor- 
ges)   

Fribourg   (André) 2 

Funck-Brentano 2 


Gâchons  (Jacques  des).     2 

Gahisto  (Manoel) 3 

Gaiffe   (F.) i 

Gail  (François  de) . .     87,2 
Gaillard   (Alphonse)... 
Gaillard    de    Champris 

(Henry) ■> 

Galba 3 

Galipaux  (Féhx) 2 

GaHiéni  (Général) 1 

Galliffet  (Général  de)..  2,' 

3 

Galopin  (Arnould)     128,  2 

Garros  (Paul  de) 4 

Gaubert  (Ernest) 2 

Gaubert    Saint-Martial 

(Raoul)   

Gaultier  (Paul) 1 

Gautherot   (Gustave)..  2 
Gauthier  (Madame  Ju- 
dith)    4 

Gauthiez  (Pierre) 1 

Gautier  (E. -F.) 3 

Gay  (Delphine)..     266,  4 

Gay  (Sophie) 2 

Gazanion  (Edouard). . .  c 

Gebhart  (Emile) 3 


INDEX    ALPHABETIQUE 


t57 


Gefïroy  (Gustave) 443 

Geiger  (André) 403 

Gendarme   de   Bévotte 

(Georges) 424 

Genin  (Auguste) 89 

Geoffrin  (Madame) 9 

Gennepp  (A,  Van) 17 

Georges  (Marcel) 381 

Gérard  (Léon) 424 

Gérard  (Madeleine) 260 

Géraud  (Edmond) 114 

Germain  (José) 217 

Gide  (André).. 89 

Gignoux  (Régis) 344 

Gilbert  (Marion) 34 

Gimié  d'Arnaud  (Louis)  190 

Ginisty  (Paul) 89 

>irardin  (Emile  de) 219 

jirardin  (Madame  de).  267 

Girardin   (J.) 334 

Giraud  (Victor) ...     89,  424 

Giubega  (Laurent) 298 

Glaser  (Ph.  Emmanuel)  172 

Gobineau 251 

Gœthe 130,  319 

Gogol 439 

Gojon  (Edmortd) 172 

Golovine  (Comtesse,  née 

Princesse  Galitzine).  93 

■  Concourt  (Ed.  de) 165 

f  Concourt   (Edmond   et 

Jules   de).     139,    398,  443 

Goriainow  (Serge) 217 

Gorki  (Maxime) 32 

Goron   334,  422 

Got  (Edmond) 82,  172 

Got   (Médéric) 82,  172 

Gouges  (Olympe  de) . . .  39 

Gounod 170 

Gourmont(Rémyde).169,424 


Goût  (Paul) 414 

Grabovski 16 

Grand    (Madame) 78 

Grand-Carteret  (John).  90, 
218 

Granville 264 

Grasset  (Docteur).     264,  424 

Gréard 122 

Green  (A.-K.)....     212,  381 

Gregh  (Fernand) 218 

Gregorovius  (F.) 385 

Greuze 411 

Gros(Donatela) 223 

Gros   (Gabriel- Joseph).  173 

Grun    283 

Gubernatis  (Angelo  de).  133 

Guérin  (Eugénie  de) . . .  299 

Guérin  (Maurice  de)  219,  299 

Guesviller  (Gustave) ...  86 

Guiches  (Gustave) 196 

Guignebert  (Charles)..  12 

Guillaume  (G.) 17 

Guillaume  (James) 131 

Guillaume  (  Lieutenant) .  385 

Guillon  (Edouard) 325 

Guillot  de  Saix 301 

Guillou  (Robert) 422 

Guinon  (Albert) 432 

Guitet-Vauquelin  (Pier- 
re)      189 

Guitry  (Sacha) 17 

Guizot 216 

Guyon  (Madame) 411 

Guyot-Desherbiers 417 

Gyp 86,  164,  197 


H 

Haie vy  (Daniel). 
Hallays  (André), 


. . .     445 
299,  425 

27 


458 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Halpérine-Kaminsky  . .  256 

Hamilton    264 

Hamilton  (Lady) 264 

Hanotaux  (Gabriel) ....  382 

Han  Ryner 334 

Harry  (Myriam) 385 

Hartmann  (Lieutenant- 
colonel)   17 

Haumgard  (Louis) 337 

Hauser  (Gaspar) 19 

Hauser  (Ph.) 131 

Maussct  (Madame  du).  320 

Haussonville  (Comte  d')  255 
Havard  de  la  Montagne 

(Robert)    212 

Havet    90 

Hearn   (Lafcadio) 385 

Hegel 131 

Meineken   (Adiienne)..  90 

Héloïse 253,  411 

Hémon 448 

Henckens(E.  F.  C.  A.).  300 

Henckens  (Lieutenant).  299 

Hennique  (Léon) 443 

Hepp  (Alexandre) 51 

Hérelle  (G.) 149 

Hermann  (Le  Grand). ,  82 

Hermant    (Abel)...!..  224 

271,  401 

Hermite 122 

Herriot  (Edouard) 386 

Heurkelom 424 

Heywood    (J.)...     296,  381 

Hill  (Demarès  de) 168 

mil   (Headon).. 34 

Hinzelin  (Emile) 330 

Hirsch  (Charles- Henry)  392 

Hoche  (Général) 423 

Hocquart  de  Turtot. . .  131 

Hogier(  Hector) 90 


Hohenlohe  (Prince  Glo- 

visde) 19 

Holbein 174 

Hollanda( Francisco  de).  385 

Homère 184,  423 

Hopkins  ( Johns) 133 

Hornung(E.-W.) 422 

Huchard  (Robert) 385 

Hudson  Lowe 366-409 

Hugo  (Victor).       77,  93,  219 
267,  298,  383,  415,  423 

Hugues  (Clovis) 89 

Hume     (Fergus).     168,  296 

422 

Humières  (Robert  d'). .  86 

Humphry  Ward 169 

Huret  (Jules) 211 

Huysmans  (J.-K.) 164 

174,  434 

Hymans   (Henri),     265,  300 


Ibanez  (Blasco) 149 

Ibsen    46,  429 

Ignace  (Saint) 42 

Ingres 373,  412 

louriévitch  Lermontov 

(Michel) 328 


James  (Wilham) 131 

Jammes  (Francis) 163 

Japy  (Frédéric) 300 

Japy(  Jules) 300 

Jaquet 296 

Jassaud  (A.  de) 422 

Jaurès  164 

Jaurgain  (Jean  de) ... .  337 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


459 


Jeanne  d'Arc 52, 

324 

La  Cartrie  (Toussaint- 

422 

Ambroise  de) 

218 

Jenny  (Henry- Ernest). 

385 

Lacassagne 

171 

388 

LaGhesnais(P.-G.) 

192 

Jobé  (J.) 

300 

Lacombe  (Bernard  de). 

78 

Joinville    

53 
214 

Lacordaire 

355 

Joinville  (Prince  de) . . , 

Lacour   (Léopold) 

130 

Joséphine(Impératrice). 

16 

Lacroix  (Paul) 

340 

367 

,  386 

Lafage  (Léon) 

334 

Joyaux  (E.) 

385 

Laf argue   (Fernand) . . . 

334 

Judet  (Ernest) 

147 

La  Faye  (Jacques  de) . . 

173 

Junius  

125 

Lafont  (Paul) 

219 

Laf  ont  (Renée) 

212 

K 

La  Forge  (R.  G.  de) 

337 

La  Forge  (H.  de) 

337 

Kadoré  (Pierre  de). . . . 

49 

Lagarde  (Gaston  de) . . . 

218 

Kahri   (Théodore) 

128 

Lagerlôf  (Selma)..    .  1, 

297 

Kann  (Réginald) 

385 

La  Hire  (Jean  de) 

422 

Kapnist  (Comte  R.)... 

260 

LaJly-Tollendal    

114 

Kassem  (Sidi) 

265 

Lamartine.     164,     219, 

267 

Keralio    (Madame    Ro- 

299 

bert)  

39 

La  Mazelîère  (Marquis 

Kergorlay  (Comte  Jean 
de)   

■d'M   

51 

337 

Lamballe  (Princesse  de] 

.  19, 

Key  (Mademoiselle  EI- 

173 

,  383 

len) 

45 

Lami  (Stanislas) 

385 

Kipling  (Rudyard)     87, 

422 

Landre  (Madame  Jean- 

Kléber (Général) 

Klein  (Abbé  Félix).... 

423 

ne)   

■1[1 

17 

Lane- Allen    (James)... 

314 

Kozakiewicz 

297 

Lange  (Capitaine) 

Langsdorff  (Baron  de). 

?M 

Kretschmann(Hans  de). 

18 

i;;-j 

Kropotkino  (Pienc).  .  . 

425 

Lannelongue  (Profes- 

seur) ...,'. 

386 

L 

Lanson  (Gustave) 

•^17 

I^anzac  de  Laborie  (de) . 

:.l 

La    iielaiigeraie    (Mau- 

Lapauze (Henry) 

373 

rice)  

1 69 

La  Perrière  (Maurice  de) 
Larcher  (Louis) 

282 

Labbé  (Paul) 

38^ 

519 

Labordf  (Jules) 

104 

Lardy 

216 

Labulin   (Colonel) 

132 

Larmandie  (Léonce  de). 

■j:.n 

460 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


La  Rochefoucauld. . .   95, 164 
La    Roncière    (Charles 

de)   52 

Larreta  (Enrique) 169 

Lassalle 266 

La  Torre  (Jorge  Corre- 

dor  de) 387 

Latreille  (Comte  Albert)       1 8 

Latreille  (C.) 52,  337 

Laumonier  (Daniel)...     150 
Laurent  (Raymond). . .     337 

Lauret  (René) 49 

Laurie   (André) 87 

Lauris  (Georges  de) ... .     169 

Lautrey  (Louis) 173 

Lauvrière  (Emile) 44 

Lâuzun   113 

Laval  (Comte  de) 9 

Lavater  (Jean-Gaspard)       19 

Lavedan    (Henri)..    82,     160 

388 

Lavergne  (Léonce  de) . .     216 

Lavisse  (Ernest) 377 

Leblanc  (Maurice) . .   241, 260 
Leblond    (Marius-Ary).     289 
{^  381 
LeJ Bon  (Docteur  Gus- 
tave)      167,420 

Leclerc  (Jules) 132 

Leclercq  (Jules) 337 

Lecomte  (Georges) 210 

Lécuyer  (Raymond). . .     219 

Lecuyer  (René)..    33,  49, 169, 

422 

Lefebvre  (Alphonse). . .     338 

Lefebvre  ( Jean) 419 

Lefranc  (Abel) 219 

Le  Gay  (Armand) 15 

Legendre  (Docteur  A.- 
F.) 338 


Le  Goffic  (Charles). .     2,  300 

Legrand  (Général) 16 

Legrand-Chabrier 381 

Legrand- Girarde  (Géné- 
ral)    18 

Leguay  (Pierre) 173 

Lelée  (Léopold) 425 

Lehèvre  (Pierre) 300 

Lemaître  (Jules) 132 

Lemerre  (Désiré) 448 

Lemonon  (Ernest) 374 

LeMoy  (A.) 18 

Leneru     (Mademoiselle 

Marie)    445 

Lenoël - Zevort  (Mada- 
me)    386 

Lenoir  (Alfred) 258 

Le  Nôtre  (André) 291 

Léopardi 44 

Leparc  (Suzy) 300 

Leprévost  (Gabriel) 386 

Le  Queux  (William) ...  15 

Leray  (Francis) ... 425 

Le  Rouge  (Gustave) ...  49 

Leroux  (Gaston) 194 

Leroux  (Jules) 386 

Le  Senne  (Emile) 338 

Lespinasse     (Mademoi- 
selle de) 423 

Lesueur     (Daniel).     185-278 

Le  Tasse 411 

Le  Titien 416 

Levaillant  (Maurice).  90,  447 

Level  (Maurice) 422 

Le  Verdier  (Henri) 169 

Lévy  (Arthur) 338 

Lévy  (Paul) 366 

Leyret  (Henri) 173 

Lichtenberger  (André).  66 
226 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


461 


Lilienfeld  (Charles -Gus- 

Madame Royale...  221, 

335 

tave  de) 

. . . 

388 

Madeline(Jean) 

305 

Lionnet  (Jean) 

381 

Maestrati  (Abbé) 

265 

Liselott'e   

411 
171 
411 

Maeterlinck  (Maurice). 

173 
Maigron    (Louis) 

46 

Liszt    

213 

Livry  (Suzanne  de). 

... 

220 

Locuste 

359 

Maigrot  (Henri) 

300 

Lœwy   

. . . 

122 

Mainard  (François) 

16 

Logé     (Marc) 

145-385    1 

Maindron  (Maurice). . . 

212 

Loliée  (Frédéric)... 

220 

Maine  (Duchesse  du) . . . 

8 

Lombroso  (César) . . 

... 

420 

Maintenon(Madamede). 

383 

Londres  (Albert). . . 

90 

Maisonneuve  (Thomas) . 

425 

Longuemare 

339 

Malagola  (Charles) 

90 

Lorrey  (Claude) .... 

386 

Mancini  (Marie) 

423 

Lot  (Henri) 

90 
251 

Mangin    (Lieutenant-co- 
lonel)   

Loti  (Pierre)..   164, 

178, 

339 

305 

Mansard    

291 

Loubon  (Ludovic). . 

. .  . 

220 

Mansvic  (Henri) 

80 

Louis    II    (roi    de 

Ba- 

Mantenay   

220 

vière) ... 

412 

Manuel  (Eugène) 

124 

Louis  XI 

221 

Marbo  (Camille) 

381 

Louis  XIII 

152 

Marbot  (Général) 

298 

Louis  XIV 

339, 
411 

386 
438 

Marc-Aurèle   

44 

Louis  XV 43, 

Marceau  (Général) .     298-423 

Louis  XVI  ...   115 

134 

,  221 

Marcère    (ae) 120-425 

Louis  XVIII 

365 
425 

Maréchal   (Pierre) 

Maréchal  (Docteur  Ph.) 

119 

Louis-Philippe 

... 

118 

Lovinesco   (Eugène 
Lubomirski  (Prince 

18 

Maret  (G.  de) 

212 

Jo- 

Marge  (Pierre) 

386 

seph)    

339 

Margot  (Reine) 

411 

Luce  (Siméon) 

414 

Margueritte  (Paul) .     137-443 

Lucrèce 

44 

Margueritte  (Victor) . . . 

265 

Lunel  (Ernest) 

.  .  . 

339 

Margueritte    (Général). 

301 

Luquet  (Maurice). . 

.  .  . 

260 

Marie-Antoinette,    115, 

173 

Luynes  (Madame  d 

')•• 

173 

Marie  de  France 

263 
217 

M 

Marie  de  Médicis..     152-411 

Marie-Louise    (Impéra- 

Machiavel   

167 

trice)    

424 

Macquard  

298 

Mariel  (Jean) 

91 

462 


.E    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Marivaux 

383 

Ménéval  (Baron  de)... 

367 

Marni  (Jeanne) , 

432 

Mérac  (Paul) 

965 

Marquiset   (Alfred).,.. 

52 

Mercauld  (Charles), . . . 

339 

Martel  (Charles) 

425 

Mercereau  (Alexandre). 

381 

Martel  (Tancrède).     29, 

173 

Mercier  (Sébastien) 

331 

Martin  (Paul-Edmond). 

132 

Meredith  (George) 

371 

Marty  (Félix) 298, 

300 

Meri  Dahdah  (L.) 

170 

Maryllis   (Paul) ,. 

410 

Méri  court    (Theroigne 

Marzac   (Lucien) 

359 

de)   

39 

Mason  (A.-E.-W.) 

275 

Mérimée  (Ernest).     133, 

174 

Maspero  (G.) 

220 

Mérimée  (Henri) 

Mérimée  (Prosper) 

133 

Masque  de  Fer  (Le) .... 

386 

338 

Masson  (Emile) 

341 

Merlet(J.-P.-Louis)  ... 

132 

Masson  (Frédéric).    170, 

218 

Méry  (Claude) 

334 

323 

Mesureur  (André) 

386 

Masson  (Pierre-Marie). 

339 

Mesureur    (Madame 

Masson-Forestier 

386 

Améhe,    née    A.    de 

Mathiez  (Albert)...     52,   91 

Wailly)    

91 

Mathilde  (Princesse). . . 

328 

Méténier  (Oscar) 

260 

Matte  (Louis) 

386 

Meunier  (Stanislas). . . . 

?57 

Maugey  (Irénée) 

18 

Meunier  (Madame  Sta- 

Maugras (Gaston) 

113 

nislas)    

260 

Maupassant  (Guy  de). . 

164 

Meurville  (Louis  de). . . 

332 

Mauprat  (Henri) 

15 

Michaud   (Edouard) . . . 

425 

Maurel  (André) 

91 

Michaut  (G.) 

174 

Maurevert  (Georges) . . . 

213 

Michel   (André) 

415 

Maurras  (Charles) 

265 

Michel-Ange    385, 

416 

Mauzens  (Frédéric). . . . 

309 

Milan  (René) 

199 

May  (Gaston) 

18 

Mille  (Pierre) 49, 

Millet  (Philippe) 

381 

Maybon  (Albert) 

265 

252 

Maygrier  (Raymond).. 

128 

Mirbeau  (Octave).    164, 

344 

Mayol 

340 

443 

Mavra  (B.). . . . . 

275 

Mirepoix  

Mirmand  (Henri  de).. . 

1^8 

Mayrargue  (Lucien). . . 

386 

336 

Mazas 

219 

Mirtel  (Héra) 

387 

Meilhac   

83 

Mirtil  (Marcel) 

91 

Mélia  (Jean) 

132 

Mistral 

305 

Melon  (Joseph) 

220 

Molière 284, 

383 

Menabréa  (Henri) 

87 

Moll.^jWeiss   (Madame 

Mendès  (Catulle).,     15, 

124 

Augusta)  ' 

387 

INDEX    ALPHABÉTIQUE 


i63 


Monod  (Gabriel) 

Monselet   

Montaigne 129, 

Montégut  (Maurice)... 
Montesquieu     (  Comte 

Robert  de) 220, 

Montier  (Edouard).... 
Monts  (Comte  G.  de),.. 
Moréas  (Jean).  170,  387, 

Morian   (Jacques) 

Moriss   

Morisse  (Paul) 

Morny  (Duc  de) 

Moro  (Antonio) 

Mortillet    (  Gabriel    et 

Adrien  de) 

Moselly  (Emila) 

Mouillé  (Charles) 

Mouret  (Fernand) 

Moussac  (Georges  de). . 

Muller  (Charles) 

Murât  (  Joachim) ...   117, 
Murât  (S.  A.  le  Prince). 

Murger  (Henri) 

Musard    

Musset  (Alfred  de)    18,54, 


N 


Xadaud  (Marcel) 

Napoléon  I^r.  33,  37, 
51,  94,  115,  118,  134, 
173,  203,  204,  216, 
264,  322,  325,  320. 
338,  368,  408,  438 

Napoléon  H.  mi  <!,• 
Rome 

Napoléon  III.  158,  20;;. 

Nass  (Docteur  Lucien). 


41 

3^2 
222 
308 

399 
381 
366 
433 
334 
211 
134 
220 
300 

91 
390 
339 
266 
387 
164 
264 
117 
230 
425 
383 
'.25 


300 


Nayral  (Jacques) .... .-.     404 

Nelson 264 

Nesmy  (Jean) 424 

Nesselrode 91 

Ney  (Maréchal) 50 

Niboyer  (Madame  de). .       39 

Niclaud   (Roger) 91 

Nietzsche  (Frédéric). . .       92 
335,  445 

Niewerkerke 328 

Nion  (François  de).     50,297 

Niox  (Général) 220 

Noailles  (Madame   de).     164 

295 

Nointel  (Marquis  de) . . .     438 

Nolly  (Emile) 406 

Norbert  (Willy) 387 

Nordau  (Max) 41 

Normand  (Jacques)...     387 
Normand  (Comte  R.). .       92 

Normandy 297,  425 

Noyer  (Madame  du). . .     387 


O'Connor  (Patrice) 260 

Ohnet  (Georges) < 

Oldmeadow  (Ernest)..  1  i.i 

Olivier  (J.-J.) 387 

Ohvier(Paul) 259 

Oppenheim  (Philipps)  87,  381 

Orczy 405 

Ordener  (Généraux). . ,  90 

Orléans  ( Duchesse  d'  ) . .  1 58 

Oyson ville  (Baron  d') . .  340 

0/;m;nn 355 


366 
:!Hl 


Pailhès  (G.) 

Paladino  (Eusapiat 


464 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


Païva  (Madame  de) 338 

Pallarès(V.) 92 

Palmer  (Fritiof  ) 297 

Pardo  Bazan  (Comtesse 

de) 297 

Paris    131 

Parquin  (Charles) 388 

Pascal  (Biaise)  44,  89, 266, 424 

Patin  (Guy) 3.72 

Paul  1er  (Tsar) 94 

Paul    (Madame    Made- 
leine)         213,   284 

Paulier  (Lieutenant  Vic- 
tor)      153 

Pecci   (Monsignor   Joa- 

chim) 129 

Péguy   (Charles) 52 

Péladan(  Joseph) 92 

Pepé  (Général) 37 

Peraté  (André) 416 

Pergaud  (Louis)..     398,443 

Périer  (Joseph) 220 

Périn  (Georges) 221 

Pernot  (Hubert) 266 

Perrault  (Pierre) 381 

Perrée-Gerpré  (Madame 

Germaine) 297 

Perrin  (Jules) 65 

Persat  (Commandant).       36 

Persky  (Serge) ^.\  32 

Pettit  (Charles) "^149 

Philippe(Charles-Louis).>  177 
Photiadès  (Constantin). ï  371 

Pic   (Pierre) _  372 

Picard    (Lieutenant-co-J.j 

lonel  Ernest) ^  153 

Picard  (Roger) 221 

Pichot  (Pierre-Amédée)     218 
Pidal   (Ramon_j^Menen- 
dez^   '1133 


Pie   X 

Piépape  (Général  de).. 

Piérard  (Louis) 

Piéron  (Henri) 

Pilon  (Edmond)..     221, 

Pinturicchio   

Pirandello  (Louis) 

Pirenne  (Henri) 

Piron 

Pisani(LeP.) 

Plattard  (Jean) 

Plutarque   

Pocé  (Cyriaque  de) 

Poë  (Edgard) 188, 

Poincaré  (H.) 

Poincaré  (R.) 

Poinçon    (E.) 

Poinsot(C.).  297,381, 
Poiré  3    (  Charles  -  Ra  - 

phaël)    

Poizat   (Alfred) 

Polignac  (Madame  de). 
Pomairols  (Charles  de). 

Pomaré  (Reine) 

Pompadour     (Marquis 

de) 

Pompadour    (Madame 

de)   

Pons  (Mademoiselle  de) 
Pontbriand     (  Monsoi  - 

gneur  de) 

Postel  du  Mas  (Albert) . 
Pottecher  (Maurice)... 
Poumiès  de  la  Siboutie 

(Docteur)    

Pourot   (Paul) 

Pourtalès  (Guy  de) 

Povolozky   (Jacques).. 
Prévost   (Marcel).     87, 
205, 


221 

8 

293 

46 
290 
416 
142 
161 
130 
339 

53 
154 

87 
317 
122 
423 
339 
444 

425 
300 
173 
24 
425 


320 
335 

383 
356 
174 

202 
133 
213 
380 
190 
383 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


465 


Price  (Georges) 

213 

Rémon 

260 

Prouille    (Marcel).     92, 

339 

Renard  (Jules) 

434 

Provins  (Michel) 

87 

Renaud  (Joseph) 

405 

Puyrenier  (Antony) . . . 

300 

Renel  (Charles) 

334 

Rengale  (Docteur  Jules) 

128 

Q 

Reischal  (Antonin) 

334 

Resclauze  de  Bermon . . 

68 

Quantin  (Albert) 

188 

Rességuier  (Jules  de). . 

219 

Queillé 

266 

Retté  (Adolphe) 

388 

Qiiiller  Couch 

260 

Reure  (Chanoine  O.-C.  ) . 

11 

Qiiinel   (Charles) 

283 

Réval  (Gabrielle) 

306 

Quirielle  (Pierre  de) 

45 

Réval  (Capitaine  J.). . . 

340 

Reymond  (Aug.) 

337 

R 

Reymond  (Marcel) 

416 

Richelieu  (duc  de). .   9, 

52 

Rabelais 53 

222 

152 

Rabusson  (Henry) 

101 

Ricquebourg  (Jean). . . 

92 

Rachel    .....     51,   130, 

267 

Ricquier  (Léon) 

165 

Racine 103,  265 

386 

Rilly  (Comte  de) 

340 

Racowitza    (Princesse 

Riotor   (Léon) 

87 

Hélène  de) 

266 

Rivoire  (André) 

124 

Radcliffe  Dugmore 

266 

Robespierre  (Charlotte) 

88 

Radziwill     (  Princesse, 

Robien    (Vicomte    Guy 

née   Castellane) 

158 

de)   

263 

Ramel  (Delphine) 

374 

Robinet  de  Cléry 

221 

Randau   (Robert)* 

213 

Rocca  de  Vergallo  (N. 

Raphaël 

416 

A.  délia) 

53 

Raymond  (Docteur). . . 

215 

Rocheblave 

53 

Raynaud  (Ernest) 

387 

Rochetal(  Albert  de)... 

340 

Reboul   (Max) 

422 

Rocquain  (Féhx) 

90 

Reboux(Paul) 

164 

Rod  (Edouard) 175 

,  435 

Récamier  (Madame). . . 

207 

Rodés  (Béatrix) 

266 

412 

Rogniat  (Marcel) 

128 

Reclus  (Elisée) 

204 

Rohan  (Chevalier  de). . 

386 

Recouly  (Raymond). . . 

53 

Rohan  (Duchesse de)  26r 

.  446 

Régis-Lamotte  (Roger) 

87 

Roland  (Marcel) 

i:« 

Régnai  (Georges) 

174 

Rolland  (Romain) 

110 

Régnier  (Henri  de). . . . 

448 

Romains  (Jules) 

381 

Reich  (Docteur  Emih*). 

80 

Romans   (Mademoiselle 

Reichel  (Franz) 

280 

de)  

411 

466 


LE    MOUVEMENT    LITTÉRAIRE 


Romeuf  (Louis  de) 92 

Romilly  (Edouard) 18 

Romney    254 

Rondet-Saint  (Maurice)  92 

Roosevelt  (Théodore). .  174 

Rosebery  (Lord). . .   323,  408 

Rosny  (J.-H.) 443 

Rosny  (J.-H.  aîné) 5 

Rossel  (Virgile) 388 

Rossigneux 420 

Rostand  (Edmond).      14,  50 

124,    133,  337 

Rostand  (Maurice) 425 

Rouanet  (Léo) 385 

Rouby  (Docteur). 340 

Rougé  (Adolphe  de). . .  130 

Rougemont  (E.  de) 174 

Roujon  (Henry)     88,219,410 
Roupnel  (Gaston).   316,  444 
Rousseau   (Jean- Jac- 
ques)..   281,  340,  369,  383 

Rousseau  (Samuel) 259 

Roussel  (Raymond)...  53 
Rousset  (Lieutenant-co- 
lonel)    425 

Rouvier   (Henri) 384 

Roux  (Charles) 425 

Roux( François-Charles).  388 

Roux   (J.-Ch.) 133 

Roz  (Firmin) 92 

Rozat  de  Mandre  (Gé- 
néral)    300 

Rozet 219 

Rûckert 10 

Ruffin  (Alfred) 93 


Sageret  (Jules) 67,  381 

Sahuqué  (Blanche) 247 


Saint- Aulaire  (Comte  A 

de)   129 

Saint-Cyr  (Charles  de).  221 

Saint-Louis   53,  335 

Saint-Martial  (Comtesse 
de,  sœur  Blanche,  fille 

delà  Charité). .  .V . ..  172 

Saint-Pierre    221 

Saint-Pierre  (Bernardin 

de)   383 

Sainte-Beuve   8 

Sainte-Foy   221 

Saintis 50 

Sales  (Pierre) 260,  297 

Salle   (Marie).. 412 

Samain   (Albert) 124 

Samson  (Jean) 193 

Sancy  (Pierre  de) 53 

Sand  (George) 267,  305 

Sandeau  (Jules) 267 

Saunier  (Marc) 388 

Sauzey  (Lieutenant-co- 
lonel)    93 

Savine    (Albert)....     87,  93 

212,    388,  422 
Schahorskoy-Strechnefî 

(Princesse)    388 

Scheffer   (Robert) 169 

Schlumberger  (Gustave)  36 

Schumann  (Clara) 411 

Schwab  (Raymond). . .  214 

Sebillot  (Paul) 236 

Séché  (Alphonse) 54 

Séché    (Léon)....     54,  266 

425 

Segonds  (Lieutenant). .  388 

Segur  (Marquis  de).     93,  173 

Sévérac  129 

Sévigné  (Madame  de). .  171 

Shakespeare  217 


NDEX    ALPHABÉTIQUE 


467 


Sheridan       (    Richard - 

(Maurice  de,  duc  de 

Brinsley) 

27 

Dino),    

174 

Sicard  (Emile) 

214 

Tarente  (Madame  de). . 

173 

Silbermann  (Soldat). . . 

133 

Tausserat-Rad'-l  (Ale- 

Silvestre (Général  F.).. 

340 

xandre)   

221 

Sinan 

134 

Tencin  (Madame  de). . . 

Sisson  (H.-D.) 

134 

9,  339, 

423 

Solovioff  (W.-S.) 

260 

Teramond  (Guy  de) .... 

381 

Somerset-Maughan    . . . 

401 

Ternier  (Louis) 

296 

Sonia 

14 

Testard  (Maurice) 

260 

Sonnenfeld  (Nandor).. 

425 

Thierry  (Gilbert- Augus- 

Sorel (Albert-Emile)... 

274 

tin)  

40 

448 

Thiers    

287 

Soubies  (Albert)..     134 

301 

Thoumas  (Général) 

54 

i^oudart   (Madame  Ma- 

Tinayre(Marcelle).. .     18,55 

rie)  

267 

320 

Soulages  (Gabriel) 

301 

Tinseau  (Léon  de) 

109 

Soumet   

219 

Tollemonde    (Georges 

Sourio  (Maurice) 

174 

de)   

388 

Souvestre  (Pierre) 

297 

Tolstoï   (Léon)...     164, 

256 

>petz  (Georges) 

425 

328,    436, 

439 

Staël  (Madame  de).   174 

403 

Tony  d'Ulmès 

129 

Stanley    

418 

Torcy  (Général  de) 

340 

Stendhal    132-395 

Tornezy   (A.) 

340 

Stenger  (Gilbert) 

115 

Toucas-Massillon 

28 

Stoullig  (Edmond) 

388 

Toulouse  (Docteur) 

267 

Stourm  (René) 

426 

Tourguenew 

439 

stuart  (Marie) 

130 

Tournier  (Albert) 

409 

stuart  Mill 

39 

Tourzel  (Madame  de). , 

335 

Sudermann  (Hermann) 

260 

Traz  (Robert  de) 

169 

Sue  (Eugène) 219, 

267 

Tripot  (Docteur  J.) 

19 

.Sully  Prudhomme. .   90 

122 

Trois- Arches  (Abel  des). 

388 

■  1    ' 

448 
355 

Troisville 

337 

Swetchino  (Madame).. 

Tschudi  (C.  de) 

425 

Turenne    18, 

340 

T 

Turquan  (Joseph) 

367 

Twain  (Marc) 214, 

437 

Tailhad»'  (Laurent). . , . 

433 

ralleyrand  . . .    78,    158, 

220 

ralleyrand-Périgord 

468 


LE    MOUVEMENT    LITTERAIRE 


u 

Upton  Sinclair 87 

Urfé  (Anne  d') 11 

Urfé  (Honoré  d') 11 

Uzanne  (Octave) 831 

V 

Vaissière  (Pierre  de). . .  134 

Val  (Charles) 87 

Valdagne  (Pierre) 231 

Valdès  (Armando  Pala- 

cio) 104 

Valée  (Maréchal) 76 

Valentin    260 

Vallery-Radot  (Robert).  310 

Valmesnil   50 

Vandal  (Albert) 438 

VandenGheyn(J.) 425 

Vauvenargues 46 

Verhaeren  (Emile).    124,  134 

171 

Verne  (Jules).     50,  247,  309 

Vernou  (Pierre) 297 

Veyssié  (Robert) 214 

Vezinet  (F.) 134 

Vialay  (Amédée) 425 

Viardot  (Paul) 93 

Viau  (Raphaël) 161 

Vidal  (Commandant  P.)  389 

Vierge  (Pierre) 389 

Vigée-Lebrun  (Madame)  411 

Vigny  (Alfred  de).     44,  130 

219 

Viguier  (Charles) 433 

Villetard  (Pierre) . .     237,  260 

Villiers  (Baron  Marc  de)  38 

Villiers  de  l'Isle-Adam.  174 


Villon  (François)..     15,  340 

Vincent  (Abbé) 267 

Vinci  (Léonard  de).     92,416 

Viouly 260 

Visconti    (Primi) 16 

Vivien  (Renée) 301 

Vogué   (Vicomte   E.-M. 

de)    255,  439 

Volland  (Gabriel) 93 

Voltaire    9,   340,  369 

Vuillaume  (Maxime) .. .  158 

VuUiaud  (Paul) 389 

Wagner  (C.) 389 

Waleffe  (Maurice  de) . . .  253 

Wahszewski   93 

Walle   (Paul) 341 

Ward  (Herbert) 418 

Weede  (Gaspard  de) . . ,  422 

Weiss  (J.-J.) 18 

Wells  (H.-G.).     50,  297,  349 

Welsch  (Jeanne) 341 

Welschinger  (Henri). . .  201 

Welvert  (Eugène) 321 

Wendt  (Gustave) 281 

Wenz(Paul) 334 

Whitehouse  (Romsen).  267 
Wiart    (Henry    Carton 

de)   87 

Wilde  (Oscar) 89,  179 

Wilhelmine  (Frédérique 
Sophie,  Margrave  de 

Bareith) 341 

Willy 214 

Willy  (Colette) . . .     34^j,  444 

Wœstyn    260 

Wolsky  (Galixte  de). . .  _42S 

Wylm  (Antoine) 87 


INDEX    ALPHABETIQ,UE 

Wyzewa  (Théodor  de) 


469 


19 
128 


Yard  (Francis) 389 

Youssof  (Fehmi) 341 

Yver  (Colette) 23 


Zahn  (Ernest) 381 


Zamacoïs  (Miguel) 301 

Zelmire  (Princesse) 388 

Zemlak   (Semène) 261 

Zola  (Emile) .     165,  191 

Zurlinden  (Général)...  326 
Zuylen  de  Nyevelt  (Ma- 
dame Hélène  de) 426 

Zweig  (Stefan) 134 


94,    174,  267     301 


TABLE 


Préface v 

Janvier 1 

Février   20 

Mars   55 

Avril  95 

Mai   135 

Juin 175 

Juillet 222 

Août-Septembre    268 

Octobre 302 

Novembre 342 

Décembre 390 

Quelques   disparus 429 

Concours  et  prix  littéraires 443 

Index  alphabétique 449 


CliiMifOH     _  [inprim<'ri.«  Kd    GARNIKU.  —  M.   11.   :{'.». 


Pc^     Glaser,  Ph,  Emmanuel 

12       Le  mouvement  littéraire 

G5 

t. 7 


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